ffinVR ES nI' AUGUSTIN TIIIERRY PARIS - ÉDOUARD BLOT, Bll'lIDIEl'lI 7,...
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ffinVR ES


nI'


AUGUSTIN TIIIERRY




PARIS - ÉDOUARD BLOT, Bll'lIDIEl'lI


7, fUe Blel1e, 7





ESS A J SUR L"JIIS'I'OIHE


DE U FOIUIATlIlN El' DES PROGRÉS


n l' HEf:l'EIL .DES MONUl\IENTS ].:\f~D1TS
!lE r:ETTE IIISTOIRE


P<R


AUGUSTIN THIERRY


:-¡OUV ELLE ÉDITl OX
Rf.VUf AVd!'C' tR PLUS GRAND SOl!\"


18 .. 1 :I~~:' ~,~
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• PBEFflCE


L'ou\TJgc (Iui forme la parlie prillcipale de ce volullIe es! le
Jt;~ulllé de tous mes travaux rclalifs it la France, 11 a été com-
posé ¡JOur servir d'introtluctioll au Recueil des monuments iné-
dits de ['hisloire du Tier:; Élal, I'unc des publications de docu-
IIICllts historiques ordonnécs SOllS le dernier regue, e'est en vue
de notre hi,toire Ilulionale prisc d,lIls ces années Ol! I'historien,
porlant son regard en arriere 11 la distance de Sl:pt siccles et le
rnrncnant autour de luí, apcrccl"ait Ulle suite régulierc de progrcs
civils et politiques, el, aux dcux bouts de la route parcauruf',
une meme Ilntioll et ulle meme monarchie, Iiécs l'une it !'nutre,
rnodifiéc:i ensemble, el donl le deruicr changcmellt paraissait
comacré par un Ilouveau pacle ,l'union, Considélée de ce pain!,
J'histuire de Frunce é!ail belle u'unité et ele simplicilé; j'ui
viVl'mcnt sentí la grallClell\' d't./n pareil spcctacle, el c'es! sous
fOil impression que j'ai con<;u leprojet lle réunir en un coI'f's de
récit les faits qui marquen!, 1¡ travers les siecles, le développc-
ment grauuel du Tiers f[,¡t, ses' origines obscurcs, el son role
d'ac!ion lente, maí, tOlljOUI'S progressi\'e sur la vie sociale du
pays.


Pour que la naturc de re Ira\',¡i1 soit parfaitement comprise,
rai b~soin de ¡¡XCI' dans I'rsprit du lecleur le vrai sens des mot:;
Tier, Etat. La dbtaucc <¡ui sépalC le temps présent de I'ancien
régimc, et les préjugés répandus par des systcmes qui tendent
a uiviscr ell c\asses ll'utuellerncllt lJOstile~ la masse nationnle




2 PRÉFACE
aujourd'hui une el homogene, ont ohscurci, pour beaucoup de
personnes, la notion historique de ce qui, autrefois, constituail
le troisieme ordre am: État~ généraux du royaume. On incline ü
penser que ce troisieme ordre répondait alors a ce que l'oIl ap-
pelle maintenanl la bourgeoisie, que c'élailnne classe supérieure
parmi celles qui se trouvaient en dehors et, a diO'érenls degrés,
au-dessous de la noblesse et du c1ergé. Cette opinion, qui, outre
sa fausseté, a cela de mauvais qu'cllc donue tlrs racines dans
l'histoire a un antagonismc né d'hier el destructit de toule
sécurité publique, est en contradiction avec les témoignages
anciens, les actes authentiques de la monarchie et l' esprit lIu
grand mouvement de réfnrme de t789. Au seizieme sii~c1e, des
ambassadeurs étrangers, décrivant la constitution politique de
la France, disaient : « Ce qu'on nomme les États du royaume
« consiste en trois ordres de personnes qui sont le c1l'rgé d'a-
(( bord, puis la noblesse, puis tout le reste de la population. Le
« tiers état, qui n'a pas de nom particulicr, peut ctre appelé
«( d'un nom général I'état uu peuple 1. » Le rcglernent c1u roi
Louis XVI pour la convocatioll des derniers Élats généraux d(;si-
gnait, comme ayant droit d'assister aux assemblées électorales
du Tiers État, (( tous les habitanls des villes, bourgs et tam-
(( pagnes, nés Frant;\ais ou naturalisés) flgés de vingl-eillq 3llS,
(( domiciliés et compris au role des Impositiolls 2 , )} Enfin, it la
meme époque, l'auteurd'un pamphlet célebr~, comptan t le nOlllure
et soutenant l'unité de l'ordro plébéien, ,ietait, commo un cri de
l'opinion prcsr¡ue universclle, ce:; troj" Ijuc.t.illns et C('S trois


L Onesti chr, si chiamano li Stati .del l\lgUO ~f)1I1) lli tl'O orliilli di 1)1.:1 :'l\jl{'.
cioe del clero, della nobiltat e del restant~ di qnrllc -pcr:-:our d](', pcr vocr rom-
mune, si puo chiamare popolo. (Rellllil:ns des alJlhlls.,lldell"8 véllltir.ns sur 1, lo:
affaires de Frailee, publiées par ,,1. Tnmma,eo, t, [1. 1" 496,) - Le "H",tizi""i
e qualita delle. persone sono trc, d'onue ha ol'igiufl ii IHllllf'rl) !l,'lli ir!..! :-t:lti :Ipl
regno. L~nno e qnello del clero. e l'altro cId noblli; il tel'Z!) ]ton !¡;¡ 11IJUJI' 1


'
::1'-


ticolare, roa, pcrdlC e composto di diVt'r:-i8 qnalda e pt"l',',~~iptlÍ ,Ji i',P[':-,ll!H'. ,:-.i
pllO chiamare, con un Ilome general!', Ju 1';tato (Id PIIPlllq. (l/.ill., t. 1, [J •. 'IX:! .


2. Reglement da roi pOlll' b. C()!]',t,¡'.1ti,111 Il('.~ Ébts ~I:wh·allx. I'U daL .. ' dI!
2~ janvier 1789, //i.')Ioirc jlal'll'1hrll{ai. t' de la 1: l'nllllir1/l /nu¡raj.\{',·ll:lJ' '1. BH-
clli;z, t, 1. p, ~IO,




I'REFAC¡':


répOlbes : ({ Uu'c,;l.-ce tille le Tim':i J~taU - Tout. Uu'a-L-il t;(¡~
« ,jllsqu'a présent dans ]'ordre polilit¡uc? - Ríen. Uue dcm~llde­
« L-il? - A etre quelque chose 1. ))


AÍnsi l'ordre de personnes qui fut l'inslrument de la révolu-
lion de J 789, et dont j'essaye de tracer I'histoire en remontant
jusqu'¡¡ ses origines, n'est autre que la natian entiere moins la
noblesse et le clergé. Cette définition marque 11 la fois I'élendue
et les strictes limites de mon Bujet, elle indique ce que je de vais
toucher el ce que je devais omettre. L'histoÍre du Tiers État.
commence, par ses préliminaires indispensables, bien avant
l'époque ou le nom de Tiers État apparalt dans l'histoire du pays;
son point de départ est le bouleversement produit en Gaule par
la chute du régime romain el la cOllquete germanique. C'est lit
que d'abord elle va chercher les ancetres ou les représentants
de cette masse d'hommes de conditions et de proressions di verses,
que la langue sociale des temps téodaux baplisa d'un nom como
mun, la roture. Du sixieme siecle au douzieme, elle suit la des-
tinée de ces hommes, en déclin d'une part el en progres de
¡'autre, sous les transformations générales de la société; puis
elle rencontre un champ plus large, une place qui lui est propre,
dans la grande période de la renaissance des municipalités libres
et de la reconstitution du pouvoir royal. De la, elle continue sa
marche, devenue simple et réguliere, il travers la périorle de la
monarchie des États et ceHe de la monarchie pure, jusqu'aux
états généraux de i 789. Elle flnit a la réunion des lrois oreIres
en une senle et meme as~emblée, quanrl cesse le schismc qui
séparait du Tiers État la majorité de la noblesse el la minorité
du c1ergé, quand I'illustre el malheureux Bailly, pré,idanl Ct~
premier con gres de la souveraineté nationale, put (Jire: {{ La


1. En tout~ it n'y a pa~ dellx cent 1l1ille pri\'ilégié~ des dCllX premier,:; ÚI'(Ü'€:~;
rompar~z ce nomhre a. celui de. vill~t-ei[ll[ a Villgt-~ix lJlilllOIl~ d>ámes, et jngf>z
la L]uestion. (Sieyes, Quest-ee que 1, Ti,.,,, t:tflt? 1" 104.) - QIl:llld on Vl'nt 'o-
mer la division, on a soin de distinguer le Tiel'~ en diU'én:lltr.s ebs.:if's, ;¡flll d'(~\­
citer (lt de soulever lrs unes contl'ú le::; antres. On anime lh lIabitallts de::: vilJ¡'"1
contre cen! des campagnes¡ on cherúhe a opposer les pauvres anl. riches .. (Ibit1.,
p. tHi, note.)




4


farnille c~t complete, 1) mot touchant qui sembluit de bon augure
pour nos Ilouyelles dcslinées, mais qui fut trop lut démcnli'.


Tel es! le carlre que je me suis propasé de rem plir uans la
compositioll do cel oUITag", Une ehose m'a frappC-. toul d'abor,l,
e'esl que, durant l'esp~lcc de six sil~cles, uu douzicme au di x-
JlUiticme, !'hi:;toire dn Ticrs Etat ct celle de la royaulé sont in·
tlissolublcl11cnt liées ensemble, de ,orte qu'aux yeux ¡le celui
qui les comprcnd bion, ]'uno esl pour ail1si dire le royers de
J'aull'c. De l'avénement de Louis le Gros iI la mort ¡le LIJuis XIV,
chaque époque décisive dan s le progre,; des dil1erclltes classes de
la roture en liberté, en bien-etre, en !umi~res, en imporl:nlce
~ociale, correspolHl, e1alls la sério de.i reglles, au 110111 e1'ull grallil
roi ou d'un grand l11illi:itrc. Le dix-huiliemo sicele seul fuit
exception ü celto loi de ILltre développemcnt nutional; il a mis
la défiance et préparé un elivorce funeste entre le Tiers État et
la rllyuuté. Au point oil un uernier progre', garantía et couron·
lIement de tous les autre:" devait, par 1 'élablissement el'une
con"titulion llouvelle, eOll1(1léler la liberté civilc el fondcr la li-
herté politique, l'accorel nécessaire manqu'l sur les cOllditiollS
d'un régime it b fois libre et l11~narchique. L'wuvre mal assisc
des conslituilnls de 1/91 croula pre:iquc aussitót, el la 1II0llar-
chic fut délruite.


Vingt-e1eux aus se passerent durant lesqucls, ¡\ d'immclI;;cs
miseres, succéda UIlO admirable réparatioll, el ('on put croire
ülors toul !ien brisé entre la France nouvello el la royuulé de l'an-
ciellne Frunce. Mais le régirne constituliollncl uc 1814 et celui
de 1830 sonl venus renouer la chaine des temps et des illées,
reprendre sous de nouvelles formes la tentative de 1'789, I'al-
liallce de la tradiliol1 nalionule el eles principe; de liherté. C'est


t. 27 jlliu li89. Bainy avait dit 11 la ,eJliee Jll ~" juill : < i'illl" Ili,ioll',
~Il recevant rnessicurs fIn dergé, 'llt'il HOllS l'cslait des vlEnx a former, '1,,'il
manqnait des freres a Cl'ttc auglL:;tc lamille i oui, ~Je~sielll'~, ce ¡llli DOIlS mal:que
llOtlS sera rendll, tons nos f[er~s yiemhout id.)) A crlll' ,In 27. il dit : c: 1\01,::;
possédiollS l'onlrc du clerp;j~. nous possédons anjonnl'hni l'onll'c entier de La
Hoblesse; ce jonr sela céléhré lbus uos fastes, il rellll !:l. famille complete. D
M'I/", 11 1I1t¡,'ersd.)




,-
d


I1 ce point de vue ql¡i m't;lait donné pUl' le caurs meme (!ps
eh oses que je me pI3~:Ji dans tllon ouvrage, m'aUachanl a re
qui EClI1blait elre la voie tn:cée veIs l'avenir, et croyanl al'oir
sous mes yeux la fin providcnlie\le uu travail des siec1es écoulé5
Ilepuis le douzieme,


Toutentier u rna tuche, leulement poursuivie selon la mesl1l'c
(le mes forces, j'abonlais avec calme l'épofJue si contro\'ers(~e
tlu Ilix·huiliCrne siecle, quand \'int.éclatcr sur HOUS la cataslroplle
de févricr 1S48. J'en ai ressentí le conlre-coup de deux ma-
nieres, cornrne citoyen d'abord, et aussi eornrne historien. Par
cctle nouvelle révolution, pleine du rnerne esprit el des rnemes
menaces que les plus mUllvais temps de la premiere, J'histoire
ue Franee paraissuit houlever;ée uutant que l'était la France
elle-meme. J'ai suspendu mon trayail dan s un découragement
facile it compreudre, el l'histoire que j'ayai,; conduile jusqu'a la
/in du regne de Louis XIV est restée a ce roin!. J'avais devant
lUoi l'alterualive d'attenul'e, pOllJ' une publication, que mon ou-
vrage fút arrivé iJ son terme, ou d'en publicr présentemellt
ecttc portion, de bcaucoup la plus grande, it laquelle fai donné
cinq ans de Iral'aiP; la briel'eté de la vie, ses chances plus ill-
r:crtaines pour moi que pour tout autre, et u'honorables inyita-
tiúns m'ont fait prelldre ce dernier partí.


An reste, ce temps d'arl'et trouve aillenrs son excuse; iI ré-
pond a un paint de partage bien marqué dans notre histoire
soeiale, e'esl lit que se termine la granLle péJ'iade hbtorique du-
ranl laquelle on "oit marcher rl'accord, se développer ensemble
el se fortifier mulllellemenl le TieIs Elat et la royalllr. IJne
séconde période va s'ouvriL' ou cet aceord de six cents ans dis-
pal'ait., OÍ! le Ticr, État et la royuuté se divisent, entrent en
¡!éfiance l'un de l'aulre el marchent dans des voies opposées, la
royallté couvraut de SOIl appui ce qlli reste des priviléges nobi-


L Fne pl'emiere édition destinée ti un public restreillt a pam en 1850 jointe
all pl'~mier volnme dn RUilell ¡/t!s mOnll1Ju1J!s ;ui'flits de fhi.li)(oirr Úit 1'ip's
t.la!; l'éditinn vrt~s('lI'r lliU'tJrf' de cpLle-Ht p:u' drs cOl'rertiollS ~t J¡lditiom.




PRÉFACR
liaires, la bourgeoisie devellant, cOlltre ses traditions, hostile HU
pouvoir royal. De ces !leux séries de faits, si illégales !Juant a la
durée et d'un caractere si ditTérent, je elollne id la premiere,
celle qui se prolonge a travers les sieeles eomme un silloll
ereusé par l'illstinet et les meeurs de la Franee.


Pour prévenir les objections qui pourraient m'etre faites, j'a-
vertis le leeteur que je n'ai point voulu tracer I'esquisse d'ulle
hbtoire géllérale de la société frallvaise, mais proprement, mais
exclusivemell t celle d'une histoire spéciale dll Tiers État. La
noblesse et le c1ergé pouvant elre et meme ayant déjil été robjet
de travaux allalogues, je fais a peine mention du rOle social
qu'ont joué ces eleux premiers orelres, je n'en parle que qualld
leur action se trouve melée a eelle du troisieme, Boit en le..:om-
battant, soit en eoopéraut avee lui. L'inlluence des institutions
ecclésiastiques sur les progres ele la société civile, antérieure-
ment á l'époque de la royauté agissante et a eelle eles Etats gé-
uéraux, est un grand fait que j'aurais pu flxposer avec étendup.;
je me suis tenu a eet égard dans les. plus étroites limites, atin
de ne pas m'engager pour les époques ultérieures, et de main-
tenir intaet le caraclere de eet ollvrage, qui est l'histoil'e rl'ull
orelre de persounes purement lalques.


Quant a la noblesse, je n'ignore pas davanlage qu'elle eul ,él
part d'action morale sur la soeiété frau¡;:abe. La chevalerie lui
appartient avec tout ee qu'¡¡ y a de vertu militaire, de gloire el
d'!Jonneur autour de ce nom; elle savait mourir, elle s'eu I'au-
tait, et c'était UI son orgueil légitime. De plus, iI y avait en elle
un sentiment d'affection pour le royaume de France, pour la
lerre natale eluns loute son étendue, 11 des époques ou le patl'io-
tisme de la bourgeoisie l1e s'ét~it pas eneore élevé au-elessus de
I'esprit municipal. Donce France est une expressioll favorite de
la poésie chevaleresque du douzieme et dll treizieme siec\e 1, et


De pll1sur~ eh ose.., a remembrer li prist .....
11e dulce .Ihanc.e, ues hUUlPS .le snn lign_


Ito t{/fIJ/~O!l lit' Rolaud rédito (}¡> :11. G.'>niul,
dWllt JU, Vt'l';'; 941. '1




PRÉFACE 7


ce ne fut gucre qu'aux deux síecles suivants, durant la grande
llltto contro les Anglais, qu'apparurent les signes d'un amour du
pays commulI Ü toutes les classes de la nation. Si je n'ai point
mentionné ce I'ait ni d'autres du meme genre, ce n'est pas que
je les méconnaisse, c'esl parce qu'ils étaient hors de mon sujet;
je demande qu'on ne laxe pas de rétícence malveíllante ce qui
n'a été, de ma part, qu'omission par rigueur de métllOde.


Cette rigueur, utile dalls toute composition littéraire, m'était
commandée ici d'une fa~on plus impérieuse par la nature meme
de la nouveauté dll sujeto Les faits que j'avais 11 recucillir et el
meUre en lumiere n'appartíennent point 11 la partie saillante de
I'histoire de France, mais plutOt a ses parties les plus caehées
et, qu'on me passe I'expression, les plus intillles. J'entreprenais
d'écrire une histoire qui, a proprement parler, manqllait de
corps; il s'agissait de lui en former un, en la dégageant par
abstraction de tout ce qui n'était pas elle, et il fallait donner 11
une succession d'apen;us et de faits généraux le mou vement et
j'intéret d'un récit. Voilil quel but je me suis proposé d'attein-
dre; y ai-je réussi? Je l'ai tenté du moins, fespere qu'on me
saura gré de lIIes eDor!s.


Le premier dm; denx fragments qui accompagnent I'Essai sur
j'histoire du Tier, État touche i1 I'un des points les plus im-
portants de eette hi,tllÍre; c'est un tableau de l'origine et des
vicissitudes des anciennes constitutions municipales des villes de
France, tracé pur ré;;iollS et par provinces. Ce tableau, non-seu-
lernellt a son utilité pour I'histoire dudroit et de l'administration
au moyen iígc, il olTre encure un illtéret plus général. C' est en


- Oi n'pn pp.rdl"aL :Fl'anee dulce SUll los.
(lbid., chant 1I, vers 550.) - Voyez an:::si


chant 111, vers 548, chant IV, vers 265 et 218.
- Jl ,>:-;t en (lonce Franee un boin roi Loeys.


(Aio' el Mimbel [M-. de la Biblioth, illlpér.,
fOllds Lavalliere, n' 801, ro 96, vers 17.)


- Lt. PlljS en donce Fra.nce a Karlemaine iras.
(Gllrin de Mn1/q!ane [lbid. 11' 18J, f' 1, v·, vers 24.)




8 PfiÉPACE
quclquc sorte l'illvéntuire tle nos vieilles expórienccs en rait de
liberté politique, expériences partielles, il est vrni, mais renou·
velées suns cesse, durant plusieurs sicc\es, sur toutes les pal'ties
du territoire,


Le second fragment est une étude sur I'établissement L1e la
constitution communale d' Amiens, oil les textes origiuaux sont
examinés et commentés dans le plus grand tlétail. CeUe mono-
graphie n'est tleslinée qu'aux persoIlnes qni se plaisent ¡¡ ce qll'i!
y a de plus p::uticulier dans I'érudition IJistorique, Si I'on me
llemandait quel genre d'intérCt elle peut avoir pour d'autres lec-
teur" je dirais qu'on y voit l'histoire minutieusement lraill\e
d'une charte constitutionneJle du dOllúeme siecle, d'une cansa-
tutian éCl'ite a la maniere des nÓlres, qui n'a pas eu, comlllo
celles-ci, la prélentioll d'etre une muvre de haute logiqlle, m8i,;
qui a duré cinq cents ans, De pareils fails, quelque petite qu't'n
ait été la se ene, sonl, pour les hommes de nolre temps, dignes
d'altention et ue réflexion, Nos uncetres du moyen age avaiellt,
il faut le I'ceonnallrc, !juelque eIJose qui nOlls manque aujoul'-
d'hui, eeUc faculté de l'hommc politique el du citoyeu qui con-
siste 11 savoir netlement ce qU'Oll vent, et 11 nourrir en soi dc,
volontés longues et persévéralltcs,


Paris, lo 15 íévri~r lSU'.




ESSAI SUR L' HISTOIRE


DE LA FORMATION ET DES l'ROGRES


DlJ TIERS É~rAT


CHAPITRE PREMIER


,"XTlNCTION DE L'ESCLAVAGE ANTlQUE; FUSION DES nACER;


:;'AISSANCE DF. LA nOLCRGEOISIE DU l\{OYEN AGF.


SOllMAIRE : nOlf~ histol'iqne ,lu tiel's état. - Origine dA la ci"ilisation frrln-
¡:ah;e. - La société gallo··romaine rt la société barbare. - Les ,"¡Bes et lrs
camp3gn~s; déclin des llnes, pl'ogres dans les autres. - Réduction de l'es~
elavage antiqne. an sr.rvage de la glebe. - Fin de la distillction des races ..
- Reactioll des cbsses nrbainrs eontre le régimr seignenrial. - Form(ls
de mnnícilJalilé libre. - Nrtissauce de la bonrgf!oisie. - InfhwTIce des litle~
sllr )PS campagnes.


Il n'y a plus de tiers état en France, le nom et
la chose ont disparu dans le renouvellement social
de OS!); mais ce troisieme des anciens ordres de
la natíon, le dernier en date et le moindre en }lUís-
sanee, a joué un róle dont la grandeur, longtemps
cachee aux regards les plus penétrants, apparait
pleinement aujourd'hui. Son histoire, qui désormais
peut ~t doit Mre faite, n'PRt au fond que l'hiRtoire


1.




10 ESSAI SUB L'HlSTOIRE D[T TlERS ):;1'A'l'


ll10:me du developpernent et de~ progrt1S de nntrp
::iocíété cívíle, depuís le chaos de meeurs, de lois et
de conuitiollS qui :mivit la chute de l'empire romair~.
jusqu'au régime d'orure, d'unité et de liberte de nos
jours (. Entre ces deux points extremes, on voit se
pOllrslIivre a tr'avers les siecles la longue et labo- ,
ríeuse carriere par laquelle les classes ill[erieures et
oPlJl'imées de la sociétó gallo-romaine, de la sociét(,
gallo-franke et. de la soeidf\ fransaise du moyen ,'tge.
';1' "out élevees de degre en degl'() jusc¡u'á la plt~nitude
tle,.; (lroits eivíls et poli tiques. irnmellso évolutioll qní
a faít rlísparaltre successivomellt du ~ol oú nOllS "i-
vous tontos les iuégalités violentes ou illegitirne:-;. le
maltro et l'esclave, le vainqueur et le vaincu, le soi-
gneur et le ::;erf, pour montrer ellfill Ú leur place un
IIlerne peuple, une loi égale pour ton~, une natioll li-
bre et souveraine.


Tel est le grand spectaele que présénto nutre hi,.;-
toire au pointou la Providence l'a comluite, et la se
tl'OU vent ponr nous, llOmmes du rlix-neuvieme ~iecle.
de noblos sujets de refiexion et d'etude. Les causes
et les phases diverses de ce merveilleux changement
sont dA tous les problemAs hist.oriques cAluí quí nous
touclle 1<, plus; il a eté depuis Villgt-cillq am l'objei
(le l'eehel'i'hes considerables, et c'est ú en préparel'
la sc,luti(¡ll r¡u'est r!pstiné un l'Acneil que .ie. COIll-


1. ,Te lle venx pas dire que la sociét.é civilc en France lútit rc(:u llf"s
(teux antres ol'(lres aueun élément (le progri's, j(~ vel1X airp Se111Cl1H'llt
que la série de ses progre s se Inarque, avallt tont, pillO 11'8 cl1allge-
men!s successif, "rr[ vés dans la cOlldition des difl'él'cntes elassr"
'¡'hommes qni, .}11 qllatol'zi,',me sii·"Je iL 1789, "nI por1<' í'llsemhJe J"
lIoln f'ol1ectif (le tip]'!', t"tat.




CllAPITng PREMIEH ti


mR!1eR 1, ma,is ¡}ont l'étendue exigR une suitfl d'er-
forts trop longue pour la vie d'un seul homme. Venu
lA premier de ceux qui mettront la main i cette mu-
vre, je n'ai vu qu'une partie des innombrables do-
cuments quej'ai pour túche de rassembler; il serait
téméraire it moi de vouloir deviner quelle significa-
tion doit avoÍr leur ensemble aux yeux de la sience
á venir, et je ne l'misayArai paso Je me bornerai a
prósenter quelques aper~us provisoires, a marquAr,
sAl011 mAS propres études et l'état de la science con-
temporaine, les epoques les plus distinctes et les
points de vue les plus saillants de ce qui sera un
jou!' l'llÍstoire complete de la formation, des pro-
gres et du role social du tiers état.


e'est de la derniere forme donnee aux institutions
eiviles et politique:s dA l'Empire, de celle qui eut
eonstantin pour autenr, que procede ce qu'il y a de
romain dans nos idees, nos mmurs et nos pratiques
legales; la sont les origines premieres de notrA ci-
vilisation moderne. CAtte ere de decadence et de
ruinA pour la societé antique fut le berceau de la
p'lupart des principes ou des eléments sociaux, qui,
s'bsistant sou:,; la (lomination des conquérants ger-
mains, et se emnuinant avec leurs traditions et
leUl~ coutumes nationales, creerent la societe du
moyen úge, et, de la, se transmirent jusqu'i nous.
On'y voit la ¡;;allction chretienne s'ajoutant á la sanc-


1. Le Hecueil des monuments inédits de l'histoire d" tiers état, faisant
parTic de la eolledion de documents inédits sur l'llislni"e de F1'aTlce, pu-
bliée par les soins du Ministre de l'instl'llction pul,li,tuc. Voyez ei-
apreso ap]l~n<1ice Jer.




t2 ESSAI SUR L'HISTOIRF. DU TIEns ÉTAT


tion legale pour donner une Ilouvelle force a l'idee
du pouvoir imperial, type de la royaute des temps
postérieurs 1; l'esclavage attaque dans son principe,
et miné sourdement ou transformé par le christia-
nisme; enfin le regime municipal, tout oppressif
qu'il était devenu, s'imprégnant d'une sorte de dé-
mocratie par l'élection populaire du défensenr ot
de l'éveque. Quand vint sur la Gaule le reglle des
Barbares, qualld l'ordre politique de l'empire d'Occi-
dent s'écroula, trois choses resterent debout : les in-
stitutions chretiennes, le droit romain a l'état cl'u-
sage, et l'administration urbaine. Le christianisme
s'imposa aux nouveaux dominatellrs, le droit usuel
maintint parmi les indigenes les meeurs et les pra-
tiques de la vie civile, et la municipalite, gardienne
de ces pratiques, les entoura en leur pretant, comm(~
une garantie de duree, la force (le son organi-
sation.


Apres la fin des grandes lnttes du quatrieme et
du cinquieme siecle, soit entre les conquérants ger-
mains et les dernieres forces de l'empire, soit entre
les peuples qui avaient occupé différentes portions
de la Gaule, lorsque les Franks sont restés seuls mal-
tres de ce pa!,s, deux races d'hommes, deux sociétes
quí n'ont ríml (le cOl11mun que la religíon, s'y mono


1. SelOll le dl'oit romain, la sonverainetú des emperemo ,lérivait
dn pellple par délégation perpétnelle; sclan le christianisme, elle
venait de Dien. e'est ce dorniel' principe qui, depuis le r"gne de
Constantin, tit prévaloir l'hél'édité dans les snccessions impéri:tles.
Voyez le :.vIemoire de mon frere Amé:lée Thierry Sl1l' l'Admin¡"I¡'alioTl
eentrale dan" l'ellll'in roma;/!, Rpvne de législation et de jmisp"IHknce;
septemhl'e 1843.




CHAPITRE PREMIER 13


trent violcmmellt réunies, ct comme en presence,
dans Ulle nH~me ugrégation politiqueo La société ga11o-
romaine présente, sous la meme loi, des conditions
tres-di verses et tres-illégales; la societe barbare com-
prend, avec les classifications de rangs et d'états qui
J ui son t propres, des lois et des nationalites distinc-
te". On trou \-c dans la premiere des citoyens plei-
llement libres, des colons ou cultivateurs attachés
aux domaines d'autrui, et des esclaves domestiques
prives de tous les clroits civil s ; clans la seconde,
le peuple des Fral1k:5 est partage en deux tribus
ayant chacune sa loi particuliere 1; (Lmtres lois, en-
tierement différentes, régissent les Burgondes, les
Goths et les autres populations teutoniques soumise~
¡le gre ou de force á l'empire frank, et chez toute~,
uussi bien que chez les Franks, il Y a uu moins
tl'ois conditions sociales: deux degrés de liberté et
la servitude. Ellt re ces existences disparates, la loi
criminelle du peuple dominant établissait. par lA
tarif des amen des pour crime ou r!elit contre les
personnes, une sorte de ·hierarchie, point de depart
du mouvernent d'assimilation et de transformation
graduelle qui, apres quatre siecles ecoules, du cin-
quieme an dixieme, fit naitre la société des temps
féodaux. Le premier rang dans l'ordre civil appar-
tenait a l'homme d'origine franke et au Barbare vi-
vant sous la lni dAS Franks; au second rang était 18
Barbare vivant ROUS sa loi ol'iginelle; puis venait
J'iJ1(ligene libre et proprietaire, le Romain possesseur,


1. La ¡(Ji <le3 Fl"llllks salicns on ¡oi saliqne, el la ¡oi <les F\'a!lks
ril¡1Hün."s, OH loi de:;; ltipllail'f's.




I ¡ ESSAJ SUR L' HISTOIRE DU TIERS ~;TA'1'


et, au me me degre, le Lite ou colon germanique; pui"
le llomain tributaire, c'est·a·dire le colon indigóne:
¡mis enfin l'esclave sans distinction d'origine '.


Ces classes diverses que separaient, d'un c6té,
la distance des rangs, de l'autre, la difference des
lois, des mamrs et des langues, étaient loin de se
trouver egalement reparties entre les "iHes et les
campagnes. Tout ce qu'il y avait d'élevé, á quelq\w
titre que ce fút, dans la population gallo-romaine,
ses familles nobles, riches, industrieuses, habitaient
les villes, entourees d'eselaves domestiques; et,
parmi les hommes de cette race, le sejour habitllf~1
des champs n'etait que pour les colons demi·serfs e1,
pour les esclaves agricoles. Au eontl'aire, la classe
:mperieUI'A des hornrnes de raCA germani!¡\\e erait


1. Si 'luis ingenuus llOminem Franclltn allt Barbarum occiuerit.
qui lege saliclI vivit, VIII l\I den., qui faciullt sol. ce, cnlI",hilis
jUllicetur. (Leg. salic., tit. XLIII, ~ I, lIPud Scrip!. rer. [Jalli!;. el (ral/'
cie.) t. Iv"', p. 220.) - Si quis ingennus homineln ingenuulll nipna-
l'ium interfecerit, ce sol. culp. jnd. (Leg. Ripual'., tit. VII, ibiel."
p. 237.) - Si quis Ripuarius aJveuam Francnm interfecerit, ce sol.
culp. juJ. - Si quis Ripnm'ins advcnam Alamllnllnm seu Fresionelll
vel Bajuvarillm aut Saxollem illterfecerit, CLX sol. culp. judo (Ihi<1.,
tit. XXXVI, ~ I, JI et IV, p. 241.) - Si Romanus homo possessor, id
est qui res in pago ubi cammanet proprias possidet, occisus fuerit.
is qui eum occidissc convincitur IV M den., qui faeiunt sol. e, culp.
j'~ld. (Leg. sa.he., tit. XLIII, ~ VII, ibid., p. 220.) - Si quis ItilJUarills
aclvellam Romanum interfecerit, e sol. mulctetur. (Leg. Bi¡HWl'.,
tit. XXXVI, ~ IIl, ibiJ., p. 241.) - Si vero Romanus vel Lidus ...
occisus fuerit ... (Leg. salie., tito XLIII, ~ IV, ibiel., p. 220.) - Qui Li·
tIum oceiderit C sol. componat ... :Cafoli Jfay"¡ capitul.,anninccCXIJI,
ibiJ., t. V, p. 688.) - Si quis Romanum tributarium occitlerit,
)1 DCCC den., qui faeiunt sol. XLV, culpo judo (Leg. salie., tit. XLIlI,
~ VIII, ibiil., t. IV, p. 220.) - Si 'lnis servum alienum oeciderit, aut
venelideritvel ingenuum dimiserit, M CUCC cien.) 'lui faeinnt sol. XXX\"
cnlp. ,i1ll1. (Ibil1., tit. XI. 11II. p. ?09.)




CHAPITRE PRE),ITER
'


"
'-'


{i.x.ee ú la campagne, 011 chaque famille libre et pro-
pl'il~taire viv:üt sur son llomaine du travail eles lites
qu'elle y avait amenes, ou des ancien::; colons qui en
dependaient. Il n'y avait de Germains dans les villes
qu'un petit nombre d'offkiers royaux et des gens
sans famille et sans patrimoine, qui, en depit de leurs
habitudes originelles, cherchaient á vivre en exer-
l:ant quelque m(hiel'.


La préeminence sociale de la raee eonquerallte
:úütaeha aux lieux qu'elle habitait, et, COIllIne 011
I'a déja remarque, passa de~ villes aux eampagnes J •
II al'l'iva me me que, par degres, eelles-ei enleverent
aux autres la tete de leur pupulatíoll, quí, pour s'é-
lever plus haut et se meler aux conquerants, imita
autant qu'elle put leur maniere de vivre. eette haute
classe indigene, a J'exception de cellX qui parmi elle
exer~aient les fOlletions ecclesiastiques, fut en quel-
que surte perdue pour la civilisation; elle inclina
de plus en plus vers le;; mUllirs de la barbarie, l'oi-
siveté, la turbulence, l'abus de la force, l'aversion
de toute regle et de tout frein. Il n'y eut plus de pro-
gres possible dans les cites de la Gaule pour le¡; art."
et la riehesse; il n',y resta que des debris a recueillir
et a conservero Le travail de cette conservatioll,
gage d'une civilisation 11 venir, fut, de ce moment,
la tache commune du clerge et des classes moyenne
et inferieure de la population urbaine.


Pendant que la barbarie occupait ou envahissait
toutes les sommites de l'ordre social, et que, dan,;


1. Hisloire de la ciui/is!llio1l en Frunce, par :'1. Gnizot, 3' <"lit.,
t. IV, p. 224.




10 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


les rangs intermédiaires, la vie civile s'arretait ou
déclinait gl'aduellement au degré le plus bas, 11 celui
de la sel'vitude personnelle, un mouvement d'amélio.
ration, déja commencé avant la chute de l'empire,
continua et se pronon~a de plus en plus. Le dogme
de la fraternité demnt Dieu et d'une meme rédemp-
tion poul' tous les hommes, preché par l'Église aux
fidi'Jles de toute race, émut les creurs et frappa les
esprits en faveur de l'esclave, et de la vinrent soit des
affranchissements plus nombreux, soit une conduite
plus humaine de la part des maltres, Gaulois ou
Germains d'origine. En outre, ces derniers avaient
apporté de leur pays, ou la vie était rude et sans
luxe, des habitudes favorables a un esclavage tem-
péré. Le riche barbarf' était servi par des personnes
li bres, par les fils de seiS pror hes, de ses clients et de
ses amis; le penchant de ses mreurs nationales, COll-
traire ti celui des mreurs romaines, le portait a relp-
guer l'esclave hors de sa maison, et a l'établir,
comme laboureur ou comme artisan, sur une portion
de terre a laquelle il se trouvait fixe, et dont il sui-
vait le sort dans l'héritage et dans la vente l. L'imi-
tation des mreurs germaines par les nobles gallo-
romains fit passer beaucoup d'esclaves domestiquüs
de la ville a la campagne, et du service de la maison
au travail des ehumps. Ainsi casés, comme s'expri-


l. Voyez le Happort de]\f. l\fichelet sur le concours du p"ix u'his-
toire ayant pour sujet cette question : C,,,,s,s qtti on( amene {'oboliti01l
de {'ese/avage. (l\fémoire de I'Acauémie ues sciences morales et po!i-
tiques, t. IJI,. p. 655.) - Voyel aus,i les Dissel'tations jointes pu,
l\!. Pardessus it son Ilecueil de.< /e,l/es de la loi saliqlll', ,1issertatiollS
"le et VII.




rEAPITRE PREMIER t7


ment les actes des huitieme et neuvieme siecles 1,
leur condition elevint analogue, bien que toujours in-
ferieure, d'UIl eúté á celle du lite germanique, ele
['nutre i celle du colon romain.


L'esclavage domestique faisaít de la personne une
chose, et une ('hose mobiliere; l'esclave attaché ú
une portion de tene entrait des lors dans la ('atégo-
rie 11es immeubles. En Il1!:hne temps que cette der-
Iliere classe, celle eles serfs proprement dits, 8'ac-
croissait aux dépens de la premiere, la classe des
colons et celle des lites durent s'augmenter simul-
tanément, par toutes les chances de ruine et de mau-
vaise fortune quí, á une époque de troubles conti-
nuels, affectaient la condition des hommes libres. De
plus, ces deux ordres de personnes, que distinguaíent
non-seulement des rlifférences légales, mais encore
la diversité d'ol'igine, tendirent á se rapprocher l'un
de l'autre, et a confondre par degrés leurs caracteres
essentiels. Ce fut, ayec le rapprochemcnt opéré dans
les hautes régions sociales entre les Gaulois et les
Germains, le premier pas vers la fusion des races,
qui devait, apres cinq síecles, produire une nation
nouvelle.


Au erour meme de la société barbare, ce qui avait
primitivement fait sa puissance et sa dignité, la
classe des petits propriétaires, diminua et finit par
s'óteindre en tomhant sous le vasselage ou clans une
rlépendance moins noble qui tenait plus ou moins de
la servitude rée11e. Par un mouvement contraire,


1. Voyez la nonvclle cJition du Glossaire Je Dll Cange, par
'I¡. rrengch~l, t. JI, p. 214, al! mot Casali,




18 ~;SSAI SUR L' HISTOlRE DU 'l'IERS ÉTAT


les esclaves domicilies sur quelque portio n de do-
maine, et incorpores a l'immeuble, s'eleverent, a la
faveur de cette fixité de position et d'une tolerance
dont le temps fit un droit pour eux, jusqu'a une con-
dition tres-voisine de l'état de lite et de l'état de
colon devenus eux-memes, sous des noms divers, a
peu pres identiques. La se fit la rencontre de~
hommes libres de chus vers la servitude, et des escla-
ves parvenus ;'t une sorte de demi-liberté. Il se forma
ainsi, dans toute l'étendue de la Gaule, une masse
rl'agriculteurs et d'artisans ruraux, dont la destinée
fut de plus en plus égale, sans étre jamais uniforme,
et un nouveau travail de création sociale se nt dans
les eampagnes pendant que les villes étaient station-
naires ou déclinaient de plus en plus. Cette revolu-
tion lente et insensible se lia, dans sa marche gra-
duelle, a de grands défrichements du sol executes
sur l'irnmense étendue de foréts et de terrains va-
gues qui, du fisc impérial, avaient passé dans le
([omaine des rois franks, et dont une large part fut
donnée par ces rois en proprieté a l'Église et en
bénefice a leurs fideles.


L'Église eut l'initiative dans cette reprise du mou-
verrwnt de vie et de progrés; dépositaire des plus no-
bles de bris de l' ancienne ci vilisati on, elle ne dédai-
gna point de recueillir, avec la science et les arts
de l'esprit, la trabition des procedes mecaniques et
agricoles. Une abbaye n'était pas seulement un líeu
de priere et de meditation, c'était encore un asile
ouvert contre l'envahissement de la barbarie sous
toutes ses formes. Ce refuge des livres et du savoir
abritait des ateliers de tout genre. et ses depen-




20 ESSAI SUR r: IlISTOrnB DU Trr.nS t:TAT


rets; de la naquirent, sons l'autorite (le l'intendant
llnie i ceUe du pretre, des ebauches toutes spon-
tanees d'organisation municipale, ou l'Église regut
le depot des actes qui, selon le droit romain, s'in-
scriyaient sur les registres de la cite, C'est ainsi
qu'en dehors des municipes, des villes et des bourgs,
ou subsistaient, de plu~ en plus dégradés, les reste~
de rancien état social, des élements de renovation se
formaient pour ravenir, par la mise en valeur de
grands espaces de terre illculte, par la multiplira-
tion des colonies de laboureurs et d'artisans, et par
la réduction progressive de l'esclavage antique an
servage de la glebe.


eette reduction, déja tres-avancee au neuvieme
siecle, s'acheva dans le cours du c1ixieme. Alors dis-
parut la derniere classe de la sociéte gallo-franke,
ceBe des hommes possedés a titre de meubles, ven-
dus, echangés, transportes d'un lieu a l'autre comme
toutes les choses mobilieres. L'esclave appartint i In
terre plutót qu'a l'homme; son service al'bitraire se
changea en redevances et en travaux regles; il eut
une demeure fixe, et, par suite, un droit de jouis-
sanee sur le sol dOllt il depelldait J. Ce fut le premier
trait par ou se marqua dan s l'ordre civil l'empreinte
originale du monde moderne; le mot ser( pÍ'it de lit
son acception définitive; il devint le nom génériquf'
d'une condition melée de servitude et de liberté,
dans laquelle se confonclirent retat de colon et l'état


1. Voyez le lIfémoire ue l\Br. \Vallon et Yanoski sur les causes qui
ont amwé l'abolitioll de l'eselauaye, travail couronné en 183\l par l'Ac,l'
<lémio ues scienccs morales el politiqnes,




CHAPITRE PREMIER J!.J


uances formaient ce qu'aujourd'hui nous appelolls
une ferme modele 1; il Y avait la des exemples d'in-
dustrie et (l'activité pour le laboureur, l'ouvrier, lfl
propriétaire. Ce fut, selon toute apparence, recole
ou s'instruisirent ceux des conquérants a qui l'in-
teret bien entendu fit faire sur lflllrs domaines Ufl
grandes entreprises de culture ou de colonisation,
deux choses dont la premíere impliquait alors la se-
conde.


Sur chaque grande terre dont l'exploitati.on pro-
spérait, les cabanes des hommes de travail, lites, (:0·
10m; ou esclaves, groupées selon le besoin ou la
convenanCfl, croissaient en nombre, se peuplaient
davantage, arrivaient a former un hameau. QualHl
ces hameaux se tronverent situés dans une position
favorable, pres el'un conrs d'eau, a quelque embran-
cÍlement de routes, ils continuerent de grandir, et
devinrent des villagos ou tous les métiers néces-
saires a la vie commnne s'exer9aient 80n8 la meme
clt;pendance. Bient6t, la construction el'une église
erigeait le village en paroisse, et par suite la nou-
velle paroisse prenait rang parmi les circonscriptions
rurales 2. Ceux quí l'habitaient, serf8 ou demi-serfs
attaches au meme elomaine, se voyaient liés l'UII Ú
l'autre par le voisinage et la commnnauté d'intr-


1. Voyez le 1I1émoire de M. Mignet sur cette question : Comment
l'ancienne Germanie est ent'rée dafls la société ci1.1ilisée de l'Europe occi-
dentale. ::YIémoires de l'Académie des sciences morales et politiques,
t. III, p. 673.


2. Voyez troi. dissertations de 111. le comte Beugnot sur les Munici-
palittis rurales en France. Revne franyaise, aoílt, septembre et oc-
tubre li13!l.




CHAl'l1'RE PRl::MIER


de lite, denx 1l0ll1S qui, au dixiimle siécle, se mon-
trent ele plus en plus rares et disparaissent total e-
ment. Ce siécle, 011 vint aboutir tout le travail ::;oci;;l
des quatr~ sÍEkles ecoules depuis la conquete frank(',
vit se terminer par une grande revolution la lutte
intestine des mmurs romaines et des mamrs ger-
maniques. Celles-ei remportel'ent r1éfinitivement, et
de leur victoire sol'tit le regime feodal, c'est-a-dil'e
une nouvelle forme de l'État, une nouvelle constitn-
tion de la propriMe et de la famille, le morcellemellt
de la souverainete et de la jurieliction, tous les po u-
voil's publics transformes en privileges domaniaux,
l'idee de noblesse attachee a l'exercice des armes, et
celle d'ignobilite i l'industrie et au travail.


Par une singuliére co'incidence, l'8tablissement
complet de ce l'égillle est répoque ou finit dans la
Gaule frank'c la distíilction des races, ou disparais-
sent, entre Barbare::; et Romaills, entre dominateurs
et sujets, toutes les conscquel1ces legales de la di-
vel'sité el·origine. Le droit cesse (l'Mre pel'sonnel et
dcvi(mt local; les codes germaniques, et le code 1'0-
main lui-meme, sont remplaces par des coutumes;
e'est le tcrJ'itoiJ'e, non la clesccndance, qui distingue
les habitants clu sol gaulois; enfii1, au líeu de lIa-
tionalités diyerses, on ne trouve plus qu'une popu-
lation mixte á laquelle l'historien ¡¡eut donner des
lors le nom de F1'anl;aise. Cette nouvelle société, filie
de la precedente, s'en cletacha fortement par sa
physionomie et ses instincts; son caractere fut de
tenclre au fractionnemellt indefini sous le rapport
politique, et a la simplification sous le rapport
Hucia!. D'tUl <.:Me, les seigllClll'ies, États formes au




22 ESSAt SUR L'HISTOIIl" lll: 'l'IEIlS En'


se in de l'État, se multiplierent; de rautre il y eut
effort continu et en quelque sorte systématique pOUl'
reduire toutes les conditions a deux classes de per-
sonnes : la premiere, libre, oisive, toute militaire,
ayant, sur ses fiefs grands OH petits, le' droit de
commandement, d'administration et de .instice; la
seconde, vouée a l'obeissance et au travail, soumise
plus ou moins étroitement, sauf l'esc1avage, :'t des
liens de sujétion prive e l. Si les choses hUmnlll()S
arrivaient toujours au but que marque leur tendance
logique, tout reste de vie civil e se serait eteillt val'
l'invasion d'un regime qui avait pour type la ;;81'-
vitnde domaniale. Mais ce regime, ue cbns les cam-
pagnes sons l'inflnence des mmurs germaniques, ren-
contra dans les villes, oú se continuait obscurement
la traditioll des mCBurs romaines, une répugnance
invincible et une force qui plus tard, réagissant elle-
meme, éclata en revolutions.


La longue crise sociale qui eut poul' derniel' termo
l'avénement de la féodalité, changea, dawo toutes les
choses de l'ordre civil et politique, la jouissance
précaire en usage permanent, l'usufruit en propriM.é,
le pouvoir delegue en privilege personnel, le dl'oit


1. Lex humana duas indicit cOllditiOIlCS :
Nobilis et setvns simili non Iegé tenelltllt.


Hi be11ato1"os, tutores ecclesiarum,
Defelldllnt vuIgi majo res atque minores,
CUBctos et sese parili sic mOl'e tnentllr,
Altera sel'vornm divi~io comlitionnm,
Hoe genus affiictnm nil possidct absque labore ...


(Adalbetonis Ga,rmen ad Hobel'lum reaem "p~td ~¡;riJi!.
rer,ga.lIic. et {rancie., t. X, p, m,)




CllAl'I'l'HE PREl1Jj<~B


viager el! droit héréditaire. Il en fut des hOtllleUrS et
des offiees eorome des possessions de tout genre; et
ce qui eut lieu pour la tenure noble se fit en meme
temps pour la tenure servile. Selon la remarque
neuve et tres-judicieuse d'un habile critique des
anciens documents de notre histoire, (( le serí soutint
« contre son maUre la lntte SOlltenue par le vassal
« contre son seigneur, et par les seigneurs contre
(( le roi l. » Quelque grande que fílt la différence des
situations et des forces. il .Y eut, de ces divers
cotes, une meme tentative, sui vie de ~mcces anct-
logues.


Au huitieme siecle, les ser/s de la gl¿be pOllvaient
etre distribués arbítraírement sur le domaine, trans-
féres d'une portion de terre a l'autre, reunis dans la
meme case ou séparés l'un de l'autre, selon les con-
venances du maltre, sans égard aux liens de pa-
renté, s'il en existaít entre eux; deux sieeles plu~
tard, on les voit tous Ca~(:K par familles; leur cabane
et le terrain gui l'avoisine sont devenus pour eux un
Iiéritage. Cet heritage, grevé de cens et de services,
ne peut etre ni legué ni wmdu, et la famille serve a
pour loi de ne s'allier par des mariages qu'aux fa-
milles de meme condition attachées au meme do-
maine. Les droits de rnainrnorte et de (ormariage
resterent au seigueur comme sa garantie contre le


1. jlr. (;uél'al'd, Proleg-omi.mes du cartulai1'o de I'abbaye de Saillt~
Pere de Chartres. Colleetion des car/u/aires de fmuce, t. 1, p. XL. -
Voyez le grand travail <In meme auteur snr la condilion des lJerSOllne.s
et des terrc~) dl'lJ!lis les in.,r(V>dons des Harba.res jusqu'a l'institution des
commune", onvrage pIncé en tete rle ]'érlition du Polyptique d'lrmi-
non, ahIJé de Saint-Gcl'luaill-t1cs-l'rés.




24- ESS.\.l SCR L'HISTOIRE DC TIEIlS ErAT


dl'oít de propriété laissé au serf. Tout odíeux qu'ils
nous paraissent, ils eurent, nOll-seulement leur rai-
son légale, mai:; encore leur utilité pour le progres
a venir. e'est sous leur empire que l'isolelllellt de
la servituJe cessa dans les campaglles, remplacé par
l'esprit ele famille et J'association, et (iU'á l'ombre
du manoir seigneurial se formerent des tribus agri-
coles, destinées a devenir la base ele graneles COlll'
ll111llallÜ\s ci viles.


En lisant avec attentioll le:; chartes et les autre;;
documents historiques, on peut suivre, du commcu-
C8meut du neuvieme siede a la fin du dixieme, les
resultats successifs de la prescription du sol entre les
maÍas de ceux qui le cultívaient; on voit le droit
du sed' sur sa portion de terre naitrc, puis s'étendre
et devenir plus fixe a clwque uouvelle génération. A
ce changement, qui améliore par deg'l'és l'etat des la·
boureurs et eles artisans ruraux, se joint Jaus la
meme periode l"accéleration du ll10uvement qui, de-
puis trois siecles, ehangeait la face des campagnes,
par la formation de villages llouveaux, l'agralldisse-
ment des aneiens et l'él'ection d'églises paroissia-
les, centres de nouvelles circonscriptions a la fois
religieuses et politiques, Des causes exterieul'es et
purement fOl'tuites contribuerent a ce progl'es; le;-;
devastations des NOl'mands et la crainte qu'clles
inspiraient firent ceindre de murailles et de defenses
les parties habitées des grands domaines; el'un c('¡té,
elles multiplierent les ch:l.teaux, de l'autre, elles ae-
crurent beaucoup le nombre des bourgs fortifiés,


La population labol'ieuse et dependante s'agglo-
mera dallS ces lieux de refuge, dflnt les habitallts




CHAPITRE I'REMI]<;]{


passereut alor~ de la vie rurale prOpl'8ment elite á
des eommeneements plus ou moins grossiers de vie
uJ'bainfl. Le régime purement domanial s'altéra par
le mélange ele eertaines ehoses ayant le earaetere
fl'institutions publiques; pour le soin de la police et
le jugement des déJits de pen d'importanee, les
villageois servirent el'aides ct d'asscsseurs i l'inten-
dallt, et eet offieier, pris parmi eux et de rneme con-
dition qu'eux, devint une sorte de magistrat muni-
cipal. Ainsi, du droit de propri¿té joint a l'esprit
d'association sortirent, ponr ces petites societés nais-
santc~, les premiers éléments de l'existenee civile;
l'instinct du bien etre, qui ne se repose jamais, les
condnisit bientót plus avant, Des le commencement
clu onzieme siccle, les habitants des bourg,; et des
bourgades, les villains, comme 011 disait alo1's, ne se
c.ll1tentaient plus de l'état (le propriétaires non li-
bres, ils aspiraient a autre chose; un besoin nou-
veau, celui de se déchargcr d'obligations oné1'euses,
d'affranchir la terre, et avee celle-ci les personnes,
onvrit rlevant eux une llouvelle earriere ele trnvaux
et de eombats,


Parmi les notion~, qui a eette époc¡ue forrnaiellt
ce qu'on pout nommer le fond:> des idees sociales, il
y avait, en regard de la liberté noble, toute de priYi-
lege, dérivée de la conque te et des mffiurs gerrnani,
ques, l'idée d'une autre liberté, conformo au dl'Oit
natllrel, accessible a tous, égale pour tous, i laquelle
Otl aUl'ait pu donner, d'alm~s son origine, le nom de
liberté romaine, Si ce nom était 1101'S d'lIsage J, la


1. Un ue rCll1ployait, au ,lixii'llle sii·cle, 'tUe dallS 1(1 langue tlu




21> E~SAl :iLH L' HIHOIIlE DU TIr;nS ETAT


cho::le elle-meme, c'est-a-dire retat eivil eles person-
nes habitant les anciennes villes municipales, n'avaít
point eneore peri. Tout menaee qu'il etait par la
pression toujours croissante des institutions féodales,
on le retrouvait dans ces villes, plus ou moins intaet,
et, avee lui, comme signe de sa persistance, le vieux
titre de citoyen. e'estde la queven'ait, ponr les villes
de fondation récente, l'exemple de la eommnnauté
urbaine, de ses regles et de ses pratiques. et e' est
la que s'adressait, pour trouver des encouragements
et une espérance, l'ambition eles hommes qui, sortis
de la servitude, se voyaient parvenus á mi-chemin
ver s la liberté.


Quels étaient, au dixieme siecle, dan::; le::l cites
gallo-frankes, la pnissance et le caractere du regime
municipal? La solution ele ce probleme est l'un des
fondements de notre histoire; mais l'on ne peut en-
core la donner précise et complete. Un point se
trouve mis hors de doute, c'est qu'alors la popnla-
tion urbaine joignait a sa liberte civile immémo-
riale une administration intérieure, qui, dermis les
temps romains et par differentes causes, avait subi
de granels changements. Ces modifications tres-di-
verses et, pour ainsi dire, capricieuses quant a la
forme, avaient, pour le fond, produit partout des ré-
snltats analogues. Le l'egime héréclitaire et aristn-
cratique ele la enrie s'était, par une suite craltera-
tions progressives, transforme en gOllyernemPllt


rlroit eccJésiastiqne OU les mots Liberta,' rotl,,"'a sip:ni¡¡aicnt l'immu-
nité au moyen ele laquelle une ahhaye, avcc ses ilomaines, était sonso
traite it la juridiction orelinaire, et relevait seulcment de 1'1;:glise ele
Rome.




r.HAPITRB PREMIER '27


éledir, et, a différents degrés, populaire. La juri-
diction des officiers municipaux outrepassait de
beaucoup ses anciennes limites; elle avait pris des
accroissements considérables en matÍflre civile et
,criminelle. Entre le collége des magistrats et Jp
corps entier des citoyens, on ne voyait plus, exístant
de droit, Ulle corporation intermédíaíre; ious les
pouvoirs administratifs procédaient uniquement de
la délégation publique, et leur durée se trouvait,
en général, réduite au terme d'un ano Enfin, par
:;.uite de la haute inftuence que des l'époque romaine
les dignitaires de l'Église possédaient sur les affaire s
intérieures des villes, le Défenseur, magistrat su-
preme, était tombé sous la dépendance de l'éveque;
il était devenu a son égard un subalterne, ou avait
disparu devant lui; révolution opérée san,; liueun
trouble, par la seuJe popularíté de l'épiseopat, et
dont la pente naturelle tendait a constituer, au dé-
triment de la liberté civile et politique, une sorte
d'alltocratie muniei pale 1.


Une certaine confusion s'introduisant peu a peu
dan s les idées sur la source de l'autorité et de la
jllridiction urbaines, on cessa de voir nettement de
qui elles émanaient, sí c'était du peuple ou de l'é-
veque. ene lutte sourde commeIl<;a des lors entre
les deux principe~ de la municipalité libre et de la


1. La qualilicatioll Je seigneuf, DDminus, DDmnus, fut donnée aux
éví'ques dans lcurs villes bien avant les temps féodaux. Un actc,
passé en 804 devant la curie d'Angers, présente comme synonymes
les titres de Defensor et de Vice-domus,. on lit d'abord : Adstante ·!Jiro
laudabile Wifredo defenso,,", vel cuneta curia ... et ;,. la fin Signum
lVi(redo 1Jir:p-domo. Voyez :\hrténe, AmpUssima cDlIectio, p. 58 et 59.




2R r.SSAI SCR L'HlSTOlRE DU TIEns ¡::TAT


préponelérance episcopale; puis la féoelalite vint, pt
agit de toute sa force au pl'ofit ele ce dernier priu-
cipe. Elle donna uue nouvelle forme au pouvoit'
temporel des eveques; elle appliqua au patronage cí-
vique, degeneré en quasi-souveraineté, les institu-
tinns et tous les priviléges de la seiglleurie doma-
niale. Le gouvernement des municipes, en depit de
son ot'igin€~, se modela g¡'adllellüment sur le regime
,les cours et des chúteaux. Les citoyens notaules
devenaient vassaux heréditaires de l'eglise cath(L
drale, et, a ce titl'e, ils opprimaient la municipalite
Ol! en absorbaient tous les pouvoirs. Les corpora-
tions d'arts et métiers, chargées par auus de pres-
tations et de cOl'vees, tombaient dan s une dépen-
dance presque servile. Ainsi, la condition faite anx
Iwmmes de travail sur les domaines des riches et
elans les nouveanx bourgs, qu'une concession ex-
presse n'avait pas affranchi:,:, tendait, par le cours
m8me des choses, ti devenir llniverselle, ti s'imposer
aux habitants, libres jusque-la, des anciennes villes
ll1uníci pales.


Il y eut des cités Ol! la seigneurie de l'éveque s'é-
tablit sans partage et resta dominante; il Y en eut
oú le pouvoir feodal fut (louble, et se divisa entre
la puissance ecclésiastique et celle de rofficier royal,
comte ou vicomte. Dans les villes qui furent le
thefttre plus ou moins orageux de cette rivalité, l'é·
veque, sentant le besoin (rUne alliance politique, se
détacha moins de la municipalité libre ou se replia
sur elle. Il lui preta son appui contre les envahis-
sements du pouvoil' laique; il se fit consel'Yateur du
príncipe electif, et ce COJlrOllrS, s'il n'arreta pas la




CHAPITRE PREMIER


decadence municipale, dcvint plus tard un moyen
de réactioll civile et de rénovation constitution~
nelle. Le dixieme siecle et le siécle suivant mar~
quent, pour la population urbaine, le dernier terme
d'abaissement et d'oppression; elle était, sinon la
classe la plus ll1alheureuse, du moins ceUe gui devait
souffrir le plus impaticmment le nouvcl etat social,
car elle n'avait jamais été ni esclave ni serve, elle
avait des libertés héréditaires et l'orgueil que don~
nent les souvenirs. La ruine de ces institutions, gui
nulle part ne fut complete, n'eut point lieu sans ré~
sistance, et quand on remue á fOlld les documellts
de notre histoire, on y rellcontre, allterieuremellt au
rlouzÍflIlle siécle, la trace d'une lutte bourgeoise con-
tee les pouvoirs féodaux. C'est durant cette ere de
troubles et de retour á une sorte de barbarie qUE'
s'opera la fusion, dans un meme ordre et dans un
meme esprit, de la portión indigene et de la por~
tion germanique des habitants des villes gauloises,
et que se forma entre eux un droit commun, des
coutumes municipales, composées a différents de~
gres, suivant les zones du territoire, d'éléments de
tradition romaine et de débris des anciens codes
barbares.


Cette crise dan s l'état de la société urbaine, reste
vivant du monde romain, n'était pas bornée a la
Gaule; elle avait !ieu en Italie avec des chances bien
meilleures pour les villes de ce pays, plus grandes,
plus riches, plus rapprochées 1'une de l'autre. C'est
lit que dans la derniere moitié du onziéme siécle, a
la faveur des troubles causes par la querelle du
sacerdoce et de l'empire. éclata le mouvement re~


2.




;W ESSAI SUR ¡;lllSTOTRE DU TIEI\S ~;TAT


volutionnaire qui, de proche en pt'odie 011 p:ll' (:011-
tre-coup, fit renaitre, sous de nouvelles formes et '
avec un nouveau degré d'énergie, l'esprit d'indépen-
dance municipale, Sur le f'onds plus ou moins altéré
de leurs vieilles institutioltS romaines, les cites de J:¡
Toscane et de la Lombardie construisirent un mo-
dele d'organisation politique, oú le plus grand dévr-
loppement possible de la liberté eivile se trouvajoiJit
au droit absolu de juridiction, á la puissallce mili-
taire, a toutes les prerogatives de,.; seigneuries f'Pll-
dales, Elles créerent des magisl.¡'ats ú la fois jllge-:,
administrateurs et gelléraux; pl!!:s eurent (le,.; :1 ",,('Ill-
blées souveraines oú se déerétaiellt la gueI'l'P pt la
paix; lf!UI's e!lef" éleetifs prircllt le nom de Com;u],; 1,


Le mouvement qui faisait eclol'e, et qui propageail
ces constitutiolls républicaine.", ne tarda pas ¡'L pene-
trer en Ganle par les Alpps et par la voie de mero
[)¡~s ln e()mmmt(~f~ment (In dOllzir\mp siAcle, Olt ""it b
llouvelln fornw de gOllveI'ltement muninipal. le (:l)]¡-
sulat, apparaitre sueeessivement clan s h;s villp" qui
avaient le plus de relatiom: comrner('ialp~ :\vec lp~
villes d'Italie, ou le plu~ (raJiinit(~ aye(~ elles par l('~
tllCPurs, l'etat matéripl, tnutes le~ (~olJrliti()lIs de Lt
vie civile pt l)()litiqup, [)ps villps principales nú ell"
f'nt établie, soit de vive forcn, soit de bOIl ;U'C "-1
¡mtre les citoyens et le seigllpul', la (:oll¡.;titnüoll ('011
sulaiI'p s'étendit par degrt\s aux villes dn ll1oiltdl'l'
imporlanep, Cntte es pAce de propagancle mnlJl'assa
le tier" meridional de la Franep ad.uelle, pendanl


lo Voycz les Considéra!ioll,'i ,'1/)' rJJiMo¡,.I' dí' FI'rO/I'I', en 1~ti.' (l,·s
l¡¡ú'il . ..: ¡{(',.; tt!lII]!S '1fI1/ro!'i?J!Ji':J/s~ {'}I!lp. \'1.




CllAPITRE PREMIER


que, :iOUS ~ne zone différente, au nord et au CPlI ti'!'
du pays, la meme impulsion des esprits, les memes
eauses sociales, produisaient de tout autres effets.


A l'extrémité du territoire, sur des points que
ne pouvait atteíndre l'infiuence italienne, un second
type de constitution, aussi neuf, aussi énergique,
mais moills parfait que l'autre, la commune jurée,
llaquit spontanement par l'application faite au r¡'-
gime municipal d'un geme d'association dont la pl':\-
ti¡[ ue rl¡~rivait eles meeurs germaines l. Appropri¡'!(! :'¡
I'état ~()('ial, <tu rlegre de civilisation et aux tradi-
tions mixtes des villes ele la Gaule septentriollak
eette forme de municipalitó libre se propagea du
Hord au sud, en meme temps que l'organisation COl1-
suIaire se propageait du sud au nord. Des deux cijt?".
malgré la elifference des procedes et des résultats.
l'e~prit fut le meme, esprit d'actioll, de devouement
civique et d'illspiration créatrice. Les deux gl'allde,;
formes de constitutioll Iílunicipale, la COIílmune pru-
pl'ement elite 2 et la cite régie par des conSUIS' eurent
également pour principe l'insurrection plus ou moins
violellte, plus oa moins eontenue, et pour but I'ega-
lité des ([roits et la réhabilitation du travail. Plll'
['une et par l'antre, l'existellce urbaine [uf. IlOn-~l'll-
1 ~lll¡'nt resL:Ull'ée, maí:; renouvel?e: les villes aec! lli-
l'Cilt la garantie ti'Ull double état de liberte: pllp~


1. VOyf"Z 1<'s lon:.:i'¡él'ations .s'Uf I'Histoire de F1·(l.llCe, c]¡ap. Y1.
2. Ce ]}1Ot, n'avn.it point Ilans le mOY('n fLgc la gélll;n:t1ité (le Se¡lS


qtle nons 1ni pretons aujourd'hui; il designait d'nne nluniere sp(~cialf'
la mUllicipalité constitnée par assocíatioll et par a'SUr:lllre mutuelle
50US la fOL da s~rlnent. Voyez les C(Jn~¡d(;l'ati()lIs S!lr I'lIis{o'¡rr' dt'
France.




n E~SAI sen L' n!STOlRE DU TIERS !~T,\T


devinrent personnes j uridiques, selon l'anciendroit
civil, et personnes juridiques selon le droit féodal;
c'est-a-dil'e qu'eIles n'eurent pas simplement la fa-
culte de gérer les interets de voisinage, ceHe de pos-
seeler et el'aliéner, mais qu'elles obtiurellt ele elroit,
dan s l'enceinte de lellrs muraiIles, la souveraineté
que les seignellr;,; exersaient sur leurs domaines,


Les deux courants de la révolution municipale,
qui marchaient l'un vers l'autre, ne se rencontrerent
pas d'abord; il y eut entre eux une zone intermé-
diaire, 00. l'ébranlement se fit sentir sans aIler jus-
qu'it la reforme complete, au renouvellement con-
stitutionnel. Dans la partie central e de la Gaule,
fl'anciens municipes, des villes considérables, s'af-
franchirent du joug seigneurial par des efforts succes-
sifs, qui leur donnerent une administration plus ou
moins libre, plus ou moins démocratique, mais ne
tenant rien ni de la commune juree des villes du
N ord, ni du consulat des villes du Midi. Quelq ues-
unes reproduisirent dan s le nombre ele leurs magis-
trats électifs des combinaisons analogues ú ceHe:;
qu'avait présentées le régime des curies gallo.ro-
maines; d'autres affecterent dans leur constitution
un mode uniforme, le gouvernement de quatre per-
sonnes choisies chaque année par la généralité des
citoyens, et exer~ant le pouvoir administratif et j ll-
diciaire seules ou ave e l'assistance d'un certain
nombre ele notables t, Il Y avait la des garanties de


1. Les dix prud'hommes d'Orléans et de Chartl'cs sellLblent Hile
l'éminiscence du rOle Cjuc jOllaient les dix prcmiel's sénat~rs, J)P.ce",-
¡Jrimi, Decapl'oti, dans la mllnicipalité romaine, Le gOllvernemeut de
quatre prud'hommes, qni fnt celni do Bonrges et de Tom's, jOllit d'nr,e




CIIAPITRr~ PRE11lER


liberte civile et de liberte politique; mais quoique ces
vi!les, moins audacieuses en bit d'innovation, eus-
sent réussi 11 dégager de ses elltraves le príncipe de
rélection populaire, l'independance municipal e y
(lemeura sous beaucoup de rapports faible et ind(~­
cise; la vigueur et l"eclat furent pour les constitu-
tio¡¡¡.; llouvelles, pour le régime cünsulaire et la
eommune jurée, supreme expre~sion des in~till(:ts
li heraux de l"epoque.


eeHe revolution complete, a laquelle (~ehapperellt
.1e vieilles cites municipales, péllPtra sous l'ulle ou
l'autre de ses deux formes dans beaucoup de viltes
de fondation postérieure aux temps romains. Quel-
queiois meme, quand la cité se trouvait cote a
('llte avec un granel bourg né sous ses mur", il arriva
(Iue ce fut dans le bourg, et ponr lui seul, que s'eta-
blit soit le cnnslIlat, soit le regime de l'associatioll
j uree 1. 1\101'8, comme toujours, l' esprit ele rénovation
s' luma OU il voulut, sa marche sembla réglée sur
l'f'rtains poillt!", et sur el 'autres capriciense; ici iI
rellcontra des facilité s inespérées, la eles oustaeles
inattenelus l'arreterent. Les chances furent diverses
pt le SIlCCeS inégal dansla grande lutte des bour-
geois contre les seigneurs; et non-seulement la
somme eles garanties arrachées ele force ou obtenues
(le bon accol'el !le fut point la meme partout, mais,
jllSf!Ue sous les memes formes politiques, il Y cut


p:l'~n<le f",'CUl' sur une hande de territoil'c lll'olongée <le l'~st h l'oue<;!
clan s la Tonrainl', le Bel'ry, le Kivernais, la BOl1l'gognc et la Fl'nllChe-
Comté,


1. On pellt cit",., ponr le premier cas, Périgllellx et le Pny-Saint-
Front; pon1' le srcond, Tours et Cl,ntenullcnf,




34 ESSAI SUR L' HISTOIRR DU TTRRS ÉTAT


pOllr les villes differents degrés de liberté et d'indé-
pendance. On peut dire que la serie des révolutions
municipales du douzieme siecle offre quelque chose
d'analogue au mouvement qui, de nos jours, a pro·
pagé en tant de pays le regime constitutionnel 1 •
L'imitation y joua un róle considerable; la guerre
et la paix, les menaces et les transactions, l'intéreL
et la génerosité eurent leur part clalls l'évenernent
<léfinitif. Les uns, du premier liJan, arriverent an
but; d'autres, tout pres de l'atteindre, se virent ra-
menes en arriere; il Y eut de grandes victoires et de
grands mecomptes, et souvent les plus nobles efforts,
une volonté ardellte et devouée, se déployerent san:,;
aucun fruit ou n'aboutirent qu'á peu de chose 2.


Au-dessus de la diversité presque infinie des chan-
gements qui ,.,'accomplissent au dOllziórne siecle dans
l'etat des vílles grandes ou petites, anciennes ou re-
centes, une m8me pensée plane, pour ainsi dire, ceHe
de ramener au re gime public de la cité tout ce qui
etait tombe par abus ou vivait par eouturne sous le
regilpe privé du domaine. Cette pensee feconde ne
devait pas s'arreter aux bomes d'une 1'evollltion mu-
llicipale; en elle était le gerrne d'ulle sl~rie ele 1'(31'0-
lution,., destinees a renverser de fond en comble la
societe feodale, et i faire disparaltre jnsqu';'t sp~
moindres vestiges. Nous sommes ici á rorigine dn
monde social des temps modernes; c'est dans les
villes affranchies, ou plutót régenerees, qu'apparais-


1. Voyez les Lettres sur ¡'llistoire de France, lettre XIV,
2, Voyez l'Hístoire Je la commune de V ézelay, Letlres sur I'lJi.ltoire


de France, lettres XXII, XXIII et XXIV,




:-;cn1,. :-;Ol['~ lllll: gl'andB variété de [armes, plu,; ou
moins 1ibre~, plus ou moins parfaites, les premierefl
Iuanifestatiolls (le son earaetere. La se developpent
nt se conSCl'vcnt i,;olérmmt des institlltion,; qui doi-
veut UIl jour ee~ser d'etre locales, et entrer dan s
le droit poli tique ou le droit civil du pa'ys. Pat' lf:s
('hartes de communes, les chartes de coutumes et les
~tatut~ lllunicipaux, la loi écritc reprend son empire;
l'administration, dont la pratique s'etait perdue, re-
llUit dall" le~ villes, et ses expériences de tons gen-
re~, qui se repótent chaque jour dan s une foule de
liflUX diíférents, servent d'exemple et de le~on a
]'f~tat. La bourgeoisie, nation nouvelle dOllt les
meeurs sont l'égalité civil e et l'indépendance dans
le travail, s'éléve entre la lloblesse et le servage,
et dMrllit pour jamais la dualité sociale des pre-
mie]'s temps f(~odaux. Ses illstincts novateurs, son
activité, les capit:wx qu'elle aecumule, sont une
force qui réagit de mille manieres contre la puis-
sance des posse,;senrs du sol, et, comme aux origines
de toute civilisation, le mouvement reeommenee par
la vie urbaine.


L'action des ville~ sur les campagnes est l'un des
grands faiü; soeiaux du douzieme et du treizieme
sjec1cs; la 1ilJcrt<'~ munieipale, a tous ses degres, de-
eoula des une,.; ~UJ' les autres, soit par l'influence de
]'p:\emple d la eontagion des idée~, soit par l'effet
I['un patl'onage politique ou d'une agrégation terr¡-
tOl'i~d(~. l\OI\-";Pll!pmcnt les bourgs populeux aspire-
rcut ::mx frauchises et anx privileges des villes fer-
Iiléec:, mais, dan,; quel(lues lieux du nore1, 011 vit la
r;ouyelle (,oll~ti wtioll I![·baine. la comrnUllc .i uree.




36 ESSi,J sen L' HISTOIflE DV TlEnS tTAT


s'appliquer, tant bien que mal, a de simples villages
ou a des associations d'habitants de plusieurs vil-
lages t. Les princi pes de rlroit naturel qui, joints aux
souyenirs de l'ancienne liberte ciyile, avaient inspiI:é
aux classes hOllrgeoises leur grrlllflp l'évolution, des-
cendirent dans les classes agricoJe~, Bt Y rerlouble-
rent, par le tourmellt el'esprit, les g¡"lleS du sCl'vage
et l'ayel'SiOll de la dépelluance domaniale. N'ayant
guere eu jusque-lá J'autre perspective que celle
(l'¿tre déchargés des services les plus onérenx,
hOlllll1C par llOmme, famille par famille, les.paysan-~
s 'élevcrcnt á des idées e't á des volontes d'un autre
ordre; ils en "iment a demander leul' affrallchisse-
ment par seigneuries et par tenitoires, et ~'t se liguel'
pour l'obtenir. Ce cri d'appel au selltiment de l'éga-
lité originelle : iVous somrnes /w11Imes comme eux!, se
fit elltendre dans lef' hameaux et retentit it l'orcille
des seigneurs, qu'il éclairait cn les mena~ant. Des
traits de fureur ayeugle et de touchante l11odératioll
:sigllalerent eette nouyelle erise dans l'état clu peuple
Ile::; campagn8s; une fonje de serfs, rlésertallt len!',,;
tenllres, se 1inaient par handes ú la yie errante et
au pill age; (1' autres, calmes et resol liS, négociaiell t


1. Voyez le3 Lettr,,3 ue l'hilippe-Augtbtc, donnéc, sous les ,lates
de 118-1, 11U3, lWli, 119;i, 1205, l2Hi pt 1:221. (Urcueíl. dcs U'·¡/Oll-
nances des rois de Fl'allce, t. XI, p. 231, 237) 2~;3, 277 1 2Ul, 301
et 315.)


:l. KllS sumes l:omes cum il sllnt,
Tcx 111cmbrcs nVU111 C,1.111 11 un'
Et altrcsi gl'[111Z COl'S aVl11n)
Et altrctulit sofrir poiim;
Kc 1l1lS fa:ü fors eucr sulcmellt.


(\\'ucc, UO:I/Wl de /l1J 11 , t. 1, p. 30G.)




37


leur libel>t(~, nJfrant ele donller puUt' elle, disellt le:::
charte~, le prix qu'on voutlrait y Il1cttl'() l. La entinte
de resistances p(~riI1PlIS(~S, l'esprit de justice et l'in-
terM, amenerent les maitres clu sol a transiger, par
des traites d'argent, sur lems droits de tnut genre
et leur pouvoir immemorial. l\lais ces concessions,
quelque larges fiu'elles fussent, ne pouvaient pro-
cluire un changemcllt complet ni gélléral; les obsta-
eles etaient immenses, c'etait tout le regime de la
propriéte fonciere a detruil'c ct ú remplacer; il n'y
eut point it cet egal'd de l'évolutiull rapide et s.Ylll-
pathique comme ponr la rcnaissance des villes mu-
nicipales; l'OOll He fut longue, il Ue fallut pas moins
de six sicclcs pour l'accomplir>.


1. [oJe::l ~1l1l0 [1183J, in provinci'1 Bitn1'iccnsi, íntcl-fccla Sl1l1t
scptCl:::i lllilJin Cntnl'cllon.lIl1 .. ct en flniplins, nh incoEs il!ius tcrr~'D
ill nnU1l1 contra Dei illimicos cOllfw(lcratis. Isti terntlll regis YHst::tllclo
IlI·n·das dncc:n1.nt. .. (Higonllls de Gestis Jlh[fiPIJi Au[]//sti, apuu Scrip'.
Hr. gnl/ic. p( (,·al/cie., t. XVII, p. 11.) - ÜI1111eS Lomines 1103t1'i ele
corpore, tam masenli quam femiwc, qlli habitant in terra nostm dc
St"mpensi, et illi etiam qui Je ea tcnent et possi,lent, ul,iclIlIlquC
cornmorantcs, astrinxel'unt se nobis, per sacrmnenturn a singnlis
sigillatim eorpomliíer prcstitnm et 1'cceptnm, guou si servitntis 01'-
l'l'ohl'inm ab eis tollercl1111s, libert:üis beneficiul11 pis et ¡íliis slIis
tam natis qunm nascitnris impcnc1cntcs} qnaSCUJllque rcrlhilJitioncs}
et sibi et l!tcrcuibns ipSOrllIll et torrm nostr", vcllemus impolOcro,
ipsi grutantel' l'ecipercut, finuiter observarent, ét in nullo ponitn,
couimil·ent. (C/¡~/'te du c/wjli¡/'e de S'úll(e-CroÍI J'U/'!,;aHs, conlil'll1",c
par leUres de Lonis VIl! [12)4]; lierueil des onlomtal!ces des I'oi$ d,
frallce, t. XI, p. 2::2.)


3




CIIAPITIlE I1


DE '1302, '1 :l5~ ET '1 ;;;;1;


.:'l::"¡:\'.dHE : H"'J10\'rttjnn ¡ll' l'ant{lriV, l'cJyalr., - Nuun;lh.':"> ill::;il[~llill!l~
Cl;¡¡r!~.;. - })lOit civil ¡le la lwurgeui"il'. - Heilai:-,,:ulef; dl¡ dr"i:
La COUl' tln 1'01 Ull le p:u'lí·ldl'lü. - PO(:l1'illl':; politiqll(l:-; lil'': !/','4:"11':) - L':I
:ll.l~ion révnlnti"nn:lirp. - ti a: s ¡..:t~n\"raux nI! Tü\';UII!lI~. - .\ \ i'lll'l:II'! il, dll t ji' ,


- ;;(>S lJI'i ::;Oll alllhiti"fu. - l~la:s ¡":¡)¡Iél'~utx tk 1 d I J;"(i. "-
;)bl'~;d . .t rll" l:J~l'\:h:llllis d(' r.lri~. - Son cnadel", ~l':' 1l1'1.jl': •


- Ll JJI>ItlJ.'l'ir', - C:ltll" 1'1 !1~li.L·t. d'EI~()i1[U; ~lal'cd. - La ro~'aul~ Still;:.
C~l;lJ ¡ ,.. Y. - l\'!Hr ni, H(l¡l'r~ hi.,Ulil'l' ~If\~.iale pl'PIl~l Hll ('on!'~ l'é,~dl1f'r.


Municipes re~t,lurés, villes ue eO¡¡~lllat, villes d,'
COllllúll1l8,';, "illes de simple lHl1ll'g(~oi:-;íe, J¡¡)uq:~'~ (:i
Yillages aifrallehis, UlW toule (le lletits Etab plw
uu llloim; eornplets, d',hiles ouyerts Ú la Yi(~ de tl':\--
\':¡il sous la liberté politiquo 011 1:t sealr, Ji)¡rl'f¡', ('j.
\-i1e, teb fUl'ont les fondeltlOllts '11W pl!s:t Jo (]ollzieiU:'
si(~cle pOUl' un ordre de dwses (1 ni, sn rlÓYrloPP:lllT
j USijlÚt nous, est dev81111 la :-;(l('i,~t<'~ 1ll(¡(lel'l18. Ce:'
M¡l:¡W¡ltS d(~ l't'ílOV;l tio): :S1H"iale ]l'" \':1 i(~¡¡t pas el! OllX'
lill',ill1S le ]ll(¡'yell (te sn Jir:l~ entro ('IJX, ni de SI)]]-
llletlt'e aut1lUr (r(~llX Cf' (llli k'll1' M:lit ('()!lll':lil'C': la
furce; (lui les avait er(;(~:-; ll'ól;lii c;qlalJlc {JiW (11; l('~
m:jnt,ollil' plus OU Illiíill:, iilLlel:~ rlalls Icm' isnll'llll'lil
1l1'i\l1itif; il bllait lIn'Ull<' í':i!'('1' (;XII"rji'lIl'(' (;t :-;;])11:'




CHAPITRE 11 39


rieure a la rois vint ú son aidu, cn attélquaut de fl'Ollt
r;ette aristoeratie telTitol'ialo, ú q ui la eOllquete et
les 1ll¡¡~Ur~ germaniques a,vaieut tlomH~ ~a derniel'c
f<il'Ille.
Depcli~ le demembrell1ent feodal, la rüyaute se


cl1en:hai t elle'J[ll;me, et ne se reLn>uvait pas; Ger-
maine d'origine, mais fOrm(~é en Gaule et imbuc des
traditiow; imperialm;, jamais elle n'avai t oublié son
principe romaill, l"égalité, elevant elle et elevant la
loi. Ce prim:ipe, vainement soutenu par les Mérovin-
giells contre l'imlumptablc ui'gueil (h, Franks de la
eonquete, re<;ut son déménti fillal au déclin de la se-
conde race. Alu!'s di~pa!'ul'ent denx idees qUl sont
eOillllle les p(\les de touLe vl'aie soeiété civile, l'i(leo
du pl'ince et celle du p(mplo, et, sous le nom el'État,
l'<lll ne vit plus qu'uno hiérarchio de souverains 10-
canx, maltres elWCUl1 d'uno part 011 el'une pareelle
elu territoil'e nationaL La rellaiss::mce d'une societé
Ul'UaillC l'uunit les voies tra(litionnelles de la civili-
S[ltiOll, ut pl'¿:p~il'a tOllL(;~ cllOses p011r le renouvelle·
mellt de la so('i(':t(\ politilluu. Le roi de FraIlee trouva
dans les ¡-illes recullstiinees municipalernent ce que
le CiUI}ell dOlll18 :v rl~tat, ce qU(~ le baronnage 11e
voulait Oll 11e lIouvait pas elonner, la sujétioll effec-
ti¡-e, d(:s ::;ul)~irles l'éguliol's, eles milices eapables de
distiplilW 1, C'est par ce seeoUl's, (lu'[lyant la fin du
douziell1c siede, b royante, sortant des limites ou
l(~ SJSt<":ll1e ü~()(lnlla ealltnrlllait, fit (Ir, sa supreme
seigneurie, puissance ú peu prcs inerü\ un pouvoil'


l. Pal'tout les hourgcois étaicnt orgallisés en compagnies, annés
régnlicrc'itlCllL et exercés an tir ue l'arc ct <-le l'arbalNe.




411 ESSAI SUl L'IiIS1'OIRE UU T1EHS ETAT


adif et militant pour la défensc des faibles etle maíll-
tien de la paix publique l.


Je ne dis point que le renouveJlement de J'autoríté
royale eut pour cause uniq ue et directe la revolutioll
d'ou sürtirent les communes. Ces deux gl'aw]s eve-
nements procéderent, chacUll a part, de la traditioll
rendue féconde par des circonstallces propices; ils S(3
rencontrerent et agirellt simultanemellt l'un sur l'au-
treo Leur coúlcidenee fut signalée par une sorte d'ó-
lan ve1'S tout ce qui constitue la prospérité publique;
it l'avénement (['une nouvelle classe el'hornInes libres
se joignit aussitüt la reprise du progres elans l'ol'llre
des chases matérielles. Le douzieme siecle vit s·o-
pérer un elerl'ichement, inoul jusque-la, de taréts et
de terres incultes; les anciennes villess'agrandir,
des villes nouvelles s'élever et se peupler de íamilles
échappées au sel'vage 2; il vit eufiIl commencer le
mouvement de recomposition territoriale qui devait
ramener le royaume a la puissance, et le condui1'8
unjouI' a l'unite.


Acu siecle suivant apparai~sent les reformes judi-
ciaires ct legislatives; elles entament le clroit feodal,
et inaugurent un nouveau clroitcivil qui, ele la sphere


1. Voyez 1'1I1,luile de 1" cil'ilisalion en France, pal' :-'1. Gujzut,
3c éllitiOll, t. IV, p. 107 et sujv.


2. llille est quod sub ipso :Lu([o"ico VII], pace vigente, tot nOVa<
villm cOlllljtm sunt et veteros amplitieat::c, tot excisa l1cmom et
exculta, "r([illosque Jiversi divorsis in locis multiplicitcr l'l"opagati ...
(ChmllOlDgia Rober/i, monachi Altissiodorensis, apud Scrip!. rer. gallic.
tC (rallde., t. XII, p. 299.) - Quasclam villas novas redificavit, per
(¡U as piures ecelesias et milites de propriis suis hominibus ad eas
cOllfugientibns ex];crcuasse non est dubiulU .. (Fragmelltum hislori-
cum de tita Ludovici VII, ¡bi'l., p. 2cHi.)




CIIAPITRR II 41


111,~ Il1nnicip::tlit,¡\s, pasSA (lans la llantn sp]¡r'~t'r; di'
l{~tat. ¡..;é Jalls les eltartes de commUlW:=; At dans ll's
(; >lLtumes redigces pour des villes un des bourgades,
ce rlroit de 1:1, hourgeoisir;, hostil e ú celui des classes
ltobiliaires, s'en elistingua par son essence meme; il
eut ponr base l'équite naturelle, et regla, el'apres ses
príncipes, l'état des persOllnes, la cOllstitution de la
familiA et la t¡'ansmission des heritages. Il établit In
partage des biens paternels ou maternels, meubles
ou immeubles, entre tous les enfants, l'egalité des
fl'eres et des smurs, et la communauté, entre époux,
des cJlOses acquises durant le mariage '. C'était, sous
une forme grossiere, et, d'un coté avec l'empreinte
d'habitudes semi-barbares, de l'autre avec une teinte
plus marquee d'inspirations chretiennes, le meme
esprit de justice ct de raison qui ayait trace jadis les
grandes lignes du droit romain.


Aussi la réyolution sociale fut-elle accompagnee et
soutenue dans son developpement par une revolution
scientifique, par la renaissance ele l'etude des lois
romaines et des autres monuments ele cette vieille et
¡tdmirable jUl'isprudence. L'impulsion fut encore iei
dOlluée par I'Italie, Otl l'enseignement public du droit
ne cessa point durant tout le moyen iíge, et subsista
obscurément:i Ravenne avant de refleurir ti Bologne.
Des le douziemc siecle, de nombreux étudiants, qui,
dans leurs migrations, passnient le::; Alpes, rappor-
terent en France la nouvelle doctrine eles glossa-


1. Voyez les deux onvrages de M. É,lol1nd Lllboulaye : Ilisloire
de la propriélé au moyen rige, COl¡clnsiol1 , et necherches .~ur la condi-
Iilm c1I'j{e et politique dl.',~ (emmcs, dl'!llli,-: les /(ümaiJ1s jus'lU'¡( 11011.'"
liv. IV, SCC!. 1I et JlI.




42 ESSAI SUR L' HISTOIRE DI] TIERS l~TAT


teurs du droit civil; et hi(~nt<\t cn droit fnt profes,,(;
concurremment avee le rlroit callOllirlllf1 r1:ln8 pln.
sieurs villes du Midi, et dans celle,~ (L\ngel's nt
rl'Orléans l. Il devint l'aisun éaite po u!' la porri,)jl !"l
territoire dont les coutumes n'avaient conservé (I!W
peu de chose du droit romain; il devint dl'Oit éCI'it
pour celles oú la loi romaine, mélallgée et llon déra-
cinée par le contact des luís barbal'es, :cvait pas:;;(;
dans les mCBHrS et suhsistait encore ú l'ét:ct dA droit
coutumier. Les maximes et les regles pnisáe~ 11an8
les codes imperiaux par des esprits ;:mlents et son-
cieux du vrai et du juste clescenclirent des ('~(:()lu~
dans la pratique, et, son s leur iniluféllce, touto une
classe de juriscollsultes et rl'hommes politiques, la
tete et ritme ele b ]j()ll1'!!,'poisie, ~'éleYa, et com-
mensa dans le:;; llantos jUl'irliction:;;.b lntte (lu (lroit
cnmmun et de la raison contre la coutume, l'excep-
tiün, le fait iniquu ou irrationnel.


La cour du roi ou le Parlement, trihunal 8ll-
préme et conscil d'État, dcvint, par l'a(lmissioll dn
CAS hommes nouveaux, le foyer le plus actif de l'es-
prit de renouvellement. C'cst 1ft qUA reparnt, p1'n-
clamÁA At appliquée Chac¡llA .iOll!" la th('nrie di! p'I11-
voir imperial, de l'autorit(\ publ iqne, nno nt akt1]l1A,
egale onve1's tous, so urCA uni(llw fie h jnsticc er de
la loi. Remontant, par los textC's sinn!l par la t¡-:\ili-
tion, jusqu'aux temps rcmaim:, les légi;.:ios s'y (;t:t-
blirnllt en idee, et, de CALle hant,C'nr, ils cnj¡,j,]('TÓ-
l'rmt (\ans le p1'ósent 1'o1'n.1'e politique ct eivil. .\ vnl\'


1. Voyez l'/l18lotrc dI/ d:,oÍl rom(7ir~ mi mo;;,(')? dUr, p~ll' :-:·n·i~~n:.-,
t. 1, et l'ITi,.::toirc !r"U/¡,([il'f' di' /11 Frrf.'/('('. t. X\"1, p. H,),




ClIAP¡TrrE Ji 43


I':'(:i ¡!in qn'ib l'xefccrcnt au T:l'eiziómA sir'(']e ('~ :m
:,;(.(']e suiv~mt, OH (li¡':lit (ju'ils eussellt rapl'ort('~ ¡Jo
18m'~ étucles jurirlúpc:i edcc(l c:lllvic:tion, r(lw, :hns
b societó c1'aloI'cJ, rlCnl n"t)ucit legitime 1101'S Ü!:'clX
C]1I)888, la royanté e~ ]'(\tat de bourg8ojsie, On (li-
,':,ii .!l1(~me qn'íls pl'8SSellLaiellt la cle~ti!l(:e histori:1ue
dll C('S de"x imtituti:;1]:-;. et, (lu'tm y ~nPTtan!-, lA sceau
(In rlroit, iIs ll1:ll'(lUfmc:nt (l'avance le'< cleilx termes
:mxquels tout ([('vait t'tre ramene. Toujours est-il de
f:lii (IHe lAS légistes (ln moyell rige, jugos, eon~pil­
k,';,;, ()fÍlciPl'~ l'í:yaux, out frayé, il y a si:,~ cents nns,
la rr)nte cle~ r¡)YOlllt.i¡)ll~ ú. venil'. Pow':,rJs par 1'in-
~,ijl:(:r (le 1ear pr()fe:3~;ion, p~'r cet psprit eh l()gi~lw'
inh'l:pidA qlli ponrsuit (ln CC:lls,\gnencC' eH ("!)-;:~­
quence l'application (l'llll pl';,'C'ip:), ji:" (O¡)Ym''';LC(~­
r~~nt, sans 1et lllrS!l]'('i' q riIJr~jt~ns{j t-\('l~p ;-;ú ~
ellX, s'apllliqna -le tr:1v,'úl tlOS l'iÓc;]Ac; : 1';' lUir ,[:'11';
une ~cn]c 1l1rt.1H l~l ~nn \~:-~r"l i Ilnt('~ nlf)r'c~)l¡"(\ o o.!;8.is:scr
Yel'S les elass2s hilnr;;oflises co qui Mait :tLHks'\llS
¡]'811es, At éIpy(-n' .i¡l~.(lil·:\ (~11rs ce (lui M:lir :lIl-clessous.


f:ettA gllUl'l'ü illl (¡"(lit r:d,iOlme! ('nl;Yl r le droit
exisbnt, des ¡(lees crl1lh'A les faits, qui éclrdp par
illtervallps (lnllS les ii()(:i(\t(~~ humailles, :t tcu,j0urs
deux (~P()(luc:, (1'1l1l (,;ll':let(~re hien diffh'('nt : la p1'p-
nü¡>ro, (1) l'e,,¡wit Iloyatrmr se pr(~scrit tI", horllns et
se tClnp(>l'n lnl--ltl{"}iH; par 18 ~~k~llti!n(l:tt ¡:r"'c. .l'ác¡nite~
la snconde, nú il ~'('injl()l'L{) et !¡¡'is(' S:\'l:' H1¡'llo.p-e-
ment tout ee qlLi lni f;ti~:¡it obst:!'cJo. l)/~l~:( r<'gnes
fameux, qui, on se toueklllt pl'c,~que. r ll'lllellt l'nn
des plus étrallgCi:i CUlltl'tl.,,1:\'" (1110 l'hi:ili,il'() p:li.")C'e
presp¡üer, le r(~gnr ¡1n Lfll¡j-; JX (ri (:,'lni !1u Philippc
le Bel, rúpulldellt :'1 ('i)~ denx tUllll'S "n('cos~if:; dans




44 ESSAI SUR L'¡¡lSTOIRE DlJ T¡EnS l~TAT


la ref"l'me politieo-judieiaire par lrulll811e :';(¡IlYl'i (
["ere ;vllllinistl'ati ye (le la Il1owll'c]¡i(l fraw;aise,


Cormnellcee avec taut de elouceur d de rescrve par
le roi qui fut un saint et un granel homme, eette re-
voluLion parut, sous la main ele son petit-fils, úpre,
violente, arbitraire, inique ml\me, dans la poursuitc
de mesures dont le Lut final étClit un ordre meillelll'
et plus juste ponr tou:s. l\I:t!gl'(~ SOH e~prit et sa ten-
dallce, elle n'eut pas le p:H1Yoil' ¡j'AXc.:itel' l'aílcetio!1
du peuplo; aueun (',jan ¡j'espoil' ot de joie ne l'accolll-
pagna dans ses progres; rien de hrnyant., point ele
scenes populaires; tout s'elaborait ú froid dans une
offieine ~eerete; c'ét:üt le travail elu millellrqui pour-
suit son c.euvre en silence jusqu'it l'heure oú vielHIl':L
l'assaut. Jamais, peut-étre, iln'y cut ele crise sociale
d'un aSpAet plus somLrA que eelle-ci : pour le~ classes
privilégiees, des spoliat.inlls et dA~ wpplices; pOli!'
la rnasse roturiere, tout le poi(ls el'une admini-
stration éLauehee, ayallt plus d'astuce que de force,
vivant d'expéelients ot el'oxtorsions, cllútant beau-
coup et ne l'llnd:mt rien, Selllement, au-c!essus ele ce
(lésorelre, plein de l'lliucs et de souffranees, mais
bel'eeau de l'ol'cll'e á venir, une voix s'éleyait da
temps en tAmps, celle du roi ahsoln, qui, au nom
de la loi naturclle, proelarnait le droit de liLerL¡;
pour tous, et, au nom ele la loi divine, r,;pl'OU-
vait l'institutiol1 du servage 1, ~


1. Attendu que toutc créatlll'C hUl1w,ine, qui est forméc ü l'image
de N"otre-:::eignellr, uoit géllémlclllfllt Otre frunche par uroit natureJ,
ct, en ancnns pays, ue ectte natlll'clle liberté et frallchise par le jong-
de la servitlllle qni tant es! llllillell~e soit cITaeée et o]Jscllreic; qne les
hommes et les femmes qui hfluitent és licnx et pays <lessns,.1its, en leLr




rrrAPTTTIE Il 4" ..


Ce:; l(\gi~h~s dll (llla1,,)¡,ziellw si(\cle, fOllLlatt;Urs et
ministres dt! l'autocrai.ie rO'yale, fUl'ent soumis a la
destinee commune des grands revolutionnaires : les
plus audacieux pel'irent sous la reaction des interets
qu'ils avaient blesses et des mceurs qu'ils avaient
re'foulées 1, Plus d'une fois la royauté fiéehit dans sa
nouvelle voie, et se laissa rameller en arriere par la
resil'itnnee des pouvoirs et des priviléges feodaux,
nIais, en dépit de ces rdollrs inévitalJle~, et malgré
les concessions faites sous des regues faibles, deux
choses allerent crois:sant toujours, le nombre des
hommes libres á titre de lJoul'geoisie, et le mouve-
ment flui portait eette classe d'hommes a se ranger
d'ulle maniel'e immecIiate sous la garde et la justiee
du roi. Une revolution rnoins éclatante et moills
~polltnnee ¡PW la revolutioll communale vint repren-
dee en sous-ccuvre les resultats de eelle-ei, et, par


vivant soiellt ainsi reputés comme morts ... (Ordonnanee de Phi/iJlI" le
Ee/ [13111; /leel/eit des (Jrdom¡ancfS des rois de Frallce, t. XII, ]>. 387.)
- COllllllC sclon le ,lmit ue nature chaeun doit naistre franc, et par
aL1CUllS nsages et coutumes, qui de grant ancienneté out esté entro-
,]nites et gard,;es jusques-cy en nostre royaume, et par avantnre ponr
le meffet de 1c11rs préuécessclll's, moult de personnes ile !lastre com-
mun pue]>le soient encheues en lien de servitudes et ile diversos COI1-
.litions, qui moult nous desp1ait : nous, considérants que nostr~
royaul1lc est dit et nommé le royaume des Fruncs, et voullants qm'
la cllOse en vérité soit accordant an nom ... (Onioullance de Lo"i" 11'
/llllin [1315, 3 juilletl, ibid., t. 1, p. 583.) - Ol'dlllliwlIcP de I'hi/i¡¡I'"
le f.oll" [1318, ~3 janvier], ibid., p. 653.


1. Enguerrand de Marigny, pendu it Montütl1c()n, sons le regl1e ue
Lonis X ; Piel'l'e de Lutilly, chal1celier ele France, et Uaonl ele Preslc,
avoc"t un roi an parJement, tous uellx mis a la torture sons le' lUCillO
ri'gnc; Gémrcl de la Guette, ministre de Philippe le Long, mort I1
la qllcstioll en 1322 j Pierre Frémy, ministre de Charles le Bel, pen,1u
en l328.


, 3.




111I Lt':wail ]ent mais contillll, rain~, d(~ milL· p:·ji~':
dais disLinds, une meme é)ociM¡: l'aLLacll/;i: ;l llll <:1';:'
tre unique de juridiction et de puuvoir.


D'ahord, ii fut pos/: ell p['inei[J:~ qnc nu]le rommmlC
no l)ollyait s'()ta1l1ir sano' lí' eOllscmtmnent (tU l'oi:
PLtlS, que lo roi "(~1I1 pfHlyait el'¡~('l' (lf'~ (!Olll:n1ll1e,;:
puis, que tuutes les Yi!lp~ (In COIJllll !llW OH di: ('('ll~n­
Lit (~taipJ1t, P;(1' le Lit llli;'!l:', ::(,,:;":1 ,~'igJ1('al'¡e illl-
nH~(1i:t~,üJ. (Ju:tlHl ('(~ dC'l'l!i/~l' p'IIn!", pa:'nt ~;;l~~::)n !'¡
r;lY:lntt': ilt Ull pas dc: plus; ('!le "·"Hl'il:,:1. 1(' (h'llit Il;,
faÍl'e (l(~s hOlll'geoi,; ]11\1' tlJllt k l'OY:U1lll(', :-:11l' Ir: ,111-
maine rl'alltrlli COlílllW :-;111']n "jl']I. 1':11' ni!'" fi .. ri'lll
étrange, la buul'gm:isil', dr'lit e,;"elltinlll;!ll"¡¡: ¡,''\'1,
attaché ::tu (lomieiln el, flun l'll:llJitatillll ¡'ollL"l':¡ir.
devint (llH']({1w ellOse ,le 1)(~1""(¡1l1¡¡;1. (lll lmi. (,llan,~'¡'r
dejllrirlictiull sans Cltl!II~'('I' ¡J, J\::ii!('!H"" SI' d,'TL,,',,:'
hornme libre et cito,rl,n "al1:, íjni: U!l' lil:')¡';:)!, ~('i!~':l""­
riale, et, comIlle s'm:pt'illl(:llt l('s luwil;!lS al'te¡'. ,; .. ,<1-
vozU:l' son SÚJIIeW' et s'!I/;Ui!I'I' (WIiI'r¡I'!Jis dI! 1'Ii/ 2. c\i:,-:;.
l'associat.iCill au cOl'p,~ dns ]¡alJiU:llt-: (h\1lf; yilln P¡':-
yilé'giée cessa rl'(;t!'il rl1ll i(! IIP ltlily(!ll d 'ChtU!l ir LI
ph\nitufle des Il\'oits ciyih; J:) pri\il,\;.V' c;n ,;(:p:\\':] di',:
lieux pll!ll' nlhn' chrl'c]¡('[' ]: '" rl'I'>1 ii 1111'S, d, :1 ("'1 \'
de 1:1 IJIlll\'¡2','oisi(, tlns (,ii/'e; d. dr'" ('(!!llllllI1W,;, il 1'],,'':1


1. II:llC est qnoll, cum :lIL domi:llllll 1H~?:l'itll1 ~.; l.O:; jn ;,,¡;i,
pertill(~:1t tl'eare ct COllst:tllcre erdl<.;l\!:tt:1S. (,1 !'¡,:1.1:1 1 1"i!;¡,tr'c-: .. ,(): 1(1
nn.llCC tlc C'¡lal"~eS, Ti!'~"'llt (ln 1'(lya:l111e lll~i.l! 1: ;a l';ljJ;¡\'!:\~ \:[1 1\'
.Jrnn ,135;) noycmbrc:, Ji.'I'II,'i/ dl'S f)(((rl .. :i,',~lil':,'" ¡I/,s ¡"I," 1/, FnlJil'"
t. m: ji- 30;5.)


2 ... v uycz le Gln,<;{;nil'c du tlroi! rrnll~'·ji.'·, p'll"' Lp¡ri1·"·(', ('~ h 1 )i:~-
sertntiotl de Hr\';(ll1igny 5n1' les l!()!:!"!.:,t: .~, t'!¡ ,11110;:;(- \:] .)'}
l\('i'JI/'i! df'3 Oj',IOI/l/(IIP'/''<:: (k~ rr.,i." ¡!" Fr ',1("',




nl1\PITI\E 11 47


"'ll;':]C'lllrnr un" no"xrllr rlass" (1" T'o+uriflr:, libr"s,
am:quels on allrnit pn rl()llllnT', par oxception. le titl'C
dI', ei royells du ro.,·;nnne 1.


TlIlltns ces ehoses ]lI'océllaient d'un nouv"au prin-
"¡pe socüü, rl'un dr,:it subversif des drnits existctTlts,
~,,¡- ~1nel1nC~ IH~ ~\'·t~dlli:-:sait :..:.ans pr()t.(:.~t··lti():l et san>;
]))He. Il JI'nn C~d l:::~ (]I' m,~mn (1(" l'in,;(iruüon fa-
DI'llse ({ui fit dI' 1:! 1), "lr{;'r:>isi,' un I)j',lr',· lllllitir¡ue
r~~pl<·s8ntl~ par ~~0,< n1~11lrlat[tires dans les gl';l:ldc;;.;
rtssrm blé"s dll !'( 'ya:lIlw. Cn" assemhláes. tlont la n'D'
ditio]] aVDit p:l~<:': (1:>:, {'optmnes g-í~rm;ünes chlns In
n~gime de la monal'rllir f,~()(lale, SR composaient di,
rklmt(~s ,\lus rosjl,:etiycmel1t p:lr la nob!8sse et lo


1. Curo in comitntu Dn~:l('. f~~()lhf ~'(~<- ';,r:;(Jr[i~ ct ga~'~li¡'S ip~i1iS cn-
rllit:l:,lS ct ;¡lii~ T0iTi;-:. (r;~1.::i ,1.1"(;:1:."" ii ~('l:s C01¡::::lU:~:tillCns lH)S~e;"
G:lltl!('l"lIS, ctUX AC;c;l:lnl1¡, \'".t f'O;,'.L: ,:jl'~.i C{)~Y..it:1LlS. Lthct. la cÍ}!lú"
tatu Campanie, siut }llnrcs·}!{¡1:'!i/.·,;s ct :C'31nilli-"c:) hnr;,\cns;.;s ltostri
albani supervcnti :llill11l1e d :di: Z]111 ;:0 .~ b:cCL\'€rm1t, et. a~lvoant 1108-
tros homines ct fClllillilS (le jl1r:11:1; ae Cj:tlH p'UL'CS 11ouli¡,es et fCl~ün[t:.
dicti cOllsangnillci, SllOl'll111 fco, ll'l"lnn , retrofeoclorU111 et gardi:1l'llln~
qlli eos deadvoaverunt et se tdVo~l,v(!rtl1lt et aclvo[tllt horn!n(-:s et fe-
mil1a~, llostl'OS de dieta jur;lL1.:; niü'wlu se eximere a :';l:n,itnte qna
snnt ipsi consanguineo llostl'U et í:iuis feoaatis) retroicol 1.atis et g,u-
aiis, nt ¡lirll;ü, :lstricti ... (ÜnlOJlll:l1lL'(' au l'oi Jca.n )3.).)~ llo\'enl~lrcJ,
ne('flei! dcs O¡,do/Uul/Icl.'s des ?'ois de FJ:aHce, t. IV, p. 7:.d.) - '.' CUIll
D, preL1ecess(lrilms 110stris Fl'allCia~ rcgibns, V:1SSallOl'U111 ('t :turnillnrtlIH
allOnnn ntilinm sen immcrlia~()nlIn snbdltis in scne~:calii~ TIrU;I):::lC',
Cj~ll"('assOnlle ct J;dliear;ri1 pUl' tlietos S1105 dunlillos, S!WS jnstitiar.:.ns
~';l'n oinciarios ol']Jrc~,<~ :-';"l11¡YCllire volclltibns e".: i.;ISJS a gr, __ '..Y;}nlillilr,~s
relevare, dnctis et cxeitatls ¡"ul lloc ex. frC~]11¡~11~i qllcre~a s~lhlitl.lr~1YlJ
iPSOl"illl1, fl1cl":t ah :llll i<¡no, previa (~u]¡sil:i tlclihcl'ntiollc lnfltal'fl.,
la1H1atliJ;7o' orolillntlllll. 11t (ll!icr!1lHl'le talit .. l' oppr('sú Cili¡¡~cnllqnc
status ('1. e )wli¡jnnis e::istel'lnt , aimis:;.,t dil'ti sni illln:'.cdia!i (lol1ljl:ii
slIl¡jcc:io;}I', S¡l;)j\~etlOllmn no,::tram iligrC'íli ct llostri hnl'.::el1ses emci
poss··~lt: l;t :ltl lloc fi!1nlittcrclltnl" l(1)('l'C; ecssantp eOllt1'[l'-\ictinnp, qll:l-
Cl1l11qne ... (Or(lollnancc rl(~ Cl1ilrh·::; -V p:n3, ,?~) ,11lil1(~tJ. 2Lirl., t. V,
p, 627,'




48 ESSAI SUR L'HISTOmE DU TIEnS 1~7AT


clergé, et formaient soit une seule relllliol1, soit deux
chambres distinctes 1. Des qu'il y eut, par la renais-
sanee des munícipes et l'affranchíssement des bourgs,
une troisieme classe crllOmmes pleinernent libres et
propriétaíres, cette classe, bíen (lU'inferieure aux
deux autres, participa, clan s sa sphero, anx droits
politiques des anciens ordrcs; elle fut appelee a
donner conseil dans les affaires importantes, et ú rlé·
liberer sur les nouvelles taxes.


Par leurs priviléges confluis ú force ouverte ou
octroyés de bon accord, les villes étaient devenues,
comme les chttteaux, partie integrante do la hierar-
chie féodale, et la féodalitó reconnaissait á tous ses
mernbres le droit de consentir librement les impllts
et les subsic1es; c'tltait l'un des vieux usages et le
meilleur principe de ce regimc; la population ur-
baine en eut le bénéfiee, sans le reveneliquer, ei sallS
que personne le lui eontest&t. D'abord peu fréquente
et bornee á des eas speeiaux, la cünvocation par le
roi ele representants dos bonnos villes out líeu d"tme
fa~on isolee, sans que le fait, quelque nouveau qu'il
rut, parí'tt aux eontemporains digne d'intéret. Les
formules de quelques chartes royales sont le seul
témoignage qui HOUS en reste avant le regne de
Philippe le Bel2, et il faut descendre jusqu'ú ce


1. Voyez le proees-verbal de l'électioll de Charles de Valois, cOlllm~
l"oi u'Al'agon et con1te de Barcelonc. Itynlcr, Freder:r, conrClltilJlIl'S,
lit/erre, etc., t. I, p. 639.


2. Voyez j'Ordonnance de saint Louis de 1262, eontrc-sigll"c par
trois bourgeois de París, troís de Províns, ,lcux d'Orléalls, dcux <le
Sen s et deux de Laon. (Uecueil des Orr10il1laHCeS des 1"ois de Fl"Cl/lce,
t. 1, p. 93.) - L'origillc tlcs Etats particulicrs des ]Jl"ovinccs est la
memo que <,elle des }:tnts générnnx ,1n royullIne.




CJlAPITRE JI 49


regue ponr le voir se produire (rUne fa90n eclatante,
et marquel' sa place parmi les granrls faits de notl'C
histoire nationale.


Le surcroit de depenses et de besoins pour la
royante que firent naitre les creations administrati-
ves an milieu desqueHes s'ouvrit le quatorzieme sie-
ele devait natureHement amener des appels plns
nombreux et plus réguliers de bourgeois mandatai-
res des cites et des communes. De graves evene-
ments, survenus dans la premie re annee du siecle,
donnerellt une sol en ni té inaccoutumee et le carac-
tere de représentation nationale a des convocations
jusque-Ia partielles, et qui passaient rune apres
l'autre sans se faire beaucoup remarquer. La cour
de Rome, violant les regles et les traites qui
limitaient son pouvoir en France, prétendit a un
droit de suprématie tempol'eHe sur les affaire s du
royaume. A ce sujet, le pape Boniface VIII et le roi
Philippe le Bel entrerent en lutte ouverte; le pape
convoqua un concile general, et le roi une assem-
blee genérale de députés des trois etats, clergé, no-
blesse et bourgeoisie des villes l. Celles du N ord
envoyerent leurs áehevins, ceHes' du Midi leurs cou-
suls, et la voix du commun peuple fut recueillie dans
ce grand (lébat uu meme titre que eelle des hal'ons
pt Jes Ilignitail'es de l'l~glise~. « A von!', )) disaient


1. Les Iroi. eta!s (le Franee furent convoqu(:s 11 Notre-Dame ele
Paris, le 10 avril 130;:).


2. Hex fLlJtt~nl. .. Pal'lEins C011vocans :.ta concilimn universos rcgni
Fmnci::e baronC's, prxbtos, unces et camites, abbales et prOCllnttore,
capitulorum snorllm, decanos et cllstoues eC21csiarurn collcgiat!trtl1n,
viceJaminos, castellanos, majores et scabinos communiarum ... ((.'ltro-
niqlle de Guillall",e de !Y"1II}is, t. 1, é,lition ele Géranrl, p. 314.




:jll ES SAl SUR L' 1IISTOIHE DI: TIERS ÉTAT


drlllS leur requt'te au roi les l'()pr,"scnt:ll1ts dr~ la bnlll'-
gl'oisie, (( ú vous trós-lw!Jle lIrillele, nostrc sire l'lli-
« lippe, par la gl'ilce d(é Dieu ro} (10 FrallC'(', ~:;T
(( pl ie et requiert le penp10 de yostl'e royaullw, P"'u'
« ce qui l'} apparLient, r¡ur~ ce soít [¿lit (Iue YUll'; g~l;'­
(( diez la s{)uY(~rainc f¡'<lllC]lisc de YosÜ'O ]'oY::W[)V' ,
( 11 u i o;-;T tello que vous lW l'r'C'()!pl' lú.,,;iez, (In YO~: 1\
( tomporel, S()Il\,(~I'!Ün. eu tmTe, hrs (llW Diun 1"" )
Co Hl'U (l"ill(]r;prmdance pOlll' la ('()UJ'OlllLG el. lo pa,''-s
m:H"jUe nohlHlllent dans Jlotl'(~ hisi:oirü la prC'mi"l'<'
apparitioll d'uno pensr\o politi<jlW de" clas:-,cs t'U: [!-
rieros 1101'S !iu cercle de lenrs ill!(3r(~ts ot do l"ln'c'
rlrnits munieipaux; il fut, (lopais, runo ¡lns TlI;I\:Íl':'>
fUllflanwllwlos (lui, nóes (]:, l'ill<tilld PUllll;:¡í¡e(; ,,,
tran~llliset; (le :-:i(':cle eH ~i'''cl(~, j'1I1'm,"l'ellt c(~ (111',,;:
pellt 110ll1ltWr la tl'!lIlitinn (:u tinr" MaL


Cn Jlilrt1 (le tiel';; (Hat, IOl';"ln'il dnvjnut lllJ, nxpí'!';-
~i('ll ll:-inplle, ne (·(,tllpl'lnl(l (le {ait (}lw h l")llul:tti'\~l
de,.; \"ill(~s pl'iy¡I(';;;il;(~;;, mai:-:, (lll pui:-;:-;am:c, il ,ú"tCl!i¡
])icn au deb; il COll\TC JlUIl-;-;"ulmnellt les civ',,;, mais
les vilbges et les hamoanx; llon-c;eulemcllt la 1'1It,m\'
lihre, mais tous ceux pnnr qni la lilllert<\ ('ivile n~t C'l!-
eOl'e un bien it vc>nir", Au",,;i, (lIW!(}lW rl':-dTeinte (11:"
flit par sa natnre toute mUlli('ijl:tll) la l'lllm"eS(mt:ltin¡,
(la u(li:-;i¿'Jl11' (H'llrC', ('lle nllt ('('llsi:llllllli'llt.]n lll:l'it¡-
de se í:l'oil'C elli:l'gl'l' ¡]¡; plai(lnl', Il<>ll ]:t (:;\\1';1' dl' [I,¡I;,


l. ('ilronologic (les rS~:tts !-.!J~lH"rn.llxl pnr .J. S:1\'n:'()ll (, ':1"11, 17.:{~).
p. 91. - Y o:,'cz le n,lppOl't I:!J llttJ!: 1'.-..)\: ~\Hl\" [l',,: ~','ir 1" ('1.(,-
cours JI! ]ll'i.r d'hi')(o/J'(', (k'l'\;J'l](~ el; 1::11 p:tl' r ~:es ;-Jo.:¡..;I>: l':'
llwrales eL 1lolititplCs.


2. L('3 11101S 3cus de 'Iel's el r;OIllU/IIH ,J(ol S~ tl'OllYCllt 11al1s p1Ilsic>:¡-:'s
actes {ln quilú:iemc sil\clc. ()~l rli';~l'l'c i11 ~~L',"reI1l11;(;i': L' lir'l"; do(. 1('
('(¡)l/niHil r;.'nf; \'t !" r'·,liIJitU!I.




ClIAl'lTRE TI


1>11 trlln I'l'aclion, 11(· tnlle OH telln classe (In P(~;ll'lr',
mni-; c(~lle dn la 1l1;lS,,\~ (le:-: Jlnll llo1!lf>s, ('(~lln I1n peu-
pIe sallS di:--tilldioll (lo 1'1':l11e:, OH de .':e1'f.-:, d(~ klilr-
ge'ii:o (lU de p:l'y:'::lllS 1, Touwfr>is ron 11e voit pa:-: l11w
l:t l))llqzooi"ie elle-lll(~me ait (LI]¡Ol'd attachó IW:Lll-
C'.'llll dI' lll'jx .'lll 1l1'IIit Ir(~ll\' ('(¡1i,,1l1v;l~ rommc h~
d~\l1~ l'rclIl1[(lr~ nrdr't)"': :~111' je~ ~¡¡f;l¡l'e~ g(~nér[tles <lu
l·{ly:lllllH~. en drnit, q;,'cl1 o n'e~\J'i\':lit t!'lll~r(~ sans IU)(~
~~~)l'h: dCI g'í'.1l0, lni í"t:li;; ...:!1....:p0t·r, p~r'cn que tqnl('
f'lIllYi":,lti'lil de" (;j:lt" a]w::1';:-;,:,jj lUfnrellement;'l de
J!1):l\~(llle.~ d:'ln:ll!dc~ <in íi~(~. ~~-)ll t}~\18 fut sub:11tern~
rt pen nlrll~(l'U~ :l:ln~ lc~ (~I.al~ g('llH:ranx qu~ vinrcnt
:Iln""~ C('!!:;: (le; LJI):.!, son,; Philipp(~ Ju Bel et ses :mc-
cns"cur~, jll~(Fl'all l:liliml (lu f[uatol'zióme ¡;;iecle, el.
(lni Clll.'llt en g(~ll(~rnl pellll' II('ca"i()1l (JI>" guerrc¡;; OH
d(,~~ ('h,~11!~~'()1i111l}t.-..: de l'('·~·l}(). ~\L-ii-...:, :--;()n~;; In roí J8an .• la
d"'lr:"'~¡' ¡m!¡¡i(llW rt rnx('(\" dC'" Jl1;¡]l1pnrs nati(ll1anx
d(';l21,"l'rlll :ln:;: CllmH;lllle~, (:1; Fl'a,lC(~ ílll (':lan elc p:t~­
~,inll ü1 1l':lllll,itÍon (llli j(~lll' fl1 lClItl'l' dCil ChO::;Cil
j:lIJ;¡Ú'~ .iu~rpw-b, el'. sai"ii' tllllt chm C(IUP ct pou!' un
mill\lrllt ('ottn pl'l;polld"'l'ance du tiors et::tt qili nc
l'nt dro fllnd(~e "a11S retonl' qu'aprcs cincl siecl(~:o
¡j'('il'p!'ts id (l(~ lIrngl'ús,


llr'llX ,,¡¡'eles ("('(lUl(i" dC'plIi" la rennissall(,c de,:
lil)('l'~'(;S mnni('ip:¡]"s ;lV;tii'lIf (loJlJl(~ au:;: l'ie]¡c:s !Jnlll'-
gcnis d(~s villes r(~"p(;l'lrJ1(~e dc la vir pnlitirlllf), d
lrll!' :waicnt appri:-: Ú cOIlll:litrr nL :'t vnlllni¡> tnut. (Oc


1. Les ("!cctions des (10pntl's (in ticrs érnt, LO~':J(;cs, durant le q11[l-
tO;'IA\'1'llr ~i;'c:~~ et lllie p;rande }'nrtic ,.Iu (luillZlL'-:riC', :t ce qn'oll noni-
mait les bOllllrS t'illl',~, {1\rellt, ven; la jij¡ tlll f!;li¡;z]¡'ll1e siccln) étCll-
anos :lllX Yill~'s llon 111Un',(,:: ct ailX si111ples Yilln.~es. \:-ü~·(:z ci-nprt·s
les 1~:1:l~~ .~'/'lll·ra1.1X :le :'lH 1.




;;2 ¡':SSAI SUR r.'llISTO¡R¡': DU TlERS ];:TAT


Cjni, soit dans l'encüintü des mémes murs, soit sur
llll pllls Y:l::ite espace, constitue les sociéil~S bicn 01'-
dO!1nees. Pour les cites et les communes, quelle que
fút la forme de leur gouvernement, l'orul'e, la regu-
Jarite, l'economie, le soin du bien-etre de tous, n't'>-
taient Il:lS seulement un principe, une maxime, une
tendance, c'était un fait de tous les jours, garanti
par (les institutiollS de tout genre, d'apl'e;,; lesquelles
c]¡aquc fOllctiolluaire ou comptable était sUI'\'eillé
snns cesse et coutl'úlé dans sa gestiono Sans nuI
doute, les mandataires de la bourgeobie aux pre-
miers états géneraux, appeles a voter des subsides
et a voir COlllment on les depensait, furent vivcment
fl'appes du contraste qu'offraitl'administration royale
avec ses tentatives hasardées, ses ressources frau-
dulellses, ses abus aucieas ou nouveaux, et l'admi-
nistration urbaine, suivant des regles immemoriales,
s<:l'Ilpuleuse, integre, equitable, soit de son propre
mouvement, soit malgl'é elle. Parmi ces hommes
d'intelligence uette et active, les plus éclaires du·
rent concevoir la pensee d'introcluire au centre de
l'État ce qu'ils avaient vu pratiquer sous leurs
yeux, ce qu'ils avaient pratif/ué eux-memes d'apres
la tradition locale et l'exemple de leurs devan-
('iNs. eette penséc, d'ahorcl tirnitle en lH'ésencü ele
la I'oyallté qui ne la sollicitnit pas, ct des corps pri-
vilégies qui ne pt'enaient eonseil que (l'eux-IlHime,;,
fiC fit jour quand des neces:-;ités extraordinaires,
amAnees par la glwrre au <1e}¡ors et les dilapifl:t-
tions au (ledans, foreerent le roi et ses minis~res
ú chercher du ser.:ours ú tout prix, et mirent Ú llll
leur impuissance ú remedier allx malheurs pl1lJlics.




CIlAPITRE Il 53


("est Ile b <111P villt l'(>sprit d'illllOyati"1l qni /~('.latCt
si sulJitement et ayec tant d'énergie rlans les états
gCIH~rallX de 13;;;). Les resolutions de eette assem-
!JIre, auxfluelles une o1'(lonl1allce royale donna sur-
le-cl1amp force dA loi, eontiennent et dépassent
llH~llle, sur quelqlles points, les garal1ties modernes
dOllt se compose le l'cgirne de la monarchie cOl1sti-
tntionnclle. On y trouve l'autorité partagee entre le
r()i et les trois éjut", reprl~sentant la nation et re-
p;'esentcs par Ulle eommission de neuf membres;
l"assemblce des états s'ajournant d'eIle-meme ú
te1'me fixe; l'imp¡\t n~parti sur toutes les elasses de
pcrsollncs et atteignantjusqu'au roi; le droit de pe1'-
ccvüir les t:nes et le contrule de l'aelministration
financiere donnes aux états agissant par leurs délé-
gués a Paris et dans les provinces j; l'etablissement
(['une miliee natiollale par l'injonction faite a chaeun
(le s'équiper el'armes se10n son état; enfin, la dé-
fense de traduire qui que ce soit devant Ulle autre
juridiction que la justice ordinaire, l'abolition du
droit de prise on de réquisition forcée pour le se1'-


1. Es\' orelonné eglC ,les trois estaz uessus uiz sefant ordenl1ez et
tlepputez certaincs I'crsOIJlles bonncs et honnestes, sola1les et loyauls
et san s anCllIl S0l1S1JC¡:ou, qui par les pays orucnneront les eh oses
elessus dittcs, qni anront reeeveurs et ministres, selon l'ordenance et
instrl1ction qni sera faite sur ce; et oultrc les c01TIl1lissaires Oll der-
putez particuliers des l'ays et des contrées, seront ordenuez el estu-
~líz par les troís estats uessus dits Ileuf personnes 10nuos et hon-
nestcs : c'cst assavoir ue chascuIl estat trois qui seront goluémulx
et supm'intendcnz sur tous les nutres, el qui UllrOllt dCllX receveul'S
g~m~l'at1X prwl'}¡OTlllneS et hien solahles, ponl' ce que le3Lliz supcl'in-
tClli]cns nc scrollt clJargicz ¡J'uncllllc recepte, nc Ilc f.lil'c clJllIpte
ancnn, (Ol'uonnallcc da 28 décClllbrc 1355, mt., 2, Ue('ueil des 0,."011-
uu-nces dec' rois de Fra IICP , t. llJ. p_ 22.)




c.', ESSAI SUl r: HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


vico royal, et la suppression de,: monopoles exnrc8s
sous le nom de tierces personnes par les officier~
royaux ou seigneuriaux t, Il Y a b comnw un
souflle de democratie municipak l[1wlque choso de
plus móthodiflUo et de plus largo en fait de liberté
que la résisbnce aristocratiquo de la nobles se et
du clerge, L 'illitiative cln tiers útn t drnnin:lit, par
l'empire cln bon sens et de l'expÓri(~IlCO administra-
tivo, (bns cos clélibl:rations qui, ú ce qu'il parait, fu-
rent communes entre les troi, orrlre:s 2 , La m(~me dlOS3
eut lieu, avec des conséquollces lJioll plus graves, n,m:
etats generaux de 13:)6, ann80 fatale, Oll, par :"uitp
(1'une hataille imprudemment livree, on vit le roi p1'i-
sOllllier, la phllmrt cles nohles tues ou p1'is clans In
cl()routo, les f()N~e" clu royaume ~lIJ/allties (et le g01!-
vcrnement dissous "u milicn <In l;l {;'¡;;'l'W et1'a112;ere.
(1(,,; discordes intestinos et (le I'irl'¡¡ :dinn rlP.~ espl'ib.


l, Et \le seront lesdites aydes et ce qni en ystra levées ne distri-
buées par :1OS gcnz, lmr noz trésoricrs, lW par 110:1. ofliciers, mais
par autrcs IJonnes gcnz, s~ip:es) loya;uls et 501:1010s, ol'ucnnez, com-
nüs et <levpntez par les tl'oi:.:; e::.tnz dc.ssn~:liz) trmt unx frontiel'c~
conUl1e ailleurs ou il les cOllyiCllÜra i.listrilJuer. (Onlonnanrc t1n
2f3 al~temlll'c 1 :135, arto 5, ne(~tleil des Ordo;l!!lulres des nJis di! Fr(l)~c~'.
t. lIT, 1'. 32.) -lbi.l., arl. 6, 7, H, !), 11, U, 13, 18, 19 ot 32.


2. Fnrcnt asscmblés a Paris, par le l1l<\!Hlonlcllt au roO', Ips pr0-
lats, les cl1apitl'es, lt,S brrrolls et les Yil!cs aa rnyaulllc t1e r"runce,
et loar Hst le rüy CxposL~r cn su. prt~scnec l'cstat /les gucrres ... Le5-
qllcls 1'8'pon::irent, e'est assavoir : le cIergié, par la hOllche .le
muistrc ,Jehan de Cnwll, lors arüe"esque .le nains, les llollles, par
la llone)," al! <1nO d'Athi'IlCS, et les lJonncs villes, par Estícnnc
l\Iarcc.l, 101's pn3vost acs 111arch:,uls á Paris, que il estoicllt lons
prest de vivre et ae monrir ~vec le roy, el ae mcttl'l' cor1's et m·oír
en son servicc, et tll~li(Jl:raciol1s reqnistl'cnt de parler enselublc: 18.-
quelle lenr fu ottroi~c. ((']u'o¡¡iqucs r!r' Sail!t· J)('nis


c
' t~(ljt. ele ltL P~!1!lii¡


Parí", t. YI, p, 19.)




CHAPITRE II 55


Ln Ill:"astrn (\1' Pnitil'rs n:--::cita (lall~ les classes 1'0-
iUl'i¡"l'i'S un srntimrnt ele [[ouIeur nationaIe, méló
(['illilignatill'l nt de l!l(:pris ponr la lloblesse qui avait
l:ic:lH: piell dcvant uno arw,:e tres-inrerieure en nom-
bre. Ceux des genLibhomme8 qui, revenant de la
l)[traille, p;ls:~a¡:'llt p~,r 1e:-; "i!les et les bourgs, étaient
¡:nll;'wívis ,l:~ lllaL:clidiow; et cl'injures l. La bour-
g'~:)i:-;in lnri"innnc, aHimec de passíon et de courage,
pl'it sur elle, ú tom evenrment, le soín de sa pro pro
rléJe;:se, tall(li~ que ICl [ib :11n8 rlu roi, jeune hommn
dt, dix-nenf :ms, (lui ayait fui l'UH des prcmiers, ve-
nait g{)UV,~rnAr comme lieuten:mt de son pere. C'est
,:m la cOllv{)cation de ea prill(~p qU81es Mar s s'assom-
]¡l(~l'()llt de nouveau á París avant lp torme qu'ils
~"tYaient fix,;. Lps ll11~me,.~ d(~lmtés revinrent an nom-
h!'!· de ¡:]11~ ¡j(~ ]Ini: ('('Id,:, ,¡"ni, 'lll:liTe cent, ébient
(!r' 1:1 bnnl'g-r()i~ie, Gt le Ü';ly:ül do réforme éb::mché
,l:tw: h l'l';"('i~drntc s;>ssinn fnt repris, sous la m,~me
i,dlnencc, ::tY(>(, llIte arilclll' 'lllÍ telJait de l'entraine-
;i1{':lt r/·yolutionnaire. L'::t';,'l'mbl¡;e eommenr;a par
C'lllíC'('nirer son actinll (lan~ un comité de quatre-
Yillr~·t:, m0 mhl'es, (hHi.hl;rnnt, :1, C(~ 'l1l'iI semhle, sans
(li~j¡lldi"!l rrnl'tlr(~s; pllí~ ',llc "ignifia, sous formp
de ],1'f)Hútes, se,; l'l.~"nluti¡)¡¡", 'lui furent : l'autoriL(:
rles Mats Melaree sOllyei':'¡nr en toute m2.tillre (1':111-
ministration el ele finalice, la mi.~e (,JI aecusatioll de
t()m: les cOllseíllcrs du roi, la (lrstitntioll en maf:S("


1. Aycc tont ce, les cllOvaliers el les écuyors qui retollrllé, étoicnt
de 1ft 1J:lt:li11e, en étoicnt tant ]w'is et Ei blanll~s ncs comn1UllCS qne
cuyis ils s'emlmtnicnt l;S hOIlllCS yillns. Si parlplnelltoicnt et 11l11l'Jllll-
roicnt :1insi les UIIS SlU' les antros. (Ch/'Ol/ir.Jw!S de Frúiss'1rl, L Icr,
2" l):ll·t:e, chal" ;;2.)




;;I~ ES SAl SUII L' HIRTOIRE DI! TIEHS f:TAT


des oiikiers de justice, et la créatioll d'llll ennseil
dé r?Cormateurs pris dans les tenis (miréS; enfin, la
derense de eonclure aucune tre\'f~ san;; l'assentiment
des trois etats, et le droít pOllr ceux-ci de se reunir
par leur seute volonté, sans convocation royale 1.


Le lieutenant du roí, Charles duc de Normandie,
essaya en vain les ressources d'une habileté précoce
pour échapper it ces demandes impérieuses ; il fut
contraint de tout ceder. Les etats gouvernerent sous
son nom; maís le désaccord, ne de la jalousie mu-
tuelle des ordres, se mit bientút dans leur sein. La
preponderance des bourgeois parut ínsupportable aux
gentilshommes, qui, desertant l'assemblée, retourne-
rent chez eux. Les députes du clerge tiurent mieux á
leur poste, mais finirent par s'éloignel' aussi, et,


1. Oruollnance da 3 mars 1357 (1356, viellx style), arto 1, 2, 5, n,
39,42 et 43; Recucil des Urdonna,,",cs ,les rois de Fra¡¡ce, t. III, p. 12H.
- 'IJ esmllt, enauit ~t enorta les u?putez <1cssusuiz ,t ce que H esle"s-
sent XXVIII perwnnes des trois estas, e'est assavoir : IV prélas,
XII chevaliers et XIJ bourgeois, qlli averoicnt tout le ¡;ouvcrucmcnt
au royaumc, qni ordelloroient la chnmbre de parlemellt, des cOlllptes
et.de touz antres offiees. et y metteroicllt telles porsonllos comme han
lenr scmLleroit. Et¡,",1' ce u1'pel't elercmcnt que le gouvel'llcment,
l'auctorité et la puissance ue gouvcrner le royaume il vOlllait oster
Illl roy et 11 monseigneur le UUC, ou an l1loins leur en vOllloit si petit
laissíer comme níant, cal', toute l'auctorité de fait foust :tus XXVIII
esleuz, et n'en cust le roy ne le une fors llom tant senlement, (Articles
contre Robert le Coq, éveqnc ue Laon : mauuscrit pllhliú par 11. Douet
d'Arcq, dans la llibliothéquc ue l'í,cole des chartes, to II, 1',365,
al't. 52.) - F,ooissart Jit que le conseil des étnls devuit Gtre compase
ue trente-six personLlos; l1luis une liste gU'OLl peut Clooire :wthentique
donne Ü, ce cansell trcllte-qn .. ).tre nlembres, savoir : six nobles, Ollze
ecclésiastiques et dix-sept Lonrgcois, Aillsi la représclltatiou ¡Jos
commulles s'y trouvait égale en nombre ,t eclles Je l:t lloulesse et un
clelog:é réullies, Voycz, ,hns le tOLllC JI ,le la l\ibliot!t¿"luC ue l'Í-:colc
Jes cltartes, le <1ocul11cnt cité I'ILls llnLLt.




CI!.\PI'l'BE II


~nus le 110m rl'états généraux, iIn'y ellt plus (lLW les
mandataires des ville~, chargés'seuls de tout le ¡¡oids
de la réforme et des affaires du royaume 1, Obéissant
ú un besoin d'action centrale, ils se subordonnerent
spontaJlement it la députatioll de Paris, et bientót,
par la pente de,s ehoses et par suite de l'attitude hos-
tile du regent, la question de suprématie pour les
ét8ts dcyiut une questiol1 parisienne, soumise au:.:
chilllces de l'emeute popubire et a la tutelle du pou-
voil' munieipal 2 , •


lei apparait un homme dont la figure a, ele no~
joUt'S, grandi pom l'histoire, paree qu'on a pu mieu:.:


1. 01' vous ,lis que les nobles un l'oyaume de Fl'allce ct les pr,,-
lals ele suinte óg!ise sc commcllcc'rent iL tanner <le l'e11lprise et 01'<1011-
¡,UlICO des troi5 ét.ats. (Cftronir¡ucs de Froissart, li\'. 1", 2c partie,
c'.ap. 62.) - Le lJUiticsme jOllr d'apres 1'0''1 I'an <1cssusdit, ftt I'as-
scmblée" Paris ues 001111e5 villes, mais il n'y 01. ancuns nobles et
pou y ot ue gells u'église. Et lons les jonrs assembloient et si ¡ce
poyaicut estre " aceort. Et toutes voies ,ils acmourerellt " Paris
jns'lucs an vingt·qnntriesme oa vint-cinqniesme jon1' ue janYicr.
(Chrollir¡lIrs de Sai1lt-lJellis, t. Yl, p. 80.) - Le airncnehe uevant lm-
resme prcnunt, onzicsmc jonr de février, se rassenlbll~l'cnt ::1. Paris
plusienrs des bOllnes villes et au clergié" l11ais il n'y vint nnl nohle.
Et par plnsicnrs jonl'llées so nssemllli'rcnt, si comme il avoient
accoustu1l1é. (lbi,1., p. ¡¡G,)


2, Le samcrli ellsn;",,,,!, vingt-ql1atriesl11e jon1' eluelit moys) fu
mOllscigllelll' le tille en la. cl1umbre de pnrlement, et avcc luí ancllns
de 5011 conseil l]ni Jni estoient uC1110nrés. Et lit allercllt it lny Jedit
pré\'ost et plllsicl11's antros :1\'oe lny, tant al'més e0111me non armés)
et reqnistrcut :\ 1l1Ol1scigllcnr le duo que il feist tenir et gardcr,
GallS cnfrailldl'e) t'jutes les ordcllallces Icsl]nelles aroient,csté faites
par les !l'o;s estas, 1'un précéJcnt) et qne il les bissast gOllverner, si
eomme aatrefois ayoit esté füit. .. et pour ce que le penple se tenoit
tl'QP mal eont"11l t1e monlt t1e choses 'luí estoient faites au conseil
de monseigllcnr le eluc CO!ltre ledil peuple, il vOlllsit l11ettre en SOI1
grand conseil tmis on qnatre bourgcois que ['en lui nommcl'oit, ton tes
lesl]ucJlcs ehosc3 lllonscigncur le dnc lenr oetroya, O],i(!., 11. 92.).




:íS r;SSAI S¡;H L' Ills'rolm: DU TIEHS ETA'l'


le eomprendre, Étienlle Marcel, 1I1'ev1\t (les mai'-
dLands, c'est-á-dire chef ele la mnnicipalite de Paris.
Par une anticipati()n étrallge, cet ecllevill du (iu::LtUl'-
zieme siecle a vou!u et tente eles e11o:3es (luí semblullt
n'appartenir qU·.allX revI)lutiollS lllotll~rlles. L"Ullite
socialeet l'ulliflJi';lliü; a(lmilLi"trative; les droits poli-
tiques étenclus it r8gd eles ,lroitti eivih; le principe
de l'autoriü~ plll11illlw tl'all~L~]'r'~() (le la eOUl'OI111e Ú la
natíon; les états SÚlcraux clWllgeS, ~ous ri;lfluenee
du tl'ui::iÍeme ordre, en repre:;;mtation nationale; la
volullté du pellpln aHnstr':e (:OI1l111e sUlIveraille devetnt
le iléposibire tlu lJlJUvoir royal 1 ; l'aetion de Pa]'i~
sur les provillces eomme tete de l'()pilLinn et ('¡mlru
du mouvement gl:lLeral; 1:1 dictature démnC:l'alillll'.
et la terreur eX()l'('l~e all IlOIll du lJipll (:ommun; de
lluuvelles cou!l~m'" Pl'jSI~,~ "t pUl'ü':e:-; cuillllW "iglLn
d'alliance patriotique et :symb'1lu de l'ewwatir1ll:; le


1. Et qualld 1c,lit [ll'évosl fu el] ¡'"lite ehalllhre, el plasienrs amil'ó
Je sa cOlllpai~lli(:! avec luy, il clit aw1it lnol:::,e~~ncul' le (blC (lile il
J1('. se mcist püillt ü. lUé::iai~e ele ce (PÜ 8sioit :1dn!lHl, e:!l' il :.l.':Ul~. b~l:.
fait üe la voleuté da pCllple: et pour esc!.il\\'iel' ~TI;;gllcllrs l'l~!·i¡·3."
Et rertuist ler1it lJrérost it lnül.l.:;ei~llelll· le lht~ (pIe jI Y()u~.si~: l\njlil~r
lec1it fait. (!t e:-,tl'C tont 1111 avr'c et~~;' . • :Ch, oHil//les el: ,"0' ¡d-l),',tI"l t. Y J,
p. 88 el U9.)


2. La prc!l!:i'I'C! Sl'll~nillG de' ja.~lyit'¡- cJ:r:;ni"fLllt, C~~llX. de Paris (Jl'(~C­
llt'l'cnt qu'ils anrclit'llt hlltS e11al'pel'1l1lS pfll':is de lY!ll~'(l eL de pt'l"S; et
fu CO'ilnnalldG 11,Lr 1('5 oste1s, de pHI' h~ j1,'t~\ uc.,t dvs lliftlTlJa:Jf:) qlli) ()~l
pl'cist teh ciw~)cr<l1!.s, ()bid., p. ¡J.) - Le prévust <.ks lll<.lrcit<ll:s üt,
les escltevüIs e!lYOl\\r .. :llt lcrtres ... loscs par les hr,1l1lü3 .,..i:¡c:, da
ro,\",l,,:1l11C,. pa,r h'SqiH.:;ll's il leal' faisoit ~avoir le f:lLt (lll'ils ay,líent
fait, et leal' l"C{l'd:;'uil'I:L qw.~ i1 se yonlsisscnt tcnir en \raie Ill:Joll
aycc CllX, ct q¡:e il YUl~1...,i~;~ellt pr01\1!l'C Jc lcurs chappl'l'Ok; ¡t:trtis
Jl~ 1)01'S nt de r0H')'C. ;.:j C01!lJilC <ly,fjO!lt le (lne tlc Xorlllt..:::di,~ ct 1'ln-
siel~rs U1IÜ'CS dn s~n'c lle Frai}('('. si eü1l111W esllites lctll'cS cstoit eU11-
teUll. Et en yéritt!, lediL lnullsl~¡,~~¡lenr le llne, le 1"0;: de Kay;\rre, le




CIlt1l'ITIlE IJ fi9


transpllrt de la royaute d'une bl'ane1w Ú l'antrn, (m
vue de la cam;() !le~ n~f()l'llws et ponr l'íuteret plé-
Míen l , yoilú lec; (\V('~ilelllellts et les Sel,lleS qui Ollt
dOIlllt) ú uotre ,..;iecle et au précéclent leUl' caraetere
politique: Eh hiell, iI y a de tout cela clans les trois
aJlll()",; sur lüsiluüllec; (lomine le num du prth¡(,¡t Mar-
ceP. Sa ('()ude et orag(;use carriere fut comme uu
essai plúnaturr; de.~ gr:llld~ (h,s~;eim ele la Pl'Ovi-
clellce, et COltlll!\; h, mil"Oil' de.~ ;,;anghlltécs peri]l,Hie:,; á


ilue (rOrléa!l:-;, f'rl'rc dudit roy <le Fruuee, et le eOlute \1'E~ta.ltlpc:-,
qlli tuus esto¡únt des flcurs de lis, portoicut Icsc1its c1J.appcroIls. (CII1'o-
7liqll('s de Saillt-fll'llis/t. \'1 1 p. 9"1.)


1. Le Jit roi de t-;<lvan'o "int on la maisoll ,le la vi!le et I'r("sclm.
et elltre. les alltrt'S C~IOSCS (li::;t !}llC iI ainloit 1l1onlt le royaumc ;le
Fral1e(~ e';; y estoit TI101l1t biel1 tC11l1, si e011ln'..c il <1ísoit. Cal' iI estoit
rles ilellrs tlo lis de tOU8 COSll~S, (:1. Cllst e"ü~ sa lni~re roy de Fr:1llcc
se el1c cnst esté hOlll:ilW; (':11' elle a \'ojt ps[ó senIe tillE' da ro\~ (le
Frnnce. Et si lni avoicnt les hOl1ncs Yillcs au royaume, p"r csp(,cial
eelle de Paris, rait tres grans biens et kms 11011l1onrs, lesqllcls íl tai-
soit, ct ponr ce estoit-il prest d(! "i\Te d .!p l1iOlll'i¡' avcc~ples enx ...
Si fn alors eslea 1e,lit ro}" en capita:ll ,le h "ille ele Paris; et ¡"i fll
(lit, de par le prévost des lllarcl:nll:=; de Pari;;;;, qlJe CCllX ae Pn.ris
escrirrDiel1t iL tuut(~S les lH)l1ncs ydl(,s dn l'oya,!1118) ¡din qnc ebascnll
S8 COli~cntist :\ Ltir,~ lc(lit roy capitain 11lli \"cr . .;al par tout le royaumc
(le Franco. (I1Jid.) p. 116.) - Pl'¡vjlosltus lllercatorml1, cnm n1ultis
UC ll1fljoribns ci,"iLus por '11105 tota cI\'ii:as regi vide1l:'1ttlr ..• lverllnt
ad rcgt~m l\avarr~D dOluillurn Carolmn ¡le Ehroicis, qni antea pOt' eos
tanqnam capitaneus VOC:.lrtllS fllel'at." orclinavcrunt secrete ut ÍtermTl
per ipsos vocaretur.,. et tU1lI1cl1l) ClH11 ipse rcx XaYm'r::,~ C.SSCL Je
lil1ca et prosapia regia, H(l Scclltl'lun rcg'nl(~ et n:gll::111 Francia:
Hsecll.1(>ret et rc~wHei. 1\mn dictllS rex :K~l\'¡trn:c acl Lec toti~) viri-
lms anllelalJfLt ... (Chroniq1..u's de Guillaumr: di' ;'yollUis: 2e continua:.,
t. II, p. 268 ct 269.)


2. 13;,(j, 57 et 5R, - Étienne i\brcd ell! I",m' associ<; ,];¡ns sa latle
contre 1e pouyoir, et dans s<'s projds (le r(~fl)l'mation, un me1uhrc
du clcl'gé, qui, par ::ion origille rt scs ~tlld(~s, apllal'tcnait ~l la. hOJl'-
geoisíe, Ilobe!"t le Cog, éveqllc de Laoll. jnrisle kLl,il", J'a]¡ord [I,"oeal,
[luís maUre aes rcquGtcs. et enlill l'l"úsi,l"nt ckrc an 1'"r1emellt.




(JO ESSAI sen L'IlISTOlllE DU TlEIlS ÉTAT


tI'aver:> lesrplelles, sons l'entrai\1mnent {les lIa~sions
humaille:'-\, ces desseins Jevaiellt ll1al'dlCr á lem ae-
eornplissement. Mareel véeut et mourut ponr Ulle
idée, eelle (le préei pite!', par la {'oren des ma!isC!s l'otll-
rieres, l'muYre de nivcIlement gracluel eommenee par
les rois; mais ce fnt SOll malhellr et son el'ime cl'aYdir
des convictiollS impitoyables. A une fouglle Jc tribun
qui ne reenJa pa" devallt le mellrtre, iljoignait l'in,)-
tinct orgallisateul'; illaisf;a, dall!i la gmude cité qu'il
avait gouYcl'llec d'ullc fa~(Jll J'wlcmellt abst)lue, des
institlltions forLes, de granels ouvl'ages et un nOI\1
que, deux sieel(~s apl'es lui, ses rleseenJants por-
taient avec ol'glleil eomme un titl'e di! lloblesse l.


Pendant que la bOUl'geoisic formee á la liberté
1l1unieipale s'élentit, rl'un élan souclain mais passa-
ger, a l'esprit de liberté natiollale, et allticipait en
fllwlclue sorte les temps ú venir, un spect:1c1e Lizarre
et terrible fut donné par la populatioll tlemi-sel've des
villages et des lwmeallx. On conllait h JacqneJ'ie,


1. Voyez l'lltslo;re de I fluid tic Filie de I'<lri,<, 1':11' ~L Leroil:{
de LiIlC)", liy. 111, chal'. r, 1" 5H :\ (iO - Si mil OUyrirl', en (t'une
'luan! qn'il en pul [woil' et rccouner ele touteó parts, et Jit fail'''
granas fossés ttntúlll' de Pal'is) ct pllis clIaing1cs, D11.HS et portes,
el y onvroit·on !luit et jour. et y ent le tenue d'nu an tous les
jours trois millo oun'ers. Dont ce fut nn grand fail que ue fermer 5U"
une auuée el u'cuelorrc tt avironucr ue toute uéf"t<se une telle cité,
camllle París est et ue tel circuito Et vous dis que ce fut le plus granJ
Lien que oBcques le lmhút Jes marchauds lit en toute Sl'I vie; cal'
nlltl'ement elle eflt été depuis eomue, g1ltée et ro'.'ée par trop de fois.
(Cltroniques de FrJiosarl, Ji\". 1, 2 e par ti e, Cll:\p. 60.) _. Dictes-nol1S
que pas uu des Cleres, Je Marle, Mareel, !le de~ floul'ci""<,,. soufTre
fIue l~ fils llnn ltnlien, el'un Anglois, el'un Lorrain ou Escon,o:.
se die aussi bon FmlH;ois que luyo (IJa yralld el loyal deeo;,., fidélile
(Jl obéi.5sallre de 'messicuJ's de Paris eUl'el'S le roy el COllrúlHze de Frailee,
pampMet contrc le cardinal Je GltiSC, petit in-8o, 1565, p, YII.)




l~IIAl'lTHE II til


el so:; e1fl'oyables cxces et sa repre:ssiun 11011 moiu,,;
eifl'oyable, Dans ces jours de crisc et d'agitation, le
Íl'J/llissemellt universel se fit sentir aux paysans et
rencolltra en eux eles passions ele h:üne et de veu-
geance amassees et refoulées rlurant des siecles d'op-
pressirm ct de miseres. Le cri de la France plé-
béiEmlle : « Les noules deshonorent et trahissent le
royaullle, » rlevint, S011S les clwulllieres du Bcau-
yoisis, un signal c!'emellte pou!' l'extermination des
gllntilsllOlllrnlls. Des gens al'me~ de bútons ct d'l
couteaux se levaient et marehaient en ballllcs gl'ossie;;
de proche en proche, attaquant les chúteaux par le
fer et le feu, .r tllant tout, llOrnmes, fell1Illes et en-
fants, et, cornme les barbares de la grande invasion,
ne pouvant di re ou ils allaient ni ce qui les poussait l.
l\laitresse de tout le pays plat cntre rOisc etla Seine,
cette force bl'utale s'organisa ::lOllS un chef qui oftrit
son alliance aux villes que l' espri t de rCf"orme agi tai t.
Beauvai8, Sen lis, Amiens, Paris et J\leaux l'accep-


1. ... Aacuncs gells Jes villes c1.;\1ll1'0:rc3, 53111! chef, s'aloc:llLJ,,-
l'Cllt en BCrl\l"oisin, et Be fUrL'nt l1lie CCllt l.oll:n1(!3 les pl'cllIicrs, ut
uirelll que tOLlS les lloLles dI! rOyHl!llle de Frailee, c!Jev,lli"r. el
écu)'pr3, ]Wllllissoicut ct tr<lllissoicut le rUyillllllc, el, que ce s<,rolt
gralld bien qui tous les détrlliroit. Et cLueull d"eux dit : {( JI dlt
\"Oir! il dit voir! ¡lOlllli soit celtli par qai il UelllClIl",ra 'lile tU!!S leo
gClltihhummcs Ile suicnt détrllitg! )) Lora ~e aS3c!IJ\Jl¡ rC1Jt et oS l.'ll
allerCllt satis alttrl~ cOllscil et sallS 1lullc:-; l\TllIlIrc.;, 101'5 (lIW de L:i:oll.:.
ferré, et ,le eonte,\ux ... Et mnltil'lierent tant que il, rureUl biea SI'-
tnillc; ct partout lit oü ils vClIoicnt, ]cur 110111U1'O croissoit; car cha.-
cuu de lellr semhlance les snivoit. (ChI"olli'lIlCS de Froi8Sarl, li\". 1"',
2' par~ic~ chal'. 65.; - Ma's ils 0toiclIt ji< tun! m:Iltipliés qllO, Ei iI
fnssellt tüllS cllscmlilc) ils CllSSClIt bien t~te CC:lt ,milllJ ]WrJJlIIll3. tt
quallu Oll 10:!1' dCUHllHloit pourquoi iIs raisoil"ut CO, :Is ré[1ocllloiellt
qu'ils lW savoicllt, luais ils Le vcoicnt aux a~ttrcs fail'~), si le faisuiCdt
anssi. (lbil1., clllll'. 1;6.)




62 ESSAI SUR L' HlSTOIIlE DU TIEIlS ETA';'


terent, soit comme secours, soit comme diversion.
l\lalgré les actes de barbarie des paysans révoltés,
presque partout la population urbainc, et principale-
ment la classe pauvre, sympathisait avec eux \. On vil
de riches bourgeois, des hornrnes politiqucs se meler
a eux, les dirigeant d'une part, et de l'autre les
modérant, jusqu'au jour ou ils disparurent tués par
milliers dans leurs rCIlclllItres avee la lloblesse en
armes, décimés par les supplices OH dispersés par
la terreur 2.


1. Et tirent Un C:1¡lltame que OH appe!oit Guillanme Cale, el
alerent a Compjegnc; lnais ccux de la villc )le les y ]Ilissit~rent en-
trer. Et depuis ils alerent a SenJis, et tirent tant qne ceux ,le hllite
ville aJerent en leur compaignie. Et a¡¡attirent toutes les forleresces
uu pays, Armenonville, Ticrs, et une l",rtie da eh aste! ue Beau-
mont-sur-Oyse. (CMonir¡ues de. Saint-Denis, t. VI, p. 110.) - Puis
s'assemule.rcnt autres paIsans en plnsieurs lienx en Bcn.uvaisis, et
ailleurs en France; et mesmes cenx de Bean vais estoient contre les
nobles llOJnmeS : et en mena-OlI plusicllr3 ¡, ncanvais, qni y furent
oecis par le consentement uu commun de la "ille, et aussi le maire
d'Amiells envoya cent hommes da eomm11n it l'aide des vilains.
(La Chromque de FhIndres, pahliée par D. Sauvage [Lyon, 151;2J,
chapo 94, p. 196.) - Plnsienrs 'lui cstoient partis <le la viII e ue
Paris, jusques au 110lnbrc de trois cens on environ, uesqnels gens es-
toit ea pita in un appelé Pierre Gille, espieier de Paris, et cnYÍron
cinq cens qui s'estoient assemhh's h Cill,r en lIIueien, <lesqllcls estoit
capitain un appelé Jehan 'lail1ant, }lrl~vost des lllOlllWics au rov ..
a10rent a :\feaux ... Et toutes voies, avoit lors poa <le villes, cit'és
011 antres en la Jangue d'Oyl qni ne fusscnt nwnrs contn' les gClltils-
]10111111 OS, tnnt en favenr de CClIX {le París qu; trop les haoiclIt,
conllne pour le mOUVClnent du ]?cuplc. (ChrOnÚ}I/CS de Saint-Deilis:
t. VI, p. 113.)


2. Et 011 ces assemhlées avoit gcns de labo1ll' le plus, et si y avuit
de riches hommes, hourgcois et autres. (I]'id., p. 112.) - LE ce
tcmp" "lerent CCllX <le Paris il Ermcnonvillc el assailli"ent le cl¡as-
te! et le prirent par force. VI estoit ltobert de Lorois, qui, ponr
penr tlc la lnort renia gcntillesse, et dit qn'il aimoit mienx la LOllr-
geoisie de Paris (dont il rstoit 11<'.) que cllc"alcrie, et par ce fut il
sauvé et sa femme et ses en[¡ms. «('ltI'Guiri"" de F[,uIJrcs, chapo 9-1,




CHAPITRE II 63


La destruction des Jacques I fut SUlV18 presquo
au¡;;sítót de la chute, dans París meme, de la revolution
bourgeoiso. Ces deux mouvements sí dívers des deux
grandes classes de la roture finiront ensemble, l'un
pour renaltre et entrainer tout quand le temps
serait venu, l'autre, pour ne laísser qu'un nom
odíeux et de tristes snnvenirs. L'ossai de monarchíe
démocratique, fonde par Étienne Marcel et ses amis
sur la confederatíon eles villes du nord et dtI centre
de la France, ecllOua, parco que París, mal seconele,
resta seul pour soutenír une double lutte contre tontos
les forces de la royaute.i ointes i celles de la no blesse
et contrn le découragement populaire 2. Le chef do


p. 191.) - Et aussi tuoíent les gentilshommes tous ceux que ils
llO'~úicnt trollver qui ;:voiont e51,(~ de ];1 cOlnpagJJie (les Jacqucs,
c'rst-it-dí1'e, dcs coml11l111CS qui "voíent tné les genstilshol11mes, lcm
fenll11CS et lenr enfans et "battncs maísons; et tant que on tenoit
ccrtainel11cnt que ren en ayoít bien tué dedans le jou1' de la Saint-
.Jean-Daptiste .-int mil et plns. (Chroniques de Saint-Denis, t. VI,
p. 117.) - Depuis ectte tlécollfitnre qui fllt faite i1 Meaux, ne se 1'as-
semble1'ent ils nuIle part; cal' le jenne sire tle COlley, qui s'appeloit
messil'c Ellgllerrand, avoit granrl foison de gentilshommes avec lui,
qui les mettoient iI fin padont oil ils les tl'ollvoient, 'sans pi lié et sans
merei. (CIIí c"iques de Froi8sart, liy. ler, 2e partie, ehap. 68.)


1. Les villng, .. ois son levé" s'appliquaient a eux-memes les sob1'i-
qucts <le mépl'is 'lile la Hoblesse .Jannait an pClll'le : « Tune temjlori,
({ lloLiles t1cl'isiones l1e fusticis et Silllplicibus faciclltes, vocabant cos
«( Jacque Bonhome. ») (Chrolliql1es de Guillaume de Nangig) 2e conti-
nua!., t. 11, p. '23IL) ....:.. l.e due <le No1'mandie ... s'cn aUa ;, Pl'o-
vills el... d'íllce vers Cliastcalltie1'ry et vers Gal1lJelus, 011 I'on
,lisoit 'ln'il y avoít gmnc1e assembléc de ccs coml11unes que ]'e11
appeloit .Jacqnos ]lonhmnmcs. (Chroníques de Saint.Denis, t. Yl,
p.m.)


2. La eOllvoc;ÜiOll ,les I'<:tats généraux i1 Paris pou1' le 7 T10velllbrc
1357 fnt ftit," comjnillt"ll1cn¡ 1'''1' le rlne tle N'onrutntlie. qui eX]l,·,Jia
ses letíres sous le seCall 1le la régence, ct par le Pl'l:Yút des lnal'-
chunds, qui ('xp(''1Ea lü., ~¡üJ)¡;e:'l S()US le SCCftU l1c la Yil1e : ( Et en-




f/'J. ESSAI SI'(I L'H1STOlHE DU TIERS ~:TAT


ct'tte nndaeicllSP entrcprise fut tlle an moment (11' la
pousser :'t l'extréme pt d'e!fwer un roi dA la bt'lIl'-
geoisie en face du roi legitime, ;\ n~e lui perirellt eellX
(luí ava~ent represente la villA (laus le c()n~eil de:,
états, et ceux qui l'avaient gouvel'llce commc cllf!fs
ou menenrs dll conseil municipal t. Descendn de 1[1.
position dominante qu'il :wait con quise prematllre-
ment, le tiers état repl'it son róle seculaire de labenl'
patient, d'ambition modeste et de progre s lents mais
continlls.


Tout ne fut pas perdu pourtallt dans ceUe premiere
et malheureuse epreuve. Le prince qui lutta deux ans
contre la bourgeoisie parisienneprit quelque chose de
ses tendances politiques, et s'instruisit a recole de
cenx qu'il avait vaincus. Il mit á neant ce que les


voia ces lettres aux gens d'~glyse, aux nobles ct aux honnes "illes,
et les manda. Et aussi envoia ledit prévost tles marchans ses lettr"s
anX dessusdis, avec les lettres dudit monseignenr le dne. 1> (Chl'O-
¡¡ir/ue. de Saint-Denis, t. VI, p. 62.)


1. Le meurtre d'Étienne Mareel, par Jean Maillart, eut !ieu le
31 juillet 1358; son frere Gilles Marcel, greffier de I'hotel de ville,
et Charles Toussao .. échcvin, comme Ini, rlépute de Paris ct membre
du couseil des éto.ts, furent, I'un assassiné le 31 jnillet, et l'autrc
tlée"pité le 2 aotit. Simou le Paonnier, Philippe Giffal't el Jeun 11e
l'Is1e, membres du cOllseil municipal, furent lués,.les denx premiers
avec le prévót, el le troisieme avec son frere. Cinq autres bourgeois,
conseillers on officiers de la ville, furent condamnés a mort el exé-
cutés la semaine snivante. Nicolas le Chauceteur et Colart ele
Courliegis, députés d'Abbeville et de Laon aux etats générallx et
mem bres du conseil des états, eurent le meme sort. - Plnres capti
sunt et qurestioniblls appositi, et iufm certum diem ud forum tracti
fllernut et jndicialiter decollati. Et isti fueruut illi qui cum Ime-
elieto prmposito villam uutca guhernubant et ele qnorum consilio in
omnibns agebatur; intor q1l0S !uerunt aliqui hnrgenses ml1ltllm
solemnes et eloquentes quamplnriml1111 el eelocti. ((,/¡rll"i(l"rs dr (;"i¡·
IU1C1np dp Nungi", 2" contiu'lnt., t. ]J, p. ~n:~.)




ellA PITI1E 11


(;tats g(~nr;ranx av[¡iellt arreté et l'avaient rOlltraint
de fail'c pour la rMol'lne des a 1)11:> , mais eette réac-
tiUll n'eut que peu de jonrs de violence, et Charles V,
(levenn roi, s'imposa de lui-meme une partie de la
t;)c:11e que, régent du royaume, iI avait exécutée mal-
gl'é lui . .son gouvernement fut arbitraire mais régu-
lier, écollome, imbn de l'esprit d'ordre et snrtout de
['esprit llational. Formé jeune :'t la patiencc ct ú la
ruse daus une situatiol1 clifficilc et périlleuse, il Il'eut
rien de la fougue yiolente ou c:hevaleresque de ses
devallciers, mais un sens froid et pratique. Avcc lui
la royauté présente un caractere nouveau qui la sé-
parf1 rlu moyen ftge et larattache aux temps modernes.
11 fnt le premier de ces rois venus comme réparateurs
apres une epoque de crise, appliqués aux affaires,
mettant la pensée avallt l'action, habiles et per~évé­
rants, princes émillermnellt poI it.i(pws, flont hl type
reparut plus frappant, sons eles asped::; (li vors, dans
Louis XI et Henri IV 1.
~ous sommes parvonus au point oú notre histoire


:<ociaIe, dégagée de se:" originos et complete dans ses
éléments, se déroule simple et regnliere comme un
Heuve flui, né de plusieul's SOUl'ces, forme en avan-
(:ant une seule masse d'cau contcnue entre les memes
l'ives. A ce point, lcs forces dont l'actioll, simultanee
ou divergente, a constitué jusqu'ú nos jours le drame
dAS changements politiques, se montrent avec leul'
caractere rlMinitif. On y trouve la royauté Angagée
sans rt'toUl' dam; la voie des tl'aditions ele l{ome
imperiale, sec:ondant l'esprit de civilisation et COIl-


1. Voyez ei-apl'i's, el,ap. III et VI.


4.




OG ES::;.\! sun L' 1l1S101RE DO TIEns r;TAT


traire á l'csprit de liberté, llovatrice avec lcutenr ('j
avec la jalcJilsie de pourvoir a tout par elle-meme; ][1
lloblesse garcbllt et cultivant l'hel'itage des mamrs
germaines adoucies par le chri:;;tianisme, opposant au
clogme ele la monarchie absolue celui de la souve-
rainete seigncuriale, nourrie d'orglwil <'Ji d'honneul',
S'i1ilpO:3~11lt lc devoÍl' du nml'age d cl'uyant qu'ú 811(·
senlc allpartielluent les clroits ]Jolitiques, égoú;te dans
son independ:mce et hiln tainü (lans ses rlevouernents;
,\ la fois tudJUlente et inoecupt"ü, llH;1I1'is,lllt le travaiL
pea curieuse de la scicnce, IÍ1ais coutriLJU:\ut al! ]l]'()-
gres eommun par son goút de plus eUllllls vif pon]'
les recherches du luxe, l'elogance et les p]ai~ir~ de"
arts 2 ; enfin, la bourgcoi:sie, classe mOyeJ1!le ele la
natioll, haute classe dll tier~i(~tat, sallS cesse augmen-
tée par l'acce"úoll des clas:-es iJl¡(~l'ieures et sans ces se
rapprochee de la nobles se par l'exfll'cicc des fOllCtiOIlS
¡¡U hliques et la richesse immobi]i(~re, attaché8 ú la
royautó eODlTne :'" la S0111'C8 de~ réCol'Il1cs et (lt~s muta-
tion" sociales, promptc á s:ti"ir tou::; les mOJen:,; de


l. Les pl'illCipcs du drOlt gcrmani,!tlc en l11aticl'c civile PCl'sistcn'ld
lOllg-tcrnps avc:c les mmnrs gcnnauiqncs dalls les familles llol)les ; 1('
LnrrJlIlwge ('talt i'llllll (l~s Ü'a~litl()lls de la cUllqncte. -Yuy~z les nl'-
f'llcrcl¡(':j llc ~\l. i-~:l()nal'J La.Lollln;ye SlIr la. COlirlitloll cl\'ile ct polit¡~
(lHC tt0& feülllles llcpuis les ltOlll:l,ll:S jHS\P~'¡l lWUS. - Anno igitnr
1\1 cee LYI íhstllS et (l:~solutio in 1l1ultis i,('f:,ouis llolli1ibllS ct llJilita-
J"llJll:; (r-',allI1)lurimnm illult~\·it. Kanl CllUl lmlJitus unten. deClll'tatos,. lit
supra dixi, et breves lliluis acccpisscnt, hue aUllO t[1,1)1011 wl1lllG
11Iagis se illCWpCfuut SllIllptllose ddorll1<l.rO, porlas et lllar¡2::1ritas in
capuclls et zollis dealll'atis eL ürgt.'llteis dcpol'tal'tJ, gCllllllis diYCl'.3is et
lapiJiuns prí..lcjosis se l~cr tOtlllll cluiosius n,dorllare j et in tallttllll S?
curioso OItlllCS, a llJagno prl'tio YCllLleb;ultur et vix Parisins l'0.tCl'Hnt
l"cprriri ... IllC(cpÚl'Uilt etialll Üllle gestnr,,' plumas ayi\l111 iu pil-::JS
fl'h1~1t:ltas. (r'hrO¡¡ÚjHf',.;: di' (i u i!1(1 11 1I,'r' rlr' SUII:Jis, '1 conti¡:1:at., t. 11
p. 237.)




CHA PITRE 11


~'(\[cvrr, tlJlItes les positions, les avalltages de lou[i'
sorte colleetifs ou illdividnels, applicluee á la culture
de l'intelligence dans les directions fortes et serieuses-
hahituellement r(~signee á une longlle attente du
mieux, mais capable, par intervalles, d'un desir d'ac,
tion immediate et (l'un elan revolutionnaire.


Voilú pour la societe; quant aux institutions, la
rOyfwte, dans sa pl'lJrog::ttive sans limites, les recou-
vre et les embras~e toutes, hors une seule, les ?bts
genéraux, dOllt le pouvoit' mal dúini, ombre de la
la souverainete llatiollale, apparait dans les temps
de crise pOUl' cond::tmner le mal present et frayer In
route du bien ú venir. De 13;);) á i 789, les état~,
qlloique rarement assembles, quoique sans action
réguliere sur le gouvernement, ont joue un róle con-
sidernJlle comInO organe de l'opillillll publique. IA~'~
cahiers des trois ordres furent la ~"urce d'oú, ú diíTt;-
rentes reprises, decoulerent les. grandes orclonnances
et les grandes mesures d'administration, et, (lans
ce rUe general des etats, il y eut une pal't splkiale
pOllr le troisi(~me. La roture eut ses principes qu'elle
ne cessa de proclamer avec une constan CA infati-
gahlA, princip(os nes rlu bon sens populaire, confor-
mes ú l'esprit de l'Évangile et á l'esprit du dl'Oit.
rornain. Le renouyellmnent des lois et dos rnomrs
par l'infusion de la liborte et de l'égalite civiles,
l'abaissement de toutes les harrieres elevees par le
privilége, l'extension du droit comrnun i tontes les
classes de personnes, tel fut le plaidoyer perpMuel
et, pour ainsi dire, la voix du tiers etat. On peut
suivre cette voix grandissant d'age en úge f¡ mesure
que le temps marehe et que le progres s'rlceomplit.




¡;R r:S~AI SUR L'HISTOIRE nu TIEIIS t;TAT


C'est elle qui, durantcill(l siedes, a remue les g'1':1ll(b
courants de l'opinion, L'initiative du tiers Mat en
idees et en projets de reforme est le fait le plus intime
du mouvement social dont nous avons vu, sinon le
dernier terme, du moins une phase glorieuse et Mci-
sive, mouvement continu sous d'apparentes vicissi-
tudes, et dont la marché ressemble ú. celle de la
maree montante que l'ooil voit avancer et recnler
sans e8SSC, mais qui g~lglle f't s'éJeYe tC1ujonrs.




CHAPITBE IIT


p~ TlERS ¡::TAT ~OCS CIIARLES v, CILUlLES n, ('ll.IHr,ES VII
F.T Lons XI


~fJ~nJ\IRE : La France dll Horel et la lj'rance mél'idionalr. - DonUe esprit Al
. o0I111]e tendance dll tiers étJt. - Hul(l. de la 11ourgeoisio parisienne. - Réslll~
tat~ dll regue de Charles V. - Ql1f'stion de l'imlJot l'é!;ulier. - Révolte dr.¡
lllaillotins. - Aholition de ]a JIlIlIlicipalité lilJre ,le Paris. - 50u l'ébb~h;::.('­
mento - Démag0p-ie lles cahochiens. - A tliance de l'échevinage et de l'llni-
\'t~t·sité. - Dernanlle tl'ulle grande rétnllne ~d!Uinbtrathr.. - OrdolHlancp
dll 25 mai 1413. - État des pays:lns, communes rurales. - Patl'i\Jli;;;1I1P
p0pn1a.ire; Jeanue tl'~\rc. - Hegne de Charles VII, ses cO!Jseillf'l's hOII:-
gro~s. - Ufcne de J.onis XI, 1:On C<lractÚf("'.


Les ctats generaux que j'ai mentionnés jusqll'ir,i
n'étaiellt pas tonte la l'eprésentation du l'oyau1l1c; il
yen avait une pour la Frallce c111 noru et du centre,
pout' le pays de langue U'Oi'! et de droit coutu1l1ier,
et une pour la France 1l1eridionale, pOllr le pays de
bngue d'Oe et de clroitécrit 1, Quoique rellnies simul-


1, Ce partage dn royanme en denx régions fl<lmillistratiYcs ama
jnsqu'n.u seizieme sircle; leur limite communc était lnarquée ele
I'onesl i. l'esl pUl' lfl Girondo, la Dorclogne el les fronlie,res Illéridiú-
nales do l'Allvorgnc et I1n Lyonnais, Qnoiqllc celte t1ivision répon-


. dit en générnl h celle t1es uialectos rOlDan s dn non1 ct dn miui el'"
cclle ue l'flncicnnc }'rallcc en dCllx ZOlleS jllricli~lIcS, il y ,wa.i!,
SO:I~ cltaclln dI' ces rn.ppnrts, au moillS HIle cxerptioll, cal' 1'....\ UYOr4




70 ESSAI SUR L'HISTOlnr; HU TmRS ETA1'


tanément par. la mrJme nntoritó, et quoique g('lW-
rales c!'une partcomme d(~ l'nutl'e, ces assemblées
11e jouercllt lllJint le nj(}me ¡'(Ile politique, et l'llis-
toil'e ne peut lcur accol'uer uno (igalo import~Ulce.
Le noru et le midi de la Frallcn n'(\taient point, au
moyen ¡lge, dans la móme situfltion sociale; le midi
était plus civilis(~, plus pr()sp(~r(', (~t gouvernó moins
uiroctement; lú, suusistait, mienx cOllservée, l'ell1-
pl'einte romaina dans les nw:ur:-: cOll1me dans la
langue; l'osprit municipal sontenu par le nombre ot
la richesse des villes y gardait mielE sa force et sa


natura. Les révolutions administrativos, ks cniations
de la roy:wté se faisaient au nord et n'arrivaient
que par contre-coup daus le midi. Il en était (le
ll1(\me pour les courants de l'opinion publique nés
dan:; la FI'auce cnntnll1i(~re dn conHit (les classes
rivales cm pU118miec:: d dns grallrls corpc:: de l'1~t:1.t.
Toujours d'un cóte et de ],~\Utre, il)" ilvilit un(;
sorCe de di:<sowUlce (bns les sentimpnts et drl.l1s les
actes, et la traee S'Oll ost conservée jns(]u'au sein (le
l'unité moderne. De 1ft resulte la nécessité de bomer
le theitltre de eeUe histoire qui rloit etre une et
:<imple pour Mre clairo, d'Ol\lottrn des faiis enn~idé·
raLles, mais sans portee ult(ll'ieure, et de negliger
le pnys nú regne plus de libertA, nn droit plus
équitable, Ulle moins grande in(;galiü; des COlltli-
jjpns et des p8rsonnes, ponr cl'lui 01\ le dr':sorclre
social est exccssir, rnais oú se jeUent les fondements
de l'ordre it venir, et ou so passcmt ln~ faiis quí


'gne (dnit 1,[1;"s (le 1~~1];~1l(' l,i("·rj.1imwlc. <'i le L:'(iilll:lis p~lyf:, de (lroit
e<:.-it.




CflAPITHE llf 71


mal'ljuent la sÚl'ie dc) nos progre s ci vib Ht puliti-
queso


Le tiers état lluisait sa rorce et son espeit ú deux
somces diverses : rune multiple et municipaJe. c'e-
taient les elasses commer~~\l1tes; l'autre unirpw et
centraIe, c'était la classe dos officiors royanx de
,iustico et de finance, dont le nombre et le pouvoir
augmentaiont rapirlement, et qui, saUl (le rares
exceptions, sortaient Lons de la roture. A cette double
origine répolHlaient deux catúgories d'idées et (le
sentiments politiqllAs. l/esprit de la bourgooisie
propremont elite, des oorporations urhaines, était
libéral, mais étroit et imJl1ouilu, attaché au\. lr<ln-
chises locales, aux droits hérúditaires, ú l'exis.tence
iIl(lc~pAJl(1ante et privilégiee eles municipes et des
cOlUmunus; l'e:,prit rles ('o1'ps jllíliciaire., et arlmi-
nistratifs n'arlmoUait qU\lll droit, celni de l'i~bü,
qu'une liberte, celle elu prince, qu'un intél'et, celni
de r()nlrr~ "ons une Lutülle ausolue, et lem Iogique
neLlisait pasaux priyilé'ges de la roture plus de gri1ce
qu'á ceux (1(" la lloL1esse. De lú vinrent, dans le
tie!"::> etat rntll~ais, dUlIX tencbnces divergentes, tou-
jonr,; en lutte, lllai.~ l'l)V)JlrlanL toujours ú, uu meme
objet tinal, d 'lui se wlllllérant rUlle par rauh'e, se
COllllJillallL suus l"illfluellCU d'idées llouvelles plus
haute,; eL plus gl;lli~l"()ll~es, ont dOlIllÚ it HOS l'eYolu-
tiOllS, tlepuitl le tn,izi¿'me siccle, leur caractere de
mnrd18 lcnte, mal'; t()ujunrs SÚI'(), YÜrs regaJit(') ei-
viquu, l'ul1i(e lIati<lil;du et l'ullitc ¡['administratioll.
Un autre fait llon llloillS caracdristique et aus:-:i
ancien dans notre histoire, e '()::;t 1(" rrJle pal'ticul iur
de la uourgeoisie pal'i"ielllw. Paris était la ville du




72 ES5AJ SUr: L'lilSTOlflE nI) TIEIIS J:TAT
gt'alld \.:ommerce et (le" g¡'allfk" illstitntiollS SCWll-
tifÍlIue~, l'adivite intellectuelle s'y dáplo}ait plu~
largemellt que dans aueune nutre "i!le du royaume;
l'esprit public s'y mOlltrait :'t la fois municipal et
g'~Jléral. Oll a vu le peuple ele París figUl'er eomme
chef ele l'opinion militalltn (hus les tentatives démo-
cratíques de I;{ti7; on le retrouvera de me me it tontes
le,.; éjloques de erise social e, sous Chal'les VI, (tu temps
(le In Ligue et elans nos revolutíons model'Jles,
dOlluallt l'illlpulsioll au progre s et au (lesordre fata-
lemcut melés ensemble, .


Je repren(ls le fil dli récit <lU regne de Charles V.
Ce prinee recouvra une ú une les portions (!t\mem-
brees ,üu royaume; il rendit la France plus fOl'te au
(lehot's, et au deuans plns civilisée; il fit ele grandes
ehoses en dépensallt beauenup, et tronva le m0,rr,n
de lever plus d'al'gent (Ino ses predéeesscurs, sallS
reeouril' aux etats generan:\. et sans souloVGl' de rt:·
sistances; tont resta calme tallt que sa maill fut lú
pour tout concilier ot tout regler, Il établit, sons le
nom d'aides ordinaires, la permanenC8 de l'impót,
violant du meme coup les franehisos féodales et les
franchises mnnicipalc:-<; il le fit avec decision, mais,
ú co ({u'jI sPllllJle, ayoc scrllpulr" et il en cut LIt!
n'g'ret á :-iUll ljt de Illort 1, C'était, eH dfet, (lUl']C¡IW
011 1)':0 (le gl'aYo et de tl'iste: la royaute se tnmvaiL


1. D,~ el'·;; :liJe:; tlU rcJya~.llUC de Fru;.co ovul les pOVll'.:i gCl:s
"-out taut tra,"aillés ct g~'C\ és) llSCZ-Cll en vostre cUlI:.,cicnee ct les
utez all pLJS trlt 1.}1IU \'U115 pourrez; cal' ce sont el.osQs} qnOi(pll' je
les uic sontcull.c.;, qni lTJoult me grevcnt et poisent en coul'uigc.
(l:'arolcs uo Charles Y 1Il0m"lut, C1t1'oIlÍl¡ues de Fl'oiosal't, liv, 1I,
chnp, LXX,)




CIIAl'l'rllE III 73


pour la premiere Íois en opposition avec la bour-
geoisie; le l10uycl orelrc mOllarehique etait divisé
cOlltre lui-meme par la questiol1 de l'impot régulier,
question vital e qu'il fallait résoudre, et fluí, tí l'avé-
nement dc Charles VI mineur, ne pouvait l'etre ni
dans un sens ni elans rautre.


L'emotioll qu'avait lm·cluite la J1(nIyelle eles pa-
roles de repentil' attl'ilmées au roi eléfunt ne per-
mettait pas de continuor d'autorité la levée des
subsides genéraux, ui d'cn cspél'cr la C0l1c8ssíon par
les trois états réunís. Les tuteurs du jeune roí
essayerent, comme moycll tcnDe, eles eonvocations
de notables e.t des pourparlers avee l'échevinage de
París; mais il n'en résulta rien qu'un surcroit d'ef-
fervescence populail'e et des llwnaces el'emeute, en
présence desquelles l'echevinage prit de grandes me·
sures d'armement pOUl' le maintien ele l'ol'dre publie
et la défense des lihertés de la ville '. CeUe attitude
de la LOlll'gcoisie parisicnue parnt cluelque chose de


1. Ccpcn<bllt les princes et Jnes cop:noissflllS la pauvreté Jn dó-
mú.ine ct qn'il 110 pou\'oil sl!f1irc allX c1IOses urgentes ct néccssaircs,
Hs¡cmbiercllt Ul,C pn rtic des plus notables de Paris; et ftlrent assez
cóntcnS <]a'ol1 mist Jonze Jeniers pOtll' livre. Et fnl !t Paris et iL
l1.ollCn crié ct ,\ Amiens; mais le pcnp1c tout ,rune volonté le COIl-
t¡,edirent, et 110 fnl rien levé 110 exige. (/lisloire de Charles VI, par
Juvenal des Ursins, nouvelle colleetion Je 1Ilémoires pom servir iL
l'Histoire de Franco, t. JI, p. 343.) - Lesr¡uelles déIllollstranccs ils
prenoicnt en grande impatiellce, et 1'0putoient tons cen" qni en par·
loient enncmis <le 1" chose publir¡ue, en ronclnant qn'ils gal'<lel'Oicnt
les libertp,z eln pouplo jusqucs " l'cxpositiol1 de lenrs biens, et prin_
drent al'murcs ct lw"bilkmclls (1c gllcrre .. firellt dixollicrs, cinqlla.IL
teniors, qnn.rtenicr~J n1i1'ent chnisnefJ par la. yiHe, iirellt faire gn('t
et garde anX portes. Et ces choses se Jiúsoicnt pl'esquc par toutes les
villes de ce l'oym'l1le, et ,\ cc faire commc:Jci'rcllt CCl1X Je l'aris.
(lbi,J., p. 341l.)




74 ESSAI SUR L'HISTOInE j)U TIEnS ¡;TAT


si redoutable aux princes gouverllallts, (lue (:l'll\-('1
rendirent une ordonnance a bolissant ú pel'Jlé luiré le:-;
impots établis, sous quelque llom que ce rúL, d\~pub
le temps de Philippe le Bel l • 11 leu1' fallne dé~, lul':'
administrer avec l(~s seub prouuits uu domaiue l'()yal,
et bientOt, ú bout de ressources, íls se décidel'(~llt
timidementA frapper d'unetaxo lo" mat'cllamlise: lk
toute sorteo Ce fut le signal el'une n\belliull m'n}(~c.
Le bas p.euple et les jeunes gens de Paris, forput
l'arsenal de la ville, s'empar8rent des maillets de
combat qui s'y trouvaient en graud llun¡])l'e, et cuu-
rurent sus aux fermiers de la taxe, aux collecteul'~
et aux officiers royaux, massacrant les uns et for-
~ant les autres á s'enfuir. L'exellllJle de Pari~ fut
imité, avec plus (In !11oin::.: de y¡nlmwe, II:ms In,:
principales villes (les provillce~ du ('entre et rlH
norcl 2 •


Cet esprit de résisümcn de la iJuul'guoisie {remo:;,i"
était elleouragé par de::.: 0véllelll(!llts (!xiérieut',';, 1I~1]


1. AVOllS y'uictié, remis et annlllh\ pt pftr e0S prÜsclltes qllictul1s,
]'C111etto115 et annullou8 et mcttons dn tU;lt an néant toU% aides ct
snbsides quelxconques quiJ pon!' le f:tit d('saieif's ~llCrre;:i) 01lt eSh~
i111pOSeZ, cuilliz et levez depuis lIostrn lJi'<'·(ll"t'CSSClll' le I0y r}¡iliJfL:~"
que Die\[ absuil1c, jnsqucs ltujúllr,l'lllll. Urdollilallcc dn lii llO\"',Il-
bre 1380; Recnd! des 01'dOnnaHccs des ('¡lis de Fr¡ui('l), t. VI; p. :>:1:1."


2 .... Et tn.1JtOSt :par tonte la villu l(~ llil'llll lH~l1p1l: f~'t:~SI¡iUlLL,. 11:;.
scenrent que en rhostel de ·Vil1e a,voit (h') hal'llOis. il:-; y aUi'fClJi <;t
rompin..'nt les huis oil eSLoicut les ehose,-; ¡,our L~ (li'.¡'~llSU de L;, Yll~·,,,
prindrcnt les harnois et grande foisnll de lnn.illets ,jo,: p]Ui:l!¡ l< ~~ V!l
all('l'ent par la ville, et tous ccnx qn'ils trollYvi('llt r'i·;llier, de:; ,,<-,
des OH qui en estoieut SO:lp(;Ollnez tnoic:IL l't l11,'t1;¡:('li'L ;'L 111(Ji'L ]I~::"]j
crllellcn1cnt. (llistoirc dI" GIIa,de., VI) 11:11' ,]llvGll;tl rll:':i t-rsil:S; ~'í(>
moires) etc.} t. 11, p. 348.) -- F~lm()siorrlll civit:Üt'lrl rt..':'-',"Ii s~\lll1l: t~:r
creterre ... (Chron-iqw;,s dn 1·r:li(jil'lu· Ile SU;¡¡{-/ll'fli,;¡ t'r-lit. d(~ ;\f. ]~l'¡la­
guet, t. 1, 1'.1311.;




CHAPITRt; lli


l'exmllple ¡le la viHe d(~ C;~lIld, (111!, Ú la t~Lt; ¡['llll
pm'ti ti)1'l1l(: J:u101c;:; <.:omIl1n1l8S de Flandre, sontenait
la guel'l'e cuntre le ~OUVel'aill du pay~, au llom de:-;
lium'tl's mUllicipales, EntrA le;:; Lourgeois ele Fran<.:e
ot les Flamanrls illsurges, il y avait, llon-suulemellt
sympathie, mais correspondance par lettl'es, avoc
prOlne~se d'ef!<)l'ts mutuds pUlU' le ~mcces d'une
meme cause, ot, d::lllS cette eause, etaiellt cumprises
la dt'í'en"e des pl'ivileg(~,~ JIJean;.;: contre le pouvoir
central, et nlO;:;tilitü de" (~lassus l'oturiel'es GOlltre la
noblesse 1, La questioll ain~i posee reunit tlans uu
intüret <':OUlIllllll la l'oyant(\ et le barOlllUtge, mal
disposes ;, s 'entendre sur le fait de:> impots leve,')
san:> demande prealaLle et sans octroi. Un gralld
coup fut ll'appe en Flandre par ríntervention d'une
armée frangaise et de Charles VI OH per:,;onne; Gette
eampaglle vietOl'ieu::;e, qui eut raspeet ot le sens d'Ull
triomphe de la lloLlesse sur la roture, amena au 1'e-
tour, <.:olltre le:,; villes <.:oupables do mutinorie, une
suite de nWc;Ut'm; vi(¡JeJlL(,~, Ol.t la. vellg()alln~ tlu ]JUU-
voir fut ltll,lee <le l'eadioll ari:,;tuGl'atiq ue,


], :::ic iem\'l'a:'I.\lIll :lUSlllll 111"ji~jJ~lHlll ... tcee il)~u~ lJolnl1ns j' l"al¡'
l'Le aSSlllllpS(~~'ai) 11('0 luil!01'i ¿lgiLL]¡aLllr furia, et, aL Lllla puLliea
retcrclmt, ller FI:ullingos, qllL pcstl· SilUilis rebellionis lalJOralJa1111
llUllCiis et apicilms cxcltatns ... (Ch'1'(JJliljtWS du n:liuie/u de Sl1ill{-
D,,,i,,, t. 1, p. 13:2,) - Et Oll l:1<litc ville (Conrtnt)) fllrcJlt troll\ús
lettros (pte ecux ele la. "i11e (lr. Paris avoicnt CSCl'lt <tllX Flall181b tri'f,
mam'aiscs et séditieuses. (/listoire de ChrL1'les VI, 1'm' J llvénal des
Ursins, :\lémoires, etc .. t, n, p. 356.) - Parcillcl1lcllt it RcilllS, it
Chalons eH Chanlpagne pt sur la. rivierc tle :Jlarnc, les vilains se ;;~
belloient et menH<,'oicmt ji, les (iontilsllOmmes et James et ell~lls, :'.
aussi bien" Orléaus, h Blois, it Honeu, en NormanJie et C11. Bea\-l-
voisis 18m doi! le diablo cutré c-n b t0le [l0ll!' Lout occirc. (CI¡i'(mútue~
de Fl'oissart, liv. 1I, chapo CLx..'(XV nI,) , '




76 ESSAI sen 1; lilS'l'OlllE De TI8l:S ETAT


L'armee royale fit son entt'ee á Paris commo dalls
une ville conquise, brisant les banieros, et passallt
sur les portes abattues de leurs gonds. Le jaur
meme, troiscents personnos, .l'iHite de la bourgcoisie,
furent arretees ct jetees on prisoll, et, le lelHlelllai lI,
les libertes immemorialcs de la ville, sun échoyi-
unge, sa juridiction, sa milico, l'cxistencc indép(m-
dante de ses corps d'arts ct métiers fu ront abolis par
une ordonnance du roí 1. JI Y eut do nambreuscs
cxecutions a mort, et cutre autres celle d'un ricl1e
marchand qui, jenne, avait figul'() dans los érncute$
de i3ti8; puis un acte de clemcllce, commuant, pom
le reste des detenus, la peine criminellc en peine
civile, frappa la haute bourgeoisie pari:,ielll18 rI'a-
mendesequivalallt presque á la confiscatioll des biens.
Hnucll, Amiens, Troyes, Ol'leam, Hoims, Uhú]ons et
Sens furenL pnnies ele méme par la :mppressioll de
leurs elroits municipaux, par dos supplices, eles pros-
scriptions et (les exactions ruineuses. L'urgcnt levé
ainsimontaitá des sommes immense:-;, mais le:-i princo:s
et les gens de cour pillerent do telle sorte (1 u'il u'en
vint ras le tiers au Ü'éf'or 1'0,)'al~.


Vingt-neuf an,., so paf'St\l'ont durant ](~~(llle],;, aux
tlesot'dres el'une adll1illistratioll sans regle::;, aux dila-
pidatious de tout geme, on vit se jOilHll'o la folie c1n
roi, les querelle,.; des princes, la guerra ci"ilc ct


l. Chronir/ucs du rcliuir!l l' de Sain{-f),"lLis) t. l\!r, p. 230 ct bltlL
_ UrdollHflllce dn 27 jallyicr 13H3 li3B:!, ViClU' sl.)'le!, licctlril dco
UrdolOwnces des rois de FI'fUtcc) t. VI, p. 6B5.


2. (f¡roni(I!lC~~ (/It rC{;!liet1.1: ,Ir: 5':ainl-l)¡!lIis, t. ]e1', }l. :¿,in et slIiv. -
( ItroHi'JIIC.) dI) ¡:r()i.~8rtrt, li\r. 11, chapo ccv. - l/i.~fIJi¡'(· I/r ('h'lrlc,',' VI,
par Jnvénal des U"sins, Mémmres, etc., \. ll, 1'. ::l.37 el5lliv.




CHAPITRE III 11


hienti¡t l'invasion etrangere. La reaction de 1383
anlit /'ait a la haute bourgeoisie des plaies heallcollp
plus profol1(les que celle de 135H. eeHe-ci l'avait
frappee simplement dans ses ambitions politiques,
fautre l'avait appauvrie, dispersée, prive e de son
lustre et de son influonce lH:réditairé. La ville de
Paris, entre antres, se trouvait d8chue de deux ma-
nieres : par la pe1'te de ses fl'anchises municipales et
par la ruine des familles qui l'avaient gouvernée et
conseillée clans le temps de sa liberté. Cet abaisse-
ment (lo la elassc superieure, composée du haut né·
goce et du barreau des cours souveraines, avait fait
Jl1()IlÜ~t' d'tlll degrt\ la dasse intermédiaire, celle des
plus riches pal'mi le,; hommes exer9ant les pro-
fessiol1s mal1uelles. elasse moins éelairée, plus gros-
siel'e de mU'ul'S, et Ú fJui la force des choses donnait
maintenant l'iniluence sur les affaires et l'esprit de
la citt~. De t'L vint le caractere de démagogie effré-
nee que montra tOllt (1'Ul1 COttp la populatiol1 pari-
sienne, 10i'squ'cn l'année H12, ayant recouvré ses
f'r:mclti>:cs et ses priviléges, elle fut appelée d(~
nOll\'ean par les éVt:nements á jouer un r¡'¡]e poli-
tiqlle 1.


1. Libere l1l'bis <llltiqllum 1ibel'tatem restitnelltes ... (Chrnniques d ..
rrligietlT tie Su¡lJt-Denis, t. IV, p. 606.) - I.'cmpesehemcnt et main
mise ... par 11on3 mis es dicte prévnsté des rnarchans, eschevinagc,
clergic, luaisol1 Je la ville, })arloni>r U.llX bourgeois, jurisc1icion, coher-
('iOll, privil!~ges, rentes, revellllCS et uroiz appartenans d'ancienneté
tI ycellc prévosté eles marclmIls, cschevinuge et clergie de nostre
dicte bonne "ille de Paris, aVOIlS le",; et osté, 1evoIls et 08tOIlS a
pluín, de nostre certaine scienee et pmpre mOllvement. (Ordonnance
de Charles VI el" 20 janvicr 1412 [1411, yiellx st~'le], Rerueil des (Jr-
donnnnces des j'ui' de Fralll'f, t. XI, p. 66R.)




7R ES SAl SUR L' HISTOIRE m: TIERS ]:;1'AT


L'un des princes qui c;o dic;putaiont i main armpr,
la garde et le pouvoir du roi privé rl.e sen s, le (Inc (1("
Bourgogne, pour accroitre ses forces, s'ébit fait
l'allie de la bourgeoisie et le rlM'(m,;enr (les int(~dh
populaire3. Cette pnlitiquo lui r(;nssit; iI <lr,yint
maitre des afi·airc~. et le rMahli;,::-:ollwnt (le la viril],'
constitution libre de Paris fut :-:on ollvrage, Repril'C's
apc(~s une 8USp(~nsÍ(\n (le plns d'lln qnart rJ(> ~i(~clp,
les (~l(~ctiom: nlllIlÍcipnl("s donnerent un (ichevinage
et Ul! conseil de vi!lo presqno ontióroment formés (le
gens de m(~tier, ot oú (luminaiollt. par la popularitr
jointe a la richesse, les maitrm-: llc)]1(:IlAr;.; (10 b
grande hnucherie et de la hOllelwrie Saillio-(;('llr-
vieve. Ces hommes, clont la prof81'~ion allait de p(\]'()
8n fils c1epllis un temps imnHimoriaI, d pom' (j1!i 18m's
¿taux etnient une SOl'tü rlnn('f>,. :lyaiellt :mt01!l'
d'enx une clientelc h(\r(~ditaire de valnü; qÚ'oll nom-
nmit úcorcheurs, clasf;e nhjecte et vio]rmte, tontt~
dévouée it ses patrons, et rer1nutable Ú quicOJ1(lue 11r
serait pas de lem parti rbm.; 1r gOllvcrnement llOll-
veau. Ce gouvernmn('YI t el! t l'aJl'prtion (In ltlnnu penp](:
et devint un objet (l'effl'oi pour la bOll1'gelJisie (,Oll1-
mnrsante 8t pour en (luí ]'esi~lit de 1';lI11íl]e;' ¡]("(·(\l'(~e,.;
r!'une ancienne notahilitl:. Anx p~I:.;:.;j()n~ (In ]1:1]'Li
qu'on appelait honrgniglllJll il n,.;:.;()('in 1m, Ví()]Cll(,(,~
dr:mng'ogirll·WC:, et l'autOl'iü:, S8 faÍsant iSout(>nir par
des ("mentes, p:1SiSn, bient('¡t, dn ('()nseil de ville :', la
multituclc, des m::dtl'rs ]¡ol1r:lH~t':.; :tux (;corehenrs.
L'un d'entre eux, Simon Ca}¡oche. fut. l'homme
¡]'nction de eetln ,;p('oll(ln (!porIUe ri\vnlntillllnail'i' :'t
larl1wlle son 110m (Imne\ll'I' attaehé, ot oú l'(',;prit do
rél'"rmc de ,! T¡7 l'('pnnn 1] n mil]) 'Pi! I [i( lil l' <' I ,'(' ;1ll<~i t '''1




CHAPITRE III 79


compr(\mi~ par 1m: actf~s sfmvages et ignohles de la
fadiol1 ~ur laqunlle il s 'appllyait l.


lei se l'eJl(;ontre un fait dont le triste exemple a
repnru dan¡.: nos troubles modernes, celui d'une al-
liancn poli tique entre la classe lettrée, les esprits
spécnlatifs, et la portion ignorante et hrutalement
paSSi0l1llé(' (Iu tiel's état. J)am: la municipalité de
Paris, en Hi:{, ,Tnan dn Troyes, médecin renomme,
homme d'eloqnence autant que de savoir, siégeait ú
cúté des hOlwhnrs Saint-Yon et Legoix en parfaite
communion de sentiments avec eux 2. 13ientót le corp¡.:
sav!tnt par excpllellce, l'uniwmüté, r-;'autorisa d'une


1. Et ponr vrai, il faisoit en ce tcmps (1411-1412) tri's pén'ill,~ux
en ieelle ville pour llohles hommes <le (luelque pal'tie qu'ils fnssent,
paree que le pClIple et "omrnllll desslIsllit avoient grand' partie de
la tlomillation ue,lans ieelle. (ehroni,!"cs ,l'Enguerralld de lIIon-
strelet, .'Jit. Huchon, Pa"th,on littimire, p, 202,) - A la fin cl'avril
et an cornmcnecl11cnt de may (1413), se mirent sus plus fort que
devant. mescbantes gens, trippiers, houchers et eseorcheurs, pe1le-
tiers, coustu1'iers et ,,,,tres p'lllvres gens ele bas estat, qui faisoient
tle trl'S Ínhunutincs Jétc.~ta1.1es et <1éshonnestes bcsongnes. (Histoire de
Charles VI, p"r ,Tnv"'nal ,íes lirsins, Mémoires, etc" t. II, p. 481.)
- Et c5toit l'iLi,\ de yoi1' et 59"yoi1' ce que faisoient 1esclietes mes-
ehantes gens, lüs,!uels on llOl11111oit Cabochicns a cause cl'un escor-
chenr Úe be:.:trs, ~;Pl!I~1l(: ('alJoche, lilÜ estoit 1'1l11 c1es principa.ux capi-
taines desclites !l1('schantcs gens. (Ihid.) - Ils alloient par Paris par
tOllrbes et Il,\laissoient lems mestiers. Et ainsi, pnisqu'ils ne ga-
gnoicnt riell, il ¡;.l!oit qn'ils pillassent et desrobassent, et anssi le
fúoient tle lem Hucioritó pure et privéc. (Ibid., p. 482.) - OIl
p1'enait gens al1s'luds 011 imposoit avoir fait qllelquc chose dont il
n'esto't ríen, et falloit qu'ih 00m}105aS5ent fust <1roit fust tort iL ur-
gen! qn'il fctlloit qu'ils baillassclll. (Ibicl., p. -183.) '- Et s'ils ne
prcstoient promptement, on les cnvoyoit en diverses prisons, el
mettoit-on sergc¡¡s en leurs maisons, jllsques ¡¡' ce qu'ils Ollssent
payé ce qU'OH lenr clemanlloit. (IlJitl., p . .til,!.)


2. Et prxcipup qnitlam mediells famoslIs, yocatus Joanl1es <1,'
Trecis, vir cloqllells et astutus ... cnjns eonsilio llsi semper fncmllt
in [tg:c~](Es. i,f'/¡)'()!¡[ljilt'S dI! 'l'I'tiUi('(/ I de ,,",o/¡Il-iJcllis, t. 'V, p. 8.)




80 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


assemblee de notables, inutilement convoquée, pour
elever la voix, faire des remontrances et demander,
en son propre nom et au nom du corps de ville, le
redressement ues abus et la réformation du royaume.
Dans l'idee, it ce qu'il semble, d'associer pour cette
grande tentative toutes les forces du tiers etat, elle
invita le parlement a se joindre a elle et aux ci-
toyens de París, afin d'obtenír .iustice et reforme;
le parlement refusa, l'heure de l'ambitíon n'etait pas
venue pour lui, et du reste il ne voulait pas se com-
mettre avec des théoriciens sans pratique des affaires
et des démocrates de carrefour. « Il ne convient pas,
« répondit-il, 11 une cour etablie pour rendre la jus-
« tic e au nom du roi, de se constituer partíe plai-
« gnante pour la demander ... L'université et le corps
« de ville sauront bien ne faire nulle chose qui ne
« soit a faire '. » Mais l'échevinage et l'université
ne reculerent pas; celle-ci demanda qu'un jour fUt
assigné pour que les princes et le roi lui-meme enten-
dissent ses remontrances, et, au milieu d'un 110m-
breux concours de bourgeois de Paris et des pro-
vinces, elle parla au nom du peuple par la houche
de ses professeurs, dénonga les griefs et proposa les
remedes comme l'eut f'ait un pouyoir politique, le
grand conseil de la nation 2,'


1. Registres un parlement, eités par M. de Barante, lJislo¡te
des ducs de Bourgogne, 5" édit. t. 111, p. 299. .


2. Rex ex deambulatorio ambiente curiam sancti PauJi ... cum aula
regia tantre capaci tatis non esset quod posset accedentibus locum
dare, venerandam Ulliversitatem et cives parisienses audire statllit
et quid in supradictis sentirent. Id perorandum suseeperat in sacra
pagina professor eximius, magister Benedictlls Gcncien. (Chroniques
du religieux de Saín/-Den;s, t. IV, p. 738.) - Ab octo et viginti an-




CHAPITRE III


La cour etait divisee et le roi incapable de rien
compl'endl'e et de rien vouloir; le prince, qui re·
gnait alors sous son nom, croyait mener le peuple
it ses fins et se trouvait mene par lui. On ceda, et
les deux corps qui se portaient comme representants
de l'opinion publique, l'universite et la -"ille, furent
autorises a presenter un plan de reforme adminis-
trative et judiciaire. Des commissaires dont le nom
est resté inconnu se mirent a l'oouvre et obtinrent
que toutes les anciennes ordonnances conserve es dans
les archives leur fussent livrées en examen t. lIs en
firent la base de leur travail d'epuration et de reor-
ganisation; mais, pendant que ce travail se pour-
suivait, de vives resistances s'annoncerent de lá
part de ceux qui entouraient la reine et l'heritier du
trone. Un complot fut ourdi contre la súreté de la
ville, et l'indignation populaire s'anima au plus haut
degre; il y eut une prise d'armes tumultueuse, et la
bastille Saint-Antoine, cette citadelle de la royaute


nís et citra opes regire per dispensatores prodigos fuerllnt magis con·
sumptre quam in aliquo alio regno mundi, et hoe,judicio Universita-
tis et burgensium parisiensium. (Chronique. du 'I'eligieux de Sainl-Deni.,
t. IV, p. 750.) - Fillem oblati rotuli lector tangens : « Regire, in-,
«quit, altitudini humilis vestra parisiensis filia Universitas et in cunc-
" lis obedientes vestri cives ... prredict{,s vobis exposuerunt excessus
« quos et alias Jatius declarabunt. » (Ibid., p. 766.) - Quidquid lec-
tura rotuli continebat, cum iunumerabili pIehe cives provinciarllm
regni, qui tune presentes aderant, gratum habuerullt. ~Ibid., p. 768.)


1. Gratam provisionem habuernnt Universitas et burgenses et
obtinuerunt a duce ut statuerentur qui, ad utilitatem regni, excesslls
quos protnlerant reformarent. (lbid., t. V, p. 4.) - Ceux rlu conspiJ
des dessusdits tirent checrher et qnél'ir es chambres des comptes et
dn trésor et au Chastellet tontes les ordonnances royaux allciellnes.
(Hisloire de Charles VI, par Juvénal des Ursins, Mémoires, etc., t. II
p.483.)


r..




S2 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS I~TAT


dans Paris, eommencée sous Charles V et rasée
sous Louis XVI, fut inve:;;tic par le peuple eomme
au 1'1- juillet 1781)1.


Une capitulation suspendit l'emeute; mais bientót
de nouveaux signes de mauvais vouloir a la cour
amenerent de llouvelles prises d'armes du parti ca·
bochien. Des attroupements redoutables, dont les
chefs et les orateurs etaiellt le lllt\deeill Jean de
1'1'oY8s et Eustaeho do Pavilly rlocteur on théologie,
envahirent tantót le palais du roi, tantot l'hótel da
dauphin, faisant suivl'e les harrtnguos politiques ele
violences contre les personnos, cl'arrestations de s8i-
gneurs et meme de clames que le peuple ha"issait.
Ellfln, le 25 mai iB.;~, les r(;solutions eles nouveaux
reformateurs, rédigees, eomme eelles des états de
1;356, sous la forme el'une ordonnance royale, furent
lues devant le roí en son lit do justiee ot dedaréns
obligatoires et inviolables 2.


Cette ordonnanee, gui n'a pas moins. de deux cent
cinquante-huit articlos, est un codo eomplet cradmi·
nistration, etablissant une hiérarchie rle fonctioll'
naires éleetifs, ímposant (les regles de gostiOll et de
comptahilite, limitant los offieos, soit en llomlJl'p,
soit (luant an pOllvoir, et assnrant nnx sujets ele
toutes les classes des garanties Gnntl'e l'injn:-;tiei',


1. Castrnnl fql'tissilllum Sancti AlItollii ... lCiCU111 il1nl11 r~gimn
fere inexpuguahilem, omni genere annOl'LUn et lnstl'lllllCli1is obsüEo-
11:tlibllS lnunltllm. (Chronü¡up.s da. 'i'eliuieux !le Sa¡nl-IJi'H[SJ t. V, p. B
et suiv.)


2. Becueil des Ordonrlances des mis de Ftanee, 1;. X, p. 70 et sni,·.
_ QllasdmIl pro onlÍnaciOllib/ls regil:~ condúlcnwf scni¡fllnls. (lbid.,


t. X. p. 170.) - Chroniques dl{ 1'C/i'l"f'iI,. (/" ,',',O/I/!,!),'U"8, t, V, ]'. 50
l't :,niL




CHAPITRR III 83


I'oppression, I'ahus de la [orcA 011 (lA la 10i. I1 .Y a lá
un immen~e détail de prescriptions de tout genro,
sur lequel semblent dominer deux idees, la centra-
lisation de rordre judiciaire et celle de l'ordre finan-
cier; tout aboutit d'un c6té i la chambre des comptes
et de l'~utre au parlement. L'élection est le prin-
cipe clAS oflices de judicature, il n'y a plus de charge
vénale; les lieutenants des prévots, des baillis et des
sénechaux sont élus par les gens de loi et les avo-
cats du district. Pour la nomination d'un prévot,
les gen~ de pratique et autres notables désignent
trois candidats, entre lAsquel~ choísit le chancelicr
assiste de commissaires du parlement. Pour la pre-
v6té de Paris et les :mtres offices supérieurs, c'e~t le
parlement qui nomme au scrutin, sans formalité de
candidature; il choisit de meme ses propres membres
et nü pent en pl'endl'e plusieurs dans la meme fa-
mille. Les prév()ts, baillis et sénéchanx doivent étre
nés hors de la province oú ils exercent leur magis-
trature; il~ ne penvent ríen y acqnérir, ni s'y ma-
riel', ni y marier leu!'s filIes. La juridiction des eaux
et forets, souvent tyl'anrli(luA ponr les campagnes,
est restreinte dan s son etendue, et soumise en appe]
:1U parlement. Il Ast statné que les usages rut'anx
seront partout respedes; que les paysans pourront
s'armer pour courir sus aux pillards; qu'ils auront le
droit de poursuivre les loups, de detruire les nou-
velles garennes faite s par les seigneurs et de refuser
a ceux-ei tout peage établi sans titre J.


1. ÜrdollnPllce de Charles VI du 25 mai 1413, art. 202, 174,
190, HiG, 104, 1i9. ~2!) ,'¡ 234, 235, 23ti, 238, 241, 244, Retueil de1




84 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


Ce qui fait le caractere de cette grande ordonnance
et la distingue de celle du 3 mars 13¡)7, c'est que,
sauf l'élection pour les emplois judiciaires, elle n'in-
stitue rien de nouveau, laisse intact le pouvoir royal
et se borne a lui tracer des regles administratives.
L'expérience du siecle précédent a porté ses fruits;
en dépit de son nouvel acces de fougue révolution-
naire, l'esprit de la bourgeoisie parisienne est au fond
plus rassis et plus modéré. Sous cette domination
anarchique de la municipalite dominee elle-meme
par une faction d'hommes grossiers et violents, des
idées calmes de bien public, jusque-Ia contenues, se
sont fait jour au travers et peut-etre a la l"aveul'
du désordre. Suivant une remarque applicable a
d'autres temps de révolution : « Les violents ont
« exigé ou dicté, les modérés ont écrit t. ))
Ceux memes qui présidaient aux violences ou les
couvraient de leur aveu ne furent point san s vertus
civiques, ils eurent dalls le cceur des sentiments de
patriotisme que leur expression ferait croire mo-
dernes. Le corps municipal de Paris, écrivant aux
autres villes et leur rendant compte de ses actes, di-


Ordonnallces des mis de Frailee, t. X, p. 70 et suiv. - L'ordonnance
cst divisée en dix chapitres généraux qui traitent successivpment du
domaine, des monnaies, des aide" des tresoriers des guerres, de la
chambre des comptas, du parlement, de la justice, de la chancel-
lerie, des eanx et forGts, et enfin des gens d'armes. An préam-
bule se trouvellt les paroles suivantes : " Savoir faisons que llOUS ...
afin que doresenavant lesllicts abus et incollvéniells cessent de tout
en tout, et que tous les faits de la chose publique de nostre dict
royaume, tant au regard de toutes nozdictes finances et de nostre-
dicte justice comme autrement, soient remis en bon estat et denement
gouvernez au bien de nous et de nostredict penple ... Il


1. Histaire de France, par ]\f. Michelet, t. IV, p. 245.




CHAPITRE III


sait: « Cette présente poursuite est pour garder que
« l'estat de la chose publique de ce royaume ne
« verse en désolation, ainsy qu'elle estoit en voie ...
« ti quoy en temps de nécessité comme le temps pre-
( sent, ung chascun se doit emploier, et préférer
( la pitié du pa'is a toutes les aultres, soit de parens,
( freres ou aultres quelconques, carelle les comprent
(toutes l.)) C'etaient la de nobles paroles dignes d'an-
noncer la grande eh arte de réforme, muvre commune
du corps de ville et de l'Universite; mais, cette loi
administrative de la vieille France, il se trouva des
hommes pour la concevoir, il ne s'en trouva point
pour l'exécuter et la maintenir. Les gens sages et
rompus aux affaire s n'avaient alors ni volonté ni
energie politiqueo lIs se tinrent a récart, et l'action
resta aux exaltes et aux turbulents, aux bouchers et
a leurs alliés. Ceux-ci précipiterent par des exces in-
tolérables une réadion qui amena leur chute, leur
bannissement et l'abandon des réformes obtenues
a si grande peine; trois mois apres sa promulga-
tion, l'ordonnance du 25 mai fut annulée 2,


1. Lettre des prévost des marchands, eschevins, bourgeois, ma-
nans et habitans ele la ville de Paris aux maires, esohevins, bour-
geois, manans et habitans de la ville de Noyon (3 mai 1413), Archi-
ves de I'hutel ,le ville de Noyon,- Selon toute probabilité, cette lettre
était une circnlaire.


2. llistoire de Charles VI, par J nvenal des U rsins, .IIémoires) eto.,
t, JI, p. 485 et suiv, - Et anssi cassa, annula, abolit, l'evoqlla et ele
tout meit a néant et comme nulles déclara ccrtaincs escritures qui
par maniere d'ordonnances avoient nagueres esté faictes par aucuns
eommissllil'cs, tant chevaliers qu'escuiers, confesseurset aumosnier du
roy et deux des conseillers de céans, au pOl1rchas d'aucnus de l'Uni-
versitó et de la ville de Paris, et lesqnelles, par grande impressiol1
tant de gens d'a1'l11eS de cette ville qu'alltremellt, avoiellt esté




86 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


Ainsi des hommes du tiers eÜlt, portes par une
crise révolutionnaire a s'investir eux-memes du pou-
voir constituant, eurent au commencement du quin-
zieme siecle la pensee de refondre d'un seul jet
l'administration du royaume, de lui donner des
principes fixes, une base rationnelle et des procedes
uniformes. Si le plan qu'ils redigerent ne fut pas
meme eSRaye, il resta comme un monument de sa-
gcsse politique, ou se montre d'une maniere ecla-
tante l'espece de solidarite qui liait dans une me me
cause toutes les classes de la roture. Les commis-
saires delegues par la ville et l'université de Paris
ont fait ce qu'aux états generaux firent les dcputé"
du corps entier de la bourgeoisie; ils se sont occnpes
de la population des 'campagnes, iIs out pris ú son
egard des mesures qui temoigurmt ú la fois de ¡em
sympathie pour elle et des progres survenU8 dans ~nn
état depuis la fin du douzieme siecIB.


Depuis lors, en effet, l'affranchissement colloctif
des paysans par villages et par seigneuries avait tou-
jours gagné en fréquence et en étenrlue. Une sorte
d'émulation se déclarait sur CB point entre les pro-
priétaires de serfs, et le mobile on Otait rlouble. D'une
part le sentiment du droit naturel s'ajoutant au sen·
timent chrétien, de l'autre, l'intéret personnel plus
éclail'é conseillaient la me me chose, et pal'fois le
style des chartes présentait l'alliance bizarre un ces
deux motifR d'adion 1. Parmi les villages :lfImnchÍs
pnlJliées en may derniel'. (Extrait des registros du parlemellt,
J!ecneil de" Orrlonnances des "o;s de FI'ILnce, 1. X, p. 140, Hote.)-
Ünlonnance dn ;; septemhre 1413, ihia., p. 170.


1. .Jc: con5illl'l":.1lls ct l'cgal'dftlls íi:l'e pitc-llse c1¡nsr et convcnal)le




CHAPI'l'RI". III o~ ("'1


en foule (bns le treizieme et le quatorziemR sióclc,
heaucollp prirent de nouvnllux nOHlS exprilll~mt lour
¿tat de liberte civile, et tous ou p-resque tous ob-
tinrent une forme plus ou moins complete de régime
municipal. Ce regime, e11 s'appliqu:1nt aux cam-
pngnes, y prop:1g'oa le nom de Comll1une, qui servait
a le d(~signer dalls les villes (In centre et du nord, et
de la vint le mouvement de cleviation qui a fait
perare á ce ll10t son premíel' i'ens si restreint et ~i
energique 1. Quelque grande qu'ait Mé, dans le e0111'S
des treizieme et quatorziéme siécles, la multiplicatinn
dGS cnmmunns rurales, elle n'amena point pour les
classes agricoles cette unite d'etat civil qui existait
pour la bourgeoisie d'un bOllt á l'autre du royaume;
la condiLion des paysans, résnltat de transactions


ole ramcner en lihcl'lé et fr",nehisc les hommes et r",nmcs 'lui ,le
lem pl'emiere créacion furcnt créez et formez franes par le créator
dou monde; consiclérans :mssin en ceste partie le proftit évidcnt de
moy ct de mes hoirs ... (Charte dOllnée aux habitants du village de
I'errusses par Gay, sire de Clcrmont, 1383, Rectleil des Ordonnances
des ,'ois de France, t. VII, 1'. 32.) - Lesquelles personnes, en allant
tiemourer hors de nostre ,licte terre en certains lieux, se affran-
chissent sans notre eongié ... et 1'0111' lmyne ,l'icelle servitude, plu-
siems personnes débissent 11 demonrer en nostre dicte terre, et par
ce est et demenre icelle terre en gl'l1ll<l' partie 110n cultivée, nOI1
lahonróe et en l'icn, ponrquoy nostre dicte terre est gralldemeilt
moins valable ... (Charte donnée aux habitants de Couey par Ell-
gllelTand, sire de Couey, 1368, ibid., t. V, p. 1M.) - Consid,,-
l'uns ... les courtoisics, bontés et aggrealIes scrviccs que 1i' dit
habitan et leur allcesseur ont fait, ou temps possú, iL nous et :\ nos
prédécesseurs, po111' 1'amendement dnilit territoire, et en récom-
pensacioll des choses dessus lhetes, ponr le remhlc des ames ue
nous et ue nos Ul1cesseurs, et ponl' la somme de ... que nons avons
ene et re9ue des lu,bitans de nostre dicte jnstice de .Toigny ... (Charte
dOl1née aux habitunts <le JOigl1Y par ,Tehans, comte de .Toigny, 14'32
ihiol., p. 379.)


1. Voye7. plus haut, ]>. 31 et slli".




8R ES SAl SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT
de tout genre sur des droits réels ou personnels,
resta inégale suivant les lieux et diversifiee a l'in-
fini.


Et pourtant, cette masse d'affranchis encore atta-
ches au domaine par quelque lien et tout au moins
soumis a la juridiction seigneuriale, cette popula-
tion qui ne relevait point immédiatement de la
puissance publique pouvait deja compter parmi les
forces vives de la nation; elle était comme un corps
de réserve imbu de l'esprit patriotique, et capable
d'un élan spontane de vigueur et de dévouement.
e'est ce qu'on vit, lorsque la défaite d'Azincourt,
plus funeste que ceUe de Poitiers, eut amené pour la
France une serie de revers, ou la noblesse, la bour-
geoisie, la royauté elle-meme, ne surent que reculer
pas a pas jusqu'a la honte d'un traité qui léguait la
couronne et livrait le pays a un prince étranger ~.
Paris, dans un acces de faiblesse et d'egarement,
avait ouvert ses portes et feté le triomphe des An-
glais; le royaume etait conquis jusqu'a la Loire, ou
Orléans, dernier boulevard des provinces encore
libres, soutenait contre l'armee d'invasion une lutte
desespéree, qui semblait étre le dernier souffie de
l'energie nationale. On sait quel secours presque
miraculeux vint alors a cette ville et au royaume, ce
que fut Jeanne d'Arc, ce qu'elle fit, et cornment, par
elle et a son exemple, une emotion de pitié et de co-
lere, l'amour de la commune patrie, la volonté de
s'unir tous et de tout souffrir pour la sauver, re-


i. Le tmité ile Tl'oies, conelu en 1420 nv~c He11l'i V, roi il'An-
gleterre.




CHAPITRE 1lI 89


monta des derniers rangs populaires dans les hautes
classes de la nation.


Du long et penible travail de la delivrance na-
tionale sortit un regne dont les principaux con-
seillers fment des bourgeois, et le petit-fils de
Charles V reprit et developpa les traditions d'ordre,
de regularite, cl'unite, qu'avait créées le sage gon-
vernement de son aieuI. Charles VII, roi faible et
illdolent par nature, occupe une grande place dans
notre histoire, moins par ce qu'il fit de lui-meme que
par ce qui se fit SOllS son nom; son mérite fut d'ac-
cepter l'infiuence et de suivre la direction des es-
prits les mieux inspirés en courage et en raison. Des
[¡mes et des intelligences d'élite vinrent a lui et tra-
vaillerent pour lui, dans la guerre avec toutes les
forces de l'instinct patriotique, dans la paix avec
toutes les lumieres de l'opinion nationale. Un fait
déja remarqué et tres-digne de l'etre, c'est que cette
opinion eut pOUl' representants et le roí pour ministres
des hommes sor ti s des classes moyennes de la so-
ciété d'alors, la petite nobles se et la haute bour-
geoisie, Au-dessus de tous leurs noms dominent les
noms roturiers de J acques Creur et de J ean Bureau,
l'un formé a la science de l'homme d'État par la
pratique du commerce, l'antre quí cessa d'etre
homme de robe pour devenir, sans préparation,
grand maitre de l'artillerie, et faire le premier, de
cette arme encore nouvelle, un emploi habile et
méthodique 1.


1. Les gran.les ol'dollllullces, rellanes .le 1443 a 1445, qui fonde-
rCllt sur des prillcipes ratiollJlcls et eles regles fixes la comptabilité du




!lO ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


L'esprit de réforme et de progres qui, en i'd.3,
avait brille un instant et n'avait pu ríen fonder,
parce qu'un parti extreme en etait l'organe, reparut,
et modela sur un plan nouveau toute l'administration
du royaume, les finances, l'arméc, la justice et la
police générale 1. Les ordonnances rendues sur cei'
ditrerents points enrent leur plein cffet, et elles se
distinguent, non comme les precedentes par une
ampleur un peu confusA, mais par quelque chose de
precis, de net, d'imperieux, signe d'un talent pra-
tique et d'une volonté súre d'elle-meme paree qu'elle


. a le pouvoir. La question de l'impót permanent et
des taxes mises sans l'octroi des états fit alors un
pas décisif; apres quelques alternatives, elle fut tran-
chée par ]a necessite, et, a ce prix, le royrwmA eut
pour la premiere foís des forces régulieres. Les mi-
lices des villes, organisées jadis hors de la dopen-
dance et de l'action de ]a royante, vinrAnt se fondre
dans une armée royalc et en meme tcmps nationale.


trésor, sont attribuées á Jacques Cceur. - Deux {reres Bureau sié-
geaient dans le conseil de Charles VII j ses autres conseillers honr-
geois fureut Jean Jouvenel ou Juvénal, Guillaume Cousinot, Jean
Rabateau, Étienno Chovalier et Jean Leboursier.


1. Voyez l'ordonnance du 2 novembre 1439 pour la réformation
de l'état militaire, celle du 25 septembre 1443 sur le gouvernement
des fmances, celle du 10 février 1444 sur le memo sujet, celle dn
19 jllin 1445 sur la juridiction des élus, celle du 26 novembre 1447
sur la comptabi1ité dn trésor, celle du 28 avri1 1448 sur les franes
archers, celle du 17 avril 1453 pour la réformatioll de la justice,
celles du 21 janvier et dn 3 avri! 1459 sur la reMition des comptcs
et l'assiettc des tailles, celle du 18 septembre 1460 sur la procédure
devant les conseillers des aides et celle du mois de décembre 1460
sur la juridiction de la cham bre des comptes. (Recueil des 01'donnllnccs
des ro;s de Frunce, t. XIII, p. 306, 372,414, 42\\, ~líi; t. XIV, 1'. 1,
284,482, 484,49(; et 510.)




CHAPITRE III 91


Il Y out, pOUl' la lJartie privilégiée du tiers etat, di-
minution de droits poli tiques; mais 1.a forme de la
monarchie moderne, d8 ce gouvernement destiné,
dans l'avenir, a etre a la fois un et libre, était trou-
vee; ses institutions fondamentales existaient; il ne
s'agissait plus que de le maintenir, de l'étondre et
de l'enracíner (Ians les mreurs. .


L8 regne de Charles VII fut une époque d'élan
national; CA qu'íl produísít de grand et de nOUV8au
ne venait pas de l'action personnelle du prince, mais
d'une sorte d'inspiration publique d'oú sortirent
alors, en toutes choses, le mouvement, les idees, le
conseil. De semblables moments sont toujours beaux,
mais iiR dur8nt peu; l'effort commun ne se soutient
pas, la fatigue et lo (lésaccord surviennent, et bien-
t(lt la reaction commence. Les memes forces qui
avaient fomIé lo nonvel ordre administratifn'auraiont
pas su le maintenir illtact; elles étaient collectives,
et, comme telles, trop sujettes á variar; l'reuvre
de plusieurs avait hAsoill, pour ne pas déchoir, d'etre
remise aux mains d'Ull seul. Ce seul homme, cette
personna1it(l jalouse, activA, opinifítre, se rellcolltra
chns Louis XI. 8'il Y a dans l'histoire des pe1'son-
nages qui parai8sont marques du SCE'au d'une mission
providelltielle', le fil ~ de Charles VII fut un de COllX-
la; il semble qu'il ait eu comme roi la conviction
d'Ull devoir supérieur pour lui a tous les devoirs
humains, d'un but oú il dAvait marcher sans re-
lache, sans qu'il eut le temps de choisir la voie. Luí
qui avait levé contre son pere le drapeau des résis-
tances aristocratiques, il se fit le garrEen et lA fau-
teur de tout ce que l'aristocratie haissait; il y appli-




92 ESSAI SUR L'HISTOlRE DU TIERS I~TAT


(¡lla toutes les forces do son etre, tOllt ce qu'il y avait
en lui d'intelligence et de passion, do vortus et de
vices. Son regne fut un combat de chaque jour pour
la cause de l'unite de pouvoir et la cause du nivelle-
ment social, combat soutenu a la maniere des sau-
vages, par l'astuce et par la cruauté, suns courtoisie
et sans merci. De la vient le mélange d'intéret et de
repugnance qu'excite en nous ce caractere si etrau-
gement originaL Le despote Louis XI n'est pas de la
race des tyrans égo'istes, mais de celle des novateurs
impitoyables; avant nos revolutions, il était impos-
sibIe de le bien comprendre. La condamnation qu'il
merite et dont il restera chargé, c'est le blan1fl que
la conscience humaine inflige a la mémoire de ceux
q~i ont cru que tous les moyens sont bons pour
imposer aux faits le jong des idees,


Ce roi, qui affectait d'etre roturier par le ton, l'ha-
bit, les manieres, qui s'entretenait familieroment
avec tontes sortes de personnes, et voulait tout con-
naltre, tout voir, tout faire par lui-meme, a des traits
de physionomie qu'on ne rencontre au me me degre
que dans les dictatures democratiques 1. En lui ap-
parut, a sa plus haute puissance, l'esprit des classes


L Entre tous ceulx qne j'ay jamais congneuz, le plus saige ponr
soy tirer d'ung mauvais pas en temps d'adversité, c'estoit le ray
LOllis XI, nostre maistre, le plus Imrnble en paroles et en ];abitz ...
naturellcrncnt amy des gells de moyen estllt el onnemy de tous gran s
ql1i se povoient pas~er de lui. Nnl homme no jJresta jamais tan! 1'0-
reílle anx gens, ny ne s'enquist de tant de choses comme il faisoit.
(Mémoires de Philil'l'e de Commynes, édit. de Milo Dnpont, t. 1, p. 83
et 84.) - De mailltes mellues choses de son royauJme il se ·mesloit
et li'assez dont il se fust bien passé; mais sa complexioll es\oit telle
et ainsi vivoit. (ll,id., t. Ir, p, 273.)




CHAPITRE III


roturieres; il eut comme un pressentimollt do notee
civilisation modorno, il en devina toutes les ten-
dances, et aspira vers ello sans s'inqniéter du pos-
sible, saus so demander si le temps était venu. Aussi,
dans 10 jugement qu'on porte sur lui, doit-on regar·
del' á la foís ce qu'iI fit et ce qu'i.l voulut faire, ses
rnuvres et sos projets. Il songeait a établir dans tout
le royaume l'unité de coutume, de poids et de mesures;
sur ce point et sur d'autres, il se proposait d'imiter
l'admirable régimc civil des républiques italiennes.


L'industrie, enfermée dans les corporations qui
l'avaient fait renaltro apres la renaissance des Yilles,
était touto mUllicipale; il entroprit de la faire na-
tionale; il convoqua des negociants á son grand
cOllseil, ponr aviser avec eux aux moyens d'étendre
et de faire prosperer le commerce; iI ouvrit de nou-
yeaux marchés et provoqua lo. fondation de nouyelles
manufactures; il s'occupa des routes, des canaux,
de la marine marchande, del'exploitation des mines;
il attira par des priviléges les elltrepreneurs de tra-
vaux et les artisans etrangers, et, en meme temps,
il tint sur piod des armées quatro fois plus nom-
hreuses fIne pat· le passe, fit des armements mari-
times, recula et fortifia les frontieres, porta la Imis-
sance du royaume it un degré inoul jusqu'alors '.


l. Aus,; uésíroit fOl'! quc en ce l'oyaulme Pon usast d'nne COllstllme,
d'Ull poiz ct d'nnc mesnre, ct que tontes ces constumes fussent mises
eH fran('ois dans ung bcaa livrc. (Jfimo¡re.i de Philippe de COut11.'!J-
1Ie", t. 11, p. 20!).) - Yous s\'aver. bien le désir que j'ai de dOll' er
ordre au fuit de la jllsticc <'t de l:1 poliee uu royanmc, et, ponr ce
faire, il est besoin ,l'llvoil' h maniere et les cOlltnmcs des all(¡'es


, pays; je vous IIl'io que vous ellv"ye? Cjlléril' devc1's vous le petit Flen-
rClItill pum 5\,a\,,,i1' les coutnlllcs ,le Fkl1'cllce ct de Venise, el le faites




!JI. ESSA1 SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


Mais ces germes de prosperité ne devaient fructiiicr
que dans l'avenir; le present était lourd et sombre;
les imp6ts eroissaient sans mesure; le prince qui


• semait pour le peuple et se fai~ait peuple fut impopu-
laire. Il fit beaucoup souffrir et soufl"rit beaucoup lui-
me me dans sa vie de travaux, de ruses, de craintes,
d'expédient~, de ~o~cis continuel~ 1. La bourgeoisie,
dout les priviléges mUl1icipaux étaiel1t la seule chose
ancienne qu'il mellageút, lui fut fidéle sans l'aimer.
Ses grandes vues, ses pCllsecs de bien public, les
nouveautés qu'il méditait ne toucherent que le petit
nombre de eeux qui les apprirent de sa bouclle et
qui etaient capablos de les jugor. L'opinion du telllpS
n'a rien aperqu de ces choses, mais en revanchc elle
a saisi au vif dans Louis XI le portrait de l'homme
exterieur, cette figure railleuse et sinistre que la tra-
dition conserve, et impose encore a l'histoire.


jurer de teuir la ahose secrette, afin qu'il vous le die mieux et (lu'i!
le mette bien par écrit. (Lettre au sienr Dubouchagc, lJisfoire de
Louis XI, par Duelos, t. IIl, p. 449.) - Voyez l'ordonnance dn
mois de septembre 1471 Sur les mines, et celle du mois d'avriI
1483 snr le meme objeto (Reweil des Ordonn(tnces des rois de Fra1lcc,
t. XVII, p. 446, et t. XIX, p. 105.) - Les ordonnauees de LouisXI
sont l'emarquables par nne grande vigueur de rédaetiou; il est pro-
Lable qu'il les dicta lui-meme. - l\fais unp; bieu avoit en lui nostro
bon maistre : il ne mettoit rien en trésol', il ~prenoit tOllt et dcspcndoit
tout. I1 feit de gralls éeliffices " la fortillicatioll et deffense eles villes
et pbces ,le son royaulme, et plus que lons les uultres roys qui out
esté llC'iallt in)". (,JUmo;res de Philippe de Cmnmy'lles, t. n, p. 144.)


1. Davalltaige i1 syavoit u'e,tro noint aymé ele gruns personnaiges
Je son royalllme, 11e de heaucoup ele lllCllllZ : et si avoit plus chargé
le peuple que jamais roy no fo:t, combien qn'il ellst bon vOnloir de
les eléclmrgel', COlOme j'ay llict aillcms. (lbirl., p. 224.) - Je croy
'l\te, si tons les bons jours qu'il a eulo Oll S" viD, cS'lllelz il a eu ]>lu3
(le joyo et de plaisir que de tmvail et d'cnnu)', estoicllt bien nom-
bré5, qu'il s'y en trouvcl'oit bien vingt ele peine et de travail contrc
11l1g (le pbisil' et J'ayse. (Ihid., p. 277.)




CIIAPITRE IV


LES ETATS GBKBRAUX DB 11.81,; LE TIEltS ÉTAT SOUS LOUIS XIJ,
1'11.\:<<;018 JOr E'l' HE:<1U Il


S('i\Il\IAmE: l:":lal:, gl:llél'allX de H.·:H. - Vomandc J.(~ g;[l':lIltios I~liltlée; prLl;~;rcs
50U5 le régime art)itraire. _. Commr.ncerw~llt des gllel'1'e~ ü'It:tlic. - ltcnai:::.-
sance (les laUros et Jes arls. - RúJe politique ntl parlcmeut de Paris. -
Régne de Lonis XII, prospérité publique. - Ordonnance de 11·99. - Rédac-
tion et réforrnation des con turnes. - Régnes de Fran,ois ¡ .. et de Renri JI,
continnation dn pr0sres ('n tont genre. - Luxe des batiments, gOÍlt du bean
chez la noblesse. - Olfices tenns par le tiers état, elasse des gens de robe.
- Ambition des familles bourgeoises, grand nombre d'étudiants. - La elasse
des capitalistes appelés financiers.


(~Uci(lUe salutaire que soit par intervalles, dans la
vie rles llatiollS, le despotisme d'un homme supérieur,
iI est rare que son actioll proIongée n'amene pas,
chez les contomporains, lIllC fatiguc extl'emo qui les
fait l'(~ntl'er avec jOi8 sous le guuvcrHel11eut des es-
prit::; ordiunires ou dalle; les hasnrds de la liberté
politiqueo La lllort de Louis XI parut UllO d("li-
vrance uuivel';:iclle, et fui suivie \lo lacollvocatioll des
etat::; géneraux clu rO'yaume. Ce fut le G janvi81' HHl
C[1lt1 se reunit cettc assemblée, ,'t qui 8tait remis d'un
C0Il111111ll aecorrlle pouvoir de juger souveraincment
l'CBtlUe clll clerniel' r(~gnG, rren conelamner ou el'en
absouelre ~es actes, de faire et ele défaire apres lui 1.


l. Favebit qui,klll rO:, el, alliluct vQstris cOllsiliis; llCC ['lVebit




9G ESSAI SUR L' illStüllu; DU 1'IERS ÉTA':'


J amais a aucune tenué des trois états les conelitions
u'une veritable représentation nationale n'avaiel1t
ete aussi coínpletement remplies; toutes les provinces
du royaume, langue d'O'iI et langue d'Oc, se trou-
vaient réunies dans une seule convocation; l' elec-
tion, pour les trois ordres, s'était faite an chef-lieu
ele chaque bailliage, et les paysans eux-memes y
avaient pris part; enfin, au sein eles etats, la delibé-
ration eut lieu, non par ordres, mais par tetes, dans
six bureaux correspondal1t a autal1t de regions ter-
ritoriales. Jamais aussi, depuis l'assemblée de :t35n,
la question du pouvoir des etats n'avait été si nette-
ment posee et si hardiment d6battue, Il y eut des
éclairs de volonté et d'éloquence politiques, mais
tout se passa en paroles qui ne purent rien, ou pres-
que rien, contre les faits accomplis, Olleut beau vou-
loir en quelque sorte effacer le regue de Louis XI,
et reporter les choses au pOillt ou Charles VII
les avait laissees en mourant; l'impulsion vers la
centralité administmtive une. et absolue était trop
forte, et, de ces discussions, pIeines de "je et d'jnté-
r6t clans le journaI quí nous en reste, iI ne ¡,esnlta
de fait qne quelque temperament, des promesses et
des espéranees bíClltl\t dómenties l.


Parmi les discouI's prollollcéf; dans cotte assembh~e,
iI en est un qu'on na pout lire aujourd'hui s~ns
modo, vcrum ctinm qure sibi regnoquc dixcritis lltilia, summo stlldio
curaúit cxsc'lui, seryarc dcféns31'c'luc. (Discours du chuucclicr Gnil-
]aume de Hochefol't, -JouT1wl des élats géTlé,.aux: tenus ti 1'Otl1'8 en
1484, sons le ri'gnc d~ Citarles VIII, r¡}digé en laun par .. L,aa
lIlassclin, ',Jit. de M. Berniol', p. 54.)


1. Voyez le JouTl1al des élal, Uél1l','a"x ten", ú Tour. en ]·1"·1, texte
el u¡'pcn,liccs.




CHAP1TRE IV 97


etonnement, cal' il contient des propositions tel1es
que celles-ci : « La royauté est un office, non un
« heritage. - e'est le peuple souverain qui dans
(ll'origine créa les rois. - L'État est la chose du
(l peuple; la souveraineté n'appartient pas aux
« princes, qui n'existent que par le peuple. - Ceux
« qui tiennent le pouvoir par force ou de toute autre
« maniere sans le consentement du peuple sont usur-
(\ pateurs du bien d'autrui. - En cas de minorité ou
«d'incapacité du prince, la chose publique retourne
« au peuple, qui la reprend comme sienne. - Le peu-
« pIe, c'est l'universalité des habitants du royaume¡
« les états generaux sont les depositaires de la vo-
« lonte commune. - Un fait ne prend force de loi
(\ que par la sanction des etats, rien n'est saint ni so-
« lide sans leur aveu l.» Ces maximes, d'ou devaient
sortir nos revolutions modernes, furent proclamées


I. Regnum dignitas est, non Iwcre,litas. - IIistorire prredicant, et
¡,l a majoribns accepi, initio domini rel'um populi sulfragio reges
fuisse creatos. - XOllne crebro legistis rempuhlicam rcm populi
esse? ... Quomotlo ah assentatoribus tota principi tribuitur potestas
a populo ex parte facto? - Vobis probatl1111 cssc \'clim relll1'llbli-
cam rem populi esse et regilms ab eo traditam, eosque qui, si yel
alias, nulto populi consensu eam habuere, tyrannos creditos et
alienre rei invasores. Constat autem regem nostrum rempublicUlll per
se disponel'e non 1'osse ... Oportet propterea nt ad populum reuent,
llUjus rei donatorem, qui eam quidem resumat, "elut suam. - Popu·
lum autem appello, non plabem, nec alios tantum hujus regni sub-
ditos, sed omnes cujusque status, aneo ut statuum generalinm
nomine etiam complecti principes arbitrer, nec aliquos exchuli qlli
regnurn habitent ... Cum intelligatiR vos univcrsonllll stlltllllllI reglli
legatos, et procuratores doctos, ct omnium volulltatcrn yestris in
manibus esse. - Itabur enim tUlll faeta prmtcl'ita capere reor,
¡¡l1um status ea probaverint, nee aliqnid sanete solillc,!,le subsiMere,
qnou tit invitis ant inconsultis stalilms. (JOU1'1!<1¡ des élat. acníraux
Imus ti 1'our. w 1484, p. 146, 148 et 150.)


6




98 ESSAI SUR L'HISTOlRl: DU TIERS ÉT,L'


alors, non par un mandataire des classes pIe beiennes,
mais par un gentilhomme, le sire de la Roehe, député
de la noblesse de Bourgogne; elles n'étaient autres
pour lui que ses traditions de caste renduAs géné-
reuses par une raison élevéo et par quelque no-
tion de l'histoire grecque ot romail1e. Mais les tradi-
tiOl1S du tiers état ne lui disaient ríoIl qui pftt lo con-
duire á un pareil sYl11bole de foi poli tique; il était
encore trop pr0s de ses origines, tJ'op attaehe á ses
errernel1ts héréditaires. Illaissa passer les príncipcs
qui, trois siecles apres, devinrent son arme dans la
grande lt).tte révolutionnaire, et il ne ::;8 passiol1na
que pour le redressemellt de griefs matul'ínls et pour
la question des taxes permanentes et arbitl'aires.
C'est sur ce poil1t seuloment que fut soutenu par le;:;
députes de la roture le droit des états génénmx que
d'autres posaiont comme lílJl'cS et souverains en
toute matiere l.


Le mouvoment politique de :1357 n\~tait plus P03-
sible en i-l8ft,; il avait eu l)üur principe l'esprit(le
liberté municipale a son plus haut degré d'¡~llergic.
Le reve d'EtiollllO Marccl ot do ~es ami" était une
eonfédération de villes souveraines ayant Paris il
loul' tete, et gouvernant le pays pOT UllO diete sous la
sm:eraillpté du roi. 01', ce vieil CSIll'it ele la bourgeni-
:sic fl'L"tnsaise avait graduellmmmt cli:>paru pour faiJ'i~
place it un autl'e moins desireux ele droits locaux et


1. Hale etiam illos liquillo refelll1lit, qui, únntaxat levanclol'UlU
tributorum, non alterius operre vel fin;s gl'atia, convcnt;oncm illllic-
tmn ~rbitmntur. (Discoul's du sire ele la Rache, Joarnal des étafo
générallI tenlls Ü Tours en 1484, p. 150.) - Ut liberam statuum po-
tcstntclll illtelligcrc:te taol'i vclillt. (TIJi,J.) )1. ]40.)




CHAPITRE IV


d'indépendance personllelle que d'ordre publk et de
vÍe nationale. Aux etats de 1484, le bureau ou vo-
taient les deputes de Paris fut le premier á faire des
concessiolls qui obligerellt l'assemblee it elever le
chiffre de la somme d'argellt qu'elle avait resolu d'ac-
corder. En tout les représentallts de la bourgeoisie,
autant qu'on peut distinguer Ieur part dans des ré-
solutiom: votees par tete et non par ordre, s'atta-
cherent aux choses purement pratiques et d'interet
presento On ne les vit point, c:omme l'echevinage et
rUniversitó de Paris en 1413, presenter un systeme
nouveau d'administration : le regne de Louis XI
n'avait rien Iaisse :\ concevoir en ce genre d'impor-
tant ni de possible. n n'y avait plus qu'á glaner
apres lui, ou qu'a dótendre les ressorts du gouverne-
ment qu'iI avait forcé s sur tous les points, fIu'á ele·
mander l'accomplissement de ses projets restós en ar-
riere, et la guórison des maux qu'il avait causes par
la fougue et les égarements de sa volonte absolue.
Les principaux artides du chapitre du tiers état
dans le cahier génóral des trois ordres furellt : la
diminution des impóts et la reduc:tion des troupes
soldees, la suppres~ion de la taille comme taxe arbi-
tl'aire, la reprise des portions alienees du domaino
royal, la mise on vigueur des actes garantissant les


,libertes de l'églisc gallicane, et la rédaction p[lJ'
éerit de:) coutumes, qui devait ptro lln premier pas
ve1's l'unité ele loi l.


L'assemblée de 148,., eut soin (lo ne voter aucnn


l. Voyez le .lolmw! d",' élals fI':I/('ra1l,1' ten", ri Tou!'s en 1484, ap-
peulliee nO 1.




too ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TlERS ÉTAT


subsiue qu'u titre de don et d'octroi. Elle uemandala
convocation des états généraux, sous deux ans, el
elle ne se sépara qu'apres en avoir re~u la pro-
messe l. Mais les quatorze années du regne de
Charles VIII s'écoulerent sans que les états eussent
éte une seconde fois convoques, et les taxes furent
de nouveau levees par ordonnance .et reparties sans
controle. A en juger par le zele des trois ordres u
rendre leur consentement necessaire, et par le ta-
bleau que leurs cahiers tra~aient de la misere dn
peuple accablé sous le faix des impóts, ce fut une
grande déception; tout semblait dire que la mo-
narchie absolue menait le pays a sa ruine, et poul'-
tant il n'en fut den. Le pays resta sous le l'egime
arbitrail'e; il eut a 'supporter encore les abus, sou-
vent énormes, de ce l'egime; il souffrit sans doute,
mais, loin de decliner, ses forces vitales s'accrurent
par un progres sourd et insensible. Il ya pour les pen-
pIes des souffrances fecoudes comme il y en a de stfÍ-


1. Ponr subvenir aux grans affaires dudit seignenr, tenir son
royaume en seureté, payer et soudayer ses gens d'armes et subvenir
a ses antres affaires, les trais estatz lni altrayent par maniere de don
et attroy et non autremeut, et sans ce qu'on l'appelle doresenavant
tailles, ains don et ottroy, telle et semblable aomme que du lempa
cln fcu roi Charles VII estoit levée et cueillie en 80n rOyl\ume, et ce
pour dellx ans prouchainement venans, tant seulement et non plus ...
Que le bon plaisir dudit seigneur soit de faire tenir et assembler les-
ditz étatz ded<lns deux ans prouchainement venans en Iíeu et temps
qu'il luy plaira, et que de ceste henre, lesditz líeu et lemps soient
nommez, assignez et déclaírezj car lesditz estatz n'entendent point
que doresnavant on mette sus aucune somme de deniers, sans les
appeller, et que ce soit de leur vonloir et consentement. - Le roy
est content que les estatz se tiennent dedens deux !lns prouchaine-
ment venans et les mandera. (Joumal des états généraux tmus el Toul's
en 1484, p, 44!J, 451 et 712.)




CHAPITRE IV tOl


riles; la distinction des unes et des autres éclwppe
aux générations qui les subissent; c'est le secret de
la Providence, qui ne se révele qu'au jour marqué
'pour l'accomplissement de ses desseins. Chose sin-
guliere, ce fut dans le temps meme ou la voix pu-
blique venait de proclamer avec amertume répuise~
ment prochain du rO'yaume, que fut résolue, par un
coup de tete follemen t héro'ique de Charles VIII, l'in-
vasion du sud de l'Italie, la plus lointaine expédition
que la France eut encore faite. Il fallut dépasser en
armements les dépenses du regne de Louis XI; une
longue paix semblait etre le seul moyen de salut, et
1'ere des grandes guerres s'ouvrit pour la nation,
sans crise au dedans et avec honneur au dehors.


Au douzieme siecle, la renaissance des institu-
tions municipales avait été le contre-coup d'une ré-
volution operée en Italie; la renaissance du droit
romain au treizieme siecle nous était venue des écoles
italiennes; a la fin du quinzieme, une autre initiation
de l'Italie, la renaissance des lettres eut lieu pour
nous, mais a la faveur d'événements déplorables, de
cinquante ans de guerre au dela des Alpes. Une
fois ouvert par nos armes et par ses discordes a
l'occupation étrangere, le pays qui gardait et fécon-
dait pour le monde les traditions du génie romain
devint le champ de bataille et la proie des monar-
~hies europeennes. Il perdit l'indépendance orageuse
qui avait fait sa vie, et des lors iI declina sans cesse
au milieu des progres de la civiIisation moderne .
. La France eut le malheur de porter les premiers


coups pour cette grande ruine, et, mise en contact,
quoique violemment, avec les í~tats libres et les


6,




i02 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


principautes d'ltalie, elle puisa dans ces rchtions
soit hostiles, soit amicales, un esprit nouveau, le
culte des chefs-d'ceuvre antiques et la passion rlA re-
nouveler, par leur etude, toutes les idees et tons les
arts. Par cette révolution intellectuAlle, en mL)me
temps qu'une voie plus large et plus súre fut ouvel'te
au génie national, il s'établit en (lUelque sorte une
communion de la pensee ponr les hornmes, d' elite
que la separation des rangs et des classes tenait ú
distance l'un de l'autre; quelque chose el'uniforme in-
fusé par l'éducation littéraire attónua de plus en pluR
les différences traditionnelles d'esprit et de InCBUrs.
Ainsi se prepara par degrés l'avénement d'une opinion
publique nourrie dans la nation tout entiere de toutes
les nouvelles acquisitions du savoiretdel'intelligence.
Cette opinion, quí s'est ernparée de tout et a tout
transformé depuis un siecle, date, pour qui veut mar-
quer ses origines, du temps oú comrnence a se for-
mer, au-dessus de la tradition indigene, des pré-
jugés de caste, d'état et de croyance, un fond com-
mun d'idées purement lai'ques, d'ótulles sorties d'une
source autre que celle des écoles du moycn ftge.


En dépit des maximes qui avaient retenti ú la
tribune de 1484 : Souvel'oineté du peuple, Volonté dll
peuple, Dl'oit de po.~session du peuple sur' la cltOse publi-
que, rien ne changea quant au caractere des útats
génoraux; ils furent depuis 101's ce qu'ils étaien1
aupa1'avant, un recours supreme dans les temps do
crise, non une institution réguliere et permanente.
On dirait que ce fut la destinée ou l'instinct de la na-
tion fran~aise de ne point vouloir ::;ériensement la
liberté politique tallt (jue l'?galii,(i :-1(~l'ait impn:-1sible.




CHAPI'I'RR I\! 103


C'est dn tiers (',tat hrisant le régime des ordres 0/
réunissant tout ú luí que devaít émancr dlCZ nous le
premior essai d'une vraie constitution representa-
tive. Les états généraux, sous Charles VIII, avaient
demandé que leur droit d'intervention flit dfÍclaré
permanent et leu!' tenue périodique 1; entre ce VffiU et
l'ínauguration du gouvernement par assemblées iI
s'écouIa plus de trois siecles, Dans cet intervallc se
place un granel fait particulier a notre histoire, le
role politiclue uu parlement de Paris. C'est du sein
ue h cnrporation de bourgeois légistes, qui, inves-
tie de l'autorité judicilúre, avait fondé pour le roi le
pouvoir absolu, ct pour la nation le droit commun,
que sortit au seiziemo siecle un controle assidu,
éclairé, courageux des actes dn gouvernement.


De simples formalitós san~ conséquence appa-
ronte, l'usagp de promnlguer le~ éclit~ royaux en
conr de parlement, et (le lefl faire inscriro sur des
registres que la cour avait SOUfl sa garde, ouvrirent
:1 ce corp~ de judieatul'e la route quí le conduisit ú
s'immiscer CbllS los affaires de ]' .État. Suivant les
formes juricliqués dont le parlement 11e se départait
en aucune eircollstallce, l'enregistremellt de chaqne
loi nouvelle avait lieu par Buite d'un arret; DI', llul


l, SembJe ftusdiet? estatz qi1e, pour le bicn et ,',\formnrio!l ,1\1
roy:uune, DanIpllillé et pn.)'s adjfLccns, et que h011 or{lrB soit 1enn, rt
pOlll' parvcnir tlUX affnires tlu roy, llostrc dicL seigllcnr ..• le(1ict sel-
gncllr !loit i1e5cbire!' el appointcr que lcsdie!z esta!!. dcsilictz l'oyfL1l111e,
Danlphiné et pays adjacens, seront assombIcz (lIt telll[ls el trrme ,le
(lcnx [tnS prouchainement venans, et aussi continuez ue ueux uns
en deux anS .. , Et snpplient lesdie!z estatz audiet seigncur qn'il In)'
plfLise ainsi l'ol'tlonner et uesclail'el'. (J01trnal rl/:s (;tllt,~ U/:nl:/'(/'1J.1" .[e11118


To",.s ,'Il I.jH4. p, ti~7,)




i04 ESSAI sun L'HlSTOIRE DU TIERS ÉTAT


arret n'étant rendu sans délibération préalalJle, de
ce fait résulta peu a peu le droit d'examen, de cri-
tique, d'amendement, de protestation et me me de
veto par le refus d'enregistrer. A l'époque ou nous
sommes parVellUS\ cette prétention a une part de la
puissance législative ne s'était pas montrée au grand
jour, mais elle couvait, pour ainsi dire, sous des ap-
parences de soumission absolue a la volonté royale
et de ferrne propos de ne point s'aventurer hors
du cercle des fonctions judiciaires 1, Le regne de
Louis XII vit commencer le double changement qui
fit de la haute cour de justice une sorte de pouvoir
médiateur entre le tr6ne et la nation, et des vieux
ennemis de toute résistance a l'autorité du prince,
les avocats de l'opinion publique, des magistrats ci-
toyens usant de leur indépendance personnelle pour
la cause de tous, et montrant parfois des vertus et
des caracteres dignes des beaux temps de l'antiquité 2,


1. « Quant 1t la cour, elle est instituée par le roy pour admi-
nistrer justice, et n'ont point ceux de la cour l'administration de
guerre, de finances, ni du fait et gouvernemeut du roy ni des grans
princes. Et 80nt Messieurs de la cour du parlement gens clercs et
lettrez pour vacquer et entendre au faiet la justiee; et quant il plai-
roit au roy lenr eommander plus avant, la cour lui obéiroit, ear
('lle a seulement l'ceil et regard au roy qui en est le chef et sons
lequel elle esto Et par ainsi, venir faire ses remontrances il. la Conr
et antres exploits, sans le bon pluisir et expres consentement du
roy, ne se doit faire. !Réponse dn premier présidentLa Vacquerie au .
duc d'Orléans, 17 janvier 1485; registres du parlement cités par Go-
defroy, Bis/aire du ro; Chat'les VII!, p. 466.)


2. Il parlrtmento di Parigi hu amplissima autorita, ed e com un
senato ove son centotrenta consiglieri del re ... Ha antorita ancora
nella gimtizia e nelle leggi; e modera, interpreta o reproba del tufo
qualche volta le deliberazioni del consiglio privato t1i sua maes!a.
(Relation de l'état de la France, par Marc-Antoine Barbaro, am-




CHAPITRE IV t05


Louis XII fut un prince d'une heureuse nature,
venu dans un de ces moments heureux ou le gou-
vernement est facile. Quinze ans passés depuis la
fin du regne de Louis XI avaient suffi pour faire le
triage du bien et du mal dans les conséquences de ce
regne; la souffrance natíonale s'était guérie d'elle-
meme, et de toutes parts éclataient des signes de
progres et de prospérité. La culture des campagnes
s'améliorait et se multipliait, de nouveaux quar-
tiers se formaient dans les villes, et partout ron bit-
tissait des maisons plus commodes ou plus somp-
tueuses. L'aisance de la classe moyenne se montrait
plus que jamais dans les habits, les meubles et les di-
vertissements couteux. Le nombre des. marchands


. s'était accru de maniere a exciter l'étonnement des
contemporains, et le cúmmerce lointain avait grandi
en étendue et en succes; le prix de toutes choses était
plus élevé, les terres rapportaient davantage, et la
rentrée des impóts avait lieu sans contrainte et :i peu
de f"rais l. e'est peut-etre hl. qu'il faut placer, dans la


bassadeur de Venise en 1563, Relation .• des ambassadeuTs "initiens,
pnbliées par M. Tommaseo, t. n, p. 26.) - Le secontl frein est la
justice, laquelle sans point de difficulté est·plus auctorisée en France
qu'en nul antre paIs du monde que 1'on s9a.che, mesmement it cause
des parlements qui ont été instituez principalement pour ceste cause,
et it ceste fin de refrener la puissance absolue dout voudroieut user


'les roys. (La monarcñie de France, par CIaude ue Seyssel, Ir. partie,
chapo x.)


1. Von veoid géuéralement par tout le royaume bastir grnnds
éditices tant pulJliques que privez •.. Et si sont les maisons meublées
de toutes choses trap plus somptneusement que jamais ne feurent;
et nse ron de vaisselle d'argeut en tous estats plus qu'on ne sou-
loit ... Aussi 80nt les habillements et la maniere de vivre plus sl)mp-
tuellX que jamais on ne les veiu .•. Et parcillement on veoid les




106 ESSAI SUR L' HISTOmE DU TIERS l~TAT


serie de nos progres nationaux en richesse et en bien-
etre, une accélération intermédiaire entre celle
qu'avait provoquée, trois siecle:; auparn.vant, la re-
volution municipale, etl'impulsion souveraine qui fut
donnée, trois siecles apres, par la révolution cOllsti-
tutionnelle du royaume. A ce point repond d'ailleurs
le premier degre de fusíon des classes diverses clans
un ordre publíc qui les embrasse ut les protege ü!u-
tes, sur un territoire desormais uni et compacte,
et 80US une administration dt~:l réguliere et qni
ten el it devenir uniforme.


n semble que Louis XII ait eu á cmul' d'éteinclre
tons les griefs dénoncés par les états de H84; le plus
grand actwlégislatif de son regne, l'ordonnance de
mars 1.499, en est la pronvo. L'on y voit, á propos du


maringes des fcmn1cs trop plus granas ct le pl'ix <les héritrtgcs ct
de tou:e& autres elwses plus hault ... Le reYenu des beaéficos, des
terres et des seigneuries est c"eu partout génel'alemcnt do beau-
coup ... Anssi est 1'0ntl'eCOnrs .le la marchandise, tant par mer que
par terre, fOl't l11ultiph{.. TOntes gens (excepté les no bIes, lesqncls
encare jo JI'excepte pas tons) se meslent de l11arc]mnoise. Et 1'0111' un
mal'ehand que 1'0n trouvoit dn lümps dudiet roy Louys ollziesme,
riche et grossier a Paris, iL ROllell} a Lyon, et aux ::tutres 1>0I11H:8
villes dll 1'oyanme el g6nél'alcment par tonte la Franee, 1'on el)
trOllVC de ce 1'egne plus 'de cin'lll:tllte. Et si en ha par les pctitcs
villes plus grana nombre qu'il n'en souloit avoir p.11' les g1'osses el
principales citez; tcllemcnt qu'on no fuict gui(:-res D1tÜson sur l'ue qni
n'uit boutique ponr marchandise ou ponr an mécaniqne ... Von veoid
anssi quasi par tont]e royaume faire jeu,,: et csb!ltel11cns it gmm]s fmis
et cousts ... El si suis informé par cenlx qni ont princip"lc clmrgc
eles nnances du royamnc, gens de bien et d'auctorité, que les tailles S~
recouvrent it présent beaucoup plus aisément, el it moings de con-
traincte et de frais, san s comparaison, qn'elles 11C faisoicnt dn tem]"s
aes roys passez, (Les Louenges d" bOl1 roi de France LO!l1Js Xli, di,'t ph,'
du p,uple, el de la félicité de son p"'ple, par Cl::tulle (le ~eysscl, ,,<lit. ,le
Theotl. Go¡]efroy, p. 111 el SU;y.)




CHAPITllE IV 107


reglemCllt de tout ce quí regarde la justíce, l'íl1ten-
tian de satisfaire aux plaintes restées sans réponse,
et de remplir les promesses imparfaitement exécu-
tées. Le principe (le l'élection pour les oflices de ju-
dicatUl'e, príncipe che1' it l'opinion bourgeoise et
qu'avaient haU~e11l011t soutenu les 1'éformateu1's de
1H:J, s'y montre accompagné de garantíes contre
l'abus de la vénalité des charges 1. Le gouvernement
de Louis XII était surtout économe et affectueux
pour le pauvre peuple; il se proposa généreusemel1t
mais imprudemmont pcmt-etre, la túche de continuer
la guerre en diminuant les impóts. Ce roi, d'un es-
prit chevaleresque, [ut l'idolo de la bourgeoisie; íl
avait pour elle de grands égards sans affecter en rien
de luí ressembIer. La seuIe assemblée politique tenue
sous son regne fut un conseil de bourgeois ou lano-
blesse et le clel'ge Jte figurerent que comme ornement
du trone; les députés des villes et du corps judi-
ciail'e, seuls convoqués expressément, votOl'ent seuls,
et c'est d;:ws ce congres du tíers etat que fut dé-
cerne á Louis XII, par la bouche d'un representant
de Paris, le titro de Pere du peuple, que l'üistoil'ü
lui a con::;erve '.


1. V oyóz l'orelollllftllee ,le mal'S 1,199, sur h, réfOl'lllC ele la jllsticc,
arto 30, 31, 32, 40, 47 et 48. nl'cueíl des anciennes lois (ranr-aises, par
M. Ismnbcrt, t, XI, p, 323. - La vén!tlité des ch!trges, ,l'aborcl in ter·
dite par les roi8, puis tol,:rée et mise en pratiqnc par cux, 1'eparut
sons le regne ele Fmnyois l er, et depuis 101's elle se m!tintint malgré
les 1'éclamations eles étals génér!tux et les promesses du gouvernc-
mento


2. Ponl' laquelle el10se (le mariage de madame Clande ele Francc
avec Fran<;ois, comte d' Angonl@me) traicter, youlnt aueliet lien de
Toars tenir eonseil, Dont envoya a tous ses p!trlements ele Fr!tnee et
lL tontes ses "illes, ponr faire vonir vers luy ele chacull lieu gens




1Oí:) ESSAI SU R L' ti 18TOIRE DU TIERS tTAT


Il Y a de la gloire dans un pareil nom, mais une
autre gloire de ce regne fut d'établir la prérlominance
de la législation sur la coutume,et de marquer ainsi,
dans la sphere du droit civil, la fin du moyen age et
le commencement de l'ere moderne. Le projet de
rédiger toutes les coutumes de France et de les pu-
blier révisées et sanctionnées par l'ilutorité royal e
avait été con~u et annoncé par Charles VII; Louis XI
'en fit la base de ses plans d'unité de loi nationale,
mais il n'en exécuta ríen; Charles VIII décréta de
nouveau ce qu'avait voulu faire son a'ieul, et ce fut a
Louis XII qu'échut I'honneur d'avoir, non-seulement
commencé, mais encore poussé tres-Ioin l'exécution
de cette grande entreprise l. De HJ05 a 15 L5, annéc
de la mort du roi, vingt coutumes de pays ou de
villes importantes furent recueillies, examinées et
pu bliées avec la sanction définitive 2. Ce travail de ré-
daction et en meme temps de réformation de l'ancien
droit coutumier a pour caractere dominant la pré-


saiges et hornmes consultez. Et tant que en pen uc temp. [ment
en ladictc ville de Tours, de chascnnc conr de parlcment, présidcllts
et conseillers, et, de tontes les principales villes de France, hommes
saiges, ordollnez et <léplltez par lesdictes villes et pays de Franre,
cOffimedict esto (Elistoire de Louis xa, par Jean d'Auton, édit. dc TlI.
Gudefroy, p. 3.) - Voyez sur le caracti,re de cett~ assemblée
ouverte le 10 maí 1506, l'His/oire des itals gelléraux, par 1\1. Thibau·
deau, t. ler, p. 379 et suív.


1. Voyez l'ordonnance da Charlas VlI, avant Paques 1,1.53; et
celles de Charles VIII, 28 janvier 1!93 et 15 mars 1497, 'írcuril
des Oi·donnance.s des "ois de France, t. XIV, p. 2H4, et t. XX, p.433,
et Richebolll'g', Co!!(umie/' gel/eral, t. IV, p. 639.


2. Celles de Tountinc, Melun, Sens, Montreuil-SllT-~Ier, Amicns,
Beauvoisis, Auxerre, Chartres, POitOll, l\laine,Anjoll, Meaux, Troyes,
Chanffiont, Vitry, Orl~ans, An vergne, Paris, AlIgOllJllois et La 1,0-
chelle.




CIIAPITRE IV 109


ponderalH:e du tiel'S etat, ele son esprit et de ses
mceurs dans la legislaLion nouvelle. Un savant ju-
riste en n t:'1it la remarque, et il cite comme preuve
les ehangements qui eUl'lmt lieu, pour les mariages
entre nobles, dalls le regilllo des bien s conjugaux1•
A ce geme el'alteration que les coutume~ subirent
pre:sque tontes se joignit pour les transformer la
prossion que le droit romain exergait de plus en
plus sur ellos, pt qui, ú ehaqlle progres de notre
droit national, faisait perch'e a ce dernier quelque
chose Je ce qll'il temit de la tradition germanique.


Au roi qui avait reproduit l'une des faces du ca·
r::tetere do saint Louis par su soumission i la regle
et son attachement au devoir, succeda un prince
qlli ne eOllllut d'autre loi que :ses instinets, sa vo-
lonte et l'interet de sa puissance. Hem'eusement
parmi les hasards ou Fran~ois ler abandonnait sa
conduite, il lui arriva souvent de rencontrer justo
pour sa gloire et pour le bien clu royaume. Ses illS-
tillcts, mal gouvernés, étaient généreux et ne maE
quaient pas de grandeur; sa volonté, arbitraire et
parfois violente, fut généralement éclairée, et ses
vues ego'istes furent J'aecord ave e l'ambition natio-
nale. Novateur en choses brillantes, il ne ralentit
point le progres des choses utiles. Louis XI s'etait
rendu odieux a la noblesse, et Louis XII lui avait
déplu en continuant la meme ffiuvre sons d'autres
formes; de la le clanger d'une reaction capable cle
jeter le pouvoir royal hors des voies qu'il s'était


1. nr. ÉdOllarJ Labonlaye, Rec/w,.r,hes sur la condition civile et
~¡/ililue des {cmmes, dcp!lis le.< Roma;,," jusqtt·o. nas jours, p. 378.


7




110 ESSAI SUR L'HISTOlllE DU TIliRS ETAT


frayées de concert avec la bourgeoisie. On pouvait
s'y attendre a l'avenemont d'un roí gentilhomme
avant tout, et affectant de l'etre dans ses vertus et
dans ses vices; mais il n' en fut rien, grace ida cause
meme qui renc1ait probable un pareil retour. L'amour
des nobles pour le nouveau roi, la seduction qu'il
oxer~ait sur eux, endormit leurs passions politiques' ;
ils virent sal1S résistance et sans murmure se con-
tinuer l'euvahissement des offices royaux sur les
seigneuries. et le mouvementqui entralnait toutvers
l'egalité civile et l'unité d'administration. L'activité
qu'ils avaient trop souvent gas pillé e en turbulence,
ils la dépenserent en hérolsme dans les batailles
que la France livrait pou!' se faire une place digne
d'elle parmi les États européens. Ils se formerent
d'une fa~on plus sericuse et plus assidue q ne jamais
ú cette grande école des armées régulieres, Ol!
s'apprennent, avee le patriotisme, l'esprit d'ordre,
la discipline et lo respoct pou!' d'auÜ'e,3 mérites que
ceux de la naiss::mce et du rUllg 2.


1. Jmnnis n'avoit este veu.l'oy en France de qui la lloblesse s'es ...
jOllyst adan!. (Ilistoire du chevalie>' Bayard, é,lít. de Theou. GodeCl'o)',
1650, in-12, p. 361.)


S. Et ilavantage il y a la. gendarmeríc ol'díllaíl'c p1lls gl'ande [·t
111ienx payée et ent1'6rel1UC qu'en 11ul alltre lien que Pon s~:ache,
laquelle est introllnícte tant ponr la iléféllse ilu l'oyaume, et a¡¡"i
a!in 'ln';l y aít tOlljollrs nombre sulllsant ,le gens an11CZ, et montez
et exercítez aux armes, qn'aussi ponr l'entret~llell1ent des genti1z-
hommcs, et sí y sont les chnrges delmrties, de sorlc qll'un bien gr:ud
nombre de !luDies hOlllmes ct de il¡versc5 concl¡üolls se penvent cntrc-
tenil' llOIlnestement, encoro qu'il n'.r ait fWClll,C gucl're an roynlllnr.
Cal' les grands Ollt c1¡ftl'ge de gens el'a.rmes plus grande Otl lTIoindrc,
selon lenl' qualüé et vertlI. Les antres sont lientt'nants, les mitres
pOl'teul's d'cllseiguc3, 1c3 [l.titi·C~J bJ~LllleS tl'.tl'l1l0S et les nutres urchcrs,




GHAPITHE IV 1Ii


La marche ascendante de la cívílisation frangaíse,
depuis les dernieres annees du quinzieme siecle, se
poursuivit sous Frangois rer , en dépit des obstacles
que lui opposaient, d'ul1e part, le desordre 00. tomba
l'administration, et, de l'autre, une lutte politique 00.
la France eut plusieurs fois contre elle toutes les
force s de l'Europe. Au milieu de dilapidations scan-
daleuses, de grandes fautes et de malheurs ínou'is,
non-seulement aucune des sources de la pros perité
publique ne se ferma, mais il s'en ouvrit de nou-
velles. L'industrie, le commerce, l'agriculture, la
police des eaux et forets, l'exploitation des mines,
la navigation lointaine, les entreprises de tout gen re,
et la securite de toutes les transactions civiles furent
l'objet de dispositions legislatives dont quelques-unes
sont encore en vigueur l. 11 Y eut continuatio~ ele
progres dans les arts qui font l'aisance de la vie so-
ciale et que le tiers etat pratiquait seul, et il y eut
dans la sphere plus haute de la pensee et du savoir
un élan spontane de toutes les facultes de l'intelli-
gence nationale. La, se rencontre á son apogée
cette revolution intellectnelle qu'on nomme d'un seul
mot, la Renaissance, et quí renouvela tout, sciences,
beaux-artti, philosophíe, litterature, par l'alliance de
l'esprít fralH;ais avec le génie de l'antiquité.· A ce
prodigieux mouvement des idees, q ni ouvrit pour nons


et encore les jeunes gentilz"hommes y sont nourris pnges. (La mOllar"
ehie de Frailee, par Clande de Seyssel, 1re p,n·tie, chapo XIY.)


1. Voyez, dans le Recueil des anciennes lais rran~(úses, pur
U. Isambert, t. XI et XII, les Ordonnances de Franyois Ior, et
entre antres) l'édit de Villers-Cottcrets, en 192 articlcs; uoút
1539.




H2 ESSAI sen L'IlISTOJI\I:: De TIUi3 HU


\C" temp'" ffiOUenie¡;, Y\ilsbil'c attac118 le nom (\e
Fl'anºois Ier, et c'est ,iustice. L'ardeur cmicl1se rlu
roi, son patronage sympathique et SI.~S fonelations
liberales precipiter:,nt la nation sue la pente GÚ elle
cheminait el'dle-meme. L'impulsion une fois donll~e
suffit, et, sous Henri n, réclat nnuveau dont b¡'il-
laient l'art, les sciences et les lettres, s'accrut en-
core sans que le roí y fUt pom ríen l. Ces deux
regnes forment ulle scuIe éporlue tlans l'histoire
de notre civilisation, periode it jamais admirable,
qui embrasse cinquaute-nellf ans du seizióme siecle,
et marque el'un signe glorieux le caractóre de ce
siecle, si granel dans la premiere moitié ele son
coues, si plein de misel'Bs et de convulsions dans
1::1 seconde.


Quand survint l'époque fatale des guerres ele reli·
gion, la France, rassise ~¡¡r elle- mellle apees de lon-
gues arinees d'action au dehors, allait prendre un
elan contraire et concentrer ses forces dans le travail
de sa p¡'ospérité intel'Íeure. Tout l'annon9ait C\U
moins, et deja se marquait fl'une fa~on eclatante la
dircction de ce mouvement. l\Ialgre l'épl1iserncnt de
re~SOUl'ces, causé llar des cxpeclitir)!ls lointaines et
des conquetes plusieurs fois perdues, reprises et per-
dues de nouveau, le pays déployait dans les arts de
la renaissance un luxe inconnu jusque-lá. Il étonl1uit
les Italiens eux-memes par le nombre et la magnifi-
cence ele ses nouvelles constructions en palais et eIl
chúteaux:. Ces btttiments couverts de sClllptllres


1. Voycz 1'(Ji.loi .. e de Flal'~'e de 1'\( IIümi i\Iartin, t. IX, p. 60
et Slti,· , 2(j7 ot suiv., el 027 et suiv.




ellA prrnE IV 113


dont nous ac1mirons jusqu'aux debris, des jardill.'l
ornes de süüues, de portiques, de bassins de mar-
bre et d'eaux jaillissantes, rempla~aient dans beau-
coup de campagnes voisines ou eloignees de Paris,
les tours et les garennes des manoirs seigl~eu­
l'ümx 1,


La noblesse, a l'exemple des rois, procliguait l'ar-
gcnt pour ce 1l1xe de la civilisation, et si le mérito de.
l'muvre apparteuait á des artistes roturiers, il y avait
un me¡'ite aussi ponr les grallds seigneurs dans le
goút du beau qui lour faisait faire de pareilles depen-
ses, Plus tard ce meme goút, s'appliquant par la
conv(~rsation polie au jugement des choses de 1'es-
prit et des productiol1s littéraires, contL'ibua, dan s
une mesure qu'il ost j llste de recoIln;litre, au progres


l. Faurica aJan~lle la 1l0biWL a i eastclli e a i vill~~gi; e se ne
vegp:ollo, PCl' Jire il Yero, pcr tntto il regno cditicii tanto supel'h,
clt' e un stnpore. 1'orchi" bsciando di parlare Jel parco di Seiam-


'l!llrgh (Chamhonl) Ill"CSSO Blés, di queIlo di Fontanauleo, di ;\ladl"il
()Jaurid), di San Germano in Laia, di qurllo di TIoes di Vincen-
Iles, di San Moro, allo in torno di Parigi, senm la infiniti, di qnelli
che io 110n ho "eJuti, che sano machine reali, e di quene a punto
che favolep;giftllo li r0111unzi esser statc case cH ~Iorgana e di Alcina,


.cEro el:e in qncsto li prillcipi ~ li pnrticolnri signori e cn.Yn.lieri nsn.no
ul!a estl'cma libcmliti\ e spesa. E come che pochi io ue allbia vedutí,
.Jira nondimeno che, a mio giuc1izio, non si puo aggiungere ne desi-
dorare cosa alcllna nel caslello tli Equam e in quena Ji Haion (Gail-
Ion) del cardinale di Horbon; in quena di Seiantili (Chantilly)
eh' era del duea di l\1ontemorency ; in quello üi Koisi del mareseial di
Reez; quena üi Vernoy(Verneuil) del duca di Kemours; di MeJlln
(~feudon), del surlelto carJinaJe; tutti ehi sei, el,; atto e ehi <lieci
)egl!e lontani da Pnrigi; clove si veggono archi, aquiJ.otti, statue,
giarJini, pnrchi, reschiere, e tntte quelle commodita in line che si
¡'icercano a e.1ificii regii. (Voyage rle Jerome Lippomarr", lIelations
des ambassadeurs 1'énitic1!8 sur les afftLires de FrallcP al! ~:,i::;fhne siecle,
'pllhliées par ~J. Tomlllasco, t. Ir, p. 4'l0.)




H4 tlSSAI SUR L' HISTOIIl.E DU TTEIlS ¡:;TA'J'


des lettres sous Louis XIV 1, C'est par ce genre d'in-
fluence, plus que de toute autrfl maniere, que l'an-
cienne aristocratie a eu dans les temps modernes
sa part d'action sur le développement moral et social
de la France. Toujours prete lorsgu'il s'agissait de
combattre poul' la défense ou l'honneul' du royaume,
mais hors de la peu amie du travail et des occupa-
tions sérieuses, la noblesse fran<;aise a été dans la
nation une classe militaire, et non, comme elle aurait
pn l'etre, une elasse politique, Depuis gu'un gouvel'-
nement digne de ce nom commen<;a de renaitre sons
l'influence des principes du droit civil, et que, po nI'
remplir les fonctionsjudiciaires et administratives, il
fallut delongues étndes, la vie sédentaire et une ap-
plication de chaque jour, loin d'ambitionner ces offiees
etle pouvoir qui s',y attachait, elle ne les vit gu'avec
dédain. Elle s'en éloigna d'elle-meme plutót qu'elle
n'en fut écartée par les défiances de la royan té , ot,
bornant sa poursuite aux offices d' épée et aux charges
de cour, elle laissa tomber tout le reste dans les
mains du tiers étaP. Ce fnt une grande fante pOUl'


1. Voici de ce fait, dont les prcuvcs abond('nt, un tl'm[¡;~ll"n'C
irrecusable, celui de Roilean dans son épitre it Racina : n c-


Et qu'importe " nos vers que Perrin les admire .. ,
Paurvu 'lu'ils pllissent plaire an plus pnissant des rois;
Qll'" Chantilly Candé les souffre quelquofois;
Qu'Enghien en soit tOllché ; que Calbert ot ViV0l1110,
Que La Rochefollcanld. ilbrsillac et Pompone,
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entror,
11 leurs traits d(,licats se htisscnt pénétrcr? ..
C'cst ,,' de tels lectcnrs qnc j'offrc mes écrits,


2. Une OrdOllnftnCe de Chn¡-l,'s YI, sur le 111)min''', les fonctiollS




CHAPlTRE IV H5


elle, et peut-etre un grand mal pour la destinée du
pays.


Au temps ou nous sommes parvenus, le tiers état
se trouvait, par une sorte de prescription moins ex-
clusive a regard du clerge qu'a celui de la noblesse,
tenir la presque totalite des offices de l' administration
civile jusqu'aux plus eleves, jusqu'a ceux qu'on a de-
puis designes par le nom de ministores. C'etait de la
c1asse plebeienne qu'au moyen des grades universi-
taires et d'epreuves plus ou moins multipliées, sor-
taient le chancelier garde des sceaux, les secre-
taires d'État, les maltres des requetes, les avocats
et procureurs du roi, tout le corps judiciaire, com-
pose du grand conseil tribunal des conflits et des
causes reservées1, du parlement de Paris avec ses
sept chambres 2, de la cour des comptes, ele la cour
eles aides, de huit parlements de province 3 et el'une


et les gages des officiers de justice et de finance (7 janvier 1400),
porte ee qui suit : " Que doresnavant, quant les lieux de présidens
" et des autres gens de nostre parlement vaequeront, ceulx qui y
" seront mis 80ient prins et mis par elleetion ... et y soient primes
1( bonnes pel'sonnes, sages, lettrées, expertes et notables, selon les
1( lieüx oh ils 8e1'ont mis ..• Et aussi que entre les autres l'en y
"mette de nobles personnes qui seront a, ce suffisans. II (Ordan-
nance des rois de France, t. VIII, p. 416.) - Voyez oi-apres,
chapo VII,


l. Ce tribunal, démembré du conseil d'État et chargé de la partie
la plus haute de ses attributions judiciail'es, fnt établi par deux or-
¿¡onnanees rendues en 1497 et 1498.


2. C'étaieut la grand' chambre, ou chambre du plaidoyer; la
• lournelle, Oll chambre criminelle; quatre chamb1'es des enquetes et


une des requGtes du palais.
3. C'étaient, a la lin du regue de Henri n, les parlements de


Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Rouen, Aix, Rennes et
Dombes.




116 ESSAI sen L'HlsTOlnE DU TIEns ÉTAT


foule de sieges inferieurs en tete desquels figuraient
les presidiaux. Pareillernent, dans l'adrninistration
des finances, les fOl1ctionnaires de tout rang, treso-
riers, surintendants, intendants, contruleul's, rcce-
veurs generaux et particuliers, étaient pris parrni
les bourgeois lettres qu'on appelait hornmes (le
robe longve l. Quant ú la juridictioll qu'exersaient les
s ~néchnux, les bnillis ct les prévots du roi, si cette
classe d'officcs continuait cl'Ctre tenue par des gen-
tilshommes, ceux-ci devaient toujours avoir dcs
licutenants ou des assesseurs gradués. Les seuls em-
plois qui fussentinterdits a la bourgeoisie etaicnt les
gouvernements des provinces, des villes et des for-
teresses, les grades des arrnees de tene et dc rner,
les charges de la nwison clu roi, et les ambassades
'confiees, suivant l'occasion, i des hommes de haute
naissance ou á des membres du haut clerge. Le su-
preme pouvoir déliMrant, leconscil d'État, formé in'i-


L Per dir prima. iJel torzo sta.to del púpulo, q ucsto hu scmp"c
nclle m[l.ni quattro import:mtissillli of!leii, o sia. per Icg¡rc, o jl~r
antica consuetudine, o percho alli 110bili 110n par ol1orovole osorci-
tnrsi in questa. sorte di carichi, II primo e I'offizio di gran clIncel-
liero, che va in tutti gli consigli, che tiene jI gran sigilJo, e sonz¡;
il parere del quale non si delibera 11CSSmln cosa d'importanza, e
se, si delibera, non s'esogllisce, L'altro e qnello clúlli secretarii, ulli
quali ciascuno, secondo il SllO particolure carico, e depntata la Cura
de ,l'espedizione delli negozii, e custoc1ia delle scrittlll'e e dolli secreti
piu important;, Il torzo e dogli presiiJcnti, consiglieri, giudici, avo-
cati, e u!tri che hmmo la cura delle cose della giustizia cosi in cri-
minale come in civil e pe!' tutto il regna, Il qual'to ¡, iJelli tresorieri,
esMtori e recevitori gCllol'"li e p:trticolul'i, per le mani delli quali,
pass a tutta l'lImministrazion dclJi danari, del!' entrate, espese della
corona. (CoH21nentaire,'j sur le l'oyall1n(! de France) par ~1ichel Suriuno',
~tlnbassadeur de \Ten1sC' en 15(j]: llell1liolls del'! o1ll(JI/ssadcurs r~:J1itié'lIs,
t. 1. 1" ,¡nri,)




CrrAPITl\E Ir 117


qu'au quatorziúme sieele par moitié de barons et de
gans d 'Égli,.;e, comptait it la fin du seizieme des gens
de robe en rnajol'ite parmi ses membres·, Ce fllt
vainement qu'alol's un grand ministre, ne gentil-
homme,eut la p3nsée de ehanger eette majorite, de
donner aux grands seigneurs le droit de seanee dans
le eonseil, et d'en fait'fl ainsi pour la noblesse une
eeole d'administration 2 •


Les offiees superieurs de judieatnre et de finanee
procuraient anx titlllaires, ontro lenrs appointements
plus ou ll10ins eonsidérables, des priviléges eonsti-


1. Le nombre des o.ssistallt3 nobles y était réduit, srtl1f les cas
extmordÍnaÍres, an connétaLle, aux maréclw.l1x de France et aux
amiraux.


2, Sully écrivallt it Romi IV, lui disait: " Sire, je ne sais pas an
" way qui vous pCllt [\\'oir fait deS' pluia!es qn'il entre plusieurs
" personnes dan s vostre conseil ,l'estat el des financcs, lesqnelles n'y
" ,levroieut nullemont estre admises ... Afin de parler selon ma
" f,'anehise accoustumée, je ne niemy point qne jo n'aye sauven!
" oxhorté les princes, dues, pairs, afficiers de la couronne el autres
" .eignelll's d'illustl'e extmetian, et que j'ay l'eeannus avo;,' bon es-
« pl'it, de quilter les cajoleries, fainéantises et bagnenaudcl'ics ,~e
« cour, ue s'appli'luer anx choses vcrlueuses, et, par des occllpa-
{( tions sérieuses et intelligence des affaires, se rcndre dignes de
« lems naissal1ces, et capables d'ostre par vous h0l1orablemo11t em-
" ploye/.; et que, pour faciliter ce dessein, je n'aye convié eeux de
« ces qualitez qni ont des brevels, de se rendre phls ass:dus eS
« conseils qne non s tenans ponr l'esto.t et les finances, les asseumnt
« qu'ils y seraient les miellX venus, moyennant qu'ils On lIsasse;ü
« avec discnitioll, et no s'y tl'ouvassent point plus de qnatl'e on cinq
« "la fois, afin de tenir place de pare;l nombre de santanes qni
(( ne faisoicnt que llons in1portnner sans cessc, chose qui nl'a ~cm­
« bl<\ bien plns selon la dignité de Va sIl'O I\Injeslé et ue son
• e,t1t, que de voir en ce líeu 1" un tas de maislres des requestes et
« autt'es bonnets COl'llttS, qni font une colli\o de vostre eons"il, et
«vondroient yo)ontiers réunil'e tontos les affaircs d'estat et de
« tinance en chiqllanel'ic, » (Mémoires de S1IlIy, anll{,e 1607, collcc-
lion ~licl¡and el Poujollbt, t. JI, p, 185,:,




liS ESSAI SUR L'HISTOrRE DU TIERS ÉTAT


tuant pour eux une sorte de noblesse non transmis-
sible qui ne les enlevait pas -au tiers état. lIs étaient
exempts de divers impáis ou péages, et pouvaient
acquerir des terres nobles sans payer les droits exi-
ges dans ce cas de tout acheteur roturier l • Pour
ceux qui occupaient les premiers postes, de grands
emolumcnts accumulés par l'économie, grtlce a la
simplicite des mCBUI'S bourgeoises, produisaient des
fortunes bient6t realisées en possessions territoria-
les. L'heritage du gentilhomme ruiné par ses prodi-
galités passait ainsi entre les mains de l'officier royal
enrichi par son emploí1 • II y avait deux chemins
pour parvenir aux offices: celuí de la nomínation di-
recte obtenue par le mérite, seul ou aidé de faveur,
et celui que frayaitaux candidats la vénalité des
charges, abus passé en coutume par la connivence
des roís, mais qui, a cause des conditions de grades
et d'examen préalable, ne dispensait pas de tout
mérite. La riche bourgeoisie profitait de cié'tte voie,
pendant que l'autre s'ouvrait, au prix de fortes
études, á toutes les classes, jusqu'aux dernieres du


1. Fra gli 1Iomini di I'obba lllnga, ogn'nno che ha grado di pre-
sidente o conseglicro o aItro simile s' intende nohile e privilegiato,
e vien trattato come nobile in vita 511a. (Relalions des ambassadeur.'
""nitiens, t. 1, p. 484.) - Le royaume est compasé de plusieurs pieees
,livisées en ecclésiastiques, noblessc et peuple ... Le peuple est divisé
en officiers royaux, aucuns qui ont des seigneuries, en artisans ot
villageois. (Mémnires de Gaspard de Snnlx, scignenr de Tavannes,
coIleetion Michaud ot Ponjoulat, p. 233.)


2. L'on void tons les jonrs les officicl's ct les ministres <le la jns-
ticc aequérir les héritages et seignel1ries des bal'ons et lIoules horn-
mes, et yceulx nobles venir il. telIe panvreté et néccssité, qn'ils ne
peuvent entretenir l'estat de noblesse. (La .'!fo""reMe de ~"ance, pal'
Clande de Seyssel, 2" partie, chapo xx,)




CHAPITRB IV w¡
tiers etat l. Un' envoye de Venise, oh~ervatcl1l' i)[tp::tC(\
remarque dan s les familles de cet ordre, comme Ull
trait caracté1'istique, le soin des parents a faire que
quelqu'un de leu1's tils 1'e<;;oive l'instrnctioIl litte-
raire, en vue des n')mbreux emplois et des hautes
dignites qu'elle procurait 2 • Il attribue a cette am-
bition le granel nombre des universites que la France
possedait alors, et, elans l'TJniversitéde F¿ll'is, le granel
nombre des etudiauts, qu'jl porte a plus de quinze
mille 3 • Un autre ambassadeur venitípIl observe quP
ces ótudiants pour la plupart sont tres-pauvres et


1. Et sí penlt chascun ¿¡n¿¡i.ct ¿¡ernior estat parvenir an 5eco11(1 palo
vertll et diligonce, sans nutre moyen de grilce ne ¿¡e privilége. (La 11[0-
narehie de France, par Clan de de Seyssel, pe partie, chapo XVII.) L'all'
teur, mellant it part l'ordre ecclésiastiqnc, campte trois étals aans la


• popuJatian, savoir : la nobJesso, le peupJe moyen et le peuple menn.
2. Onde restando in mano Jel populo tutti questi oftizii Con che si


acqnista reputazione e richezzc, e toccandone sempre dne agli uomini
di lettere ° di robba Junga, quel di gran cancolliero, e il manllc!(gio
¿¡ell" giustizia che e amplissimo e ha lnoghi innniti, og"i p,;,!r('
cerca di metter qllnJcuno de snai tigli aJlo stnJio por qncsto
effetto. (:\Iichel Suriano, Re/alions des amba,sad,,,r,, VIi"i!¡,,,,,, t. J.
p. 486.) -- .¡é,ume Lippomano, ambassaacur en 1577, répct0 l:t
m[.me chose L1a.ns les tenncs snivfLllts : Onde li [lnrlri '11/r,<;to on!iI¡I'
IW11110 (J'!eSta cura p""tico/¡,re di discirdinarc ii loro pglúlOli 1Ieíle ,eI-
teJ'p, per {al'li '/Iomini di raba lunga e lJcr abUitarli allr dium'ta .~OlJr(l­
detle. (Ibid., 1. Ir, p. "OO.)


3. Che di qni1 nasce tanto numero ,]i scolari in Francia, el,e 11:'"
ne SOliO ultra tanti in alenll nItro regno di Cristiani . e J>~Lr;gi
solo n' ha piü di quindicimih. (Ibi,1., t. 1, p. 4HI¡.) - l"a rela-
tion de JéJ"Cime Lippomflllo donne un chifTl'c beancoup plus l~le\:é :
Causa ¡:he 1Je" il 1'l~{Jno Bi l'C{I[JfnlQ [nnte ulliversi/(l'j e {ll1ell{~ t11i1C ('o,~í
l)iene di seolari, I? .1l])ccialnlCnle h), '-11ldh di ['oriDi, ¡leila qlj(lle re '/Ie
sono seml'l'e t'cntir:i'nquc o tT'(!lliamila. prl' ordil/ario, (lhid., t. Il,
p. 496.) - En 1560, il,y lwait en Fmllce dix-hnit lllliversit'\s.Voyez
l'llistoire de ¡'irlsttlletion 1",b7iqtle '1' Dl1TúI'", par :M. Y"llct ,le Yiri-
ville, p. 193.




f20 ESSAI sun L'¡¡¡STOIRE DU TlEHS I;TAT


vivent des fonibtions f"ites dans les colléges, témoi-
gnage certain, pour le seizieme siecle, de eette aspi-
ration des elasses inférieures vers les lettres et le
savoir quí se marque prrr tant de signeR dauR les
deux sieclcs suivrmts l.


Tandis que les jeunes gens du tiers etat qui se li-
vraient a l'étude :1vaient devant enx l'espoir d'arri"er
aux plus hautes fonetions publiques, pour eeux qui
s'en tenaient ú suivre la profession (le leu1's peres, ,
les métiers de changeur, d'orfévre, de mercier, de
drapier,de fileur de soio, ou d'aut1'es inférieu1's á
ceux·lú, mais non moins lueratifs, la perspective
s'agrandissait. Gri\ce au progres des relations com-
merciales, et au developpement ou, pon1' mieux cUre,
a la naissance du crédit, il se formait dans la bour-
geoisie marchan de, pour y prendre le premier rang,
une classe nouvelle, cetto classe d'hommes qui accu-'
Illule des capitaux en meme temps pour son protit
et pOTIl' le sel'viee des autres ; qui, par l'esp1'it d'éeo·
nomie joint ú l'esprit de spéculation, remplit ineos-
S:lmmeut lo vide que font dans la dehesse publique,
el'une pal't, les dépenses nécessaires au travail pro-
ducteur, et de l'autre les eonsommations improdue-
tives. Le systcme des fermes génerales importé


1. Il si ndio e di forse sodici in vintimila scolal'i, m" malta misori
per il piú; ViVClldo nelli collegii chc sono stati fonilati a qnesto, (Re-
latíon de Marino Cavalli cllvoyé en 1546, ibid., t, r, p, 262.) -
Vers 15,jO, il Y avait it Paris soixante-dol1ze colléges, l::t plujlart
fondés spécialemcnt pon1' ,les vi!'es et des provinees de Franco,
dont ils portaien"le nomo Ql1clql1es-uns, comme eel1X des Allemands,
(~es Lombnrtls, dcs f;cossais, de Sllédc et de. Cornonai!le étnicnt t1,,~
fondatiolls étl'flng¿'l'Cs. - Vo"'('z l'on\'l'agc rléjil cite de l\f. Yallet
de Viriville, p, 1(;0,




CfL\PITRC n'


a'Italic cn Frallce, et les opel'ations de cl'edit aux-
quelles s'essaya d'une fa~on plus ou moins heureuses
la dynastie des Valois, commencerent a fonder l'im-
portance de plus en plus grande des capitalistes qu'on
appelai t alors financiers 1, Chargés de faire, soit
comlnc' fermiers soit comme régisseurs, le recouvrc-
rnent des imp('¡ts, banquiers du tresor et dépositaires
des receUes opérées par les comptables, avan9ant des
fontls pOli!' toutes les entreprises de guerre ou de
paix, ils eurent, dans les affaires d'État, une part
indirecte mais considerable, Suivant leur degré de
richesse et d'habilete, ils furent accueillis, recher-
chés, distingues, me me a la cour; ils firent des al-


'liances de famille avec la haute magistrature, et
r.pporterent au tiers état non des vertus comme
celle-ci, mais de la puissance, cette puissance que
<1onne l'argenP, On peut suivre, depuis le milieu du
seiziéme siecle jusqu'aux derniers temps du dix-hui-
tieme, le progres de leur influence vainement com-
battue, leur carriere semée de faveur et de haine, de
gaills énormes et de cruelles avanies. Toujourl'l mau-
dits et toujOUl'S necessaires, ils étaient en butte a une
ac:clIsation perpétllelle, et pal'fois a des représailles
pluf: monstmeuses que ne pouvaient retre leur avi-


1 VOYl'Z les RecJ.ri'c/¡es sur les fi1l(UlCeS de la France, par Forbon-
n~üs, t. I 1 p. 1H ct 5\11\'.


2. Li mercallti, pei' csscre a qucsti tempi patroní ueí uanarí, sono
favoriti e nccftl'czz:üi, 111:1 non 11anno niunn. prccmillcnza di uignitit ...
pero anco qllcstO (ll'<lillc ¡j'uOluini va col resto de! poplllo minuto
e u"l1a plebe, e pagct la sua granzza come f.~nno gli iguobili et Ji
villani. (Comlllmlai,.,.,< ,<liT le royanma de France, par Michol Snríano,
~elatjons des mllbasuu¡['llrs rh/l"lit1Is, t. J, p. 4H5.)




122 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ¡'~TAT
dité et leurs fraudes l. Le jugement porté sur eux en
général ne fut jamais parfaitement juste, parce qu'il
8'y mélait de cette envie qu'excite l'opulence rapide-
ment acquise, parce qu' en supputant le profit de leufs
traités forcément usuraires, on ne tenait pas compte
des hasards qu'ils avaient courus, et qu'en regardant
l'immense et prompte fortune de quelques-uns
d'entre eux, on oubliait la chute non moins rapide
et la ruine complete de beaucoup d'autres.


1. Voyez ci-apres, chapo VII, et Forbonnais, ReGhel'ches sur le!
«llanees, t.l, p. 290 et 339, et les tomes slIivants passim.




CIlAPITRE V


LE3 É'UTS C;(;NléIl.\UX DE j 5C0 ET CEL: Jm 1 t>7G


~O~IMAmE: La ranrmatiou rti Fl'anl:r. - Avbw:lIrnt de Charles 1X. - Le C!J111-
cdier de l'llÜ¡lltal. - EI,üs géllél'JLll: dc 1;)60 I ordonnance d'Orlé:ms. -
AsseruLlée lle Poutoisr.. - Gommellcemeut de l.1 gllp.rre ci\'ile. - Tl'avaux
légi::--latifs de 1'1Iupital , ordonmmce de .Molltins. - Snites dn massaCrC de Ja
S3int-1l3Ttlléle:ny. - i'íonveall parli formé de l'roteslallts el de catholiqnes.
- A"é¡wmcllt de IIen~i III. cinqnjeme édit de pacification. - La Ligue, SOl!
bnt, sa pHissance. - Etats géllérallx de 1.576, ordounance de Bluis. - lfenri
de Dourhon roi de Kavarre i conseil~ qu'il adresse anx états. - Projets el
popnJarité dn dile de Guise.


Le schisme de laréforme, le plus grand mouvement
d'opinion qui ait remué la soci6te fransaise avant
sa revolution de 1789, ne fut point chez nous, comme
dans les pays du Nord, spontané, irresistible, lié ú
des instincts nntionaux, a d'anciennes velleites d'in-
dépendance religieuse, a des faits dont la canse,
venue de loin, remontait haut dans l'histoire. La


, plus grande partie de l'Allemagne et ele la Suisse,
les royaumes scandinaves et l'Angleterre, nation"
et gouvernements, avaient rompu sans re tour avec


'l'église romaine avant le milieu elu seizieme sieclf),
tamlis qu'en France le beso in de rénovation dans la
foi, la morale et la discipline chretiennes, quoique
senti vivement par les intelligences libres etles
ames pi81~,;es qu'agitait l'esprit du siec1e, trouvait la




!2t ESSAI sun r.' IllSrOIf\E DU TIEns ÉTAT


royaUltl toujours detiante ou hostil e, et ne parvenait
point a s'emparer de la masso ou de rune des grandes
classes de la nation. Quel que flit le courage ele leurs
convictions et le mérite de leurs chefs, les protes-
tants fran<;ais « ne formerent, dit un historien emi-
«( nent 1, qu\m parti clandestin et persecute, jusqu'au
{( jour ou la faiblesse de l'autorite royale exercee par
«( un prince mineur donna á ce partí l'apIHli ele la no-
«( blesse, et lui permit de se montrer, de :-e cOllstituer
«( et d'agir. »)


A u regne de Fran<;ois n, qui, ú proprement parler,
ne fut qu'une minorité, l'avénement de Charles IX
en ajouta une seconde. Dix-sept moi~ ayaient sufti
pour que les passions religieuses, d'un cóte poussées
a l'extreme par une repression atroce, de rantre en-
conragées par une connivence indigne du pouyoir,
fissent alliance avec les ambitions politiqnes, et pour
qne le pays se trouvat divise en deux grandes fac-
tions ayant des princes a leur tete, et formées,
l'une de la majorité des nobles, l'autre de la ll1Eljorité
du peuple unie au clergé. Entre les partis (~xalt(;s
jusqu'au fanatisme, et quí, protestants OH catholiques,
appelaient résolument la guerre civile, íl y avait Ul18
opinion ll10déree qui,.ne voulant ni de la perSeCll-
tion contre les rEiformes, ni pour enx du recours aux
armes, cherchait, par la tolérance et la demande
(l'une transaction, á maintenir dans le royaulllC rll-
nite de n~glise, soutien, clisait-on, de ceHe de n;:ta~.


L :\1. 1\Jignet, De 1'{:((1.UiiSSI>/J1f!lIt de In, 1'é(nl'mr: fl'li.,ic1Isr el de h
ronslill1lion du colri'Ú$lIli! ({ (;/'u>/"', Xo~:{'cs et ~r0m()il't.:s 1.::-.,tuli 1;:('5,
t. 1I, p. 248.




crUPITflE v 125


Ce p:1l'ti du boÍl sens Hational avait ses principales
racines dans la boul'geoisie; il était ennemi du
schisme, mais non de la liberté de conscience, et
il sentait le besoin de sérieuses réformes dans les
rnrours et la constítution du clergé fran<;ais. 1'els
fUl'ent les sentiments et les idées qu'on vit prevaloir
oans les délibératiolls des états généraux de 1560,
et qui marquent (¡'UIl Cal'actel'e a part cette assem·
blée qui, sur les droits de l'État, en matiere d'or-
ganisation ecclésiastiq 11e, pensaet proposa des
ehoses qUA les r!lyolutions mooernes ont seules pu
cxócutcr t.


Il Y avait alors (1ans le conseil du roi mineur,
comme chef de la magistrature, un homme que son
sí()cle a honoré el'une admiration respectueuse et qui
reste grand pour le nutre, Michel ele l'Hopital, elont
üll peut dire qu'il eut le génie d'un législateur, filme
rl'un philosophe et le ccenr el'un citoyen, Fils d'nn
bourgenis, et deyenu chaneelier de Franee, c'est-a-
dire premier ministre, il porta dans le gouvernement
les principes traditionnels du tiers état, l'attache-
ment au maintien de l'unité fran<;aise et aux libArtés
de l'église gallicane. 11 sut faire accepter a la reine
mere, Catherine de ~Iédicis, sa politique, dont 1'es-
prit était qu'au milieu des changements de l'Europe
la France demeurút elle-meme, et que sa personna-
lité ne f'ut absorbee ni par la révolution religieuse du


1. Les "tats convoqués tl'abor.l " Menux, pl1is ,t Or!{,nns, S'O\lvrí-
rent le 13 ué~cmbre; on y cOlllptait 393 dé]llltés, savoí!" : 9B pour
le clel'gé, 7(, pon!' 1" nohlessc, et 219 ponr le tíl'!'S état. Voycz la
liste de ces ,1emíe!'" cí-a!,r;'s, appendíee 1 L




126 l:JSAI SUR L' HISTOIRB DU TIllRS ÉTAT


Nord, ni par la réaction du Midi l. Il aimait la vieille
maxime : Une {oi, une loi, un roi 2 , mais, selon lui, la
foí devait .etre tolérante, la loi protectrice et le roi
impartial pour tous. e'est le langage qu'il fit en-
tendre a l'ouverture des états réunís á Orléans; son
discours fut un appel a tout ce qu'il y avait de calme,
de sage et de patriotique dans les sentiments de
l'assemblée; il adjura d'une maniere touchante les
croyants des deux partis de reconnaitre leur devoir
mutuel comme concitoyens, et de s'arreter a temps
sur la pente fatale 011 un double fanatisme allait
tout précipiter 3.


Le tiers etat, que le vote par tete avait confondu
avec les deux autres orclres aux etats genéraux de
1.r,,8~, joua dans ceux de '1560 un role personnel et
eclatant. Son cahier de remontrances surpasse en
valenr poli tique, en idées comme en étendue, ceux de
la noblesse et du clergé; on y trouve un sentiment


1. I1 me souvieut que, qU!lnd monsieur le cardinal de LOl'l'aine
vint du concile de Trente a Fontainebleau, il voulut fort exhorter
le roy et la reyne de le faire publier; et cela fut fort débattu au
conseil devant lems majestez. Monsieur le chanccl;er en prit fort
et ferme la parole et s'y opposa du tout, alléguant qu'il estoit du
tout contre les droits et priviléges de I'église gallicane, et qu'il
n'estoit raison de les laisser perdre aucunement, ains les main-
tenir jusques a la derniere goutte de sang de tous les Frlln\,ois.
(Vie du connétable Anne de ,U-ontmorency, OEuvres de Bran/vme,
t. VII, p. 98.)


2. Hal'augne du chancelier aux états tenus a Orléans le 13 décem-
bre 1560., Des États géndraux et autres a88emblées nationales (1789),
t. X, p. 339.


3. Otons ces mots diaboliques, noms de partis, factions et sédi-
tions, luthériens, hugnenots, papistes; ne changeons le nom de
chrétiens. (Ibid., p. 343.)




CHAPITRE V 127


profond de la justiee soeiale et de l'intéret publie, le
zele poul' l'ordre, l'instinct des réformes etla science
pratique de toutes les matieres de droit et d'admi-
nistration. C'est une sorte de nouveau code, n'ayant
pas moins de 35í articles, et rédigé avec une telle
préeisÍon qu'il pouvaitimmédiatement passer en loÍ.
Voiei, parmi les demandes qu'il contient ceHes dont
I'importance est frappante: l'élection aux dignités
eeclésiastiques par le coneours du clerge et d'un cer-
tain nombre de notables; l'attribution d'une part des
revenus eeclesiastiques al'etablissement de nouvelles
chaires dans les universites et a l'érectíon, dans
ehaque ville, d'un collége municipal; l'interdiction
aux prétres de recevoir des testaments ; la réduction
,des jours feriés aux dimanches et a un petit nombre
de fetes; l'élection des officiers de magistrature par
le concours de l'ordre judiciaire, des magistrats
municipaux et de la couronne; la revision des an-
ciennes lois et ordonnances, et la réunion en un seul
corps de eeHes qui seraient maintenues ; la poursuite
d'office contre les erimes notoires sans qu'il f'lit be-
soin de partíe civil e ; la suppression des douanes
intérieures et l'adoption d'un seul poids et d'une
seule mesure dans tout le royaume; l'établissement
des tl'ibunaux éleetifs de commel'ee et de poliee; des
reglements prohibitifs sur la coupe des bois de
haute futaie; la restrietion des justiees seigneu-
riales au profit de la justiee royale; la peine de
déchéanee des droits seigneuriaux pour tout noble
convaineu d'exactions envers les habitants de ses
domaines; enfin, la tenue des etats généraux une
foís au moíns tous les cinq ans, et le ehoix immé-




I ~8 ESS,I! SüR L'HlSTOlRE DE TIEflS ~:TAT


diat d'un jour et d'un lieu pour kl1r prochnine
convocation l.


En désaccord sur beaucoup de points , les trois
ol'dres furent d'un meme avis q~ant á la question des
chal'ges publiques. Ils declarel'cnt qu'ils 8taient sans
pouvoirs pour consentir auCune taxe nouvelle, et
demanderent á etre renvoyes dans le~rs provinces
pour y faire connaitre les etats de finances dresses
par les ministres du roi. On fit droitá cette requete,
ct la clóture des états eut líeu le dernier jour de jan-
\'ier 1561. Il fut ordonne que les etats provinciaux
s'asscmbleraient le 20 mars suivant; qU'aprcs con-
sultation dans leur sein et dans les assemblées elec-
torales, trois députes, un clerc, un noble et un
bourgeois, seraient nommés pour chacune des treize
divisions territoriales, qu'on appelait alors gouver-
nements, et que les trente-neuf clus se reunirtlient
it Melun avant le 1 cr de mai. Toutefois la reponse
aux remontrances des etats n'attendit pas l'octroi des
subsides, et l'ordonnance qui la contenait fut
dressee á Orleans le jour me me oú l'assemblee se
separa. Cet aete legislatif, le premier de ceux qui
ont fait la gloire du chan(;elier de lTI()pital, n'est, ú
proprement parler, qu'un extrait des dispositions
proposfÍes duns le cahier du tiers cttlt, oú il ehoisit avec


1. Callicr da ticl"s état (:e 1560, art. 10, 69, 72, 56,48, 1'14, 243,
205, 343, 241, 2·15, 246, 2(j;;, 165, HZ et 353, n,s Únl.' gélltraux' rl
auti'es assemblées nalionales, t. XI, p, 273 ct ""¡v, - Ce cahiel' est
divisé en cinq 5ectirJllS, SQUS les t.itres sllivUlltS : lo de j'étl1t ecc1<'-
siastique; 20 des llniYcl'sltl:s; 3° ele la noLlc3sc, gcndannerie ct S!1itp
de la conr; 4° de la jusUcc; 50 des tailIcs, impositiolls, snh:!¡lcs)
mnl'chnnclises el untrés ellOsrs,




C1LiPl'1'RE V 120


méthode, mais dont iI aft~lÍbIit SOlln~nt la portee. Si
ron compare la célebre ordonnance avec le tra yail
collectif qui en fut la sonrce, 011 la trouvera moins
hardie et moins positive en reformes; elle presente
beaucoup d'omissions, et parfois ne donlle que des
promesses. La seule variante remarquaLle entre son
rlispositif et le texte dn cahier est l'application
qu'elle fait du s'ysteme de la candidatUl'e judieiail'8
aux élections ecclésiastiques; en faisant deux parts
du (lroit d'elire, l'une p0ur le clergé et le peuple,
l'autre pour la couronue, elle preIHl un terme mOJen
entre le COllCCll'dat de Ft'an~ois ler üt le retour a l'u-
sagA antiquc demande par le tiers etat 1.


Les députés des treize gouvemements de Franee ne
s'assemblerent qu'au mois d'aout, non á Melun, rnais
i Pontoise, ou les cornmis.saires des deux ordres
la'iques siégerent senls, tandi:o que les élus du clcrgé
assistaicnt a u S.Yllodc ecc:lésiastiq no tenn á Poiss.y
~:ms lo nom de COl!OljllC. 'Villgtsix personnes, treize


1. TO~lS n:'e11CD!'1:1CS ct é\'~¡'llléS SC1'011t dl·'SOl'mn.is, sit.ost que \'aca-
t10ll :"LLly¡clHlra, «us el nommez. : Ü st;u.Yúir ; les arclJCvGtptes par
los ""0ques ae la provillec et chupitl'c ue l'ég1iso archiépiscopale,
les év",ques par le, ilrchov0ques, évequcs ue la provinccet challoi-
nes ~1e l'églis~ épiscopule, appclcz, avec eux uouze gentilho111111C3 qui
SCl'Out 611,5 par la nobles>c Ull uiocese, et donze notables bOllrgeois


,qlli srront uussi éllls on l'],osto1 ue la villo archiépiseopale oa épis-
clpale; tons lesque1s, convoquez ¡, cCl'tain jour par le chal'itre uu
siége \'aqurmt, et nsscl11blez, conUl1O lUt est, s'accorJeront de trois
lJersonIw:;es de suffisar.cc et qualit·!Z l'equises par les saints décrets
et conciles, ngC'z na mOllls ele trente UIlS, ql1'ils nOl1S prés:..'ntcront,
pollr par nous fairo dcction do cclui des trois que vouilrons n0111111el'
a l'archcveché oa évcché vaquant. (OrJollllnnce générale relldnc sur
les pl[lintes, doléanccs el nnnonlmnces des éta!s assemblés it Orléans,
arto 1, ]¡ccucil. des allc:tlllles lois (muraises) t. XIV, p. 64.)




130 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS E'fAT


nobles et treize bourgeoís, composerent ainsi la reu-
nion qui allaít exercer dans toute sa plenitudc le
pouvoir des états generaux. Il n'y eut cette fois au-
cune dissidence entre les representants des deux
ordres; nobles et bourgeois se montrerentégalement
imbus de l'esprit novateur, et d'accord pour tenter,
non- plus de simples réformes, mais un commen-
cement de revolution. Leurs cahiers exprimerentdes
prétentions au partage de la souveraincte, qui rappe-
laient celles des etats géneraux de :1.356, et proBo-
serent des mesures dont la motion ne devait repa-
raitre qu'au sein de l'Assemblée nationale de i789.
Le droit absolu de l'État sur les possessions du
clerge y fut pose en príncipe, et servit de base i
differents projets pour l'extinction de la dette publi-
que. Entre deux plans con~us par les treize députes
bourgeois, celui auquel ils s'arreterent et ,dont ils
presserent l'adoptioll cOllsistait i vendre au profit
du roi tous les bien s ecclésiastiques, en índemnisant
le clerge par des pensions etablies selon le rang
de ses membres. On calculait que cette vente devait
produire cent vingt milliollS de livres, dont quarante-
huit seraient préleves comme fonds do la dotation
nouvelle; quarante-deux employes á l'amortissement
de la dette publique, et trente places a íntéret dan s
les villes et les ports de mer pour y alimenter lo
commerce, en me me temps qu'ils donncraient un
revenu fixe au tnlsor l • Ce plan, quí n'était ríen


1. Voyez dans le cahier ell! ticl'S allx étnt3 tlo Po:lloise le eLa-
pitre intittllé Jlioyen de subl:enlion 1'0111' i'ae/luic! des debles, Jlfss. de la
Bibliotheque impél'iale, nO 8927, fol. 33 verso.




CHAPITR¡.; v 131


moins que l'aneantissement du clergé comme ordl'e
politique, tomba sans díscussion devant l'ofl're faite
et l'engagement pris par les deputes ecclE~siastigues
d'éteindre avant dix ans le tiers de la dette par une
cotisation imposee i tous les membres de leur
ordre. .


L'assemblée ele Pontoise proposait de renouveler
tout le systeme administratif en réduisant les offices
de finan ce, de police et de judicature a ele simples
commissions triennales; elle abrégeait et fixait a
deux ans le terme demande pour la convocation pé-
riodique des états géneraux; enfin, plus positive en
matiere de tolérance religieuse que ne l'avait été
l"assemblée d'Orleans, elle réclamait pour les pro-
testants le plein et libre exercice de leur eulte. Il fut
répondu a cette derniere demande par des promesses
et bientót par des faits. On vit, ce gui ne s'était
jamais vu en France, l'État séparé de l'Église, et
une religion gualifiée d'héretigue ou vrir ses lieux
de prieres i coté des anciens temples sous la protec-
tion de la loí l. Mais ríen n'étaít prepare alors poul'
un pareil état de choses; l'égalité de droits ne pouvait
produire la paix entre deux cl'oyances qui n'avaient
pas encore appl'is i se respecter mutuellement.


-L' rouvre de 1 'homme d'É ta t philosophe rencontra dans
les esprits divisés des passions indomptables, et,
quand la persecution religieuse fut éteinte sous sa
main, la guerre civile commen~a. Au mouvement


l. Voyez l'édit du 17 janvier 1562 (1561, vieux style), et le dis-
• COUl'S du chanccliel' de I'Hópital l'0ur l'ouvertnre de l'asscmblée de
.$aillt-Gel'main en l.aye, Recueil des anciennes lois rran~aises, t. XIV,
p. 124, et Mémoi!'es de Condé, t, n, p, 612.




tJ2 ESSAI SUU L' 1I1STOIRE DU TIEnS EL\T


qni en sens divers agitait et soulevait ht cOlIscience
des Ill:lSSeS pnpubires, s'etaient assoeiées des ambi-
tions rivales de prínces et de gl'ands qui renou\"e-
laient sous un roí mineur ce qui, un siecle et clemi
auparava~t, s'Btait fait sous un l'oi ínsense. C'était
une luttr semblable h eelle des Bourguignons et des
Armagnac:l, mais nourl'ie, d'une'part et de l'autre,
par de:> intérets moraux, par ce qu'il .Y a el'intime
et ele profonel, soit dans le hes(,ín de croyance libre,
soit dans la fidélite aux víenx rlogmes et dans I'atta-
c118ment aux souyenil's, Du reste, ce melange ele
pUl' zele et de passions egolstes ue servit qu'a remIre
la lntte eles pal'tis plus formidable qu'aut.l'efois, sans
lui ater ce qu'elle avait en d'odieux, le meUl'tre et le
píllage, les clévastations de la terre natale et l'appel
fait a l'etranger,


.\u milieude cette i1llll1enSe collisíon politíque dOllt
le temp:l seul devait rester l'arbitre , et oú tous
les chefs de parti dev:lient pel'ir l'un apres l'autre,
par la guene ou par l'assassinat, l'Hapital ne :;e
lassa point de travailler a une paix impossible, et,
sans ríen derober aux s6ucis clu préscmt, il eut (les
pensees calmes pour l'avellir. Rcprenant ayec b
puissance d'un genie organisateur tout ce que 1':.1(1-
mírable cahier du tiel's etat de Hj(jO renfermait de
vues et de com;eils, il en fit la rnatiere d'une serie
d'ordonnances royales, suite et cornplément de cellc
eI'Odeans l. Leur ensemble forma en qnelfjue sortc


l. \' oyez I'édit ue Ilo\'cm[¡rc 1;;63, quí crée il París des jllgcs-con-
Sil~S, et la eléclaratíoll el" 28 avril 13G5, qui inslÍtue la jurírlic¡ioll '
cOll5ulairc dalls les autres villes j l'onlo11111111CC (le jltllvier 1563 sur la




CllAPITllE V 133


un nouveau fonds de droit civil dont la legislation
po~térieure, jusqu'au renouvellement total de fiS9,
l1e fit que developper les consequences, et dont plu-
sieurs dispositions subsistent dans nos codes actuels,
La plus yelébre de ces ordonnances, la plus grande
par l'etendue et le merite, est ceHe qui porte le nom
de Moulins et qui fut donnee dans cette ville au mois
de fevrier H>66, Blle resume, en les entourant de
garanties plus efficaces, toutes les reformes judi-
ciaires décrétees jusque lA; son but principal fut
de simpliíier l'aclministratioll de la justice, et nA
faire un pas vers l'llnite de juridiction et l'unite ele
procédure civile: Elle diminua le nombre des juges
ordinaires, et restreignit la competence des justices
de privilége; son s ce rapport, elle n'eut pas plus de
ménagements pour les cOl'pOl'ations municipales que
pour le corps ecclésiastiqne; elle ellleva aux maires,
échevins, capitouls, consuls et ::mtres magistrats du
meme ordre, In connaissallce des causes civiles, ne
leur laissant que l'exercice de la juridiction crimi-
neUe et de la police', Cette attaque isolee contre une


justice et la l'0licc, el la ueclarali<Jll 'lltlpliativc un 9 aoi\t 15M;
l'OrUonnance de févl'ier 1;"566 sU!" h réforme de la justicc, el l'éelic
dn 4 févriel' 1567 sur la policc générnlc d" royaumc. (/lecueil des ((11-
cienncs lois franraim, t. XIV, p. ]53, 179; 160, 173, lB9 ct 220.)


1. Pout' uonller qllclqne ordrc it la. policc des' villes de nostre
royaumc et ponr,-oir fiUX plaintes qui, ue ce, HOllS ont esté faites,
avons órdonné que lC3 n1uires, escLedlls, consn!s, capitonls et adlni-
nistralems des COI'pS desdites vi\les qui ont "U ci-JeYrmt el ont de


'lll'ésent l'exorcice tlcs canses ci,-iles, e"imilJOllcs ct ele la police, COI1-
~inncront ci-apres S8ltlemcnt l'exerd~~ dlt cri;uinc! ct ue 1" pulice, i\
qllai lem enjoignons vaqner incessamtl1cnt et diligcmment, san s ['on-
voir d'ores en avuut s'cntl'cmcttl'c de la COll110i3S:'HICC des instan-


8




134 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU 1'J~RS ETAl'
partie des priviléges municipaux ne réussit point
complétement; ce n'était pas assez pour une révolu-
tion dans l'état politique des villes, et c'était trop
pour une réforme. Les vieux municipes antérieurs a
toute charte de commune réclamerent avec succes
devant le parlement au nom d'un droit immémorial,
et l'ordonnance de Moulins demeura sans force a leur
égard '.


Pendant que cet homme, grand par l' esprit et grand
par le patriotisme, cherchait dans de nobles travaux
a soulager .¡;a pensee des miseres et des crimes de
son temp¡", _ti. lutte religieuse qu'il tenta vainement
de prévenir continuait, suspendue par des treves
qui duraient peu, et OU s'usalent l'un apresl'autre les
moyens de pacification. L'intolérance du siecle etait
toujours la pour reagir contre la raison et la justice,
et, dans ce choc d'opinions inconciliables, entre
lesquelles le pouvoir essayait de tenir la balance,
l'opinion des mas ses populaires, ceUe qui avait le
grand nombre pour elle, pressait de plus en plus et
entrainait tout. La royauté, un moment impartiale,
se rassit dans ses traditions d'allcienne foi et de
foi exclusive; elle redevint systématiquement hostile


ces civiles entre les parties, luquelle leur avons intol'clite et cléfen-
due, et icelle renvoyolls et attl'ibuOllS iI nos juges ol'dinaires Oll des
hauts justiciel's des villes oil. il Y a COl'pS et commllnautez tels que
dessus : nOllobstant tous priviJeges, coutumes, usallces et prescriptioll
que l'on pOlll'roit allégu61' au contmil'e. (Ordollnance de Moulins,
arto 71 j Recueil des anciennes lois [ranqaises, p. 203.)


1. Voyez Loiseau, Tmité des sCign"u,.ics, éclition de 1678, p. 101, et
Dllbos, Bis/oire critique de 1''¿lablissemelle de la mOlla1'chic fra,,~aise,
t. IV. p. 298 et sniir.




CHAPITRE V


a la liberté de conscience, mais en dessous, non d'une
maniere ouverte, et elle prépara par de sourdes me- ,
nées la ruine des concessions qu'elle avait faites.
Au 1íeu des regles d'équité et d'humanité que recom-
mandait le chancelier de l'Hópital, ce qui prévalut
dans les conseils de la couronne, ce fut la sagesse
du Prince de Machiavel, importée des cours ita-
liennes. L'Hópital cessa d'etre l'homme de ces con-
seils Ol! saloyauté austere était une gene et un blame;
il quitta les affaires publiques, frappé d'une tristesse
profonde qui l'accompagna dans sa retraite. Il vit,
avec une affliction toujours croissante, les choses
suivre le cours fatal qu'il avait voulu changer, et la
plaie des discordes civiles s'envenimer par l'infiuence
d'une politique d'astuce et d'expédients, de trahisons
et de coups d'État. Il mourut de douleur, apres avoir
vu l' effroyable couronnement de cette politíque, le
grand crime du siecle et un crime de la royauté, le
massacre de. la Saillt-Barthélemy 1.


II faut l'avouer, la bourgeoisie parisienne fut com-
plice du pouvoir ro.yal dans cette journée d'horrible
mémoire 2. Trompé par la fable d'un complot et égaré
par ses haines fanatiques, le corps municipal regut
et accepta des Ol'dres qui devaient assurer le guet-
apens oú des milliers de Francais périrent, en pleine
paix, par des mains fran~aises. La se trouve l'un des
moments les plus douloureux de notre histoire, et le
roi sur le nom duqucl pese ce souvenir, Charles IX,


1. L'Húpital sortit au ministere au mois de mai 1563; sa mort al'·
!'¡ya le 13 mars 1573. Voyez le tablean complet de sa vie aans la
belle no tic e de M. Villemain, J1Iélanges hisloriQlles el litlémires, t. n.


2. Le 24 noítt 1572.




f30 8SSAI sen :; HlSTOIRE DU TlETIS ETAT


reste marqué, pour un seul aete, uu seean d'nne infa-
mie éternelle. Et pourtant ce prince, que le vertige
du sieele et d'atroces suggestions conuuisirent au
r61e de traitre et d'assassil1, était doué d'une nohle
il1telligence. 11 avait au plus haut degre le gout des
arts et de tons les travaux de l'esprit. Ses encourage-
ments., son exemple me me, ·contribuerent :'t soutenir
et :'t porter plus avant la rénovation intelleduelle
dont les commencements avaient jeté tant d'eelat
sur le regue de Franr;ois re·.


Au milieu des commotions civiles, et peut-étre sous
leur infiuence, la littérature devint plus grave; elle
fut une arme dans la lutte des partís; elle s'appliqlla
aux grandes questions de l'histoíre, de la moral e
et du gouvernement des sociétes. De larges théories
se formerent pour élever et féconcler la pratique de
l'administratíon. L'économie poli tique, cette seienee
bourgeoise des villes ¿·Italie, fut introduite par un
ministre italien, créature de la reine mere 1, et donna
une direction plus rationnelle aux reglements faits
sur la police des métiel's et sur le trafic des marchan-
(Eses. C'est de lá que date chel': nous le famellx prin-
cipe de la balance du commeree et le systeme de
protection de l'inclustrie natiouale par la uOllble
déftmsede faire sortir du pays les matieres propres
it la fabrieation et d'y faire entrer les produits des
manufactures étrangeres 2.


1. René de Ril'agnes, gflrtle des sceal1X en 1571, el ckwcelicr
de Franco, depuis la mort de I'Húpitnl jusqu'en 1578,


2. AHn que nosdits snjets se puissent mieux :1ilollner a la mnnu-
fllctnre et ouvrages des laines, !ins, ch~nvres el ¡illaces qui cl'oissc,;t
et ahondent cn nosdits r0~'nllme et pays, et en f:nre et tircr le pruJit




CHAPITRE V f37


I1 Y a de grandes le~ons dans les crimes politíques ;
celui du 21 aoút W72 démelltít bíentut les esperances
de ceux qui l'avaient commis. La r8formation ne perit
poínt par la mort de ses plus nobles chefs, et le pou-
voír, qui avait voulu noyer dans le sang les soucis
qu'elle fui causait, retrouva sur sa route les mémes
embarras compliqués de perils nouveaux. Qutre ceux
qui survivaient aux massacres J, et dont iI s'était
fait des ennemis irreconciliables, iI eut contre lui la
sympathie pour les victimes, l'inclignation humainc
et ses propres remords. L'opinion modcrée, celle qui
avait conseillé en vain In tolerance et la paix, se
souleva et fit 80rtir du :'3ein de Ll France catholique


que f,tit l'estrangel', lcquellcs y vient achoter communément i, pe!it
prix, les transporte et fait mattre en Cí'llHC, ct aprl's apporte les draps
ct linges, qu'il vend ü prix excessif¡ IlVOllS ortlonné et 01'U011110ns
qu'il ne sera tloresnayant loisible a uuenn de nosdits snbjets et
cstrangers, sonz qnelqne cause ou prétexte que ce soit, trallsportcr
lIors lloselits roya11mo et pars allcunes laines, lins, cbanv!'es et
!illaces ... Défendons a11ssi tres.expreSSl'l11Cnt toute entrée en cestny
110stredit royanme de túns draps, toilles, pa~sements el canelilles ¿¡'or
ou d'argellt, cnsemulc tons vclcux, satins, ,lamas, taffelas, camelots,
loilles el tontes sortes d'élolfes rayez Oll r ayant 01' on argent, el
pareillement de tous harnois de chevaux, ceintures, espées et dagues,
cstrieux et esperan s uorez, argentez ou graver., snr peine de eonfis-
catiúndesdites marchandises ... Davantage défendans l'entrée en 1l0S·
tredil royanme et pays de toutes sortes de lapisseries estrangéres, de
quelqne étolfe et f,,\,on qu'eUes soient, sur les mesmes peines que
dessns ... (tdit de janvier 1572 sur le commerce ¡, l'étr'1l1ger et
sur la polie" du royanme; Recueil des anciennes lois {ml/roises" t. :\:1\',
p. 241.) - y oyez en outre les édits dll 2 mars 1571 sm la rnurica-
tion des dmps, de juin 1572 sur la erúnlioll des courtiers de C01,;-
merce, et ¡Je la meme date sur le reglement du taux de l'inté!'et.
(Ibid., p. 232 el 252-.)


1. Les éponvantal,lcs scenes de Paris se répéíel'ent 1t :tvIeaux, a
Ot'léans, U. BOl1rges, i1. Houen, :\ Angers. á I,yOll) :L Toulonsc et dans
bC~\lconp de villes de 1l10inc1rc impol'ttlTlCe.


!J.




138 ESSAI SUR L' HISTOInE m: TIERS f.TAí'


une faction sans esprit ele secte, un troisi(~me partí
armé, qui resut le nom de politique, et 's'lInit aux
pl'otestants pour soutenir, dans leul' cause, la cause
des droits humains et de la justice. Pour avoir violé
ces droits avec une odieuse barbarie, le gouverne-
ment vit ses prop1'es d1'oits niés par rep1'esailles,
et la gue1're contre un roí prl-varícateur proclamee
comme legitime. Les doctrine,e; répnhlicrrinAs nees
dans quelques úmes de rétnrlA de l':lllti(luit(i \Jt ele
l'Asprit dA libre examen eelati,rent a10rs dans des
livres ou la science ele l'histoire et la subtilité du rai-
sonnement se melaient á des cris ele 'haine et de ven-
geance 1. Fruits du elésespoí.r des protestants et d'un
sentimentpub1ic ele colel'eet de désaífection, ces livres,
dont quelques-nns sont elemeures celebres, furent
ponr nous la source d'opinions extremes qui, persis-
tant elepuis lors, plus ou moins activAS, plus Ol! moins
puissantes, selon lo temps et les circonsfances, ont
formé et forment encore l\llle dAS catégnries ele la
grande opinion nationale.


Moins de quatre ans apres le sanglant coup d'État
ele Charles IX, son successeur et l'un des instigateurs
ele son crime, Henri III, fut contraint ele subir les
conelitions ele paíx que luí fit la confe(leration victo-
rieuse eles calvinistes et des catholiques associés. Le


1. Voyez le Discours de la servitude "olonlaire, pnr l~tiel11'e ue la
13oetic; l'ouvrllgC de "Fmn\,ois I-Iotman, intitule Frallco-Gal/ia; celni
d'Hllbert Languct, Yindicim contra lyrannos~ sü'e de princípis in 1JO})¡l-
lum p0[lulique in principem legitima [loteslate; les A[lo[lhlhegmes 011
Discours notables recueil/is de di'cers auleurs con/re la tyrannie el le,'
l?lrans; le Discours des jUfJemenls de Di", conlre les 111m"", recueilli de.'
hisloires sacrées el [lrofrwes; le Trailé d" droit des magistral" sur leurs
sujets, etc.




CHAPITRE V 139


cinquieme édit de pacification, celui du 14 maí H.l7G,
depassa tous les autres par l'étendue des concessíons
faites aux réformés 1. Il fut statué par cet édit que
l'exercice du nouveau culte serait libre et public
dans tout le royaume, sauf Paris et la cour; que les
matiages contractes precedemment par des pretres
01I des personnes religieuses seraient 18gitimes; que
des tribunaux mi-partis de protestants et de catho-
liques seraient institués pOlIr le jugement des causes
des calvinistes ct des catholiques-unis; que toutes
les sentences portees depuis le regne de Henri II pour
cause de religion seraient annulées; que les condam-
nes et les proscrits seraient amnistié s , et qu'une
exemption d'impot serait accordée, comme indem-
nité, aux veuves et aux enfants des victimes de la
Saint-Darthelemy 2.


C'etaient la de nobles mesures, capables de com-
mencer une ere de tolérance civil e, si elles eussent
été prises de bonno fai, avec la volonté et avec la
puissance de les maintenir; mais le prince qui les
decrétane voulait nine pouvait faire durer sonomvre.
Esprit faíble et fantasque, fanatigue et dissimulé, il
ne vit dans cette paix gu'une ressource extreme, une
contrainte dont il se débarrasserait des qu'il en trou-
verait le moyen.D'ailleurs, eut-il été plus sincere
et plus ferme de propos, des périls inattendus l'au-
raient fait reculer. La paix conclue d'un coté lui


1. Le pl'cmier édit de pacification fnt l'enua le 19 mars 1562, le
seconu esl un 23 mars 1568, le troisicme uu mOls u'aout 1570, ct 'e
qllntrihne du mois de juillet 1573. Voyez le ¡¡e~ueil des nncicnncs /ois
rram;rúscs, t, XIV, p, 135, 226, 229 et 261.


2, lbiu" p. 2flO et SllÍV,




Hu ESS:\1 SUR L' HISTOIRE DU TIERS I~TAT


suscita la guerl'e de l'autre; elle le mit en butte itla
dMiallCe et a la haine des catholiques intolérants. Ce
parti, qui avait de son cóté le nombre, la puissance
des vieilles rnreurs et la force populaire, fut soulevé
tout entier par un mou vement d'indignation, et de
ce rnouv~ment sortit la Ligue, association formidable
créée pour briser tout ce qui ne voudrait pas se
joindre á elle. Son ressort fut le sel'ment d'assistance
m u tuelle et de dévouement jusqu'a la mort, un régime
de terreur, et l'obéissance absolue a un chet supreme
qu'ou devaitélil'c 1; la seule annonce de ceUe élection
future était une menace pour le roí. Une fois consti-
tuéc sur un point du royaume et declaree par ses


1. Au CM qu'il y ait empeschement, opposition ou rébellion a ce
que Jessus, par qui et de quelle part qu'ils puissent estre, se1'on,
JesJits assoeiez tenus et obligez d'employer tOllS leurs biens et
moyens, mesmes leurs propres personnes jusqucs a la mort ponr
punir, chastier et courir sus a ceux qui les nurant voulu contrainul'e
et empescher ...


Au eas que quelques-uns des assoeiez, leurs subjects, amis ou con·
fédérez, fussent molestez, oppressez et reeherehez pour les cas des-
susditz, par qui que ee soit, seront tenus Jesdits associez employcr
leur corps, biens et moyens pour avoir vengeance de ceux qui auron!
f"iet lesdites oppresses et molestes, soit par la voya de justice ou
par les armes, sans nulle acception de persona es.


S'il advenoit qu'allcun des associez, apres avoir fait serment en
lndite association, se vOIIJoit retirer ou départir u'icelle, sons ql1clqtlc
prétextc que ce soit l que Dieu ne veuille! i, tels réfractaires <1c leul's
consentements seront offensez en leurs corps et biens en toutes 501'-
tes qu'on se pOllrl'a adviser, comme ennemis de Dietl, rebelles et
perturbateurs du repos pnblic ...


Jnreront lesdicts associcz touto prompttl ohéissnnce et servicc au
q}lcf qni sera député", et sel'Ont les tléfaillans et dibyalls punis par
j"authorité dn chef et selon son oruonnance ... (Aete cUllstitlltif de la
Ligue: Palma Cayet, Chmnologie "ol'e"nairc, collect. Mich"uJ el
Poujol11at, Ir. série, t. XII, p, 13.)




CHAPITRE V 141


m.'lnifestes, la Ligue s'etemlit rapic1ement, gl'ftCe anx
pJssions reactionn.'lires qui murmut'.'lient contre la
cou!', et qlW, tlalls sa dupJieitó, la cout' elle-me me
f.'lvo!'isait. Elle fit le premier ess[1,i de sa puissance
dans les élections pour les etats généraux convoques
á DIoi:; au 15 llovembre 1576; les protestants et les
pOlitiqUfS en furent éC[1,rtes par tous les moyens de
fraude et (fe violellce,


Ainsi, Ulle convocation cl'ótat:s, promise par l'édit
de pacification comme sa garantie nationale, fut
tournee contre lui, et la plupart des cléputés reunis
a Blois y apporterent pou!' mauc1at le mot d'orclre
de la Ligue : une l'eligion cal/wlig.,e romaine 1, Les
représentants de la noblesse, qu'on avait vus aux
etats de 1560 si zeles pour la liberté de conscience,
se montraient presque llnanimes et non moins vio-
lents que ceux clu clergé dans cet esprit de réaction,
Ceux du tiers état inclinaient aussi vers un retonr á
l'unité de culte, mais avec des sentiments plus mo-
deres; la haute bourgeoisie n'avait pas cedé sans
reserve au courant de passions extremes qui entrai-
l1.'lit, associées sous la main (lu clergé, l'aristocratie
et le3 classes inférieures, Quant au roi, dans ses
entretiens avec les dépntes et dans les conferences
preliminaires, il annonga qu'il tenait pour nulles et
demandait aux états d'annuler les cOllcessions qu'il
avait faite:;, Hednutant la Ligue, il s'en déclarait le
chefpour prevenir un autre choix, tandis que le petit
'nombre d'élus des calvinistes et de leurs amis se


1. Voyr.z 1e recncil intitulé: Dqs l~t(/!s r;é¡léfm~x :Ji 1ulres a 'srm-W,,, ... ,,1;0"1/7(s, t. X1JT, p, 97 ct slIj\,.




14'2 8SSAI SUR L'IllSTOITIE DU TIERS ETA1


retiraient, protestant d'avance contre les résolutions
de l'assemblée l.


C'est dansde teIles conjonctures que la question
ele la tolérance fut, ponr la seconde fois, remise au
jugement des 8tats góneranx. Les deux premiers
ordres votcrent sans debat l'abrogation de l'edit et la
reprise de la guerre civíle. Dans le troisieme, il y
eut division; une partie des votants, pt :'i leur
tete la deputation de París, ne reculait pas de-
vant la guerre; l'autre voulait (lue la restauration de
l'unité catholique eut lieu par les voies les plus
douces. Un homme, qui fut comme publiciste le
précurseur de Montesquieu, .J ean . Bodin, deputé
du Vermandois, se distingua dan s cette lutte en
deployant, pour la cause qu'avait défendw.e l'Hopi-
tal, de grands talents et un noble courage. Chef
ele l'opposition bourgeoise contre la Ligue et contre
la cour, il entreprit de tenir té te aux deputés du
tiers etat parisien, aux commissaires des deux
autres ordres et aux commissaires du roi. N'ayant
pu faire que, dans le cahier de son ordre, la de-
mande de reuníon a un culte unique fút suivie des
mots : sans guelTe, il rendit la guerre impossible en
proyoquant, b, force d'habilete, un refus péremptoire


. de tout subside 2.


]. On compta présclIts it la séance royale 104 d¿'lll1tés dn elergó,
75 de la noblesse ct 150 du tiers état. Voyez la liste ele ces derniers,
ci-apres, appcndice III.


2. Voyez le mémoirc de Bodin sur les Mats de };j76: Des Élals
généraux, etc., t. XIII, p. 212 et suiv. - Voz tres-llllmbles sllbjcctz
les gens dn tiers estat vous sllpplient vonloir l'étlllil'c tons vos sub-
jectz it l'union de l'église catholicque, apostolier¡ue et l'omninc, par
les meillclll'cs et plus sainetes voyos et mo."ell~ que '{ostre Majesté




CHAP1TRE V 143


Cette assemblee, dont le travail n'aboutit qu a
enfermer la q uestion religieuse dans un eercle sans
issue, avait une haute idée du droít des états gene-
raux; elle professa sur l'exerciee et le partage de la
souveraineté une sorte de theorie eonstitutionnelle.
Les lois, selo11 elle, etaient de deux sortes : il y avait
les lois du roi et les lois du royaume, eelles-la faites
par le prinee seul, eelIes-eí faites par le prinee
d'apres l'avis des états; les premieres modifiables et
revocables a volonte, les ~nitres inviolables et ne
pouvant 6tre changees qu'avee le eonsentement des
trois ordres de la natíon l. A l'ancienne demande de
perioelicite des états generaux, l'assemblée de H:l76
joignit le VCBU que toutes les provinees du royaume
eussent le droit de tenir des états partieuliers; en-
fin, elle se aéelara fortement contre la nomination
aux dignités ecclésiastiques sans ehoix prealable du
clerge et el'une pal'tie du peuple, et contre la véna-
lite des offices judiciaires.


Le cahier du tiers état, aussi abonc1ant en ma-
tieres diverses que celui ele 1560 2, n'ofi're point la


advisera, et, en ce [ ... isant, l'exercice de toute autre prétendue reli-
gion estre osté tant en ]Jublicq qU'Cll particulier. (Cahier dn tic1's
état de 1571j, arto XIll, ]\ls. de la Bibl. imp., SF, 595, 2, fol. 6,
,,·erso.)


1. Jl Y a ,lifférence entre les lo ix du roi et les lo ix du royaume ...
eelles·ey, d'autant qu'el1es ne pellvent estre fltites qll'en générale
assemblée de tont le roya\1me, avec le commnn accord et consen-
tement des gens des trois e;;tats ... aussi dep"is elles ne penvent etre
changées ni innovécs qll'avee l'accord eL commun consentement
des tl'ois estats. (Illstmctior,s des gens des trois estats dn royaume
de France, .~J¡jmo;'l'es de Nevers, in-fol., t. 1, p. 445.)


2. II Y a 448 articles rangés sons les titres snivants : lo de l'état
de l'église; 20 ucs u"ivel'sités; 30 de la just.ice; 40 ilc la noblessej




H4 [SS"l SlH L' 1115T01RS DU TIERS ETAT


meme fel'meté d'idees, ni la me me préei;;ioll de style.
L'esprit de réforme ne s'y montre plus dans sa verve
et sa plt\nitude. Oll y traite de la législation civilo
ot c1'iminolle, de la procédure, de l'enseigllement. pu-
blic, des finances et dn commerce; mais il y a (in.ns
tout cela peu do choses neuves ot originales. Ce
sont presque toujours des conseils dejA dcinnes,
d'anciennes plaintes, ou l'invocatioll de 10ís p1'o-
mulguees et non executées. Trois artic1es sont 1'0-
marquables comme signe rle resistance des priyi-
légos mUllicipaux el l'envahissement administl'atif;
ils revendiquent, au nom des co1'ps de villes, la li-
berté des lissemblees, la liberte des électiol1s, et la
juricliction pleine et enti()l'e '. rrull antre d)tl~,


50 ucs fll1a:iccs, taillos el impositiol.ls;" (jO ac la w.nreLll!<1isc ct p(Jli;:c.
(\'o,·c7. le 'I3. de Lt llihl. ¡mp., SF. ,)1)5, 2,)


1 Ql1C toate5 ellections des prévotz ucs murckllJs, cschc\"ill.~, C:l-
pito"ls ct gonvernenrs' uc villes se faccnt librement et soient sni,,:,".
et l'euL: qni par autrcs Yoyes entreront en telles eharges en soient
ostez, et lcms noms royez des r<'gi~(¡'('s. (Calliol' un tiCl'S l'tat ue
1573, [ut. 4·10, Ms. de la Jlibl. imp., SF. m.5, 2, foL 112, recto.) -
\:'"OllS plaira nllssy, suivant l'antienne COllstnnlC ct libertez, ol"¡101ll1cl'
qn'il sera pcrmis fLnx mn:rcs ct cschcvins, cnpitUlds, juratz, cOllsnl:l
et Untros adlllillistrotcurs dcs villes, de Cairc lears asscmblécs géné-
mlles ot p:w,icnllii,rcs, sans dcmanrlcr pCl'lnission uc ce fairo ;. \"os
comlz de ]larlcment, lmillifz, l'élléclwax et antres ofiicicrs, et san s
ce 'ln'ilz soient tenuz lly coutrai!:c.!z de le., y appolcr. (lei(1.,
arto 441.:' - Vcxpérience elll pass': a faiet assoz entondre les désonlres
c¡ni Eont nLlVCll11Z aux YiHes :'t l'occaslo;l tic la tlésobéyssancc faictc
<tux ma;rcs, cschevins, capit0uls, jnratz et consnlz el'icollos, aus'lncl1.
la jluisuiction cl'iminclle et polliticqnc qn'ilz avoient UUpUl':lYUl,t an-
roit esté ostée ... vous lllaira onlonncr que cClllx qui u.yoicnt HllCjCl~­
llcmcut la jnrisilictioll tant civ!lle, criminclle que polliticqnc seront
n!jntégrcz 11'iccllc) ponr en jouir et u.::er tout ainsi qu'ils a,VOiCllt
accoustumé de fa.ire uuparuvant} llol1obstant tOl.lS ódictx) ordonnancc5
ct jllgOIllCllS il ce cOlltmirOB, 'lbirL, l1rt. 122, fol. 32, \'01'50.)




CHAPITRE V t45


l'esprit jaloux de l'ancienne magistrature, soit
urbaine, soit parlementaire, se montre iei par la
demande de suppression des tribunaux de com-
meree', requete bizarre que le gouvernement ellt
la sagesse de ne pas éeouter.


Au milieu des embarras d'une paix armee, pleine
de desordres et toujours pres de se rompre, deux
ans se passerent san s que le roi repondit aux ca-
hiers des etats generaux. Sa reponse ne fut donnée
qu'au mois de mai :1579, par la publication d'un
édit qll' on nomme l'Ordonnalice de Blois. Supplement
et confirmation des grandes lois qui l'avaient pre-
eédee, et dont elle approche par le merite 2, cette
ordonnanee est une preuve des diffieultes sans
nombre qui s'opposaient alors a ce que le progre s
demande par la raison,publique et consenti par le
pouvoir se realisát et descendit dans les faits.
Beallcoup de dispositions des ordonnances de Mou-
lins et d'Orleans y sont rappelees et prescrites de
nouveau; e'est eomme une repon se derniere aux
plaintes des anciens etats generaux, en meme temps
que la sanction des cahiers de 1576. Cette fois en-
core, le cahier du tiers etat entre pour la plus
grande part dans le dispositif de la loi nouvelle quí,
souvent, ne fait qu'en reproduire le texte.


1. Et qUo.llt o.ux prien!"s et juges-collsulz ues mo.rchans, qu'ils soiellt
des a présent supprimcz ... ct leu!" ju!"isuiction reunyc aux juris,lic-
tions or.linnires. (Cahicl' du tiers état de 1576, art 128, Ms. de la
Bibl. imp , SF. 595, 2, fol. 31, recto.)


2. Elle o. 363 articles, dont 220 traitent de l'administration de la
justice, 21 des universités, et le reste do l'éto.t ecclésiastique, de la
no~lesse de l'arméc, <les lirances et de la l)olicc.


\1




i46 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TlERS ÉTAT


L'ordonnance de Blois, libérale comme celle
d'Orléans dans ce qui touche au droit civil, et gar-
dant le meme silence qu'elle sur les demandes de
droits politiques, a pour caractere propre l'intention
d.e su-p-primer ClU d.'atténuer -pour la l'rérogati"ve
royale les genes que lui imposaient, sur certains
points, les ordonnances précédentes. Pour les no-
minations aux dignités ecclésiastiques, elle repoussa
l'élection pure sans admettre la présentatíon de can-
didats, et maíntint le .droit absolu du roí selon le
concordat de 1.51.6. Pour les nominations judiciaires,
a la présentation de trois personnes par les corps de
judicature, systeme chéri du tiers état et passé en
droit bien qu'éludé souvent, elle en substitua un
nouveau, celui du choix par la couronne sur des
listes d'éligibles dressées (fans chaque circon-
scription juridique et renouvelées tous les trois
ans l.


A l'année 1.576 et a la session des états de Blois
se rapportent les premiers actes politiques d'un
prince, alors chef de parti, et destiné a raBier un
jour les partis qui divisaient la France, Henri de
Bourbon, roí de Navarre, que l'extinction de la
dynastie des Valois devait appeler a la couronne.
Ce prince, né dans le calvinisme, devenu catho-
lique par force maís sans beaucoup de résistance,
sous le regne de Charles IX; puis échappé de la
cour sous Henri III et redevenu calviniste, avaít


l. Voyez l'ol'donnance de Blois, arto 1, 2, 102 et 103, et confél'cz
ces articlcs avec les arto 1 et 39 de l'ol'r1omHtncc J'Ür!ealls, Recuei!
des anciennes loís {ranraises, t. XIV, p. 380 el ,uiv., et p. 63 et suiv.




cHAPITRE V 147


éte ballotte dans sa vie et dalls sa consci<-n':8 au
vent de la guerre civile et des dissensions religieuses.
Les accidents de sa fortune et ses propres variations
lui avaient appris de bonne heure a juger et ato-
lerer. Une nature sympathique, genereuse, ouverte
aux impressions douces et a toutes les grandes émo-
tions, l'élevait, meme dans la lutte, au- dessus de
l' esprit de secte et de parti; et peut-etre aussi le
faible de son caractere, son extreme facilité de
moours et une certaine tiédeur en religion, concourut
avec ses hautes qualités d'homme et de patriote,
a faire de lui, quand fe temps fut venu, l'instru-
ment de la pacification et de la reconciliation na-
tionales. L'ame de celui qui devait etre Henri IV
se fit voir tout entiere et pour la premh'lre fois dans
une reponse au vote des etats genéraux pour la reu-
nion a un seul culte t, reponse donnee sous forme de
note, et ou se trouvent les passages suivants qui ont
une grace de bon sens admirable;


« Le roi de Navarre loue les etats du zele qu'ils
tl ont au bien et repos de ce royaume, craint toute-
(1 fois que la requete qu'ils ont faite au roi de ne
« tolerer en ce royaume exercice d'autre religion que
(1 la romaine ne soit pas la voie pour parvenir a ce
« repos tant desire, ni d'apaiser les troubles, qui


l. Lorsque la majorité de l'assemblée eut résolu que le roi serait
supplié de ramener toua les Fran~ais a la religion catholique, elle
s'effraya de la retraite des dissidents, et fit partir une ambassade pour
négooier avec euxj dana leurs placl!s de súreté au dela de la Loire.
Les en1¡royés trouverent le rol de Na1¡rarre en Guienne, a la tete
des protestants armés. « n le9ut tout en bonne part, » dit le député
Bodin daos ses Mémoires, « et pleura oyant l'archeveque de Vienne
"réciter les calamités de la guerreo ~.




leí8 ESSAl SUR L' HISTOlllr; Dt: TlEI\:; -1~TAT


« seront d'autant pires que les precédents qu'iI n'y
« aura moyen de les pacifier, quand bien, a la fin,
« les deux partís le voudroíent, .. Partant, ledít roi
« de Navarre prie et reprie ladite assemblée, au nom
« de Dieu 'et pour l'oblígation qu'ils ont au bien du
« roí et de la patrie, d'y vouloir bien penser et repen-
« ser, comme étant la plus hasardeuse chose et de la
« plus grande importance dont on aitjamais déliberé
« en France. Les prie considérer, non -seulement ce
« qll'ils désirent, mais ce que ce pauvre royaume
« peut comporter, et ce qui se peut faire, comme le
(, malade "désireux de santé, qui ne prend pas ce
« qu'il trouve agréable et a son gotit, mais souvellt
« ce quí est bien déplaisant et amer, comme plus
« convenable a sa maladje. Que s'H fait mal au creur
t( des catholiques, qui jouissent de leur religion S3ns
« qu'on leur fasse aucun trouble, voir ceux de ladite
« religion a qui on la veut 6tel' du tout, apres leur
(( avoir tant de fois accordée et si Jongtemps permise,
« il désire que les états considerent soigneusement
(e qu'en vain on s'est elforcé de la chasser de ce
« royaume et des royaumes d'Angleterre, Hongrie,
e( Bobeme, Danemark, Écosse, Suede, Suisse et Alle-
e< magne, ou elle a mis le pied .... Et partant, ledit
« roi de Navarre prie et reprie ladite assemblée,
( pour la troisieme fois, d'y vouloir bien penser et
« remettre l'affaire en délibération '. ))


Cette voix de la raisan et du patriotisme ne fu t.
pas écoutee; les états se séparerent sans revenir SUl'


1. Extrait des Mémoires de Bodin, Re""cil des Élats [Jénér<ltIJ,
etc., t. XIII, p. 2B7 et suiv.




CHAPITRE V 14!1


lenr vote; mais, faute d'ul'gent pOUl' la guel'l'e onl'lJ-
sive, ce vote demeura un simple vrou, et de nou-
velles négociatíons amenerent une nouvelle treve
non moins agitée, quoique plus longue que les précé-
dentes l. Elle durait encore en US84., lorsqU:un évé-
nement imprévu, la mort du frere unique du roi "
don na au chef de la maison de Bourbon, chef du parti
des réformés, les droits de premier prince du sang
et de plus proche héritier de la eouronne 3 • Ce fut
le signal d'une erise violente pour les partis et pour
la royanté. Bien que douteuse paree que le roí était
encore jeune, la perspective d'un successeur hugue-
not fit courir un frisson d'effroi parmi les masses
catholiques. Il ne s'agissait plus, disait-on avec une
terreur sincere ou affectée, de savoir quelle mesure
de tolérance serait faite a la nouvelle religion, mais
si on ne la verrait pas s'asseoir sur le trone, et, de':'
venne religion de l'État, s 'armer de la touté-puissance
royale contre l'ancienne foi du pays. La Ligue, dont
les progre s avaient été bornés jusque-Ia, en fit tout
:t coup d'immenses; elle pénétra cett~ fois dans les
hautes classes de la bourgeoisie qu'elle parut em-
hrasser tont entie,re.


Ici se développent dans toute leur grandeur les
projets ambitieux de Henri de Lorraine, duc de
Guise, d'nne famille qni avait lié su foríune et donné


1. Voyez le traité de Bergernc et l'édit de Poitiers, septembre 1577;
ntcueil des anCienn"3 loi8 ff'an~a¡8's, t. XIV, p. 330 et sui v.


2. Frau\Xlis, duo d'Anjou.
3. Les BOllrbollS étnient iBsns de Lonia IX, par Robert, comte de


Clermont, son dcmier tils.




150 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT
un martyr a la cause du partí catholique 1. n étaít
l'ame de la Ligue, le chef élu et serví par elle, celuí
dont elle voulaít faire le rival d'abord, ensuite le
maltre du roí. Joignantl'habileté a l'audace, il savait
se faire craindre sans jamais se trahir, et s'élevaít a
une immense popularite, tandis que la faiblesse et les
débauches de Henrí 111 rendaient ce prince pusilla-
ni me .de plus en plus impopulaire. Les doctrines ré-
publicaines, que l'indignation produite par l'attentat
de Charles IX avait suscitées et propagées dans le
parti calviniste, passaient alors dans les rangs op-
posés par l'effet du mépris ou tombait la royauté
présente et des appréhensions qu'inspirait la royauté
a venir. On invoquait la souveraineté du peuple et
le droit d'élection nationale comme sauvegardes de
la foi orthodoxe contre de prétendues connivences
avec l'hérésie et contre l'avénement d'un roí héré-
tique.


Ce fut cette crise d'opinion, ou le zele pour l'ancien
dogme s'imprégnait de passions démocratiques, qui
ouvrit la route et marqua le but a l'ambítion des
Guises 2 • Ils viserent a la couronne, en s'appuyant de
titres faux qui les rattachaient a la seconde race,
et en prenant un pdint d'appui plus effectíf dans le
patronage des droits que le progreg social avait mis,
depuis trois sÍlkles, en litige avec la royauté. Ils


l. Frau90is, due de Guise, p¡~re de Henri, tué en 1563 pa>' un gen-
tilhomme huguenot.


2. Les principaux membres de cette famille étaient le due de
Guise, ses freres le due de Mayenlle et le cardinal de Guise, son
tils alné le prince de JoinviIle, et ses oucles les dnos d'AumuJe et
d'Elbeuf.




CHAPITRE V i5f


eurcnt des promesses de restauration pour tous les
privileges, ceux du clerge, ceux de la noblesse, ceux
des provinces et ceux des villes. Les villes de liberté
municipale, qui se sentaient tomber, non sans re-
grets, sous le niveau de l'administration, saisirent
avidement l' espérance de regagner leurs franchises
perdues, et de retablir leurs constitutions mutilées.
Elles s'enróIerent a l'envi dans la Ligue, dont leurs
mílices composerent la principale force, et Pari~ fut
a la tete de ce mouvement. Comme au temps
d'Étienne Marcel, on vit se former une association
de corps municipaux sous l'influence et la direction
de la démocratie parisienne; mais c'etait dans un
esprit de secte et de division, et non pour le grand
intéret national; c'8tait pour l'extermination d'une
partie des FranSiais, et non pour le salut de tous. En
cas de victoire, le résultat de l'insurrection bour-
geoise et populaire devait etre une sorte d'assu-
rance mutuelle entre le clergé, la noblesse et les
communes contre l'action du pouvoir royal et le
progres ver s l'unité, un régime d'intérets spéciaux
et de morcellement administratif, sous la haute pro-
tection de l'Espagne, puissance ennemie de la gran-
deur et de l'indépendance du royaume 1.


1. Auvcnnnt ID cas ue la 1l10rt du roy sans enf<1nts,... les catltO-
liqu .. , le plus diligernment qu'ils pourront, feront assembler les estats
pour parvenir it l'eslection d'un ,ay catholique et oruonner les
loix du royaume pour remettre toutes choses au cours des anciennes
loix fondamentales de la Franee .• , •. Il sera tres-necessaire d'advertir
nostre sainet Pere le Pape et le roy catholique de toutes nos inten-
tions, afin de les prevenir, et qu'au besoin Sa Saineteté nous assiste
de sa saincte b"nédietion et le roi catholiqne de ses forces et moyens




152 ESSAI SUR L'HISTOlRE DU TIERS ÉTAT
pour une si sainete cause qni Ieur touehe de pres, voire oil ils y ont
intérest notable et pl'incipalc deffen~e,


Le moyen advisé et ,'ésolu de tenir pour essayer en ce grand
desordre qui menace de tont.es parts la ruine finale de nostre religion
et de l'estat de ce royanme est de mettre un si bon ordre que nous
restablissions ceste monarchie et tous les estats d'iceHe selon les an-
ciennes fondamentales loix, sans llOIlS despartir de la deue obéys-
sanee que nous devolls all roy, tant qu'il sera catholiqne 011 qu'il ne
se déclarera fauteur d'hérétiques :


Premierement e'est de faire que le plus que I'on pourra de pro-
vincos el. de villes de ce royallme s'ullissent ensemble de force et
conseil et moyens.... (Instructions du comité parisiell de la Ligue,
adressées en 1587 lt tous les comités des bonnes villes : Palma
f'nyet, Chronolo!1ie novennaire, Colleet, lIfichnud et PoujouJat, l re sé·
:"', t, XII, p, 34-38.)




CIIAPITRE VI


LES ÉTA.'fS GÉNÉRAUX DE 1588; LE TIERS ÉTAT SOUS LE REG~E
DE HENRI IV


SOMIIAIRE : Proscriptiún des calvillisles, remontruuces COllragel1S~S dn parle ..
ruent. - ÉI.IS géllél'aux de 1588, mellrlre des (~lIises, - Iusllrreelion de
Paris, fédération municipale c.outre la royaaté. - Allianee dll parti royal et
du l,arti calviniste, - Assassinat de Uenri nI: IIcnri de Donrbon reeonllU
pOllr roi. - ÉlatB généraux de la Ligue. - Henri IV dan. Paris; son e.-
raelere. -, Sa politiqlle iotérie"re et eltérieure. - Ela! des eJasses rolllriére.
a la fin dll seizitmH! siecle.


De l'état de société secrete pour la défense du
catholicisme, la Ligue avait passé a l'état de parti
révolutionnaire préludant, par la négation des droits
de l'héritier présomptif du treme, a de futures at-
taques contre le roí. Sa premie re démonstration
hostile eut lieu en t,585. Une armée fut rassemblée,
et plusieurs provinces se souleverent au nom du
cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, se
disant premier prince du sang paree qu'il était
prince catholique 1, et ayant derriere lui le duc de
Guise, véritable chef de la révolte'. Henri III était


1, La l'eprésen!ation admise en ligue collatérale ponr Ja sllccessiou
au royaum~ de France faisait passer le neven avan! l'oncle, quoique
celui-ci fUt plus proche ,l'un dcgl'é.


2, Voyez le manifaste mtitulé: Déclar-ulion des causeS (Jui 0711 lila
!J.




1:54 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


somme respectueusement, mais sous peíne de guerre
avec la France orthodoxe, d'accomplir le voou des
états généraux, la réuníon de tous ses sujets au culte
catholíque romaín. Il ceda, et le traité conclu avec
les révoltés fut accompagné d'un édít qui revoquaít
tous les édits de pacification accordes jusque·la aux
calvinistes l. L'exercice de tout autre culte que
la religion catholique était défendu sous peine de
mort. Les ministres devaient sortir du royaume dans
le délai d'un mois, et les autres protestants dans le
délai de six mois, sous la me me peine. Cette pro-
scription fut encore aggravée, et un nouvel edit,
impose par le parti ligueur, réduisit de six moís a
quinze jours le délai assigné aux religionnaires pour
abjurer ou quitter la France l • Tous les biens des
yéfractaires et de quiconque les assisterait directe-
ment ou indirectement devaient étre saisis et ap-
pliqués aux frais de la guerre que le roi allait re-
commencer avec toutes ses force s unies aux forces de
la Ligue.


Ainsi s'ouvrit la plus longue et la plus sanglante
des guerres civiles du siecJe, celle dont Henri IV


monsieur le cardinal de BourbOfl, et les pairs, princes, s.igfle"rs, "me .•
el communautés catholiques de ce royaume, de s '0l'Poser ti ceux qui par
IDUS moyens s'etroreen! de subvertir la religio1l catholique el I·État • .tU-
moires de la Ligue, t. J, p. 56 et suiv, - Les provinces ct villes
sonlevées étaient la Champagne, la Pical'die, la NOl'mandie, la Bre-
tagne et la Bourgogne, Rheims, Chalons, Soissons, P"rollne,
Amiens, Abbeville, Mézieres, Tonl, Vel'Clun, Rouen, Crren, Dijon,
Macon, Auxonne, Orléans, Bourges, Angers et Lyon.


1. Édit de juillet 1585, Recueil des anciennes lois (ranraises, t. XIV,
p. 595: JHémoires de la Ligue, t. J, p. 178,


2. Déclal'ation du 16 octobre 1585. (lbid., p. 227.)




CIlAPITRE VI


porta le poids pendant dix ans avec une constance
hérolque. Elle fut inaugurée en queIque sorte par une
bulle d'excommunicatíon qui le declarait déchu de
tout droít a la couronne de France, et quí annulait
a son egard, pour le présent et pour l'avenir, tout
devoír et tout serment de fidélité l. A la question de
toIérance d'un nouveau culte se rnelait, dans ce
débat a rnain armée, la question de suprématie tern-
porelle du pape sur le royaume; une meme attaque
etait dirigee contre le príncipe humain de la liberté
de conscience et contre le príncipe national de l'indé-
pendance de la couronne, et la rnajoríté des Fran-
~ais, par haine de l'un, seniblait prete a sacrífier
l'autre.


Mais, dan s cet égarement genéral, iI restait encore
des yeux pour vQir aquel abime on marchait, et des
consciences pour le dire. Ce fut des sommités du


1. La sentenee fulminée par Sixte V frappait également le prince
de Candé, hérétique, lils (['un hérétique, converti au catholieisme,
puis retourné asa religioll commo le roi de Navarre. - Itaque, in
prrecelso hoo solio, et in plenitudine potestatis quam ipse Rex regum
et Dominus dominantium licet 110bis indignis tribuit,. .•. pronuntiamus
et decla~mus Henricum quondam regem et Henrieum Condensem
supradietos ruisse et es se hrereticos, in huercses rclapsos et impreni-
tentes, hrereticorum quoque duces, fautores et defensores rnanifes-
'tos, publicas et notorios, sieque lresue majestatis divinm reos ..... et
specia!iter eosdem fuisse et esse ipso jure privatos, Henrieum quou- ,
dsm regem, videlicet pl'mtenso Navsrrre regno illiusque parte quam
adlme obtinuit, nCCllon Hearlli; alterum yero Henricum Condensi et
utrumque eorllmqllc posteros, omnibl1s et quibuseumque aliis prin-
eipatibl1s, ducatibus, domiuiis, civitatibus et loeis, feudisque et Lonis
etiam·emphyteutieis ..•. ae pal'iter eos ip80 jure privatos et incapaces
se inhaLiles ad sllccedendllm in quibuscnmque ducatibus, principa-
tibus, dominiis et regnis, ac specialiter in regno Francire. (Sixti V
declaratio, etc., Goldasti ~[or1archia sanet; roma,,¡i imperii, t. IIl,
p.125.;




156 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


tiers état, de la haute magistrature, que vint, comme
un cri d'alarme, la protestation' du bon sens et du
patriotisme. Le 18 juillet 1585, lorsque Henri III aIla
en personne au parlement pour y faire lire et publier
son premier édit de proscription, la cour n'inscrivit
l'acte sur ses registres qu'apres de vives remon-
trances; trois mois plus tard, quand vint le second
édit, et qu'avec sa promulgation fut requis, par une
insigne l&cheté du roí, l'enregistrement de la bulle
qui déc1arait déchu de ses droits l'héritier legitime
du trcme, il y eut de nouvelles remontrances plus
pressantes et plus énergiques. «Sire,» disait la cour
supreme dans un langage digne du chancelier de
l'Hopital, «( le crime que vous avez voulu cMtier
« est attaché aux consciences, lesquelles sont
~{exemptes de la puissance du fer et du feu" ..
« Quand tout le parti des huguenots serait réduit
« a une seule personne, il n'y aurait nul de nous
{( qui osat conclure a la mort contre elle, si son pro-
« ces ne lui était solennellement fait, et si elle
« n'était dument atteinte et convaincue de crime ca-
«( pital et énorme. Qui sera-ce donc qui, san~ forme
« de justice aucune, osera dépeupler tant de villes,
«( détruire tant de provinces, et convertir tout ce
«( royaume en un tombeau? Qui osera prononcer le
«( mot pour exposer tant de millions d'hommes,
« femmes et enfants, a la mort, sans cause ni raison
« apparente, vu qu'on ne leur impute aucun crime
(( que d'hérésie, hérésie encore inconnue ou pour le
« moins indécise, hérésie qu'ils ont soutenue contre
« les plus fameux théologiens de votre royaume, en
« laquelle ils sont n(ís et nourris depuis trente ans




CHAPITRE VI


« par la permission de Votre Majefité et du feu roí
« votre frere l •••• »


'Quant a la bulle du pape, a cette sentence de mort
civile prononcée par le Saint-Siége au nom de son
droit divin de juridiction sur tous les princes', le
parlement la signalait avec indignation comme un
attentat contre la souveraineté du roi et l'indépen-
dance du royaume. 11 rappelait au faible Henri III
l'exemple de ses devanciers et la tradition de ceux
guí avaient en garde le dépót des loís du pays. « N ous
ne trouvons point, disait-il, par nos registres ni par
« toute l'antiquité, que les princes de France aient
«jamais été sujets a la justice du pape, ni que les
« sujets aient pris connaissance de la religion de
« leurs princes 3• J) N'osant port~r au roi le reproche
de lacheté, il se l'adressait a lui-meme pour sa conni-
vence avec l'erreur de ceux qui s'étaient flattés
d'amener les protestants a renoncer a leur culte, et


1. M¿moires de la Lig,,', t. 1, p. 223.
2. }. b immensa ,etcrui regis l'0tentia, beato Petro ejusque sllcces-


soribus tradita auctoritus omnes terrenorum ,egum et principum su-
pereminet potestates ..•.. inconcussa profert in orones judicia, et ne
divinre maxime leges violentllr summa ope providet, et si quos
ordinationi Dei resistentes invenit, severiore hos vindicta ulciscitu!',
et qunmvis potentiores de solio dejiciens, velllti superbientis Lucifer¡
ministros ad infima terne deturbatos prosternit. (Sixti V declaratio,
etc., Goldasti, ,lfonal'chia sane', imlJerii, t. lII, p. 124.)


3. Jllémoircs de la L(que, t. l, p. 225. - « La cour ne pent déli-
u bérer plus JOIlguemellt l'homologation d'une telle bulle, si perni-
• cieuse an hien de tonte- la chrétieIlté et it la souveraineté de votre
u COlll'onne. jugeant tli·s Ú, présent qu 'elle ne mérite aUCUl1e récotnpeuse
• que eelle qU'Ull ue vos prétlécesseu!'s uous lit faire it une pareille
• bulle qll'ull prédécesseul' J." ce pupe lui avait envoyée, i1 SUYO!!', de
• la jeter uu leu en pl'éSellCe de toute l'Église gallieane. (lbid.,
p. 226.)




f 58 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


(l'abattre ce parti sans une grande effusion de sango
Il déclarait que c'était assez de honte pour lui que
d'avoir prere son ministere a la révocation de tant
d'édits solennellement jurés; que son obéissance,
pour ne pas devenir stupidité, s'arrBterait la; et il
terminait sa remontrance par ces graves et nobles
paroles : (e Faites-nous cette gráce, Sire, de re-
(e prendre en vos mains les états dont il a plu a
« Votre Majesté et aux rois vos prédécesseurs de
( nous honorer, afin que vous soyez délivré des im-
« portunes difficult~s que nous sommes contraints de
« faire sur de tels édits, et nos consciences déchar-
(e gées de la malédiction que Dieu prépare aux mau-
« vais magistrats et conseillers .... Il est plus expé-
«( dient a Votre Majeste d'etre sans cour de parlement
« que de l'avoir inutile, comme nous sommes, et il
« nous est aussi plus honorable de nous retirer prives
« en nos maisons, et de pleurer en notre sein les ca-
« lamites publiques avec le reste de nos concitoyens,
« que d'asservir la dignité do nos charges aux mal-
« heureuses intentions des ennemis de votre cou-
« ronne l .»


Cet avertissement fut inutile au roí comme a la na-
tion; personne ne savait plus ou se reprendre : les
uns étaient aveuglés de fanatisme, d'autres séduits
par les promesses des ambitieux, d'autres enlacés
dans les réseaux d'une association dont la puissance
dominait celle de l'État. Vingt·cinq ans de guerre ci-


1. '\!émoires de la Ligue, t. 1, p. 2215 et 227. - Dans ce passage
et lluns les oitations précédcntcs, la langue du seizicmc siecle 11 été ~a
et lit UI1 pen rajeullie.




CHAPITRE VI 159


vile n'avaient pas suffi pour briser la fougue des pas-
sions, et donner a tous la legon supreme, celle de la
necessite. Jamáis la cause de la liberté de conscience
n'avait paru si completement perdue; elle se soutint
par l'hero'isme que le desespoir inspira aux bandes
protestantes. Leur chef, Renri de N avarre, contraint
de combattre pour son droit en' meme temps que pour
sa religion, fit des prodiges de courage et d'habiIeté
dans cette amvre double qui sembIait ne pouvoir
aboutir qu':i des situations incompatibles. Modére
autant qu'intrepide, .H avait toujours le mot de paix
:i la bouche et dans le creur; apres la victoire la plus
complete 1, iI ne demandait rien que le rétablisse-
ment des anciens edits de tolérance. De son coté,
le chef de la Ligue,' aide de la faveur populaire, pour-
suivait rapidement l'exécution du plan hardi qu'il
avait con~u: s'emparer des conseiIs du roi et avoir
la main sur sa personne, le garrotter par l'inter-
vention des états généraux, etre une sorte de maire
du palais jusqu'au moment d'usurper le trone sous
ombre de volonte nationale. Renri III, tenu en echec
par cette fortune grandissant toujours, ne savait
qu'hésiter ou pIier; le sentiment de sa dignité perdue
le torturait parfois, mais ne le relevait pas; inca-
pable de faire un noble effort, iI cédait sans fin 2, se


1. Bataille de Coutras, le 20 octobre 1537.
2. Nostre volouté et intention est dc· commcnccr " tenir les estats


libres et généranx des trois orJl'es de n05trcdit l'oyallmc mt 15 aoust
procllain en nostre ville de Bloya, ou non s ento11[lons qno se tro11vc11t
aucun des plus notables personnages' de chacunc province, bailliage
'et séneschanssée pour en pleinc ¡¡850mbl<'o, .. proposor ¡ibramcnt...
ce <¡ni serO\ plns pl'Opl'O el convonnhlc ponr un ton! estcin,lro et a1lO-




t60 ESSAI SUR L'HlSTOlRE DU T1ERS ÉTAT


réservant le dernier recours des laches : la trahison
et l'assassinat. Tels sont les éléments dont se com-
posa l'un des plus grands drames de notre histoire,
ce\ui. qui. l.'enll ce\ebl.'e \'annee \58S, qui s'ouvre il.
Paris par l'émeute des barricades, et se dénoue aux
seconds états de Blois par le meurtre du duc et du
cardinal de Guise. '


'La convocation des états généraux de U¡88 fut un
acte du roi contre lui-meme. Cette assemblée, venue


lir les <livisious qui sont <lntre nos subjects, mesmement c';tre les
cutholiques, et parvenir a un bon et asseuré repos, avec lequel
Ilostre sainete religion catholique Boit si bien restablie, et toutes héré-
sies repllrgées et extil'pécs de nostre l'oyaume, que nos subjeets
n'ayent plus d'occasioll d'y cl'aindre changement tant de nostre vi-
vant qu'apres Ilostre décez. (Maudemeut aü prévot de Paris, derniel'
mai 15H8, RecueU des anciennes lois rran~aises, t. XIV, p. 614.) - Et
premierement nous jurons d renouvellons l~ sermeut par nous faie!,
en nostre sacre, de vivre et mourir en la religion eatholique apostoli-
que et rom,úne, pl'omouvoir l'advaneement et conservation d'icelle,
employer de bon116 foy toutes nos forees et moyens, sans espargner
Hostre propre vie, pour extirper de nostre royaume, pays et terres
de nostre obéyssance, tous sehismes et hérésiea condamnées par les
sainets coneiles et principalement par celuy de Trente, sans f>ti,'e
jamais aucnDe paix ou trefve avec les hérétiques, ny aucun éolict
en leur faveur,


Art. 2. Voulons et ordonnons que tous nos subjeets, prinees, s.,i-
gneurs, tant ecclésiastiques, gentilshommes, habitans des villes et
plat pays, qll'autres, de quelque qualité et conditiou qu'ils soyent,
s'LlIJÍssent et joignent en ceste c~use avec nous, et faeent pareil
serment u'employer ay ce \lOllS toutes leurs forees et moyens jusques it
lellrs propres vies, pOIll' I'extel'mination desuicts hérétiqUl's,


Art, 3. Jurons allssi et promettons ue ne les ravoriser nyadvall-
cer lle Hostre vivant; oruollllons et vonlons que tous nos subjeets
unis jurent et prolllettent de'!! iI présent et pour jamais, apres qu'J!


• aura pleu iJ. Diell disposer de nústl'e vie sans noua douner des eufants,
de ne reeepvoir i. estre roy, prester obéyssance a priuce queleonqlle
qui soit héi'étiquc Oll r.\llteur q'hérésie. (Édit de renouvellemellt de
l'union du roi avec les princes et seigneurs catholiques du royaume,
juillet 1588, ibid" p. 6115,)




CHAPITRE VI 161


a la suite d'une emeute victorieuse, et representant,
non la France entiere, mais la France exclusivement
catholique, eut pour mission et pour bui de fonder la
predominance des états sur le pouvoir royal!. Il y a
deux parts dans son histoire, l'une qui précede,
l.'autre qui suit l'assassinat des Guises et l'arrestation
de plusieurs deputes des trois ordres 2 • Dans la pre-
miere de ces deux époques, les états, ayant le tiers
á leur tete, soutiennent contre le roi une lutte de
príncipes sur la question de la souveraineté; ils de-
clarent qu'íls veulent proceder par resolution et non
par supplication; ils attribuent aux seuls édits faits
avec leur concours le titre de lois fondamentales.
Malgré la retenue de leurs paroles et leur apparente
soumission a l'ancien ordre monarchique, ils me-
nacent la royaute d'en constituer un tout nouveau,
de la mettre en tuielle permanente sous la repre-
sentation nationale, et de deléguer pour le présent
cette tutelle au chef de la Ligue. La seconde epoque,
ou l'assemblee se débat entre la crainte et la colera,


1. C'est le 12 mai qll'eut lieu le souliwement nommé Jourwíe des
barricades; l'ordonnance de convocation des états fut rendue le
dernier jour du meme mois. - Lettres furent de toutes parts expé-
diées par les provillces a ce que chaenn s'avant(at d'y envoyer ses
députés, pourvu qn'ils fl18Sent catholiques romains; ear autrement il
n'était permis a aueuu de la rcligion, ou Soup90nné de favoriser ceux
de la religion, de s'y tronver. (Des états généraux, etc., t; XIV,
p. 275.) - L'assemblée s'ouvrit le 16 octobre; on y comptait 505 de-'
putés, savoir : 134 du clergé, 180 de la noblesse ~t 191 du tiers
etat. - Voyez les noms de ces derniers, ei-apres, appendice 11.


2. La Cllapelle-Marteau, présiil.ent du tieys état; Compana et de
Neuilli, députés de Paris; I.eyoi, dépnté il.' Amiens; le comte de
Brissac, président de la noblesse, et le sienr de Bois-Danphin. Qna-
tre députés du tiers état et trois du clergé, qni étaient sur la liste,
s'éclmPl'erent [23 décembre).




t 62 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


ne pl'ésente, au \ieu o.e cette hostilite agressive,
qu'une opposition d'inertie sous laquelle couve, dans
le cceur de chacun, l'\mpatience d'etre congédié pour
se rendre sur un terrain propice a la rébellion
ouverte l.


Ce fut le tiers état qui joua ici le premier role;
il était la puissance du jour; il prit l'initiative des
proposítions hardies envers la royauté, ou violentes
contre les huguenots. Son cahier renferme les de-
mandes suivantes : que les ordonnances faites a la
requete des états soient déclarées immuables, et
n'aient pas besoin,d'etre vérifiées en cour de parle-
ment; que, pourtout autreédit, les cours souveraines
aient toute liberté ~e remontrances, et ne soient ja-
mais forcées. d'enregistrer 2 ; que les parlements ne
puissent vérifier aucun édit, sans qu'auparavant il ait
été communiqué aux procureurs-syndics des états,
dans les pays d'états, et que toutes les provinces du
royaume puíssent élire a cet effet des procureurs-
syndics; qu'il n'y ait plus de leve es d'argent, pour
quelque cause et sous quelque forme que ce soit, sans
le consentement des états généraux s; que les here-
tiques soient punís selon les ordonnances de Fran-
<;ois ler et de Henrí 11, et que des mesures rigou-
reuses soient prises contre les fauteurs d'heresie;
que le roi de Navarre soit déclare incapable de


1. Voyez le J onrna1 d'Étienne Bernard, dél'nté du tiers état de
Bonrgogne. Des états gélléral1x, eto., t. XIV, p. 440 et sniv. - La
séance de c!6ture des états ent lieu le 16 janvier 1589.


2. Cahicr général du tiers état [1588]. Recueil des Iitats généralix
des trois ordres, t. lII, p. 186.


3. Cahior génóraI iln tiers état, arto 67' et 223.




CHAPITRE VI i63


succéder a la couronne, et que tous ses biens soient
confisqués l.


Parmi les demandes qui ne tenaient rien des pas-
sions d u moment, on peut noter celles-ci, renouvelées
pour la plupart du cahier de H>76 et de celui de
HiGO: le rétablissement des élections ecclésiastiques,
malgré le concordat de Frangois ler, le maintien
scrupuleux de l'élection pour les emplois de judica-
ture, la poursuite d'office contre les seigneurs cou-
pables d'exactions sur les habitants de leurs domai-
nes, la restitution du droit de justice civile aux corps
municipaux, l'égalité des poids et mesures 2. En gé-
néral, les propositions du tiers état se distinguent
moins fortement qu' autrefois de celles des deux autres
ordres; on voit qu'il y a, sur beaucoup de points,
parité de sentiments et d'idées. De plus, le cahier
de f588 n'offre pas, en ce qui regarde le droit et
l'~dministration, la meme abondance d'objets que les
cahiers de HJ60 et HS76 3, soit que deux réunions d'é-
tats, si pres rune de l'autre, eussent laissé peu de
choses nouvelles a voir et a conseiller, soit que les
élus du tiers état ligueur aient été, par cela meme,
plus remplis du besoin d'action immédiate que du


1. Plaira a Votre Majesté décIBrer Henri de BourLon, roi de
Navarra, comme hérétique et notoirement relaps, criminel de le.se-
majesté divine et humaine BU premier chef, inhBbile et ineapable de
succéder a la couronne de Franca, privé de tous droits et préroga-
tives de prince et de pair, tant lui que ses hoirs procréés et a procréer.
(Cahier général du tiera état, arto 2, 3 et 4.)


2. Ibid., arto 14, 77, 193, 195 et 269.
3. II ne contient que 272 articles. Le cahier de -1560 en waitcu


354, et celui da 1576, 448.




1M ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


sen s reflechi d'on procede le travail d'analyse en rna-
tiere de législation.


Apres le meUl'tre du duc de Guise, Henri III,
délivré en idée, s'était écrié : Maintenant je suis
roi! . Il croyait avoir frappé de mort toute la Ligue;
il fut bientót détrompé. Pendant qu'il perdait le
temps a faire devant les états des harangues et des
apologies, l'insurrection provoquée par son crime
éclatait a Paris, et se propageait d'une ville a l'au-
treo Bientót des provinces entieres furent entrainées
dans ce mouvement,' et, de la Picardie a la Breta-
gne, de la Bretagne a la Provence, une féderation
municipal e s'organisa contre la royauté. Le projet de
gouvernement revolutionnaire con<;u par les comités
de la Ligue fut executé sous l'empire de passion~
ardentes jusqu'a la frénésie, exalté es jusqu'au dé-
vouement t. On tournait les yeux vers les can ton s
suisses, et l'on parlait de se constituer en république
á leur exemple!; la démocratie parisienne, maitrpsi'p


1. Voyez plus h!\ut, chapo v, p. 140.
2. M. de :Mayenne s'achemine a Paris, non pour contestcr, mais


seulement pour recevoir et douner ordre a tant de peuples et villes
qui, (lomme a I'envy les uns des autres, se mettoient dn p!\rty de
l'union, aucuns SOllS les bonnes espérances qu'ils s'estoient imaginez
de vivre a l'advenir a la maniere des Suisses, et d'e¡:tre exempts de
tailles et de payer les cens et devoirs a leurs seigneurs, d'autres d'a-
nimosité, de courroux et de despit a cause de la bonce opicion qu'ils
avoient de feu M. de Guise, et parrny ceux-l8. quelques-uns affec-
tionnez a la religion catholique romaine. (Palma Cayet ,Chronologie
'lOvennaire, col1ect. Michaud, t. XII, p. 102.) - Si d'un autre costé
l'on propose de réduire ce royaume en république, connoissant qu'il
est impossible de chasser le roy et en establir un autre, j'advoue que
ce sera une chose plus aisée 8. faire, paree qu'il ne faut que luy
desnier l'obéyssance et se gouverner sous l'authorité des qllarante
cOl1seilIers et des maires et eschevins des villes sans plus parler ele




CHAPITRE VI IOJ


uu parlemimt par un coup d'État, supprimait le nom
du roi dans les, actes judiciaires, et nommait de sa
propre autorite un lieutenant general du royaume l.,
Cependant, ,au lieu d'agir et de monter a cheval,
Henri III, retombe dans sa mollesse, expediait du
chateau de Blois des proc1amations inutiles et des
ordres qui 11e parvenaient pas; entoure par la revoIte
comme par un cercle de fer qui se ressel'rait de plus
en plus, il se trouva enfin redúit a n'avoir en su
puissance que les deux rives de la Loire, entre
Tours et Beaugency. AIors iI prit une resolution
qui donnait la mesure de sa détresse; íl fit, sous le
nom de treve, un pacte d'aBiance avec le prince


. qu'il avait désherité et proscrit,et iI mit sa couronne
sous la garde des re1igionnaires dont il s'était fait
gloire de poursuivre l'extermination 2.


Quatre mois apres le meurtre du chef de la Ligue;
Henri de Valoiset Henri de Bourbon eurent, au
Plessis-1ez-Tours, une entre vue ou ils scellerent, en


roy, et se tenil' bien alliez et confédérez les uns avec les antros pour
'0 Sl1pporter el pour se deffcndre contre luyo (Mémoires de Nevers,
t, le', p. 919,)


1. Le titre dOl111(\ :111 duc Ile Maycnne était celui de lientenant gll-
néral de ¡'"tat royal et cour011ne de France.


2. Les témoignages sont assez 11otoircs.,. de que! zeIe e1 bon piell
j'ai toujollrs marché a l'extirpatio11 de l'hérésie et des hérétiqnes, it
quoi j'exposerai plus que jamais mil. vie, jusques a une mort cor-
taine, s'il en est besoin, pour la détense et protection de naIre


\ sainte foi catholique, apostolique et romaine, comme le plus slIperhe
, \ tombeau ou je me pourrois ensevelir que dans la ruine de l'Leres;,),


(Hara'lgl1e du ro:, 16 octobre'15B"l, De> états généraux, etc" t, XIV.
, p. 356.) - Voyez les lettres d'urmistice avec le roi de Navarl'e .~"données it Tonrs le 26 avril 1589. (Recueil des anciennes lois (rall-


'. fdices, t. XIV, p. 645.)




166 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS É'l'AT


s'embrassant, runion du parti royal et du parti cal-
viniste. Leurs deux armées n'en formerent plus
qu'une seuIe, qui bientót se porta vers Paris, ou la
Ligue était maltresse, et d'ou elle agissait sur les
provinces. Arrivés sous les murs de la ville, qui fut
frappée deterreur a leur approche, les rois cam-
perent, l'un, celui de France, a Saint-Cloud, l'autre,
celui de Navarre, a Meudon. Les apprets du siége
étaient terminés a la fin de juillet, et l'assaut devait
avoir Heu le 2 aout; mais Henri IJI ne vit pas ce
jour. Il fut tué d'un coup de couteau par un jeune
moine dominicain poussé au :régicide par son fa-
natisme ligueur, des prédications furieuses, d'adroites
manreuvres et la consternation qu'il voyait régner
dans Paris l. Ainsi la Ligue rendit a Henri IJI crime
pour crime, et le meme coup vengea ~ur lui rassas-
sinat des Guises et les meurtres de la Saint-BartM-
lemy. Du reste, ce prince eut une mort qui rachetait
jusqu':l un certain point les faiblesses de son regne:
il n'hésita pas a ce dernier moment sur ses devoirs
de roi et de patriote; il voulut jeter les fondements
de la réconciliation nationale. Il fit appeler le roi de
Navarre, et lui dit: «Mon frere, la couronne est
vótre apres que Dieu aura fait sa volonté de moL»
Prtis, s'adressant aux princes et aUx nobles qui en-
trJUraient son lit, illeur <!ommanda de jurel' au sUc-
cesseur légitime obéissaMe et fidélité; tous, mete
tant le genou én terreó ~rent ce serment t.


1. Ceci arriva dans la matinée du ler aoo.t; Ié moine se l10mnjait
jacqucs Clément;


2. Palma Cayet, Chronologie novenna;,'e, colIect. Michaud, t. XII,
p,150.




CHAPITRE VI


Ce fut le 4 aout f589, qu'apresavoir signé la pro-
messe de maintenir sans altération la religion ca-
tholique I Henri de Bourbon fut reconnu pour rpi
par tous les chefs de l'armée royale, et ce f~t
seulement le 22 mars :1594 que, vainqueur de la
Ligue et devenului-meme catholique, iI fit son en-
trée dans Paris. Il fallut plus de quatre années de
combats, une constance a toute épreuve et une ad-
mirable prudence, des victoires signalées et une
transaction décisive 2, pour que le principe du droit
héréditaire, allié aux intérets de l'indépendance na-
tionale, prévalut contre l'association du principe de
l'orthodoxie avec les doctrines de la souveraineté du
peuple. On sait quelles furent les vicissitudes de
cette grande lutte, soutenue intrépidement de part
et d'autre devant l'opinion publique, et dont cette
opinion était a la fois le juge et le prix. Au-dessus
'des événements variés quí en marquent le cours, il
y a un fait qui domine, c'est le retour graduel de
la bourgeoisie a l'esprit de tolérance de :1560, avec


'lIlus de réfiexion, avec la maturité de jugement que
donnent l'expérience et le malheur. A mesure que
le prince réduit a etre conquérant de son propre


1. Nous Henri; par la grl\ce de bien, l'oi de Francé et de lSavarre,
ptomettons et jurons, en foy et parole de roi; par ces préseutes si-
gnées de notre main, a tous nos bons ét fidels sujets, de maintenir et


'oonserver en nostre royauIlla la religion catholique, a.postolique et
""romaine en son entier saos y innover ou changer aucune chose, soi t
'len le. police et exercice d'iceIla, ou aux personnes et biens ecclé~
:Jiastiques. (Déclaratiou et serment du roi a son avénement a la cou-
~DDe; Recueil des anciennes lois fran9aises, t. XV, p. 3.)
~.Bataille d'Arques, le 13 septembre 1589; bataille d'Ivry, le


14 mal? 1590; abjuration du roi ;, Saillt-Denis} le 2;; juillet 15\)3.




Hi/:l ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


royaume gagnait une de ces victoires glorieuses
d'humanité autant que d'hérolsme, le zele fanatique
perdait du terrain, et, abandonnant les classes
moyennes de la nation, se retirait dans les classes
Ínférieures. e'est en elles que se prolongea le sombre
enthousiasme et l'energie des premiers jours de la
lutte; ce sont elles qui, par un régime de compres-
sion et de terreur, imposerent i Paris la prodi-
gieuse patience avec laquelle cette grande cité sour-
frit les fatigues et les miseres d'un siége de quatre
ans; elles enfin qui, livrees en aveugles au protec-
torat du roi d'Bspagne, donnerent le monstrueux
spectacle d'un partí démocratique qui n'était pas un
parti national. '


La Ligue avait eu la pretention de transporter la
royauté et de la rendre, au moins unefois, élective;
elle échoua dans ce dessein, et ne reussit qu'a em-
pecher le roi heréditaire de regner, tant qu'il ne fut'
pas cathoJique. Son derníer acte d'autorité fut une
convocatíon d'états généraux faite satis mandement
royal. Indíquee et ajournee plusieurs foís depuís
l'annee 1090, cette assemblée revolutionnaire, qui se
disait nationale et sur laquelle pesaient le patronage
et l'amlJition de l'Espagne, se reunit enfin a Paris le
28 janvier U¡93 1. Les députes qui y vinrent en petit
nombre 2 ne tarderent pas a se trouver en face de


1. Voyez les Proces-yerbaux des états gcnéraux de 15lJ3, pu-
Lliés par M. Auguste Bernard, dans la Col/eelion des documents inó-
dits sur ¡'!lis/oire de Frailee.


2. I1s étaieut enviro n cent trente, la p!upart du tiers etat; Paris
son! By"it .louze représelltallts de cet orare. - Voyez ci-apl'es, Bppen-
dice n.




CHAP¡TRE VI t69


l'illtéret étranger se couvrant de l'intéret de la foi
catholique pour demander avec hauteur le sacrince
des lois fondamentales et de l'indépendance du pays.
IIs eurent a entendre successivement trois propo-
sitiollS du roi d'Espagne: la premiere, de recon·
naitre pour reine par droit de naissance l'infante
Isabelle sa nlle, petite-fille de Henri II 1; la seconde,
qu'un prince du sang imperial, fiancé it l'infante"
filt élu pour roí; la troisieme, que l'infante épou-
sat un prince fralH;ais, et que,tous les deux'fusstmt
déclares conjointement propriétaires de la cou-
ronne a.


En depit de leurs obligations envers l'Espagne et
du besoin que l'union catholique avait de sonassis-
tance, les depures ligueurs se sentirent fl'anl1ais, et
rougirent a de pareilles demandes. Ils repousserent
les deux premieres propositions, et eluderent la troi-
sieme, en disant que l'heure n'etait pas venue de
proceder a l'election d'un roi~; ils ne nrent rien,


1. Isabelle-Claire-Eugénie, née du mariage de Philippe 11 nvcc Éli-
sabetll de France.


2. L'nrehidue Ernest d'Autriehe, frere de l'emperenr Rodolphe 11
et neveu de Philippe n.


3. 1n solidum. Voyez les P,'océs-t'erba"x des états a.énérauI de 1593,
p. 242, 252, 281, 555, et, dans le meme reeueU, appenilicc 1, Jom-
nal d'Odet Soret, député du tiers état de Normandie.


4. Sur la pl'oposition qui a esté raiete Busdiets estats par 1Il0ll-
sieur le dne de Férie et autres ministres du roy eatholiql1c ,ile creer
'et estabJir présentement une royauté, lesdiets estats estiment qn'¡¡
lleroit non-senlement hor5 de propos, mais encore périlleux, et pour
la religion et pour l'Estat, de faire eeste eslectio et déclaratioll en
un teml's ou. noua aommes si peu fortifiez et d'hommes et Je moyens.
(Délibératioll du 4 juillet, Proce8-verbaux des etats 9IÍlli. aux de 1593,
p.552.)


lO




fiO ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


et ce fut tout leur mérite. Mais le parlement, ou,
pour mieux dire, les membres de cette cour qui, par
zl'lle d'orthodoxie ou par crainte de la Ligue, étaient
demeurés dans Paris 1, oserent davantage. Faisant
acte de souveraineté a la face des états et contre
eux, ils rendirent une sentence qui déclarait nul
tout acte (ait ou d (aire ¡JOur l'établissement de prince ou
princesse étrangers, et protesterent qu'ils mourraient
tous plutót que de rompre ou de challger cet arriW.
Un mois apres, en abjurant le calvinisme dansla ba-
silique de Saint-Denis, Henri de Bourbon écarta
l'obstacle que les moours nationaJes opposaient a ce
qu'il fut roi de fait comme ill'était de droit, et bientüt
les états de la Ligue, s'éteignant d'eux.memes, lais-
serent libres toutes les voies legales a l'occupation
du trone 3.


HenriIV, c'est l'Hopitalarmé; sa victoire fut, apres
trente-quatre ans d'hesitation publique, de tentatives
prématurées et de violents retours en arriere, celle
des príncipes de l'immortel chancelier de Charles IX.
Le roí quí délivra les conscíences de l'oppres-
sion relígieuse et· le pays de l'influence étrangere
fut un de ces grands reparateurs venus apres les
grands désordres, pour relever les ruines amonce"
lées, et faire germer les semences de bien éparses
~


1. Une partie du parlcmcnt de París síégcait alors it Tours, par
suite d'un édit de translation donné par Henri llI, en févl'ier 1589.


2. Délibération du parlement du 28 juin 1593, Proces-verbaux, etc" .
appelldice VIII, p. 740 et 748.


3. n n'y eut pas de cl6ture officielle pour les états de 1593. Les
députés quitterent leur poste l'un apres l'autro j les proces.verbaux
des séances s'arrlltent, pour le clergé, au 13 j uiHe! j pour la uoblcssc,
au 8 aoftt, et pour le tiors état, au 22 décemure.




CHAPITRE VI
"


ni
pnrmi les decombres. Une foís qu'iI eut conquis la
paix au dedans et au dehors, douze ans luí suffirent
pour effaoor la trace des guerres civiles, renouve-
ler la face du pays par une prosperité toujours
croissante, et fonder sur de nouvelles bases la poli-
tique nationale. Il avait une intelligence universelle,
un esprit souple et pénétrant, des résolutions promp-
tes et une fermeté inébranlable dans ce qu'il avait
resolu. A la sagesse des hommes pratiques, a cet
instinct qui va droit a rutile et au possible, qui
prend ou rejette sans prévention et sans passion, au
commandement le plus absolu, il joignait la séduc-
tion des manieres et une gráce de propos inimita-
ble. Ses hautes vertus. meMes d'étranges faiblesses
ont fait de lui un type unique de roi a la fois aima-
ble et imposant, profond de sens et léger de goúts,
plein de grandeur d'ame et de calcul, de sympathie
pour le peuple et d'orgueil de race, et toujours, et
avant tout, patriote admirable.


Il ya trois choses dans l'muvredu vainqueur de la
Ligue : l'établissement definitif de la liberté de
conscience et de l'état civil des dissidents, la restau-
ration et le progre s de tout ce qui constitue la
richesse publique, enfin la conception d'une politique
fran~aise, fondee sur le maintien des nationalites et
l'équilibre des puissances europeennes. Aucun des
anciens edits de toIerance n'avait eu le caractere
de loi perpetuelle; c'éta.ient des actes provisoires,
ltes traités de paix conclus dans l'attente d'une réu-


- ~ion des deux cultes par un concile general ou na-
tional. Or, les deux cultes n'avaient pu ni se fondre
ensemble, ni se détruire l'un l'autre; il fallait que




172 ESSAI SUR L'HISTOIRE OU TII,n~ ~;TAT


leur séparation et avee elle leurs dt'oits respectifs
fussent proclames et sanetionnes par un decret irre-
vocable. Tel fut l'objet du ce1ebre edit signe itNantes
le f3 avril f598 et auquel cette ville a donné son
nomo Resumant les edits.'anterieurs dans leurs dis-
positions essentielles et vraiment pratieables, il
garantit., d'tme part, aux personnes, l'entiere liberté
dA cOllscience, de l'autre, aux religion~, des privilé-
ges limite:;; pour chacune d'elles selon la mesure de
ses forces et sa situation dans le pays l.


Par cette transaetion derniere entre ·la justice
naturelle et la necessite soeiale, 'les réformes obtin-
rent definitivement le droit d'habiter dans tout le
royaume sans etre astreints a faire aueune chose
contre leur conscienee; l'admissibilité a tous les
emplois publics avec dispense a l'entree en charge
de toute céremonie et forme de serment contraires a
leur culte; le droit de n'etrejuges que par des tribu-
nauxmi-partie de protestants et de catholiques;


1. Maintenallt qu'il plitt iL Dieu commellcer iL nons frure jouir de
qnelque meilleur repos, nOU8 avous estimé ne le pouvoir miel1x
employeT qu'iL. vaqueT a ce qui peut conoorner la gloire de son sainct
nom et service, et pourvoir qu'il puiase etl'C adoré et prié par tOllS
nos' sulijects; et s'il na. lui a pleu pel'mettre que ce soit pour en-
('ore en I1ne mesm'é forme et religion, que ce soit au moina <1'ulle
mesme intention et avec telle reigle qu'il n'y ait point pOllr cela de
trol1ble et de tumulte entN eux, et que noua et ce royaume pnis-
siona tOUjOlU'S mériter et conserver le tiltre glorieux de tres-eh res-
tien ... Nons avons jugé néceasaire .de donner maintenant sur le tout
a tOU8 nosdit8 subjects UIlS loy generale, claire, nette et absolue, par
!aquelle ils soient réglés sur toua les différends qui sont cy-devant
sur ce survenus entre eux et y pourront encore survenir cy-apres, et
dont les uns et les autres ayent sujet de se coutenter, selon que la
qualité du tamps le peut portero (Préambule de l'édit de Nantes,
Rectleil des anderl1le,. Ini .• (rnnraises, t, XV, p, 171.)




CHAPITRE VI n3
celui de publier des livres de leur religion, de Conder
des colléges, écoles et hOpitaux, et, avec cela, d'etre
admis comme étudiants dans les universités et les
autres écoles du royaume, ou, comme pauvres ou
malades, dans les anciens hospices. L'exercice privé
du nou veau culte fut declaré libre pour chaque fa-
mille, mais l'exercice public n'en Cut permis que
dans les'lieux ou l'avait autorisé l'édit de {577, avec
une ville de plus ou un moindre lieu par bail-
liage l. Cette charte de droits, qui avait poureffétde
rendre l'État complétement distinct et indépendant
de l'Église, devint, sous le tUs et ¡le petit-fils de
Henri IV, la loi civile des deux cultas rivaux. Elle
les regit dans une paix, sinon sincere, du moins


'apparente, jusqu'au jour ou elle fut brisée par un
vertige du pouvoir royal, qui, ramenant apres
quatre-vingt-onze ans de tolérance le fanatisme et les
proscriptions du seizieme sieele, imprima une tache
ineffl'l.<¡able sur l'un des plus grands regnes de notre
histoire 2.


A part l'édit de Nantes et une loi remarquable
contre le duel s, toute la législation de Henri IV
roule sur des matieres d'économie publique, et la sa
passion du bien-etre général, son intelligence des
conditions de prospérité pour le pays, son génie
créateur et l'activité de son esprit se montrent d'une


1. F..Jit de Nantes, art, 6, 7, S, 9, 10, 11, 21,22, 24,27, 30, 31,
32, 33, 34, 35, 36, 43, 64, 66 et 67.


2. Révocation de l'oldit de Nantes par l'ordonnance de Louis XIV
du 17 octobr~ 1685. Voyez ci-apres, cbap. IX.


3. Édit de juin 1609, necueil des Gflciennes loi8 fr(tf!~a;Se8, t. XV,
p. 351.


lO,




174 ESSAI SUR L' HlSTOIRE DU TlERS É'rAT


fa<;on merveilleuse. 'On sait quel nom l'histoire as-
socie au sien dans une gloire commune, celle d'avair
fait renaitre et développé avec une énergie alors sans
exemple les force s productives de la France. Maximi·
lien de Béthune, marquis de Rasny, duc de Sully,
créé surintendant des finances en i596 1, fut l'homme
d'action qui, dans cette entreprise ou les obstacles
étaient sans nombre, mit une volanté intrépide et
une persévérance a toute épreuve au service de la
pensée du roí. Premier ministre en fait, sinan en
titre, il porta la réforme et la vie dans toutes les
branches de l'administration. Non-seulement il re-
leva les finances de l'abime ou les avait fait descen-
dre l'énorme déficit du dernier regne 2, augmenté
par cinq ans d'anarchie et par les capitulatians d'ar-·
gent au prix desquelles avait eu lieu la soumission
des grands de la Ligue, non-seulemeni il remplit de
nouveau le trésor vide, mais, remontant jusqu'aux
sourees de la richesse publique, illes agrandit et les
multiplia. L'agriculture, encouragée avec un zele
qui gagna la noblesse elle-me me, prit un essor in-
eonnu jusque-la; toutes les parties de l'aménagement
du sol, les eaux et les bois, le défrichement des ter-
rains vagues, le desséchement des marais, furent
l'objet de mesulles qui provoquaient, par imitation,
de grandes entreprises partieulieres. La proteetion
du gouvernement s'étendit a tous les genres de ma-


1. Il rempla~a les huit intendants contr61enrs généraux des fi-
nances et fut l10mmé successivement grand voyar de France, grand
maltre de l'artillerle et surintendant des biltiments et fortitications.


2. Voyez, sur l'état des finances en 1576 et en 1588, I'Histoire de
France de M. Henri Martin, t. X, p, 541, et 1, XI, p. 137.




CHAPITRE VI i75


nufactures, et l'industrie de la soie fut propagée dans
tout le royaume. En meme temps des sommes consi-
dérables étaient employées aux routes, aux pont~,
aux levées, au creusement de canaux navigables, et
le dessein de faire communiquer l'une avec l'autre
les deux mers qui baignent la France s'élaborait dans
les elltretiens du grand roi et du grand ministre l.


S'il faut admirer a l'intérieur l'esprit d'ordre, de
suite et de progres qui caractérise le gouvernement
de Henri IV, ses plans de politique extérieure sont
peut-etre encore plus dignes d'admiration. Il entre-
prit a la fois de préserver la Franee du danger eon-
tinuel dont la mena9ait la prépondéranee de la mai-
son d'Autriehe, et de lui faire a elle-me me une
situation préponderante, en reeonstituant l'Europe
d'apres un nouveau principe, celui d,e l'indépen-
dance et de l'équilibre des États. Le systeme de ba-
lance politique l'éalise un demi-siecle plus tard par


1. Le projet d'unir la Seine a la Loire et celle-ei a In. Saone fut
en partie exécuté par I'ouverture du canal de Briare; un second
prlJjet, celui de joindre l'Ande it la Garonne, demeura sans exécution.
- Voyez l'ordonllance de mai 1597 snr les eaux et forets, l'entretien
des chemins publics et des rivieres, etc.; les édits d'avrill599 et de
janvier 1607, ponr le desséchement des marais; l'édit de mai 1599,
qui cree un office de grand voyer de Franee; les lett1'e5 u'aout 1597,
établiss:mt une fabrique de cristal a MlJlun; l'édit d'aout 1603, ponr
l'établissement i\ Pal'is d'une manufacture de draps et toiles d'ol',
d'argent et de soie; la dcclal'l1tion du 16 novembre 1605, pour l'ét:t-
blissement dalls toua les dioceaes d'une pépiniere de muriers blancs,
et l'édit de janYier 1607, qui établit dans plusíeurs villes du royaume
des manufactmes de tapisseries. (Recueil des anciennes lois franqaises,
t. XV, p. 1'11, 212,313, 283, 164,222, 291 ct 322.) - Une assernhlée


_ de commcrce, sorte d'états généraux de l'industrie, fllt convoqllcc :\
I'otris en 1604. Voyez Arc/¡¡"es curieuses de ¡'/¡istaire de France, t. XIV,
p_ 21~J et sui".




t ~6 ES SAl SUR L' H1STOIRE DU TIERS ÉTAT


le traité de Westphalie fut une création de sa pen-
sée; ille con~ut des l'abord sous des formes idéales
qui le passionnaient, mais que son sens pratique
lui faisait regarder comma secondaires, et dépen-
dantes de ce qui, dans l'exécution, serait possible
ou opportun 1. La mort le surprit au moment ou íl
allait partir pour commencer la guerre colossale
dont le succes devait aplanir le terrain sur lequel il
voulait édifier. Le crime d'un fanatique fit descendre
dans la tombe, avec le roi martyr de la liberté de
conscience, de vastes desseins qui, encore secrets et
seulement mesurés par la grandeur des préparatifs,
tenaient, d'un bout de rEurope a l'autre, les esprit s
en suspens, et remplissaient les imaginations d'une
attente mystérieuse. Quand on arrive a cette triste
page de nutre histoire, quand on relit la fin sou-
daine et violente d'une si noble vie et d'une si grande
destinée, il est impossible de ne pas s'arreter ému,
de ne pas ressentir, a la distance de plus de deux
slecles, quelque chose de l'angoisse des conte~po­
rains, qui virent tout a coup la France tomber, par
la mort d'un seul homme, de l'ordre dans le chaos,
de l'énergie politique dans l'affaissement, de la li-
berté d'action dans les entraves qu'apporte aux
États l'influence de l'étranger. .


Le regne de Henri IV est une de ces époques déci-
sives ou finissent beaucoup de choses et ou beaucoup
de choses commencent. Placé surla limite commune


1. Voyez, dans les Économies royal .. de Sully, le projet de forma-
tion d'une république chrétienne, t. 1, p. 243, 353, 437; t. 1I, p. 150,
212, 220, g23 .. 339 et 418. Colleet. Michanrl, ] '·,érie, t. XIY et XY.




CHAPITRE VI i77


de deux grands siecIes, iI recueillit tous les fl'uits
du travail social et des experiences de run, et jeta
dans leur moule toutes les institutions que devait
perfectionner l'autre l. La royaute, dégagee de ce
que le moyen age avait laissé de confus dans son
caractere, apparut alors clairement sous sa forme
moderne celle d'une souveraineté administrative,
absolue de droit et de fait jusqu'en 1789, et, delmis,
slIbordonnée ou associée a la souveraineté natio-
nale. Alors se réglerent d'une maniere logique les
departements ministériels, et leurs attributions s'é-
tendirent a tout ce que récIament les besoins d'une
société vraiment civilisee. Alors enfin le progres de
la nation vers l'unité s'accéléra par une plus grande
concentration du pouvoir, et le progres versl'égalité
civile par l'abaissement dans la vie de cour des hautes
existences nobili~ires, et par l'élevation simultanee
des différentes classes du tiers etat.


TroiR causes concoururent a diminuer pour la
haute bourgeoisie l'intervalle qui la séparait de la
noblesse : l'exercice des emplois publics, et surtout
des fonctions judiciaires, continué dans les memes
familles, et devenu pour elles comme un patrimoine
par le droit de résignation iI; l'industrie des grandes


1. Voyez la Monographie politique'de Henri IV, par M. de Carné.
ÉI",!es sur les (ondaleuTs de runilé naliollale en France) t. JI, p. 1 et
sniv.


2. Le titulaire d'uu office de judicature ou de ¡¡nance pOllvait le ré·
signer ,. une persoune de sa famille ou a toute autre personne capablc
de le remplir. Il faUait que la résignation eftt Iíeu qnarante jours an
nlOins avant la mort du titulaire, sallS quoi elle était nuUe, et la
charge retonrllait aux maíns du l'oi. Henri IV exempta de cette gene
tons les officiers; il leur coneédll la propriété héréditaire de leurs




t 78 E51SAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


manufactures et des grandes entreprises qui créait
d'immenses fortunes, et ce pouvoir de la pensée
que la renaissance des lettres avait fondé au profit
des esprits actifs. En ·outre, la masse entiere de la
population urbaine avait été remuée profondément
par les idées et par les troubles du siecle; des hom-
mes de tout rang et de toute profession s'étaient rap-
prochés les uns des autres dans la fraternite d'une
meme croyance et sous le drapeau d'un meme parti.
La Ligue surtout avait associé étroitement et jeté
pele-mele dans ses conseils l'artisan et le magistrat,
le petit marchand et le' grand seigneur; l'union
dissoute, les conciliabules fermés, il en resta quelque
chose dans l'ame de ceux qui retournerent alors a
la vie de boutique ou d'atelier : un sentimentde force
et de dignité personnelles qu'ils transmirent a leurs
enfants.


Quant a la population des campagnes, elle paralt,
au seizieme siecle, généralement affranchie delarude
et humiliante condition du servage; ses obligations
envers les proprié.taires du 'sol s'étaient fixées et
modérées de plus en plus, et, des la fin du quinzieme
siecle, son admission a unepart de droits politiques
avait marqué par un signe frappant le progres ac-
compli dans sa condition civile. Des 10rs en effet,
achaque convocation d'états généraux, il y eut des
assemblées primaires, composées des habitants de
toutes les paroisses, et concourant, par leurs dé-
légués, a la formation des cahiers et a l'élection


ehargcs, moyennsut un droit annuel éqnivalant au sOixslltilm1e de la
valeur de chaque office.




CIlAPITRE VI li9


des deputes du tiers etat. Les delegues de chaque
paroísso dressaient le cahier de ses doleaúces et le
portaient au chef-lieu du bailliage cantonal; lú,
reunis aux delegues du chef-Heu, ils élisaient des per-
sonnes chargees de fondro en un seul cahier les do-
léances des paroísses et de les porter a la ville siége
du bailliage supérieur, ou de nouveaux délegues, elus
de la meme maniere et réunís aux mandataires de la
ville, rédigeaient, par une nouvelle compilation, le
cahier provincial de l'ordre plébéien, et nommaient
ses representants aux états genéraux l. Cette inno-
vation, quí date de l'assemblée de U,8~, fit désormaís
un seul corps politique de tontes les classes du tiers
état, et mit fin a la tuteHe officieuse que les députés
des bonnes "tlles avaient exercée jusque-Ia en faveur
des gens du plat pays 2. Ceux-ci se trouverent en
possession du droit de parler pour eux-memes, et
c'est d'eux que venaient directement les remontran-
ces qui les concernent dans les cahiers de f4.84., 1060,
1576 et H588 3•


Pour revenir a la bourgeoisie, ce noyau du tiers
état, sa condition, si on l'observe depuis le quator-
zieme siecle, présente la singularite de deux mou-
vements contraires, l'un de progres, l'autro de
décadenco. Pendant que les emplois judicíaires ot
administratifs, le commerce, l'industrie, la science,
les lettres, les beaux-arts, les professions liberales ot


1. Voyez I'Histoi,'e des états généraux, par M. Thibandeau, t, 1,
p. 282, et t. lI, p. 14 et suiv.


2. VOytfJZ plus haut, chapo n, p. 51, et chap, UT, p. 85.
3. On trouvera ci-aprcs, appcndice IV, un cah;cl' UC villagc urcsse


en 1576.




180 ESSAI SUH L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


les professions lucratives l'elevaient en considera-
tion, et creaient pour elle, sous mille formes, des po-
sitions importantes, ce qui dans l'origine avait fait
sa force et son lustre, la liberte municipale, declinait
rapidement. La legislation du quinzieme siecle avait
enleve aux magistrats des villes l'autorite militaire,
celIe du seizieme leur enleva la juridiction civile,
restreignit leur juridiction crimineIle, et soumit á
un contróle de plus en plus rigoureuxleur adminis-
tration financiere. Le privilege de communaute libre
et quasi. souveraine, qui avait protege la renaissance
et les premiers developpements de l'ordre civil, fut
traite de la meme maniere que les privileges féo-
daux, etpassa comme eux sous le niveau du pouvoir
royal, dont chaque envahíssement etait.alors un pas
vers la civilisation et vers l'unite nationale. Mais la
noblesse perdait, et ses pertes etaient irreparables;
la bourgeoisie perdait, et ses pertes n'étaient qu'ap-
parentes; si on lui fermait le chemin battu, de nou-
velles et plus larges voies s'ouvraient aussitót devant
elle. L 'élévation continue du tiers état est le fait do-
minant et comme la loi de notre histoire. eette loi
providentielle s'est executée plus.. d'une fois a I'insn
de ceux qui en etaient les agents, a rinsu ou meme
avec les regrets de ceux qui devaient en reeueillir h~
fruit. Les uns pensaient ne travailler que pour eux-
memes, les autres, s'attachant au souvenir des ga-
ranties detruites ou áludees par le pouvoir, croyaient
reculer pendant qu'ils avangaient toujours. Ainsi a
marche le tiers etat depuis son avenement jnsqu'aux
dernieres aIllHies dn dix-huitieme siecle; "int alOt,,,
un jour al! ron put di/'e qu 'il n'etait rien dans J'ol'dre




CHAPITRE VI 181


palitique 1, et, le lendemain de ce jaur, ses repré-
sentants aux états góneraux, se déclarant investis
de la souycraineté llatlonalc, aboliss..'üent le régime
des ordres, et fondaicnt en Frunce l'unité sociale,
l'égalité civile et la lib<.Jrti~ constitutio!ll1clle,




CHAPITRE VII


LES ÉTATII GÉ¡:;ÉRAUX DE 1614


SOIIMAIRE : Hérédité des offices. - Elle est nn moyen de force pOllr le tiers
élat. - Élat. généraux de 16". - Ombrages mutuels et dissension des
ordre •. - La noble.se et fe clergé unis eontre le tiers élal. - Diseours de
Savaron et de de Mesmes, üratenrs du tiers. - Discours du baran de SeneceyJ
lIraleur de la noblesse. - Proposition du tiers état sur l'indépendance de la
conronne. - Demandes qn'il exprime dans son cahier. - Cahier de la liD'
blesse. - Rivalité haineuse ,les deux ordres. - Clóture des élat ••


Parmi les mesures fiscales qu'une imperieuse ne-
cessité suggera au gouvernement de Henri IV, il en
est une qui eut pour le presellt et dalls la suite de
graves consequellces; c' est le droit alllluel mis sur
tous les offices de judicature et de finallce, et vul-
gairement nommé la Paulelte '. Au moyen de cet im-
pat, les magistrats des cours souveraines et les offi-
ciers royaux de tout grade obtinrent la jouissance
de leurscharges en propriete héreditaire. Le premie!'
resultat de cette illllovatioll fut d'elever a des taux
illcollnus jusqu'alors la valeur venale des otlices ¡ le
second fut d'attirer sur les fOllctiollllaires civiis


1. Du nom du tmitant Panlet, qni en prit In fenno; ce droit ét"ii
d'un soixantiinne de la finallce a laquelle on évaluait l'offlce, Voyez
plus haut, chapo VI, p, 177, note L




CHAPITRE VII IS3


un nouveau degré de considération, coluí' q ui s'at-
tache aux avantages de l'hérédité. Moins de dix ano:
apres, on voyait des passions et des intérets de classes
soulevés et mis aux prises par les effets de ce simple


1xpédient financiero Le haut prix des charges en
écartait la noblesse, dont une partie était pauvre,
et dont l'autre était grevée de substitutions, et cela
arrivait au moment meme oti, plus éclairés, les no-
bles comprenaient la faute que leurs aleux avaient
faite en s'éloignant des oHices par aversion pour l'é-
tude, et en les abandonnant au tiers Mat. De lit, entre
les deux ordres, de nouvelles causes d'ombrage ét de
rivalité, l'un s'irritant de voir l'autre grandir d'une
fa~on imprévue dans des positions qu'i! regrettait
d'avoir autrefois dédaignées, celui-ci commen~ant
a puiser, dans le droit hereditaire qui elevait des
familles de robe a cóté des familles d'epée, l'esprit
d'independance et de fierté, la haute opinion de
soi-meme, qui étaient auparavant le prop,re des gen-
tilshommes.


Quelque remarquable qu'eut été dans le cours du
seizieme siecle le progres des classes bourgeoises, iI
avait pu s'opérer sans querelle d'amour-propre ou
d'intéret entre la noblesse et la roture; la grande
lutte religieuse dominait et atténuait toutes les ri-
:valités sociales. Aucun procede malveillant des deux
ordres run envers l'autre ne parut aux· états géné-
raux de 1576 et de 1588. Mais, apres l'apaissment des
passions soulevées par la qualité de croyance et de
culte, d'autres passions assoupies au fond des Cffiurs
se reveillerent; et ainsi, par la force des choses, le
premier quart du dix-septieme siecle se trouva




184 ESSAl 8uI\ L'HISTOIIlE DU TIEns 1:1'11.1'


marque 'pour recueillir et mettre au jour, avec les
griefs recents, toute l'antipathie amassée de longue
main entre le second ordre et le troisieme. Cette col-
lision eclata en 16H au sein des etats convoques, a
la majorité de Louis XIII, pour chercher un remede
a ce qu'avaient produit de dilapidations et d'anarchie
les quatre ans de regence ecoules depuis ]e dernier
regne l.


Ce fut le 14octobre que l'assembl/e se reunit en
trois chambres distínctes au couvent des Augustins
de París; elle comptait quatre cent soixante-quatre
deputes, dont cent quarante du clerge, cent trente-
deux de la noblesse, et cent quatre-vil1gt-douze du
tiers etat. Parmi ces derniers, les membres du corps
judiciaire et les autres officiers royaux domil1aient
par le nombre et par l'illfluence 2. Deslaséance d'ou-
ver[ure, on put yoir entre les deux ordres JaIques
des signes de jalousie et d'hostilité; le tiers état s'é-
mut pour la premiere fois des différences du cere-
monial ison égard 3; l'orateur de la noblesse s'é-
cria dans sa harangue : « Elle reprendra sa premiere
« splendeur cette noblesse tant abaissee maintenant
l( par quelques-uns de l'ordre inferienr sons pre-


1, Voycz le Rapport de mon fl'ere Améd{,e Thicrry sur le conCOU1'5
un prix d'hístoíro, décerné en 1844 par l'Académie des sciences mo-
rales et politiques, Mémoires de l'Academie, t, V, p, 826,


2, Voyez la liste donnée ci-apl'es, appendíce II,
3. " Je renmrquai qne mondit sien!' le chancelier, pllrlanl CII Sa


¡",rangue it lIIessicurs dn clcrgé et de la lloblcsse, melloit la main ¡.
son bOllllet carré, et se découvroit, ce qu'il r.e jjt point 101'sqn'il
parloit fin tiers etat. " (ReZalion des élals gé,,¿raux de 1614, ['u' FIo-
rimond Rapine, d(;puté dl! tiers état do Nivcrnais, De,; élals gill¿-
raux, etc" t. XVl, p. 102,)




CHAPlTRE VlI


« tfrxte de r¡uelques charges; ils verront t::mbt Lt
rlifference qn'il ya d'eux a nous '. ») La meme affec-
tatíon de morgue d'une part, la meme susceptiLiJit:.i
de rautre, accompagnerent presque toutes les CO:l1-
munications de la chambre noble avec la chambre
bourgeoise,


Quand il s'agitd'établirun ordre pour les travanx,
le clergé et la nobles se s'accor .. Ierent ensemble, mais
le tiers état, par défiance de ce qui venait d'eux,
s'isola et fit tomber leur plan, quoique bono Pen
apres, la noblesse tenta une agression contre la
haute bourgeoisie; elle résolut de demander au roi
la surséance, et par suite la suppression du droit·
annuel dont le bail alIait finir, et elle obtint ponr
cette requete l'assentimentdu clergé. La proposition
des deux ordres fut adressee au tiers état, qu'elle
mit dans l'alternative, ou de se joindre a eux et de
livrer ainsi les premiers de ses membres a la jalou-
sie de leurs rivaux, ou, s'íl refusait son adhésion,
d'encourir le blame de défendre par égo'isme un pri-
vilége qui blessait la raison publique, et ajoutait
un nouvel abus a la venalite des charges.


Le tiers etat fit preuve d'abnegation, Il adhéra,
contre son interet, a la demande de suspension de
la taxe moyennant laquelle les offiees etaient here-
ditaires; et pou!' que eette demande eut toute sa
portee logique, illa completa par celle de l'abolition
de la venalité 2 , Mais exigeant des deux autres ordres


1. Afercure {mn90is, 30 eontinulltion, t. lIT, année 1614, p. 32,
'2, « En quelle estime nous allront nos provinces, quand elles olront


qtle d'un cOllrage viril nous lI11l'OllS méprisé nolre propl'l' intéret, Ile-




186 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


sacrifice pour sacrifice, illes req uit de solliciter con-
jointement avec lui la surséance des pensions, dont le
chiffre avait doublé en moins de quatre ans 1, et la
réduction des tailles devenues aceablantes pour le
peuple. Sa réponse présentait eomme eonnexes les
trois propositions suivantes : supplier le roi, 1" de
remettre pour l'année eourante un quart de la taiUe,
2° de suspendre la pereeption du droit annuel, et d'or-
donner que les offiees ne soient pLus vénaux, 3" de
surseoir au payement de toutes les pensions aeeor-
dées sur le trésor ou sur le domaine. La noblesse,
pour qui les pensions de eour étaient un supplÁment
de patrimoine, fut ainsi frappée par représailles;
mais, loin de se montrer généreuse eomme ses
adversaires, elle demanda que les propositions
fussent' disjointes, qu'on s'oceupat uniquement du
droit annuel, et qu'on remlt a la diseussion des ea-
hiers l'affaire des pensions et eelle des tailles. Le
clerge fit la meme demande, entouree de ménage-
ments et de paroles captieuses qui n'eurent pas
plus de sueees ~upres du tiers état que la franehise


mandant que les eharges que nOllS possédons héréditairement soient
VOllées au pubJie, aux plus eapables et estimes, et non retenues par
eeux qui ant le plus de hiens, de richesses et de erédit!. .. Alors nons
contraindrons les médisans it prendre autre confianee de nons, qn'ils
n'ont pas, enx qni nons ont estimes ~tre du tout eontraires it la ré-
vocation de l'inique parti de la paulette. D'autant que la plllpárt de
cetto ebmpagnio possilde les charges plus relevées et honorables dn
royanme, d'autant plus nons devons nons porter, par la liberté et
sincérité des états et l'obJigation de nc;>s conseiences, it l'aboJition de
ce droit qui fomente l'ignorance, ferme la porte a la vertn et it la
cloctrine. )1 (Disconrs du lieutenant généralde Saintes, Relation des
états de 1614, par Florimonrl Rapine, p. 167.)


1. Depuis la mort de Henri IV.




CHAPITRE VII i87


égoYste des gentilshommes t. Ayant délibéré de nou-
veau, la chambre du tiers décida qu'elle ne séparait
point ses propositions l'une de l'autre, et elle fit
porter ce refus par l'un de ses membres les plus con-
siderables, J ean Savaron, lieutenant général de la sé.
néchaussée d'Auvergne.


Cet homme d'un grand savoir et d'un caractere
énergique parla deux fois devant le clergé, et ter-
mina ainsi son second discours : (e Quand vous vous
(( buttez a l'extinction du droit annuel, ne donnez·
({ vous pas a connaitre que votre intention n'estautre
({ que d'attaquer les officiers qui possedentJes char-
ee ges dans le royaume, puisque vous supprimez ce que
(e vous devriez demander avec plus d'instance, a
({ savoir l'abolition des pensions qui tirent bien
({ d'autres conséquences que le droit annuel? Vous
« voulez Oter des coffres du roí seize cent mille livres
(e qui lui reviennent par chacun an de la paulette, et
« voulez surcharger de cinq millions l' état que le roi
«. paye tous les ans pour acheter a deniers comp-
(e tants la fidélité de ses sujets. Quel bien, quelle
« utilité peut produire au royaume l'abolition de la
ee paulette, si vous supportez la vénalité des offices
(1 qui cause seule le déréglement en la justice ?. ..
« e'est, Messieurs, cette maudite racine qu'il faut ar-


L Quelque belles paroles qu'il pftt prouoncer (]'arcbev~que d'Aix),
si ne put-il jamais faire départir notre compagnie de SQ résolution
de demander conjointement lesdites propositions, paree qu'on voyait
clairement qulil y avoit de l'artifice, et que le clergé et la noblesse
s'enteniloient 1t la rnine des officiers et 1t la continuation de la charge
et oppression du pauvre peuple, et ne vouloient point qu'on deman.
díl.t le retranchement de leurs pensions, tant ils faisoient marcher
leurs iutéret~ avant tont, (Relatíon de Flor. Rapine, p. 182,)




188 ESSAI sun L'HlSTOIHE DU TIERS ÉTAT


«( I'aeher, e'est ce monstre qu'il faut combattre que la
«( venalite dl:'!s offices qui éloigne et recule des ehar-
(( ges les personnes de mérite et de savoir, proeurant
(( I'avancement de eeux qui, sans vertu bien souvent,
«( se produisent sur le théatre et le tribunal de la
(, j ustiee par la profllsion d'un prix deréglé qui fait
(f pe.rdre l'espéranee meme d'y pouvoir atteindre
(( i eeux que Dieu a institués en une honnete medio-
(' erite. Pm' ainsi, Messieurs, nous vous supplions
« humblemellt de ne nous refuser en si saintes
(( demandes l'union de votre ordre; e'est pour le
(f peuple que nous t.ravaillons, e'est pour le bien du
(( roi que nous nous portons, c'est contre nos pro-
l( pres intérets que nous combattons l . »


Devant la noblesse, Savaron s'exprima d'un ton
haut et fier, et, sous ses arguments, il y eut de
l'ironie et des menaces. Il dit que ce n'était point le
droit annuel qui fermait aux gentilshommes l'acces
des charges, mais leur peu d'aptitude pour elles, ct
la vénalite des offices; que ce qu'ils devaient de-
mander plutót que l'abolition de ce droit, c'étnit
celle de la venalité; que, du reste, la surséance de
la paulette, la reduetion des tailles et la suppression
des pensions ne pouvaient etre disjointes; que l'abus
des pensions était devenu tel que le roí ne trouvait
plus de serviteurs qu'en faisant des pensionnaires,
ce qui allait a ruiner le trésor, a fouler et opprimer
le peuple 2 ; et il ajouta en finissant; « Rentrez,
« Messieurs, dans le merite de vos predécesseurs, et


1. Relation de Flor. Hapine, p. ifl2,
2. lbid., p. 179.




CIIAPITRE VIl i89


(( les portes vous seront ouvertes aux honneurs etaux
( charges. L'histoire nous ápprend que les Romains
«( mirent tant d'impositions sur les Frangais 1, que ces
«( derniers enfin secouerent le joug de leur obeis-
(( sanee, et par la jeterent les premiers fondements
« de la monarchie. Le peuple est si chargé de tailles,
(( qu'il est a craindre qu'il n'en arrive pareille chose;
«( Dieu veuille queje sois mauvais prophete'!»


La noblesse ne repondit que par des murmures et
des invectives a l'orateurdu tíers etat; le clerge avait
loue son message en luí refusant tout concours; reste
seul pour soutenir ses propositions, le tiers résolut de
les presenter au roi. Il en fit le premier arlicle d'un
memoire qui contenait sur d'autres points des de-
mandes de reforme, et il envoya au Louvre, avec
une députation de douze membres, Savaron charge
encore une fois de porter la parole. L'homme qui
avait donne aux ordres privilegies des le~on de jus-
tice et de prudence Cut, devant la royaute, l'avocat
emu et courageux du pauvre peuple: (( Que diriez-
«( vous, Sire, si vous aviez vu, dan s vos pays de
«( Guyenne et d'Auvergne, les hommes paitre l'herbe
(1 :i la maniere des betes? Cette nouveauté et misere
«( inouYe en votre État ne produirait-elle pas dans
«( votre ame royale un desir digne de Votre Ma-
(( jeste, pour subvenir a une calamite si grande? Et
(( cependant cela est tellement veritable, que je C011-


1. C'est-a-díre, les Franks; le soín de distillguer ces deux noma
est Ulle précsutioll de la. scíence moderne.


2. Proce.-verbal el cahier de la fioblesse es états de l'an 1615, ms. de
la Bibliothéque impériale, fouds de Brieullc, 110 283, fol. 52, verso.


11.




t90 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


( fisque a Votre Majesté mon bien et mes offices si
« je suis convaincu de mensonge 1 • »


C'est de la que partit Savaron pour demander,
avec la réduction des tailles, le retranchement de
tous les abus dénonces dans le mémoire du tiers
etat, et pour traiter de nouveau, avec une franchise
mordante, les points d'ou provenait le desaccord
entre le tiers et les deux autres ordres : «( Vos offi-
( ciers, Sire, secondant l'intention du clergé et de
( la noblesse, se sont portés a requérir de Votre Ma-
« j,esté la surséance du droit annuel qui a causé un
« prix si excessif es offices de votre royaume, qu'il
« est malaisé qu'autres y soient jamais regus que
« ceux qui auront plus de biens et de richesses, et
({ bien souvent moins de mérite, suffisance et capa-
« cité: considération a vrai dire tres-plausible, mais
« qui semble étreexcogitée pour donner une atteinte
(( particulil'lre a vos officiers, et non a dessein de
( procurer le bien de votre royaume. Car, aquel
(( sujet demander 1'abolition de la paulette, si Votre
« Majesté ne supprime de tout point la venalité des
« offices? .. Ce n'est pas le droit annuel qui a donné
«( sujet ala noblesse de sepriver etretrancherdeshon-
« neurs de judicature, mais 1'opinion en laquelle elle
« a été depuis lcingues annees que la science et l' etude
« affoiblissoit le courage, et rendoit la género si té
« ¡eLChe et poltronne .... On vous demande, Sire,
«( que vous abolissiez la paulette, que vous retran-
( chiez de vos coffres seize cent milIe livres que vos
( officiers vous payent tous les ans, et ron ne parle


J. Relalion de Florimond RRpine, p. 19B.




CHAPITRE VII t9t


« point que vous supprimiez l'exces des pensions,
« qui sont tellement effrénées, qu'il y ade grands et
« puissants royaumes qui n'ont pas tant de revenu
« que celui que vous donnez a vos sujets pour ache-
« ter ¡eur fidélité .... Quelle pitié qu'il faille que Votre
« Majesté fournisse, par chacun an, ciuq millions
(( six cent soixante mille livres, a quoi se monte l'état
« des pensions quí sortent de vos coffres! Si cette
« somme étoít employée au soulagement de vos peu-
«( pIes, n'auroient-ils pas de quoi bénir vos royales
«( vertus? Et cependant l'on ne parle rien moins que
(( de cela, l'on en remet la modération aux cahiers,
«( et veut-on a présent que Votre Majesté surseoye
«( les quittances de la paulette. Le tiers état accorde
« l'un, et demande tres-instamment l'autre •. »)


Cette harangue fut un nouveau sujet d'irritation
pour la noblesse, qui en éprouva un tel dépit, qu'elle
résoIut de se plaindre au roL Elle pria le clergé de
se joindre a elle; mais celui-ci se portant médiateur
envoya l'un de ses membres vers l'assemblée du
tiers état lui exposer les griefs de la noblesse, et
l'inviter, pour le bien de la paix, a faire queIque sa-
tisfaction. Quand le député eut parlé, Savaron se leva
et dit fierement : Que ni de fait, ni de volonté, ni
de paroles, iI n'avait offensé messieurs dela noblesse;
que, du reste, avant de servir le roi comme officier
de justice, iI avait porté les armes, de sorte qu'il avait
moyen de répondre a tout le monde en l'une et en
l'autre profession '. Afin d'éviter une rupture qui


l. Relation de Florimond Rapine, p. 199 ct suiv.
2. Ibid., p. 207. .




192 ESSAI SUR L'IlIS'IOIRE DU TIERS ÉTAT


eut rendu impossible tout le travail des états, le
tiers, acceptant la médiation guí Iui était oiferte,
consentit a faire porter it la noblesse des paroles
d'accommodement; et, pour que toute caúse d'ai-
greur ou de défiance fUt écal'tée, iI choisit un nou-
vel orateur, le iieutenant civil de Mesmes. De Mesmes
eut pour missíon de déclarer que ni le tiers état en
général, ni aucun de ses membres en particulier,
n'avait eu envers l'ordre de la noblesse aucune
intention offensante. Il prit un langage ú la fois di-
gne et pacifique; mais le terrain était si brúlant,
qu'au líeu d'apaiser la querelle son discours l'enye-
nima. Il dit que les trois ordres étaient trois freres,
enfants de leur mere commune la France; que le
clergé était rainé, la noblesse le puiné, et le tiers
état le cadet; que le tiers état avaittoujours reconnu
la rioblesse comme éIevée dequelque degréau-dessus
de lui, mais qu'aussi la nobles se devait reconnaltre
le tiers état comme son frere, et ne pas le mé-
priser au point de ne le compter pour rien; qu'il
se trouvait souvent dan s les familles que les alnés
ruinaient les maisons, et que les cadets les rele-
vaient '. Non-seulement ces dernieres paroles, mais
la comparaison des troi;' ordres avec trois freres, et
l'idée d'une telle parenté entre le tiers état et la 110-
blesse exciterent chaz celle-ci un oragede méconten-
lement. L'assemblée, en tumulte, fit des reproches
aux députés ecclésiastiques présents a la séahce, se
plaignant que l'envoyé du tiers état,-venu so~s leur
garantie, eút apporté, an lieu deréparations, de nou-


1. UphUo" ,le Flol'irno",l n.lpillC, p. Z23.




CHAPITRE VII j93


velles injures plus graves que les premi~res. Apres
de longs debats sur ce qu'il convenait de faire, il fut
resol u qu'on irait sur-Ie-champ porter plainte au
roi 1, '


L'audience demandee ne fut obtenue qu'apres
deux jours; la noblesse en corps s'y presenta. Son
orateur, le baron de Senecey, termina un cxorde
verbeux par cette dennition du tiers étut: a Ordre
(( compose du peuple des vil/es et des champs; ces
(( derniers quasy tous hommagers et justiciables
( des deux premiers ordres; ceux des villes, bour-
(egeois, marchands artisans, et quelques officiers; »
et il continua: «( Ce sont cellx-ci qui, meconnoissant
( leur condition, sans raveu deceux qu'ils repré-
( sentent, veulent se comparer a nous. J'ai honte,
c( Sire, de vous dire les termes qui de nouveau
(( nous ont offenses; ils comparent votre État a une
( famille composee de trois freres; ils disent l' ordre
(( eccles~astique etre 1'ainé ; le notre le puiné, et eux
(( les cadets, et qu'il advient souvent que les mai-
(( son s ruinées par les ainés sont relevees par les
(( cadets. En quelle misérable condi tion sommes-nous
c( tombes, si cette parole est véritalJle l. .. Et, non
«( contents de se dire nos freres, ils s'attl'ibuent la
«( restauration de l'État; a quoi comme la Francesait
« assez qu'ils n'ont aucunement participé, aussi
( chacun connolt qu'ils ne peuvent en aucune fa~on
( se comparer a nous, et &eroit insupportabJe une en-


l. Proces-verbal el caMer de la noblesse és eltIts de /'"" 1615, ms. de
la Bibliotheque impél'iale, fonas de Bl'ienne, nO 283, fol. 61 verso.-
Re/«tion de Flol'imonu Rapine, p. 226.




194 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


(( treprise si mal fondée. Rendez-en, Sil'e, le juge-
(e ment, et; par une declaration pleine de justice,
« faites-les mettre en leur devoir 1.») A cet etrangc
discours, la foule des députes nobles qui accompa-
gnaient l'orateur fit succeder, en se retirant, des
marques d'adhésion unanime. et des mots tels que
ceux-ci : « Nous ne voulons pas que des fils de cor-
(e donniers et de savetiers nous appellent freres ; il Y
« a, de nous a eux, autant de différence qu'entre le
«( maltre et le valet 2. »)


Le tiers état regut avec un grand calme la nou-
velle de cette audience et de ces pro pos ; il decida
que son orateur serait non-seulement avoue, mais
remercie; qu'on n'irait point chez le roi pour recri-
min.er contre la no bIes se, et qu' on passerai t au travail
des cahiers sans s'arreter a de pareilles disputes 3.
Alors le clergé vint de nouveau s'entremettre pour
la reconciliation, demandant que des avances fussent
faite s par le tiers état; le tiers repondit que, cette
fois comme la premiere, iI n'y avait eu de sa part
aucune intention blessante; que MM. du cIerge pou-
vaient eux-memes le faire entendre a la noblesse, á
laquelle iI ne voulait donner aucune autre satisfac-
tion, clésirant qu'onle laissát en paix travailler a son
cahier, et s'occuper d'affaires plus importantes 1.
Mais la brouillerie des deux ordres tenait tout en
suspens; le gouvernement, sans se porter juge, re-


1. Proces-rabal el caltiel' de la noblesse, ms. de la BihJiotheqlle im-
périnlc, londs de lIrienne, nO 283, fol. 63, verso.


2. Jlela/ion de Flor. Rapine, p. 228.
3. Ibid.
4. lbid., p. 23l.




CHAPITRE VII


doubla d'instanees pour la paix : il vint de la part du
roi un commandement au tiers etat de faire qúelque
demarehe qui put eontenter la noblesse; et plusieurs
jours se passerent sans que eet ordre fut obéi,


Pendant ce temps, le memoire contenant les de-
mandes du tiers passa a l'examen du conseil. La no-
blesse ct le clerge en appuyerent tous les artieles,
hors cclui qui était l'objet de la dissidence, et,
quant a eelui-Ia, jI fut promis par le premier ministre
que le chiffre des pensions serait annuellement re-
duit d'un quart, et que les plus inutiles seraient
supprimees 1, Ce coneours et cette victoire ouvrirent
les voies au raccommodenient, Le tiers etat fit re-
mercier les deux premiers ordres de leur coopération
bienveillante; ses envoyes aupres de la noblesse ne
desavouerent que l'intention d'offense, et on leur
répondit convenablement 2. Ainsi fut terminé ce diffe-
rend, d'ou ne pouvait sortir aucun resultatpolitique,
mais qui est remarquable, paree que le tiers état y
eut le beau role, celui du desinteressement et de la
dignité, et que la se montra au grand jour, en faee
de l'orgueil nobiliaire, un orgueil p18b8ien nourri
au sein de l'étude et des profess~ons qui s'exercent
par le travail intellectuel.


Une querelle bien plus grave, et sans aucun
mélange d'intérets privés, survint presque aussitót,
et divisa de meme les trois ordres, mettant d'un
coté le tiers état, et de l'autre le clergé et la
noblesse. Elleeut pour sujet le principe de l'in-


1. Re/alíon de Flor. Rapine, p. 242.
2. Ibid., p. ~4~-24B.




j '16 ESSAI SUR L'lllSTOIRE DU TlERS BTAT


dépcndance de la couronne vis-A-vis de l'Église,
princípe qu'avaient proclamé trois ceut douze ans
auparavant les representants de' la bourgeoisie l.
En compilant son cahier genéral sur les cahiers
provinciaux, le tiers état prit dans le cahier de l'Ile-
de-France, et pla<;a en tete de tous les chapitres un
article contenant ce gui suit : (1 Le roi sera supplié
(1 de faire arreter en I'assemblée des états, pOll!'
(1 loi fondamentale du royaume qui soit inviobble et
(1 notoire a tous, que, comme iI est reconnu souve-
(1 rain en son État, ne tenant sa coul'Onne que de
( Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle qu'elle
(1 soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit
(1 sur son royaume pour en priver les personnes sa-
(1 crées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs
(1 sujets de la fid81ite et obeissance gu'ils lui doivent,
(1 pour quelque cause ou pretexte que ce soit. Tous
« les sujets, de quelque qualite et condition qu'ils
{I soient, tiendront cette loi pour saínte et véritable,
« comme conforme a la parole de Dieu, sans dis-
( tinction, equivoque ou limitation q uelconque, la-
« quelle sera.i urée et signee par tous les deputes des
«( etats, et dorenavant pat' tous les bélleficiers et
« officiers du r.oyaume ... 'fous précepteurs, régents,
« docteurs et predicateurs seront tenus de l'ensei-
« gner et pu blíer 2. »


Ces fermes paroles, dont le sens etait profondt!ment
national sous une couleur toute monarchique, conS;1-
craient le droit de l'État dans celui de la royauté,


1. Voyez plus hallt, chap. JI, p. 50.
2. Re/aUo" J~ Flor. lbrille, p. 285.




CHAPITRE VII 197


d declaraient l'affl'llnchissement de la societe civile,
Au seul bruit d'une pareille resolution, le clergé
fut en alarme; iI fit demander au tiers état et n'ob-
tillt de lui qu'avec peine communication 'de l'articIe
(lui, en meme teJ.llps, fut communiqué a la noblesse,
CeHe-cL en délaissant la cause commune des la'iques
et de rf~tat, rendit complaisance pour complnisance
ú la chambre ecclesiastique; mais les démarches
collectives des deux premiers ordres furent inutiles
aupres du tiers; il ne voulut ni retirer ni modifier
son al'ticle, et repoussa comme elle le méritait la
proposition de s'en tenir á une demande de publica-
tion du decret du concile de Constance contre la doc-
trine du tyrannicide


'
, Il s'agissait 1:'1, de la grande


question posee dans la guerre de la Ligue entre
les deux principes de la royauté legitime par son
propre droit, et de la rayauté legitime par l'ortho-
doxie, Le débat de cette question, que le logne de
Henri IV n'avait point resolue 2 et á laquelle sa fin
tragique donnait un intéretsombre et penétrant, fut,
par une sorte de coup d'État, enleve a la discus-
sion des ordres, et evoqué au conseil, ou plutót, a
la personne du roí.


Sur l'invitation qui lui en fut faite, le tiers état
remit au roi le premier article de son cahier, et,
quelques j0!lrs apres, le president de la chambre et


1. Voyez, dan. 1(\ Re/alio" de Flor. P-npine (Des titals génél'atlx, etc.,
t XVI, 2- pnrtie, p. 112-164), lo discours du cardinal du Perron,
G"nteur du clergé, ct la réplique de Robert Miron, présidcnt du tiers
état.


2, Hemi IV n'avait régné qu'en vertl! d'nne tmnsnction (\vec ses
snjets eMholiques.




198 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


les douze présidents des bureaux furent mandés au
Louvre. Quoique Louis XIII fut majeur, la reine
mere prit la parole, et dit a la députation (1 que
l' article cClncernantla souveraineté du roí et la su-
reté de sa personne ayant été évoqué a lui, il n'était
plus besoin de le remettre au cahier, que le roi le
regardait comme présenté et regu, et qu'il en déci-
derait au contentement du tiers état l. » Cette vío-
lence faite a la liberté de l'assemblée y excita un
grand tumulte; elle comprit ce que signifiait et a
quoi devait aboutir la radiation qui lui était pres-
crite. Durant trois jours, elle discuta si elle se con-
formerait aux ordres de la reine. Il y eut deux opi-
nions : l'une qui voulait que l'article flit maintenu
dans le cahier, et qu'on protestát contre les person-
nes qui circonvenaient le roí et forgaient sa volonté;
l'autre qui voulait qu'on se soumit en faisant de
simples remontrances. La premiere avait pour elle
la majorité numérique; mais elle ne prévalut point,
paree que le vote eut lieu par provinces et non par
ba'illiages 2. Cent vingt députés, a la tete desquels
étaient Savaron et de Mesmes, se déclarerent op-
posants contre la résolution de l'assemblée, comme
prise par le moindre nombre. Ils demandaient a
grands cris que leur opposition fUt regue, et qu'il
leur en fUt donné acte. Le bruit et !a confusion
remplírent toute une séance, et, de guerre las se,


1. Relalían de Flor. Rapine, 2. partie, p. 194.
2. Les provinces étaient tres-inégales en nombre de représen-


tants; mais le vote par bailliages, qui, dans eette occasion, fut ré-
clamé inutilement, répondait presque au vote par tete. (Ibid., p. ]97
et sltiv.)




CHAPITRE VII f99


on s'accorda pour un moyen terme; on convint que
le texte de l'article ne serait point inséré dans le
cahier général, mais que sa place y resterait for-
mellement réservée l. En effet, sur lés copies au-
thentiques du cahier, 11 la premiere page et apres
le titre : Des Lois fondamentales de I'État, il y eut
un espace vide et cette note; « Le premier article,
« extrait du proces-verbal de la chambre du tiers
(( état, a été présenté au roi par avance du présent
(( cahier, et par commandement de Sa Majesté, qui
(( a promis de le répondre. »


Cette réponse ne fut pas donnée, et la faiblesse
d'une reine que des étrangers gouvernaient fit ajour-
ner la question d'indépendance pour la couronne et
le pays. Ce ne fut qu'au bout de soixante-sept ans
que les droits de l'État, proclamés cette fois dans Une
assemblée d'éveques, furent garantis par un acte
solennel, obligatoire pour tout le clergé de France.
Mais la célebre déclaration de 1682 n'est, dans sa
partie fondamentale, qu'une reproduction presque
textuelle de l'article du cahier de iBU>, et c'est au
tiers état que revient ioí l'honnenr de l'initiative 2.


1. Relalían de Flor. Rapine, 20 partie, p. 205-207.
2. Nous déclarons, en conséquence, que les rois et les souverruns


ne sont sonmis a aucnne puissance ecclésiastiqne, par I'ordre de
Dieu, dans les choses lemporelles; qu'ils ne peuveut etre déposés ni
directement ni indírectemellt par l'autoríté des ohefs de I'Eglise;
que leurs sujet~ ne peuvent <ltre dispensés de la soumission et de
l'obéissance qu'ils leur doivent, ni absous du serment de fidéJité; et
que cette doctrine, nécessaire pour la tranquillité publique, et non
rnoins avantageuse a l'Eglise qu'a l'Etat, doit @tre inviolablement
suivie comme conforme a la parole de Dieu, a la tradítion des saints
Peres et aux exemples des saints. (Déclaration du 19 mars 1682,
Mauuel du droít publie ecclésiastiquefranyais, par M. Dupin, p. 126.)




200 ESSAI SUR L'HISTOlm; DU TlEnS ÉTAT


Tout ce qu'il .Y avait de fort et d'éclairé dans l'opi·
nion publique du temps lui rendit hommage et le
veng-ea de St:\ dMaite, Pendant que les ordres privi-
legiés recevaient de la cour de Rome des brefs de
félicitation 1, á París, des milliers de bouches 1'6-
pétaient ce quatrrtin, compose pour la círconstance,
et qu'aujourd'hui ron peut dire prophétique :


o llohle,se, ó clergé, les ,Iinés de la Franee,
Pllisque l'honncur dn roi si mal vous mainten~z,
Puisfjne le tiers état en ce point vous devanee,
11 but que vos eadets deviennenl vos ainés 2,


A la demande de garanties pour la souveraineté
et pour la sureté du prince, le tiersjoignit, dans sou
cahier, sous le meme titre : Des Lois (ondamentales de
r tiat, la demande d'une convocation des etats
généraux tous les dix ans, et il fut le seul des trois
ordres qui exprima ce vreu. Le cahier de 1615
rappelle par le merite et dépasse en étendue celuí
de E¡50 3, ii a ce caractere d'abondance inspirée quí


L Paulus, pontifex maximus, dilcctis filiis nobilibus yiris or¡Jinis
llobilinm regni Fmllcire in comitiis generalibus. _. Dilecti filii nobiles
viri ... mirllm in mOlll1m anctns est noster erga \·os patcrnus aHlOl'
e" his, qure venerabilis fmtcr ltobcrt.us el'iseopns :.\IOlltispol itialli,
r.ostc!' apostolicus nnncius, nuper n¡J nos serip~¡t, de nlacritate animi,
dcqlle ~tlldiosa YOlllntate qua promptos pal'atosqll" vos or¡Jilli eecle-
siastico istius regni exhibuistis ad tlltelam divini honoris, et ¡Jefen-
siollem allctoritatis sanctre apostoliCal sedis ... (ProdJs-ver-!;al el caMer
de la noblesse, mss, ¡Je la Bibl. impériale, fonds de Brienlle, nO 283,
fol. 172,)


2. Mss. de b Bibl. impériale, collection Fontanicll (Pi~ces, lettl'cs
et négociatiolls), p. 187.


3, On y compte 659 articles formant neuf chapitres intitlllés : Des
lois fondamentales de I'État¡ de l'état de I'Église¡ ¡Jeshopitaux¡ ¡Jc
l'Université ¡ de 'la noblesse ¡ de la jllstice ¡ des finances et domaines ¡
des suppressions et révocntions; poliee et marchandises.




CHAPlTRE Vll 201


se montre aux grandes époques de notee histoire le-
gislative. Institutions politiques, civiles, ecclésias-
tiques, judiciaires, militaires ,economiques, il em-
brasse tout, ~et, sous forme de requete, statue
sur tout ayec un sen s et une décision admirables.
011 y trouve l'lwbileté prudente qui s'attache a ce
qui est pratique et de larges tendances vers le pro-
gres a venir, del matériaux pour une législatíon
prochaine,et des vceux quí ne devaiellt etre réalisés
que par Ull ordre de chm¡es tout nouveau. Je vou-
dl'aís donner une idee complete de cette ceuvre de
lJatriotisme et de sagesse 1; mais il faut que je me
borne a l'analyse de quelques points; je choisírai
parmi les demandes qui, appartenant au tiers etat
seu\, ne se rencontrent dans le cahier d'aucun des
deux autres ordres:


Que les archeveques et éveques soient nommés
, suivant la foeme pi'escl'ite par l'ordonnallce d'Or-
léans~, c'est-a-dire, sur une liste de trois candidats
élus par les evegues de la province, le chapitre de


1. Ce que je uis .'l1\lpliqttc á l'ensemble et non 11 IDUS les articleg
du cahicr; plusienrs d'cntre eux portent la trace inévitablc des l'rt\-
jngés qui dominaient alol's, tels que : le systemc prohibitif, l'utilité
ues lois somptuail'Cs, et la I,éeessité de la censure.


2. Voycz plus haut, chal" v, p. 127. - Ce mode d'élection miti-
gée, s'il fnt jamais suivi rég,J!icrement, ne put l'etre que de 1561
iL 157D; l'ordonll""ce dc Bloi5, rellduo iL cotte dcrniere date, ¡aisse
UI1 roi la f,LCulté UC 1I0millation pure et simple. - Le cahier de la
lIoblcssc rortc ce qni snit : " Que, conformément iL l'ordonnancc de
, Blois, il ne soit admis aux benéficos, dignités ct chal'ge3 eceJé-
\( siustiqucs, quc personacs il''¡gc, pruu'homie, snflisunce et autl'CS
" qual,té; req1lises, ... et qu';tllxdits ténélires les gcntilshommcs y
« soie!)t prélé¡'é3. " pJ~, ..te la llibl. ill1périale, fouila ue 131'ienllo,
no 2U3, fuI. 2:7.)




202 ESSAI sua L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


la cathédrale, et vingt-quatre notables, douze de
la nobles se , et douze de la bourgeoisie; - que les
crimes des ecclésiastiques soient jugés par les tri-
bunaux ordinaires ; - que tous les curés, sous peine
de saisie de leur temporel, soient tenus de porter,
chaque année, au greffe des tribunaux, les registres
des baptemes, mariages et déces, paraphés achaque
page, et coté s ; - que les communautés religieuses
ne puissent acquérir d'immeubles, si ce n'est pour
accroitre l'enclos de leurs maisons conventuelles; -
que les jésuites soient astreints aux memes lois ci-
viles et politiques que les autres religieux établis en
Franee, qlfils se reconnaissent sujets du roi, et ne
puissent avoir de provinciaux que fran~ais de nais-
sanee et élus par des jésuites fran~ais 1;


Que les gentilshommes et les eeclésiastiques ayant
domicile ou maison dans les villes sGient obligés de
eontribuer aux eharges communales ; - que nul gen-
tilhomme ou autre ne puisse exiger aueune eorvée
des habitants de ses domaines, s'il n'a pour cela un
titre vérifié par les juges royaux; - que défense
soit faite i tous gentilshommes ou autres de eon-
traindre personne d'aller moudre a leurs moulins,
euire a leurs fours, ou pressurer a leurs pressoirs,
ni c1'user d'aueun autre droit de banalité, queIque
jouissanee et possession qu'ils alleguent, s'ils n'ont
títre reeonnu valable; -que tous les seigneurs Iales
ou eeclésiastiques soient tenus, dans un délai fixe,
d'affranchir leurs mainmortables moyennant une


1. Cahier ,lu tiers état de 1615, ar!. i, 53, 33, 62 et 41. (Ms. de
la Bibl. impériale, fonds de BrieDllc, nO 284.)




CHAPITRE VII 203


indemnité arbitré e par les juges royaux, sinon que
tous les sujets du roi, en quelque lieu qu'ils habi-
tent, soient declaré s de plein droit capables d'ac-
quérir, de posseder et de transmettre librement ce
qu'ils possedent 1;


Qu'il n'y ait plus, au-dessous des parlements,
que deux degres de juridiction; - que les cours des
aides soient réunies aux parlements; - que les
professions soumises depuis l'année U¡76 au re-
gime des maitrises et jurandes puissent s'exercer
librement; - que tous les edits en vertu desquels
on leve des deniers sur les artisans, a raison de
leur industrie, soient revoques, et que toutes lettres
demaitrise, accordées comme faveurs decour, soient
déclarées nulles; - que les marchands et artisans,
soit de métier formant corporation, soit de tout au-
tre, ne payent aucun droit pour etre regus maUres,
lever boutique, ou toute autre chose de leur pro-
fession; - que tous les monopoles commerciaux ou
industriels concédés a des particuliers soient abolis ;
- que les douanes de province á province soient sup-
primees, et que tous les bureaux de perception soient
trallsféres aux frontieres~.


Il Y a la comme une aspiration vers l'égalité ci-
vil e , l'unité j udiciaire, l'unité commerciale, et la
liberté industrielle de nos jours. En meme temps,
le tiers état de 1615 renouvelle les protestations de
1588 et de 1576 contre l'envahissement par l'État
d.es anciens droits municillaUX. Il demande que les


1. Cahier du tiers etat, a1't. 532, 165, 167 ct 309 .
. 2. lbid., arto 249, 549, 614,615, 610,647, 387 et sea.




204 ESSAl St.:R L'HISTOlRE DU TUcns ÉTAT


magistrats des villes soient nommés par éleetion
pUl'e, sans rintervention et hors de la présenee des
offieiers royaux; que la gardo des clofs des portes
leur appartienne, et que partout ou ils ont perdll
eette prérogative ils y soient rétablis; enfin, que
toutes les municipalités puissent, dans de certaines
limites, s'imposer ellos-me mes , sans l'autorisatioll
clu gouvernement 1,


Si ron cherche dans les caIliel'':; des trois ordres
en quoi leurs vceux s'accorelent et en quoi ils dif-
ferent, on trouvera qu'entre le tiers état et le clergé
la dissidence est beaucoup Illoins grande qu'tmtre
le tiers état et la noblesse. Le clergé, attiré el'un
cóte par l'esprit liberal de ses doctrines, et de l'autre
par ses intérets comme ordre privilegié, n(j suit pas
en politique une direction nette : tantOt sés votes
SOllt pour le dl'oit commun, la cause plébeienne, le
dégriwement des classes pauvros et opprimees; tan-
tót, lié a la cause 110biliaire, il demande le maintien
de droits spéciaux et d'exemptiol1s abusives. Dal1s les
questions de bien-étre general, d'unite administra-
tive et de progres économique, il montre que la tra- .
elition eles réformes ne lui est pas étrangere, qu'il n'a
rien d'hostile au grand mouvement qui, depuis le
treizieme siecle, poussait la France, par la maín des
rois unis au peuple, hors des institutions civiles du
moyen úge. En un mot, ses sympathies évangéIiques,
jointes i ses sympathies el'origine, le rapprochent du
tiers état dans tout ce qui n'affecte pas ses ¡ntéreto
temporels ou l'intéret spirituel et los pl'étentiolls dE


1. Cahicr Jll ticl'S état, arto 593, 594 et 528.




CUAPI'fUE VII 20;)


l'Église. C'est sur ce dernier point, sur les questions
du pouvoir papal, des libertés gallicanes, de la tolé-
rance religieuse, du concile de Trente et des jésuites,
et presque uniquement sur elles, qu'un séríeux dé-
saccord se reneontre dans les eahiers du tiers et de
rordre eeelésiastique '.


Mais entre les deux ordres la'iques la divergence
est complete; e'est un antagonisme qui ne se reliche
qu'a de rares intervalles, et quí, vu du point ou nous
sommes plaeés aujourd'hui, présente dans les idées,
les mffiurs et les intérets, la lutte du passé et de l'a-
. venir. Le cahier du tiers état de 1615 est un vaste
programme de réformes dont les unes furent exécu-
tées par les grands ministres du díx-septieme siecle,
et dont les autres se sont fait attendre jusqu'a i 789;
le cahier de la nobles8e, dans sa partie essentielle,
n'est qu'une requete en faveur de tout ce quí péris-
sait ou était destiné a périr par le progres du temps
et de la raison. Ce sont des choses déja dites pour
la plupart aux précédents états géneraux, mais ac-
compagnées, cette fois, d'un emportement de haine
jalouse contre les officiers royaux, et, en général,
contre la classe supérieure du tiers état t. La no-


1. Les concessions faítes la-desalls par la noblesse lbront ce qui luí
gagua l'alliance du clergé dans sa querelle ayec le tier.; état.


2. SOl Majesté n'aura, s'i! lui plaist, uucun égnr,¡ ,., tous les arli-
eles qui luí seront présentés dans les cahiers du tiers état, au pré.i"dice
desjustices des gentílsbommes, ... attcll,lu 'iuC Inditc cl",mbrc s'étant
trouyée composée pour In plus grande pUlir. de lieutennlJts géllé-
raux et offieíers aux bailliages, leur principal dessein n'a élé que
d'accl'Oltre leur autúrité et augmenter lear profit au préjmlicc uo
ce que la noblesse a si t1igncmcnt mél'ité. - Que Votre !I1"j!"sté,
considé¡'ant la ilésolation du pnuvrc peuplu des champs, .... duqucl la


12




206 ESSAl sun L'HISTOIRE DU TlERS ÉTAT


ble:;se ne se borne pas a défendre ce qui lui restait
de priviléges et de pouvoir, elle veut rompre les tra-
ditions administratives de la royauté frangaise, re-
placer l'homme d'épée sur le banc du juge 1, et :;up-
plantel' le tiers état dans les cours souveraines et
dans tous les postes honorables. Non-seulement elle
revendique les ernplois de la guerre et de la cour,
mais elle demande que les parlements se remplissent
de gentilshornrnes, et qu'il y ait pour elle des places
ré:;ervées a tous les degrés de la hiérarchie civile,
depuís les hautes charges de l'État jusqu'aux fOllC-
tíons municipales 2. En outre, afin de s'ouvrir a e11e-


misera est la ruine du clergé et de la noblesse, ordonne qu'a I'avenir
il no soit permis aux gens du tiers état de pouvoir faire imposer au-
cuns deniers pour quclque cause que cc soit, excepté ceux de Votre
l\fajesté, Sfin" le consentement du clergé et de la noblesse demeurallt
dUllo I'ételldue du ressort oi! telle levée aUl"Oit " se faire, - Que
tous droits et priviléges prétcmlus par les habitants des villes de
chasser aux terres de Votre :M ajeste et des seigneuries voisines de
leur ville soient révo'lués et cassés, et défense h toutes personnes 1'0-
turieres et non nobles de portel' harquebuses ni pistolets, ni avoir
chiens ¡, chasser, ni antres qui n'ayent les jarrcts eoupés. - Que,
pour régler le grand desordre qui est aujourd'hui parmi le tiet·s élat
qui nsurpe la qualité et les Imbits des damoiselles, Votre ilTajesté est
tres·hulllblemcnt suppliée que dorénavant illeul' soit défentIu d'en
user ainsi, h peine de mille ecus d'amende. - ..... Preserire ¡" cha-
cun état tel Im]'it que par l'accoutrcmellt OH puiese f¡¡ire uistilldion
de la qualité tIes personnes, et que le velours et satin soient uéfendus,
si ce n'est anx gentilshommes. (Cahier ae la no],losse dc 1615, fol.
229, 233, 25,1, 25G el 262.)


1. Voyez, ibid., l'arlicle relatif " l'élat des brLiWs el s¿"dcha,,;:,
fol. 234.


2. Que tous les prevots aes maréclJaux, vice-baillis et vice-séné-
chaux soient gentilshommes d'exlraetioll, et qn'jl soit enjoint a ceux
'lui ne seront de cette qualité rle s'en dCf"ire ,hns trois mois, a faute
de quoi Iu charge sera déclal'ée vacante et illlpétrable. - Que les
grn.nd's maitrises et maitrises particuli;,res des caux ct foréts no




CHAPITRE VII 207
me me les sources de richesse ou la bourgeoisie seule
puisait, elle demande de pouvoir faire le grand
trafic sans déroger. C'était dans les idées une sorte
de progn'ls, mais le tiers état, par esprit de mono-
pole, réclame contre cette requete; il véut que le
commerce reste interdit aux gentilshommes, et le
soit formellement a tous les privilégiés l. Ainsi 1'011
opposait privilége ti. privilége, et, au lieu de la liberté
d'une part et de l'autre, on voulait la compensation
pour chacun.


Cette rivalité passionnée, qui donne tant d'intéret
a l'histoire des états généraux de 16H, fut poureux
une cause d'impuissance. La coalition des aeux pre-
miers ordres contre le troisieme, et les ressenti~
ments qui en fllrent la suite, empecherent ou éner-
verent toute résolution commune, et rendirent nulIe
l'action de l'assemblee sur la marche et l'esprit du
gouvernement. Dll reste, quand bien me me la cour


soient données qu'a gentilshommes d'cxtraction, - Que le premier
consul ou major des villes et bastilles sera pris du corps de la noblesse,
a peine de nullité de l'élection qui pourroit etre faite au contrsire. _
Que les deux trésoriers de France qui demeureront selon la suppres-
sion qui en est demandée, l'nn soit gentilhomme de race, et ne puisse
ªtre d'autre qualité. - Que nul ne puisse etre pourvu d 'état de bailli
ou sénécl1al qui ne soit ile robe courte gentilhomme de nom et
d'arm8s. - ..... Remplissant vos cours souveraines de gentilshommes
de race comme elles étoient anciennement, et ponr le moins que le
tiers des offices leur soit affecté. - ..... Et d'autant qu'en vain on
demnnl!eroit qu'il plítt 1t Votre Majesté accorder la préférence aux
nobles pour les charges des compagnies souveraines de votre royau-
me ..... - Qn'en tout corps de justice on de finance le tier; des
juges et officiers soient gentilshommes. (Cahíer de la noblesse,
fol. 229, 232, 233, 234 ct 278.)


1. Voyez le cahier el" tiel's état, arto l(jI, et le cahier de la noblesse,
fol. 232.




208 ESSAI seR L'IIISTOIRE DU T[EnS ÉTAT


du jeune roi aurait eu quelque amour du bien pu-
nlic, l'incompatibilite de vreux entre les ordres l'eut
contrainte a res ter inerte, car le choix d'une di-
rection precise etait trop difficile et trop hasardeux
pour elle. Il eut fallu, pour tirer la lumiere de ce
chaos d'idees, un roi digne de ce nom, ou un grand
ministre. Loin de chercher sincerement une meilleure
voie, la cour de Louis XIII n'eut a creur que de pro-
fiter de la mesintelligence des etats pour le maintien
des abus et la continuation du desordre. De crainte
qu'il ne survint une circonstance qni fit sentir a l'as-
semblée la necessite du bon accord, elle pressa de
tout son pouvoir la remise des cahiers, promettant
d'y repondre avant que le congé de départ fUt donné
aux députes. Ceux-ci demauderent qu'on leur re-
ronnut le droit de rester reunis en corps d'états jus-
qu'a ce qu'ils eussent regu la réponse du roi a leurs
cahiers. C'était poser la question, encore indecise
apres trois siecles, du pouvoir des états genéraux;
la cour répondit d'une fag'on évasive, et, le 23 fevrier
i615, quatre mois apres l'ouverture des états, les
cahiers des trois ordres furent présentes an roi, en
séance solennel1e, dans la grande sa~le de l'hOtel de
Bourbon l •


Le lendemain, les députes du tiers etat se rendi-
rent au couvent des Augustins, líeu ordinaire de
leurs séances; ils trouverent la salle demeublee de
banes et de tapisseries, et leur.president annonga que
le roi et le chaneelier lui avaient fait défense de te-


1. Voyez la Rellltion ele Flor. TIapine, 3< pa)·tie, Des élals gillé-
,.at<x, etc., t. XVlT, p. 75 et suÍv.




CHAPITIIE VII 209


nír desormais aucune assemblée. Plus étonnés qu'ils
n'auraient du l'etre, ils se répandirent en plaíntes
et en invectives contre le ministre et la cour; ils
s'accusaient eux-memes d'indolence et de faiblesse
dan s l'exécution de leur mandat; ils se reprochaient
d'avoir été quatre moís comme assoupis, au lieu de
tenir tete au pouvoir et d'agír résolument contre
ceux quí pillaient et ruinaient le royaume. Un té·
moin et acteur de cette scime l'a décrite avec des
expressions pleines de tristesse et de colere patrio-
tique: «L'un, dit-il, se frappe la poitrine, avouant
«sa lacheté, et voudrait cherement rache ter un
« voyage si infructueux, si pernicieux a l'État et
« dommageable au royaume d'un jeune prince du-
«quel il craint la censure, quand rage lúi aura
« donné une parfaite connaissance des désordres
« que les états n'ont pas retranchés, mais acerus, fo-
« mentés et approuvés. L'autre minute son retour,
« abhorre le séjour d~ Paris, désire sa maison, voir
« sa femme et sesamis, pour noyer dans la douceur
«( de si tendres gages la mémoire de la douleur que
( sa liberté mourante lui cause ..... Quoi, disons-
( nous, quelle honte, q uelle confusion a toute la
( France, de voír ceux quí la représentent en si
( peu d'estime et si ravilis, qu'on ignore s'ils sont
« Fran~ais, tant s'en faut qu'onles reconnaisse pour
« députés ! ... Sommes-nous autres que ceux qui en-
( trerent hier dans la salle de Bourbon I? )) Cette
question, qui était la question meme de la souverai-


1. Relation de Flor. Rapinc, 3< partic, p. 119.
n.




210 ESSAT SUR L' HTSTOlRE DU TIERS ÉTAT


neté nationale, revint pour une autre assembIee cent
soixante-quatorze ans plus tard, et alors une voix
répondit : (e N ous sommes aujourd'hui ce que nous
« étions hier, deIiberons l. ») .


Mais rien n'était mur en i615 pour les ,choses que
fit le tiers état de 1789; les deputes, a qui toute dé-
Iiberation etait i~terdite, resterent sous le poids dA
leur découragement. Chaque jour, suivant le recit
de l'un d 'entre eux t, ils allaient battre le pave du
cloitre des Augustins, pour se voir et apprendrA CA
qu'on voulait faire d'eux. Ils se demandaient l'un Ú
l'autre des nouvelles de la cour. Ce qu'ils souhai-
taient d'elle, c'etait d'etre congédies; et tous en
cherchaient le moyen, pressés qu'iIs étaient de quit-
ter une·ville oú ils se trouvaient, dit le meme recit,
errants et oisifs, san s affaires, ni publiques, ni pl'i-
vees 3. Le sentiment de leur devoir les tira de cette
langueur .. Ils songerent que le conseil du roi étant ú
l'ceuvre pour la preparation des reponses a faire aux
cahiers, s'il arrivait que queIque decision y fUt prii3A
au detriment du peuple, on ne manquerait pas dA
rejeter le mal sur leur impatience de partir, et que
d'ailleurs la nobles se et le clergé profiteraient de
leur absence pour obtenir, a force de sollicitations,
toutes sortes d'avantages. Par ce double motif, les
députés du tiers état résolurent de ne demander
aucun congé séparément, et d'attendre, pour se rA·
tirer, que le conseil eút décidé sur les points essen-


1. C'est ce mot de Síeyes quí amena le serment da ,Jpu de Panme,
2. Flm', Hapine, dépnté du tiers état itu Nivemnis,
3. Relation de Flor. Rapíne, 3° partíe, p. 119,




CHAPITRE VII 2H


tiels l. Ils rcstercnt done, et se réunirent plusieurs
fois en différents lieux, soutenant avec une certaine
vigueur, eontre le premier ministre, leur qualité de
députés. EnHn, le 2~ mars, les présidents des trois
ordres furent mandes au Louvre. On leur dit que la
multitud e des articles eontenus dans les cahiers ne
permettait pas au roi d'y répondre aussi vite qu)l
l'eút desiré, mais que, pour donner aux états une
marque de sa bonno volonté, il accueillait d'avance
leurs principales demandes, et leur faisait savoir
qu'íl avait résolu el'abolir la venalité eles charges, de
reduirc les pensions, et el'établir une chambre de
justice contre les malversations des Hnanciers; qu'on
11ourvoirait a tout le reste le plus tot possible, et
que les députes pouvaient partir.


Ces trois points des cahiers étaient choisis avec
adresse comme touchant á la fois aux passions eles
trois ordres. La nobles se voyait dans l'abolition ele
l'herédité et de la vénalité des offices un grand inté-
ret poar elle-meme; le tiers état voyait un granel in-
teret pour le peuple dans le retranchement des pen-
sions, et l'assemblée avait ete unanime ponr maudire
les financiers et réclamer l'etablissement d'une .iuri-
diction speciale contre leurs gains illicites 2. On pou-
vait meme dire que la suppression de la paulette et
de la vénalite était une demande commune des etats,
bien que chaque ordre eut fait· cette demande par
des motifs differents; la ~oblesse, pour son propre


1. Relation de Flor. Rapine, 3e pa.rtie, p. 129.
2. Voyez l'Histoire de France de l'rI. Henri Martín, t. XII, p. 251


et suiv.




212 ESSAI SUR L'IIlSTOIRE DU TIERS ÉTAT


avantage 1, le clergé, par sympathie pour la no-
blesse, et le tiers' état en vue du bien public contre
son intéret particulier. Et quant a l'arlicle des pen-
sions qui avait fait éclater la division entre le tiers
et les deux autres ordres, les trois cahiers en étaient
venus i cet égard a un accord, plus franc, il est
vrai, du cóté du clergé que du cóté de la noblesse!.
Ainsi, par une circonstance bizarre, sous des votes
conformes, il y avait des passions contraires, et les
promesses du roi satisfaisaient du meme coup des dé-
sirs généreux et des intentions égolstes. Ces pro-
messes, la seule bonne nouvelle que les membres des
états eussent a emporter dans leurs provinces, ne
furent jamais tenues, et la réponse aux cahiers par
une ordonnance royal e n'arriva qu'apres quinze
ans.


Telle fut la fin des états généraux convoqués ~n


1. Elle-mllme a soin de le rappeler dan s les articles de son cahier :
" L'expérience fait connaUre combien est pernicienx I'établissement
" <lu droit aoouel appel') pauletle, qui rend tant les charges de
" judicature qne toutes autres héréditaires .•. et ote a Votre Majcsté
« le moyen dO! pouvoir choisir les officiers, et l'espérauce anx gen-


tilshommes d'y parvenir jamais ... Partant, Votre Majesté est tres-
" hllmblement suppliée de retrancher ~ntiiJ¡'ement la vénalittl de
" toutes sortes d·offices... e'est le seul moyen de rendre votre I~tut
" plus illustre et plus HoriBll~nt, Votre Majesté bien servie, et vos
" peuples consolés par le Qhoix qn'elle fera de personnes cupaLles.
" De ce bien en reussira un particuliiJrement a 1'avant'\gc de vclre
" noblesse, désireuse de vous rendre autant de témoignages de 'sa
" fidélité dans l'exercice de la justice, qu'elle fait dans "OS <lnnées
" aux oceasions qui s'en pl·ésentent. Elle vous en supplie tres-hum-
« blement, Sire. » (Cahier de la noblesse de 1615, 1115. de la llilJl.
impér., fonds de Brienne, nO 2R3, fol. 23a et 239,)


2. Voyez le cahier du tiers état, arto 491 et 492; eelui du clergé,
art. 15a; et celui de la noblesse, fol. 214 verso. Ms.ue la Bibl. imper.,
fon,]s <le Brienne, nOS 2H?, :?~3 et 284.




CHAPITRE VII 213


HH4 et dissous en 1610. Ils font époque dans noire
histoire nationale, comme fermant la série des
grandes assemblées tenues sous la monarchie an-
cienne; ils font époque dans l'histoire du tiers état
dont ils signalerent, au commencement du dix-sep-
tieme siecle, l'importance croissante, les passionf',
les lumiéres, la puissance morale et l'impuissance
politiqueo Leur réunion n'aboutit qu'a un antago-
nisme stérilej et, avec eux, cessa d'agir et de vivre
ce vieux systéme représentatif qui s'était melé a la
monarchie, sans regles ni conditions précises, et ou
la bourgeoisie avait pris place, non par droit, non
par conquete, mais a l'appel du pouvoir royal. En-
tnle aux états du royaume sans lutte, sans cette
fougue de désir et de travail qui l'avait conduite a
l'affranchissement des communes, elle y était·venue,
en général, avec plus de défiance que de joie, par-
[ojs bardje, souvent contrainte, toujours apportant
avec elle une masse d'ídées neuves, qui, de son
cahier de doleances> passaient, plus ou moins
promptement, plus ou moins complétement, dans les
ordonnances des rois. A cette initíative, dont le fruít
etait lent et incertain, se bornait le role effectif du
tiers état· dans les assemblées nationales; toute ac-
tion immédiate lui était rendue impossible par la
double action contraire ou divergente des ordres
privilegies. C'est ce qu'on vit plus .claírement que
jamais aux états de 16Hi, et il semble que l'ordre
plébéien, frappé d'une telle experience, ait des lors
fait peu de cas de ses droits politíques.


Cent soixante-quatorze ans s'écoulerent sans que
ies états généraux fussent une seule foís réunís par '




214 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


la couronne, et sans que l'opinion publique usat de
cé qu'elle avait de force s pour amener cette réu-
nion 1. Espérant tout de ce pouvoir qui avai t tiré du
peuple et mis en reuvre par des mains plébéiennes
les éléments de l'ordre civil moderne, ropinion S8
donna, un siecle et demi, sans réserve a la royauté.
Elle embrassa la monarchie pure, symbole d'unité
sociale, jusqu'a ce que cette unité, dont le peuple
sentait profondément le besoin, apparut aux esprits
sous de meilleures formes.


1. Durant les troubles de la Fronde, les états généraux fnrent
convoqués a deux reprises, d'abord spontanément par la Conr en
lutte avec la bourgeoisie, eusuite sur les instauces de la noblesse unie
au clergé. Des philanthropes) joints au parti aristocratique, les récla-
merent au déclin du regne de Louis XlV. Le régent y songes pour
étayer son pouvoir; et il n'en fnt point question pendant le reg-ne de
LouisXV. .




CHA.PITRE VIII


LE PARLEMENT SOUS J"OUIS XIII, LE MINISTERE DE mCHEUEU,


LA FRONDE


SO)JM,\lRE : Importance llouvelle do parlement. - Sa popularité, son intel'veu-
Han dans les aO'aires d'État.. - Remontral1ces du 22 mai 16t5, sonlevemtut
de la haute 1l0blesse. - Mini.lere du cardinal de lticbeliell, sa politiqne
intérieme. - Assembléc de. Ilotables de 16~6. - Démolition des cMleau~­
forls. - Ordonnance de jauvier 1629. - Politique eltérieure de Richelien.
_. Impopularité d u graud ruinistre. - Réactiou du tiers état contre la dict.-
ture ministérielle. - Coalition de la haute magistrature, la Fronde. - Aete
politique délibéré par les quatre conrs sonveraines. - Journée des barricades.
- Pouvoir dictatorial du parlement. - 11 fait sa paix avec la eour. - La
Fronde des prillces, son caractére. - Triomphe dn principe de la mOllal'chie
sans limites. - Développements de ['esprit frlu",ais. - Progres des lumieres
el de la poli t.,; •. - InJIueoe. de la bourgeoisie lettréc.


leí eommenee une nouvelle pha:;e de l'histoire du
tíers état; le vide que laisse dans cette histoire la
disparition des états genéraux se trouve rempli par
les tentatives d'intervention directe du parlement de
Paris dans les affaires du royaume. Ce corps judi-
eiaire, appelé clans certains cas par la royauté a
jouer un role politique, se prévalut, des le seizieme
siecle, de eet usage pour soutenir qu'il représentait
les états, qu'il ayait, en leur absence, le meme pou-
voir qu'eux 1; et, quand l'issue de leur derniore as-


1. Le parlement disait de lui-memo qu'il était les élats gelléraux aú
petil pieJ.




2i6 ESSAI SU R L' I1ISTOInE DU TlEnS ÉTAT


semblée eut Ü'OmlJé toutes les espérances de ré-
forme, l'attente publique se tourna vers lui pour no
plus s'en détacher qu'au jour ou devait flnir l'ancien
régime. Recruté depuis plus de trois siecles dans ré-
lite des classes roturieres, placé au premier rang des
dignitaires du royaume, donnant l'exemple de l'ill-
tégrité et de toutes les vertus civiques, honoré pour
son patriotisme, son lustre, ses richesses, son or-
gueil meme, le parlement avait tout ce qu'il fallait
pour attirer les sympathies et la confiance du tiers
étaL Sans examiner si ses prétentions au róle d'ar-
bitre de la législation et de modérateur du pouyoir
royal étaient fondées sur de véritables titres 1, on
l'aimait pour son esprit de résistance a l'ambition
des favoris et des ministres, pour son hostilité perpé-
tueHe contre la noblesse, pour son zele a maintenir
les traditions nationales, a garantir l'État de toute
influence étrangere, et a conserver intactes les li-
bertés de l'église gallicane. On lui donnait les noms
de corps auguste, de sénat auguste, de tuteur des
rois, de p&re de l'État, et l'on regardait ses droits et


1. Dl1US ses l'emoutranccs a Louis XIII (1615), le parlement se
Vante de t·enir la place elu conseil des princes el barons, qui de toute an-
cienneté élaient ¡JI'" de la personne des rois, voire arce l'Etal, et il ajoutc :
(( Ponr marque de ce, les princes et pairs de France y ont toujou .. ,
" eu séance et yoix délibérativc, ot anssi y ont été vérifiés les loi~.
« ordonnanccs et édits, cl'(;ations d'offices, traités ele paix et uutres
" plus importantes affaires au royaume et dont lettres patentes 1,,1
" sont envoyées ponr, en toute liberté, les mettro en délibération, en
" examiner le mérite, y apporter modification raisonnable, voire
" meme que ce qni est accorué pnr nos états généranx doit Ctre vé-
" riné en votre con1', ou est le lien de votre trone royal ct le lit de
" votre .insticc EO:1verainc. )) (Des élats généraux, etc., t. XVII, 2- par-
tic, p. 142.)




CllAPITRS VIIl 217


son pouvoir cOll1me aussi sacrés, aussi incontestables
que les droits memes et le pouvoir deja couronne.


Ce qu'il y avait d'aJ'istoc1'atique dans l'existence
faite aux cours de juJicatul'e par l'hérédité des c11a1'-
ges, loin de diminuer leur credit aupres des cIasses
moyenne et inff~1'jenre de ~a nation, n'était anx yeux
de ceIles-ci qu'une force de plus ponr la Jéfense des
droits et desilltérets de tous. Cctte puissance effcc-
ti ve et permanente, t1'ansmise fIn pere au fils, con-
sen-ée intacte par l'esprit de COl'pS joint a l'esprit
de famille, paraissait ponr la cause des failJles et des
opprimés une protection plus solide que les préro-
gatives incel'taines et temporaires des états géné-
rallx. En réalité, l'esprit politique des compagnies
judiciaires était moins large et moins désintéressé
que celni dOllt se montraient animés, dans !'exercice
de leurs pouvoirs, les représentants élus du tiers
etat l. Si le parlement tenait de ces derniers sous de


~. On en vit un excmplc en 1615 ;1 pl'OpOS on oroit annnel O'Oil
proyenait I'hérédité (ks c1larges. La chambre du tiers état en ,,,"ai t
demalldé l'aboEtion, quoique la plupar! de fe, membres fussent offi-
eiers de judicattll'e, Le pal'lement, des que les cahicrs curent été
remis au roi, s'assem11l1 pour protester contre ectte réformc, el.
pour ilénoncer ~n memo tcmps les aLns ile l'administmtioll, faisant
ainsi un mélange Lizanc ile l'inté1'1\t Jlllblic ot de son intéret parti-
oulicl', " L~. lundi neuvieme jOllr duilit mois oe mars, il y eut un
, ¡,rranil contraste dans le parlement ponr raison de la palllette et
" ilc pll1siem's a:Jtres alTaires d'importance al1xquelles ee grand et
" auguste corps voulo:t pourvoir .. , Ils firent réponse qu'ils \"Cnoien!
" prendre leurs places pom aviser !tux uffaires, non pas pour le seul
" sujet UP la i,alllett(', maís an roy!tume, qui étoit 1'l'gi et gauvcrné
• ;~ la volanté de i1cux Otl t1'Ois ministres d'État qui bouleversoient


'" les regles et loix de' la monarchie, .. Les voiei ilone fl11X opinions,
• qui ne regardent 1'1115 particulierement le bien 11l1inrsel de
" l'État (commo ce qui s' etoit dit le jour précédent sembloit le 1'1'0-
, meltre); les plus zélés alloient au bien p:lblic,les autres portoiellt


l3




218 E~SAI SUR L' HISTOl!l.E DU TIERS ÉTAT


eertains rapports, il en differait sous d'autres; son
opposition la plus eourageuse ¿~tait parfois égo'iste,
il avait quelques-uns des vices de la nobles se á la-
quelle il eonfinait. Mais, malgre ses travers et ses
faiblesses, eeux qui souffraient des abus ne se las-
saient point de croire a lui et de compter sur lui. Il
semble qu'au fond des consciellces populaires une
voix se fit entendre qui disait; Ce sout nos gens, ils
ne sauraient vouloir que le bien du peuple.


Les faits resterent, dans toute oecasion, fort au-
dessous des esperances, et il n'en pouvait etre autre-
mento Si les cours souveraines avaient le merite de
parler haut, leur parole manquait de sanction. Insti-
tuóes par les rois pour administrer la justiee, elles
n'avaient pas meme l'ombre de ce mandar natiollal
qui, donne ou presume, eonfere, dans telle ou telle
mesure, le droit d'agir contre la volonte du monar-
que. Des que venait le moment de faire succeder
radion aux remontranees, d'opposer des moyens de
eontrainte a l'obstination du pouvoir, le parlement
se trouvait sans titre et sans force; il devait s'arre-
ter ou recourir a des auxiliaires plus puissants que
lui, aux prinees du sang, aux faetieux de la cour, á
l'aristocratie meeontente. Quand il avait refuse au
Horn de l'illteret public l'enregistrement d'un edit Oil
la suppression d'un arret, et conserve une attitude
.libre et tiere malgré l'exil OH l'emprisollllcment de se,~


«( leurs coups et leurs tI('cll€S au seul intéret particlllier des officiol'B,
« ponr cmpec}¡er l'extinction da droit ulluue!, sous la loi duque!
(í plusieurs s'l~toient flatt(~s tl\".trc dednns les chal'ges, COllllne (lans
" un bien hérédjtaire et pntrilllollLul » (Re/"Uan de Flor. Hapille,
3e p:1l'tie, p. 130, 131 ct 137.)




CHAPITRE VIII 219


membres, son 1'óle etaít finí, a moíns qu'il n'eut fait
alliance.avec des ambitions etrangeres a la cause du
peuple et au bien du royaume. Ainsi les plus solen-
nelles manifestation¡> de patriotisme et d'indépen-
dance n'aboutissaient qu'a des procedures sans issue,
ou a la guerre civile pour l'inülret et les passions des
grands. De nobles commencements et des suites
mesquines ou detestables, le courage civique reduit,
par le sentiment de son impuissance, a se· mettre
au service des intrigues et des factions llobiliaires,
telle est, en somrne, l'histoire des tentatives polití-
ques du parlement. La premie re de toutes, qui fut,
sinon la plus eclatante, au moins une des plus har-
die s, presenta ce caractere qu'on retrouve sur une
plus grande echelle et avec de nombreuses com-
plications dans les evenements de la Fronde.


Le 28 mars HH5, quatre jours apres la dissolution
des etats généraux-; le parlement, toutes les eharn-
bres assemblees, rendit un arrét qui invitaít les
pdnees, dues, pairs et offieiers de la couronne, ayant
Béance et voix délibérative en la cour, a s'y rendre,
pour aviser sur les choses quí seraient proposees
pour le service du roi, le bien de l'État et le soula-
gement du peuple. Cette convocation faite sans eom-
mandernent royal était un acte ·inou'i jusqu'alors;
elle excita dans le public une grande attente, 1'es-
peranee de voir s'executer par les compagnies sou-
veraines ee qu'on s'ctait vainement prornis de la
reunion des etats 1. Le conseil du roí s'en emut


1. :Messieurs du patlcment se rassemuJe,·ent ponr continuor le
reste t1e leur opinion, afia (l'urrekr qUelqllC chose sur ce qui étoit




220 ESSAI SUR L' IlISTOIRE DU TIERS ÉTAT


comme d'une nouveaute mena<;ante, et, cassant l'ar-
rét du parlement par un contre-arret, illui.défenclit
de passer outre, et aux princes et pairs de se remIre
a son invitation. Le parlement oueit; mais aussit!',t
iI se mit en devoir de rediger des remontrances; un
nouvel arret du conseil lui ordonna de s'arretel';
cette fois il n'obeit point et continua la rédactioll
commencee. Les remontrances prétes, le pademellt
demanda audience pour qu'elles fussent lues devallt
le roi, et so, tenacite, soutenue par l'opillion publi-
que, intimida les ministres; durant pres el'un moi:>i
ils negocierellt pour que cette lecture n'eut pas lieu;
mais le parlement fut inébranlable, et su pel'seyé-
rance l'emporta. Le 22 mai, il eut andience au LOll-
vre, et fit entenclre an roi, en conseil, ces remon-
trances, dont voici quelques passages :


(( Sire, cette assemblée ues--gl':lIlU'" ele yotre
« royaumo n'a été pror;oséo en votre conr de parle-
« ment que sons le bon plaisir de Votl'e Majeste, pour
« lui repn\senter au vrai, par l'avis de ceux qui en


a faire ct mis en ileli]'émtion entre eme Toutc la Franee a\'oit ies
yel1x arr~tés sur ce gl'anu aréopngo, et étoit :tnx éCOlltCS PNll"
apprcnilre avec app]nnJisSClllcnt ce (lU~ proJuiroit. le eOllcIave ,In
premier s:nat de l' Europe, en un tempo si désespel'l' el corrompu all-
qucl on croyait qn'il snppléeroit au défa.u! .:tú l:t fuiblesse et ]H"ill,,-
Ilimité des étuts qui n'avoiellt parlé quc par truehemel,t et pur
I'ordre ti suivant h volonté de CC1IX qui n'avoiellt tlésiré. ,:cs clép1ltés
que l'approbation I't connrmatiun de ce qlli ayoi! été, géré et mallíé
dans l'Erat depnis la nlOrt 1111 .:terullt roi, . Je l'rie Diell qll·,1 illt;-
mille leurs entenilcments iles rayons de son S:tint-Esprit, cnJlamme
et rauforce lems courages pOllr faire pl'Odllire plus de hien fiU pau-
"re ¡lcnple qlle les états n'unt pas fait. (Uclu/ion de Flor, Unpille,
3C pll!'tie, p. ]4l el 143.) Ces I'Moles, écritos i, I'ropos d'une assem-
llléc ile toutes les cIw,m],res untéricure lll! 2U mar3, sont ,\ plus forte
raison applicaL:c3 i, la ilécision do ce jour




CHAPITRF. VIlI


« doivent avoir le plus de connoissance, le désol'dre
«( qui s'augrnente et multiplie de jour en jour, étant
(( du devoir des officiers ele votre couronne, en telles
(( occasions, vous toucher le mal, afin el'en atteind¡'o
(1 le remede par le moyen de votre prudence et an-
(l tnrité royale, ce qui n'est, Sire, ni sans exemple
«( ni sallS raison .... Ceux qui veulent afloiblir et dé-
« primer l'autOi'ite de cette compagnie s'ef'fúrcent de
(( lui óter la liberté que vos prédécesseurs lui avoient
«( perpétuellement accorelee de vous remontrer fide-
« lement ce qu'ette jugeroit utile pour le bien de
«( votre État. N ous 080ns elire i Votre Ma;jesté que
« c'est un mauvais conseil qu'on lui d.onne de com-
«( meneer 1'année de sa majorité par tant de com-
«( mandements de puissance absolue, et de l'accou-
« tumer a des actions dont les bons rois comme
« vous, Sire, n'usent jamais que fort rarement l. »


Apres avoir présenté a sa maniere les faits de
son histoire, elit qu'iI tenait la place dn conseil des
grands barons de France, et qu'a ce titre iI était de
tout temps intervenu dans les affaires publiques. le
parlement proposait un eahier de réformes a l'instar
de eeux des états géneraux. Il demandait an roi
de reprendre a l'inü~rieUl' et a l' extérieur les erre·
ments politiques de son pere, d'entretenir les me mes
allianees et de pratiquer les me mes regles de gou-
vernement, de pourvoir a ce que sa souverainete fút
garantie contre les doctrines ultramontaines, et it ce
.que l'intéret étranger ne s'insinuat par aucune ,"oie
dans la gestion des afl'aires d'État. Il passait on re-


L Des étJls générawT, etc.) t. XYlJ, 2- prti(', p. HI-B4.




222 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


vue tous les désordres de l'administration : la ruine
des finances, les prodigalités, les dons excessifs et les
pensions de faveur, les entraves mises a la justic(~
par la cour et la haute noblesse, la connivence des
officiers royaux avec les traitants, et l'avidité insa-
tiable des ministres. Il montrait en perspective le
soulevement du peuple réduit au désespoir, et con-


. cluait par ces mots d'une fierté calme: « Sire, nous
« supplions tres-h~mblement Votre Majesté de nous
« permettre l'exécution si nécessaire de l'arret du
« mois de mars dernier .... Et au cas que ces remon-
«( trances, par les mauvais conseils et artifices de
« ceux qui y s~nt íntéressés, ne puissent avoir lieu et
« l'arret étre exécuté, Votre MaJesté trouvera bon,
« s'illui plaít, que les officiers de son parlement fas-
« sent cette protestation solennelle, que, pour la dé-
« charge de l¡mrs consciences envers Dieu et les
« hommes, pour le bien de votre service et la con-
« servation de l'État, ils seront obligés de nommer
« ci-apres en toute liberté les auteurs de tous ces dé-
« sordres, et faire voir au public leurs déporte-
« ments 1. ))


Le lendemain, 23 maí, un arret du conseil oraonnn.
de biffer ces remontrances des registres du parle-
ment, et défendit a la compagnie de s'entremettre
des affaires d'État sans l'ordre du roí. Le parlement
demanda une nouvelle audience, elle lui fut refusée,
et des ordres réí térés lui enjoignírent d'exé~uter l'ar-
ret du conseiL Il resista, employant avec art tous les
moyens dilatciires que sa procédlrl'e lui fourníssait ;


1. Dps ,'/rr(s qén':rallT, etc., t. XYII, 2· partie, p. ]72 et sniv.




CHAPITRE. VIll 223


mals, tandis qu'il soutenait pied a pied la lutte légale,
ceux qu'il avait convoqués a ses délib8rations quit-
taient Paris et préllaraient tout pour une prise d'ar-
mes. Le prince de Condé, le duc de VendA me, les
ducs de B6Uillon, de Mayenne, de Longueville et
d'autres grands seigneurs souleverent les provinces
dont ils avaient le gouvernement, publierent un ma-
nifeste contre la cour, et leverent des soldats aunom
du jeune roi, violenté, disaient-ils, par ses ministres.
Profitant des inquiétudes causées par les complai-
sanees du gouvernement pour la cour de Rome, et
par ses liaisons avee l'Espagne, ils entrainerent dans
leur parti les chefs des calvinistes·, et la cause de
la religion réformée, une fois associée a celle de
la rébellion aristocratique, resta compromise par
cette alliance. Ainsi commenga pour les protestants
la serie de fautes et de malheurs qui, terminee par la
revolte et le siegp de la Rochelle, leurfit perdre suc-
cessiycment toutes les garanties politiques et mili-
taires dmt les avait dotes rédit de Nantes 2 •


1. Les dncs de Rohan, de SOllbise et de la Trémouille, et meme le
dnc de Snlly.


2, ... Vonlant donner tout le contentement qu'il lui est possi[;]c lt
ses sujets de la }'eligion prétendue réformée, snr les demandes el re-
quetes qlli lui out été faites rle leur parl, pour ce qu'ils ont estimé
lenr €Ire nécessaire, tant pour la libert(\ de leurs consciences que
ponr l'assurance de leurs personnes, fortunes et biens ... , Sadite lVIa-
jesté, ontre ce qni est contenu dans l'édit qu'elle a nonvellcment ré-
soln ... , lenr a aeeordé el promis qne tontes les place s, villes et cha-
teanx qn'ils tenoient jusqn'lt la fin du mois d'aou! derniel' esqucllcs y
Bnra garnisons, par l' ét,tt qlli en sera dresse et signé par Sa Majes!.é,
demenreront en le11r garde sons l'antol'ité el obéissauea· de Sallite '
Majesté, p"r l'espace <1e lmit ans, it compter du jonr de la publica-
tion dudit édit, Et ponr les antres qu'ils tiennent, oÍl jI n'y anra




22} ESSAI SUR L HlSTOIRE DU T1ERS ÉTAT


La guerre civile, dont les remontrances du par-
lcment étaient le prétexte, se termina sans autre
fait d'armes que des marches de troupes, et de
gl'ands pillages commis par les soldats des princes
révoltés. Dans le traité de lJaix conclu a Loudun 1
et publié sous la forme d'un édit, il fut statué que
l'arret de suppression des remontrances demeure-
rait sans effet, que les dl'oits des cours souveraines
seraient fixés par un accord entre le conseil du roi
et le parlement, que le roi 1'l~pondrait sous trois mois
aux cahiers des états généraux, et dans le me me
délai au fameux article du tiers état sur l'indépen-
dance de la couronne 'l. Mais toutes ces stipula-
tions d'intéret public resterent en paroles, il n'y
eut d'exécuté que les clauses secretes qui accor-
daient aux chefs de la révolte des places de sureté,
des honneurs et six millions a partager entre eux.
Ainsi satisfaits, les mécontents se reconcilierent
avec leurs ennemis de la cour, et les choses repri-
rent le meme train de desordre et d'anarchie qu'au-
paravant. Le pouvoir divise et annule par les cabales
qui se le disputaient; une sorte de complot pour


point de garnisons, n'y sera point altéré ni inHové... Et ce tet'me
desc1ites huit années expiré. combien que Sa J\In.jesté so:t quitte de la
promesse pour le reg,ud desdites villes, et eux o,'¡igt,s de les llli
remettre j toutefois elle leur a encore accorJé ct promis que si esuitos
villcs elle continue apres ledit temps d'y tcuir g,wniso"s ou y laisser
nn gonverneur pour commander, qu'elle n'en déposséc1cra point
eelui qni s'en tronvet'a pourvu pour y en mettrc un antre. (Articlcs
al1nexés a l'éJit de Nantes, Dllmont, COI·p., diploU/aliq1le, t. Y,
1re partie, p. 557 et 553.)


1. Le 6 mai 1616.
2. Voyez I'édit dOJ1né a Blois, au mois de mui IGHi, Tlerueil des an-


ci"",es lois rl'llli~ai8e8, t. XVI, p. 83.




CHAPI'l'RE VIII 225


ramener la France en a,rriere au dela du regne de
Henri IV; des tentatives quí faisaient dire aux uns
avec uné joie folle, aux autres avec une profonde
affiiction, que le temps des rois était passé et que
celui des grandsétait venu 1; la menace toujours
présente d'une dissolution administrative et d'un
démembrement du royaume par les intrigues des
ambitieux unies it ceHes de l'étranger : voilit le
spectacle qu'ofl'rit, au milieu de ses variations, le
gouvernement fíe Louis XIII, jusqu'au jour ou un
homme d'État marqué dans les destinées de la France
pour reprendre et achever l'ceuvre politique de Henri
le Grand, apres s'étre glissé au pouvoir a l'ombre
d'un patronage, s'empara de la direction des affai-
res de haute lutte, par le droit du génie 2.


Le cardinal de Richelieu fut moins un ministre,
dans le sens exact de ce mot, qu'un fondé de POUVOil'
universel de la royauté. Sa prépondérance au conseil
suspendit l'exercice de la puissance héréditaire, sans
que la monarchie cessut d'exister, et il semble que
cela ait eu lieu pour que le progres social, arre té
violemment depuis le dernier'regne, reprit sa mar-
che par l'impulsion d'une sorte de dictateur dont
l'esprit fut libre des influences qu'exerce sur les
personnes royales l'intérét de famille et de dynastic.
Par un étrange concours de circonstances, il se
trouva que le prince faible, dont la destinée devait
étre de préter son nom au regne du grand ministre,
avait dan s son caractere, ses instincts, ses qualités


1. Mémoires de Sully, collcct. Michauc1, 2' séric, t. II, p. 388.
2. 1624.


13.




2'.'ü ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TlERS llTAT


un:lllAS ou rnauvaises, tout ce qui peut repondl'e aux
conuitions u'un pareíl rMe. Louis XIII, ame sans
ressort mais non sans intelligence, ne pouvait se
passer d'un maltre; apres en avoir accepte et quitté
plusieurs, il prit et garda celui qu'il reconnut capahle
de mener la France au but que lui-meme entrevoyait,
et ou íl aspirait vaguement dan s ses reveries melan-
coliques. On dirait qu'obsédé par la pensée des
grandes choses qu'avait faites et voulues son pere,
il se sentit sous le poius d'immen-ses devoirs qu'il
ne pouvait remplir que par le sacrifice de sa liberté
d'homme et de roi. Souífrant parfois de ce joug,
il était tenté de s'en aífranchir, et aussitút il vennit
le reprendre, vaincu par la conscience qu'il avait
du bien public et par son admiration pour le genie
dont les plans magnifiques promettaient l'ordre et la
prospérité au dedans, la force et la gloire au de-
hors '.


Dans ses tentatives d'innovation, Riehelieu, sim-
ple ministre, dépassa de beaucoup en hardiesse le
grand roi qui l'avait précede. 11 entreprit d'accelerer
si fort le mouvement .vers l'unite et l'egalité ci viles,
et de le porter si loin, que désormais il fút impos-
sible de retrograder. Apres le regne. de Philippe
le Bel, la royauté avait reculé dans sa tfwhe révolu-
tionnaire et flóchi sous une reaction de l'aristocmtie
feodale; apres Charles V, il s'était fait de meme
un re tour en arriero; l'ceuvre do Louis XI avait
eté pres de s'abimer dans les troubles ílu seiziéme
siecle, et celle de Henri IV se trouvait compromise ,




CHAPITRE VIII 227


par quinze ans de désordre et de faiblesse. Pour
qu'elle ne pedt pas, il fallait trois choses : que la
haute nohlesse fut définitivement contrainte a 1'0-
béissance au roi et a la loi, que le protestantisme
cess,1t d'etre un parti arme dans l'État, que laFrance
pút choi>1ir ses alliés librement dans son interet et
dan~ cclui de riurlependance européenne. C'est a
ce triple objet que le ministre-roi employa sa puis-
sanee d'esprit, son infatigable activité, des passions
ardcmtes et ulle force d'ame héroique l. Sa vie de
tous les jours fut une lutte acharnée contre les
grands, la fall1ille royale, les cours souveraines,
tout ce qu'il y avait de hautes existences et de
corps constitués dans le pays. Pour tout réduire au
mell1e niveau de soumission et d'ordre, il eleva la
royaute au-dessus des liens de famille et du líen des
précedents; il risola dans sa sphCre comme une pure
idée, l'iclée vivalltn du salut public et de l'intéret l1a-
tiol1al 2.


1. Lorsq ne Votre l\lajesté se résolnt de me donner en m@me
tcmps et )'cntrée de ses conseils et grande part en sa confilUlCO pOll;'
la clil'ectioll ele so:. affaircs, je pl1is (lire ~l,"vcc v(~rité que les lmgLH:-
nots pnrtageoient l'Etat avec elle; que les grands se condnisZicnt
coturnc s'ils ll'enssent ras elé ses snjets) et les plus puissans gr)U-
VCl'neul'S des provinccs cornme s'ils enssent été sOllverairls en len!"J
clmrgcs ... "Jc puis encore dire que les alliances étrangi"es étoicr,t
méprisées; les intérets llltrticuliers préfél'és al1X pl1blicsj en Ul: lllot.
la Jignité de la mnjcslé roy,de Moit tcllcment ravallée ct si diffl"'cntc
de ce qu'elle dcvoit ctl'e, pal' le défaut de ceux qui ltvoicnt lors b
pri[,cipale COlHluite de nos affaire" qu'il étoit pres'luo impossiblo de
la rccolluoítre. (TestmJ1cllt politique de Richelieu, 1 re pltrtio, p. 5.
Amsterdum, 1788.)


2. Les in!lll'Pts pl1blics doivent etre l'nnique fiu dll princo et c1e
ses consoillers. (lhid., 2" )lartie, p. 222.) - Croire que, pO:lr etre
fils on frcl'e dn ro! on prince un sang, (In p~lis5C impnnémcnt tron-




228 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU pERS ÉTAT


Des hauteurs de ce príncipe, il fit dcscendre dans
l'exercice de l'autoríté supreme une logique impas-
sibIe et des rigueurs impitoyables. Il fut sans merci
comme il était sans crainte, et mit sous ses pieds le
respcct des formes et des traditiolls judiciaires. Il
fit prononcer des sentences de mort par des commis-
saires de son choix, frappa, jusque sur les marches
du treme, les ennemis de la chose publique, ennemis
en meme temps de sa fortune, et confolldit ses
haines personnelles ave e la vindicte de rÉtat. Nlll
ne peut dire s'il y eut ou non du mensonge dans la
sécurité de conscience qu'iI fit voir a ses dernicrs
rnoments 1; Dieu seul a connu le fond de sa pensée.
Nous qui avons recueilli le fruit lointain de ses veil-
les et de son dévouement patriotique, nous ne pou-
vons que nous incliner devant cet hornme de révo-
lution par qui ont été préparées les voies de la
société nouvellc. Mais quelque chose de Íl'iste
demenre attaché it sa gloire: iI a tont sacrifié uu
succes de son entl'eprise ; iI a étoutré en lui-meme et
refoule dans de nobles ámes les principes éternels
de la moral e et de l'humanité:l. A la vue des grandes


bIcI' le l'oyaume, c'est se trompero 11 est plus raisonnable d'aSSlll'el'
le royaumc et la royant': que d'uvoil' égard a leurs qualites .. , LeS
¡iIs, frércs et untres parcnts son! sll.ie~s aux lois commc les au:rc"
et principalemellt qllanu iI est question dn crime de lese-ma.ieSI'"
(Néll1oil'cs un careliual .le Hichclicu, collect. II1ichand, 2- s~ric,
t. VlIT, p. 40i.)


1. I~e cure lui dcnmll,lallL sil ne pnruonnoit point it ses cllllcmis,
il répondit qu'il u'en ~t\'oit point qllC ceux de l'État, (JIemoire <le
l\Iontglat, callee!. :VlickuHI, 3c séric, t. V, p. 133.) - Yoyez ltllssi
Mémoire (le l\Iontchal, p. 268. l~ottcrUalll, 1718.


2. Le cardinal ue llicllelien a f:tit (les crimes de ce 'lni faisoit
duns le sicele pas,,, les \'crtlls ,ll's :-liron, des Hal'ln~', des lIfal'illac,




CHAPITRE VIII 229


choses qu'il' a faites, on l'admire avec gratitude,
on voudl'ait, OIl ne saurait l'aimer.


Les novateurs les plus intrépides sentent qu'ils
out besoin de l'opinion; avant d'exécuter ses plans
politiques, Richelieu voulutles soumettre a l'épreuve
el'llll débat solellllel, pour qu'ils lui revinssent COIl-
fit'més par une sorte d'adhésion nationale. Il ne
pouvait songer aux états généraux; membre de ceux
de HHí, illes. avait vus a l'reuvre, et, d'ailleurs, son
genie absolu 1'épugnait a ces grandes reunions;
l'appui moral qu'il désirait, ille chercha dans une
assemblée de notables. Il convoqua au mois de no-
vembre 162B cinquante-cinq pe1'sonnes de son choix :
douze membres du clergé, quatorze de la noblesse,
et vingt-sept des cours souveraines, avec un tréso-
riel' de France et le prévót des marchands de París.
Gaston, frere du roí, fut président, et les maréchaux
de La Force et de Bassompierre vice-présidents de
l'assemblée; mais les nobles qui y siége1'ent, conseil-
le1's d'État pour la plupart, appartenaient a l'admi-
nist1'ation plutót qu'a la cour; il ne s'y trouva ni un
duc et pair, ni un gouverneur de province l.


Devant cette reunion d'élite, dont les hommes du


des Pibrae ot des Faye. Ces martyrs de l'Estat, qui, par lenl"s
bonnes et saintes lllrl.ximes, ont plus dissipé de factions que ]'or
il'EspagIle et d'Anglctcrre n'en a fuict naistre, ont esté les iléfcn-
seurs de la doctrine pour la conservation de laquelle le cardinal ue
Uichelien confina ilI. le président Barillon il Amboise, et c'est Ini
qlli a eommcncé i, punir les magistrals ponl" avoir advaneé des
vérités ponr lesquelles lenr scnncnt les cbllge d'exposer leur propre
,'ie. (.IIéllloirl's d" eurelin"l ,le l:etz, collect. ~Iiehalld et Ponjoulat,
p. 50.)


1. La séance d'o:1\'ertllJ'e Cnt líen le 2 déccmbrc, aUllS la grnnde
. salle ,les Tuile!'ies.




230 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


tiers ptat formaient plus de la moitié, Richelieu
développa lui-meme tout le plan de sa politique in-
térieure 1. L'initiative des propositions partit du
gouvernement, non de l'assemblée; une meme pen-
sée pénetra tout, les demandes comme les réponses,
et, dans le tra:vail d'ou résulta le cahier des votes,
on ne saurait distinguer ce qui fut la part du minis-
tre et ce qui fut ceHe des notables. Des principes
d'administration conformes au génie social et á
l'avenir de la France furent poses d'un commun
accord ; L'assiette de l'impót doit <Hre telle que les
classes qui produisent et qui souffrent n 'en soient
pas grevees ; - c'est dans l'~ndustrie et le commerce
qu'est le ressort de !a prospérite nationale, OH doit
fairü en sorte que cette carriere soit ue plus ell
plus considerable et tenue á honneur; - il faut que
la puissance de l'État ait pour base une armee per-
manente oú les grades soient accessibles a tous) et
qui répaI'.de l'esprit militaire dans les classes non
nobles de la nation. Quant aux mesures promi:~es
ou réc!amées, les principales eurCl1t pOUI' ohj ct
l'aJJ:J.issf:ment cles d l\prmsm; cle l'État all .ni )'cau
eles recettes, et la rérluetion ues elépenses imp¡,;)-
duct,ives au profit des clP[lfmSeS produdives; l'nllg-
meniation des forces mm>itirnes en vue du trafic loin-
tain; l' éta blissement de grandes compagnies de
commerce et la reprise a l'intérieur des grands pro-
jets de canalisation; la ;,ócllY'ité des gfms de travail


1. Voycz son disconrs ot cclni un garc1e Jes seran" lIIarillac, dans
le Pl'oces-verbal de l'assemblée .de 1626. (Des ¡«al" gé"fiI'alf.a:, etc.,
t. XVIII, p. 207 et sniv.)




CHAPITRE VIlI 231


garantí e contre l'indiscipline eles gens ele guerre par
la severíte de la police et la regularite de la solde;
enfin, la demolition, dans toutes les provinces, des
forteref!ses et chftteaux inutiles a la défense du
r0,vaumA 1 •


. L'assemblee eles notablef! se separa le 2~, février
W27, et aussitOt une commission fut nommee pour
rediger en un meme corps de lois les rMormes nou-
veUement promises et celles qui devaient répondre
aux cahiers .des etats de 1614.. En meme temps la
plus materielle, et non la moins populaire de CAS
rMormes, la démolition des forteresses, cantonne-
ments de la noblesse factieuse et de la soldatesque
des guerres civiles, commen0a de s'exécuter. A cha-
que époque decisive du progre s vers l'unité nationale,
ce genre de destruetion avait eu lieu par l'autorité
des rois. Charles V, Louis XI et Henri IV s'attaque-
rent aux donjons pour mater l'esprit féodal; en cela,
comme en tout, Richelieu fit faire un pas immense a
Famvre de ses devanciers. Les mesures á prendre
pOllr ce qu'on pourrait nommer l'aplanissement po-
litique du sol fran0ais furent confiees par lui a la
diligence des provinces et des Il1unicipalités, et, d'un
bout ú,l'autre du royaume, les masses plébéiennes se
leverent pour abattre de leurs mains les Il1urs cré-
nelés, repaires de tyrannie ou de brigandage, que,
de génératioD en génération, les enfants appren~tient
a maudire. Selon la vive expression d'un historien


1. Voyez, dans les R.cherches de Forbonlluis, t. 1, p, 205, les
~xtraits qu'i! donne des résolutious de l'assemblée; voyez aussi la .
déclaratiou du roí du ler mars 1627, Des é/ats genéraux, etc., dJ:
t. XVIII, p. 292 et suiv. '




232 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


distiligue, « les villes coururent aux citadelles, les
rampagnes aux chateaux, chacun a sa haine l. ))
Mais l'ordre quí souvent marque la profondeur des
sentiments llollulaires llresida a cette grande execu-
tion que le pays faisait sur lui-meme; aucune devas-
tation inutile ne fut commise, on combla les fossé:'i,
on rasa les forts, les bastions, tout ce qui etait un
moyen de resistance militaire;· on laissa debout ce
qui ne pouvait etre qu'un monument du passé.


Pendant cetemps, la commission de reforme légis-
lative poursuivait son travail sons la presídence du
garde des sceaux, Marillac. Il en resulta Tordon-
nance de janvier 1629, egale en merite et supé-
rieure en etendue aux grandes ordonnances du sei-
zieme siecle. Ce nouveau code n'avait pas moins de
quatre cent soixante et un articles. Il touche a tou-
tes les parties de la legislation : droit civil, droit cri-
minel, police genérale, affaire s ecclesiastiques, in-
struction publique, justice, finances, commerce,
armee, marine. Inspire a la fois par le vceu national
et par la pensee de· Richelieu, il est empreint de
cette pensee, quoique le grand ministre ait dedaigne
d'y prendre aucune part, et que l'opposition du par-
lement, soulevee contre cette ceuvre de haute sa-
gesse, y aít, dans un ,sobriquet burlesque, attaché
un autre nom. que le sien 2.


1 1If. Henri Martin, Hisfoire de Frailee, t. XII, p. 527.
2. Les gens de robe affeclel'ent de rillicnliser l'ortlonnnnce de


1629 en l'appelant Coda ltljcf¡au .. dn prénom de Son rÓllactcur, le garde
des sceaux Michel de l\1arillac. - Voye~, Sur l'opposition parlcmen-
taire aceIte ordonnance, les .ilfémoil'es du cardinal de Hicbolieu, col-
lect, 1I1iclmull el Poujonlat, 2e séric, t. VII, p, 587 et suiv.




CHAPITRE VIII 233


L'ordonnance, ou plutot le code de iG29, eut pou!'
hut de répondre i la fois aux demandes des derniers
états genéraux et a ceIles de deux assemblees de
notables 1. Parmi les dispositions prises d'apres ~es
cahier¡; de 1.615, la plupart furent· puisees dans
celui du tiers état; je n'en ferai point l'analyse,
j'olJserverai seulement qu'en beaucoup de cas la
réponse donnee reste en arriere ou s'écarte un peu
de la demande. On sent que le legislateur s'etudie iL
concilier les interets divergents des ordres, et qu'il
veut borner la reforme a de certaines limites. Si la
suppression des banalites sans titre et des corvees
abusives est accordée au tiers état, il n'est point re-
pondu a son vmu pour l'affranchissement des main-
mortables~. Le temps des campagnes libres n'était
pas encore venu, celui des viJIes libres était passé.
Ce n'est qu'en termes evasif.,; que l'ordonnallce
répond á la demande d'ernancipation clu régime mu-
nicipal, et elle decrete spontanément l'uniformite de
ce regime; elle veut que tous les corps de ville soient
reduits, autant que possible, au modele de eelui de
Paris~. A ces ten dances vers l'unitC elle en joint


1. Celle ue 1617, dont je n'ai pns fait mention, et celle ue l62G. -
Oruonnance sur les l'laintes de3 ?tuts assemblés it Puris en IGU,
ct dc l'ussemlJlc'c ces notables rl'unis it Rouen et iI Pnris en 1617
tt 1626, (Recueil des anciennes loís (ran,aises, t. XVI, p, 233 ct suiv.)


2 Ordol1nances i1e 1G29, art. 206 et 207. - Voycz plus huut,
chapo nI, l'nnnlyse du eabier de 1615.


3. ... OrdollllollS que les élections des pré\'uts ues murchllIllls,
maires, eschovins, capitou1s, jUl"Rts, consuls, pl'Ocureurs, synuics ...
et nutres chnrgcs des villes 5cront faites es maniercs accoustumécs,
sans brigues et mOllopo1es, des personnes plus proprcs et cnpables
a excrecr tolles chnrgt's pUlir le Lien de notre service, repos et
síh·eté desdites villes ... Et afin de 1l11\intcnir nos snjets aycc plns




::34 ESSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


<l'autres non moins fécondes pour le développement
national. Elle introduit dans l'armée le príncipe
démocratique par la faculté donnée a tous de s'elever
a tous les grades; elle reluche pour la noblesse les
liens qui, sous peine de déchéance, l'attachaient
exclusivement a la profession des armes; elle attire
la haute bourgeoisie, de l' ambition des offices, ver::;
le commerce; elle invite la nation tout entiere a s'e-
lancer dans les voies de l'activité industrielle. Voici
le texte de trois de ses articles :


« Le soldat par ses services pourra monter aux
« charges et ofrlces des compagnies, de degre en
« degré, jusques a celui de capitaine, et plus avant
(( s'il s'en rend digne l.


« Pour convier nos sujets de quelque qualite et
« condition qu'ils soient de s'adonner au commerce et
« traflc par mer, et faire connoltre que notre inten-
« tion est de relever et faire honorer ceux qui s'y
« occuperont, nous ordonnons que tous gentilshom-
« mes qui, par eux ou par personnes interposées,
« entreront en part et société dans les vaisseaux,
« denrées et marchandises d'iceux, ne dérogeront
« point i noblesse .... Et que ceux qui ne seront no-
'( bIes, apres avoir entretenu cinq ans un vaisseau
« de deux i trois cents tonneaux, jouiront des pri-
«( viléges de noblesse, tant et si longuement qu'ils


(l'ordre ct de tranquillité, vonlons et ordonllolls que les corrs et
maisons de ville et la maniere ,le leurs assemblées et administration,
en tout notre royaumc, soient, autant ql1e faire se pourra, rédnitcs
it la forme et manU,re tle celte ele notre bonnc ville tle Paris ... (Or-
c10nllance de 1629, arto 412.)


1. Ordonna'lee ele lfi29, art. 229.




CHAPITRE VIII 235


« continueront l'entretien dudit vaisseau dans le
« commerce, pourvu qu'ils l'ayent fait bastir en notre
( royaume et non autrement : et, en cas qu'ils meu-
« rent dan s le traRc apres l'avoir continue quinze
« ans durant, nous voulons que les veuves jouissent
« du meme privilege durant leur viduité, comme
« aussi leurs enfants, pourvu que l'un d'entre eux
«( continue la negociation dudit commerce et l'entre-
« tien d'un vaisseau par l'espace de dix ans. Voulons
«( en outre que les marchands grossiers qui tiennent
« magasins san s vendre en detail, ou autres mar-


. « chands qui auront esté eschevins, consuls ou gar-
l( des de leurs corps, puissent prendre la qualite de
« nobles, et tenir rang et seance en toutes les assem-
« bIees publiques et particulieres immediatement
(( apres nos lieutenants genéraux, conseillers des
«( siegas présidiaux, et nos .procureurs généraúx
« esdits sieges, et autres juges royaux qui seront
« sur les lieux l.


«( Exhortons nos sujets qui en ont le moyen et
{( !'industrie de se lier et unir ensemble pour former
« de bonnes et fortes compagnies et sociétez de tra-
(( tic, navigation et marchandise, enla maniere qu'ils
«( verront bon estre. Promettons les proteger et
«( desfendre, les accroitre de priviléges et faveurs
(( speciales, et les maintenir en toutes les manieres
(( qu'ils desireront ponr la bonne conduite et SUCCf:'S
«( de leur commerce 2. »)


Tout ce qui était possible en fait d'améliorations


1. Oruollnance de 1629, arto 452.
2. lbiu., arlo 4?9.




236 ESSAl SUR L'HISTOlRE DU T1ERS ÉTAT


sociales au temps de Richelieu fut execute par cet
110mme dont l'intelligence comprenait tout, aont le
genie pratique n'omettait rien, qui allait de l'en-
semble aux détails, de l'idee ú l'action avec une
merveilleuse habilete. Maniant une foule d'affaires
grandes et petites en meme temps .et avec la me me
ardeul', partout present de sa personne ou de su
pensée, il eut ti un degré unique l'universalité et la
liberté ([·esprit. Prince de l'Église romaino, il voulut
que le clergé flitnational; vainqueur des calvinistes,
ilne frappa que la rébeBion, et respecta les droits
de la conscience l ; enfant de la noblesse et imbu
de son ;wgueil, ii agit comme s'il eut re~u missioll
de préparer le regne du tiers état. La fin derniere de
sa politique intérieure fut ce qui faisait grandir ot
t~ndait a déclasser la bourgeoisie, ce fut le progl'es
du commerce et le progres des lettres, le travail,
soit de l'esprit, soit de la main. Richelieu ne re con-
naiss~it au-dessous du treme qu'une dignité egale :'t
la sienne, celle de l'écrivain et du renseur; il VOIl-
lait qu'un homme dü nom de Chapelain ou de GOI11-
bauId lui parlát couvert. Mais, tandis 'lue par (le
grantles mesures commerciales et une grande insti-
tution littéraire 2, il multipliait pour la roture, en
dehors des offices, les place s d'honneur dans l'État,


1. Aux tcrmes du traite d'Alais, 28 juin 1629, l'é<li! <le Xalltes
fut cUllfinnt> t't juré solenncllemcnt par le roi.


2. Voyez bs lettre3 patentes <le janvier 1635 ponr l'étaJ,lissemcnt
ile l' Acarlémic fn1ll,1l ise; les lettres ile création de la charge de smin·
tendan! ile la marine et de la navigation, oolobre 1ti2G; les lettres
tic juillet et novembre 1(j34, et l'éilit [je mars lG42, 1'0111' la forma-
lion et le sOlltiell a'une compagnie ile3 InJes occiJcntales. ellectle;1
des ar.cielllles loi,< (fll/!('aisrs, t XYI, 1', 411J, }D4, 40!1, 4l." etiHO.)




CHAPl'l'l\¡'; Vl1l 237


il comprimait sous le niveau d'un pouvoir sans bor-
¡lOS les vieilles libertes des villes et des provinces.
Etats particuliers, ccnstitutions municipales, tout ca
qu 'ayaient stipulé comme droits les pays agréges a
b couronne, tout ce qu'avait creé la bourgeoisie dans
son :ige héro'ique, fut refoule par lui plus bas que
jamais. 11 y eut la des souffl'ances plebéiennes, souf-
francQ:'l mall18urcusement necessaires, mais que cette
.11occssité ne l'enclait ]las moills vives, et qui accom-
pagnerent de crise en crise l'enfantement ele la cen·
tralisatioll moderne ..


Quant i la poli tique extérieure du granel ministre,
catte pal'tie de son muvre, non moins. admirable que
l":tutrc, a de plus le singulier merite de n'avoir rien
perdu par le cours du temps et les revolutions de
l'Enropa, el'etl'e pour nous, apres deux siecles, aussi
Yimnte, aussi nationale qu'au pl'emier jour. e'est
la politique meme qui, depuis la chute de l'empire
et la rosurrectit)ll de la France constitutionnelle, n'a
cessé de form:~l', pour ainsi dire, une part de la con-
science du pays. Le maintien des nationalítés inue-
pendan tes, l'affranchissement des nationalites oppri-
mees, le respect des liens naturels qui forme la
comlllunauté de race et de langue, la paix et l'amitié
pour les faihles, la guerre contre les oppresseurs de
la liberte et de la civilisation gt\nérales, tous ces
devoirs que s'impose notre liberalisme démocratique
fúrmlt illlplicitement compris dans le plan de con-
duite au dehors dicté it un roi par un homme d'État
\\Ol1t rüle~ú ::m ueuans etait le p(mvolf absolu l.


1. ()Jl re 1\ \'"ir ""ce 'lllcllC3 parúles Jc sympatllie pom la cause




:!'~8 ESSAl SUR L'HISTOIR8 DU TI8RS ETAT


Sur la question des droits de la Franee á un
agt'andissement guí lui donne ses frontieres defini-
tives, question souvent posee depuis trois sieeles
8t aujourd'hui encore pendante', Henri IV di:sait:
(e Je veux bien que la langue espagnole dememe
( á l'Espagnol, l'allemande a l'Allemand, mais toute
« la fran~aise doit étre a moi l. » Un contempol'ain
de Riehelieu, peut-étre l'un de ses eonfidents, lui
fait di re : ce Le but de mon ministere a ete eelui-
(e ei : retablir les limites naturelles de la Gaule,
( identifier la Gaule avee la Franee, et partollt OU
(e fut l'aneienne Gaule constituer la llouvelle 2 .)}
De ces deux principes, combines ensemble et se
moderant l'un l'autre, sortira, quand les temps
seront venus, la fixation derniere du sol f"rau9ais,


de l'émancipation européenne lui-meme s'exprime 8111' son interven-
tion dans les affaire s de l'Italie, ue l'Allemagllc ct ues Pays-Bas. A
chaque événement militaire on diplomatique, il s'agit d'aff1'anchi1'
un prince on nn peuple de l'oppression des E.pag"o/s, <le la tyrarl1lie
de la ma;son d' Autriche, de la terreur causée par l'aviJité insat¡able de
cette maison enmmie du repos de la chrétienté, d'arrHer ses usurpationB
de lui faira rend·re ce fJu' elle a usurpé en SlIisse ou en Italie, de ga-
rantir toute l' Italie de son iniuste oppression, ne veiller au salut de
loute l' ItaUe, de sauver et d'assurer contre l' Autriche les d1'oits des
princes de l'Empi1'e. (Testament politique dn cardinal de Richelieu,
In partie, chapo leT, p. 9, 10, 14, 15, 18, 24, 25 et 26,)


1. Histoire du ,-égne de Henri le Grand, par IVrathieu, t. II, p. 44.!.
2. Rie ministe1'ii mei scopus : restitllere Gallim limites, quos natura


pm,iixit ... , cOllfunilcrc Galliam cum Frané'Ía, et ubicumque .fuit
,tIItiqua Gallia, ibi restaurare novam, (Teslamentum politicun;, apud
Petri Labbe Elogia sacra, etc., éd. 1706, p. 253 et suiv.)- La piece
quí renferme ces mots remarquables) et qui parut moins d;un an
apres la mort uu cardinal, est une amplification incrustée, selon
toute apparence, de parole!! textuellement recneillies i1e sa bouche.
Richelieu aimait it s'<'¡lancher avec ses amis j il dictait beaucoup ?t
ceux qui l'cntonraient, et, comme on l'a vu pou1' Kapoléon, des pe'-
sonnes cttrie'lses prellaieut note de ses cntrctiens.




CHAPITRE VIlI 23U


postléde pa~ nOlls, a titre légitime et perpétuel,
au 110m du doubl" droit de la nature et de l'histoire.


La eoneeption d'un nouveau systeme politique de
rEurope fondé sur l'équilibre des forees rivales, et
ou la Franee exereát, non a son profit, mais pour le
maintien de l'indépendanee eommune, l'aseendant
ravi a l'Espagne, eette eoneeption de Henri le Grand,
évanouie á sa mort eomme un reve, fut exécutée
par Richelieu á force de négociations et de vietoires.
Quand le ministre de Louis XIII mourut, épuisé de
veilles patriotiqlles', l'ouvrage était presque a sa fin;
une habile persóveranee, jointe a d'éclatants faits
d'armes 2, amena, en moins de cinq ans, l'aete fon-
damental de la reorganisation europeenne, le glo·
rieux traite de W estphalie 3. Cette partie de l'ceuvre
du grand homme d'État, sa poli tique exterieure,
yoilú re quí de son temps fut le mieux compris, ce
llui parut aux esprits eleves beau san s mélange ";
pou!' le reilte, il y eut doute ou répugnanee. Comme
apretl le regne de Louis XI, l'upinion publique reagit


1. Le 4 décembre 1642.
2, Les victoires ilo ltueroi, de ~orillillgeJl et de Lens.
3. Signé a Munster le 24 octobre 1648,
4. Voitnr8, dans ['une de ses le!tres, se place, pour juger Ric]¡ellCu


encore vivant, au point de vue de la postérite : {( 1,or5qne, daus
{( rloax eents ans, ceux qui viendront apres nous liront en nut¡'e
{( histoire que le cardinal de Richelieu ... s'ils ont qnelqlle güutte de
" sang franyois dans les veines et quelque amour poar la gloire de
{( lenr pays, poul'l'ont-ils lire ces choses sans s'uffectionner it lui?
(( et, i, votre avis, l'aimel'ont-ils ou l'estimeront-ils moins it canse
(( que, de son temps, les rentes sur l'hotel de ville se seront paY'ie~
(( un pell plus tur,], ou que ljon aura mis quelql1es nonveltux of[ieiors
(1 d:ws la elHtmbrc iles C0mptcs? Tonte.; les gr¡uhlcs eh oses coutCllt
(( beuLlculIp. , (Lettrc LXXI \', ,'dit. l:" 1701, p. 179.)




2;0 ESSAI Sl:lt L' HISTOlRE DU TIERS BTAT


contee l'action revolutionnaire du pouvoir. Les clas-
ses meme a qui devaient profiter le nivellement des
existences nobiliaires et l'ordre imposé a tous furent
moins frappees de l'avenir préparé pour elles, moins
sensibles a l'excellence dl! but, qu'indignées de la
yiolence des moyens et choquees par l'exces de l'ar-
bitraire.


Cette réaction du tiers état contt'e la dictature
ministerielle, c'est-i-dire contre ce qu'il y avait eu
de plus hardiment novateur dans raction du pouvoir
royal, fut le principe et l'aliment des guerres civiles
de la Fronde. J'aborde ici l'un des événements les
plus curieux et en me me temps les mieux connus du
dix-septieme siecle, un épisode vivement touche dans
des mémoires lus de tout le monde, et, de nos jours,
etudie á fond par des écrivains distingues 1; je n'en
ferai point de recit meme sommaire, le plan de cet
essai consiste a passer yite sur les points ou l'his-
toire parle, et a m'arreter sur ceux oú elle se tait.
Dans les quatre années qu'embrasse le mouvement
de la Fronde, ii y a deux époques distinctes : rune
pl~ésente, exterieurement du moins, les caracteres
qui sont propres aux révolutions constitutionnelles
des temps modernes ; l'autre ne fait que reproduil'e
la physionomie des troubles du regne de Ll)uis XIII
et quelques traits effacés des troubles de la Ligue.
La premiere seule rentre complétement et doit
tenir une place importante dans l'histoire dll tiCl's
état; c'est a elle que je bornerai mes remarques.


]. M. de Saint-Aulaire, His/oire de la Fronde, et M. Bazin, His-
taire de France sous le ministere dll cardinal Jlazarin.




CIlAPl'l'RE Vlll 2H


On sait dans quelles circonstances, au mois de
juin f(i48, les quatre cours souveraines, c'est-a-dire
le parlement, la chambre des comptes, la cour des
aides et le gl'und conseil, se liguerent pour resister
ensemble au pouvoir royal exerce, sous Louis XIV
mineur, par sa mere et par le cardinal Mazarin, On
saít que cette coalition des compagnies judiciaires,
faite, au nom de leur interet prive, pour le maintien
gratuit du droit annuel 1, se tourna bient(~t vers la
défense des intérets publics et la réforme de l'État.
Le signal d'opposition donné par la haute magistra·
ture rallia autour d'elle tout ce qui avait souffert
ou souffrait encore du regime dictatorial ¡mposé it la
France par Richelieu, et conservé apres lui san:,; sa
force d'ame et son génie " Non-seulement les inte·
rets blessés, mais les opinions, les consciences, les
passions se souleverent; une foule d'éléments divers,
debris du passé ou germes d'avenir, contribuerent


1. Ce uroit, condition de l'hél'éJité eles charges, 11 'était établi 'lile
pOllr nenfans, A son expiration, en 1648, l'édit 1'1\1' lequcl il fut re'
nouvelé ponr le tenue ordinaire imposa flnx ofriciers des compsll"ies
la rctenue de quatre auuées de lenrs gnges, - Voyez Vllls hant,
chaV' YIJ, V, 182 et sniv,


2, Depnis la mort un roi Louis XIII ,1'henreuse mémoirc, 'l1loique
les princcs, grands seigncnrs et offieiers, it cansc UCS rCSSOllycnalJ(',,.
des énOl'mes injustices et manx intolérables qui lelll' Ollt élé faits et
a tont le royaume, par cenx qni s'étaient "mparés de la pUiSSlIllCC
absoll1e pres dn roi son3 le nonveatt llom ele Vl'emier ministre d'E¡at,
cussent protesté hahtement de ne plns souffrir qu'uu particuLer s'é-
lev¡\t ainsi sur les épuules des l'ois et i, l'ovprcssion du monue, lHí"n-
moins, par le trop (le honté qn'ils ont eH, il est aYClln Cjll'tlll étrnllgCl",
nommé .Jule lIIaíarin, s'est installé UUllS ce sounrain miuisti,rp.
(La rcquete ¡Jos tl'Ois étuts V,'ésentée i, lIIcOBieul's <lu parlcmellt, en
1648 [pamplJlet elu tempsl, .Yillloires el'Omer Ta'.tlll, eolloc!. ]\!¡c];uuu,
3" séric, t. VI, p.316.)




242 ESSAI SUR L' HlSTOIRE DU TIERS ÉTAT


a cette fermentation des esprits. Les justes griefs
du peuple accablé d'impOts et les rancunes de la
noblesse amoindrie dans ses priviléges; les tradi-
tions de liberté, soit des états genéraux, soit des
provinces ou des villes, et l'idee d'une liberté supe-
rieure née des études classiques et du progres de
l'intelligence moderne; un besoin plus ou moins
vague de garanties légales et de constitution regu-
liere; enfin le travail des imaginations éehauffées
par l'exemple que donnait alors l'Angleterre, voil:'t
de quels mobiles reunis vint aux evenements de la
premiere Fronde I leur earaetere de puissance et de
nouveauté; voila, en un mot, ce qui fit sortir un
commeneement de revolution du confiit tant de fois
eleve entre la cour et les titulaires d'offiees de judi-
cature.


Quant a l'aete célebre que délibererent soixante
députes des cours souveraines, et qui fut comme
une charte de droits imposée a la royante sons


forme d'arrét du parlement 2, on ne sauraít, de
quelque fac;on qu'on le juge, en méeonnaitre l'im-
portance. Pour la forme, c'etait une usurpation du
pouvoir legislatif tentee a l'aide du privilege tradi-
tionnel de remontrance; pour le fond, cette espece
de loi fondamentale concordait avec nos chartes
modernes en donnant des garanties expresses cOlltre
l'impot arbitraire et les detentiolls arbitraires. Son
texte porte: {( Ne seront faites aucunes impositions


1. Celle de 1648 et 164Y.
2. Ddib'!rations arretées el! l'nssém hlée des cou1's son vcraines,


tenue el commenc,'e en la elmlllbre <le ~'lint-Lo!lis, le 30 juin 164~
(llecucil des ClncicJl.'iCS loi" rr~I,/j~'{/¡se-..:, t. XYIl. p. 72 et sniv.)




CHAPITRE VIII' 2+3


({ et t:lXCS (lu'en vertu d'édits et deelarations bien
(e et dument verifiees es-cours souveraines, avec
« liberté de suffrages .... - Aucun des sujets du roi,
(e de quelque qualite et condition qu'il soit, ne pourra
« étre detenu prisonnier passe vingt-quatre heures
« sans etre interrogé suivant les ordonnances, et
({ rendu i son juge naturel 1. )) Outre le véto dans
les questions de finance, les cours souveraines s'at-
tribuaient le meme droit sur les eréations de nóu-
veaux offices, et, ainsi armees contre toute loi qui
eut modifie leur eomposition, elles dev~naient en
fait le premier pouvoir de l'État 2.


Si, ehose impossible, la royaute, vaíneue alors,
se fut resignee a de pareilles eonditions, le gouver-
nement de la France serait devenu une monarchie
temperee par raction legale des corps judiciaires
erigés en pouvoirs politiques. Qu'un tel établisse-
ment, plus regulier que la monarchie sans limites,
eut valu moins qu'elle pour l'avenir- du pays, cela
ne peut étre aujourd'hui un sujet de doute. Ce qu'il
y a de sympathique pour nous dans cette ebauche de
revolution, e'est le souille quí l'inspira un moment,
e'est l'instinet de demoeratie que réveIent eertains


l. D"liMl'.'t:ioIlS des cours souveraines, etc., arto 3 et 6 .. - L'ar-
ticle 3 prono1l9ait la peine de mort contre toute persanne cmployée
f¡.l'ussictt(~ Oll fin rccollvremcnt d'impots non Yér,ifiés; on donnait a
l'artícle (j le ¡10m a'l/rl¡c/p de la s"reté publique.


2. Qll'il no ponrr:t 11 ravenir étre faít aucnne création (roffiees,
tant ,le ju<licature que de nnance, que par édits vérifiez es cours sou-
vcr<tillcs, lWCC 1ft liberté clltiere des su/frages, ponr qllelque cause,
qccnsioll, et SUl1S q iJel'lllC prétexte que ce soit" et que l'établ issement
anejoll apg¡litcs ccmpn.:::'!.'~Jics souvel'aines ne pourra etre clutngé ni
n1t{~]"/·. :11.>1 J., :tri. 19.)




2i4 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU 'fIERS ÉTAT


pamphlets de repoque, et qui perce dan s les dis-
cours des orateurs du parlement. Chez l'un des
plus moderes, on trou ve les maximes que voici :
Les rois sont les égaux des autres hommes selon
le principe commun de la nature, l'autorite seule
nous distingue. - L'autorite que possedent les so u-
verains dépend de la soumission de leurs snjets. -
Les rois sont redevables de lenr fortune et de lenr
puissance aux diverses c1asses d'hommes qui lenr
obeissent, et dont les grands sont la moindre partie.
- Les fünctions des magistrats, l"industrie des arti-
sans, la patience des soldats, tous ceux quí trayail-
lent contribuent a l'établissement et a la conserva-
tion de la royauté. - Sans le peuple, les États ne
sub~isteraient point, et la monarchie ne serait
qu'une idée l.


Suivant la marche constante des révolutions, il y
eut dan s la Fronde un moment de crise ou le pou-
voir, se relacflant de sa resistance, fit des conces-
sions incompletes 2, et ou une voix formidable, celle
du public, répondit: Il est trop tardo C'est alors qu'a
la lutte legale succéda l'action violente, et qu'apres
un coup d'État de la cour 3 vint dans Paris cette


1. Mémoires d'Omer Talon, colleet. lIlichantl, 3· série, t. Vl,
p. 259. - J'ni touehé 9a et lil au texte original, pOllr le rcndre plus
clair, en le dégagcant de la furme omtoire ou de loclltions qnelque
peu vieillies.


2. Voyez les étlits l'endus dans le coumnt de juille! 1648, el sur·
tont la déelaration du roí verifiee au parlemcnt en lit de.i llstice le
derllier jou!" dll mois et intitulée: " Reglement sur le l\lit de la jus-
tice, poliee et !inanecs et le soulagement des sujets du roi. II (llec"cil
des anciennes lois rmn~aises, t. XVlI, p. 84 et slliv.)


3. L'arrestatioD du conseiller Brollssel et des présidents ClUll·ton ~t
Blancmesnil.




CHAPITRE VIII' 215


journee (I'emeute qui, renouvelant l'une des plus
fameuses de la Ligue, fut nommee, comme elle,
,journée des Barricades. Un pareil nom appelle desor'-
mais sur la page d'histoire ou il figure plus que l'in-
teret de euriosité, ear des souvenirs d'angoisse et
de deuil viennentde s"y attacher ponr nous. En lisant
les faits du 27 aoút 16í8 rapportés dans les me·
moires du temps, on s'arrcte pensif quand OIl ren-
contre des détails tel:,; que ceux-ci : ( Tout le monr1e
« sans exception prit les armes; ron voyoit des en·
« fants de cinq et de six ans avec des poignarrh; á
( la main, on Yoyoit les meres qui les leur appor-
« toient elles-memes. Il y eut dans Paris plus de
« douze eents barricades en moins de deux heures,
( bordees de drapeaux et de toutes les armes que
( la Ligue avoit laissées entieres. Dans la rue
( Neuve-Nostre-Dame, je vis entre autres une lance
« traÍnée plutot que portee par un petit gareon ele
« huit ou dix ans, qui estoit assurément d; r~n­
« eienne guerre eles Anglois l. ))


1. Jlfenwires du cal'dinal de ReIr:. colleet. Mielifl.lltl, 3e série, t. 1
p. 67. - La faeo de la ville de P~ris étoit méeonnoissable; tous le~
Iiommes jeunes et vieux, et pctits cnfunts depllis l'áge de dOllze an's,
a\'oient les armes " la main.. Nous trouvumes dCPllis le Palai,
jusques au Palais-RoyalllUit larricades f,lites par les ehalnes tenelllCS
es lieux Ol! il Y en eloit avoir, par iles pou!res mises en lravers, JAH
des tonneallX remplis de pavés, ou de ten'o, on de mOl'1Ions; olltre
pltlS tOlltes les avcnues des rnes traversantes étoiellt aussi barrica-
ilées, et i; cllacune barrieailc un corps de gal'lle composé de yingt.
Cillq on trente hommas armés ile toutes sortes il'armcs, tons les hour-
geois ilisullt batltelllellt qu'ils étoient au service du parlament .....
Chose étl'ltllge que altUS hl maisoll Lln roi les (,ftieiers ilomestiqucs
nous disoient : (1 Tcnez bon, l'on vous l'CIHha vos conseiIlers; )) ct,
dan. les gal'cles fmn~oises, les solilats disoient tout haut qu'ils ne
combattroient point eontre les bonrgeois, et qn'ils lllettroicllt les


tí.




24(; ESSAI SUR L'HlSTOlm: nu TTERS ÉTAT


Si les vieilles armes des Ligueurs se re;nontl'¿rent
alors dans les mains du peuple de Paris, ce fut a la
voix de passions nouvelles et pour des principes
nouveaux; l'esprit populaire de 1648 tenait moins du
passe que de l'avenir. Une force toute plébéienne et
pui'ement politique venait de se dresser tout a conp
en face du pouvoir royal, non pour le vrtincre c'ltte
fois, les temps n'étaient ras murs, mais ponr se
rasseoir presque aussitc)t sur elle-meme, grandir
S:lllS cesse par le travail d(~s idcies, et reparaitre,
avec une puissance irresistible, aux jours de i78U.


La declaration royale du 2~ octobre Hlí8 I marqua
pour la Fronde un second moment critique, répon-
dant a ce point 011 parviennent les revolutions quand
le pouvoir accepte, mais sans résign:ttion et sans
bonne foi, le pacte que la neeessité lui impose. Un
temps (]'arrét plein de defiances et de tiraillements
conduisit a la periode extreme du mouvement revo-
11ltionnair(~, ú l'usurpation de toute l'autorité dans
París par le pal'lement ayant pour anxiliaires les
magistrats municipaux. Les mesures qui furent
prises alors au nom du salut public, la 'levee d'im-
póLs et de troupes régnIier(~s, l'organisatioll de la
d::fense et (le la police de la ville, l'appel d'union fé(lé-
ratiYG aclrnssá :'t tous les parlelllünts et a toutes les
yilles du royaume pronvent que la magistrature coa-


aralOS b3os, tnnt étoit grunel le mepri¡;; an gO!1Ycrl1ement. (Jlfémoires
d'Ome,. Talo", enllect. l\lichand, t, VI, p. 265, 2(j(j.)


1. D,'claratioll dl! roi l'0rtant regleml'nt C:l1l' le rait tle la jnstice,
pollee, finances et sOll]ap:cment ('les slI,Íe:s 410 ~:L :Jrnjcsit'~. (lhii1.)
p. 2~)3.) - Cette Ol'llol1l1n.nce n'cst qno la cUJllirrnatiull ae~; :11'1 i(~les
délih":'l'és dan~ la chamLi'r. d<' Snillt-Lolli:;; \'ll,\"Pí': ]"lItIS l:an.t, p. ": 12.




CilAP1TRE VIII 2í7


lisée 11e manquait ni d'andac8 ni d'éllergie 1. Sil
m~n:che en avant se continua, tant que pOllr la pour-
sliivre elle n'eut besoin que des sympathies exaltées
de la bourgeoisie et du peuple; son écueil fut 1'al-
liance que la force des choses l'obligea de faire avec
les intérets et les passions de la haute noblesse, Ce
secours plus qne dangereux devait l'entrainer hors
<Íe ses voies de probité et de patriotisme; des qll'elle
le vit, elle recula. Ce fut l'honneur du parlell1ent
(l'avoir répondu par rindignation et le dégoút a ceux
qlli proposaient de donner a la caisse populaire 1'ap-
pui des ennemis ele la France, Contraint dechoisir
entre une opposition inflexible et le devoir de tOllt
bon citoyen, iI n'hésita pas; il fit sa paix avec la
cour, au lieu ele pactiser avec J'Espagne 2,


Un fait singulierell1ent rell1arqÍJable ele l'histoire


1. ." Ensuite la eonr délibr\ra ues moyens de la 00nservatioll pu-
blique, ct. ponr y parvenir anGterent de forme,. un million de livl'es.
(JIélllojres ¡I'Omer Talon, eolleet. Miehaud, p. 321.) - Arret da padc-
ment 'lui uéclare le caruinal Mazarin enIlemi UU roi et de l'j,~tat, et
ordoIlne nIle levée <le gens de gncrre, 8 janvicr 1649. - Arret du par-
lement faisant ,1Uense á tous eapitaines et solda!s d'approehe1' it vingt
lieues de Paris, et enjoignant aux villes, bou1'gs et communes ue leu1'
eomir sus, 10 jrlllvier. - ldem qui ordonne l'expropriation 11(\ces-
saire pan1' fo1'tifier par des retranchements les faubollrgs de Paris,
12 janvier, - Lettre (lu parlement de Paris aux antres parlements elu
1'oynnme, 18 jan vier. - Lettre aux baillis, sénéchaux, maires, éche.
"ins ct autres aftieiers du royanme, meme uate, -Arret da pnrlelllcllt
de Paris qui o1'<1onne que tous les deniers publies dn ressort ""rollt
versés dans les coffres de l'hotel de ville, 19 janvier, - An0:s 1'''-1'
lesquels il déelarc sa jonetion avee les parlements ele Proveneo et (le
Kormandie, 28 janvier et 5 février. (Recueil des ane;ennes lois (mJl-
gaises, t. XVII, p. 115, 118, 119, 121, 14i et 155; Registres de l'hótel
de vi/le de Paris pendant la Fronde, publiés p"r :\IM. Leroux de Lincy
et Donet d'Areq, t. le" p, 129 et 1M.)


2. 11 mnrs HWl.




'248 r:SSAI sun I:HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


de la Fronde, c'est l'accueil dédaigneux que firent
les classes roturieres a la convocation des états gé-
néraux ordonnée pour le 15 mars i6~9 l. Cet appel
rlu pouvoir royal a l'autorité nationale des trois
ordres, qu'il prenait pour arbitres dans sa querelle
avec le parlement, fut ecouté par la nobles se, mais
nDll par le tiers état; ni la boul'geoisie ni le peuple
des campagncs ne se porterent aux élections, leur
foi politique n'était plus la; détl'ompés sur la
vertu de ces assemblées ou les classes privilégiées
comptaient deux voix contre une, ils aimerent mieux
poul'suivre une expérience nouvelle sous la conduite
des magistrats de leur ordl'e 2 • Les corps municipaux
reconnurent l'autorité supreme du parlement 3 ; ce-


1. Voyez la lcttl'c eil'culairc du roi ponr celte cOllvoeation, 28 jan-
vier. Recueil des ancien",s lois {ra1lraises, t. XVII, p. 141; voyez [lUSS
les lettl'cs UU 4 avril1651, ¡biu., p. 241 et 242.


2. Un arret un purlemcnt de Bl'etugne, touchant la convocation
<lcs états génér:1l1x et cello des éta!s purtienliers de la province,
p'n'le ce qni suit : « La cour ... a arresté que le roi sera tres-hullI-
(( blement supplié d'avoir pOul· ngl'éable qne l'oru,'o de tout tcmps
« observé po nI' la convocation des états généraux soit inviolablemcllt
« garué, et qu'ils ue soicnt assemblés que par lettrcs patentes véri-
, tiées en parlement, et de surseoir la tenue des états ue la provinec;
" et cepcndant fnit inhibitions ct défcnses i\ toutcs pel'sonncs, de
" '1nelqne ql1alité et condition qn'elles soient, ue s'y tronver et tle
" s'a3selllbler sons prétexte desdit8 états. » (Reeueil des allciemu's {ois
(mlll;aises, t. XVII, p. 160.) - Il n'y eut que des éleetiolls ¡neolll-
plétes, et la réunion des états fut ajonrnée indéfinimCl,t; apres denx
aus, et sur les instances de la 110ble886, elle fut Ordollnée de nonve''''
nyuc uo nouveaux choix ('e députés pour le 8 septcmbre 1651. lI-Iais
eette fois eomme l'autre les éleetions, surtont eelles dlI tiers tltat,
n'em(·nt point lieu uaus toute la France. Voyez ibid.,p. 250 et suiy.


3. Plll'lni le;; villes dont l'adhésion fut uéclarée, ·011 pent comptet'
eclIes ue la Xorl1l!llldic, de la ,PrGvenec, un Poitou, ue la Gnyeulle,
du Langueuoe) Amicns, Péronne, lIle'zie,cs, le :\Talls, Rennes, An-
gers, Tours, et henucoup d'antt'cs.




CHAPITRE vm 240


lui de Paris, avec son prévOt des marchands, ses
échevins, ses conseillers, ses syndics de corpora-
tions. industrielles, ses quarteniers, ses colonels et
capitaines demilice, fut le pouvoir exécutif des lois
faites par la cúmpagnie souveraine·. Il n'est pas sans
intéret de suivre, dans les registres officiels, les
aetes ue ce pouvoir qui s'empara de la Bastille, et
qui eut quelque rhose des errements de la fameuse
commune de Paris 2.


Ce fut sans doute un jour d'orgueil pour la j:lOur-
geoisie parisienne que celui oil un prince du sang
parut devant les magistrats rnunícipaux, et leur dit
qu'ayant ernbrassé leur parti et celui du parlernent,
ii venait habiter aupres d'eux pour s'occuper avec
eux des affaires cornmunes 3, oil des grands sei-
gneurs preterent serrnent cornrne gépéraux des
troupes de la Fronde, et oil des femmes brillantes
de noblesse et de beauté s'installerent a l'hOtel de
villa camrne otages de la foí de leurs rnaris; rnais
ce jour-Ia l'entreprise plébéíenne contre le pouvoir
absol11 perdit son caractere de dignité et de n011-
veauté; elle cornrnen9a d'etre une irnitation de ce
qui s'était vu sous la régence de lVIarie de Médicis.
Ce que la revolte avait de sincere dans son esprit et
de grave dans ses allures dísparut, quand les cour-


1. Lcs nrl'els poli tiques du parlemellt se terminent par ectte for-
maJe: " E/ljoinct uu ptévost des maruhands et esched,," de tenir la
moil! a /'exécution; » ot les ordonnRnccs de la villa portcnt en génél'al
ceJe- ci : " CO/l{ormément ti l'arret de nos seiD'Ie!lI'S de la cour de par-
kmelil. JI VOyC7. les Registres de ¡'MIel de "¡lIe de París, publiés par


, )DI. Lerol1x de Lincy et Douet d'Arcq_
2. IbiJ., t, Ier, p. 102, 130 et passim.
3. Le pl'incc de Canti, Registres de l'/,,;Ie! de dile de Paris, p. 118.




250 ES SAl SGR L'Il\STOIRE DU TIEIlS ¡;;TAí.'


tisans factieux, leurs mamrs et leurs intérets y
entrerent.


La paix conclue á Saint-Germain, le 30 mars 1()~g,
entre la cour et le parlement 1, termina ce qu'on
peut nommer la période logique de la Fronde, c'est-
a-dire celIe ou le mouvement d'opinion et l'action
révolutionnaire partirent d'un principe, le besoin
de lois fixes, pour marcher ver s un but d'intéret
social, l'établissement de garanties contre 1'arbi- ,
traire. L'actefinal de cette paix sanctionna de nou-
veau la grande concession déja faite, l'intervention
du parlement de Paris dans les affaires génerales,
surtout dan& les questions d'impot. Ainsi le régime
absolu cessa pour faire place a un régime de contróle
judiciaire; mais, loin que ce changement, qui éner-
vait tout lA !lysteme administratif, fit naltre un meil·
leur ordre et pacifittt la France, il n'en resulta que
l'anarchie. Ce fut la destiné e du parlement aux deux
derniers siecles d'exciter chez la nation des désirs
de liberté legale et d'etre illcapable de les satisfaire
par rien d'efficace ou de serieux. Dans la premiere
annee de la Fronde, son rtíle eut une certaine gran-
deur, mais la suite le montra déchu de sa position
dominante, ne dirigeant plus, se gouvernant a peine
lui-meme, tour a tour violent et ti mide, complice
malgre lui de l'ambition des grands alliée aux pas-
sions de la multitude. Trois ans de guerre civile
pour de pures questions de personnes, un pele-mele


1. Voycz le tmité Ril':né 1t Ruelle 11 mars, et l'¿clit pour le rét:t-
blissement ,le h tmllquillité publique, enregistré le lel' avril. (IlPCHeil
ed sar,ciemlP." loi" (J'anrl'¡ses, t. XVII, p. Hil et 1(;4.)




CIlAPITHE vm 2!il


de complots aristocratiques et d'émeútes populaires,
de fréllésie et de frivolité, les scandales el'une ga-
lanterie san s pudeur joints a ceux de la révolte par
égolsme et d'un appel fait a l'étranger, des noms
glorieux tout d'un coup souilles par le crime de
trahison envers la France 1, ennn un massacre
comploté contré la haute bourgeoisie par des dé-
magogues a la solde des princes 2; telles sont les
sct'mes quí, du moís d'avril 164.D au mois de sep-
tembre lG¿¡2, remplissent et completent l'histoire de
la Fronde, Folles ou rebutantes, elles sont tristes a
líre et encore plus a raconter.


Apres un ébranlement quí, pour sa durée, avait
eu peu de profondeur, la société fran~aise se raffer-
mit sur ses nouvelles bases, l'unité et l'indépen-
dance absolue du pouvoir. Le principe de la mo-
narchie sans limites fut proclamé plus rudement
que jamais au milieu d'un silence genéral 3 , et
l'muvre de Richelieu, consef'vée par un ministre
moins grand que lui, put, des mains de ce dernier,
passer intacte aux mains d'un roi. Le jour ou


1. Turenne et le grand Canué.
2. Massaere ,le l'hotel de ville, 4 juillet 1652.
3. Nons avans fn,t el (':\,sons tr¡'s-expresses inhibitlons et dé!enses


aux gens tenRn! lIotre ,lite eonr de parlément de Paris de prewll'c
Ci-ap1'8S connoissanCll Jcs affaires générales de notre État et de la. ~1;­
rcctioll de nos til!ances, ni de ríen ol'donner) ni entl'eprendl'e, pnur
raisan de ce1 cülltre ceux á qui nous en avons confié l'admillistra.-
tion, it peine dc déso béissalIce ; déc1arant des a présent nul et de 11u1
effet tout ce qui a été ci-devant on ponrro,t etre ci-apres réso!u et
arreté sur ce s"jet ""ns ladite comp"p:nie au préjndiec de ces pl'é-
sentes .• et vOIlIOllS qn'ol1 ce CftS 1108 alltrcs sujets n'yaient ancnn égard.
(D~~elaration aH 21 octoure lü32 .. lircucil des anciennes lois ftanc¡aises)
:. X\' \l, p. 300.\




2ii2 ESSAI SUR L' lilSTOInE DU TIEIIS ÉTAT


Louis XIV declara en conseil qu'il voulait gouver-
ller par lui-meme 1, on comptait cinquante et un
ans depuis la mort de Henri IV, et, dans cet inter-
valle, gráce a l'ordre puissamment cree ou habi-
lement maintenu par la dictature minisüirielle,
retat social et moral de la France avait fait d'im-
menses progreso Au sortir des guerres civiles du
seizieme siecle, la nation, retiree désormais du
double courant de passions religieuses qui J'avait
entrainee en sens contraire dans le gl'anel débat
européen, ramena sa pensee sur elle-meme, et se mit
a c11erc11er sa place ol'iginale dans l'ordre politique
et dans l'ordre intellectuel. De la naquirent, pour
le dix-septieme siecle, deux tendances simultanées
qui consistaient: l'une, a rendre libre et personnelle
l'action de la France au dehors, l'autre, a dévelop-
per l'esprit fran9ais dans son individualite propre et
son caractere natif,


Au siecle précédent, la renaissance des lettres avait
été un mouvement d'idées comlllun a toute rEurope
civilisee; elle nous plongea, comme les peuples voi-
sins, dans l't\tude et l'imitation ele l'antiquité, elle
no nous crea point une littérature nationale; ce
travail devait venir plus tardo Il commel1sa des
que le pa'ys eut marqué son role comme puissance
eUl'opéenne; notre Jangue se fixa en meme temps
que se fondait notre politique, et la reforme de
Malherhe fut contemporaine des projets de Henri IV.
Pendant que ces projets s'accomplissaient par Ri-
chelieu et par Mazarin, J'intelligence fran9aise trou-


L Le 9 ll1ltrs 1661.




C!lAI'ITHE VllI 253


vait ses yer'itables yoies et y marchait a pas de
geant; elle atteignait a la plus haute des méthodes
philosophiqu.es, au sublime en poésie et a la perfec4
tion de la prose; elle liHait a l'admiratíon des
hommes trois noms d'une grandeur impérissable,
Descartes, Corneille et PascaL


A la revolution d'idees qui, en France, mit l'em-
preinte nationale sur la phiJosophie, la litterature
et l'art 1, se joígnit une revolution de. mCBurs. On
vit, dans la chaleur de ce nouveau mouvement de
vie intellectuelle, la haute societé polie s'organiser
sur un pied tout nouveau. L'esprit y compta désor-
maís pour une distinction ~~gale a toutes les autres,
les hommes de lettres sans naissance y entrerent,
non plus comme domestiques ou proteges des princes
et des grands, mais it titre perilonnel. La conversa-
tion entre les deux sexes, étenrlue par la Illode elle-
me me aux sujets les plus éleves et les plus graves,
fonda. ce pouvoir des salons, qui devait s'exercer
chez nous de concert avec le pouvoir des livres 2.
En un mot, la bourgeoisie lettrée gagna dan s le
monde du loisir rinfluence dont elle jouissait deja
dans le monde des affaires; elle fut melée i tout,
et eut en quelque sorte des postes av:mcés partout.


C'est d'elle que vinrent a la fois, au dix-septiemc
siecle, l'agitation politique par la Fronde, et l'agi-
tation religieuse par le jansénisme, tentative de rat~
fincment du dogme catholique, doctrine llOstile en


1. II flLltt joindre le nom de Poussin ILUX troi., grands noms déjit
cites.


2. Voyez ]'écrit el" H<etlerel' intitulé: jlIémoire llOur servir á. l'his-
toil', de la société poli, en Fr""ce.


15




254 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


apparence a tout instinct de liberte, et qui, par les
luttes qu'elle amena entre l'autorité et laconscience,
fut l'un des ressorts moraux de la revolte des eorps
judiciaires contre le pouvoir absolu. Cette doctrine
sans portée sociale, mais íllustree par les grands ca-
racteres et les grands esprits qui la soutinrent, tient
une place considérable, quoique indécise, dans l'his-
toire du tiers état 1. Liée aux efforts successifs de
l'opposition parlementaire, elle servit d'aliment a
l'esprit de discussiolI jusqu'au milieu du dix-hui-
tieme siecle, jusqu'au temps ou cet esprit fut trans-
porte, avec une audace et une puissance inoule~,
dans la spMre philosophique, ou, au-dessus de toute
tradition, il alla chercher, pour les faire descendre
dans la loi, les principes éternels de raison, de jus-
tice et d'humanité.


1. Voyaz l'ouvmge de 1\1, tiainte-Beuve, iULit1l1é: 1'01'/ lioyal.




CHA.PITRE IX


LOUIS XIV ET COLBERT


SOMIIAIRE : lJéveloppement d~ notra bis!oire sociale du donziémc sieele au ,ti,-
septieme. - Lonis XIV gO\lverne personDellement, son caraetere, dellx pal'b
dans SOll regnc. - .Mlnistere de Colbert, sa naissance roturiere, son génie.
- UDiver,ali!é de ses plaus d'administratioll. - Grandes ordonnance.;
hesojn d'uDe longue paix. ~ Passion du roi pour la guerra, ses conquetes.
- Faveur croissaute de LOI1 vois, disgraee de Colbert. - Il meurt consumé
d'ennuis et impopulaire. - Révocation de l'&lit de Nantes. - Fautes du
regne de Loois XIV. - Elles venaieDt toutes d'une meme source. - Impres-
,ion des malheurs publics. - Changement qu'ellc amene dans les esprit •• -
Natllrc el porté. de cette réactio".


Le regne de Louis XIV marque dan s notre his-
toire le dernier terme du long travail social accom-
pli en commun par la royauté et par les classes non
nobles de la nation, travail de fusion et de subordi-
nation universelle, d'unité llationale, d'unité de pou-
voir et d'uniformité admillistrative. Si de ce point
culminant on porte le regard en arriere jusqu'aux
regnes de saint Louis et de Philippe-Auguste, il
semble qu'on voie se dérouler un llleIlle plan, formé
des l'abord, et a. l'exécution duquel chaque siecle,
depuis le tlouzieme, a contribué pour sa parto La
successioll des temps fait appara:itre une suite de
rois et de ministres s'employallt it cette gl'ande reuvre,
et mettant au :>erviee de la meme cause tout ce qu'ils




~:;fi ESSAl sun L'Il1STOIRg DU TIEllS ¡';TA'f


Ollt d'úme et de géníe. On voít le pellple, pour quí
ils travaíllent et d'oú íls tirent les éléments de leur
puíssanee réformatríce, les devaneer quelquefois de
ses propres efforts, les suivre toujours, et les sti-
muler sans ces se par sa voix dans les états ge lH:\l'allX ,
par l'opposition des eompagniesjudiciaires, par tuut
ce qu'il y avait d'organes rlu droit commUll et lle
la pensé e publique. C'est ainsi qu'á force de muta-
tions progressives s'est élevee la royaute absollle,
symbole de l'unité fransaise, rep1'8Selltatioll de l'l~­
tat facílement confondue avec lui. Ce régíme, ennemi
de la liberté aussi bien que du privílége, et dont la
seconde moitie du dix-huitieme siecle nous montre
l'épanouissement splendide, la nation ne l'avait poíut
subí, elle-me me l'avait youlu résolúment et avec
persévérance; quelqlles reproches qu'on pút luí faire
au nom des droits naturels ou da droit historique, íl
n'était point fondé sur la force ni sur la fraucle, mais
accepté par la conscience de tous.


Te] était le pouvoir qui, apres eleux ministeres
qu'On peut nommer ele véritables regnes 1, fut pris
en main par le fi]s ele Louis XIII, ::L peine ,'¡gé de
vingt~troís an8. Le jeune prínce, jusque-lú étranger
aux affaires, adressa, dans le premier conseil tellll
par lui, ces paroles au chancelier et á ses cnllógues :
« J'ai resoIu d'étre a l'avenir mon premier ministre ...
« Vous m 'aiderez de vos conseils q llallcl je vous les
« elemanelerai ... Je vous prie et vous ordonne, mOl1-
« sieur le chancelíer, de ne ríen scellel' quo par mes


1. Le ministere de Richeliflll occllpe dix-huít P..IlS, de 162J " 1612;
et cel1lí Je Ma~arill, Jix-ncuf ans, de 16J? ,\ 16tH.




CHAPITRE IX


(r ol'dl'es; ... et VOUS, mes secrétaires d'État, et VOUS,
(( monsieur le surintendant des finances, je vous
(( ordonne de ne rien signer sans mon comman-
dement l. J) Cette déclaration renfermait une pl'O-
messe de travail personnel, de travail effectif POUt'
chaque jour; Louis XIV s'y montra fidele durant
toute sa vie, et c'est la un des traits caractél'istiques
et l'une des gloires de son r(~gne2. Jamais chef de
natíon n'eut une idee plus haute et plus sérieuse de
ce que lui-meme appelait énergiquement le métiel'
de roí 3. Ainsi l'exercice du pouvoir, qui, depuis la
mori de Henri IV, n'avait eu lieu que par déléga-
tion, se trouva réuni a son principe, et la royauté,
niduíte durant un demí-siecle a l'état de pure idée,
redevínt pou!' ainsi díre une personne. Cette ré-
volution, (lui simplifiait logiquement l'autorité sou-


1. N¿mo;res de Ileuri-Louis de Brienlle, éJ. TIarri"re, Hl28, t. n,
p. 155; Mémo; .. es de l'abbé de Chol,,!!, eollee! .. Michuuu, 3e série, t. VI,
p. 577, et Jlémoires d. madame de Mot/et'ilIe, ihiu" p. 586.


2, Je m'imposai ponr loi de truvuiller régllJieremellt deux fois
par jour, et deux ou trois heures chaque fois avec diverses personnes,
sans compter les heures que je p"ssois seul en partieulier, ni le te:nps
que jc pourrnis donner ex!raordinairement anx affaires extraordi-
llUires, g'íl eu survenoit, n'y ayant pas un moment ou il De fút permis
ue m'en parler, pour pau qu'elles fussent pressees. (,llémoires de
Lotlis XIV adressés i, son tils, OHm'res de Louis XIV, t. I, p. 20.
- lbid., p. 19.


3, Un écrit de Lonis XIV, tont entier de SR main, est intitulé:
Ré¡le IÍOrl' sU!' le ruétier de roi; on y trouve comme tetes d'articles lés
maximes sui vantcs : Tout rapporter au bien de I'l~tat, - L'in!~rpt de
l'ttat doit marcher le premier. - Pensor i, tonto - Se garder de
soí-meme. (Ibid., t. 1I, p. 456.) - Ici jo ne vous Jirai pas seu-


. lement que e'est toutefois par la (par le trnvail) que l'on rt'gne, ponr
cela qu'on rc'glle, et qn'il y a de l'íngratitllde et de l'audaee it regard
de Diell, de I'ínjllre et de la tyrallnie ,'¡ J'égarJ des hommes, de VOn-
loir J'un sans 1'antre. (Mimo;res de Louis XIV, ihid., t. I, p, 19.)




2,í¡;¡ ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


veraine,J'ut saluée avec joie par la sympathie et 1'es-
perance populaire; on y voyait le terme de ces maux
que les peuples imputent tC\ujours aux intermediaires
places entre le trone et la natiop, personne alors n'en
pressentait les vastes et singulieres consequences,


Louis XIV, avec une rare dignité de caractere.
possédait un sens droít, l'ínstinct du pouvoir et de
l'ordre, l'esprit des affáires jusque dans le detail, une
grande faculté d'application et une remarquable
puissance de volonté; mais il lui manquait la haute
portée de vue et la liberté d'intelligence quí avaient
mis au premier rang des hommes d'État Hichelieu
et Mazarin. Sa résolutíon d'agíren tout selon la
regle du devoir et de n'avoir pour but que le bien
public était profonde et sincere, les Mémoires quí
nous restent de luí l'expríment avec une effusion
quelquefois touchante 1, mais il n'eut pas la force de
suivre toujours la loi morale qu'il s'imposait, En vou-
lant ne faire qu'une me me chose de son propre bon-


1. J'!!i toujours considéré comma le plus doux pIaisir du monde
la satisfaetion qu'on trouve a faire son devoir. J'ai m~me sonvent
admiré comment il se pouvoit faire que l'amour du travail, étaut une
qualité si n<Ícessaire aux souversins, fUt pourtant une de celles qu'ou
trouve plus rarement en eux. (OEm'Tes de Louis XIV, t. l, p. 105.)
- Quand j'ai pris le gouvernement de mon royaume, j'si bien vu
que ma répulation alloit t'itre h la mereí de tout le monde, qui peut-
PIre ne me rendroit pas toujours juslice. Mais, comme je ne songe
qu'a me bien acquitter de tout ce que je dois a mes peuples et a ma
dignilé, j'ai méprisé, pour faire mon devoir, toutes les autres gloi-
res. J'ai cru que la premíere qualité d'un roi étoit la fermet~, et
qu'il ne devoit jamais laisser ébl'anler ss vertu par le bli'lme ou par
les lonanges; que, ponr bien gouverner son État, le bonheur de ses
snjets étoit le seul pOle qu'il devoit regarder, sans se soueier des
tempetes et des vents différents qui agiteroient continuellement son
vaissean. (Ibid., t. Il, p. 422.)




CHAPITRE IX 259


heur et du bien de l'État, il inclina trop a confondre
l'État avec 'lui-meme, a I'absorber dans sa personne l.
Trop souvent il prit la voix de ses passions pour celle
de ses devoirs, et ce qu'il se vantait d'aimer le plus,
l'interet general, fut sacritie par lui a son intéret de
famille, a une ambition sans bornes, a un amour dé-
reglé pour l' éclat et pour la gloire l. Sa longue víe
le montre de plus en plus entrainé sur cette pente
périlleuse. On le voit d'abord modeste et en me me
temps ferme d'esprit, aimant les hornmes supérieurs
et cherchant les meilleurs conseils 3; puis, préférant
qui le fiatte a qui l'éclaire, accueillant, non l'avis le
plus solide, mais l'avis le plus conforme a ses gouts;
puis entin, n'écoutant que lui-meme, et prenant pour
ministres des hommes sans talent ou sans expé-


1. Enfin, mon fils, nons devons considerer le bien de nos sujets
bien plus que le notre propre. Il semble qu'ils fassent une partie de
nons-memes, puisque nous sommes a la t~te d'un corps dont ils sont
membres. Ce n'est que ponr leurs propres avantages que nous devons
leur donner des lois, et ce ponvoir que nous avons snr enx ne nons
rloit servir qn'a travailler plns efficacement a lenr bonhenr. (OEuvres
de Louis XIV, t. 1, p. 116.) - Ql1and on a l'État en vne, on travaille
ponr soi. Le bien de l'nn fait la gloire de l'autre. Quand le premier
cst henreux, élevé et pnissant, celni qui en est cause en est glorienx,
et par conséquent doit plus goftter que ses sujets, par rapport a lui
ot ¡, ellX, tout ce qu'il y a de plns agréable dans la vie. (1bid" t. n,
p.457.)


2. Voyez 1'1ntrodnction dn hel onvrage de j',f, Mignet : Négocia-
tions relatives ti la sueeession d'Espague sous Louis XIV.


3. Délibérer a loisir snr toutes les choses importantes et en prendre
conseil de diverses gens n'est pas, comme les sotS se l'imaginent, un
témoignuge de foiblesse ou de dépendance, rnais plntút une marque
de prudence et de solidité. C'est une maxime surprenunte, mais
véritable pourtant, que cenx qUÍ, pour se montrer plns maltres de
lenr propre conduite, ne veulent prendre conseil en rien de ce qn'ils
font, ne font presque jamais rien de ce qu'ils venlent. (OEtI'I!re& de
IM.;s XIV, t. Ir, p, 113.)




260 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS BTAT


rienee qu'íl se eharge de former. Ce regne, glorieux
~l juste titre, offre ainsi des phases tres-di verses;
un peut le diviser en deux parts presque égales
pour la durée, l'une de grandeur, l'autre de déea-
dence; et, dans la premiere, on peut de meme dis-
tinguer deux périodes, celle des anllE)es fecondes Otl
tout prospere par une volonte puissante que la saine
raison dirige, et eelle ou le déclin commenee, paree
que la pass ion prend de l'empire aux depens de la
raison.


C'est le genie d'un homme du tiers Mat, du fils
d'un commer<1ant, de Jean-Baptiste Colbert, qui
<lonna l'inspiration ereatriee au gouvernement de
Louis XIV l. Colbert fut ministre vingt-deux ans~,
et, durant ce temps, le plus beau du regne, la pro-
spérité publique eut pour mesure le degre d'infiuence
de sa pensee sur la volonte du roi. Cette pensée,
dans sa nature intime, se rattachait a celle de Ri-
ehelieu, pour la memoire duquel Colbert professait


L Le pere de CoIbert, marchand de drap a Reíms, y tenaít bou-
tique ¡, 1'enseigne du LonJ t'élu, et joignait a ce commel'ce celui des
toiles, du vin et da blé. Sa famille avait pIusieurs branches ~g[lle­
ment vouées au négoce dout lni-meme tit l'apprentissage ¡, Paris u'a-
bord, et ensuite a Lyon. Revenu a Paris, il quitta la vie de comptoir,
et fut successívement clere uo notaire, clerc chez nl1 procnreur au
Chatelet, commis fin burean de recette financiere qu'on nommait
des parties casueHes, secrétaire particulier dll caruinal Mazarin, et
enfin inteudant de su maison. 1\1azariu, a son lit de mort, le recom-
manda vivcment an roi. On trollve cette phrase dallS les instructiollS
qu'il éCrlvit dA sa propre main ponr son fils ainé : « 1\1011 fils doit
« bien penser et faire souveut réflexion SI11' ce que ss naissance I'au-
« l'oit filit iltre, si Dictl n'avoit pas béni mon travail, et si ce travail
« n'avoit pas été extreme. » Voyez l' Hislaire de la ríe el de l'admi-
nistra/ian de Colbert, par .1\1. Pierrc Clé'ment, Pi,'ces jnstificatives,
nOS VI et XII,


2, De 1661 it 1683.




CHAPITRE IX 2111


un veritable culte l. Des son entree au conseil, il fit
repttraltreles plans du grand ministre et se proposa
pour but l'exécution de tout ce que cet homme ex-
traordinaire n'avait pu qu'ébaucher, indiquer ou en-
trevoir. L'rouvre de Richelieu s'était accomplie dans
la sphere des relations extérieures; mais il n'avait
pu que déblayer le terrain et tracer les voies pour
la réorganisation intérieure du royaume. Par la
diplomatie et par la guerre, lui et son habile succes-
seur avaient assure a la France une situation pre-
pondérante parmi les États européens; il s'agissait
de lui donner un degré de richesse et de bien-étre
egal a sa grandeur au dehors, de créer et de déve-
lopper en elle tous les éléments de la puissance
financiere, industrielle et c0Il!merciale. e'est ce
qu'entreprit un homme qui n'avait ni le titre ni les
droits de premier ministre, serviteur d'un monarque
jaloux de son autorité personnelle, et ombrageux en
ce point jusqu'a la manie 2 • Richelieu avait fait de


1. Colbert, fidMe ohservateur des maximes de Richclieu jusqn'i,
s'en attirer des plaisanteries de la part du fen rol. ... QU!llld il s'a-
gissait d'une affaire importante, le feu roi disait souvent: « Voilh
" Colbert qui va nous dire : Sire, oe grand cardinal de Richp-
., líeu, etc. )} (JIémoires de M. d. Va/incouT! sur /a marine, joiut an
.IUma;re du marquis de Vil/etle, publié par M. de Monmerqué ponr
111 Sooiété de ]'Histoire de France, p. LIJ.)


2. QUll.nt aux personnes qui devoient seconder mon travail, je
résolus, sur ton tes choses, de ne point prendre de premier ministre;
et, si vous m'en oroyaz, mon fils, et tous vos successeurs apres vons,
le nom en sera. pour jamais ll.boli en France, rien n'étant plus indigne
que de voir d'un coté toute la fonction, et de l'Butre le seul titre de
}·oi. Ponr ce dessein, il étoit absolnment nécessaire de partager ma
confiance et I'exécution de mes ordres, sans la donner touta entiere
... pas un. (OEuvres de LOll; .. XIV, t. J, p. 27.) - Nul ne partage votre
travail sans Bvoir un peu de part ... votre puissance, N'en laissez iL


lb.




262 ES SAl SUR L'HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


grandes choses dans sa pleine liberté d'action; Col-
bert en fit de non moins grandes sous la dépendance
la plus étroite, avec la nécessité de plaire dans tout
ce qu'illui fallait résoudre, et avecla condition de ne
jamais jouir extérieurement du mérite de ses propres
actes, de prendre pour soi dans le pouvoir les soucis,
les mécomptes, les injustices populaires, et de repor-
ter sur autrui le succes, la gloire et la reconnaissance
publique.


Ríen de plus etrange que le contraste des figures
et descaracreres dan s cette association au meme
travail qui liait l'un a l'autre Louis XIV et Colbert.
Le roi, jeune et bríllant, fastueux, prodigue, emporté
vers le plaisir, ayant au plus haut degré l'air et les
gouts d'un gentilhomme; le ministre, joignant aux
tortes qualités de la classe moyenne, a l'espritd'ordre,
de prévoyance et d'economie, le ton et les manieres
d'un bourgeois. Vieilli avant l'age dans des devoirs
subalternes et des travaux assidus, Colbert en avait
gardé l'empreinte; son abord était difficile, sa per-
son11e sans grace, ses traits austeres jusqu'a la du-
reté. Cette rude enveloppe couvrait en lui une ame
~trilentt~ pour le bien public, avíde d'action et de
pouvoir, mais encore plus devouee qu'ambitieuse l.


antmi que Ce qu'il vous sem impossible de retenir; car quelque
"oin que vous paissiez prendre, il vous en échappera toujours beau-
coup plus qu'il ne seroit a souhaiter. (OEuvres de Lo",'s XIV, t. 1,
p. 150.) - L'mnbassadeur du Portugal 111y dit un jOllr: " Sire,
" j'accommoderay c?tte affaire avec vos ministres. - l\fonsiellr l'am-
(1 bassadellr, répliqua le roy, vous vOlllez dire nos gens d'affaires. ))
(Les Portraits de la cou", Archives curieuses de I'histoire de Frallce,
3e série, t. VIII, p. 371.)


1. II est homme sans fastidie, sans luxe. ¿¡'une mérliocre d~pe\1se




CHAPITRE IX 263


Glacial pour les sollieiteurs et peu sympathique aux
plaintes de l'interet prive, iI s'animait de tendresse
et d'enthousiasme a l'idée du bonheur du peuple
et de la gloire de la France l. Aussi tout ce qui con-
stitue le bien-étre, tout ce qui fait la splendeur d'un
pays, fut-il embrassá par lui dans ses méditations
patriotiques, Heureuse la Franee, de tout le bon-
heur ou alors elle pouvaít aspirer, si leroi qui
avait cru a Colbert sur la parole de Mazarin mou-
rant 2 eut toujour,; suivi l'admírable guide que la
qui sacrifie volontiers tous ses plaisirs et ses i1ivel'tissemeuts anx
intér~ts de j 'État et aux soins des affaires, II est actif et vigilant,
fenne et inviolable du costé de son devoir; qui fuit les partis, et na
veut entrer en aucun traitté sans en donner connoissance au roí et
sans un expres commanilement de Sa Majesté; quí témoigne n'avoir
pas grande avidité ponr les richesses, mais une forte passion d'a-
masser et de conserver les biens du roy, (Les Por/rait" de lit cour,
Archives curienses de l'histoire de France, 30 série, t, VIII, p, 371.) ,
- Voyez l' Histoil'e de la vie et de ['administration de Ca/bert, par
M. Piel'l'e Clément, la Notice sur Colbert par Lemontey, ot le rapport
Iu par lIf. Villemain a hL séance annuelle de I'Académie franyaise, le
Ji aoüt 1848.


1. .Je voudrois que mes projets enssent Ulle nn heureuse, que 1':1-
bOlluance régnilt dan s le royaumc, que tout le moude y fílt content,
et que, sans emplois, sallS tiignités, éloigné de la COUl' et des affaire s,
l'berbe crút dans ma conr. (paroles de Colbert citées par u'Auyigny,
Vies des ltammes illus!,'es de la Fmnce, i. V, p, 37li,) - Je déclare en
mon part,iculicr ¡, Votre Mn,je"té qu'un repas inutile <le 3,000 livres
me faít l1ue peille incroyabJe, d Jorsqu'il est questíon de milliollS d'or
ponr la POIOgllC, je vendrois tout mou bien, j'engagCl'ois ma femmo
ot mcs ~llfllnts, ct j'il'oís ,\ rieu tonte mil. vie ponr y foumir, s'il
Hoit necessaire. (Lct:re de CollJert a Lonis XIV, Particularités sur les
Wi"íst,.es des (illallces, par ~L ,le Monthyon, p. 44.)


2. On ,lit 'lue le cardi!!al monrant luí avoit consclllé de se défltire
d~ Fouqnct c~mmc d'n" !lommo sujet a ses pa~sions, ,dissipateUl', hau-
ta\l, qlli vondroit p\'Cndre ascendant sur In:; an llen que Colb,ert,
plus modeste et moins acerédité, seroit pret a tont et l'égleroit l'Etat
corome une maisoll parti~uliere, On dit meme qu'il ajouta ces mots
(et M. Colbert s'en vantoie avec SfS amis) : " Je vous dois tout, Sire,




204 ESSAI Sl:R L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


Prov.idence lui donnait. Du moins, dans les vingt-
deux ans de ce ministere melés de confiance et de
défaveur; iI lui permit de mettre la main á presque
toutes les parties du gouvernement, et tont ce que
toucha Colbert fut transformé par son génie. On
est saisi d'étonnement et de respect a la vue de cette
administration colossale qui semble avoir concentre
dan s quelques annees le travail et le progres de tout
un siecle. \


S'íl y a une science de la gestion des ¡nterets pu-
blics, Colbert en est chez Hons le fondateur. Ses actes
et ses tentatives, les mesures qu'iI prit et les COI1-
seils qu'il donna prouvent de sa part le dessein de
faire entrer dans un meme ardre toutes les institu-
tions administratives jusq'ue-lá incoherentes, et de
les rattacher a une pe~sée superieure comme aleur
principe commun. Cette pensée, dont Louis XIV
eut le mérite de sentir et d'aimer la grandeur, peut
se formuIer ainsi : donner l'essor au géníe nationaI
dans toutes les voies de la civilisation, développer ú
la fois toutes les activités, l'énergie intellectuelle et
les forces productives de la France. Colbert a posé
Iuí-meme, üans des termes qu'on croirait tout mo-
Jemes, la regle de gouvemement qu'il voulait suivre
pour aller it son but : c'était de distinguer en deux
dasses les conditions des hommes, celles quí tendent á
se soustrail'e au travail, source de la prosperite de
l'Í~tat, et celles qui, par la vie laborieuse, tendent (JI!
(¡icn puó/¡'c; de rene/re di! (lciles les premíeres et d ..


«( lnais .ie erais ln'acflnitter en queIquc llHlniere en ,,"OUS dúnllallt
" eolbert. )) (M"moiTl's de ¡',,/,b,; de ("ho;'1/, eollco!.. i\fichallll et Pon-
jo,dat, 3· série, t. VI, )l. 57!j,)




CHAPITRE IX 26;;


raeititf}' les autres en les rendant, le plus possible,
avantageuses et honorables l. Il réduisait le nombre
et la valeur des offices, afin qu.e la bourgeoisie, moins
empressée a leur poursuite, tournat son ambition et
ses capitaux vers le commerce, et il attirait du me me
r,,'Jté la noblesse, en combattant le préjugé qui, hors
du service militaire et des hauts emplois de l'État,
lui faisait un point d'honneur de la vie oisive 2 • L'é-


1. 11 ¡'aut allssi prendre gar,le que tous Ceux qui seront nommés
pour celte mn!Íere aient pll1s de force et de probité qu'aucuns ... JI
srra bien nécessaire qu'jls observent de renclre difficiles toutes les
('omlitions des hommes qlli tendent a se soustI'aire du travail qui va
au bien général de tout l'l~tat; Ces conditions sont le trap grand
llomure d'ufficiel's de juSlice, le trop grand nombre de pretres, de
moines et religieuses, Et ces deux derniers, non-seúJement se soula-
¡(ent du travail qui iroit au bien commun, mais meme privent le
public de tous les cufanls qu'ils pourl'oicnt produire pour servir aux
fondlOns nécessaires et ntiles : pOllr cet effet, il seroit peut-iltre bon
de rendre les vamx de roligion un peu plus diffieiles, et de reculer
]'age ponr les rendre valables, meme retranchcr l'usage <les dots el.
eles pensions des religieuses, et de faeiliter et rendre honorables el.


'fivantngeuses, antant qu'il se ponrra, tontes les conditions aes
hommes qni tendent an bien public, e'est-a-dire, les soldats, les


\ marc1mnds, les Ia.bollrenrs et gens de jonrnée, (f'rojet d' une rP.vision
gélll\l'flle des orJonllar.ecs, discours proIloncé par Colbert dans le
cO)lseil dn 10 oetobre 1665, /ler«e nitrospeetive, 2< séríe, t, IV, p. 257
el slliv,)


2. Commc le commcrce, et particulierement celui quí se faíl sur
mel', est la sonrec fécollr1e qui apporte l'abondanee dans les f;lats el
la r<'pand sur les sujets it pl'oportion de leur industrie et de lem Ira-
yail, qn'il ll'y a roí .. t .le !llOyen pour aoquérir dll bien qui soit plus
innoeeut el. plus h'gitime : aussi a-t-il toujonrs été en gramil' con-
siu''l'atioll parllli les na¡iollS les mieux policées .. , Comme il importe
an bien de nOS sujets et i\ notre pro!,re satísfaction d'effacer cntie-
rcmenr. les restes d'nne opinion qni s'est universellement l'épandue
<¡\le le commCl'CO nmritime est incompatible avec la noblcsse, el qlL'il
en dé~rnit les pri\'ilt~;;egJ lloas n.vons estimé Ú. pl'OpOS de fÍ:1ire cn-
tendre notre intentioll 5!:1' ce snjet, et <le uéclfLl"e~ le commercc !le
mer no ]las <1('1'01'01' i, llol,lesse, par une loi quí fút renJue publique
et gl~III"ral\~aH!lIt r.!(:,;c tlau::; tonte l'l'tCllUIW ue notl'e royaume. (Ellit




2fJ6 ESSAI SUR L'HISTOIRE DU TlEIl.S ÉTAT


mulation du travail, tel était l'esprit nouveau qu'il
se proposa d'infuser a la société fran<,¡aise, et selon
lequel fut con<,¡u par luí l'immense projet de rema-
·nier la législation tout entiere, et de la fondre en un
seu1 corps pareil au code de J ustiníen 1 •


C'est a ce dessein gu'il faut rapporter, comme des
fragments d'un meme ouvrage, les grandes ordon-
nances du regne de Louis XIV, si admirables pour
l' époque, et dont tant de disposi tions subsistent encore
aujourd'hui : l'ordonnallce civile, l'ordonnance crimi-
nelle, l'ordonnance du commerce, celle des eaux et
foréts et celle de la marine 2. Colbert, d'abord simple


d'noftt 1609, Recueil des ancienne .• lois (ranqaises, t. XVIII, p. 217.)
- Voyaz Forbonnnis, Recherrhes el com'id':rrtli07,tS "ur leR finames ,le
France, t. lI, p. 150 et 362; t. IlI, p. 257.


1. MaiB si Votre Majesté s'est pro1'os,\ quelqne plus grand dessein,
comma seroit celui de réduire tont son royaume sous une meme loi
meme mesure et m~roe poids, qui seroit assnrement un dessein digll~
de la grandeur de Votre l\fajesté, dip:ne. <le son esprit et de son ilge.
et qui lui attireroit un ablme de bénéclictions et de gloire, dont ton-
tefois Votre Majesté n'anroit que l'honneur de l'exécution, vn que
le dessein en anroit étti formé par Vnú, XI·, qui a été, sans contre-
dit, le plns habile dd tous nos rois. (Prujet d'une révision générale des
ordonnanees, Revu. retrospective,2" série, t. IV, p. 248.) - Apres
avoir avancé ee travail, pent-ªtre qne Sa Majesté voudra que I'on
poursuive pour aehever le corps entier de ses 9rdonnanees, et que
ron examine de meme celles qui concernent les domaines de la cou-
1'onne, les nnances) les eaux et forilts, l'amiranté, la connétablie, les
fonctions de tontes les charges ot offices du royaume". et gérltimle-
ment, o.tin de rendre ce corps d'ordonnances aussi complet qne celui
de Justinien pOllr le droit romain. (Ibid., p. 25B.)


2, Ordonnancc civile touchant la réformation de la ,instica (avril .
1667); ordormance pour la réformation de lajustice, faisant cOllti-
nuation de celle d'avril 1667 (aout 1669); édit portí\nt reglement
général ponr les eí\UX et for¡)ts (aout 1669); ordonnance criminelle
(aout 1670); ordonnanec ,lu commeree (mars 1672); ol'uollllance de la
marine (aout 1681;. (Recuril des anciennes lois {ranraises, t. XVIII,
p. 103, 341, 219 et 371; t. XIX, p. 92 et 282.)




CIlAPITRE IX 2G7


intendant, puís contróleur général des finances, avaít,
par l'ascendant du génie, contraint le roi a élever
ses fonctions dans le conseil jusqu'a celles de régula-
teur de tous les intérets economiques de l'État. De
la sphere speciaIe ou son titre d'emploi semblait
devoir le renfermer, il porta du premier coup la vue
aux plus hautes régions de la pensee politique, et
enyeloppant toutes choses dans cette synthese, ilIes
cchsidéra, non en elles-memes, mais dans leur accord
avec rideal d'ordre fécond et de pros perité croissante
qu'il se formait. Il lui parut qu'une grande nation,
une sociéte vraiment complete devait etre a la fJ:¡is
~gricole, manufacturiere et navigatrice, et que la
France, avec son peuple ne pour l'action en tout
genre, avec son vaste sol et ses deux mers, était des-
tinée au succes dans ces trois branches du travail
humain. Ce succes, général oa partiel, fut a ses yeux
le hut supreme et le seul fondement légitime des com-
binaisons financieres. Il s'imposa la tache d'asseoir
l'impót, non sur les privations du peuple, mais sur un
accroissement de la richesse commune, .et il reussit,
malgré d'énormes obstacles, a augmenter le revenu
de l'État en reduisant les charges des contribuables l.


Dans ses plans formes surtout en vue de la pro-
sperité materielle, Colbert fit entrer pour une large
part le soin des choses de l'intel1igence. Il sentit
qu'au point de vue de l'economie nationale, des liens
existent entre tous les travaux, entre toutes les facul-
tés d'un peuple; il comprit le pouvoir de la science


1. Voyez les Recherches de Forbonnais sur les fillances de la
France, et l'ouvrage de M. Pierre Clémellt sur l'atlministration tie
Colbert.




2li8 BSSAI 'SUR 1: HISTOIRE DU TIERS ~;TAT


dans la production des richesses, l'influence du goUt
sur l'industrie, des arts de l'esprit sur ceux de la
main. Parmi ses creations celebres on voitl'Academie
des sciences, l' Academie des inscriptions et belles-
lettres, les academies de peinture, de sculpture et
d'architecture, recole de France a Rome, recole des
langues orientales, rObservatoire, l'enseignement
du droit a Paris. Il institua, comme partie du ser-
vice public et de la depense' ordinaire, des' pensions
pour les litterateurs, les savants et les artistes, et
ses bienfaits envers eux ne s'arréterent pas aux
limites du royaume. Quant aux mesures speciales
de ce grand ministre pour la regenération industrieBe
de la France, leur détail dépasserait les bornes oú
je suis tenu de me renfermer. Les changements qu'il
opera dans toutes les branches de l'administratioll
financiere, ses travaux pour accroltre ou pour creer
le capital national sous toutes ses formes \ ses encou-
ragements de tout genre distribues a toutes leg
classes d'hommes concourant a l'muvre de la pro-
duction, depuis le chef d'entreprise jusqu'au simple
ouvrier, ce vaste et harmonieux ensemble de lois, de
reglements, de statuts, de préceptes, de fondatiom,
de projets, se trouve habilement expose dans des
pulJlications recentes 2. Il me suffira d'y renvoyer l(~
lecteur et de,dire que c'est a l'impulsion donnee p;¡¡'


I
1. Les Nutes, les enn"!lX, les biltimenls civils et militaires, I,·s


arSen31lX, la marine marclmnde et la madne de l'l~tat.
Z, Voyez le tome XIV de l'lJistoire de Frallee de M. Hemi Mllrtin


J'ouvrnge de :'Ir. Pierre Clement cité plus haut, et ['Ilistoire de l'ad-
minislration en France, deFui" le reyll' de I'llilil'l'e-Auguste jusq,,"i 1"
morl de Lon;" XlV, par !Ir. Dflreste ,]P la Clmvflnne.




r.HAPITRE IX 2(19


Colbert, ice principe de vie nouvelle repandu en nons
il y a pres de deux siecles, que nous devons de comp-
te/dans le monde comme puissance marítime et corn-
merciale.


Colbert eut cela de cornmun avec d'autres hommes
doues du genie organisateur, qu'il fit des choses nou-
velles par des moyens qui ne l'étaient pas, et se servít
comme instrument de tout ce qu'il avait sous la
maíll. Loin de lutter contre les habitudes et les pra-
tiques anciennes, il eut l'art d'en tirer des force s ,
vivifiant par une volonte inspirée et par des rnethodes
d'applícatíon originales ce qui semblait inerte et usé ..
C'est ainsi que, pour les finailces et le commerce, iI
transforma une accumuIation de procédés empiriques
en un systeme profondément rationnel. De la sa puis-
sanee et ses merVtiilleux succes dans son temps, dont
iI ne choqua point les doctrines; de la aussi la fai-
blesse de queIques parties de son ouvrage aux yeux
de l'experience acquise et de la science formee apres
lui. A-t-il eu tort de ne tenir aucun compte du. voou
des états generaux de 1614 pour l'adoucissement
du régime des jurandes, et de marcher, dans ses
reglements, a11 rebours de cette premiere aspiration
de la France vers la liberte du travail'? La repon se
a cette question et a d'autres du me me genre que sou-
leve l'administration de Colbert ~ ne pe,ut se faire iso-


1. Voyez plus haut, chapo VlI. ~ Édit de mar s 1673, portant que
ceux qui font profes~ion du commerce, denrées oa nrts, qui ne 80nt
d'nucune comIDnnl\uté, seront établis en corps, comIDl1nautés et ju-
tan des, et qn'illenr sera accordé des statnts. (Recueil des anciennes loís
rratl~a.ise." t. XIX, p. 91.)


2. ~otammellt ee1le Jes tarifs des douanes. Voyez l'édit de




2'10 ESSAI SUR r: HISTOlRE DU TIERS ÉTAT


ltiment. Tout est lié dans les actes du grand ministre
de Louis XIV, et, sur cet ensemble systématique,
deux faits dominent : le premier, c'est qu'il fit décou-
ler tout du principe de l'autorité, qu'il ne vit dans la
France industrielle qu'une vaste école a former sous
la discipline de l'État '; le second, c'est que les résul-
tats immédiats lui donnerent pleinement raison, et
qu'il parvint a pousser la nation en avant d'un demi.
sitlcle 2 •


Il avait fallu de longues années de guerre pour
que l'reuvre de Richelieu s'accomplit; pour que ceHe
de Colbert, complément de l'autre, se développat
librement et donnat tous ses fruits, il fallait de lon-
gues années de paix. Apres le traité de Westpha-
lie et le traité des Pyrénées s, un repos durable sem-
blait assuré a l'Europe et a la FÍ'ance, mais, ce que
promettaient ces deux grands pactes, Louls XIV ne


septembre 1664, portant réduction et diminution dos droits de sortie
et d'eutrée, avea la suppression de plusieurs droits (Recherches de
Forbonnais sous cette date); et 1'analyse faite par M. Pierre Cié-
ment de 1'ordonnance de septembre 1667, Histoire de la vie et de l'ad-
ministration de Co/bert, p. 231 et 315.


1. Les arts étaient nouveaux ou presque totalement oubliés par
l'interruption du commerce. Nous ignorions les goftts du consomma-
teur étrauger; nos manufacturiers, pauvres, écrasés sous les taxes et
la honte de leur état, n'avaient ni les moyens ni le courage d'aller
puiser au loin les lumier6s; il s'agissait d'imiter et non d'inventer.
Le ministre donna aux ouvriers des instructions, et la plllpart furer¡t
bonues, parco qu'elles étaient rédigées par des négociants ou des pero
sonnes expérimentées soit dan s 1'a1't, soit dans le commerce étranger.
Chaque regle était appuyée de son motif. (Fo1'bonnuis, Recherehes et
considérations sur les {inanees de France, t. JI, p. 366.)


2. Voyez,dansl'ouvrage de M. Dareste de la Chavanne, His/oire
de l'administra/ion en France, etc., t. n, p. 221, 1111 tableau des fa-
nufactures créées par Colbert.


3. 1648 et ]659.




CHAPITRE IX 27i


l'aeeorda paso Au moment QU le jeune roi paraissait
Jiv~ tout entier aux soins de la prosperite inte·
rieure 1, il rompit la paix du monde pour eourir,
sous un prétexte bizarre, les ehanees d'un agrandis-
sement exterieur. Il entreprit, au nom des pretendus
droits de sa femme, l'infante Marie-Th8rese, et
eontre l'avis de ses meilleurs eonseillers, la guerre
d'invasion que termina le traite d'Aix-la·Chapelle 2 ,
guerre injuste, mais dont l'issue fut heureuse pour
le roi et pour la Franee. Le roi y gagna un renom
d'habilete politique et militaire; la' Franee, en ae-
quérant plusieurs villes de la Belgiqué 3, fit un pas


1. L'affection que non s pOI·tons a nos sujets nous ayant fait préférer
a notre gloire lit a l'agrandissement de nos États la satisfaction de
leur donner la paix, nous avuns en meme temps employé nos princi-
paux sains pour leur faire recueillir les fruits d'une parfaite tran-
quillité; et comme le commerce, les manufactures et l'agricultnre
sont les moyens les plus prompts, les plus surs et les plus legitimes
pour mcttre l'abondance dans notre royaume, anssi nous n'avous rien
oublié de toutes les choses qui pourroient obliger nos sujets de s'y
appliqucr. (Édit de décembre 1665, portant réduction des rentes du
denier dix-huit au dcnier vingt. Ree"eíl des a.wiennes lois fran9aises,
t. XVIII, p. 69.)


2. Ce traité f'lt signé le 2 mai 1li68. - Voyez sur le droit de dé-
,'ol"tion invoqué par Louis XIV a la mort de Philippe IV, roi d'Es-
pagne, et sur les événements de la guerra de 1667, l'ouvrage de
M. Mignet, Negociations relatives a la suecession d'Espagne, t~ lel'o
2e partie, sect. 1 et 2; t. n, 3" partie, sect. 3. - Les opposants it
cette guerre, dans le conseil du roi, furent Colbert et le ministre
Jes affaires étrangeres, de' Uonne, l'un des plus grands diplomates
'1u'ait ens la France, négociatcur du traité de WestphnJie, de la
ligue du Rhin et dn traité des Pyrénées. " Si, aVllut la guerre de
" Flandre, on eút donné au roi Cambrai, ou menw Berglles, il se
«'seroit peut-etre contenté. Lionne, surtont, étoit a'l désesjloir de la
« guerreo » (OEuvres de Racine, t. VI, p. 338.)


3. Charlerai, Binoh, Ath, Douai, Tournai, 01ldenarde, Lille,
Armcntieres, Courtrai, Berglles et Fumes.




272 ESSAI SUR L'HlSTOIRE nE TIERS ~;TAT


considérable dan s les voies de son agrandissement
natllrel. Mais dans ce premier coup de fortune il y
eut quelque chose de fllneste. Une fois éyeillée pour
la gloire des armes, la passion ehez Louis XIV ne
se reposa plus; elle attiédit en lui le úle pour les
travaux pacifiques; elle le fit passer, de l'influence
de Colbert, sous celle du conseiller le l)lus désa::>-
treux l. Et non-seulement elle le rendít moíns occupé
(le pl'ogres au dedans que de conquetes au dehors,
mais encore, dans les affaire s extérieul'es, elle le dé-
Lourna de la vraíe politique fran9aise, de cette poli-
tique ;t la fois nationale et libérale dont le plan avait
été con9u par Henrí IV et l' édifice élevé par Richelieu 2.


Qllelque embarras qu'on éprouve, comme patriote.
:t juger rigoureusement la poli tique d'un regne d'ou
la France sortit aV8C ses fronticres fixees au nord et,
en grande partie, al' est 3, íl faut séparer deux choses
dan s les guerres de Louis XIV: le résultat et l'jnten-
tion; les conquétes raisonnables, qui a ce titre su1-
sistcrent, et les folles entrepríses, qui, tendant bien
au dehi. du véritable out, purent s'y trouver ramenées
plus tard, grace a d'heureuses nécessites. La guerre
de Hollallde, par l'esprit de vengeance qlli l'inspira
et la maniere dont elle fut conduite, eut ce carac-
tere; si elle produisit les avanfages tenitoriaux
obtenus .á la paix ele Nimeglle, ce fut parce que la


1. Le marqnis de LOl1vois, IUs du ministre Letellicr, ~d'ltborJ as-
socié iJ. SOH pere Jans le Jépar.ement Je la ¡!;uerre, puis cbarg(; seul
ue ce portefeuille en 1[66.


:l. Voyez plus hau!, chal" VI et VIII.
3. Pour les ~ompleter, il ne manquait pla5 qUé' la Lorr,tinc, qui fut


f(;lmie 50n5 Louis X V.




CIJAl'lTnE lX :l73
-COUt de Ma(lrÍd, en l>'allÍant aux ennemÍs du rOÍ, llli


foul'I1it l'occal>ion d'attaquer de llouveau la I"1:anche-
Comte et les Pays-Bas espagnols l . Un semLlable
accroissement de territoire ne resulta point de la
guerre d'Allemagne; toutes les conquetes f'aites du-
rant eette guerre de neuf ans furent renelues par le
traite ele Ryswyk, eelle, entre autres, qui elonnait á
la France sa frontiere naturelle des Alpes 2. Enfin,
dans la erise amenée par l"extinction de la maison
royal e d'Esp¡¡gne 3, LOllis XIV, ayant it ehoÍsir, aima
miellx les chanees el'une couronne ponr son petit-fih
qu'un agrandissement de ses :f~tats eonsenti par l"ElI-
rope. Sa gloire personnelle et sa f'amille, voilá le
double interet qu'il poursuivit ele plus en plus aux
depens des interets nationaux, en brisant tout le
systeme des aneiennes aIlianees, en faisant quitter
:i la Franee le r¡)le de g.ardienlle du droit public et de
protectriee de petits États, pour la rendre aux yeux
des pClIples un objet ele crainte et de haine, eomme
l'Espagne de Philippe II 4,


1. Le trai:(; ,le Kimegl1c fllt sign,j le 10 uoflt 1671:l; la guerro !\vait
commenci: cn 1m2, Pal' ce traité, la Frallce rendit plusieurs villes
qui uonnaient uuns les l'uys-Bas une position off,'nsiye, notamment
CllUrleroi, Alh, Bineh, Ouucnurue ct Courtrui, ,¡u'elle possé<1ait ,Ic-
puis 1668; elle acqtlit, Ilvec l:t Frunche-Comté, des territoircs et tle~
villes impoI'tantes uans l'Artois, l:t Flandre et le Hainaut, qui régu-
lariserent ses limites au nortl et lni firent, ¡, l'aitle du génie ue Vau-
ban, une puissante Iigne de aéfeasc, - Voyez, sur l'inWtsioll des
l'rovinces-Unies et sur les traites qui la suivirent, le tome IV des
Negoriations rclalll'cs á la .surcrssioH d'EspoOHe.


2, Le truité de Ryswyk fut signe le 20 septcmbrc 1697. La !:iavoie
et Nicc a,·aient ete occurées par suite ue l'adhésion du due Vietol'-
Amédée h la ligue d' Augsbourg, ,


3. A III mort ue Charles lI, en l700,
4, Louis XIV eut l'ambition ,retro élu cmpcreul' UL' de faire




:!i4 ESSA! SUR L'H1STOIRE ni! TIERS ETAl'


Cette fatale guerre de Hollande, qui commenga le
naufrage de la politique de Richelieu, frappa du meme
coup le systeme financier de Colbert et faussa toutes
ses mesures. Il lui fut impossible de pourvoir pen-
dant six ans aux dépenses d'une lutte armée contre
rEurope sans se départir de l'ordre admirable qu'il
avait créé, sans retourner aux expédients de ses
devanciers et sans comprometire les nouveaux élé-
ments de prospérité intérieure. De 1672 a 1678, tout
fut arreté ou recula en fait d'améliorations écono-
miques; et, quand la paix fut venue, quand il s'agit
de réparer les pertes et de recommencer le progres,
la pensé e et la faveur du roí avaient cessé d'étre
avec Colbert. Un homme doné d'un génie spédal
pour l'administration militaire, mais esprit étroit,
áme égolste, fiatteur sans mesure, conseiller dange-
reux et détestable politique, le marquis de Louvois,
s'était emparé de Louis XIV en servant et en exci·
tant sa passion de gloire et de conquetes. Cette con-
fiance sans bornes qui avait fait du controleur géné.
ral des finances presque un premier ministre, se
retira de lui, et c'est au secrétaire d'État de la guerI'e
que fut transportée, avec les bonnes graces du roi,
la prépondérance dans le conseil.


Héduit des lors ala tache íngrate d'opposer la voix
de la raison á un partí pris d'orgueil, de violence et


Hommer son tils r<Ji ,les Romains. Il négocia dans cette vue avec
plusieurs ,¡psl'rillces d'Allemagne; ,léS traités sccrets furent conclns
par !"i, ell llilO avec l'électeur de Bavicre, en 1079 avec l'électeui'
<le Bralldebourg, et dans la meme allnée avec l'électel1L' de Saxe.
Voyez sur ces négociations une 1l0!iCB de Lernante)', ualL' ses UEuvresj
t. V, 1'. 2:2C1 el slliv.




CHAPJTliE JX 2i5


ti 'envahissement au dehors, de garder le tré~or appall-
vri contre des demandes toujours croissantes pour le~
fetes~ les batiments de plaisance, rétat militaire en
pleine paix, Colbert fléchit par degrés sous la fati-
gue de c~tte lutte sans truit et sans espoir. On le vit
triste, et on l'entendit soupirer a son ancienne heure
de joie, a l'heure de s'asseoir pour le travail I ; iI se
sentait a charge dans ce qu'il voulait de bien, dalls
r;e qu'il empechait de mal, dans sa franchise de lan-
gage, dans tout ce que le roi avaitjadis aimé de lui·!.
Plusieurs fois, apres des signes trop certains de dig-
grace, la forte trempe de son ame et le sentiment
du devoir patriotique le releverent encore et le sou-
tinrent contre ses dégouts; mais enfin il y eut un
jour ou l'amertume de cette situation déborda et ou
le cceur du grand homme fut brisé.


1. Nous remarquions que jusqu'a ce temps, quand M. Colbert en-
trait dans son cabinet, on le voyait se mettre au travail avec un air
cuntent et en se frottant les mains de joie, mais que depuis il ne se
mettait guere sur son siége pour travailler qu'avec un air chagrín et
en soupirant. M. Colbert, de facile et aisé qu'íl était, devint difficile et
,lifficultueux, en sorte qu'on n'expédiait. pas alors tant <l'affaires, a
beaucoup pres, que dans les premil,res années de sa surintendance ..
(JIémoires de Charles PerrauU, liv. IV, édit. de l\I. Panl Lacroix
[1842].)


2. M. Mausard prétend qu'il y a trois ans que Colbert étoit a
chargc aH roi pour les batiments; jusque-Ia, que le roi lui dit une
fois : " Mansar<\, on me donne trop de dégoílts, je ne veux plus songer
it Liltir. » (OEuV1'es de Racine, t. VI, p. 335.) - Voici, Sire, un
lllétier furt diHieile que je vais entreprendre; il Y a pres de six mois
'ltle je balance a dire les choses fortes ¡, Votre Majesté que je lui dis
hiel' et celles que je vais encore hl.i dire ... Je me confie en la bonté
de Votre Majesté, en sa haute vertu, en l'ordre q u'elle nous a sou·
vent donné at réitéré de l'avertir au cas qu'elle allilt trop vite, et en
1" 1ihcrt.é qn'elle m'a souvent aOllnée de lui aire mes sentimenb.
(:.Ilé111oi1'e5 de Colben an roi [lfi1ifil cit(~s par Monthyon, l'articula-.
nt¿s .5U" (es miltistre8 d{','l ~IWIl(('c"1 J', 7~~.)




:!i6 ESSAI sen L' HISTOrr\E llU Tll:llS ET.\T


Telle est l'hi:stoit'o douloul'cuse des dernieres an-
llées do Colbel't, années remplies, d'un coté, par des
acces d'activité fébrile, et de l'autre, par ces alter-
natives d'éloignement et de retonr, de rudesses blo,,-
santes et de froides réparations qui marquent la fill
d'uno grande faveur, La tristes se, qui, sans uul doute,
abrégea sa vic, se nourrissait de deux sentirnents,
du chagrin de l'homme d'État. arre té dans son rou vre,
ot d'une souifrance plus intime, Colbert aimait·
Louis XIV d'une affection enthousiaste; il croyait á
lui comme a l'idée meme du bien public; iI l'avait vu
autrefois associé de crenr et d'esprit á ses travaux.
ct a ses reves, et, supérieur pour le rang, son égal
en dévouement patriotique; et maintenant illui fallait
se dire que tout cela n'était qu'illusion, que l'objet
de son culte, ingrat envers lui, était moins patl'iote
que lui. .


C'est dans ce désenchantemcnt qu'iI mourut I ;
au lit de la mort, l'Mat de son rtme se trahit par
une sombre agitation et par des mots amers, 11
dit en parlant du roi : (e Si j'avois fait pour Díeu ce
« que fai [ait ponr cet homme-Iá, je serois sauvé
« deux fois. et je ne sais ce que je vais devenir 2 • J)
Une lettre de Louis XIV, alors malade, lui ayant été
apPQrtée avec des paroles d'amiüé, iI resta silencieux.
comme s'il dormait. Invité par les siens á faire uu
mot de réponse, il dit : (e Je 11e veux plus entendre
(e parler du roi, qu'au moins a présent il me laiSS8
(e tranquille; c'est au Hoi des rois que je songe a re-


1. Le ti s~ptcm\¡re 1683,
2, Manthyon, Particularite8 8111' les milli.tre,' dC8/i/luJlces, 1'. ¡!J, ¡:ate




'CllAl'lTRE lX 277


pC1lldl'e l • )J Et quand le vicaire de Saint-Eustaehe, sa
pal'ois,::e, vint lui dire qu'U avertirait letl fidcles
de prier pour sa sante: « Non pas cela, )J repondit
lJl'usquement Colbert, « qu'ils prient Dieu de me faire
misericorde 2, »


Ce qu'il y eut de fatal~ll1ent triste dan s cette
noble destinée ne s'arréta point á la mort. Chose
étt'allge! le ministre qui anticipait dans ses plans
toute une revolution a venir, le regne de l'industrie
('t du commerce, celui qui voulait l'abolition des pri-
vileges en matiere d'impót, une juste proportion dans
les charges publiques, la diffusion des capitaux par
l'abaissement de l'interét, plus de richesse et d'hon-
neur pour le travail et une large assistance pour la
pauvreté 3, celui-la fut impopulaire jusqu'a la haine,
Son convoi, devant passer pres. des halles, ne sortit
qu'a la Iluit et sous escorte, de peur de quelque
insulte du pellple. Le peuple, et Sllrtout celui de
Paris, haYssait Colbert a cause des taxes onereuses


1. l\JouLhYOll, Pal'licularilés sur le ... miHú;l,.c.'i des ¡¿nances, p. 19;
llOte. - OH""re., de Racine, t. VI, p. 32,1. - Leltres de madame de
JlainlClloll, 10 septembre lfi83 , t.n, p. 103.


2. OH""!'es de Racin(, t. VI, p. 334. - I;hotel Culbert <itait sitllé
,hlllS 1(\ rue Nellve-des-Petits-Champs.


3. Voyaz, daus les histoires de .l'admillistl'atiun de CuliJert, se,
efforts constants pour rtÍdui1'e l'ill1pút de la taille, et ses tentative;
pour substituer la taille réelle a la taille personllelle, établil' le ca-
dastl'c et fonrler le régime hypothécai re. Voyez aussi lc l'eglcIIlent
¡;élléral SI11' les tailles, donllé le 12 février 1663, l'ol'tlOllllllnee ,l'avril
1667 sur les biells commllnaux, l'édit de déccmhrc 1665, portant
ré,lllctiol1 de l'inté"ét légal BU denie!' vingt, l'édit de mara Ion, pour
la publicité uc; l'ypotheques, et l'úait de juin 1662, portant qu'il
sera éta],li uans cbaque ville ét bourg du royúume un h6pital pour
les pa11vres, les maJades et les orphelins. (fiectleil des ancie1l1tcs lois
(1'(IIl~'Il'S", t. XVIII, p. 18,22, 69 et 187, et t. xrx, 1'.73.)


16




278 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


établies depuis la guerre de Hollande; on lui impu-
tait la nécessité contre laquelle il s'était debattu en
vain, et ron oubliait d'immenses services pour le
rendre responsable de mesures qu'il déplorait lui-
meme et qu'il avait prises malgré lui. Le roi fut in-
grat, le peuple fut· ingrat; la posterité seule a eté
juste.


La mort de Colbert et la révocatiún de l'édit de
Nantes, une perte irreparable et un coup d'État fu-
neste, marquent, dans le regne de Louis XIV, le
point de partage des années de grandeur et des
annees de decadence. De ces deux évenements se-
pares par un court intervalle, on peut dire que le
second ne fut pas sans liaison aveo-le premier. Il faut
ajouter aux merites du grand ministre celui d'avoir
été le défenseur des protestants, d'avoir combattu
sans relache les atteintes portées par l'esprit d'un.ité
religieuse a la charte de liberté de Henri IV l.
C'etait encore la politique de Richelieu qu'il suivait
en maintenant les droits inofl'ensifs garantís deux fois
aux réformes<. l\ioins par philosophie que par in-
stinct patriotique, il protégeait en eux toute Ulle
population d'hommes tels qu'il les voulait pour ses
plans, d'hommes actifs, probes, instruits, verse:-
dans l'industrie et le commerce, et attaches a ces
professiolls par la malveillance méme qui les ecartait
graduellement des fonctiolls publiques. Tant que
dura l'infiuence de Colbert dam! le" cOllseils de


1. Voyéz plus hant, chapo VI, ]l. 171 el. 17:¿,
2. [)'ahord pal' l'édit (le Xmue" B >tvnl l.i;l[;, et cusmtc l,,,r


l'édit (lonné it Nirues, en jlullet l¡;?H.




CHAPITRE IX 279


Louis XIV, la raison du roi fut tenue en garde
contre les suggestions du clergé catholique et contre
ses propres désirs·; mais, sur ce point comme sur
bien d'autres, le vertige du pouvoir absolu com-
menga des que la faveur se fut détournée de l'homme
de génie. C'est ainsi qu'a'la captation exercée pour


. ramener les dissidents succéda l'emploi de la con-
trainte, et qu'apres les peines portées contre le
repentir des nouveaux convertis vint l'entiere abo-
lition de la liberté de culte et de conscience. L'im-
niortel édit de Henri IV, confirmé et juré par
Louis XIII en 1629, fut révoqué par Louis XIV le
17octobre 1685 2, date qui reste au nombre des plus


1. Quant lt. ce grand nombre de mes sujets de la religion prétendue
réformée, qui étoit uu mal que je regarde avec douleur ... il me
sembla, mon ¡¡¡s, que ceux qui vouloient employer des remedes vio-
lerits na connoissoient pas la nature de ce mal, causé eu partie par
la chaleur des esprits qu'il faut laisser passer et s'éteindre insensi-
blement, au lieu de l'exciter de nouveau par des contradictions aussi
fortes ... Je crU8 que le meilleur moyen pour réduire peu a peu les
Imguenots de mon royaume étoit en premier lieu de ne les point
presser da tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire
observer ce qn'ils avoient obtenn de mes prédécessenTs, mais de ne
leur rien accorder au deb, et d'en renrermer meme l'exécution dans
les plus' útroites bornes que la justice et la bienséance le pouvoient
permettre. QUlInt aux gr:1ces ql1i dépendoient de moi seuL.. (.Ifé-
1/lOi,-c", de LO/l;, XIV, éCl'its v~rS l'année lfi70, ORUJ'res, t. Ter, p. H4
ft Sl1ív.)


2, ~:l\'oil' faisons que nons ... avons, par ce présent Mit perpi.tu~1
et irrévocable, sllpprimé et revoqué, supprimons etrévoquoIls j'éc1it
{[udit roí lIotre a'ienl, dOllné 1\ Nantos an mois d'avril 159B, <'n tonte
son étenull", ensem),l .. les articles particuliers arrc.tés le 2 mai ensui-
'vant, et les lcttres patentes expédiées en iceux, et l'édit donné a
Nimes fiU mois de jui!let 1629, les déclarons nuls et commo non
avenus, ensemble toutes les cOllcessions faites, taut par iceux que
par d'autres éuits, ,l"clarations et arrets, aux gens de ladite religion
prétendue réformée, ele quelque nature qu'elles pu¡ssent lllre. (Édit




280 ESSAI SUR L'HlSTOIRE DU TIERS );T.\T


tr'istes souvenirs de notre histoire, On sait quel
effroyable coup cet acte violent et ses suites por-
terent a la civilisation et a la fortune de la France,
par quelle emigration d'ouvriers, d'inventeurs, de
negocian,ts, de marins, de capitalistes, l'avantage
que nous avaient donne sur nos rivaux d'indus-
trie les etablissements de Colbert 'fut presque eu-
tierement perdu l.


En Hi85, il Y avait deja pres d'un siecIe que la
France, devan~ant a cet egard les autres peuples
ehretiens, etait entre e dans les voies de la société
lIouvelle qui separe I'Église de l'État, le devoir social
des choses de la conscience, et le croyant du citoyen,
Sous le regime de l'edit de Nantes, le principe legal
en matiere de religion, ce n'était pas la simple tolé-
rance, mais l'égalité de droits civils entre catho-
liques et ret'ormés; mais la reconnaissance, et, sanf
quelques réserves, la pleine liberté des deux cultes,
N ous étions en cela supérieurs a l'Europe, soit catho·
lique, soit protestante, supériorité acquise au prix de
quaraute aus de malheurs, et peut-etre a l'aide d'uu
sens plus prompt de la justice et du droit '!. C'est


portant révocation de l'édit de Nantes, Recueil des ancienttes lois (ra¡l-
faises, t. XIX, p. 530.)


l. Vorez l'ouvrage de Rulhieres, intitulé: Éclaj.rcissements histo-
riJues SI/)' les causes de la révocutio7l de l'édit de Nantes; le tome JI
de I'Bis/oire de madame de Jlai7l¡enon, par M. le due de Noailles,
et les tomes XV et XVI de )'lIistoire de France de M. Henri
:lrartin,


2, J~a jurisprudence fran9aise fut la prenüere iJ. condamner le
principe de l'esclavage, en déclarant libre tout esclave qui mettait
le pied dans le royaume, Voyez le Glossaíl'e du droil rl'all~ais, F:lf
Lallriere, nll rnot Ese/a.'p,




CHAPITRE IX 281


de la hauteur de ce principe depose dans la loi et
qui subsistait en dépit d'infractions plus ou moins
directes, plus ou moins graves, que l'édit de révoca-
tion fit tomber le pays sous un régime de violences
et de contradictions qui, pour devenir simple, abou-
tit a la mort civile des protestants ¡. Tel est le
point de vue d'eu l'historien doit juger l'aete d'au-
torité qui fut pour Louis XIV, sinon un crime, du
moins la plus grande des fautes. A ce point de vue,
ni les idees ni les pratiques des autres États de rEn-
rope, en fait de tolérance civile, ne peuvent servir
[}'excuse a la conduite du roi de France; la France,
uepuis un siecle, avait elevé son droit public au-des-
SU§¡ des idées du temps.


Quant a la réaction du catholicisme a l'intérieur,
on ne peut pas en faire davantage un moyen d'apo-
logíe, car elle n'était pas nouvelle, et deux grands
ministres avaient su y resister durant trente ans;
quoique hommes d'Église tous les deux, ils s'étaient
tenus dans les limites tracees par la bonne foi pu-
blique et par la raison d'État 2 • Louis XIV fut pleine-
ment libre de sentir et d'agir comme eux; sous lui,
1e:,1 protestants n'inspirerent pas plus de crainte, et


1. Voye~ ce que dit Rulhieres de la déclaration du 14 mai 1724
et de l'affreuse jurisprudeuce qui en résulta. Éclai"cissemmts .<t'" la
récocation de l'édit de Nantes, éd. Auguis, p. 269, 282, 463 et 4Hl.


2. Richelieu maintint scrupuleusement la liberté pour les catho-
liques de changer de reJiglOn, et pour les protestnuts convertis de
retollrner a leur ancien culte. Mazarin, sollicité pUl' le clerl\é de
pTendre des mesures contre ceux que l'Église qunlilinit d'apostats et
de relaps, ne céda point a ces instances, Il disait en parlant des cal-
vinistes : " Je n'ai point a m'inqniéter dn petit tToupeau; s'il brollte
« de mauvaises herbes, du moins il ne s'écarte pas, }) (Ibiil.,}J. J9 et
suiv.,et Histoire de Franco de 1\1. H. Martin, t. XV p. 589 et suiv.)


16.




2R2 8SSAI SUR L' RISTOIRR DU TIERS ÉTAT


la pression de l'intolerance catholique nc devint pas
plus embarrassante. Il n'a tenu qu'a lui de laisser
les choses dans l'etat ou illes avait prises 1, de n'étre
pas dupe des fausses conversions qu'on provoquait
pour lui plaire, de ne pas devenir, sans l'avoir voulu,
persecuteur atroce; en fin , de ne pas leguer en mou-
rant a la Franee du dix-huitieme siecle tout un eode
de proscriptions plus odie uses que celles dl! seizieme 2•


l. Le préambule de l'íÍclit de juillet 1679, qui slIpprimc les tri-
bunaux mi-partis de catholiques et ,le protestants, otfre ce passage
cnrieux : « Considérant qu'il y a cinqllante années qu'il n'est point
« survenu de nonveltu tl'Ou1)le causé par l"dite religion, et que p~r
« ce long temps les animosités qui pouvoient Hre entre nos sujets de
" l'une et de l'antre religion sont éteintes, nous aVOllS cru pouvoir ne
« rien faire de mieux que de supprimer lesdites chambres, et les
« réunir auxdits parlements, tant pour effacer entierement la mé-
« moire des guerres passées, que pour faciliter l'administration de
« la justice. eB (¡tant le pretexte a nos sujets eatholiques de se servir
« c1u llom et des priviléges desdits de la religion prétendue réformée
" pour perpétuer les pro ces dans les famillos par des évocations on
( par ues reglements de juges. JJ (lfc('lleil des anciennes lois fraru;rtises,
t. XIX, p. 205.)


2. Conférez les Rclai"cissements <le Rulbieres sur la révocation ,1,'
l'édit ,le. Nantes ave e le tome n de l' llisto;,.e de madame de ftfainteno1l.
par :\1. le duo de Noailles. - L'une des premieres pensées du regent
fut ae retirer tous les édits de Louis XIV contre les protestants;
mais la violenee meme des faits accol1lplis parllt opposer a cette me-
Sllre un obstacle insllrmontable. « Le régent me parla it ce propos
"de toutes les contradietions et de toutes les difficultés dont le~
" édits et déclarations du feu roi sur les hugncnots étoient remplis,
" sur lesque!s on ne ponvoit statuer par impossibilité de les concilier,
tt et, d'antre part, de les exécuter a l'égard de leurs mariages, testa-
« ments, etc .... De la plainte de ces embarras, le régent vint a cel!"
" de la cruauté avec laquelle le feu roi avoit traité les llUgnenots,
" a la faute meme de la révocation de l'édit c1e Nantes, au préjudiee
" immense que l'Etat en avoit souffert et en souffroit encare dans sa
" dépopulation, dans son commerce, dan s la baine que ce traitement
'. avoit allumee elwz tous les protestants de I·Enropo .... Le n'gcnt
{( se Dllt sur les l't~Hf~xinlls de I'M,nt rniné Olt le roi avoit l'éduit et




CHAPITRE JX 283


Le granel J':üt, le fait imprevu alors, qui domine
tout le regne de Louis XIV, e'est que dans ce regne,
dernier terme du mouvement de la France ver s
l'unite monarehique, on vit le pouvoir absolu;
exerce personnellement par le roi. tomber, pour la
satisfaction des vrais intérets nationaux, au-dessous
de ce qu'avait Me precédemment le meme pouvoir
delegue ú un premier ministre. Richelieu, et apres
luí Mazarín, gouvernant comme s'ils eussent été
dictateurs d'une republique, avaient, pour ainsi dire,
eteint leur personnalité dans l'idée et le service de
l'État. Ne possedant que l'autorité de fait, ils s'e-
taient conduits tous les deux en mandataires respon-
sables envers le souverain et devant la conscience
du pays, tandis que Louis XIV, réunissant le fait et
le droit, se crut exempt de toute regle exterieure :'t
lui-meme, et n'admit pour ses actes de responsabi-
lité que de\'ant .sa propre conscience. Ce fut cette
conviction de f>a tüute-puissance, conviction na'ive et
sincfire, excluant les scrupules et les remords, qui
lui fit renverser coup sur eoup le double systeme fondé
par Henri IV, au dedans pour la liberté de religion \
,


" laisse la Franee, et <le Ut sur celles du gain <le peuple, d'arts,
" d'argent et de eommeree qu'elle feroit en un moment par le rappp]
" si <lésiré des huguenots dans leur patrie, et finalement me le 1'1'0.
" posa. » (JHémoil'es de Saín/-Simon, t. XIV, p. 153 et suiv.)


l. Spéeieuse raison d'Etat : en vain vous opposates ,\ Loni, les
vucs timides de la sagesse humaine : les temples profanes sont tlé-
tmits; les chaires de séduction sont abattnes j le mur de séparation
est Gté; le temps, la grace, l'instruction, aehevent peu a peu Ull
ehangement dont la force n'obtient que les apparences. (Oraison fLl-
nebre de Louis XIV, Massillon, OEuvres, t. VIII, p. 229.) - 11 n'PIl-
tendoit que des éloges, tandis que les bons et vrais eatholiques el les
saints PYi'ques g?missoient rle tont lenr ccenr de yoir des oflhotloxcs




284 ESSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ~;TAT


au dehors pour la prépondérance nationale assise
sur une tutelle généreuse de l'indépendance des


.États et de la civilisation europeenne.
A l'avenement personnel de Louis XIV, il Y avait


plus de cinquante ans que la politique fran9aise suj-
vait son rouvre en Europe, impartiale devant les
diverses communions chrétiennes, les différentes
formes de gouvernement et les révolutíons i!lté-
rieures des États. Quoique la France fut catholique
et monarehique, ses allianees étaient, en premier
lieu, les f~tats protestants d'Allemagne et la Hollande
républieaine; elle avait meme fait amitié avee 1'An-
gleterre l'egicide 1. Aueun intéret autre que eelui
uu développement bien eompris de la puissanee na-
tionale ne pesait dans les conseils et ne dirigeait
l'action extérieure du gouvernement. Mais avec
Louis XIV tout ehangea, et des intérets spéeia,Ix,
nés de la personnalité royale, du prlncipe de la mo-
narehie héréditaire ou de celui de la religion de


imiter, contre les erl'eurs et les hél'étiques, ce que les tyrans héré-
tiques et palens avoient fait contre la vérité, contre les confessen!'s
et contre les martyrs. ns ne se pouvoient surtout consoler de cette
immensité de pnrjures et de sacriléges. Ila pleuroient amel'cment
J'odieux durable et irrémédiable que de détestables moyens repun-
doient sur la vél'itable rcligion, tandis que nos voisins exultoiellt de
llOUS voil' ainsi nous affoiblir et nous détruire nous-m~mes, proti-
to:ellt de notre folie, et batissoient des desseins sur la haine que nOlla
nons attirions ele toutes les puissances protestantes. (Mémoires de
Sainl-Simon, t. XIII, p. 117.)


1. Voyez, dans le Corps diplomlltique de Dumont, t. VI, 2. purtie,
p.121, le traité de paix et de commerce entre l' Angleterre et la France,
signé le 3 novembre 1655. Un article secret de ce traité stipulait,
d'une part, l'illterdictioll aux Stuarts et a lenrs prillcipnux adM-
rents de séjourner en Frailee j de l'autre, le renvoi des agents de
Conclé, alors enllcmi ele son pays, hors elu territoire britannique.




CHAPITRE 1.'(


n::tat, entrtirent en balance pour prendre bientM l~
des sus


De la vint le bouleversement du systeme el'equi-
libre curopéen, qu'on eut pu númmer le systeme
fran0ais, et son abandon pour des reyeS de monar-
cliie universelle renouve!tls de Charles-Quint et de
Philippe n, De lit une suite el'entreprises formées
au, rebours ele la politique elu pays, telles que la
guerre de Hollande, les brigues faites en vue de la
eouronne impériale, l'appui donne a Jacques II et
ú la contre-révolution anglaise, l'acceptation du trtme
(rEspagne pour,un fils de France gardant ses droits
:i la couronne t. Ces causes des malheurs sous les-
quels faillit succomber leroyaume sortirent toutes
de l'événement, applaudi par la nation, conforme á
l'esprit de ses tcndances, qui, apres que la royauté
fmt atteint, sous deux ministres, son plus haut degré
de puissance, la remit absolue aux mains d'un prince
doué de qualites it la fois brillantes et solides, ob.jet
d'affection enthousiaste et de legitime admiration,


Lorsque le regne qui venait sous de tels auspi-
ces couronner la marche ascendante de la monar-
chie fran0aise eut démenti l'immense espoir que ses
commencements avaient fait naltre, lorsqu'on eut vu,
au mUieu de victoires stériles et de revers toujours
cl'oissants, le progres dans toutes les branches de


1. Par des lcttres patentes donuées en décembre 1700, Louis XIV
CQ:Jserva :ln dne d'Anjou, dev6nu roi d'Espagnc sons le nom de
I'hiJippe V, sou rang d'héritage entre les dnes de l\onrgogne et de
B,'rrr. Vorez, sur cet aete et sur l'aceeptation d" testument de
Ch,wle< n. l'onvrage tle 111. "lItignet : Néyor'iafio". relatires a la suc-
re .. siou d'¡':sl'aglle, llllrodnction, p. LXXVI el miv.




286 ,"SSA! SUR L' HISTOIRE DU TlRRS É.TAT


l'éeonomie publique changé en détresse, la ruine d~s
finances, de rindustrie et de l'agriculture, l'épui-
sement de toutes les forces du pays, l'appauvris-
sement de toutes les classes de la nation, la misere
effroyable du peuple j un amer ~égout s'empara
des ames, et y rempla~a l'enthousiasme de la con-
fiance et de l'amour l • Qu'y avait-il sous ce grand
et douloureux mécompte dont l'empreinte se montre
si vive dans les documonts contemporains? Ce n'etait
pas simplement l'espérance humaine trompee par
un homme, c'était l'epreuve decisive d'une forme


1. Cependant vos peuples que vous deviez aimer eomme vos en-
fants, et qui ont été jusqu'ici si passionnés pour vous, meurent ue
faim. La cnlture des terres est presque abandonnée; les villes et la
campagne se dépeuplent; tous les métiers languissent et ne nourris-
sent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti, Par cons"quent,
vous avez détruit la moitié ues forees réelles du dedans de votre
l~tat, pour faire et pour défendre de vaines conqnetes au uehors.
(Lettres de Fénelon a Louis XIV, 1692 ou 93, OB,,",e. choisies, t. II
p. 417.) - Par toutes les recherches que j'ai pu faire, depuis plu~
sieurs années que je m'y applique, j'ai fort bien remarqué que, dans
ces derniers temps, pres de la dixieme partie du pellple est réduite
a la menJicité, et mendie effectivement; que des neuf autres parties
il y en a cinq qlli ne sont pas en état de faire l'aumone a celle-lil,
parce qu'eux-memes sont reclnits, it tres-peu de chose pres, aceIte
malhellreuse condition; que, des quatre autres partias qui restent, les
trois sout fort malaisées et embarrassées de dettes et de pl'Oces; et
que, Jalls ladixieme, oil je mots tous les gens d'épée, de robe, ceclé-
siastiques etla¡ques, toute la noblesse haute, la lloblessc distiuguée el
les gens en charge militail'e et eivile, les bons mlll'chands, les bonr-
geois rentes et les plus accommodés, on ne peut pas cumpler SUl'
cent mille familles. (Vanban, Dime Toyule lIJullecl. des ¡,,-inei!'au.r,
ÉconomistesJ, t. 1, p. 34.) - l.e peuple memo (il faut tout dire) qui
vous a tant aimé, qui a eu tunt ile eontiunce en vous, commence i1
perdre l'amitié, la contiance, et meme le respecto Vos vict.oires et los
conquetes ne le réjouissent plus: iI est plein d'aigreur et de uéses-
poir. La sédition s'aUume peu a pen de toutes parts. Ils m'oient que
vous n'avez aucunc pitié de leurs maux, que VOllS n'aimcz que votre
autorité et votre gloire, (Ibid., p. 419.)




CHAPITRE IX 2R7


d'État préparée de loin par le travail de::; sieeles, au
p~fit de laquelle toute garantie de liberté politique
avait été détruite ou abandonnée, et dont la masse
nationale avait favorisé le progre s comme étant le
sien propre.


Que la société fran<;aise eut conscience de la nature
et des profondeurs de la crise dont son affaissement
actuel n'était qu'un prélude, qu'elle sentit des choses
que les générations postérieures n'out (:omprises que
par la suite des faits et par l'enseiguement de l'his-
toire, c'est ce que je ne veux point dire icÍ. Quelque
signification qu'il eut aIors ponr cenx qui en souf-
fraient, l'étrange contraste entre les premieres et les
dernieres années de Louis XIV répondait a l'un de
ces moments solenneIs dans la vie des nations, ou un
grand mouvement social, epuise dans ses resultats,
s'arrete, et ou commence un antre mouvement qui,
plus ou moins secret, plus ou moins rapide, saisira
l'esprit public, pOUl' le transformel" et entrainer tout
vers un avenir inconnu.




CIlAPITRE X


CAllACTLHE SOCIAL]) ti Hi·:GNE DE J.OUIS XIV, SON ACTlON
5¡;n I.ES PIlOGRES DU 'JIER5 ÉTAT


SG~t"I\iRC : Fiu ¡lr; la pr(llllier~ pCl'iorte de nos revullllíOlb ~ocJ:¡Je.", rOlllmen ..
eement de la scrol1'.h>, - Nom-úlle c.alTíel'~. d'e1f'o!ts el de pl'oJ.!I'~S OIlYClte ;.¡n
dix-hnitieme siecL'. - ¿\bludL1n des liberté., hislorit]nc::i, recherdJe dll tirult
pnrclllelll ralionae!. - nOte dn tic~J's état dami cr, gralllL mOllVem€llt 'dl'~
esprits. - Uppositiou an seiIl de la cour de LOllis Xl V, Féllclon el le dllc (te
Bünrgoglle. - Letlr projet de constitutioll arh;to~rltique el libél'ale. - BOIl
:-,eus et fermeté d'amc dn ,-ienx roi, résnltats (le sún gouvernemellt. - Pro·
gres vers l'égalilé ciYile, patronage des lettres. - La vie de h nation attirea
an centre, déclin des institutio!1s locales. - Les em!llois municipanx érigé~ P11
titre d'offices, cOllséqnences de GeL expétlif'llt financiero - Ruillc des liberté;;
municipales. - Att:~qllc am:: priviléges llolitiqncs du parlement. - lutcrdic-
tion de. tonte remontrance avant l'enr~gistrem('nt des lois. - Le parlement se
releve .u dix-huitieme s¡"de.


Apres avoir, avcc Uno logiquo témérairo, sacrifie
toutes ses vieilles institutions a l'agrandissemellt
d'une seule, apres avoir laissé abattre l'indepenrla!~ce
des classes d'homlllcs et dcs territoires, les droits de:;
provinces et des villes, le pouvoir de::; etats genérallx
et lo controle politique du parlement, la France, par-
velllle it rapogl~c de cette 10nglle révolution, se tron-
vait en face de l'nnité monarchique, mais d'une unite
ton te personnelle pour ainsi dire, et d'oú, en theorie,
l'idee meme de nation formant un corps était exclne l.


J. La Franco cst 1111 É!at lllonarchiqllc tl'\llS tontc l'éteuullc de ]'ex •





CHAPlTRE X 28\J


Aim;i l'action de:> siécles écoule:> depuis le douziéme,
en atteignant son but si régulierement poursuivi,
aboutissl1it a un régüne inacceptable comme déñnitit
poUr la raison et le patriotisme, it quelque chose qui,
loin de fixer la marche du progrés en politique, n'é-
tait. qu'une étape, un second point de départ, le com-
mencement de nouveaux efforts,


Ce travail nouveau de l'opinion et de 13, volonté
publique devait étre, non de rebatir des ruin~s, non
de toucher a l'unité absolue de l'État, produit spon-
tane de nos instincts sociaux, mais de lui imprimer
en quelque sorte, au lieu du sceau royal, le vrai
caractére national, de faire que son idee agrandie
renfermat, pour les garantir, tpus les droits legitimes
du citoyen 1, Telle f'ut l'reuvre glorieuse du siecle dont
la guinziéme année termina le régne de Louis XIV,
amvre dans laquelle l'objet fut moins simple et les
roles plus melé s que dans la premü'lre, et gui fut
pleine de tfttonnements jusqu'au jour ou toutes les


preosion, Le roi y l'eprése¡¡to la nation enti('¡'o, et chaqne particulier
no repréiente qU'Ull senl individn envers le roL Par consequent, toute
puissance, tonte autorité résident dans les mains du roi, et' iI ne
pent y en avoir d'antl'cs aans le royaume que celles qu'il établit ....
La nation ne fait pas corps en France, elle réside tout elltiin'e .dalls
la pel'sonne au roi, (Manl1scrit d'un conrs de droit publie de la
Franca; composé pOUl' l'iustruction. du duc da Bourgogne j citation
f<tite par Lemontey, OEa1'res compliltes, t. Y, 1', 15,)


l. Le premier signe d'une réaction des espl'its se manifesta, dans
l'année 1690, pOlI' la publication da quinze mémoires sur le gouverne-
ment de Louis XIV, impl'imés ¡" l'étl'anger SOllS ce titre : Les soup" ,
de la France esclave qui aspire arr!:. sa liberté, L'autenr anonyme rlé-
llOllCe en termes véhéments ce qu'il Ilomme l'oppression de l'Eglise,
<le la magistrature, de la Iloblesse et des villes; JI g'éleve contre les
docll'ines de la monarchie absolue, et réclame, au nom des dl'oits
du peul'lo, I!t convocation des ét>lts gélléral1x,


17




290 ESSAl SUR L'HISTOIRE DU TIEI\S ÉTAT


voies s'aplanirent par la fusion des deux premier:,;
ordres au sein du troisieme, et par.1'avenement d'une
assemblée une et souveraine des mandataires de la
nation,


e'est a ce point de l'histoire de Franee que doit
s'arréter celle du tiers état; lú disparalt son nom et
finit, son existence i part dont les derniers progre s
et les actes les plus mémorables seront pour moi
l'objet d'un travail ultérieur. Comme je le montrerai
alors, dans cette periode supreme d'ou sont venus,
par un fatal melange, d'immenses biens et de grands
maux, on trouve d'abord peu de mouvement; les
vieilles habitudes politiques subsistent, tandis qu'un
esprit ~ouveau s'empar~ des intelligences; puis, le
travail achevé dans les idées passe dans les faits; des
essais de reforme plus ou moins largas sont noblement
mais inutilement tenté s par le pouvoir, et de leur
impuissance éprouvée naH la tentative populaire qui
fit sortir des états généraux, assemblés pour la der-
niere fois, la révolution de 1789.


Cette inauguration d'une société fondée sur les
principes du droit rationnel n'arriva que lorsque la
mas se nationale eut senti i fond le néant pour elle
d'une restauration de droits historiques, La raison
pure et l'histoire furent comme les deux sources di-
verses ou puisa des son berceau l'opinion régénéra-
trice; mais, soit nécessité soit imprudence, elle puisa
de plus en plus a la premiere, et de moins en moins
a la seconde. D'un coté, le courant se trouva minee
et inerte; de l'mltre, grandissant toujours, poussé
par la double impulsion de la logiquc et (le l'CSP(:'-
ranee, i1 parvint á maltri;.;el' tf)ut et tt tnut Cnll'¡¡illCl'.





CllAP1Tlm x :wj
Les droits aneiens n'étant autre ehose que les


anciens priviléges, 1eur restauration en masse SOllS
lo nom de liberté ne pouvait etre l'objet de désirs
sérieux que pour les deux premiers ordres; le tiers
etat, sauf ses vieilles franchises municipales dont
la passion ne l'agitait plus, n'avait rien a regretter
dll passe, tout a attendre de l'avenir. Aussi fut-il,
dans la dernÍt~re partie de son role poli tique, le granEl
foyer, l'agent infatigable de l'esprit nouveau, des
idées de justice sociale, de liberté égale pour tous et
de fratornité civiqúe, Cela ne veut pas dire que eet
esprit, superieur dans son indépendance aux habi-
tudes et aux interets d'ordre et de classe, s'insinuant
sous l'habitude pour ruser et sous l'intéret pour le
rondre moins apro et moins étroit, dut rester étran-
gel' :lUX classes dont les droits exclusifs, tombés déjá
en partie, étaient condamnes a perir pour le bien de
tous. Si l'ordre non privilegié se trouvait par ses
instincts et ses intérets memes naturellement dísposé
a de semblables inspírations, il ne pouvait etre seul
a les ressentir. Partout ou des ames élovées ~t des
Cffiurs généreux se rencontrerent; il y eut de l'aliment
pou!' co qu'on peut nommer la pensée libéralo m'o-
derne; cette voix de l'opinion, quí renouvela tout


,en i789, avait des. organes eclatants et sinceres parmi
la no]jesse et le clergé. Et, chose étrange, ce fut ú
la cour me me de Louis XIV, autour de son petit-fils;
dans des conciliabules de grands seigneurs, que na"
quit, d'une vive s'ympathie pour los souffrances dll
peuple, le premÍl~r essai de réaction politique contre
le dogme accablant et les maux Ilécessaires de la
monurchie sallS limite.




212 I:SSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ÉTA1'


On sait qu'un écrivain de génie, éveque admirable
et ardent philanthrope, Fénelon, fut l'ame de ces
projets dont il avait semé le germe dans ses le~ons
données, durant cinq ans, a un prince heritier du
trellle l. Le plan de gouvernement, con~u par lui et
ombrassé avec passiQn par le successeur futur de
Louis XIV, offrait un singulíer mélange d'esprit
aristocratique et d'affection pour les intérets popu-
Jaires 2• Ce plan, auquel s'attache une vague célé-
brité, avait le mérite respectable d'étre inspiré par
la conscience des abus et des maux présenttl, avec
l'énorme défaut d'appliquer a ces abus des remedes
pires que le mal lui-meme. Il détruisait la centra-
lisatioll administrative et jusqu'i\ l'administration
proprement dite, supprimait les intendants des pro-
vinces et rempla~ait les ministres ~ar des conseils 3•


1 Fénclon remplit de 1689 11 16\)4 les fo¡¡ctiolls de préceptour da
due de BOUl'gogne, qni, en 1711, it lamort du daupbin 8011 pere, de-
\"int l'héritier présomptif.


2. Yoyez, dans les OEav!'e. de Fénelon, t. XXII, l'écrit illLitulé :
P;ans de pouremement concerté. avee le dae de Chevreuse, po u,. elre pro-
posé. au dae de Bourgogne; novembro 1711. Le dnc ele Bourgogne,
devenu dauphin, venait d'etre Bssocié par Louis XlV aux travallX du
conseil; il avait ponr principallx confidents de ses VIlCS politiqlles,
WllS l'initiative de l'archev~que de Cambrai, le dlle de BeauviJIiers,
son ancien gouvernem, 6t les dlles de Chevrcllse et de Saint-Símon.
Voyez les jUmoire. de Ce demier, t. X, p. 204,209, et t. XII, p. 260.


3. Les inlendants de justiee, (!olice el (imantes, étaieut une création
de Richeliell. TOllS les ministcl'cs, saur l'office de ehancelier, devaient
0tre abolis, et Icms attributions réparties entre six eonseils agissant
sous le contróle du conseil d'État, présidé par le roi. Les six conseils
se nommaient : COllseil des affai res étrangeres; des affaires ecclé-
siastiqucs, de la guerre, de la mnl'irle, des tiUBIlCOS et des dépeches
Ol! uU dedans du royaume. Cc~mode d'administration fut essayé ayec
de tristes sucees sous la r"gonce dn dllC d'OrMans. Yoyez les Mémo;res
de Saint-Simon, t. X, p. 6, 7, 8, et t. XII, P 267, 269 et 270.




CHAPITRE X 291


Enlevant a la royauté son caractere moderne, il en
faisait, non plus l'image vivan te, la personnification
active de l'État, mais un privilége inerte servant de
couronnement a une hiérarchie de priviléges, et s'ap-


. puyant sur elle en la proMgeant l. C'était, pour fuir
les vices de la monarchie absolue, rétrograder vers
la monarchie féodale, et défaire l'ouvrage des siecles
au líeu de le perfectionner.


A cOté des états généraux d'evenus une institution
réguliere, d'états particuliers établis au nombre de
vingt au moins par une nouvelle division des pro-
vinces, de dietes cantonales 0réées pour l'assiette et
la répartition de l'impot, on trouve dans cette ·pré-
tendue constitution libre la séparation des ordref:
rendue plus profonde, et de nouvelles distinctions dE
class·es : pour le clergé, une entiere indépendance á
l'égard du pouvoir civil; pourIa haute noblesse; des
prérogatives politiques; pour le com:gnm des gen-
tilshommes, racces par préférence a toutes les


1. L'allministration tout entiere llevait s'exercer dans choque pro-
vince par des Mats particuliers, sous le controle souverain des états
généraux du royaume. Le conseil de l'intérieur, celui des Bnanees
et le conseil d'État lui-m~me n'avaient, a ce .qn'il semble, d'autre
autorité administrative que le droit d'inspection par commissaires.
Voici ce que portent a cet égard les Plans de gouvernement con-
certét avec le due de Cheneuse : « Établissement d'états particn.
liers dans tontes les provinces, avec pouyoir de policer, corriger,
destiner les fonds, etc. - Suffisance des sommes que les états purti-
culiers leveroient pour payer Jeur. part de la somme totale des
charges de l'État. - Supériorité des états généraux sur cenx des
provinces j correetions des cllOses faítes par les états des provillces
sur plaintes et preuves. Révision généraJe des comptes des états
particuliers ponr fonds et charges ordin(lires. - Point d'intendants j
miss; dominic; seulement de temps en temps. 1) (01.'",·re8 de Fine/o •• ,
t. XXII, p. 579, 5RO et 581.)




294 ESSAI SUR L' HISTOII1E nu TIRRS ÉTAT


charges, le rétablissement des juges d'épée dans les
bailliages, et leur introduction dans les parlements;
pour le tiers état enfin, l'amoindrissement ou la sup~
pression des offices qui depuis longtemps lui étaient
dévolus j. Et, par le plus étrange contraste, a des
dispositions qui semblent un démenti donné au pro-
gres traditionnel de la soeiété en France, il s'enjoint
d'autres dont la générosité devanee les temps et l~
raison a venir: l'impot, sous toutes ses formes, est
(:tendu 11 toutes le's classes de la nation; il n'.Y a plus
:~ eet égard ni priviléges pour les deux premiers
ordres, ni vexation ponr le peuple par l'exploitatioll
des -craitants 2.


1. Soutien de la noblesse : Toute maison aura un bien substitué,
majol'asgo d'Espagne. Pour les maisons de haute noblesse, substitn.
tions non petites; moindras pour méaiocre noblesse. - Mé.salliances
défe,ndues aux deux sexes. - Anoblissements défenuus, excepté les
oas de services signalés rendus a l'État. - Nul duo non pairo On ato
tendrait une pl~e vacante ponl' en obtenir; on ne serait aamis que
dans les étals généraux. Lcttres pour marqnis, comtes, vicomtes,
barons, comme pour clues. - Justice : Le chancelier, chef dn tiel's
état, devrait avoir un moíndre rang, eommo antrefois. Préférence des
nobles aux roturiers, it merite égal, pour les places ae président et
(le conseillers. Magistrats d'épée, et avec l'épée au lieu .de robp,
'[uand on pourra. - Point de présidianx : lenl's dl'oits attribués anx
bailliages. Rétablir le droit dn bailli u'épee ponr y exercer SI' fonc-
tion. Lieutenant géñéral et lieutenant criminel, nobles s'j] se pellt.
(Plan$ de goltvernement concertés avec le duc de Chevreu.e, OE,!tues de
¡<enelon, t. XXII, p.590, 591,592.) - Voyez plus haut, chapo ¡lI, les
dema~aes de la noblesse aux états généraux ae 1614.


2. Établissement d'assiettes qlli est une petite assemblée de chaque
dio cese, comme en I~anguedoc, OÍ! est l'evoque avec les seigneurs dn
pays 6t le tiel's élat, q ui regle la levee des imp6ts suivant le ca-
dastl'e. - Mesurer les impots sur la richesse natnrelle all pays et du
commerce qni y flenrit. - Cessation de gabelle, gros ses fermes, eapi-
tatiolls et dime royala. ImpGts par les états du pays sur les seIs,
sans gahelle. Plus de financiers. - Les ecclésiastiques doiyent con-
ti-ibller allX chal'p:es de l't;tat 'par le1ll's 1'0\'011ns. (PlallS de go",'er-




CHAP1TRE X 295


En dépit des maximes libérales que le dnc de Bour-
gogne et ses ami s professaient, et dont ils cro.Yaient
de bonne foi que leur ceuvre était l'expression 1, ce
triste a:ssemblage d'éléments contradictoires, qui
jnIlDvait ¡j'ime part en phiJanthropie sociaJe et de
l'autre en distinction de droits et de rangs selon la
llaissance, qui relevait la noblesse de sa decadence
politique et rabaissait les positions faites par le temps
au tiers état, cette constitution antilogique et anti-
historique n'avait pas chance d'etre populaire un seul
jour, si du monde des reyeS elle eut passé'dans celui
([es faits réels. La monarchie en France, quand elle
cesserait d' etre absolue, devait rester administrative;
la liberte en France devait se fonder, non sur une
séparation plus marquée, mais sur la fusion des
ordres; non sur l'abaissement, mais sur l'élévatioll
continue des classes roturieres.


La mort du dauphin it peine ágé de trente ans,
emporta ces prljd,s e~ les esperances qui s'atta-
chaient a son rRgue'. Louis XIV ne connut que d'un.e


nemellt, concertés ""pe íe ,luc de (;hevl'euse, OEurres de Fénelon, t. XXII,
p. 579,580 et ¡¡So.) -- ],e priucipe de l'égalité proportionnelle en
matiere <l'impot, l'une ues bases de ce systeme financier, avait été
posé par Vaulmn, ilans son célebre mémoire intitulé Dime royale.


1. Je n'ose ¡¡chever uu gmml mot, un mot d'un prinee pénétré :
qu'u~ roi ast fait lJom' les sujets, et non les sujets pour lui, COll1ll1e
iI ne se contraignit pas de le (Ure en public et jusque dlins le saloll
de :\IarJy. (Mimo¡,.e. do Saint-Siman, t. X, p. 212.) - Fénelon répete
sans c~sse, uans ses éerits politiques et dans sa correspondance : qne
"tout <lespotisme est un mauvais gouvernement; que, sans libertés
nationales, il n'y a ni ordre ni justice dans l'Etat, ni véritable gran-
deur ponr le prillce; que le corps de la nation doit ,woir part anx
affaires pn,bliIIues.


2. Il était "" le G "out 1682, et lllonrnt le 18 fóni0l' 1712.




29G ESS¡\1 SUR L'UlS'l'OII\E DU TlERS ÉT¡\T


maniere vague les plans elabores par son petit-fils
dans le secret de l'intimité l. Il s'applaudissait de
l'esprit serieux et des hautes qualites dujeune prince,
mais le reste était pour lui un objet de defiance ou
d'antipathie 2, et cela autant par sa droiture de sens
que par ses instincts despotiques. S'il avait en lui-
meme une foi extravagante, il croyait profondémellt
á la sagesse de ses ancetres, a l'efficacité civiIisatrice
de ce pouvoir uni et concentre qu'il avait re~u d'enx,
rlont il abnsait sans donte, mais qu'il developpait
¡¡ans le meme sens qn'eux. Au milieu des pompes
de sa cour, il etait nivelenr a sa maniere; ponr luí le
merite avait des droits superienrs a ceux de la nais-
sanee; il onyrait de plus larges routes a l'ascension
des hommes nouveaux; au lien de diviser, il nnissait.
Il travaillait a remire complete l'unite poli tique du
pays, et, sans le savoir, iI préparait de loin l'avéne-
ment de la grande commnnauté une et souveraine de
la nation.


Ainsi, malgré ses défauts trop manifestes, la poli-
'tique de Louis XIV était plus intelligel1te et valait


1. A pres la mort du dIlO de Bourgoglle, le roí se fit apporter une
cassette remplie de ses papiers secrets, quí furent bruJés. lJ donna
cat ordre, non, comme on l'a cm, par dépit et apres un examen
complet, mais par snite d'IUle fU se du duc de Beauví1liers, qui l'en-
Buya en lui lisant de longs mémoires sans intéret, pour luí óter
l'onvie d'entendre' la lecture dl! reste. Une autre cassette contenant
des pieces relatives aux choses cO:tvenues eutre le prince et ses amis
fat sauvée par ces derniers, Voye" les Jfémoires de Sa;III-Si1/l01l,
t. XII, p. 267.


2. On connait Je mot dl! roí apres une conversation qa'il voulnt
avoir avec Fénelon sur ses principes de gonvernement : « ,raí en-
tretenn le plus bel esprit et le'plns chimériqne d" mOll rOyRume. "
Voyez VoJtaire, Siécle de [.01l;S XIV, t. n, chapo XXX~·Jll, p, 452,
édit. Beuchot.




CHHITRE X 297


mieux pour l'avenir que les imaginations spécieuses
des réformateurs de son temps; il comprit quelle
devait litre sa tache apres l'ceuvre de ses devanciers,
et iI la remplit fidelement, selon la mesure de ses
forces. Qu'on lui accorde ou qu'on lui refuse ]e nom
de Grand quí lui fut decerné par une admiration
melée de fiatterie 1, iI est impossible de ne pa~ res-
sentir l'impression CiJ.ue produit dans l'histoire cette
figure de roi, calme et fiere, sérieuse et douce, atten-
ti ve et réfléchie, a laquelle l'idée de majesté répond
si bien. Il est meme impossible de ne pas regretter
par moments le blaioe sévere que la justice oblige
d'associer aux éloges qui lui sont dus; et ces moments
ne sont pas ceux OU son regne brille de tout ce qui
faií. la splendeur et la puissancedes États, mais ceux
00 ]e royaume a perdu sa force et sa prospérité, oú
]e monarque, autrefois comblé de gloire, n' en a plus a


_ espererque de sa ~utte avecle n¡alheur. C'est lorsque,
vaincu sur toutes ses frontieres par l'Europe coalisee,
il prolonge ce combat supreme avec une constance
inébranlable, s'oubliant lui-meme afin d'épargner au
pays les douleurs d'une invasion étrangere, immolant
sa fierté et pret a donner sa vie pour l'indépendance
nationale~, C'est aussi lorsqu'au plus fort de ses re-


1. Ce titre, inscrit d'lIbord sur qllelques mé~fLilles frappé~s ~-,
l'honnenr dn roi, lni fut, en 1680, déféré solennellement par l'ht,; -1
de ville de Paris.


2. Voyez les événements du regne de 1708 a 1713, année de IfL
paix d'Utrecht. - Cetta constance, eette fermeté d'ame, eette égnh"
extérieure, ce soin toujonrs le m@me de ten ir tant qu'i! ponvoit :e
timon, cette espérance contro toute espérance, par cOllrage et 1 "H'
sagesse, non par aveugIemeut, ces dehars du m~me roi en ton-(;"
choses, e'est ce dont pen d'hommes aUl'oicnt eté eapabIes, e'est "e.


17.




::?!lR P.SSAI SUR L' HISTOlRE DU TIERS ETAT


ve1'S il voit, sans se laisser abattre, son fils et ses
petits-fils mourir autour de lui 1; ou enfin, lorsque,
arrivé au dernier terme, il exprime par des mots
touchants une admirable fermeté d'ame, un courage
sans ostentation qu'il porte jusqu'á l'av~u de ses
fautes 2 •


Outre l'éclat que répandit sur ce regne la reunion
de tánt d'hommes de genie qu'il ll'est pas besoin de
nommer; outre sa gloire cherement payee et ses
prosperités passageres, dans toutes les phases de sa
longue durée:<, en depit d'epormes fautes, il eut un
incontestable mérite, celui d'ofl'rir le premier une
forme d'administration complete, embrassant á la
fois, sans effort, d'une maniere continue, tous les


qui aUl'oit pu lni mériter le nOln de Granel, qlli 1 ui avoit été si 1'ré-
muturé. (Mémo;res de Saint-Simon, t. XIII, p. 163.) - Je me suis
toujOUl'S soumis a la volonté divine, et les mnux dónt il lui plait
d'afHigermon royaume ne me pel'mettent phlS de douter du sacrifice
qu'elle demande que je lui fasse de tout ce qui me 1'ourroit elre le
plus sensible. J'oublie doue ma gloire. (Letlre de Lonis XIV ¡, son
miuistre en Hollande [29 avriI1709], eitée par M. Miguet. Négo~ia­
tions, etc., t. ler, Intl'oduction, p. XCII.) - Landrecies ne pouvait
pas tenir longtemps (juín 1712). II fut agité dans Versailles si le rot
Se retirerait a Chambord sur la Loire. I1 dit an maréchal d'HarcoUl't
'1lútll cas d'llu nOllveau malheur, il convoqncrait tonte la noblesse
tle wn royanme, qu'¡¡ la c3nduirait a I'ennemi, malgl''; son itge <1"
soixante et '1uatorze ans, et qu'il périrait it 111 tete. (Voltaire, Si",-'!;'
tle I,m,;, XIV, t. n, chapo XlI, p, 100 de l'édition Renchot.)


l. Lonis, dauphin, mort en 1711; Louis, uue ue Bonrgogne, et
SOIl fils Louis, uue de Bretagne, morts en 1712.


2, Voyez les J!fémoires de Saint-Simon, t_ XII, p. 483, 4H5 et 4!j].
_ Lonis XIV mOllrut le 1 er septembl'c 1715, trois jou .. s avallt qn',1
eiít'soixante-díx-sept ans accomplis. S,on regue "vait ét" de soixante-
douze ans depnis la mort de Lonis XIJI, et de cillquante-quatre allS
delJUis celle de Mazarin. .
3~ Je 11e parle ioi que an regue pCl'SOllllCI de Lon;, XIV, qui dma.


romme on 1'a Vl1, .le Hilj} 11. 171S,




CHAPITRE X 2M)
intEirets matel'iels et intellectuels du pays. Sous ce
rapport, le gouvernement de Louis XIV rlt un pas
immense en avant de ceux qui l'avaient precedé; il
fixa les bases de ce que j'appellerais la constitution
administrative fiu pouvoir; il fnt, sauf la liberté poli-
tique, l'Ull des plus gl'ands gouvernements que la
France ait eus jusqu'it nos jours \. C'est de lui pro-
pl'ement que datent chez Hons les temps moderne¡;;
poul' l'action reguliere ele l'État, la sociabilité, les
mCBurs, la langue et le gout national. A ce point de
notre histoire, nous retrouvons une grande partie
de ce que nons sommes; au dela, nous avons peine i
nous reconnaitl'e. C'est comme un moule puissant
dont l'empreinte est restee sur les principaux 8lé-
ments de notre civilisation, litterature, beaux-arts,
industrie, ordre civil et forces militaires.


Des lors, on voit le poavnir, libre dans ses mouve-
ments, aller du centre aux extrémites, et remonter
de la par des voies sures et faciles. On voit, pres de
chaque ministere, fOl1ctionner ces bureaux nombreux
ou se conservent les traditions et ou les documents
s'accumulent. On voit enfin la pl:eVOyance de l'État
se montrer mure en quelque sorte; il sait ce que vaut
le soin de ravenir, et, sur tOUR les points, il s'y
applique; il institue des cumpagnies savantes, et
s'assure de bons cad res d'officiers; il fonde des ecoles
d'arts liberaux et des ccoles d'armes speciales, cree
de nOUVf'fillX ports, des arsellmtx et des collections
scil'llti fi(PlCS.


1. \~o.vez l' l/i, .. loiJ't' IjL:nél'uie JI.: la r il'iUsntiúH dI EUI'OJiI!, lun 1\1. Guizot,
14' l'c\'ol1.




300 ES SAl SUR L' RlSTOlRE DU TIERS ÉTAT


De singuliers progres vers la grande fusion natio-
nale ont accompagné, sous Louis XIV, les dévelop-
pements nouveaux de la p~issance admínistrative.
Considéré sous le point de vue social, l'esprít de
son gouvernement fut de tendre par toute s-orte de
moyens au rapprochement des classes. Il acheva
pacifiquement la ruine de l'indépendance nobiliaire,
astreignit, sans contrainte apparente, les grands
seigneurs a la viede cour et au service régulier dans
l'armée; et partout, meme a la eour, fit prévaloir,
pour les honneurs, la fonetion sur la naissaneel~ Les
maréch~ux, qu'ils fussent nobles ou non, passalent
avant les ducs; les ministres nes dans la bourgeoisíe
n'avaient au-dessus d'enx que les prinees du sang,
et leurs femmes étaient admises a la table du r(,i 2.
Dans l'armée, il n'y avait plus, pour les grades, au-


l. Pru a pen il réiluisit ItHlt le monde a servil' el. it groAsi,. so. conr,
ceux-H" m@me dout il faisoit le moius de caso Qui étoit d'age a servir
n'osoit difFérer d'cntrer dans le s~rvice. Ce fut encore une aut!'e
adresse poul' ruiner les seigneul's, et les accolltumel' iL l'égalité et it
rouler pele-mille avcc tOllt le monde ... Sons prétexte que tout ser-
"ice militaire est honorable, et qu'il est raisolluable d'appreudre iL .
obéi1' avant que de commancler, il assnjettit tont, SlIns antre exeep-
tion que des seuls pl'inces du sang, it debuter par étre cadcts dans
ses gardes du corps, el, " faire tout le meme service des simples
gardes du corps, dan s les salles des gardes, et dehora, hiver et ';u',.


, et il. l'armée. Olfémo¡'res de Saint-Simon, t. XIII, p. 56.)
2. De lit les secrétaires d'État et les ministres successivement it


<¡nitter le mantean, puis le rabat, apres l'habit noir, ensnite l'nni,
le simple, le modeste,' enfill ,\ s'habiller comma les gens de qualité;
de lá it en prendre les mauieres, puia les avantages, et par échelons
admis 1t manger "vec le roi; et ¡cnrs femmes, d'abord 80ns des pré-
textes personnels, comme marJmne Colbert longtemps "vant madame
de Louvois; ellHll, des aUllées apros elle, tontes, " titre du droit de~
places de lenr mari, mallger et entrer dsns les C3.l'l'OfiSI';:. et n'Nrp en
rien différelltes des femmes de la premiere qualité. (lhid., p. 17.)




CHAPITRE X 301


cune préférence nécessaire de la grande nobles se sur
la petite, ni de la noblesse sur la roture; l'ancienneté
de service creait le droit a l'avancement, et, sauf les
cas de mérite signalé ou de faveur particuliere, on
suivait l'ordre du tableau 1,


La vieille aristocratie, écartée généralement des
affaires, n'avait plus, comme classe distincte, ni pou-
yoir, ni influence politique; la somme de ses privi-
leges se trouvait réduite a des exemptions d'impót
que le fisc rendaít souvent illusoil'es, au droit exclusíf
d'admíssion dans un ordre de chevalerie\!, et a des
droits seigneuriaux, devenus moins utiles poul' elle
qu' onéreux pour les habitants des campagnes 3, L'un
de ses membres, aussi homme d'espl'it qu'enteté de
l' orgueil de race, appelle le regne de Louis XIV un
regne de vile bourgeoisie, paroles dont l'acreté pl'ouve
qu'apl'es Richelieu et la chute de la Fronde, il s'était
passé en France, au profit de l'égalité civile, quelque


l. G .. "nas et potit., connus et obseul's, furont done forcés d'entrer
et de persévérer a"ns le serviee, d'y etre un vil peuple en toute éga-
lité, et dans 1" plus sonmise dépe.ndance du ministre de la guerre et
meme de ses cornrnis. (Mémoires de Saín/-Simon, t. XIII, p, 58.) -
Il fut établi que, quel qu'on'pOt erre, tout ce qui servoit demeuroit,
quant au service et aux grades, usns une égalité entiere. Cela rendit
)'avancement ou le retardement d'avoir un l'égiment bien plus sen-
sible, paree qne ¡Je lit dépendoit tout le reste des autres avancements,
qui ne se tirent plus que p>lr promotions sl1ivant I'anciem¡eté, ce qu'on
appelle l'ordre da tableau. (Ibiel., p. 57.)


2. L'ol'¡Jrc an Saint-Esprit.
3. Les privilégc" des nobles ne sont plus qlle des ombres et des


toiles d'arnignées ql1i ne l<,s mettent a l'abri de rien. Leurs fermiers
et lenrs terl'cg payent au roí des impi>ts si exces~ifs, que tout le 1'6"-
venu du fomls est consumé. 80us prétexte de remédier it quelqiIes
.1ésol'dres q'<l méritoient satis doute qu'on y eftt égard, on a envoyé
des intendants Jans les provinces qui exercent sllr la nob1esse nn




30i l\SSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


chose quí, pour les contemporaíns, avaít un uir de
rtlvolution l.


En meme temps que la noblesse, abaissee suns vio-
lence, reculaít sur les rangs de la classe moyenne,
celle-ci s'élevait d'un élan plus p'rompt que jamais en
capacité, en valeur sociale, e,ll importance dans l'É-
tat. C'est a elle que profitaient les nouveaux encou-
ragements donnés a l'industrie et a l'étude; ellü
developpait dans tous les sens ses force s actives et


, inventives; ses entreprises plus étendues lui créaíent
des fortunes rapides, et son ambítion d'avancú ne
s'arretait pas devant les plus hautes carrieres. Elle
obtenait des succes, un credit, une puissance uont
les exemples frapperent vivement le gI'and moraliste
du siecle. La Bruyere a de.:;rit, ayec sa touche inimi-,
table, cette emulation .de travail utile, en contraste
avec la somnolence d'esprit et l'oisivete de la hante
noblesse 2. Sous Louis XIV, presque tous les llli-


empire insllpportable et qui la rélluisellt en esclavage. Aujourd'hui
il faut qu'un gentilhomme ait droit et demi pour gagner son proci's
contre un paysan. (Les so"pirs de In France eselnve, etc, Amsteruam,
16B9, p. 15.)


1. Mpmoires de Saine-Simún, t. JII, p. 316. - De la l'élévatioll ,le
la plume et de ~a robe et l'anéantissement de la noblesse par les
degrés qu'on pourra voir ailleurs, jusqu'na prodige qu'on voit ct
qu'on sent aujourd'hui, ce que ces gens ile plume ct ue rooe ont
bien su sontenir, en aggravant ehaque jour leur joug; en sorte que
les choses sont arrivées au poiut que le plus grand seigllenr 118
peut <ltre bon a personne, et qu'en mille fa\,ons différentes il ¡]¡"llC'wl
dn plus vil roturier. (Ibid., t. XII, p, 265.) .


2. Pendant que les grands négIigent de rien cannaltr(\, je IIC di,
pas seulement aux intí',rets des princes et aux affaire s publiques, Jl1ais
"leurs propres affltires; qu'ils ignorent l'éeonomie et la seience <1'un
pere de famille, et qu'ils se loncnt eux-memes de ee!te ignorance;
qu'ils se laissent appauvrir et maitriser par des ¡ntendants; qu'ils s''
noctenten! <l'etre gOlll'me!s Ol! cúteullx, u'aller chez TiJa'is 01\ ,,'!le,




CHAPITRE X 303


nistres sortirent dl;l la bourgeoisie 1; plusieurs des
nOInS illustres dans les armes 2, et, dans les lettres,
tous les grands noms, sauf trois seulement, furent
plébéiens 3.


·Mais si cette derniére gloire, la plus haute et la
plus durable du régne, celle qui le fait compter cornme
époque dans l'histoire de l'esprit humain, revient
pour une telle part au tiers état, une part aussi en
e~t due :l l'intluence personnelle du roL N on-seule-
ment Lours XIV, conseillé par Colbert, fixa le sort
des gens de lettres, en instituant pour eux des pen-
sions réguliéres; mais, de lui-merne, il fit plus, il


Phryné, de parler de la meute ou de la vieille mente, ue dire eombien
il ya de postes ue Paris a Resanllon ou a Philisbonrg, des citoyens
s'instrnisent du uedans et un dehors d'uD royaume, étuuient le gou-
vernemeflt, deviennent fins et politiques, savent le fort et le foible
ue tout un État, songent a se placer, se placent, s'éliweut, devien-
nent puissants, soulagent le prince d'une partie des soins publics.
Les grands, qui les dédaignoicnt, les niverent : heureux s'ils ue-
"iennent leurs genures. (Les Caracteres d. La Bruyerp, chapo IX, n-s
(;rands.)


L Sur la liste ues secrétaiores 'd' État, avant et uepuis la mort de
Mazarin, on releve ¡, la premiere vne les noms suivants : Bouthillier,
Bailleul, Servien, Guénégaud, Fouquet, Michel Le Tellier, Le Telliar
de Louvois, Le Tellier de Barbézieux, Jean-Baptiste Colbert, Colbert
ue Seignelay, CoIbert de Croissi, Colbert de Torci, Arnaud de Pom-
ponne, PhéJipeaux de la YriIIie~e, Phélipeaux de Chíltermnenf, Le
Péletier, Desmarots, Chamillurd. Les chanceliers, choisis eomme
anciennement parmi la magistrature, ne figurent pas sur ce cata-
logue, a moina qu'i1s n'oussent débuté an ministere par un nutre d,\-
partement que celui de la justice.


2. Fabert et C,ttinat, Dnquesne et Duguay-Tronin.
3. Corneille, Pascal, Moliere, Racine, La Famai"e, Boileaa,


Bossnet, Bonrdalolle, Fléchier, Massillon, La Bruyi,re, Arnanu, Ni-
cole, Domat, et, ~i I'on y joint. les artistes, Le l'ollssin, Le Sueur,
Le Lorrain, Philippe de Champagne, Lebrun, l'lljet..· Les noms
exceptés sont ceux de Fénelon, Larochefoncanld d madame de
~évign¡'"




30 í ESSAI SUR L'IUSTOIRE DU TIERS ~TAT


les honora dans ses bienfaits. Il leur assigna une
place a la cour, et mit leur association libre, rAca-
démie fran<;aise, au rang des grands corps de l'État '.
Par sa familiarité pleine d' égards avec les principaux
d'entre eux, il anoblit en quelque sorte la littérature.
et, par sa dignité naturelle, sa justesse de sens et la
pureté de son gout, iI exerga, saus y prétendre, une
véritable'action sur elle '2. Quelque chose est venu de
luí dans cette hardiesse réglée, dans cette parfajte
mesure de force et de grace, de raison ~t d'imagi-
nation, qui est le caractere des chefs-d'reuvre de la
seconde moi tié d u dix -septieme siecle 3.


Le meme regne qui mit le 4!ceau a l'unité poli tique,
et porta presque i son entier développement l'unité
administrative, a posé les fondements de ce qU'OIl
peut nommer l'unité moral e de la France. Du rap-
prochement des classes et des professions diverses;
des rencontres multipliées de la noblesse et de la
bourgeoisie dans les hautes régions du pouvoir, de la
fortune et du monde, iI se forma, sons Louis XIV,


L L'Académie, depui. la mort de Richelieu, était son S le patrouage
officiel dn chanoolier; "CT' 1672, le roi s'en déclara persollnellement
le protecte~r, et lui donna le dToit de venir le haranguer dans les
occasions solennelles, C0111111e faisaiellt le parlement et les a~trei
cours supérieures .


. ~. Ce monarqne, dont rame allx grandes qunlités
Joint nn goút délicat des savantes beautés,
Q"¡. séparant le bon d'avec son Ilpparence,
L:,,;;dt sans errenr, et loue avec l'rndence.
~ . . ..


(:Vloliere, Poeme du Val-de-r;rl1rt.l
,


~. Voyez l'Histoirt de la littératv.re (rangaise, par y!. D. Nisar,i,
t. n. cliap, VIJj et PHi,'faire de Frailee de M. Hem'j ~Ial·tin, t. XY,
p. 33 et ,,,iv.




CHAPlTRF. X .30ií
,


non plus pour l'intimité de quelques salons, mais PQn!'-
le commerce de la vie, une société mixte, la véritable


, société fran9aise, modelée sur un meme type de poli-
tesse et de bon goUt. La vinrent se fondre et se tem-
pérer, sous la regle des convenances, les habitudes
héréditaires, les mamrs traditionnelles, les traits
caractéristiques, provenant pour chacun de son ori-
gine ou de son état. Nobles et roturiers, gens d'épée
et gens de robe, lettrés et commer9ants, cesserent
rl'etre distingués au premier abord par le contraste
des manieres '. Une teinte d'urbanité répandue sur
toutes les conditions, des secours de tout genre offerts
au besoin d'instruction, de vie facile et de plaisirs
délicats, firent de Paris un séjour attrayant pour les
étrangers, tandis que, parmi nous, la conformité de
goutset d'esprit, s'étendant de plus en plus, ouvrait
les voies a une pUiSSal1ge sociale qui bientót domina
toutes les autres, celle de l'opinion publique.


Par un mouvement semblable a celui qui aváit eú


1. Tous les différents .ítats de la vie étaient aupal'avnut l'ecol1l1ais-
sables par les défauts qui les caractérisaiel1t. Les militaires et les
jennes gens qni se destil1aicl1t " la pl'ofession des al'mes avaierit une
"ivacité empartée, les gens de justiee une gravitt\ rebutante, a quai
ne contribuait pas pen l'usage d'aller toujours en robe, meme ¡, la
cour. Il en était (le mªme des ul1ivcrsités et des médccins. Les mar-
chands pOl'taient encore de petites l'obes lorsqu'ils s'assemblaient et
qu'ils aHaíent cbez les ministres; et les plus grands commer<;ants
étaient alors des hommes grossiers. Mais les maisons, les spectacles,
les promenades publiques, OÍ! l'on commen<;ait ¡¡ se rassembler po u\'
goílter une vie plus douce, rendirent pen " pen l'extérienr de tons
les citoyens presqne semblable. ün s'aper~oit anjoll1'd'hui, jusqno
oans le fond d'L1ne boutique, que la politesse a gagné tontes les CQn-
ditio1l3. Les provinces se sont l'cssellties, avec le temps, de ton s ~eS
cbangements. (Voltaire, SUde de LOllis XlV, é,lit. Bencbot, chal" XXIX,
t. JI, p.269.)




306 ESSAI sun L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


• líeu dans l'ordre politique, puis dans rorare adminis-
tratif, la vie moral e de la nation fut de plus en plus
attiree au centre, Les idees, les manieres d'etre et
de sentirpropres achaque province s'affaiblirent
et se modifierent sons l'empire d'une emulation
commune du penchant a imiter l'esprit et les mreurs
de la capitale, Cet entrainement etendit meme son
action au dela de sa sphere, il eut des effets politi-
ques; il precipita par tout le royaume la ruine uejú
fort avancee des vieilles institutions provinciale:>.
Quoique, sous Louis XIV et depuis son regne, il


.y ait eu en France des pays d'états conservant par
exception leurs assemblées déliberantes, ce reste
des libertes du moyen age ne fut qu'une ombre de-
vant le pouvoir de plus en plus actif et absolu des
intendants l , Nulle part, si ce n'est en Bretagne, et
par des raison:; tenant a l'histoire particuliere d(~
·cette province, la resistance des anciens corps con-


. stitués aux empiétements de l'autorité centrale n'a-
mena autre chose qu'une opposition indécise et dc~
conflits sans gravité2 ,.


,Depuis le regne de Henri IV jusqu'a une epoqup
avanc(\e du regne de Louis XIV, le regime municipal


L Ces magistrats, illstitnés par Richelieu en 1635, sons le litre
,1'inlendants de jústice, poliee el fina,,~es, furellt snpprimés durant la
Fronde et rétal>lis par Mazarin. e'est alors que les états particnliers
des provinces dn domaine, sauf le Langnedoc, cesserent de s'asselll-
hIel'. Les tenitoires auxquels le 110m de pays dBa!s fnt des 10rs s]lé-
cialement réscn'é sllnt : le Languedoc, la Bretagne, la Bonrgogne,
la Provence, le Dauphiné, la Flandre, l'Artoi., le Hainuut et le
Camhresis, le comté do Pan, io comt,', <le Foix, le Bigorre, le :Har-
san, le Néhouzan <>t les Quatre-Y,,!lúes.


2. Voyez l'ouvrage intitulé: Une I,,·n,·¡ncp 801/8 l.01l;8 XIV, pa!'
::\1. Alexun,lre TLoma,.




CHAPITRE X 307


n'avait éprouvé aucune altération importante. Quoj-
. que surveillé et controlé d'une fagon de plus en plus
étroite 1, ce régime conservait ses vieux fondements
et son principe de liberté par l'élection des ma-
gistrats, lorsqu'un coup d'État fiscal pluttlt que poli-
tique l'abolit en droit, et, en fait, ne lui laissa qu'une
existen ce précaire et conditionnelle. Au plus fort
d'une guerre dont la dépense n'etait ('ouverte qu'ú
l'aíde d'expedients flnanciers, parmi lesquels figu-
rait la création d'offices vénaux %, l'idée vint au
gouvernement de s'emparer des magistratures ur-
baines et de tous les emplois a la nomination des
villes, de les ériger en offices héréditaires, et de
les vendre le plus cher possible, soit a des particu-
liers, soit] aux villes elles-memes. Un maire perpe-
tuel et des assesseurs candidats-nés ponr les fonctiom;


1. Des ",lits de Louis XIII, juillet 1622, mai 1633 et mui 1634,
eréereut, lL titre d'africes royaux, des greffiers héréditaires dans toutes
les villes et communautés des provinces méridionaJes, et un autre
édit du m~mo roi, juin 1635, institua, outre ces ofticiers, des pro-
curcurs d" villes hérédítaires dans les municipalités dn ressort dn
parlement et de la chambre des c6mptes de París. Les motifs de
cette double création' sont ainsi énoneés par LOllÍS XIV, qui, par édít
tle juillet 1690, la renouvela en l'étendant a tout le royaume : « te
« feu roi, notre tres-honoré seigneur et pere, avoit cra que pour re-
« mettre le bon ordre dans lesdites communau tés, empecher la dissi-
« pation de lem's <leuiers communs, patrimoniaux et d'octroi, et al'-
« réter le cours des abus qui se commettoient avec trop de licenees,
{( il n'y avoit pas de moyen plus certain que <l'établir quelques oili-
« ciers perpétucls qui, . ayant une entiere connoissauce des alTaires,
« seroíeut en état il'instruire les autres magistrats électifs, qni 11e
(' sont qu'a temps, et concourant. tous ensembla. dans un meme ues-
« sein, ne ma\lqu~roiellt pas de faire sentil' au public de salutaires
« effets ,l'une bonne administration. » (Reclleil dqs <lnciennes lois [ran,
~aises, t. XX, p. 106.)


2. La guerre d'Allemagne, commencée en Hj6R et terminée en
1697 par le tmité de H~'swyk.




308 F.SSAI SUR L' HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


d' échevins, consuIs, capitoujs, jurats, syndics, furent
imposés a toutes les municipalités du royaume l qui
cessaient d'etre electives, a moins qu'eIles n'eussent
acquis de leurs deniers les nouveaux of'fices, pou!'
les éteindre, ou, comme on disait, pour les réunir au
corps de ville.


En mettant a l'enchére ces of'fices devenus royaux
et pares du titre de conseillers du roi 2, on avait
spécule, d'une part, sur la passion des riches familles
bourgeoises pour les charges héréditaires, de l'autre,
sur l'attachement des villes a Ieurs franchises immé-
moriales; et cette audaciense confiscation du régime
municipal etait fondée avant tout sur l'impuissance
politíque 011, malgré la popularité de ses formes,
ce regime se trouvait réduit. En effet, aucun soule-
vement n'eut líeu pour sa défense ; íl n'y eut qu'une
plainte uiliverselle plus ou moins vive, plus ou moins
amere, mais partout snivie de soumission, Les villes,


1. Paris et Lyon, par dispense exceptionnelle, cOnSel'Yerent leurs
prevots des marchands; mais ces deux villes re~urent chacune douze
assesseurs en titre d'offices héréditBires. - Voyez l'édit d'aoút 1692,
pOl'tant création de maires et assesseurs en chaque yille et commn-
llauté du ro)'anme; l'arret du conseil du 5 décembre 1693, portant
reglemellt general pour les fonctions, rang et séance dés maires, as-
sesseurs, etc; l'édit de mars 1702, portant creation, dans clmque pa·
roisse oiL il n'y a pas de maire, d'un syndic perpétue! ; l'edit de mai
1702, portallt creation de lientenants de .prévéit des marchands a
Paris et a Lyon; et l'édit de décembre 1706, portant création d'l1n
maire perpétuel et de lieutenants de maires alternatils et tl'iennanx
dans chaque ville. (Ihid" t. XX, p. 158, 203, 408, 410 et 492.)


2. Le 1'oi ayallt, par son édít du moís d'aoilt 1692, créé des olfices
de conseillcrs de Sa Majeste, maires perpetuels des villes, lieux et
comml1uautés de son royaume, d'assessellrs desJits maires et de
commíssaires aux l'eVlles dans les villes et lienx d'étape. par un
autre edít du meme mois ... (Arrf.t du conseil dn 5 rléremhrr 1693.)




CHAPITRE 1 309


grandes ou petites, se firent un devoir et un point
d'honneur du rachat de leurs priviléges; au prix de
sacrifices onéreux, elles devinrent adjudieataíres
de la majeure partie des offiees nouvellement erées,
et, ehose a remarquer, ¿ette réunion, qui laissait
subsister ou n\tablissait rancien état, lo in d'etre mal
vue du pouvoir, fut, au contraire, faeilitée par lui l.


Quand finit le regne de Louis XIV, l'administra-
tion urbaine présentait les plus étranges disparate~;
ijelon que les villes s'étaient trouvées en état de ra-
cheter leurs franchises, il y avait des municipalités
électives, d'autres perpetuelles, d'autres composées
en partie d'offices dépendant de la communauté des
citoyens et d'offiees possédés a titre de propriété
privée. Ce désordre et les actes d'autorité qui l'a-
vaient pl'oduit figul'erent parmi les griefs dont le re-
dressement fut demande avec le plus d'instance a la
législation du nouveau regne. La réponse desirée ne
se fit pas attendre, et, au mois de juin 1716, le prince
qui gouvernait au nom de Louis XV mineur dé creta
que toutes les villes du royaume rentreraient dans
la plenitude de leurs droits. Cet édit, llar lequel


1. ..... !Sous avons r~solu. 1l0n-seulcll1Cllt de supprimer eeux oe8-
dits ofticcs qui re·stent Ü vendre ou Ü réunir, et d'aceorder aux com-
munauttÍs la liberté de faire faire les fouetions par les sujets qu'elles
voudront llommer, mais eucore, potlr rétablir dans les hutels de
"ille de notre royaume l'ordre' qui y étoit etabli avec nosdits edits
pour l'électioll des roaires, lieutenants de maires, secrétaires, greffiers
et autres offieiers néecssaires u l'admillistration de leurs alfaires com-
mnnes·, de permettrc aux communautés de déposséder les acquéreurs
et les titulaircs de ces offiees .... en les I'eroboursant tOlltefuis en Un
seul et meme payement de ce qu'ils se tl'OllVeront avoir payé. (Édit
dl! septcmbre 1714 j Rec!leil des allcie1l,m [oís (ranr¡aises, t. XX,
p.637.)




3tO ESSAI SUR ,L' HISTOll\ll DU TIEHS ÉTAT


étaient supprimés tous les oftices, l'éunis ou llon,
remboursés ou non par les villes, proclamait la res-
tauration de rancien ordre municipal, et semblait en
garantir sérieusement le. respect et le maintien 1 •
Mais l'illusion fut courte a cet égardj une grande
expérience fiscale avait été faite: on savait que les


, villes, mises a ran~on pour des droits qui leur étaient
chers, payaient et ne se soulevaient pas j six ans
apres, dans une crise formidable pour le trésor, tous
les office~ municipaux, crees et mis en vente par
Louis XIV, le furent de nouveau par le regent2.


Cette seconde conf1scation des libertes commu-
nales, plus franche que la premiere, presentée sans
detour cotnme un expedient financier3, marqua pour


1. Nous désil'ons de rétablir I'ordre qni s'observoit avant 1690 dans
l'administration de ton tes les villes et eo'mwunautés de notre
royaume, soit qu'elles aient acquis ou réuni lesdits offices, BOUS
qllelque titre que ce puisse ~tre, pour avoir la liberté de les faire
exereel' en tout on partie, ou pour janir senlement des gagas et
droits y attl'ibnés, soit que lesdits offiees aient été vendus a des
particuliers; noua avons résolu de supprimer tous ces oflices sans
exeeption, et de rendre a toutes les villas, communautés et paroisses
de notre royaume, la liberté qu'elles avoient d'élire et nommer des
mail'es et échevins, consuIs, capitoula, jurats, aecrétaires, grefliers,
syndics, et antres offieiers municipaux pour administrer Icur8 affaires
communes. (Recueil des anciennes lois fran,aises, t. XXI, p. 117.)
- Voyez la déclaration dn 17 juillet 1717, portant que les maires et
nutres oftieiers des hotels de ville seront élus comme ils l'étoien!
aVallt l'anl1ée 1690, e! l'arret du conseiI du 4 septembre de ia.llleme
année. (Ibid., p. 148 et 156.) /


2. La nécessité de pourvoir au payement exact des arrérages et an
rembol11"sement des eapitaux des d.ettes (le I'í·~tat nous a obligé "
chereher les moyens les plus cOllvenables pou!" y l'a!"venir, et il no
nous a point paru d'expedient plus sú!" et moins oné!"eux iL nos peu-
pIes que le rétablissemen t des différents oflices supprimés depuis noh'e
avénement a la couronne. (Édit d'aoút 1722, ibid.) t. XXI, p, 2(1),::


3. Dana l'édit d'aoút 1692, les motit"" réeh ,naient él'; dissilIlUlés




CHAPlTR8 A :¡!i


l'avenir leur destinée. Elles furent c.omptées depuis
lors parmi les moyens de battre monnaie dans les
embarras extremes. Ce fut un jeu pour le gouverne-
ment de vendre, de retirer et de vendre encore ses
titres de maires, lieutenants de maires, assesseurs,
échevins, consuls, capitouls, jurats, syndics perpé-
tuels, et de pressurer les villes par la menace re-
nouvelée d'une intrusion d'officiers héréditaires 1.
De i 722 a i 789, ilO n'y eut pas 'pour le régime mu-
nicipal seize ans de liberté sans ran~on. Dans cet es-
pace 4e temps, sauf deux intervalles, l'un de 1724. a
1733, l'autre de i764. a i77i, aucune élection de ma-
gistrats dans les communes ne put se faire qu'en
vertivde brevets d'offices acquis par elles '. Ainsi le


et enveloppés de pretextes politiqncs : 1( Le soin que nons avons
(\ tOlljollrs pris de choisi!" les sujets les plus capables, entre ceux qui
" naus ont été présentés pour remplir la charge de rnaire dans les
" principales villes de notre royaurne, n'a pas empeché que la cabale
" etles brignes n'aient eu le plus souvent beaucoup de part a l'électioll
" de ces magistrats, d'oit il est prcsque toujours arrivé que les officiers
" ainsi élus, pour ménager les particuliers auxquels ils étoient rede-
l{ vables de leur emploi, et ceux qu'ils prévoyoient leur pouvoir suc-
1( céder, ont surchargé les autres habitants des villes, et surtout ceux
« qui leur avoient refusé leur suffrage." e'est pourquoi nous avons
l' jugó a propos de créer des maices en titre dans toutes les villes et
" lieÍlx de notre royaume, qui, n'étant point redevables de Icurs
" charges au suffrage des particuliers et n'ayant plus lieu d'a]'-
" préhender leurs successeurs, e,\ exerceront les fonctions sltns pas~
" sion, et avee toute la liberté qui leur est nécessaire pOl'lr conserver
" l'égalité dans les charges publiques, 11 (Recueil des anc;ennes lnis ím,,-
I'a;ses, t, XX, p. 159,)


L Les offices rétablis en 1722 furent supprimés par l'ódit de juillet
1724; i1s furent <1e nouveau rétablis par l'édit de novembl'e 1733, et
supprimés encore par l'édit d'aoút 1764; l'édit de Ilovembre 1771 les
l'établit pour la troisieme fois, et ce fllt définitivement,


2. L'édit de 1724, qui supprima grlftuitement pour la seconde
foi. les affiees imposés Itux villes, fut renau it l'áyénement d'uo n011-




31:! ESSAI SUR L' HIS'l'OlRE DU Tl~;RS ÉTAT


droit originel n'existait plus au fond, la meme Oú,
en apparence, il' continuait de s'exercer, et tel fut
l'etat des choses jusqu'a repoque de la revolution.


J'ai devance l'ordre des temps, mais c'est pour
mentionner une fois pour tout.es ces tristes et mono-
tones vicissitudes qu'une histoire moins sommaire
exposera. Au point ou me voilit parvenu, si l'ancien
regime municipal est encore pour beaucoup de
villes un objet d'orgo.eil et d'atÚwhemellt par les
souvenirs, il a completement cesse d'etre une force
pour tes c1asses progressives de la natioll. Je n'en
parlerai plus, mais ce n'est pas sans un regret de
sympathie que je dis adieu a ces communautes libres
qui furent le berceau du tiers etat, la premiere 'et
vigoureuse e,xpressil)n de ses instincts politiques.
Pour l'historien qui voudra les suivre dans teur ex-
treme decadence a travers le dix-huitieme siecle, i.l
y aura encore des faits dignes de remarque et des
traits moraux a relever. Ce sera, par exeÍnple, cette
constance des villes a s'epuiser d'argel1t pour le ra-
chat d'un dernier reste de liberte qui ne rapportait
plus aucun avantage de bien-etre ou .d'ordre pu·
blic, .et, dal1s les plaintes adressees en leur nom au


veau ministere, celui du duc de Bourbon, et 1'lIilministrution UQa-
velle cherc1111 dans eette suppression itn moyen de popularité. L'édit
de 1764, quí, 1m supprimant pour la troisieme fois les offices mUllí-
cipaux héréditaires, déclara qu'ils ne pourraícllt ~tl'e rétublis SOllS
aucun prétexte, fut rendu par l'adminístration populaíre du duo de
Choiseul. Il eut pour objet de modeler ulliformément dan s tout le
royaume l'administration urbaine, en luí donnant pour base l'élcc-
tíon par nne assemblée de notables. Ce fut le minístere OU l'abbé
Terl'ay eut le départemen t des linances q ui lit l'cntl'er les municipa-
lités sous le régime des offices,enaintenu cette foís jusqu'a la Révolu-
tion. (Rccu~il des anciennes lois (ra1l\,o.ises, t. XXlI, p. 405 et 539.)




CIIAl'lTRE X 313


pouvoir qui les ralll<;onnait, un sentiment de la
saintete des droits civiq'ues hautement et fierement
exprime '._


Si les institutions municipales ne purent se relever
d'une atteinte indirecte que Louis XIV leur avait
porteeJ il n'en fut pas de me me de la grande insti-
tution judiciaire ou s'était empreint avec tantde
force l'esprit naissal1t du tiers état ~. Frappé direc-
tement par le roí dans ses prerogatives politíques,
le parlement plia sous luí, mais pour un temps, et,
des qu'il fut mort, se redressa plus puissant que ja-
mais. Oette puissance de la eompagnie souveraine
provenaít de delix sourees opposees, rune populaire
et l'autre aristoeratique: eelle-ei était l'esprit de
corps augmenté de l'esprit de famille par l'héredite
des charges; celIe-Ia était l'affection des classes ro-
turÍf~res née de la sympathie d'origine et nourrie
par'de longs services rendus a la cause du droit como


1. te payem~lJt Utl la nlJRnCe exigé pOl1l" la réunioll Jes offiC'es
lJJunicipanx avait Hen, soit indivi<lnellement par ville, soit collecti-
vement par pravince. Des recherches sur les sammes votées a <--et
olfet, ole l'une on de I'antre muniere, uepuis 1692 jusqn'i, 1799, ne
seraient pas sans illtérét, A..ant l'édit ole 1771, les états de l'rOyellCC
avuitlnt deja dépensé, panr le maintiel1 dn droit u'';lectioll dnlls les
vi\les et baUl'gs un pays, 12,500,O~0 livres; aprcs la prolllulgntioIl eJe
cet éJit, les états Je Lnnguedoc racheterent pour 2,500,000 line,
les officlIs qu'il l'étllblissait; et la ville de l'erpignan, all 110m UU
toutes les municipalités du Roussillol1, paya 250,000 livres. - POllr-
quoi ces clforts si sounl1t multipliés, pourquoi cet .!pniscmeut do
U05 forees, si nous n'avions cm <!trc vcrtueux, en arrachant du Ilau-
frage Je notre patrimoillc ce eJroit d'élcction inaliénable et impres-
criptible, ,Ji-oit que nOllS avons conservé anx dépens de nos fOI'·
tunes? (Remontrances du pllrlement de Provence, 1774, RaynouareJ,
Hisloire "" droit municipal en France, t, II, p. 362,)


2, Voy~z plus haut chal" 1I
18




314 ESSAI SUR L'HISTOIRE De TIERS ÉTAT
,


mun, de l'egalite civile et de l'independance natio-
nale'.


Comme on l'a vu dans ce qui precede, l'histoire
du parlement depuis le treízieme siecle est une suite
de progres lents, mais toujours surs; il grandit aux
yeux de la nation en meme temps que la rojaute,
dont il se montre a la fois l'auxiliaire et le surveil~
lant, dont íl eclaire la voie et qu'il aspir~ a diriger.
Au seizieme siecle, son controle législatif, son droit
de remontrance avant l'enregistrement des édits,
était ou accepté par les rois ou reclame par l'opi-
nion ~; et comme non·seulement leiJ edits royaux,


1. Voyez'plus haut, chap.IV, VI et VIll.- Par suite de la revolution
qui, 8.U quatorzieme siecle, remplit de legistes le parlement et les
autres cours souveraines, tout l'ordre judiciaire, saufles baillis et les
sénéchaux, était rangé dans le tiers état. Tellf fut sa place allX
etats généraux de 1614, et si, dans le cours du dix-septieme siecle,
il s'ét.ait tonu d'autres états, on y aurait vu la meme chose. Au mi-
lieu du siecle suivant, c'était encore un point controversé entre la
noblesse d'épée et la robe de savoir si tous les magistrats, queHe que
fUt leur extraction, n'appartenaient pas au troi.ieme ordre. Voyez
la liste des députés du tiers état aux états généraux de 1614, ci.apres,
appendice 1I.


2, C'est ain!i quc Charles IX j malgré toute la dureté avec laquelle
iI traita cette compagnie sur ce qui s'était passé au sujet de l'enre-
gistrement de l'édit de déclaration de so. majorite, ne laissa pas d'ap.
prouver en meme temps l'usage des remontrances et de conserver le
parlement a c~t égard dans son ancienne liberté. (D' AgllesSeall, OEu·
tJj'es completes, t.X, p. 8, édition Pardessus.)- D'oil vient qu'il fau!.
que tous édits soient vérifiez et comme controolez es-cours de parle.
ment, lesquelles, combien qu'elIes ne 80ient qu'une forme des trois
estat,s raccourcie au petit pied, ont pouvoir l1e suspendre, modifier et
refuser lesdits édits. CA-Iémoires /le Nevers, édit. de 1665, t. J, p. 449,)
-'- Les é<lits ordinaires n'ayant point de force et n'estans approllvez
des autres magistrats, s'i1s ne sont receus et verifiez esaits parle-
mens, qui est une reigle d'estat, par le moyen de laquelle le l'oy ne
pourroit, quand il voudroit, faire ces lois injustes, que bien tos!
apres elles ne fussent rejetées, (Mémoire de Jllichel de Caslcllluu, Jiv. 1,
chapo tv, p. 6.)




CHAPITRE X 3H¡


maís encore les bulles du pape revétues de l'autm'l-
sation royal e et les traités conclus avec les llUis-
sanees étrangeres devaient étre enregistrés, le
parlement intervenait dans toutes les grandes af-
faires intérieures ou extérieures de l'État l. Il se re-
gardait avec orgueil comme un pouvoir investi de la
tutelle publique, médiateur entre le peüple et le
roí, modérateur entre la couronne et l'Église, con-
'¡.;ervateur des lois et regulateur de toutes les juri-
dictions du royaume 2• Ses prétentions, comprimées
au dix-septieme siecle sous le ministere de Riche-
lieu 3, reparurent durant la Fronde plus grandes et
plus hautaines. n en vint alorsjusqu'a se croire su-
périeur aux états généraux et a mettre en avant par


1. Fran90is ler soumit en 1527 a une assemblée, composée de
membres du parlement de Paris et des autres parlemeuts de Franee,
le traité de :.Iiadrid qu'il avait signé l'année préeédente, et 'déelara
que le défaut d'enregistrement frappait eet aete de nllllité. C'est I'en-
registrement nécessaire des bulles qui, donnant au parlement 1'0e- '
casion de faire des rcmontrances sur les affaires ceclésiastiques, Ini
pel'mit de s'áriger en gardicn des maximes et des regles de l'Église
gallicane, '


2. Le plus grand nombre des eompagnies et des personnes dont
elles sont cbmposées vivent en cette créanee qu'i1s sont les tuteurs
des roys, les protectcurs des peuples, les médiatellrs entre le pellple
et les roys, et quc les roys lIC peuvent faire allCllne loy dan s leur
royauIlle C]ll'elle n'ait passé par leur jugement et examen, et autres
díscours ct pellsécs de oettc nature. (Mémoi"e adress~ au cardinal de
Richelieu, par le garde des sceallX JlIarillao, Ms. de la Bibl. imp~r"
supp!. fl'an~. 98, lo!. \JI recto,)


3. Les elUlllceliers et gardes des sceanx de Louís XIII usaient de
ces propos ,,1 il'autres sen~blables cllvcrs les membres du rarlement ,-
" Que s'ils onblioient ce qu'ils étoient, le roi n'oublieroit pas qu'il
" étoit lellr maUre; - que ce n'étoit pas 11 ellX 11 se m~ler des affaires
d'Í<:tat, et que le roi Ion .. défendoit d'entreprendl'e d'etre ses tuteurs. 1)
(Voyez les .lfémoires <I'Om,,' Taloll, passim, et l'édit de février 1641,
¡¡'(''/Ieil ,¡,,, ilneíennes loi" (ranraise." t, XVI, p. 529,)




316 ESSAI SUR r:UlSTOIRE DU TIERS ÉTAT
la bouche. de ses chefs cet étrange et hardi para·
doxe l •


L'impression que Louis XIV regut des troubles de
son enfance lui rendit de bonne heure odieuse la
moindre opposition du parlement. En :1.655, lorsqu'il
n'avait q.ue dix-sept ans etne gouvernaitpas encore,
ayant appris a Vincennes que la cour, toutes les
chambres réunies 2 , délibérait sur un édit, il vint á
franc étrier, et tit, dans la salle du paIais, cette en·
trée cavalit~re suivie d'ordres impérieux qui est l'un
des traits de sa vie les plus cités, et qui révéla tout
a coup la hauteur de son caracteres. Quand il eut


1. Apres la convocation .des états généraux en mars H49, le
parJement de Rouen écrivit a celuí de Paris pour lui demander s'il
clevait ou non envoyer quclques-uns de ses membres a l'assemblee
'des états. Yoici quella fut, selon le récit d'un contemporain, l'opi-
nion du président de Mesmes. " M. de Mesmes dict que les parle-
« ments n'y avoiellt jamnis député, estant composés des trois
« estats; qu'ils tenoient l'ang au-dessus des estats généraux) estant
« juges de ce qui y estoit arresté par la vériticatioll; que les estato
" généraux·n'agissoient que par prieres et ne parloient qu'a geDoux,
« comme les peuples et subjects; mais que les parlemento tenoient
" un rang au-dessus d'eux, estant comme médiateurs eutre le peuple
" et le roy. » (JQllrnal d'Olivier d'Ormesson, cité pl\1' M. -chéruel dans
l'opnscule i!ltitnlé : De Z'admin¡.lralion de Louis XIV, p. 44.) - La
cour des comptes décida, comme le parlement de Paris, qu'elIe ne
prendrait aucune pan a cette assemblée. Aux états généraux de 1614
on avait vu, comme députés du tiers état : pour la ville de Paris,
Roben Miron, président des requetes i po.ur la sénéchaussée de Lyon,
Pierro Austrein, président au parlement de Dombes, et, ponr I~
bailliage de TOllraine, Jacqlles Gauthier, eonseiller au parlement de
Bretagne.


2. Le parlement de Paris au dix-septieme 'siecle se composait do
onza chambres, savoir : la grand'cllambre, oa siégeaient les plus an-
ciens conseillers et les présidents l!. mortier, une chambra criminelle
vulgairement nommée la Tournelle, une chambre civile) une chnmbre
des vae!ltions, deux ehambres des requetes, et cinq ehambres des


. enquetes, formées des e.onseillers les phls jeunes.
3. Le l'arlement arreta de fail'e des remontl'ances sur un édit con·




CHAPITRE X 317


pris en main le gouvernement, il porta des coups
moíns brusques, mais d'un t:lffet plus durable, aux
prérogatíves parlementaires. D'abord, il supprima ie
nom de cours' souveraines et le rempla~a officielle-
ment par celui de cours supérieures; puis i1 abolit
pour toutes les cours du royaume la faculté de faire
des remontrances avant d'enregistrer les 10is. C'était
dépouiller le parlement de son r61e politique et le
renfermer pour l'avenir dans le cercle de ses fonc-
tíons judiciaires. Tel fut l'objet de la déclaration du
2~ février 1673', contre laquelle s'éleva du seín de
la compagnie blessée dans ses droíts les plus chers
une protestation que d'Aguesseau admirait, et qu'il
nomme le dernier cri de la liberté mourante 2. De-


cernant les monnaics, d lo ministre prHendait qu'une cou~ des mon-
naies étant établie ce n'était pas au parlement a se meler de ce!
objeto Le roi partit de Vincennes, vint en bottes au parlement, le
fouet a la main. 11 adressa la parole an premier président, et lui dit :
u On sait les malheurs qu'ont: produit vos assemblées; j'ordonne
" qu'on cesse celles qui sont commencées sur mes édits. Monsieur le
" premier président, je vous défends de les souffrir; et vous, en se
« tournant vers les conseillers des enquetes, je vous défends de les
demander. 11 (Voltaire, Hislóire dI' parlement de París, édit. Beuehot,
r. 275.)


1. VonIons que nos cours ayent a enregistrer pnrement et simple-
ment nos lettres patentes sans ancune modification, restrictiou, ui
nutres chluses qui puissent surséoir ou empllcher la 'pleiue et ent¡¡~re
exécution; el néanmoins, oil nos cours, eu délibérant sur lesdites
Jetlres, jugeroient nécessaire de nous faire leura remontrances sur le
contenu, le registre en sera chargé et l'arr@t rédigé, apres toutefois
que l'arrílt d'enregistrement pur et simple aura été donné, et séparé-
menl rédigé ... Les remoutrances non s saront faites ou présentées
tlaus la huitaine par nos ooura de notre bonne ville de Paris, ou
antres qui se trouveront dana le lieu de nolre séjour, et dans six
semaines par nos autres eours des provinces. (Recueil des aneimn., .
loi. fran9aises, t. XIX, p. 70.)


2. CEuvres completes d ... chancelier d' Aguesseau, t. X, p. 15, édit.
Pardesslls. - Ces remolltrances, célc'}\,cs de son tcmps, n'nnt jamai$


18.




318 RSSAI SUR L'HISTOIRE DU TIERS ÉTAT


puis lors jusqu'a, la fin du regne, c'est-ú-dire pendant
quarante-deux ans, il n'y eut pas l'ombre d'une
remontrance de la cour, tous les nouveaux édits
furent insérés dans ses registres et ainsi rendus'
executoires sans discussion et sans délai l. ?


Mais ce silence n'éteignit pas la vie pOlitique dú/
parlement, qui ressaisit, d'une maniere éclatalite, Sil
liberté et son pouvoir le lendemain de la mort dn
grand roi. Il cassa le testament de Louis XIV, comme
soixante et onze ans auparavant iI avait cas8A ce-
lui de Louis XIII'. Il repl'it, et conserva dermis
lors, ce nom vénére de cour souveraine qui sp.mblait
lui donner droit a une part de la souveraineté 3. Son
intervention dans les affaire s d'État' fut plus que
jamais. fréquente et obstillEle. Il devint agl'esflif et
usurpateur contre la royaute affaiblie, et l'opinion
publique le suivit dans cette carriere aventurp.llse,


a ce qu'il semble, ete publiées, et je les ai cherchées en vain. Elles
manquent dans les registres du parlement qui se trouvent nux Ar-
chives natioIlale.. .


l. Voyez d'Aguesseau, OEuvres ·compUtes, loe. cit. - L'emegistre-
meIlt d'une loi était censé parfait lorsque l'original, scellé du grantl
seeau, avait été lu dovant toutes les chambre. reunies et copié ell
minute par le greffier du parlenwnt. Cette copie sur feuilles de papier
timbré était ¡'acte authentiqne déposé parmi ce qu'on nommait Ips
minlltes ue la eour; la traIlscriptioIl ultérienre sur les registres AIl
parchemin ponvait litre différée a volonte.


2. Voyez l'Histoire de France n.e M. Romi Martin, t, XIII, p. ~!(iO,
et t. XVII, p. 143.


3. Il falloit par mille raisons ... diminucr l'antorité excessi ve des
principales compagIlies qni, sons prétexte qne Icm. jugernents étoient
saIlS appel, et, comme on parle, souverains et en uernicl" ressort,
ayant pris peu il. peu le nom da cours sOllvpraine~, se regardoient.
comma autant de souverainetés séparées et iJlllépendltlltes .• Te fís
conno1tre que je na souffrirois plns· leurs ell1.rerl"is~s, (()/Ow'res de
Lo"i. XIV, t. r, p. 46,)




CHAPITRE X 3H)


s'attachant Ú lui par l'exces méme de ses préten-
tions et de son orgu.eil. Demeure, de toutes les in-
stitutions anciennes, la seule que le dix-huiWlIne
siecle n'eut pas depouillee de force et de popularité,
il fut la chaine légale qui, a travers les états gé-
néraux dont il provoqua la derniere convocation,
coJt.duisit au nonvel ordre de 'choses dans lequel il
disparnt lni-Tl)(~mn.


...






PREMIER FRAGMENT
"-DU


HECUEIL DES MONUMENTS INJ!:DlTS DE L'HISTOIRE


DU TIERS ÉTAT


TAUT.EATl TlE I}ANCJENNE FRANCE MUNICIPAI,El


f011lIAIRE: L'étendlle acluelle de la France divisée, aD poinl de vue de l'his!oir.
un régime mnnicipal" en trois zones et en cinq régions, savoir: ,. la région
un nord, ~. celle dll midi, 3· celle du centre, 4· celle de l'ollest, o· celle de
l'esl el du sud-esl. - Région du nord, comprenant la Picardie, l' Artois, Ja
l/landre, la Lorraine, la Champagne, la N~rmandie el l'lle-de-France. -
Uégion dn mioi, comprenanl la Provence, le Comtat-Venaissin, le Languedoc,
rAllvergne, le Limollsin el la ~rarche, la GlIienne el le Périgord, la Gas-
cogne, le lléarn et la Basse-Navarre 9 ]e Cornté de }!'oix et le ROu55illon. -
Régiún dn centre, comprenant l'OrManais et le Gatinais, le Maine, l'Anjou,
la Tonraine, le Berri, le Nivernais, le BOllrbonnais el la l:!ourgogne, - Uégion
de l'one3t, comprenant la lh'etagno, le Poitou, l'Angoumois, l'Allnis et la
Saintonge. - Région ,le I'est el (111 slld-cst, romprenant l'Ahaoo, la Franche-
f.o",t", 1" Lyonnais, la Bresse et le D."phiné,


L'histoire municipale de l'ancienne France, fon-
rlement et partie principale de l'histoire. du tiers
et/lt, n'a obtenu que de n9s jours, dans l'opinion pu-
blique, le haut degré d'importance et de faveur
qu'eIle méritait. Il a fallu pour cela que les révo-
lutions modernes, en se déployant sous nos yeux,
llons eussent appris a voir et a comprendre les re-
volutions du moyen age. C'est ainsi qu'un nouveau


1. Ce m"rcr~!I ~st la Préface un second \'olume du Recuci!.




322 PREMIER FRAGMENT


sens historique a été donnú a (~e qn'on nppelait, a'un
nom trop modeste, l' affranchissement des communes,
et qu'on a reconnu tous les caracteres d'une veri-
table révolution dans un evénement classe jusque-la
parmi les réformes administratives de la royaute
fran<,;aise. La questíon complexe de la renaissance
des municipalités libres au douzieme siecle a d'abard
été traitée d'une fa<,;on partieÜe, sinon partiale. Il
y a eu des solutions diverses et en apparence con-
trac1ictoires, selon le point de vue ou chaque auteur
s'était placé par préférenGe ou par hasard, l'un con-
sid8rant surtout la durée non interrompue du
régime municipal, l'autre, son rajeunissement so u-
dain par un nouvel esprit et de nouvelles consti-
tutions; celui-ci, l'acte de concession ou de trans-
action émané du pouvoir royal ou seigneurial;
celui-Ia, l'initiative de la bourgeoisie et l'impulsion
révolutionnaire l. Puis, a mesure que le probleme a
fait son chemin dans la discussion scientifique, ces
vues divergentes se sont rapprochées; il s'est formé
au-dessus d'elles une these plus large qui les com-
prend toutes, qui, tenant compte de tous les prin-
cipes du grand mouvement municipal du dquzieme
siecle, admet a la fois, pour l'expliquer dans ses
causes et dans ses suites, l'élément traditionnel et
l'inspiration rénovatrice, un esprit de sagesse lÍbé-
rale de la part des gouvernants, et raction, irrésis-
tibIe quand elle est juste, des volontes popnlaire:;;.


1. Voyez les Leltres SltV l'histoire de Fra,¡cl', lB27; l'Histoire cri-
tique au pouvoir municipal; par 1\1. Leber!, 1828; ¡'JIi.</oire du POUVO;¡'
municipal en France, par JI.1. Raynouard, 1B29, et.l'Histoire de la ciri-
isation en France, par :\1. Guir.ot, t.. V, 1830.




TABLEAl; DE L'MiCIENIiE fHA:\CE !llUNICIPALE 323


Au point uu elle est maintenant parvenue, la
science considere deux c1lOses oans h révolutioll
commUliale, el'une part le fond de cette n\volution
ou son esprit, de l'autre les nouvelles formes de mu-
llicipalité qu'elle a créées. Le fond est le meme d'un
bout a l'autre de la France actuelle; c'est, pour
toutes les villes oú se fait sent.ir, dans le cours des
douzieme et treizieme siedes, le besoin de progre s
et de garantie pOlIr la liberté civile, un désir plus
ou moins violent de substituer aux pouvoirs féodaux
une magistrature élective; quant. a la forme, elle va-
rie selon les zoues uu tertitoire. Comme on l'a vu
dans l'Essai sur l'hisloire du tiel'S état 1 , au midi s'est
propagée de ville en ville une constitution munici-
pa~e venue d'ltalie ou les magistrats ont le titre de
consuls; au nord s'est répandue de la meme maniere
une constitutioll el'origine différente, la commune
proprement elite, ou la municipaIite organisee par
association et par assurance mutueIle des citoyens
sous la garantie du serment!. Ces deux courants de
propagande constitutionnelle, marcharÍt, l'un du sud
au nord, l'autl'O du nord au sud, et s'arretant a de
certaines distances, ont laissé neutre une zone in-
termédiaire ou l'administration urbaine a conservé
ses anciepnes formes, soit intactes, soit diverse-
ment et faiblement modifiées. Tel est le tableau de
la France municipale au moyen áge. Trois grandes
divisions s'y marquent par des lignes tracées de


1. Cll:tl'itrc 1, p, 29 et suiv.
2 Voyez, sur l'institutioll gCl'IrInnique de la Ghildc ct sur le sens


i)rill1itif ¡lu nlOt ('I)/J/?IIIW'\ h.ls COHsitlérrttivIUC: .sU¡ l [¡isloire ~le F1'ance~
chapo V.




321- PREMlbR l<'HAGME!iT


l'est á l'ouest: la zone du nigime cOllsulaire, la
zone du régime communal et la zone des munícipes
non réformés et des villes de simple bourgeoisie.
Je demande párdon an lecteur de ces formules obs-
cures. Je n'expose pas, je rappelle ici, ayer le moins
de mots possible, ce que j'ai ait et développé aíl-
leurs'. --


Sous la division du territoire fran~ais en t!'ois
zones, on peut en tracer une secondaire qui le par-
tage en cinq régions, composées chacune de plu-
~ieul's provinces et offl'ant des dífférences esselltíelles
I¡uant aux origines et á l'ol'ganisation du régime
municipaL Ce sont, suívant les noms que je len!'
donne et l'ordre dans lequelje me propose de les ca-
ractériser successivement, la région du nord, ceUe
dn midi, celle du centre, celle de l'ouest, et ecHe de
l'est et du sud-esto


1


La région du nor!] , qui est le berceau, et pou!'
ainsi dil'e la terre classique des communes jurécs,
comprend la Picardie, l'Artoís, la Flandre, la Lor-
raine, la Champagne, la Normandie et ,rIle-de-
France, pl'nvinces clont chacune, a coté des ca-
racteres généraux communs á toutes, présente,
dans ses illstitution~ municipales, cel'taines par-
ticulal'i tés q ni 1 ni son t pl'opres.


1. Exsoi ,~l//, l'J¡i~{l)ire dH lIcr:>, e't(ll~ chap. lU. - CU1:údt'rl1lÍo~ls sur
l"loi>loire de frc¡lIcr} chap_ Y.




TABLEAU DE J:ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 325


Po.rmi ces provinces, la Pieardie est eelle qui
renferme le plus grand nombre de eommunes pro-
prement dites, ou eette forme de régime atteint le
plushaut degré d'indépendance et ou, dans ses ap-
lJlications, elle offre le plus de variété \. C'est la qu'on
peut observer le fait curie:ux de la filiation des
chartes communales et de leur propagation, par la
puissance de l'exemple, soit dans une meme pro-
villce, soit hors de ses limites, et quelquefois a de
grandes distanees 2. La Flandre franSiaise, démem-
brement de la Flandre beIge, et l'Artois, placé an-
ciennement sous la meme seigneurie que eeHe-ci,
ont 3yeC elle un type eomlUun d'organisation mu-
nicipale. Le principal trait de cette ressemblance
consiste en ce que la commune jurée n'apparait pas
:-;eule, mab; se trouve doublée en quelque sorte par
r/nstüutt"on de Jlw:.r, débl'is de la treve lile Dieu, main·


1. Les COlllll,unes ue Picanlie anú'llt en gélléral toute justice,
haute, llloyclllle et basse. K on-scnlemcnt dans cette province les
cllartcs lllunicipnles ues villes se tronvaiellt appliquées a de simples
"iUages, dont quelques-uns n'existent lllus, mais encore il y avait
des cOllfédérations de plusieurs "iIlages 011 1w.meaux réunis en mu-
nicipalités sons une cbarte et une magistrature coUectives. Tels
étaient Vnisly, Cona<" Chavones, Celles, Pargny et Filain, dan s le
Soissonnais; et, dans le Laonnais, CC1'lly, Chamouilles, B"nne,
Chevy, Cortana, Verneuil, Bou1'g ct Comino Le Marqucnterre, vaste
eanton da Pontbieu, reyut, cn 1199, la cbarte communale d'Abbe-
yille. Voyez le tome XI da ReclIeil des ordonnances des rois de France,
p. 231,237, 245, 277 et 30B.


2. Do la charte d' Amiells 1'1'OC;,uel1t celles d'Abbeville, de Doullens
el de plnsiel1l's villes <in PonthiCII. La charte ,le Soissolls cst repro-
iluite on imill\c dalls celles de Cre,p"' en Valois, de Compi&gne,
de Sonlis, de Mellnx, de Fismes, ,lo Sen s et de Dijon. La o1""te de
Laon fut portée á Heims, et répuIlJllc Jans tout le L."J1lnai;. ,.olle
lle Saint-Qucntin servit de modele :tux chartes de Ccrbie, dc Roye
el de ClJalm)".




326 PREMIER FRAGMENT


ten u comme établissement de poli ce urbaine sous
l'autoríté de magistrats spéciaux '. En Lorraine, les
troís ancíennes villes épiscopales, Metz surtout,
présentent, avec des institutions qu'on ne trouve
point ailleurs, le caractere le plus marqué d'indé-
pendance municipaleS. Pour les autres, il y a un fuit
digne de remarque, c'est que toutes, á peu d'excep-
tions pres, ont re<tu la charte, ou, comme on disait,
la loi de Beaumont-en-Argonne, petite ville de Cham-
pagne fondée vers la fin du douzieme síecle. Dans
cette derniere province, sauf la ville de Reims, vieux
municipe quí entreprit d'ajouter la liberté commu-
nale a ses franchises traditionuelles, sauf les villes
de Sens et de Meaux, quí devinrent des eommunes
jurées, l'une par insurrection, l'autre par oetroi,
l'organisatlon urbaine se montre peu forte et bor-
née á la garantie de droits purements civils. En
Normandie, Rouen et les autres grandes villes sont
des communes constituées d'apres un type remur-
quable; elles ont un maire, douze échevins, donze
eonseillers et soixante-quinze pairs, ce' qui fait cent
membres pour le corps municipal. Ceite constitu-
tion fut transportée de li au midi sur les terres de
la clomination anglaise. Dans rIle-de-France, on voit
l'eparaltre le type constitutionnel des communes de


1. Leur titre était celui d'apaise'urs.
2. Ces troi~ vil les sujettes de l'empire d'Allcmagnc ollt, par cela


meme et sous d'antres rapports que je mentionnerai plus tard, une
grande aflinité d'existence mnllicilJ:llc 'Wec les villes qne j'ai ran-
gées dans la cinqniéme région, celle ele l'es!. II serait possiJ.¡le, ¡.
cause d'elles, de compl'endl'e la LOl'raine ualls cette région, en la ué-
tachant decelle d,' lloru.




TABLEAO DE L'ANCIENNE FRANC¡'; M(;N1CIPALE 3n


la Picardie méridionale I ; Paris, avec sa municipa-
lité immémoriale, offre un caractere a part, ou la
tradition romaine subsiste sous des formes nées au
moyen age, ou la liberte, complete quant au droit
civil, est peu de chose quant au droit politiqueo


II


La seconde région, celle du Midi, est le champ Ol!
se prúpagea, venant d'Italie, la forme de constitution
municipale que j'ai désignée par le nom de régime
consulaire. Les provinces qu'on peut ranger dans
cette division du territoire sont : la Provence, le
Comtat-Venaissin, le Languedoc, l'Auvergne, le
Limousin et la Marche, la Guienne et le Périgord,
la Gascogne, le Béarn et la Basse-Navarre, le comté
de Foix et le Roussillon. J'en excepte le Lyonnais,
la Bresse et le Dauphiné pour des raisons queje dirai
plus tardo Dans la région du Midi, le titre de ConsuIs
exprime les me mes fonctions q~e le titre d'Échevins
dans celle du N ord 2; mais, généralement, le pouvoir
attaché a ces fonctions est plus large et plus indépen-
dant, il s'éleve, pour la plupart des villes, jusqu'a une


1. Uu maire et dow.e pairs. Voye? sur les titres de maire, éche-
vins, pairs et jurés, les Considérations bur ¡'/tistoiTe de Ftance, chapo v
et VI.


2. Les titres de Syndics, Prud'hommes, Jurats, Capitollls, qui
accompagnent 9a et 11!.1e titre de Consuls} SOllt plus anciens que ¡ni.
Voyez ibid. '




32~ PREMIEI\ ~'RAGMENT


sorte de souveraineté partagée, et, pour quelques~
unes, jusqu'a la plénitude de l'état républicain. Cette
région, ou la persistance du régime municipal depuis
les temps romains se montre plus clairement que
partout ailleurs; est celle qui presente les plus grands
monuments de legislation urbaine : lois de justice et
de police, lois d'election pour les magistratures, et·
lois organiques pour des reformes constitutionnelles.
Les anciens statuts, corl'espondant aux chartes de
commune des villes du Nord, sont rediges avec plus
d'ampleur, de science et de méthode. Un grand
nombre d'entre eux sont de véritables codes civils
et criminels, débris de la loi ou de la jurisprudence
romaine conserves isolément comme droit coutu~
mier 1 •


La Provence el le Comtat~ V enaissin furent, an
douzieme siecle et au treizieme, le foyer de la tradi~
tion italienne; c'est li qu'apres l'etablissement de
la municipaliteconsulaire s'est implantee, dans trois
grandes villes, l'institution bizarre du Podestat 2 •
Marseille, Arles et A vignon sont a part sous ce rap~
port, comme sous celui de l'indépendance et de la
puissance municipales. Inférieures a elles a diffé·


" 1. Aux termes des stlttuts muuicipaux de Montpellier, l'é<liges au
eomiuencement du tL'cizlcmc siecle1 les jugeLnents devaient étrc l'(.'J1-
tlus selon la eoutume, et, lorsque la coutume titait muette, conforrné~
ment au droit ém'it, " Et aqui ont las costumas de failhiran, segoJl
" orde de dreg, " (Le Petil Thalamus de MoutpelJiel', registre .des sta-
luls muuieipaux, publié par la Société >ll'chéol. dc Montpellicr,
1'. pal'tie: art. VI, p, 7.)


2, Le poJestat (en italicn podesta), qui nc poumit <ltre élu que
parmi les étraugers, était une sorte de dietatcur non pas substitm',
mais superposé a1l gOllVel'nemcnt municipal. Voycz Sismondi, lJis~
toire des rél'ubli'IU"S ilalicIIIles au moyen JUe, pas.im.




TABLEAU DI> L'ANCIENNE FRANC~~ MUNICIPALE 329


rents degrés, les autres villes des memes province:'\
ont avec elles cela de commun que le consulat s'y
montre comme une forme plus énergique donnée it
des libertés immémoriales, et que ce changement
de constitution y parait l'reuvre de la nobles se aussi
bien que de ia bourgeoisie. Presque partout la magis-
trature urbaine est partagée entre ces deux classes
qlli l.'exercent conjointement et de bon accord 1; on
sent qu'il y avait la entre l'une et l'autre beaucoUl)
moins de distance qu'ailleurs. Dans les villes de la
Provence et dans celles du Comtat, le collége des
consuls, qui variait quant au nombre, etait assisté
de deux conseils dont le plus nombreux avait le nom
de Conseil général s. En ouire, lorsqu'il s'agissait
d'une affaire de haute importance, des assemblées
extraordinaires, convoquéessous le noro de Parlement
et formées de tous les chefs de famille, se tenaient
dans les églises ou en plein airo


Il est curieux d'observer avec quelle promptitude
le mouvement qui propageait la réforme, ou, pour
mieux dire, la révolution consulaire, atteignit en
Languedoc les villes les plus éloignées de l'Italie.


l. 'n faut excepter deux villes, Tarascon et Brignolles. A Ta-
!'aSCOIl, le partage du consulat entre les nobles et les bourgeois fut
l'objet de querelles violentes et, en 123B, d'une lutte armée. A Bri-
gnolles, fait unique, la municipaJité tout entiere était aux mains des
nobles; les consula t¡e pouvaient ~tre pris que dans leur corps. En
1222, ils vendirent le consulat su comte de Provence, comme un
droit qui leur était propre. Cette vente fuU'équivalent d'une révo-
lution populaire, et, depuia lors, les roturiera, admia dans le conseil
municipal, en formerent quelqucfois la totalité.


2. A Marseille, si je ne me trompe, le nombre le plus éievé fnt
de douze pour les consuls, de quarante membres pour le conseil or-
dinaire, et de cent cinquante pOllr le grand couseil de la ville.




330 PREMIER FRAGMENT


Le consulat, établi a Arles en H31', se montre a
Béziers dans cette me me année; a Montpellier
en U4.t, a Nimes en H~5, a Narbonne en :1.148, et
a Toulouse en H88 2 • Pour l'égalité de développe-
ment des institutions municipales, le Languedoc
doit atre placé en avant de toutes les autres pro-
vinces; les petites villes y étaient sous ce rapport
au niveau des grandes, et une foule de bourgs et
de villages soutenaient la comparaison avec les villes.
Presque partout le consulat répondait par ses attri-
butions a l'idée de gouvernement completo Cette
magistrature était entourée d'un appareil sénatorial
dont les insignes contrastaient souvent avec la condi-
tion et la víe journaliere de ceux que le sufl"rage
universel en avait revetus s. En Languedoc, de meme
qu'en Provence, la haute bourgeoisie se distinguait


1. Cette date est celle de l'établissement légal de la nouvelle cons-
titution; elle marque l'epoque on le consulat, institué par les citoyens
ti' ArIes contre le pouvoir de l'archev@que, fut, apres uue résistance
plus ou moins longue, reconnu et consenti par ce dernier. Pour Mar-
seille et pour Avignon, H-n'y a pas de date certaine, mais la tradi-
tion, dans ces deux villes, fa.isait remontar l'institution des cousuls -
jusqu'aux premieres annees du douzieme siecle.


2. Ces dates sont celles de la premiere mention du titre de consuls
dans les actes couserves jusqu'a nous; il est probable que l'étahlis-
sement politique fut, pour toutas ces villas, anterieur de quel'l."es
annees iL l'acte qui en prouve l'existance,


3. Racine ecrivait d'Uzes a l'un de ses amis, en 1661 : « De quoi
" voulez-vous que je vons entretienne? De vons dire qu'i! fait ici le
(1 plusbeau temps du monde, vous ne vous en mettez guere en
" peine; de vous dire qu'on doit eette semaine créer des consuls ou
" conses comme on dit, cela vous touche fort peu. Cependant, c'est
" une belle cbose de voir le compere cardenr et le menuisier gail-
u lard, avec la robe rouge comme un président, donner des arrets,
u et alIer les premiers iL l'offl'llude : vous ne voyez plCs cela a Paris.,)
(OEuvres complétes de Racine, édit. Lefevre, t. II, p. 304.)




,-


TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 33\


a peine de la noblesse; les bourgeois, depuis un
temps immémorial, et sans qu'ils eussent' beso in
pour cela de dispense ni de concession expresse,
pouvaient acquérir et posséder en toute franchise


I des terres nobles. Toulouse, avec ses vingt-quatre
consuls auxquels on donnait vulgairement le nom
plus ancien de Capitouls, fut l'une des cités munici-
pales qui eurent le plus de grandeur et d'éclat. A
Nimes, il y eut d'abord deux villes distinctes, la
cité 'et le quartier des arenes, et, pour chacune
d' elles, un consulat; ces deux municipalités se réu-
nirent en 1207. Il en fut de meme a Narbonne, pour
la ville proprement dite et pour ce qu'on nommait
le bourg; mais la réunion fut moins prompte, et
jusqu'au milieu du quatorzi<'mie sit'lcleil y eut deux


I colléges de consuls. A Montpellier, le régime con-
sulaire établi par insurrection contre le seigneur
immédiat I ne dura d'a;bord que deux années, le temps
de la révolte. Une contre-révolution ramena l'ancien
régime avec le vieux titre de Prud'hommes; celui de
Consuls reparut apres soixante-trois ans 2, mais cette
fois pour toujours, et avec un luxe quí semble prou-
ver combien ce titre était populaire. Il yeut dan s la
constitution définitive des consuls majeurs au nombre
de douze pour le gouvernement général, des consuls
de mers pour l'exécution des reglemen"ts de douane
et les relations de commerce avec les puissances ma-
ritimes, des consuls pour juger les causes des trafi-


1. Gllillsllme, fils de Guillaume d'Ermessinde, en 114l.
2. Saus la seigneurie de la msisan royale d' Aragon.
3. Cossols de Mar. Voyez le P.tit Thalamus de Montpellier,


2e partie, p. 114.




332 PREMIER FRAGMENT


quants par mer 1, enfin un consul pour chacune des
sept classes dans lesquelles se rangeaient les habi-
tants de la ville selon leurs diverses professions.


L 'Auvergne et le Limousin avec la Marche forment
dans la région du midi la limite septentrionale de ce
que rai nommé la zone du régime consulaire, limite
quí se continue a l'est dans une autre région muni-
cipale par le Forez, le Lyormaís et la Bresse. Plus
loin vers le nord, le titre de Consuls a disparu; on
ne rencontre plus que ceux de Maires et d'Échtlvins,
de Prud'hommes, de Jurés, de Syndics, de Conseil-
lers, de Procureurs, de Gouverneurs ou d'Élus. Les
municípalités de l'Auvergne ne présentent aucun
trait saillant; elles ont des consuls dont les attri-
butions sont partout a peu pres les memes, et dont les
pouvoirs sont restreints, a Clermont par les offi-,
ciers de l'éveque, a Aurillac par ceux de l'abbé, et
a Riom par ceux du comte ou du roi. Dans la Marche,
pays de bourgades plutot que' de villes, le consulat,
établi postérieurement au treizieme siecle, n'est
qu'un nom presque sans valeur. En Limousin, on re-
trouve ce régime dans son énergie méridionaIe; il
parait a Limoges au douzieme siecle, et il y demeure
pleinement libre jusque ver s la fin du treizieme.
Alors, apres une lutte des bourgeois contre les pré-
tentions du vicomte, Iutte remarquable en ce que l'as-
sociation jurée des villes du nord y joua son róle,
la bourgeolsie, contrainte de céder, fait un t~aité de
paix gui mutile sa constitution et les droits de ses


4. Cossols deis mercadier., (JUC "aH per mar. (Petit Thalamlls 'de
)iontpellier, - 3- partíe, p. 274.)




TABLEAU DE L'A:-\CIENNE r'RANCE MUNICIPALE :l33


magistrats,'. Le Périgord' offre dans sa capitalfl
l'exemple d'une tout autre destinée, d'une indépen-
dance municipale qu'on peut dire absolue, et dont
l'histoire abonde en particularités pleines d'inte-
reto On y trouve, comme a. Nimes et a. Narbonne, la
separation en deux villes, mais avec cette différence
que la plus ancienne des deux, la cité, conserve jus-
qu'au milieu du treizieme siecle un régime de tradi-
tion immémoriale , libre sous le patronage épiscopal
avec formes aristocratiques et sans aucun nom spécial
de magistrature!, tandis que le bourg S a suivi le mou-
vement de l'époque en se donnant la constitution
consulaire. De plus, on voit l'esprit de cette con-
stitution révolutionnaire amener entre les deux villes
déja. rivales un antagonisme politique et des luttes
armees qui se terminent, en 1240, par la victoire'
du principe réformateur et la reunion en une seuIe
communauté démocratique, sous le régime du con-
sulat. En outre, ce regime lui-meme subit une ré-
forme; il est rendu plus actif et plus concentre par
la superpositjon d~un maire aux douze cansuIs, pra-
tique dontles villes de la Guienne, sous la domination
anglo-normande, avaient appris les avantages dans
Ieurs relations devenues plus fréquentes avec les com-


l. les consuIs de Litnoges avaient été investis originairement dp~
pouvoirs administratif, législatif, jlldiciaire et militaire.


2. Dans les actes Oil le corps des habitants de la cité ue 1'él'i-
gueux se désigne lui-rnt\me, on ne .trouve pour cette uésignnliol1
u'antre formule que celle-ci : Om1les clerici, milil~s el don:dli i'l alii
laici ci'vi/alis.


3: On l'appelait le Puy-Sajnt-Fro1l1, un 'llom ue l'ógli.e nn!our
ue laquello iI avnit été bati.


19.




334 PREMIER FRAGMENT


munes du Nord '. Sous' cette constitution d'origine
mixte, la ville de Périgueux posséda, jusqu'a la ré-
volution de i 789, une complete sóuveraineté munici-
pale, la liberté en tout, sauf l'hommage dil ~ la
couronne, tel que le rendaient les feudataires im-
médiats; c'est ce qu'exprimait cetteformule officielln
des délibérations publiques : les citoyens seigneurs de
Périgueux.


A Bordeaux, l'office de maire, introduit vers la
fin du douzieme siecle dan s l'organisation munici-
pale, y rencontra, non le régime consulaire, mais
une forme de municipalité plus ancienne, ou le prin-
cipal titre de magistrature était celui de Jurats, titre
qu'on retrouve dans une foule de villes, depuis la
Gironde jusqu'au milieu de la chaine des Pyrénées.
Il parait que cette constitution, immémoriale a Bor-
deaux, y était tres-libre et tres-largement dévelop-
pée, et que c'est par la qu'elle eut la force de résister
i l'esprit de réforme quí propageait le consulat.
En i2~~, le corps de ville se composait d'un maire
annuel, de cinquante jurats, de trente conseillers et
de trois cents citoyens élus par le peuple, sous le
nom de défenseurs, pourpreter assistanceau pouvoir;
vers la fin du treizieme siecle, le nombre desjurats fut
réduit a vingt-quatre, et celui des défenseurs i cent.
Toutes les villes du Bordelais modelerent, a diffé-


l. La commune de Beauvais, conlitituée a son origine sous le gou-
vel"llement de douze pairs, prit de la m~me maniere l'institution de
la mairie en I'empruntant a1'lx communes voisilles. Dans sa charle,
révisée en 1182, il fut statué que treize pairs seraient élus chaque
année, et que l'un d'eIitre eux serait fait maire; la charte dislIit un
ou deux, mais, apres expérience faite, I'unite prevalut.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 335


rentes époques, leur constitution sur celle de la
capitale, et la plupart d'entre elles s'intituIerent
alliées et filleules de Bordeaux l. En outre, l'imitation
duo me me type constitutionnel s'étendit vers le sud
dans la Gasco,,;'ne occidental e ; on le trouve a la Réole,
i Mont-de-Marsan, a Saint-Sever et a Dax. Il y a
la toute une famille de constitutions urbaines dont le
caractere commun est l'association de la mairie a
la jurade, et qui, bien qu'elle occupe un territoire
peu étendu, mérite d'etre classée a parto Dans ]e
reste de la Gascogne, on voit reparaitre le consulat,
non a son plus haut degré d'indépendance, mais
avec des pouvoirs restreints et une juridictionparta-
gée. Trois villes de la Guienne orientale offrent dans
leur histoire des particularités dignes de remarque:
Cahors, municipe réformé par la propagan de consu-
bire, est l'un de ceux qui lutterent avec le plus de
constance pour le ntaintien et le développement
de leurnouvelle constitution; Agen, municipe non
réformé dont le gouvernement traditionnel était
un collége de douze prud'hommes, vit, par une
simple déviation de langage, le titre collectif de
ces magistrats, le Conseil, se changer en celui
de Consuls 2; a Rodez, mi la .cité et le bourg for-
maient, comme a Périgueux, deux villes et deux
municipalités dis~inctes, cette séparation dura en-


1. Ces villes étaient Blaye, Libonrue, Saint-Émilion, Podensac,
Bourg, Castillon, CadilIac, Rions et Saint-l'.facaire.


2. Dans les couturnes rédigées en 1369, on trOllve : Lo cosselh
d'Agen, los Pros-homes del cosselh; le litre de ConslIl.<, employé vers
la m@me époque par la chanceI1erie royale, parait seu J en ".age au
quinzieme siecle et apreso .




336 PHEMIEH FRAGMENT


tiare et absolue jusqu'au milieu du dix-huitieme
siecle.


Le Béarn, joint a la basse Navarra, offre une
classe de communautés uniformément régies par
des fors ou statuts municipaux analogues aux jueros '
de l'Espagne. Les villes, grandes ou petites, y ont
des jurats au nombre de six ou de quatre, et ces
magistrats exercent librement et sans partage la
justice civile et criminelle l. Au milieu de cette unité
d' organisation administrative et judiciaire, la ville de
Bayonne se détache, et contraste avec toutes les
autres. On la voit, au commencement du treizieme
siecle, abandonner le régime municipal indigene et
chercher au loin une constitution étrangere, celle
des communes normandes, transportée et perfec-
tionnée dans les villes du Poitou et de la Saintonge.
C'est une double cause, la suzeraineté des rois d'An-
gleterre étendue de la N ormandie aux Pyrénées, et
le commerce d'une ville maritime, qui amene ainsi
aux extrémités de la zone municipale du Midi la
commune jurée dans sa forme native avec toutes ses
regles et ses pratiques. Aux termes de la charte
royale donnée en 12HP, le corps de ville de Bayonne
se composait d'un maire, d'un lieutenant de maire,
de douze écheyins, de douze conseillers et de soixante-
c¡uinze pairs. On admit, avec les nouveaux offices
municipaux, la nomenclature étrángere qui servait
a les désigner; mais, pour la désignation collec-


1. Sauf la haute juridiction uu fors de !lIor!aus, qui était -PO!!!'
toute la provinco Ulle sorte de conr sou\·eraine. Le mot {ar., avait le
double sens de ¡oi et de tribullul.


2. Par .Jean s~tns T~lTe.




;rADLE.\U DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE :l:n


tive descitoyens, l'usage maintint sous le regimü
communal le meme titre qu'auparavant; ceux qui,
dans les villes du Nord, etaient qualifies du nom de
jurés sont appeles voisins a Bayonne, et ce mot a re9u
le sens politique de l'autre, celui de membres de
la commune associes par le serment J.


Le consulat reparait dans les villes du comté de
Foix; on le voit, a Pamiers, investi d'attributions
tres-étendues; c'est dans la montagne voisine de
cette ville qu'on trouve la curieuse federation républi-
caine des six communautes du Val-d'Andorre. Les
villes dli Roussillon, toutes régies par des consuls
en petit nombre2., présentent ce caractere particulier
que le. trait le plus sai1lant de leur existence mu-
nicipale est l'organisation militaire. Longtemps
avant la reforme définitive de leur constitution poli-
tique, elles exer9aient le droit de guerre pour la
vengeance et la ·réparation des torts faits a la gené-
ralité de leurs habitants, ou a queIques-uns, ou
meme a un seul d'entre eux 3. EIne, l'anciennecite
épiscopale, obtint de son eveque, en Hoo, une charte
quí lui garantit ce droit dans sa plénitude, sans
ríen ~eder de la juridiction, qu'elle reserve absolu-
ment a l'éveque. Dans toutes les villes de cette pro-
vince, quelle que fút d'ailleurs la mesure de leur
indépendance, le premier consul était commandant-


1. Les registres mlll1icipllUX de Bayol1ne contiennent une foule
d'actes de réception de voisins et de 'lJoisines. 011 y trouve les m~mes
formalités sllivies ponr les homrnes et pour les fernmes.


2. Deux en général, et cinq au plus.
3. C'est ce que les coutllrnes de l>erpignan nomment le privilége


ue main armée, llridlf[Júl1u mal1l18' armal.:c.




338 PREMIER FRAGMENT •


llé de la milice urbaine, et, a ce titre, il avait droit
de vie et de mort sur les citoyens. A Perpignan,
le régime consulaire, établi en H96 par la volonM
générale et apres une délibération des habitants',
fut indépendant sur tous les points, et complétemimt
démocratique. Les cinq consuls élus pour un an,
d'abord seuls, puis avec 'un conseil de douze, de
soixante et de quatre-vingt-dix membres, possé-
daient le pouvoir judiciaire dans toute son étendue et
le pouvoir législatif, sauf l'avis, pour les choses im-
portantes, du corps entier des citoyens. Quoique
divisés en trois classes qu'on appelait mains', et dont
la rivalité amenait sauvent des discordes et des vio-
len ces , les citoyens étaient tous égaux en droits
politiques.


111


Je passe a la troisieme région municipale, a celle
que fai nommée région du centre; elle comprend
l'Orléanais et le Gatinais, le Maine, l'Anjou, la Tou-


1. Notum sit cunctis ... quol nos omnes insirnul populi totius .
viJlre Perpiniani... constituirnus inter nos quinque consules... qui
bona lide custodiant et defendant ac rnanuteneant et regant CUllctllm
populnm viBre Perpiniani, tam parvum quarn maguum. (Code des
coutumes de Perpignan, cité dans les recherches de M. Henry sur
rancienne con8titution de cette ville, lIUmo;re présenté par di,'ers sa-
vanls a l' académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. l, 2" série,
p.233.)


2. 1.11. main mojeure, la main moyenne et la majn basse. Ces loeu-
tions se ruttachaient it une formule politique usitee en Aragon, et
qui, figurant le royaume cornme un corps, faisuit dll roi la tHe,
des étllts généraux les bras, et dt>s habitants des villes, distingués
en classes, les mains.




TABUAU DE L'ANC1ENNE FRANCE MUNICIPALE 339


raine, le Berry, le Nivernais, le Bourbonnais et la
Bourgogne. Cette vaste portion du territoire est en
quelque sorte le noyau de lazone intermédiaire entre
les deux grandes zones de l'assoeiation eommunale
au nord et du consulat I au midi. La commune jurée
ne' s'y montre que par exceptions peu nombreuses,
et ron n'y trouve le titre de ConsuIs que deux fois
seulement, au douzieme siecle, en Bourgogne, dans
une pe tite ville révoltée d'ou iI disparait bientót', et
au treizieme en Bourbonnais, dans une municipalité
voisine de l'Auvergne, et constituée sous l'influence
de ce voisinage. 3 lei la généralité n'est plus pour l'une
cm pour l'autre des deux formes de régime eréées
par la révolution municipale du douzieme sieele; elle
est en premier lieu pour des constitutions anté-
rieures, plus ou moins libres, plus ou moins démo-
,eratiques, et dont l'origine se perd dans la nuit qui
sépare le grand mouvement de rénovation et d'indé-
pendance urbaine du réghne municipal des temps
romains. Elle est en second lieu pour des 1ibertés


1. Dans la Jangue politique des municipalités mérid.ionales, ce rnot
avait tous les sens que je lui donne; il signifiait également le col-
lége des magistrats nommés, Conauls, la constitution qui avait adrni.
ce titre de mag;strature, et la comrnunauté régie par une semblable
constitution. Voyeda Charle du consulal ¡I·Arl •• , publiée par 1\1. Gi-
raud, Essai surl'hiíloire du droit (ranga;. BU mOllen dge, t. II,rp, 1 el
suiv." .


2, A Vézelay, déparrement de l'Yonne, vers I'année 1150, Voyez
le Récit détaillé de cetre révolution municipale dans les Lettres sur
¡'histoire de France, iettres XXII, XXIII, et XXIV.


3. A Gannat, département de l'Allier, Une charte de priviléges,
accordée en 1236 aux bourgeois de cette ville par Archam bault VIII,
sire de Bourbon, leur donne le droit d'élire annuellement quatre
ol'eutre eux qui gouvement la ville, et qui Be puiasenl dire el nommer
Co"" ••• el (aire (ait de con.u/at.




340 PREMIER FRAGMENT


civiles, ou absolument seules ou jointes a une cer-
taine somme de droits administratifs, mais sans ga-
ranties politiques, sans juridiction, sans magistra-
ture indépendante, sans eette demi-souveraineté
qui fut le caractere primitif, l'objet idéal, sinon
toujours atteint, du consulat et de la eommune l.
Quand on aborde eette region du centre, ou presque
toutes les villes, grandes ou petites, aneiennes ou
nouvelles, echapperent a l'aetion de la propagande
reformatrice du douzieme siecle, on touche au pro-
bleme h~ plus difficile et le moins éclairci jusqu'a pre-
sent de notre histoire municipale. C'est la qu'il faut,
plus que partout ailleurs, une attention penetrante
et une grande súrete d'analyse. n ne s'agit plus de
décrire des institutions nées dans un temps certain,
et répandues sur de grands espaces par· la puissance
de l'exemple; ce qu'il faut signaler et faire com-
prendre, ce sont des ehangements constitutionnels
operes dans les vieux municipes a une époque incon-
nue, dont. toute preuve éerite a depuis longtemps
disparu, et que l'induction seuIe nous démontre.


La munieipalité de Chartres, au moyen age, se
eomposait de dix prud'hommes administrateurs des
affaires eommunes de laville, nombre qui semble
une continuation traditionnelIe du rOle que jouaient
les dix premiers de la curie, decemprimi, deca.proti,
dans le régime municipal romain 2. La juridiction et


1. Je ne veux pas dire que les municipes non réformés et les oom_
munautés investias da droits pnrement civils manqlle~t tont il. fait
dans les territoires que j'ai considérés jnsqn'ici j comme on 1'a Vll,
~It.'l> Q..1t.'3.l;. ~~\.~'b~'t\~b ~~'l..\'!.\.'C'Il.~ w.'Il.'Il.:"~:"l>~\'e ~J n1\~\)1\\Teu't, ~une Ji
l'état de fait exceptionnel, l'autre a l'état de fait secondaire.


2. Voyez Digest., lib. L, tito Y, 1. 1, ~~ 1 et 3, ~~ 10 et 18, ~ 26.




.'l'¡\l\Ll'.¡\U DI'. L'¡\NCll~NNE ~'llANCE MUNICIPALE 3·iI


la police etaient tout entieres aux mains d'un pré~
y(¡t, d'abord seigneurial, puis royal. Vers la fin du
q uinzie~e siede, les prud'hommes furent portes á
do~ze, et prirent le noro d'Échevins; au seizieroo
siecle, ils obtinrent le droit de police, A Orléans, lo
ITlt~me nombre de dix, accornpagné du meme titre,
üónote une conformité originelle dans le régiroe
municipal des deux villes, La seconde d'entre elles
essaya, vers l'année H37, de suivre le mouvement
du siecle; elIese constitua en comrnune jurée, sans
l'L¡veu et au détriment de l'autorité royale qui 1'en
punit avec rigueur '. Alors disparut tout vestige
(rUne constitution cornrnunale, et Orleans reprit son
ancien régime, entieremep.t liore quant a l'adminis-
tration urbaine, mais ou la justice au civil et an
criminel etait exercee par un bailli et un prev<Jt
du roi. Comme a Chartres et a la meme époqup,
Jes dix prud'hommes portés a douze changerent de
nom; ils furentappeles Procureurs de ville, et, quelque
temps apres, ~:chevins, Étampes obtint de Philippe-
Auguste la liberte que son préclécesseur avait refu-
see a Orleans, celle de s'eriger en commune; mais la
petite ville, mieux traitee en cela que la grande, ne
jouit pas longtemps de ce privilége. Sa commune fut
abolie pour toujours en H96, ala requete des églises
et des nobles dont elle affranchissait les serfs. DaJ}.s
les autres villes de la province, on ne trouve que


1. Celeriter Aurelianensem reg,'essus civitMem, cum ibidem com-
p~risset, occasiOlle communire, quorumdam stultorum insani~m con-
tra reo-iam demoliri majestatem, compescuit audacter, nou sme' quo-
r1.lmd~n lresione. (Rist, Ltldol'ici VII, apuu Script. rer. 9ull-ic, el
rrallci,'" t. XII, p, 124.)




342 PREMIER FRAGMENT


des ébauches de municipalite sans caractfire et peu
anciennes pour la plupart.


Lorris en G&tinais offre le curieux exemple de
la plus grande somme de droits civils sans aucuns
droits politiques, sans aucune juridiction et meme
sans attributions administratives. La situation faite
a cette petite ville des les premieres annees du dou-
zieme sificle par sa charte de coutumes, anticipait
en quelque sorte la plupart des conditions essen-
tielles de la sociéte moderne. Largement dotée de
franchises pour les personnes et pour les biens, elle
ne formait pointun corps, et n'avait, a aucun de'gre,
de police qui lui CUt propre. Néanmoins, sa charte
fut l'objet de l'ambition d'une foule de villes quí la
sollicitfirent et qui l'obtinrent, soit des rois, soít def-;
seígneurs. La popularíté de cette charte ne fit que
grandir et s'étendre dans les síficles ou déclinerent
graduel1ement les municipalités a priviléges poli-
tiques. Sa nature exclusivement civile la rendant
propre a passer de l'état de loi urbaine a celui de cou-
turne territoriale, elle prit ce role dans la jurispru-
dence, et finit par régler non-seulement la condi-
tion des bourgeois de tel ou tel lieu, mais le droit
roturier de toute une province 1•


La ville du Mans est rune des trois qui, anté-


1. Charles VIII lit publier les coutumes de Lorris en 1493. Au seí·
zieme siecle, on les ql1alifiait : Plu. anciennes, (ameuse. et renommécs
coutumes qu'aucunes autres en France. LouisXIII les réforma en 1631 ;
elles étaient alors communes a pres de trois cents villes, bourgs ·on
villages du Gi1tinBis, de I'OrléanBis, du pays Chartrain, du Blaisoio.
du Berry, de la Touraine, du Nivernais, de la Champagne et de la
Bourgogne. Voyez le Coutumier ginéral de Richebourg, 1724, t. 111,
~ partie, p. 829 et suiv.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 343


rieurement au douzieme siecle, donnerent le premier
exemple-de l'insurrection communale, et elle précéda
les deux autres; sa commune, jurée en 1072 contre
le pouvoir ducomte et d'accord avecl'éveque, ne dura'
pas plus d'un an l. Apres avoir tenu tete au seigneur
indigene, elle succomba san s lutte sous la puissance
de Guillaume le Conquérant, qui vint d'Angleterre
avec des forces considérables faire valoir ses pré-
tentions 'sur le comté du Maine. Des lors on ne trouve
plus au Mans que le régime des municipes abatardis,
privé s de toute juridiction propre jusqu'au jour ou la
ville obtint de Louis XI une chartequi l'érigeait en
communauté sous un maire, six pairs et six conseil-
lers, ayant le droit de police et des droits de justice
tres-étendus. Dans cette province, ou pI'esque toutes
les municipalités sont incomp18tes, celle de la Ferté-
Bernard peut etre citée comme type de l'organisa~
tion urbaine réduite a sa plus simple expression, un
syndicélectif chargé de la recette et de l'emploi des
deniers communs. L'Anjou estencore plus faible que
le Maine quant au développement et a. la liberté des
institutions municipales. Vers la fin du douzieme sie-
ele, Angers parait avoir une milice organisée, mais
tout son gouvernement se borne a un conseíl de ville,
dépendant des officiers du comte, dépourvu de .iuri-
diction, et sans titre de fonction spéciale pour aucun
de ses membres. Cette municipalité immémoriale


1. Facta igitur conspiratione quam communionem vocabant, sese
omnes pariter sacramentis astringunt ... (Gesta Pontir. Cenoman.,
apud Seript. rer. gallic. el (rancie., t. II, p. 540.) - La comml1ne
de Cambrai date de 1076, et ceIle de Beauvais de 1099. Voyez les
Lellres Sllr I'MB/o;re de France, lettres XIV et XV.




PR~;M1EIt FRAGMENT


dura ou plut()t se traina, de plus en plus insuffi-
sante, jusqu'au temps ou l'Anjou fut definitivement
reuni a la couronne; alors, par octroi de Louis XI,
elle fit place a une constitution plus complexe, plus
sayante pour la forme, et, pour le fond, parfaitement
libre. Il y eut un maire, un sous-maire, dix-huit
echevins et trente-six conseillers, avec tous les droits,
celebres par leur etendue, que possédait la commune
de la Rochelle i. Louís XI accorda aux bourgeois
d'Angers ces priviléges considerables treize ans apres
avoir fait la meme concession aux bourgeois de
Tours.


Tours, au douzieme siecle et plus anciennement,
formait deux villes distinctes, la cité et le bourg de
Saint-Martin qu'on appelait Chateauneuf. Il y avait
pour la cite une constitution immemoriale, ou tous


. les pouvoirs, sauf certaines restrictions difficiles a
determiner, appartenaient a quatre prud'hommes
elus chaque annee par le corps entier des habitants.
Chílteauneuf, revolté.vers t 125 contre la seigneurie
du ehapitre 4e Saint-Martin, se donna une organi-
sation communale que des capitulations forcees et la
médiation royal e durant une longue lutte reduisirent
au gouvernement de dix prud'hommes sans compé-
tenee judieiaire2• Au treizÍElme sieele, les deux villes
furent reunies en une seule, et alors la eonstitution la


1. Voyez les lettl'es patentes en forme de charte, données en re-
vriel' 1474. (Recueil des Ordonnances des roí. de Frunce, t. XVIII.
p. 87.) - Au seizieme siécle, la municipalité d'Angora fut rédnite ,.
un maire et vingt-quatre échevills.


2. Voyez les Lettrea dOlluées par Philippe-AIlg'uste en 1181. (Ihi,].,
t. XI, p. 221.) -




TABLEA U DE L'ANCIEN!\E FRAI'iLE MUNICIPALE :Mij
..


plus libre, eeHe de la cité, devint le regill1e com-
mUllí seulemellt les quatre prud'hommes, adminis-
trateurs et juges, s'augmenterent de deux choisis
desormais par les habitants du bourg l. C'est cettc
constitution, d'une simplicité pour ainsi dire élémen-
taire, que rempla<;a en i46i le gouvernement mu-
nicipal de la Rochelle : un maire, vingt-quatre eche-
vills et soixante-quinze pairs a'yant pleine juridiction
au civil et au criminel 2. Pour les autres vill€s de la
'l'ouraine, la forme de municipalité la plus genérale
et la plus ancienne est radministration finandére,
avec ou sans droits de police, exercée par deux élus.


Bourges est rune des cités épiscopales ou se mon-
trent de la maniere la plusfrappante les signes d'une
revolution démocratique antérieure au grand mouve-
ment d'ou sortirent le consulat et la commune,
revolution dont iI ne reste aueun temoigllage histo-
rique, et qui, ravivant peut-étre les débris de la curie
romaine,' avait, du meme coup, mis le pouvoir de ré-
veque et le pouvoir du comte hors du gouvernement
municipaL De toute ancíenneté au douzieme siecle,


1.' A chaqne assemblée du conscil municipal siégeaient, avec les
six élus, un représentant de }'archcveque, des délégnés dn chapitre
de Tours ct de l'abbaye de Saint-Martin, le juge de Tomaíne et
plllsieurs bonrgeois notables.


2. _ .. Donnons et octroyons par ces présentes anxdits maire et
cschevins, qui ainsi seront éleus ponr' le gonvernement de nostredite
yille de Tours, tel pouvoir semblable, ,instice, prérogatíves et preé-
lllinence cn nostredite ville de Tours et ailleura comme ont ceux de
la Uochelle en icelle ville et ailleurs. (I.ettres patentes, en forme dc
charle, dounées par I.ouis XI, février 14fH; Recueil des Ordo1lnances
de .• roi.' de France, t. XV, p. :<32.) - La charte de Lonis Xl ne porte
expressémcnt qll'un maire et viugt-quatre échevins, ce qui, SOllS
HCllJ'i lII, servit de prétexte ponr rédnire 11 ce chiffre le corps mu- '


. nicipnl de '1'01lr8.




3i6 Í'REMIER PII.AGMENT
..


la ville était regle par quatre prud'hommes élus
chaque année, ayant le droit de justice dans toutes
les causes 1, et administrant touteH les affaire s com-
munes, seuls jusqu'a une certaine somme,' et, au-
dessbs, avec le concours obligé de l'assémblée ge-
nérale des habitants. Cette constitution, que sa
naturememe rendait fréquemment orageuse, fut dé-
truite par Louis' XI apres une émeute ou les officiers
royaux, eontraints de traiter pour l'assiette d'un im-
püt avee l'assemblée générale, avaient éte injuries
et menaeés de mort par le peuple. Quelque ressenti-
ment qu'eut dans eette eireonstanee le roi qui savait
le moins pardonner, son esprit de libéralisme a
l'egard de la bourgeoisie, l'un des traits les plus re-
marquables de son caraetere, ne l'abandonna paso
Il fit aux eitoyens de Bourges le meme don qu'a
ceux de Tours et d'Angers, celui·d'un gouvernement
modelé sur la eomillune de la Rochelle 2, et il eom-
posa le nouveau eorps de ville d'un maire, de douze
eehevins et de trente-deux eonseillers, ceux-ci nom-
mes par tous les eitoyens et nommant les autres
magistrats. Peut-etre y avait-illa autant de garan-


1. Postquam per probos homines ipsius civitatis, ad qllos omnia
judicia villre ejusdem et septenre ab antiquo dignoscuntul' pertinere
¡acienda, judieatulll fuerit. (Charte de Philippe-Auguste, donnée en
1181; ibid., t. XI, p. 223.) - Voyez les Olim publies par M. le
comte Beugnot, annee ]262, t. I, p. 54!.


2. Et pour ce que ilostre dite ville de Bourgcs n'a au lemps passé
este gouvernee par maire et eschevins. et que par eux voulans que
doresnavant elle le soit, tout ainsi et par la forme et maniere qu'ont
este et sont nosdites villas de la Rochelle et de Toul's ... (Le: tres pa-
tentes données BU mois de juill 1474; /!ecueil des Oráormallces des·
ro;s de Frailee, t. XVIII, p. 23, arto 5.)




TABLEAD DE L;ANCIENN té' FRANCE MUNIC)PALE :n7


ties effectives que dans la vieille constitution de
Bourges; mais celle-ci était enracinee profondement
dans les souvenirs et les affections populaires ; elle
fut reclamee avec tant d'instance a la mort de
Louis XI, que son successeur la rétablit. Par une or-
donnance dont les termes sont curieux á cause de
l'empressement qu'ils témoignent, Charles VIII res-
taura le gouvernementdes Quatre dans ses conditions
immemoriales; seulement comme ces magistrats
n'avaient plus de titre fixe, parce que le nom de
Prud'hommes était tombé en désuétude l , il fut statué
que dorenavant on les appellerait Échevins 2. Quel-
ques annees apres on s'aper~ut que l'office de maire
était une innovation utile, et un maire annuel fut
adjoint comme president aux quatre membres de
l' echevinage 3.


La constitution de Bourges a eté le type de la
liberte municipale, non-seulement pour les villes du
Berri, mais encore pour des villes situees hors de
cette province. A la maniere des municipalites rMor-
mees d'ápres le modele du consulat ou de la com-
mune, elle fut un centre de propagande, un objet


1. Leur titre fut tour 11 tour celuí de qualre élus, qua!r. de la vil/e,
quatre commis el élus;I quatre gouver11curs el sy'udics.


2. Iceulx supplians nous out faít humblemont s~pplier et requér;r
que nostre plaisir soit les remettre en la maniere qu'ils estoient d'an-
cienneté, sans toutesvoies faire aucune assembléc de peuple si tres-
SOllvent .•. Douuons auxdits supplians et leurs sucoesseurs perpétllels
povoir, faculte, pleine puissance et aucto1'ité qu'ils puissent et leu1'
loyse eslire doresnavant au gouvernement des affaircs communs de
Iadite ville... par chacull an, quat,.e pcrsollnes notables... qui so
nommeront eschevins. (Lettres patentes du 14 février 14fl3; ibid.,
t. XIX, p. 628.)


3. Ce changement définitif eut licn ell 14fJl.




;;48 J>REM:IER !IHAGM¡':N1'


d'emulation et d'imitation autour d'elle, imitation
naturellement bornee a la mesure du possible, et
qu'on ne trouve a peu pres complete que dans la seule
ville de Nevers., En f231, cette ville, dans un traite
fait avec son seigneur, et peut.-étre imposa par elle,
stipula que quatre bourgeois élus par la communautC
entiere, et nommes dans les chartes posterieures,
tantot jurés t, tantot éehevins, seraient investís des
droits de juridíction, d'administration et de police :l.
tous les degres. Ces quatre personnes quasi souve-
raines choisissaient, comme ú Bourges, autant de
notables qu'elles voulaient pour les assister clans
leurs jugements ou leurs déliberations. Par une sin-
guliere cOll1cidence avec l'histoíre de cette derniere
ville, de graves désordres survenus a Nevers sous le
regne de Louis XII firent supprimer l'élection direde
en assemblée générale, et instituer trente-cleux con-
seillers, choisis au nombre de huít par chacun des
quartiers de la vilIe et chargés d'élire les quatl'e
échevins. Cette constitution, qu'il faut distinguel' ici
dU',regime communal, quoiqu'elle en contienne,toutes
les garanties politiques, se présente a Moulins aCC)lll-
pagnée de franchises purement civiles et d'une en:l!-
pétence adrninistrative a laquelle la juridictioll de
police ne fut ajoutée que tres-tard z. Generalemellt le


1. Le mot jurós, dans le sens oe fonctiolll,aircs n,SCl'InclIt(;S, allssi
bien que sa forme méritliOl¡nle i,,¡-als, est, une IOCllIioll qni se mt-
t:1che aux débris du régime municipal romnin, j"ré" oans le sens
oe bOlll'geois confédél'és par lo srl'J11cnt, est 11ne exprcssion plus ré-
cente qlli pa,-ait dnns les chartes 10rsql1c l'associatiúll'germani'lue ou
la ghilde est appliquée it la rénovatioll dlt régime municipal. Voyez
les COl!sidérations "'<1' I'hicloil'e ae France, chup, Y.


2. En 1518, par une chal'te d' Anue de Fl'allCC, dllChcssc de Bour-




TABLEAr; DE L'ANC1ENNE FRANCE ltIVNlCIPALE 349


nombre de quatre pour les officiers municipaux, quel
~ue soit léur pouvoir, est de regle dans les villes
grandes ou petites du Berri, du Nivernais et du Bonr-
bOl11wÍs J, et il s'y rapporte ti une division en quutre
quartiers, qui remonte tres-haut et semble appartenir
au cas(rllln des temps romains 2.


En Bourgogne, les formes du gouvernement muni-
cipal pl'ésentent plus de variéte; il Y a des exemples
remarquables d'empressement it úlpproprier la con-
stitution de villes situees loin de ]a province, et d'un
travail assidll pour développer le fond prírnitif des
municipalites indigEmes. Par une révolution accom-
piie, a ce qu'il semble, au douziemé siecle, d'accord
entre le duc de Bourgogne et les habitants d'Autun,
l'office seigneuria1 du Viguier ou du Vierg, cornme
on disait dans cette viHe:;' fut rendu municipal et
électif. Le vierg d'Autun, nommé des 10rs tous les
ans par le corps entier des citoyens et devenu pre-
miel' magistrat de la vilIe, conserva tous ses tlroits
de représentant du pom'-oir ducal : la juridiction
haute, moyenne et basse, et le commandement sou-
vera1n de la milice urbaine. Chaque année, dans ulle
fete tres-p~pulaire et que son ancienneté immemo-


LOllllUis, (lui, ~ur la UC)llltlltle ues hlll,itltllts, ¡eur pcrmit ue se JOIJJlCl'
un mail'e.


1, A Viel'zotl et it lssonuull, les qnutre ont le tiire de !Ju/u·cn,eul'.'"
¡,la Cllfltrc, ils SOllt nomm~s l'rull'hommes; ualls les antros liml", ils
!le portcllt que le titre vague d'élus.


2. C'cst uc lit que le mot quar!ier est "cn11, ponr Jéslgller, salls
acceíltion de nonl1n'e, tou:es les divisions J'nuc ,'¡lle.


3, O" tronve dalls les cl:artcs latines u'Aut"l! les lllots rigeriu" ct
tia,.i". (pOtl1' "ica,.;!!,,), ot UltllS les chartes 1"':111(;"'Ses les mots der.,
t'!Jef ~t eier!1.




l'RBll EH FRAG~lE"T


riale faisait rattacher par les Autunois a des tra-
ditions dérivées 'de la république éduenne 1, le vierg,
a.cheval, vetu d'une robe de satin violet, ayantl'épee
au c6té et une sorte de sceptre a la main, precede
de l'étendard de la ville et suivi des bourgeois eu
armes, allait de sa maison a l'une des portes romaines
d'Autun, rendant la justice sur son passage; au re-
tour, íl f'aisait une revue de la mili ce et présidait sur
la grande place a un combat simulé '!. L'autorité mili-
taire du vierg d' Autun fut ce quí dura le plus de ses
anciennes prerogatives; il en demeura pleinement
investí au seizieme et au dix-septieme siecle, pendant
que sa juridíction civile et criminelle lui était dis-
putee, puis enlevee par les officiers royaux.


Vers l'année 1.1.83, les habitants de Dijon, frappés
de ce quí se racontaít de l'etat des villes affranchies
par la revolution communale, chercherent dans la
Picardie, foyer de cette révolution, un modele de
commune jurée qui parut de tout point leur con-
venir. On ne sait pour quel motif ils choisirent la
commune de Soissons, ni si leurs demandes adressées
au duc de Bourgogne pour qu'íl consentit a ce chan-
gement de regime furent tumultueuses ou pacifiques,
toujours est-il· que le duc Rugues III leur accorda,
sous la garantie du roi de France, l'autorisation de


1. VoytZ sur la fete du "i c, septem],re, et sur l'opinion quí, s'étayllut
de la ressemblance de quelques lcttres, faisait remonter le nom et
l'offiee ile rierg jllsqu'au vergobret, magistrat supreme des Éuucns,
I'Histoire de la ville d'AutUIl, par Joseph Roslly, p. 148 et suiv., et le
commentaire latín uu président Chasseneuz sur les coutumes du du-
ché de Bourgogne, 1574, iu-fol., p. 26.


2. Voyez un extmit des lettres patentes l1olll,écs par LOllis XIV
a la vjJle d'Autun, en 1644, Hislúi,'e d'Aullll1, 1':lr ,J. I~"SIl.r, p. 155.




TAnLEAlJ DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 351


s'orgalliser en c~mmune suívant la forme de ceBe de
8oíssons l. Un fait curieux, c'est qu'íls demanderent
:'t la ville de Soíssons elle-me me un memorandum de
;;cs droit', ct usages constitutionnels quí leur fut
expédié en forme de chartc sous le sceau de la com- '
mune qu'ilf; prenaient pour modele '. eette constitu-
Lion, quí ne fut pas longlemp3 heureuse pour la ville
ou elle était née 3. eut A Dijon une tout aJltre fortune;
elle y prit un grand développement, et, loin de perdre
aucune ¡fe ses garanties dans les crises qu'elle tra-
versa, elle s'accrut en liberté et en pouvoir. D'abord
la municipalité de Dijon, strictement modelé e sur
celIe de Soissons, se composa d'un maire ou mayew',
et de jurés dont le nombre probable était douze;
ensuite les jurés prirent le nom d'Échevins, et leur
nombre fut porté a vingt. Outre l'échevinage, il y
avait des conseillers de ville quí lui furent adjoints
au nombre de víngt, puis de trente, et quatre
prud'hommes, quipa1'aissent et1'e a Dijon un reste
du régime antéríeu1' a la constitution communale. Le


1. Noverint universi prresentes pariterque futuri, quod ego Bugo,
dux Burglwdire, dedi et conees-si hominibus de Divione eommuniam
habendam in perpetuum, ad formam eommunire Suessionis, salva
libertate quam prius habebant. (Charte de Rugues IIl, donnée en
1187, Recueil de pieeea curiet<8es pour j' hisloire de Bourgogne, par
l'érard, p. 337.) - Voyez deux chartes de Philippe-Auguste, don-
llées l'ulle en 1183, l'autre en 1187; Recueil dea ordonnances des .,.ois
de France, t. V, p. 237 et 238.


2, Noverint universi prresentes et futuri, quod hree instituta et has
habet consuetudines eommunia Suessionis ... Ut autem hoe ratum et
constans habeatur, communia Suessionis hane eartam appositione .sni
sigilli certificavit. (Recuei! de Pérard, p. 336.)


3. Voyez dan s les LeUres sur I'hislo¡,.e de p,.ance, letire XIX, l'his-
toire de l:t commnne de ~OiSSOllS.




352 PREMIER FRAGMgr


maire exer~ait, dans toute sa pleriitude, le gouver-
llemellt civil et militaire; il avait la haute juridictioll,
la haute police, ,le commandement exclusif de la mi-
lice urbaine et la garde des clefs de la ville. Depuis
le quatorzieme siecle, il prenait le titre de Vicomfe
muyeur, a cause de la vicomté de Dijon, droit de sei-
gneurie sur certaines rues de la ville que le duc de
Bourgogne avait acquis et cedé ensuite a la com-
mune 1; au dix-septieme, il portait encore, dans les
cerémonies publiques, une partie du costume qu'on lui
voit sur les sceaux du moyen áge qui le représentent.


La ville de Beaune obtint, en !203, l'autorisation
de se constituer en commune selon la forme de celle
de Dijon; toute justice, haute, moyenne et basse, lui
fut garantie par sa charte, a la reserve des exécutions
capitales et du profit de certaines amendes'. En 1231,
la meme constitution et les mémes libertés furent
octroyées sans réserve aux habitants de Montbar,
et, en t276, a ceux de Semur-en-Auxois, sauf deux
choses: que le duc de Bourgogne nommeraitle maire
de la ville, et que toutes les amendes lui appartjen-
draient 3•


1. Item, cnm discoruia verteretul' inter nos, ex una parte, et ho-
mines dictro communi:.c, ex altera, super hao qnod petobant a nobis
vicecomitatnm Divionensem qnem acquisiel'amus, quod nun potera-
mus facere, ut dicebant ..... (Charte donnée par le dnc Robert en
12B4; Recueil de Pérard, p, 34B.j


2. Noverint nniversi prresentes et futnri, quod ego Odo, dux Bnr-
gundire, de di et conccssi hominibus de Belna commnniam habendam
in perpetuum, ad formam communire Diviollis..... (lbid., p. 274.
_ Voyez le prooes de la ville jugé en 1459, ibid.) p. 281 et suiv.


3. Les chartes de ces deux villes portent les mota: Communiam el
libertat"", habendam in perpelutlm, ad formam communi.., el liberlalis
Dil'icmensis. Voyez le Rermil de Pérard, p. 419.. 422 el 529.




TABLEAD m~ L'ANCIENNE FBANCE MU:,\¡CIPALE 3ti3


Auxerre avait eu, quinze ans avant Dijon, le désil'
etl'occasion de s'eriger en communejurée; le comte
favorisait cette entreprise, probablement par rivalité
contre l'éveque son co-seigneur qui s'y opposa et qui
l'empol'ta en plaidant a la cour du roí Louis le Jeune 1.
Cette occasion, une fois perdue, ne se retrouva plus
pour la ville, désormais bornee, en fait de liberté
municipale, a son régime traditionllel, au gouver-
nement de douze élus, qui n'avaient point de maison
commune et s'assemblaient, pour délibérer, sur les
places ou dan s les églises. Ces douze conseillers de
ville, dépom'Yus de toutejuridiction, nornmaiententre
ellX trois gouverneurs pour .1'expédition des affaires.
La ville de CMlon-sur-Saone parvint a elever le pou-
voir de ses quatre prud'hornrnes irnrnernoriaux jus-
qu'au droit de justice a tous les degres, en partage
ayec le chátelain du duc de Bourgogne. La munici-
palite de Macon ne presente aucune forme bien définie
avant le milieu du quatorzierne siecle, et depuis lors
l'autorité de ses six prud'hornmes sans juridiction
derneura toujours dépendante du bailli ducal ou
roya!'. A Tonnerre, il y avait de me me six élus sans


1. ldem comes, de as.ansu regio, commnniam Autissiodori de novo
instituere voluit: oui item proosumptioni prresul insignis se confi-
<lenter opponens, super hoo in regia curia causam ventilandulll
sl1scepit .... (Scripl. rer. gallic. et (rancie., t. XII, p. 304.)


2. Des lettre8 de Philippe de Valois,' février 1346, qui autorisent
],'s hubitants de MAcan it s'asEembler ponr traiter de leura affail'es,
et choisir entre enx six prud'hommes ou conseillers, des proclll'eurs
el des syndics, portent qu'i!s n 'avaient " ne eorp~ ne eommurte, D et se
ter111inent ainsi: « TOlltes voies n 'esl'il mie n05tre entente que po"r
« ce ils aient on doiyent uvoir autre corps ne comml1ne ne juridic-
" tiou ordinaire. " (llee"e;1 de8 o,ylonnlHlf'es des rois de Frunce, t. nT,
p. 594,)




PREMIEn FRAm!ENT


compétence judiciaire qtl'on nommuit éc!t~lJins, et aux-
quels fut adjoint, vers la fin du seizieme siecle, un
maire ayant la juridiction de police. Chatillon-sur-
Seine offre un nouvel exemple de ces villes divisees
en deux parties municipalement distinctes; les dellx
communautés, qu'on appelait Chaumont et le Bourg,
avaient la me me forme de régime, quatre magistrats I


. dont, de part et d'autre, les pouvoirs étaient inégaux.
Ceux de Chaumont possédaient une certaine juridic-
tion, ceux du Bourg n'avaient aueun droit de justiee;
les deux munieipalités se fondirent en une seule au
dix-septieme siecle. 11 faut remarquer la f'réquenee de-
ce gouvernement de quatre personncs, qui, dans les
villes de la France centrale, eut anciennement une
grande faveur, s'appliquant a tous les degrés d'indé-
pendanee municipale, dermis le régime entierement
libre qui fut eelui de Bourges et de Nevers, jusqll'all
régime de simple poliee urbaine ou a la pure gestion
pécuniaire des intéréts communs~.


IV
La quatrieme region, celIe de l'ouest, comprend la


Bretagne, le Poitou, l'Angoumois, l'Aunis et la Sain-


1. On les nommait echevins dans le Bourg, et a Chanmont
prudlflOmmes ou maires.


2. ·Ce nomhre n'est pas une particnlar:ité hornée a la région dn
centre; on le reneolltre '(a et lit dans les villes et les hourgs du Midi,
et iJ paralt etre une traditiou conservée de la municipaJité ramaine.
Les enries avaient deux magistrats an quatre choisis annnellement,
dILumviri, quatuDrriri juridicundo. La tradition du nombre deux a pa-
reillcmcnt laissé des tmces, maís les exemples en sont beanconp plns
ra1'f:~.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNlC[PALE 355


tongej elle se distingue de la région du centre et de
la région du midi par deux particularités. La pre-
mÍl'lre est le type original et uniforme des municipa-
lité s de la Bretagne, la seconde est l'établissement
de la constitution communale de Rouen et de Falaise
dans quatre des provinces annexées, au douzieme
sitkle, a la domination anglo-normande. San s cette
adoption de la commune jurée selQn le type donn{
par les grandes villes de Normandie, événement au-
quel contribua sans doute la politique des rois d'An-
gleterre, le Poitou et les provinces qui l'avoisinent au
sud auraient :mivi la réforme méridionale et renouvelé
leur régime municipal par l'institution du consulat.


Les traditions de droit romain et de' gouvernement
municipal, conservées dans toutes les provinces de la
Gaule, ne subsisterent poínt dans l'Armorique; ce
pays re9ut un nouvel esprit et de nouvelles formes
sociales de l'émigration d'outre·mer qui lui fit donner
le nom de Bretagne. Deux de ces villes, :N"antes et
Rennes, ont pu seules retenir quelque chose de la
municipalité gallo-romaine. Pour les autres, et sur-
tout pour les simples bourgs, la municipalité tradi-
tionnelle fut un régitne a la fois ecclésiastique et
civil, ou l'église paroissiale était le centre de l'ad-
ministration, et ou l~ conseil de fabrique remplissait
l'office de conseil commun. Du reste, aucune juri-
diction ne se trouvait jointe en Bretagne a l'admi-
nistration urbaine; dan s les villes, le droit de justice
á tous ses degrés appartenait au duc ou a l'éveque,
et dans les villages, au seigneur du líeu 1. Point de


1. Guin!ramp est IR genle ville qni fasso exception, et. elle Rvnit une




PREMIEn FRAGMENT


lutte de la bourgeoisie pour conquérir des droits poli-
tiques, point de traces de la revolution cornmunale
dans l'histoire de cette province; le nom de Commune
n'y parait dans les actes publics ou privé s qu'apres
sa reunion i la couronne. Depuis lors on voit les
formes et les titres d'offices des municipalités fran-
gaises pénetrer ga et la en Bretagne, et remplacer ou
modifier le type ordinaire de la municipalité indi-
gime: six conseillers de ville, un syndic, un miseur I
et un contróleur des deniers communs 2. En :1560, la
ville de Nantes, abandonnant ee vieux l'egime, sol-
licita-et obtint de Fran<¡;ois JI la constitution muní-
cipale d'Angers avec tous ses priviléges, mais avec
une magistrature moins nombreuse : un maire et dix
echevins seulement 3. Deja une réforme analogue, sans


justice municipale, concédée a ses bOllrgeois par les ducs de Breta-
gne, prabablement au qninzieme siecle.


l. Officier chargé de la recette et de l'emplai des cantribntions. Le
mot mise signifiait praprement dépense.


2. Ces charges municipales étaient remplies indistillctemcnt par
le clergé, la noblessc et la. bourgeaisie. Dans plnsienrs vlllas, a ~[or-
1aix, notamment, les erpplois de misenr et de contrOlenr étnient
exercés par des gentilshommes d'ancienne famille.


3. Les ballrgeois, mallans et habitaots de Ilostre ville et cité de
XlUltes nOllS Ollt fait exposer ..... qlle ..... ponr H'y uyoir undit lien
carps de ville, ni aucons chefs qni ayent sopérintendnnce et a:lmi·
lIi<tration des affaires communes ..... , it. quoi naos pourrions Lien f,l-
eilement paurvoir, s·il nous plaisoit lenr aetrayer IlU corps, collége
ét COllllllUllaut" de ville audit !ien camposé u'nn maire et de L1ix
pchevins, par lequel le fait, poliee et affaires communcs fludit lieu
fussent condnites, traitées et gouvernees, avee tels et semblaLI~s
pouvairs, priviléges, franahises et libertes, que aut et dont jOllissellt
les maires et esehevins de nostre ville d'Angers. (Lettres patentes de
Fran9ais 1I, archives de l'hOtel de ville de Nantes, lino dore, 2' pu,'-
tie, p. 3.) - Dans le meme registre, a la suite de cette charte, S"
trallve celle ue la ,"iCe a'Auger" <101l1H\0 par Loni, xr en 1474.




TADLEAU DE L'ANCIEN:iE ~'RA1\CI'; 11l,NHJ1PALE :157


imitatiol1 aussi directc, avait eu líeu ú Rennes. p[ll'
concession de Henri JI, la ville s'et.ait constituée en
corps régulier sous le gouvernement de treize magis-
trats qui, plus tard, furent réduits :i sept : six éche-
vins et un procureur-syndic 1. Quimper, au dix-sep-
tieme sÍE'lcle, obtint un échevinage' á !'instar de
Nantes et de Rennes, et n'en demeura pas moins sons
la juridiction temporelle de son éveque 2. A Saint-
Malo cette juridiction subsista pleine et enti~re
jusq ue dans le siecle dernier, et, selon toute appa-
1'ence, il en fut de meme i Vannes et a Saint-B1'ieuc.


Quand on passe de la Bretagne au Poitou, l'asÍ)ect
du régime municipal change totalement, et ron
1'etrouve la commune jurée, sous sa forme non-se u-
lement la plus libre, ma,is, pou1' ainsi dire, la plus
savante. Ce fut de la Normandie qu'au douzieme
siecIe les villes de Poitiers et de Niort, sujettes de la
couronne anglo-normande, prirent l'exemple de leuI'
constitution communale. l!:Ues imiterent, comme je
l'ai dit, Rouen et Falaise, et ce régime, adopté par
elles sous le regne des fils de Henri n, elles se le
firent concéder et assurer par Philippe-Auguste,


l. 1548, 26 mars; Lettres de Henri n, portant érection de la com-
munlluté ele la ville ele Rennes en corps régulier, - 154B, 30 m,"·s :
Extl'llit du r61e signé de la main du roi, ¡, Chantilly, par leque) ¡¡
pennet aux habitauts de Rennes d'élire treize d'entre eux liour pom-
"oir au gouvernement de la ville. - 1592; Lettl'es de Hell1'i IV po,--
tant érection de la communauté de la ville de Rennes cn corp'
¡-"gnliel'. Archives de 1'1Iote1 de ville de Itcm,es.


2. Le 1'oi, ayant égard a lauite requete, a pennis et pe1'mot auxdits
habitan s de nommer et eslire ponr la conanite d gonvcrnement de
ladite.ville (Qnimper-Corentiu), qnatre eschevins a l'instar des eschc-
vins des villes de Nantes et de Rennes. (Arl'et du conseil <1n 31 nnnt
16~4. Archives natiouales, section aelministrative, E, 119.)




358 PREMIER FRAGMENT


apres sa conquéte judiciaire de la N ormandie, de
l'Anjou, du Poitou et de la Saintonge. Tel est le
sens des deux chartes données par ce roi en 1204 "
et auxquelles fut joint l' envoi d'une copie du regle-
ment constitutionnfll des communes de Rouen et de
Falaise 2. Les communes de Poitiers et de Niort sui-
virent a la lettre ce reglement dans l'organisatioll
de leur corps politique; enes eurent un collége muni-
cipal de cent membres, savoir: un maire, deux éche·
vins, douze conseillers et soixante -quinze pairq 3;
mais, soit tout d'un coup, soit graduellement, elles
dépasserent sans opposition la mesure de droits et all
pouvoiraccordée aux municipalités normandes. Tan·


1. Noverint universi ..... quod nos concedimus burgensib\lS I¡oslris
de Niorto ..... ut communiam suam habeant ad puncta et co;nsuctll-
aines communire Rotomagensis ..... eRecueil des ordonnanres des rois
de France, t. XI, p. 287.) La eharte donnée aux habitants de Poitiers
conl1rme simplement l'oetroi d'une cnmmune jurée fait par la reine
Aliénor sans spécifier la forme de eette commune : " Concessit uni-
versis hominibus de Pictavia et eorum hrel'edibus in perpetuum com-
mnuimn juratam apud Pictaviam. (Ibid., p. 290,) Ce qui prouve
qu'en désignant d'une fa90n expresse la constitution communale des
bourgeois de Niort, Philippe-Auguste ne lenr accordait rien de nou-
veau, e'est que, dans les lettres de conl1rmation des priviléges de la
ville, données apres lui, son nom ne se trouve pas joint a ceux des
princes d'Angleterre. Voyez ibid., p. 327.


2. Celte picce adressée aux habitants de Paitiers sur leur demande,
existe encore dnns les archives de la ville. On la trouve imprimée
deux fois dans le Recueil des ordonnances des roís de France, au t. 1,
p. 306, note b, et au t. V, p. 671. So. rédaction prollve qu'elle fut
l'oeuvrc des magistrats municipaux des deux villes : Si quis juratorum
'nostrorum communi.:e sit in misericordia positus ... si qU1"S dixerit Se tsse
nostrum juratum, et nos exinde minime certi sumU$.


3. Le nom de paira se donnait en général aux cent membres du col-
lége, et en particulier a ceux que l'élection n'avait point élevés aux
diverses magistratures, c'est-a-dire aux chal'ges de maire, d'échevins
et de callscillcrs.




TABLEAU DE L'Al\CIEi\i\E l'l\A¡¡CJ:: MUNlCIPALE 359


dis qu'a Rouen et a Falaise le maire était nommé par
le roi sur une liste de trois candidats, et lajuridiction
urbaíne Iímítée par des réserves " á Poítíers et á
Niort la juridiction était absolue et le maire elu
ulrectement. 1\ y avait d.ans ces villes o.eux sortes
d'assemblées municipales: l'une convoquée chaque
semaine, et formée du maire, des douze échevins et
des douze conseillersj l'autre mensuelle, ou siégeaient
en outre les soixante-quinze pairs, et qui portait le
norn d'assemblée des mois et des cent 2. Le maire, choisi
annuellement par les cent membres du collége et
parmi eux, était capitaine général de la ville etjuge,
avec les échevins, dans toute cause civile ou crimi-
nelle. Le collége, sorte de patriciat bourgeois, nom-
maittous les magistrats et se recrutait lui-meme par
élection. A Niort, l'ensemble de ces priviléges, répon-
dant a la plus grande somme d'indépendance muni-
cipale, avait, comme a Périgueux, revetu la forme de
seigneurie sous le vasselage immédiat de la courOllne.


1. Si oporteat majorem in Rothomagensi s¡ve in Falesia fieri, illi
centum qui pares constituti 5unt eligent tres proborum hominulll
civitatis, quos domino regi presentabunt, ut de quo illi plllcueri~ ma-
jorcm faciat. (Recueil des ordonnances des ro;. de France, t. 1, p. 300,
note b.) - Volumus et concedimus quod dicti major et illi de como
munia et eorum successores habeant, teneant et exerceant omnüno-
dam juridictionem aauos pertinentem ... retenta nobis justitia mortis,
mehagnii et vaJiol'um belli quum secuta .fuerint. (Lettres de Phi-
lippe III, pOl'taut confirmation de la justice du maire et des bour-
geois de Rouen ; ibid.)


2. Le 8tatut constitutionnel de Rouen et de Falaise porte qu'il
y aura deux assemblées par semaine, tenues par le rnaire nt les
donze échevills; qu'a la seconde, celle du sarnedi, assistnru"t les
douze conseillers; et que tOl1S les quillzc jou!"s, Ull salllc.li, S~ ¡era
la réullion des ce11t pail's, (lbid.)




:lfiO PREMIER FRAGMENT


Selon d'anciens act~s, les officiers de la commune de
NiOl,:t tenaient du roi á dmit de baronie, ti {oi el homage
lige, au devoil' d' un ,qant ou cinq sols IOU1'nois, pour tous
delJoirs,payabfes ti chaque mutation de seigneur, la mairie
et capitainerie de la ville, et la juridiction haute,
moyenne et basse, tant en matiere civil e que crimi-
ne11e', Les autres villes du Poitou, Chátellerault,
Loudun et Montmorillon, furent loin d'avoir de pa-
reilles franehises, et leurs municipalites, d'une date
comparativement recente, ne meritent aucune men-
tion. .


Dans la Saintonge et l'Aunis on voit repal'aitl'e la
constitution des villes normandes avec les memes
privileges qu'a Niort et a Poitiers, sauf la juridiction
sans reserve et l'élection di recte du maire par le
college municipal 2, La charte donnee par Philippe-
Auguste aux bourgeois de Saint-Jean-d'Angely,
comme garantie perpétuellede leur commune, porte que
eette com.'mune sera gouvernee selon la forme de ceHe
de Rouen 3, et a leur requéte une copie authentique


1. Avcurclldu au roi, le 13 juillet 1579; archivcs de la viUe de
l'oitiers. - rn pareil aete de foi et hommagc fut fait pat' le corps de
"i!le oe Kiol't, le 2 juillet 1611.


2. Le jugCIllClIt des crimes de lese-IIlRjesttí appurtellait a\lX ofticiers
royaux, et le Illuire était nommé par le senéchal de la provinee,
bUl' une liste UO trois candidats élus.


3. Noverint ullivol'si .... qnod nos conceuillllls in perpetuulll dileeli;
et tiJelibns nostl'is univet'sis juratis cOlllmunire sancti ,Johannis An-
geliacclIsis el. COl'lUll hereilibus perpetualll stabilitatem et inviolatalll
tirmitutern eOlllmuuiro sure jurat<e apud sanctum Jahannem AlJgcli~­
ccnscal. Prxcipimus autem ad ultimum ut communiam SUl1m teuealIt
SecnnUtlm f'ol'm:tlll ct 111oc1mn cOllllnuuire RotOluagcllsis. (Uecueil des
oJ'dollllfOtces des 1'ois de Frant'e, t. V, p. 671.) - Noveritis quorluos,
,,.¡ petitiunem Yestnllll, mittimlls I'escriptllm commllnire Hotollmgcllsi,
,ti imllc UlIJ,ltUlJ. (lbi'l.)




TABLE,\.C DE L'ANClí~:i¡;E. l'HA"CS ~IUNlCIPALE 3tH


du statut cOl1stitutionnel de Rouen et de Falaise leur
fut expédiée par la chancellerie royale. Aucune trace
d'une pareille demande n'existe pour la Rochelle, et
racte qui lui garantít sa commune sous la royaute
fral1gaíse ne mentíonne pas celle de Rouen \ omissíon
qú'on trouve aussi dans la charte de Poitíers, et quí
n'a pas plus de valeur d'une part que <le l'autre. Le
régime communal de la NOl'mandie étút, pour ces
deux villes, une partí e de leurs coutumos que toute
charte de cOl1firmatíon donnee en termes généraux
comprenaít implicítement. La Rochelle se rendit cé ...
IE~bre entre 'toutes les communes régies par la me me
constitution, et devint, pour les villes du centre de la
France, le type de la liberté IlJ.unicípale. Sous le gOIl-
yernement <le son collége de cent membres, maire,
échevins, conseillers et paírs, ayant toute jurídiction,
cette ville de commerce et de guerre s'éleva au plus
haut point de puíssance ot de prospéríté. On saít i
quelIe audace de projets l'entraina au seízicme et an
clix-septieme síecles une existence presque républi-
caine mise au service de la cause protestante, et com-
ment il fallut, potil' la réduire, un long siége conduít
par Richelieu. Durement chatiée de sa reyolte, la
Rochelle perdit, en 1628, sa constitution et ses privi-
léges municipaux; Saint-Jean-d'Angély, ou la me me
constítution subsistait avec moins d'éclat, perdit les
~iens pour la meme cause. A Saintes, on trouve lé
regime communal du Poitou et de la N ormandie mo-
diRé par une organísation antérieure a l'établisse-


1. Voyez les leth'es données pilr Llluis Vln en 1224, Recueil des
ordOH/WI!:'C8 des reis de Frailce, t. XI, p. 318,


21




PREMIER FRAGMENT


ment de la commune. Au lieu d'un maire, il y a deux
jurés investis conjointement de la principal e autorite;
le corps de ville n'a que vingt-cinq membres, dont
une partie a le titre d'Échevins et l'autre celui de
Pairs. Au treizieme siecle, une sorte de lutte com-
mence ~vec des chances diverses, entre le principe de
l'unite de pouvoir executif et les anciens usages mu-
nicipaux; l'office de maire est institue a la place de
la double magistrature des jures; mais celle-ci repa-
ralt bientót, ramenee par la puissance de l'habitude.
Ce ne fut que vers la fin du quinzieme siecle que
l'institution de la mairie, demandee a Charles VIII
par la ville de Saintes, s'y établit définitivement l.


La capitale de I'Angoumois était l'une des "illes
qui, avec Reims, Bourges, Toulouse et Marseille, se
vantaient d'etre en possession d'un droit de justice
antérieur a l'etablissement de la monarchie. Au
treizieme siecle, sa vieille constitution regut un ac-
croissement de liberté et des reformes inspirees par
le droit municipal de la Rochelle, et dans la derniere
moitié du quatorzieme elle fut renouvelee entierement
par l'adoption du régime communal tel qu'il existait
alors a Saint-Jean-d'Angely s. Angouleme conserva


1. Et a ceste cause nous out lesdits supplians humblemcnt sU¡lplié
et requis et fait supplier et requérir, que nostre plaisil' soit leur
muer et changer lesdits deux jurés en l'estat et office de maire, el
que chacun an ils le puissent eslire a tel jour que bon lenr sem-
blera. (Lettres données par Charles VIII en mai 14~2, Recueil des
ordonnances des ·roi. de Frunce, t. XX, p. 330.)


2. Yoyez, ibid., t. Y, p. 581 el 670, les leth;cs uonnées p'll'
Charles Y aux bourgeois d' Allgouleme en janvier 1372 et mars
1373. La seconde de ces pieces coulient, a\'ec l'ordo!manee royale,
une expédition des chartcs de !el vi1l0 <le Saint-Jean-cl'Angély,




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNlClPALE 363


i usqu'au siecle dernier toutes les formes constitution-
nelles de ce regime, et la haute juridiction dans tous
les cas; sauf le crime de lese-majeste. Cognac, seconde
ville de la meme provínce, n' eut que la j ustice moyenne
et basse, et, du sy~teme d'institutions artistement
complexes qui florissaít dans les grandes municipa- '
lites d'alentour, elle ne s'appropria que deux choses,
la mairíe et l'échevinage.


v


J' arrive a la derniere des cinq régions de l' ancienne
France municipale, a celle de l'est, dans laquelle 5e
range l'Alsace, la Franche-Comté, le Lyonnais, la
Bresse et le Dauphiné. Ce que ces provinces ont de
commun, outre leur situation geographique, c'est
d'avoir appartenu a l'empire d'Allemagne 1, fait en
apparence étranger a la question' du régime muni-
cipal, mais quí a, de diverses manieres, influé sur les
conditions de ce re gime 2. A la difference des rois dé
France et des comtes de Flandre¡ les empereurs ~e


parmi lesquelles se trouve le statut eommunál de Rouen et de
Falaise.


1. Les quatre dernieres furent annexées a l'Empire en 1032, par
la donation que Rodolphe IlI, roi de Bourgogne, lit de ses États a
l'empereur Conrad le Salique.


2. On pourrait, comme je l'ai dit plus hant, comprendre ici la
Lorraine, en la détachant de la région du nord OU ses trois villes
épiscopales, Metz, Toul et Verdun forment, par le caractere de,leurs
institutions et de leur histoire, une sone d'enclave disparate.




PREMIER ~'RAGMENT


sont montrés systématiquement ennemis des muni-
cipalités créées par les moyens révólutionnaires de
l'insurrection et de l'assurance mutuelle sous la foí
du serment l. Sur leul's terres du nord, ils ont com-
battu et interdit la commune juree, et, sur leurs
terres du midi, toute ligue populaire tendant soit a
l'érection, soit au développement normal du consulat.
En outre, dans les provinces 8loignées du centre de
l'Empire et étrangeres á la nationalité germanique,
ils out,par tous les moyens possibles, fortifié le pou-
voir des seigneurs ecclésiastiques et diminue celui
des seigneurs lalques dont il se défiaient davantage.
Ils ont, en conséquence, protége l'autocratie muni-
cipale des eveques contl'e toute révolution meme con-
sentie par les comtes souverains du pays 2. C'est a la


1. VQy~z les Con,idlrations sUJ' ¡'''isto;re de France, cbap. VI.-
Conventiculas qnoque omncs et conjnrationes in civitatibus et extm,
etiam occasione parentelre et inter civitatem et civitatemet inter per-
sonam et personam sen inter civitatem et personam, omnibus modis
neri prohibemns. (Constitutio pllcis Frederici 1, IlpUU Pertz, .Y'onu-
menta German¡a¡ hislorica, Leg., t. lI, p. 112.) - QlIod nulla civitas,
nullum oppidnm, communiones, constitutiones, colligationes, confe-
derationes vel conjurationes aliquas, quocumque nomine censeantur,


.faoere posscnt i et quod nos, sine domini sni assensu, civitatibus seu
oppidis in regno nostro oonstitntis auotoritatem faoiendi commu-
niones, constitlltiones, colligationes ve! conjurationcs aliqllas, qua:-
cumqne nomina imponantur eisdem, non poteramus nec debebamn!
impertiri. (Henl'ici regis sententia contra communioncs clvitatum,
ibid" p. 279.) ,


2. Une curieuse charte de l'empereur Fréd<Íric II est celle qui, en
1226, déclare nuls et non svenus tous les consulats et autres gouvar-
llements libres des ville~ de Provence. « Pervenit nuper ad notitiam
• l10stram quod quarurndam civitatum, villarum et aliorum locorum
« Ilniversitates in comitatibus ipsis degentes propl'io motu et volun-
« tate constituerunt juridictiones, potestatp,s, consulatus, regimina el
(f alia qua:dam statuta, qUa! ad suro arbitl'ium voluntatis exercent; et
« cum jam apur! quasuam, ... in abnsuDl et pravam consuetudinem




faiblesse toujours croÍssante des liens de vasselage
quí l'attachaient a l'Empire que la Provence dut
l'établissement de ses grandes municipalítés et 1'es-
sor, libre et complet chez elle, de la constitutíon con-
sulaire. Maís le Dauphiné moins heureux, parce que
sa sujétion :i l'Empire était plus réelle, se 'lit arreté,
dans cette carriere de rénovation municipale, par
l'appuí effectif que re9urent les éveques des princi-
pales villes contre l'esprít d'indépendance et les en-
treprises de la bourgeoisie. Dans eette provinee, et
par sllÍte du fait que je signale, sí le cohsulat se
montre quelque part, c'est comme un nouveau titre
et non eomme un 'pouvoír nouveau; on le trouve
réduit a quelque chose de médiocre et de subalterne,
dépourvu de juridiction, n'ayoot ríen de cette demi-
souveraineté quí, dans les villes de la Provence et du
Languedoc, est son attribut essentiel. Une partie de
la remarque faite iei pour le Dauphinó s'applique au
Lyonnais et :i la Bresse; et voila par quel motif j'aí
détaché ces trois provinces méridionales de la régíon
des municipalités libres sous le re gime consuIaire.


Le mouvement de la révolution communale, née
a\l nord de la France et llTüllagée de la sur les terres


, de l'Empire, fut étouffé aTreves 1, en H6i, par l'em-


« inoleverunt" .. nos ex imperiali auctoritate tam juridictiones, eon-
" snlatus, regimina, potestates et statuta cretera per universitates
• eivitatum inventa, atqne eon('essiones super his, per eomltes Pro-
" vincire et Forcalquerii ab ('is obtentas, ex certa sciellcia. l'evoca-
"mus, et inania esse censemus. lJ (Papon, Histoire de Prov8flce,
t. II, preuves, p. L.) •


1. Communio ql10que civium trevirensiurn, qure et conjuratio dici-
tUl', quam nos in civitate destnlximus .... qure et postea, sicut audi-
vimus, reiterata. est, cassetur et in irritum revocetur, statuentes ne




366 PREMIER FRAGMENT


pereur Frédéric le.; rien ne prouve qu'il ait penetré
dans les villes de l'AIsace. Ces villes, dont la plupart
ne remontent guere au dela du douzif:,me siecle, ont
acquis leur constitution libre piE'lce a piece, par des
concessions du souverain, et suivant une loi de pro-
gres commune a toutes les cites de l'Allemagne. Leur
indépendance quasi republicaine eut pour principe,
non, comme ailleurs, un élan de l'esprit de rénova-
tion, une lutte violente et heureuse contre le pouvoir
seigneurial, mais l'exemption Iégalement obtenue de
toute juridiction autre que celle d'un délégué de
l'Empereur, et le changement graduel des offices
impériaux en magistratures m~nicipales. C'est de
cette maniere que des vílles peu considérables, telles
que Haguenau, Colmar, Mulhouse, Schelestadt, Wis-
sembourg, Seltz, et d'autres de moindre importance,
arriverent a posséder le droit de mili ce et celui de
justice au plus haut degré, le droit de lever des im-
póts, de créer des magistrats, de faire des statuts
d'organisation politique, de donner asile aux pros-
crits, de déclarer la guerre et la paix et de conclure
des alliances meme en dehors de l'Empire. De pareils
droits municipaux s'accordaient, pouÍ' les villes impe-
riales, avec la présence continue d'un représentant .
du souverain sous les titres de Comte, de Preteur, de
Prévot, d' A voué 1, association étrange qu' on ne ren-
contre que la et qui provenait de la nature toute fédé-


~einceps, studio archiepiscopi vel industria comitis palatini, reite-
retur. (Hontheim, Bist. trevir. diploma/., t. 1, p. 594.) ,


1. C'est du latiu advoca/us que s'est formé par contraction le mot
allemand Vogt.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPATJ 8 367


l'atív~ de l'empire germaníque t. Une autre particu-
larit8 ,du régime municipal de l'Alsace, c'est que,
parmi les magistratures urbaines, plusieurs sont des
fiefs héréditaires, et que la bourgeoisie des villes se
compose de nobles et de non nobles, entre lesquels
l'administration se partage assez également jusqu'au
milieu du quatorzieme siecle; plus tard les classes
plébéiennes se rendent prépondérantes, et la démo-
cratie domine. Ce changement, opéré plus ou moins
complétement a la suite de luttes plus ou moins vives,
est, dans l'histoire des villes d'Alsace, a l'exception
de celle de Strasbourg, l'unique fait révolutionnaire.


Strasbourg, la plus ancienne de ces villes, la seule
dont l'existence remontát jusqu'aux temps romains,
avait une municipalité immémoriale dont les élé-
ments s'étaient absorbés dans la seígneurie tempo-
relle de l'éveque. Jusque vers la fin du doúzieme
siecle, on trouve le corps de ville borné aux officiers
et aux vassaux nobles de la maison épiscopale, quí
formaient une classe de patriciens et un sénat héré-
ditaiFe. Au siecle suivant il se fit une premiere révo-
lution; la municipalité re<;(ut une organisation dis-
tincte, sinon entierement indépendante de la cour
seígneuriale; il Y eut un sénat annuel et électif, se
renouvelant lui-meme, et choisissant, selon des pro-
portions qui varierent, en partie parmi les vassaux
nobles de l'éveque et en partie dans la plus haute
classe des bourgeois llfollfement d it.s ~, AlI~eg uu


1. Les villes libres et immédi9.tes 9.v9.ient, comme États de l'Em-
pire, séance et voix délibérative a la diete.


2. Statntum est ut dllodecim vel plures, si necesse fnerit .... tam




3flR PREMIEn FRAGMBNT


siecle et demi environ, cette municipalité aristocra-
tique fut renversee par un soulevement des classes
moyenne et inférieure de la bourgeoisie; une seconde
revolution eut lieu, et iI en sortit une nouvelle con-
stitution municipale, fondee sur l'existence politique
des corporations d'arts et métiers qu'on appelait
Tribus 1, et dont le nombre, d'abord variable, fut fixé
a vingt par le statut définitif, Pour l'exercice du droit
de cité, iI n) eut plus dans la ville que deux c1asses
légalement reconnues, celle des nobles et celle des
artisans; les bourgeois exer<;ant le negoce et les pro-
fessions liberales durent se fondre dans la derniere,
en se faisant agreger á quelqu'une des tribus. Le
sénat ou grand conseil était forme de trente et un
membres, dix nobles, vingt plebéiens representant
les vingt tribus, et un chet du gouvernement Am-
meister z, qui devait toujours etre plébéien. Trois col-
léges inférieurs, ayant des attributions spéciales, et
nommes Chambre des treize, des quime et des -vingt
et un, étaient composes pareillement de nobles pour
un tiers et de plél:ieiens pour les deux autres tiers~.


inter ministeriales quam inter cives, ponanfur annllatim eonsules ei.
vitatis, inter qnos unus magister vel duo, si necesse fuedt., eligantur.
(Statut épiscopal des premieres années du douzieme siecle, Grandillier,
Bis/. de l'iglise de Slrasbourg, t. lI, p. 37, note 1.) - J.e mot COl1SII/eS,
dans les actes latins des municipalités allemandes, ne dé note ancune
imitation du cOllsulat des villes italiennes; il est la simple tradue-
tia n du mot Rathen, conseillers. Le titre du magistrat mUllici pal étnit
Meister, dont on faisait Sldtmeistar, Burgmeisler, etc. Senat et Conseil
sont la m~me chose.


1. En allemand Zünfte.
2. Par contractioll, pour Ammanmei,'ter. .
3. 011 les app~lnit les trois cham bres intimes, die drey gc/¡dmen


Stuben.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 369


Enfin, au-dessus de tous les pouvoirs, dominait,
cornme investí de la souveraineté munícipale, le con-
seil des trois cents échevins 1, résultant de l'élection
de quinze de ses membres par chacune des vingt
tribus ou sections plébéiennes de la communauté.
eette curieuse constitution municipale, dont les
bases furent posées en t334,. et qui ne regut sa der-
nitire forme qu'en i482, subsistajusqu'a la révolution
de i789 2; I'annexion de Strasbourg a la France n'y
changea ríen de fondamental.


La capitale du comté de Bourgogne ou de la
Franche-Comté, Besangon, ville de l'Empire en de-
hors des pays de langue allemande, présente un pre-
mier exemple des effets souveut bizarres de cette
situation politique sur le plus ou le moins de déve-
loppement de l'existence municipale. Quand les
empereurs succéderent aux États des rois de Bour-
gogne 3, ils crurent que le meilleur moyen de s'as-
surer cette possession étrangere pour eux était de
donner les grandes villes du pays en fief aux éveques,
devenus par 13. princes de l'Empire, investis des
droits régaliens et de l'autocratie municipale' ~ans
chaque cité. C'est ainsi qu'a Besangon le pouvoir


1. En allemand, Schreffen.
2. Avant la charte constitutionnelle définitive de 1482, iln'y ent


pas moins de seize statuts organiques successivement promnlgnés.
Bodin dans son livre d. Republica mentionne plusienrs fois la cOIlsli-
tul ion de Strasbollrg, notamment livre VI, chapo IV; mais il se
trompe en disant que pOllr litre magistrat plébéien il fallait absoln-
ment exercer un métier. Jl a confondll l'inscription obligée sur les
rUles d'une tribu avec l'exercice réel du métier dont cette tribu portait
le nomo


3. Par il.onation de Rodolphe PI, en faveur de Conreil. le Salique,
mari de sa niece Gisele.


'H.




370 PREMIElI FRAGMENT


temporel de l'archeveque fut absolu de droit et de fait
jusqu'aux dernieres années du douzieme siecle. Alors
les plaintes des citoyens contre les abus de ce pou-
voir frapperent l'empereur Henri VI qui, pour assurer
le bon ordre et régler la seigneurie de l'archeveque,
autorisa l'institution d'une sorte de jury aupres de
la justice seigneuriale, et la création d'une munici-
palité élective ayant la police et la garde de la ville l.
Mise en possession de ce premier degré d'indépen-
dance, la bourgeoisie de Besan90n ne s'y arreta pas,
elle partít de la pour attaquer tout ce qui restait de
l'ancienne autocratie de l'archeveque, et elle y réus-
sito Elle s'attribua, par empiétements successifs, la
Juridiction civile et criminelle, le gouvernement poli-
tique a l'intérieur et le droit de guerre et de paix au
dehors. Tout le treizieme siecle fut employé a cette
révolution opérée a l'aide d'une volonté persévérante,


l. Si yero eives prredieti vel nliquis ipsorllm eivinm eoram ar-
chicpiscopo sel. coram vieeeomite seu majore f'lerint aceusati vel ae-
cusatus, vel quoeumque alio modo in judieio cOBcti vel cosetus, capti
vel c~~tus ...... et ~n ca~s~ f~erit conel.u~um, ex t~ne voeati~ ~¡iis civi-
bus dICtre clvltatJs, dletl Clves vel ClVIS, per ClVes non lmmieos et
minus favorabiles, sed eommunes nd hoc speeialiter electos, de prre-
dietis eivibus vel cive judicabunt, et quod judicatum fuerit per judi-
cem coram quo fuerint convicti vel convictus mandabitur exeCll-
tioni .... Volumus et concedimus ut custodia nostrre civitatis Bisun-
linre penes eives remaneat, nt eam custodiant et <lefendant pro
nobis .... Liceat ipsís civibus de seipsis eligere meliores et discretio-
res, qni jurati regant et procurent negotia civit,ttis, prout faciunt
cives et burgenses per regnum nostrum constituti. (Diploma Hcn-
rici VI, 1190. Histoire de la ,'ilIe, éyli" el diocese de Besanron, pl1.r
Dunod, t. I, Prenves, p. LIII et suiv.) - Un voit qu'a Besall~ou le
titre de Mai1'e n'avait rien de municipal, il appartenait eomme celui
<le Vicomte a un offieier feudataire de l'archeveqlle j il Y avait dans
la ville trois justices seignellriales, deux de premiere instanee et une
d'appel : la vicomté1 la mairie et la régalie.




• TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 37f


de s.ou18vements nombreux, et d'allianees défensives
ave e l'un ou l'autre des grands seigneurs du pays I
Dans ces confédérations était le péril pour la souve-
raíneté itnpériale; les empereurs crurent y voir la
main du roi de Franee, ils tenterent de les dissoudre
et de maintenír par des édits menagants le pouvoir
de l'areheveque 2; mais la ville n'obéit pas, elle se mit
sous la garde des eomtes de Bourgogne, et elle osa
mell1e soutenir un siége eontre le souverain quí retll-
sait de l'admettre eomme ville libre et immédiate".
A de tels signes de la puissanee des faits aecomplis,
la poli tique des empereurs changea; ils ne s'obsti-
nerent plus a défendre la cause de l'areheveque, íls
laisserent les droits seigneuriaux passer du prélat au
corps de ville et se consolider par preseription dans
les maíllS de la bourgeoisie 4. Depuis le quatorzieme


1. L~ ville conclllt des traités rl'alliance avec Jean, corote de Cha-
lons, et Guillallroe, sire d'Apremont, en 1224 et 1225; avee
Rugues IV, due de Bourgogne, et son nls Eudes, comte de Nevers,
en 1264; avec Otbon, comte palatin rle Bourgogne, en 1279; et avec
son frere Rugues de Bourgogne, en 1290.


2. Une lettre adressée, en 1277, par Rodolpbe ler, aux citoyens ue
Besan~on, renfcrme le passage suivant: " Sicut ad cnlminis nostri
pervenit notitiam, rex Francire, fermento persnasionis sure, sineerita-
tero fidei vestrre moEtur corrumpere, vos a Hile; Ilostrm ct imperii
debito avertendo, et servitium sui seeularis dominii accrescenilo. "
(Chillletii, Vesontio civitas imperialis libera, t. 1, p. 229.)


3. En 1288, a l'oceasi(J1l d'une ligue formée entre la ville de
"B~~a,,{\~I;2;\"\, \~ cüm\.e ue 11o\\tbe\\\'{\iTu., le ":I1.l'e ue Yel'!ct.te, et u'autTes
seigneurs contre l'éveque de Hille qne sontenait l'empereur Rodolpbe.
_ On pent voir dans la collection Draz, cabinet ,les manuscrits de
la Bibliotheque imperiale, Franche-Gomte, archives et (ranchises des
communes, un grand nombre d'aotes imperiaux du treizieme sirole,
ponr la défense du pouvoir temporel des arcbevilques.


4. Voyez dana la co11eetion Droz, Franche-Gomté, archives et (ran-
chises des rommunes, une suit .. ,l'actes des emperenrs reconnaissant




372 PREMIER FRAGMENT


siecle jusqu'a, la seconde moitié du dix-septieme, si
l'archevéque de Besan<;on resta nominalement prince
de l'Empire, ce fut la cité-qui exer<;a tous les pon-
voirs attachés primitivement a ce titre.


Une chose singuliere, c'est qu'i Besan<;on, durallt
pres de cinq siecles, il ne se fit aucun changement
dans l'organisation du pouvoir municipal. Une me me
forme constitutionnelle suffit aux premiers comniell-
cements et i tous les progre s de la liberté politique,
et le gouvernement étahli par conceslSion de I"elll-
pereur Henri VI subsista jusqu'á la conquete de la
Franche-Comté par Louis XIV. Dans les sept quar-
tiers de la ville nommélS Bannieres, parce que chacull
avait son drapeau et ses couleurs, les citoyens choi-
sissaient tous les ans vingt-huit notables quí, á leUl'
tour, nommaient quatorze personnes, deux par ban-
niere, pour formel' la magistrature de l'année. Ces
quatorze élus, que d'abord on appela {J1'ud"lolJlmes
ensuite Rectew's, et en dernier líeu Gouverneur.', átaient
le conseil ordinaire exerpnt la police et la jnstiee
municipales; aucun d'eux n'avait de supp.riorité sur
les autres, tous présidaient á tour de r61e. Les qua.-
torze magistrats en exercice, réunis aux quatorze
nouvellement sortis de charge, et aux vingt-huit
notables de l'année eomposaient le Conscil d'Étlit
représentant le peuple et investi de la lSüuvel'aine


dnns toute leut' étendue les droits conquis par ln yi\le, el déclarnnt
que e'est ;ndlle7llfllt que les llrcheveqnes prétendent en avoir la sei-
gneurie. Le premier de ces actes ese J' AJúlphe, roi des ltomains, cn
1296; le dernier de l'empereur Maximilien, en 1503. En 1435, sons
le poids d'un inlerdit lancé par l'archeveqlle, lcs citoyens entrt~rellt
en composition avec lni, mnis ils reprirent ton te leur liLert(pen Jo
temps "pres.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FHANCE MU:-iICIPALE 373


autor.ité. Les réunions de ce grand conseil, qui n'a-
vaient lieu que pour les affaires les plus importantes,
étaient annoncées publiquement plusieurs jours d'a- ,
vanee, avee les choses qui devaient y etre discutees. '
On regardait ses actes comme l'expression de la
volonte general e 1: Sous cette forme sobre et contenue
de gouvernement democratique, il se developpa dans
la cité devenue de plus en plus libre, sans etre pour
cela moim; unie, des rnceurs fortes et un esprit de
devouement calme a J'interet de tous, qui semble
avoir laissé son cmpreinte sur des inscriptions tumu-
laires tracees au treízieme siecJe púur deux bourgeois
morts en combatt:.mt'l.


La ville de Poligny, a laquelle une eh arte du
treizierne siecle garantit les droits de franchise et
de commullauté 3, fut d'abord gouvernée par quatre


1. Voyez Dunod, !lisl. de la tille, 'glise el dioe. de Besan90n, t. le"
p. 170. - On t1'OI1\'e daus la collection D1'oZ un statut org!\lIique
décrété en 1544 par les vingt-huit llotables, au moment de lell1' élec-
tion et a\'nnt qll'ils eussen: procedé a celle des quatorze gouverneurs
de l'anllée; voiei le préambule de cet aete qui regle les attrihutions
des magistral s municipal1x ~ " Nou., villgt-huit des sept banniel'es
" de la cité imperiale de Besanyon, élus par le commun d'icellü et
" ayant pn\sentement administration total e de ladite cité ... , livons,
« dn consentement du<lit commnn et;, la réquisition d'icelui ... ,statl1é
« et ordonné, statuans et ordonnons perpétuellem"nt les articles sui-
" vants ...• (Biblioth. imp., colleet. Dro7., Archiv. el (ranch. des com-
mUfles, t. ]J, fol. 283.) - Par l'annexioll au royaume de France, la
\'ille de llesan','oll perdit tuus ses privilégcs politiques, la haute jll-
ridiclion lllullicipale fut trllnsportée au parlement.


2. Auno Domilli ~! ce T.XXIII VI kal. maii, interfectus fuit
,Tohannes Gravius, civis Bisu¡¡tinus, pro libertale civitatis Bisuntinre,
gerenl10 ip"ius civitmis ncgotia. Anima '-\ius requiescat in pace.
(Chifflet, Fesonlio ","vi/as impe";alis, etc., t. In, p. 227.) - La se"'ltIde
epitaphe, rédigée dans les memes termes, et placée dans la m&me
église, portait le nom d'Othon de Berne, ibi,1., p. 226.


3. Cette charte fut donnée en 1288, par Othon V, comte de Bour-




PREMIER FRAGMENT


prUlf/tOmmes élus annuellement et n'ayant d'autre
juridiction que la simple police. Au quinzieme siecle,
elle obtint la faculté d'adjoindre douze conseillers a.
ses quatre magistrats primitifs et le droit de justice
moyenne et basse. Enfin, par une charte donnée
en 1525', toute justice lui fut accordée, et a la tete
du corps de ville, composé de deux conseils, fut placé
un maire qui prit le titre de Vicomte comme a Dijon.
Dóle et Salins eurent la me me suite de progre s dans
leur constitution municipale. A Monbelliard, le Con-
seil commun se composait de neuf MaUres bourgeois et
d'un maitre bourgeois en chef, élu pour le présider.
Le maire était un officier du comte, nommé par
lui, accrédité aupres des magistrats municipaux et
n'ayant que voix eonsultative dans les délibérations
du Conseil. Un singulier exemple de communauté
immémoriale est celui qu'offrait la ville de Pontar-
lier, unie de toute ancienneté en un méme corps
politique avec vingt villages situés autour d'elle; ces
villages participaient aux droits de la ville pour
l'élection des magistrats et a ses charges pour les
dépenses de l'administration commune ' . Tous les


gogne. -.Te mets ioi le mot communaullÍ a la place du mot commun,
quí est ocluí des chartes franc-comtoises : Et, pour lel commun gou-
remer ... prxdicti communis el franchisix ... Ce genre de municipalíté,
qlli n'était point la oommune jnrée des villes du nord, et qu'on doit
se garder de coufondre avec elle, ne peut iltre indifféremment appelé
du meme nomo Au moyen age, le mot commune n'avait point,
comme je l'ai déjil. dit, la généralité de sens qll'il a re~ue depuis le
quinzieme ,i,!Ole, et qui lui appartient 1naiutenant.


1. Par Margnerite, archiduchesse d'Autriche et comtesse de Bour-
gogue.


2. Cette admiuistration, au seizierqc siecle, se composa.it d'un
msire, de q Llatre échevins et de h1lit conseillers.




r
TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE :niJ


habitants de cette circonscriptíon territoriale étaient
bourgeois de Pontarlier; ils prenaient le titre de
Barons, et leur communauté se nommait le Baroichage,
c'est-a-dire le baronnage de Pontarlíer \, Ce nom
joint, pour la population de tout un territoire, au
droit de s'administrer elle-meme et d'avoir des juges


e nommés par elle signale un fait, sinon unique du
i moins tres-rare dans l'étendue de la France actuelle,


celui de la conservation a travers les siecles d'un dé-
bris des institutions mérovingiennes, d'une Centaine


'avec ses hommes libres, telIe que nous la présentellt
les monuments législatifs de la premiere et de la
second' race 1, En general, dans les villes du second
ordre et les bourgs de la Franche-Comté, les chartes
de priviléges ne remontent pas au dela de la seconde
moitié du treizieme siecle; le titre d'Échevins,
étranger a la province, n'apparaÍt que tard, et l'offiee
de maire encore plus tard; le pouvoir municipal ne
s'étend guere au dela des bornes que lui assigmtient


l. On disait baroís pour barons, dans le dialecte du pays. Les
cbartes du treizieme siecle portent indifféremment bourgeois ou barons
de Pontarlier; on y trouve aussi la formule chevaliers et barons de
Pontarlier, et alors le mot barono siguifie moins que chevaliers; il
désigne les simples bourgeois. L'uuion du baroichage de Pontarlier
Cut dissoute vers le milieu du seizieme siecle; en 1537, les villages
refuse,rent d'acquitter leur quote-part des dépenses de la ville, et
plaiderent devant le parlement de. DOle ponr obtenir leur séparatiou
.tint"~~ts et \eUl' indépendauce T~spective (\' aumlnls',atiQu.


2. Qnelque cbose de parfaitement ana\ogue se rencontrc dans la
Flaudre beIge, oitl'on trouve le Franc de Brvges et d'autres territoires
constitués de m@me en comrnunauté immémoriale. Les commnnes
formées de plusieurs villages en vertu d'nne aharte datée, comme
il en existaít notamment dans la Picardíe, sout d'une tout autre na-
ture. _ Voyez l'Histoire de Pontarlier, par Droz, et. du Can~e, Glos-
80.,.., au mot Centena.




PR¡':MlER FRAGMENT


les lois romaines; enfin, le nombre de quatre magis-
trats qui domine presque universellement, semble,
eomme je l'ai deja remarqué, un type venu par tra-
dition de la munieipalité des temps romains.


J'arrive a des provinces 00. le droit municipal tenait
beaueoup plus des épogues antérieures au douzieme
sieele que de la rénovation opérée dans ee siecle et'
continuée au treizieme, Le mouvement révolution-
naire dont la tendance fut partout de donner a la
bourgeoisie une part de la souveraineté urbaine n'a
produit dans les grandes villes du Lyonnais et du
Dauphiné que des commotions passageres; il n'ya
point ehangé les bases de la constitution tradition-
ne11e, ni établi de nouveaux pouvoirs et de nouvelles
libertés politiques, Apres la période de litige et de
lutte armée entre les bourgeois et le seigneur, la
somme de ces liberté s demeure la meme que dans
les, temps anciens; seulement, comme on le voit sur-
tout pour Lyon, elle se trouve alors garantie d'une
maniere plus forte et plus expresse par un pacte
mutuel et par des conventions ecrites.


Lyon est la yille de France oú le fait de la durée
non interrompue du droit municipal romain se montre
le plus clairemellt, et ou la tradition de sa per:;istance
a trayers les siecles du moyen age parait le plus for-
tement empreinte dans les mceurs, les actes public,:;
et les docnments de tonte espece, Inyestie a son ori-
gine des priyiléges dont l'ensemble se dtJignait par
le nom de dl'Oit italique, cette grande cité les a con-
serves ayec une pieuse et conrageuse obstillation; a
toutes les époques de son existence, elle en a voulu
le maintien, et, chose digne de remarque, elle n'a




TABLEAU DE L'ANr.¡F.N:-íE FRANCE MUNICIPAL:. 3ii


jam~is'demandé rien de plus 1. La franchise la plus
complete pour les personnes et pour les bien s,
l'exeinption de .tout impot direct en dehors des
charges municipales, le elroit de former un corps
qui se taxe lui-meme et administre ses deniers com-
muns par eles mandataires élus, qui veille a sa propre
sureté au moyen d'une mili ce urbaine, qui exerce la
police des rues et la surveillance des métiers, mais
sans aucune juridiction crimineIle ou civile : telles
sont les libertés que la bourgeoisie de Lyon appelait
ses coutumes héréditaires, et qu'elle défendit éner-
giquement contre le pouvoir temporel des arche-
veques, san s empiéter sur la souveraineté seigneu-
riale, sans se laisser entrainer par l'exemple des
vilIes qui, sous l'influence du grand mouvement de
la révolution communale, avaient assuré leur liberté
civile par des garanties politiques, et conquis, soit la
totalité, soit une part du droit de juridiction 2. Apres
une lutte violente qui dura plus d'un siecle entre la
bourgeoisie et l'église de Lyon, quand vint la paci-
fication définitive, la charte quí scella cette paix ne
stipula rien autre chose que le respect et le perpétuel


1. Voyez, sur les cités des provinces qui avaient part au j"s ita-
¡¡c"m, c'est-it·dire au droit qui, selon la regle, ne devait appartenir
qu'D. l'Italie, l' His!oire au droí! roma;n, par Savigny (traduction fran·
~aise), t. ler, p. 49; rEssai s"r I'Ms!oire du aroí! {ranga!s au rooyen
úge, par M. Charles Giraud, t. ler, p. 94 et suiv.; et les Rechet'ches
.tlr le draí! de propriété, par le meme, t. ler, p. 299 et !!lliv.


2. Une transaction de I'année 1208, entre les citoyens de Lyon et
l'archeveque, porte ce qui suit : Juraverunt cives nuUam conspiratio-
nem vel juramelltllm communitnlis vel consulnlus tlUO tlnquam tempare se
fae/ums, formule remarquable en ce qu'elle a trait aux deux formes
constitutionnelles de la révolntion du douzieme siecJe, celle du nord
et c~l1e an mini, la commnne et le consnlat,




3i8 PREMIER FRAGMENT


maíntien d'usages qu'on dísait remonter bien au dela
de toute mémoire d'homme '. Les termes ~e cette
charte, donnée en 1320 par l'archeveque Píerre de
Savoie, sont curieux et méritent d'etre cités :


« Consídérant 'Iu'il est écrít dans la víeílle loí des
« philosophes que les Lyonnaís sont de ceux qui, en
« Gaule, jouissent du droit italíque, nous désirons
« par affection de cceur main tenir amiablement notre
(1 illustre ville de Lyon et ses citoyens dans leurs
«( libertés, usages et coutumes, et leur témoigner de
(1 plus en plus faveur~et grace, a l'honneur de Dieu,
(1 pour le bien de la paix et la tranquillité de l'Église,
(/ de la ville et de tout le pays 2 ••••


(( Voici les libertés, immunités, coutumes, fran-
(( chíses et usages longtemps approuvés de la ville et
«( des citoyens de Lyon ....


« Que les cítoyens de Lyon puissent se réunir en
(( assemblée et élire des conseillers ou consuls pour
(1 l'expé{lition des affaires de la ville, faire des syn-


1. On peut objecter l'apparition du titre de Conaul durant cette
guerre civíle; mais tout semble prouver qu'a Lyon le régime révolu-
tionnaire du oonsulat ne fut embrassé que par désespoir, et non par
une passion reelle pour les droits politiques inhérents a ce régime.
La ville insurgée le prit comme l'expression la plus énergique de sa
révolte, et elle le quitta des qu'elle eut obtenu des garanties suffi-
santes po¡¡r sa constitution immémoriale. Alors, du régime oonsu-
Jaire, il ne resta plus qu'nn nom, et la ohose elJe-m~me disparut sans
Jaisser de regrets.


2. Considerautes etiam in lega philosophorum veteri scriptum quo,1
Lugduuenses Galli jurís italici sunt ... (Charte de l'archev@que Pierre
de Savoie, Histoire de Lyon, par le P. Ménestrier) Preuves, p. 94.)
_ Ce passage de la charte veut désigner le Dig. loí VIII, ~ 1, Paulus
de censibus, OU il est dit : Lugdunen,'Bs Galli, ítem T'imnenses in Nar-
fJOnellsiJ jurü; itaUci SUl1t I




TABLEAU Dr, L'ANCIENNB FRANCE MUNICIPALE 379


« dics ou procureurs', et avoir un coffre commun
« pour la conservation de leurs lettres, privileges et
a autres objets d'utilite publique.


« Item, lesdits citoyens de Lyon peuvent s'im-
« poser des tailles pour les necessites de la ville ....


({ Item, lesdits citoyens peuvent se contraindre
(( mutuellement a des prises d'armes, chaque foís
a qu'il en sera besoin ....


« Item, les citoyens ont la garde des portes et des
« clefs de la ville depuis le temps de sa fondation, et
« ils l'auronP.


« Item, les citoyens ne peuvent etre tailles ni im-
« poses, et jamais ils n'ont ete imposes par le sei-
( gneur ..... »


Ces droits, violés et contestés au treizieme sil'lcle,
ne triompherent qu'a l'aide el'un grand secours, celui
des rois de France qui s'en firent les protecteurs et
les gardiens, et ce fut par la volonté libre de ses
habitants que Lyon devint partie du royaume 4. La
souveraineté de l'archeveque resserrée dans ses an·


1. Voici la formule de procuration usitée dans ce cas: • N os- cives
" et populas civitatis Lugduni, more solito congregati, facimus et
« constituimus atque creamus nostros syndicos, procuratores et acto-
« res ... » (Histoire de Lyon, par le P. Ménestrier. Prenves, p. 100.)


2. Cnstodiam portarum et clavinm civitatis habent cives a tempore
creo.tionis civitatis, et ho.bebnnt. (Ibid., p. 95.)


3. Cives non possunt to.lliari, vel collectari, neo unquam fnerunt
collectati per dominnm. (lbid.) - Le revenn seignenrial de l'arche-
veque consistait dans les péages, les droits de mutation, les frais de
jnstice et les amendos.


4. N os, snpplicationibus civium Lugdnni civitatis de regno nostro
existentis favorabiliter annnentes, eosdem cives et eorum singulos
sub nostra speciali gardia et ,protectione suscipimus ... (Charte de
Philippe le Bel de l'année ]292; ibid" p. 99,'




3~O l'REMIER FRAGMENT


ciennes limites,et sa juridiction soumise en appel a
celle du roi, tel est dans l'histoire municipale de
Lyon le dernier terme el le résultat d'une lutte qui
eut l'aspect et la violence des soulE'lVements les plus
révolutionnaires l. C'est durant cette lutte que le
gouvernement traditionnel des intérets municipaux,
le conseil de la cinquantaine, ombre de la curie des
temps romains, se concentra, pour etre plus actif,
dans un petit conseil de douze personnes, qui, apres
la pacification, subsista seul, et dont les membres,
par une sorte d'éclectisme entre le mi di et le nord,
recurent,outre le nom de Conseillers, celui de Consuls
ou·d'Échevins indifféremment z. Mais ce consulatsans
justice haute, moyenne ou basse, n'etait point com-
parable a celui des cités de la Pro vence et du
Languedoc. La juridiction demeurait tout entiere a
l'archeveque; la ville n'en prétendit jamais rien,
seulement elle voulait que le droit de justice restat
un dans les mains du prélat, sans aucun partage avec
son chapitre. Sur ce point, l'esprit publíc des habi-
tants de Lyon, fidele a l'esprit du droit romain, se
montra énergiquement hostile aux usages du mor-
cellement féoda1 3•


1. Voyez, avec l'Ilistoire de Lyon, uu P. Ménestrier, les ueux pu-
blications intitulées: De la Commune Iyonnaise, par M. Auguste
Bernard, et L'hO,el de vil/e de Lyon, par M. Jules Morin.


2. Dans toutes les chartes confirmatives de ce1le de 132()', et no-
tamment dans la charte de Pierre de Villars, donnée en 1347, la
municipalité de Lyon est désignée par ce seul mot : les Conseil1ers,
consiliarii. La série des actes publics, depuis le quatorzieme siecle,
présente les titres suivants : consul., recteurs el gau1!erne1lrs de [,,,,,i-
tlersité de Lyon; conseillera pour gauverner la paliee el fails communs
de la vi/le, el conseillers échevins.


3. Item, juridictio temporalis Lugdl1ni omnino dicta p~rtiueLit




TABLEAU DE L'ANCIENNE ~'RAi\C.E MUNICIPALE 381


A eette eonstitution dérivée par évolutions sueces-
sives de ce qu'ily avait de plus antique dans le régime
municipal, et ou rien de vraiment nouveau ne s'était
introduit, si ce n'est l'attribution du droit électoral
aux corps d'arts et métiers, succéda vers la fin du
seizieme siecle une constitution étrangere, celle de
Paris, imposée par lettres patentes de Remi IV l. Le
collége de douze conseillers, égaux en pouvoir et pré-
sides par 1'un d'entre eux, fut aboli; a sa place, il y
eut un prévUt des marchands et quatre échevins, aux-
([uels resta dOllné par habitud e le titre colleetif pe
Consuls 2. Quant :l. la milice urbaine que formaient,
!Sous le 110m de Pennonagc, des compagnies appar-
tenant chacune a l'un des quartiers de la ville, et
ayant chacune son étendard qui était celui du quar-
tier, elle dura jusqu'a la réTolution de i789. De la,
en remontant de siecle en siecle par les souvenirs,
on aUl'uit pu suivre son existellce non interrompue
jusqu'aux temps de la municipalité gallo·romaine.


La ville de Lyon fut en quelque sorte le miroir du
droit muriicipal pour tous les pays situés entre la
Bourgogne, l'Auvergne et le Dauphiné. Cette grande
eommunauté, jouissant. de tous les droits civil s et
bornée dans ses droits politiques it celui de s'admi-
nistrer elle-meme sans aucune juridiction, devint le


semper et ín omllí lempore aJ nrchíepíscúpnm LllgJuní, et capÍlltlllllJ
llUllam jurí,líetíonem habebíl. (Charte de Píerre de Savoie, lIül. de
Lyon, Prcuves, p. 95.)


l. llOlllleeS:la moís oe déccmbre 1594.
2. En 1764, douze conseíllers municipaux furent adjoints aux


qllatre éc]¡evins et au pnÍl'út des marchands; it París, íl yen untÍt
~íllgt-1"atrc.




382 PREMIER l'RAGMENT


modele qu'aspirerent a imiter, selon la mesure de
leur importance, la plupart des villes et jusqu'aux
bourgs du Lyonnais, du Forez et de la Bresse. Leurs
chartes de franchises, obtenues, soit par concession
gratuite soit a prix d'argent, aux treizieme et qua-
torzieme siecles, sont remarquables par la netteté et
la libéralité des garanties qu'elles contiennent pour
les personnes et pour les biens. Le nombre de quatre,
les fOllctions annuelles et l'élection directe par le
corps entier des bonrgeois sont de regle générale
pour les magistrats municipaux, qui se désignent par
tous les titres successivement ou simultanément usi-
tés a Lyon : Syndics, Procureurs, Conseillers, Con~
suls, Échevins 1. Une autre particularité, dne au voi-
sinage de la grande ville ou se formaient, par la
pratique légale, de no~breux jurisconsultes, est le
souffie de droit romain qui respire, qu'on me passe
l'expression, dans les chartes de franchises et de
coutumes, surtout dan s ceBes de la Bresse. Plusieurs
de ces dernieres portent que, s'H survient quelque cas
non prévu dans la charte, il sera décidé par l'usage
des villes libres voisines, OU, si les bourgeois l'aiment
mieux, par le droit écrit. 'Entre les nombreuses
chartes d'affranchissement des bourgs de la Bresse,
on trouve une sorte de filiation qui remonte jusqu'a


. 1. A Mo¡{tbrison, le corps municipal était formé de six personnes.
Bourg en Bresse eut primitivement deux syndies, deux procuréurs
et douze eonseillers de ville. En 1447, une assemblée géuémle des
habitants décida qué chaque année on éliraít vingt"quatre bourgeois
chargés de donriér une liste de candidats pour douze places de con-
seillers, deux de syndies et quatre d'auditeurs des c.oinptes; ces vingt-
quatre notables devaient en outre, sur l'appel des syndies) @tre
adjoints au conseil dalls les occasions importantes.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNlClPALE 383


deux ou trois modeles reproduits de pro che en proche,
soit sans aucune variante, soit avec des additions plus
ou moins considerables 1, .La redactíon de, ces actes
dress~s pour de simples villages est tres-superieure
a ce que presentent d'analogue les pays voisins du
cóte du nord, et les formules du droit romain s'y ren-
contrent avec une frequence et une exactitude qu'on
ne voit au me me degre que dans les chartes et les.
coutumes écrites de la Provence et du Dauphiné 2,


Vienne, la métropole de cette derniere province,
l'antique cite rival e de Lyon, presente un second
exemple de la me me destinee municipale. On y voit
la constitution gallo-romaine, ou la basse justice
appartient aux magistrats de la ville, et la haute
justice aux officiers imperiaux, se transformer, sous
l'infiuence du privilege de souverainete urbaine
obtenu par les archeveques, et s'arreter la, sans
laisser plus tard aucune prise au mouvement demo-
cratique du douzieme siecle. A V~enne, comme a
Lyon, la charte de franchises qui marqua definitive~
ment les bornes du pouvoir temporel de l'archeveque
ne fut point un acte de concession, mais la recon~
naissance formelle de libertes immemoriales j seule-
ment, cette reconnaissance eut líeu, non a la suite
de longs troubles, mais avant toute guerre Clvile a,
Dans le reglement des droits respectifs de l'arche-


1. Yoyez les Recherches his!ot'i'lues sur le dépal'lemen! de l'Ai1!, par
lVI. de la Teissollniére, t. n, p. 228 et sniv.


2. Y oyez le t. II de l' Essai sur l' histaire (;1' drait fm'n9ais au moyen
dge, par M. Ch. Girand.


3. Sous l'archevfique Jean de Bouwin, entre les au,nées 1221 et
1266,




384 PHElillEH JlRAGMMiT


veque et de la communauté des citoyens, il y eut a
Vienne, pour CE¡S derniers, quelque chose de moins
et quelqu.e chose de plus qu'a Lyon : il y eut de moins
la garde des clefs de la ville, et de plus, avec la fran~
chise d'impóts directs, l'exemption d'impots indi-
rects t. La ville de Vienne pouvait, eomme eelle de
Lyon, s'imposer elle-méme en toute liberte; mais,
étant comme eelle-ci sans juridiction, elle n'avait
aucun moyen de contrainte ú l'égard de ses contri-
buables, et il fallaít que rarcheveque lui prétat dans
cette occasion le concours de ses officiers et des
agents de sa justice z. Enfin l'autorité municipale a
Vienne se composait de huit magistrats élus annuel-
lement par le corps entier des citoyens; leur titre
officiel était syndics et procureurs, mais ils prenaient
facultativement celuí de Consuls, devenu au qua-
torzieme siecle, dans le midi de la France, l'appella-
tion générique des magistratures urbaines, comme
le titre d'Échevin clans le nord.


La ville de Valence fut l'une des plus agitées, et
des plus stérilement agitées, par le souffie de la


1. In primis, quod quicumqnc habetls Viellne tl01l1111n I,on sohat
leydam vendendo vel emendo. - Hen:, habitatores Viellnemes non
solyant pedagium. (Confirmation des pl'iyilég·es de la ville de Vienllc,
Ord01md"oes des ,'oi. de Francé, t. VII, p. 430,)


2. ltem, quod cives et habitatores Vienlle preclicti, si facere vo-
lnerint colleetam ad opus ville et pro nccessariis ejusdem, hoc facere
possillt el valeant, et clictus clominus al'chiepiscopus consentirc de-
beat et ibi íllos qui solvel'e r.oluerint compellere teneatur. (lbid.,
p. 434.) - Et, collecta impositit, ad requisitionem uictorum civium,
domintts archiepiscopus aclrninistrabit duos badellos pro dicta col·
lecta levalluil et executioni de·mandandil. (Coutumes, franchises ct
privilé¿;es [le la ville de LY0:l, m.ioire de LYOII, par le P. 1f""c'_
trier, 1'1'l'U"CS, 1'. \)5.)




TAllLEAU DE L'ANC¡¡.;N:-;E FRANC¡; ML:-iIGlPALE 385


révolutiOll mUllicipale du douzieme siecle. Des le mi-
lieu de ce siecle, on voit se former entre ses habitants
des associations jurées contre le pouvoir tempore
de l'éveque, associations qui, a deux reprises, furent
dissoutes et prohibées pardécret des empereurs d'Al-
lemagne l. En dépit de cette intervention mena<;ante,
ulle révolte des cítoyens contre le gouvernement au-
tocratique de leur éveque eut lieu dans les premieres
années du treizieme siecle l. Apaisée par un compro-
mis, elle fut, apres moias de vingt ans, suivie d'une
insurrection plus violente qui contraignit l'éveque3 ti.
sortir de la ville, et donna naissance a une curieuse
forme de gouvernement révolutionnaire. Deux ma-
gistrats furent créés, un recteur, investi de tous les
pouvoirs, sauf la juridiction, et un juge, strictement
borné i la compétence judiciaire; ils avaient pour
assesseurs des conseillers élus, et a leurs ordres un
crieur publico Un vas te bitiment servait aux assem-
blees des magistrats municipaux et dll peuple; on
l'appelait maison de la Confrél'ie, du ':10m que portait
l'associatiol1 jurée entre les citoyens, qui tous avaient


1. Cives communitatis nullnm faeiant jurümcntllm, nee aliquam
jurent societatem, sine arbitrio et consensu epi:copi, et si feeerint,
component pro pena centum libras ami, meuietl.tem irnperiali fisco,
rned,etatem episcopo, (Charte de l'emperent' Frédéric ler, de l'anlléc
11'/8; Essais historiques sur la vil/e de Va/elice, par JI!. Ollivier, p, 242.)
- ProhibemuB ne aliqua oeeasione civibus Valentinis lieitum sit
inter se aliquam communem jurare societatem, ve! aliquando contra.
aliqnern vel aliquos ordinare conspirationem, nisi id specia!iter de
arbitrio et consenSll ipsius episeopi. (Charte de l'empereur Philippe II
de l'aunée 1204; ibid., p,243.)


2. Sous l'épiscopat d'Humbert de MiribeJ, qui commenee i, l'année
1199.


3. Gllillaume de Savoie, dont J'épiscopat eOllllnCI\\'a ~n 1226.
22




386 PREMIEn ~'RAG~IENT


droit de suffrage 1. Ce régime dura peu, et, pendant
que l'éveque, sorti de la ville, rassemblait des troupes
pour l'assieger, des personnes puissantes s'interpo-
serent; le jugement de la querelle fut remis a un
arbitrage, qui decida que la maison de la Confrerie
serait rasee, qu'aucune assemblée municipale n'au-
rait lieu sans l'autorisation de l'éveque, et que les
citoyens lui payeraient une amende de six mille
mares d'argent'.


Ce traite de paix fut conclu en :1.229, et alors les
habitants de Valence se retrouverent sous l'auto-
rité episcopale temperée par leurs franchises tra-
ditionnelles. Au quatorzieme siecle, ils obtinrent pour
celles-ci une rédaction ecrite et des promesses de·
maintien, mais sans garanties politiques, et presque
sans organisation municipale 3. Ces franchises, pu-
rement civiles j étaient les memes que celles de
Vienne; c'etait, avec la liberté des personnes et des
biens, l'exemption non·seulement de tout impot di-
rect, mais encore de toute taxe indirecte 4. Pourtant


1. His!oire generale de Dauphine, par Chol'ier, t. n, p. 107. - Dalla
une charte, donnée en 1212 a la ville de Sisteron, par le comte de
Forcalqlliel', on trollve : COf\sula!um confirmo vo/ds e! ratum facio in
lJerpetuum ... [tem con(ratriam vestram confi,·mo. Voyez l' Ilislaire ti,
Sisteron, par M. de Laplane, appendice.


2. Histoire gér.erale de Dauphiné, par Chorier, t. n, p. 108.
3. Voyez les Essais historiques sur la dUe de Va/enee, par IvI. Olli·


vier, p. 62 et suiv.
4. 1tem, plus nitrá hile consuetudo est in ch,itat~ Valencie, burgo


et suburbiis ejusdem, et nsus longevus a tauto tempore observatl1s
quod in contrarium memoria hominum non existit, quod nulllls bur-
gensium, civiu~, incolahim et habitantium ejusdem, tenetllr ad 50-
lllcionern aliclljns layde, emendo, vendendo, neque alicujus vecti-
galis sive pedagii, in civitate Valencie. - Item, quod nulla tallia,
angarum, proangarmll, seu aliud tributum vel sllbsidium, qurrn,]o-




TABLEAU DE L' ANCIENNE l'RANCE MUNICIPALE 387


Valence continua de penser que de pareils droits
ne lui suffisaient pas, ou qu'ils étaient précaires
pour elle, sans un pouvoir municipal capable de les
défendre. Elle n'eut de repos qu'apres avoir; gráce
a la protection du roi de France dev-enu dauphin du
Viennois, obtenu quelque ombre de ce pouvoir,
exemple qui montre de la maniere la plus frappante
quelle part on doit faire au désir de liberté poli tique
dans les révolutions des villes du moyen age. Ce fut
en l'année :1.425 1 que les citoyens de Valence acqui-
rent, a cet égard, des droits fort modérés, qu'ils ne
perdirent plus, II leur fut permis de rebatir leur
maison commune, et de s'assembler jusqu'au nom-
bre de quatre-vingts personnes, sans la permission
de l'éveque et la présence de ses officiers2 • La garde
des clefs de la ville fut déclarée leur appartenir lors-
que l'éveque n'y résidait paso Celui-ci, a son avéne-
ment, et tous ses officiers a leur entré e en charge,
durent jurer, sur les saints Évangiles, de garder et
faire garder les franchises, libertés, usages et cou-
tumes de la cité, du bourg et des faubourgs s . Enfin le


cnmqne eis imponi potest neque debet vel alia qurevis collecta seu
exactio. (Confirmation des priviléges de Valence, Ordonnances des
roi. de France, t. XIX, p. 193.)


1. Par une transaction avec l'éveque Jean de Poitiers.
2. Item, qllOd, quocicnscllmque de negociis communibus ejusdem


civitatis est tl'actandum, congregari et convenire possint licite in
domo communi ejnsdem eivitatis vel alibi, de burgen.iblls, civibus
et llabitatoribus cjusdem, usque ad numerum quater vigenti, etiam
si pluribus vicibus et frequenter Be diverse persone eorumdem in di-
versis congregacionibus hujusmodi successive conveniBnt, et ibidem
de eisdem negociis libere tractare et disponer~ pront eis videtur op-
p(lrtnnum. (lbid., p. 194.)


3. Tbid., p. 193.




PREMIER FRAGMENT


corps municipal, peu nombreux et sans aucune ju-
rídiction, se composa de syndics et conseillers com-
munernent appeles Consuls, d'un secretaire et d'un
mandeur, officier charge de faire les commande-
ments de service pour la garde urbaine, et d'avertir
les magistratR dn jour oú ils auraient á tenir COll-
seil l •


VI


C'est dans la serie des chartes municipales de Die
que se presentent avec le plus d'abondance les no-
tions capables de fixer l'etendue des libertes im-
memoriales qui, pour les villes du midi de la France,
(Jerivaient d'une double tradition, celle de la muni-
cipalité gallo-romaine et celle de la municipalité
gallo-franke des temps de la seconde race 2• A en
j uger par les eh artes de Lyon, de Vienne et de Va-
lence, ce regime municipal semble réduit aux seuls
droits d'administrer et de garder la ville, sans aucun
droit de juridiction contentieuse ni volontaire; mais,
ou il n'y a la qu'une apparence produite par la ra-
reté des documents, ou la regle n'est pas genérale.
A Die, ancien municipe et seígneurie épiscopale, un
droit immémorial de juridiction est reconnu a la


·ville, non-seulement pour le cas de non-payement


1. SynrliC05 et consiliarios; secretarios, et mandatores nominare.
(Ordonnance, des rois de Frunce; t, XIX; p. ]94.)


2. Voyez; sur le privilége d'imm"niU, c'est-a-aire de souveraineté
nrnaine accordée par les roi5 et les empereurs franks unx évi'qlles,


COl1sidératio,,< .'1lr /,his{ni,'e de Frailee, chapo y,




T,\DLEAU nF: L'ANCIENNE FRANCF: MUNICIPALE 389


des úontril.mtions municipales et le refus ou la négli-
gence de service dans la garde urbaine, mais en-
core pour tout crime et délit commis par un citoyen
de garde pendant' ses heures de service, sauf l'ho:-
micide et l'adultere l. Les preuves authentiques de
ce fait sont précieuses, paree qu'on peut en induire
le fait lui-meme pour d'autres villes de provinces
méridionales ou il est impossible de I'établir, soit


1. Si vero contingat quod aliquis seu aliqui ch';um diensium, tam
de majoribus quam de minoribus, Ilollet seu nollent solvere, aut oc-
casionem aliquam inveniret seu invenii'ent qnod non persolveret seu
non persolverent pecuniam taxatam seu levatam, vel talliam aut
taxationem qurecumqueta facta seu xata fuerit, possunt et debent
sine injuria aliqua, abaque licencia alicujus domini... Alterum con-
civem suum seu concives suos, tam meliores quam minores, quam
etiam mediocres, auctoritate propria pignorare et pignus seu vadium
,'endere, alienare, aut pignori obligare, usque quo persolverit sen
persolverint.


Et similiter si aliquis sen aliqui civium diensium non volnerit leu
noluerint esse vi gil sive serchia, vigiles sive serchie, ar~ubius sive
arcubii, gaehia seu gachie, vel non vult seu nolunt facere, possunt
et debent dieti cives .. , qucmlihet auctoritate propria pignorare, et
penam quam voluerint eisdem ponere, et pro pena pignus suum po-
nere et retinere vel vendere aut pignori obligare, usque quo satiafe-
cerit et persolverit, vel satisfeoerint et persolverint perfecte.


Si autem aliquis vigil seu serchia, aut aliqui vigiles seu serchie,
vigilando aut eundo per civitatem, custodiendo vel serehiando civi-
tatem, aut aliqnis gachia, aut arcubius, seu aliqui gachie vel ar-
cubii faciendo gaehiam, vel aliquis civis diensis predicta faciendo seu
cxercendo, vel aliqui de predictis aliquid forefecerint, seu in aliquo
deliquerint. seu delictum aliquod, seu forefactum feeerint, non potest
nec debet propt~l' hoe per nos vel per nostl'am euriam puniri in ali-
'luo, nec etiam condemnari, nee aliquid inqnil'ere, nee aliquam in-
quisitionem facere contra eum possumus neo debemus, sed in juridio-
tione sui prefecti sive mandatoris, seu mandatomm suorum debet
esse, nisi homicidium seu adulterium fecerit, in qno casu secundnm
consuetudinem noatre curie punietnr. (Charte donnée par l'év~que
Didier en 1218 ; cOfie faite dans les archives du département de la
Drome, ponr le Reclte;l des monuments inédit.' de l'histoire d10 tier$
rtat.)


:22.




390 PREMIER FRAGMENT


faute de doeuments originaux, soit paree que l'avé-
nement de la eonstitution eonsulaire, avee sa pleine
juridieti()n ou tout au moins avee sa justiee moyenne
et basse, jette des doutes sur l'antiquité des droits
partiels qu'elle absorbait en les agrandissant, et in-
duit a penser que tous les degrés de la juridietion
munieipale datent du meme temps et proviennent
de la me me origine. 11 est eurieux de suivre dans
les nombreux statuts fondamentaux de la ville de
Die, eomme dans l'histoire municipale de Lyon,
la destinée d'une 'eonstitution traditionnelle qui se
maintient, quoique violemmentpressée, dan s un sens
par l'ambition ou les ombrages du pouvoir seigneu,..
rial, et dans l'autre par la passion d'autonomie, que
propageait de ville en ville, au douzieme et au
treizieme sieele, l'exemple des révolutiom; faites
pour l'établisf>ement du eonsulat.


Une eireonstanee singuliere, e'est que (lans la
premiere charte d'aveu et de eonfIrmation des
franehises immémoriales de Die, charte clonnée en
1218, et qui fut un eompromis entre les eitoyens et
leur éveque apres une querelle dont il ne reste aueun
détail historique, le titre de Consul se reneontre
joint a ceux de Syndies et de Procureurs l • Est-ee


1. C'onl1temur etiam et in veritate recognoscimus, 110S predictlls
Desiderius episcopus, nomine 11ostro el successorum nostmrnm, d"
vollllltate predicti capitnl, qnod cives dienses vel saltem major pars
civium diensium, usi sunt et consue!i fllerunt, per magnum ternpus
ita quod non extat memoria, eligere, facere, creare, constituere, sen
ordinare et per se i psos confirmare, consules, syndicos, vel actores,
seu procuratores, qllandocnmque eis placet vel placHerit, et quando-
cumque eis necesse est vel fuerit. (Charte de I'éveque Didier,
arto 10.)




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNICIPALE 391


un signe de tolérance pour une formule qui. d'a-
bord introduite avec les changements révolution-
naires qu'elle exprimait áu douzieme siecle, avait,
par l'abandon de ces réformes constitutionnelles,
l)f;rdu toute signification offensive pour le pouvoir,
ou bien cette promiscuité du nouveau titre et des
anciens noms de magistrature municipale, qu'on re-
marque dans les villes du Lyonnais et du Dauphiné
passe lé! milieu du treizieme siecle, existait-elle a
Die avant 1218 t? Quoi qu'il en soit, la discorde apaisée
alors entre l'eveque et les citoyens se renouvela
plus violente vers l'année i2115; il en résulta un
soulevement dont le but était peut-etre de transpor-
ter au corps de ville une partie de la juridiction
temporelle de l'éveque. Un nouveau compromis par
arbitrage termina la guerre civile en pronon~ant
la rémission de tout méfait commis durant les trou-
bIes, et en replagant les choses dans l'état oú elles
se trouvaient auparavant 2. A la suite de cette paix,
en 12116, Ulle redaction genérale des libertes et pri-
vileges de la ville de Die fut dressee d'un commun


1. La premie re slIpposition 50mble confirmée par un article de la
meme charle qui l'econnait aux habitants de Die le tlroit de batir
llon-sculement eles fours et des moulins, mais encore tles tours snl'
leurs propriétés : Et etiam quilibet habitat in dicta cidtate el suburbii"
eju"dem potesl et debet turres, (urna et molendina (acere, seu edificare
el reparare ..• quolieswmque ei placuerit et quandocumque ei placue"il,
dllm in suo {IICiat ;'" edifieee. (Charte de l'"veque Didier, arto 7.) ._.
L'llsage de híitir dans les villes oes maisons /lanquées de toms étuit
venu d'Italie avec la constitution consulaire.


2. Item, mandaverullt quoa ae omnihus malefactis que fae!a sunt
a tempore crepte guerre sit pax et finis ¡nter utrnmquc partem et
valitores et adjutores eorum. (Paix canclue par sentcllcc arbitrale
entre l'ev@'luc HlImhert IV et les citoyens de Die, 1245, arto 20;
copie faIte dans les archives au département ele la Dr6me.)




3!l~ pnEMIER FRA.GME~T


accord pour servir de loi á la ville. Snivant les di,,·
positions de ce code compilé sur les anciennes
chartes et sur les coutumes non écrites, l'autorité
municipale resta bornee a ses attributions tradi-
tionnelles, la police des rues, la voirie, la garde
et les fortifications de la ville. Mais un droit, sinon
nouveau, du moins énoncé pour la premiere fois
dans toute sa plénitude, lui fut reconnu, celui de
modifier le présent statut, et d'en faire d'autres,
non-seulement relatifs a l'administratíon urbaine,
mais encore a la procédure et a la constitution de
la cour temporelle de l'éveque l. Ainsi le corps de
ville, presque entierement dépourvu de juridiction,
jouissait du pouvoir législatif concurremmentavec
la cour seigneuriale, fait qui, malgré sa bizar.
rerie, n'est pas sans analogues dan s les munici-
palités du moyen áge. On ne peut dire si les trou-
bIes qui survinrent postérieurement résulterent des
conflits d'autorité produits par cette distribution de
pouvoir ; mais, avant la fin du treizieme siecle, une
nouvelle guerre civile eclata et fut suivie d'un
nouvel accord, d'amnistie ponr les violences com-
mises par les citoyens, et d'engagements plus 80-
lennels de la part de l'éveque pour le maintien des
priviléges municipaux t.


1. Item, statuerunt quod ipsi syndici, seu actoves, vel procuratores,
vel quicllmque syndici, consules vel actores, vel procuratores elert
fuerint in diensi civitate in futurum, po.sint et debeant .tatuta nova
facere et ordinare, corrígere et emendare ista statuta presentia pro
libito voluntatis, tam super factis et ordinationibus curie díen.i.
quam super factis et ordinatiQnibus díensis civifatis, quandocllmque
eis placuerit faciendum, retinuenmt sibi plenariam potestatem. (Sta-
tuta civitatis diensis, arto 20; archives de la Drome.)


2;Item, omnes offensas factas per cives et de ricos tempore guerre




TABLEAU DE r:ANCIENNE r'RANCE MCNICIPAU: 393


Si l'etablissement effectif du consulat est un fait
:lbscur et douteux pour la ville de Die, il est cer-
tain que celle de Gap, placee ·anciennement sous
le meme droit municipal que Die, Valence et
Vienne 1, fut, dans le premier quart du treizieme
siecle, gagnee par le grand mouvement revolutíon-
naire quí s'était alors etendu a toutes les villes de
la Provence. Profita,nt, pour s'insurger contre son
éveque, des embarras que suscitaient a celui-ci la
querelle de Frédéric II avec le saint-siége et le res-
sentiment de cet empereur contre une grande partí e
du clergé, elle inaugura dan s ses murs la nouvelle
reforme constitutionnelle, c'est-a-dire que les ma-
gistrats élus sous le titre de Consuls furen t investis
de l'universalité des pouvoirs politiqu r .;, du droit
d'impot direct et indirect, du COll' .mndement mi-
litaire absolu, de la possession d',- .1 territoire muni-
cipal formé OU agrandi aux dépens des propriétés de
l'éveque, enfin, de la juridiction pleine et entiere
dans la ville et sur les terres de sa banlieue!l. Par
facte par predecessorem nostrum, vel ante guerram vel post, exceptis
homicidiis commissis, necnon et damna jnfra civitatem diensem pre-
dictam vel in territorio nostro ejllsdem per predictos nostl'OS cives
et clericos, predicto predecessori nostro et terre episcopatllum nos-
tl'ornm iIlatos et ilIate. (Charte de l'év~que Gllillaume de Roussillon,
1298, arto 9_ j copie faite dans les archives dn département de la
Drome. - Statuta civitatis diensis, arto 7, 8 et 15.)


1. Un diplOme de l'ampereur Frédéric Barberousse, daté de l'an
1180, confirma le don fait autrefois par les emperen!'s aux év~ques
de Gap des régales et dn domaine supérieur de la ville. (Voyez l'His-
toire de Dauphiné, par Valbonnais, t. J, p. 251.)


2. Les droits dn consule.t de Gap se trouvent énumérés dan s un
acte qui accompagna son abolition, et par Jequel ces droits, enlevés
a la viJIe, fllrent partagés entre l'éveqne et le comte de Gapen\,ois,
fils dl! dauphin Rumbert rer :


" Imprimi~ snpel' consolatu pl'm~icto et ejns jm¡sllictione ol'd.ina-




394 PREMIER FRAGMENT


suite de cette constitution, amvre de la volonte po-
pulaire, qui rempla<,¡a rancien regime traditionnel,
les droits immémol"iaux du corps de ville vinrent
s'absorber dans les nouvellesprerogatives qu'il
re<,¡ut par usurpation sur l'autorité seigneuriale.
Toute intervention de l' eveque dans le gouvernement
municipal devint nuIle de droit comme de fait, et


« mus, quod dietua consolatns et jus civaeri, bladorum, leguminum
« et alio1'um, p1'?ut et de quibus soliti sunt prrestari, lib1'agium her-
« bre, ac salinagium, quod oHm dicebatnr esse de jn1'ibus consolatus
« p1'redicti et percipiebatur ae tenebatur a consulibus, dum ipse con-
« solatns per consules regebatur, necnon et medietas te1'rito1'ii Mon-
« tis Alquerii, jurium et pertínentiarum ejusdem, cum mero et mixto
« imperio jurisdictione omnimoda, pertineant, et pertinere debeant
« ad prrefa: '1m domin,um comitem, et ejus in pe1'petuum successores .. ,
« - Claves, '·0 portarum civitatis Vapinei, quarum custodia sub
« certa forma ú, ''11 erat consulum prredicto1'nm, <>mnino pertincaut
" et pertinere debe. +. ad dictum dominum episcopum et successores
" ejusdem .. , - PrrecIJ, "ationes vero qurelibet nant solum in civitate
" prredicta nomine ipsiu. 'omini episcopi et sncces~orum suorum, et
" de cretero in solidum pertineant ad eosdem. - Costellus etiam
" qui similiter pertinere olim ad dietos consules dieebatur, sit ipsíus
" episeopi ei ad ipsum solum pertineat et pertinere debeat in futu-
(( rum ... - Mandatarii quoque in civitate prredicta, qui olim a dictis
« consulibus ponebantur, per eundem dominum episeopum solum-
" modo eligantur de cretero et ponantur ... - Banna vero civitatis et,
(( territorii Vapinci ad eosdem dominum episcopum et eomitem simi-
" liter pertineant, et inter ipsos communiter dividantl1r, et bannerii
" sive custodes ab ipsis vel eorum locum tenente eommunitel' depu-
« tentnr ... - Super cognitione quidem se definitione realium ques-
" tionum, quas moveri contingeret de cmtero super domibus et
" possessionibus qnre in dicta eivitáte Vapinei vel ejns territorio
« tenentnr sub dominio seu seignioria domini comitis supradicti,
" ordinamus, prrecipimus et mandamus in posternm observari, quou
" jurisdictio, eognitio, se deffinilio qurestionuln hnjusmodi, et latre,
(( Re quidquid emolumenti ex eisdem qurestionibus, vel ipSRl'Um oe-
(( casione provenerit, ad prrefatos dominos episeopum et comitem
« debeant communiter pertinere. » (Sentence arbitrale rendne en
l'année 1300; Valbonnais, Bistoire de Da1lphiné, Prellves, t. T, j). 54
et 55.)




TABLBAU DE ¡;:\NCIB:-lNE FRANCE MUNICIPALE 395


cela put paraítre un bien; mais, en revanche, les ti-
tres de la ville a sa vieille part de franchises et de
priviléges se trouverent périmés de la meme ma- .
niere, et ce fut un mal qu'on eut a regretter dans la
suite. Lorsque, apres la défaite et la ruine du gou-
vernement consulaire, on voulut se rabattre sur
l'ancien droit et le réclamer comme tel, on ne le re-
trouva plus; il avait péri dans le meme naufrage
que l'institution révolutionnaire qui était venue l'a-
grandir en le recouvrant. La partie victorieuse ne
voulait pas le reconnaítre, aimant mieux que tout res-
tat sans regle, et se ménageant ainsi de meilleures
chances pour le cas d'une transaction ultérieure.


Les premiers temps du consulat de Gap furent
prosperes, et l'autorité absolue qu'il exers¡ait dáns la
ville fut sanctionnée, en i240, par une charte de
l'empereur Fréderic n, qui lui confirma ses libertes,
sa juridiction et ses terres l. Cette sanction souve-
raine du régime qu'une révolution avait cree était
pour les habitants de Gap le prix de la promesse
qu'ils firent de rendre par eux-memes a l'Empire tous
les devoirs d'hommage et de service; leur cité se
trouvait ainsi erigee en ville libre immediate selon
le droit germanique. Mais, moins de dix ans apres,
cette independance n'etant plus appuyee de la tu-
teUe du pouvoir imperial, devint peu súre et diffi-
cile a conserver 2. L' eveque dépossédé par la ville de


1. Ce sont les termes du diplome imperial aujourd'hui perdu, m!lis
dont il reste un extrait dana le cartulaire de l'hotel de ville de Gap,
intitulé Livre rouge, (Voyez Histoirc du Dauphiné, par Valbonnais,
t. l, p. 251.)


2. La qUel'elle de 1¡¡ papauté et de I'empirc, avec tons ses cffcts




PREMIER FRAGMENT


::;a seigneul'ie temporelle, negociait au uehor:; et
cherchait un secours capable de l'aider au retablis-
sement de son pouvoir. En l'annee 1257, il conclut
avec le dauphin, comte ue Vicnne et d'Albon, un
traite d'alliance offensive et defensive, dans lequel
les deux contractants se partagerellt d'avance tous
le:; droits uu consulat et le domaine suverieur de la
ville l. Ce traité, dont l'exéclltion resta suspendue,
on ne sait pourquoi, dul'ant la vie du dauphin Gui-
~mes XII, l)esait comme une menace perpetuelle
811r la tete des citoyens. Poul' s'en délívrer et lm;-
venir le renouvellement d'un accord pareíl entre les
héritiel's de Guigues XII et l'évóque , ils prirent une
resolution, etrange en appal'ence, mais qui ne man-
quait pas d'habileté. Ce fut de renoncer d'ellx-
memes á tous les droits du régiIlle consulaire, et ele
les transporter par donation authentique á la veuye
du dauphin, comme tutrice de ses enfants milleurs.
Il:; comptaient, non sans fOlldement, que cette alié-
llatiOllue serait pas prise á la lettre; qu'elle n'aurait
d'effet que poul' les droits utiles et le ressort supe-
rieur, en laissant subsister la magistrature des con·
:;uls et les garantíes essentielles de la liberte mu-
nicípale. L'acte ue cette dOllatioll fut dresse le 11
décembre J 271, dans une assemblée générale des
habitants ele Gap2. Elle eut tous les effets qu'ils s'en


politiques, ayait ces.é en 1247 par la mort.lIe COlima IV, fils et Slle-
ceseur <1e Fre,]"ric lI.


1. V0yez l'Ilis(o¡re gé,,¡Jralc de /Jalll'hiné, par Chorier, t. JI,]>. 136
et sui\'.


2. Not1l111 sit 011111íb1l5 1'1'<l)senLíb1l5 et futUl'ís, qlloil U0111íll1l5 Hugo
:Mace.a mi]es, et Jacouus 1I1arl,i5 c011slIles lllliversitatis llOlIlilllllll de




TABLI::AU DE ¡"A:'\CIENNE FRANeE MUNIC1PALE 3\17


étaient promif:; ríen ne fut changé, si ce n'est que la
ville passa nominalement sous la seigneurie des hé-
ritiers du comte de Vienne. L'éveque Eudes n,
trompé dans ses projets politiques, se mit en quete
d'un autre secours, et, en attendant l'effet de cette
nouvelle négociatioll, il s'accommoda aux circonstan-
ces, et reconnut tous les pouvoirs du consulat sous
cette condítion que le nombre des consuIs, qui était
de quatre, serait porté a cinq, et que chaque année
l'un d'entre eux serait élu parmi les membres du
chapitre de la cathedrale l.


C'était au comte de Provence et de Forcalquier,
ancien suzerail1 de la vme de Gap sous la souve-
raineté de rEmpire, que l'éveque Eudes avait eu
recours, promettal1t de lui faire hommage de sa sei_
gneurie temporelle, s'ill'aidait a la retablír. Le sene-
chal de Provence, au nom du comte Charles d'Anjou,
quí venait de passer en !talie, accepta Toffre de
l'eveque, et promit de lui preter secours contre les


Yupinco, et ipsl!. uniyer3itas ibidem pnesclls ud parl!lIllentllm per
S(jllum campanre more solito ad infra scripta spccialiteí- prredicti ho-
mines et consules convocati... Prredicti quidem consules nomine sno
et universitatis prredictre, <Jt ipsa universitas ibidem prU'sens, ot motu
proprio et spontanea voluntate, et ex certa scientia donaverunt do-
IIntione simplici et irre\'ocabili domino Alamando de Condriaco et
Jobanni de Goncelino jlldici comitatlls Viellnre et Albonis prresenti-
bns et recipientiblls nomine dictre comitisSlC, pro dictis liberis suis,
et ipsornm 'liberornm nomine et ipsis liberis, cOllslllat1l1n civitatis
Vapinci. cllm omnibns juribus et rationibus et pertineutiis:tu. ipsnm
cOllsnhttnm spectantibns, sive illa jura consistant in banllis, justitiis,
censibus, civaeyriis se11 in qnibllslibet aliis rebns et bonis. (l/istoíre
de VauJlhillé, par Yalbonnais, Preuves, t. 1I, p. 92.)


1. Traite ile l",ix Conclll le 19 janvicr 1274. entre l'éY~qne E1H}fS JI
et la ville; arcbives de l'hOtel de ville de Gap, original en parche-
min dan s le coffl'e coté A, et copie dans le sao coté B.




398 PREMIER FRAGMENT


citoyens rebelles a son autorite l. Ce pacte de vas-
selage d'une part et de protection de l'autre dormit
jusqu'i l'annee 1281, ou une querelle, plus violente
que jamais, entre la ville de Gap et son eveque, de-
termina ce dernier, mis en prison par les citoyens,
a reclamer uu comte de Provence, devenu roi des
Deux-Siciles, une assistance prompte et effective.
Pour l'interesser plus vivement a sa cause, l'eveque
fit avec lui le meme traite de partage, qu'il avait fait
en i2~7 avec le dauphin comte de Vienne. Le prince
ele Salerne, fils du roi des Deux-Siciles, parti de Pro-
vence avec des tl'oupes, marcha sur Gap et s'en rendit
maltre par capitulation en t282. La seigneurie qui
était sa conquete fat, suivant le traite anterieur,
partagee entre l'eveque et lui, revolution qui, cette
fois, entrainait de force l'abaissement politique du
pouvoir municipal, et devait le reduire aux plus
strictes limites de l'administration urbaine 2. Mais
apres le départ du prince, le traite de partage devint
une lettre morte pour l'eveque de Gap, qui s'empara


1. Notum sit prreselltibus et futuris, quod venerabilis pater domi-
litiS Oddo episcopus vapincensis requisivit nobilem virum Guillelmum
de la Gonessa senescallum regium in comitatibus Provincire et For-
calquerii, quod cum terra ecclesi", vapincensis sit in comitatu F 01'-
calquerii, quod deberet eum et ecclesiam vapincensem juva1'e et def-
fendere contra hornilles Vapinci, qui contra ipsurn et ecclcsiam me-
moratam rebellaverunt, nolentes ei, ut consueverant, ohedire. Et
.\liqui ex eis donaverunt et concesserunt de facto, cum de jure !Ion
possent, nobili dominre Beatrici comitissre Viennre et Albonis, et tiliis
"jus, consulatum vapincensern qui consulatlls ah ip50 episcopo et ec-
clesia tenebatur ... (eharte du 19 décemb1'e 1271, Histoire du D"I/-
phtné, par Valbollllais, Preuves, t. II, p, 93.)


2, Traité de capittIlatiOIl en!l'e la vilIe 'de Gap "t le pritlcc de
,':;alerne, archives d~ ['11(jtcl Je ville Je Gap, UL'/'C I'O"~C, p. 175.




TABLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE MUNIClpALE 399


de la totalité des droits jadis inhérents a son pouvoir
seigneuria1. Une Iongue querelle s'éleva :i ce sujet
entre lui et le comte de Provence, querelle ou l'auto-
rité papale intervint san s pouvoir la terminer, et
gui se compliguait d'un différend non moins grave
avec la famille des comtes de Vienne. En effet, cette
famille ne r~mon~ait pas aux droits que lui avait
crées la donation des citoyens de Gap, et pretendait
qu'a dMaut de la ville elle-meme, personne autre
qu'un de ses membres ne pouvait posséder la juri-
diction et les revenus du consulat. Il parait que de-
ce cote le peril devint plus pressant que du cOte de la
Provence, car a la fin du treizÍt3me siecle l'éveque
Geoffroi de Lansel céda, et, sous la mediation d'ar-
bitres, conclut avec Jean, comte de Gapen~oís, fils
du dauphin Humbert le., un nouveau traité de par-
tage du domaine supérieur de la ville. Tous les droits
de peage et de marché, per~us autrefois par les con-
suIs, la juridiction a tous ses degres sur une partie de
la banlieue, et, au dedans des murs, une moitié de
la juridiction civile, furent donnes au comte; l'eveque
eut pour luí la haute justice críminelle, le droit d'or-
donnance et de proclamation, la ,garde des clefs et
toute la police de la ville 1; Dans cet actet q ui mettait


1. Dudum inter venerabilem patrem dominum Gauffredum, Dei
gratia episcopum, et capitulum Vapinci ac universitatem horninum
de Vapiuco ex parte una, et egregium virum domillum' Johannem
magnifici viri Humberti Dalphini Viennensis, comitis Albonis, domi·
nique de Turre primogenitum, vapincesii comitem ex altera; supe,'
consolatu civitatis vapineensis et ejus jurisdietione, neenon et snper
medietate territorii Montis-Alquerii olim ad eonsolatum ipsum, sieut
dicitur, pertinente .•. suseitatis qurestionibns variis et diversis .. (Sen-
tenee arbitrale l'endue le 5 septembre 1300, Hisloire du Daul'hiné,
par Valbonnais, t. J, Preuves, p. 53.)




400 PREMIEI\ FHAG~IENT


fin aux derniers restes subsistants du régime eOllSU-
laire, une indemnité fut stipulée pour le ehapitre de
l'église cathédrale, en eompensation des avantages
qu'il avait retirés de l'éleetion d'un de ses membres,
comme consul; a ehaque renouvellement du consulat l.


Toute seigneurie partagée tendait, par le cours na-
turel des choses, a se concentrer dans les mains de
celui des deux seigneurs qui était présent, et a deve-
nir purement nominale ponr l'autre, quelle que flit sa
puissanee aillenrs. Ce ehangement eut lieu en moins
d'un demi-siecle pour le domaine supérieur de Gap,
et la ville se retrouva, comme aneiennement, sous
une sen1e domination effective, celle de son éveque.
Mais le droit municipal des anciens temps n'était plus
lit pour servir de limite a l'autorite seigneuriale; la
ville y avait renoncé d'elle-meme en se donnant le
régime consulaire, et maintenant qu'elle réclamait
le benéfice du régime traditionuel, on le lui refusait
obstinemellt. Ce fut le sujet de nouveanx troubles;
mais avant que la guerre éclatat entre les citoyens
et l'eveque, des médiateurs intervinreut et donnerent
gain de cause a la revendication des franchises im-
memoriales. En 1378, l'éveque Jaeques Artaud se vit
contraint d'accepter, bon gre mal gré, un jugement


1. Ad hrec, cum de cupitulo eccIesire vapincensis semper UIJUS ca-
nonicus cligeretnr in consulem annis singnlis ab antiquo, ne ipsum
capitnIum, qnod absque sua culpa ex ipsius consulatus dcpressione
mum perdit honorem, commodo privetul' omnino, mandamus, nt in
hujusmodi l'ecompensatíonem honoris, prredictus dominus episcopns
triginta solidos tlll'oncnses in annui8 reJditibus, et prrefatus dominus
comes totidem eidem capitulo in sufficientibus et idoueis possessio-
nibus sive feudis assignent. (Sentence arbitrale rendue le 5 septembre
1300, His/oire du Da!ll'hi1lé, par Valbolllluis, 1'1'01:Y08, t. n, p. 54.)




TABLEAD DE L' ANCIFNNE FRANCE ~IUN lCP.\l.EiOI


d'arbitres qui l'obligea de faire mettre par éCl'it les
anciennes coutumes de la ville, et ti'en promettre
l'observation, á titre de loi, pour lui et pour ses
successeurs l. L'acte qui fut dressé solennellement
devint la grande cl1arte de la ville de Gap; maí!',
a la différence des statuts cités plus haut, de Vienne,
de Valence et de Die, cette charte eut moins le carae·
tere d'un ave u pUl' et simple du droit ancien; que
celui d'une transactíon entre partís. Antérieurement
au douzieme siecIe, le droit municipal de Gap était,
sans aucun doute,ídentique á celui des cités voisines;
mais, dans la rédaction de 1.378, on le trouve dissem-
blable et inférieur sur deux points fondamentaux:
les élections faites par la ville doivent etre confirmées


1. Parmi ces arbitres, choisis nu nomhre de quatre, il y eut trois
ecclésinstiques et uu jurisconslllte: Videlicet in rel'erendum [latrem in
Chrislo (ratrem Bore/li, inquisilorem, ao ,'enerabiles viros dominas Ste-
phan"m de Gimonte can01lio"", ,'opincensem, PetTl/m Torchati, capel/a-
nI/m domini fiostri Pape canonicum sislaricensem officíalem vapificensem
el nobilem Jacobum de Sancto-Germano jllrisperitum ..... (Transaction
UU 7 mai 137B, entre l'éví'que Sacques Artaud de Montauhan et la
ville de Gap; archives de l'hGtel de ville, original sur parehemin, et
copie au livre rouge,) - lnter alia sententialiter ordinaverunt, pro-
mmtiaverunt et arbitrati fuernnt qnod dictus domiuus episcopus ante
omnia super libertatibus, immnnitatibus, priviJegiis, exen:ptioniblls,
f,'anchesiis atque consuetudinibns quantum eum Deo sibi esset possi-
hile recognosceret bonam tidem .... Quas quidem libertates, exemptio-
nes, immunitates atque franchesias sic exacto multo tempore rreol-
lectas, examinatas et discnssas et in scriptis redactas dictus dominus
episcopns ibidem obtulit aieens, asserens sno medio juramento secun-
dum Deum et eonscienciam snam tideliter et integraliter eas et ea
reeollexisse et examinasse et in scriptis nunc per ~llm oblatis redigi
fecisse ..... Volentes et decernentes sub pena centn!ll marcharum in
eompromisso et sententia compromissi contenta qnod inter partes
prredictas et eornm quoscumque in perpetuum snccessores de cetero
vim, robur, anctoritatem efficacissimam habeant et deinceps habeaut
vim et nomen statll!i intransgressibilis. (lbi,1.)




402 PREMIER FRAGMENT


par le juge épiscopal, et le commandement de ser-
vice pour la garde urbaine appartient aux officiers
de l'éveque l • En tout le reste, la charte de Gap est a
peu pres conforme aux statuts dont il s'agit. Quant
aux tItres des magistrats municipaux, cette charte
ne donne que ceux de Procureurs, Syndics et Con-
seillers; le titre de Consul semble omis a dessein,
comme entaché par son origine, et exprimant des
droits et des pouvoirs qui ne sont plus; mais iI se
conserva dans l'usage, et reparut meme, au quinzieme
siecle, dans la teneur des actes officiels.


A Embrun, comme a Gap, le régime consulaire
s'établitdans toute sa plénitude au commencementdu
treizíeme siecle. Les citoyens, pour défendre cette
révolutioJ)., soutinrent, contre leurs deux seigneurs,
le dauphin et l'archeveque, des guerres malheureuses
dont ils n'acheterent la fin que par l'abandon de toutes
leurs liberté s récemment acquises 2. Le consulat
d'Embrun, pareil, a ce qu'il semble, au consulat de
Gap, en prérpgatives constitutionnelles. eut une


1. Quod dicti cives possunt et consueverunt se in unum, tempore
et locis idoneis, congregare et ibidem facere, creare et constituere
procuratores et sindico s pro eorum negociis exercendis ... nec non
operarios 'pro fortificatione civitatis consiliarios et prosequtores sua-
rum li bertatum, concilia facere, et tallias facere, et, indicere pro suis
negociis utiliter procurandis et exercendis ... dum tamen in confir-
maticne sindicorllm interveniat judicis decretum. (Transaction du
7 mai 1378, entre l'év@que .Tacques Artaud de Montauban et la ville
de Gap, art.31 et 32.) - Item, quandoquidem cives vel incolre dictre
civitatis per conrearinm vel quoscumque domini mandantur pro fa-
ciendis excubiis qure vulgariter nuncupautnr sercba et non veniunt
seu deficiunt quód non possit ab ípsís exigí nísi una parperholla loco
pene. (Ibid., arto 12.)


2. Voyez I'Bis/oire génémle de Da,uphiné, par Chorier, t. JI, p. ]14,
115, 116, 137 et 138.




TABLEAU DE L'ANOIENNE FRANCE MUNICIPALE 403


moins longue durée; il fut aboli en 1257, et, depuis
cette époque, on ne voit plus a sa place qu'un corps
de ville sans juridiction, et soumis dans tous ses
actes au controle des officiers seigneuriaux. Si le ti tre
de' Consul se montre encore, ce n'est qu'une formule
san s valeur, consacree par les regrets populaíres.
Du reste, comme on l'a deja vu, la vanité municipal e
suffisait pour introduire ce titre dans des villes ou
le consulat proprement dit n'exista' pas meme un
seuI jour 1. On le trouve ainsi a Grenoble, qu'on peut
nommer la moins libre des vieilles cités du Dauphiné,
quí, placee de bonne heure sous la double seigneurie
du dauphin et de son éveque, fut mieux contennp
ou plus resignée que les autres villes, et se contenta,
pour unique statut, de la reconnaissance de ses im-
mUllités traditionnelles, sans garanties donllées a
une forme précise d'organisation municipale 2.


J'ai traité avec plus de développement ce qui re-
garde les villes da L'yonnais et du Dauphiné, parce


1. Les bourgs de la Provence et tIn I~allguedoc tenaient a honnenr
d'etre . autorisés légall'ment it changer le 110m de leurs syndies en
celni ,le Consuls; des demandes a cet eifet eUfent lieu jusqu'au dix-
huitieme siécle.


2. Quod omnes homines nune et ill posterum in eivitate Gratiano-
poli habitantes, vel in subllrhiis ejllsdem civitatis; videlicet in hurgo
u\tla pontem sito in parochia Sancti Ln.u-rentii, "pleno. gaudeant liber ....
tate, quantum ad tallias, exactiones et eomplaintas, sal vis nobis et
reteutis banuis et justitiis Ilostris et eensibus ... (Lihertates concessre
civibus gratianopolitanis per episeopum et Guigonem dalphinum do-
minos ejusdem civitatis, 1244; Histoire de Dauphiné, par Valbonnais,
t. 1, Preuves, p. 22.) - La seule mentíon de la municipalité ue
Grenoble qui se trouve dans cette charte est celle-ci : Ea vero qua'
f:oflcessimus rectoribtts et UniNJTsitati ejusdem cit:itatis, sicue continetur
in litteris quas eis trodidiml1s nostrowm s;gilloTl1m impressione sigilla-
tis, in S'la permaneant {irmitate. (Ibid., p. 23.)




40í PREMIER FRAGMENT


que leur histoire peut écIairer celle des anciennes
vilIes, non-seulement du midi, mai:,; encore du centre
et elu nord de la France. Leurs statuts et leurs ¿har-
tes de priviléges sont les seules preuves authentig ues,
les seuls monuments glli nous restent d'ul1 droit mu-
nicipal antérieur tt la grande rénovation du douzieme
sieele. Pour d'autres villes, on entrevoit bien la per-
sistance depuis les temps romains de l'administration
urbaine, soit <fue ces villes, en se régenérant a repo-
que du douzieme Oll du treizieme siecIe, aient adopté
le régime du consulat ou celui de la commune juree,
soit gu 'elles aient échappé alors a toute reforme con-
stitutionnelIe; mais c'est un fait gui n'a rien de pré-
cis et ne se pro uve que par inductíoll. On aper~oit la
trace d'un gouvernement immémorial, mais il est irn-
possible de découvrir ni la mesure des pouvoirs ele
ce gouvernement, ni la mesure des droits civils OH
politigues des citoyens. En un mot, ce gui est évident
pour Lyon, Vienne, Valence et Die, est el'une obscu-
rité plus ou moins complete pour Mal'seille, ArIes,
Nimes, Toulouse, Límoges, Tours, Angers, ühartres,
París, Reims, Amíens, Beauvais et toutes le~ cites de
meme origine, Je ne veux pas dire gu'on puisse appli-
quer ici l'ineluction el'une maniere absolue, et con-
dure, par exemple, que la franchise d'impi\ts envel'S
le seigneur, dont jouissaient la ville de Lyon et pres·
que toutes ceHes du Dauphiné, ait été commune aux
municipes des autres parties de la Gaule; mais, guant
a la liberté des personnes et des biens, Oil peut affir-
mer, a moins de preuve du contraire, qu'elle etait,
avant la revolution municipale du donzieme sieclr,
le droit des cites tnétropolitaínes ou épiscopales




TADLEAU DE L'ANCIENNE FRANCE ML'Xrc;PALE 405


de la France. Cette révolution, qui leur donna
d'une part le consulat, et de l'autre la commune ju-
ree, les prit, sous le rapport des droits civils, au
meme point ou, un quart de siecle aupara.vant, la
reforme consulairenee, en Italie, avait pris les cites
de la Toscane, de la Lombardie et du Piémont l.


L'etablissement de magistrats nommes Consuls et
investis de l'universalité des pouvoiI's publics mit
fin, dans les villes italiennes, a la seigneurie exercee
par les eveques a titre de feudataires impériaux '.
Tel etait le caractere simple et un de cette revolution,
lorsqu'elle de borda sur la Gaule. En se propageant de
ce cote des Alpes, elle eut des consequences nouvelles
et diverses, parce que l'état des villes ou son action
se fit sentir n'était point le meme qu'en Italie, et
qu'il variait d'une contrée a l'autre. La feodalité
regnant alors sur le territoire gaulois dans toute sa
force et avec tout son développement, les anciens
municipes se trouvaient soumis a différentes sortes
de seigneurie, les uns a celle de leur éveque, d'autres
a celle de familles plus ou moins puissantes, d'autres
enfin a une domination partagée entre deux ou me me
trois seigneurs. De la vint ~ue, transportée dans
la Gaule meridionale, la révolution consulaire tut


1. Voyez le recllcil publié par le comtc César Balbo, et intit1l1l\
Opuscoli per sert'Íre al/a storia d,lI. citta e de; commltni a'l/alia. Turill,
1838.


2. Voyez, daus le recllcil un comte César Bulbo, le remurqnable
mémoire composé par ltü, SOllS le titre d' Appunti 1'el' la storia del/e
cilla' ilalian. fino aU' istil,,=ione de' comm.",; e de' consoli, p. 82 et
suiv. - II na s'agit ici que des premiers temps dn consnlat italien,
je n'ai point a m'occnper de ses Inttes postérienres contre la noblesse
militaire.


!3.




40ft PREMIER FRAGMENT


aux prises, non pas simplement, comme dans les cites
italiennes, avec le pouvoir temporel de l'eveque, mais
tantót avec ce pouvoir, et tantOt ave e des seigneurs
laIques;. iI Y eut des cas ou l'évéque, loin de lui re-
sister, la favorisa de sa connivence ou de son appui.
En second lieu, dans les provinces du nord, ou la
population urbaine avaitmoins généralement con-
servé sa liberté des temps romains, la renaissance
munieipale, s'opérant, non plus sous la forme italienne
du consulat, mais sous la forme indigime des com-
munes jurées, eut un double earaetere, celui de fon-
dations de libertés politiques pour des homme~ dejá
civilement libres, et celui d'affranchissement pour des
hommes a demi serfs ou en plein servage.


Ainsi la révolution communale, l'un des résultats
de l'ébranlement produit par la lutte de la papauté
contre l'Empire, fut toute politique en ltalie; en
Franee, elle fut a la fois politique et civile, ou, pour
parler plus exactement, poIitique par son principe et
par le mouvement d'opinion qui la propageait, elle
eut de soudaines conséquences dans l' ordre purement
civil. VoBa ce qui ressortdes faits eux-memes, et ce
que ne peut ebranler ~ucune ~bjection tiree de la na-
ture de tel ou tel sentiment qu'ils impliquent, et qu'on
refuse d'admettre paree qu'on le juge trop aneien ou
trop moderne pour les hommes du douziéme siecle.
Quant a ceux qui soutiennent que l'idée d'indépen-
dance et de dévouement civique est un pur anachro-
nisme dans l'histoire des communes franc;;aises, je
leur demande a quelle eatégorie de sentiments et
d'idees ils rapporteront ees formules du droit mu-
nicipal de Saint-Quentin :




TABLEAD DE L'ANCIENNF. FRANCE MUNrcrPALE 40i


«( Eux j urerent ensement chescun quemune ayde
« á son jure et quemun conseil et quemune detenan-
( che et quemune deffense.


« Ensement nous avons establi que quiconque en
« notre quemune entrera et ayde du sien nous donra,
l( soit pour cause de fuite· ou de paour des anemis
« ou de autre forfait, mais qu'il ne soit acoustumé a
«( mauvesties, en le quemune entrer porra, cal' la
« porte est ouverte ::t tous ; et se son seigneur á tort
({ ses choses aura détenu, et ne le voudra détenir it
« droit, nous en executerons justice.


« Et il se estoit ainsi que le seigneur de la que-
« mune eust dedens le bourc ou dedens la ville au-
« cune forteresche, et voulist mettre wardes dedens,
« il y ·mettroit wardes qui seroient de le quemune
« par la volonte et par l'octroy du maire et des eske-
« vins, cal' autres pour la destruction des bourgois
« mettre ne porroit.


« Les bourgois de Saint-Quantin ne doivent nulle
« ayde en nulle maniere á leur seigneur, ne ne se
« assemblcnt pour faire Ji taille, mais se aucun li
«. veult donner de son gré comme requís du seígneur,
« selon son plaisir illi donra l. »


1. Note üe~ estnbtissemenl::; (\e \'3. c,o\.umune. d.~ Sa.iut-Q.ue.ntin~ reui.-
~ée pour servir a la commnne u'Eu. (Árc1úves ue la. mairie u'En,
Un', ,'ol<ge.)




SECOND FRAGMENT


MONOGRAPHIE DE LA CONSTlTUTlON CO~IMUNALE D'A~lIE~S


SECTION 1
PROLÉGOlIÜ;NES; TEMPS ANTÉRIEU1lB A U nouzlblE SlF.CLlll


La ville d'Amiens, a l'époque Otl César fit la con-
quete de la Gaule, portait le nom de Samarobl'ioa,
c'est-a-dire, pont sur la Somme '. Elle était la capi-
tale des Ambiani, l'une des tribus de la grande famille
des peuples gaulois qui, sous le nom de Belges, ha-
bitaient le nord du pays, depuis le Rhin jusqu'a la
Mame et a la Seine. Quand il fallut repousser l'inva-
sion romaine, les Ambiani s'unirent aux peuples qui
avaient ayec eux une origine commune, et ils four-
l1irel1t, en l'année t:i7 ayant l10tre ere, a l'armée qu'a-
vait levée la confédération des BeIge:::, un cOl1tingent


1. Rcclleil des 1110n1lI11ClIts inrdits de l'histoire du tiers elat, t. J, de la
page 1 ida page 25.


2. L'ancicn llOro du tleuve, Samarus on Samara. s'est changé, vers
le sixieme siecle, en celni de Sumina 011 Samena, plus tard, par COll-
traction, SUnJ'I1.a on SOl1Hna, d'on vient le nom fictlle1 8omme. Voyez
lJarlrian¡ ValesN Nolit. r;lIl1iar., p. ]5 el 539.




C01\STITUTION COMMUNA.LE D'AMIENS 409


de dix mille hommes. Mais César triompha de cette
ligue puissante; il dissémina ses troupes dans les villes
et sur le territoire des Belges, et, a plusieurs reprises,
des légions furent cantonnees a Samarobriva. Tels sont
les premiers souvenirs historiques qui se rapportent
a la cite d'Amiens,


On sait comment fut achevée en dix ans la con-
quete de la Gaule par les Romains. Le pays resta tel-
lement soumis et pacifié, qu'un demi-siecle a peine
apres la mort de César l'empereur Auguste put le
comprendre dans ses divisions a~ministratives, Ce
fut alors que les Ambiani et leur capitale furent rangés
dans la province qui porta le nom de seconde Belgiq ue.
Des lors Samarobriva demeura soumise au systeme
d'administration et aux lois qui régissaient d'une ma-
niere uniforme les diverses parties de l'Empire. Pla-
cee sous la dépendance et la juridiction d'un fonction-
naire imperial, elle avait cependant une assez large
part d'action dans les affaires de son propre gouver-
nement, et, comme toutes les villes ou fut importé le
regime municipal romain, elle possédaitun corps de
magistrature et d'administration urbaine, une clJrie
chargée du soin de la police et des affaire s locales, et
investie, dans certains cas prévus et déterminés par
l'autorité souveraine, du dÍ'oit de justice et de l'appli-
cation des lois.


Samal'Oúr¡'¡'f! Amúian01'um, comme on disait en joi-
O'nant aunom pl'opre de la ville celui du peuple dont
,.., .


elle était rancien chef-lieu, atteignit, sous la domi-
natíon romaíne, un haut degré de prospér~té; elle
s'accrut a10r8 et s'embellit de telle sorte, que deja,
vers la fin du qllatrieme sÍf~cle de notre ere, l'histo-




4/0 SEOOND FRAGMENT


ríen Ammien Marcellin l'appelait une ville éminente
entre les autres villes 1• Situee sur l'une des grandes
voies romaines qui traversaient la Gaule dans toute
sa longueur, elle était en outre, comme semble l'in-
diquer l'Itinéraire d'Antonin, le point de jonction de
plusieurs routes d'une importance secondaire qui me-
naient a Beauvais, a Noyon, á Soissons et a d'autrel'
villes avoisinantes 2. Elle devait sans doute i cette
position favorable au commerce une part de son im-
portance. Depuis le regne d'Augustejusqu'a la chute
de l'Empire, elle vit s'elever dans son enceinte (le
nombreux edifices; elle avait un palais oú résírlait
le magistrat imperial, un amphitheatre, des temples
et une grande manufacture d'armes 3• On sait par la
statistique officielle qui fut dressée vers l'an 437, que
les empereurs avaient établi dans la Gaule huit ate-
liers ou l'on fabriquait des armes de toute espece, et
que l'atelier d'Amiens devait fournir aux soldats 1"0-
mains des épées et des boucliers 4. Le nom de Sama-
rob1'iva cessa d'etre en usage dans les bas temps di:
l'Empire, et celui d'A mbiani resta seul pour désígner
la ville; plus tard il fut remplace, a tous les cas, par
le barbarisme Ambianus, quí, contracté et adollcí
dans la langue romane, a prorlllit le nom morlerni:
r['Amiens".


1. Ambiani nrbs, inter alias eminens. (Ammil1ni ][arrelJ. lib. XV,
apud Seripl. rer gallico el (rancie., t. J, p. 546.)


2. Voyez Ttinemrium Antonini AU9'1.Iti, apud ibid., t. l, p. lOo et
107.


3. Hadr. Vales. Notit. GaUiar., p. 53!!.
4. Anfr>ianensis (fabrica) spataria et sentaria. (No/ilio impe!';; digni-


tatum per Gol/ias, apua Seript. Tel'. gallico el (rancie., t. l, p. ]26.)
5. Voyez, Had. Valn. No/it. r.nllirrr"'JI, p. 15.




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMIENS !dl


L'établissement du christianisme et d'un siége épi-
scopal a AmieIls date de la fin du troisieme siecle de
notre ere. Ce fut entre les années 260 et 303 que Fir-
minus, saint Firmin, origipaire de Pampelune, en-
seigna dans la ville la nouvelle foí religieuse et y
souffrit le martyre l. Il est inscrit le premier par
l'Église sur la liste des éveques d'Amiens. On voit
par cette date qu'au temps me me ou saint Firmin fut
condamné au dernier suppliee, en vertu des lois im-
périales, le christianisme était sur le point de triom-
pher et de devenir la relígion de l'Empíre.


En l'année 406, ou les Alains, les Sueves, les Van-
dales et les Burgondes, for<;;ant la limite du Rhin,
envahirent la Gaule et la pareoururent du nord au
sud, la ville d'Amiens eut sa part des miseres qui
vinrent fondre sur le pays, et ne put échapper aux
dévastations des Barbares. Elle est eomprise par saint
Jéróme au nombre des cités qui eurent a subir les
désastres de eette grande invasion 2. Toutefois, il pa-
ralt qu'elle répara promptement ses pertes, car, vers
437, eomme l'indique la Notice de l'Empíre, elle tenait
ene ore un rang distingué parmi les villes soumises a
la domination romaine.


Amiens allait bientót ressentir les effets d'une in-
vasion, non point rapide et passagere eomme la pre-
miere, mais durable et qui devait exereer sur son état
intérieur une longue influence. Des l'année 428, les


1. Gallia christiana, t. X, col. 1150.
2. Remorurn urbs prrepotens, Ambialli, AtrebMtl', extremique ho.


minurn Morini, Tornacus, Nemetre, Argentorattls translati in Gel'lnn-
niam. (Hieronyrni epist" apud Seripl. rer. gallie. el (rancie., t. 1,
p.744.)




412 SECOND FRAGMENT


Franks, dont quelques tribus s'etaient fixées en de~a
du Rhin, sur le territoire de l'Empire, avaient fait,
sous la conduite de Chlodio, l'un d~ leurs chefs ou
rois, des incursions jusq u'a la Somme, mais ils avaient
eté repoussés par Aétius: Il ne parait pas que les rois
Merowig et Hilderik, dont le dernier fut maltre de
Tournai et de Cambrai, aient renouveIe les tentatives
de Chlodio. Ce ne fut qu'a la fin du einquieme siecle
que la ville d'Amiens fut soumise aux Franks. On
peut donner iei, comme date précise, l'année lJ,86 ou
Chlodowig, roi des Franks Saliens, défit, dans une
bataille livree sous les murs de Soissons, Siagrius,
le dernier Romain qui ait gouverne une portion dn
territoire gaulois. Ce fut apres eette vietoire que le,,;
Franks s'avancerent jusqu'a la Seine, et un peu plus
tard jusqu'a la Loire, et qu'ils prirent, pour ne plu~
les abandonner, les pays de la Gaule situes au nord
de ces deux fleuves.


Amiens participa, comme toutes les cites gauloises,
a la grande revolution qui s'opéra dans le regime
mtmicipal romain apres la chute de l'Empire. Le
gouvernement des villes sous la domination romaine
se composait, comme on le sait, de trois choses bien
distinctes. Il y avait :


1° L'administratioll interiellre etlocale de la cité;
2° La juridiction contentieuse ou des tribunaux ci-


vils, et la juridiction criminelle;
3° La juridiction voltlntaire, analogue i celle


qu'exercent en France, de nos jours, les notaires,
et en cerfains cas les juges de paix 1,


L Voye?, <lans le JOl',./:(1/ rlr.< SrJl'mlts (nnnée ]840, p. 105\ le




CONSTITUTION QOMMUNALE n'AMIENS 413


Le pouvoir central avait laissé aux viHes l'admi-
nistration interieure, la. juridiction v(llontaire et ce
que nous appelons aujourd'hui la police correction-
ne11e; il s'était reservé lajuridiction criminelle et la
juridiction contentieuse. Par le senl fait de la dis-
solution de l'Empire, les magistrats· muuicipaux
d'Amiens et des autres villes de la Gaule se virent
subitement investis d'une autorité qu'ils n'avaient
jamais eue jusqu'alo:cs. Les membres de la eurie gar-
derent leurs ancienlles attributions, mais en meme
temps ils remplirent certailles fonctiolls que la re-
traite des ofliciers imperiaux laissait vacantes, et ils
exercereut dans une etendue plus ou moins grande,
selon les eas de néeessité, la juridiction criminelle et
la juridiction contentieuse.


Il se fit a la meme epoque de graves changements
dans le personnel de la magistrature urbaine. Les
cadres de l'ancienne curie 1'l1rent brisés, le corps mu-
nicipal se forma de tous les citoyens notables, a
quelque titre que ce fút, et les membres du clergé y
elltrerent comrne les laIques. L'éveque intervint di-
recternent, legalerneut, SI nous pouvons nous expri-
mer aiusi, dans le gouvernement et l'administration
de la ville. Jusque-lit, il n'avait eu sur ses concitoyens
qu'uu ascendant purement moral, qu'il devait tout
eutier a ses fouctions episcopales et au caractere sacré
dont il était revetu, La loi romaine lui accorrlait a ce
tltre une sorte de justice de paix: le dl'oit d'arranger
les differends et de terminer les proces quí luí étaíent


comp!e renUll, pal' !\J. Pnl'<1essll~, <1e ¡'[/is(oil"e du d,'oi, rom~ill au
'U1oyen lÍ:JP, ar' ~1. de ;So \'igny.




H4 S"ECOND FRAGMENT


soumis l. Apres la dissolution du régime romain, il
devint, par sa promotion religieuse fondee sur l'elec-
tion populaire, membre et président du co~ps muni-
cipal. Investi a la fois d'une double autorité, spiri-
tuelle et temporelle, il se trouva des lors place,
'Comme éveq'ue et comme magistrat, au premier rang
dans la ville, et il eut dans toutes les affaires la plus
large part d'influence. Ici nous ne sommes point ré-
duits a de simples conjectures, nous avons un texte
positif,:lUi, pour la seconde moitié du septieme siecle,
cunfirme ce que nous venons d'avancer.


« Salvius, dit un hagiographe, fut porté par le choix
«( du peuple d'Amiens et donné de Dieu sur le siége
«( épiscopal; il fut appelé par le peuple dans l'ordrp
«( des magistrats, et couronné par Dieu dans l'hOll-
«( lleur de l'apostolat 2 .» De ce pa"sage si bref, on
peut tirer une triple conclusion : .


i o Au septieme siecle, le peuple intervenait dan~
l' électioll de l' éveq ue;


2° Il nommait les magistrats municipaux;
3° L'éveque faisait partie du corps de la·magistra-


ture urbaine qui adminÍstrait et jugeait dans la ville.
1'els furent les changements nécessaires et en


quelque sorte spontanes que subit le régime municipal


1. Si qui, eX'consensu, apud sacrre legis antistitem litigare volue-
rint, non vetabnntnr, sBd experientur illins, in civili duntaxat nego-
cio more arbitri sponte residentis, jndicinm. (God., lib. l, tito IV, de
episcopali audientia, consto Arcad. et Honor. impp. [398}.)


2. Fnit qnidem clectns a plebe Ambianensium et, a Deo donatus
in sede saceTdotnm, fuit vocatus a populo in ordinc magistratus et
coronatus a Deo in honore apostolatns. (Vila S. Salvli Ambiani epise.
[anno 68bJ, apud Bolland. acta SS. januarii, t. l, p. 706.) - Gall.
christ., t. X, col. 1153 et scq.




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMIENS 415


d'Amiens, comme ce1ui des autres villes de la Gaule,
apres la ruine de l'Empire et l'étab1issement des do-
minations germaniques; maintenant, i1 s'agit d'exa-
miner quelle influence l'organisati-on po1itique des
conquérants germains, et en particulier des Franks,
exer<;a sur ce regime.


Les rois merovingiens établirent dan s chaque ville
importante, sur tout le terrítoíre conquis par eux, des
llOmmes auxquels ils déléguerent leur autorité, et
qui, sous le titre de Comtes, exercerent les hautes
fonctions de juges et d'administrateurs civils et mili-
taires. Il est difficile de marquel', d'une maniere pre-
cise, la límite quí, dan s le gouvernement' intérieur des
vílles, séparait raction et le pouvoir du comte de rae·
tion et du pouvoir attribues par la loi, ou devolus,
par la néeessite des circonstánceR, a la curie, au de-
fenseur l , a l'eveque. Toutefois on peut dire que la
presence et l'établissement de ces officiers royaux ne
firent nullement disparaítre les institutions munici-
·pales. Les comtes, ainsi que le temoignent les docu-
ments contemporains, avaient pour charge de lever
les .impots et de présider les assemblées, ou, selon la
coutume germanique, les principaux hommes libres
du canton siégeaient comme juges au criminel, et
exergaient lajuridlction contentieuse et la juridiction
volontaire. Dans le canton rilral, ces principaux hom·
mes libres, ces fortes cautioris, Rekin-burghe comme


1. Defensor eivitatis, plebis, loei. - Voyez, pour ce qui regarde
les attriblltions de ce magistrat municipal, dans les temps ro~,nills
et SonS la domination franke, Cad. Theod., lib. 1, de defemorilJUs,
~ 1, 55. - Novel. Majorian. 5. - Marculfi formulo et varo formul.,
aplld Script ... er. gallic. et (rancie., t. IV, p. 465 et seq.




416 SECOND FRAGMENT


on disait en langue teutonique 1, étaient des hommes
de race franke; mais dans la cité, séjour des familles
gallo-romaines, et 011 les riches Franks n'habitaient
guere, les notables convoqué s par le comte pour juger
sous sa présidence au civil et au criminel, c'était la
curie elle-méme, sauf sa constitution héréditaire et
le nombre fixe de ses membres.


Ainsi l'agrandissement de lajuridiction municipal e
qu'avait amené de force la dissolution du gouverne-
ment romain, se trouvait sanctionné et régularisé
sous de nouvelles formes par l'institution germanique
du MM ou de l'assembléejudiciaire 2• Une foule d'actes
et de formules prouve d'ailleurs que la magistrature
urbaine ne cessa point pendant la période mérovin-
gienne, et meme plus tard, d'user ~ans toute leur
plénitude des pouvoirs dont elle avait joui dans leR
temps romains. Elle conservait l'administration intf-
rieure et local e, elle exer9ait lajuridiction yolontaire,
et les actes de cette juridiction, affranchissements,
adoptions, légitimations, donations, traditions de
biens vendus, réceptions de testaments, etc., lor::;-
qu'ils étaient faits et passés en l'absence des officier"
royaux, ne perdaient ni leur valeur ni leur authenti-
cité. Entin, lorsque le comte venait en qualité de pl'é-


L ltel.', ril" fort, pu:ssant; burg, borg, oaution, répondant. - Ce
titre jOlle un grand role daos les actes de la Gaule franke, oi! J'on
trouve les mots raehimburgii, regimburgi, reeineburgi~ Voyez Afrrrculfi
formulo el l'ar. {ormul., apud Seripl. rer. gallico el {rancie., t. IV, passim.


2. On lit, dans la Vie de saine Valery, le passage suivant: Adve-
nienles vero ad 9"emdam (ocum Ambianensem pet'veniune Gualilliago, ubi
9"idam comes nomine Sigobardu8,iuxta morem seculi, cancioni prxsi-
debat, quod rustid ]UALLUM vacan!. (Vita S. Tralariei, apud ibid., t. IJI,
p.496.) - Voyez Partum leyis salie:r el Ipgem Ripuariol'um, ibid.,
t. IV, p. 120 et seq.




COXSTJ.TLTION COMMUNALE D'AMlEliS 417


sident prendre place dans les assemblees ele justice
ou l'on avait a prononcer sur un crime ou sur un pro-
ces, iln'enlevait rien, par sa presence, aux pouvoirs
des notables Rachimburgii, qui siegeaient au tribunal;
ces notables jugeaient sur le fait et sur le droit; le
eomte ne faisait que recueillir les opinions et sanc-
tionner'le jugement, Et quand le Mal se tenait dans
une ville, malgre ce nom nouveau, qui de la langue
eles lois barbares passa dans le style des actes rediges
selon le droit romain, c'était le corps municipal qui,
toujours subsistantquoique recouverten quelque sorte
par l'institution germanique, ex~r~ait, en presence et
:;ous la sanction du comte, lajuridiction criminelle et
la juridiction contentieuse 1,


n arl'Íva maintes foís, on le sait, que les comtes
fl'anks entraverent par des aetes el'une brutale vio·
lence l'action legale de la justice qu'ils avalent mis-
sion de maintenir et de surveiller; il arriva aussi
que les rois fl'anks imposerent aux villes des éveques
nornmes par eux, ou intervinrent dan s les elec-
tions episcopales en dépit des protestations du clerge
et des citoyens, Mais on Ilcut dire qu'en general,
dans la ville d' Amiens et dans les autres villes,
sous la dynastie merovingienne, les rois et les
comtes laisserent subsister dans toute leul' plenitude


1. Curia: AJa/lOl (l/habani Jlauri ylossal'íum apud Eckl,urt de Jltb!l3
Francí", oriental., t. ]J, p. \)56). - Il existe un aete de juridictioll
volontaire, passé vers j'nn 850, devant l'nsscml,lée des notables de
la ville d' Amiens; e'est une donation faite par un certaill AngilgllilJ
a l'église cnthélll'ale llc Snint-Fil'min; rncte se termine par ces
mots : Ac/unI Ambia.!Ís cidta/e in mallo publico. (Voyez un Cange,
llh/oire des cOIJJ(es d'Amiens, édit. de M. Hardollil1, p. 28 et sui\".,
aux llotes.)




418 SECOND FRAGMENT


les diverses prérogatives de l'ancien droit mum-
cipal.


Un faít quí merite d'etre noté íei, e'est que dans
les temps mérovingiens et earolingiens, Amiens fut
une des villes les plus riches et les plus fiorissantes
de la Gaule. Elle devait au eommerce qui se faisait
sur la Somme, et dont elle était l'entrepOt, une
grande partie de son importance et de sa prospe-
rite. En 779, Charlemagne accorda a. l'abbaye de
Saint-Germain-des-Prés une exemption de tous les
droits qu'on levait ti Amiens et dans plusieurs ports
et plaees de commerce sur les marehandisés de toute
sorteo Les villes et les lieux nommés dans le di-
plome sont eeux-Ia memes ou se faisait a cette epo-
que,ou plus tard se fit encore presque tout le eom-
merce d'importation dans les contrees nord-ouest
de la Gaule. Ce sont Rouen, le port d'Étaples en
Boulonnais (l'ancien Portus idus), Utrecht, Pont-
Sainte-Maxence, Paris, Troyes et Sens l , Le diplOme
de Charlemagne, rapproehe d'autres documents d'une
date postérieure, aequiert une grande importanee
pour l'histoire d'Amiens. Il sert a établir que sous
les roi:;; des deux premieres races, comme aux epo-


1. Propterea per presentem preceptum de<¡ernimus, quod perpetua-
liter mansnrnm es se jubemus, lIt per ullos portos neque per civitates
tam in Rodomo qnam et in Wicus, neque in Ambianis, neque in Ter-
jecto, n<lque in Dorstadre, neque per omnes portos ad sanctam
Maxantíam, neque alicubi, neque in Parisiaco, neque in Ambíanis,
ne,que in Burgundia, in pago Trigasino neque in Senonico, per omnes'
civitates similiter, ubicumque in regna, proposito Christo, nostra,
aut pagís vel territoriis theJoneus exigatur ... Data VI ka!. aprilis¡
anno XI et v regni nost1'i. Actnm Haristalio palacio publico. (Pre-
ceptum Caroli tn(lglli apud ScriJlI. rer. gallic. et [rancie., t. V, p. 742.)
- Voy", Hadl'. Val~6. Nvlil. Gullior ... p. 21!J et 256.




CONSTITUTlON CQMMUNALE D'AMIENS 4H1


ques suivantes du moyen áge, cette ville était au
nord de la France un de ces grands centres com-
merciaux ou venaient affiuer les marchandises de
tous les pays 1.


Du septic'lme siecle jusqu'au milieu du dixieme, on
'11e trouve aucun document qui fournisse le moindre
détail relatif a l'organisation municipale d'Amiens.
Toutefois, parmi les faits genéraux qui se sont ac-
compEs pendant cette période, il en est un que nous
devons signaler, car il amena une modification im-
portante dans la constitution municipale, non point
d'Amiens en particulier. mais de toutes les ville~ de
la Gaule : nous voulons parler de l'institution du
scabinat. Charlemagne, s'appuyant sur les souvenirs
et sur les débris de l'ancienne civilisation, avait
tenté de faire de ses vastes États un nouvel empire
romain. Le principal moyen d'arriver a l'accom-
plissement d'un pareil projet devait etre d'établir"
autañt que le permettait le désordre des é1éments,
sociaux a cette époque, la régularité et l'unité d'ad-
ministration; c'est ce que le premier empereur
frank entreprit avec génie par des reformes origi-


1. Sons les deux premieres races, comme ¡" l'époque de la domina-
tion romaine, il y eut il Amiens un atelier de monnllyage. Des tiej',~
de soIs d'or y furent f!'appés dan s les temps mérovingiens, avec les
l10ms de différents mOllétaires. Des deniers du temps de Charlemaglle
\,(s'tt~-n\' ~u:u. C()\~ c~s "ffi()\%" Ka.'ro1.. 'I"'ex, e"t. au -re.'\JeT'f. S. "b"i'fmini ..
Cette nernleTe lé~enae ¡;'ex~li.r"le 'PII.'r le culte que leo¡;. 11abitants {l' A-
micl1s rendaient II la mémoire de leur premier év<lque. D'autres mon-
naies de Charlemagne, roi, conservées dans la colIection de M. le
uoctel1l" lligollot, portent d'nn coté Carl«s el de l'autrc Ambianis. Une
piBce r.al'pée sons le regne de Charles le Chauve porte : Ambiani.
"ir'itas el le monogramme de ce pl'iuce. - Voyez du Cange, Hisloire
des (ululc,') ti' Jmi('ns~ é(1. tlc M. lfardollin, p. 24, 25 et 361.




420 SECOl\ll F'RAGMEt>t


nales dans toutes les branches du gouvernement.
L'une de ses grandes mesures d'ordre public fut de
modeler sur un plan nouveau les institutions judi-
ciaires, et de pourvoir a l'administration réguliere
de la justice, que la loi et l'usage laissaient a la
merci du zele des hommes libres convoques par le
comte au maJ ou plaid ~u cantono Il crea, sous le
nom germanique de Skapene ou Skafene, dans les
acüis latins Scabini, Scabinei, un veritable corps
de juges. Ces juges devaient etre choisis, soit dans
les cites, soit dans les districts du plat pays, par le
comte du lieu, les commissaires imperiaux ou missi
dominici et le peuple J. Sous ce dernier nom etait
comprise dans les can ton s ruraux la generalité des
hommes libres selon le droit germanique, et dalls
les villes, la géneralité des citoyens selon le droit
municipal romain.


Ainsi la révolutiol1 judiciaire operee par Charle-
magne donna aux habitants des villes un droit tout
nouveau, celui d'instituer des juges conjointement
avec le comte, qui jusque-la avait été seul juge re-
connu et qualifie tel par les lois' de la mOllarchie
franke. Cet ordre de choses, qui substituait les sca-
úins ou juges elns par le comte et le penple aux an-


1. Les mots sl.o1'",e, s"a(ellc, alias sl,el,,'ne, s",(eue, vienC1ent dn verLe
théotisque sl>a1'an DU slia(an, qui sigllitie disposer, ordonner, juger,
Voyez Grimm, AnUquités d .. droit 9,rmanique, § 7, p. 778. - Ut ju.:
dices." scaLinei boni et veraces et mansncti, cum comite et pO]llllo,
eligantu!' et constitullntur. (Capitular. 1, ano 809, arto 22, a1'",1
Seripl. rer. gallic. el (rancie" t, V, p, 680.) - Ut missi nos!ri, ubi-
cumque malos scaLillcos invenillllt, ejiciant et, totitls popuJi cOllseusu,
in loco corum bonos ~ligant. (Capitular. Worrnatien.e, an. 829, art.ll,
iLill., t, VI, p. 441.)




/
!;O;-';SrlrCTION COMMUNALE D'AmE:iS 421


ciens magistrats de la curie, produisit par le fait
une révolution dan s le régime municipal; mais le
changement porta moins sur le fond que sur la
forme des constitutions urbaines. Les nouveaux ma-
gistrats furent pris parmi ceux qui avaient le droit
de siéger comme juges dans les tribunaux de l'époque
précédente, parmi les membres du corps qui de temps
immémorial gérait toutes les affaire s de la cité, et
c'est de la que vint clans les temps postérieurs la tra-
dition qui attacha au titre roman d'Eskevins ou Es-
chevins le double sen s d'administrateurs et de juges.


Nous le répétons, les faits qui nous ont été trans-
mis, comme 'arrives dans la ville d'Amiens pendant
la période qui s'étend du septieme siecle jusqu'au mi-
lieu du dixieme, apparti.ennent tous a l'histoire gé-
nerale. Les chroniqueurs ne racontent avec quelque
étendue que les malheurs qui vinrent fondre sur
cette ville, a l'epoque de la dissolution de l'Empire
carolingien; ce sont, d'une part, les invasions des
NOl'dmans, qui se succedent á Amiens, d'annee en
almée sans interruption, de-puis 859 jusqu'en 926;
d'autre part les guerres des seigneurs, qui, affran-
chis de toute autorité supel'ieu're par la ruine de
l'Empi,'e et raffaiblissement du pouvoir royal, se
dis¡lUtent ses ll1urailles et son territoire, )lais il est
un épisode de ces guerres dOllt il faut tenir compte,
cal' il montre que, pour les citoyens, le droit de
prendl'e part aux élections episcopales, l'un des
priviléges dérivant de leur vi~ille constitution 1'0-
maine, subsistait an milieu du dixieme siecle, comme
tl'ois cents ans plus tót, an tmnps de l'éveque
Salvins.




422 SECOND FRAGMBNT


En 946, mourut l'éveque Derold; le::; habitants
d'Amiens lui choisirent un successeur et nomme-
rent au siége vacant un moine de Saint-Waast,
appelé Raimbaud. L'élection avait été réguliere; elle
fut annulée par la violence. En 9~7, Rugues, comte :
de París, se rendít a Amiens, chassa Raimbaud et '
installa coIhme eveque a sa place Tetbaud, clerc de
l'église de Soissons. Mais l'intrus ne resta pas long~ :
temps paisible possesseur du siege épiscopal; il fut ¡
chassé a son tour et excommunié. En 949, Arnulf,:
comte de Flandre, marcha sur Amiens, et, avec
l'aíde des habitants, se rendit maltre de la ville; il :
y ramena l'eveque elu, Raimbaud,. et lui tit rendre ¡
la dignité qu'il tenait du choix populaire '. Ainsi,!


I
au mílieu du dixieme siecle, les habitants d'Amiens 1
prenaient part avec le clerge a l' election de leurs 1
eveques. Ce droit ne leur fut jamais conteste; des I
~


documents de nature diverse prouvent qu'ils en l
. userent durant tout le cours du onzieme siecle, et •
qu'ils l'exergaient encore, dans le siecle suivant, a
répoque ou leur existence municipale se reconstitua
par une revolution, et prit une forme entierement
neuve, sous le célebre nom deCommune 2,


\. Ambrancnses Tctbaldum, quem eis Hugo constituerat episco-
pum, exo~i, castrum Arnulfo comiti produnt, qui advocans l'egem
LudovicUlU, oppidum ipsum cepit, Tetbaldum expulit, Regembaldum
illud Atrchatensem quemdam monachum guem iidem Ambianenses
prius sibi delegerant, introduxit: qltiqlte Remos a rege perductlls,
ordinatur episcopus ab Artaldo archieplscopO. (Chron. Frodoardi,
apud Seripl. rer, gallico el (rancie" t. VIII, p, 205.) - lhil!., p. 157,
201. .


2. Epistola 11"bani papre II ad clerum et populum Ambianensem,
a]lud ibid., t. XIV, p. 700. - Concilium ipsum Trecense, anno 1104,
eiectiollem olim cunfirmaverat viri sanctissimi Gofl'ridi episcopi Am-




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 423


'Le droit d'instituer des scabins ou juges elus,
droit que les lois de l'Empire carolingien avaient at-
tribu e conjointement au comte et aux hommes li-
bres dans chaque circonscription administrative, fut,
durant le long désordre qui accompagna la dissolu-
tion de cet Empire, usurpé tout entier par les comtes,
et devint l'une des bases de la souveraineté locale
qu'ils s'arrogerent. Il ne parait pas que dans l~ cir-
conscriptions rurales oú tout s'etait organise d'apres
les mamrs et les coutumes germaniques, l'envahiR-
sement 'du droit des hommes libres ait éte l'objet
d'une viveresistance; mais dans les cites il fit nai-
tre une longue lutte 011 furent engagees, d'une part,
la puissance seigneuriale, de l'autre, la corporation
urbaine, qui, sous différents noms et avec differents
degres de pouvoir administratif et judiciaire, avait
succéde a la curie des temps romains. Cette lutte,
oú les villes de la Gaule succomberent toutes,
quoique d'une fagon tres-inégale, occupe dans
leur histoire le cours du dixieme siecle et celui
du onzieme. C'est la période de décadence et de
ruine pour les institutions municipales; son carac-
tere dominant consiste dans la dissolution du corps
des juges qu'on peut déja nommer Échevins, dans
le remplapement de ces juges par les vassaux du
comte, pairs de la cour seigneuriale. dans l'inféoda-




lli:u:c·n:,Ls quoa il1lG¡¡imitt?r a clero el ¡Jopulo electus ftdsset, rege quoqUtl
assentient •. (Thomassin, Vrtus Ereles;:e disciplina, t.ll, p. 91.) - Cle,
rus autem et populus ... eo absenta [Godefrído l, super altero eligen do,
uou SiUé magna ipsius aspernatíone, non sategit. (Guíberti abbat. de
Novígento, de Vita •• ua, lib. lII, sub ano 1115, ínter Opera ejus omnia,
p. 516, erl.. Dacl:ery.)




SECONO FRAGMENT


tion des offices soit judiciaires, soit adminislratif~.
A vec ces changements co'inciderent partout, mais i1.
différents degrés, l'oubli des traditions de la vie ci-
vile, l'invasion des mreurs et des coutumes barbares,
l'abandon de la discipline sociale qu'avaient trans-
mise les mreurs romaines, et qui, bien qu'affaiblie
sous la domination franke, s\;tait maintenue au sein
des villes par la duree de leurs gouvernements mu-
nicipaux.


Au onzieme síecle, s'offre le point extreme de ee
mouvement de dissolution de tout ordre civil; on
voit régner les guerres privees de famille :i famillA
et d'homme a homme, entre les bourgeois des villes
comme entre les chAtelains et les vassaux; mais a
la meme epoque, par une soudaine reaction du bon
sens humain, de l'equité naturelle et des souvenirs
d'un temps meilleur, apparaisserlt les premiers
symptómes d'un nouveau besoin d'ordre, de justice
et de paix. Les volontés et les efforts s'unissent sous
l'autorité religieuse ponr substituer a la vengeance
brutale les transactions pacifiques et la soumission
:i des sentences soit arbitrales, soit judiciaires. On
connaít les célebres institutions de la Treve et do la
Paix de Dieu qui furent promulguées, a plusieurs
reprises dans le cours du siecle, par les éveques as-
sembles en conciles nationaux et provinciaux. Il ost
certain que des tentatives semblablos et toutes
spontanées eurent lien sur une moindre échelle, At
que des associations sous le serment ponr le maill-
ti en de la paix publique se formerent dans de petits
pays ou de simples ville¡¡. Vers l'annee 1025, les ha-
bitants d'Amiens s'unirent avec ceux de Corbie par




CO;¡STITUTION COMMUNALE D'AMIENS 4:!;;


Uli pacte de paix réciproque, non-seulement entre les
deux villes, mais entre toutes les personnes domi-
ciliées dans leur enceinte et sur leur territoire. Cette
confédération, comme toutes celles du meme genre,
eut pour principe la vieille pratique d'association
jurée, qui, sous le nom de Ghilde, avait été apportée
CH Gaule par les populations germaniques, et qui,
apres le melange des races et des mreurs, s' était con-
servée, surtout dans les provinces du nord l. Voici
les curieux détails que donne sur l'alliance d'Amiens
et de Corbie, sur son caractere et sur son objet, un
hagiographe du ;)nzieme siecle :


Les habitants des deux villes s'associerent sous
l'invocation des saints dont ils possédaient les reli-
queso Ils decréterent entre eux la paix entiere, c'est-
a-dire ponr tous les jours de la semaine, et, ayant
fait vreu de sé réunir chaque année a Amiens un
jour de grande fete, ils joignirent a ce vreu le líen
du serment. Tous jurerent qu'a l'avenir, si la dis-
corde eclatait entre deux hommes, ni l'un ni l'Mtre
n'aurait recours au pillage ou a l'incendie, mais
qu'ils s'ajourneraient a un terme fixe, et viendraient
alors devant l'églíse, en presence de l'éveque et du
comte, p]aider leur cause et terminer ]eurs que-
relles d'une maniere pacifique 2. Le narrateur con-


1. Gilde ou Golde (prononeez Ghilde, GheM,) signifient, dans la
Inngue théotisque, bal1qllet a {mis commu"", nssociation, confrérie.
Yoyez sllr l'ét!fmologie de ce mot les Glossaires d'lhre, de Schertz
et de Wnchter. - Voycz, sur l'origine de la Ghilde et sllr ses di-
verses applications au moyen age, les COlIsidéralions sur l'hisloire dI
France, placées en tHe des Récits des temrs mérovingiens, chapo VI.


2. Ambiauenses et Corbeienses cum suis patronis conveniunt, in-
t.gram pacem, id est totius hebdomadre, deeernuut; et nt per sin-


21.




426 SECOND FRAGMENT


temporain ajoute que ces résolutions donnerentnai~­
sanee a une coutume observée longtemps par les
habitants des deux villes ass.ociées. C'était a roe-
tave ·des Rogations qu'avait lieu leur grande assem-
blée annuelle; on y portait proeessionnellement les
reliques des saints, on terminait les proces, on pa-
cifiait les haines et les differends, on lisait en public
les statuts de i'association, télt on les confirmait par
un nouveau serment; des orateurs parlaient au peu-
pIe, puis on se séparait. Le caractere religieux de
cette institution s'effaga par degrés, et, apres un
temps plus ou moins long, elle devint purement
politique, les reliques des saints furent négligées, et
au lieu de proeessions et de prieres, quand vint le
jour de la grande assemblée, il y eut des divertis-
sements et des danses. Les moines de Corbie et
d'Amiens eesserent de prendre part a'ces fetes; mais
il est probable que le paete de paix entre les deux
villes fut maintenu par elles, jusqu'a l'époque ou une
application bien autrement énergique de raS80-
ciation sous le serment, fit renaltre au nord de la
France, par 1'institution des Communes jurées, tous
les droits et tmItes les garanties du régime muni-
("i~all.
gulos annos ad id confirmandum Ambianis in die festivitatis sancti
Firmini redeant, unanimiter Deo repromittunt. Ligant se hujus pro-
missionis voto, votumque religant sacramento. Fuit autem hrec re-
promissio, ut si qui disoeptarent ínter se aliql10 dissidio, non se vín-
dicarel1t pncda ant incendio, doneo statnta die ante ecclesiam, coram
pontifice et comite, fieret paciticalis declamatio. (]ffiraeula S. Adalhardi
abbat. Corbeiensis, anctore S. Gerardo abbat. monast. Silyre majoris,
apud Seripl. rer. gallie. el francie., t. X, p. 378.)


1. Adoleverat inter Ambianenses et Corbeienses nova qure<lam
religio, et ex religione pullulaverat consuetudo, qure etiam recipro-




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMIENS 42i


L'établissement de la féodalité avait en quelque
sorte matérialisé toutes les fonctions politiques et
civiles. Le partage des pouvoirs sociaux et des attri-
butions administratives·avait été transformé par elle
en un partage de domaines territoriaux de toute na-
ture et de toute dimension, a chacun desquels un lot
plus ou moins grand de souveraineté et de juridiction
se trouvait inseparablement lie. Dans la ville d\>\.-
miens, la division du territoire, et par suite celle de
la puissance politique et judiciaire, s' etaient opérées
d'une maniere fort inegale entre les deux anciens
chefs de la cité, le comte et l'éveque. La seigneurie
011 comte s'étenaait l/UF la ville et sa hanJieue; ce))e
de l'éveque, bien qu'il fUt seigneur dominant, se trou-
vait restreinte aux domaines propres de son église,
soit dans la ville, soit au dehors. La juridiction du
comte était réputée general e ; celle de l'éveque portait
un caractere de specialité, et formait dans l'autre une
sorte d'enclave. Les documents du onzieme siecle
nous montrent l'eveque d'Amiens cantonné féodale-
ment dans ces étroites limites; mais son autorité
conserve encore, a ce qu'il semble, quelque líen avec
l'ancienne tradition civile et les intérets généraux de


eaha.tnr omni anno. Octavis denique Rogationum ab utrisque par-
tibllS conveniebatur in unum ; ibique confercbantur corpora sanco
tornm, solvebantur lites, ad paeem revoeabantur discordes, muta-
bantnr a populo orandi vices. Decreta utriusque loci renovabantur,
populo perorabatur, sicque redibatur. Sed procedente tempore coopit
aliquando res ipsa usn vileseere, et inreverentia fieri ex multa vene-
ratione. Uterque si quidem sexus cachinnis et lusibus intendere,
ordiri choreas, et inreverenter agere, et sic pene omnes corpora sanc-
torum negligere. Displicuit res ilIa bonis et maxime monachis.
(Scrip!. "'''. gallico et (ranc., t. X, p. 378).




SECOND FRAGMENT


la cité. De temps en temps on voit paraltre dans les
chartes episcopales le titre d'Administrateur de la
chose publique d'Amiens, P1'OCUrat01' reí publice Ambia·
nensis, titre qui dérivait des souvenirs de la constitu- .
tion municipal e antérieure au dixieme siecle l.


Les souvenirs du temps ou la royaute était seu1e
souveraine se trouvaient de me me attachés a une
portion de la ville, mais a la plus pe tite de toutes,
aux bátiments et dependances de l'ancienne citadelle,
haute et forte tour nommee le Castillon, et construite
a ce que disent les antiquaires, sur l'emplacement
d'un palais romain 2. La cour du Castillon et les ter- ,
rains qui l'avoisinaient depuis le mur de la ville jus-
qu'a la Somme, étaient du domaine du roi et non de
celui du comte; ils étaient tenus héréditairement,
sous condition de foi et d'hommage, par un chatelain
qui exer<;ait dan s ces limites une certaine juridiction,
et que les droits attachés it sa tenure pla~aient apres
le comte, l'évéque et le vidame ou lieutenant civil de
I'éveque, au rang de seigneur, ou, eomme parlent
d'anciens documents, de prince de la cité 3,


1. Gni preslll ct procurator reí publice Ambianensis, uni versis
filiis adoptionis presentibus et flltllrís ..... (Charte de consécratioll el
de ~otation dn mOllastere de Snint-Martin-allx-Jnl1leallx, sons la date
de t073. Archives départementales de la Somme, cartlllaire un cha-
pitre de Notre-Dame d'Amiens, nO 1, fo 195, recto el ver80.)- On
trouve dans une chm'te de l'année 1139 les mots presul el procura/or
lotius reí publice Ambianeusis. (Voyez du Cange, Gloss., verbo prorl/-
,'atores.)


2. Pro muro Castellionis, sic enim vocatur. (Gniberti abbat. ue Ka-
vigent., de Vil" sua, lib. nr, juter ejus Opera onIllia, p. 51ii.) -
Ant.iquités de la villc d'Anüclls, par uc la Morlié're, liv. r, p, (;6.
- Bisloire a'Amie¡,., par :Ir. Duscyel, t. l, p.16.


3, Secnm dnxit Atlnmnm pjus civitatis principem. (Vila. S. (¡odr.




CO:-iSTITCTION COMMUNALR n'AMIRNS 429


En dehors de ce partage territorial, restait-il au
onzieme siecle quelque chose qui fUt possédé en
propre par le corps d.es citoyens; retrouvait-on 110rs
quelques debris des biens communaux, en edifices et
en terrains, qu'Amiens, comme toutes les cité s de la
Gaule, avait possedés a l'époque romaine, et dont
la propriete s'était maintenue sous la domination
franke? Il est difficile de répondre it cette question
(l"une maniere positive; mais des actes officiels té-
moignent que, dans le onzieme siecle, il existait
encore ú Amiens une sorte de conseil municipal,
OJ'gane des intérets et des doléances de la cité, On
trouve mentionnes, soit comme réclamant contre les
vexations des officiers du comte, soit comme validi:Ult
par leur présence les donations et les contrats, des
principaux de la ville (Primores .urbis), des llOmmes d'au-
torité ayant pa1'1lti le peuple pl'épondérance de témoignage
(Viri authentici habentes in plebe pondus testi-
monii l ).


Une charte de l'an lO!H fournit de precieux ren-
seignements sur l' état de la ville d' Amiens au onzieme
siecle. Elle constate d'abord que la cour feodaJe' du


f"idi episc. Ambian. sree. XII, apl1d Sllrillm, mens. novemb., p. 220.)
- Et cel'te Adllm regi hominium feeerat. (Guiberti abbat. de No-
vigent. , de Vila sua, lib. ]11, sub anno 1113, inter ejus Opera
omnia, p. 516.) - Il Y avait ainsi quatre co-seigneurs; dans une
charte de l'année 1151, l'héritier des aneiens chiUelains s'intitule:
Amblanis civUaUs princeps quarttls (Cm'tul. de Saint-Jean-Iez-Amiens,
1115. da treizieme síeele, eommnniqué par M. le docteur Rigollot,
col. 407.)


1. Voyez la eh arte douuée par Guí, éveque d'Amiens, entre les
années 1058 et 1076, et celle des comtes Gui et Ives, donnée vers
l' su 1091. (ReeueU des manuments ;"édits de /'II¡s(o¡1'e du tiers élal, t. J,
¡'plfl et 22.)




430 SECOND 1"RA.GMENT


comte remplagait, pour l'administration de la justice,
dans la ville comme au dehors, le scabinat carolin-
gien, dont le nom meme avait disparu; en second
lieu, que le clergé et le peuple d'Amiens s'unissaient
pour réclamer et protester contre les abus de pou-
voir, les fraudes et les extorsions des juges seigneu·
riaux. La juridiction du comte s'exer<;;ait alors par
un certain nombre de chevaliers ses vassaux, qui a
titre d'hommage lui devaient, pour leurs fiefs, le ser-
vice judicia'ire en mema temps que le service mili-
taire. Ils tenaient les plaids seigneuriaux tant dans
la ville que sur les terres du comté d'Amiens,
et la qualification de Vicomtes leur était donnée a
tous, soit comme exprimant leurs fondions délé-
guées, soit comme titre de quelqlle fief attaché a ces
fonctions.


Deux frilres, Gui et Ives, conjointement comtes
d'Amiens 1 firent la charte dont iI s'agit, sur les
plaintes réitérées des églises et des fidéles, et apres
avoir consulté préalablement avec l'éveque d'Amiens
Gervin, avec les archidiacres Ansel et Foulques, et
avec les principaux de la ville. L'objet de cette
charte fut de remédier aux abus les plus criants
de l'instruction judiciaire, et de mettre fin aux pl'é-
varications que les vicomtes ou juges commettaient
dans leur office. En voici les principales dispnsi-
tions: "


Soit dans la ville, soit hors de la ville, dans tout le .


1. lis étaiellt fils de ¡moull"', comte d'Amiens, de Mantos et ele
Pontoise, et tenaient le comté par la retraite de 1eur fr,,"e ainé Si-
mon, qni prit l'habit de religieux aq monastere de Saint-Clallde, en
1076, .




CO,,~TITUTlO¡'¡ COMMUNALB n'AMIENS 431


comté d'Amiens, nul vicomte n'obligera persOlme a
.répondre sur une accúsation de vol, a moins qu'il
n'ait regu plainte de quelqu'un. S'il se présente un
accusateur, l'accusé recevra du vicomte la permis-
sion de con:mlter; et, apres avoir pris conseil, iI
répondra sur l'imputation dirigée co~tre lui.


Si l'accuse est convaincu de vol, il restituera au
plaignant l'argentvolé, et paiera au vicomte trois
livres seulement; ii sera des lors libre de cette af-
faire, et ne sera point tenu de rendre raison la-dessus
aux autres vicomtes,


Si un vicomte prétend qu'une chose a été trouvée
par quelqu'un, et qu'il réclame a cet égard, on ne sera
point tenu de lui répondre, a moins qu'il n'y ait un
témoin qui déclare avoir assisté a la trouvaille ou
regu quelque aveu de l'accusé. S'il y a un témoin,
l'accuse ayant pris conseil, se disculpera legalement;
s'il ne le peut, il rendra au comte la chose trouvée,
et au vicomte trois livres seulement; des 101'S il ne
sera plu:; tenu de répondre sur lefaitdevant les autres
vicomtes.


Si l'un des vicomtes aceuse quelqu'un d'avoir lait
accord avee un autre vicomte sur un fait de vol ou ue
trouvaille, on ne sera pas tenu de lui répondre, a
moins qu'il n'y ait un témoin qui déclare avoir été
présent a la trallsaetion. S'il y a un témoin, l'aecusé
se disculpera légalement, ou ilrestituera au vieomta
la chose volée ou trouvee, et illui paiera trois livres
au plus.


A eet acte de reforme judieiaire se trome jointe
Ulle donation faite par les deux comtes a l'église
cathédrale d'Amiens; il fut promulgué dans cetta




S~CO:\D FR,\G:'!E1'\T


eglise par une lecture publique et sous la menace
d'anatheme l.


Le dispositif et le préambule de cette curieuse
charte sont un temoiguage frnppant du deplorable
etat de la sociétp, surtout de la soeiété urbaine, vers
la fin du onzieme sieele. Rien de plus intolérable pour
les villes, de plus eontraire a leurs traditions muni-
cipales, de plus repugnant a toutes leurs eonditiolls
d'existence, qu'un OI'ure de choses ou lajustice, a ses
differents degrés, cOl1stituait une propriété privée et
des re venus patrimoniaux. Les abus signalés iei en
supposent d'autres encore plus graves dont, malheu-
reusement, aueun aete authentique conserve jusqu'u
HOUS ne HOUS a transmis le souvenir. L'aetion de vol
intentée san s partie plaignante, et l'aecusation san:;
témoin pour une pretendue trouvaille de ehoses en-
fouies ou sans maitre, choses qui, selon le droit feo-
dal, appartenaiel1t au seigneur, tels etaient dan s la
ville et le comté d'Amiens les moyens journaliers
d'extorsion mis en usage par les vieomtes. Le pl'é-
ven u que l'un des vicomtes avait renvoyé absous se
Yoyait accusé par un autre vicomte d'avoir fait un
pacte avec son juge, et I'adion recommen<;ait C(Jlll!'(~
lui; le condanme payait autant de foi5 l'amende qu'jl
y ayait de vicomtetl dans la ville OH dalls le cantoll :
enfin, l'objet du vol reel ou pretendu etait confisque
pat' les jUg'éS, Yoila ce que prohibe pour 1'aveni!'
l'Ol'donnallcc ¡les cUDlte.5 Gui et Ives, obtenue,
COJ1l111e une f'aycL1l', par les habitauts cL-\.miens,


....


1. Vayez le te~tc <le 1" pii:ce, lIecueil des J/I0l¡¡Wlen(s ¡¡"iJí!s de l'his-
/c.i, e du liers itat, 1. 1, p. 22.




CONSTITLTIO:i CO~IMUNALE D'AMIENS 433


apres de longues plaintes et des instances reité-
rees,


Les deux comtes qúi font cet octroi semblent avoir
le sentiment d'une profonde misere sociale que leur
constitution, comme ils l'appellent, sera impuissante
a guérir, Les paroles dont ils se servent sont graves
et tristes: « Considérant, disenL-ils, combien misé-
« rablement le peuple de Dieu, dans le comté d'r\.-
« miens, était afflig~ par les vicomtes de souffrances
« nonvelles et inoules, comme le peuple d'Israel op-
« primé en Égypte" par les" exactenrs de Pharaon"
(( nous avons été émus du zele de la charité; le cri
«( des eglises et le gémissement des tideles nons ont
« tonches douloureusement 1, » Cette pitit; melee de
remords pouvait etre sincere, mais elle ne pouvait
porter llUcun fruit durable; la volonté bienveilIante
d'nn seigneur allégeait un moment le poids des
tyrannies féodales; mais ce seigneur passait, et les
institutions étaient li pour ramener tout en arriere,
Une puissance violente et toute personnelle, née de
l'invasion des mamrs barbares, s'était emparée de
tous les debris de la vieille société civil e ; l'action du
temps l'avait formee, une révolution seule ponvait
la briser, et, pour la ville d'Amierts, cette révolntion
ne se fit pas attendre; elle arriva moins d'un quart
do siecle apres la chal'te des comtes Gui et Ives,


1, ..... Attelldelltr.s qUl\m miscl'abiliter pleLs Dei, in comitatu Am-
biallellsi, at vice-comitibns noyis et inauditi. caJarnitatibus afflige-
hatnr, quasi pOllllJtlS Israel opprcsstls in Egypto ab exacroribus Pha-
raouis, 7.e10 caritatis permoti conUOllliml1s ..... (Recueil des mO'lluments
inédirs de ¡'''istoi .. e du tie .. s élat, t. J, p. 22.)




434 SECOND FRAGMENT


SECTION II


DOUZIÉME' SIIWLE ; ÉTABLISSEMENT DE LA COMMUNE D' AI'dIENS 1


La grande révolution municipale qui éclata dan s
les premieres années du douzieme siilCle était depuis
longtemps préparée; on a pu voir, par ce quí précede,
queHes furent les causes de cette révolution, ear les
griefs de la ville d'Amiens contre le regime seigneu-
rial étaient communs a toutes les villes. Dans les cites
comme dans les campagnes, l'organisation féodale
avait envahi et transformé les anciens pouvoirs
sociaux de toute nature et de toute origine. Elle
avait ruiné plus ou moins complétement les vieilles
institutions urbaines; et les villes, morcelées en sei-
gneuries diverses, privées de l'unite politique et de
la juridiction civile, se voyaient régies, a titre de
domaines, par des feudataires grands ou petíts. Ríen,
dan s le cours du onziEmle siecle, n'avaít pu remédíer
aux désordres et aux souffrances de tout geme 'luí
résultaient d'un pareil état de choses, ní les ínstitu-
tions de paix, ni les plaintes et les protestations des
bourgeois unis au clergé, ni la r'oyaute capétíenne
trop faible encore et trop indécise pour rendre ef-
ticaces et fécondes ses tentatives d'ínterventíon.


Quand s'ouvrit le düuzíéme siécle, un Lesoin uni-


1. Recueil des monulHenls im:dils dI! l'ltis(o¡rc da tll.'),,)' t'{I/I) t. 1, p. 2:2.




CONSTlTUTlON COMMUNHE n'AllIEN::; 43ti


versel de reforme politique agitait, d'une maniere
diverse et a différents degrés, la population des vilIes
dans toutes les .parties de la France actuelle J. Le but
de C'e mouvement, quels qu'en fussent les symptomes,
était partout le mame, et sa ten dance peut se dénnír
ainsi : raviver les souvenirs de l'ancien ordre civil et
ralliertous les debris epars de l'existence municipale,
les completer et les nxer par une nouvelle constitu-
tion; ressaisir, de gre ou de force, le droit de juri-
diction urbaine, et .substituer aux offices feodaux des
magistratures electives; reconquerir les droits utiles
de l'ancienne municipalite, ses revenus, ses biens'
communs, sa banlieue; enfin, eriger l'universalite des
citoyens en corporation libre investie des droits poli-
tiques et ayant le pouvoir de deleguer les fonctions
administratives et judiciaires. Quant au caractere
exterieur de cette revolution, aux causes occasion-
nelles qui la nrent éc1ater simuItanément ou la pro-
pagerent de proche en proche, aux instruments
politiques dont elle s'aida j aux évenements qui l'ac~
compagnerent et a ses consequences sociales, il y


) eut de grandes différences, suivant la condition des
,/1 villes, dans telle ou telle portian du pays; et, a cet


égard, on peut distinguer deux grandes zones : ceBe
du midi et celle du nord. Nous ne parlerons ici que
de la derniere¡ dans laquelle se trouve Amiens.


Poul' les villes du nord de la Franee, le moyen
de renaissallce civile, le ressort revolutionnaire; 8l


1. Deux villes, Cambrai et le ~ans, devancerent toutes les Butres ;
leurs tentatives de révolution datent du onzieme siecle. Voyez les
Lettres sur l'hisloi,'e de France, lettres XIV et suiv.




SECONO FRAGMENT


1'011 peut s'exprimer ainsi, fut l'a~sociation .1U1'8e,
la Ghilde provenant des mmurs germaniques, et em-
ployée dans le cours du onzieme siecle comme ins-
trument de paix publique, SOU8 l'inspi¡'atioll reli·
gieuse etl'autorité de l'Église. L'applicatioll de cette
pratique puissante ti, l'organisation municipale eut
céla de nouveau, qu'elle fut toute politiqueo En
outre, son objet fut non-seulement d'établir la paix
dans les villes, mais d'.}" reconstituer la société par
sa base, de fonder une assurance mutueIle poue
tous les intéeets et tous les droits; ele faire sortir
de l'association des citoyens une puissance publiqué
s'exer~ant pour eux et par eux.


Tel est, dan s les documents du douzieme siede,
le sens des mot8 Conjura/ion et Commune 1; c'est la
garantie réciproque ol'ganisée SOU8 la foi du ser-
ment, pour un but de réforme sociale et de renova-
tion constitutionllelle. Les membres de la cité i'OrDH3e
en commune prenaient tous collectivement, et l'un a
l'égard de l'autre, le nom de, Jurés, et parfois ce nom
s'appliquait aussi d'une maniere spéciale aux ma-
gistrats municipaux, a cause du serment particulier
qu'ils pretaient apres leut' élection, La constit.ution
communale l'enfermait et garantissait tl'Ois especes
de droits ; i" le droit poli tique, droit tout IlOUyeaU


1. Communio, novum ae pessiuHllll nomen. (Guibert. aLLal. de
Kovig~nto, de Vita sua, lib. I1I, apud Scl'ipt. re1'. gallic. et (ranciG.,
t. XII, p. 250.) - Communio quoque eivium Trevirensium, qure et
conjuratio dicitur. (Hontheim, Hisl. Trerir.' diploma/., t. l, p. 594.)
- Communial1l juratam. (Charte d'Aliéuor, reine rl'Angleterre et
uuehesse d'Aquitaille; Recueil des ordonnaTlcPS des rois de Fmtlce,
t. XI, p. 319, note [J.) - Voyez les Consideralions sur I'Histoire de
Frallce, 1'Iacées en tete des Récits de< teml's mérovíllyiens, chapo VI.




CO:\5TITUTI01\ . CO~IMri':ALE D'AMIEI\S H';


pour le fond et pour la forme, sauf d'anciens titres
cl'offices conservés ou rétablis, tels que ceux d'Éche-
vins et de Maire 1; 2° le droit civil, droit ancien
fondé sur la coutume Iocale; 3° le droit criminel, en
partie ancien et résultant de la coutume, en partie
renouvelé dans la prévision de délits provenant du
nouvel ordre de choses, tel que le crime de tese·com-
mune.


Il parait que la revoIution d'Amiens fut détermi-
née ou du moins accelérée par une impulsion venue
du dehors, par l'exemple de plusieurs villes voisinefl.
De l'année 1100id'année 1112, des communes jurées
s'établirent successiyement, ayec des circonstances
et des résultats divers, a N oyon, a Beauvais, a Saint-
Quentin et a Laon. Dans cette derniere ville, l'é-
veque était seul seigneur, et l'abolition graduelIe des
anciens pouyoirs municipaux avait eu lieu á son profit
et sous son nom; cefut contre ses droits que se fit la
commune, ou, en d'autres termes, que les bourgeois.
de Laon s'associerent pour la défense mutuelle de
leurs personnes et de leurs bien s, et pour l'établisse-


1. On a vu plus haut l'origine du titre d'Échevins; quant a celni
de Maire, I'époqne de son introduction dans la nomenclature des
oillces mnnicipaux est incertaine, et tout ce qu'on peut dire, c'est
qu'il fut emprunté a l'organisation des grands domaines sons la pre-
micre et la seconde race. Son usage dana plusieuls villes du nord
et du centre de la Gaule remonte probablement jusqu'au tempa oit
disparurent le nom et l'office du dé(enseur, par l'absorption de oot
oillce dans la seigneurie de l'éveql1e; ce fut le premier point de dé·
cadence de l'ancien régime municipal. Adopté en dépit de cette ori.
gine par la révolntion communale du douzieme siecle, lé titre de
lIIaire rel'ut alora des prérogatives politiquea bien plus hautes que
celle des chefs de la enrie romaine ou de la mllnicipalité gallo.
frimke.




43R SECOND FRAGMENT


ment d'une nouvelle c'onstitution et d'une magis-
trature elective. La révolution, commencée paisi-
blement, éprouva des résistances qui amenerent
bientot le déchainement de toutes les passions po-
pulaires; il y eut guerre civile accompagnée de pil-
lage et d'incendie; l'éveque fut tué dan s une émeute,
et les bourgeois révoltés se défendirent contre le
roi en personne. Ces événements, quelque tristes
et violents qu"ils fussent, et par leur violence meme,
étaient bien propres a semer, dans le pays voisin
de Laon, l'effervescence révolutionnaire. Nous sa-
vons par l'expérience contemporaine quel role ce
genre d'excitation joue dans les mouvements poli-
tiques, et comment l'incendie s'allume de pro che en
proche, li ou il trouve des aliments préparés. Ce fut
en l'année 1113, au plus fort dela révolution de Laon,
que les bourgeois d'Amiens entreprirent d'ériger
leur cité en commune.


Amiens, comme on l'a vu plus haut, n'etait point,
• quant a la seigneurie de la ville, dans la me me con-
ditíon que Laon; non-seulement l'éveque n'y pos-
sédait pas toute l'autorité temporelle, mais sa puis-
sance dans les affaires civiles était de beaucoup
inférieure a celle du comte; son droit de juridiction
ne s'étendait que sur les domaines propres de l'É-
glise, soit dans la ville, soit au dehors, et, dans
ces limites meme, il était sans cesse envahi. Au con-
traire, la juridiction du comte d'Amiens embrassait,
sauf de simples enclaves, toute l'étendue de la cité et
de sabanlieue. C'était par le comte et au pront du
comte qu'avait eu lieu la ruine graduelle de .laju-
fidiction municipal e : l'abolition plufl ou moins com-




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 439


plete de l'ancienne administratio'll urbaine; la trans-
formation des einplois municipauxélectifs et viagers
en offices féodaux h6réditaires, et la substitution des
pairs de fief, appeles Vicomtes, aux juges elus ou
scabins de l'epoque carolingienne. La seigneurie du
comte ayant ainsi absorbé graduellement tous les
pOllvoirs poli tiques, eívils et judieiaires, l'associa-
tion jurée, sous le nom de Commune, par les ha-
bitants d'Amiens, ne fut autre chose, dans le fait,
qu'une conjuration contra cette seigneurie.


En Hi3, le comte d'Amiens etait posséde, peu le-
gitimement a ce qu'il sembIe, par Enguerrand de
Boves, seigneur de Couey; et Geoffroy, que l'Église
compte au nombre des saints, occupait le siege epi-
scopal. Cet homme, plein de zele pour le bien ge-
neral et aussi eclaire que le comportait l'esprit de
sonsiecle, sentit ce qu'avait de legitime le desir d'in-
dependance et de garanties, pour les personnes et
pour les biens, qui portait les bourgeois a s'unir en
un corps politique se regissant lui-meme, capable de
resistanee et d'aetion. Des motífs moins desinteres-
ses contribuerent a incliner l' eveque Geoffroy vers le
partí de la bourgeoisie, cal', comme fious l'avons
deja dit, l'entreprise revolutionnaire des habitants
d'Amiens tendaít a creer dans la ville une nouvelle
puissance, ennemie avant tout de celle du comte.


Cette puissance, il est vrai, une fois constituee,
pouvait et devait meme se tOllrner contre la sei·
gneurie episcopale; mais c'était un danger eloigné
que l'éveque ne previt pas ou jllgea moindre que le
danger presento Selon les paroles d'un narrateur
contemporain, il preta faveur a la commune sans




440 SECOND FRAGMENT


que personne l'y contraignlt, et quoiqu'il sut bien ce' .
qui venait d'arriver a Laon, l'effroyable meurtre d'un
de ses colh'lgues, et tous les desastres de cette ville.
Probablement par son entremise, les bourgeois d'A-
miens négocierent avec le pouvoir.royal, et obtinrent
de Louis le Gros, au prix d'une somme d'argent,
l'approbation verbale ou ecrite de ce qu'ils venaient
d'instituer, c'est-a·dire, de l'associatioIl ou com-
mune, et des nouvelles magistratures quí, emanees
d'elle, etaíent destinees aja maintenir, a lui donner
force de loi et forme de gouvernement t.


Cette adhesion du roi fixa dan s la ville d'Amiens
l'etat des partis, dont la lutte a main armee etait
inevitable. D'un cóté, la commune, l'eveque, les offi-
ciers royaux et le vidame de l'eglise episcopale; de
l'autre, le comte Enguerrand de Boves, el'abord seul,
puis assiste du chatelain qui, bien qll'il ne fút pas
son homme-lige, maís celui du roi, se joignit a sa
cause et luiouvrit la forteresse du Castillon 2. Tels
furent les acteurs et les roles dans la guerre civilé
qui resulta de l'erection ele la cite d' Amiens en com-
mune, roles dont la distribution' s'accordait assez
bien avec les vieux souvenirs de son histoire muni·
cipale. Les evenements qui signalerent la revolution


1. Post funestum excidií Laudunensis evcntum, Ambiani, rege
illecto peculliis, fecere comrnuníam, cuí cpiscopus, nulla vi· exactus,
debuisset prrestare favOlem, prresertirn Cl1111 et llemo eum urgeret, el
coepiscopi sui eurn rniserabile exitium et inftmstorum civium con-
fligillm non latereL .(Guiberti abbat. de Xovigento, de Vito. .wa,
lib. IlI, inter ejlls Opera ornnia, p. 515,)


2. Ipse autcm in fiJelitate Ingelranni Ime usque contra bUl'genses
stcterat ..... et certe AJam regi hominium feccrat, nee ab eo riefe-
cerat, rexqne enm in sna fide snsceperat. (Ibitl., p, 516,)




C(~NSTITUTlON COMMUNALE D'AMIENS J41


d'Amiens ont été racontés avec prévention et avec
un certain sentiment de haine par un contemporain,
Guibert, abbé de Nogent. Toutefois, ce récit, rap-
proché d'autres documellts originaux et dépouiilé par
la critique de son excessive p:;¡,rtialité, donne sur
la position des deux partis, sur leurs prétentions,
leurs efforts et les divers incidents de la lutte, de pré-
cieux renseignements.


« Enguerrand, comte de la ville (dit le narrateur
« que nons venons· de nommer), voyant que les an-
(1 ci¡ms droits du comté se trouvaient supprimés pour
« lui par la conjuration des bourgeois, traita ceux-
« cí en rebelles et les attaqua par les armes avec tout
« ce qu'U avait de forees. De plus, il rencontra un
« auxiliaire dans le ehatelain Adam, et un poste
« avantageux dans la tour ou celui-ci commandait;
(1 ehassé de la ville par les bourgeois, il se renf'erma
« dans la tour l. » Voih\ par quelles hostilités s'ou-
vrit, dan s Amiens, une guerre eivile qui dura plus
de trois ans. Les bourgeois, armés sous la conduite
des ehefs de leur eommune, étaient soutenus par
toutes les forees de l'éveque et par l'assistaRce per-
sonnelle de Guermond, seigneur de Picquigny,
vidame ou avoué héréditaire de l'éveché. Durant
tout le cours de la guerre, ce secours ne leur man-
qua point et au commeneement ils trouverent un


1. Videus itaque Ingelraunus urbis comes, ex conjuratione burgen-
sium, comitatus sibi jura vetusta recidi, prout poterat, jam rebelles
lumis aggreditur. Cuí etiam non defuit Adam, sic enim vocatur, et
sure, cui prreerat ipse, turrís auxilium: a burgensibus ergo urbis
pulsus, ab urbe in turrim se contulit. (GlIiberti abbat. de Novigento,
~e Vita stta, lib. IlI, p. 515.)




442 SECOND FRAGMENT


auxiliaire inespere dan s le fils melle d'Enguerrand
de .Boves, dans le fameux Thomas de Marle, le plus
turbulent et le' plus cruel peut-etre des barons du
douzit'lme siecle. Il avait pris parti pour la commune
de Laon, ce qui l'indiqua sans doute aux Amiénois
eomme un allie possible pour leur cause; sans doute
aussi de grosses SOnllleS d'argent furent le prix de
eette alliance, en vertu de laquelle Thomas, adopté
pour seigneur par les bourgeois d' Amiens, preta le
serment d'associe a la commune, et se mit en
campagne contre son pere et contre le chatelain
Adam l •


Durant plusieurs mois, le comte et le chatelain,
cantonnes dans la tour du Castillon, et serres de pres
par les bourgeois et par Thomas de Marle, furent
réduits a se tenir sur la défel1sive; mais Thomas
ayant re«:)u de son pere des propositions d'alliance et
des offres d'argent, se reconcilia avec lui et s'enga-
gea par serment a tourner ses forees contre les
lJourgeois, l'éveque et le vidame. Des lors la face
des affaires changea: les assieges du Castillon re-
prirent l'offensive, et Thomas de Marle se mit a
harceler la ville et a ravager les domaines de l'e-
glise épiscopale, joignant au pillage le massacre et
rincendie 2.


1. Qui [burgenses], cum in comitem irremissis assultibus grassa-
rentnr, et Thomam, quasi amantiorem suum dominum, ad commu-
nile illillS sacramenta vocantes, contra parentem, ut plltatur, sllllm
filium suscitarunt. (Guiberti abbat. de Novigento, de Y,ila ."a, lib. IlI,
p. 515.)


2. Exhausto denique Thomas plurimo quem habenat thesauri cu-
mulo, opem quoque Ingelranno spopondit cOlltra burgenses, quibus
cum vicedomino aunitcbatur episcopus. Thomas igitllr et Adam, qui
tmri prlPsidebat, cooperunt "cerrime insistere vicedomino atque bur-




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 443


Il parait que dans cette crise une partie des bour-
geois, et surtout le clerge de la' ville, qui adherait
a leur cause, furent saisis d'un grand décourage-
mento Des voix de blame s'eleverent contre une re-
volution dont le triomphe semblait impossible; on
reprochait amerement a l'eveque d'y avoir pris part
et d'avoir excité des troubles qu'il était incapable
d'apaiser. Affligé par (~es attaques, et doutant peut-
etre lui-meme de la cause qu'il avait embrassee,
Geoffroy prit la resolution de s'eloigner d'Amiens,
Dans l'année 1114, il renvoya a l'archevéque de
Reims les insignes de sa dignité episcopale, et se
rendit au monastere de Cluny, puis a la grande char-
treuse pres de Grenoble. Il revint de cet exil'volon-
taire, sur l'ínjonction de son archeveque, vers le
commencement de l'annee 1115 1.


A son retour, iI vit a Beauvais le celebre Ives de
Chartres, auguel'il fit part du deplorable état de la
ville et de l'église d' Amiens, La ville etait sans cesse
attaquee par la garnison de la forteresse; on se bat-
tait de rue en rue, et les bourgeois, barricadant
leurs ma\sons pour s'y défendre, transportaient dan:;;
les monasteres du voisinage ce qu'ils avaient de plus


gensibus. Et quamprimum, qllolliam episcopum et clerícos faetro cum
burgensibus factlonis arguebant, res pervasit Thomas ecclesiro.
(Guiberti abbat. de Novigcnto, de Vitu sua, lib. nI, p.515.


1. Cum ergo vidisset l Godefridus] suam nec clero nec populo prre·
seutiam esse gratam, quia neminem juvare paterat, assumpto ql10dam
110slro mauacha, incousultis omnibl1s clero suo ae populo libellum,
ut ita dicam, repudii dedit, et archiepiseopo Remensi annnlnm san-
daliaque remisit, et se in exilil1m iturull, nunqnamque deinceps
episcopum futurum, utrobique mandavít ... Ipse enim turbam mova-
rat quam sedare non poterat. (Ibia., p. 516.)




444 SECOND FRAGMENT


précieux l. Toutes les terres de l'éveque et du ch~'
pitre avaient ete ei1Vahies par Thomas de Marle et
occupées par ses gens de guerre. Consulté par l'é-
veque d'Amiens !mr ce qu'il y avait a faire dans d&
si tristes conjonctures, Ives de Chartres lui donna
l'avis de s'adresser au roi et de reclamer aide et se-
cours, au nom de la paix publique; lui-meme écrivii,
a Louis le (hos unelettre qui s'est conservee jusqu'a
nous'¡.


Le roí, déja sollicíté contre Thomas de Marle, ami
et fauteur des bourgeois de Laon, par la plupart de!\


1. Extra muros l1rbis Ambial1ensis est mouasterium S. Djonisii.
In iUud turn cives Ambianenses nurum, argentum aliasql1c res com-
portarant, monaehisque diligenter asservalldas commCl1darallt. Sre·
viebat enim per id tempus in urbe seditio et bellum intestinl1m, et Bi-
carii passim toto oppido yugabantur magnum omniblls terrorcm
afferentes. (Vita S. Godefridi Ambiau. epise" apud Surium, mens.
novemb., p. 224,) - Referri non possunt ab ~liquo, ne ab eis qnidem
quorum pars periclitabatur, factre neces de burgensibl1S per turren-
ses, cum ante obsidionem, tum postea crebriores. Nullus enim apud
urbanos aetus erat, sed passio sola. (Guiberti abbat. de Novigento,
de Vita 8UIl, lib. IlI, inter ejus Opera omnia, p, 516.)


2. Domnus Godefridus Ambianensis episcopus, vir religiosus el
honestus, nuper Belvaci hospitatus, ad colloquium nostrum pro hu·
militate sua venit, importabilcs miserias suas et angustias, quibus a
violatoribus paeis vcxatur, lachrymabiliter nobis aperuit, et cousi-
Jium quomodo tanta mala mitigare posset a mEl anxie quresivit.
Quod cum exeedcret vires meas, quia consilium sine fortitudine iuu·
tiJe esse solet, hoo unum mihi proo creteris occurrit, quatinus eum
monerem, nt regimn majestatem adiret, apud quam et consilium in·
veniri, et auxilii fortitudo valeat socim·i. Ex jure ergo fidelitatis et
dilectionis mom:mus et rogamus regiam rnajestatern vestram, quati.
nus JachryrnahiJes ejus questiones intenta aurc perpendatis, et cor
vestrum aculeis doloris cjus, suggerente pietate, compungatis. Decet
enim regíam majestatem vestram ut pactum pacis, quod Deo ¡nSo
pirallte in regno vestro conlirmari fecistis, nulla Jenociuallte arnicitia


vel (alIente desidia violari perrnittatis. (Ivonis Carnot. epist., apuú
Seripl. rer. gallic. et (!"aneie., t, XV, p, 164 et 165.)




CO:-'STITUTION CO\HIUNALE D'AMIENS 445


éveques de la province rémoíse, marcha sur Laon,
punit cette ville des exces qui avaient souillé sa re-
volution, et s'empara de plusieurs chateaux appar-
tenant au fils d'Enguerrand de Boves; puis il se
dirige a vers Amiens. En intervenant au milieu de
la guerre a outrance que se faisaient les bourgeois
de cette ville et leur comte, Louis le Grosn'eut point
en vue la poursuite de projets politiques, l'exécution
d'un plan con9u dan s le double intéret du peuple et
de la royauté : au bruit des violences et des profa-
nations commises par les adversaires de la com-
mune d'Amiens, il leva sa banniere et se présenta
dans la lutte comme mainteneur de la paix publique,
défenseur des faíbles et protecteur des églises \. La
royauté ne concevait pas alors d'autre role pour elle,
et c'estla gloire de Louis VI d'avoir en toute occasion
rempli ce role avec un courage admirable et une in-
fatigable activité.


Sur ces entrefaites, Thomas de MarIe re9ut, dans
une rencontre qu'il eut avec le vidame, des blessures
qui le mirent hors d'état de continuer la guerre en
personne; iI se retira dans son chateau de Marle,
laissant les plus braves de ses hommes de guerre dans
la tour du Castillon, qui passait pour imprenable l.


1. Mala autem ubique tanta egerat [Thomas] ut archiepiscopi et
prresules pro ecclesiis q urerimonia: data ad regem dieerent se in reguo
ej liS "Dei offieia non facturo s, nisi uleisceretur in iIlum .... de his ergo
nc similibus cum maximis ecclesiarum doloribus, apud regias cum
impeterentur aures ... collecto rex adversus eum exercitu ... (Guiberti
abbat. de Novigento, de Vi/a sua, lib. IlI, inter ejus Opera omnin,
p. 517.)


2. Confossus membra vulneribus etiam in poplite lanceam hostis
pedestris accepit. QlIi cnm alias, tUlle in geniculo durissime lresus,




SECOND FRAGMENT


Ce fnt vers la fete des Rameaux de l'annee H15 que
l'armee du roi, peu nombreuse, mais composée de gens
exerces aux travaux militaires, arriva aux portes
d'Amiens. La venue d'ull, pareil secours avaít rendu
a l'eveque Geoffroy toute son énergíe politique; le
dímanche des Rameaux, il precha devantle roi, l'ar-
mee et les citoyens, un sermon ou il promettait le
royaume du cíel á ceux qui péríraíent a l'attaque de
la forteresse. Guibert de N ogent parle de ce dis-
cours avec une colere mélée de rémíniscences clas-
siques, et dit quec'était, non la parole de Dieu,
mais la harangue d'un Catilina l.


Des le lendemain, les machines de siége furent
dressées contre la tour du Castillon, et l'éveque se
rendit, nu-pieds, au tombeau de saint Acheul, pour
implorer l'assístance divine en faveur des assíé-
geants 2 • Les troupes royales, réuníes aux plus dé-
termines et aux míeux armes d'entre les bourgeois,
et conduites par le roi en personne, lívrerent un as-


vellet nollet, a ·ccepto desiit ... Thomas igitur tu!'ri su bvenire non po-
tuit intra quam et filiam suam et militnm suorum probiorcs dimise-
rat ... Thomas antem apud Marnam tuebatur se. (Guibert. abbat. de
Novígento, de Vila sua, lib. lII, ínter CjllS Opera omnia, p. 516 et
517>


1. Igitur) Dominica Palmarum, reverSllS a Carthusia, Godefridus
8)'iscOpllS longe ·alia quam ibi didicerat incipit propagare. ltcg(;m
ergo m'cessit, et die eelebri ac verendo, ipsum et astantem populum
adversns tllrrenses, sermone habito, non Dei, sed Catilinario, irritare
int.endit, spondens regna ecelorum bis qni turrim expugnando 'perie-
ri!'t. (Ibid.) p. 517.)


!!. Postridie pro muro Castellionis (sic enim voeatur) ingentes
macbinre porrigulltur, eisque milites imponuntur. Turrenses ante
cortinis sese protexerant, ne esse eorllm praderetur ... ¡':piscopus vero
IllHl;pes ud Sanctum Aceolum, non tune pro boo exaudiendllS, abie-
rat (Ibid.)




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS !I í~


saut général; mais, malgré l'ardeur des assaillants
et la puissance des machines employees a battre les
murs du Castillon, cette forteresse,. bien défendue,
resista, Les machines d'attaque furent démontees par
les pierres lancees du haut des murs; beaucoup de
soldats et de bourgeois périrent, et le roi lui-meme
fut blessé a la poitrine d'une fleche qui traversa son
haubert'. Jugeant la place trop forte pour etre enle-
vée d'assaut, Louis VI resolut de ne point ten ter sur
elle un nouveau coup de main, et de tourner le siége
en blocus; il partit d' Amiens, et y laissa des troupes,
qui, avecla coopération des bourgeois et de leurs
adhérents, devaient cerner le chateau jusqu'a ce que
la famine contraignit ceux qui le défendaíent a se
rendre 2 •


Le blocus de la citadelle d'Amiens dura pres de
deux ans; ce ne fut qu'en 11:1.7 qu'elle se rendit aux
officiers royaux, et que sa reddition delivra la com-
mune de toute hostilité a main armée. Par ordre du
roi, la; tour et tous les ouvrages de défense qui la
protégeaient furent demolis 3; mais, malgré la for·
faiture du chUtelain Adam, qui, sans griefs person-


1. Et fervescente jactu missilium ... etiam regem jaculo in pectore
loricato lreserunt. (Guiberti abbat. de N ovigento) de Vita sua,
lib. 1lI, p. 517.)


2. Videns igitur rex inexpugnabilem locum, cessit, obsideri jn.
bena dum fame coaati se reddereut. (lbid.)


3. Regresslls, turrim ejusdem eivitatis, Adre cujusdam tyranni, eco
elesías et totam viciniam dilapidentis, obsedit : quam fere biennall
coaretans obsidione, ad deditionem defensores cogons, expngn:wit,
expugnatam funditus subvertit, ejusquc subvcrsion~ pacem patrire,
regís fungens offieio, qui non sine causa gladíum portat, gratantis-
sime reformavit. (Sugerii abhat., liher de Vita Ludodci Gross; reyís,
apud Script, rer. gallico el francie. t. XII, p. 42.)




4-+8 SECOND FRAGMENT


neIs, avait guerroyé contre son seigneur immediat,
Louis le Gros ne luí enleva point son fiel' ni sesdroits
seigneuriaux; seulement, ces droits ne furent plus
attaches qu'i un amas de decombres et a une vaste
étendue de terrain qui, dans la suite, reunie a la ville
et comprise dans son enceinte, retint i travers les
siecles et conserve encore aujourd'hui le vieux nom
de Castillon l. Enguerrarti de Boves et sa famille
furent dépossédés du comté d'Amiens, et la famille
des anciens comtes, celle de Raoul ¡er, rentra dans
ses droits 2.


Cette famille, etrangere a la lutte contre la com-
mune, et devant, au contraíre, sa restauration a
l'affranchissement municipal, était disposée a recon-
naitre les faits accomplis, et a terminer la revolution
par un accord pacifique, un reglement de droits, et
un partage de pouvoir entre la seigneurie et la cité.
Quant a l'éveque Geoffroy, iI mourut dans l'annee
H16 3 ; il ne vit point s'organiser et prospérer, au


1. Une des paroisses d'Amiens se nomme Saint-Finnin en Cas-
tillon.


2. Et tam ipsum prrefatum Thomam nequissimum, quam suos, do-
miuio ejusdem civitatis perpetualiter exhrereda,·it. (Sugerii abbat.,
liber de Vita Ludouicl Grossi "egis, apud Scri¡1t. rer. gallic. el (rancie.,
t. XII, p. 42.) - Voyez plus h:mt, p. 430 , note. Adelc, SOlnr des
corotes Siroon, Gui et Ives, et son mari Renaud, comte de Vel'man-
dois, prirent possession du comté d'Amiens en 1117; ils le trans-
mirent, en 1118, a.leur gendre Charles de Danemark.


3. Enguerrand, qlli lui succlÍda, tint jusqu'a. la fin de la guerre le
parti de la commune; il est nomme une foís par Guibert de N ogen!,
uont le récit $'o.rréte avant la prise du Castillon: « Huc usque per-
severat obsidio: et dici non potest quot de burgensibus solís quoti-
díe pene deperoont. Adaro vero extra positus, suburbia et" Inge1ran-
num atque vice-dominum creuris hostilitatibus urget. (Gniberti o.b-
bato de Novigento, de Vita S!la, lib. III, in ter ejus Opera oronia,
p. 517.)




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMlENS 419


sein de la paix, cette constitution libre qui était en
partie son ouvrage. Sa mémoire, entourée d'hom-
mages religieux, mériterait bien aussí des honneurs
civils. Un jour peut-etre (et nous voudrions que le
présent travail put Mter ce jour) on yerra s'élever,
au milieu d'Une des places publiques· d'Amiens, la


. statue de saint Geoffroy, tenant a la main le pacte
d'association communale, et, sur le rouleau déployé,
on lira ces mots expressifs qui formaient le premier
article, et quí contenaient tout l'esprit de ce pacte
civique : « Chacun gardera fidélité it son juré, et lui
« pretera secours et conseilen tout ce qui estjuste l.»


La loi de la commune, délibérée par les citoyens
apres leur association sous le serment, fut, selon
toute probabilité, soumise en lit7 a i'acceptation de
la famille qui recouvrait ses titres seigneuriaux, et
alors sans doute elle devint l'objet d'un contrat
formel entre le corps des bourgeois et le nouveau
comte. Ce traité, dont aucune mention ne s'est con-
.servée jusqu'it nous, mais dont il est impossible de
ne pas conjecturer l'existence, fut la premíere charte
de la commune d'Amiel1s. La mesure des droits que
la ville s'était crées par sa révolution, et la mesure
de ceux qu'en vue d'une paix durable elle reconl1ais-
sait a ses anciens seigneurs, furent établies dan s
cette charte cOl1stitutionllelle, ou la souveraineté
urbail1e était posée comme príncipe et comme regle,
et le pouvoir seigneurial comme exception. Au
moyen áge, l'attribut essel1tiel de la souveraineté,


1. Unusqllisque jurato suo tiJem, ll.uxiJium, cOllsiliurnque per
omnia juste observabit. (Charte de la commUlle d'Amiens.) - Voyez
ci-apres le lexle ae celle chorle.




450 SECOND FRAGMENT


c'etait la haute juridiction. CeBe du comte passa
tout entiere a la commune, sauf réserve de l'assis-
tance d'un prévót, qui faisait les sommations, in-
struisait d'office, veillait aux jugements, mais ne
jugeait pas 1, et sauf réserve d'une part dans le pro-
duit des amendes, saisies et confiscations judiciai-
res. La juridiction de l'évéque et celle du chapitre
furent maintenues intactes dans leur ancienressort;
ceBes du vidame et du chatelain semblent avoir été
supprimées dans leur exercice et réservées quant
aux droits utiles et aux profits pécuniaires 2. Les
droits de cens, de tonlieu, de travers et autres, les
moulins et les fours banaux resterent en la posses-
sion du seigneur en titre sur chaque portion du
territoire eommunal, et, plus tard, lorsque la com-
mune voulut réunir ces droits a son domaine propre,
il fallut qu'elle les obtint deehaque titulairepar ces-
sion ou par achat 3.


La commune d'Amiens était souveraine, car elle
avait le droit de se gouverner par ses propres lois, et


1. Cela était littéralement vrai pour les causes criminelles. Dan,
les causes civiles, surtout en rnatiere de créances et d'obligatiolls,
le prév6t du comte pouvait juger, si les parties y consentaient; si-
non, l'affaire était porté e devant les magistrats rnunicipaux.


2: Le titre de vidame d' Amiens et les droits seigneuriaux atta-
ehés a. ce titre se contin~erent ,lans la famille des sires de Picqui-
gny. Le titre de chí'ttelain et les droits conservés par Adam snbsi·
>terent dans sa famille; ils échurent par héritage anx sires ue
Vígnaconrt, quí, comme co-seigneurs avee l'éveque, le comte et le
vidame, "jouterent a leurs prenoms le nom d'Amiens.


3. La preuve de ce faít et l'explieatíou des termes qni servaient il
désigner les diverses eatégories de redevanees seigneurillles se tron-
vent dana u~e charte de Philippe d'Alsaee, comte d'Amiens, donnée
entre les années 1161 et 1185. Voyez eette pillee, texte et notes, dans
le tome 1 un Recu.il des monumellts ¡r,,:dits de¡'hislo;re d" tiers état, p. 74.




CONSTiTUTION CmIMUNALE n'AMIENS 4')1


le droit de vie et de mort sur tous ses membres;
elle avait, suivant le langage de l'ancienne juris-
prudence, haute, moyenne et basse justice. Son
pouvoir législatif, administratif et judiciaire était
deIégué par elle a un corps de magistrats électifs
renouvelé chaque année, et dont le chef portait le
titre de mayeur (m aire) , et les membres celui d'é-
chevin ou les titres réunis d'échevin et prévtJt 1. Ainsi
le vieux nom des juges élus de la constitution caro-
-lingienne, qui avait disparu sous le régime féodal,
reparaissait avec une signification bien plus éten-
due, et le titre de Maire, peut-etre ancien dans la
ville, prenait une valeur politique dont rien jusque-
la n'avait pu donner l'idée. L'élu aux fonctions de
maire ou d'échevin était contraint d'accepter ces
fonctions sous peine de bannissement, loi remarqua-
b1e en ce qu'elle faisait revivre et sanctionnait par
des garanties toutes nouvelles ce principe de la lé-
gislation romaine, que les offices municipaux sont
une charge obligatoire 2.


1. 00 trouve le titre de prév6t daos l'écbevinage d' Amiens ues le
douzieroe siecle, c'est-a-dire deux siecles avant l'Ítcquisition faite par
cette ville de la prévílté du roi. Voyez dans le Recueil des monuments
;Iuidi/s de l'histoire du tiers IÍtat, t. 1, p. 96, une ebarte de U77.


2. {( .. ~ Et eonvient que cbis qlli pris est faiebe le serment de le
roairie, et se il ne veuit faite, on abatera se roaison et demoul'm en
le merchy du roy, au jugement des esquevins.


« De Tekief, se 1i ffiaiTes ,\ui es1us seToit refusoit le mairie et vansist
souffrir le damage, ja pour cbe ne demoureroit qu'il ne fesist I'office;
et se aucuus refusoit l'esquevinage, on abateroit se roaison et l'amen-
deroit au jugement des esquevins, et pour cbou ne demourel'oit mie
que il ne fesist l'office de l'esquevinage. " (Ancienns coutume d'A-
miens.)Voyez le texte entier de cette couturne, ibid., p.157et suiv.;
voyez aussi Codo Theod., lib. XII, tito 1, de decurionibus et D. lib. 1,
tit. IV, de muneribus et f¡o¡¡oribl18.




452 SECOND FRAGMENT


De me me que la curie des temps romains, feche-
vinage regissait les proprietes communes et gérait
les finances de la cité; iI réglait et administrait la
poliee urbaine; il donnait l'authenticite aux actes de
tout genre, et eonstituait dans son sein un tribunal
eharge de reprimer les infractions aux ordonnances
de poliee et aux reglements municipaux; mais, nous
l'avons deja dit, ses attributions ne,se bornaient pas
la. A la simple police et a la police eorreetionnelle
iljoignait la jurididion eivile et la juridiction cri~
minelle; en toute matiere, le droit commun pouvait
etre modifié par ses décrets ou par sa jurisprudence.
Enfin, eomme exer~ant la souveraineté municipale
au nom du corps des eitoyens, il seellait ses actes
du seeau de la commune, seeau qui avait. pOUl' le-
gende ees mots : SIGILLmr CIVIUM AMl:lIANENSIUM l.


Bien que la eharte de transaction, qui, pOUl' la eom-
mune d'Amiens, fit succéder au mouvement révolu-
tionnaire le régime constitutionnel, ne subsiste plus
dans sa teneur authentique, il nous serait possible
d'en presenter, non-seulement le fond, mais la forme
probable, d'apres un :lcte pm;térieur ou elle se
tl'ouve encadrée pour ainsi dire, et modifiée simple_
ment dans quelques-uues de ses formules. n s'agit
des lettres accol'dées en i f.90 par le roi Philippe-
Auguste aux bourgeois d'Amiens, et portant con-


]. Le contrc·scel portait cette inscription : Secretum mellm mild. -
Quant ;\ la monnnie el' Amiens, dont un échantillon céli,bre est le de-
llier d'al'gent qui a pon1" I"gende Pax ciriblls tuis, et qui .emble ap-
partenir a la seconde moitié du onzieme siecle, rien ne lTlontre qll'il
l'établissement de la commune elle ait pass'; de ],1 dépendnnce <lit
comle ou de l'évpqlle SDUS celle <les mn~istmts mnnicipallx.




C'ONS'l'ITCTION CO~lMUNAL¡': n'AMIENS 453


CI!S.<IOII, ou, pour parler plus exactement,. eOllfir-
mation de leJlr commune'l. Nous pourrions extraire
de la charte royale, comme plus ancien qu'elle, tout
ce qui s'y trouve depuis l'article premier, qui en once
les devoirs mutuels des jurés ou membres de la com-
mune, jusqu'it l'article quarante-cinq, ou on lit:
« Tous ces droits n'existent que de juré a juré.; il
« n'y a pas égalite en justice entre le juré et le non-
(1 juré 2. » Il no'us suffirait de supprimer dans ces
quar~nte-cil1q articles les mots l'oi et royal, qui,
8elol1 nous, y furent introduits el1 HUO par la chan-
cellerie de Philippe-Auguste. Le texte, ainsi dégagé
des formules qui nous semblent provenir d'une révi-
sion faite apres coup, prendrait place, par conjec-
ture, a l'année 11:1.7, comme étant la loi primitive
de la commune d'Amiens, loi délibérée et votee d'a-
bord par les bourgeois, puis débattue sur certains
points entre lenrs rhefs et le nouveau comte, eníill
aceeptée et ratifiée par ce dernier. Mais, quelque
legitime qu'a notre avis l'hypothese eut eté dans ce
cas, nous n'y aurons point recours; nous en sommes
dispensés par un document irrecusable, par un acte
authentique d'une date antéríeure a H90, ou figu·
rent, avec quelques variantes, quinze des quarantc-
cinq .premiers articles de la charte de Philippe-
Auguste. e'est la charte de commune d'Abbeville'
clonnée par Jean, comte de Ponthieu, en l'année f :l84.
En voici le pt'éambulc :


1. Voyez ci.apres, seclion 1\'. ,
2. Omnia isla jum et prcécpta que ¡ore.l¡xilllLlS muj, l'is et C0I111JlU-


llie tantum sunt iutel' jurato>, 11011 est cqulll!l jlldicilllll illte¡' juratum
et nou jul'atum.




SECOND ~'RAGMEN'l'


« Moi, Jean, comte de Ponthieu, je fais savoir a
« tous presents et a venir que mon aleul le comte
« Guillaume Talevas ayant vendu aux bourgeob
« d'Abbeville la faculte de faire une commune, et
« que ces memes bourgeois n'ayant de cette vente
( aucun ecrit authentique, je leur ai octroye, sur
« lenr requéte, d'avoir une commune et de la tenir
« :'t perpetuite selon les droits et usages de la com-
« mune d'Amiens ou de ceBe de Corbie ou de ceBe
({ de Saint-Quentin, sauf le droit de la sainte Église
« et le mien et celui de mes héritierset de mes ba- .
({ rons 1,' j) Le dernier article de la meme charte est
« celui-ci: «Enfin, s'jl s'81evait entre moi et lesbour-
« geois d'Abbeville une contestation qui ne put etre
« terminée par cet écrit, elle sera décidée par la com-
« mune de Saint-Quentin ou celle de Corbie, ou ceBe
« d' Amiens 2. ))


1. Quoniam ea que litteris annotantur melius memorie commen-
dantur, ego Johannes, comes Pontivi, tam presentibus qnam futnris
notum facio, quod cum avus meus comes Williermus Talevas, pro-
pter injuria~ et molestias a potentibus terre sue burgensibus de Ab-
batis Villa frequenter illatas, eisdem communiam vendidisset; et
super illa vendicione, burgenses scriptum autenticum non haberent,
aJ petitionem eorumdem burgensium, de assensu uxoris mee Beatri-
cis et fratris mei Gnidonis, et consilio hominum meorum, concessi
cis communiam habendam, et tanquam fidelibus mais, contra omnes
homines in perpetnum tenendam, secundum jura et consuetudiues
communie Ambianis vel Corbeie vel Saneti Quintini, salvo jure
sancte Ecclesie et meo et hcredum meorum et ba1'onum meorum.
(/lecu,il des Ordonnances des rois de France, t.. IV, p. 55.) - La com-
mune de COl'bie s'établit sous le regne de Louis le Gros pUl' eouees-
sion de ce prince; celle de Saint-Queutin fut oetroyée, au commen-
cement du douzieme siecle, par l'un des prédéeesseurs de Raoul Ier;
comte de Vermandois.


2. Ad hee si forte inter me et dietos hurgenses meos qu~rela
emerserit, que per hoc scriptum nequeat terminari, per communiam
Sane!i Quintini ve! Corbeie. yol Ambianis terminata fuerit. (Ibid.,




CONSTITUTlOli COMMUNALE n'AMIENS ·15i.í


En conférant le texte de la charte communale
d'Abbeville avec les chartes des trois commune::;
qu'Abbeville prit pour modele de sa constitution et
pour regle de son dJ'oit pénal, on n'y reconnaIt
aucun article spécial des chartes de Saint-Quentin
et de Corbie; mais il n'en est pas de me me pour
la charte d'Amiens. Quant a cette derniere, l'imi-
tation est frappante non-seulement pour le fond, mais
encore pour la forme; on a maintenu la distribution
des matieres sans chercher a y mettre plus d'ordre
et de méthode; on a suivi la su cee ss ion des articles
qu'on adoptait, et leur texte a passé d'une charle
dans l'autre avec de simples var:iantes. En un mot,
il est évident que les rédacteurs de la charte d'Ab-
beville, donnée en H84, ont eu sous les yeux, dans
leur travail, au ll10ins quinze des cinquante-deux
arlicles dont se compose la charte communale' d'A-
miens signée par Philippe-Auguste en :1.190.


Ces quinze articles sont les sept premiers, les 9",
1.0" et He, les 14",15" et 16", le 20" et le 44". Ilstrai-
tent des devoirs des jurés l'un envers l'autre; du
vol commis dans les limites de la commune; de la
sureté des marchands qui viel1nel1t vendre a la ville;
¡Iu vol commis par un membre de la commUl1e al!
prejudice d'un de sesjurés; du vol commis aupréju-
dice d'un juré par un homme étranger a la com-
mune; des coups donnés avec le poing oU la main;


p. 58.) - Le cartulaire municipal d'Abbevillc, intitulé Livre roulJe,
constate, pOli!' la seconde moitié du treizieme siecle et les silleles sui-
vants jusqu'au seizieme, que l'écbevinagc d'AbbeviJle avait reconr3
" ceux d'Amiens et de Saint-Quentin dans des questiolls ilc elro:t
SQlIvent tres-simples.




456 SECOND FRAG)IE:\T


des blessures faites, au moyen d'armes, par un juré
a un autre juré; des blessures faites et des coups
donnés a un juré par un non-jure; des paroJes inju-
rieuses entre jures; des propos offensants tenus
contre la commune; du plaignant q ui ne donne pas
suite a sa plainte en justice; de la resistance aux
sommations des officiers de la commune; du crime
de relations amicales avec un ennemi de la com-
mune; de l'imputation de faux jugement contre les
juges de la commune; enfin des conventions passees
devant dcux ou plusicurs membres de l'óchevinage.


SECTION III


ARTICLr:S l'I:L\IlTll'S ET l'm~r:Il'ALE:; IllSPOSlTIO~S


DE LA CHARTE CO}Il!l:N.IJ,E D'AMIENS I


j, Unusquisque jurato suo fidem, auxilium consiliulllrJlIC UCJ'
OllllJiu juste observabit~,


2. Quirumque furlum faciens intra melas commullic cOlllpre-
IlcndctUl' vel fecisse coglloscelur, preposito 110:;t1'0 tl'udctur, et
quidquid de eo agendum judicio communionis judicaLílur, ei
fiel; reclamanti vero id quod furlo suLlalum est, si potesl in-


1. Recudl dc,' I/IOII'llllfllls illédils de l'hist"ire dI! ticrs nal, t. r, p. 3\1.
2, l'arlielc pre"ier de la cbarte communalc d'Auucville offre la léd<tClioll


sllivantc :
e Sta.tlltlUll est itaque, el ~Ilb rf'ligiColle juramenti confirmalulll, qnod unlls~
qnisqll~ jnrato suo fldem, vim, Jl'xiHurn, cQfisiliulllqne prebebit et ohservahit,


. secllndlllJl qllod jll,tilia :diclavel'il, • IRec. des Ordolllt, des roi. de Frallce,
\, IV, p. 55.)




CU~STITLTlO;¡ C01!M\;;\:\LL O'AJlll'::;S Hii"


VCHil'i, [irepositus noster retldet; reliqua in usus uoslros cOIII'er-
tcntllr l.


3. l'iullus aliquem ínter communiam ¡p8am commorantclIl,
yel mCl'catores ad urbcm cum mercibus viluÍeule5, infra ban-
leucam civilatis dislurbare presuma!. Quod si qllis fecerif,
facial communia de eo, ut de communie violatore, si eum COIII-
prchenrlerc polerit, vel aliquid de suo, justiliam facere 2.


4. Si quis de communiono alicui jurulo suo res suas absllllcrit,
a preposito noslro submonÍtlls, juslitiam proscquetur; si vero
prepositus de justitia defecerit, a majore vel scabinis submo-
lIitlls, in presentia communionis veniel., et quantum scabini indo
jlldicaverint, salvo jure noslro, ibi raciet 8.


5. Qui autem de communiont' minime existens, aliclIi res su as
abstulerit, justitiamque illi inrra balllellcum se executllrum no-


. gaverit, postquam hoc hominibus castelli ubi manserit nolum


1. , Coustitlltllni e,t eliOlll, qllod si quis de furto ren8 opparueril, eaplis
oUlnilms rehus fllrb a vicecomite meo vel a m..;nblrhi meis, elceptis l'ebus fUI'·
ti\'is qna~ probare poterit csse su as , qni recli:lmaverit, tes alie ínris atl O[,¡jb-
menm ol'~en'abnntUl'. Fur autem primo a scabinis judicabitul't et peuarn {lit-
lOl'ii sustll1ebit : poste a vicecomiti meo vel meis ministris tradctUl', • (-Clnrte
commnnale d·AbbeviBe, arto 2.)


2. a Statntnm est qnoll llllI1US ffir·rcato¡'es aJ Ahatis YHlam vcllicn~e:; ill-
fl'a hmllvam distmbare I,re.3llHlat. Quod si quis felCrit el cmcr:d:lI'C .:lOlnetil ,
~i iIlsum vel res suas l comprehelldere poternut ilkm burgense~, tam de ipS4J
quam de rcbos suis, tanqual1l de ,'ioJatore communif', jnstitiam facicut.,
llbid. , .,t, 3.)


3. L'csprit de cel .rticle se relr,-'nve dons J'article , de la charle (1'.\1,.
beville, !Dais avec des dilférences de réd.clion qni l'.ccolllmodelll á 1'01'-
ganisatiou politiqne et jndíciaire du comté de Ponlhieu ;


c: Si intcl' jnratnm et jUl'atum, ,.el inter jl1ratum et non jnratnm de re JIlO.
bili ql1estio oriat"r, ad vicecomilem ruenm de eJ clamOl' fiet, ,'el ad domilJlIIII
"icecomitatus iUius in quo manebit qni fllerit illlpetilns; nisi ipse illtl'a vke~
comitatnID meum inventus fueril : tune enim, lam de eo qllarn de rebns HUi...,
in meo vicecomitatu el.istentibns, vicecomes meLiS justitiam faciet¡ exceplo Co
qllod persona m jnrati capere non poteril; et qni ab eodem ,icecomite meo vel
domino, per sententiam condempnabitnr, si condelDyuatns jndidu non com-
y.ruerit, • scabini. qnod jndic.lllm fnerit exseqni compellel"r •• - L'ar-
tiele , oc la charle d' Abbeville slatae qne, dans !o,,~ I'rocé, rolati!' a des
imlllellbles, la "Iaiute sera portée devaut le seignenr de qni releve rol.jet en
)¡tige. Cet article parait corres-polldre a l'arlicle 19 de la. charLe d'Amieu::i, qni
purte: a Statutum est etia.m quod cOlUlJIullia de te1'l'i~ tihe feodis domino·
l'lllll non debet ~c intl'umittel'c. ~


16




45G SECOND FRAGMEl'iT


fecerit communia, si ipsumvel aliquid ad se pertineus, com-
prehendere poterit, donee ipse justitiam €xecutus fuerit, prepo-
situs rioster retinebit, donec nos nostram et communia similiter
suam habeat emendationem l.


6. Qui pugno aut palma aliquem de communia, preter conSU8-
tudillarium conturbatorem vel lecatorcm, pereusserit, nisi se
defendendo se fecisse duobus vel tribus testibns con tra percus-
sum disrationare poterit coram preposito no;,tro, viginti solido,
dabit, quindecim scilicet communie et quinque justitie domi-
norum 2.


7. Qui autem juratum suum armis vulneraverit, ni si simi-
liter se defendendo legitimo testimonio et assertione sacra-
mentí, se contra vulneratum disrationare poterit, pQgllum amit.-
tet, aut novem libras, sex scilieet firmitati urbis et communie, et
tres juslitie dominorum, pro redemptione pugni persolvet, aul
si persolvere non poterit in misericordia commul1ie, salvo catalle
dominorum, pugnum tradet 3 •
•••••••• " ••••••••••••••••••••••••••••• t ••••••• ti 0_' ".


9. Qui vera de eommunione minime existel1s, aliquem d(
eomÍnunia percusserit vel vulneravcrit, nisi jlldicio e0Il1Il11111i¡


1. ti Si vero uou jlll'.tus res jurati abstulerit, et quod jU;liti. diclaverit
t'xequi nolucrit, si ipsum ,'el res suas comprehcndere lJoterllllt., detinebnnt
donec quod jllStiti. dictaverit, eidem jurato elequetll!'. ) (Charle d' Abbcvillc
art. 6.)


2. (t Qni pugno ant palma aliquern cum ira llCrcnsserit, llhli Sfl aliq\l,
talione coralll ::icabinis deffendere poterit, vigillti ::iolidos comIllnuie persohret. 1
:Ih;d., arto 7.) .


3. Cet articIe se tr011\'e fOLldn avec d'autres dispositiollS et des (levelopp¡;
ments nOllVeaUX dans l'artiele 8 de la charte d' Abbeville:


" ltcm, si quis armis aliquem vlllncravmit, domus cjus a scabinis IJl'osterue
tur, et jpse a ,-iHa ejicietul', nee viHam iutrabit., nisi pl'ius lmpetratl licentia .
scabinis : de licentia autem eotnm, vill,-tm intrare non poterit, nisi lJUguUlJ
misericorllie eornm exposuerH, allt novem libris ah eisdem scabinis redeme
rit. Quod si domum non Labuerit, antequam villam intret, uonllun contulI
solidorum quam corumllnia prostel'nat; invenidj et quod in cllratione vulnel'j,
vnlnet';ltns etpenderit, eidem a vulnel'ante in integruUl restitueturj et si P1'1
paupertate solvere Ilon poterH, miSel'1cOrdic sc.abtnOrlllll puguum cxponet. 1
- L'art;"I" 8 de la charle d'Amiells cOillplete celni-ei pa!' une dispositiOll rela
tive aux U881¡remenI8, 'lui man'Iue d"lS la charte d' Ahhcville.




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 4lí9


eoram preposiLo I1ostro justiliam exeqlli VOlllerit, domllm Hlim:,
si poterit, communia pro.ternet, et capilalia crunt nos/fiJ, Et ,,¡
eum comprehend¡¡re potEjril, coram preposito .... per majorem
ut scabinos de eo justitiam capiet, et ca talla nostra erunt t,-
, t o. Qui juratum suum turpibus et inhonestis conviciis la(;es-
serit, et duo vel tres audierint ipsum, per eos statuimus convinci,
el quinque solidos, duos scilicet eonvieiato, el tres communie
!labit !.


11. Qui inhonestum aliquid de commnnia dixerit in audien-
cia quorumdam, si communie propalaturn fuerit, et se quod illud
non dixerit, judicum commullie judicio defelldere nolucrit, do-
mum imus, si poterit, prosternet communia, ipsumque in com-
munia morari, donee emendaverit, non patietur, et. si emendare
lIoluerit, eataUa ejus erunt in manu domini •. , el communie 3.


9 •••••••••• l ••••••• lO l •••••• ", ••••••••••••••••••••••


U. Qui, clamore faelo de adversario su o, per prepositum et
majorem et judices communie justitiam prosequi non poterit, si
postea adversus euro aliquid fecerit, illum rationabiliter com-
munia conveniet, ejusque audita ratione, quid inde posteaagen-
dum sit judicabit t.


l. Cet aL'ticle oil, pOUl' la premicl'e 101S, on lit les mols prévOt royal~
qui appartiennent a la l'~vision de 1190, se trollve abrégé de la maniere slliw
vanle dans l'arliele 9 de la charte (I'Abbeville:


c: Si autem non jurat.us jnratum vel non juratnm vulneraverit, et judicium
~caLinort1m snbirc rrcnsavrrit, a villa expelletnr et jlldicio .scabinornm delic~
tl1m punietnr. )o


2. c. Qni "eru jnraltLIIl suum tllrpilms leserit conviciis per tres testes ,'r]
ILllOS éOfivinCÍ poterit, et , in convictnm, secllndulU quantitatem et qnalitatr.m
convicii, a scabinis pena statuetur,. (Charle d'Abbeville, arto 10.)


3. Cet .rlicJe· porte, apres le mol domini, le mol regis, évidemm~nt snb-
s;tHué a comilis, dans la l'évision de 1 t90;' il se trouve abrégé dA la ma~
lli"," suivanle dans I'al'licla 2 de la cbarte d'Abbeville :


< Qui vero inhonesluIIl de communia dherit in audiencia, et convinci polerit
testibns, ju(licio .cabinornm emendabit. ~


4. Il faul entendre par les mols : jnstitiam proseqlli 110/1 pDterU, non pas:
ne pouna obtenir jnstice) mais ; sera empeché par une cause quelconqlle de
suivre sa plainte en jnstice. Cet arlicle es! ainsi reproctl1it dans I'al'ticle 14
de la charte (l'Abbeville :


11 ltrlTI. ~i (¡\lis dr :din <::!IJIPI' :Iliqnn chmol'í'll1 fp('rrit, ct ei a jndicp: jllstiti::t




400 SECOND FRAGMENT


15. Uuí a Iflajoribus et judicihns I:t decauis, scilicet ser-
yientibns communie, submonitus, justilinm et judicium corn-
Illullie subtcl'fugerit, domurn iUius, si poterunt, prosternent,
ipsum vero inter eos morad, donce satisfecerit, non permitlcl~,
et ca(allaerunt in misericordia preposíti .•. et majoris 1.


16. Qui hostem cornmunie in domo sua scienter receperit,
eique vendendo et emimdo el edendo et bibendo vel aliquoLi
solacium impendel1l1o communicavérit, ant consilium uut auxi-
Hum adversus communiam dederit, rens comrnullie eflicietur,
·et, nisi jndicio commullie cito satisfecerit, domum i\lius, si po-
terit, commullia prostemet, et cataUa ..•• erunt t.
, ...................................................... .


20. Qui judices eommunie de falsitate judicii comprobare
roluerit, nisi, nt justum est, comprobare potuerit, in miseri-
cordia ..• es! et majoris et seabinorum, de omlli eo qnod habet 3.


4i. Si convelltio aliqna facta fuerit ante dnos vel pIures seu-
binos, de convelltione ilIa amplius non surget campus vel duel-
¡u m, si scabini qui conventioni interfuerint hoc testificati fuc-
l'ÍnI 4 •
fnerit oblata, si pos le. sine auctol'itate judic;s, adversario sno injuriam fece-
l'it, a scabinis super boc convcutns, ejusque audita responsione, quid su['er
~IOC ageodum siL a scahinis statnetur. I


l. Dans la eh arte d'Abbeville, cette disposltion ne forme poin! un aflicle
ii elle seule, elle fail partie de l'al'ticle I~. qu'on trouvera dans la no·e sl1i-
,'ante.


2. Dans cet article, au Heu de calalla regí .. erun/, on devait lile primili-
,·cment : cQ/al/a 6omili" eru1Il: il se trouve abrégé ain,i qu'i1 suit dans ['ar-
ticle n de la charte d'Abbeville: .


< !tem, qui ltoslcm sciepter communie receperi! in Sl,. domo, et si participa-
,-erit in aliquo, iuimiclls communie efficietur; et nisi judicio comn.l1.nie satis-
feceril, lam illius quam alterius jUl'ati gui judicinm scabinorum snbterfngcl'it,
dOllius prosternetur ••


3. On devait lire primitivement dans cet article, au lieu des mots ill mise-
ricordia regi8, cenx-ci: in misericordia COn¡Ui8,; il se retrollve avee des va-
riantes dans ¡'arlicle 19 de la ch.rlt! d' Abbeville :


< Sciendl1m esl ellam, qUQd qllicllmqlle scabinos de fahitate jndicii infam.-
veril, nis¡ eos legitime convincere poteril, unicuiql1e novem lihras et anrcurn
~boll1m persolvere tenebilur .•


,. ,Preterea slalutum t'st, qllod si b prt..'sentia UUlJfPm "el trinm scal1ino 4




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 461


45. Omnia isla jura el precepla que prediximus majoris et .
communie, tantum' sunt inter juratos; non est requum judicium
inter j'¡ralum et non juralum l.


Ces seize articles, dont quinze appartiennent d'une
maniere authentique et un par- conjecture a la
premiere loi communale d'Amiens, impliquent l'exis-
tence d'une cité dans le sen s politique du mot, c'est-
a-dire d'une ville qui forme un corps et se régit par
elle-meme, et quí, malgré les réserves que lui impo-
sent le temps et les circonstances, agít et prononce
souverainement dans ses propres affaires. Comme
tout corps politiqueo la commune d'Amiens se trouve
limitée de deux manieres dans son action et dans
ses droits, d'un cóté, par les bornes de sa circon-
scription territoriale, et de l'autre, par ladistinction
légale du citoyen et de l'étranger, ou, selon la langue
du nouveau droit constitutionnel, de celui qui e!t
de la commune et de celui qui n'en est pas, du juré
et du non ,juré. Le terrain ou la juridiction de la
ville s'exerce, et ou l'autorité de sa magistrature se
fait sentir a tous, est d'abord, au dedans de ses
murs, l'ancienne cité, puis, hors-des murs, une ban-
lieue, soit rétablie d'apres la tradition des vieux sou-
venirs municipaux, soit nouvellement déterminée
par accord entre la commune et le comte. Dans ces


rnm, conttactus. emptionis, venditionis, perrnlltatiOIlis, pignoris vel alius eOD-
1ractus jDitllS fuerit .. eonun testimonio cansa disratiúnaLitur; salvo jore meo
in eo gui convic!us fuerit. Hoc idem erit, si carta publica et autentica ama.
jore et se"binis tradita. dietis seabinis non apparentih!:s. fuerit produeta. »
(Charte d'Abbeville, arto !6.)


1. Cet arlicle esl évidemment primitif; nous le donnons comme tel. quoiqll'il
ne soil reprodllit sous allclloe forme dans la charte cl'Abbevilh'. - Voycz ci-
"J res, section IV, le leIle complot de la charte commL1nale d' Amiens.


26.




462 SECOND FRW~!ENT


limites territoriales, et par suite de sa rávolution,
la cité d'Amiens avait ainsi le plein exereiee de trois
sortes de droits: le droit de liberte politique, le droit
de justiee criminelle et le droit de justice civile; le~
deux derniers, eomme on l'a vu plus haut, etaient,
dans une certain~ mesure, inhérents :i la municipa-
lité romaine et :i la municipalité gallo-franke; mai~
le premier, élevé jusqu'au point de faire de la VillE
un État ayant droit de guerre et de paix autour dE
lui et droit de législation sur lui-meme, formai1
quelque ehose qui ne s'était pas encore Vil, l'reuvrE
originale du douzieme siecle. C'est pour la garantiE
de ce privilége de souveraineté urbaine que furen1
crees alors, ave e un instinet merveilleux, de nou·
velles constitutions, de nouvelles rnagistratures e
un appareil tout nouveau de puissance et d'indépen
dance municipales.
, Chose qui peut surprendre au premier coup d'reil
le droit politique le plus t\millent de tous les nOll
veaux droits obtenus par la ville d'Amiens est celu
qui joue le moindre róle dan s sa charte eommu
nale. Sauf la breve énonciation des devoirs réciprc
que s et du privilége exclusif de eeux qui ont juré 1
eommune, et sauf la mention des CI'imes de tese-con;
mune et d'infraction de commune 1; tout, en fait de re
gles et de dispositions eonstitutionnelles, para'
sous-entendu. L'échevinage, ee conseil souverain
qui sont délégues. tous les pouvoirs de la eommun(
est simplement nornmé, eomme pour mémoire;


1. Reus communie efficietur. (eh arte commnn. d'Amiens, arto 16
_ Faciat communia de eo nt <le commu\lie "iolalore. (IbiJ., arto 3




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMIENS 46:l


prnpns des cJelits dont le jugement doit désormais
lui appartenir. On ne voit ni quel est le nombre de
ses membres, ni leurs différentes attributions, ni
comment ils sont élus, ni au moyen de quelles res-
sources ils administrent les intérets de la cité. Cette
omission s'explique par la natul"e de l'acte, qui est
surtout un accord fait entre la cité et le comte d'A-
miens; et par l'état des idees politiques, fort diffé-
rel1t au douzieme siecle de ce qu'il est aujourd'hui.


Le litige a main armee entre les bourgeois et leur
seigneur ayant flni par la dMaite du pouvoir seigneu-
ríal, l'association juree, la commune était reconnue
par le comte avec les institutions qu'elle venait de
creer, et peu importait au comtesous quelle forme
elle s'organiserait a l'avenir; aucun nouveau litige
ne pouvait résulter de la, il n'y avait done Ia-dessus
ríen a régler dans le pacte de transaction. La con-
stitution particulil~re de la COillmune d'Amiens, le
mode d'élection de ses magistrats, le partage des at-
tributions entre les diverses magistratures, les déli-
bérations du corps entier des bourgeois et celles du
conseil gouvernant, tout cela regardait la commune
seule; son libre arbitre a cet égard dérivait du fait
de son existence. Le seigneur n'avait aucun intéret
a s'y entremettre, et, de son cóté, la commune e11e-
meme n'était poussée par aucun motifpressant d'uti-
lite a vouloir que la charte fit de ces arrangements
el'ordre interieur une mention expresse et détaillée.


Mais, comme nous l'avons déja dit, le point fon-
elameIital, l'attribut le plus frappant de la souverai-
nete au douzieme siecle, c'était la jurieliction; lit se
trouvait pour la commune d'Amiens le droit faci-




464 SECOND FRAGMENT


lement litigieux, celui que le seigneur depossede
pouvait reprendre en détail, diminuer dans son
exercice, contester ou entraver par l'entremise jour-
naliere de ses officiers, celui enfin qu'il était urgent
de garantir a toujours en spécifiant d'une maniere
authentique les cas divers qui constituaient la plé-
nitude de son application. L'exercice du droit de jus-
tice appartenait dorenavant a la commune, mais les
profits attachés a ce droit devaientse partager entre
elle et les co-seigneurs d'Amiens; 01', il fallait que ce
partage fut expressément réglé pour chaque espece
de crime ou de délit. Parmi tous ceux que la charte
communale énumere sans ordre, on peut distinguer
trois classes : :lo Les crimes et délits contre la com-
mune envisagée comme corps politique; 2° les crimes
et délits contre les personnes des jurés ou mem-
bres de la commune; 30 les crimes et déJits contre
les biens des jurés. La premiere catégorie, celIe des
délits politiques, est la plus curieuse, a observer
paree qu'elle forme la partie entierement neuve du
droit municipal d'Amiens, et qu'aucun usage, au-
cune tradition locale n'en avait fourni les éléments.
Cette classe de délits offre cela de particulier que la
peine proprement dite n'est décrétée pour aucua
d'eux, mais seulement une vengeance préliminaire
qui consiste a démolir la maison du coupable et a
l'expulser du territoire de la commune jusqu'a ce
qu'il ait donné pleine satisfaction.


Le premier des crimes d'État est le fait de conni-
vence ou d'amitié, ou simplement de relations ¿aci-
fiques avec un ennemi de la commune. « Celui qui
« sciemment, dit la charte, aura re¡;u dans sa mai·




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 465


(( son un ennemi de la commune et aura communi-
t( qué avec lui, soit en vendant et achetant, soít en
(( mangeant et buvant, soit en lui rendant service
(( d'une maniere quelconque, Sera coupable de lese-
(( commune 1.» Celuí quí empeche de passer libre-
ment par 'la banlíeue les gens de la commune ou
les marchands qui viennent a la ville est considéré
comme infracteur de la commune et traité comme
tel 2 • Celui qui se soustrait a la justice de la- com-
mune est puní de bannissement, et sa maison est
abattue 3• CeJui qui tient des propos injurieux contre
la cOV1mune encourt la ineme pei~e 4. Voila pour
les dispositions communes aux chartes d'Amiens
et d'Abbeville, c'est-a-dire pour celles quí authen-
tiquement sont plus anciennes que l'acte royal de
H90. Si ron ne s'y arrete pas et qu'on releve dans
cet acte d'autres dispositions, probablement primi-
tives aussi, on trouvera les peines du crime poli-
tique, l'ahatis de maison et le bannissement, appli-
quées a celui qui viole sciemment les constitutions
de la commune et a celui qui, blessé dans une que-
relle, refuse la composítion en justice et refuse pa-
reillement de donner sécurité a son adversaire.


une peine moindre, car elle se réduit a ce que la
maison du délinquant soit abattue s'íl n'aime mieux
en payer la valeur, est appliquée a celui qui adresse
des injures au maire dans l'exercice de ses fonctions,
et a celui quí frappe un de ses jurés devant les ma-


1. Charte d'Amiens, arto 16; chal,te d'Ahl,cy¡lle, arto 12.
2. Amiens et Abbeville, art, 3.
3. Amiens, arto 15 j AbbevilJe, art, 12,
4, Abbeville et Amiens, arto 11, _




-i6H SECOND FRAGMENT


gistrats, en pleine audience 1. Ainsi l'abatis de mai-
son, vengeance de la commune lésee ou offensee,
était a la fois un chátiment par lui-meme et le signe
qui rendait plus terrible aux imaginations la sen-
tence de bannissement conditionnel ou absqlu. Il avait
líeu dans la plupart des communes du nord de la
France avec un appareil sombre et imposant; en pre-
sence des citoyens convoques a son de cloche, le
maire frappait un coup de marteau contre la demeure
du condamné, et des ouvriers, requis pour service pu-
blic, procédaient a la démolition, qu'ils poursuivaient
jusqu'a ce qu'il.ne restát plus pierre sur pierl)9.


Une particularité inexplicable de la charte com-
munale d'Amiens, c'est que le crime d'homicide n'y
est point mentionné, que rien a son egard n'est sta-
tué ni prévu. Cette omission, dont la cause nous
echappe, ne peut i~daire a croire que la punition du
meurtre volontaire oa involontaire ait été laissée
en tU7 a la justice du comte; car une pareille re-
serve n'aurait pas manqué d'etre formellement enon-
cee, et il est prouvé d'ailleurs que, dans les années qui
suivirent, la commune exer<;a le droit de haute jus-
tíce, qu'elle eut, comme on dísait alors, le jugement
du sang '2. Lorsqu'en H90, Philippe-Augaste, de-
venu comte d'Amiens, se reserva comme cas royaux
le cas de rapt et celui de meurtre, c'est-a-dire d'as-
sassinat, il fit de cette réserve le sujet d'un al'ticle


l. Voyez ci-apres, section lV, les articlcs 18, 8, 37 et 39, oe la
charte d'Amiens.


2. Judicium sanguinis. Voyez, dan s le tome premier dll Rec!/<i[ des
monuments inédits de l'histoire d1t tiers état, p. 99 .. nne lettre ¡J'];;tienne,
abbé de Sainte-Genevieve, .




CO:\STITCTION COM~IUNALE D'AMIE:\S 467


additionnel ú la eh arte primitive 1, et depuis lors la
juridictíon de la eommune, bornee sur ce point, con-
tinua toujours de s'exereel' dans les cas d'homieide
eommis avec violenee ou par simple aceident; une
eoutume de la ville d' Amiens, redigée avant i250,
etablit eomme punition des eoups donnes a main
al'mee, vie pour vie, membre pOU1' membre !.


Une autr'e particuIarite de la eharte d'Amiens,
c'est que toutes les peines qu'elle prononce se re-
solvent ou semblent devoir se resoudre en peines
peeuniaires. Celui qui a blesse l'un de sesjures perd
le poing ou paye neuf lívres pour le rachat de son
poing; la maison de eeluí quí a insulte le maire doit
etre abattue, mais le delinquant peut la racheter se-
Ion sa valeu!', ti la rnerci des juges s. Les mots « merci


1. Omnia autcm forifdota que infra banleugam eivitatis fient ma-
jar et scabilli judicabant et de illis justiciam facient, sicut debent ...
excepto tamen multro et raptu, quod nohis et suceessoribus nostris
in perpetuUlll retinemus, sine parte alterius. (Charte commun. d'A-
miene, arto 48.)


2." Derechief, quiconques par ire faite ferra autrui ou na'Zrera, par
" coi il perde vie ou membre, celui pleillement membre perdera, vie
" por vie; s'il est tenus que il s'en soit fuis, il sera banis et eskix
Jo la banliu6, sor le ]¡art a tous jors. » Voyez, dans le Recmil des
",",,,,ments inédits de l'histoire d« tiers élat, t. 1, p. 121, le texte en-
lter de cptte COlltumc.) - La commuue ll'Abbo\'ille, dont le droit
péllal fut moJelé sur eelni d'Amiens an douzilmle s(¡lele, remp1it, par
dll article spéeial dc sa charte, le vide qui existait dan s la charle
ele la CO¡llmUno molde: ,


" Si quis fortuito c"su, vel precedente inimicitia, juratum suum
occiilerit, et super hoo convictus fueril, domus CjllS et omnia ad ejus
manciol1cm pcrtincntia prosternantur. Si vera bnrgenses ma1efaoto-
rem poternnt invenire, de eo p1enam justiciam faciant.·» (Charte
ll'.-'.hbeville, arto 20; Ilecueil des Ordonnances des rois de France, t. IV,
p.5i'í.)


3. NOVOlll 1.ibras pro rodemptiúne pl1gnl porso1\·"t ... aut, socundum
preliulll, <lomus in llüs'Jl'icordii1 jlldiclllll reclilllatnr. (lbid., arto 7,37.)




468 SECON D ~'RAGMENT


de la commune,») misel'icordia corml!llnie, revienllent
souvent a propos des amendes, qui, pour les cas les
plus graves n'ont point de taux déterminé. En outre,
les satisfactions non définies qui sont exigées par
ces formules nisi cito satisfecerit, donec satisfecerit,
paraissent n'avoir été autre chose que des amendes
a discrétion.


Ce systeme de droit pénal ne fut point, comme le
systeme d'orgal1isatiol1 politique, une institutioll
nouvelle, Ulle creation de la cornmune; c'était ran-
cien droit coutumier de la ville et du comte d'A-
miens. L'application des peines pecuniaires a tous
les genres de délit s'introduisit comme principe de
droit au sein de la Gauleromail1e, par l'invasion et
l'établissement des populations germaniques. Tant
que dura la distinction des lois personllelles, ce prin-
cipe resta borne dans son action aux seulsjugements
prononcés contre les hommes d'origine barbare; les
descendants des Gallo-Romains demeurerent soumi:,;
á la pénalité des lois romaines, et, comme on sait,
les villes, meme celles du nord, étaient presque en-
tierement peuplées d'habitants indigenes. Mais,
quand les loís personnelles ftéchirent et disparurent
sous la juridiction territoriale des seigneurs, et que
des usages locaux se substituerent partout aux lois
écrites, la coutume, dans les villes cornme hors des
villes, dut favoriser et developper le systeme des
peines pérllniaires aux dépens de tout autre sys-
teme.


En effet, le droit de jllstice ptant devellu la pro·
priété du seigneur jüsticier, le seigneur avait pou!'
principal intéret de tirer de cette proprieté le' meil-




l:O:;QI1TTIOl\ CO~[11[)\ALE D'.H!IE?íS ·i6!J


leur revenu possiLle; de la vint que, dan::; le droit
coutumier, :'t sa premiere époque, les amendes pre-
dominerent sur les peines corporelles, et que, pour
eelIes-ci, fut admisepresque toujours la faculté de
rachat. Lorsque, par la révolution municipale du
clouzieme siecle, la juridiction des seigneurs dalls
les villes fut, en tout ou en partie, transportée aux
villes elles -nH~mes, celles-ci 11e s'aviserent point de
Cl'éer un nouveau c1roit penal; lá-desslls, comme
pourle droit civil, elles s'en tinrent a la coutume, et
ne c;ollgerent nullement a innover. D'ailleurs en eus-
sent-elles sentí le hesoin, qu'une nécessité plus im-
perieuse, celle de pourvoir aux dépenses de l'admi-
n"stration publique, de se ménager des ressources
financieres pour le present et pOllr l'avenir, les au-
J'ait décidées a maintenir l'ancienne pénalite, dont le
produit devait etre longtelllpS encore la source la
plus abondante de leurs revenus municipaux.


Le partage des profitsjudiciaires entre lacommune
d'Amiens et les co-seiglleUl'S dont la jnridiction s'é-
tait absorMe dan s la sienne, avait lieu d'une ma-
Jli;~l'e lliverse ponr les amendes proprement dites et
pour les confiscations. Qnant anx amendes, la regle
g(~nerale de lem repartition etait : deux tiers ponr la
eOll1innne, et un tiel's pour le comte ou pOUl' le sej-
gneur dans le fief duquel le delit avait eu líen; par
exception cependant, la commune percevait quelque-
f'ois les trois quarts de l'amende, et quelgnefois le
tout l. Quant flUX confbcations de biells meubles


1. Novel1l libras, selt scilicet firmitati mois el comllllinie, et tres
justicie dominonun, ['1"0 redemptionc Jlllgni persolvet ... Novem li-


27




470 SECOND ]!'RAGMENT


(capitalia, catalla), qui, dan:; le:; ea~ de crime,
étaient une annexe de la peine, l'absence de chiffre~
qui déterminent leur répartition dorme lieu de croire
que les parts étaient egales entre la commune et le
seigneur; toutefois, il Y avait des cas ou le comte,
au líeu de la moitié, prenaít le tout l.


Ce que la commune d'Amiens percevait pour su
quote-part dans le produit total de son droit de ju-
ridiction, fut, durant le douzieme siecle, la prill-
cipale branche de ses revenus ordinaires. Il est
douteux que le droit de taxation que l'échevinage
possédait sur tous les mambres de la commune s 'exer-
~át periodiquement et hors des cas de stricte neces-
sité. Le reste du revenu annuel consistait dans le
cens payé par les locataires ou fermiers des maison~,
terraills, cours d'eau, pecheríes et marais qui appar-
tenaient a la ville, soit comme débris des anciem;
biens municipaux, soit en vertu de concessions faites
par le comte pour former la nouvelle banlieue. De
plus, on est fondé a croire qu'un droit sur les ventes
d'immeubles, droit qui, dan~ les viellx registres de
comptes, est appelé lssue de deniers, fut per~ll de~


bras dabit, scilicet sex libras communie et LX solidos jnsticie domi-
norum ... 111e malefactor LX solidos persolvet; et d~ hiis habebit jus-
ticia dominorum viginti solidos ... Viginti solidos dabit. quindecim
scilicet communie et quinque justicie dommorum ... Viginti solidos
communie persolvet, ibi justicia dominorum nichil capiet. (Charte
commun. d'Amiens, arto 7,38,41,6 et40.)


1. .... Et ... catalla ejus erunt in manu domini regis et communie ...
Et cata11a erunt in misericordia prepositi regi, et majoris... In mi-
sericordia regis est et majoris et scabinol'lnn oe OHlll; eo 'luna Labct ...
Et catalla Hostra erunt ... Et cataBa regis erunt. (Ibid., Ul't.. 11, 15,
20, 9 et 16.) - On doit se rappeler que le mot regis appanient a la
revisiou faite en llllO.




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIEl\S 471


l'origine par la commune. Enfin, un droit de nouvelle
bourgeoisie etait paye par chaque etranger qui deve-
nait citoyen d'Amiens, ou, comme on disait alor8, en-
trait dans la cummune ; ce droit repondait a la cotisa-
tion primitive que, d'apres le principe de la ghilde,
tous les membres del'associationjuree avaient versee
simultanement pour former le premier fonds de la
caisse communale. Quant aux ressources extraordi- .
naires, elles se tiraient de colJecte8 en argent ou en
nature, et d'emprunts que la commune contractait,
sur fondation de rentes viageres ou perpetuelles, a un
taux plus ou moins éleve.


Voila quels étaient les moyens financiers a l'aide
desquels la bourgeoisie d'Amiens devait pourvoir aux
dépenses de son gouvernement libre; cal', comme
nous l'avons dit plus haut, les imp6ts indirects per-
~us dan s la ville et dans la banlieue, les droits sur
les marchandises apportees ou mises en vente, les
peages, les tonlieux, ne lui appartenaient paso C'est
avec de sí faíbles ressources que le corps des ma-
gistrats électifs prit hardiment sur lui le soin de
rordre intérieur et de la surete extElrieure, la garde
de la ville, l'entretien de ses fortitications, la tutelle
de tous les intérets civils. Vraisemblablement, des
l'origine, chaque membre du corps municipal eut le
cercle de ses fonctions publiques trace a l'avance et
ses attributions nettement definies; il Y eut, au süin
de l'echevinage, des emplois spéciaux pOUl' chaeune
des branches de l'administl'ation, pOUI' les affaire s
poli tiques, les jugements civils et criminels, les finan-
ces, la surveillance des mreur8, la voirie. La délimí-
tation des differ'ents pouvoirs et les attributions res-




SECON D ~'R,\G~I E:-i T


}lectives des magistrats sont malheureusemellt im-
possíbles a etablil' pour le douzieme si~cle, Ú cause
de la pauvreté des dOCllll1entt'l contell1poraills; mais il
faut se ngurer que ees choses existaicnt alors, sinotl
telles qu'on les yoit dans la suite, au Illoins selon
une regle quelconque. En un ll1ot, si 1'011 veut com-
prendre tout le seu:; et toute la pOt'tee (l'actes trop
pou llombreux et trop disp:lI·ates pon!' avoir dalls
leur ensemble une signiticatioll bien ft'appant.e, Oll
doit se mppeler que nons sommcs clesol'luais on pleine
vie rnunidpale.


SECTION IV


l}(J~..\.'L"lO~ 1.\lt.E PAn l'HiLH'PB ]/~\L~AC.E, C<HIlE 1>'A)[IE~S. _ ...
. CESSIO:, l)[i t'O.:\lTJ:: 1>'A:\IlEl'i'i; AL: J~OI PHIL1Pl'E-AL'GrSTE; CON ...
FJ[UL\T10~ DE L.\ CU)[)lCl<L. --- AlITlCLES ADL>lTJOl<l<l:LS PE LA
LllAllTl: CO~UIL~_\LE D'_\Jlll:~S) so~ TEXTL DÉFll<JTlr l.


En lHil, Philippe d'Abace, COll1te de Fhl1ldre et
rL\.miells, fit, du com;entement de sa femme Isabelle,
une donation a l'abbaye de Saint-Jeull-Icz-;\llliens 2.


1. lleel/cil des mOlllll/leTlls illédils de l'/'¿'¡oire da tie/'s e'lal, t. 1, ]J. 6(;,
101, 104 ct slliv.


2. La date de l'ayénement de Philil'l'~ rl'Alsace an com!<i rl'Amicns
est forl incertaine; Du Cange (!li"toire des comles d' Ami."", p. 316)
"rlmet que RaouI II de Vermandois donna en dot, a IsabelJe sa filie,
le comtó d'Amíells, et qn'iI la mort de Raoul ce domaine passa entre
les maílls d'Isabelle, de\'enne, ces 1156, l'épollse <le PI,ilippe rl'AIsaee.
Si 1'on aclopte cette cOlljectnre, il faut suprosar que R.onl III. Jils
de RaonllI, ne succéda i, ce "emicr que dan. le comté ue rcrm:u:-




CONSTlTUTION COMMUNALR D'AMIENS .\'73


Dans l'ade qui fut rédigé alors, on lit ces mots :
« Je manae et ordonne au maire et i toute la com-
« mune d' Amiens, ainsi qu'i tous antres qui sont
« mes hommes, de mainteniren paix les biens de
« cette église, et, si elle vient i etre inquiétée ou
« attaquee, de lui donner, en mon lieu, aide et
« protection l. )) C'est comme successeur des anciens
comtes et comme héritier de leurs droits seigneu-
riaux que Philippe d'Alsace adresse cette injonction
aux citoyens et leur parle en souverain. Toutefois, ii
ne faudrait point induire de ces expressions impéra-
tives qu'en H61 son pouvoir flit plus grand i Amiens
que celui de la ·commune. Depuis l'annee .. 11 7, 11"
gouvernement poli tique, dans la cite et la banlieue,
appartenait tout entier a la bourgeoisie. Les paroles
que nous avons citees renferment done moins une dé-
légation du pouvoir seigneurial qu'un appel fait :1 la
puissance effective de la commune. En l'annee H70,
une lettre du comte Philippe pla~a de meme une
autre abbaye sous la garde elu corps ele ville. Cette
lettre, comme celle de H61, prouve, a notre avis, que
la commune seule avait alors assez ele force et d'au-
torité pour pr~téger el'une maniere efficace les pro-
dais, D'aprés une autre opinion qui nous paralt beaueoup moins pro-
bable, Raoul III RllTait possédé le eomté d'Amiens jusqu'en 1164,
époque de Sil mort, et, avant cette date, Philippe d'Alsare et Isabelle
n'¡luraient pris le titre de comte et eomtesse d'Amiens que comme
ndministrateurs du comté pendant la millorité ou la maladie de leu1'
frt're.


1. Majoribus totique commullie Ambianis ceterisquc meis homini-
hus mando et p1'oocipio quatinus ejustlem ecclesie res in pace ousto-
lliant et eidem ecclesie in sllis pertnrbalionihus loco meo patrocinari
1I0n desistant. (Recueil des ",on'/llIenls inédil.< de l'hislaire da tiers élat,
.1, p. 67.)




474 SECOND FRAGMENT


prietés civiles et ecclésiastiques, et pour maintenir,
dans toute l'étendue du territoire soumís a sajuridi-
ction, la paix et le bon ordre.


Philippe d'Alsace, ayant perdu en 1182 sa femme
Élisabeth, garda apres sa mort tous les nefs qu'elle
lui avait apportés en doto Aliénor de Vermandois re-
clama l'héritage de sa sceur, et Philippe-Auguste,
a quí elle avait cedé secretement une partie du Ver-
mandois et de l'Amíénois, éleva en son nom des pre-
tentions sur ces domaines. Déja une guerre, suscitée
a leur sujet entre le roí et le comte de Flandre, S'8-
tait terminé e par la mise en séquestre d'Amiens aux
mains de l'éveque de cette ville. Philippe-Auguste
prit de nouveau les armes en f i84 pour la défense
des intérets d'Aliénor, et l'année suivante Philippe
d'Alsace, obligé de ceder, luí abandonna tous ses
droits sur le comté d'Amiens.


Cette cession devait nécessairement réagir sur la
constitution de la commune. Comme roi et comme
comte, Philippe-Auguste setrouva tout a coup investí,
dans la vílle d'Amiens, d'une double puissance. Sans
abdiquer son titre féodal de comte d'Amiens, il eut
süin de ne montrer, dans tous ses actes, que ce pou-
voir royal, qui le plagait au-dessus des seigneurs
auxquels il se trouvait substitué, et il établit nette-
ment la différence qui existait entre son autorité
et celle des anciens comtes. Ceux-ci, lorsqu'ils pre-
naient possession du comté d'Amiens, devaient faire
hommage a l'éveque; Philippe-Auguste ne voulut
point remplir une formalité qui l'assimilait a un sim-
ple baron, et qui eut été contraire a l'idée d'absolue
souveraineté attachée au titre de roi. Voici comment




CONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 475


iI s'oxprime dans une charte donnée a l'égliS8 d'A-
miens, en llR5·: (e Que tous, presents et a venir, sa-
« chent que Philippe, comte de Flandre, nous ayant
( abandonné la vilIe et le comté d'Amiens, nous
« a'.'ons connu cIairement la fidélité et le dévouement
I( 8nvers nous de l'église d'Amiens; car, non-seule-
(( ment elle nous a montré en cette affaire beaucoup
« de dévouement, mais en outre, attendu que la mou-
« vanee de la terre et du comté susdits appartient á
I( cette église, et qu'elle doit en recevoir l'hommage,
(1 cette église a consenti et accordé b8nignement que
( nous tinssions son fief sans lui preter hommage,
e( car nous ne devons ni ne pouvons rendre hommage ti
« personne 1. »


La réunion du comté d'Amiens· a la couronne de-
vait, ainsi que nous l'avons dit, ne pas demeurer
sans influence sur les destinées de la commune. Les
relations des bourgeois avec le comte et ses offi-
ciers avaient été déterminées dans la eh arte rédi-
gée en 1117; mais le nouvel ordre de choses amenait
d8 force un changement, sinon dans la constitution
de la ville et dans la nature de ses rapports avec son
seiglleur immédiat, du moins dans la maniere de ré-
gler et surtout d'exprimer ces rapports. Il y avait
lieu a cet égard de fixer les principes et de constater
les faits par un écrit authentique. D'ailleurs, en
passant son s le pouvoir d'un nouveau seigneur, l8s
bourgeois d'Amiens durent éprouver le besoin de


1. Hisloire de la dvilisation en France, ,Id. 1849, t. IV, p. 142.
Vo)'ez les considératiolls g,mérales dont l\1. Guizot a entouré cette
citatioTl.




4ifl SECOND FRAGME1>T


faire reconnaitre par lui leúrs franchises mUlllC'¡-
pales, d'autant plus que ce nouveau ~eigll()Ur était L~
roí de France, qu'il reullissait en sa personne le
droit tout local du comte et le droit universel du
souverain. Tel fut le (louhle ohjet (le la charte don-
nfÍe, en HaO, par le roi Philippe-Augusíe, a la re-
::ruMe des bourgeois d'Amiens, charte qui leur cnn-
cr!rla, selon sa teneur officielle, on, plus exactement,
leur garantit rexistence de la commllnejurée en HU
et constituée en 1117.


Cette charte, loin d'etre un acte nouveau, ne fait
que reproduil'e, sauf certaines modifications de forme
et sauf le reglement de certaines relations plus
directes entre la ville et le pouvoir royal, le texte
de la charte emanée du premier successeur d'En-
guerrand de Boves. Elle se compose de trois parties
distinctes, savoir : 1° quarante - cinq articles, qui,
selon nous, formaient la charte primitive délibérée
par les bourgeois et consentie par le comte apres la
l'evolution communale; 2° un memorandum concernant
le rachat de peage fait par la commune entre le~
annees lH4. et 1164. 1; 3° six articles additionnels
joints par la chancellerie de Philippe-Auguste a la
charte primitive, lorsque cette charte fut examinee
et revisée.


L'histoire de cette révision est facile a établir
d'apres le texte meme du documE'llt. L'original de
l'acte cOllstitutionnel de 1117 existait depuis cettre
epoque dans les archives ele la COmmlll1e d'Amiens;


1. Voyez le tome IH au /{el"fpil d"s 'HWHll1nellts illfd¡t<~' ,'1 "ldsfoíre
dll tiers état, p. 8fi.




CONSTITUTlON COMMUNALE n'AMIENS 477


rel'S lIGO, 011 avait inscrit au bas de cet original,
apres les signatures, le mr-morondum relatif au rachat
de peage; et c'est dans cet etat que la charíe fut
envoyee á la chancellerie royale, qui en maintint,
saur quelques changements de mots,.le dispositif et
la forme. Dans les articles 011 se rencontrait le titre
de comte, le titre de roi fut snbstitue purement et
simplement; le reste du texte n'eut pas a subir la
moindre correction; les formules ]J,¡,U!positus nostel'
et le simple mot prU!positus, qui avait servi a designer
le prevót du comte d'Amiens, resterent pour designer
le prevót du roi 1; les signatures donnees en i H 7
furent supprimees, et cette suppression fit du memo-
mndum un article, le quarante·sixieme, apres lequel
les officiers du roi placerent, sans s'inquieter de la
dispal'ate, leurs six articles additionnels.


Ces dispositions d'origine diverse formerent le
code 'officiel, le corps de droit écrit, d'apres lequel
se gouverna des lors la commune d'Amiens. Nous !le
dirons ríen du memorandum, auquel le hasard seul
a donne place parmi les articles legaux. Quant aux
qllarante-cinq articles, dont nous avons dé.iá parlé
en relevant ceux que leur conformité avec la charte
d,'Abbeville signale comme authentiquement primi-
tifs, nous les avons examines sous deux rapports,
celui du droit politique et celui du droit criminel;
nous les analyserons maintenant sous le rapport du
droit civil, dont ¡ln'a été fait aucune mentíon ci-des-
sus, paree que la commune d'Abbeville, trouvant
dans S3 coutume local e des regles de droit civil,


1. Voyez ci-apr¡'s les arto 2, f'i, fi et 9, B, 12, 14, 31 et 43.
27.




47R SECOND FRAGMENT


n'avait a cd égard rien emprunté au texte de la
charte communale d'Amiens.


En effet, les usages civil s sanctionnés par cette
charte, en H17, étaient d'une ancienneté immémo-
ríale dans la ville et le comté d'Amíens; ils avaient
existé longtemps avant la commune, et, a la diffé-
rence des institutions politiques, ils furent enregis-
trés, non décrétés, par les bourgeois affranchis. Deux
principes de droit semblent avoir été proclamé s alors
pour la premiere fois : l'un qui restreignait les abus
du dueLjudiciaire, en statuant que nul champíon
gagé ne serait admis a combattre contre un membre
de la commune 1; l'autre, qui, dérogeant sans doute
á l'ancienne coutume, ordonnait que dans toute cause
l'accusateur, l'accusé et le témoin pourraient, s'ils le
voulaient, se faire entendre par avocats 'l.


Les dispositions tradítionnelles, qui, de l'ancienne
coutume, passerent dans la charte communale d'A-
miens, doivent se rapporter a trois sources : le droit
romain, dont la trace, quelque faíble et confuse qu'elle
soit, existe au fond de toutes nos coutumes, l'ancien
droit des populations germaniques, et ce droit com-
mun du moyen age qu'on appelle droit féodal.


Aucun article de la charte ne peut etre noté en
parficulier comme dérivant d'un texte formel du
droit romain. Les dispositions des articles 21, 22, 23,
:32 et :35, se réferent plus ou moins complétement aux
lois germaniques. Sous le nom de dot, l'article 21
désigne le douaire constitué á la femme par son mari,


1. Art. 17.
2. Art. 33.




CONSTITUTION COMMUNALE n'AMIENS 479


et le déclare inaliénable sans dire quelle était alors
sa nature -dans les usages de la cité d'Amiens; s'il
(:tait fixé par la coutume ou simplement convention-
ne!. L'artiele 23 montre la veuve qui a des enfants
mineurs soumise a une sorte de tutelle et placée sous
la direction d'un avoué que d'autres coutumes ap-
pellent mainbour.fJ 1. Les artieles 22 et 35 sont relatifs
au partage des acquets, et en assurent, dans certain
cas, l'usufruit au conjoint survivant 2. Enfin, l'ar-
tiele 32 déelare non punissable l'acheteur d'un objet
volé, qui allegue son ignorance, et il permet au juge
d'exiger dans ce cas le serment des deux parties 3,


Les dispositions dérivant du droit féodaI se trouvent
dans les articles ou le combat judiciaire est admis,
saur certaines restrictions, comme un moyen de ter-
miner les proces civils; dans l'artiele 25, qui con-
sacre, tout en le modérant, le principe du retrait
lignager, et dans l'artiele 8, qui étabht une peine
contre la personne lésée qui refllse de donner assu-
rement, c'est-a-dire sécurité a son adversaire",


Nous signalons, en outre. a l'attention du lecteur
les dispositions suivantes : l'artiele 26 fixe a sept
années le temps nécessaire pour que la prescription
soit acquise. On sait que sur ce point l'usage a varié
suivant les temp~ et les pays; et iI y a lieu de croire
que la charte d'Amiens n'avait fait que sanctionner
une regle de droit local, qui ne saurait etre rapportt-\e


1. Voyez Lamiere. G/oss. au droit fran~ais. au mot mambollrnie.
2. Voyez la Loi des Ri¡maires, titre 39.
3. Voyez la Loi sali'l"e, ti tres 39 et.49 de la le.7: emenda/a.
4. B~at1lnanoir, chapo 59, dénnit l'assurement une des 'luatre ma-


ni,'res ,le mettre nn aux guerres privées.




480 SECOND FRA.G~IRNT


a aueune législation. L'article ~2, qui traite des of-
fenses par paroles d'un juré envers son juré, pl:1Ce
en premie re ligne, eomme l'offense la plus grave, le
nom de seri"o Les articles 36 et 37 établissent une
pénalité différente pour l'injure faite au maire dans
l'exereice de ses fonetions et pOUl' l"injure faite au
prév6t: l'outrage a la personne du maire est un erime
politique puni, eomme tel, par l'abatis de maison;
l'outrage a la personne du prevót est un délit amen-
dable par aceord, apres jugement des échevins et
sans purrition publique. Le maintien de ees disposi-
tions dans la eharte revisé e en H90. est digne de
remarque; il prouve que si la prévOté, exercée dans
Amiens au nom du roi, avait quelques attributions
de plus que l'aneienne prévOté du comte, elle-n'était
pas plus que eelle-ei un pouvoir eonstitutionnel, et
que, pour la dignité, elle demeurait au-dessous des
magistratures communales.


Nous arrivons aux six artieles qui renferment les
nouvelles dispositions ajoutées tí la charte primitive
par la chancellerie de Philippe-Auguste. Ils portent
ce qui suit : Les contestations relatives a des im-
meubles situes dans la ville, seront jugées par le
prévOt, en plaid genéral, trois fois rano - Tous les
crimes et délits seront jugés par le maire et les éche-
vins en presence du bailli du roi, s'il veut assister
au jugement; s'il ne le "eut ou ne le peut, justice
sera faite san s lui, excopté dans les eas de meurtre
et de rapt, qui sont reservés au roi. - Les bien s des
homicides, des incendiaires et des traitres Sf'Pont
dévolus au roi seul sans partage avee autrui, c'e~t­
a-clire avec les ('o-seignenrs. - Nul ne pounn fnil't'




CONSTITUTION COMMUNALE n'A~IJENS 481


,le han I dans la ville, si ce n'est de par le roi et
réveque, - Le roi, le senéchal ou le prévot du roi,
I'eveque et le maire, pourront, chacun une fois par
a!lUee, faire rentrer dans la ville un banni, hors le
cas de condamnation pour meurtre, homicide, incen-
die, tl'ahison et rapto Voilit pour les cinq premiers
al'ticJes; quant au sixieme et rlernier, il est ainsi
con0u : (1 N ous voulons et nous octroyons a la com-
(( muue que jamais il ne soit loisible ni á nous ni :i.
(1 nos successelll's de mettl'e hors de notre rnain
(lladite comrnune ou cite d'Amiens, rnais qu'elle
({ reste perpetuellement et invariablement unie á la
«( couronne royale, ) Dans cette promesse il y avait
une garantie pour la constitution et les fl'anchises de
la ville, qui se tl'ouvaient assurees des lors contre
les éventualités périlleuses el'un changement ele sei-
gneur.


Si 1'011 recapitule maintenant les rnoelifications in-
troduites dans le droit mun'icipal cl'Arniens par la
substitution de la seigneurie du roí a ceHe du cornte
et par la revision de la charte comrnunale, on yerra
que ces modifications portaient simplement sur le
re gime judiciaire, et que, pour le droit poli tique, rien
n'etait chrmge. Le droit seigneul'ial de ban ou d'or-
rlonnance fllt, il est Yrai, expl'essément reserve au roi
et i l'éveque; mais ce fut ú regard des autres séi-
gneurs d'Amiens, et non a I'égard de la commnne,
que cette restriction eut lieu. Car, d'un cote, les
articlAs de la charte prirnitive, qui mentionnaient


1. ()¡-¡lol1llance, proclamation. Voyrz Dn ('allgp, (;!o.<.'ar., ,"°0.111-
num.




482 SECOND FRAGMENT


les établissements des échevins, stntuta scabinonon 1,
re~urent une sanction nouvelle par leur maintiün
dans l'acte donné en E90; et, d'un autre coté, les
documents postérieurs au douzieme siecle constatent
que l'échevinage resta en possession de faire des
ordonnances en toutes matieres, législation, admi-
nistration, justiee et poliee. Voici le texte complet et
définitif de la charte communale d'Amiens 2 :


In nomine sancte et individue Trinitatis. Amen. Philippus
Dei gratia Francorum rex, quoniam amici et fldeles nostri cives
Ambianenses fideliter sepius suum nobis exhibuere servitium,
nos eorum dilectionem et fidem erga nos plurimam attendentes,
ad petitionem ipsorum, communiam eis concessimus s, sub ob-
servatione harum consuetudinum, quas se observaturos jnra-
mento firmaverunt.


f. Unusquisque jurato suo fidcm, auxilium consiliurnql1f:
per omnia juste observabit.


2. Quicllmque fllrturn facien~ intra metas comrnllnie COI1l-
prehencletur, vel fecisse cognoscetur, preposito lIostro traclelur,
el quicr¡uid de ea agenclum crit judicio commulIioui; jlldi-
cahil.ur el fiel; reclamanti vero id quod furto sublatum e~t, ,i


L Art. 31. 38 el 43.
=!. et'ttf~ ch:¡rte a él~ Pllbliée dans lt~ Rl'clleil des Ord{/nnan('es des rois dI'


Fr,mcc .. Jllili:-, les éditenr:-; u'out pas en snllS les yenx l'original, et le textA qn'il:,
j'l1 ont donné, d'at'res le Cartlllail'c {lt~ Pl!ilippf'-Allgll~te> est trp.s-fillltif. j~n Ir
l'éimprimant iei, nous avons t.:fl! pOl1vuil' pl'ofiter des variantes qui se trOHvr.nt.
dalls une pxpéditiOll aulhentique des lettres de confirmation octroyées en 1~09
par ll~ roí PhilipVe-Angnsle. et copil~es textnellement :H1r cel1e ele H90. Y¡·YP/.
Ir. Ree. df8 1IIO',IlIll. de I'hist. dI< l/er" Nal, l. 1, p. 180.


3. Il u'est IJas besoin de faire observer que dan s ceUe charte, cornme dan s
11ne fonle d'alltrcs au meme genre, le mot c(mceS~imU8 est 1lI1e pl1rc fOflllUlf>
de ~tyle seignelll'Íal; la comrnllne d'Amiens exislilit depnis soixante et treizc
3n5. Le droit accol'dé par Phllippe-Augnste anx cito yen s fut celui, nUll dA
i'ormer une eornmnne jnrée, mais de conServp.r lellr commune avec ses institn-
tions.




CONSTITUTlON COMMUN ALE n'AMIENS 4R:l


potest inveniri, prepositus noster reddet; reliqua in usus noslros
~onvertent.ur.


3. Nullus aliquem inter commnniam ipsam commorantem,
vel mercatores ad urbem cum mercibus venientes, infra ban-
leucam civitalis disturbare presumat; quod si quis fecerit, fa-
ciat commnnia de eo, nt de communie violalore, si eum com-
prebeudere poterit, vel aliquid de suo, justitiam facere.


4. Si quis de communione alicui juraro suo ressuas abstulerit,
a preposito nostro submonitus justitiam prosequetur; si vero pre-
positus de justitia defecerit, a majore vel scabinis submonitlls,
in presentia communionis veniet, et quantum scabini inde judi-
caverint, salvo jure lIostro, ibi faciet.


5. Qui autem de communione minime existen s alicui de
communia res suas abstulerit, justiLiamque iIIi infra banleu-
cam se executurum negaverit, postquam boc hominibus castelli
ubi manserít notum fecerit, communia, si ipsum, vel aliquid 3d
se pertinens, comp¡'ehenrlere poterit, donee ipse justitiam exe-
cutus fuerit, prepositlls noster retinebit, donec nos nostram et
communia similiter suam habeat emendationem.


6. Qui pugno aut palma aliqllcm de communia, prr,tcr consue-
tlldinarium perturbalorem vellecatorem, percusserit, nisi se de~
fendendo se fecisse dllObus vel tribus testibus contra percussum
disrat,iouare poterit, coram preposito nostro, viginti solidos dabil,
quindeci'm scilicet communie et quinque justi.tie dominorum.


7. Qlli autem juratum suum armis vulneraverit, nisi simi-
liter se defendf'ndo, legitimo testimonio et assertione sana-
menti se contra vulneratum rlisrationare poterit, pugnmn
arniUet, aut novcm libras, sex scilicet lirmitati U!'bis et com-
mUllie, et tres jllstitie dominorum, pro reclemptiolle pugni per-
solvet; aut si persolvere non pOlerit, in misericordia ¡;OllJlIIlIIlie
salvo cataBo dominorum, pugnum tradet.


8. Si vera ita superblls fllerit vulneratus, quorl emendationem
non velit accipere arl arbitrium prepositi el majoris el scabino-
rum, ve! secllritatem prestare, domus ejus, ~i dOlllum habuerit,
tlestruetur, eL cataBa ejus capientur; si domum non habuerit.,




48i SECOND FRAGMENT


corpus rjlls capielurj uonec vel emendatiouem acceperit vel sc-
curitatem prestilerit.


9. Qui yero de communione minime existens, aliquem I:e
commllnia percusserit vel vulneravel'it, nisi jndicio communie
coram preposito nostro jllstiliam exequi voluerit, domullI illius,
si potCl'it, communia prosternet, et capiMia erunt 1I0511'a. Et si
eum comprehendere polerit, coram preposito regio ver majorem
et scahinos ele eo vindicta eapietur, et calalla Ilostra eruul.


tO. Qui juratum Sllllm turpibus el iuhonestis conviciis laces-
serit, et duo vel tres audierinl. ipsum, per eos statuimus convillci,
(~t ¡¡uinque solidos, duos scilicet conviciaLo, el tres cOlllmunie
dahi!..


11. Qui inhoneslum aHcui de communia dixeril in audiencia
quorumdam, si eommunie propalatum [uerit, et se quou iIlllll
non dixerit judicum communie judicio defelldere llo1uerit, do-
mum illius, si poLerit, proslernel. communia, ipsumque in com-
munia morari, donce emendaverit, non patíetur; el si emendare
noluerit, catalla ejus erunt in manll domini regis el commUllÍe.


12. Si quis de juratione erga juratum SUUIll facto, vel lide
Illentita, eomprobalus fueril coram preposito el majore, jndicio
communie punietur.


t 3. Si quís de cOllllllunia pr¡ec!am seienter emeril vel wmdi-
derit, si indc comprobatus fllerit, pr[C(lam amittet fJalJlque PI'3)-
¡latís reddet, uisi ab ipsb pl'edatis, vel eorum c!omilli;;, ad v,)rsus
dominos communie vel ipsarn cOlllllluniam aliquid commilta-
tUl'.


14. Uni clamore [acto de adversario suo per prepositum et
majorem el juuices commuuie jllstiLiarn prosequi Hon potcril (,
si postea allversus eum aliquid feccrit, iIIurn rationabiliter cum-
1Il1J1lia conveniet, cjllsque audita ratione quid iude poslea
ngenrlnm sil jlldicabit.


t. NOLlS aroos d¡t ci·flcs:m:" p. 45!J, nntr. 3, que I('~ mots jwtifiam JlrOrf'q11i
11011 pnleril s':lppliqll:liellt 11(1/1 ;111 C;I,-; de t!í~Jli de jll . ;tiee, lIl:ti~ ;tu ¡}¡:fJot rlr IJ(I~IJ'.
snilf's de la part du plaigllJllt.




CONSTITUTION COjlMUNALE n'AMIENS 48;;


15, Qui a majoribus el judicíbus et decanis, scilicel sorvien-
tibus communie submonitus justitinm el judicium eommunie
sublerfugerit, domum illius, si poterunt, prosternent, ipsum
yero ínler cos morari donee satisfecerit non permUtenl, el ca-
talla erunt in misericordia prepositi regís et majoris.


16. Quí hostem eommunie in domo sua scienter receperit,
rique vendenuu et emendo et edendo et bibendo, vel aliquod 50-
lacium impelldendo, eommunicaverit, aut eonsilium aut auxi-
Hum adversus communiam dcderit, reus communie efficietul',
et ni si iudicio communie cito salisfecerit, uomum iUius, si po-
torit, eommunia prosternct, et ca talla regis erunt.


n. Inrra fines eommunie non recipietur eampio conduelicills
contra hominem de communia.


18. Si quis communie constilutiones seienter absque elamore
violaverit, el in de eonvietus fuerit, mox domum iIlius commullia,
si 'poterit, prosternet, eumque inter eos morari, doner satisfccc-
rít, minimo palietur.


19. SlaLutum est ctiam quod eommunia de terris sive feodis
dominorum non debet se intromittere.


20. Quí jlldíces commuuie de falsitate judicii comprobare vo'
luerit, nisi, ut justum est, comprobare potuerit, in misericordia
regis est et majoris e't scabiuol'um, de omui eo quod llabel.


21. Mulier dotem quam tenel n6C vendére, nec in vatlium
mittere poterit, Ilisi propinquiori heredi et nisi de anno in an-
numo Si autem Ileres aut non possit, aut nolít emero, oportet
mulicrem tota yita sua tenere, per nnnurn autem loeare )lo-
1erit.


22. Si quis vil' et uxor ejus infantes habean!, et con1ingat
mori iufantes, quis eorum supervixerit, si ve vir sive mulier,
quicquid similiter possederunt de eonquisitis, qui superstes erit,
quamdiu vixerit, in pace remanehit et tenebit, nisÍ in vita pre-
morientis donum yel lega tu m inde factum fuerit. Quod si an-
tequam eonvenerint, "el vil' vel uxor infantes hahuerinl, post
decessum patris aut matris hereditas infantum arl eos rcdibit,
nisi sil fl'orlulll.




486 SECOND FRAGMENT


23. ~i mortuo marito uxor sU¡ll'fvixcrit, et infanlrs ejus
vivi remanserint, mulier de omni possessione quam vir ejus
in pace tenuerat, quamdiu infantes in custodia erunt, nonee


'ipsa advocatum habeat, nisi sit varlimonium, non respondebit.
24-. Si quis ab aUqua vidua pecuniam requisierit, ipsa con-


tra únum testem, non contra pIures, per sacramentum se der-
fendet et in pace remanebit; si vera ab ea aUquam ejus


'possessionem ut vanium requisierit, 'ipsa se per bellum def-"
fendet.


25. Si quis terram, 3nt aliquam hereditatem ab aliquo emerit,
et iIla, ante quam empta sit, propillqaiori heredi oblata faeril,
et heres eam emere noluerit, nunquam amplius de ea illi hererli
in causa respondebit. Si autem propinquiori heredi oblata non
fuerit, et qni eam emerit, vidente et sciente herede, per
annum eam in pace tenuerit, numquam re ea amplius res-
pondebit.


26. Si quis septem annis aliquam suam possessionem pre-
sente adversario in pace tenuerit, numqu3m de ea amplius re;;-
pondebit.


2i, Si quis aUenus mercator aliquid vencliderit, et ipsa hor:!
peeuniam habere non potuerit, ad domjnum emptoris, vel ad
prepositum domini rrius clamorem faeiet, et si una ei justifi:¡
defuerit, ad majorem clamorem deferet, el. major ei cito pecu-
niam suau; habere faeiet, quecumque dies sil.


2R. Quicumque de "promissione clamorem fecerit nichi! recu-
perabit.
" 29. Si quis major, aut seabinus, aut aliquis de justitia ma-
joris, prcmjum vel acceperit vel requisierit, et iIIe qui derlerit,
vel a quo prcmtum quesitum fuerit, ud majorem c1amaverit,
vel testem super hoc habuerit, recusatlls viginti solidos per-
solvet; et si preminm acceperit, redrlet.


30. Quod si accusator testem non habuerit, ilIe qui accusabi-
tur persacramenturn se r1effendet.


3L Si quis ad prepositum clamorem deféret, et prepositus
ci justitiam facere noluerit, c\amator ad majorem c1alllorcm de-




IJONSTITUTION COMMUNALE D'AMIENS 487


feret, et major prepositurn ad rationem mittet ut ei justitiam
facial, secundum statuta scabinorum.


32. Si quis super aliquem aliquid quod suum est intercia-
veril, el iIle qui accusabitur responderit se iIIud non a la-
lrone scienter emisse, hoc pro quo accu~abitur perdet, et
ante justitiam per sacramentum se deITendet, si prepositus
vel justicia voluerit, et postea in pace abibit; et hoc ídem fa-
ciet garanus, si hoe idem dixerit, tam primus quam secundus
et tertius; aecusator aulem hoc quod clamaverit, sacramento
confirma bit, si voluerit ille qui justitiam lenebil.


33. In omni causa et accusator el accusatus et testis per ad-
vocalum loquentur, si voluerint.


34. De possessionibus ad urbem pertinentihus, extra urbem
nullus caURam facere presumat.


35. Si vir et uxor aliquam possessionem in vita sua ncqui-
sierint, el eorum quispiam mortuus fuerit, qui superstes fllerit
medietatem solus habebit, et infantes aliam. Si vir mortuus
fuerit, aut uxor mortua fueritet infantes vi vi remansel'Ínt, pos-
sessiones, sive in terra sive in redditu, que ex parte mortui
venerint, iIIe qui superstes erit nee vendere, nec ad censum
dare, nee in vadium mittere poterit, absque assensu propin-
quorum parentum morlui, aut donee infantes ejus absque cus-
todia fuerint.


36. Si quis prepositum regis, in placito vel extra plaeitum,
turpibus et inhonestis verbis provocaverit, in misericordia pre-
positi erit, ad arbitrium majoris et scabinorum.


37. Si quis majorem in placito turpibus et inhonestis verbis
provocaverit,domus ejus prosternatur; aut, secundum pretium,
domus in misericordia judieum redimal,ur. ,


38. Si quis juratum suum pereusserit vel vulneraverit, et
ílle qui percussus fuerit clamorem fecerit quod pro veteri odio
percussus sit, percussor rectum faciet, secllndum statuta sca-
binorum, pro ictu, et post hoc pro veteri odio, aut per sacra-
mentum se purgabit, aut rectum faeíet communie, et novem
libras dabit, scilicet VI libras communie et LX solidos justitie




SECOND FRAGMIlNT


Jomillornm, et persolvet medietatr.m recti infra ocIo Llies, unl
totum,. si scabini voluerint. Nullus enim pro ea qui percus-
serit, quicumque sit, aut vir aut mulier aul pucr, Sacramcn-
tum facW.


39. Si majar cum communia et juratis in causa sedeal, C'l
aliquis ibi suum juratum percusserit; illius, contra quem ill
cau~a piures testes exierint, qui primlls ictum ÜCllerit, domus
prosternetur.


40. Qui autem in causa jurato suo cOllviciatus fuerit, vigillli
solidos communie persolvet, ibi justitia domillornm nichil ca-
piet.


41. Qnijllratum snum in aqllam aul in pallldem jactaverit,
si clamator unum teste m addllxerit, el major immunLliliam vi-
derit, ille malefactor LX solidos persolvet et de hi~, hubebit jlls-
tilia domillorum xx solido~. Si immulldus lIullum teste m habuerit
contra sanguinem vel immnllditiam, per sacramenlllm se rlefen-
del, et liher abibit.


42. Qui vera juratum suum, servnm recredentem, tradito-
relll, wissot 1, id esl coup, appeJlaverit, viginli solidos perso].
\'et.


43. Si filius bllrgensis aliquid forifacti fecerit, pat('r ejm
pro filio justilíam communie exequetllr. Si autem in custodia
palris non fuerit, et submonilus, justitiam subterfugerit, uno
anno a civitate ipsum extranellm esse oportebit. Si autem anno
preterito, redire voluerit, ~ecundum statuta scabinorum prepo-
sito et majol'Í reclum faciet.


44. Si conventio aliqua facla fueril aute dllOS vel pIures scabi·
no~, de conventione illa amplills non surget campus nec duellum,
si scabini, qlli conventioni interfuerint, hoc testificati fuerint.


45. Olllnia ista jura et precepta que prediximus Illajol'is
el communie tantum suut in ter juratos. Non es! eqlllllll
judicium inter juralllm et non juratum.


46. Ambianensium solebat eSSé cOJlsueludo, <¡uod, in f",lis


\. Mi". wisloth.




CO~STITUTION CUMMC:íALE b'AMIE:íS 4S'!


ilpu:,lu:UI'UIll, de uuaquaquc quadriga per unam quatuul' por-
Llrum mbis in villam introeunte, Guarinus Ambiancnsis ar-
¡;hirliaconus oholum aecipicbat. Major vera el srabini, fJlli
tllne tcmpori~ extiterunl, per consilium Thcodoriei, tUlle rpi-
:icopi Amuiancnsis, consueludinem prefatam ab archidiacollo,
quin que solidis el quatuor caponibus, emerunl el ad censulll
ccperunt; el censurn illum ad furnum Firmini de Cla~lstril,
extra porta m Saneti Firmilli, in valle siturn, a:'Chidiaeullus
:iumit.


,n. De ornnibus lencmentis ville justilia exhibebilur per ¡¡re,
positum noslrum, ter in anno, in placito generali ; viLlelicct in
i'\atali DOlllini, in PasclJa el in Pcntecosle.


18. Omnia autem forifacla, que infra banleugam civitali:;
lient, major et scabini judicabunl, et de illis justitiam facienl,
sicut deben!, presente balli\'o nostro, si ibi voluerit inferessc;
,i Yero interesse noluerit, vel non potcrit, pro ejlls absen!ia
juslitiam facere non de~illent, sed debitam jl1slitiam facient, ex-
ceplo lamen multro et raptu, quor] nobis el snr.cessoribus nos-
tri, in perpetuum retincmus, sille parte allerius.


-'lU. Catalla vel'O homicidanlllJ, incencliariorum et prutliturum
Ilostl'a sllnl al>solllle, óíllC parle alfcríu,. In culallis vera alio'
rllm I{H'efadol'\1I1J rciíucmus nobj,; el succcssoribus nostris itl
!]uotll:abllimus el habere <lclJemus.


:¡O. lkll:ll11m in villa lIullllS pole,,! heere, nisi per regem el
l'l'iScopllm.


ii l. Si qllis bannilus esl pro aliqtlO furifüclO, excepto Illul:ro,
hOlllicidio, incendio, prodiliollC, raptu, rcx, ve! senesc;¡llus,
yel prepositus regis, epis~opllS, major, unusquisquc eortlIll
óelllel in anno, poterít eum lOntlucere in villam.


52. Volumus eliam et commullie in perpctuum quittamus et
concedimus, quod, nec nobí:;, nec succcssüribus nostris, liceat
d\'ilalcm Ambianensem vel eommuuiam extra manum nostram
mitlere, ser! scniper n'sic iuhereat corone.


Quc omnia ut in pl'rrelllum rafa et Ilrma permanennt prcscll-
lem paginHIIl sigilli Ilostl'i auctoritale el regii Ilomillis karactere




490 SECOND ~'RAGMENT


inferius annotato, salvo jure epü;t;opi et ecclesiarum el procerum
patrie et alieno jure, contirmamus. Actum Lorriaci, anno incar-
llati Verbi miHesimo centesimo llonagesimo, regni nostri allno XIO,
astantibus in palalio llostro quorum nomina supposila sunt el
signa: ::l. comitís Theobaldi, dapiferi nostri; S, Guidonis, buli-
cularii; S. MaLhei, camerarii; S. Radulphi, consLabularii. Data
vacante cancellaria 1.


1. ·nre. des Or,lon/l. de. roi8 de Franee, t. XI, p. 264 et slliv. - !lalllze Mis-
('¡'{{/llle1t, t. VII, p. 318. - Bibl. imp., cartul. de PJlilippe-Angll::.tC'. FOflds
de~ cartulair!'~ JI- 172, fol. {i y", FO!hls dll Hui n° 9852. A, fq:. 43 v", flB52.
3, fol. !'ir. rO, el n° 8408.2.2. n. rol. ~f) r~. - J.l'cli. IWli:male, Trl:501' de.::icharle~,
l\.'~. l!C .P¡Jilipll·~-:\tlglbte, fol. 17 \'0.


FIN




APPENDICE 1 t


PLAN D'UNE COLLECTION GÉNÉRALE DES MONUMENTS lNIÍDlTS
DE L'HISTOIRE DU TIEES IÍTAT


La pensé e d'éclaircir le::; origines et l'histoire du
tiers etat par la publication d'un grand recueil de
clocuments inédits appartient i M. Guizot, ministre
de l'instrudion publique. C'est lui qui, en 1836, m'a
confié l'exécution de ce travail, entrepris avec zele, ,
mais que des difficultés imprévues et le triste état de
ma sauté ont rendu, malgre moi, beaucoup trop lento
Il s'agissait de faire, pour le troisieme des anciens
ordres de la nation, ce qui s'etait fait depuis plus de
deux sit~cles par l'érudition fran9aise pour la noblesse
et le clergé. Avant tout, je me suis demandé ce que
devrait etre, dans sa plus grande étendue possible,
un recueil des monuments de l'histoire clu tiers état
ou des classes roturieres en France, et queIs mate-
riaux de clifferent genre il faudrait y faire entrer.
Ces matériaux, divers selon qu'ils se rapportent i la
condition privée ou publique des personnes, a leur
existence dans la famille, dans la corporatiol1, dan s
la commune, dan s la province et dans l'État, m'ont
lJaru se ranger naturellement sous quatre chefs dÜll-


1. Ce morceall est l'avant-propos tlu premier volume elll l1«cue1l
des rn01H'menls inédits de l'hL~loi/'e Ju Un8 état.




4(J2. . Al'PENDICE I
nant lieu a autant de collections distiilcte, dont voici
le sommaire :


i" Collection des docurnents l'elati(s a l'état des per-
,¡onnes rotll1'iel'es, soit de condition serve, soit de condilion
liúl'e. Actes indiquant la réduction progressive de
l'esclavage antique au servage de la gleLe et la naís-
sanee de la propriété ponr les familles serves.-
Affranchissements de familles ou d'inclividus, avec
ou sans conclition. - PrivilE~grs autres que ceux de
nobles se accorclés :.i. certaines personnes ou á cer-
taines familles. - Concessions du títrc de bourgeois
du roí. - PrivihJges royaux ou seigneuriaux, obtenus
par des paysans non reunís en communauté muníci-


• pale. - Requetes adressées aux cours souveraines
eles provinces et au parlement de París pour lajouis-
sance clu elroit de franchise de corps et de biens. -
Jugements rendns en favenr ele ces reclamations ou
contre elles.


2" Collcction des documents l'elati(s á {éta! de la ÚUI/I'-
gcoisie considérée dans ses divc/'ses co/·poratiolls. Statllts
r.ol1stitutifs eles anciens corps d'arts et metiers. -
Actes et reglements relatifs aux mai.trises et aux
jurandes, aux conseils de pruel'hommes et aax COll-
sulats clu COlllmcrce. - Orelonnances royales ou mu-
nicipales concernant la pratique eles lois, le b-arreau,
la médecine et la chirurgie, l'exel'cice ele toutes
les professions lettrées ou nOll lettl'ées, libél'ales ou
inelustrielles.


3' Col/r:ction des dccllments l'elati(s a (ancien état des
v ilfes , bO IJ1'gs ct paroissf's de France. Actes ineliquant la
persistance du régime municipal romain et la con-
Jition des habitants des villes antérieurement au




APP¡;;:-íDlGB 1 493


douzieme sieele. - Chartes de communes concedees
par les rois 011 les seigneurs. ~ Statuts munieipaux
des villes. - Deliberations municipales et reglements
de poliee urbaine. - Ordonnances rendues pour ac-
croltre, modifier ou abolir, clans teUe ou telle loea-
lité, les droits et les priviléges communaux. - Con-
cessions de foires et de marchés. - Aetes l"oyaux
ou seigneuriaux ponr le reclressement de gl'iefs ou
l'octroi d'immunités quelconques en faveur des villcti,
bourgs ou villages.


!fO Collection des docun.ents 1'eluti(s au rófe da tiCl'S éwt
dans les assemblées ¡{'états généraux ou provinciaux. Actes
indiquant le mode d'élection des deputés clu tiers état
ponr les villes et pour les campagnes. - Listes de
députés du tiers état aux assemblees, soit nationales,
soit provinciales. - Proces-verballx des deliberations
du tiers état. - Ses cabiers préparatoires ou défini-
tirso - Ses propositiollS en dehol'8 des cahiers, et
Jiseolll's de ses orateurs.


Ces classifications établies et la eat'l'ie¡'e ai¡ú-i lIW-
sUI'ee eu quelque sorte, j'ai laisse lo plau íclé::tl (rUll
cOt'ps complet de tous let-; documenb d(~ I'histoil'e
civil e et politique dll tíer8 etat P)Ul' mo I'abattl'e,
dalls l'exécutioll, sur un autre plan llloim; lngiqu8,
lIloiw; l'égulier, ma1s plus aisé:ucut pratieaLlc. J';¡i
(;carté la derllii:wc categorie, ceHe des actes COllcer-
Ilallt les 8tats gélléraux ou particuliet,s, i cause de
la dífficulte d'isoler, sur tous les poínts, ce q ui se
rapporte au tiers état de ce qui regarde les deux
autre::; ordres, dans la mas se souvent melée de ces
actes. D'ailleurs, iI sera bOll que l'hi::;toil'e des an-
l'ÍCllllcs a~sem blees, natiollalc,~ ou provinciales, qui


:!!




494 APPENDICE 1


sont chez nous les racines du regime representatif,
ait son recueil special, entrepris pour elle-meme, en
vue du role collectif des trois ordres, et non du role
particulier de l'un d'entre eux. J'ai reuni en une seule
collection la seconde et la troisieme catégorie, celle
des statuts et actes municipaux et celle des statuts
et reglements des corporations d' arts et metiers; a
mon avis, cette fusion est necessitee par les rapports
intimes de la vie municipale et de la vie industrielle
au moyen age. Enfin, j'ai ajourne ind8finiment et
reservé, comme seconde serie du Recueil des monu-
ments de l'histoire du tiers Mat, la collection des
actes relatifs a l' état des familles roturieres, collec-
tion d'une moindre importance et d'une nature moins
determínee, et quí, outre sa specialite, devra servir
de supplément a la premiere 1.


Ainsi le present ouvrage sera un recueil complet
des documents relatifs á l'histoire municipale et a
celle des corporations d'arts et métiers des villes de
France. Le morceau place comme introduction en
tete du premier volume est plus general dans son
objeto Je l'ai composé comme si mon plan de publi-
cation eÍit embrassé les quatre series de documents
énumerees plus haut; c'est, dans un cadre sornmaire,
une histoire de la formation et des progres du tiers
état.


Il me reste á souhaiter trois choses. e'est, d'abord,
que les materiaux de la secollde serie de ce recueil,


1. Par exemple, ponr l'insertion des reglemellts générallx de l'in-
dustrie et du commerce, qui, faits pour tont le royaullle, He peuvent
6tre classcs S01l5 le 1l0llJ fl'allcllllc ville en pal'ticulil'l'.




APPENDICE 1


série ajournée par moi, deviennent, ponr un autrp,
l'objet de recherches dans les bibliotheques et les
archives, et qu'il en résulte une publícation capable
d'etre annexée a celle-ci. En second líeu, c'est que la
demande récemment adressée au ministre de l'in-
struction publique pour une édition complete des
(lncuments relatífs aux états généraux soit accueil-
lie 1, EnHn, c'est que les états particuliers aient leur
collection de pieces pour chaque province, et que,
dans toutes'les parties de la France, un travail si
(hlsirable attire le zele des hommes studieux qu'a-
niment a la fois l'amonr de la science historiqne et
l'amour de la contrée natale.


Paris, le 20 février 1850.


l. Crtte ,¡rmande " été faite par J'\f. Auguste Bernard, membre de
J., :'nciétú eles lllltiquaires de Franco.




APPENDICE II


LISTE D:'S DÉPUTI:S DU TIERS ÉTAT AUX ÉTATS GÉNÉRAl;~
TlP. 1 ;81, 1560, 1576, 1588, 1593 ET 1G14


PRElUIERE LISTE
ÉTATS GÉNÉRAUX TENUS A TOURS EN 1484 I


LA PRÉVOSTt; DE PARIS. - Nicolas Potier ou Portier, bourgeois
de Paris; Gauchier Héber, semblablement bourgeois.


LES ESLEUZ DU TIERS ~:TAT DE BOURGOGNE EN CE COMPRIXS
CEULX D'OSTUN ET DE BAR-SUR-SEINE.


!\Ir Guy Margueron, (
Mr Regnault Lambort, tous lic~nciés rn lois el décl'cts.
1\1' Gautbier Drocard,
1\1' Jean lIémond,
Pierre Martín, bonrgeois de Chalons; Étienne Tut ou Tl1sl,


Guiot COllrt;
Mr Nicole Cheste, eslell de Bar-sur-Seinf'.


LE BAILLIAGE DE SENS. - Lullin ou Robín ROll5Seall.
LE BAILLIAGE DE MASCON. - Me Ymbcrt Sllrcaillier 011 FIl~­


laillier.
LE BAILLIAGE D'AUXERRE. - Jehan Renier 011 Regnirr.
LE BAILLIAGE DE ROUEN. - Jacq1l8s de Cl'éllllail'e 011 CI'i)i~­


mare, Pierre D3guenet.


l. Voyez le JOllrnal def élllt,· gélléraux de France, lenu. iI Tour,', 01
1'84, ..011' le rr.que ole Chllrles H/l, rédi~é en latin llar Jehan Mas;elin, dépnt"
du bailliage de HOllen, puLlié el tradnit pOl1r la llremiere fois sur le ruauuscl'it
de la BibJiotheqlle dll roi, par A. Bernier; appendlce V, 1'.718, Celte liste a
été coroplétée au moyen de dE:ll.I aulres dont l'nne, donnée par Ma5selin~ '-'e
trouve a la page 9 dn ",,111 me et dont I'aull'e forme I'appendice VI, p. 737.




A PPEN mCE 11 497


LE BAILLIAGE DE CAEN. - Phelippes de Vassy, Jehan tle Sens.
LE IlAILLTAGE DE CAUX. - Jehan Nepveu.
U; DAILLIAGE DE COSTENTTN. - Me Jehan Poisson.
LE RAILLIAGE D'ÉVREUX. - Geoffroy Postes, .lehan (les


Planches.
LE RAILLIAGE DE GISORS. - Robert du Vieu.
LE RAILLIAGE DE TROYE. - Jehan Hanequin ou Hennc'lllin


I'Ainsné, Me Guillaume Huyart Ol! Huynard.
LE llAILLIAGE DE VITRY. - Me Remy Martin.
LE BAILLIAGE DE CHAUMONT. - 1\1" Pierre de Gyé.
LE BAILLIAGE DE MEAUX. - Me Philippes Batailles, .T~h~n


Durant.
LE COMTÉ DE TGULOUSE. - Oudinet le Mercier.
LE BAILLIAGE DE TOpRNAY ET TGURNESIS. - Jehan Maure.
LE BAILLIAGE DE VERMANDOIS. - Me Jehan de Reim"


Me Jehan Gruyer.
LA. SÉNÉCHAUSSÉE DE POYTOU. Me Maurice Claveurier, Jehan


Laidet.
LA SÉNÉCHAliSSÉE D'ANJOU. - Me Jehan Binel, Jehan Barrault


ou IJéranlt.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DU MAINE. - Me Jehan Bordier, Franltois de


I'Esparvier, Jehan Berf, Me Raoul Quicrlavaine ou Crolavaine,
Henri Cornilliau, Jehan Chambart.


LE BAILLIAGE DE TOURAINE. - Jehan Briconnet.
LE BAILLIAGE DE DERRY. - Me Pierre de Brueil on Vueil.
LE PAYS DE DOURBONNOIS. - M' Jehan Cadier ou Cardier.
LE PAYS D'ARTOIS. - Me Guillebert Dautier ou d'Ostie!.
LA SÉNÉCHAUSSÉE D'AUVERGNE. - Barthelemy de Nesson.
LE BAILLIAGE DES MONTAGNES D'AUVERGNE. - Me Jacques rle


Mas 011 du Mas.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE ROlJERGUE. - Jehan BoissPrc, Antoinp


Marcoux, Me Guillaume Poulmezade ou Ponllrman]r, Drrnard
Causollne ou Caussonne.


LE COMT~ DE ROUSSILLON. - Ellise Oll Elir de Dethrford ou de
Ridefort.


LE BAILLIAGE DE CHARTRES. - Mncltery de IJi!1on.
LE DAILLIAGE DE ~IANTES. - Hohprt du Nesmes.


28.




498 APPENDICE II


LE BAILLIAGE D'ORLÉANS. - Me Robert de Fauvillp, M" Ri.
chard Nepveu, Jehan Compain.


LE BAILLIAGE D'ALENCON ET COMTÉ DU PERCHE.- GuyViber
ou Picart, Jehan de Rion ou de Ry.


LE BAILLIAGE D'AMIENS. - Me Jehan de Saint-Delitz.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE PONTHIEU. - Me Pierre Gaude.
LE BAILLIAGE DE SENLIS. - Me Guillaume Le Fuzellier.
PERONNE. - Me Jehan de Belencourt.
ROYE ET MONTDIDIER. - Jehan Bertault.
LE BAILLIAGE DE MONTARGIS. - Me Jehan Prevost.
LE BAILLIAGE DE MELUN.-Me Denis ou Georges de Chamlma~


ou Champnoy.
LE PAYS DE NIVERNOIS. - Me Rugues FOl1chier ou Soncher.
LE PAYS DE PROVENCE. - Franc;oi!\ du Chasteau de Tours,


Jehan André de Granalde.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DD BOULENOIS. - Jehan le Grant.
LA VILLE DE PUlSSARDAN ET LA TERBE DE CERDAGNE.


Antoioe Marcadez, vicaire et capitaine de ladite ville.
LA VILLE ET GOUVERNEMENT DE LA ROCHELLE. - Re:::n~


Ragot, Me Jehan le Flamant.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LODUN. - Pierre Chonet ou Chauvrt.
LE PAYS DE FOREZ. - Me Jacques de Viry, juge de Forez.
LA SÉNÉCHAUSSÉE D'ANGOULMOIS. - Me Pierre Lomb;il. (In


Lombart.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LIMOSIN. - Jehan Audier, Pierre ,-bar-


reyron.
LE BAS· LYMOSIN. - Me Jehan Gouste, EstiennR MelJier.
LA SÉNt;CHAUSSÉE DE XAINTONGE. - Me AllIaurry .lulien.
LE DUCHÉ DE GUYENNE. - Me Henry de Ferraigllp,; (111 dr


Fouraignes.
LA SÉNÉCHAUSSÉE D'AGENOIS. - lean de Gailleto.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE PÉRIGORT. - Me .Tehan Tricart ou Tu-


gnart.
LA VILLE ET CITÉ DE CONDON. - Pierre de Porteria.
LE PAYS ET SEIGNEURIE DE QUERCY. - Frangois Mercy.
LE PAYS DE DADPHINÉ. - Jordan Sonqueur ou Sonquert, Vial


de l'Église, Estienne de Pisieux ou Plliseux, Jehan Mottet.




APPENDlCE 11 499


LE COMn~ DE LA MARCHE. - Me lchQn Taquenot ou TOllfjlle-
oet, Jehan Raguet, Anthoine de Marsilhae.


LE PAYS DE BEAUJOLOIS. - Messire Enoemond Payen.
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYON. - Bertrand de Salle Franque OH


Sallebranque prevost de Lyon, Anthonie Du Ponto
LE PAYS ET COMTÉ DE FEZENSAC. - M" Mathurin Mollivelly 011


Molliveby.
LE CHAROLOIS. - Étienne Chanot, seigneur de Buxy.


Suivent Irs titres de différents haitliages sans aueuu uom d0
députés.


DEUXIEME LISTE
ÉTATS GÉNÉRAUX TENUS A ORLÉANS EN 1560 I


VILLE DE PARIS.-Guillaume de Marle, prévót des marchands,
Nieolas Godefroy, t é h .
Jea n Sanguio, 5 e evms,
Clande Mareel, bourgeois.


PRÉVOTÉ ET VICOMTÉ DE PARIS. - Me Jean Martinet J PO\1l'
¡adite prévóté el la vicomlé de Paris.


DUCHE DE BOURGOGNE


[JiJON. - MeJean le Marlet ou le Marle, M"Jean Massot OH Massoll.
AUTUN. - Me .raeques Bretaigne, Me Jean Tallemallt.
CHALONS-SUR-SAONE. - MO lean Renauldin, Me ClaudeGuillialld.
AUXOlS. - Me Celse Dodun ou }<" Dodun.
LA MONTAGNE. - Me Jean Regllier, Me Jpan Legraud, Me Pierrc


Andinot ou Audinet.
MACON. - ~Ie Gilbert Regnauld, juge de Clugny.
AUXJ\HRE. - M' I'ierre le Briois, Me Pantaléon Pioo.
BAR-SUR-SEINJ\. - M< Nicole Lauxerrois ou Nicolas Sal'''l:],


.\'" Jean Viguier.


DUCHE DE NORMANDIE


ROU EN. - Jean Cottoo, Jean AlIhert, Rallllin le Gras.


1. RUlIl';¡ de lJii'I'(w ()rhlill(lle,~ et (l/lthrn!iques conr.ernOYlt la ten.ue '¡t It N,¡f"
gi'n,'".Clu,r. P;rds, 1iS~l t. 1. p. t-:.




,iOO APPENDlCE 11


C,IEN. - Guillilume Gosselin, .lean le Hucyoll de HllrC'j, Frnn~oi,
Langevin Li vry, Macé Castel ou Chaste l.


CAUX. - Guillemeaude, Leonet Leclcrc.
COTENTIN. - M" Abel Perricr.
~:VREUX. - Jean Courtois, Guillaume Escoehard ou Crochal'!.
GISORS, COMPRIS PONTOISE ET ACCROISSEMENT DE MAGNY.


- Me Nicolet Thomas, Me Cardin Saulnicr, Me Jean I.eeoq,
Robert Guersant, Pierre Dailly, Nicole Lemoine.


ALENCON. - MO Mathieu Petit, Me Hobcl't Caiget ou Laignet,
Étienne Payen.


DUCHÉ DE GUYENNE
BORDEAUX ET SÉNÉCHAUSSEE DE GUYENNE. "- M. Pierrc Ge-


nestac, maire de ladite ville ou Geneste, Me Jean de Lange 011
.lean Lange.


S8NÉCHAUSSÉE DE BAZADOIS. - Jean de Lavergne, Loys des
Apats.


SÉNÉCHAUSSÉE DE PÉRIGORD. - 1\1. llcrtrand Lombert, Jean
de Beauvoye, Gllillaume Sllrquicr, Raymond Aimer, syndic ti?
Périgord.


S8NÉCHAUSSÉE DE ROUERGUE. - M. Ai'nauld Plane 011 M. Ray-
mond Querron.
SI~NÉCHAUSSÉE D'AGÉNOIS. - M. Afichel Ilrrssonalle 011 lloi~­


sonnade, M. Pierre Redus ou Rodier.
PAYS ET COMTÉ DE COMMINGES. - Pierre Cambert ou Lam-


l)('rt.
PAYS ET JUGERIE DE RlVIERE-VERDUN, GAURE, BARO;-'¡NIF.


DE LÉONAC ET MARESTANG, - !\l. Jean COl1telier, Arnauld
de la Borde.


SÉ.NÉCHAUSSÉE DES LANDES. - M. Etienne Bedonde.
SAIN'f-SEVER.- M. Jacques Duquoy 011 Jean Bouyer, 1\1. Mal'tin


Delalain ou Etienne Bousson.
ALBRET. - Jean Benje~ Ol! Jacques Duqnoi, Éticnlle Ilouflon 011


Martin du Sauxe.
SÉNÉCHAUSSÉE D'ARMAGNAC. - Claude ¡dron, Jean (le Forg-éac


ou Forgerac, Antaine Burin, Guillaume Magna'l.
CONDOM ET GASCOGNE. - 1\1. Fran'iois Dllfranc, Jean Malac


ou Malat,




APPENDICE II ,íOI


HAUT-L1MOSIN
VILLE DE LIMOGES. - !f. Frangois Duqucrroy, Jean Bayart,


.Jean Dubois.
RAS LIMOSIN, EN QUOI EST ¡)OMPRIS TULLES, DRIVE ET


USERCHES. - M. Étienne de Lettang; M. Bertrand de Loyac
ou des Loya!, M. Martin Boursac, M. Jean Gloston ou Clúst0n,
ttienne Bine! ou Bivet, Jean Regís ou Roguier.


Qt;ERCY. - M. Jean Sabatier, M. GuisGhard Scorbiat 011 Hiro-
hiat, Raymond Vetyer.


DUCHÉ DE BRETAGNE. - M. Jean .de Bonnefontaine, M. Jran
le loup, M. Pierre Delisle.


COMTÉ DE CHAMPAGNE
1'ROYES. - M. Philippes Belin, Denis Cleray ou Clairct, Jean


Puillot.
CHAUMONT. - M. Nicole Ch:woine 011 Chanoinr, M. Jacques


Nobis ou Nollet, Frango's Legrand.
VITRY. - M. Philibert Glayne ou Glame, M. Claude GOllet, An-


toine Morel 00 Mois.
MEAUX. - M. Jean Frolo ou Frollo, M. Rolland Pietl'p on Ro-


land Frollo, pretre, Nicole Sanguino
PROVINS. - M. Jean de Ville, IIran90is Bellot.
SEZAN:-lE. - Nicolle Pollet, Prudent de Choiselat, Jean Alart ou


Alarre.
SEXS. - Robert Aymard, Claude Gouley au Goutry.


CO\lTI·; DE TOULOUSE ET GOUVERNEMENT DE LANGUEDOC


TOULOUSE. - M. Guy Duraur ou Dufour, M: Claude Ternan Oll
de Thermion.


DEAUCAIRE. - Jean d'AILénas, Guillaume de la Mote 011 de
Matie.


CARCASSONNE ET BEZIERS. - M. Pierre du l'oix 011 Poios,
~I. Jacqlles Mercier, Jean Defolleticr 011 Folestier.


MONTPELLIER. - Gnillaume Tulfany.
LAURAGUAIS. - Bernard Faure ou Favory.
BAILLIAGE DE VERMANDOIS. - M. Jean Gosat ou Gossat,
~r. Pirrre NoCl, !\l. Jacques Demorillo[J.




502 APPENDTCE JI


SÉNÉCHAUSSÉE DE POITOU. - M. Frall90is AlllJert, 'i. .ll':!ll
Maineteauoll Manteau, M. Jean Brisseall, M. Claude du MOllssel
ou Monttret.


SÉNÉCHAUSSÉE D'ANJOU. - M. Guy Celunier ou Gui de Sinller,
M. Fran90is le Buret, Fran90is Marquis, Éticnne Berte.


SÉNÉCHAUSSÉE DU MAINE. - Philippe Tharon ou Charron,
Jaeques Chapelain, Jacques Brulé ou Bruslet.


COMTÉ DE LAVAL. - Étienne Journé.e, Jean Bordier l'alné ou
Bondue.
NOTA. - Lesdits Tharon, Chapela in et Brulé, ont empeché que


lesdits Journée et Bordier fussent enregistrés, parce qu'üs étaient
tous trois députés pour toute la sénéchaussée du Maine dont était
le cornté de Lava!.
BAILLIAGE DE TOURAINE. - M. Jean Bourgeau ou Bourgeois,


Astrérnoine Dubois, Jean Bolodeau on Belaudecan.
AMBOISE. - M. Fran90is Frornont ou Frornond, M. Helye de


Lodeau ou Todeau, M. Réné de la Cretonniere ou de la Breton-
nerie.


BERRY. - M. Claude Duverger, M. Jean du Monlin ou Moulut.
SAINT-PIERRE LE MOUSTIER, - M. Antoine de Reuil, M. Jean


Corrier ou Couris.
BOURBONNOIS. - Jean Feydeau on Foidean, M. André FeyoPRll,


M. Antoine de la Chaise, M. Pierre Cartoll.
FOREZ. - M. Jean Papon, M. Guichard Cotton.
BEAUJOLAIS. - M. Hugues Charton", M. Claude Chapuis (lU


Charpuis.
SÉNÉCHAUSSÉE D'AUVERGNE. - M. Jean de Murat, M . .T0a!i


Dupré, M. JulielJ de Marillac, M. Pierre de Touzoux ou Lomn" y ,
Jean Milles ou Millet.


LES BAILLIAGES DES MONTAGNES D'AUVERGNE. - Girarrl dE'
Saint-Marnet, Girard Rabier, Jean Busson, Jean Vignier, An-
toine Costel, M. Guillaume de Ryno, M. Guy Moussier on Rons-
sier, pour Salers et Valrnouroux.
NOTA. - Ledit Moussier ne fut pas enregistré, les autres dé-


putés prétendant qu'il n'avait aucun pouvoir pour la Haute-Au-
vergueo
SÉNÉCHAUSSÉE DE LYON. - M. Pierre Graslier, Antaine


Bouyin, Mathieu Pany, Jean Mandas, Clande Graves aH Grave.




APPENDICE II 503


BAILLIAGE DE CHARTRES. - Jean Couldier ou Couldrier,
1\1. Ignace Olive, Pi erre Beaudoin, l\Hchel Rihier, BarthéJerny
Dupont, Jacques Gondo ou Goudet.


DREUX. - M. Pierre de Rotrou, 1\1. Jacques Chaillon,
BAILLIAGES DE "MANTES ET MEULAN. -1\1. Jean Fizeau ou F11-


zeau, Pierre Jouvelet ou Jonvelet, Étienne Piget, Jean Douve-
noult ou Donnecourt.


BAILLIAGE D'Of!.LÉANS. -1\1. Pierre de Montdoré, Jacqucs Bour-
dineau,Guillaume Beauharnois, Jean 1\1ainfranc ou l\laniferrne.


GIEN. - M. Pierre le Noir, 1\I. Jean Chazeray ou Chazel'an,
1\1. Simon Dasnieres ou d'Amulliers.


MONTARGIS. - Nicole ou Nicola, Charpeutier.
COMTÉ ET BAILLIAGE DU P~RCHE. - M. Michel Rochanl ou


Rochau, M. NicoJe Goulet ou Groullet.
BAILLIAGE ET BARONNIE DE CHATEAUNEUF EN THlMERAIS.


_ Jean ", uflé.
BAILLIhGE D'AMIENS. - M. Jean Dugard uu Dngnast, ;VI. Fran-


'.(ois Sorion,
SÉ1,ÉCHAUSSÉE DE PONTHIEU. - Jean Maupin, 1\1. Adrien de


Béarin ou Meuzin.
S¡:;, ÉCHAUSSÉE DE BOULENOIS, - M. FOllrcy de la Planche.
P¡;;ROIli\E. - Me Adl'Ían le Febvre on le Fébure, Martin BOfi-


chart (JU Bouehar!, Michel Ponchin ou Bouchin.
MONTDIDIER. - M. Romain Pasquier, Clande Vyon ou Rion.
¡tOYE. - M. Gabriel Cornette.
SENLIS.-M. Jean-Berthelemy ou Barthelemy, M. Pierre Aubert.
BAILLIAGE DE VALOlS. - M. Jacques Tangueul ou Longueil,
~!. Nicole Bergeron.


CLERMONT EN BBAUVOISIS. - M. Jean Fileau, Nicolas Pulen
ou Pelu.


CHAUMONT EN Vr:XIN. - M. Nicolas Faguet, Pierre Dorgebray,
Guillaume Houle!.


BAILLlAGE DE MELUN. - 1\1. Drellx Janare ou Janul'e, Gauriel
Bourdin, syndic de la ville, M. Jean Bourdicr.


NE'IIOCRS. - M. Guillaurne le Doyan ou Doyen, M. Jean Ti-
b~illeur.


NIVr:RNOIS El' DONZlOlS. - M. Guy Rapine de Sainte-Marie,
M. Charles de Grantl'ye Ol! de Grantuc, M. Guy CfJquille.




504 APPEN DICE 1I


DAUPHINÉ. - Grimodan, Vicnnois, Saint-Marcellin, Embrull,
Gap, nrian~oll, Monthélirnar, Breil et Die, 1\1. Jean Robert,
M. Pierre Boissart.


LA VILLE ET GOUVERNEMENT DE LA ROCHELLE. - M. AlIla-
teur l3Iandin, ~I. PieITe Savignoll.


SÉNÉCHAUSSÉ8 D·ANGOUMOIS. - llélye de la Place, M. SÚ-
bastien DouteiHcr ou Boulheillicr.


DAILLIAGE DE MONFORT ET HOtiDAN. - ~I. Jacljues Gossain-
úUc ou Genssurnílle, !\l. Gllillaul1le TrOllssart ou Toussart,
M. Jean Suatin.


ETAMPES. ---, ¡y. Girard Gueruchy ou Guercivy, Jean Chompdoux
ou Champeuollx,:\1. SimOll AlIdran, M. Frall~ois Gervaise.


DOURDAN. - l\lichel de Lcscorne.
BLOlS. - .........
NOYONS El' SOISSONS. - ........


TOTAL, 224 députés.


TROISIl~l\1E LISTE
}~TAT5 GÉNÉItAUX 'fENUS A BLOIS EN 1576 1


VILLE DE PAHI::i. - Me ~icolas Lhuillier, prévot deo marchands
de la "iHe de París, Me Pien'e Versoris, ayocat au p:ll'lcmcllt
de París, M" ÁlIguslÍll le Prévol, échevin de ladite úllc.


PRIWOTÉ DE PAIUS. - Me Charles de VillemfJIIté, procureur uu
roi au Ch;\telet de Pari~; ponr la pré\"ólé ct "icomté de París.


DOüIWOG~E
n.\ILLIAGE DE DIJOX. -1\1< Picnc Jamin, lile l;llillalllllC lhl~cr.
BAILLIAGE D'AUTUN. -lile Geot'ges BOllot ou Bai(;l, ~Ie Clande


Bcrtaut ou Ilretaut.
BAILLIAG8 D8 CHALONS-SUR-SAONE. - Me Nic.,las Julicll uu


Julian, Me Claude Guilland on Gllillaud.


. .' n'ont vénhé leur pOll'OH'. Me Viene Villcdic;¡ 1 . , . Me Benolt Laurw)
l. Recllell de pi/'c.'" ol'ifliJlU¡"" rt IlIIl/¡cnli'l"es rONce/',,,,,,1 li! tcnue di', Nata


CCnC1'Uu.l J l\tti::, 11~9, t lJ, p_ ':!J.




APPENDICE 11 b03


BAILLIAGE: D'AUXOIS.-Me PhilibertEspiard, MO Georgesde Glugn)" •
BAILLIAGE DE LA MONTAGNE. - Me Edme Rayrnond.
BAILLIAGE DE MACON. - Me Jean Bouyer.
BAILLIAGE DE BAR-SUR-SEINE. - Me Jacques Vigner et Joseph


Durud.
BAILLIAGE D'AUXERRE. - MO Nicolas llrigedé, M" Germain


Boirot, Me Germain Grellé ou G!'eeI.


DUCHÉ DE NORMANDlE
LA VILLE ET BAILLIAGE DE ROUEN. -


1\1 e Erncry Bégot I .
M J 1 : pou!' la vll1e de Rouen. e acqucs e Smgneur,
Me Antoine le Barbier, pour le bailliage.


LE BAILLIAGE DE CAEN. - Me Martin Varin.
BAILLIAGE DE CAULX. - Guillaume de la }Ircnaye.
BAILLIAGE DE CONSTENTIN. - Gration Bouillon.
BAILLIAGE D'ÉVREUX. - Me Thomas Dnvivier.
DAILLIAGE DE GISORS. - Jean Langlois, Jaques Acar.
DAI LLIAGE n'ALENQON .-MoThomasComieron Corvier, J. James.
COMTÉ ET BAILLIAGE DE DREUX. - ....


DUCH[~ DE GUYENNE
S~NECIIACSSEE DE BORDEAUX. - l\le J. Émar et Franl/ois de la


Hiviére.
SÉNECIlAUSSgE DE BAZAS. - Jean de Pauvergne ou de Lau-


vergne, Archambault Rollé ou Roolle.
S~;NÉCHAUSSÉE DE PÉRIGORD. - Me Hélie de Jall.
SgNÉCIlAUSSÉE DE RODERGUE. - Me Fra[J90is de Lieu ou


du Rivi, Me Picrre Lourany ou Courally. -
SÉNÉCHAUSSÉE DE SAINTONGE. - Me Mathurin Gil1Jcrt.
SÉNÉCHAUSSÉE D'AGÉN01S. - Michel Uoiosonnndc.
PAYS ET COMT¡,'; DE COMMINGES. - Me J. Bertin.
PAYS ET JUGERIE DE IUVIÉRES-VERDUN, CAURE, I3ARONNIE


DE LÉONAC ET MARESTANS, D'ACQDES ET LES LANDES.- ....
SAINT-SEVER. - Bernard de Caplane.
ALBRET. - Joseph Deshordes.
SÉNÉCHAUSSÉE D·ARMAGNAC. - .H ..




506 APPENDICE II


CONDOM ET GASCOGNE. - l. Imbert et Léonard de Milet.
HAUT LIMOSIN ET VILLE DE LIMOGES. - 1\1' Simon de llouais


ou Dubois, 1\le Paris de Bouat ou de Lllat.
LE BAS LIMOSIN, COMPRENAN'f TULLES, BRlVES ET USERCIlES.


- 1\1' de la Fagerdie, ~le Pierre de Lescot, 1\1' lean BonIlet Oll
de Bonuer.


SÉNÉCHAUSSÉE DE QUERCY. - Me Piene de Regaiguac, Mo .J.
de Marignac, sire Jean Paufade ou Pansas, l\1o P. de la Cl'uix.


LE Ducnt DE BRtTAGNE ET SES DÉPENDANCEL
Me Artus de Fourbeur, Me l'icrre Martín, 1
Me Roland Bourdín, Me Piorre le Bou!an¡;er, d' , "
Me Fran90ís Mouan 011 Mocan, eputesgenel'aux
1\1e Robert Poullan, Me lean le Gobien, pOIl!' le duche,
~I· Pierre Gautier,
Roland Charpenticl' ,
M" Bernard le Bihan,


,


Me Guillaume Guyneman ou Guíndíuall,


l députeió
) particulierb.


LE COMTÉ DE CHAMPAGNE ET BRIE
lJAIL LIAGE DE TROYES. - Me Philippe Belin et Piel're Belín.
IlAILLIAGE DE CHAUMONT ENBASSIGNY. - Me Nicolas JobeEn,


Me Frangois Goutiére, Robert NuríOll ou Menoríer.
lJAILLIAGE DE VITRY. - Me Jacques Linaig-c ou Ligtlage,


Me Germaín Godet.
BAILLIAGE DE MEAUX.-M" Holland UUióset ou Cossol, Jean Lebe!.
IJAILLIAGE DE PROVINS. - Gérard Janvíer.
IlAILLIAGE DE SEZANNE. - 1\1c Frangois de VilIiers.
BAILLIAGE DE SENS. - M' J. Hocher ou Hícher.
BAl'LLIAGE DE LANGRES.


M. AlIloillD Ilollvot, Id" . l' S
M. GlIillanme Médard, j cputes partICll !Ct's sous ens.


BAILLIAGE DE CHA'l'l';AU-'l'RIERRY. - Jcan Marteau.


COl\lTl<: DE TOULOUSE ET GOUVERNE~IENT DE LA. .... GUEDOC
SÉNÉCHAUSSÉE DE TOULOUSE. - M" Beman! de Supcrsüllctis,


Me Sarnson de la Croix.
SÉNÉCHAUSSÉE DE BEAUCAIRE. - .....
BAILLIAGE DE VELLAY ET SÉNÉCHAUSSI~E DU PUL - nuy


Bonrdel, dit YraCl OH Yl'ail, G [Iy Ddi¡;ues Ol! de Lyques.




APPENDICE II 507


SENÉCHAUSSÉE DE CARCASSONNE ET BÉZIERS. - Me Raimond
Leroux, M" Gibaon ou Gibron.


MONTPELLIER. - .....
SÉNÉCHAUSSÉE DE LAURAGUAIS. - Antoino de Lourde.
BAILLIAGE DE VERMANDOIS. - Me Jean Rodin.
~AINT-QUENTIN-SOUS-VERMANDOIS. - Fran~oi8 Grain.
SÉNÉCHAUSSÉE DE PUITOU ET DE MAILLEZAIS. - Me Piel're


Rat, Mo Joseph le Chasele ou le Basilc,
Me Léonard Thomas J' ' U. A d '1 B ' deputus de MontmorIllon-sous-Poiton.
,,. n re e eau,


SENKCHAUSSÉE D'ANJOU. - Me HiJaire Juheau, Jean Cotte-
blanche.


SÉNÉCHAUSSÉE DU MAINE, y COMPRIS LE COMTÉ DE LAVAL,
- Me Pierre Philippe Taron, Mo Mathurin Rochet, Jean Luonerc
ou Tourne ponr le comte de Lava!.


BAILLIAGE DE TOURRAINE ET AMBOISE. - Me Gilles Duverger,
~Ie Guillaume Ménager,
M' Pierre B10ndel,} l' 'h d d"
'1 L ' T' pour a senee aussée e Lou unols.
II e oms rlllcaut,


DAILLIAGE DE BERRL - Jaques Gallot ou Gassot, Me Frano;.ois
de Valentiennes, Me Gabriel llonnyn.


BAILLIAGE DE SAINT-P1ERRE-LE-MOUSTIER.- Me Jean Guyot.
SÉNÉCHAUSSÉE DE BOURBONNOIS. - Me Gnillaume Duret,


Étienlle Mallet on Mulse, Hugues de Cuzy.
LE BAILLIAGE DE ~'OREZ. - M" Pi erre Pommier, Me J. BOllzier.
BAILLIAGE DE BEAUJOLAIS. - Me Aimé Chouliel'.
SÉN~;CHAUSSÉE ET PAYS DE LA BASSE MARCHE, - Me Jaques


Brujas.
SÉNÉCHAUSSÉE DU BAS PAYS D'AUVERGNE. - ~le Jean Vectoris


011 Textoris, Me Jean de Basmaisoll et Pougnet, Me Antaine de
la Chaize, Guérin Faradesche, Christophe Pinadon.


BAILLIAGE DES MONTAGNES D'AUVERGNE, - M' J. Mirot Ol1
de Murat, Me .Tean Brandon ou Gravidon, M' Annet Tavernier,
Me Fran¡;:ois Gnillebault.


LA SÉNÉCHAUSSÉE DE LYON. - Antoine Scarron, J. de Massot,
J>hilibert Pérault pour le plat pays de I,yonnois.


LE llAILLIAGE DE CHARTI\E~. - 1\1e Ignaee Ollive, Me Nieolas
Guyard.




:íOS APPENDICB 1I
LE BAILLIAGE D'ORLÉANS. - Jal¡ues Chauvl'eux, Me Jean


Malaquin.
LE BAII.LIAGE DE BLOIS. - Me Simon RíoUe.
BAILLIAGE DE DREUX. - l\{e Ilernard Couppé.
LES BAILLIAGES DR MANTES &1' MEULAN. - Me Jean Phbcau,


Mo Jaques Uion, Eustache Pigis ou Pig-us.
BAILLIAGE DE GIEN. - Me Pierrc Arnoul.
BAILLIAGE DE MONTARGlS. - MO Nicolas Charpentier.
BAILLIAGE DU PERCHE. - Me Joseph Brissart ou llrizard,


Elienne Gaillart.
BAILLIAGE DE CHATEAU-NEUF.-Jean Moreau, ÉtienneContéreau.
BAILLIAGE D'AMIENS. - M' Jean le Quien, l\Ie Jaques Picardo
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE PONTHIEU. - Me Pierre le noucher.
SÉNÉCHAUSSÉE DE: DOULONNOIS, - l\{e Fursi de la Planche,


Me Pierre Declerc, pour Calais et pays reconquis.
PÉRONNE, ROYE, MONTDlDlER.


Foursi de ¡"rémicourt ou de Frcmiervot, ¡ p'
Me Robert Choquet, 5 pour eronne;
Floren! Gayant, labomeur, ¡JOur Raye; Antoine Dignon on Mi-
gnon, pour Montdillier.


BAILLIAGE DE SENLIS ET CHA' ~!ONT EN VEXIN. - Me Jcuu
Paulmart.


BAILLIAGE DE VALOIS. - M. Loys des A,'cnelles ou Anevillers,
prévót de Crépy.


BAILLIAGE DE CLEIlMO:i1' EN BEAUVOISIS. - 1\1 e Charles
CuveHer.


BAILLIAGE DE MELUN. - Lonis Marlinet.
BAILLIAGE DE IiEMOURS. - Me Jean Thiballicr.
BAILLiAGE DE NIVEI\N.AJS E1' DONZIOIS. - 1\1- Guy Coquillc,


1\1" 1\Iartln Roy.
PAYS DE DAUPHINÉ E1' 8E UUl EN DÉPEND, - Me Jaqul's


Colas, l\le Benolt de Flandrois ou de FlaGdrcs, 1\1- Charles
1\lilhanl ou ~:yliard, Clande Arnauld dit Vallan, Clande David,
1\1" Guillaume Leblanc, Me Gaspard llusso, M" Michel de Yl'zir,
Me Fran~o's ABan, 1\16 Jean Debourg ponr le bailliüg-c dI)
Vienne-sons-Dallphiné.


BAILLIAGE ET GOUVEHNEMENT DE LA ROCH¡;LLE. - "."
SÉNÉCHAUSSÉE D'ANGOUM01S. - Me Guy Cottin.




APPENDlCE 1I ?iOf.1


BAlLLIAGE DE MONTFORT El' HOUDAN. - Me !-Ioel Humon,
r\icolas Guyot, laboureur.


IlAILLIAGE D'ESTAMPES, - M' Jean Hau)' et l'ran<¡ais GÜll¡;ain
dit Chavron.


LE COMTÉ DE PHOVENCE. - Antaine Tharon et Me Loui:;
Lévequc.


LA VILLE DE MARSEILLE. - Me l'ran~ais Sommat.
LE CO}ITÉ DE LA MARCHE. - .....
CIIATELLERAULT. - Jacqucs Derthelin, Antoine Bela)'.
LA FERTÉ ALEPS OU ALAIS. - Gré¡;oire Auuiger, Marchand,


laboureur.
DAILLIAGE DE VENDOSMOIS. - Me Réné Dupont, Me Nicolas


Bouchart.
LA SÉNÉCHAUSSÉE D'AIX. - .....
LA SÉNÉCHAUSSÉE DE BAYONNE. - .....
MARQUISAT DE SALUCES. - Me Pierre de Chastillon, Fran90is


Marabot.
Députés dll ¡iel's état : t 50, Rans ceux qui sont arrivés depuis la


premiél'e séallce.


QU ATRIEME LISTE
.STATS GÉNI1RAUX TENUS A BLOIS EN 1588 I


VILLE, PRÉVOTÉ ET VICOMTÉ DE PARIS. - Michel Marteau,
prévót des marchands; Étienne de Neuill)', président de la
cour des aides; lean de Compans, échev·in;
Nicolas Auroux, lb'
Louis Bourdin, ourgeOls;
Louis d'Orléans, avocat.


DOURGOGNE


BAILLIAGE DE DIJON. - Dernard Coussin, échevin; Étienne B~r.
nard, avocat.


BAILLIAGE n'AUTUN. - Audet de ~ontal<u, lieutenant général;
Pbilibert Venot, échevin.


i. R'faei! tle pifces originales el alllhcllliqlles cOllcmWII/ .'u tcnIJe d,8 ¡¡a/s
ufllónw.?'. París, 1189, \. IV, p. 24.




510 APPENDICE 1I


BAILLIAGE DE CHALONS-SUR-SAONE. - Fran<¡ois de Thesen,
conseiller; Salomon Clerguet.


BAILLIAGE D'AUXOIS. - Claude de Rretaigne, Jehan Guillaume.
BAILLIAGE DE LA MONTAGNE. - Edme Remond, Jean Guennp-


bault.
BAILLIAGE DE CHAROLLOIS. - Girard Sanlnier, Clande l\Ialetes.
BAILLIAGE Dg MACON. - Philibert Barriot.
BAILLIAGE D'AUXgRRE. - Jehan Nandet, avocat du roi; Josr~li


le Muet, bonrgeois.
RAILLIAGE Dg BAR-SUR-SEINE. - Jehan de Lan~sllrois.


DUCHE DE NOR~L\NDlE
LA VILLE ET BAILLIAGE DE ROUEN. - Roller! Le lIannivel,


Gnillaumc Colombel, Guillanme de Pardeo
LE BAILLIAGE DE CAEN. - Jehan Vauquelin, Nicolas le Pelle-


tier, échevin de ladite ville. Latllber! Bunel de la Fosse.
BAILLIAGE DE CAULX. - Gessin Vasse.
BAILLIAGE DE COUSTANTIN. - Jean Pierres.
BAILLIAGE D'EVREUX. - Christophe Despaigne.
BAILLIAGE DE GISORS. - Robert le Page, Jean Dehcr~.
BAILLIAGE D'ALENQON. - NicolaR le Barbier, Jean J<1m8s, An-


toine le Molline!.


LE DUCHE DE G(jYE:\NE
SÉNÉCHAUSSÉE DE BORDEAUX. - Thomr,s de p('!:t¡;c, Frcl~!;:;


Duverger, Pierre Metyvier.
SÉNÉCHAUSSÉE DE BAZAs.-Jean de L¡¡uvergne,Jacqne;Jür.'¡er.
SÉNÉCHAUSSÉE DE ·PÉRIGORD. -' Helie de Jehan,. Hemof.ll de


la Brosse.
SÉNÉCHAUSSÉE DE ROUERGUE. - Pierre de Gerr?vy, Hllf'l¡eS


CauJet, Joseph de la Roche, GlliUanme de M;¡Hit"f1.
SÉNÉCHAUSSÉE DE SAINTONGE. - Étienne Scu\et.
SÉNÉC'HAUSSÉg D' AGÉNOIS. - Jehan de Branchut.
PAYS ET COMT~; DE COJvlMINGgS. - Sébastien de Lnzalas, Phi-


lippe d'Audnac.
PAYS ET JUGERIE DF, R1VIl~RES-VERDUN, GAURE, BARONNIE


DE LERNAC, MARESTANS, DAX, sÉN8CI\AUSSÉE DES LAN-
DES. _ ........ .




APPENDICE JI 5t1


SAINT-SEVER, ALBRET. - ••••••••
SÉNÉCHAUSSÉE D'ARMAGNAC. - Dominique Virres.
:5ÉNÉCHAUSSÉE DE CONDOMOIS. - Jean Dufranc, lieutenan!


général de Condom; Arnault Danglade.
HAUT LIMOSIN ET VILLES DE LIMOGES, - Michel Martin,


Emery Guibert,
LE BAS LIMOSIN, COMPRENANT TULLES, BRlVES ET eSER-


CHES, - Antoine rle Lestang, Piel're de Chenaillcs, Jean dí'
Maruc, J\fartial Chassain, Hamond Bonnet.


SÉNF;CHAUSSÉE DI': QUI':RCY. - Pierre de Regaignac, ayuca!;
Paul de la Croix, syndic des états; Pierre Arnaulrly, avocat.


SÉNÉCHAUSSÉE DE POITOU, FONTENAY ET NlORT. - Louis
de la Ruelle, Pierre Gastcau, Adam Firagneau, Guillaume Gi-
raudeau, I\épétés : Pierre Gasteau, Guillaume Giraudeau,


SÉNÉCHAUSSÉE DE CHATELLERAULT. - lean Raffeteau.
BRETAGNE. - Robert Poullin, sieur de Gel'lres, Pi erre Martin,


avocat du roi au siége présidial de Rennes; Antoine de Prene-
zay, avocat du roí au siége principal de Nantes; Guillaume Go-
det avocat en la cour de parlement de Bretagne; Donvalet-Ilis,
avocat en ladite cour et procureur syndic des bOllrgeois de
Rennes; Guillaume Chedanne, bourgeois de Vannes; Jean Picot,
procureur syndic de Saint-Malo; Gabriel Hus,sieur de la Bouche-
tiere, Robert Audouyn, procureur sJ'ndic de Quimpercorantin;
.Tehan COllsin, Maurice nrrlavance, !\tichel Pommeret, sienr di'
"1 Porte,


LE COMTÉ DE CHAMPAGNE ET BRTE
BAILLIAGE DE TROYES. - Philippe Dever, avocat au bailliage


de Tro~es; .Tacques Angcnoust, trésorier des salpétrcs du roi.
BAILLIAGE DE CHAUMONT-EN-BASSlGNY. - Étienne Porret,


lieutenant général audit bailliage; Jean Rozé, bailli de Joinville.
BAILLIAGE DE VITRY. - Jacques Linage, président audit bail-


liage et siége présidial; Jean de Saint-Remy, prévót et jllge
ordinaire de la prévóté royale de Sainte-Menehould.


BAILLTAGE DE MEAUX, - Philippe du Valengelier, conseiller
el u roi au siége présidial de l\Ieaux; Antoine Michelet, échcvin
de ladite ville. .


RAILLIAGE DE PROVINS. - Gllillaume le Court, receveur des
deniers commllllS de la ville de Provins.




APpgNDlCE Il


BAlLLIAGE DE S~:ZANNE. - Nicolas Doullée, lJoUl'geois de Sé-
zaUllO.


BAlLLlAGE 00 SENS. - Nicolas Goujet, avocat audit bailliag.,.
BAILLIAGE DE CHATEAU-THIERRY. - Jean Marleau, pl'ésidrn:


au siége présidial dudit liell.


LANGUEDOC


SÉNÉCHAUSSÉE DE TOULOUSE. - Pierre de Rahou, capitoul dI'.
Tonlonse; Étienne Tonrinierre, avocat; Pierre de Vignal]:;,
lJonrgeois.


SÉNÉCHAUSSÉE DE BEAUCAIRE. - M. Charles Dessores, COIl-
sailler du roi, juge dndit bailliage; Antoine Broche, dacteul'
es .Iroil, ponr le diocése d'Uzes; Jacques de Cazal-Martiu,
"vocat pour le lJailliage de Gévaudan.
S~5NÉCHAUSSÉE DU PUY ET BAILLIAGE DE VELLAY. - Mathi~1I


Triouséve, conseiller du roi en la sénéchaussée du l'uy; Claudc
Morgue, cO!lsul ••


MONTPELLIER. - .........
SÉNÉCHAUSSÉE DE CARCASSONNE ET BÉZIERS. - Pierre .1'As-


sal y, juge criminel en la sénéchaussée de Carcassollue.
SÉNÉCHAUSSÉE DE LAURAGUAIS. - Pierre de Vill(ll'oux, cOllsnl


de Casteln a udary.
PICARDIE


BAILLIAGE D'AMIENS. - Vineent le Hoy, Antoine Scarion.
SÉNÉCHAUSSÉE DE PONTHIEU. - Jean d(l llallpin.
SÉNÉCHAUSSÉE DE BOULONNOIS. - Thomas Dnwiquet, Il.obrrt


de Moictier.
PÉRONNE, MONTDIDIER ET ROYE. - Robert Choque!, Loui,


Fouehet, Fmnt¡ois Gonnet, Antoine Hnmiqne.
BAILLIAGE DE CLE~.MONT-EN-BEAUVOISIS. - .' ......
BAILLIAGE DE BEAUVAIS. - Claude de CauoI1llt', Charles le


llegue, Enstache Choffart. '
BAILLIAGE DE SENLlS. - Panl de COfnouailles.
BAILLIAGE DE VALOIS. - Franl]ois RangneiJ.
CHAUMONT-EN-VEXIN. - ......... .
BAILLIAGE DE MELUN. - Christophe Barbin.
BAII.LJAGE DE NEMOURS. - Sirne,n (jollet.




APPENDICE II 513


BAILLIAGE DE MONTFORT. - GilIes Guillard et Philippt' Bary.
BAILLIAGE DE DOURDAN. - Claude le Camus.
BAILLIAGE DE DREUX. - Bernard Couppé.
LF:S BAILLIAGES DE MANTES ET MEULAN. - Antoine Bnnni-


neau Jean Leau f't Gui Lecomte.
BAILLIAGE DE VERMANDOIS. - Adrieo de Fer, Iieuteoant ¡:é-


lléral au(lit bail!iage; Claude le Gras, cOllseiller audit siége; Ni-
colas Fouyn, lielltenant des habitants de Reims.


DAUPHINB. - Hllgues Desalles et Émard l\toissooier.
PROVENCE. - Honoré Ouyraud, Gaspard Richard, Plerre Matty,


Alexis Matenis, Pierre-Jean Domara, Pierre Pllgnaire et Jean
Carbone!.


LA VILLE DE MARSEILLE. - Jacques Vias.
BAILLIAGE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER. - Étienne Tenon,


Pierre de Berne.
SÉNÉCHAUSSÉE DE BOURBONNOIS. - Guillaume Duret, l.ouis


de Basmaison, Hugues de CUSby.
BAILLJAGE DE BEAUJOLOIS. - Christophe Fiet.
BAILLIAGE DE FOREZ. - Beno!t Blanchet, Jean Retournel, Phi-


lippe de Rnmier.
SÉNÉCHAUSSÉE DU BAS PAYS D'AUVERGNE. - lean de Bas-


maison, Pierre Dnfretal, Pougnct, Pierre Vryun de Livredoit,
Guillaume Castel.


HAUT PAYS D'AUVERGNE. - Jean Chabat, Gui de Cansel, Jacqnes
Dnplois, lourdain Hérault, Guillaume de Vines.


RÉNÉCIIAUSSÉE DE LYON. - horre Viaron, Nicolas Chapan-
nay, Pierre Dugas, Claude Berteval.


HAliTE ET BASSE MARCHE. - Antaine du Plantddis, Anloiu{\
Barret, Antoine Vacherie.


ORLBANS. - .......
S~;NÉCHAUSSÉE D' ANJOU. - Philippe Guesdon, caosciller rn


la ville et maire d'Angers; Martin Liberge, doeten!' fOil I'Ulli-
versité d' Angers.


MAINE. - M. Martin Ourleau, bailli du Mans; Mathul'ill lessa-
chet, avocat,Jacqucs Labis, juge général an ducl,é de Mayennp.


BAILLIAGE DE TOURAINE ET AMBOISE. - M. Gilles Duvergel',
lieutenant général de Tanraine; Guillaume Bessiau, siPlIl'
Deshayes, cOllSfliller all parlement de Bretagllc, hOlll'grois tic
~~.




514 APPENDICE II


Tours; Frauvois Lefranc, maire rl'Amboisf1; Ant.()ine Deeour"
a vocat du roí.


LODUNOIS. - Jacque Bonneau.
BAILLIAGE DE BERRY. - Henri Maréchal, ClanrJI' Lpbrlgu p ,


Claude Tabonnet.
LE BAILLIAGE DE CHARTRES. - Claude Sllreau.
LE BAILLIAGE D'ORLÉANS.'- Joachim Gl'rvaisp, Ag-nan Cinadat.
BAILLIAGE DE llLOIS. - Simon Niolle.
BAILLIAGE DE GIEN. - Picrre d'Aujou.
JlAILT,IAGE DE MONTARGIS. - Catbcrioe PNit.
RAILLIAGE DU PERCHE. - Deuis Hllhpl't.
BAILLIAGE DE NIVERNOIS ET DONZIOIS, - Guí Coqllillp el


Martin Roy.
VILLE ET GOUVERNEMENT DE LA ROCHELLE. - .......
RAILLIAGE D'ANGOUMOIS. - Geoffroy Nogeret.
BAILLIAGE D'ESTAMPES. - .lean Hony, Glande HaHlOn!!e~,


Jacques Putan et Jean Godet.
BAILLIAGE DE VENDOMOIS. - René Dupanl, Pierr'1 Vial!.


TOTAL, ·181 dr'putés, sans eeux qui sont arriv'\s !lepuis la pre-
miere séance.


CINQUIEl\fE LISTE
I~TATS GÚIÉRA1¡X CONVOQUÉS PAR L .... LIGUE ET TE~W8 A PAR¡S


EN 1593 t


DÉPUTÉS DE LA VILLE, PRÉVOTÉ ET VICOMTÉ DE PARIS.
- L'Huillier (Jean) maItrp. des cOlllptes, prévc.t dAS mal'chands;
De Nully (Eticnoe), sienr dudit Iieu, président au Parlement;
Lfl Maistre (lean), aussi présiden! au Parlcment; De Maspal'ulllt
(Étienne), sieur de Cheneviéres pn Brie, maitre des requetPs
de I'Mtel; BOllcher (Charles), sienr d'Orsay, pré,ident HI¡
~raod conseil; Bailly (Guillaume), présideot .en la Chambre
des comptes; Du Vair (Guillanmc), cans0illcr an Parlemrnt j
D'Orléans (Louis), avocat général au parlement; Lan::;lois (Mar-
tin), avoca!, échevin de Paris; Thiplement (Sél'aphin), sienl' de


t. Prores-verball.r des ela/s {lénrfau.1' de 1 :,93, rerueilli, el pub lié, p"r
~1. Angll<te Bernard, p. 3.




APPENDlCE Ir 5i/S


(jll~encourt, greffier UI1 grand conseil, secré~aire du roi,
11'Aubray (Claude), sieur de Bruyeres-le-Chatel, secrétaire du
roí; Roland (Nicolas), grand audiencier en la Chancellerie.


DtLÉGUÉS DU PAYS ET DUCHÉ DE BOURGOGNE
DIJON. - Bernard (Étienne), avocat au parlcment de Dijon;


vicomte pt maIeur rle eNle ville.
AUTUN. - Venot (Jacqucs), avocat au parlement de Dijon.
CIlALONS. - Languet (ClmHlr), sienr de Saint-Cóme, avoca!, an-


cien maire de la ville.
AUXOIS. - Blavol (Charles), avoca!, ma.ire de Semul'.
LA MONTAGNE. - Remond (Erlme), lieutenant général civil pt


criminel au bailliage da Chatillon:
MACON. - Mercier (Antaine), éln triennal du tiers état.
AUXERRE. - Vincent (Philíppe), sieur rle Tresfantaines, pré-


sident en l'électian rl'Auxerrc.


DÉPUTÉS DU DUCHÉ DE NORMANOJE
nOUEN. - Le Barbier (Nicolas), avacal général au parlemcnt dJ


la méme ville; du Four (Frangois), sicur des Fossés, échcviu
de Rouen, secrétaire dn rai; de Laval (Étienne), bOllrgeois et
échevin de ROllen.


PAYS DE CAUX. - Sore! (Odet), labourellr.
ALENGON.-Desparte.s (Jacques), lieutenant g(;!l~r¡¡l en la vícomté


d'Alengon au siége de Verneuil.
DREUX. - Langlaís (Denis), proclireur, syndic de la menw yil!c.


nF:PUTÉS DU GOUVERNE~mNT DE GUYE:-:i>I¡;;
St;Nr:CHAUSSÉE DU POlTOU. - Gnérin (E~prít), avora! <111 parlA-


ment, liculenant anx eaux et foréts de Poitíers.
DÉPUTÉS DU PAYS ET DUCHÉ DE BRETAGNE. - Bertié (Jean),


sienr du Mayncttc, conseíller au siége présidial de Dinan; Bigot
(Pierre), sieur du Brenil, procurenr de la ville de Fongeres.


DI~PUTES DES PAYS DE éHAMPAGKE ET BRTE
TROYES. - Martín (Louis), lieutenant au bailliage et siége pré-


sidial de Troyes; Le Baucherat (Simon), g-remer en chef en
l'"lectjan de la meme ville.




516 APPENDICE 1I


CHAUMONT. - De Grand (Fl'alll;<lis), lieutenanl criminel au hail-
liage et siége présidial de Chaul1lont; De Marisy (AlIselrne), 1'1'0-
CIlreur desdites cours.


SENS. - De la Mare (Claude), bonrgeois el rnaire de Sens.
MÉZIERES. - Moet (l'hilippe), sienr de Crc\'ccceul', l'l'ocnrclll' ,j"


la ';ille de lIeims.


DEPUTES DE L'lLE·DE·FIIANCE
UAIJ.I.IAGES DE \'EHMA:-iUOIS


LAON. - Le Gras (Claude), conseillcr au LJailliage de \'crman-
dois, prévót de Laon.


REIMS. - Frizon (Gérard), lientenant criminel au siége présidial
de Reims. •


SOISSONS. - Pepin (Franl(ois), avocal et bailli en la jurirlicliún
lemporelle de l'éveque.


DEAUVAIS. - Le Begue (Charles), bourgl'ois el échevin de Beau-
vais.


nEPurÉS DU PA YS DE pICAHDlE
SÉNÉCHAUSSÉE D'AMIENS. - Castelel (Franc;ois), bourgeois


et ancien maleur d' Amiens.
DOULONNAIS ET MONTREUIL.-Castelet (Franr;:ois), déja nomm8,
l'ONTHlEU. - Maupin (Jean), conseiller en la sénéchaussée de


Ponlhieu.
DÉpUrES DU GO[j\'ERNI~MENr D'ORLEANS


BAILLIAGE ET S~:lÜ:CHAUSS~;E D'ORLÉANS. - Brachet (An-
toine), sicUI' de la lIoesche, a\'Ocat au présidial d'Orléalls¡ l.,'
Breton (Antoine), hourgeois et ccilevill de la memc villc.


DERRY. - De Saint-P,~re (Fran90is), secrélairc du roi.
AN.JOU. - Le i\!oille (Jacqucs), sieur de la Riviere, procurenr!lu


roi au siége préúdial d' Anjoll.
MAI:>:E. - Dllmans (Julien), aroca\ du roi il la sénéch~nss"','


dI! MailH;; dü la !'ontainc (Jlllicn), rcc'"\'CIll' des tailles 1111
la généralité rln TOllraine¡ ~"II'c~au (Martín), lieulcn:wt g-0n'~r;tl
11.1 la sénéchanssée du l\laille.


LA \'AL, - Roues (Gllillallme), ,ieul' '''1 pO\"PI, rel;erel1l' ¡J(~S 'ilHIt!.'
<'l aide~ en 1'(olrClioll du ~!;¡illl'.
A\()Ot;~¡(IIS. -"- l\')lIr~ilill; (11"j'(jl;c-l'irl'l'c), jll~r-pl'ht)t ¡J'Au-
~41L1lellle:




APPENDlCE JI


Df:PUTÉS DU r.OL'VERNEM~NT DU LYONNAIS
BAILLIAGE ET S¡;;NgCHAUSS¡;;¡'; D¡'; LYON. - De ViIlal's (Guil-


Jallme), avocat au siége présidial de celte ville; Gelas
(Guillaume), bourgeois et échevin de Lyon; Grollier (Jacques),
de l' Arbresle, député pour le plat pays du Lyonnais.


BEAUJOLAIS. -Le Brun (Claude),avocat au bailliage de Beaujeu.
DÉPUTÉS DU COMTÉ DE PROVENCE. - Du Laurens (Honoré),


avocat génél'UI au Parlement de Provence.
ARLES. - Chalot (Gaspard), docteur en droit, assesseur de la


maison commune.
COIIPOSITION D~S BUREAUX POUII I.E TIERS ÉTn:


L'HuiJIier (Jean), président;
Venot (Jacques), évangéJiste;
Le Boucherat (Simon), évangéliste;
Thíelement (Séraphin), greffier et secrétaire.


SIXIEME LISTE
ÉTATS GÉNÉRAUX TENUS A PARIS EN 1614 i


PRÉSJIlENT DE LA C\lA~mllE DU TlElIS ÉTAT, messire RobCl't Miron,
conseiller na roi en ses conseils d'État et privé, présidellt es re-
queles de sa COlll' de parlement, prévost des marchands de la
vilie de Pa riso


POUl\ LA VILI.E DE PARIS. - Noble homme maitre Israel DéS-
nIPux, ¡rrenelíer au grenier a sel de París, sienr de Mézii!res
el ['un !le~écbevins de la viIle de Paris; noble homille M' Pirrrp
C1apisson, crH1seiller du roi en son G/las/elel ei siége présidial
de Pm', s, el ,'un des échevins de la ville, nommé et éll1 évan-
gélisle en ladite asscmblée du tiers état; noble homme PicrI'e
Sainctor, seignellr de Vemars, et I'un des conseillers de la villp;
noble homme M' .lean Perrot, seigneur du Chesnard et I'IlLl des
~onseillers de ladite ville; Nicolas de Paris, bourgeois de ladite
ville.
PR~;VOTÉ ET VICO~IT~; DE I'ARIS. - Messire Henry tle Mesmes,


seigLleur ¡J 'lrval, cOllseiller dll roi en ses conseils d 'Etal et pri",",
lieute(j"nt (icil d~ la prérrilé el viwmlé de Paris, ~III pr,\siu"lIt


. h ('/( "/ dt' pi. (' s o· ig':llu/f'N d rutlh<'lIl:que,r.: (,Olll'crnau/ Itl le:JlU dr.\' dais
vfllérofll'. P,.ri..;, 17~!1) t. \', p. 33.




APPENDICE II


PI1 I'ah,ence du sieur '[iron, député ponr la prévóté et vicol1lté
¡Jo Paris.


DUCHÉ DE BOURGOGNE
BAILLIAGE DE DIJON. - MaItre Claude Mochet, seigneur u'Aw,


avocat au parlement de Dijon et conseil des t,oÍs étnts ,lu pays;
~lessire Réné Gcrvais, conscillcr du roi et lieutenant général al!
lmilliage de Dijon; Mo Antaine Joly, conseiller dn roi; greffler
au parlement et anx étaLs de Bourgogne.


BAILLJAG8 D'AUTUN. -lite Philibert Venot, :1\'ocat au dit lJail-
liage; M' Simoll Montaign, lieutenant général en la chanceIJerit'
u'Autun et virq dudit lieu.


BAILLIAGE DE CHALONS-SUR-MARNE.- 1\10 C;nillaume Prisqne,
sieur de Serville, lieutenant criminel au büilliage de Cbúlolls;
lIl° Abraham Perrant, conseiller audit bailliagc et mairc de la~
dite ville.


BAILLIAGE D' AUXOIS. - Noble homme Claude Espiart, con-
seiller et secrétaire du roi, audiencier en la chancellerie ¡Jp
Bourgogne; noble homme Jacques de CllIny, conseiller du roi
et juge prévótal en la villo d'Avallon.


IlAILLIAGE DE LA MONTAG;'¡E. - Noble homme Claude-Francois
le Sain, tOnseillel' dll roi, lieutenant général au hailliage d(: la
:\lontagne, siege présidial de Chastillon.wr-Seine; M' Frallí:ni~
de Gissey, conseiller du roi et lieutenallt général en la ch~nC01-
lerie de Chastillon-sur-Seine.


BAILLIAGE DE CHASROLLOIS. - Me Claude Maleteste, avocal :lI1
bailliage de Chasrollois; :Me Claude de Ganay, hieur de l\lout.'.-
guillon, lielltenant au bailliage de Chasrollois.


BAILLIA(]E DE MASCO;'¡. - Messire lIugues }<'ouill<1.rd, conseiller
Ilu rai et ¡ientenant général alldit lieu.


BAILLIAGE D'AUXERRE. - Noble homme "'Je Clande Chevalicl',
conseiller du roy et lientenant général au bailliage et siego/'
présiclial dudi! lieu; (:iuillaunie Beranlt, sieur du Sablon, jugo,
conslll·échevin de ladite '1ille •.


BAILLIAGE DE BAR-SUR-SEINE. - Noble homme L<1.zarc Co-
queley, maitre partieulier des eaux et forÓls, el mairc iludit
Bar-sur·Seine.


DUCHE DE NORMANDlE


VILLE DE ROLEN. -Noble' homme Jacques H¡¡ll,', seignelll'llr
CJntelru, collsriller et Sl'cl'f~t¡¡ire rln rov, maisall pt eouronne Ilr




APPEliDlCE II ií I!)


Franee, ancien cOl1seiller, seeono éehel'in el o¡;puté d'ieelle ville,
llommé et élu secrétaire et greffier dudit liers état de Franee,
en la présente assemblée des élat~ g-énéraux; noble homml:
l\!iehel Maringe, sieur de Montgrimol1t, aussi con~eiller et se-
era,aire du roi, el contt'(lleur en sa chancelleric de Normandip,
conseiller el échevin rnoderne pt (léputé de ladite ville.


RAILLIAGE DE ROUEN. - Honorable homrne Jacques Gampion
d'Allzouville-sur-Ry, député du bailliag-c.


VILLE ET BAILLIAGE DE CAEN.' - Gllillaume Vallqllclin,
<'elIyer, seigneur de la Fresna \'e, conseiller du roy, président
et lieutenanl géoéral dudit haillias-e el siége pré~idial, mililrc
des requiltes ordinaires de I'Mlel de la reine, députú ponr la-
,lit.e vi1le de Caen; Me Abel Olivier, sieur de la Font.aine, ¡'un
rles syndics de Falaize, déput~ lIour le bailliage.


BAILLIAGE DE CAUX. - Gonstantin Housset, de la paroisse di'
Flamanville.


BAILLIAGE DE COUSTANTIN. - l\1' Jacques·Gerrnain d'Arcan-
ville, avocat i1 Carentan, seig-ncur de la eornlé.


BAILLIAGE D'ÉVREUX. - Me Glaude le Doux, écuyer, sieur de
Melleville, conseiller du roy, maitre des requétes ordinaires el,>
la reine mere du roi, président et lieutenant général, civil pI
criminel, audit bailliage et siég-c l'résirlial.


BAILLIAGE DE GISORS. - Noble homme M" Julien le Bret,
conseiller du roy, vieomte de Gil<ors.


U.i1LLIAGE D'ALENCON. - Noble homrnr. Me Pier['~ le Rouillé,
conseiller du roi, et son avocal audit bailliage el siége présidial.


GOUVERNEl\\ENT DU PAYS ET DUCHT~ DE GUYENNE
VILLE DE BORDEAUX ET S¡';NÉCHAUSSÉE DE QUYENNE.-


Noble hOOim€ Me Jean de Claveall, conseiiler du roi et premiet'
"Ilbstitut de l\l. le procurellt' g0néral, avocat en parlcrncnt,
jurat de la ville de Bordeaux: noble hornme !\le Isaac dl>
Boucand, député de ladite ville el sénéchaussée de Guyenur,
comeiller du roi en ladite sénéchaussée el siége p['ésidi~l, rl¡j-
puté de ladite ville et sénéchaussúc de Guyenne.


SÉNÉCHAUSSÉE DE BAZADOIS. - Me Antoine de l'AuverfZne, coo-
seiller du roi, et lieulenant général en la sénéehausséc de Bazas.


SÉNÉCHAUSSÉE DE PÉRIGORD. - M8 Nicolas Alexandre, avocta
au siége présidial de Périgueux; M" Pierre de la Broulle, con-
seillel' dll roi, lientenant général criminel au siége de Sarlat.;




:>20 APPENDICE II


Me André Chat'l'on, conseillrr du roí, pt 1í~lIt0nanl gÚléral au
siége présidial de Bergerac.


SÉNÉCHAUSSÉE DE ROUERGUE. - M' Jean-Gilles Fabry, uúc-
teur, premier consul de la citó de Rodez, juge de Coneou/'e,;
Antoine de Bandinél, seigneur de la Roquette, premier consul
de la ville el bour::; de Rodez; Fouleranll Coulonge., coosul
de la Villefranehe; 1\1. Jean Guérin, docteur, lieulenant en
la judicature royale de Creisses et consul de l\Iilhau; noblp
homme Jacques de Fleircs, sieur et baron de Pouson, docleur,
syndic général audit Houergne.


SÉNÉCHAUSSÉE DE XAINTONGES. - Haymond de I\hll1taigne,
seignellr de Saint-Gene, Combrac, la Vallée ct autres place s,
conseiller uu rol, et lieutenant en ladite sénéchau~sée.


SÉNÉCHAUSSÉE D'AGÉNOlS. - M" lean Villcá10n, conseiller el
procureur du roi en [adite sénéchaussée; Julien de Cambe[ortl,
écuyer, sieur de Selves, premier consul de la ville d'Agen;
M' Jean de Sabaros, sieur de MOlherouge, avocat au parlement
de 'Ilordeaux, syndíc dudít pays.


t;TATS, PAYS ET COMTÉ DE COMINGES. - Frangois de Combis,
écuyer, sieur dudit Jieu et de la Mothe.


PAYS ET JUGERIE DE RIVIÉRE, VERDUN, GAURÉ, BARONIE
DE LERNAC El MARESTAING. - M' Louis de Long, consei!l('1'
flu roi, et juge général anxdits pays.


DAX ET SÉNÉCHAUSSÉES DES LANDES ET SAINT-SEVER. -
M" Daniel de Ilarry, conseiller du roi, et lieutenallt général eJl
la sénéchaussée des Landes, an siége de Saint-Sever; M' Arnanl
on Coisl, syndic général du pays el siége de Saint-Sever,.d6pul{'
COIUmc coadjutcnr audit sieur de Barry, attendll son inuispositioll.


ALBRET. - M' PicfI'e dll Iby, eonseiller du roi, Iieutenant civil
et criminel en la sénéchaussée d'Albret; M" lean Broca, COll-
sul de la ville ue Nérac, avocat an parlement de BOl'deaux pt
chamlJrc de Guiennc.
SÉ~ECIIAUSSEE D'AnMAGNAC. - Me Sanmel de I.ong, consriller


du roí, lielltenallt général, et juge muge en la sénéchun.'sée
t!'Armagnac.


VILLE ET COMTÉ DI': CONDOM ET St~NÉCHAUSSÉE DE GAS-
COr.:-i¡':' - Nobltl (¡omme Gnillaume POllchalun, [>l'f'll¡iL')' rOIJ"'¡
d.,Condom, sieul'de la Tour; /loble homme Raimond de GoujOlJ,
[¡ourg-eoi, pt jurat de ladite ville,


HAl;T LIXIOSI!í ET VILLE DE LIMOar:S. - L?onarrl dI! ChMtpl1rt,




A.PPENDICE 11 521


sieur el baron du Mural, conseillcr du roi, lientenant général
en la sénéchausséc de Limoges, el siége présidial de Limoges,
dépulé lanl de la ville el cité de Limoges que des autres villes dn
plal Pays, nommé el éIu évangéliste; Grégoire de Cordes,
sieur de Sain! -Ligourde, lJourgeois de Limoges, aussi depulé
de ladite ville, pour assister ledit lieutenant général.


!lAS PAYS DE LIMOSIN, COMPRENANT TULLES, BRIVES ET
UZERCHES. - M' Frangois du 1\las, sieur de la Maison, !lobIr
de la Chapoulie, et és dépendallces de Pradel-Ia" Gane, el la
Ganterie, conseiller du roi, et lieutenantgénéral en la séné-
chaussée du Bas Limosin, et siége présitlial de Brh"es-la-Gail-
larde, député pour ledit Bas Limosin; M' Pierre de Fenis, sicL1l'
du Tbeil, conseiller du roi, el lieutenant général en ladite séné-
chaussée, aussi uéputé pour le Ras Limosin.


SÉNÉCHAUSSÉE DE QUERCY. - M" Pi erre de la Fage, docteur
és uroit, avocal au siége présidial de Cahors, el premier con-
sul de ladite ville; M" Paul de la Croix, docteur ct syndic dudit
pa y s de Querey.


PA YS ET COMTÉ DE BIGORRE. - •••.•
DCCHÉ DE BRETAGNE. - Gtiy-Gonault, écuyer, ¡,ieur de Séné·


grand, conseiller du roi, prévcit et juge ordinaire de Rennes;
noble homme Julien Salmon, siellr de Querbloye, conseiller du
roi, et son procureur au .i6ge présidial de Vannes; noble
homme Raoult Moirot, sienr de la Gorraye, eonseiller du roi, et
sénéchal de Dinan; noble homme Jean Perrel, sieur ce Pas-
aux-Biches, conseiller dll roi, lientenant en la juridiclion de
Ploermel; noble hornllle lean Picol, siellr de la Giclaye; noble
homme M" Mathurin ROllxel, sieur de Beauvais, procureur-syn-
die des habitants de Saint-llrieuc; noble homme Jean de Ha-
funis, sienr de Lespinay, procurenr-syndic des étals de Bretagnr.


CO.\ITÉ DE CHAMP.\GNE ET BRIE
BAnLIAGE DE TROYES. - M" Pierre le Noble, conseiller du roi,


président et Iieulenant général au baiiHage et présidial de Troyes;
Jean Raziu, écuyer, sieur de llouilly el Besenes, maire de Tro~·es.


BAILLIAGE DE CHAUMONT EN BASSIGNY. - 1\1" Fran~ois de
Grand, conseiller du roi, et lieutenant criminel au bailliage tle
Chaumont; Me FranQoisde Juilliot, conseiller du roi au présidial
de Chaumont ét maire de ladite ville.


BAILLTAGE DE YTTRY-í.E-FBANCOIS. - M' Jacques Ilotet .. sieur




A PPENDlCE n


t1e Bestans, conseiller dn roi, prévot el jnge ordinaire de Vilry ;
M' Fra1l90is Rouyer, avocat an parlement de Paris, résirlant 11
Sainte-Menehould.


RAILLIAGE DE MEAUX. - M' Louis Barre, avocat au bailliag-e
et siége présidial de Meaux; M6 Jacqucs Chalcmot, ancien a\'o-
cal el échevin de ladite ville.


RAILLIAGE DE PROVINS. - M'" Pierre Retel, conseiller dn roi, el
lieutenant particulier, assesseur au bailliage et siége présidial
de Provins.


RAILLIAGE DE SÉZANES. - 1\1' Jacques Champion, pt'Ocureur
du roí an bailliage de Sézannes, décérlé pcndant lesdits états.


BAILLIAGE DE SENS. - M' Rernard Angcnoust, écuyer, ~ieur
de Trencault, conseiller dll roi, lientenant général au bailliage
et siége présidi,ll de Sens.


RAILLIAGE DE CHASTEAU-THIERRY. - elande de Vertu, écuyrr,
sieur de Macongay, conseiJIer du roi, président et lieutenant
criminel au bailliage et siége présidial de Chateau-Thierry.


COl\'lTE DE THOULOUZE ET GOUVERNEME~T DE LANGUEDOC
SÉNÉCHAUSSÉE ET VILLE DE" THOULOUZE. - M' Jean dr


Louppes, conseiller dn roi, et son jllge criminel en la sén~­
chaussée de Thoulouze; noble homme M' Pierre Marmiessc,
(locteur es droit, avocat au parlemcnt de Tholllollze, el ca-
pitoul de ladite ville; M' Fran~ois de Earie!", ()(lctcllr f't ayo-
cat au parlement, capitoul et chef de consistoire [le la maison
de ville audit Thoulouze, député de ladite viUe.


SÉNÉCHAUSSÉE DE BEAUCAlRE ET NISMES. - Me Frangois r1c
Rachemore, conseiller du roi, lientenant général en la ,él l." -
chaussée de Beaucaire el. Nismes; noble homme LOllis de Genoill,
consul de la ville d'Uzez.


SÉNtCHAUSSÉE DU PUY ET BAILLIAGE DE VELLAY.-
:\1' Hugllcs de Filcre, conseiller du roí et lieutenant princi-
pal en la sénéchallss6c du Puy; Me Jean Vitalis, dacteur en
médecine et premier eonsul de ladite ville.


GOVVERNEMENT DE ,W;,\TPELLIER. - Daniel de Gallico, COl1-
seiller dn roi, trésorier g"énéral de France, premier conslll pt
vigllier de ladite ville.


stNÉCHAUSSÉE DE CARCASSONl\B BT BltZIERS. - M' Philippe
le Roux, seigneur 11' Alzonne, conseillf'r dll roi, president el jllge-
ma;;>:p, lieuten3nt né el général en la ,én('I~Il<l1l~~ée ¡]r C.1rcn,-




APPENDICE n


sonne et Béziers; David de I'Espinasse, écu~cr, premier coosnl
de la ville de Castres et député d 'jceHe.


SÉNÉCHAUSSÉE DE LAURAGUAIS. - Raimond de Cup, conseillcr
du roi et juge-mage de Castelnaudary.


PAYS ET COMTÉ DE FOIX. _Me Bernard Méric, docteúr et avocat
en la sénéchaussée, et procureur du roi en la ville de Foix, ca-
pital dlldit comté.


BAILLIAGE DE VERMANDOIS. - M' Etienno de Lalain, sieur
d'Espuissar, Roquinicourt, la Suze, avocat au bailliage de Ver-
mandois et siége présidial de Laon.


SÉNÉCHAUSSÉE ET PAYS DE POITOU, FONTENAY ET NIORT.
- Réné Brochard, écuyer, sieur des Fontaines, conseiller
du roi an siége présidial do Poitiers; ]\l' Fran00is Brissoll,
écuyer, sienr du Palais, conseiller dn roi, et son sénéchal i\
Fontenay; sire Coste Arnant, marchand de la ville de Poitiers.


SÉNÉCHAUSSÉE D'ANJOU. - M· Frangois Laníor, síenr de Saint-
James, conseiller du roi et lieutenant géméral d'Anjoll;
M' Etienne du Mesnis, ancien a vocat audit siége; Nagnérrs,
maire et capitaine de la ville d'Angers,


SÉNÉCHAUSSEE DU MAINE. - :Me Michel Yasse, Iieuten'lnt ¡:;é-
néral criminel de la sénéchaussée dn Maine, décédé pendant
lesdits états; Me J ulien Gancher, premier et ancien avocat (111
roi en lactite sénéclIaussée.


BAILLIAGE DE TOURAINE ET AMBOISE. - M' Jacques Gauthier,
conseiller du roi an parlement de Bretagne, président an prési-
dial de Tours; M' René de Sain, conseiller du roi 'et trésoricl'
général de France, et maire de la ville de TOllrs; noble homme
:M' Jean Dodeau, conseiller du roi, lientenant général an hail-
liage dudit Amboise; noble homme Claude Ronsseau, procnrenr
dn roi en l'élection et anc1en échevin d' Amboise.


BAILLIAGE DE BERRY. - Lonis FoncanLt, écnyer, sienr de
Champfort, conseiller du roi, président au siége présidial de
Berry et maire de la ville de Bourges; noble homme Philíppe-
le-Bégue, avocat du roi et conseiller andit présidiaL; noble
homme Franc.;ois Carcat, conseiller du roi et son procurellr all
siége royal d'lssoudun; noble homme Paul nagueau, conseiller
du roi, et lieutenant général civil et criminel allX bailliage el
siége royal de Mehun-sur-Yévre.


BAILLIAGE DE SAINT-PIERRE-LE-MOUSTIER, - Noble homme
Me Gascoing, conseiller du roi el Iieutenant gp.néral aux bail-
liage el siége pr~sidial de Saint-Pierre-le-Moustier; noLle




APPENDICE 11


Itomme Florímond Rapine, sieur de Samxi, conseiUer du mi el
SOIl avocat andit siége.


SÉNÉCHAUSSÉE DE BOURBONNOIS. - Jean de Champfeu, sei-
gneur aes Gal'ennes, conseiller du roi et présidcnt au bureau
de~ finances établi á Moulins, et maire de ladite ville; Jean de
l'Aubespin, écuyer, bailli et gonvernel1r de Montaigu-les-Com-
brailles, trésorier général de France al1dit Moulins; M' Gilbert
Balle, sieur du Petit-Bois, Iieutenant civil et criminel en la
chastellenie d'Ainay; M' Jean Berauld, lieutenant général, avo-
cat en la senéchaussée de Bombonnois.


BAILLlAGE DE FOREZ. -: M' Pierre Rival, assesseur en la
prévóté et premier échevin de la ville de Múntbrison ; M' Claudi'
Grej'solon, syndic dudit pays de Forez.


BAILLIAGE DE BEAUJOLOIS. - Noble homme Claude Chul'rr-
ton, seigneur de la Terríere, conseill 'du roi, lieutenant gé-
néral, civil et criminel audít bailliage.


LE BAS PAYS D'AUVERGNE. - Les deux lieutenants générallx
des sénéchaussées établies audít pays, et Guiliaume Marilall,
échevin de la ville de Clermont, capitale dudit payi;.
NOTA. - Lesdits lieutenants ne sont nomm~s, pour ce que,


lorsque le greffier voulut lire le nom de me.sire Antoine de
Mural, comeiller du roi en ses conseils d'État et privé, lieutenant
g-énéral en la sélléchaussée el siége présidial qui mnt établis ;\
lliom, maitre lean Saval'on, sienr de Villars, cünseiller du roi,
président et lieutenant général pn la sénéchaussée et síége pré,j·
dial qui sont établig a Clermont, s'y opposa; el sur ce fut suivie
la dépulation en laquelle i1s ne sont nomlllés, et ce en consé'luence
de l'arrét du conseil donné a. Nantes, en aoust dernier, par le-
quel les différends des litres et prél~o3'atives de leurs 6ié~'cs sont
ren\'o~és en la Cour.
HAUT PAYS D'AUVERGNE. - 1\{' Pierre Chahot, consciller du


roí, lieutenant génl':ral, civil ct criminel al! bailliagc du Haut·
Auvel'gne, établi á Saint-Flour, capitale el pl'incipale dndit l'a)'s;
Pierre SamOI, second cOllsul de la viile de Saínt-Flourj I\l' lean
lIfonthcil, avocat andit baillíage de Saint-Flour; Me Jean Sauret,
avocal au parlement de Pal'is, el y demeurant; en cas d'ahscllcc
dudil Pierre Sauret, consul, son frere, subrogé en son lieu.


SÉNÉCHAUSSÉI<: DE LYON. - Nobie homme M' Pierre Austrein,
soigneu~ de Jül'llosse, pcé;ident an parlement de Domhos, lien-
tenant en la sénéchaussé'e el siégc présidial de LYOll, 311difellr
de champ au gouvernenwllt dudit Lyon J pays de LyOllUr)jsJ Fa-




API>ENDICE I1


re~l el Bealljlllois, el prevot des marcha nds ,Ir. la ville de L yon;
M" Charles Gl'Ollier, écuyer, seigncur d'Escollvíres, avocal el
procureur général de ladite ville; M' Jean de Moulceau, avocat
au conseil privé du roi, député de la ville de Lyon; M' Jean
Goujon, avocat en ladite sénéchaussée et siége présidial de Lyon ;
M' Philippe Tixier, capitaine el chastellain de Dargoire, syndic
du plat pays de Lyonnois, député dudit plal pays de Lyonnois.


BAILLIAGE DE CHARTRES. - M' Fralll;ois Chavaine, conseiller
!lu roi, président aux bailliage et siége présidial de Charlres;
M' Jacques des Essarts, conseiller audit siége, conseiller d'État,
député pour le bailliage de Chartres.


BAILLIAGE D'ORLÉANS. - Messire Fran~ois de Beauharnois,
conseiller du roí, président et lientenant général aux bailliage
el siége présidial d'Orléalls; Guillaume Rousselel, bourgeois de
la ville d'Orléans, député du tiers état de ladite ville; el en-
(',Ore lediL Brauharnois, député du tiers état des chastcllenies
royales et non royales dudit bailliage; 'M' Auguslin de I'Isle,
conseiller dn roi el lieutenant du hailly d'Orléans alI síége de
Chasteau-Regnard, député pou!' le tiers état desdites chastel-
Icnies, en cas d'absence ou maladie dudit Beauharnois.


BAILLIAGE DE BLOI8. -Guillaume Ribier, écuyer, sieur de Haut-
Yignnn, conspíllcr du roí, président el licutenant gúnéral aux
bailliagc et siége présidial de B1ois; noble homme Jean Cour-
tin, sieur de Nantheuil.


BAILLIAGE DE DREUX. -Me Thibau1t Couppé, sieur de la Plaine,
licencié es droit, advocal au bailliage de Drcux.


BAILLlAGE DE MANTES ET MEULAN. - M" Jean le Couturier,
consciller du roi, lieutenanl général, civil et criminel allx ball-
liage et siége présidial de Mantes; Anthoine deViot, conseiller
du rol, lieulenant civ)l et criminel an siége royal dudit Meulan.


BAILLIAGE DE OIEN. - M" Daniel Chascray, sieur de Beaux-
Noirs, conseiller du roí et lieutcnant général, civil el criminel
audit bailliage et comtó de Gien; Me Pierre le Piat, aussi conseil-
ler du foi, prévost etjllge ordinaire, llcutenant civil, assessellr el
criminel de la ville et comté de Gien, prévosté el ressorts d'icelle.


BAILLIAGE DE MONTARGI8.-Noble hommeMeRené Ravault,sieuf
de Moncean,ancien advo~at au bailliage de Montargis-Ie-Franc.


COMTÉ ET BAILLIAOE DU PERCHE.-Noble hommeM"lsaye Petit-
gars, seignenr de la Garenne, président en l'élection du Perche.


BATLLIAGE DE CHASTEAU·NEUF EN THIMERAI8. - .....




APPKNDLCK 1I


PICARDlE
BAILLIAGE D'AMIENS. - Noble hornmc messire Pi erre Pingré,


conseiller du roi, Iieutenant général aux bailliage eL ·siége pre-
sidial d'Amiens.


SIÜ;ÉCHAUSSÉE DE PONTHIEU.- Philippes de la Yernot Paschal,
écnyer, président, Iieutenant général criminel en la sénéchausséc
et siége présidial de Ponthieu.


COMTE ET SÉNECHAUSSEE DE nOULLONOIS. - Messire Pierre
ele Vuillecot, sieur des I'riez et de le Faux, avocat du roi en lét
sénéchaussée et comté de Boullonois.


CALAIS ET PAYS RGCOl\QUI;;.·- Louisle Beauclel',éwyeretconseil-
lel' du roi, président et juge général de Calais et pays reconquis.


PERRONNE ET ROYE. - Messire Robert Choquel, conseiller dn roi
el son procureur général au gouvernement el prévosté tle Péronne,
maire de ladite ville, et député d'icelle el dudit gonvernement.


PRÉVOTÉ DE MONTDIDIER. - Antoine de Berthin, ecuyer,lien-
tenant général, civil et criminel au gouvernemenl de Péronne,
Montdidieret Roye,député du bailliage el prévosté de Montdidier.


PREVOTÉ DE ROYE. - Me Jacqnes de NeufviUe, écuyer, sieur de
Fontaines, conseiller du roi, et lieutMant général, civil et cri-
minel au gouvernement de Roye, députe d'icelui.


nAILLIAGE DE SEN LIS.-Philippes Loisel, écuyer, conseiller du roi,
président et lieutenant général, ci vil et criminel aux bailliage et
siége présidial dudit Seulis; Gabriel de Moutierre, sieurdeS.Mar-
tin, cOll8eiller du roi, lientenant du bailly de Senlis a Pontoise.


BAILLIAGE DE VALOl:!. - Me Charles Therault, seigneur de
Vuaremal et de Sery, conseiller et maltre des l'eqnétes onU-
naires de la reine Margnerite, duchcssc de Valois, et lieutenan!
¡urticulier de Crespy et Pierre-}<'onu.


BAlLLIAGE DE CLERM01i'l' EN 13EAUVOISIS. - Noble homme
Me Pierre le l\lercier, conseillel' du roi et lieutenant général au
bailliage de Clermont; noble lwtnme Siman Vignel'on, sieur
de Monceau, conseiller dn roi, el lielltenant particnlier, civil
et criminel audit bailliage.


nAILLIAGE DE, CHAUMONT EN VEXIN. - Me Louis le Porguier,
prévost forain et lieutenant général au bailliagc dnuit Chall-
IIIont, et Magny, dé¡JUté [Jour CllauIIIont et Magny en Vexin;
André Jorel, sieur de Saint-Bricc, conseiller dn roi, lieutenant
gÓI1I'L'al, civil et crimine! amlit Magny, ¡)'!puté dudit Chau-
mont et Magny, a vec ledit Porguier.




APPEli DICE II


BAILLIAGE DE MELUN. - Pierre le Jau, écuyer, :;ieur de Giroles,
conseiller du roi, lieutenant général aux bailliage et siége prési-
dial de Melun.


BAILLJAGE DE NEMOURS. - Noble twmrne Me Jean le Beüu,
con", il'er du roi, lieutenant général, civil et criminel üudiL
büilliag-c el duché de Nemollrs; noble homme Guillaume le
Gris, capitaine du chasteau dudit Nemours.


BAILLIAGE DE NIVERNOIS ET DONZIOIS. - Me JIemy Bolare,
lieutenant général aux bailliag'e eL pairie de Nivernois;
Me Guillaume Salonnier, conseillel' et maitre des comptes de
monsieur le duc de Nivernois.


LES DÉPUTÉS ET DÉLÉGUÉS DU DACPHINÉ. - Noble homme
M' Louis Masson, docteur, avocat au parlernent, premier consul
de la ville de Vienne; noble hornme Me Etienne Gilbert, avocat
en pal'lement; noble homme Ga~pard de Ceressault, premier
consul d'Ambrun; noble homrne Claude Brosse, seigneur de
Sérisin, syndic des villages de Dauphiné; Me Antaine Bassel,
secrétaire des états du pays de Dauphiné.


VILLE ET GOUVERNEMENT DE LA ROCHELLE. - Me Daniel de
la Gouttc, consciller et avocat du roi au siége présidial de la
I\ochelle, et ['un des pairs tIe ladite ville el dépUlé du corps
Il'icelle, ¡mur le tiers état de ladite ville et gouvernernent; noble
bomrne Me Gabriel de Bourdlgalle, sieu!' de la Chabossiére,
consciller du roi el son procureur au siége présidial et autres
juridictions de ladite ville el gouvernernent d'Aunis el de la Ho-
cbelle; Jean Tharra)', marchand, bourgeois de ladite vilÍe, pro-
cureur-syndic des boutgeois et habitanls ti'icelle, député pill'
lesdits bourgeois et habitants et tiers état d'icellc.
SÉN~:CHAUSSÉE D'ANGOUMOIS. - Philippe de Nemond, écuycl',


sienr de Brie, conseiller du roi et lieutenant général en la sé-
néchaussée el siége présidial d' Angoulrnois el maitre des re~
([UeSleS de la reine. .


BAILL1AGE DE MONTFORT-L'AMAULRY ET HOLDAN. - Noble
hornme Me Núel Hafron, conseiller du roi, el son procureur
au bailliage et comté de Montfort; Nicolas Philippes, gruyer
des eaux et forets de Néaulle-Ie-Chastel, receveur de la terre
et seigneuric de Pont-Chartrain.


BAILLIAGE D'ÉTAMPES. - Noble homme Me Jacques Peta u,
conseiller du roi, lientenant général, civil et criminel audit
bailliage el duché d'Etampes, et rnaire de ladite ville.


BAlLLTAGE DE DOURDAN.-MepierreBoudet,avocatauditbailliage.




APPEN DIC!!: 11


LES DÉLÉGUES ET DÉPUTÉS DES ÉTATS DE PROVENC!!:.
Noble homme lean-Louis de Mathaon, sieur de Salignac el
d'Elllrepierre, avocat en la Cour, assesseur de la ville d'Aix el
procureur dudit pays; M" Thomas de Féraporte, avocat en la
cour de parlement de Provence, syndic du tiers état dudit pays ;
Franljois de Sebolin, sieur de la Mothe, premier consul de la
ville d'Hiéres; Me Antoine Achard, gremer des états de Provence.


MARSEILLE.-Me BaIthazard Vias, docteur es droit, avocat en la
cour de parlementde Provence etassesseur de la ville de Marseillr.


ARLES. - Me Pierre d'Augieres, avocat au parlement de Pro-
vence, assesseur des consuls et communautés de la ville.


SÉNÉCHAUSSÉE DE LA HAUTE-MARCHE. - Me Jean ValIenet,
sieur de la Ribiere, conseiller du roi, lieutonant particulier au
siége de Guéret.


SÉNÉCHAUSSÉE ET PAYS DE LA BASSE-MARCHE.- Me Fran«;ois
Re-ymond, sieur de Cluseau, conseiller du roi et lieutenant gé-
néfal en la sénéchaussée de la Basse-Marche en la ville de Bellac.


DUCHÉ ET BAILLIAGE DE VENDOMOIS. - Me Jean Bautru,
sieur des Matrats, bailly du paya et duché de Vendómois;
M" Mathurin Rateau, greffle¡' audit bailliage, et échevin de 1. "'e
ville de Vendome.


SÉNÉCHAUSSÉE DE LODUNOIS. - Me louis Trincaut, procurenr
du roi en la sénéchaussée de Lodunois; Me Barthelemy de Bur-
ges, receveur des aides eL des tailles en I'élection de Lodun.


BAILLIAGE DE BEAUVAIS EN BEAUVOISIS. - Robert Dal'l'y,
écu-yer, sieur de la Roche et d'Ernemont, conseiller du roi, lieu-
tenant général,civil et criminel audit bailliage et sié6e présidial.


BAILLIAGE DE SOISSONS. - Pierre de Chezelles, écuyer, sieur
de la Forest, de Grizolles, conseiller du roi, président et lieu-
tenant général audit bailliage et siége présidial.


SÉNECHAUSSEE DE CHASTELLERAUDOIS. - Me Fran90is Fel'-
rand, conseiller duroi, et son procureur en ladite sénécltausséc.


BRESSE. - Me Charles Chambart, mooear all ~iége pré~idial tle
Bourg et syndic du pa-ys.


BAILLIAGE DE BUGEY ET VALROMAY. - J\l< Charles J\louln,
avocat au bailliage de Buge-y; M e Pierre Passerat, chastelain de
Stillon de MichaiJhe.


BAILLIAGE DE GEX. - Me Jacques Tombel, bourgeois dudit Gex.




APPENDICE 11 1


C.\I1IER DU VILL.~G.¡ DE BLAIGNY POUR LES ÉTAT~ GÚóÉUA¡;X
DE 1576'


En cette convocation des états, se sont proposée:;
les doléanceset plaintes d'un chacun, afin que, puis-
qu'il a plu a Dieu inspirllr le roya ouir son pe1,lple,
¡llui donnat le remede que le mal requerre, paree que
le propre office du roy est de faire jugement et jus-
tice, et de régner avee le contentement de son peuple.


Etl'un des moyens plus nécessaires est de le main-
tenir en paix et union de religion, qui sont les plus
fortes murailles du monde, et un lien indissoluble
d'amitié, par quoi toutes choses eroiteront, et a eette
fin établir concile géneral.


Des a présent, comme étant la nourriture spiri-
tueHe recommalldable sur toute chose, est de besoin
pourvoir par election de prétres et ministres d'église
capables, curés, et autres prélats qui résideront sur
les lieux pour precheret enseigner le pellple sans es-
perance de dispense.


Par cette voie, seront ótés tous moyens d'abuser
des bénéfices comme il a éte fait par cy-devant; et a


1. Forme g';némle et particu!icre ue la COllVOClItioll et ole la lenne
<les assemblées nlltionnlcs OH états gél1é"nllx ue Frallco, jllstiliéc par
pii>ces allthentiques, 17H!J, 1 r. parlie; P¡eces jllstiHcntíVes. n.o 45.-
Ce vi llago est probahlcment Bleigny-Ie-Carrcau, Uép.lrtement ue
J'YullUC.


30




530 Al'PENnlCE tll


tite reconnu a vue d'reil, contre toutes les saintes con-
stitutions.


De meme, pour couper che mi n aux involutions des
proces, et réduire la justice en son premier état,
que les offices de judicature royale se donneront par
élection aux anciens avocats des lieux, pour etre
triennaux, ety demeurer suivantl'élection, sauf á les
continuer s'il y échet; et, par meme moyen, les avo-
cats seront tenus a garder les ordonnances sur l'a-
breviation des proces, a peine de tous dépem;,
dommages et interets en leur propre et privé nom, et
les avocats re¡;us a plaider en toutes cours pour le
soulagement du droit des parties, et l'édit erigé de
nouvel pour les procureurs, supprimé comme fait a
la foule du peuple.


Que lesseigneurs ayant justice auront juges ca-
pables et gardes de justice, comme il avoit eté
ordonné par les ordonnances, et deffenses d'avoir
juges fermiers, a peine de reunion de leur justice
au domaine du royo


Que ceux qui seront trouvés forcer la main de jus-
tice seront punis corporellement, etleurs biens acquis
et confisqués au roy, et' leurs proces instruits par les
juges du territoire ou ils auront délinqué, sans
prejudice d'opposition ou appellation quelGonque,
et l'exécution différee.


Et comme il ne peut pis advenir au pauvre la-
boureur que la mort, qui ne mettra fin aux malheurs,
oppressions et tyrannies que les gens de guerre ont
exerc~s, envers eux, remontre le pauvre peuple :


Qu'il est tres-nécessaire, se presentant la guerre
á l'avenir; que les gens de guerre soient élus par leOl




APPENDlCE 1Il 531.


provinces, et que les chefs qui en auront charge en-
róleront les soldats par leurs noms, surnoms et
demeurance, dont ils délivreront acte signe de leurs
mains ou autrement approuvé aux gouverneurs de,;
pays, sans que allants par pays, ils puissent changer
leurs noms, a peine d'etre de meme tous condam-
nables á mort.


Pareillement que ils payeront de gre a gré, moyen-
nant leur soutte qu'ils auront, et que le roy leur
ordonnera, des deniers prcwenant des tailles ordi-
naires etablies pour ce faire ;et, en tous lieux ou il:,;
logeront, inscriront sur les registres les capitaines
ou conducteurs, leurs noms, ponr en cas de malver-
sations en répondre, et etre contre les délinquants
les pro ces faits par les juges des lieux; sans préju-
dice d'opposition ou appellation quelconque.


Que les anciennes ordonnances sur le fait de
la gendarmerie seront observées; et les seigneurs
et les gentilshornrnes honorés des places que pi u-
sieurs mItres occupent par faveur, et appétent
lesdites places pour ruiner le pauvre peuple, allant
et venant par le pays, sans qu'en temps de necessité
ils ayent rnoyen de faire un service au roy, et se
mettre en tel équipage qu'il est requiso


!tt que auxdittes charges ne seront regus les
étrangers, ni en autres états du royaurne, mais
tenus de les vuider incessarnment a peine d'en (jtre
expulses par force, et leurs biens acquis au royo


Que les surcharges extraordinaires imposees sur
le peuple, memement les huitiemes, vingtiemes et
impositions,yins entrants, gabelles de sel, et autres
subsides, seront abolis. et le pauvre peuple remis




APPENDICF. III


enl'état etliberté qu'il étoit au tempsde cegrand roy
Louis XII, sans que a l'avenir il s'en puisse douner,
ni (aire emprunt sans le crmsentement du peuple.


Que ceux qui ont manié les finanees ou roy en
rendront compte ; et a l'avenir ceux qui seront ¡ntro-
duits en telles charges seront élus avec le peuple
pour eviter a tous concussions.


Et a ce que toutes marchandises puissent etre á
meilleur prix, et connoítre la qualité des personnes,
eviter toute superfluite de luxe, seront les ordon-
nances sur le fait des habits gardées et observées
sous peine de la vie.


Aussi toutes personnes non nobles seront contri-
buables au~ tailles ordinaires, et encore les nobles
qui tiendront en roture, a ce que le pauvl'e peuple
soit soulagé.


Tontes autres ordonnances inviolablement obser-
vées tant sur le fait de la justice que police ; et que
á l'avenir celles que le roy fera passel'Ont par les cours
sO!Jveraines, pou!' etre publiées si faire se doit, no-
nobstant toutes jussions ou expres commandemens a
ce contraires, selon qu'il s'est de toute anciennet~
observé.


Signé LE FEBVRE.




TABLE DES MATrERES
.


Préface •


ESSAI SUR L'HlSTOIRE DE LA. FORMATlON
ET VES PROGRES DU TIERS ÉTAT


CHAPITRE PREMIER
EXTlNCTlO:; DE L'ESCLAVAGE ANTIQUE; FUSION DES HACES; N.\ISSANC&


DE LA DOURGEOISIE DU MOYEN AGE


SOMMAlRE: Role historique du tiers oltat. - Origine de notre civi-
lisation moderne. - La société gallo-romaine et la. société bar-
bare. - Les villes et les campagnes; déclin des unes, progl'es
dans les autres. - Réduction de l'eselavage antique aa servage
.Je 'la' gleba. - Fin de la distinction des races. - Réaetion des
ciasses urbaines contre le régime seigneurial.- Formes .Je mu-
llicipalité libre. - Naissanee de la bourgeoisie. - Influence des
villes sur les campagues . 9


CHAPITRE 11
LE PARLEMENT AU TREIZIEME SIECLE; LES ÉTATS GÉl\ÉRAUX


DE 1302, 1355 ET 1356
~O~IMAIRE : Renovation de l'autorité royale. ,- NouveJles institu-


tions jadiciaires. - Droit civil de la boargeoisie. - Renaissauce
uu droit romain. - La cour du roi oule parlemcut,- Doctrines
poli tiques .Jes légistes. - Leur action révolutionnaire. - Etats
génémux du royaume. - Avénement dl! tiers étllt. - S,-,s prin-
ci pes, son ambition, - États généraul< .Je 1355 et 1356. - Etienne
Marcel, prévot des marchands de París. - ~on caractere, ses
projets. - La Jacquerie. - Chute et mort d'Etienne Marce!. -
La royatlté SOtlS ~ha~les V. -- Point oí, not1'\ histoire sociale
prend un cours reguher. • , 3H


CHAPITRE llJ
LE TlEBS ÉTAT SOUS CHARLES V, CHARLES VI, CHARLES VII ET LOUIS XI


SO:llMAlll.E : La France dtl norll et' la France méridionale, -
Double esprit et oouble tendallce du tiers état. - HUle de la
hourgeoisie pa1'isienne. - Résultats dll regue de Charles V, -
Qnestiou de l'impot régltlier. - Révolte des Maillotins, - Abo-
lition de la mUllicipalité libre de Paris. - Son rétablissement.
- DémagolSie des Cabochiens. - AlIiance de I'échevinage et
<le l'universlté. - Demande d'uue gran~e réforme aQmilllstnt-
tive, - Ordonnance du25 mai 1413. -Etat des paysans. com-
munes fUI'ales.-Patriotisme populaire; .Jcanne d'Arc,- Reguo
.lo Charles VII, ses conseillers bourgeois. - Regnc de Louis XI,
son caraeti·re. • 69




TABLE DES MATII~RRS


CHAPITIU: IV
LES ÉTATS GÉNÉRAUX DI! 1484; LE TJERS ÉTAT SOUS LOUlS XII,
FRAN~OIS ler liT 1H1Nn! 11,


SO)[MAlRE : États généraux de 1484. - Deman,le de garanties
éludée; progres sous le régimc arbitraire. - Commencemeut
des guerres <l'Italie. - Renaissance (les lettres et des arts. -
Role politique du parIemellt de París. - Rcgnc (le Louis XII
prospérité publique. - Ordonnance (le 1499. - RúJaction et
réformation <les coutumes. - Regnes (le Fl'anyois Ier et de
Renrí n, continuation dn progres en tont genre. - Luxe des
batiments, gout <ln beau chez la noblesse. - Offices tenus par
le tiers útat, classe des gens de robe. - Am bition des familles
hourgeoises, grand nombre d'étn<liants. - La classe <les capi-
talistes appelés financiers. . . . . . . . . . . . . 95


CHAPITRE V
LES ÉTATS GENÉRAUX DE 1560 ET CEUX DE 1576


SOMMAlRE : La réformation en France. - A vénement de Char-
les IX.-Le chancelier de l'Hopítal.-États ¡¡:énél'aux de 1560.
ordonnance <l'Orléans.- Assemb1ée de Pontoise.- Commence-
ment de la ¡¡:uerre civile. - Travanx légis1atifs de l'Hopital,
ol'donnance de Monlins.-Snites des massacres de la Saint-Bnr-
thélemy.·-·Nonve:tu partí formé de protestants et de catholiques.
-Avenement de Renri III, cinq!,ieme édit <le pacification.-La
Ligne, son but, Sil. pnissance.-Etats généraux de 1576; Ol'don-
nance de Blois. - Henri de Bourbon, roi de Navarre, conseils
qn'il adresse aux états.- Projets et popularité dn <lno de Guise. 123


CHAPITltE VI
LES IiUTS GÉNÉRAUX DE 1588; LE TlERS ETAT SOUS LE REGNE DE BEl'iRl 1\'
SOMMAIRE : Proscription des calvinistes, 1'emontrances COU1'a-


geuses an parlement. - Etats généraux de 1588, meurtre des
Guises. - Insurrection de Paris, fé<lératioll municipale contre
la royauté. - Alliance du parti royal et dn parti calviniste. -
Assassinat de HenÑ lII; Henri de Bonrbol1 reCOl1l1U ponr roi.
- Etats généranx de la Ligue. - Remí IV dans Pa,is, son
caractere. - Sa politiqne intérieure et ext.lrieu1'e. - Etat des
classes 1'ot111'ieres it la fin <lu seizieme sieclB. . . 153


• CHAPIl'RE VII
LES ÉTATS GF.NÉRAUX DE 1614


8üIII'lII'AIRE : Hérédité des offices. - Elle est un moyen de force
ponr le tie1's état. - Etats généraux de 1614. - Ombl'ages mu-
tuels et dissension <les ordres. _. La noblesse et le clergé unis
contre le ticrs état. - Disconrs de Saval'on et de de Mesmes,
oratenrs du tiers.- Discours dn baron <le Senecey, orateurdela
lloblesse.-Proposition dn tiers état sur 1 'indépendance de la cou-
ronne.-Demandes qu'i! exprime <lalls son cahier .-Cabier de la
Iloblesse.-Rivalitéhaineuse des denx or<lres.-CJOturedes états. 182


CH A PITRE VIII
LE PARLEMENT SO\:$ LOUIS XIlI; LE MINISTimE DE RlCllELIEU; LA FRONDE
SOMlII'AlRE: Importance nouvelle dn po:<rlement.-Sa popularité,


son int.ervention daus les nffnir~s d'E!at. - Remontrallces dn




TABLE DES MATIÉ.RES ii3ii
Pagfi


22 mai 1615, soulévement de la haute noblessl!.-Ministere du
cardinal de Richelieu, sa politique intérieure. - Assemblée des
notables de 1626. - Démolition des chateaux-forts. - Ordon-
nance de janvier 1629. - Politique extérieure de Richelíeu. -
lmpopulatité du grand ministre.-Réaction dn tiers état contre
la dictature ministérielle.- COBlition de la haute magistrature,
la :Fronde.-Acte politiqne délibéré par les quatre cours souve-
raines.-Journée des hnl'l'icades.- Pouvoir dictatorial du par-
lement.-Il fait sa paix avee la cour.-La Fl'onde desprillces,
sou caraetero. - Triomphe du principe de la monarchic sans
limites.- Développements de l'esprit franyais. - Pl'ogl'es des
lumieres et de la politesse.-lnfluence de la bonrgeoisie lettl'ée. 215


CRA PITRE 1 X'
• LOUIS XIV El' COLBEIIT


SOllllAIRE: Développement de notre histoire sociale dn douziimw
siecle au dix-septieme.-Louis x,rV gouvel'llc pel'sonnellement,
son caracti"e, deux parts dans son l'egne. -Ministerc de Colbel'!.,
sa naissance rotnriel'e, son génie. -U ni versalité de ses plans d'ad-
miaistration.-Grandes ordonnances; besoin d'une longue paix.
- Pa5sion du roi pour la guerre, ses conquetes. - Faven1' croi5-
sante de Louvois, disgrace de Colbert.- Il meurt consumé d'ea-
nuis et impopulaire.- Révocation de l'édit de Nautes.- Fautes
du regne de LOl1is XIV. - Elles venaient toutes d'uue meme
80U1'ce. -Impression desmalheur8 publics.- Changementq n' elle
amene dans les esprits. - N ature et portée de cette réactioll. 255


CRAl'ITRE X
CARACTÉRE SOCIAL DU RÉGNE DE LOUIS XIV; SON ACTIOJo¡


SUR LES PROGRÉS DU TIERS ÉTAT
SOM)lAlIm: Fin de la premiél'c pél'iode de nos révolntions sociales,


cOl11mellcemeutdc l:t secollde.-Nonvelle earriere il'efforts et de
pl'ogl'i·.s ouvcrtc an dix-huitiemc siecle.-Abandon des libertés
histol'iqnes, recherche dn droit purement rationne!. - ROle du
tiers (;tat dans ce granil mOllvement des esprits.-Opposition an
sein de la eour de Louis XIV, Fénelon et le duc de Bourgogne.
-Leal' Pl'o.ict rle eon8titution aristocratiqne et libérale. - Bon
sens el fel'lneté d'áme dn vieux roi, résl1ltats de son gouverne-
ment. - Progl'ÜS vel'S l'l(galité civIl e, patronage des lettres.-
La yie de la nation attirée au centre, déclin des institntions 10-
caleso-Ies emplois 11111nieipaux él'igés en titre d'offiees, consé"
quences de cet expéclicnt lillancier.-Ruine oes liberté s muni-
cipales. - A ttag ,le au" privilép:es politiques dl! parlement. -
Intcrdiction de tonte rClI10ntl'ance avant l'enl'egistrement des
lois. - Ie pmoleJllcllt se releve an dix-bnitieme siecle. • . 288


PREMIER FRAGMENl
DU


P.ECUElL DES MONUMENTS l:iÉDlTS DE L'HlSTOIRE IJU TIERS ÉTAT
TABLEA¡; DE L' ANCIENNE FRANCE M[j~lCIPALE .~


SmlMAIRE : L'étenduc actllelle de la Franee divisoo,,' an poillt de
vne' de l'histoire du régilne lllunicipal} en trois'wnes, et en cinq
l'l\gions, ~avoir: lo la région dn non1, 20 celle du midi,o 30 cellc
du cenl1"e, 40 celle de 1'0uest, 50 MUc do l'ast ct du snd-est. 321


'1)\




!i36 TAIlLE DES MA'rIERES


I. Régioll du llord, cQmprenalltla Picardia, l'Arlois, la Flalldre I;dges
Lorraine, la Chllmpagne, la Normandie et l'Ile-de-France. ' .. 3,24


n. Région dn mídi, comprenant la Provence, le Comlat-Vennis-
,in! le Langnedoc., l'Auver!:íue, le Lir;nous.in et la l\Iarche, la
GUIenne et le Pér¡gord, la Gascognc, le l3earn ~t la l3asse-Na-
van'e, le comté de Foix et le RoussilIon.. . • . . • . 327


IlI. Région a1l centre. comprenulJt l'Orléanais et le Gatinais, le
Maine, l'Anjon, la Tomaine, le Berri, le Nivernais, le llonr.
bonDaía et la Bonrgogne. • • . . • 33t1


IV. Région .le Pouest, comprenan~ la Bretagne, Je Poiton, I'An-
goumois, I'Aunis et la iSaintonge. . . . • .'. • . . 354


V. Régions de l'est et du sud-est, comprcnant l'Alsace laFranche-
Comté, le Lyonllais, la Bresse et le Dauphiné. .' _ . • . 3b3


VI. Suite dn Dauphiné: villes de Die, Gap, Embrnn et Grenoble.
CODclnsion. . . . • . • . . . • . . • • . . . 388
SECO~D FRAGl\fENT


MO/iOGRAPIIIE DE L~ C085TITUTION COllllI¡;/iALE D',HIIEN;
SECTIQN 1. - Pl'olégomenes; tempa antérieurs au douzicme


si"cle. . . . • 40~
SECTION n. -- Douziemc siL'Cle; établissement de la commune


d' Amiens . • . . • 434
E:ECTION III. - Artieles primitifs et prinoipales dispositions de


la charte communale d'Amiens. • . • • . .' . • . . 456
SECTION IV. - Donatíon faite par Philippe d'Alsace, comle


d·Amiens. - CessioD du comté d'Amiens all roi Phiiippe-An-
guste, confirmation de la commnne. - Arlieles additiolJllels de


la charte commullale d'Amiens, son texte ilétillitif. . • • • 472


APPENDICE
Plan d'une collec~ion gélléralc des monuments inéilíts de I'hí5-


toire du Tiers Etat. . 491
APPENDlCE H


LISTES DES DÉPUTÉS DU TIF.RS ÉTAT AUX ~~TAT~ G~~IÍRArX
DE 1484, '560, i 576, 1588, 1593 ET '1614


l'ltEMlERE USTE. - tt"ts génemux tenus i, Tours en 1484. 4:'6
lJEc::ubm LISTE. - l;;tats gétl~raux tenus 1t OrlérLlls en 1500. 4\1:)
TROISIEJI1E LISTE. - Elats généraux tenus " Bloís en 15iti . .. ';04
QUATluhlE usn). - J::tats généranx tcnus it Blois en 15Htl • 50!!
CINQUJhm LISTE. - F;tats généraux convoqués pUl' la J.igtte,


et tcnus it Paris en 1593. 514
SIX¡j,:~1E LISTE. - Etats g,'lltlranx tcnus iL Paris en 1614. 51 i