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9822 - IMPRIMERlE GÉNÉRALE DE CH. LAHURE
Rue de Fleurus, 9. a Paris




ESSAI SUR L' HISTOIRE


DU GOUVERNEMENT
ET


DE LA CONSTITUTION
BRITANNIQUES


DEPUlS LE REGNE DE HENRI VII JUSQU' A L'ÉPOQUE ACTUELLE


PAR


LE COMTE JOHN RUSSELL
TBADUlT DE L'ANGLAIS


P.LJI.


CHARLES BERNARD DEROSNE
AVEC L'AUTORISATlON DE L'AUTEUR


PARIS
. E. DENTU, LIBRAIRE -ÉDITEUR


PALAIS-ROYAL, 17, 19, GALERIE n'oRLÉANS


1860
Tous droits réservés




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I




el Il me semble que je vois dans mon esprit une nation noble et
puissante; elle se leve comme un homme vigoureux apres le som-


meil et secoue sa chevelure qui la rend invincible; il me semble
que je la voie telle encore qu'un aigle renouvelant sa jeunesse
pleine de force, allumant son regard aux rayons du grand jour,
révivifiant sa vue a la source méme de la splendeur celeste, tandis
qu'aux alentours, avec bruit et réunis par handes, les oiseaux
timorés , et ceux qui aiment les ombres du crépuscule s'agitent


éperdus, se demandant ce qui va se faire et prédisant dans leur


caquet envieux et criard une époque de sectes et de schismes. 11


MILTON.






A


LA MÉMOIRE


DU


COMTE CHARLES GREY,


L'AMI CONSTANT DE M. FOX


DANS SA VIE PUBLIQUE ET PRIV~E;


AU CHAMPION INFATIGABLE DE LA LIBERT~ CIVILE ET RELIGIEUSE


DANS TOUS LES TEMPS ET DANS TOUTES LES CIRCONSTANCES ;


A L'HOMME D'~TAT QUI A AIMÉ SON PAYS D'UNE MANIERE ~CLAIRÉE


DANS TOUS SES P~RILS ET SES EMBARRAS,


CE LIVRE


EST DÉDIÉ


COMME UN T~MOIGNAGE D'AFFECTION ET D' ADMIRATION


PAR


L'AUTEUR.






TABLE.


DÉDICACE.


TABLE.


PRÉFACE •
INTRODUCTION .•


CHAPITRE L


PREMIERS PRINCIPES SUR LE GOUVERNEMENT ET LA CON-
STITUTION BRITANNIQUES •


CHAPITRE H.
HENRY VII ••


CHAPITRE IIl.
HENRY VIII •


CHAPITRE IV.
I.A RÉFORMATION •


CHAPITRE V.
LA REINE ÉLISABETH


CHAPITRE VI.
JACQUES 1 •


Pages,


VII


IX


XV


XVII


15


20


26


33


40




x


CHARLES I••


TABLE.


CHAPITRE VII.


CHAPITRE VIII.


pages.


4:9


CAUSES DE LA DISSOLUTION DU GOUVERNEMENT ANGLAlS
SOUS CHARLES l. • 68


CHAPITRE IX.


CROMWELL, CHARLES II, ET JACQUES n. 72


CHAPITRE X.
LA RÉVOLUTION . 78


CHAPITRE XI.


DÉFlNlTIONS DE LA LIBERTÉ. 82


CHAPITRE XII.
LIBERTÉ ClVILE. 85


CHAPITRE XIII.
LIBERTÉ PERSONNELLE 95


CHAPITRE XIV.
LIBERTÉ POLITIQUE. 108


CHAPITRE XV.
LES HOMMES DE LOl . • . 122


CHAPITRE XVI.


PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLTC AYANT POUR BASE UNE
CONSTlTUTION LIBÉRALE 125




TABLE.


CHAPITRE XVII.


LES PARTIS •


CHAPITRE XVIII.


GUILLAUME ET MARIE. - ANNE.


CHAPITRE XIX.


XI


Pages.


131


141


MISE EN ACCUSATION. - BILLS DES PEINES ET AMENDES. 147


CHAPITRE xx.


GEORGE 1 ET GEORGE II.


CHAPITRE XXI.


156


GEORGE IIl. - COMMENCEMENT DE SON REGNE. - GUERRE


D'AMÉRIQUE. •• 166


CHAPITRE XXII.


LE SENS DE LA JUSTICE •


CHAPITRE XXIII.


170


D'UN REMEDE EXTREME COl'{TRE LES ABUS DU POUVOIR
ET DE LA MODÉRATION DANS L'USAGE DE CE REMEDE. 173


GHAPITRE XXIV.


LA L01 CR1M1NELLE. •


LES ÉCOLES PUBLIQUES


CHAPITRE XXV.


177


184




XII TABLE.


CHAPITRE XXVI.
Pages.


LES LOIS DES' PAUVRES.•


CHAPITRE XXVII.


GUERRE CONTRE LA RÉPUBLIQUE FRANI;AISE. •


CHAPITRE XXVIII.


191


196


LA LIBERTÉ, SOURCE PRINCIPALE DE LA RICHESSE DES
NATIONS, ET SPÉCIALEMENT DE LA NATION ANGLAISE. 199


CHAPITRE XXIX.


LA DETTE NATIONALE •


CHAPITRE XXX.


20ft


QUE.~DANS UN GOUVERNEMENT LIBRE UNE ATTENTION PER-
PÉTUELLE ET DE FRÉQUENTS RENOUVELLEMENTS SONT
NÉCESSAIRES . 213


CHAPITREXXXI.


CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES COMMUNES •


CHAPITRE XXXII.


LES ARMÉES PERMANENTES •


CHAPITRE XXXIII.


218


24:3


INFLUENCE DES JURÉS SUR L'INTERPRÉTATION ET LA MO-
DIFICATION DES LOIS • 251:l


CHAPITRE XXXIV.


INFLUENCE DE LA COURONNE . 263




TABLE.


CHAPITRE XXXV.


OPINION PUBLIQUE. - LOIS RESTRICTIVES.


CHAPITRE XXXVI.


.'


XIII


Pages.


287


LIBERTÉ DE LA PRESSE. - DESTINÉES PROBABLES DE LA 301
CONSTITUTION ANGLAISE


APPENDlCE 315


NOTES. 326






PRÉFACE.


Ayant depuis longtemps formé le projet de publier
une édition nouvelle de mon Essai sur la Constitution ~
.i 'ai été frappé, quand je me suis mis a la préparer, de
la grande différence qui existe entre l'état des aífai-
res telles qu'elles étaient en 1823 et leur condition
actuelle. J'ai done été ohligé de choisir l'une de ces
deux alternatives : ou bien ajouter forcément des notes
innombrables, et changer une partie de l'ouvrage,
rapiécer , pour ainsi dire, le vieux vétement ; ou bien
écrire une Introduction pour expliquer les modifica-
tions considérables qui sont survenues dans le cours
des quarante dernieres années. J'ai préféré ce second
moyen.


Quantau corps de l'ouvrage en Iui-méme, je me suis
contenté de quelques retranchements et de quelques
notes destinées a marquer la différence des temps. 19
lecteur doit en tous cas faire l'observation que ce livre
a été composé et revu de 1820 a1823.


R.


Janvier 1865.




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I




INTRüDUCTlüN.


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Quand j'ai publié, il y a quarante ans, l'ouvrage
dont voici une nouvelle édition, je disais: « n faut
que les Anglais se pénetreut bien de cette idée,
l'édifice des vieilles monarchies est , sur le Con-
tinent, d'uue construction si vicieuse et d'une telle
décrépitude qu'il exige un changcrncnt complet,
tandis que les défauts de uotre Constitution peu-
vent étre corrigés d'une maniere strictement en
harmonie avec son esprit, et tres-favorable a sa
conservatiou. »


Les événements m'ont donné raison. La France
a passé par la Révolution qui a renversé CharlesX,
et par celle qui a renversé Louis-Philippe. L'ltalie
a accompli heureusement la sienne. L'Autriche est
en train d'apporter a sa constitution des amende-
ments qui sont de hon augure; la Prussc cornmence
a agir de méme ; l'Espague et le Portugal n'ont


b




XVIII INTRODUCTION.


pas encore achevé cette entreprise. De son coté
l'Angleterre a opéré paisiblement beaucoup de
réformes que cette Introduction a pour but d'es-
qUlsser.


Aussi longtemps qu'ont duré les alarmes susci-
tées par la Révolution Francaise, le parti qui avait
soutenu Lord North pendant la guerre d'Amérique
et M. Pitt pendant la guerre contre la France, a
conservé son organisation parfaitement intacte.
Durant une période d'environ soixante années qu'il
a été au pouvoir, ce partí a consacré toute son
énergie a étouffer la révolte dans les colonies ou
a l'intérieur, et a soutenir la guerre contre l'étran-
gel'.


Les mesures, en petit nombre, ayant un carac-.
tere libéral qui remontent a cette époque, conuue
les Bills de Réforme économique de M. Burke, et
l'Abolition de la Traite, ont t~té le fruit des courts
intervalles pendant lesquels le Gouvernement ap-
partint aux Whigs, en 1782 et 1806.


Mais des que fut aífaiblie la crainte du Jacobi-
nisme étranger et des troubles civils, le parti Whig
obtint graduellement la confiance du publico Le
triomphe de ce parti sur les anciens préjugés et
sur la force compacte de ses adversaires aurait
néanmoins été lent si le grand partí Tory ne s'é-
tait divisé en denx hranches.


L'une, tout en prenant ponr signe de ralliemení




INTRODUCTION. XIX


le nom de M. Pitt, rejetait ses sages principes re-
lativement aux incapacités légales des Catholiques
et au systeme commercial; suivant la comparaison
si juste de M. Canning, c'était adorer M. Pitt uni-
quement en ses heures d'éclipse.


L'autre branche, tout en demeurant fidéle a la
politique belliqueuse de 1793, et aux lois restric-
tives qui l' accompagnaient, trouvait que le chan-
gement des circonstances permettait de renverser
les barrieres élevées entre des sujets Anglais dont
I'opinion religieuse était différente; c'était mettre
la raison au-dessus de l'obéissance passive, et
laisser « a la persuasion le soin de remplacer la
peur dans son eeuvre. »


Ces idées divergentes exciterent a diverses re-
prises beaucoup de bruit et de contestations; fina-
lement la lave bouillante parvint a soulever la
croute solide et massive qui pendant plus d'un
dcmi-siecle avait pesé sur le sol de la Grande-
Bretagne.


Parmi ceux qui envisagérent de la facon la plus
éclairée les intéréts de leur pays, J\!I. Canning,
M: Huskisson, Lord Palmerston, et M. Grant fu-
rent les prenliers a marcher en avante


Plus tard, Sir Robert Peel, Lord Aberdeen, Lord
Lincoln, M. Gladstone, et M. Sidney Herbert ne
purent supportor le joug des Tories, et se joignirent
au parti du progres, Dan. le méme temps le parti




xx INTRODUCTION.


Radical qui, pendant la guerre, avait été composé
de quelques débris épars, se forma sous M. Joseph
Hume en un corps considérable, homogene, et
actif.


Toutes ces séparations, ces adhésions, ces trans-
formations se firent a des époques diverses, et a
propos de questions différentes. En somme les
changements importants qui ont eu lieu dans l'es-:
pace de quarante années, entre '1823 et '1863, se
sont accomplis par la communauté d'action des
Tories avec les Whigs et les Radicaux, ou bien
ce qui est arrivé plus souvent encore, par la coo-
pération d'hommes politiques siégeant sur des
bancs opposés et s'avancant en colonnes dis-
tinctes, mais également désireuses de favoriser
les grands principes de Héforme.


En '1823 l'état de l'Angleterre n' offrait rien de
consolant. L'Acte d'Habeas Corpus avait été sus-
pendu en 18'17, et le Ministere de l'Intérieur avait
envoyé dans les comtés manufacturiers des espions
qui, agissant d'apres leurs instincts et non point
d'aprés leurs instructions, avaient provoqué des
crunes dont le chátiment fut ensuite l'écha-
faud. -f:


'" Voir State Trials, vol. XXXII, p. 859, et Parliatnentary Debates,
vol. XXXVI, p. 1003 et 1016, ainsi que d'autres renvois aux State
Trials, loe. cito Olivier, I'espion, fit tout ce qui était en son pouvoir
pour provoquer I'insurrection.




INTRonUCTION. XXI
Lord Castlereagh introduisit en 1819 des Bills


qu'il désigna Iui-mérne comme des mesures de
« coercition sévere. »


Quant ala situation générale de l'Angleterre au
point de vue légal, financier et commercial, elle
était fort arriérée. La législation criminelle était
remplie de pénalités capitales, souvent pour des
délits insignifiants, par exemple, pour le simple fait
d'avoir abattu un arbre, ou bien de s'étre montré
sur les grandes routes avec la figure noircie. Le
commerce avec l'étranger était entravé par des
monopoles et des restrictions. 11 y avait des taxes
sur les choses nécessaires a la vie; les contribu-
tions indirectes étaient fort lourdes, les droits de
douane s'étendant aplusieurs centaines d'articles
étaient aussi vexatoires pour les négociants que
lucratifs pour l'État.


On n'admettait qu'indirectement aux fonctions
les Protestants des sectes dissidentes. Les Catho-
liques Romains et les Juifs se trouvaient formelle-
ment exclus du Parlement et des postes politiques.
On s'opposait a la Réforme parlementaire. Un
bourg ayant perdu son droit électoral pour cause
de corruption, ce droit ne put étre accordé au bourg
de Lecds si florissant et si populeux; on eút craint
de faire ainsi de l'innovation. La presse était acca-
blée par un timbre de quatre pence sur chaque
[ournal, et des poursuites étaient souvent inten-




XXII INTRODUCTION.


tées centre les écrivains quj se perJ))ettajeJJ! 1111[>
trop grande liberté de critique.


Rien de plus lamentable que l'état des affaires
étrangéres vers cette époque. Les trois grandes
puissances du Nord, la Russie, l'Autriche et la
Prusse, ayant succédé au despotisme de Napoléon
sur le Continent sans avoir son génie Umpar Con-
gresslts Achilli, disait Lord Byron), avaient décidé
qu'aucune liberté ne serait accordée, aucune ré-
forme admise sans leur acquiescement. -l' C'est dans
cet esprit qu'elles avaient étouffé en 1821 et 1823
les révolutions de Naples, du Piémont et de l'Es-
pagne, trompant ainsi et trahissant les populations
de l'Europe qui en 1813 et 1814 avaient combattu
pour la liberté tout autant que pour l'indépen-
dance. Contre ces actes atroces l'Angleterre avait
protesté faiblement en 1821, hautement en 1823,
mais, dans les deux cas, inutilement.


Comme les Tories étaient au pouvoir en 1823 il
était naturel que l'ceuvre des novateurs débutát
par une question dans laquelle ils avaient le béné-
fice de précédents empruntés au parti Tory pour
appuyer leur agression.


Le Traité de Commerce de 1713 avec la France
avait été fait par les Tories, et déchiré par les
Whigs. Celui de 1786 avec la rnéme nation avait


* Voir Appendice (A).




INTRODUCTION. XXIII


été conclu par les Torios malgré l'opposition des
'Whigs.


C'est, par conséquent, de ce coté-la que M. Can-
ning jeta les yeux, aidé de M. Huski sson, de
M. Peel et de M. Robinson pour commencer l'at-
taque du systeme alors établi.


L'industrie des soies avait été comme tenue au
maillot par l'État depuis son enfance.


M. Huskisson prit ace sujet un parti fort libéral
et en meme temps tres-rnodéré. Les soies des
manufactures étrangeres se trouvaient prohibées.
Il proposa de les admettre au bout de deux ans
avec un droit dimportation de trente pour cent. *


Apres cette entreprise ce fut le tour des Whigs
et non plus du Gouvernement de prendre en mains
le progres ; ils proposerent d'abolir les restrictions
a la liberté religieuse.


En 1828 la Chambre des Communes consen-
tit a abroger les Actes de Test et de Corpora-
tíon, ces vieux legs de fintolérance qui intli-
geaient un stigmate immérité aux Protestants
des sectes dissidentes. Cette mesure, comme je
I'ai dit, fut enlevée contre la volonté du Gouver-
nement.


Cependant l'année suivante les incapacités ci-
viles qui opprimaient et dégradaient les Catholi-


.. Voir Appendice (8).




XXIV . INTRODUCTION.


.ques Romains d'Angleterre et d'Irlande furent
anéanties sur la proposition du Duc de Wellington,
de Sir Robert PeeI et de Lord Lyndhurst. Depuis
le commencement du siecle 1\'1. Fox et M. Pitt, M.
Windham et Lord Grenville, M. Sheridan et M.
Canning, Lord Castlereagh et M. Grattan avaient
prouvé au Parlement la justice et la sagesse qu'il
y aurait a étendre aux Catholiques Romains les
bénéfices de la Constitution. Mais jusqu'au jour
oú M. O'Connell eut soulevé les forces physiques
de l'lrlande a un degré de violence qui atteignait
presque le caractére de la rébellion, aucune con-
cession n'avait pu étre obtenue. Ce qui avait été
refusé dédaigneusement a la raison et a l'élo-
quence fu! largement accordé, dans l'année '1829,
aux menaces de la multitude.


Sir Robert Peel rendit néanmoins ample justice
aux Whigs quand iI proposa la. mesure dont ils
avaient été les avocats persévérants.


Vers la fin du débat sur la seconde lecture
du Catholic Relief Bill, et quand le triomphe de
cette grande cause de la liberté religieuse était
assuré, Sir Robert Peel arrivé a la conclusion de
son discours, accorda un témoignage sincere mais
qui n'en était pas moins généreux, aux mérites de
ses devanciers et de ses adversaires politiques.
« Un mot encore, » dit-il, « et je termine. J'ai
ce .obtenu dans le discours de mon noble ami le




INTRODUCTION. xxv


« représentant de Donegal des paroles d'approba-
« tion qui me touchent profoudérnent ; ces preu-
« ves d'estime m'out été données par des person-
« nes qui siégeut d'un coté de la Chambre qui
« n' est pas le míen; elles· font honneur a la
« tolérance qu'ont chez nous les partis. Cepen-
« dant, je dois le dire a tous, elles m' ont attribué,
({ pour le reglement de eette affaire, un éloge
« dont je ne suis pas digne. Cet éloge revient a
« d'autres et non point a moi. n est dú a M. Fox,
« a M. Grattan, a M. Plunkett, a nos adversaires,
« et a un personnage illustre et tres-honorable
« d'entre mes amis qui n'est plus maintenant ici.
« C'est par leurs efforts qu'en dépit de mon oppo-
« sition passée la mesure qui nous occupe est au-
« jourd'hui victorieuse. » *


Le partí politique dont le lot avait été de
gouverner les destinées du pays pendant soixantc
ans, sauf de courts intervalles, qui avait jeté la
nation dans les guerres d'Amérique et de France,
qui avait refusé toute réforme et protégé tout
ahus, qui avait défendu tous les fanatismes et per-
sécuté tout ce qui était libéral, finit par s'écrouler
sous le poids de eet échec si lourd.


Alors se fit la Iumiere. Le ministere fut défait
aprés l'élection générale, et Lord Grey, le nou-


* Parliamentary Debates, nouvelle série, vol. XX, p. 1289.




XXVI INTRODUCTION.


veau premier ministre, proclama I'avénemcnt de
la paix, des économies et des réformes. En ce
qui concernait la paix , les affaires de Belgique
fournirent a Lord Grey l'occasion d'appliquer
comme ministre ces príncipes dont il avait été
l'ardent avocat quand il se trouvai t dans l'oppo-
sition.


Les questions soulevées par l'insurrection BeIge
étaient compliquées; les Puissances du Nord
voyaient avec alarme une révolution sortie des
troubles populaires, et le Gouvernement Franeais
éprouvait une ccrtaine difficulté a refréner lf~
désir national d'annexion.


Le 21 Juin, a I'ouverture du Parlement on re-
marqua dans le discours du tróne ce qui suit . -
« Les pourparlers qui ont eu lieu sur les affaire s
« de Belgique n'ont pas encore amené une conclu-
« sion, mais l'accord le plus complet continue a
« régner entre les Puissances dont les Plénipoten-
« tiaires ont participé aux Conférences de Londres.
« Quant au principe qui a dominé ces conférences,
« il consiste ane pas intervenir pour s'opposer au
« droit qu'ont les Belges de régler leurs affaires
« intérieures, et d' établir leur gouvernement selon
« les idées qui leur semblent les plus propres a as-
« surer leur bien.étre et leur indépendance, sous la
« seule condition, sanctionnée par la pratique des
« nations et fondée en ordre public, que l'exercice




INTRODUCTION. XXVII


( de ce droit incoutestahle ue mettra pas fin dan-
« gel' la sécurité des États voisins. » '*


Ces discussions qui d'apres la parole royale
n'avaient pas été amenées a conclusion, en Juin
1831, continuórent pendant quelques années en-
core; enfin grace ala Iermeté, ala persévérance et
al'habileté de Lord Palmerston, elles eurent pour
résultat d'obtenir de toutes les grandes Puissances
qu' elles reconnaitraient et garantiraient l'indépen-
dance de la Belgique.


Pour ce qui regardait les économies a réaliser,
cette reuvre fut poursuivie avec vigueur, beaucoup
de sinécures furent abolies, et le salaire des officiers
publics les plus importauts et les plus utiles fut
considérablement réduit.


Peu de temps apres que Lord Grey eut formé
son Ministere Lord Durham me pria d'aller le voir
dans Cleveland Row. Il m'informa que Lord Grey
l'avait chargé de me consulter sur l'organisation
d'un comité pour dessiner le plan d'une Réforme
Parlementaire. Apres en avoir délibéré nous con-
vinmes d'engager Sir James Graham, Premier Lord
de l'Amirauté et Lord Duncannon, Premier COln-
missaire des Bois et Foréts, aformer avec nous un
cornité dans ce but.


Lord Durham me demanda alors de tracer, pou!'


* Hansard's Debates, troisieme série , vol. IV, p. 85.




XXVIII INTRODUCTION.


la soumettre al'exarnen du comité, l'esquisse des
principaux points de Héforme ; on devait ensuite
offrir a Lord Grey le résultat de nos travaux qui
sur son approbation était destiné a faire l'objet
d'une proposition au Cabinet.


Invité de la sorte aélaborer une étude sur un
sujet vaste, important, et difficile, je crus néces-
saire de bien peser les principes généraux sur
lesquels doit s'appuyer une bonne mesure de
réforme.


A ce point de vue, j'ai souvent pensé aux ohser-
vations de Burke.


« C'est cette incapacité de lutter contre les dif-
« ficultés, )) dit cet homme illustre, « qui a obligé
« l'assemblée arbitraire de France de commencer
« ses projets de réforme par l'abolition et la des-
« truction totale de ce qui existait : mais est-ce
« bien en détruisant et en renversant qu' on fait
« preuve d'habileté? Votre populace peut agir ainsi
« tout aussi bien au moins que vos assemblées.
« L'intelligence la plus plate, la main la plus gros-
« siere est plus apte acette tache.... Les erreurs et
« les défauts des vieilles institutions sont visibles
« et palpables. Ilfaut peu d'habileté pour les signa-
« ler, et quand on a le pouvoir absolu de le faire,
« il suffit d'un mot pour détruire le défaut et l'ins-
« titution tout ensemble.... Mais conserver a la
« fois et réformer, c'est autre chose. S'il s'agit de




INTRODUCTION. XXIX


« rnaintenir les parties utiles d'une vieille institu-
« tion, et d'établir l'harmonie entre ce qu'on ajoute
« et ce qu'on garde, il faut pour cela de la vigueur
« intellectuelle ; une attention soutenue et persé-
« vérante, les facultés variées de comparaison et
« de combinaison, les ressources d'un esprit fécond
« en expédients ; toutes ces qualités doivent en-
« trer en exercice pour combaUre en un conflit
« perpétuelles forees unies des vices contraires,
« l'obstination qui rejeUe tout amendement, et la
« légereté qui se dégoúte de tout ce qu'elle pos-
« sede. » *


Lord Grey qui de tous les hommes d'état a su le
mieux exposer les principes de M. Fox, et qui était
alors amérne de rnettre en pratique les avis qu'il
donna souvent en vain, avait dans son heau discours
de t 8 t O exprimé devant la Chamhre des Lords les
opinions sages et mémorables que voici : -


« 11 faut en vérité avoir été doué d'une sagesse
« précoce ou bien avoir peu appris de l'expérience
« pour envisager, au bout de vingt ans, un sujet
« de cette nature exactement et sous tous les rap-
« ports de la méme maniere qu'on l' avait fait
« autrefois. Cependant, apres avoir considéré cette
« affaire aussi sérieusement, aussi impartialement
« qu'elle le méritait d'apres lui, cal' il la regar-


* Voir OEuvres de Buike, Réllexions, vol. V, p. 303 30~.




xxx INTRODUCTlON.


« dait comme la question la plus importante qui
« puisse occuper l'attention de Vos Seigneuries, il
« en était arrivé, dans sa consciencc, a penser qu'il
« résulterait beaucoup de bien de l'adoption des
« principes salutaires de Réforme, appliqués gra-
«: duellement a l' effacement des abus que le temps
« a dú nécessairement engendrer; pourvu qu'OIl
« prit un soin spécial de renfermer cette mesure
« de réforme dans les limites assignées par la
(e Constitution elle-rnéme, sans jamais, en aucun
« cas, en dépasser l'enceinte naturelle. )


Apres avoir montré son admiratinn pour M. Fox,
« ce personnage qui, entre tous, a le mieux com-
« pris les principes et aimé le plus chaudement
« les institutions vénérables sous lesquelles il vi-
« vait, )) Lord Grey continuait ainsi : « Jamais,
« Mylords, je ne pourrai oublier ses observations
<t puissantes quand, a sa place dans le Parle-
« ment, il affirmait la conviction oú il était de
« l'absolue impossibilité qui se trouve de pour-
« voir a toute la variété des événernents humains
« par des plans préconcus en théorie ! Cal', disait-il,
« je crois que si les plus sages, les plus capables,
« les plus vertueux de tous les hornrnes qui ont
« servi a l'ornement et au progres de la civilisa-
« tion se trouvaient réunis et assis autour d'une
« table pour donuer apriori une constitution a
« lUI F~tat, j e crois, - c1 e'csl lá rna pcrsuasion.




INTRonUCTloN. XXXI
« que malgré toute leur habileté, malgré toute leur
« vertu ils ne réussiraient pas a formuler un sys-
« teme pouvant atteindre ce but ; ils devraient
« laisser aux modifications de la pratique et a de
« nombreuses déviations le soin d' adapter l'(BU-
« vre primitive aux circonstances! Et cette opi-
« nion, il avait coutume de la soutenir au moyen
« d'un exemple familier mais juste, comparant
« une constitution a une maison dont on a beau
« étudier méticuleusement le plan d' avance, et
« qui ne rassernble pas tons les avantages qu'on y
« voudrait avoir quand OH y habite. 11 faisait re-
« marquer que malgré toute la beauté qui parait
« étre la sienne quand on la voit d'apres un plan
« régulierement dessiné sur le papier, aucune
« maisou neuve 11'est aussi habitable et aussi com-
« mode que celle dont on a háti les diverses par-
« ties a différentes époques, piéce a piece et sans
(e dessein régulier. C'est a de tels principes de ré-
« forme pratiquc si sagement exposés par ce grand
« homme d'état, que j'adhére avec détermina-
« tion, etc. »


Dans le méme discours Lord Grey citait une
déclaration faite par 1'Association des Amis du
peuple el' portant la signature du Duc de Bed-
ford, alors Lord .Tohn Russell : -


« Nous sornmes convaincus, » disent les auteurs
de cetíe déclaratiou, « que le peuple est vivemeut




XXXII INTRODUCTION.


« attaché 'a, notre heureuse forme de Gouverne-
« rnent, et aux véritables principes de notre Con-
« stitution. Nous aimons ces institutions d'une
« affection cordiale non point par suite d'un 1'es-
« pect banal ou superstitieux, mais parce qu'elles
« sont calculées de maniere a engendrer le bon-
« heur des hommes dans la société civile; et c'est
« parce que nous sommes convaincus que ces abus
« les minent et les corrompent que nous nous
« sommes associés pour en conserver les principes.
« Nous désirons réformer la Constitution parce que
« nous voulons la conserver. » i<


Lorsque je fus invité par Lord Grey et Lord
Durham a tracer un plan qu'on devait proposer
au Parlement, et qui était peut-étre destiné ade-
venir une loi du pays, je n'avais done pas a dé-
chirer en lambeaux nos institutions pon!' les jeter
dans le chaudron de Médée avec l'cspéranee de
raviver leur force et leur vigueur. Agir ainsi
c'eút été commettre une sottise que moi-méme
j'avais dénoncée des 1819. Le 14 Décembre de
cette année j'avais dit au Parlernent: « Les prin-
« cipes et la construction de cette Chambre sont
« purs et excellents. Si nous voulions les boule-
« verser nous commettrions la sottise de cette


,¡. Déclaration de l'Association des Amis du Peuple, 12 mai 1792.
Hansard's Debates, vol. XVII, p. 562-56q.




INTRODUCTION. XXXIII


« personne qni dans le conte d' Aladdin se laisse
« tromper par ce cri : (e Des lampes nouvelles
ce a la place des vieilles. » Notre lampe est cou-
(e verte de poussiere et de rouille, mais elle a un
ce pouvoir magique. Elle H éclairé un heau pays;
« si ce pays u'est pas rempli de palais, il renferme
« une grallde quantité d'habitations, et dans cha-
« cune d'ellcs se trouvc un homme libre ayant des
« priviléges ct une protection qui le rendent l'é-
« gal du sujet le plus orgueilleux. Elle a donné la
« vie atout ce mouvcincnt cl'affaires qui fait notre
« prospérité oommcrcinlc. Et quand chez nous on
ce a demandé des gell~ capahlcs d'illnstrer et de
« cl{'fcudrc lenr patrie, jamais ils n' out manqué a
ce 1'apl)('1. (mand le sort de la nation dépendait de
« la lignr- de conduite qu'ils auraient á suivre,
(e nous avons en des orateurs de premier ordre
« POUl' mcttre en lumióro les arglllnents décisifs
« en faveur de la paix OH de la guerreo Quand
ce nous avons eu des luttes á soutenir contre l'é-
« tranger, des guerrier~ se sont présentés tout
ce préts a conquérir de la gloire sur terre ou a
« faire éclater nos foudres sur l'océan. Quand
(e nous revcnions a la paix, toutes les questions de
ce police intérioure, d'éducation pour les pauvres,
ce de lois criminelles, ont eu a leur ser-vice des
« intelligcuces propres a S(' dóvouer au hicn-étr«
« eles ChISS('S lc'~ plus iJJdig(l)Ji('s! Faudrait-il done




XXXIV INTRODUCTION.


« remplacer un instrument qui a produit des ef-
« fets si merveilleux, par un objet étincelant d'un
« faux éclat et d'une fabrication plus moderne?
« Non! quelque mince que soit ce qui nous reste
« de notre trésor, de notre Constitution, je ne
« saurais consentir a en jeter les débris dans la
« roue du hasard pour tenter les chances d'une
« loterie. )) *


Ayant l'esprit dominé de ces fortes impressions,
je ne pouvais dévier du sentier de la Constitntiou
pour me lancer dans les éblouissements de la fan-
taisie ou dans le désert des idées abstraites.


En 1797, M. Grey avait proposé d'augmenter le
nombre des membres du Parlement pour les com-
tés, et de donner quatre cents membres aux dis-
tricts des villes et campagnes dans lesquelles
chaque chef de maison aurait un vote. M. Lamb-
ton, le 19 Avril 1821, avait proposé un plan
analogue.**


Moi-rnéme, en 1822, je m'étais beaucoup oc-
cupé de I'aflaire et j'avais présenté cette résolu-
tion : « Que l' état de la représentation nationale
au Parlement sollicite la sérieuse considération de
la Chambre. ))


M. Canning, a la fin d'un long et brillant dis-


~ Parliamentary Debates, vol. XLI, p. 1105.
** Hansard's Parliameuiari; Debates, nouvelle sóric, vol. V, p. 369,


el quant au plan, voir l'Appendicc dans le méme volurne.




INTR ODUCTION• xxxv


cours pour s'opposer a ma motion, m'avait douné
lieu d'espérer que je réussirais bientót : « Je ne
« peux, » avait-il dit, « je ne peux m' ernpécher de
« conjurer le noble Lord lui -méme de faire un
« temps d' arrét avant de soumettre de nouveau
« son projet au pays. Si néanmoins il persiste, et
« si sa persistance est conronnéc de succes, si les
« résultats de ce succes sont tels que .le les ap-
« préhende, eh bien! qu "il ait pour triomphe d' a-
« voir amené ces résultats, quant a moi j'aurai
« ponr consolation de m'y ctre opposé jusqu'a la
(e derniere extrémité de tout mon pouvoir. » *


Je no pouvais négliger de mettre a profit ces
cucouragements et ces avertissements.


II y avait évidemment deux moyens d'entre-
prendrc l'reuvrc de réforme. Le premier consistaií
a regarder le droit de voter comme un privilége
personnel que possede tout homme sain el' esprit
et dont l'¿lge est suffisant, cornme un droit inalié-
nable et appartenunt a tout indiviclu qui habite
un pays libre. D'apres cette théoric, les votes de
toute la population mál« et aelulte Iorment la seule
hase d'un gouvernenlent légitime.


D'autres écrivains politiques et homrnes d'état
éminents, tout en peusant qu'une représentation
pleine et cntierc du peuple forme la condition


• I'arlinnwnuin¡ Debutes, 1l01lWJ]fl série, vol. VII, p. 136.




XXXVI lNTRODUCTlON.


nécessaire d'un gouvernement libre, ne recon-
naissent pas le droit personnel de voter comme
inaliénable et essentiel. Ils considerent que le but
a atteindre est d'avoir un hon gouvernement, de
procurer la liberté du peuple a l'intérieur , sa
sécurité a l'extérieur ; qui arrive a ces fins résout,
a leur sens, le probleme ,


Ce dernier raisonnement me parut le meilleur.
Une représentation qui produirait des mesures
mauvaises, hátées, passionnées, injustes, et igno-
rantes ne pourrait conduire a ce bieu-étre du
peuple qui est la loi suprérne. Si 1'0n prétend que
nulle partie de la propriété d'un individu ne doit
étre taxée par le Gouvernement sans la volonté
formelle et expresse de tout le pays, on peut
répoudre que la vie et la liberté sont choses aussi
précicuses pour l'honunc que sa propri{~t(~ ~ et
cependant il n' est personne qui déclarc que le
corps judiciaire et le jUl'Y dans les affaires crinli-
nelles devraient étre choisis par le suffrage uni-
versel. Au contraire on prend le plus grand soin
de placer sur les bancs de la magistrature des
personnages dont le savoir el, l'expérience sont
avérés, et de former la liste du jury dans une
partie de la communauté civile dont la situation
offre une certaine garantie d'intclligcuce, de sa-
voir, et d'honnéteté.


La thcorie de M. Mill veuí que loul honunc ait Ull




INTRODUCTION. XXXVII


YOte , mais un vote pesé comme pour une sorte de
( handicap;» elle me semble chimérique au der-
nier point. Adrnettons en principe que pour former
un gouverIleInent libre il soit nécessaire que tout
horrnne ait un vote, je ne peux saisir cornment il
est praticable ou possihle de peser ce vote dans
une sorte de balance, de donner a un négociant
ou a un banquier plus de voix qu'a un boulanger
ou aun épicier. Jc comprends encore moins com-
ment on s~ prendrait pon!' sonder l'intelligence
des manreuvres ou des artisans qui leur sont
supérieurs par le talent et les connaissances, et
pour leur attribuer une plus grande valeur qu'a
un rcntier ou a un négociant, a un propriétaire
ou a un capitaliste dont l'esprit n'a pas été cultivé,
dont les talents n' ont jamais eu d'éclat. Outre les
disputes interminables, les jalousies sana fin qui
naitraient de l'appel fait par un boulanger savant
contre un banquier ignorant, outre le doute et les
soupgons qu'on ne manquerait pas de jeter sur
l'intégrité des examinateurs qui, au bout du
eompte, décideraient d'une élection entre un can-
didat libéral et son adversaire conservateur,
existe-t-il, aprés tout, quelque raison valable de
dire qu'un homrne, par cela seul qu'il connait les
mathématiques spéciales, par cela seul qu'il sait
calculer les intéréts composés, ou qu'il est d'une
force merveilleuse en géographie, se trouve en




XXXVIII INTRODUCTION.


définitivc cupable d'élire, avee plus de sureté dans
le jugement, un memhre ponr son comté qU(~
l'homme dont l'habitude est d' aIler au marché
tous les Samedis ou que celui dont la principale
affaire est de se trouver au rendez-vous de chasse
le Lundi matin? Les distinctions établics par nos
ancétres, a savoir, que tout possesseur d'une pro-
priété fonciere libre (free/wld) d'uu revenu
annuel de 40 s, votera pour le Comté, qu'un
homme payant ses contrihutions communales (scot
and lot) votera pour le bourg, et ceux-la a l'ex-
clusion de tous autres, ces distinctions ne sont-
elles pas beaucoup plus simples, ne prétent-ellcs
pas beaucoup moins il l'envie, ne sout-elles pas
plus faciles a acquérir par l'industrie et 1) activité,
n'offrent-elles pas enfin une base de représenta-
tion aussi prudente et naturelle que les catégo-
ries inventées par la métaphysique du jour? -f:


11 me semble qu'il suffirait de rechereher dans
les éléments du corps électoral quelques condi-
tions telles que les suivantes :-


1. Que ce eorps rassemblát une bonne moyenne
d'intelligence.


2. Qu'il offrit, pris en bloc, des garanties pour
le maintien stable de la propriété.


3. Bien qu'on ne puisse complétement assurer


... Voir Appendice (C).


,




INTRODUCTION. XXXIX


l'incorruptibilité, que le eorps élcetoral ne fút pas
souillé par la corruption.


4. Que le corps électoral pút étre consideré
comme représcntant les tendances générales de la
communauté - par ses rapports intimes avec 1'0-
pinion publique.


Tel étant l'ensemble des conditions a obtenir, il
y avait deux moyens d'y arriver. Le premier, par
l'établissement des qualités requises pour étre
électeur; le second, par la distribution des
siéges.


Je pensai que le premier moyen suffirait a
lui seul.


Dans les grandes villes la population l'empor-
terait sur la propriété. Dans les grands comtés
la propriété l' emporterait sur la population.


Il fallait aussi conserver quelques siéges OU la
propriété aurait le pouvoir d'appuyer certains
eandidats d'une intelligence supérieure, sans
popularité parmi les masses et sans fortune. Dans
1'ancien systeme M. Burke ayant échoué aBristol,
s'était vu élu par Malton; M. Fox ayant a lutter
eontre une oppositiun formidable a Westminster
avait été nommé représentant d'Orkney; M. Grey
rejeté par le Northumberland avait été renvoyé a
la Chambre par Appleby. Une semblable ressouree
ne devait pas, a mon avis, étre entierernent
perdue.




XL INTRODUCTION.


Bref il me semble désirable, Lout en écartant
les abus évidents, d'utiliser autant que possible le
cadre et l' essence de nos institutions.


Ainsi, s'efforcer de maintenir I'iufluencc pré-
pondérante de la propriété en conservant partiel-
lement la représentatiou des petits bourgs, mais
en améliorant leur droit électoral, et batir sur les
vieux fondements, voila ce que je crus plus sou-
haitable que de se li vrer HU caprice pour choisir
un nouvel emplacemenL, un nouveun sol - peut-
étre un sol de sable ----- et y élever un édifiec en-
tieremeut différeut de tout ce qui avait existe jus-
qu'alors.


En mérne temps j'étais parfaitement imbu de
cette conviction exprirnée par Lord Grey, qu 'une
mesure large serait la seule qui dút etre salu-
taire et prudente; que se montrer trop regardaJlt
quand il s'agirait d' enlever le droit élcctoral et
gener la réforme par trop de scrupules, pour les
priviléges acquis, ce serait tromper l'attente du
public, aiguiser son appétit, et provoquer la révo-
lution que nous voulions détourner.


J'essayai donc de retrancher ce qui était réelle-
ment pourri, de conserver ce qui rnéritait d'étre
conservé J et d'apporter des forces nouvelles pour
améliorer le systeme.


J'ai sous les yeux en ce momeut le plan que
j'esquissai sur l'invitation de Lord Durhum. Au


-




INTRODUCTION. XLI


dos se trouvent ces mots écrits at' sa mam par
Lord Durham : -


N° l.
Plan de Lord John Russelt. *


Et de ma propre écriture : -
Sournis a Lord Durham, U Lofd Duncannon,


et aSir James Graham.
Déc. '1830. J. R.


Quant au plan en lui-rnéme , qui est écrit sur
une grande feuille de papier ordinaire, il se trouve
-u l'intérieur. Il contient les chefs suivants , avec
quelques modifications et ratures au crayon : -


Cinquante bonrgs, dont la Ceue mesure pri-
1 . '01· - 1 . 1 d' ' »erait du droit élec-popu a~t()n est a IIlOIIH re apres
~~ toral tous les Bourqs


le ~~ns.eI~t'nt de t 821, perdront au-ilessous de 1,400
leur droit electoral. hobitants.


II. Cinquaute bourgs des moins Ceue mesure s'ap-
considér~les apres cette défal- p l i q u er a it a u.x
catio~~~n'enverront a l' avenir Bourqs de3,000 ha-
~ biuuus.


qu~~1 seul Membrc au Parle-
ment,


Dan villes et
bou s qui le droit
d'env yer des Mernhre: au Par-
lemenf les perCj nnes ay t qna-


* Les mots en italiques sont la traduction de ceux que Lord Durham
a ajoutés au manuscrito




XLU lNTRODUCTION.


lib~ POl~etre ~ jury ~~Ollt
le droit de voter.


IV. Dans les villes et bourgs
qui conservent le droit d' en voyer
des Membres au Parlement, au-
cune personne, si ce n' est dans
la [lité de Londres, Westm,ins-
ter, et Southwark, ne pourra
voter sans occuper comme 10-
cataire principal (householder)
une maison dont le loyer est de
10 l. par an , avoir payé ses
taxes paroissiales pendant trois
ans, dans les trois mois apres
qu'elles ont é té exigibles, et
avoir résidé dans la cité ou dans
le bourg pendant six mois avant
l'élection.


V. Dix-huit grandes villes de
plus enverront des Membres au
Parlemen~~~es parties de Lon-
dres ~~~ne sont pas représen-
tées ~nverront quatre ou six
Membres nouveaux. Vingt com-
tés enverront chacun deux Mem-
bres nouveaux de plus qu'autre-
fois.


VI. Le droit de voter dans les




INTRODUCTION.


villes qui l'obtiendrunt doréua-
vant , appartiendra aux peI'son-
nes qui occupent une maison
dont le loyer s'éleve a ¡,¡ l p~r
au 5 QU bi~Htl aH};, tHH'~Q;Q;QQ~ ay-ant
liualitQ ~Q"QP QtPQ aa jHPY.


VII. Les censitaires (cop.yhol-
ders) et ~~taires (leaseholders)
ayan~~~ hail de plus de vingt-
un ~s, voteront dans les comtés.


VIII. L'élection aura lieu dans
les hundreds ou dans les divi-
sions de comtés, mais il n'y aura
jamais plus de éftlilU3e endr ",it.~


" 18BElIgBes tivee le e"'ft~Lfttert'Ln~
de8 ettBdidtth.


XLIII


IX. Dans les villes et bourgs
l'élection devra étre terminée le
second jour.


X. ucun n oit de
vote ne ourra ere acqu dans
les cornt s par ne pro iété
d'un reven moind e que 1 l.
par ano


Les deux prernieres proposi tions furent adop-
tées, apres que Lord Durham se fut assuré sur les
tableaux du receusemeut que la liste des cinquante
bourgs qui scraient privés de leur droit électoral




XLIV INTRODUCTION.


n'atteindrait pas les bourgs ayant moins de 2,000
et plus de f ,400 habitants, et que la nouvelle liste
de cinquante bourgs qui devraient avoir un seul
représentant a l'avenir comprendrait les bourgs
ayant moins de 4,000 et plus de 3,000 hahitants.


Ces deux listes sauf quelques modifications de
détail quant a la privation du droit électoral ont
formé les annexes A et B du Bill de Réforme.


Une discussion eut lieu sur le droit de voter
pour les bourgs. Nous tombámes d'accord que ce
droit devrait étre uniforme, attendu que les élec-
teurs dits freemen et les tenanciers du scot-and-
lot avaient a la longue fini par devenir dépen-
dants ou accessibles a la corruption.


Nos efforts viserent a donner le droit de voter
au plus grand nombre possible de personnes in-
dépendantes, et autant qu'il était permis de le faire
en jugeant la masse, a fixer l'équivalent des qua-
lités exigées pendant le dix-septieme siecle d'un
householder pour qu'il devint électeur. C'est
pour établir cet équivalent qu'il nous parut utile
de fixer a dix livres sterling le revenu donnant
droit au vote.


Cette fixation était celle que j'avais proposée
pour Leeds dans l'année t 820, en présentant un
Bill afin d'accorder a cette ville un droit électoral
perdu par le bourg de Grampound pour cause de
corruption,




INTRODUCTION. XLV


Apres quelques conférences, nous décidámes
qu'il fallait étendre le droit de voter dans toutes
les villes qui envoyaient' des représentants au Par-
lement: c'était donner a la communauté (suivant
l'expression des vieilles chartes) le pouvoir dont
avaient joui seulement des corporations. Par cette
décision Bath, Portsmonth, Scarborough, Cam-
bridge, et plusieurs autres villes virent attribuer
le droit électoral aleurs habitants. Nous établimes
aussi une liste de villes qui devaient obtenir pour
la premiére fois le droit électoral, et de comtés
dont la représentation devait étre augmentée.
Aidé des conseils de Lord Duncannon pour 1'11'-
lande, de M. Cockburn alors Solicitor-Général de
l'Écosse, ponr ce dernier pays, et enfin de M. Stan-
ley, maintenant Lord Stanley d'Alderley pour les
adjonctions :lUX bourgs Gallois, nous essayámes
d'adapter notre réforme a l'état de l'Irlande, de
l'Écosse, et du pays de Galles, tout aussi bien qu'a
la situation de l'Angleterre. La tache était ardue,
et en plus d'un cas particulier il y eut des erreurs
cornmises dans le détail. Les données statistiques
que nous avions consultées pour préparer la liste
des bourgs a condamner ne formaient pas une
base suffisante pour une telle entreprise. Dans les
tables du recensement on prend ponr unité la
paroisse et non la ville ; 01', en certaines circon-
stances, la paroisse s'éteud au dela du bourg,




XLv1 lNTRODUCTION.


en d'autres le bourg renferme plusieurs pa-
roisses.


Mais, a l'exception de ces difficultés qui venaient
de notre inexpérience, le projet en Iui-méme eut
un succes merveilleux.


Quand il fut achevé, Lord Durhani écrivit
un rapport admirable a l'appui, et, au nom du
comité, il présenta le plan a Lord Grey. Ce plan,
aprés l'avoir approuvé et l'avoir vu adopter a
l'unanimité par le Cabinet, Lord Grey le porta
lui-méme aBrighton ; la ill'expliqua dans son en-
semble au Roi qui voulut bien le sanctionner ra-
pidernent. Une observation : dans l'une de nos
dernieres séances le vote au scrutin secret, malgré
mes instances pressantes, avait été adopté cornme
regle par le comité; sur la recommandation de
Lord Grey cette disposition fut rayée par le Cabi-
neto Dans une conversation avec Lord Grey sur
l'affaire en général, je lui dis que d'apres moi si
notre plan pouvait n'étre pas ébruité avant d'ar-
river au Parlement, la popularité qui l'entourait
déja devrait en assurer le succes, mais que s'il
était divulgué prématurément, un vote contraire
étoufferait l'enfant au berceau. Cette opinion fut
partagée par Lord Grey, qui fit comprendre a ses
collégues la nécessité du secret, de sorte que sur
plus de trente personncs qui étaient an courant du
projet aucune ne commit la moiudre iudiscrétion.




INTRODUCTION. XLVII


Ce fut une scéne sans exemple que ceHe dont
la Chambre des Communes fut le théátre le
1er Mars. Le plan dépassait tellement tonte attente
que les Whigs doutaient de son succes ; les Tories
affirmaient qu'il échouerait; les Radicaux avec
une joie qui se comprend bien, se disaient qu'au-
cune défaite momentanée ne pourrait détruire un
plan dont les chefs du parti Whig, les amis de
M. Canning, et ceux de la réforme danstout le pays
avaient irrévocablement entrepris le patronage.
Sir Henry Hardinge, parlant a Sir James Graham
dans la salle des Pas-Perdus lui dit: « Eh bien!
« vous étes d'honnétes gens, vous avez agi sui-
« vant vos principes, mais je suppose que vous
« faites vos préparatifs pour quitter demain matin
« le ministere ! »


Sur quelques bancs de l' opposition les applau-
dissements furent aussi vifs que parmi les Minis-
tériels.


Sir Robert Peel avait réuni plusieurs de ses
partisans quelques jours avant le 1er Mars, pour
adopter une ligne de conduite. Ils décidérent avec
lui qu'il ne fallait pas s'opposer a l'introduction de
ce Bill.


Seul Sir Robert lnglis avait été d'une opinion
contraire. Comme cette détermination était une
faute et que toute opposition ultérieure deve-
uait sans portée, une semblable conduite de la




XLVIII INTRODUCTION.


part d'un chef de partí peut exciter quelque sur-
prise. Mais on peut se l'expliquer de la maniere
suivante. Deux ans auparavant Sir Robert Peel
désirant arracher son pays aux dangers d'une
guerre civile, avait sacrifié tous ses préjugés, toute
sa fierté, les sympathies méme de son parti pour
se donner le role de ce pilote qui devait mettre
sa patrie en bon port au prix de n'importe quelle
perte de pouvoir ou de réputation. Mais ce sacri-
fice lui fut pénible au dernier point. Quelque
temps aprés le /1 er Mars il rencontra Sir Thomas
Frankland Lewis dans un hotel du pays de Galles;
la conversation tomba sur le Bill de Réforme, et
Sir Frankland s'étonna que Sir Robert Peel dans
sa position élevée comme homme d'état u'eút pas
voulu arracher le pays aux mesures si révolution-
naires des Ministres en proposant lui-méme un
Bill prudent et modéré. Sir Robert répondit que
rien au monde ne l'engagerait a renouveler ce
qu'il avait fait dans la question du Catholic Relief
Bill. ~ Sir T. Frankland Lewis Iui-rnérne pendant
les débats avait deja cité ces vers de Dryden : -


ti C'est bientót dit, rnais hélas I quel effort,
Pour un cceur fier, lorsque son arnour-propre
Lutte et se sent cornme frappé de rnort! »


C'est a ce sentiment de dégoút qu'il faut, je
* Sir T. Frankland Lewis.




INTRODUCTION. XLIX


crois, attribuer le désir qu'avait le chef principal
des Tories de ne point chercher la responsabilité
du pouvoir en se chargeant du Bill de Réforme.
Les sept jours de débat sur l'introduction du Bill
permirent a l'enthousiasme de s'échauffer sans
lui donner le temps de se refroidir ensuite. Par
une seconde faute le parti Tory montra qu'il
avait la majorité contre le ministere et fournit a
Lord Grey l'occasion qu'il saisit aussitót de pro-
poser au Roi la dissolution du Parlement. Apres
avoir été si longtemps en minorité les partisans de
la Réforme eurent dans les élections un triomphe
complet; sur 80 membres que nommaient les 40
comtés de l'Angleterre 76 furent envoyés a la
Chambre avec mandat de soutenir le Bill de Ré-
forme de Lord Grey.


n serait trop long de raconter les vicissitudes
du Bill de Réforme. Dans la Chambre des Com-
munes le suecos fut enlevé par la confiance qu'on
avait en Lord Althorp, en son intégrité, et en
son profond jugement. Quand illui fallut répondre
aun discours tres-piquant et trés-ingénieux : «Les
« arguments du tres-honorable et tres-savant ora-
« teur sont tres-plausibles, » dit-il, « je ne me
« souviens plus des raisons que j'avais pour prou-
« ver que ses objections n'ont aucun fondement,
(e mais je sais que ces raisons-lá me paraissent tres-
« satisfaisantes. » Et la Chambre a une grande


d




L INTRODUCTION.


majorité, vota contre les arguments plausibles en
faveur des arguments contraires qui lui étaient in-
connus. Lord Althorp, comme chef de son parti
dans la Chambre, avait décidé que le Bill de Ré-
forme ne serait pas soumis aux discussions amoins
que l'un de nous deux, lui ou moi ne fút présent.
Il prit pour sa tache spéciale d'établir et de for-
muler les clauses ; il se fit aider par les juriscon-
sultes du gouvernement et par ceux qui appartenant
a la Chambre des Communes étaient réformistes;
pour ma part je m'occupai de la division des
comtés et des limites des bourgs; Lord Hatherton
et l'Amiral Beaufort m'avaient été adjoints dans
ce but en qualité de commissaires.


Il fut trés-difficilo de reconnaitre les limites vé-
ritables des bourgs qui existaient alors et de dé-
terminer les limites nouvelles des bourgs a con-


, ,


server ou acreer.


Heureusement avec l'assistance des deux per-
sonnages que j'ai nommés, et au moyen de rapports
adressés par des sous-eommissaires, toutes ces
difficultés furent bien impartialement aplanies, et
le Bill passa a la Chambre des Communes.


Dans la Chambre des Lords une résistance obs-
tinée fut d'abord opposée par la majorité que gui-
dait le Duc de Wellington et l'habileté puissante
de Lord Lyndhurst; ala fin cette résistance tomba
devant la sagesse et l'integre persévérance de Lord




INTRODUCTION. LI


Grey qu'appuyait l'éloquence vigoureuse de Lord
Brougham; le triomphe ne pouvait manquer d' ail-
leurs grace a l'invincible énergie et a l'enthou-
siasme du peuple. Jamais le souvenir de cette
lutte qui eut lieu en Mai 1832 ne sera perdu par
ceux qui ont joué un role dans une Révolution
si grande et si exempte de sango


C'est ainsi que le Bill de Réforme devint un Acte
du Parlement. Depuis plus de trente années il a
fait partie de la Constitution de ce Royaume -
depuis ce temps la Constitution a été plus aimée et
plus respectée que jamais - depuis ce temps le
succés des mesures approuvées dans des discussions
libres et générales n'a plus été entravé par le vote
de créatures dévouées a des individus, ou de re-
présentauts qui achetaient jadis leurs siéges par la
corruption pour protéger le monopole, maintenir
l'esclavage colonial, et repousser les réclamations
de la liberté civile et religieuse.


Apres une telle expérience du Parlement ré-
formé, on peut reconnaitre combien le Bill a ac-
compli, dans la pratique, les espérances de ses
auteurs. Ces espérances, Lord Grey les avait ex-
primées dans ce langage si clair et si constitu-
tionnel quand, en Juin 1831, il avait conseillé au
Roi de parler de la facón suivante dans son djs-
cours a l'ouvcrture du Parlement: -


« J'ai eu háte de recourir le plus tót possible a




LII INTRODUCTION.


« votre avis et avotre aide aprés la dissolution du
« dernier Parlement. Mon but en ordonnant cette
« dissolution a été de connaitre la pensée de mon
« peuple sur l'opportunité d'une réforme dans la
« représentation; j'ai maintenant a app.eler sur
« cette question importante votre examen attentif
« et consciencieux, persuadé que toutes les me-
ce sures que vous préparerez pour la résoudre se-
« ront en soigneuse harmonie avec les principes
« de la Constitution qui assurent également les
« prérogatives de la Couronne, l'autorité des deux
« Chambres, les droits et les libertés du peuple.» *


On ne peut nier que sous l'Acte de Réforme les
prérogatives de la Couronne, en dépit de sinistres
prophéties, n'aient été parfaitement maintenues.


Avec aussi peu de raison pourrait-on prétendre
que l'autorité de la Chambre des Lords ait éprouvé
quelque atteinte ou quelque menace. Et cela mal-
gré les prédictions alarmantes de M. Canning, ap-
puyées d'une citation qu'il empruntait a M. Fox;
al'en croire si la Chambre des Lords ne convenait
pas ala Chambre des Communes, la premiare de-
vait etre renversée par cette assemblée, qui sons
sa nouvelle forme deviendrait démocratique; on
sait que l'autorité de la Chambre des Lords est
« chérie et protégée» de la Chambre des Com-
munes.


* Hansard's Debates, troisieme série, vol. IV.




INTRODUCTION. LB!


Mais, depuis l'époque de Walpole, les fonctions
de la Chambre des Communes ont été bien
plus importantes que celles de la Chambre des
Lords.


La Chambre des Communes défend les droits
et les libertés du peuple. Elle protége tous les
sujets du royaume dans la jouissance de leurs
droits et de leur propriété. En accordant sa con-
fiance a un parti, en la refusant a un autre,
en préférant certains hommes d'état a certains
autres elle montre ala Couronne quel est le partí,
quels sont les hommes qui doivent gouverner
cette puissante nation, l'administrer, conserver
son honneur en face des autres nations, donner
son avis a la Couronne dans les questions de paix
ou de guerre, garder de toute souillure la di-
gnité du pays, la mettre a l'abri des offenses
qu'attire la timidité, des périls qu'enfantent les
actes téméraires.


Il est évident qu'une Chambre des Communes
parfaitement apte a conserver les droits et les li-
bertés du peuple, et a le protéger contre toute
atteinte illégale ou injuste a la propriété, peut
bien ne pas remplir la troisiéme partie du pro-
gramme précédent que la Constitution lui a as-
signé.


Est-il manifeste que la Chambre des Communes,
depuis sa réforrne, a parfaitement rempli le pre-




LIV INTRODUCTION.


miel' et le second de ses devoirs; a-t-elle su rem-
plir aussi le troisieme ?


A cela je peux répondre, en termes généraux,
qu'on doit admettre le fait suivant. Que le parti
Libéral ou que le parti Conservateur ait été au
pouvoir, il y a toujours eu a la disposition de la
Couronne et de la nation des hommes d'état tres-
capables dans les différentes régions du Gouver-
nement.


Si nous entrons plus avant dans les détails, nous
reconnaitrons que les changements de députation,
si cornmuns sous l'empire de l'ancien Parlement,
se sont reproduits quelquefois depuis que le Par-
lement est réformé. Dans l'ancien état de la repré-
sentation, M. Burke, M. Grey, et Sir Robert Peel
ont été rejetés par la ville de Bristol, par le comté
de Northumberland, et par l'Université d'üxford,
pour le libéralisme et la largeur de leurs idées
politiques. Ils furent réélus par Malton, par Ap-
pleby, et par Westbury.


Des circonstances analogues se sont présentées
depuis la réforme parlementaire. Tiverton, Strand,
Morpeth, Durham, Midhurst, Stamford, Droitwich,
Richmond, et d'autres bourgs dont la population
est peu nombreuse, ont envoyé au Parlement des
hommes d'état capables de bien conseiller la Cou-
ronne, et de guider la Chambre des Communes
gráce a leur expérience des affaires.




INTRODUCTION. LV


Mais ne peut-il y avoir encore des améliora-
tions á la loi électorale. Chacun des quatre der-
niers ministeres s'est montré disposé a ajouter
comme un supplément a l'Acte de Réforme. Pour
ma part, je serais heureux de voir accorder une
plus ample représentation a ce qu'il y a de mora-
lité, de saine intelligence dans l'élite des classes
laborieuses. On refuse a ces classes le droit élec-
toral que les ministres de la Couronne ont plu-
sieurs fois demandé pour elles; un tel refus vient
en partie de l'attachement jaloux que les électeurs
actuels ont pour leur privilége, en partie aussi
d'une vague appréhension que les classes labo-
rieuses n' absorbent toutes les autres par le nom-
bre. Ces deux obstacles peuvent étre écartés par
une modífication judicieuse du droit de suffrage
qu'on se propose d'étendre, et par 1'heureuse
divulgation dans le public de l'idée que si on
ajoutait au corps constituant le vote des travail-
leurs, il y aurait dans cette addition nouvelle un
gage de sécurité, et non point un danger.


Lorsqu'on pourra s'occuper convenablement
de cette question, j'ai confiance que le suffrage sera
étendu d'aprés les vieux príncipes et d'une ma-
niere qui sera en harmonie avec les notions du
gouvernement représentatif, que l'Angleterre a
reconnues excellentes.


Contre les dangers du suffrage universel et de




LVI INTRonUCTION.


la démoeratie illimitée, je n' aimerais pas a voir
empJoyer eomme remede, ou eomme essai de re-
mede, eertains systémes irritants, tels que la eon-
eession de plusieurs votes a un homme riehe, ou
eneore des systémes eompliqués tout a fait étran-
gers a nos habitudes, tels que le plan de ~L Hare,
bien qu'il ait pour lui la haute autorité d'un pro-
fond penseur eomme M. MilI.


S'il doit étre dérogé anos eoutumes et aux idées
enraeinées ehez nous en matiére de représenta-
tion, je préférerais que le ehangement eút lieu
dans le sens que j'ai autrefois proposé pour obtenir
une représentation de la minorité dans les eomtés
et dans les villes dont la population est eonsidé-
rable. Quand il s'agit de nommer trois Membres
pour le Parlement, en permettant achaque élee-
teur de porter deux voix sur un seul eandidat,
on pourrait avoir un député Libéral pour le Bue-
kinghamshire, et un député Conservateur pour
Manehester. La majorité loeale aurait ainsi deux
membres dans la Chambre des Communes eontre
un que la minorité enverrait, et eelle-ei ne se
sentirait pas privée de son droit éleetoral et de sa
dignité.


Néanmoins ce ehangement lui-méme serait dif-
fieile a introduire, et ne plairait pas tout d'abord.


Notre peuple aime ses institutions libres, non-
seulement paree qu'elles sont bonnes, mais paree




INTRODUCTION. LVII


qu'elles sont anciennes. Quand nos ancétres ont
exilé Jacques II et modifié la Constitution dans sa
pratique, ils ont eu soin de déclarer que ce roi
avait abdiqué, et d'alléguer le précédent offert
par Richard I1, pour justifier leur conduite.


Les institutions, il est vrai, ne poussent pas
comme des arbres; elles sont l'reuvre de I'homme
et ne doivent pas étre un objet d'idolátrie, Cepen-
dant il y a quelque chose de vénérable dans les
vieux priviléges; dans les droits qu'a revendi-
qués Hampden; dans les libertés qu'a défendues
Somers. Aux inventions mécaniques, aux décou-
vertes des sciences on ne saurait assigner des
limites, mais il est difficile de croire qu'a notre
époque il se trouve un plan de gouvernement
dont l'épreuve n'a pas été faite, et qui puisse
donner aux peuples un ensemble de bonheur et
de liberté que l'Angleterre ignore.


A mon avis, la vraie limite est celle qu'a tracée
Lord Grey. Une Constitution qui tend a aug-
menter la sécurité des prérogatives royales, l'au-
torité des deux Chambres du Parlement, ainsi que
les droits et les libertés du peuple, me parait bien
digne d'étre approuvée; un plan qui aurait d'au-
tres objets, et qui viserait a changer la forme du
Gouvernement, doit étre immédiatement rejeté des
qu'on le présente.


Qu'on n'oublie pas que l'intolérance du despo-




LVIII INTRODUCTION.


tisme et celle de la démocratie sont également
inconnues dans la zone tempérée OU se renferme
notre ancienne forme de gouvernement, que la
liberté de penser et la liberté de parler si rare-
ment accordées sous l'Empire Romain, sont heu-
reusement de droit commun et général SOTIS notre
Monarchie Britannique; que ces libertés dont
nous jouissons de penser, d'inventer, de décou-
vrir, d'écrire, et de publier, tout en assurant chez
nous le progrés scientifique, religieux, et moral,
sont aussi les meilleures garanties de nos libertés
politiques. Cette latitude si vaste de l'intelligence
dans sa diffusion remplít bien des vides dans nos
formes gouvernementales.


n est un point qui me donne quelques craintes.
Il y a un danger qui me semble plus pressant et
plus grave que le suffrage universel et la démo-
cratie.


Ce danger, c'est que pou!' satisfaire aux récla-
mations des gens qui demandent l'extension du
droit électoral, on leur accorde certaines conces-
sions moyennant des réserves ou des garanties pour
le parti Conservateur dans les deux Chambres du
Parlement. Et ce danger n'est point chimérique;
Lord Althorp avait en vain déconseillé aux mem-
bres de son propre parti d'accorder aux tenan-
ciers ayant un revenu de cinquante livres le droit
de voter dans les comtés qui était jusqu'alors le




INTRODUCTION. LXX


privilége des propriétaires indépendants dont le
revenu s'élevait a quarante shillings. L'extension
du suffrage électoral était chose qui sonnait agréa-
blement aux oreilles du parti réformiste; la clause
Chandos fut adoptée , et, comme Lord Althorp
l'avait prédit, la représentation des comtés a été de-
puis soumise al'influence des grands propriétaires.


Au moment OU le Bill de Réforme fut présenté,
Lord Grey dut subir les obsessions d'un noyau
d'hommes politiques qu'on nommait les hésitants;
ils l'engageaient a abaisser encore davantage le
droit électoral des comtés, en transférant aux
bourgs les propriétaires libres ayant un revenu de
quarante shillings dans les bourgs et les villes.


Cette mesure combinée avec le droit d'envoyer
les votes par la poste, si elle eút fait partie du Bill
Conservateur de Réforme, aurait créé trente ou
quarante bourgs électoraux, et cela sans que les
auteurs du Bill eussent pu s'en .apercevoir.


11 Ya, en pareille matiere, une foule de piéges a
redouter, et l'intérét du grand parti Libéral est de
ne préter la main a aucun compromis naif, de ne
placer dans la balance aucun poids contre la dé-
mocratie, de ne se confier a aucune des finasse-
ries qu'invente 1'habileté des hommes d'état ou la
subtilité ingéniense des théoriciens; mieux vaut
agir ainsi que de favoriser des plans nouveaux qui
sous prétexte de perfectionner l'Acte de Réforme




LX INTRODUCTION.


de Lord Grey, le dépouillerait amoitié, prenant le
fruit et laissant la halle ou la cosse en échange.


« Maximus novator Tempus. »


Ayons foi plutót en la puissance du TEMPS, ce
novateur le plus grand de tous.


Le capital de popularité dont l'Acte de Réforme
avait enrichi le Ministere lui fit un devoir d' aventu-
rer cette popularité en détruisant des abus qui pui-
saient leur force dans le nombre de gens dont ils
faisaient le profit et dans une sorte de prescription.


Parmi ces ahus il n'en était pas de plus nuisible
au hien-étre du pays et de plus menaeant pour sa
tranquillité future que la maniere dont on admi-
nistrait la Loi des Pauvres. A l'époque la plus cri-
tique de la guerre contre la France, on avait pris
l'habitude, dans le Sud de l'Angleterre, d'empiéter
sur le produit des taxes réservées aux pauvres pour
payer aux ouvriers une partie de leur salaire, -
proportionuellement au nombre des membres qui
composaient leurs familles. n résulta de la que
les póres de famille devinrent pensionnaires de
l'État, et que leur revenu se mesurait non point
a la somme de leur travail mais au nombre de
leurs enfants. De sorte que les enfants étaient des
membres inutiles et superflus de la communauté
civile, qui croissait non point en raison des lois
naturel1es, mais, pour ainsi dire, artificiellement.




INTRODUCTION. LX!


En 1830, les conséquences fatales de ces erreurs
et de cette imprévoyance se montrerent au plus
haut degré. Depuis quelques hivers on avait donné
une sorte de travail nominal a des jeunes gens de
dix-huit a vingt ans, comme pour servir d'excuse
a la maigre solde dont on leur faisait l'aumóne.
Ils passaient leurs journécs dans l'oisiveté, leurs
nuits abraconner, a voler, a boire, a commettre
des exceso Ces désordres allérent jusqu'a engen-
drer des crimes et des émeutes; des incendies
nocturnes s'allumaient, les campagnes étaient le
théátre de rixes nombreuses, les fermiers étaient
obligés de former des corps de cavalerie pour
étouffer les insurrections des ouvriers.


Lord Althorp, le Duc de Richmond, et d' autres
membres du Cabinet de Lord Grey résolurent de
combattre ce fléau. M. Senior, I'Archevéque Wha-
tely, d'autres encore avaient, au nom de la science
et de l'économie politique, démontré le caractere
destructif des abus en question. Une commission
fut nommée, un remede recommandé, un Bill
préparé, examiné, et approuvé par un comité du
Cabinet; je faisais partie de ce comité avec Lord
Melbourne, Lord Althorp, le Duc de Richmond,
et Lord Ripon.


Voilá comment fut préparé le Poor LaHJ
amendment A ct. L'amendement fut introduit a la
Chambre des Communes par Lord Althurp, et iI




LXII INTRODUCTION.


eut fort afaire pour le soutenir, mais sa persévé-
ranee, sa patienee, son entiére eonnaissanee du
sujet devaient l'emporter sur les préjugés, l'igno-
ranee, et les intéréts de ses adversaires.


Une autre néeessité urgente, e'était de rendre a
l'Irlande sa tranquillité, et de supprimer les trou-
bles agraires dans eette partie du royaume. Une
mesure sévére mais momentanée fut adoptée dans
ce but en 1833. En rnéme temps l'Église Irlan-
daise fut réformée, le nombre des évéques dimi-
nué, l'Institution rendue plus effieaee.


Dans la méme année on abolit l'esclavage colo-
nial; vingt millions furent votés eomme eompen-
sation, - e'était la pour les propriétaires une belle
générosité, si la somme devait leur étre attribuée
a titre de don, mais a titre d'indemnité c'était
insuffisant, Néanmoins, avoir effaeé pareille souil-
lure de notre politique, avoir aeeordé la liberté a
800,000 eréatures humaines, cela eonstitue un
aete dont le Parlement Réformé peut s'enor-
gueillir avee raison. Cefut Lord Derby qui proposa
la mesure au nom du Gouvernement, et il eut
l'oeeasion d' établir sa réputation eomme législa-
teur et eomme orateur par l'énergie incomparable
et par l'éloquenee qu'il déploya dans les débats.


En 183ti, furent réformées les corporations
d'Angleterre, d'Écosse, et d'Irlande; ces eorpora-
tions qui autrefois favorisaieut le monopole et qui




lNTRODUCTION. LXIII


étaient des foyers de corruption, furent assujetties
au controle vigilant du peuple.


Un an ou denx aprés, Sir Robert Peel déclara
que cette réforme était devenue une mesure con-
servatrice, comme il l'avait pensé. On peut dire
en général que toute mesure ayant pour but
d'effacer une tache dans nos institutions, d'enlever
au peuple un sujet de juste mécontentement, et
de remédier a un mal évident, tend a rattacher
davantage les classes populaires au Gouvernement,
et devient ainsi une mesure conservatrice.


« 11 y a, » disait Lord Palmerston dans son
grand discours de 1850, « il y a deux sortes de
« révolutionnaires dans le monde. Ce sont d'abord
« les hommes violents, a tetes chaudes et écer-
« velées, qui courent aux armes, qui renversent
« les gouvernements établis, et qui, sans songer
« aux conséquences de leurs aetes, sans mesurer
« les difficultés ni consulter leur force, inondent
« de sang leur pays, et attirent les plus cruelles
« catastrophes sur leurs compatriotes. Tels sont
« les révolutionnaires de la premiare classe. Mais
« il y a des révolutionnaires d'un autre genre,--
« ce sont les hommes aveugles animés de vieux
« préjugés, retenus par de fausses appréhensions,
« qui s'opposent au courant du progrés jusqu'á ce
« que le mécontentement s'accumule et par sa
« pression irrésistible détruise les barrieres et fasse




LXIV INTRODUCTION.


« table rase des institutions qu'au moyen d'inno-
« vations opportunes on aurait rendues fortes et
« durables. )} *


C'est par de telles innovations, appliquées entre
1830 et 1850, que nous avons rendu a ~os insti-
tutions une force qui allait s'éteindre.


Dans le courant de la méme année '1835, les
dimes furent converties en rentes fixes - cette
mesure que M. Pitt avait méditée en vain - nous
l'avons heureusement accomplie.Au premier abord
les députés des Communes penchaient a croire
que le Bill proposé était trop favorable al'Église,
mais au moyen de quelques modifications dans le
taux des rentes, la conversion obtint l'agrément
de tous les partis. En moins de trois ans cet acte
fut mis en pratique, et depuis ce temps le clergé
n' a plus été harassé de eonflits avec ses paroissiens,
le fermier n'a plus été obligé de faire bénéficier
ceux qui avaient droit ala dime, des améliorations
dont il faisait tous les frais avec le propriétaire.
Des ce moment il put aeeomplir des travaux de
drainage et de défrichement qui sous l'ancien état
de choses ne pouvaient étre entrepris paree qu'il
n'y aurait pas eu de profit, et le pays en a éprouvé
de grands avantages.


lO Débat sur la Politique Étrangere , 25 Juin f 850. Hansard,
vol. CXII, p. 4:32.




INTRODUCTION. LXV


On a commencé a introduire des modifications
analogues dans la question des loyers ecclésias-
tiques; le capital et l'industrie en sont assurés d'au-
tant, et l'Église recoit une compensation équitable.


Une autre amélioration, entreprise par Sir Sa-
muel Romilly et Sir James Mackintosh et pour-
suivie par Sir Robert Peel pendant son ministére,
étaitfort avancée acette époque. Je fais allusion ala
réforme de la loi criminel1e. Quand, dans son huma-
nité éclairée, Sir Samuel Romilly voulut parler de
cette affaire, de graves jurisconsultes déclarérent
dans leur sagesse qu'amoins de punir par la pendai-
son un vol de 40 s, commis dans une demeure ha-
bitée, on ne pourrait pas vivre en sureté chez soi.


Le 21 Mai 1823 Sir James Mackintosh proposa
des résolutions tendant aopérer une large réforme
dans la Législation Criminelle.


nproposa de supprimer la peine de mort en tant
qu'elle était appliquée auxvols commis dans les mai-
sons habitées, dans les magasins, et sur les cours
d'eaunavigables; aux délits que le Black Act carac-
térisait de crimes capitaux; atous ceux qui étaient
caractérisés de méme dans le Marriage Act ;
l'enlevement des chevaux, des troupeaux, et des
bestiaux; au faux et a l'emploi de documents en-
tachés de faux; a l'envoi de lettres ayant pou!'
but l'iutimidation par menaces, et a d'autres eas
eucore.




LXVI INTRODUCTION.


..


Sir Robert Peel s'opposa aces résolutions ; bien
qu'il consentit a abolir la peine de mort pour cer-
taines circonstances oú on ne I'appliquait jamais
dans la pratique, il ne voulut pas se departir de
la prétendue sécurité que procurait la peine de
mort appliquée au vol de 40 s. dans une maison
habitée.


Quand la Chambre fut consultée sur la question
préalable, 86 voix contre 76 rejetérent ce que
proposait Sir James Mackintosh. Cependant Sir
Robert Peel introduisit quelques amendements
utiles dans la Législation Criminelle.


En 1832, la peine de mort fut abolie en ce qui
concernait le vol des chevaux, des troupeaux, le
vol d'objets d'une valeur au dessous de 5 l. dans
une maison habitée, la fabrication de la fausse
monnaie, le faux en écritures a l'exception du
faux dans les testaments et dans les procurations
destinées a faciliter les transferts de rentes.


En 18:33, elle fut abolle pou!' le vol avec effrac-
tion extérieure.


En 1834, pour rupture de ban de la part des
transportés.


En 1835, pour sacrilége et détournement de
lettres opéré par des employés de la poste.


En i 837, a l'avénement de la Reine Victoria les
cas OU on pouvait encourir peine de mort se rédui..
saient aceux qui suivent: -




1NTRODUCTION. LXVII


L'assassinat ou la tentative d'assassinat; le vol
qualifié avec violence sur des personne~ ; le vol a
main armée accompagné de blessures ; le crime
d'incendie par malveillance, commis dans une
maison habitée et occupée au moment du crime ;
le rapt, et quelques autres crimes assez rares.


En 1841, on abolit la peine de mort pour le rapt,
l'abus de confiance, et l'émeute.


En 1861, pour tous les crimes antros que I'as-
sassinat et la haute trahison. L'effet pratique de
ces modifications a été de produire quant au
nombre des individus condamnés amort et quant
au nombre de ceux qui ont été exécutés, la dimi-
nution qu'on peut remarquer dans le tableau
suivant: -.


Condamnés a mort. Exécutés,
1823. 968 54
182LL . 1066


·
49


1825. 1036
·


50
1833. 931


·
33


1834. 480
· ·


34
1835. . . . . 523


· · ·
34


1837. 438
· · · · ·


8
1838.


·
116 6


1839. 56
· ·


11
1843. 97


·
13


1844. 57
· · ·


16
1845.


·
49


· · · · ·
12


1853. ó5
· · · ·


8
18~4.


·
49 5


1855. 56
·


7




LXVIII


1860.
1861. •
1862.


. .


INTRODUCTION.


Condamnés a mort.
l.I:8 •
50
29


Exécutés.
• 12


15
15


En prenant la moyenne des périodes décennales,
on trouve:-


Condamnés a mort,
De 1823 11 1832.


» 1833 11 18l.1:2.
JI 18l.1:3 11 1852. • • .
» 1852 11 1862. •


1279.5 • •
325.2
61.6
50.9 • •


Exécutés.
• 56.3


17.1
10.7


. 11.1


Si l'on recherche la proportion qu'il y a entre
ces chifFres et celui de la population, on peut
observer mieux encore l'effet des mesures succes-
.


srves.
Condamnés. Habit. Condamnés. Habit.


De 1823 a 1832. 1 sur 10.123 . 1 sur 229.177
» 1833 11 18l.1:2. » l.I:5.83l.1: » 813.185
» 18l.1:3 a 1852. . JI 27l.1:.692 . » 1.581.390
» 1853 11 1862. . )) 373.220 » 1. 71l.l.I:iSl.I:


Dans ces tableaux la colonne des condamnés
indique les changements qui ont été apportés a la
législation criminelle, car le nombre des condam-
nations a mort est descendu de 1279 a 51 ou de 1
sur 101,23, et relativement a la population de 1
sur 373,220. La seconde colonne montre quels
changements ont suivi dans l'application réelle de
la peine qui a diminué de 56 a f í , soit de 1 sur
2'29,000 ct, rclativemcut a la populatiou, de f sur




INTRODUCTION. LXIX


'1,711,000. Évidemment la décroissance principale
du chiffre des exécutions s'est fait sentir al'avéne-
ment de la Reine actuelle.*


Mais si ces changements témoignent de notre
humanité dans l'application de plus en plus rare
des peines qu'il est en notre pouvoir d'infliger ici-
bas, on peut se demander si vraiment c'est un
moyen de prévenir les assassinats que de conser-
ver la peine de mort pour en punir huit, dix, ou
quinze individus par ano


Pour ma part, je ne doute pas un seul instant,
qu'une société civile ait le droit d'infliger la peine
de mort, je ne doute pas qu'il soit utile d'exercer
ce droit en certaines circonstances.


Cependant si laissant de coté ce droit abstrait, et
cette utilité métaphysique de l'appliquer, j'en
viens áconsidérer l'étatde notre société,-je trouve
qu'il est bien difficile pour un juge quelconque
de distinguer entre les cas OU la justice doit etre
inflexible et ceux ou elle doit reconnaitre des cir-
constances atténuantes, -je trouve que la tache du
Secrétaire d'État est fort malaisée quand il s'agit
de dispenser une gráce au nom de la Couronne, -
je vois que le public n' épargne pas les cornmen-
taíres, - et que tel índívídu qui faísaít horreur de-
vient rapidement un objet de pitié , - je remarque


* Voir Appendice (D).




LXX INTRODUCTION.


combien cette peine juste et terrible a une
influence bornée en tant qu'elle doit servir
d'exemple, - combien l'exécution a un caractere
brutal, - et j'en viens acette conclusion que la j us-
tice n'y perdrait rien, que les honnétes g~ns n'au-
raient point acraindre davantage pour leur vie si
on abolissait entierement la peine de mort.


Dans ce cas on cesserait de regarder comme une
gráce l'emprisonnement a long terme suivi des
travaux forcés pendant un autre espace de temps
fort long encore.


La sentence dujuge une fois prononcée, il n'ar-
riverait presque jamais des pétitions au Ministére
de l'Intérieur pour demander une diminution de
pénalité dans le cas d'assassinat. Et le coupable,
privé de la commisération humaine, aurait le
temps et l'occasion de se tourner avec repentir vers
son Dieu, vers le tróne ou siége le dispensa\eul'
de toutes gráees.


En 1837, une question importante, relative au
gouvernement du Canada, fut soumise au Parle-
mento


M. Pitt et Lord Grenville avaient donné en 1791,
a cette province, une Constitution impraticable.
Cclte province était habitée par des Franeais ayant
les mreurs du temps de Louis XIV, sans idées ré-
volutionnaires, sans amour marqué du progreso
Le Gouvernernent Anglais aurait dú propager dans




INTRODUCTION. LXXI


ce pays les libertés Anglaises, l'industrie Anglaise,
l'attachement de l'Anglais a ses institutions poli-
tiques.


Au lieu d'agir d'une maniere si conforme au bon
sens, M. Pitt et Lord Grenville s'efforcerent de sé-
parer 1'énergie Britannique de l'inertie Franeaise,
de claquemurer l'industrie Anglaise dans la partie
supérieure de la colonie, et de faire de la partie
inférieure une sorte de museum, OU devait se
conserver une noblesse Franeaise, avec titres féo-
daux et ordres de chevalerie, avec dimes et droits
seigneuriaux, pour perpétuer le souvenir du
bonheur dont la France jouissait avant la Révolu-
tion des Jacobins.


Mais cet édifice révé par l'imagination était de
neige, et il se fondit sous les rayons du progreso
Les titres et les ordres projetés ne furent jamais
créés; tout tomba bientót dans une entiére con-
fusion ; un Conseil Législatif, formé de gens éclai-
rés et partisans de l'Angleterre, ne tarda pas a
monopoliser le patronage de la Couronne, et de-
vint odieux au parti populaire Francais, L'assem-
blée des représentants du Bas-Canada refusa de
voter le Budget.


Lord Bathurst, Secrétaire Colonial, voyant que
l'horloge ne marchait pas, se mit en tete de la faire
aller lui-méme. Ilvota desapropre autorité le bud-
get des dépenses que l'Assemblée refusait de voter.




LXXII INTRODUCTION.


Mais ce systéme ne pouvait durcrlongte nlps.
Le Parlement, de l'avis des Ministres, rejeta la
demande que les Canadiens Francais avaient faite
d'un Conseil Législatif a leur propre choix. 11 en
résulta que bientót le Bas-Canada, tout imbu
d'idées féodales, se révolta pour exiger les privi-
léges et la dime; le Haut-Canada, tout enivré de
démocratie, se révolta pour établir une république.


Lord Durham fut envoyé par le Gouvernement
de Lord Melbourne afin d' éclaircir ce mystere. n
examina ce probléme avec les yeux d'un homme
d'état, il pénétra les vues des partis qui étaient en
antagonisme, et se prononc;a pour l'Union. Le mo-
ment était critique. « Laissez faire les Canadiens
Francais comme ils I'entendent,» disaient certains,
« ou vous aurez une répétition de la guerre d' Amé-
rique. » D'autres s'écriaient : « Accorder ce qu'on
entend par « gouvernement responsable, » c'est ac-
cordel' l'indépendance. 11 faut s'y opposer. »


C'est entre ces deux partis extremes que le Gou-
vernement Britannique dut se placer. ns'entendit
avec les représentants Libéraux du Canada, leur
fitcomprendre que sous le nom de (e gouvernement
responsable» il fallait se contenter de ce quiétait
relatif .aux affaires d'ordre intérieur, mais non
point embrasser la politique extérieure. Ainsi dé-
fíni, le gouvernement responsable fut accordé.


M. Powlett Thompson, envoyé comme Gouver-




INTRODUr.TION. LXXIII


neur pour établir l'Union, eut ase demander : «Suis-
je le Souverain, ou bien suis-je le Ministre?» Et il
résolut la difficultéen décidant qu' il serait Ministre.


Sans doute le mécanisme du Gouvernement Co-
lonial devint tres- compliqué lorsque la direction
des affaires intérieures appartenant aux Ministres
Coloniaux, les atTaires extérieures ainsi que celles
qui concernaient la Marine et l'Armée demeu-
raient sous le controle royal; cette complication
était grande - plus grande méme que ceHe de la
Constitution Britannique. Mais avec de la bonne
volonté et du bon sens rien n'est impossible; la
révolte et la haine du pouvoir avaient suivi l'Acte
de 1791; l'obéissance et l'amour du Gouvernement
découlerent de l'Acte voté en 1837.


11 Y avait un défaut inévitable mais non pas
irremédiable dans l'Acte d'Union. Lord Sydenham
n'aurait pu obtenir la majorité en sa faveur s'il
n' eüt accepté que le nombre des représentants du
Bas-Canada serait égal au nombre des représen-
tants du Haut-Canada. Mais il était évident que si
la population du Haut-Canada par la destruction
de la barriere qui le séparait de l'Angleterre, et
par sa fertilité naturelle, par sa richesse, venait a
augmenter beaucoup plus que la population du
Bas-Canada, la justice et la politique exigeraient
qu'un changement fút apporté al'égalité de la re-
présentation. C'est ce qui a eu lieu. Maintenant il




J.XXIV INTRODUCTION.


faudra que le Parlement emploie toute sa sagesse
pour jeter les fondements du nouvel édifice, mais
les présages sont favorables.


Plusieurs questions d'une grande importance oc-
cuperent a cette époque l'attention du Parlement.


L'Irlande avait été traitée en 1829 comme
M. Pitt avait proposé de le faire en 1800. Mais un
long déni de justice avait semé le mécontentement
contre le Pouvoir; provoqué dans les campagnes
des faits d'un caractére atroce; soumis le pays ala
tyrannie des propriétaires ; et donné lieu a des
conspirations de la part des prétres et des paysans.
Lord Anglesey, lorsqu'il était Lord Lieutenant,
disait qu'en Irlande le Roi n'avait point d'autres
partisans que les soldats du Roi.


Les Gouvernements de Lord Melbourne et de ses
successeurs ont fait beaucoup d' efforts pour trou-
ver un remede a des maux que le temps et la jus-
tice peuvent seuls guérir. On a réglé la question
des dimes, et on a débarrassé les paysans de ce
fardeau, pour l'imposer aux propriétaires. Une loi
des pauvres a été votée, et e'est moins un acte de
charité qu'une mesure d'ordre publico L'acte dit
Encumbered Estate Act, introduit en 1847, et en-
suite amendé parSir John Romilly, a ouvert la voie
ades rapports meilleurs entre le propriétaire et le




INTRODUCTION. LXXY


tenancier. Le droit de voter dans les comtés, enlevé
en 1829 a de véritables serfs qui en jouissaient,
paree qu'ils étaient en théorie des freeholders
payant des taxes sur le pied de quarante So, fut
donné a des loeataires taxés a douze lo par an o
Huit millions de livres furent distribués par le
Gouvernement de la Grande-Bretagne aux Irlan-
dais en 1848 pendantladisette des pommes de terreo


La mesure proposée en 1835 pour aecorder a
l'Instruetion Publique en Irlande une partie des
Revenus de rÉglise étant impopulaire en Angle-
terre, ne put passer a la Chambre des Lords. Mais
il u'est guére possible que l'Église ne perde pas
quelques-uns de ses priviléges dans un pays OU
elle ne s'appuie que sur le dixieme de la popula-
tion. Quand l'Angleterre examinera l'affaire sans
passion, on peut le croire , bien que l'État ne
puisse aeeomplir le projet de Mo Pitt et prendre
asa charge le elergé Catholique Romain, du moins
tout le peuple d'Irlande tirera quelque profit d'un
revenu qui est tres-oonsidérable. L'Edueation Na-
tionale et les Travaux Publics bénéfieieront au
moins en partie de ce revenu qu'on leve sous
prétexte de l'intérét populaire.


En 1828 et en 1829, le Parlement avait ouvert
les avenues du pouvoir administratif et législatif
aux Protestants des eultes dissidents et aux Catho-
liques Bomains.




LXXVI INTRODUCTION.


De '1831 a '1841, dix années avaient été con-
sacrées aaccorder des priviléges politiques et mu-
nicipaux dans les trois royaumes.


Vers 1840, le moment était arrivé de réduire
les droits de douane, d'abolir les monopo-
les, d'affranchir le commerce d'entraves nom-
breuses.


Lesdeux Hume, M. Joseph Hume, Membre du
Parlement,et M. DeaconHume, employé auBureau
des Douanes, avaient montré la route que prit
l'armée du libre échange pour livrer des batailles
d'abord indécises, puis enfin suivies du triomphe.


M. Charles Villiers, M. Cobden, et M. Bright
proposérent l'abolition totale et immédiate des
Lois sur les Céréales. Le Ministere Whig, sans
aller aussi loin, demanda que l'échelle mobile
fút substituée au droit fixe de huit shillings sur
les blés ; qu'au lieu de la prohibition qui frap-
pait le sucre d'origine étrangére on mi! sur
ce sucre un droit différentiel de douze shillings
par quintal, et que le droit protecteur sur le
bois de construction au lieu d'étre de dix shillings
pour le bois des colonies, et de cinquante-cinq
shillings pOllr celui de la Baltique, fút de vingt
shillings pour le premier et de cinquante shil-
lings pour le secoud. Mais la proposition d'ad-
mettre le sucre étranger fut rej etée par une ma-
jorité protectionniste de trente-six voix, et, a la




INTRODUCTION. LJiXVII


dissolution du Parlemcnt une majorité de quatre-
vingt-onze voix porta Sir Robert Peel a la tete
d'une administration nouvelle.


Mais si les Proteetionnistes comptaient sur Sir
Robert Peel pour assurer le regne du monopole,
ils se trompérent terriblement. 11 est vrai qu'avec
sa prudence habituelle, il ne toucha pas aux cé-
réales de l' aristocratie fonciére ni au sucre des
Indes Occidentales. Mais il abattit tous les mono-
poles d'un ordre inférieur, et marchant eomme
un grand général, il laissa ees forteresses des cé-
réales et du sucre aux soins d'une faible gamisou


.


en pays ennemi.
De cette facon, en 1846, on permit l'entrée des


eéréales de plovenance étrangére moyennant un
droit non pas de huit shillings mais d'un seul shil-
ling, et Sir Robert Peel, au milieu des malédic-
tions de son propre parti, mais aussi des applau-
dissements populaires, rendit a sa patrie un
serviee inestimable.


En cette occasion comme en celle du Catholic
Belief Bill, Sir Robert Peel fut le premier a rendre
hommage a ses adversaires politiques.


« J'ai déjá dit, » s'écria-t-il, « et j'ai dit avec
« conscience, qu'en proposant nos mesures com-
« merciales je n'avais aueune intention d'enlever
« ad'autres les éloges qui leur sont justement dús,
« Je dois déclarer en ce qui regardc nos advcr-




LXXVIII INTRODUCTION.


« saires habituels, comme pour ce qui nous regarde
« nous-mémes, que ni I'un ni l'autre des deux
« partis ne peut s'attribuer le mérite de ces ré-
« formes. 11 y a eu une combinaison de partis
« opposés, et cette eombinaison, avee l'influence
« du Gouvernement, en a amené le succés défi-
« nitif; znsis qU8Dt 8U tiotu de 1'homme qu'on doit
C( assoeier au triomphe de ces mesures, ce n'est
« pas le nom du noble Lord qui sert d' organe au
« parti dont il est le chef, ce n'est pas non plus le
« mien. Ce nom qui doit étre et qui sera dans l'a-
« venir assoeié a ces mesures; c'est eelui d'un
« homme qui, agissant, j'en suis convaincu, par
« des motifs purs et désintéressés , a fait appel
« a notre raison avee une énergie infatigable, et
« a su appuyer ses idées d'une éloquenee d'autant
« plus admirable qu'elle était sans affeetation et
« sans ornement, le nom qu'il faut assoeier prin-
« cipalement au succés de ces mesures, e'est le
« nom de RICHARD COBDEN. )) -te


Ce jusle tribut d'éloges fit le plus grand hon-
neur a la magnanime franehise de Sir Robert
Peel.


Dans eette méme année de 1846, le Ministére
qui lui sueeéda réduisit les droits différentiels sur
le suere de la maniere que je vais expliquer.


"" Parliamentary Debates, troisieme série, vol. LXXXVII, p. 105~.




INTRODUCTION. LXXIX


En 1848, l'Acte de Navigation fut aboli, et a ce
propos Sir James Graham, dans un discours mé-
morable, enregistra les bienfaits qui avaient suivi
l'abolition des lois relatives aux céréales, et il
célébra le triomphe du libre échange.


Reste aconsigner maíntenant tous les avantages
qui ont accompagné ce changement signalé de
politique, changement en partie approuvé par le
méme Parlement qui avait été élu pour défendre
les Lois Relatives aux Céréales, pour rassurer les
intéréts de la protection, et en partie aussi mis en
reuvre par le Parlement suivant.


Mais il faut ajouter d'autres réformes utiles ace
glorieux catalogue.


En 1861, un Traité de Commerce avec la France
brisa les entraves qui genaient nos relations avec
un pays fécond en vins, en huiles, en soies, en
articles de luxe, mais manquant de charbon, de
fer, et d'objets a bon marché.


C'est a l'Empereur des Francais et au Cabinet
Britannique que revient l'honneur d'avoir proposé
le Traité, mais c'est Richard Cobden qui a le plus
travaillé aréaliser ce dessein.


Dans cette mesure il ya autre chose que le succés
du libre échange. Deux nations, les premiéres
du monde par leur intelligence, par leurs triom-
phes dans la paix et dans la guerre, ont été réu-
nies ainsi par mille liens qui, il faut l'espérer,




LXXX INTRODUCTION.


convertiront leurs rapports hostiles d'autrefois en
une émulation amicale et pacifique.


n me reste a marquer les résu1tats de ces me-
sures commerciales et financiéres.


Examinons d'abord la valeur officiel1e des im-
portations et des exportations de marchandises
Anglaises, Coloniales, et Étrangéres en 1842, en
1853, et en 1863, en un mot, toute l'étendue de
notre commerce :


Importations.


1842 .
1853. .
1863 .


1842. .
1853 .
1863 .


65,253,286 liv. sterl.
• 123,099,313 »


171,913,852 •


Exportations.


. . . 113,841,802 liv. sterl.
242,072,224 »


. 313,113,188 )


Voici maintenant la valeur réeUe des exporta-
tions des manufactures Britanniques et Irlan-
daises : -


184.2 ...
1853. .
1863 •


. . 47,381,023 liv. sterl.
98,933,781 •


14:6,4:89,768 »


11 est bon de conuaitre la valeur réelle des ar-




INT,RODUCTION. LXXXI




ticles les plus importants de la manufacture Bri-
tannique dont on a fait l'exportation : -


1842 1853 1863


Liv. ster1. Liv. sterl, Livr. sterJ.


Articles de coton ........ 13,907,88/,l 25,817,24,9 39,4,24,,010
Faiences et porcelaines ... 355,4:30 1,338,370 1,334,,275
Quincaillerie et coutellerie. 1,398,4,87 3,66" ,051 3,826,784,
Articles de laine ...•..... 2,34,6,74,9 4,,758,4,32 6,509,970
Machines............... 554,,653 1,985,536 4,,365,923
Fers et aciers ........... 2,4,57,717 10,84,5,4,22 13,111,4,77
Fil de laine. . . . . ........ 637,305 ),4,56,786 5,065,432
Articles de laine ......... 5,185,045 10,172,182 15,518,84,2
Soie fllée et travaillée .... 590,189 2,04:4,,361 2,229,591


On se souvient que, en '1823, M. Huskisson sou-
leva une tempéte de désapprobation en prétendant
que les fabricants de soies, pourraient, aprés s'y
étre préparés, soutenir la concurrence avec l'é-
tranger moyennant un droit protecteur de 30 p. %
seulement; on sait que, en '1845, Sir Robert Peel
réduisit le droit protecteur a10 o et qu'en 1861
M. Gladstone l'abolit complétement.


Cependant, en 1823, la valeur déclarée de toutes
les soies exportées de la Grande-Bretagne était


r




LXXXII INTRODUCTION.


de 301 409 lo; et, en 1863, la soie filée et travail-
lée s'élevait a 2,229,000 lo


Prenons maintenant deux autres articles, le
sucre et les navires. En 1841, j'avais proposé de
réduire les droits sur le sucre colonial et étranger
a 24s o et 36 s. respectivement, donnant ainsi
au sucre colonial une protection de 12 s o par
quintal. Cette proposition fut rejetée comme insuf-
fisante. En 1846, je proposai un droit de 14 so
par quintal sur le sucre a moscouade des colonies
Anglaises, et, au lieu du droit prohibitif de 63 s o
sur les sucres étrangers, un droit de 21 s o sur
le sucre a moscouade venant de l'étranger; de
plus, qu'a dater de Juillet 1851 un droit de 14 s,
fút perc;u sur tous les sucres a moscouade, sans
distinction de provenance. Cette proposition fut
approuvée. La consommation du sucre brut,
malgré un accroissernent ultérieur de droits pen-
dant la guerre de Russie, accroissement qui a
été maintenu jusqu'en 1863 : - a été pour
1842, de 3,868,437 quintaux; en 1853, de
7,274,833 quintaux; en 1863, de 9,202,524 quin-
taux.


En 1841, la consommation du sucre était de 17
liv. par tete; en 1853 elle était de 26 Iiv. i, en
1863 de 35 liv o ~ o Tels ont été les avantages ob-
teuus par la diminution d'une taxe qui a permis
au peuple de consommer cette denrée utile quand




INTRODUC1ION. LXXXIIl


elle a été affranchie de droits élevés et prohi-
hitifs. *


En 1848, M. Labouchere, au nom du Gouverne-
ment, obtint l'abolition des Lois de Navigation. -
Cette mesure terrifia d'abord les armateurs; Adam
Smith avait lui-rnéme hésité a la conseiller. Voici
les conséquences qu'elle a eues relativement au
nombre de tonneaux importés par la marine
commerciale de I'Angleterre et de l'étranger.


1842
Marine Britannique. 5,l\15,821
Marine Étrangere.. 1,930,983


1853
9,064:,705
6,316,q56


1863
15,263,04:7


7,762,116


En ce qui concerne le cabotage qui a été ouvert
a la marine étrangere en 1854, l'augmentation a
été: -


Pour rAngleterre.
Pour l'Etranger. .


1842
10,785,450


1853
12,820,745


1863
17,465,635


81,897


Tant il est vrai que l'air fortifiant de la liberté
favorise plus les grandes entceprises que l'atmos-
phere étroite du monopole et de la restriction.


Occupons-nous un moment des modifications
qui se sont produites dans le systérne financiero


Il y a un peu plus d'un siócle, apres la guerre
de Sept Ans, les historiens et les philosophes signa-


* Hansard's Debates, vol. LXXXVII, p. 1319. Voir aussi vol.
LXXXVIII, p. 250-251.




LXXXIV INTRODUCTION.


laient les taxes si lourdes qui frappaient chez HOUS
le sel, la chandelle, le cuir, le savon, le charbon
transporté par mer, tous les articles non prohibés,
la dréche, la hiere, le verre, le papier, les jour-
naux, L'impót foncier s'élevait a 3 s. par livre. On
en concluait que notre dette nous écraserait. *


Cependant, aprés avoir soutenu des guerres
plus couteuses que toutes nos guerres antérieures,
nous avons vu disparaitre les taxes sur les objets
de premiére nécessité, les taxes sur le verre et
le papier, la plupart des droits d'excise ont été
abolís, l'impót foncier est demeuré stationnaire, et
la rente de la terre ayant augmenté de beaucoup,
cet impót est par cela méme devenu moins pé-
nible asupporter.


En méme temps la richesse du pays s' est accrue
si fort que la taxe sur le revenu (income-tax) de
2 s, par livre, qui produisait seulement 1ti mil-
lions en 181 ti, aurait produit ace taux 26 millions
en 1864.


Si 1'on objecte que l'Irlande est maintenant sou-
mise acette taxe, il faut remarquer, d'autre part,
que le cours des valeurs était déprécié de 25 p. %
en 181ti; tandis qu' en 1861 il est égal acelui de l'or.


On a couturne d' employer deux moyens pour


,.. Voyez spécialement l'Histoire du Beoenu de Sinclair, avec l'Ap-
pendice.




INTRODUCTION. LXXXV


faire de l'exagération quand on veut HOUS repro-
cher notre budjet de dépenses et nos taxes. Pour
nos dépenses publiques, on prend en blo-c afin de
nous accuser d'extravagance, les taxes destinées
apayer les intéréts de notre dette nationale; les
allocations nécessaires pour entretenir l'ordre j udi-
ciaire et la police; la liste civile ; la paye a demi
solde, et les pensions de nos officiers, de nos sol-
dats, et de nos marins.


Personne en Angleterre ne propose de diminuer
d'un seul shillingle montant de ces sommes consi-
dérables ; mais on se sert de ces gros chiffres pour
calculernos dépenses, on lesrassemble ponr signa-
ler nos gaspillages extravagants, notre prodigalité.


L'autre moyen d'exagérer le poids réel de nos
taxes consiste a citer non point le taux du moment
mais la somme payée. Ainsi je suppose que le
sucre ayant été taxé a 24 s. par quintal de droit
vienne a etre abaissé jusqu'á 12 s.; il est clair
que le fardean devient beaucoup plus ]éger ponr
le penple. Mais si la consommation du sucre, sous
l'empire du droit le plus élevé, ne dépassait pas
quatre millions de quintaux, et qu' avec la dimi-
nution du droit la quantité consommée dépasse
neuf millions, la somme qui arrive au Trésor doit
nécessairement augmenter aussi : de la un pré-
texte pour prétendre que relativement a cet ar-
ticle le fardeau de la taxe est devenu plus pesant.




LXXXVI INTRODUCTION.


De méme si une taxe sur le revcnu d'un shilling
par livre eüt produit 7 í millions pour le Tré-
sor en 1815, et qu'une taxe de six penceen
1865 produise 8 millions, on osera déclarer que
la eharge du peuple s'est aeerue.


Ce qu'on doit vérifier, en réalité, e'est la propor-
tion qui existe entre la taxe que snpporte un in-
dividu et sa fortune ; une taxe d'un million dans
un pays pauvre peut etre plus éerasante qu'une
taxe de einq millions dans un pays dont la popu-
lation est bien la méme, mais habite une terre
ingeniis opibusque etfesta pace »irentem,


En ce qui eoncerne notre politique étrangére
beaueoup de gens sont dans l'obseurité sur la
question de savoir quels prineipes ont guidé l'An-
gleterre, quels principes la guideront a l'avenir.
Une bonne partie de eette obseurité vient du
double sens qu'on attaehe au mot intervention.
Le sens usuel et le plus eonvenable du mot in-
tervention e'est eelui d'immixtion dans les affaires
intérieures des autres peuples. Le nouveau sens,
moins exact, de ce mot e'est eelui d'immixtion
dans les querelles de nations indépendantes. C'est
dans le premier sens qu'on dit que l'Autriche, la
Prusse, et la Russie sont intervenues dans les af-
faires intérieures.du Piémont et de Naples en 1821,
et que la Franee et les Puissances du Nord sont
intervenues dans les affaires intérieures de l'Es-




INTRODUCTION. LXXXVII


pagne en 1823. C'est abuser de cette expression
et lui donner la signifieation nouvelle que de l'ap-
pliquer ala mesure prise par M. Canning en 1826,
quand l'Angleterre s'interposa, eomme un traité
l'obligeait a le faire, pour défendre l'indépen-
danee du Portugal.


11 est évident qu'il y a matiére a confusión lors-
qu'on emploie le mérne mot pour qualifíer les
deux genres différents d'immixtion.


Tous les publieistes ont déclaré qu'une nation
a le droit de se gouverner eornme elle l'entend,
pourvu qu'elle ne nuise pas aux autres peuples;
absolument de mérne qu'un homme a le droit de
diriger a son gré la maison qu'il oeeupe, pourvu
qu'il ne gene pas ses voisins. Mais si une nation
en attaque une autre, toutes les nations sont libres
d'exarniner si eette attaque ne eompromet pas
leurs propres intéréts et l'indépendanee générale.


Ainsi la premiere sorte d'intervention devrait
régulierement étre défendue et évitée. Dans les
dernieres années nous avons vu l'Autriehe et la
Franee renoneer a eette intervention, dans les
affaires de l'ltalie et de l'Espagne, eontre laquelle
Lord Casttlereagh et M. Canning avaient vaine-
ment protesté en 1821 et 1823.


n est vrai que la France est intervenue dans les
affaires intérieures de Borne et du Mexique, et
que l'Angleterre est intervenue dans celles de la




LXXXVIII INTRODUCTION.


Chine; mais, dans ces deux circonstances, on a
déclaré que l'intervention avait un caraetere ex-
ceptionnel et temporaire, et ne rentrait pas dans
les principes généraux qui servent de fondement
a la politique étrangére de l'Angleterre et de la
France.


Mais il ne faut pas établir en principe que lors-
qu'une grande puissance attaque un État indépen-
dant avec des projets de eonquétes, les autres
Puissances doivent demeurer dans l'inertie. On
verrait naitre de cette faute deux conséquences:
- d'abord il n'y aurait bientót plus au monde que
des grandes Puissances, ensuite ces grandes Puis-
sanees adopteraient pour forme de gouvernement
le despotisme sans lequel, aux yeux des poten-
tats, des armées nombreuses et formidables ne
peuvent se conserver d'une facón durable. Tel
était le danger a craindre avant et aprés la catas-
trophe de t 814.


C'est contre des périls de ce g~nre que les na-
tions libres et indépendantes sont obligées de se
prémunir. Le soin qu'elles doivent prendre de
soutenir les États plus faibles a créé ce systéme
qu'on nomme l'équilibre des puissanees, systeme
que toutes les nations sont tenues de respecter
dans leurs traités et dans leurs acquisitions.


n ne s'ensuit pas, néanmoins que, dans tous les
cas d'invasion ayant un caractere d'immixtion dans




INTRODUCTION. LXXXIX


les affaires intérieures d'un État, les Puissances
neutres soient obligées d'agir contre les enva-
hisseurs.


Ainsi lorsqu'en 1823, la Frunce, protégée par
l'Autriche, la Prusse, et la Russie, forma le proJet
d'envahir l'Espagne et de supprimer sa Constitu-
tion libre, une question difficile vint s'offrir au
Gouvernement et au Parlement de la Grande-
Bretagne. Tout en protestant contre cette im-
mixtion dans les affaires intérieures d'un État
indépendant, les ministres de l'Angleterre se de-
mandérent si l'Espagne ne ferait pas bien, et ne se
comporterait pas avec prudence en modifiant sa
Constitution de maniere a désarmer l'hostilité de
la France. Le Duc de Wellington qui avait sauvé
une fois 1'indépendance de l'Espagne lui donna le
conseil d'opérer ces modifications. Mais le Gouver-
nement Espagnol rejeta cet avis, et voulut con-
server ses droits intacts.


L'Angleterre était-elle obligée de soutenir l'Es-
pagne par la force des armes a toute aventure?
Lord Liverpool et M. Canning refuserent d'entrer
dans cette voie ct aleur refus ils donnérent entre
autres motifs ceux qu'on trouve dans un discours
de Lord Liverpool. Apres avoir exposé l'état des
négociations, le noble Lord s'exprima ainsi : -


« Vos Seigneuries attendent de moi que j'ex-
« plique les raisons qui engagent le Gouverne-




xc INTRODUCTION.


« ment Britannique a considérer la neutralité
« comme son devoir : je ne vous cacherai pas ces
« raisons. En étudiant ce que le Gouvernement
« doit choisir de la neutralité ou de la guerre,
« nous sommes tenus d'abord de consulter notre
« situation et notre politique intérieures. Je n'hé-
« site pas, Mylords, a renouveler une déclaration
« que j'ai déja faite des le premier jour de la ses-
« sion. Si l'honneur ou les intéréts essentiels de
« notre pays nous ordonnaient d' entreprendre la
« guerre, nous aurions les moyens de la poursuivre
« avec efficacité. Mais, Mylords, cela posé, je dois
(e ajouter qu'aprés la lutte sans précédents que
(e nous avons soutenue pendant vingt-deux années
« et dont nous commencons a réparer les consé-
« quences, - aprés cette lutte sans égale au point
« de vue du théátre qu'elle embrassait et de sa
« durée, - apres les épreuves et les souffrances
« que notre pays a eu l'énergie de supporter, -
« ce ne serait ni d'une sage, ni d'une profonde
(e politique que de le plonger encore dans les
te malheurs et les inconvénients d'unc guerre nou-
« velle, sans que la nécessité en fút évidemment
« démontrée. Anjourd'hui moins que jamais. Son-
e< gez que notre commerce, notre industrie se re-
ce levent en ce moment de l'état de dépression
(e que la conclusion de la paix leur a rendu plus
(e sensible encere que lorsque les hostilités étaient




INTRODUCTION. XCI


« dans toutc leur fureur; nos négociants et nos
ce manufacturiers sont méme sur la route d'une
« prospérité dont ils n'avaient jamais joui. L'a-
« griculture - qui est la derniere de toutes les
« branches a se relever, parce que c'est la der-
,ce niére qui souffre - commence a sortir des
« embarras et de la détresse oñ elle se trouvait.
« Je le demande, est-il un homme de bon sens,
« Mylords, qui ne voie combien il importe ac-
ce tuellement a notre pays de demeurer en paix ,
« si la paix peut se conserver sans que notre hon-
« neur ou nos intéréts en soient atteints; com-
« bien il importe que nous ne livrions pas en
« grande partie a d'autres pays les avantages qui
« nous reviennent, - 01', c'est ce qui arriverait
« inévitablement si une guerre quelconque nous
ce était imposée par malheur. Je n'énumérerai
« pas ces avantages, Mylords, je n'en exagé-
« rerai pas la valeur, mais cette valeur est
« grande, et Vos Seigneuries doivent beaucoup
« y réfléchir. »


M. Canning, parlant sur cette question et dans
le méme sens, disait: -


« Je ne discuterai pas non plus cette autre pro-
« position, déja épuisée, sur la possibilité d'une
« guerre purement maritime pour secourir l'Es-
« pagne dans la campagne oú vont se décider ses
«destinées. Je ne m'arréterai pas a examiner




XCII INTRODUCTION.


« quelle consolation anraient les Espagnols --
« quelles sources d'encouragement ils auraient
« pour s'animer a la persévérance dans leur lutte
« contre l'invasion - en apprenant que si nous
« ne pouvons point venir a leur aide comme dans
« la derniere guerre, si nous ne mélons pas nos
« drapeaux a leurs étendards dans les batailles,
« nous parcourons leurs cotes pour y chercher
« des prises, et nous nous indemnisons de nos
« dépenses en nous emparant de la Martinique.
« Faire la guerre directement, sans ménagements
« et avec vigueur contre la France en faveur de
« l'Espagne, de la seule maniere qui puisse ren-
« dre notre coopération utile a celle-ci - HOUS
(e unir a elle du creur et de la main - ou bien,
« nous renfermer dans une neutralité réelle et de
« honne foi, - telle est la véritable alternative.


« Maintenant, avant de quitter la Péninsule, un
« seul mot en réponse a l'honorahle député de
« Westminster et a ceux qu'il représente. Ont-ils
« calculé le fardeau que nous imposerait une
« guerre en Espagne? Dieu le sait, si l'honneur, si
« la dignité, si l'intérét de notre nation l'exigeait,
« nous n' éviterions pas le sentier du devoir par
« crainte des obstacles dont-il serait semé. Mais
« nons pouvons bien, tout au moins, mesurer ces
« obstacles. L'expérience est la pour nous appren-
« dre avec une grande approximation quelles




INTRODUCTION. XCIII


« sommes d'argent demanderait la lutte si nous
« l'entreprenions dans la Péninsule. Prenons seu-
« lement deux ans et demi de la derniére guerre
« dans eette contrée, et d'aprés les chiffres que
« j'ai sous la main, depuis le commencement de
« 1812 jusqu'a la fin glorieuse de la campagne
« en 1814, nous avons dépensé pour I'Espagne et
« le Portugal environ trente-trois millions de
« livres sterling. D


Venant a envisager la perspective de la guerre
si on l'entreprenait, M. Canning disait encore : -


« Qu'on n'aille point espérer que la guerre une
« fois commencée, serait rapidement menée a fin.
« Avons-nous donc oublié le cours et le progrés
« de la derniere guerre? Pour ma part je me sou-
(1 viens de ce qu'on en pensait au début. Je me
« souviens de ce que j'ai entendu déclarer alors
« par un homme distingué entre tous les hommes
« d'état par sa sagacité reconnue, -je me souviens
« d'avoir entendu déclarer par 1.\'1. Pitt non point
« au Parlement (oú il aurait pu avoir pour but et
« pour devoir de stimuler le zele et d'encourager
« les espérances), mais dans ses rapports privés,
« parmi les amis qui avaient sa confiance, - je
« me souviens, je le répéte, de lui avoir entendu
« déclarer en 1793 que la guerre serait de tres-
« courte durée. 01' cette durée a dépassé les
« limites de sa vie, elle s'est prolongéc au dela du




XCIV INTR0DUCTION.


« temps que son successeuret que les successeurs
« de son successeur ont été au pouvoir, et enfin
« la guerre s'est terminée tout a coup et d'une
« faeon inattendue par une certaine combinaison
tI d'événements tellement extraordinaires que
« l'imagination la plus ardente n' aurait pu les
« prévoir. Gardant en mémoire ce précédent, je
« ne peux présumer qu'une guerre nouveUe serait
« menée afin rapidement. Évitons qu'une illusion
« de ce genre ne nous engage dans une voie qui,
« pour nous paraitre aisée a suivre des les pre-
(e miers pas, ne laisserait pas de se trouver ensuite
« pleine de difficultés, encombrée d'obstacles, jus-
« qu'au moment OU nous tomberions dans un la-
« byrinthe, et non-seulement notre génération
« mais ceHe qui doit venir aprés nous cherche-
« raient en vain a s'en retirer. »-lt


Beaucoup de personnes, surtout du parti Whig,
blámerent Lord Liverpool et M. Canning de leur
conduite politique en cette occasion. Mais je crois
qu'on leur accorderait généralement aujourd'hui
qu'ils ont fait leur devoir, et que se mettre en
guerre avec l'Espagne a cette époque aurait été
s'exposer a un sacrifice peu nécessaire et proba-
blement stérile de sang et d'argent.


Dans ces dernieres années, la cause de deux peu


11- Hansomis Debates, nouvelles séries, vol. VIII.




INTRODUCTION. xcv


ples a excité les plus grandes sympathies dans le
publico Et l'on ne saurait nier que ces sympathies
fussen t justement méritées.


La cause de la Pologne, si cruellement asser-
vie et si perfldemeut traitée lors du premier par-
tage, devra toujours se recommander d'elle-
méme a une nation dont le creur est généreux.


La cause du Danemark, quand ce pays se vit
attaquer par des Puissances qui ont été les pre-
mieres a violer un traité destiné a assurer le res-
pect de ses frontieres, ne pouvait qu'exciter la pi-
fié, l'indignation méme.


Mais quand l'Angleterre dut se demander si
dans l'un ou l'autre cas elle était obligée de
prendre les armes, il fallut examiner de prés les
motifs qui pouvaient réclamer notre assistance
armée.


Était-il bien sur que la cause de la Pologne et
l'observation des traités de Vienne eussent un
caractere d'identité? Ne sait-on pas que les insur-
gés polonais avaient rompu les clauses de ce traité,
pense-t-on qu'une fois vainqueurs ils s'y seraient
soumis?


Pour ce qui regarde les Danois, l'Angleterre, en
Septembre 1862) proposa certain arrangement qui
aurait maintenu l'intégrité du Danemark, accom-
pli les promesses faites en ! 851 par le Danemark
a l'Autriche et a la Prusse, et empéché pour tou-




XCVI INTRODUCTION.


jours l'Allemagne de s'inuniscer dans les affaires
intérieures de leur pays.


Par qui cet arrangement fut-il accepté, par qui
fut-il rejeté?


11 fut accepté par l'Autriche et la Prusse, re-
jeté par le Danemark.


Quand les Polonais voulaient créer un grand
royaume de Pologne, comprenant, outre le terri-
toire connu sous ee nom, la Lithuanie, la Podolie,
et la Volhynie, étions-nous done obligés de faire
la guerre dans leur intérét? Quand les Danois, en
dépit de leurs promesses, tentaient d'ineorporer
le Sehleswig au royaume de Danemark, la Grande-
Bretagne devait-elle done soutenir cette préten-
tion?


En pareille matiere, si ron ne peut obtenir ri-
goureusement ee qui est juste, que reste-t-il de
mieux a faire si ee n'est d'engager les deux par-
ties a un accommodement raisonnable? Et, paree
que cet aceommodement aura tout d'abord été
repoussé avec hauteur, s'ensuit-il que le eonseil
donné par une puissance neutre ne pourra étre
d'aueune utilité? Ne peut-il servir a modérer la
violence de eeux qui, en un moment d'orgueil ou
d'irritation, l'ont repoussé?


De ce qu'un État est faible il ne faut pas con-
dure qu'il ait toujours le bon droit pour lui, de
ce qu'il est puissant ne eoncluons pas qu'il ait tou-




INTRODUCTION. XCVII


jours tort. Examiner impartialement la question
qui se débat, et tenir compte des prétentions et
des récriminations opposées, ce sont la des facons
d'agir lentes et fatigantes auxquelles on n'aime
guere a s'astreindre. Il est bien plus facile d'agir
sous l'impulsion des sympathies, de la colere, ou
de la fierté. Cependant, si l'on eút écouté la froide
raison, que de guerres stériles auraient été évi-
tées, que de sang et d'argent auraient été épar-
gnés dans le monde!


Si j'en arrive a résumer, mérne en un catalogue
imparfait, les nombreuses améliorations qui se
sont produites dans le Royaume-Uni, dans ses
Colonies, et dans ses Relations Étrangeres de-
puis 1824, je trouve la Réforme du Parlement,
l'Aholition de I'Esc1avage, le Rappel des Actes de
Test et de Corporation, l'Abolition des incapacités
civiles des Catholiques Romains, l'Abolition par-
tielle des incapacités civiles des Juifs, la conversion
des dimes en Angleterre et en Irlande, la Ré-
forme des Corporatíons Municipales en Angle-
terre, en Écosse et en Irlande; la Réforme de la
Loi des Pauvres en Angleterre, son adoption pour
I'Écosse et l'Irlande, 1'égalité des biens des Éve-
ques en Angleterre ; l'emploi de sommes considé-
rabIes pour soulager le has clergé et augmen-
ter les petits salaircs; le progres de I'Éduca-
tion chez les indigents ; la réduction des droits


U




XCVIII INTRODUCTION.


de Douane de quelques centaines a douze seu-
lement; la suppression des droits différentiels;
l'abolition ou la réduction des droits protecteurs;
le rappel de la Loi sur les Céréales; l'abolition des
Taxes sur le verre, le savon, les charbons, les
chandelles, le papier, les journaux, et beaucoup
d'autres articles; l'établissement de l'indépen-
dance en Belgique et en Gréce ; la reconnaissance
de l'Unité Italienne.


Je réfléchissais a ces changements divers qui se
sont accomplis par le jeu régulier du Gouverne-
ment Parlementaire, et je me trouvais sous l'im-
pression du spectacle que m'offrait l'esprit public
si différent en 1863 de ce qu'il était en 1817, en
1818, en 1819, et en 1830, quand je fis observer
dans un discours en Écosse que le peuple semblait
avoir adopté une devise qu'on lit sur une pierre au
bord d'une route au sommet de l'une des monta-
gnes du pays: ( Repose-toi et sois reconnaissant! »
J'ajoutai que pour ma part je ne voyais ríen a
reprendre dans ce sentiment du public; bien que
sans aucun doute il y ait encore d'autres collines
agravir, d'autres routes afrayer. Rien ne semblait
plus évident ama pensée, bien que je ne l'aie pas
dit, que ni le piéton, ni le voyageur quand ils sont
arrivés au sommet du mont, pour y reposer leurs
membres fatigués et contempler avec gratitude et
admiration l'espace déja parcouru et l'horizon qui




INTRODUCTION. XCIX


les entoure, ne songent a bivaquer éternellement
en ce lieu. Assurément ils peuvent espérer qu'á
l'avenir leur marche sera moins ardue , que les
roes seront moins abrupts, les torrents plus faciles
atraverser, le maraismoins périlleux; mais apres
un temps de repos ils se remettront en mouve-
ment, et continueront leur voyage, puisant des
motifs de confiance pour leur route nouvelle dans
le succes déjá obtenu.


Mais, pour laisser de coté la métaphore, ce u'est
pas trop présumer de l'avenir, aprés etre venu a
hout de la résistance qu'opposaient, lorsqu'ils
étaient armés du pouvoir législatif, tous les bourgs
que l'Acte de Réforme a privés du droit électoral,
apres avoir dompté les préj ugés religieux retrau-
chés derriére les Actes qui excluaient des priviléges
constitutionnels les Catholiques Romsins, les Pro-
testants des sectes dissidentes, et les Juifs, apres
avoir renversé la coalition des intéréts qui main-
tenaient les Lois sur les Céréales et tous les autres
monopoles, ce n' est paso trop présumer de l'avenir,
je le répete, que d'espérer qu' apres l'heureuse
issue de toutes ces luttes, celles qu'il reste asoute-
nir contre l'égoisme et 1'ignorance, n' offriront pas
les mémes difficultés, ni les mérnes aventures. Je
parle, bien entendu, du cas souhaitable OÚ nul
changement organique de grande importance ne
serait tenté par un parti considérable.




e INTRODUCTION.


On trouve dans la Vie de Lord Sidmouth l'anec-
dote suivante : - « En Septembre 1791, apres la
rupture de Burke avec Fox, Pitt invita le premier a
diner chez lui : Lord Grenville, Burke, Addington,
et Pitt étaient les seuls convives. Apres diner,
Burke représentant avec véhémence tout le danger
dont la contagion des idées Francaises menaeait
l'Angleterre, Pitt lui dit : « N'ayez pas peur, mon-
« sieur Burke, soyez sur que nous irons comme
« aujourd'hui jusqu'au jour du jugement. » -
« Sans doute, monsieur, » lui répondit Burke,
« mais aussi ce qui m' effraye, e'est le jour oú
« il n'y aura plus de [ugement, » ~


Quand on se demande si le peuple Anglais ver-
rait augmenter sa liberté politique et son bonheur
social, soit en adoptant de propos délibéré, soit
en subissant une forme de gouvernement plus dé-
mocratique sans l'avoir appelée de ses vreux, on
ne doit pas se laisser égarer par la pensée qu'une
semblable forme nous placerait sous l'autorité de
la raison pureo Dans l'Amérique du Nord, aprés
la séparation des colonies d' avec l'Angleterre, il
n'y eut plus ni monarchie, ni aristocratie, ni
église établie; mais les plus sages d' entre les fon-
dateurs de la grande République, des hommes
tels que Washington et Hamilton observerent


.. Víe de Lord Sidnunüh; vol. 1, p. 72.




INTRODUCTION. el


avec inquiétude cette absence des digues qui
auraient pu arréter un peu le courant de la démo-
cratie, Ils savaient bien qu'essayer une forme de
gouvernement basé su!' la raison pure, c'était une
tentativo chimérique. On peut améliorer le cceur
de l'homme par la civilisation, élever son esprit
par l'éducation, mais iI est impossible de déra-
ciner ses passions, et d'empécher les égarements
de sa volonté.


L'homme qui se sert des chemins de fer et des
vaisseaux cuirassés; l'homme qui se sert du télé-
graphe électrique et de la presse a vapeur,
l'homme qui peut calculer l'attraction réciproque
des planetes et diviser un pouce en 10,000 par-
ties égales; l'homme qui, au moyen du télescope
rapproche la lune aquelques centaines de milles
de la terre, et au moyen de l'analyse se rend
compte des m.étaux dont le soleil est composé, -
cet homme qui, par son intelligence, ressemble
tant aun Dieu, eh bien! quand on étudie ses appé-
tits grossiers et ses passions, ses affections et ses hai-
nes, sa rapacité, son ambition, on doit reconnaitre
qu'ill'emporte seuIement par un degré de supério-
rité sur la. génération d'Achille et d'Agamemnon.


Serait-ce la raison pure qui a engagé les hom-
.mes de 1864 a se lancer dans des luttes sanglan-
tes les uns contre les autres, tant en Europe qu'en
Amérique.




eH INTRODUCTION.


Comme la nature humaine est faite de passion
et d'imagination tout aussi bien que de raison
pure, en établissant les gouvernements qui doivent
régir les hommes il faut qu'on ait recours a la
sagesse et a la' prévoyance pour unir tous les élé-
ments capables de revétir l'autorité suprémede
modération, de force, et de justice. Ces éléments
sont, par exemple, dans une monarchie, la véné-
ration pour la Royauté, le caractere imposant de
la religion, le respect qui entoure une aristo-
cratie ancienne, l' attachement aux lois des long-
temps établies, la politesse des meeurs, la bien-
veillance qui fait l'ornement et le charme des
relations domestiques chez un peuple civilisé
qu'elle anime. Sans de telles influences ou sans
quelques-unes d'entr'elles une constitution poli-
tique ne peut atteindre la perfection.


De méme il est clair que dans une République,
par de sages mesures en assurant une durée rai-
sonnable aun Sénat bien composé, en placant dans
les mains de j uges savants et integres l'adminis-
tration de lois fixes et impartiales, on peut obtenir
les résultats principaux d'un bon gouvernement?
Quel est en effet le but principal d'un gouverne-
ment?


nfut un temps (qui n'est pas encore sorti de
notre mémoire) OU ron considérait comme le de-
voir d'un gouvernement d'inculquer la vérité reli-




INTRODUCTION. eIJ!


gieuse et de ehátier ceux qui enseignent au peuple
des hérésies.


n fut un temps oú 1'on regardait comme le de-
voir du gouvernement de faire la fortune du pays,
oú les Inquisiteurs d'État de Venise envoyaient
des assassins pour mettre amort les gens qui in-
troduisaient a l'étranger les perfectionnements
mécaniques de l'industrie Vénitienne; un temps
oú Colbert faisait mettre au pilori les tisserands
Francais qui ne donnaient pas a la chaine et a la
trame la longueur et la largeur qu'il avait pres-
crites dans sa sagesse; un temps oú ce méme mi-
nistre punissait sévérement les personnes coupables
d'avoir échangé les produits des manufactures Hol-
landaises contre les vins de France.


n fut aussi un temps OU l'on regardait cornme
un devoir pour le gouvernement de fixer le prix
du pain et de la viande, et le minimum des sa-
laires; OU les agriculteurs qui refusaient de don-
ner leur blé au-dessous de sa valeur réelle, et oú
les gens qui ne voulaient pas payer le travail au
dessus de sa valeur, tombaient sous l'action des
lois criminelles.


Mais ces erreurs, comme beaucoup d'autres,
disparaissent rapidement. On sait maintenaut que
l'objet propre d'un gouvernement c'est d'assurer
l'ordre a l'intérieur et l'indépendance du pays
contre les ennemis du dehors. Ce sont la des soins




CIV INTRODUCTION.


-issez importants, assez nobles, ponr réclamer
toute l'énergie des capacités politiques les plus
élevées. Quant au reste des affaires, il faut ac-
cordel' la plus grande liberté possible de pensée
et de parole, la plus grande latitude a I'industrie
nationale et au commerce étranger; loin d'op-
poser des restrictions on doit offrir toute protec-
tion aces résnltats utiles d'une constitution libre.
La législation Anglaise, depuis a peu prés un demi
siécle, s'est efforcée de briser les chaines qui en-
travaient la liberté civile, commerciale, et reli-
.gleuse.


Jusqu'ici j'ai parlé des mesures qui ont été pro-
posées et adoptées pendant ces quarante dernieres
années. Mais il faut accorder le tribut d'éloges
qu'ils .méritent a quelques-uns des personnages
politiques dont l'habileté a préparé ces mesures,
que leurs successeurs maintiennent et défendent
aujourd'hui.


Au premier rang se place le Comte Grey, a qui
j'avais dédié ce livre de son vivant. Doué du plus
noble esprit, de la sagesse la plus véritable, il
soutint la nécessité de faire participer a tous les
priviléges constitutionuels les Catholiques Romains
d'Irlande, et la nécessité de larges réformes dans
la représentation nationale. Pendant la guerre
eontre la Franee u appuya toujours M. Fox. Ses
lettres particuliéres, publiées par son fils, montrent




INTRODUCTION. cv


qu'il abhorrait tout ce qui lui semblait étroit et
mesquin, et si ces dispositions le priverent du
pouvoir sous George III et George IV, c'étaient du
moins des sentiments dignes de son illustre ami,
des sentiments qui lui méritent la vénération de
la postérité.


George Canning appartenait pendant la guerre
a l'école de Pitt. C'est lui qui inspirait le parti
conservateur a l'époque de la guerre de l'indé-
pendance Espagnole, - alors que suivant une ex-
pression de Madame de Staél « les Tories d'Angle-
terre étaient les Whigs de l'Europe, » et si, par
une heureuse inspiration.: il eüt accepté le porte-
feuille des Affaires Étrangóres vers la fin de cette
guerre, il aurait sürement fait mettre dans le
Traité de Vienne de 181 [) quelque chose de ce
respect pour l'indépendance des nations, de ces
égards ponr les droits et les libertés des Alle-
mands, des Espagnols, des Italiens, et des Polonais,
qu'on ne trouve malheureusement pas dans ce
Traité. En effet, lorsque M. Canning vint a sue-
céder a Lord Castlereagh, en 1823, quand on ne
pouvait guere réparer les erreurs du passé, le
nouveau ,ministre, par sa parole élevée, par un
ou deux actes de vigueur, sut relever l'esprit de la
nation, et ranima sur le Continent les espérances
des amis de la liberté qui apres avoir répandu leur
sang pour renverser le despotisme de l'étranger,




CVI INTRODUCTION.


avaient été abandonnés apres la délivranee de
l'Europe et emprisonnés ou bannis pour leurs
tentatives libérales.


M. Canning n' avait pas la foree d'argumenta-
tion de Plunkett ou de Brougham, mais son
gout était elassique, sa dietion fort élégante, so~
esprit trés-élégant et tres-vil. « Ceux qui s'op-
« posent au progrés paree qu'il renferme de l'in-
« novation, » disait M. Canning, « peuvent un
« jour avoir a subir l'innovation qui ne renferme
ce aucun progreso » Voilá un exemple de sa sagesse,
et c'est dans eette pensée qu'il appuya ehaude-
ment les propositions de M. Huskisson en faveur
du libre-éehange.


Sir Robert Peel fut le troisiéme de ees person-
nages influents, qui ne sont plus maintenant sur
la terre; par son autorité aeeeptée, par l'étendue
de ses eapaeités, par la domination quil exercait
sur les jeunes représentants du parti Conservateur,
il eontribua beaueoup a mener en bon port le
vaisseau de I'État si éprouvé par la tempéte. Il est
inutile de rappeler la profondeur de son intelli-
genee, les ressourees d'une mémoire qui lui four-
nissaittoujours le moyen d'appuyer les eonclusions
qu'il voulait faire adopter par le Parlement. Je
n'ai pas besoin non plus de rappeler l'éloquenee
qui brillait sur ses levres quand il lui fallait se
montrer éloquent, ee talent plus singulier eneore




INTRODUCTION. CVIl


qu'il avait d'exposer les faits, de répandre la/ vie
sur les détails de la statistique, la science qui lui
permit d'améliorer le crédit, de rétablir l'ordre
dans les finances, et enfin combien il sut habile-
ment protéger la dignité du Gouvernement. Cet
astre brillant de la politique n' est pas encore as-
sez plongé dans l'ombre du crépuscule depuis
qu'il a disparu pour que son rayonnemeut n'é-
chauffe encoré l'horizon.


JI y a néanmoins, dans la carriere de Sir Ro-
bert Peel, une singularité qui embarrassera long-
temps ceux qui liront l'histoire de son temps. Son
pére , en une occasion solennelle, avait déclaré
qu'il consacrait son fils au service de l'Angleterre
pour remplacer M. Pitt. Deux fois Sir Robert
Peel fut le chef des Tories, - deux fois il fut mi-
nistre et eut la confiance de la Couronne en
méme tempsqu'il était soutenu par une ma-
jorité compacte a la Chambre des Communes.
Deux fois il aventura, deux fois il perdit son
portefeuille, deux fois il perdit l'appui de la ma-
jorité.


La premiére fois ce fut pour avoir voulu rame-
ner la paix en Irlande, et éviter des conflits dange-
reux. A la fin d'un discours auquel j'ai déja fait
allusion il disait : - « Je sais quelle sera la destinée
« fatale de cette mesure. Si elle réussit, le succes
« en appartiendra il d'autres qu'á moi ; si elle




CVIII INTRODUCTION.


« éehoue, on en mettra la responsabilité sur eeux
« qui m'out aidé, sur moi-rnéme d' abordoCes eOI1-
« séquenees ainsi que la perte de quelques amis
« et la perte de la eonfiance publique, j'ai dú les
« prévoir et les caleuler avant de recommander
« une sí grave mesure. Je déclare a la Chambre
« qu'en eette affaire j'ai rec;u le coup le plus sen-
« sible qui m'ait jamais atteint; mais, je l'espere,
« un jour viendra, jonr que je ne verrai peut-étre
« pas, OU tous les partis rendront justiee au~ in-
« tentions qui m'ont dirigé ; - la question sera
« tranchée alors, et on yerra que je ne pouvais agir
« autrement. On reconnaitra que la conduite
« que j'ai suivie et dans laquelle je persevere
« encore, quel que soit le genre d'imputations
« qu'elle m' attire , est le rnoyen d'affaiblir l'in-
« fluenee imméritée, illégitime, et périlleuse des
« Catholiques Romains, et d'assurer aux intéréts
« Protestants le maintien permanent de leur sé-
« eurité.» *


Quand il tomba du pouvoirpour la derni ere fois,
ayant perdu la confiance des Tories a propos de la
question des Céréales eomme il l'avait perdue en
1830 au sujet de la question Catholique, il ter-
mina ainsi son discours du 29 Juin 1846 : « Dans
« quelques heures probablement eette autorité


* Parliamentary Debates, nouvelle série, vol. XX, p. 1290.




INTRODUCTION. CIX


« que j'ai eue pendant cinq années je la remet-
« trai aux mains d'un autre, - sans envie et
« sans plainte, et je conserverai plus vivant dans
« mon creur le souvenir de l'aide et de la confiance
« qui m'ont été accordés que la mémoire de l'op-
« position dont j'ai subi les effets. En abandonnant
« le pouvoir, je laisserai un nom qu'accahleront
« de critiques ameres ceux qui au point de vue
« politique regrettent la destruction des liens de
« parti, - non point par des motifs d'intérét per-
« sonnel, mais par la ferme conviction que la fi-
« délité aux engagements de parti et l' existence et
« la conservation d'un grand parti sont nécessai-
« res dans un gouvernement. En abandonnant le
« pouvoir j'aurai aussi asubir les critiques ameres
(e des protectionnistes qui regardent le maintien
« des principes protecteurs comme indispensable
« au bien-étre et aux intéréts du pays. Je laisserai
« un nom exécré des partisans du monopole qui,
« poussés par des motifs moins honorables, récla-
« ment la Protection parce qu'elle leur profite
« immédiatement; mais il se peut que mon nom
« soit quelquefois prononcé avec reconnaissance
« dans la demeure de ceux qui sont obligés de
« travailler, de gagner leur pain ala sueur de leur
« front, quand, pour réparer leurs forces épuisées,
« ils auront une nourriture abondante et exempte
« de taxes, nourriture d'autant plus agréablc




ex INTRODUCTION.


« qu'elle ne sera plus gátée par le sentiment de
(( 1'iniustice. J) *


On n'en peut douter, dans le premier cas, en
ce qui concernait les incapacités civiles des Catho-
liques Romains, dans le second a propo,s de la
Loi sur les Céréales, la conviction de la justice et
de l'utilité qu'il y avait a abolir les lois anciennes
avait pénétré profondément son esprit si clair et si
sagace. Pour obéir a cette conviction il dut re-
noncer a, la confiance du parti qui l'avait élevé,
qui l'avait adopté comme son enfant et son dé-
fenseur:


" Fuit in parentem
Splendide mendax. 10


Mais il appartenait par les liens de naissance a
une autre famille, qui avait sur luí des droits su-
périeurs ; le bien-étre et le salut de sa patrie exi-
geaient de lui les égards d'un bon fils, et c'est pour
cela qu'il se soumit deux fois a un sacrifice qui
lui assure pour toujours la reconnaissance de
l'Angleterre.


Cependant, aprés qu'il eut fait ce sacrifice d'0-
pinions fortement ancrées en luí, de liens de parti
qui lui étaient chers, il fit bien, personne u'en
doute, d'abandonner le pouvoir a la premiere oc-


.... Parliamentary Debates, vol. LXXXIX, p. 1054.




INTRODUCTION. en


casion, oú il lui fut démontré qu'il avait perdu
la eonfianee des Tories. S'il se fút appuyé sur ses
anciens adversaires pour faire passer au Parlement
des mesures telles que la Réforme Parlementaire
en 183 í , et, en 1846, I'abolition des tarifs diffé-
rentiels sur les sueres et celle des Lois de Navi-
gation, sa eonduite anrait un peu manqué de di-
gnité. Donner sa démission e'était le seul moyen
de se tirer d'affaire; agir autrement e'eút été met-
tre en question l'honorabilité de ses motifs, et s'en-
lever la tranquillité de eonscience.


Je n'ai jamais connu Sir Robert Peel que dans la
vie publique. Il en est d'autres parmi ceux qui ne
sont plus, que j'ai aimés, honorés, et pleurés : -
Lord Holland, l'héritier des principes de M. Fox,
l'ami intime de Lord Grey; Lord Lansdowne, ce
promoteur si sage et si modéré des réformes libé-
rales ; Lord Althorp, le plus honnéte et le plus dés-
intéressé des hommes politiques. Holland, Lans-
downe, Althorp, Melbourne, Carlisle ont été pour
moi des amis a coté desquels j'ai comhattu daus
quelques-unes des questions les plus graves et les
plus vitales pour notre pays ; j'ai vécu dans leur
société, j'ai eu avee eux des entretiens familiers;
et nos relations comme hommes publics ou sim-
ples partieuliers ont toujours été aecompagnées
d'une eonfianee mutuelle; jamais la moindre en-
vie, jamais la moindre jalousie n'y a fait obstacle.




CXIJ INTRODUCTION.


Leurs qualités si érniuemment heureuses et aima-
bies méritent de ma part un témoignage éclatant
de reconnaissance.


Mais je dois m'arréter ici : l'objet de cet Essai
n'est autre que de prouver une chose: c'est que
les hommes d'état qui ont assisté a la fin rnais non
pas au commencement de la grande guerre, -
qui ont dú panser les blessures du pays, et lui
rendre la prospérité pour compagne de la paix,
ont bien mérité de leur patrie.


J. R.


3 janvier 1865.




LE GOUVERN.EMENT


ET LA CONSTITUTION
BRITANNIQUES.


---_..R--__ o ~-ll...q_----


CHAPITRE 1.


PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT ET DE LA Cm~STITUTlON
BRITANNIQUES.


ce C'est maintenant une opinion généralement recue, et une opinion
vraisemblable 11. mon avis, que dan s les mesures a íoptées sous ce regne
(le regne de Henri VII), il faut voir l'origine non-seulement de la puis-
sanee illimitée des Tudors, mais encore des libertés arrachées aux
Stuarts par nos ancétres ; que l'absolutisme en futle résultat immédiat,
et la liberté la conséquence éloignée: mais celui-la aurait une grande
confianee en sa propre sagacité, qui se vanterait, sans l'aide des
événements subséquents et par le seul examen des causes, d'avoir
pu prévoir la succession d'effets si diflérents.» - Fox, Histoire de
Jacques Il.


Il eüt assurément fallu étre doué d'une sagacité plus
qu'ordinaíre pour prédire, au cornmencement de la
domination arbitraire des Tudors, les vicissitudes de
gouvernement raíble et d'audacieuse opposition, -
de terrible lutte, et de victoire non moins violente,


1




2 PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


qui, marquant d'une ligne de sang l'histoire de la
dynastie des Stuarts, ont abouti a une révolution pai-
sible, et a l'établissement d'une liberté réguliére. Mais
a ceux qui ont vu la moisson il n' est pas permis de
douter que la semence ne íüt dans la terre; et aujour-
d'hui il doit étre en notre pouvoir de distinguer quels
sont les éléments de liberté qui, renfermés dans la
situation de I'Angleterre pendant la domination des
Tudors, se sont développés plus tard dans son admi-
rable constitution. Parmi ces éléments, nous pouvons,
sans hésitation, citer les circonstances suivantes.


Premiérement. La souveraineté en Angleterre ne rési-
dait pas seulement dans le Roi. Toutes les affaires
d'une grande importance pour l'État étaient soumises
ala délibération de la haute cour du Parlement du Roi,
qui était réuni expressément pour cet objet. En cas de
guerre, cette assemblée devait chercher les moyens de
la mener abien: si la succession était disputée ou s'il
fallait une régence, on faisait appel a ses Iumiéres ; et
c'était par son autorité qu'étaient sanctionnées toutes
les lois destinées a pourvoir d'une facón durable aux
intéréts généraux. Les princes de la Maison de Tudor
ne tentérent par aucun moyen de diminuer ou de
rabaisser l'importance du Parlement. Un Acte du Par-
lement servit d'appui a la couronne de Henri VII.
Maintes fois Henri VIII employa le nom, et reconnut
le pouvoir du Parlement pour changer la succession au
tróne. Sous le regne d'Élisabeth, a déclarer que par
l'autorité du Parlement la Reine navait pas le pouvoir
de disposer de la suceession a la couronne il y avait


..




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. . 3
haute trahison pendant la vie de la Reine, forfaiture et
félonie aprés sa mort. Ainsi, malgré les actes arbi-
traires de ces souverains, en toute chose on garda le
respect dú au Parlement, le grand conseil du Roi, la
grande inquisition de la nation, la plus haute cour du
royaume. Le pouvoir donné a Henri VIII de rendre des
ordonnances ayant force de lois fut, il est vrai , une
attaque directe au gouvernement parlementaire. Mais
cet Acte ne fut en vigueur que pendant huit ans , et
contenait un sage article qui défendait que ces ordon-
nances fussent contraires aux lois précédemment éta-
blies. Sous les r~gnes de Marie et d'Élisaheth, le
Parlement, malgré sa servilité, fut encore un des
principaux instruments du gouvernement. De la il
résulte fatalement, non pas certes que le Roi d'Angle-
terre düt renoncer au pouvoir despotique, mais qu'au
moins, s'il y parvenait, force lui íút d'avoir pour com-
plices de sa tyrannie les Chambres des Lords et des
Communes. Par conséquent, si ces corps venaient
[amáis a réclamer la situation qui leur était faite par
les lois, ou a refuser leur appui aux mesures de la Cou-
ronne, il fallait, de deux choses l'une, ou que le Roi se
soumit a leurs réclamations , ou qu'en supprimant les
parlements il annoncát au peuple que la forme du gou-
vernement était changée.


Secondement. La noblesse n'était point séparée du
peuple par des distinctions odieuses, comme la noblesse
féodale des autres parties de lEurope. Cette différence
a été attribuée a des causes diverses; sans les discuter,
[e me contenterai de mentionner le faite Ce serait,




4: PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


pourtant, une erreur de supposer que le systeme féodal
n'a pas existé en Angleterre sous une forme tres-
odieuse. Apres la Conquéte, les tenures féodales sem-
blent avoir été adoptées par tous les principaux
propriétaires fonciers d'Angleterre, dans une grande
assemblée qui eut lieu en l'année 1086. ti Les tutelles,
les émancipations, les saisines, les évictions, les va-
leurs ou forfaitures de mariage, les droits d'aliénation,
les tenures par hommage, par service de chevalier,
ou par écuage, aussi bien que les aides dans le cas OU la
filIe du Roi se mariait et quand son fils devenait che-
valier , enfin tous les liens du systéme féodal sont
énurnérés cornme faisant partie des lois d'Angleterre,
par l'Acte de Charles II, qui les abolit. Heureusement.
toutefois, il ne fut pas donné a ce systérne de jeter dans
le pays de profondes racines. Une couturne, qui peu a
peu devenait générale, celIe des sous-inféodations, ou
cessions de fiefs inférieurs faites par les feudataires
aux mémes conditions que les fiefs supérieurs, fut dé-
fendue par l'acte de Quia emptores (18, Édouard I") qui
décide que, en cas de vente ou de cession de terre, le
sous-tenancier doit relever, non du feudataire, rnais
du suzerain. La tyrannie du systéme féodal trouva
sans doute aussi un correctif dans I'établissernent de
nos cours de corntés, berceau de nos libertés, origine
de nos jurys, et modele de nos parlements. La se ras-
sernblaient les francs tenanciers pour rendre la justice
aux particuliers; la aussi, probablernent, ils délibé-


* Blackstone, b. Il, c. 4..




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. 5


raient sur les moyens de faire servir l'assistance mu-
tuelle qu'ils se devaient a la défense du pays contre un
ennerm commun.


Ainsi, voilá toutce qui concerne les francs tenanciers.
La situation des vilains est peut-étre un sujet encore
plus importante Voici quelle était la différence carac-
téristique entre ces deux classes. Le franc tenancier
tenait sa terre acondition de fournir certains services
déterminés; souvent aussi le vilain tenait la terre, mais
il était obligé de fournir des services bas de leur nature
et dont l'étendue n'était pas définie la plupart du temps.
C'était une véritable servitude. A quelle époque com-
menca-t-elle a disparaitre? Nous l'ignorons; mais Sir
Thomas Smith, qui fut secrétaire d'Edouard VI et de la
Reine Élisabeth, nous apprend que de son temps il n'a
pas connu, dansle royaume, un seul exemple de vilain
complet, c'est-a-dire de vilain aliénable par vente
et non attaché au sol; il ajoute que les quelques
vilains attachés au sol qui restaient encore apparte-
naient aux évéques, aux monastéres, et a d'autres cor-
porations ecclésiastiques. La derniére réclamation de
servage qu'on trouve dans les archives de nos cours,
eut lieu dans la quinziéme année du regne de Jacques I".
Ce grand changement qui s'opéra silencieusement dans
la condition du peuple d'Angleterre, doit sans doute
étre attribué adifférentes causes, -l'absence d'armées
étrangéres, - la nécessité de se concilier le peuple
pendant les guerres civiles, - et avant tout, la justice
et la piété inhérentes au creur de la nation.


11 y avait plusieurs moyens pour un vilain attaché




6 PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


au sol d'obtenir sa liberté. Il pouvait étre affranchi par
manumission. Ou bien si son seigneur intentait
une action contre Iui, on supposait que la liberté lui
avait été accordée. Ou bien encore s'il entrait dans une
ville et s'y établissait, au bout d'un certain temps, il
jouissait des immunités de celle-ci et devcnait libre.
Ou bien, enfin, s'il pouvait prouver que, de temps
immémorial, lui et ses ancetres avaient été inscrits aux
róles de la cour du seigneur, comme possédant la terre
qu'il tenait, on lui reconnaissait un droit de prescrip-
tion contre son seigneur. Il était obligé de produire un
extrait des roles de la cour, de la le terme eopyholder
(teneur par extrait). 11 y en a qui ont supposé que le
eopyhold (terre possédée en vertu d'un extrait) était
connu avant la Conquéte. Mais quelle que soit l'épo-
que de son origine, l'antique possession de la liberté
est un des nobles caracteres de la nation Anglaise. En
Franee, le servage a été eonnu jusqu'á la fin du dix-
huitieme siecle ; en Espagne, il n'a été aboli que ré-
cernment; en Allemagne, il n'est pas encore éteint; et
il est en pleine vigueur en Russie. ~ Mais l'esprit du
peuple Anglais et l'égalité de son droit eoutumier ont
toujours apporté un heureux eorrectif aux institutions
dégradantes et aux coutumes venues de I'étranger. La
Grande Charte elle-rnéme est une glorieuse et admi-
rable preuve de la sympathie qui existait alors entre
les barons et le peuple d'Angleterre. Philippe de Co-
mines parle de l'humanité avec laquelIe la noblesse


... L'empereur actuel a eu l'irnmortel honneur de l'abolir en 1864:.




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. 7
traitait le peuple dans les guerres civiles. Il semble que
les Anglais ont toujours compris que si l'ordre de la
soeiété civile exigeait la distinction de rangs supéricurs
et inférieurs, la nature a distrihué a tous la sensibilité
et l'intelligence avec justice et impartialité.


Rien ne se rattache plus intimement a cet esprit que
l'absence de toute distinction entre le gentilhonlme et
le roturier. Sir Thomas Smith est peut-étre le pre-
mier auteur qui fasse mention de la différence du titre
de gentilhomme en Angleterre et sur le Continent. Je
cite un passáge de son livre :-«OrdinairementleRoi ne
crée que les chevaliers et les barons, ou les gens d'un
ordre plus élevé; car pour ce qui est des simples gen-
tilshommes il en est foison en Angleterre. Quiconque
étudie les lois du royaume, ou fait ses classes aux
universités, ou professe les sciences libérales, bref qui-
conque peut vivre dans I'oisiveté ou sans travail
manuel et peut avoir le port, l'allure, et la contenance
d'un gentilhomme y recoit le nom de ce Master», car tel
est le titre qu'on donne aux écuyers et autres petits
nobles; et des lors il passe pour gentilhomme. En
vérité, c'est bien de nous qu'on peut dire : Tanti eris
aliis quanti tibi feceris; des lors aussi ace nouveau gen-
tilhomme un héraut d'armes donnera pour son argent
des armes nouvellement faite s et inventées , dont ledit
héraut prétendra avoir trouvé le titre en parcourant et
examinant de vieux registres OU ses ancétres du temps
passé étaient couchés tout au long avec les mémes
honneurs.... On peut se demander si une telle facon de
faire des gentilshommes devrait étre autorisée ou non.




8 PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


Pour ma part je crois qu'il n'y a rien aredire en cela.
D'abord le prince n'y perd rien comme ce seraitle cas en
France; car en Angleterre le íermier ou le laboureur
n'est pas plus sujet ala taille ou a la taxe que le gentil-
homme; et méme en ce qui concerne les services dus
au Hoi, le gentilhomme en est plus surchargé, ce qui
ne l'empéche pas d'y aller de tout coeur ; il n'oserait
s'en dispenser s'il veut conserver et maintenir son
honneur et sa réputation.rv-c-e La loi.. dit M. Hal1am,
« n'a jamais fait mention des gentilshommes it~. Depuis
le regne de Henri I1I~ au moins, l'égalité légale
de tous les rangs au-dessous de la pairie était, pour
tous les artic1es essentiels, aussi complete qu 'aujour-
d'hui, Comparez deux auteurs a peu prés contem-
porains ~ - Bracton et Beaumanoir ~ et remarquez
combien sont différentes ~ sous ce rapport, les
coutumes de France et celles dAngleterre. L'éerivain
Francais partage le peuple en trois c1asses, les nobles,
les hommes libres, et les serfs; notre compatriote ne
distingue que la liberté et le servage. n ne parait pas
qu'on ait jamais mis aucun empéchement aux ma-
riages. L'achat des terres tenues a titre de service de
chevalier fut toujours permis atous les hommes libres.
Des le principe, notre loi n'a poínt fait acception de
personnes. Elle n'exempte le gentilhomme d'ancien li-


,.. De Republicá Anglorum, 1. I, ch. xx et XXI.
** Le Statut de Merton signale certainement une exception a cette


remarque, quand il dit que les pupilles de la noblesse dérogent en
épousant des vilaines, ou d'autres filll's que desbourgeoises. Mais le
méme Acte permet de légaliser ces mariages quand le mineur a
atteint l'áge de 14: ans. - J. R.




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. 9


gnage ni de la juridiction d'un jury ordinaire, ni des
peines infamantes. Elle n'aecorde pas, et n'a jamais
accordé, ces injustes exemptions des charges publiques
que les elasses supérieures se sont arrogées sur le Con-
tinent. Aussi, bien que, en qualité de législateurs hérédi-
taires d'un peuple libre, nos pairs jouissent de privi-
léges plus importants et plus honorables que toute
autre nohlesse d'Europe, 1'exercice en est moins odieux
que partout ailleurs. J'ai la ferme conviction que c'est
a ce caractére éminemment démocratique de la monar-
chie Anglaise que nous sommes redevables de sa 10n-
gue durée, de ses progrés réguliers, et de sa vigueur
actuelle. C'est une circonstance singuliere, providen-
tielle, que dans un age 00. ron prévoyait si peu le
développement graduel de la civilisation et du com-
merce, nos ancétres, repoussant les usages des pays
voisins, se soient, comme par réflexion, mis en garde
contre cette force expansivo qui, brisant les obstacles
qu'on lui opposait imprudernment, a déchainé tant de
désordres sur I'Europe. » ~


Nous voyons donc que la noblesse d'Angleterre ne
formait pas une caste séparée. Ses fils, sans excepter
les ainés, étaient sous tous les rapports une portie et
une parcelle des communes du pays. Il fut décidé par
le Parlement sous le regne de Henri VIII, et sous
celui d'Élisabeth, que le fils ainé du Comte de Bedford
avait droit de siéger a la Chambre des Communes. Ja-
mais décision ne fut prise 80US de meilleurs auspices.


* Moyen áqe, vol. JI, p. 19.




10 PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


Bien loin de se livrer a une vanité petite et ridicule et
de se complaire dans une ignorance insolente, défauts
qu'un haut rang enfante si aisément, les héritiers des
pairies étaient membres d'une assemblée OU ils délibé-
raient avec les chevaliers, les citoyens, et les bourgeois
du pays : ils sepénétraient des sentiments du peuple
et finissaient par connaitre ses besoins. Quand il y
avai tune lutte a soutenir pour la cause de la liberté,
plusieurs d'entre eux lui accordaient leurs sympa..
thies; bien peu quittaient leur pays; voilá pourquoi
leur inf1uence a survécu a la révolution démocratique
de 1649.


Troisiemement. Le dernier et le plus important élé-
ment de liberté existant en Angleterre était la consti-
tion de la Chambre des Communes. Pour quelques per-
sonnes, il est vrai, ce corps s'était vu retirer toute sa
vertu par une loi de Henri VI, qui étend le droit de
suffrage dans les comtés aux francs tenanciers de qua-
rante shillings de rente; elles ont placé la date de la
chute des libertés d' Angleterre a l'époque OU peu apeu
le servage faisait place it l'affranchissement. 11 m'est
impossible assurément de partager une pareille opi-
nion. Ce n'est pas non plus mon intention d'entamer
ici une controverse au sujet de l'origine de notre re-
présentation ; cette discussion appartient proprement
a une époque plus reculée que celle dont nous nous
occupons en ce momento Les points auxquels je vais
borner mes remarques sont le Principe de la représen-
tation, el la Nature de notre propre représentation en
général.




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. 11
On a observé que, dans les anciennes républiques,


les citoyens qui décidaient des affaires du pays appar-
tenaient tous a une classe plus élevée que celle des
hommes qui en Angleterre lisent les journaux et s'in-
téressent aux questions politiques. Mais c'est la une
erreur complete. Les esclaves, il est vrai, étaient privés
de tous droits politiquee, mais les plus pauvres arti-
sans qui étaient libres votaient dans les assemblées
publiques. La question de savoir comment il fallait les
faire voter, amena une difficulté que les anciens états
ne purent jamáis vaincre complétement. Lorsque la
multitude entrait pele-méle dans les assemblées pu-
bliques, avec l'égalité des suffrages, comme aAthénes,
les décisions étaient pleines de précipitation, de pas-
sion, d'injustice, et de caprice. Si l'on adoptait une mé-
thode cornme celle des centuries de Borne, consistant
a donner a la propriété la prépondérance sur le nom-
bre, il était difficile de ne pas mettre la balance exclu-
sivement dans les mains des riches, en les armant d'un
vote qui anéantissait celui des pauvres, et on créait
ainsi une distinction odieuse entre les riches et les
pauvres, entre les classes supérieures et les classes in-
férieures de la communauté. Ce mal se fit gravernent
sentiraRome, et l'expédient auquelon eut recours enfor-
mant une autre assemblée, oú toute la puissance était
donnée au .nomhre, ne fut qu'un remede grossier et
imparfait. ~


* Essais de Hume. Essai sur les coutumes remarquables... « - Mon
cceur souffre de voir cambien, lorsque deux autorités égales sont en
présence, la canfusion s'introduit vite dans leurs rapports.» (Coriolan,
acte lII.)




12 PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT


Avec le principe de la représentation, ces difficultés
disparaissent, sinon tout a fait, du moins en grande
partie. Le peuple choisit dans son sein un certain nom-
bre de personnes, ayant pour mission de veiller aux
intéréts de la communauté. Le choix tombe naturelle-
ment et inévitablement sur des hommes ayant de la
fortune et de l'éducation, qui sont moins sujets a se
laisser emporter par le torrent de la passion que la
masse incohérente du peuple tout entier. Dépendant
en derniere analyse du peuple dont ils tiennent leur
pouvoir, ils sont moins portés a agir dans leur intérét
personnel ou par esprit de corps qu 'une assemblée
d'hommes dont le pouvoir est attaché pour toujours au
rang qu'ils occupent dan s l'État. Si cette assemblée
représentative cst choisie par le peuple pour un temps
qui ne soit pas trop court, et si ses membres peuvent
toujours étre réélus, évidemment elle comprendra tous
les intéréts du pays, et sera capable de discuter, avec ha-
bileté, sur les grands mouvements de I'État. Les esprits
les plus puissants du pays seront a méme d'avoir une
part d'action importante dans la justice et la politique;
et, en meme temps, le plus humble individu est sur,
que par un chemin ou par un autre, ses plaintes peu-
vent arriver aux oreilles des représentants du peuple
entier.


n est essentiel de remarquer que, dans la Chámbre
des Communes Anglaises, les chevaliers siégent dans la
méme assembléeque les députés des cités et des bourgs.
C'est un des principes les plus importants de notre an-
cienne Constitution Les cités et les villes, bien que leur




ET DE LA CONSTITUTION BRITANNIQUES. 13
concours soit nécessaire pour assurer les aides et les
taxes, ne peuvent guere~ dans un pays féodal, inspirer
aux autres corps de 1'État cette sorte de respect qui leur
permettrait de réclarner une large part dans la puis-
sanee politiqueo La séparation de la classe des rnar-
chands d'avec les autres rnernbres de la cornmunauté
a été peut-étre une des principales causes qui ont
amené la ruine de la constitution Espagnole et de plu-
sieurs autres constitutions qui a leur origine étaient
semblables a la nótre. Mais en Angleterre, les cheva-
liers, qui représentaient la propriété fonciére du pays,
donnérent a la Chambre des Communes une structure
si stable et si compacte, et la placerent sur une base si
solide, qu'un roi quelconque qui eüt essayé de la ren-
verser n'y serait pas arrivé facilement.


La réunion des chevaliers et des députés des cités et
des bourgs dans une seule assemblée fut peut-étre due
en partie a cette égalité de droits civils dont il a été
parlé plus haut; une distinction nullement imaginaire
séparait le pays chevalier d'ancien lignage de la cité
marchande , riche depuis peu de tem ps. Cependant
cette coutume n'a pas toujours existé; elle a été établie
par un de ces heureux concours de fortune et de raison
qui ont été si utiles a la Constitution Anglaise; -je ne
sais pas, en vérité, si je dois dire que la fortune y soit
pour quelque chose. Doués de bon sens pratique, nos
ancétres se sont appliqués a altérer et achanger avec le
temps la forme de nos institutions, a les accornmoder
aux circonstances, et ales réformer d'aprés les lecons de
l'expérience. lIs ne cessaient de modifier notre forme de




}q PREMIERS PRINCIPES DU GOUVERNEMENT.
gouvernernent, cornrne le sculpteur attentifamodeler sa
statue de prédilection. C'est un art que nous ne prati-
quons guere aujourd'hui, et cette négligence a déjá
produit des maux d'une grávité fort alarmante.




CHAPITRE 11.


BENRY VII.


« Le Roi, pour rendre justice a son mérite, était la plus parfaite
merveille du monde, une merveille pour les hommes sages. Sa
fortune et ses vertus attiraient non-seulement les regards du vul-
gaire, mais l'attention de tous les hommes. ]) - LORD BACON, Vie et
regne de Henri VII.


La bataille de Bosworth mit un terme a la lutte
si longue et si meurtriére qui avait arrosé de sang et
défiguré le beau pays d'Angleterre, pendant la querelle
des Maisons d'York et de Lancastre. Un pareil débat
n'est guere moins honteux pour le genre humain que
s'il eút eu pour objet la rose blanche et la rose rouge,
au lieu de les prendre pour symboles, et parait jusrifier
cette assertion d'un écrivain démocratique : que le
droit de I'hérédité a causé des guerres aussi longues et
aussi sanguinaires que la monarchie élective.


Henry, qui fut couronné sur le champ de batailIe,
prouva bientót qu'il était non moins capable de con-
server un tróne que de le conquérir. Il s'empressa de
convoquer un parlement dont il obtint un statut, qui




16 HENRY VII.


ne le déclarait pas Jégitime héritier du tróne, ne recon-
naissait ni le droit de conquéte ni celui d'élection, mais
décidait « que l'héritage de la couronne resterait , de-
meurerait, et appartiendrait au roi. » neut soin de faire
appuyer ce statut par une bulle du Pape. Poussé par le
méme esprit de paix et de modération il fit insérer plu-
sieurs exceptions dans les Actes concernant la mise en
jugement des partisans de Richard. Quelques années
plus tard il eut soin de faire passer une loi déclarant
que personne ne serait appelé en jugement pour avoir
obéi a un roi de (acto. II tranquillisa de cette maniere
I'esprit de ses sujets et il donna plus de stabilité a son
gouvernement qu'il ne lui eút été possible de faire en
ceignant sa tete de ce que Bacon appelle un quintuple
bandeau,-a savoir : sa propre naissance, et celIe de la
reine sa femme, le droit de conquéte, et la double au-
torité du Parlement etdu pape. Parmi ces titres, celui
qui lui venait de la Maison d'York parait lui avoir
donné peu de satisfaction, et il eut soin de ne faire cou-
ronner la reine que fort longtemps aprés son mariage.·
Il est certain que, soit préjugé, soit politique, pendant
tout son regne sa conduite fut influencée par ses sym-
pathies pour les partisans de Lancastre.


Un des premiers soins de Henry fut de faire passer' une
loi ayant pour but de prévenir les conspirations chez
les grands et les émeutes chez le peuple. Dans un par-
lement assemblé la troisiéme année de son régne ,
Morton, Archevéque de Cantorbéry, et Chancelier du
royaume, prononQa les paroles suivantes :-« Sa Gráee
(c'est-á-dire le Roi) dit, que ce n'est pas Ie sang répandu




HENRY VII. 17


dans les batailIes qui conservera le sang de la patrie; ni
I'épée du maréchal qui mettra ce royaume en parfaite
tranquillité; mais que la meilIeure voie aprendre est de
détruire les germes de sédition et de rébeIlion des le
commencement, et dans ce but de rendre, confirmer, et
exécuter de bonnes et salutaires lois contre les érneutes
et assemhlées illégales du peuple, et contre toute com-
binaison et considération de ce genre par livrées,
signes, et autres symboles d'une dépendance factieuse;
que ces ordonnances, ainsi que des barres de fer, sont
capables de fixer solidement et d'assurer la paix du
pays, et enleveront toute force nuisible tant a la cour
qu'au pays et aux maisons particuliéres. »


La principale loi qui fut rendue par le Parlement
dans le but expliqué par ce passage fut un Acte confir-
mant pour certains cas l'autorité de la Chambra Étoilée.
La Chambre Étoilée, composée de prélats, de pairs, de
conseillers, et de juges, avait une juridiction indéfinie
sans l'intervention d'un jury sur plusieurs crimes non
punis demort, et sur des actions prouvant le dessein, non
encore exécuté, de cornmettre ces crimes. « Mais le but
que cet acte voulait principalement atteindre, )} dit Lord
Bacon, « était de détruire la force et les deux principaux
leviers de la force, l'union de la multitude, et l'appui
donné a l'émeute par les grands. )} Le danger auquel
on exposait la liberté en armant rl'un pouvoir si large
et si arhitraire des personnes choisies par la Couronne
semble a cette époque avoir échappé a tous les esprits;
et Lord Bacon éleve jusqu'au ciel la Chambre Étoilée,
qu'il appeIle une des plus sages et des plus glori{'uses


2




18 HENRY VII.


institutions du royaume. Mais une longue guerre civile
pousse le peuple asacrifier la liberté a la paix, comme
une longue paix le pousse a affronter méme la guerre
civile pour la liberté. Un des Actes suivants du Parle-
ment fut la sanction d'une taxe arbitraire. Cette taxe,
connue sous le nom de Bénévolence, avait été Ievée par
Édouard IV, sans le consentement du Parlement,et
abolie sous Richard III, par un statut fort remarquable.
Elle fut alors rétablie par un Acte du Parlemental'oc-
casion d'une guerre avec la France. Mais le but qu'on
se proposait en réalité était d'amasser de l'argent; car,
a peine débarqué en France , Henry conclut un traité
d'aprés lequel il devait recevoir 745 000 ducats (en-
viron 1860001.) et de plus un tribut annuel de 25 cou-
ronnes,


Ce regne fut grandement troublé par la rébellion.
L'attaehement ala Maison d'York, et 1'énormité des im-
póts paraissent avoir été les principales causes du mé-
contentement. Bacon attribue ce qui eut lieu dans le nord
au respect qu'inspírait la mémoire de Richard IlI, ce
qui prouve que dans cette partie du royaume, son gou-
vernement n'avait pas été trés-oppressif,


Le but principal du gouvernement de Henry fut de
restreindre le pouvoir factieux des grands barons. Deux
lois faites dans cette vue, 1'une facilitant la vente des
majorats qui l'a fait appeler destructeur du majorat,
l'autre supprimant les corvées, appuyées par d'autres
statuts et de l'immense autorité accordée ala Chambre
Étoilée servirent puissamment a faire atteindre le but
qu'on se proposait. En donnant cette direction a sa




HENRY vII. 19


politique, Henry adopta certainement des, mesures qui
lui furent dictées par sanature ombrageuse, mais en
définitive ces mesures profitérent au pays. Le cours de
la justice devint régulier, les désordres disparurent, la
tranquillité de tout le pays fut assurée; et les Com-
munes, n'étant plus opprimées par un pouvoir féodal,
ni genées par la guerre eivile, furent améme d'acquérir
d'ahord des richesses, puis de l'importanee, et enfin la
liberté. Bacon, il est vrai, attribue quelques-uns.des trou-
bIes qui affligerent encoré le pay~ pendant ce régneala
défiance et au mépris quele Roi témoignait ala noblesse.
Maiscette faute, si c'en est une, etait appuyée sur le droit.
Si Henry n'avait gouverné ses nobles avec énergie, une
puissante oligarchie aurait pu réussir a perpétuer daos
ce pays la lieenee barbare de la Pologne. Les arts, les
lettres, etla puissancedu royaume, sous la domination
d'Élisaheth doivent étre attribués en grande partie él la
politique de son aíeul.


Les derniéres années de Henry furent déshonorées
par les exaetions eruelles et arbitraires dont Empson
et Dudley se firent les bas et odieux instruments. Son
successeur avec une généreuse magnanimité, qui n'est
pas si rare dans le monde, punit les coupables et pro-
fita de la faute; il envoya les exacteurs él l'échafaud, et
mit l' argent dans son trésor.




CHAPITRE IIl.


HENRY VIII.


A l'école d'amour il apprit la sagesse,
Et Bollein lui versa la foi dans sa tendresse.


Gray.


Le regne de Henry VIII passe avec raison pour le
plus arbitraire de notre histoire. n présente cependant
plusieurs précédents curieux de l'autorité du Parlement.
Un des premiers fut l' Acte concernant le tonnage et le
pondage. Le Boi avait levé ces droits pour quelque
temps de sa propre autorité. Mais dans la sixiéme
année de son regne, il rencontra de la résistanee, et il
fut obligé d'avoir recours ala sanction du Parlement.
L'Acte qui fut rendu est curieux. Il condamne ceux qui
avaient résisté, mais en méme temps il accorde au Roi,
de novo, les droits de tonnage etde pondage. En somme,
ce précédent, bien qu'ineonséqucnt avec Iui-mérne,
s' éléve contre le pouvoir usurpé par la Couronne. Cal'
si le Roi avait eu le pouvoir d'étahlir ces droits, l'Acte
du Parlement eút été purement déclaratoire. Quels que




HENRY VIII. 21


soient les termes dont on puisse le qualifier, cet Acte
en accordant de nouveau le tonnage et le pondage
prouve qu'ils n'étaient pas compris dans la préroga-
tive du Roi, et que sur ce point ses sujets pouvaient
impunément résister ases ordres. C'est ainsi, en vérité,
que l'Acte parait avoir été compris; car au commen-
cernent des quatre regnes suivants, et dans la pre-
miere année, nous voyons les droits en question ac-
cordés régulierement par le Parlernent. ~


Un autre précédent rernarquable fut arnené par une
démarche indiscréte de Wolsey. Voulant imposer une
taxe trés-élevée, il se décida a se rendre Iui-méme a la
Charnbre des Communes, dans le but d'éearter toute
opposition par sa présence. Plusieurs étaient disposés


lO Statuts 1 Édouard VI, c. 13; 1 Marie, seco 2,c. 18; 1 Élisabeth,
c. 20; 1 Jacques, C. 33. Par tous ces Actes, le tonnage et le
pondage sont accordés a vie. On les trouve tous parmi les derniers
actes de la session. Malgré ces statuts, M. Hume affirme a que les
successeurs de Henry, pendant plus d'un siecle , persévérerent
dans cette pratique irréguliere , s'il est permis de donner cette
épithete a une pratique qui avait été consentie par la nation
tout entiere et qui ne lésait personne. Mais quand Charles Ier
voulut adopter le méme usage, qui avait alors recu la sanction de
tant de générations, l'opinion publique était si changée, qu'une fu-
rieuse tempéte s'éleva ace sujet, et les historiens, partiaux ou igno-
rants, représentent encore comme une énormité violente et inouíe
la mesure employéepar ce malheureux prince. » Et c'est avec raison.
Ces droits n'avaient pas été accordés a Charles comme ils l'avaient
été ases prédécesseurs, et il essayait de faire revivre une pratique
qu'on n'avait pas permise a Henry VIII. Oü M. Hume trouve-t-il que
Édouard, Marie, Élisabeth, et Jacques leverent ces droits pendant
les quelques mois durant lesquels ils n'en avaient pas le pouvoir? Ne
s'est-il poínt trompé en supposant qu'ilsétaient levés sans avoir été ac-
cordés par le Parlement?Je n'entreprendrai pas de décidercesquestions.




22 HENRY VIII.


a lui refuser l'entrée dans la Chambre; mais quand ce
point eut été accordé, le Président , Sir Thornas More,
s'opposa a I'opinion de la majorité, qui voulait qu'on
ne le laissát entrer qu'avec un petit nombre des gens
de sa suite , Le Président était d'avis qu'on. le re~ut
« avec toute sa pompe, avec ses massiers, ses porte-
mitres, ses haches d'armes, sa crosse, son chapeau, et
méme le grand sceau. JI Ayant été ainsi admis, le Car-
dinal 6t un long et éloquent discours contre le Roi de
France, déclara que le roi ne pouvait mieux faire que
de se joindre a l'Empereur contre lui, et demanda aux
cornmunes ROO 000 1., somme qu'il jugeait néces-
saire pour les frais de la guerreo « A cette demande, »
comme nous apprend l'arriere-petit-fils et biographe
de Sir Thomas More, « la Chambre resta silencieuse; et
quand le ministre réclama une réponse raisonnahle,
aucun membre n 'ouvrit la bouche. A la fin, le Prési-
dent, tornbant a genoux, avec beaucoup de respect,
excusa le silence de la Chambre, confondue, comme il
dit, a la vue d'un si noble personnage, qui était ca-
pable d'imposer aux plus sages et aux plus savants
hommes du royaume; ensuite par les plus excellentes
raisons il s'efforca de montrer al) Cardinal que sa dé-
marche n'était ni apropos ni en rapport avec les an-
ciennes libertés de la Chambre; , en finissant, illui dit
« qu'a moins que tOU8 les membres ne lui fissent con-
naitre leurs pensées particuliéres, il ne lui était pas
permis a lui tout seul, sur un sujet d'une si haute
gravité, de donner a sa grace une réponse suffisante.
Alors le Cardinal, fort mécontent du Président, se leva




HENRY VIII. 23


tout a coup plein de rage et partit. ») Le résu1tat fut
qu'un subsidé fut accordé, mais il était beaucoup au-
dessous de ce que le Cardinal avait demandé.


En 1526, Wolsey de sa propre autorité envoya des
commissaires lever la sixieme partie des biens des
laíques et la dixiéme des biens du clergé; mais on
résista aux commissaires, et Henry fut obligé de désa-
vouer son ministre et d'annuler la commission.


Néanmoins pendant ce méme régne, OU se manifes-
tait un tel esprit, un magistrat de Londres fut envoyé
a l'armée d'Écosse, OU il mourut peu de temps apres ,
paree qu'il avait refusé de payer une bénévolence.*
Quelle confusion des lois et des coutumes 1 Quelle in-.
certitude dans les limites du droit et de la prérogative!


On connait parfaitement le caractere arbitraire du
gouvernement de Henry sur tout autre point que celui
des impóts. Pour toutes ses violations des lois et de la
justice iI trouva dans son Parlement un vigoureux ap-
pui. Quand il désirait se délivrer de ses Iemmes, le
Parlement lui prétait son concours; quand il avait
envie de faire mourir ses premiers ministres, le Parle-
ment les condamnait sans jugement; Iorsqu'enfin illui
prit fantaisie de rendre des lois de sa seule volonté,
le Parlement l'autorisa a le faire. Faut-il s'étonner,
aprés cela, qu 'il ait maintenu dans toute leur étendue
les priviléges du Parlement. Une preuve curieuse de ce
fait se trouve dans "l'affaire d'un l\'I. Ferrers, membre
de la Chambre des Communes, qui avait été arrété


* Henri, Histoire d'Angleterre.




24 HENRY VIII.


pour dettes. La Chambre le fit reláeher immédiatement
et fit mettre en prison ceux qui l' avaiént arrété. A
cette occasion, Henry adressa a la Chambre le discours
suivant sur la question des priviléges. - « Illoua d'a-
bord la sagesse que montraient les députés en .mainte-
nant les priviléges de la Chambre, qu'il voulait ne voir
enfreindre en aucun point. Il ajouta qu'étant a la tete
du Parlement, et assistant en personne el ses travaux,
il devait en conséquence avoir les mémes priviléges
pour lui-méme et poul' toutes les pel'sonnes a son ser-
vice qui assistaient avec lui aux séances. De facon que
si Ferrers u'eñt pas été représentant d'un bourg mais
simplement son serviteur, pour ce seul fait il aurait dú
jouir des priviléges de la Chambre aussi bien que tout
autre. « Carj'ai appris, » dit-il, « que vous jouissez des
mémes priviléges non-seulement pour vous-mémes mais
encore pour vos cuisiniers et vos palefreniers. Monsei-
gneur leChancelierici présent m'a informé que, lorsqu'il
était Président de la Chambre Basse, le cuisinier du
Temple fut arrété aLondres, aux termes du statut d'étape.
Et, parce que leditcuisinierétaiten cette qualitéau service
du Président, on n' exécuta pas I' édit contre lui acause des
priviléges du Parlement. Pareillement, les juges nous
ont appris qu'en aucun temps nous n'occupons dans
notre condition royale une place aussi haute que pen-
dant les sessions du Parlement, lorsque nous, comme
tete, et vous comme membres, nous sommes réunis et
confondus dans un seul corps politique; de facon que
tout ce qui pendant ce temps est fait ou tenté contre le
dernier membre de cette Chambre est regardé comme




HENRY VIII. 25


s'attaquant anotre propre personne et a toute la cour
du Parlernent. La prérogative de cette cour est si im-
portante que, pendant ses sessions, selon l'avis de nos
légistes, toutes les autres cours inférieures doivent
interrompre leurs actes et Ieurs procédures pour faire
placea la plus haute. )


Voilá comme Henry exalta le pouvoir du Parlement,
qui lui avait donné un si vigoureux appui. Mais il ne
paraít pas qu' en agissant ainsi les députés soient allés
contre les désirs de leurs commettants. En somme,
Henry semble avoir été un tyran populaire ; et il y a
du vrai daos la remarque de M. Hume, qui dit qu'á
cette époque les Anglais, comme les esclaves de
l'Orient, étaient portés a admirer les actes de violence
et de tyrannie exercés sur eux-mémes et a leurs pro-
pres dépens.




CHAPITRE IV.


,LA RÉFORMATION.


« Celui qui voudrait étre utile a la religion ne pourrait employer
un moyen plus efficace que de la réconcilier avec le bonheur de l'hu-
manité. » - Tillotscn,


L'histoire de la Réformation en Angleterre est tout
a fait différente de celle de la grande révolution in-
tellectuelle qui se développa en Suisse, en Écosse, et
en Allemagne. La Réformation fut commencée par le
Roi, qui désirait se séparer de sa femme et en épouser
une autre; et non-seulement cette querelle n'avait
aucun rapport avec la doctrine de Luther, mais, a
cette époque, cette doctrine était condamnée, et ses
fauteurs punis de mort. Si le Pape se füt montré
aussi complaisant qu'il l'avait fait mainte fois au-
paravant, Henry aurait été sinon un des saints les plus
purs et les plus parfaits , du moins un des serviteurs
les plus fideles et les plus zélés que I'Église de Rome
ait jamáis pu se vanter de posséder, méme lorsque la
rupture semblait irréparable. Rome fit des proposi-




LA RÉFORMATION. 27
tions, qui furent acceptées par Henry ,~ mais comme
son messager n'arriva pas au jour fixé, le parti de
I'Empereur dans le Consistoire profita de ce manque
d'exactitude pour obtenir un vote qui ferma pour ja-
mais la porte a la réconciliation. En arrivant deux
jours plus tót , le messager du Roi d'Angleterre eüt
peut-étre réconcilié son maitre avec le Pape, et
arreté les progres de la lumiere religieuse dans ce
pays.


La rupture avec l'Eglise de Rome n'eüt pas amené
immédiatement la Réformation, si Cranmer, qui occu-
pait la haute position d'Arehevéque de Cantorbéry,
avec l'aide de Cromwell, de plusieurs pairs, et dun
grand nombre de personnes de la classe élevée , ne se
füt efforcé de pousser pas a pas la nation a abjurer
les erreurs et les superstitions du culte Catholique Ro-
main. En rnéme temps ils furent obligés dans I'intérét
méme de la cause qu'ils appuyaient de conserver plu-
sieurs cérémonies auxquelles le peuple était attaché et
que les réformateurs Anglais empruntérent a l'Église
Romaine, comme elle-mame dans le principe avait
emprunté quelques-unes de ses cérémonies au culte
paren.


Le premier pas qu'Henry prit sur lui de faire contre
I'Église de Rome, aprés son divorce, fut d'abolir les
monastóres. Le motif qui l'engagea a adopter cette
mesure n'était probablement pas dicté par la rapacité,
car avec tout son pouvoir il éprouvait une grande dif-


,.. Burnett, Histoire de la Réformation, vol. 1, p. 136.




28 LA RÉFORMATION.
ficulté a obtenir de l'argeot de ses sujets. La somrne
qu'on devait retirer de la vente des monastéres était
destinée a la création de ports sur toutes les cotes du
pays; c'était la un prétexte plausible plutót qu 'un
motif légitime pour les confiscations. Les nobles qui
avaient adopté les idées de la Iléformation approu ve-
rent fort cette mesure, et sans aucun doute leur zéle
fut enflammé par l'espérance qu'ils avaient de
prendre part aux dépouilles. Cependant les abus qui
existaient dans les monastéres ne laissaient pas de
fournir un prétexte sérieux. Daos les rapports des
personnes que le Roi nomma pour réformer les monas-
téres et en défínir la situation, on voit parfaitement
que ces retraites n' étaient rien moins que des sémi .
naires pour enseigner la piété et la moralité. ~


Les pas qu'on fit ensuite sur la route de la Réfor-
mation eurent pour but des reglements relatifs au
culte et aux priéres des Saints, et chose plus impor-
tante, a l'autorisation donnée au peuple de lire dans
l 'Église de S. Paul une traduction Anglaise de la
Bible. La foule s'empressa de s'y rendre; en général,
on désignait une personne pour lire a haute voix, jus-
qu'au jour OU l'évéque , alarmé de ces réunions, dé-
fendit cette pratique, comme jetant du trouble dans


,. Burnett, Histoire de la Réformation, vol. J, p. 198. Le Docteur
Lingard néanmoins ne croit pas a ces accusations; il fait observer
avec vérité qu'elles étaient portées par la partie intéressée, et que
les accusés ne pouvaient y répliquer. Il serait difficile d'un autre
coté de supposer que tous les faits allégués fussent de pures inven-
tions. Les moines et les nonnes ne sont de leur nature ni infaillibles ni
impeccables.




LA RÉFORMATION. 29
le serviee religieux. La destruetion de quelques-unes
des images révéla plusieurs fraudes scandaleuses.~


Les débats de la Réformation en Angleterre furent
marqués par une tyrannie religieuse plus cruelle et
plus intolérable qu'il n'y en eut jamais sous la domi-
nation Papale. A l'époque du Papisme, c'était le prétre
qui avait en sa garde les artieles de foi, et le peuple
reeevait de lui quelque connaissance des doctrines
Chrétiennes, quelque notion des devoirs moraux, et
::"pprenait a respeeter l'autorité et la magnifieenee de
l'Église. Mais Henry VlII~ aprés avoir partiellement des-
sillé les yeux de son peuple, ne lui permit pas d'aller
plus loin que lui-méme ; iI l'obligea par Acte du
Parlement a regarder eomme artieles de foi six arti-
eles déerétés, et t~ut ce qu'il lui plut eneore d' établir.


Punir des hommes pour Ieurs opinions sur des arti-
eles de foi purement spéculatifs, c'est une de ces fan-
taisies que la tyrannie a inventées dans les temps
modernes. Denys et Domitien ne connaissaient pas
cet abus de pouvoirv Henry VIII s'y livra largement. Ce
Roi n'obéissait point simplement comme Philippe 11
ou Charles IX, au fanatisme dont il était le disciple,
n fit plus, il enseigna Iui-mémede sa propre bouche
les opinions qui devaient diriger ses sujets en matiere
de foi. Il se regardait comme la source de l'orthodoxie,
et il se donna le triomphe de réfuter des héretiques
quil prenait ensuite plaisir alivrer au húcher.


Lareligion établie parHenri VIIIétait si loinderessem-


.. Note CA) ala fin du volurne.




30 LA RÉFORMATION.
bler aux réformes de Luther et de Calvin que ce Roi se
fit gloire de conserver la foi Catholique Romaine aprés
avoir rejeté la suprématie du Pape. Ces ordonnances,
il est vrai, oscillérent pendant quelque ternps entre
lancienno et la nouvel1e religion, selon qu'il prenait
les conseils de Crannier ou de Gardiner; mais la loi
des six articles qui contient comme le symbole reli-
gieux imposé au peuple maintient et confirme tous les
principaux articles de la croyalJce Romaine. Ils déci-
daient : -


1° Que dans le sacrement de l'autel aprés la consé-
cration , il ne restait aucune substance de pain et de
vin, mais que, sous ces formes, se trouvaient présents
en réalité le corps et le sang du Christ; 2° que la com-
munion sous les deux espéces n 'était pas nécessaire
pour le salut a toute personne d'apres la loi de Dieu;
3° que les prétres, aprés avoir été ordonnés, ne pou-
vaient se marier d'aprés la loi de Dieu; 4° que les
vreux de chasteté devaient étre observés d'apres la loi
de Dieu; 5° que l'usage des messesprivées devait
étre continué, attendu qu 'accepté par la loi de Dieu
cet usage pratique procurait aux hommes de grands
avantages; 6° que la eonfession auriculaire était bonne
et nécessaire; et devait étre conservée dans l'Église.


La Réformation en Angleterre, telle qu'elle est aujour-
d'hui, fut l'ceuvre du Duc de Sommerset , Protecteur,
au commencement du regne dEdouard VI. Dans la
premiere année de ce regne, il envoya des gens parmi
le peuple pour l'engager a ne plus prier les saints,
pour faire briser les images, pour conseiller a la nation




LA RÉFORMATION: 31
d'abandonner l'usage de la messe et des priores pour
les morts, et dautres priéres en angue Latine. Par un
Acte du Parlement, de la méme année, il défendit de
parler contre I'administration du sacrement sous les
deux especes ; dans cette méme année et dans les deux
suivantes, il établit la liturgie de l'Église Anglicane.
La loi des six articles fut abolie. C'est ainsi que la Ré-
formation fut faite en Angleterre par la Couronne et
I'aristocratie. Le peuple, quoiqu'il s'agitát en disputes
religieuses, semble n'avoir guere été mur alors pour
une si grande révolution. De sérieuses insurrections
eurent lieu dans le Devonshire, le Norfolk, et ailleurs.
Les prédications du clergé Catholique Romain produi-
sirent tant d' effet qu'on crut devoir employer tous les
moyens d'autorité pour les arréter. On ordonna d'abord
au clergé de ne plus précher hors des paroisses sans
une autorisation qu'on n'accordait tout naturellement
qu'á la secte favorisée, et comme cette censure ne suf-
fisait pas, on défendit entieroment les sermons, ~ singu-
lier phénoméne dans I'histoire de la Réformation !


D'autre part, Marie, a son avénement, n'éprouva
point de difficulté él ressusciter rancien eulte. Elle
n'hésita point a réunir souvent de nouveaux parle-
ments, qui rentrérent a l'envi dans la voie de la récon-
ciliation , Le premier refusa de rétablir la loi des six
articles; mais des l'année suivante , la nation était for-
mellement réconciliée avee l'Église de Rome; et le
Parlement remerciait le Pape de lui avoir pardonné


... Burnett, Histoire de la Ré(ormation.




32 LA RÉFORMATIÜN.
sa longue hérésie. Le Pape répondit avec non moins de
candeur que de vérité qu'il devait lui-méme remercier
le Parlement pour avoir placé de nouveau 80US sa
domination une nation si prospere.




CHAPITRE V.


LA REINE ÉLISABETH.


Sur ce sanglant théátre, oü cent héros périrent,
Sur ce tróne glissant, d'oü cent rois descendirent,
Une femme, a ses pieds enchalnant les destins,
De l'éclat de son regne étonnait les humains :
C'était Élisabeth; elle dont la prudence,
De l'Europe , ason choix fit pencher la balance,
Et fit aimer son joug a l'Anglais indompté,
Qui ne peut ni servir, ni vivre en liberté.
Ses peuples sous son regne ont oublié leurs pertes;
De leurs troupeaux féconds leurs plaines sont couvertes,
Les guérets de leurs blés, les mers de leurs vaisseaux,
Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux.
Leur fIotte impérieuse, asservissant Neptune,
Des bouts de l'univers appelle la Fortune,
Londres jadis barbare est le centre des arts,
Le magasin du monde et le temple de Mars.


La Henriade, chant 1.


La Reine Élisabeth est le plus grand des souverains
d'Angleterre et peut-étre de tous les souverains mo-
dernes. A une époque remarquable par de longues et
sanglantes guerres elle Iit respecter son nom au dehors,
saos répandre le sang ou l'argent; et, dans un temps


3




3" LA REINE ÉLI8ABETH.
de grande fermentation politique, elle maintint chez
elle l'autorité la plus absolue sans rien perdre de l'atta-
chement de son peuple. Elle obtint la gloire sans con-
quérir, et le pouvoir illimité sans se faire haír.


Les moyens qu'elle employa pour arriver a des ré-
sultats si extraordinaires comprennent tous les ressorts
de. sa politique intérieure et extérieure. Cependant, on
peut assigner a trois sources principales sa réputation
et ses succés.


Premiérement. - Elle se mit a la tete du parti Pro-
testant en Europe. Pour ce faire, il ne lui fut pas né-
cessaire de se mettre a la tete d'une confédération de
puissances belligérantes. lllui sufflt de donner la sane-
tion du nom de l'Angleterre, royaume riche et uni, ala
cause qu'elle soutenait. L'esprit et l'audace de ses
sujets, quelque peu aidés par elle, firent le reste. Par
cette politique, elle se concilia les sentiments populai-
res, et ouvrit un canal OU put se renfermer et trouver
un courant régulier l'activité inquiete de sa noblesse et
de sa bourgeoisie. Le nom de l'Angleterre grandit
aussi grace a la réputation acquise par nos chevaliers
et nos soldats en combattant contre la Ligue en France
et contre Philippe 11 dans les Pays-Bas. Le pays prit sa
place ala tete des défenseurs de la liberté; le sang de
Sir Philip Sidney fut versé pour la cause de l'indé-
pendance du monde; et les tyrans tremhlerent aux noms
d'Élisabeth et de l'Angleterre.


Secondement. - Elle se garda de demander trop
dargent au peuple. Ses traités avec Henry IV, ressern-
blent plutót au marché sordide de quelque Canton




LA REINE ÉLI8ABETH. 35
Suisse, qu 'id' alliance généreuse d' un souverain puissant
et ami. Elle n'ignorait pas que le Parlément tenait la
hourse et ne pouvait lnanquer, par conséquent, de de-
venir le maitre absolu d'un souverain en détresse OH
dépensier. Dans sa situation l'économie était le pou-
voir. Heureux Léon X, Charles l", Louis XVI s'ils eus-
sent connu ainsi que leurs prédécesseurs immédiats,
cette clef de voüte de leur puissance 1 La Réformation,
les guerres civiles d'Angleterre, et la Révolution Fran-
«;aise ont été causées par le désordre des finances. Les
hommes peuvent bien se soumettre a l'oppression,
mais ils se résignent difficilement a la payer cher.


Troisiémement. - Elle préta l'oreille a la voix du
peuple, et cultiva sa faveur, toutes les fois qu'elle pu t
le faire avec sécurité et dignité. Elle était sévere et in-
dulgente tour a tour. Ainsi, ayant pendant un certain
temps, excité de grands murmures a la Chambre des
Communes par la suppression de la liberté de la parole ,
elle ne tarda pas ajuger convenable de révoquer ses
ordres. Mais rien ne donne une plus juste idée de sa
politique que sa conduite au sujet des monopoles. Il
n'y avait presque aucune marchandise dont le
monopole ne fút accordé par la Couronne. Le mal
devint si grave, que méme la Chambre des Communes
d'Élisabeth retentit de discours violents et de plaintes
universelles. La Reine céda sur-Ie-charnp. Elle se garda
de reconnaitre que les débats de la Chambre des Com-
munes avaient en rien influencé sa détermination,
niais elle chargea son Secrétaire d'État de l'informer
qu'elle consentait el abolir les monopoles qui étaient




36 LA REINE ÉLI8ABETH.
illégaux, et a soumettre les autres a une enquéte. Le
Secrétaire Cécil s'excusa d'avoir comparé la Chambre a
une école, et dit qu'il n'avait jamais eu l'intention de
s'opposer a la liberté de la parole ....


Dans ses manieres, la Reine eut soin de montrer au
peuple la plus grande confiance. Personne ne savait
mieux comment on gagne le ceeur d'un pays avec une
phrase, déclarant, a l'occasion, que son trésor était
mieux placé dans la bourse de ses sujets que dans ses
propres coffres, et que sa meilleure garde était l' affec-
tion de son peuple. Elle n 'ignorait pas qu'il n 'est rien
d'aussi agréable que la condescendance du pouvoir
suprérne. C'est pourquoi elle déployaít sa grandeur
par la pompe de sa cour, et sa honté par I'affahilité de
son langage.


Voilá par quels moyens la Reine Élisaheth réussit a
maintenir et a affermir son autorité sur un peuple tur-
bulent, a une époque agitée. La France était désolée
par la guerre civile; le Roí d'Espagne soutenait une
lutte sanglante et frivole contre ses sujets indociles
dans les Pays-Bas et la Hollande; l'Allemagne était
ébranlée de fond en comhle par la Réformation; tandis
que la Reine d'Angleterre recueillait le fruit de sa pru-
dence et de son courage dans la tranquillité, I'obéis-
sanee, et l'attachement de son royaume et de son peu-
ple. Son pouvoir était immense. Quand les Communes
faisaient des remontrances , elle en prononcait sur-le-
champ la dissolution; une fois elle leur dit de ne pas


... Note (B) ala fin du volume.




LA REINE ÉLISABETH. 37
se méler des affaires de I'État. Encore moins permet-
tait-elle de proposer quelque changement dans l'Église;
et maintes fois elle fit emprisonner ou tenta de faire em-
prisonner ceux qui s' opposaient a son bon plaisir sur
ces matiéres. -le Elle méprisait les lois qui ne lui plai-
saient pas, et réglait le devoir de son peuple par des
ordonnanees et des mandats arbitraires. Elle défendit
la culture de la guede, qui blessait ses royales narines.
La Cour de la Chambre Étoilée et celle de la Haute
Corqmission n'étant pas suffisamment arbitraires, il
fut arrété que toute personne qui importerait des Iivres
prohibés, ou comrnettrait d'autres délits spéciflés, se-
rait punie d'aprés la loi martiale, eeux qui se servaient
de la presse eomme d'un organe de diseussion étaient
aussitót condamnés. M. Jean Udall, ministre Puritain,
accusé d'avoir écrit « un libelle calomnieux et infame
contre la Majesté de la Reine, » fut poursuivi eomme
coupable de félonie, et eondamné. Cette sentence ne fut
jamais mise aexécutíon, mais le pauvre homme mou-
rut dans la prison OU il était enfermé depuis plusieurs
années. Le juge dit aux jurés qu'ils devaient seulement
rechercher s'il était l'auteur du Iivre, car, pour l'écrit
en lui-méme, les juges avaient déjá déclaré qu'il y avait
félonie a I'avoir écrit. Un gentilhomme qui avait écrit
un livre pour dissuader la Reine d'épouser un prinee
Franeais, fut eondamné, d'apres une loi de la Reine
Marie, aperdre la main. Un Puritain nornmé Penry fut
condamné et exéeuté poul' des papiers séditieux trouvés


.. Note (O) a la fin du volume.




LA REINE ÉLISABETH.
dans sa poche. Frappé de ces procédés arbitraires,
Hume .a comparé le gouvernement d'Élisabeth au gou-
vernementmoderne de la Turquie, et remarquant que.
dans l'un et I'autre, le sou verain était privé du pouvoir
d'imposer ses sujets, il prétend « que dans ,les deux
pays, cette Iimitation, n'étant pas appuyée par d'autres
priviléges, est plutót nuisible qu'utile au peuple. » n
est inutile de s'arréter a cette analogie imaginaire, si
indigne d'un grand historien. Est-il jamais arrivé en
Turquie qu'une Chambre des Communes ait ohligé le
sultan a réprimer les extorsions de ses pachas, comme
laChambre des communes d'Angleterre obtint d'Élisa-
beth la suppression d'odieux monopoles? Cette Reine
flt-elle jamais mourir les monopoleurs sans jugement,
dans le but de jouir de leurs biens mal acquis? En
réalité, l'autorité de la Chambre des Communes fit des
progrés pendant le régne d'Élisabeth. L'importance
méme du pouvoir qui fut employé pour mettre anéant
leurs représentations, prouve la force de leur résis-
tance. Les débats de la Chambre des Cornmunes pen-
dant ce regne remplissent un volume et demi de la
vieille histoire parlementaire. Celui qui jettera un coup
dceil attentif sur le pays, a cette époque, ne pourra
manquer de remarquer que la' force des institutions
libérales était suspendue, et non détruite par l'influence
personnelle d'Élisabeth ; et aprés avoir reeonnu qu'au-
eun souverain ne porta plus loin I'art de régner, il
conviendra que si la nation lui avait aecordé par un
bail avie le pouvoir arbitraire, elle n'avait pas aliéné
pour toujours le patrimoine de la liberté.




LA REINE ÉLISABETH. 39
Il est heureux pour le pays que la Reine Élisabeth


ait trouvé de son intérét d'embrasser la religion Protes-
tante, et que, grace aux complots atroces et insensés
des Catholiques Romains, elle ait été forcée de s'atta-
cher avec plus de force au parti Protestant. Quelque
fiers que nous soyons de notre Constitution, si la Reine
Elisaheth eút été Catholique Romaine, ou Jacques Il
Protestant, nous n'aurions pas la liberté en Angle-
terreo




CHAPITRE VI.


JACQUES ¡er.


« Chacun montrait du doigt ses cheveux blancs (de la reine Élisabeth)
et disait avec le pacifique Léontius : Quand cette neige fondra, il y
aura inondation. l) - HALL, Seruvms,


Pendant les derniéres années d'Elisabeth , toutes
les classes de la société attendaient avec impatience
l'avénernent de son successeur. Il n 'y a rien d'aussi
fatigant pour l'espece hurnaine, que de payer a la
méme personne, pendant une longue suite d'annees,
un continuel tribut d'admiration et de reconnaissance.
A mesure que la nouveauté disparait , la fatigue suc-
cede a l'étonnement, et l'envie a la fatigue; les uns,
cornme des critiques ennuyeux; comrnencent atrouver
des défauts la OU ils n'avaient aper~u auparavant que
des beautés, les autres sont fáchés d~ ne pouvoir
trouver qu'un petit nombre de défauts. La jeunesse
airne a critiquer ce que la vieillesse a loué avec exagé-
ration, el les étourdis n'ont que du dégoüt pour la
monotonie de la perfection. Cependant, il pouvait bien




JACQUES Ier. 4: 1


exister d'autres causes qui fissent désirer au pays le
regne de Jacques. Dans les derniéres années d'Élisa-
beth , un nouvel esprit, tant en religion qu'en
politique, s'était formé un parti considérable, connu
sous le nom de Puritain; ou plutót, il avait grandi,
il s'était uni, et il aspirait á une réformation plus
complete dans l'Église. Les cérémonies Romaines,
qu'on avait conservées dans notre culte, n'avaient
point trouvé grace aux yeux de cette secte sévere ; et si
elle eút été capable de réaliser ses désirs , elle eút attiré a
elle le pouvoir et les revenus des évéques. Ses prin-
cipes audacieux et inflexibles la poussaient aussi ades
príncipes libéraux de gouvernement; la raison des
Puritains dépouillait promptement un roi de sa divinité,
et leur cceur élcvait les sujets au niveau du souverain.
Outre les progrés de ces opinions, un nouveau systéme
de droit politique avait été introduit par l'étude géné-
rale des auteurs Grecs et Romains. Non-seulement la
gloire des anciennes républiques avait enflarnmé les
ereurs des hommes généreux, mais la diffusion des
connaissances classiques avait préparé les classes su-
périeures de la société a chercher des méthodes de gou-
vernement plus parfaites , et une distribution des
pouvoirs et des priviléges plus réguliere que tout ce
qu'on avait trouvé nécessaire [usqu'alors. Le pays fit
des progrés dans les sciences, dans les arts, dans la
littérature, et dans la morale. En sornme, la Réforma-
tion était une source perpétuelle d'examen et de dis-
cussion; les esprits étaient emportés vers l'inconnu par
un élan que rien ne pouvait arréter.




42 JACQUES r-.


Les réformes que ce monde nouveau réc1amait ouver-
tement , furent naturellement différées jusqu'aprés la
mort d'Elisabeth. La soumission que commandaient
son age et sa gloire était fortifiée par son énergie et son
expérience. Mais Iacques, souverain étranger, dépourvu
de toute réputation de gloire ou de fermeté, ne put, par
son caractére, inspirer la méme obéissance. Une résolu-
tion semble avoir été prise, tendant a réclamer tous
les anciens priviléges du Parlement, et en mérne temps
toutes les libertés légales des sujets, et, si elles se trou-
vaient etre incompatibles avec les anciennes préroga-
tives de la Couronne, ou avec les nouvelles prétentions
des Tudors, él soumettre le Roi au peupIe et non le peu-
pIe au Roi.


Jacques eut bientót l'occasion de connaitre les senti-
ments de ses sujets. Ni toutes les réjouissances qui ac-
compagnérent sa marche, ni les honneurs nouveaux
qu'il accorda avec tant de prodigalité, ne purent luí ca-
cher la vérité. Lorsque le Roí se rendit a Londres, on
lui remit une pétition de plus de mille prétres de la
secte des Puritains , demandant « une réforme dans le
service de l'Église, dans le ministere, les bénéfices, et
la discipline,» n adressa des lettres pour la convocation
du Parlement, accompagnées d'instructions au peuple
sur le genre de personnes qu'il fallait choisir, défen-
dant d'élire les proscrits, et prescrivant l'envoi des actes
d'élection a la Cour de Chancellerie, pour y étre exa-
minés et jugés. Aux termes de ces instructions, l'élec-
tion d'un Sir Francis Godwin, élu par le comté de
Buchkingham, et qui était proscrit, fut déclarée nulle ;




JACQUES Y81'. 43


une nouvelle lettre de convocation fut adressée par la
Chancellerie, et Sir John Fortescue fut élua sa place. Les
Communes déclarérent que l'élection de Sir Francis
Godwin était valide, et que le Chambre des Communes
pouvait seule connaitre de toutes les' questions relatives
a l'élection des Membres du Parlement. Ce point avait
été un vieux sujet de dispute avec la Reine Élisabeth;
on s'appuyait des deux cótés sur les précédents, mais
on ne décida rien. Les Communes avaient arrété que,
« la discussion et le jugement de ces sortes dedifférends
étaient réservés a la Chambre; » et avaient déclaré que
les proscrits pouvaient étre élus: les juges avaient
déclaré qu'ils ne pouvaient I'étre, et la Reine Élisabeth
avait reproché a sa derniére Chambre des Communes
l'admission des proscrits. Aprés avoir contesté le point,
Jacques proposa d'éloigner en méme temps Godwin et
Fortescue, et d'adresser une nouvelle lettre de convo-
cation par l'ordre de la Chambre. On reconnut ainsi aux
Communes le droit de décider toutes les questions re-
latives aux élections.


Pendant la méme session, un geolier de prison fut
arrété par la Chambre pour avoir emprisonné un de
ses membres; on proposa une indemnité pour la garde
et les fournitures; et on demanda une conférence
avec les Lords sur le sujet de la religion. Les instruc-
tions données par les Communes el ceux qui furent
choisis pour assister a cette conférence sont remar-
quables. On demande la tolérance pour ceux qui ne
peuvent se résigner a admettre la croix dans le bap-
teme, l'anneau daos le mariage, et le surplis; mais




44 JACQUES y'r.
pour les questions de foi et les sacrements, tout sujet
du royaume doit etre invité par le Parlement a se con-
former a la loi de l'uniformité. Tant les idées de ces
réformateurs étaient éloignées de la véritable tolérance!
Jacques était alarmé achaque prétention de la Cham-
bre des Communes, et nous avons un projet d'adresse
fort remarquable, rédigé par une Cornmission choisie
(n'ayant jamais été adopté par la Chambre), dans
lequel les Communes se plaignent des faux renseigne-
ments qu'il avait re<;us, et s'étendent longuement sur
toutes les questions qui avaient été discutées. Elles
font mention des mauvais traitements qu'elles ont recus
pendant les dernieres années de la Reine Élisaheth ;
elles attribuent leur complaisance au respect du sexe
et de l'age; et témoignent leur surprise et leur chagrin
d'avoir vu, dans le premier Parlement de Jacques,
leurs droits plus envahis que jamáis. * La session se
termina sans aucun résultat décisif : a l'exeeption du
tonriage et du pondage, le Roi n' obtint aucun subside;
et a part la question des nouvelles lettres de conVOC3-
tion, les Communes ne firent aucune conquéte.


L'alarme eausée par la Conspiration des Poudres pro-
cura au Roi d'ahondants subsides. A la fin de Décembre,
1609, Jacques pronon<;a la dissolution du Parlement,
et a l'exception d'une session de deux mois en 1614,
il s' écoula plus de dix années sans une seule séance du
Parlement. Des emprunts forcés, des taxes arbitraires


* M. Hume s'est efforcé, mais sans succes, d'infirmer l'autorité de
ce document, qui, ce me semble, s'oppose asa théorie.




JACQUES rer • 45


levées sur des particuliers et de nouveaux monopoles
suffirent, dans l'intervalle, aux besoins de son trésor.
Enfin, en l'année 1620, se réunit un Parlement, sur
lequel tous les Anglais doivent jeter un regard respec-
tueux. Aprés avoir voté deux subsides au Roi, et fermé
la porte a tout retour aux anciennes plaintes, il se mit
avec ardeur a examiner les griefs présents des sujets
Anglais. Jacquesl'ajourna, et fit emprisonner Sir Edwin
Sandys, un de ses membres les plus utiles. Nullement
effrayés par ce coup d'autorité, les députés priérent le
Boi, a la prochaine réunion, de défendre son gendre
I'Électeur Palatin contre le parti Catholique d'Europe,
de rompre le mariage projeté de son fils avec une prin-
cesse Espagnole, et de tourner ses armes contre cette
formidable puissance. Jacques menaca les députés de
les punir; ils maintinrent leurs priviléges; le Roi dit
« qu'ils tenaient leur existence de la grace et de la
permission de ses ancétres et de lui-méme. ) A cette
prétention, les députés firent la mémorable réponse qui
suit: -


« LesCommunes, actuellement réunies en Parlement,
légitimement assemblées, au sujet de certaines Iibertés,
franchises, priviléges, et juridictions du Parlement, ont
jugé el propos de faire la protestation suivante : les
libertés, franchises, priviléges, et juridictions du Par-
lement sont les droits anciens et indiscutables, et l'hé-
ritage des sujets Anglais; les afl'aires difficiles et ur-
gentes concernant le Roi, l'État, la défensedu'royaume
et de l'Église d' Angleterre, la confection et le maintien
des lois, le redressement des abus et des gricfs, qui




46 JACQUES ler.


journellement se commettent dans ce royaume, sont
des sujets et matiéres réservés aux délibérations et
débats du Parlement; et dans la direction et la marche
de ces affaires, il a et doit avoir de plein droit la liberté
de la parole, pour proposer, traiter, discuter, et mener
a bien lesdites aífaires ; les Communes en Parlement
ont la liberté et la faculté de traiter ces matiéres, dans
I' ordre qui leur parait le plus convenable; chaque
membre de ladite Chambre est a l'abri de toute accu-
sation, emprisonnement, et vexation (autres que par la
censure de la Chambre elle-mérne) pour ou concernant
tout hill, discours, raisonnement, ou déclaration sur un
ou plusieurs sujets touchant le Parlement, ou les afiaires
du Parlement ; el si quelqu'un desdits membres donne
lieu ades plaintes et est interrogé sur quelque chose
dit ou fait en Parlement, le Roi devra en étre informé,
par l'avis et consentement de toutes les Communes
assemblées en Parlement, avant que le Roi s'en rapporte
el aucune information particuliére. »


Grandement irrité de cet acte, Jacques fit apporter a
son conseille registre de la Chambre des Communes,
el de sa propre main en arracha la protestation. 11
pronon~a la dissolution du Parlement et fit emprison-
ner Coke, Solden, Pym, Phillips, et Mallory 1 ~ tous mern-
bres de la Chambre dissoute. 11 ne rétléchissait pas que la
force de la protestation qu 'il avait déchirée n 'éts: t ni
dans le parchemin ni dans les lettres d'un Iivre, mais


* Ces noms devraient étre gravés dans le cceur du peuple Angiais.
Ces hommes ont été, avec John Hampden et Olivier Cromwell, les
fondateurs des libertés du pays.




JACQUES Ier. 4.7


dans le cceur el l'esprit de ses sujets ; et il était loin de
penser que par l'emprisonnement de quelques députés,
il préparait la captivité et la mort de son fils.


Si nous jetons les yeux sur la position des partís
hostiles a cette époque, nous verrons que Jacques, par
une entreprise intempestive, tentait un nouveau mode
de gouvernement. La nature des monarchies Gothiques
fut généralement la méme. Le roi, qui d'abord gouver-
nait conjointement avec le peuple dans une harmonie
grossiere, en vint, avec le temps, a exercer dans l'admi-
nistration certains pou voirs qu 'il appela prérogatives;
et le peuple qui, dans les prerniers temps, s'assemblait
achaque occasion pour discuter les griefs, les lois, les
traités, avec les progres de la civilisation, se di visa en
cités, et eut ses priviléges inscrits dans des chartes
générales et particuliéres qui furent appelées ses liber-
tés. Les prérogatives et les libertés étaient également
sujettes a de fausses interprétations , et quelquefois
sortaient de Ieurs limites; mais le roi parlait toujours
avec respect des libertés de ses sujets, méme lorsqu'il
emprisonnait illégalernent leurs personnes; et le peuple
professait la plus grande vénération ponr la monarchie,
lors méme qu'il déposait son roi. La Reine Élisabeth,
agissant dans cet esprit, renonca a I'idée d'enfreindre
les droits de ses sujets, dans le temps méme oú elle les
assurait a l'occasion, et les enfermait toujours dans
des bornes 'plus étroites, tout en faisant profession de
les maintenir. Elle reconnut sans aucun doute ni hési-
tation les libertés du peuple, mais elle fit usage de son
vocabulaire particulier pou!' la déíinition du Il101.




48 J ACQDES ¡er.


Jacques tenta un systeme nouveau; il nia l'existence
de priviléges qui n'avaient pour lui d'autre origine que
la tolérance; et sans posséder la sagesse d'un homme
ordinaire, il prétendi t, dans un siécle investigateur, a
l'infaillibilité de la divinité. C( De méme qu'il y a
athéisme et hlaspheme, » dit.il, « pour une .créature a
disputer sur ce que Dieu peut faire, de méme il y a
présomption et sédition pour un sujet adisputer sur ce
que le Roi peut faire dans l'exercice de la souveraineté.
Les bons Chrétiens seront contents de n' avoir pas
d'autre volonté que la volonté de Dieu, laquelle il a
révélée dans Son écriture; et les bons sujets n'auront
pas d'autre volonté que celle du Roi, qui l'a révélée
dans sa 10i. » Telle était la folie impie de Jacques! Ses
hons rnots lui ont donné une réputation de bel esprit;
il était presque aussi érudit qu'un savant; rnais sa con-
duite cornme roi le rendait rnéprisable. Quelle vanité
ne devait-il pas avoir pour prétendre que tous les an-
ciens priviléges de la nation Anglaise dépendaient de sa
volonté!




CHAPITRE VII.


CHARLES IeF.


e Il Yeut de l'ambition, il y eut de la sédition, il y eut de la violence,
mais personne ne me fera croire que ce n'était pas d'un cóté la cause
de la liberté, de l'autre celle de la tyrannie. D - Lord Chatam, cité
par Grattan. (Lettre aux habitants de Dublin, 1797.)


A son avénement Charles I" trouva la nationengagée
dans des hostilités avec I'Espagne qu'on regardait alors
comme la monarchie la plus puissante d'Europe.


On a reproché aux membres du premier Parlement
que Charles convoqua~ certain manque de bonne foi et de
générosité pour n'avoir point, préalablement a tout
examen des griefs intérieurs, muni le jeune Roi d'une
somme qui lui permit de continuer avec vigueur la
p;uerredontleurs conseils avaient encouragé l'entreprise.
Or, en admettant que la Chambre des Communes eüt en
réalité causé la guerre, il ne s'ensuivrait pas qu'elle ait
en tort de passer en revue les fautes du gouvernement
exécutif avant de lui accorder de nou veaux moyens
pour hraver la loi, et se dispenser déconomic. Les res-


11




50 CHARLES lel'.


sources et les dépenses publiques exigeaient une
enquéte sévére aux yeux de la nation que les Communes
représentaient. Mais il y a plus; ce n'était pas la
Chambre, c'était Buckingham qui était responsable de
la guerre ; on avait refusé de prendre les armes pour
obéir a une adresse du Parlement , on les prit pour
assouvir une rancune particuliére du favori. -IC


Quand on étudie les réclamations de la Chambre des
Communes depuis le commencement de ce regne, il
faut faire comme cette Chambre et ne pas perdre de vue
les anciens statuts du royaume. D'apres la Grande-
Charte aucun homme libre ne peut étre condamné a
peine de l'emprisonnement ou atoute autre que par le
jugement de ses pairs ou par la loi du pays; en consé-
quence les jugements de la Chambre Étoilée et les dé-
tentions par le bon plaisir du Roi étaient des anomalies.
Suivant une loi d 'Édouard I" le Parlement seul pouvait
ordonner de lever des taxes; tous emprunts forcés,
dons gratuits, ou monopoles étaient donc entachés
dillégalité. Deux lois d'Édouard Ill déclaraient que les
Parlements seront réunis une fois par an ou plus sou-
vent; toute tentative de gouverner sans prendre régu-
Iierement l'avis du Parlement et sans s'appuyer de son
autorité bouleversait a peu prés le systéme constitu-
tionnel. Peu importe que me me sous prétexte d'argu-


*« Au lieu d'apaiser judicieusement la mésintelligence qui existait
entre le Roi et les deux Chambres, Buckingham, par ressentiment de
quelques atrronts qu'il avait subis de la part de l'Espagne au sujet de
certains arrérages qui lui étaient dus, précipita le Roi dans une
guerre contre ce pays. » Mémoires de Warwick, p~ 13. - (SirPhilip
Warwick était un courtisan.)




CHARLES In. 51


ment ad hominem, on fasse remarquer combien toutes
ces lois ont été souvent violées sous divers souverains,
et en particulier sous les Tudors. La constante pratique
du jugement par jury, l'usage solennel de demander
pour tout impót la sanction du Parlernent, et de convo-
quer fréquernment cette haute cour du royaume sont la
pour démontrer qu'aucun de ces droits n'était tombé
en désuétude, et que tous actes contraires a ces droits
constituaient des irrégularités qu'il fallait corriger,
non point des exemples asuivre.


La grande opposition faite par Hampden et ses par-
tisans contre l'impót pour la construction des vais-
seaux fut la cause immédiate qui empécha I'étahlis-
sement de la monarchie arbitraire en Angleterre comme
elle existait en Fe ance et en Espagne. Hampden refusa
de payer une sornme de 20 shillings; les juges de
Westminster Hall se prononcerent contre lui, mais le
pays prit son parti et contrebalanca par ses sympa-
thies lejugementde la cour. Écoutons le témoignage de
Lord Clarendon a ce sujet, ce qu'il dit est si plein d'en-
seignements que je crois devoir l'insérer ici en entier:
C( Enfin on inventa une source de revenus qu'on re-
gardait cornme devant etre inépuisable et devant four-
nir éternellement tout ce dont on aurait besoin; un
writ fut composé en forme de loi et adressé aux shé-
riffs de tous les comtes d' Angleterre pour procurer un
vaisseau de guerre destiné au service du Roi, etl'envoyer
avec un équipement complot, ateljoureten tellieu; » en
méme temps que ce writ on expédiait achaque shé-
riff des instructions portant « qu'au lieu d'envoyer un




52 CHARLES rer •


navire il levát une certaine somme d'argent qu'il
remettait au Trésorier de la Marine pour l'usage du
Roi; » on leur indiquait en outre la conduite qu'ils
devraient tenir envers ceux qui refuseraient de s' exé-
cuter. Cette taxe reeut le nom ship-money, expression
qu'on n'oubliera jamais en Angleterre; pendant quel-
ques années elle amassa régulieremcnt une somme de
200,000 l. dans les coffres du Roi : constituant en
réalité son seul revenu particulier. Aprés avoir été
levée durant quatre années elle trouva un obstacledans
le refus fait par une personne de payer vingt ou trente
shillings pour sa part; ce refus donna lieu a un procés
solennel qui oceupa toute la Cour de l'Éehiquier, et a
une grande majorité, les juges reeonnurent le droit du
Roi, la légalité de la taxe; mais le résultat de cette
affaire fut plus favorable a la réputation de la personne
condamnée, c'est-á-dire de M. Hampden, qu'aux inté-
réts du Roi.


« Pour mieux appuyer ces mesures extraordinaires
et protéger les agents qui en étaient les instruments,
pour empécher et étouffer toute réclamation et toute
opposition, la Table du Conseil (Council Table) et la
Chambre Étoilée étendirent considérablement leur juri-
diction; comme Thucydide le disait des Athéniens,
cllcsrcgarderent comme « honorable tout ce qui plaisait
et comme juste tout ce qui profitait; » elles se compo-
saient des mémes individus se réunissant dans des
chambres différentes et devinrent ainsi tout ensemble
cours de justice pour apprécier le droit et cours des
cornptes pour procurer de l'argent au trésor ; la TabIe




CHARLES r-. 53


du Conseil, au moyen de proelamations enjoignait an
peuple ce que la loi n'enjoignait point et défendait ce
qui n'était point défendu, la Chambre Étoilée punis-
sait d'amendes énormes et de I'emprisonnement toute
désobéissance a ces procIamations; de sorte que ja-
mais le manque de respect aux actes de l'État et aux
personnages politiques ne fut entouré de pénalités si
sévéres ; jamais ces bases du droit que les individus
estiment comme la garantie pour leur sécurité, ne se
trouvérent dans I'opinion des gens éclairés en danger
plus imminent.


( A ce propos je me permettrai de décIarer de nouveau
que dane les détails et la pratique, ces mesures extraor-
dinaires, ces expédients pour imposer le peuple eurent
un caractére trés-Impclitique. et tendirent méme a
épuiser la source qu'on avait trouvée. Cet impót du
ship-money regardé comme une taxe créée par l'É-
tat , sous la pression de la nécessité , et de périls
que les simples particuliers ne pouvaient avoir la pré-
tentíon de calculer, aurait pu étre levé extraordinaire-
ment comme I'emprunt royal (qui nétait autre chose
que I'impót des cinq subsides décrété aprés le second
Parlement dont j'ai déjá parlé); le peuple s'y serait
soumis plus facilement; il est en effet reconnu qu'a-
prés le jugement de Hampden le peuple paya moins
volontiers le ship-rnoneü qu'antérieurement; c'est qu'a-
vant le jugement les sujets, pour témoigner leur affec-
tion au souverain, se plaisaient a faire une chose qui
ne leur paraissait pas obligatoire. Les uns croyaient
aI'existence d'une nécessité formelle et pensaient que




54 CHARLES Ier.


cette charge était raisonnable; d'autres remarquaient
que l'avantage retiré de cette mesure par le Roi ne lais-
sait pas d'étre important quoique le fardeau fút léger
pour eux; tous se disaient que lorsqu' ils seraient fati-
gués du sh't'p-money ou qu'ils ne voudraient plus le
payer ils pourraient chercher et trouver dans la loi le
moyen de s'en exempter. Mais lorsqu'ils virent que cet
impót était exigé comme un droit par devant une cour
de justice et qu'une semblable prétention obtenait gain
de cause sous des prétextes et par des motifs dont
chacun pouvait récuser la légalité, que düt-il advenir?
I'impót du ship-rnoney perdit ce qui en rendait le paye-
ment supportable; au lieu d'étre appelés au ¡»aisir de
montrer leur obligeance et leur fldélité au Roi par un
don volontaire les sujets étaient requis de s'exécuter
au nom des principes qui par une déduction logique
pourraient leur enlever la propriété de tous leurs biens ;
l'affaire du ship-money ne leur parut pas intéresser un
seul homme mais bien tout le royaume, cette taxe
sembla imposée non plus par le Roi mais par les j uges,
et ils se crurent obligés en conscience et par respect
pour la justice absolue de ne plus s'y soumettre a I'a-
venir. Thucydide l'a fait ohserver, il y a Iongtemps,
« les hommes détestent plus l'injustice que la vio-
lence paree que l'injustice venant de ceux qui sont
leurs égaux leur semble rapacité, tandis que la VlO-
lence étant infligée par une. force supérieure leur
semble revetir le caractére d'une nécessi té fatale. )
Aussi lorsque le ship-money fut résolu dans le Bu-
reau du Conseil, on pensa de cette mesure qu'elle




CHARLES ¡ero 55


était sans doute une précaution émanant d'un pouvoir
qui devait avoir la confiance du pays. La raison de
nécessité, de salut public persuada facilement les par-
ticuliers, et ceux-ci ne jugerent pas qu'il y eút des con-
séquences dangereuses a redouter dans cet expédient
inventé par le pouvoir royal pour combler une lacune
a un moment exceptionnel et pour parer a l'impuis-
sanee de la légalité. Mais quand on s'apercut de la
conduite tenue par un tribunal dont le devoir était de
respecter la loi (la loi qui est le titre formel de toute
propriété); quand on sapercut que ce tribunal élevait
la raison d'État au niveau du droit, quand on vit des
juges se transformer en hommes politiques et se plon-
gel' dans les mysteres du gouvernement avec autant
de subtilité que des secrétaires d'État, quand on leur
vit baser un jugement sur une sorte de dogme sans
enquéte et sans preuve et en donnant pour l'obligation
de payer trente shillings, un prétexte qui dans son
application étendue menacait les biens de tout le monde,
alors on n'eut plus aucune raison d'espérer que les par-
tisans de cette doctrine s'arréteraient a des limites
quelconques. Il ne faut done pas s'étonner que le
peuple dont la condition était si peu satisfaisante ait
montré par sa sollicitude pour Hampden toutes les
appréhensions que lui causait un jugement dont l'illé-
galité novatrice pouvait avoir de graves inconvénients.


« On ne saurait imaginer combien de mal fit ala Cou-
ronne et a l'État ce reproche non immérité d'infamie
dont on chargea les juges pour avoir servi d'instruments
a l'arbitraire en cette circonstance et en d'autres, cal'




56 CHARLES Ier •


la dignité, le respect, et I'estime des 101s n'ont de ga-
ranties que dans l'intégrité et l'honnéteté des juges.-
Aussi les abus de pouvoir que la Chambre des Com-
munes se permit, dans le Parlement suivant, eurent
pour cause le mépris des lois qui Iui-méme avait été
engendré par le scandale de ce jugement: de méme si
la Chambre des Lords participa aces abus, n'en cher-
chons pas d'autre raison que ce mépris dans lequel
étaient tombés les juges qu'on avait jusque-lá consi-
dérés comme les oracles de la loi, et les meilleurs
guides pour diriger la Chambre dans ses opinions et ses
actes. Les Lords se crurent justifiés en abandonnant
les regles et coutumes de leurs prédécesseurs (qui pour
changer les lois et pour en faire de nouvelles, ainsi que
pour juger les choses et les personnes avaient toujours
suivi les conseils de jurisconsultes vénérés); ils ne
prirent plus l'avis de gens qui avaient perdu la con-
fiance publique; sachant que ces juges par esprit de
courtisanerie avaient fait plier les difficultés mysté-
rieuses de la jurisprudence devant ce qu'ils nommaient
la raison d'État et les avaient résolues au profit de la
politique, ils s'arrogérent aleur tour le pouvoir d'aban-
donner la légalité comme on leur avait appris a le faire
par ce précédent fácheux, ils reconnurent comme légal
ce qui leur sembla raisonnable ou utile. Et si les juges
et plus tard les Lords s' étaient borné comme leurs de-
vanciers a défendre séverement et strictement les lois,
de leur coté les sujets auraient eu pour leurs décisions
cette ohéissance humble et modeste qu'ils avaient au-
trefois pratiquée cornrne un devoir.




CHARLES lit'. 57


« A ce sujet, remarquons qu 'avant cette époque, dans
l'exercice de la prérogative royale qui atteignit souvent
un degré d'élévation inconnu de nos jours, le pouvoir
exécutif n'appela jamáis a son aide une cour tout en-
tiere, et il n'entraina que rarement un juge ou un ju-
risconsulte de renom. Le souverain savait de quelle
importance il était pour lui de conserver a la magis-
trature j udiciaire le respect du peuple, il savait que si
la prérogative empiétait quelquefois sur les droits des
sujets ceux-ci verraient dans la loi un obstacle a leurs
empiétements sur les droits de la royauté, qu'enfin
le Roi n'aurait rien a craindre tant que la loi et les
juges seraient regardés par le peuple comme les
dépositaires des libertés et des garanties publiques.
C'est dans cette idée que plusieurs princes ont
permis aux juges de critiquer leur politique aussi
vertement que les évéques ont censuré leur conduite
en matiére de dévotion; ils n'ignoraient point-que leur
propre influence a'accroissait de la réputation obtenue
par les premiers sous le rapport de leur justice, non
moins que la considération qui attachait le peuple aux
seconds. Ce respect des formes qu'on doit observer dans
les circonstances exceptionnelles est d'une application
nécessaire dans certains autres détails. S'il est utile
pour les princes d'ébruiter autant que possible les
graces, les honneurs, les faveurs qu'ils accordent, s'il
est bon de donner aces actes une grande publicité soit
directement soit par l'intermédiaire des ministres et de
relever ces actes par les accessoires, en les ornant du
prestige de l'éloquence, cal' toute bonne parole surtout




58 CHARLES 18 1' .


venant du prince, est une faveur nouveIle aux yeux du
peuple, iI en est tout autrement quand le souverain doit
juger, punir, ou critiquer les hommes ou les choses, et
principalement lorsque le cas est exceptionnel ainsi que
le jugement; il faut alors qu'on agisse sans éclat, avec
aussi peu de bruit et de paroles que possible. 'En effet,
songeons que les esprits généreux se soumettent plus
aisément a des pertes matérieIles qu'á la honte; or,
dans l'affaire du ship-money, et dans beaucoup d'autres
qui ont été jugées par la Chambre Étoilée et par le Bu-
reau du Conseil, les discours des juges renfermeront
des impertinences, des inconvenances, des insolences
qui produisirent plus d'aigreur et plus de scandale que
les jugements eux-mémes. Ajoutons que les explications
ainsi données en public durent éclairer le peuple beau-
coup plus qu 'auparavant sur l'importance des intéréts
en jeu. n n'y a pas aen douter, le discours de Lord
"Finch a la Cour de l'Éc\liquier servit bien autrement a
faire détester et redouter le ship-money que toutes les
incarcérations ordonnées par la Table du Conseil et que
toutes les saisies opérées par les shériffs en Angleterre.
Outre qu'en général l'hornrne ne s'inquiete guere des
ennuis de son prochain, il était arrivé d'abord que ces
procédés violents pouvaient donner a la plupart des
contribuables une occasion de se féliciter de ce que
d'autres individus étaient punis pour n'avoir pas fait ce
qu'ils avaient fait eux-mémes ;mais ce plaisir égolste
ne tarda pas a étre remplacé par un autre sentiment
quand atravers les développements inutiles de l'argu-
mentation juridique ils s 'apercurent qu 'en délinitive on




CHARLES Ier. 59


concluait par déduction tout aussi bien contre leurs
intéréts que contre M. Hampden.


« Ce serait avoir mal observé l'époque dont nous
parlons que de n'avoir pas remarqué le nombre consi-
dérable d'hommes modérés qui ~ tout en approuvant
l'opportunité, la nécessité, la justice de plusieurs arréts
alors rendus, n'en ont pas moins été singulierement
offensés et scandalisés des prétextes, des motifs, et des
expressions qu'on trouve dans ces arréts ; aprés s'étre
cru seulement spectateurs des poursuites intentées con-
tre d' autres ils ont tiré de quelque déclaration faite sans
aucune utilité, la conclusion qu'eux-mémes pouvaient
aleu~ tour tomber dans la suite sousle coup de la loi. »


Cet habile résumé de Lord Clarendon établit bien
clairement les causes de désunion entre le Roi et ses
sujets, il dépeint en méme temps la tyrannie el. l'inca-
pacité du souverain, il explique parfaitement la mé-
fiance du peuple.


LordStrafford tres-malhcureusement pour Iui-méme,
pour son Roi et pour son pays, fit défection aux amis
de la liberté, et encouragea Charles apersévérer dans
une ligne de résistance qu'il eút peut-étre abandonnée
sans cela. N'ayant aucun principe politique, esclave
de passions mauvaises, Strafford ne dut son patriotisme
qu'á son animosité contre le Duc de Buckingham. Par
une rare combinaison de hassesse et d'audaee il se fit
1'instrument de son ennemi personnel pour détruire
toutes les garanties des sujets, contenues dans cette
pétition des droits qu'il avait été des premiers a ré-
clamer et a obtenir. 11 n'avait pas, pour excuse, él dire




60 CHARLES I~!'.


qu'il s'opposait a de nouvelles prétentions des Corn-
munes, ou qu'il avait abandonné ses arnis en les
voyant dépasser les limites de la légalité, et de la Ioyauté
politiqueo Les mesures auxquelles il participa violaient
ces mémes lois quil avait eu la gloire de faire recon-
naitre et établir. Il avait dit Iui-rnéme : « Que devons-
nous revendiquer : - quoi? Des innovations : non pas :
- mais bien des libertés anciennes, légales, et vitales;
nous devons remettre en vigueur les lois faites par nos
ancétres, et leur imprimer une telle sanction que nÉSOR-


,


MAIS AUCUN ESPRIT ARBITRAIRE N OSE LES ATTAQUER.
Quand il se trouvait, en Irlande , comrne Lieutenant-
Gouverneur, voulant obtenir un avantage mornentané
pour le Roi, il fit aux Catholiques Romains de grandes
promesses qu'il n 'avait pas l'intention de tenir. JI sol-
licita le titre de cornte pour récompense de ses servi-
ces, avec une importunité qui témoignait en lui de
l'ambition la plus mesquine. Lorsqu'il était dans le
nord du royaume, il persécuta de la facón la plus
cruelle un Sir David Foulis qui lui avait refusé une
marque insignifiante de respecto ~ JI traita de méme
Lord Mountmorris en Irlande. En somme, c'était un
homme violent, sans principes, sans la moindre gran-
deur d'áme ; car sa priere au Roi de le Iaisser mourir
ne peut guere paraitre avoir été sincere; iI est peu
douteux que jusqu'á la fin de sa carriere Strafford es-
péra s'élever au pouvoir supréme en mettant le peuple
sous ses pieds. L'intrépidité de son caractere , son


* Biographies de Macdiarmid, vol. JI, p. 12.




CHARLES ler• 61


éloquence puissante, ses vertus dans la vie privée, et
par-dessus tout la maniere injuste dont il fut condamné
a mort ont servi adétourner de son nom l'horreur qui
autrement s'y serait attachée aux yeux de tout pa-
triote. L'exécution de Strafford jette une souillure sur
tous les partis. La Chambre des Communes était pous-
sée par la haine; la Chambre des Lords obéit a la
peur; et Charles se laissa entrainer par un motif quel-
conque, et en tous cas peu honorable. L'admission de
la populace dans les salles du Parlement pour intimi-
der les j uges fu t un signe évident que les lois allaient
disparattre.


Aucun arrangement équitable n'est possible entre
un roi qui repousse toute limite de sa prérogative et
un peuple qui en exige. Ces pouvoirs de lever des
troupes, de proroger et de dissoudre le Parlement,
qui forment l'autorité ordinaire d'un roi a attribu-
tions limitées ne sauraient étre eonfiées a un souve-
rain dont le but principal est de détruire au moyen
d'un parti les limites qu'on lui impose. Guillaume 111,
Anne, et les premiers souverains de la Maison de
Brunswick auraient pu sans danger étre revétus de
la prérogative, parce qu'aueun parti, dans la nation,
ne souhaitait de voir en leurs mains l'autorité arbi-
traire; il n'en pouvait étre de méme relativement a
Charles I" parce que les Cavaliers auraient, a l'una-
nimité, aboli toutes les restrictions imposées par le
Parlement. De sorte qu'aprés avoir établi des garan-
ties suffisantes pour le peuple contre la royauté , le
parti populaire lut obligé d'en invente!' de nouvelles




62 CHARLES lel'.


contre le Roi Charles. A la suite du complot royaliste
dans l'armée, et surtout lorsque la guerre eut éc1até, on
dut prendre des précautions pru utiles et peu conve-
nables en temps ordinaire. Telle est la seule justifica-
tion de la loi sur la milice, du bill sur la continuation
du Parlement, et des articles d'Uxbridge. On ne pou-
vait guere s'attendre a voir le parti victorieux dé-
poser les armes, aventurer le sort des libertés qu'il
venait d'arracher a la Couronne entre les mains d'un
Parlement spécial; et confier enfin la vie des sujets a
la c1émence d'un roi qui retrouvait son épée. C'était
une diffieulté inhérente a la situation. La préroga-
tive royale est si étendue, qu'il faut une déclara-
tion formelle de l' opinion nationale pour lui inter-
dire tout empiétement sur les autres pouvoirs de
l'État.


Ce prineipe une fois admis sert aexpliquer les évé-
nernents du regne de Charles. Le Roi débuta par s'op-
poser au Parlement; il essaya de lever des impóts
sans le consulter, et punit d'une facón arbitraire qui-
conque par la parole ou par la plume rappelait les an-
ciennes libertés de l'Angleterre. Pour aeeomplir ees
aetes il trouva dans IE.s régions élevées, et méme sur
les banes de la magistrature, des serviteurs dévoués
et sans prineipes. A la fin ~l fut obligé de eonvoquer
le Parlement. Le Parlement réforma les abus, chátia
les instruments de la tyrannie, et voulut se réserver
le cornrnandement de la force armée de peur qu'aus-
sitót apres avoir dissous les Chambres le Roi ne l'em-
ployát a rétablir son pouvoir illégal. Charles aima




CHARLES ¡er. 63


mieux courir les chances de la guerre que de con-
sentir a ces conditions. Pendant la guerre ses papiers
furent pris a Naseby, le parti Parlementaire y trouva
la preuve que dans l'esprit du Roi, toutes les con-
cessions qu'il ferait lui devant étre dictées par la
force et non par le droit, il se regarderait comme
libre de reconquérir son autorité premiere des qu'il
en aurait le moyen. On reconnut alors qu'au mo-
ment oú il traitait avec les Chambres il avait consigné
dans les registres du Conseil une protestation, décla-
rant que les deux Chambres ne formaient point un
Parlement, et cependant il leur donnait lui-rnéme ce
nom ostensiblement. 11 fut évident pour tout le monde
que le Roi se croyait autorisé a se servir de tous les
moyens possibles pour rentrer en possession de l'au-
torité absolue qui, a son avis, lui appartenait par
droit de naissance. C'est en cela, seIon moi, que Cla-
rendon et les royalistes constitutionnels commirent
une erreur. Sur le papier leurs proclamations et leurs
propositions étaient plus en harmonie avec la Consti-
tution que celles de leurs adversaires; il est certain
qu'en offrant la paix le Parlement outrepassai t les
limites fixées a son action par les anciennes lois du
royaume; il voulait imposer ala prérogative de Charles
des bornes étroites que ne justifiaient ni les précédents
ni la Iégislation. Mais observons l'esprit et non point
la lettre de ce débat ; nous verrons que le Parlement
en mettant de nouvelles restrictions a l'autorité royale,
voulait obtenir des garanties nouvelles pour s'assurer
le respect des anciennes, et que le Roi n'offrait des




CHARLES ¡er.


conditions "Qlausibtes C\.ue 'QOUf se 'Qfocurer le QOu-
voir d'abattre ses adversaíres et de détruire toutes les
barrieres qui s'opposaient a son bon plaisir. La con-
science de Charles I" lui ordonnait de tromper ses
adversaires et de marcher vers l'absolutisme.


Quand la guerre fut terminée et que Charles eut été
vaincu par ses sujets , un nouveau parti venait de
s'élever , plus avancé que les Presbytériens tant en
religion qu'en politiqueo Cette tolérance que les Presby-
tériens avaient réclamée en matiére de costume et de
cérémonies, les Indépendants désiraient l'étendre a la
foi et a la doctrine; ils furent ainsi les premiers avo-
cats de la liberté religieuse. Cette liberté politique
dont les Presbytériens espéraient jouir sous l'ancienne


.royauté de l'Angleterre, les Indépendants pensaient
qu'ils I'obtiendraient plus súrement sous une Consti-
tution républicaine. Leurs idées sur le Roi étaient
faussées par des souvenirs Bibliques; ils croyaient
que le Souverain devait périr, que e'était a lui, non
pas a eux d'expier les péchés de la guerreo Ludlow
pour justifier l'exécution du Roi se plait a citer un
passage emprunté au Livre des Nombres: - ce Le sang
souille la terre, et la terre ne peut étre purifiée du sang
qui y a été répandu que par le sang de celui qui l'a
versé. » El il ajoute ~ « C'est pourquoi je ne peux ad-
mettre les conseils des gens qui voudraient laisser sur
la nation le péché de tant de sang répandu, exposant
ainsi tout le monde ala juste vengeance de Dieu quand
00 sait parfaitement que la guerre a eu pour cause
l' infraction anos droits, a nos lois, et ala Constítution,




enARLES Ier. 65


dont le Roi s'est rendu coupab le. Si cette raison est
tant soit peu valable , elle ne donne pas seulement le
droit, mais elle impose le devoir atout partí victorieux,
dans une guerre civile, de mettre a mort de sang-froid
ses adversaires. Étrange aveuglement !


Charles fut enfin sacrifié, parce que Cromwell ayant
perdu sa popularité en négociant avec lui, voulait re-
conquérir l'estime de l'armée. Dans le cours des négo-
ciations Cromwell avait eu des motifs de soup~onner
que le Roi n'avait pas réellement l'intention de se ré-
concilier avec lui; d'un autre coté il s'apercevait que
les troupes démocratiques dont il avait le commande-
ment allaient se révolter parce qu'elles l'accusaient
d'apostasie. Il cimenta du sang royal sa paix avec elles.
Machiavel, dans le chapitre OU il montre « qu'un peu-
pIe accoutumé avivre sous un prince ne conserve pas
facilement sa liberté si par hasard il devient libre, »
déclare « que pour éviter les troubles et les malheurs il
n'est point de remede plus puissant, plus efficace, plus
salutaire, plus nécessaire que de livrer a la mort les
fils de Brutus, » c'est-á-dire de donner un exemple
frappant de sévérité en la personne de ceux qui vou-
draient se faire les chefs d'une contre-révolution.t C'eet
a ce point de vue que Cromwell envisagea la mort de
Charles. Elle mit fin a toute hésitation, déconcerta les
royalistes , .et l'attacha pour toujours aux ennemis des
Stuarts.


La masse de la nation ne demandait pas que le Roi


.. Memoires de Ludlow, J, p. 267.


.... Voir Note (D) a la fin du volume.
5




66 CHARLES ¡ero


füt puni de mort, hientñt méme elle le pleura. Pendant
sa vie c'était un tyran déjoué dans ses manreuvres,
apres sa mort ce fut un martyr royal.


Charles était un homme obstiné, plein de vains pré-
jugés, ayant des talents remarquables, exempt de la
plupartdes vices, mais ne possédant que peu de vertus.
En politique il fut comme un enfant gaté, et il perdit
patience ala premiére contradiction. Alors meme que
des personnages tels que Lord Falkland et M. Hyde con-
sentaient a l'aider de leurs avis, il tenta sans les con-
sulter de faire arréter cinq Membres du Parlement. S'il
eüt réussi dans cette entreprise, il aurait fait condamner
et exécuter Pym et Hampden, de méme que son fils fit
condamner et exécuter Russell et Sidney. De méme que
son fils encore il n'aurait jamais convoqué un autre
Parlement. Mais la Reine ayant trahi son secret en le
confiant aLady Carlisle, et Lady Carlisle ayant prévenu
Pyrn, Pym et Hampden furent sauvés, et ils virent que
leur unique voie de salut était de courir aux armes
et de remporter la victoire.


Le sort du Parlement importait beaucoup plus a
I'État que celui du Roi. Lorsque les membres du Par-
lement furent obligés de lever une armée, leur indé-
pendance était en danger. L'exclusion de onze membres
ne pouvait étre considérée que comme un acte de vio-
lence qui renversait le gouvernement légaI. La diminu-
tion progressive de leur nombre a tel degré qu'il ne
se composait plus que de cent représentants et méme
souvent de moins; leur assujettissement a des repré-
seníants militaires, le départ des députés, chercher un




CHARLES Ier • 67


refuge dans l'armée, tous ces faits-la témoignaient d'a-
vanceque le Parlement se sentait menacé de dissolu-
tion définitive. Dans cet état de choses les hommes qui
avaient été poussés afaire la guerre par le respect et
l'attachement dont ils étaient animés pour les formes
légales et pour les précédents, se virent sans étoile
polaire et sans boussole dans leur marche politiqueo
Beaucoup d'entre eux, sans doute, avaient pensé qu'une
guerre contre Charles Il'r devait étre, comme la guerre
faite a Henri IJI par ses sujets, un moyen d'obtenir la
réparation de leurs griefs. lIs a'imaginérent qu'aprés
un instant de lutte, le Roi céderait aux désirs de ses
sujeta, et rétablirait I'ordre dans la nation. Mais quand
ils virent I'autorité renversée, le gouvernement mis en
question, ils ne surent plus 011 trouver la liberté, la lé-
galité. Ne pouvant remédier a cette confusion ils jete-
rent les yeux sur le chef le plus fort, et lui demandérent
de protéger leurs biens et leurs existences. C'est ainsi
que ponr avoir voulu perfectionner tout dun coup des
institutions humaines, obtenir de l'autorité la pro-
tection qu'elle peut accorder sans subir le joug de son
oppression, pour avoir voulu faire de la loi l' ex-
pression exacte de la vérité comme de la justice on
en arriva a retomber dans les errements les plus pri-
mitifs d'une tribu sauvage et guerriere.




CHAPITRE VIII.


CAUSES DE LA DISSOLUTION DE LA FORME DU GOUVERNEMENT ANGLAIS


SOUS CHARLES 18 " .


el Cunetas nationes et urbes, populus, aut primores, aut singuli
regunt; deleeta ex his et eonstituta reipublicee forma laudari facilius
quam evenire, vel, si evenit, haud diuturna esse potest. » - Tacite.


Tel est l'arrét porté par Tacite. Cet arrét, bien qu'il
ait été démenti par les faits, s'éléve a une hauteur de
pensée qui atteint presque I'idéal du raisonnement
L'histoire du gouvernement Britannique, bien qu'en
définitive elle donne tort a Tacite, lui a souvent donné
raison dans le détail. Examinons d'abord ce qu'un es-
prit si profond a pu regarder comme formant obstacle
au succes d'une constitution dont les éléments sont la
monarchie, l'aristocratie, et la démocratie. Était-ce
difficuIté d' équilibrer ces trois pouvoirs '? Assurément
non. Rien n'est plus facile que de tracer le plan dune
constitution qui accorderait a ces trois pouvoirs I'au-
torité que chacun doit avoir en théorie. Il n'est méme
aucune constitution , si elle est l'reuvre d'un homme de




DISSOLUTION DU GOUVERNEMENT ANGLAIS. 69


hon sens, qui ne paraisse meilleure, a eet égard, que
la nutre. Qu'y a-t-il de plus absurde a priori que de
reconnaitre au Roi le droit de faire la paix et la guerre
pendant qu'on réserve ala Chambre des Communes le
droit de fournir ou de refuser les subsides?


Ce n'est done pas la diffieulté d'équilibrer les pou-
voirs qui avait hesoin d'étre résolue par l'heureuse
réfutation que notre histoire a faite de Taeite. Le grand
probleme était de savoir eomment, dans la pratique,
ces trois pouvoirs s'exereeraient sans troubles ni con-
vulsions. Beaueoup d'ouvriers peuvent faire un auto-
mate, mais il en est peu qui sachent le faire jouer aux
éehees. Beaucoup de seulpteurs peuvent faire une belle
statue, mais Prométhée seul sut animer son chef-d'reu-
vre. La premiere souree de troubles probables dans une
eonstitution telle que la nótre, e' est un eonflit entre le
Hoi, eonsidéré eomme souverain, et le Parlement formé,
de la Chambre des Lords et de la Chambre des Com-
munes qui doivent le conseiller. En vertu de la Consti-
tution c'est au Roi qu'appartient le droit de nommer
aux fonctions exécutives du gouvernement. Mais s'il
arrive que les fonctionnaires violent les lois, trahissent
le pays, méconnaissent ses intéréts, ou gaspillent son
sang, le grand conseil de la nation doit avoir le droit
de demander et d'obtenir leur éloignement. Deux attri-
hutions si opposées ont naturellement causé des
troubles et des calamités.


Sous les régnes d'Henri 1I1, d'Édouard JI, et de Ri-
chard lJ, la mauvaise eonduite des fonctionnairesa
eompromis I'autorité du tróne ; et en plus d'une oeea-




70 CAUSES DE LA DISSOLUTION


sion le Parlement a ehoisi des commissaires , ponr
exereer les prérogatives royales. Ces mesures étaient
momentanément révolutionnaires. Apres l'avénement
des Tudors, il y eut une autre sorte de révolution;
a son retour le Roi absorba les pouvoirs du Parlement.


Quand commencérent les dérnélés entre Charles l" et
son peuple, cette laeune de notre Constitution se mon-
tra de nouveau, et faillit amener la ruine de I'État lui-
méme. Le premier parti de l'opposition formé de ceux
qu'on appela plus tard les Presbytériens, s'apercut de
la difficulté qu'il imagina de résoudre par les moyens
employés depuis avee succés. Pour assurer au pouvoir
monarchique une durée paisible et longue, les Presby-
tériens voulurent que les amis du peuple devinssent les
ministres de la Couronne. Charles Ier accepta la propo-
sition, et nomma ceux qu'on lui désignait, mais il se
dégoüta hientót de leurs avis qui ne s'accordaient pas
avec ses idées de pouvoir arbitraire. Il se plongea témé-
rairement dans la guerre civile et tout espoir d' aceom-
modement ne tarda pas ase perdre. Alors une nouvelle
école d'hommes politiques s'éleva , déclarant que
c'était folie de verser tant de sang pour obtenir dn Roi
l'adoption d'homrnes et de mesures populaires quand
on pOlivait acquérir des avantages analogues en abolis-
sant la royauté. C'est ainsi que s'accornplit de nouveau
la prophétie de Tacite; les nobles avaient une fois
absorbé la prérogative royale et les droits du peuple;
ensuite le Roí s'était élevé en dominateur absolu sur
les nobles et sur le peuple; et maintenant voilá le
peuple qui étouffe la royauté et l'aristocratie. Les trois




DU GOUVERNEMENT ANGLAIS. 71


pouvoirs, bien que chacun d'eux eút un droit légal a
sa part dautorité, étaient néanmoins confondus, aprés
avoir successivement empiété l'un sur l'autre et triom-
phé l'un de l'autre. La Constitution ofírait encore
l'image du chaos. L'heure n'était pas encore arrivée oú
serait faite la séparation des éléments; oú la variété
pourrait amener des contrastes sans désordre; oú le
Roi et la Chambre des Communes auraient une action
distincte ponr s'entr'aider.


Cependant ala longue Guillaume III, la Heine Anne, et
George I" comprirent que l'harmonie pouvait seulement
exister dans le cas OU le Souverain prendrai t pour ses
ministres et revétirait de sa confiance les hommes po-
litiques acceptés déja comme chefs honorés de leur
confiance par les membres de la Chambre des Commu-
nes. La Maison des Stuarts refusa d' adopter cette con-
dition essentielle et elle perdit la couronne; la Maison
de Hanovre y consentít, et puisse-t-elle occuper long-
temps le tróne l




CHAPITRE IX.


CROMWELL, CHARLES 11, ET JACQUES 11.


ti Assurément il ne vaut pas la peine le moins du monde d'écarter
du pouvoir un souverain qui agit d'une facón arbitraire pour mettre
asa place un autre hornrne avec des pouvoirs tout aussi illimités ~
-Ludlow.


Cromwell a beaucoup fait pour son pays. Il a accru
la gloire mari time, et rendu formidable le nom de
I'Angleterre aux yeux des souverains légitimes qui le
regardaient avec dérision á cause de son origine. n ar-
reta le sourire moqueur sur leurs levres par la crainte
qu'il leur inspirait au creur. 1l fit usage de cette intimi-
dation salutaire ponr garantir la liberté des Protestants
al'étranger; et, avant de mourir, il comprit le danger
dont I'Europe était menaeée par la Franee; il résolut
d'en arréter le progreso A l'intérieur iI sut tenir d'une
main ferme la balance et lui conserver son équilibre,
il u'accorda les préférenees de l'État a aueune secte, et
sans les prétentions, qui, de sa part, provoquerent la
révolte et l'obligerent adéployer une sévérité néeessaire,




CROM-WELL, CH.ARLES u, ET JA.CQUES n. 73
,


sa domination n 'eút pas été dure. Beaucoup de gens
auraient admiré son caractere a'il fút né sur le tróne, et
d'autres le loueraient avec plus de chaleur s'il n'avait
jamáis eu la puissance souveraine.


Les querelles de l'armée avecle Parlement, et des gé-
néraux de l'armée entre eux sont dans l'histoire mo-
derne ce qui ressemble le plus aux dissensions du Sénat
et de la soldatesque á Rome. On pouvait y voir le pré-
lude d'une restauration. La Restauration ason tour an-
noncait naturellement des exécutions cruelles, et toute
une série de manquements a la parole jurée, aux pro-
messes faites, des alternatives de joies passageres et
d'amers désappointements. La mort de Sir Harry Vane
déshonora Clarendon et Charles; c 'est l'un des actes
les plus inhumains et les plus perfides que renferme
notre histoire. Dans tout le cours d'un long regne,
Charles II ne fit rien pour se faire pardonner ses ven-
geances. n foula aux pieds les droitsdu peuple, répan-
dit le meilleur sang de la nation, celui qui lui avait
donné la couronne : il rampa devant la France a une
époque oú de toutes les nations c'était l'Angleterre qui
aurait dú le plus s'opposer a l'ambition Francaise. De
cette facon, le Roi se rendit odieux au dedans par sa ty-
rannie et méprisable au dehors par sa servilité. Cepen-
dant, ce principe de la Restauration une fois admis, il
y a heaucoup a dire en faveur de ceux qu'on critique
ordinairement pour n'avoir pas posé des conditions au
retour des Stuarts. La meilleure garantie de la liberté
c'était que le Roí ne pút disposer des finances sans le
consentement des Chambres. Cette réserve faite, aucune




74 CROMWELL, CHARLES JI, ET JACQUES JI.


autre condition n'etait nécessaire; cette réserve négligée
imprudemment, aucune autre condition ne pouvait
avoir de l'efficacité. Clarendon le vit bien, et il fit son
devoir; Jacques ne manquanon plus de s'en apereevoir ,
et ce fut la cause de sa haine pour Clarendon. Le des-
potisme de Charles II n'établit cependant pas comme
un fait I'imprévoyanee de ceux qui I'avaient rappelé.
Cette pension qu'il recut de Louis XIV lui servit de
ressource pour braver toutes les limites imposées au
pouvoir de la royauté; si Guillaume III eüt accepté l'ar-
gent de la France, il aurait pu narguer toutes les remon-
trances du Parlement.


Le caraetére de Charles 11 et celui de Shaftesbury
nuancerent de bigarrures le nouveau régne , le premier
indolent et sans souci , l'autre violent et téméraire,
tous deux manquant de logique et de prineipes. On eut
un roi débauché tandis que le peuple était religieux; a
coté des exces tyranniques les excés des factions ; sous
le plus mauvais des gouvernements furent faite s les
meilleures lois; triomphe d'un parti, victoire du des-
potisme, tels sont les traits distinctifs de cette courte
période. Il est difficile de comprendre les raisons qui
engagerent Charles, hornme spirituel, frivole, et sans
énergie, aentreprendre le projet si vaste de conquérir le
pouvoir absolu. Peut-étre l'inconséquence dumonarque
le rendit-elle aecessible aux conseils de son frére, peut-
étre ne fit-il que suivre les avis des courtisans. Le plus
sur moyen d'arriver a l'absolutisme une fois qu'il en
eüt fait le réve, c'était '-P0ur Charles d'obtenir de la
France et de l'argent et des troupes. Et comme le tróne




CROMWELL, CHARLES JI, ET JACQUES n. 75


de son pére avait été renversé par le fanatisme reli-
gieux, iI voulut fonder le sien sur une religion qui re-
commande l'ohéissance passive. Mais comme la réalisa-
tion de ses projets ne marchait pas, il les abandonna
un peu par nonchalance, un peu par prudence, - se
contentant des dons charitables qu'il recevait deFrance
périodiquement. L'opposition si vive de Shaftesbury, et
la tentative qui fut faite d 'exclure son frere du tróne
le ranimerent un moment, et la découverte du Complot
de Rye House lui servit de prétexte suffisant pour se
débarrasser de ses principaux ennemis. C'est ainsi que
sans activité, sans tracas d'esprit, uniquement en ti-
rant parti des évéuements, il acquit une autorité que
n'avaient [amais eue ceux de sa maison qui avaient le plus
pratiqué le métier de roi. 11 étouffa les lihertés de l'An-
gleterre paree qu'il trouvait a agir ainsi rnoins de tra-
vaiI qu'á les maintenir. Cependant, bien qu'ils aient
échoué, ceux qui proposérent et firent passer a la
Chambre des Communes un bill destiné a exclure du
tróne le plus proche héritier de Charles, prouvérent
que leur honnéteté et leur libéralisme étaient a toute
épreuve. Le Bill d'Exclusion était l'avant-coureur légal
de la Révolution qui approchait.


Le regne de Charles JI, comme on l'a vu, fut une épo-
que de mauvais gouvernement mais de bonne législa-
tion. L'Acte d'Habeas Corpus, la plus remarquable des
lois qui furent faites alors, est la meilleure de toutes
les garanties qu'00 ait trouvée pour la liberté; il ne faut
pas croire cependant qu'elle fut inventée sous ce regne.
Le Writ en lui-rnérne est d'origine ancienne; plusieurs




76 CROMWELL, CHARLES II, ET JACQUES n.


Iois en font mention et le confirment; mais avant le re-
gne de Charles 11 on n'en avait jamais prescrit l'appli-
cation, et méme aprés ce temps-lá I'ile de Sto Nicholas,
dans le port de Plymouth, continua aservir de prison
d'état, hors des atteintes de la loi.


Jacques 11 forma des plans qui ne ressemblaient
point aceux de son prédécesseur. Téméraire, obstiné,
plein de préjugés, il résolut d' obtenir le pouvoir arbi-
traire et de faire de la religion Catholique Romaine la
religion de l'État. Lequel de ces deux projets devait
étre mené le premier a fin, dans son intention, c'est ce
qu'il me semble peu utile d'examiner, car il est évident
que tous deux obsédaient sa pensée. Jl en poursuivit
l'exécution avec cette opiniátreté stupide qui est souvent
si fatale aux gens sans talent. Son manque de bon sens
était accompagné rl'un manque de eceur , et comme
i1 ne savait pas raisonner, i1 n 'avaít aueune pitié pour
ceux qui raisonnaient juste. Ses propres opinions lui
semblaient des vérités infaillibles, et il ne connaissait
qu'un seul moyen de convaincre ceux qui doutaient,
c'était de les faire exécuter.


Toutes les fautes des Stuarts ont pour origine le pé-
dantisme scolastique de Jacques I. En général ces
prinees n'avaient pas recu de la nature ce caractére
cruel, injustement capricieux, ridiculement peureux
qui fait les tyrans. Mais ils étaient intimement per-
suadés qu'ils héritaient d'un pouvoir arbitraire; et
s'ils ont eu recours si souvent aux taxes, aux amendes,
a la confiscation, et a la peine de mort , c'est qu'ils
croyaient avoir un droit divin de gouverner cornme ils




CROMWELL, CHARLES JI, ET JACQUES JI. 77


le voudraient. Jacques 1 avait emprunté cette idée aux
jurisconsultes anciens et a leurs imitateurs d'Italie et
d'Allemagne. ll la légua ason fils qui perdit la vie pour
avoir voulu persévérer dans cette erreur. Son petit-fils
Jacques H ayant essayé a son tour d'en chercher le
.triomphe tomba du tróne sans devenir un objet de
commisération. Toute la famille est depuis lors de-
meurée en exil, et le dernier descendant mále de Jac-
ques 11 mourut cardinal el. Rome. C'etait payer cher une
théorie fausse, mais dont le succes aurait coúté plus
cher encore aux Anglais.




CHAPITRE X.


LA RÉVOLUTION.


«Quand on veut reformer un ancien État, et le constituer en pays
libre, il faut garder au moins l'ombre des institutions anciennes.»
- Machiavel.


nya peu d'exemples de révolutions qui aient pro-
duit des avantages immédiats. Cette considération doit
engager les gens qui ont de l'influence sur leurs com-
patriotes a agir prudemment quand ils entreprennent
l'éxécution de projets qui peuvent mettre en péril tout
ce qui existe, a moins qu'ils ne soient bien súrs d'ar-
river a leur but.


La Révolution de 1688 me parait l'idéal d'une
étroite combinaison d'audace et de prudence.


Les Tories n'étaient point aussi alarmés de voir la
liberté renversée que de remarquer les innovations in-
troduites dans le culte. (eL'Égliseet le Hoi, » c'était, par
ordre de préséance, la formule de leur foi. Pour con-
server l'Église ils appelérent le Prince d'Orange; mais
[amáis ils n'avaient eu l'idée qu'il supplanterait le, Roi




LA RÉVOLUTION. 79
légitime. Le Comte de Nottingham proposa a la Charn-
bre des Lords de nommer ce prince régent du royaume;
la Duchesse de Marlborough parle de la surprise
qu'éprouva son époux en apprenant que la couronne
allait étre donnée a Guillaume; et le Comte de Danby
avoua, 'dans le preces de Sacheverell, que jamais il
n'avait désiré ni prévu la déchéance de Jacques.


Si ceux qui appelerent en Angleterre le Prince d'O-
range s'étaient contentés d'obliger Jacques 11 a réunir
un Parlement, le reste du regne se serait passé en con-
flits perpétuels. II aurait été plus absurde encore de
donner aGuillaurne le pouvoir en conservant aJacques
le titre de Roi. Ce titre, qui n'est pas le patrirnoine d'un
individu , ne peut appartenir qu'á l'hornme qui en
exerce l'autorité. La Princesse d'Orange était (a l'excep-
tion du fils encore en bas age de Jacques 11) la plus pro-
che héritiérc du sang, et Protestante; le Prince d'Orange
était neveu de Jacques: il avait donc les qualités re-
quises pour le tróne. En outre, aux yeux du parti Whig
il réunissait cet avantage de représenter avec le droit
ala couronne, le droit du peuple a sa liberté contre le
mérne Prétendant.*


Les Whigs les plus violents ne furent pas compléte-
ment satisfaits d'un simple changement de dynastie. lIs
visaient a de vastes réformes dans l'Église et dans
l'État : ils voulaient changer nos lois ecclésiastiques et
modifier cntiércment la Chambre des Communes. D'au-


* Si la couronne avait été a la Maison des Stuarts, elle serait au-
jourd'hui (1824:) sur la tete du Roi de Sardaigne, descendant d'une
tille de la Duchesse d'Orléans, qui était elle-rnérne filie de Charles Ier.




80 LA RÉVOLUTION.
tres désiraient abolir la monarchie et proclamer la ré-
publique. Mais les meneurs de la Révolution savaient,
avec Machiavel, que rien n'est plus propre a affermir
un nouveau gouvernement que la conservation des
formes anciennes et des institutions vénérées. lIs sa-
'vaient que se mettre a discuter de nouveaux projets
quelque plausibles qu'ils fussent, en un parei I moment
et en face d'adversaires nombreux, ce serait exposer
l' reuvre et se jeter dans des conílits sans fin et sans
solutions décisives ou satisfaisantes. Aussi se contenté-
rent-ils de confirmer ~ par un statut solennel, toutes les
anciennes libertés de l'Angleterre, et de protester con-
tre les cas particuliers OU ces libertés avaient été vio-
Iées pendant le régne précédent. Les garanties qu'ils
prirent étaient-eIles suffisantes pour servir de base a
un bon gouvernement, ou bien n'étaient-clles que des
demi-mesures, bonnes a l'ceil, mauvaises au gout ~
c'est ce que nous verrons dans le chapitre suivant.


Il est eurieux de lire le récit des conférences qui se
tinrent entre les deux Chambres sur la signification
des mots « abandonné ») et « abdiqué; » et celui du débat
qui eut lieu dans la Chambre des Lords pour savoir
s'il y a ou s'il n'y a pas un contrat originel entre le
Roi et le peuple. C'est bien certainement se tromper que
de supposer \' existence d'un contrat tacite qui établit
les rapports du Roi et de ses sujets. Le Roí, sans au-
cune sorte de eontrat, est obligé d'exécuter les lois dont
la garde lui est confiée. Tel est son devoir. Mais si a
n'importe quelle époque le peuple réclame de nou-
veIles libertés, le Roí doit lui accorder la sorte de'gou-




LA RÉVOLUTION. 81
vernement que l'état de la nation, et le progres des con-
naissances peuvent exiger. 'Un gouvernement n'est du-
rable que lorsqu'il repose sur le consentement des
gouvernés.


Néanmoins, cette idée d'un contrat originel était ac-
ceptée théoriquement par tous les amis de la liberté en
Europe. Les EspagnoJs l'avaient mise en avant au
déhut de leur querelle avec Charles V; elle se fonda
méme sur l'origine des gouvernements féodaux. Tout
le débat a la Chambre des Lords roula entre les par-
tisans du contrat originel et ceux du droit divino En
somme il s'agissait de savoir si les rois tiennent oui ou
non leur autorité du peuple. On décida l'affirmative; et
la résolution suivante porta que Jacques avait abusé du
pouvoir , et s'était ainsi rendu justiciable de la nation.
Tel est évidemment le sens du vote par lequel les deux
Chambres déclarérent que Jacques avait rompu le con ..
trat originel qui liait le roi au peuple, avait violé les
lois fondamentales, et que cette abdication rendait le
trñne vacant. Rien ne fait plus honneur ala modération
et a lajustice du peuple Anglais, que le calme de cette
discussion- rien ne prouve plus décisivement sa sagesse
et son amour de la liberté que l' arrét alors prononcé.


o




CHAPITRE XI.


DÉFINITION8 DE LA LIBERTÉ.


«Les libertés des nations viennent de Dieu et de la nature, non pas
des rois. l) - Algernon Sidney.


On a donné plusieurs déflnitions du mot liberté. La
plupart ne méritent aucune attention ; mais il en est
deux qui, ayant été adoptées par des hommes célebres,
sont dignes de considération : la premiere est celle que
donnent les jurisconsultes Homains, a savoir, que la
liberté c'est le pouvoir de faire ce qui n'est pas défendu
par les lois. D'aprés la seconde il faut entendre par
liberté le pouvoir de faire tout ce qui doit étre permiso
De ces deux définitions la premiere, a mon sens, est
trop étroite et la seconde trop large. Si la liberté con-


,


siste apouvoir faire ce que la loi autorise, un despo-
tisme, établi par la loi , agissant toujours en vertu de
la loi, serait un Gouvernement libre. Napoléon, par
exemple, n'a presque jamais violé les lois qu'il avait
faites en France; néanmoins ces lois étaient tyranni-
queso D'un autre coté, si on ne peut dire d'un pay~




DÉFINITIONS DE LA LIBERTÉ. 83
qu'il est libre que lorsqu'on n'y trouve aucune injuste
prohibition, aueune pénalité inutile, il est impossible
de citer dans l'histoire un gouvernement libre. Que
dira-t-on, par exemple, de eette loi des Douze Tables
qui ordonnait de livrer a leurs créanciers les débiteurs
insolvables ehargés de liens et de fers, et qui, si elle
n'en faisait pas précisément des esclaves, les soumet-
tait au traitement des esclaves et méme a des rigueurs
plus grandes? * Est-il, en somme, une démocratie quel-
conque dont on pourrait vanter la liberté? Tous les pays
démocratiques n'ont-ils point voté des lois marquées
au coin de Ieurs passions? L'Angleterre elle- meme ,
dont le Gouvernement se eompose de forces élémen-
taires en conflit, a admis dans sa loi écrite plus d'une
disposition injuste et cruelle. Définir la liberté est
peut-étre ehose impratieable. La liberté n 'est pas tout
d'une piéce ; une nation peut avoir une sorte de liberté,
manquer d'une autre sorteo Cependant les principaux
avantages qu'une soeiété puisse obtenir en acceptant
une forme de gouvernement sont susceptibles d'entrer
dans la classification suivante: Liberté Civile, Liberté
Personnelle, et Liberté Politiqueo


Par liberté civile, j'entends le pouvoir de faire uni-
quement ce qui n'est pas défendu par les lois. Cette
définition eomprend la séeurité de la personne et de la
propriété,


Par liberté personnelle, j'entends le pouvoir de faire
ce qui n'est pas nuisible, comme d'éerireou de parler ,


.. Aclaro, Antiq. Bom., p. 45. Aulu-Gelle, N. A., 1. XX, t.




8f± DÉFINITIONS DE LA LIBERTÉ.
choses dont l'abus seulement est criminel. Sous ce
chef on peut embrasser l'éligibilité aux fonctions.


Par liberté politique, j'entends le droit qui est léga-
lement reconnu au peuple de contróler son gouverne-
ment ou d'y prendre parto


Chacune de ces libertés devrait exister dans la plus
grande proportionpossible. Elles étaient toutes com-
prises par la représentation de Cromwell sous ces
mots: ( La paix et la sécurité, les droits et les priviléges
du peuple. »




CHAPITRE XII.


LIBERTÉ CIVILE.


«Les lois d'Angleterre appartiennent au peuple par droit de nais-
sanee; tous les Rois et les Reines qui monteront sur le tróne devront
administrer le royaume d'apres ees lois; tous leurs fonetionnaires et
ministres devront s'y eonformer. » - Statuts ) 2 et )3 Guillaume IlI,
c. 2.


La liberté civile comprend la sécurité de la per-
sonne et de la propriété. Car si un homme est autorisé
a faire ce que la loi permet, il peut étre puni dans le
cas oú il léverait la main contre son voisin au mépris
de la loi, et s'il est libre de faire ce que la loi ne défend
pas, il ne peut étre repris pour l'exercice légal de ses
droits.


lt Un jour qu'il se promenait dans un champ accom-
pagné d'une trentaine de gens de sa suite et d'esclaves,
Hassan dit au propriétaire de ce champ qu'il avait eu
tort d'y semer de l'orge attendu que les melons d'eau
y seraient mieux venus. Puis ayant tiré de sa poche de
la graine de melon , il dit a cet homme: « Vous feriez




86 LIBERTÉ CIVILE.
bien d'abattre votre orge et de semer ceci. )) Cornme
l'orge était presque mure, le propriétaire s'excusa de
ne pas suivre le conseil du Kashef. ( Alors, » dit celui-ci,
« je semerai pour vous, » et il ordonna a son monde
de couper immédiatement la moisson, et de préparer
le champ arecevoir la graine de melon. Son bateau fut
chargé d'orge et une famille fut réduite a la misére
pour fournir aux chevaux et aux dromadaires du gou-
verneur de la nourriture pendant trois jours. -l' On sent
bien que dans un pays OU pareil acte peut se com-
mettre, il n'y a point de sécurité pour la propriété.


Tavernier parle d'un roi de Perse qui ordonna de
construire une pyramide avec toutes les tetes des ani-
maux qu'il avait tués en un seul jour a la chasse,
Quand cette pyramide fut terminée l'architecte vint
lui dire que la pyramide était complete sauf au sommet
OU il manquait une grosse tete. « Je crois, )) dit le roi,
« que la vótre fera l' affaire; » et a cette plaisanterie
brutale il sacrifia la vie d'un innocent. Dans un tel
pays il ne peut yavoir de sécurité pour la vie.


Lorsque Athénes était dans sa splendeur , on y vit
s'élever cette détestable caste dindividus qui gagnaient
leur vie en faisant de l'espionnage contre les citoyens
les meilleurs et les plus recommandables, et en offrant
ala rapacité d'une populace qui dominait la perspective
séduisante de richesses a confisquer. Ceux qui sont
enclins a admirer un gouvernement démocratique ne
devraient jamais oublier que le mot sycophante tire son


.. Buckhardt, VOYllges en Nubie, vol. 1, p. 9l:l.




LIBERTÉ CIVILE. 87
origine du peuple OU la démocratie a eu le plus de
pouvOlr.


Nicophemus et Aristophane étant fonctionnaires pu-
blics, furent accusés de malversation. Apres que le
gouvernement eut changé de mains, ils furent empri-
sonnés et exécutés secretement sans forme de proceso
leurs biens furent confisqués. L'avidité de leurs accu-
sateurs se trouvant désappointée, une poursuite fut
intentée contre le frére de la veuve d'Aristophane sous
prétexte qu'il avait détourné la somme qui manquait.
Au jour du preces quel fut le langage de son avocat?
On pense peut-étre qu'il fit appel aux sentiments de
justiee et d'humanité Point du tout : il accusa directe-
ment la rapacité des juges. « C'est une tache difficile, »
dit-il, ( que de réfuter l'opinion qui attribuait de grandes
richesses aNicopheme. La rareté de l'argent dans cette
ville et les besoins du trésor public que cette confisca-
tion était destinée a remplir, ne manqueront pas de
prévenir les juges contre mon client. » ~


Pendant le régne de la Terreur en France on guillo-
tinait des personnes pour crime de parenté avec des
suspects, ou pour avoir connu des condamnés, ou bien
encorepour avoir pleuré ala mort du Roi, et pour d' au-
tres motifs vagues et insignifiants.


C'est ainsi que le despotisme sans limite et que la
démocratie sans controle sont également défavorables
al'existence de la liberté civile. J'ai pris pour exemples
des eas extremes; mais dans tout pays GU le monarque,


.. Mitford, Histoire de la Gréce, vol. V, p. 96.




88 LIBERTÉ CIVILE.
1'aristocratie, ou la multitude ont un pouvoir excessif',
la liberté civile est incompléte ; dans un tel gouverne-
ment le sujeta beauobéir aux lois, il ne peut étre certain
d'échapper méme alors aux impóts ou aux emprisonne-
ments arbitraires. Témoin la gabelle et la Bastille de la
monarchie Franeaise, les prisons de Venise, et les exils
de Florence. Tous ces états en apparence vivaient sous
l' empire des lois, mais poul' quelques citoyens ces lois
n'étaient qu'un bouelier de papier. On peut dire ce-
pendant qu'en général dans les paYE monarchiques la
loi est violée plus fréquemment et dans les pays dérno-
cratiques plus remarquablement. Qu'un roi étant re-
gardé cornme une sorte de créature supérieure aux
autres puisse oppruner un esciave, cela semble plus
naturel et plus su pportable qu 'il ne le serait de la parL
d'hommes libres s'ils rnaltraitaient un égal.


Voyons rnaintenant quelles sont les garanties de la
liberté civile en Angleterre. Le Roi déclare en acceptant
la Grande Charte, la plus ancienne el la rneilleure de nos
lois écrites, qu'aucun homme libre ne sera privé de la
vie si ce n' est aprés avoir été jugé par ses pairs ou
d'aprés la loi du pays: - Nullus liber homo aliquo modo
destruetur, nisi per leqale judicium parium suorum, aut
per legem terne. Cette loi admirable fut néanmoins vio-
lée adiverses reprises dans les temps de désordre. Elle
fut souvent renouvelée, mais malgré ces renouvelle-
ments, ma!gré la Pétition des Droits, le sujet n'eut une
garantie sérieuse contre l'oppression que lorsque une
loi de Charles 11 eut fourni les moyens de mettre facile-
ment aexécution le writ d'Habeas Corpus. Cet AcLe bien




LIBERTÉ CIVILE. 89
connu sous le nom d' Habeas Corpus Act, commande
que sur requéte écrite émanant directement ou faite en
faveur d'une personne qui a été mise en prison, excepté
pour le cas de haute trahison ou de félonie, le Lord
Chancelier et les Juges devront sous peine de 500 l.
d'amende , délivrer un mandat pour ordonner de la
faire comparaitre devant la cour. Le mandat doit étre
lancé, et le prisonnier doit comparaitre dans les vingt
jours: et si l'accusation qui pese sur ce dernier est de
celles qui permettent qu'on fournisse caution, le pri-
sonnier doit étre mis en liberté des qu'il a fourni cette
caution,et qu'il s'est engagéa se présenter pour etrejugé.
S'il est accusé de trahison ou de félonie, et si les pour-
suites n' ont pas été continuées a l'expiration du second
terme judiciaire qui vient apres l'emprisonnement, le
prisonnier doit etre mis en liberté. Si l'objet de l'accu-
sation n'est pas spécifié dans le mandat d'arrét, l'in-
carcération est illégale, et le prisonnier doit étre reláché.
Outre cette mesure protectrice il en est d'autres : deux
fois par an les Juges parcourent le pays munis d'une
commission dite de goal-delivery, pour visiter les pri-
sonso Ces garanties ne furent pas cependant respectées
par Jacques 11, qui fit de rile Sto Nicholas, dans le port
de Plymouth, une prison d'État, comme Cromwell
l'avait fait de Jersey. Mais depuis la Révolution, l'Acte
d'Haheas Corpus a été mis en pratique et a toujours suffi
pour protéger les individus. Quant a la suspension de
cette Ioi, j'en parlerai plus loin; je me bornerai pour
le moment a faire observer que ces suspensions mémes
démontrent l'efficacité de l'Acte d'Habeas Corpus, aussi




90 LIBERTÉ CIVILE.
bien que les renouvellements de la Grande Charte dé-
montrent l'inefficacité de ce grand contrato Toutes ces
précautions prises pour empécher les emprisonnements
arbitraires ne serviraient pourtant de rien si la ma-
niere de juger n'était point loyale et prétait al'oppres-
sion. Pour parer a un mal si terrible, nous avons
l'institution du jury. Le sherifi, personnage important
d'un comté, désigne de vingt avingt-trois freeholders,
(ordinairement riches propriétaires) pour composer un
Grand Jury. C'est él ce GrandJury qu'on défére les bills
d'indictment ou d'accusation; il examine les témoins,
et a moins qu'il ne trouve matiére a poursuites, l'ae-
cusation est mise de coté, le procés ne peut continuer.
Voici comment ou forme le second jury, nornmé Petty
Jury, qui doit juger les aecusés : le jury choisit parmi
les [reeholders ou autres que la loi reconnait capables
de siéger un nombre de personnes qui doit étre de qua·
rante-huit au moins, de soixante-douze au plus. On
met les noms dans une urne de verre, et les douze qui
sortent les premiers sont membres du jury. Le prison-
nier a alors le droit de réeuser ceux d'entre ces douze
membres qu'il peut raisonnablement soup<;onner de
partialité , ou dont la réputation a souffert d'une sen-
tence rendue par quelque cour de justice. Dans le eas
de trahison il a le droit péremptoire d'en réeuser trente-
cinq. Quand les débats sont terminés , les douze jurés
sont enfermés ensemble sans pouvoir se séparer ni
communiquer avec le dehors avant qu'ils soient tous
tombés d'aecord pour rendre un verdict al'unanimité.


Ríen en théorie ne sernhle moins parfait que I'insti-




LIBERTÉ CIVILE. 91
tution du jury. Peut-on trouver, dira-t-on , chose qui
soit plus susceptible dentrainer des abus que ce droit
de désignation accordé au sheriff', fonctionnaire de la
Couronne? Et combien doit peser déja sur un accusé la
décision préalable de vingt-trois jurés, gens riches et
marquants, qui se font une idée de l'aífaire en l'envisa-
geant d'un seul cóté seulement? N'est-ce pas créer tres-
probablement une confusion du juste et de l'injuste que
d'exiger un verdict unanime, et de faire reposer l'in-
nocence ou la culpabilité dun prisonnier sur I'incapa-
cité d'esprit, l'obstination, ou méme la force physique
d'un seul juré? Je n'entreprendrai pas de réfuter ces
objections. Le respect que les Anglais ont pour le ju-
gement par jury doit, de méme que leur admiration
pour Shakespeare 1 fournir une preuve justificative et
pratique a l'excellence de ce qu'ils aiment; et il serait
aussi impossihle de démontrer qu'un peuple libre de-
puis longtemps doit ses libertés a une institution enta-
chée de servilité, que de vouloir prouver, avec Voltaire,
qu 'un peuple civilisé depuis longtemps admire un
genre de poésie barbare et ridicule. Il faut reconnaitre
cependant en ce qui regarde le jugement par jury
qu'aux époques malheureuses cette institution peut
donner lieu a des abus, et que la condamnation de
Sidney fut un acte dont l'illégalité violente égala si
elle ne surpassa I'auainder Jont Strañord fut frappé.
Le jury sert done plutót a fortifier la liberté quand
elle est en honneur qu'á la défendre lorsque le mal-
heur des temps l'a étouffée ; on peut dire du jury quil
accompagne fidélement la liberté des parlements et la




92 LIBERTÉ CIVILE.
liberté de la presse, mais qu'il ne mérite pas entiérement
confiance quand il survit aces libertés. Sous Henri VII(
et Charles 11 le jury tourna mal, et devint l'instrument
passif de la tyrannie. Mais, depuis la Révolution, le
respect du droit et de la justice qui a prévalu n'a plus
autorisé cet abuso En somme, c'est le jury quia tenu la
balance en équilibre entre le salut du Gouvernement et
la liberté des sujets.


Le jugement par jury ne laisse en réalité que peu de
pouvoir au juge. Quand le proces est terminé, le juge
résume les preuves, et explique la loi qui régit la ma-
tiére. C'est aux jurés qu'il appartient d'apprécier les
faits, S'ils déclarent que le prisonnier est coupable, le
juge prononce la sentence portée par la loi. Ce systeme,
le meilleur qu'on aitjamais imaginé, ne donne au juge
que l'autorité strictement nécessaire et en rend l'abus
fort difficile. Pour que les jugements aient une forme
réguliére et correcte, il faut nécessairement la présence
d'une personne qui ait des lors cette connaissancequ'on
acquiert seulement au moyen d'études longues et spé-
ciales; et il vaut bien mieux que cette personne prenne
la parole pendant le preces que si elle pretait son con-
cours au moment de la décision, car il y a toujours a la
barre des avocats qui veillent a la saine interprétation
de la loi.


Malgré cette division de pouvoirs, les jurés, au temps
de Charles 11, étaient sous le controle et sous l'autorité
de juges qu'on nommait et qu'on révoquait suivant
leur servilité. Afin d'empécher le retour de cet ahus, un
Acte passé au commencernent du regne de Guillaume JII




LIBERTÉ CIVILE. 93
porta que les juges conserveraient leur place tant qu 'ils
se conduiraient bien, et ne pourraient étre révoqués
que sur une adresse des deux Chambres du Parlement;
-cet Acte répondit parfaitement ason but; il rendit le
pouvoir judiciaire indépendant de l'exécutif, et donna
au nom et au caractére de la magistrature j udiciaire
dans le royaume une autorité qu'ils n'avaient jamais
eue dans le passé. N'oublions pas cependant qu'il y a
encore une garantie plus précieuse peut-étre que toutes
les autres, c'est la publicité des déhats ; l'accusé se
trouve face a face avec l'accusateur sous les yeux du
pays.


La propriété a aussi de bonnes garanties. Une loi
d'Edouard l" declara qu'on ne pourrait demander aux
sujets ni aides ni taxes sans que le royaume y eút con-
senti. Nous verrons dans le chapitre suivant ce que
cela veut dire. Comme, en dépit de cette Ioi, le Roi, au
moyen de la Chambre Étoilée, parvenait a imposer des
amendes arbitraires, on mit dans la loi qui abolit ce
tribunal que le Roi, soit en conseil, soit autrement, ne
pourrait sans illégalité toucher él. la propriété de ses
sujets.


•Les cours de Westminster Hall, les tournées des
juges dans le pays, et un corps de magistrats formé
des personnages principaux .du comté OU ils exer-
cent, rendant sans cesse la justice chez eux, et se
réunissant en sessions trimestrielIes et en petites ses-
sions pour administrer gratuitement,* tels sont les in-


,.. J'ai mis ce mot pour rappeler tous les éloges qu'on accorde au




LIBERTÉ CIVILE.
struments qui servent a mettre en pratique cehel article
de la Grande Charte :- « Nous ne refuserons, ni ne fe-
rons attendre, ni ne vendrons a personne le droit et la
justice. » Nous pouvons partager avecDe Lolme le plai-
sir qu'il eut a ohserver sur l'enceinte de la résidence
royale á Windsor l'inscription suivante : - ce Quiconque
violeracette propriété sera poursuivi conformément
auxlois; » cette inscription réclamait pour le Roi la sé-
curité qui est due au plus pauvre villageois du pays. Et
on ne cite pas de cas OU la famille royale ait profité de
sa position élevée pour empiéter sur les biens ou sur
les droits particuliers des individus.*


désintéressement des magistrats non salariés, Il faut dire qu'en
échange de leur peine, ils jouissent du pouvoir, et d'un pouvoir dont
la possession et l'exercice a été pour les barons d'autrefois l'objet de
luttes bien nombreuses.


'* Voir la note (E) a la fin du volume.




CHAPITRE XIII.


LIBERTÉ PERSONNELLE.


« n me semble voir dans mon esprit une noble et puissante nation
se levant comme un homme vigoureux apres le sommeil, et secouant
sa chevelure qui la rend invincible; il me semble la voir comme un
aigle renouvelant sa puissante jeunesse, allumant le feu de ses re-
gards au grand soleil, fortifiant ses yeux a la source méme du
rayonnement céleste, pendant qu'aux alentours la bande timorée
des petits oiseaux et de ceux qui aiment seulement le crépuscule, va
voletant, se demandant ce qu'il prépare et prédit daos son babillage
envieux et criard une époque de sectes et de schismes.» - Milton.


Aprés la liberté civile, dans l' ordre que j'ai étahli,
vient la liberté personne11e. Par liberté personnelle
j'entends la liberté de faire toutes choses qui en elles-
mémes ne sont pas criminelles. Les principales liber-
tés de ce genre sont la liberté de parler, d'écrire, et la
liberté de conscience en matiére de religión. nfaut y
joindre l'ahsence de tous les priviléges spéciaux, tels
que les droits seigneuriaux, l'exemption des tases, le
monopole des fonctions civiles et militaires. En effet,
ce qui est un privilége pour une classe d'individus im-
plique une restriction pour une autre classe.




96 LIBERTÉ PERSONNELLE.
La liberté de parler el décrire existait aux temps


anciens non pas seulement dans les pays libres, mais
partout oú le despotisme tombait aux mains d'un sou-
verain dont le caractére avait de la douceur; et la
louange continuelle est d'une telle insipidité, d'une
telle monotonie, que sous la monarchie absolue de
Perse, dans ce pays OU l'on regarde le souverain cornme
l'image véritable de la Divinité, on entretenait toujours
un bouffon chargé de dire la vérité au Boi, mais de
telle maniere que le Roi püt, s'il Iui plaisait, rire de la
fable sans s'occuper de la morale. Le fou des rois mo-
dernes avait été inventé dans le méme but. Tels étaient
les moyens que les monarques employaient pour par-
venir a entendre quelques observations libres lorsque
les nations se divisaient en deux parties dont l'une
était la cour et l'autre le pays. Jamais la cour ne par-
lait du Roi que pour louer ses actions, et quant au pays
il n'en parlait pas du tout. C'était la situation dans la-
quelle se trouvait I'Europe quand Machiavel écrivit
Le Prince, et dans ce livre qui a donné lieu a tant
de controverses, l'auteur affirme qu'on peut tenir le
peuple dans une entiere ignorance du caractere réel de
son souverain. Le progres des lumiéres a bouleversé
tout ce systeme, et si Machiavel écrivait aujourd'hui,
probablement il recommanderait aux rois une ligne de
conduite tout a fait différente.


La politique suivie sous ce rapport par les gouverne-
ments d'Europe a une époque plus rapprochée de nous
a extrémement varié. En Autriche et en Espagne on a
adopté comme principe qu'en généralla liberté de dis-




LIBERTÉ PERSONNELLE. 97
cussion engendre heaueoup de calomnies contre les
particuliers, beaueoup d'écrits séditieux contre l'auto-
rité, beaucoup doffenses eontre la morale etla religion;
on en conc1ut que par mesure de prudence pour l'État,
d'humanité pour les éerivains, il faut que la presse soit
sous la tutelle de eenseurs nommés par le gouverne-
mento Cette méthode, aee qu'on prétend, permet toute
discussion convenable et modérée; on écrase ainsi les
libelIes pour ainsi dire dans I'ceuf', avant qu'ils aient
pu faire du mal, et on épargne a la justice la nécessité
d'infliger de séveres chátiments. La vérité est qu'il n'y
a aucun moyen destiné a empécher les écarts de la
presse avant la publication des reuvres qui n'en 1'es-
treigne en méme temps l'usage : témoin l'état impar-
fait de la civilisation en Autriehe et en Espagne. Quant
a la Franee, sans établir un systeme aussi p1'opre a
créer l'ignoranee que I'Espagne l'a fait, son gouverne-
ment a refusé de reconnaitre le droit ala puhlicité sans
restrictions. Mais les prohibitions des censeurs Fran-
eais ont aidé a répandre les notions erronées qui
étaient en vogue au commencement de la révolution.
Une plaisanterie équivoque pouvait attaquer toute
ehose sans qu'on eút le pouvoir de combattre quoi que
ee fút par le raisonnement directo Et les écrivains ha-
biles du si-ele dernier virent hientót que les institu-
tions les meilleures prétaient le flanc 3 la raillerie tout
aussi bien que les plus grands abuso La déclamation,
l'affectation des sentiments se donnerent libre carriére
sur des généralités, et jeterent un trouhle universel dans
les esprits. A la fin le treme fut óbranlé, l'autel sapé


7




98 LIBERTÉ PERSONNELLE.
a la base, et une mine pratiquée au-dessous put faire
explosion avant qu'une voix eút eu l'occasion de s'éle-
ver pour les défendre. La politique de l' Angleterre,
sur ce chapitre, depuis la Révolution, a ofTert un
parfait contraste avec celle de l'Espagne et de la France.
Pendant le regne d'Élisabeth , comme on 1'3. vu, les
auteurs de libelles étaient punis des chátiments les plus
séveres ; sous Jacques I" et dans les premiers temps
de Charles I" on établit une censure au moyen d'un
« Licence Act. )} Cromwell adopta ce systeme qui se
maintint encore sous Charles JI et Jacoues 11. Le « Li-


A.


cence Act » de ce dernier expira en 1694, et n'a jamáis
plus été renouvelé. C'est ainsi que le gouvernement
Anglais a fondé la liberté de la pre~se non point au
milieu des passions révolutionnaires , mais sans bruit,
sans affectation, sans peur, et tout naturellement. Le
principe sanctionné par l'usage est que la parole et
l'écriture sont choses indifférentes en elles-mémes,
dont chaque personne a le droit de faire ce qu i lui
convient, jusqu'a ce que par des calomnies ou des
publications séditieuses elle se mette en opposition
contre les lois. H n'est personne qui doute des avan-
tages que procure a la liberté personnelle l'existence
d'une presse libre. La réflexion peut nous convaincre
que la liberté de la presse est encore utile au pays en
général. Jamais le génie ne peut se développer entiére-
ment quand on fixe a son vol des limites et une
direction. La vérité ne saurait se faire entendre et re-
connaitre quand les discussions sont dominées par ceux
qui tiennent les renes du gouvel'nemenL, car ils ne




LIBERTE PERSONNELLE. 99


l'aiment pas toujours. Rien de plus faux que de dire,
comme on le fait a l'étranger, qu'aucun gouvernemen t
ne peut résister aux attaques quotidiennes de la presse.
Les peuples savent tres-bien quand ils jouissent de la
prospérité; sans douteméme alors ils peuvent gron-
der un peu contre ceux qui les gouvernent, mais la
rhétorique la plus brillante ne persuadera jamáis a
une nation libre qu'il y aurait de la sagesse a s'a-
venturer dans une guerre civile pour changer la forme
de son gouvernement. Les clameurs populaires, quand
elles ne sont que des clameurs, font plus de bruit
qu'elles n'offrent de danger, et un gouvernement sage
et bienfaisant peut les supporter sans crainte. L'insi-
nuation perfide que les courtisans Russes murmurent
al' oreille de leur Empereur est dix fois plus périlleuse
pour un bon ministre que tout le tintamarre des su-
jets de S. M. B.


Il Y a encore un autre moyen que possédent les
Anglais pour exprimer leurs opinions et exposer leurs
griefs, c'est le droit de pétition. Quand Charles II était
en lutte avec son Parlement, ce droit éprouva bien des
ohstacles ; aussi déclara-t-on dans le Bill des Droits:
- « Que tout sujet Anglais a le droit de s'adresser au
Roi par voie de pétition, et que les emprisonnements
ou poursuites ayant pour cause l'exercice de ce droit
violent lalégalité. ) Ce droit a une importance tres-
grande. Il y a quelques années la taxe sur la propriété
fut jetée ahas grace surtout aux pétitions envoyées par
le peuple a la Chambre des Communes.


Ces droits que je viens dexposer , c'est-á-dire le




100 LIBERTÉ PERSONNELLE.
droit d'imprimer et de pétitionner, ne donnent el ceux
qui s'en servent aucune autorité immédiate. Mais leur
influenee est énorme en ce sens qu "ils servent acon-
tróler et a diriger le pouvoir exécutif. Mais, comme
jamáis la liberté de la presse n'a eu autant de résultats
pratiques que sous le regne actuel, -le j'en parlerai plus
tard, et jusqu'u ce que nous arrivions ~\ cette époque
je m'abstiendrai de toute autre observation.


Venons-en ala liberté religieuse; au sujet de laquelle
les auteurs de la Révolution firent tout ce qu'ils
purent, et dont ils préparerent er.core le développement
ultérieur par leurs maximes.


Nous avons vu combien peu l'esprit de charité et de
tolérance accompagna la réformation de Henry VIII. Il
est pénible de penser que Cranmer continua cette tra-
dition de sévérité sous le régne si court d'Edouard ,
et qu 'une pauvre femme fut condamnée au bücher
pour nuelque subtilité incompréhensible qui avait
trait a un mystere de notre foi.


Quand le pouvoir du Pape en Angleterre eut été
renversé pour la seconde fois a l'avénement d'Élisa-
beth, la liberté religieuse ne fit aucun progreso C'est
de ce temps que date le grand schisme entre les Pro-
testants Anglais connus sous les noms opposés de Puri-
tains et de Conformistes. Une congrégation de réfugiés
qui s'étaient établis a Francfort sous le regne de Marie,
négligeaient dans leur service les Litanies et quelques
autres points de la liturgie du Roi Édouard. Un cer-


,. Le rl'gne de George IV.




LIBERTÉ PERSQNNELLE. 101
tain Docteur Coxe, arrivé d'Angleterre , interrompit
un jour le service par une réponse ahaute voix qu'on
n'admettait point dans la nouvelle forme de priére .
Aprés quelques débats et quelques expédients peu
dignes de la religion 1 il parvint a l'emporter sur ses
adversaires et a établir la liturgie dÉdouard. Mais
d'autres congrégations avaient fait des réformes analo-
gues, et quand les exilés furent de retour en Angleterre
il s'éleva une lutte ouverte entre les Conformistes qui
comptaient dans leurs rangs Grindal, Parker, etc., et
les Puritains qui avaient parmi eux John Knox, Bale,
Fox, l'auteur du Livre des lWartyrs 1 etc. Les prin-
cipales modifications introduites par les Puritains dans
la pratique étaient relatives a I'usage du surplis, de
la chape, de la croix dans le baptéme, et de l'agenouil-
lement dans la cornmunion , mais en principe le
schisme était bien plus considérable. Les Conformistes
reconnaissaient I'Église de Rome comme une véritable
église bien quelle fút corrompue; et ils soutenaient
que le Roi, en sa qualité de chef supréme de l'Église,
avait le droit de corriger tous les abus dans l'ordre et
le culte. Les Puritains reniaient complétement I'Église
de Rome, et prétendaient qu'il n'appartenait pas au
Roi mais bien aux assemblées du clergé réformé de
se prononcer sur les questions relatives aux cérémonies
et au culte." -.


n n'est pas surprenant qu'Élisabeth ait chaude-


* Neale, Histoire des Puritains, vol. 1, p. 141J. Voir aussi la note (F)
ala fin du volume.




102 LIBERTÉ PERSONNELLE.
ment épousé la cause des Conformistes. Séduite natu-
rellement par les magnificences du service Catholique
Romain, et pénétrée des droits qu'elle avait dans l'Église
comme dans I'État, elle se mit a persécuter la secte
opposée. En agissant ainsi elle suivait un principe que
les deux partis adoptaient, - a savoir, qu'il devait
nécessairement y avoir unité de foi et unité d'église.
Dans cette idée elle obtint un Acte du Parlement pour
instituer une Cour de Haute Commission, elle attribua
aux membres de cette cour des droits que laloi ne leur
reconnaissait point: entre autres le droit de condamner
les accusés a des amendes ou a l'emprisonnement.
Elle offrit en vain des évéchés a Miles Coverdale,
Knox, et autres Puritains ; rien ne fut capable d'ébran-
ler leur foi. Plusieurs d'entre les novateurs les plus
distingués rendirent témoignage de leur sincérité au
prix de leur sango Barrowe, Grenwood, et Penry furent
de ce nombre; ils furent punis de mort pour leurs opi-
nions religieuses ou ecclésiastiques.


Jacques I", aussitót aprés son avénement, prouva
qu'il n'était point partisan de la tolérance. Ayant
réuni a Hampton Court une Conférence entre les Con-
formistes et les Puritains, il se fit le défenseur des
premiers, et aprés trois jours de discussion, au milieu
des applaudissements que lui prodiguaient ses flat-
teurs Q.u parti Conformiste il se tourna vers ses ad-
versaires et leur dit: « Si c'est la tout ce que vous
avez a reprocher a l'église établie dans mon royaume,
je saurai bien exiger que vos adhérents se conforment
a notre foi, ou je les chasserai du pays. »




LIBERTÉ PERSONNELLE. 103
Il tint parole. La Cour de Haute Conunission ordonna


aux dissidents de comparaitre par-devant elle et d'af-
firmer par un serment solennel des opinions que re-
poussait Ieur conscience. Des amendes ruineuses et des
emprisonnornents a long terme furent le chátiment de
la désobeissance. Une personne, accusée d'avoir nié la
divinité de Jesus-Christ , et une autre , accusée de seize
opinions hérétiques, périrent sur le bücher.


Olivier Cromwell fut élevé au pouvoir par une secte
qui, la premiare Pon Angleterre et peut-étre en Europe,
professa la tolérance. Mais cette tolérance était comme
celle des Presbytériens en matiere de costume; elle
avait puur hut leur propre avantage. Cromwelllui-
méme portait aussi loin l'indulgence qu'aucun homme
de son temps. Et cependant qu'on lise ses instructions
gouvernmnentales : aprés une déclaration solennelle
en faveur de la liberté religieuse, l'article sur ce sujet se
termine par une clause qui exclut les Papisteset les Épi-
scopaux des bénéfices de la liberté. Ainsi la loi, bien
qu 'elle fasse profession de libéralisme, autorise en fait
la persécution.


La déclaration de Charles II, datée de Breda, offrit
l'espérance de la douceur et de la conciliation. Mais
cette espérance fut cruellement frustrée par les lois qui
suivirent l'avénement de ce monarque. Quiconque
assistait' au service divin dans une assemblée OU ce
service était pratiqué « autrement que ne le voulait la
liturgie de l'Église Anglicane,») était puni pour la
premiare fois d'une amende de 5 l. et de trois mois
d'emprisonnement, pour la seconde d'une amende de




LIBERTÉ PERSONNELLE.
,10 l. et de six mois d'emprisonnernent ; pour la troi-
sierne fois de la transportation et de mort en cas de re-
tour. ~ Par l' acte nommé « Five Mille Act, 1) on déíen-
dit aux ministres dissidents de précher dans un rayon de
cinq milles autour des villes oú se tenaient des marchés.
Pendant les derniéres années de Charles 11' ces lois
furentmises rigoureusement aexécution.


Enfin parut l'Acte de la prerniére année de Guillaume
et Marie, C, 18, intitulé: « Acte pour exempter des
peines édiciées par certaines lois de LL. MM. professant
la religion Protestante, quoique ne se conformant pas
a l'Égliee Anglicane. » Cet Acte, communément appelé
l'Actede Tolérance, exemptait de toutesles peines légales
ceux qui prétaient le serment d'allégeance et de supré-
matie, et qui souscrivaient a la déclaration contre la
Papauté ; il autorisait l'enregistrement des temples,
pourvu que le service y eút lieu sans que les portes fus-
sent fermées au verrou. Depuis ce temps les Presbyté-
riens Anglais ont pu célébrer leur culte de la facon
qu'ils pensent la plus agréable a Dieu. Vers la méme
époque fut renouvelée une tentative de réconciliation
entre les Conformistes et les Dissidents qui avait été
déja essayée sous Charles H. A cette pieuse entreprise,
qu'on nommait la « Compréhension, " prirent part
activement et Chrétiennement Tillotson et Burnet. lls
proposérent de corriger la liturgie en certains' points ;
de diviser les services; de retrancher quelques parties
des prieres qui soulevaient des difficultés; ils voulurent,


* Voir la note (G) ala fin du volume.




LIBERTÉ PERSONNELLE. ~05
par des concessions s~ges et raisonnables, ramener
dans le service de I'Église un grand nombre de ses
enfants. On avait préparé des articIes dans ce but;
mais le cIergé, réuni en convocation, renversa ces
projets, et préféra I'exclusion et la discorde.


Parmi les concessions faites a la liberté religieuse,
il n'y en eut aucune en faveur des Catholiques Romains.
Au contraire, on passa des lois nouvelIes, d'une sévé-
rité excessive, tendant a semer chez les Catholiques la
pauvreté et l'ignorance, amoncelant sur eux les péna-
lités, et faisant d'eux, pour ainsi dire, des escIaves
dans une nation libre. Cependant il ne faut pas croire
qu'un peuple humain, tel que le peuple Anglais, ait agi
avec une rigueur aussi dure, aussi exceptionnelle, sans
y avoir été provoqué. Les regnes d 'Élisaheth, de Jac-
ques I", de Charles 11, et de Jacques 11, avaient été trou-
blés par les conspirations des Catholiques Romains,
plus ou moins accompagnées d 'cffusion de sang; les
uns choisissaient pour moyen de sucoés l'assassinat,
d'autres l'appel d'une armée étrangere , mais tous vi-
saient a détruire les libertés et I' indépendance de l' An-
gleterre. Les précautions adoptées par le Parlement
furent-elles sages? Je n'ai pas a me prononcer la-des-
sus, mais je ne peux nier qu'elles fussent le résultat
de provocations nombreuses.


Sous ce chefde la Liberté Personnelle on doit placer
l'éligibilité aux fonctions civiles et militaires. La poli-
tique des grandes nations a souvent été fort étroite et a
manqué de libéralisme et de justice en ce qui concerne
cette partie de la liberté générale. Rome, pendant des




106 LIBERTÉ PERSONNELLE.
siécles, a privé ses plébéiens de la récompense due á
leur génie et a. leur valeur ~ malgré l'éclat de leurs ser-
vices. Autrefois la France, d'abord par usage recu
dans son administration, puis par des édits positifs ,
ferma 1'entrée de tous les postes militaires importants
aux individus qui n'étaient pas de familIe noble.
Venise donna le commandement de ses flottes aux
patriciens et celui des armées a. des étrangers. L'Angle-
terre repousse toutes ces odieuses distinctions de rang
et de naissance. Le fils d'un laboureur peut aspirer au
commandement de ses forces militaires ou navales;
ala position de Lord Grand Chancelier, ou ala dignité
d'Archevéque de Canterbury. Cette égalité, si juste et si
sage, a largement récompensé par ses résultats le pays
qui l'a établie. Et l'Angleterre n'a pas seulement pro-
fité de cet état de choses en bénéficiant de capacités
qui, sans cela, auraient étéensevelies dans l'obscurité;
mais ce partage impartial des dignités a fait que la
société, au lieu d'étre divisée en deux classes ennemies,
l'une composée de nobles, l'autre de plébéiens, a offert
le spectacle de forces unies et compactes. Dans une
conférence célebre entre les Lords et les Cornmunes,
Lord Somers et d'autres qui représentaient la Chambre
Haute déclaraient que, pour un Anglais, il n'est pas de
condition plus misérable que de perdre le droit de
servir son pays dans toutes les fonctions civiles ou
militaires. n faut pourtant remarquer que la loi An-
glaise reconnait des incapacités pour cause de religion.
Les Protestants des cultes dissidents ont été exclus des
fonctions publiques par les Actes de Test et de Corpora-




LIBERTÉ PERSONNELLE. 107
tion. Et bien que, depuis soixante-dix ans, ils y soient
admis gráce al'expédient d 'un Bill d'Indemnité qu 'on
passe chaque année en faveur de ceux qui n'ont pas
prété ces serments , on ne peut dire qu'ils [ouissent
sous ce rapport d'une entiére liberté. ~ Quant aux
Catholiques Romains, on a déjá vu qu'ils avaient été
formellement exclus de toute participation au pouvoir.
Les Actes de Corporation et de Test, ainsi que d'au-
tres Actes de Charles IJ et de Guillaume III, leur fer-
ment tout aecés aux fonctions civiles ou militaires, et
méme l'entrée él la Chambre des Lords et a la Chambre
des Communes.


,. Cette phrase a été écrite en 181q.




~HAPlTRE XIV.


LIBERTÉ POLITIQUF..


« Je erois que la liberté politique n'est point une erreur, mais, si
c'en est une, je suis sur de ne m'en guérir jamais, et j'espere que
vous non plus vous ne l'abandonnerez paso Si c'est la une pure illu-
sion, elle a du moins a elle seule tiré de la nature humaine une
somme de qualités élevées et de belles actions supérieure atout ce
qu'ont produit les autres causes réunies; elle sert a donner quelque
intérét aux affaires de ce monde qui, sans cela, seraient insipides. »)
- Fox, Lettre a Lord Holland.


Les deux sortes de liberté dont nous avons parlé, la
liberté eivile et la liberté personnelle, ont quelquefois
existé [usqu'á un eertain degré dans des états que nous
nommons ordinairement états despotiques. En Eu-
rope, les monarehies modernes ont toutes été plus ou
moins gouvernées par des lois fixes , sanetionnées
par la preseription. La monarehie Prussienne, qui est
tout a fait illimitée, aeeordait, des le temps de .Frédé-
rie 11, une grande latitude aux diseussions religieuses et
politiquea.


Mais, on s'en souvient, raí déja dit que eette déflni-




LIBERTÉ POLITIQUE. 109
tion de la liberté d'aprés laquelle pour étre libre il
suffit d 'étre gouverné par des lois ne me parait pas
complete, et ne s'applique amon sens qu'á la Liberté
Civile. Tant que le pouvoir supréme de I'État n'est pas
entre des mains dont le peuple a le droit de contróler
les actions, la possession de la liberté tant civile que
personnelle ne peut étre que précaire et incertaine. Le
seul remede efficace qu 'un peuple puisse avoir contre
l'oppression consiste a retenir par devers lui une
partie de l'autorité supréme. C'est en cela que se trouve
la liberté politiqueo Et I'amour de la liberté n'est autre
chose que ce désir qu'un homme éprouve d'avoir voix
aux délibérations qui disposcnt de sa propriété et al'é-
tablissement des lois qui restreignent sa liberté natu-
relle. C'est une passion qui, comme Sidney a raison
de le dire , est inspirée par la Nature elle-méme, Quant
al'exercice de ce pouvoir , aux moyens de satisfaire ce
désir naturel, et á la part de controle qui a été laissée
au peuple, chez chacun d'eux , les Etatslibres ont différé
les uns des autres, et c'est ce qui fait la variété de leurs
constitutions respectives.


Les auteurs qui ont écrit sur cette matiere ont dis-
tingué trois pouvoirs, le pouvoir Législatif, le pouvoir
Judiciaire, et le pouvoir Exécutif. Ces pouvoirs devraient
étre séparés, affirment-ils. Mais en fait, le pouvoir Légis-
latir et le pouvoir Exécutif n'ont jamais été et ne peu-
vent etre entiérement séparés. Le pouvoir Judiciaire
qui, sil est exercé convenablement, consiste en l'appli-
cation sans libre arbitre de regles ou de lois géné-
rales ades cas particuliers, peut étre détaché des autres,




no LIBERTÉ POLITIQUE.
et nous avons déjá vu que, dans la Constitution An-
glai8e~ on avait eu la sagesse oe l'en détacher.


En Angleterre, comme nous l'avons vu, le Pouvoir
Judiciaire est placé entre les mains de personnes qu 'une
loi de Guillaume III a rendues indépendantes de la
Couronne et inamovibles sauf dans le cas OU une
adresse des deux Chambres réclame leur destitution.
Depuis cette époque on a toujours eu lieu d'estimer
l'honorabilité des juges Anglais; - leur intégrité per-
sonnelle et leur scrupuleuse fidélité aux Iois, n'ont
été l'objet d'aucun doute et d'aucun soup~on. On n'a
plus eu a signaler parmi eux des modeles de corrup-
tion comme les Tressilian, de passions sans príncipes
comme les Jeffreys. Tout ce qu' on peut dire contre nos
juges c'est que toujours choisis dans le parti de la
Cour et souvent parmi les gens en place, ils incli-
nent tout naturellement et inévitablement en matiére
politique vers les intéréts de la Couronne. Quand on
suit un peu les State trials on s'apercoit que les juges
dans l'interprétation de la loi, et surtout dans leurs
sentences refletent trop vivement la pensée gouverne-
mentale du jour; ils sont portés a la douceur quand
le ministére est modéré, mais aussi ala sévérité quand
les ministres sont partisans de la compression. Tel est
le seul défaut des juges Anglais; du reste ce défaut
dont les conséquences s'étcndent rarement mérne jus-
qu'á leur langage, ne les entraine jamais au point de
dénaturer violemment et ostensihlement la loi; en
sornme il ne dépare la justice que dans la proportion
la moindre que comporte peut-étre la nature humaine.




LIBERTÉ POLITIQUE. 111
Les précédents judiciaires sont si nombreux et recueil-
lis avec un tel soin chez nous, qu'en présence du bar-
reau le juge ne peut guere s'écarter de son devoir.
De la il suit que la confiance du peuple en l'impar-
tiale distribution de la justice demeure entiére ; et
quand on envisage a cóté de l'imperfection de nos lois
cet attachement du peuple pour elles, il faut bien se
dire que c'est la maniere honorable dont on admi-
nistre les lois qui pallie leur imperfection au yeux du
pays.


Les deux autres Pou voirs sont, a proprement parler,
le pouvoir Exécutif et le pouvoir Délibératif. L'expres-
sion de pouvoir Législatif n'emhrasse en réalité que
l'autorité nécessaire pour faire des lois; or, dans au-
cun pays que je sache, cette autorité n'a été totalement
séparée du pouvoir Exécutif. Dans toutes les consti-
tutions le pouvoir Législatif et le pouvoir Exécutif ont
l'un sur l'autre une influence continuelle et récipro-
que. C'est le Parlement, composé du Roi, des Lords, et
des Communes qui est le dépositaire de la souverai-
neté nationale; les deux Chamhres du Parlement com-
posent le grand conseil du Roi ~ tou tes les fois que
le Roi est appelé a exercer sa prérogative par un acte,
le Parlement a le privilége de lui donner son avis.
Néanmoins l'exercice du gouvernement exécutif appar-
tenant au Roi , si le Parlement n'intervient pas dans l'un
de ses actes, l'ordre du Roi suffit. Mais en ce qui con-
cerne la législation, l'accord du Roi et des deux Cham-
bres peut seul valider une mesure.


Les trois éléments du pouvoir Législatif établissent




112 LIBERTÉ POLITIQUE,
ce qu'on a appelé la balance de la constitution ; il au-
rait été plus juste de les comparer a ce qu 'on nom me,
en méeanique, une eombinaison de force s , cal' Ieurs
mouvements réunis déterminent la direetion de l'en-
semhle.


Comme on l'a déja observé, la Cbambre des Com-
munes a été destinée des l'origine a représenter le
peuple'; et.jusqu'á l'époque de la Révolution, elle rem-
plissait suffisamment ce but. Le Parlement de Charles JI
Iui.méme, quoiqu'il füt a la solde du Roi n'en repré-
senta pas moins convenablement la pensée nationale
dans ses derniers jours. A partir du regne de Guil-
laume Ill, la Chambre des Communes représente défini-
tivement avec exactitude le peuple Anglais.


Le second élément du pouvoir Législatif, c'est la
Chambre des Lords.


La Pairie a une double utilité dans notre constitution.
D'abord elle sert a récompenser magnifiquement les


services rendus au pays sur mer ou sur terre, dans la
marine ou dans l'armée, dans les conseils du Roi ou
sur les banes de la magistrature judiciaire; elle sert
de consécration au mérite et perpétue dans la postérité
des personnes illustres le souvenir de leurs belles ac-
tions et de la reconnaissance nationale. Ensuite, la
Chambre des Pairs forme un conseil qui pese avec une
prudence réfléchie les résolutions prises dans la Cham-
bre des Communes. S'il arrive quelquefois, comme
cela doit etre naturellement, que eette derniere assem-
blée, image obéissant a son origine plus populaire,
se laisse aller ades impressions soudaines, ou entrainer




LIBERTÉ POLITIQUE. 113
par le caprice du jour, un sénat héréditaire peut inter-
poser le calme et la gravité de sa pensée pour suspen-
dre les effets d'un vote inconsidéré. C'est l'existence
d'un corps semblable qui établit la distinction entre
une démocratie pure et un gouvernement de controle
mutuel, L'Amérique du Nord qui est sous un gouver-
nement de contróle mutuel a un Sénat aussi bien
qu'une Chambre de Représentants.


On sait maintenant ce qu'est le Parlement ou pou-
voir délibératif de l'Angleterre.


La préoccupation la plus importante qu'on puisse
avoir ensuite en constituant un état, c'est de mettre en
des mains dignes de l'exercer, le pouvoir de négocier
les traites, de décider des relations étrangeros, de di-
riger en temps de guerre l'opération des fiottes et
des armées, bref tout ce qu'on nomme le Pouvoir Exé-
cutif. En général on a employé deux moyens dans
ce but.


Le premier moyen consiste a revétir de tous ces
pouvoirs une personne désignée sous le nom dEmpe-
reur, de Sultan, ou de Roi, qu'on dispense de tout con-
tróle ; ce qu'on peut dire évidemment contre ce systéme,
c'est que le talent n 'est pas héréditaire, et comme l'a
fort bien fait observer Lord Halifax: « On ne prend ja-
mais pour cocher un individu parce que son pére était
lui-méme,cochero Cette forme de gouvernement a pour
conséquence nécessaire que la paix et la sécurité de
l'État dépendent entiérement d'un homme qui est mal
élevé, cal' il est extrémement difficile, sinon impos-
sible, que, dans une monarchie ahsolue, un roi recoive


8




114 LIBERTÉ POLITIQUE.
une bonne éducation. On a de I'indulgence pour toutes
ses passions et toutes ses sottises, on appelle génie son
ignorance, et sagesse son imbécillité. Ce qu'il y a de
pire, c'est que rien ne peut servir d'objet a son acti-
vité ou a son ambition. Les autres hommes , soit
nobles soit artisans, ne parviennent a se distinguer
de leurs égaux que par l'excellence de leur moralité,
par la supériorité de leurs talents, ou par cequ'ils reti-
rent de leur industrie. Mais un roi sans aucun effort
moral ou intellectuel se place d'emblée au-dessus de
tous. De sorte que n'ayant aucune visée utile, il cher-
che ase rendre célebre par son habileté a conduire des
chevaux, ~ par son talent sur la flúte, ou par quelque
autre talent facile; ou bien, et la chose est plus 1'&-
cheuse encore, il veut arriver a la gJoire en comman-
dant des armées ou en ravageant des provinces. Pen-
dant ce temps l'État partage ses faiblesses et ses vices,
il est appauvri par les extravagances du prince, et
souffre de son ambition. La monarehie absolue a done
poureffet de donnerau souverain un caractére inférieur
a eelui de ses sujets et d'obliger ensuite la nation a le
prendre pour modele et a suivre ses errements.


Un autre systeme de gouvernement, qui semble
plus plausible, eonfie le pouvoir exécutif a un citoyen
élu temporairement et soumis au controle du peuple.


L'inconvénient de ce systeme, c'est que le citoyen
porté aune position si élevée, et devenu incontestable-


* « Il excelle a conduire un char dans la carriere, » dit Racine,
parlant de Néron, mais faisant allusion a Louis XIV. - Voir aussi les
Essais de Bacon.




LIBERTÉ POLITIQUE. 11 b
men t le premier personnage de son pays s' efforce tout
naturellement de conserver le pouvoir pendant plus de
temps qu'on ne luí en avait donné le droit et méme
pendant toute sa vie. Mais lors mérne que ce magistrat,
par un rare phénomene, unit au désir de faire de grandes
actions la juste crainte d'empiéter sur les libertés de
son pays, il faut songer que les hommes sont assez gé-
néralement soup~onneux; aussi , a peine un citoyen
monte-t-il au-dessus de ses égaux que ceux-ci lui attri-
buent des aspirations absolutistes, el se privent des ser-
vices qu'il pourrait leur rendre, de peur que la liberté
n'en soit le prix. C'est sur l'un ou l'autre de ces deux
écueils, et quelquefois sur les deux a la fois que toutes
les démocraties se sont brisées. Athenes a banni ses
meilleurs citoyens par ]' ostracisme; Rome a exilé les
Camille, les Coriolan, les Marius, et méme les Scipion;
ce qui ne l' empécha pas de tomber victime du pouvoir
militaire que César eut en ses mains pendant qu'en son
CCBur il ambitionnait le titre de roí. La Hollande, aprés
des troubles nombreux, fut obligée de reconnaitre la
souveraineté du Prince d'Orange. Machiavel cite Sparte
et Venise comme faisant exception a cette regle. Mais
Venise paya fort cher sa sécurité intérieure, car elle la
dut a l'habitude d'exclure du commandement militaire
tous les Vénitiens pour offrir a des étrangers les plus
grandes situations qu'un État puisse accorder. Quant a
la méthode préservatrice dont Sparte fit usage, elle a
des analogies avec celle de l'Angleterre que nous allons


.


exammer.


Le pouvoir exécutif, en Angleterre, se trouve nomi-




116 LIBERTÉ POLITIQUE.
nalement aux mains d'un souverain héréditaire. Les
attrihutions de la royauté sont précisées par la loi; ce
qui leur donne moins de facilité d'ahus que n'en aurait
une autre autorité extraordinaire inconnue dans notre
systeme constitutionnel. Ce fut un argument de ce
genre qu'employerent Whitelocke et ses partisans pour
engager Cromwell a accepter le titre de RoL ... En outre
I'ensemble des lois et le respect qu'on a pour la majesté
du souverain opposent une barriere a tout personnage
distingué qui voudrait obtenir l'autorité absolue. L'opi-
nion publique est telIement fixée sur ce point, que
jamais un général victorieux ne songe a détruire les
libertés du pays. La destitution du Duc de Marlborough
n'entraina pas plus de difficultés que celle d'un en-
seigne; et le Duc de Wellington aprés avoir remporté
toutes ses victoires el s'étre si remarquablement dis-
tingué, vint accepter une place d'importance secondaire
dans un cabinet qui n'avait ni grande popularité ni
grande réputation pour ses lumieres.


Si la prérogative royale oppose une barriere infran-
chissable a l'ambition d'un souverain qui voudrait se
faire le souverain du pays OU il est né simple
citoycn , cette prérogative n'en est pas moins sou-
mise) d'un autre coté, au contróle général du peuple.
Ainsi , le Roi, en vertu de sa prérogative, a le com-
mandement de I'armée , mais I'armée ne doit son
existence qu'aune loi passée chaque année pour punir


.. Voir les Con{érences a ce sujeto On les trouve dans l'Histoire Par-
lemesüaire.




LIBERTÉ POLITIQUE. \ 17
la mutinerie et la désertion, Le Roi a le droit de dé-
clarer la guerre, mais si la Chambre des Comm unes lui
refusait des subsides, il ne pourrait la soutenir pendant
une seule semaine. Le Roi a le droit de faire la paix ,
mais si on juge que la paix est déshonorante pour le
pays, les ministres qui I'ont signée peuvent étre mis
en accusation. La volonté personnelle du Roi ne pallie
point un mauvais acte d'administration. Le Comte de
Dauby fut mis en accusation pour une lettre qui conte-
nait un post-scriptum, écrit de la main du Roi, dans
lequel le Roi déclarait que cette lettre avait été écrite
par son ordre. C'est une maxime constitutionnelle que
le Roi ne peut agir sans prendre l' avis de ses eonseil-
lers responsables; et on porte si loin l'application de
eette máxime, qu'un ordre d'ineareération donné par le
Roi, source de toute justice, fut regardé eomme nul
paree qu'aucun ministre responsable ne l'avait eontre-
signé.


Cette doctrine de la responsabilité ministérielle améne
pour résultat que les ministres doivent jouir de la eon-
fianee des Communes, autrement leurs mesures reneon-
treraient des obstacles, leurs promesses n'auraient au-
eune créance, et, se voyant toujours entravés dans leur
marche, Ha s'efforceraient de renverser la Constitution.
C'est ce qui arriva sous Charles I" et sous Charles 11.
nn'y avait qu'un seul moyen de prévenir le retour de
cet abuso C'était d'aeeorder au Roi un revenu si limité
qu'il füt sans eesse obligé d'assembler son Parlement
pour fournir aux dépenses ordinaires du gouverne-
mento Sur ee point qui était plus important que




1J8 LIBERTÉ POLITIQUE.
toutes les clauses du Bill des Droits, il y eut un débat
trés-vif dans la Chambre des Communes a l'époque
de la Révolution. Les Tories, voulant faire plaisir au
nouveau Roi, prétendirent contre toute justice et
toute raison que le revenu alloué aJacques 11 pour
sa vie entiére appartenait de droit a Guillaume pour
la durée de sa vie aussi. Les Wighs combattirent cette
prétention et voterent une liste civile de 420,000 l.
payables mensuellement. Bientót la Chambre des
Communes eut sous les yeux les comptes des dé-
penses faites sous le regne de Jacques 11. On recon-
nut que son gouvernement coütait , sans frais de
guerre, la somme de 1,700,000 l. par an; alors
on accorda au Roi Guillaume 1,200,000 l. par an,
malgré les frais et les dettes que nécessitait une
guerre terrible.


Cet arrangement mit pour toujours la Couronne sous
la dépendanee du Parlement. Sans lui donner le
moindre avis, et simplement en manifestant l'intention
de supprimer les subsides, le Parlement peut boule-
verser les projets du Souverain, et rendre obligatoire la
démission de ses ministres. La Chambre des Com-
munes contróle ainsi de la facon la plus súre et la plus
efficace les actes du magistrat supréme. Toutes les
grandes luttes depuis Guillaume 111 ont eu pour théátre
la Chambre des Cornmunes. Quand des ambitieux se
sont produits; au lieu de chercher, suivant la diversité
de leurs idées, adétruire la royauté ou bien a se débar-
rasser du Parlement , ils ont essayé d'entrer dans le
conseil du Roi en obtenant d'abord la faveur des Com-




LIBERTÉ POLITIQUE. 119
munes, ou bien encore ils ont tenté de servir les inté-
réts partieuliers de la Couronne en corrompant, en
empoisonnant la source d'OU dérivait leur propre auto-
rité. Quoi qu'on puisse dire pour ou contre ces opi-
nions contraires, il estcertain qu'á partir de la Révo-
lution, a peu pres, ceux-Iá parmi les hommes d'état
ont le plus longtemps conservé le pouvoir entre leurs
mains qui avaient pour leurs principes l'approbation
du pays. Un ami de la liberté ne se trouva plus dans
cette alternative de braver l'autorité de son souverain
ou de périr par la hache des bourreaux ; les mémes
sentiments qu'il avait exprimés devant le peuple, il
put les faire entendre au Roi; les mémes mesures qu'il
avait recommandées alors qu'il était un simple membre
du Parlement il eut le droit de les proposer ensuite
comme conseiller du Roi. Ainsi s' établit l'harmonie
entre des parties différentes et jusque-lá incohérentes
du systéme constitutionnel, et les moyensqui servirent
a établir cette harmonie assurérent a l'émulation un
libre cours, au peuple sa liberté, au Parlement l'auto-
rité, aux chefs politiques un frein pour arréter leur
ambition, et au tróne sa stabilité. La Révolution de
1688 eut l'honneur de mettre en reuvre ces grands
principes , et les auteurs de cette révolution, sans
avoir la prétention de créer une forme nouvelle de
gouvernement, procurérent aux Anglais tout le bénéfice
de ces droits et de ces libertés vénérables que leurs
ancétres et eux-mernes avaient voulu défendre au prix
de tant d'épreuves et de tant de souffrances. L'accom-
plissement de cette ceuvre enseigna aux grands a




120 LTBERTÉ POLITIQUE.
éviter l'oppression, au peuple a pratiquer la modé-
ration. .


Nous avons passé en revue les différentes parties de
ce systéme gouvernemental que par esprit de paradoxe
on a quelquefois dénigré. Ceux qui, ne se laissant
émouvoir par aucun des faits qu'on trouve dans l'his-
toire, persistent a soutenir que la liberté ne peut exis-
ter sous notre monarchie barbare et féodale, écouteront
mieux peut-étre le passage suivant emprunté aun juge
impartial.


M. de Talleyrand, en parlant de l'Amérique et apres
avoir fait observer l'attachement des Américains pour
les maximes et les moeurs de l'Angleterre, ajoute en-
suite : « Il ne faut pas s'étonner de voir cette tendance
sympathique vers 1'ancienne métropole dans un peuple
dont la politique par la forme de son gouvernemfmt,
tant central que local a de si grandes analogies avec
l'ensemble de la constitution Anglaise. Sur quoi repose
aujourd'hui la liberté individuelle en Amérique? Sur
l'Habeas Corpus et le jugement par le jury. Assistez aux
séanees du Congrés, et a eelles des réunions Législa-
tives des États séparatistes, écoutez les discussions
pour la formation des lois nationales; d' OU sont tirées
leurs citations, leurs comparaisons, leurs exemples?
Des lois Anglaises, des coutumes de la Grande-Bre-
tagne, de la conduite du Parlement. Entrez dans les
cours judiciaires, quelles sont les autorités qu'elles
invoquent? Les statuts, les jugements, les décisions des
cours Anglaises. Malgré les noms de république et de
monarehie les deux gouvernements n'offrent aueune




LIBERTÉ POLITIQUE. 121
différence réelle : il est clair pour tout homme qui
approfondit ses idées, que dans la constitution repré-
sentative de l'Angleterre, il y a quelque chose de répu-
blicain; de méme qu'il y a quelque chose de monar-
chique dans le pouvoir exécutif des Américains. »




CHAPITRE xv.


LES GENS DE LOI.


« Rex sub lege. » Bracton,


Parmi les autres attaques dirigées contre notre Con-
stitution, iI s'est élevé un cri contre l'influence des
hommes de loi. Des les prerniers ternps, néanmoins,
cette influence a été avantageuse pour le pays. Bracton ,
qui était juge sous le regne de Henri IJI, et Fortescue,
qui était chief-justice sous celui de Henri VI, se trou-
vent au nombre des plus anciennes autorités favorables
aux libertés nationales. Au cornmencement de la lutte
avec les Stuarts, les noms de Coke et de SeIden appa-
raissent avec un éclat de bon augure pour le parti de
la liberté. Dans la seconde lutte avec les Stuarts , au
milieu d'une armée d'hornmes de 10i ayant aleur tete
le vénérable Serjeant Maynard, se montre le ver-
tueux, le modéré, le sage, et respectable Somers. De
luí nous passons a Lord Cowper, chancellier Whig,
q ui sut s'opposer au Bill des Peines et Amendes contre




LES GENS DE LOI. 123


Atterbury, comme une violation inutile de la justice.
Le premier aprés Iui, comme ami de la liberté, est
Lord Camden, qui, par son admirable appréciation de
la question, des garanties générales, et des libelles dif-
famatoires a sauvé le pays des doctrines serviles qui
menacaient de l'inonder.


Dans la Chambre des Communes, les membres qui
ont pris la plus grande part aux débats étaient généra-
lement des hommes de loi. C'est la conséquence natu-
relle de leur habitude de la parole, et nous les voyons
tantót d'un coté de la Chambre tantót d'un autre. Dans
le camp de la liberté nous pouvons enregistrer une
série de noms brillants qui commencent des l'origine
de notre Constitution, et continueront, je l'espere, jus-
qu'á la fin.


Je croirais inutile de jeter uncoup d'reil sur l'époque
actuelle, si je ne devais éprouver le regret de laisser
passer l'occasion d'exprimer mon admiration pour ce
grand génie qui mit son épée au service de la justice
et de la liberté pendant la désastreuse période de la
Révolution Franeaise. Défendu par lui, le Gouverne-
ment trouva, dans la plus faible individualité en butte
ases attaques, la langue de Cicéron et I'áme de Hamp-
den; un orateur invincihle, et un indomptable patriote.
Puisse le souvenir de ces luttes, et de ces triomphes,
répandre I'éclat sur les derniers jours de cet homme
iIlustre, et encourager ceux qui ont embrassé la meme
cause a imiter une pareille inspiration! ~


.. Lord Erskine vivait encere lorsque ce passage fut écrit ,




12q LES GENS DE 1..01.


De tels exemples sont faits pour nous persuader qu~
l'étude des lois en donnant aux hommes de meilleures
connaissances de leurs droits, leur donne aussi un plus
vif désir de les sauvegarder, et en les éclairant da-
vantage sur notre Constitution, les rend aptes, a mieux
apprécier et amieux aimer ses qualités. Malheureuse-
ment, il y a d'autres exemples d'hommes qui alléchés
par les brillantes rémunérations que la Couronne a at-
tachées ala profession d'homme de loi, se sont faits les
instruments de la tyrannie et de la corruption, mais ce
n'est la, en aucune maniere, l'attribut exclusif des
hommes de loi. Le vil Lord Strafford qui vendit son
pays pour une place ou une pairie, était un gentillatre;
et le faux Lord Bolingbroke qui trahit son bienfai-
teur, et voulut rétablir une race de despotes, était un
bel esprit et un homme ala mode.




CHAPITRE XVI.


PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLIC AYANT POUR BASE
UNE CONSTITUTION LIBÉRALE.


« Je ne connais rien de plus remarquable dans le gouvernement
de Genes, que la Banque de Sto George, dont le fond se compase
de telles branches de revenus qui ont été réservées pour servir au
paiement de certaines sommes empruntées des particuliers dans les
époques exceptionnelles. Elle n'a jamais songé a violer le crédit
public, ou a disposer des revenus pour d'autres usages que ceux
auxquels ils étaient destinés. »- Remarques d'Addison sur t' Italie.


Peu aprés la restauration de Charles Il, Sir George
Downing lui proposa un plan dont tout le mérite con-
sistait dans l'établissement d'une regle pour le paie-
ment exact et régulier des intéréts de tout argent que le
Roi pourrait emprunter. Dans le but d'assurcr aux
marchands la sécurité pour I'accomplissement de ce
traité, Downing, avec l'assentiment du Roi introduisit
dans un mémoire budgétaire une cIause appropriant
aux différentes destinations mentionnées l' argent ac-
cordé par le bilI. Clarendon, qui rapporte cette affaire,
fut hautement indigné de ce nouveau coup porté ala




126 PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLICo
prérogative, et, avec dautres, en fit des remontrancesau
Roi en termes énergiques. Pour le reste de l'histoire,
je rapporterai les propres expressions de Clarendon.
« Lui , (le Roi Charles) s'étendit davantage et leur dit :
ce que ce serait encourager le prét que de payer l'intérét .
atermes si fixes et si eertains, qu'il ne saurait y avoir
dans le royaume de sécurité pareille a celle-lá , puis-
qu'aucun pouvoir humain ne pourrait faire qu'un em-
prunt ultérieur fút remboursé avant un emprunt
précédent, qu'au contraire tout serait infaillible-
ment payé en son temps, De cette maniere l'Échi-
quier (qui se trouvait alors en banqueroute et dé-
pourvu de tout crédit) rentrerait vite en telle faveur
que tous voudraient y déposer leurs capitaux : il espé-
rait que dans peu d'années, en observant le moyen
proposé ,il ferait de son Échiquier la meilleure etla plus
grande banque de I'Europe, et que tout le Continent, la
chose une fois bien comprise, y placerait ses fonds,
acause des avantages qu'elle procurerait, et de la cer-
titude entiere des remboursements. » Et c'est avec ce
langage que ce Sir George Dowing, qui avait passé
plusieurs années en Hollande et voulait passer pour
s'étre rendu maitre de toute la direction politique de
ce pays, amusait le Roi et ses deux amis, en essayant
d'élever l'Echiquier du Roi au méme degré de crédit
que la Banque d'Amsterdam, dont il prétendait con-
naitre l'institution, et d'oú il partait pour rendre évi-
dent ce qu'elle serait toute transplantée en Angleterre,
et que toutes les nations enverraient plutót leurs capi-
taux dans notre contrée, qu'á Amsterdam, aGenes, OH




PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLICo 127
a Venise.» Et on ne saurait trop s'étonuer de la puis-
sanee d'idées si pernicieuses, sur l'esprit du Roi, qui
ne souffrait aucun argument contre elles, et qui se di-
rigeant d'aprés elles et sur l'avis de ses conseillers,
suivant ses propres inspirations, renouvela compléte-
ment l'administration de son Trésor, dans lequel il ne
voulut plus garder d' officiers supérieurs, mais cette ré-
solution resta ensevelie en lui-méme, et ne fut commu-
niquée a personne sauf el ceux qui avaient formé le
projet, sans calculer que la sécurité de l'argent ainsi
déposé, c'est la. communauté méme, laquelle peut finir
avant cette sécurité; laquelle ne peut jamais reposer
sur une monarchie ou un seul mot du monarque peut
annuler toutes les mesures de prévoyance possibles,
(comme cela a été trop évident depuis), par l'abolition
des droits inscrits sur l'Acte qui nous occupe et sur
d'autres Actes du Parlement suivant le tempR et les né-
cessités du moment; laquelle en un mot ne doit pas
étre regardée comme possible. ~


D'apres le passage précédent de Lord Clarendon, il
est évident qu'il croit le crédit public incompatible
avec la monarchie arbitraire. Son opinión fut pleine-
ment justifiée par la conduite ultérieure du Roi auquel
il avait adressé des conseils. Charles 11 avait l'habitude
d'emprunter de l'argent ades banquiers, payable sur
le recu des impóts, comme pour nos bills de l'Échi-
quier, mais a8 ou 10 pour cent" au lieu de 3 ou 4.
Au commencement de la seconde guerre de Hollande,


.. Clarendon, Histoire de la Rebellion, vol. 1, p. 316-317.




128 PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLICo
lorsque les taxes arrivérent, il ferma les portes du Tré-
sor, et refusade payer. Une telle conduite, de toute évi-
dence, doit étre tout-á-fait fatale aun étre aussi délicat
que le crédit public, lequel ne peut croitre que sous le
régime modéré de lois justes et Iibérales. L'infamie de
cet acte d'escroquerie de la part de Charles 11, fut,
dan s une certaine mesure, réparée sous le regne de
Guillaume 111, lorsqu'une grande partie au moins de la
somme due fut disposée comme fonds, et prise pour
former la part de la dette nationale.


Avec la Révolution arriva une guerre dispendieuse
contre le plus puissant monarque de l'Europe, et la na-
tion eut el subir le choix qu'elle avait fait d'un souve-
rain par des sacriflces de toute sortee Dans cette situa-
tion le parti qui gouvernait le pays imagina d'employer
les moyens d'augmenter le crédit public qui avait si
bien réussi en Hollande et a Venise, C'est ainsi que la
Banque d' Angleterre fut étahlie quelques années aprés
la Révolution. Vers la méme époque le taux de I'argent
fut porté el sa juste valeur, et cette mesure engendra
une disette des métalliques dans le pays. Les affaires
furent généralement suspendues, et le papier de la
Banque d'Angleterre peu de temps aprés qu'elle eüt été
établie, subit une baisse de vingt pour cent. Pour remé-
diel' ace mal, M. Montague, Chancelier de I'Échiquier,
qu'on peut regarder comme le fondateur de notre sys-
teme financier, réunit toutes les dettes flottantes, im-
posa des taxes pour le paiement des intéréts, et afin de
remédier a l'absence des métalliques, mit en circula-
tion des hons admissihles en paiement de taxes, et




PROSPÉRITÉ DU CRÉDIT PUBLlC. 129
qu'on nomma depuis hills de l'Échiquier. Le crédit
publicressuscita, le capital de la Banque s'accrut, et la
circulation monétaire devint capahle de suffire aux be-
soins du pays ..


Des cette époque les emprunts se firent avec une
grande facilité, et en général a un taux peu élevé, ce
qui permit a la nation de résister a ses ennemis. Les
Francais furent surpris des efforts prodigieux que dut
faire un royaume de si peu d'étendue, ils virent avec
étonnement l'argent arriver au Trésor publico Ils s'a-
percurent, a leurs dépens, que si Louis XIV n' obtenait
que difficilement et a grand renfort d'humiliations les
sommes nécessaires pour entretenir ses armées, la
Grande-Bretagne, au contraire, trouvait sans cesse de
nouvelles ressources grace ala prospérité et a la con-
fiance de son commerce. On écrivit des livres, on es-
quissa des projets, on prépara des édits dans le but de
procurer ala France les mémes facilités; tous les plans
que l'habileté des financiers put rever, tous les calculs
que purent enfanter les élucuhrations de l'arithmétique
furent successivement proposés, tentés, et repoussés,
La raison en est simple; c'est que tous les projets in-
ventés a l'imitation de l'Angleterre manquaient d'un
petit élément, que nous avons chez nous, c'est-á-dire,
une constitution libre. ~


" Parmi d'autres expédients, le Roi de France ordonna que la mon-
naie aurait une valeur nominale plus élevée qu'elle ne l'avait eue
jusqu'alors. Addison fit remarquer spirituellement ace propos que le
Roi de France aurait pu tout aussi bien décréter que désormais ses
g-renadiers, ayant six pieds de haut, passeraient pour en avoir sept,
histoire d'augmenter la force de son armée. - Freeholder.


9




130 FROSPÉRITÉ DU CRElJIT PUBLICo
Tout l'argent voté par la Chambre des Communes est


actuellement destiné a des objets spécifiés par un Acte
d' Appropriation que le Parlement passe ala fin de cha-
que session : e'est précisément la mesure qui avait
soulevé si fort l'indignation royaliste de Lord Cla-
rendon.




CHAPITRE XVII.


LES PARTIS.


« Un parti se compose d'individus qui se réunissent pour servir
l'intérét national en dirigeant l'ensemble de leurs efforts d'apres
quelque principe particulier admis par chacun d'eux. Des gens qui
pensent librement peuvent, sous certains rapports, différer d'opinion.
Néanmoins, comme la plupart des mesures qui se produisent dans le
cours de la vie publique sont dorninées par des principes généraux ,
il faudrait étre bien rnalheureux dans le choix de ses associés pour
ne pas tomber d'accord avec eux neuf fois au moins sur dix. Et cet
accord a toujours suffi pour donner a l'union des individus un carac-
tere énergique d'uniforrnité. Je ne peux cornprendre cornrnent les
hornrnes pourraient agir sans union. De quels élérnents faut-il qu'un
homrne soit báti? quel agencement de qualités lui sont nécessaires
pour qu'il puisse siéger des années entieres au Parlement, avec
cinq cent cinquante d'entre ses concitoyens, au milieu du déchaíne-
ment de passions orageuses et du conflit des esprits et des caracteres,
pendant qu'on agite tant de questions graves, tant d'intéréts impor-
tants, sans trouver autour de lui des représentants dont les principes,
la conduite, et les dispositions l'engagent a conclure une sorte d'al-
liance pour rechercher en cornmun avec eux l'utilité publique? » -
Burke.


Le regne d Aune se siglJala par la violeuce des luttes
comme celui de Geol'ge I" par la prépoudérance com-




132 LES PARTIS.


pléte d'un parti. 11 est bon d'examiner tant les eífets de
la lutte que ceux du triomphe. Essayons d'abord d'ex-
pliquer en peu de mots l'existence des partis, et de dé-
fendre les hommes qui avouent leur affiliation aux par-
tis. On pourrait Iaisser au point oú M. Burke l'a placée
l'apologie des partis en général; rien de plus concluant,
de plus profond que ce qu'il a écrit a ce sujeto Cepen-
dant, bien qu'on n'ait jamáis pu trouver une objection
ace raisonnement, et qu'on n'cn puisse rnéme inventer,
une certaine considération s'attache a quiconque décIare
qu'il n'appartient a aucun parti, et parait repousser
ainsi toute imputation de malhonnéteté ou d'égoisme.


La division de l' Angleterre en deux grands partis a
eu , selon moi, pour origine, et a encore pour raison
d'étre des différences d'opinion graves et inconciliables.


Au cornrnencement du regne de Jacques I" les Tories
avaient pour idée favorite d'accroitre autant que possi-
ble la prérogative royale. Tout en reconnaissant comme
ils le font aujourd'hui que le Roi n'est revétu de son pou-
voir que pour le bien public, ils pensaient que le bien
public exigeait que l' exercice de cette prérogative ne
trouvát aucun obstacIe pourvu que la loi füt respectée.
C'est pourquoi, tant qu'il est resté dans les bornes lé-
gales qui lui sont assignées, ils ont été, a vrai dire,
trés-peu disposés á contróler son pouvoir. S'illui arri-
vait de dépasser ces bornes ou d'exposer le pays a un
grand danger, ils étaient tout préts as'opposer a la
Couronne par leurs votes dans le Parlement, ou par tout
autre moyen légal. Cependant il suit de leur doctrine
que leur but a toujours été de soutenir le Roi ala pre-




LES PARTIS. 133


miére place, dans toutes les mesures, et ane luí refuser
leur sanction que dans le cas OU ces mesures mettaient
le pays dans un danger si imminent qu'ils se voyaient
obligés malgré eux de faire eonnaitre leurs propres opi-
.


mons.


Les Whigs s'occupaient plutót du peuple, dont le
hien-étre est le but et l'objet de tout gouvernernent. lIs
affirmaient que, puisque les conseillers du Roi sont
responsables de ses mesures, le Parlement a le devoir
d'examiner et de décider si ces mesures sont sages et
salutaires. C'est pourquoi, ils étaient préts a mettre
obstacle a tout exercice de la prérogative royale qu'ils
jugeaient imprudent ou inopportun ; et ainsister (par-
fois , peut-étre , avec trop de hauteur) sur l'adoption
de la ligne politique qu'iJs considéraient comme répon-
dant le mieux aux besoins et a la situation du pays.


Voilá, selon moi, l'idée générale qu'on doit se for-
mer des opinions des Whigs et des Tories, depuis le
commencement du régne de Jacques Ier, jusqu'á la fin
du regne de George Il.


Si j'ai bien exposé la situation , on comprendra que
fatalement les deux partis devaient se séparer, et rester
a[amáis divisés.


Supposons maintenant un jeune Membre du Parle-
ment arrivant a Londres au commencement du régne
de la Reine Anne. n adopte, par exemple, les opinions
des Tories. nvote en général) mais pas toujours, avec
ce parti. Naturellement il arrive a se lier avec quel-
ques-uns d'entre eux. Il discute d'avance les questions
dont on doit prochainement s'occuper. Ces entretiens




134 LES PARTIS.


aménent une union plus intime. Ses opllllOns sont
écoutées , et ses doutes dissipés dans le cours d'une
discussion amicale. Quelquefois, quand la mesure en
question est une affaire de parti politique plutüt que
de principes, il rattache son opinion acelle des hommes
d'état les plus respectés par la société dont il fait par-
tie. Il pense que plusieurs hommes capables, un grand
corps composé de vrais patriotes, raisonnant dapres
les mémes priucipes que tui-méme , devront probable..
ment prendre une décision plus sage qu 'il ne pourrait
lui-méme , seul au milieu de toute la Chambre des
Communes, tirer de quelques principes généraux une
conclusion convenable. En un mot, il est homme de
parti. Il arrive ainsi que, sans aucune violation de la
conscience, un parti se forme et se consolide, et que
les hommes finissent par prendre cette espece d'esprit
monacal. qui, suivant la remarque d'un étranger plein
de sagacité, ~ domine dans les assemblées poli tiques de
l'Angleterre,


Passons maintenant aux effets de l'esprit de partí.
Parmi ses mauvais effets, il nous faut placer le


manque de franehise qui en résulte nécessairement. n
est peu d'hommes qui puissent entrer dans la chaleur
des luttes politiques , échaufTés encore par de nom-
breux amis qui s'animent et se soutiennent I'un l'autre,
sans attribuer aleurs adversaires de mauvaises inten-
tions et des motifs honteux, dont ceux-ci sont tout
aussi éloignés qu'eux-mémes.


... L'Abbé Galiani.




LES PARTIS. 135


n y a un autre mal, c'est que, malgré eux, les
hommes s'habituent :\ se laisser emporter par le pen-
chant naturel de leur esprit, quand leurs opinions les
aménent a admettre quelque erreur sur laquelle leurs
adversaires ont insisté, ou a encourir le reproche
de faiblesse et d'inconséquence. L'obstination a sou-
tenir une erreur, parce que l'admission de ce qui était
juste et vrai eút fait triompher l'opposition, a fait adop-
ter aplus d'un ministre Anglais la ligne de conduite la
plus funeste au pays.


En attribuant ce mal á l'esprit de parti, mon inten-
tion n' est pas de rattacher a la méme cause le reproche
d'exagération qui accompagne toute discussion poli-
tique. A mon avis, cette exagération est inévitable. Il
est certain que tout hornme d'état se trouve parfois
dans le cas de peser avec un certain degré de doute
les raisons pour ou contre une mesure qu'il défend ou
repousse ensuite avec autant de chaleur et de confiance
que s'il ne pouvait pas y avoir deux avis sur la ques-
tion. Mais il ne suit pas de la qu'il serait sage ou utile
de produire en public tous les arguments qui ont pu
se présenter a son esprit avant d'en venir a une déci-
sion. Quel serait l'effet, par exemple, du discours d'un
ministre, qui, proposant de voter les fonds néces-
saires pour une nouvelle guerre, s'appesantirait sur
les hasar~s qui peuvent l'environner, et sur les nou-
velles charges qu'elle imposera nécessairement au
pays? Évidemment, il ne pourrait amener que le dé-
couragement et peut-étre un traité honteux. Car les
moindres mots qu'un homme laisse échapper en 0ppo-




136 LES PARTIS.


siuon avec son opinión définitive , sont d'un plus
grand poids contre cette opinion que les arguments
les plus forts qu'il puisse donner en sa faveur. Ceux
qui partagent son avis sont tous découragés, et ceux
qui ne le partagent pas triomphent d'avance. Cela ne
vient pas de l'esprit factice de parti, mais de la nature
humaine elle-méme, La condition des affaires publi-
ques est telle que rarement la vérité se trouve tout
entiére d'un seul coté; et l'esprit humain est ainsi fait
qu'il lui faut n'embrasser qu'un seul parti ou tomber
daos l'inaction.


Je n'impute pas non plus a l'esprit de parti la cor-
ruption, au moyen de laquelle on obtient des votes
dans le Parlement. Quelques personnes, je le sais,
s'imaginent que le ministre a recours a la corruption
uniquement parce qu'elle lui est nécessaire pour le
fortifier contre l'opposition. Mais il est évident que,
dans un gouvernement libre comme le nótre, les mi-
nistres feront toujours usage de l'influence de la
faveur qu'ils ont entre les mains, pour se procurer des
partisans. Car un ministre sait fort bien qu'il doit
avoir des partisans. n lui est réellement impossible
d' appuyer son administration sur la base que peuvent
lui fournir ses arguments en faveur de chaque mesure
en particulier. Or, des deux moyens de se procurer des
partisans -l'íntéret et I'esprit de parti -le dernier est
de beaucoup le meilleur. Bien des hornmes, je pense,
abandonneraient Jeurs opinions, et renonceraientá leurs
príncipes, pour gagner une place, qui cependant ne
déserteraient pas un parti dans lequel ils ont été enga-




LES PARTJS. 137


gés par la passion et l'affection, aussi bien que pat- la
raison.


Ainsi, loin d'étre la cause de la corruption et de l'in-
fluence illégitime, l'esprit de parti la remplace souvent.
Il y en a qui pensent, il est vrai, qu'on peut gouverner
le monde avec des intentions pures et rien que par la
force du raisonnement. Mais, M. Wilberforce l'a fort
bien dit, en parlant de la religion, « l'homme n'est
pas seulement un étre intelligent. Video meliora probo-
que, deteriora sequor, est une parole que chacun de
nous, hélas! peut s'appliquertous les jours. La tenta-
tion la plus légere est souvent capable de nous pousser
a agir en opposition avec les raisonnements les plus
clairs de notre intelligence, avec nos intéréts les plus
importants, et nos plus fermes résolutions. »-« Ces ob-
servations,» continue le judicieux auteur, «s'appliquent
également, a des degrés différents, a tout ce qui de-
mande des efforts Iaborieux, pénibles, et continus, dont
nous pouvons étre détournés par des obstacles ou par
les séduisantes tentations du plaisir. Que nous faut-il
done faire dans le cas d'une entreprise difficile et né-
cessaire? La réponse est aisée : - Vous vous efforcerez
non-seulement de convaincre I'intellígcnce, mais encere
de toucher le cceur ; et, dans ce but, vous devez avoir
recours a la puissance des passions. » -te


Les bons effets de l'esprit de parti dans notre pays
sont noinbreux et considérables. Un des principaux,
est qu'il donne un corps aux opinions fugitives des


*" Wilberforce, Vue pratique du ChrisUanisme, p. 60.




138 LES PARTIS.


politiques, et les attache dune maniere constante a
des principes solides et durables. Le véritable homme
de parti truuve dans son propre esprit certaines regles
générales de politique, cornme des principes généraux
de morale, suivant lesquelles il décide toutes les ques-
tions nouvelles et douteuses. La croyance a la justice
de ces principes le rend capahle de résister aux séduc-
tions de 1'intérét, et aI'hahileté des sophismes; sa con-
duite acquiert quelque chose de cette fermeté qui forme
le earactere de l'intégrité et de la sagesse .


.


L'union de plusieurs personnes dans les mémes vues
permet a un parti de faire réussir des mesures, qui
autrement n'éveilleraient pas l'attention. Il se rencontre
souvent des propositions éminemment utiles, et
cependant peu faites pour s'attirer la faveur populaire,
qui, par la constance et les efforts énergiques d'un
parti, finissent par devenir des lois. Le char arrive ala
fin, a sa destination ; mais un courrier seul retournera
probablement ala place d'oú il est parti. 11 arrive quel-
quefois que l'esprit de parti réussit la OU le peuple a
échoué. L'enthousiasme de toute une nation est chose
fugitive de sa nature. Si tout d'abord, on lui a résisté
avee succés, il dégénere bientót en apathie, et quoique
mécontent, sous le poids de la défaite, le pays demeure
passif', Mais un parti a des engagements, qui donnent
plus de constance au caractere de ses adhérents; leurs
principes sont signés de pére en fils, et deviennent le
moule oú les générations prennent la forme et l'em-
preinte de leur politiqueo On nous objectera sans
doute, qu'on peut citer plusieurs exemples de partis ,




LES PARTIR. 139


qui en arrivant au pouvoir ont abandonné des prin-
cipes qu'ils avaient d'abord adoptés; mais cela est
plus rare que le changement eomplet et radical de
l'opinion du peuple relativement aux objets de sa pré-
dileetion ou de son aversion.


Le plus grand avantage que produise l'esprit de parti
est, peut-etre, de former un corps des différentes opi-
nions d'un pays pour le temps présent. Ces opinions
sont parfois si violentes que, si elles n'avaicnt pas une
issue dans le Parlement, elles pourraient mettre la
machine en pieces. Heureuscmcnt, quand Sir Robert
Walpole fut renversé, le peuple aecorda sa eonfianee
(confiance peu justifiée, peut-étre), a l'opposition; et
Iorsque Lord North parut avoir tout détruit, le pays
demanda son salut a Lord Rockingham et a M. Fox. n
peut y avoir une révolution dans notre patrie; mais il
est presque impossible que la nation n'ait pas d'ahord
recours au remede que peut fournir un ehangement de
ministres. Ainsi, la grande et supréme raison des peu-
pIes, le droit de résistance, se trouve n'étre pas encore
le moyen le meilleur et le plus salutaire qu'il y ait a
employer. e'est un grand avantage de posséder de
pareils moyens pour une nation qui peut les em-
ployer.


En énumérant les mauvais effets de l'esprit de parti,
[e n'ai point parlé des animosités et des luttes vio-
lentes qu'il produit. De prétendus philosophes font
d'éternelles lamentations sur nos divisions politiques
et les luttes de nos élections.


Les intelligenees élevées comprennent que e' est la




140 LES PARTIS.


I'm-senal de la liberté el de la prospérité natio-
nales.


C'est au milieu des flammes et sur l'enclume bruyante
que la liberté reeoit sa forme, sa trempe, et sa force.




CH.APITRE XVIII.


GUILLAUME ET MARIE. - ANNE.


«. Un roi fait ailleurs entrer aveuglément ses peuples dans toutes
ses vues j mais a Londres, un roi doit entrer dans celles de son
peuple. » - VOLTAIRE, Siécle de Louis XIV.


•Passons maintenant a l'histoire des deux partis de-
puis la Révolution jusqu'au regne de George I".


Nous avons vu que les 'Vhigs refuserent d'accorder
au Roi Guillaume un revenu permanent qui pouvait
le rendre indépendant de son peuple , et que ce prince
cassa le Parlement, en 1690, avec un certain mécon-
tentement. La Chambre suivante fut une Chambre
Tory; et Sir John Trevor , un des plus violents de ce
parti, fut nommé Premier Commissaire du Trésor. Il
entreprit de distribuer de l'argent, de maniere a s'as-
surer les·votes de la majoríté ; c'était, depuis la Révo-
]ution, le premier exemple de la corruption érigée en
systeme. Trevor fut ensuite puni pour cause de cor-
ruption dans une question relative .au Bill des 01'-
phelins. On vit s'élever alors une lutte violente entre




l!:l2 GUILLAUME ET MARIE. - ANNE.


les Whigs et les Tories, se disputant la faveur du Roi
et la confiance du peuple. Le renvoi de Monmouth et
de Warrington montra et établit le succes des Tories.
Ce partí fut soutenu par les petíts propríétaires fon-
ciers et les hobereaux de province, qui craignaient dans
le parti Whig une tendance ainnover tant en politique
qu'en religion. D'un autre coté, les Whigs étaient esti-
més du peuple comme ayant combattu dans le prin-
cipe le pouvoir arbitraire, et avaient I'honneur, auss i
bien que la responsabilité, du nouvel état de choses.
Dans le hut de soutenir leur ceuvre, ils accoururent
avec leurs richesses dans un moment critique, et per-
suadérent aussi a leurs amis de la Cité, qui alors
comme précédemment, étaient le solide appui de la
liberté, a pretor des sommes considérables au gou-


•vernement. Par ce moyen, les Whigs s'attachérent des
hommes d'une grande fortune , et , a leur avantage,
se distinguérent des Tories qui ne purent ou ne vou-
lurent pas avancer des sommes importantes. C'est
pourquoi, le Roi , qui avait mis sa confiance dans
Ranelagh, Rochester, et Seymour, aprés avoir montré
l'inclination qu'il avait pour les Whigs, éleva Somers
et Shrewsbury aux premieres places , et donna un
consentement tardif au Bill Trienna1. Aprés la paix de
Riswick, les Whigs défendirent le maintien de la garde
Hollandaise , en quoi ils avaient peut-étre raison, bien
que la ligne de conduite qu'ils prenaient les exposát
grandement a la haine populaire. Le mauvais succes
de ce plan, qui était l'idée favorite de notre lihérateur,
prouve combien l'autorité royalc était raíble a cette




GUILLAUME B1' MARIE. - ANNE. 143


époque. 11 ne serait peut-étre pas aussi facile de dé-
fendre les Whigs dan, leur conduite au sujet d'une
nouvelle compagnie des Indes Orientales. Encore moins
peuvent-ils échapper au reproche davoir souffert en
silence la conclusion du traité de partage. Par ce
traité, Guillaume se confia imprudemment a la bonne
foi du Roi de France, et sans droit disposa de toute
la monarchie d'Espagne ~ pendant la vie méme du
souverain régnant. Ce partage, ainsi arrangé d'a-
vanee, outragea les Espagnols, et en méme temps ir-
rita I'Empereur. Il était téméraire en poiítique, mal
fondé en droit, et impraticable dans l'exécution. Avec
des armes si imprudemment fournies par ses adver-
saires, le parti de la province attaqua avec violence
les Whigs dans la Chambre des Communes: Oxford
et Somers furent éloignés et disgraciés; un ministere
Tory fut établi, et ce fut le dernier du Roi Guillaume.


La Reine Anne monta sur le treme avec de vio-
lents préjugés en faveur de la politique des Tories,
tant dans 1'Église que dans 1'État, et des bills séveres
contrela conformité occasionneJle furent recus avec




applaudissement par la Chambre des Communes OU
les Tories étaient en grande majorité. Mais les incli-
nations naturelles de la Reine céderent a l'avis de
Marlborough, qui, bien que Tory Iui-méme, acquit la
convictio~ que Lord Rochester ne soutiendrait pas la
guerre avec activité, et que les Whigs seuls partageaient
les sentiments que le Roí Guillaume avait exprimés
dans le dernier discours qu'il avait adressé a son Par-
lement. Sentant qu'une vigoureuse résistance aux




l4A GUILLAUME ET MARIE. - ANNE.


armes de Louis XIV pouvait seule sauver les libertés
de1'Europe, Marlhorougl1 engagea ss msitrosse adon-
ner son appui au parti 'Vhig. Lord Cowper fut nommé
Lord Chancelier; mais ce ne fut pas sans hésitation
que la Reine consentit a faire entrer dans ses conseils
des hommes dont elle détestait la politique, et des
années s' écoulérent en luttes a la cour pour faire
monter Sunderland et Somers aux premiercs charges
de I'État. n ne serait pas juste d'attrihuer ces de-
mandes des Whigs simplement a l' amour des places;
leur ambition était d'une nature plus élevée. lIs aspi-
raient a gouverner d'aprés leur propre systéme poli-
tique, et ils voyaient tous leurs efíorts entravés par
la négligence volontaire des Tories, qui occupaient
des places moins élevées dans I'administration. Godol-
phin nous apprend que dans les bureaux du ministere
il n'y avait pas un Tory qui ne se fit répéter dix fois
la chose qu'on lui avait ordonné d'exécuter, et qu'alors
elle se faisait avec toute la difficulté et toute la len-
teur imaginables. Cette conduite , dangereuse sinon
criminelle au milieu d'une guerre périlleuse, ne sert pas
peu assurément a justifier l'importunité avec laquelle
les Whigs demandérent le renvoi de Sir C. Hedges du
poste de Secrétaire d'État, dans le but de lui donner
un emploi plus permanent et plus avantageux, mais
sujet amoins de responsahilité, '"


Les Whigs ne tiraient leur pouvoirque d'un titre pré-


,. Voycz - Conduite de la Duchesse (le Marlborough. COKE, Vil'
de .Marlborou!Jh. .




GUILLAUME ET MARrE. - ANNE. 145


caire. La Reine, qui, dans le príncipe, était leur enne-
rnie, Ieur voua une haine implacable a cause de leur
invasion hautaine dans le cabinet; et chaque jour elle
était poussée a quelques petits actes dhostilité par
Mrs. Masham , qui avait succédé a la Duchesse de Marl-
borough dans le gouvernement de son faible esprit et de
son ignoble creur. On n'attendait qu'une occasion plau-
sible et agréable au peuple pour écarter le général qui
illustrait le nom Anglais par ses victoires, et l'homme
d'état dont la réputation était également fondée sur sa
sagesse et son amour pour la liberté. Cette occasion ne
tarda pas ase présenter; Marlborough et Somers tom-
berent ; Harley et Sto Jean s'éleverent a leur place: et
le tróne ne fut conservé ala Maison de Hanovre que par
les rivalités de ces deux hommes sans principes.


11 faut avouer que les Whigs donnerent prise aux atta-
ques de leurs ennemis. Le proces du Docteur Sacheve-
rel fut imprudent. Sous un gouvernenlent définitive-
ment établi, il n'était pas sage de proclamer tout haut
la doctrine de la résistance; et il ny avait pas grand
danger él laisser un prétre sans importance vanter tran-
quillement ses absurdités. La solennité d'un {( impeach-
ment, » le déployement de toutes les forces de l'État
contre un simple particulier, ne pouvaient manquer
dexciter de nouveau des cris en faveur du Haut Clergé,
qu'on aurait dú laisser dormir en paix. La popularité
de Sacheverel et les opinions bien connues de la Reine
tirent arri ver une Chambre des Communes complete-
ment favorable aux Tories. Et ici commence I'histoire
des quatre dernieres années de la Reine Anne , pendant


10




14:6 GUILLAUME ET MARIE. - ANNE.


lesquelIes la presse fut restreinte , l'intolérance favori-
sée, nos alliés abandonnés, et une paix désavantageuse
conclue. Assurément, si la Reine Anne n'était pas
morte avant que les Jacobites n'eussent préparé leurs
mesures, l'Électeur de Hanovre n'aurait jamáis pu par-
venir au tróne auquell'avait appelé l'Acte dé Succes-
sion.


Nous venons de passer en revue les luttes des partís
sous les deux premiers souverains qui régnérent aprés
la Révolution. C'étaient des 1emps OU l'intégrité poli-
tique était rare et les animosités de parti tres-violentes,
mais le peuple était admis comme arbitre entre les
puissances belligérantes; et, en somme , l'élévation et
la chute de chaque parti semblent avoir été en rapport
avec leurs mérites. En parlant ainsi, je dois excepter
l'élévation de Harley et de Sto Jean : hommes qui
furent assez bas pour flatter Marlborough dans le but de
le tromper et de le supplanter, et qui auraient dú res-
ter a jamais dans l'obscurité OU ils s'étaient trouvés
d'abord. Cela excepté, la lutte entre les deux partis fut
une lutte entre deux politiques, OU le bien de l'État
était renfermé, et entre deux grands principes dont l'un
ou l'autre devait étre la base du gouvernement Anglais.
Des hommes de grand talent, riches et expérimentés, se
distinguérent dans l'un des deux partís; et de quelque
coté que penehát la nation, elle avait en réalité plus de
liberté, plus de sécurité personnelle , plus de tranquil-
lité al'abri des troubles religieux, et, en outre, plus de
gloire et de considération qu'on n'en avait jamais eu en
.Angleterre.




'CHAPITRE XIX.


POURSUITES PARI,EMENTAIRES. - BILLS DES PEINES ET AMEi'lDES.


« Le Parlement a aussi pou voir de punir quiconque juge pour
l'homme et non pourle Seigneur; quiconque fait acception des per-
sonnes, ou accepte des présents ou de quelque maniere prévarique
dans sa charge.» - Whitelscke, Notes sur Les Ordonnances du Roi.


Il est absolument nécessaire a la conservation d'uno
forme établie de gouvernement, qu "il posséde un moyen
légal de punir ceux qui tentent de le renverser. Pour
-cette raison , le magistrat chargé du pouvoir exécutif
est toujours muni des moyens de poursuivre en justice
les personnes qui conspirent contre son autorité légi~
time ou contre la leur propre.


De la méme facón, et pour les mémes raisons, iI
doit exister dans un État libre un moyen légal de met-
tre en accusation les personnes qui ont abusé de l'auto-
rité a elles confiée dans le hut d 'usurper un pouvoir
illégal, de corrompre les citoyens, ou darriver a des
fins contraires a l'intérét général de l'Etat Dans aucun
cas, le pouvoir discrétionnaire de mettre en jugement




14:8 POURSUITES PARLEMENTAIRES.


ne peut étre doimé au dépositaire de l'autorité, car en
général c'est de lui qu'on se plaint; ce pouvoir doit ré-
sider dans l'élément populaire du Gouvernement. C'est
done une sage mesure dans notre gouvernelllent que la
Chambre des Communes ait le droit d'accusation. Ce
pouvoir extraordinaire, ainsi confié aux représentants
du peuple, les met en position de dénoneer, comme
coupables de haute trahison, tous ceux qui violent la
loi sur ce point. II leur permet ene~re de dénoncer,
comme coupables de délits et des plus grands crimes,
tous les ministres dont la conduite est nuisible aux in-
térets de la nation. n y en a, je le sais, qui ont soutenu
que l'accusation ne peut avoir Iieu que dans le cas d'un
délit défini; mais cette doctrine est en pleine contra-
dictionavecles trois quarts des mises en accusation qui
onteu lieu, Nous ne citerons qu'un seulexemple :-Dans
l'affaire des ministres qui signerent le traité de partage,
la Chambre des Communes décida, le 1er Avril 1701,
« que Guillaume, Comte de Portland, en négociant et
concIuant le Traité de Partage (lequel était destructif
du commeree de ce royaume et dangereux pour la paix
de I'Europe), s'était rendu coupable et serait accusé de
grands crimes et délits.)) - Or, quels jurés pourraient
prendre sur eux de dire qu'un traité a été destructif du
commerce de I'Angleterre, ou de décIarer coupable un
homme accusé d'avoir compromis la paix de I'Europe?


On peut dire la méme ehose des accusations portées
contre Oxford et Bolingbroke {l0ur avoir signé le Traité
dUtreeht. Ceux qui soutiennent que les accusations ne
peuvent avoir lieu que pour un délit défini disent : « II




BILLS DES PEINES ET AMENDES. 14q


est vrai qu'un jury ne pourrait pas juger ces délits ;
mais ce n'est la qu'une objection contre lajuridiction;
toute prévarication et tout délit commis par un fonc-
tionnaire sont soumis a la loi commune. » n est clair
que cette réponse réduit a néant le différend; car si
certains crimes ne peuvent étre poursuivis que par voie
de mise en accusation, peu importe que ce soit le défaut
de la loi ou celui de la juridiction qui impose la néces-
sité de traduire les accusés devant une autre cour.


Il est impossible au Roi d'arréter la marche d'une
accusation devant le Parlement. La grace qu 'Il accor-
derait en la revétant du grand sceau ne pourrait mettre
opposition aux poursuites. Sa prérogative de proroga-
tion ou meme de dissolution peut suspendre, mais non
terminer le proceso Ces deux garanties de la justice
furent réclamées pendant le procés du Comte de Danby,
sous le regne de Charles 11; la premiare fut établie a
la Révolution, et la seconde confirmée pendant le pro-
ces de M. Hastings.


nest bien plus difficile, dans un État libre, d'établir
des juges impartiaux que de trouver des accusateurs
courageux. Il ne peut guere exister de corps d'hommes,
qui, ayant les qualités nécessaires pour se former une
opinion sur les questions politiques, n' aient pas le
défaut de s'en former une d'avance quand ils sont ap-
pelés ajuger. Ce dernier inconvénient, il faut l'avouer,
se rencoiltre dans notre Chambre des Lords. JI est
difficile, sinon impossible, de traduire devant eux un
ministre important dont ils n'aient pas juzé définiti-
vement la conduite au fond de leur ame. Voilá pour-




] 50 POURSUITES PARLEMENTAIRES.


quoi nous voyons que, lorsque les Lords sont favorables
a l'accusé, les Lords et les Cornmunes tentent en géné-
ral de faire naitre un différend entre les deux Cham-
bres, ce qui les empéehe de porter un jugement. C'est
ce qUI arriva dans les proces de Lord Danby, de Lord
Sorners, et de plusieurs autres. L'expérience des der-
niers temps n'a pas rendu les preces parlementaires
plus faciles, ni les jugements plus impartiaux , Le pro-
ces d 'Hastings fut une longue punition ; et dans la der-
niére accusation de ce genre, on vi t les Lords voter
plus par un sentiment d'amitié politique ou personnel
que par un sentiment de justice; et quelques-uns pri-
rent part a la décision, sans avoir entendu un mot de
l'affaire. En somme l'accusation parlementaire est plu-
tót un épouvantail destiné a effrayer les fonctionnaires
prévaricateurs, qu'une garantie réelle pour la justice
publique. Autrefois elle a écarté du pouvoir plus d'un
mauvais ministre; pour le moment, le but qu'elle se
proposait est atteint, quand il est atteint, par des
moyens plus simples. Cependant le résultat pacifique
de l' accusation parlementaire est peut-étre un des
moyens qui ont retenu chez nous la modération des
partis les uns al'égard des autres.


Les bills d'attainder et les bills de peines et amendes,
rendus par le Parlement, sont, par leur nature, tres-
différents des accusations parlementaires. On y a eu
recours le plus souvent, sinon toujours, dans des oc-
casions urgentes et de grande importance. Deux con-
ditions semblent étre requises {l0ur tous les bilIs de ce
genre : -Premierement, il doit étre impossible de con-




BILLS DES PEINES ET AMENDES. 151


vaincre le coupable par les moyens ordinaires dont la
loi dispose. - Secondement, il faut que de l'évasion
du coupable puissentrésulter de grands dommages pour
l'État. n faut en vérité que de grands malheurs puis-
sent étre produits par l'impunité d'un coupable, pour
contrebalancer le mal qu'il y a a ébranler la súreté
commune des sujets, a troubler le cours régulier de la
justice, et aoffrir un exemple de chátiment infligé aun
homme qui n'a pu étre convaincu d'un crime.


On trouve malheureusement trop de bilIs d'attainder
et de bilIs de peines et d'amendes dans le recueil de
nos statuts. Mais dans les anciens temps, les bilIs
d'attainder, quelque injustes qu'ils aient été dans leurs
effets en certaines circonstances, n'avaient pas le ca-
ractére qu'ils ont aujourd'hui, Dans le principe, la
haute cour du Parlement n'était pas une cour seule-
ment de nom, mais elle était destinée a rendre la
justice, et surtout a juger tous les grands criminels
que leur pouvoir faisait échapper a la juridiction d 'un
jury. Les faits pour lesquels on condamnait ces crimi-
nels étaient pourtant de ceux dont un jury pouvait
connaitre légalement. Ainsi tels furent les proces des
Spencers, des adhérents de Richard IlI, et d'autres. Le
regne de Henry VIII nous offre un tableau plus alar-
mant. Un bill d'attainder fut rendu contre Empson et
Dudley lors de l'avénement de ce Roi, pour les exac-
tions dont ils s'étaient rendus coupables sous le regne
de son pere. Comme ces exactions avaient été sane-
tionnées par un Acte du Parlement, il y avait assuré-
ment grande injustice a condamner a la peine capitale




152 POURSUITES PARLEMENTA1RES.


ceux qui avaient agi daprés cet acte. L'acte d'attainder
n'était, du reste, aucunement nécessaire ; car Empson
et Dudley avaient été auparavant convaincus de trahi-
son a Guildhall, pour avoir tenté de se maintenir par
force dans leur charge,." Cependant, le peuple était
animé contre eux d'une haine si violente que proha-
hlement ils ne trouverent guére plus de justice dans le
jury que dans le Parlement.


Sous ce méme regne de Henry VIII, la Reine Catherine
Howard fut condamnée a perdre la tete, par un bill
d'attainder, pour incontinence avant son mariage avec
le RoL Pendant la marche du preces, les Lords, a la
priere de Henry, envoyerent un message ala Reine, pour
lui demander si elle avait quelqne chose a dire pour sa
défense. Elle avoua son crime; et, selon l'esprit du
temps, elle ne songea pas a se plaindre de souffrir la
mort pour un crime étranger aux lois.


En l'année 1539, eut lieu un précédent des plus dan-
gereux.La Marquise d'Exeter et la Comtesse de Salis-
bury refusant de répondre a I'accusation poriée contre
elles, elles furent poursuivies par un Acte du Parlement.
« Sur la justice de cette mesure,» dit Burnet, « il y eut
quelques débats; pour éclaircir la chose, Cromwell en-
voya chercher les juges, et leur demanda si un homme
pouvait etre poursuivi en Parlement, sans qu'on eút
entendu sa réponse a l'accusation. Les juges répondi-
que c'était la une question dangereuse; que le Parle-
ment devait servir d'exemple a toutes les cours infé-


.. State- Trials. Burnet, Histoire de la Réformation.




BILLS DES PEINES ET AMENDES. 153


rieures; et que, quand une personne était accusée
d'un crime, selon la regle ordinaire de la justice et de
l'équité, sa défense personnelle devait étre entendue;
mais que le Parlement étant la cour supréme de la
nation, de quelque facón qu'il procédát, la chose ne
pouvait manquer d'étre légale; et que jamais on ne
pourrait demander si la partie avait été amenée pour
répondre ou non. » iC Comme il était arrivé de tous les
mauvais précédents, celui-ci ne tarda pas a etre rendu
pire; dans ce cas, cependant, la personne fut merveil-
leusement choisie; ce fut Cromwell lui-méme. Loin de
décliner le preces, il demanda aétre entendu; maís sa
demande fut refusée, et on rendit un bill d'attainder
sur la simple assertion de ses ennemis.


Quand au bill d'attainder contre Strafford, j'en ai
parlé précédemment. Il n'y a pas d'excuse a donner
pour la maniere violente dont ce bill fut rendu , 11 faut
observer, cependant, qu'un ne peut imaginer dans un
État une circonstance aussi urgente que celle qui né-
cessitait la prompte condamnation de Strafford. Quel-
ques-uns des plus modérés parmi les Presbytériens, le
Comte de Bedford. M. Pym, M. Selden , etc., voulaient
lui conserver la vie; mais ils furent entrainés par d'au-
tres d'une nature plus sanguinaire. Le bill de bannis-
sement eontre Clarendon était appuyé sur cette puis-
sante raison, quils'était soustraitá lajustice: cependant,
ce motif neo me semble pas suffisant pour justifier une
pareille mesure. Je ne suis eependant pas disposé a


... Burnet, Histoire de la Réformation, p. 265.




]54 POURSUITES PARLEMENTATRES
grandement blámer le bill d'attainder contre Sir John
Fenwick. Une personne accusée de haute trahison, sur le
point d'étre j ugée ponr ce crime, selon le cours ordinaire
des lois, qui prétend qu'elle va révéler sa trahison, et qui
profite de sa fraude pour faire disparaitre un témoin,
s'est mise, a mon avis, en dehors de toutes les regles de
la loi. Son crime était du caractere le plus dangereux.


n n'y a pas lieu d'cn dire autanten faveur du bill des
peines et amendes contre Atterbury. Pour le justifier,
on prétend que Walpole aurait pu produire contre lui
des preuves suffísantes pour le faire convaincre de
haute trahison devant une cour de justice. Qu'il l'ait
pu ou non, il n'en reste pas moins une tache éternelle
sur sa mémoire, pour avoir poussé le Parlement, dans
le but de bannir ce prétre brouillon , a le condamner
sur le témoignage de lettres qui n'étaient pas de sa main,
et apres la mort de la personne qu'il supposait les avoir
écrites.


La protestation signée, en cette occasion, par Lord
Cowper et trente-neuf autres Pairs renferme une doc-
trine juste et satisfaisante sur tOU8 les bills de cette
nature.


« Nous sommes d'avis, » disent ces Lords, cc que nulle
loi ne doit étre rendue dans le but de décider qu'un
individu est coupable selon la loi, et doit etre puni
comme tel, excepté dans le cas OU une mesure si ex-
traordinaire est évidemment nécessaire au salut de
I'État.


ce A nos yeux c'est une sérieuse objection a ce mode
de poursuites, que les regles établies par la loi pour la




BILLS DES PEINES ET AMENDES. 155


súreté du sujet ne lui sont, dans ce cas, d'aucune uti-
lité, et amenent une conclusión violente; nous pensons~
en conséquence, qu'il ne doit étre adopté que dans le
cas d'une évidente nécessité, comme il a été affirmé
plus haut; et nous désirons qu'il soit bien entendu ,
qu'au sujet du cas de nécessité qu'il faut excepter,
nous ne regardons pas cornme nécessité la simple im-
possihilité de convaincre l'accusé par une autre voie.»




a: Votre reconnaissant serviteur,
a: JOHN HORNE COOKE. l)


CIIAPITRE xx.


GEORGE I ET GEORGE 11.


e Je continuerai, pendant le peu de temps qui me reste 11 vivre, a
rester fortement attaché al'ancienne liberté de mon pays (comme il
en jouit réellement sous ces honnétes et vieux gentilshommes,
George 1 et George II).


Adresse de M. Horne Cooke aux Électeurs de Westminster,
26 Juin 1802.


Le pacifique avénernent de la Maison de Hanovre au
tróne de ce pays fut le plus grand rniracle de notre
histoire. Le ministére de la Reine Anne, une grande
partie du Clergé, et presque tous les gentilshornmes,
furent opposés a la violation de l'ordre de succession
au tróne, uniquement dans le but de conserver la li-
berté civile et religieuse du pays; ce fut le triomphe
de la minorité intelligente sur les préjugés de la masse.


L'avénement de George I" fut l'époque oú s'établit
complétement en Angleterre le gouvernement de parti.
Pendant le regne de Guillaume, les Whigs et les Tories
avaient été employés ensemble par le Roi; et quoique
la distinction entre un ministére Whig et un rninistére




GEORGE 1 ET GEORGE JI. 157


Tory fút plus nettement marquée sous la Reine Arme,
cependant Marlborough et Godolphin , qui donnaient au
ministére Whig une grande partie de sa force, étaient
Tories; Harley et Sto Jean, qui se mirent ala tete de
l'administration Tory, avaient occupé, peu de temps
auparavant, des postes subalternes sous les Whigs. Mais
la chute complete de l'administration Tory, qui avait
signé la paix d'Utrecht, et le soup~on parfaitement
fondé qui s'attachait a tout le partí. comme favorable
aux réclamations du fils de Jacques JI, placerent entié-
rement George I" dans les mains des Whigs. A la
méme époque, les difficultés financieros qui suivirent
la fin de la guerre, et le grand talent pratique de Wal-
pole comme hornrne d'état , contrihuerent a donner
une plus grande irnportance que jamais a la Chambre
des Cornmunes, et a placer, dans cette Chambre, si je
puis m'exprimer ainsi, le centre de gravité de l'État.
Outre ces causes. selon l'opinion du Président Onslow,
I'Acte Septennal augmenta grandement le pouvoir et
l'autorité de la Chambre des Cornmunes.


Nous trouvons done maintenant un parti dirigeant le
pays par la Chambre des Communes; espéce de gou-
vernement qui a été attaqué avec véhémence, avec ap-
parence de raison, avec éloquence, avec esprit, par
Swift el Bolingbroke, et tout le parti Tory pendant les
régnes de. George l" et de George 11; par Lord Bute
et les amis du Roi au commencement du regne de
George IlI, et, anotre époque méme, par un parti de
réformateurs parlementaires. Leurs objections contrece
gouvernernent se réduisent adire: - qu'il méle et con-




158 GEORGE 1 ET GEORGE n.


fond les fonctions du Roi avec ceIles de la Chambre
des Communes; que par la le Roi perd sa prérogative,
ses propres serviteurs, et devient I'esclave de ses puis-
sants sujets, tandis que, d'un autre coté, la Chambre
des Communes, en empiétant sur le pouvoir exécutif,
ouvre la porte a la corruption, et, au Iieu d'étre la gar-
dienne vigilante de la bourse publique, devient com-
plice d'une olígarchie ambitieuse. Or, cette objection,
si elle est fondee, ruine notre constitution tout entiére;
cal' nous avons vu, en examinant le regnede Charles l",
qu'un Roi dont les serviteurs sont indépendants du
Parlement, et un Parlement opposé a tous les abus du
pouvoir, ne sauraient exister ensemble: la soumission
de I'un des deux partía, ou la guerre civile, tel est le
résultat nécessaire de cet état de choses.


La question que nous avons aexaminer n'est donc pas
de savoir si le gouvernement des deux premiers Princes
de la Maison de Brunswick fut une corrupti-m de la
vieille constitution Anglaise, mais si, en somme, ce fut
une bonne ou une mauvaise forme de gouvernement.


La premiere considération qui doit nous frapper c'est
qu'en définitive la liberté des sujets lut maintenue. Les
principales exceptions a cette remarque sont, la sus-
pension de I'Acte d'Habeas Corpus a l'occasion du com-
plot de Layer, et le hill d'attainder contre l'Évéque
d' Atterbury. J'ai déja parlé du dernier; quant a la
suspensión de l'Acte d'Habeas Corpus, lors du complot
de Layer, elle m'a toujours semblé sans nécessité;
mais il est impossible dapprécier exactement ce point,
et il ne faut pas oublier que tous les chefs du parti




GEORGE 1 ET GEORGE n. 159


Jacobite d'Angleterre intriguaient en ce temps-Iá a
Rome pour conserver le Prétendant. Ces exceptions a la
liberté générale des sujets sont rares et temporaires; il
ya peu d'époquos dans l'histoire d'une nation qui aient
été aussi peu troublées par la violation de la liberté per-
sonnelle que le temps de l'administration de Walpole.


Une autre remarque qui se rattache étroitement a la
précédente, c'est que le triomphe des partis ne fut pas
marqué en Angleterre, comme il fa été dans toutes les
républiques qui ont existé, tant dans I'antiquité que
dans les temps modernes, par une persécution cruelle
et impitoyable du parti vaincu. L'histoire des divisions
des partís aristocratique et démocratique dans les pe-
tits États· de la Greco,- des partis de Marius et de SyIla,
de César, d'Antoine et d'Octave a Rome, des Guelfes
et des Gibelins, en Italie, des Catholiques et des Hugue-
nots en France, - est une histoire de proscriptions, de
confiscations, de massacres, et d'assassinats ; mais sous
le regne du premier Prince de la Maison de Hanovre,
on trouve peu de sévérité et encore moins de vengeance.
Bien que plusieurs Tories fussen t connus pour étre les
adversaires du nouveau gouvernement Protestant, on
fit peu de chose contre eux, a part l'exil de Boling-
broke, d'Ormond, et d' Atterbury. Walpole était poussé
par son naturel vers la douceur et la modération. Il
n'ignorait pas que plusieurs correspondaient avec le
Prétendant, et il ne voulut pas les connaitre. On rap-
porte qu'un jour Wyndhum ou Shippen pronon<;a un
discours violent qui excita des murmures et fit crier :
« A la Tour! A la Tour! » parmi ses adversaires. Sir




160 GEORGE 1 ET GEORGE JI.


Robert Walpole se leva et dit : (( Je sais que l'honorable
. gentilhomme s'attend a ce que je vais demander qu'il
soit envoyé a la Tour; mais je vais tromper son at-
tente, car je n'en ferai rien. »


La force de l'administration de Walpole résidant
principalement dans la Chambre des Lords et dans la
partie aristocratique du pays, il lui fut permis pen-
dant plu sieurs an nées d' employer un systérne pacifique.
La paix, qui est un bien dans tous les temps , était
alors trés-désirahle. L'alliance politique entre le Roi
d'Angleterre et le Régent de France écarta toutes les
inquiétudes qui nous avaient été inspirées par l'amhi-
tion immédiate de Louis XIV de voir I'Europe devenir
esclave et les puissances étrangeres nous imposer un
roí. Ainsi, n' étant plus troublé au dedans par les in-
vasions de la liberté, et par les guerres au dehors, il se
reposa enfin des luttes violentes dans lesquelles il
avair été si longtemps engagé. Et , en somme, le
peuple eut raison d'étre satisfait du gouvernement de
Walpole. Montesquieu, qui a le plus contribué a ré-
pandre sur le Continent l'admiration de la constitu-
tion Anglaise, et I'a présentée comme un modele a
suivre, I'a étudiée a cette époque. Il y avait en méme
temps dans la marche générale du gouvernement de
Walpole un défaut qui est le plus funeste de tous ala
conservation de I'esprit de liberté dans un pays. Dans
le but de flatter les passions irascibles qui avaient
troublé le commencement de sa carriere, il affaiblit
par degrés, et finit presque par éteindre coruplétement
tous les sentiments grands et libérau x en politiqueo




GEORG E 1 ET GEORGE JI. 161


Maintenir {( nos heureuses institutions, » tel était le
noble objet de son administration; objet qui ~ quelque
louable qu'il fút, était peu propre a développer la vi-
gueur de la pensée ou l'énergie du caractere. Cepen-
dant on aurait tort de l'en hlámer. Ce dont nous pou-
vons nous plaindre avec raison, c'est que, dans le
choix des moyens~ il montra une opinion injurieuse
pour I'espéce humaine, et s'adressa aux intéréts des
individus plutót qu'aux sentiments publies sur le
bien de la société. C'est ainsi qu'il marcha, dégradant
I'époque oú il vécut, depravé Iui-mémc par son épo-
que, jusqu'á ce que l'État fút mis en lambeaux par
les plus petits chefs de partís.


Cependant la chute de l'administration de Walpole
fut amenée a la fin par d'injustes clameurs au sujet du
droit de navigation et par une impatience générale de
changement. Un gouvernement ne peut résister el la
réunion des imbéciles et des fous, ou, comme
Henri VIII les appelai t ( au parti lourd et au parti
téméraire. » En Angleterre ~ le parti Tory s'était tou-
jours appuyé sur le pouvoir et l'influence de la
partie stupide de la nation. Les propriétaires illet-
trés des campagnes adopterent avec enthousiasme
l'idée du doit divin des rois. Addisson a donné
un excellent portrait d'un de ces hommes dans un
numéro du Freeholder . Son chien qui a l'esprit d'at-
taquer UD non-conformiste , ses plaintes touchantes
sur le progrés des affaires et du commerce, et sa ré-
solution de résister a tout gouvernement qui n 'est pas
pour la non-résistance, sont des traits caractéristiques


11




162 GEORGE 1 ET GEORGE H.


des gentilshommes campagnards Tories de cette épo-
que. Au temps méme de la chute de l'administration
de Walpole , Pulteney, en parlant de la distribution
des places, dit que les Tories n'étant pas hommes de
calcul et ne connaissant pas les langues étrangéres,
ne prétendaient pas aux fonctions les plus hautes de
l'État. Les Whigs, de leur coté, trouverent a leur ori-
gine quelque appui dans la folie de l'espéce humaine.
La sagesse de Somers et le constant patriotisme de
Lord Cavendish n'excitérent pas autant l'enthousiasme
que la beauté du Duc de Monmouth ; et l'histoire de
la bassinoire procura autant d'adhérents a la cause de
la Révolution que l'Acte d'Habeas Corpus et le Bill des
Droits. Mais Walpole vit naturellement les fous s'éloi-
gner de lui, grace asa conduite modérée et a la sagesse
sans prétention de ses mesures. Ils se joignirent aux
imbéciles, et, comme on devait s'y attendre, formé-
rent une écrasante majorité dans la nation.


C'est une chose étonnante de voir combien peu de
ehoses on eut a reprocher aWalpole, apres vingt-einq
années passées au pouvoir, méme lorsque ses ennemis
furent a la tete des affaires. Sa eonduite dans I'affaire
des Mers du Sud parait , en définitive, avoir été ex-
trémement judicieuse. Assurément, le Comité Secret
nous montre la eorruption développée dans les bourgs,
a un point qui ne ferait pas rougir leur postérité.
Cependant, on n'a jamais connu l'emploi de sommes
considérables, ses agents ayant persisté a garder le
silence sur ce point. La tentative rnéme de les mettre
áI'ahri de toutes poursuites dans le but d'en obtenir




GEORGE 1 ET GEORGE 11. 16 )


des éclaircissements centre leur chef, ne réussit pas a
la Chambre des Lords.


Le résultat de la longue stagnation de I'esprit public
dans le pays se montra d'une facon deplorable dans les
changements de ministéres qui eurent lieu aprés la
retraite de Walpole. Les principes semblent u'avoir eu
aucune part dans le caractére particulier des hommes
d'État; et tous les débats politiques se réduisaient a
de tristes batailles au sujet des places, entre de petites
bandes d'hommes dont le rang et la fortune rendaient
leur conduite encore plus méprisable. Le journal de
Lord Mclcombe présente un tableau fldele et tout a fait
dégoutant de la facón dont ces petites factions l'em-
portaient alternativement l'une sur l'autre, formant
tous les jours des combinaisons nouvelles, et variant
leurs alliances dans tous les sens possihles, sans jamais
se tourner vers une ligne sage et constante d'honnéteté
publique.


C'est une chose singuliere, et en meme temps dou-
loureuse aobserver que I'immense influence longtemps
exercée par un personnage aussi totalement dénué
d'intelligence et méme de sens commun , que le Duc
de Newcastle. En s'efforcant par l'intrigue de renver-
ser Walpole , son collégue, et en trafiquant des bourgs,
il devint le puissant parmi les Whigs. Mais son inca-
pacité et S9n improbité furent une des principales
causes de la ruine du parti qui, pendant longternps,
ne put effacer la houte d'avoir serví sous un pareil
chef.


Il y a cependant un homme, dont la vie échappe a




164 GEORGE 1 ET GEORGE H.


ces remarques, et qui fit beaucoup pour tirer le pays
de la léthargie 00 il s'était plongé. 00 voit que je
veux parler de Lord Chatham. Presque en tout point
c'étaít le contraire de Walpole. Walpole abaissa le ton
des hommes publics au point qu'il finit par ressembler
plutót au ton des marchands qu'acelui des hommes
d 'État : Chatham éleva la voix contre l' égolsme et la'
corruption, et aujourd'hui encore ses invectives font
rougir d'indignation. Walpole compta sur l'amour de
l'aisance, sur la prudence et sur la timiditédes hommes:
Chatham fit appel aleur énergie, a leur intégrité, et él
leur amour pour la liberté. Il faut reconnaitre que
Walpole possédait quelques qualités qui manquaient a
Lord Chatham. Le premier, depuis le commencement
jusqu'á la fin, suivit une ligne politique, constante et
utile, en somme: Lord Chatham obéissait al'impulsion
du moment; et se laissant chaque jour entrainer par
ses sentiments il lui importait peu qu'ils fussent en
désaccord avec ses sentiments ele la veille. Walpole
semblait avoir en vue ce qui était le plus utile, Cha-
tham ce qui était le plus frappant; le premier assura
la garantie de la France a la succession de la famille
Protestante; le second attaqua les possessions et ra-
baissa le nom de cette Puissance. Walpole tendait a la
prospérité, Chatham a la gloire; I'un s'appliquait a
amasser les ressources que l' autre dissipait magnifi-
quement.


Tout réussit aWalpole presque j usqu 'a la fin de sa
vie. La cause de son long pouvoir se trouve en méme
temps dans la constance de sa conduite et dans le soin




GEORGE 1 ET GEORGE JI. 165


qu'il prit de former en faveur de son Gouvernement
un parti considérable et respecté. Lord Chatham ne
réussit en rien aprés l'avénement de George 111. n
n'avait ni assez de consistance dans le caractére pour
inspirer la confiance a ceux qui devaient le seconder,
ni des idées assez exactes sur l'importance d'un parti
en Angleterre. Si Walpole faisait trop de compte des
individus, Chatham ne les consultait pas assez. Quand
une fois son esprit s'était déterminé a une mesure, il
semble qu'il pensát pouvoir trouver toujours des hom-
mes pour la mener a bien. Son caractére lui faisait
éloigner ou quereller ceux qui par leur intégrité et des
vues générales étaient les plus capables de l'appuyer,
mais qui n'étaient pas de son avis sur les points les
moins importants; et il cherchait le concours d'autres
personnes qui le flattaient , le ridiculisaient, le trahis-
saient, et qui finirent par le supplanter.


Il arriva de la que l'esprit politique de l'Angleterre
ne fut point retiré de la fange OU il était plongé, par le
merveilleux talent, les vertus généreuses, et les vues
élevées du prernier Guillaume Pitt, Cornte de Chatbarn.




CHAPITRE XXI.


GEORGE 111. - COMMENCEMENT DE SON REGNE. -
,GUERRE D'AMÉRIQUE.


« En outre , j'ai pour maxime que l'extinction des partis est l'origine
des factions. » - Lettre d'Horac,e Walpole a M. MOrltague, 11 ñéceai-
bre 1760.


Quand George III parvint au tróne, il se fit peu de
changements apparents dans le gouvernement intérieur
du pays. Un Acte fut rendu pour maintenir les juges
dans leurs charges malgré le déces du Roi. Bien qu'il
füt évident qu'un pareil Acte ne diminuait en aucune
facon le pouvoir de George 111, mais tout au contraire
enlevait un moyen d 'influence a son successeur, cette
mesure fut représentée comme une générosité incom-
parahle de la part du jeune Roi. Cependant, comme
preuve de patriotisme royal, ce n'est rien, et comme
accroissement des libertés des sujets , ce n'est pas la
peine qu'on en parle. L'Acte de Guillaume IlI, qui rendit
les juges indépendants du hon plaisir de la Couronne,
et leur donna leurs 'charges a vie, devint la véritable




GEORGE IIl. 167


garantie de leur indépendance. Il ne faut voir qu 'un
pUl' ornement dans ce qui avait été accordé jusqu'alors,


Le earactére important du nouveau regne fut l' essai
d'une nouvelle forme de gouvernement. Parmi les con-
séquences désastreusesdu manque d'esprit public en
Angleterre, il faut ranger la négligence complete qu'on
avait mise dans l'éducation politique du jeune Roí;
c'est pourqnoi, il tomba entre les mains d'hommes qui
avaient apeine effacé de leur esprit leur récente fidé-
lité ala Maison des Stuarts. Dansl'absence générale de
la vertu politique et de la confiance publique, ces
hommes pensérent trouver une occasion favorable pour
lever l'étendard domestique da souverain et rallier au-
tour de sa personne les vieux restes du parti Jacobite,
et de plus tous ceux qui, calculant les chances, pou-
vaient croire que la faveur du souverain était plus
utile a leurs intéréts que le maintien d'un ministre
quelconque. Pour former et consolider ce parti, ils eu-
rent soin de répandre toutes les doctrines qui placent
toute la vertu de la monarchie dans la supréme sain-
teté de la personne royale. lIs s'efforeérent d'obtenir
un certain nombre de siéges a la Chambre des Com-
munes, qui, a l'aide d'un degré proportionné de pa-
tronage, pouvait rendre incertaine la possession de
tout ministére. Ils firent hautement des professions
d'honnéteté et de conseience, qui, bien examinées, con-
sistaient en un attachement obstiné, a certains dogmes
ridicules , et qui n 'empéchérent pas les violations les
plus honteuses de la si ncérité et de la vérité, toutes les
fois qu'il fut utile a leurs intéréts de tromper et de




168 GEORGE In.


trahir. Ils travaillerent sans reláche ti faire entrer leurs
maximes de gouvernement dans l'esprit de leur royal
éléve, et comme il était naturellement lent, docile, doux
de caractere, mais jeune, il adopta trop aisément, et re-
tint trop fidelement les lecons de ses premiers maitres,


Tout conspira afavoriser les projets de cette faction
pernicieuse: la désunion desWhigs ; le caractere mépri-
sable du Duc de Newcastle; la frivolité et la vanité de
Lord Chatham; la décadence du Jacobitisme; les sym-
pathies du peuple en faveur du jeune Hoi, le premier
de sa famille né en Angleterre, toutes ces raisons for-
tiflérent la nouvelle coterie. Les préventions du peuple
contre Lord Bute, a cause de son origine Écossaise fu-
rent le seul obstacle que rencontrerent ces circons-
tances favorables.


Ce systéme avait fleuri pendant quelques années
dans toute sa vigueur, quand M. Burke en donna une
énergique exposition et, en méme temps, une réfutation
approfondie et digne d'un homme d'État, dans les
Pensées sur les mécontentements actuels. Ce livre, qui est
du petit nombre des ouvrages classiques que le monde
possede sur la science du gouvernement, ne détruisit
pas, et ne pouvait pas détruire immédiatement le mons-
tre qu'il attaquait. Mais il rendit a I'Angleterre un ser-
vice presque aussi essentiel, en faisant entrer dans
l'esprit des jeunes politiques, dont le nombre s'accrois-
sait alors considérablement, ces principes sages et
bienfaisants que leurs ancétres Whigs avaient mis en
pratique, mais que les vieux intrigants du jour avaient
entiérement oubliés.




GEORGE lII. 169


La guerre d'Amérique, quelque désastreuse qu 'elle
ait été a la puissance et aux armes du pays, favorisa
merveilIeusement le retour de l' esprit libéral. Le dis-
cours de Lord Chatham, celui de M. Burke sur la récon.
ciliation avec l'Amérique, et par-dessus tout l'ardente
éloquence de M. Fox, ranimérent le génie des Whigs, et
en firent les conservateurs des principes libéraux, role
qu'ils doivent conserver, s'ils aspirent a prendre leur
place dans leur patrie.




CHAPITRE XXII.


LE SENTIMENT DE LA JUSTICE.


« Sous quelque idée de légereté et d'inconsidératíon qu'on se plaise
anous représenter le peuple, j'ai éprouvé que souvent il embrasse,
ala vérité, certaines vues vers lesquelles il se porte avec chaleur,
ou plutót avec fureur; mais que ces vues ont pourtant toujours pour
objet quelque íntérét commun, et d'une certaine généralité, jamais
un- intérét purement particulier, comme peuvent étre les ressenti-
ments et les passions d'un seul homme, ou d'un petit nombre de per-
sonnes ; je hasarde méme de dire que sur ce point le juge le moins
faillible est la voix de ce peuple méme, }¡ - Sully, J, 14.


Une des considérations essentielles au rnaintien de
cette espece de liberté qui exclut tout pouvoir arbitraire,
est que le peuple soit pret aprendre parti pour le faible
opprimé contre l'oppresseur puissant. Mme de Stael
remarque au sujet du peuple Francais de son temps,
qu'il apercoit irnmédiatement oú est le pouvoir, et que
toujours il se tourne de ce coté. Pour se convaincre de
la vérité de cette observation, il suffit de considérer les
événements de la Révolution ou ce qui se passe chaqué
année en France. Ce penchant est directement opposé
ace qui fait l'essence de la liberté. Le peuple doit vivre




LE SENTIMENT DE LA JUSTICE. 171


dans une défiance continuelle du pouvoir, et lorsqu'un
indivídu quelconque est injustement opprimé, com-
prendre immédiatement que la cause de cet hornme
est celle de la nation tout entiére.


Tels sont heureusement les sentiments du peuple
Anglais. La sympathie seule du peuple a pu élever el
un si haut degré d'importance et de célébrité la cause
de Hampden, qui avait refusé de payer quelques shil-
lings ala Couronne. L'emprisonnement d'un M. Francis
Jenkes, pour avoir prononcé un discours patriotique
dans le Conseil Municipal de Londres excita l'indi-
gnation de tous les amis du pays et fut la cause im-
médiate de l'Acte d'Habeas Corpus.


Telle fut encore l'afTaire de John Wilkes. M. Wilkes,
bien que détesté et méprisé par les honnétes gens,
comme hypocrite dans sa vie publique et débauché
dans sa vie privée, fut défendu par tous ceux qui
aimaient leur pays, quand on employa des mesures
arbitraires pour l'opprimer. Il fut arrété en vertu d'un
ordre général, OU son nom n'était pas mentionné, ti
oú il était seulement désigné comme l'auteur du n° 45
du Nvrth Briton, En méme temps ses papiers furent
saisis, et, par ce moyen, on découvrit qu'il était l'au-
teur d'un livre obsceno, intitulé: Essai sur la [emme,
11 est évident que la faculté de donner des ordres géné-
raux est un pou voir des plus dangereux, et qu 'on
pouvait s'en étre servi pour ramener les arrestations
arbitraires qui avaient eu lieu sous les Stuarts. Aussi
tous les amis de la liberté ernhrasserent la cause de
Wilkes. Lord Chatham, alors M. Pitt, parla avec hor-




172 LE SENTIMENT DE LA JUSTICE.


reur de l'homme et de ses écrits, mais avec indigna-
tion des rnoyens qu'on avait employés pour l'oppri-
mer ; et le pays, qui se fút réjoui de le voir puni légale-
ment, ne put souffrir qu'on le persécutát injustement.
On sintéressait non á Wilkes, mais a la Ioi ; on eút
estimé le jury qui l'aurait eondamné; on bláma le
ministre qui l'avait opprimé; et dans le eri de : Wilkes
el Liberté 00 adopta un nom méprisable pour la
défense d'un príncipe saeré. Une motion contre les
ordres généraux fut repoussée a une faible majorité par
la Chambre des Communes; mais Wilkes finit par
obtenir des dédornmagements considérables auxquels
furent eondamnés les ministres qui avaient abusé de
leur pouvoir, et il mit fin pour toujours aux ordres
généraux. J' espere qu'il en sera toujours ainsi , lors-
qu'un individu, quelque humble, quelque odieux, et
quelque méprisable qu'il soit, se yerra poursuivi par
des moyens illégaux ou injustes.




eHAPITRE XXIJI.


D'UN REMEDE EXTREME CONTRE LES ABUS DE POUVOIR,


ET DE LA MODÉRATION DANS L'EMPLOI DE CE REMEDE.


. . . . . . . Esto
Liberque ac sapiens. PERSE.


Cornme un corps tres-nornbreux a paru incapahle
dadministrer les afTaires publiques et de prendre des
décisions avec le secret et la célérité qu 'exigent si sou-
vent les relations étrangeres d'un pays, tous les États
sages ont jugé apropos de retirer des mains du peuple,
dans l'intérét duquel s' exerce tout pouvoir , une large
part de la puissance pour en investir une seule per-
sonne ou un conseil d'hommes choisis. C'est pour cela
que, suivant l'avis des plus sages sénateurs, le grand
conseil de Venise fut peu a peu exclu de toutes les déli-
bérations qui demandaient de la délicatesse et de la
promptitude. C'est pour cela encore que la république
de Hollande j ugea nécessaire de confier a un peti t
nombre de personnes toutes les négooiations avec I'é-
lranger.




174 REMEDE CONTRE LES ABUS DE POUVOIR.


Mais dans quelque but que le pouvoír puisse étre
confié a un petit nombre de personnes, ou quelque
dignes qu'elles puissent étre de la confiance qu'on
leur accorde, telle est la nature humaine qu'il doit
toujours rester au peuple un remede extreme pour
punir I'ahus ou restreindre le pouvoir méme dont on
a abusé. Dans tous les États réellement libres on trou-
vera l' existence de ce remede extreme, soit en vertu
de la coutume, soit en vertu de la loi. Ainsi, le peuple
Homain, quand il se trouvait lésé , se retirait sur le
Mons Sacer, ou refusait de s'enrólor dans l'armée
préte a marcher contre les ennemis du dehors. En ap-
parence, il ne pouvait y avoir d'expédient plus dan-
gereux; mais la modération du peuple Homain était
teIle, que je ne sache pas qu'il ait jamais poussé la
résistance au dela des bornes de la raison. Assurément,
le long espace de temps qui s' écoula avant que les
plébéiens pussent étre nommés aux charges publi-
ques, et les [nombreusee années qui se passerent , de-
puis la loi qui leur accordait le tribunal militairo ,
avant qu'aucun plébéien ait été réellement élu, sont
des preuves suffisantes de leur modération et dans
leurs réclamations et dans la jouissance de leurs
droirs.


Les Anglais aussi ont leur remede extreme. Si le
roi abuse d'un pouvoir légitime, ou tente d 'exercer
un pouvoir oppressif, les représentants du peuple ont
le droit de refuser I'argen t nécessaire a la marche des
affaires. Cependant, ce remede fut loin pendant long-
temps rl'étre aussi efficace que les remedes employés




REMEDE CONTRE LES ABUS DE POUVOIR. 175


par le peuple Bomaiu. Malgré la résistance de la nation ,
Charles II et Jacques, a l'aide de Parlernents composés
exprés et de traites sur le Trésor Francais, trouverent
moyen d'échapper au frein qui les genait. En réalité,
jusqu'á l'expulsion des Stuarts, nos rois jouirent d'un
revenu indépendant du Parlement, qui leur permit de
tenir les Cornmunes a l'écart dans les temps ordi-
naires. Le frein parlementaire acquit son dernier per-
fectionnernent a la Révolution; mais l'influence de la
Couronne sur le corps qui doi t s en servir) en a cer-
tainement affaibli l'effet. La voix du peuple a cepen-
dant quelquefois obligé la Chambre des Communes
a exercer son droit d'intervention constitutionnelle.
L'exernple le plus remarquable peut-étre de l'exercice
de ce droit eut lieu a la fin de la guerre d'Amérique.
Par une résolution prise sur cette question, la Chambre
des Communes déclara que la continuation ultérieure
d'une guerre offensive sur le continent de I'Amérique
du Nord, tendait a affaiblir la patrie, et a empecher
la réconciliation avec I'Amérique. Une adresse con-
forme a ce vote ayant été présentée a la Couronne , et
le Roi ayant fait une réponse gracieuse dans le sens
de l'adresse, la Chambre décréta qu'elle considérerait
comme ennemis de Sa Majesté et de I'État tous ceux
qui conseilleraient de continuer la guerre dans I'Amé-
rique Septentrionale, pour réduire par force a l'obéis-
sanee les cólonies révoltées. Bien que le mot subsides
ne soit employé ni dans ce eas, ni dans quelques au-
tres, il doit toujours étre sous-entendu : effectivement,
loute intervention de la Chambre des Comrnunes dans




176 REMEDE CONTRE LES ABUS DE POUVOIR.


1'exercice de la prérogative royale, est une menace ta-
cite de refuser les subsides.


Une pareilIe faculté mettrait évidemment la Cham-
bre des Communes, si elle y était disposée, en état
d'enlever a la Couronne tous ses moyens d'action, et
de s'emparer du pouvoir supréme ; mais le peuple An-
glais a toujours eu assez de modération pour ne pas
désirer que le pouvoir de ses représentants s'aecrút a
un tel point; de méme qu'á la Révolution il ne voulut
rien óter a l'autorité nécessaire au maintien de la mo-
narchie, Aussi, j'en suis convaincu; la véritable cause
qui fait que le Roi et la Chambre des Lords maintien-
nent leur prérogative et leurs priviléges dans toute
leur étendue, réside plus dans le caractere de la na-
tion, que, comme quelques-uns voudraient le faire
croire, dans la composition actuelle de la Chambre des
Communes. Le peuple Anglais est fortement attaché
au gouvernement royal, et verrait avec indignation -la
tentative de changer ou de détruire cette clef de l'arche
constitutionnelle, et j'observe que ce sentiment n'est
point limité acertaines classes d 'hommes, mais ji est
répandu dans le pays tout entier. le l'avoue, iI me
semble que la monarchie est aussi aimée par les ha-
bitants du comté d'York que par le propriétaire du
bourg d'üld Sarum , et que les fermiers du comté de
Norfolk ont tout autant de loyauté que la corporation
de Devizes.




CHAPITRE XXIV.


LOIS CRIMINELLES.


« La discrétion du juge est la loi des tyrans; toujours secrete, elle
differe chez les différents hornrnes; toujours accidentelle , elle dépend
du ternpérament, du caractere, de la passion. Dans les rneilleurs
hommes, ce n'est souvent que caprice; dans les plus méchants, c'est
l'expression de tous les vices, de toutes les folies, et de toutes les
passions dont la nature humaine est susceptible. » -Lord Camden.


Les monarchies absolues de l'E urope ont, dans la
jurisprudence criminelle , quelques avantages qui
manquent au gouvernement libre de l' Angleterre.
D'un coté, il est certain qu'un gouvernement libre
sera plutót forcé par le progres des lumiéres á abolir
la torture et les peines cruelles, ainsi qu'á abandon-
ner, comme contraires a sa liberté, tous les modes
iniques de procéder contre les criminels d'état , et
toutes les .punitions sanguinaires décernées contre les
dissidences religieuses. Mais, d'une autre part, on ne
saurait nier que les législateurs d'un état libre, ré-
servant, pour ainsi dire, toute la vigueur de leur es-
prit ponr la chaleur des discussions politiques , ne


12




178 LOIS CRIMINELLES.


donnent pas aux lois criminelles toute l'attention
qu'elles méritent. Les membres du Parlement Anglais,
par exemple, quand ils créent des lois de cette nature,
sont loin d'étre aussi impartiaux que le serait un
souverain absolu, exposés comme ils le sont person-
nellement aétre les victimes des délits contre lesquels
ils lancent leur foudre. Le monarque s'inquiéte peu
d'un vol de boutique ou d'autres petits larcins , il n'y
remédie par la législation que Iorsqu'il recoit des
plaintes générales, et alors il fait des lois avec calme
et impartialité. Mais un négociant ou un gentilhomme
arrive a la Chambre des Communes exaspéré du vol
de son paletot ou de son poisson, et les voilá aussitót
qui s'efforcent de réprimer ces méfaits par de séveres
pénalités. Aussi, comme tout homme juge que l'acte
qui lui porte le plus de préjudice est le plus condam-
nable de tous, le Parlement a laissé nos statuts pro-
noncer la peine de mort contre plus de deux cents
espéces de délits , parmi lesquels on trouve ceux
d' abattre un arbre, de se tenir sur un grand che-
min, le visage noirci , de s'associer avec des Bohé-
miens. Ces crimes ont continué d'étre capitaux jus-
qu'en 1820, il en reste méme encore un au moins
qui l'est encore.


Toutefois, ces cas extremes ne sont pas les plus
funestes : l'absurdité de la loi sert d'antidote a sa
cruauté. n est d'autres actes, que tout récemment on
regardait comme punissables de mort, et dont quel-
ques-uns le sont encore, qui, en effet, sont des crimes
tres-graves, mais don! le caractere néanmoins n'est




LOIS CRIMINELLES. 179


pas assez atroce pour qu'un homme éc1airé consente a
les frapper d 'une peine si terrible. De ce nombre
étaient plusieurs violations des lois contre la banque-
route, le vol caché cornmis sur la personne, celui com-
mis dans une maison habitée par une valeur de 40 s. ~
celui commis secrétement dans une boutique, mon-
tant a 5 s., et beaucoup d'autres encore. Cependant
le dauger de lois aussi sévéres n'est pas seulement la
rigueur excessive daos les peines et l'insensibilité gé-
nérale qu'elle peut produire parmi le peuple.


Elles produisent deux conséquences plus funestes
encore: - premiérement , comme l'a dit avec raison
M. Justice Blackstone, est une disposition générale a ne
pas poursuivre la conviction dun crime auquel on doit
appliquer une peine trop disproportionnée. Il ya des cas
innombrables dans lesquels les jurés ont declaré que
des objets dune grande valeur et méme des billets de
10 l. et de 20 l. étaient au-dessous dune valeur de
quarante ou de vingt shillings, le tout pour n'étre pas
obligés de condamner un voleur el la peine de mort. "


M. Harmer ~ qui a plaidé pour deux mille personnes
condamnées el mort, a affirmé au Comité des Lois Cri-
minellcs qu'un vieil habitué du crime aimait toujours
mieux étre jugé pour un crime capital, parce qu 'il y
trouvait une plus grande chance dacquittement. Il est
assez singulier d'apprendre qu'il existait quelque chose
de semblable a Athenes. Quand un criminel était con-
vaincu, on lui demandait en présence du peuple quelle


.. Voir l'excellent discours de M. Buxton sur le Forgery Bill, 1821




180 LüIS CRIMINELLES.


peine il choisissait; un vieux malfaiteur ne manquait
jamais d'indiquer les chátiments les plus sévéres pour
inspirer de la compassion a ses juges. Ce fut en partie
parce que Socrate, au lieu de suivre cette coutume,
répondit qu'il méritait d'étre entretenu le reste de ses
jours aux frais de l'État, qu'il fut condamné a mort.


Malgré ce penchant tres-connu de la nature humaine,
nous sommes si accoutumés a compter sur l'efficacité
des peines rigoureuses, que, dans toutes les discus-
sions relatives a la révocation d'une loi criminelle, la
question qui s'établit toujours dans l'esprit n'est pasde
savoir si le délit est effectivement prévenu par cette
loi , mais s'il est assez grave pour devoir l'étre par un
moyen aussi dur. Les membres des deux Chambres du
Parlement consultent leur opinion personnelle sur cette
matiére, au lieu de s'en rapporter acelle des jurés.


Secondement. Une autre conséquence pernicieuse est
l'incertitude de la loi. Deux hommes sont jugés aLaun-
ceston pour avoir volé des moutons; tous deux sont
déclarés coupables; I'un est condamné a mort, et l'au-
tre a la transportation pour sept ans a Botany Bay. JI
n'y a évidemment aucune proportion dans ces peines.
Quelle en est la raison? L'un a une bonne réputation ,
I'autre une mauvaise. De sorte qu'en Angleterre on est
pendu, non pour le crime dont on est atteint, mais
pour sa conduite dans le passé, Or, ceci est une affaire
fort étrangere a la compétence de tout tribunal humain.
Prononcer sur de tels points mene a l'inj ustice, a la
cruauté , el la conlusion. 11 supprime la seule utilité
publique de la peine de mort, c'est-á-dirc l'utilité de




LOIS CRIMINELLES 181


l'exemple; il ne sert que peu ou point ala répression
du crime puni, et rend la peine de mort inutile et par
conséquent cruelle, cal' chaque criminel se croit tou-
jours assez bien famé pour ne pas devoir perdre la vie,
Par la, il se trouve mis en jugement pour des faits dont
la loi ne prétend pas connaitre, et sur lesquels il ne
peut étre preparé a se défendre. C'est ainsi que, apres
une suite de vols de tout genre, un homme d'une mau-
vaise réputation fut enfin, il Y a quelques années, au
grand étonnement de ses voisins, de son jury, et de la
partie plaignante, pendu pour avoir coupé de jeunes
arbres. ~


Il existe a présent plus de raisons qu'il n'y en eut
jamáis d'espérer une réforme de notre code criminel.
Bien des gens, a la vérité, pensent qu'il est extreme-
ment dangereux de reconnaltre que l'état présent de
nos lois est tel qu'il exige une réforme. Des souverains
absolus n'ont pas été touchés d'un pareil danger. Le Roi
de Prusse (Frédéric le Grand), durant une partie de son
long regne, soumit a la discussion le systcme entier de
ses lois, et livra subséquemment un projet de lois nou-
velles au~ réflexions et a la critique générale du pu-
blic, faisant ainsi une breche a l'autorité des vieilles
lois sans y rien substituer. Plusieurs souverains de
I'Europe ont changé en entier leur droit crimine!. n
n'est pas jusqu'au Pape qui, depuis quelques années,
n'ait promulgué un nouveau code de cette espece. D'oú


lt Voir les pieces relatives aeette -affaire déposée devant le Comité
de la Jurisprudenee Criminelle.




JR~ LOIS CRIMINELLES.


vient que tous ces gouvernements ont entrepris une pa-
reille tache sans crainte, sans hésitation, et que la
moindre innovation dans notre vieux régime cause tant
d'alarmes a un parti en Angleterre? En voici , je crois,
la raison : - une portien tres-considérahle des pre-
miéres classes étant formée de Tories , n'a jarnais com-
pris et ne comprendra [amáis la véritable force du
gouvernement Anglais. Voyant l'autorité sans cesse
attaquée, ils s'imaginent que le tróne va etre renversé
si l'on en détache un morceau de tapisserie. lIs ne ~e
doutent pas que le fondement réel de la royauté et de
l'aristocratie en ce pays, est l'opinion qu'a le peuple de
l'utilité qu'en retire le corps social, et que I'opiniátreté
a maintenir une institution absurde, superstitieuse, ou
cruelle , mine et détruit au lieu d'entretenir le respect
dü aux assemblées dont le devoir n'est pas moins de
réformer et d'améliorer, que d'affermir et de conserver
le code de nos lois.


A l'égard de notre jurisprudence criminelle, mes
idées de réforme iraient loin. Il ne peut y avoir beau-
coup de crimes auxquels la peine capitale doive étre
appliquée.


Tous les actes volontaires tendan t directement a
causer la mort, doivent étre punis de mort. L'assassi-
nat, les coups de poignard ou d'armes afeu , l'incendie
des maisons hahitées ou des bátiments contigua, la


L.


mise du feu aux vétements d'une personne, sont des
crimes de ce genre." Le vol sur les grands chemins, et


.. Voir l'lntroduction.




LOIS CRIMINELLES. 183


le vol avec effraction, mais sans aucune des circon-
stances précédentes, et Iorsqu'il est prouvé que la pro-
priété et non la vie a été l'objet de l'attaque, pourraient
plus convenablement étre punis d'une longue détention
que de la perte de l'existence. Tous les autres crimes
sont du domaine de ce qu'on nornme les peines secon-
daires, c'est-á-dire les peines non capitales.


La question des peines secondaires est celle qui offre
le plus de difficultés. Les paroles suivantes de M. Har-
mer semblent étre en peu de mots la meilleure regle a
suivre en cette matiére. « Si l'on me demandait, » dit
cet homme de loi dans un interrogatoire devant un co-
mité de la Chambre des Communes, « quel genre de
peines me paraít efficace, [e répondrais : CelIes qui
pourraient forcer le délinquant a suivre un cours de
vie entierement opposé ases habitudes. La paresse fait
sans doute partie de son caractére, l'occupation en se-
rait le remede : qu'on l' applique au travail. II est pro-
bablement débauché, et l'abstinence serait aussi salu-
taire ason esprit qu'á son corps : qu'il la subisse. Il est
accoutumé a des compagnies dissolues; sa séparation
le rendrait essentiellement meilleur: tenez-Ie isolé.
Jusqu'ici il a vécu dans le déréglement et la licence
absolue, je conseille de l'assujettir aun frein et a l'ob-
servation d'un juste decorum. )




CHAPITRE xxv.


LES ÉCOLES PUBLIQUES.


e Il en est de l'esprit comme du corps; la pratique le fait ce qu'il
est; et la plupart méme de ces talents supérieurs qu'on regarde
comme des dons naturels, paraissent, si on les examine de pres, 1e
fruit de l'exercice, et ne ont devenus tels que par des actes réitérés. »
- L..ocke, Conduite de Tentesulement,


L'éducation de la jeunesee , qui a occupé tant de
plumes, donné lieu a tant d'écrits sublimes, et subi si
peu de changements dans la pratique, n'est pas un
sujet qu'on puisse traiter a fond en peu de mots. Mais
peut-étre permettra-t-on quelques remarques suggérées
moins par une spéculation apriori que par l'observa-
tion de ce qui se passe dans le monde.


Des hornrnes a grandes vues, le creur brúlant de
l'amour de leurs semblables, ont souvent pensé qu'il
était possible que la jeunesseacquit plus de connais-
sanees et contractát moins de vices que ne lui en pré-
sentent les écoles publiques en Angleterre. Avec ce
projet dans la tete et l'amour le plus louable de leurs




LES ÉCOLES PUBLIQUES. 185
enfants dans le creur, bien des parents leur ont donné
une éducation particuliére. lIs leur ont fait apprendre
dix choses au lieu de deux, et leur ont conservé les
mceurs et la santé pendant les dix-huit ou vingt pre-
miéros années de leur vie. Mais combien de fois n'a-
vons-nous pas vu ces fleurs qui promettaient de si
beaux fruits, dégradées par une triste stérilité? Les
lecons qu'apprend un enfant d'aprés la méthode Ian-
guissante, inanimée des études casaniéres , sans étre
excité par l' émulation, peut-étre sans la crainte des
chátiments, ne font aucune impression durable sur son
esprit. La gene éprouvée pendant vingt ans sous le toit
paternel donne du piquant aux plaisirs et aux folies
que l'adolescence seule peut faire excuser. L'époque 011
devaient se développer les talents et la force de 1'homme
se passe dans l'oisiveté el la débauche. En méme
temps, les habitudes contractées a la maison OU le
jeune patricien na point eu d'émule, le rendent inca-
pable de supporter le frottement du monde, et conser-
vent pour jamais des défauts de caractere que la con-
tradiction et la société connues de bonne heure auraient
pu extirper. Tel est, la plupart du temps, le résultat
dune education destinée a produire un prodige sans
défaut, et poursuivie dans l'espoir de donner au mal-
heureux étre qui en est l' objet la prééminence sur la
génératio~maltraitée de BeB égaux et de BeB contempo-
rains. L'erreur de ce systéme semble venir de ce que
ron ne considere pas assez que l'objet de l'éducation
est non-seulement d'enrichir l'esprit, mais encore de
forroer le caractére. Il est peu utile a un petit gar<;on




J86 LES ÉCOLES PUBLIQUES.
davoir une teinture de minéralogie, et de répéter cou-
ramment des termes de botanique; il ne lui servira de
rien de parler de l'argile et de la polyandrie, s'il pleure
lorsqu'il perd aux billes, et se montre sans vigueur ou
timide quand il s'agit de jouer une partie de cricket. 01'
une école publique forme le caractere. C'estIa qu'un
enfant, venu de la maison de ses parents, OU on le gate,
oú sa pétulance est de l'esprit, son entétement de la
fermeté , prend place suivant ses facultés et ses talents
réels : est-il maussade, on le laisse la; est-il colére, il
recoit un soufilet. En un mot, c'est la qu'il se prépare
aux ballottements de la société, aux travaux pénibles
de l'homme de Ioi, ou aux dangers du soldat. Tout ceci
est beaucoup plus important que l'acquisition de sim-
ples connaissances. Bien des hommes ne commencent
a acquérir leur savoir qu'entre vingt et trente ans; peu
changent de caractére aprés vingt. La question étant
considérée sous ce point de vue, il est inutile de comp-
ter les hommes distingués qui, en Angleterre, ri'ont
pas été élevés dans les écoles publiques. Beaucoup
d'entre eux appartenaient a la classe moyenne; ainsi
mon raisonnement ne leur est point applicable. Le fils
d'un marchand ou d'un fermier n'a pas besoin daller
a l'école pour essuyer des désagréments; il en éprouve
assez ailleurs; obligé de servir des chalands ou de
surveiller des moissonneurs, il apprend la vie pratique
beaucoup plus tót que ne le peut (aire le fils d'un noble.
Si les idées que je viens d'exposer sont bonnes, les
parents doivent étre trés-circonspects avant de priver
les enfants des avantages d 'une école publique, dans




LES ÉCOLES PUBLIQUES. 187
le cas OU ils sont robustes et de bonne santé. Le carac-
tére démocratique de la noblesse Anglaise, la démo-
cratie de l'aristocratie , si je peux parler ainsi, doit
étre attribuée en grande partie a I'éducation en com-
mun qu'on recoit dans le pays. Ainsi, nos écoles pu-
bliques se rattachent intimement a la constitution du
peuple. Si elles engendrent quelques vices et beaucoup
de rudesse, elles domptent l'orgueil, l'égo'isme, la pré-
somption, elles font naitre l'émulation, l'amitié, et la
virilité du caractere. Qu'on observe l'éducation d'un
jeune homme donnant de grandes espérances en Es-
pagne ou en Italie; on le yerra partout suivi d'un flat-
teur servile sous le nom de précopteur , n' apprenant
rien que le véritable mensonge du monde. Ce qui en
fait l'idole de ses parents et le tourment de ses amis.
Les hommes de sens qui ont traversé cette passe dan-
ge1'euse parlent tous avec envie et admiration des écoles
publiques d' Angleterre.


Admettons d'ailleurs que l'éducation particuliere
iustruit davantage. C'est loin d 'pt1'e pour moi un 1'e-
gret de reeonnaitre que l'éléve d'un précepteur particu-
lier aitquelque avantage sur celui d'une écolepublique.
Ses connaissances seront déplacées; ses efforts d'esprit
manqueront leur effet, parce qu'ils ne s'adapteront pas
aux caracteres des autres hommes; sa supériorité dans
quelques .branches n'attirera aucune attention; et son
infériorité en d' autres le rendra ridicule. En somme, il
n'y a pour un homme dans n'importe quelle profession
ou carriére aucun point de départ meilleur que de
connaitre complétement et parfaitement ce que con-




lR~ L'B'b "BCOLB~ 'PU'Bl..1Q1JE'S.


naissent d'antres jeunes gens parmi lesquels ils dési-
rent se signaler.


Tout en prétendant qu'un enfant sur le compte du-
quel on eoneoit de grandes espérances doit étre élevé
dans une école, je ne suis pas disposé a soutenir que
l'éducation recue dans nos écoles publiques soit préci-
sément ce qu'il faut, ou qu'elle est tout ce qu'il faut.
Ces établissements furent formés a une époque OU
toutes les connaissances consistaient dans la lecture
des auteurs Grecs et Latins, et OU l' on ne trouvait que
dans les langues savantes la solidité des opi nions et la
pureté du gout. Mais les modernes ont érigé sur ce
fond un édifice prodigieux de science et de littérature sur
lequel notre éducation scolaire, de huit adix-huit ans,
ne donne pas la moindre notion. Non que je veuille rern-
plir une jeune tete de la stérile connaissance de la bota-
nique et de la minéralogie. ~ La premiere chose a ap-
prendre est: II [aut apprendre ti apprendre; et pour
cela il est nécessaire que la premiére chose enseignée
soit difficile a apprendre, et, une fois apprise, qu'elle
soit fidelement retenue. Je ne connais rien de meil-
leur, pour atteindre ace but, que la grarnmaire Latine.


* Voir l'opinion du Dr. Johnson sur la supériorité d'importanee
des seienees morales sur les seienees physiques, dans sa Vie de Mil-
ton. On peut dire néanmoins eontre sa doctrine, que si un homme
du monde doit jamais apprendre les mathématiques ou la chimie,
e'est avant de quitter le eollége. Illira Plutarque et Raeine pour son
avaneement. Quant aEuclide et Newton, il ne les étudiera que s'il y
est obligé. La vie humaine est un livre qui s'ouvre devant lui. Quant
aux mysteres de la nature, e'est seulement en les interrogeant qu'il
les découvre.




LES ÉCOLES PUBLIQUES. 189
Les enfants, dit-on, ne comprennent paso Qu'importe,
ils comprennent tres-bien que le nominatif va devant
le verbe, et ils ne tardent pas aapprendre la place de
chaque partie du discours ~ et la dépendance mutuelle
de toutes ces partiese Ceci tire el grande conséquence,
s'il faut en croire M. Locke sur l'importance des mots.
Et qui pourrait ne pas l' en croire? C'est en grande
partie aune étude suivie de la grammaire Latine que
j'attribue la justesse d'esprit qu'ont les hommes en ce
pays, comparativement aux femmes. it


La gramnlaire Latine apprise, une prose facile, puis
Virgile, de l'arithmétique, la grammaire Grecque, Ho-
mere, de la géométrie, el un peu de géographie pour-
raient lui étre présentés successivement; surtout Je
íerais traduire en Latin, aux écoliers, un abrégé de
l'Histoire d' Angleterre ainsi que du premier et du
dernier volume de Blackstone.


Le Francais devrait leur étre appris de bonne heure
afin qu'ils le prononcent bien, et parce que c'est la
langue générale de I'Europe; l'Allemand et les autres
langues tres-modérément. II suffit de poser les fonde-
ments des connaissances qu'un age plus avancé fera
rechercher volontairement, et acquérir avec facilité.


J'ignore si de pareilles améliorations seraient possi-
bles dans nos grandes écoles publiques. Si les profes-
seurs «s opposaient, le Collége Militaire de Sandhurst
offre encore une occasion favorable pour faire une


* J'apprends avec plaisir que les maítres de nos écoles publiques
se sont entendus pour l'adoption d'une meilleure grammaire Latine.
(186q.)




190 LES ÉCOLES PUBLIQUES.
bonne école. 11 est fort juste, sans doute, d'élever aux
frais du public un certain nombre des fils de ceux qui
sont morts pour la patrie; mais c'est une trés-mau-
vaise chose que d'instruire exclusivement pour le ser-
vice militaire des jeunes gens, en les privant de tout
rapport avec les autres classes de la société..


Qu'y aurait-il de plus facile a créer qu'une institution
oú seraient recus au nombre des éleves les fils d'offi-


a


ciers pauvres ou de leurs veuves, avec la liberté de
suivre ensuite la profession qu'ils choisiraient; et que
d'y étahlir une école OU l'enseignement serait conforme
aux lumieres du siécle l./¡t.


Dans l'état actuel de l'instruction, il n'est pas dou-
teux que les femmes des classes supérieures n'aient,
quand leur éducation est terminée, beaucoup plus
de connaissances que les hommes. Mais je ne puis


. .."
concevoir aueune raison qUI s oppose a ce que nos
eoncitoyens, Iorsqu'ils jouissent du bienfait des écoles
publiques, apprennent en me me temps a faire une
regle de trois, et a s'assurer que Jacques I" n'était pas
fils de la Reine É lisabeth. iCiC


* C'est ce qu'on fait [usqu'a un certain point au Collége de Wel-
lington. (1864.)


H Toutes les améliorations suggérées dans ce chapitre, sont faites
ou en train de se faire, et ce progres sera grandernent accéléré par
l'excellent Rapport de la Cornrnission des Écoles Publiques. (186q.)




CHAPITRE XXVI.


LOIS DES PAUVRES.


« En général, il faut pourvoir a ce que la population d'un État,
surtout si elle n'est pas moissonnée par la guerre, n'excede pas les
productions qui doivent servir asa subsistance. » - Bacon.


L'Angleterre entiere n'a rien peut-étre qui rnenace
plus sa tranquillitéjet la permanence de sa Constitution
que l'exercice actuel des lois relatives aux indigents.
La corruption du sens orignel du statut d'Elisabeth ,
auquel elles doivent leur existence, a fait sentir enfin
son poids accablant a ceux mémes qui , dans leur
égo'isme sordide, avaient compté en recueillir les fruits.


Le statut passé l'an q.g du regne d'Élisabeth semble
avoir dü son origine a une augmentation générale de
pauvres oisifs dans le royaume. On a cru que c'était
l'effet de la destruction des monastéres. Mais cette
opinion est abandonnée; en etlet, il a été c1airement
démontré. que l'Espagne eut a se plaindre du méme
fléau vers le méme temps. -te Il est plus vraisemblable


* Ce fait important a été pour la premiere fois rapporté dans la
Becue d'Édimbourg.




192 LOIS DES PAUVRES.


que l'établissement de l'ordre légal et que la cessation
subite des guerres antérieures, tant en Angleterre qu'en
Espagne, rejetérent sur la société un grand nombre de
vagabonds habitués a vivre de mendicité et de pillage.
Par l'Acte d'Élisabeth, on devait pourvoir au maintien
des vieillards et des impotcnts. Ceux qui étaient forts
et en bonne santé devaient étre occupés. De ces deux
dispositions, la premiare est le vceu d'un peuple sensi-
ble et humain, et fera toujours partie, je l'espére, du
Code Anglais; la seconde n'est pas d'une exécution si
facile. On pourrait sans doute procurer de l'ouvrage
aquelques mendiants. Mais lorsque, par la stagnation
du commerce ou toute autre cause, il existe une popu-
lation surabondante, il est évident que le travail qui
pourrait étre fait par des mains oisives, ne servirait
qu'á augmenter l'approvisionnement d'un marché déja
trop plein. C'est ce qui est arrivé. Lorsqu'on s'en
apercut, les inspecteurs des paroisses fournirent de
l'argent au lieu d'ouvrage aux ouvriers sans emploi.
Les revolutions du commerce , un accroissement consi-
dérable d'impóts, et surtout les années de disette,
firent naitre une nouvelle difficulté. Par suite de la
grande modicité des salaires, comparativement au prix
des vivres, les hommes qui avaient de nombreuses fa-
mille~ se virent dans l'impuissance de les soutenir,
quoiqu'ils fussent occupés eux-rnémes. Au Iicu d'aug-
menter le prix du travail, on convint de payer une cer-
taine somme pour I'entretien de chaque enfant vivant
chez son pel'e. Le ferrnier ne vit dans cet arrangement,
résuhat d 'une détresse ternporaire, que le moyen de




LOIS DES PAUVRES. 193


réduire les salaires. Avec un marché surchargé d'ou-
vriers qui par la se trouvaient a ses ordres, il ne voulut
donner aux non-mariés que ce qui suffisait a leur
existence; il n'en donna pas davantage a ceux qui
étaient mariés; et paya en taxes des pauvres la somme
exaetement néeessaire a la suhsistance de leurs enfants.
De cette maniere, il crut, dans son ignorance, avoir
réduit le prix du travail au taux le plus bas, et il s'est
trouvé des esprits éclairés disposés a vanter ce systéme
eornme la perfeetion de l'éeonomie rurale. Mais sa con-
séquence naturelle fut, en premier Iieu, d'avilir le
caractére de l'ouvrier qui traine ses jours dans la dé-
pendanee, et loin de pouvoir élever une famille hon-
néto et laborieuse au moyen des épargnes faites sur
le salaire de son travail et par sa propre industrie,
se voit réduit al'état de mendiant national. Cette con-
séquence néanmoins n'aurait nullement touché celui
qui a besoin de faire travailler autrui, mais une autre
eonséquenee non moins certaine et non moins néces-
saire qui en dérive immédiatement, e'est que les ma-
riages ne se reglent plus d'aprés la demande du travail,
et qu'un ouvrier , sachant qu'au pis aller ses enfants
seront nourris sur les fonds publics, se marie aussitót
qu'il s'y sent disposé et sans avoir un sou dans sa
poche. De la une population toujours croissante sans
bornes, et un marché décroissant; une production
rapide, et point de demandes. Il n'y a méme aucune
raison pour que le mal De continuo pas a augmenter
[usqu'á ce qu'enfin la totalité des profits de l'agricul-
ture soit absorbée par les frais qu'exige le maintien


13




19~ LOIS DES PAUVRES.
d'une colonie de bouches inútiles. Si cela arrive, les
fermiers et les ouvriers tomberont nécessairement en-
semble; alors se répandra sur la société une multitude
d'étres, ignorant tous les devoirs, privés de tout senti-
ment d'indépendance, et accoutumés avivre , non de
leur travail, mais du trésor publico Un tel résultat
serait évidemment plus désastreux qu'aucune des ré-
volutions dont le monde a déja été témoin. Par hon-
heur, les agriculteurs eux-mémes ont enfin senti le mal,
et ils s'efforcent d'y remédier de maniere ou d'autre.


On ne saurait en douter; on peut faire beaucoup, si
l'on ne peut tout faire pour prévenir I'effet pernicieux
des lois des pauvres, lorsqu'elles n' ont pas encore fait
de grands progrés, et que les fermiers sont éclairés et
d'un caraotere libéral. De bons salaires et un systéme
constant d'industrie et d'améliorations donneront de
l'emploi a la classe ouvriére aussi longtemps que les
choses resteront dans un état prospere et stable. Il est
certain que les ouvriers eux-mémes préférent le pain
laborieusement gagné avec indépendance, a la charité
mesurée et litigieuse d'un distributeur du droit des
pauvres. Ce n'est que dans un mauvais systeme que le
riche avilit l'indigent.


Les inconvénients des lois des pauvres se sont telle-
ment fait sentir dans ces derniers temps que beaucoup
de personnes ont désiré l' abolition totale de ces lois.
Mais toutes réflexions faite s ,je suis disposé a croire
que, malgré tous les défauts du syatéme actuel, son
entiére abolition serait encore plus désavantageuse.
Dans un pays sujet aux violentes transitions que pro-




LOIS DES PAUVRES. 195


duisent les révolutions de I'industrie et du commerce,
il serait cruel et inhumain d' exposer les classes labo-
rieuses ala ruine qui accompagnerait une période de
détresse agricole ou manufacturiere. n faut émonder et
non pas arracher du sol nos lois des pauvres. C'est la
serpe et non pas la hache qu'il faut employer.




CHAPITRE XXVII.


GUERRE CONTRE LA RÉPUBLIQUE FRAN~AISE.


« Il est imprudent d'attaquer un peuple divisé, dans le dessein de
le subjuguer, au moyen de cette désunion.


« Il régnait une si grande discorde dans la république Romaine,
entre le peuple et les nobles, que les habitants de Véies, réunis aux
Étrusques, penserent qu'en profitant de ces dissensions ils pourraient
détruire jusqu'au nom Romain. Ils leverent done une armée, et com-
mencerent a faire des incursions sur le territoire dé Rome; le sénat
envoya contre eux Cnéius Manlius et Marcus Fabius, qui firent cam-
per leur armée pres de l'ennemi. Les Véiens ne cesserent d'attaquer
et d'insulter les Romains. Telle fut leur témérité et leur insolence,
que les Romains, qui étaient désunis, se réunirent, attaquerent les
ennemis, les défirent, et les mirent en déroute. Ainsi, nous voyons,
comme nous l'avons déja dit, combien les hommes se trompent dans
leur conduite, et combien il leur arrive fréquemment de perdre un
objet, lorsqu'ils pensent y atteindre. Les Véiens croyaient qu'en
attaquant les Romains dans leur désunion ils les détruiraient : et
l'attaque au contraire les réunit, et causa la ruine de ses propres
auteurs; cal' les causes de dissensions, dans les républiques, sont gé-
néralement la paresse et la paix ; les causes d'union, la crainte et la
guerre.... Les habitants de Véies furent done décus dans leur attente;
en un mot, ils se virent accablés en un seul jour par les Romains.
Ainsi seront décus a l'avenir tous ceux qui, de la méme maniere et
pour la méme raison, penseront aopprimer une nation, » - Discours
de Machiavel.


(1 Le peuple en ce pays aimait sa Constitution; il en avait connu les




GUERRE CONTRE LA RÉPUBLIQUE FRANQAISE. 197
bienfaits; il Yétait attaehé par habitude. Pourquoi done mettre son
amour aune épreuve que rien n'exigeait? Cette épreuve ne pouvait
l'augmenter; les nouveaux fardeaux et les nouvelles taxes que la
guerre devait oceasionner ne pouvaient lui rendre cette eonstitution
plus chere. Si les principes Franeais avaient quelque chose de dan-
gereux, faire la guerre sans nécessité, c'était combattre pour leur
propagation. 1) - Discours de Po», 1er Février 1793.


La guerre entreprise en 1793, contre la France,
prouva des son commencement la sagesse des observa-
tions que je viens d' extraire de MachiaveI. Plus les Puis-
sanees Alliées parurent vouloir s'ingérer dans son gou-
vernement intérieur, plus son énergie s'accrut , plus
ses victoires furent brillantes, et plus elle porta loin
ses conquétes. Enfin, éblouie par des trophées mili-
taires et des traités avantageux, elle se confia aun sou-
verain qui, abusant de son génie et de sa force, s'efforea
de devenir le despote du continent Européen entier.
Le ministére Whig de 1806 vit qu'il était impossible de
faire la paix avec lui; et a l'exception d'un petit nom-
bre d'individus, tous les partis en Angleterre se réu-
nirent pour croire que la continuation de la guerre était
juste et nécessaire. Enfin, ivre d'une puissance et d'une
gloire jusqu'alors inconnues, et tourmenté par une
activité insatiahle, l'Empereur des Francais alla ense-
velir sa grande armée de conquérants au milieu des
glaces de la Russie. Les nations se relevérent, pousserent
le cri d'indépendance et le précipitérent du haut du
treme. La république avait triomphé; la monarchie
universelle fut vaincue.


Par un destin singulier, la fin de la guerre quelque
différente qu'ellc ait été du commencement par son ca-




J98 GUERRE CONTRE LA RÉPUBLIQUE FRAN9AI8E.
ractére, devait également prouver la sagacité de Eox.
Le petit nombre de Jaeobins enthousiastes de 1793 de-
vinrent, en 1817 et dans les années suivantes, des cen-
taines de milliers de mécontents. Le poids de soixante
m.\\\\~\\~ ~\.~\'\\l\g d'\IDp~\'~ a \\\d\.~p~~~ })\w~ d'h~nnl\\Y;;
raisonnables et loyaux contre la constitutión de leur
pays, que les harangues du citoyen Brissot et le décret
fraternisateur de Novembre n'auraient pu le faire en
cent années.




CHAPITRE XXVIII.


QUE LA LIBERTÉ EST LA GRANDE SOURCE DE LA RICHESSE DES NATIONS.
ET SPÉCIALEMENT DE LA NATION ANGLAISE.


t' Liberté, mere du commerce ; mere de la richesse, mere de
toute vertu, :& -- Discours de Sir James Mackintosh, sur le Bill de l'En ..
rdlement des Étrangers.


L'objet de I'économie poliiique est, comme chacun
sait, la richesse des nations. Quesnay, qu'on regarde
généralement comme l'inventeur de cette branche des
connaissances humaines, a considéré l'agriculture
comme la seule source de la richesse publique : Smith
l'a dépassé en appelant richesse tout produit matériel.
C'est pourquoi il nomme travail productif celui qui tire de
la terre de pareils produits ou en accroit la valeur par
I'industrie, et travail improductif celui qui n'a pas créé
de pareils produits ou n'a en rien augmenté leur va-
leur. La premiére cIasse renfermait les agriculteurs et
les manufacturiers, et la seconde, les rois, les juges,
les prétres, les soldats, les acteurs, etc. M. Saya de-
PUlS corrigé cette définition, et a proposé de com-




200 LA LIBERTÉ, RICHESSE DES NATIONS.
prendre sous le titre de travail productif tout travail
qui est utile, de quelque nature qu'il soit. Ainsi il con-
sidere le travail d'un professeur de droit civil comme
ayant une valeur aussi bien que celui d'un fabricant de
baso Cependant, M. Say, bien qu'il fasse cette distinc-
tion, la perd hientót de vue, et dans le reste de son
ouvrage nous ne trouvons que peu de traces de cette
opinion. Le sentiment d' Adam Smith est encore le fon-
dement de son systéme et du systéme de ses disciples.


Sans examiner ces définitions, qui ne sont pas tres-
scientifiques, él mon avis, I'objet de l'économie publique
est d'éloigner les obstacles qui peuvent empécher le
développement de la richesse nationale.


Avant de chercher par quels moyens ce but peut
étre atteint, jetons un regard sur les états que l'his-
toire ou le temps présent nous offre comme particu-
liérement prosperes ou particulierement malheureux.
D'un coté nous remarquerons la langueur, l'absence de
travail et d'émulation, l'indifférence, et une vie pénible
el misérable; de l'autre, au contraire, nous voyons une
activité incessante, une ardeur étonnante a tout entre-
prendre, les arts florissants, la science encouragée,
l'aisance etle hien-étre répandus dans toutes les classes
de la soeiété. Si nous cherchons les circonstances qui
produisent cette différence nous trouverons que la li-
berté est la cause principale du développement de I'in-
dustrie dans les états les plus prosperes.


n parait certain que partout OU l'esprit du gouver-
nernent Iui-méme n'a pas réprimé l'amour du gain,
comme a Sparte, I'industrie des citoyens libres a été




LA LIBERTÉ, RICHESSE DES NATIONSo 201
plus productive que le travail des esclaves condamnés
aentretenir le luxe de leurs maítres. Jetons maintenant
nos regards sur les fiers marchands de Florence, de
Venise, et de HoIJande dont les petits états étaient de- .
venus l'envie et la terreur des plus grandes monar-
chies. Hegardons d'un autre coté le peuple Francais,
écrasé par les taxes arbitraires, et forcé de dérober sa
nourriture aux yeux d'un gouvernement redouté. Ar-
rétons-nous un moment a considérer la situation si
différente de I'Angleterrre et de I'Espagne. Dansle rap-
port de la commission des Cortes, de l'année derniére,
nous voyons que son avis était que le budget le plus
élevé que I'Espagne püt supporter était d'environ
6,000,000 l.; la méme année, l' Angleterre et l'Écosse
n'ont pas payé moins de 60,000,000 lo, et en compre-
nant la taxe des pauvres et cene du comté, pres de
70,000,000 lo Quelle est la cause de cette prodigieuse
différence de richesse? N'estoce pas que les lois d' An-
gleterre sur le trafic et le commerce sont plus sages
que cenes de l'Espagne, On peut hardiment affirmer
que la cause est celle-ci: nos propres lois sur ce
point, jusqu'á la paix de 1814, furent le résultat du
systéme commercial, le plus absurde et le plus dérai-
sonnable de tous les systemes d' économie publique.
Est-ce que I'Espagne ferma complétement les yeux aux
nouvelles lumiéres du siecle ? Au contraire, elle fonda
une chaire d'économie politique a l'Université de Sala-
manque; exemple qui n 'avait été donné, si je ne me
trompe, par aucun autre grand état de l'Europe, Elle
avait eu pour ministres dans le cours du siecle précé.




202 LA LIBERTÉ, RICHESSE DES NATIONS.
dent, les hommes qui avaient jeté le plus de lumiére
sur la question de la richesse publique; mais tous
leurs efforts étaient rendus impuissants par le despo-
tisme dont l'influence délétére desséchait et faisait
mourir, quand ils avaient produit quelques faibles re-
jetons, tous les arbres que leurs mains avaient plantés;
- il n'y avait pas un véritable désir d'accumulation ~
car tous les progrés de la civilisation, la diñusion des
Iumieres et des sciences généreuses étaient arrétées
par l'lnquisition. L'Angleterre, au contraire, heureuse
de la justice de ses lois, et favorisant le développement
des meilleures facultés de l'esprit humain, marchait
vers son indépendance par les efforts que l'industrie, le
génie, et le talent feront toujours quand ils ne seront
pas étouffés par le despotisme.


La premiére et la principale cause de la richesse des
nations est dans la liberté. Sans nous arréter plus
longtemps a cette partie du sujet, ce qui ensuite est le
plus utile au développement de l'industrie, c'est l'or-
dre, lequel ne peut étre produit que par l'unité de re-
ligion, la moralité, et la loi. C'est l'ordre qui assure a
chacun la possession paisible des richessesqu'il a pu
acquérir; c'est l'autorité réguliére de la loi qui donne
plus de valeur a une maison dans le comté de Mid-
dlesex qu'en Turquie. Qui voudrait employer son ar-
gent aacheter la plus belle propriété dans les déserts
de la Tartarie?


A l'ordre et a la garantie accordée par la loi a la
propriété se joint la bonne foi de la part du gouverne-
mento Chacun préférerait la garantie d'un banquier




LA LIBERTÉ, RICHESSE DES NATIONS. 203
d'Amsterdam a celle de l'Empereur du Maroc; ou la
parole d'un marchand de charbon de Londres a la pro-
messe la plus solennelle de l'Empereur d' Autriche. On
peut donc regarder, comme étant les vraies sources de
la richesse publique, ces trois choses : - la liberté,
l'ordre, et la bonne foi publique.


A ces rouages importants se trouve unie la sage
disposition des lois économiques de la nation. Toutes
les regles adoptées sur ce point, en résumé, se réunis-
sent a ceci : - délivrer l'industrie de tout obstacle.
En ce qui concerne l'industrie, il fautle moins possible
de restrictions. C'est la grande vérité prévue par Smith
et ses partisans en France et en Angleterre, en oppo-
sition aux absurdités du systeme commercial.


« Laissez faire et laissez passer, » disait le marchand
Franeais aColbert, et aprés deux siécles de lutte con-
tre les restrictions, les monopoles, les protections, les
primes, les droits différentiels, et les réglements de
l'industrie et des salaires, nous ne pouvons rien dire
de plus sage ni de plus conciso




CHAPITRE XXIX.


DETTE PUBLIQUE.


« Le peuple, en général, ne travaille pas par plaisir, mais par
nécessité, La modicité du prix des denrées le rend plus paresseux; il
se fait alors moins d'ouvrage; la demande en augmente en propor-
tion, et les prix s'élevent nécessairement. La cherté des provisions
oblige le manufacturier a donner plus de jours et d'heures ason tra-
vail ; ainsi il se fabrique plus d'ouvrage qu'il n'en faut pour fournir a
la demande usuelle; il coüte done moins, et les manufactures, par
une conséquence nécessaire, coütent moins aussi. » - Franklin,
Fragments politiques.


Le capital de la dette nationale, a l'avénement de
Georges 1, et a l'époque OU l' on peut supposer que la
comptahilité de la Guerre de Succession était entiere-
ment réglée, montait a 54,000,000 l., et l'intérét a
3,351,000 l. Sir Robert Walpole étahlit une caisse
d'amortissement, qui reeut les plus grands éloges, et
fit concevoir les plus brillantes espérances. En 1739,
le capital de la dette était de 46,95!,·,000 l., et I'inté-
ret de 1,963,000 l.; de sorte qu'il dimin ua l' intérét
d'environ 1,400,000 l., et le capital d'environ
7,000,000 l. Mais la guerre d'Espagne, qui commenea




DETTE PUBLIQUE. 205
en 1139, accrut le capital de la dette de 31,300,000 l.
et l'intérét de 1,996,000 l. La paix qui suivit diminua
le capital de 3,700,000 i., et l'intérét de 664,000 l.
En 1763, aprés sept ans de guerre, la dette nationale
rnontait a 146,000,000 l.


Depuis ce temps jusqu'á la guerre avec l'Amérique,
la dette diminua de 10,739,000 l.


A la fin de la guerre d'Amérique la dette nationale
montait a257,000,000 l.


La célebre caisse d'amortissement de M. Pitt, établie
en 1786, réduisit la dette nationale, durant la paix, de
1,.,751,000 i.. el. l'intérét de 143000 t.


Le 5 janvier 1817, aprés l' entiere cessation de la
guerre, la dette nationale montait a8.48,282,247 l.


Dans l'espace des quatre années suivantes, c'est-á-
dire le 5 Janvier 1821, la dette nationale monta a
81,.5,100,931 l., ayant ainsi diminué d'un peu plus


-de ::J,OOO,OOO l.", Pendant plus d'une année de cet
espace, une nouvelle caisse d'amortissement, jusqu'á
concurrence de 5,000,000 l. par an, fut votée par
le Parlement, et sur-le-champ mise en activité.


Telle a été la marche alternative de la dette nationale
et de la caisse d'amortissement, I'une avancant a pas
gigantesques, et l'autre, toute vantée qu'elle ait été,
n'ayant jamais fait dans le cours d'un siecle la moitié
des progre~ que fit la dette dans la seule année 1815.
Il faudrait sans doute etre bien confiant pour espérer


• Compte de la Dette Nationale d'Angleterre et d'Irlande, presenté
a la Chambre des Communes, Session 1321.




DETTE PUBLIQUE


caisse d'amortissement atteigne son adver-
206


que la
sarro.


Dans cet état de choses, il convient plus que ja-
mais d'examiner ce qu'est cette dette, quels sont ses
effets sur la prospérité du pays, et quel doit étre
probablement son résultat final. Ce dernier objet de
l'examen est sans doute enveloppé de la plus grande
obscurité. Les causes les moins prévues peuvent don-
ner une direction toute différente aux événements
politiques o


Voici la premiére opération de la dette nationale : -
le ministre emprunte d'un négociant, par exemple,
300 l. II s'engage a payer un intérét de 15 lo Dans ce
dessein il met un impót de 5 lo, sur un proprié-
taire foncier, un autre de 5 lo, sur un fermier, et le
troisiéme de 5 lo, sur un marchand, tous jouissant
pour le moment de revenus égaux, et payant l'impót


"égalcment. La premiere opération de l'impót est en gé-
néral celle-ci : le fermier et le marchand ajoutent l'im-
pot au prix de leurs denrées. Le marchand paye done
une partie de l'impOt du fermier, et le fermier une
partie de celui du marchand; mais il est évident qu'un
impót n'en reste pas moins a la charge de chacun
d'eux. lIs doivent l'un et l'autre, par conséquent, ou
travailler davantage et accroitre leurs produits, ou di-
minuer leurs dépenses et acheter une moindre quantité
des marchandises de leur voisin. Le premier cas a lieu
dans un état florissant; le second dans un état pauvre,
Iaihle, et épuisé. C'est par les efforts continueIs que font
les hommes pour augmenter leurs productions et deve-




DE~TE PUBLIQUE. 207
nir riches, qu'un pays marche ala prospérité ; c'est en
évitant, en rétrécissant la consommation et la dépense
qu'une nation tombe en ruine.


n est une autre maniere encore plus nuisible de
payer un impót : c'est ceHe qui diminue les profits.
Par exemple, si les boucles de souliers étaient forte-
ment imposées, les marchands de cet article ne pou-
vant gagner assez sur cet objet pour payer I'impót,
seraient obligés de se borner el un moindre profit. Le
commerce qui est comparativement trop imposé est
bientót abandonné.


Mais ne perdons de vue ni le propriétaire foncier ni
le capitaliste. 11 est évident que le propriétaire doit
payer, outre ses propres impóts, une partie de ceux du
fermier et du marchand, et qu'il n'a aucun moyen de
se couvrir de ses avances. Aussi les économistes pen-
sérent-ils que les possesseurs de biens-fonds payaient
toutes les impositions. Mais ils peuvent, si bon leur
semble, retrancher sur leur consommation, et cela avec
beaucoup plus de facilité que le marchand, attendu
qu'il est plus aisé de se passer dun domestique alivrée
que d'un commis ou d'un ouvrier.


Le capitaliste, s'il est en meme temps consommateur,
paye au marchand et au fermier une partie de I'impót
qui se percoit a son profit. Mais il a plus qu'aucun
autre membre de la société le moyen d'éviter la dépense.


On ne peut guere douter que, pendant un certain
temps, une dette nationale n'ait des résultats utiles.
Elle donne a l'argent une circulation rapide; elle
améne au marché de nouveaux capitalistas plus entre-




208 DETTE PUBLIQUE.
prenants et plus actifs que les vieux propriétaires
fonciers; elle oblige l'ouvrier a se livrer a un plus
grand travail, pour lequel en meme temps elle multi-
plie les demandes. Mais quand les impóts deviennent
accablants, les effets sont a peu pres inverses. Les prix
s'élévent a un point si prodigieux, que tout homme
prudent diminue sa consommation, ainsi que la quan-
tité de travail qu'il emploie. La plus grande partie du
revenu général passe des mains d'hommes qui peuvent
l'employer a des travaux agricoles ou manufacturiers,
dans celles de grands négociants dont le capital inonde
le marché, et se change hientót en hypothéques sur les
biens. Une grande rareté et une grande abondance
d'argent se font sentir a la fois. Tels sont, sur les indi-
vidus, les effets d'une grande dette nationale. Mais il
est un autre rapport sous lequel une semblable dette
est un mal que rien ne tempere: c'est qu'elle diminue
et tarit les ressources de I'État. Les dépenses occasion-
nées par des guerres antérieures laissent enfin a une
nation peu de force pécuniaire pour sa défense. Le pro-
priétaire s'est déja vu enlever une si grande portion de
son revenu, que le ministre n'ose plus y toucher, autre-
ment cela équivaudrait a la confiscation du fonds
méme.


M. Hume a presenté des idées remarquables sur les
suites de la dette nationale parvenue a ce point. Ilpense
qu'on ne pourrait recourir qu'a un des trois expédients
suivants. Le premier serait d'adopter le plan de quel-
que faiseur de projets, ce qui ne tendrait qu'á augmen-
ter la confusion et l'abatternent ; la nation alors « mour-




DETTE PUBLIQUE. !69
rait du médecin. )) Le seeond, de faire une banqueroute
nationale - remede qu 'H ne semble pas désapprouver,
Le troisiéme, de payer I'intérét dans son intégrité. Il
discute une détermination semblable, et la compare
de la maniere suivante avec ses deux premiéres hypo-
théses : «- Les deux premiers de ces événements sont
calamiteux sans doute, mais il y en a de plus calami-
teux encore. Par la, des milliers sont sacrifiés au salut
de millions. Mai~ nous ne sommes pas garantis contre
le dangerde l'événement contraire : des millions peu-
vent étre sacrifiés pour toujours a la süreté temporaire


. de quelques milliers. Sous notre gouvernementpopu-
laire, il sera peut-étre dangereux pour tout individu
de hasarder un remede aussi désespéré qu'une ban-


\


queroute volontaire; et quoique la Chambre des Lords
et la plus grande partie de la Chambre des Communes
soient entiérement composées de propriétaires fonciers
qui, par conséquent, ne sauraient jamais avoir une
grande portion de leurs fortunes daos les fonds, _eepen-
dant ils peuvent avoir avec les rentiers de I'État des
liens assez nombreux et assez forts pour qu'ils restent
plus longtemps fídeles a la foi publique que ne I'exi-
gent, ap~rler strietement, la prudence, la politique, ou
méme la justice.... La balance du pouvoir en Europe a
toujours paru trop inégale anos aieux, a nos peres, et
a uous-mémes pour devoir se passer de notre surveil-
lance et de notre appui. Mais, fatigués du combar,
arrétés par les entraveacnos enfants peúvent sereposer
en toute séeurité, et voir leurs voisins opprimés et en~
vahis , jusqu'á ce qu'eux-mémes et leurs créanciers


14:




210 DETTE PUBLIQUE.
deviennent la proie du conquérant. »"" Voici cornment
il trace le tableau de .I'intérieur: -« Iln'y a plus d'a'u-
tresmoyens de prévenir ou d'étouífer les insurrections,
que les armées mercenaires; il ne reste personne pour
résister a la tyrannie; la séduction et la corruption
seules sont le mobile des élections : enfín, quand le
pouvoir intermédiare qui sépare le peuple et le Roí, est
totalement renversé, un'· despotisme accablant doit
régner. Les propriétaires, que leur pauvreté fait mépri-
ser, leurs oppressions hair, sont alors dans l'impuis-
sanee absolue de lui opposer le moindre obstacle. »""""


Jetons les. yeux sur les peuples étrangers, nous
verrons qu'aprés de glorieuses guerres, Venise tomba
enfin, au commencement du siécle dernier, dans l'état
de décadenee dont vient de parler M. Hume. Son re-
venu ne suffísait pas pour acquitter l'intérét de sa dette,
et,' quoiqu'elle suspeudlt sespayements, elle n'en fut
pas moins incapable de supporter les dépenses que son
gouvernement oceasionnait. Au reste, il nous faudrait
plus d'espace que nous n'en avons ici pour examinar
les causes compliquées de sa chute.


La Hollande aussi était accablée, dans les derniéres
années de son existence comme république, sous le
poids de sa dette, qui est encore aujourd'hui énorme,
méme en ayant égard asa richesse et a sa population.


La France commenca la, Révolution ave unedette


* Cette méthode, prévue par M. Hume, a été récemment recom-
mandée comme nouvelle et sage; mais c'était en définitive la poli-
tique des Tories sous le regne d'Anne. (18M,.)


** Hume, Essai sur le Crédit Publico




DETTE PUBLIQUE. 21 1
qu'elle ne pouvait supporter. Au milieu de la guerre,
elle en abolit sommairement et formeIlement la plus
grande partie. Au surplus, aucun pays ne s'est encore
trouvé précisément dans la position de l'Angleterre. Le
commerce et le crédit ne se rassemblentpas sur un seul
de ses points; comme des veines abondantes, ils par-
courent tout son corps. Une banqueroute nationale por-
terait al'industrie un coup difficile aréparer. On se fait
une idée trés-erronée des bons eífets de l' éponge ap-
pliquée sur la dette. De ces erreurs, ils n'en est point
de si évidente ni de si funeste que l'opinion professée
et inculquée par plusieurs, que l'ouvrier qui recoit 18
s. par semaine, dont dix lui sont enlevés par les im-
pots sur la hiére , les chandelles , etc., recevrait la
méme somme de 18 s., si" tous ces impóts étaient
abolis, et ferait plus que doubler ses achats. On ne doit
pas oublier que c'est l'offre et la demande qui réglent le
prix réel du travail. Le prix en argent varíe nécessaire-
ment avec le prix des provisions, loyers, habita, chan-
delles, etc., nécessaires al'entretien de l'ouvrier. Si la
demande du travail reste la méme, et que, par la ré-
duction des impóts, le prix des objets que I'ouvrier con-
somme 'tombe de 18 a 8 s. ~ son salaire tombera de


. .


18 a 8 s, Mais, dira-t-on, le fermier et le manu-
facturier ayant plus de capitauxá destiner au tra-
vail, ladiminution des impóts augmentera la demande.
C'est en effet ce qui peut arriver a la fin; mais il n'est
pas vraisemblable que ce résultat suive de prés la ces-
sation subite du paiement des rentes. JI ya dans notre
pays tant de consommateurs qui tirent leur revenu des




212 DETTE PUBLIQUE.
fonds publics, d'une maniere directe ou indirecte, que
le premier etiet d'une banqueroute nationale serait une
grande diminution dans la demande, ainsi qu'unedé-
préciation générale, sur tout le territoire, des produits
agricoles et manufacturés.




CHAPITRE xxx.


QU'UN GOUVERNEMENT LIBRE EXIGE UNE SURVEILLANCE PERPÉTUELLE
ET DE FRÉQUENTS RENOUVELLEMENTS.


« Le gouvernement d'Angleterre est plus sage paree qu'il y a un
corps qui l'examine continuellement, et qui s'examine continuelle-
ment luí-méme ; et telles sont ses erreurs qu'elles ne sont jamais
longues, et que par l'esprit d'attention qu'elles donnent a la nation,
elles sont souvent utiles. » - Montesquieu, Grandeur et Décadence des
Romains, chapo VIII.


L'expérience de la nature humaine nous apprend ce
fait, que les hommes , lorsqu'ils jouissent d'une supé-
riorité réell.e ou imaginaire sur leurs semblahles, finis-
sent par ahuser des avantages dont ils jouissent. Celui
qui conduit une voiture á un seul cheval ne peut s'em-
péeher de regarder avec dédain le piéton ; aplus forte
raison , un mortel ne peut-il avoir en son pouvoir un
empire san,s se rendre coupahle d'insolenee ou d'op-
pression a l'égard des gens qu'on nomme ses sujets.


L'Histoire que nous avons parcourue est remplie
d'exemples d'empiétements du pouvoir et de défail-
lance dans la vertu des gouvernants. Les Tudors pous-




214. QU'UN GOUVERNEMENT LIBRE
serent leur prérogative au delá des, bornes connues
avant eux; les Stuarts exagérérent encoresur ces pré-
cédents, et réelamérent, de jure, ceite autorité despo-
tique que les Tudors avaient exercée de {acto. Quand
cette faute eut été expiée dans le sang ~u martyr
royal, Cromwell, a qui on avait confié le commande-
ment des forces d'un État libre pour combattre un
souverain ambitieux, 6.t usage de l'influence qu'il avait
obtenue pour placer son autorité encore plus haut que
eelle des rois héréditaires de I'Angleterre. Une fois ré-
tabli sur le tróne de son pére, grace au pardon national,
Charles Il imposa au pays un joug encore plus dur
et plus dégradant que ne l'avait fait aucun .autre
monarque. Guillaume III passa toute sa vie en des luttes
continuelles avec ses sujets pour acquérir de nouveHes
prérogatives ou empécher de nouvelles restrictions au
pouvoir royal. Lorsque , par l'avénement de la Mai-
son de Hanovre, Ie~ Whigs eurent triomphé, ils aban-
donnerent aussi l'honnéteté, et aux martyrs et patriotes
du dix-septieme sieele succédérent dans leurs rangs des
chicaneurs et des concussionnaires. Rien ne démontra
plus clairement la nécessité d'une surveillance perpé-
tuelle que la corruption du parti Whig : bien que les
Whigs eussent hérité de tous les grands principes de
liberté et formé le seul gouvernement libre un peu im-
portant en Eur'ope, ils trouvérent dans le pouvoir une
Capone, et le suceés leur fit oublier les moyens et né-
gliger' les qualités qui Ieur avaient servi dans ce but.


11 est vrai que l'agitation continuelle des atTaires
publiques en Angleterre a quelque chose d'alarmant




EXIGE UNE SURVEILLANCE PERPÉTUELLE. 215
pour les personnes qui nous étudient a distance. le
me souviens que lorsque la question de la Liberté de
la Presse fut discutée aux Cortes d'Espagne , en 1811 ,
un orateur parlant contre une presse libre, signala
l'état de I'Angleterre comme une leeon, et demanda
el l'assemblée si elle désirait de voir en Espagne autant
de factions et de tumultes qu'il y en avait dans la
Grande-Bretagne. Mais ce sont la choses qui effrayent
plus en apparence qu'elles ne sont redoutables en réa-
lité. Les discours de tavernes, les luttes éleetorales,
les rassemblements, les processions populaires sem-.
blent souvent présager I'entiére destruction de l'ordre
dans la société; mais il y a plus de bruit et de fumée
que de mal, et le peuple, accoutumé au tapage, se
livre ases occupations avec autant de tranquillité que
l'équipage d'une frégate lorsqu'elle est ballottée par la
tempéte. Le despotisme, bien qU'11 fasse moins de
fracas, cause beaucoup plus de maux. Dans le pre-
mier cas, c'est comme une éruption de la peau qui,
pour n'étre pas dangereuse, n'en est pas moins visible
a tous les yeux; dans le rsecond, c'est une maladie
mortelleqüi , sans frapper 'les regards, .attaqne pro-
fondément les organes vitaux. \


Ces observations s'appliquentá la réforme parle-
mentaire. Bea~coup de persoluies', méme en Angle-
terre, croient que les discussions auxquellescetteques-
tion donne lieu offrent les plus gran:ds périls, et ne
peuvent aboutir qu'á des convulsions sociales. Pour
ma part,.au contraire , je erois que ces' diacusaions-lá
ayant pour origine l'état du pays, et se présentant au




216 . QU'UN GOUVERNEMENT LIBRE
grand jour devant tout le pays, loin de produire aucun
mal doivent tendre .a exciter cet esprit d'examen et
d'investigation qui est nécessaire au maintien de la
liberté .publique..


Que la Réforme se fasse ou non, cette question ne
peut manquer d'avoir une grande utilité en ce sens
qu'elle attire l'attention du peuple sur la conduite de la
Chambre des Communes, et oblige ainsi les députés a
devenir, soit par leur constitution, soit par pudeur,
les gardiens vigilants des intéréts nationaux. La dis-
cussion de la Réforme servira a empécher cette stagna-
tion de l'esprit public, et cette aveugle nonchalance
dans les dépositaires du pouvoir , dont les effets sont
si funestes dans un pays libre.


De ce qui précéde semble résulter une triste ré-
flexiono La liberté, qui exige une perpétuelle agitation,
une perpétuelle surveillance, et un renouvellement per-
pétuel doit et.re exposée a plus d'aventures , et par
conséquent est, de sa nature, moins durable que le
despotisme dont la seule condition d'existence est
qu'il échappe aux modífleations. En eiret,un despo-
tisrne fondé sur l'ignorance et excluant avec soin la
lumiére du dehors, peut étre, s'il n'est point attaqué
par les armes étrangeres , le plus permanent de tous
les gouvernements; car l'avilissement du peuple, qui
sert a l'exercice immédiat du despotisme, est une
garantie probable contre les changements futurs. II
semble que la liberté comme tous les produits les
meilleurs et les plus beaux du monde, est aussi l'un
des plus fragiles et des plus éphémeres. Mais que le




EXIGE UNE SURVEILLANCE PERPÉTUELLE. 217
despotisme ne se vante point de ses avantages : un
demi- siéele de liberté sur une étendue de quelques
milles d 'un sol ingrat améne a perfection un plus
grand nombre des qualités éminentes de notre nature,
développe plus entiérement les facultés humaines,
offre plus d'exemples d'héroísme et de magnanimité,
fait rayonner plus lumineusement d'un éclat divin la
poésie et la philosophie, qu'en des milliers d'années
et chez des millions d'individus réunis dans le plus
grandempire de l'univers. on n'en peut trouver sous
l'influence ténébreuse du despotisme.




CHAPrrRE XXXI.


. CONSTITUTION DE LA CHA:MBRE DES COMMUNES.


« 11 est vrai que ce qui est établi par la coutume, s'il n'est bon en
soi-méme, est du moins commode. Les choses qui ont longtemps
marché de front, ont formé, pour ainsi dire, une confédération entre
elles. Les choses nouvelles, au contraire, ne s'ajustent pas si bien,
et quoiqu'elles aident par leur utilitévelles ne laissent pas de géner
par leur défaut d'harmonie. Tout cela serait incontestable, si le temps
était immobile ; mais il poursuit sa course si rapidement, que la con-
servation opiniátre des usages est aussi perturbatrice que l'innova-
tion ; et ceux qui ont trop de respect pour le vieux temps, sont la
honte du nouveau. Il serait done utile que les hommes suivissent
dans leurs innovations l'exemple du temps méme qui va toujours
innovant en silence.• - Lord Bacon.


Jusqu'ici nous avons a peine dit un mot de la for-
mation de la Chambre des Communes. Depuis le régne
d'Édouard I" inclusivement, elle a été eomposée de
chevaliers, représentant les propriétaires franes-tenan-
eiers , ou les propriétés foncieres des comtés, de
citoyens et de bourgeois, représentant les intéréts com-
merciaux des cités et des bourgs. Quels étaient ces
bourgs si distingués, c'est la une question que l'éloi-
gnement des temps rend insoluble? Il parait néanmoins




CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 219


prouvé que l'ordre expédié au shériíf lui prescrivait
simplement d'envoyer au Parlement des bourgeois
pour les bourgs de son comté, et que le shériff adres-
sait ses instructions dans les lieux appelés bourgs, se-
Ion qu'il le jugeait eonvenable. On ignore si ce titre
leur fut acquis par charte ou par prescription. Les
constituants étaient obligés de payer leurs députés; ce
qui leur parut un fardeau. Plusieurs bourgs deman-
dérent et obtinrent d'étre exempts de fournir une dé-
putation, en raison de leurs autres charges. Maís la
Chambre des Communes ayant acquis plus d'impor-
tance pendant la querelle des Maisons d'York et de
Lancastre, et participant assez souvent par son vote a
la transmission de la couronne, le prívilége d'en élire
les membres devint un privilége désirable, La eharte de
Wenlock, octroyée par Édouard IV, et qu'on dit étre la
premiére oú ce privilége soit mentionné d'une maniere
expresse, l'accorde comme une faveur et une récom-
pense des services rendus par lepropriétaire du bourg.
Un peu auparavant, le droit de voter auxélections de
comtés avait été restreint aux propriétaires de terres
franches, ayant au moins40 s. de rente, a cause,
est-il dit, des tumultes et des querelles qui devaient
vraisemblablement avoir lieu a ces élections, - preuve
qu'elles excitaient déja l'intérét. Quoique les rois de la
Maison de Tudor se fussent placés au-dessus du peuple,
ils gouvernerent, non pas sans le Parlement, mais par
son organe. Ce fut sous eux que la Chambre des Com-
munes commenca a suivre la forme actuelle de ses dé-




bats. Pour la premiére fois, sous Élisabeth, un membre




220 CONSTITUTJON


fut déclaré coupable d'avoir suborné l'officier chargé
de délivrer les certificats d'élection. Apres quatre cents
ans de désuétude , Agmondesham recouvra, sous le
regne de Jacques, son privilége d'élection ; Wendover
et Marlow le recouvrérent a1!ssi a la méme époque.
Entre autres argumenta, présentés en faveur de leur
droit, nous lisons les suivants dans un précis de l'af-
faire, dressé la vingt-uniéme année du regne de Jac-
ques I".~ - « Tertio, l'usage de ces temps anciens
était de laisser a la charge des hourgs le maintien des
hourgeois députés au Parlement. Quand les hourgs de-
vinrent pauvres, ils négligérent, pour cette raison seule,
d'envoyer leurs représentants; mais maintenant qu'ils
veulent supporter cette charge et élire des bourgeois en
état de supporter leurs propres dépenses, iI n'y a au-
cun motif de rejeter cette pétition. On allégua enfín,
en faveur des hourgeois, que le droit de députer au
Parlement était un droit d'une nature et d'une qualité
telle, qu'aueun hourg ne pouvait le perdre par sa négli-
gence; car tout hourgeois ainsi député est memhre du
grand conseil du royaume, maintenu a la charge du
hourg; et si une semhlahle négligence pouvaitétre per-
mise dans un hourg, elle pouvait l'étre dans plusieurs,
et conséquemment dans tous les hourgs d'Angleterre,
d'oú il arriverait que, faute de députés, iI n'y aurait
pointde Parlement. »


En conséquence de la décision qui suivit, lebourg
de Wendover députa M. John Hampden, « qui en sup-


* Browne Willis, Notitia Parliamentaria, vol. J, p. 120.




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES~ 221
.


portait la dépense. )1 Sous ce regne et le sui vant, le
Parlement réintégra 16s bourgs dont voici les noms: -


Ilchester. . . 18 Jacques I.
Agmondesham. . . . 21 Jacques I.
Wendover. . .. Ditto.
Great Marlow . . Ditto.


. Cockermouth . 16 Charles L
Okehampton . . Dítto.
Honiton. . .. . .Ditto.
Ashburton. . . . . Ditto.
Milbourn Port. . Ditto.
Malton . . .. . Ditto.
Northallerton . . Ditto.
Seaford. , . . . . Ditto.


,


Le Souverain en rétablit lui-méme vingt-quatre. Ces
bourgs doivent tous avoir consenti a supporter la
charge; car, de einquante-un autres qui avaient joui de
l'élection, aucunne l'ajamais recouvrée. Depuis le regne
de Henry VIII jusqu'al'avénement de Charles I", la
Chambredes Communess'était augmentée de 156 mem-
bres. Dans les CornouailIes seules Edouard VI en
ajouta 12, Marie 4, et Élisabeth 10.


Les Cornouailles furent choisies comme le lieu au-
quel on pouvait le plus utilement accorder ces mem-
bres, attendu que la Couronne, en possession de ce
duché, y avait une grande influence au moyen de ses
mines ~t de ses biens. 00 voit par ces augmentations
le désir qu'avait la Couronne de se donner de l'in-
fluence dans la Chambre des Communes. Mais des
agrandissements si dangereux ne purent empécher la




222 CONSTITUTION


Pétition .des Droits, ni protéger le treme contre les
Tetes-Rondes.


Dans un temps OU ron multipliait les plans sur
toutes sortes de ,sujets, sur la reforme du corps entier
des lois,sur celle de l'Églíse, del'Etat, et méme du
calendrier, on ne devait opas s'attendre a ce que la
Chambre des. Communes manquát de réformateur; un
projet de 'représentation égale "et uniforme était une
chose toute naturelle. Une propositionde cette nature
fut done faite par la maítresse 'de' toutes les réformes
du jour -.I'armée. Cromwelladopta les principes les
plus importants de ce prcjet daos les· deux Parlements
qu'il assembla apres qu'il eut pris le, titrede Protec-
teur : mais ni le caractére du temps, ni le génie de cet
homme, ne permirent de donner la moindre impor-
tance á.cet essai. Le premier de cesParlements montra
uneopposition prononcée ason autorité ; il fut dissous
paree qu'il avait osé discuter la question de savoir si
le gouvernement résiderait ou non dans une seule per-
sonne., Quant. ausecond, apresplusieurs manosuvres
mises en "sage pour .influencer les électeurs, personne
n'y fut admis sansun certifieat du Conseil d'État, ce
qui en, exelut 1OOm.e~bres. Découragé par ces essais,
ou cédant a. la préférence qui commeneait a renaítre
pour les ;vieillesformes et lesvieilles coutumes, Richard
Cromwell eODvoqu&. un Parlement selon I'ancien usage.
Lord. Shaftesbury, cependant, qui fut le .premier aprés
la Bestaueation avioler l'indépendance du Parlement,
en voulant que tous lec pouvoirs fussent vérifíés par
la Chancellerie, fut aussi lepremier a faire revivre et




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 223


a maintenir la doctrine d'une réforme parlementaire.
DanM. Un écrit publié aprés sa mort, il se plaint non-
seulement de la trop longue durée des Parlements et
des habitudes corruptrices des bourgs, mais il s'éléve
aussi contre l'abus d'aecorder une plus grande députa-
tion aux Cornouailles qu 'au pays de Galles. Quelques-
uns de ses amis, et surtout M. Samuel Johnson, cha-
pelain de Lord Russell, s'efforcérent d'agiter cette
question ·lors de la Révolution, mais les deux partis
évitérent avec soin de la discuter.Depuis ce temps jus-
qu'á Lord Chatham, le .principe réformateur, quoique
toujours favorisé par quelques hommes iIlustres, 'la
plupart Tories, semble avoir dormi d'un sommeil pai-
sible, pendant lequelle malfit degrands paso La vé~
nalité des bourgs augmenta de' plus en plus, et lon dit
que dans une chambre de 556 membres, les empIoyés
du gouvernement étaient au nombre de 200. 'Mais le
peupIene s'intéresse que peu a la 'question de la ré-
forme, ou ne s'y intéresse point du tout, a. moins qu'il
ne souffre des maux réels , fruit d'un mauvais gou:-
vernement. Il faut pourtant dire qu'en 1745unemotion
des Tories en' faveur des Parlements annueIs, destinée
probablement ,8, ébranler le tronede la Maison de
Hanovre, nefut rejetéeque par une majorité de32 voix,


Lord Chatham,sáchant par expérience combien il
était difficile d'éveiIler l'attention de la Chambre des
Communes 'sur les ahus ministérielsproposa, comme
mesure de convenance, d'ajouter au corps représen-
tatif cent membres éligibles par les comtés. Ce plan
n'était évidemment rondé que sur l'utilité : seIon l'ex-




224. . CONSTITUTION


pression de son illustre auteur, c'était unplan destiné
( a répandre une nouvelle vie dans la Constitution. »


La guerre avec l'Amérique ayant mis la mauvaise
administration de nos hommes d'état dans. un jour
encore plus frappant, M. Pitt, en 1781, 1782, et 1785,
fit quelques motions dans la Chambre des Communes
en faveur de díñérents projets de reforme, mais qui
tous anooncaient n'avoir pour but que d'amender une
partie de la représentation, et reposáient comme ceux
de son pére , sur la base de l'utilité et de l'expé-
rience. D'autres doctrines circulaient néanmoins. Le
D' Jebb, et, apres lui, M. Cartwright, promulguérent la
théorie de la représentation personnelle, qui, suivant
dans ses conséquences.Ies principes de M. Locke, de-
vait prouver que tout homme a un droit naturelet
imprescriptible a donner son suffrage. Mais ni cette
doctrine, ni le plan de M. Pitt· qu'appuyaient Horne


•Tooke- et tous les réformateurs modérés de ce temps-lá,
n'eurent aueun succés. M. Pitt se refroidit d'abord; et
garda ensuite un silenee absolu sur ce sujeto


La question en resta la, jusqu'á ce que la Révolution
Franeaise, qui mit tout en mouvement, la fit agiter de
nouveau. Une société, formée des hommes les plus ha-
biles d'alors,· rédigea un éerit appelé la Pétition des
Amis du Peuple. Ce n'était rien moins qu'un biIl d'ae-
cusation contre I'assemblée qui gouvernait la Grande-
Bretagoe. L'histoire el la situatioo des bourgs y sont
présentées dans tous leurs détails; et 00 y fait de labo..


. ríeux efforts pour démontrer que la Chambre des Com-
munes, et, eonséquemment la personne et la bourse de




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 225


tout sujet Anglais, sont au pouvoir d'un petit nombre
d'individus. Une portion, néanmoins, de ce tableau ne
prouve rien pour l'objet en question. Un grand nombre
de membres sont représentés comme élus sous l'in-
fluence de pairs et de ccrtains riches particuliers. On
avance que non-seulement 84 personnes nomment
directement 157 membres, mais que 70 autres, par
une influence indirecte dans les comtés et les grandes
villes, en élisent 150, d'oú résulte la preuve prétendue
que la majorité de la Chambre des Communes est a la
nomination de quelques particuliers. 01', quiconque
connait l'Angleterre, sait que les francs tenanciers
d'un comté, soit boutiquiers, soit magistrats, ayant
les mémes opinions politiques, conviennent d'ordinaire
de réunir leurs votes sur le méme candidato On sait
aussi que les qualités qu'ils cherchent en lui ne sont
pas, en général, l'éloquence ni méme l'habileté, mais
le sens commun, une intégrité commune, et des pro-
priétés foncieres. lIs regardent, en quelque sorte, la
propriété comme une garantie du caractére. Il arrive
done que celui qui, parmi eux, posséde le plus de
terres, si d'ailleurs il n'est pas dépourvu des qualités
ordinaires. est élu; OH, s' il est pair, c'est son frére ou
son fils. Ce ne sont pas les fermiers meme d'un pro-
priétaire, mais son parti de coneert avec ses fermiers
qui le font chevalier du comté ou représentant. Ainsi,
se plaindre que le fils ainé d'un certain pair soit tou-
jours élu pour un comté dans lequel il a de grandes
propriétés, au lieu du plus sage tisserand OH du fileur
le plus patriote du comté, n 'est pas se plaindre d'un


15




226 CONSTITUTION


abus fait pour etre mentionné a la Chambre des Com-
munes, quoiqu'il püt faire partie d'un essai sur le ca-
raetére du peuple Anglais, ou trouver place dans un
traité général de la nature h umaine.


Toutefois, laissant de coté cette objection, onpeut
faire a l'ensemhle de la pétition la réponse suivante :
« Vous vous plaignez de la formation de la Chambre
des Communes telle qu'elle a existé depuis la Révolu-
tion jusqu'á présent. Vous prouvez que la structure de
notre gouvernement durant cet espace n'a étéqu'une
combiuaison impure faite dans des vues privées. Or,
nos péres et nos ancétres nous ont dit que pendant
cette période ils étaient tres-libres et tres-heureux ..
Leur témoignage est confirmé par celui des puhli-
cistes les plus sages, des plus grands philosophes, des
poetes contemporains les plus enthousiastes. Votre
théorie tend a renverser le témoignage des Blackstone,
des Montesquieu, des Thompson, des Cowper, et de
mille autres qui ont déelaré que de leur temps l'An-
gleterre jouissait d'une liberté parfaite. Or, le gouver-
nement est une affaire d'expérience et non de spécula-
tion; done, nous nous contenterons de l'état de choses
actuel. »


Cette objection me paraít avoir de.Ia solidité; car
la plainte porte non contre un seul abus, ou un abus
particulier, mais contre la majeure partie du eorps
gouvernant, tel ou presque telqu'il existe depuis cent
ans de liberté et de gloire. Donnons plus de développe-
ment acette explication : si un pétitionnaire demandait
l' abrogation des lois sur les banqueroutes, il serait




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 227


évidemment absurdo de lui opposer le raisonnement
suivant : « Nos ancétres ont été libres et heureux avec
les lois sur la banqueroute, donc nous ne les change-
rons paso » Mais a une- pétition qui alléguerait que la
division de notre gouvernement en trois pouvoirs est la
chose la plus absurde; qu'il est ridicule de donner a
un seul homme autant de pouvoir qu'á 658 représen-
tants du peuple entier ; qu'il est contraire a tout prin-
cipe·de raison d'admettre a la Chambre des Lords un
dissipateur ou un idiot, parce que son pére aété homme
d'état ou favori; que le véto royal est une invention
barbare, indigne d'un peuple civilisé, nous répon-
drions : « La théorie peut étre mauvaise, mais la pra-
tique a toujours été excellente. »


M. Fox, sentant tout le poids de cette réponse,
entra dans l'aréne politique en 1797, et posa la
question sur des bases totalement différentes. Il déelara
que la situation de I'Angleterre était si périlleuse qu'il
désespérait presque du salut de I'État. Il représenta la
conduite des ministres comme étant de naturea ren-
verser de fond en comble la chose publique; et soutint
qu'il ne restait d'autre moyen d'échapper a la ruine
que de recourir aux principes fondamentaux et de re-
constituer l'État. En admettant que le mal était aussi
grand que M. Fox le représentait, son raisonnement
était loin de prouver l'efficacité du remede; puisque ce
mal provenait, non du mépris pour le voeu du peuple,
relativement a la guerre avec I'Amérique et avec la
France, mais de la condescendance a ce vceu, « La
liberté est en danger de devenir impopulaire aux yeux





228 CONSTITUTION


des Anglaís, » dit M. Burke, pendant la guerre d'Amé- '
rique. ({ Enfin, » dit M. Fox, pendant celle de' France,
« la liberté n'est pas populaire. La nation est divisée /
(tres-inégalement, il faut l' avouer ) entre la majorité
dominée par la crainte 'ou corrompue par l'espérance,
et la minorité, qui attend dans un sombre silence l'oc-.
casion d' appliquer de violenta remedes ". » Quel étrange
remede donc que de rendre la Législature plus démo-
cratique!


Mais, puisque nous examinons les principes du gou-
vernement Anglais, essayons, autant que nos forces
nous le permettent, de tracer quelques regles générales
pour la formation de l'assemblée des Communes d'une
monarchie tempérée. Quelques-unes suffiront tant a
l'auteur qu'au lecteur.


Premiérement. Toutes les parties du pays, et toutes
les classes du peuple doivent participer aux élections,
autrement la partie ou la classe exclue perdra toute im-
portance aux yeux des autres; on ne recherchera jamais
sa faveur ; la Législature ne veillera jamais sur ses in-
téréts avee diligence. Le mécontentement de la classe
dépouillée, excité par la sentence de nullité et d'inaeti-
vité, prononcée contre elle, sera d'autant plus grand,
que le corps politique jouira d'une liberté plus géné-
raleo Tout systéme de suffrage uniforme, excepté le
suffrage universel, est entaché de ce vice radical; et le


,. Lettre aLord Holland. Voyez l'article Fox, dans la nouvelle édi-
tion de l'Encyclopredia Britannica. Voyez, aussi, les discours de
M. Fox, au commencement de la guerre; il Yavoue franchement
qu'il était devenu impopulaire pour s'y étre opposé.




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 229


suffrage universel qui devait en étre exempt, Jivre en
résultat tout le pou voir ala plus haute et ala plus basse
classe, a l'argent et a la multitude, désaffranchissant
ainsi la classe moyenne, qui es~ la plus désintéressée,
la plus indépendante, et celle qui a le moins depréjugés.
Quoiqu 'il faille que chaque classe ait voix aux élections,
il n'est cependant pas nécessaire que chaque membre
de chaque classe jouisse d'un vote. Un boucher de
Hackney, qui exerce son droit une fois peut-étre en
douze ans, a une élection du comté de Middlesex, n'a
presque aucun avantage sur un autre boucher du meme
lieu qui n'est pas éleeteur. En eút-il un plus grand,
l'intérét de l'État est, dans ces matiéres, la principale
chose a consulter; et cet intérét est aussi bien servi par
le suffrage de quelques personnes de chaque classe que
par celui de tous.


Le privilége de voter devient aussi plus précieux en
ce qu'il n'est pas trop général ou trop fréquemment
exercé : s'il était annuel et universel, il serait aussi
peu estimé que les cailloux d'or l'étaient par les enfants
d'El Dorado.


Secondement. Les hommes éclairés, dans toutes les
classes, doivent étre éligibles. Ceux du plus haut rang
aprés les Pairs, doivent étre admissibles dans une as-
semhlée représentative du peuple, parce qu'ils lui don-
nent un ~ouveau degré d'importance, et en recoivent
encore de la stabilité. Leur présence et leur concurrence
servent surtout a inspirer al'aristocratie et au peuple
une sympathie commune, ótant a l'une son orgueil, á
l'autre sa jalousie. Les citoyens sans naissance, mais




·230 CONSTITUTION


qui se sont élevés par le eommeree, doivent indubita-
blement pouvoir y.étre admis, tant pour encourager
les effortshonorables des individus de toutes les condi-
tions, que pour convai!1cre intimement chaque classe
qu'elleest représentée de fait aussi bien que de nomo
Ces deux genres de personnes n' ont besoin que d'une
permission légale pour arriver a la Législature; ils
sont sürs 'de s) trouver. Mais il y a une autre classe
qui doit former partie de tout bon corps représentatif,
et dont l'élection n'est pas si certaine : - je veux dire
celle de ces hornmes que distinguent non leur fortune
ou leur commerce avec le monde, mais leur savoir et
leurs talents; de ces hommes qui ont consacré leur
jeunesse ál'étude du droit Anglaia, du droit des gens,
de l'histoire constitutionnelle, de l'économie poli tique ;
mais que leur défaut de richesse, leur caractere, leurs
habitudes éloignent des débats populaires. 'Ilest cer-
tain.en effet qu'uncorps de 10,000 fermiers ou com-
mercante n'élira pas un homme qui n 'est connu ni par
son rang daos le pays, ni par une suite de harangues


'populaires. Si donc vous ne voulez que des. élections
faites par de grands corps, ou bien vous fermez la
porte de votre assemblée a l'aristocratie des talents,
qU,e vous constituez par la en corps hostile a vos ins ti-
tutionsj.ou vous l'obligez ase faire une profession de
la démagogie, deux ehoses tres-dangereuses al'Etat. Il
est conséquernment utile de confier quelques élections a
des perso~nes qui, par leur rang dans la société, sont
a méme de connaitre les hommes de talent du jour,
On peut le faire, soit en formant quelques corps électifs




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 231


compusés de peu de memhres et entourés d'une haute
consiclération,soit endonnant a la propriété une in-
fluence décisive sur l'élection d'un nombre proportion-
nel de représentants.


Troisiémement. Le grand príncipe de tout le systéme,
principe qui nait des deux précédents, est que le corps
représentant soit l'image du représenté, non qu'il re-
présente la propriété seule, la multitude seule, ou les
fermiers, ou les eommercants , ou les manufacturiers
seuls; non qu'il gouverne a l'aide de l'orgueil d'une
aristocratie isolée, ou se laisse ballotter au souffle d'une
popularité passagere; mais paree qu'il a quelque chose
de tout cela, etqu'il forme de ces diverses couleurs un
tablean agréable. La Chambre des Communes doit étre,
comme l' a dit M. Pitt, une assemblée que la sympathie
la plus étroite unisse au peuple. Cela ne signifie pas
qu'elle doit suivre sa passion populaire daos toute 'sa
fougue : il faut que ses décisions soient telles, qu'elles
satisfassent le peuple dans le moment méme, ou qu'elles
puissent le satisfaire par des raisons simples et claires,
Iorsqueles arguments et les faits lui seront soumis.
Si les décisiens du eorps représentatif ne peuvent at-
teindre ce but, c'est non-seulement : une mauvaise
Chambra des Communes, mais ce serait un mauvais
sénat, ou un mauvais conseil privé. Voyons mainte-
nant si la Chambre des Communes d'Angleterre est
constituée d'aprés des principes analogues a ceux que
je viens de présenter.


1. Le systeme général de la représentation est évi-
dernment propre a... mettre le droit de voter a la portée




232 CONSTITUTION


des personnes de toutes les classes. La propriété ter-
ritoriale est représentée dans les comtés; la propriété
commerciale dans les villes; enfin les bourgs. ont
tous les modes possibles de sutTrage ~ depuis le plus
limité jusqu'au plus universel. Ces modes, aussi, sont
tellement confondus ensemble, les villes ont 'tant d'in-
fluence dans les élections de comtés ~ les propriétaires
fonciers a leur tour en ont une si grande dans la cité
ou dans la villevoisine, que les memhres d'une es-
pece ne se sentent pas fort jaloux de ceux d'une autre.
n serait toujours Iácheux d'opposer une classe a une
autre.


Mais bien qu'il n'y ait aucune classe exclue de notre
corps constituant, il est cependant des parties de
I'État tres-insufflsamment représentées ..Les comtés de
Lancastre et d'York, comprenant Manchester, Boston,
Leeds, Sheffield, Halifax, et Huddersfield, et contenant
2,500,000 habitants, ne députent que quatre mem-
bres. C'est la évidemment un abus pratique, et on l'a
senti.


2. Les homrnes éclairés de toutes les elasses par-
viennent a notre Chambre des Cornmunes. Ceux qui
ont des propriétés foncieres se portent candidats dans
leurs comtés respectifs; ceux qui ont acquis de la for-
tune par le cornmerce ou les manufactures, peuvent
facilement se créer des partisans dans les cités avec
lesquelles ils ont des rapports,ou bien dans les villes
(il y en a beaucoup de semblahles), oú, sans moyens
corrupteurs ~ les habitants veulent un hornme riche
qui soutienne leurs institutions, et leur donne en




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 233


méme temps sa pratique, toutes les fois qu'il s'agit
de dépenser son revenu. Quant aux hommes de talents,
ils arrivent a la Chambre par le moyen des bourgs OU
ils sont nommés par des Pairs ou des bourgeoís entre
lesmains de qui sont -tombés ces bourgs. C'est par
cette route que la plupart de nos hommes d'état distin-
gués sont arrivés au Parlement; et quelques-uns d'eux,
peut-étre, n'y auraient jamais pénétré par toute autre.
L'utilité que l'État et la Chambre elle-méme retirent
de pareils membres, est incalculable. Leur savoir et
leurs talents donnent du poidsaux délibérations, et
en méme temps qu 'ils inspirent pour les discussions
parlementaires un respect que dans les temps actuels
il est difficile atoute assemblée de s'attirer. D'ailleurs
les paroles d'hommes éloquents et habiles produisent
sur la nation un bon effet, qui rejaillit sur le Parle-
ment; et le discours d'un membre élu par un bourg
fermé, fait souvent plus de bien a la cause de la vé-
rité et de la justice, que les votes de vingt sénateurs
muets.


On pourrait croire que le privilége de nommer a
un corps représentatif donne lieu a quelque danger
aussi bien qu'á beaucoup d'inquiétudes, En théorie ,
il vaudrait mieux que tous les membres députés par
des électeurs uniques, le fussent par un corps de riches
constituants. Mais la pratique ne prouve pas que les
propriétaires des bourgs s'allient entre eux pour
trafiquer de leur influence : au contraire, ilsrestent
fermes dans leurs diverses alliances de parti, et conser...
vent fréquemment a la Chambre un grand orateur que




2i\/j,CONSTITUTION ,
la clameur du jour. ou .qu'une circonstance fortuite en
a fait sortir : c'est ce quiarriva aM.Fox.


3. La Chambre des Communes d'Angleterre repré-
sente-t-elle le peuple? Parfaitement, tant que le peuple
et le gouver~ement s'unissent ; mais lorsqu'ils se sé-
parent, les décisions de .la Chambre penchent plutñt
vers le gouvernement que vers le peuple. C'est ce
que prouve l'examen de l'histoire des deux dernieres
guerres avec l'Amérique. Dans ces circonstances, les
majorités étaient faibles et composées principalement
de représentants des hourgs. La mñme chose est ar-
rivée depuis la derniére paix de Paris, lorsqu'on mit
a la question l'étendue des dépenses et du patronage
que les ministres n' ont pas cessé de posséder. La na-
tion s'est ouvertement '. prononcée d'un coté; et la
Charnbre, par des majorités exigues, l'a emporté de
l'autre. On en sera convaincu si ron veut analyser les
scrutins, et examiner les votes des représentants de
comtés. En 1780, sur la motion de M. Dunning, les
ministres n' eurent, parmi les 215 membres qui vote-
rent pour eux, que 11 députés des comtés, tandis que
leurs adversaires, parrni 233 en eurent 69. La dé-
sertion de 20 membres suffisait alors pour faire pen-
cher la balance du coté opposé. Sur I'expédition de
Walcheren, les représentants des comtés contre les
ministres furent apeu prés comme trois sont a deux,
mais la majorité de la Chambre. fut en faveur de I'ad-
ministration, En 1817, sur la question de nommer
un comité des finances oú il Yeüt moins de cinq em-
ployés du gouvernement, les représentants des comtés




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 235


furent au nombre de 27 contre -15 en faveur de l'op-
position, et dans la Chambre il y eut -118 voix contre
f 36 en faveur des ministres. Sur une motion tendant
a retrancher deux Lords de I'Amirauté, les membres,
poul' les comtés, Iurent de 35 contre 16 pour la sup-
pression; dans la Chambre iI y eut 208 contre1 52
contre le retranchement. On voit par la que pen-
dant deux crises les membres des comtés qui sont,
comme on le sait , de grands propriétaires attachés
a la Couronne par leur situation, et généralement
par esprit de parti , ont toujours été en minorité du
coté du peuple.Il est done évident que d'autres 'mem-
bres de la Chambre des Communes sont loin de
représenter le peuple. Les bourgs sont particuliére-
ment sujets a cette critique. Les bourgs donnent en
général une grande majorité aux ministres;·' mais
les plus petits donnent cinq et six voix contre une,
et les; membres de Cornouailles seize et dix-sept .eon-
tre une. U existe une espéce de bourgs dont il n'a
pas encore été question, et qui sont la cause princi-
pale de ce désordre. Les électeurs de ces bourgs
vendent au plus offrant les siéges qui sont a Ieur
nomination. Plusieurs de ceux qui .représentent ces
lieux viennent a la Chambre avec ce qu'on appelle
des .vues, non politiques, mais commerciales. Ces
vues eonaistent á viser autant que possible a la Tré-
sorerie, ainsi qu'el. voter de la méme maniere sur
toutes .les questions et dans toutes les circonstan-
ces. Plusieurs bourgs ont aussi ce qui se nomme
un patron; ce patnon , qui est tantót un attorney,




236 CONSTITUTION


tantót un baronnet, et tantót un pair , les vend au
marché, et prend cinquante pour cent pour sa
peIne.


Ces bourgs, il est vrai, députent aussi des hornmes
en rapport avec les intéréts du commerce, et qui de-
vraient toujours trouver des siéges au Parlement.
Mais ils les députent, non comme représentants du
corps commercial, mais comme représentants de la
maison -de commerce de la ville a laquelle ils appar-
tiennent. De la, des contrata, des patentes, et de la
besogne de toute espéce et de tout genre. C'estpar ce
moyen que la Chambre des Communes a sanctionné
l'existence d'une énorme armée et d'établissements ci-
.vils inutiles contre la volonté de la grande majorité
des membres élus par de nombreux constituants , et
.cela sans distiction de partis


Nous sommes arrivés par une marche réguliére el
cette conclusion : que la Chambre des Communes ne
représente pas suffisamment le peuple. el que les petits
bouegs empééhent cette vigilante surintendance du
revenu public : devoir obligé et fonction spéciale de
cette assemblée. D'oú la conséquence immédíate ,
que les petits bourgs ont trahi la confiance placée en
eux pour le bien de l'association, et qu'on peut, saos
injustice, les dépouiller du privilége précieux dont ils
continuent de jouir. Mais alors cela nous mene a une
autre question. II n'est pas certain , parce que nous
avons le droit de les dépouiller , qu'il füt sage de
le faire,. ou que le remede ne fút pas pire que le
mal. Afin de voir plus c1airement cette partie du




DE LA CHAMBRE DESCOMMUNES. 237


sujet, examinons d'abord les remedes les plus aceré-
dités.


Le premier est le suffrage universel. Quelques-uns
maintiennent que tout homme a droit a un vote per-
sonnel, droit qu'il a reeu de Dieu , et que rien ne peut
justement lui ravir. Si cela était vrai, la question serait
sur-le-champ résolue; mais le fait est que cela est
absurde. Le droit qu'a un homme de voter est un
droit artificiel, et ne peut etre que celui que la loi lui
accorde. II serait plus raisonnable de dire: tout homme
a le droit de participer au gouvernement de son pays:
que le peuple cesse done de confier ses' intéréts a
d'autres mains qu'aux siennes, mais qu'il s'assemble
lui-méme dans la Plaine de Salisbury. Ce droit est
également fondé , et l'on trouverait dans Tacite de
meilleurs précédents pour ce mode, que dans les re-
gnes de nos Édouards pourle suffrage personnel. Mais
poursuivons : - il u'y a pas seulement une' chose a
prouver, il Y en a deux: la premiare, que ce droit
existe; la seconde, qu'il est sage de l'exercer. Tous les
memhres de la Chambre des Communes ont droit a la
liberté de la parole; mais , heureusement , beaucoup
le laissent dormir, et une multitude d'auditeurs se
soumet a une oligarchie d'orateurs.


Le champion du suffrage universel soutient ensuite
que ce droit est un de ceux qui étaient reconnus et
exercés dans les anciens temps de notre histoire. C'est
un vrai songe. Les députés des cités et des bourgs
étaient élus par des individus a qui une charte ou la
prescription avait conféré le droit d'élire. Les cheva-




238 CONSTITUTION


liers ou représentants des comtés étaient élus par les
francs tenanciers, e'est-á-dire les llersonnes libres llos-
sédant des terres. On ne trouve done aucune trace .Iu
sufirage universel, si ce n'est dans un ou deux bourgs,
oú effectivement, ce mode était en usage,


Oublions toute notion du droit pour ne considérer
que les effets du sufirage universel. le ne m'y arréte-
rai pas longtemps. n est manifeste que le sut'frage uni-
versel n' est propre qu' a engendrer et a nourrir des
opinio~s violentes et une dépendance servile, qu'á don-
ner dans les temps de repos, une grande prépondé-
rance a la richesse, dans les temps de trouble, un sur-
eroit de pouvoir a d'ambitieux démagogues. C'est le
tombeau de toute liberté sage, et la source de la tyran-
nie et de la licence. Ce que je dia.n'est pas une illusion,
mais le résultat incontestable de l'expérience faite en
France; et il n'est pas un Franeais ,s'il aime la li-
berté, qui ne parle du sufirage universel avechorreur.
En Amérique, le méme systéme n'a pas produit les
memes efiets; mais il a formé un, monopole extreme-
ment préjudiciable a la .liberté, le monopole des élec-
tions réelles qu'il a rassemblées entre les mains d'un
tres-petit nombre d'individus qui se sont arrogé le pou-
voir de gouverner pour tous les autres. D'oú il résulte
que le choix efiectif d'un membre réside e,n un petit
nombre de chefs de parti.


Nous passons en second lieu anxeñets d'un plan. qui
consisterait a divisor le territoire en districts ; et a
étendre le droit de suffrage atous ceux qui payent des
impóts directs. Si ce plan était accompagné d'un bill




DE LA CHAMBRE 'DES COMMUNES. 239


triennal, il ferait certainement de la Chambre des Com-
munes une assemblée trés-docile ala voix populaire;
mais la représentation perdrait beaucoup de ses avan-
tages. L'objet essentiel de la représentation est de for-
mer un corps d'élite, dont les membres puissent non-
seulement sentir avec le peuple, mais qui, par I'habi-
tude des affairesdont leur nombreles rendsusceptihlea,
et par le j ugement que suppose leur élection, puissent
administrer l'État beaucoup mieux que ne le pourraient
chaque ville et chaque comté par des pétitions et des as-
semblées. Si votre Chambre des Communes n'est qu'un
pUl' écho du cri populaire, vous perdez, sur beaucoup de
questions, tout l'avantage d'avoir un corps capable en
quelque degré de diriger l' opinión publique. Je sens bien
qu'il est facile de pousser trop loin cet argumento Je
ne puis que répéter, afin d'expliquer ma pensée, que les
décisions de la Chambre des Cornmunes doivent étre
telIes qu'elles 'soient ou agréables au peuple dans le mo-
ment méme, ou, si elles ne le sont pas, il faut que ses
raisons soient assez puissantes pour le convaincre,
aprés un court espace de temps, que la résolutionou
le vote a eu lieu, non ;par un motif corrompu ou perni-
cieux, mais en vue du bien publico


On pourrait employer d'autres raisonnements pour
démontrer qu 'une Chambre des Communes .elue par une
seule classe ne représenterait pas le peuple aussi corn-
plétement 'que si elle l'était par plusieursclasses dHTé-
rentes; mais e'est un point que rai déja toucné. Ces
spéculations ne sont cependant pas sans quelque ineer-
titude. Selon moi, la plus grande objection 'qu 'on puisse


..




CONSTITUTION


faire contre un plan genéral de réforme parlementaire,
est le danger OU il jetterait toutes les autres institu-
tions. C'est dans l'énormité de notre dette natioriale
qu'il faut voir- le véritahle défaut de notre gouverne-
ment actue1. Si quelque changement considérable et
violents'opérait dans une branche de notre législa-
ture, le peuple rechercherait _hientót si ce changement
a allégé le fardeau de la dette. On ne le satisferait pas
en Iui disant qu'on a fait des économies detrois ou qua-
tre miliions, par des réductions dans l'armée et dans les
autres établissements. Apres avoir demandé et obtenu
une révolution complete dans la Chambre des Com-
munes ~ siége du gouvernement, il s'attendrait a un
soulagement beaucoup plus grand qu'on ne pourrait
l'effectuer par aucune éeonomie. II exigerait de nou-
velles et de plus violentes mutations. A chacune d'elles,
la loi et la preseription perdraient de son respecto
Pour moi, je l'avoue, il m'est impossible de com-
prendre comment un Añglais a pu lire l'histoire d'A-
thenes , de Sparte, de Venise, de France, d'Espagne-
comment il a pu jeter un coup d' ceil sur les gouverne-
ments qui existaient a la fin du dix-huitiéme siécle - et
voir le résultat misérable des plans les plus libéraux
et les plus hrillants, sans se rattacher plus étroitement
au pays qui l'a vu naitre. Corrompue comme peut
I'étre l'administration des affaires, on ne saurait s'em-
pécher d'apercevoir que les lois Anglaises accordent
une plus grande protection aux lihertés civile, indivi-
duelJe, et politique que n'endispense la généralité des
autres gouvernements.




DE LA CHAMBRE DES COMMUNES. 2LIl


Aprés tout, quand on parle des « bienfaits de la Con-
stitution souslaquelle nous vivons,» ce n'est pas la une
phrase insignifiante. Ces bienfaits , les étrangers et la
plus grande partie de la nation les reconnaissent. Notre
liberté peut bien étre une monnaie effacée et altérée;
mais cette monnaie est eneore préférable a toutes les
garanties en papier qu'on 'pourrait nous offrir. Nous
parlons, nous écrivons, nous pensons, nous agissons,
sans craindre une Inquisition ou une Bastille. Nous


.revétons la liberté comme si elle faisait partie de nos
. habits ; et les déhris des temps anciens et les insti-
tutions , toutes caduques qu'elles peuvent étre, offrent
encore un point de vue plus consolant et plus agréable
qu'une nouvelle Constitution qui, tout admirable qu'elle
est, réclame de nouvelles maximes de conduite, comme
de nouvelles notions de justice et d'équité.


n reste encore un troisiéme príncipe, ou base, sur
lequel peuvent etre fondées des mesures de réforme.


Nous avons vu que, vers la fin de la guerre avec
l'Amérique, et aprés celle avec la France, les décisions
de la Chambre des Communes étaient contraires aux
sentiments bien connus du peuple. Mais les majorités
étaient petites , et peut-étre aura-t-on de la peine aen
trouver une de plus de cent voix sur une question qui
ne divisait pas complétement l'opinion publique elle-
méme. Or, comme c'est une maxime deNewtonet des
philosophes qui I'ont suivi , de ne pas admettreplus de
causes qu'il n'en faut pour expliquer les phénomenes,
c'en doit étre une p~ur un homme d'état de ne pas tenter
plus d'innovations quil n'en faut pourextirper un abuso


16




24:~ CONSTITUTION DE LA CHAMBRE DES COMMUNES.


La discussion des moyens qui serviraient aatteindre
ce grand résultat nous conduirait trop loin; au sur-
plus, j'ai exposé ailleurs, et en détail, mon opinion
a ce sujeto -ti:


le me bornerai a dire, en concluant , qu'en général,
les principes de nos grands hommes d'état semblent


.incliner vers une réforme partielle, el non vers une
réforme générale. La premiére proposition de M. Pitt
fut d'ajouter cent députés a ceux des comtés; il de-
manda ensuite un comité; et, la derniere foiaquil mit
le sujet en discussion , conjointement avec M. Wyvill
et le grand corps des réformateurs, il proposa d'ache-
ter les franchises de trente-six bourgs el. de quelques


. . ... . '\ ,petítes oorporatíons , qUI pourraient consentir a s en
dessaisir. En tout cela, il n'y .avait point de violence,
point de renversement de l'édifice pour le rebatir aneuf.
M·. Fox alla beaucoup plus Ioin, durant la guerre de
la Révolution Francaise. Mais ses opinions réfléchies,
ainsi que celles d'un homme illustre par son propre
caractere, aussi bien que par son amitié pour M. Fox,
se trouvent, je crois, dans le diseours de Lord Grey, lors
de la demande qu"il fit d'un comité sur l'état de la na-
tion en 181 O. ~-tI:


,.. A la Chambre des Communes.
** Dans l'édition originale, j'avais cité ici quelques passages du


discours prononcé par Lord Grey en 1810. J'ai transporté quelques-
uns de ces passages dans l'Introduction de la présente édition. Je
dois ajouter qu'apres étre arrivé au pouvoir en 1830, j'eus des idées
plus larges au sujet de la Réforme Parlementaire, et je redoutai
moins les conséquences de cette Réforme que lorsque cet ouvrage a
été écrit.




CHAPITRE XXXII.


L'ARMÉE PERMANENTE.


(l Il n'est rien dont on doive plus se garder dans un État libre, que
de faire du pouvoir militaire, quand il devient indispensable, un
pouvoir trop distinct du peuple. » - Blackstone, liv. 1, ch. XlII.


Dans tous les états libres on a sans cesse surveillé
avec une attention soupQonneuse les armées perma-
nentes, el on a cherché di vers moyens de prévenir les
dangers que peut causer a la liberté l'existence d'un
aussi redoutable instrument de pouvoir. En examinant
la constitution d'Angleterre on ne saurait certainement
passer ce sujet sous silence.


Autrefois le Roi avait droit d'appeler ason aide ses
sujets militaires pour toutes les guerres qu'il devait
soutenir, mais la durée du service n'allait jamais au
delá d'un été, etles troupes féodalescrangées sous la ban-
niere de leurs seigneurs, conservaient leur allégeance
spéciale,et n'ajoutaient ríen a l'autorité civile du Roi.
C'est, dit-on, Henry VII qui, le premier parmi nos sou-
verains, forma pour sa personne une garde du corps.




244 L'ARMÉE PERMANENTE.
Henry VIII et aprés lui la Reine Élisabeth introduisi-
rent l'usage d'envoyer des lords lieutenants dans les
comtés, pour commander et inspecter une partie de la
population qui se eonsacrait a la défense du comté.


De cet usage vint la prétention célebre de Charles I"
au commandement de la milice, prétention qui pour
avoir été soutenue par ses prédécesseurs immédiats ne
s'appuyait nullement sur la loi, Cependant, a l'avéne-
ment de Charles 11, le Parlement décida la question en
faveur de la Couronne; un statut déclare que le com-
mandement de la milice et de toutes les forces levées
ou a lever dans le royaume appartiendrait au Roi.
Charles fut tres-attentif acette partie de sa prérogative,
et un jour que la Chambre des Communes venait de
passer un bill sur la milice, il dit qu'il ne consentirait
jamáis a laisser la milice en d'autres mains que les
siennes propres, non pas méme pour une heure. II se
servit du pouvoir que le Parlement lui avaitaccordé
p0ur former une armée permanente dont le chiffre fut
variable suivant les différentes cireonstances de paix
ou de guerre, et qu'il parvint a entretenir gráce aux
subsides de Louis XIV. On assure qu'il fut le premier
Roi d' Angleterre qui ait ouvert son Parlement sous la
protection de I'épée. Jaeques 11 porta il30,OOO liommes
l'effectif de l'armée permanente, et s'efforea de (aire des
soldats les instruments de ses projets en leur donnant
pour officiers beaucoup de Catholiques Romains; mais
les troupes Anglaises ne remplirent point son attente,
et par leur enthousiasme lors de l' acquittement des
évéques, elles prouvérent au tyran qu'il avait perdu sa




L' ARMÉE PERMANENTE. 2~5
peine. A l'époque de la Révolution on décida qu'il n'y
aurait dans le royaume aucune armée permanente sans
l'autorisation du Parlement. Depuis ce temps, on passe
chaque année un acte pour permettre au Roi de chátier
la mutineríe.jla désertion, et autres crimes militaires, et
dans le corps de l' acte on insére le chiffre des soldats
qui doivent étre tenus.sous les armes pendant l'année.
C'est ainsi que nous sommes assurés contre des tenta-
tives analogues a celles de Charles 11 et de Jacques 11
pour entretenir des troupes centre l'autorité du Parle-
ment, et au moyen de ressources extra-parlementaires.
Ces dernieres ressources ne font pas grand profit, car
une armée permanente coüte tant d'argent qu'on ne
peut guere l'entretenir qu'avec l'appui du Parlement.


Pendant le regne de Guillaume la Chambre des Com-
munes se montra tres-circonspecte a l'endroit des ar-
mées permanentes. Apres la paix de Ryswick elle obli-
gea le Roi a congédier sa garde Hollandaise, bien que
Guillaumeeüt écrit Iuí-méme un message ala Chambre,
la suppliant de lui laisser ses vétérans qu'il aimait,
mais les Cornmunes furent inexorables. Vers le méme
temps elles décidérent que l' armée permanente serait
licenciée. Cependant, aprés avoir réfléchí a la nécessité
des gardes et des garnisons, la Chambre consentit avoter
une .levée de 7,000 hommes pour la défense de l'An-
gleterre et de 12,000 hommes pour la défense de I'Ir-
lande. Il faut remarquer qu'á cette époque Louis XIV
était sur le tróne de France, soutenant le Roi d'Angle-
terre exilé et passant en revue, au camp de Compiégne,
unearmée de80,000 hommes faisant partie des 450~000




246 L'ARM~E ·PERMANENTE.
soldats qu'il avait sous ses ordres pendant la guerreo
On sera peut-étresurpris de .l'audace qu'avait la Cham-
bre des Communes qui. tout en entravant les efiorts de
son Roi bravait un souverain étranger; mais elle n'eut
aucun motif de s' en repentir, cal' dans le CO~IrS de la
guerre suivante, le vainqueur de Blenheim et de Rami-
lies renouvela pour l'Angleterre les exploits glorieux de
Créey et d'Azincourt.


Il parait qu'á l'avénement de la Maison de Hanovre
l'armée permanente s'accrut considérablement. Le Par-
lement d' Angleterre votait d'ordinaire chaque année
des levées de '15,000,16,000, et 17,000 hommes sans
compter l'armée particuliére de l'Irlande. Ces chiffres
ont servi de moyenne pendant le siécle dernier. De nos
jours on a augmenté encore l'effectif des troupes, et
je vais dire quelques mots lá-dessus.


Une armée permanente ayant ainsi .été grefTée sur la
constitution Anglaise, reste ;) voir quels effets elle pro-
duit sur le gouvernement, et si ron doit en appréhen-
del' quelque danger. Depuis la Révolution jusqu'á ce
jour il n'a point manqué de personnes qui, animées
d'un esprit soit patriotique, soit séditieux.ont averti le
pays des malheurs qu'entraine un établissement mili-
taire, et qui ont rappelé la destruction de la liberté él
Rome et chez d'autres peuples par les armées perma-
nentes, en maniere d'exemple él éviter. Je doute fort que
ce paralléle soit exacto Si les républiques ont été ren-
versées par des armées permanentes, c'est que ces ar-
mées ont aidé leurs chefs a établir la dictature, et a
remplacer par le despotisme l'autorité des sénats et des




L'ARMÉE PERMANENTE. 24:7
lois; mais en Angleterre ni l'expérienee du passé ni
l'état aetuel du pays n'autorisent a eraindre l'usurpa-
tion d'un général vietorieux. La forme monarehique de
notre gouvernement s'y oppose. On ne doit pas redou-
ter non plus que le Roi lui-méme se serve de l'armée
permanente pour easser le Parlement et bouleverser la
Constitution par la violenee, L'opinion publique est trop
bien assise, et les institutions du pays sont trop vigou-
reuses pour qu'un tel projet ait quelque ehanee; l'ar-
mée elle-méme est liée par trop d'attaches avee les
autres elasses pour qu'elle puisse aider arenverser les
autorités établies du r0'yaume. Il est vrai que l'homme
de l'armée est, eomme disait LordChatham, notre sau-
vegardeprineipale eontre ce danger, maisun eoup d' mil
sur la composition de notre armée suffit pour nous
rassurer.


Dans l'état aetuel de notre pays il n'est done par eer-
tainement impossible, mais il est extrémement impro-
bable qu'une armée permanente détruise nos Iihertés.
n n' en faut pas eonclure 'eependant que paree qu'elles
ne sont point undanger pou~ nos libertés eomme les
troupes de Marius ou de César, ou paree qu'elles ne
menacent point de devenir un instrument servile pour
eréer l'absolutisme, les arméespermanentes ne doivent
raisonnablement alarmer les amis de la Constitution.
Quand on proposale pied de paix, en 1816, Lord Gren-
ville s'exprima a ce sujet de la facon suivante : ce Pour
ma part, je déclare a vos seigneuries, et au pays, que
jamais soit dans eette Chambre soit ailleurs je ne man-
quera: de faire l'opposition la plus énergique, en tant




248 L'ARMÉE PERMANENTE.
que mes forces individuelles me le permettront, contre
toute tentative ayant pour but d'imposer ala nation un
fardeau aussi lourd, el ti la constitution une cause si
imminente de ruine qu'on le ferait en demandant la con-
servation en temps de paix d'une immense organisa-
tion miJitaire. le n'ai pu m'empécher, l'an dernier, de
dire que rappréhendais quelque proposition de ce'
genre. On regardait alors mes craintes comme chimé-
riques, mais j'affirme que mon imagination ne révait
pas un chifire de dépenses aussi considérable que celui
dont on parle au dehors comme du chifire probable des
dépenses qu' on vous proposera pour l'entretien de
l'armée. le n'ai jamais cru un seul instant, [e ne peux
méme croire encoré. a I'intention d'avoir en temps
de paix une armée de 150,000 hommes. Et si
quelque chose peut ajouter a l'étonnement et a I'hor-
reur que j'ai da ressentir en entendant parler de cette
proposition, c'est qu'une armée de 50,000 hommes
demeurerait dans le Royaume-Uni. Quand on nous
soumettra ce projet, j'aurai le temps et l'occasion de le
discuter. J'ai confianceque ce ne sera pas en une seule
séance et a la suite d'un seul débat qu'on persuadera a
vos.seígneuriesd'ahandonner les. maximes et la politi-
que de nos aneétres et de renoncer aux bienfaits de la
paix et de la liberté. En ce qui me concerne, malgré
la diminution graduelle du désir que j'ai de participer
airx discussions et aux travaux de la Chambre, cepen-
dant, si on présentait réellement cette mesure, il n'est
point d'efforts dontje me sente incapable pour prévenir
un si grand malheur. Et si I'on adopte cette mesure,




L'ARMÉE PEtlMANENTE. 249.
une réf1exion pourra du moins me consoler dans mes
derniéres années de ma vie, e'est que tous les efforts
dont une humble créature comme moi est capable au-
ront été mis en oeuvre pour Jétourner de mon pays cette
eatastrophe. »"" L'organisaticn militaire dont parle ici
Lord Grenville avait déja été proposée par les ministres
a la Chambre des Communes : elle comprenait 25,000
hommes pour l'Angleterre , 25,000 pour l'Irlande,
46,000 pour les colonies, 3,000 pour les occupations
particuliéres , 30,000 pour la France, et plus de
20,000 pour les Indes. Lord Grenville fut fidele a sa
parole; il s'opposa dans toutes les occasions a. cette
mesure, et dans un des derniers discours qu'il fit en-
tendre a ce sujet en réponse a l'argument consistant a
dire qu'une réduction de l'effectif ne procurerait aucune
éeonomie, il s'écria: ce Si elle ne produit aueuneautre
épargne, elle épargnera du moins notre constitution.»


Qu'on le remarque, ces paroles ne sont point les
propos déclamatoires d'un écolier qui vise adéployer
son éloquence, ce ne sont point les vociférations
absurdes d'un démagogue, ni les hyperboles d'un
ambitieux aigri par une longue vie d'opposition sté-
rile; ce sont les opinions réfléchies d'un bomme
d'état qui danssa jeunesse fut Ie collegue de M. Pitt,
et plus tard Speaker de la Chambre des Cornmunes,
dont la science constitutionnelle ne fut jamais mise en
doute, qu'on n'a jamais accusé d'avoir flatté le peuple,
et qui, l'année précédente, avait soutenu les ministres


* Parliamentary Debates, vol. XXXII, p. 513.




250 L'ARMÉE PERMANENTE.
dans la guerre contre Napoléon. De telles opllllons,
revétues d'une telle autorité, doivent nous engager A
rechereher quel péril faiteourir A la liberté une grande
armée permanente. Un trés-court examen amenera ,
ren suis convaineu, tout homme de bon se~s a cette
eonclusion: c'est que le véritable dangerserait quetout
legouvernement~ c'est-á-dire l'ensemble de ses trois
branches, le Roi, les Lords, et les Communes, reposát
sur la puissance militaire. Tout gouvernement et toute
partie d'un gouvernement sont, on le sait, susceptibles
d'abus ; mais la Constitution Anglaise prévoit des
remedes contre les abus - et ces remedes consistent
en ce· que le mécanisme de I'État soit ventilé
et éelairé dans tous ses rouagespar l'air et par la
Iumiére de l'opinion publique. L'administration,
quelque degré de corruption dont elle puisse étre at-
teinte, .est obligée de se purifier pour se concilier la
faveur publique qui seule la maintient. La Chambre
des Communes , toute mal constituée qu'elle puisse
etre, doit céder quelquefois Al'opinion nationale, et
se rendre la véritable représentation du peuple ou bien
agir eomme si elle l'était réellement. Mals si des admi-
nistrateurs corrompus ont une armée pour les appuyer,
la nécessité des réformes s' évanouit, les abus se perpé-
tuent, et le regne de la liberté cesse pour toujours.


C'est a ce point de vue que l'augmentation des ar-
mées permanentes est réellement dangereuse, et qu'il
est funeste d'eneourager les habitudes militaires. Le
reptile est plus a craindre quand il s'approche sans
faire entendre le sifflement qui l'annonce et sert Apré-




L'ARMtE PERMANENTE. 251


cautionner contre les atteintes de son venin. Une ar-
mée permanente qui voudrait détruire la liberté de
l'Angleterre ne marcherait point tambour battant vers
Westminster pour en expulser la Chambre des Com-
munes: elle ne proscrirait point la Chambre des Pairs,
et n'inonderait point Londres du sang de ses magis-
trats. Elle apparaítrait sons la forme d'un gardien de
l'ordre, elle appuierait l'autorité des deux Chambres ,
elle ne montrerait de l'hostilité que contre la populace
et les assemblées publiques, elle ne verserait que le
sang des travailleurs et des manreuvres. Elle établirait le
pouvoir despotique, non pointceluid'unseul roi ou d'un
seul général, mais celui d'un ramassis de sénateurs
corrompus et d'un demi-million de petits tyranneaux.


Heureusement les projets de 1816 échouérent; un
tiers de l'armée fut congédié, et nous ne sommes point
réduits a ce terrible état de servitude. En Angleterre,
l'armée n'a pas encore appris a affecter un ton de su-
périorité sur le reste de la nation, ni a fouler aux pieds
avec impunité les droits du peuple. Nous ne voyons
pas encore les officiers en uniforme prétendre a une
place plus élevée dans la société que les membres des
professions civiles. Au contraire, des qu'ils ne sont
pas de servicevils se débarrassent de tous leurs attri-
buts militaires, et se mélent a la masse de leurs conci-
toyens. Nous ne voyons pas encore, eomme en France,
qu'on emploie les soldats al'arrestation des individua,
et qu'on les considere comme justiciables seulement
des cours martiales s'ils tuent un prisonnier au lieu
de le mettre en súreté. L'armée en Angleterre est en-




252 L'ARMÉE· PERMANENTE.
core ce qu'elle doit étre --.:. c'est-á-dire, la protectrice
et non pas la maitresse de l'État.


Si nous avons jusqu'á ce jour évité ces dangers, il
ne faut pas oublier cependant que nous I'avons échappé
belle, et plutót grace a la fortune qu'á la prudence.
Supposons que le pays eüt été riche et prospere aprés
la guerre, nos gentilshommes de province étaient si
infecté" de militarisme, que ni l'éloquence de quel-
ques-uns des membres du Parlement, ni l'infatigable
activité des autres ne nous auraient garanti d'un
immense établissement militaire. C'est notre pauvreté
et notre pénurie qui ont sauvé la Constitution.


Il ne sera pas sans utilité, avant de terminer, de
rappeler les motifs dont on appuya le pied de paix
en 1816. ce Notre mesure est rendue nécessaire , » di-
saient les ministres, ce d'ahord , par l'augmentation
des forces militaires dans les États du Continent, et
par l'urgence qu'il y a de conserver notre rang parmi
les, puissances de l'Europe; secondement, par l'ac-
croissement de notre population et par l'emploi des
troupes á la perception des impñts, et a l'exécution
des lois. » C~s raisons peuvent apprendre al'Angle-
terre dans quels buts on ne doit point entretenir une
armée. Elles limitent et reglent nos forces militaires.
Tant que le chiffre des troupes ne s'élévera pas au delá
de ce qui e-t indispensable pour les garnisons de nos
places fortifiées, el pour former une sorte de noyau en
cas de guerre, les généralités qu'on pourra alléguer
contre l'existence d'une armée permanente ne con-
stitueront qu'un ensemble de déclamations puériles;




L' ARMÉE PERMANENTE. 253
mais lorsqu 'on voudra élever le chiffre ,de nos troupes
sur le pied de paix en proportion de celui qu'atteignent
les armées d~s puissances Européennes, lorsqu'on dira
que l'accroissement de la population rend nécessaire
I'existence d'une grande armée, alors viendra le mo-
ment de se réveiller et de rejeter, avant qu'il soit trop
tard, le fardeau d'un gouvernement militaire. '"


* Ce chapitre montre combien apres la paix de 1815 le systeme
militaire soulevait d'opposition, méme chez des personnages tels
que Lord Grenville, En 1817, Lord Grey parlait du (l systeme despo-
tique vers lequell'Angleterre s'achemine trop vite. »Assurément ces
craintes étaient exagérées J (186li.)




CHAPITRE XXXIII.


INFLUENCE DU Jl,JRY SUR L'INTERPBÉTATION
ET LA MODIFICATION DES LOIS.


ct Vertu! sans toi l'État n'a point d'oeil qui l'éclaire, point de force
qui le gouverne; la guerre est sans vigueur, la paix sans sécurité ;
la justice méme se faconne au gré des partis ; les lois oppriment;
faible et rare, leur protection s'éloigne du territoire; leur balance
est d'abord brisée, puis Pon se rit de leur glaive. » - Thomson. _


La proposition que de bonnes lois, établies dans une
société sans morale, produisent peu de bien ou n'en
produisent pas du tout, est si généralement reconnue
pour vraie, qu'il semble inutile de s'y arréter plus long-
temps. n n'y a peut-étre pas de code de lois phis dé-
taillé et plus humain que celui que l'Espagne a rédigé
pour les Indiens du Mexique et du Pérou; mais mal-
heureusement les législateurs étaient a Madrid, et le
peuple aprotéger travaillait pour ses maitres en Amé-
rique sans avoir les moyens de. revendiquer et de faire
respecter ses droits légaux; de sorte que ce code n'avait
aucune force, aucune utilité quelconque. L'inverse de
la proposition précédente, quoiqu'elle ne soit pas con-




INFLUENCE DU JURY. 255


tredite peut-étre d'une maniere formelle, n 'est cepen-
dant pas si généralement démontrée a nos esprits. Les
hommes sont assez portés el croire que la OU régnérent
la liberté et l'opulence, les lois qui gouvernerent 1"État
durent avoir quelque qualité tres-particuliére, quelque
vertu infaillible. On n'aurait pas de peine a démontrer
que ni Athénes, ni Rome, ni Florence, ni la Bollande,
n'eurent des lois trés-parfaites. n est probable qu'on
en conviendrait, et néanmoins bien des gens continué-
raient apen ser qu'en Angleterre nos ancétres avaient
trouvé le secret de faire des Iois sans défaut. Blackstone
a beaucoup contribué a répandre cette opinion. A ses
yeux, tout ce qui était établi avait une sainteté parti-
culiére, et il loue la constitution Anglaise avec l'en-
thousiasme d'un écolier auquel 00 permet de voir pour
la premiere fois le tableau d'ungrand maitre. C'etait
du moins s'égarer du bon cóté .. S'il s'ahstint de signaler
plusieurs améliorations évidemment utiles, il entretint
aussi pour nos anciennes libertés ce respect que des
politiques sans principes regardent comme le plus grand
obstacle (puisse-t-il étre insurmontable!) a leurs in no-
vations arbitraires. Cependant, il est impossible de
parcourir l'histoire de notre gouvernement sans étre
frappé des modifications et des interprétations forcées
auxquellesíl a fallu avoir recours afin de faire concor..
der.la loi avec la süreté de l'État et la sécurité du sujeto


J'en donnerai pour premier exemple la loi de haute
trahison. Pendant trois 'cents ans nous en avons ap-
pelé el la loi passée la vingt-cinquiemc année du regne
d'Édouard III sur le crime de haute trahison, comme a




256 INFLUENCE DU JURY


la perfection de la sagesse et de la liberté. Que trouve-
t-on cependant quand on examine cette loi? Le pacte
hardi et courageux d'une turbulente noblesse avec un
roi féodal, pacte qui ne convient nullement aun peuple
commereant et eivilisé. Cette loi porte que les peines
encourues pour le, crime de haute trahison .ne seront
appliquées qu'á ceux qui conspireront contre lavie
du Roi, ou entreront réellement en guerre contre lui."
On voit combien une pareille loi était propre agarantir
les barons de to~te arrestation pour cause de mécon-
tentement, et a leur donner le moyen de tenir en par-
ticulier et sans inquiétude leurs conseils de rébel-
Iion. Mais quand la société fut plus avancée, on vit
qu'une conspiration, dans le but d'exciter la guerre,
loin d'étre une faute légere et commune, était un crime
des plus grands, aussi dangereux a la tranquillité de
l'État qu'á la süreté du RoL-Que restait-il done afaire?
11 était évident que conspirer dans le dessein d'exeiter
la guerre, ce n'étai t pas une haute trahison selon le
bill, car personne n'aurait pu étre assez absurde pour
spécifier l'acte réel de faire laguerre, Iorsqu'on avait
déja compris la conspiration tendante a commettre ce
crime sous le titre de complot contre la vie du RoL Si
conspirar dans le but d'exciter la guerre était la méme
chose que conspirer contre la vie du Roi, ti fortiori,
l'acte Iui-méme de la guerre devait avoir cecaractére,
et ne devait pas etre mentionné dans le statut Si ron


,. Il est inutile de mentionner les autres crimes auxquels on atta-
chait le caractere de haute trahison.




SUR L'INTERPRÉTATION DE LA LO!. 257
eüt voulu comprendre cet attentat parmi les erimes de
haute' trahison, on aurait dit indubitablement: faire la
guerre au Roi, ou conspirer dans le but d' exciter la
guerreo En effet, l'esprit de la loi d'Édouard était si
bien eoneu, qu'une nouvelJe loi déclarant haute trahi-
son la conspiration dans le but de la guerre, avai t été
rendue, et dans la suite révoquée avec d'autres nou-
veaux cas de haute trahison au commencement du
regne de Marie. Dans ce dilemme, les gens de loi cou-
pérent le nreud gordien. lIs décidérent que « comploter
ou projeter la mort du Roi, ») signifiait eonspirer pour le
déposer, ou l'emprisonner, ou user de force dans la
vue de lui faire changer ses conseillers ou ses mesures;
car chacun de ces actes pouvait occasionner sa mort. ti
Un tumulte avec un dessein quelconque, comme d'a-
battre des clótures, ou lieux d'assemblée des non-con-
formistes, furent interprétés comme crimes de léze-
majesté. Ces interprétations forcées de la loi, imaginées
pour la premiére fois sous le régne des Tudors, mises
en vigueur sous les Stuarts pour verser le sang
d'hornmes de bien, s'introduis~rent ainsi et régnérent
jusqu'á ce qu'elles reeussent enfin la sanction de I'in-
tégreet vénérable JugeFoster sous lerégne de George I",
A la vérité , dans ces temps de douceur du gouverne-


* Foster, la grande autorité sur cette matiere, dit que conspirer,
dans le but d'emprisonner le Roí, c'est comploter sa mort, paree que
les tombeaux des princes sont pres de leur prison. Faire d'une obser-
vation morale si banale un piége pour prendre la vie d'un homme,
sous le prétexte d'expliquer une loi du quatorzieme siecle, c'est une
subtilité aussi absurde que cruelle.


'17




!58 INFLUENCE DU JURY


ment, la machine fut peu nécessaire, et il fut réservé él.
M._Pitt de la diriger, pendant la guerre de la Révolution
Franeaise, contre la tete de ses anciens amia, les réfor-
mateurs. Maia les jurés refusérent de porter la com-
plaisance interprétative aussi loin que le désirait le
ministre. Cependant il leur était clairement .démontré
que Hardy et autres avaient formé des associatíons qui
n'avaient d'autre objet q~e de renverser, depuis la pre-
miére jusqu'á la derniére, les institutions dont le tróne
était environné. Le Chief Justice déclara qu'il ne pou-
vait y avoir de doute sur le sena de la Ioi. Maia il était
impossible de convaincre Hardy, sans placer sous une
aecusation capitale toutes les sociétéspolitiques con-
traires au ministére ; les prisonniers furent acquittés.
Il o'y a pas encore deux ans, quelques démagogues en
délire allérent au delá de tout ce qu'on connait de
Hardy et de la société constitutionnelle. Résolus de ne
pas obéir aux lois, ils reeommandaient la force phy-
sique comme le seul moyen d'ohtenir justice. Plusieurs
furent arretés comme prévenus du crime de haute tra-
hison. Mais le gouvernement se rappelant la leeon
donnée a ses prédéces-eurs , nejugea pas a propos de
les poursuivre pour cette charge, et abandonna ainsi
une prétention dangereuse él. la súreté des citoyens. En
méme temps iI ne peut y avoir de doute que si une
personne accusée était convaincue d'avoir levé des
troupes dans un but direct d'insurrection contre le
Roí, un juryla déclarerait coupable de haute trahison.
La loi de haute trahison, insuffisante d'abord comme
égide de l'État, funeste ensuite comme piége tendu au




SUR L'INTERPRÉTATION DE LA LOI. 259
sujet, a été eufln transformée en une barriere aussi
forte pour défendre le tróne attaqué que pour protéger
l'innocent accusé.


Venons-en maintenant a la loí du libelle,-cette ga-
rantie .de la liberté de la presse. Blackstone nous dit
que les libelles ; daris le sens que nous donnons a ce
mot, sont ({ des diffamations malignes de tout individu
et surtout d'un magistrat, rendues publiques soit par
l'impression, l'écriture, des signes ou des desaina, afin
d'exciter sa colére ou de l'exposer a la haine, au mé-
pris, et au ridicule du public.» Il nous dit que « la
eommunieation d'un libelle a une personne qnelconque
est réputée publicationaux yeux de la loi ; » et que
(f i1 est indifférent al'essence d'un lihelle que son con-
tenu soit vrai ou faux! » -Ainsi done, un homme est
punissable pour un écrit sur la conduite d'un ministre,
-qui peut.exposer ce ministre ala haine, au mépris, et
au ridicule du public , quoique les allégations qu'il
contient soient vraies , et qu'il n'ait été montré qu'á
une personne. Pour rendre ce pouvoir plusredoutable
encore , les juges avaient autrefois la coutume de sou-
tenir qu'a eux seuls appartenait le droit de juger si
l'écrit était libelle ou non, et prétendaient que le jury
n'était appelé que pour prononcer sur le fait de la pu-
hlication. Voila bien une loi de tyrans! Comment la
liberté de la presse a-t-elle jamáis pu lui survívre?


Le miraele fut hientót expliqué. Le poursuivant pour
laCouronne se contentait de déposer I'écrit et de prou-
ver la publication, laissant au juge a prononcer qu'il y
avait cas de libelle. L'avocat de l'accusé s'étendait tou-




260 INFLUENCE DU JURY


jours sur l'inhumanité de condamner un homme pour
la publication d'un écrit, sans' examiner si cet écrit
était innocent ou dangereux ..Le jury sentait l'injustice
de la poursuite, et acquittait généralement l'accusé.
Ainsi, le bill du libelle, passé sur la motion de M. Fox,
destiné a faire jouir la presse d'une juste protection,
était rendu nécessaire au gouvernement lui-méme par
l'espéce d'inertie dont la loi avait été frappée par ceux.
mémes commis a son administration. Ce bill consti-
tuait les jurés juges de la légalité aussi bien que du
fait, c'est-á-dire qu'ils obtenaient le droit de décider
non-seulement si l'écrit en question avait été publié
ou non, mais aussi sil offrait le caraetére de libelle;
de sorte que dans cette 'circonstanee encore l'esprit du
peuple amenda une loi mauvaise,


Je ne puis quitter ce sujet sans parler de la rigueur-
a laquelle les _accusés du délit de libelle sont encore
soumis, par l'obligation d'étre jugés par un jury spé-
cial, Ces jurys sont, dans la province, les agents de la
Couronne, et souvent, a cause de leurs préjugés, sont
totalement incapábles de bien juger daos une cause
politiqueo Sans doute, lorsque les forces du gouverne-
ment sont mises en jeu contre un individu dans une
affaire aussi délicate qu'un lihelle séditieux, cet indi-
vidu devrait avoir une garantie en quelque sorte sem-
blable a cel1e qui lui est accordée dans les causes de
haute trahison, et qui consiste arécuser péremptoire-
ment trente-cinq jurés.


On pourrait mentionner plusieurs autres cas OU les
verdicts des jurys, aprés avoir empéché I'exécution




SUR L'INTERPRÉTATION DE LA LOI. 261
d'une Ioi cruelle et oppressive, ont fini par faire abro-
ger ou modifier la loi elle-mame. Nous avons parlé
plus haut des parjures directs des jurys en traitant de
la loi eriminelle ; les verdicts rendus sur des cas de
banqueroute pourraient nous fournir plusieurs autres
exemples du mémegenre. Ainsi, non-seulement les jurys
sont, de fait, les vrais juges en Angleter~e, mais ils pos-
sedent un pouvoir qu'aucun juge n'oserait exercer,
e'est-á-dire, celui de refuser de mettre la loi aexécu-
tion. C'est assurément un pouvoir tres-dangereux, sur-
tout paree que les [urys, délibérant en secret, décidant
sans donner de motifs. et se séparant sans encourir
aucune responsabilité pour l'avenir, sont a l'abri de
tout controle autre que celui de leur conscience; ce-
pendant rien n'a été plus salutaire que le pouvoir dis-
crétionnaire dont les jurys ont toujours usé avec
sagesse et modération. Cela °a été la cause de l'amende-
ment de plusieurs mauvaises lois que les j uges auraient .
mises a exécution avec sévérité , et auraient soutenues
avec un fanatisme de profession; il en résulte surtout
cette importante et utile conséquence que les lois,
complétement contraires aux sentiments du pays pour
lequel elles ont été faites, ne peuvent pas longtemps
exister en Angleterre,


J'ai cru qu'il était utile de- consacrer ce chapitre aux
résultats, peu observés jusqu'á ce jour, de I'institution
dujury; mais je ne puis m'empécher, en le terminant,
d'exprimer de la maniere la plus énergique., mes sentí-
ments particuliers sur la valeur de I'institution elle-
méme, C'est au jury plus qu'au systéme représentatif




262 INFLUENCE DU· JURY.
.


lui-méme (tel qu'il existe aujourd'hui), que le peuple
doit la plaee qu 'il oeeupe dans le gouvernement du
pays; c'est eneore au jury surtout, que le ~otlverne-


'ment doit l'amour du peuple pour la loi; c'est une
réflexion que devraient faire ceux de nos législateurs
qui cherchent a corriger l'institution du jury par des
mesures nouvelles, frivoles, et vexatoires. .




CHAPITRE XXXIV.


INFLUENCE DE LA COURONNE.


e Les hommes sont naturel1ement enclins a la corruption j si celui
qui veut les corrompre, et qui trouve son intérét a le faire, en a les
moyens, il en viendra toujours about. Le pouvoír, les honneurs, les
richesses, et les plaisirs qui les accompagnent, sont l'appát qui fait
préférer aux hommes leur intérét personnel au bien public j et le
nombre de ceux qui les recherchent est si grand, que celui qui peut
les répandre avee abondance est sür de se faire assez de partisans
pour subjuguer le reste. 11 serait difficile de trouver dans le monde
une tyrannie qui n'ait pas eu cette origine. Al - Algernon Sidney.


La fameuse résolution de 1780, ~( Que l'influence de
la Couronne a augmenté, augmente, et doit étre dimi-
nuée, )) semble renfermer sa propre réfutation. Une
assemhlée, dirá-t-on, qui peut voter une résolution si
hostile pour la Couronne, ne parait guere devoir crain-
dre son influence. Cette objection serait néanmoins plus
spécieuse que solide. L'influence de la Couronne agit
par une pression lente et continuelle; l'opinion du
peuple, par une impulsion soudaine. Ainsi la simple
force de l'autorité et les avantages particuliers que
procure ades individus l'appui qu'ils donnent au sys-




264, INFLUENCE DE LA COURONNE.


teme, font persister, durant un long espace de temps,
dans une suite de mesures nuisibles aux intéréts et a
l'honneur de la nation. Le mal devient enfin intolérable,
le peuple voit qu'il a été égaré et aveuglé; il se déter-
mine á.renvoyer ses guides. Mais alors méme les dépo-
sitaires du pouvoir ont d'innombrahles moyens
d'adoueir, peut-étre d'éviter leur disgráce ; et ils conti-
nuent quelque temps encore a égarer la nation et a la
jeter dans de plus grands périls. C'est ce qui arriva en
1780 : le parti qui avait fait passer la résolution abs-
traite dont nous parlons se trouva en minorité quelques
semaines aprés, lorsqu'il tenta d'en tirer un résultat
pratique,


Ce fut, dit-on, sous le regne de Charles II que com-
menea as'organiser systématiquement le projetd'in-
fluencer les membres de la Chambre des Communes
par les dons et les faveurs de la Couronne. Le nom de
« Parlement Pensionnaire » donné acette chambre, qui
siégea pendant dix-sept ans sous ce regne, sans disso-
lution, indique assez l'opinion générale sur elle. Plu-
sieurs des membres les plus pauvres vendaient leur
vote moyennant une trés-faible gratification. Des places
et des faveurs étaient le payement des orateurs les plus
nécessaires a acheter; le reste se cont.entait d'une
.somme d'argent. La modique somme de1 0,000 l. était
allouée par Lord Clifiord pour l' achat des. membres.
Lord Danby y ajouta, II parait.cd'aprés le rapport d'un
Comité Secretformé en 1678, que beaucoup de mem-
bres recevaient pour leur vote, ou de l'argent ou des
íaveurs.




INFLUENCE DE IJA COURONNE. 265


On ne peut douter que cette corruption n'ait continué
d'avoir lieu sous le régne de Guillaume. Sir John
Trevor "fut convaincu, pendant qu'iI était Président,
d'avoir recu des présents que lui avait faits la ville de
Londres,pour l'engager áfaire passer le Bill des Orphe-
lins. M. Hungerford fut expulsé pour la méme raison.


Ces faits prouvent combien il est injuste d'accuser
Walpole d'avoir été le premier qui ait gouverné l' An-
gleterre par la corruption. JI est difficile de douter
qu'il l'ait portée a un haut degré. n y mettait une
grossiereté qui , ne laissant plus méme la honte au
député corrompu, renversa la faible barriere de vertu
qui existait encore, et propagea le vice qui se déploya
alors ouvertement. On dit qu'il a assuré qu'il lui 'im-
portait peu par qui les membres du Parlement fussent
élus, tant qu'il pouvait traiteravec euxIorsqu'ils étaient
nommés. De tela bruits n'étaient peut-étre pas fondés,
mais ils n'en discréditaient pas moins le gouvernement.


Pendant l'administration de Lord Nortb, l'influence
de la Couronne agit de la maniere la plus effrénée, la
"p\\}% h()n.teu%e~ la -plu% dégl'adan.te. OIl. ae.e.ol'dait aux
amis et aux favoris des ministres leur part sur l'em-
prunt, qu'ils revendaient sur-Ie-champ avec un bénéfíce
de dix pour eent. iC M. Fox, dans BeB díseours, aceuse
plus d'une fois Lord North, d'avoir employé 900,000 l.
d'un emprunt "ii se procurer des votes. Il est a re-
marquer que M. Fox regarde en méme temps comme
naturel qu'un ministre qui fait un emprunt favorise ses


lt Rose, Influence de la Couronne.




266 . INFLUENCE DE LA COURONNE.


amis, et il dit qu'Il ne faut pas S'attendre a ce qu'au-
eun ministre agisse autrement. 11 ne bláme pas Lord
North d'avoir fait usage de cette faculté,mais d'en
avoir abusé. Quelques membres du Parlement recu-
rent, en. effet, une somme d'argent qui leur ~ut offerte,
pour les engager avoter en faveur du ministére. Toutes
les places a la nomination du gouvernement étaient
autant de théátres de confusion, de dissipation, de
prodigalité tout a fait convenables aux intéréts de tous
ceux qui désiraient s'enrichir aux dépens de l'honneur,
du patriotisme, et de la conscience. Un cri plus fort que
celui qui avait renversé Walpole, se lit entendre en fa-
veúr de la réforme dans les dépenses, et donna lieu ala
résolution rapportée au commencement de ce chapitre.
Le veeu du peuple s'étendait a une réforme parlernen..
taire aussi bien qu'á une réforme économique. M. Pitt
eut l'adresse de se rendre l'organe de l'une et de l'au-
tre, et ce fut au moyen des principes qu'il professa a
ce sujet, qu'il obtint de la nation une confiance refusée
au parti qui, aprés avoir fait une opposition longue et
impopulaire ala guerre· avec l'Amérique, avait perdu
le fruit de ses efTorts en se joignant au ministre qui la
poursuivait.


Depuis la fin de cette guerre, les bills de Burke et les
reglemens de Lord Shelburne ont opéré une diminution
de deux cent seize places. Pitt en abolit encore deux
cents,~ dans 1'administration du sel, dont les traite-
ments s'elevaient a 25,000 l. par ano Depuis 1780,


• Rose, Influence de la Couronne, Revue d'Édimbourg, vol. XVI,
p. 191.




INFLUENCE DE LA COURONNE. 267


trente-deux fonctionnaires ont été exelus du Parlement
par les bills de M. Burke, etM. Rose y ajoute quinze
soumissionnaires. On a aboli aussi récemment quel-'
ques sinécures. .


D'un autre coté, l'influence de laCouronne fut gran-
dement augmentée par l'extension de notre budget. '
Mais il vaut peut-étre mieux donner une idée succincte
de son état actu el.


L'influence de la Couronne peut se renfermer dans
quelques points : -


1. La perception du revenu.
2. La liste civile et les charges inférieures du gou-


vernement civil.
3. Les colonies.
4. L'armée, la marine, l'artillerie, etc.
5. La magistrature.
6. L'Église.
7. L'influence des honneurs.
Commencons par la perception du revenu. Les frais


de cette perception s'élevant, en 1R21 ,au-dessus de
4,000,000 l., et dont 1,800,.000 consistent en ap-
pointements et pensions de retraite, est un des plus
puissa~ts instrumenta du gouverne~ent. Le nombre
des personnes employées seulement dans les douanes,
en 1821, était de 6,864. Les traitements s'élevaient a.
638, 000 l. Dans l'excise , en 1821, le nombre des
employés était de 5,625. Les appointements s'éle-
vaient 3,'638,000 l. it En comprenant .l'Angleterre,


.. Discours de Lord Londonderry sur la motion de M. Brougham,
25 Juin 1822.




268 INFLUENCE DE LA COURONNE.


l'Écosse, et l'Irlande, le nombre des employés des
douanes est d'environ 9,000. Les emplois de la
'poste, du timbre.. et des douanes en particulier, font
partíe du patronage des membres du Parlement qui
votent en faveur du gouvernement. Il en est de méme
des emplois dereceveur-général dans les comtés, et
souvent aussi des emplois plus élevés de commissaires
de l'excise et des douanes. Le patronage des plus
petits emplois, bienqu'il ne puisse procurer que fort
peu de satisfaction aux ministres et aux membres du
Parlement, qu'il n'est pas rare d'entendre dire qu'ils
voudraient en étre déharrassés, est un puissant moyen
de persuasion auprés de la nombreuse classe des gens "
qui préferent une faveur du gouvernenlent atout autre
moyen de gagner leur pain. De la vient ce vaste fílet
aux mailles serrée~ qui prend une si grande quantité
de gros et de menu poisson, surtout dans les petits
bourgs, oú, a cause de la pauvreté et de la paresse, il
y a tantde ~ens sans pain et sans conscience.


Le ministére, comprenant ses intéréts, a, depuis quel-
ques années, organisé plus complétement et perfee-
tionné cette espéce de patronage dans un but d'in-
fluence parlementaire. Quand un emploi est va~ant au
Timbre ou a la Poste, la Trésorerie écrit au député du
comté ou du bourg qui vote avec le gouvernement, et
lui demande de recornmanderquelqu'un. Les consti-
tuants lui adressent pluaieurs demandes, qu 'il trans-
met au Premier Lord de la Trésorerie. Qu'il me soit
permis toutefois d'observer, avec impartialité, qu'il ne
faut pas supposer que les gentilshommes .d'up.e for-




INFLUENCE DE LA COURONNE. 269


tune indépendante prostituent leur conscience a la mi-
sérahle considération de ce petit patronage. Mais ceux
qui sont complétement favorables au gouvernement
peuvent, par ce moyen, conserver leur position , et
l'habitude de demander leur crée avec le ministre des
relations plus secretes et moins honorables qu'elles ne
le seraient autrement. C'est acette dangereuse pratique
qu'on peut attribuer la conduite glissante et tortueuse
de quelques gentilshornmes de province dont les prédé-
cesseurs se signalaient par leur fermeté et leur honnéte
obstination.


2. La liste civile et les places inférieures de l'admi-
nistration.


La somme appropriée ace qui a toujours été regardé
comme les ser vices de la liste eivile, monte a un mil-
lion et demi. Cependant, il y a d' autres sommes per-
manentes prises sur -les fonds consolidés, qui autrefois
ont pu étre comprises dans l'article de la liste civile,
de facon que ce chapitre s'éléve aplus de 2,000,000 l.
Mais, d' aprés les derniers arrangements, on a
séparé de la liste civile certaines sommes qui font


.partíe des dépenses votées chaque année, de faeon
que la liste civile s'éleve nominalement a environ
1 ,100,000 l. ~La liste civile, proprement dite, est
accordée ávie au Roi, des le commencement de son'
régne. Elle comprend les dépenses de la maison royale
et des palais, les appointements des employés qui y
sont attaehés ; une liste de pensions, une bourse privée


... Tous ces détails s'appliquent a la période de 1821 a1823.




270 INFLUENCE DE LA CüURüNNE.


ala disposition du Boi, montant a60,000 t.; une partie
de la dépense dugouvarnement civil et de la justice, et
la totalité des dépenses Iaites pour les ministres et les
ambassadeurs al'étranger. Cettederniére dépense s'é-
leve a prés da 300,000 l.


Nous avons aujourd'hui des ambassadeurs aParis,
a Bruxelles, a St.-Pétersbourg, aVienne, aux appoin-
tements de 12,000 l. par an; un ministre a Berlin,
aux appointements de 7,00U l.; en Amérique, aux
appointements de 6,000 l.; et plusieurs representanta
moins importants du souverain accrédités aupres des
perites cours d'Allemagne, aux appointements de 4,000
l. et de 5,000 l. Ce sont des places tres-lucratives qui
donnent aux ministres une grande influence. Mais les
places dont ils retirent une utilité plus immédiate
sont celles de I'administration intérieure .. Environ
qtiatre-vingts '" membres tenant· ces faveurs de la
Couronne et recevant des pensions qui montent a
160,000 l. siégent a la Chambre des Communes;'
011 ils sont de tous les députés les. plus assidus aux
séances, et les plus opiniátres dans leurs sentiments.
En .fait, on les considere, aussi longtemps qu'ils sont
en possession de ces places, comme forcés de se con-
former aux voies ministérielles, et, il n'y a pas plus
d'un an, en 1821, un gentilhomme de la Chambre
perdit sa place pour avoir voté, contre ¡ le désir du


,.. 11 Y en a eu, en fait, quatre-vingt-sept, mais plusieurs de ces
fonctions sont purement honorifiques, et ont été accordées pour la
vie depuis tres-longtemps.




INFLUENCE DE LA COURONNE. 271


ministre, pour le retrait de la taxe sur la dréche. As-
surément, eelui qui a la place peut toujours ehoisir;
et le ministre peut avouer franehement que, dans la dis-
tribution de ses faveurs, il n'aeeordera pas d'emplois
a ceux qui n'ont pas confianee en sa politiqueo Mais la
liberté de renoneer a une place lucrative, existant
sans appui dans les individus, est une de ces libertes
donton use ,peu souvent, et la conseienee a rarement
la cruauté de ruiner un homme pourelle-méme. On a
done naturellement désiré de réduire le plus possible le
nombre des occasionsqui obJigent les hommes a opter
entre leur intérét et leur devoir. Dans ce but, il serait
désirable que les fonetionnaires ne dépendant pas im-
médiatement de l'administration et dont la présence
n'est pas nécessaire a la Chambre des Communes, ne
fussent pasadmis a sÍéger au Parlement. C'est le lan-
gage de la morali té, de la constitution, et de la loi.
Deux Actes du Parlement, I'un de 1705, et l'autre de
1142, refusent l'entrée de la Cha.ubre aux personnes
exereant.certaines fonctions spécialement désignées, et
toutes les nouvelles· charges créées depuis I'acte de la
Reine Anne, ou touchant une pension révocable. Cepen-
dant, dans les derniers temps, quandona créé un nouvel
emploi, on a soustraít en méme temps le fonetionnaire
aux dispositions de l'acte de la Reine Anne, Tel est le
eas des membres de la Compagnie des Indes, el celui
du Yice-Trésorier d'Irlande.


Les pensions accordées par la Couronne, .placées par
le Parlement sur les fonds eonsolidés, montent en tout
a 4·00,000 t. Ces pensions, pour la plupart , se trou-




272 . INFLUENCE DE LA COURONNE.


vent au chapitre de la liste civile, et nous en avons
déja parlé. Mais nous ne pouvons nous empécher d'ob-
ser ver que tous les ehapitres des dépenses se trouvent
divisés en tant de comptes différents qu'il faut beau-
coup de. temps et de travail pour les débrouiller. Si
nous désirons connaitre le budget de la justice, il
nous faut regarder en deux endroits différents; vou-
lons-nous savoir quelles sommes reeoivent les jeunes
membres de la famille royale, il nous faut regarder a
cinq ou six endroits. II y a pareillement des pensions
montant annuellement a 42,000 L, créées par Acte
du Parlement, dans le but de récompenser ceux qui
ont servi dans « de hautes et importantes fonctions
publiques. »


Cette mesure a remplacé l'ancien systeme des siné-
cures qui étaient habituellement, sinon toujours, ac-'
cordées aux vieux serviteurs de I'État, ou aleurs fils.
n est certain qu'on excite moins de mécontentement
en accordant une' pension a un hornme dont les ser-
vices sont reconnus, qu'en confiant un emploi , dont
il ne s'acquitte pas, au fils d'un serviteur de l'État.
D'un autre coté, la mesure est bien loin d'étre écono-
mique; et, tandis qu'elle promet une récompense pécu-
niaire indistinctement a tous ceux qui pendant quel-
que temps ont exercé de hautes fonctions , il peut
tres-bien arriver que la pension soit touchée par des
hommes riches a qui elle n'est nullement nécessaire,
et que le fils d'un grand homme d'état , qui, né sans
fortune, s'est épuisé au service du pays, se trouve a la
mort de son pere dans un état voisin de la mendicité.




INFLUENCE DE LA COURONNE. 273


L'esprit public est injuste sur ce point. Si jamáis
homme a mérité que son fils eüt le moyen de faire for-
tune, «;'a été Lord Camden; cependant ses services
étaient complétement oubliés, lorsque, quelques an-
nées aprés sa mort, onapprit que son fils recevait le
traitement légal d'une sinécure. On n'a pas non plus
suffisamment rendu j ustice au noble patriotisme qui a
poussé, il y a peu d'années, le Lord Camden actuel a
renoncer a la plus grande partie de ses émoluments.


3. Les Colonies ne peuvent non plus manquer d'étre
une puissante source d'influence. Elles se trouvent sur
tous les points du globe : nous avons acquis, depuis
1780, Malte, les Hes Ioniennes, le Cap de Bonne-Espé-
rance, Ceylan, et plusieurs Hes des Indes Occidentales.
On a calculé, d' apres des renseignements puisés a de
bonnes sources, que .huit cents nouvelles places ci-
viles et militaires ont été créées dans les colonies de-
puis cette époque. L'empire lndien lui-méme, quoique
sous le gouvernement d'une compagnie commerciale,
contribue pour sa part au patronage ministérie1. Les
fonctions pourl'I ndeétaient, en 1792, d'environ cent
trente-trois, et de cinq cent vingt-sept, en 1820. Ces
emplois, pour la quatorziéme partie, sont directement
entre les mains du Président de la Chambre du Con-
tróle, ce qui forme un ensemble d'environ trente-huit
places chaque année, ou un patronage d'á peu prés
quatre eents emplois, grands ou petits. '"


lO Discours de M. Brougham sur l'Influence de la Couronne, 25
'Juin 18i2. .


18




274 INFLUENCE DE LA COURONNE.


4. L'armée, la marine, l'artillerie , etc.
Le patronageattaché a une grande organisation de


forces militaires et navales doit nécessairement donner
une grande influence a la Couronne. Aprés la paix, iI
n'y avait pas moins de sixcents gén~rauxdans I'armée
Anglaise. En 1780, nous avions deux mille officiers;
nous en avons aujourd'hui dix-neuf mille a solde en-
tíére ou a demi-solde. En 1780, nous avions environ
milIe huit cents officiers de marine; pour le moment,
nous en avons environ huit mille quatre cents a solde
entiére ou a demi-solde; ce qui íait a peu prés vingt-
sept mille officiers rien que dans I'armée et la marine.
L'armée, en 1821, coütait environ neuf millions, et
la marine a peu prés six.


Les frais pour l'année 182'1, sans compter I« liste
civile et les charges permanentes s~r les fonds conso-
lides; peuvent étre évalués a"18,000,000 l ." Ajou-
tant a cela la perception du revenu et les autres frais,
le gouvernement a environ 25,000,000 l. a dé-
penser dans le pays, ce qui le met dans la situa-
tion d'un particulier qui a a" dépenser chaque année
25,000 l. dans un district contenant 20,000 habi-.
tants. Toutefois les dépenses d'un gouvernement
produisent une influence beaucoup plus grande que
celles d'un particulier, les dépenses d'un gouverne-
ment .consistant pour la plupart en fonctions et en
traitements.


5. La magistrature. - Cetteprofession a été comparée


". Discours de Lord Londonderry, comme plus haut.




INFLUENCE DE LA COURONNE. 275


avec raison aune loterie OU il y a quelques groS lots.
Maiscomme chaque personne qui a un .billetde 10-
terie espere gagnerle lot de 20,0001., de méme ,
dans la magistrature, les gros lots animentl'espérance
et le zéle de chacun de ses membres. Sans parlar des
fonctions -d'Attorney et de Solicitor-General dont le
premier touche, chaque année, au moins 10,000 l.;
sans parler méme de la dignité de Chief Justice, nous
pensons que le poste de Lord Chancelier mérite de fixer
un moment notre attention. C'est le plus gros lot qui
soit offert dans le pays it 1'activité et.au talento Le Lord
Chancelier reeoit un traitement splendide de plus. de
20,000 l. par an; il disposepar ses décisions de la
propriété de toutesles plus riches .familles el: des plus
grands personnages du royaume; .il domine dans la
Cbambredes -Lords toute l'aristocratie héréditaire du
pays; dans le cabinet, il est le gardien de la conscience
du Roi, et toujours un des plus puissants et des plus
intimes conseillers du Souverain. Pour atteindre ce
sommet, il ne faut 'ni distinction de naissance, ni in-
fluence de relations; ni le cousin d'un ministre, ni le
descendant d'un puissant pair, ni ce le dixiéme portrait
d'un visage ridicule» ne peuvent monter ace poste la-
borieux et difficile ; on n'y saurait arriver que. parle
mérite et le travail, et il peut étre donné aufils d'un
ramoneur. Les connaissances politiquea ne sont .méme
pas nécessaires, tout ce qu'ondemande en .fait d'opi-
nions, c'est d'étre prét a se conforrner a la profession
de foi du ministre. Quelle récompense pour le talent !
Quel stimulant pour la vertu !




276 INFLUENr.E DE LA COURONNE.


6. Dans I'Église iI ya, rien qu'en Angleterre, au pou-
voir de la Couronne, 2 archevéchés, 24 évéchés,
38 doyennés, 46 prébendes, et 1,020 cures. Les plus
riches évéchés donnent de 15,000 l. a20,000 par an :
l'évéehé de Durham est une espece de principauté,
el tous ont un patronage de cures, qui, dans cer-
tains cas, suffit largement aux besoins d'une famille
entiere, Les terres appartenant aux évéchés sont
louées par baux a. vie, si bien que, quand une vie
vient a finir et spéeialement quand deux vies finis-
sent avant que le marché soit complété, l'évéque per-
~oit une large redevance. De cette faeon, plusieurs
des évéchés méme inférieurs jouissent d'une fortune de
deux ou trois cent mille livres. Cependant, il y en a
quelques-uns qui sont trea-pauvres ; et l'évéché de
Llandaff donne , diton, moins de 1,UOO l, par ano


L'Église d'Irlande est encore plus richement dotée.
Il y a en Irlande 4 archevéques et 18 évéques, dont
le revenu réuni s'éléve a 185,700 t. par ano L'éve-
que de Derry a par an 15,000 i., celui d'Elphin
12,000 l., celui de Raphoe 10,000 l .., et aucun d'eux
n'a moins de 4,000 l. par ano Outre ce revenu par-
faitement connu, celui que les évéques d'lrlande ti-
rent des redevances est énorme; leurs propriétés fon-
ciéres sont immenses; les baux se font pour vingt
et un ans, et les redevances sont payées sur chacun
tous les sept ans , ou méme tous les trois ans; ce qui
forme une sorte de rente triennale. M. Wakefield cal-
cule que les propriétés des siéges suivants , quand
ita sont loués convenablement, peuvent produire les




INFLUENCE DE LA COURONNE. 277


sommes ci-dessous : la primatie d'Armagh, 140,000 l.
par an; le siége de Derry, 120,000 l.; le siége de
Kilmore, 100,000 i., le siége de Clogher, 100,000 i.,
celui de Waterford, 70,000 l. Le patronage est d'une
valeur considérable. Dans l'évéché de Cloyne, une cure
vaut 3,000 l. par an , une autre 2,000 l., une troi-
siéme 1,800 l., et six valent 1,500 a1~200 l.; le revenu
total des cures don t dispose l'évéque de Cloyne est éva-
lué a50,000 l. par ano Il y a en Irlande 1,300 bénéfi-
ces, dont plus de 200 sont au pouvoir de la Couronne.


La maniere dont s'exerce l'influence de la Couronne
sur ces quatre grands corps - l'armée, la marine, la
magistrature, et FÉglise - est extrémement différente.
Dans l'armée , commandée comme elle l'est, par un
prince de la famille royale, dans l'intérét de I'armée
elle-méme et non dans l'intérét du ministére , les al-
Iíances politiquea n'introduisent pas de grandes diffé-
rences, excepté dans les plus hautes faveurs, oú les
ministres interviennent. Un officier qui se distingue
dans une affaire a la méme chance d'avancement, qu'il
soit Whig ou Tory. Si quelques-uns sont favorisés et
d'autres oubliés, la différence n'est pas fondée sur les
votes parlementaires qui peuvent étre obtenus par une
injuste partialité ; ou s'il en est jamais ainsi, le cas
est extrémement rare.


La marine, se trouvant sous la direction du cabinet
ministériel, n'est pas administrée avec autant d'inté-
grité. Plus d'un officier doit son avancement, et plus
d'un employé civil sa place a un intérét électoral.
Cependant, tout chemin n'est pas fermé au merite, et




2.78 INFLUENCE DE LA COURONNE.


un hommede talentet .Ie courage est a peu prés sur
d'arrivervquelqueubscure et quelquenuieiblaá ses
intérñts que puisse etre sa famille.


Les ernplois de la magistrature sont nécessairement
soumis a un príncipe tout différent. Les .emplois infé-
rieursysi ron peut les appeler ainsi, dAttorney et de
Solicitor General, supposent la ,résolution de soute-
nir les mesures du gouvernement, quand il les appelle,
toutcomme un avocat s'engage a défendre les inté-
rets de son client. C'est par ces emplois qu'on arrive
tres -fréquemment a la charge de juge, et presque tou-
jours acelle de Lord Chancelier. n suit de la que,
pour faire son chemin, le juriseonsulte ,doit s'atta-
cher au parti qui gouverne l'État.


Dans I'Église, l'immense et important patronage du
gouvernement est uniformément accordé ases parti-
sans politiques. Ni le talent, ni le savoir, ni la piété
ne peuvent servir a l'avaneement d'un prétre dont les
opinions politiques sont contraires a ceIles du parti
qui gouverne. La derniére chose qui soit permise a un
évéque, est la modération dans la maniere de mainte-
nir la foi politique orthodoxe, la moindre hésitation
dans son vote est une faute impardonnable. n peut
étre un haut Calvinista ou un savant Arménien ; un
fanatique ennemi de toute autre religion que la sienne,
ou un ami éclairé de la tolérance; mais s'il laisse voir
qu'il a des opinions différentesde ceIles de ses patrons
en matiére eivile, et s'il se rend coupable d'hérésie
poli tique ) illui faut pour jamais renoncer a tout es-
poir d'avancement,




INFLUENCE DE LA COURONNE. 279


C'est une chose curieuse a observer que les diffé-
rences créées par les diverses manieres dont s'exerce
le patronage, selon le caractére différentde chacune des
diverses professions qu'on a fait revivre.


L'armée est de sa nature portée vers le pouvoir con-
centré dans une seule main; c'est dire qu'eIle est plus
attachée a la prérogative qu'aux principes populaires
de la Constitution. Maís les diverses relations de fa-
milIe des officiers et la franchise hahituelle de la pro-
fession engendrent parmi eux des opinions différentes
qu'ils expriment sans déguisement, et conservent géné-
ralement intactes pendant toute leur vie. n faut seule-
ment remarquer ceci, c'est que rarement,ou peut-étre
jamais, la carriére militaire ne fait passer un Tory dans
le parti Whig, tandis qu'il n'est pas rare devoir un Whig
puiser les .idées despotiques d'unTory. En somme, iI
vaut mieux avoir confiance dans les sentiments d'hon-
neur que dans les opinions constitutionneIles de l'ar-
mée; et s'il n'y a pas a craindre d'eHe une attaque
ouverte contre la liberté, notre sécurité vient plutót de
la force qu'ont les relations privées que dusentiment
éclairé dont ils sont animés al'endroit dé leurs devoirs
publics.


:D'un autre coté, la marine a un biais aussi décidé
en faveur de la liberté que l'armée en faveur du pou-
voir. Le sentiment général que la force navale nepeut
étre employée contre la liberté, et les éloges qui de
temps immémorial ont eté accordés ala mari ne comme
force constitutionnelle, .combinés peut-étre avec une
certaine jalousie de l'armée, font que la premiére se




280 INFLUENCE DE LA COURONNE.


regarde comme l'amie naturelle des libertés Anglaises.
n est.vrai qu'on peut eiter de grands exemples de com-
mandements supérieurs dans la marine obtenuspar
servilité politique , mais , en général, la marine de la
Grande-Bretagne se distingue par des sentiments libé-
~aux et par une sympathie généreuse pour la cause de
la liberté dans toutes les régions du monde.


'Quant a la magistrature , nous en avons suffisam-
ment parlé. La tendance générale de cette profession,
c'est d'inspirer un attachement profond pourles insti-
tutions qui reglent toutes les décisions judiciaires.
Cependant, il faut l'avouer, cetattachement offre rare-
ment un caractere bien éclairé ; car, si d'un coté l'indi-
gnation des magistrats s'éveille quand les anciens droits
du peuple sont foulés aux pieds, de l'autre, ils s'ani-
ment d'un zele non moins vif si l'on essaie de tempérer
ce qu' il Ya de cruel dans l'ancienne 'législation. Pour-
tant, disons-le, en général la prineipale tendance de
l'homme de loi, c'est de rechercher hardiment les abus
et de les dénoncer rigoureusement. Ils ne sont Pas hom-
mes a s'incliner respectúeusement devant les dépositai-
res du pouvoir, et d'un autre coté, ils estiment la
liberté générale comme embrassant la liberté de la pa-
role. Mais la fin de la vie des hommes de loi n'est pas
toujours conforme au début. Bon nombre commencent
par une admiration trop chaleureuse pour les préroga-
tives du peuple, lesquels finissent par un dédain trop
marqué pour tout ce qui peut enthousiasmer. Animés
d'abord par la vanité des harangues publiques, ils tom-
bent ensuite dans les plus has calculs de l'avarice. De




INFLUENCE DE LA COURONNE. 281


tels revirements, rares, il est vrai, si on les considere
, l'


proportionnellement au nombre total des hommes de
loi, sont arrivés cependant si souvent, que la profes-
sion est devenue pour beaucoup, et nous avons vu
combien c'était injuste, un syn..nyme pour caracté-
riser l'apostasie et la servilité.


L'Église n' a pas areprocher ases membres les mémes
tergiversations. Liésau pouvoir et au gouvernement par
leur profession méme, tous les membres de I'Église
ont une ten dance primitive él prendre le parti du gou-
vernement, et il ne serait point facile de la vaincre : et
ceux qui ambitionnent de s' élever dans la hérarchie, font
généralement déploiement de servilité, comme moyen
le plus sur d'élévation ; ou s'ils se sont élevés al'occa-
sion d'un mérite réel, ils ajoutent a leurs qualités un
vernis d'adulation. Encore faut-il dire qu'un homme
d'Église qui fait le servile, n'a pas ce mépris railleur
de la vertu, et cette incrédulité affectée pour tout prin-
cipe public, qui distingue 1'1JOmme de loi apostato Ce .
sont la les troubles d'une conscience aigrie et irritée,
et c'est pour cela que de telles choses ne s'observent pas
dans le c1ergé, qui tient de ses habitudes et de son édu-
eation une foi pure et sincere dans le devoir d'obéis-
sanee envers les pouvoirs existant. Il y a cependant un
certain nombre de membres du clergé dont les opinions
honorables. et éclairées les font a la fois proscrire et
respecter.


7. L'influence des honneurs.
Dans les classes élevées de la société, il n'y a pas de


récompense plus efficace qu'une décoration, un titre




282 INFLUENCE DE LA COURONNE•
.


de comte, ou un titre demarquis. Ce n'est point par
un appát pécuniaire que' ron gagne les riches : ils sont
au-dessusdes tentations de la fortune; il est vrai qu'il
yen a qui, déja maitres de grandes richesses, .croíent
faire preuved'une ame trés-élevée en refusant desfonc-
tions qui ajoutent une rémunération dont ils n'ont
point besein, a un travail qu'ils n'aimentpas. Mais si
aceux-lá on offre un ruban, un rang dans la pairie, ils
n'éprouvent plus la méme répugnance; au contraire,
ils pensent que c'est montrer du désintéressement que
d'accepter, et sollicitent méme une faveur qui ne coúte
rien au pays: c'est ainsi que beaucoup se laissent
prendrepar l'attrait de la vanité, sur lesquels ,la cupi-
dité ne saurait avoir prise, el qui se font les eselaves
obligés d'un ministre par pgard pour unhonneur pure-
ment Hominal. Ce moyen de s'attacher une classe
d'hommes que d'autres moyens sont impuissants ain-
fluencer, réussit tellement bien, qu'un des grands in..
sirumentadegouvernement employés par Louis XIV,
était d' attacher la noblesse a sa personne. Il est bien
vrai que la décoration d'un ordre ou d'une chevalerie,
en récompense de services rendus soit dans le cabinet
ou a la guerre; qué la faveur d'étre désigné par le
souverain au respect etá l'admiration de son peuple,
sont des honneurs dont un honnéte homme peut bien
s'enorgueillir~mais lorsque ces titres sont donnés a
ceux qui n'ont d'autre mérite que d'étre nés nobles,
ils établissent des distinctions sans différence,et .ne font
que mettre en évidence ceux qui les portentcomme .les
adhérents jurés du Premier Lord de la Trésorerie.




INFLUENCE DE LA COURONNE. 2~3


C'est ainsi quenous avons les chevaliers de la Jarre-
tiere, les chevaliers de St, Patrick, les chevaliers du
Chardon, dont tous les services ont consisté pour beau-
coup a soutenir le ministere a la Chambre des Com-
munes, par procuration. le neparlerai pas de l'Ordre
du Bain, qui est accordé au mérite réel. Cependant le
don des pairies exerce une influence beaucoup plus
grande. En 1780, il Yavait '225 pairs; il yen a main-
tenant 378. Outre cela, les différents degrés de la pai-
rie forment comme un foyer de patronage, un échelon
étant établi maintenant du baron au comte, comrne
ordinairement il y en a un de l'enseigne au lieutenant.
En 1180, il n'y avait qu'un marquis, et maintenant
on en compte18; et 109 comtes, quand a la méme
époque il n'y en avait que 78.
- Si nous résumons ici, en peu de mots, I'influence
dé la Couronne, nous aurons a compter de nouvelles
pairies et des degrés dans la pairie, accordés en grande
profusion; des rubans bleus, rouges, et verts; six
arehevéchés, etquarante-deux évéehés, dont quel-
ques,-uns sont de 20,000 t., el dont beaucoup rappor-
tent plus de 8,000 l. par an ; des fonctions supé-
rieures militaires et civiles en Finlande, dans l'Inde,
aux Iles Ioniennes , a Gibraltar, a la Jamaíque, a la
Barhade, a la Trinité, au Cap de Bonne-Espérance,
au Canada, etc., etc.; des ambassades aParis, aVienne,
a Pétersbourg, et a Bruxelles, valant 12,000 lo par
an; beaucoup d'autres 7,000, 6,000 et 5,000; quel-
ques-unes 3,000 et '2,000; des régiments dans l'ar-
mée, des navires dans la marine; des emplois de tout




284 INFLUENCE DE LA COURONNE.


genre dans le pays et a l'étranger; plus d'un million
pour la liste civile, embrassant le traitement du Lord'
Chambellau, du Lord Intendant, et de nombreux offices.
inférieurs; de riches bénéfices arrivant toutes les se..,
maines; des nominations él des postes importants dana


'-l·


l'Inde, dont le nombre s'est grandement aceru ; enviro!
deux millions pour le payement des' emplois affectés1
a la perception des revenus, et deux millions en pluS':
pour les dépenses; les pensions de retraite pour un~:
dixiéme de cette somme; des emplois seeondaires des'
hópitaux, les contrats, et un budget s'élevant en tout a
18,000,000 l. par ano .


Malgré cela, il y a des gens qui soutiennent encore
quel'influence de la Couronne ne s'est pas accrue; mais
on pourrait croire que eeux-Iá ferment les yeux pour se
hasarder a défendre un paradoxe si extraordinaire.
Afin cependant d'éviter toute contestation, il peut étre
utile de se reporter a uneépoque un peu éloignée et de
comparer l'influence de la Couronne pendant ce temps
a celle qui se fait sentir actuelIement. En vérité, il se-
rait hon que ceux qui apprécient leur liberté appli-
quassent cette méthode a l'examen de plusieurs autres
branches du gouvernement, car le pouvoir marche par
degrés et gagne insensiblement du terrain, si bien qu'á
un moment les troupes salariées par le despotisme sont
capables de battre la citadelle de la constitution méme.
Par exemple, dans l'histoire Romaine, la marche vers
la décadence pendant la vie d'un homme a pu étre assez .
insensible pour échapper a son observation; pourtant
lorsqu 'il arrive a l'historien de revoir cette époque, il




INFLUENCE DE LA CüURüNNE. 285


trouvera la tendance ala chute si sensible, qu'il n'hé-
sitera pas a signaler comme des causes puissantes de
la ruine des États des faits et des événements que les
citoyens Romains contemporains ont pu Iaisser passer
lnaper<;us.


Si, appliquant eette regle, nous conlparons I'in-
fluenee de la Couronne durant le regne de Guillaume III
a ce qui existe aujourd'hui, combien la différence est
prodigíeuse I Guillaume fut forcé de licencier sa garde
Hollandaise et de se contenter, aune époque de grands
dangers, de 7,000 hommes de troupes Anglaises. 11 fut
obligé, contre son gré, de passer le Bill Triennal, et
changea souvent ses dispositions pour satisfaire aux
vreux exprimés par son Parlement. De nos jours, les
choses ont suivi si bien leur cours, que sauf une ou
deux exceptions, le ministére n'a rencontré aucune ré-
sistance. Peut-étre est-ce un bien; je veux dire seuIe-
ment que la différence est grande avec le regne de
Guillaume 111.


En terminant ce chapitre , nous ne devons pas
omettre que lorsque nous signalons l'augmentation de
I'intluence de la Couronne, il ne s'ensuit nullement que
l'intluence du Roi ait augmenté également. Ce peut
étre précisément l'inverse. Un ministre, si surtout il a
été longtemps en fonctions, peut avoir tellement lié et
corrompu les grands propriétaires de bourgs; il peut
avoir si bien distribué les honneurs, les rubans, et les
emplois,. avoir tellement engagé les principaux mem-
bresde la Chambre des Communes ~ en pourvoyant
.leurs amis et connaissañces d'emplois dansles doua-




286 INFLUENCE DE LA aOURONNE•
.


nes , les contributions, ou les colonies; tellement en-
chainé tout homme public ·qui a du poids et de l'in-
fluence par les tentations de l'intérét, qu'a la fin ils
pourraientdire un iour a leur souverain : « Quelque
mauvaises que puissent etre nos mesures, quelque im-
populaires que nous puissions etre, vousdevez néan-
moins nous maintenir au pouvoir, parce que, seula.,
nous avons la majorité a la Chambre des Communes. "~.
Un tel état de cboses prouverait mieux que tout ce que
nous pourrions dire l'influence croissante de la Cou-
ronne, bien qu'il fut tout aussi contraire ala légitime
intluence du Roi, et au véritable esprit de la Consti-
tution.


Terminons ce chapitre en espérant que malgré cette
augmentation si grande et si dangereuse de l'influence
de la Couronne, le peuple pourra un jour trouver en
lui des impulsions nouvelles et assez déci ives pour ne
se laisser ni cajoler par de faux-semblants, ni fatiguer
par des faux .. fuyants continuels.




CHAPITRE XXX V.


OPINION PUBLIQUE. - LOIS RESTRICTIVES


« Per me ho adottata nell' intero la legge d'Inghilterra, ed aquella
mi attengo j ne fo mai nessuno scritto che non potesse liberissima-
mente e senza biasimo nessuno dell' autore essere stampato nella
beata e veramente sola libera Inghilterra. Opinioni, quanti sene
vuole : individui offesi, nessuni : costumi, rispettati sempre. Queste
sono state, e saranno sempre le sole mie leggi; ne altre se ne puo
ragionevolmente amettere, ne rispettare ! 11


ALFIERI, Vita, t. 11, p.133.


En réponse a toutes les plaintes qu'on fait sur l'in-
fluencede la Couronne, il est de mode de signaler l'ae-
croissement incessant de l'influence obtenue par l'opi-
nion publique. On ne peut douter que l'opinion publique
n'aitacquis une force prodigieuse sous le dernier regne.
La publicité -des débats du Parlement et la diffusion
des connaissances politiques constituent une innovation
tres~importante.·Sousla république Bomaine, le cen-
seur, tout sévére qu'il pút étre dans .l'exercice de ses
fonctions, ne pouvait égaler, par la minutie de ses en-
quétes et la dureté de ses reproches, cette opinion pu-




288 OPINION PUBLIQUE.
blique de la Grande-Bretagne, qui est invisible et irres-
ponsable. Quel homme d'état peut done entendre ,
sans s'émouvoir, cette voix de l'opinion qui, débutant
par les murmures de la métropole, s'éléve ensuite dans
l'intérieur du Parlement OU elle parle haut, avec assu-
rance, pour passer ensuite a travers les organes si nom-
breux de la presse jusqu'á ce qu'ellese répercute en
échos innombrables des rivages de Cornouailles aux
montagnes d'lnverness ? Quelministre est assez relá-
ché dans ses principes pour ne point essayer, jusqu'á
un certain point, de se concilier, par son langage au .
Parlement, l'incorruptible esprit de la multitude?


C'est néanmoins apprécier bien vaguement 1'effet de
ce pouvoir, que de se horner adire qu 'il centre-balance
tous les avantages que la Couronne retire de l'augmen-
tation des armées permanentes ou de l'extension de
son influence. D'ahord, cet argument va trop loin; I
cal' si l'opinion publique est un contre-poids suffisant
pour le pouvoir, a quoi servent done l'Aete d'Habeas
Corpus ou la Grande Charte, a quoi sert 1'existence du
Parlement lui-méme? Ce n'est pas que la puissance de
l' opinion soit, comme quelques-uns l'imaginent, une
complete nouveauté dans ce pays ou l' attribut exclusif
d'un gouvernement libre. Ce fut l'opinion publique qui
fit pousser des cris de joie aux soldats de Hounslow
Heath lors de l'acquittement des Évéques ; ce fut l'opi-
nion publique qui obligea Sir Robert Walpole a aban-
donner son projet d'impóts. 11 n'est pas jusqu'aux na-
tions despotiques OU l'opinion n'ait son poids; et c'est
elle qui renvoya Squillace du gouvernement d'Espagne,




LOIS RESTRICTIVES. 289


et qui fit périr l'Empereur Paul, l'autocrate absolu de
la Hussíe. On dit aussi qu'en Turquie, lorsque le peuple
est exaspéré, il met le feu a quelques maisons. C'est ou
c'était la coutume du Sultan d'assister toujours al'in-
cendie, et e'est de cette maniere qu'on al'occasion
de lui dire des vérités peu agréables qui, autrement,
ne parviendraient jamais a son oreille. C'est la a la
vérité un singulier mode de donner des avis consti-
tutionnels.


Le plus grand avantage d'un gouvernement libre
n'est done pas que l'opinion publique existe en effet,
mais qu'elle s'éléve en faveur des droits utiles et des
libertés existantes du peuple. Considérant cette ques-
tion sous ce point de vue, je doute, j'en conviens, que
I'opinion publique aitgagné autant en qualité, en prix ,
et en force qu'en étendue et en rapidité.


Quelques observations aideront él former un juge-
.ment sur ce point.


Quelles qu'aient été les raisons bonnes _ou mauvaises
qui ont engagé autrefois le gouvernement de ce
pays a entreprendre la guerre contre les colonies insur-
gées d'Amérique, quelle qu'ait pu étre l'opportunité
ou méme la nécessité d'entrer en conflit avec la Répu-
blique Francaise, on ne saurait nier que l'objet de ces
deux guerres fut de repousser des révolutions popu-
Iaires, et que Ieur esprit fut opposé aux principes po-
pulaires. On pourra dire, il est vrai, que chacune de
ces deux guerres eut I'entier concours du peuple en
Angleterre. Mais cette objection n' enléve rien a la va-
leur de la remarque que je désire faire. Une nation en-


19




290 0rUUON pubLIQUE.
thouslaste sé laísse facilement entrainer aprendre les
armes¡ et que ce- soit .dans un but favorable ou con..
tráire a la liberté, c'efjt la chose qui dépend unique...
ment de Cátp3e15 aeoiderrtelles ét de rusage que les gtHI""
vernements font des forees nationales. Or, I'oeeaaion de
ces deux guerres fut lb, réaistance d'un peuple a son
gOl1vernement, et les moyens employés pour exciter
le peuple i1prondre le~ armes (}ofi~hUetaf1ta luí mon..
trer des insultes faites a sa dignité, et a soulever ~e.8
aentíments de ñdélité Ioyale. Psndant une Iongue pé-
ríode du tegoe préeédent, n'est-á-...dire pendant plus de
la moitié de sa durée, chaqué jour et a chaqué instant
on enflammait .I'esprit public contra nos propres
eompatriotee en rébellion, ou contre une nation voisine
qui avait déposé et mis a mort son souverain. Il éta1t
impossible que ces' inveetives n'eussent pas leur effet,
et il ne faut póint s'étonner qu'un paya ainsi excité,
préparé, et échauffé, surtout dans les demiers tetnpa,
par I'un des éerívains et l'un des orateurs las plus
éloquents que I'Angleterre ait produits, soit devenu a
la fln extrémement sensible a tout ce qu'on supposait
etre un crime centre la prérogative, et complétement
indiñérentá la violation de ses droits consti tutiónnels.


..


L'histoire n'épargnera pas le bláme aceux qui par
leurs exagér:ttions ont ainsi poussé le peuple, et quí,
enflammant son imagination par le tahleau tre8~chargé
du eamsge et du meurtre, ont prétendu mettre un terme
aux Iuttes intestines d'un paya en étendant les massa-
eres et la désolation a tous les États de 1'Europa et II
toutes les parties du globe. L'exemple de la Révolution




LOlS RESTRICl'IVES.


FraIi~~isé a eu, cependant, un effet plus direct sur la
marche de nos añaires ; 00 attribue toute sorte de causes
ala Bévolution Francaise, et la Révolutíon Francaise, el
SOn tour, estregardée comme la cause de toutes choses.
S'Ilparattun livre renfermant de nouvel1es .opinlons
sur dessujcts phílosophiques ou Iittéraires, on nous
dir d'éviterees opinions, paree que c'est a 'Voltaire et
aRÓUSSéáti qu'H faut attribuer la Révolution Francaise.
Si un savetier ignorant harangue la foule en guenílIes
dans Smithfleld, on nous déclare que l'État est en dan-
ger, paree que la fureur de la populace eommenea la
Bévolution Franeaise. s'il existe quelque mécontente-
ment dans les villes manufacturiérés, on nous rappelle
que le mécontentement des villes manufacturiéres en
France fut la grande cause de la Ilévolution Francaise ..
~nflI1, s'agit-il d'accorder a un propriétaire le droit de
tuer des perdrix ou des Iiévres sur ses terres, vite on
nous afllrme que ce serait admettre la doctrine des
droits naturels, et que cette doctrine fut la source de
tous les maux qui aecompagnerent la Révolution Fran-
caise. ...


C'est en vain qu'on a plusieurs fois réfuté ces cla-
meurs absurdes ; c'est en vain qu Ion a démontré que
la Révolution Francaise avait pour cause unique le
manqué d'harmonie entre un peuple hrave et éelairé et
un góuv~rnement corrompu, plein de préjugés, et des-
potique; c'est en vain qu'on a prouvé que les atrocités
de cette Révolution furent dues en partie au caractere


.. Parliamentary Debates, 1819.




292 OPINION PUBLIQUE.
du peuple, en partie ala cruelle oppression de l'aneien
régime, en partie aux alarmes que donnait l'interveo-
tioo étrangére ; e'est en vaio qu'on fait remarquer qu'il
n'y a moyen d'étahlir aueune eomparaison entre un
peuple qui n'avait ni eonstitution ni liberté, et un pays
constitutionnel et libre. On n'écoute pas la voix de I~
raison; on s'empare de ce préeédent comme d'une re-
cette qu'on applique pour empécher I'abolition de toute
loi mauvaise, de tout ancien abus, pour conserver l'er-
reur et louer l'incapacité. C'est absolument comme si,
lorsqu'un malade épuisé tombe de faiblesse, le médecin
pratiquait sur lui de copieuses saignées, sous prétexte
que son voisin se meurt de pleurésie.


On peut le dire ensuite, il est trés-évident que l'es-
time pour la science de la constitution et le respect des
formes et des usagesanciens ont diminué de heaucoup.
C'est l'effet sans doute du nombre croissant des hom-
mes adonnés au commerce et qui n'ont pas, comme !los
g~ntilshommes propriétaires et nos magistrats, l'habi-
tude de consulter les livres de jurisprudence ainsi que
les Actes du Parlement. nfaut aussi l'attribuer en partie
aux grands désordres qui ont quelquefois mis dans la
nécessité réelle ou supposée de fermer les yeu x sur les
regles et les maximes, afin de parer a un danger pres-
santo Quelles qu'en soient les causes, les conséquences
n'en sont pas moins trés-funestes. Les formes parle-
mentaires et constitutionnclles, ainsi qu'il a déjá été
observé, opposent par elles-mémes une grande barriere
aux empiétements du pouvoir arbitraire. La violation
de ces formes devrait et,oe un signal qu'un ennemi est




LOIS RESTRICTIVES. 293


en vue; et le peuple, en masse, devrait se préparer a
résister a toute mesure qui paraitrait sous des aus-
pices si menacants. Mais cette vigilance ainsi relá-
chée, il est au pouvoir d'un ministre d'écarter les
antécédents et les usages, toutes les fois qu'ils l'em-
barrassent ou s'opposent a ses vues, et des lors les
défenses el les boulevards de la liberté tomhent saos
résistánce.


La cause de la liberté a fait une autre perte par l'ex-
tinction de la race du Prétendant. Tant que les Stuarts
soutinrent leur droit a la couronne, le Roi fut obligé
de suppléer par un bon gouvernement il ce qui lui
manquait de droit légitime. Une grande' partie de nos
prétres Anglicans et de leurs sectateurs particuliers
Iaisserent prévaloir les doctrines des Whigs, afin de
pouvoir repousser celles du Pape": ils permirent la
liberté dans l'intérét de la religion. Mais a présent
les conseillers du Roine redoutent plus de rival fortuné;
et I'Église, sauvée par les Whigs, croit qu'il est de la
bienséance comme de sa dignité de les calomnier et
d'avilir la cause de la liberté méme.


11 est encore une chose qu'on doit observer, et qui
de t0l:ltes est peut-étre la plus importante. C'est que
l'opinion est devenue chez nous plus irritable, et que
les esprits sont plus disposés aux partis extremes qu'ils
ne l'étaient autrefois,


On doit certainement reconnaltre que la sévérité
de la critique publique met obstacle a quelques-uns
de ces marchés honteux et de ces changements qu'on
signalait autrefois chez les hommes politiques. Mais




29li OPINTON PUBf¡lQUE.
I'extréme surveillance du peuple en ce qui coneerne
l'honorabilité des gouvernants teurne souvent al'avan..
tage de la Cour. Ses adversaires se trouvent divisés et
déeouragés par les obstaoles qu'on leur impose , de
leur coté les ministres et les courtisans se sentent
libres de ces entraves, Les adhérents du pouvóir, CeUI
qui n'obéissent qu'á la Trésorerie, regardent les avan-
tages qu'ils retirent de leur position cornme une com-
pensatiun matérielle suffisante pour tous 1tH; mépris
dont le peuple les accable. Pendant que Ieurs adver,a
saires se voient obligés d'éloigner leur attention des
affairea publiques afin d'expliquer quelque variation
dans Ieur maniere de voir sur une réforme (tu hout de
vingt ans, ceux qui hornent leur humble ambition a
rechereher des plaees changent entierement de 008-
turne et s'applaudissent de se présenter avee tout un
attirail renouvelé de principes , d'opinions, de sentí..
ments, et de votes. De pareils déréglements ont leur
récompense , tandis que toute unión permanente. dea-
tinée a ymettre un terme est qualifiée de manque de
principes, et nous avons vu de nos jours un parti s'or...
gani&ler régulierement PQur pPftcher contra l'esprit de
parti, Rien na peut etre plus agréable Po la Cour qui,
en somme, a .imaginé la premiare cette théorie. Si la,
Cour parvenait a. divisar ses adversaires da talle sorte
qu'un tiers d'entre eux fit une opposition systémarique
et inopportune, et qu'un autre tiers ne ñt qu'une oppo-
sitien molle el. rars , elle aurait it rnoitié gngné toutes
lea batailles qu'elle Iivrerait, Le ministére seul aurait
des chances pour le pouvoir, on aurait heau critiqQer




I~()I~ RE.STRICTIVES. ~95
sea mesures dans le peuple, iI na se trouveraít personne
dnns la majorité pour reconnaltre la supérionité des
idées émises par l'opposition sur eelles du ministere.
C'est pour cela qu~ les créatures de l' administration
sont disposées a dénigrer l'esprit de parti. Elles sont
bienplus contentes eneore lersque 16$ prétendus rá-
formateurs vont plus loin et réprimandent le partí
opposé a la Cour. n arri ve .ainsi que les ministres du
seuverain, et les soi-disant préeepteurs de la multitude,
unissent Ieurs philippiques centre le partí auquel la
Maison de Brunswick doit sa couronne, et le peuple
son Bill des Droits. La naissance de cette nouvelle
caste dans Fordre politique est peut-étre I'événement
le .plus heureux qui se soit produit pour l'augmenta...
tion de la prérogative royale depuis la Révolution. En
effet , ces gens -la- ne eessent de répéter toutes lea


. vieilles déelamations de la Cour centre les inconvé-
nients de I'esprit de parti, disant que tous les hommes
publica sont oorrompus, que IesWhigs sont des Tories
hoes fonotions, et les Tories des Whigs qui sent au pou~
vojn, qu'un autre ministére agirait préoiaément comme
le ministére actuel , et autres ehoses de ce genre. La
vérité est qu'ils portenten eux un principe de destruc-
tion qui les empéohsra d'étre jamais réellement redou..
tahles pour le gouvernament. Cette méfianee qu'ils
sément contra tous les hommes politiques atteint aussi
bien leuns proprelil ehefs que ceux das autres partis.
C'est la ce que I'expérience des dernisres années a pal'..,.
faitement démontré. Quand une seete s'est plaint du
manque d'esprit publíe chez les Whigs~ il s'est élevé




296 OPINION PUBLIQUE.
une seconde secte qui a raillé le faux patriotisme des
scissionnaires précédents, puis d'autres encore sont
venus a leur tour parler centre l'insolence aristocra-
tique et prétentieuse des réformateurs. En méme temps
que tous ces' chefs de coteries s'affaiblissaient de plus
en plus par leurs divisions , ils se signalaient par le
langage le plus creux et le plus ineendiaire, par la con-
duite la plus frivole Ce n'était point dans des sociétés
secretes qu'ils provoquaient a la révolution Ieurs par-
tisans auxquels ils enseignaient lemépris des lois,
mais ils s'adresaaient ouvertement a la foule composée
aussi bien d'cisifs et de curieux que. de malfaiteurs
et de séditieux. Comme toutes les choses nouvelles, la
violence du langage et les incitations ala révo1te attira
d'ahord l'attention; mais le peuple se fatigua vite d'en-
tendre toujours les mémes discours sur les mémes
sujets, et les ouvriers qui avaient du travail préféré-
rent gagner un ou deux shiUings pour acheter du pain
et des habits, que d'écouter les paroles banales et
usées d'un orateur ignorant. Cependant le coup était
porté; les discours prononcés, les résolutions passées,
le nombre de ceux qui avaient assisté aux .meetings
étaient des motifs suffisants de s'alarmer pour qui-
conque voulait bien se livrer aux alarmes; et quoique
les metteurs en scéne de ces farces populaires 'eussent
triste figure 3 coté du Roi, de la Chambre des Lords, de
la Chambre des Communes, de l'armée, de la marine,
du clergé, du barrean, de la milice, du commerce, et
de l'industrie, cependant ils n'en excitaient pas moins
une panique momentanée, et obligeaient les membres




LOIS RESTRtCTIVES. 297


du Parlement a votera de grandes majorités des
mesures tout a fait contraires au génie de la Consti-
tution. I


Aussi, la Chambre des Communes a-t-olle plus
d'une fois aidé a lancer des mesures de sévére coerci-
tion, que les ministres jugeaient apropos de présenter.


....


En 1795 et en 1799 on passa des lois pour défendre les
meetings publics sans autorisation préalahle , et pour
soumettre l'imprimerie a certains reglemcnts. On re-
nouvela ces mesures en 1817, et, en 18 HJ, la sévérité en
a été beaucoup accrue. Ces mesures peuvent se classer
sous deux chefs ; tous deux sanctionnent des procédés
qui sont peuj udicieux, ámon avis, et dont l'un est ex-
trémement dangereux. Le premier est la suspension de
l'Acte d'HabeasCorpus. C'est sans doute une précaution
trés-salutaire, dans le cas d'une trame formée par quel-
ques principaux chefs, dont l'emprisonnement met fin
au complot; mais elle ne rremédie absolument a rien,
lorsque le mal consiste dans le mécontentement de
quelques milliers d'ouvriers sans emploi. Uno avulso
non deficil alter: les subalternes, aussi audacieux que
les chefs, sont tout aussi capables de diriger ces hu-
meurs populaires. Le second moyen consiste en de
nouvel1es lois qui restreignent le droit de parler et
d'éerire. De tels actes opposent des obstacles aux as-
semhlées publiques et aux journaux; ils servent aussi
acomprimer pour un temps, par l'autorité législative,
les abus de la liberté; mais il est évident qu'on ne
saurait prévenir la sédition ni le blaspheme , sans
éteindre entiérement la liberté de la parole et de la




29B OPIt{ION PUlU.IQUE,
presse. n e¡;t impossible de pourvoir d'avanoe, par Aeta
du Parlement, Ace que UH.}S lea discours et tOU8 lea
éerits restent dans les bornes de la loyauté et de la
modération ; d'oú la conséquence, que les lois re!iJtrie-
tivea sont inefficaees, si ee n'est eomme actualité. Elles
sont pernicieusea d'ailleurs, en ce qu'elles consacrent
un prlncipa qui, poussé jusqu'á son demiee degnt
autorisa la. censure de la. presse. Ces lois sont done en
opposition directa aux principes da ll)¡ Ré~Qll!tiQn, qui
permettent atout homme de faire Iihrement ee qui de
soi n'est pa.~ nuisible. Lit loi méme defi tumultes, coo'"
sidérée avec justiee eomme tres-rigoureuse, n'impose
da peine qu'aux individua trouvés en tumulre fll\grant~
011 VQ}t eomhien ceux da flO~' oontemporains dont I'exls-
~nea remonte 3 des telJlp~ plus éloignés, ont raison
de louer la modération du gouvemement, qui tJ'e~t ga.,.·
ranti du Prétendant de son partl , f)an51 presque rien
eoúter ah~ Jjb~rw publique.


Le fá~u.lta.t final de (les nouvelles circonstances nous
eonduit a. une considération tra2..déf~vQrable a lltt Ji-
berté. On a. vu qu~ lea progre!:) d6 I'influenee de la
Couronne se font par une marche lente et gr~duelle, et
qlIe JI). résistanoe opposée par le peuple agit par efforts
soudains et accidentels. Ainsi nous voyons dans I'his-
toire qu'aprés das empiétements sucoeaaífs du minis-
tére flPf chaeune des plus précieuses prérogativea de la
liberté, fiWiliféa p~r lea manrauvres de lo. proteotion, un
momant de dátre~s~ éveille l'examen, et par un coup
inattendu, la nation obtient une victoira équivalente él
~~U6 que h~ Cour avait gagnéa, M~ifil aujourd'hui (Jet




LOl~ RESTJlICTIV~~. 299
avantags est complétement perdu. NQ8 recherehes 81Jr
I'inñuence de la Couronne, nous amenent acette con-
olusicn, qu'elle croitrapidementet d'une maniere conti l'
nue, el. que les mécontentements qu'elle excite de temps
en temps ne servent qu'á produire de nouvelles res-
trictions a la liberté. El. nous ne devons pas espérer
que le mécontentement populaire puisse prendre un
caractére plus doux. Tant que toute opinion pourra
étre librement professée, on trouvera toujours des per-
sonnes hostiles a la religion et a la monarchie; el. toutes
les fois que le p.ays sera frappé par des malheurs, ceux
qui sont victimes de l'infortunevpréteront volontiers
l'oreille, pendant quelque temps, a tout plan qui sera
proposé comme soulagementde leurs maux. Cependant,
d'un autre coté, il semblerait que nous avons poussé
aussi loin, el. avec autant de sécurité que possible, le
systéme de restriction. Si la révolte el. la séditon alar-
ment encore les tirnorés, elles doivent trouver un frein
dans les lois ordinaires. Autrement il nous faudrait
admettre la censure, ou renoncer au mode actuel du ju-
gement par jury.


Il faut espérer que, loin d'adopter l'un ou I'autre de
ces expédients de la tyrannie, I'Angleterre mettrait
plutót en accusation le ministre qui -donnerait un con-
seilsi infame ason souverain.


C'est cependant une consolation de penser que si le
peuple Anglais est réellement décidé a conserver ses
libertés, les lois fournissent des moyens amplement
suflisants pour réprimer la sédition. Elles ne réclament
que ~a fermeté et la droiture dans leurs applications :




aco OPINION PUBLIQUE.
de nouveaux reglements sur la presse ne peuvent éma-
ner que d'hommes d'état assez faibles pour éprouver


.des craintes, ou assez pervers pour en tirer parti contre
la liberté de leur pays.





CHAPITRE XXXVI.


Ll,BERTÉ DE LA PRES!!!E. - SORT PROBABLE DE LA CONSTITUTION
BRITANNIQUE.


« Veut-on savoir la cause immédiate de tous ces écrits et de tous
ces discours OU la liberté respire? on ne peut en assigner de plus
vraie que votre gouvernement doux, libre, et humain j cette cause est
la liberté, Lords et représentants des Communes, que vous nous avez
acquise par vos courageux et fortunés conseils ; la liberté, mere du
génie.Nous pouvons redevenir ignorants, grossiers, ridicules, ser-
viles, comme vous nous avez trouvés j mais il faut auparavant que
vous deveniez ce que vous ne pouvez étre, oppresseurs arbitraires et
tyranniquea, comrne ceux au joug desquels vous nous avez arrachés.
Si noscceurssont maintenant plus grands et plus nobles, si nos esprits
sont plus portés ala recherche et a la j ouissance des vérités exactes
et élevées, c'est avotre vertu propagée en nous que nous en sommes
redevables Donnez-moila liberté de connaitre, d'exprimer ma pensée,
et de raisonner suivant la Iumiere de la conscience, qui est au-dessuj,
de toutes les libertés.... ».- Milton. -


n n'est pas d'étude plus intéressante, que d'exami-
ner l'état actual de nos lois et de nos mreurs pour en
conclure quelle sera probablement la destinée de uotre
Constitution. Nous avons vu, dans les deux derniers
chapitres, que l'influence de la Couronne s'est accrue




j
.j
-1


302 LIBERTÉ DE LA PRESSE.'~~
-A


d'une maniere alarmante, et que les périodes de fermen- ~
tation populaire quand elles reviennent, au lieu de res- ~
treindre cette influence, comme il arrivait autrefois,
fournisseut au contraire l'occasion de passer de nou-
velles Iois, et de rogner chaque fois un peu les líhentés
de la nation. 11 semble qu'on ne pourrait imaginer de
pronostic plus menaeant pour la conservation de Ja .
Iiberté, et qui indique plus Iácheusement la venuede ce
despotisme que M. Hume a nommé Yeuthauasia de
notre Constitution.


Cependant i l Y a~ .d' un autre coté, certaines choses
qui, si ron en sait tirer avantage, promettent encore
une certaine durée a notre liberté eonstitutionnelle .


.De ce nombre sont, a rnon avia.la Dette Nationale et
la Liberté de la Presse ; deux ordres de faits extreme-
ment dissemhlahles tant dans leur nature que dans
leurs tendances, et qui néanmoins oot ceci de eommuu
qu'ils servent d'obstacle au complet établissement du


-despotisme.
La, Dette Natíonale est la grande cause des impóts


quí pésent sur le pays. Or, 00 ne eonnait pas dans
I'histoire de paY880Utnis au despotisme qni ait sup-
porté des impóts aussi lourds que ceux dont le pays est
chargé. C'est la liberté, COmIDe Montesquieu fa fait
observer avec raison, qui seule rend tolérable aune !la-
tion de lourds impóts. Si dono le despotisme devait
s'étahlir en Angletel're il lui faudrait d'ahord abolir la
Dette Nationale. Auss! quiconque posséde des rentes
sur l'État ea! par cela méme intéressé arepousser l'é-
tahlissement du despotisrne.




.. LIBERTÉ DE LA PRES8E. 303
On objeetera peut-étre que laréduetion des taxes se..


rait déjaUneme8ure si populaire que le pays censen...
tirait a Mre privé de ses lihertés a la condítion qu'on le
déharrasserait en méme temps des eharges qu'il sup-
porte. Mais outre que de grands intérets s'opposentü
l'accomplissernent d'un pareil projet par un Boí d'An-
gleterre, la masse du peuple, j len suis eonvaincu, pré...
fére la discussion ouverte des aífairee publiques aveo dé
grandB impóts aune monarchie ahsolue avec des taxes
légeres.


Apres la Dette nous avons pour arréter I'influence de
la COUI'Onne la Liberté de la Presse. Il semhle ditíícile
qu'un peupls puisse passertout d'un eoup de la pleine
lamiere oú s'agitent les questlons politiquea a l'obscu...
rité profonde du despotisme, et au rnutismequi I'ac-
eompagne. Mais les avantages que procure la liberté de
la presse, pour assurer le maintien de la Constitutiou,
méritent qu'on s'étende un peu lá-dessus.


11 semhle qu'on pourrait eouclure de quelques-unes
des ohservations précédentes, que la lumiére brillante,
répandue sur toutes les aífaires publiques tend plutót a
augmenter l'írritabilité, et adiminuer le pouvcir de nos
organes visuels, qu'á les rendre plus forts et ¡Plu~ par..
faits, Tout en tenant eompte des maux qui résultent
d'une tensíon exeessive de l'esprit dansles matiéres po..
Iitiques, nous verrons néanmoíns qu'Il reste encoré
assez· de bien pour nous fuíre ehérir la liberté de la
presse eomme la sauvegarde et le guide de toutes les
autres.


Avant d'eaaminer quelquee-uns des avantages de la




~.~f!I{, . ):J;m~R!É D'E LA PRE&~E. •
:p:J!~~e, rappelons-nous encore qu'il est absurdo de
parler de sa libert:é sans parIer· de ,sa licence, T011te
tentative faite P?ur réprimer sa Iicence autrement que
par la force de la loi, apres que le 'délit a été commis,


j doit aussi restreindre sa liberté. Accomplir I'un sans
l'autre serait aussi difficile que de faire que le soleil
porte nos fleurs et nos fruits á perfection satis jamais
nous hrüler le visage.


Bien des gens ont une fausse idée de la presse. lIs
voient en elle un pouvoir indépendant et régulier,
comme la Couronneou la Chambre des Communes, La
presse.n'est rien de plus que le moyen d'exprimer, par
un langage perfeetionné, les opinions des grandes mas-
ses sociales., Si, en efiet, ces opinions, quelque bien
défendues qu'elles soient, sont des paradoxes particu-
Iiersá l'individu qui les publie, elles produisent aussi
peu d'effet au milieu de seize millions d'hommes que
dans une compagnie de trois ou quatre. Ce n'est pas
non plus le sentiment d'A, rédacteur d'un journal, ni
celui de B, rédacteur d'un autre, qui iuílue sur la mar-
che du gouvernement. Ces individus sont peu connus, si


, tant est qu'ils le soient: al'exception d'un ou de deux,
les journalistss sont inconmis : c'est par leuradresse a
recueillir, aincorporer ensemble, dans une feuille quo-
tidienne les sentiments et lesraisonnements qui se lient
aux intéréts comme aux affections des grandes masses
de leurs compatriotes, que leurs écrits acquiérent de la
réputation et un grand nombre de lecteurs; mais ils
s'efforceraient inutilement malgré la présence de la
presse quotidienne, dindisposer d'une facón perma-




• LIBERTÉ DE LA PR:ESSE. 305
nente le peuple centre de's lois qu'il aime ou un mi~ís­
trequ'il révére. Ilsn~ seraient ni redoutés ni méme lus.
Ce serait en vain aussi qu'un godvernement vicieux,
oppressif, détesté, étoufferait la liberté de la presse.Ce ~
n'est pas la p~esse qui.a renversé Charles I", et l'Inqui-
sition De put conserver aFerdinand Vlfson autorité des-
potique. Le complot ténébreux, la conspiration secrete,
l'émeute subite, l'assassinat solitaire peuvent tous se
trouver oú la liberté de la presse n'existera jamáis.
Enfin, si un gouvernement venait él l'interdire OU elle
existe, sans détruire en meme temps les causes de sédi-
tion, sa folle terreur et sa précaution impuissante don-
neraient probablement lieu aplus de crimes ainsi qu'á
moins de sécurité.


Quiconque examine les gouvernements célebres de
l'antiquité ou ceuxdes temps modernes qui n'ont pas
toléré la liberté de la pr~sse, doit étre frappé de les
voir déchus,non par l'effet d'aucun vice inhérent aleurs
institutions, mais par la pertegraduelle de la vertu
nationale et par la corruption du peuple méme aussi
bien que de ses chefs A Sparte comme á Bome, cette
corruption peut· étre attribuée dans ses com~ence­
ments, al'importation d'une opulence soudaine agis-
sant sur une nation dont la liberté· et les moeurs
avaient pour fondements la pauvreté et le mépris des
richesses. Mais la chute précipitée d'un État corume
celui de Rome, dans un abime de corruption et de
vénalité,ne peut avoir lieu que lorsque la masse du


.peuple, atteinte de vices politiques et moraux, est dé-
liée de tout sentiment de pudeur par .l'absence d'un


20




306 LIBERT~ DE LA PRES&E. •
frein puissant sur l'exercice de, sa volonté.. SQUS l'un
et l'autre de ces rapports, l'~ngleterre l'emporte sur
Rome. Ses institutions n'ont pas pour fondements la


.barbarie de ses mreurs et la pauvreté de ses législa-
teurs.Chez nous, le cornrnerce et l'industrie de tout
genre ontété constarnment les objets favoris de la 10i.
D'un autre coté, il n'est pas facile ni a nos gou~er­
nants, ni a notre corps électif de se soustraire a la
crainte de la honte. Leur conduite n 'est pas soumise
au jugement d'une seule ville : elle est publiquement
examinée par seize millions d'individus ; elle l'est par
I'Europe, par l'Amérique, par le globe entier. La na-
tion est elle-mame trop nombreuse pour étre en géné·
ral séduite par les agents de la CouronnevDans un
village de cent feux, deux ou peut-étre quatre cheís
de familles céderont a l'influence du gouvern~me~t,
mais les quatre-vingt-seize autres resteront maitres
d'adopter telle doctrine politique, .comme deprendre
tel journal. Nul écrivain anonyme n'oserait méme
faire appel a des principes qui ne fussent pas ho-
norables. Il n'a pas encore .paru, un seul journal
ou pamphlet qui j ustifie la vénalité des juges ou
l'application de la torture, et on ne connaít aueune
tragédie qui présente la lácheté a notreadmiration ,
ou cherche a rendre l'envie aimable a nos yeux.
Les plus rnéchants des hornmes airnent la vertu
au moins en théorie. ""


lO La seule chose qui ressémble a cette inf1uence de l'opinion pu-
blique est la censure Romaine. Voici ce qu'en dit Montesquieu: e Il.
faut que je parle d'une magistrature qui contribua beaucoup amain-




• LIBERTÉ DE LA PRE88E. 307
Dans les tempsordinaires, iI est évident que I'exer-


cice de cette censure doit étre .salutaire au pays. Aucun
homme d'état ne saurait espérer que ses corrup-
tions,' ses manreuvres , ses intrigues, ses tergiver-
sations échapperont a une vigilance qui ne sornmeille
pas, a une activité qui ne se ralentit jamáis. Que les
journaux se consaorent plus au service des partis
qu'á la recherehe de la vérité, la vérité n'éprouve pas
pour cela d'obstaele important: ils sont comme des
avocats plaidant dans une grande cause nationaley et
apres avoir entendu les deux partis, la nation peutdé-
cider entreeux, Les avantages de la publieité ne sont
pas non plus simplement spéculatifs ; chaque jour
DOUS en jouissons o Un des effets les plus \TemaTqna-
bIes de l'opinion publique; qui mérite d'étre cité; est,
peut-étre, l'intégrité personnelle de nos hommes -d'état
sous le rapport pécuniaire. Sous le regne de Charles II,
et bien aprés encore, les plus grands hommes- du
royaume n' étaient pas inaccessibles a ce qu'á :présent
nous appellerions corruption. Du temps de Lord Nortn,
plusieurs membres du Parlement étaient influencés
par l'argent sous sa forme la pluagrossiere et la plus
palpable, A quelque point que .puisse régner la méme
influence sous une' autre forme, a.l'époqueactuelle, il


tenir le gouvernement de Rome : ce fut celle des censeurs. Ils corri-
geaient les abus que la loi n'avait pas prévus ou qu,e le magistrat
ordinaire ne pouvaít pas punir. Ily a de máuvais exé~pies quisont
pires que les crimes ; et plus d'États out périparcequ'on a' violé les


_mreurs que paree qu 'on a violé les lois. » Mais les censeurs étaient
. des hornrnes, et les hornrnes finirent par n'avoir plus d'égards pour
eux.




r ·· ···. '.' .. ''~"·"'··•..•:·'-I"· "~, ... ,'!w'
308 LIBEHTÉ DE LA PRESSE•


.est impossihle de ne pas avouer qu'il ya plus de déli-
catessepeesonnelle, et; j'ajouterai , un sentiment "plus
élevé de l'honneur. Mais le plus grand hienfait de.la
puhlicité est de corriger et de neutraliser les vices de


.nos institutions , quand elles ne les fait pas immédia-
tement disparaítre. Pour en venir de suite a la. preuve
la plus décísive .Ia Chambre des Communes est ápré-
sent composée d'éléments tels que, si elle fermait ses
portes et se dérohait a toute influence extérieure, le
peuple verrait bientót que son esprit est si éteint, ses
organes si aífaiblis, ses actes si peu tolérablesqu'il
ne voudrait plus se soumettre a un pareil gouverne-
mento Mais nous voyons sans cesse que le talent d'un
seul membre l'emporte sur l'opinion de la Chambre
entiere ; et qu'un ministre, apresavoir, d'année en
année, protégé par des discours pleins d'assurance et
par d'aceahlantes majorités un abus chéri, bat secrete-
ment en retraite, el abandonne le terrain sur lequel il
semblait avoir pris une position inexpugnable. La
Chambre des Communes elle-méme ne peut éviter
d'étre influencée sur les grandes questions par l'opi-
nion générale du dehors. Si ses membres pouvaient se
réunir et discuter chaque jour les affaires de 1État,
prononcer des discours qui se lisent depuis Caithness
jusqu'á Cork, exposer leurs proeédés et leurs argu-
ments aux·yeux de la nation, et cependant n'avoir
aucun égard pour les sentiments de cette méme
nation, il faudrait qu'ils fussent plus ou moins
qu'hommes..


.Parmi es questions sur lesquelles iI me semble que




..


LIBERTÉ DE LA PRESSE. 309
la Chambre. des Communeseat disposée ase relácher,
il ybn a une relativement alaqueIle on doit bien s'at-
tendre 3; ce qu'elle soit affectée cdinme les autres indi- .
vidus et les autres corps, car son propre pouvoir y a
un rapport intime. le. veux parler de la question du-
privilég~. D'un coté 00 ne saurait guere nier que cette
assemblée, de mémeque les autres cours, doit avoir
la faculté de garantir ses travaux de toute interruption ;
el' qu'il ne conviendrait ni asa dignité, ni a la süreté de
rÉtat, de laisser aux autres cours a définir en quoi
eette interruption consiste, ou de renverser -I'ordre
qu'elle a erú nécessaire d'établir pour assurer la liberté
de ses délibérations. ·Cette faculté reconnue, on ne peut
nier, d'un autre coté, qu'on a abusé grossierement et a
différentes fois, de ce qu 1 on nomme privilége du Par-
lement. En 1621, Floyd, membre Catholique Romain,
s'étant servi de quelques expressions ofiensantes pour
la filIe de Jacques et pour son mari , fut condamné
par la Chambre des Communes a deux expositiens au
pilori, aparcourir les rues a cheval, la queue du eheval
en main, et aune amende de 1,000 l. st. En 1759, un
péeheur qui avait peché dans le vivier de I'Amiral
Griffiths, membre du Parlement, fut déclaré, par vote
de la Chambre, coupable d'avoir violé son privilége ,
et condamné arecevoir une réprimande agenoux. Voilá
certainement des actes de tyrannie et de caprice. On
peut méme considérer comme un abus de privilége
tout emprisonnement ordonné par la Chambre pour
un Iibelle qui ne tend pas directement a interrompre
ses' travaux. La vraie maniere de procéder dans un tel




810 LmERTÉ DE I.A PRESSE.
,


casseraitde requérir la Couronne d'ordonner a· l'Al-
tomeg-Oéaénal de pounsuivre le délinquant devant une
cour de justiee. Le -peuple. Angl~is est naturellement
ornbrageux, qu.and il voitdes .accueateurs devenir
juges, et prononcer sans -jugernent, des. peines pour
des erimee-commis centre eux-mémes. ,


Il. Ya encore une autre chose importante .qui releve
de l'opinion. publique, -c'est la constitution du Parle-
mentlui-méme. Les abus quirégnent dans laChambre
pes .Cornmunes, quelle que, soit leur étendue, ne sub-
sistent que par!a toléraoce dupeuple. Si le peuple per-
siste a demanden avec une résolution opiniátre a en
exiger r amendement, ces abus disparaitront, j'en suis
persuadé..Partout oú les discussions sont publiques, la
vérité finit par prévaloir, et les gens riches quelque
peu disposés qu'ils soient aux réformes, préférent en-
core des .réformes aun état demécontentement géné-
ralet permanent dans le peuple.


Je n'ai parlé icique de laChambre des Cornmunes;
mais toutes les autres. COUfS, autorités, et prééminences
sont sujettes ace méme controle de la. publicité, et le
méme _remede les préverve de la décadenceá laquelle
elles sont naturellement sujettes. Ilest vrai, comme
nous l'avons observé dans un chapitraprécédent, que
dans les temps de grande fermentation, la force préser-
vatrice est suspeudue ; mais si la Constitution ne suc-
combe entierement dans.Ia tourmente, la nation revise
bientót ses actes, et contracte souvent une sorte d'hor-
reur religieuse -pour la violence faite ases droits les
plus sacrés. De la, un amour plus grand que jamais




LIBERTÉ DE LA PRESSE. 311
pour les -lois qui paraissaientle plus en danger 'd'etre
renversées; de la encoré, une nouveHe jalousíe des an,
eieunes prérogatives nationales. -D'ailleura, comme je
l'ai déja dit, il est impossible d'aller plus loin sans
soumettre la presse a une censure, et une, pareille
proposition, j'en suis convaincu , souleverait tout le
pays.


Ensomme, pour résumer les circonstances qui favo-
risent et cenes qui repoussent l'établissement du pou-
voir arbitraire en' Angleterre, nous avons d'un coté'
l'immense patronage de la Couronne, la·corruption des
bourgs, l'horreur causée par la Révolution Franqaise,
la disposition oú l'on se trouve de' rechercher la ga-


.rantiefacile des propriétés, I'absence de' réspect pour
les anciens usages, la ',couturne récemment introduite
par malheur de recourir a de nouveaux remedes et a
des restrictrons nouvelles des que se montrent des
excés populaires, 'enfin l'accroissement de la popula-
tionqui rend l'apaisementdes troubles moins ra-
pide, et les fait paraitre plus redoutables qu'autre-
fois. Ajoutons'a cela qu'un de nos derniers ministres a
beaucoup abusé de ces moyens de gouvernement que
nos ancétres-du parti Whig ont été les premiers a ern-
ployer, ce qui a excité la haine du peuple contre le
systeme gouverne'mental, et apporté de grandes diffi-
cultés au maniement de ce systéme par tous les minis-
tres d~ l'avenir. M. Pitt ayant été chargé, des son jeune
age; de diriger- le gouvernement, suractiva la vie de
la nation. Partout régnérent alors la prodigalitéet la
profusion; chaque année le royaume emprunla avec




~ ...


..• 3i~ .... LIBERTÉ DE. LA PRESSE.




une .extravavaganceet une étourderie toujours erois-
. -. ~a:t'lt,~s..;· des facilités nouvelles et artíflcielles furent in-


ventées pour nous mettre a méme de nous plonger
dans les dettes ; la pairie fut dépréciée par des créations
qui, en méme temps, alTaiblirent la petite noblesse
.du.royaume ; l'application, par intervalles, des stimu-
lants les plus nuisibles, produisit une vigueur faetice;
onobtint un repos temporaire aux dépens de la santé
permanente el de la force vitale. C'est ainsi qu'un
corpsformé pour durerplus longtemps que ne durent
les autres pourrait succomber a un épuisement pré-
maturé. Les nationsquiont été nos inférieures ou nos
rivales nous observent avec le bonheur .de l'envie, es-
pérantqu'eIlesnous verrontmourir d'inanition oupérir
au milieu deconvulsions sociales.


D'un autre cóté, nous avons, pour nous· consoler1 la
diñusion généraledeslumieres, l'habitude enracinée de
lalibertá.et la süretédes propriétés qui dépendent préci-
sément decetteliberté. Nous avons un peuple dont les'
mceurs sont vertueuses, et la moralité d'une moyenne
tres-élevée. L'existence, chez nous, s'est plus améliorée
et embellie que partout ailleurs , sans rien perdre de
notre énergie et de notre pureté traditionnelles. Nous
avons une constitution politique qui favorise, au lieu
de le restreindre, l'essor de la richesse, du com-
merce, de la science, et des beaux-arts; nous avons
le monde civilisé pour auditoire, et c'est devant lui
oue nos hommes d'état doivent défendre leur con-
duite..


Ces considérations semblent nous montrer une voie




·. "f'"~..~""""."" .'.. ~ -, . .•...- .:'.',
'. • • ,.:- o:' '"':' ...... ,,.0:..


...... ..... , .'. -


LIBERTÉ DE LA PRESSE. .'3i~' ' ."".
de salut au milieu des ,dangers qui ~urraient Il~US '•• J
m.~t\.aAe~ .. NQll& a~Qu.& '1:11. ~e tQta~e UQt.t~ l\~ll~~'.
exprime sonopinion vigoureusement et virilement, sa
voix est écoutée. Si done lepeupJe sait résister avec
énergie aux abus qui se glissent lentement, et aux
innovations violentes et soudaines qui affaiblissent et


.. déparent l'édifice de notre liberté, eet édifice peut en-
core étre préservé dans son intégrité. Mais, pour arri-
ver a ce but, il faut que nos gentilshommes saeriñent
quelque peu de leurs aises afin de maintenir la liberté.
n faut qu' ils se résignent a écouter le vacarme des
orateurs sans en prendre frayeur; il faut que d'une
.main ferme ils débarrassent le corps poli tique du mal
qui le mine. En un mot, il faut qu'ils consentent a
réformer ce qu'il ya de· barbare ,de. .servile, et de
corrompu dans nos institutions. Il fautqu'ils éta-
blissent l'harmonie daos notre gouvernement et qu'ils
le conforment a I'état intellectuel du pays. I'espere·
de tout cceur qu'il en sera uinsi. J'ai confiance que
le peuple de ce grand pays, aidé de notre noblesse,
présentera un spectaele digne de l'admiration univer-
selle. J'espere que cette noblesse se conduira ho~o­
rablement auprés du, peuple, et que la nation ne per-
dra pas les avantagesqu'elle a obtenus au prix de
toutes les miserea les plus grandes qu'une nation
puisse endurer, - en subissant des persécutions, en
combattant la tyrannie, en se livrant a la guerre ci-
vile, en se soumettant. au martyre, en luttant ouverte-
ment centre des Puissances qui jetaient la terreur dans
le reste de l'Europe. J'ai l'ardente confiance quetoutes




314 LIBERTÉ DE LA PRESSE.
les classes de la nation .ont encore l'esprit pénétré de
ce sentiment qu'exprimait notre immortel Milton : -
« Que l'Angleterre n' oublie pas que la premiére elle a
appris la vie aux nations. »


FIN.




APPENDICE.


CA)
PAGE XXI.


Extrait de la Circulaire adressée auai ministres d:Autriche, de
Prusse , et de Bussie pres les Cours Etrangeres.


Leybach, 21 Mai 1821.


,c.. Les changements utiles ou nécessaires dans la législa-
tion et dans I'admínístratíon des ~tats, ne doivent émaner
que de lavolonté libre, de l'impulsion réfléchie et éclairée
de ceux que Dieua rendus responsables du pouvoir. Tout
cequisortde cette ligne cbnduitnécessairementaudésordre,
auxbouleversements, ades maux bien plus insupportables
que ceux que l'on prétend guérir.


o:Pénétrés de cette vérité éternelle, les souverains n'ont
pas hésité ala proclamer avec franchise et vigueur ; ils ont
déclaré qu'en respectant les. droits et I'índépendance du
pouvoir Iégítime, ils .regardaíent comme légalement nulle
et désavouée par. les príncipes qui constituent le droit
public de l'Europe, toute pretendue réforme opérée par la
révolte et la force ouverte. Ils ont agi en conséquence de




3J6 APPENDICE.


cette déclaration, dans les événements de Naples, dans ceux
du Piémont, dans ceux qui, sous des circonstances tres-
différentes, mais par des combinaisons également crimi-
nelles, viennent de livrer la partie orientale de l'Europe a·
des convulsions incalculables. »


(B)


PAGE XXIII.


Une pétition présentée en Février 182/"', signée par tous
ou presque tous les principaux manufacturiers en soies de
laCité de Londres, excitera quelque surprise. Elle était di-
rigée surtout contre le plan de M. Huskisson pour abaisser
les droits prohibitifs sur les soieries atrente pour cent ad
oalorem, Les pétitionnaíres déclaraíent qu'ils avaient appris
avec le plus grand étonnement qu'on avait proposé d'adop-
ter une mesure aussi importante que la réduction de
5 s, 6 d. á 6 d. par livre sur la soie grége d'Italie et de
Chine; de 4.s. a 3 d. par livre sur la soie grége du Bengale;
et de 14 s. 8 d. a9 s. 6. d. par livre sur la soie filéed'Italie,
et que l'admission des soieries étrangeres dans ce pays
sans qu'on ait communiqué préalablement ce projet aux
personnes qui ont dans les différentes branches de ce com-
merce des intéréts qui ont lieu d'étre sérieusement alar-
més par la mesure proposée , etc. :ll - Hansard's Debates,
nouvelle serie, vol. X, p. 37 L


Le 24 Février 1826, commenca le débat décisif qui aboutit
áun vote favorable ala cause du libre échange. C'est dans
ce débat que M. Canning parla ainsi : - Ir Jl est curieux de
remarquer comme on est disposé quelquefois a adrnirer
dans la conduite d'un grand homme l'exception plutót que




APPENDICE. 317


la regle; cette admiration mauvaise ressemble al'idolátrie
des natíons barbares qui pense voir sans émotion la splen-
deur du soleil en plein midi, maís qui, lorsqu'il subit une
éclipse, sortent pour l'adorer, en chantant des hymnes et
au bruit des cymbales.... Marchant d'un pas inégal sur les
brisées de ce grand homme, je ne crois pas qu'il soit de
mon devoir de choisir de préférence les traces qui restent
de lui la oü l'incertitude de l'époque a pu l'égarer. » -
lIansard's Debates, vol. XIV, p. 856.


Voici le résultat du vote sur cette question: -
Pour la nomination d'un comité d'enquéte,
Contre . . • . . . . . . .


Majorité, . .


(C)
PAGE XXXVIII.


qO
. 222


• 180


Les passages suivants de l'ouvrage de M. MilI montreront
que je n'ai pas travesti sa pensée. Je les emprunte ason
Essai sur le Gouvernement Représentati(.


(Page 172.) a: Quand deux associés dans une affaire quel-
conqueont des opinions dífférentes, la justice exíge-t-elle
que l'une soit regardée comme étant précísément de la
mémevaleur que l'opinion de l'autre? Sil! égalité de mora-
lité, l'une est supérieure a l'autre ensavoíret en intelli-
gence, - ou bien si, aégalíté d'intelIigence,l'une l'emporte
sur l'autre en moralité, - l'opinion de celle qui a plus de
moralitéou plus d'intelligence vaut mieux que l'opinion de
l'autre; et si les institutions du pays déclarent virtuelIe-
ment que les deux ont la méme valeur, c'est une affirma-
tion erronée. L'undes deux associésen sa qualité d'homme-
plus sage ou meilleur a droit a plus de considération: la
difficulté consiste adécider lequel des deux a réellement




318 APPENDICE.


ces avantages moraux OU intel1ectuels ;chose impossible
quand il s'agit seulement d'individus, mais qui, 'lorsqu'on
prend les hommes en masse et en bloc peut se faire avec
une certaine approximation.


(Page 173.) CI Or, les affaires nationales constituent une
association de ce genre, avec cette différence que personne
n'est appelé, dans ce cas, él sacrifier complétement sonopi-
nion. On peut toujours la faire entrer dans le calculret la
compléterpour un certain chiffre, en attribuant un coef-
ficient plus elevé aux suffrages de ceux dont l'opinion mé-
rite plus de poids. Il n'y a rien, dans un tel arrangement,
qui soit nécessairement préjudiciable a ceux qui orit ainsi
moins d'influence que les autres. Autre chose est priveren-
tierement une personne dn droit qu' elle a d'avoír voix aux
délibérations communes, et autre chosed'accorder a des
personnes une voix plusinfluente acause de leurs aptitudes
plus grandes a la direction des intéréts communs. Ce sont
la des choses non-seulement différentes mais sans com-
mune mesure. Tout homme pourrait regarder comme une
insulte qu'on le traítát .comme une.non-entíté, sans valeur
quelconque. Mais un sot seulement, et un sot d'une es-
pece particulíere se sen! offensé quand on lui dit qu'il y a
d'autres individus dont l'opiníon et méme dontla.volonté
mérite plus de considération que la sienne.N'avoir aueune
voix dans des affaires oü I'onestintéressé pourpartie, c'est
ce a quoi personne, ne consentírait volontiers, mais quand
on sent que d'autres personnes qui y sont aussí intéressées
entendent mieux l'affaire, on n'est point surpris que 1'0-
pinion de ces autres personnes soit plus, appréciée; c'est
la: ce qu'on s'attend avoiret ce que, dans le cours ordi-
naire de la, vie, OO,a l'habitude d'approuver, Seulement il
faut que cette supérioríté d'influence he s'obtienne que
pour des motifs dont on pourra saisir et la portée et la
justice. .


.. I •. •


(Page 17"'.) .•La démocratie, du.moinscelle de notre pays,
n'est pas jalouse ~aintenantde la supériorité individuelle;




APPEN pICE. 319,


mais elle l'est tout naturellement et ajuste títre, de la su-
périorité qui a pour unique raisond'étre l'argento Le seul
motif qui puisse permettre de regarder l'opinion d'une per-
sonne comme .l'équivalent de plus d'une opinion, c'est la
supériorité individuelle de l'intelligence; et ce qu'il faut,


. c'est un moyen de calculerapproximativement cette supé-
riorité. Si nous avions une éducation réellement nationale,
ou s'ilexistaít chez nous un systeme d' examens sur lequel
on puisse compter, on apprécierait directement le degré
d'instruction. Faute de ces avantages, la nature des occu-
pations d'une personne offre un certain criterium. Un en-
trepreneurest en général plus intelligent qu'un manreuvre,
car il doit travailler de la tete et non pas seulement des
mains, Un contre-maitre est ordinairement plus inteHigent
qu'unsimpleouvrier, et un ouvrier dont la professíon qui
exige de l'habileté l'est plus que celui dont le métier n'en
demande point. Un banquier, un négociant, ou un manufac-
turier sontvraisemblablement plus intelligents qu'unbro-
canteur paree qu'ils ont adiriger des aífairesplus considé-
rableset plus compliquées.
. . . . .


(Page 176.) « Les examens locaux, dits « middle-class
examinations, . pour obtenir le degré d'associé, dont on a si
fort approuvé la création al'Université d'Oxford, et tous les
examens analogues que d'autres corporations compétentes
pourront instituer, pourvu qu'ils soient accessibles a tout
le monde, indiquent Iemoyen qui pourrait étre employé
pour décerner une pluralité de voix a quíconque aurait
subí des. épreuves suffísantes. Toutes ces idées peuvent,
dans le détail, donner lieu a des discussions qu'il est inutile
d'ouvrir des maintenant. Le moment n'est pas venu ~e
donner une forme pratique aces projets, etje ne peux.pas
me .regatder comme lié. par. les propositions partículieres
que j'ai faltes. Mais il est évident pour moi que c'est dans
cette direction que se trouve .l'idéal du gouvernement re-
présentatif; et que' travailler dans ce sensen employant
les meilleursprocédés qu'on .pourra, c'est le moyen d'ob-
tenir une amélioratíon réelle dans la politiqueo




820
• •


APPENDICE.
. . . . ..


(Page 177.) «J'ajouterai que, selon moi, un point nécessaire
el essentiel du systeme de pluralité, c'est qu'il soii loisible
a l'individu le plus.pauvre de réclamer les priviléges qu'ac-
corde la société s'il peut prouver, qu'eri dépit de toutes les
difficultés et de tous les obstacles.Jl est parvenu as'en ren-
dre digne. Il devrait y avoir (fes examens volontaires aux-
quels toute personne pourrait se présenter pour prouver
qu'elle est arivée au degré de savoir et d'habileté qu'on
regarde comme suffisant pour mériter une pluralité de
voix, et pour acquérir ainsi ce privilége.


Un privilége qu'on ne refuse jamais a quiconque dé-
montre qu'il réalise les conditions qui y sont attachées -en _
théorie et en principe ne. répugnerait pas nécessairement
aux sentiments de justice; maís il en serait autreraentsi,
conféré d'aprés des présomptions générales dont l'infailli-
bilité n'est pas reconnue, ce privilége était refusé a qui
offre la preuve directe de ses aptitudes.. » - JOHN STUART
MILL. Gouverne'TTI.ent Représentatif. .


(D)
PAGE LXIX.


En 1832, la peine de mort fut abolie pour le vol des bes-
tiaux, des chevaux, des moutons, pour le larcin dans une
maison habitée d'un objet dont la valeur est de 5 l. au
moins, pour le faux-monnayage et le faux en écritures
(excepté pour les faux en matiére de testaments et de pro-
curations destinées au transfert de fonds publics); .l'effet
de cet adoucissement dans la loi se traduit par la dimínu-
tíon des sentences capitales qui de J449, en 1832, sont .des-
cendues 3.931 en 1833. Cettepeine fut abolie- en 1833. pour
le vol avec effraction a l'intérieur; en 1834, pour le retour
en cas de transportation, et, en 1835, pour le sacrilége et le
étournement de lettres par les employés de la Poste; une.




APPENDlCE. '3ft'1;.. '.'
nouvelle diminution se produisit en, conséquence dans .le '
nombre des condamnés amort en 183q-35':36 et 37.


Lesactes passés en 1837"(lre année du regne de Victoria),
réduísírent' les crimes capitaux aux suívants :-assassinats
et tentatíves d'assassinat; ,enlevement el víol de filies au-
dessous de 10 ans; crimes centre nature; attaques a main
armée, avec violence centre les personnes ; volaecompagné


. .


de coups et blessures; incendie des maisons habitées, met-
tant en danger la vie des personnes qui s'y trouvent. Il y
avait encore la trahison, la piraterie avec tentative de
meurtre, 1'acte de- faux signaux pour causer des naufra-
ges; celui de .mettre le feu aux vaisseaux de la Marine
Royale; l'émeute et la destruction de maisons dans les
moments de troubles; le détournement de, valeurs par les
employés de la Banque d'Angleterre. M~i~ c~s .crimes sont
rares,


Apras que ces Actes eurent été passé.s;. ~e :nombre des
sentences capitales tomba de 116 en ·1838 a-56 en, -1839.
En 18" L(qme et r>me années de Victoria), lapeine :<Je mort fut
abolle pour l'enlevement, etc., l'abus de confíanee, etc.,
l'émeute, etc. La moyenne des sentences capitales dans les
années suivantes, de 1850 [usqu'á 1861 inclusivement, ne
fut plus que de 59-5. .


Depuis qu'en 1861 des Actes ont décrété la consolidation
des statuts criminels, 1'assassinat et la trahison sont les
seuls crimes qui entrainent la peine de mort; les condam-
nations amort pendant chacune des deux années 1862 et
1863 n'ont été qu'au nombre d~ 29 (dont 'une avaít. été
prononcée en 1862 pour tentative d'assassinat commise


. avant la mise en vigueur des Actes de 1.S9l).',' ,.


MINISTERED'E L'INTÉRIEUR. .
22 Nooembre 1861¡.


"


...


21




322 APPENDICE.


TABLEAD du nombrede personnes condamnée.s amort pour assassínat ; du
nombre total des condamnésamort; du nombre d'exécutions pour meurtre,
et du nombre total d'exécutions pour chaque année depuis 1823 inclusive-
ment, avec la moyenne du nombre pour chaque période de dix années,
1823-32, 1833-42, 1843-52, 1Sf,3-62, et les nombres pour I'année1863, avec
la propornon des moyennes, relatívement a la population pour chaque
période de dix années.


CONDAMNÉS A MORT. EXÉCUTÉS.
-
~-........


ANNEE.
.A", ..-


Pour Nombre Pour Nombre
meurtre. total. , meurtre. total.


----


1823 .........••....••• 12 968 10 54
1824 ..•.........•..... 17 1,066 15 49
1825•• ' . , ..•.... , ...•. 12 1,036' 10' 50
1826. , .........••..... 13 1,203 10 57


. 1827 ..•••...........•. 12 1,526 11 70_ .
1828. ................ 20 1,165 18 59
1829...•...••.•...••.• 13 1,-384 13 '14 ~·;0 I
1830 ................... 16 1,397 14 46
1831 .• " ...•••...•.•.• 14 1,601 12 52
1832.•.••..•.. ....... 20 1.449 15 54


Moyenne de dix années.• 14,9 1,279,5 12,8 .56,5


Proportion de la moyenne un sur un sur un sur 'un sur
a la population.•.•... 863,234 10,123 996,039 229,177


1833 .•.• , ... .......... 9 931 6 33
1834 .....•.••.•.•. .. 13 480 12 34
.1835. . .....•.....•.••• 24 523 21 34
1836 .•• , ••. , ..••..•..• 20 494 8 17
1837•.•.•.••....... , •. 11 438 8 8
1838 , .. , , ...• ' . "•.... , 25 116 5 6
1839..•.... , .•.•..... 12 56 10 11
1"840 •••••••••••••••••• 18 77 9 9
1841 •.•.•. r ••••••••••• 20 80 9 10
1842 •.•.•.•....••..... 16 57 9 9


Moyenne de dix années.. 16,8 325,2 9,7 17,1


Proportion de la moyenne un sur un sur un sur un sur
a la population. . . .. . . 887,230 45,834 1,536,646 813,185




APPENDICE.
TABLEAU des personnes condamnées amort, etc. (SUITE du),


323


CONDAIlNÉS A 1l0RT. ExECUTÉS.
'---- - ---_-.....-~---...ANNgE.


1843.. . '" . '" '" '" '" '" '"
J844 '" "' .• "'. "'. '" '" '" '" . '" •...
1845..••......•..•.•..
1846 ..- .•..... '" .
1847 ....• ; ••••• '" . '" '" '" '" '"
184.8 '" '" '" . '" '" .. '" '" '" . '" '" '" '" '" '"
184'.J '" '" '" '" . '" '" . '" . '" '" '" '" '" '" '"
1850 '" '" '" '" '" '" '" ,0. '" '" '" '" '" '" '" '" '"
1851••.•.. '••••..•.•...
1852. . • .• .'...... • ..


POUf
meurtre,


22
21
19
13
19
23
19
11
16
16


Nombre
total,


9T
57
49
56
51
60
66
49
70
61


Pour
meurtre.


13
16
12
6
8


12
15
6
9
9


Nombre
total.


13
-, 16'


12
6
8


12
15
6


10
9


Moyer.ne de dix -années.. 17,9 61,6 10,6 10,7


Proportion de la moyenne un sur
a la population. . . . • . . 945,300


un sur un sur . un sur


274,692 l ,596,.~~ 1.,~8.1 ,3!X)


1863 •••• ~ é •••••
1854 .•..•••••.••••••.
~1555.• '" • '" '" '" '" '" '" '" ,0", '" '" '" '" '" '"
1856. . • • . • . . • • . . . .. •.
1857 •.•••. ~ ••..•.•.•••
18&8•..••••.•••.••••.•'
1859.. '" '" '" . '" '" '" '" '" '" '" . '" '" '" '" '"
1860'... ,". '" . '" '" '" "': '" .• '~ '" '" .
.1861 •••...••••..•••.•.
1862. r:> •• • ..


17
11
11
31
20
16
18
16
26
28


55
49
50
69
54'
53
52
48
50
29


8
5
7


16
13
11


9
12
14
15


8
5
7,


16
13
11
9,


12
15
15,


Moyenne de dix années.. ' , 19,4 50,9 11 . .J1,1


Proportion de la moyenne un sur
, alit population o' • • • • • ~'79, 22~)


.. ., . .


---1 ----1


un sur un sur . un sur
373,220 t,7'26,992 'l, 711 ,434


1863 .... .'", "' .. "' .•....... 29 29 22 ·22
!-_------,--~--_:....__..:-_-..;._.....--1


N. B. Le rapport a. la population est calculée sur les moyennes de deux
recensements pour chaque période. 1821 et 1831, 1831 et 1841,1841 et1851,
1851 et 1861.


La proportion du nombre des étrangers a été de 1 en 1855; de 4 en 1856',
de trois en 1858, et dans chacune des années 1860, 1862, et 1863 de 1.





APPENDICE.


IRLANDE.
TABLEAU du n0mPre de personnes condamnées amort pour assa.s~; du


nollbre total decondamnés amort; du nombre d'exécutions pour assas-
sinat;du nombre total d'exécutions pour chaqueannée, depuis 1823 ínclu-
Slvement, avec la. moyenne des nombres pour chaque période de dix ano.
nées, 1823-32, 1833-42, 1843-52, 1853-62, et les nombres pour l'année
1863, avec la proportion des moyennes, relativement ala population, pour
chaque période de dix ans. .


CONDAIINÉSA IlORT. EX'éCUTts:


. ANNiE. ---~ ...-~ ' ........Pour Nombre Pour Nombre
meurtre, total, meurtre•. total.


... .


1823 . '" ••••. ." " ." . -" 21 241 18 61
1824. "...... "......... 49 295 41· 60
1825••• ".•• "•••...•.. " 17 181 9 18
1826" • ~ ••.•• , .•.• " .• " . 28 281 17 34
1827 ................... 22 346 12 37
1828. ".. "... "• "". ".. ". 33 211 16 21
1829.•. "•"". , """, ", . , " 28 224 21- .38
1830" "•• "".• ,," , • , , " " .. 28 262


-


l.4 39
1831 ". ", ". , " , "•. " , "". "" 27 307 25 37
1832"""""" , , ". , "". "" ", 19 319 17 39


Moyenne de dix ans•... 27,2 266,7. .19,0 38,4
.


Proportíoa de lamoyenne . un sur un sur un sur un sur
ala population. . .. .. 267,816 27,313 ·383,400 18&,703 .


1833"" ." ••.• , " " • " " " " " , " 38 237 26 39
1834.,."""""" •• ,,.,,"""" , 49 197 31 43
1835. "" , , , ", """", ", """ 31 179 19 27
1836"" """",,",,""".,,"""" 22 175- U 14
1837" ", .•.•.•.•.•••••. 21 JM 10 10
1838•.•.......••.•.•••• 8 39 3 3
1839............ .,..... 30 66 15 17
1840 .......................... 15 43


- -1841. '..................... 17 40 5 1)
1842.... #.................. 11 25 4 4


Moyenne de dix ans •••• 24,2 115,5 12,5 16,2
-


Proportion de la moyenne
/


un sur un sur un sur un sur
a. la population....... 329,390 69,015 637,700 492,053




APPENDICE.


TABLEAU des personnes condamnées amort, etc. (SUITE du),


325


I CONDAIINÉS A IIORT. EXÉCUTÉS.
..--


------.........ANNiE. ".- '" "'Pour Nombre Pour Nombre
meartre, &olal. meurh'e. tolal.


-----


1843.................. 12 16 4 - 51844.•....•.•..••..•.. 19 20 8 9
1845 .................. 9 13 3 3
1846..••...••....••.•. 9 14 4 7
1847·..••••••••.•• .... 23 25 8 18
18l¡8• . . . • • . • . • . . • • . . . . 44 60 24 28
1849..................


- 1 - -1850..... .'............. 15 17 8 8
18&1 ••..•..••.•....•.. 11 17 2 2
1852.... ! ••••••••••••• 14 22 3 6.


Moyenne de dix ans •••• 15,6 20,5 6,4 8,6


Proportionde la moyenne un sur un sur un sur un sur
A. la population•.••••• 472,035 359,207 1,150,586 856,250


18b3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 lb 7 9
1854••.••.••.•.. '" •.. 4 6 3 4
1855..•.•••••••••••..••.• 4 5


- -iess. ... .. ... ........ 6 8 2 3
1857 •••..... '..•....... 5 8 - -
1858•.... . . . . . . .-...... 5 8 4 4
18b9. . . . . . • . . . .', ...... 2 2 - -
1860.•••.•.••.••.••••• 5 7 2. 2
1861 .............. . . . . . 1 2 1 1
1862..........•....••. 6 6 4 4


Moyenne de dix ans .••• 5,1 6,7 2,3 2,7


Proportion de la moyenne un sur un sur un sur un sur
II la populatíon.••.•.• 1,210,916 921 .742 2,685,076 2,287,281


1863 .................. 3 4 3 4


N. B. La proportion ala population est calculée sur les moyennes de deux
recensements pour chaqué période, 1821 et 1831, 1831 et 1841, 1841 et 1851,
:1851et 1861. '




NüTER.


el Quant aleurs images, quelques-unes furent apportées aLondres,
et brisées au pied de la Croix de Sto Paul, aux yeux de toüt le
peuple, afin qu'on fl1t pleinement convaincu des imposturas et esca-
motages des religieux. Parmi ces images, se trouva en particulier le
crucifix de Boxley, comté de Kent, communément appelé la Oroi» le
Grdce, auquel on avait fait de grands pelerinages, parcequ'on l~ ,
voyait quelquefois plier, se relever, trembler., 'remuer la 'téte, le,
mains, les pieds, tourner les yeux, mouvoir les levres, et froncer le~ "
sourcíls. Tous ces effets, que la multitude ahusée ávai~ cru produíts
par le pouvoirdivin, parurent alors publiquement n'avoir été que
des tours de passe-passe; car on vit les ressorts de' tous ces mouve-
ments. Sur cela, John Hisley, alors Évéque de Rochester, fit UD.
sermon, et mit la croix en píeces. On découvrit aussi une autre im-
posture tres-renommée aRaíles, dans le comté de Gloucester, 0\1 l'on
montrait le sang de Jésus-Christ dans une fiole de cristal. Les spec-
tateurs le voyaient quelquefois, et quelquefois ils ne pouvaient l'a-
percevoir, Onleur faisait oroire qu'ils n'étaient pas capables de jouir
d'une faveur si grande tant qu'ils étaient en péché mortel, et les
offrandes continuaient d'arriver jusqu'a ce qu'ils eussent forcé le Ciel
de leur permettre de contempler une relique si divine. Or, on décou-
vrit le jour de l'inspection, que le sangde Notre Seigneur Jésus-
Christ nétait que du sang de canard renouvelé chaque semaine. On
"découvrit aussi qu'un eóté de la fiole était si épaís qu'on ne pouvait




NOTES, 327
voir atravers, tandis que l'autre était clair et transparent, et qu'on
le plaeait pres de l'autel, de maniere a ce que quelqu'un, caché der-
riere, pútprésenter aux fldeles le cóté qu'il voulait. Apres avoir
délívré les peleríns de tout ce qu'ilsavaient apporté, on leur faisait
la gráce de leur montrer le coté clair.. sur quoi ils s'en retournaient
tres-satisfaíts de leur voyage. Il vint du pays de Gallesune énorme
image de bois, nommée Darvel Gatheren, dont un certain Ellis Price,
visiteur du diocese de Sto Asaph, rendit le compte suivant, le 6Avril
1537': « Le peuple de la contrée avait une grande superstition pour
elle, et faisait maints pelerinages en son honneur, tellement que la
veille du jour OU il écrivait, on y comptait plus de cinq ou six cents
pelerins ; les uns amenaient des bceufs et d'autres bestiaux.les au-
tresapportaient de l'argent; et c'était une croyance générale que
celui qui faisait une offrande a l'image, en recevait le pouvoir de
délivrer ou de préserver son Ame de l'enfer, » On la flt venir aLon-
dres oü elle servit a brüler le Frere Forrest. n y avait a Worcester
une énorme image de Notre-Dame en grande vénération. Quand on
lui eut óté les voiles qui la couvraient, Notre-Dame se trouva étre
la statue d'un évéque, JI -BURNET, Histoire de la Réformation, vol. I,
p. 2"2.


. ' « Mais la chásse la plus riche d'Angleterre était celle 'de Thomas
Becket, appelé Sto Thomas de Cantorbéry le Martyr. Pendant trois
cents ans il fut estimé leplus grand saint qu'il y eüt en paradis,
comme le prouve le relevé de compte des registres des offrandes
faites aux trois plus grands autels de l'église du Christ aCantorbéry,
dont l'un était élevé au Christ, l'autre a la Vierge, et le troisieme a
Sto Thomas. Dans une année, furent offerts a 1'autel du Christ,
3 ,. 12 s. 6 d.; a celui de la Vierge, 63 l. 5 s. 6 d.; mais a celui de
Sto Th6mas, 832 l. 12 s, 3 d. L'année suivante, la différence aug-
menta encere, Jésus-Christ n'eut pas le sou, la Vierge n'eut que
",. 1 s. 8 d., mais Sto Thomas reeut 95" l. 6 s, 3 d. De tels dons ren-
dirent sa chásse d'un prix inestimable. Ily avait une pierre précieuse,
offerte par Louis VII, Roi de France, lors de son pelerinage,.et qui
passait pour la plus riche de l'Europe. » - BURNET, Histoire de la
Réformation, vol. I, p. 2"".


NOTE B•
.Le caractere du regne d'Élisabeth est parfaitement peint dans le


discours suivant du Secrétaire Cecil, sur les monopoles : -
« M. -le Secrétaire Cecil se leva et dit : - Le mémoire du Présí-


dent n'a pas besoin d'étre appuyé : mais puisqu'il ,av.ait le désirque


\




NOTES.
quelques-uns de C6ui qui l'eiitO'uraient vinssent en &ide'l sa.' titiseau '\ .
jour, &t tousmes -autres:colleguesgardant le sílenee; re veux prendre
sur 'moí de poner ·lL la connaíssance de tous ce que j'ai entenduet
appris. J'étaisprésent, ainsi que mes collegues du Conseil, et le' mes-
sage étaittel .qu'on vous l'a dit; la cause n'a pasréussi par le fait
d'aueune rais.on imaginable, milis par suite de renseignements parti-
euliers de quelques personnes particulieres. J'ai été tres-presS;8.nt a.


. leur sujet, et au sujet de eette- raison pour laquelle plus d'ímportu-
nité semblait alors étre employée que précédemment; curiosité qui,
je le erains, provenait de ma connaissance de quelque moyen de
procéder dans cette Chambre. Toutes les patentes actuellement va-
lables seront aussitót révoquées j cal' quelle que soit une patente,
on se réservera pour l'annuler une liberté conforme ala loi. 11 n'yen
a aucune, si elle est malum in se, que la Reine ait reconnue telleen .
l'aceordant. Mais elles sont toutes odíeuses, j'en conviens; et il n'en
est point dont l'exécution n'ait produit des désordres. Plüt au ciel
qu'elles n'eussent jamais été accordées l J'espere qu'il n'y en aura
jamáis d'autres. (Toute la chambra dit «Amen. ») La plupart de ces
patentes ont .été.venparticulíer, appuyées de lettres d'assístanoe de
la part.du Conseil Peivé de Sa Majesté; mais quiconque les exami-
nera, yerra qu'elles n'ont de rapport qu'aux patentes. Je puis vous
assurer que dorénavant on n'en accordera plus. Elles seront toutes
révoquées. L'avis en est maintenant. donné au public,et vouscroirez
peut-étre que c'est un cante fait pour servir dans l'occasion ; mais le
voudrais que 'chaeun süt qu'il n'ya point la de plaisanterie avec la
cour du Parlement, et que personne n'oserait (pour moi je n'oserais
pas) se moquer ainsi de tous les états 'du royaume, dans une aft'ai~e
de cette Importance. Je le dis donc, il y aura une proclamátion géné-
rale dans toute la nation pour faire connaltre la résolution de Sa Ma-
jesté a cet égard; et afin que la viande que vous mangez soit plus
savoureuse que par le passé, chacun aura le sel aussi bon et a aussi
bon marché qu'il pourra l'acheter ou le faire en liberté, sans crainte
de cette patente, qui sera aussitót annulée. Les estomacs froids ioui-
ront du mémeavantage, relativement á l'aqua uitaJ,· aqua compo-'


. .


sita, etc. Ceux qui ont l'estomac faible auront du vinaigre et de la
bierre a discrétion. L'huile de baleine ne sera 'pas soumise a plus de
restrictions, l'huile de cachalot coulera sans obstacle; les brosses et
les bouteilles seront également affranchies. La culture de la guede, a
ce qu'il me semble, n'est restreinte ni par la loi ni par statut, mais
seulement par proclamation ; le plaisir de la Reine est de révoquer
cette proclamation pour vous satisfaire; seulement elle désire que
vous ne Iaissiez pas infecter l'air trop pres des villes, afin qu'elle




'NOTES. ,31"9.
. . .


n'en soit paS ch_ée Icrsqu'elle ira vous voir dans vos comtés.Deux
qui désirentstlparer de bellesmanchettes bien empesées, pourront


.se satisfaire ámeilleur marché que jauWs; l'impót sur l'amidon va
AtFe, supprimé. Mais sans donner un compte plusdétaillé de ce dis-
cours, sibien prononcé, si gravement et si síncerement lancé par le
Président; il me faut implorer vos bonnes gráces quelques moments
encore afih de présenter mes propres excuses. La faveur de cette
Chambr.e a toujours été pour moi aussi précieuse que ma vie, il m'a
été rapporté qu'hier j'avais mérité et enCOUI1l lebláme de cette
Chambre. Je me trouve heureux de pouvoir saisir cette ocoasion de
manifester a cette honorable Chamhre mes sentiments personnels.


.La crainte seiile que ma.conduíte téméraire déplüt a S. M., a pu me
faire sortir de mon caractere, au point de dire que cette Chambre
méritait plutét le nom d'une école que d'un conseil, ou quelque chose
de semblable. Je déclare done 'que si quelque membre pense que
j'aie. voulu par la l'accuser de n'étre qu'un écolier, il se fait tort a
luí-méme, et'méeonnaít mes sentiments.


e Vous dirái-je ce que Demosthenes répondit aux clameurs pous-
sées par les Athéniens I Qu'elles étaient pueriles et dignos pU8f'is. Et
pourtant ceoi se passaít dans un État populaire.. Et mon désir est que
tout ce qui pourtait étre dit Icí puisse étre enterré dans ces murs.
Prenons exemple de lasynagog.ueJuive qui voudrait toujours sepelire
unatum cum honore, et non détruire ses folies et ses imperfections.
Si un membre de cette Chambre parle sagement. nous luí ferons
grand tort en l'interrompant; s'il parle inconsidérément, eutendons-
le jusqu'au bout, nous .aurons plus de raison de le blámer. Fije prie
du fond du cceur qu'aucun membre de cette Chambre ne puisse plus
wt"bis offendere quamoonsilio juvare....-Nouvelle HistoireParlemen-
taire, v, 1, p. 93"; 1601.


NOTE C.
M. Hume, en parlant de l'emprisonnement de M. Wentworth qui


/ futenvoyé ala Tour, par ordre de laChambre, pour avoir dit dans un .
discours que la Reine avait commis des fautes dangereuses, s'exprime
ainsi : « Le résultat de l'affaire fut qu'apresun mois de prison, la
Reine env9ya dire aux Communes, que par sa gráce et faveur spé-
ciales, elle l'avait rendu a la liberté et a son siége dans la Chambre.
Par cette douceur apparente, elle retint indirectement le pouvoír
qu'elles'étaitarrogé d'emprisonner les membres, et de les faire ré~
pondre devant elle de leur conduite au Parlement. Sir Walter Mild-
ma,. s~efforQa de faire sentir a la Chambre la bonté de Sa MaJesté,
qui étouffait si facilement l'indignation que devait lui avoir causée la




330 NOTES•.
témérité d'un de ses membres n leur dit qu'ils n'avaient pas la liberté
de parler des choses.et deapersonnes qu'ils voulaient; etque .les
libertés indiscretas qu'on s'était permises dans cette Chambre avaient
été suivies du ehátiment qu'elles méritaient dans les síecles passés
aussi.bien que dans le présent, En conséquence illeur conseillait de
ne plus abusar de la clémence de la Reine, de peur qu'elle ne rot
contrainte, contre son inclination, de remplacer une douceur sans
efTet par une sévérité nécessaire .). lt


Ce récit est un peu inexacto Je consulte le journal de Sir. Simon
D'Ewes, cité par M. Hume, et je trouve que la Reine n'annonca pas a
la Chambre, par un message, qu'elle avait rendu M. Wentworth ala
liberté et a son siége dans laChambre, mais que, « comme le 8 Fé-
vrier, premier jour de cette session, un inembre de la Chambreavaít,
dans un diseours préparé, proféré diverses paroles offensantes contre
Sa Majesté, pour lesquelles il avait été mis ala Tour par eeue Chambre;
cependant Sa Majesté condescendait gracieusement a oublier le dé-
plaisir que lui avait justement occasionné cette offense, et alaisser
ti la Chambre le soin de mettre le coupable en liberté. » Ainsi il ne
parait d'aucune maniere «qu'elle retint indirectement, par ses me-
sures, dans ce cas (quelles qu'elles aient pu étre d'ailleurs, en d'au-
tres circonstances), le pouvoir qu'elle s'était arrogé d'emprisonner les
Membres.» Cette explication óte aussi au discours de Sir Walter Mild-
may ce qu'il a de tranchant; on va voir que ce discours, dont je rap-
porte ci-dessous la partie importante, consiste en généralités, et que
M. Hume n'en a pris que ce qui favorisait sa théorie. Il ne fautjamais
oublieren lisant cet auteur, qu'il trouva établie en Angleterre l'opinion
que les Stuarts avaient régné en tyrans, et Élisabeth en vraie patriote;
qu'il attaqua cette opinion, comme toutes les autres opinions reeues
par amour pour les arguments et les paradoxes.M.Hume est aux his ...


. toriens et aux écrivains Whigs, ce que Bayle est aux philosophes an-
ciens et modernes. Il va quelquefois jusqu'a douter des bienfaits de
la liberté méme. Mais revenons-en a Sir Walter Mildmay.-e Un acte
si gracieux nous impose le devoir indispensable d'en faire a Sa Ma-
jesté nos remerciments les plus humbles et les plus sinceres, d'im-
plorer le Tout-Puissant de prolonger ses jours comme le seul soutien
de notre félicité, et d'apprendre, par cet exemple, a nous conduire
dans la suite; et sous prétexte de liberté, de ne pas oublier le
respect que nous devons aune Reine si généreuse. n est vrai que rien
ne peut étre düment résolu par une .assemblée oü 1'0n ne permet
dans la discussion ni délibération, ni .líberté de parole. En effet, si


1. Hume. vol. V, in-4°, p. 240..




NOTES. 331
les membres d'un conseil sont ou interrompus, ou effrayés de maniere
ace qu'ils ne puíssent ni n'osent exprimer leursopiDions librement,
ce conseíl ne peut étre regardé que comme une assemblée servile,
dont ies actes tendent plutót a satisfaire le désir d'un petit nombre
d'individus, qu'a déterminer ce qui est juste et raisonnable. Mais
n'oublions pas de mettre une différence entre la liberté et la licence
du discours. Par la premiere" on exprime ses pensées librement, mais
avec convenance, modestie, respect, et díscrétion ; par la seconde,
au contraire, on dit tout impertinemment, témérairement, arrogam-
ment, índíscretement, sans égard ni pour les personnes, ni pour les
temps, ni pour les lieux; et quoique la liberté de la parole ait toujours
régné dans ce grand conseil national, et soit une chose qu'il est extré-
mement nécessaire de conserver, cependant elle n'a jamais été ni ne
doit jamais étre porté e au point qu'un membre puisse parlar de quoi et
de qui illui plaít, C'est ce qu'a prouvé la punition infligée de nosjours
et du temps de nos prédécesseurs ades orateurs aussi ínconsidérés
et aussi peu mesurés. Que cela nous apprenne a ne plus commettre
de pareilles offenses a l'avenir, de peur qu'un si grand oubli de nos
devoirs ne donne a notre gracieuse souveraine míe juste raison de
croire que sa clémence a fait naítre un nouveau degré de hardiesse,
et par la ne l'afflige et ne l'irrite au point que, malgré la bontá et la
douceur de son caractere, elle se voie contrainte de changer sa clé-
menee naturel1e en une juste et nécessaire sévérité ; ce qui, j'en suis
persuadé, n'arrivera jamais avec des hommes aussi sages et aussi res-
pectueux que les membres de cette Chambre l'ont toujours paru. JI


Ce discours, moyennant quelques modifications de style, serait de
nos jours un bon discours officiel. .


NOTE D.
11 est singulier que, dans le reste du chapitre, Machiavel semble


donner des regles de conduite aux personnes qui se trouvent dans la
situation de Cromwell et de Napoléon. 11 dit que ceux qui sont de-
venus tyranni de leur patrie doivent chercher a connaítre ce que le
peuple désire, et qu'ils trouveront toujours qu'il désire deux choses :
l'une, la punition de ceux qui ont été la cause de sa servitude ; et
l'autre, le rétablissement de sa liberté. Quant ala premiere, le nou-
veau prince peut satisfaire complétement le peuple ; pour la seconde,
il peut le satisfaíre en partie, car s'il analyse le vcsu populaire pour
la liberté, il yerra qu'un petit nombre ne la désire que par amour du
pouvoir, et la grande majorité, pour jouir de la süreté personnelle,
A l'égard des premiers, il peut ou les éloigner ou les élever a des
places et a des dignités qui les satisferont; il contentera les autres




332 NOTES.
en établissant des lois justes et en les observant strictement. Ainsi,
dit-íl, Iesrois de Franee disposaient des armes et de l'argent de
.1'État, mais du reste obéissaient aux lois. Napoléon, quí Iisait beau-


. coup Maehiavel, semble avoir suivi cet avis du plus prolond des écri-
vaiD.s·politiques. . , .


,NOTE E.
Le leeteur ne lira pas sans intérét I'exposé de deux causes 011 un


pauvre homme, qui avait la loi pour lui, triompha des prétentions
d'un des plus grands personnages du royaume. La' premiare, qui est
la plus remarquable, se trouve rapportée dans une lettre de Lord
Thurlowa un neveu de M. Justice Foster. C'était un preces intenté
a la Princesse Amélie; pour avoir fermé un sentier dans le Pare de
Riehmond.


« CHER MONSIEUR,


« Je vous écris au risque de vous paraítre indiseret, pour vous
donner le plaisir d'apprendre sur monsieur votre oncle, ce que tres-
probablementvous ne saurez pas de sa part, - je veux dire le grand
honneur qu'il s'est fait, l'estime générale qu'il s'est acquise, ou plutét
qu'il vient d'accumuler par la maniere eourageuse et inflexible dont
il a jugé la cause Richmond, pendante depuis si longtemps, et
conduite si différemment par d'autres juges. Vous avez su combíen
'de memhres du jury spécial avaient manqué aux débats, 'ce qu'on
attribuait a la répugnance qu'ils avaient de juger un preces intenté
a la Princesse. Ila condamné tous les absents a une amende de
20 l, chacun : on l'avait fait attendre deux heures j enfin, il faHut
en venir a une substitution de jurés. Au milieu du plaidoyer de la
partie plaignante, Sir Richard Lloyd, qui plaidait pour la Couronne,
dit qu'il était inutile de continuer de discuter le droit, attendu que
la Couronne n'était pas préparée sur ce point, qui ne pouvait étre
déterminé dans le preces, la prohibition étant représentée comme
ayant eu lieu sur le territoire de Wimbleton, tandis que c'était réel-
lement sur celui de Mortlake, paroisse distincte de Wimbleton, qui
nourrissait ses pauvres, avait son église particuliere, et payait les
dimes a son propre curé j enfin que le grand cadastre faisait mention
de Mortlake. De l'autre coté, il fut soutenu que le grand eadastre
en parlait comme d'un flef baronnial, el non comme d'une paroisse;
que dans l'arpentage fait sous Henri VIII, il était fait mention de
Wimbleton cum capellis suis anne"xis; enfin que dans la concession
qui en fut faite du temps d'Édouard VI, on trouvait uneréserve de
dimes en faveur du vicaire qui devait desservir la chapelle de Mort...




NOTES. 38~
lake. Alors le juge se tourna vers les jurés, et dit qu'il croyaít qu'ils
étaient venus lápour juger le droit reclamé par les sujets, de tra-
verser le Pare: de Richmond, et' nonpour s'oecuperde petites objec--
tions légales sans aucun rapport k ce droit. JI ajouta qu'íl était prouvé
que la prohibition avait eu lieu sur le territoire de WimbletQn; mais
qu'il auraitsuffi que le lieu oü on la disait effectuée, eüt été seule-
ment réputé appartenir a Wimbleton, paree que le jury et le défen-
deur devaient étre aussi instruits de ce fait que le plaignant; mais
que s'il en avait été autrement, il aurait ero qu'il était aussi au-
dessous de la majesté de la Couronne d'envoyer, apres un délai de
trois assises, un de ses conseillers choisis, non pour discuter le droit,
mais pour chicaner sur un point si frivole. A cela, Sir Ricbard Lloyd
réplíqua par un discours oü il representa la bénignité du Roi, qui
permettait de juger une cause qu'il aurait pu écarter d'un souffie
en faisant recevoir un nolle prosequi. Le juge dit qu'il n'était pas de
cette opinion, que les sujets étaient intéressés dans des causes de
cette espece, et que si leurs droits étaient envahis, il ne leur restait
que les tribunaux; qu'en conséquenoe il verrait un déni de justice
dans la cessation forcée d'une cause intentée pour un dommage que
toute la prérogative royale .ne s'étendrait pas [usqu'a pardonner.
Apres cette observation, la plaidoirie continua, et le juge fit un re-
sumé court, mais clair, en faveur de la partie plaignante.....


• Tout étranger que je lui suis, j'éprouve un bien grand plaisír a
apprendre que DOUS avons liD juge que rien ne saurait corrompre ni
effrayer, voulant et pouvant soutenir les lois de son pays comme le
grand bouclíer des droits du peuple. J'imagine que vous en éprou-
verez encore davantage a apprendre que ce juge est votre ami et
votre parent. C'est la le seul motif que je puisse alléguer pour vous
faire exeuser cette lettre.


Fig-Tree Court, IARer Temple.
11 Á vril 1'758.


« Je suís, cher Monsieur,
_« votre tres-humble serviteur,


« E. THuRLOW••


Vie de sir M.. Foster, p. 85.


L'autre cause est du pere de M. Horne Tooke, marchand de vo-
lai11e, k Londres.


M. Horne demeurait dans Newport Street et était par conséquent
proche voisin de S. A. R. Frédéric, Prince de Galles, pere de Sa
Majesté,qui tenait alors sa cour a Leicester House. Quelques offi-
ciers de sa maison, imaginant qu'une issue du cété du marché leur


.


1. La défenderesse fut condamnée. voy. Burr, 908-909.




NOTES.
serait extrémementcommodé"de méme qu'aux serviteurs inférieurs,
des ordresfarent ímmédiatement donnés acet eff6t. En conséquence ,
on perca un mur contigu,wn y pratiqua une porte sana la moíndre


, .


cérémonie, bien que ce fut une violation palpable de la propriété
d'un particulier. Au milieu de cette opération, arriva M. Home, qui
fit avec calme des remontrances contre un acte d'injustice si frap-
pant, attenduque le mur de briques lui appartenait en propre, et que
le passage projeté traverserait sa propriété , et ne pourrait qu'en
diminuer la valeur.


Il parut bíentót néanmoins que les représentations d'un marchand
d'oies et de dindons, quoique appuyées par la raison et la loi, avaient
produit peu d'effet sur des gens qui agissaient au nom d'un prince,
et dans cette círconstance abusaient de son autorité, sans que proba-
blement il süt rien de cette affaire.


M. Horne appela de l'insolence des employés, a la justicede son
pays; et pour l'honneur de notre jurisprudence municipale, le ré-
sultatfut différent de ce qu'il aurait été peut-étre dans tout autre
royaume de l'Europe. Un marchand de Westmínster triompha de
l'héritierprésomptif de la couronne d'Angleterre, et l'ordre fut bien-
tót apres donné de condamner l'incommode ouverture. JI - Vie de
Borne Tooke, v; 1, p. 11.


NOTE F.


M. Hume me semble avoir fait,dans son Histoire de Charles le..,
une remarque propre a égarer le lecteur. - «Quelques-uns des
hommes les plus distingués,» dit-il, «par leurs talents ~t leurs con-
naissances acette époque, ne pouvaient secontenir, quand ils son- '
geaient .qu'ils étaient forcés d'entendre les prieresoffertes a la Divi-
níté, de la bouche d'un prétre couvert d'un vétement de lin blanco »


Laphrase estcertainement piquante; mais je pense que la vérité :
y est sacrifíée : les deux partis étaient convaincus que le sürplisétait
indifférent en sol. Les objections contre les ordonnances relatives au
surplis par la secte des Purítains, étaient au nombre de trois : -


10 Que, comme la chose était indifférente en soi, on ne devait pas
la prescrire comme un artícle de foi, mais qu'il fallait laisser chacun
agir la-dessus, ainsi qu'il lui plairait.


20 Que, quoique indífférente en soi, elle n'était cependant pas telle
aux yeux des gens ignorants ; cal' beaucoup pensaient que le culte
rendu aDieu n' était efficace que quand on était revétu de cesvétements,
et qu'ainsi cette pratique entretenait des habitudes superstitieuses.


3° Les Puritains surtout alléguaient qu'aucun séculier n'avait droit




NOTES.
de donner des ordres a oet égard. M. Cartwright s'exprime.aínsir , .
« C'est le .Christ seul quiest le·chefdel'Église. Aucun magi~trat civil
ne peut pré~ider, ordonner, influencer,4-irigeraucune assemblée
relative aux affaires ecclésiastiques: l'autorité du magistrat civilne


, s'étend pas [usqu'a dépouiller les personnes eoclésíastiques de leurs
droits légítimes, de conférer les' ordres de l'Église, et des'acquitter
des cérémonies..."


Lorsque M. Axton fut interrogé par I'évéque, il lui répondit dans
le méme sens: «En admettant la suprématie de Sa Majesté,j'entends
qu'elle se borne a l'investir du pouvoir de réformer les erreurs qui
pourraient avoir été commises dans le choix des chefs del'Eglíse;
maisje ne le regarde pas lui-méme comme un chef de l'Église.:It*"
Il est vrai que les Puritains appelaient le surplis une' « idolátrie fri-
vole, » et lui donnaient des noms plus odíeux encore quand ils s'é-
chauffaient dans la controverse; mais ils assurerent l'Archevéque Par-'
ker que si on eüt laissé, sans y attacher autant d'importance, les
habits et quelques cérémonies, ils n'auraient point abandonné l'É-
glise; mais qu'en prescrivant ces choses par une Ioi, on les avait
forcés a se séparer tout a faite**..


Enfin la doctrine des Puritains ou des Presbytériens consistaít a
affirmer que « la parole de Dieu, contenue dans l'Ancien et le -Nou-
veau Testament, était une regle parfaite de foi et de morale. »*....;r
Ils soutenaient que c'était la la seule regle par laquelle on devait
gouverner l'Église, - que les cérémonies en devaient étre aussi
peu nombreuses que possibles, et qu'elles ne devaient plus étre pres-
crites par un ordre supérieur, quel qu'il füt, mais laissées au libre
ohoix de I'Église elle-méme. Ils ne condamnaient pas les Églises qui
différaient des leurs, relativement aux cérémonies, mais ils protes-
taient centre toute habitude qu'on voudrait leur imposer sur ce sujeto
I1s déclaraient «qu'aucun pasteur ne devait usurper l'autorité sur un


. autre ;» et que « tous les pasteurs devaient étre choisis par la con-
grégation, » **...,.,.. .


Onvoit par la que la question du surplis était liée au grand systeme
de la réforme ecclésiastique, - systeme adopté et établi dans le pays
oüest né M. Hume; et quoi qu'on puisse penser de son effícacíté pour
rendre les hommes .meílleurs et plus sages, il n'était pas indigne du
moins d'étre embrassé par des «hommes dístingués par l'étendue de
leurs connaissances et de leurs talents. JI


* Neale, v. 1, pago 133. - .. Ibid., p. 260. - H* Ibiá., p. 230.
...... Profession de (oí des Membres, Neale, p; 276•.
H'fH Profelsion de (oí eles Prisonniet's ele Newgate, Neale.




'-.1 ... " NO'Í'B G.
Cet Acta futt>aSSé'en.l661t. Rien n'est plus digne 'de retñarqtlé" et


rienn'~ moinsremarqué cependant que la maniere noble avec la:-
que"e les, dissidents, oublíerent, en faveurde la cause eommune, -la .


"Sévérité'avec laquen8-ils:~entété traités. En 167i, ils'pr~rent .
la Chambre des Cpmmunes de passer I'acte du Test, sans aucune.sti-
pulation en leur faveur, et se .contentant d'une motíon :Rturnnbill
séparé de tolérance, qui ne semblait pas 'méme devoír étre, ado~.
Apr~s les persécutions du regne de Charles 11, ils se réunirenfa
l'Église pendant le regne de Jacques, sans se laisser rebuter par les
mauvais traitements qu'on leur avait fait éprouver, et sans se laisser


.s~duirepar I'índulgenee que le Roi leur montrait. n est a regrett8r
que l'Église ait trouvé incompatible avec son devoir, d'imiter la libé..
ralité et l'esprit puhlic de ses frsres les dissidents.


8012. - pnprimerie de Ch. Lahure, rue de Fleurus, 9, .. París.