HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1688, EN ANGLETERRE, PAR F. A. J. MAZURE, 1...
}

HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
DE 1688,


EN ANGLETERRE,
PAR F. A. J. MAZURE,


1 NSPEC'fEUR - GÉNÉRAL DES ÉTUDES.
,


" Minui jura, quotiens gliscat pole5tas;
" noc utendum imperio, ubi legibus uti
" possit. 11 (T ACIT. Annal. III, 69')


TOME SECOND.


PARIS,
LIllRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN,


MDCCCXXV.


f \~\


.... ~\






RÉVOLUTION
DE 1688.


ego


LIVRE DIXIEME.


1685. ~ (SUITE).




SOMMAIRE.


1685. - (SurTE).


Prise de Monmouth. - Sa lettrc au RoL - Son supplice.-
Exécutions sanglantes. -I{erkc. - Jcfferyes.-Réunion du
Parlement. - Négociations a\'{'c l' Ambassadeur de France.-
Traité avec l'Espagne. - Mécontentemenf ¡fe la Coun)c F,'ancc.
-Éfat dv I'Europe .





llIST()IRE
DE


LA REv·OLUTION
DE 1688,


.EN .ANGLETERRE.


MONl\lOlTTH, accompagné du lord Grey et d'un
parti de cavalerie, se dirigea d'abord vers le canal
de Bristol. Son premier dessein étoit de se porter
sur les cotes du pays de Galles et de s'y ten]!'
caché. Ce conseil lui étoit donné par un de ses
serviteurs les plus dévoués; mais le lord Grey l'en
dissuacla. « Il avolt,» lui disoit-il, « des inteJligences
« nombreuses dans le Hampshire ; il connoisso,it par-
« faitement.le pays; et l'on y pourroit en sureté at-
« tendre sur la cote l' occasion <:>t I<:>,s moyens de
« gagner le Continent.» lis prirent done la route du


l.




RÉVOLUTJON DE 1688,
midi; et marchant rapidemellt, ils se séparerent de
lcur escorte incessamment affoiblie.


Sculs enfin, lUÍ, le lord Grey et un gentilhornme
du Brandebourg, ils errerent jusqu'au lendernain, au
milieu des partís nornbreux attachés a les poursuivre.
Sur le soir, le lord Grey fut surpris. Monrnouth, qui
venoit de changerd'habits avec un berger, se cache,
avec le dernier cornpagnon de sa misere, dans un
champ pres de Ringwood, sous un rnonceau d' orties
et de fougeres, accablé de L1irn, de soif et d'insom-
nies, attendant les ténebres de la nuit, sa derniere
t'spérance. Le lord Lurnley, qui alors t'>toit royaliste,
ct ({ui cornmandoit un des pelotons envoyés it la
découverte, rencontre d'abord le hergcr qui avoit
revetu les habits de J\lIonmouth; lmis, avec le secours
des limiers dressés a cet usage (cal' on employoit
des chiens a la chasse des hommes), il découvre
promptement le gentilhornme de Brandpbourg; Ce-
lui-ci, par un dernicr et machinal inst.inct d'atta-
chcment a la vie, montre du doigt la place ou gIt
Monmouth. l\'lomnouth est pris enfin; iI pleul'e,
demande la vie et s'évanouit. On trouva dans sa
poche quelqu~s 'pois verts qu'il a voit c.ueillis a tra-
vers les champs; seul aliment qu'il eut pris depuis
son départ de Bridgewater. Privé de sommeil et de
nourriture depuis trois nuits, l't>sprit et le corps
dans un extr.erne désonlrc, il se fait apporter de
l'encre ~t du papipl', iI écrit an comll' de Hochestel',




J~N ,\NGLKfEfiHE.


;1 la Reine douail'iere et au Roí. Voici sa lettl't~ á
Jacques ll.


(e SlRE,


« Votre Majesté pourroit croire que c' est l'infor-
« tune dont je suis accablé qui me porte a m?adressel'
« a vous. Le remords seul m'y détermine. Depuis la
« mort du Roi , jamais le projet de prendre les armes
ce ne s'étoit présenté a ma pensée. J'en atteste le princc
« et la princesse d'Orange; ils me rendrc1nt ce té-
f( moignage, que je leur ai toujours promis de restel'
« dans les bornes de l'IJbéissance.


ce J\Iais tel a été mori malheu"r, Sire, que .1'ai ren-
« contré des hommes pervers, qUÍ ont empoisonllé
« mon camr pal' de fUlIx rapports et de pernicieux
(e arguments contre Votre Majesté. Je m'y suis aban-
« donné, j'ai fini par croÍre sincerement que je pé-
« cherois devant Dieu et devant les hommes, si je
« vous restois soumis et fidele.


« Mais en ce moment, Sire, je ne veux point im-
« portuner Vo~re 1\'lajesté, en lui disant tout ce qui
e( pourroit exciter sa compassion. Le principal objet
( de cette lettre est d'obtenir le honheur de lui par-
« ter; cal' j' ai quelqu:e chose a vous dire, quí,
(e je l'espere, affermira votre regne et sa félicité.


« Quand Votre Majesté m'entendra, Sire, eUe set'a
« convaincue, j' en suis certain, de mon zele pour sa
«( const.~l'vation et de IlIon repentjr. Je ne puis en dire




6 RÉVOLUTION DE I G88 ,
« davantage, ma leUre elevant etl'e lue par ceux qui
« me gardent. Je la terminerai done, en suppliant
« Votre Majesté d'avoir assez bonne opinion de moí
« pour eroire que je préférerois luille fois la mor! au
« désaveu de ee que fai fait, si .le ne me eroyois plus
« eoupable que personne au monde, et si je n'avois
« en horrenr mon action comrne ceux ~ui m'y ont
« entralné.


« Sire, j'espere que le Dieu tout puissant vous
« touehem le ereur de compassion et de misérieorde,
"eomme il a saisi le mien de remords. J' espere aussi
« que je vivrai pour vous donner des preuves de mon
ce zele a vous servir. Vous en seriez eonvaincu, si je
( pouvois dire un seul mOl dans cette leUre. Mais
« ce mot est si important que je n'ose le dire. Ainsi,
« encore une fois, je vous supplie de permettre que
« .le vous parle; el alors vous ne douterez plus com-
(c bien je serai toujours, Sire, de Votre J\tIajesté , le
« tres-humble et tres-respectueux, MONl\10UTH.»


Cette lettre, eette promesse d'une grande révé-
latíon dans un seul mol, ont singulierement exereé
l'imagination des historiens. Les bruits publies, les
anecdotes de famille ont été scrutés,. commentés,
torturés meme; il n'en résulte que des. eonjeet'Ures
ingénieuses, mais suspeetes. Il s'agissoit, disent les
uns, du prinee d'Orange; mai& alol's comment son
propre témoignage étoit-il si vivement invoqué? Si
Monmouth entendoit parler du comte de Sunder-




EN ANGLETElUtE. 7
land, pOltl'qUOÍ se taire (levant le Roí? Sunderland,
dit-on, Ini promit sa gracf' , pourvu qu'il se renfermaL
dans un silence absolu : explication -f"ivole et sans
preuve. :Monmouth, d'ailleurs, eut bientot perdu
toute espél'ance d'amollir -le erenr de Jacquf's II.
S'il eut été le dépositaire d'un grand secret contre


-la fidélité de Sunderland, eut-ilménagé un homme
qui le laissoit conduire a la mort? L' Ambassadeur
de France ne laisse apercevoir aueune trace de tonts
les bruits qu'a recueillis Clarke dans les papiers des
Stuarts. Ces l\'lémoires, d'ailleurs, Ollt été faits long-
temps apres J'événement. Jacques II y laissoit encore
pereer de vieux ressentiments, et iI seroit aisé de
pronver que sa mémoire ne luí a pas toujours été
fidele. n faut done s'attaeher aux faits connus, eL
aux témoiguages que l'on peut le moins attaquer.


L' Ambassadeur de Franceécrivoit a Louis XIV ..
le 23 juillet: «M. le due de Monmouth, en éerivant
« au ltoi, demande pardon et avoue sa fante; iI pro-
« met de déeouvrir beaueoup de choses tres impor-
(( tantes, si le Roí d' Angleterre veut lui donner la vie.
« On s'étonne de eette demande, si peu ordinail'e
« aux Anglois, et qui, selon toute apparence, sera
« inutile ....


« Ses enfants sont a la Tour. Madame de Mon-
(( Ulouth a voulu les ,Y sllivre. On croit qu'ils n'ell
« sortiront de long-temps, a cause du titre de Roí
(( que }('l1l' pere avoit pris. »)




8 RÉVOLUTION DE 1688,
Dans la rnerne leure, Barillon ajoute : c( 11 vient


« de se passer ici une chose bien extraordinaire et
« fort opposée a l'usage des autres nations. M. le duc
« de Monrnouth a entretenu le Roi d' Angleterre chez
« Chiffens; iI a beaucoup parlé et écrit : le détail
« est encore ignoré, mais cela inquiete bien des
ce gens. De Whitehall, il ~ été conduít a la Tour
« avec rnylord Grey, qui a été aussi entendu de Sa
« Majesté Britannique.»


I.Je 26 juillet, Barillon écrit encore a Louis XIV:
« M. de Monrnouth eut hiel' le cou coupé dans


« la place vis-a·vis de la Tour; il mourut assez fer-
« rnernent, cornme font d' ordinaire les Anglois.


« Le jour de son arrivée a Londres, iI parla pres
« d'une heure au Roí d'Angleterre, en présence de
« deux secrétaires d'État" Il avoit les bras liés par-
« derriere, et les rnains libres; iI se mit deux fois
« a genoux, et pressa Sa Majesté Britannique de
« lui l~isser la vie, protestant qu'il ne s'en setviroit
« que pour réparer sa raute.


« Il a déclaré n'avoir re~u aucun secours de per-
« sonne, et qu'il est venu avec deux cents pieces
ce seulernent; que les armes qu'il a achetées ne luí
« coutoient que huit cents pieces ( guinées ), et que
« ses pierreries avoient été suffisantes. Je sais que le
« Roi l'exhorta de songer a sa conscience, et lu(fit
« entendre qu'il avoit été Catholique. Il dit sur
« cela: « Est-ce donc, Sire, (IU'il n'ya point d'espé-




:EN ,~NGLETERRE. 9
(( rance pour lUoi? )) Sa Majesté Britannique ne ré-
c( pondit ríen. »


Barillon raconte aussi que l\fonmout~ sollicita
encore, mais vainement, une seconde entrevue du
Roi, et ne parla qu'a Feversham, sans lui rien dire
qui fut important. « Le Roi d' Angleterre ru'a dit, )J
ajoute I'Ambassadeur,)) que M. de Monmouth se
« comporta d'une maniere ba,sse, et sans témoigner
« aucune fermeté; que mylord Grey, an contraire ,
« luí parla avec soumission, mais d'une maniere
« ferme et résolue.


C( I .. e peuple de Londres témoigne de .1'abattement
( et de ]éJ. tristesse de sa mort.


t( La Cour fait répandre tout ce qui peut altérer
« sa mémoire dan s l' esprit des Anglicans, au Jujet
« de ses discours qui ressemblent el ceux des fa-
« natiques, et dan s l'esprit du peuple., sur ce qu'il
« s'est retiré trop tat du combato A cet égard, les
« versions sont différentes; cal' il fit d'abord com-
« battre son infanterie, et ne se retira qu'apres avoir


. « vu la cavalerie de mylord Feversham attaquer son
« infanterie en flanc et par-derriere.


« Le Roi d'Angleterre m'a dit ce soir qu'on a
« trouvé dans la poche de 1VI. de Monmouth, quand
« on I'a pris, un livre écrit de sa main, dans lequel
« il y avoit des secrets de magie et d'enchantement,
c( avec des chansons, des rccettes pOUI' des maIa-
( die s , el des IH·ieres. »




10 RÉVOLflTION DI: 1688,
Le 30 juillet, BarilIoll écrivoit encore : « '"11 y a


« des gens qui croient que M. de Monmouth a parlé
« contre M.le prince d'Orange; mais je n'en" ai
« ríen pénétré, et par tont ce que je puis savoir,
,( M. leduc de Monmouth n'a ríen dit de fort im-
( portant. Il s'est Iaissé persuader de faire ce (LlÜ
t( dépendoit de luí pour sauver sa vie; mais, des
« qu'il eut parlé au Roi d' Anglcterre ~ il ne lui resta
« plus aucune sorte d'espérance, et témoigna depuis
c( cela beaucoup de fermeté et de résolution. »


Ces témoignages répandent un grand jour sur la
partie mystérieuse de ce drame lugubre. La retenue
mcme de l'Ambassadeur y ajoute un degré d'intérct
que ne sauroit donner]a passion des historiens du
temps. Toute la vérité n'y est pas; milis elle n'est
pas assez voilée pour que 1'011 ne découvre pas le
caractere naturel des denx pl'incipaux personnages,
et surtont les sentiments du peuple témoin des
scenes pathétiques et donlonreuses qui ont terminé
la vie de son héros. "


Monmouth ·fut ancté le 17, et le 23 iI éloi t á
Londres. On vient de VOIT que le soir mcme iI fut
amené chez Chíffens, confident des amonrs de
Charles 11; il avoit les bras liés; l'entrevue dura
une heure. Le Roí étoit assisté de deux secrétaires
tl'État, et Monmouth ne put obtenir mIL' sl'conde
entrevne. « Il se mit dellx fois a genollx, ») <lit na-
rillon, Lt'~ l\'l~l11oil'(,~ de Jal'f{lH'S H disclIt !fu'jJ rampa




:EN ANGLETERRE. 1 f


par te!'re; <Iu'iI se conduisit avec la plus grande
hassesse, et de la fac;on la plus abjecte. Touts les
historiens, y compris Jacques II, conviennent qu'il
ne fit aucune révélation : le Roi gardoit le silence.
L'Éveque de Bath et Wells, dont le récit fut adopté
par touts les historiens, s'exprimc en ces termes 1 :


« Ce malheul'eux captif, a l'intercession de la Reine
« douairiere, amené en présence du Roí, se précipite
« a ses pieds, reconnoissant qu'il méritoit la mort.
(/. Mais il le conjura, les Jarmes aux yeux, de ne pas
« le traiter avec une rigoureuse justice, et de lui lais-
« ser une vie qu'il seroit toujours pret désormais a
« sacrifier pour le servir.! Illui cita l'exemple de plu-
« sieurs grands prillces qui, clans des circonstallces
c( scmblables, avoient écouté la voix de la clémence,
« et ne s' étoient jamais repentis de ces actes de géné-
« rosité et de miséricorde. Rappelez - vous, Sire, lui
«dit-ilen finissantetavec l'accent le plus pathétique,
« rappelez-vous que je suis le fils de votre frere, et
« qu' en m' otant la vie, c' est votre propre sang que
« vous répandriez.»


11 est inutile de rappeler ici des circo'nstances que
rapportent quelques historiens, et qui rendroient
odieux le caractere du Roi et de la Reine, si elles
étoient véritables : mais elles n'ont ni preuve ni vrai-
semblance. Elles sont cl'ailleurs contradictoires avec


( Fox, tomo 1, p. j!.~.




12 nÉVOUfTION DE 1688,
le récit de BarilIon sur le Jien et les témoins de I'en-
trevue. JI suffit de savoir que le Roi resta inexorable,
et que Monmouth, en se relevant des pieds du Roi,
prit une attitude noble et fiere qui ne l'abandonna
plus. _


On éprouve quelques dégouts en lisant dans les
Mémoires de Jacques 11 la' maniere dont il insulte
au sort de Monmouth .. « Des qll'il vit sa mort cer-
( taine ,» dit le royal ,historien, « il voulut jouer le
( r61e d'un héros, et refusa de convenir qu'il eut fait
« la moindre faute .... Sa conduite foíble et lache luí
« 6ta touts ses droits a l'intéret. Il tomba si has,
(l qu'il ajouta foi aux prédictions d'un Astrol"gne,
cc qui luí dit que s'il passoit le jour de saint Swithin,
«( sa fortune deviendroit brillante. Il écrivit en con-
« séquence des lettres pressantes a mylord Arundel
« de Wardor, a mylord Tyrconnel et a d'autres pour
« demander un sursÍs de quelques jours. Mais on
c( conseilla au Roi de ne pas le lui accorder, et le
« hasard fit qu'il fut décapité le jour meme du saint
« tutélaire; comme si le ciel avoit voulu le punir de
« s'etre fié a :'une protection si vaine. »


L'éveque de Wells et l'éveque (rEIy se relldirent
a la Tour pou!' le préparer a mourir. L'exécution
étoit fixée au 25, c'est-a-dire au surlendemain de
son entrevue avec le Roi. Il avoit demandé un sursÍs
jusqu'au ~6; demande qui peut s'expliquer naturel-
lement par le désil' de dO/lner qllelqUt'S iustants uu




EN ANGLETERRE.


soin de ses affail'es. 11 avoit des enfants. Les deux
prélats et le Jocteu!' Tenníson firent de vains efforts
ponr l' engager a l'épéter le symbole de I'Église angli-
cane, et pour lui faire a vouer que sa rébellion étoit un
crime, d'aprcs la religion anglicane dont il faisoit
profesaion. La duchesse de J\-Ionmouth le vint voir,
en présence de ces prélats, et il n'est pas vrai qu'il ait
refusé de la recevoir, ni que l'entrevue ait été marquée
par des témoignages d'aigreur et de ressentiment. Il
n'y eut aucune marque d'affection sans doute, mais
la décence convenable l. J\<Ionmouth, marié pres-
qu'au sortir de l'enfance, croyoit son mariage nul,
et persista jusqu'a la fin a soutenir qu'a la face du
ciel , lady Wentworth étoit sa femme. Les prélats
firent en vain touts leurs efforts pour l' engager a
désavouer ces nceuds illégitimes.


On lit dans les Mémoires du Roí que « ces prélats
« fur~ntobligés de le laisser comme ils l'avoient trouvé.


({ Ainsi,» est-il dit, «(cet homme que le peuple suivoit
« aveuglément comme le seul soutien de.la Religion ,
« pronva, en mourant, qu'il n'en avoit lui-meme au-
« cune. Il aIla au supplice san s etre assisté- d'aucun
« ecclésiastique, de queIque croyallce que ce fut. »
L'assertion est fausse, mais Barillon en a déja ex-
pliqué le -motif.


Le 25 au luatill, avant de sortir de la Tour pon!'


1 Walter Seott.




nrivoLuTrON DE r68M,
aIler au supplice, il signa la cléclaration suivante,
qu'il remit au shérif sur I'échafaud =


« le déclare que le titre de Roí m'a été conféré de
« force, et que c'est contre mon sentiment que j'ai
« été proclamé.Pour contenter tont le monde, .le
(( déclare encore que ]e fen Boi m'a dit n'avoir;amais
(( été marié avec ma mere, et j'espere que eette double
IC déclaration mettra mes enfants a l'abri du ressen-
{( timent du Roi actuel. En foi de quoi j'ai signé, le
C( 15-25 de juillet 1685. MONMOUTH.»


A dix heures il est concluit a Tower-Hill. Ses n'1a-
nieres faciles;simpIes, gracieuses avoient tout-a-coup
suecédé a I'abattement et au désir de conserver la
vie, aussit6t qu'il en eut perdu l'espérance. Une sé-
rénité parfaite revetoit sa noble figure. A ucune trace
d'affectation ne se remarquoit duns son langage, ni
clans ses traits, ni dans l'expression de son courage.
L'échafaud et les bourreaux étoient préparés. Une
immense multitude couvroit ]a place. Partout les
gémissements, les sanglots se font· entendre. Au mo-
ment ou iI descend de sa voiture avec les deux prélats
qui l'assistent, les gémissements, les sanglots s'ar-
retent, un silence profond sueeede. JI monte a ]'p-
chafaud d'un pas ferme. n s'adre~se an peuple sui-
vant l'nsage. et dit: « Je parlerai peu, je suis venu
c( ¡eÍ pour mourir, et .le meurs drms la eommunion
( de l'Église protestante anglieane .... )}


lei un des ÉV~qllCS )'interrol1l pt pour lui repr6-




senter qm' la Religion anglicane réliouve tout prin-
cipe de la résistal1ce, et il répond que sa raison
réprouve le dogme absolu de I'obéissance passive.
Pressé encore d'abjurer ses liaisons afec iadyW ent-
wortb, iI proteste de sa conviction intime que de-
vant Dieu leurs sentiments mutuels étoient innocents.
lci le shérif Goslin lui dit avec rudesse : ( Etes-vous
« marié avec elle? » Monmouth garde le silence. Le
shérif l'interpelle encore, et le somme el'exprimer
publiquement son repentir de sa rébellion et du sang
qu'il a fait répandre. « Je meurs bien repentant,»
dit-il avec doucenr. A cette réponse, les deux Év~­
ques réclament un acte positif de son repentir et une
déclaration au peuple. Monmouth les renvoie a sa
déclaration écrite du matin. Cette sctme fut long-
temps prolongée. Les prélats insistoient pour que,
dan s l' expl'ession de.es regrets, iI substitwlt le mol
derébelliolZ a celui d'invasiolZ. « Appelez-Iacomme
'« il vous plaira,» disoit-il avec une douceur inalté-
rabIe. c( Mon repentir est bien sincere, car .le ne
( crains point de mourir, et je mourrai comme un
( agneau. » - ce Le courage naturel e5t quelquefois
« d'un granaecours,» lui dit encore un des assis-
tants. - c( Hélas! )) répondit lUonmouth, » je n'ai pas
{( plus d(' courage qu'un autre; mais je me tepens
« de tout mon creur, et .le erois fcrmemen,t que Dieu
« m'a pardonllé. e'est lit ql1r ,¡t' pUlse' mon courag()
(t et ma tranquillité.)l




n-ÉVOLUTION DE 1688,
tI se met a g~oux pour prier, 6t les deux préJats


avec lui. S'étant relevés : « Que votre contrition soit
« sans réserve et sans fard,» dit l'un d'eux. « Ne
« prierez-vous pas pour le Roi?}) - « Comme vous
c( voudrez, je prie pour le Roi et pour touts les
« hommes.» .


Alors il demanda au bourreau de ne point lui
couvril' la tete el les yeux. Déja il se déshabilJe ...
Un des Prplats insiste encore. « Ne ferez-vous pas,»
dit-il, « une harangue aux militalres présents, poilr
({ leur montrer en vous l' exemple funeste des stlites'
« de la révoIte; pour les engager a demeurer inva-
C( riablement fideles au Roi.» ~ «( J'ai dit que je ne
« ferois . point de hal'angue,» l'épliqua Monmouth
avec émotion, (eje suis ici pour mourir!}) Et s'a-
dre~sant au bourl'eau, iI le prie de mieux faire son
devoir qu'il ne l'a fait poul' le .l'd Russel. Il louche
en meme temps le fil de la hache et le trouve trop
peu acéré. Sur la réponse du boul'reau, il incline
sa tete sur le billot, et les Éveques prient a coté
de lui.


Le coup de hache fut mal assuré. ~nmouth re-
tourne la tete, l'egarde le bourreau salfr proférer un
seul moto Un second coup, un tl'oisieme coup se
succedent, inutiles. Le bourl'eau saisi d'horreur jette
la hache, en disant : « Je ne puis achever.» Le shé-
rif le force de la reprendre. I~e malheureux se trouble
encore, et la hache, déja trompée quatre fois. fail




EN ANGLETERRE.


tomber enfin la tete de Monmouth. Quelle sdme!
Que! spectacle!


Suivant la relation publiée par ordre de la Cour,
quelques apprentis et autres gens du peuple trem-
perent leurs mouchoirs dans le sang de l'infortuné
coupable. L'impression terrible que fit sa mort eut
bien d'autres effets. Cette victime, que le peuple avoit
vue mutiler par la main égarée dn bourreau, il s'i-
magína long-temps que ce n'étoit pas Monmouth.
Monmouth vivoit encore; un ami quí lui ressem-
bloit avoit pris sa place; Monmouth reparoitra quand
le temps sera venu; et aux moindres rumeurs poli-
tiques, le peuple s'agitoit comme si Monmouth aIloit
reparoitre cnfin. Le lord Darmouth cependant avoit
assisté a son exécution par ordre du Roí. « Vous etes
« clébarrassé d'un ennemi,» lui dit-il, « mais il vous
(( en reste un plus dangereux.)J Le Uoi n' eut pas
l'aír de l'entendre. Un creur magnanime eut pardonné
a Monmouth; peut-ctre meme qu'une politique ha-
bile eut réservé Monmouth contre le prince d'Orange,
ou n'eut pas falt répandre le sang d'un petit-fils de
Charles ler sur un échafaud. Mais Monmouth étoít
crimine!. Jacques Il avoit le droit d'etre implacable,
íl en usa. Le lendemain, il alla déjeuner chez la
duchesse de Monmouth 1, et luí remit une abolitíon
de la forfaiture de son mari en faveur de ses enfants,


1 Walter Scott.-D'Alrymplc.
11.




Ri:VOLUTION DE 1688,
poul' ee qui regardoit les hiens immenses de lell l'
mere. Si ron en croit d'Alrymple, ce fut le malin
me me de l' exécution; et la Duchesse le re~ut , croyant
qu'il lui apportoit-la grace d(' son rnari. e'est d~ia
trop de ce déjeuner du lendemain, s'il est vra!. Tn-
eite rapporte quelque part un semblable repaso


Telle fut, a rage de trente - six ans, la fin df'
Jacques Seot, due de Monmouth, {ils naturcl dp
Charles n. Digne el capable des pltis brillantes drs-
tinées d'un héros, s'il eut vécu a la com' polie el.
rnajestueuse de Louis XIV, au líen de croltre, si
jeune encore, sous le regne dissoln, ülllat ique et sans
gloire de son pere.


Immédiatement arres la hataille de Sedgemoor,
de sanglautes exéeutions signalel'ent la défaite de
Monmouth. Feversham fit pendre vingt prisollniers
a Bridgewater, et ue S'alTeta que sur les représen-
tations de l'éveque d.e Bath. « Ce sont des sujets
Anglois, » disoit - il, « c'est par un jugement qu'ils
« doivent etre exécutés.» Mais il y avoit a rarmée
un colonel Kerke, soldat. féroce qui avoit pris a Tan-
gel' la sauvage cruauté des Maures. 11 fit pendre a
son tour quarante prisonniers, sans proces et sans
autrc regle que le caprice de sa brutalité. Le mo-
-ment qu'il choisissoit pour leur supplice étoit celui
meme ou il se mettoit a tahle avec ses compagnons.


La, ivre de vin el ele fureur, l'ceil fixé sur les
agouies successives de ses victimes, ii saisissoit ces




El'¡ .\.i\'GLETEIU~F. 19
hideux mOlllellts pOUl' porter ses horribles toasts au
Roi' et a la Reine ~ outrageant ainsi toutes les jus-
tices, toutes les majestés de la te1're et du cíel.
Quelquefois encore, par un exécrable raffinement,
« lIs aiment la danse, )) disoit-il en voyant leurs der-
nieres convulsions; et ii faisoit venir les trompettes
de son régiment qui sonnoient póur lui cette danse
de la mort. Un .iour, iI fit attacher a la potence et
détacher trois foÍs le meme homme, pour jouir plus
Iong-temps de la suffocation graduelle de sa victime.
Hélas ! il faut bien tout raconter. BeBe de sa jeu-
nesse et de ses graces, une jeune fille se jette a ses
pieds, et croit obtenir la vie de son frere. Il y met
Ul~ prix qu'elle n'ose refuser ... Le matin, les rideaux
s'ouvrt'nt; l'infortunée! Elle voit suspendu au gibet
ce frere dont elle avoit payé la triste 1'an<;on. Dans
son égarement, dans son dést'spoir, dans l'impuis-
sanee de pleurer sa faute et son frere, elle perd la
raison, qu' elle ne recouvra jamais.


Le Roi cependant avoit donné an Lord, Chefde Jus-
tice, commissiond' oui'ret terminersur le théatre de la
rébellion. Les formes tutélaires vont succéder a la ty-
rannie militaire. Quatre juges et un procureur du
Roi, les jurés enfin, sauront discerner le crime et
l'innoeenct', la rébeBion et l'égaremt'nt, la eompli-
cité active et cette pitié qui n'ose ou qui ne peut
refuser un asil~ d'un momento Il est vrai que ce Lord,
Cllt'f (le Justiec, est Jpffel'yes lui-meme. Il se trans'"


2,.




20 RÉVOLUTION DE 1688,
porte dans les provinces de l' ouest, et commence il
Dorcester sa mission, rigoureuse sans doute ponr
un magistrat. Trente rebelles lui sont déférés. c( Épar-
« gnez-moi,» Ieur dit-il, « par un libre et volontail'c
{( aveu, le temps e~ la peine d'un prod~s.» Vingt-
neuf sónt condamnés a mort. Oubliant que si la
justice humaine a rempli son terrihle office, elle laisse
du moins au condamné le temps de se réconcilier
avec ]a j ustice divine, le chef de J ustice d'~n Roí
chrétien envoie sur-Ie-champ ces vingt-neuf misé-
rabIes au gibet.


Il informe ensuite contre ceux qui avoient aidé
ou favorisé la rébellion. Les jurés, pris dans le pays,
avoient presque touts donné l'hospitalité a leurs pa-
rents ou a Ieurs amis. La crainte et le sentiment
de Ieur sureté personnelle les' rendoit muettement
dociles a toutes les volontés de Jefferyes. Il faisoit
extorquer 'par des promesses de pardon l'aveu de
ses victimes, et sur cet aveu il prononc;:oit la sen-
tenee. Quand ils se rétractoient, ses officiers qui
avoient rec;:u l'aveu, servoient d'accusateurs. Un des
accusés vouloit répondre a un des témoins. (( Vilain
« rebelle,» s' écria le chef de J ustice,» il me semble
« que je te vois déja la corde au coL) Un juge de
paix qui avoit déféré un gentilhomrne, nornmé Hew-
ling, lui représenta au tribunal que la pr~uve né·
cessaire étoit douteuse: « e' est vous qui l' avez amené,
répond Jefferyes; tant pis pour vous, s'il est inno-




l~N ANGLETlm lU~. '2 J


ecnt. » "es samrs de ce malhenreux gentilhomme se
précipiterent aux rOlles de sa voiture, en criant:
Miséricorde! Jefferyes ordonne a son cochet' de leur
couper les bras et les mains avec son fonet. Enfin
293 sentences de mort furent prononcées a 'Dor-
cestero


Les nH~mes scenes s'ouvrirent a Excester', a Taun-
ton et a Wells. Dans tonte la province, dans chaque
village, on voyoit exposés les tetes, les membres, ou
les cadavres de quelque habitante Nulle distinction,
dans son ardeur précipitée, de l'innocent et du cou~
pable. Toujours et toujours des insultes grossieres,
des ironies obscenes, des paroles atroces comme su
jllstice. A Taunton, le maire faisoit valoir quelqlles
circonstances favorable, a un gentilhomme, nommé
Specke. «Non,) s'écria le juge sanguinaire; (e sa fa-
mille doit une vie, et il mourra, puisqu'il porte ce
nom-Ja. Un des accusés, nommé HucKer, voulant
pallier sa rébellion, se vanta d'avoir tiré un coup
de pistolet, a l'auaque du camp de Feversham, pou!'
l'avertir. « Tu mérites deux fois la mort,» lui répou-
dit Jefferyes, « pour avoir trahi ton Roí et tes amis. »


Le Roi étoit-il informé de ces horreurs? Pouvoit-
¡Iles ignorer? Ses ennemis, qui I'accusoie~t d'assister
avcc une froide curiosité aux tortures que le Conseil
d'Écosse faisoit infliger aux sectaires puritains 1, ca-


1 Dodcur Burnet.




'22 RÉVOLUTION DE 1688,


méroniens ou cargilites, l'accusent encore ici d'avoir
su régulierement et a chaque poste, les actes cruel s
et honteux de Kerke et de Jefferyes. 11 en parloit.
disent.ils, atable et au cercle et aux ministres étrall-
gers. Il vantoit une si bonne justice et il la nommoit
la Campagnede JtjJélyes. L'ambassadeur de France
parle avec réserve de cett~ campagne du chef de
Justice. « Les prisollniers,» dit-il, «( sont au nombre
« de mille a douze cents. Il )" en aura un bon nombre
« d'exécutés a mort. Le reste sera envoyé aux colo-
« nies.» C'est ainsi qu'il s'expliquoit au départ de
Jefferyes pour les provillces de l'ouest. Plus tard iI
disoit simplement et sans réflexion que les exéeuti'ons
continuoient; pllis, a l' occasion de la mort du Chan-
c~lier, il annon~oit que, ~uívant les bruits de ]a
Coúr, le Lord, chef de Justice, lui succéderoit sans
doute. C'est done dans les propres Mémoires de Jac-
que s 11 qu'il faut chercher si ce Prince ignoroit ou
connoissoit l'infamie de son ministre.


« On ne- sauroit prouver avec plus d'évidence,»
dit l'historien~, « combien cette sévérité étoit con-
« traire aux intentions du ROÍ, qu'en citant la ma-
,« niere dont le major Holmes fut traité par Sa Ma-
c( jesté et par le Grand-Juge. Ce militaire avoit pris
« parti pour le duc de Monmouth et avoit perdu dans
c( la bataille son fils et un bras. Ayant été fait pri-


, Mém. de Jacques 11.




FN t\NGLETEHnE.


{I sOlluicr, il fut condúit a LOlldn~s. lJe Roí voulut
( le voir, }~t il se conduisit (le maniere a g}lgner l'es-
t( time de tout le monde, 1I se Illontra respectueux
l( sallS abattement, il avoua sa {aute, iI implora la
(( démellce du Roi, en disant qu'a son age et dans
(e son infortune, la clémence <Ju'il demandoit sel'oit
( plus avantagellse a la réputation de Sa ~lajesté,
(( ({u'elle ne le seroit ponr luirmerne. Le Roi qui aimoit
(l le courage, meme dans un ennemi, voyoit avec
l( plaisir eet officier, et lui parloit librement. Il entra
( souvent chez Sa .l\íajesté, jusqu'au llloment 0111'011
«jllgea convenable de l'envoyer dans l'ouest, pour


.:( éclairer le Grand-Juge sur les vrais cou pables el
( sur cellX qui. ponvoient mériter leur grace. On ne
l( (lifféra cclle du l\Iajol' <Ju'afin qu'iI pllt rendl'e
« quelque service a l'État avant de l'ohtenil'. Au liea
(e de cela, la p/'emiere nouvelle que requt le Roi,
«fut quO'il avoit été penda avec les aulres. Sa Ma-
( jesté en fut tres-surprise, et questionna vivement
« le Grand-J uge a son I'etüul'. Mais celui-ci paBia
« cette fante, ainsi que ses autres sévérités, par le
( pl'étexte d'lllle justice nécessaire, dont le Roi, di·
(soit-il, lui avoit confié le süin. Sa Majesté ne sut
re comment réfutcr cet argument.») A une telle apo-
Jogie, le creul' se glace, la plume s'al'rete; et ce que
l'historien nomme la clélllence 'du Roi est éternelle-
ment jllgé.


La sentt'IlCl' po1'l{~t' contre une femme anabaptísh~




RÉVOLUTION DJ~ 1688,
nommée GaItnt, souIeva particulierement l'indigna-
tion publique. Un des rebelles, nommé Borton, avoit
re~u chez elle un asile, de l'argent ~eme pour
passer la mero Il sa présente, iI accuse sa bienfai-
trice, elle est condamnée, il est absous, et lui seul
servit de témoin~ Elle fut bruIée vive, et subit le
supplice avec résignation. Les assistants fondoient
en larmes;" et dans touts les partis on s'écrioit. « Que
<des mreurs étoient corrompues par les lois, si la
«( perfidie étoit protégée, si la générosité montoit i.
« l'échafaud.»


Mais l'horreur et la pilié se manifesterent surtout
dans le prod~s de milady LisIe. Son mari avoit ét~.
nommé a la Chambre des Lords par Cl'omwell.
eomme régicide, iI s'étoit réfugié en Suisse, au mo-
ment de la restauration; et trois lrlandois l'avúient
assassiné a Vevay. Alice Lisie, sa veuve, étoit une
femme pieuse, charitable, dévouée a ]a ~ause de
Charles I er• Au moment de l'invasion de Monmouth,
elle avoit armé son fils, elle l'avoit envoyé au camp
de l'armée royale. Mais apres la bataille de Sedge-
moor, un Ministre puritain nommé Hicks, accom-
pagné d'un nommé N eltorp, lui demandent l'hospi-
talité, qu'elle leur accorde. Bientot.cependant Hicks
de lui-meme lui déclare qu'il s'est trouvé dans le
partí de Monmoutn. Alors elle engage les deu~
proscrits a se retirer, leur disant que son devoir
comme l'intéret de sa f~unille l'ohligent ¿. prévenir




J~N ANGLETEHHE.


le Juge de paix. A l'instant meme sa maison est en-
vahie; le colone1 Penruddock, dont ~ pere avoit
été condamné a mort par le lord LisIe, peIfdant la
guerre eivile, arrete lui-meme la veuve et ses hotes
fugitifs. Elle comparolt devant les juges; qu~ique agée
de soixante-dix ans, elle se défend avee calme et
sérénité. Il n'existoit aueune preuve légale que les
deux proserits eussent pris part a la rébellion, et
les jurés demandent cette preuve. Jefferyes leur ¡m-
pose brutalement silence" et l'audience mcme ose
murmurer eontre sa brutalité. Deux fois les jurés
déclarent Jady LisIe innoeente; et deux ~ans
ses transports furieux, il leur ordonne d'y penser
encore, disant que les deux rebelles se sont eux-
memes déclarés coupables devant lui, et que son té-
moignage suffit. (( Admirez, leur dit-il entr'autres, la
« providence de Dieu, qui, par le moyen de Penrud-
(( doek, fait répandre sang pour sango » Enfin les
jurés, menacés, intimidés, subjugués par la terreur,
prononeent la fatale déclaration de Coupable; et le
juge inique s'écrie : ((C'eut été ma mere, que j'au-
« rois prononcé ainsi. » Lady LisIe, apres avoir expli-
qué 53 défellse avec une éloquente simplieité, s'étoit
paisiblement endormie, au milieu des débats. et des
fureurs de son juge. Elle fut condamnée a etre
brulée vive; supplice infligé aux femmes pour le
crime de Iese - majesté. Deux femmes de pairs roya-
listes solliciterent 53 gracc, en protestant que lady




H.ÉVOLliTION DE I G88,
LisIe avoit fCOUl'U leu!' parti dans les momenls les
plus d'},ngereux. Le comte de Feversham intervint
aussi ave e chaleur aupres du Roi qui resta inflexible,
sous le pretexte qu'il avoit promis a Jefferyes de
n'accordoc aucune grace. Seulement Jacques 11 com-
mua la peine du feu, et lady Lisie fut décapitée.
Terminons en6n ces lugubres tableallx. Parmi les
condal11nés plus de deux cent cinquante subirent ]a
lllort. Les autres se racheterent par d'énormes
amendes; les pauvres resterent en prison. Plus tard
et s;;~ regue de la princessc d'Orange, on dé-
cou"- ue le lord Chef de Justice vendoit a graÍlds
frais la liber'té de ceux dont il ne faisoit pas le
proceso Un seul gentilhol11me du Devonshire qui
étoit innocent se racheta pour qninze mille livres
sterling. Mais a son retour a Londres, Jefferyes fut
nommé Lord Chancelier d' Angletcrre, « le Roi, est-
( il dit dans ses :Mél11oires, ne connoissant personne
l( plus capable de remplir ce poste éminent. Il fant
l( avouer pourtant, est-il ajouté, que Sa Majesté eut
« agi avec plus de sagesse, en évitant d'accorder ces
c( faveurs signalées a un homme dont le zele, pOUl'
« le mQins imprudent, avoit attiré la haine publique
« sur son 1113ltl'e et sur lui-meme. »


Ne pouvant se faire illusion sur ectte haine pu-
blique et sur l'horreur universeJle qu'iHspiroit la
monstrueuse justicf>, de Jeffer)'es, le Roi montl'i1
cnfin tle la di>llH'llC(, ('n\'er5 les l'e}wlles on les accu·




EN Ai\CLETEHRE.


sés de-rébellion, qui devoient etre jugés a Londres.
D'abord le supplice de Mónmollth avoit causé une
i mpression si douloureuse et si profonde, que le
Roi ll'osa faire commencer immédiatement le prod~s
de Hampden, des lorcls Gn1y, Brandon, Delamere
et Stamford. e' est ainsi que dans ]a conj uration de
Rye - House, le prod~s de Siclney suivit de ioill
l'exécution du lord Russel. Quoi qu'il en soit, la
c.raínte, l'avarice, peut - etre anssi le besoin de se
montrer clément, apres tant de cruautés que venoit
de récompenier la prerniere dignité du Royaume,
laisserent un libre cours a la régularité de la jus-
tice, et adoucirent la rigueur du Roi. Le lord Grey
composa pour une irnmense contribution; et la vie
lui fut aeeordét', mais a condition qu'il serviroit ~le
témoin pour convaincre les courables. Il est juste


• d'ajouter qu'en rachetant ainsi sa tt~te, le lord Grey
exigea que personne ne subit la mort par suite de
ses révélations. Hampden fut jugé et condamné; iI
avoua son crime, et obtint la vie qu'il demanda,
dit Burnet, avec bassesse. «( La honte qu'il en eut
( lui-rneme dans la suite,») ajoute cet historien,
« troubla tellement son imagination, qu'il ne fut
« plus assez maltl'e d'en régler les mouvements; ce
« désordre le porta a se coupe!' la gorge dix ans


.({ apreso » Le lord Brandon, condamné, re~ut égale-
ment sa grace~ le proccs du lord Starnford ne fut
pas commencl:. d le 101'(1 Dt»amere fut acquitté.




RÉ"VOLl.JTlON D~E 1688,
Ces actes de justice et de clémence ne furent;ortés
que l'année suivante; oa les rapporte ici pour pré-
sen ter l'ensemble de la funeste rébeIlion de Mon··
mouth.


On a vu que le Parlement étoit réuni 'au moment
ou éc1aterent les deux révoltes d' Argyle et Mon-
mouth. La premiere fut terminée le 17 juin; la
seconde, le 18 juillet; mais il n' est pas douteux que
l'Opposition en eut tiré parti, si la prise des deux
chefs n'eut aussi promptement arreté la guerre
civile. La concession des revenus préc~demment
alloués a Charles JI, n'avoit éprouvé aucune dif-
ficulté. La nouvelle situation des affaires avoit éga-
lement déterminé les Communes a un subside
extraordinaire; mais eIles exprimerent leurs inquié-
tudes sur'la sureté de I'Église Anglicane. Enfin leurs
ombrages se manifesterent plus expressément encore,
a l'occasion. d'un hill que présenta le parti de la
Cour, pour la garantie de la personne du Roi.
Dans ce hill étoient désignés touts les actes qui de-
voient etre considérés comme crimes de lese-majesté;
chacun de ces crimes étoit compris dans une c1asse
particuliere; et chacun des articles du hiH, qui
comprenoient ces classes, étoit terminé par la for-
mule sui vante :


« Et si aucun de ces complots, imaginations, in-
c( ventions, trames ou intentions, se m~nifestoit:
« s'exprimoit, se déc1aroit p(\r la voie de l'impri<




EN ANGLETERRE.


c( nwrie, de l'écriture, de la prédication ou de dis-
« cours méchants et déhbérés, cette personne ou ces
« personnes serorit regardées et dédarées cornme
« traltres, etc. »


Par une telle disposition, et avec des juges tels
que le lord Jefferyes, toute parole échappée a la
chaleur de la conversation ou de l'ivresse pouvoit
devenir un arret de 100rt:' Mais ce qui ouvroit une
large carriere, c'étoit la disposition suivante:


« Toutes personnes qui seront légalement con-
( vaincues d'avoÍr méchamment et délibérément, par
« la voie de l'imprimerie, de la prédication ou de
« tout autre discoul's, exprirné, publié, proféré ou
« élloncé aucnnes paroles, maximes ou autre chose,
« tendant a soulever le peuple et a lui inspirer de la
« haine ou de la malveillance soit contre la per-
« sonne de Sa Majesté, soit contre le Gouvernement
« établi, seront et sont des ce moment rendues in-
« capables d'obtenir aucun avancernent, de posséder
« et d' exercer aucune place ou office ecclésiastique,
« civil et militaire, non plus qu'aucun emploí dans
« l'Église et dans l'État. »


« D'apres ce bill )), dit le docteur Burnet, « parler
« mal de la Religion du Roi, ce seroit par ler mal du Roí
« lui-meme. » Aussi la Chambre des Communes, qui
n'éleva aueune objection sur le bill en général, par
rapport a la liberté de la presse, comme a l'exten-
sion donnée a ce que l'on entend par crime de




30 HI~VOLlTTION DE 1688,
lese-majesté, s'arreta séricusement it tout ce <{ui
pouvoit s'y trouver de eaptíenx. par rapport ;t la
Religion. D'abonl un des rapporteurs <lu bill, le
jurisconsulte .Maynard, discuta profondément et ave"
éloquence les terribles inconvénients qu'il y auroit
~ comprendre les paroles pal'mi les erimes de tra-
hison; et il demanda que l'on s'{'n référ;:tt simple-
ment a la loi d'Édouard Ill, qui admettoit les seules
actions pour preuve eles intentions criminelles. On
crut lui répondre par cette sentence de l'Écriturt.'
sainte, que la bouche parle de l' abondance du
CCEur. Il répliqua par cette autre porole : Détruise::
ce telnple, que les J uifs tournerent en blasphell1l'
contrp le Rédemptpur; et iI montra que, dans le
tex te syriaque, les mots qui exprimoient l' allégorie de
Jésus, et ceux dans lesquels les J uifs accusateurs trou-
voient un crime digne de mort, n'avoient qu'une im-
perceptible différence. La Chambre des Cornrnunes
ajouta done une clause restrictive dont ;oici le texte :


« Bien entendu que l'esprit et la leUre du présent
( acte ne seront point censés violés par toute per-
(e sonne qui, par le moyen de l'écriture, de l'impri ..
« merie, de la prédication ou de tout autre dis-
« cours, défendroit et soutiendroit la doctrine, la
( discipline ~ le culte et le gouverllement de l'Églisc'
« Anglicane, telle qu'elle est aujourd'hui légalement
l( établie, contre le Catholicisme romain ou contl'f'
H toute autre opinion, dps Non-Conformistes. »)




EN ANGLETERRE.


Satisfaite d'avoir prot(~gp les Anglicans qui pl't--
cheroiellt, écríroient OH parleroient contre la Reli--
giolJ du Roí, la Chambre dps Communes adopta
ton tes les autres dispositions dll biB. La rébellion <1<>
~lonmonth luí en faisoit un devoÍr; mais a cause
de eette rébellion memf', le Roi ne crut pas devoit
tenÍr les Chambres assemblécs plus long-tem ps, et
le bíll n'étoít pas encore a la troísieme lecture clans
la Chambre Haute, que le Parlemeut fut ajourné
au lUoís de novembre.


00 est entré dans ces détails, pour montrer les
difficultés el les inextricables embarras que trouve-
roit le Roí, :)'il persistoit clan s ses projets d'abolir la
Religion Anglicane : ce hill en est la preuve, et pr¿~-­
sentoit les conséquences les plus singulieres comnw
les plus dangereuses. En efret, qu'un Anglícan cut
preché, imprimé, ou dit de parole, que ]a religioll
du Roi étoit Ulle idolatrie; son sermon, son écrit,
sa parole étoit irréprochable d'apre,s la loi; et c'est
la précisément ce que fera bient6t le parti épiscopal.
Mais qu'un Non-Conformiste eut preché le meme
sermon, ou imprimé le meme écrit, ou proféré la
meme parole, iI se trouvoit _Ex-lex, par rapport a
la Religion qui ne le protégeoit plus; et paI' la
loi politique, il pouvoit etre accusé, jugé et con-
damné, puisqu' en représentant le Roi comme ido-
Hltre, ill'exposoit a la haine et au mépris du peuple.
Quel pouvoit ctre le tel'me de tant d'incohért'ncps




RtVOLUTION DE 1688,
entre les mreurs et les loís, entre l'esprit du Gou-
vernement et celui. du Prince?


Il ne faut pas omettre iei un fait qui prouve a
quel poiÍü le parti épiscopal, dominant dans la
Chambre des Communes, avoit con(,;u d'ombrages
sur le maintien de l'Église Anglicane. Titus Oates
avoit été convaineu de parj ure et puni comme tel
par un jugement' récent, a l'oeeasion du trop fa-
meux Compl«;>t des Papistes. Il sembloit naturel que
la eonviction légale de l'imposture entralnat la nul-
lité du jugement porté eontre le lord Stafford. Un
bill fut pro posé en eonséquence a la Chambre H ante.
« Quelques-uns des seigneurs, » dit Barillon, « se
« sont opposés a ce que la Chambre déclarat nul,
« eomme fondé sur des témoignages manifestement
« faux, le jugement décel'né eontre luí (Stafford);
« mais la décision a été telle que le Roi la désiroit.
« C'est une ehose tres -importante pour les Catho-
« liques, en c~ que la prétendue eonspiration se
« trouve entierement détruite; et, par eonséquellt,
« les suites qu' elle a eues doivent aussi tomber.»
Mais la Chambre Basse ne pensa pas ainsi, préci-
sément paree qu'il s'agissoit de Religion : le hill
tomba des la premiere lecture, et le Parlement fut
immédiatement ajourné. Ce déni de justice étoit un
symptome frappant. Les Communes avoient tout
aeeordé au Roi, presque sans délibération; liberté
de la presse, libertés civiles, subsides qui le ren-




"EN ANGLETmlRE. 33
doient maitre de ne plus convoquer le Parlement.
Mais une seule idée les domine: la religion du ROÍ;
et a eette idée dominante, elles sacrifient l'évidente
justice. Elles semblent dire au peuple: ( Malgré le
c( parjure d'Oates, nous croyons toujours a la Con-
« spiration des Papistes. »


Dans la disposition des esprits, cette espeee de
déclaration des Communes étoit grave, surtout pour
l'avenir; et le Roí, qui s'aper\ut bientot que toute
l'Opposition parlementaire se eoneentroit dans les
affaires religicuses, comme dans un fort invincible,
n'osa pas mettre en avant, dans eette session, ses
divers projets sur l'abolition des 10i5 pénales. Les
deux révoItes d'ArgyIe et J\fonmouth luí avoient
donné une oceasÍon naturelle et spécieuse de lever
des troupes. Ces levées étoient considérables. En
un mot, il avoit une armée, objet permanent de
son ambition comme des alarmes publiques; mais il
ne pensoit pas qu'il luí fut possible de rien entre-
prendre ou de rien établír solidement, sans le con-
cours de Louls XIV.
I~e moment 011 íI avoit appris l'invasion de l\lon-


mouth fut eelui de ses instanees les plus vives. Ni
la. défaite d' Argyle, ni b victoire de Sedgemoor,
ni l'armée qu'il avóit eréée, ni l'abondance des re-
venus que le Parlement lui avoit assurés, ne le
fircnt désister de ses démarches pressantes. Les deux
millions cnvoyps a Barillon exeitoient perpétuclJc-


H. :)




34 RtVOLUTION DE 1688,
ment en tui une sortc d'irrit.ation pareille a ecHe df'
Tantale. Sunderland, llochester, le Roí lui-meme
spllicitoient sans cesse l'Ambassadeur, qui, de S011
coté, demandoit au moins la permission de délivrer
300,000 livres, pour apaiser un peu cette ardente
soif. Mais Louis XIV, pendant toute la sessíon du
Parlement, se bornoit a répolldre par des refus.
« Je n'ai envoyé ces fonds,» disoit-il, « que pOUl'
« aíder le Roí d' Angleterre dans ses projets sur la
{( Religion Catholique; et puisqu'il ne croit pas de-
(e voir demander, quoiquc l'occasion présente soit
« favorable, la révocation des lois pénales et le libre
« exercice de notre Religion, .le ne veux pas le
« presser de se mettre au hasard d'un refus dans
« une affaire de si grande importance. »


Le Parlement avoit été ajourné le 12 juillet. 1m·,
médiatement apres, c'est-a-dire, deux jours avant la
bataille de Sedgemoor, les Ministres du Roí dc-
manderent a l' Ambassadeur de France, pourquoi ce
retard apporté a la délivrance des fonds qu'il avoit
re~us de Louis XIV? Et Jacques II lui-meme crut
devoir s' expliquer sans réserve l. JI ne pensoit pas
que Louis XIV voulut réserver ponr d'autres temps
les secours qu'il luí avoit destinés. Peut-il arriver
une con.loncture ou ils lui soient plus nécessaires?
Le fond de ses desst>ins est bien connu; il vent {>ta-


1 Lettre de Barillon, du 16 juillet.




EN ANGLETERRE. 35
blir la Religion Catholique. C'est pour cela qu'il
arme les Catholiques d'Irlande; qu'il a do,mé au
lord Dumbarton le commandement de }'armée d'É-
cosse contre Argyle; qu'il a donné celui des milices
au duc de Gourdoll; qu'aujourd'hui touts les emplois
de la guerre sont confiés aux Catholiques anglois.
C'étoit lever déja le masque assez haut sans doute,
mais l'occasion étoit décisive et iI n'a pas voulu la
perdre. Il sait combien l' Angleterre est choquée ele
le voir marcher si dil'ectement a son but; mais il
ne s'en détourncra pas, si le Roí de France veut
l'assister dans un si gIorieux dessein. Pourroit - iI
etre abandonné, quand il a un ennemi dans l'inté-
rieur de son royaume qui luí dispute la Couronne,
« et que tant de gens favorisent plutot les prétentions
« d'un hatard, paree qu'il est protestant, que leur Uoí
« légitime, paree qu'il est Catholique?» Jacques II ter-
mine touts ces raisonnements par ces paroles: c( J'ai
« été élevé en France, j'aí mangé le pain du Uoí de
« France ~ mon creur est tout fran<;ois, et "otre maltre
« ne peut douter ni de mon attachement inviolablt-'
(e asa personue, ni demon dévouement a ses intérets.)j
Quel langage, comparé an langage qu'il adressoit
aux Communes un mois auparavant (le 9 juin)!
Alors il desiroit passionnément obtenir les moyens
d'augmenter l'armée; et, cachant son dessein, iI de~
mandoit un subside pour la marine. « C'est dans la
(e fIotte surtout,» disoit-iI, « que consiste la force ct


3.




36 RÉVOLUTION DE 1688,
« la gloire de la Nation. En vous disant que 1110ll
« creur .est véritablement anglois, je ne saurois mieux
« vous exprimer toute ma pensée sur ee point. Je suis
« jaloux de l'honneur de notre N ation, autant que
« puisse l'etre aueun de vous. J'espere bien, par la bé-
t( nédietion de Dieu et par votre secours, porter la
« réputation de ee royaurne plus haut encore que n'a
(,( fait aueun de mes aneetres.»


Le eomte de Roehester n'avoit plus le seert't de
Jaeques 11, quand iI insistoit aupres de Barillon sur
la néeessité absolue d'un secours en argento Il ne
motivoit ses instanees que sur l'état poli tique des
affaires, et ne parla point de la Religion. Mais sur
ce dernier point, le comte de Sunderland étoit aussi
vif que le Roi son maltre. « Je ne sais,» disoit-il an
ministre de Louis XIV, ({ si en France on voit les
« choses cornme elles sont iCÍ; mais je défie ceux qui
« les voient d~ pres de ne pas reconnoltre le desir et la
« volonté du ROl. J'irai plus loin; Sa Majesté ne peut
( meme, selon le hon sen s et la droite raison, aV(lir
(e d'autre hut que l'établissement de la Religion Ca-
« tholique. Sans cela, elle ne sera jamais en sureté.
( Toujours elle sera exposée au z(~le indiscret de ceux
(e qui échauffent les peuples eontre l'Église Romaine,
« tánt qu'elle ne sera pas pleinernent établie en An-
« gleterre. Mais il est une chose également ct'rtail1e :
«( ce plan-la ne peut réussir que par UIle liaison étroite
c( avee le Roí votre rna'itre. e'est un projet qui l1e




EN ANGLETERRE.


« peut convenir qu'a lui, réussir que par lui. Toutes
{( les autres puissances s'y opposerollt ouvert~ment
(( ou le traverseront secretement. On sait bien que
I( cela ne convient point au Prince d'Orang~; mais
« il ne sera pas en état de l'emptkher, si en France
ü on veut se conduire comme il est nécessaire. »


Ce langage de Sunderland étoit - il sincere, au
llloius a l'égard de Louis XIV? Lui, qui avoit vu
les terribles effets du traité de Douvres, vouIoit-il
sérieusement encourir une responsabilité pareille a
ceHe du lord Danby? Vouloit-il, sous un Hoi qui a~­
prochoit de la vieillesse, tenter en 1685, ce que
Charles 1I, jeune encore, et Louis XIV, dans toute
sa splelldeur, avoient tenté vainement en 1672? Fe-
roit - il, quand le Prillce d'Orange étoit l'héritier
présomptif du royaume, ce qui étoit déja impossj bIe
quand Louis XIV, Charles II et le duc d'y ork ne
voyoient dans le Prince d'Orange qu'un enfa~t dés-
hérité du Stathoudérat de ses ancetres? Sunderland
avoit trop d'habileté sans doute. Mais ii vouloit gou-
verller le Roi; et pour cela il se pretoit a ses idées
dominantes. On peut meme se demander si Jacques 11,
dan s la llégociation actuelle, avoit d'autre vue que
ceBe d'obtenir les deux millions qu'il voyoit entre
les mains de l'ambassadeur de France.


En effet, lui et Sunderland faisoient de gl'ands
t{forts pOUl' donner a Louis XIV l'idéed'une més-
Ultdligl'Ilce réellc entre le prince cl'Orange et la




38 R~VOLUTION DE ]688,
Cour d'Angleterre. Cependant, et quelle que tut 1'0-
rigine des bruits qui circuloient alors, on prétendoit
que l'invasion de Monmouth étoit soutenue par des
secours de la France. A l'Étranger, on parloit aussi
d'une réunion secrete du prince d'Orange et du ROÍ;
on disoit a La Haye que Jacques 11 étoít mécontent
de Louis XIV, et qu'une rupture éclateroit quand
iI en seroit temps. Ces bruits avoiel1t pu sans doute
se répandre a dessein, a cause de Monmouth et du
Parlement. Il est avéré cependant que, tout en affec-
h:'nt avec Barillon beaucoup de ressentiment sur ce
que les vaisseaux d'Argyle et de Monmouth avoient
pu sortir des ports de la Hollande, Jacques II trai-
toit avec les ambassadeurs des États Généraux, pour
renouveler les anciens traités. BariIlon néanmoins
démentoit touts ces bruits, se' fiant aux protestations
du Roi et de Sunderland. t( Le prince d'Orange et
« le Roi ,» disoít Sunderland, «sont ohligés run et
« l'autre de dissimuler, de garder certailles hien-
ee séances; mais se réunir de bonne foí, n'y croyez
« jamais. Leurs íntérets et leurs desseins sont trop
ee contraires. »)


I..iouis XIV, mieux informé par le cornte Davaux,
son ambassadeur en HolIande, répondit formeIle-
ment « que, dans les conjonctures présentes, les de-
ce: mandes du Roí et des ministres d'Angleterre n'é-
« toient plus soutenables.» Peu de jours apres, il
mande a Barillon que le moment est opportun de




F.N ANGI,ETERHE. . 39
rétablü'la Religion catholique en AngletelTe, et que
si le Roí n'en profite pas, il ne le retrouvera ja-
mais. Il lui ordonne surtout de bien étudier les in-
telltions de la Cour, et d'observer attentivement les
ambassadeurs d'Espagne et de Hollande.


Le eomte de Sunderland, qui négocioit alors avec
les États Généraux, et qui signa le traí!é un mois apres,
amusoit certainement l'ambassadeur de France, par
ses promesses et par sa dextél'ité. La négociation
que redoutoit la Ii'rance tOllchoit a son terme; le
traité se I'édigeoit ~ les signatures étoient déja don-
nées, que BarilIon, sur la foi des paroles de Sunder-
land et du Roi, rassuroit toujours Louis XIV. « Sa
« J\lajesté Britannique,» luí dit-il le 9 a011t, « ne veut
« que donner au public une apparence de liaison
(! avec les États Généraux, pour plaire aux Anglois et
« au Parlement. Les Espagnols se flattent pareille-
« ment d'un penchant secret du Roí d' Angleterre en
« leur faveur, mais le Hoi ne leur donne que de vaines
« démonstrations. Il ne s'agit au fond que de renou-
e( veler un traité de commerce. On en peut juger
l( autrement a la Cour de FraI.lce, et meme hors de
(( France,» disoit le cOJnte de Sunderland, « mais le
c( Roí d'Angleterre est toujours ferme dans son atta-
« chement a la Frunce.)) Enfin le jour meme de la
cOllclusion, 27 aoth, Jacques II promettoit a Baril-
Ion de ne s'engager surtout ~l contracter aucune autre
ebllgation (ple dp dM'endre les États Généraux, s'íls




40 luivOLUTION DE l Gti¿;,
étoiellt atta<{ués. NéaumoillS ce traité, signé par
Roehester, Halifax, Sunderland et Middleton, rap-
peloit et confirmoit entre autres le traité de paix et
d'alliance du ruoÍs de juillet 1667, le traité de navi-
gation et de commerce du meme temps, et l'al-
liance défensive concIue au mois de mars 1678.


Louis XIV étoit prévenu par le comte Davaux de
ces négociations et de leur substance, avant meme
que Barillon le füt lui-meme ; aussi étoÍt-il irrité de
ce my5tere. 11 en jugeoit tres-bien les conséquences.
Lorsque Charles n eut concIu ce traité de 1678, que
Jacques II renouveloit en ce moment, il étoit en
mésintelligenee ouverte avee la France; et pourtant,
disoit Louis XIV, lorsqu'il se fit une réconciliatioll
entre nous, iI a suivi mes inspirations sur la maniere
de l'interpréter. Pourquoi done aujourd'hui renou-
veler ce traité, sans que rien y oblige le Roi d' An-
gleterrc? N'est-ee pas donner au prince d'Orange les
moyens de faire une ligue et de troubler le repos de
l'Europe? Cctte prévoyance ne fut pas trompée. Déja
en efret une ligue se préparoit, mais dans un pro-
fond silence, et l' on peut rapporter a cette année
1685le premier développement des guerres et des ré-
volutions dont l'Europe ya etre le théatre.


La puissance autrichienl1e, si violcmment ébran-
lée par le Cardinal de Richelieu, luttoit pénible-
ment contre Louis XIV. Tourmentée en Allemagne
par les troubles· de HOllgric et par les armées otto-




~EN ANGLETERRE. [JI
manes, challcelante et comme frappée de mort dans
la branche espagnole, elle ne paroissoit plus capable
de se soutenir devant la France que par une alliance
étroite avec toutes les puissances protestantes. De la
eeHe grandeur subite et rapide de Guillaume, prince
d'Orange. L'Europe conspiroit alors ponr réunir
dans la famille impériale les états Espagnols, des
que le foible et valétudinaire Charles 11 ne seroit
plus. Mais la politique de Louis XIV ne lui permettoit
pas de laisser accomplir eette réunion, qui rendroit
a l' Autriche sa premien> domination. Cependant le
duc de Baviere venoit d'épouser une filIe de l'em-
pereur Léopold; et s'il avoit un fils, la succession
espagnole sans doute lui seroit léguée par Charles II.
Ainsi l'ancien traité de partag~ eonclu entre IJéopold
et Louis XIV ne pouvoit plus se renouveler. Si en fin
Louis XIV n'abandonnoit ses prétentions, une guerre
universelle éclateroit sans doute. L'Europe étoit donc
alors divisée comme en deux camps d'observation,
qui n'attendent que le signal des combats. D'autres
causes de guerre ou d'inquiétude contre Louis XIV
se développoient chaque jour, et d'ailleurs la guerre'
manque-t-el1e jamuis d'occasions et de prétexte?Déja
la mort de l'Électeur Palatin pouvoit en servir. La
maison de Newbourg venoít de recueillir eette suc-
cession, et Louis XIV revendiquoit les droíts de la
seconde duchesse d'Orléans, sceur du dernier Élee-
teur. Enfin, toute l'Europe avoit l'ceil attentif aux




RtVOLUTION DE lG88,
desseins manifestes du Roi de Franee eontre les Pro-
testants, et aux projets présumés du Roi d' Angleterre
sur la Religion eatholique. La révocation de l'Édit
de Nantes devoit aussi résoudre un grand probleme
par rapport a I'Anglete.rre, et I'on alloit savoir si
Jacques II seroit l'alIié de Louis XIV, OH l'arbitre
de l'Europe entre les Bourbons et Autriche.


Ce role d'arbitre, de médiateur de l'Europe, flat-
toit en secret la fierté ou plutot la vanité de Jac-
ques JI. Il en éprouvoit quelquefois le desir. Dans
ses projets qui n'ont jamais été hien déterminés, ii
aspiroit a une gl'andeur. queleonque. Mais peu ca-
pable de vues étendues et profondes, s'il avoit des
lumieres, elles étoient bornées; s'il avoit de la per-
sévérane.e dan s ses projets, e' étoit plutot obstination
que fermeté, eontre des obstacles dont il n'aperce-
voit pas la puissanee. En un mot, il agissoit plus
par un instinet tout personnel que par une raison
prévoyante et supérieure. C'est la surtout ce qui l'a
fait soup<;;onner d'une fausseté, qui peut-etre n'étoit
pas naturelle a son earaetere. Il étoit sincere quand
iI disoit au Parlement: J' ai le ca!ur anglois; mais
alors iI vouloit etre plus que le pensionnaire de
Louis XIV: de la ses négoeiations avee ]a Hollande.
Il n'étoit pas moins sincere quand iI disoit a l'am-
bassadeur de Louis XIV : J' ai le ca'ur ji'a,TU¡ois.
Mais alors iI se voyoit vainqueur de deux conjura-
tions~ mais alors il étoit Illaitre (1'1111(' fiotte qu'il




EN ANGL)~TERUE. 43
pouvoit rendre formidable et d'une armée déja puis-
sante. Il croyoit qu'en s'alliant a Louis XIV, il pou-
yoit tout a la fois accomplir ses projets sur la Re-
ligion, et mettre le poids de sa Couronne dans la
balance de l'Europe.


La politique de Louis XIV étoit plus décidée. n
se refusoit a toutes les demandes d'un traité positif
avec la Cour de Withe-Hall, et se contentoit de ré-
pondre qu.'il seroit toujours pret a servir Jacques 11,
s'il vouloit établir la Religion Catholique en Angle-
terreo Il savoit tres - bien ces deux choses : l'une, que
I'Angleterre, ahandonnée a son impulsion naturelle,
se joindroit aux ennemis de la France; la seconde,
que si Jacques 11 entrepl'enoit sérieusement d'éta-
blir la Religion Catholique dans ses États, l'Angle-
terre, divisée en factions politiques et religieuses,
seroit nulle pour les affaires du continent. C'est ce
que l'on a vu sous le dernier regne, quand l'am-
bassadeur de France re~ut l' ordre de négocier tout
a la foís avec les factions de Sidney, de Monmouth
et ({'York. Le meme ordre sera bientot donné de
soutenir l'opposition du Parlement. Mais Jacques 11,
dans la sphere étroite de son esprit, ne pouvoit
comprendre que toutes les vues de la Cour de Ver-
sailles étoient de neutraliser l' Angleterre. Un grand
événement va décider la fortune du Roí: c'est la
révocation de l'édit de Nantes.




SOMMAIRE.


'i • Iii


1685. ~(SUlTE).


Révocation de l'tdit de Nantes. - Ses ~ffets sur Jacques II. ---
Politique de Louis XIV avec l' Angleterre. - Politique ineer-
taine de Jacques II. - Le P. Pi ter. - Parlement. - Les
Communes demandent le rcnvoi des officiers Catholiques.-
Ambassade aRome. - Liberté de la pressc unie a eeHe de la
chaire.




RÉVOL. DE 1688, EN ANGLETERRE. 45


LIVRE XI.


1685. - (SUITE.)


HENRI IV, par l'édit de Nantes, avoit renouvelé
en faveur des Cal vinistes les concessions accordées
par les édits de 1576 et 1577; maÍs il renouveloit
par raison et magnanimité ce qui, dans son prédé-
cesseur, n'étoit qu'une ccuvre d'impuissance. On ne
peut lire sans attendrissement le discours tont a-Ia-
fois paternel, sage et ferme qu'il adressa aux députés
du Parlement, convoqués an Louvre, pour accomplir
ce grand ouvrage d'une pacification universelle dans
son royaume. Il ne falloit rien moins que ce ton
persuasif et royal, pOUl' vaincre l'opposition que fai-
soit naitre surtout cette pensée, prise alors dans un
sens absolu, que les hommes ne peuvent tolérer ce
que Dieu défend.


Il ne s'agissoit pas seulement, en efEet, d'accorder
une simple tolérance civile aux Calvinistes, mais
d'admettre les Calvinistes a concourir avec les Ca-
tholiques aux honneurs, dignités et magistratures.




46 RÉVOLUTION DE 1688,
La Religion Catholique étoit la Religion de I'État;
comment reconnoltre des droits politiques dans les en-
nemis de cette Religion? Depuis Constantin, les lois
de l'Empire offroient de nombreux exemples, pour
fortifier toute opposition a des concessions sem-
blables. D'apres les constitutions de Théodose et de
Valentinien, les Manichéens devoient etre chassés
des villes, et punis des plus rigoureux supplices.
J..Jes mItres hérésiarques étoient exclus de toute di-
gnité ~ de toute fonction publique et munieipale.
Justinien leur avoit interdit 1Il(~me la faculté de faire
des legs et donations; la loi défendoit enfin jusqu'aux
testaments militaires.


Mais la souveraineté n' existe que pour conserve!'
et perpétuer la société; les Iois qui tendent a la dé-
truire ne peuvent demeurer inflexibles. Aussi des
exceptions nombreuses et attestées par I'histoire
ont modifié, suivant le besoin des temps , la rigueur
des maximes absolues qui servoient de principe aux
lois impériales sur l'hérésie. Les Goths étoient Al'iens,
mais ils étoient devenus alliés de l'Empire; et a ce titre,
d'apres une Constitution particuliere, ils étoient
admissibles aux honneurs et aux charges de l'Em-
pire l. Lorsque J ustín voulut éteindre l' Arianisme


r Cette canstitutian est rapparlée par le savant juriscansultc
Antaine Augustin, au Cade, titre Des Hérétiques, des Ma/li-
clu1ens et des Samaritains.




EN ANGLETEIlUE.


dans J'Orient, Théodoric, qui régnoit en Italie, le
mena<;a de faire passer au 61 de l' épée touts les Ca tho-
liques de ses États, si les Ariens n'étoient pas réta-
blis dans leurs églises et dans leurs droits de citoyens
de l'Empire. Cette menace lui fut notifiée par une
ambassade, composée du Pape Jean rer , de trois con-
sulaires de Rome, et d' Agapit, patrice de Constan-
tinople. Les ambassadeurs, par leurs Iarmes, par
leurs supplications en faveur de l'Italie qui alloit
périr, dit Paul d' Aquilée 1, toucherent l'Em pereur ,
et l'édit fut révoqué.


Uautorité de ces exemples, et l'admirable élo-
quence de Henri IV ayant désarmé les partisans de
l'intolérance absolue, le Parlement de París enre-
gistra non-seulement les articles publics, maís en-
core les cinquante-six articles secrets de rédít du
Roi.


Sous le regne de Louis XIII, les Calvinistes, qui,
avec leurs privileges et leurs place s de sureté, for-
moient un État ou plut6t une République dans la
Monarchie, se souleverent, d'intelligence avec les
Anglois et les Espagnols, tandis que la .Hollande
joignit sa fIoUe a ceBe da HoÍ de France, pour fou-
droyer la Rochelle. Quand ce dernier boulevard des
Religionnaires tomba sous la main puissante de Ri-
chelieu, ce grand géníe sut tout a -la -fois désarmer


1 Paul d' Aquilée, Histoil'c Mis('pUané(', li\". xv.




48 RÉVOLUTION DE 1688,
les rebelles, et maintenir l' édit de Henri IV. Dans
la ferveur meme de la victoire, il ne crut ni juste
ni prudent d'imiter l'exemple récent de PhilippellI,
qui venoit d' expulser de ses États neuf cent milIe
Maures. Ce fut apres de longues annÉes de soumis-
sion, que Louis XIV suivit, non pas la poli tique
élevée de Henri IV et du cardinal de Richelieu , mais
les tristes conseih de Louvois, et le fatal exemple
de Philippe IIl.


Colbert venoit de mourir, quand Louis XIV ré-
voqua l'édit de son aleul Henri IV. Ce coup d'État
ne doit pas etre considéré sans égal'd a l'esprit du
tem ps. N ous j ugeons, et a vec raison, que e' est une
grande ombre qui se projette sur la splendeur d'un
heau regne; mais l'intolérance dogmatique étoit alors
la loi commune des nations. LJlrlande Catholique
n' est-elle pas encore aujourd'hui meme frappée de
mort eivile , paree que la Religion Anglicane est la
loi de l'État?


Depuis l'ere chrétienne, toute Religion se pro-
clame la vérité meme. Ainsi toute Religion, en tallt
qu'elle est vraie, ou se croit vraie, ne voit et ne peut
voir que l' erreur ou le mensonge dan s les autres.
Donc toute société l'eligieuse a une profession de
foi qui lui est propre, essentieIle, et qui ne lui per-
met pas de reconnoltre eomme vraie une foi étran-
gere; car alors elle ne croiroit pas a la sÍenne. TI
n'en étoit pas ainsl avant l'(\re chrétlpnne. Touts les




EN A~GLETERRE. 49
iultes étoient eensés vrais, quoique divers, et touts
les dieux des nations conquises par les" Romains
étoient admis au Panthéon. La raison en est sen-
sible : ehaeune des faeultés ou des phénomtmes de
la nature avoit une divinité partieuliere; en un mot,
touts les eultes étoient reeonnus vrais, préeisément
paree que tout étoit dieu, excepté Dieu méme. La
toléréinee politique et religieuse des eultes les plus
divers, ll'étoit done pas une eontradietion.
~lais quand • té"nebres du Polythéisme dispa-


rurent au grand Jour du Christianisme, en un mot,
quand le dogme de l'unité de Dieu fut révélé aux
races humaines, l'unité reeonnue de Dieu entralnoit
l'unité de eulte; aussi toutes les Soeiétés ou Églises
Chrétiennes eurent un symbole, une profession de
foi eommune, qui les séparoit de touts les aneiens
cultes. Ainsi, quand les Chrétiens ne formoient
qu'une soeiété religieuse, ils séparoient de leur
Église touts les hommes qui différoient avee eux;
de la les hérésies ou seetes, e'est-a-dire, séparations
de la Religion eornrnune; et les seetaires formoient
entre eux une nouvelle soeiété religieuse qui avoit
son symbole, ses rites, sa profession de foi parti-
euliere.


Les premiers Chrétiens ne furent long-temps
qu'une soeiété religieuse; mais ils devinrellt enfill la
soeiété poli tique meme, et leur religion devint la
10i del'État. Alors l'hérésie devint aussi une rébel-


([,




50 Rl~VOUJ1'I()N 1m 1688,
lion contre l'État. L'histoire atteste que ecHe di~
tinetion de la société religi('ugc et de la sociét{~ pO°
litique ne fut presque jamais connue. Comment b
Joi civile eih -elle protégé l'hérésie, nécessaircment
eonoamnée par la loi religieuse, puisque l'une et
l'rlUtre loi étoient une senIl' el 1J1(1me chose?


C'est oans cet ordre d'idées, si I'on veut ('\tre justc~
qu'il faut considérer touts ces actes des aneiens
Empereurs et des Gouvernements modernes, portés
contre les sociétés religieuses qui .,0 reconnoissoient
pas la Religion de I'État. Henl'i ] V et Richelieu
sur"cnt apercevoir cette distinction devenue aujour-
d'hui nécessaire, et s'élevel' au-dessus de leur temps;
mais aussi quels hommes d'État que Henri IV ('t
Richelieu! Quant a Louis XIV, il faut sOl'tir un
momerlÍ de noh--e siecle, et se placer a coté de luí
p6Ur le juger. A part toutes les passions hnmaines qUI
ont tant de force eL d'autol'Íté sur les ConseiJs des
Rois, a part également la connoissance que 1'expé-
rienct'-lÍóus a ·donnée des funestes et irréparables
eonsequeilces de la Révocation, comment;:lU milieu
de touts les grands hotnrries qui fe procJamoient
gi'and lui-meme, cut-il résisté :'t ecHe voix qui s'éle-
voit dans les temples, et qui lui disoit san s cesse :
t.( Soyez un nouveau Constantin, un nouveau Théo-
( dase, un nouveau Marcian, un nonveall Charle-
« magne! »)


.t Jouis XIV cornme la Franee entierc, e~ la Frailee




FN ANGLETERHF.


comme Louis XIV, voyoient dans la Religion Catho-
fique, la loi éternelle et supreme de la vérité, la
perfection de l'homme et le líen nécessaire de toute


• société. A ces considérations générales se joignoient
aussi des considérations d'État particulieres, qu'il ne
faut pas juger légerement. Le Clergé de ¡"ranee, dan s
sa déclaration de 1682, devenue loi de l'État par la
sanction de Louis XIV, avoit eu deux pensées grandes
et profondes. L'une étoit de montrer a toutes les
Puissances protestantes que la Religion Catholique
Romaine .étoit calomniée, quand on la montroit in-
conciliable avec la souveraineté réelle des Rois, en
un mot avec leur indépendance néeessaire de tout
autre pouvoir extérieur. La seconde, qui emhrassoit
également le présent et l'avenir de la France, avoit
pour objet de prévenir un double danger, que les
violents débats de Louis XIV avec le Saint-Siege
rendoient imminent : ou l'établissement d'un Pa-
triarche en Fl'anee, qui, un jour peut - etre, eut
renouvelé le fatal exemple des Patriarches de 1'0-
rient; ou la réduction de l'Église Gallicane a une
servitude pareille ~l ceHe des Églises d'Espagne et de
Portugal.


Cependant la déclaration de 1682, intervenue au
milieu des yuerelles politiques de Louis XIV avec
Rome, ne parut au Saint - Siege que eomme une
sorte de sehisme, moins prononeé, iI es! vrai, que
le sehisme de l'ÉgliseA nglieane, mais non mOlllS


'l·




RÉVOLUTrON DE 1688,
dangereux. Alors encore se joignoient aux díssen-
timents de Lluis XIV et du Pape, les divisions
intestine\ de l'Église de France sur les questions de
la grace et le livre de Jansénius. Les partisans de
I'Éveque d'Ypres défendoient avee vigueur la décla-
ration du Clergé; et Louis XIV, qui considéroit
leurs opinions comme une hérésie commencee, frappa
I'hérésie calviniste pour apaiser la cour de Rome
SUl' eette déclaration de .682. D'autres motifs se
présentoient eneore. Louis XIV voyoit déja se former
la Ligue d'Augsbourg; et le Roí d'Angleterre lui avoit
mandé que Monmouth s'étoit concerté, pour sa ré-
bellion, avec les chefs des Calvinistes fran~ois. On
le trompoit aussi par des rapports mensongers. De
toutes parts en effet les Intendants lui annon~oient
une immensité de conversions dont il ignoroit sans
doute l'odieux et terrible moyen. Croyant enfin n'a-
voir plus a frapper qu'un petit nombre de prédicants
rebelles ou de mauvaise foi, et quelques sectaires
obstiné s dans }' orgueil d'une erreur volontaire, iI
révoqua l'édit de son aieul.


Plus tal'd, ce grand Roí voulut adoucir, guérit>
meme cette large blessure faite a l'État l. Mais ce
que IJouis XIV eut pu réparer par sa grandeur d'ame,
comme par sa puissance, dans la France toute Ca-
tholique, Jacques II bruloit de l'imiter dans I'An-


< Voyez les notes a la fin de ectte histoirl'.




EN ANGLETERRE. 53
gleterre toute Protestante. Alors l'Europe, inquiete
des projets poli tiques de Louis XIV, ne vit plus
qu'un serviteur de la France dan s le nouveau Roí
d' Angleterre. Elle conspira contre Jacques 11, parce
qu'elle conspiroit a Augsbourg contre Louis XIV;
elle aballdonna enfin la dictature de sa confédéra-
tío n a l'ambitieux Prince d'Orange, et Guillaume
devint par elle et pour elle Roi d'Angleterre, parce
que Guillaume étoit l'irréconciliable ennemi de
Louis XIV. Tels furent, contre Jacques II et les
Catholiques d'Angleterre, les effets de la révocation
de I'Édit de Nantes.


Des mesures déplorables avoient précédé cette fa-
tale révocation. L'histoire les attribue a l'inexorable
Louvois, et le Conseil de France faisoit convertir
par des dragons les Calvinistes a l'Église Romaine,
a peu pres comme les Conseils de Charles 11 et de
Jacques 11 faisoient convertir aussi par des dragons
les Écossois puritains a la Liturgie protestante. Ainsi
en France la signature du formulaire des Éveques,
et en Écosse la signature du Test parlementaire, ar-
retoient les dragons et les gens du fisco C'étoit ce
que l'on nommoit conversÍon , et il y en eut plus de
500,000 dans le Béarn, en Guyellne, en Poitou,
dan s le Languedoc et dans le Dauphiné. L'Éveque
de Lu~on écrivoit en Angleterre 1 que sur 7,000 hu-


1 Lettre de Bari llon.




51. R~VOLUTION DE 1688,
guenots dan s son diocese, il n'en restoit plus ([tiC
300 a convertir. Louis XIV, de toutes parts trompé
par ces hideux lIlensonges, avoit cru que tout se
bornoit a constater, par un acte législatif, la nOIl-
existence d'un culte déja par le fait aboli; el Jac-
ques II, admirant la facilité des merveilleux triom-
phes de l'Éveque de Lu<,:on, en prenoit d'autant plus
d'ardeur et de confiance, pour obtenir autant de
gloire dans ·se8 Royaumes.


Tandis que ces deux Rois se laissoient abuser si
tristement sur la grandeur et les dangers du coup
qui venoit d'etre porté, OIl représentoit a l' Angle-
terre ces conv'ersions prétendues sous un aspect bien
différent. Déja les religionnaires fugitifs accouroient
en fonle et venoient confirmer les récits lamentables
dont les leUres de France et les fenilles de HolIande
repaissoient tour a tour la curiosité, la haine et la
pitié publiques. L' Ambassadeul' Bar'ilIon cherchoit
quelquefois a glisser la vérité a travers les transports
de son admi~ation étudiée. « 011 peut aisément
« croire ,» disoit - iI, « qu'un événement si glOl'ieux
« pour votre Majesté excite la jalousie et l'aigl'eur
« des Anglois. Le peuple de Londres re<;oit avec avi.
« dité tout ce qui se débite touchant les moyens dont
« OIl se sert pour avancer les cOIlversions en France.
« On en parle tres-librement, et l' OIl se plaint que,
« la nation étant sons un Roí catholique, il soit ¡m-
.« possible aux Anglois de secoul'ir lem's fr't'l'{'s. ») Les




L'i\ N GLETEH ll.E. ):J


¡dallltt's étoiclll en effet universelles; el, dans le
Cuuséil mclUC du Hoi d' Allgleterrc, 011 s'expriUlOil
avee ulle liberté chaleureuse, entr'autres mylord Ha-
¡itax, qui pour cela fut oisgraeié.


Ce fut au milieu de cette fermentation oes espríts
que Jcfferyes rc<;,:ut la récompense de ses eruautés,
el fut IlOIJUué Lord Chancelier o' Allgleterre. Le
Parlem(~nt, prorogé au 19 octobre, devoit aussi
Lientot se rt-unir; mais la. eour u'avoit encore de
plan déterminé ni pnvers Louis XIV, ni envers la
Hollande el l'Espagnt', ni envers le Parlement.
Jacques II n'ignoroit pas qu\me ligue se préparoit,
dont le prétexte public seroit la défense et la sltreté
de la Religion protestante. Il cherchoit done a faire
elltendre a l'Ambassadeur de France que, pou .. t'lll-
pecher eette ligue, il falloit une alliance intime entre
lui et Louis XIV. Il s'ouvroit meme san s réservc
sur ce qu'il vouloit faire : iI aUoit, disoit-il, envoyer
un Ambassadeul' a la Conr de Rome : un N once du
Pape étoit déja en route pour fAngleterre : le Test
et l' Habeas corpus seroient r.évoqués : iI donlleroit
eufill dispense des lois pénales a touts les Catho-
liques placés dans l'armée. Cependant il cachoit
avec un soin extreme ses négociations avec la. Cour
d'Espagne; mais Louis XIV, quí ue les íguoroit pas,
dOllna ordre a llaríllon, le 19 novembre, de prendre
(les mesures telles que Jacques II trouvat dans son
Parlemenl des obstacles a touls ses projets. 11 l'au-




56 REVOLUTlON DE 1688,
torisa meme a faire connoltre aux Parlementaires les
plus attachps a la conservation de leurs droits et pri-
vileges qu'ils pouvoient agir en liberté, sans craindre
la France. c( ]Uais iI est hon , » ajoutoit-il, « que vous
« vous serviez de toutes les occasions qui se pré-
(e senteront, pour insinuer adroitement aü Roi d' An-
e< gleterre l'jntéret qu'il a d' employer son autorité
(e au rétahlissement de la Religion Catholique, et
« de ne la pas laisser plus long-temps exposée a
« toutes les lois pénales qui ont été faites contre
ce elle dans les regnes précédents. » Cette instruction
secrete, expédiée par un courrier extraordinaire a
Barillon, explique toute la politique de la Cour de
Versailles, sur les affaires d' Angleterre.


Ce changement de Louis XIV envers Jacques 11
avoit pour motif réel l'affectation que le Roí d'An-
gleterre mettoit publiquement a entretenir des re-
lations hienveillantes avec les ministres de I'Espagne
et des États ·Généraux, et surtout a hIamer les ri-
gueurs exercées contre les Calvinistes fran<;ois; a
en disculper les Jésuites; a les imputer a madame
de Maintenon et a l'archeveque de Paris, malgré les
secretes protestations de zele et d'admiration qu'il
prodiguoit a BariIlon. Louís XlV crut y voir un pro-
jet de s'allier a ses ennemis, si le Parlcment, qui
alloit se réunir, se montroit généreux, ou d'imiter
la politique versatile et vénale de Charles n. Mais,
dans la vérité, le Roi d' Angleterre, qui He désiroit




EN ANGL.ETERRE. 57
pas plus d'etre asservi a Louis XIV qu'a son Parle-
ment, vouloit employer l'un et l'autre pour acquérir
les moyens de fonder son systeme de puissance abso-
lue. Agissant avec la meme dissimulation avec le
princ.d'Orange, il correspondoit particulierement
avec lui; et touts deux cachoient leurs pensées vé-
ritables sous ues expressions qui ne trompoient ni
l'un ni l'autre : avec cette différence pourtant, que
le Prince fondoit la ligue d'Augsbourg, et que le
Roi se bornoit a entretenir des intrigues souter-
raines, pour épier les moindres démarches de son
gendre. Il est évident que I'hommed'État devoit
l'emporter sur l'homme d'intrigues. En effet, le
prince d'Orange ayant découvert <fue l'aumonier, la
nourrice et ]a femme de chambre de la Princesse
remettoient a I'Envoyé d'Angleterre un journal de
toul ce qui se passoit sous leurs yeux, aumonier,
nourrice et femme de chambre furent chassés; et le
Roi en con~ut autant de chagrín et de ressentiment
que si S011 gendre eut gagné une b~taille contre lui.


Le Conseil de Jacques II étoit livré ~ des jalou-
síes ambitieusef" a de sourdes niachinations, a des
dissentions qui expliquent la contradiction des se-
crets desseins du Prince, avec sa diplomatie osten-
sible et ses paroles publiques. Ce fut d'abord le mar-
quis d'Halifax, président du Conseil, qui succomba.
11 avoit dit ouvertement qu'il ne pouvoit soutenir au
Parlement les projets manifestés par le Roi; et




lU~VOLUTION DE .1 GtiH,
Jacqucs 11, en plein CO!lseil, déclal'a ({u'il lIt' (3l'1'-
mettroit a aueun de ses ministres d'exprimer un
autre avis que le sien. Cette Jisgraee (l'Halifax dOlllla
lieu a de grandes l'éflexions. « Si le Roi, » disoit-Oll,
« chasse de son C6nseill'homme qui a le plttt vive-
« ment eombattu le bill de l'exclusion, que prépare-
l( t-il done a eeux qu'il considere comme ses cnue-
« mis? Comment se livre-t-il eepenclant sans réserve
l( a Sunderland, qui étoit si fortement pronoueé a vee
( Shaftsbury, poul' l'exclure de la sueeession royale;> »
Ces mysteres de Cour étonnoient singulierement le
puhlie; mais on ignoroit encore le seeret aseendullt
que prenoit sur Jaeques II le pere Piter, religieux
de la Compagnie de Jésns.


Le P. Piter étoit feere c1u feu Lord de ce nomo
Présenté a Jaeques II dan s le temps de la Conspira-
tion des Papistes, ilavoit peu a peu gagné la eon-
fianee de ee Prinee par l' expression de son zele el
par la résolution de son caraetere. L'hahile Sunder-
land eut bientot teeonnu que eereligieux, déja tout
puissant ehez la Reine, ne mettoit point de bornes
a ses desseins sur le Roi. Aussi lIt-il jouer touts les
ressorts de sa dextérité pOUI' le subjuguel', tout en
paroissant ne suivre que ses illspil'ations. Le P. Piter
~t son tour disoit sans cesse aux Catholiques, a la
Reine et au Roi, que le comte de Sundcrland pouvoit.
seul obtenir une allianee étroite avec la France,
~t pouvoit scuL conduirc a un heut't.'ux lenue le grand




"EN ANGL.ET..EIUU:. 59
projet de la conversion uu Royaume. 01', Halifax
étoit ennemi de la France, et quoique tl'es-équi ..
voque ProtestanL, il répétoit sans cesse qu'il ne lais-
seroit pas attaquer la Religion du pays; il devoit
donc etre écarté du Conseil. Le comte de Roehester,
Lord Trésoríer, étoit le beau-frere du Roi; íl a voit
rendu de grands services a Sa Majesté sans doute;
mais iI étoit Protestant rigide; il seroit done ennemi
des Catholiques; il faUoít done le renverser: le cmute
de Sunderland n'eut pas de peine a eonvaincre le
P. Piter de la nrcessité oe eette mesure. Mais le mo-
ment n'étoit vas encore opportun: Rochester avoit
trop de erédit au Conseil et ho1's du Conseil; il fal-
¡oit done parer la victime avant de la sacrifier, eL
Sunderland Eit nommer Clarendon, frere ainé de
Roehester, a la více-royauté d'Irlande. Mais Cla-
rendon, bien plus rigide que son frere sur les droits
oe l'Église anglicane, pouvoit-il convenir aux projets
du Roi et des Catholiques su!' l'Irlande ? Poul'quoi
donner au due d'Ormond, Catholique, un sueces-
seur Protestant? Sunderland persuada sans peine au
P. Piter et au Roi que cela meme feroit taire touts
les murmures qui s'exhaloient déja par rapport a
l'Irlande; que d'ailleurs la vice-royauté n'ayant plus
le commandement militaire, il suffisoit que le géné-
ral d'Irlande eut le secret de la Cour. C'étoit le eQmte
Talbot, depuis duc de Tyrconnel , Catholique zélé,
impétueux, devoué d'abord a I'Irlandc son pays et




60 RÉVOLUTION DE 1688,
secondairement au Roi, qui desiroit s'appuyer sur
les Catholiques de cette nation. Une autre combi-
naison ne pouvoit échapper a Sunderland. Talbot
et Clarendon, rivaux d'autorité, ennemis natureIs
par la différence de leurs príncipes, ne pourroient
ni s'entendre, ni rester unís. Anglois et Protestant,
le fiel' Clarendon contrarieroit sans doute les actes
de Talbot, non moins fier, et de plus Irlandois Ca-
tholique. Leurs divisions ne pouvoient rester indif-
férentes au Lord Trésorier, qui, au COllseil, vou-
droit soutenir son frere. De la naltroient d'inévitables
occasions de le perdre lui-meme, et touts les deux
peut-etre. Enfin, la force des lie~s du sang les atta-
choit a la princesse d'Orange leur nieee ; ils étoiellt
done naturellement les protecteurs de la faction d'O-
range, et par conséquent les ennemis de la France
et des Catholiques d'Angleterre. Le P. Piter n'ell
vit pas davantage pour s'abandonner au eomte de
Sunderland, qui devint président du Conseil en place
du marquis d'Halifax, et obtint un crédit saus bornes
sur le Roí et les Catholiques exclusifs, sans se per-
dre dans l' esprit des Anglicans et de l'Oppositioll.
J~e Parlement alloit s'ouvrir, et Jacques II se


voyoit caressé par toutes les puissances ennemies
de Louis XIV. 11 régnoit sur I'Écosse qui avoit, ou
'du moins le Parlement, proclamé son pouvoir ab-
solu. En Irlande, les Protestants étoient effrayés,
désarmés, soumis. En Angleterre, l'esprit de parti




EN A.NGLET}<~RRE.


n'Ptoit plus qu'un chagrín supprbe qui s'exhaloit en
murmures, et les factions par?issoient ensevelies dans
la tombe de Monmouth. Maltre d'un revenu in dé-
pendant et d'une armée, Jacques ne voyoit plus de
limite a sa puissance, d'obstacle a ses desseins. Le
Parlement lui-meme ne lui sembloit etre qu'un in-
strument de plus. Mais tel étoit le caractere de
Jacques JI. Dans la spéculatioll, il ne doutoit ni de
sa force, ni de ses droits; tout devoit céder a sa
volonté, paree qu'il la croyoit essentielIement la loi
vivante. Falloit-il exécuter? alors la crainte d'échouer,
la honte de démentir la fierté de son langage, met-
toient le trouble dans son esprit et dans ses plans.
Touts les conseils qui blessoient sa vanité, illes re-
poussoit avec humen!', quelquefois avec emporte-
ment, et s'abandonnoit avec une déplorable facilité
a des avis contraires qu'il sembloit solJiciter. C'est
ainsi qu'apres avoir manifesté avec une hauteur im-
prudente, avant meme la premiere assemblée du
Parlement, que le Gouvernement étoit impossible
avec l' habeas COlpUS, et qu'il sauroit affranchir les
Catholiques des lois pénales et des serments qui les
for~oient de renoncer a toute existence poli tique ,
il arriva, sans aucun plan décisif, a la seconde session
qu'il avoit convoquée.


Mais les Catholiques eux-memes n'étoient pas
d'accord. ({ Les plus habiles,» disoit Barillon, (( et
(l ceux quí ont Ip plus de part a la confiance du Roí




n l~VOLUTroN DE J 688 ~
« d' Angleterre, connojssent hien que la conjonctu 1'('
« est la plus favorable qu'on puisse espérer. 1-o1(>s Je-
« suites 80nt de ce s('ntiment, qui san s doute est le
« plus raisonnable. Mais les Catholiques rjches ct éta-
« blis craignent l'avenir ... ils voudroient admettre touts
« les tempéraments possibles, et se contenteroient
« des plus médiocres avantages qu'on lenr voudroit
« accorder, comme seroit la révocation des Jois pp-
(e nales, sans s'attacher a la révocation du Test, qui
« rend les Catholiques incapables des charges et des
(( emplois ... Leur avis prévaudroit, si les autres ne pre-
« noient tous les 80ins possibles pour faire compren-
« dre au Roi d' Angleterr~ que, s'il ne se sert de l'oc-
«( casion, et qu'il n'établisse pas présentement ce qu'il
f( a dessein de faire pour les Catholiques et pour lui-
«( meme, iI yerra touts les jours naitre de plus grand~
« obstacles a ses desseins. Le Roi me paroit fort ré-
«solu de se prévaIoir de la conjoncture présente. »


BariUon écrivoit ainsi le 12 novembre,etJacques n
ouvrit I~ Parlement le 19 avec un discours équi-
voque, ou iI exprimoit plutot des intentions déja'
bien connues qu'une volonté affermie. D'abord il
demanda ün subside pomo l'entretien de l'armée.
disant en peu de motsque les milíces seroient 1n-
suffisantes ponr réprimer des rébellions, s'il en Slll'-
venoit de nouvelles. Quant aux lois pénales et a celles
du Test, il en fit mentíon, mais seulement pour dé-
darer qu'il en vouloit dispehser les officiers Catho-




EN ANGLFTERRE.


"liques dt\ I'armée. La se hornoit tout son diseours
qui fut accneilli par une sévere froideur. Jacques 11.
avec plus de el l'oitnre clans le ereur, ou une politiquí'
plus ferme, ellt demandé, l1ettem~nt t>t dans les
formes légales, la révocation d€ ces loís tyranl1iques.
au lit>n d'annoncer qu'il se mettroit au-dessus- d'ellps
et du pouvoir législatif, qui seul avoit le droit ele les
révo(!uer .. Il crut, par des paroles fieres, étouffcr une
<]uestion dangereuse, celle du pouvoir clispensif. de-
vant laquelle Charles II fut contraint de recule .. ,
meme dans le premier enthousiasme de la restau-
ration. Le Roi livr4)it ainsi aux plus dangerenx
ennemis de son autorité le droit de se mOlltrer les
rléfenseurs des libertés publiques: occasion déplo-
rabIe que l'inhabileté ou la rnauvaise foi ont tou-
jours le talent de procurer aux factions.


La révocation de l'Édit de Nantes avoit inspiré
une sombre inquiétude aux Anglois contre leu!' Roí,
qui put s'en convaincre de ses propres yeux. Un
inandement d'un Éveque fran~ois, l'Éveque de Va-
lence, occupoit. viol~mlnent le public, et Jacques II ,
avant fI'ouvrir la séance du Parlement, en entenclit
la lecture dans un groupe de Pairs qui l'accompa-
gnoient de réflexions véhémentes. Aussi son propre
discours trouva - t ~ il des espríts tres pl'éoccupés de
ce grand événement et des projets de leur souverain.
Les Comrnunes, a peine rentrées dans leur chamhre,
mirent sur-le-champ a l'écart la proposition de faire




64 RivOLUTION DE 1688,
irnmédiaternent l'adresse d'usage au !-toi. Elles 8'a-
journerent 'd'abord a trois jours. Le 22, il Y eut
une grande vivacité dans la délibération, contl'e l'ar-
rnée, contre les officiers Catholiques, sur la con-
tradiction des paroles actuelles de Sa Majesté avec
ses précédentes promesses de maintenir les lois qui
assurent la Religion protestante. Seyrnour et Clergis,
anciens députés, se distinguerent dans ces débats.
Jennins et Tuesden, nouveaux députés, furent cou-
verts d'applaudissements qualld iIs s'écrierent: c( Ne
« souffrons ni armée permanente, ni officiers pa-
f( pistes 1 ) Apres un tres long vébat, il fut done ré-
soIu, ce joul'-la, que 1'011 apporteroit un bill pou!' ré-
gler la rnilice, et la mettre plus en état de rendre,
disoit-on, des services a Sa Majesté. 11 fut également
résolu qu'un subside seroit accordé. M~s sur la ques-
tion si, dans le bill du subside, on' rnettroit ces
mots : pour l' en tretien de l' armée actuellement sur
pied, iI n'y eut que cent vingt-cinq voix en faveur
de la cour, et deux cel1t cil1quante-cil1q rejeterent
ces mots irnportants. Quant a la réponse au discours
de la Couronne, la chambre s'ajourna au lendemain.


Le 23, le comte de Middleton, ministre du Roi,
proposa de délibérer immédiatemel1t sur l'adresse
déja deux fois ajournée; mais la chaleur de la dis-
cussion n'en devint que plus grande, et le parti de
la cour ne put faire passer la proposition de Mid-
dleton, qui fut remise a une autre séanee.




EN ANGLETEHHE.


Le lendemain, la sdme avoit changé en appa-
renee. Les vieux parlementaires ayant donnédes
instructions aux nouveaux, tout fut calme dans la
forme, paree qu' on étoit décidé sur le fondo Ainsi,
discussion modérée, mais ferme, et la ehambre dé-
terminée a ne souffrir aueun officier catholique dans
l'armée. Elle rejeta meme la proposition de tolérer
ceux qui avoient. actuellement des brevets, si le Roí
promettoit de n'en plus nommer d'autres. Un comité


. fut nommé pour preparer une réponse au discours
de la Couronne, avec la condition d'insister sur l'exé-
cution du bill intitulé: Aete pour prévenir les mal-
heurs qui peuvent arriver par les Papistes; sauf a
donner aux officiers Catholiques une indemnité pon!'
les dépenses qu'ils ont faÍles, et uneamnistie pour
l'infraction de la loi. L'examen du subside promis
et l'adoption de l'adresse furent renvoyés au surlen-
demain.


Si la Con!' fut déeoneertée par eette marche des
Communes, elle ne le fut pas moins de ce qui se
passoit dans la Chambre Haute. Sur la proposition
de voter immédiatement une adresse de remerclment
au Roi, le eomte de Dévonshire (lord Cavendish)
appuya eet avis, en dÍsant : qu'il faIloit effectivement
remercier Sa J\tlajesté, d'avoir parlé sans dé tour et
d'avoil' montn~ a son Parlement le joug préparé a
rAngleterre. Malgré cette vive auaque, et peut-etre
pour cela melllP, l'adressc fut votée; mais lorsqu'on


JI.




66 RivOLUTION DE 1688,
voulut, quelques jours apres, examiner le discoul's.du
Uoi, le partí de la cour pf(~tendit vainement qu'il n'y
avoit plus a délibérer, puisque la Chambre avoit pré-
senté son adrcsse de remerclment. Halifax, d'Angle-
se~;, l\'Iordaunt,Nottingham, l'Éveque de Londres s'ex-
primerent avec vivacité sur la nécessit{ de présel'ver
l'ÉgIlse Anglicane, par la ferme exécution des 10is
dn Test. 11s s'éleverent surtout contre la prétention
du Roi au pouvoir de donner dispense des lOls, et
dirent avec chaleur que si Sa Majesté bravoit ainsi
un hill qui exclut les Catholiques Romains de toutes
les charges civiles et militaires, les 10is n'étoient plus
que le jouet d'un ahsolu pouvoir. Le nouveau Chan-
celier, Jefferyes, se croyant encore avec les jurés du
comté de Dorset, voulut répondrc et rnugir, dit
un historien; mais sa voix fut étouffée par les ex-
pressions les plus. ameres uu mépris et de l'horreu!'.


La chambre des Communes s'occupoit enfin du
subside et de sa réponse au discours de la Couronne.
Le Roi demandoit [,400,000 liv. sterling; quel-
(Iues membres de l'Opposition n'en proposerent que
200,000. ]\'Iais on se mit d'accord pour 7°0,000,
sans en spécifier l'emploi, pour ne pas autoriser in-
directement l' entretien d'une al'mée permanente.
Quant a l'adressc pré~ntée par le comité, elle étoit
rédigée en termes respectnenx dans la forme, et
décisifs sur le fondo « Le Roí,) dit Barillon en écri-
vant a LOllis XIV,) n'est ras mécontent dn sllb-




l:N ANGLKfERRI-:.


«( side, mais il veut que la chambre n'insiste pas sur
« l'adresse qui a été votée. )1 En effet, les Communes
avoÍent adopté le projet du comité; le parti de la
Cour, qui n'avoit pu le faire ni tomber ni modi-
fiel', chercha, par un détour assez adroit, a l'an-
nuler, s'il étoit possible, et proposa poul' cela d'in-
vÍter la Chambre Haute a se joindre aux Communes I •
Il pensoit que les Lords, ayant déja répondu au
discours du Roi, ne voudl'oient pas se trouver en
contradiction publique avec eux. - memes, par leur
adhésion au vreu de la Chambre basse. L'Opposi-
tion, qui apen,:ut le piege, fit rejeter la proposition,
et l'adresse fut présentée le 27 novembl'e. Elle mar-
que assez fortement les progres de l'opinion, depuis
trois mois, contre le Gouvernement de Jacques 1I,
poul' qu'il soit convenable de la reproduire littéra-
lement dan s c~tte histoire.


Il y étoit dit : « Les Cornmunes remercient tres
( humblement et de bon creur Sa Majesté, ainsi que
« leur devoir les y oblige, des grands soins qu'Elle
« a pris, et de la sage conduite qu'Elle a t~nue, poUl'
« éteÍndl'e )a derniere rébellion qui menac¿oit, non
« seulement de ruiner le Gouvernement dans l'Église
(( et dans I'État, mais encore d'extirper entierement
« leur Religion, établie par les lois, Religion qui
« leur étoit si chere, et que Sa Majesté avoit pro-


r Mél1l. de Jacqlles 1[.




68 R~VOLUTION DE 1688,
{( miS, par des assuranees réitél'ées, de défendrc el
« de maintenil'.


cr. Elles supplioiellt Sa Majesté de lcur permcttre
« de luí dire, en second lien, qu'avec beaucoup de
({ zNe et de respeet, elles avoient réfléchi, comme elles
(de devoient, sur son discqurs royal;


« Que, pour ecUe partie ou Sa Majesté parloit drs
« officiers de l'armée qui n'avoient pas les qualités
« requises poul' leurs em plois, selon un acte pass(>,
({ l'an vingt-einqllieme du regne du feu Roi, son frere,
t{ de glorieuse mémoire, intitulé: Acte pOllr prévenir
« les dangers qui pourroient al'river par les Papistes;
« les Communes représentoient fort humblement ;\
« Sa ~Iajesté, ainsi que leur devoir les y engageoit,
« que ees officiers ne pouvoient etre, d'apres les lois,
{( eapabIes de leurs charges, et qu'un acte seul dú
« Parlement pouvoit lever eeUe incapacité.


« Mais que par la déférence et le respect des Com-
« munes pOUl' Sa Majesté, qui avoit bien voulu prendre
« connoissance des serv ices de ces officiers, elles pré-
« pareroient un hill, pour etre passé en acte dans les
« deuxehambres, avec son consentement royal, afin
« d'exempter ces officiers des peines portées par l'acte
« p~ssé l'an vingt-cinquieme du regne du fen Hoi,
« peines qu'ils avoient encourues;


« Et comme la eontinuation de leurs emplois au-
« roit pu etre prise pour une dispensation de cette
(( loi, sans un acte du Parlement, dont les suites au~




.EN ANGLETJmfi1~.


« rOlent éte de la oerlliere importau\;e, par rapport
l( aux <.Iroit5 de touts ses bons et fideles sujets, ainsi
(e qu'a toutes les lois failes pOUl' la sureté de len!'
« Religion : les chevaliers, citoyens et bourgeois de
« la ehambre des COlllmunes de Sa Majesté, la sup-
« plioient tres-humblement de donller des ordres tels,
« que nuBe erainte ou jalousie ne put rester dan s le
« ereur de ses bons et fideles sujets.»


Ainsi dans l'intel'valle de sept jours, Jaeques 11
avoit déja vn s'évanouir toutes les espérances qu'il
avoit con<;ups d'un Parlement choisi avec tant de
soins parmi les plus zéJés partjsans de la monarchie.
Choqué violemment du mot Papiste, inséré, malgré
toutes les instances du parti dp la Cour, clans l'adresse
des Communes, «( il répondit avec dps marques de
c( fierté et de colere,») dit Barilloll, « qui faisoieut
« assez connoltre ses sentiments, quand il ne se seroit
« pas expliqué aussi clairement qu'il I'a fait. »


De retour a la chambre, l'Orateur des Communes
fit son rapport du discours de Sa :Majesté, qu'il lut
en ces tenues.


« Je ne m'attendois pas, messieurs, a une telle
({ adresse de la Chambre des Cornmunes. Je venois a
« peine de recommande~ a son attention les grands
« avantages qu'une honne intelligence avoit déja pro-
« duits entre elle et Moi. Je l'avois prévenue d'éviter
(e qu'il ne se gliss:it entre 110ns aucune inquiétude,
(( aucune jalousie. La réputation que j'ai acquise dans




niVOLUTION DE 1688,
({ le monde, graces a la L(~nédiction de I)ieu, aUl'oit
« du faire naitre 011 confirmer en vous la confiance
« qui m'est due. Mais enfin, de quelque maniere que
(c vous agissiez envers Moi, j'auraí toujours été ferme
« dans mes prornesses, et j'aurai tenu toutes les pa-
« roles que .le vous ai données dans mes harangues.»)


A ce rapport, a cettelecture, la chambre garda
un profond silence. Bientot un Député demande
qu'un .lour soit fixé, pour délibérer sur la réponse
du Roí. « Messieurs,» s'écria subitement le chevalier
Cook, ({ nous sommes touts Anglois, et j'espere que
c( des paroles de bauteur et de 'menace ne nous in-
« timideront pas assez pour nous empecher de faire
« notre devoir. Nous conserverons notre Religion et
« notre liberté, si nous avons du courage l.


Cook étoit un des plus riches propriétaires de
l'Angleterre, et de plus, officier de l'armée. Le parti
du Roi s'éleva atissitot contre eette violente apos-
tropbe, et demanda que ce Député fit des excuses
Oil fut envoyé ala Tour. Le Chevalier s'étant refusé
a toute explieation sur le sens de ses paro les, ne
fut soutenu par personne, et la Chambre le fit con-
duirea la Tour, pour avoir manqué de l'espect a Sa
Majesté. Mais trois jours apres, le Roi pronon~a
subitement l'ajournement des Chambres an 20 février,
sans attendre que le bill des subsides fut dressé. « Il


I Lctfre ele Barillon.




·EN ANGLEl'J-:IW.E. 71
« II 'y U pus ti' apparence,» écri voit Barillon , le jour
meme, a Louis XIV, « que la prorogatioll du Parle··
(( ment produise d'autre effet que d'augmenter le mé-
ee contentement de gens qui sont déja aigris et mé-
« contpnts : ceci apporte un grand changement dans
« les affaires d' Angleterre. »


Le Roi ayant aussi completement échoué dans s€s
dpsseins, continua tout a la fois de parler d'une ma-
niere fierp, et d'agir par desmoyens équivoques. Il
accréditoit avpc complaisance les discours. qui se
répandoient sur une mésintelligence entre luiet
Louis XIV, mésintelligenc.e dont il paroissoit VOtl-
loir s'attribucl' l'honneur. Il accueilloit les ambas-
sadcurs d'Espagne, qui flattoient son idée vaguement
favorite (l'etre un monarque puissant, et d'etre le seu!
capable de posel' les bornes de la toute-puissél,{lce
fran«;;aise. 11 paroissoit aussi écouter avec intéret.le
corntede Hochester, qui, s'attachanta lui J~ire
comprendre :qu'un Roi d' Angleterre, étroítem~ll~ 'llni
a son Parlement, seroit tOl,ljours l'arbitre :n~turel
de l'Europe., le supplióit de ne pas céder :aUX:COll··
seils qui lui étoient süggérés de -continuer la ~.pro­
rogatiol1 des Chambres. De leur coté, les' ~ehets
parlementait'es qui n'avoient pas quittéLqnd.res,
cherchoient touts les moyens capables de le -porter
¿l conclure un traité avec la Suedp et: l~·nrall(le ..
bourg, traité (lui s'appuyant sur l'alliance renQU-
vclée avt'c )('S États-G{~n~raux, ('lIt reproduit en




RÉVOLUTION DE 1688,
quelque sorte la Triple-Alliance. Enfin la majorlte
des Catholiques entroit dans ces plans l. lIs en
avoient référé aRome; et non seulement ils travail-
10ient a favoriser l'Espagne plutot que la France, mais
encore ils songeoient a se ménager le Prince d'Orange
par une conduite modérée, pOUl' le moment ou
l'ordre de la natllre l'appelleroit au trone d'Angle-
terreo


Mais le partí du P. Piter ne pensoit pas ainsi, et
soutenu par Barillon, il déconcerta touts les projets
auxquels eut accédé le Roí, peut-etre, s'ils eussent
été appuyés de la promesse d'un fort subside. Le
P. Piter, en effet, aC<J.uéroit de plus en plus la con-
fiance du ROÍ, et lui inspiroit des résolutions ex-
tremes. Il ne falloit plus de Parlement : le moment
étoit venu de s'unir a la France , « et de prendre des
mesures telles que la Religion Catholique fut pour
jamais établie en Angleterre.» Ces derniers 1ll0ts
avoient dans son esprit un sen s dont le développe-
ment devint tres-dangel'eux, et que l' on fera COIl-
nOltre plus tarde Quoi qu'il en soit, le Nonce du
Pape, qui venoit d'arriver, lui paroissoit d'une mo-
dération au moins suspecte; car ce Prélat (M. d' Adda)
n'avoit pas vouln prendre les insignes de sa qualité.
Il représentoit meme, au nom du Souverain Pontife,
que les effets, d'abord insensibles, de la prudence et


f Lettl'e de Barillon.




EN ANGLETERRE. 73
du temps seroient plus surs, plus durables que ceux
de la précipitation et de la violt'llce.


Dans ceUe situation des esprits, Barillon alla
dl'oit a son but. Sunderland étoit d'un naturel ma-
gnifique; mais sa grande fortune ne suffisoit ni
a son faste, ni a son jeu immodéré. 11 avoit vu le
due d'y ork et Charles II pensionnaires de Louis XIV;
iI ue se fit pas scrupule de les imiter, et Barillon
demanda pour lui ce qu'il nommoit une gratification
annuelle de 120,000 livres tournois. Louis XIV crut
avec raison qu'il pouvoit acheter le premier mi-
nistre du Roi d'Angleterre a meilleur marché. Sun-
derland accepta 60,000 livres; et, de ce moment,
Roi et Royaurnc, tout fut vendu en apparence a
I,ouis XIV. Par l'événement, ce fut au profit du
prince d'Orange.


Cependant, si le Roi s'étoit montré surpris au-
tant qu'indigné de trouver, dans un Parlement, na-
guere si docile pour tout ce qlli pouvoit affermir
l'autorité légale du Gouvernernent, une soudaine et
invincible résistance a des mesures qu'il croyoit
pouvoir imposer d'autorité, il ne le fut pas moins
en voyant un grand nombre d'officiers, tant de sa
maison que de son armée, soutenir le Parlement,
et se prononcer avec ardeur contre l' entretien d'une
armée permanente. Il ne concevoit pas, dit Baril- .
Ion, que l'esprit anglois prévalut en eux contre
lcurs propres illtél'(!ts. JI n'('n voulut pas moins




nÉvdLUTIO~ DE IG88,
montrer qu'il sauroit se passer un Parlement. Apres
avoir demandé 1,400,000 livres sterling 1 iI en avoit
aeeepté la moitié; eependant iI n'attenc1oit pas que
le bill en fíh dressé, pour proroger la session des
Chambres. « Le Roí,» disoit-on, « n'a done pas
« besoin meme de cette lIloitié que les Communes
(e lui avoient offel'tes.) De la des inquiétudes qni
devinrent plus vives quanc1 on s'aper~ut qu'il ne fai-
soit aucune réforme de troupes; qu'il y conseryoit
les officÍers catholiqlles, et meme qn'il en augmen-
toit le nombre, donnant aux uns des actes de par-
don ponr le passé, aux autres, des actes de dispense
pour l'avenir. Mais dispenser des lois, ou les révo-
quer, n'est-ce pas une senle et meme chose? Oil
s'arretem cette affectation superbe du pouvoir ab-
soIu, quand, au mépris d'une loi qui déc1are le Pape
ennemi de la Religion et du Royaume d' Angleterre ,
le Roi d' Angleterre envoÍe une ambassade solennelle
au Souverain Pontife de Rome? Tels étoient les
discours publics clans tout le Royaume. Oh 'attendoit
impatiernment le 20 février, terme de la proroga-
tion, pour savoir s'il restoit encore un moyen d'op-
position légale clan s l'as.~emblée du Parlement. Les
espérances furent trom pées par une prorogation
nouvelle.


Le Saint-Siege, avec qui Jacqnes II vouloit ré-
concilier l'Angleterre, étoit occupé par Innocent XI
( Odescalchi ), né sujel de l'Empercnr, <'t attacl1t~ ~l




l~N ANCLETERRE.


la puissance autrichienne, quoique Pape ('t Italien.
J}esprít d'ordre qu'il avoit puisé dans la maison de
son pere, autrefois banquier a Mitan, auira et fixa
dans son trpsor des sornmes immenses qu'il employa
libéralement an secours de l'Empire et de la Po-
logup, contre les forces de la Tnrquie; mais il avoit
d'abord suivi la profession des armes, ou il con-
tracta une habitude de fermeté qu'il opposa jusqu'a
son dernier soupir aux vues politiques de Louis XIV.
11 fut donc naturel1ement allié de touts les ennernis
de la France.


:n semble que tont ce qui se passoit alors en
Angleterre dut particulierementappe!er l'attention
et la protection rneme (h~ ce Pontife ;car un Roí,
zélé Catholique, se trouvoit assis sur le trone
d'Élisabeth. Mais Rome paroissoit embarrassée d'nne
pareille conquete, soit clans une sage prévoyance
de l'avenir, soit dans l'appréhension que }' Angleterre
ne fut enfin trop dévouée a la France.


Le cardinal d'Estrées, Franr;ais, et le cardInal
Howard, Anglois, recevoient en effet, du P. Pite!'
et de ses amis, une série perpétuelle de lettres, qui
faisoient tout a-la-fois peur et pitié a ces deux Princes
de I'Église. Touts deux, et le Saint-Pere lui-meme,
s'occupoient bien plus a diriger qu'a exciter l'ardeur
d'un zele qui leur paroissoit trop fougueux. Ils con-
seilloient cette patience qui prépare les triomphes
de l~Évangile, et ecHe 11lodl'ration (Iui en perpétue ~~:~


fit:)
.-J~'!1.i .. .,.. ~ ~~~\~ ~ .:~.
"" ~"·""··.:·i a.' ~:::.:~ .. , ....




RivOLUTION DE 1688,
la durée. Le cardinal Howard, surtout, <fUi C011-
noissoit bien l' esprit du peuple anglois, ne dissi-
muloit pas les craintes que lui donnoit, dans
cette conjoncture délicate, la révocation de rédit
de Nantes. Aussi toutes les instructions que le Nonee
de Sa Sainteté recevoit de Rome, luí preserivoicnt
cette circonspection, que la politique italienne sait
toujours employer admirablemenl, quand elle luí est
nécessaire. Un sentiment plus noble dictoit encore
ees instructions, sans doute. Qu'importe, en effet,
le temps ~ la Religion qui est éternelle?


Mais le temps est tout pour les creurs ambitieux;
et le P. Piter vouloit gouverner l'Angleterre. Vaille-
ment le Nonce du Pape avoit cru imprudent de pa-
rOltre avec ce titre : le P. Piter voulut qu'une ambas-
sade solennelle fih envoyée par le Roí d' Angleterre au
Saint~Siege. Vainement, et par les loís du Royaume,
tout Anglois qui négocioit avec la Cour de Rome,
étoit, par le fait, coupable de haute trahison : cette
considération, et toutes les préventions qu' elle de-
voit susciter, n'arreterent personne. A eette impru-
den ce grave on joignit le ridicule, et ce fut le comte
de Castelmaine <{ui fut nommé a eette ambassade.
Rome elle-meme en rougit, et la Cour de France
en 6t d'intarissables risées. Mais l~ secret de cette
nomination est dans ces mots de Barillon : ce J'ai su
~( d'un bon enclroit, » dit-il a l,onís XIV, « que le
j( Général des Jésuites, qui pst aRome, aura un


.. s .. ~.\
• ¡O; . .t


.. ,. ~~i;;1
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EN ANGLETERRE, ) J


« granel pOUVOU' sur l'csprit du comte de Castel-
« maine, et dirigera sa conduite. »


Cependant Barillon supplia le Roí sou maitre de
ne pas permettre que cet Ambassadeur, qui devo~t
passer a Versailles, ne devint trop v isiblement l' objet
tles railleries de la Cour. Outre la nullité person-
ndlc uu comte de Castelmaine, c'étoit une singu-
liere invention que de choisir précisément le mari
de la duchesse de Cléveland. « Il semble d' abord, »
dit Barillon a Louis XIV, c( qu'il y ait quelque ridi-
« cule a envoyer un homme, si peu connu par lui-
« meme, et si connu par madame de Cléveland. Le
« Roí ne s'est point arre té a cela et l'a choisi, parce
« qut:' les Catholiques on t une grande confiance en
« lui, qu'il le croit tres-habile et fort zélé Catho-
(l lique. » Louis XIV chargea le cardinal d'Estrées
de diriger l'Ambassadeur de Jacques 11 autant qu'il
le pourroit; ce qui n'empecha pas Castelmaine de
faire des fautes énormes, et de s'attirer l'animadver-
sion personnelle du Pape.


Le cardinal Howard ne se. méprenoít ni sur l'im-
prudence des mesures que l'on inspiroit a Jacques Ir,
ni sur la foiblesse des moyens auxquels on parois-
soit mettre tant de confiance. « On aime chez vous,»
disoit - il a un Théologien protestant, (le docteur
Burnet ), « la violence et l'ouvrage faít. D'un autre
coté,» ajoutoit-il, t( la Cour d'Angleterre n'a paint
f( assez d'hommes capables de travailler a l'amplc




RtVOLUTION DE 1688,
« rnOlsson qu'elle se propose. On lui a envoyé tout
( ce qu'il a été possible de trouver; rnais quels
cc hornrnes ! tres-peu d'entr'eux connoissent la langue
ce du pays. Sortis tres-j eunes d' A ugleterre ou d'Ir-
« lande, ils se sont faÍt un ¡diome composé de l' An-
e( glois, du Fran~ois et de I'Italien. Cornment leurs
ee sermons ne l'ebuteroient - ils pas leurs compa-
{( triotes?» leí, sans doute, le cardinal Howard, cou-
vert de la pourpre Rornaine, oublioit que les apó-
tres n'avoient pas été moins dénués d~ toute science
humaine. Quoi qu'il en soit les nouveaux Apótres oe
}' Angleterre se voyoient forcés de luttcr avec les
docteurs les plus illustres des Universités et de l'É-
glise Allglicane. Ceux-ci, éveillés sur leurs proprcs
intérets par les projets qu'ils supposoient au Roí,
venoient d' engager une gllerre méthodique et réglée
contre les prédicateurs et les écrivains Catholiques.
A leur tete figuroient les Tillotson, les Tennison et
les Sherlock. Au second rang figuroient encore des
hOlnmes tres - doctes; et chaque sernaine voyoit
éclore, outre leurs sermons, un écrit nouveau,
armé de toute l'érudition de ce ternps, sur touts les
points de discipline, de doctrine ou de dogme con-
testés entre la Religion dll Hoi et la Religion de
I'État. Cette controverse occupoit d'autant plus ví-
vement l' Angleterre que la Religion n'étoit ici qu'un
prétexte, et il ne s'agissoit au fono que de la po-
litique.




EN ANGLETERRE. 79
Telle.étoit l'infortune OU l'imprudence deJacques Il,


lorsqu'il se fut engagé dans ses périlleux desseins,
que ni la Chaire ni la Presse ne le pouvoient dé-
fendre: la Chaire, d'autant plus rcdoutable dans ses
inimitiés, qu'ici elle étoit armée de son inviolabilité
légale et toujours sacrée; la Presse, toujours foíble
pour l'autorité, quand elle est auxiliaire, et toujours
inexorable quand elle est ennemie.


La Presse en effet commenc¿oit a introduire dans
l'ordre social un élément qui, depuis trois siecles,
n'est encore apprécié ni ce qu'il est ni ce qu'il peut
etre. De meme que ]a parole individuelle de l'hornrne
exprime tour a tour les di verses formes de sa pen-
sée, les passions ou les besoins qui I'agitent, la lu-
miere, l'erreur ou la perversité de son intelligence,
la Presse est devenue l'organe de la pensée, des
passions, des progl'es, des besoins et des erreurs
de la société. C' est la parole du peuple, mais avec
cette différence prodigieuse : la parole de l'homme
s' évanouit dans le tem ps et dans l' espace ou elle est
proférée; avec la Pres~e, la voix de l'homme et de
tOllts les hommes, la voix du peuple 'et de touts les
peuples, est recueillie, fixée, multipliée, propagée
dans la double immensité du temps et de l'espace.
Avecla Presse, touts les peuples s'entendent; la voix
meme des siecles qui sont écolllés se ranime et de-
vient présente poul' les siecles it venir. Elle semblc
r..,essuscitel' les nations couchées dans la nuÍt des




80 nÉVOU1TION DE J 688,
temps, et rallier toutes les familles dispcrsées de la
race humaine. Avec la Presse, chacune des Nations
est incessarnment unie a toutes les autres, et in ces-
samment présente aux hommes qui ont re<.;u de
Dieu ou des loís la ttlche laborieusc de la gouver-
ner. Elle assiste a leurs Conseils, elle les poursuit
meme jusque dans l'intimité,jadis inviolable, de leurs
foyers domestiques. Ainsi avec la Presse, iI n'existc
pas, il ne peut exister de mystere politiqueo Le Mi-
nistre le plus habile n'a pas un seul dessein que la
société toute entiere ne devine s'il le cache, et ne
tourne a sa ruine tot ou tard, s'il s' obstine a le vou-
loir accomplir malgré elle. Cornment en seroit - il
autrement? Non seulement cette parole du peuple,
mais encore la parole de touts les peuples unís par
la Presse, dans une syrnpathie universelle, pénetl'e
tout a la fois dans la chaumiere du patre, dan s ra-
telier de l'artisan, sous la tente du soldat. Elle
attend le matelot sur le rivage lointain oil íl va
descendre. 11 n'est pas jusqu'au Cénobite qui ne
veuille la connoitre, ne fut-ce que pour crier,
Anatheme! Ainsi le monarque qui se croit le plus
absolu est forcé, pour ainsi dire, de descendre lui-
meme au forum, paree que tout est vu ou prévu ,
aecusé, jugé, condamné, rarement absous, par cettc
voix qui se croit et veut etl'e souveraine. Est-ce un
bien? Est-ce un mal? Qui pourroit le dire ? Seu le-
ment c'est un fait que nulle puissance ne pe.ut dé:-




EN ANGLETERRE. Sr
truire en le niant. :i\iais il entralne une conséquence
indestructible; c'est que nul gouvernement ne peut
etre impunément injuste, corrupteur ou inhabile.


Jacques II ne pouvoit pas sans doute connoltre
tout l'ascendant de eette force nouvelle, mais dans
toute l'Europe comme en Angleterre elle agissoit
ouvertement contre lui. Tandis que cinquante mille
Religionnaires fugitifs étoient un spectacle perpétuel
pour les Anglois, qui jugeoient les desseins de leuf
Roí par l'édit de Louis XIV, les Presses infatig~bles
de la Hollande excitoient la commisération des
peuples protestants sur le SOl't de ces fugitifs. Le
Roi n'avoit done pas uniquement les Anglois a sou-
mettre, mais les Anglois exci tés par les vreux et
l'assentiment de touts les peuples qui faisoient cause
cornmune avec eux. Sur ce point les nations posse-
dent un instinct merveilleux, que les gouvernements
ne doivent pas mépriser. Dans les grandes divi-
sions publiques, un peuple ému sait toujours quelle
force doit l'appuyer. Tandis qlJe Jacques II n'avoit
réellement pour lui qu'un tres-petit nombre de ses
sujets Catholiques, touts les Anglois protestants,
outre la force légale de leurs usages, de leur Reli-
gion et de leur Opposition meme, se sentoient pro-
tégés contre leur Roí par touts les Protestants de
l'Europe, auxquels s'unissoient les grandes puis-
sanees Catholiques, a cause de la France qu' elles
redouto ien t.


H. ti




SOMMAIRE.


1686.


Décisions des Juges sur le pouvoir de dispenser des lois, et
afiaire du Chevalier Hales. - Pa.rlement d'Écosse. - L' b'lande.
-Projets sur l'Idande. - Talbot, Due de Tyrconnel, Vice ..
Roi.


_000_





REVOL. DE 1688, EN ANGLETERRE. 83


LIVRE XII.


1686.


L'USAGE le plus dangereux que l'autorité supreme
puisse faire des lois et des institutions publiques,
c'est de vouloir en exprimer des conséquenees loutes
contraires a leur fin naturelIe. Au sean dale de la
conscjenee publique ainsi méprisée, se joint l'a-
veu tacite de l'artifiee qui vient au secours de l'im-
puissance. Les peuples respectent la force, meme
injuste, quand elle est déployée avec courage; mais
ils savent bientot évaluer ceBe qui n' est qu' emprun-
tée; ils la jugent ce qu'elle est réellement; ils la
méprisent 1 et elle tombe. On en voit iCl un ~t'3..nd
exemple.


Jacques II n'avoit pu obtenir du Parlement la rc-
connoissance, au moins tacite, du pouvoir dispensif
qu'il s'étoit attribué ouvertement dans son discours.
Il ehercha done un ~noyen de l' établir sur une dé-
eision légale et cornme un faít de (!hose ,iugée : ee


G.




84 RtVOLUTION DE 1688,
fut d'obtenir l'assentiment des douze juges d' Ang\c-
terreo Le Lord Chancelier Jefferyes n'étoit arreté
que par quelques difficultés dans les termes et dans
la forme. Cependant quatre des juges se montrerent
inébranlables sur le droit. A]ors le Hoi les rpvoqu:l;
et lorsqu'il les eut rem placés, biell assuré de la do-
cilité de touts , illes fit délibércr sur cctte question :
«( Si le Roí peut díspenser du serment et du test les
personnes qu'il placeroit dans les charges et emplois
du Royaume?»


L'autorité de la chose jugéc a tant de force en An-
gleterre, que la question, ainsi posée, ne sembloit
pas nleme douteuse au Roi et a son Conseil. Le
droit de faire grace, disoit-on, de remettre les
amendes et les bien s confisqués, les actes de pardo n
particuliers et les amnistíes g(~nérales, considérés
comme dispenses de la loi générale, étoient certai-
nement une prérogative de la Couronne, qui remon-
toit aux temps les plus anciens et qui n'étoit con-
testée de personne. Le Roi pouvoit done dispenser de
la loi pénale par rapport a la Religion, comme des
autres lois pénales qui regardent la sureté de l'État
ou les intérets du fisco Mais cet argument n'étoit
qu'un sophisme. Le Roi ou le Iégislateur pent bien
remettre la peine, mais non pas autoriser le crime
ou le délit pour lequel ceUe peine est prononcée ou
infligée.


On faisoit un argument plus spécieux. Tont acte,




"EN ANGL.E1'ERRE. 85
disoit-on, ne peut priver un Roí de sa prérogative,
qui est une et inséparabIe de sa personne. JI a le
droit d'cxiger le service de t'-luts ses sujets pour le
bien de I'État; nul acte ne peut done l'emp~cher
d'employer ses sujets Catholiques. Mais il y a un
vice manifeste dans ce raisonnement, qui est de sup-
poser que touts ses sujets ont la capacité civile ou
politiqueo Or, nnl sujet anglois, d'apres la loi, ne
pouvoit occuper une charge publique, sans preter
serment, et sans justifier dans les six mois qu'il avoit
fait un acte de communion a vec l'Église anglicane.
L'incapacité politique du sujet anglois, dans ce cas
déterminé, ne pouvoit done etre détruite que par
une autre loi. Ainsi, dispenser de la 10i, c'étoit
abroger la 10i meme. 01', le Roi ne pouvoit que
remettre la peine encourue, puisqu'il n'étoit pas
législateur. On décidoit done la question par la
question.


« Mais iI n'y a pas de loi dont le légíslateur ne
(f puisse dispenser. Dieu lui-meme,» dit-on encore,
« a dispensé d'une de ses 10is, en ordonnant a Abra.,.
« ham de sacrifier son fils. » Sans doute, mais iI s'a-
git Íci du Iégislateur; et le Roí n' étoit législateur
qu'avec le Parlement.


Aussi les juges, ponr faire disparoltre ce vice de
raisonnement, déciderent, a la majorité de onze
contre un, « qUf' les lois dll Royaume étoient les 10is
c( dll Boí; (1U<~ les Hois d' Angleterre pouvoient en




86 RÉVOLUTIOr.- DE 1688,
{{ dispenser, quand la nécess.ité l' exigeoit; qu'ils
«·étoient :seuls juges de cette nécessité; enfin, qu'ils
(( n'avotoot pas droit de renoncer aux prérogatives
« de Ieur couronne. »


Cette .décision ,appuyée sur le faux 'príncipe que
la loi du Royaume étoit la loi du Roí, reniVersoit
l'autorité du Parlement,qui concourt nécessairement
a la formation de la loi, Quant au ·pouvoir de ,dir
penser, il est évident que). toute loi ayant pour but
la conservation de la société, le droit de dispense,
en cas de nécessité, est une conséquenee naturelle
et nécessaire ·de la loi meme : ear il seroit absurde
de prétendre que la société doit périr par respect
pour la loi. Mais le fait de nécessité se manifeste de
lui-meme si fortement quand iI existe, que jamai~
il ne pent etre qu'Ulle exception tres rare au droit
commun. Cette décision des juges n'étoit done réel-
lement qu'un acte de forfaiture, qui cependant servit
a régler tout8 la conduite ultérieure du Roi.


n De Siuffisoit pas .en effet d'une décision absolu-
ment théorique et portée sur une question mute
générale; iI s'agissoit de l'appliquer légalement, et de
la convertir immédiatement en doctrine pratique.
Le moyen que prit la Cour est hienpeu digne de
l'histoire; mais iI explique le déplorable systeme qui
condulsoit incessamment le Roí d' Angleterre a sa
ruine. Ce fut de susciter contre un des officiers
Catholiques un dénonciateur.




EN ANGLET:EHRE.


Le chevalier Éclouard Hales, llé d'une illustre
famille du comté de Kent, fut choisi pour donner
a toute I'Angleterre le singulier spectacle qu'on -'ui
préparoit. Hales étoit colonel d'jnfanterie; catho-
lique, il n'avoit pu se soumettre a la loi du Test.
Son cocher se présente aux magistrats, l'accuse for-
mellement de contravention a la loi, et réclame les
500 livres s.terling accordées pour récompense aux
dénonciateurs. Le ministere public conclut a l'appli-
cation des peines légales; mais le chevalier Hales
produit la dispense qu'il avoit obtenue, scellée du
grand sceau de l'État : il est renvoyé absous.


I,e Roi, se croyant tres-fort de la décision de ses
juges, et de l'application qui venoit d'en etre faite
par un jugement solennel, ne s'occupa plus, pen-
dant tout le cours de son regne, que des moyens de
placer les Catholiques dans toutes les charges ci-
viles, militaires et religieuses de ses trois royaumes;
exigeant meme, de touts ceux qui occupoient les pre-
mieres dignités, qu'ils se déclarassent Catholiques,
s'ils vouloient etre conservés.


Cependant le prod~s el l'absolution d'Édouard
Hales avoient excité l'attention et I'inquiétude pu-
blique. Une controverse générale s'établit dans


toute f'Áng(eterre, sur (es droíts du Roí et du Par-
lement. La nation, émue par ces discussions uni-
verselles, s'abandonnoit d'autant plus aux défianccs
les plus sillistres, que le Parleme.nt, ajourné au




88 RÉVOLUTION DE 1688,
20 février, fut successivement prorogé d' abord au
mois de mai, puis au mois de novembre, et que
tout annon~oit la résolution de le díssoudre.


Le Roí subordonnoit toutes les affaires du Gou-
vernement au projet, non pas de procurer l'exer-
cice libre de la Religion aux Catholiques, ce qui
eut été une grande et noble pensée, mais de dé-
truire réellement la Relígion de I'État ; et pour cela?
iI s'agissoit d'arriver a l'exclusion de la princesse
d'Orange. Ce projet dangereux, qu'il n'osoit s'avouer
a lui-meme, étoit l' occupation constante du Conseil
secret auquel iI s' étoit abandonné. Mais avant d' en
venir la, il falloit renverser le crédit des CIaren don ,
les éloigner de la personne du R?i, donner en
Irlande toute la puissance aux Catholiques, obtenir
du I)arlement d'Écosse la révocation des lois pénaIes
et du dernier Test; enfin, appuyé des forces de ces
deux royaumes et de la puissance fran(,;oise, imposer
la loi a l' Angleterre. Ce plan fut suivi cette année
avec persévérance.


Le Roi devoit se croire assuré de la docilité du
Parlement d'Écosse; et quoique dans ce royaume il
y eut tres-peu de Catholiques, au milieu d'une im-
mense nlultitude de Presbytériens, il présuma telle-
ment de son autorité, qu'il voulnt tout a-la-fois abo-
lir les Iois pénales et le Test, en favenr des Catho-
liques, et livrer les sectes séparées de l'Épiscopat
Protestant a toute la rigueur des lois. Des le lUOÍS




EN ANGLETERRE.


de mars, il avoit disgracié le duc de Queensbury,
en lui otant sa charge de Grand-Trésorier et le
commandement du chateau d'Édimbourg. La Tré-
sorerie fut mise en commission sous la présidence
du Chancelier, le comte de Perth, qui venoit de se
déclarer Catholique. Le chateau d'Édimbourg étoit
donné au duc de Gordon son beau-frere, le plus
eonsidérable des Seigneurs Catholiques. Le due
d'Hamilton s'étoit réuni a leur parti, et son crédit
paroissoit suffisant pour eontre-balaneer toutes les


, oppositions. Enfin, mylord Murray, Secrétaire d'É-
tat pour l'Écosse, et nouvellement converti, devoit
tenÍr le Parlement au nom du Roi.


Cependant les seigneurs écossois, que Jacques JI
avoit mandés a Londres, ponr s' assurer de leur
eoneours a ses desseins, lui firent entrevoir plus de
diffieultés qu'il ne pensoit l. 11 exigea d'abord leur
promesse de faire abolir le Test, et ils s'y étoient
engagés. Mais bientot ils n'oserent soutenir ce qu'ils
avoient promis, a moins que le Roi ne leur donmlt
le pouvoir de consentir en son nom 'un nouveau
bill qui confirmeroit la Religion Protestante, avec
eette cJause formelle et solennelle, qu'i:t l'avenir Sa
Majesté n'y apporteroit ancnne altération ni dimi-
nution. Jacques 1I, qui, par la loi meme, avoit la
suprématie religieuse, ne voulut pas consentir a


1 Lettre de Bal'illoll.




9° RÉVOLUTION DE 1688,
ce He restriction de son pouvoir; et de part el
d'autre, il fut convenu que le Parlement resteroit
libre de se prononeer sur la conservation ou l'abo-
lition du Test. Le Roi, d'ailleurs, l'avoit lui-meme
fait établír sous le regne de son frere, pour sou-
mettre les Presbytériens aux Éveques et aux magis-
trats séculíers. Il avoit de plus le pouvoir dispensif
en favetir des Catholiques, et ce pouvoir ne lui
étoit pas disputé en Écosse.


Le comte Murray partit avec les instructions du
Boí, et une lettre díreetement adressée au Parle-
ment d'Éeosse, tandís que le Parlement d' Angletel're
étoit prorogé pour la troisieme fois, et renvoyé au
lUOÍS de novembre. l..'assemblée s'ouvrit en Écosse
le 10 mai. La lettre du Roi ne demandoit aucun
subside; elle offroit un consentement san s réserve
aux bilIs qui seroient portés pour ouvrir le lihre
commerce de l'Éeosse avec l' Angleterre. A cette
offre succédoit l'invitation ou l'ordre de passer en
loi un acte d'amnistie porté par Sa Majesté, en ra-
veur de touts les Écossois eompromis dans les der-
nieres rébellions. Enfin, les Catholiques étoient l'e-
commandés au Parlement, ce afin,» dísoit le ROÍ,
« qu'apd~s avoir donné tant de preuves de loyauté
(e et d'une conduite paisible, ils puissent, par votre
« secours, jouir de la protection des lois et de la
« sureté personnelle, sous notre Gouvernement royal,
« comme tOllts nos autres sujets, el sans qu'ils soient




EN ANGLETERRE.


« soumis a des obligatioIls que Ieur croyance ne
C( sauroit admettre. » Le Roi terminoit sa lettre sanso
explieation, ajoutant eependant que le eomte de
l\Iurray avoit toute sa eonfianee, et qu'il étoit ehargé
(le ses pouvoirs. Murray, cependant, ne s' ouvrit pas
davantage; et apres avoir signalé touts lesavan-
tages et les bienfaits que le Roi son maltre avoit
déja, dit-il, répandus sur son ancien Royaume, iI
termina son discours en disant que Sa Majesté ne
demandoit qu'un seul témoignage de reconnoissance
pour tant de faveur, c'est-a-dire, de laisser vivre en
paix, au milieu d'eux, le petit nombre des Catho-
liques de ee Royaume.


Apres tout ce que Jaeques II, commedue d'York
Pot comme Roi, avoit fait pour l'Épiscopat et pour
la noblesse d'Éeossc; apres surtout les excessifs té-
moignages d'un zele sans bornes, et d'une obéis-
sanee toute passive que le dernier Parlement lui
avoit donnés, il étoit difficile de supposer que le Roí
éprouveroit la moindre résistance. Les Catholiques
écossois ne pouvoient numériquement eauser aucun
ombrage; toutes les sectes presbytériennes étoient
d'aiUeurs abandonnées au zele sauvage et furieux
des Éveques protestants. l\lais les seigneurs éeossois
qui étoient venus a Londres en avoient emporté
toutes les inquiétudes que les Anglois avoient con-
<;ues pour eux-memes. Déja le due d'Hamilton rc-
grettoit ses promesses, fortement ébranlé par les




RivOLUTION DE 1688,
remontrances des Seigneurs et des Éveques d' An-
gleterre. D'un autre coté, le duc de Queensbury,
qui venoit d' etre sacrifié a un Catholique, étoit le
plus riche seigneur de l'Écosse. Allié aux Stuarts par
les Douglas, il venoit de marier son fils a la nieee
du comte de Rochester, beau-frere de J acqnes 1I, et
onele de laprincesse d'Orange. Il vit clairement la
chute prochaine de Rochester, et les secrets des-
seins du Roi, dans l'impuissance manifeste OU Ro-
chester avoit été de le soutenir l. Il se trouva done
assez naturellement dans le partí de l'Opposition,
luí et ses amis; iI eut meme des re1ations secretes
avec le Pensionnaire de Hollande, Fagel, et par con-
séquent avec le parti du prince d'Orange. Enfin les
Eveques furent tout-a-coup animés du meme esprit
que ceux d' Angleterre. Tont le Clergé de la pro-
vince d'Aberdeen, entre autres, signa en corps une
requete a son Éveque, ponr l' engager formellement
a combattre pour la Religion de l'État, en refnsant
toute modification aux lois pénales. Cette requete,
d'un style véhément et fanatique, servit de modele
aux discours de l'Opposition. Une fois la discussion
engagée sur un hill de tolérance, le duc d'Hamilton
reste neutre, ce qni étoit déja se déclarer. L'Éveque
de Dunkald et celui oe Galloway se prononcent avec
impétuüsité, l'Archevequc ele Glascow avec timidité.


r Leltre de Barillon.




EN ANGLETERRE. 93
Une voix s'éleve et dit : « Jaclis OH nous a reproché
« d'avoir vendu notre Roí en le livrant aux Anglois.
« EvÍtons aujourd'hui le reproche de vendre notre
« Díeu, en souffrant que la véritable Religion soit
« changée. 1 » A ces nouvelles, le Roí se hata de
finir la session; iI ne s'y pa5sa aucun bill , si ce n'est
l'approbation de quelques concessions de terres faites
par le Roí au comte de Melford et autres Seigneurs
qu'il vouloit récompenser. « l\Iais,» dit-illui-meme '2,
« Sa Majesté eut encore le malheur, dans cette occa-
« sion, de déplaire aux Ecossois, en accordant sa
(e confiallce 'él sa faveur a des personnes que le
c( peuple n'aimoit ni n'estirnoit. »


Cette résistance inattendue, de la part du Par-
lement d'Écosse ,. pI'<!duisit en Angleterre une forte
sensation. lUais le Iloi n' en parut pas découragé. Il
dit a l'Ambassadeur de France qu'il feroit d'autorité,
en faveur des Catholiques, ce que le Parlement avoit
refusé. Il comlllen~a par dépouiller le duc de Queens-
bury de toutes ses charges a la Cour; et, par son
droit de suprématie sur l'Église Protestante, il dé-
posa l'archeveque d~ Glascow et l'éveque de Dun-
kald. C'étoit avertir l'Église Anglicane, qui déja n'a-
voit que trop d'ombrages. Cependant le Roí croyoit
trouver en Irlande une ample compensation de ses


1 Lettre de Barillon.
}. Mém. de Jacques U.




94 REVOLUTION DE 1688,
mécomptes sur l'Écosse; et déja, au rapport de Ba-
rilIon, I' Angleterre s' en occupoit avec beaucoup de
chagrin et de chaleur, voyant dans l'avenir la sépa-
ration de l'Irlande comme un fait inévitable sons le
regne d'un Catholique.


Si les Anglois appréhendoient cet événement, le
Roí n'en avoit pas la pensée. Il ne l'eut pas meme,
lorsque disputant 1'lrlande, les armes a la main en
1689, au prince d'Orange, cette séparation, qui
alo~s eut été facile, eut sauvé la dynastie des Stuarts.
Mais cette grande combinaison étoit réellement
"dans les vreux de l' ancienne Irlande comme dans les
projets du Vice-Roi, duc de Tyrconnel, a qui Jac-
que s 11 avoit donné le secret de ses desseins en faveur
des Catholiques d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande.


L'lrlande ! ce nom réveille tant de souvenirs d' op-
pression, d'iniquités, de massacres perpétués pen-
dant des siecles; iI est tellement lié a l'histoire de
la révolution qui précipita les Stuarts, a l'existence
meme actuelle de l'AngIeterre : l'Irlande, eette terre
dévouée depuis si long - temps a la servitude, a la
dégradation, a la misere; cette terre qui présente
encore le tahleau de la barbarie primitive, a coté de
cette grande "et majestueuse civilisation, excessive
meme, de l'Angleterre; J'Irlande enfin, ~'ou partira,
quand la France le voudra, le coup de tonnerre qui
abattra son impitoyable souveraine, est si peu con-
nue aujourd'hui, meme de l'Europe, qu'il n'est pas




EN ANGLETERRE. 95
inutile de lui manifester ce douloureux phénomene
d'une nation toujours opprimée, malgré la loi chré-
tienne qui est la lai m~me de la justice, et toujours
esclave sous un peuple qui affecte et proclame sans
cesse la loi de la liberté ci vile.
Déro~lons pour un moment ces annales toujours


sanglantes. L'lrlande avoit échappé au joug des Ro ...
mains. Libre et inconnue au milieu des flots qui
l'environnent, elle conservoit son gouvernement pa-
triarchal, dont l'origine se perdoit dan s la nuit des
temps. Un monarque supreme, un Roi dans chaque
province, un dynaste dans chaque district, un chef
de tribu pour les familles; tel étoit le gouverne-
ment, qui, par des anneaux sans interruption,
descendoit sans effort du monarque au dernier
membre de la tribu. Mais Chefs de tribus, Dy-
nastes, Rois des provinces, et Monarque de l'lle ,
louts étoient de la meme famille, et cette famille
irnmense descendoit elle - meme d'un antique légis-
lateur venu de l'Espagne, quand l'Espagne étoit ci-
vilisée par les Phéniciens : ce législateur étoit :Ph~­
ni cien lui-meme. Ainsi la famille royale de l'Irlande
remontoit au berceau du monde, si les traditions
du pays ne sont pas de vaines, mais brillantes illu-
sions. Le Monarque, les Rois, 'es Dynastes, les
Chefs de tribu étoient héréditaires, non pas suivant
l'ordre de la primogéniture, mais par élection dans
la farnille; et le danger de ces élections étoit écarté




RÉVOLUTION DE 1688,
ou attpnué, parce que l'élection s'accomplissoit tou-
jours, pendant la vie meme du Prince titulaire. Il
y avoit enfin, touts les trois ans. des assemblées qui
représentoient, sons le nom deTarah on Téamor,
la nation, la province ou le territoire gouverné par
les Dynastes. Ces assemblées se composoient de trois
ordres; la noblesse, les druides et les lettrés, les arti-
sans et le peuple. Dans la suite des temps, les Éveques
siégerentaux Tarah onTéamorala placedesDruides.


On voit dé:ja 'comment l'Irlande, unie étroitement
comme une famille indivisihle, a du réagir contre
toute conquete, meme accomplic, et reste!' perpé-
tuellement redoutable par ses liens naturels, 10rs
meme que la force eut brisé ses liens politiques. C' est
ce qui arri'la, lorsquc les hommes du Nonl, ayant
inondé toute rEurope, au neuvieIl1e siecle, s'éta-
blirent en Irlande. Lenr chef s'étoit proclamé Roi,
et la Barbarie siégeoit avec lui sur son trone usurpé.
Un jour le soleil se leve, et sur toute la surface de
I'Irlande, iI ne vit plus des Danois et de leur Prince
ql1e les cadavres.


Mais le torrent des barbares n'étoit pas épuisé.
Des flots toujours nouveaux inonderent I'Irlande, et
pendant cent cinquante années ses enfants dispu-
terent le vieux sol de leurs aieux. Le seul Roí de
MOIDonie et de Lagénie, 'Brien-Boirohim (que son
nOID vive éternellement dans les ccenrs que charme
le doux llom de la Patrie!) Brien - Boirohim livra




J~N ANGLETERRE. 97
quarante-neuf combats a l'étranger; et dans la der-
niere bataille, bataille immortelle 1 ! ce héros, digne
des temps et de la Iyre d'Homere, termina sa vie
glorieuse et infatigable. Mais en expirant sur ses der-
niers trophées de Clontarf, a 88 ans, son dernier
regard vit les Danois morts, et son pays libre.


Hélas! ces Iongues et terribles guerres pour l'in-
dépendance nationale, laissent toujours apres soi le
germe fatal des dissentions civiles. De fiers carac-
teres s'élevent ~ des droits nouveaux, ou des jalou-
síes hautaines se défendent par les armes; et l'anarchie
vient disputer un sol que l'étranger laísse toujours
sanglant et couvert de ruines. Tel fut le sort de
l'Irlande apres le héros de Clontarf. Le frere le
dispute au frere dans la tribu, le dynaste au dynaste,
le Roi au Roi, et touts au Roí supreme. Alors le
vaincu appelIe l' étranger; et quand l' étranger sur-
vient, il n'est plus de patrie.


Tel que Narses, qui appela les Lombards en Ita-
lie, et le comte J ulien, les Sarrasins en Espagne;
Dermod, Roí de Lagénie, appelle les Anglois. Der-
mod en effet se rétablit dans sa province avec une
armée de GalIois, iI fait des conquetes sur ses voi-
sins, il appelle encore de nouveaux é~rangers. Alors
le Roi d' Angleterre permet a ses chevaliers de s' ar-
mer pour des exploits nouveaux. Illellr donne tout


[ ~3 avril 101/1,
lI. 7




R~VOLUTION DE 1688,
ce que leur épée saura conquérir. C'étoit Henl'i If,
petit-fils (1e Guillaume le Conquérant.


Un jour le Dynaste de Waterford ( 1 172 ) ap<"'r-
~oit sur l'horizon lointain de la mer une fioUe
nombreuse. n fait tendre les chaines de son port.
Foible obstacle. Henri Il l'a bientot franchi. Des-
cendu a Waterford, il fait condamner, comme re-
heBes, par les juges de sa Cour, le Dynaste et ses·
:Ministres. «Je ne suis pas venu pour eonquérir, <1it-
(( il, mals pour rpgner . .Te snis sonverain de I'Ir-
a lande.» Le Pape Adrien TV, IH~ lrlandois, lui avoit
donné l'investiture de l'lIe, seize ans auparavant
( (156). Voila le titre des Rois <1' Angleterre sur
rlrlande.


Henri n ne fit point de conqU(~te. Il retira d(,
ses chevaliers ce qu'ils avoient conguis, et Jeul'
laissa des domaines, a titre féodal, comme éma-
nant de sa Couronne. Il garda les villes, appela dans
Dublin les habitants de Bristol, ville el' Angleterre, et
(lans Waterford les Danois établis dans l'lle de Man.
Il fit enfin, comme les Romains dans les Gaules,
une province Angloise, gouvernée sons la m(.me loi
que les comtés de I'Angleterre.


Il parcourut ensuite, entouré de sa Cour el de
ses chevaliers, une partie du midi de 1'1 rlande, :l p-
pelant dans son camp les Dynastcs guí n'avoient
point encore subi le joug, les rC'cevnnt avec magni-
ficence, garantissant ¿, chacun, sons I~ serment de




EN ANGLETERRE. 99
foi et hommage, leurs droits, , leurs propriétés et
les lois du pays. De retoul' a Dublin, il convoqua
le Clergé, qui le proclama restaurateur de I'Église,


• pacificateur et Seigneur de I'lrlande.
Si cette conquete paisible eí'tt été soutenue par un


gouvernement juste et l'actíon réguliere des loís,
I'lrlande eut participé sans doute aux prospérités
successÍves de l' Angleterre. Henri n possédoit la
province de Lagénie, par la cession que Strongbow ,
chef des Gallois, gendre et héritier de Dermod, lui
en avoit faite. II étoit maltre df' la Midie par l'ex-
tinction de la famille royale dans ceUe province.
Touts ses chevaliers investís de vastes domaines re-
levoient de sa Couronne. Mais il est bientot forcé de
quitter l'Irlande, pour apaiser la fermelltation de
l' Angleterre, excitée par le meurtre df' Thomas Bec-
ket, archeveque de Cantorbery. Le Pape le mena-
~oit des foudres de l'Église, et ses propres enf.:1nts
se révoltoient contre lui. Alors, pour maintenil' 1'lr-
lande sons le jong des Anglois, il Y envoie de nou-
veaux aventllricl's, auxquels i1 délivre des Chartes
pour posséder tout ce qu'ils pourroient ravir.


Touts se précipitent sur l'Irlandf', Anglois, Gal-
lois et Normands. L'Ultonif' est conquise au milieu
des ravages et des implacables massacres. Au bruit
de ces irruptions, Rodéric O'Connor, qui, derriere
le Shannon, avoit maintenu son titre de Roi de Con-
naught et de Monarqlle d'lrlande; les Dynastes de


"




100 RF.VOLUTION DF. 1688,
l'ouest et du nord, que Henri n'avoit ni visités ni re<;}us
a l'hommage féodal ; ceux meme qui s' étoient soumis,
prennent les armes. H uit ans sont consumés dans
une guerre harbare; -les Anglois sont ~assaerés a
Waterford, et les Irlandois a Down. l\lais enfin des
traités partiels ramenent une es pece de paix; les


.. titres de Roderic O'Connor sont reconnus, et sa
Couronne doit relever de la Couronne d' Angle-
terreo


Henri II cependant veut affermir sa nouveJle do-
mination. Il donne a son second fils, le prince
Jean, le titre de Seigneur d'Irlande, et l'envoie dans
cette ¡le avec des forees imposantes, une Cou!' bril-
lante, et surtout avee des Eeclésiastiques dont la rc-
nommée luí eonciliera le clergé de eeUe lIe pie use ,
qui porte avee orgueil le titre de I'Ile des Saints.
Tel est l'aseendant de la puissanee et de la Majesté,
que tons les chefs du pays accourent en foule autoul'
du jeune Seigneur de I'Irlande. Mais en voyant a sa
Cour ces dynastes au langage étranger, a la taille
robuste, a la ehevelure flottante, a la barbe touffue,
ce Prillee jeune et frivole, ses Normands, non moins
imprudents, les rec;oivent avec de grands éclats de
rire. Joués, bafoués, insultés, ces fiers dynastes
s'ouvrent un passage an milieu des eourtisans, se
retirent furieux, racontent leur outrage aux dynastes
qu'ils rencontrent. Moins rapide est I'éclair que le
feu de l'indignation nationale., FamiJles, tribus, 11a-




EN ANGL.ETEUUE. ] O 1


tion, tout se lt~ve en armes. Sur touts les points de
l'Irlallde, les étrangers sont assaillis, les forts détruits,
les garnisons passées au fil de l'épée. Les seuIs
Gallois, premiers auxíliaires de Dermod, résistent,
et conservent un asyle ouvert aux futurs vengeurs
de l' Angleterre. De la cinq sÍecles d'anarchie, de ra-
vages, de cruautés mutuelles; de la une haine éter-
neIle, qui se transmet comme la vie, du pere aux
enfants, de postérité en postérité.


Du douzieme au seizieme siecle, quelle nation fut
plus malheureuse que l'Irlande? L' étranger se res-
serre dans une enceinte de forts qu'il nomrne le
Paleo En-deC¿a, regne la loi angloise; au-dela, pour
les Conquérants du Pale, iI n'existe ni loi divine,
ni loi humaine. L'Irlandois n'est plus a leurs yeux
qu'un vil animal dont il faut purger la terreo N ulle
protection pour sa propriété, pour sa vie. En paix ,
l'Irlandois est un ennemi. En guerre, il est un re-
beBe. Si la nature ou l'intéret unít quelquefois l'é-
tranger au sang indigtme, l'étranger n'est plus qu'un
A nglois dégénéré. Cornrnerce, échange, trai té, ma-
riage, tout est proscrit par la loi. La loi veut que
la haine et la séparation des deux peuples soit éter-
neHe. L' lrish statutes est le Code noir de l'Irlande.
Cependant arrivent et arrivent encore de nouvelIes
handes d'apenluriel's qui agrandissent la ligne de la
dorninatitm angloise, par la spoliation, par le rnas-
sacre; et l'Irlande, toujours sanglante, n'a de repos,




102 ¡¡h'OLlITfON DE J G¿)t),
an-dela du Pale, que quand l' étranger se di'chíre lui-
meme. En effet, sous le nOIl1 fastueux de Parlement
d'lrlande, Parlement ou il ne siege pas un senl
Irlandois, 'les Seigneurs du Pale, Gallois el. Nor-
mands, Anglois et Écossois, fondent une aristocratie
anarchique, autant qu'avare et cruelle : unis pour
opprimer, divisés pour le partage des dépouilles, et
souvent rebelles contre le Roi d'Anglderre leur
souveram.


Htznri VIII enfin s' occupe de l'Irlande, et prend
le titre de Roi, en 1541. Ce titre auguste lui con-
cilie la soumission de quelques Princes du pays, qui
trouvent asyle et pr(}tection sous l'autorité royale,
Mais Henri VIII veut changer la Religion en lrlande.
Alors une guerre, que le siecle ou nous sommes ne
voit encore que suspendue, s'allume et prppare de
nouvelles et interminables calamités. L'lrlande toute
Catholique se réunit a ceux des Seigneurs du Pale
qui sont restés Catholiques. L'ennemi commun est
le Roí.


lVlarie, filie de Henri VIII, a rendu la Religion
Catholique a l'Irlande, et soudain la guerre se ré-
veille entre les Irlandois, et touts les Anglois du
Pale. Mais la Reine persécute aussi les Anglois de
l'Ile, devenus Protestants, et sa mort ouvre une
arene irnmense aux représailles. Élisabeth en effet,
que l'Angleterre place encore a la tete d~ ses plus
grands Rois, Élisabeth n'c.st ponr l'Irlande (IU'UIl




EN ANGLETElUlE.


tyran sanguinaire. Elle veut que les Irlandois Ca-
tholiques adoptent sa foi et sa liturgie nouvelle;
c'étoit proposer aux Indiens des Pizarre et dps Cortez
la füí des Espagnols. Elle promulgue ses lois bar-
bares, pt l'lrlande y répond par un soulevemen t
universel. Couvrons d'un voile funebre plus de
qllarante ans <Iu regne d'Élisabeth sur }'Irlande.
Nous n'y vprrions encore que la violation détestable
de touts les droits de l'humanité, dans une guerre
d'extermination perpétuplle. Qu'il nous suffise de
cette parole d'un historien, pour peindre tant de mi-'
seres: « On voyoit,» dit-il, « des enfants se nourrir
c( de la chair et des entrailles de leurs meres mortes. »
Non; les désastres de l'Irlande, sous la dominatÍon
angloise, ne peuvent se comparer qll'a ceUe désolatioll
de Jérusalem, a sa derniere ruine par les Romains.


Les chefs de I'Irlande, vainqueurs enfin, deman-
doient a Élisabeth , amnistíe, liberté de conscienee,
et restitution des propriétés, envahies seulement de-
puis son regne. Deux foÍs elle refuse la paix, et
meurt laíssant aux Stuarts ce sanglant hérítage.
Mais a I'avencment de Jacques VI, Roí d'Écosse,
au trane d'Angleterre, sous le nom de Jacques ¡er,
un soleil nouveau s(~mble se lever pour l'Irlande.
Jacques Stuart avoit soutcnu les dynastes contre la
tyrannie d'Élisabeth. Descendant d'Édouard Bruce,
que l'Irlande avoit jadis élu et couronné ROÍ, íl
spmble tout a eoup élll lui-menw par la Providen<.:e,




R~VOLUTJON DE 1688,
puisque l'antiquité de sa race montre également un
Roi, né du sang de leurs anciens maltres, aux fa-
milles victorieuses, eomme aux tribus opprimées.
O'Neil et O'Donnel, derniers chef" de la confédéra-
tion irlandoise, suspendent la guerre, vont a Lon-
dres; ils rendent foi et hommage au souverain des
Iles Britanniques; ils y trouvent un Roi, un pere,
un Jégislateur. Jacques Ier est véritablement Roí
d'Irlande, par sa naissance, par sa justice, par ses
bienfaits. Il assure les propriétés, il distribue les
terres de la Couronne a des planteurs nouveaux et
aux descendants des vieux Irlandois. Le libre exer-
cice de leur Religion est rendu aux Catholiques. La
loi n'est plus limitée a l'enceinte du Pale; eUe est
commune a tout le pays. Enfin un Parlement, non
pas des seuls vainqueurs, mais de l'Irlande meme,
un Parlement, composé de cent vingt-cinq Protestants
et de cent un Catholiques par des élections libres,
se réunit sous les ausplces de la Providence royale,
abolit dans une touchante unanimité les statuts de
la tyrannie; et'les accents de la reconnoissance uni-
verselle s'éIevent enfin de cette terre désolée, jus-
qu'au trane du nouveau Roi d'Angleterre.


Cette prospérité dura peu. Cécil, mini'stre d'Eli-
sabeth, grand homme d'Etat, mais rigoureux Pro-
testant, continua de gouverner sous Jacques ler.
Aux défiances sU"~cedent les persécutions, aux vio-
lences les combats. O'Neil et O'Donnel, cités an




f:N ANGLETERHE. J05


Conseil Privé d' Angleterre, prellncnt la fui te et
sont condamnés; leurs terres sont distribuées aux
Protestants. Le génie du fise ouvrit un moyen nou-
veau de spoliations, et le temps des Adventurers
fut remplacé par eelui des niscoverers; e'étoit des
hommes qui cherchoient a déeouvrir quelque vice
de formes dans les titres de propriétés. On trouva
ainsi que toute la provinee de Connaught apparte-
,noit a la Couronne. Cependant touts les propriétaires
aetuels avoient payé le prix de leur ran<,;on a la
Chaneellerie d'Elisabeth ; maÍs la Chancellerie d'Eli-
sabeth avoit oublié d'enregistrer leurs nouveaux
titres : il fallut done se raeheter une seeonde fois.
Enfin la guerre ne se faisoit plus, il est vrai, sur de
nombreux et vastes champs de batailles, les armes
ue la fureur ou de l'avariee a la main; elle se faisoit
par les cours ecclésiastiques dans les consciences,
par les extorsions des soldats dans les familles, el
par les formes légales dan s les triblmaux. Cependant
les indigenes aimoient Jaeques Stuart; ils se eon-
soloient, par eette plainte touehante des peuples
opprimés sous un bon Roí: Si le Roi le savoit! Et
}'Irlande, enfin cultivée malgré la tyrannie du fisc,
se eroyoit quelquefois heureuse, en se rappelant les
terribles jours d'Élisabeth.


Charles Ier , a la mort de son pere, trouva done
l'Irlande toute prete a l'aimer. Protestants et Catho-
liques rivalisent de zele et de subsides, les Catho-




106 H.ÉVOLlJTlON DE I GSH,
liques demandant toujours la sureté des propriétés
et la liberté de conscience. Wendworth, cmute de
Strafford, luí est envoyé d'abord comme Lord Lieu-
tenant, et ensulte comme Vice-Roí; Wendworth,
le plus grand ministre que l' Angleterre aít vu naltre ,
et qui eut sauvé les trois royaumes, s'ils eussent
pu l'etre. Il prend la dictature de I'IrJande, tem-
pere tout a-Ia-fois le zele persécuteur des Éveques
protestants, et le zele séditieux des moines Catho-
liques; annonce fierement aux seígneurs du Pale
qu'il est venu renverser le Pale et réunir la nation;
établit la liberté de conscience, fonde l'agriculture
et le commerce, abolít tout cé qui restojt cncore
d'inique ou de barbare dans l'Irish statlltes ou Code
d'lrlande, rassemble lll1 parlement tout national
et une armée toute dévouée a son ROÍ; enfin I'Ir-
lande est une nation; elle est soumise, et n'est plus
esclave.


Le fanatisme et la rébelljon des Ecossois eontre
Charles ler, l'alliance du Parlement d' Angleterre
avec les rebelles, appelel'ent Strafford aupres du
Roí; et pendant son absence, les émissaires des
Presbytériens d'Ecosse et d' Angleterre trouverent
un acces trop facile aupres des coloníes écossoises
dans le nord de l'Irlande, aupres du Clergé protes-
tant, aupres des Lords du Pale non Catholiques.
Dans les premiers temps de eette révolution, qui
couta le trone et ]a vie a Charles ler, tOllts ceux que




El'í A;"iGL.ETERHE. 10'7
/


le comte de Strafford avoit soumis au joug de la
Jui s'éleverent contre lui. L'univers sait comment
filiit ce grand homme; comment il sollicita Charles,
son ami et son Roí, de consentir a l'arret porté
cOlltre lui; comment lp Roí signa sa propre sen-
tence, en cédant aux fureurs des Communes d'An-
gleterre et aux prierps de son ami. Strafford porta
sa noble tete sur l'échafaud ou devoit monter aussi
le malheureux Charles ler. Ce fut le 12 maí 164]
{lU'íl termina sa vie mortelle; pt ce fut en no-
vembre J 64 1 que l'Irlande, dont il étoit peu de
temps auparavant le législateur et le sauveur, re-
tomba dans la barbarie, pour n'en plus sortir.


Alors, en effet, au spectacle de la révolution
commencée pn Angleterre, et des dissentions du
Pale, queJques descendants des vieux Irlalldois se
réunissent et déliberent sur les moyens de ehasser
les conquérants. Roger More visite secretpment les
chefs de tribu. Maguire et Phelim-O'Néale, puissants
pal' leur nom et l'antíquité de leur rae e , promettent
leur appui. Un grand nombre d'lrlandois, proscrits
ou employés au service d'Espagne, doivent accourir.
Le cardinal de HicheJieu avoit promis des armes l.
Les vieux Anglois du Pale, c'est-a - dire ceux que,
depuis long- temps, les nouveaux conquérants nom-
moient Anglois dégénérés, et qui étoient restés Ca-


1 Voyez la note 11 la fin de eette histoirc.




108 RtVOLUTION DE 1688,
tholiques, se réuniront. sans doute au partí victo-
rieux. Ennn le jour est fixé : O'Néale fera irruption
sur tous Jes établissements anglois. Roger More et
Maguire surprendront le chateau de Dublin; et le
~3 octobre, toute l'Irlande lt~vera les étendards de
l'indépendance. La veille, un des conjurés, O'Conolly,
Idandois protestant, réveIe la conjuration au chef
de justice, el Dublin est sauvé. O'Mahony révele
aussi tout le plan de l'insurrection dans les pro-
vinces : il étoit trop tardo O'Néale avoit déja pris
les armes dan s l'Ulster; mais O'N éaIe étoit un bar-
bare, qui déchaina des animaux féroces comme lui.
Au bruit des massacres de I'UIster, More, doué
J'un généreux naturel, accourt de DubIin ou iI
avoit pu se soustraire a la mort. Il se rend au camp
d'O'Néale, dont iI veut réprirner les énorrnes exccs;
mais s'il lui fut possibIe d'arrner l'Irlande, son auto-
rité devint impuissante contre la férocité d'un peuple
depuis si long-temps opprimé, avili, dénaturé. Il
quitta en pleurant une cause qui n'étoit plus que
ceHe du crime, une terre qui n'alloit plus s'abreuver
que de sango


O'N éale, cependant, a la tete de ses barbares, brille,
ravage, égorge tout ce qui est Anglois; ni }'enfance
ni la vieiHesse ne peuvent attendrir des creurs qui
ne sont ouverts qu'a la vengéance. D'Ulster, la
flarnme de la révolte se· répand sur le reste de 1'11'-
lande; et les Anglois catholiques du Pale se réu-




EN ANGLETEnR~. Jog


nissent a la férocité des hordes indigtmes. Dublin
seuI ouvrit un asyle aux fugitifs que le fer et le feu
n'avoient pas dévorés. Les colonies écossoises furent
cependant épargnées dans le nord, soit paree qu' elles
étoient l'ouvrage des Stuarts, soit par respect pour
la France, qui protégeoit le fanatisme du royaume
d'Écosse contre le Roi d' Angleterre, de meme qu'elle
avoit souscrit a l'indépendance de I'Irlande l. Émus
par une juste horreur de ces barbaries, quelques
historíens ont porté a deux cent mílle le nombre
des victimes : d'autres, quí ne peuvent etre suspects
de partialité pour les Catholiques, le réduisent a
qllarante mille 2. Mais quelle que soit la vérité sur
ces déplorables proscriptiom;, la Religion qui en fut
le prétexte, et qui les maudit, Ja Liberté qwi en fut
la premiere cause, et quí les pleure, en furent aussi
les victimes. Bientot la main de Cromwell va s'étendre
sur elles.


Les malheurs, le courage et la fin tragique de
Charles ler avoient ramené les Protestants de I'lr-
lande a la cause royale. Charles H fut reconnu Roj.
Une amnistíe avoit couvert le grand crime de la
Nation. Le marquis d'Ormond, Vice-Roí, débarque
et annonce le prochain retour de son maltre; il réunit
sous les étendards royalistes, les fédérés lrlandois et


1 Voyez la note précédente.
2 Doctem Burnet, p. 405.




110 R~VOLUTION DE 1688,
tous les Anglois du Paleo Dublin seul reste encore
aux rebelles parlementaires de I'Angleterre, et a Jones,
qui les commande. Tandis qu'il est assiégé dan s ce
dernier rempart, et forcé d'en expulser tout ce qui
n'est pas anglois, pour attendre les secours qui lui
sont promis, Cromwell est nommé Lord Lieutenant
d'Irlande, et débarque a Dublin ave e Ireton, son
gendre. Cromwell avoit re~u ce génieque Dieu donne
aux hommes qui se croient eux-memes les ministres
de sa colere. II ne fit que paroitre et passer; mais
quelles traces de son passage! Les remparts s' écrou-
lent devant lui; les guerriers sont dévorés par le fil de
l'épée; la terreur de son nom et de sa barbarie acheve
la réduction des villes : mais son génie seul affermit la
conquete, par une de ces conceptions qui n'a d'exem-
pIe que dans les temps les plus reculés de l'histoire.


Apres la confiscation de toutes les terres des roya-
listes, la race irlandoise, comme autrefois les Hé-
breux transportés sur les bords de l'Euphrate , fut
reléguée derriere les rives du Shannon. La province
de Connaught n'étoit plus qu'un désert. C'est la que
sous peine de mort les naturels de l'lrlande, au si-
gnal qui leur en fut donné, se transporterent pour
attendre les ordres du vainqueur. Ces ordres, sous
le nom d'amnistie, les condamnerent a féconder de
leurs larmes et de leurs sueurs ce territoire stérilc,
qui seroit maintenant leur patrie. Du reste, le par-
tnge de ceUe terre d'exil s'accomplit avcc cet ordn'




EN ANGLETERRE. 1 1 [


séverc et impartial qui, hors des intérets politiqlles,
étoit clans l'ame de Cl'omwell. Quant au sol de leur
derniere patrie, tont fut distribué, concédé ou vendu
a l' encano Officiers et soldats, capitalistes anglois,
membres des Communes rebelles, et surtout les régi-
cicles, obtínrent ou acheterent leur part de cette
proie. Tels furent les Établissements de Cromwell,
que reconnut et confirma le Parlement a la restau-
ration; et tels se trouvoient les redoutables intérets
créés par tant de sieclcs et de révolutions, lorsque
Jacques II se proposa de les attaquer, en face de l' An-
gleterre toujours soup~onneuse, de l' Angleterre
a qui le seul nom de l'Irlande rappeloít toujours le
massacre de 1641.


On a déja dit que le comte de Clarendon, frert->
de Rochester, étoit alors Vice-Roí d'Irlande. En
arrivant dans cette ¡le, son premier soin fut de ras-
surer touts les possesseurs actuels du pays, et de
promettre, au nom du Roí, le maintien des lois quí
garantissoient leurs droits et leurs possessions. Le
Chancelier secondoit ses vues. Mais ni l'un ni l'autre
n'avoit le secret de Jacques H. TalLot qui fut depuis
duc de Tyrconnel , et qui avoit tout-a-Ia-fois le com-
mandement militaire et le secret de ]a pensée royale;
ne s'arreta roint aux promesses du Vice-Roi et du
Chancelier. Il agit indépendamment de l'un et de
l'autre; il marcha memc droit a un but qui n'étoit
pas précisément ct->lui de Jacques IJ.




112 RtVOLUTION DE 1688,
En effet, Tyrconnel avoit assez d'habileté pour


comprendre le danger des demi - mesures. 11 étoit
résolu de conserver l'Irlande au Roi, si le Boi étoit
heureux, mais de séparer l'Irlande de I'Angleterre
et de la gouverner lui - meme, sous la protection
de Louis XIV, si Jacques 11 venoit a succomber.
Le temps et des traités secrets ont prouvé cette
double combinaison. Mais pour le moment, et queI
que fut alors son dessein, iI employa vivement et
habilement le 110m de son Roi, pour abattre le parti
anglois et ressusciter le nom presque aboli de l'lr-
lande. Toutes les chartes de Dublin et des autres
communautés furent retirées et remplacées par de
nouvelles chartes, qui pla~oient itnmédiatement ces
corporations sous la dépendance royale. En cela
Tyrconnel suivoit son plan, qui étoit de chasser les
Anglois et de faire révoquer les modernes étaLlisse-
ments, c'est-a-dire, de rendre leurs terres aux an-
ciens Irlandois, par un Parlement tout irlandois.
Lorsque le COIlseil de Jaeques II eut a délibérer sur
ce plan, les Catholiques modérés le trouverent si
périlleux, que l'un d'eux, mylord BelJassis, s'écria,
en j urant , (( que Tyrconnel étoit homme a faire perdre
({ au Roi dix Royaumes.» Touts les Protestants, meme
soldats, furent exclus de l'armée. Et comme les sol-
dats étoient dépouillés de leurs habits quand ils
étoient licenciés, ils erroient demi-nus dans le pays,
sollicitantla charité publique. Les officiers se reti-




EN ANGLETERRE. 113
l'oient en Hollande, ou le prillce d'Orange sut les atta-
cher asa fortune. Enfin, des rapports faits a Louis XIV.,
montrent ce que ron attendoit de l'lrlande, et .1usti-
fient toutes les inquiétudes de I'Angleterre. « Cette
« Nation, » est-il dit, « peut se maintenir avec peu
« de secours. Il ne reste pas vingt officiers protes.
«Jlnts ni trois cents soldats de cette religion dans
(.rmée. Si I'on pouvoit en ce moment suppIéer au
« défaut de revenus, nous pourrions augmenter le
« nombre de nos troupes tant qu'il nous pIairoit.


« Les Catholiques d'Angleterre demandent avec in-
« stance qU'Oll leur envoie des détaehements de notre
{( armée; on s'y est opposé par les raisons suivante~:


« La province d'UIster est entierenwnt en la pos-
« session des peuples Écossois, qui sont des gens
« opiúiatres et bien armés. Ils entretiennent une cor-
« respondance continuelle avec l'Écosse, et 80nt ca-
« pabIes d' amener en campagne un nombre d'hommes
«considérable. Et eomme ron n'a pas jugé a propos
« d'irriter ces peupIes en Iesdésarmant, iI a bien. fc1I1u,
« pOUl' la su reté du Royaume, leur laisser des garnisons
« irlandoises, capables de tenir ces peuples en respect.


« A l'égard des AngIois, iI a été facile de les dés-
« armer, paree qu'iIs étoient plus dispersés dan s
c( le pays. lVlais l'appréhension qu'ils en Ol1t conc;ue
« porte un grand préjudice au présent commerce du
« Royaume. Comme ce sont eux qui font tout le tra-
« fic en dedans el en dehors, leurs correspondants


JI. 8




RÉVOLUTION ])J.: . J 688 ,
« de Hollande ont tout a coup retiré leul's crédits.
ce Toute exportatioil a cessé. Le revenu public est
« devenu si chétij', qu'au líen de pouvoir envoyer
«( comille autrefois 33,000 liv. sterling en Angle-
« terre, toutes les dépenses de l'État payées, iI nous
« faut lui demander cette meme somme touts les trois
« mois. Le revenu diminupra meme encore tout~es
« jours, jusqu'lt ce que ce Royaume-la soit bien éta'li.


« On s'étoit proposé d'augmenter les tr0upes; mais
« l'exécution de ce pI'ojet est différée, jusqu'lt ce que
« nous sachions si le Roí pourl'a gouverner de sa
« propre atltorité, ponr n'etre pas obligés d'employer
(\ la rigueur avant que nos troupes soient mises en
« état de sureté.


« A l'égard du civil, nous y agissons par la voie
« des Catholiques Romains, sans aucun controle, et
« nous introduisons la Religion Romaine dan s leurs
« prétentions sur les terres angloises. Enfin si l' An-
« gleterre peut nous donner de l'argent, elle trou-
« vera des hommes. »


Lorsque ce m~moire fut envoyé a Louis XIV,
Ciaren don n'étoit plus Vice-Roí; Tyrconnel lui avoit
sllccédé; le comte de Rochester alloit bientot suc-
conlher lui - meme. Ainsi le progrt~s soutenu d'une
marche déterminée vers lin but si évident et si dau-
gereux pOUl' l' Augleterre, éveilloit naturellement
toutes les résistances des pal'tis ennelTlis des Cátho-
liqües et dn ROl. Enfin, pour achever ce q\ll regal'dc




EN AN~LETERRl':. 115


}'Trlande, Jacques 11, des le comm~ncement de son
regne, avoit fait visiter toutes les places militaires de
cette ile, par le lord Darmouth, Grand -Maltre de
l'artillerie d'Angleterl'e. Son rapport, qui est sous
nos yeux, prouve le des se in formel d'arracher la
prépondérance aux Anglois, et de former en Irlande
un systeme de défense pour une hypothese qui s' est
réalisée; la llécessité pour le Roi de se réfugier
parmi les Irlandois Catholiques. Le meme plan doit
servir un jour au premier peuple du continent qlli
voudra séparer l'Irlande de l' Angleterre; ce sera,
ce doit etre celui de la France,' si jamais la France
est mise en péril par la politique de l'Angleterre y.


L'Irlande Catholique étoit naturellement dévouée
au Roí; elle devoit l'etre, et lui donna les preuves
d'une fidélité sans bornes, dans les jours de l'adver-
sité. Mais tout ce qui tenoit a l'ancien Pale, et
tout ce qui avoit partagé les dépouilles encore ré-
centes, faisoit retentir le cri mena<;ant de ses alarmes
dans l'Angleterre, avide de les entendre. Jacques JI
en effet paroissoit bien moins gouverner l' Irlande
que s'y préparer un asyle; et c'étoit déja une grande
faule que de prévoir la nécessité d'un asyle. Quand le
conquérant Guillaume de Normandie voulut devenir
Roi d' Angleterre, il bruja ses vaisseaux sur le rivage.


1 Vo)'ez la note, (\ !a fin dI' ('('tte histoire.


i). '




SOMMAIRE.


1600. - (SUITE).


Camp de Hounslow. - ChapeJles Catholiques. - Religionnaires
fugitifs. - Nonce du Pape. - Sous(»:iptions. - Conseil secret
du RoL -Opposition du Pape contre le P. Pi ter. - Projets
de convertir la Princesse de Danemark. -Haute Cour EccJé-
siastique. - Prod~s de l'Évequc de Londl·es. - Comtesse de
DOl·chester. - Intl'igue contre le Comte de Rochester.-
Traité· avec la France pomo l' Amérique. - Annement subit.
-Le Prince d'Orange.-Inquiétudes des États Généráux.




H.EVOL. DE 1688, EN ANGLETERUE. 1 J 7


LIVftE XIII.


1686. - (SUITE).


JACQUES 1I, qui par son ancienne gloire maritime
eCtt pu rauimer en sa faveur touts lescreurs Anglois,
s'il eut tourné de ce coté son application et son
génie naturel, fit au contraire tout ce qui étoit ca-
pable d'aliéller l'esprit national en créant une arméc.
Par les nombreuses conunissions qu'il donnoit aux
Catholiques, il eut des officiers que le péril de leur
position attachoit a sa personne ; mais iI n'avoit que
des soIdats Protestants, et les soIdats re<6urent ou
conserverent toutes les impressions facheuses du
peuple. Il avoit réuni l'armée dans un camp, pres de
Londres, sur la bruyere de Hounslow. Il y alloit
tous les jours. Éleve de Turenne, il cherchoit a se
faire connoltre et aimer du soldat. Il faisoit des
revues fréquentes. Il veilloit lui-meme a ce que
l'armée fut bien payée, hien habillée, bien exercée:
espérant tout a la fois cap ter les affections miJi-
taircs, el montrcl' au peupll~ Anglo¡S qu'il sauroit se




1 J 8 Rl:V.OLUTION DE ] 688,
faire obéir. Mais a' l'aspeet d'un autel Catholiquc
dans son eamp, eette brillante armée eessa d'etre
l'armée du Roi; et sous la ten te chaque soldat se
promettoit de ne pas subir le joug de ce qu'il nom-
moit aussi le Papisme.


Un seul libelle, tres-court, mais captieux autant
qu'énergique, opéra eette défection intérieure l. Sous
le titre modeste de sincere remontrance ti l' arrnée,
un Anglois présentoit an soldat les questions les
plus capables d'ébranler sa fidélité au ROÍ, et lui
apprenoit a séparer ce qui doit etre inséparable, le
Roí et la Patrie. « Examiríez, disoit-on, ce que vous
devez a Dieu, ce que vous devez au pays de votre
naissance. Considérez si vous satisfaites a ce double
devoir par vos engagemens dans l'armée actuelle.
Est-ce au 110m de Dieu et pom' son service que vous
etes réunis aux Papistes ! Il est vrai qu'ils combat-
tront pour l'établissement du missel; mais ils bru-
leront la Bible. C'est par vos épées qu'ils veulent
détruire la Religion Protestante, élever le royaume
au Pape, et faire de l' Angleterre un Royaume de
désolation et de tériebres. Est-ce pour servir votre
patrie que vous portez les armes? Hélas! quel ser-
vice attendre de vos armes, si vous dépendez des
Papist~s Fran~ois et Irlandois! lIs ne songent qu'a
faire passer notre commune patrie sous le joug


I Lettrc de Baril"n.




¡':.N ANGLETERaE. J 19
l~trauger. Leul' aiderez-vo,us a s'établir de force dans
no,s maiso,ns, 5o,ns prétexte d'y prendre leurs quar-
tiers? La grande Charle le défend. Le Bill de la
Pétitio,n de dro,it s'y o,ppo,se. Vo,ulez-vous, par une
criminelle o,béissance a leurs co,mmissio,ns, participer
a touts les meurtres qu'ils commettrollt? I.R.s deux
Chambres du Parlement les o,ut déclarées illégitimes ,
sans que cela meme fut nécessaire, puisque la lo,i


_ déclare incapables de ces commissio,ns touts les Pa-'
pi~tes. Voulez-vous faire un échange des lo,ís d'An-
gleterre et des privi~eges que vo,us donne votre
naissanee, ponr une loimilitaire et une associatio~l?
Aider a détruire lesautres, a eondition que vous
serez seull>ment détl'uits les derniers? Non! Vo,us
etes Anglois; vo,us avez une horreur extreme, une
aversio,n illvincíble po,ur des pactes de cette natnre.
Ne .so,uffrez do,ne pas qu'o,n vo,us jo,igne a des ido,-
latres cruels. Chrétiens etAnglois, vous combattrez
courageusement pOUl' la vérité, pourla Patrie.l\Ion-
trez-vous devéritables ho,mmes. Quant aux Allglo,is
quí so,nt gens Jemer, etqui, :depuis l'an J588 1,
ont été le bo,ulevard de la natio,n co,ntre le Papisme
et l'esclavage, o,n les prie de faire lesmemes ré-
fIexio,ns. »


Ces germes dangereux se développoientsur la
fIo,Ue co,mme dans le camp de ~o,unslo,w. l\'Iais ho,l's


[ AHn~;¡Oll (\ I'flll'ú/{i{¡{c A"'f/{u!a de PhilippC' 1I.




'20 RÉVOLUTION DE 1688,
du camp, c'est-a-dire dans le peuple, on murmul'oit.
et quelquefois jusqu'a la sédition, en voyant s'éle-
ver, sous divers prétextes, des Églises et des congré-
gations Catholiques. Jacques II appela des Bénédic-
tins dans la chapelle royal e de Saint-James. Les
Jésuites bMirent un collége dans le quartierde Sa-
~oie; \es 1\éco\\ets s étab\irent dans Linco)n' s -lnn-
Fields; les Carmes, dans la cité. « II faut avouer, dit
«Jacques 11 lui-meme dans ses Mémoires 1, qu'il
c( souffrit et que meme il encouragea le zele impru-
« dent avec lequel on b<itissoit plus de chapelles qu'il
« n'y avoit de fideles pour les remplir, ou de· pretl'es
« pour y officier dignement : ce qui ne servit qu'a
( exposer inutilement les saints mysteres aux raille-
« ríes et a la dérision du peuple. Il en fut ainsi de
« la permission qu'il accorda aux moines de paro'ltre
« en public dans leurs habits. Par la iI irrita et al-
« larma les Protestants, sans que la Religion eh re-
« tirat aucun avantage réel. »


Étrange et dangereuse contradiction! Les moines
dont parle ici le Roi s' exposoient témérairement aux
préventions et aux fureurs du peuple, en se montrant
sous les habits de leur institut; et le Nonce du Pape,
qui étoit sollicité de suivre leur exemple, répétoit
sans cesse qu'il ne falloit pas exposer la Religion
aux mépris ou a la haine d'un peuple aveuglé, en-


, Tom. IIl., p. 117.




EN ANGLETERRE. ] 2. 1


eore moms a la poursuite légale des tribunaux.
C'est ce qui venoit d'arriver. Un pretre catholique,
ayant dit la messe publiquement a Bristol, fut cité
a la Cour du banc du Roí pour etre puní suivallt
la rigueur des lois. Dans la meme ville et a Coventry,
la populace porta dans une procession burlesque
l'effigie du Pape et une représentation eucharisti-
que! .... Y. A Londres, un Anglois, qui avoit le titre
de Résident de I'Électeur Palatin, voulut faire batir
une Chapelle catholique. Le Lord Maire se trans-
porta sur les lieux, accompagné d'un Shérif, et no-
tifia aux ouvriers la défense expresse de continuer
leur travail. L'Électeur Palatin écrivit au Roi qu'il
ne vouloit pas etre ínnocernment la cause de troublcs
populaires, et qu'il donnoit ordre a son ministre de
faire sa ChapelIe dans un lieu moins exposé a l'af-
fluence du peuple. «Mais,» dit Barillon, « le Roi se
« moqua de la leUre de I'Électeur, comme indignp
( d'un Prince catholique, et fit continuer les tra-
« vaux.» L' ouverture de la Chapelle se fit au milieu
d'un désordre extreme; et iI en résulta la dangereusc
nécessité' de poursuivre vingt-cinq ou trente proces,
qni ne faisoient qu'irriter l'humeur chagrine ou sé-
ditieuse du peuple.


Cependant les Fran<;ais fugitifs se joignoieut aux
prédicateurs protestants, pour étendre le feu de la


[ Lcttre de Barillon,




J22 RÉVOLUTION DE I G88,
lmine populaire contre Louis XIV el les Catholiques.
Le Roi se crut obligé de les réprimer; et, sur la de-
mande expresse de l'ambassadeur de France, iI fit
briller par la main du hourreau un écrit fran<;ais
du ministre Claude, dont on craignoit la traduction
en anglois. Dans la séance du Conseil ou la résolution
fut prise, le Chancelier Jefferyes lui - meme repré-
senta au Roi qu'il seroit extraordinaire de briller
un ouvrage, écrit en franc;:ais, imprimé en Hollande?
et qui ne contenoit rien contre l'État. Le Roí parut
irrité de cette opposition, et répliqua vivement par
un proverhe populaire qu'il seroit difficile d'expri.
mer avec quelque dignité. « Les chiens,» dit-il, « se
«défendent ]('s uns les autres, quand on attaque un
« d'entre eux. Les Rois doivent en faire autant l. J'ai
«d'ailleurs des raisons pour ne pas tolérer un tel
« libelle contre le Roi de France.» Personnp ne ré-
pliqua; « mais,» ajoute l'ambassadeuJ', « d'autres
« personnesavoient l'intention de représenter que
( celivre étant principalement dirigé contre la ré-
« vocation de l'édit de Nantes, iI ne falloit pas four-
C( nir alix ennemis du Roi l'occasion de soutenir que
« Sa Majesté Britannique approuvoit la persécution
« des Protestants.» « En effet ,» continue-t-il, « depuis
« le regne du Roi d'Angleterre iI n'est ríen arrivé
fe qui fasse plus d'impression sur les esprits. » Enfin,


1 Lctlrc de Barillon.




EN ANG LI~TERnE.


Louis XIV meme bIama l'empl'essement de son am-
bassadeur. « Je ne désire pas,) lui mandoit-il, « que
« vous fassiez aucune démarche, ni pour faire bruler
« cet écrit, ni pour en empecher la traduction en
,< anglois. Ces sortes de li vres perden t ordinairement
(e leur crédit par le peu d'attention qu'on y met, et
« ne sont recherchés que par les soins qu'on apporte
« a les supprimer.» .


La présence des Fran«;¡ais fugitifs excitoit un grand
zele de charité pour leurs miseres ; etdes souscrip-
tions abondantes se faisoient en leur faveur 1 : elles
s'arrcterent tout a coup, paree que le Roí voulut
en régler la distribution, « pour éviter,» dísoiteil,
« que les réfugiéssectaires privassent de ces aumones
« les réfugiés en communion avec l'Église Anglicane.»
Ce zele si attentif dans un Catholique fut regardé
eomme une dérision ~mere, puisque toutsles fugitifs
suivoient les dogmes de Calvin que réprouve I'Église
Anglicane. Mais le Roí, Olltre le désir de plaire a
Louis XIV, avoit une autre pensée.Les souffrances
des Religionnaires offroient un texte perpétuel aux
prédications contre les Gatholiques et la" révocation
de l'édit de Nantes: c'est ce que Jacques JIcraignoítet


1 On voit dans une leUre écrite au marquis de Seignelay par
M. de Bonrepaus, qu'il se faisoit des souscriptions de 500 et 1000
liv. sterling. M. de Bonrcpaus étoit un agent diplomatiquc de
F rum'e en Al1gktl'ITC.




RÉVOLUTION DE J 688 ,
vouloit empecher. Il fut dOllc ordonné qu'une coi~
leote ou quete générale se feroit en Angleterre, sur
un bre¡' émané du Conseil, et que l'archeveque de
Cantorbéry adresseroit aux curés une ordonnance
pour lire ce brej' dans les églises, san s permettl'c
aucun cliscours sur ce qu 'il contenoit. Alors on se
demanda comment un Roi Catholique vouloit dicter
leurs sermons aux ministres de l'Église Anglicane.
Les prédications n' en furent que plus violentes, et
quand il faBut les répl'imer, on ne 6t qu' étendre
le5 périls d'une situation toujours fausse et de plus
en plus laborieuse.


Il est aisé de comprendre comment chaque événe-
ment qui, dans l'ordre simple et naturel, n'eut pas
mérité la plus foible attentiún, devenoit perpétuel-
lement ~a cause des embarras les plus dangereux.
Cette complication, symptome continuel d'une anti-
pªthie de plus en plus énergique entre l'état légal
des sujets et les secrets desseins du Gouvernement,
résultoit particulierementd'un Conseil particulier au·
quel Jacques II s'abandonnoit aveuglément. lci la
correspondance diplomatique fait connoitre l'obses-
sion du malheureux Prince. M. de Bonrepaus, 1n-
tendant-Général de la Marine, avoit été envoyé de
France en Angleterre avec deux Inissions, l'un~ os-
tensible, qui étoit un traité de neutralité pour l'Amé·
rique, et l'autre la rcntrée en France de touts les Rc-
Jigionnaires fugitifs qu'il y poul'roil engager. Voin




EN ANGLETERRE.


comme il s'exprime sur la Cour, dans ses lettres au
marquis de Seignelay, Secrétaire d'État de la l\'Ia-
rine. « Les affaires de ce pays-ci ne rouIent a présent
( que sur la Religion. Le Boi est absolument gou-
( verné par les Catholiques. Mylord Sunderland ne
« se maintient que par ceux-ci et par son dévouement
« a faire tout ce qu'il croit etre agréable sur ce point.
(e Il a le secret des affaires de Rome.


« Les Catholiques qui ont la confiance du Roí,
« sont M. Liborne, éveque; mylord Castelmaine ~
« rnylord Dower; milord Arundel ; rnylord Tyrconnel;
« le marquis d' Albeville; le P. Piter, jésuite angIois ,
« et un capucin, son confesseur.


« M. Liborne est un hornme de bien., qui con-
« nOlt assez la Cour de Rome, mais d'un esprit mé·-
ce diocre.


« Mylord Castelmaine est a peu pres du meme
« caractere .


. « Mylord Dower a plus d'esprit. et parolt zélé,
« mais iI est dissipé par le jeu.


ce Mylord Tyrconnel a ass@z de bon sens, mais peu
{( d'esprit; il agit pour les affaires d'Irlande.


« D' Albeville est un homme intrigant, qui avoit
« de l'acces aupl'es du feu Roí, et qui parle a celui-
« ci fort hal'diment et souvent en pal,ticulier.


(e Le jésuite Piter a de l'esprit et du erédit au-
« prcs du ROl; i\ est intrigant, et extremement un"t
~( avee myIord Sunderland.




126 HÉVOLUTION DE 1688,
« M. d'Addét (Nonce du Pape) se meJe parmi ces


(c gens-ci qui en sont assez contents; iI a de la sou-
« pIesse dans l'esprit, mais iI n'approfondit ríen; il
« n~est point capable, non plus qu'aucun des autres,
« de donner un hon conseil, ni de faire prendre une
(c résolution décisive: tellement que toutecettegranJe
« affaire, si importantti pour la Religion Catholique,
{( est dirigée par rnylord Sunderland, protestant. )


IcÍ Bonrepaus ne dit pas que, dans ce Conseil
confidentiel, se trouvoient les lords Bella:;sis, Arun-
del et Powes, chefs du parti modéré des Catho-
liques. Le Nonce du Pape soutenoit timidemellt leu!'
opposition a toute mesure précipitée; mais iI invo-
quoit toujours la prudence et la paix. « Il elltretient, »
(lit Barillon, « une Lonne intelligence avec le P. Piter
« et les autres jésuites, c'est-a-dire, antant qu'il
« l' ose; cal' on n' est pas persuadé ici que le Pape les
« favorise, ni qu'il veuílle les accréJiter ici ou aillt'urs.
« Je sais qu'on a dit au Roí qu'iI ne d~voit pa!!! se
« fier entierernent aux jésuites, paree qu'ils étoient
« trop attachés aux intérets de V. M. . Ce discours
« vient de Rome, et n'a fait aucune impressioll sur
« l'esprit de ce Princc. Au contraire, le crédit du
({ P __ Piter continue et augmente. »


Le Nonce du Pape, malgré sa tirnidité, faisoit
des représentations sur les religionnaires de France,
et prioit quelquefois le Roí d'jntervenir <\upres de
Louis XIV, pour adoucir les rigl1eurs d(,S 111CSUl't'~;




EN ANGLETERRE.


adoptées cont.re eux. AIOl's OH luí opposa un livrc
composé en France, qui contenoit deux lettres de
saint Augustin contre les Donatistes, qui justifient,
dit-on, la sévérité des Empereurs contre ces sec-
taires. Le Nonce garda le silence, et continua de
conseiller la modération. Mais s'il étoit PQssible de
conserver des doutes sur l'intention des conseillers
fanati<{ues de Jacques II, la correspondance de Ba-
I,illon les détruit touts. « On feroit icí,» dit-il a
Louis ,XIV, « ce qui se fait en France, si I'on pou~
« voít espérer de réussir. »


Parmi les intrigants el les fal1atiques du Conseil
confidentiel de Jacques 11, se trouvoit le marquis
el' Albeville. e' étoit un Irlandois, nornmé White, qui
avoit long-temps serví d'espion aux Espagnols, et a
qni, pour récompense, iIs avoient donné le titre de
marquis d'Albeville : Louis XIV l'avoit long-temps
salarié. On le verra hient6t Ambassadeur d' Angle-
terre aupres des États-Généraux, ou Louis XIV le
salaria encore, a l'insu du Roí Jacques 11.


Un tel Conseil devoit nécessairement jet~r ce Roí
foihle et vain dans l'abIme. Son Ambassadeur aupres
du Pape ne se fit connoltre a Rome que par des
folies, et s'attira tout a-Ia-fois le rnépris, l'indigna-
tion memc du Souverain Pontife, qui lui refusft d'a-
bord tout ce qu'il lui demanda. Le premier objet
de sa mission étoit d'obtenir le chapeau de cardinal
pour le prince Renaud-cl'Est, oncle de la Reine. Le




128 n~vOLUTION DE 1688,
Pape, long-temps inflexible, céda enfin. Le second,
et peut-·étre le principal, étoit le titre d'éveque
in partibus en fa venr du P. Piter qui songeoit,
dit-on, a l'archeveché d'York, pour le moment OU
l'Angleterre seroit catholique. Le Pape déclara tr~s­
fortement qu'il n'y consentiroit jamais; que les con-
stitutions des Jésuites s'y opposoient; et que, s'il
cédoit sur ce point, il lui faudroit accorder de
pareilles dispenses aux jésuites de Po}ogne et de
France, pour lesquels, sans doute, on ne manquc-
roit pas de les demander.


Apres cette affair~, il entama aupres dU'Pape une
affaire d'un genre plus grave et plus délicat; e' étoil
la conversion de la seconde fille du Roi, princesse de
Danemark. Le Pape ne pouvoit pas conseiller de ne
pas l'entrepr;endre; aussi le comte de Castelmaine
manda-t-il auRoi son maltre que, suivant l'avis de Sa
Sainteté, rien ne seroit solide en faveur des Catho-
liques, sans la conversion de la Princesse. Jacques Il
le désiroit eomme pere et comme catholique sincere.
Autour de lui, on le désiroit pour fmsciter au trone
un héritier catholique, a l'exclusion de l'héritier Jé-
gitime qui étoit protestant, et l' on s' occupa des
moyens d'y parvenir. Le secret ne fut pas si étroi-
tem~nt gardé, que le ministre des États-Généraux
l~'interpellat dírectement le Roí sur les projets de
fies conseillers. Aussi, des ce moment, le prince
d'Orange prit ses mesures pour l'avellir.




EN ANGLErERHE.


Des le ~ommencement de l'année, Jacques II avoit
exclu du Conseil l'éveque de Londres, ce qui avoit
gravernent indisposé le corps épiscopal. Il prit la
résolution de lui interdire, au premier prétexte,
les fOllctions épiscopales, en vertu de la suprématie
attachée a la Couronne. L'occasion désirée ne tarda
pas a se présenter; et en attendant, il fit entrer au Con-
seil d'État quatre Lords Catholiques. lis étoient déja
de son conseil confidentiel : c'étoient rnylords Powes,
Arundel, Bellassis et Dower, qui prirent séance sans
pl'eter le serment d'allégeance et de suprématie. Le
bruit de cette innovation se confondit bientot avec
celui que produisit l'interdiction de l'Éveque de
Londres.


Lorsque le schisme d' Angleterre édata, la supré-
matie du Pape sur l'Église auglicane fut cléférée a
la Couronne. l\-Iais la Reine Élisabeth avoit compris
tout le ridicule qui s'attacheroit a sa personne, si
ron voyoit une fernme s'ériger en Souverain Pon-
tife, et elle attribua l'exercice de ses pouvoirs a une
Cour suprerne ecclésiastique. Cette cornrnission de-
vint odieuse par ses rigueurs et ses exactions; elle
fut abolie SOtIS le regne de Charles Ier , au com-
mencernent des troubles. Jacques II, qui vouloit la
rétablir, c'est-a-dire, exercer les pouvoirs de Souve-
rain Pontife clans I'Église Anglicane, consulta les
juges. lIs découvrirent que l'abolition complete de
la commission ecclésiastique ne résultoit ras abso-


lI.




130 RÉVOLUTION DE 1688,
lument du sens littéral de la loi. Se croyant alors
bien en sureté par cette extorsion toute pharisienne,
il s'ouvrit a Barillon sur le grand parti qu'il en sau-
roit tirer. « Le ROÍ, » dit l'Ambassadeur, « m'en a
« parlé a fond, et m'a dit que Dieu avoit permis
«( que toutes les lois qui ont été faites pour établir
«( la Religion protestante, et pour détruire la Reli-
( gion catholique, servissent de base présentement a
« ce qu'il veut faire pour le rétablissement de la
( vraie Religion, et le mettent en droit d'excercer
« un pouvoir encore plus granel que celui qui est
« exercé par les Rois catholiques sur les affaires
«( ecclésiastiques, dans leurs États. ), Il faut icÍ moins
condamner que déplorer cet aveuglement d'un Prince,
que l'on conduisoit par ces voies tortueuses a la
ruine de son trane et de sa religion, tout en lui
disant qu'il marchoit sous l'égide de DÍeu meme. La
Religion ne seroit pas la vérité meme, elle ne sel'oit
qu'un mensonge, si elle consacroit pour les choses
divines ce que la simple probité réprouve dans les
choses humaines. Mais tandis que les Catholiques
modérés, effrayés de l'irritation publique, n'osoient
ni parler ni paroitre, le Roi témoignoit ouverte-
ment sa joie, et recevoit les félicitations de ses im-
prudents amis, leur disant qu'il alIoit manifester sa
résolution de triompher de touts les obstacles, en
envoyant partout des Ambassadeurs catholiques,
meme en Hollande. «( l .. e mécontentement est grand




EN ANGLETERRE.


( et général, » disoit Barillon i. Louis XIV. « On
e( dit ouvertement que le peuple ne souffrira pas le
« renversement des lois et de la Relígion protes-
« tan te. »


La commission fut composée de l'archeveque de
Cantorbery, du lord Chancelier J efft'ryes, du eomte
de Rochester, Grand Trésorier; du comte de Sun-
derland, président du Conseil et premier Secrétaire
d'État, de l'éveque de Durham, de l'éveque de Ro-
chester et du chevalier Herbert, Cht'f de justict'. La
Commission pouvoit délibérer et décider avec trois
de ses membres seulement, pourvu que le Chancelier
en fut un. Sa j uridiction et ses pouvoirs étoient
irnmenses: ils consistoient a rechercher toutes sortes
d'offenses, mépris, transgressions ou malversations
contre les Jois ecclésiastiques du Royaume; a corri·
ger, réformer, ordonner et punir les délinquants
par censures eeclésiastiques; a faire comparoitre tout
eccl~siastique, sans distinction de dignité; a pro-
noncer toute peine qui seroit jugée nécessaire, y
compris la suspension, I'interdiction et la déposi-
tion; a rechercher, ouir et terminer; a punir les Ín-
ces tes , adulteres, fornications, outrages, malversa-
tions ou désordres dans les mariages, et en général
touts autres crimes OH offenses qui sont punissables
et qui pt'uvent etre réformés par les 10Ís ecclésias-
tiques elu Royaume; a appeler des témoins, a exiger
d'eux le serment, a punir d'excommunication ceux





R~VOLUTIO~ DE 1688,
qui refuseroient de comparoitre ou de donner témoi-
gnage; a se faire représenter les statuts, réglements,
ordonnances, leUres patentes et autres actes d'éta-
blissement des Universités, colJéges, Églises et Com-
munautés; a les corriger et changer s'il y avoit
lieu, « afin que ces établissements et fondations, les
« \>iens et revenus qui en dépendent , » disoit le dé-
crf't du ROÍ, « soient régis et go.uvernés pour la gloire
« de Dieu, l'accroissement de la vertu, l'utilité pu-


l( blique et la tranquillité du Uoyaume ... , nonohstant
(\ tout appel, provocation, privilege ou exemption


l( qui pOUlToient etre allégués; nonobstant aussi toutes
« lois, statuts, pro.clamations, concessions, pri vi-
« léges ou ordonnances qui son! ou semblent étre
« conlraires a ce que deSSlls. »)


Cette ordo.nnance jeta la terl'eur dans touts les
esprits. Elle rappeloit ces temps ou par usurpatioll
et confusion de touts les pouvoirs, les tribullaux
ecclésiastiques évoquoient meme les causes civiles,
sous cet ahsurde prétexte, que, dans toute contesta-
tíon, il Y a d'un coté le hon dro.it, et par co.nséqllent
péché dan s la personne qui réclame injustement.
« I.le pouvoir de cette Commission estsÍ étendu, »
écrivo.it Barillo.n, « elle embrasse tant de matieres
« différentes, qu'il y a peu de gens qui se puissent
« dire exempts de sa juridiction. lIs pxamineront
« les aliénations des hiens ecclésiastiques faítes sous
« de faux prétextes o.U sans les formalités requises,




EN ANGLETERRE. 133
« et ecHes dont les eonditions n'ont pas été exéeutées.
« On prétend qu'il en reviendra des sommes eonsi-
(e dérables a Sa 1\'lajesté. »


Lorsque eette formidable maehine fut dressée,
toute l' Angleterre fut attentive sur le premier eoup
qu'elle alloit sans doute portero Elle n'attendit pas
long-temps. La Cure de Saint-Gilles de Londres étoit
gouvernée par un eeclésiastique nommé Sharp, doué
d'un talent singulier pour la déclamation. Le peuple
se réunissoit en foule pour l'entendre. Un jour qu'i}
descendoit de la ehaire, on lui remet une leUre sans
signature, qui contenoit di verses questions sur des
points de controverse. Ne sachant a qui adresser sa
réponse, iI la fit en ehaire; et apres avoir éclairei
ou diseuté les objections de son adversaire, iI pré-
tendit que, sur des objections aussi frivoles, nul pro-
testant ll'étoit fondé a quittcl' sa Religion aetuelle.
Il est a eroire que eette leUre et la eontroverse qui
en étoit la suite, furent irnaginées pour avoir une
oeeasioIl d'agiter en publie des questions délieates,
puisque toute censure des conversions qui se fai-
soient alors tomboit indireeternent sur le Roi, qui
avoit abjuré la professioIl de foi anglicane. Quoi
qu'il en soit, le sermon fut dénoncé eornrne une sa-
tire eontre la personne du Roi. Le curé Sharp en
porte le rnanuscrit a la Cour, et offre d'attester, sous
la foi du serment, que e'est littél'alement le diseours
qu'il a prononcé. On rpfuse tout-a-Ia-fois de reeevoir




RÉVOLt!TION DE 1688,
son sermon et de le poursuivre légalement en jus-
liceo Mais l'Éveqtle de Londres est requis de pro-
noncer son interdiction. L'éveque re fu se de l'inter-
dire avant de l'avt}ir entendu devant son Officialité;
eependant jusqu'a plus ampIe informé, ill'engage a
s'abstenir volontairement lui-meme de ses fonctions.
Or, ce refus de prononcer immédiatement l'interdic-
tion du doeteur Sharp fut déféré a la Comrnission
eornme une désobéissanee aux ordres du Roi, et
eomme un mépris de son autorité.


Ce prod~s fut le commeneement publie des hosti-
lités de la Cour eontre l'Église anglicane. Les suites
en sont devenues si graves, que touts les ~étails en
deviennent historiques. L' Angleterré d'ailleurs, atta-
chée si fortement aux formes et aux garanties légales,
voyoit dans eeUe juridiction, établie sans le con-
eours du Parlement, comme une immense chaine
jetée sur chaque famille; dans le tribunal, un instru-
ment de tyrannie, d'autant plus monstrueux, qu'il
s'appliquoit non-seulement aux fautes a venir, mais
aux fautes passées; dan s les juges enfin, car)a ma-
jorité se composoit de laiques, une sorte de mépris
pour l'Église que 1'011 affectoit pourtant de vouloir
protéger. Ainsi, ce proces étoit une cause nationale.


Ces considérations n'échapperent point a I'arche-
veque de Cantorbery, qui refusa de présider ce tri-
bunal et d'y siéger. Ce vieillard étoit vénéré, meme
du Roi. Quoique timide, iI motiva ses refus réitérés




}~N ANCLETERRE.


avec une ferrneté respectueuse. « Prirnat de l'Église
« d' Angleterre, » dit-il au Roi, (e je ne puis autori-
« ser, meme par mon silence, un tribunal ou le droit
( de déposer les pasteurs et les éveques est déféré a
({ trois lalques, puisque le Chancelier peut juger
« souveráinernent avec deux autres juges.» Le Roí,
qui ne put forcer la volonté de ce prélat, fut inquiet
et affligé de ses refus. Mais entralné par sa destinée,
il cornrnanda au comte de Rochester de condamner
l'accusé, sous peine d'encourir sa disgrace, qui déja
étoit réellernent résolue. Voici les actes de cette pro-
eédure.


Les j uges présents, le 1 2 aout, étoient le Chan-
eelier, le eornte de Rochester, le comte de Sunder-
land, l'éveque de Durharn, celui de Rochester, et le
ehevalier Herbert , ehef de j ustice; e' est-i:t-dire, quatre
lalques et deux ecclésiastiques.


Le Chancelier s'adresse a l'Éveque de Londres.
({ Mylord, le Roi n0118 a donné une cornmission


« pour exarniner toute sorte d'affaires et de per-
« sonnes eeclésiastiques. Il nous a cornrnandé de vous
« citer devant nous. La question que j'ai a vous
(e faire est courte. Je vous prie d'y répondre positive-
« ment etsans aucun détour. Pourquoi ne suspendltes-
c( vous pas le docteur Sharp, lorsque le Roí vous le
(e comrnanda, et vous envoya ordre expres de ,le faire,
« vous disant pourquoi; savoir, pour avoir preché
« séditieusemellt et contre le gouvernernent ?»




136 RÉVOLUTION DE J688,
L'ÉCJéque.-(eIl est vrai quej'ai re~u cet ordre;


«et si j'ai failli, c'est involontairement et par igno-
(e rance. En toute occasion j'ai donné des marques de
«mon respect envers Sa Majesté. Si donc, en cette
«affaire, je n'ai pas exactement fait ce que l'on de-
(e mandoit de moi, c'est qu'ayant consulté ceux qui
ce entendent parfaitement les lois civiles et cano-
« niques, ils m'ollt touts dit que je ne pouvois sus-
ce pendre le docteul' Sharp qu'en procédant contre
ce lui et apres l'avoir entendu.»


Le Chancelier. - « 19norantia juris non excu-
« sato Vous devez savoir la loi. Il Y auroit lieu de
« s' étonner que vous ne la sussiez paso N ous sommes
ce prets a vous entendl'e sur ce point.»


L'Évéque.-« Cornme j'ignorois, avant que de
« paroltre, ce qu' on avoit a me dire, j e ne me suis
« munÍ d'aucune défense. Mais si vous voulez me
« donner copie de votre commission et de mon ac-
« cusation, et que vous m' accordiez un temps conve-
« nable, je tacherai de vous satisfaire.»


Le Chancelier. - « Mylord ,je ne voudrois pas
«mal interpréter ce que vous dites. C'est pour<Juoi
«je vous prie de vous expliquer. Si en demandant
« copie de notre commission, vous prétendez con-
(e tester la juridiction de notre Cour et sa légalité,
«je sais ce que j'ai a vous dire; et en attendant que
«je sache votre pensée, je vous répondrai que nous
c( ne saurions donner copie de 11ot1'e commissio11. La




EN A:iGLETERRE.


ce demande que vous en faítes est déraisonnable. Elle
e( est enregistrée. O; la trouve dans touts les coffie-
« houses (cafés). Je ne doute point que vous ne
c( rayez vue.»


IcÍ l'Éveque déclare qu'il ne la connolt poínt, et
demande qu' on lui en donne lecture. Le Chancelier
le prie de se retirer un momento La Cour déli-
bere un quart d'heure, et I'Éveque est de nouveau
introduit.


Le Chancelier. - « M ylord, touts les commis-
« saires disent que -votre demande est déraisonnable.
« Si touts ceux qui comparoltront devant nous en
« faisoient une semblable, cela prendroit tout notre
« temps. N ous avons autre chose a faire.»


L' Évéqlle. - « Si cela ne se peut, je me soumets.
eeCependant j'espere que vous me donnerez copie de
« l'accusation, et un temps convenable pour ma
l< défense. »


Le Chancelier. - « On ne procede point, dans
« les Cours cornme celle-ci, par des écrits ni par
( articles, mais de vive voix, raptim et succincte.
c( J e vous fais une courte question : pourquoi n' avez-
« vous pas obéi au Roí?»


L'Évéque. - (cJ'avoue que la question estcourte;
( mais il faut beaucoup de paroles pour y répondre.
«Je vous prie, Mylord, de considérer que je suis
«Pair du royaume et Éveque; j'ai, quoique indigne,
« une charge publique et un caractere public; et




RivOLUTION DE 1688,
« amSl, Je vondrois ne rien faire qui fut indigne de
« l'une et de l'autre. »


Le Chancelier. -«Nous eonnolssons et la qualité
{( et le earactere de Votre Seigneurie; nous aurons
« pour Elle touts les égards que nous devons avoir.
« Mais il faut aussi que nous en ayons pour le Roí et
{( le Gouvernement. Nous ne devons pas négliger les
« affaires de S. M.»
L~ Évéque. - « Je erois, Mylord, qu'il n'y a


« point d'appel de eette Cour. Ainsi quand un homme
« est jugé souverainement et qu'il est en danger de
ce sa vie, il est raisonnable de lui donner le temps de
,( préparer sa défense.»


Le Chancelier. - « Je ne doute pas, M ylord,
« que LL. SS. ne veullIent bien vous dormer du
l( temps. Quel temps demandez-vous?»


A cette interpellation, l'Éveque de Londres repré-
sente que, dans le moment présent, touts les avoeats
sont a peu pres absents de Londres, a cause des
assises dans les provinces. Il demande un délai jus-
qu'au mois de novembre. Il vouloit probablement
prolonger cette affaire jusqu'a la rentrée du Par-
lernent, qui étoit fixée pour cette époque. La Com-
mission n'aecorda que huit jours,.


Aujourfixé, 19 avril,I'Évequede Londres se rend a la
Commission, aecompagné du eomte de N orthampton,
du chevalier Compton, son frere,et du chevalier Nico-
las, son heau-frere. Le Chancelier lui accorde la paroJe.




EN ANGLETERRE.


«Mylords,» <lit-il, « j'ai travaillé a ma défense
« antant qu'il m'a été possible; mais je ne suis pas
« préparé comme je devrois l'etre, paree que je n'ai
« pu voir la commission. Votre Seigneurie m'avoit
« dit que cette commission étoit dans les registres
,c et dans touts les coJjée-house; néanmoins la per-
« sonne que j'ai chargée de me la procurer s'en est


I


« vainement occupée toute la semaine. Je ne l'ai pu
« voir qu'hier soir. Si vos Seigneuries doutent de la
« vérité de ce que je dis, fai iCl quelqu'un pret a
« faire serment. »


Le Chancelier. - « M ylord, vous etes une per-
« sonne d'honneur, et le serment n'est point néces-
« saire. Mais il fant que je vous le dise encore. Nous
c( ne souffrirons point que vous discutiez la validité
« de notre cornrnission. N ons sommes assurés et per-
« suadés de sa légalité ... »
L'É~eque. - « Mylords, il y a d'autres raisons


« qui m'obligent a demander le temps nécessaire pour
({ l'examiner. Peut-etre elle ne s'étend pas jusqu'a
cc moi, qui suis Pair et Éveque. Je ne l'ai vue qu'hier
t( soir, et je n'ai pas eu le temps de consulter mes
« avocats sur mes réponses. Si cela ne satisfait pas
( vos Seigneuries, je donnerai la réponse que j'ai
C( préparée; mais je demande encore du temps. »


Le Chancelier. - u Est - ce la tout ce que vous
ce avez a dire?»


L'Éveque. - « e'est la premiere chose. Je ne de-




RÉVOI"UTION DE 1688,
( mande point a prolonger inutilement cette cause.
(e La nécessité seule de l'affaire l'exige, paree que
« mes avocats de confiance ne 80nt pas a Londres. y¡


La Commission délibere un moment, et le Chan-
celier reprend:


(e Mylord, je vous l'ai déja dit, neus ne souffri-
« rons jamais que I'on discute notre commission. C'est
(e quelque chose d'extraordinaire a nous de donner
« du temps pour y chercher des difficultés. Mais
«( cornme nOU8 voulons avoir toutes sortes d'égards
« pour Votre Seigneurie, quel temps demandez-
« vous?»


L'Évéque.-«Je m'en remets a Vos Seigneuries;
« mais je ne pense pas que ce soit trop de quinze
« jours. J)


Le Chancelier. - « Soit. On vous le~ accorde.
« Mylord, en vous disant que l'on pouvoit voir.


« notre cominission pour un sou, dan s tOllts les
« coffee-house, je n'eus aucml dessein de faire des ré-
« flexions, comme si j' eusse voul u dire que V otre
« Seigneurie hantoit ces sortes de maisons. J'en ab-
« horre la pensée. Mm.! intention fut seu]ement de
« dire que notre commission étoit partout dans la ville.»


. A la troisieme séanct:', I'Éveque dit au Chancelier
que, malgré l'absence de ses avocats et la brieveté
du temps, il a pris conseil des jurisconsultes.


« J' espere,)) dit-il, « que mes paroles ne seront pas
(e mal interprétées. Je n'ai le desscin de dire auenne




.EN ANGLETERRE.


« chose qui déroge a la Primatie du Roi, qui soit
(( contraire a mon devoir envers Sa Majesté, ou qui
ce altere le respect que je vous dois.


« Cependant mes avocats m'ont dit que les pro-
« cédures de cette Cour sont directement opposées a
« la loi. Ils sont prets a le démontrer, si Vos Sei-
ce gneuries veulent les admettre a plaider. »


Le Chancelier. - « N ous ne voulons écO,uter sur
(e ce point ni Votre Seigneurie, ni ses avocats. Nous
( sommes tres-persuadés de la légalité de notre com-
c( mISSlOn.»


L'Éveque. - « lVIylol'ds, je suis Éveque de l'Église
« Anglicane; 01', par les lois de toutes les Églises
ce chrétiennes dans tous les siecles, et en particulier
« par les lois de ce royaume, je dois, en cas d'of-
« fense, etre jugé par mon Métropolitain et ses suf-
« fragants. J'espere que Vos Seigneuries ne me refu-
( seront pas les droits et le privilege d'un Éveque
« chrétien.»


Le Chancelier. - « Vous savez, Mylord, que
le nos procédures sont conformes a ce qui s' est pra-
ce tiqué autrefois. N otre juridiction est originelIe;
« ce que vous dites est contester notre commission.»


L' É véque. - ce Ceja est vrai en partie.»)
Le Chancelier. - « C'est absolument la contester.»
L'Évéque. - « J'espere, Mylords, que dans vos


« procédures vous interpréterez tout ce qui est dans
(e votre commission en fa veur de ceux qui compa-




RtVOLUTION DE 1688,
« rOltront devant vous. Je erois que votre eommis-
« sion ne s·étend pas jusqu'au crime dont je suis ac-
« cusé. Elle porte en effet que vous censurerez les
ce fautes qui seront eommises. Or, ceBe dont je suis
ce aecusé est antérieure a votre commission.»


Le Chancelier. - « J'avoue qu'il y a une telle
« clause. M<iis il en existe de générales qui com-
a prennent toutes les fantes passées. A vez-vous autre
(e chose a dire?»


L'Éveque. - « Mylords! apres avoir faít, seloll
l( mon droit, ma protestation pour les lois du royaume
« comme sujet, et ponr les droits et priviléges de
« l'Église comme Éveque, voiei ma réponse que je
« vous donne éerite.»


L'Éveque remet eette réponse qui est re~ue. II se
retire, et laisse la requete du doeteur Shal'p, que le
Roi n'avoít pas voulu reeevoír. Il est rappelé un mo-
ment apres, et le Chancelier lui dit:


c( Mylord, nous avons Iu votre papier, et nous
« vous en rendons un autre.»


L' Éveque. - (e C'est la requete du docteur Sharp
«au Roi.»


Le Chancelier. - (e Reprenez-Ia; nous n'en avons
« que faire. Voulez-vous qu'on lise votre réponse?»


L' Éw!que. - « Ouí, Mylords. Mais j'ai encore eeci
(e a dire: Ce que j'ai faít dans eette affaire I'a été
«jurisperitorum consi/io. Je eonsultai le Chance-
l( liel' qui est le Juge de ma Cour, et quelques antres




EN ANGLETERRE.


« Jurisconsultes. Or, ]a loi dit que ce qui est fait par
«( avis des avocats ne doit pas etre interprété cornrne
« ayanl été fait rnalieieusement ou opiniatrément.
c( Dans une semblable conjoneture, elle dit encore
c( que si un Prinee prescrit a un Juge d'exécuter
« quelque ordre qui n'est pas conforme a la loi, le
« Juge doil rescl'ibere el reclamare principio Elle
« appelle cela sercJire principio Je crois done avoir
« fait mon devoir. En effet, je répondis a Mylord
« Président ( le eomte de Sunderland, Président
« du Conseil) avec autant de civilité qu'il m'étoit
« possible. Je lui mandai qu'un ordre de suspendre
« un ecclésiastique, avant de l'avoir cité et entendu,
« étoit eontre la loi, et que j'attendrois de nouveaux
l( ordres de Sa Majesté. En seeond lieu, je fis réel-
C( lement ce que le Roí m'avoit commandé; cal' je
« eonseillai au doeteur Sharp de ne plus precher,
c( en attendant que Sa lVlajesté eut re~u toute satis-
tt faction a son égard; et ce Doeteur n'a pas preché
f( depuis dans mon diocese.»


Le Chancelier. - « Mylord, exigez-vous qu'on
(( lise votre papier?»-(cOui, Mylords.» (Cepapier
contenoit la lettre du Roí el la réponse de I'Éveque. )
- « A vez - vous encore quelque chose a dire?»


L'É"éque.-( Je demande que mes avocats soient
c( entendus, et par la vous serez plus amplement sa-
« tisfaits. »


Apres une demi·heure de délibération, I'ÉV(~qlH:'




1~4 RÉVOLUTION DE 1688,
est de nouveau introduit, et se présente avee quatre
avoeats. Admis a plaider, chaeun d'eu:x s'attaehe a
prouver que le Roí n'a pu ordonner -une chose illé-
gale, et que, d'apres les principes, l'Éveque de
Londres a sel'~i le Prince en ne prononc;ant pas
arbitrairement la suspension du doctellr Sharp; sus-
pension qui ne pouvoit etre prononeée qn'apres une
citation légale, une défense libre et un jugement
canonique. « Lorsque le Roi ,» <.1it le docteur Rodges ,
« commande a un juge, il lui eommande aussi d'a-
« gir en juge. 11 ne s'agissoit pas d'une affaire de peu
« d'importanee; car le docteur Sharp étoit aeeusé
c( d'avoir preché la sédition et la. rébellion. Si done
« l'Éveque l'avoit suspendu eomme juge, avant la
« citation, la défense et le jugement, il auroit com-
( meneé par OU il falloit flnir 1; il auroit jugé avant
« de proeéder et d'entendre; iI auroit violé les lois
« du Royaume et les lois de l'Eglise.»


Le pronoueé de la sentence fut ajourné au
16 septembre. Cet intervalle étoit nécessaire pour
concilier les juges sur la volonté du Roi. Le comte
de Roehester soutenoit assez vivement que l'éveque
de Londres ne pouvoit etre condamné. Jefferyes
penchoit aussi pour la douceur, non par esprit de


I Le docteur Hodges emploie une métaphore proverbiale qui
marque la rouille du temps ou iI parloit : « JI auroit écorché
I'anguille par la queue.))




EN ANGLETERRE.


j ustice, mais par attachement a I'Eglisc anglicane.
enfin, de la Commission entiere, iI n'yavoit que l'éve-
que de Durham qui inclimtt réellement a la sévé-
rité; cal' iI ne faut pas compter 5underland, qui
n'avoit ~e regle que la volonté de Jacques II. Apres
de longs débats, la soumission de Rochester en-
traIna ceHe des autres; et Henn Compton, éveque
de Londres, fut suspendu de toute fonction et ju-
risdiction épiscopale, durant le bon plaisir de 5a
lVlajesté, a peine d'etre déposé de son éveché, s'il
transgressoit le j ugement. Le Roi vouloit davantage,
excité par les Catholiques exaltés; c'étoit le séquestre
des _biens de l'éveché : mais ii eut fallu plaider en
justice réglée. On n'osa pas subir les haS3l'ds d'une
procédure publique et légale. Quant a I'Éveque, il
s'éleva par cette affaire au plus haut d~gré de- popu-
larité. Malgré son interdiction, ou plut6ta cause
de son interdiction, tout le clergé de son ditmese
dHéroit au moindre signe de sa volonté .. De Ce mo-
ment, I'Eglise anglicane avecsou immerUl~ par ti se
jeta ou vertement dan s TOppositidn;- 'et' la guert'e
ainsi déclarée ne pouvoit plus se terminer que par
une victoire également dangereuse',-quels que- :fússent
les vainqueul's ou les vaincus.


Tandís que le Roí donnoít· a:tlx üatlwIíques tant
de preuves d'un zele ardent póur-Ia-Reli'gion, ilsur-
vint a la Cour un incident quí nemériteroit pas
d'arreter les regards de l'histoire, si trop souvenl'


H. 10




RÉVOLUTLON J)E [688,
le d~tin des Rois. et des peuples ne s'altachoit uux
ph,lS vil~s intrigues, l,a Reine, jadis duches se d'York,
ayOÜeuparmi ses fernmes d'honneur la filIe du cheva-
líer de Sedley. L'esprit et l'imagination lui telloient
lieu de beauté aux yeux de Jacques Il, qu'elie sllbju-
gf.J~ entierement. Charles I11ui-meme prenoit plaisir :1
r~lltendre, et la voyoit avec plaisir chez la duchess('
d~ PQrtsnlo,uth. A sa mort, Jacques n, qui avoit eu
déja de mademoiselle de Sedley deux cllfants dont
l'un étoit vivant. prit des l~ésolutions plus conformes
el, sqs _Qes~eins religieux. Il promit aux Catholiques
qe repoQcer a cet attachement, qui naturellement
devoit dé~réditer la sincérité de ses illtentrons aux
y~ux,des Pl'otestants.l .. e Hapememe. que l'on eut soin
d;ep ,ip(onner, loua beaucoup le Roi de ceU~ vic--
toi~t;"flU' sC$-passions. Jac;ques 11 étoit sincere; mais
it~da .hitmt&t_: a l'empire de sa füiblesse naturelle.
Mi\dmuo\!Je.lle de Se<illey log.eoit, toujours a Withe-
]Ujlt, el le~RQila,_vjt secretement. 11 lui achefta une
RJa \~Qf.kt q~ .les, mei.lIeurs peintr~& et .Ies plus habites
~~c~~lpt~u,'~ pxjrentJesn~11 d'embellir.Tout-a~coup OH
appr(!nrl ql.le l~ Rúi·.lui el donné le litre de comtesse
(!f!.llql1c~~J#r 1. tt~ .ceUe prOffiotion inatt~ndue -fit, une
grande révolution a laCOUl1.~(C La. comtesse deL]Jo r;..'
(~ ~~~t~J ~~~lªAa.lAS; QQJ\te! l-:lue_nouveUe Cléveland., I111C
«QQt(teUtt),port~nwuU1. EHegouvernera le -Roí el
{(.l' ~mpirt'J hritanmqu~; elle .est zélée protestante, et
« ,~el:tainemeQt le comte de Rodwster él suscité ce




EN ANGLET.EIU1E. J47
« formidable ennemi aux Catholique~. )) Tels étoient
les discours des amis de la Reine, et en p{articulier
du comte de Sunderland. Les soup~ons s'élevoient
meme jusqu'a4 Chancelier Jefferyes, qui, en ser-
vant les amours du Roi, vouloit, dit-on, se faire
pardonner sonattae.hement a l'Eglise anglieane.
, ,-Pans eette premiere fermentation de la, Cour" le
Roí est mandé cl.1ez la ~ei,Ll,e; iI y trouve, a sa
g,r<.lnde surprise, le P. Piter, divers ecclésiastiques
~le sa lnaison, et les principaux Seigneurs catho-
liques. La Reine toute en larmes se ~ jette dan s ses
bras et presque il ses pieds. AuX; ,larmes" aux re.,.
proche~ et aux prieres :de cette .!princesse que
JacqueslI aimoit tcndre~lent, se joignent les graves
remontran:ces des pretres el des lords catholiqu~~ ..
N uUement préparé au pathétique de cette spene, i1
prqlnet d'''loigne~' If.t youvelle cpmtess~; mais il in~
~is!\v pou.r q~:e~l~, ~9nse~ve le titre,.do~t il, l'avoit
~l'onRrée: La paix fut c~ncll1~: a .~e. prix. ,
.~., Gf ~\l¡\.J~ c<?mte ~e N(elford, ~ecft.ud Secrétaire
d'É~a(,: .q~i ~yt: cJ,U\\;g~:.~l~. !lo~ip"~r r'?r~re de quitter
rA1J.gleterre ~tJ~ cQ~ntesse d~, pOJ;'~e~ter; mais fiere
I~t.~lauta.ine. cqll1J}tallt d'ailleurs sur la foibless.e ,d~
~{oi , elle répondit a. u lord Melford que, par les prí-
vt\~ges de la gi~~nld~ Chflr;tf;~.·~,~H~ sauroit c9~server
s,a. li~~rté ~n; An~l~ter~e., ~~~n.~6t ap~es ' .. R~~l ~I?prit
q~;elle ét9Ü ~l,l. f~il~.oit se~~wlf\nt d'e~J;'e J~f\l~de; on
¡tjouta lIle m e , Hu'ellc i~~v.it.qlff:·('in~e.Le Roí, qlll


I 0,




RtVOLUTION DE 1688,
n'étoit pas raché -de sa désobéissanee, . négoeia lui-
meme son départ pour l'Irlande, et l'obtint. MaÍs
elle revint a Londres quelques mois apres, et l'on
resta persuadé que le Roí continuoit un eommerce
secret avec elle.


Dans eette intrigue, le comte de Sunderland eut
l'art de se rendre nécessaire a la Reine, et de ·lui
persuader que le eomte et la eomtesse de Roehester
lui avoient suscité une rivale, afin de gouverner le
Roi par cette favorite, et de ren verser touts les pro-
jets formés en faveur de la Religion Catholique.
Sunderland, qui reeevoit une gratification de
Louis XIV, vouhif aussi le persuader a Barillon.
Mais Barillon et Bonrepáus, qui touts deux ren-
doient eompte de eette petite révolutioÍl: de eoul'-
tisans, l'un a Louis XIY;~t l'autre au marquis (re
Seignelay ,s'accordent sur ce póinf, que Rochestel'
y fut eompletement étranger. CepeIldant la Reine.,
Italienne et jalouse " ne pardonna poiot a l'inno-
cenee de Rochester;. et d'aill~urs,' toujouts privée
du bonheur d'etre mere,'.paree que ses nombreuses
grossesses n'avoient encore produit que des enfants
morts avant que de naltre, elle voyoit, avee un se-
cret dépit, que la nature et les Iois' appelleroient au
trone' les nieees de Roehes'tel~; e' en' 'étoit assez, sans
doute, pour que Roehester fut odit!Ux. Déja meme;
depuis long;..temps, óri' ~nurmuroit aux oreilles; de
Jacques II, qu'un Roi eatholique ne pouvoit conserve!'


,
4




}<~N ANGLETERRE.


pOli!' Lord Trésorier un Protestant; et Sunderland,
qui vouloit gouverner la Reine par le P. Piter,
le Roi par eette prineesse jalouse, et le Royaume
par leurs passions réunies, se servit habilement des
déeouvertes que l' on fit faire a la Reine sur made-
moiselle de Sedley, pour précipiter son rival en
¿lUtorité. Il ne manquoit plus qu'un prétexte, qui ne
pouvoit tarder a se produire, au milieu de cet esprit
général de vertige et d'erreur.


Si les affaires de l'intérieur se eompliquoient eh a-
que jour davantage, la politique de l'Angleterre au
dehors n'avoit pas une marche mieux déterminée,
paree que le Gouvernement s'engageoit tout-a-Ia-fois
en deux routes opposées. Le Roi se trainoit tour-a-
tour dans l'une et dans l'autre, bien plus qu'il ne s'y
portoit avee eette libre et ferme assurance qui est un
gage de SUCct$, meme dans les entreprises témé-
raires. La correspondance des ambassaeleurs étrangers
prouve, jusqu'a un certain point, son désir sincere
d'etre Roi d'Angleterre plutot que le chef d'une
faetion turbulente. Il en avoit l'intention ou l'instinct;
mais sa volonté toujours foible étoit perpétuelIelJ;lent
égarée, subjuguée, par l'impétueuse folie de ses con-
seillers clandestins.


On a raconté plus haut eomment il s'étoit peu-
a-peu écarté . d'un projet d'alliance formeHe avec
Louis XIV. Son application aux affaires du COlll-
merce lui Gt cqH'ndant (:couLt.~r la l-i'rallce pour un




HÉVOLlJTJON IH. 168~.
traité de neutra lité , relativement aux Iles fran(~aises
et angloises situées entre les deux tropiques. Ce
traité fut conclu, et la neutralité fut meme étendur
al' Am:érique septentrionale. Ce n'est pas que le comtc
de:Rochester n'apporhit des difficultés a la conclu-
sion. Il en reconnoissoit l'utilité, mais iI craignoit
tout ce qui pouvoit ressembler ou conduire a Ullt'
alliance entre Jacques Il et Louis XIV. Quoi qu'il
en soit, le traité fut conclu et n'alla pas plus loin.


Maís Louis XIV avoit eu l'art de jeter entre le
prince d'Orange et la ville d' Amsterdam des défiances
qui rendoient le Prince tout-a-Ia-fois suspect a la Ré-
pt1blique, et momentanément incapable de faire
entrer les États-Généraux dans une alliance contraÍre
aux intérets de la France. Le comte Davaux, qui
avoit excité ces divisions en Hollande, se voyoit for-
tement secondé en Angleterre par les soins que
Barillon mettoit a entretenir les jalousies et les dé-
fiances de Jacques 1I contre son gendre. Cependant
le prince d'Orange se conduisoit avec une égale ha-
bileté envers les États-Généraux el le Roi son beau-
pere. 11 entretenoit toujours avec celui-ci une cor-
respondance particuliere qui inquiétoit Lauis XIV,
et lui démontra facilement que l'Europe étoit me-
nacée de la guerreo Louis XIV en effet préparoit
dans ses ports de grands armements qui ne pouvoient
menacer que I'Espagne; et quanrll'Espagne réclama
de Jacques II un secours effecti[ en hommes et en




h,\ ANGU·:TEHHF.


\'aíSSl'all~.couf()l'lllémellt a ses ll'aités Pl·éeédents. ce
prilll'L' eut l'air de 11Ii pl'omctLre quatre mille hOlllIlles
pour les Pays-Has. 01', iI en avoit déja six mille au
st'l'viee des États-Généraux; il sembloit done détel'-
miné a soutenir les illtérets de ses Alliés sur le Con-
tinent, eontre les projets éventuels de laFrance, quels
qu'ils fussent. Tellesétoient les dispositionsostensibles
du cabinet vers le milién de [686, par rapport aux
alTaíres étrangeres.
~Iais, par le déplorable effet de la eontre-direetion


que le comité seel'et des Catholiques imprimoit an
lIlouvement des afIlÍres, le Roí, qui négligeoit' com-
pletement sa Hotte pOUI' les soins de son armée,
doona tout-a-eoup une activité inattendue a la ma-
rine. Il visita lui-meme ses pOl'ts; et comIi1e la France
envoya une flotte devant Cadix, la Hollande mani-
festa ses inquiétudes sur les armements de l' Angle-
lene, dont Louis XIV ne paroissoit pas mojns Ín-
<luiet ou étonné. Il fut bientot rassllré par Hal'ilion,
<pü crut savoir le seeret de la Cour de White-HalI.


Jacques n n'avoitpersonnellement aucun projet,
aUCLlll plan déterminé pour la paix ou pour la guerreo
_Mais iI étoit concluit a son insu vers un projet tres-
hardi, dont il p'arut effrayé, Iorsque l'ambassadeur
de Hollande luí 'en remit les preuves sous les yeux.
D'ahord on avoit irrité le Roí sur l'asyle donné aux
proscritsd'Angletcl'rect d'f2cosse,que les divers com-
plots de H)'c-HouSl>, ti' Argylc t't de lVlonmouth avoient




RivOLUTION DE 1688,
successivement jetés dans les Provinces-Unies; en-
suite, sur des contestations élevées entre la Compa-
guie angloise des lndes et la Compagnie hollandoise;
enfin, sur ce que le prince d'Orangc venoit de re-
fuser formellernent de recevoir le cornte de Carling-
fort pour cornmander les troupes angloises au ser-
vice de Hollande. Profitant ainsi des dispositions
naturelles du Roí, qui lui faisoient hair le prince
d'Orange et les États-Généraux , on s'attachoit a lui
persuader que la HolIande étoit la cause perpétuelle
des obstacles qu'il éprouvoit dans ses desseins pour
la Religion, « et que le moment étoit venu de ruiner,»
dísoit-on, « ce repai~e toujours ouvert aux factieux
« et aux rebelles d' Angleterre. »


Soit que le projet d'une guerre avec la Hollande
eut été inspiré seer;eternent au partí des Catholiques
par la Cour de France, ou que le eornte de Sun-
derlan~ ait pensé qu'il ne pouvoit rien faire de plus
utile aux intérets de Louis XIV dont iI étoit pen-
sionnaire; soit peut-etre que Sunderland, qui avoit
un génie sou pIe, vif et hardi, s' éIevat plus haut que
les factions, et voyant de loin l'ablrne OU le Roi son
maltre alloit se précipiter, espérc1t tout-a-Ia-fois l'en
écarter par une guerre étrangere, et' satisfaire a l' or-
gueil de la Nation par la conquete du commerce uni-
versel, il prit tout-a-coup avec Van-Citers, envoyé
des États-Généraux, un ton fier et décisif. Il exigea
irnpériellsement une réparation promptc et complete




EN ANGL1~TERRE. 153
de touts les griefs de l'A.ngleterre. Aprt$ diverses
conférences : 1 « Monsieur ;» lui dit-il, {( tout ce que
C( nous disons ¡ci est dit en particulier. Mais je dois
« vous donner un avertissement, non par ordre du
« Roi, car je ne l'ai point, mais senlement comme
C( ministre de Sa Majesté. C' est que le Roi veut sa-
(C tisfaction pleine et entiere. Il emploiera pour l'ob-
« tenir touts les moyens qui se peuvent imaginer; et
« les Pays-Bas s'en ressentiront, parce qu'ils atten-
« drontpeut-etre trop tard pour se le persuader.»
- « Ce langage,» répondit Van-Citers, ({ ressemble
« fort a une déclaration de guerre.» - ({ Je ne pro-
« nonce pas le mot de guerre,» dit le ministre du Roi ;
« c'est él vous de bien considérer ce que .le veux vous
{( dire.».


'Ici, le role. que jouoit Sunderland seroit inexpli-
cable, meme par la trahison, si l'on ne suppose,
dans ce ministre, un plan tres-hardi auquel son ca-
ractere, son ambition et des faits réels donnent de
la vraisemblance; tandis qu'il n'existe, dans }'his-
toire connue ,el dans le secret des archives diplo-
matiques, aucune piece, aucune transaction qui
puisse établir le contraire. Il connoissoit parfaite-
ment l' état de I'Europe, et en particulier de l' An-
gleterre .. n ne' se dissimuloit ni les périls auxquels
s' e~pósoit le Roí son maltre, ni les dangers de sa


1 Leltre de Van-Citel's.




154 H.ÉVOLUTlON J)Ji: 1 liti8,
position persotmelle. Puisquc la nature scmbioit rc-
fusera Jacques 11 un héritier capable d'affermir tOIl!.
ce que l'on pouvoit tenter en faveur de la Religioll
CathoIique, Sunclerland ne pouvoit clouter, et 11 ne
doutoit pas que tout ce frele édifice, élevé par le
P. Piter et sa faction, ne s'écroulat subitement, 101'8-
que la princesse d'Orange seroit appelée au trone.
Songeoit-il sérieusement a faire pass(>r la courOllllC
sur la H~te de la princesse Anne, au moyen d'une
conversion équivoque? l\Iais le Parlement,' mais la
nation, mais le partí du prince cl'Orange, et le
Prince lui-meme, qui alloit hientot conclure la fa-
meuse ligue d' Augsbourg , auroient facilement triom-
phé d'un parti odieux et foíble, puísqu(> les Catho-
liques ne formoient qu'une minorité ímpercepti,ble
clan s le-Royaume d'Angleterre. Ambitíeux et habjle,
comme il l'étoit réellement, iI ne pOllvoit, sous un
Roi dominé par une faction, parvenir a jouer le role
(l'un Richeliell, qu'en imitant les premieres intrigues
de ce fameux ministre. Protestant, illui fallóit séduire
un moine dévoré d'ambition, une Princesse dirigée
par des insensés, un Roi tomo a tour emporté, yain,
crédule et superstitieux, dont la volonté toujours
foible étoit perpétuellement subjuguée, malgré l'ins-
tinctde sa ráison qui lui montroit quelquefois la vé-
rité. Le parti catholique sembloit vouloir la guerre
avec la Hollande, et déja soixante-cinq vaisseaux se
préparoi(>nt en silencl'; mais puisqul' l.ouis XIV l'l




EN ANGLETERRE.


gnora d'abord et en fut hientot alarmé ~ il faut bien
en conclure qu~ Sunderlalid ~ qui secondoit vivement
t'e projet, avoit d'autl'es vues que ceux. qui l'avoient
con<;u ou qui en avoient rf'~U l'inspiration de lui-
meme. En efret, Jacques II épuisoit son trésor poul'
l' entl'etien de son armée; une guerre maritime exige-
roit nécessairement des ressoUrees qu'il n'avoit plus.
L'intervention d'un Parlement étoit dOIle inévitable,
el avee un Padement s'évanouissoit tout ~e que pou-
voient espérer les Catholiques. Un Parlement devoit
comprendre facilement qu'une guerre qui ne seroit
pas pour Louis XIV, sel'oit bientot tournée cohlre lui;
et que la eesseroit enfin ee long abaissement de Withe-
Hall, depuis Charles II, elevant la grandeur ou l'ambi-
tion de Versailles. D'aiJIeurs une guerre maritime pon-
voil donnel' a l'Angleterre eette souveraineté des mers
que Cromwell avoit disputée avec tant de gloire, et
que Louis XIV sembloit vouloir obtenir a son tour.
Un tel projet, qui pouvoit arraeher l' Angleterre aux
faetio'ns, et Jaeques II a sa ruine prochaine, n'étoit
pas meme eontraire aux intérets directs du pl'inee
d'Orange, puisqu'il devoit un jour régner sur l'em-
pire agrandi des trois Royaumes. Un tel projet fut-ii
réellement eelui du eomte de Sunderland? La suite
de eette histoire' montrera que, si Louis XIV cl'oyoit
avoir acheté ce ministre arnbitieux, Sunderland Iie
se erut pas tellement lié OH vendu, qu'il ne contra-
l'iat les vues de la COUl' ele Vel'sailles quand ille ju-




RÉVOLUTION DE 1688,
geoit a pro pos; et sur ce point, iI lui suffisoit de
flatter la vanité de Jacques n. Enf¡n, rien encore n'a
lllontré que, meme dans les derniers temps, il eut
été complice des seigneurs anglois qui appeIerent
le prince d'Orange; et, apres la révolution, il eut
beaucoup de peine a se faire pardonner son minis-
tere. Ce n'est done pas une conjecture trop vaine
que d'attribuer a Sunderland une ambition sans
bornes, a iaquelle le choix des moyens étoit indif-
férent, s'il pouvoít régner sous un Roi foible, et
conserver a l' Angleterre la prépondérance qui lui
est assignée par la nature dans la politique euro-
péenne.


Van-Citers, en ministre habile, ne se laissa pas
effrayer. Le parti de l'Opposition luí fit entendre
que, dans I'Étatactuel du Royaume , ni le Roi, ni
son Conseil, ni le parti Catholique, ne pouvoient
songer sérieusement a convoquer le Parlement, et
que touts ces projets de guerre, par ce seul fait, s'é
vanouíroient en fumée. Néanmoins iI écrivit aux
États -Généraux, leur conseillant de se préparer a
tout événement, et de régler leur conduite avec tant
de modération, que tout prétexte d'irritation fut soi-
gneusement écarté. Il donna ensuite au Roí des ex-
plications qui parurent le satisfaire; et il protesta
entre autres que, malgré leur dévouement a la cause
de la vraie Religion - Réformép dans les Provinces-
Unies, les États-Généraux llt' se meleroient jamaís




EN ANGLETERRE. J57
des affaires intérieures de I'Angleterre par rapport
aux Catholiques: « avec d'autant plus de raison, »
ajouta~t-il, ce que Leurs Hautes Puissances admettent
c( des Catholiques Romains dan s les charges les plu~
« élevées de la milice, et meme dans les charges ci-
( viles.))




SQMMAIRE.


1686 - 1687.


Plan secret d'écal'ter de la succession le Prince d'Orange. -
Explication demandée par l' Ambassadeur des ÉtaLs - Géut--
raux. - Intrigues et foiblesse du cabinet. - Proccs du Doc-·
teur Johnson.-Disgrace du Comte de Rochester, {;t tt'iomphe
du partí Catholíque. - Commencemellt de la conjuration du
Prince d'Orange. - Le parti Catholique refuse toute concilia-
tion avec le Prince d'Orange.-Ambassade de Dykwelt en
Angleterre, et du Marquis d'Albeville en Hollande. - Né-
gociations du Marquis d'AlbevilIe. - Négociations de Dyl.-
weh.


--~----




R¡'~VOL. llE 1688, EN ANGLETERRE. 159


l~lVRE XI'T.


1686 -:- 1687.


MAIS Van-Citers nc s'endormit pas sur la grande'
question de la paix ou de la guerreo Déja Louis XIV
avoit envoyé devant Cadix ses vaisseaux de Brest
et Toulon; iI faisoit aussi fortifier la tete du pont
d'Huningue sur l'autre rive du Rhin , malgré la der-
uiere treve, par Iaquelle chaque place en litige devolt
l'f'ster dans l' état OU dIe se trouvoit. Hambourg
venoít d'etre attaq:uée a rimproviste par le Dane-
mark et ho~rdée; on attrihuoit eeUe agression
aux eonseils secrets de la Fran.c~. Enfin le brult
publie de Londres et de L~l Haye étoit que, sous
prétexte d'un traité de neutralité pour l'Amérique
entre les deux Cours de White-HaU et de Versailles,
ii s'agissoit réellement d'un tmité seer~t d'~Uia:Ílce"
A tou1:S ces.motifs d'inquiétudes pOllr le nílnistre'des
États..,Généraux, s'en joignoit un d'une haute ímpor-
tance: les soupc¿ons 1 ou plutot la preuve (car il prp-




160 nÉVOLUTION DE 1688,
tendoit l'avoir), d'un projet formel de convertir a la
Religion Catholique la Princesse de Danemark , pour
exclure de la succession au trone, d' Angleterl'e la
Princesse d'Orange.


Voici done sur ce point tout ce qui est avéré par
des pieces authentiques. Bonrepaus écrivoit au mar-
quis de Seignelay, des le 28 mars : ~( Le Roi d' Angle-
« terre,» dit-il, te peut a peine dissimuler sa haine
« et sa jalousie contre le Prince d'Orange. La con-
« noissance que j'en ai me donna occasion de deman-
« der a l'Envoyé de Danemark, que je connois parti-
« culierement, si le Prince Georges étoit homme a
« songer a la Couronne d'Angleterre pour la Princesse
« sa femme: ce que je croyois praticable, s'il se fai-
« soit Catholique. Cet Envoyé m'a dit depuis qu'il en
« avoit touché quelque chosp., par maniere de conver-
« sation, au Prince Geol"ge.s. Il croyoit que ce Prince
re se feroit instruire , pour se mettre en état de prendre
« son parti, s'il trouvoit quelque jour a faire réussir
« ce projet. Je sais aussi certainement que,la Princesse
« sa femme veutetre instruite. Je lui ai fatt donner
« des livres de controverse qu' elle. a fort bien rec;:us.
« Ceux qui la connoissent particulierement dis~nt
(e qu'elle a de l'esprit et beaucoup d'ambition. J'ai
« parlé quelquefois au Roi d' Angleterre de ces vues
« de conversion qui le flattent extremement; et quand
« on connolt le dedans de cette Cour, aussi intime-
« ment que je la connois, on peut croire que Sa




EN ANGLETERRE.


« Majesté Britannique donnera volonlÍers dans ces
(e sortes de projets.»


On a cléja vu que Barillon s'étoit ouvert sur ce
point a Louis XIV, et que le eomte de CasteImaine
avoit traité cette affaire avec le Pape. Van-Citers,
quí ne pouvoit guere l'ignorer, se procura un do-
cument quío mettoit a BU touts les projets du parti
catholique sur la guerre, et sur la sueeession. Il
portoit le titre de Remontranceíaite au Roi d' A n-
gleterre par son Conseil. On y établissoit : (e Que la
« Hollande a voit fomenté la derniere rébellion; qu' elle
f( donnoit encare asyle aux rebelles; et que jamais le
4( Roí ne dompteroít les factieux, si eette république
« n'étoit renversée;


« Que la eonjoneture actuelle étoit tres -favorable
« pour détruire la Hollande, puisque toutes les forees
le qui la pourroient secourir étoient employées eontre
« l'Empíre OUoman;


({ Que si le Roí laissoit échapper eette oeeasion, les
{( Hollandois et ses propres sujetsen deviendroient plus
« insolents; qu'il se verroit par la méprisé de toute la
(e terre; que la faetion du Prinee d'Orange deviendroit
E( assez forte pour renverser sa prérogative, le forcer
« de renoneer a ses bons desseins sur la R~ligion, el
« transmettre meme le Gouvernement au Prinee d'O-
{( range comme sueeesseur naturel;


{( Qu'en négligeant eette occasion, iI s'aliénera le
ee ROl de rrance; <'lue ce Prince, le croyant dans rin-


Ir. J 1




RÉVOLUTJON DE 1688,
el téret de ses ennemis, se yerra forcé de fomenter les
« factlons, de s'unll' meme a la Hollande et au Prillce
( d'Orange, qui se joindront aux Franc;ois eontre l'All-
« gleterre, si l'Angleterre ne s'unit pas maintenant
(e aux Franc;ois eontre la Hollande;


l( Qu'il doit done réunir le Padement, lui demander
" « des subsides pour cette guel're, et lui déclarer net-


« tement que si les subsides sont refusés, 011 ne devra
« pas s'étonner qu'il en prenne chez ses voisins;


e( Que dans le eas d'un refus, il doit étendre sa pré-
« rogative pour lever des con tribu tions, et qu' au reste,
« le Roi de Franee l'aidera suffisamment; que par la,
« iI se rendra puissant et redoutable;


« Que si la Franee vouloit abuser de eette assis-
« tanee, on trouveroit assez de moyens pour la répri-
« mer, et, apres la destruetion de la Hollande, pour
(e réclamer a temps, et an grand avantage de la Reli-
({ gion, les secours de la Maison d'A utriche;


« Que meme , pour établir et confirmer la Religion
« Catholique en Angletere, s'il faUoít en quelque ma~
« niere se rendre dépendant de la France, et lui re~
« mettre la décision de la succession a la Couronne,
« iI seroit obligé de le faire; qu'il vaudroit mieux en effet
« pour ses peuples devenir vassaux du Roi de FraIlce,
« étant Catholiques Romains, que de res ter esclaves du
« démon , a vec cette grande liberté dont ils font un si
« grand abus; maÍsque ríen ne faÍt appn~llCnder qu'il
(e se voÍe jamais contraÍnt d'allel' jusque-]a ;




F.N ANGLF.TERRE. 163
({ Que cette guerre lui donnel'a une oeeasion na-


«turelle de conserver et d'augmenter ses troupes;
« Enfin, que dans eette affaire et dans toutes les


{( autres, il fera bien d'agir ouvertement et sans dis-
t( simulation avec le Parlement et avec le peuple,
« pour bien les convaincre de sa sincérité comme de
« son courage. »


Ce document vrai ou faux, Van-Citers se l'étoit
procuré; Rarillon l'avoit envoyé a Louis XIV, qui
lui-meme l'avoit rec,;u de Hollande par lecomte
Davaux, avec copie des dépeches de Van-Citers aux
États - Généraux. Jacques 11 ayant appris que cet
Envoyé se trouvoit muni de cette piece, luí assigna
une audience pour en conférer avec lui. Van-Citers
la lui présenta, en disant que déja iI avoit eu la
pensée de la luí communiquer, maÍs qu'un profond
respect l'avoit retenu, ne sachant pas si Sa Majesté
l'auroit pour agréable. Jacques 11 lut et relut cette
piece. « Elle est fabriquée en Hollande,)} dit-il, « ou
« du moins par quelqu'un de ces factieux de mon
« royaume, qui font profession de me rendre odieux
«a mon peuple. Cal' il n' est point de Catholique en
({ Ang]eterre, ni personne entre touts mes amis, qui
« osat exprimer de si petnicieux raisonnements, bien
« loÍn d'oser les écrire. »


Van-Citers affirma que cet écrit ne venoit point
de Hollande et n'étoit l'amvre d'aucun Protestant.
« Je l'ai eu,» <lit-il, « des principaux Catholiques.


11.




R~VOLUTION DE 1688,
« Votre Majesté seroÍt dans le dernier élollnelllent
« si je les lui faisois conlloltre; et menw il ne me
c( seroit pas difficiIe de lui en nommer l'auteur. Quoi
« qu'il en soit,» poursuit - il, « ce sont la certaine-
« ment les discours haLituels des pretres Catholiques,
« et des plus grands poli tiques de leur parti a la
ce Cour. Ces discours ont d'autant plus d'importance
« pour les Provinces-Unies, que la passion et l'em-
« portement qui les inspirent ne connoissent aucune
« retenue; et s'ils devenoicnt entierement publics,
l( ceux qui les tiennent compromettroient gravement
« les intérets de Votre Majesté, aux yeux de votre
« peuple, qui déja se montre jaloux et chagrin su!'
( les affaires de la Heligion. »


Le Roí voulut d'aLord considérer cet écrit COlllll1e
une chose absolument frivole et sans consistall(:e;
maís il s'anÍma vivement. an sujet de. la succession 1
et entre autres, sur le point du vasselage de la Frallcf'.
« MonsÍeur,» dit-il avec chaleur, «( j'ai eu bien des
( traverses, bien des Ínfortunes clans ma vie; mais
« personne au monde, fut-ce mon plus grand en-
« nemi, n'osera m'accuser d'aucune l:1cheté. A la mort
( de mon frere, fai tout hasardé contre la rébellion.
c( Aujourd'hui je possede la couronne de pleill droit,
« et je suis bien résolu de ne jamaÍs la flétrir. Je
(( sui~ né Anglois, et je veux que le monde entler
« le sache bien. S'étonneroit - on qne, Roí Catho-
( lique, faie un Ambassadeur ¿t Rome? Certes fai




EN ANGL}<~TERRE. .65
« la plus grande vénération pour le Saint - Siege;
« mais quelque déplaisir qu'en puisse éprouver Sa
« Sainteté, jamais, non, jamais, je ne ferai ríen qui
« me puisse mettre au-dessous des rois de France et
« rl'Espagne. Vassal ! vassal de la France !» s'écria-
t-il avec emportement. « Monsieur! si le Parlement
« avoit voulu, s'il vouloit encore, j'aurois porté, je
« porterois encore la monarchie a un degré de con-
( sidération qu'elle n'a jamais eu sous aucun des
« Rois mes prédécesseurs, et votre État y trouveroit
« peut-etre sa propre séeurité.»


Le Roí s'expliqua ensuite sur l'article délicat de
la suceession. Il ne croyoit pas que ron osat lui sug-
gérer de telles pensées. D'ailleurs iI ne s'y preteroit
jamais, non - seulement paree qu'il se dépouilleroit
de son propre droit, en prenant I.ouís XIV pOUl"'
juge ou pour arbitre, mais encore paree que ce se-
roit dépouiller les sueeesseurs Iégitimes. « Dieu,»
dit-il, « n'a jamais exigé qu'un Roi ou qu'un Prince
(1 eommit des lachetés ou des injustices pour l'éta-
c( blissement de la Religion. Ainsi done, bien loin
« d'approuver le tort inoui qu'un semblable projet
C( causeroit a mes propres enfants, pour qui ma vi ve
«( tendresse et mon estime sont connues, je dois et
(( je veux espérer que tout le monde reconnoltra mes
«véritables sentiments. Je désire aussi que Leurs
« Hautes Puissances, connoissant bien mon inclina-
« líon, t-vitent toute oecasion de dissentiment avec




.66 n:ÉVOLlTTION n«: 1688,
( Elles; et des raisonnements aussi frivoles que ceux
« de cet écrit. ( ii en citoit quelques passages) ne fe-
« ront, je l'espere, aucune impression sur Elles. »


Van-Citers luí répondit que ]a justice et la ma-
gnanimité de Sa Majesté étoient en effet trop bien
connues, pour qu'on lui supposat personnellement
de telles pensées. n n'étoit pas moins ímpossible que
des personnes raisonnables eussent con«;u un projet
aussi absurde que scandaleux et impie , si elles son-
geoient le moins du monde aux périls qui en résul-
teroient pour le Royaume, et pour le Roí leur maitre
en particulier, « Mais ,}) ajouta - t - iI, c( je supplie
« Votre Majesté deconsidérer a quoi elle s'expose-
« roit, si elle prenoít réellement conseil de personnes
« qui risqueroient tout pour parvenir a leurs fins
« particulieres, )) « Monsieur , » dit le ROÍ, « je ne suis
« pas tellement attaché aux pretres Catholiques, ni
« a toute autre personl1e , que vous ne puissiez en-
« gager Leurs Hautes Puissances a ne prendre au-
« cun ombrage de tout cela. Je suis particulierement
« enclin a vivre en bonne amitié, en Lonne corres-
« pondance avec Elles. Si cela n'étoit pas, j'agirois
« moins ouvertement que je ne fais.» II ajouta qu'il
disposoit tout pour maintenir la paix en Europe. Il
s'effor«;oit de mettre ses forces de mer en état de
pouvoir tout a la fois soutenir la dignité de ~a cou-
ronne, et soutenÍr les États-Généraux eux - memes.
« Ellfin , )J 'dit Van -Citers, « il me rép~ta l' assurance




FN A.NGLETERR E.


(e de ses hienveillantes dispositions, avec une affabilité,
(( une contialilé, dout je fus presque surpris; et de-
(( puis ce moment, on parle heaucoup moins de tout
« cp,ci a la Cour. On s'applique surtout a étouffel'
«( l'écrit qui en a été l'occasion. »


En apprenant ces protestations de hienveillance
pour les États-Généraux, Louis XIV donna I'ordre
a Barillon de ne plus insister aupres de Jacques 1I,
sur des expli.cations, relativement aux préparatifs
maritimes de ce Prince; et BarjI10n luí répondit que
Jacques II n'avoit réeHement que l'intention de se
montrer puissant dans son Royaume. Il ajouta cdte
observatÍon importante : « Votre Majesté aura vu
« dans une lettre de M. Ziters ( sic) qu'il y es! f.'lit
« mention de la succession. e'est une matiere fort
« délicate a traiter. Je sais pourtant qu'on en parle
« au Roí d' Angleterre, et qu'avee le temps, on ne
« désespere pas de trouver des moyens pour faire
« passer la Couronne sur la tete d'un héritier ca-
« tholique. Il faut, pour cela, venir a hout de heau-
« coup de choses, qui ne sont encore que commen-
« cées. »


Il est difficile d'assigner précisément aujourd'hui
l'auteur de la piece dont on vient de parler, quoique
Van-Citers eut dit au Roí qu'il pourroit le luí 110111-
mero Jacques II avoit pal'u éviter de le savoir. Mais
si l'on considere que le marquis d'Alhevílle, catho-
¡i(pIe, fut llommé, immédiatement apres, Ambassa-




RÉVOLliTION DE 1688 ~
deur a la Hayc;qu'il y tint une condnite absurde,
et que l'extravagance de son langage f~lisoit perpé-
tuellement pressentir des projets absolument con-
formes a ce curieux document, on peut raisonna-
blement le Iui attribuer, sans faire ancun tort a sa
mémoire. A peine fut-il nommé, qu'il se vendit a la
eour de France poul' une pension de 4,000 Ji vres ,
et qu'il promit de se laisser conduire par le comte
Davaux, Ambassadeur de France aupres des États-
Généraux. On voit, dan s les IeUres de Davaux, qu'il
avoit toutes les peines imaginables poul' réprimer
les saillies fougueuses de ce mercenaírp. C' est ainsi
que la faction qui subjuguoit la conscience du Roí,
imposoit a ce malheureux Prince des choix quí, a la
Haye eomme el Rome, compromettoient sa Couronne
et le rendoient la risée de tout le corps diploma-
tique de l'Europe.


Le Roí de France supportoit impatiemment l'éner-
gique fermeté de Trumball, Ambassadeur d' Angle-
.terre; iI demanda pendant un an son rappel et
l' obtint. Skelton, ministre dévoué au Roi, mais trop
sage pour que 1'0n osat luí confier la mission des-
tinée au marquis d'Albeville, passa de la Haye a
Versailles. D' AlbevilIe fut chargé d'aller convertir
la princesse d'Orange a la Religion Catholique.
Trumball fut envoyé a Constantinople.


La nomination d'un Am~assadellr eatholique pour
la Hollande, et les changcments quí fUI'Cllt opprps




EN ANGLETERRE.


dans les di verses charges du Royaume, éveillerent
touts les esprits. L'archeveque de Cantorbéry fut
exdu du ConseiJ. Clarendon, frere de Ro~hester,


_ fut rappelé d'Irlande, et Tyrconnel, déja comman-
(lant général, fut nommé gouverneur par intérim,
en attendant que le duc de Fitz-James, fils naturel
du Roí 1, jeune homme de grande espérance, qui
alors faisoit ses premieres armes en Hongrie comme
volontaire dans l'armée impériale contre les Turcs,
put etre nommé Vice-Roi; mais, peu de temps
apres, ce fut Tyrconnel qui fut promu a cette di-.
gnité.


Ces nominations, et sur-tout le rappel de Cla-
rendon, présageoient la chute prochaine de Roches-
ter. Déja ce ministre, qui avoit si long-temps jouÍ
de la confiance de Jaeques 1I, n'étoit plus consulté
que sur les finan ces ; et récemment on venoit d'agiter,
sans lui, si la prorogation du Parlement au mois
de novembre sero~t renouvelée. Dans le Conseil,
cependant, Rochester conservoit un grand crédit.
Les Royalistes protestants, tels que les lords Fevers-
ham, Darmouth, Middelton. d'Ormond, Preston,
en un mot touts ceux qui se faisoient un inviolable
principe d'etre fideles a la Monarchie et a l'Église
anglicane, ne pouvoient croire que le Roi eut jamais
la foiblesse de sacrifier un hornme qui luí tenoit


1 Letlre de Barilloll.




RÉVOLUTION DE ,688,
d'aussi pres, par le sang et surtout par les scrvices
da.lis l'ulle et l'autre fortune. Mais le Conseil n'étoit
plus assemblé que pour la forme, quand les affaires
se trouvoient déja décidées entre le pere Pi ter , le
comte de Sunderland et le Roi.


La délibération sur la question du Parlement se
fit donc en secreto Les seigneurs catholiqm's repré-
sellterent au Roi qu'il lui seroit impossible d'obtenir
du Parlement la révocation des lois pénales, l'abo-
lition du Test et le rétablissement des Pairs catho-
liques, tant que la Cour seroit embarrassée par ta
cabale formée, disoient-ils, par le Lord Trésorier,
en faveur de la Religion protestante l. Ils presserent
vivement le Roi ou de le ramener aux intérets des
Catholiques, ou de lui oter les moyens de leut'
nuire. Jacques 11 promit de le renvoyer enfin, s'ilne
se déclaroit Catholique. Ils lui montrerent ensuite
avec quelle facilité le jeune Roi Édouard, la Reine
Marie et la Reine Élisabeth avoient tour-a-tour
changé la Religion du pays; que le temps s'écouloit
insensiblement; que, dans l'incertitu.de ou restoit
Sa Majesté, depuis son avenement au trane, iI n'é-
toit pas un seul personnage considérabIe dans l'État
qui eut osé abjurer l'hérésie; qu'avancé déja en age
comme ill'est, chaque jour de retard dan s l'exécu-
tion de ses projets laisseroit au prince d'Orange, son


r Lettre de Barillon.




EN ANGLETEHRE.


successeur naturel, touts les moyells de détruire en
un seul jour ce qui n'auroit pas été solidement établi.


Mais Jacques 11, toujours décídé avant le moment
de prendre un partí, tomboit dans les plus grandes
perplexités, quand iI 11f' pouvoit plus retarder sa dé-
cision. Le Parlement actuel n'accorderoit que diffi-
cilement la révocation des lois portées contre les
Catholiques, el cependant le Parlement seul pouvoit
la prononcer efficacement. Si le Parlement actuel
étoit dissous, et qu'une autre Chambre des Com-
munes fut élue, plus favorable aux Catholiques, la
Chambre des Pairs subsistera toujours la meme,
et n' accordera ni la révocation des lois pénales et
du Test, ni la liberté de conscience , a moins d' etre
pleinement rassurée par des garanties formelles sur
les lihertés du pays et sur la su reté des biens. D'un
autre coté, un Parlement, quel qu'il soit, reconnoi-
tra-t-il la décision des j uges, qui attribue au Roi le
pouvoir de suspendre l'exécution des lois? N'a-t-il
pas forcé déja deux fois le Roi Charles 11 a renoncer
lui-meme a cette extension de sa prérogative? Enfin
l'armée eIle-meme donne déja des alarmes; sa réu-
níon dans un camp l'a déja exposée aux suggestions
perfides de la Cité. Des cabales se sont formées;
des engagements ont été pris; on se promet de ne
rien faire contre la Religion protestante, et les chefs
eux-memes donnent cet exemple dangereux. Déli-
bérer, enfill, c'est ~éja désobéir.




nÉVOLUTION DE 1 G88,
Dans cette perplexité, le Roi fit précisément ce


que font toutes les volontés timides; il crut vaincre
les difficultés en les ajournant. Il fut done arreté
que le Parlemellt seroit prorogé a la fin de février,
sauf a le proroger encore; que le comte de Shrews-
hnry et le lord Sumley, colonels de cavalerie, pro-
testants trop zélés, seroient cassés lorsque le camp
seroit levé; que tous les officiers subalternes qui
paroissoient suspects seroient licenciés; que le mar-
quis d' Albeville auroit secretement la misslon de
convertir la princesse d'Orange, et que les dépeches
diplomatiques de Hollande, qui appartenoient au
comte de Middelton, second secrétaire d'État, se-
roient directement envoyées au comte de Sunder-
land, excepté pour ce qui regardoit les affaires san s
importance. Il fut résolu aussi que le Parlement
d'Écosse, qui avoit si promptemeñt trompé l~ espé-
rances du ROÍ, seroit cassé; qu'un édit de tolé-
rance universelle seroit proclamé pour ce Royaume ;
et qu'ayant ainsi préparé les esprits, on s'occuperoit
d'une mesure semblable ponr l' Angleterre. Rien dp
plus sage, sans doute, que ce dernier projet, si la
défiance publique n' eut tout em poisonné, si, enfin,
l'Angleterre n'y eut pas vu le moyen détourné de
parvenir a l'établissement de l'Église catholique sur
les ruines de l'Église anglicane et de toutes les églises
q ui s' étoient séparées d' elle.


Le reste de l'ann{>c ql1i alloit fillir fut marqué par




EN ANGLf2TERRE.


la eondusion du trait{~ de neutralité pour l' Amérique
entre la France et l'Angleterre: traité utile, et qui
n'en fut pas moins jugé avec sévérité, paree qu'on
y soupc:;onnoit des artides seerets. Le Roi, moins
heureux: avee Rome, trouva le Pape inflexible sur
la promotion ' du P. Piter aux honneurs de l'Épis-
copat. IJe P. Piter, qui occupoit a White-Hall l'a-
partement meme qu'avoit habité le :Roí, quand iI étoit
duc d'York, n'attendoit que la décision du Souverain
Pontife pour entrer ouvertement dans les affaires
et dans les digl1ités publiques. En attendant, il pres-
soit vivement la déposition du Lord Trésorier,
malgré la répugnanee du Roi.


D'un autre eoté, Louis XIV avoit demandé que la
Cour el' Angleterre démentí't formellemel1t un a vis
([ue Van-Citers avoit donné aux États-Gé~éraux. Ce
ministre leuf avoit mandé qu'en renouvelant son
traité d'allianee avec l'Empire ottoman, Louis XIV
s'étoit engagé a porter sur le Rhin une puissante
armée, pour faire une diversion eontre les Impériaux
en faveur des Turcs ~ et qu'il tenoit du Roi lui-meme
ectte nouvelle. Jacques 11 tout en désavouant aupres
de Barillon l'assertion de Van-Citers, ajouta qu'il
ne pouvoit pas s'en occuper sérieusement. Le bruit
d'un pareil traité s'étoit ccpendant répandu a )a
Bourse d' Amsterdam comme a ce He de Londres.
Louis XIV en devoit etre offensé, puisqu'on repré-
sentoit le Roi Tres-Chl'étien comme auxiliaire des




RtVOLUTION DE 1688,
ennemis de la chrétienté contre I'Empereur et le
Saint-Empire. Tel étoit pourtant le malheur de
Jacques 11, qu'en refusant ce désaveu formel, 11
prouvoit par cela meme son éloignement pour la
France, tandÍs que ses ennemis tiroient toutes leurs
forces de la persuasion publique de son dévouement
absolu aux volontés de Louis XIV. Les bruits d'une
guerre prochaine avec la Hollande s'aceréditoient
aussÍ de plus en plus; on ne doutoit pas qu'elle ne
fut seeretement eoncertée avec la Cour de VersailIes ,
tandis qu'a eette époque meme Louis XIV étoit
tres-dé6ant sur les projets réels de Jaeques II , el
que celui - ci s'abandonnoit plus que jamais a sa
jalousie naturelle eontre l'éclat et la prépondéranee
de Louis XIV.


Dans eette complication, il est diffieile de eom-
prendre pourquoi il 6t tout-a-eoup ces grands pré-
paratifs maritimes qui tenoient la Franee et la Hol-
lande si attentives. En éveillant ainsi l'attention uni-
verselle, Jaeques 11, qui n'avoit aueun plan ni de
paix ni de guerre, précipita la conclusion de la ligue
d'Augsbourg, que le prinee d'Orang esouhaitoit pas-
sionnément, et qui le mit a la tete des peuples et des
prinees jaloux ou ennemis de la Franee. Van-Citers
ne eachoit meme pas que si la guerre étoit déclarée
aux États-Généraux par le Roi d' Angleterre, elle
auroit un aatre théátre que la Holtande. Cette
espece de menace, qui fut rapportée a Jaeques 11, luí




EN ANGLETERRE.


donna sérieusement a penser. Mais Jacques II ne
savoit se déclarer ni ami ni ennemi; et n'ayant que
des désirs sans volonté, il se jeta plus aveuglément
que jamais dans ces sentiers tortueux ou les princes
qui ont le sentiment de Ieur foiblesse réelle croient
trouver un asyle ou cacher Ieur impuissance.


Lorsque la pensée secrete d'un Gouvernement
est en fin connue et qu' elle est jugée, a tort ou a
raison, contraire aux lois, aux formes légales de la
justice, au droit public en un mot, il se forme une
opinion inquiete et sombre, hostile et mena~ante.
Le faít en apparence le plus indifférent en lui-meme
devient la cause du public, paree que le public
cherche avidement la moindre occasion de manifes-
ter ce qu'il sent et ce qu'il pense. De tels syrnptomes
ne peuvent etre dédaignés san s imprudence par les
hommes d'État; ils annoncent un mal réel qu'il faut
adoucir et guérir. Comment expliquer en effet cette
espece de protectiorl que donne l' opinion publique
a des hommes qu'elle eut elle-rneme frappés de sa
réprobation en d'autre·s temps? I...orsque Jacques II,
comme duc d'y ork et comme Roi, fit deux fois pa-
roltre en justice l'infame Titus Oates, on fut assez
malhabile pour appeler je ne sais quelle compassion
publique sur ce misérable, en t9rturant les lois pour
le punir avec une cruauté raffinée qui n'étoit pas la
peine Iégale. Ce sentirnent se manifesta bien plus
ouvertement encore, a la fin de cette anlléc, dans




HtVOLUTJON DE 1688.
une cause OU 1'0n n'avoit point a rougir en plaignant
le coupable. 11 s'agissoit du pamphlet séditieux jeté
quelques mois auparavant dans le camp de Hounslow.
Certes, l'intention de l'auten!' étoit assez manifeste
pour qu'il mt soumis a un chatiment exemplaire;
mais son ch:1timent devoit etre une juste et sévere
application de la loi, cal' l'action légitime et impas-
sible de la justiee ne peut pas ressembler a la ven-
geance des hommes. il étoit done tout a-Ia-fois im-
prudent et ¡nique, d'appliquer a un délit purement
politique, a un délit qui n'entl'alne apres soi auenne
flétrissure morale Oil civile, les peines qui n'attei-
gnent que les hommes dégradés par des délits et des
erimes honteux ou barbares. e' est ce qui arriva ce-
pendant au docteur Johnson, ancien chapelain du
célebre lord Russel, décapité sous le regne de
Charles Il.


Johnson avoit publié, depuis plus de huit ans, un
livre intitulé ¡ulien l' Apostat, et le public s'étoit
empressé d'en faire l'allusion au due d'York ; e'étoit
prohablement l'intention de l'auteur, mais eette pro-
duction ne fut pas la cause directe et ostensible de
son proceso Déféré uniquement pour son pamphlet,
iI se défendit avec hardiesse, alléguant surtout qu' en
exhortant les Anglois a soutenir la Religion de l'État,
CQ n'étoit pas lui qui devoit etre puní, mais les au-
teurs des livres que ron imprimoit impunément en
favem' de la Religion des Papistes. Sommé par le




:EN ANGLETERRE. 177
chef de justice de désigner ces livres, ill~s montra.
Enfin, iI fut condamné a etre dpgradé du sacerdoc~,
a etre mis au pilori et fouetté par la main du bour-
reau. Toute l' Anglcterre se récria. (e Si son pam-
« phlet,» disoit-on, « le rendoit coupable. de tl'a-
« hison, iI le falloit condamner a mort; sinon, e' est
« un mépl'is de la conscience publique et de ]a loi,
(e que de luí infliger une peine prononcée unique-
« ment contre les hommes les plus vils, coupabIes
« des plus vils désordres de la société. )}


« Cette affaire, ») dit Barillon, « fait beaucoup de
« bruit; plusieurs personnes se sont employées pour
« obtenir son pardon ;mais le Roi n'a voulu ni l'ac-
« cordel', ni modérer la sentence. » leí le Roi devoit
oublier le livre de Julien l'Apostat.


Dans le temps de ce proces, Jacques 11 étoit plus
vivement que jamais pressé de renvoyer le Grand-
Trésorier l. Les ennemis de Rochester craignoient
meme qu'il ne se tit Catholique, pour conserver sa
place. «Pourquoi lui donner l'alternative?» disoie.~t-ils.·
« S'il prend le parti d'aller a la messe, p~ut-on sans
« danger luí laisser une charge aussi importante?» Le
Roi qui estimoit son beau-frere, savoit bien que Ro-
chester ne feroit aucun acte de catholicité, s'il n'é-
toit pas convaincu. Illui proposa done d'assister au


T Lcttre ue Barilloll.
11. 12




moms a des confprences régIpcs entre des docteurs
catholiques et protestants.


Ces sorles de disputes 'produisent l'arement l'effe!
que ron parolt en espérer. I.Ja persuasion religicuse
a d'autres causes el des sources plus pures. Elle des-
cenrJ lentement et en silence dans le ceeur qn'elJe
doit toucher. Disputer, en un mot, nc fiü jamais le-
moyen d'éclairer les ames sinceres, qunnd on met
surtout en prpsence un grand intéret temporel 011
un grand sacrifice a I'opinion puhlique. Et d'ailleurs,
dans ces disputes d'apparat, il arrive inévitablement
que les qnestions a résoudre ne sont ni comprises,
ni admises par l'adversaire, dans lf' sen s que lenr dOI1lH'
celui qui argumente. La vanité f.:1it le reste, et les
questíons deviennent plus obscures qu'auparavant.
Dalls cette occasion, le Roi parut meme doutel; du
talentde ses docteurs catholiques, en exigeant de
-Rochester qu'il tie produislt pas , de son coté, les doc-
teurs'TiHotson et'Stilling-Fleet l. Rochester prit done
les deux chapelains qui étoient actuellement de ser-
vice a la ChbpeHe' protestante de la eour, et la con·
férence fut ouvertepar les Catholiques.
, Mais les Ministres anglicans em'ent pell a ré-
pondré. RoChester en effet se hata de prendre la pa-
role, et dit que, si 1'on n'avoit pas d'autres al'guments,
jI étoit inutile d'aller plus loin. Il commenc.;oit meme


J lVlém. de Burnet.




EN ANGLETERRl':.


2. disc}Iter ces arguments avec une grande véhémence,
quand le Roi interrompit brusquement la confé-
rence, défendant expressément a tout8 ceux qu'il y
avoit admisde faire connoltre au public ce qui s'étoit
dit de part el d'autre. II en sortit tres-irrité, disant
particulierempllt a l'ambassadeur de France 1, « que
Rochester s'hoit montr" ignorant., opiniatre, et sur-
tout peu sincere.» Peu de jours apres, il notifia au
Conseil qu'il supprimoit la charge de Grand-Tréso-
riel', qu'elle avoit trop d'importance dans l'État pOllr
~tre confiée a un seul homme, qu'il en seroit ainsi
des charges de Grand-Amiral et de Capitaine-Gé-
néral. Quant a R~hester, ii le traita bien. Il lui
assigna une riche dotation sur les terres du Ion}
Grey, qui avoit été complice de l\lonmouth, et une
rente de 4,000 livres sterling sur les postes, pen-
dant sa vle et ceBe de son fils. Ilmit ensuite la chargc
de Grand - Tl'ésorier en commission, mi-padie Ca-
tholiques et Protestants, sous la présidence du lord
Bellassis, Catholique. Le ¡ord Godolphin, déja
éprouvé dans les affaires et toujours tres-résel'vé
dans la politique, fut un des commissaires.


Le Roí expliquoit, en public, par des considéra-
tion8 générales, eette disgrace de son beau-frere;
mais illa j ustifioit, au pres de l' ambassadeur de France,
par des considérations d'un autre genre~ou 1'0n dis-


, Lettrc dt' Harillon.




R~VOLUTION DE 1688,
tinguoit tout a la fois le mécontentement person-
nel, et la suite d'un systeme qui devoit bientot accé-
lérer sa ruine. Il est a remarquer, sur ce point, que
Barillon ne dissimuloit pas a Louis XIV les ob-
stacles el les périJs insurmontables que Jacques II
alloit témérairement braver. D'abord le Roi se plai-
gnoit avec amertume des conseils de Rochester,
qui, des le commencement du regne, l'avoit pressé
avec instance d'observer, non pas comme Roí, mais
comme homme, ses devoirs de chrétien catholique;
d'éviter ainsi tout ce qui pouvoit alarmer les pré-
ventions du peuple; et surtout de ne pas donner de
.i lIstes prétextes aux factions,en admettan t ou vertement
et de haute lutte les Catholiques dans les charges de sa
maison et de l'armée. Rochester, disoit-il encore,
s'étoit opposé a la création de la Haute Conr Ecclé-
siastique, et a la condamnation de I'Éveque de
Londres. Il s'étoit donc fait en quelque sorte le chef
des Anglicans dans le Conseil; ii montroit donc ainsi
a la Nation un censeur perpétuel de touts les actes
du Gouvel'nement. Jacques II alla plus loin dans ses
confidences : iI annon~a que, décidé a obtenir du
Parlement la révocation des lois pénales et du Test,
il ne conserveroit ni dans l'armée, ni dans les charges,
aucun membre du Parlement qui, avant la réunion
des chambres, ne s'engageroit pas formellement et
par écrit a défenclre et accepter tont ce qu'il propo-
seroit.




EN :\.NGU~TERI~E.


« On voit,» dit Bal'illon, ( que la cabale catho-
« lique a cntÍerement prévalu. On s'attendoit depuis
« quelque temps a ce qui est arrivé au comte de Ro-
« ches ter , mais l' exécution fait encore une nouvelle
.«( impression sur les esprits.» Cependant la résolution
du Roi excita bien d'autres alarmes. Le pnblic la
nomma sur - le - champ l'inquisition du Cabinet,
parce que le Roi faisoit venir dans son Cabinet touts
ceux qu'il espéroit gagner ou soumettre a ses vo-
lontés. L'orgueil britanJJique s'indigna de eette forme
despotique et méprisante, substituée a la liberté d'un
Parlement. II se manifesta par d'éclatants refus,
meme dans les plus dévoués serviteurs de la Cou-
ronne. Mais comme le Parlement s' étoit réuni au
terme de la derniere prorogation, et que le temps
avoit manqué pOUl' former d'avance une majorité
aveuglément soumise, le Roi fit un troisieme ajour-
nement des chambres et les renvoya au 8 mai.


lci on voit se compliquer de plus_ en plus, avec la
double poli tique de Louis XIV et du Prince d'O-
range, les projets que l'on imposoit an Roi, et ceux
auxquels iI auroit voulu se borner. Il faut quelque
attention pour ne pas laisser échapper le fil qui peut
guider a travers cet obscur dédale. Mais c'est la que
cornrnence la conjuration uu Prince d'Orange.


Les nouvcaux pouvoirs de Tyrconnel en Irlande ~
la fuite des l~l'oleslallts de eeHe tle, qui venoient, <.'f-
frayés, chercltel' un asvle en A.ngleterrc~ annon<;.:mt




R.,:VOLUTION DE .1688,
presqu~ un second massacre de 164.; le rappel du
comte de Clarendon et la disgrace de Rochester,
éveillerent ou semblert'nt éveiller, comme d'un som-
nwil profond, le Prince d'Orange, sur les périls oont
il voyoit menacé le elroit héréditaire de sa fernme,
par la soumission de Jacques II au parti exalté des
Catholiques. Ce n' est pas que déja, sous prétexte de
quelques dérnonstrations hostiles de Louis XIV, et
de la révocation de l'édit de Nantes, il eut négligé
aucun moyen de se lllf'ttre a la tete d'un partí puis-
sant en Europe. Une ligue de touts les Confédérés
de la derniere guerre alloit se conclure a Venise; et
le secret en fut si étroitement gardé, que ni le comte
Davaux ne le soup<;onna en Hollande, ni Barillon a
I.Jondres ne le voulut croire, quand Jacques II en
fut lui-meme averti. Mais, depuis l'année précédente,
l'apparition subite des fIottes frall(;;aises a Cadix'l et
l'armernent presque improvisé de la fIoUe angloise,
donnoient au Stathouder assez de raisons légitimes
pour jeter un cri d'alarme sur le continent, et pour
éveiller la vigilance ou les soupc¿ons des États-Gé-
néraux.


Cependant iI trouvoit des obstacles nombreux dans
les Provinces-Unies. Le comte Davaux avoit habi-
lement inspiré des défiances contre le Stathouder j
et soutenoit vivement le parti des Républicains. Il
leur promettoit le maintien de la paix en Europp,
et, en particulier, de grands avantages comrner-




b\ ANGLETt:1Un:.


CI<HL\ .. 1 i dil'lgeoit, pour ainsi dire, tout le .Magls-
tral ti' Amsterdam, el cette ville exer~oit une grande
pl'épondéral~e. L'espoir de la paix avoit fait sus-
pelldre la constl'uction, ordonnée en 1682, de trente~
six vaisseaux de guerre; il n'en existoit pas qua-
rante qui fussent. capables d'{~tre mis a la mer, et
les finanees de la RépubJique se trouvoient obérées.
S.i done ie prince d'Orange avoit réellement alors
formé d~s projets d'usurpation contre le Roi d'All-
gletelTe, il lui falloit un concours de circonstanees
l'xtraordinaires, POUl' devenir effectivement dange.
reux : ces occasions, comme on le verra, lui furent
prodiguées pal' ses ennemis.


Soit qu'il eut été sincere, ou qu'il eut été dirigé
par le sentiment bien distinct de son impuissance,
il avoit toujOUl'S manifesté jusque la un elésir tres-
vif de reste!' uní avec Jacques n. Leu!' intéret eom~
mun ne devoit naturellement les porter ni l'un ni
l'autre a une rupture déclarée. Leur correspondance,
qui étoit remplie des .plus magnifiques protestations
de respect d'un colé, de justice de l'autre, étoit assez
publique ponr avoir inspiré, comme OH l'a déja vu,
des ombrages a Louis XIV contre le Roí el' Angle-
tel're; el 1'on ne trouvc réellement, dallS les. do,cu-
ments diplomatiques, aucune trace qui puisse faire
soup~onncl' que jusquc la, et lllcme long·temps
apres, le princt.) d'Orallge ait eu d'autre dessein que
celui d'cmpecher l'exclusiQu de la prineesse :,a




I 84 Rt:VOLUTION DE 1 G88 ,
femme; mais le Roi pouvoit difticilement oublicl' que
son gendre s'étoit uni au Parlernent pour l'exclm'e
lui-merne, quand iI étoit due d'Yorlc


Dans eette disposition des esprits et des ehoses,
le prince d'Orange avoit tenté un nouvel cffort. Un
personnage assez eonsidérable d'Anglett.'rrc, et COll-
sidéré du Roí, étoit venu en HoIlandc; c'étoit le
chevalier Penn, fils de l'arniral de ce nom, hornme
tres-riche, et qui exerc;oit une grande autorité sur
le partí des quaker~. Guillaume le chargea, quand
il partit, de ménager avec le Roi une réconciliation
entiere, et Penn s'y employa effectivement avec tout
le zele dont iI étoit capable. Il y voyoit avec raison
la tranquillité de l'État, et l'espoir de la toléranec
pour les Non-Conformistes.


Le Roí crut devoir consulter, sur cette ouverture
de conciliation, les deux partís catholiques 1, et la
délibération fut agitée par de vifs dissentiments. Les


, Catholiques modérés ne cacherent point a J acques II
qu'il ne devoit point espérer d'établir, de son vívant,
la Religion Catholique en Angleterre; que, s'il con-
tinuoit d'agir par voie d'autorité, la Religiún, de-
venue odieuse plus que jamais, en seroit plus vivc-
ment exposée, quand le prince d'Orange seroit monté
sur le trone; qu'il valoit mieux assurer les intérets
de l'avenir, manifester des ce moment le désir d'une


1 Lettl'e du comte Da,"aux.




}~N ANGLETERRE. 185
parfaite unÍon entre le Hoi et l'héritier présomptif;
et pour cela, qu'il falloit non -seulement envoyer au
Prince un homme de qualité, capable de dissiper
touts les nuages, mais encore faire payer a la Prin-
cesse la pension quí lui étoit due comme héritiere
présomptive. Ce conseil ne fut pas suivi. On y ré-
pondit par les grands mots de fermeté inébranlable,
d'autorité absolue, d'hérésie et de Religion. Le che-
valier Penn manda cependant que Jacques II avoit
été fortement ébranlé par l'avis des Catholiques
modérés; et le prince d'Orange espéra pendant
quelque temps qu'illuí arriveroit un seigneur d'An-
gleterre, considérable et considéré, tel qu'on l'avoit
proposé au Roi. Ce fut le marquis d' Albeville qui
arnva.


Cette négociation échouée, le prince d'Orange
mit tout en ffiuvre pour se concilier la province
de Hollande, et en particulier la ville d' Amster ..
dame Le grand-pensionnaireFagel, politique habile,
insinuant et meme éloquent, eut de grandes confé-
rences avec les députés d'Amsterdam. Il leur dit
affirmativement que le Roi d' Angleterre alloit dé-
cIarer la guerre aux États-Généraux; que la France
donneroit quarante vaisseaux; que le Roí de Da-
llemark et l'Électeur de Cologne seconderoient
Louis XIV el Jacques II; en un mot, qu'il ne res~oít
plus un moment a perore pou!' augmenter les forces
maritimcs. Fabt'! ne put les pcrsuader : ils répon-




ILÉVOLlJTION nl: 1688,
dirent que les prot.estations pacifiques des deux HUI::;
ue leur perl11ettoieqt pas d'appréhender la guerreo
Mais le prinee d'Orange s'adrcssa directemcnt aux
États, pour demander l'envoi d'un :Ministre ex-
tl'uOl'dínaire aupres du Roí el' Angleterre. Le <-1i5-
cours du Pensionnaire contenoit eette assertion rc-
marquable, que, malgré les assuranees données par
Jaeques Il, on reeevoit des renseignel11ellts tout eon-
tl'ail'es par des .L1nglois bien intentionnés. Le vreu
<iu Prinee fut écouté : les États nOl11merent Dykvelt,
(lui partit sur-Ie-ehamp pour l' A ngleterre. A cettc
nouvelle, le eomte Davaux, bien persuadé que ce
uouvel envoyé travailleroit tres-activement, soit a
réeoncilier le Prince et Jacques 1I, soit a réconcilier
les Anglieans et les N on-Conformistes, pour rendre
l'Opposition invincible, se lülta d'écrire a Barilloll,
et 6t pl'omettre a d'Albeville qu'il écriroit dans le
nH~me sens a la Cour, poul' alarmer le Roi sur
eette miss.ion, et l'empeeher de reeevoir Dykvelt.
BarilIon, en effet, y mit toute sa dextérité; iI sut
également, ou crut suvoir du comte de Sunderland,
que d'Albeville n'omettoit rien de ce qui pouvoit
irriter Jacqnes Il contre son gendre.


Cette mission de Dykvelt eut de grands résultat~
pour le prince d'Orange; et ceHe du mal'quis d' Ál-
beville en eut de fnuestes et de ridicnles po u!' }('
Hoi. Il est vrai que de ces denx ministres, l'un étoit
un hornme d'État consomm{', ralltl'l' un vil mercc ..




.EN A NGLETElUn:.


naire, qui s'étoit vendu pour 4,000 livres a Barillon,
el pour 2,000 livres au comte Davaux.


Dykvelt éprouva quelques difficultés, mais de
forme, pour etre re<{u cornme Envoyé des États.
Le cérémonial venoit d'etre changé en Hollande
l\llpreS des États-Gfnéraux, et le corps diplomatic{ue
en étoit offensé. D' Albeville ayant éprouvé des re-
tards dans sa réception, Dykvelt éprouva les memes
retareIs a Withehall, jusqu'a ce que tout fut réglé
de part et d'autre; mais Dykvelt n'en fut pas moins
l"ec;U avec une bienveillance qui alarma et choqua
Louis XIV. Barillon mandoit au Roí son maitre,
qu'il tenoÍt de Jacques II lui-meme l'assurance d'une
invincible fermeté contre toute réunion qui n'auroit
pas pour príncipe une soumission absolue du prince
d'Orange a touts les desseins de la Cour; tandís qUt"'
le Roi de France lisoit dans les leUres de Dykvelt ,
<.Iont le comte Davaux avoit l'art de seprocurer la
communication, que Jacques II témoignoit sans cesse
le désir d'une étroite et sincere union avec l'héritier
présomptif de sa Gouronne.


eomme la mission de Dykvelt donna au Roí une
occasion natureIle de se prononcer sur la succession,
l'histoire doit consigner les sentiments que ce Prince
exprima, pour la premiere foís, sur ce fait important,
a l' Ambassadeur de France. Il lui parloit, avec une
extreme vivacité de ses griefs contre le prince d'O-
J'ange. « Parce qll'il a voulu,» dit-iI ~ « m'excIure Jui-




188 R~VOLUTION DE 1688,
« meme de la Couronne, il paroit croire que j'ai le
« meme dessein contre lui. D' Albeville est chargé de
« lui dire, de ma part, tout ce qui est capable oe
« détruire une cl'ainte aussi mal fondée. C'est Dieu
{( qui donne les couronnes, et je suis bien éloigné de
« rien faire contre le droit et la justice. » Jacques II
pensoit ainsi; du moins jusque la il a constarnrnent
exprimé les memes sentiments. On ne peut douter
que le parti des Catholiques exagérés n'eut d'autres
vues, et l' on peut croire également que, s'il cut
réussi dans touts ses desseins, on eut facilement levé
les sCl'upules du Roi sur le droit d'un Prinee héré-
tique. Mais on ne lui avoit encore parlé de la con-
version de la princesse Anne que sous des rapports
purement religieux, ou sous des rapports de poli-
tique tres-éloignés, parce que la princesse d'Orange
n'avoit point d'enfants. Il étoit naturel et juste que
Jacques 11, cornme Roi et comme pere, fut affligé
de trouver dans ses enfants une foi contraire a la
sienne, qui étoit ~incere; et ce qu'il avoit tenté inu-
tilement jusqu'ici pour la princesse Anne, il l'es-
sayoit alors pour la princesse d'Orange : mais le
missionnaire étoit d' Albeville; et d' Albeville, tres-
suspect au Prince, étoit de plus méprisé par la Prin-
cesse.


Outre ses instructions confidentielles, d'AlbevilIe
avoit trois objets détermint;s clans su mission. D'a.~
hord jI devoit démentir formellL'l11cnl lc~ bruits scmés




EN ANGLETl:RRE. 189
en Hollande sur la snccession; bruits accrédítés dans
les journaux, qui attribuoient au Roi le dessein de
portel' a la Couronne son fils naturel, le jeune Fitz-
James, depnis duc de Berwick. Jamais le partí des
Catholíques ne s'oceupa d'un tel projet. Mais le partí
protestant supposoít, avec assez de vraisemblance,
l'intentÍon an Roí de nommer un jour son fils au
Gouvernement supreme de l'Irlande; et le prince
d'Orange témoignoit ouvertement ses inquiétudes
sur ce qui se passoit dans cette lle, comme si l'on .eut
déja songé a la séparer de l'Empire britannique : ce
qui hoit vrai, mais a l'insu du Roí.


En second líeu, d' Albeville devoit insister sur·
l'éloignement du docteur Burnet, qui avoit trouvé un
accueil distingué a la Cour du Prince, et que Jac-
ques n considéroit comme un de ses plus redou-
tables ennemis; et alors, peut-etre, ce n' étoit pas
sans motif. C'est un des malheurs de Jacques II de
s'etre aliéné cet homme, dont il auroit pu tirer d~
tres - grands services. Le docteur BurIlet, né en
Écosse, dans une famiUe qui s'étoit prononcée des
la Révolution ponr la cause des Stuarts, avoit en
horreur le fanatisme des Puritains de son pays, et
blitmoit ouvertement l'esprit persécuteur de l'Épis-
copat d'Éeosse et de I'Église anglieane. Attaché par
raison aux formes de la hiérarehie eeclésíastique, iI
ne répl'ouvoit pas moins }'allarehie clans la Religion
que uans l'État. Ennemi des Catholiqlles , paree qu'il




19° U}:VOLUTION J)}.: 1688,
voyoit dans l'Église protestante une garanlie contrc
l'autorité absolue; philosophe dans eette Église, el
sectaire zélé dans la politique, Ál vouloit avant tout
l'ordl'e publie, la tolérance religieuse et une sagc
liberté. Ses grands talcnts, et sa modératio.n au mi-
líen des faetions, lui avoient donné une eonsidération
tres-étendue. Charles Il et le due d'York lui avoient
long-temps marqué de l'estime, et touts les partís
de l'Opposition luí confioient leurs secrets; mais
avec une égale liberté, il eonseilloit a Charles Il
eomme a Shaftsbury, a Monmouth comme au due
d'York, au lord Russel eomme a Sidney, la pcttiencc
et la modération : disant aux UDS quP le despotismc
(:~utraIDe l'anarehie; aux autres, que l'insurreetion,
si elle n'est pas manifestement justifiét> par l'exd~s
du despotisme, aggrave toujours les souffrances du
peuple, et aeheve de détruire ce quí reste eneore
de libertés~ Devenu suspect. par sa tcndre amitié pour
le lord Russel, et par les derniers devoirs q,u'il rendil
a cet homme iIlustre dans son lnalheur, il se jeta
plus avant dans .le parti des Parlementaires, sur la
fin du regne de Charles H. Enfin, apres son fameux
sermon dans la chapelle royale des Roles, dont il a
été parlé dans eeUe histoire, iI crut prudent de s'é-
loigner, et il en ohtint l'autol'isation du Roi Charles 11.
n voyagea d'abord en France, puis aRome; a l'une
et a l'autre Cour, Slll'toul it !tome, ji re<,:ut de grallcls
réllloígnagcs d'estimc. 11 Sf' fixa C'nfin en Hollandc,




:EN ANGLF:TF.RRE. J 91
011 il fit un riche établisscment , et les États lut don-
nel'ent des leltl'es de naturalité. Dans eeUe situa-
tiO'I1, ni les États ni le princc d'Orange ne pO'uvoienl,
pt vO'uloient encO're mO'ins, lui enlever ses privileges
de citoven. Aussi le Prince reeut-il froidement la


'" ,


réclamation d'Albeville; cependant il pria secrete··
ment. Burnet de s'éloigner, et d'écarter ainsi tout
prétexte nouveau d'irritation entre le Roi d'Angle-
terre et lui.


Le troisieme point des instructions du marquis
d' Albeville étoit fort délicat. Quelques officiers des
régimellts anglois au service de Hollande avoient
essayé d'enlever de vive force, poul' le faire passer en
Angleterre, le chevalier Peyton, réfugié anglois.
Pf'yton se défendit l'épée a la main, et les officiers
anglois furent saisís et traduits au Conseil de guerreo
Jacques 11 les réclamoit comme naturels' et sujets
d'Angleterre. Le prince d'Orange répondit au m·ar-
quis d'Albeville qu'il devoit s'adresser aux Etats,-,G{·-
néra'Ux.


Un ministre hahile eut sans peine tlirigé ces deux
af.t1ires; et dans les dispositions partictrlieres que
tél1'loignoít le Roí, 11 n'eut pas été difficile d'éviter
de nouvelles il'ritations. lHais une réconcilíation
l"ntl'e l'un et l'autre Prince eausoit trop d'ombrages
a la France, et trop de frayeur au parti qui diri-
geoit d' AlbevílIe, pou!' que le moindre incidellt


, A d I
n eut pas e graves consequences.




ltÉVOLUTION lH~ l G88 ,
D'Albeville, quoique mereel1aÍre, ne trahissoit


pas son souverain. Le comte Davaux le payoit, mais
il ne le dominoit paso Il le soup~onl1oit lueme de
servir le Roí son maltí'e avec plus de fidélité pour
les intérths de l' Angleterre que pour ceux de la
Franee; et, dan s cette singuliere inqlliétude , il sti-
pendía un de ses seerétaires, qui ue luí donua que
des documents insignifiants, paree que d' Albeville
avoit un chiffre quí ne servoit qu'a luí seul, el qu'il
écrivoit lui-meme, et de sa main, tout ce qui avoit
quelque importan<¡e. Davaux s'aper~ut bientot que
Jacques II vouloit se réconcilicr avec le prínce d'O-
range, qu'il en témoignoit sans cesse le désir a
Dykvelt, et qu'il avoit renouvclé, clans une lettre
confidentielle a son Envoyé, les protestatíous les
plus fortes au sujet de la succession. ( Répétez-Iui, »
disoit-il en parlant du pl'ince d'Orange, « que ja-
( mais je n'ai pu m'occuper de la pensée qu'il me
(e suppose. Changer la succession u'est pas en mon
« pouvoir. Je ue le pourrois pas, quand meme un
« Pape et un Parlement se joindroient avec moi. La
« ou la 'couronne est héréditaire, comme eHe l'est
« dans ces Royaumes, graces a Dieu, il u'y a que sa
ce toute-puissance qui en puisse disposer. Non-seuJe-
« ment le creur des Rois, mais leurs couronnes sont
« entre ses mains! »


Ces maximes, cette protestation si fortement t'X-
primée, semblerent étonner le eomte Davaux. 11 s'em-




EN ANGLET]~RR.E. 193
pressa d'en rendre compte a sa Cour, qui ne ré-
pondit rien. SeuIement Louis XIV, quelques jours
auparavant, lui avoit mandé, au sujet des officiers
angIois, que, « plus jI y auroit d'embarras a con-
« cilier la satisfaction du Roi d' Angleterre avec ceHe
« des États - Généraux, moins iI falloit se donner
« de mouvement pour faire prendre au marquis
« d' Albeville le parti qui pouvoit convenir aS. M. B. '»


Avant de passer a la négociation de Dykvelten
AngIeterre, iI faut achever ce qui regarde celle de
d'Albeville. Davaux soup~onnoit ce del'nier', d'avoir
eu des intelJigences avec Dykvelt, pour réconcilier
sérieusement le H.oi et le Prince d'Orange; mais il
lui supposoit aussi le dessein d'amener celui - ci a
rentrer dans les bonnes graces de Louis XIV. JI
paroí't en effet que Jacques 11 ne eroyoit pas possible,
s'il se réconeilioit avec le Prince d'Orange, de con-
server en meme temps l'amitié de la Cour de France
qui luí sembloit absolument nécessaire. Aussi auroit-
ii voulu que son gendre oubliat ses ressentiments et
entrat comme ,lui dans la politique de la France.
Dans cette vue, il s' effor~a d' obtenir de Louis XIV
la main-Ievée du séquestre de la principauté d'Orange,
et sa vanité fut tres-blessée des refus qu'il éprouva
sans cesse. Mais Louis XIV et Guillaume ne pou-
voient céder l'un et rautre qu'a l'impérieuse néces-
sité. Aussi Davaux ne donna-t-il aucune attentiol1
au chimérique projet el' Albeville. Le secret de Ver ..


I f. 13




RtVULUTION DE J688,
sailles lui étoit trop bien eonnu, sur l' Angleterrc.
JI se rappe1oit, et rappeloit a Louis XIV, un mot
éehappé a JaequesIl, alors dnc d'York. « Que l' An-
«gleterreetles États-Générau,x,») disoit-il a Van-le-
Ven, membre des États, « soient unís, et nous ferons
« tete a la Chrétienté, meme a la France. » Le prin-
eipe de Louis XIV étoit done d'empeeher toute ré-
eonciliation entre Jacques 11 et le Prince d'Orange;
paree qu'elle entrallloit nécessairement la réunion {lu
HoÍ et du Parlement, et que ecHe réunion rendroit
a 'l'Angleterre la place élevée qu'elle occupe en Eu-
rope, quand elle peut se dégager des factions.


Davaux se jouoit des \Tains efforts que faisoit
d'Albeville pour vaincre l'aversion et les mépris du
prinee d'Orange. « Je sais,» disoit-il, « que des per~
« sonnes de la COilr du Prince font un écrit fort dif-
f( famant, qui contiendra la vie du Marquis, depuis
« son enfance jusqu'a cette heUl'e. Je n'ai pas jugé a
« pro pos de lui en ríen dire. II cst fort hon qu'il res-
« sente les effets de la mauvaise volonté du Prinee
« d'Orange. » Mais d'Albeville ayoit un caractere vif,
tranchant et présomptueux. 11 croyoit st>rieusement
remuer l'ame impassible de GuilJaume pal' ses rai-
sonnements. Illui répétoit sans cesse qu'en relevant
lc'pouvoir de sa Couronne, Jacques II ne travaiJloit
an fond que ponr lui qui devoit hériter de son auto-
rité agrandie. Quelle défiance pouvoit-il donc avoil'
du Roí son maltrc? Devoil. - jI s'alarmer de la pro-




EN ANGLETP.RRF.. 195
tection qu'il accordoit a de fideles serviteurs? Le
petit nombre des Catholiques étoit - il capable de
porter l~ moindre ombrage sur les libertés pu-
bliques? Le Roi n'a d'autre dessein que d'établir la
tolérance universplle, apres laquelle soupirent sur-
tont les Non - Conformistes, non moins opprimés
que les Catholiques l. Bien loin de partager l'esprit
persécuteur du Roí de France, jI n'en parle qu'avec
horreur. II ne voit plus dan s I,ouis XIV qu'un Prince
gouverné par l'Archeveque de Paris et par Madame
de Maintenon. JI déteste les maximes banales de
eeHe Cour; aussi l'a-t-on vu recevoir abras ouverts
les réfugiés fram;ais, et ouvrir pour eux dans tout
le Royaume une quete splendide.


Quoiqne DykveIt mandat des choses a -peu-pres
semblables, ni le Prince ni la Princesse ne crurent
a la sincérité rl'un pareil langage. Il est vrai qu'h
('ette époque Jaeques II vivoit d'une maniere tres-
reIachée. 11 se livroit a des amours obscures 2, et
pntretenoit secretement ses anciennes liaisons avec
la comtesse dp Dorcester, dont l' esprit vif, libre et
hardi se faisoit un malin pIaisir de le piquer par ses
hons mots, et de le tourmpnter sur l'incohérence de
ses mreurs et de ses principes. C'est la sans doute
qu'iI faut chercher ses contradictictns pel"pétuelles,


r Mém. de Burnct.
> Lettre de Bonrepaus.




nÉVOLUTJON D:E 1688,
ses velléités pour etre Roí des Anglois, et sa docilité
a n'etre que l'instrument d'un parti.


D' Albeville de son coté travailloit a convertir la
princesse d'Orange, en lui procurant des livres de
eontroverse, et donnoit au Roi les plus magnifiques
espérances. Quant a' l' objet publie de ses négocia-
tions, au sujet des officiers anglois, ceLte affaire fut
portée aux États de la provinee de Hollande, qui
déciderent « que, par respect pour S. M. B., ces
« offieiers lui seroient renvoyés, la priant de les faire
(e punir eomme elle le jugeroit a propos;. mais que
(e jamais ils ne rentreroient ni au service ni sur les
« terres de la République, soit que le Roi d' Allgle-
(e terre les fit punir ou leu!' fit graee.» En' effet, ces
officiers furent embarqués avee une garde compos~('
¿'un lieutenant, un enseigne, deux sergents et. vingt
soldats. Mais la résolution des États portoit que le
Prévot y seroit aussi, pour augmenter, esl-il tlit. Il:
lustre de eette expédition. Davaux fit entendre a
d' Albeville que eette clause étoit une ironie sanglantf';
que luí, Ministre d' Angleterre, avoit été joué d'lIne
maniere ehoquante, et qu'il devoit représenter an
Roí son rnaitre eombien eette oeeasion étoit favorahle,
pour retirer toutes ses troupes de Hollande, pon!'
rendre,leurs eompagnies a ees offieiers, traités, di-
soit-il, d'une maniere si outrageante, et pour casspr
une bonne partie des autres, eomme dévoups enti¿~­
rement au prince d'Orange.




EN A.NCLET.EHitE .


.De S011 eoté, le Pcnsiollllaire Fagel représentoit
<tu marquis d'Albeville que les États vouloient faire
trancher la H~te a ces officiers, et que l'avis contraire
l'avoit emporte de deux ou trois voix, sur ses in-
stantes prieres et eeHes du prinee d'Orange. Mais
Davaux s'attacha pal'ticulierement a persuader que,
clans eeHe affaire, le prince d'Orange étoit tres-cou-
pable envers le Roi d' Angleterre, puisque, étant maltre
du eonseil de guerre et pouvant faire absoudre ces
oHiciers, il avoit\ mieux aimé les renvoyer au juge-
ment des États de Hollancle, pOUI' qu'ils fussent con-
damnés. Illui cOllseilla done d'écrire aU Roi, dans le
sens le plus propre a l'irriter. La vanité de d' Albeville
mise en mouvement saisit avidement ce eonseil. Il
proposa en effet a Jaeques II de déclarer aux États
que les ofticiers qui luí étoient rt='llvoyés étoient -in-
nocents; que les vrais coupables étoient les trois of6-
ciers quí, par suite de la memc affaire, s'étoient réfu-
git'>s, l'un en France, et les deux autres en Angleterre;
que, pour ceux - ci, Sa Majesté ne demandoit pas
leur rentrée au service de Hollande; mais qu'ElIe
réclamoit formellement la réhabilitation des autres.


A ces nouvelles, Jacques II, stimulé par Barillon
et le parti des Catholiques, donna ses ordres au
marquis d'Albeville, qui remit un mémoire aux
États. D'Albeville avoit choisi, pour la remise de
son mémoire, la rete meme de la princesse d'Orange,
que }'011 avoit coutume de célébrer avec une grande




n:ÉVOUITION DE 1688,
solellnité. Il espéroit, disoit-il au Pellsiounaire, que
les États ne voudroient pas, le jour de la naissancc de
cette princesse, refuser ce que le Roí son pere leur
demandoit.


D' AlbeviHe avoit re~u orclre de se plaindre for-
mellement que les officiers avoient été indignement
traités. JAa Résolution des États fut exprimée en
termes fiers et décisifs, et contenoit un ordre a Van-
Citers de la mettre sous les yeux du Roi. lIs étoient
surpris que le marquis d'Albeville eut donné le nom
de sujets de Sa Majesté Britannique a des officiers
qui sont a leur service, qui ont été levés a leurs
dépens, par le consentement du feu Roi, qui n'ont
d'autre souverain que celui qui les paye et qui a
re«;:u leurs sel'ments. Comment le ministre de S. 1\1.
a-t-iI pu se plaindre que ces officiers eussent été traités
indignement? Ils ont au contraire écrit des lettres
de remerdment. Les États n'avoient pas cru cepen-
dant pouvoir témoigner a S. M. une plus grande dé-
férence qu'en arretant, sur sa demande, les procé-
dures criminelles déja commencées. Mais aussi,
puisque ces procédures n'ont pas été conduites a
leur terme, cornment pouvoient-ils savoir si quelques-
uns de ces officiers étoient réellement innocents?
« Que ceux qui prétendent l'etre viennent se rcpré-
CI. sen ter a la j ustice. Absous, ils seront rétabl is uans
« leurs charges; condamnés, ils subirollt la rigueul'
« des lois. »




.EN ANGLETEIUlF..


Tellc étoit la substance de la Résolution des Etats.
tI étoit difficile d'y répondrc, et plus difficile encore,
dans une telle direction des affaires, que ni le Rol.
ni it's États revinssent ¡. des conseils plus modérés.
Ainsi une discussÍon simple en elle-meme, et qui
pouvoit se terminer avec simplicité, ouvrit lacarriere
a des réclamations justes, mais dangereuses, sur les
troupes du Roi en Hollande, a des menaceshau-
taines, et a des armements qui enfin livrerent au
prince d'Orange toutes les forces de la République.


Tandis que d'Albeville représentoit si imprudem-
ment en Hollande le Rol. son maitre, Dykveit agis':"
soit en Angleterre d'une maniere bien différente. Il
avoit,ainsi que le comte Davaux l'avoit prévu, des
instructions qui s'appuyoient sur deux bases essen-
tieHes : la premiere, de concilier le Ro] et le prince
d~Orange; et cette réconciliation <levoít se trouver
natllrellement hérissée de diffioultés, si le Roi se
décidoit a 'fixer,. de son autorité royale, sans le con-
cours du Parlement, les affaires de Religion, et si
le prin~e d'Orangen~ vouloitpas lui ·céder sur ce
pojnt : la seconde, et sans dO\lte le Prince prévoyoit
que le Roí ne voudroit pas changer de systeme, étoit
de bien observer les forces mÍlitaÍres et .maritimes
de Jacques Il, ses ressoUl'c(lspécunialres, la situatioll
des diverses factions, ce qu'il falloit attendredes
Anglicans, des Non-Conformistes et meme des Ca-
tholiques. Dykvelt, par son caractere, étoít tres ..




200 RivOLUTION DE 16HH,
propre á cette LlouLle mission. 11 vouloit d'abord
réunir les deux Princes; et, par ses démarches au-
pres des Catholiques, l'on peut raisonnablement sup·
poser qu'il agissoit moins pour un plan d'usurpation
déja fixé, que ponr bien savoir aquel point la suc-
cession' ,pouvoit se trouver compromise.


Dykvelt, en effet, ne négligea aucun moyen pOUl'
amener les Catholiques a un partí modéré. l\Iais déja,
dans la prévoJance des démarches qu'il pourroit faire,
les principauXi Catholiques avoient tenu entre eux un
Gonseil sécretz S'il faisoit quelque ouverture, comme
onle supposoit, on lui devoit répondre que la condition
sine qua non, pour obtenir les bonnes graces rtu
Roi, étoit le consentement formel du Prince a la
l'évocation des lois pénales et du Test. Si Dykvelt
arguoít que le Prince n'avoit ras droit de se meler
des lois d' Angleterre, on lui devoit dire que lui,
Dykvelt, et Van·Citers, pouvoient confidentiellement
s'explit¡uer de sa part aux prÍllcipaux chefs. du partí
protestant. « Cet expédient, » ajoute Barillon, «( pa-
« rolt assez habile; car on jette lVI. Ieprince d'Orange
« dans la nécessité de refuser ce qui lui est proposé,
( ou de perdre son crédit aupres des factieux et des pro-
« testants zélés, s'il se déclare pour la révocation des
« lois pénales et du Test. » Cette poli tique de Cour
étoit trop grossiere pour un homme tE'1 que le prince
d'Orange.


Dykvelt, cE'pendant, ne se rebutolt pas; iI régloit




EN ANGLETFRRF. 20r


10uts ses pas avee prudenee; ii étoit bien aecueilli Ju
Hoi; iI se montroit a la Cour; il ménageoit singu-
lierement les Catholiques. Ceux d'entre eux qui
avoient du crédit, se tenoient en garde contre la
séduction de son langage; « et le Roi, » dit Barillon,
« se moque avec eux des fausses avances qu'il leur
« fait. Quant aux emtres, ils n'ont auenne part aux
« résolutions que. prend Sa Majesté Britannique, et
«( ne' sont pas meme consultés. ) Quoi qu'il en soit,
iI n'en continua pas moins de marcher a son premier
but. eclui d'une réconciliation. Il eut des confé-
rences réglées avec les principaux Catholiques, et
les pria de contribuer comme lui a ce grand ou-
vrage. 11 leur montra que l'on alloit trop loin et trop
vite; que l'intéret des Catholiques n'étoit pas de pré-
cipiter les dIOses a l'extreme, et de s'exposer, pOUl'
l'avenir, a une ruine certaine, si les Protestants re-
couvroient jarnais l'autorité : ce qui, tot ou tard,
ne pouvoit etre douteux. Illeur parla surtout de I'lr-
lande, « ou les affaires, » dit-il, « sont déja conduites
« a un tel point, que ee Royaume sera bientot séparé
« de l'Angleterre.» On lui répondit, eornme on
l'avoit résolu, que le prince d'Orange devoit entiere-
ment se soumettre aux désirs de Sa l\Iajesté.




SOMMAIRE.


1687.


Suspenliion des Lois pénales. - Prorogation du Parlcment.-
Propositions du Prince d'Orange. - Confesseur l1u Roí.-
Lettres des Jésuites de Liége. - Départ de Dykvclt. - Ligue
cooclue a Venise. - Treve de v ingt ans, entre la Franeeet
l'Empire.-Armements en Angletcrl'c el en Hollandc.-Af-
faire de l'Université de Cambridge. -Affaire de l'Univcrsilé
d'Oxford.


----___ ñW~~~ .... ---




nÉVOL DE lG88,EN ANGLF.Tlmnf:. 203


LIVRE XV.


Iiiii&.=


1687.


INDÉPENDAMMENT des affaires d'Irlande, ce qui
causoit alors les alarmes vraies ou simulées de Dyk-
velt se l'apportoit principalement aux deux décla-
ratÍons du Roi sur la Religion, l'une pour l'Éeosse
et l'autre pour I'Angleterre; car le Roi s'y érigeoit en
législateur, san s le concours néeessaire du Parle-
mento Il est vrai qu'avant de s'y résoudre, Jacques II
avoit completement éprouvé l'inutilité de ses efforts
pour former une majorité aveuglément soumise. Les
Officiers meme de sa Maison, les Chefs de l' armée ,
I'Amiral Herbert, compagnon de son enfance, le
I~ieutenant -Général de l'artillerie, le comte d'Ox-
tord, dont toute la fortune étoit une pension du
Roi, le due d'Onnond, dcux Capitaines des Gardes,
une foule de SeigneuI's, en un moL, n'avoient point
hésité entre la disgrace dOllt les mcna<,;oit Jacques TI.




IU~VOLl'TIOI" DE lG~8,
et le refus de s'engager a voter au Parlement 1'aho-
lition des lois pénales et du Test.


Dans un pays oll les lois et l'opinion publique
ont une force réelle et' souveraine, paree qu'elles
ont des organes puissants, c'est une épreuve dan-
gereusp que de tenter l'hol1ueur et la conscience par
dp vils intérets. Jamais Prince ne peut impunément
blesser ou corrompre ce qu'il y a de noble dan s le
ereur des hommes. Jacques 11, entralné ainsi dan s
une voie hérissée d'écueils, s'obstina cependant a la
parcourir tout entiere. Il changea presque toutes
les charges de sa Maison et de l'armée. Il en revetit
des Catholiques, devenus par la meme plus odieux;
et, s'il eut été capable de sentir l'inutilité comme le
danger de ces innovations, la mort et le rempla-
cernent du Chef de Justice le lui eut fait comprpndre,
car il chercha vainement un Catholique pour exereel'
cette place éminente. Il n'en trouva pas un srul qui
cut la capacitérigourcusement Ilécessaire, et iI nornma
un Protestant, rnalgré luí. Mais touten affectant sans
cesse l'espérance de soumettre le Parlement a ses
volontés et la résolution de vaincre tout5 les Oh4
stacIes, iI n'en reconnut pas moins la nécessité de
11e pas subir l'épreuve publique d'une délibération
ouverte et légale. Des le rnois d'avril, le Parlement
qui devoit se réunir au 8 mai, fut prorogé encore
au rnois de décembre.


CeHe nouvelle prorogation (,toit d(:ja l'ésolue,




:EN ANGT~ETER.lU~. 20:">


quand iI fit pour l'Écosse, de son autorité royale et
absolue, ce que luí avoit précédemment refusé le
Parlement de ce royaume. Il accompagna sa pro-
clamation d'une lettre an Conseil, pour lui ordon-
ner, dans les termes les plus déeisifs, d'extirper les
Conventicules puritains et d'employer la plus sével'e
rigueur des lois. Cet ordre lui parut nécessaire, au-
tant pour donner un aliment ¡l l'activité jalouse de
l'Épiscopat contre une secte proscrite, que pour
faire supporter la tolérance accordée aux autres Pres-
bytériens et a la Religion Catholique. C~tte expli-
cation ai11si d011née au Conseil d'Écosse, iI disoit
dans sa proclamation que, ({ de son autorité souve-
raine, prérogative l'oyale et puissaHcc absolue, a la-
quelle touts ses slljets devoient obéir san s résel've,
il accordoit sa tolérance royale a touts ceux qui
professoient la Religion Chrétienne, dans l' ordre
suivant : les Pr~sbytériens modérés, les Trembleurs
ouQuakers, et les Catholiques Romains, désignés
par les lois sous lp, 110m de Papistes.»


Les Presbytériens modérés pouvoient se réunir
oans leurs maisons, pour y entendre ceux de leurs
Ministres qui auroient accepté l'indulgence du Roi.
Le~ Couvent\c\l\e~ des dla.n\-ps étoieut de l\O\l'lea.u
interdits sons les peines déja portées par les lois.


Les Trembleurs ouQuakers pouvoient exerccr
leu'r Religion, a leut' maniere, dans les lieux marqués
pour leur service.




RI::VOI.UTION HE 1688,
Quant aux Catholiques, et apres avoil' énuméré


les 10Ís violentes portées contre eux, leurs s011f-
frances, leurs sacrifices pour la cause royale, et
Ieur constante fidélité, iI s'exprimoit en ces termes:


« Nous done, de l'avis et <lu consentement de
( notre Conseil privé, et en vertu de notre autorité
« souveraine, royale prérogative et puissance absolue,
«( suspendons, arretons et annulons i. touts égards,
({ toutes lois et actes de Parlement, toutes coutumes
(e et constitutions faites ou exécutées, en quelque
« temps que ce soit ei-elevant, contre aucun de nos
« sujets Catholiques Romains, cassant toutes les rlé-
« fenses, toutes les peines et amencles qu'elles ordon-
« nent; de maniere qu'ils seront aussi libres, el1
« toutes choses et a touts égards, qu'aucun de nos
« sujets protestants, non-seulement d'exercer leur
« Religion, mais aussi de posséder toutes 80rtes de
« eharges et de jouir de touts les avantages et autres
« hénéfices que nOU8 trouverons a propos de leur
« donner, en quelque temp8 que ce soit.»


Le Roi ordonnoit ensuite que le Service Divin se
feroit seulement clans les Chapelles domestiques; dé ...
fendoit aux Catholiques de precher en pIeine cam-
pagne, d'envahir ou prendre de force les Églises
protestantes, et de faire leurs processions clans les
grandes rues des villes royah~s.


Quant aux serments ou lest, Je Roi les annuloit,
::->ons quelque forme et prétextc qu'ils eussent été 01'-




J~N ANGLETlmRE.


donnés, et particuliercment ceux fixés en Parlement,
tant sous le regne de Cha-rles II, que dans le premier
Parlement du regne actuel. Il donnoit également la
remise ou indemnité de toutes les peines encourues,
en vertu de ces lois, par les Catholiques et les Pro~
testants des di verses Églises.


Enfin le Roi terminoit par une protestation qui
parut bien singuliere. c( Pour encourager,» disoit-il,
« nos Éveques protestants, et le Clergé régulie1' ou
« conforme, et ceux qui onl vécu jusqu'ici paisible-
( rnent et avec ordre : Nous trouvons a pro~os de
« déclarer que nous n'avons iarnais eu pour príncipe,
«el que nous ne souffrirons jamais, qu'on fasse vio-
C( lence a la conscience de qui que ce soit; que nOllS
« ne nous servirons point de la force, ni n'emploi~
«1'on8 aucune nécessité invincible, contre aucun
(e hornrne, au 8ujet de sa croyance ou de la Religion
« Protestante; mais que nous protégerons nos Éve~
« queset autres Ministres dans leurs fonctions, droits
(e f't priviléges, et touts nos sujets protestants dans le
« libre exercice de la Religion Protestante dans les
« Églisf's; que nous maintiendrons', et promettons
« sur notre parole royale de maintenir, en quelque
« tf'mps que ce soít, eeux qui possedent des terres
« d'église, appal'tenant ci-devant a des Abbayes ou
ti autn~s Églises de la Heligion Catholiquc1 dans leur
!( pleine et libre possession el uroits, selon nos 101s
(r et actcs de Par)emcnt faits a cet égard.»




208 RÉVOLUTION DE 1688,
Dans un pays comme l'Écosse, ou la population


catholique étoit imperceptible, ou la seule noblesse .
soutenoit l'Épiscopat protestant, ou la masse du
peuple, dans les villes et dans les campagnes, étoit
presbytérienne ou puritaine, iI étoit certainement
extraordinaire que le Roi, qui étoit Catholique, ut
la promesse de n'employer 'aucune nécessité invin-
cible contre personne au sujet de sa croyance. L'on
savoit bien qu'il ne forceroit aucun Écossois a se dé-
cIarer puritain, presbytérien ou épiscopal. Quel étoit
donc le but de cette singuliere promesse a l'Écosse?
Il n' échappa point a l' Angleterre , qui se demanda si,
par de telles insinuations, le Roi ne considéroit plus
les lois protectrices de la Religion du pays que comme
l'irrévoeable édit de Henri IV, qui. venoit d'etre
révoqué par Louis XIV. L' Angleterre ne fut pas
rassurée davantage par la promesse de ne pas trou-
bIer, dans leurs possessions actuelles, les établisse-
ments et les personnes investies de l'ancien domaine
des Abbayes et des Églises Catholiques .


. Le Conseil d'Écosse répondit avec une soumission
pleine et en ti ere aux ordres qu'il avoit re«;us du Roí;
et les sectes presbytériennes témoignerent d'abord
une grande joie de la tolérance qui leur étoit ac-
cordée. Cette terre f~matique alloit enfin retrouver
le repos, si la tolérance civile étoit imposée par une
loi sincere et protectrice. [( Cependant , ») dit le Hoi
lui-meme dans ses Mémoires, « le peuplc ne ful




EN ANGLETERRE.


({ pas peu m~content de eette déclaration l. Il n'avoit,
« a la vérité, rien a dire eontre le pouvoir absolu qu'il
« avoit lui-meme voté; mais il ne s' étoit pas attendu
« qu'ille pousseroit jusqu'a déclarer les lois san s ef-
« feL Aussi eette déclaration fut··elle généralement
« bl<lmée par tous les hommes modérés des deux
( Royaumes. »


Aux anciens Tests ou serments qu'abolissoit le Roi,
on avoit substitué un serment plus simple, auquel
seroient souniis les Écossois qui voudroient jouir de
la toléranee aecordée. Mais ce nouveau serment com-
prenoit formellement la reconnoissanee de l'autorité
absplue du Roi; et eomme, par les lois existantf's,
le Roí exer~oit la suprématie religieuse, iI s' ensui-
voit que preter ce serment nouveau, c'étoit jurpr;
implicitement et de faít, obéissance a tout ce que le
Roi, de son bon plaisir et par sa double souveraÍ-
net~ 'temporelle et spirituelle, ordonneroit sur la
Religion. Les Presbytériens d'Écosse éleverent done
d'ínnombrables difficultés; et eomme par le faÍt la
tolérance générale n'étoit qu'un l1loyen particulier
de protéger les Catholiques, eux seuls en profiterent,
et les autres attendírent ce que l'on feroit en An-
gleterre.


En .cffet, des que le Roí se fut secretcment décídé
a proroger le Parlement anglois, du 8 mai au mois


1 Tom. III" p. 162.
IT.




2,JO RÉVOLUTION DE 1 C~t),
tle décernbre, iI pubIia en avril une déclaration pour
r Angleterre dans le meme sens que pour l'Écosse,
a l'exception des termes, prodigués dans celle-ei,
de son pouvoir souverain et absolu. Il ne pronon«;;oit
pas clircctcment, comme pour l'Écosse, l'annulation
{les lois pénales et du Test, mais il en suspendoit
l'exécution; annon~ant toutefois dans le pri>ambule
que sans doute les deux Chambres du Parlement
reconnoltroient combien cette mesure deviendroit
salutaire a la paix et a la prosppritp au Royaumc.


Dans le temps oil l'Europe avoit encore présent
le triste souvenir des guerres de I'eligion; op la po-
litique, unie au fanatisme, !'emnoit ue toutes part~.dcs
cendres eneorc hrulantes; Oll les vallées uu Piémon1
I • 1'] "1 etOlent cnsang antees par ( es armes sacrecs; 011 tant ( e
Fran~ojs fugitifs alloícnt demnndeJ', Joín du sol qui le"
avoit nourris, la liberté de conscience el 1(' foyel' de
l'hospitalité; Oll l'Écossois alloit. furtivernent chant<:,r
an désert les hyrnnes de son cuIte sauvage el. indé-
pendant comme ses rnofltagnes; oll l'Irlandois, pros-
crit depuis huit cents années, étoit crimincl s'il ado~
roit. le nieu de ses pel'es el de son Pl'ince, un Roi
chréticn s'éleve au-dessus ele son siecle, el proclame
en législateur, ~on pas r(~galité des Cultes, ce qni
n'est donné ni a la raison, ni a la puissance souve-
raine, mais la protectil)Jl des Cnltes. Il d['clare qUf'
la p~oscription civile est enfin terminéc, que touts
les sujets ont un droit pgaf aux hienf;.its de la so-




~EN ANG LE'1'EH HIL 2 f 1


cleté devant le Souverain, comme ils jouíssent touts
de la lumiere devant le Dieu qui a créé la lumiere.
Et cette 101 bienfaisante est repoussép, comme une
saerilege usurpation! Et le Souverain qui la pro-
mulgue est déclaré l' ennemi de ses' peuples par les
peuples eux-memes qu'il veut rendre a leurs droits
les plus Iégjtimes! Ainsi présentée, cette concession
du Roí Jacques II seroit un des phénomenes les plus
tnexplicables de l'hístoire. J\;lais il n'existe de bien-
faits devant le peuple que ceux qu'il croit sinceres;
ct quand les hommes persécutés pour la Religioll
s'unissent a leurs persécuteurs meme contre la main
qui les veut protéger, il faut bien chercher a con-
noltre la secrete loi de cettp appal'ente contradiction.
Jl n'en esi pas d'autre ici qu'une défiance incurable
et trop justifiée par Jes f.'lits, ou du mojns par l'im-
prudence ouverte du Boí et de ses Conseils.


Avant le dernier Parlement d'É:cosse, Jacques Il,
qui vouloit obtenir de lui la révocation des lois pé-
na les et du test, avoit subitement changé le mÍnistere
de son anClen Royaume, et l'avoit composé de Ca-
tholiques et de Non-Conformistes. Il espéroit, en
réunissant ainsi les Catholiques et les Presbytériens,
donner a l' Angleterre un exemple dont il sauroit
profiter. Le mfhne systeme fut suivi pour les Con-
seils de la Bourgeoisie et les diverses corporations.
Mais les Presbytériens avoient trop d'aversion contre
les formes du Culte catholique, ponr se réunir sin-


14,




112 nÉVOUTTION J)"E 1688,
cerernent a un parti qui évidernment lenr étoit associp
pour d'autres intérets. Cependant la Noblesse et
I'Épiscopat se tronverent ¡rrités ou défiants, et. le
Parlement rejeta les vues du Roi. Ainsi Jacques TI
échoua ~ompletement aupres de touts les partís,
paree qu'ils se crurent trompés touts; et sa décla·
ration de tolérance universelle n'eut pas un meil-
leur succes.


En Angleterre, le Roi 11e fit pas comme en Écosse
un appel des Whigs a S011 ministere. Les Whigs, le
P. Piter, le Conseil secret des Catholiques, eus-
sent présenté un assemblage trop monstruf'Ux. Mais
iI fit rechercher dans les archives et jeter dans le
public les relations des rigoureuses procédures que
I'Église anglicane et ses tribunaux avoient fait ~ubir
aux Non-Conformistes. Il parloit d'eux, et en parti-
cuIier des Quakers, avec toutes le démonstrations
de la cordialité. Le chevalier Penn, leur chef, pa-
roissoit dan s la plus grande raveur; et les écrits im-
primés par ordre de la Cour annonc,;oient que si le
Roí ne les avoit pas toujours traités comme il le
désiroit, iI en falloit chercher la cause dans I'or-
gueillense rigueur de I'Église anglicane. Un grand
nombre de Juges de paix furent choisis parrni eu)t;
on leur ouvrit les corporations et la Cité de Londres;
enfin, un Quaker devint Lord Maire. Ces moyens
obtinrentd'abord dusucC<'s. Les Quakers, quí avoient
pFésenté au Roi une auresse de remerdment, fu-




,\
21J


rent eharmés de l'indulgence cordiale qui fut donl1ée
aux formes libres et simples de leur innoeent lan-
gage. Bientot s'engagea l'al1imosité la plus vive entre
eux et les zélés Protestants. Ceux-ci leur reprochoient
d'abandonner, pour des faveurs trompeuses, la cause
de la Religion commune. Ceux -la répondoient par
le tableau des rigueurs de l'Église anglicane; el la
Cour s'applaudissoit d'ulle division qui" devenue
chaque jour plus vive, présageoil l'abaissement pro- .
chaill du parti épiscopal.


Apres ce premie!' lllouvement de dépit, les eh oses
changerent peu a peu de faee. La ehaire et la presse
ret;;urent tOUl' a tour une activité forte et soutenue.
Le lord Halifax a Londres, le doeteur Burnet en
Hollande, et une fauje de uocteurs Anglieans se fi-
rent entendl'e au parti épiscopal, aux Non-Confor-
mistes et au peuple. « II est telllpS,» disoient- ils a
l'f~glise AnglicaHl~, « d'oublier l(~s injures passées,
t( el de se réuuir pOUl' se défenlh'e contre les Pa-
( pistes. La faveur acluelle qui vous aveugle,») di-
bo¡enl - iIs aux Non -Conforlllistes, ( ne peut etre ni
« siucere, ni durable. Elle ne vous a été offerte que
{( ~ur le refus de l' Église d' Angleterre, q ui n' en a
I( pas voulu, au prix que 1'011 y mettoit. Mais eeHe
({ fa veur (leut a ehaque instaut vousetre enlevée, si
l( l'Église vcut eéder quelque terrain au Papisme. »)


Les al'guments aupres du peuple étoient plus
Glptieux. Ou lui prt'scnla, sous une forme simple et




nÉVOUJTION DJ': 1 G88 ~
concise, une sorte de catéchisme qui contcIlOlt dix
questions a résoudrc. Tout l'édifice de la Cour s'éva-
nouit devallt une page d'impression. cc Un Papiste
« véritable, » disoit-on 1, « a-t-il jamais été pOUl' la
ce liberté de conscience? N'est-ce pas un príncipe fOIl-
ce damental de la Religíon Romaine, que tout chré-
fe tien quí ne croit pas ce que l'on y croit n'est
« qu'un hérétique, et doit, comme tel, etre détruit?
ce Si le Roí est un Papiste zélé, veut - iI réellement
(da liberté de conscience? Le Roi n' a - t - iI pas été
« cause, sous le regne du Roí son frerc, que la
« persécution contre les Non-Collformistes a été plus
« violente qu'elle n'auroit été sans lui! Le Roí ne se
« sert - il pas a présent des Non - Conform istes poul'
« abaíssel' l'Église d'Angleterre, comme iI a fait d:.'
C( l'Église d'Angleterre contre les Non-Conformistes,
« afin de ruiner les uns et les autres par les Papistes?
« Le traitement des Protestant::; en France et en Sa-
« voíe, depuis trois ans, n'est-il pas un avertissement
« suffisant de ne pas se fiel' a la dédaration '. aux
« promesses ou aux serments d'lln Papiste qudeonque,
«en matiere de Religion? l..¡orsqu'un Roí Papiste ~
({ qui a une armée sur pied, prétcnd au pouvoir (k
« dispenser des Iois ~ existc-t-il <Juelque chose d'é(pú
« valent a la garantíc des loís pénales et du Test· i
« Si l'on a quelque chose a répondrc sur ces ques··


l Lcttres de Barillon.




EN ANGLETERIU:.


« tious, on est prié de le faire a,ussi ingéllument,
«( aussi frallchement, que Je Protestant qui les pro-
« pose au publico »


Dans eette vi vacité inquiete des esprits, le partí
anglican, tout composé des seigneurs et des plus
riches propriétaires Protestants, se pronon<;:oit avec
ardeur et fermeté; les Presbytériens n' étoient ríen
moins que rassurés, et leurs chef s se tenoient .unis
étroitement aux Épiscopaux. Les Quakers seuls, amis
natul'els de la paix religieuse et politique, se livroient,
avec une sorte d'abandon, a l'espoil' d'une tolérance
<fui convenoit si hien a leurs nalves mreurs.


De son coté, le Roi prodiguoit a l'Envoyé de Hol-
lande les protestations les plus solennelles contrc
tOllt projet d'attenter aux Privileges de I'Église An-
glicane, et s'effor<;:oit d'amener le Prince d'Orange
a ,un consentement sur le Test 011 les lois pénales,
sans lequel il prévoyoit confusément touts les ob-
stacles dont sa vie entiere seroit environnée. Dykvelt,
tant au nom des' lttats et du Pl'ince, que d'aprcs
ses propres craintcs, cherchoit a luí démontrer l'im-
possibilité de vaincre les défiances de l'Angleterre el
de surmonter la volonté du Parlement, auquel tot
ou tard la nécessité le forceroit de recourir. II sem·
bleroit meme que le Hoi n' étoit pas toujours in·,
ébralllablp aux concessions que faisoient le princc el.
la princessc d'Orange a ses vreux. Du moins OH POUl-
roÍt le fi'Oll'C par une note chiffrée que d' Alhevilk




RÉVOLUTION DE 1688,
remit au eomte Davaux, pour savoir de quelle maniere
il falloit agir aupres de Jaeques I1, par suite d'une
réponse décisive du prince d'Orange sur l'abolition
du Test. Voiei l'oeeasion de eette note mystérieuse.


Dans le moment OU le marquis d' Albeville eon-
sultoit aÍnsi l'arnbassadeur de Franee a La Haie,
Jacques 11 venoÍt de porter une atteinte fort vive aux
droÍts des Universités, en faveur des Catholiques; et
eette affaire exeitoit l'attention publique au plus haut
degré, paree qu'elle marquoit expressément la vio-
lation des promesses réeentes sur les biens memes
de l'Église Allglieane. Il en sera question plus loin.
Mais a eette oeeasion, d' Albeville fut chargé par le .
prinee d'Orange de faire eonnoltre toute sa pensée
au Roi; Dykvelt eut la meme commission, et c'est
la sur quoi d' Albeville demandoit au eomte Davaux
les intentions de Louis XIV; tant iI paroissoit
craindre que Jacques 11 ne fut ébranlé enfin.


« Le Prine~ ,» disoit d' Albeville, « déclare que ja-
« mais il n'a Iu, dans aucune histoire, l'existence
« simultanée de deux Religions dominantes dans un
« meme Royaume ou dans un meme État; qu'ainsi
« la Religion Romaine ne pourroit devenir la Reli-
«( gion dominante en Angleterre, san s que le Roi ne
l( violat tout a la fois et les lois et la foi jurée ~ sans
« causer nécessairement un jour, eomme ille eraignoit,
c( des troubles et des desordres qui. meUroient la Mo-
{( narchie en péril. Le Prinee n'y pouvoit consentir;




EN ANGLET:ERRE.


« il ne pouvoit approuver ce procédé du Roí. Le mar-
« quis d' Albeville pouvoit se convaincre que la Prin-
II cesse avoit les memes sentiments, et ne seroit pas
« moins inébranlable que lui. N e valoit.il pas ~ieux
(e assurer une liberté raisonnable et suffisante aux Ca-
(e tholiques Romains pour le présent et poul' l'avenil',
« que de les exposer a la persécution, a l' extinction
« entiere peut-etre? Poul' lui, jamais il n'approuva,
«( et jamais iI n'approuvera la persécution pour fait
« de Religion. Les consciences ne peuvent etre for-
( cées. 11 conserveroit les Catholiques Romains dans
( une honnete liberté, comme ils l' ont dans la Répu-
« blique; mais approuver que leur Religion soit la
« dominante, y consentir, cela est impossible. Les
« procédés de Sa Majesté sür les universités de Cam-
« bridge et d'Oxford ne tendent réellement qu'a sa-
ce per les fondements de la Religion Protestante; et
« le Peuple d'Angleterre ne le souffrira pas.» D'AI-
beville ajoute, dans sa note chiffrée, que la Prin-
cesse lui a tenu le meme langage, mais avec moins
de passion, en ajoutant ces paroles: « Je vous parle,
« Monsieur, ave e moins de réserve et plus de liberté
« qu'au Roí mon pere, a cause de la respectueuse
ee déférence que je suis obligée d'avoir pour luí et
« pour ses sentíments. »


Dykvelt étoit chargé d'exprimer les memes sen-
timents au Roi. Il se voyoit recherché de touts les
partís; et les Catholiques modérés, au rapport da




RíVOLU1~ON DE 16H8,
Barillon, s'effor~oient de luí persuader que leul's
intentions n'avoient rien de contraire aux droits du
prince d'Orange. Mais les affaires d'Irlande, et la
prorogation perpétuelle du Parlement, ne luí sem-
bloient pas de nature a dissiper ses inquiétudes.


Il avoit eu communication d'une lettre vraie ou
fausse, écrite aux Jésuites de Fribourg en Suisse,
par ceux de Liege. Alors on venoit de changer, pon!'
les fetes de Paqnes, le confesseur du Roi, le pCI'C
Mansuel, pretre lorrain, de l' ordre des Capucins 1
qui fut renvoyé sous prétexte qu'il n'étoit pas An~
glois.· « Mais la vérité e~t, » dit BarilIon, « que ce
« bon Capucin n'est pas propre a eet emploi; ce
Cl. sera un Jésuite qui aura sa place, et le P. Piter
(e est consulté sur le choix l.» En effet, le P.
Piter 6t venir et adopter le pere Warner, recteur
du collcge des Jésuites anglois de Saint-Omer. Il
eommen~a ses fonetions la veille de Paques, et
s'empressa de dire a Barillon qu'on le soup~onnoit
d'etre trop Fran~ois; qu'il avoit quelques mesures a
garder pour ne pas le paroitre trop; mais qu'au
fond il ne négligeroit aueune oecasion de marquer
son zeIe et son attachement pou}' Sa Majest(~ tres-'
chrétienne. Dans eette petite révolution opérée dans
la direction de la eonscience du Roi, i I est assez


" naturel de penser que les religieux tle finstitut tlt':"


1 Lettre de Barilloll.




EN ANGLETERRE. '> 2J9


Jésuites se serollt félieités de eette eonquete, surtout
(1 uand le N once du Pape et le Pape lui-meme, avee
un assez gra,nd nombre de Catholiques anglois, se
d~claroient en opposition ouverte contre le pere
Pi ter. Quoi qu'il en soit, une leUre que les Jésuites
de Liege écrivoient a ceux de Fribourg fut inter-
eeptée. On y disoit que Jacques II s'étoit fait initier
ou affilier a la Compagnie; qu'il en avoit témoigné
une joie infinie; qu'iI avoit promis de prendre les
intérets de sa nouvelle patrie adoptive avec autant
de vivacité que les siens propres; et iI comptoít
absolument sur elle pour avoir des missionnaires
capables de convertir son royaume. Enfin 1'0n rap-
portoit dans cette lcttre une réponse de Jacques 11
a un CathoIique zélé, qui gémissoit de voir deux hé-
l'étiques pour successeurs de la Couronne. « Dieu
( saura bien,» disoit le Roí, suivant eette lettre,
« susciter un héri'tier' qui soit exempt d'hérésie, et
(e qui HOUS garantisse de cette lepre, nous et notrc
ce postérité. »


Que cette leUre soit réelle, qu'elle n'ait pas été
fabriquée, on y trouveroít difficilement une juste
matiere a de criminelles conjectures, si on la prend
dans l'expression naturelle el simple. Naguere les
Catholiques étoiellt proscrits; les Jésuites pal'tieu-
lierement étoient dévoués a l'échafaud; et par une
des vieÍssitudes les plus síngulieres, lIs d(lviennen(
les maitres du Roí l't au Hoyaumc; ils cOllí:oiYCl!!




220 RÉVOLUTION DE 1688,
l'espéranee de renverser la Religion de leurs enuc-
mis, de mettre leur propre Religion sur le trone.
Faut-il s' étonner que l' expression de leur joie se soit
élevée jusqu'a la folie d'une aveugle présomption!
Quant a l'héritier que Dieu saura suseiter, il faut.
torturer eette parole avec toute la passion qu'inspire
l'esprit de parti, pour y découvrir un dessein déja
préparé de produire un faux prince de Galles. La
Reine, trt~s-jeune encore, n'étoit que valétudinaire,
sallS etre stérile, et Jacques II, qui étoit Catholique
sincere, ne devoit-il pas sincercment croire que la
protection divine pouvoit lui accorder un fils? Ah!
malheureux les peuples et les Rois que sépare une
invincible défiance!


Les Jésuites de Fribourg avoient re<;u ces no u-
velles avec trop de ravissement, pour ne les pas com-
llluniqtier a leurs prosélytes; et la lettre de Liegc
fut envoyée de Fribourg a Zurich, et de la en Hol··
lande. Dykvelt en montra la copie au Roi d' Angle-
terre, lui disant que Sa Majesté jugeroit elle-meme
si c'étoit une piece supposéé. Le Roí la lut, la garda,
n'en parla plus, et Dykvelt considéra ce silence
comme un aveu.


Peu de temps apres il fut rappelé. Mais ayant inu-
ttlement cherché a ramener le Roi dans des voies
moins dangereuses, il ne négligea ríen de ce qui
pouvoit aSSUl'er les intérets du prince d'Ol'ange. Il
eonstitua d'abord une oppúsition redoutable; et




EN ANGLETERHE. ~2r


Lientot tout8 ceux qui avoient une importance poIi-
tique dan s la nation, se réunirent et formerent une
sorte de Parlement clandestin OU ron délihéroit sur
les affaires publiques. Mais, suivant l'expression justt->
et profonde d'un historien, Qui deliberant, desci-
verunt, et iI se forma enfin une conspiration réelle.
Le marquis d'Halifax, les eorntes de Shrewsbury, de
Devonshire, de Danhy et de N ottingharn, les lords
Mordaunt et Rumsay, les arniraux Herhert et Rus~el ,
enfin l' éveqne de Londres, entrerent plus particu-
lierement dans la confiance du Prince. Ils furent
l'intermédiaire de touts les conseils pris contre le
Gouvernernent de Jacques 11. lIs se réunissoient
particulierernent chez le eornte de Shrewsbury; et
c'est la que depuis fut dressé le manifeste fameux a
la suite duquel Guillaume descendit en Angleterre,
ayant t>crit sur sa hanniere ces rnots devenus si re-
uoutables : Je maintiendrai. J\'Iais pour que la for-
tune de Jacques 11 fut enfin soumise a cette épreuve ,
iI lui fallut encore un long enchalnernent de fautes
et de malheurs.


Pendant le séjour de Dykvelt a Londres, le projet
con<;:u depuis deux ans J'une ligue défensive contre
Louis XIV, se terminoit au fond du Golfe Adria-
tique, et les folies du carnaval de Venise eouvrirellt
le mystere de cette grande négociation, devenue si
fatale a Jacques JI et depuis a la France. Le duc de
Savoie s'y étoit rendu, amSI que I'Électeur de Ba-




222 RfVOLUT{ON DE 1688,
viere. C'est la ce qni explique pourquoi la Hollandc
refusa un asile aux refugiés piémontais que 1(' fer
et le feu avoient chassés de leurs vallées eomme
hérétiques et rebelles. Le cIue de Newbourg, nouvel
Éleeteur Palatin, s'étoit vivement porté a eette ligue,
pour susciter des obstacles a Louis XIV, s'il élevoit
des prétentions a la sllccession du dernier ÉJecteur,
uu nom de la seconde duchesse d'Orléans, née
Princesse I)alatine. L'Élccteur de Brandebourg, qui
songeoit a prendre le titre de Roí, le Roi d'Espagne,
l'Empereur, entrerent dans la confédératibn ou l' An-
gleterre et la Hollande se trouvoicnt déja implici-
t'ement. En effet, dans le traité qui unissoit ces
deux puissances ~ un article séparé les engageoit a
garantir toute la succession espagnolp ;1 la maison
d'Autriche, contre la maison de Bourbon, si le Roi
d'Espagne, Charles II ~ venoit it mourÍr sans héritier
légitime de sa race.


Jacques II avoit eu certainernel1t eles notions po-
sitives sur cette ligue, puisqu'il en entretint Barillon,
iI est vrai, d'une maniere assez vague. Celui - ci en
donna l'avis au cornte Davaux. Mais ni I'un ni l'autre
n'en occuperent Louis XIV COffime d'une affaire sé-
ríeuse. Davaux cependant fit remarquer a sa Cou!'
le voyage du rnaréchal de Schomberg en HoIlande,
et les diverses conjectures que I'on incIuisoit de sa
présence. Schomberg étoit Calviniste. La révocation
de l'édit de Nantes l'avoit éloigné du serVlce Jc




EN .\NGLFTERHF:.


France, et déja le public f.1isoit de lui un Généra-
lissime des Princes protestants. Mais Davaux ne
yoyoít dans CCiJ bruíts popnlaircs qu'un nlOyen af-
fecté ponr effrayer Jacques n. Il supposoit tout au
plus que le Maréchal s'attacheroit a,.1'Électeur de
J3randebourg, et deviendroit peut-etre Gouverneur
de ]a PrussC'.


En voyant Louis XIV si mal informé, on doit
{'tre snrpris que Jacques 11 l'eut été mieux et plus taL
Sans doute, iI n'avoit pus tout le secret de la ligue;
mais le comte de Sunderland devoit en savoir da-
vantagc. Si les Ambassadeurs d'Espagne et d'Autricll('
:lvoicnt un intérct direct et pressant d'empecher toute
atliance plus intime de la France et de J'Ang]eterre,
l~ eomte de Sunderland avoit aussi les intérets forcés
de son ambition et de sa situation personnelle, qui
rattiroient plus fortrnwnt au parti autrichien qu'au
parti des Catholiqucs ::mglois, et par conséquent de
la France.


n ne L1ut pas croire qu'en souserivant avec une
sorte d'aveuglement aux volontés du Roí son maltre,
Sun<lerland eut fait une abnégation absoluC' de sa
raison et de son hahileté, ni qu'il voulut rester l'es-
clave de la faction. dont Jacques II étoit le mobile
instrumento Sunderlantl connoissoit trop bien l' An-
gleterre et I'Europe, pour ne pas sentir combien sa
propre position, si peu d'accord ave e ses talents et
ses penchants, étoit périlleuse, équivoque, Jélieate.




RÉVOLUTION DE 1688,
La erise de l' Angleterre étoit prochaine, imminente
a ses yeux eomme aux yeux de l' Autriche, de la
Hollande et de Rome meme. 5'il avoit des engage-
ments avee la Cour de France, ils n'étoient ni assez
forts, ni assez décisifs, pour l'empecher de conserver
des relations assidues avec le Prince d'Orange, par
la eomtesse de Sunderland, sa femme, qui étoit en
eommerce réglé de correspondance avec Henri Sid-
ney, son parent. Déja plusit::urs Catholiques s'en in-
quiétoient, et illes faisoit taire par le P. Piter, qu'il
amusoit de l'espoir d't~tre Cardinal malgré le Pape.
Déja Louis XIV le soup<;onnoit; et déja Barillon, dont
il avoit l'art de ·capter la crédulité, se croyoit oblig~
de le défendre. Ce genre d'habileté san s doute est
bien voisin de la perfidje. Mais s'il recevoit ce que
Louis XIV nommoit des gratifications, n'avoit-il pas
eu l'exemple de Charles II et du Roí régnant? Sun-
derland s'étoit moins vendu que preté a Louis XIV;
ambitieux, il vouloit d'abord etre puissant, et il
n'avoit pu vaincre les premiers obstacles qu'en Hat-
tant les van:IX secrets de J acques Il, pour la France
et pour l'autoríté absolue. Mais ríen ne prouve qu'il
ait jamais trahi les secrets ni la confiance de son
maitre. L'aveugle obéissance qui le rendoit si che!'
a Jacques JI, et. si odieux, ou du moins si incom-
préhensible a l'Angleterre, n'étoit qu'un systeme. Il
lui fallut servir pour dominer. En un mot, iIlui fallut
marcher vers le Roi, par de longs et sinueux détours,




T~N ANGLETERRE.


pour l'amener a lui-meme et le placer enfin sous la né-
ces5.ité impérieuse des événements extérieurs, dont il
connoissoit l'infaillible ascendant sur la politique d'un
Roi d'Angleterre. Cette conjecture acquiert beaucoup
de probabili té par le développement des cllOses memes.


Sunderland, pressé par Barillon d' engager le Roí
son maltre a ne pas réunir le Parlement, lui avoit dit
qu'il n'étoit pas en position de donner un semblable
conseil. « Mais, » ajoutoit-iJ, « Sa Majesté connoltra
« par elle-merne les difficultés qui l'empecheront de
« réduire le Parlement a ce qu'Elle désire. )} Sunder-
land espéroit - ji qu'apres I'épreuve de ces difficul-
tés, Jacques 11 abandonneroit un systeme réellement
impraticable, a mOlns qu'il ne s'obstinat a périr?


Barillon qui sentoit l'étendue et la force de ces
difficultés, jugea tres-bien que le Parlement neseroit
pas convoqué. Il demanda en conséquence des ordres
a Louis XIV.


« Je sais,» dit-il, « que }' Ambassadeur d'Espagne
(e et l'Ambassadeur de Hollande s'efforcent de per-
{( suader au Roi, combien ils désirent la soumission
« du Parlement a ses volontés. Cela seul suffit pour
ce me faire connoltre que je dois avoir des sentiments
« opposés. S'ils ont des raisons pour désirer l'adhésion
«( du Parlement a la révocation des 10Ís pénales et du
« Test, ils en on t de plus fortes pour craindre que,
« la Religion Catholique une foÍs établie par cette
c( révocation, le Roi ne pousse les affaires plus loin


11. ,5




R~VOLUTION DE 1688,
« el ne prenne des résolutiolls ent¡;~rement oppo
« sées aux intéréts du Prince d' Orange. lIs vou··
c( droient que le Parlement se réllnit, et qu'il se fit
« un accommodement, pour concilipr les intérets el
c( la sUl'eté des Catholiques avec les intérets du Prince
« d'Ol'ange. Ceja est diffi(.~ile clans l'exécution, mais jt~
« crois que c'est leur plan. 11 suffit que cela soit,
«[Jour décide,. que ce Il'est pas l'intérét de Fotre
({ Majesté.»


Louis XIV répondit qu'il n'avoit d'autre vue que
l'agrandissement de la Religion. II apprenoit avec
plaisir que le Parlement lui-meme y voulut coneou-
rir, quoique la réullion de ce Corps aux intentions
du Roi fut capable d'app0l'ter quelques changements
a touts les sentiments d'amitié que ce Prin~e témoi-
glloit pour la France. « Mais,) ajoutoit-il, (e si le Roi
« d'Angleterre suit les purs mouvements de son amÍ-


(


« tié, quand il vous assure que, plus iI sera le maitre ,
« plus il $er~ lié d'intéret avec Moi, je suis persuadé
« que 8a prudence lui prescrit d' observer cette maxime.
« 11 sait bien que le rétablissement de notre Religion
( dans son Royaume, ainsi qu'il l'a entrepris, par
t( sa seul~ autorité, n'est pas de facile exécution. Le
« P~r.lement ne s'y conformera qu'a regret. Ses sujets
( protestants ne lui voient point de successeur catho-
ce lique, et voient au contraire un ennemi déclaré
« de notre Religion qans l'héritier présomptif. lIs; ne
( resterorH pas dans une si parfaitc et sOllmise obéis-




EN ANGLETERRJ.:. 22'":
j


( sanee, pendant son regne, qu'il n'ait a craindre
« quelque mouvement dans ses propres États, si 1'on
« n' est pas persuadé d'une bonne intelligence entre
« Moi et lui; si enfin il leur paroissoit opposé a mes
« intérets. Il faut done laisser a la Providence divine


.,


« la disposition d\m avenir si éloigné.» La conclu-
sion de eette lettre étoit que Barillon ne devoit se
donner aUCUll mouvement, sinon pour seconder les
dess'eins du Roi d'Angleterl'e.


Tandis que la ligue d'Augsboug se' concluoit a
Venise, Louis XIV et I'Empereur échangeaient mu-
tuelIement la promesse de maintenir la derniere
treve de vingt ans, jusqu'au terme fixé pour sa du-
rée; Louis XIV faisoit meme prévenir Jaeques II que,
s'il se renfermoit dans des mesures pacifiques, e'é-
toit pour ne pas donner un prétexte au prinee d'O-
range d'exciter des troubles en Angleterre au sujet
des lois pénales et du Test. Soit que I'Empereur ne
fut pas san~ inquiétude sur les intentions de la
France, ou qu'il espérat lier peu-a-peu l' Angleterre
a la cause du Continent, il 6t proposer a Jacques n
de se rendre garant des déclarations mutuellement
faítes par les deux puissances. Le Roi fut flatté de
eette proposition, qui luí donnoit en quelque sorteo
l'arbitrage de l'Europe; mais iI hésita sur la réponse,
et voulut attt:'ndre que la Cour de Versailles se fut
expliquée. On lui persuada en effet que ectte propo-
~jtion avoit été suggérée aux Ministres de I'Autriehe


J 5.




RÉVOLUTION DE .688,
par les mécontents. « Je n'ai ríen dit, » écrívoit Ba-
rillon, « pour lui oter ce soup~on. Il est toujours
c( hon que Sa Majesté Britannique s'imagine que
« l' Autriche et les Anglois malintentionnés agissent de
« concert.» La vérité e!¡t que I'Empereur étoit plus
sincere que Louis' XIV. Le premier désiroit que la
treve m.t strictement ohservée; le second, en accep-
tant la médiation de l'Angleterre, ajouta des res-
trictions a sa premiere déclaration; il voulut exercer
la souveraineté sur les pays restés en litige, et forti-
fiel' les place s qui naturellement devoient etre con-
servées dans l'état ou elles se trouvoient au moment
de la treve. Ainsi, la médiatiol1 d'abord éludée, puis
deveuue partiale, n'eut aUCUl1 résultat satisfaisant.
Dans le meme temps, Louis XIV exigeoit, avec une
fierté sans mesure, que le Pape rétabllt le droit
d'asile aboli pour les hotels des ambassadeurs. Le
souverain POlltife, irrité au-delit de toute expression,
avoit excommunié I'Ambassadeur de France , et ron
craignoit la marche des troupes fran~oises en Italie.
La guerre pouvoit achaque instant se rallumer en
Europe, et la grande question pour l' Angleterre
étoit toujours la meme; cal' la gllerre forc;oit le Roí
de se déclarer et de convoquer le Parlement.


Cependant la Cour donnoit toujours des soins a la
fIotte, el ron sembloit encore penser a la Hollande r.


1 Mémoire envoyé a Louis XIV.




EN ANGLETERRE.


La fioUe étoit de soixante - cinq vaisseaux, malS
le Roí voyoit avec inquiétude qu'il ne s'y trou-
voit pas quinze officiers et vingt matelots catho-
liques. Quant a l'armée, on y comptoit cent officiers
et quatre mille deux cent vingt soldats catholiques;
tout le reste luí étoit plus que suspect. En Hollande
on armoit et l'on négocioit. D'abord les États se
contenterent d'ordonner que huit vaisseaux croise-
roient dans la Manche, et bientot iI se 6t une di s-
tribution de fonds a toutes les amirautés, pour achever
les dix-huit vaisseaux que l' on avoit cornmencés des
l'année 1682, et pour commencer les dix-huit autres,
dont la construction av.oit été ordonnée dans le merne
temps.


Telle étoit la situation politique de l'Europe et de
l' Angleterre, lorsque Jacques II, moins incertain
dans ses projets, depuis l'ar,rivée duP. Warner, s'en-
gagea de plus en plus dans les routes périlleuses
dont ii ne devoit plus sortir que pour trouver UI1
abime. Qu~lques personnes, mais en petit nombre,
se déclaroient catholiques. Il s'en trouva qui dési-
rerent entrer dans les Universités, et malheureuse-
ment iI arriva qu'ils n'y avoient aucun titre, si ce
n' est leur conversion récente; aussi les soup<;:onna-
t-on vivement d'avoir été attirées bien plus par ~'at­
trait des bénéfices que par une foi sincere. Alors le
public étoit fort divisé sur la nouvelle déclaratioll
de tolérance, et portoit une attention inquiete sur




230 RÉVOLUTION DE 1688,
les actes d'administratioll qui s'y pouvoient rap-
portero Cette affaire des Universilés eut les suites
les plus graves.


La premiere tentative eut líeu sur rUniversité de
Cambridge. On avoit persuadé au Roi que le meíl-
leur moyen d'unir entre elles les personnes de Reli-
gions différentes étoit d'incorporer des Catholiques
dans les Universités. Il ordonna done a ceHe de Cam-
bridge de recevoir Maitre-es-arts le P. Alban Fran-
cis, Religieux bénédictin, et de n' exiger ancun ser-
ment du candidato


Il étoit sans exemple que l'on cut refusé jamais
les degrés académiques aux personnes recomman-
dé es par un Sonverain quelconque. Les Princes
étrangers, les Ambassadeurs qui venoient visiter les
Universités, en recevo'Íent sans difficulté ponr les
personnes de leur suite;. et récemment encore l'Am-
bassadeur du Roí de Maroc en avoit obtenu un
pour son secrétaire. Comment imaginer que le Roi
el' Anglet.erre auroit moins de crédit a Cambridge que
l'Ambassadeur de Maroc? L'esprit du temps expli-
que tout.


Le Conseil ou Sénat de l'Université ne pouvoit
assimiler ces diplOmes de simple politesse aux grades
obtenus par suite des examens réguliers. Le secré-
taire de Maroc n'avoit pas la prétention de s'asseoir
dans les chaires académiques ou dans les assemblées
de l'Église Anglicane. Aussi la (lemande ou l'ordre




l· ~ ANGLETEnn¡,:. ').) I


dll Hoi, en t~lveur d'ull religieux catholique, fut
. 'd }' 't t I ('IlVlsage aus ses rapports avec e a present eL


futul' des ehoses. Les doeteurs eomprirent qu'ils nf'
pourroient plus se refuser a de semblables demandes,
et s'adresserent au dne d'Albermale, Chaneelier de
l'Université, pOUl' supplier le Roi de révoquer son
ol'dre d'admission. Le due d'Albermale donna le
conseil d' envoyel' direetement une pétition a Sa
Majesté; mais le Sénat préféra de réclamer par une
d~putatiOli. Un seeond ordre est suivi d'une se-
conde députation, et le Viee-~:haheelier fut cité
elevant ]a Haute COlumission ecclésiastique, devant
laquelle avoit précétlemment 'suceombé I'Éveque de
Londres.


Cette affaire, si minime dans sOn principe, de-
venoit une affaire d't:tat, et le par ti de l' Église a11-
glicane s'en étoit emparé. Le Vice-Chancelier se
défendit sur les statuts des premiere etcinquieme
années d'Élisabeth, des troisieme et neuviem'e an-
nées de JacqHes ler, qui prescrivoient le serment.
lei renaissoit la question du pouvoir ~ dispenser,
que Jacques TI eroyoit avoir résolue par sa décla-
ration de tolétance. Enfin le Vice-Chancelier atta-
qua la eompétence de la Cour ecdésiastique par te
statut de la 'seizieme année de Charles 11, portant
que HuI tribunal de ce genre ne pourroit plus eU'c
institué. La Cou!' ecclésiastique n'en pronoIJ\--a pas
1ll0111S l'exclusion flu VÍ<:e-Chahct~her, motivée sur




RivOLUTION DE 1688,
son opiniatreté, sa désobéissance, ses autres crimes
et mépris de l'autoríté du Roí. La fonction de
Vice-Chancelier étoit annuelle et sans émolument ;
la déposition étoit done une peine assez légere ,
surtout quand l'opinion publique la. condal1lnoit.
L'Université nomma un autre Vice - Chancelier ,
qui, dans sa harangue de réception, fit une
grande ostentation de principes. Il déclara qu'il
sauroit défendre la Religion de I'État, et faire res-
pecter les privileges de l'Université. En effet, la
Cour n'alla pas plus loín, et le Religieux Bénédic-
tin ne fut pas admis.


C'étoit un pas rétrogradp, et les Catholiques en
conc;urent une opinion défavorable sur la fermeté
du Roi. lIs engagerent néanmoins une nouvelle af-
faire avec l'Université d'Oxford, qui s'étoit naguere
si vivement prononcée pOUl' le dogme de l'obéissance
passive et de l'autorité absolue. En effet, dan s son
fameuxdécret du 21 juillet 1683-, elle avoit déclaré
contraires aux saintes Écritures,· aux décrets des
Conciles, aux écrits des Peres, a la foi de 1'Église
primitive, au Gouvernement royal, a la sureté de
la personne du Roí, a la paix publique, aux loís de
la nature, aux liens de la société humaine, vingt-
sept propositions parmi lesquelles se trouvent les
deux suivantes :


« La souveraineté, en Angleterre, réside dans les
tro;s états : le Roi, les Seigneurs et les Communes .. "




]~N ANGLETERRE.


Les Chambres peuvent contredire le Roí, et s'op-
poser a lUlo (Art. 4. ) »


« Les Chrétiens ne sont pas obligés a l' obéissance
passive, lorsque le Prince commande quelque chose
de contraire aux loís du pays. ( Art. 9. ) »)


On ne cite Íci ces propositíons que pour montrer
le danger de ces décisions dogmatiques et absolues,
qui ne sont jamais applicables dans un Gouverne-
ment fort, et qui ne sont invoquées que par les
Gouvernements qui succombent. La souveraineté a
ses mysteres comme la Religion. C'est le Nil des
Anciens, qui cachoit sa tete dans les cieux, et qui
a perdu toutes ses merveilIes, des qu'on eut montré
son origine sur la terreo On va voir comment I'U ni-
versité d'Oxford se soumit elle - rrH~me au décret
qu'elIe avoit promulgué avec tant de faste.


A I'Éveque FelI, prélat austere, et célebre par sa
belle édítion des reuvres de saint Cyprien, avoit récem-
ment succédé l'Éveque Parker, qui jadís étoit signalé
comme Puritain fougueux, et, depuis la restauration,
ne se signaloit pas moins par son zele contre les
Non-Conformistes. Le dernier Éveque avoit conservé
le doyenné de l'Église ou College du Christ, qui
étoit un des plus considérables bénéfices de l'Uni-


. versité d'Oxford. A sa mort, un nouveau converti
fut investí de ce bénéfice; maís il n'avoit pas en-
core faít profession de sa roi nouvelle, et il parois-
soit, comme les autr{'>s Docteurs, a la chapelle pro-




R~VOLUTION DE 1688,
testante de son college. On s'apel'<¿ut cependaut
qu'il faisoit des prosélytes, et I'Univel'sité se tint
en garde contre lui et contre toute nouvelle intro-
ouction semblable.


Sur ces entrefaites, le Pl'ésident ou Principal dn
college de la Magdeleine mourut. Ce college étoit
le plus riche établissement de l'Europe, et ses mem-
bres avoient le privilege d'élire eux-memes leur
Principal; mais la Cour expédia sur-Ie-champ un
rescrit ponr élire un llolTImé Farmer, nouveau Ca-
tholique.


Les membres du college prierent le RoÍ', par une
pétition réguliere, de considérer que cette élection
seroit contraire a leurs' statuts, et que le sujet pré-
senté se trouvoit, par ses mauvaises mreurs, indigne
de la faveur royale et de l'estime publique. lis ré-
clamel'ent en conséquence la liberté de leurs élee-
tions. Les mémoires de J acques JI ajouterit qu'ils
deriianderent aussi que du moins le Roi voúlUt re-
c-ommander une personne plus capable d'etl'e utile
au college et a Sa Majesté. Quoi qu'il en soit, le jour
fixé par les statuts pour une élection légale arriva,
sans que la réponse du Roi eut été notifiée. Le COt-
lege fit son élection, nomma le docteur Hough,
homme tres-ferme, el fit ratifler son choix par
l'Éveque tle Winchester, Visiteur ordinaire de l'Uni-
versité. Al'l'ive cepenoant un second rescrit du Roi,
(lui ahan'ctonnoit Farmer, et recommandoit le nou-




EN ANGLETEURE. 23$
ve! Éveque d'Oxford. Mais l'élection étoit faite; elle
étoit réguliere; elle étoit ratifiée par l'Éveque visi-
teur, et le nouveau Principal étoit en fonctions. Celui-
ci avoit tout-a-Ia-fois un creur fier et une grande ré-
putation; il résolut donc de lutter cont-re le Roi
d'Angleterrc; et les membres du college répondirent
qu'ils ne pouvoient révoquer leur choix sans man-
quer a leut' serment.


Le Roi, irrité du mépris de sa recommandation ,
l'envoie cette affaire a la Haute Cour ecclésiastique,
et l'agitation des esprits est de nouveau sollicitée.
La Commission procede contre les récusants; elle
demande pourquoi ils ont désobéi aux ordres du Roi
en rejetant Ji armero lIs répondent par une liste des
vices reprochés an candidat de Sa Majesté. La Com-
mission n'ose insister. Mais, en dédaignant d'attendre
la réponse et les ordres du Roi sur la pétition pré-
sentée, les melllbres du college out manqué de
respect a l'autorité royale : en conséquence l'élec-
tion qu'ils ont faite est déclarée nuBe, etdeux
d'entre eux sont mis en interdiction.


Excités par le par ti Anglican et soutenus par la
faveur publique, les membres du Collcge refusent
d'obéir a la sentence. Hough ne recf.mnoit point l'ar-
ret qui le dépose, ii reste a ses fonctions; tout le
eorps, malgré l'injonction royale de nommer I'É-
veque d'Oxfol'd, déclare qu'il ne procédera point a
une seconde t'lection, si la premien> n'est pas frap-




RivOLUTION DE 1688,
pée légalement de nullité par une Conr de Justice.
Leur serment les oblige d'aiIleurs a suivre les statuts.
Leurs établissements dans le College sont des francs-
fiefs qu'ils tiennent de la volonté des fondateurs;
toute affaire bénéficiale est justiciable des tribunaux
ou sont enregistrés les actes publics; en un mot, ils
ne peuvent etre privés de leurs droits et privileges
que par un jugement conforme aux lois. Tels furent
les arguments qu'ils opposerent a la Commission
ecclésiastique, dont l' existence illégale excitoit la ré-
probation universelle.


Le principe secret de cette affaire n'échappoit pas
au public; et toute la jeunesse du Royaume, qui re-
cevoit son instl'uction dans les universités, se faisoit
un point d'honneur de soutenir la cause de leurs
maltres. On comparoit d'ailleurs ces attaques sur
Cambridge et Oxford aux promesses royales de lais-
ser leurs biens et leurs fondations aux corporations
de l'Église Anglicane. On voyoit un projet formé de
glisser dans les écoles publiques des membres de la
Compagnie des Jésuites, qui, peu a peu établis, fi-
niroient par évincer les titulaires.


A la vérité, ceux de ces Religieux qui avoient le
plus de sagesse et de prévoyance avoient demandé
au Roí de fonder pour eux, dans l'une et I'autre
uní versité, un college qui leur fut particulier, avec
une dotatÍon spéciale, an lieu de les commettre avec
l'intéret personnel, an"c les dI'oits et les privilege~




}~N ANGLETERRE.


des établissements universitaires par une incorpora-
tion individuelle. Cette méthode eut réussi sans
doute; mais Jacques 11, naturellement économe, fut
effrayé de la dépense. Il s'étoit flatté que, par des
voies d'autorité, iI intimideroit les univcrsités et
parviendroit a leur enlever que]ques - uns de leurs
colleges. Il comptoit surtout que le corps académique
d'Oxford ne se mettroit pas si promptement .ni .si
vigoureusement, en contradiction avec les doctrines
d'obéissance qu'il avoit si pompeusement promul-
guées quatre ans auparavant. Son erreur fut cruelle,
et le précipita dans les plus fausses démarches. Étonné
d'une résistance si brusque, il hésita, il négocia, iI
fut tour a tour violent et timide; l'affaire fut sus-
pendue et reprise; enfin il l'ajourna lui-meme jus-
qu'au moment Oll, devant parcourir les provinces
occidentales du Royaume, il termineroit sans doute
par sa seu le présence des débats non moins dange-
reux qu'humiliants, puisqu'un Régent de college pou-
voit déja lutter impunément avec un Roi qui affec-
toit le pouvoir absolu.




S ()MMAIRE.


1687. - (SUITE;'



Sacre du Nonce, eomme Archeveque d' Amasie. - Courroux


du Pape contre l' Ambassadeur d' Angleterre. - Jacques Il
demande pardon au Pape. - Fin de la mission de Dyk-
welt. - Dernieres tentatives du Prince d'Orange pou\' une
cODciliation. - Il prend ses résolutions. --,- Irrilation mutuclle
du Roi et des États Généraux. - Conduite du Prince d'O-
range. - Le Comte Davaux soup<;onne ses projets. - Con-
duite du RoÍ. - Son allianee avec les Sectaires. _ Entrée so-
lennelle du Nonce du Pape. - Voyage du Roi. - Proposi-
lion po u\" l'indépendance de l'Irlande, et pour une Répll-
blique en ~cosse.-Mot du Roi a Portsmouth. - Pélerinage
a Sainte-Hunifrede. - Dessein du Vice-Roi d'Irlande.




Rlh'OL. DE 1688, EN ANGLETERHE.


lJIVRE XVI.


1 687 . - ( SUITE ).


LE ll10uvement contraire de l'esprit public et de
l'administration s'accéléroit chaque jour par des il1ci-
dents nouveaux l. Long - temps sollicité de paroltre
enfin publiquement avec les insignes de sa dignité, le
Nonce du Pape consentit, non pas a se faire recon-
nOltre en cette qualité, mais a se faire sacrer comme
A.r<~heveque in partibus d'Amasie, clans la chapelIe
Catholique de Saint-James. La cérémonie fut pu-
blique, au milieu d'un concours d' Anglois de toutes
les sectcs. Le soir, apres souper, le' Nonce parut
chez la Ueine a vec son habit d'Éveque. Le Roi et
la Ueine se mirent a genoux. « Cela,» dit Barillon,
dans une note chiffrée, ce surprit beaucoup de gens,
«. qui n'ont point vu les autres 'Rois demander la


I Lettre de Barillon.




nÉVOLUTION DE J 688 ,
c( bénédietion des N onces. Sa Majesté Britannique
c( s'en aper«;;ut, et dit que ce n'étoit pas comme
« N once, mais eornme Archeveque qu' on lui deman-
« doit la bénédiction. » Jacques 11 se félicita beau-
coup de cette cérérnonie avec l' Ambassadeur de
France. « Le Roí votre maltre,» lui dít - il, « ap-
c( prendra sans doute avec plaisir qu'un Prélat Ca-
c( tholiquea été sacré publíquement a ma Cour. »)
Et en quittant Barillon, il lui dit encore: « Vous
« voyez que je n'omets rien de ce qui est en mon
c( pouvoir. J'espere que le Roi votre maltre m'aidera,
(e et que nous ferons de eoncert de grandes choses
« pou!' la Religion. »


Baríllon se confondoit en paroles d'admiration. Il
n'en étoit pas ainsi de l'ambassadeur d'Espagne. Ce-
lui-ci témoignoit son étonnement de voir un si grand
concours de pretl'es avec les habits de leur ordre.
« Mais,» lui dit le Roí,)} n'est-ce pas l'usage en Es-
« pagne que les Rois consultent leurs confesseurs?)}
« Ouí, san s doute,» répondit dom Roquillo, c( et c'est
« pour cela que nos affaires vont si mal. »


Le Nonce du Pape ne se pretoit qu'avec répugnance
a une telle ostentation, dans un moment aussi cri-
tique. Il se plaignoit surtout, au nom de la Cou!'
de Rome, des imprudences perpétuelles et des inso-
lel!ces meme du comte de Castelmaine. Il remit
au eomte de Sunderland une lettre du cardinal Cibo,
ou se trouvoient détaillées toutes les plaintes du Souve-




ENANGLETERRE.


l'ain Pontife. Sunderland ayant demandé quelle ré-
paration le Pape exigeoit, le Nonee répondit seule-
ment qu'il avoit ordre de se plaindre.


Le eomte de Castelmaine, qui avoit obtenu avec
tant de peine le chapeau de Cardinal pour le Prince
'~Renauld d'Est, onele de la Reine, tl'ouvoit le Pape


invineible contre le P. Piter; et la Cour avoit solli-
cité l'Espagne de se joindre a elle pour le suect~s de
eette négociation, SUCct~s qui devoit etre le gag~ de
la conversion de l'Angleterre. D'un autre coté, Cas-
telmaine voulut s'immiscer dans l'affaire des fran-
chises., qui alors tenoit le Pape et Louis XIV dans
un état violente Il pressoit en parLieulier le cardinal
Cibo, qui étoit patron ou protecteur d' Angleterre,
Je terminer ces débats. c( Le Saint-Pere,» disoit-il,
«( doit des ¡'gards au fils alné de l'Église, qui vient
(l d'extirper l'hérésie de ses vastes États. N'en doit-
« iI pas également a un Prince qui a le meme désir
« pour ses trois royaumes? Que dira le monde chré~
(¡ tien, si, pour de frivoles disputes~ ces deux grands
( Rois sont maltraités par le Pere cQmmun des fideles?
f( Que le Pape regle ces différends, qu'il s'unisse avec
Cl deux mOllarques si zélés, toutes I~s tetes de l'Hydre
t( seront bientot abattues: nous commencerons par
« la Hollande. Eh~: que SOllt les Provinces-Unies, si-
¡( non un repaire de rehelles, de pira tes , d'héréti-
,( queSf» Telle étoít la prudence de l'ambassadeur
hritannique, et de ceux quí le dirigeoient. Le car"


J1. 16




RltVOLUTION DE [688,
dinal Cibo ne pouvoit comprendre de telles folies,
qu'il fit connoltre aux Cardínaux de l'Empíre. Ceux-
ci en informerent fEmpereur, qui en 6t part au
Princc d'Orange. Castelmaine cependant, ne pouvant
persuader le Cardinal Cibo, avoit demandé une au-
dience au Pape. Il lui reprocha d'etre plus touché
de son temporel que des maux de l'Église : sa con-
duite étoit le scandale de la ChrétÍenté : s'il n'accor-
doit pas an· maréchaI d'Humieres ce que celui-ci
exigeoit pour la France, et a la Cour de Saint-James
ce qu'elle uemandoit pour le P. Piter, lUÍ, ambas-
~adeur de Sa Majesté Britannique, alloit immédiate-
ment retourner en Angleterrc. Le Pape répondit
froidement: « Leí e Parlrone! Vous etes le maltre! )}
Cependant le cardinal Howard fit tout ce qu'il put
pour empechcr une rupture immédiate, et le cardi-
nal Cibo fut charge de transmettre au Nonce les
griefs du Souverain Pontife.


Dans ces altercations, iI étoit échappé ~u Pape
de elire du P. Píter : Plutot Cardinal qu1Éveque!
Et il ne vouloit ni l'un ni l'autre.·Mais le P. Piter,
consterné de ce qui s'étoit passé aRome, saisit adroÍ-
tement ce mot échappé au Saint-pere. Il~écida Jac-
ques 11 a la démarche la plus humiliante qui puisse
flétrir une tete couronnée. « Le P. Piter,» dit Baril-
Ion, (e est mórfifié de ne pouvoir paroitre avec
« quelque dignité en public et d'etre obligé de de-
l( meUl'el' toujours caché, quoiqu'il ail beaucoup de




EN ANGLETEURE.


{( part a la confiance du Hoi son maitre ... Sa Majesté
oC Britannique va écrire au Pape, et se plaindre douce-
« ment des lenteurs qu'éprouve la demande d'un titre
« d'Éveque in parúblls pour le P. Piter. La leUre
( commence par des excuses et des soumissions, sur
« la fante qu'a pu commeUre le comte de Castel-
c( maine ... Je crois me me que le terme de pardoll,
( sera employé. S'il y a des raisons insurmontables
l( contre le titre demandé, Sa Majesté Britannique
(( ne prétend plus insister sur cette grace, mais Elle
{( supplie en meme temps le Pape de faire le P. Piter
« Cardinal. Le Nonce ne saura ríen de cette lettre,
« qu'elle He soit partie. Tout cela est encore fort se-
« cret. Il a été besoin de beaucoup d'industrie aux
( amis du P. Piter, pOUI' déterminer le Roi d' Angle-
« terre a ce qu'il a faite Il auroit voulu aller par
« degrés ... On cherchera des expédients, ponr mettre
« ce Pere en possession de la dignité et des fonctions
« de Directeur de la Chapelle de Sa Majesfé Britan-
« nique~» La lettre partit réelJement telle que l'an-
non~oit l'ambassadeur de France. Elle dut faire un
étrange contraste, dan s l'esprit du Pape, avec les
négociations impérieuses de Louis XIV. Jacques JI
demandoit littéralement pardon. « Beatitudifli Ves-
« free veniam pro legato nostro serio deprecalnur,
( si quid vel re, vel verbo, ojjendel'it.» Mais le
Pape ne fut point désarmé par cette humilité. Il n'ac-
corda point le chapean de Caaal au P. Piter; el


16.




RÉVOLUTION DE 1688,
le eomte de Castelmaine l'evint en Angleterre, aprt$
avoir si follement eompromis la dignité royale et la
Religion meme.


Si la Cour montroit eette inhabile foiblesse dans
ses négoeiations, le prince d'Orange empIoyoit dans
les siennes un langage toujours mesuré, mais fort
et décidé. Il prenoit aussi des mesures qui annori-
<;:oient la volonté de ne pas abandonnero ses droits,
s'ils étoient compromis, peut-etre meme d'aller plus
loin, si des troubles sérieux ou quelque révolution
lui en donnoient l'occasion. Il prenoit sur les États-
Généraux un ascendant calculé, mais progressif.
L'armement des vaisseaux anglois lui avoit donné
un juste motif d'éveiller la sollicitude de la Répu-
blique; ses différends avec la ville d' Amsterdam
avoient été pacifiés par sa prudence, et chaque jour
iI y faisoit des progres contre l'influence du parti
franc;ais. Touts les prétextes, toutes les occasions
d'augmenter les forces mari times , et de pourvoir a
la pénurie des finances, furent saisis avec habileté.
Déja ineme, aux anciennes querelles des com-
pagnies angloise et hollandoise ~e l'Inde, se joi-
gnoient de nouvelles eontestations qui pouvoient
n'avoir d'autre solution que la force. Enfin les AIgé-
riens avoient eu récemment l'audace de venir croiser
dans la Manche, et malgré les traités, ils avoient
tl'ouvé un abri dans les ports meme d'Angleterre.
II n'en falloit patlllnt ponr se mettre ouvertement




EN ANGLETRRRE.


(,Jl pLat de faire la guerre, si la guerre étoit iné-
vitable, et de profiter de la fortune, si quelques
orages éclatoíent en Angleterre.


Dykvelt venoit d'etre rappelé : les États avoient
jugé que sa présence a la Cour de Jaeques JI de··
venoit ¡nutile par la prorogation du Parlement; et
le prinee d'Orange étoit parvenu a son but, quí
étoit de eonholtre pleinement les intentions du ROl,
les projets du partí eatholique, et les dispositions
réelles des autres faetions. L'habileté de Dykvelt
ne luí devoit ríen laisser a désirer. Il avoit vu en
dIet et appréeié les desseins formés sur la prineesse
de Danemark, la résistanee invineible de eette Prin-
cesse aux offres les plus séduisantes, la nullité aL-
solue du prillce son mari, le peu de faveur que
prenoít meme sur les Catboliques le plan éloigné
que l' on formoit sur le jeune due de Berwik, enfin
la vanité des espéranees que l' on aul'oít pu fondel'
sur la jeunesse de la Reine, pour avoir un héritier
de la Couronne.


Il avoit jugé l'aversion et la frayeur ';lniverselle
qu'inspiroit actuellement la domination du partí
catholique, la secousse violente donnée aux esprits
pat' le proees de I'Éveque de Londres, et par les
atteintes suecessives portées aux privileges des Uni-
versités; l'imprudente animosité que le Roi témoi-
gnoit contre I'Église Anglicane; la tiédeur des Pres ..
bytériens, el Ieur défianee devant le don qui leur




R~VOLUTrON DE 1688,
étoit offt>rt de la tolérance; enfin le puéril moyen
que la Cour employoit en caressant la secte des
Quakers ou Trembleurs. Dykvelt avoit re<;u perpé~
tuellement les protestations des Catholiques motlé-
rés, signes errtains de leur effroi pour l'avenir, {>t
de l'improbation qu'ils donnoient aux mesures de la
Cour. Il lui avoit été peu diffieile de leur persuader
que le prineed'Orange ne perséeúteroit personne pour
fait de Religion, quand iI seroit monté sur le trone.
Aux Anglieans, il avoit reúlOntré que le prince
d'Orange considéroit le maintien de I'Épiscopat
eomme une garantie néeessaíre de la Royauté. Lenr
intéret étoit done de s'unir a lni, malgré son pen-
chant au Presbytérianisme, paree que l'héritier pré-
somptif de la Conronne ne pouvoit et ne vpuloit
pas favoriser les doctrines républieaines qui avoient
détroné Charles ler : aussi l'Éveque de Londres
avoit:-il promis tout l'appui du Clergé,. si le Prince
employoit son crédit sur les Non-Conformistes; pour
les empeeher de s'unir au partí de la Cour.


Si la toléranee offerte aux Non- ConfÓi'mistes avoit
été sincere et fondée sur d'autres príncipes que l'in-
toléranee meme, Dykvelt n'eut jamais réussi dans
sa négoeiation avee eux; cal' il's avoient un souvenir
vif et récent des perséeutions de I'Église Anglieane.
Il fallut done, pour succombrr, des prodiges de
malhahileté dans le ROl, et de déeeption dans le
partí qui fascinoit sa foibh~ eonscience. lJt's Nol'l-




EN ANGLJn'.EIUtE. ~47
COllfol'luistes formoient alors qúatre partis princi-
paux: les Presbytériens, les Indépendants, les Ana-
baptistes et les Quakers OH Trembleurs. Les deux
dernieres sectes comprenoient le vingtieme de la
population; leur culte, san s dogme, étoit plutot
une association de charité qu'une Religion posi-
tive; mais leur charité embrassoit tauts les hommes,
sans acception de foi religieuse. Des mreurs simples
et pures les rendoient inoffensifs a toutes les sectes.
Leurs maximes d'égalité se rapportoient moins aux
eonditions sociales qu'a l'homme meme devant Dieu ;
et par príncipe ¡Is étoient soumis aux lois. Enfin
des hommes qui avoient horreur de l'effusion du
sang, meme par ]a guerre la plus nécessaire, ne
pouvoient etre des factÍeux sous aucun Gouverne-
mento lIs accueillirent done a vec une enthousiaste
confiance la tolérance que le Roí offroit aux cultes
diverso Quant aux Presbytériens et Indépendants ou
Puritains, ils éto1.ent beaucoup plus nombreux, et
formoient ensemble presque tout ce que 1'00 appe-
JoitNon-Conjórmistes. Les persécutions de l'Église
anglicane les avoient réunis a l'extérieul' ~ et ils ne
passoient plus que pour un seul corps. Ancienne-
ment divisés sur la formation et la discipline de
leurs ÉgI¡'ses, comme sur leurs dogmes politiques,
ils professoient une égale aversion po u!' le pouvoir
absolu el pour l'Ji.glise Romaiue. ~lais les Presbyté-
l'iens difIel'oit'nt en ceci; qll'ils regardoient COIIUI1C




RÉVOLUTION DI:: 1688,
essentielle, dans un presbytere ou district ecclésias-
tique, la subordination des Églises les unes aux
autres; qu'ils n'étoient pas éloignés d'adopter la
di~cipline et le gouvernement de l'Épiscopat, et
qu'ils faisoient profession d'obéir au gouvernement
légal; tandis q~e les Indépendants, ne reconnois-
sant que leur cinquieme monarchie, c'est-a-dire le
regne pUl' de Jésus-Christ, avoient horreur de la
Royauté temporelle, portoient leur anarchique ré-
publique dans leurs Églises, n'admeUoient d'autre
autorité dans la discipline, dans le service divin et
dan s la formation du sacerdoce, que l'autorité du
peuple. Ces deux sectes ne vouloient la tolérance
que pour elles, sur ce príncipe, que la vérité ne
peut composer avec l'erreur; elles n'en vouloient
pas surtout pour l'Église Romaine, qui, a leurs yeux,
professoit l'idoIatrie. Les Presbytériens auroient
adopté la liturgie anglicane, les Indépendants au-
roient proscrit les Catholiques. Ainsi ces deux sectes
ne vouloient a aucun prix l'abolition du Test.


En publiant la tolérance, la Cour 6t entendre aux
chefs des quatre partis N on-Conformistes qu'une loi
irrévocable seroit publiée, avec toutes les solennités
qui jadis accompagnerent la promulgation de la
Grande Charte; que toutes les lois pénales seraient
abrogées, et que tout Anglois, quelle que fut sa
croyance religieuse, seroit admissible aux emplois
publics. 11 s'agis50ít de réunir touts ces partís




EN ANGLET1.:RRE.


eontre l'Église anglicane qui domilloit les délibéra-
tions du ParIement; et le Roí, qui n'osoit plus ríen
espérer de la Chambre des Communes, espéroit qu'ell
appela~lt les Non-Conformistes aux élections, une
nouvelle Chambre se preteroit avec docilité a ses
projets. l\lais les chefs des quatre sectes se réunirent
pour conférer sur ce point. lIs scrutoient les Illotífs
seerets du Roí; ils se demandoient pourquoi eette
animosité contre l'Église Anglieane qui avoít sou-
tenu la royauté sous Charles ¡er? et pourquoi eette
eonfiance en eux, qui avoient fondé la République,
ou porté le bill d' exclusion ?


A l' exception des Qnakers, dirigés par le chevalier
Penn, ils convinrent donc de ne pas exciter de con-
troverse avec les Catholiques, et d'en laisser le soin
a l'Église anglicane; de ne se tenir éloignés ni. de
la Cou!', ni du parti épiscopal, pour ne forcer ni
l'une ni l'autre a se réeoneilier a leurs dépens; d'at-
tendre en un mot une oeeasion naturelle de se dé-
cider : car ils ne doutoient pas que eette toléranee
ne fut un piége. Dykvelt d'ailleurs, avant de partir,
leur promettoit, au nom du prinee d'Orange, une
toléranee pleine et entiere, lorsque la Princesse se-
roit sur le trone; et meme on s' occuperoit alors de
les incorporer a l'Église Anglicane, 3i chaque partí
vouloit faire des coneessions raisonnables. Enfin, iI
s'attacha surtout a dissiper les soupc;ons que le Prinee
avoit doublement inspirés, aux AngIicans eomme




RÉVOUJTION DE 1688,
sectaire' desPresbytériens, et a eeUx-ei eomme aspi-
rant au pouvoirabsolu.


Ces négoeiations avee touts les partís 1 n'étoient
pas eneore une eonspiration, puisque le prinec d'O-
range et ceuX qui se rattaehoient a ses intérets légi-
times faisoient au Roi des propositions également
justes pour les Catholiques, et honorables poul' la.
Couronne. Il s'agissoit, dan s le eUs ou le Roi n'in-
sistel'oit pas sur la ré~oeation du Test ~ de laisser
la tolél'ance de leul' cuIte aux Catholiques, d'augmen-
ter les revenus fixes de la liste civile, de voter
des subsides pour la marine, d'armer une fIotte puis-
sante qui fel'oit du Roí l'arbitre de l'Europe, ren-
droit a l'Angleterre la suprématie des mers, (>t arl.e-
teroit les progres de la grandeur fran<;{aise; enfin,
le Parlement aurait demandé que toutes les pl'ovinees
envahies par Louis XIV, depuis la paix des Pyré-
nées, fusseilt restituées aux divers États qui les avoient
~ .. dues. Ce grand projet Hattoit vivement l'orgueil
national, et quelquefois la vanité de Jacques II. Mais
il fut promptementabandonné par les Protestants
zélés, quand ils aper<;{urent, dans les attaques portées
aux priviléges et aux bien s des Universités, le but. se-
cret dé la toléranee royale. Partout ils s' éerierent que
le Roiayant violé ses promesses, tout l'argent qui




EN ANGLETER ftE.


lui seroit donné pOUI' lui et pour la fIoUe, ne ser-
viroÍt qu'a la ruin~ de la Religion protestante.


Le prince d'Orange ne se rebuta point et fit un
dernier effort sur le Roí. Dykvelt, rappelé par les
f~tats, obtint une derniere audience de Jacques II l.
L'entretien fut long, pressant et vif, de part et d'au-
treo Le Roí vouloit lui persuader que le Prince devoit
seconder ses projets et s'unir étl'oitement a ses des-
seins, pour établir la plénitud-e de la prérogative
royale. « Ce 11'est point a ce Prince qu'il convien-
« droit,» disoit-il, « de s'alarmer; si les Édits de
c( tolérance pour I'Écosse établissoient les bases de
« l'autorité absolue, puisqu'il étoit son successeur
« irnmédiat et qu'il hrriteroit d'un pouvoir sans en-
e( traveso Le Prince a re~u de trop grands préjugés
ce contre les Catholiques. L'intéret de la Royauté ne
(e permet pas qu'ils soient abandonnrs plus long-temps
« a l'oppression. Ne sont-ils pas les plus ~deles ser-
(e viteurs de la Couronne? Peuvent-ils jamais avoir
« d'autres intérets? La Religion étoit le prétexte des
C( Iois violentes portées contre enx; mais au fond
« elles n'avoient d'autre motif que l'affoiblissement
« de l'autorité royale. Le serment du Test n'a-t-il pas
« été inventé pou!, détruire le droit héréditaire? N'a-
ee t-il pas été fondé sur une cOl1juration imaginaire
« et monstrueuse? Ne contient-il pas des chosesatroces,


1 Lettres de Bonrepau5 el de Rarillon.




RÉVOLUTION DE 1688,
(e qui blessent meme la conscience eles Protestauls ~
« Un Anglois qui jure pal' ce s~rment que la Re-
(e ligion de so"n Roí est une idol:1trie, ne peut pas
« sans absurdité rester fidele sujet du Roi : la raison
« y répugne. Ce serment n' est done soutenu si vive-
« ment que pour les mernes causes qui 1'0nt fait in-
« troduire; nul hornme sincere ne peut tout a-Ia-füis
« se prétendre dans les intérets du Roi, et soutenir
..: ce qui n'a été inventé que pour l'exclure. A l'égard
« des lois pénales, si son autorité suffit pour les
I( susprendre, il est de sa justice de ne pas laisser
f( apres lui cet il1strument de vengeance contre ses
« amis les plus dévoués. S'il ne songeoit qu'a sa
( tranquillité personnelle, ne pourroit-il pas jouir
(e paisiblement des avantages de la royauté, sans trop
« examiner ce qui arriveroit apres luí? Maís la COl1-
« science, l'honneur et la politique se réunissent pour
« qu'il cherche a mettre les Catholiques en repos
« apres sa mort. Apres lui, ses successeurs feront
« ce qu'ils jugeront a propos, et il doit se remettre a
c( la Providence des événements; quant a lui, actuel-
« lement revetu de l'autorité, il en doit compte a
« Dieu, et il ne peut laisser dans une oppression lé-
« gale ceux de ses sujets qui sont restés fideles a
« l'ancienne et véritable Religion du Royaume. Il
« sait les bruits qu'on s'attache a répandre au sujet
« de la succession: autant d'artifices des factieux qui
t( venlent alarmer ses vél'itables successeurs. Il pst




EN ANGLETERRE.


« incapable d'une pensée non moins contraire a la
«( justice qu'á la tendresse qu'il porte a ses enfants,
« et en particulier a la princesse d'Orange. Mais ni
l( elle ni le Prince ne peuvent, sans lui déplaire,
( s'opposer a ses desseins qui sont invariables: leur
« devoir est de mériter par une soumission entiere
( a ses vreux la continuation de son amitié. »


D)'kvelt exposa successivement les griefs et les
alarmes des Protestants. c( lIs voient,» dit-il, « que
« leut' Religion seroit dans un extreme péril, si, par
« la révocation des loÍs pénales et du Test, Sa J\ia-
c( jesté pouvoit admettre indifféremment touts les
« Catholiques dans toutes les charges. Qu'ils entrent
« au Parlement et qu'ils soient rétablis dans la
« Chambre-Haute, le Roi pourra créer autant de
« Lords qu'il le voudra, et alors on s' occupera des
« mesures auxquelles on n'oseroit pas meme son gel'
« aujourd'hui. Alors encore les Catholiques ne vou-
lC dront pas retomber sous l'autorité d'un Roi pro-
(C testant; et si le Parlement se trouve dépendant du
« Roi, il vo~dra aussi exclure ceux qui ne seront pas
c( de la Religion régnante. Telles sont les alarmes des
« Protestants, alarmes qu'ils veulent justifier par les
C( maximes connues des Catholiques sur l'autorité
(e souveraine, par l' exemple récent donné en France,
({ par l'existence d'une armée campée aux portes de
( la capitale, et par le pouvoir que le Roi s'aUribue
( de sllspendre des loi5 qui ne peuvent etre ahrogées




RÉVOLllTION D.E l688,
« sans le concours du Parlement.» Apres cet ex-
posé des inquiétudes publiques, iI supplia le ROl
de les faire cesser, en renon~ant a la révocation du
Test. Il étoit temps encore de regagner la confiance
de ses sujets, fortement aItérée par les conseils vio-
lents des pretres qui l'environnoient. Le prince et la
princesse pouvoient-ils se preter a ces conseils im-
prudents? Ne devoient-ils pas ménager les esprits
des Protestants zélés? Pouvoient-ils, dans l'intéret
meme de Sa Majesté, s'exposer a perdre leur crédit
sur l'esprit du peuple? Tout ce que Sa l\Iajesté pou-'
'loit \eur demander, e' étoit de rester sans aetion et.
de ne prendre aueune part aux affaires d' Angleterre.
Si le Prince faisoit davantage, s'il se déclaroit abso-
lument favorable aux Catholj(fues, la Nation, actuel-
lement soumise, paree qu'elIe étoit moins inquiete sur
l'avenir, ne chercheroit-elle pas des remedes extremes
pourprévenir la ruine de sa Religion?


Le Roí re~ut avec vivacité, avec emportement.
meme ces réflexions. Il avoit toujours traité Dykvelt
avec distinction; et meme, dans sonaudience de



coogé, illui avoit fait un beau présent 1; mais, daos
eette derniere audience, il lui reprocha violemment
d'avoir eu des entrevues avec les fact1eul. les plus
décidés. Dykvelt répondit sans détour qu'il avoit eu
des relations avec les personnages les plus considé-


1 Leltre duo comte Davanx.




EN ANGLETERRE.


rahles de l'Angleterre, dans touts les partis. « e'est
( pOUl' cela meme que je me suis pennis, » -dit - il,
« de vous parler comme je l'ai fait; mais je suis
« hOlllH~te homme, et je suis incapable d'avoir pris
« avec eux aucune liaison qui puisse porter préju-
« dice aux intérels de Votre Majesté. »)


Au sortir de cette audience { , Dykvelt témoigna
au comte de Sunderland les plus vives alarmes SUl'
l'opposition inconciliable qu'il voyoit entre le Roi
et le prince d'Orange. Il supplia ce ministre d'adou-
cir les choses autant qu'il seroit possible, et d'inspi-
rer de la modération au Roi son maltre. 11 partít
ensuite pour la Hollande , et Van -Ci ters resta en
Angleterre.


Cette derniere démarche de Dykvelt fut secondée
inutilement par les Catholiques modérés 2, qui, ef-
frayés de l'irritation publique, voyoient surtout l'ave-
nir. (l II suffit, )} disoient-ils au Roí, « denous
(~ avoir mis a couvert de la ¡'igueur des lois. Avec
« un peu de condescendance, Sa Majesté peut ras-
« surcr l'esprit de ses sujets, et dissiper les soup-
« ~ons dont ils sont prévenus qu'elle aspire a chan-
« ger leur gouvernement. Si le Roí veut guérir leurs
« craintes, il peut obtenir beaucoup du Padement.
« Il faut surtout éviter des troubles dont on ne pré-


r Lettr~ de Bat'illon.
2 Idel1l.




RÉVOLlTTlON DE [688 ~
( voit jamais les suites dans une nation agitée. Il
ti: seroit trop périlleux de précipiter le prince <1'0-
« range dans des mesures déclarées, et de lui donner
« une occasion d'autoriser de son nom, de ses droits
«( el de son crédit, une révolte qui auroit ponr pré-
« texte la défense des loís et de la Religiondu pays.
« Mais le Roi, » dit Barillon, « connolt le piege
« qn'on lui tend, et le danger de ces conseils. Il
« parolt fort résolu de ne pas se reIacher. Il prétend
« poursuivre ses desseins comme il a fait jusqu'a
« présent. 11 faut pour cela gagner le Parlement ou
« le casser. Ce sera le sujet d'une délihération ¡m-
« portante. »


Le retour de Dykvelt décida la fortune de Jac-
ques 11, en fixant les résolutions du prince d'Orange.
Cet Envoyé ne démentit point, dans son rapport
aux États-Généraux, le caractere qu'il avoit montré
en Angleterre. Il s'exprima en termes modérés et
conciliateurs. Il se loua personnellement du Roi, et
ne dissimula ni les désirs de ce Prillce pour con-
server la paix avec la Répuhlique, ni ses inquiétudes
sur l'asyle protecteur accordé aux rehelles fugitifs,
ni ses mécontentements sur le traitement subi par
les officiers anglois compromis dans l'affaire du che-
valier Peyton. Mais la mission de Dykvelt ne se
bornoit pas aux seules relations publiques des deux
Gouverllements; et le prince d'Orange apprit de lui
tout ce qu'il lui importoit de savoir. Dykvelt avoit




EN ANGI.ET.ERHE.


trop d'habileté pour n'avoir pas acquis la certitude
que Jacques n ne pouvoit songer a la guerre sans
convoquer le Parlement; et que, dans l'état actuel
de la natÍon, un Parlement devoit etre un objet d'ef-
froi pour la eour, si elle n' abandonnoit pas le sys-
teme ou l'entralnoit témérairement le parti catho-
lique. Bien fixé sur l'animosité des Anglicans, sur
la défiance des tleux partis presbytériens, sur la nul-
lité politique des Quakers, et sur la haine qu'il avoit
inspirée au parti de la France et de& Catholiques,
le prince d'Orange arreta froidement· le plan de sa
conduite présente et future. Son langage envers le
Roi et ses ministres devint plus ferme, plus déci-
sif, plus altier. II attendit tout des occasions qui se
présenteroient naturelIement, ou qu'il auroit fait
naitre; il Íle manqua ni aux unes ni aux autres, et
ses ennemis sembloient ne travailler que pour lui.


Le Roi venoit de tenter un dernier effort, t:n
écrivant de' sa main a d' Albeville une leUre tres-
pressante qu'il lui ordonna de montrer séparément
au Prince et a la Princesse d'Orange. Dykvelt lui
avoit dit que le Prince pourroit consentir a la révo-
cation des lois pénales, maÍs qu'il n'ahandonneroit
jamais ceHe du Test. Quand el' Albeville exécuta les
ordres qu'il avoit rec,;us, iI trouva le Prince et la
})rincesse plus atTermis quejamais, s'exprimant touts
deux avec un ton de ressentiment qui excluoit toute
cspérance .raisonnable. D' Albeville voulut Jire h


JI.




n~vOLUTION DE 1688,
Guillaume que du moins on pourroit s'entendre 5Ul'
les loÍs pénales, s'il étoit inflexible sur le Test. « Ni


. « l'un ni l'autre,» dit le Prince. «( Dussé-je perdre
« touts mes hiens el les droits de la Princesse a la
« suecession d'Angleterre, je ne consentirai jamais
( a ce que le Roi demande. Je vous eharge de le
f( luí di re. » Le Prince l'avoit déja écrit lui-meme
an Roí, pour répondre aux propositions que Dyk-
velt s'étolt chargé de lui faire a son retour en Hol-
lande; maÍsce nouveau refus, si fortement exprimé,
6t évanouir toute espér,ance de coneiliation, au moins
pour le moment. 11 en résnlta une irritation violente.


Le eomte Davaux jugea que le moment étoit venu
d'entralner Jaeques II a une alliance intime avee la
France; et le marquis d'Albeville, qui entroit clans
ces vues, luí insÍnua qu'il falloit que Louis XIV
fit de:j off res au Roi d'Angleterre, pOUl' assurer le
sucd$ du parti cathoIique. u. Vousne devez,» ré-
pondit Louis XIV, « vous donner aucun mouvement
« pour apaiser les brouilleries du Princf' d'Orange
f( et du Roí el' Angleterre. Il est a croire que, loin
( d'avoir aucune suite Íiicheuse, elles faciliteront
C( l'exéeution des desseins de Sa l\lajcsté Britannique.'
« Vous ne devez pas non 'plus faire semblant d'en-
«( tendre les insinuations du marquis d'Albeville.
«Comme le Roi son maltre ne doute pas de rnon
« affection el du désir que j'ai de voir la Religion
« Catholique bien établic en Angleterre, iI faut




EN ANGLETERRE.


c( croire qu'il se trouve assez de force et d'autorité
« pour exécuter ses desseins, puisqu'il n'a pas re-
« cours a moi. »)


L'irritation personnelle de Jacques 11 et du Prince
d'Orange se manifesta peu a peu dans les actes pu-
blics, et passa bientot jusque dans les relations di-
ploma tiques du Hoyaume et des États-Généraux.
Ainsi, Iorsque Tyrconnel, Vice-Roi d'lrlande, ré-
formoit des of6.ciers protestants, le Princt' d'Orange
les prenoit immédiatement a son service. Jacques 11
lui recommandoit- iI quelques officiers cathóliques
pour les régiments au service des États, le Prince
répondoit par des refus durs et hautains. S'il se
faisoit en Angleterre des écrits contre les lois pé-
nales et contre le Test, 011 Y répondoit en Hollande
par d'autres écrits pleins de violence; et cornrne le
Roi ne doutoit pas que le docteur Burnet n'en fflt
l'auteur, il lui 6.t faire son prod~s en Écosse, son s
prétexte de complicité avec le dernier comte d' Ar-
gyle. Cité en effet pour comparoltre devant le Con-
seil d'Écosse, le docteur Burnet écrivit au cornte de
Middleton un rnémoire, sur lequpl iI fut condarnné
par défaut; et par suite de ce jugemel1t, d'Albe-
ville demanda tres - vivement que Burnet, jugé
cornme rebelle, fut livré a son souverain. Mais la
'1ille d' Amsterc1am, avec qui le Prince d'Orange
avoit eu l'art de se réconcílier, pria les États-Géné-
raux de prendre ce nouveau proscrit son s leur pro-


'7,




2tiO R}:VOLUTION DE 16t38,
tection, puisqu'il étoit devenu sujet de la Hépubl ¡cI Ut'
Burnet ne fut pas livré : le refus eles F~tats fut eon·
sidéré comme une insulte; et ehaqlle jour en fin If's
relations diplomatiques devenoient de plus en plus
contentieuses, lorsqu'il se présenta aux États-Gént~­
l'aux .et au Prince d'()rangc une occasion des plu~
singulieres de requérir l'intervention armée de l' An~
gleterre, et de savoir précisément ses intentions sur
la paix ou la guerreo


Les AIgériC'ns avoient eu l'audace inouie de sortir
de la Méditerranée. Cinc¡ ou six de leurs vaissf'allx
s'¿>toient portps au nord de I'Écosse,' pour attendrc
]a flolte Hollandoise des Indes. Il en parut un égal
nombre dans le canal de la Manche, attaquant d
pillant les vaisseaux Hollandois et Danois. Tls atta·
querent meme un vaisseau Anglois sur le<Juel se [roll-
voient cent vingt Bcligionnaires Franc;ais, qui pas-
soient el' Angleterre en Hollande.


Un de leurs corsaires, apres avoir pris un vaís~
sean Hollandois, avoit relachp a Plymouth et s'y
étoit radoubé. L' Anglelerre el la lloJlande jeten>n'
de hauts erig sur cette protection accordée aux ('11"
nemis de la Chrétientp, Les trait~s de l' Angleterre
avec la Régence d'AIger portoient effectivement (jUl'
les AIgériens ne pourroicnt se porter a la VllC des
places angloises, ni intcrcept~¡:' le cómmcrce. Mais
Jacques 11 répondoit que lesA Ig(. .. icns, en cas d'acci-
dent, pouvoient entrer dans les pOf'ts c]'Angleterl'c ..




:EN ANGL.ETERHE.


Vall- Citers, ministre de Hollande, s' étoit plainl
.tu Hoi de ce que ces pirates croisoient librement dans
Jt' t:anal, et le Roi, qui alors se trouvoit irrité contre
les États, lui avoit tourné le dos. Bientot apres, Van-
Cilt>rs lui présenta une Résolution des États, qui rc-
"I'H~roit Sa Majest{~ Britannique ou d'exécuter contl'e
les Algériens I'article 20 des anciens traités, OH d('
lourllir a la Hépublique les vingt vaisseaux qu'il de·
voit comme allié, en cas de guerre, suivant le traÍtl'
de 1678.


Le Roí répontlit par des railleries ameres a Vall-
Citers, et lui demanda eomment une République, si
fit~re de sa puissance navale, avoit besoin des secoul's
de l'Angleterre contre les corsaires d'AIger. N(~all­
llloÍns les pétitions multipliées du eommeree et l'ex-
pl'cssion non équivoque de l'indignation publique
l'avertirent qu'il étoit temps de ne pas laisser Ol.ltra-
gel' impullément la fierté nationale. Il donna done au
chevalier Strikland, quí étoit aux Dunes, l' ordre de


. t:roiser entre les Dunes et Calais, pour y attendre les
vaisseaux AIgériens, examiner les prises qu'ils avoient
faÍtes, les [(H'Cer de rendre les sujeol:s Anglois qui se-
roient sur leurs bords el de réparer leurs dommages.


:Mais, de son coté, Louis XIV avoit déja douné
l'ordre au chevalier de TOUl'ville de partir avec une
escadre (·t d'aller vC'ugel', sur les eótes m(~me de l'An-
gleterrc, l'oulrage que les barbares y faisoient a la.
dignilt- de l'Europeo Toul'ville devoit CUT parli de




RÉVOLUTION DI': J 688,
Brest, e.t pouvoit se rencontrel' inopinément a Ca-
lais avec le chevalier Strikland. Aussitot que le mi-
nistrede France et M. de Bonrepaus, qui étoit revenu
a Londres ponr les affaires d'Amérique, en furent
prévenus, iIs se hi1terent d'en avertir le comte de
Sunderland et le Roí lui-meme. Jacques II, quoique
préparé ainsi 1 la nouvelle, changea de visage et
demeura muet devant les deux ministres de France.
n comprit tont ce que devoit produire la rencontre
inévitable et imprévue des deux Amiraux. Une an-
cienne loi, qui remonte au Roi Jean, ordonne aux
Amiraux d'Angleterre de faire baisser pavillon a tout
vaisseau de guerre étranger qu'ils peuvent rencon-
trer sur ce que I'on nomme les quatre mers, P0Ut'
marquer la souveraineté angloise sur ces mers. Strik-
land sans doute obéiroit a cette loi, et Tourville,
fiel' comme son Roi et comme la France, abaisse-
roit- il le pavillon de France? Bonrepaus enfin tira
J acques II de cet embarras singulier. « Puisqu'il est
« impossible, » dit-il, « de faire parvenir au che va-
« lier Strikland des ordres assez prompts pour qu'il
«se retire, j'ose demander a Votre Majesté un con-
/'( seil pour le chevalier de Tourville : En queI lieu
« de la Manche devroit-il croiser, pour mieux exé-
« cuter les ordres du Roi mon maltre? » A eette ques-
tion, Jaeques II parolt sortir comme d'un songe
aeeablant. « Je erois,» dit - iI vivement, « qu'il ne
c( peut manquer les Algériens en eroisant du cap de




EN ANGl ... ETJ~RRE.


«( la Hogue a l'ile de Wigth. » c( Mais, » répliqua Bon-
repaus, « ne peut-il arri ver de ce coté-la aucun in-
(( convénient?» «( Aucun,» répondit Jacques II avec
sérénité. Les ministres fran~ois prirent alors sur eux
d'envoyer des chaloupes au chevalier de Tourville;
mais le hasard seul empecha la rencontre si redoutée;
et les AIgériens, que le temps favorisa, se retirerent
par le nord de l'Écosse.


Le Roí chargea ensuite le duc de Grafton; fils
uat urel de Charles II, d' aller a vec une escadre a
A]ger, de réc1amer la délivrance de touts les sujets
Anglois qui s'y pourroient trouver, et, en cas de
refus, de se faire rendre j ustice par la force. Grafton
se vanta publiquement qu'il feroit baisser le pavillon
aux vaisseaux fran~ois partout ou il en rencontre-
roit, et le ministere anglois se erut obligé de déclarer
que l'ordre n'en avoit pas été donné formellement.
l\lais Grafton n'insista pas mojns a répéter, lorsqu'il
passa ~en Hollande, que eet ordre existoit et qu'il
l'exéeuteroit. Quoiqu'il en soit, il ne fit aucune ren-
contre de vaisseaux fran~ois, et ne trou~a clans
la Régence d'AIger aueune résistance au maintif'll
des aneiens traités l. Jaeque.s JI d'ailleurs craignoit
la guerre, etaccepta sallS peine les moindres satis-
factiolls des AIgériens. II elltrevoyoit que toute hos-
tilité, n'importe avec quelle puissance, deviendroit


1 Leltl'e de llonl'epau~.




nÉVOLTJTION DE .688,
générale el} Europe; et dans l' état actuel de l' A n-
gleterre, il désiroit surtout la paix.


Le prince d'Orange et les États-Généraux étoient
bien convaincus et de ses dispositions pacifiques,
et de l'impuissance ou il s'étoit mis de faire la guerreo
Mais son Iangage quelquefoig mena<;ant leur étoit
un prétexte suffisant pour se tenir en mesure. Aussi
les écrits publics se multiplierent, comme pour dis-
poser les esprits du peuple a une guerre de Religion.
Le ministre J urieu, dans une circulaire pastorale
aux Pl'otestants 1, publia une lettre soi-disant écrite
par un Franc;ois sur le bord du vaisseau du comte
de Stirum. eette lettre annonc;oit que l'on avoit ren-
contré deux hatiments francois venant de Marseillp


b


et chargés de Religionnaires, qui devoient etre vendus
cornme esclaves pour I'Arnérique. D'autres vaisseaux,
disoit la meme lettre, se trouvoient prets a partir
de Marseille, et les ministres réfugiés orioient, du
haut de leurs chaires, que ces malheureux étoient
vendus aux harbares de l'Afrique. Un de ces prédi-
cants, ~éfugié de la principauté d'Orange, se fit
meme porter en chaire a La Haie. lnfirme, il pré ..
tendit que ses infirmités étoient le triste fruit des
persécutions qu'il avoit subies. Il s' étoit sauvé ·de
prison, disoit - il; et faisant d'énormes réeits des
maux de ses freres et de leut' futur escJavage ()ll


J Lcttrc du eornte Davaux.




EN ANGLETERRI~.


Afrique et en Amérique, iI tira des larmes de tout
son auditoire. Les feuilles publiques étoient remplies
de semblables exagérations. Partout on imprimoit
et I'on prechoit que telle seroit la destinée de la Hol-
lande et de I'Angleterre, si les desseins de Jacques n
et de Louis XIV pouvoient réussir. La lettre des Jé-
suites de Liége a eeux de Fribourg, que Van-Citers
avoit montrée a Jacques 11, fut répandue avec pro-
fusion; et te} fut }' embrasement du fanatisme contre
les Catholiques dans la province de Frise, que le
peuple y 6t bruler, par la main du bourreau 1, des
signes qui représentoient la Sainte Eucharistie.


Fort de cette disposition des esprits et bien assuré
d'etre soutenu en Angleterre, le Prince d'Orange
marchoit froidement, mais constamment, a son but,
fluí alors étoit d'humilier la France, d'abattre le partí
des Catholiques en Angleterre, et d'assurer la suc-
cession de la Couronne a la Princesse sa femme, en
se montrant aux peuples comme le protecteur na-
turel et nécessaire de leur Religion et de leurs libel'-
tés. La fortune et l'ambition feroient le reste. 11 luí
importoit d'armer peu a peu les États - Généraux
sous divers prétextes. Il s'étoit servi avec habileté des
armements qu'avoit ordonnés subitement le Roi
d'Angleterre. Les courses des AIgériens, si molIement
réprimées, avoient fourni une autre occasion natu-


1 Lcttrc du comte Davaux.




~66 RÉVOLUTlON VE 1688,
relle. A cette époque, les deux compagnies des lndes,
angloise et hollandoise, se tourmentoient récipro-
quement par des hostilités , et le marquis el' Albeville
présentoit a ce sujet des mémoires fiers et mena~ants:
ce fut une troisieme occasion que le Prince mit a
profit.


Déja iI avoít obtenu des fonds spéeiaux pour ache-
ver la eonstruetion des trente-six vaisseaux déerétés
en 1 6~b. Il fit voter un impot extraordillaire et de-
manda la levée de 9,000 matelots. Il lui importoit
enfin d'avoir la bienveillanee d'Amsterdam et de la
provinee de Hollande, naguere encore dévOl-lées au
pa.rtí de Franee : iI réussit a faire élire de nouveau,
pour einq ans, Fagel eomme Pensionnaire;, et cet
homme d'état, dont le erédit étoit immense dans la
république, se dévouoit a sa fortune. 11 lui faHoit
des troupes auxiliaires, soit pour la guerre si elle
éclatoit, soit pour ses intérets partieuliers, si les
armes devoient les soutellir; et ses négoeiateurs, par-
couroient seeretement toutes les Cours protestantes
de l'Empire. Il s'attaehoit surtout a déeider l'Em-
pereur a traiter de la paix ave e l'Empire Ottoman,
pour que les deux branehes souveraines de la ~Iaison
d'Autriehe, libres de tonte entrave, se trouvassent
capables de réprimer la Maison de Franee. J\1ais l'ha-
hileté de sa politique se montra surtout dans les me-
sures qu'il sut prendre ponr avoir asa disposition per-
sonnelle vingt-cinq vaisseaux de guerre ; bien assuré




EN A NGLETERRE.


que, s'il avoit une fois neuf ou dix mille matelots et
vingt-cinq vaisseaux a son cornmandernent, il pour-
roit a son gré faire telle entreprise qui lui seroit
utile, rnalgré les Í~tats-Généraux, s'ils s'y opposoient,
ou les y entralner par la seule force des éVtmernents
ou par l'impuissance de le contraríer.


En effet, le Prince d'Orange étoit Seigneur de Fles-
singue et de Williamstadt. Cette derniere ville lui
apparte~oit et n'étoit pas membre des États. Il
obtint de la province de Zélande qu' elle déposeroit
a Flessingue une partie de 5es vaisseaux. Quant a la
province de HoIlande, il prit ses mesures pour que
chaque amirauté fit conduire deux ou trois vaisseaux
a Williamstadt. Toutes ces mesures n'échapperent
point a la pénétration du comte Davaux <¡ui en pré-
vint Louis XIV.


Dans ce meme temps, le Prince de Hohenloo, fa-
vori de l'Empereur, se trouvoit a La Haye. Davaux,
qui désiroit líer quelques intelligences avec lui, se
servit de l'intermédiaire de Camproccio, Résident
de l'Empereur, qui snivoit l'impulsion du l\linistl'e
de France. Hohenloo, dont la tete foible et vive étoit
faeile a embraser, rec:ut avidement tont ce que Da-
vaux luifaisoit communiquer, se mit en relation di-
recte a vec le marquis d' Albeville, et parla au Prince
d'Orange, avec zele et chaleur, des projets qu'on
lui supposoit d'cxciter en Europe une guerre de B.e-
Jigion. Guillaurne, qui sans doute savoit apprécier




R~VOLUTION DE 1688,
le caractere de Hohenloo, lui parla en effet tres-vi-
vement contre les Catholiques, mais il chercha aussi
a luí démontrer la nécessité pour I'Empereur de faire
promptement la paix avec les Turcs, et de s'allicr a
touts les Princes qui clevoient redouter la puissance
ou l'ambition de Louis XIV. 11 ajouta qu'il avoit un
fort partí en Angleterre, « et ilue sOllffriroit jamais, »
disoit-iI, « que le Roi son beau- pere portat la llloindre
~ atteinte a la Religion protestante.» llar son sys-
teme actuel, Jacques n expose sa Religion aux plus
grands péríls. Combien iI seroit plus sage, pour luí
et pou!' les Catholiques, de laisser les choscs dans
l'état ou elles sont encore. Apres la mort du Roí)
les Protestants ne persécuteroient personne, si eux-


A ,. , , 1, ("
memes n aVOlent pas ete persecutes. .J est ce <}lW
lui, Prince d'Orange, ne cessoit de vouloÍr pel'SllJ$
del' a Sa Majesté Britannique; il avoit prié I'EUlJW-
reur avec Ínstance de faire agir ses Ministres dan~
cette vue en Angleterre, et iI conjuroit le l)rincc
lIe Hohenloo d'agir également de tout son cr(>dit au-
pres de Sa Majesté Impériale.


Hohenloo 6t savoir au comte Davaux ces confi-
dences du Prince d'Orange, par' les l\linistres de
l'Empereur, el' Angletel're el dc PoIogne. Il ajouta
qu'il voyoit Gllillaume obstim/~ a suscitcl' la guerre
au ,Roi de Francc; qu'il nc se contellt(~l'ojt pas de
prévenir I'Empereul' conll'c lui; (lU'iI iroit eH p\~l'­
sonnc a Vicnne pOUl' ['eprést'uter ;\ ~Oll ma'ill'c la ut!-




F.N ANGLETERRE.


cessjt(~ de la paix entre les Princes chrétiens; que
s'il avoit passé jusqu'ici pour un mauvais favori,
l'avenir <lonlleroit hient()t ue lui une autre opinion,
pl que dans pen le Roí de France connoitroit par
sa conduite la vérité de ce qu'il faisoit dire au comte
Davaux.


D'Albevillc le soutint dans ces uispositions par
d'autres révéIations, les unes chimériques, les autres
vraisemblables. « Non seulcment,» luí dit-il, ({ tout
f( ce que vous avez reconnu est vrai; sur le dessein
( d'pxciter une guerre de Religion, mais je sais en-
¡( eore q~e le Prince d'Orange veut faire un Empereur
( protcstant; et ce grand secret, iI ne l'a confié qu'h
( nne seule personne au monde.»


Le comte Davaux, qui ne croyoit pas un mot de
cet absnrclp projet, pada cepcndant au Princc de
Hohcnloo comme s'il y avoit cru. c( Le Prince d'O-
« range,» lui <lit-il, « a une ambition si demesurée,
« qu'il .pourroit bien songcr a se faire lui-memo
« Empereur protestant, lorsqu'il aura une fois réuni
c( les forces de l' Angletcrre et des États - Généraux
« aux forces de l'Allemagne protestante. »


Il est probable, sur toutes ces confidences, que
l'Empereur voulant faire éJire l' Archiduc, son fiIs ~
Roi des Romains, et craignant que Louis XIV ne
lui suscitat quelques obstacles, fit insinuer mysté-
rieusement au comte Davaux ce projet d'élire UlI
Empercur protcstant, projet auqucl Guillaunw JI 'a




nÉVOLUTION DE 1688,
jamais songé. Louis XIV en jugea aillsi, et n'attribu~
point au zele de la Religion les révélations de Hohen-
loo. Mais ce qui est vrai en tout cela-, c'est que le
Résident de I'Empereur, Camproccio, se montroit
personnellement. indigné contre tonte union de la
l\faison d' Autriche a une ligue protestante, et que
le ministre Colonna, Résident d'Espagne, l'appeloit
de touts ses vreux et de touts ses efforts.


Tandis que le Prince d'Orange mettoit en mou-
vement touls les ressorts de la politique pour se
cr~e¡' un immense parti en EUI'ope, et que ses desseins
réels, quels qu'ils fussent, restoient inaccessibles
a la pénétration des diplomates les plus habiles,
Jacques 11 se consumoit stérilement, cherchant a
vaincre par la ruse l'invincible défiance d'un peuple
qui déja ne le craignoit plus, d'un pellple qui sen-
toit qu'au dehors il avoit pour appui et qu'il auroit
un jour pour Roí un Prínce auquel il fut donné,
dans sa premiere jeunesse, de disputer et d'arracher
sa patrie aux armes victorieuses de Louis XIV.
Quelle triste el humiliante condition pour un sou-
verain qui avoit naturellement, dans le creur et clans
l'esprit, d'assez nobles qualités pour ctre un grand
Roí! Ses ministres, tremblants devant un avenir qu'ils
ne pouvoient plus se dissimuler, s'arrangeoient a la
hate du présent, et s'excusoient aupres de ceux qui
déja couroient au Prince d'Orange, en leur disant :
( T~ Roí vent etre obéi! ») Peut-etre meme ils leuI'




F:N ANGLETERRE.


disoient que le Prince un jour leur sauroit gré de
]eur ahjecte obéissance. Dpja Sunderlancl demandoit
a Barillon que son semestre luí fut payé d'avance,
comme s'i1 eut prévu, achaque échéance, que ce
seroit la derniere. D'Albeville recevoit aussi une
avance de 2,000 liv. du cornte Davaux; et le pre-
mier commis de l'amirauté vendoit pour 100 guinées
touts les secrets de I'État, tandis que le P. Piter
s'obstinoit, par l'espérance du chapeau de Cardinal,
a précipiter son malheurellx souverain dan s les
voies les plus hasardeuses.


Jacques II,' en effet, ne croyant plus possible
d'amener le Parlement a l'adoption de St:'S projets,
imagina que l(~ partí des Quakers lui donneroit peut-
etre une nouvelle Chambre des Communes entiere-
rnent dévouée : conception puérile autant que dan-
gereuse, qui réduisoit tOlltes les questions politiques
du moment a des questions de nombre. Ainsi la
Cour alIoit révéler elle-meme sa foiblesse réelle,
puisque la richesse, l'industrie , la propriété, le pa-
tronage si puissant en Angleterre, l'autorité des
loi5, le droit lt~gal et positif, enfin l'orinion pu-
blique, étoient pleinement dan s rOpposition. Une ex-
périence récente venoitdemontrerenÉcosse la vanité
de ces combinaisons. Jacques JI avoit cru gagner
les Presbytériens a son édit de tolérance, en les
appelant subitement au Conseil d'Écosse; mais ils
repousserent ce présent qu'ils croyoient dangel'eux,




RÉVOLUTION nE 1688,
et leur défiance les réunit au parti de leurs ancicns
persécuteurs : tant il est vrai que la seule véritp,
la seuIe magnanimité peut vaincrc les factions, si
elles peuvent etre vaincues.


Ne pouvant ni se passer d'un Parlement, ni s'ex-
poser au Parlement actuel, 011 agita sérieusement
la question de le dissoudre, et de faire des élec-
tions nouvelles l. Les ohjections se présentoient en
foule. Le Parlement qu'il s'agit de dissoudre est
celui me me , dísoit - on, qui a établi et affermi
le Roí; c'est a lui que Sa Majesté doit une' aug-
mentation considérable des revenus de la Couronnc.
Il y a done dans les creurs une Ínclination rét>lle
pour la Royauté. Le parti anglican professe haute-
ment les principes monarchiques, et c'est lui qui a
dominé dans les élections. Ne seroit-ce ras une im-
prudence que d'appeler aujourd'huÍ les sectes répu-
blicaines? Voudront-elles soutenir le trcme et pro-
téger la Religion Catholique? 011 répondoit que le
Parlement actuel s'étoit livré au prince d'Orange;
(IU'il s' étoit prononcé ouvertement contre la sup-
pression du Test et des loís pénales ~ qn'il ne falloit
plus ríen attendre de luí. l\Iais, avec U11 nouvean
Parlement, les engagements de partís sont rompus,
les cabales sont dissipées; chucun rentre dans sa
liberté premiere, et forme des engagements opposés,


[ Leltl'c de Bonrcpaus.




sans déshonneur et sans crainte. D'ailleurs le Roi
est maltre des corporatlons, ii le sera par consé-
(Iue~t des élections. Les sectaires se joindront au
partí de la Cour. Il est vrai que la majorité de la
Haute - Chambre est contraire; mais on gagnera
certainement quelques Lords, et le Roi en nommera
de nouveaux qui lui assureront la majorité. Dans
eette espéqmce, le Roí prononc;a la dissolutíon du
Parl~ment, mesure qui étoit devenue nécessaire sous
d'autres rapports; cal' la Chambre des Cornmunes
commenc;oit a etre irritée de St;S fréquentes proroga-
tions.


Pour avoir sur les élections toute l'ínfluence qu'il
étoit absolument nécessaire d'obtenir, le Roí prit la
résolution de visiter quelques-unes de ses provinces,
et d'y expliquer lui-meme ses intentions. Il changea
les chartes des corporations, 6t donner leurs ma-
gistratures a ceux qu'il croyoit dévoués a ]a Cour,
révoqua plusieurs shérifs et meme des gouverneurs
dans les comtés. Plus tard, il exigea que chacun ré-
pondlt par écrit a des questions sur lesquelles il
vouloit engager les électeurs les plus cOIlsidérables.
On yerra quelIe fut l'issue de ces mesures; mais,
pour les juger pleinement, il 'fant entendre Jac-
que s II lui-merne.


« Le Roi,» dit-il 1, ( savoit avec qnp-lle adresse


J iUém. de Jacqucs 11, 10m. 'In, p. 20).
11. !.H




RÉVULlJTION DE 1 6~8,
c( les ennemis dn Gouvernement avoient su versel' le
« poison de la méfianee dans les diverses COl'pora-
« tions. Son premier so.in fut done de les purífier
« du levain qui auroi't pueorrompre tout le Royaume.
« Il nomma en eonséquenee des Régulateurs, qui
« re~urent rordre d'inspeeter, la eonchúte de eertaÍns
« bOUl'gS, de eorriger les abus pal'tout Oll la ehose
« sel'oit possible; et, la OU cela ne se pourroit pas ,
« de confisquer les chartes et de 'renvoyer les mem-
(( bres.corrompus. jJ1ais, da/Zs cettp affaire COlnmt'
« dans presque toutes les autres, le Roi cut le
« malheur de ehoisir des personnes qui n'avoienl
( aucune des qualités requises pOUl' la eommission
c( dont elles étoient chargées, et qui étoíent en outre
« tres-désagréables au peuple. C'étoit un Conseil com-
« posé d'un mélange bizarre de Catholiques et de
« Presbytériens qui ne pouvoieut conserv~r aueune
« union entre eux, ni s'aecorder sur aueune mesure
« a suivre, qui eonvint aux intél'ets des uns et des
« autres. lIs ne servirent done qu'il augmenter la
« haine publique, par la maniere arbitraire dont iis
« cléposóient et nommoient tour-u-tour les membres
ü d,es eorporations. Ceux qui étoient introduits par
« force étoient touts Presbytériens, sans etre plus favo-
« rabIes aux intelltions du Roí que ceux qui venoient
« d'etre exclus; de sorte que Sa Majesté n'y gagna
( ríen qtl(~ le mécontentement du peuple, sans avan-


-{( ('PI' en rien l'a('complissement de son projpt, »)




EN :\NGr.ETf~nRf:.


Et e etoit sous de tcls auspiees que Jaeques 1I
alloit mettre aux prises, dan s les éleetions, toutes
les passions déja si émues dans son Royaume! Il se
r<lssuroit néanmoins par les adrf:sses qui lui étoient
présentées OH envoypes; jI s'y compJaisoit meme; et
l'histoire a conservé ceHe du corps des cuisiniers,
(Ju'il voulut recevoir en personne. On seroit tenté
de croire qu'il fut lcí la dupe de la mal ice de ses
ennemis, quand on lit ](>s termes employés par les
heaux esprit s de cette corporation. Comparant l'édit.
de tolérance ú la manne céleste dont la saveur plai-
soit it tout le monde, ils déclaroient a Sa Majesté
qu'il n'étoit pas plusfacile de satisfajre touts les
gOÚls, que de réunir les ei'oyances des hommes. Le
t~lit d'nne telle adresse, rf'~ue en personne par le
Hoi, seroit hien peu digne de la gravité de I'his-
toire, si elle ne représentoit Jaeques 1I eherehant. a
s'aveugler lui-meme sur l'expl'ession réelle de la so-
eiété publique.


Avant de commeneer le voyage qu'il avoit pro-
jeté, iI voulut enfin que le N once du Pape ñt son
entrée solennelle, eomme Ministre du Souverain
Pontife en Angleterre. eette eérémonie, qui fut tres-
pompeuse, donna au Roj la mesure des obstac1es
qu'il auroit perpétuellement a surmonter. Le due
de Sommerset, Premier Gentilhomme de la Chambre,
étoit de serviee, et le Roi Jui donna l'ordre d'aller
chercher le prélat dans son hotel. «( Sin'" » lui l'P··


18.




RÉVOLlTTION DE 1688,
pondit le Duc, « j'ai consulté lps jurisconsultes, et iis
« m'ont prouvé que je ne pouvois paroitre dans eette
(( cérémollie sans encourir l'indignation des lois. »
." - « Ignorez-vous, » répliqua Jacques 11 avec émo-
tion, « qu'elles doivent céder a mes ordres?» -
« Peut-etre, » dit Sommerset, » elles sont sOllmises au
« bonplaisir de Votre Majesté; mais pour moi, quand
f( elles parlent, je me crois fort petit devant elles. »
Jacques 1I lui tourna le dos, en lui ordonnant de
remettre sa commission et son régiment de dragons.


Les lois en effet défendoient, sous peine de trahi-
son, toute communication avec Rome et avec les
:Ministres du Souverain Pontife. La Reine Marie elle-
rncme, lorsque le cardinal Polus vint en Angleterre
pour absoudre le Royaume et le Parlement, le 6t
rester en Flandre, jusqu'it ce qu'elle eut obtenu la
révocation réguliere des lois précédentes.


Le duc de Sommerset, quoique chef de la maison
de Seymour et second duc d' Angleterre, n' étoit pas
~iche par lui-meme, et sa fO,rtune actuelle consÍstoit
presque uniquement dans les charges qu'il tenoít de
la Cour. Sa résistance et sa disgrace qui en fut la
suite ne firent pas moins d'impression sur les esprits
que la cérémonie meme qui en étoit la cause. Le
peuple se plaisoit a trouver en lui le descendant
de Sommerset, Protecteur d' Angleterre et onele du
jeune Édouard VI, qui avoit fondé l'Églíse anglicam~
apres Henri VIII. Les grands se flatterent (rimiter




}~N ANGL.ETERRE. '2"" r~ J /


son courage désintéressé, quand le Roi les mettl'oit
él l'épreuve.


Le eomte de Sunderland douna un exemple bien
différent; son fils, le comte de Spencer4 se déclara ca-
tholique, et lui-nH~me avoit promis de l'imitel'. Mais
cette conversjon qui pouvoit plaire au Roi fut jugée
séverement dan s le publico Spencer n'étoit connu
que par des mreul'S effrénées. La politique fut sans
BuI doute le mobile du pel'e et du fils. En ce temps-
la surtout, SunderIand étoit soup<;{onné d'entretenil'
des intelligences mystérieuses avec le prince d'O-
l'ange; du moiils on intercepta des leUres que sa
femme écrivoit a Sidney qui se trouvoít alors au-
pres du Prince. La comtesse de Sunderland désavoua
ces letlres. Sunderland persuada facilement au Boi
qu'il n'avoit pu mettre sa fortune et sa vía entre
les mains d'un homme qu'il dev?it hair. Sidney pas ..
soit pour avoir été l'amant de sa femme.


Louis XIV, prévenu par le comte Davaux de ces
correspondances souterraines, en con<;{ut des om-
brages contre Sunderland. Il suspectoít surtout le
dessein qui avoit été pris de faire passer aux Non-
Conformistes toute l'influence politique des corpo-
rations. Si le comte. de Sunderland avoit pris ce
moyen détourné pour avoir un parIement, malgré
les répugnances du Roi, iI se jouoit évidemment de
la France. Une Chambl't:' des Communes toute pres-
b,vtérienne pouvoit - elle entrer dans des projets




l\:t~VOLl!Tl0N DE 1 G\:H).
qui subordonnoient l'Angletel're ¡l la politi<¡ue de
Louis XIV? Jacques II seul pouvoit tenner les yeux
sur les dangers qu'uue Chambre ainsi composl~e
Jefoit subir a l'autorité roya le. Le prince d'Orange
ne s'y trompoit pas, et dans son opposition au Roi
íl ne manquoít pas de l'en avertir. Sunderland, qui
se pretoit si docilement a cette périlleuse combi-
naison, avoit trop d'habíleté pour n'en pas com-
prenure toutes les suites, qui éc.happoient a l'aveu-
glementobstiné duRoi. Il pensoitsans doute qu'avant
tout un Parlement étoít nécessaire, et qu'une toís
réuni, la force des cllOses feroit écrouler le sys-
teme qui livroit l'État a une minorité dont la seule
force étoit l'appui de l'étranger.


Avant de partir, le Roi s'occupa de changer les
Aldermen de la cité. Ils furent remplacés par des
Non-Conformistes. C'étoit le prélude des memes
changements qui se préparoient pour les corps et
communautés des villes de l'intérieur. La sensation
fut extreme dan s le public, et Barillon, qui en rend
compte a Louis XIV, ne lui cache pas que par ces
mesures tout le Gouvernement va passer entre les
mains des Non-Conformistes et des Indépendants.
« Il n'est pas aisé de juger,» dit-il, « si ce partí
« fera ce que le Roí d' Angleterre désire en faveur des
c( Catholiques. Mais il n'y avoit ríen a attendre du
« parti épiscopal.» Louis XIV, ciont le jugement
étoit plus fCl'me, ue douta poillt que c('tle péripétil'




J<:N ANGL1~T1UUU~.


P(~ {út tres-dangereuse, et que Jacques 1I n 'eut pI!
se réconcilier a vec les chefs de I'Église anglicane.


A cette époque, Bonrepaus avoit été envoyé en An-
gleterre, pour négocier encore an sujet des possessions
fran~oises et angloises de I'Amérique, et ponr don-
ner une plus grande extension au traité de neutra-
lité contracté }'année précédente. Sa mission ne Sf'
bornoit pas uniquement a cet objeto Il étoit chargé
de bien examiner la situation réelle de la Cour d'An-
gleterre et d'en rendre compte. Bien vu du Roi
Jacques II, qui aimoit a l'entendre parler sur la ma-
rine et le commerce, doué d'un esprit juste, actif
et pénétrant, iI ne tarda pas a se faire une idée
complete de la situation du pays. I1 6t passel' an
marquis de Seignelay. des mémoires tres-circonstan-
ciés sur toutes les parties de l'administration et du
Gouvernement, sur le caractere du Roí et des Mi-
nistres, sur les intrigues de la Cour, sur la puissance
de l'Oppo;ition, et sur l'inévitable conclusion du sys-
teme dominant. Mais il s'embarrassoit peu de ce qui
arriveroit au Roi d' Angleterre , íi ne voyoit que la
France et les intérets de la France. Discutant froÍ-
dernent l'état réeI des dIOses, iI propoga nettement
de prendre un partí décisif. « Le Roí d' Angleterre,»
disoit-il dans ses lettres successives, « pal'oltmalheu-
( reux de n'avoir personne aupres de lui dont ji
« puisse etre silr. Mais il le seroit bien da vantage ,
« g'il voyoil tout ce que les autres voipnt. Ses l\li-




~8o RtVOLUTION DE 1688,
(e nistres regardent toujours son successeur, comme
ce s'il étoit aux portes de Londres, pret a leur faire
« rendre compte de tout ce qu'ils ont faít coutre les
« lois et contre la CourOllue. Comme le Roi prétend
« que tout ce qu'íl fait est pour maintenir la préro-
« gative royale, le pl'ince d'Orange répond que la
« suppression des lois pénales et du Test détruit en-
« tierement la Royauté, en appelant les Républicains
« au Gouvernement; et sU!' cela ii prend a partie
« ceux qui condescendent aux volontés de Sa Ma-
« jesté Britannique, avec une audace qui feroit fré-
(e mir les hommes nourris dans l'amour et le respeet
ce d'un Roi légitimement régnant. Les Catholiques
« sont ceux qui sont le plus effrayés des menaces
« du prince d'Orange. Il en est qui prennent avec
(( lui des mesures secretes. Les autres out des vues
« pour avoir un successeur catholique. On pense a
« la conversion de la princesse de Danemark; on
« pense également au duc de. Berwik. il y a des
« exemples que les bcital'ds ont suc.cédé a la eou-
( ronne; et dans ce moment on seme des manifestes,
« pour prouver que la naissance de la Reine Élisa-
« beth n' étoit pas légitime. Dans ce projet , on auroit
ce en vue de marier le duc de Berwik avec une Prin-
« cesse de Franee, pour appu yer le droit que le
~e Roi d' Angleterre et le Parlement luí pourroient
(( donner. Ces projets sont vastes, mais on se repait
« ici de toutes ces imaginations. »




EN ANGLETEHRE.


Bonrepaus, tres-persuadé que Jacques 11 ne réus-
sira point dans ses projets, fait remarquer la persua-
sion ou se trouve le peuple, que, clans tres -peu de
temps, le Prince d'Orange montera sur le trone. Cette
opinion étoit produite par des écrits multipliés et des
nouvelles a la maÍn sur la santé du Roí. On y faisoit
beaueoup de conjectures sur une attaque de goutte
qu'il avoit eue récemment. C'étoit un mal de jambes;
et 1'011 insinuoit que le feu roí son frere avoit eu, peu
de temps avant sa mort, un mal semblabJe. Bonre-
paus se livre done a des conjecfures sur ce mal, sur
sa cause, et sur la longévité probable du Roí. Quoi-
qu'il ne le eroie pas entierement guéri de ce qu'il
númme ses anciens l1zaux, et qu'il leur attribue
tout a-Ia-fois la mauvaise santé de la Reine et la
mort prématurée des quatre enfants dont elle avoit
déja été enceinte, il ne doute pas que le Roi ne vive
encore long-temps. lVIais iI veut prévoir les cas for-
tuits, et les suites qu'entralneroit pour la France
l'accession dú Prince d'Orange a la Couronne d'An-
gleterre. Dans cette perspedive, il demande l'auto-
risation de s'entendre avec des affidés du lord Tyr-
connel, pour l' aider a se rendre maitre de l'Irlande;
et il annonce que l' on pourroit en meme temps four-
nir des secours a I'Écosse, pour y chan~er le Gouver-
nement en République. ce Plus{eurs Seigneurs,» dit-
il, e( entl'eroient dans ce projet. Le comte de Perth~
.( Chancelier, et le comte de Melfort, a qui le Roí




nÉVOI,UTIOl\' ))J.: 1 G¡')8,
( laisse entierement le GOUVenlt'llleut de ce ro.vaUllll',
« n'auroient pas d'autre ressouree, si le Prince d'O~
{( range deveuoit Roi d' Allgleterre. » Ces insiuuat iOllS
délieates Be furent ni aceueillies, ni rejetées pOli\'
l'Éeosse; mais, relativemellt i. 1 'lrlande, Bourt'paus
re~ut l'autorisation qu'il désiroit, et iI en 6t usage
pendant le voyage que Jacques II avoit résolu de
taire dans l'ouest de l'Angleterre.


On avoit eonseillé les bains a la Reine, qui espé-
roit y reeouvrer assez de forees pour donner t'nfin
un héritier a la Couronne. Elle se rendit a Bath; lt>
Boi en prit oceasion d'y aIler lui-meme, et de don-
ner, dans les provinces qu'il devoi t parcourir, un mou-
vement favorable a son Gouvernement. 11 avoit aussi
l'intention 1 d'implorer l'intervention divine par un
pélerinage a une Chapelle, jadis tres-célebre, du pays
de Galles, pou!' avoir un fils; et, dans eette esp~­
rance, la Reine avoit envoyé des présents magni-
fiques en Italie, a l'église de Notre-Dame de LOl'ette.


Le Roi partit le I er septembre et se rendit a
Portsmouth, ou Bonrepaus avoit obtenu la permis-
sion de se renclre. Aimant a s'entretenir de la marine,
la conversation de Bonrepaus lui étoit tres-agréable.
Il lui mOlltra les forti6eations qu'il avoit déja faítes
et celles qu'íl avoit le projet d'y ajouter, tant a Ports-
1l10uth qu'a ra ville de Gaspa, située vis-u-vis et de


\ Mém. de Jacques 1l.-LetLl'l' de .Barillon.




EN AN GLJ::TEHRE. :ú;3
l'autre coté du porto 11 y a entre ces deux villes une
¡le qui rétrécit l'entréedu porto Jacques 11 l'y conduisit,
pour lui montrer non-seulement une batterie qu'il y
avoit mise, mais encore l'emplacement d'une citadelle
t[u'il y vouloit faire btltir, el quí devoit dominer éga-
lement les deux villes de Portsmouth et de Gaspa.
« Le canal de l'entrée du port a trente brasses de
« profondeur en ce líeu-la,» dit Rourepaus, «et rien
« dans le monde n'est plus beau. » Sa situation et son
étendue excitoient son admiration, et il fit observe!'
au Roi que si touts les ports étoient situés comme
celui de Portsll1outh, l'invention des galiotes abombes
seroit absolument inutile. « Les précautions que je
« prends,» dit le Roi, (e ne sont pas contre les bombes
« qui pourroient venir de la mer, llzais bien du co'té
« de la terre; et assurément je prétends bien mettre
« la place de Portsmouth .en tel état que je n'aie
« point a craindre d'y etre insulté.» Quel aveu de
ses tristes presselltiments. « Dans toutes les conver-
« sations,» dit. encorellonrepaus, « que j'ai eues
(e avec le Roi d'Angleterre a Portsmouth, j'ai vu
« qu'íl n'avoit pas l'intention d'employer sa marine,
« et que, daus touts ses desseins, au contraire, il ten r
« doit a se fortifier du coté de la terre contre ses
« sujets. »


De Portsmol1th j usqu' a Ba th, ou il arri va le 1 ti :
.lacql1es II montra la plus grande affabilité. Parcou-
rant alol's précis(.J)wnt le théfttre de la révolte de




RtVOLUTI0N DE .688,
Monmouth, il s'attachoit a y répandre des paroles
de douceur, et prenoit un soin particulier a dissiper
les ~raintes que les Catholiques inspiroient aux N 011-
Conformistes. Il ne cessoit de rppéter que s'il en
avoit admis qllelques-uns dans les emplois civils et
militaires, iI n'avoit aucune íntention de les f.·lire
entrer dans la Chambre des Communes, et que par
la toute innovation devenoit impossibIe dans les af-
faires de Religion l. Ce langage eut beaucoup de suc ..
ces. Quand il vint a Chester, le peuple effrayé n'o-
soit se rendre au marché, dans la crainte qu' on ne
le forc;;at d'aller a l'office des Catholiques. Mais bien-
tot désabusé, il vint en foule pour jouir de la pré-
sence du Souverain, surtout lorsque Penn et Barkley,
chefs des Quaker~, y eurent preché sur la liberté
de conscience.


Non loin de Chester, dans le vilIage d'Holy- Well,
se trouve la chapelle de Sainte- Hunifrede, célebre
de tem ps immémorial dan s le pays de Galles. Quoi-
qu' elle fut en ruines par suite des guerres civiles et
religieuses, la dévotion y attiroit toujours un cer-
tain concours d'infirmes et de pélerins. Le Roi, qui
s'y transporta, y fit célébrer les saints mysteres.
« Quelques gens de sa suite,» dit Barillon 2, (e se
« sont baignés dans la sainte fontaine. La supersti-


I i\lém. de Jacques ll, lomo llI, p. 205.
> Lettl"e de Barillon.




EN ANGLl~TERRE.


« tion du pcuplc a donné líeu a beaucoup de con tes
ce fabuleux. La vl~rité est que la dévotion des Catho-
ce liques y a subsisté dans touts les temps. La cha-
(( pelle a été rebt1tje par ordre du Roi. I}on conti-
« nuera d'y célébrer la rnesse et d'y recevoir ceux qui
« viendront en péJerinage.»


Cette dévotion du Roi fut si cruellement et si hon-
teusement dénaturée peu de temps apres, que les
plus minutieux détails deviennent ici des faits his·
toriquf's d'une haute importance. Il ne faut pas dou-
ter que les ennemis de Jacques 11, qui considéroient
le cuIte des saints comme une idoIatrie, ne fissent
ressortir avec empresspment le contraste singulier
d'un Prin(!e qui entretenoit a la Cour des amours
obscurs et quelquefois ridicnles, et qni venoi~
faire un pélerinage a Sainte - Hunifrede. Mais la
foiblesse du crenr humain ne concilie que trop
bien ces tristes inconséquences. Jacques II, plus
que personne, y étoit accessible, et }'histoire doit
l'absoudre de toute hypocrisie. C' est, au contraire ~
parce qu'il étoit tout a la fois sincere dans sa
croyance et alarmé sur ses foiblesses, qu'il s'aban-
donna sans I"éserve a des hommes qui s'empare-
rent des troubIes de sa conscience pour s' emparer
de l'État. Certes, l'intéret de la Religion n'exigeoit
pas, dans la situation actuelle du pays, que le Roi
de la Grande- Rretagnc se montrat en spectacle,
~ous les traits d'un pélerin superstitieux. Tel fut ce-




~86 H]~\'OI.llTJOX HE I (i88,
pendant l'effet désastreux d'une telle eonduite, que le
penple y vit bientót la comhinaison la plus 1110ns-
trueuse et la plus vile. « Dans ce voyage,» disent
les mpmoires de Jacques JI 1, « iI est probable que
« l'intention du Roi étoit de demander an ciel la fa-
« veut· que la divine providence daigna effectivement
« lui accorder; car peu de temps apres, la Reinf'
« devint enceinte, ce qui causa autant de joie a leurs
(e J\lIajestés, que de jalousie et de mécontentement a
« I'Église Anglicane. 11 n'y eut pas de faussetés ni
« de calomnies que ses membres ne se permirent de
« répandre, pour créer des sonp.,;ons sll1' la réalité
« d'un événement que leur intéret ainsi que lenr
« devoir auroient dil leur faire regarder cornme Ull
« des plus grands bienfaits du cielo »


Pendant ce voyage, mylord Tyrconnel s'étoit rendu
a Ches ter aupres du Roi et prit ses ordres sur }'Ir-
lande. Un mois apres, Barillon annon.,;oit a LouisXIV
la résolution de renverser ce que 1'0n nommoit l'Éta-
blissellzent, e' est - a -dire, de rendre aux Irla'hdois
les biens dont ils avoient été dépossédés sous la Ré-
publique. Cet Établissement avoit été confirmé a la
restauration. I( Les mesures, » disoit Barillon, (( sont
« prises pour en venir a bout. Le renversement ·de
« cet établissement, fait en faveur des reheJles et des
« officiers de Cromwell, est regardé ieÍ comme ce qu'il


1 }fém. de .Jacque~ II, IOIll. ItI, p. rH!).




EN ANGLETERRt:.


( y a de plus important, pt, s'il peut etre exécuté
« sanso opposition, ce sera une entiere separation de
t( I'Irlande d'avec l' Angleterre pour l'avenir. e'est lt'
« sentiment général de touts les Anglois. »


Les desseins du noi sur l'Irlande embrassoient
l't>space de cinq annees l. Ce temps luí paroissoit né·
cessairc pou!' fortifier ce Royaume, et pour y pré-
parel' un asyle, indépendant de son successeur, aux
Catholiques, si le prince d'Orange lui succédoit.
:Mais le duc de Tyrconnel avoit des vues moins éloi-
gnéf·s. Un seigneur d' Angleterre, qui avoit son en-
tiere confiance, et qui traitoit avec le Roí de toutes
les affaires d'Irlande, fit proposer a Bonrepaus de
se rendre a Chester. Tyrconnel lui avoit permis dp
s'ouvár a luí. « Les nesseins du Vice-Roí,» dit-iI.
( étoient subordonnés a la vie de Jacques 11, et il
c( prenoit des mesures, á tout événement, pour se
« R1ettre sous la protection du Roí de France. Ce-
« pendant il pressoit vi-vement le Roi d'Angleterre
(e de faire sur le champ des magasins (rarm'e~ et de
« munitions de toute espece, et déja on venoít d'en-
« voyer en Irlande un vaisseau charge de poudre,
c( d'armes et de mortiers abombes. » Bonrepaus, qui
n'avoit point encore rec;u la répoRse du marquis de
Seignelay, n'osa prendre sur lui de se rendre a
Chester et de s'exposer sans mission a de telJes con~


r Letll'e de Bonrupaus.




RÉVOLUTION DE 1688,
fldences. Peu de temps apres, il re<.;ut de Franc~
l'autorisation qu'il av01t demandép. « Sa Majestl~, »)
disoit M. de Seignelay, « tt'ouve ]'affaire tres impor-
( tanteo Si la personne dont vous parlez a une créanep
«( positive de mylord Tyreonnel, vous pouvez lui
« dire que le Roí agrée les propositions qu'il fait ~
« et que, la conjoneture arrivant de la mort du Roi
«( d' Angleterre, s'il se trouvoit en état de se soutenir
« dans l'Irlande, il pourroit compter sur des seeours
« considérables de la part de Sa Majesté, qui fera
« disposer toutes les choses néeessaires a Brest pour
I( eet effet. Mais comme une matiere de cette imper-
« tance demande un secret im pénétrable, iI est bon
« que vous l'assuriez que cela ne passera pas par
« M. de Barillon » (l'agent de Tyrconnelle trouvoit
trop lié a Sunderland), « et que vous preniez des
( mesures pour une correspondance di recte avec my-
« lord Tyrconnel , afin que l' on puisse, en cas de be-
« soin, díscuter ave e lui les conditions sous lesquelles
« Sa Majesté luí pourroit accorder ses prétentions
« et les secours nécessaires pour maintenir la Reli-
«( gion Catholique dans l'Irlande, et séparer ce
« Royaume du reste de l' Angleterre, en cas qu'un
({ Prince Protestant parvint a la couronne. » Fort de
eette permission t, Bonrepaus ne perdit pas de temps,
et Tyreonnel luí fit savoir qu'avant un an tout se-


1 Lettre du 9 octobrc,




F,N ANGLETERRF..


roit disposé en Irlande. Il enverroit pour cela un
agent secret a la cour de France. Quant a I'Écosse,
Bonrepaus, de qui au reste la mission en Angleterre
:lUoít finir, renoJ,lvela encore ses premieres propo-
sitions pour y établir une République, et annon<;a
au marquis de Seignelay qu'il s'en entretiendroit
verbalement avec lui.


ir. 19




SOMMAIRE.


1687. - (SUITE).


Suite du voyage du Roi.-Ses débats avec I'Université d'Ox-
ford. ---- Conduite du parti de l' Opposition. - Grossesse de la
Reine. - Conduite de la Cour pour les Élections. -Inutilité
de ses effol'ls.-Installation du Lord-Maire. -Le P. Piter
admis au Conseil d'État. - Poli tique du Comte de Sunder-
laud.-Négociations avec la Franee pour I'Amérique. -Af-
faire de la Brigade Angloise. - Mécontentement de Churchill
et de la Princesse de Danemark. - Discussions avec les Etats
sur la Compagnie des Indes. - Le Marquis d' Albeville re-
tourne aupres des États. - Le Prince d'Orange établit son
parti en Angleterre, el se prépare des allianees dans toute
l'Europe.


..a




Rl~VOL. DE [688, EN ANGLETERRE. 29'


I~IVRE XVII.


1687. - (SUITE).


LE Roi, qui avoit ajourné l'affaire de l'université
d'Oxford, voulut profiter de son voyage pour'la. ter-
miner lui-meme. Lorsqu'il arriva dans eette ville,
touts les eolléges de l'université vinrent sueeessive-
ment lui présenter leurs hommages. Mais quand ee-
lui de la Madeleine fut admis en sa présenee, il dit
aux Régents: c( Qu'il n,e vouloit ni entendre leur
« harangue, ni leur parler, avant qu'ils n'eussent
« obéi a ses ordres, en nomrnant I'Éveque d'Oxford
« pour leur Principal ou Président.» Un des rnem-
bres du eollége ayant voulu répliquer, « le Roi,»
suivant le rapport de Bonrepaus, « se mit dans un
c( transport de fureur extraordinaire;» il leur dit:
« Qu'il sauroit bien se faire obéir, et qu'il leur feroit
« senti;la pesanteur de la main d'un Roí justement
(( irrité eontre des sujets désobéissants.)} Presque


'9-




niVOLUTION DE 1688,
suffoqué de eolere, il fut obligé de sortir pOUl' se
calmer, et rentré quelques moments apres, il Jit
aux Régents: ( Je veux savoil' de vous-memes s'il
« ll'est pas vrai que vous avez re<;;u ma lettre, et que
( vous n'avez point obéi a mon ordre.») - ee Oui ,
« Sire; mais nous ne pouvions obéir. » - « Il sb.ffit.
« J'ai voulu tirer cet aveu de vous-mcmcs en public,
« afin que le chatiment de votre désobéissance ne
( paroisse extraordinaire a personne. )}


A cette occasion, Bonrepaus. qui rend compte de
cette scene, ne dissimule pas a la Cour de Versailles
que, par ce procédé, Jacques 11 s'engage d<> plus en
plus dans la néces~ité dereeourír a la France. ({ La
ce cond1iite du Roí,» dit-il? « pour établir les Catho-


. « tiques dans les col1éges, est d'autant plus extraor-
(e dinaire, qde loin de pOUVOtl' servir la Religion,
« éllepróduit 'un effet eontraire. Le nouveau con-
(e 'vetti t{a'H avoit ",uro ·j:ntroduire '8 la M~déleihe
« ~~B.nt etl~ t4eéotttlll d~ tí\imtáises :ni~urs, Sa Majésté
(e Britlli1niqtH:~fttt ¿.bHgée de s'en désister, et il rte s'agit
« plfiS m:aintenanfd'úh ;Catholrque. Mais .le pttrle des
« éffocts qu~ila faitspoUI' en mettre dans toutsles
l'( colléges. Cár, d~s que ces gens-Hl sont déclarés
(l Cat'l\dliqü~s, 'comffie il yell a déja un ait coHége
l( du Christ, et un Rutte un 'coHége de rUniversité,
« les '~roliers les lhéprisent, et aH tren d'aH("[, a feurs
~( te~ons~ ils s'ap~lütuent a les itournér Ph t'idicllle.»
Cf'tte ~(tfaire serdit misél'able si ('lIe 11l' pr¡'sctltoit ras




EN ANGLETEH.RL


J(, s'ylllptome le plus décisif des alarme& d'upc na-
tíOJl qui s'attache au moin{lre éVt!ll61l1ent pour ma-
nifester son oppositioQ. Elle fut le prélude d'une
autre affaire, apres laqueHe tout fut saps rfmede :
eelle du Clel'gé anglican.


Le Roí vouloit etre ohéi, ~t donpa l'prdre de
procéder a }'élection de I'Éveque d'OJford. Betirés
dans leul' coHége, les Régen~s confirrnerent leul'
électioQ premiere, a la majorité de dix-neuf voix SUJ·
vingt et une. Cette décision, prise en face du Roí
memc, ne laissoit plus d'autre issue qqe la violence,
et pal' conséquent la viol~tion d(l$ statuts t>,t privi-
léges d'un corps qlÜ ne pouvoit ~tre attaqué S&JlS
<lue les coups ~e portassent direGtement sur l'Église
Anglicane. C'est ainsi qu'une affaire qui ~evoit etre
cnsevelie dans la poussiere des classes devint une
cause toute nationale. J~cqpes Il nmvoya ~ncore l~s
mClubres du collége dev~pt I~ l:Ja4t~ Cour rcclépias-
tique. Le prod~s el les déh .. t6 fuqmt suivis d'qnp
nouvelle ordonnance, qni annuloit l'élection du Prin-
cipal Hough, el réit~roit l' ordre decQoislf l'Évec-Iue
d'd~ford.


Les foudres de la Cour ecclésiastiqu~ villrent s'é-
teil1dr~ deyapl l'jijébrijnlable ré~olption qe Hough
~t des Régents. peux lIlois s' étant écolJ'~!p, le Roí
env9ya uue commis&ion a Oxford, conlpPsé.~ de l'É-
veque de Cbeslpr, de Wright, Grél-nd-Jugf., et GU
baron Jennt'r, SOtlS le titre de Visiteurs. lIs entrerent




RÉVOLUTION DE 1688,
dans la ville escortés d'un corps de cavalerie. L'É-
v~que de Chester, Président de la commissÍon, in-
terroge le Principal Hough, et lui demande s'il veut
se soumettre a la sentence qui le dépose. Il répond
que la sen ten ce est illégale, et que ni lui ni le col-
lége ne peuvent la reconnoitre. Sur ct>tte réponse,
Hough est accusé de révolte par le Procureur du
Roi, et son nom est rayé du role de l'université.
I..'Éveque demande ensuite aux autres Régents s'ils
veulent assister a l'installation de Farmer, Éveque
d'Oxford, a la place déclarée vacante de Principal.
Touts, excepté deux, imitent leut' Chef Hough,
qui proteste dan s .la salle meme, et faÍt un appel a
la justice légale devant les tribunaux siégeant a West-
munster. Sa voix est couverte par les applaudisse-
ments qui éclatent dans la salle OU toute l'Université
se trouvoit rassemblée. Cependant les portes du 'io-
gement assigné au Principal sont enfoncées par ordre
du Président, et l'Éveque d'Oxford y est installé par
Procureur.


La commission, assez embarrassée de cette expé-
dition militaire, chercha immédiatement a obtenir
le consentement des membres du collége a ce qui
s' étoit passé. L'Éveque de Chester eut un moment
plus d'empire sur eux que n'en avoit obten u leurSou-
vera in lui-meme. 11 leur fit signer une soumission a
laquelle cependant ils inscrivirent la réserve suívante:
« Que le Roi ayant faít installer I'Éveque d'OxfOl'd,




EN ANGLETERRE.


« ils se soumettroient a lui, autant que le permet-
« troient leurs statuts, et sans préjudice au droit
« du docteur Hough. ))


L'Éveque de Chester voulut pousser plus loÍn sa
victoire, et leur demanda de signer une autre décla-
ration, pour se reconnoitre coupables et invoquer le
pardon du Roi. Déja honteux de ce qu'ils avoient
signé, ils comprirent qu'ils alloient se perdre dans
l'esprit de leur parti, et qu'ils ne seroient pas moins
perdus a la Cour. Alors non-seulement ils se refuse-
rent a la Ilouvelle déclaration, mais encore ils mo-
difierent tellement la premiere par leurs explications
qu'elle n'avoit plus aucun sens; ils finirent meme
par la rétracter.


La Commission, ayant ainsi perdu tont le fruit de
ses reuvres, quitta Oxford et aIla prendre les ordres
du Roi. Jacques II lui prescrivit de retourner a ce
poste embarrassant, et de faire souscrire aux Régents
la meme déclaration que leur avoit déja présentée
l'Éveque de Chestpr, en leur promettant le pardon
et l'oubli de tout ce qui ~'étoit passé. Avant de les
réunir, Ja Commission instaIla quelques nouveaux
Régents dans le collége, et présenta ensuite aux an-
ciens la formule qui devoit tout concilier. « Mais,})
dit le Roi, « ils rejeterent toute offre de concilia-
« tion, et iI ne Ieur resta plus apres ceja qu'a résigner
« leur place; ce qu'ils firent touts, a l'exception de
( deux. De sorte qu'ils ne furent pa5 réellement des-




RÉV{)LUTION HE 1688,
ce titués par les commissaires, lnais se deJ'titue/'ent
« eux-memes 1, en refusallt d'obéir a celui qui étoit
« leur Président.»


11 y eut en effet vingt-huit régents sur trente,~qui
se destituerent eux-mémes, comme parle le royal
historien, et qui furcnt déclarés incapables de pos-
séder aucun bénéfice. Peu de telnps apres, l'éveque
d'Oxford mourut, et laissa vacant son nouveau
bénéfice de la Madeleine. el. Le Roi, jugeant que ce
(ccollége étoit confisqué en sa faveur, nomma pour
« président (ou princ.ipal) l'éveque catholique Gif-
t( ford 2, et iI remplit de Catholiques pt:esque toutes
« les places, parce que les Protestanls n'en voulurent
« point accepter.» Cet éveque .étoit un des quatre
vicaires apostoliques envoyés en Angleterre par le
souverain Pontife.


Pour j ug~r de l'im pression profonde que fit cette
affaire, qui dura depuis le printemps de 1687 j us-
qu'au printemps de 1688, ii faut entendre run des
historiens du temps, le docteur Burnet 3, qui alors
étoit aupres du prince d'Orange : il affirme que c( les
« partisans de I'Église anglicane, voyant ainsi atta-
( quer a fOI'ce ouverte les personnes et les propriétés
~ ecclésiastiques, solliciterent alors le prince d'Orange


I Mémoires de Jacques I1, tomo III ~ p. 179.
2 Idem~ p. 182 .
. 1 Docteur Burnet, p. 745.




EN A.NGLET.ERRE. 297
« de les prendre sous sa protectioll, et devenir en An-
«( gleterre a main arrnée, sí le Roi ne se désistoit paso »


Jaeques 11 n'avoít pas prévu les conséquences dé-
plorables de son entreprise. On a vu cornrnent il
avoit voulu introduire dans l'Université d'Oxford un
soi-disant convertí dontil fut obligé de rougir lui-
mcme. Une foÍs engagé dans les vois illégales, iI
n'en pouvoit plus sortir que par la violence ou la
timidité. L'un et l'autre partí étoient égalernent dan-
gereux, et eependant iI les employa l'un et l'autre ;
cal' apres a voir peuplé le Collége. de la Madeleine
de sujets catholiques, le mornent approehe. ou, reve-
nant sur ses pas ave e la terreur du désespoir, il révo-
quera, et vainement, les imprudenees que l' obsession
et sa propre foiblesse lui ont fait commettre. l\'lais
il fimt revenir a son voyage dan s l'ouest de l'An-
gleterre.


Excepté a Oxford, Jacques II avoit été satifait
de l'aeeueil emprcsséqu'il avoit re'6u partout. Il en
rapporta les plus hautes espéranees pour l'accorn-
plissement de ses projets sur le futur Parlement.
Barillon n'attachoit pas la meme importance que lui
. a ces démonstrations extérieures, et il prévoyoit les
suites de ces illusions, c"~st-a .. dire la néeessité pour
le Roí de se jeter entierement dans les bras de la
Franee. Bonrepaus, qui avoit aecompagné Sa Majesté
Britannique, en portoit le mcme jugcment, el plus
actif que Barillon, il s'étoit mis en état de bien ju-




RÉVOLUTION DE 1688,
gel' la situation et la force de touts les partis. Eu
effet, les acclamations de la multitude en présence
du Souverain avoient faÍt craíndre aux Whigs, ou
parti de l'opposition, que le Roi ne trouvat réelle-
ment les moyens de rendre populaire son Édit sur
la tolérance, et par la d' obtenir des élections telles
qu'il les désiroit. lis envoyerent, sur les traces du
Roi, des hommes capahles de bien connoltre la vé-
rité. Ces hommes revinrent a Londres, et rapporte-
rent au partí que les peuples étoient moins que
jamais favorables aux desseins de la Cour. A la vé-
rité, dans quelques villes on avoit comme applaudí
aux paroles du Roi sur la révocation du Test, mais
seulementpardes signes de déférence tout extérieure.
La contenance que -les hommes les plus accrédités
avoient gardée en 5a présence, devoit l'avoir con-
vaincu de leur résistance future; et s'illui avoit été
présenté quelques adresses, on n'y voyoit pour si-
gnataires que des Non -Conformistes, Quakers ou
Puritains, qui n'avoient aucun llloyen de se faire
nommer députés a la Chambre des Communes.


Sur ce rapport, deux opinions principales s'éle-
verent parmi les personnages les plus éminents de
l'Opposition. Les uns vouloient que l'on favorisat
efficacement la prochaine assemblée du Parlement:
ce seroit un moyen de se connoltre, de se líer, d' agir
dans une direction commune sons un chef, et de
former un parti qui se pronon~at ouvertement contrc




EN ·ANGLETERRE. 299
les résolutiOlls de la éour. Les autres pensoient qu'il
valoit mieux attendre ce que feroit la Cour, et s'unir
étroitement pour lui montrer, par cette union favo·
rabIe, qu'un Parlement lui seroit inutile s'il n'étoit
assemblé que pour des projets contraires aux vreux
de la Nation. Cet avis prévalut.


Insensiblement il se répandit un bruit que la Reine
étoit enceÍnte, et ron faisoit meme remonter l'époque
préeise de sa grossesse a son retour de Bath, le 16
octobre. Cette date doit etre remarquée. Ces pre-
miers bruits ne tronverent que des incrédules et des
railleurs. Peu de temps auparavant, un faux bruit
de la grossesse de la princesse d'Orange avoit excité
les bruyantes acclamations du peuple, qui suivoit
aussi avec un intéret tres-vif les progres visibles de
la véritable grossesse de la princesse de Danemark.
Cette Princesse devenoit tres - populaire par son
adhésion prononcée a tout ce qui s'attachoit aux
intérets politiques de sa sreur. Les projets éventuels
que ron avoit con~us pour elle s'étoient presque en-
tierement dissipés. Elle se· montroit invincible sur
sa profession de roi, et l'on attribuoit avec raison
sa résistance a l'ascendant que prenoit sur elle la
femme du lord Churchill, si célebre depuis sous le
nom de Marlborough.


Contrariés ainsi dans leurs desseins, le Roi, par
rapport a la religÍon de sa fille, et les Catholiques,
par rapport aux droits du prillce d'Orange, le cha-




300 RÉVOLUTlO.N 1.>1: 1 ti8~,
grin de ,1'un et l'illquiétude des autres ~'évallouirent
tout-il-coup aux premiers symptomcs de la grossf'SSC
de l~ R.eine. C'est en vain que ses quatre grossesses
précédentes n'avoient produit que des fruits malheu-
reux; a celle-ci, on eut la foi pleine et entiere qu'un
prince de Galles étoit donné du Ciel pour élever
enfin la Religion catholique, apres tant d'épreuves,
sur les ruines de l'hérésie anglicane. Barillon écri-
voit a Louis XIV, le J er décembre, « que d'apres
,< ravis de quelques-ulles des femmes de la Reine, il
{( falloit enCOl'e attendre jusqu'au .6 pour avoÍr une
( .entiere certitude; et cependant,» ajoutoit-il, « 011
«( commence d'agir icÍ comme si le prince de Galles
« étoit né. ))


Un peu avant la grossesse de la Reine, Bal'illon
remarquoit des mouvements si alarmants dalls les
esprits, qu'íl ne dissimula point a Louis XIV la po-
sitio n critique ou pourroit se trouver le Roi d' An-
gleterre. Il voyoit Jaeques 11 résolu de faire par au-
tarité ce qu'il n'auroit pas obtenu par la voie d'uJl
Parlement. « C'est en cela qll'il aura besoin, n ajou-
t{)it-il, « de ses amis au .. dedans et 'au-dehors; et iI
u recevra alors des oppositions qui approcheront
« rort d'une rébellion ouverte.» Louis XIV, dans sa
réponse, ne s'expliqua point sur cette insinuatioll;
mais, dans le meme temps, iI regrettoit que la prin-
cesse d~ Danemark, qui, dit-il, pourroit profiter
~e la conjonclure, se montrat si opiniatrément aUa-




:EN ANGLETERRE. 301


chée au parli protestant. 11 espéroit ou que Dien
lui inspireroit de. meilleurs sentiments, OH qu'une
heureus(' grossesse de la Reine' faciliteroit l'entier
établissement de la Religion Catholiql1e dans le
Royaume. Cependant il doutoit beaucoup du sucd~s
des (lntreprises de Sa Majesté Britannique. (( Mais
{( il a raison,» continuoit Louis XIV, ({ de crolreque
( rien n'est impossible a la ferrneté d'un Roi qui
« sait régner. »)


Jacques 11 avoit décJaré au Conseil sa résolution
de révoquer, dans touts les corps et cOinm:unautés,
les partisans de I'Église anglicane. Penn, chef des
Quakers, se montroit tout dévoué a lui donner l'ap-
pui de sa secte; aussi les Anglicans et les Presbyté-
riens le nommerent-ils, par dérision, et pour lui
faire perdre son crédit parmi les siells, le jésuite
Penn. Le Roí s'aper~ut bientot que le foible parti
des'Quakers n'avoit aueune influenee politique. Tduts
les nutres sectail'es avoient préféré l'allianee des
Anglicans a eeHe de la Gdur et dés Catholiques.


Pour s'assurer des éle~tions, Jacques 1I, ápres
avoÍr renouvelé les lientenabts ou gouverneurs dont
il n'étoit pas sur, envoya dans leurs provlnces touts


'"l· . I I ~ , ceux qu 1 aVOlt renommes ou co~erves. Lexpe-
rience De l'avoit pas détrompé sur )a tétnmté {l'exi-
ger des engagements par écrit; .jl 'Nl '6t 'une se-
conde qui n'eut pas plus de succes, et 'qui ne l'é-
daira pa;.; davantage. Les gouvel'neurs avoient ordre




302 RÉVOLUTION DE 1688,
de choisir, parmi les nobles qui n'étoient point
Pairs, trois personnes qui prissent l' engagement de
se dévouer entierement aux volontés du Roi. Sur
ces trois personnes, le Roi devoit en choisir une
pour présider les élections. Quelques -uns de ces
gouverneurs témoignerent une extreme répugnance
a exécuter ses ordres, disant qu'il étoit inoui eIl
Angleterre de ne pas laisser une entiere liberté aux
élections., lis ne furent pas trompés dans leurs con-
jectures; les uns ne purent d~signer personne; les
autres n'en trouverent que trois; et enfin, dans les
provinces les mieux intentionnées, il ne s'en trouva
pas plus de six l.


lis emporterent aussÍ une liste de trois questions,
qtt'ils devoient présenter a touts ceux qui avoient
du crédit sur les élections, ou qui pouvoient etre
élus. Voici ces questions :


Premiere. -.- « Si vou~ etes choisi pour ~tre
( membre du Parlement, voulez-vous consentir a
« faire abolir le Test et les lois pénales? »)


Seconde. - « Voulez-vous donner votre suffrage,
« pour etre membre du Parlement, a telle personne
(( que 5a Majesté approuvera? »


Troisieme. --. c( Voulez-vous vivre en repos et en
(e paix avec vos voisins, tant dans. le Royaume que
« dehors, de quelque religion qu'ils soient ? »


I Lettres de Barillon et de Bonrepalls.




EN ANGLETERRE. 303
Une méthode si extraordinaire pour les Anglois


pouvoit difficilement réussir dans un moment OU
la nation suivoit avec une pénible anxiété l'affaire
de l'Université d'Oxford, et le progres du nouveau
gouvernement en Irlande. Aussi le Roi ne trouva~t~il
dans les provinees qu'un refus absolu et tres-éner-
giquement prononeé. I .. a réponsé aux trois questions
fut Ja meme partout, et I'uniformité des expres-
sioos prouve qu'elle avoit été concertée a Londres,
en ces termes :


Sur la premiere question. - « Il n'y a point
« d'homme sage qui puisse donner sa voix avant que
« d' etre sur les lieux OU se doit décider la ehose en
( question. »


Sur la seeonde. - « On donnera son suffrage, pour
« etre député au Parlement, a un homme de bien,
« riche, et possédallt les qualités requises pour un
« tel emploi. »)


Sur.la troisieme. - « On désire vivre en paix et
«en repos avec tout le monde, a moins que les
« affaires de Sa Majesté, et le Gouvernement tel
( qu'il est établi par les lois, n'exig.ent le eon-
« traire. »


Cette troisieme question se rapportoit implieite-
ment aux Catholiques, a l'Irlande et a la Franee.
l .. ~ eoneision et l'uniformité des trois réponses aux
tt'ois questions étoient assez déeisives pour avertir
le Roí des éeuei\s qu'í\ trouveroit sur 5a route. 11




304 RtVOLUTION DE 1688,
n'C:'n con~ut qu'une violente indignation; et meme
11 écouta la funeste inspiration d'insister plus for-
tement, dans l'espoir dangereux que de nouvelles
réponses moins respectueuses lui donneroient le
drait de recoUl'ir aux prétentions et 3. l'autorité
d'une prérogative sans limites l •
. Mais la force des choses le ramenoÍt, a son in su


et malgré lui ~ a des perplexités qui donnoient aux
actes publics de son Gouvernement un caractere
perpétueI de contradiction ou de fausseté. On voit
qu~ lout.es sesdémarches avoient eu pour but d' a-
voir desshérifs, des chefs de corporation, des élec-
teurs et des députés absolument dévoués a ses vo-
lontés, c'est-a-dire a la révocation du Test. Dans
sa déclaration de tolérance, iI avoit proclamé hau-
tement quec'étoit un droit inhérent a sa préroga-
tive royale d'accorder la dispense du serment; et
('ependant, s'il accordoit la dispense pour les charges
do Royatime, H n'080;t pas rétendte aux fonctions
limf>set attx place s du Pá.Tleme'nt. Il n'osoit pas
I'accorder aux Páirs catholiques, priv'és de leurdroit
de séance depuis le hill de 1678. Il eut été dange-
reux en effet de prétendre dispenser~ pour le Par-
lement, des obligations et des conditions imposées par
une loi auxmembres du Parlement. Telles étoient
done la nécessité des choses pour le Roí, et la com-


• Lettre de Bonrepaus.




EN A NGL}:TERRE. 305
plication des embarras ou iI s'étoit jeté, que tout
Shérif nornrné pour présider les élections, tout dé-
puté aux Comm unes, qui auroit été choisi par l'in-
fluence de la Cour, se seroit tout-a-Ia-fois engagé
secretement a la révocation du Test ,et auroit juré
publiquement de le rnaintenir. C'est la ce qui fut
révélé surtout par l'installation sohmnelle du no u-
vpau Lord l\faire qui avoit pris de tels engagempnts.


/


Le Roi rec;ut son serment, c'est-a-dire le Test.
Mais il y a dan s les peuples un instinct naturel


qui discerne promptement et juge séverement touts
les faits pubJics dont la fin secrete n'est pas d'accord
a vec leur principe légal. Ainsi dans cette occasion,
et quoique jamais Ambassadeur ne siégeat, meme
invité, au dlner d'installation du Lord Maire, paree
que les hautes prérogatives de ce magistrat chez
lui et dans la cité contrarioient les préséances ou
les usages diploma tiques , le Roi n' en dé sira pas
moins tres vivement que le Nonce du Pape y assis-
tat; et (!e Prélat, malgré ses répugnances, accéda
aux vreux de Sa Majesté, surtout lorsque I'Ambas-
sadeur de France lui eut promis de l'accompagne~.
l\lais les ministres d'Espagne et de Hollande, de
Danemark et de Suede, n' eurent pas cette complai-
san ce , et ils furpnt d'autant plus remarqués dans
cette cérémonie que leur place y resta vide. C'étoit
certainement un spectacle bien frappant pour le
peuple, que le Noncp du Pape au festin du Lord


IJ. 20




306 RivOLUTION DE 1688,
Maire, dans un pays OU C'f'~t un crime de trahison
que de communiquer avec Rome oU ayec ses mi~
nislres, dan s une ville OU, chaque année, l'effigie
du SouveraÍn Pontife est brulée au milien des ac-
clamations les plus insultantes et la pompe la plus
grossiere; dans le moment enfin ou ce Magistrat,
e3sentiellement populaire, venoit de preter, entre les
mains du Uoí, le serment qui proscrit )a Religion
du Pape et du Roi.


D'autres faits excitoient incessarnment l'investi-
gation publique des intentions de la Cour. Ce que
I'on nomme en Angleterre le Conseil- Privé est le
veritable Conseil du Roí et du Royaume. C'est la
que doivent se préparer, se· murir, se résoudl'e
les affaires d'État. Établi par les IOÍs, il doit etrc
composé de' deux Archeveques ou Éveques, deux
Ducs,deux l\larquis, deux eomtes, deux Vicomtes,
deúx ·Barnus, quatre déput~s,-de·la Chambre Basse,
des Grands Officiers de la Courohile et des Prihces
dusang. Une telJe institutionparolt surtoút essen-
tiellec1ahs uh pays ou lt, peuple, par ses députés,
oula haute aristocr:atie, par ses représentants héré-
ditaires, illterviennent de fait et de droit dans le
Go:u.vernement. C'est un contre-poids d'une évidentc
nécessité ala force du peuple et du Parlement. L'au-
torité toujours vacillante et passagere des ministres
ne sauroit le 5uppléer, el la légereté tr:1nchante ou
l'avidité des gens de Cour exposeroit trop souvent




EN ANGLET.ERRE.


la Couronne et la personne royale a des luttes péril-
lcuses avec la représentation populaire.


Déja l'admission de quelqnes Lords Catholiques
dans ce conseil avoit excité des murmures légitimes.
L'admission récente clu comte de CastelmaÍne étoit
f'llCOre plus f~lcheuse, parce qu'a son titre d' Ambas-
sadeul' aupr{~s de la Cour de Rome se joignoit le
ridieute ineffac;a,b~ attaché'a sa personne par la du-
chesse de Cléveland, 5a femme. Enfin ceHe de Euder,
Catholique d'lrlancte et intime créature du P. Pitet,
avoit aggravé ces divers griefs de toute la haine qu'il
avoit suscitée contre lui, par la chute de·Clarendón
et dé Rochester, dont il avoitété l'instrument caché.
Mais' on ne pouvoit ni prévoir ni se persuader que
le P.; Piter lui-meme osat prétendre a une fonction
si éminente, ni que le Roí blessat si ouv~rtement
toutes, les lois qUÍ en fermoient l'aéd~s a cet ambi-
tieux' ,favori. Les. Catholiques eux - meine6 auroient
fait les plus grands efforts pour s'y opposer, si le
secret le plusimpénétráble ne les eut mis horsd'état
d'y songer l.


Le cOlI}te de Castelinaine étoit rtwenu de Rome,
n'ayant fait, dit un historien, que beaucoup de dé-
penses et de. folies. Rien de ce qu'il avoit demandé
au nom du Roi pour le P. Piter n'avoit été accordé
p~l' le Saínt Pere. Il avoit seulement et fort difficÍ-


I Lettre de Barillon.




308 nÉvoLuTION DE 1688,
lement obtenu ponr le prince Renauld d'Est le cha-
peau de Cardinal. Mais cette promotion meme avoit
sur le champ aliéné les Catholiqucs modérés d' An-
gleterre, paree que le Roi donna au nouveau Car-
dinal, qui étoit tout dévoué a la France, les privi-
léges et les attributions qui devoient naturellement
appartenir a leur compatriote, le cardinal de N orfolk.
Cet abaissement non mérité de Notfolk fut justement
attribué au P. Piter par les Catholiques; mais ils
se récrierent universelJement contre l'admission de
ce Religieux au Conseil Privé. « Au milieu de la dés-
« approbation générale,» dit Bonrepaus, « les Ca-
« tholiques sont les plus surpris et les plus aftligés.
« Pourquoi donner ce pl'étexte d'éclat aux Protes ...
« tants? Leul' faire dire qu'ils sont gouvernés par un
cc Jésuite? Fortifier l'opinion que le Roi veut ]a ré-
« vocatio~ du Test, uniquement pour former un
«( ParlementCatholique, renverser les lois fonda-
« mentales, changer la succession, établir l'autorité
c( absolue?Le ,P. Piter est déja de touts les conseils
(C secrets du Roi; pourquoi le P. Piter accepte - t - il
C( un emploi ou iI ne trouve d'autre avantage qu'un
« vain titre?»


Si le parti Anglican donnoit publiquement le si-
gnal des alarmes 1, iI n'en considél'oit pas moins
cette élévation imprudente comme un acte tres fa-


, Lettrc de Barillon.




EN ANGLETERnE. 3°9
vorable aux intérets de sa cause. « On affecte, )} di-
soient-ils, ( de mettre dans le Conseil Privé un Jé-
« suite qui, par les loís, est justiciable du seul faít
« de sa présence en Angleterre. Les provinces ver-
~(ront clairement pourquoi on veut demandel' au
«, Parlement la révocation des lois pénaIes et du Test. )}
A ces raisonnements se joignoient les conjectures
que faisoient naltre les premiers bruits de la gros-
sesse de la Reine. Les partisans du prince d'Orange
répandoient hautement que cette grossesse nuiroit
surtout aux desseins de la Cour. ce Le peuple, » di-
soient - ils, c( auroit pu souffrir patiemment, paree
« que la Couronne devoit passer a un héritier zélé
« pour la Religion du pays. Mais qui peut calculer
« les événements, s'il survient un héritier Catho-
« lique, et surtou't une Régence Catholique? )}


De concert avec le Nonce du Pape, Sunderland
8'étoit opposé secrctement a ce que la Cour de Borne
accordat le chapeau de cardinal au P. Piter 1; mais
il avoit fallu luí faire ignorer cette opposition; et
les flatteries les plus empressées avoient élevé autour
de ce Pere une auréole d'encens dont iI s'étoit enivré.
Déja Premier Aumonier du Roi, il ne lui manquoit
qu'une dignité dans I'Église, et pour l'obtenir, il lui
falloit une dignité poli tique ; le Pape en deviendroit
plus docile. Te! éto~t le raisonnement que Sunder-


f Leltl'c de Bonrepaus.




3JO R~VOLUTION DE 1688,
lalld avoit faít gouter au P. Piter, pour l1Jotiv~r
aupres dti Roí l'accession de ce religieux au Conseil
Privé. MaÍs Sunderlalld voyoit tres-bien que le titre
de cardinal pourroit enfin conduire le P. Piter a
celui de premier ministre; et Sund~rland, qui l'étoit
réellement, n'entendoit pas lui céder ce poste t-mi-.
nent. De la ses liaisons secretes avec le Nonce du
Pape.


Sunderland ne tarda point a s'apercevoir que la
grossesse de la Reine donnoit au parti du P. Piter
des espéranp.es démesurées, espérances qu'il ne pou-
voit ni approuver ni partager. S'iI avoit un immense
crédit aupres du Roi, il le devoit aux séductions
dont iI a voit environné le P. Piter, a sa résignation
stoique aux conceptions des Catholiques exaltés, a
son aveugle dévouement aux volontés du Roi. Mais
s'il étoit premier ministre, il jugeoit tres-clairement
qu'il n'étoit que le premier ministre d'un partí té-
méraire, emporté; toujours pret a le sacrifier, si
lui-meme ne parvenoit a le tromper, pour le sub-
juguer enfin. De la ces allures tortueuses avec la
France qu'il n'aimoit pa!:i,;l les gages qu'il donnoit de
son obéissance aux Catholiques , en faisant son fils
Catholique, en déclarant qu'il le deviendroit lui-
meme, en faisant des alliances avec les Catholiques
d'Éeosse, en insinuant sans cesse ql:le s'il devoit
succomber devant les Protestants irrités, c'étoit au
milieu des Catholiques d'Irlallde qu'il iroit ehercher




.EN ANGLliTERHE.


UIl asile .. Mais Sunderland n'étoit pas homme ¡.
s'ensevelir dalls les solitudes de l'lrlande. Son génie
llaturel le portoit a toutl'S les sornmités de l'ambi-
lion; et puisque le choix des ~noyens ne lui étoit
pas possible, toute son hahiIeté, qui luí fit donner
le surnom de Grand Politique , se consumoit en des
pratiques douteuses, astucieuses, qui cependant
n'étoient ni perfidie envers le Roí son maitre, ni
abnégation absolue des vrais intérets du Royaurne.
Il les connoissoit mieux que personne; et, par d'im-
menses détours, iI espéroit, il désiroit surtout y ra-
mener le Roi.


C'est ainsi que, pour balancer la nomination du
chevalier Butler au Conseil privé, homme d' esprit,
mais remuant et audacieux, et d'une probité sus-
pecte 1, iI Y fit nommer ]e duc d'Hamilton, qui ve-
Boit tout récemment de faire échouer en Écosse les
desseins du Roí sur la liberté de conscience. Hamilton
étoit un des seigneurs les plus puissants de I'Écosse;
et, sans ~tre contraire aux. maximes de la Royauté,
il désiroit que les libertés publiques ne fussent pas
sacrifiées au pouvoir absolu. Cette nomination étonna
les Catholiques, et par cela meme, ne déplut pas
aux ennerpis de]a Cour. Mais le comte d' Aran, .fils
d'Hamilton, étoit agréable au Roí, et se IllOl~troít
tont dévoué. Il étoit ami de Sunderland, qui voulQit


1 Lettre de Bonrcpaus.




RÉVOLUTION DE J 688,
réconcilier la puissantt:' famille des Hamiltoll avec
le comte de Melfort, secrétaire d'État pour l'Écosse,
et les principaux seigneurs de ce royaume. La filIe
ainée de Sunderland fut le gage de cette réconci.
liation, en épousant le comte d' Aran; et ce mariage,
qui élevoit le crédit de Sunderland a la Cour, lui
donnoit aussi une importance réelle dans le parti
de l'Opposition.


Sunderland avoit peu a peu amené la décision de
toutes les affaires a un triumvirat dont iI étoit le
chef et l'esclave : lui, le P. Piter et Butler. Comme
il étoit Secrétaire d'Etat, il avoit la connoissance
premiere et la direction de la politique étrangere.
11 pouyoit done ne donner que ce qu'il vouloit a
connoitre aux deux autres, mais il étoit forcé de
condescendre a leurs vues particulieres sur la poli-
tique intérieure, tout en cherchant a se débarrasser
d'eux insensiblement. Cette situation singuliere exi-
geoit une dextérité soutenue.


Deux affaires tres-importantes l'occupoient alors :
un second traité pour I'Amérique avec la France,
et le rappel des troupes angloises au service de
Hollat:Ide. La premiere pouvoit conduire a une al~
lianee intime avec Louis XIV, et Sunderland n'y
voyoit qu'un danger de plus pour l' Angleterre; la
seconde ne tendoit rien moins qu'a une rupture
ouverte et périlleuse avee les États-Généraux, et
Sunderland y voyoit d'immenses conspquenees que




I~N ANGLETERRE.


le parti catholique, de plus en plus exalté par la
grossesse de la Heine, étoit incapable de juger ou
d'apercevoir.


On a déja vu que Louis XIV avoit envoyé Bon-
repaus a Londres, dan s le mois de mai, pour com-
pléter le traité de neutralité qui avoit été concIu
l'année précédente, pour les possessions des deux
Royaumes en Amérique. Il s'agissoit maintenant de
terres Iitigieuses dan s la baie d'Hudson; et les Fran-
~ois venoient encore tout récemment d'augmenter
les difficultés, en prenant ou reprenant a main armée
trois forts possédés aIors par les Anglois.


Avant ces récentes hostilités, Snnderland disoit
au Ministre de France que Louis XIV ne devoit
pas élever des prétentions trop rigoureuses. « Le
« Roi se relacheroit volontiers de tout ce qui regarde
« son intéret particulier; mais les peuples lui re-
« prochent incessamment sa complaisance aveugle
« pour tout ce que la France veut de luí. Sans
t( doute, » ajoutoit-il, « Sa Majesté Britannique est
« portée d'incIination, et pour son propre intéret,
« a demeurer constamment unie avec la France.
« Mais quelquefois je découvr.e en luí des mouve-
« mellts -qu'il ne faut pas exciter. Le Roi d' Angle-
« terre se reproche de ne pas etre en Europe tout
« ce qu'il devoit etre, et souvent iI se plaint que
« le Roi votrc maltre n'a ras pour IUI assez de con-
(( sidération. »




R~VOLUTION DE 1688,
Dans ces SOl'tes de conterences, Bonrepaus cher-


choit a étendre le cercle des négociations par des
propositions d'un traité général de eommerce (Iue
le eOlnte de Sunderland éludoit avec persév~rance,
et toujours sous de nouveaux prétextes; mais son
véritable motif étoit la erainte d'augmenter les en-
gagements de l'Angleterre avec la Franee, quoiqu'il
Hattat perpétueUement Barillon de l'espéranee d'une
liaison intime du Roi d' Angleterre avee Louis XIV.
Quant aux affaires d' Amérique, il vouloit moins un
traité qu'un arrangernent provisoire; et les hostilités
eornmises lui donnerent oeeasion de déclarer que,
dans l' état actuel des esprits irrités contre la Franee,
il ne savoít plus quel tour donner aux affaires. Les
mérnoires des deux ministres franc;ois lui causerent
meme une agitation qu'il ne fut pas maltre de dis-
simuler.Mais, s'apercevant bien vite qu'il s'étoit
échappé en paroles trap vives, il en voulut pré~enir
l'interprétation :naturelle, en disant que treswcertai-
nemeoh' sans parler de l'amitié intime qui un~ssoit
les deu~ Rois, Sa Majesté Britannique oe feroit
point la guerre a la Franee pour une affaire si peu
importante, puisqu'on ne l'avoit pas déclarée aux
Étáts - Généraux ppur ceBe des Ind~s Orientales,
qui étoit d'une tout 'autre gravité.


La France exigeoit la eession des trois forts en-
levés aux Anglois dans la baie d'HudsOll; et ni le
Roi ni son Ministre n'auroienl osé faire un trail<',




EN A NGLETERRE.


sur eette base, dans le moment meme OU il s'agissoit
de réunir le Parlement. Le 1\linistre de France écri-
vit done a sa eour, « qu'il falloit attendre un mo-
(e ment plus favorable, et que dans }'état aetuel des
« affaires, le Roí d' Angleterre ne tarderoit pas a
(e subir la néeessité d'avoir de grands égards pour
« la .Franee. » Mais en attendant, Bonrepaus s' adressa
dil'ectement et séparément aux Catholiques du Con-
seil l. Il leur 1l10ntra l'importanee pour eux en par-
ticulier, comme pour le bien général de la Religion,
de faire disparoltre toute oceasion de froideur et de
mésintelligence entre les deux Rois. « 'Pulsque les
« Ministres étrangers,» disoit.-il, « et la faction du
« prince d'Orange mettent tant de zele a exciter la
« discorde au sujet de la baie d'Hudson entre les
« deux Puissances, n'est-ee pas un avertissement qu'il
(e faut agir dans un autre sens? Il est impossible ee-
« pendant que le Roi de France abandonne les droits
ce qu'il réclame. Ils sont si anciens, si légitimes, que
« dans les tribunaux meme de l' Angleterre, s'ils y
c( étoient déférés, la Franee gagneroit infailliblement
« un pareiI proceso »


La démarche de Bonrepaus eut tout le suect~s qu'il
pouvoitespérer. Le Hoi, qui alloit ouvrir une autre
négociation fort délieate avec la Franee, voulut
terminer celle-ci par une demi-mesure, et les deux


I Lettre de Bonrepaus.




R~VOLUTION DE 1688,
Ministres fran~ois se haterent d'adopter une conven-
tion, par laquelle toute hostilité entre les sujets des
deux Nations étoit interdite, au sujet de la baie
d'Hudson, jusqu'au 1 er janvier ] 689' « Il n'y avoit
« ríen de mieux a faire pour le moment ,» dit Ba-
riUon. « Terminer a fond cette affaire n'étoit pas
c( possible. La France demeure en possession des
« trois forts dont elle s'est emparée. On en faisoit
« beaucoup de bruit, et peu de personnes ont pensé
« qu'il y eut moyen d'admettre l'expédient d'une
c( surséance. Nous sommes convenus de partager tout
« ce quí appal'tient a la France et a l' Angleterre.
« e' est un prétexte pour la surséance, cal' il sera dif-
« ficile de faire un pal'tage qui termine toutes sortes
« de différends. J) Immédiatement apres la signature
de cette convention, Bonrepaus se hata de retourner
en France, et ne revint en Angleterre que pour
conclure avec le Roi un autre traité, qui alors ne
pouvoit- plus sauver sa couronne.


Il existoit au service des États-Généraux un COl'pS
de troupes que l'on nommoit la Brigade angloise,
composé de régiments aúglois et écossois. Leur for-
mation remontoit au regne d'Élisabeth. Les uns n'a-
voient jamais quitté le service des États, meme
pendant les dernieres guerres; les autres avoient
été levés depuis la paix de 1673. Mais le temps et
l'usage, bien plus que dt's conventions régulieres,
avoient établi le droit de l'une el l'autre Nation




EN ANGLF.TERUE.


sur ces régiments. L'existenee de cette Brigade
n'ayant rien de bien déterminé par une capitulation
connue, il pouvoit survenil' des discussions plus ou
moins graves, selon l'exigence de l'un ou de l'autre
Gouvernement, et l'affaire du chevalier Peyton avoit
montré tout récemment que les griefs ne manquent
jamais quand on en désire. En effet, Jacques 11
avoit été humilié des suites de cette affaire, et cette
premiere disposition de son esprit fut soigneusement
entreténue. Son mécontentement. devint plus vif
quand le prince d'Orange refusa de recevoir des
officiel's catholiques, et la Cour de Fl'ance qui culti-
voit avec assiduité ces premiers gel'mes dé ressenti-
ment, fit promettre au marquis d' Alheville de dis-
poser Jacques JI au rappel de la Brigade. Cette
demande pouvoit amener une rupture ouverte entre
les États et le Roi d'Angleterre; le marquis d'Albe-
ville en prit l'engagement avec le eomte Davaux,
lorsqn'il revint a Londres dans le courant du mois
d'aout. Rien ne pouvoit .etre plus utile aux intérets
présel)ts de la F rance.


Quant a Jacques II, il trouvoit dans le systeme
actuel de son Gouvernement les motifs les plus évi-
dents de soustraire cette force permanente au prince
d'Orange. Les officiers qu'il luí recommandoit se
trouvoient écartés; le Prince donnoit de l'avance-
ment aux officiers réformés en Angleterre et surtout
en lrlande; enfin, les cadres de ces régiments lui




RltVOLlJTION IlF. \ 6~8,
offroit~nt les moyens de former une véritable armée
de inéco~tents; et dans l'état présent des esprits, rien
ne pouvoit etre plus dangereux pour le Roi. Mais
comment retirer ces régiments, sans provoquer une
rnpture qui pouvoit n't~tre pas mojns périlleuse?
Comment les entretenir en Angleterre, quand déja
l'al'tnée angloise et lt' camp de Hounsloo causoient
tant d'ombrages, et surtout quand la solde et l'en-
tretien de eette armée absorboient touts les revenus
du Roi, le for~oient de negliger la flotte? S'il les
rappell~ pour les conserver, demandera-t-il un sub-
side au Parlement? s'il les conserve, seront-iIs fl-
deles? ne corrompront-ils pas l'arl11ée angloise, déja
douteuse? s'il les rappelle poul' les lieencier, les
États-Générclux ne les rappellerQnt-i1s pas a leUl'
solde, et le danger n' en sera-t-il pa~ plus lmminent?
Ces considérations ne pouvoient échapper a l'esprit
du ROÍ; etsa longue hésitation, qui affligeoit les
CatholiquéS exaltés, atteste qu?H céda 1)}utot a leurs
instances qu'a sa: propl'e eonviction. Dans eette per-
plexité, iI eut reeours a Louis XIV,.-et ce fut le due
de Tyreofmel qui l'y détermina.


Sunderland "prévint d'abord l'ambassadeur de
Franee, et le Roi lui~meme lui déclaraensuite ses
vreux' et ses motifs l. c( Décidé a "retil'er les troupes
a de HoIlallde,» disoit J acques Il, c( je désire que le


I Lettre de BariIJon.




EN ANGL~TERRE.


« Roi de Fr:mce les prenne ?l son serviee : seul moyen
«( de les en lever au Prinee d'Orange. 11 est impos-
(e ~ible de les solder en Angleterre. Mais au service
« de France et en France, elles seront une école
« d'offieiers catholiques et un secours toujours pret.
« Par la elles seroient préservées de ces maximes
« dangereuses pour la Royauté, répandues par toute
« l'Angleterre, et dont les Catholiques memes ne sont
« pas tout a. faít exempts. A la. vérité, le Roi de
« France peut objecter qu'en temps de paix il lui
« seroit inutile et dispendieux d'avoir un corpsde
{e troupes étrangeres, dont l'entretien d'ailleurs seroit
« plus cher que celui des troupes fran<;aises. Mais ne
« faut~il' 'pas considérer les intérets de la Religion Ca~
« tholique? Lesintérets memes . de la politique des
« deux Rois s'y trouvent réunis. Cela prouveroit une
« étroite liaison entre eux. Le Prince d'Orange en
«( éprouveroit un mortel déplaisir; son parti .enserdlt
« abattu ou du moins affoibli; les États-Généraux
« verroient combien l' Ángleterre <:>st éloignée de toute
« all~ance avec CtlX, et l'Autriche croiroit a une in-
« tímité entre les deux C.ouronnes plus forte que
« eeHe qui existe.»


Louis XIV répondit sur-Ie-champ que cette pro-
position ne pouvoit pas convenir au hí~n'de son
service~ (e Mais, » ajouta-t-il, « pour pl'ou;~er com-
(1 bien je m'intéresse a tout ce qui regarde le Roi
(( d' Angleterre, et avec quelle sincérité .le désin~




R]~VOLUTrON DE 1688,
« l'avancement de ce qu'il a entrepris, vous pouvez
« l'assurer, non seulement que je serai toujours dis-
e< posé a lui envoyer un aussi grand nombre de mes
« troupes qu'il jugera lui etre nécessaire pOUI' le
(e maintien de son autorité, mais encore que j'entre-
« tiendrai a mes dépens en Angleterre le régiment
« qu'il prétend former de troupes hollandoises, jus-
« qu'au nombre de 1,500 hommes. Je vous en ferai
« remettre le payement, sur le pied que les autres
« régiments sont payés en Angleterre. »)


Jacques 11 auroit voulu que ses soldats de Hol-
land,e fussent soldés en France, et demanda du tem ps
pour réfléchir sur les offres de Louis XIV; disant
avec affectation a Barillon que rien ne pressoit en-
core pour le rappel des régiments. ~Iais il se dé-
cida bientot, et demanda que le corps fut porté a
2,000 hommes, ce que Louis XIV accorda sur-Ie-
champ. La conclusion cependant fut différée sous
différents prétextes. Le Roi craign~it réellement
l'édat inévitable qui suivroit le rappel des six régi-
ments. Il faut ajouter que, forcé de mettre la plus
sévere économie dans ses dépenses, il 6t de cette
affaire une espece de spéculatioIl pécuniaire dont
les détails sont assez misérables. Quoi qu'il en soit,
Louis XIV, qui ne connoissoit pas les motifs de ce
retard, en con<;{ut des soupc;;ons et chargea Barillon
de chercher secretement a les pénétrer.


Mais Baríllon marchoit toujours a son hut, qui




F. N" ANGLETERRE.


étoit de mettre Jacques II sous la dépendance de
Louis XIV. Il avoit déja prévenu les intentions de
sa Cour en s'emparant du marquis d'Albeville qui
alloit retourner a La Haye. D'Albeville, consulté
par le Roi sur les prétextes qui seroient le plus
plausibles pour autoriser le rappel des troupes, donna
un mémoire; et il suffit de dire que ce mémoire fut
concerté avec l'ambassadeur de France. De retour
ú La Haye, sa conduite fut conséquente a cet acte,
et les motifs ne manquerent plus a une rupture
qu'il étoit si impor.tant d'éviter, puisque l'on ne
vouloit pas la guerreo


Le lord Churchill avoit obtenu la confiance in-
time de Jacques II, par un dévouement absolu sous
le régime précédent; il en espéroit la récompense,
et il comptoit sur le. commandement général des
régiments de HolJande : mais le parti Catholique
vouloit y placer un Catholique, et les vreux du Roí
se portoient naturellement sur le jeune Fitz-James,
son fils, créé duc de Berwick. Le prince d'Orange
eut-il accepté un Catholique tel que le duc de Ber-
wick, dont l'ambition, encouragée par la foiblesse
paternelle et par les vreux des Catholiques et de la
France, pouvoit s'élever jusqu'au trone? Il est per-
mis de penser que cette considération détermina se-
cretement Jacques n a vouloir mettre ses troupes de
Hollande an service et a la solde de Louis XIV.
Mais alors furent trompées les espérances de Chur-


IT. 21




RtVOLUTION DE 1688,
chill, a qui l'on 6t un mystere de ce que l'on négo-
cioit avec Louis XIV; et peut-etre c'est la qu'il faut
rapporter la premiere eause de sa conduite posté-
rieure, qui devint si funeste au Roi comme a la
France. L'histoire offre quelquefois de singuliers
l'approchements dans la destinée des grands hommes.
Louis XIV refuse un régiment au jeune abbé de
Savoie; Jacques 11 refuse aussi un régiment an co-
lonel Churchill; et ces deux hommes, dont le génie
est méconnu, sont le prince Eugene et le eomte de
Marlborough, qui, réunís un jour sons les memes
drapeaux, fatigneront la Victoire et la Renommée.


Mais dans la circonstance actuelle, Churchill de-
voit d'autant plus etre ménagé, que lui-meme, par
sa position tres-délicate a la cour, mettoit dans sa
conduite, au moins en apparence, une prudence
tres-réservée. Sa femme avoit acquis, moins encore
par l'intrigue ou le talent que par l'ascendant naturel
d'un caractere - impérieux sur une ame foíble, un
pouvoir inexplicable sur la princesse de Danemark.
Churchill avoit trop de pénétration pour ne pas com-
prendre les secrets desseins des Catholiques sur ceUe
princesse, le danger qu'il y auroit un jour pour lui
de les favoriser, et la résistance inévitable et vigou-
reuse du prince d'Orange a toutes les mesures qui
compromettroient ses droits éventuels a la couronne.
D'un autre coté, la princesse de Danemark, élevée
dans le sein de l'Église anglicane, dirigée par l'éve-




E:\'" A NGLETEHnV.


({tle de Londres, et soutenue dans sa croyance par
touts ceux qui vou]oient prévenir une guerre de suc-
cession, se montroit invio]ablement unie a ]a prin-
cesse d'Orange, sa sreur, et a ]a foi religieúse qui
leur étoit commune.


Dans le courant de l'année, son mari ayant eu le
projet de faire un voyage en Danemark, elle té-
moigna le vif désir d'aller pendant ce temps-Ia elle-
meme en Hollande. Le Roi n'y avoit aper<;{u d'abord
aucun inconvénient; mais on lui 6t bientot révoquel'
sa permission. « En effet, » lui dit-on, « ce voyagc n'a
« été suggt'ré que pour unir plus fortement les deux
( sreurs a la religion protestante l. N e seroit-ce pas
( une chose entierement contraire a la politique, de
«( permettre l'absence des deux héritieres légitimes de
«]a couronne? e'est déja trop que l'héritiere pré-
« somptive ne réside ras en Angleterre; et d'ailIeurs
« ce n' est la eoutume dan s aucun pays que les enfants
« des grands Rois ailJent courir le monde pour faire
« des visites.» Ces raisons étoient bonnes sans doute;
mais la Princesse, qui éprouva un refus invincible,
en fut tres-mécontente; et l' on 6t porter sur Chur-
chill et sur sa femme, ainsi que sur la comtesse de
Hochester, un projet qui n'avoit au fond ríen que
de tres-naturel.


Depuis ce moment, la Princesse témoigna plus


, Lettre de Barillon.




nÉVOLUTION DE 1688,
ouvertement son zeIe pour la religion protestante;
elle alloit meme dans les églises particulieres entendre
les prédicateurs qui avoient le plus de vogue et de
popularité. Ces démonstrations attiroieni sur elle
tout l'intéret du peuple; tandís que le Roí son pere,
qui la chérissoit tendrement, s' en affligeoit sans se
décourager, citant pour exemple sa premiere femme,
la duchesse d'York, et lui-meme, qui jadis, tres-zélés
Protestants, avoient cependant reconnu l'erreur et
abjuré l'hérésie.


Le prince de Danemark étoit alors affecté tres-
sérieusement d'une maladie de poitrine, et l'on n'ima-
ginoit pas qu'il en put guérir. Aussi parloit-on déja
de marier la Princesse a un Catholique. Mais ce
projet, qu'elle n'ignoroit pas, ne fit que la fortifier
dans ses démonstrations publiques d'attachement a
l'Église anglicane et dans ses liaisons avec la prin-
cesst! d'Orange.


Un nouvel incident vint encore attirer l'attention;
du moins l'ambassadeur de France ne le crut pas in-
digne de la sienne. La Princesse venoit de quitter
Windsor pour aller s'établír a Hamptoncóur, sous
le motif que l'ail' de Windsor étoit trop vif pour la
poitrine de son mari. Les esprits défiants y aper-
~urent de grands desseins. Pourquoi quittel' le séjour
de la cour, au moment OU le Roi et la Reine, au
retour du voyage de Bath, alloient y rentrer? « Le
« fond de tout cela, » dit Barillon, « est que ceux qui




]~N A.NGL.ETERRE.


«( SOllt aupres de madame l~ Princesse lui inspirent
H une grande crainte de l'envíe que le Roi son pere
« í1 qu'elle se fasse Catholique. Ils luí persuadellt
« qu'elle doit s'éloigner, pour etre en repos et en su-
( reté. » Ces détails sont bien minutieux peut-etre
pour l'histoire : mais s'ils font connoitre les carac-
teres, et s'ils préparent aux plus mémorablt~s événe-
ments, l'historien peut-il les négliger?


La mésintelligence de la famille royale se maní-
festoit peu a peu, et les occasions sembloient se mul-
tiplier au gré de ceux qui croyoient tres-nécessaire
d'en profiter. « Il se passe,» dit Barillon, « une chose
« de conséquence dans le dedans de la Cour, et quí
« marque la prévéntion et l' opiniatreté de madame la
~ Princesse de Danemark.» Barillon parle ici de
la disgrace du lord Scarsdale, premier gentílholllme
du prince Georges. Scarsdale étoit gouverneur ou
lieutenant de Derby, et fut un de ceux qui refuserent
au Roi d'aller dan s leurs provinces pour préparer les
élections. Il perdít tout a la foís sa líeutenance et le
régiment de cavalerie dont il étoit títulaire; mais le
Roí crut que naturellement le Prince et la Princesse
lui oteroient sa place de premier gentílhomme de
leur maison. Ils se contenterent seulement d' envoyer
Churchill a Sa Majesté ponr demander ses ordres.
Jacques 11 ne voulut ríen lenr prescrire; et comme
ils crurent par cette démarche avoir montré leu!'
soumission, ils ne firt!lut ríen de plus. Le Roí éprou-




RÉVOLUTION DE 1688,
voit une véritable répugnance a leur enjoindre d('
chasser mylord Scarsdale. l\'Iais ne seroit-ee pas un
seandale de eonserver un homme qui se déclare si
ouvertement? Le Roí seroit done ehaque jour exposé
a voÍr un factieux servir le Prince, quand le Princl'
seroit admis a la tabIe de SaMajesté! Le partí d'Orange
s'enhardiroit par une telIe foiblesse, et l'on résisteroit
impunément aux ordres de Sa Majesté, si l'on pouvoit
allier ainsi les honneurs de la Cour aux honneurs de
la popularité. C'est ainsi que l'on assiégeoit le Roi.


Pendant ces débats, Churchill ainsi que sa fa-
miIle se retirerent a la eampagne, pour n'etre pas
aeeusés d'avoir inspiré la résolution, quelle qu' elle
fut, du Prinee, et particulierement de la Prineesse
qui gouvernoit son mari. Cette précaution ne put
prévenir Jes atteintes portées a la faveur de Chur-
chill. C'est alors que, pour échapper aux embarras
de sa position entre le Hoi et la Princesse, il em-
brassoit avidement l'espoir d'etre envoyé en France
pour commander les troupes que ron devoit retirer
de Hollande. 1\lais la grossesse de la Reine venoit
d'acquérir une entiere eertitude, et les ménage-
ments que l'on auroit gardés dans un autre temps
furent oubliés. L'ordre fut donné au prillee Georges
de congédier Scarsdale, et ron ne fit connoltre a
Churehill que la partie de la réponse de Louis XIV,
qui annon<;oit que les régimcnts de Hollande uc
pouvoient passer au sel'vice de la ~'rance.




EN A NGLETERRE.


Si Jacques Il avoit sérieusement voulu la guerre
avecles États-Généraux, il en eut trouvé des motifs
justes, honorables et populaires, dan s la nécessité
de réprimer les invasions des Hollandois sur les pro-
priétés et les établissements anglois de l'Inde .. Mais
il semhle que sa conduite envers les États-Géné-
l'aux, dans eette eirconstance, fut dirigée par deux
s~ntiments opposés, qui le faisoient passer tour-a-
tour de la fierté menac;ante aux plus méticuleuses
concessions. Il craignoit la guerre, n'importe avec
quelle puissance; il avoit meme recommandé se-·
cretement au duc de GraftoIl, quand iI l' envoya
dans la Méditerranée, d'éviter tout ce qui pourroit
provoquer une rupture ouverte avec la Régencc
d' AIger: et cependant, comme on I'a déja ,:u, iI
avoit imprudemment provoqué, par des armements
tres-actifs et sans hut déterminé, les États-Géné-
raux a s'armer eux-memes, a lever des impots
extraordinaires, des matelots, une fIoUe nouvelle;
h susciter partout des alarmes, et a faire des alliances
publiques 011 secretes sur le continente D'un autre
coté ,n'osant song<:>r a la guerre pour des griefs qui,
dans touts les temps, rendent la guerre juste et
quelquefois nécess~ire,' il protestoit constamment
de ses clispositions pacifiques sur ces griefs; tandís
qu'iJ prodiguoít l'expression du mépris, de la me-
nace et de la coJere, pOllr des mécontentements per-
sonnels, ou sur des causes de politique purement




RÉVOLUTION DE 1688,
intérieure, qui, dans la fermentation actuelle des
esprits, ne pouvoient que rendre une rupture tout
a-Ia-fois anti-populaire et dangereuse.


En effet, des le regne de Charles II, les Hollan-
dois établis a Batavia voyoient avec une inquiétude
chagrine le progres et le voisinage des Anglois. Ils
trouverent une occasion assez naturelle de les ex-
pulser de Bantam, en engageant le vieux Roi du
pays, qui avoit résigné ce royaume, a revelldiquer,
les armes a la main, ses anciens droits contre son
fils. Les Anglois, qui prirent le partí du jeune Roí,
furent battus et chassés. Alors la Cour d'Angleterre
excita la Compagnie des Indes a portel' ses plaintes
au Parlement; mais, précisément paree que la Cour
témoignoit un grand zele dans eette affaire, le partí
populaire en conc;ut des ombrages, et la Compagnie
des Indes fut déterminée a ne pas provoquer une
guerre qui pouvoit servir d'occasion a des entre-
prises contre la liberté du pays. La Compagnie pré-
féra la voie des négociations.


Depuis l'accession de Jacques II au treme, les
négociations furent suivies avec une mollesse ex-
treme, et cependant jI s'éleva encore de nouveaux
griefs dont le Roí pouvoit profiter. On apprit en
effet, au pl'intemps de cette annéé, que les Hollan-
dois avoient pris Mussulipatan sur les Indiens, et
en avoient chassé les Anglois. Cctte nouvelle fit
beaucoup de bruit en Angleterre; mais le Roi la




EN ANGLETERRE.


re~ut comme une affaire peu importante. Van-Cit-
ters éludoit toute explication positive. 11 tl'avoit
re~u, disoit-il, aucun détail certain; il ne croyoit
meme pas aux f~lits annoneés. « Mussulipatan n'e&t
« qu'un hourg tout ouvert, et iI ne eonviendroit pas
( aux Hollandois de lefortifier.:Mais eomme eebourg
(( appartient au Roi de Goleonde avec qui la eom-
« pagnie hollandoise est en guerre, il seroit possible,»
ajoutoit-il, « qu'on y eut faÍt une deseen te pour le
« piller, sans eependant rien entreprendre eontre
« les Anglois qui s'y trouvent établis. D'ailleurs le
« traité des deux eompagnies fixe un terme de dix-
« huit mois pour avoir des nouvelles authentiques
« sur toutes les affaires des Indes, et sur les eon-
« testations qui pouvoient survenir. »


Quelque temps apres, on apprit que les Hollan-
dois s'étoient emparés d'un fort appartenant aux
Anglois, dans l'ile de Sumatra, et qu'ils en avoient
ehassé la garnison. Le Roi, qui alors étoit fort em-
barrassé de l'affaire des AIgériens, ne parut faire au-
eune attention a eette nouvelle insulte, ni aux inquié-
tudes publiques sur le eommeree de l'lnde, ni aux
réclamations de la eompagnie angloise, que Bonre-
paus s'attaehoit a exeiter. Trop livré d'ailleurs a sa
politique intérieure, il s'oeeupoit, relativement a
la Hollande, beaueoup plus des moyens de faire
consentir le prinec d'Orange a ses projet~ sur la
révoeation du Test, que des moyens de faire res-




330 RÉVOLUTION DE 1688,
pecter son Gouvernement et le pavillon britanllique.
A la vérité, quand il fit son voyage pour visiter sa
fIoUe a Portsmouth , ron imagina alors qu'il SOB-
geoit sérieusement a la guerre; mal s on a vu quel
étoit le but ~ecret et réel de ce voyage. Dykvelt,
d'ailleurs, avoit recueilli dans le sien toutes les
preuves nécessaires pour bien se convaincre de l'im-
puissance actuelle du Roi sur tout projet belliqueux.
A la vérité encore, le marquis d' Albeville faisoit
des représentations quelquefois mena~antes; mais,
inspirées ou dirigées par le parti fran~ois, elles se
rapportoient le plus souvent a des griefs particuliers,
tels que la protection donnée au docteur Burnet,
ou le refus de placer des officiers catholiques dans
les régiments anglois : querelles d'humeur et de pas-
sions personnelles, qui se traitoien~ sans résultat et
surtout sans dignité. Enfin, lorsque les Fran<.;ois
eurent pris de vive force les trois forts anglois qe
la baie d'Hudson, la crainte simultanée de montrer
trop de vigueur contre la France, et d'exciter, par
une condescendance trop déclarée, l'indignation des
Anglois, se mOlltra par la cOllclusioll hMive d'une
convention qui abandonnoit tout, sous le prétexte
d'un ajournement utile aux deux nations. ~Iais alors
il devenoit impossible de montrer aux États-Géné-
raux, sur les affaires de l'Inde, une fermeté que
l'on n'osoit pas témoigner ¡. la France pour l' Amé-
fique. De la cette politique tour-a-tour humhlc et




EN ANGLETERRE.


tracassiere avec les États-Généraux , qui prenoit sa
source dans le dépit et la jalousie qu'illspiroit le
prince d'Orange, bien plus que dans le sentiment
tenne et pronoucé d'un Roí qui veut que sa cou-
ronne soit respectée.


C'est dans ces dispositions que d'Albeville repartit
pour la Hollallde, emportant avec luí le secret de
la Cour sur les régíments anglois, et promettant aux
:Ministres de France de pousser vivement le prince
d'Orange sur l'asyle donné au docteur Burnet,
aux rebeIles cOlldamllés pour la conjuration dp. Rye-
house, et a touts les Anglois mécontents. Bonrepaus ,
qui alloit aussi quitter l' Angleterre, lui 6t contracter
la promesse d'agir en toutes choses de concert avec
le comte Davaux, et pour preuve de son dévouernent
a la France, de cornmencer par remettre a ce der-
nier l'orjginal meme des instructions de sa Cour.
« Le Roi ,» continue Bonrepaus, « doit consentir a
« mettre l'affaire de Bantam en négociation, et nom-
« mera des commissaires si les États-Gélléraux veu-
«( lent en envoyer de leur parto Pour ce qui est du
« docteur Burnet, le marquis d'Albeville insistera sur
« ses premieres demandes, c'est-a-dire, pour que
« le docteur Burnet soit chassé des Provinces-Unies.
« Sans doute les États-Généraux ne l'accorderont
« pas; mu is, dans l' opinion du Marq~is, iI convient
« au service du Roi son maltre d'avoir toujOUl'S un
« prétexte en maill pour faire la guerre a la Hol-




RivOLUTI0N DE 1688,
« lande, q uand l' occasion s' en présentel'a; enfill,
« comme son inclination et des vues qui lui sont
« particulieres le portent naturellement a entretenir
« toujours la division entre le Roí el le prince d'O-
f.( range, il embrouillera tout cela autant qu'il lui
ce sera possible. ») Un Roi peut-il etre plus malheu-
reux que d'abandonner ses plus graves intérets a de
tels Ministres!


Pendant que d'Albeville étoit a Londres et que le
Roi s'occupoit de son voyage a la Chapelle de Sainte-
Unifrede, le prince d'Orange entretenoit une cor-
respondance réguliere avec les principaux seigneurs
d' Angleterre, qui venoient succe5sivement en Hol-
lande par la Brille et Rotterdam, et se rendoient
mystérieusement a son chateau de Loo par des voies
détournées l. e' est de la que partoit le systeme régu-
lateur de toutes les oppositions cantre le Roi d'An-
gleterre; tandis qu'a Londres le marquis d'Hali-
fax, le cornte de Danby, le cornte de Dévonshire,
et le cornte de Nottingharn, fils du feu chancelier
.Finch, imprimoient aux esprits le rnauvement dant
Oil était convenu a Loo, confél'oient avec les chcfs du
partí anglican et avec les membres les plus distingués
de la Chambre des Communes, s~assuroient enfin de
la princesse de Danemark par l'éveque de Londres.


, LeUre du €omte Davaux.




l~N ANGLETERRF.. 333
Le prince d'Orange avoit pris son partí. Si la future
Chambre des Communes, que l~ Roi s'occupoit de
former a ses desseins, refusoit d'abolir les lois pénales
et le Test, il devoit rester paisible et se borner a
traverser en secret touts les projets de Jacques II;
dans le cas contraire, il se prononceroit hautement
et accorderoit sa protection au parti protestant.
Alors il n' étoit pas encore question de la grossesse
de la Reine, et le Prince ne s'attendoit pas que le
voyage de Bath lui feroit perdre ses droits légitimes
a la Couronne.


Tout en cultivant avec soin ses grands intérets en
Angleterre, il suivoit avec attention l'é¡lat de l'Eu-
rope, et désiroit vivement que l'Emper'eur profitat
des farneuses victoires remportées sur les Turcs par
le duc de Lorraine, pour conclure une paix solide
et proulpte avec l'Empire ottoman. Il offroit la mé-
diation des États-Généraux,etfaisoitles plus grands
efforts pour déterminer ce Prince a la guerre contre
Louis XIV. La succession éventuelle de Charles II,
Roi d'Espagne, tenoit l'Europe attentive; et la
crainte de voÍr passer dans la maison de Bourbon
ret irnrnense héritage avoit h<1té ]a conclusion de]a
ligue d' Ausbourg. Si les États-Généraux trembloient
de voir un jour Louis XIV maltre des Pays-Ras
espagnols, Louis XIV n'avoit pas un moindre in-
téret a dominer ou a troubler tellement la politique
de l'Angleterre, que ectte puissanee devlnt inea-




RÉVOLUTroN D1~ 1 G88,
pable de s'unir a la maison el' Autriche et aux États-
Généraux. De la, tres-naturellement, et toute ambi-
tion personnelle a part, cette opposition constante
et insurmontable du prince d'Orange aux vues par-
tieuliereset bornées de Jaeques 1I en faveur des Ca-
tholiques et par eonséquent de la Franee. Jaeques II,
quí pouvoit s'élever si haut dans eette immensité d'in-
térets politiques, et favoriser en meme temps les vérita-
bIes intérets de la Religion en se montrant l'arbitre né-
cessaire de l'Europe, divisée entre les maisons ri-
vales de Bourbon et d'Autriche, ne sut apereevoir
ni la majesté de sa Couronne, ni les vceux ardents
de son pays, ni l'absurdité de son systeme de gOIl-
vernement: systeme étroit 1 exc1usif et bigot, qui le
tenoit dans des appréhensions continuelles de la ré-
volte et de la guerre eivile, dans l'humiliatjon d'UlJP
dépendance étrangere, dans la nécessité dt:» forcer
touts les ressorts de la puissance, de vioienter les
lois, de dénaturer les institutions publiques, et de
régner enfin, par la rigueur et la fa usseté, hai oe
son peuple, jouet de ses amis et méprisé de. ses
ennemis. Le regne subséquent de. sa filie Anne montre
assez fortement ce que pouvoit etre Jaeques Il avec
les grandes qualités que l'histoire ne lui sauroit dé-
nier, s'il eut voulu etre le Roí d'Angleterre el non
pas le Roí J'nn parti. Telle n'étoit pas la politiql1e
du prinee d'Orange, quí clans ses vastes pensées
embrassoit tont l'avenir, se montroit a l'Europe




T~N ANGLETERRE. 335
eomme le chef de touts les ennemÍs de la "France',
d a l' Angleterre comme le vengeur nécessaire {·t
toujours pret de sa g]oire humili{>e.




S OMMAIRE.


1688.


État de I'Europe all commencement de 1688. -Circonstances
toutes favorables au Prince d'Orange, et contraires a Jac-
ques H.-Ligue de Venise.-Mort de l'Électeur de Cologne.


Suite de l' Ambassade du Marquis d' Albeville aupres des États-
Généraux. - Il s'engage envers la France a opérer la rupture
entre les États et Jacques 11. - Il requiert l'expulsion du
Doeteur Burnet. _ Crédit de Burnet sur la Princesse d'O-
range. - D' Albeville veut rendre eette Prineesse Catholique.


Irrésolutions de Jaeques II. - Correspondanee secrete ave e le
Grand-Pensionnaire. -Lettre de Stewart et réponse du Pen-
sionnaire. - Le Roí compromiso - Éc1at de cette affaire.


Grossesse de la Reín~, souP<50nnée de fausseté. - Négociations
avec la Franee aa sujet des régiments Éeossois et Anglois au
serviee de Hollande. - Politíque mena~ante et foíble de J ac-
ques II envers les États-Généraux, qui se préparent a la
guerreo - Conduite habile du Prinee d'Orange.




nÉvoL. DE 1688. EN .\NGLl.:TlmnE. 337


LIVRE XVIII.


1688.


Au commencement de l'année 1688, toutes les
circonstances potitiques de l'Europe se trouvoient
réunies contre Jacques 11; et l'on jugera bientot s'il
étoit possible a ce Roi malheureux de réussir dans
le moindl'e de ses desseins. Long-temps, en effet,
Louis XIV s'étoit montré, parmi les souverains de
son siecle, cornme cet astre majestueux qu'il avoit
pris ponr embleme de sa grandeur; mais sa fortune
eut trois époques tres-distinctes, et la seconde alloit
fluir. Dans la premiere, son essor étoit sans bornes,
quand iI trouva le jeune prince d'Orange indomp-
table meme sur les ruines de sa patrie. La seconde
commence au traité de Nimegue, et présente a l'his.
toire le tableau d'une grandeur qui s'indigne de trou-
ver encore des obstacles, et un hOll1me capable de
les [aire respecter ~ cet homme est le prince d'Orange


11. 22




338 RÉVOLUTION DE .688,
clans sa maturité. La gloire et la fin de eeUe seconde
époque étoient surtout marquées par les suites Írré-
parables d'un acle qui soudainement fit passer sur
le pl'ince d'Orange tout~ la popularité de l'Europe,
moins la France : et iI faut bien reconnoltre que si
la défense de la HollanJe a fondé la gloire de ce
Prince, la révocation de l'Éclit de Nantes prépara
toute sa grandeur.


Son parti, a cette époque, dans les Provinces-·
Unies, étoit sans force, par la préI)o~ldérance que
LouÍs XIV avoit prise sur Amsterdam, el par cette
d¡'fiance jalouse qu'inspire l'éclat et le danger du
pouvoir militaire aux Républiqucs, et surtout aux
Républiques maritimes. Cette jalousie tomba tout a
eoup a la voix des Heligiounaires, qui vinrent de-
mander un asile a I'Angleterre, a la Hollallde el a
l'A Hemaglle protestante. TOllS ces pcuples furent
émus de pitié ponr fes proserits et de haine eontre
la FJ'ance. L' AngIeterre, déja si agitée pour la Re-
Hgion, trembla pOUl' elle-menH', SOllS un Roí qui se
montroit ambitieux des rigueurs de Louis XIV; et
Guiltaume, qui portoit a Louis XIV une lmine per-
sonnelle, que venoit d'accroltre la confiscation de sa
principauté J'Orange, sut fomenter habilement toutes
les passions en Hollande, et bient6t ji prit dans la
République eetascendant suprerne que lui ilvoil donné
l'invasion (le 1672.


Les Princes protestants, qu'íl avuit alarmés sur




F.N AN GI,F.TER H E. 3.39
les desseíns de Louis XIV comme sur la conduite de
Jncques II, s'étoient promis, dans une ligue secrete
a :J\Iagdebourg, de défendre la Religion protestante,
les armes a )a main , quand elle seroit ouvertement
menacée. Guillaume devenoit leur chef naturel, et
sa politique sauroit hien trouver les moyens d'y faire
concourir les États-Généraux , des que le moment se-
foit vellU. Déja une autre ligue s'étoit conclue a
Vellise, mais pour d'autres motifs. Si la premiere
(:toit purement religíeuse, la seconde étoit ostensi-
blement politique, et se fOlldoit sur la nécessité de
garantir al' Autriche l'immense suceession espagnole.


Le Pape se trouvoit jeté dans ce partí par les vio-
lentes discussions que susciterent successivement les
affail'cs de la Régale et ceHe des Fl'anchises. Il avoit
excommunié l'Ambassadeur de Louis XIV, et se
montl'oit aussi inflexihle contre la France que dévoué
a la maisol1 d'Autricl~e. Le duc de Lorraine, quí ve-
noit de remporter des victoires éclatantes pour I'Em-
pereur contre les Turcs , étoit f'ntré dans la ligue de
Venise, qui devint eeBe d'Augsbourg, pour se faire
rendre ses États. 11 devoit espérer que l'éc1at de son
nom et des serviccs qu'il rendoit a la chrétienté
comme a I'Empire? ne seroit pas un vain titre
poul' l'eeouvrel' la plénitude de sa souvel'aineté. Mais
Louis XIV avoit obtenn de Jaeques II qu'il se refu-
seroit a toute médiation en faveur de ce Prince, et
;1 employoit tout('s les I'l'SSOllrCes de la diplomatie
2~.




340 RÉVOLTTTION DE J688,
ponr détermincr la Cour ottomane et les Protestants
de Hongrie a continuet'la guerre contre I'Empereur.
A touts ces éléments de discorde, symptomes d'une
guerre universelle, se joignoient encore les vues a111-
bitieuses du Danemark contre la Suede, déja ma-
nifestées par des hostilités, lorsque la mort de l' A r-
cheveque-Électeur de Cologne vint ouvrir une nou-
velle et vaste scene ou les intérets du Pape, de
l'Empereur, de l'Ernpire et de la Hollande, contrc
ceux de la France, vinrent se heurter pour le choix
si important alor5 d'un nouvel Électeur.


Il ne falloit pas tant de motifs au prince d'Orange,
pour persuader aux États - Généraux qu'ils ne de-
voient pas se laisser surprendre par les orages qui
déja grondoient sur l'Enrope entiere. Dans l'état de
paix, ce Prince n'étoít qu'un riche et illustre citoyen
d'une République; rnais en temps de guerre, et la
guerre étoit inévitable, il se trouvoit naturelleme'nt
le chef d'une grande confédération; il rnarchoit l'égal
des plus grands Rois. Il sut donc habilement pro-
fiter de l'inquiétude universelle qui régnoit sur le
continent, pour disposer les États-Généranx a lever
des forces de tel're et de mer, bien assuré que son
importance, agrandie au milieu des alarmes publi-
ques, lui donneroit au moins la dictature de l' An-
gleterre, si lF.s fantes du Roí provoquoient enfin la
guerre et meme une révolution décisive.


Lorsque le marquis d' Albeville revÍ nt en Hollanne,




EN ANGLETEHRl~.


ti Y tl'OUVa touts les moycns d'accomplir sa missioll ~
d de suivre ses vues particulieres, qui étoient d'ame-
ller une rupture, quoique le Roí son maltre ne flit
ríen moins que préparé ou elisposé a la guerreo Su
mission avoit ponr but l'expulsion du docteur Burnet
et le rappel des régíments. Quant aux affaires de
l'Inde, elles étoient purement secondaires. CeHes de
rEurope n'entroient pour rien dans la politique du
Roí, si ce n'est par rapport a la France : juste sujet
de doulenr et d'humiliation pour l' Angleterreo


Déja d'Albeville avoit requis, dans le mois d'aout
précédent, que le docteur Burnet flit expulsé des
Provinces-Unies, et déja le prince d'Orange avoit
répondu fort sechement que les jurisconsultes et les
magistrats de la République ne pensoient pas COll1nw
ceux du Roí d'Angleterre sur le droit d'asyle chez les
peu pies libres. A 101's BUl'nct, cité en j ustice elevan t
les magistrats d'Écosse, envoya au lord Melfort des
Mémoires ou iI pl'ouvoit qu'il s'étoit retíré sur le
continent avec l'autorisation de Sa Majesté. Quant
a l'accusation de complicité ave e Al'gyle en Écossc,
il en démontl'a l'absurdité. Cependant les juges ra)'ant
condamné par contumace, il publia les divers 1\'Ié-
moires qu'il avoit adl'essés au comte de Melfort; et
il sut tellement liel' les intérets de la Religion pl'o-


_ testan te a sa cause personnelle, qu'aux yeux des
peuples de Hollande, d'Itcosse et d' Angleterre, il
parul comme um~ victime des vengeances particu-




H..ÉVOLUTION J)I<: J 688,
lieres du Roi el des Catholiques. Proscrit, ilue gal'da
plus de mesure, et prit une part tres-active a touts
les écrits publiés contre Jacques II et contre les Ca-
tholiques, sur les affaires d' Angleterre. Enfin }'irri·
fation devint si animée, que Louis XIV lui-meme
erut devoir assurer de sa protection quiconque oseroit
enlever Burnet en Hollande et le conduire en Angle-
terreo Son ministre, Colbert de Croissy, fut chargé
de l'annoncer de sa part a Skelton, ministre résident
du roi Jaeques II aupres des États-Généraux.


Burnet avoit acquis sur la princesse d'Orange un
crédit et un ascendant qui décida en quelque sorte
la fortune du ~rince, et peut-etre fixa ses dernieres
résollltions. La Princesse portoit une grande véné-
ration a son mari; ét son titre d'héritiere présomptive
de la couronne d' Angleterre ne lui avoit jamais sug- ·
géré la pensée qU'lll1 jour elle pourroit etre la sou-
veraine d'un homme a qui elle croyoit que la naturc
et la Rdigion lui ordonnoient d'obéir. Un)our que
Burnet lui expliquoit les lois angloises sur la suc-
cession, il luí demanda ce qu'elle feroit par rappol't
a son mari, quand }'ordl'e de la llature J'auroit ap-
pplée au trone. « J'ai toujollrs cru )}, dit-elle, « que
(e l'autorité passoit de droit an mari, quand une
« femme se tl'ouvoit investie de la couronne. » Burnet
alol's n'eut pas de peine a lui persuader que, dans
l'intéret de sa Religion et du pays, il falloit traus-
férer touts ses droits au Princc. Elle n'IH~~ita (las un




~EN ANG¡;ETEnlU~. 31.') LP
moment, et eette es pece d'abdication se fit avec une
étonnante simplicité. ({ Vous avez fait en un jour »,
dit le Prince a Burnet, «( ce que je n'ai pas osé, moi,
~ ten ter en neuf aus. »


Le marquis d' Albeville ne parla point encore du
rappel des régiments, et I'on en yerra bientot la
cause 1; mais il pressa vivement les États-Généraux
de donner satisfaction au Roi son maltre sur le
docteur Burnet. Il se foftdoit sur l'art. 15 du traité
de Breda, <¡ui sembloit obliger les États-Généraux,
suivant les prétentions de la Cour d' Angleterre, a
ne souffrir dans leur pays aucun des sujets anglois,
non-seulement qui auroient été déclarés rebelles,
mais encore qui pourroient l'etre a l'avenir. D'AI-
beville se fondoit sur le texte Iatin du traité, qni
porte ces lllots : Declaratos veZ declarandos; mais
la traductioll ne parloit que des fugitifs qui auroient
été auparavant déclarés rebelles, et non pas de
ceux qui le seroient apres leur fuite. Quoi qu'il en
soit, Burnet se trouvant naturalisé avant son juge-
lllent par contumace, le~ États l'épondin~nt qu~ils
lui feroient filire son proces, si Sa Majesté Britan-
nique vouloit lcur envoyer les informations faites
cOlltre lui. La l'éponse étoit illusoire, Oll plutot dé-
risoil'e. Mais aussi quelle triste politique de cher~
cher un f\ujet de querelle pel'sonnelle, quand l' An-
-------------


J Lettre du comlt' Davaux.




RÉVOLUTlON D:E 168~"
g]eterre avoit de justes griefs dans ses intérets les
plus importants, ceux de l'Inde.


Mais le Roí, dans ce temps-Ia meme, u'étoit en-
core décidé ni pour la France, ni contre la Hol-
lande. Poussé perpétuellement en sens contraire par
sa tendresse pour sa fine, par la jalousie inquiete
et les frayeurs mal dis&1mulées que luí causoit son
gendre, par l'obsessíon du P. Piter, par l'instinct
naturel de son esprit, qui lui montroit tout-a-Ia-fois
le péril et la dé pendan ce de sa situation, voulant
tour-a-tour et ne sachant etre completement ni ami,
ni ennemi, ni allié, ni Anglois, ni Roi , ii se ber-
«;{oit encore du vain espoir de convertir la princesse
d'Orange, et d'amener le Prince, par ce moyen, a
des condescendances que celui-ci ne pouvoit plus
accorder.


D'Albeville avoít emmené avec luí, par ordre du
Roi, le P. Morgan, jésuite, sous le titre d'aumo-
nier, avec une recommandation expresse de déter-
miner sa filIe a entrer secretement en conférences
avec ce religieux. Jacques II lui expliquoit aussi,
dans une longue leUre , touts les motifs qui l'avoient
déterminé lui-meme a rentrer dans la Religion de
ses ancetres. La Princesse, pour éviter l'éclat, ne
voulut pas recevoir l'aumonier du marquis d'Albe-
ville ~ mais elle donna sa parole au Roi son pere de
lire en secret touts les ouvrages qu' on voudroit luí
donner. Elle ex posa aussi par écrit les raisons qui




VN ANG LETEH.R.E.


l'affermissoient dans sa croyance; et le docteur Bul'-
llet, a qui elle montra sa leUre, exprime un éton-
nement d'admiration sur la précision et la netteté
de ses raisonnements. Il est vraisemblable qu'elle
étoit, sans le savoir, l'écho des propres arguments
de cet habile théologien.


Cette petite négociation ~Jt conduite avec beau-
coup de mystere, et l' espoir du sucd~s 6t retarder
l'affaire du rappel des régiments. On se cachoit sur-
tont de la France; et a tel point, que, des l'année
précédente, le Ministre d' Angleterre a la eour de
Versailles, dans une fausse confidence qu'il 6t au
marquis de Croissy, confidence 011 peut-etre il étoit
trompé lui-meme, lui annonc;;a que le pl'ince d'O-
range avoit témoigné quelques dispositiollS a se
rendre Catholique. Le Roí, disoit-il, lni avoit en-
voyé un Pere jésuite pOUI' le fortifier dans ces bons
sentiments. Louis XIV, pal' une leUl'e du 12 juin ,
avoit chargé Barillon de prendre des informations
certaines sur ce projet de conversion; et Barillon
lui répondit que probablement ce qui avoit dOl1né
lieu a la confidel1ce de l'Ambassadeur Skelton, c'é-
toit la présence du P. Morgan a la eour du prince
d'Orange. Mais Barillon ne savoit ni qu'il fut ques-
tion de la Princesse, ni que le P. Morgan fut l'au-
monier du marquis d' Albeville. 11 ne l'apprit de
SUl1derland que sept mois apres, c'pst-a-dire au mois
de janVi('r 1688, quand éclata le secret d'une autre




346 Rl~VOU],rION Dl~ J 688,
négociation, qui ne fut pas moins soigneusement
cachée a la France, et dont le maladroit scandale
porta le dernier coup au gouvernement du Roi, dans
l'opinion publique. Il faut pl'endl'e ecUe affaire (fans
son OrIgIne.


eette 1llystérieuse négociation avoit ét" confiée,
clans le plus grand secret, a un célebr:e jurisconsulte
d'Éeosse, nommé Stewart, qui jadis n'avoit pas voulu
abjurer le Co~enant, et que le Boj considéroit 3101's
eomme le plus anJent promoteur des complots for-
més depujs vingt ans eontre la Cour. Il se trouvoit
a la Haie. Penn sut l'amener a des sentiments moins
ardents contre le Roí, et l'attira de Hollande en
Angleterre. Au rapport de Burnet, il protesta au
prince d'Orange, avant son départ, de son invio-
lable dévouement a la Religion Péotestante, et fit
les memes promessps au Grand-Pcnsionnaire Fagel.
Mais, a son retour en Angleterre, Penn le présente
a la Cour; il Y re~oit les plus grandes marques de
bienveillanee; et aaoptant pleinement, comme Penn,
l'édit du Roí sur la liberté de conscience, il se
chargea d'employer tout son crédit en Écosse et en
Hollande, pour dissiper les défiances de ses compa-
triotes, et surtout les soup~onneuses préventions du
prince d'Orange. Dans eette derniere vue, jI écrivit
au nom du Roí plusieurs lettres au Grand- Pensioll-
naire, qui d'abord n'y fit aucuue réponse.


Stpwal't développoit d'mw maniere' tl't~S-pl'eSsallte




}:N ANGL.ETEHRE. 347
les molif;' qu'il croyoit capables de convaincre le
prince et la princesse d'Orange sur la nécessité d'a-
bolir les lois pénales, cl'abolir surtout le Test, qui
mettoit lps Catholiques clans la dure alternative
d'etre perpétuellement éloignés de toutes les charges
publiques, ou d'abjurer lenr foi religieuse. Insis-
tant particulierement sur la cruauté ele ces ·lois pé-
nales, sur l'origine impure de l'obligation du Test,
puisqu'elle étoit née de l'infamie dt' Titus-Oates,
sur l'injustice qui dénioit a une partie des sujets de
Sa Majesté le bénéfice des loís communes et la
participation aux avantages de la société politique,
iI s'attachoit aussi a démontrer que le seul fait du
tres-petit nombre des Catholiques devoit suffire pou!'
d6truire toutes les calomnics par lesquelles on impn-
toit au Hoi le desseill formel de reIlverser la Religion
Protestante.


Le prince cl'Orange, á (lui le Pensionnaire mon-
troit successivement toutes ces lettres, lui dit enfin
el'y répondre, et mcmc publiquement l. « II faut, »
di~;oit·il, « que les Cours papistcs soient édairées
«( sur mes vt.ritables intentions. L'état de l'Europe
« les forcera tot ou tard de voler a une ligue contre
« la France. Elles ne doivent pas etre arretées par
« la fausse idée que moí et mes adhérents, nons ne
« pensons qu'a exterminf'l' les Catholiques.» Le


1 .Mém. de BUl'Ot>1.




348 RÉVOLUTION DE 1 GH8,
prince d'Orange saisit done cette occasioll de fain.'
comme une sorte de manifeste a l' Angleterre el ¡¡
l'Europe.


Ainsi le Grand-Pensionnaire fit a Stewart, dans
le mois de novembre 1687, une réponse qui cxpri-
moit, de la maniere la plus décisivc, les sentiments'
du prince et de la princesse d'Ol'ange sur les grandes
questions politiques et religieuses qui agitoient si
profondément l' Angleterre. Cette lettre, con~ue avec
un art infini, est un véritable monument historique.


« En premíer líeu,» disoit - il, {( je vous l'assure
te tres - positivement. Leurs Altesses ont déclaré
« souvent, comme Elles l'ont fait expressément au
c( marquis d'AlbeviIle, Envoyé extraordinaire de
« Sa l\-Iajesté aux États, que, dans leur sentiment,
« Oll ne doil .faire violence a alteun Chrétien dans
« sa conscience, el que l' Oll !le doit maltl'aiLel'
« personne pour eause de dissidenee avec la Re-
« ligian établie et dominante. Ainsi Leurs Altesses
« peuvent consentir san s difficulté a ce que les Pa-
« pistes soient tolérés clans les trois Royaumes, avec
« la meme liberté de Religion qui leur est accordée
« par les États-Généraux dans les Provillces-Unies,
« oul'on ne peut nier qu'ils ne jouissent d'une pleine
« liberté de conscience. »


Apres avoir exprimé, d'une maniere encore plus
prononcée, le meme v<:eu et le meme consentemellt
pou!' les N on·Confol'mistes, le Grand ~ Pensionnairl:




'EN ANGLETERR'E.


ajout<.': (e) .eurs Altesses ~eront toujours pretes, quand
( il plaira á Sa Majesté de leur témoigner sa volontp
{( sur ce sujet, de déclarer leur intention de con-
« courir a l'établissement et a la confirmation de
« cette liberté religieuse" de la maintenir et de la
« défelldre ;


« Et si Sa Majesté juge a propos, outre cela, de
« souhaiter qu'Elles joignent aussi leurs efforts aux
« siens pOUl' l'abolition des Lois pénales , Elles sont
« pretes a le faire ,pourCJlt que l' on conserve en
« leur pleine vigueur ces lois par lesquelles les ..
« Catholiques Romains sont exclus des deu.x
( Chambl'es du Parlement, el de touls emplois,
« tant ecclésiastiques que ciCJils et lnililaires, ...


« Mais Leurs Altesses ne peuvellt pas consentir a
',( l'abolition du Test, ou de ces autres lois péllales
« ei-dessus, qui tendent a assurpr la Religion Protes-
« tanteo »


On voit ici que le Grand-Pensionnaire distinguoit
deux sorte5 de loís pénales. Les unes remontoient au
regne d'Élisabeth, lois cruelJes, empreintes des fa-
natiques fureurs de cette époque, ou la Reine et le
Parlernent répondoient, par la proscription des Ca-
tholiques, a la bulle de Pie V, qui transféroit a Phi-
lippe 11, Roí d'Espagne, la couronne d'Angleterre, et
déshéritoit les Stuarts dans la personne de Jacques VI,
Roí d'Écosse, alenl du Roi régnant. Les autres étoient
cornmllnes a toutes les Églises dissidentes, et par COll~




350 Rl~YOLCTlOlV 1>1': 1 (i88 ,
sé({l.lent aux Catholiques. Le prince et la pl'inresse
d'Ol'ange non - seulement consentoient a l'abolition
des p1'emieres, mais encore s' engagt~oient a ne con-
server des autres que celles qui, par le Test ou for-
mule du serment, éloignoient du Parlement et des
charges publiques toute personne qui ll'étoit pas sou-
mise a la foi de l'Église Anglicane.


« Leurs Altesses,) disoit Fagel, « ne peuvent pas
\( consentir a l'abolition du Test, ou de ces autres
« lois pénales. On ne peut pas dire que ces lois
« étahlissent aueune rigueur eontre les Papistes, a
« l't"gard de leu1's eonsciences. Le 'dessein de leur éta-
« blissement n'a d'autre but que de garantir la Re-
« ligio n Protestante. Il est ce1'ta].11 qu'il n~y a point
« de Royaume 11i de République, ni aUCU11 autre
« corps ou soeiété, qui n'ait établi des lois pou!' sa
« sureté, ou qui n'ait prescrit les qnalités et les con-
(e ditions nécessai1'es ponr ctre admis aux emplois et
« aux charges que l'on peut occuper {lans ces États
« OH sociétés. Or, iI n'est persontlc qni puisse pré-
« tendre qu'on lui fasse tort, en }'cxcluant de ces
« charges et emplois, 5'il ne remplit pas les condi-
« tions et s'il n'a pas les qualités requises pour cela. »


Apres avoir développé ces propositions dans toute
leur étendue, par rapport aux Catholiqucs, aux NOB-
Conformistes, et a la surcté de la Rpligion Protes-
tante, le Grand-Pensionnaire 'termine sa lettre par
la professioll des sentÍmenls du Prinee et de la Prin-




f:N ANGLKrERR}~.


cesse pour le Roi d'Angleterre. « Leurs Altesses,»
dit - il, (l Ollt toujours eu pour Sa Majesté une SOl1-
c( missioIl profonde, et sonl résolues de l'avoir tou-
« jüurs : elles s'y croient obligées par la loi de Dieu
« et par celles de la ·llature » ( le Prince étoit neveu
et gendre de Jacques II). c( l\Jais comme le sujet
« dont iI est question regarde, non pas des loís nou-
« velles que l'on veuille faire, mais l'abolition totaJe
« des lois déja établies par le Roi et le Parlement;
« Elles ne voíent pas comment OIl peut aUendre
H d'Elles un eonsentement a une telle abolition
« qu'Elles réprouvent justement, et qui est contraire
c( aux lois et aux eoutumes de touts le~ États Chré-
« tiells. Il n' en est point en effet, Protestan ts et
« Papistes, lIon - seulement (luí re(,?oivent dans le
l( Gouvernement et dans les emplois quiconque ne
« professe pas la Hcligion etaLlie par la loi, maÍs
« encore qui n'aient fix~ des peines pOUl' aSSUl'er sa
« B.eligioncontre toute entreprise faite pour la l'cn-
« verser. »


L~> grand argument du Pensionnaire étoit que les
CatholÍques oLtenant la liberté de leur culte, et l'a-
Lolition de toutes les rigueurs portées eontre eux
par les anciennes lois pour le seul fait de lem' Reli-
gion, ils ne devoiellt pas se cl'oire permÍs en con-
seience de {rouLler le repos d'un .État, et de renver-
ser les loÍs du Gouvernemellt, uniquement pOUl'
entrer, par ce moyen, dans les emplois puhlics.




RivOLUTION DE 1688,
Il est remarquable ici que le Grand-Pensionnairp


Fagel, Protestant et Presbytérien, soutenoit la meme
doctrine sur ce faít que l'oracle des .Catholiques
franc;ois dans lp meme siecle et ponr la meme cause.
Bossuet, en effet, donna plus tard a J acques II pt
envoya au cardinal de Janson aRome, pour etre
soumise au Souverain Pontife, une déclaration ex-
presse et motivée pour lever les scrupules du Roi
sur sa promessp de maintenir et défendre l'Église
anglicane l. Au reste, c'étoit l'avis de la grande rna-
jorité des Catholiques d' Angleterre.


Lorsque la lettre du Pensionnaire parvint a Ste-
wart, celui-ci la porta au Roi, qui en fit l'objet d'une
délibération avec son Conseil. L'Empereur trouvoit
raisonnable d'accepter les propositions du Prince,
et avoit engagé le Pape a user de son autorité au-
pres du Roi pour les faire accepter. Maisle Roi ~ ou
du moins le P. Piter, étoit irrité contre le Souverain
Pontife, qui refusoit tout ce que lui dernandoit la
Cour de Withehall, et qui, dans ce temps-Iamerne,
rejetoit la médiation de l' Angleterre entre luí et la
France. Enfin, la grossesse de la Reine, et, si l' on
peut parler ainsi, la foi dan s la naissance d'un prillce
de Galles, donnoient aux Catholiques exagérés un ca-
ractere violent et hautain, qui repoussojt comme
une indigne foiblesse toule espece de transaction.


! Voyez ectte piece importante imprimée dans les notes.




EN ANGLETFRHE. 353
Aussi, apres quelques JOUI'S de discussion, le Roi
prescrivit :. Stewart de répolldre a Fagel qu'il fal-
loit tout ou rien.


De son coté, le marquis d'Albeville se rendoit la
fable du corps diplomatique en Hollande, par l'ex-
cessive imprudence de ses p'aroles; et le prince
d'Orange, qui jugeoit des intentions de la Cour
(}' Angleterre par le caractere de son représentant,
pouvoit difficilement donner' sa confiance aux pro-
messes meme les plus fortes. Un jour il luí parloit
des promesses solennelles de Sa Majesté Sur l'Église
anglicane, et du serment plus solennel encore de son
sacre et de son couronnement. « Il est des conjonc-
« tures,» lui disoit d'Albeville, « ou les Rois auroient
,e tort de ne pas mettre a l'écart ]eurs promesses
(e comme leursserments.»«Mais,»disoitaussi ]ePrÍnce,
(e le Roí n'a·t-il pas les plus fortes raisons de ména-
ce ger, plus qu'il ne le fait, un corpsaussi puissantque
(( l'Église anglicane! ») - « L'Église anglicane!»
reprit l'Envoyé, e( J.~ns deux aIls, on ignorera que
(e jamais iI exista aU iúonde une Église de ce nom l. »


Cependant, eomme l'adhésion: du' Prince et de la
Princesse a une partie des vreux du Roí faisoit espé-
rer leur COllsentement sur le reste, on répandoit,
avec une rnystérieuse affectation, que Fon étoit
d'accord sur l'abolítion du Test. Alors, pour mam-


, Mém. de Burnet.


11.
')


2J




niVOLUTION DE 1088,
fester leurs véritables intentiolls, el sUl'toul pour
affermÍr les Non - Conforlllistes dans leu!'s défiant:t.'s
contre la Cour, le parti du prince d'Orange fi~ tra-
duire en latin et en anglois la lettre du Grand-
Pellsionnaire, qui parut tout-a-coup dans le public,
imprimée a quarante-cinq mille exemplaires. La Cou!"
en fut consternée , et par un de ces moyen~ tortueux ,
toujours plus dangereux que le mal dont on veut se
garantir, paree que le mensonge fait présumer la
foiblesse et accroit les défiances publiques, elle fit
nier, clans-un écrit imprimé sous la garantic de l'au-
torité, que cette lettre fut réellement de Fagel.
L'écrit ou l'on arguoit ainsi de faux la lettre du
Pensionnaire, parut sous le titre de ParlamelllulIl
pacijicum, avec un acte d'imprimatur signé clu
eomte de Sunderland. On y disoit formellement que
l'auteur, qui faisoit parler le prince et la princesse
d'Orange, s'exprimoit contre le selltiment de l'un el
de l'autre sur l'abolition des lois pénales et du Test:
eette, dénégation officielle étoit aussi absurde qu'im-
prudente. Pouvoit - on espérer que le Grand - Pen-
sionnaire n'y répondroit pas d'une maniere authen-
tique? Mais on ne fut préoccupé que d'une seule
pensé e : le grand intéret que l'on mettoit a caeher
les sentiments du prince d'Orange, et meme les
efforts inutiles que l'on avoit tentés aupres de lui.


Ce fut le 8 janvier que le comtc Davaux parla
pour la pn'mien> fois a Louis Xl V de la leUre im-




EN A.NGLETJ~RRE. 355
primée du Pcnsionnaire. Il en explique l' origine,
pt parle de la grande confiance que Jacques II avoit
mise dan s Stewart. « Celui-ci ,» dit-il, « ávoit assuré
« le prince d'Orange que, s'il vouloit céder avec
(e complaisance, le Roí d' Angleterre, une fois en
« repos de ce coté-la, entreroit dans touts ses inté-
« rets, et qu'en toutes choseg ils agiroient de concert.»
Louis XIV put comprendre par-la pourquoi 00 ne
lui parloit plus des régiments anglois au service de
Hollande.


Barillon, qui alol's négocioit les affaires les plus
Jélicates avec le comte de Sunderland, n'avoit pas
été mieux informé sur la correspondance de Stewart
avec le Pensionnaire. Il écrit d'abord a Louis XIV
en ces termes: « Il court ici une lettre, imprimée en
(e anglois, du Pensionnaire Fagel a un Écossois nom-
« rné Stltart,' qui étoit dans la rébellion, et quí de-
« puis a eu son pardon. Cet homrne est intrigant,
« el'. s' est entremis de persuader a M. le prince et a
« Mme la princesse d'Orange de se déclarer en faveur
e( de la révocation des lois p~nales et du Test. Il a
{( entretenu pour cela un cornmerce avec le Pension-
« naire Fagel. Il en a re<;u une lettre qui a été irn-
« primée et publiée ¡ci. Le Roi rn' en a parlé ave e
« ressentiment et aigreur. 11 est vrai que cette lettre
« est un véritable libelle et est écrite avec artifice,
( pour gagner les Non-Conformistes. Elle contient
«( tO.ut ce qui se peut alléguer de plus spécieux et de


23.




356 RÉVOLUTION DE 1688,
« malin, pour emp(:~eher la révocation des lois pé-
~( nales et du Test. »


Trois jours apres, il revient sur eette lettre, et
dit que déja depuis long-temps le eomte de Sundel'-
land lui avoit parlé de la négoeiation de Stewart,
comme d'une négoeiation qui ne pouvoit avoir aucun
sued~s. c( Il paroit,» ajoute-t-il, c( par }'événement,
« qu'elle n'a pas réussi. On doit croire que si M. le
(e prince et Mme la princesse d'Orange avoient .a se
« déterminer sur des affaires de si grande consé-
« quence, un homme aussi peu considérable que le
« nommé Stewart ne seroit pas l'intermédiaire d'une
« telIe négociation. La personnc (Sunderland) qui
« m'a confié beaucoup de choses plus importantes,
« ne m'auroit pas voulu faire un secret de ce qui de-
(c voit etre connu de tant de gens. »


Quatre jours apres, il écrívoit encore a Louis XIV
que la leUre du Pensionnaire étoit re~ue avec les
plus .grands applaudissements. Il ajoute ces mots
remarquables : (( L'ambassadeur de Hollande (Van-
« Citers) et les partisans du prince d'Orange ont
( pris le partí de 'dire que cette lettre pouvoit n'etre
« pas vraie. Mais le Roí et ses ministres les plus eon-
r( fidents répondent a cela qu'elle ne contient. ríen
« que ce que M. Dikvelt a dit iei, et ce que le prince
« d'Orange a déclaré lui-meme plusieurs foís au
C( lTIftrquis d'Albeville. »


On verra bient6t le motif de toutes ces expres-




EN ANGLETERRE.


sions de Barillon. Il parle d'abord de cette lcttre de
Fagel comme d'un libelle peu important; iI savoil
ensuite depuis 10llg-temps la négociation insigni~
fiante du nommé Stewart; le comte de Sunderland
ue vouloit pas ccrtainement lui en faire un mystere.
Enfin, que disoit M. Fagel? Tout ce que ron savoit
déja par le rnarquis d' Albeville. Barillon, avec ces
expressions méprisantes et légeres< sur une affaire
tres-grave, cherchoit tout a-Ia-fois a se justi6er de
u'en avoir rien su qu'avec le public, a montrer qu'il
ue pouvoit avoir été la dupe du comte de Sunder'"
land, a excuser Sunderland lui - meme aupres de
Louis XIV, et a faciliter ainsi le sucd~s de l'opéra-
tion qu'il traitoit dans ce temps merne avec ce mi-
nistre, pour les régiments au service de Hollallde.
~'\1ais iJ prouve, par ces lettres meme, l'authenticité
reconnue a la Cour et par Jacqu~s II, de la négo-
<:iation de Stewart, et de la réponse du Pehsionnaire.
Cornment done la eour osa-t-elle nier officiellement
la réalité de l'une et de l'autre? Comment eut-elle
l'extraordinaire folie de présumer, ou qu'un hornme
d'État aussi renommé que le Pensionnaire Fagel se
laisseroit ainsi traduire devant toute l'Europe, sans
~'expljquer úuverternent sur un démenti aussi for-
mel; ou que le prince d'Orange et son partí négli-
geroient eette oecasion, si préeieuse pour eux, de
faire couIloitre a toute l'Angleterre ce' qu'jls . pen-
soient des lois pénales et du Test?




358 RÉVOLUTION DE 1688,
Le Pensionnaire offensé s'adressa directement au


marquis d'Albeville, comme ministre du Roi d'An-
gleterre. Sa lettre, écrite en termes forts autant que
mesurés, lui rappeloit que, s'il avoit enfin écrit a
Stewart, e' étoit apres quatre mois d'instances réité-
rées an UOID de Sa Majesté; mais s'il avoit pu se déci-
der a faire une réponse tres-vivement soIlicitée, il avoit
pris toutes les précautions qu'une affaire aussi déli-
cate pouvoit exiger, évitant particulierement dans
sa lettre tou~e expression dont il eut pu craindre
quelque déplaisir pour le Roi; cependant malgré
tout cela, et quoique Sa Majesté, toute la Cour
et lui-meme ministre d' Angleterre, eussent connu
toute la vérité, un écrit s' est trouvé répandu avpc
profusion sous l'autorité d'un acte Pllblic; sa ré-
ponse y est désignée comme une piece apocryphe;
on l'y accusoit d'avoir abusé du nom de Leurs AI-
tesses, et en particulier du nom de Son Altesse Royale
Madame la Princesse, eornme s'il étoit homme a se
servir d'une fourbe si infame, el cela dans une af-
faire de la derniere importance. Le marquis d'Albe-
ville ne devoit done pas trouver mauvais qu~ l' on
invoqmlt son propre térnoignage sur ce qu'il savoit
lui-meme, et sur les rapports qu'il en avoit certaine-
ment faits a sa Cour. Mais cornme l'éerit en ques-
tion est publié sous l'autoríté du Président du Con-
seil et Secrétaire d'État, l'honneur du Grand-Pen-
sionnáire de Hollande se trouve engagé a ee que la




E.~ ANGLET}<~RRE. 359
v~rité soit connue. Sans doute, la Religion de my-
lurd Suuderland a été surprise quand iI a ex,tl'aor-
clinairement signé l'acte d'únprimatur, puisque ce
.Ministre savoit parfaitement que la lettre adresske
~l M. Stewart étoit vraie, qu'elle u'avoit auclJu ca-
ractere de supposition, qu' elle co~tenoit en fin .les
sentirnents eonnus de Leurs Altesses, et eu partieulier
de Madarne la Princesse d'Orange sur les vreux du
Roi son pere. 11 s'adresse done a lui, marquis d' AI~
beville, ministre de Sa Majesté Britannique, pour
lui demander d'en écrire a rnylord Sunderland, afill
(lue l'acte qui lui a été surpris soit annulé, et que
l'auteur d'une calomuie si outrageante et si mani-
feste soit ch<1tié cornme iI le mérite. Du reste, il le
prévenoit que pour mettre son propre honneur ¿l
couvert contre une calomnie si atroce, il feroit ill1~
primer tout le détail de eette affaire, et merne la
IcUre qu'il lui écrivoit en ce momento


Le Pensionnaire effectivement livra au public par
l'impression divers fragments des leUres de Ste'wal't,
d la protestation qu'il venoit de remettre au lllarquis
d'Albeville. Mais eomme, immédiatement apres l'im-
pression de la lettre adressée a Stewart, le Roi s' é-
toit déeidé a réclamer ses régiments du serviee de
Hollande, et qu.e eette nouvelle affaire entralua des
mesures passionnées de part et d'autre, on ne garda
plus de lllénagement pou!' sollieiter ouvertement le
public d'Angleterre contl'e les mesures du Roí. Une




360 BÉVOLUTION DE 1688,
guerre vive et dangereuse d'écrits polítiques s'en-
gagea au sujet de la négociation de Stewart. Les
hommes d'État les plus élevés, les plus habiles écri-
vains soutinrent cette lutte OU la victoire n'étoit pas
douteuse, puisqu'elle avoit pour juge un peuple déja
fortement ému et secretement déclaré. C'est dans
eetté occasion que fut révélée l'irrésistible puissance
de la presse, quand elle est dirigée par des hornrnes
d'un grand nom et d'une grande autorité morale
et politiqueo La Cour, défendue par des écrivains
obscurs ou eonnus pour s'etre vendus a touts les
partís, ne soutint cette lutte qu'a son grand dorn-
mage et a sa eonfusion. Ces débats avoient pour effet
inévitable de réunir toutes les opinions éparses, dan s
une masse d'opinions eornrnune3 et ouverternent dé-
clarées; dernier symptorne d'une révolution aCCOIll-
plie dans les esprits. Cependant touts les simulaeres
de la puissance établie sont encore debout pour
faire iUusion a l'autorité qui s'abuse et qui s'obstine
<;ontre l'évidenee. Une fois a ce terrne fatal, il n'est
point d'effort qui n'aceélere la eatastrophe la plus
redoutable. Long-ternps miné par sa base, le trone
le plus élevé s'écroule cornme un rocher dont le 'der-
nier étai ne peut plus rien soutenir.


Parmi les écrits publiés a l' occasion de la lettre du
Grand-Pensionnaire, il en est un qui produisit sur
les Non-Conformistes l'irnpression la plus forte. II
portoit le titre de Lettre écrite ti une personne de




EN ANGLETERRE. 361
qualité qui sera probablelnent au prochain Par-
lernent d'Anglelerre. Pour justifier les 10is pénales
contre les Catholiques, l'auteur y rapportoit avec
de. grands développements les doctrines qu'il attri-
buoit a l'Église et a la Cou~ de Rome, pour en
tirer eette conclusion : que le Roí Jacques, comme
Catholique, se croyoit obligé, dans sa conscience, a
extirper l'hérésie de ses États. On citoit le Concile
de Rome souS Grégoire VII, Ie~ troisieme et qua-
trieme Conciles de Latran sous Alexandre III et In-
nocent IlI, le Concile de Lyon sous Innocent IV,
et celui de Constance sous Martin V; Conciles ou
il fut établi : que le Pape avoit le pouvoir de déposer
les Rois et d'absoudre les sujets du sennent de fidélité;
que les Princes hérétiques et ceux qui n' extirperont
pas les hérésies seront déposés. On citoit encore
l'ex.emple de l'Empereur Frédéric II, puis la bulle
de Pie V contre la Reine Élisabeth, et surtout eelle
de Clément VIII qui ordonnoit : ( Que quand ectte
« misérable jémme seroit morte, le plus proche hé-
« ritier ( c'est-a-dire l'aieul de Jacques II) ne seroit
« pas admis au trolle, a moins qu'il ne fit le ser-
« ment de rétablir la Heligion Catholique s'il en
« avoit le PQuvoir. »


Apres avoir montré le regne de ~1arie, la .conspi-
ratjon des poudres sous J acques ler, et le massacre
d'Irlande sous Chnrles lel', comme une conséquence
uaturelle des doctrines de la Cour de Rome : « On




362 RÉVOLUTJON DE 1688,
c( voit,» disoit l'auteur, « que les Rois Catholiqucs
« sont dans une obligation si indispensable de llOUS
{( détruire, que nous serions des insensés si nous


_ « exposions la personne roya le , que nous regardons
« comme le plus proche successeur de cette monar-
« chie, au péril de si effroyables anathemps. »


Cette cita~ion suffit sans doute pour montrer com-
ment devoient etre accueillies toutes les explications
que la Cour faisoit donner sur ses intentiolls, et
comment le parti protestant, qui formoit les quatre-
vingt-dix-neuf centiemes de la püpulation angloise,
pouvoit se preter aux vues que 1'0n supposoit au
Uoí, ou du moins a ses Conseillers Catholiques, d'i-
miter l'exemple de Louis XIV contre les Calvinistes,
s'il en avoit jamais le pouvoir.


En général, touts ces écrits étoient remarquablcs
par une dialectique vive et serrée, par une érudi-
tion toujours embarrassante, qualld la passioll ex-
plique les faits par les doctrines, et réciproquement.
Ce qui devenoit surtout tres-dangereux étoit certai-
nement l'enthousiasme d'admiration que l'on affec-
toit pour le pril1<~e d'Orange, et l'ironique paralleIe
que I'on faísoit de ce Prince avec le Roí. Touts les
artífices de la pensée, du ~tyle et de la parole se
réunissoient pour montrer dans l'un le Protecteur
nécessaire de l'Anglete~re, et dans l'autre un ennemi
peu estimable.


Dans le premit->r de ces écrils, intitulé, RijLexiolls




EN ANGLETIÜtR.E. 3tiJ
sur la lettre de iJi. Fagel, il ne falloit pas de grands
efforts pouro y démontrer le fait dont le Roí eut l'in-
concevable malheur de vouloir nier l'incontestable
évidence. Ces réflexions partoient d'un écrivain tres-
habile, le docteur Burnet, qui, depuis sa condam-
Ilation par contumace en Écosse, n'étoit plus qu'un
implacable ennemi du Roi. La date de eette piece,
22 janvier, t'st surtout remarquable par le soin que
déja l'on y prenoit de jeter par le ridicule des soup·
(;ons odieux sur la grossesse de la Reine. Un passage
surtout de cet écrit recevoit, pour le moment 'ou il
parut, un caractere tres-grave. Rien alórs n'étoit
plus douteux que la grossesse de la Reine, et cepen-
dant la Cour affectoit de puLlier que cette PrÍncesse
avoit senti remuer son enfant. Ce faít, qui étoit dif-
ficile a croire puisque la date de la grossesse ne re-
mon toi t qu' au 16 octobre, dev in t la cause des plus
monstl'ueuses allégations. Voici comment le docteur
Burnet en tira par ti a l' occasion de la leUre du Pen-
SlOnnalre.


H Je eroyois avoir fini,») dit-il; « mais, Monsieur,
« en relisant votre lettre, je m'aper<;;ois que j'ai ou-
« bIié de répondre a une ou deux raisons qui vous
cc font douter si réellement M. Fagel a écrit la lettre
ccqui porte son nomo Tels et tels grands seigneurs,
« dites-vous, ne l'ont pas cru. Mais pourquoi, .le
« vous prie, ne se trquveroit - ii pas des gens qui,
« disent - ils, doutent que cette lettre soit véritable,




364 RÉVOLUTION DE 16~8,
{( lors meme qu'ils eh ont la certitude, quand il s'en
({ trouve qui assuroient que la Reine étoit grosse,
« presque avant qu'elle ne le sut elle-meme? Des gens
(e enfin qui affirmoient qu'elle sentoit remuer l'enfant,
« lorsque l'embryon; comme disent les anatomistes,
« n' est pas beaucoup plus long que le tl'avers d'un
;( pouce? Je ne crois p~s que les successeurs Papistes
« croissent, comme les mauvaises herbes, plus vite
{( que les autres. Les personnes d'ailleurs que vous
« nommez et qui doutent de la lettre de M. Fagel,
(e peuvent etre hypocrites, servir en merne ternps
« aux deux partís 1, et présu~er de leur mérite, de
« peur d'etre jugés capables de ressentiment. Dahge-
« reuse réflexion. Je dis Jeur mérite. Vous avez Vil
(e une grande relation des grands services que quel-
(e ques - uns (lol'squ'ils étoient en pouvoir) ont
« rendus a Leurs Altesses. Elle est jointe et reliée avec
ce la relation des véritables causes de leurs souffrances
« pour leur Religion 011 plutot pour ceHe de Leurs
(e Altesses. Vous savez aussi cornment l'un d'eux leur
« rendít ses devoirs avec toute sorte de respect et
( d'humilité, a une distance raisonnable, et avec les
« précautions de l'invincible monarque, lorsqu'il est
(.( au combat, c'est-a-dire hors de la portée du canon.
« ~Iais, Monsieur, quoique le caractere d'un hornrne


f L'éditeur de eette Iettrc mct en flote l'observation sui\anl\' .:
.. Cest id une énigme, jusqu'(i la fin de la périodc.,!




EN ANGLETJ~RRE. 365
( double soit ordinairement le caractere d'un hornme
(( prudent selon le monde, il Y a des temps et des
{( saisons ou ce n'est pas le caractere d'un honnete
{( homme.»


Ces réflexions ameres et ces allusioIls, qni alors
étoient sans nuages pour le public, se rapportent
probablement aux eomtes de Roehester et de Sun-
derland. Le premier étoit alIé aSpa, depuis sa dis-
grace; mais, par un juste sentiment de sa position
poli tique , il avoit soigneusement évité de se rendre
aupres de la princesse d'Orange, sa nieee, et iI ve-
noit de rentrer en Angleterre. Le seeond avoit signl'
l'acte d'Imprimatur dont s'étoit plaint si vivement
le Grand-Pensionnaire. Il seroit done assez diffieil-e
j usque-Ia d'établir et de croire qu'il m.t seeretement
d'accord avee le prince d'Orange. Quant a la gros-
sesse de la Reine, que déja I'on s'occllpoit de repr~
senter eomme une fourberie de la Cour et des Ca-
tholiques, l'insinuation perfide qui vient d'etre eitée
doit etre eomparée aux documents officiels qui nous
restent sur ce fait, dont les suites sont devenues si
désastl'euses poul' le Roi d'Angletel're.


L'écrit dont on vient de parler avoit pour date
le 22 janvier. Or, voici, jusqu'a la meme époque,
ce qu'en écrivoient a la cour de Louis XIV Mes-
sieurs de Bonrepaus et de Barillon.


« La Reine est persuadée que les bains la mettront
« en état de devenir grosse. Il est constant que, jus-




36G R~VOLUTTON DE 1688,
{( qu'a présent, elle s'en trouve bien. » ( Lettl'e d(~
Barillon, ~3 septembre 1687') - Ce passage a été
marqué au ci'ayon par M. Fox, sur la leUre origi-
nale. La raison en est sensible; c'est que la R~ne
étant devenue grosse, la date de sa grossesse fut
fixée au 16 octobre : mais eHe accoueha du princc
de Galles dans le huitieme m01s, le'''~o juin 1688,
el les ennemis de la Cour en tirere'nt de séveres et


• odieuses conclusions.
« Il y a un léger soup~on que la Reine d'Angle-


« terre est grosse; mais on n' en parle encore que
« cornrne d'une ehose fort douteuse. )) ( Barilloll,
3 novembre. )


(e On eroit toujours que la Reine peut etre grosse.))
( Barillon, 10 novembre.)


« Il y a quatorze jours que la Reine d' AngIetelTe
« espere d't~tre grosse. ») ( Bonrepaus, 1 1 novembre.)


(( Le hruit de la grossesse de la Reine eontintH'.
« Elle dit merne qu'elle se croit grosse. Elle en avoit
« parlé jusqu'a présent fort dOllteusement. Elle est
({ assez incommodée. 011 se moque a Londres de ce
ce hruit de grossesse, pendant qu'a la Cour on parle
« d'~n prince de Galles, eomme s'il étoit pret de
« venir au monde. La Reine a été saignée aujour-
« d'hui, contre l'avis de heaueoup de matrones. Cdui
(( des médecins a prévalu. » (Barillon, 13 novembre.)


c( L' espérance de la grossesse de la Reine continue
« toujours. Elle disoit hier au soir qu'elle ne dort




EN A.NGLETERllE.


ce point depuis qu'elle est rcvenue ~l Londres. Les
« [cmmes q ui approchent sa pel'sonne c!oient que,
(e quand meme elle seroit effectivement grosse, sa
« grossesse n' auroit pas un hon succ(~s. ) (Bonrepm~->"
J!J llovelnbre.)


{( La grossesse de la Reine d'Angleterre continue.
« Elle eroit étre grosse de plus de six semaines.»
(Barilloll, J 7 llovembre.)


« Ríen d'assuI'é encore sur la grossesse de la Reine,
« qnoique tout le monde dise qu'il n'y a plus lieu d'en
« douter.)} (Bonrepa,us, 21 novembre.)


« La grossesse de la Reine d' Angleterre n' est plus
« douteuse ..... Les' partisans du prince d'Orange,
le qui sont en grand nombre meme a la Cour, pré-
« lendent que les justes craintes et les défiances de
(e la natíon doivent augmenter, et qu'íl faut consel'-
« ver avec plus de soin que jamais les barrieres po-
« sées contI'e la Religioll catholique.» (lJarilloll,
24 llovelnbre. )


({ On eut hiel' une entiere ceI'titude de la grossessc
c( de la Reine. On compte qu'elle l'est de six semai-
« nes ..... Les afTaíres vont pI'endl'c une autre face
« en cette Cour. On agira plus hardiment, etc.»)
( Bonrepaus, 24 novembre. )


« La grossesse de la Reine produit ici heaucoup
« de raiSOllll(JmenLs. Les partisalls du prince d'Orange
« prétendent que le bruit de cette grossesse nuira
,( aux dcsseills du Roi d'Angleterrc, et que le peuple




368 R]<~VOLUTION DE 1688,
1( sera plus alarmé, ete ..... Toutes les certitudes de
« grossesse sont confirmées; et par le calenl que font
ce les dames du lit, la Reine d' Angleterre pellt etre
« grosse duo temps qu'elle est arrivée des bains ü
« Windsor, qui est le J6 octobre.» (Barilloll, '.1.7
novembre. )


c( La grossesse de la Reine continue toujours, (>t
« elle se porte bien. Quelques-unes de ses femmes
« croient qu'il faut encore attendre jusqu'au 16 de
« ce mois pou!' avoir une entiere certitude ..... Cepen-
« dant on eommence d'agir ici comme si le prince de
« GaJ1es étoit déja né. » (BOlzrepaus, 1 e.r décembre l.)


« Le Reine d'Angleterre a été saignée aujourd'hui.
( C'est sa coutume quand elle est grosse. Elle se porte
« fort bien.» (Barillon, 8 décembre.)


« Le peuple de Londres ne croit pas encore eette
« grossesse véritable. On se moque dans les provinees
« de ceux qui débitent eette nouvelle ~omme cer-
« taine.» (Barillon, 1 1 décembre.) .


« La grossesse de la Reine ne peut plus etre révo-
( quée en doute. On compte ici qu' elle est grosse de
L( trois mois, et qu'elle a passé le temps ou elle a
L( coutume de se blesser. ») (Barillon, 29 décembre.)


« Grande alarme ce matin sur la grossesse de la
( Reine. On a eu lieu de soup<;onner qu'elle n'étoit
« plus grosse : mais les médecins et les dames qui


1 ~1. de Bonrepaus ent son audience de congé le 13, pout'
:retourner en Fl'ance.




EN ANGLETERRE.


« ont le plus d'expérience assurent qu'il est fort 01'-
« dinaire que les femmes grosses aient quelques mar-
« ques de ne l'etre pas, sans que cela les empeche
« de porter leur enfant a terme. Le docteur Walgraf,
« qui est médecin ordinaire de la Reine d' Angleterre,
« m'a dit qu'il luí avoit vu un pareil accident dans
« une autre grossesse qui ne laissa pas que de sub-
{( sister. I}affaire est pourtant fort douteuse. Le Roí
« d'Angleterre m'a parlé comme croyant que la Reine
« sa femme est encore grosse.» (Barillon, 8jallCJier.)


« L'alarme qu'on a eue {'st entierement dissipée.
« La Reine croit ilCJoir sentí remuer son enfant.
f( La joie est d'autant plus grande, qu'on a été en
({ grande inquiétude pendant deux jours. » (Barillon,
1 2 janCJier. )


Une supposition de grossesse dan s une Reine,
imaginée ponr frustrer de ses droits légitimt"s un
héritier actuellement présomptif, est un de ces évé-
nements extraordinaires auxquels l'esprit ne pC'ut
natureIlement accorder aucune croyance. Quelles
accumulations, en effet, de perversités, de com pli-
cités, d'bypocrisies et de profallations, long-temps
méditées, toujours soutenues et toujours secretes,
iI faut accepter, meme pour établir un doute qui ne
choque pas absolument la raison! Cependant, quand
la croyance a un crime si énorme devient populairc,
de qneHe hauteur et dan s que! ablme n'est pas tombé
déja un Prince contre qui une accusatioll si 1110118-


n.




RÉVOLUTJON HE .688,
trueuse parolt naturelle ou du moins vraisemhlabl(':>
L'historien qui veut montrer les faits avec une r('li-
gieuse intégrité peut-il ne pas rapporter les authen-
tiques doeuments quí les exposent, ou du moin~ qui
les indiquent? C'est la ce que l'on vient de faire.
Du reste, il est des hommes qui sont les juges-nés
de ces graves soup<;{ons,:par la seience et l'expériencc
qu'ils ont aequises dans leul' profession. Assurément
les deux ministres du Roi de Franee n'étoient pas
des témoÍns suspects ou prévenus en faveur des en-
nemis du Roi· d'Angleterrc. Si done leurs t"moi~,
gnages sont de nature a jet~r l{uclques doutes, meme
apres tant d'années, que pouvoient eroire et puhlicr
des ennemis passionnés et intéressés? Quels diseours
devoit accueillir et eneourager l'hél'itier présomptif
de la Coul'onne? Vingt jours apres que la Heioe,
qui avoit cru ne plus etre grosse, eut sentí remm'r
son enfant, le Roí ordonna des prieres publiques
pour l'heul'eux sueces de la grossesse, dans les Églises
eatholiques et protestantes.


La certitude si désirée de cet événement déeida
enfin le Roi au rappel de ses régiments de Hollande.
Les retards qu'avoit éprouvés l'exéeution des me-
sures prises avec la Cour de Franee, inspiroient
depuis quelques mois des soup<;;ons et des inquiétudes
a Louis XIV. L'Ambassadeur d'Angleterre a Ver-
sailles, Skelton, avoit donné lieu aux premiers soup-
~ons contre Sunderland. Celui-ci, en effet, disoit a




EN ANGL¡'=TERR1~.


Barillon que les Catholiques n'étoient pas d'accord
sur ceUe mesure. Les uns, entre autres les lords
Powes et Arundel, l'egardoient ce rappel des l'égi-
ments COl1lme une rupture fOl'melle avec les États.'
Généraux, et surtout avec le prinee d'Orange. lIs
pl'oposoient done de l'ajournel' jusqu'au moment ou
I'on sauroit bien ee que ron pouvoit espérer d'un
Parlement. « Ils pensent », disoit le comte de Sun-
derland, « qu'agir autrement ne seroit pas sans péril,
« ou du moins sans ineonvénients graves dan s le rno-
« rnent actuel. Ce seroit, a Ieur avis, donner aux
(( Torys d'État, c'est-a-dire aux hornmes qui, malgré
«( leur attachernent a la Religion protestante, ne sont
« pas moins zélés pour la monarchie, un prétexte ou
ee une oceasion de penser que le Roi veut réellement
~(établir la Religion catholique sur les ruines de
« l'Église anglicane; et ces représentations n' ont pas
({ laissé que d'agir fortement sur l'esprit de Sa Ma-
«jesté. »


Barillon 5' étoit particulierement oecupé de dé-
couvrir si le comte de Sunderland n'avoit pas llli-
meme inspiré ces réflexions aux 10rds Powes et
Arul1del. Mais, dan s les premiers jours de jan-
vier, il dut ou erut etre pleinement désahusé par
ce .Ministre. SunderJand lui dit qu'il ne jugeoit pas
fort solides les appréhensions des deux lords catho--
lic{ues. 11 pourroit du 1l10ins facilement détermillel'
le Roi son maitl'c a lW s'y pas arreter. « J'ai envi--


2{,_




RÉVOLUTION DE 1688,
« sagé, » continuoit-il, « toutes les conséquences du
« rappel des trou pes de Hollande. L' offre du Roí
( votre maitre engage le mien aux intérets de la
« France, en mettant une division absolue entre la
« HolIande et l'Angleterre. L'entretien des deux
« milIe hommes, dont on étoit convenu, ne coute-
« roit a la France que 600,000 livres; et cependant,
«( pour une SOnlme aussi médiocre, le Roí d'Angle-
E< terre alIoit se trouver par le fait dans un engage-
« roent aussi formel et aussi fort que ceux du feu
(e Roi, qui avoit re~u des sommes bien plus consí-
« dérables. Ainsi, ce premier pas franchi, » disoit-il,
« le Roi mon maltre sera naturellement forcé de
« tenir la conduite que le votre pourra désirer.


« Mais, » ajouta-t-il, « ce secret de l'entretien de
« deux mille hommes, n' est connu encore que de
« moÍ seul, et je pense qu'il nc sera confié dans la
« suite qu'a fort peu de personnes. Vous concevez
« cependant combien il seroit facile de faire enteridre
( an Roi que, s'il s'engage entierement aux intérets
c( de la France, iI n' en cotite a la France que
({ 200,000 écus par an, et qu'il devroit demander
« une somme bien plus forte. Ce n'est pas la con-
I( duite que je veux ten ir. Mon dessein, au contraire,
« est que Sa Majesté se contente de ce qui est offert,
« et entre successivement dans touts les engage-
C'C ments qui en sont les suites nécessaires. Ainsi,
« des ce moment on peut faire le rappel des troupes




"EN ANGLETERRE.


« et je m'expose a tout ce qui en peut arriver. Je
({ sais tres-bien que l' on me regardera comme l'u-
« nique auteur de cette résolution. Elle sera certai-
« nement rejetée sur moi, aupres du prince d'Orange,
« par touts ceux qui ne l'approuveront pas dans le
ce Consei!. J' en subirai les basards, mais en meme
« temps je veux etre assuré d'une protection pleine
ce et entiere du Roi votre maitre. Le péril auquel
ce je m' expose m' oblige a prendre quelques précau-
(e tions, et a demander, outre la pension ordinaire,
(e une nouvelJe marque de bienveillance. Dans le
e( dessein ou je suis de faire généralement tout ce
« qui peut eonvenir aux intérets de Louis XIV, je
« ne crains point de lui avoir cette obligation HOU-
e( velle, et je ne demande rien que pour le moment
« ou les troupes de Hollande seront arrivées en An-
( terreo e' est a vous de représenter le fait tel qu'il
{( est au Roi votre maitre, et a me faire connoltre
« ses intentions. ))


A une ouverture aussi explicite, Barillon, quoique
charmé de ce qu'il venoit d'entendre, voulut per-
suader a Sunderland qu'il ne devoit pas capituler
avec un Roi "aussi généreux, aussi magnanime que
Louis XIV. e( L'importance de ce que vous m'avez
«'dit mérite beaucoup de réflexions avant que j'en
« écrive a ma Cour; et je crois,» ajouta-t-il, « pou-
« voir vous dire combien il seroit plus convenable
« de faire d'abord tout ce qui peut etre agréable au




ntvoLUTION DE 1688,
( Roi mon maltre, et d'attendre ·les graces flu'auront
« méritées vos services. »


Le comte de Sunderland ne gotIta nuUement
ceUe maniere d'envisager les chos{'S; et, dans un
nouv,el entretien, il ne laissa point a Barillon de
demi -mesure a proposer. « Si le rappel des troupes
c( de Hollande, » dit-il, « convient aux intérets de la
« France, j'ai tout le crédit nécessaire pour l'obte-
« nir. Mais un tel service mérite une récompense
(e proportionnée au péril de celuiqui I'aura pro-
(e curé. Dans les affaires d'importance, il faut s'ex-
« pliquer nettement, et savoir a quoi s'en tenir.
c( J'espere que le Roi tle France voudra bien dé-
« terminer une somme qui me meUe en état d'en-
(e visager avec moins d'inquiétude les révolutions
{( qui arrivent si souvent en Angleterre. »


En se chargeant de cette commission, .Barillon
manda au Roi que, sans s'expliqner précisément,
le comte de Sunderland s'attendoit a quelque chose de
considérable; et, pour mieux déterminer Louis XIV,
il s'attacha particulierement a détruire, dan s son
esprit, les soup~ons que l' Ambassadeur Skelton lui
avoit inspirés sur de secretes intellígences entre ·luí
Sunderland et le prince d'Orange. « Je n'ai ríen
(e pénétré, » dit-il, « qni puisse le faire croire. Je
« crois, an contraire, que ce Ministre s'engage touts
« les jours davantage clans tout ce <{uí pent etre plus
(, opposé aux intt~rets de M. le prilH~e d'Orange,




EN ANGLETmUn:.


( Depuis long-temps, e'e~t lui qui a pressé avec
I( ardeur toutes les résolutions qui se prennent en
« faveur des Catholiques. Il poursuit avec fermeté
« tout ce qui peut conduire les affafres a l'abolition
« des lois pénales et uu Test, chose que M. le prince
« d'Orange cra.int le plus. Enfin je erois savoir qu'il
( est résolu de se déclarer Catholique des que le
c( Hoi son maltre le voudra. Tout cela est difficile a
( concilier avec un engagement secret clans les ill-
« térets de M. le prince d'Orange.» Ce rappol't de
Barilloll est du 5 janvier, peu de jours avant que
la réponse du G rand -Pensionnaire de Hollande a
Stewart eut été répandue dans le publico


Louis XIV répondit le J 6. Il étoit surpris des
propositions <.In comte de Sunderland; cal', disoit-
il, aUCUlle insinuatioll relative aux troupes de Hol-
lande ll'étoit venue de la France. Au contraire, on
avoit eu quelque peine a consentir aux propositiollS
d'un entretien de deux mille hommes en Angle-
terreo On ne s'est décidé que par amitié pOUl' Sa
~Iajesté Britannique; et mylord Sunderland ll'a
aucune raison de faire valoir le service qu'il ren-
droit a la France, en f~tisant rappeler les régi-
ments anglois et écossoÍS, par son ascendant sur le
Roi son maitre. « Néamnoins,» continuoit Louis XIV,
I( vous pouvez luí Jire que je considere sa proposi-
l( lion c¿mme un t{~Ulojgllage de sa bonne volonté
\1 pour le maintien d'une parfaite intelligence entrp




R~VOLUTION I)E 1688,
CI. Moi et le Roi d' Angleterre; et que, cornme iI se
« pouna trouver des occasions de la faire paroltre
ce plus convenable a mes intérets que celle-ci, il ne
« doit pas douter que je reconnoisse avec plaisir les
« preuves qu'il m' en donnera, surtout s'il porte le
« Roi d' Angleterre a ,entrer dans des engagements
« qui me soient avantageux. Cependant, pour lui
« témoigner le gré que je lui sais, je veux bien luí
« accorder une gratification extraordinaire de dix
« mille éeus. Vous de-vez l' exciter en meme temps a
« vous donner une plus exacte connoissance qu'il
« ne l'a fait jusqu'a présent des délibérations et Con-
« seils du Roi son maltre, qui ont quelques rap-
« ports . a mes intér~ts, principalement de ce qui se
« traite présentement avec le prince d'Orange., p0l:lr
« l'engager a consentir a l'abolition des lois pénales
« et du serment appelé le Test. ))


En éerivant eette derniere phrase, Louis XIV
faisoit allusion a ce qu'il avoit appris, mais impar-
faitement, par le eomte Davaux, des négociatiollS
de Stewart; et Barillon lui-meme n'en fut informé
que par le publie, paree que la réponse du Pen-
sionnaire a Stewart fut répandue a l.Jondres préci-
sément dans l'intervalle de la leUre de Louis XIV
a sa réception a Londres. Déterm ¡né peut-etre par
eette publicité Ínattendue donnée a la l'éponse du
Pensionnaire, Sunderland promit immédiatemenl
de f~lÍre rappeler les troupes de Hollallde; Illais 11




]~N ANGLET.EHRE.


ne se l'ésigna pas sans peine a recevoir la médiocre
gratification extraordinaire de 30,000 li vres. Il
donnoit a entendre que jamais peut-etre une pa-
reille occasÍon ne se présenteroit pour Louis XIV.
Enfin il se rendit aux brillantes promesses que Ba-
rilIon faisoit luire a ses yeux, et il prit un nouvel
engagement d't~tre sans réserve dans les intérets de
la France.


Quelles que fussent les intentions réelles de Su n-
derland en ce moment, l'éclat de l'affáire Stewart
perrnettoit peu au Roi, cornme a lui-meme, de ne
pas suivre a touts risques la voie ou déja l'on s'étoit
porté si avant. Peut-etre qu'une guerre avec les
États-Généraux, franchernent résolue et poursuivie,
eut prévenu la derniere catastrophe. Mais elle eut
exigé l'intervention du Parlement. Étoit-ce la ce que
vouloit réellement le ministre du Roí? Bien certai-
nement Jacques II ne vouloit plus de Parlement. Il
ne craignoit pas moins la guerre, et cependant il
alloit la provoquer. « Le Hoi parla d'abord aux Ca-
« tholiques, )) dit Barillon, « ensuite au Conseil du
« cabinet, avec beaucoup de fermeté et de hauteur.
« n a récapitulé tout ce qui a été fait, depuis son
« a venement a la Couronne; par les États-Gélléraux
« et par NI. le prince d'Orange, contre ses intél'ets
« et meme contre sa dignité. Personne n'a osé cen-
« tredire ni rcprésentcl' les illcollvénients du rappel
« des troupes. Celui qui a f¡'út prendre el exécutt'l'




niVOLUTION DE 1688.
« ectte résolution ~i promptement a voulu donm>l: en
« cela une marque de son crédito J) Des le lendemain
en effet, l'orul'e fut expédié au marquis el' Albevillc
d'allégner, pour toute raison, que le Roí son maitre
avoit hesoin de ses régiments.


Peu de temps avant que ces ordres fussent par-
venus 'lll marqui$ d' Albeville, la leUre du Pension-
naire a Stewart se répandoit en Hollande, traduite
en fIamand , en anglois, en fran<;ois et en latino Elle
y préparoit les esprits a tout ce que le prince d'O-
range voudroit demander aux États - Généraux. 011
prévoyoitgénéralement la guerre; et le Prince, ayant
vu que la caisse des amirautés et ceHe de l'Amodia-
teur, ou fermier général des droits d'entrée et de
sortie, offroient de suffisantes ressources pour annel'
une fIotte considérable, donna directement aux allli-
ra\J.tés I'ordre d'équiper un nombre déterminé de
vaissea\J.X proportionné a leurs facultés. Il prévint
ensuite le$ Provinces qu'il ne les avoit pas consulté{>s,
paree que eet armement n'exigeoit pas de 1l1oyens
extraordinaires. 11 s'agissoit d'abord des víngt vais-
seaux ,de guerre; peu de temps apres, il donna ordre
de préparer vingt vaisseaux de eonvoi, alléguant
pour motif spécial la néeessité de protéger le eOIll-
meree contre les Algériens, et se renfermant ensuite
dans l'expression générale el autres úonnes l'aisoll.~.
Le comte Davaux, qui déja faisoit touls ses effol'ts
ponr faire refuser la levéc pl'Ujcll'C dl~ 9,000 lllate-




EN ANGLETEnUE.


Jot8, ne douta point des ce moment quc le prince
d'Orange n'eüt particulierement en "ue l'Angleterrt"
et iI 6t part de cette conjecture a Louis XIV.


Sur ces entrefaites, le marquis d' Albeville, qui
alors étoit de retour a La Haie, pressoit le Roi d' An-
gleterre sur le rappel des troupes, et suivoit en cela
le projet concerté entre lui et le comte Davaux.1..'un
et l'autre, d' Albeville directement et Davaux par in-
termédiaire, entretenoient des relations avec le prince
de Hoenloo qui se trouvoit alors a Vienne. Celui-ci,
des le mois d' octobre, Ieur avoit mandé que I'Em-
pereur prenoit vivement a creur les intérets de la
Religion Catholique en Angleterre. Hoenloo présu-
moit tout de son ascendant sur le foíble maltre dont
il étoit le favori. « Si la France veut etre raison-
nable, » disoit - iI, « on aura quelque chose a faire
({ pour l'avancement de la Religion.» D'Albeville,
de son coté" qui aimoit a remuer, et qui agissoit
pour agir, sans discernement du caractere des hornmes
et de la poIitique des nations, avoit tres-facilement
persuadé au princc de Hoenloo que I'on ne pourroit
jamais rien faire d'avantageux pour la Religion en
A ngleterre, ni paltout ailleurs , « tant que l'on
( n'auroit pas abaissé, » disoit-il, « )' orgueil du prince
( d'Orange et l'insolence des États-Généraux, qui se
(1 faisoiellt les protecteur8 de l'hérésie. }) Hoenloo s'é.
toit chargé d'amcllel' l'Empereur a ne pas s'opposet>
¡J une guerre contl'c lcs I1011andois, lors merne que




380 R~VOLUTJON DE J688,
Louis XIV seroit le chef de cette guerre; et il man-
doit au marquis d'Albeville que l'Empereur, quoique
déterminé a ne pas faire la paix avec les Turcs, n'é-
couteroit que son aversion pour le prince d'Orange,
et ne se meleroit pas de la guerre qui seroit déclarée
a la Hollande. Mais il n'y avoit pas un seul ministre
dans le cabinet de Vienne qui n'eut un avis absolu-
ment contraire aux velléités versatiles de Sa Majesté
Impériale. Hoenloo en convenoit avec douleur, et
Louis XIV, qui avoit une politique plus ferme et
plus étendue que touts les d' Albeville d' Angleterre,
fit défense au comte Davaux d'écouter en aucune
maniere ces sortes de projets pour une guerre de
Religion. Il suffisoit a ses desseins particuliers que
l'Angleterre, divisée par ses factions, ne se réunlt
pas a la Hollande, et que I'Empereur continuat la
guerre avec l'Empire Ottoman. Dans ce temps -la
meme en effet, il s' occupoit de faire donner pour
successeur au vieil Électeur de Cologne le ministre
de ce Prinee, qui l'avoit si bien servi pour l'invasion
de la Hollande. Mais pou!' cette raison meme, la
branche allemande de la Maison d' Autriche devoit
exclure évidemment une créature de la Franee telle
que le cardinal de Furstemberg, que déja elle avoit
faít déclarer ennemi de l'Empire. Les Espagnols, de
leur coté, répandoient l'argent a pleines mains ponr
empecher l' élection du Cardinal, et leurs ministres
dans les Pays-Bas avoient en ponr cela des entrevues




EN ANGLETlmRE. 38r
mystérieuses ave e le prince d'Orange. Les intrigues
du marquis d'Albeville avec le prince de Hoenloo
ne pouvoient done produire aucune diversion en fa-
veur de Jacques 1I contre les États-Généraux des
Provinces - Unies, et encore moins contre le Sta-
thouder.




SOMMAIRE.


1688. - (SUITE).


Imprudentes négociations avec les États-Généraux. - Provocac
tions a la guerreo - Rappel de la Brigade Angloise, et rtofus
des États-Généraux. -Politiquc incertaine de Jacques Il.-
Négociations avec la France. - Louis XLV chcrche a amwr
l' Angleterre contre les États-Généraux. - Tentative d'assas-
sinat sur le Prince d'Orange.-Effets politiques de la morl
des Électeurs de Brandebourg et de Cologne.




nÉVOI .. DE ] 688, EN A NGLETERRE. 383


LIVRE XIX.


1688. - (SUlTE).


(~'EST dans une telle situation de l'Europe et de
l' Angleterre que J acques II, qui ne vouloit pas la
guernl , qui n'osoit la .vouloir, et qui surtout n'a-
voit aucun moyen actuel de la tenter, chargea son
Ambassadeur, le marquis <1' Albeville, de toutes les.'
instruetions capables de la provoquer. Le princc
d'Orange ne pouvoit rien désirer de plus conforme
a ses vues, et saisit vivement les prétextes qui lui
fureut prodigués, d'exeiter les États ... Généraux a
d'hostiles préparatifs.


Déja Amsterdam et la province de Hollande s'en-
gageoient de plus en plus dans les intérets publics
et caehés de ce Prince. La popularité que jusqu'it
ces deruiers temps luí avoit enlevée le comte Da-
vaux, AmbassadeUl' de Franee 7 par ses liaisons avee
le parti républicain, il la n'couvroit chaque jour;




384 RtVOLUTION DE 1688,
eL la force réelle du partí d'Orange venoit de se ma.-
nifester par son triomphe dans le renouvellement
de la Régence d'Amsterdam. Le Grand-Pensionnaire
Fagel fit le reste, eOt son crédit sur les États-Géllé-
raux de la République eut trois occasions sucees-
sives et tres-rapprochées de se signaler : la pre-
miere, en faisant approuver sans murmure l'a~me­
ment que le prince d'Orange avoit ordonné de son
autorité privée; la seconde, en faisant ordonner un
nouvel armement; la troisieme, en représentaÍlt les
subites réclamations du marquis d'Albeville sur )es
régiments de la brigade anglo is e , COlTIme une 30rte
de déclaration de guerreo Ainsi, clans l'espace de six
semaines, le prince d'Orange fut o assez habile pour
avoir légalement a sa disposition cinquante - huít
vaÍsseaux de ligne.


Le marquis d'Albeville présenta en effet son mé-
moire pour le rappel des six régimpnts. La Légation
franc,;oise ( alors le comte Davaux étoit ab3ent ) fut
tres-surprise en apprenant que d'Albeville, dans son
mé'moire comme clans ses conversations, n'attribuoit
aux États-Généraux les mauvais procédés qu'il leut'
reprochoit envers le Roí d' Angleterre, qu'aux diffé-
rends violents qui existoient toujours entre la Cour
de France et la . Cour de Rome. Cette maniere de
négocier dut paroitre bien mesquine et bien foible
au cabinet de Versailles. Quoi qu'il en soit, les États
(le la province de Hollande refuserent h l'ullanimit{·




F.N ANGLt:TF.RRE. 385
de renvoyt'l' les régiments. Cinq jours apres, eette
l'ésolution fut approuvée par les États-Généraux,
sans contradiction, et le pri~ce d'Orange fut chargé
de la fai~e exécuter.


Le droit légal et posjtif de la République etde
l'Angleterre, sur ces régiments, n'étoit paspréci ..
sément dé terminé. L'une et l'autre puissance pou-
voient élever des contestations, paree que ces régi-
ments étoient moins un corps militaire, capitulé
régulieremcnt, qu'une agrégation d'hommes dont
le service a l'étranger se trouvoit toléré depuis long~
temps par l'usage. Le Roi d'Angleterre avoit, san!i
nul doute, le droit du souverain sur les sujets con-
sidérés comme individus; c'est-a-dire qu'il pouvoit,
sans autre motif que sa volonté, leur défendre tout
service a l'étranger, sous les peines déterminées en
pareilles circonstances. Mais ordoIlner le départ· oe
la Brigade angloise, et la l'appeler sous ce titre,
c'est un droit que les États lui eontestoient en luá
alléguant des motifs spécieux.


eette brigade se eomposoit-alors de deux régi-
ments écossois et de quatre régiments anglois. La
formation des deux premiers remontoit au regue
d'Élisabeth, qui les avoit autorisés, en 1585, pOUI'
secourir les Provinces - Unies eontre Philippe 11.
Lorsque eette Reine, en J 598, voul ut cesser de les;
entretenir, il fnt stipulé, au septieme artide du nou-
veau traité, qu'apres le licenciement les États pour~


JI. ~5




386 RÉVOLUTION DE 1688,
roient :garder a Ieur service touts les hommes qui
voudroient y rester. Ces troupes furent en effet Ii-
cenciées sur le bord de la mer, avant llembarque-
ment; et le noyau de deux rt'grments se forma li-
brement alors des officiers et soldats qui voulurent
~'engager au service de la Répuhlique. De plus, la
Reine s' obligea, disoient les États, a souffrir qu'il
se fit des levées en Angleterre; <lue les hommes levés
ainsi fussent assujétis a la discipline militaire des
Provinces-Unies; et cela, sans aucune condition qui
obligeat Leurs Hautes Puissances a les renvoyer, si
Sa Majesté Britannique les redemandoit. C'est (le
cette maniere que, successiyement et indépendam-
ment des régiments écossois, les quatre régiments
anglois furent établis. Ceux-ci, en effet, s'étoient
formés, dans la derniere guerre, tant des officicl's
et soldats anglois du servicc de France, qui furent
licenciés, que par des recrues particulieres, et sans
capitulation authentique entre les États-Généranx
et l' Angleterre.


Tels furent les motifs sur lesquels on appuya la
réponse au marquis d'Alheville; et sur-Ie-chample
prince d'Orange fit comparoltre touts les officier~
devant le président du Conseil ou Comité de la guerre,
pour qu'ils eussent. a déclarer s'ils vouloient ou non
quitter le service des États. Un seul, qui étoit co-
lonel, tres-"attaché an Roí, d.emanda huit jours ponr
se déterminer. Les autres déclarerent que, n'étant




EN ANGLETl':RUE.


pas rappelés individuellement par Sa Majesté, ils
n'abandonneroient pas leurs régiments, si 1a Brigade
angIoise rcstoit en Hollande.


Aumeme moment., iI fut résolu qu'une eseadre
de vingt-quatre vaisseaux seroit pl'cte a tenirla m.er,
sous le eOl11mandement du Viee-Amiral de Zélande.
Alors, tres-étonné du résultat de son mémoire, le
marquis.d'Albeville crut devoir tout-a-Ia-fois deman-
del' avec hauteul' l'extradition du doeteur Burnel,
et proposer un moyen terme sur la· Brigade an-
gloise. Ce moyen termp fut d'abord de easser les
régiments, ce qui fut refusé; puis de les envoyel' au
seeours de l'Empereur. contre les Turcs, ce qui fut
jugé absurde. Mais d' Albeville attendoit de ·sa COUl'
les nouvelles instructi~ns qu'il avoit demandéesim-
médiatemellt apres le l'efus des États.


Il lW tarda pas a les recevoir. On ne meJla~oit
plus, mais 011 discutoit. D'AlbeviHe se mit·don~ a
diseutt'lr; ce· qui réduisoit la négociation a une sorte
de proees bénévole, ou les États eurent tout l'avan-
tage que peuvent donner la p'eur et l'hésitation de
run a eelui qui est résolu. LeRoi lle demandoit plus
lé renvoi de la Brigade. Seulement iI exigeoit le
11envoi des officie.rs et soldats nés sujets de sa cou-
ronne. On luí Tépondit par un refus formel.· Ce~
pendant on laissa aux officiers la liberté de partir~
mais il n'y en eut que trentc-s~pt qui prirent eeHe
l'ésolution.




388 RÉVOLUTION DE 1688,
En meme temps, le docteur Burnet faisoit courir


le bruit que des spadassins étoient venus d' Anglt~­
terre pour l'assassiner; et comme l'aventure ~u che·
valier Peyton étoit récente eucore, iI demanda et
obtint deux messagers d'.État ponr la conservation
de sa personne. Quelques mois apres, le prince d'O-
range lui 6t l'honneur d'etr.e le parrain d'un fils qui
luí venoit. de naltre. Quallt au mémoire nouveau
sur les régiments, le jour meme qu'il fut présenté,
les États, pour appuyer leur refus, ordonnerent
qu'une seconde escadre de vingt-quatre vaisseanx
f.1t mise en état de sortir au premier ordre. Il est
vrai que les affaires du Danemark avec la Suedl~
pouvoient couvrir ces démonstrations guerrieres; et
d'ailleurs Van-Citers annon\!oit au Pensionnaire Fa-
gel que les bruits de guerre qui s' étoient amortis, de-
venoient plus vifs a la Cour.
I~e Roí se plaisoit a manifester au milieu des cour-


tisans son dépit et meme sori aversion contre la Hol-
lande, par des mots vifs et quelquefois heureux, qui
passoient bientot dans le publico C'est dan s une occa-
sion semblable que Van-Citers 1 l'avoit prié forme!-
lement de s'expliqner nettement sur une parole tres-
mena~ante ponr les États-Généraux, que Sa Majesté
avoit dite au Nonce du Pape. Jacques 1I lui répondit
que touts les bruits de guerre étoient faux; qu'ils


1 Lettrc·de Van-Citers.




I~N ANGLETERRE.


étoient perfidement répandus par ses ennemis; qu'il
désiroit la paix de la chrétienté; qu'il y avoit cou-
tribué de tout son pouvoir, et qu'il ne feroit point
la guerre aux États-Généraux, si eux-memes ue la
lui faisoient les premiers. Il s' expliqua ensuite avec
chaleur contre le docteur Burnet. Enfin, par rap-
port il ce qu'i} avoit pu dire au Nonce du Pape,
iI déclara qu'effectivement iI avoit de justes motifs
d'etre irrité par les outrages qu'il recevoit des États-
Généraux; mais que, sans redouter la guerre, il
n'en désiroit pas moins la paix:. Van-Citers protesta
fortement des bonnes intentions de la République.
( Je sais,» dit le Hoi vivement, c( ce que je dois
«( croire. Il y a chez vous des gens qui ne travaillent
« qu'il m'engager dans la guerre; mais, pour eux et
« pour moi, iI vaudroit mieux que nous vécussions
« en paix et en aniitié. »


La lettre de Van-Citers, qui contenoit le détail
de cette explication, s'adressoit an Pensionnaire Fa-
gel; mais le comte Davaux, qui apparemment avoit
des intelligences autour de lui ,se la procura etla
transmit a Louís XIV, qui fut tres-surpris des paci-
fiques dispositions de Jacques I1, apres tant de bruit
pour lesrégiments et le docteur Burnet. Cependant
deux autres lettres subséquentes de Van-Citers an-o
noncerent coup sur coup un changement tres-marqué
dans l'esprit du Roí. « Je ne sais plus, »disoit cet
Envoyé, (( quelle conduite tenir. Si je ne vais pas a




RÉVOLUTION DE 1 ~8~ ,
«la;Cour, OIl m'en fait un crime; sije m'y présente,
« Sa Majesté Britannique me parle presque avec in-
ee sulte. Si je veux répondre pour justifier Leurs
« Hautes Puissances, le Roiest irrité. Si je ne ré-
'c.. ponds rien, on dit que j e reconnois leurs torts. »
La cause de ce changement subit trouve peut-etre
son explication dans une nouveUe qu'il annonce lui-
llleme,; c'est que le P. Piter avoit décidé Jacques II
a offrir sa médiation au Saint.pere, ~pres de
Louis XIV. ce La-dessus, » ajoute l' Ambassadeur,
({ ses amis se persuadent qu'il aura enfin, et par ce
ce moyen, le chapeau de cardinal, malgré toutes les
c( traverses qu'il éprouve aRome comme ici meme,
C( ou ron craint qu'une fois inve~ti de cette dignité
c( il ne devienne maltre de toutes les affaires, Chan-
« celier d' Angleterre et Archeveque d'y ork. J)


I..I'offre de la médiation étoit vraie. Le motif de
€ette off re , et les conséquences prévues pa!' Van-
Citer& n'étoient pas douteuses, si le comte de Sun-
dedand ne trouvoit pas moyen d'arreter l'essor am-
bitieux de son rival. Mais le Pape, de plus en plus
in.flexible, venoít fort rocemment d'ordonner au
Nonce de se plaindre des intrigues du P. Piter.
« Tóut cela m'a été dit en grand secret, » disoit Ba-
rillon~ c(.11 y auroit de l'inconvénient a ce que ron
ce sut qui m'en a informé. ) 11 est vraisemblable que
ces derniers mots regardent le eorote de Sunder-
Jand.




EN ANGLETERRE.


Tandis que les négociations du marqmsd'Albeville
obtenoient un si triste sucd~s en Hollande, Louis XIV
ne perdoit de vue ni sa convention secrete pour les
deux mille hommes qu'il devoit solder en Angle~
terre, ni la situation de ce Royaume, par rapport
aux affaires générales de l'Europe. La paix du Con-
tinent luí paroissoit évidemment et tres- prochai-
nement menacée. Les Ministres de Stockholm et
de Vienne employoient, touts leurs soins a empe-
cher le duc de Holstein'!"Gottorp de terminer ses
difTérents avec le Roi de Danemark. ~ La Cour. de
SUede sembloit résolue de commencer la guerreo au
printemps en Norwege, et dans la Scandie ou pro-
\lince de Sehonen: se promettant que, si les Hollan-
dois n'entroient pas actuellement dans la guerre, au
llloins le prince d'Orange, presque maitre de la
Manche par les vaisseaux dont l'armement venoit
d'etre orclonné, empecheroit que nulle puissance ne
portat du secours au Roi de Danemark. LouisXIV
jugcoit done tres-bien que, si la· guerre cOImnenqoit
réellement dans le N ord, eHe deviendroit tout-a .. coup
générale. D' abord , les Princes voisins et l'Emp,e-
reurlui·meme ne pourroient s'empecher d'y prendte
parto La France par conséquent ne pourroit se dis-
penser de secourir le Roi de Danemark, et d'en
venir peu de temps apres a une guerre ouverte
contre ses proprf's ennemís. Quant a l' Angleterre,
disoit Louis XIV, Jacques II, en cas de guerre, ne




nÉVOI,UTION DE 1688,
dciit pas soufIrir que les États·Généraux aient dans
la Manche des forces supérieures aux siennes, et que
le prince d'Orange soit mis en état par la d'appuyer
toutes les"factions de ce Royaume. Le Roí d'Angle-
terre a donc le plus grana intéret possible au main-
lien de la paix. De son coté, la France, qui n'y est
pas moins intéress~e, emploie touts les moyens de
procurer un aecommodement par des cOIlcessions
réciproques. Elle ne prétend pas sans doute que le
Roi d'Angleterre appuie les usurpatioIls du Roi de
Danemark sur,le duc de Holsteill-Gottorp; mais si
elle est forcée 'de prendre les armes pour nepas
laisser opprimer son alIjé, Jacques II doít sentir que
la France, une fois engagée daris une grande guerre
elle.- meme, ne pourra plus ni lui donner un appui
efficace contre le parti protestaJlt, ni le défendre, si
les États - Généraux procurent au prin<~e d'Orange,
comme il n'en faut pas douter, les moyens de s'op-
poser ouvertement aux projets que Sa Majesté Bri ..
tannique voudroit effectuer en faveur de la Religion.


Louis XIV chargea Darinon d'insinuer et de dé-
v~Jopper ces considérations a la Cour de Withehall.
« Le meilleur moyen de prévenir la guerre,» lui
dit-il, « seroit que le Roí d'Angleterre eut dans
« la Manche au moins autant de vaísseaux que les
« Hollandois. Moi-meme j' en aurois armé un nombre
« suffisant, pour déjouer les vues du prince d'O-
« range. Mais cet armement, j'en suis persuadé,




"EN ANGLETERR:E. 393
« seroit peu agréable aux Anglois, qui aimeroient
« mieux voir leurs propres forces supérieures a ceHes
« des Hollandois. Si done vous apercevez que la Cour
( OU vous etes n'a besoin que d'une légel'e assistance
l( pour faire cet armement, vous pourrez vous char-
« ger de m'en informer. l\'lais sur toutes choses, vous
« devez bien faire entendre que le bien de potre
« ReJigion, et l'intéret du Roi que je considere
« comme le mien propre, est le principal motif de
« la confidence que je vous ordonne de faire.»)


Au moment meme que Louis XIV écrivoit aillsi,
BariIlon lui mandoit que Jacques II souhaitoit fort


. vivement que la solde des deux mille hommes re-
montat, non pas a l'époque de leur arrivée en Au-
gleterre, mais au moment ou leur paiement cesse-
roit en Hollande. Il ajoutoit que le P. Piter se
montroit tout clévoué a la France; mais que, dans
l'espérance d'obtenir lechapeau de Cardinal, par une
négociation utile a Louis XIV et a la Courde Rome,
il avoit déterminé Jacques 11 a offrir sa médiation
au Pape, qui peu apres la rejeta durement. Louis XIV
n'attendoit ríen de cette médiation; mais pour s'at-
tacher entierement le P. Piter, dont ilconnoissoit
le crédit sur Jacques II, il chargea Barillon de faire
connoitre a ce Pere toute l'estime qu'il faisoit de
son mérite, et de savoir particulierement par quels
témoignages' Sa Majesté Tres-Chrétienne pourroit
luí en donner la preuve.




394 RÉVOLUTION DE 1688,
AillSi Jacques 11 se trouvoitinvesti de toutes pal'ts.


Cependant Louis XIV jugeoit tres-sainement les
imprudences de ce Roi malheureux, et par consé-
quellt les conseils du P. Piter. En effet, un reli-
gieux Bénédictin, né anglois, n<;>Inmé Korker., et
impliqué clans la fameuse conspiration des Papistes
par Oates, avoit été rec;u tout réeernment en alJ.-
dienee publique., eseorté de six autres religieux de
son ordre, ave e le titre de Résident de Cologne.
Cette réception, et l'habit de Bénédictin que chaeun
de ces religieux avoit conservé,' parurellt eomme
une étrange nouveauté' diploma tique aux Anglois,
et Louis XIV pensa comme eux. ( L'admission,»
dit-il, « d'un Bénédietin a l'audiellce du Boí d'An-
« gleterre, en qualité d'Envoyé d'un Prince souverain,
« est plus capable d'éloigner les Protestants de notre
« Religion que de les y attirer; et, comme on ne
l( voit point de semblables. exemples dans les pays
« entierement catholiques, iI semble aussÍ' qu' on
ce pouvoit se dispenser de donner ce sujet de rail-
« lerie aux hérétiques; » J\'Iais le P. Pi ter, qui son-
geoit a devenir premier Ministre., pensoit que l'on
verroit avec moins de défaveur un Jésuite a la tete
d'uri. Gouvernement Protestant, quand on auroit vu
d'autres moines admis comme Ambassadeurs des
Puissances étrangeres;


Sur ces entrefaites, Bárillon, qui avoit rec;u les
dcrnieres instructions de Louis XIV, prit les pl'é-




EN ANGLETERUE. 395
cautions eonvenahles pour amener le eornte de Sun-
(Jerland, et suecessivement Jaeques JI, a faire un
armement tel que le désiroit la France. Sunderland
répondit d'ahord que le Roi donneroit des ordres a
touts. ses Envoyés sur le Continent, pour eoneourir
a un arrangement convenable aux intérets du prince
de Holstein-Gottorp. U convint ensuite que toutes
les réflexions de Louis XIV étoient fort judicieuses ..
« Mais,» disoit-il'l ce le dessein du Roi pour eette
« année est de n'avoil' que huit ou dix vaisseaux ;
« eneore veut-il s'en servir, d'abord pour conduire
« la Reine, veuve de Charles I1, en Portugal, et de la
« faire une eroisiere dans la Mpditerranée, pour la


'« protection du commerce aux Échelles du Levant; »
A la réception des nouvelles inattendues de Hol-


lande, e'est-a-dire du refus des régiments anglois,
BarilIon saisit eette cireonstanee pour insister plus
fortement sur les vreux de Louis XIV, et sur la há<r-
diesse que prenoit le prinee d'Orange de reténir des
sujets anglois malgré leur souverain. e( Certainement
« le Prince cherche a exciter la- guerre; ses arme-
c( ments n'ont pas d'autre hut que d'empecher tout ar-
l( rangement possible entre le Roí de Danemark et le
« duc de Holstein. pans une telle eonjonctur€ '1 le ,Roi
« d' Angleterre, autant pour sa sureté que pour' sa
« dignité, peut-il s'empec:her d'armer lui-meme?»-
« J'entre parfaitenwnt dans ces raisonnements, » ré-
pliquoit Sunderland. (e Mais le Roí n'a point de guerre




396 nivOLUTION DE 1688,
(e a entrepl'endre ou a soutenir; pourquoi feroit-il
« la dépense d'un armement de vingt-cinq ,OH trente
« vaisseaux de guerre! Doit-il mettre en mer une
« fIotte aussi considérable, uniquement pour appuyer
« l'usul'pation du Roí de Danemark sur le dnc de Hols-
« tein-Gottorp? » - « J\fais,» répondoit Barillon,
(e ce n' est pas )a véritable question; - elle est toute
« entiere dans les projets de )a Maison d' Autriche
« et du prince d'Orange, pour exciter une guerre
« dont vous devez comprendre toutes les suites. »-
« Eh bien,» dit Sunderland, apres beaucoup de com-
mentaires, « vous pouvez prévenir le Roi votre mái-
ee tre que, s'il veut un armement extt'aordinaire, iI
({ faut qu'il'en paie a peu pres toutes les charges. »)
Sunderlanu renouvela el1suite sa premiere demande,
pOUl' que la solde des deux mille hommes se comp-


A d er ,. d 1 L' tat u 1 mars, el non pas a parlu' e eUf l~rma·
tion en Angleterl'e. « La chose en elle~m,eme est fort
(e peu importante, ») disoit-il, « mais le Roi y tient
« beaucoup. Si on l'accorde, on me donnera par la
« un nouveau moyen de faire ma cour, et je pourrai
« m'en servir en des occasions bien plus importantes.»
Cette question incidente, et véritablement misérable,
au milieu des plus grands intérets ,eut les suites les
plus fatales.


Cependant Louis XIV apprenoit de son coté ce
qui se passoit en Hollande au sujet de la brigade
angloise. 11 écrivit sur-Ie-champ a Barillon qu'en




EN ANGLETERllE.


promettant de solder 2,000 hommes de ceUe bri-
gade en Angleterre, il s'étoit déterminé a cette
charge extraordinaire, pou!' oter au Prince d'Orange
les moyens non-seulement de traverser les desseins
du Roi d'Angleterre, mais encore d'employer tot ou
tard les régiments anglois contre la France. AUjQUl'-
d'hui, cependant, les choses paroissent changer de
face. Les régiments rappelés restent en Hollande,
et le Prince d'Orange conserve toujours le pouvoir
de les conservero Si done le Roi d'Angleterre n'en-
joint pas expressément, sous les peines les plus sé-
ven's, a touts officiers et soldats de quitter le service
étranger, ii ne doit pas compter sur la solde con-
venue des 2,000 hommes, et toute illusion sur ce
point doit eh'e dissipée dans l'esprit du comte de
Sunqerland. Quant a l'armement désiré, iI s'agissoit
de mettre vingt-cinq vaisseaux a la mer pour empe-
cher les Hollandois de favoriser les desseins de la
Suede. « A cette condition ,)) disoit Louis XIV, c( je
«( pourrai me résoudre a supporter quelque partie
« de la dépense. Mais le Roi d' Angleterre se devra
« content,er de 3 ou 400,000 livres au plus. C'est
« uniquement sur ce pied-Ia que vous uevez entrer
« en négociation avec le comte de Sunderland. Je


, . \ .
« ne veux pas que vous m engaglez a nen, que sous
« cette obligation d'empecher strictement la réunion
« des HoHandois a la Suede, pour attaquer le Roí
c{ de Danemark: seul avantage qui me reviendroi t




3g8 RÉVOLlJTION 1>.E .688,
« du secours que je donnerois au Roi d'Angleterre.
{( Mon seul objet est de eonserver la paix, au main-
« líen de laquelle ce Prillee ne me parolt pas moins
l( intéressé. »


Un subside aussi médioere, offert a un Prinee
for\ studieux d'argent et d'éeonomie, a un Prince
qui eraignoit la guerre pour ne pas etre foreé de
reeourir au Parlement, a un Prince dont toutes les
ressources pécuniaires passoient dans l'entretien
d'une armée suspecte a l' Angleterre; un tel subside
flatta médioerement le eomte de Sunderland. M·ais
d'aeeord avee le eomte Davaux, le marquis d'Albe-
ville écrivoit leUres sur lettres a Jaeques 11 ,pour
l'effrayer et lui persuader qu'il devoit s'unir étroite-
lnent avee la Franee et le Danemark. Sur ees nou-
velles, Jaeques JI résolut d'armer douze vaisseaux,
et Sunderland 6t en tendre a BarilIon que, si Louis XIV
vouloit.davantage, il lui en faudroit supporter les
dépenses-. Van -Citers eependant prétendoit que les
deux floUes hollandoises étoient destinées a mainte-
nil' la paix de l'Europe, et que les États -Généraux
n'avoient pas d'autre dessein. Le Roi luí répondit
fort vivement: « Cela n'est paso Je sais que ron veut
« faire la guerre quelque par!, mais on ne réussira
« .pas, je l'espere. »


1.a question du Parlement n'étoit pas résolue,
quoique Jacques II eut completement échoué dans
ses mesures pour dominer les élections. Ce dangereux




"EN A.NGLETEB.RE. 399
mécompte n'empechoit pas qu'il ne fit sans'cesse de
nouvelles et déplorables tentatives, pour forcer a se
déclal'er touts ceux qui avoient des emplois, soit a
la Cour, soit dans l'armée. Les refus les plus écla-
tants se multiplioient, et chaque destitution sembloit
un appel plus vif a une résistance qui devenoit une
affaire d'honneur. Malgré ces avertíssements sur le
véritabJe esprit de la nation, l'on ue parloit qu'avec
une supel'be jactance de l'effet prodigieux qu'avoit
dli produire le rappe! des régiments sur le Prince
d'Orange l. ({ C'est une bonne occasion,» disoient
quelques-uns des Catholiques, ce pour presser les af-
« faires. Il faut profiter de }'étonnement des factieux
{( pour assembler un Parlement au mois de maí, el
e( surtoul des espérances que donne la grossesse de
(e )a Reine. ») Mais le Roi ne partageoit eette con-
fiance présomptueuse que quand le moment de' se
décider luí paroissoit éloigné. La réunion d"un Par-
lement quel qu'il fut lui portoit ombrage, et SU11-
derland lui en montra tout le péril dans les circon-
stances présentes. « On a fait,» dit Barillon, (e de
« grands efforts pour l'obliger a ten ter quel en seroit


. ( le sucd~s. Il y a eu beaucoup d'intrigues et de ca-
( bales de Cour sur cela, dirigées contre mylord
(e Sunderland. Mais la Iteine le soutient; elle se con-


{ Lettt'e de Barilloll.




400 RtVOLUTION DE 1688,
« duit par ses avis, et Sunderland }'a emporté. Les
« élections ne seront point ordonnées.»


Ni le Roi ni Sunderland ne se trouvoient en état
de subir cette épreuve hasardeuse, dans le systcme
actuel du Gouvernement; et le Ministre surtout ne
pouvoit pas se dissimuler qu'il auroit également a
combaUre le parti populaire et le parti qui l'aceusoit
déja de ne pas faire assez pour les Catholiques. Triste
et périlleuse position d'un homme d'État, qui croit
pouvoir se mailltenir par une faction qu'il aura servie
pour s~élever par elle et au-dessus d'elle! S'il n'a
pas úne de ces ames fortes et indomptables qui ne
voient dans les faetions que ce qu'elles sont, un in-
strument d'ambition qu'il faut nécessairement brisel'
quand le moment est venu, sa eondition est de rester
lui-meme son esclave jusqu'a ce qu'il soit sa victime.


Le Roi n'osoit done ni convoquer le Parlement,
ni se préparer a la guerre; ni se refuser aux pro po-
sitions de Louis XIV. Barillon avoit offert 400,000 liv.,
et Jacques JI vouloit bien armer vingt-cinq ou 'trente
vaisseaux pour la fin de mai, faire meme toutes les
démonstrations qui pourroient rendre les États-Gé-
néraux plus circonspeets, mais il ne voulojt ni les
attaquer actuellement, ni s'exposer a la guerre pour
le Roi de Danemark, ni entreprendre un armement
un peu sérieux a moins de 600,000 livres. Quant
aux régiments anglois, jI avouoit tout le danger qu'il
y auroit maintenant de ne pas les enlever au Prince




EN ANGLF.TFURF.. 401
d'Orange, et il promettoit de publier une proclama-
tion qui rappelleroit les offieiers et les!;oldats, sous
les peines les plus séveres.


Le Roi de Franee répondit que, par le faÍt, Jac-
ques 11 n'avoit aueun risque de guerre a eourir.
(e D'abord,» disoit - il, « on n'oublie aueun moyen
« pour déterminer la Cour de Danemark a satis-
« faire le due de Holstein. Cette Cour a déja offert
« ·Ies eomtés d'Oldembourg et d'Elmensfort. Si elle
« eonsent a y joindre le bailliagP et la résidenee de
( Gottorp, touts les différents seront aplanis. Mais
(~ pour soutenir eette négoeiation, iI fera déclarer
« aux États-Généraux que, si leurs vaisseaux nouvel-
« lement al'Il)és doivent se réunir a la Suede pom'
(e attaquer le Danemark, il est résolu de défendre
« son allié.»-«CeUe déclaration,»ajoutoitLouisXIV,
{( aeeompagnée d'une déc1aration sembIable de la
ce part de )' Angleterre, et soutenue par trente bons
\( vaisseaux anglois, feroit certainement en Hollande
« une impression eapable de prévenir l'exéeution de
« touts projets de guerre.») Cependant il prévoyoit
le eas ou ces déclarations simultanées n'empeche-
roient pas le Prinee d'Orange de joindre la fIotte hol-
landoise ala fIotte suédoise. Dans eette supposition,
il faudroit que le Roí d'Angleterre envoyat ses vais-
seaux dans la Norwége, tout en déc1arant qu'il n'a-
voit d'autre intelltion que de seeourir le Roí de Da-
nemark, si ce Prince étoit attaqué. Ces démonstrations


. .,


H. ?6




RÉVOLUTION DE 1688,
vigoureuses porteroient sans doute les États-Géné-
raux a ne páS se preter aveuglément aux desseins
du Prince d'Orange. « Enfin, » disoit-il, « si le Roi
({ d' Angleterre examine bien touts les avantages qu'il
« peut tirer de cet armement, il ll'hésitera point a
« s'engager aux conditions que je demande, et a se
« contenter des 400,000 livres que vous lui avez
« offertes de ma parto Je veux bien néanmoins aug-
ce menter encore de 100,000 livres le pouvoir que je
( vous ai donné; en sorte que vous pourrez par de-
« grés offrir, a toute extrémité, jusqu'a 500,000 liv.,
(e et meme promettre une nouvelle. gratification au
( comte de Simderland, de 10,000 écus, pourvu
« que cette fioue puisse etre mise en mer au plus
« tan1 dans la fin de mai, et que la déclaration que
« je viens de vous expliquer se fasse incessamment
(e et en meme temps, par mon ambassadeur et par
({ le ministre d' Angleterre. » Ensuite et par réfiexion,
l..ouis XIV ajoute un posl-scriptum a la lettre. ce Je
(e vous autorise,» dit-il, « a traitel', sans attendre de
« nouveaux ordres, pour 600,000 livres, a toute ex-
« trémité. »


Louis XIV craignoit perpétuellement que la force
des choses ne fit tout a coup réunir l' Angleterre a
la Hollande. Il avoit. toujours présent le souvenir de
la Triple Alliance. A la vérité, il connoissoit les vifs
désirs de Jacques Il pour un systeme que tout ren-
doit mailltenant impraticable; mais il avoit appris a




.EN ANGLETERRE. 403
connoitre ses foibles volontés. Sans doute en per-
mettant a Barillon d'offrir 600,000 liv., Louís XIV,
dans l'état présent de I'Europe, ne pouvoit acheter
le ~ínistre, la fIotte et le Roí d' Angleterre a meil-
leur marché. Mais on ne comprend pas que, pou-
vant acheter tout cela d'une maniere plus dpcisive
pour luí et pou!' ses projets ultérieurs, il ait mis le
Roi et son ministre 'clans la nécessité d'hésiter, ne
fut-ce que par l'humiliation de négocier pour 30 et
40,000 liv. de plus úu de moins. Cette politique
vénale et subalterne est la plaie honteuse de ce regne
eomme du précédent. Comment, aux jours du péril,
s'élever a des pensées magnanimes, a des résolutions
courageuses, quand on est descendu si bas?


Jacques 11 montra une extreme répugnance a tout
ce qui pouvoit l'entrainer a la guerre l. Il avouoit
q'ue sa couronne seroit compromise par des enga-
gements avec la France. Il désiroit cependant avoir
une fIotte, et il rappeloit quelquefois ses sentiments
anglois, meme dans les espérances qu'il sembloit
donner a Louis XIV de s'attacher aveugIement a son
char. « Je m' engage a tout», disoit-il, pressé par
Barillon; « a tout, excepté de faire la guerreo Peut-
« etre meme serairje engagé peu a peu. Mais quand
tl j'aurai une fIotte en mer, on verra que je parlerai
({ plus haut. »


1 LeUre de Barillon.




404 RÉVOLUTION DE 1688,
Barillon avoit proposé d'affecter a cet armement


la solde promise pour les deux mille hommes, par
la France, et LOllis XIV avoit approuvé cette offre.
Mais Sunderland prétendit qu'il ne connoissoit au-
cun moyen de la faire accepter par Jacques n. (e Son
« entétement,» disoit-il, ce ponr avoir des troupes
( vous est connu. »


Enfin Jacques Il, apres beaucoup d'hésitations,
promit d'armer vingt vaisseaux et huit brulots pour
la fin de mai. Il ne voulut pas cependant qu'ils fus-
sent envoyés dans la Norwége; il pensa qu'il valoit
mieux les tenir aux Dunes. ce Les États-Généraux,
« en les voyant si pres des cotes de Hollande, croi-
« ront facilement, » disoit-il, c( que cette flotte seroit
{( bientot réunie, s'il le falloit, a une escadre fran-
« ~aise. Autrement la présence de ces vaisseaux dans
ce le Nord donneroit au prince d'Orange un prétexte
« pour les attaquer et commencer ainsi une guerl'e
({ qu'il faut éviter. » Quant a' la déclaration a faire
simultanément par les deux Rois, Jacques II y con-
sentoit, mais a condition qu'il ~carteroit· de la sienne
tout ce qui, dans les termes, pourroit annoncer des
résolutiollS hostiles, ou amener la nécessité de la
guerreo


En rendant compte de ces dispositions, BarilIon
df!manda que, pour presser la négociation (déja 'le
mois d'avril étoit cornmencé), la gratification de
30,000 liv. pour Sunderland fut portée a 60,000 liv.




EN ANGLETERRE.


Louis Xl V ne répondit rien sur ce dernier point;
mais iI débuta par annOllcer ()u'iI enverroit inces-
samment des fonds pour la solde des deúx mille
hommes. Il avoit dit positivement au eomte Davaux
que les armements de HoUande n'étoient point pour
le Nord. Il consentit done a ee que les vaisseaux
anglois demeurassent aux Dunes et dans la Manche,
tant qu'ils y pourroient donner a la Hollande assez
de crainte pour l'empeeher d'éloignel' les siens et
de les envoyer dans le Nord. Mais si, eontre son
opinion, les États favorisoient le renouvellement (le
la guerre, il exigeoit que le Roí d' Angleterre s' en~
gageat immédiatement a seeourir le Roi de Dane-
mark. Barillon, en cas de refus, devoit tralner les
llégociations en longueur, sans les rompre, jusqu'a
ce que l' on connut mieux les desseills du prince
d'Orange et du Roí de Suede.


Cependant le Roi d' Angleterre venoit d'apprendre
que les vaisseaux d'Amsterdam étoient descendus
au Texel: on luí mandoit aussi, et le fait n'étoit pas
vraj, que les troupes suédoises aHoient marcher vers
le pays de Schone. Les affaires en Hollande prenoient
ehaque jour un caraetere d'irritation plus marqué
au sujet de la brigade angloise; et quoiqu'il affeetéit'
beaucoup de hauteur et meme de vanité, en disant
a Van-Citers que, s'il vouloit la guerre, il avoit déja
cinquante-huit vaisseaux prets a sortir, et cinquante-
huit autres qui les suivroieut au premier ordre, iI




406 nÉVOLUTION DE J 688,
demandoit avec une sorte d'inquiétude a Barillon si '
l'on ne recevroit pas bientot des nouvelles de France.
A la réception de la leUre de Louis XIV, l' O~l s' oc-
cupa de régler les conditions de l'armement, et le
projet de traité fut arrcté en ces termes, le 29
avril :


(c Le Roi d' Angleterre mettra vingt vaisseaux et
« huit brulots en mer, dans un mois au plus tard;


« Son ministre a La Haie parlera en la maniere
« dont on est con venu ;


« Les vaisseaux demeureront aux Dunes ou dans
« la J\'Ianche, selon que Sa Majesté Britannique trou-
« vera plus convenable, pendant quatre mois;


c( Le Roi tres-chrétien fera remettre a Londres la
« somme de 500,000 liv. dans un mois, el le reste
« de mois en mois, par paiements égaux. »


Ces derniers mots s'appliquoient a la solde des
deux mille hommes, que le Roí vouloit faire remon-
ter d'abord au ¡er mars, et enfin au ¡er avril. Mais
en envoyant c~ projet de traité , Barillon annon<;;oit
que le comte de Sunderland paroissoit exiger pour
lui 60,000 liv., au líeu des 30,000 liv. qui étoient
offertes. Sans cette augmentation, la coo.clusion dn
traité pouvoit éprouver des difficultés~


Mais déja Louis XIV avoit acquis la certitude que
la fioUe hollandoise ne se porteroit pas vers le Nord,
et que, pour: cette année, il n'y auroit point d'hos-
tilités entre la Suede et le Dauemark. Il avoit dont:




~N ANGLHTERRE. 4u7
Ol'dOllné a Barillon de ne plus presser le Roí d'An-
gleterre sur ce point, et de lui Iaisser prendre telles
résolutions qui luí sembIeroient convenir au bien
de ses affaires. Sa lettre étoit du 4 maí; deux jours
apres, en recevant le projet du traíté, il se référa
brievement a sa dépeche du 4. Il n'avoit allcune
raison, disoit.il, de prendre cette année aucune pré-
caution nouvelle. « La Cour ou vous eteS,)J ajoutoit-il,
({ doit bien se contenter que je commence a payer,
( du 1 er de ce mois, des régiments qui ne sont pas
r( meme encore sur pied. » Dans cette courte et seche
réponse, iI n'étoit pas dit un seul mot des 60,000 liv.
demandées pour le comte de Sunderland, qui. sans
doute en con~ut quelque ressentiment. Le meme jour,
6 mai, Louis XIV manda au comte Davaux qu'il ne
devoit en aucune maniere s'occnper des moyens d'a-
paiser les mécontentements, qui alors étoient deve-
nus extremes, entre les États-Généraux et J acques n.
« Il faut,» disoit-il, « laisser aux ministres du Roí
ce d'Angleterre le soin de trouver les expédients les
« plus convenables pOUl' les faire cesser, et ponr qu'on
(e n'en vienne de part ni d'autre a une rupture. Cette
(e mésintelligence servira pIutot a maintenir la paix
« de l'Europe qu'a la troubler.» Hélas! en sui vant les
conseils d'une politique si raffinée, Louis XIV ne
prévoyoit pas que eette mésintelligence, excitée avec
tant de soin par ses Ambassadeurs, devoit bientot
ravir tl'ois Couronnes au Roi d'Angleterre, mettre




408 R.ÉVOLUTlON In: 1688,
le prince d'Orange a la tete de touts les ellnemis de
la France, exciter une guerre sanglante, longue, uni~
verselle, et prolonger pour eent einquante ans peut ..
etre la proseription de la Religion eatholique.


La direetion des affaires de Jaeques 11 en Hol ..
lande se ressentoit nécessairement du earaetere de
eette singuliere négociation avee la Franee, OU
Louis XIV dédaigna enfin d'avoir, pour une eu-
che re de 30,000 livres, une fIoUe tout entíereet
le premier Ministre de trois royaumes. Lorsque les
États-Généraux, par leur résolutíon du 16 mars,
eurent pour la seconde fois refusé de renvoyer les
régiments en eorps , permettant néanmoins aux of-
fiejers de quitter leur serviee ou d'y res ter , plu-
sieurs de ces officiers demanderent au marquis d' AI-
beville si le Roí leur souverain vouloit absolument
les troupes en corps, ou s'il se eontenteroit qu'ils
retournassent en Angleterre, individuellement et sans
leurs soldats. D' Albevílle n' eut ríen a leur répondre.
Alors, dans l'ineertitude· s'ils seroient replaeés en
Angleterre, ils prirent leui' parti quío fut de rester,
excepté les trente-sept qui se déciderent a partir.


Les États avoient njé qu'il existat aueune eapi-
tulation, et le fajt se trouvoit exact, du moins pour
eux; mais iI s'en trouva une dont la Cour d'Angle-
terre ignoroit meme l'existence, et que le hasard fit
découvrir dans les papiers du feu eomte d'Ossory,
qui, sous le dernjer I'egne, avoit commandé les




:EN ANGLETERRE.


troupes angloises au service de Hollande. Ossory
l'avoit conclue en 1678 avee le prince d'Orange,
et eelui-ci l'avoit signée cornme Capitaine-Général.
Un des articles· portoit forrnellement que le Roi
d' Anglélterre pourroit faire le rappel de ce corps,
toutes les fois qu'ille trouveroit nécessaire. Fort de
eette capitulation, le marquis d'Albeville, déclinant
tout argument sur les faits précédents, sur les trai-
tés de la Reine Élisabeth, sur ce qui avoit pu etre
établi par l'usage, s'attacha au droit positíf, et ré-
clama les régíments.


Cette découverte d'un acte formel sembloit devoir
changer tout-a -coup * face des choses. Mais le
prince d'Orange avoit affirmé aux États qu'il n' exis-
toit point de capitulation 1, et par le faít elle se
trouvoit nuBe, puisque les États-Généraux ne l'a-
voient ni ratifiée, ni rneme connue. Le Prinee, em-
barrassé de cet incident, fit venir le Grand-Pen-
sionnaire, et témoigna un grand mécontenteme,nt.
« Je n'aurois jamais cru,» luí dit-il, «que le Roi
« d'Angleterre voulut ainsi prostituer mon nom et
« mon caractere. Le feu Roí, aussi bien que eelui-
« ei, avoit jusqu 'a présent gardé le seeret sur
(e cette capitulation, qui a été faite uniquement sur
C( l'assuranee donnée par Charles II qu'il alloít rompre
« avec Louis XIV. ») Le Pensionnaire lui 6t aisément


1 Lettre du cOIRte Davaux.




410 RivOL~TION DE 1688,
comprendre qu'il auroit dO. faire insérer dan s cet
acte les motifs puissants qui l'avoient alors déter-
lniné. Ces motifs le justifieroient aujourd'hui de ue
l'avoir pas soumis a la ratification des États, et
prouveroient que la capitulation étoit nulle, puisque
le Roi Charles II n'avoit pas accompli sa promesse
contre la France.


Le mémoire du marquis d' Albeville étoit du
8 avril. Le lendemain, les États, que le Pension-
naire avoit eu l'art d'engager dans la querelle pro-
duite par la correspondance de Stewart, prirent une
Résolution pour demander réparation au Roi d'An-
gleterre de l' écrit publié sous le titre de l~a,.lalnefl­
tum paéijicum. Cet .écrit étoft la réponse imprimée
avec une permission extraordinaire du comte de
Sunderland, ou l'on prétendoit que la leUre du Pen-
sionnaire Fagel a Stewart étoit supposée; par con-
séquellt la querelle devoit naturellement rester entre
Stewart ~t Fagel. Mais, soit que tout devienne un
malheur pour les malheureux, soit plutot qu'un
malheur continuel ue soit que la conséquence d'une'
continuelle imprudence, l'auteur du pamphlet im-
primé par autorisation du Président du Conseil
d' Augleterre, y avoit dit, fort malhabilement et fort
inutilement, que les États-Généraux avoient fondé
leur République sur la rébellion. De' la cette de-
mande en réparation, qui associoit maintenant les
États-Généraux a l'affaire des lois pénales et du Test.




EN A~GLET.ERRE.


C'étoit aussi une maniere d'écarter les mémoires du
marquis d'Albeville contre le docteur Burnet.


Le Roi, qui en fut promptement informé, disoit
hautement que, quand on lui auroit renvoyé ses
troupes et chassé le docteur Burnet, il verroit ce
qu'il auroit a faire ponr empecher que, dans les
livres qui s'imprimoient en Angleterre, on n'exa-
mimit la maniere dont la République de Hollande
s'étoit formée. « Toutes ces aigreurs de part et d'au-
« tre, » disoit Barillon, « -peuvent aller bien loin.»
Et il avoit raison. Lorsque Van-Citers présenta au
Roi la résoIution des États contre le Parlamentum
pacijicum, ce Prince lui dit : Je r:onsulter(1,i r A m-
bassadeur d' Espagne. Mot ingénieux et piquant;
mais, avant de le di re , iI eut fallu etre decidé sur
la paix ou la guerreo


Quant aux régiments, les États-Généraux décla-
rerent que, ni le prince d'Orange ne leur ayant
jamais communiqué la capitulation de 1678, ni le
Roi Charles 11 et le Roí son frere n' en ayant demandé
la ratification, iIs persistoient dans leurs décrets
précéden ts.


Lorsqu'iIs prirentcette Résolution, Jacques II avoit
déja publié une proclamation qui, sous peine d'en-
courir sa haute indignation, enjoignoit de retourner
en AngIeterre a touts ses sujets actuellemfnt au ser-
vice· des États-Généraux ou au service particulier
des habitants des Provinces-Unies, officiers et sol~




412 RivOLUTION DE 16eS,
dats, matelots et touts autres gens de mer, tcls que
maitres de navires, pilotes, mariniers, eharpen-
tiers, ete. Louis XIV trouvoit cette proclamation
bien foíble, puisqu'elle ne preserivoit aueune peine
spéeiale ni dans les personnes, ni dans les biens de
eeux qu'elle devoit atteindre. Cependant iI étoit or-
donné aux officiers de la marine royaIe de saisir su r
les vaisseaux hollandois les gens de mer, nés an-
gIois) qui s'y trouveroient; et si cet ordre n'étoit pas
une vaine menace, il étoit impossible que son exé-
cution n'entrainat pas néeessairement la guerre avec
les États-Généraux l. C' est a eette oeeasion que
Jacques II menat;oit Van-Citers de einquante-huit
vaisseaux de guerre prets a partir au premier sjgnal ,
et de einquante-huit autres qui pouvoient immédia-
tement les suivre. Mais Van-Citers mandoit en HoI-
lande qu'il falloit croire précisément le contraire;
que si le Roi souhaitoit la guerre, il ne trouveroit
P?ur la faire ni soldats, ni matelots, aueun d'eux
ne voulant servir contre la Religion Protestante;
que troiseents ouvriers s'étoient enfuis de Chatam,
paree qu'ils n' étoient pas payés; que, dans ]a ]evée
aetuelle de trois régiments, ordonnée par le Roi,
on ne pouvoit enroler que des débauehés et des mi-
sérab]es; enfin que Sa Majesté Britannique ne pour-
roit eertainement pas réussir dans ses projets ae-


1 Lettres du comte Davaux.




EN ANGLETERRE.


tu~ls, et que les Catholiques verroient bientot l'a-
Lime ou ils couroient en aveugles se précipiter. Les
trois régiments dont parle Van-Citers devoient for-
mer le corps de deux mille hommes que Louis XIV
avoit promis de solder; et Jacques I1, ne pouvant plus
compter sur les troupes de Hollande , faisoit recruter
en Angleterre.


Au milieu de toutes ces négociations, ou la Cour
d'Angleterre montroit plus d'irritation et de jactance
que de fermeté, le marquis d' Albeville se trouvoi t
personnellement dans un embarras humiliant pour
son souverain antant que pour lui-meme. Le Pe n-
sionnaire Fagel se montroit de plus en plus indigné
contre ceux qui nioient sa let.tre au docteur Stewart.
« .le ne souffrirai jamais, » disoit-i1 a tous les Mi-
nistres étranger~, ( que l'on cherche a me déshono-
« rer l. Si le Roi d'AngJeterre s'attaque a moi da-
« vantage, il se repentira de m'avoir poussé a bout.
« J'ai entre les mains des pieces que je produirai en
« temps et lieu. Je montrerai a toute I'Angleterre
« aquel prix le Roi de la Grande-Bretagne' deman-
« doit au pril1(~e d'Orange son consentement a la
« révocation du Test; et peut-etre ces révélations ne
( feront pas un tres-bon effet pour lui, sur l'Angle-
« tene el sUr d'autres Cours de l'Europe. J'espere
( que les États et le prince d'Orange me permettront


( Lettres du comte Davaux.




RJ>:VOLUTION DE 1688,
« de me justitier ainsi. Mais, dussent-ils s'y opposer,
« et dussé-je par la perdre mes emplois, je ne souf-
« frirai pas que 1'0n me perde d'honneur. »


Ces menaces et la demande en réparation faite
par les États-Généraux, sur le Parla lnen turn paci-
jicllln, inquiétoient surtout d' Albeville, qui craignoit
que I'on ne publíat non-seulement les leUres du
docteur Stewart, mais encore les conversations que
lui-meme avoit eues avec le Grand-Pensionnaire, a
son retour d'Angleterre. D' Albeville réellement s'ér
toit vanté d'avoir inutilement fait touts ses efforts
pour que Jacques II adoptat les sentiments du
prince d'Orange contre la révocation du Test. JI
prétendoit en avoir parlé tres-fortement au Roi,
jusqu'a six reprises différentes. Enfin le Roí lui au-
roit fermé la bouche en lui disant : {( J'ai eu la pa-
« tience de vous écouter cinq fois sur le meme sujet;
« vous -devez assez connoilre ma volonté. » C'étoit
la surtout ce que d'Albeville craignoit de voir pu-
blier, autant par rapport a Louis XIV, dont il étoit
pensionnaire, qu'a Jacques JI, dont il étoit le Mi-
nistre. Apres cela, et inclépendamment du caractere
présomptueux et foíble du Roí son maitre, peut-on
s'étonner de l'ascendant que prenoient dans ces né-
gociations et le prince d'Orange et les États-Géné-
l'aux, sur de tels négociateurs?


Le comte Davaux ne pensoit pas que les arme-
ments actuels de la Hollande fussent destinés pour




.EN ANGLETERRE.


le Ilord de l'Europe, et il avoit raiso!l; eependant
íI ne partageoit pas l'opinion du marquis d'Albe-
vilIe, qu'ils fussent préparés contre l'Angleterre, au
moins par les États-Généraux.« Je n'y vois,» di-
soit-il, « nulle apparence. Les États n'entreprendront
ce rien contre Sa Majesté Britannique; mais ils n'évi-
« teront aueune des occasions que ce Pl'ince leur
« donnera. Ils sont fort irrítés contre lui, et ne le
« craignent nullement : deux fortes raisons pour les
(e obliger a ne pas reculer. Je ne youdrois pas ré-
c( pondre que le prince d'Orange ne hasardat quelque
(e chose, si la Reine accouchoit d'un Prill(~e. Mais, dans
« ce cas, il commenceroit par des soulevements dans
ce le Royaume, et personne ne peut dire si les États8
« Généraux s'en meleroient. Je puís bien assurer que
ce dans le eornmeneement ils 11e se joindroient pas
ce a lui; rnais on peut raisonnablement penser qu'íls
(e le seconderoient ouverternent, ou ne le feraient pas,
(e selon que ses affaires iroient bien ou mal. » C'est
alors que Louis XIV donna l' ordre au comte Davaux
de ne s'employer d'aueune maniere a empecher une
rupture entre Jaeques II et les États-Généraux. Huit
jours auparavant, c'est-a-dire le 22 avriI, il avoit
donné un ordre tont contraire.


-Louis XIV et son ministre en Hollande se trom-
poient alors; mais ils ne s'abuserent pas lellg-temps.
Jacques 11 luí seul s'obstinoit eontre I'évidence,
malgré les avis quí ne tarderent pas a Ini etre doil-




RÉVOLUTION DE 1688,
nés et successivement prodigués. Déja, sUr la fin
de l'ailnée derniere, on avoit remarqué des elltre-
vues rnystérieuses entre le prince d'Orange et les
Envoyés des Cantons protestants de la Suisse. lIs
étoient ve~us sous le motif ostensible de solliciter
quelques secours pour les Religionnaires piémon-
tois qui fuyoient de leurs vallées, comme les Reli-
gionnaires de France. Mais ii fut secretement ques-
tion de l'accession des Cantons a la ligue d' ,Augsbourg;
et le comte Davaux, qui n'avoit pas su bien préci-
sément ce qui avoÍt été résolu, soup~onnoit que du
moins le prince d'Orange s'étoit ménagé d.es intelli-
gences avec eux, pour s'en servir au moment op-
portun. Tout cela étoit couvert du prétexte, alors
tres-spécieux, d'une guerre prochaine. Quelques moÍs
apres, et lorsque les armements de Hollande furent
ordonnés, on vit arrÍver de Dusseldorf a la Haie le
Général des troupes de Brandebou~g, qui eut de fré-
quentes conférences avec le prince d'Orange. Il s'agis-
soit d'envoyer neuf mille hommes de Brandebourg
dans le duché de Cleves, pour la sureté du Bas-Rhin;
et le duc de Juliers devoit avoir deux mille hommes
d'infanterie et cinq cents chevaux dans ses États.
Ainsi le prince d'Orange, qui d'ailleurs faisoit rete-
nir la Brigade angloise, prenoit peu a peu les me-
sures convenables pour av?ir des forces considérables
de terre et de mero A la vérité, les conférences du
général Spaen furent sans résultat pour le moment,




}~N" ."'-~GL1~TERRE.


paree qu'iI s'éleva queIques débats entre les États-
Généraux et l'Électeur; mais eette mésintelligenee
n'eut pas de durée : iI se fit bient6t de nouvelles né-
gocla-tions quí finirent par un traité.


On a vu comment les États-Généraux eux-memes
furent amenés, pour le fatal écrit du Parlamentum
pacijicunz, a intervenir dans une querelle toute
p(>rsonneIJe au prince d'Orange et au Grand-Pen-
sionnaire. Par la, tout le peuple des Provinces·Unies
prit part aux affaíres d'Angleterre comme a celles
memes de la République, et regarda hientot le
prince d'Orange comme le protecteur naturel et né-
cessaire de la Religion protestante. Les pamphlets
et les journaux y contribuoient puissamment. Outre
touts les pcrits sur la réponse au docteur Stewart,
il s'en disLribuoit de nouveaux eont.re le Roí de
France et le Roí d' Angleterre. Le marquis d' Albe-
ville demandoit qu'ils fussent brulés par la main du
bourreau, et n'obtenoit pas plus de satísfaction des
États·Généraux, que Jacques 11 n'en avoit. accordé
pour le Parlamentum pacijicum. Seulement iI en
résultoit ce discrédit quí s'attache toujours aux me-
naces vaines, et, ce qui étoit plus dangereux, une
plus grande publicité aux écrits dénoncés. L'impu-
nité accroissoit l'audace et la licence. On avoit jadis
imprimé le proct~s et la mort de Charles I er ; on le
publia de nouveau, mais avec ce titre tout a-la-fois
insolent et mena<,{ant : L'ir/'évocabilité du Test,


11.




(p8 RÉVOLUTION DE 1688,
prouyée par la mort de Charles ler. Comme si, di-
soit le comte Davaux, on vouloit faire entendre
qu'il en couteroit la tete au Roi d' Angleterre.


U n de ces nombreux écrits avoit pour titre : Le
Triolnphe de la liherté. Il contenoit tout-a-la-fois
des raisonnements et des faits qui fixoient particu-
lierement l'attention publique. Parmi ces faits parti-
culiers, on soutenoit que le comte Davaux avoit
offert au Grand-Pensionnaire deux millions de la
part du Roi de France. L'assertion étoit sérieuse.
La personne de Louis XIV étoit d'ailleurs insultée
violemment, et ron pressoit vivement le comte Da-
vaux de sommer le Pensionnaire de déclarel' si réel-
]ement I'offre des deux millions lui avoit été faite.
Davaux ne erut pas devoil' imiter les inutiles récla-
mations de d' Albevillc. Peut-etre avoit-il des rai·
sons de garder le silence. L'exemple du comte de
Sunderland peut justifier toutes h~G conjectures. Il
pst vrai que Sunderland ne coutoit pas si cher.


La Gazette de Rotterdam avoit annoncé que, si la
Heine d' Angleterre accouchoit d'une Princesse, le
Roi et son Conseil régleroient la succession, de ma-
niere a en priver la princesse d'Orange. Le marquis
d'Albeville, qui n'étoit plus occupé, au nom du Roí
son maltre, quede la guerre des pamphlets, en
adressa de grandes plaintes aux États-Généraux, et
ohtint une rétractation du journaliste. « Mais, » di-
soit le comte navaux a Louis XIV, ce la rptractation




t~N ANGLl~TERRE.


« est de telle sorte, qu'il eut mieux valu ne point
« la demander. Cette affectation de f~lire sa cour au
« prince d'Orange ne produit pas tout le hon effet
« que le marquis d'Albeville s'imagine. Cela passe
({ pour une bassesse inutile, et une flatterie fort a
« contl'e-temps. » Ces expressions séveres semblent
indiquer assez clairement que l'Envoyé d' Angleterre
s' appliquoit a persuader au prince d'Orang~ que l' on
ll'avoit jamais pensé a le priver de la succession.


Malgré la rétractation du journaliste de Rotter-
dam, on vendoit et l'on répandoit publiquernent un
livre que l' on attribuoit au docteur Burnet. «( Ce livre
« est si fort et si précis,» disoit le cornte Davaux,
({ qu' on le doit regal'der cornme un rnanifeste pour
« servir a une guerreo On y soutient que la pl'incesse
« d'Orange et son rnari sont hél'itiers de la Coul'onne,
(dll'exclusion du Roí l'égnant, qui n'a pu le devenir
« cornme Catholique. Il est a cl'oire que l' on se ser-
« vira de ces raisons-Ia, quand 011 verra que la Reine
« d' Angleterre sera accouchée d'un Prince. Il n'y a
« pas un mot, dans les pages 138 et 139 de ce li-
« belle, qui ne marque, avec les termes les plus inso-
« lents du monde, la disposition ou sernble etre le
« prince d'Orange d' exécuter quelque violente réso-
« lution. »


Tandis que, par le moyen de la presse, touts les
esprits étoient si vivemellt sollicités contre le Roi
d' Angleterre, iI arriva un évenernent qui devint une


27·




RivOLUTION DE 1688,
occasion nouvelle de popularité pOUI' le prince d'()-
range!J et de haine publique pOUl' ses ennemis. Il
avoit un mépris naturel pour touts les périls qui pou-
voient menacer sa personne, soit par ce grand cou-
rage de l'ame qui faisoit dire au duc de Guise: Ils
n'oseroiellt! soit par l~s sentiments qu'il avoit sllcés
des son enfance dans la doctrine de Calvin sur la
prédestin~tion. Touts les hommes qui ont fortement
remué le monde, César, Mahomet, Cromwell, Frp-
déric II, Napoléon, croyoient a la fatalité, dogme
favorable aux ambitíeux, mais destructeur de toutes
libertés morales et politiques. Guillaume s'étoit trouvé
déja dans un péril imminent d'etre enlevé et conduít
en France par un gentilhomme du Piémont, qui
a voi t tué son colone!, et qui espéroi t méri ter sa grace
et rétablir sa fortune par un coup hardi. Le hasanI
seul avoit contrarié l'entreprise; et Guillaume, qui
marchoit toujours sans gardes, comme un simple ei.
tayen, prit enfin des précautions, a l'évtmement dont
on va parler.


« Un homme du pays d'Osnabruck, nommé Grons-
« feldt I , lui avoit demandé sureté, pour lui révéler
« un projet d'attentat contre sa vie. Cet homme étant
« venu, a déposé que, se trouvant a Amsterdam dans
« une misere extreme et aceablé du chagrin de se
ce voir réduit a la mendicité, apres avoir serví long-


J Lcttrc du eomte Davau1\.




EN ANGLETERHE.


( telllps ¡l la gucrrc, il exhaloi't souvent son désespoir
({ eu disant qu'il étoit carable de tout entreprendre.
( Un inconnu, qui un jour l'avoit entendu, lui donna
« quelques secours. Peu de temps apres, disoit-il,
« cet inconnu luí avoit offert de le combIer de biens,
« s'il vouloit empoisonner la p~rsonne qu'illuí nom-
« meroit. Gronsfeldt, s'étant preté a la proposition,
« r('~~ut le lel1demain une fiole de poison. L'inconnu
« lui dit qur ce poison n'altéroit ni le gout ni la cou-
« leur du vin; qu'il faBoit en faire l'essai sur son hote,
« qui en mourroit en deux heures. Cet hote, disoit
C( l'inconnu, est un misérable et un homme obscur
« auquel 011 ne feroit nuBe attention. Si vous faÍtes
l( sur lui, ce soir meme, l'expérience du poison,
«( demain matill, un homme qui portera une plmne
« blanche vous remettra deux cents guinées, et vous
« donnera toute assurance d'en recevoir dix mille si
« vous empoisonnez le prince d'Orange. Gronsfeldt
« prit la fiole, et se rendÍt a son hotellerie; mais,
IC saÍsi de remords, il partit des le lendemain, et re-
( tourna dan s le pays d'Osnabruck, d'ou il avoit
« écrit au prince d'Orange pou!' lui demander a venir
« faire ceUe révélation. ))


Le Prince avoit completement méprisé cet avis,
croyant avec assez de vraisemblance que Gronsfeldt
avoit imaginé un faux complot pour tirer de lui
quelque récompense. J\fajs, :. la derniere füire de
La Haye, Gronsf(>ldt se sentit frappé dans la foule ~




R~VOLUTION DR 1688,
et s'éeria Je suis blessé! 11 avoit re<¡u, en effet,
dans les reins, un coup de stylet profond de deux
doigts.


Cetévénement réveilla naturellement l'attention
du prince d'Orange. La justice fit des perquisitions
pour découvrir s'il étoit vrai que Gronsfeldt eut
mangé, dan s les tavernes qu'il indiquoit, avec la
personne dont il avoit donné le signalement et qui
avoit payé pour lui. ( C'est tout l'éclaircissement que
(e I'on pouvoit avoir,» dit le comte Davaux, « paree
« que Gronsfeldt, suivant sa déclaration, n'a jamais
« su OU demeuroit cet inconnu. n ne connoissoit ni
« son nom ni son pays; il a seulement dit que I'in-
(e connu parloit mal franc;ois, et il le croyoit An-
« glois. »


Le comte Davaux, qui raconte ces faits, examine
les circonstances qui peuvent inspirer de raisonna-
bIes doutes sur un complot d'assassinat contre le
prince d'Orange. Comment Gronsfeldt n'a-t-il pas
cherché a mieux connoltre eet inconnu, son nom,
sa demeure, son pays? S'étant chargé du poison,
ayant aussitot éprouvé des remords, eomment ll'est-il
pas allé tout révéler au Prince, ou du moins au
Magistrat? Pourquoi n'a-t-il pas gardé le poisoll?
« Mais,,, ajoute le eomte Davaux, (e eomme on n'agit
« pas toujours de sang-froid en ees sortes d'occasions,
( l'on ne peut tirer de la aucune conséquence cer-
(e taine. D'ailleurs, suivant la déclaration de Grons-




EN ANGLETEIUU~. ,4~3
« feldt, cet inconnu, ayant SU le lendemain que l'ex-
( périence promise n'avoit pas été faite, le pressa de
« tenir sa promesse, et le menac;;a que, s'il y man-
« quoit, il épronveroit que l' on ne se seroit pas ou-
« vert impunément a Iui sur un dessein de eette
« nature. Ce fut enfin sur eette menaee que GrOl1S-
(e feIdt sortit le jour lIH~me d' Amsterdam. »


Apres tout ce détail, le comte Davaux ajoute,
mais en chiffres, une cil'constancc particuliere 'qui
regardoit le marquis d' Albeville. (d'ai appris par lui,»
dit-il, « qu'un Anglois demeurant a Amsterdam a été
II caution pour Gronsfeldt; que ce meme Anglois vint
« trouver le marquis d' Albeville la semaine derniere
« ( leUre dll 31 mai), et qu'ill'informa de toute cetle
« affaire, dont iI se trouvoit en peine, parce qu'on
« étoit venu l'interroger SUl' les motifs qu'il pouvoit
« avoir eus (l'~tre la caution de cet homme. »


Le cornte Davaux ne donne plus d'autres détails,
eL eette affaire rnystérieuse n'eut d'autre suite que de
procurer an Prince l'occasion d'avoir des gardes,
quand il sortoit de La Haye pour alter a son ehü-
teau de Loo.


San s doute OIl peut dire avec le comte Davaux,
que cette conspiration contre la vie du prince d'O-
range n'étoit qu'une vision; l'on n'en connolt aucune
autre trace que sa correspondance meme; et les enne-
mis dI) Roi d'Angleterre u'oserent pas l'accuser de
eeHe-ei. l\-lais clalls les temps de fanatisme politique




RÉVOLtlTION D.E 1688,
ou religieux, il se rencontre des homlllPs qui ad-
mettent cette maxime exécrabie que lue!' n' est pas
assassiner. Ainsi, lorsque la révolution fut con-
sommée, jI v eut contre la personne et la vie de
Guillaume d~ v"éritables conjurations dont la preuve
est irrécusable, que le Roí Jacques Il a connues, et
qu'il a, non pas autorisées ni approuvées, mais au
moins tolérées l. Henri IlI, qui sous des rapports
assez nombreux fut reproduit par J acques n, ne
se crut-il pas le droit de faire luer le duc de Guise?
L'histoire doit marquer uu fer toujours brulant de
l'infamie, les sophistes qui excusent de pareils actes,
bien pI us eucore peut-etre que ceux qui les exé-
cutent.


L'homme habile sait également profiterdes erreurs
ou des fautes de ses euuemis, comme des accidents
de la fortune. Aucun événement ne fut plus favo-
rable aux projets du prince d'Orange que la mort
de I'Électeur de Brandebourg et de l' Archeveque-
Électeur de -=ologne. Ces deux Princes mOUl'urent
presque en meme temps. Sans la mort du premier,
la conjuration de Guillaume, car maintenant toutes
ses démarches vont prendre ce caractere, eut dif-


1 Voyez sur eette expression, qui peut paroitre une aecusa-
tion grave eontre Jaeques II, et une eontradiction formelle avec
ses mémoires, la piece jusqu'iei inconnue, imprimée· a la fin
de eette histoire.




EN ANGLETEHHE.


ficilemcnt réussi; mais elle étoit jllexécutable sans la
mort du second.


Le vieux Électeur de Brandebourg, dit le Granel-
Électeur, étoit un Prince tres-belliqueux, et sur-
tout tres-dévoué a la Religion protestante. Sa poli-
tique et S3 religion avoient le meme principe, de
fondel' an centre de l' Allemagne un centre d'oppo-
sition a la puissance de la Maison d'Autriche, ton-
jours mena<;ante pour les libertés du Corps germa-
Ilique. J ugeant avec raison que les familles électo-
rales s'affoiblissoient perpétuellement par leur usage
de donner des apanages a leurs fils pUlnés, il résolut
tout a-Ia-fois de ne pas suivre ce d~ngereux exemple,
de créer une grande armée, de former un trésor
pour l' elltretenir, et de laisser a son fils alné tout
l'héritage de ses États. Cette grande vue poli tique
fut le principe de tout son regue. Forcé d' etre dur
envers ses peuples pour avoir des soldats et de l'a1'-
gent, il fut le fondateur de la Monarchie prussíeune,
devenue si puissante apres lui; mais il la fonda,
et ses trois successeurs immédiats l'étendirent par le
développemeut excessif de forces militaires. De la
ce moderne systeme des grandes armées, révolution
1l0uvelle, source inépuisable de nouvelles révolu-
tions, qui exige l'exagératiou dans les charges pu-
bliques, déguise l' épuisement des ressources réelles
sous la déception des reSSOllrces fictives, ¡mpose
rneme les génf.rations qlli ne sont pas nées encore ~




RtVOLUTI0N DE 1688,
et appelIe t6t ou tard l'intervention violente des
forces physiques de la société, partont ou les ressorts
naturels et invisibles de la force morale deviennent
enfin sans force. Quoi qu'il en soit, le Grand-Élec-
tenr avoit réglé sa politique sur les intérets de son
systeme, qui avoit de l'élévation et de la grandeur.
Ainsi, quoique zélé protestant, quoique touts les
Princes protestants se trouvassent les ennemis na-
turels de Louis XIV, il s'étoit lié a Louis XIV par
un subside, apres le traité de Nimegue. « Il croyoit
« d'ailleurs avoir a se plaindre de l'Empereur et de
« ses Alliés dans la guerre de Hollande, qui, a la
« paix générale, n~avoient pas,» disoit-il, c( assez re~
« conllU les services qu'il avoit rendus a la cause de
C( l'Empíre. » Dans ces derniers temps, iI se bornoit
aux devoirs d'une stricte neutralité. Mais son fiJs
entroit vivement dans les intérets du parti protes--
tant; et a peine eut-il fermé les yeux de son pere,
qu'il accorda, comme d'enthousiasme, tout ce que
lui demandoit le prince d'Orange, son cousin-ger-
main, qui luí inspiroit une confiance melée d'admi-
rat¡on. Par cette alliance, qui fut étendue au land-
grave de Hesse, au dnc de Lunebourg et au duc
de Zell, le prince d'Orange, si effectivement il ell-
treprenoit une illvasioll en Angleterre, s'as~mroit les
moyens de rassurer les États -Généraux par des
troupes qui protégeroient les Provinces-Unies p{>n-
dant son absence.




EN ANGLETlmRE. 427
Mais la mort de l' Archeveque-Électeur de Cologne


servoit plus efficacement encore les vues du prince
d'Orange : elle lui donnoit les moyens de couvrir
touts ses desseins, touts ses mouvements, sous la
nécessité de mettre la République a l'abri des ten-
tatives de la France.


En eITet, l'Électeur qui venoÍt de mourir, frere
de Maximilien duc de Baviere, étoit tout a-la-fois
électeur de Cologne, éveque d'Hildesheim, éveque
de Liege et évequc élu de Munster. ]\lais le Pape
lui ayant refusé ses bulles pour Munster, il n'en
avoit que le tcmporel. De cette maniere, ce Prince
étoit tres-puissant, moins 'encore par les vingt mille
hommes qu'il pouvoit mettre en campagne, que par
la situation relative de ses diverses principautés ecclé-
siastiques. Par Munster, les Pays-Basespagnolsétoient
séparés du nord de l'AlIemagne; Cologne comman-
doit a vingt lieues sur le Rhin, ouvroit un passage
dans les I)rovinces-Unies, interceptoit tout secours
de l'Empire. Liége livroit le Brabant. Si Maestricht
étoit pris, la Meuse conduisoit au creur meme de la
Hollancle. Enfin, si le nouvel Électeur étoit comme
celui-ci dévoué a la France, les Pays-Bas et les
États-Généraux se trouvoient toujours dans les périls
qu'ils subirent en 1672.


A l'époque de cettederniere guerre, un Prince
de la Maison de Furstembcrg étoit devenu le ministre
et le sOllverain mcme de I'Électeur, qu'il avoit en-




R~VOLUTIONDF. 1688,
chainé a la France. Arreté et déclaré ennl'llli de
l'Empit'e, il avoit recouvré sa liberté a la paix géné-
rale. Louis XIV l'avoit nornmé a l'éveché de Stras-
hourg, lui avoit procuré le chapeau de Cardinal,
et dans ces derniers temps l'avoit fait élire Coadju-
teur, malgré ies efforts de l'Espagne et des Étals-
Généraux. En qualité de Coadjuteur, il se trouvoit
maitre de toutes les places fortes a la mort de l'É-
leeteur; iI espéroit lui-meme se faire élire au treme
électoral cornme aux autres évechés de l\laximilien,
comptant sur sa force actuelle et sur l'appui de la
France. Mais l'Empire, les États-Généraux et le Pape
avoient. un intéret tout contrairc; et la guerre pou-
vant etre immédiatement l'effet de cette complica-
tion, les États - Généraux surtout se virent dans la
nécessité de se préparer a touts les événements. Le


. prince d'Orange s'en servit avec habileté dans ses
négociations ave e les Prínces de l'Empíre. « Si l'é-
« lection eut tourné mal,» dit un conGdent tres-
intime du prince d'Orange 1, (d'expédition d'Angle-
« terre étoit manquée ». Il faut assigner a la mort
successive et tres-rapprochée des deux électeurs de
Brandebourg et de Cologne, l'époque précise ou le
prill(~e d'Orange se fixa dans des projets qui jus-
que-la étoient dansle vague de son ambition.


Ni lui ni les États-Généraux n'avoient songé a


! Mémo au aocteur Bmonet.




.EN ANGLl~TF.RRE.


faire la guerre dans le Nord; ils avoient tel'mme
sans peine lenrs différellts particuliers avec le Roi
de Danemark; et les réclamations du prince de
Holstein.Gottorp avoient été confiées a des média-
teurs. C'étoit ce changement subit qui avoit tout
a coup déterminé Louis XIV a rompre sa négocia-
tion avec Jacques II pour l'armement des vaisseaux
de l'Angleterre. Mais il ne tarda pas a comprendre
la nécessité d'y recourir tres-promptement. On yerra
ou conduisirent brusquement l'hésitation de la Cour
de White-Hall et la parcimonie de la Cour de Ver-
sailles, envers un Prince qu'elle sembloit meme dé-
daigner d'acheter a vil prix.




SOMMAIRE.


1688. - (SUITE).


Nouvel édit pour la liberté de conscience. - Requete des
Éveques. - L(;mis XIV offre des vaisseaux a J acques n.-
Les Éveques sont envoyés a la Tour. - Naissance du Prince
de Galles. _ Le Comte de Sunderland se déelare Catholique.
-Jugement des Éveques. - Enthousiasme du peuple et de
l' armée. - Embarras de la Cour. - La mort de l'Électeur de
Cologne, favorable au Prince d'Orange, et funeste a Jac-
ques n.


-- --~~------




RÉVOL. DE l688, EN ANGLETERRE. 431


LIVRE XX.


1688. - (SUlTE).


T ANDIS que la Révolution se préparoit ainsi sur le
eontinent, par un concours extraordjn~ire de cir-
constances politiques, la cour d' A ngleterre s' aban-
donnoit sans but et sans regle aux cl'aintes eomme
aux espérances. Un aceident survenu a la Reine,
dans les derniers jours d'avril, donna les plus vives
inquiétudes. Ce n'étoit qu'une fausse alarme qui se
renouvela encore. Mais enfin rassuré sur le présent
par les m{>decins, le Roi, qui avoit reconnu la va-
nité de ses projets pour obtenir des éleetions serviles,
se erut forcé d'ajourner de nouveau la convocation
d'un Parlement. Cependant, afin de pallier ce re-
tard, il publia le 7 mai un second édit sur la liberté
de cónscience, et annonc;:a que dans le mois de no-
vembre au plus. tard le Parlement seroit enfin réuni.


I..'édit du Roi fut le dernier coup qui renversa




RÉVOLl.lTION DE r68B,
tout l'éch~faudage élevé si péniblement par ses COll-
seillers. Les détails sont nécessaires pour montrer
dans toute sa grandeur l'abime qu'il avoit creusé lui-
melhe. Voici la proclamation royale :


« Par la conduite que nons avons tenue dans touts
« les temps, le monde doit etre persuadé de notre
« COIlstance et de notre fermeté dans nos résolutions.
(( Mais pour que les personnes faciles ne puissent
({ etre abusées par la malice des gens arti ficieux ,
« N ous avons trouvé a propos de déclarer que, de-
( pnis notre édit du mois d'avril 1687 pour la liberté
« de conscience, nos intentions ne sont point chan-
« gées.


( Depuis que nons avons accordé cet édit, notre
« principal soin a été de le faire exécuter, sans dis-
« tinction : encouragés surtout par une multitude
« d'adresses et autres assurances que nos sujets de
« toute religion nous faisoient passer, en témoignage
« de leur satisfaction et deleur fidélité.


{( Nous n'en doutons pas : le prochain Parlement
« manifestera les. effets de ces bons sentiments, et
« nous n'aurons pas f'n vain résolu de faire touts nos
«efforts pour établir cette liberté de conscience,
» pour l'asseoir sur des fondements j listes et immua-
ce bies, pour assurer enfin a chacun le libre exercice
« de sa religion a perpétuité. Par -la, les temps a
« venir recueilleront le fruit d'une loi qu'exige sí
« certainernent le bien général de tout le Royaume.






:EN ANGLETERRE. 433
« Mais cette sÍlreté de Religion et de conscience,


« nous la souhaitons libre du fardeau et de la· con-
{( trainte des serments et des Tests, qui, imposés
« malheureusement par quelques Gouvernements,
« n'ont jamais pu en soutenir aucun. Ce n'est plus
« par de tels moyens que les sujets doivent etre él e-
( vés aux emplois et aux charges publiques, mai~
,( par leurs services, leur mérÍte et leur fidélité. Ainsi
« nous concluons que non-seulement les bons chré-
(( tiens, lnais .encore touts ceux qui s'intéressent a
« l'accroissement du bien et de la puissance de cette
« nation, se réuniront a nous potir accomplir cet
« ouvrage. Quelques - uns de nos voisins (A llusion
{( ti la Bol/ande) recevroient peut- etre du pl'éju-
« dice, et perdroient une partie .des grands avan-
« tages dont ils joujssent a présent, si ]a liberté de
« conscience étoit bien établie dans nos royaumes,
« qui, plus .que touts les autres, peuyent g'ennchir
« et s'emparer du cornmerce de topte la terreo


« C'est pour travailler a ce gran~ reuv~e que nous
« avons été obligés de changer; daus nos ÉÜlts , plu-
« sieurs officiers tant(civils qu~ militairft$(: ne croyant
( pas que ceux qui refusent de contribuer a l'éta-
« blissement de ·la paix et de la grandeur de ]eur
« patrie doivent etre employés a nolre service.


« La paix et la grandeur de ce Roya ume, e' est la
« ce que nous desirons passionnément. IJet; hommes
« dont l'esprit n)est pas préoccupé doivent le remar'
Il. 28




434 RÉVÓLlJTION DE 1688,
« quer, dans toute la conduite de notre Gouverne-
( ment, dans notre sollicitude pour l'état de notre
« floUe et de nos armées, qui, par les bons ordres
« que nous donneron~, seront toujours les memes et
c( encore meilleurs, si la sureté ou l'honneur de la
« nation le requierent.


« Nous recommandons ces considérations a touts
« nos sujets, desirant qu'ils fassent l'éflexion SUI' le
« honheur dont ils jouissent a présent. Ils doivent le
« reconnoltre : depuis plus de trois ans qu'il a plu a
« Dieu de nous· élever sur le treme, iI n'a point paru
« que nous fussions ce Prince dont nos ennemis vou-
« loient épouvanter le monde, notre principal but
« ayant toujours été d'etre le pere et non l'oppl'es-
« seur de notre peuple. C'est pour en donner de
« nouveaux témoignages, que nous conjurons touts
<<'nos .sujets d'éloigner tOllte animosité, cornme toute
« ja:lousie ~ :~t.(le choisir; pour le prernier Parlement,
« des Déput~s qui contribuent a flnir ce que nous
( avons cornrnen.cé pour le bonheur de la Monal'-
«( chie ;ayant résolu de convoquer un Parlement
« qui, au phrs tard,s'assernblera au rnoÍs de novem-
«( bre prochain.»


I}ordre de publier ceUe déqlaration dans toutes
les églises du Royaume fut envoyé aux Éveques, a
la date du 24 mai.


Pour ceux qui déja n'étoiellt pas engagés au prince
d'Orange, I'édit nouveau de JacqUt~S JI présentoit




EN ANGLETERRE. 435
bien peu de raisons persuasives. Qu'étoit la promesse
d'un prochain Parlernent, lorsque la nation, inces-
sarnment abusée, voyoit cette promesse toujours élu-
dée? Le Roi promettoit l'adrnission awx charges
publiques, sans acception de personne, et iI avoit
commencé par chasser son beau-frere qui s' étoit re-
fusé a devenir CathoIique. Il faisoit entendre que la
liberté de conscience amimeroit ,en Angleterre les
Calvinistes de Hollande, leurs capitaux et leuI' in-
dustrie; et c'est enHollande que la nation voyoit son
pl'otecteur et l'héritier de ]a Couronne. II parloit
de la fIoue et de l'armée: la fIoUe s'é!oit presque
soulevée quand le chevalier Strikland, envoyé contre
les AIgériens, voulut y faire célébrer le service divin
des Catholiques; l'armée étoit surtout l'objet de l'a-
nilnadversion et des inquiétudes publiques sur le
rnaintien des libertés nationaIes. Chaque secte de
l'Église Protestante vouloit sans doute la liberté de
conscience, mais pour elle seule, et co~me un moyen
de dorniner et d' opprimer un j our 'les autres. Il en
faut excepter peut - etre la secte des Quakers, qui
maintenant suppléoit a un culte purement négatif,
par l'innocence des mreurs et la charité. Quanta
l'Église Anglicane, elle poursuivoitde ses haines


, ,.,


I'Eglise Rornaine qui ne l'avoit pas moins en aver-
sion; mais elle craignoit surtout l'introduction des
Non - Conformistes dans les eorporations et dans


. \-
l'Etat ,paree que les deux seetes principales des Non-


:l O.




436 RÉVOLUTION DE 1688,
Conformistes, étoient ennemies, l'une de la supré-
matie anglieane non moins que de la suprématie ro-
maine, l'autre de l'épiscopat et de la H.oyauté: double
nsurpation, a ses yeux, sur le H.oyaume du Christ.


Cependant leur haine eommune eontre les Ca-
tholiques les réunissoit maintenant, mais cette réu-
nion n'étoit ríen moins qu'une fraternité religieuse.
Toutes les sectes ne croyoient ni a la parole de Jae-
ques JI, ni a la toléranee qu'il leur offroit au nom
des Catholiques; et il est avéré que tene n'étoit pas
l'intention de (~eux-ei : Jaeques II n'a meme jamais
varié sur ce point. Lorsqu'aux jours de l'adversilé,
le partí anglican lui demanda et obtint en 1693,
pour le repol'ter sur le trone; lorsque Louis XIV
exigea meme pour prix de ses seeours, la promes!'e
de protéger et défendre l'ltglise Anglieane. il ~
donna, mais comme le premie!' jour de son regne
au Conseil, comme a la prem~ere séance du· Parle-
~ent, corome au serment de son Sacre. Ses propres
aveux déposent que ni l'autorité de la Sorbonne,
ni ceBe de Bossuet ne purent levcr ses serupules.
En un mot, s'il publia son édit nouveau de tolé-
rance, j'l n'y apporta ni eette raison ferme, ni· ce
creur frane et magnanime de son aieul Henri IV,


,jIt.


promulguant l'édit de Nantes. Imbu des sombres
doctrines des Pearson et des Allan, 'aux temps d'Éli-
sabeth, des maximes dures des I .. ouvois et des Sé-
guier qui subjuguerent Louis XIV, et dont iI avoit




EN ANG-LF:TERRE.


déja lui-mcme devaneé l'application" en Écosse, ni
luí, ni sa nation, naguere fanatique et toujours fa-
rouche d'intolérance, ne vouloient cette liberté des
cultes qu'il venoit de proclamer. Ces idées n'étoient
pas de son siecle; elles sont le fruit ou de la néces-
sité qui transige entre deux forces égales et rivales,
ou d'une civilisation tres-avancée qui éclaire, qui
polit, qui énerve peut-ctre une nation, et 'lui sub-
stitue insensiblement le besoin des richesses ou des
jouissances de la vie au besoin impérieu~ de faire
triompher ses dogmes. Telle n'étoit pas la situation
de l'Angleterre ni la disposition des esprits.


L'ambassadeur de France écrivit sur-Ie-champ a
Louis XIV, pOlIr lui apprendre cette résolution et
ses motifs. « On en attend peu de chose, » dit-il d'a-
bord et a l'instant meme. ( Le Roi d' Angleterre est
« persuadé que, s'il avoit assemblé un Parlement,
{( les vaisseaux de Hollande auroient paru sur les
« cotes, et que le Prince d'Orange n'auroit ríen omis
(e pour exciter des troubles. » C' est la en effet ce que
le ¡marquis d' Albeville faisoit craindre par toutes ses
dépeches, et le motif décisif que Jacques II opposa
aux courtisans qui insistoÍent pour la convocation
d'un Parlement avant les couches de la Reine, qui
devoient avoir lieu a la mi-juillet. « Mais,» dit en-
core Barillon, ( il Y a au fond une autre raison en-
« core plus décisive, e'est que l'état des affairesllc
f( promettoit aucun hon suceesde eette eonvocalion.




438 RÉVOLUTION DE 1688,
I( Cependant, cornme touts les esprits sont en suspens.,
«( la déclaration a été publiée, bien plus encore pour
« annoncer .. l'ajournement a six mois, que pour don-
ce ner une assurance que le Parlement sera effeeti-
C( vement réuni a ceUe époque.»


J.Áe Roí, irnrnédiatement apres, fut averti par le
marquis d' Albeville que, s'il naissoit un Prince de'
GaUes et que s'iI venoit A mourir lui-meme, les prin!"
eípaux Seigneurs d'Angleterre avoient résolu de s'em-
parer du Prince et de le faire élever dans la Religion
protestante: d' Albeville étoit bien mal informé. Ce
n'étoit plus sur des projets si éloignés que le Prinee
d'Orange et l'Opposltion d'Angleterre fixoient leurs
idées. Ils attendoient a la vérité les eOllches de la
Reine pour prendre un parti déeisif; et ce moment
si rapproché devoit fixer les destinées du Roí et de
l'Angleterre. Cependant ce fut sur eette conjeeture
de son Ministre, que Jaeques II prit ses nouvelles ré~
so\utions.


Pour empe'eher l'exéeution du plan attribué aux
Seigneurs d' Angleterre sur l' édueation du Prinee de
Galles, Jacques 11 imagina qu'il lui falloit de loin.
'prendre toutes les mesures néeessaires pour qu'it sa
mort ni la Reine qui devoit etre Régente, ni son
fils, ni les Cathollques pareonséquent, De fusseñt
opprimés par la faetion du Prinee d'Orange. La pre-
miere, la principale de ces mesures, devoit etre une
étroite liaison avec Louis XIV. Mais auparavant,




EN ANGLETERRF:. 439
on devoit encore tenter la fortune pOllr obtenir
d'un ParlemEmt la révocation des lois pénales et du
Test. ( Mais, » disoit Barillon, « ces lois et ce Test
« sont préeisément l'obstacle invincible.)


Louis XIV eommen«;;oit a juger ainsi. Sunderland,
bien persuadé que le Roi d' Angleterre étoit allé trop
avant pour se soutenir seul sur le trona, se décida
sur -le - champ a équiper vingt vaisseaux de guerre
el quatre brulots. Arrcté par la dépense, Jacques H
s'y résigna plus qu'il n'y consentit, ne la croyant pas
encore absolument nécessaire. A eeUe occasion, Ba-
rillon éerivoit a sa Cour : « Je ne dois pas cacher a
« Vot1'e Majesté qu'en cela mylord Sunderland croit
« avoir bien mérité d'Elle, et qu'il pellt espérer des
c( marques de sa bienveillance par une gratification
.j( extraordinaire. ) C'est la toujours et toujours la
tache honteuse de l'histoire de ce Ministre.


Barillon insista vivement pour que l.,ouis XIV ne
Jaissat pas échapper eeUe oceasion. Il écrivit encore,
trois jours apres sa derniere dépeche, et annon<;a
que, s'il convenoit aux ¡ntérets de Louis XIV de con-
eerter a Londres ce que la fIotte de Jaeques n pOUI'-
roit faire, pour marquer une étroite intelligence avec
la Cour d'Angleterre, ceux qui avoient le plus de
erédit sur le Roi entreroient avec plaisir dan s ce
qui seroit proposé.


Mais Louis XIV ignoroit l'irnmense parti que le
Prince d'Orange avoit su tirer de la mort toute ré-




440 RÉVOLUTION DE 1688"
eente de l'Électeul' de Brandehourg. 11 sc croyoÍt
assul'é de p01'ter le cardinal de FUl'stcmbcl'g, sa
créature, sur le trone électoral de Cologne; il ne
connoissoit.I'Angleterl'e que par les rapports de Ba-
rilIon; il ne voyoit dans l'agitation de ce pays qu'un
moyen de retenir la Grande~ Bretagne hors de ses
alliances naturelles; et Jacques II lui-meme qui,
par instinct, sembloit tout redouter du Prince d'O-
range, ne croyoit par présomption a aucune tenta~
tive essentiellement dangereuse. Déja sur le bord
deA'abhne, il ne vouloit se livrer a aucune mesure
capable de décider sa fortune, par un sucd~s écla-
tant ou par, une chute' glorieuse. Louis XIV enfin
ne voulut contribuer en ce moment ni a l'une ni a
l'autre destinée. « Je ne prends,» dit-il, I( d'autre
« intéret a cet armement du Roí d' Angleterre,
( que celuí qui le regarde lui - meme. Faites seu-
« lement. espérer a la personne dont vous me'
c( pa.rlez, qu'en d'autres occasions qui touche-
(e ront la France plus directement, on aura touts
« les égards qu' elle pourra désirer a ce qu'il fera
« pour ma satisfaction. Je n'ai rien en vue qui me
(c fasse juger que l'assistance du Roi d'Angleterre
« me soit nécessaire. Je ne pourrois faire un traité
(e qu'en promettant un subside. Cependant si la,Cour
«( 00. vous etes pense qu'il lui convienne d'en avoir un,
« vous poul'rez écouter ses propositions et m' en rendre
(( compte, pourvu qu'on ne demande ricn <.10 nOll-




J~N ANGLETj¡RRE. 44 r
(( vea u qui soit a charge.» Mais déja un coup de
foudre inattendu venoit de partir. C'étoit la requete
des Éveques,.


Jacques II avoit ordonné aux Éveques de faire
publier son édit du 7, sur la liberté de conscience,
dans toutes les églises, a des époques fixées, savoir :
le 30 mai et le 7 juin a Londres, les 13 et 20 juin
dan s les autres lieux du Royaume.


Lorsque le feu Roi Charles 11 avoit cassé le der-
nier Parlement qui fut assembJé sous son regne, il
avoit publié une proclamation pour expliquer a son


I peuple la nécessité de mettre ainsi un terme a l' op-
pression de la Couronne; ill'avoit envoyée a touts
les Éveques, pour etre lue dans les Églisesde leurs
dioceses; et les Éveques, inquiets alors de la fougue
des Communes, s'étoient portés avec empressement
aux désirs du Roí. Jacques 11 avoit pensé que ce pré-
cédent serviroit de regle au Clergé anglican; mais
les temps étoient changés. Le Clergé anglican,
pressé entre les Catholiques et les N on-Conforniistes,
se voyoit dans la nécessité ou de subir avec la haine
de touts les partis le mépris du peuple, ou de se
mettre d'une maniere éclatante a leur tete. 11 se réu-
nit a Londres, et se décida.


Dans l'assemblée qui eut líeu au palais de I'Ar-
cheveque de Cantorbéry, on se fixa sur les idées
suivantes:


« Qu'il étoit- illégal de dispenser de l'observatÍon




ntvoLUTION DE 1688,
« des lois, dans des circonstances contraires au but
« meme de ces lois.


« Qu'a la ,,¿rité, ils ne pouvoient juger que de ce
« qui regardoit leur propre conscience, eontre la-
« quelle il ne leur étoit point permis d'agir; mais
« que, dans l'affaire du ehevalier Hales, ou les juges


- ce avoient admis le prineipeque le Roi pouvoit dis-
( penser des lois, cette déclaratioll du pouvoir de
« dispenser s'appliquoit a une affaire militaire.


« Que déja le Parlement s'étoit prononee, sous le
« dernier regne, eomme dans celui-ci, eontre le
(e prineipe général.


(e Que le Roi n'avoit pas -le pouvoir de faire l!n
«( acte illégaJ.


• c( Que le Roí, d'apres les loís, étoit eonsidéré
e( comme ne pouvant pas mal faire.


« Que la déclaration aetuelle, sur la liberté de
(e eonscien.ce" étant illégale, ne pou voit etre jugée
« comme émanée du Roi.


«( Que, d'apres ces principes, les Év~ques n'étoient
({ pas obligés d' obéir a l' ordre de publier eette dé-
« claration. »


C'étoit par cet argument subtilet dangereux que,
sous Charles I er, le Parlement, ay¿,tnt distingué la
personne du Roi de son autorité, s'empara enfin de
la souverailleté.


Cette délibération avoit été précédée d'une priere
pour implorer l'assistance (livine : elle 5e termina




EN ANGLETERRE. 443
par la rédaction d'une adresse au Roi, que signerent
J'Archeveque de Cantorbéry, les Éveques de Saint-
Asaph, d'Ély, de Chichester, de Bath et Wells, de
Péterborough et de Bristol.


Le 28 mai au soir, c'est-a-dire deux jours avant
le terme assigné pour la publicationordonnée dans
les Églises, ces Éveques, excepté le vieux Arche-
veque de Cantorbéry, qui se trouvoit malade, vin-
rent au palais du Roi, et lui présenterent a genoux
leur requete, écrite de la main de I'Archeveque, en
ces termes:


({ SIRE,


(( Nous prenons aujourd'hui la liberté de nous
« présenter devant Votre Majest~, pOUl' l'assurer que
f( notre répugnance a faire lire et a li.re nOUS-nlemeS
t( votre derniere déclaration en faveur de la liberté
« dé conscience, ne procede en aucune, maniere d'un
« défaut d'obéissance et de fidélité. L'Église d'An-
« gleterre, notre sainte mere, s~est toujours et in-
« contestablement montrée si loyale et dans ses
« maximes et dans sa conduite, qu' elle a plusieurs
« fois eu l'a~antage d'etre publiquement reconnue
« pour telle par Votre Majesté.


« CeUe répugnance ne; vient pas non plus d'a~er­
« sion ou d'un défaut d'affection enVel'S les Non-Con-
le formistes; car nous consentons qu'it lenr égard il
« soit pris tel tempérament convenable, quand




nÉVOLUTJON Dt: 1688,
« eette áffaire sera examinée dans un Parlemelll el
l( dans la Convocation (Assemblée du Clergé OH
Synodale ).


« Mais notre prineipale raison porte sur ce que
« la déclaration de Votre Maj esté est fondée sur un
« pouvoir de dispenser, pouvoir que le Parlement a
« souvent déclaré illégal, particulierement dans
« les années 1662 et 1672, et au commencement du
« regne de Votre Majesté.


« C'est la, Sire, une affaire de si grande impor-
« tance a toute la nation, pour I'Église comme pour
« l'État, que les soussignés ne peuvent pas, avec
« prudence et en conscienee, paroitre témoigner
t( qu'ils ápprouvent eette déclaration, en la faisant
({ publier d'une maniere solennelle et réitérée dans
« la maison du Seigneur, et pendant le temps du
« serviee di vino


«oC'est pourquoi les soussignés supplienthumble-
«. ment et instamme~t Votre Majesté qu'il lui plaise
« de ne pas insister sur la leeture de eette déclaration,
c( et ils prieront toujours Dieu eomme ils doivent,
« p~ur le bonheur et le regne de Votre Majesté. )}


Cette harangue avoit pour titre : « Humble re-
« quete de Guillaume, Areheveque de Cantorbéry,
( et de plusieurs autres Éveques ses suffragants, de
{( eette provinee, qui sont présentement avee lui,
«( tant en leur nom, que de plusieurs de leurs freres ,
« en ehacun de leurs dioceses rcspcctivement. })




}:N ANGLETERRE.


Le Roi en entendít la lecture avec une attention
inquiet~ et chagrine. 11 répondit, avec l'accent d'un
ressentiment vif et profond 1, « qu'ils venoient de
« faire enteildre la trompette de la rébellion, et que
« les sermons des Puritains, en 1640, étoient moins
« dangereux. Vous venez, » ajouta-t-il, ee d'évoquer
« un démon que vous ne pourrez plus exorciser;
« mais je s:':lis Roí, et vous devez m'ohéir. » Les
Éveques se· mirent a genoux, et, en protestant de
Ieur fidélité, ils persisterent dans leur déclaration. ,


Ainft le moment étoit arrivé d'une rupture ou-
verte!·avec le Clergé, qui, j usque la ne s' étant pas uní,


.. , co~e corps poli tique , aux ennemis du Roi, pou-
vrj,'t toujours donner l'exemple de la soumission an
f#up1e. Mais I~ signaI de la résistance une foigo pro-
c~lamé par un corps si puissant, devant une nation


. jalouse et ombrageusp, le Roí ne pouvoit plus que
céder, mais avec dignité, ou subir les basards d'une
guerre civile, en soutenant avec une termeté calme
et inébranlable ses précédentes démarches.


Cette requete, lue ainsi le 28 mai a 10 heures
du soir, ne laissoit plus au Roi qu'un jour pour ré-
voquer ses ordres, qui se devoient exécuter le 30
dans les églises de la capitale. Cette affaire agita
vivement le Conseil. Il devenoit certain que le peuple
répondroit au cri du s~nctuaire. La Cou~, Jes. Mi-


1 Lettre de Barillon.-Mém. de Jacques n.




446 RivOLUTION DE 1688,
nistres, les Catholiques se divisoient d'autant plus
que le Roí ne montroit qu'un vain courroux saos
résolution. Comment forcer les Éveques et les Pas-
teurs a lire la déclaration le surlendemain? Comment
les punira-t-on de leur désobéissance? Quel tribunal
les jugera? Seront-ils déposés par l'autorité de la
Commission ecclésiastique? Cette commission est
illégale et odieuse. Quel éclat ne fera pas un tel
proct~s? lJa Cornmission ecclésiastique les déposera
sans doute; niais, déposés, ils restent Pairs du
Royaume, et ils siégeront au Parlement. Ces ré-
flexions se présentoient natul'ellement aux esprits
sages. Toutefois Barillon écrivoit le lendemain a
Louis XIV : « Le Roi et les ministres ont été affli-
« gés et surpris de cet incidente On parle cependant
« a la Cour comrne si Sa Majesté Britannique en
« devoit tirer de grands a vantages par la suite, en
« ce que les Non~Conformistes verront, par ce l'efus
« du parti épiscopal, qu'ils n'ont point d'autre parti
« a prendre que de s'unir étroiternent au parti de
« la Royauté, en sorte que les lois pénales puissent
« etre cassées par un Parlement. » Une telle obstina-
tion d'aveuglement volontaire seroit incroyable, si
elle n'étoit pas irrécusablement avérée.


Apres quelques jours donnés tour a tour al'iné-
solutioa et a l'ostentation d'une fenneté mena<¡;ante,
iI faUut délibérer. Parmi les Ministres et les Catho-
liques, les un5, et Barillon ne les nomme pas,




EN ANGLETERRE. 447
exposerent vivement la néeessité de prononcer l'in-
terdietion des Éveques signataires par un jugernent
de la Commission eeclésiastique l. Leur faute, di-
sóient-ils, ne se peut excuser d'avoir osé publier que
le pouvoir de dispenser est illégal. Il ne leur appar-
tient pas de prononeer une telle décision. Ainsi
Ieur requete aoit etre considérée cornme un libelle
soumis a la vindicte des lois. Autrement, il n'est pas
un simple particulier qui ne s'arroge le droit de
décider· aussi les qUestiOllS qui appartiennent au Par-
lement.


Pour comprendre cet argument, iI faut savoir
que, pour éviter la publicité de cette requete, l'ar-
cheveque de Cantorbery I'avoit écrite de sa proprc
main, et que, malgl'é cette précatition, elle fut im-
primée et livrée au publie, p'resque immédiatemcnt
apres avoir été lue et remise au Roi par les fSigna-
taires. C'est par cette publicité, attribuéeaux Éveques
par la Cour, que ron cherchoit a les punir pour fait
de libe/le. Ainsi ce n'étoit plus pour le rerus d'obéir,
mais pour avoir publié la désobéissance, que I'on
eherchoit les m?yens de punir : détour qui annon-
~oit tout a la fois la colere et l'impuissance.


« D'autres Ministres et des Catholiques, » dit en·
eore Barillon, «ne sont pas de l'avis des p~einiers.
« Relever trop fortement la démarehe des Éveques et


I Lettre de Barillon.




448 RÉVOLUTION DE 1688,
l( les en punir avec sévérité, ce seroit donner trop
({de poids, trop d'importance a leur eonduite. n
« n'est pas bien établi par les loís qu'ils doivent subir
(( l'interdiction. La- procédure seroit tres -longue.
« Toute l' Angleterre, attentive, en seroit d'autant
(e plus agitée. D'~illeurs l'interdietion des Éveques ne
r( les empeeheroit pas de siéger au Parlement. La pru-


'(e denee exige' done, pour le présent ,. que l'pn n'use
« pas avee rigueur de l'autQrité royale. Il vaut mieux
( leur faire. sentir Ieur faute, en leur déclarant que
«( le Roi ne veut pas les punir, paree qu'il a de justes
( égards pour la fidélité que l'Église anglicanc a mon-
a trée dan s tout8 les temps pour le Roi son pere et
« ponr. le Roi son frere; que s'ils ont agi eontre leurs
« propres principes, s'ils ont oublié leurs regles, 01'-
( dinaires, qui ont toujours été de soutenir la pré-
« roga4v~ royale, l'indulgence dont SaMajesté, veut
« user a leurégard est une suite meme de sa déclá-


. "


« ration' pour la liberté de conseienee; et que, sans
ce eette déclaration meme, ils éprouveroient ce que
C( peut l'autorité royal e justcment offensée.


(e Cet avis, » continue Bai'illon, «est celui de rny- .
c( lord Sunderland et ,du P. Piter. tI sera probable-
« ment suivi par le Roi. »)


« Il n'y ,a pas de doute, » dit Jacques IIslans ses
Mémoirés I , {(qu'en suivant les regles de la pr~~ence


1 Tom. III, p. 228.




EN ANGU~TEHRE. 449
( humaine, Sa Majesté n' eut mieux faít de ne pas
« forcer les ressorts, quand la machine entiere s'ar-
« retoiL .... Mais le Roi eut le malheur de trop écouter
« les avis pernicieux des gens qui le poussoient allX
« démarches les plus dangereuses, ave e l'intention
« sans doute d'agrandir la breche, et qui, dan s eette
« occasion surtont, l'encouragerent a des mesures
c( qui ne pouvoient que déplaire au peuple. D'un autre
« cOté, la prévention du Roi contre cette humeur
c( conciliante, qui avoit été si funeste au Roí son pere,
« et avoit eu tant de danger pour son frere, le fixa
« trop obstinément dans une route contraire. D'ail-
f( leurs d'autres Éveques ne firent pas les mcmes dif-
« ficultés; et les uns ayant obéi, il étoit naturel de
« conclure que ceux qui ne le faisoient pas étoient
« coupables. C'cst ce qui fut cause que le Roí céda
« plus facilenwut a I'avis du Chancelier. »


Ce passage explique bien le caractere de J acques I1,
et 11 seroit difficile de le juger plus séverement qu'il
ne le fait lui-meme. Cependant on y découvre diffi-
cilement la vérité sur ceUe importante délibération.
Jacques II semble ici accuser le eomte de Sunder-
land, et I'on voit, par le témoignage de Barillon,
que Sunderland donna le seul eonseil qui pouvoit
tirer avec honneur le Roi de sa position périlleuse.
Jacques II dit encore qu'il suivit le conseil du chan-
celier; mais Jefferyes étoit tres· ardent Protestant.
Il soutenoit fortement l'Église angl~cane; et l'on voit


1I. 29




450 RivOLUTION DE 1688,
dans le Journal de CIaren don , l'un des beaux-freres
du Roi et zélé anglican lui-meme, que Jefleryes
avoit pris le parti des Éveques signataires, qu'il fut
tres-afflígé des poursuites exercées contre eux, qu'il
leut' fit des offres de service, et qu'il le chargea, lui
Clarendon, de les leur communiquer. Il lui dit que
le Roí lui-meme fut un moment sur le point de laisser
tomber l'affaire, et de ne pas employer la rigueur;
qu'a son grand regret Sa Majesté changea d'avis,
et qu'il y avoit des gens qui la poussoient a sa ruine.


Comment concilier ces documents contradictoires?
D'Alrymple, en cela contraire au témoignage de Ba-
riUon, dit que Sunderland pressoit les poursuites,
en exhortant secretement les Éveques a tenir ferme.
Le Roi n'accuse nominativement personne, et dit
qu'il céda trop facilement aux conseils du Chancelier.
Entre Sunderland, J e fferye s et le P. Piter, . il faut
choisir sans doute pour connoitre ceux qui pous-
soient Jacques II a sa ruine. Mais quand un Prince
avoue douloureusement qu'il ne prenoit d'autres con-
seils que de son obstination , il est facile de conclure
que lui-meme étoit son plus dangereux conseiller.


Jacques 11 s'excuse de sa résolution, en disant que
d'autres Éveques ayant obéi, les autres lui devoient
paroitre coupables : foible argument dans une con-
joncture si périlleuse. Il est vrai que les Éveques de
Durham, de Ches ter , et deux ou trois autres, 01'-
donnerent de pu?lier la déclaration du Roí; malS,




EN ANGLETJmUE.


dans toute l'Angleterre, on eomptoit a peine deux
cents Pasteurs qui obéirent. Ceux qui en firent lec-
ture le premier di manche ne la firent pas le second.
Les uns disoient en chaire qu'ils ne lisoient l'Édit
que par obéissance. Il s'en trouva un qui osa dire
que, s'illui étoit ordonné d'en faire leeture, iI n'y
avoit rien qui for~at de l'entendl'e; et le peuple sor-
toit en foule des Églises. Ces démonstrations popu-
laires ne devoient-eIles pas avertir le Roi?


Pendant le mouvement extraordinaire que pro-
duisoit eette affaire, Louis XIV fut informé par le
comte Davaux que le Prince d'Ol'ange faisoit équi-
per, avec une grande activité, douze vaisseaux de
guerre, pour les réunir a la flotte qui déja étoit en
mero Il écrivit le 7 juin a Barillon, et le chargea su-
hitement d'offrir a Jaeques JI une escadre de seize
vaisseaux pour la réunir a la Botte angloise, et de
lui demander s'il convenoit a ses intér~ts de rendre
eette offre publique. Il ajoutoit qu'apres une telle
démarche, le Roi d'Angleterre n'insisteroit plus sang
doute pOlir faire remonter au 1 er aVl'il la solde deg
deux mille hommes. Jacques II hésita sur la publi-
cité ou le seeret des offres de la France; et le comte
de Sunderland soutenoit qu' elle devoit etre rendue
publique. Mais, probablement encouragé par la eer-
titude inopinée de trOt-lver une assistance dan s ses
périls, Jacques IJ, le jour meme que Barillon re~llt
la lettre de I.Aouis XIV, décida que les Éveques se-


29·




RÉVOLUTION DE 1688,
roient cités a comparoitre devant le Conseíl du 18
juin. « La question, » dit Barillon, « est actuellemcnt
« de savoir si I'on procédera rigoureusement; alors
« on pourroit bien les envoyer a la Tour, sur le re-
( fus, auquel on s'attend, de leur obéissance.» .


L'offl'e des vaísscaux de France jeta bientot le
Roí dans une grande perplexité. Pendant le peu de
jours qui restoÍent encore jusqu'a la comparution
des Éveques, il témoigna d'abord une vive recon-
noissanee, bientot de l'hésitation et enfin du dépit
sur ce que Louis XIV ne vouloit pas solder les deux
mille hommes a eompter du J er avril au lieu du
I er mai. Il y eomptoit, et n'y renon~a qu'avee cha-
grin. Quant a la flotte fran«;¡oise, il ne pensoit pas
qu'il fut néeessaire de la réunir eette année a la flotte
angloise. Il ne voyoit aueune apparence a des entre-
prises eontre lui de la part des États-Gélléraux; et
d'ailleurs il seroit toujours temps de songer a eette
jonetion, quand on auroit quelque eert.itude sur les
desseins du prince d'Orange, eomme sur la destina-
tion des flottes hollandoises. Cependant, la veiUe de
la comparution des Éveques, il rendit publique dans
le Conseil l' offre de Louis XIV, et n' en exigea pas
le secreto Ainsi, d'une intelligenee queleonque avec
la France, Jacques II n'aeeeptoit que les désavan-
tages, puisque le seul soup«;¡on de eette intelligence
avoit suffi pour le rendre odieux; et il en rejetoit
l'utilité réelle. Quant aux Éveques, le Roí paroissoit




EN ANGLJ.:TERRE. 453
résoJu de les faire punir avee rigueur. « On leur de-
« mandera eaution,» disoit Barillon le '7 juin, « pour
« eomparoltre par-devant le Bane Royal. S'ils refu-
«( sent, ils seront envoyés a la Tour.» Ainsi on pré-
voyoit leur refus, et l'on s'aveugloit sur les eonsé-
quences.


Enfin, l'Archeveque et les six Éveques paroissent
devant le Conseil. On leur demanda s'ils avouoient
leur requete. Leur aveu étoit néeessaire pour avoir
une preuve légale que cette requete avoit été remise
au Roí. lIs refuserent de répondre explicitement,
et le Conseil les fit retirer. Bient6t rappelés, ils évi-
terent encore de répondre. Enfin jugeant qu'il y
avoit peu de dignité pour eux a se retrancher ainsi
sur une formalité purement extérieure a la ehose
meme, iIs ayouerent la requete. Alors le Chancelier
Ieur demanda, s'iIs vouloient donner eaution de
comparoltre aux premieres Assises de la Cour du
Bane du Roi, qui se devoient tenir le 25. lIs refu-
serent, disant qu'en Icur qualité de Pairs temporels
et spirituels du Royaume, ils ne pouvoient porter
atteinte au privilége des autres Pairs, qui étoit de
ne pouvoir etre jugés (Jl1e par la Chambre Haute.
l..e Chancelier 1 les nwnac;a vivement d'etre envoyés
a la Tour, et de l'indignation du Roi. «Nous irons,»
dirent-ils, « partout ou il plaira' au Roi de nous en-


I D' Alrymple.




RÉVOLUTION DE 1688,
« voyer. Le Roi des Rois est notre Protecteuret notre
« Juge.» Les avis des Ministres furent partagés.
Cependant l'ordre d'envoyer les Éveques a la Tour
fut signé par touts les membres du Conseil privé,
a l'exception du P. Piter, qui, comme pl'ctre, ne
voulut pas que son nom parut dans une procé-
dure criminelle, et de Barklay, qui se retira pour ne
pas signer, par craÍnte de l'avenir, dit Barillon,
quoiqu'il fut de l'avis commun.


11 y avoit une foule innombrable de peupleautour de
Withehall et dans les rues adjacentes. POUl' éviter
tout désordre populaire, on transféra les Éveques
par eau a la Tour. Mais bientot les deux rives de' la
Tamise furent inondés des flots du peuple; et les
toits des maisons voisines se trouvoient surchargés
d'avides spectateurs. A I'aspe.ct des Éveques, les ac ..
c1amations, les gémissements, les prieres s'élevent
dans les airs. A mesure que la barque s'avance, tout
le peuple se précipite a genoux. Les soldats meme
de la garde imitent cet exemple et demandent la
bénédiction de ces Pontifes comme a des martyrs.
Les prisonniers arrivent enfin a la Tour. Au moment
ou ils débarquent, la cloche annon<;;oit le service du
soir; le peuple entroit en foule dans la chapelle: eux-
memes se rendent a l'Église, dit un historien, et
viennent rendre graces a Dieu pour la cause duquel
ils croyoient souffrir. Si jamais il se manifesta chez
une nation le symptome d'une l'pvolution accom-




EN A.NGLETERRE. 455
plie déja dan!; les creurs, ce fut dans eette journée.


Quand une grande faute a été eornmise, personne
ne veut l'avoir conseillée. Le Roí déclare lui-rnerne
dans ses Mémoires, qu'il auroit bien voulu pouvoir
se dispenser d'envoyer les Éveques a la Tour, « pour
« ne pas,» dit-il, « augmenter la fermentation déja
« extreme. 11 songea aussí, » poursuit - il, (e qu'il ne
« falloit pas trop exiger de l' obéissance du peuple,
« quand ses chefs eux-rnemes se montroient si ré-
« fractaíres et si pres d'oublier leur ancienne doc-
« trine de non résistance. Il est certain qu'un Prince
« ne doit pas seulement s'attacher a ce quí est légal,
« rnais encore a ce quí peut etre dicté par la pru-
( dence; et Sa Majesté n'en douta plus, quand elle
c( fut délivrée des vils flatteurs qui fermoient ses yeux
(e a la lumiere. Ce fut quand le voile fut déchiré,
« qu'elle reconnut combien le conseil qu'on lui avoit
« donné avoit été funeste. ))


De qui provenoit ce funeste conseil, et quels
étoient ces vils flatteurs? En destituant touts les
juges doués d'une conscience qu'il trouvoit trop
indocile, Jacques 11 en avoit trouvé d'autres qui
prenoient ses volontés pour regle de leurs décisions.
Consultés, iIs furent d'avis que les Éveques méri-
toient une punition .exemplaire; que cette punition
pouvoit ne pas se borner a la suspension, au sé-
questre des revenus, et a de fortes amen des , mais
s'élever jusqu'a la déposition; que leur déclaration




456 RÉVOLUTION DE 1688,
contre le pouvoir de dispenser des loís, étoit en soi
un crime contre le Gouvernement. « Les Éveques,»
disoient les J urisconsultes, (e sont criminels, surtout
pour avoir allégué faussement que le Parlement avoit
déclaré illégal le pou voir de dispenser des lois. Il
n'y a sur cela que des résolutions de la Chambre
des Communes, résolutions nulles quand le Parle-
ment est prorogé OU dissous. Autrement, iI fau-
droit done regarder comme actes du Parlement les
deux bilIs· d'exclusion portés contre le duc d'York,
maintenant Roi, sous le regne de Charles II, son
frere. »


Tels étoient les arguments des Jurisconsultes, et
en particulier de Lob, célebre parmi les Non-Confor-
mistes. Mais id, on se dissimuloit imprudemment
et de pIein gré que le fait de présenter une requete
au Roí, loin d'etre un crime, étoit au contraire un
droit légal. Cependant, ces raisons parurent déter-
miner J acques 11 a envoyer les signataires de la re-
quete a la Tour; et si le Roi dit formeilement que
Jefferyes lui en donna le conseil, touts les historÍens
sont d'accord sur ce faÍt, qu'il tacha de l'en détour-
ner. Le P. Piter refusa de signer l'ordre, comme
pretre, dit Barillon, et ~'en excusa, dit Jacques II,
pour obéir aux ordres personnels du Roi. Mais le
P. Piter triomphoit de cette rupture éclatante, pro-
noncée enfin entre le Roi et I'Église anglicane;
et si }' on en croit les historiens du parti con-




EN ANGLETERRE.


traire 1, illaissa échapper, dan s l'exct~s de son trans-
port, une expression qu'il est difficile de repro-
duire: « Qu'on nous laisse faire désormais, )} disoit-
iI, « nous saurons bien faire manger leur propre
« ordure a ces insolents hérétiques.» Ce transport est
absolument incroyable, quoique Barillon écrivlt lui-
meme ces paroles, immédiatement apres la décision
du Roí: « Il y a des gens qui croient que c'est une occa-
« sion pour en venir auxextrémités de part etd'autre.»


Les Prélats étoient entrés a la Tour le soir du
18 juin. Le lendemain samedi, veille de ]a Trinité,
la Reine voulut" absolument aller coucher a Saint-
James. Le 20, Barillon écrivit a Louis XIV une
lettre datée de 1 I heures du matin. « La Reine d'An-
« gleterre,») dit-il, « vient d'accoucher, il Y a une
« heure, d'un Prince qui se porte fort bien. Ceux qui
« l'ont vu, m'ont dit qu'il est fort bien formé etassez
c( grand. J'ai eu l'honneur de voir le Roi d'Angle-
« terre, qui m'a dit en m'embrassant que le prince
« de Galles seroit autant serviteur de Votre Majesté
« qu'ill' est lui-meme. » Le lendemain il écrivoit en-
core: « Je l'ai vu et considéré. Il parolt grand, bien
« formé et beau. Toutes les apparences sont que la
{( Reine étoit grosse de neuf mois complets. Le Con-
« seil, ou du moins les principaux, étoient dans la
« chambre quand elle accoucha. La Reine douairiere


1 Mém. de BurneL




458 RÉVOLUTION DE 1688,
(c venoit d'y arriver. Madame la princesse de Dane-
« mark n'y étoit pas; elle est aux bains. » 11ans la
meme lettre, et apres avoir rendu compte de l'af-
faire des Éveques, il ajoute: « La naissance du prince
« de Galles peut apporter un changement considé-
« rabIe et fortifier le partí de la royauté. Les fac-
( tieux cependant croient etre en plus grande né-
« cessité de s'opposer aux desseins de Sa Majpsté
« Britannique, et ceja peut hater l'exécution de ce
ce qu'ils veulent entreprendre ..... Quand le prince
« de Galles sera baptisé en cérémonie, le Pape sera
« parrain avec la Reine douairiere. Quoiqu'il pa-
c( roisse bien formé et assez grand, iI y a des gens
( qui soutienilent qu'il n'est pas venu a terme. On
« ln'a meme assuré qu'il n'a point crié depuis qu'il
« est au monde. »


On n'attendoit généraJement, et meme a la Cour,
les couches de la Reine qu'un mois apreso Ce trans-
port. subit a Saint-James, l'accouchement survenu
le Iendemain, a l'heure meme ou les dames protes-
tantes se trouvoient a l' office, l'absence de la prin-
cesse de Danemark, un fatal concours de circons-
tances qui pouvoient, quoique naturelles, se preter
a des conjectures odieuses, dans des temps de haines
politiques, firent jeter cOIllme un cri universel d'in-
crédulité, au moins dans le partí qui avoit le plus a
redouter la naissance d'un prince de Galles. On
yerra bientot a quels exces cet événement, dont se




EN ANGLETERRE. 459
réjouissoient si vivement le Roi et les Catholiques,
devoit donner lieu. L'impartialité de l'histoire doit
exposer les faits tels que les ont rapportés sueces-
sivement les témoins qui ne peuvent etre suspeets.
Voiei done la suite des leUres de Rarillon pendant
la grossesse de la Reine, jusqu'a sa délivranee.


On a déja vu a la date du 8 janvier quels symp-
tomes annon~oient que la Reine n'étoit plus grosse,
et cornment le doeteur Walgraff calma les inquié-
tudes du Roí et de la Cour. Cette cireonstance est
l'ernarquable, paree que l':l faction d'Orange prétendit
que réellement la Reine s'étoit blessée.


« Hier, 25 janvier, prieres publiques dans les
{c Églises Catholiques et Protestantes pour l'heureux
ce succes de la grossesse de la Reine.


c( On a eu beaueoup d'inquiétudes pour la santé
{( de la Reine d'Angleterre. Elle al1a jeudi faire ses
t( dévotions a Saint-James, et en revint avec un mal
« de reins et des douleurs qui faisoient craindre
« qu'elle n'aeeouehat. Les rnédecins assurent que tout
(c le péril est passé. Elle n'est pas encore tout a fait
ce rétablie en l'état ou elle doit etre. Il faut encore
ce quelques jours pour en etre pleinement assuré. »
(Barillon. Lettre du 25 avril. )


ce La reine d' Angleterre est en fort oonne santé.
« Elle garde encore le lit. C' est une précaution que
-ce I'on croit nécessaire jusqu'au neuvieme ,lour, qui
« sera demain. » (Id. 29 avril. )




460 RivOLUTION DE 1688,
« La Reine a été saignée par précaution. Elle est


« en tres-bonne santé. » (Id. 10 mai.)
« Depuis hier, la Reine a des douleurs qui ont


« fait eraindre qu'elle n'aecouehat. On ]a eroit dans
« le huitieme mois. Elle est mieux aujourd'hui. Les
(( médeeins assurent que le danger est passé. C' est
« un pareil aeeident que eelui quí arriva il y a un
mois. » (Id. 20 nzai.)


Il faut remarquer ici que si la Reine étoit grosse
du 16 oetobre, a son retour de Bath, elle entroit
réellement dans le huitieme mois de sa grossesse,
eomme le dit Barillon, qui n'éerivit plus a eette oe-
easion que pour annoneer l'aceouehement arrivé un
mois apres eette lettn~.


La naissanee d'un Prinee enlevoit au partí de
l'Église Anglieane l' espéranee de voÍr sueeéder a la
Couronne le prinee et la pl'ineesse d'Orange, espé-
ranee qui faisoit supporter avee moins d'impatienee
toutes les entreprises que formoit Jaeques 11 pour
l'établissement de la Religion Catholique. Cet évé-
nement qui survint si préeisément au milieu du
trouble inexprimable qu'avoit jeté l'emprisonnement
des Éveques dans tóuts les esprits, heurta d'une ma-
niere violente les passions déja si émues, et jeta la
N ation et le Roi dans la plus singuliere situation
que l'histoire puisse rappeler au souvenir : situation
eependant qui offroit tout a la foís un moment dé:
cisif a Ja prudenee eomme a l'amhition. La prudell(~('




EN ANGLETERRE.


pouvoit le saisir habilement, et alors le Roi sortoit
avec gloire d'un périlleux défilé, ou il sembloit ne
pouvoir ni avancer ni reculer. Une amnistie géné-
rale eut ouvert les portes de la Tour aux Éveques,
et tourné vers la confianc~, peut - etre a l'enthou-
siasme, des passions irrésolues encore entre la con-
sternation et la fureur. Le conseil en {ut donné et
vainement douné. Le Roi convient lui-meme qu'ille
rejeta 1 ; (e et quoiqu'il eut cédé a des avis contraires,
(e il se repentit de ce qu'il ayoít fait, commen~ant
« des ce moment, » dit-il, « a percer le voile que
« tenoient devant ses yeux les gens qui le menoient
(e vers le précipice.» L'obstination de Jacques II
ayant perdu le moment unique d'assurer son trone
au milieu de la tempete, ce fut l'ambition du prince
d'Orange qui sut le saisir.


Au jour d'assises indiqué, 1'archeveque de Can-
torbery et les six Éveques furent transférés de la
Tour a la salle de Westminster, devant la cour du
banc du Roi. J~e concours du peuple étoit immense;
un grand nombre de Pairs assistoit a l'audience, au-
pres des juges, pour marquer publiquement qu'ils
soutelloient la cause des Éveques. Les Pairs ont
droit de ,séance a ceUe cour de justice, mais ils ne
donnent pas leur voix. L'affaire fut agitée sous le
rapport de la compétence. Les avocats des Éveques




RÉVOLUTION DE 1688,
soutinrent que l'emprisonnement de ces Prélats étoit
illégal. Mais le tribunal décida autrement et renvoya
la cause a quinzaine. Ce point décidé, les Éveques
donnerent caution de se représenter et se retirerent
chez eux en liberté. C'étoit reconnoitre la jurisdic-
tion de ce tribunal qu'ils avoient méconnue devant
le Conseil.


Au moment ou ils étoient sortis de la Tour, le
peuple s'étoit mis a genoux; quand ils furent sortis
de Westminster, de nombreux· fellx de joie s'allu~
merent dans Londres, au milieu des accIamations
les plus vives. Ces démonstrations formoient-un con-
traste non équivoque avec ce qui arriva deux jours
apreso La COllr avoit ordonné des prieres publiques
en actions de graces de la naissance d'un Prince, et
1'0n préparoit des feux d'artifice aupres de Withe-
Hall pour exciter la joie publique. Le peuple, tou-
jours crédule et avide des absur~ités les plus gros-
sieres, s'imagina que la Cour vouloit bomharder la
viBe pour la punir des feux allumés en l'honneur des
Éveques. Cependant la "iBe ne fut point homhardée;
mais le del étoit chargé de nuages, et les feux d'ar-
tifices se melant au feu des éclairs, alors c'étoit le
ciel irrité qui manifestoit sa colere contre rimpos-
ture. Le peuple nommoit ainsi la naissance du Prince
de Galles.


L' Angleterre attendoit maintenant dans une pé-
nible anxiété l'issue du prod~s des Éveques, et le Roi




EN ANGLETERRE. 463
se montroit déeidé a la rigueu!', tandis que les Éve-
~ ques, soutenus par la majorité de la Nation, se pro-


mettoient de ne ehanger ni de langage ni de e~n­
duite. Vingt-six vaisseaux étoient envoyés aux Dunes,
quoique Jaeques II parut ne rien eraindre de la
flotte hollandoise, au moins pour eette année. Il
avoit publié l'offre que Louis XIV lui faisoit d'une
escadre, et il promettoit a Barillon de res ter uni
étroitement a la Franee. De son coté, Sunderland,
qui avoit proposé le parti de la doueeur envers les
Éveques, soutenoit maintenant, comme habile ,ni-
nistre et ban caurtisan, disoit Barillon, les résolu-
tions prises par le Roi. Il alla plus loin, voulant
donner un gage irréeusable de sa fidélité a Jaeques 11,
et enlever tout prélexte aux Catholiques de la Cour,
qui déja l'aecusoient d'intelligenee avee le prin<~e
d'Orang'e. Sunderland se déclara ouvertement Ca-
tholique. C'étoit deux jours avant la seeonde eom-
parution qui alloit se faire des Éveques au hane du
Roi. SunderIand étoit-il.sineere? Il est diffieile de le
eroire. Que vouloit-il done? Certes, il n' espéroit pas
se rendre agréable a I'Opposition et au prillee a'o-
range. « Malgré la naissanee d'un prinee de Gal1es, »
disoit Barillon, « iI eonnolt bien que e' est heaucoup
« hasarder pour l'avenir que de se déclarer Catho-
« lique, clans un pays ou les lois faites eontre eux sub·
(e sistent toujours. Mais il a eru ~ eette déclara-
« tion, premierement a sa con se. , ayant depuis




nÉVOLllTION DE J 688,
« long - temps été persuadé que la seu le véritable
« Religion étoit la Religion Catholique; et, outre
« cette considération qui a dli etl'e la plus forte, il
( a vonlu fermer la bouche a ses ennemis ( ceux qui
«( l'accusoient d'intelligence avec le prince d'Orange ).
« Il n'a point fait de nouvelle abjuration de l'hérésie,
« l'ayant faite il y a plus d'un an, entre les mains
« du P. Piter. »


Tont changement de Religion, auquel se trouvent
liés étroitement de grands intérets, n'est que trop
justement soup<;onné. Le Centurion qui, dans les
Légions romaines, jetoit son houclier en s'écriant,
le suis Chrétien, se dévouoit a une mort certaine,
qui déposoit de sa conviction. Mais de nos jours,
on croit difficilement aux abjurations que les hon-
neurs ou la fortune accompagnent. Il faut avouer
cependant que les Églises Protestantes ont décidé,
au moins ponr les Princes, que la Religion Catho-
lique n'étoit pas un obstacle au salut éternel. Les
seuls Catholiques n'admeUent pas et ne peuvent ad-
mettre ces condescendances, car leur foi seroit dé-
risoire. Comment dire en effet que la foi est et n'est
pas la vérité? Quoi qu'il en soit, Sunderland se dé-
clara Catholique, et cela au moment ou il pouvoit
difficilement s'abuser sur la situation de I'Angleterre.
Si eette démarehe ne prouve pas qu'alors il n'avoit
rien de commtllJvec les intérets du Prince d'O-
range, iI faut r1lLnnoltre en lui un raffinement de




EN A NGLETlmRE. 1¡6J
perfidie ,qui surpasse toute croyance. Mais elle peut
s'expliquer naturellement. Sunderland ~ pour s'atta-
cher le P. Piter, defi le commencement du regne de
J acques II, luí avoit promis de faire disgracier le
cQmte de Rochester. Touts deux avoient conjuré 5a
perte : l'un, paree qu'il voyoit en Rochester l'onde
de. la princesse d'Orange et le protecteur des inté-
rets de l'Église Anglicane; l'autre, paree que le cré-
(lit et les services de Hochester nuisoient a son am-
biÚond'etre ,lui seul en possession du pouvoir. Le
P. Piter avoit la meme ambition sans doute; mais
que d'espaee ii avoit a franchir, lui, d'un institut
proscrit par les lois! 11 n'avoit pu revetir encore ni
l'Épiseopat, ni la pourpre romail1e, objet, de ses
convoitises 1 mais iI siégeoit déja au Conseil dü
Royalime. Sunderland qui avoit secretemellt empe-
(~hé l'un et I'autre, ne pouvoit long -: temps lutter
eontre luí, surtout s'íl restoít Protestant, apJ:e~'avoir
précipité Roehester, paree q:ue, Roehesfer s' étoit re~
fusé- a devenir Catholique.Un héritier Catholique
étoit né contre toute espérance; Jecomte deSunder-
land devoit choisir ou la Re.Jigion des Éveques re-
beHes, ou ceBe du H .. Piter; il lui falloi.tdu pouvoir
en bravant le eíel et la terr.e: Sunder:land n'hésita
phlS; et JI se raSSllra. sans; :dOl,)te snrlafortune :de
Jacques IT, en eonsidérant ¡J:intéret bicll; ¡entendu de
la "France. Mais le B.oi fut ra'vi 'decettedémarche
d'éclat dans un tel mOJnent, <>t déjail indiquoit les


" H. ,)0




466 RÉVOLUTION DE 1688,
hauts dignitaires qui devoient suivre cet exemple, s?ils
vouloient conserver leurs emplois a la Cour. Quant
au partí des Catholiques exaltés, ils s'abandon-
noient d'autant plus vivement nu reve de leurs vastes
espérances, que le prince d'Orange venoit d'envoyer
extraordinairement complimenter le Roi etla Reine
sur la naissance de leur fils. Cette reconnoissance
authentique avoit comme soudainement abattu l'es-
sor de son parti en Angleterre; et la Cour, avec sa
jactance ordinaire, disoit que Guillaume s'étoit ré-
signé a envoyer un compliment, ne pouvant envoyer
Ulle arrnée. Cependant Guillaume ber~oit la Cour
sur un ablme qu'elle ne voyoit paso


Le 8 juillet arrive en fin , et les Éveques se ren-
dent au tribunal. Le peuple, réuni autour de West-
minster ponl' attendre l'évenement, formoit le ras-
semblernent le plus nombreux que I'on eut jamais
vu depuis la guerre civile. Ses acclamations cha-
leureuses saluerentles accusés, qui exhortoient cette
multitúde a nlndérer ses tt'ansports. Vingt-neuf Pairs
séculiers, plusieurs Députés des Cornmunes et un
grand nombre de personnes de haute distinction
leur servoient de cortége, quand ils entrerent dans
]a salle; en un mot, les théologiens, et les femmes
du premier rang, les Torys Protestants comme les
Whigs, tOllts disputoient de ze~e a témoigner Ieur
~ntéret passionné a cette i·Jlu~tre cause. Enf.in l'au-
diencf' f'st ouverte.




EN ANGLETERRE.


Sur quoi portoit l'accusation, puisqu'elle ét~¡t
portée devant un tribunal régulier? e' est ici que .1.a
forme de ce proces montre eombien le Gouverne-
luent se trouvoit embarrassé sur le fonds. Présenter
une requete au Parlement ou au Roi, e'étoit le droit
eommun du royaume; les Éveque~ ne pouvoient done
etre eités en justice pour avoir présenté une requete
au Roj. Exprimer dans cette requete les motifs de
leur refus de publier le nouvel édit de eonseienee,
ne pouvoit etre légalement une cause d'accusation,
puisque cet édit de conseienee étoit virtuellement eon-
tradietoire avee les lois établies sur la Religion. C'é-
toit done uniquement sur tout ce qui se trouvoit
extérieur a la substanee meme de la requete qu'il
étoit possible 1 par un artificieux détour, d'attaquer
légalement les Éveques. 01', leur requete avoit été
imprimée: ce faÍt donna líen a une aeeusation pour
libelle séditieu:c. Ainsi 00 revenoit par la forme
au fonds meme de la ehose, qui étoit la requete, c'est-
a-dire, l' opposition des Éveques.


l/affaire étant a(nsi dirigée sur la forme légale,
par les Avocats du Roi, eeux des Éveques se retran-
cherent aussi sur la forme légale.


D'abord, ils établirent qu'il n'existoit pas de
preuve sllffisante pour établir jllrid~quement leJait
de la présentation de la rf'quete, et le fait de cette
présentation par les Éveques accusés. 01', ceUe preuve
juridique étoit nécessaire pou!' constater le corps du


30.




468 lU~VOLl]TION DE 16HH,
l1f.l¡i~,.et arriver a l'aecusalion d'avoir fait et publii:
nln i/ibelle, scandaleuLT et lendant ti la sédition.
"~o Ensuitc, ils établirent que le fait de 'la présenta-


tiOil de la requete, une foís constaté juridiquement,
iI falloit pronvcL', de la m~me manierp. que la re-
q.uete avoit ét~ publiée du fait meme des (\ccnsrs.Or,
rAl'~heveque de Cantorbéry l'avoit écriu-> de sa propre
main, afin que le Roi seul en t'lit dépositaire ~ ce
qu'il avoit formellement déclal'é ({pvant le Conseil.
Enfin, ils arrÍverent a eette conclusion , que trans-
gres~er les formes établies pou!' eonstatet' la culpabi-
lité~ ce seroit déclarei' ,t--udroit que présentér' llÍ1e
l-eqmhe au Roi, c'éloitpubliel' un libelle.
,;' Le solliciteur généra:line s'étoit pas prépuré a ces
discussions préjudicielles. :Cepclldant il erut pouvoil'
prouvel' immécliateln'ent le f~lÍt de la requete présen-
tée,.en faisantcitm'., avec le eomtp de Sunderland, qUl
avoj.til introduit .1es1lveques :dans le· cabinet do. Roi,
queIques autres' personiH;es qui se trouvoient présentes
a leur introduction et· ia leu!' sortie .


. Ces dépositions, prouvoient bí€'11 que. les Éveques
avoient été admis: a ,l'audience du Roi, pour pré-
senter une requete a. Sa Majesté; mais elles ne prou-
voieut pas, dans le sens légal, qu'ils eussent pré-
sen té telle requéte, 'ni que. eette requete fut deven He
publique, de 'leut' faíl': condition néeessaire -pour
que la requete futconsidérée l(~galement eomme
libelle seandaleux et tendant á la sédition.




EN 11 NGLETFH HE.


L('s COllSt!íls des ÉVl~ques, ¡lU nombre de cinq ~
étoít'llt les plus savants jUl'isconsultcs de l'Angleterre,
le chevalier Sawyer, le chevalier Pembertoll, Po-
lexfen, Tréby et SOlllmCl'S. Ce derllier dut sa fOl'-
tuue a la grande l'éputatioll que luí donna céUe
lllémorable cause. La faveu!' populaire étoit ponr
CU~, et les Avocats du Roi, qui avoient déja fléchi
sur les questions préjudicielles, ne furent pas plus
heureux, quand ils eurent a soutenir le combat sur
le fonds meme de la l'equete, c'est-a-dil'e, sur la
([Uestioll du pouvoir dispensatif.


« Il semble, » dit l'ambassadeur de France, « qu'il
l( y ait eu COlllllle une épreuve des forces des deux
« partís, et que celui du peuple ait été entiere-
IC mellt suppríeur a celui de la Royauté. Les Avo-
({ cats des Éveques prirent l'occasion qui leur (~toit
« oflerte d'agiter la questioll du pouvoir de dispcll-
( ser. Ils soutinrellt que ce pouvoir ne peut jamais
« etl'C accordé au Roi, sans renverser toutes les leis
« et la. forme du Gouvernement établi, qui nesull-
« siste plus si les lois peuvent etre suspendues pal'
(e un autre pouvoir que celui qui les a faites, c'est-
« a-dire, le Parlement. Cela re<,?utun applaudissement
C( universel et heaucoup d~acclamations. Ceux qni pou-
« voient parler pour la prérogative royale n'étoient
« pas préparés a répondre, et ne réfuterent pas suffi-
« sauuucllL les raiSOllS avallcél's par les plus savants
(C juriscommltes d'Augldel'1'c <fui leur ~LoienL opposés.»




RÉVOLUTION DE 1688,
. Le Solliciteur et l' A ttorney général (le Ministere


public) s'étoient vus forcés de soutenir que la re-
quete des Éveques étoit un libelle scandaleux et ten-
dant a la sédition.


¡Les Conseils des accusés répondirent, sur le fonds
et sur la forme, que les Éveques, en qua.lité de
Pairs du royaume, avoient le droit de donner des
conseils au Roi; que la loi perrnettoit a touts les
sujets de Sa Majesté de lui présenter des pétitions
sur leurs griefs, pourvu qu'ils se renfermassent
dans les justes limites posées par la loi merne, et
les Prélats ne s'en étoient pas écartés; que jamais,
dans les choses qui touchent la conscience, on
n'a prétendu que l'obéissance active ftIt un devoir
envers le Gouvernement; que si un particulier
recevoit des ordres auxquels sa conscience ne luí
perrnit pas d'obéir, il étoit plus respectueux d'ex-
poser les raisoIls de son refus que de garder un
silence opiniatre et réfractaire. Si jamais on n'a
regardé cornme une violation du devoir clans les
sujets, d'exposer leurs sentiments sur les affaires
publiques, sans etre expressément consultés, com-
ment feroit-on ce reproche aux accusés? lcí, non-
seulement ils étoient consultés, mais ils se trouvoient
obligés d'exprimer ou leur approbation par l'obéis-
sanee, ou leur désaveu par une requetc respec-
tueuse. Comme Prélats, ils sont chargés de V{'iller
a la Religion confiée a leurs soins? Nier la prérogative




EN ANGLET ERRE.


de dispenser des lois, dans une monarchie limitée
par les lois, ne peut etre un acte de séditioIl ou de
rébellion. Jamais l'opposition a cette prérogative,
dans les tribunaux et dans les deux Chambres,
n'a été incriminée. La requete ne peut done etre
séditieuse; et d'ailleurs, ce n'est point au peuple,
mais au Roí et au Roí seul, qu'ils ont présenté Ieurs
gríefs; ni fausse, la matiere en est vraie; ni ma-
ligne, car ils n'en ont pas cherché l'occasion, ([ni
est venue malgré eux. Seroit-ce enfin un libelle? On
ne peut donner ce nom a une requete que tout An-
glois a le droit de présenter a son Roi, ni a celle-
ci en particulier. Les accusés l'ont présentée avec
tant de secret, que leur aveu seul devant le Conseil
a pu faire établir la preuve légale qu'ils l'avoient pré-
sentée. La publicité qu'elle a rec;ue peut encore moins
leur etre imputée. L'Archeveque l'ayant écrite lui
seul et de sa main, les Éveques n'ont pu en donner
de copie, et l' on n' a pas meme entrepris de prou ver
qu'ils eussent eu la moindre part a cette pMblication.)\


Enfin, suivant la coutume, chacun des quatre
juges explique aux jurés ce qui a été dit pour et
contre: un long et savant débat s'éleve entre eux sur
la question de la culpabilité, c'est-a-dire sur le pou-
VOil' de dispenser. Toute la cause étoit la. Si ce pou-
voir étoit réellement dan s la personne du Roi, la
désobéissance des Éveques étoit coupable. Le Lord
Chef de justicc et le juge Allybone se déclarerent




RÉVOLUTION J)J:.~ J 6S~,
pour le droit de dispenser; les juges Powel et 1-101-
loway, cOlltre. Ce partage des juges se reproduisit
dans les jurés. Sept se déclarent pour la culpabi-
lité; einq pronoueent une déclaration eontraÍre.
N'ayallt pu s'aeeorder pour former un werdict, e'est-
a-dire, une décision, ils resterent réunis pendant dix
heures, et ce fut le lendemain seulement qu'ils vin-
rent prononcel' les mots attendus avec tant d'ímpa-
tience : Non, les accusés ne sont pas coupables ~


Alors un crÍ de joie s'éleve dans la salle de West-
minster, auquel répondent comme un bruit de tOl1_
nerre les acclamations de la multitude qui avoit
campé toute la Huit au dehors. Les acclamations se
propagent dans touts les quartiers de la ville, et
hientot de hameaux en hameaux, jusqu'a la Bruyere
de Hounslow. La, saisie du meme transport, l'a1'-
mée fait aussi entendre ses bruyants applaudisse-
ments. Le Roi se trouvoit alors a d'inel' dans la
tente du Général, lord Feversham. « Quel est ce
« bruit?» dit le Roi. Fevel'sham sort pour en ap-
prendre la cause. « Ce n' est ríen,» dit le Général,
en rentrant. c( Ce sont les soldats quí applaudissent
a l'acquittement des Éveques.}) - « Rien! » dit le
Roi. « Vous appelez cela rien! » Et il sortit du camp,
lui-meme violemment agité.


Cependant les Éveques étoient sortis de West-
minster comme en triomph(', au milieu du peuple
plÍvré. La foule tomboit partont a genonx sur leur




EN ANGLETmUU:.


passage. Cardez votre Religion, disoiellt les Éve-
<lues. C'étoit comme le cri jadis si fatal a Charles ler:
A vos lentes, Israel. Le 80ir, et malgré les édits
qui défendoient, sous des peines séveres, tout ras-
semblement, il yeut des feux allumés, et toutes'les
démonstrations d'un peuple ému qui a le pl'essen-
timent OH la conviction que le pouvoir supreme est
vamcu. L'outrage le plus sensible au Roi fut de
n'avoir pu empecher que l'effigie du Pape ne fut
brulée au milieu de ces dangereuses saturnales.
« Il seroit difficile et peut-etre périlIeux,» dit Ba-
rilIon, « de poursuivre et de punir toute une popu-
« lace; mais il se réserve d'agir contre les chefs a
« l'occasion. Les deux juges qui out voté pour les
« Éveques seront destitués, mais apres le tel'rne des
« aSSlses. »


Le Roi dit daos ses Mémoires 1 que « les deux
« juges Powel et Holloway, qui avoient sí publique-
« ment atta qué le pouvoir de dispeuser des loís,


" , d' « n eprouverent aucune marque e son meconten-
«( tement. On lui avoit dit, )J poursuit~il, « que les
«( Éveques s' étoient rendus coupables; iI les avoit en
({ conséquence renvoyés a la loi; et quand la loi les
« eut acquittés, le Roi fut satisfait. ») Il raconte
aussi, quelques pages apres, qu'a l'égard des Éve-
que s , il ne se borna pas a les admettre, comme


I Tom. 111, p. 23B.




RÉVOLUTJON DE 1688,
auparavant, en sa présence, et qu'il prit me me leur
conseil sur la restitution des chartes et sur les autres
moyens de donner satisfaction au publico Le Roí
s'est trompé certainement dans ses souvenirs; car
les deux juges furent révoqués dix jours apres le
jugement des Éveques; et, dans le meme temps, il
chargea la Commission ecclésiastique de poursuivre
touts les Éveques et les Curés qui n'avoient pas
voulu publier l'édit de conscience. « Ceux qui ont
« obéi,) dit Barillon, « et le nombre est fort mé-
(C diocre, seront loués et récompensés dans Jes occa-
~l sions. Les autres seront assignés selon le bon plai-
(c sir de Sa Majesté. On croit a la Cour que cela tien-
« dra en inquiétude et en sujétion un fort grand
« nombre d'Éveques et de Curés qui craindront,
) chacun en leur particulier, d'etre attaqués et pour-
( suivis devant des juges qui ne leur ferout pas de
« quartier. ») Mais il en arriva pOUl" les ecclésias-
tiques réfractaires comme pour diverses personnes
qui furent traduites en jugement, au sujet des feux
de joie et des insultes faites a l'effigie du Pape le
10 juillet. Les jurés prononcerent l'acquittement de
celles-ci. Quant aux ecclésiastiques, l'Éveque de
Rochester se retira de la Commission dont il étoit
membre, et la Commission n'osa plus se- l'éunir.


Le Roi ne pouvoit plus se dissimuler combien son
pouvoir se trouvoit déchu. Il se 1I10ntra d'abord
comme inébranlable .dan:; la pounmitc de ses dcs-




EN ANGLETERRE.


sems en faveur des Catholiques; i1 avouoit seu le-
ment que l'affaire des Éveques avoit été mal con-
duite. Bientot iI reconnut qu'avant d'allel' plus loin
il falloit au moins laisser refroidir le premier feu du
peuple. JI disoit toujours que le Parlement seroit
convoqué pour l'époque promise dan s l'édit de con-
science; mais iI ajoutoit qu'iI falloit attendre le re-
tour et le rapport des commissaires envoyés dans
les provinces pour agir Sul' les communautés et les
corporations. D'ailleurs la santé du prince de Galles
étoit incertaine, et meme elle fut en péril. Ainsi,
tout a-Ia-fois honteux de reculer, et incapable d'a-
vancer, il prit des mesures qui tenoient également
du ressentiment et de la crainte. Les deux juges qui
s'étoient montrés favorables aux Évcques, furent
destitués, et iI les rempla~a par un Non-Confor-
miste et par un Anglican; mais il nomma aussi un
Catholique a la place d' AlIybone, sous pl'étexte
que celui-ci étoit trop vieux. 11 nomma encore trois
nouveaux membres du ConseiI: l'un étoit de la der-
niere Chambre des Communes; le second étoit le
colonel Titus, célebre parmi les N on-Conformistes;
le troisieme portoit un nom fameux parmi les répu-
hlicains. Son pere, qui avoit joué un des premiers
roles dans la révolution, avoit été décapité sons
Charles I1, apres l'amnistie de la restauration. En
un mot, ce nouveau conseiller étoit le fils du che-
valiel' V'allP. Ainsi le Roi sembloit chercher a mettre




niVOLUTION VE 1688,
dans son Conseil des l't'présentants de toutes les
factions : le P. Piter, pOU!' les Catholiqnes; le eolo-
nel Titus, pour les Non-Conformistes; le fils du
chevaliel' Vane, pour les Républicains. En appelall t
ainsi auto nI' de lui des hommes que lui reeomman-
doit leur haine pour l'Épiscopat anglican, devoit-il,
pouvoit-il croire qu'il en faisoit des amis a la supré-
matie de l'Église romaine, qui ne leur étoit pas
Uloins odieuse? .A l' égard de la France, il sembloit
éluder ses dernieres propositions, comme s'il eíh
cl'aintde donner ouvertement un prétexte auxÉtats-
Généraux et au prince d'Orange d'envoyer des vais-
seaux sur les cotes d'Angleterre. Il répondoit tou-
jours a l' Ambassadeur de Louis XIV qu'il n'avoit
ríen a redouter de la Hollande; que le Prince np
pouvoit rien entrepreudre, ou qu'il ne seroit pas
efficacement soutenu, malgré la chaleur du peuple.
Cependallt, ni l'armée, ni la fIotte, ni le peuple , ni
les grands corps de I'État, ni la Cour de Rome, ni


, la situation actuelle de l'Europe, ne pouvoient l' en-
tretenir dans eette apparentc sécurité. Son ministre
de Hollande lui prodiguoit les avis les plus alarmants
sur les préparatifs du prince d'Orange, etLouis XIV
ne lui épargnoit plus les avertissements salutaires.


Se croyant bien assurt' que le cardinal de Furs-
temberg seroit élu areheveque de Cologne,Louis XIV,
pOUl' <{ui cette élection étoit tres-importante, venoit
de f~úre cl(.clan'l' aux Élats-(;éllél'aux qut" si le~;




Etats voisms de ce! ltlectorat laissoient le Chapitre
dans une entiere liberté de procéder 'canoniquement
a la llomination du nouvel Archeveque, ilne feroit
(le son coté aueUDe démarche, aucunm'ouvement
qui píh donner de l'ombrage aux amis de la paix
génerale; mais que, si ron faisoit marcher des
troupes vers cet ltlectorat, que1qu'en fut le pré-
tc}).te, i1 ne refu:'icroit pas 'au Chapitre touts les se-
cúurs dont il auroit besoin pour la liberté des suf2
frages et la sureté du pays. Il s'empressa de donnf'r
cet avis au Roi d'Angleterre, qui alors étoit fort oc-
cupé de la requete de ses Éveques.


Les États-Généraux et le prince d'Orange n'a-
VOif'llt aueune vueparticuliere sur lesplaces de Co-
logne, et s~occupoient heaueoup plus desmoyens de
f¿tÍre nOlllmer un de leur::;; amis a l'Éveché de Mun-
ster. lIs ne craignoicnt point que Furstemberg, mt-:-
ilmeme ;élu, re~ut Tiuvestiture. Déja Éveque ;de
Strasbourg, 'le cardinal d~ Fursteq¡berg rie pouvoit,
d'apres, les lois, de l'Empire,etre pourvu d'ún autrf'
Évtkhé sans le consentement de I'Empereur qui ne
\iouloit pas ledonner; et de plus, il falloit; pour se
démettre de l'Éveché de Strasbourg, avoir un autre
consentement bien plus difficile encore, celui da
Pape. Louis XIV le sollicita vainementpar 'une
leUre écrite de sa propre maÍn. I .. e vieux Po n ti fe ,
toujours irrité ~ 11e voulut pas meme recevoil'l'En-.
voyé extraordinairc quí en éloil porteur. « Tant que




RÉVOLUTION DE 16H8,
(e l' Ambassadeur de France,» dit-il, « tranchera ici du
« petit souveraÍn, je n'aurai ríen de commun avec
«( son maltre. » En effet, iI favorisa ouvertement le
parti de l'Empereur dans cette éIection.


L'Emperel!r s'étoit assuré plusieurs voix en fa-
veur de l'Électeur Palatin; mais, voulant s'attacher
fortement I'Électeur de Baviere quí commen~oit a
prendre des ombrages contre le duc de Lorraine, il
lui 6t offrir de faire nommer le .yrinee Clément son
frere. Ce Prince n'avoit que dix-sept ans; il n'étoit
pas membre du Chapitre, et ne pouvoit etre élu
sans dispense de Rome : Rome aceol'da la dispense.
L'Empereur n'épargna aueune démarehe aupres du
Chapitre. Il promit aux Chanoines la jouissance du
temporel et de la principauté pendant les cinq an-
nées qu'il falloit encore au jeune Prince, pour eü
jouir lui-meme; et son J";inÍstre ne cessoit de leur
représenter le Cardinal comine un traitre et un
ennemi de l'Empíre. Cependant le Cardinal, qui
étoit Coadjuteur 1 avoit mis des garnisons dans
toutes les places fortes, el les Chanoines craignoient
qu'il ne les livrat a la France. Ils se prononcerent
pour lui, a lamajorité de treize voix eontl'e neuf.
Mais il lui falloit nécessairement les deux tiers des
suffrages. Ainsi le choix entre les deux compétiteurs
resta de droit déféré au Souverain Pontife.


Louis XIV sollicitoit fortement Jacques II, pou!'
qu'il se déclarftt en hlvcur elu Cardinal, allpres dn




:EN ANGLETERRE. 479
Pape. Mais Jacques Il, dont la rnédiation venoit déja
d'etre assez durernent rejetée entre le Pontife et la
France, ne fut pas plus heureux dans ses nouvelles
dé marches. « Le prince de Baviere, » disoi t Louis XIV
au B..oi d'Angleterre, « est encore enfant. Instrurnent
« de l'Autriche et du prince d'Orange, iI ne sera
« qu'un sujet de guerre; il se prononce d'ailleurs
(e fortement contre le projet de l'enchainer au sacer-
« doce. » La raison d'État prévalut aupres du Saint-
Pere, et le Chef de la Confédération protestante
I'emporta, au tribunal de B..ome, sur le Roí Tres-
Chrétíen et sur le Roi Défenseur de la Foi. L'Em-
pereur ratifia l'élection en faveur du prince Clé-
ment de Baviere, et le Pape la confirma. Quant au
cardinal de Furstemberg, iI ne réussit pas mieux
pour les autres Évechés et bénéfices du derníer
Électeul'. Munster et Hildesheim furent donnés a des
hommes dévoués a l'Empire, et le Doyen du Cha-
pit~e de Liége fut élu Éveque a l'unanimité.


J.'IN lIU TOJUF. SECONH.






TABLE DES MATIERES


DU TOME SECOND.


P"'Gl!S •


. Sommoi'.'e du Livre X, I685.-(Suite). 2
PRISE de Monmouth.-Salettre auRoi.-Son supplice.-


Exécutions sanglantes. - Kerke. - Jefferyes. - Réu-
nion du Parlement. -Négociations avec I'Ambassadeur
de France. - Traité avec I'Espagne.-Méeontentement
de la Cour de France. -État de l'Europe.


Somnzaire du Livre XI, I685.-(Suite). 4fl
Révocation de l'Édit de N antes. - Ses effets sur J acques n.


- Politique de Louis XIV avec l' Angleterre. - Poli-
lique incertaine de Jacques n. - Le P. Pi ter. -Par-
lement. - Les Communes demandent le renvoi des of-
ficiers Catholiques. - Ambassade aRome. - Liberté de
la presse unie a ceHe de la chaire.


Sommaire du Livre XII, 1686.
Uécision des Juges sur le pouvoir de dispenser des loís,


et affaire du Chevalier Hales.-Parlement d'Écosse.-
L'Irlande. -Projets sur I'Irlande. - Talbot, Duc de Tyr-
connel, Vice-Roi.


Sommaire du Livre XIII, I686.-(Suite). 116
Camp de Hounslow.- Chapenes Catholiques.-Rellgion-


naires fugitifs. - Nonee du Pape. - Souscriptions.-
Conseil seeret du Roí. -Opposition du Pape contre le
P. Piter. -Projets de convertir la Princesse de Dane-
rnark. - Haute Conr Ecc1ésiastique. - Proct~s de l'É-'


11. 3.




TABLE DES l\'lA.TllmES.


veque de Londres. - Comtesse de Dorchester. - In-
trigue contre le Comte de Rochester. - Traité avec la
France pour l' Amérique. - Armement subit. - Le
Prince d'Orange.-Inquiétudes des États-Généraux.


Sommaire du Li(Jre X1V, 1686- 1687' 158
Plan secret d'écarter de la succession le Prince d'Orange.-


Explication demandée par l' Amhassadeur des États-Gé-
néraux. - Intrigues et foiblesse du cabinet. - Proces du
Docteur Johnson.-Disgrace du Comte de Rochester, et
triomphe du parti Catholique. - Commencemellt de la
conjuration du Prince d'Orange. - Le parti Catholique
refuse toute conciliation avec le Princed'Orange.-Am-
bassade de Dykvelt en Angleterre, et du Marquis d' AI-
beville en Hollande. - Négociations du Marquis d' AI-
heville. - Négociations de Dykvelt.


Sommaire du Li(Jre Xv, 1687'
Suspension des Lois pénales. - Prorogation du Parle-


ment.-PropositiollS du Prinee d'Orange.-Confesseur
du Roi. -Lettres des Jésuites de Liége.-Départ de
Dykvelt. - Ligue concIue a Venise.-Treve de vingt
ans, entre la France et l'Empire. -Armements en An-
gleterre et en Hollande. - Affaire de I'Université de
Cambridge. - Affaire de I'Université d'Oxford.


202


Sommaire dlt Liwe XVI, 1687.-(Suite). 23S
Sacre du Nonce, eomme Archeveque d'Amasie.-Cour-


roux du Pape contre l' Ambassadeur d' Ang}('terr('. -
Jacques II demande pardon au Papc.-Fin de la mis-
sion de Dykvelt. - Derniercs tentatives dll Prince (['0-
range pOUl' une conciliation. - Il prend ses résolutions.
_ Irritation lllutuclle dll Hoi el des ~:tats-Gl;lIéraux.­
COlHluite dn Pl'inCl' (l'Ol'angl'. - lA' C;olllte Da\'au\




TABLE VES MATIERES.


soup~onne ses projets. - Conduite du RoL - Son al-
liance ave e les Sectaires. - Entrée solennelle du Nonce
du Pape. - Voyage du Roí. - Proposition pour l'in-
dépendance de l'Irlande, et pour une République en
Écosse. - Mot du Roi a Portsmouth. - Pélerinage a
Sainte-Hunifrede. - Dessein du Vice-Roi d'Irlanrle.


483
PAGES.


Sommaire du Lipre XVII, 1687' -(Suz'te). 2gn
Suite du voyagé du Roi. - Ses débats avee I'Université


d'Oxford. - Conduite du parti de I'Opposition. -Gros-
sesse de la Reine. - Conduite de la Cour pour les Élec-
tions._Inutilité de ses efforts.-Installation du Lord-
Maire. - Le P. Piter admis au Conseil d'État. -
Politique du Comte de SunderJand. - Négociations
avec la France pour l' Amérique. - Affaire de la Brigade
Angloise. -Mécontentement de Churchill et de la Prin-
cesse de Danemark. - Discussions ave e les États sur la
Compagnie des Indes. - Le Marquis d' Albeville re-
tourne auprcs des États. - Le Prince d'Orange établit
son parti en Anglcterre, et se prépare des alliances dans
toute l'Europe.


Sommaire du Livre XVIII, 1688. 336
État de I'Europe au commencement de 1688. - Circon-


stances toutes favorables an Prince d'Orange, et con-
traires a Ja~~ques n. - Ligue de V enise. - Mort de l'f:-
lecteur de Cologne.


Suitc de I'Ambassade du Marquis d' Albeville aupres des
États-Généraux.-Il s'engage envers la France a opérer
la ruptllre entrc les États et Jacques n. - Il rCf!uicrl
l'expulsion du Docteur Bumet. - Crédit de Burnet sur
la Princcsse d'Orange. - D' Albeville veut remIre ectte
Priucessc Catholique.


1 rrt:solntiou,; de Jaequcs n. -- Corl'espondance secrett'
31.
~


\




• ~" 1, i:\'
'. >_.


TA.BLI: DES MATd:RES.


avec le Grand-Pensionnaire. - Leltre de Stewart et ré-
ponse du Pensionnaire. - Le Roi compromiso - Éclat
de cette affaire.


Grossesse de la Reine, soup<;onnée de fausseté. - Négocia-
tions avec la France, au sujet des régiments Écossois el
Anglois au service de Hollande. - Poli tique menac,¡ante
et foible de Jacques II envers les États-Généraux, qui
se préparent a la guerreo - Conduite habile du Prince
d'Orange.


PAUF.S.


Sommaire du Livre XIX, I688.-(Suite). 381-
Imprudentes négociations avec les États-Généraux.-Pro-


vocations a la guerreo - Rappel de la Brigade Angloise,
el refus des États-Généraux. - Poli ti que incertaine de
Jacques n:-Négociations avec la France. - Louis XIV
cherche a armer l' Angleterre contre les États-Généraux.
- Tentative d'assassinat sur le Prince d'Orange. -Ef-
fets poli tiques de la mort des Électeurs de Brandebourg
et de Cologne.


Sommaire du Livre XX, 1688.-(Suite). 430
Nonvel édit pour la liberté de conscience. - Requete des


Éveques.-Louis XIV offre des vaisseaux a Jacques II.
-Les Éveques sont envoyés a la Tour. - Naissance du
Prince de Galles. - Le Comte de Sunderland se déelare
Catholique. - Jugement des Éveques.-E~thousiasme
I.1U peuple et de l'armée. -Embarras de la Cour. -La
mort de l'Électeur de Cologne, favorable au Prince d'O-
range, et funeste a J acques 11.


FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND .