· .,. l LE LIBERALISME. LETTRE A UN PUBLICISTE CATHOLIQUE, PAR s. E. LE...
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· .,. l
LE LIBERALISME.


LETTRE


A


UN PUBLICISTE CATHOLIQUE,


PAR


s. E. LE CARDINAl. DECHAMPS,
ARCHEvEQUE DE MALINES.


Le ratíonalisme n 'est pas la doctrine
de la raison ; le Iibéralisme n'est pas la
doctrine de la liberté; et la prétendue
libre pensée n'est qu'une esclave; ~ou­
jours inclinée sous le souffie de l 'opic
Iiion qUi passe.


(L'INFAILLIDlÜTÉ ET LE CONCILE
GÉNÉRAL, CH. XIII).


SEPTIEME ÉDITION.


PARIS.
Vv. MAGNIN ET FILS, 3, BUR HONoali-cBBuLIER.


MALlNES. - H. DESSAIN,
IMPRIIIEUR DO SAINT-sntGE, DE LA SACREE CONGREGATION DE LA


PROPAGAN·DE ET DE I:ARCHEVECHÉ DE MAUNES.


DEPOSÉ. - TOUS DROITS REsERVEs.






v"


LE LIBRRALISME.


LETTRE


A


UN PUBLICISTE CATHOLIQUE,
PAR


S. E. LE CARDINAL DECHAMPSt
ARCHEVEQUE DE MAtINES.


Le rationalisme n'est pas la doctÍine
de la raison ; le Iibéralisme n'est pas la
doctrine de la liberté; el la préUmdtíe
libre pensée n'est qn'ulle esclave, ton-
jours incJillée sous le soullle de l'opi.
llioll qUi passe. .


(L'INFAILLIBILITÉ ET LE COl'lCILE
GÉNÉRAf¡, CH. XIH).


SEPTIEME ÉDITION.


-P-AR-IB.
Vv. MAGNIN BT FILS, 3, RUB HOKORÉ-CHIIULI ....


MALlNES. - H. DESSAIN,
IIIPRIMEIlR DV SAINT-~ltGE, DE LA SACRÉE CO~GRtGATIOII DE,IoA


PIIOPAGANDE El DE ¡.'ARCREVÉCHÉ DE MALlrlES.


DÉPOSÉ. - TOYS DI\OlIS ús&avts.




1'ABLE.


pago
l. Qu'est-ce que le libéralisme ? 5


11. Le libéralisme u'est que le rationalisme social. 10
IlI. 'Le rationalisme n'est pas la doctrine de la raison. H
IV. Le libéralisme n'est pas l'école de la véritó. - Le


libéralisme n'est pas 1'éc01e de la liberté. ~:l
V. Le christianisme et la civilisation. -Le libéralisme


et la décadence sociale.
VI. Les pl'éjugés du libéralisme.
Note sur la tolérance civile. 57




UN lUOT


SUR CE QUI l':OUS A FAIT RÉOIGER CETT. LETTRE


Un publiciste nous écrivait dernierement ceci
« On m'a donne connaissance 11 *** du Bref. qui


vous fut adresse par Pie IX en 1869, au sujet de
votre ouvrage sur l'infaillibilité. J'ai remarque
dans ce Bref l'endroit GU le Pape vous felicite
d'avoir traite ce point de la doctrine· catholiquc
en mettant si bien en lumiere les harmonies de la
raison et de la foi, que les rationalistes eux-memes
doivent en etre fra·ppés. Ces paroles m'ont deter-
mine a vous lire, et e'est pOllr vous avoir lu que
je me sen s porté a vous demander d'eerire sur le
libél'alisme un livre semblable a celui que vous
avez publié sur l'infaillibilité.


« Si tant de clameurs se sont élevecs contre
l' Encyclique et le Syllabus de 1864, c'est SOl'tout,
e'est presque uniquemf.'nt paree que le liberalisme
y est atteint. Je sais queplusieurs tbeoloniens ont
ecrit avee beaueoup de seienee sur ces Actes du
Saint· Siége, mais apres avoir parcouru leues tra-
vaux, je ne trouve pas que ceux.-ei aient tout ce




qu'il faut pour etre compris et soutés par les sens
du monde,et tout particulierement par les hommes
de la tribune et de la presse. »


Nous répondlmes a ce pu'bliciste que le temps
nous manquait actuellement pour faire des livres, !
mais que, dans eeUe cireonstanee, nous resrettions ,
peu ce défaut de loisir, paree que nous avions dé-
ja rencontré et combattu le lib{'ralisme dans nos
écrits antérieurs. Nous lui indiquames meme les
ehapitres de nos divers ouvrasrs OU il trouverait
ce qu'il désirait de nous. lUais notre correspondant
1l~ voulut pas se contenter de cette réponse, et iI
ll'effor~a de nous prou ver qu'il serait utile de ras-
sembler et de coordonner, en les l'éslllnant~ les
passases que nous lui avions indiqués. Les mO'if;
qu'il nous allésua pour nous decider a cc léLer
travail, nous le fit done entreprendre. Nous le
publitms aujourd'hui en forme de Lettre ou de
lUémoire adressé a cclui qui nous en a donn~ la
pensre.




,'.'
-.-'


LE LIB}~RALISME.
LETTRE A UN PUBLICISTE CATHOLIQUE.


24- octobre :1877.


MONSIEUR,


Voici, jc l'espere, ce que vous avez voulu de
moi. Ce n'est done, selon voLre désir, qu'un Ré-
sume de ce que j'ai dit du libéralisme dans mes
'écrits' antcricurs,


l.


Qu'est-ce que le libéralisme P
Ce nom semble designer la doctrine ou l'école


¡ des amis de la liberté politique, de eette liberté
qui fait participcr une nation a son propre gQuver-
nement par les institutions communales, provin-
ciales et genérales ; mais il suffit de réfléchir un
'instant pour reconnaitre qu'il n'en est pas ainsi,
puisqu'une fouJe d'amis de la liberté politique,
et dan s cette fouJe des hommes du premier ordre, .
n'appartiennent en ricn au libéralisrnc.


POllr arrivcr a lc bien définir, il faut, avant tout,
constater ce grand fait : dan s toute l'Europe el au
dela,chez presque toutes les nalions qui sont ou qui
furcnt ehrétirnnes, on divise les homrnes pubJics




6


en eatholiques et en libéraux. D'ou cela vient-il?
Evidemment, de ce que l'école libéralc tire son
caraetere distinetif de son opposition a la foi.


A ce point de vue, qui est le vrai, ron pourrait.
definir ainsi le libéralisme : e'est l'éeole politique
qui prétend asseoir tout l'ordre social sur LA DÉCLA-
RATION IlES Dl\OITS DE L'HOilIME, sans se souder le moins
du monde de savoir s'il existe, pOlll' le genre hu-
main) llne loi divine positive. 011 bien encore :
e'est l'éeole politique de eeux qui ne reeon-
naissent) pOUl' tout l'ordre social) qu'une seule
LOI SUPRtME, la raison) ou) eomme ils dise1'lt/#
l'OPINION, l'opinion qui fait ensuite les autres lois
par le eh~ffre mouvant des majol'ités.


Le Jiberalisme est done le rationalisme social,
et il verifie sOl!,..Jlom en ce sens qu'il pretend se
délivrer de la Joi revélee de Dicu.


A ces definitions, nous ajoutons encare la sui-
vante, parce que sans se separer des premieres,
elle va plus directement a eertains I"aits qui sautent
aux yeux :


Le lihéralisme est /'éeole politique qui n'admet,
dans le monde social, qu'une seule puissanee sou-
veraine et indépendante, l'Etat; qui nie l'exis-·
tenee) la distinetion, l'harmonie néeessail'e des
deux puissanees, de la puÍJsance eivile ou tempo-
relleJ et de la puissance religieuse ou spirituelle.


Ces définitions dont on ne contestera pas l'exac-
titude, et qui n'en feront plus qu'une tont a l'h( me,




7
prouvent que 1'0n a raison de diviser les hommes
rublies en catholiflues et en liberau'l, car l' e'lis-
tence de la révélation el l'institution des deux puis-
sanees sont des verites fondamentales de la foi, et
l'harmonie de ces deu'l pui~sanccs cst l'une des con·
ditions,l'unc des bases de la eivilisation ehréticnne.


l\Iais est-il bien vrai que le líbéralisme ne
veuilIe, dans tout 1'0rdre social, qu'une seule puis-'
sanee publique et souveraine? Ne preehe-t-íl pas
la séparation de fEglise et de l'Etat, et par eonsé-
qucnt n'affirme-t-il pas, lui am!si, les dcux puís ..
sanees P


Non, el e'est jUlltement paree qu'il n'admet
qu'une seule puissance qu'il preche la séparation
de I'Eglise et de l'Etat, I'Eglise n'étant el ses yeux
qu'une reunion d'hommes professant une opinion
reIigieuse, et non une societé religieuse universelle
divínement appuyee sur une Constitution que
lEtat doit, respceter. Au fond, la séparation de
l'Rgliee et de l'Etat n'est pour le liberalisme que
la confusioli des deux puissances au profit de
rEtat. Le libéralisme, en effet, veut évidemment
que I'Etal s'empare des deux glaives, du glaive ma-
teriel el du glaive spirituel; qu'il ait seul le droÍt
de donner la direetion doctrinale a la soeiété par
le monopole de l'enseignement, sans meme tolérer
que l'Eglise ait des ecoIes libres, el aucun degré.
Voyez ce qui se passe dans le nouvel empire ger-
manique, a la grande joie du Jibéralisme des deux'




8 "-=-
mondes; voyez ce a quoi pretendent les lihéraux
'des mItres natioos, ~ous toute~ les formes de SOll-
vernemt'nfs : le libé,"alisme républicain en Suísse


, el le libéralisme radical en France sont ici parrai - ,
, tement d'ac(;Qrd avec le libéralisme impérial d'AI-
IcmaGne, te sieur Carteret de, Geoeve, 1<: citoyen
Gambetta de Paris (ou de Genes), le prine<: Chan-
celierde Bel'lin, ne font qn'un sous ce rapport,


Et la OU les lois empechent cncore le libéralisme
',de réaliscr plcincmcnt son idéal, nt~ prend-il pas tous
les moyensde s'en rapprocher administrativcment
de plus en plus? En Bet3Íque, par cxcmpic, Olt lá


. liberte d'enseignement estconsti tutionnellement
garantíe, afin que les familles chrétiennes puisseot
choisir pour leur's enfants les écoles qui méritent
lcur confiance, le libéralisme ne g'efIoree-t-il pas
d'enlevcr aux pauvres ce libre choh, sOllspeine de
privation des secours de l'assistance publique? Il
se joue done tou1 a la fois de la libettéde l'ensci.
unemenl catholique, de la liberté de conseicnce,
de l'ecalité des citoyens devant la loi, el en atten-
dant qu'il puisse arriver totalement a 'Ses fins,
c'est..a·dire au mOIWpole absolu de l'enseignement,
ill'impose aux pauvr('~ de tout son pouvoir, en les
Inf'nac;ant de la faim. Et puis, que! caractere le
lihéralisme préLend-il donner A l'enseignement de
.fEtat ? Il vent, SOU8 le masque d'une neutralité
·nu .. nifciltement impossih1c a quiconque enseigne,
;lJ veot que ,ce .caractere sO)l antichrétien,ct cela




9
daos un pays ou l'imm('nse majol'ité des contl·ibua-
hles, qui paient eet enscignement, appartiennent
a l'Eglise catbolique. En Belgique encore, ou
la liberté de l'exercice public du culte catholique
est garantie aussi par la Constitution, et .0U: le
libéralisme, tout le monde le sait, favorisc les
manifestations populaires, meme poussées jusqu'a
la lieenee et jusqu'au désordre,n'arrete-t-il pas les
éveques a la porte de leurs eathédraJes, pour
lcur interdire la priere liturgique,dans les pro-
cessions jubilaires preserites par le chef meme
de la catholicité.P En Belgique toujours, OU la
liberti~ des associatións religicuses est également
appuyée sur la loi fondamentale, le libéraJismc
',ne vellt-il pas cendre ces associations ¡ropos-
.sibles, en interdisant a leurs membres la posses-
sion et la transmission de 1eu1's biens • au meme


. titre et aux memes conditions, que les possedent
et les transmettcnt les autres citoyens I? En BeISi-
que eofin, le libéralisme ne reruse·t il pas él
l'Eglise la liberté de la sépultllre religieuse q1ú fait
partie essentielle du culte catholique, et De force-
t-il pas les familles él acccpter, pour leurs membres
déeédés, la promiscuité des tombes en tene pro-
lime, en aHendant, sans dOllte, qu'il puisse livrer
les églises, les sanctuaires des vivants, a la promis.


1 Les vreux simples n'empechent pas ceux qui les font
de garder la propriété de leurs biens et d'en disposer.
Les libéraux veulent ignorer' cela.




10
JUlte des eultes, eomme iI y livre les sanctuaires
des morts?


Oui, le libéralisme est aujourd'hui partout le
,memc. Qu'íl soít autoeratiqlle ou démoeratique, .
qll'il s'appeUe César en AlleinaB'nc, convention en:
Franee, eonseil d'état en Suisse, ou autrement aiI-
leurs.


V oici done la vraie définition du libéralisme
aujourd'hui démasque :


C'est l'éeole de la eonfusion des deux puis-
'sanees a son profit.


C'est l'éeole d'une toute llouvelle religion
d'état~ de l'antiehristianisme o./fieiel et obliga-


I toire. _ C'est une sorte de théoeratie sans Dieu.
Et iI a raveugle eourage de se donner eomme le


promoteur dll progres, quand tOU8 ses efforts ten-
dent a [aire retrograder le monde jusqu'it l'époqlle


. des Cesars-pontifes. .


11.


Le libél'alisme n' est que le l'ationalisme social.


QIl"est·ee que le rationalisme?
e'est la doctrine qui affirme la suffisanee de la


raison pour gouverner l'homme et le conduire it sa,
fin, qui nie toute lllmiere superíeure offerte a la,
raison par la Providence, qlli rejette toute rhéla-,
tion divine.


Et qu'est-ce que le liberalisme?




11
Nous venons de le voir, e'est la doctrine qui


affirme la suffisancé du pouvoir temporcl pour le
60uvcrncmcnt de tout l'ordre social, et qui nie·
l'autorite ~pirituelle divinement ctablie sur la
terre pour le gouvcrnement de la sociéte rcli-
gieuse. Vous le voycz : le liberalisme est dans 1'0r-
dre social ce que le rationalisme est dans l'ordre
doctrinal.


Nous voulons maintenant démontrer dcux cho-
ses: d'abord, que le rationalisme n'est pas la doc-
trine de la raison ; ensuite, que le libéralisme
n'est ni la doctrine de la vérité, ni la doctrine de
la liberté


nI.


Le mtionalisme n'est pas la doctrine de la
mison.


Les rationalistes se divisent en mat.eriaJiste8 et
en spiritualistes, en athées et en déistes, maÍs le
materialisme athée qui se donne nalvement au-·
jOlll'd'hui le nom de positivisme) comme 8'il n'y
avait de positif, de constate, de demontre,' que ce
qui se voit et ce qui se touche, n'est qu'une doc-
trine voilée par des phrases sous lesquelles se
cache ]a revolte contre le hon sens, et contre la
conscience positive du genrc humain. La doctrine
qui nie Dieu, sa puissance, sa sagesse et sa honte,
en presence des harmonies du cÍel el de la lerre ;1




la doctrine qui nie l'Ame en presence de toutes les
nénérations agenouillées am pieds des tombeaux,
n'est,selon le mot de Lacordaire, qu'une «( Canaille
de doctrine» cnfantee par la peur de la responsa-
bilité de l'homme el de la justice de Dieu.


Nous la laisserons done la, et nons ne parlerom:
que du rationalisme spiritualíste, de cclui qui
confesse Dieu, l'ame et la vie future.


Nous voulons lui démontrer qu'en aflir-mant la
suffisance de la raison pour gouverner l'homme et
le conduire a sa fin, et en rejetant toute lumiere
superienre offerte a la raison par la revélation di-
vine, il contrcdit la raison eIlé-meme, il resiste a
la lumiere meme de la raison.


CeUe démonstration sera complete quand nous
aurons établi ces trois choses .


1° La raison, justement paree qu'elle est la rai-
son, veut et doil vouloir la certitude en matiere
de l'eligí01i.


2° La raison, dans l'état positif et constaté de la
nature humainc, ne trouve plcinement ecHe certi-


, tude que par lé témoisnage de Dieu, par la révé.
lation,'


3° La raison constate le fait de la revélation
avee evidcncc.




13
,\


SI.
la faison, justement paree qu'elle est la raison,


vent et doit vouloir la certitude en rnatiere de reli·
gion.


Qu'est-ce que la raison?
C'est la faculté qui nous rait áUeindre la vérité.


- C'est la faculté qui distingue l'hornme du sim-
ple animal, qui raÍl agir l'homme aTee libel'té,
ave e delibératiou, eo vue d'une fin préconftue. -
C'est ]a faculté qui défend a l'hornrne d'agir s:aos
savoir pourquoi. .


Mais si l'hornllle n'asit pas en hornme, s'il asit
saIlS raison~ quand dans les moindres choses il
agit sans savoir pour(Iuoi, vina-t-il en hornme,
rivra-t-il se Ion la raison, s'il vil sans savoir le FOUl'"
quoi de la vie P


te pourquoi de la vie, e'est sa fin dernielc.
Et qu'est-ee que la religion ?
C'est la seience de la fio de l'homme, et, de la


voie de eeUe fin. Aussi, est-ee paree qu'elJe relie
la vie prjlsenle a la vie futnre, l'hommc a Dieu,
qu'clle s'appelle religion.


I Ceux done qui n'admettent en malierc de reli.
gion que des opinions) c'est.a-dire des doules) et
qui nieot en ceUe matiere Id cerlitllde qu'ils vcu-
lent dans toutes les autreS', soutiennent par la
méme querhornme doit vine sans raisoo~ou sans




I


14
savoir le pourquoi de la vie. C'est dire que doués ~
de raison pour lout le reste, nous n'en serions pa.~
doués pour nous-memes !


Cela n'est-il pas c1airement et plf'inement ah-
surde?


11 est <lone vrai, évident, incontestable, que la
raison, justement paree qu'elle est la raisQn,veut
et doít vouloir la certitude en maliere de religion.


Et eependant, le rationalisme affirme eonstam·
ment qu'il ne peut 'Y avoír, en eette matiere, que
des opinions, c'est-a-dire des doutes.


Le rationalisme n'est done pas la doctrine de
la raison.


Crrtes, ~es opinions sont libres sur une fou!e de
questions scicntifiques, et Dieu a livré le monde
aUl: disputes c!es hommes, paree que le monele
suit sa loi sans la connaitre el sans dépendre de
nos erreurs ; mais l'homme est libre, et pour bien
user de sa liberté, il doit eonnaitre avee eertÍtude
la loi de sa fin. La scienee de la fin de l'homme,


¡ e'est la religion. La rcligion est done la science de
la vie) et celte scienee-Ia ne peut etIe abandonnée
a nos disputes eomme les autres scienc~s, paree I
que le tcmps n'est pas donné a l'homme pou/'
clzercher sa voie sans pouvoír la trouvcr surement;
il lui est clonné pou,. la suivre. I


Encore une foís, le ratíonalisme qui pl'étend
au dl'oit de douter toujours ~ justement li. ou
la faison demontre que la certitude est néces-




15
saire, le rationalisme n'est pas la doctrine de la
raison.


§ 11.


Mais comment la raison arrive-t-elle a la certi-
tu de en matiere de religion ?


Examinons commenf ~ elle y arrive aillenrs, et
nous verrons comment elle y arrive ici :


Il est différents ordres de verites I el pour at-
teindre le vrai dans ces diffél'ents ordres, la raison
exige des moyens différents i.t lenr tour.


Pour atteindre la verite dans l'ordre des faits
sensibles, la raison vent le temoignage eprollvé des
sens; pour constater la verite dan s l'ordre des faits
interieurs, la raison veut le temoignagc éprouvé
de la eonseience; pour saisir la vérite dans J'ordre
IOffique ou metaphysique,· la raison veut, s'íl est
permis de s'exprimer ainsi, le témoignage ou l'at-
testation de I'eviu('nce 1; pour s'assurer de la verite
des choses absentes ou éloignees, la raison veut des
temoins surs; pour etre eertaine des ehoscs pas-
secs, la raison veut des témoignages historiques
irrecusables.


Mais comment s'assure-t-elle des faits de la vie
future, des choscs divines et encore invisibles ?


i Nous disons témoigñage des sens, de la eonscicnee, de
l'évidenee, eomme OD dit : mes yeux m'attestent, ma eon-
IIcience m'atteste. roa l'aison m'atteste, etc.




16
Par le témoignagc de Dieu : Argumenlum 11011


apparelltium l.
Sur les choses divines, la raison demande d'en-


tendre Dieu; sur les choses étemelles, la raison
désire le témoin de l'éternit6.


11 ne lui sumt pas de savoir que Dieu existe f!t
que l'Ame est immortelle, mais Sur ce que Dieu
noas prepare, sur les effets de sa justice, sur le
chemin qui conduit a luí, sur ce qu'il veut de nous,
sur les moyens de vaincre nos passions et d'effaecr
tes taches du peché, sur ee que nous dcyons faire
de nos douleurs et de notre mort, en un mot sur
toutes les grandes questions qui sortent brillantes
de nos conseienees dan s rétat positir de notre na-
tore, questions que ]a raison pose, qu'elle ne peut
pas ue ras poser, mai!! qu'eIle n'a jamais rcsolues,
ouí, e'est la solution divine qu'eUe attend, e'est la
I'éponse de Dieu qu'elle' veut entendre.


Et comme l'adhésion de la raison au témoignage
de Díeu eonstitue l'aete de foi divine, e'est done la
raison qui, dans l'état réel de l'humanité, veut la
roi en matiere de religion.


Aussi, la Coi, ehcz tous les peuplés et dans tous,
les siecles, nous apparait· elle e,omme un fait aussi
permanen!, aussi univers:~I que le fail meme de ]a
raison. Jamais, ninulle part, I'homme n'a ero a
l'homme sur les vérités reliv,ieuses; jamais,ni
~ullc part, les peuples n'ont voulu croire ni au:s


1 S. Pau] aux Hébreux.




17
philosophes ni aux philosophieR ; mais partont et
toujonrs, l'humanite laissant ses probabilités a la
science humaine, a voulu, pour ctre certaine,
entendre ici la voix de Dieu. Ce urand rait. est si
constant, si invincible, que la meme ou la re-
velation a subi les altérations de I'ignorance, de
l'orgueil, des passions humaines, les pCllples se
sont plutot attachés aux ombres de la revélation
que de se confier en pareille matiere a l'esprit
humain.


Et ce ne Curent pas seulement les peuples qui
refuscrent de dependre en cela des phiJoeophes, ce
Curcnt les philosophes eux-memés. Zoroastre, Con-
fucius l Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, Seneque,
pour no U! borner aux maltres de l'Oricnt, de la
Grece et de Rome, nous renvoient, en cette ma- .
ti ere, a la verite primitive et divinr, transmise de


. genération en ffeneration. lis parlent, sous .ce rap-
port, comme les écrivains inspires, comme ront
Cait Moise, Job, le psalmiste, les Prophetes, ·Ies
ApotreR, les Evanffelistes. - Nous avons cité leurs
paroles ailleurs. Vous les trouverez au Chapitre II
de notre ouvraffe sur la Certitude en. matiel'e de
religion.


·¡i Du reste, les philosophes n'ont ete sur ce point
que l'echo du bon sens el de la conscience de tous
les hommeR. Si je pretendais vous reveler les se-
crets de la vie future, nemediriez-vous pas comme
le simple peuple: étes-vous revenu de l'aull'e


2




~ 18 -
. monde pOUl' nous Jire ce qui s'rpasse'. Cernot
. du hon sens n'est, au fond, que eeluÍ de saÍnt
Paul : La ¡oi fiU ti-moiunage de Dieu est le fon-
dement de nos espél'ances~ la pl'euve des clLOses
~ divines que llOUS ne 1!oyons pas enCOf'e.


Ccux done qui donnent le noro de foi a leurs
opinions ou a leurs reyeS, ne savent ee qu'ils di.
sent ; et en rejetant la roi, teIle que l'esprit humain
I'a tonjours entendue, ils renient la raison elle-
m~me.


La raison done appelle la foi, conduit a la foi,
et e'est a la raison de l'homme que Dieu deman(!e


·la roi, mais apTes lui avoir fajt voir que e'est bien
Dieu qui la lui demlndc.


§ 3.


Aussi le rationalisme résiste t-il a la raison
quand il méconnatt la révélation divine. La révé-
lation est, en effet, l'undes grands faits perma-
nents par lesquels Dieu se manifeste a l'hornme.
Use manifaste comme Créateur par l'ordre de la
nature, p(lr la merveiUeu¡se unité des mondes;


,et il se manifeste eomme révélateur par l'ordre
,et l'llnité de la religion m'lltresse des temps.


Voici eomment parle Bossllet du seeond de ces
faits dívins :


(( La seule ElJlíse .catholique remplit tous les
. siec~es précédents par une suite qui ne pcut lui




19
etrc contcstéc, La Loi virnt au·devant de l'Evan-
Ui1e; la succession de MOlse et des patl'iarches ne
fait qu'une meme suite avec ceUe de Jesus-Christ :
él re attendu ~ venir) étre reconnu par une posté-
rité qui dure autant que le monde) c'esl le caJ'ac-
tere du Messie) en qui nous cl'oyons, (e Jésus-
cc Christ est auiourd'hui) il était hier) et il est
c( aux slecles des siecles l. »


« Outre l'avantage qu'a l'Es'lise de Jésus-Christ
d'etre senle fondée sur des faits miraculeux et
divins qu'on a écrits hautement et sans erainte
d'etre démenti, dans le temps qu'ils sont arrivés,
voici en faveur de ceux qui n'ont pas vécu dans
ces temps un miracle touiours subsistant) qui
confirme la vérité de tous les autl'efi : e'est la suite
de la rcligion toujours victorieuse des crreurs qui
oot taché de la détruire .... ,


« Quatl'e ou cinq faits authentiques) et plus
clairs que la lumiel'e da soleil) font voir no-
tre I'eligion aussi ancielme que le monde: ils
montrent) par cOllséquent) qu'elle n'a point d'au-
tre auteur que celui qui a fondé runivers~ qui
tenant tout en sa main) apu seul et commencer
et conduire un dessein ou tous les siee/es sont
compris,


« Si ron n'y découvrc ras, dit·il encore, si l'on
n'y découvre pas un dessein toujours soutenu et


1 Hebr, X1l1, 8.




20
tOlJjours suivi, si on n'y voit pas un m~me ordre
des eonseils de Dieu qui prépare des l'origine du
monde ce qu'il acheve a la fin des temps, et qui,
sons divers états, mais avec une succession tou-
jours constante, perpétue aux yeux de tout l'uni-
vers la sainte société ou il veut ~tre servi, on mé-
rite de ne plus rien voir et d'etre livré a son propre
endurcissement, comme au plus juste et au plus
ri'goureux de tous les suppliees 1. »


Nous arretons ici les rationalistes, et n011S leur
disons : n'est-il pas évident (évident, entendez-
vous?) que eelui-la seul qui tient tout en sa main,
a pu seul aussi commencer et conduire un dessein
ou tous les siecles sont compris? N'est-i! pas évi-
dent que l'auteur d'une pareille reuvre est le mai-
tre des tcmps, le Roi immortel des siecles? N'est-il
pas évidcnt qu'apparaissant a son heure, Jésus-
Christ a prouvé qu'il était ce maitre des temps,
ce. Roi immortel des siecles, le Dieu fait homme
pour le salut du monde? N'a-t-il pas pris, comme
témoins de sa Divinité, le passé et l'avenir qui
n'appartiennent qu'a Dieu? N'a-t-il. pas falt voir
l'histoire de son incarnation écrite par tous les
siccles quí l'ont précédée, et n'a-t-il pas donné
aux siccles qui ~evaient le suivre des ordres
humainement irréalisables et que nous voyons
fidClement accomplis ? Scrutez les Ecritures de
rancien Testament, telIes que nous les Barde la


1 Disc. sur l'hist. univ. 2m• Pal'tie.




21
syl1agogue, et dites si les temps du Christ, le
mouvement des empircs jusqu'él son avénement,
l'époque precise et le lieu de sa naissance, les
prodiges de sa vie, de sa passion, de sa mort
et de sa gloire, n'y sont pas décrits d'avance,
el ainsi de main di vine ? Scrutez les Ecritures
du nouveau Testament, {elles qu'elles existent,
de l'aveu de tout le monde, depllis le premier
siecle de notre ere, et dites si l'institution de
I'Eglise, si son apostolat perpétuel rondé ~ur l'unité
d'un pasteur supreme, si son sacrifice ineffable,
avec la communion au pain vivant descendu des
cieux, si son tribunal de la pénitence avec la ré-
mission des pechés aux consciences qui s' ouvrent,
si sa diffusion, él elle, son action el sa duree, dites
si toutes ces choscs que l'hommc n'eut jamais
songé él vouloir, a prescl-ire ou él promettl'e, ne sont
pas toutes vivan tes dans I'Eglise? Dites si cette
Eglise, édifiée sur le roch~r de saint Pierre, n'y
verifie pas, dcpuis pres de vingt siecles, eette
parole divine : Tu es Pierre) et sur cette pierre
;e bdtirai mon Eglise et les forces de l'enfer ne
prévaudl'ont pas contl'e elle ~


Bossuet a donc eu raison d'affirmer que si l'on ne
voit pas dans ecHe reuvre sans pareille un meme
ordre des eonseils de Dieu, qui prepare des l'ori-
gine du monde ce qu'il acheve él la fin des temps,
et qui, sous divers états, mais a\1ee une suecession
tpujours constante, perpeLue aux yeux de toq.t




l'unlvers la salnte societe OU il veut ~tre servi, Dn'
mél'itc de ne plus ríen voir.


Maís c'est justcment pour ne rien voir ici, que
les rationalistes se tournent d'un autre cote~ el se '
redisent la phr!lse inventee pour eehapper a la lu-
miere: c'est l'opinion de Bossuet, ce n'est pas la
notre ! Comme s'íl s'agissait Íci d'opinions~ eomme
s'il ne s'aSÍssait pas de verÍtés certaines, comme
s'jl y avait, pour la raison, un droit quelconque
contre l'evidcnce, et comme s'U n'était pas évi-
dent que Dieu seltl a plt cOllce'1.'oir el l'éaliser
un dessejn ou tous les siecles son! compris.
L'on se prend a sourire, malgré I'indisnation
flu'on éprouve en presence du blaspheme, quand
00 entend comparer aux hommes vaincus par le
temps, Celui-liI seul qui est le maltre des terups,
et quand 00 voit des inscnses travailler a mecon-
naltre la divinité de Jésus-Christ, sans qu'ils se
doutent mem'c de ce qu'il faudrait faire pOllr y
réllssir : il faudráit ancantir le passe, slIpprimer
I'l1istoire, briser la chaine des faits qui en consti- I
tuent l'unité, en un mot l'cI'aire les siecJes. Tout
cela appal'ti('nt au Christ qui en est l' A Lpha et
l'Omega~ le commencemenl el la fin, celui qui
était~ qui esl~ el qui doil veni,. 1,


Oui, iI viendra, et chacun de nous, a sa der-
niere heure, vena Celui qui nous a crees a sa res-
semblance, qui a daigne prcndre la notre pour


t Afoc. 1, 8.




:!3
expier nos péchés, qui nous a airnés jus(Iu'a la
mort 1, Ce sera l'heure du jUG'cment. lUalheul'
alors a nous, SI nous n'avons pas aimé. J~sus.
Christ 2 •


IV.


Le libéralisme n'est pas l'école de ia vérité. -
Le libéralismé n'est pas l'école dé la liberté.


§I.
Le libéralisme n'est pas l'école de la 'Vérité.-


Les puissances. - Lew' indépelldance. -
LeuT' harmonie. - La pleine loi socia/e.


Nous venons de prouver que le rationalisme
n'est pas la doctrine de la mison, que la raison le
condamne. Nous ayoos prouvé, par la mémc, que
la raison condamne le Iibéralisme, puisque celui-ci
n'est aulre chose que le rationalisme social. Mais
nous voulons démontrer cctte vérite plus dÍrc.e.
temcnt :


Le libéralisme, JlOUS l'avons vu,n'ad~let, dans
l'ordre social, qu'une seule puissance souveráine,
la·puissance de l'Etat.


Eh bien! il est manifestemrnt faux que l'Etat 'J
soit la seule puissaocc souveraínc, cal' l'ordrf so~


1 J()Un.
2 S. Pau!~




24
cial comprenl'l, outre l'Etat, deux autres soci~
dont l'Etat n'est pas le maitre.


L'homme, par sa nature et par sa destinee posi~
tive, appartient a trois sociétés : a la société domes-
tique, a la société re1igieuse, a la sociéte civile ; a
la famille, a l'Eglise, 11 l'Etal, el de ces trois so-
ciétés , les deux dernieres sont regies par des
autoritcs publiques et souveraines.


La famille e~l antérieure a l'Etat, puisqu'elle en,
est l'élément, et elle a re9u de son auteur des


,1ois auxquelles l'Etal ne peut pas touchrr. Les re-
1ations de l'Etat avee la famille sonl formulées, sans'
doute, palo les lois civiles, mais ces lois supposenl
les droits preexistants des membres de la famille,
des parents et des enfants, et elles ne peuvent ni
les rnéconnaltre, ni les abolir. Ce sont ces droits
naturels que la religion consacre, qu'elle éleve
par la {l'racc, eL qu'elle seule a constamment et
pleinement défendus contl'e les caprices des puis-
sants et des puissances, l'hisloire le prouve avcc
éelat.


L'Eglise, la société religieuse entre les hornmes
et Dieu, préexiste égalernent a la société civi'e,
puisqu'elle date necessairernent de la création de
l'homme el de l'existence de la premiere famille
humaine. La constÍtution de l'Eglise, dans ses
elats successifs, n'a jamais dépendu des homrnes,
paree que la constitution d'une sociéte qui consiste
pon-seulement dans les I'clat~ons de l'homme av~c




25,
Dicu, mais aussi et surtout dan s les relations posi-
tivcs de Dieu avec l'homme, n'a jamais pu dépen-
dre que de Dieu, du droít divin pQsitif.


La soeiéte civile, dans ce qu'elle a d'essentiel,
existe de d/'oit natul'el) et en ce sens elle existe
aussi de droit divin J paree que Dieu ayant ereé
J'homme pomo la soeicté, veut l'union des familles
et ainsi l'autorité qui la garantit. Les écrivains du
libéralisme parlent ici contre le d,'oit divin sans
savoir ee qu'ils disent, el sans la moindre notion
de ce qu'enseigne le christianisme a cet cgard, puis-
qu'ils s'imaginent que l'Eglise applique le príncipe
du droit divin a certaines ramilles ou dynasties en
particulicr, a certaines personnes déterminees. Ce
que la constitution du pouvoir civil a d'accidentel
est de droit humaÍn positif. Le droit divin ne re-
garde ÍcÍ que l'autorité voulue de Dieu, en géne-
ral, comme la eondi~ion essentielle de la société
publique, et non les formes ou les conditions de
eette autorité, eonditions qui varient selon les be-
soins des temps et des peuples. L'autorite done,
.lt'~gitimement établie, qu'elle soit monarchique,
aristoeratique ou démoeratique, est toujours, en
géneral de droit divin .naturel.


Dans la famille, dans l'Etat, dans l'Eslise, le
pouvoir est-il indépendant ?


Il ñ.'est nul1e part d'une indépendance absolue,
puisqu'il est soumis partont aux lois de Dieu; mais'
qans ehaeune ~e ces trois sociétés, le J}ouvoÍl' est




índépendant dans sa propre sphere, en ce sen s
qu'llucunc des trois aulorités ne' peu! se substituer
aux autres.Nolls avons deja VII que l'Efflise recon-
nait et consacre l'autorité dan s ]a famille, et que,
ceHe autorité, l'Etat ne peut l'usurper. L'Eglise
proc1ame aussi que l'autorité civile vient de Dieu,
et elle n'a jamais songé a l'usurper non plus. Mais
les préjugés du libéralisme sont si tenaces en ceUe
matiere, que nous voulons lui mieux rappeler en-
core la doctrine catholique sur ce grand sujet :


Un sava'nt canoniste romain., Devoti, dont les
ouvrages sont si justement estirnés dan s toutes les
écoles ecclésiastiques, résume ainsi l'enseignement
de l'Eglise sur les deux puissances :


Alim sunt partes civilis potestatis, alim eccle-
siasticm, el ulraque habet suum cerlum~ ac defi·
nitum genus, in quo SUM~IA esto lila nimirum
curat civium commoda, et civilem societatem,
altera res mcras, atque di1linas. Nullum, hic
absurdum, et nulla rerum con/usio, neque statu
in statu est~ quod inquinnt protestantes: sed sta-
tus uterque diversi genel'is est, el habet uterque
pI'O vinciam Sllam Jquam transilire non debet. (Vide
Laurentium Veith, Richer. System. confut. sect. 2
cap. 2, § 56 et seq., pag. 325 et $eq. August. Vin-
delic. 1783, et Francisc. Anton. Zaccariam, in
Antifebron. tomo 1 dissert. 1, et in Antifebron.
vindicat. pago 1 dissert. 2, cap. 1) . .dtque in eo
(/uidem omnis est posita 'vera, atque accurata:




27
distinctio ecclesiasticlE ac Cl1'WS potestatis) quod
lnec est ordinis naturalis~ illa supel'naturalis;
(Vide librum l de l' autorité des deux Fuissances)
editum anno 1781 tomo 1); altera curat rescivi·
les) ac temporalem hominum felicilatem) altera
prmest rebus sacl'is, atque divinis) et curam gerit
eOl'llm) qum ad mternam beatitudinem pertinent.
(Devoti, ln8t. Canon. Proleg. c. 1, no VIl) ..


Cette doctrine est incontestablement celle def
Peres et des apolorristes des premiers sicc1es. ElIc
vient d'etre rappelée avee éclat, et par les évcques
suisses, et par les évequcs allcmands, avec l'appro-
bation solenneJle du chef de I'Eslise.


Voiei les paroles des éveques suisses :
La doctrine divineme1lt révélée affirme qu:a


cóté de la société religieuse ii J a la société ávile)
qu?.t cóté de la hiél'al'c1de tcclésiastique ii J a le
pou'voir des chefs temporels, investís) dans leur
domaine) d'une PLEINE souveraineté.


Voici les parolcs des éveques allclJ1ands :
Le domaine de la puissance ecclésiastique du.


Pape est essentiellement diJférent de celuí sur
lequel s'étend la souveraineté temporelle des mo-
nal'ques; altssi les catltoliques ne contCJtent nuL-
lcment l' ENT 1 ERE souveraineté de ¡ew' prince
Slt/' le terl'ain civil., (Déelaration des Eveques etc.)


Et Pio IX, parlant aux évequcs allcmands de
eette Déclaration, leur dit dans son Bref du 2. mars
l87¡j :




!8
P otre Déclaration donne la pure doctrine ca-
tholique~ el par conséquent celle du Concite et de
ce saint Siége.


Mais si chacune des autorites, dans la famille,
dans l'Eglise, dans l'Etat, est indépendante en ee·
sens que l'une d'elles ne peut se substituer aux
autres, qu'aucune d'elles ne peut absorber les au-
tres, iI n'en reste pas moins vrai que toutes les trois
sont soumises a Dieu el a l'o,.dre établi de Dieu,
et que l'ordre ou l'harmonie des pui!lsances dépeIid
del'ordre ou de l'harmonie de leurs fins.


La fin propre el immédiate de la famÍlIe est l'u-
nion des époux, le mutuel appuÍ qu'ils se doivent
en ce monde, la génération et l'éducation des en-
fants. La fin propre et immédiate de ¡'Etat est le
bien tempol'el de la société publique. La fin pro-
prc de l'Eglise est le bien spirituel des ames el
leur salut éternel, e'est-a-dire la fin derniere de
l'homme, el aÍnsi la seule vraie }in.


La fin de la famille et la fin de l'Etat doivent
done etre en harnlonie avec la fin derniere. La
raison le veut comme la roi, cal' la raison ces-
serait d'etre la raison, ou serait infidelc a elle-
meme, si elle s'arretait a des fins imrnédiates et
intermédiaires, sans les rapporter a la derniére .


• E le prendrait alors les moyens po nI' la fin, el man- .
querait infailliblement son but. Si done les troÍs
autorités sont indépendantes, si chaeune d'elles
r~st d~ns sa propre sphere, et dans le sens que




nous avons indiqué, il est neanmoins evident que
la fin de la famillc el la fin de I'Etal doivent etre
subordonnees a la fin derniere de l'hommc, et que,
par cOI)séquent, l'autorite domestique el l'autoriLé


. civile, en matiere de fin derniere ou de religion~
doivent etre surhordonnees aussi a l'aulorite reli-
gieuse instituée de Dieu.


C'est ce que Pie IX rappelait en ces termes dans
l'Encyclique Quanta eura:


« Rien n'est plus gIorieux pOllr Jes chefs des Etats
c( que de sc conformer aux paroJes que notre tres-
c( s¿¡ge et tres-eourageux prédecesseur saint Félix
« ecrivait a l'empereur Zenon, de laisser l'Eglise
« catholique se gouverner par ses propres Jois, et
« de ne pel'mettre a personne de mcUre ohstacle a
c( sa liberté. 11 est certain, en effet, qu'il est de
« leur intéret, toutes les fois qu'il s'agit des ellO-


. « ses de Dieu) de suivre avee soin l'ordre qu'il a
c( prr.scrit, et de suLordonner, et non de préférer,
ce la volonte royale a cclle du saeerdoee du Christ.»


Pie IX dit done que l'ordre vOlllll de Dicu est
que l'autorite temporelle n'usurpe pas, dans les
choses de Dieu) l'autorite spirituelle, mais il ne
dit pas que l'empire doit etre suhordonne au sa-
cerdoce dans les choses puremenl temporelles) ou
qui ne touchent en rien a la religion. L'Eglise, se-
Ion I'ordre de Dieu, ahandonne ces choses a la
puissance civile; elle veut que ron rendc a César
ce qui est el César) el a Dieu ce qui est a Dieu.




Nous venoos de consLatrr l'harmonie des puisa
sanees, l'ordre OU elles ont eté établies parla
Providenee, et nous avoos rappelé la [oi de eeUe
barmonic, la loi de leurs relations nécessaires.
l\lais rien ne fait mieux comprendre eeUe loi
qni reBle les rapports de la soeiété domestique et
de la wciéte civile ave e la société relilJieuse, la
loi Bénérale de l'harmonie des puissances. que la
pleine connaissance des rapports antérieurement
voulus de Dieu entre d'autres puissances, entre les
puissances natnrelles et surnatllrelles de l'hornmo I
lui-memc, entre 5a raison et sa Coi, sa volonte et
la grace.


La raison est une puissance naturelle; le pouvoir
dans la ramille et le pouvoir dans I'Etát sont des
puissanees nalurelles aussi. La raison naturelle et
le pouvoil' naturel ont des droits et des devoirs : la
raison a le droit et le devoir de gou veruer l'homme;
le pouvoir dans la ramille et le pouvoir dans rEtat
ont le droit et le devoir de gouvcruer la soeiété do-
mestique et la société eivile. Mais l'hnmme n'a pas
seulement une fin temporelle, tout le luí dit inte-
rieuremr>nt, ear son ereur aspire a ce qui dure;
tont le luí dit exterieurement, car rien de ce qui
passe ne lui suffit. Il va done a la "ie future, a sa
fin supreme, a sa fin del'niere, veritable fin des fins,


i Nous disona aussi puissul1ces surl1uturelles de Phomme,
en ce sens que la lumiere de la foí et la force de la gráce
lui sont ofl'ertes, et qu'il est libre d'en user.




3t
a laquclle ton tes les autres doivcnt se rapporter
comme au but véritable de son existence. e'est pour
tendre a eette fin qui dépasse le temps , au gl'and
but encore invisible, que la l'aison elle-méme)
nous.l'avons vu, a loujours cherché la preuve de
l'invisible dans le témoignage visible de Dicu, afin
de trouver par la roi - manifestement rationnelle a
ce temoignage --la pleine certitude religieuse que
ceUe Coi seule lui donne iei. La raison de l'homme
rherche ainsi celle de Dieu, ct pour saisir les
ürandes vérités qu'elle ne peut atteindre seuIe, el
pour etrfl affermie aussi dans la pos.Spssion de eelles
qu'elle a, rigoure'lsement, la pllissance d'attein-
dre, mais que, de fait, elle n'a pleinement con-
nues nuIle part sans la lumiere de la foi, comme
le tlémontre invinciblement l'histoire de l'esprit
humain, sansexcepter son histoire aetuelle, grace
llUX publications de plusieurs membrcs de l'In-
stitut de France 1. Veuillez done ne pas perdre
de vue que la roi est néeessaire a la raison pour
deux ehoses : pour remédier a la faiblesse de
la raison, faiblesse positive et permanente dan s
l'ordre dcsvérités divines , meme naturelles, et
pour l'élever ensuite a la connaissance de l'ordre
surnaturel de la rédemption et de la grace, qui
repand séul une pleine Iumiere nI' rétat si trou-
blé de notre nature. La foi seuIe nous revele clai.


1 MM. Littré, Maury, Taine, Renan, et autres vulgarisa-
tcurs des reves germaniques.




32


rement le mot de l'éniame que nOllS sommes pour
nous-memes, et l'harmonie de nos douleurs avec
l'espérance-d'une meilleure vie, l'harmonie de no-
tre mort avec cette vie plus haute dont la mort
est l'entree 'in Clzristo Jesu. e'est done pour etre,
fideIe a sa destinee que la raison humaine cherche
la roi et s'yattache. Si l'homme ne veut pas etre
éclairé par cette lumiere qui lui vient d'en haut,
oriens ex alto ~ s'il ne veut pas elre aide par la
main que Dieu lui tend pour l'élever jusqu'a lui,
il tombera au-dessous de lui-meme et se perdra
par sa faute. L'accord de la raison et de la foi ré-
sume ainsi toute la loi de son intelliaence, comme
l'accord de la vo]onté et de la grAce resume toute
la loi de son coour.


Eh bien! appliquez ces verites a l'ordre social,
et vous aUl'ez la loi qui regle les rapports des so-
eietes qui le eonstituent, vous aurez la pleine'loi
sociale.


La famille prépare l'homme a la soeiété civile et
a la société rclilJieuse. La société civile existe pour
aider l'homme a aUeindre sa fin temporeUe, la
felicité de ce moude, autant qu'elle est possible
ici-has, et cette sociéte est independante dans eeUe
sphere; mais elle ne peut prendre l'homme a de-
mi, elle ne peut faire abstraetion de notre destinée
finale, et doit par conséquent· vivre en bonne har-
monie avee la sociétéreligieuse divinement insti-
tuee pour aider les hommcs a atteindre leur der-




33
niere fin. De meme done que la raison a besoin
du secours de la foi pour deux ehoses : pour elre
guérie de sa faiblesse, et pour etre élevée a la con-
naissanee des vérites dont elle a besoin, et qu'elle-
ne p~ut atteindre seule; ainsi la soeiété temporelle'
a besoin de la société spirituelle, non-seulement
pour voir élever ses membres a Ieur fin supreme,
mais pour etre aidée elle-me me a leur faire at-
teindre la félicité du temps, la paix dans l'ordre el
la liberté. Et pourquoi en a-l-elle besoin? Paree
que la force dont elle dispose est faible, meme
pour le maintien des lois, sans l'autorité qui parle
directement aux eonseienecs, et qui leur découvre
dans la désobéissanee aux pouvoirs établis une in- ~
fraetion grave a l'ordre de Dieu, quand ces pou-.
voirs ne sortent pas de la sphere de leur action
léffitime. Pourquoi encore? Paree qu'il ne suffit
pas de promulffucr- des .lois contre les désordres
qui ébranlent les Etats : la violen ce, l'injustice,- la
corruption, le vol, la calomnie, I'adultere, ]e
meurtre, les attentats contre les personnes, contre
les propriétés, contre les moours. L'essentiel est de
faire observer les lois. Or, la nature humaine avec
ses instincts, ses penehants, ·ses passions, ses fai-
blesses, a bcsoin pour observer l'ordre, méme na-
turel~ d'etre ff~érie, relevée, soutenue ; Guérie de
son état positif d'infirmité, relevée de son état po-
.sitif ~ed,~ffradation, soutenue dans son état positif
de faiblessc~ Mais autant il est de fait que l'homme


3




34 -
est faible et iRCiliné au mal, autant il l'em que l.
rel~ion seule lui d()nne le désir, la volonte, la fO~flI
de se declarer la guerre a lui-meme, et de résister


I a ses plus imperieux penchants, a ses passions les
plus cheres.


De meme df)n~que ceux qui affirment la sujfi,,;
saJICe de Ita raison ¡rour ~c!airer l'ho-IDllle sur sa .
.I:cstinee fillale, et la sufIi:sallce de sa volonte pou ...
IJ'atteindre, méconnausent retat positif de la raison
e-l ck la puissance' mora le' de t'homme; aift5i, ceux
EJui affument la suflisance dw pouvoir civil ap.
pl1!yé sur re droit natureJ: 100m fonder l'ordre mo-
mi el religieux dan s. la sOfliété, meconnaissent
}.'dat positif de l'humanite,. et les enseignements
de tOU8 les siecles, de l'histoire.


la loi natureUe, sans doute" est le fondement
des loís: civiles, mais M fondement, nous l'avons
vu , est positivement .éhranlé daos la conscience
h·nmaine, el il n'y a eté pleinement raffermi nuUe
part qu!it l'ame de f& l'évelation. Et puis, l'huma~
Dite nc peut faire abstracLon JI! la fin s.urnaturelle
qui constitue sa de9tinée p()sitive~ et par conse-
quent l'allforité temporeHc ne peut suffire a ren-'
st'mhle de l'ordre social. Aussi, jamais société
ne fut fondee sans que fa I'elision lui servit de
base, selon le me! de ROl1sseau, ctjamais la reli.
glO1l qni servit de hure ii la sociélc ne fut la reJi-
trien purem.ent nafurePle·, pal" 1& rai;gon qu'eUe ne
rBptmdit .iElDlais a F'état réel de l'humanité déchllP~




mais rappelce a sapremiere élévalion. Toujours et
partoot la rdigion sur laquelle lasociété s'appuya
fut une rdiBion positive, rruit de la révélation ve-
r¡labIe, ou de la revélation alteree par les hommes ..
1\'Iais, les profanations de la revélatíon no peuvent
faire meconnaltre Pordre etablí par la Providence~
et attcsté par toute l'hístoire du ~enre humain. Les
reates de religion qui flotlaient dans le délug,e
d'erreurs du pasallisme~ ont servi a conserver dans
les sociét¿s idolAtriques un reste d'ordl·e aussi,
comme l'a quelque part remarqué Bossuet. La
prétendue religion naturelle, faite, défaite et re-
faite a l'image des idéologues du déisme, du pan-
thcisme, du materialisme, du fatalisme, n'en eut
certes pas fait autant. Si le peuple se formaít a
l'imase de pareils maitres, la societé, nous l'affir-
monS' sans erah~lte, 00' subsisteTél'it pas un joUr.
Mais la roi soutíent aujourd'hui bien des peuples,
ma'sré l'apdstasic d'c la (ausso scienee.


C'est done entre fa: saciété ch'He et la' société
religicuse posÍtÍva, appuJee sur Fa l'éveIation di.
vine, qu'il existe des relalions nécessaires, paree
que tel est l'ordre de la Providence, el c'est pour
répondre a cel ordre que l'harmoníe doit rcgncr ,
entre la puissance temporelle et la puissance spi-'
rituelle, sans que leur indépendance, dan S' leurs
spheres respectives, en soÍI nuUement attciote, sans'
que la distinction des puissances fasso le' moins du '
monde place a leur confusion. L'autorÍté reliuicuse,




36
la pl1i~sance spiriluelle, doch'inale,' ellScignantc,
s'cmpare-t-elle du gouvernement de la société do-
mestique, paree qu'elle rappelle aux parents et
aux enfants l'importance dc leurs devoirs, et paree
qu'elle leur offre les moyens divinement inslitués
pour les aider a les accomplir? Elle n'usurpe done
nulIement non plus le gouvernement temporel
de la société, quand elle rappelle leurs devoirs
aux puissances qui la {J0uvcrncnt, et quand elle
dit aux rois eomme elle le dit aux peuples : MOIl
royaume n'est pas de ce monde, mais je suis en cc
monde pour y rendre témoignage a la ,'érité 1, pour
y faire régner la vérité.


§ n.
Le libéralisme n'est pas l'école de la liberté.


Dans toutes les spheres de l' ordre moral, ce qui
distingue la liberté de'la licenee~ c'cst que la liberté
se meut dans les limites de la loi et de l'autorité
lénitime, tandis que la licenee ne reeonnalt ni loi
ni aut~rité, La liberté se distingue de la lieence
dans la soeiété domestique, en ce qu'elle se meui
dans les lim:tes de la loi et de l'autorité de la
familIe; la liberté s~ distingue de la licence dans
la société eivile, en ccqu'elle se meut dans les
limites de la loi et de l'autoritc civilcs; la liberté se


I Joan. VIll.




37


distingue de la licence dans la société religieuse;
en Ct: ([u'elle se meut dans les limites de la loi et
de l'autonté religieuses. Vous le voyez, la liberté,
loin d'etre l'antithese de la loi et de l'autorité, ne
se con~oit meme pas sans elles. La liberté, la loi.
et l'aulorité s'ont partout corrélatives. Il t~ut done i
comprendre que la liberté religieuse, ou la liberté
de conscience, esl le fruit me me de la soumission
de la conscience a la volonté de Dieu, et que, pour
elle, servir Dieu e'est régner : Cui ser'lJire re-
gnare esto


Il faul comprendre que la liberté de eonscienee
consiste ii ne dépemlrc que de Dieu.


II faut comprendre que~ s'íl est absurde de dire
que les enfants dans la famille el les eitoyens daos
rEtat ne relevent que d'eux-memes, il n'esl pas
moins ahsurde de di re que, dans la soeiété spíri-
tueHe , les eonseicnees ne relevent que d~elles.
memes , qu'elles sont a elles-memes leur loí et
leur autorité. e'est a la ebnscience, sans doute,
de reconnaitre l'autorité spirituelle competente,
e'est-a-dire divine ; e'est a la raison de reeonnaitre
Dieu et de diseerner l'autorité qui porte clairement
le seeau divin, le caraetere d'en haut, eomme
e'est a l'reil de reconnaitre la lumiere ; mais l'reil
n'est pas pour cela la lumiere. Paree que les ei-
toyens reeonnaissent les tribunaux qui les jugent,
sont-ils pour cela l'autorite judiciaire? Et l'autorité
dOIDf'stiquc e¡;:t-elle dans les enfants paree que les




a8
6.18 reoonnaissent Icur pere ? Encore une fo;s done,
l'autorité spirituelie qui eonstitue l'unité de l'Egli-
&c, loÍn d'etre unohstade el la liberte de conseicn-
ce,. en est la eondiJ.ion essentielle. Aussi, ('sI-ce
I'aatorité spirituelle di;viuemcnt etablie dans l'unité
qui, seule sur la terre, a toujours defendu la li-
herté des Ames eontre les -entreprises de la force.
Toutes les Eglis~ national~on.t eourbé le front
devant César, que César flit monarchique~ R1isto-
~ratiq.ue ou républieain. Le rationalisme, <{ueis
qu'en aient été le nom et la forme, ne lui a pas
mieu.: miste. PoUl' resister a la rorce, sans user de
la force, il fau! etfe une puissance, une vraie puis-
sanee spirituelle. Or, le rationalisme est la doctrine
de l'anarchie des conseienees, el les eonsciences
ainsi divisées, ainsi disperséc~~ loin d' etre une puis-
unoe, ne sont qu'une pol.lSsiere. Cette poussiere,
le p?omier coup deyent du despotisme l'emporro.


1.6 rationalisme le sait hien,et e'est pour cela
que dans la convictioll ou il est de n'elre jamais
une vraie puissanee doctrinale, el dans son envie
d'~ttIC pourtant lo maitro des ames, ii s'est rait par-:
tout le complice de César.


Ce n'est done pas seulement a l'unilé de la so-
dété spirilucUe et a la liberté des eonscienecs
qu'une puissanee dQctrinafe Iegitimeest nécessail'e,
maÍs c'est encore a la socicté temporelle et a la
liberté des peuples.


II faut 1(1 compl"cndre :




39
N'avons-nous pas vu tout a l'heure que ce qui


,distIngue la liberté de la licence dans toutes les
'spheres de l'ordl'e moral, c}estque la lihert.é se
meut dans les limites de la loi et de l'autoríté
légitime, tandis que la licence ne reGonnait ní lor
ni autorité? - II Y a done aussi des limites a la
liberté religieuse, c'est-a-dire a la libre diffll-


. sion des doctrines et des cultes? Oui, nécessaire
ment ouí, a moins qu'on ne veuille octroyer le


,droit de se répandre aux doctrines les plus sub.
versives, aux eultes les plus monstrucux, au cuIte
polygame des Mo~muns, au culte infame de Corin-
the, au culte cruel des Indiens immolant des victi-
mes humaines, au cuHe socia liste, cal' le socia-


I lisme est une secte, et l'une . des hérésies de notre
temps. - II ne faut done rien confondre ieí :
l'homme a rec;lU de Dieu la liberté naturelle de
choisil' entre le vrai et le faux, entre le bienvt le
mal; mais a-t-il re~u de Dieu le droit de choisir le
faux, le droit de choisir le mal? Non, car la loi
divine lui impose l'obligation de ehoisir le vrai el
le bien, de rejeter le faux et le mal. De la vicnt
que dans la société domestique , dans la société
civile, dans la société r~ligieuse, le pouvoir qui
exerce partout l'autorité de Dieu doit veiller a
l'aeeomplissement de sa loi et a la répression des
ablls de notre liberté naturelle. n n'est done pas
vrai que l'homme ait le droit (le droit, entendez·le
.bíen), le droit de penser mal, el a plus forte rai·
. . .


.. ... .. ~ ~. ~ ~




40
son de professer, de publier, de glorifier tout ce
qui lui passe par la tete. Ce droit-Ia est un droit
chimérique, et s'il était pleinement pratiqué de la
maniere que des insensés le proclament, la société
n'y résisterait pas longtemps. Il est clair, en effet,
que ce que ron a le droit de professer et de glori-
fier, on a le droit de le faire, ou que la logique
n'est qu'un vain moto


Est-ce a dire que l'autorité civile ait le droit
d'imposer aux Ames la vérité par la force? Elle le
voudrait qu'eUe ne le pourrait pas, la force ne
pouvant atteindre les Ames. Mais, si elle n'a pas


.. le droit d'imposer ainsi la vérité, et si elle peut
parfois tolérer l'erreur, ou accorder la liberté civile
a des eultes divers 1-, elle n'en a pas moios le droit
et le devoir d'opposer des digues au torrent dévas-
tateur des doctrines de mensonge et de corruption.


J'ai, sur ce point, des paroles remarquahles a
citer. Ces paro les, les voici :


(e Résister non-seulement au mal, mais au prin-
« cipe du mal, non-seulement au désordre, mais
c( aux passions et aux idées. qui enfantent le
« désordre, c'est la mission essentielle, c'est le pre-
« mier devoir de tout gouvernement 2. »


-t Vous trouverez, a la suite de cette lettre, ce que j'ai
écrit, en :1856, sur la tolérance civile, dans les Entretiens
sur la démonstration de la t'oi. J'y ai joint les notes de la
quatrieme édition de cet ollvrage, telles qu'on les trollvera
darís l'édition des OEuvres completes quí est SOllS presse.


2 De la Démocratieen France :1849.




41


Qui parle ainsi? Esl-ce le comte de Maistre?
Non, c'est M. Guizot.


« n y a une immense ignoranee, dit-il eneore
« au m~me endroit, il y a une immense igllorance
ce de la nature de l'homme el de sa condition a
cc eroire que, laissée a elle-me me, la liberté hu-
« maine va au bien et peut y suffire. C'est l'erreur
cc de l'orgueil; erreur qui énerve du méme coup
c( l'ordre moral et l'ordre politique~ le gouvcrne-
« ment intérieur de l'homme et le gouverncmcnt
ce général de la société; car la lutte est la
« meme, le péril aussi pressant, et le secours
ce aussi nécessaire dans la société que dans l'hom-
« me. ))


Vous le voyez, le Syllabus n'est pas seul a pro-
clamer ces vérités trop oubliées. De grands espritl',
meme en dehors de rEg/ise, ont parlé, de nos
jours, catholiquement, surtout a l'heure de re-
preuve. C'est un signe du temps, el une préparation
a bien des retours.


Encore une foi8 done, il faut admettre qu'il y a
des limites a la liberté religieuse, c'est-a-dire a
la libre propagation des doctrines et des cultes,
OlI il faut proclamer le droit a l'anarchie des
conscienccs, et avec lui le droit a toutes les anar-
chies. Oui, le droit a toutcs les anarchies, car s'il
n'existe pas de certitude pour la conscience, s'il
n'y a pas pour elle de vérité qui oblige, aucune loi
ne peut légitimement l'obligcr; s'il n'existe pas;




42
d'erreur coupable, le mal n'est plus qll'un préjugé,
et la justiee qu'un abuso


Mais tes limites a la liberté de conscience, a la
liberté des doctrines et des cuhes, qui les posera P
La regle a suivre, qui la promuIguera P ..


Sera-ce la raison, la conscience elle-memea
comme organe de la loi naturelle P


Mais de quelle raison, de quelle conscienee, de
quelle Ioi naturelle veut-on parIer P Pour se con-
vaincre de l'iofirmité de eette solutioo, faut-il re-
eourir aux Mormoos qui pratiquent conscieneieu-
semen! la polygamie, aux Irtdiens qui osent immo-
ler en conscience des victimes humaines, aux
soeialistes qhi, dan s leur plan d'organisation so-
ciale, sacrifient consciencieusement la propriété J
Faut-jI rappeler que la raison de Platon n'a rien
aperl{u de contraire au drvit naturel dans l'escla-
vage, dans I'infanticide, dans la promiscuité, cette
monstrueuse négstion de la farn:ille P Non, iI n'est
pas besoin de remonler si haut, ni d'alIer si loin,
pour voil' que la· solution proposée n'en est pas
unc. Nous pouvons nous en convaincre en restant
chrz nous et saos sortir de notre temps, a l'aide
des eorps savants dont il se fail uloire. En efret,
e'est au moment meme OU le ministre de l'instruc-
tion publique d'une arande nation voisine 1 pro-
clamait l'existence et la justice de Dieu, l'immor-


( M. Duruy.




taJíté et la responsabilité de l'homme,comme les
bases et comme la sanction de la ]oi morale, du
droit mturel, que des voix plus éeoutées que ]a
sienne partaient de r Institut) pour rejeler ces
bases et ceUe sanction, an nom de ]a « science po·
sitive, de la haute critique, de lilsprit moderne. »
Etpuis, n'entendez-vous plus les écllOS des
caneiles dn rationalisme OU defense fut faite
aux lqpslateurs d'imroser d~ reglc6 a la con-
seience en progres, paree que' la « morale n'est pus
trou,.:ee » el qu'il en f11ut « une nouyelle ; J) paree
que el l'hornmc n'est pas terminé\ ni Dieu non
plus, " paree que « la vérite d'hier ne peut pas
ctre celle de dcmain? »


La plus forte raison de l'antiquité, Plafon, el les
voix les plus retentissantes de nos eco les moder-
nes, prouvent done de concert que la raison
humaine, 'quand elle est laissée a eIJe-meme, ICst
affaiblie et vBcillante, ~t qu'dle a hesoin d'nno
lumiere plus haute que la sienne {lQllr raUumer
son propre flambeau et Be préserver de tonto
défailJance, meme dans le domaine de la véritb
naturelle. Les faitll les plU$ constants prouvent
ainsi que pour impo1ffir des limites a l'anarehie des
consciences, il faut autre chose qu'une raison


] , . I ' que conque, qu une conselenre que conque)qu une
loi morale livree a la merci des opinions; qu'il
faut une raison ferme, une conscienee sure, une
]oi cerlainc promulguée par une aulol'ité "ivanle et




44
visiblement légitime, c'est-a-dire visiblement Qbli ...
gatoire pour la raison.


Mais quclJe se..a cette autorite?
Sera-ce l'autorite temporelle, la pmssance du


glaive, la force de rEtat?
S'il en etait ainsi, la main de l'Etat tiendrait les


deux alaives, la confusion des puissances serait
retablie comme au temps du paganisme, et nous
serions de nouveau e~ presence de la théocratie
sans Dieu.


Si l' on ne veut done pas la liberté illimitée des
cultes ou l' anarchie des consciences, et avec elles
le droit a toutes les anarchies, iI faut montrer aux
consciences une autorité de leuT' nature) une
autorité spirituelle) une puissance enseignante


. évidemment legitime, c'est-a-dire evidemment su-
perieure a l'esprit humain.


Oui, il faut choisir entre l'anarchie des conscien-
ces et l'empire de la force, si ron ne veut pas
l'empire d'une lumiere qui oblige la conscience ;
si ron ne veut pas d'une autorité doctrinale qui


( oblige la raison par l'évidence de sa. légitimité, et
la délivre ainsi de l'esclavage d'un doule éternel.
Oui, il faut montrer sur la terre une loi superieure
El l'homme, une loi qu'il n'a pas faite et a laquelle
nulle puissance ne peut toucher, pas meme ceHe
qui en est la gardienne, si I'on ne veut pas re-
nOncer au droit de parler dc liberté.


Finalement, les peuples et les Etat .. armes du




45
ulaive De rcconDaissent ]a puissanec désarmee et
enseip.nante que lo/'squ'ils le veulent bien. Mais
il faut qu'ils le veuillent, s'ils ne veulentpas resis-
ter a l' ordre de la Providence. Quand l'harmonie
des puissances est troublee ou rompue, quand la


: puissance de la force· ne reeonnait plu·s la puis-
sanee de l'esprit, les societes vivent eomme elles
peuvent, mais elles ne vivent plus que des restes
de l'ordre renversé. Cette verité hrillait de tout
son celat aux yeux d'Augustin Thierry quand il di-
sait de I'Eglise qu'lI avait si longtemps méconnue:
ce Je vois, par l'histoire, la necessité manifeste
d'une autonté divine et visible pour le developpe-
ment de la vie du genre humain; or, tout ('e qui
est en dehors du christianisme ne compte paso De¡
plus, tout ce qui est en dehors de I'Eglise eatholi-
que est sans autorité. Done l'EUlise eatholique est
l'auto~ile que je ehetche. »


Et voila comment, apres de longs détours, il a
eonfessé la verite toujours ancienne el toujours
nouvelle, rappelée au monde par la· grande voix de
Pie IX, c:i'est-a-dire que la soeiété tcmporelle a be-
soin de la soeiété spirituelle, que rEtat a bcsoin de
l'Eglise, eomme la raison a besoin de la révélation,
et eomme la nature a besoin de la urAee, l'homme
OU sceours de DieU.




46


v.


Le christianisme el la cilJilisation. - Le
NbéraUsme et la décadence sociale.


La civilisation moderne n'est autre ehose que le
christiani-sme social.


A ceux. qw y.'Oudraieut en douter, mtmtl'('Z la
Qla.pp~momlti ;. clites-leur d'y cherehcr fJU r Ervan.
gile (i/, été re9U et (f}U il a été repous9é) el faites-
leur voir et toucher ótU doigt qu' au christiani$ me
sew aPt)Qd't¡'enHeQt~ eomme a' Icur principe U¿'oo-
rateur, leS' tfl'aoos. faits fIlui cOIltstituent la supé-
rio.rité de cette civiJisation, dont tant d'inarats
gootent aujourd'hui les hienfaits sans en béñir la
sourcc.


Ql.l.cls ront ces faits?
C'est, d'abord, la reconnaissanee publique. de


la digu-ilé de l'Mmme el·M a l'image de Dieu, a
la ressemblance de son pere, pour jouir un JOUI'
de l'héritaae paternel, c'est-a-dire de la vie de
Dieu m~me; e'est la reeonnaissance pu\>lique de
l'égalité des hommes devamt Dieu~ en Tertu de
le.ur commune origine, de leur communcdestinée,
et de l'unité de la famille hurnaioo ; c'est la
reconnaissance publique du droit de l'homme á
l'accomplissement du devoir, a l'obscrvancc de
la loi divine, a la liberté des enrants de Dicu;
e'est la condamnatioD de l'esclavage paiell ou ce




47
droit et ecUa liberte étaient radicalemcnt mécon~
nlS, et e'est, ensuite, 1'abolition de tout eseJav8gc;
c'est l'unité du mariage, et la reeonnuissance
publique du droit naturel ou divin de l'eDfant a
l'indissolubililé du lien des auteurs de ses jours ;.
e'est la regénération de la famille par le respect da
droit des raibles, de la femme et de l'eurant ; e'est
le renversement du pretendu droit public en vertu
duquel le paganisme proclalnait l'homme fait pour
l'Etat, a ce point que l'enfant né difforme, infirme,
inutile a la république, etait voué a lamort par
le divin Platon lui-meme, et l'infantieide éleve a la
bauteur d'une institution; e'est la constitution du
droit veritable, en vcrtu duquell'Etat est faitpour
fhornme, l'autorité élablie pour servir l'homme,
e~ pour aider l'homme a servir Dieu, soloD ce mol
du divin maltre: Je ne sltis pas venu pON,. ltre
serv.i) mais ponr servir: Non veni ministrari)
sed ministrare 1 ; e' est la eonséeration de vraics
légions d'Ames a la vie du sacrifice et do deyoue-
ment, dans une loule d'institutionlJ nees au pied
de la eroix pour le soulagement de toufes les
miseres humaines-, speetacle ravissant dont le
paganisme n'a pas me me fait le reve ; eJest le zele
d'autres légions eneore, de Iegions d'apótres qui
s?en vont aUl: nations encore infideles et barbares,
ponr les éelarrer, les élever et les sauver, e'est


t Matt)¡. n, B




48
l'enseignement répandu a flots el a lous les degres,
depuis les plus hum bies écoles jusqu'a ces srandes
universités dont l'Eglise a couvert l'Europe. Ce
sont, enfin, tous ces biens garantis par la reeon-
naissance soeiale du rcgne ou de l'empire de la
verité, par la constitution du droit public sur la
base de la loi divine, de la distinction des deux
puissances, de l'indépendance de ehacune d'elles
dans sapropre sphere, mais de l'harmonic qui
doit néeessairement exister entre elles pour le bien
temporel et eternel des hommes.


Oui, la voila, mais trop incomplctement. es-
quissce, la vraie civilisation dont l'Eglise est la
mere .


. Mais ceUe aJuvre sociale de l'Eglise est-elle
imperissable comme l'Eglise elle·meme?


Non, car elle n'a pas, eomme l'Eglise, des pro-
mes ses divines. La duree, l'extension, le déve.lop-
pement ou la ruine de eeUe reuvre dependent de
la liberté de l'homme. Les sociétes s'élevent et
lombent ; les Etats, filits d'hommes, peuvent apos-
tasier eomme les hommes.


lrest-ee pas a cause de eette apostasie commen"
. eée que, malgre les progres de la civilisation ma-
tcrielle, la civilisation morale el sociale, la vraie
eivilisation penche .visiblement vers la décadence?
Tous ses élements ne sont-ils pas alteres? La di-
6riité humaine n'est-elle pas meconnue par la fausse
scicnce el par ]a fausse politique? Le materia!ismc




- 49
ne travaiUe-t-il pa~ au ffrand jour a faire deseen·
dre les hOlQ.mes au fang eles betes, et les nouveaUl;
empires nc tentent..,ils pas de les traiter de nouveau
eommo les traita1cot les anciens, disposant de mil-
lions de vies, non pour ven ser la justice, mais
pour se donner la gIoire? N'es~-il pas vrai que
1'0ubli de lit difJni~é de I'homJlle produit l'abaisse ...
men! des ;im~lJ, et que la corruption urandit par-
tout ? N?est~il pas v .. ai que les admirables institu ...
tions dont nous parlions tout a l'he1lre, et ou la
souffrance, eeUa naie reine du monde, a trouvé
de¡¡ légions d'&nges pour la ~ervir, u'cst-il pas vra~
qu'elles sont aujourd'hui méconnues, caloIJlniées~
persécutcel, paree qu'ellcs sont marquécs, du silJnc
de la croix.? N'cst~il pas vraique les armécs d~
socialisme, qui deviennent innombrahles, com.,
ballent ces iostitutions comme UP mal, paree que
la 9harite o'es! a l«:urs yeul qu~ l'enncll1i¡! de la
justice, SOllS le mallqlle d~ UIqflclle ces armees
veuIent boulevcrser le monde? N'est-iJ p&S vrai que
ladégudlltien desfeml1lDS' reparait &Veo le divorce
déjil tant favorise par le protestantisme, et qu'on
cssaie de les arraeher !l leursublime mission, a
Ieur nature m~me et it. le\lr vraie p1.1issanee, en les
poussant. daIls la vie publique? N'cst-il pas vrai
enfin, que l'esclavase, cetteinstitution du vieux
monde paien s~ns lnquelle la s~ciété déa{mérrc ue
pouvaít subsister, dcpoUF"llC qü'eHe ctuit du [lrand
fr\.!in moral des peuples,du (hin dhin de l~ vraic




50
religion, n'est-il pas vrai que l'esclavagerenait
en qllelque sorte SOllS une autre forme, a propor-
tion que ce frein divin s'aH'aiblit? Qu'est.ce, en
effet, que l'institution toute moderne des grandes
armées permanentes) sinon une sorte d'esclavage
a terme el en uniforme) selon l'expression d'un
publieiste célebre J? Et la nécessité de ces grandes
armees permanentes, recrut~es par la cruauté du
sort, ou du serviee universellement· obligatoire,
qu'est-elle, manifestement, sinon le signe earacte-
ristique d'imordre public et d'un droit public
toujours menacés, et ainsi de la décadence so-
ciale 2'!


e'est poul'tant a consommcr cette décadence,
comme a· eonsommer l'apostasie dont elle est
l'reuvre, que travaillent alljourd'bui tant d'aveu-
gles volontaires el tant de grands eoupables, au
nom mensonger d'un progres qui n'est évidemment
qu'un recul vers la civilisation paienne.


1 Donosp Cortes.
2 La voeation militaire est sublime; nous ne paI'lons pas


d'elle ici; nous parlons des grandes armé es permanentes
recrutées par la cruauté du sort; nous parlons des multitudes·
armé es ou l'homme est soldat malgré lui, et OU les familles
en plenrs voient leurs membres voués. a une sorte d'esela-
vage a terme et en uniforme. Nons avonons que ces grandes
armées sont devenues nécessaires, mais nous disons pour-
quoi, et que ce n'est pas un signe de progres, mais de déca-
dence sociale. Certes, les soldats par force, et non par choix,
par vocation, doivent faire de nécessité vertu, comme toue
ceux qui souffrent, et transformer ainsi leur sort en sacrifiee


'- et en dévouement.
,/




VI.


Préjugés du libiralisme. - Ultramonlanisme.
- Progreso - Tolérance el inloléranúe.


§ I.
llltramontanisme.


Ultramonlain, dans nos contrees, veut dire
transalpino Pour nous, les Italiens sont des trans-
alpins. Pour eux, c'est nous qui sommes)es trans-
alpins.


Mais dans le sens doctrinal, l'ultramontanisme
est un mot inventé par les ennemis de l'Eglise pour ..
défigurer 1'unite catholique dont le centre est a
Rome.


L'Eglise n'est pas plus tramaJpine ou ultramon-
taine qu'elle n'est cisalpine; elle est universeUe.
Ceux qui l'oublient, ou plutot eeux qui veulent
l'oublier, cónrondent d'une maniere pitoyable
l'autorite spirituelle et universelle des successeurs
de Pierre, avee lcur autorité temp01'elle et locale
sur les Etats Romains. Quand done on designe le·
Pape, comme Pape, sous le nom de Prince étran-
ger, on pro uve deux choses : la premiere, qu'on
ne sait ce que c'est que I'Eglise; la seconde, qu'on
a l'esprit trop fausse par des preventions pour sa-
yOir ce qu'clle doit etre. On ne sait ce qu'elle est, 1




puisque son chef, le Pape, n'est~ comme Pape,
étranger nulle parto Il est le Vicaire de Celui qui a
dit au representant de l'empire des Césars : Mon
royaume n' esl pas de ce monde; mais je suis ve-
nu en ce monde pour y établir le regne de la vé-
rité. - 11 est le Vicaire de Celui qui a dit a ses


'apotres : Comme mon Pb'e m'a en'voyé~ je vous
envoie; allez et enseignez toutes les nations; je
,mis avec vous jusqu'a la consommation des sie-
eles. - Il est le Vicaire de Celui qui a dh au chef
de l'apóstolat: Tu es Pierre~ et sur cette pierre,
je bdtirai mon EgliseJ et les forces de l'enfer ne
prévaudront pas contre elle. - Le successeur de
Pierre ne peut done eormaitre d'étrangers sur la
terreo Ceux qui nc le comprcnnent pas, ne savent
pas ce que e'est que l'Err1ise. lis ont aussi l'esprit
trop fausse et trop etroit pour savoir ce qu'elle doit
etre, puisqu'Us meconnaissent la nature 'meme de
la reHgion, lorsqu'ilsveulent resserrer dans des li-
mites nationales la societé reliffieuse qui est essen-
tiellemcnt universelle. Dieun'est-il pas partollt le
meme? Et la nature humaine n'est-elle pas partout
la meme aussi ? Coroment done la relirrion, qui est
le lien entre Dieu et l'hommc; ne serait-elle pas
universelle ~ Le nom de catholique est ainsi le nom
de la verité religieuse sur la terreo


Est-ce a di re que pour elre catholique, J'Eglise
doive réunil' tous les hommes daos son seio? Il
fauurait, pOUI' cela, que l'hommc ne fUt plus libre'




53
de resister a la verite. L'Eglise n'en est pas moins


'veritablement et manifestement catholique. Elle est
catholique dans !la doctrine, paree que 'cette doc ..
trine compl'cllll la vél'it¿' religieuse tout entiere,
l'épond a toutes lesqucstions de rAme, et reste
la nH~me parlout : ubique le¡'l'arum; elle est ca-
tholiquedans sa eonstitution, parce que sa puis-
sance spil'ituelle ne connait pas de frontieres et
prliteste contre les religions natíonalcs, contre les
cultes de races, au nom de l'unité de Dieu et de


.l'unité du genre humain; elle est catholique dans
son aClion, car elle a des envoyes chez tous les peu-
pIes, des enfanls dan s toutes les parties du monde,
des m:utyrs dan s tous les empires pel'secuteurs;
elle est ca!holique dans son culte, cal' elle offre son
unique sacrifice sous tous les cieux, comme elle
fait confesser son symbole par toutes les langués.


\ Il est vrai que ,des puissances ennemÍes cmpé-
chent des foules d'd-mes d'enlendre sa parole, maÍs
ce ne sont pas ces ames qui rendron! compte a
Dieu de lenr ignorance, ce sont les puissatlts qui
lestyrannisent. Quiconque aime la lumiere, qui-
conque est fideIe a eeUc qu'il a te-;,me, quiconque
embrasserait toute la vérité chrctienne, si elle lui
était enseiunee, appartient dcvant Dieu a la grandu
famille de ses enfants, appartient par le creur a
l'Efflise catholique. 11 n'y a ,pas de salol hors
de I'Eglise, sans doute, maís e'est quand on es~
volontairernent hors d~ son sein1




Le progreso


5J


§ n.
La tolérance. - rinlolél'arrce.


Je voulais également parler ici des préjugés dll .
Jibéralisme sur le ptogres, sur la tolcl'ance et sur
l'intolérance, mais vous m'avez demandé un Ré·
sltmé~ et la OU les faits historiques tiennent la
place principale, la difficulté d'abréger esl tres-
grande. 11 faut donc me permcttre ici de VOu,<1
renvoyer aux ouvrages ou j'ai établi les points
suivants :


1. Le christianisme vivant dans I'Ealise est la
re1igion du progres par sa doctrine.


n. Le christianisme est la rcligion du proures
par son action.


- Actjon de la foi sur le progres moral.
- Action de la foi sur le progres socia l.
IlI. Action de la foi sur le progres intellectuel.
IV. Du progres tenté contre la foi. - Harmonie


de la foi el des sciences l.
Les faits constates dans ces quatre paragraphes


vous feront voir que les préjugés du libéralisme
sur le progres sont le resultat de l'ignorance et de


'la crédulite. Les autres faits constates au 4me des
Entretiens sur la démonstration de la foi vous


,montreront qu'il en est de meme des préjuués libé:
faux sur la tolerance el sur l'intolérance.


i J.a c¡uestion religieuse 'lb. XVI




55
Voici ce que nous avons démontré dans ce qua-


trieme Entretien :
10 Loin d'etre un príncipe de tolerance, le pro-


testantisme, apres s'etre introduit chez différentes
nations par la force, la violence, la complicité des
pouvoirs publics, est ensuiteresté, pendant pres-
que trois siecles, le type le plus prononcé de l'in-
tolérance~ et dans ses principes et dans ses actes.


2,0 Eilfant naturel du protestantisme, le rationa-
lisme l'a dépassé en tout.


30 .L'ES']isc n'est intervenue, dans les mesures
défensives qu'ont prises les souverains et les peu-
pIes chrétiens contre des scctaircs séditicux, que
pour modérer la rigueur de ces mesures et en con-
damner les exceso


Toutes ces affirmations sont appuyées sur les
aveux d'écrivains célebres du protestantisme lui-
meme, depuis que l'histoire, qui a trop longtemps
mérité d'etre définie la conjuration contre les
faits J est enfin redevenuc une science de bonne
foi, du moins chez un grand nombre de publicistes
de notre temps.


Du reste, cette Lettre n'est pas consacrée a la
. réfutation de ce que le liberalisme reproche a.
l'Eslise, par ignorance ou par passion, maÍs a ¡'ex- I


'position de ce qu'il esl lui-meme, comme vous,
l'avez desiré de moi. J'ai prouve qu'il est l'école.
politique de la confusion des deux puissances a
.wn pro(it; qu'il esl le promoteur d'une toute nou-




56
velle religion d' état} de ¡; antiohristianisme oJficiel
et obligatoire; qu'íl est l'application du rationa·
iisme a la sociétc; que le rationalisme n'est pas la
doctrine de la raison, que le liberalisme n~est pas
la doctrine de la liberte,et que si la civilisa·
tion moderne, celIe qui a vaincu Ít monde l>alcn,
est evidemment l'reuvre du christianisme, la déca-
den ce sociale n'est pas moins évidetntnent l'rouvre
de l'aposlasie publique dont le libéralisme des 10-
ges est ragent principal.


Les publicistes de bonne roi reconnaitront tout
cela; les autres eripront, maÍs ne prouveront ja-
maís le eontraire. Ils tronqueront, ils dénatureront
ce que je viens de vous éerire, mais quand ils se-
ront a l'reuvre, e'est a vous, soldat de la presse
périodique, que j'abandonnerai le soin de les éon-
vaincre de faux. Puissiez-vous le faire de fat;:on a
leur ouvrir les yéux, et a les transformereux-,
memes en défenseurs de la vérite.




57


NOTE.
1>8 LA TOLfI\AI\'CI! CIVIL!.


A la pagB 40 precédente nous QV(ltls ren\ruyé le .lectetlr (\
ce que non~ avons dit de la tolérante riivile, en f85'6, dllns
les Enl1'etiens sur la démonstration de la (oi. Les interlo-
cutt'urs de ces Entretiens sont un magistrat,un écrivain
et un tMologien. Tous les tt'ois Sóut catholiques, mais
leE! daux premiars reQoivent, aU besoiu, les corractions
doctrinales du théologien. Voici quelquas pasaages de Ges
Entretiens :


LE lIIAGiSTRAr.


Dane la vie de Ximenes par le dodeur Béfelé; profu8stmr
A l'université de 1'ubinghe, j'ai lu ces parolcs dont j'l1i pril
copie:


«Il n;y a pas le moindre doute que, des l'origine, íl n'ait
existé chez les chrétiens un tribunal ecclésiastique pour
juger les points relatifs a la doctrine j maisil est également
certain que, dans les premiars tcmps, les peines intligées
aux hérétiques étaient purement ecclésiastiques et spiri-
tuelles, et que l'autOl'ité civile n'y intervenait nuUement.
Ainsi, l'hérétique opiniatre devait surtout etre frappé du
relranchement complet de la comrnunion chrétienne, c'est-
a-dlre, de l'excommunica~on, 11 moins que l'Eglise U\~con­
sentit 11 anéantir l'idée attachée á son nom, ceUe de eonser-
vatrice des enseignements divins.


« Les choses prirent un autre aspect, l'Orsque Constantin
eut établi une sorte d'alliance entre l'Eglise et l'Etat, et
donné a celui-ci une organisation en grande partie ecclé-
siastique.


« Des 10rs, on dut voir dans l'empereur l~ protecteur eL
comme le bras séculier de l'Eglise, éfr.l(Jx,j¡t';¡) t¡;)\I €~,.\; et en
f,ette <¡.ualité, il regarda comme nécessaire d~ mettre hora




58
d'état de nuire, soit par l'exil. soit de qüelque autre ma-
niere, les hérétiques qui étaient un danger pour l'Eglise.
L'empereur avait un double motif pour infliger A l'hérésie
ces chAtiments civils, les premiers dont elle fut l'objet.
D'abord, comme fiJs roué de l'Eglise, il devait la protéger
pour l'avenir contre ses ennemis déclarés j ensuite, en .
Ínettant el ['écart ces (auteurs de troubles, maintenir dans
l'Etat ['ordre et la tranquillité, qui ont toujours el souffrir
des dissensions religieuses.


11. L'emploi de chAtiments plus rigoureux que l'exil fut dli
aux Ariens, qui, les premiers, en firent usage 'contre les
catholiques, sous les regues de leurs coreligionnaires, Con-
s·tance et Valens. Le premier de ces empereurs les condam-
nait au cachot i le second les Jaisai t noyer i et .touj ours les
rois ariens des jeunes monarchies germaines ont fait usage
de ces actes sanglants de violence, contre ceux qui appar-
tenaient A des croyances différentes de la leur.


11. Les catholiques ne commencerent a y avoir recours
gu'a la fin du quatrieme siecle, c'est-a-dire, dans la per-
sécution des Priscillianistes, dont les chefs furent exécutés
a Treves, en 385, par l'ordre de l'empereur Maxime. Mais
aussi, les plus grands éveques de cette époque, saint Martín
de Tours, saint Ambroise de Milan, le pape Sirice et d'au-
tres, et plus tard aussi, saint Léon-le-Grand, blAmerent hau-
tement l'emploi des punitions sanglantes infligées aux héré-
tiques. Saint Augustin était du meme avis, quoique d'ail-
leurs il ne désapprouvAt pas l'emploi de la force A l'égard
des hérétiques, comme moyen de correction. Sa maniere
de voir devint meme d:Jminante, et détermina plus tard
aussi la législation civile, en particulier sous les empereurs
Théodose II et Yalentinien III. Ainsi, ces princes, consi-
dérant les hérétiques comme criminels envers l'Etat, son
repos et la moralité publique, les punirent en conséquence
par l'exclusion des honneurs, la privation du droit de suc-
cession et par d'autres peines civiles, mais sans faire ja-
mais couler leur sango


a. L'union de l'Eglise et de l'Etat devint plus étroite eu-
COfe au moyep. Age. Toutefois la plupart des docteurs cc-




59
clésiastiques du moyen age, entre autres saint Bernard,
continuerent a se prononcer contre l'application de la peine
de mort aux hérétiques. »


Díeu me garde de vouloir etre plus sage que ces sages, et
de prétendre mieux juger qu'eux les hommes et les c,hoses
de leur temps, mais chaque foís que j e réfléchis a la question
quí les a occupés, comme elle nous occupe, je ne prtis
m'empecher de penser, que si la parole apostolique a suffi
a la propagatíon de la foi, et a son triomphe sur le paga-
nisme armé de toutes les forces de l'empire, cette parole
doit, a plus forte raison, suffire a sa défense.


LE THÉOLOGIEl'f.


L'Eglise, nous l'avons vu, n'a jamais consenti a ce que la
force intervint dans la propagatiun de la vérité. Partout mi
l'Eglise A l'encontré l'erreur établie} elle ne l'a combattue
que ,par la parole, et si elle a répandu du sang, ce n'a été
que le sien. Mais quand au regue de l'erreur a succédé le
regne de la vérité, et quand la vérité géuéralemeut reconnue
est devenue l'ame de tI société, l'Eglise a enseigné que c'est
un devoir de l'autorité, et dans la famille et dans l'Etat, de
préserver la société domestique, et la société publique, de
la plus funeste des contagions, celle de l'erreur, toujours si
favorable aux passions et si favol'isée par' elles. Les Sajnts,
les pontifes, les docteurs que vous venez de citer n'ont ja-
mais nié ce devoir.


Je croís comme vous, ou plutot je suis certaín que la pa-
role qui a suffi au triomphe de la foi, suffira toujours a sa
défense ; mais lA n'est pas la question. Dieu, évidemment,
n'a pas hesoin des hommes, ni sa vérité non plus: Crelum
et terra transibunl, verba autem mea non pl'reteribuut. Mais
les hommes ont besoio de Dieu, et peuvent succombel'
eux-memes dans la lutte de la vél'ité contre l'cl'l'eur, du
bien contre le mal. Or, cette lutte, ce combat a lieu sur
trois champs de bútaille: dans notre Cffiur, dans la société
qomestiq:ue, eL d¡lU~ la so~été llUbliq:ue. La q:uestion es~




60
dóne del!avoir si Pautorité qui gouverne en nou8, si l'auto-
rité qui gouverne la famille, si l'autorité qui gouverne la
soeiété publique, doivent prendre part a eette lutoo '! Com-
ment en douter? L'autorité qui gouverne en nous, e'est la
raison. Na doit-elle pas diriger la volonté et dominer les
passions? Elle doit done lutter contre l'erreur, et surtout
eontre l'erreur antireligieuse qui égare la volonté et soutient
les passions. Vautorité domestique et l'autorité publique ne
doivent-elles pas faire de meme en faveur de eeux que leur
a eonfiés la Providenee? «Faite d'hommes, a dit M. Guizot,
la soeiété n'est pas faite autrement que l'homme.lI Les deux
lumieres par lesquelles Dieu éclaire le monde, la raison et
la révélation, obligent done la soeiété eomme elles obligent
l'homme, et si la raison, l'autorité qui gouverne en nous,
est obligée, par sa propre lumiere, de reeonnaitre Dieu dans
le grand fait de la révélation, l'autorité qui gouverne la
famille et l'autorité qui gouverne l'Etat, y sont obligées a
leur tour, et doivent se eonduire en eonséquenee l • Je sais
bien, qn'en pratique, ces deux autorités n'ont pas de regle
absolue a suivre en eette matiere, et que pour agir sage-
ment, elles doivent avoir égard a la nature 6t a la portée
des erreurs, a l'age et aux différents élats de l'homme et
des soeiétés 2. II


L'iCRIVAIN.


Une publication célebre par le talent de ses rédacteurs,
et a laquelle ses ennemis n'aceordent pas trop de tolérance,
s'est exprimée ainsi sur ce sujet: «Dans la famille chré-
tienne, le pere a le droit et le devoir de ne souffrir a aucun
titre ce qu'on a nommé la liberté de penser', et d'en répri-


t Nous écnvions ceci en 1856, et nous énoncions ce qu'on apPl'la plus
tard la th¿se, c'est·a-dire la formule du droit et du devoir de t'autorité.


2 11 s'agit ici de I'hypol~iJse, c'est-1¡-dire de la maniere dont l'autorité
doit user de SOn droit et remplir son devoir, dans telle ou telle situation,
teHe ou telle bypotbése •


. 3 La liberté de penser est aussi na lurelle que la liberté dc respirer. .
)1als ceu* qai !le nomment Ubi'es-penseurs confondent cette liberté n~




,- 61
mer souverainement les manifestations. Qnand tontes les
familles sont catholiques, 1'unité religieuse en fait une meme
famille dont le premier intéret social est évidemmen~ la
cOJlServation de l'unité de la foi contre tout ennemi intérieur
et extérieur ; mais lorsque apres dp.s luttes séculaires et de
grandes révolutions, l'unité religieuse a été fractionnée, la
liberté est alors de droit commun, et de ceux qui croient
posséder la vérité et de ceux qui la cherchent. Et ce droit
n'est auLre chose que le moyen de revenir a l'unité par les
voíes de la libre discussion et de la persuasíon, Qu'est-ce,
en effet, que la liberté, si ce:,Jl'est le pouvoir de chercher
la vérité quand on ne 1'a pas, et d'y conformer sa vie quand
on la possMe ? Il n'ya ni droit, ni liberté contre la vérité
reconnue 1, JI


Ll! TBÉOLOGIE~.


La liberté natuTelle .le résister a la vérité, n'óte pas, en
effet, l'obligation mora1e de s'y soumettre. L'écrivain que
vous venez de citer n'a fait qu'abordercependant la grande
question du devoir des gouvernements tem porela relative-
ment a la tolérance, ou a la liberté civile des cultes. Mais
saint Thomas a posé, comme toujours, les príncipes d'apres
Jesquels cette question doit etre résolue :


« Les gouverncments humains doivent se conformer au
« gouvernement divin, d'ou ils dérivent. 01', Dirm, quoiqu'il
« soit tout puissant et souverainement bon, laisse exister
«dans le monde certains maux qu'il pourrait empecher,
« paree que leur suppression entrrunerait la perte de p~us


tureUe avec son usage, all poipt de proclamel' celui-ci sans limites! Com-
ment ne 'Voient-i1s pas que ,'il n'y a pas de regle pou)' la pensée, il n'y en a
pas non plus pour les actions? • En proclamant uue liberté illimitée de
peuser, dit llalmés, 00 a octroyé a l'intelligence l'impeccabilité; j'errenr
a cessé de figurer parmi les fautes dont l'homme peut se rendre cou,


, rabie; on a oublié qu'afin de vouloir il est nécessaire de savoir, et que
Ilour vouloir avec droiturl', il faut savoir tlvec vérité, Comment donc
serait-il ll1ssi!)le que ce ne fut ras pour l'homme un devoir de Ilréserver
son intelFgence ne l'erreur?


t U,¡jvel'~, du 10 aout 18:'iü,




62
« grands· biens, et me~e des maux encore plus grands. De
« meme donc, dans les gouvernements humains, la sagesse
« veut que les souverains tolerent aussi! certains maux,
ti pour ne pas empecher certains biens, ou me me pourne
« pas donner lieu a de plus grands maux encore.


a Ainsi, quoique les infideles pechent dans leurs rites, on
« peut les tolérer, soit a cause d'un certain bien qui en ré-
« suIte, soít a cause de certains maux que l'on évite en les
a tolérant. En effet, l'avantage qu'il y a pour les chrétiens
a a ce que les juifs, par exemple, observent leurs rites qui
« figurent la vérité de notre foi, c'est que nous tronvons
« chez nos ennemis eux-memes un témoignage vivant de
e notre religion, et qu'ils offrent a nos yeux la figure pro-
a phétique de ce que nous croyons. VoilA pourquoí leur
« culte est toléré. Quant aux cultes dés autres infidclrs, quí
o: n'offrent ni utilité, ni vérité, ¡ls ne doivent pas etre tolé-
e rés, a moins que ce ne soit pour évite¡' quelque mal, le
a scandalf', par exemple, ou une division quz pourrait ré-


,e su/ter de cette intolérance, ou fobstacle au salut de cer-
« tains infideles qui, apres avoir été ménagés et tolérés, fo
Il nissent par se com'ertir a la (oi. C'est pour ce motI! que
« l'Eglise a toléré méme les rites des he"rétiques et des pa'iens)
e quand ces in fideles étaient tres-nombreux i. »


Il faut bien remarquer ¡ci que saint Thomas donne deux.
raisons fondamenlales de cette tolérance : le bien a obtenir,
et le mal á éviter ;. le bien a obtf'nir, c'est-a-dire la conver-
síon des hérétíques et des infideles a laquelle l'intolérance
mettrait obstacle; et le mal a éviter, c'est-a-dire les scan-
dalf's et les discordes civiles dont elle seraít la source.


« Au~si (pour me servir des expressions d'une savante re-
c( yue périodique, la Civilta cattolica), le saint Pere n'a-t-il
« jamais condamné ou méconnu la nécessité dans laquelle
(l peut se trouver la puissance civile de tolérer et de laisser
« la liberté aux faux cultes, accordant indistincternent ti
« tous, catholiques el acatholiques) égalité de droits, et liberté
« de prof'esser publiqúernenl leur religion, l'unité religieuse


I ~. ~. q. 10. a tI.




63
« ayant été brisée depuis longtemps) et la paix entre les cl-
« toyens ne pouvant subsister autrement 1, JI


LE MAGlSTRAT.


Il serait done licite, dans ces circonstances, de preter le
serment de fidélité aux Constitutions qui garantisscnt la
liberté 5ies cultes ?


LE THÉOLOGIEN.
Aux constitutions qui garantissent la liberté civíle des


cultes, oui. C'est ainsi que la licéité du serment él la charte
franliaise de 1SU a été reconnue par Pie VII, sur la décla·
ration que lui fit en ces termes l'ambassadeur de France,
M de Blacas, le 15 juillet 1Si 7: « Le soussigné est autoriEé
« a déclarer que ce serment n'est relatif qu'él ce qui con·
« cerne l'ordre civil. JI - C'est dans 16 meme sens que la
licéité du serment de fidélité a la constitution du royaume


1 Série VI, Tom"J, p. 284. Voici le texte de la Civil/a:
11 Santo Padre qui non eondanna la dura neeessita in eui puo tro.·


vursí uno Slalo dí tollerare e {aseiar liberi cu/ti ezianrto eterodossi,
dando a tutti indistintamente, ealto/reí ed aellttolici, eguaglianza di
diritti, e (acolta di publica pro(essione religiosa, aUesa i'illveterata seis-
sura nel (atto della fede, che renda· discordi tra loro gli animi de citta-
dini. - l.a Civiltll parle icí de deiIx cboses : io de l'égalité des droits
civils et politiques, 20 de la (aculté (facolta) ou liberté laissée aux cultes
diverso Laisser la liberté ou la tolérer ce n 'est pas approuver l'usage
qu'on en fait.Tolérer une chose, c'est la souffrir. On ne tolere ni le vrai,
ni le bien ; on ne tolere quele faux et le mal. La loi qui garantit la to-
lérance ou la liberté civile des faux cultes, !te eon(ere done nullemellt le
droit de prote8ser et de répandre le (aux, de pratiquer et de propage1'
le mal. Ce prétendu droit est un non-sens, une impossibilité. Les
bommes sont libres de mal penser ou de mal faire, ,}'est-a-dire qu'i1s en
ont la faculté, mais ils n'en ont pas le droit, et ils rendront compte a
Dieu d'avoir mal usé de leur lib.re·arbitre. 11 ne peut y avoir de droit,
a dit Pie IX, contre les lois éternelles de la justiee. La Cil)ilIa ne parle
ici que du droit civil ti la tolérance, quand cel:e-ci r,st g~rantie par
la loi, el non du droit impos~ible de professer le faux et de prat!.quer le
mal. Ce qui es! toléré est toujours mauvai,v, mais la toléranr,e n'e8t pas
toujours mauvaise. Salilt Tbomas, nous l'avolls VU, enseigne qu'elle est
parfois licite, .et qu'eHe peut etre nécessaire. Si elle n'était jamais licite,
comment le Saint-Siége aurait-il pu permetlre le serment de fidélité 1
des constitutions qui la garantillsent, comrne HOUS ~lIons le ,'oír?




64 -
des Pays-bas a été reconnue, également en 181'1, sur la
dédaration suivante de "Monseigneur le Prínée de Méan,
déclaration prescrite par le Saint·Siége :


u En jurant de protéger toutes les communions religieu-
« ses de l'Etat, c'est-a-dire les membres qui les composent,
u je n'entends lenr accorder cette protection que souale
« rapport civil, sans vouloir par la approuver direetemen~
e ou indirectement les maximes qu'elles proffl!¡sent et qUe
• la religion catholique proscrito ]) ..


Dans les pays qui ont malheurflusement perdu l'unité
religieme, et OU les constitutions garantissent la liberté
civile aux cultes existaots,les catholiques pretent serment
a ces constitutions dans le sens admis par le Saint-Siége,
et restent constitutionnels en ce sens; mais ils ne peu-
ventj amais devenir cat holi ques-libéraux, paree quele lihé-
ralisme, nous l'avons vu, est l'antithese de la foi chré-
ticnne. Un vrai" catholique, s'il reste catholique, nc sera
jamais libéral, et un vrai libéral, s'íl reste libéral, ne
sera jamais catholique. Le libéraltsme, d'ailleurs, n'est
pas constitutionnel du tout, la OU les constitutions ga-
rantissent la liberté de l'Eglise. Il a peur de cette liberté,
paree que l'E~lise, par son apostolat, par son enseigne-
ment, par ses sacrements, par ses ceuvres, guérit les
ames, les éleve et les rend vraiment libres. Le lihéralis-
me, lui, met sa eonfiance dans la force. Voyez ce qu'il
fait en Suisse, voyez ce qu'il fait en Allemagne, voyez ce
qu'il fait en Italie. Ne voudrait-il pas y traiter l'Eglise
comme le Czar la traite en Pologne ? Voyez ce qu'il veut
faire en France, ear il le déclare lui-meme. Voyez ce
que déja il ose faire en Belgique, malgré la constitution
(p. 8-9 sup.), et ce qu'íl y dit de cette constitution. Evi-
delllment, le nom qu'il porte n'est qu'une fausse ensei-
gue de la liberté. Puisse-t-il enfin compr~odre et véri-
fier eeUe parole : rel'itus liberabit vos.
~IALINES, H. D ESSAIN.