HISTOIRE . , , DIX - HUITIEMESlECLE. l'QlIE l. Lés formalités...
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HISTOIRE
. , ,


DIX - HUITIEMESlECLE.


l'Ql\IE l.




Lés formalités prescri~f!S par la loi ayant été remplies,
les éditeurs poursuivr~,wmÍllecontre~act~,~, tout dé-
hitant d'exemplaires qui ne seraient pas revetus de'la
signattire 'de M. Brieré:




HISTOIRE
DES RÉVOLUTIONS. POLITIQUES ET LITTÉRAIRJ<:S


D.E L'EUROPE
AV


DIX-Hl]ITIEM.E SIEctE,_
PAR F. <C; SCHLOSSER"


PIlOI'USIUl\ n'SISTOIB. A L'U1IITIlMt'l'á n'SUnILBIlBG ;


PAR W. SUCKAU,
PROJi'J/.S8RlJR AV COLLÉGB ROTAL DB UIKT-·LOlJIS.


PARIS,
J.'L. J. BRIE,RE, Il'QB IAUfT-ANDILÉ-DB5-ARTS', N° 68;
PONTHIEU ,.PA~~S.' ILOTA., GALBRIK DK B015;
P. nOPONt, ILUB DU~:"ULOT, UÓTBL DKS WEILMES, NO 2ft.






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~1Me~-rl6iat~ ~fzér rIe ~ ~tÓn


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el'lmlte; Ime; IHM~Ut/ ~et el4H4~ ü ()t/ la. UC<!~IQíH.Ce; .
. ()t/ f'J"u~,






PRÉFACE
DE L'ÉDITEUR.


Le dix-huit~eme siecle occupera toujours
une place tres-importante dans 1'histoire.
C' est l' époque d'une révolution' universege,
dans :les systeínes et dans les idées, opérée
par l~ philosóphie. C'est da~s ce siecle, qui a
~ changé la face de l'Europe, que le génie, long-


temps escIave a la suite des préjugé3 et du
droit de la force, a repris enfln le premier
rang, quand Montesquieu, Beccaria, Rousseau,
Voltaire et Ieur! éleves eurent reconquis les
droits de fhomme.


/


L'histoire de ce grand siecle, ou la Iumiere
captive brisa toutes ses entraves, est digne san s
doute des méditations du philosophe. La pen-




VJlI PRÉFACE


sée y trouve une IDoisson abondante ; l'iluagi-
nation s'y plait et s'y ex:alte; l~ crtriosité y reo-
contre achaque pas des aliments nouveaux;
et la postérité s'átrétera IOllgúement sur le
spectacle d'un temps si riche et si fertile.


Dans l' esquisse ra pide de ce b~au siecle,
l'auteur, partant d'un point fixe, s'est proposé
d' offrir au lecteur un tableau des événements
de l'Europe , : comparés . entreeux d'apres les
rapports immédiats ou éloignés qui les' unis"
sent, et de rendi'e' ces rappoPís plus:e.laitset


, .


plus sensibles pár des aper~us quelquefois
neufs et presque toujours piquants, qui ~ ani-


\


IDent la narration historique de tout l'intéret
des métTIoires, et qui facilitent l'enchaine-
ment des faits, sans fatiguer jamais l'attention.


Si ron ne trouve pas toujours dans cet ou-
vrage tout ce qu' exige la sévérité de l'histoire;
si l'auteur sacrifie quelquefois a l'agrément
pour souieÍlir r~oteret, 00 ne lui en fera plus
un . reproche, aujourd'hui que le pédantisme
de l'école est tombé, et que des hommes de




DE L'ÉDI1' EUR. IX


génie out prouvé qu'on peut instruire sans
ennui.


Ajoutons que relever habilement les faits
partieuliers, et les placer sous un nouveau
point de vue, e' est les faire ressortir avee plus
d'avantage; e'est rendre saillant ce qui parai-
trait a peine, eonfondu ave e les grands événe-
ments; e' est la vraie philosophie de l'histoire,
qui consiste a· dévoiler le génie: du siede
qu'elle juge, par le réeit des aneedotes qui
peignent les mceurs.


Ce n'est done pas une aride compilation,
spécialement destinée aux savants, que 1'0u-
vrage dont notis présentons ici la traduction ;
c'est un livre pour l'usage des gens du monde,
pour les hommes de lettres, pour ceux qui
étudient l'histoire politiqueo L'auteur a re-
noneé aux citations prolixes, -a cet étalage de
lieux communs dont on sent maintenant le
ridicule; il s'est abstenu aussi de ces dévelop-
pements fastidieux, qui fatiguent le lecteur
sans lui rien apprendre. D'ailleurs, le cadre


H. I. b




x PREFACE


qu'il s'est tracé est si vaste, qu'il a du mar-
cher saos cesse a grands pas vers le but
principal, embrasser rapidement la masse des


. fai~s, et laisser les détails peu importants aux.
écrits dont le plan est moins resserré.


A coté des grands tableaux de l'histoire po-
litique, il a faUu marquer les progres et les
efforts de la philosophie qui, dan s ce siecle, a
gagné tant d'influence; il a faUu suivre la
marche de la littérature en Enrope, la ten-
dance de l'esprit public, et les intentions
des écrivains qui , si long-temps étrangers aux
choses de ce monde, ont alors pris part a la
politiqqe.


Depuis la découverte de l'imprimerie, les
lumieres ne s' étaient propagées qu'avec len-
teur et sans beaucoup d'éclat; au d~~-huitieme
siecle elles déborderent a grands flots; les
auteurs firent une puissance; le génie donna
des lois; et I'Encyclopédie étonna au moins
ceu~ qu' elle ne put soumettre. Des-Iors, la
voix des peuples ne se fit plus entendre que




, I


DE LEDITEUR. Xl


dans les journaux et dans les livres; et a ja:-
mais la presse regne, quoi qu'on fasse, oú
régnaient jadis les abus et l'arbitraire.


n n' en faut pas douter un instant, encore
un coup, la face de l'Europe est changée; ce
ne sont plus les idées des vieux siecles; les lois
d~s temps d'autrefois ont pour notre ·temps
une forme étrange et choquante; et tons les
immenses bienfaits d'une civilisation inconnúe
avant nos peres, la chute du despotisme et
des coutumes féodales, la ruine des supersti-
tians, l'abolissement légal des priviléges, la li-
berté et les idées généreuses sont .les fruits et
les rés1.iltats du dix-huitieme siecle et de la
littérature philosophique.


Afin de mieux faire observer l'influence de
la littérature sur les événements, chacun des
livres qui partagent cet ouvrage par grandes
périodes, sera divisé en deux parties; l'uBe
comprendra l'histoire politique, l'autre tra-
cera la marche de la littérature, de la phi loso-
phie et des sciences , . et nlarquera l'impulsion


b.




xu PRÉFACE


qu'elles ont ,do~née a l' esprit du siecle et aux
faits qui l'ont rempli.


Les faits principaux forment seuls une
masse imposante: la guerre de la succession
d'Espagne, et les Bourbons rois des deux
cotés des Pyrénées; la quadruple-allia~ce; la
guerre du nord; les débats de la succession
d'Autriche; la guert'e de sept ans; l'union de
l' Angleterre avec l'Écosse; la prise de Gibral-
tal'; les hatailles de Pultava, de Malplaquet,
de Denain, de Fontenoy; la paix d'Utrecht;
l' origine de la puissance colossale de la Russie;
l'usurpation de Frédéric de Brandehourg, et le
despotisme militaire qu'il établit en Prusse;
la chute de la Pologne, pressée par ces deux
voÍsins ambitieux; l'érection du royaume de,
Sardaigne; la suppression des jésuites; le sys-
teme. de Law; la régence; la conquete de la
Sicile par Don Carlos; l'expédition du prince
Édouard en Écosse; l'affranchissem~nt de l'A-
mérique ; les revolutions de la Belgique et de
la Hollande; et enfin la France régénérée par




, ,
DE L EDITEUR. XIII


une révolution prodigieuse, dont toutes les
suites u' out pas encore été calculées.


La France, l' Angleterre, la Russie et la
Prusse occupent la plupart des pages de l'his-
toire de ce siecle. L'Autriche, au faite de la
prospérité, sans beaucoup d'efforts, resta sou-
vent neutre dans les débats des autres puis-
sanees; rarement elle fut ébranlée par les
forces extérieures ; ~ais, plus d'une fois, la fai-
blesse et l'impéritie de son gouvernement ~a
nlirent a deux doigts de sa perte.


Le pouvoir concentré de la Piusse n' est pas
d'abord en évidence; mais la Rus'sie s'éleve
des le commencement du siecle; et le regne
de Pierre-Ie-Grand attire sur ses destinées
brillantes tÓut l'intéret de l~observateur.


La France et I'Angleterre prélidaient alors,
en quelque sorte, aux progres et aux événe-
ments de l'Europe. Elles ne décidaient pas
seulement des affaires de la politique géné-
rale; elles fixaient encore l'opinion, réglaient
les idées et les mreurs; et tous les États voi-




XIV PRÉFACE


sins cherchaient a les prendre pour modeles.
Depuisla lutte brillante qu'ils avaient sou-


tenue pour leur liberté, les Pays-Bas s'étaient
placés, en Eur~pe , au rang des puissances de
premier ordre. Ils avaient r.ésisté a Louis XIV
da.ns ses beaux temps; mais, des le commen-
cernent de ce siecle, On les voit déchus de
lel,lr grandeur et s'avancer chaque jour vers
~a dé.cadence.


La Suede, que Gustave-Adolphe et Char-
les X érigeren t, pour son malheur, en puissance
militaire factice, s'écroula un moment sous
Charles XI. Les projets insensés de Charles XII,
Inalgré les faveurs de la fortune et la rare
váillan~e de ce héros, eussent amené infailli-
blement. le résultat ordinaire de tous les sys-
temes de conquetes, la ruine de l'État, c¡uand
meme la bataille de Pultava n'eut pas haté
cette ruine.


Charles XII et Louis XIV, que Pierre prit
pon!' modeles dans l'organisation de sa puis-
sanee, avaient adopté une politique qui s'é-




DE L'ÉDITEUR. xv


tablit bientot de gré ou de force dans tous
les petits États; cette politique faisait consister
la force dans l'argent; et, jusqu'a la révolution,
on calcula l' étendue d'une puissance sur ses
revenus; on s'appuya d'armées soldées,· en-
tretenues a prix d'argent, séverement discipli-
nées, commandées par des chef s habiles; les
monarchies compterenf, non plus sur le droit,
mais sur le pouvoir; et la souveraineté consista
dans la force.


GuilIaume 111, en Angleterre, chercha a in-
troduire cette meme politique ; mais i~ne put
l'employer qu'au dehors, paree que la consti-
tution n'en souffrait ancnne applica1;jon daos
1'in térieur.


Les effets dWt puissance militaire des An-
glais et de leut marine formidable, se firent
sentir, surtout a la fin du siecle, dans le pil-
lage des deux Indes, lorsque la soif de l' or
et l'inhumanité froidement calculé e eurent
étouffé tout sentiment généreux.


Mais si les souverains, imitant Louis XIV"




XVI PRÉFACE


5' emparer~nt d'un pouvoir immense dans les
monarchies européennes, leur . empire ne se
signala pas toujours d'une maniere si funeste;
et le despotisme eut aussi sa bienfaisance. Ilfal-
lait auxmonarqueslepouvoirqu'ils usurperent
pour déraciner les abus surannés du moyen
age, défendus par tant de gens intéressés, avan-
tageux au petit nombre, mais nlortéls a la li-
bertécommune; il leurfallut la force pour
élever le peuple et abaisser les castes a privi-
léges, pour rétablir, quoi't{ue tres légerement,
une sorte de balance entre les états et les pro-
fessions. Les droits des seigneurs, les préro-
gatives du clergé, ceHes de la bourgeoisie, les
corporations, toutes les vieilles institutions
féodales n'avaient conserv.e ce qu'elles
avaient de vicieux et de dépravé:' tous les
avantages de cet état de choses avaient dis-
paru; la masse était esclave; il fallait des des-
potes pour commencer de l'affranchir; et un
jour on reconnaltra que Louis XI a bien mé ..
rité de la patrie.




, ,
DE L EDITEUR. XVII


FrédérÍcIl et ceux qui voulurent suivre ses
exemples, donnerent a la puissance mili-~
taire du continent européen, apres la guerre
de . sept ans, une teIle étendue, que des-
lors les souverains ne purent décidément
asseoir leur pouvoir que sur leurs al'Ínées; et
que tout se justi6a par le canon. Ce systeme
aurait pu réussir et durer dans un siecIe. de
,superstition et d'ignorance, avec des peuples
assez doux pour se preter comme des machi-
nes aux calculs de le~rs maltres. Mais quand
Montesquieu, Helvétius, Diderot, Voltaire
eurent parlé ,les fondements de cet' édifice
s'écroulerent; et la révolution amena a sa
place le regne de l'-éloquence et du . génie.


Cependant on a VU, au commencem~nt du
dix;-neuvieme siecle" le pouvoir militaire re-
prendre le sceptre, que peut-etre il porte ~n­
eore, et qu'il cach~ a regret sous le masque
des loíS.


Mais si l'histoire politique est féconde, l'his-
toire littéraire l'est Qavantage encore. Quelle




XVIII PRÉFACE


puissante armée de grands hornmes nous pré-
sente le dix-huitieme siecle! La vieillesse de
l'ere précédente: Malebranche, Cassini, Dod-


o well, o Newton, Fénélon, Leibnitz, Huet,
Flamsteed, Burnet, et a leur sllite Boulainvil-
liers, Addisson, Steele, Prior, Vertot, Mont-
faucon, Clarke, Swift; Boerhaave, Polignac,
Wieland, Goethe, Schiller, Pope, Fontenelle,
Rollin; Dubos, Locke, J. J. Rousseau,Voltaire,
Fielding, Volney, Montesquieu, Haendel, Mo-
zart, Hogarth, Middleton, Banier, Lessing, Fré-
ret, Muratori, Dumarsais, Velly, d'Alembert,
Helvétius, Diderot, Musschenbroeck, Clairaut,
d'Olivet, Hénault, La Condamine, Mercier,
Buffon, Kant, Lalande, Chénier, Mirabeau,
Champfort; et tous ces philosophes, tous ces
écrivains encore vivants, déja immortels, et qui
ont légaé Ieur gloire a notre siecle.


Assurément, pourles partisans de la gravité
de l' école , le beau siecle e' est le dix-septieme,
a cause de sa pureté classique. Mais, pour
le bonheur dugenre humain, on lui préfé-




, ,
DE L EDJTEUR. XIX


rera le siecle de philosophie qu'il a préparé;
et Montesquieu n'aura pas moios de droits a
notre admiration que le tendre Racine.,


D'ailleurs, c'est toujours aux écrits utiles que
le génie semble s' etre attaché_ de préférence;
et La Fontaine, Bayle, La Mothe-Le-Vayer,
Corneille et Moliere avaient préparé les voies
aux philosophes.


L'intéret que le dix-huitieme sieda doit in.
spir~r est encore vivant pour nous; c'est le
siecle de nos peres; nous l'avons vu flnir et
nous jouissons de ses bienfaits. Mais nous
sommes déja pour lui la postérité, et le droit
de le juger nous est acquis. Aussi, plusieurs
écrivains en ont essayé l'histoire ; et la, matiere
est si grande qu'il es! bien rare qu'ils aient
manqué d'attacher vivement le lecteur.


C'est ce siecle tant de fois esquissé, souvent'
re tracé avec talent, que M . .schlosser vient de
peindre de nouveau, d'une maniere rapide et
originale; et, ce qui est plus précieux peut-etre"
nous devrons asa quajité d'étranger une fran ...




xx PRÉFACE


chise impartiale que nous ne pouvons attendre
de nos historiens compatriotes.


Beaucoup de faits, dont nous connaissions
malles causes, sont développés dans son livre,
avec des détails curieux, puisés dan s des sour-
ces qui nous étaient ignorées.


Pour la France surtout, l'auteur allemand est
bien plus la postérité que nos écrivains natio"':
naux, et la France tient la plus grande place
dans le tableau qu'il a fait du dix-huitieÍne
sii~cle. On aimera a reconnaitre en lui un ju-
gement sain et pur; on le verra re.ndre égale
justice. a tous ; et il est rare qu' on puisse ré-
clamer contre ses arrets .


. Quelquefois cependant il a pu etre trompé
dans les renseignements qui lui ont été ,fournis
durant son séjour a Paris; et, généralement
équitable envers les personnages de notre ré-
volution derniere, il a jugé des hornmes qui
vivent encore, sans les bien connaltre. Ainsi ,
on le trouvera injuste a l'égard de M. Rrederer,
et de quelques autres personnes, auxquelles




DE L'ÉDITEUR. ~xt


il prete des sentiments qu'elles 11'ont jamais
eus. Il reproche, par exemple, a M. Rrederer
d'avair accepté les chaines doré es de l'empire,
apres avoir défendu les idées républicaines.
Mais ce reproche banal peut tomber sur tout
ee que la France compte d'hommes recom-
mandables.


M. Rrederer a toujours été du nombre des
partisans de la monarchie constitutionnelle ; et
soit qu'il ait pensé, comme beaucoup de sages,
que la Franee, en 1793, n' étai t pas mure encore


. pour la répuhlique; soit que cette forme de
gouvernement lui ait semblé peu convenable
a nos idées et a nos mreurs, ilest constant


, .


qu'il ne figura jamais parmi les républicains
détermillés. S'il servit l'empire, c'est que l'em-
pire représentait alors la patrie; et s'il fallait
attribuer les torts du despotisme impérial a
tous ceux qui eurent part aux grandes actions
de l'empire, cambien de Fran<;ais mériteraient
le meme reproche!


e' est encore sur un renseignement vague et




X:XII PRÉFACE


peu digne de foi, que l'autellr allemand appli-
que a l\I.'Rrederer l'odieuse allusion: Ego Jum
qui tradidi eum, a l'occasion du 10 aout. Car,
'en conseillant a Louis XVI de se confier a la
garde des représentants, du peuple, M. Rre-
derer avait l'intime conviction que le roi l1'a-
vaitplusalors d'autre refuge,contreles fureurs
de la populace, que dans le sein de l'assemblée
législative.


D'ailleurs, ce n'est pas cette démarche qui
perdit Louis XVI; et la révolution était con-
sommée avant le 10 aout. Les exces qui suivi-
rent étaient les crises inévitables d'une maladie
dont on chercha trop tard le remede, et qu'on
ne suipas traiter avec franchise.


Hormis quelques taches rares et légeres, du
gen re de celle que nons relevons ici, nous
osons présenter la traduction de.l'ouvrage de
M. Schlosser comme un livre qui aura droit a
tous les suffrages, et qui occupera un rang
distingué dans la galerie historique de nolre
époque.




'f -DE LEDITEUR. XXIII
M. Guizot, en appelant du jugement porté


par l'autcur aUemand sur l' Esprit des lois et
les Lettres persanes, a bien voulu joindre a
cette intéressante publication quelques re-
marques pour démontrer l' erreur de certaines
assertions de M. Schlosser.


Le traducteur, professeur au collége royal
de Saint - Louis, a étudié pendant quelques
années a l'univer~ité d'Heidelberg OU il·a suivi
les cours d'histoire de M. Schlosser; il a ét~ a
meme d'apprécier el sa profonde érudition, et
l'impartialité de ses jugenlents. Cette traduc-
tion est done un hommage qu'illui rend et un
monument de sa reeonnaissanee.






HIsrl~OIRE
DU


, ,


DIX-HUITIEME SIECLE.


LIVRE PREMIER.


Ire PARTIE~- HISTOIRE POLITIQUE.
: ¡ ;;


CHAPITRE PREMIER.


GUEJUtE DE LA. SUCCESSION D'ESPAGNE.1


l. État des eh oses avant la guerreo - H. Guerre de la sucees-
sion. - III. Changements eausés en Europe par les traités
d'Utreeht, de Rastadt et de Bade.


l. Les causes qui amenerent la guerre de la
succession d'Espagne n'appar~iennent' plus au
siecle qui demande notre attention. Il suffit de
nous rappeler que l'archiduc Charles, fils puiné
de Léopold ler, et le petit-fils de Louis XIV,
prétendaient a la couronne d'Espagne comme


H. I.




~ ~(STOIRE DU XVIUIl SIECLE.
a un h¿ritage de famille; qu'apres bien des dif-
férents, el des conventions de part et d'autre,
il avait été concIu, pendant la vie meme de
Charle~ II, par l'intervention des puissances
mari times , un traité de partage, le 3 mars et
le 21 du meme mois 1700; que ce traité ne fut
poinJ ratifié par I'Espagne, ñlais appuyé par
l'empereur d'Autriche et la France. Charles II
étant mortle ¡ernovembre 17oo,le9, Casteldos
Rios, ambassadeur d'Espagne pres de la cour de
France, présenta a Versailles un testament dans
lequelles ducs d' Anjou et de Berri, petits-fils
de Louis XIV, étaient institués héritiers di-
rects de la couronne, et par I~quell'archiduc
Charles, en cas de refus oa de l' extinction de
leur famille, était nommé héritier de tons les
royaumesd'.Espagne. lis comprenaient alors
l'Espagne proprenlent dite, les Pays· Bas, le
Milanajs, Napl~s et la Sicile, I'A[Jléfiqu~, les
colonies des indes orientales, dont les Philip-
pines étaient le& ~llls considérables.


Le m~rquis d'Hareourt, ambassadeur de
:Louis XIV a Madrid, avait su se procurer le
testa¡pent par des artifices et des intrigues,
que le eabinet ignor.ait et dont le roi et lui
seul étaient instruits. Torey, ministre des af-
faires étrangeres en Franee, était encore, au




LIVRE 1, CHAPITRE l. 3
mois de septembre , fermement décidé a obser-
ver le traité de partage 1 ; il ne changea d' opi-
nion que lorsqu'il eut pénétré l'idée de son
maltre. Les autres membres du conseil, et
meme madA.e de ~Iaintenon , refuserent long-
temps de reconnaltre le testamento Torcy vit
la route qu'il avait a suivre; s'insinuant aupres
de Louville, un des conseillers et confidents
du jeuneduc d'Anjou" qui, comme fils puiné
du Dauphin, était désigné pour monter sur le
treme, ii chercha a s'assurer en lui un instru-
ment capable de faire réussir le plan projeté.
LouvilIe de son coté désirant jouer un role en
Espagne, gagna les suffrages de la cour et des
princes. Louis combattit pendant trois jours
l'opinian de son conseil et ceHe de madame de
MaÍntenon. eette derniere, ,depuis 1686, de ...
venue secretement son épouse, le dissuadait
alors, par dévotion, et avec la plas grande
fermeté,' d'un acte qui rendait]a guerre inévi-
tableo La volonté du roi dut enfin l'emporter
sur toutes les raisons qu'on lui opposait, et le
testament fut reconnu et publié solennelle ..
lDent le 12 novembre. Le jeune due d' Anjou


I Mémoires secrets sur l'étahlissement de la maison de Bourbon
rn Espagne, extraits de la correspondan ce du marquis de Lou- ,
'Ville. Paris 1818, 2 vol. in_SO, tomo t ep , pago 19.


I.




4 HISTOIRE DU XVII le SIECL E.
partit le 4 décembre pour l'Espagne sous la
garde du marquis de Louville, prit le nom de
Philippe.V et le gouvernement du royaume.
On vit alors combien un empire peut tomber
quand on en néglige l'administra.n. A la mort
de Charles II, toutes les affaire s du cabinet qui
regardaiellt l'économie et l'entretien meme de
la cour, se trouvaient dans un état misérable l.
L'armée était tellement diminuée, que ron
comptait a peine six mille soldats dans la pé-
ninsule,et tout au plus vingt mille dans les
possessions espagnoles. Il ne s'a'gissait plus de
police: la populace régnait a Madrid, la force
et l'anarchie prévalaient dans tout le royaume.
Philippe V n'avait ni les moyens, ni le pouvoir
d'arreter le mal, et bien moins encare de dé-
tourner les périls qui le mena<;aient au dehors.
Ce n'était pas l'Autriche seule qui rejetait le
testamentet lepartage; c'étaient surtout l'An-
gleterre et la Hollande, sur lesquelles Guil-


I .. Le roí n'a pas un sol. Je suis un babile homme paree que
j'ai trouvé de quoi faire mettre une porte neuve a la cave, et
acheter des serviettes. On était a la veille pour cet usage de se
servir des serviettes des marmitons. Les valets de pied espa-
gnols qui sont sous le majordome major demandent l'aumone
et sont tont nuds. Le sort des chevaux est encore pire avec
le caballerise-major~ car ils De peuvent point demander l'~u-


. mone.,. (Lettre de Louville it Torcy, tomo ler des Mémoires
de Loul'ille, page 162.)




LIYRE J, CH~PITRE I. 5
laume III dominait en roí et en gouverneur
héréditaire. Guillaume avait bien plus d'in-
fluence en Hollande qu'en Angleterre. Le mi-
nistere libéral I qu'il s'y était formé, paree que
la plupart des Torys (royalistes) étaient jaco-
bites, s' opposa a la guerre et riduisit l'armée
a sept mille hommes en Angleterre, et a donze
mille en Irlande. Il ota au roi les moyens d'as-
surer a ses partisans des hiens et des places,
et le for<{a meme a renvoyer ses cinq mille
gardes en Hollande.


C'était en vain qu'on se préparait en ce pays
a des hostilités, qu'on faisait des traités avec
le Danemarck, le Palatinat et d'autres états
de l'Allemagne, pour en obtenir des troupes.
Guillaume, trouvant en Angleterre les esprits
tout-a-fait contraires a la guerre 2 , n'osa pen-
dant long-temps porter la Honand~ a des nle-
sures trop promptes. D'ailleurs la Hollande
devait demeurer tranquille, cal' l' électeur de-
Baviere, cornrne stathouder espagnol des Pays-
Bas, venait d'ouvrir les places fortes aux Fran ..
<¿ais ; les quinze mille hommes de troupes hol-
landaises, en garnison dans les places frontieres,


1 Le Whig-Ministereo
:a Coxe memoirs of the Kings of Spain , ofthe house of Bour-


bon , chapo 110




ti HISTOIRE Dll XVIIle Sd:CLE.
auraient done' été infailliblement arretées, si
la Hollande avait pris une attitude hostile.
Tandis que les puissances maritimes laissaient
tranquillement enfreindre le traité conelu avec
elles, l'empereur,.comme archiduc d'Autriche
et roi de Hongrie, déploya toute l'activité pos-
sible pour soutenir les droits de sa famille, les
armesalamain. Il,compta,danscetteelltreprise,
sur Dieu, et sur le prince Eugene qui avait
déjél rendu des services signalés él l'Autriche.
Léopold, sans déelarer la guerre a la France, '
avait fait entrer en Italie une armée comman-
dée par Eugene, comme pour appuyer son
fils l.


Louis XIV, sous prétexte de porter secours
a Philippe V, son petit-fils, et sans faire égale-
ment la moindre déelaration de guerre él I'Au-
triche, envoya le maréchal de Catinat, le plus
brave et le plus hahile de ses généraux, prendre
le commandement des troupes fran~aises él Mi-
lan. Eugene et Catinat opposaient Vun él l'autre
depuis quelque temps les memes talents et les
memes force s , lorsqu'a la grande satisfaction
d'Eugene" Catinat fut rappelé par Louis XIV
et remplacé par le maréchal de Villeroi, créa-
ture de madame de Maintenon.


I Avril, 1701.




LIVRE 1, CH APITR E 1. 7
Cependant le roí, malgré le peu de confiance


qu'il avait en Victor - Amédée 11, duc de Sa-
voie, et en son amitié pour la. France 1, avait
cherché a le· gagner en fian<;ant sa fille Marie-
.Louise au roí d'Espagne, et en le nommant gé-
lléral en chef de l'armée franc;aise en Italie.


Pendant que les Franc;ais et les Autrichiens
combattaient en Italie, Guillaume III ne négli-
gea pas d'exciter les Anglais a la guerre contre
]a France, et Louis XIV lui en facilita les
moyens en reconnaissant comme souverain
d'Angleterre, Jacques, fils de I'ancien roi 2 , et
en a}grissant aínsi contre lui les Whigs, qui
étaient les fauteurs du principe que, « ce n'est
« pas le sang , mais la voix du peuple qui donne
( la dignité royale, » et qui jusqu' alors s' étaient


I La princesse fiancée exprime dans une lettre dll 20 juillet
1701 sa reconnaissance pOllr le portrait dll roí, qu'on luí avait
envoyé, et le 29 Louis écrit a son petit fils:


" J'ay ereu devoír différer votre mariage sur les avis que j'ay
« re~us du peu de sincérité du duc de Savoye; vous connoissés
• son caractere.» (Mémoires de Lou~'ille, Tom. I er . pago 189.)


2 Quelques auteurs, et pal'mi eux Gaillard, dans la Rivalité de
la France et de I'Espaglle, ont déja faít observer que ce n'était
point lit , comme on le soutient en général, la premiere cause de
la guerre, mais qu'elle avait été décídée long.temps avant. Coxe
memoirs, tomo 1, ch. VII, désigne tres-exactement le· 7 sep-
tembre comme le jour OU Guillaume conclut a La Haye le traité
pour l' Angleterre et la Hollande avec l' Autriche, et le J 7 ,
eomme le jour ou Louis XIV reCODnut Jacques. •




8 HISTOIREDU XVIJIC SIi-:CLE.
fortement prononcés pour les mesures pacifi~
queso Si le nouveau ministere de Guillaume ,
composé de Torys, était moins porté pour la
guerre, le nouveau parlement en· revanche se
composa presqu'entierement de Whigs, qui
se preterent aux désirs du roi, en appuyantles
mesures qu'il proposait contre la France. Au
milieu de ces préparatifs, Guillaume III mourut
l'an 1702, le 8 mai, et Anne, sa belle sreur,
lui succéda. Elle se forma aussitot un minis-
tere, qui approuva .d'autant plus la guerre,que
le parti républicain en Hollande avait alors le
dessus et que le grand pensionnaire Heinsius
l'appuyait contre la France.


11. Eugene, malgré la perfidie du duc de
Mantoue et la défeetion du due de Savoie , avait
repoussé, l'année précédente, les Frall~ais de
Mantoue, de J\Iodene et de Guastalla; les avait
forcé s de reporter leurs quartiers d'hiver jus-
que derriere I'Oglio. L'année suivante, le 15
mai 17°'1., l' empereur d' Autriehe, les. états-gé-
néraux et l' Angleterre, déclarerent formelle-
ment la guerre a la Franee. Malgré l'aslC>cia-
tion des cercles de l'Autriche, de Franconie,
de Souabe, du haut Rhin et du Rhin électoral
par le traité de N ordlingue, iI ne fut pas en-
Core question de la guerre de I'Empire, et Louis




, LIVR E (, CHAPITRE L 9
n'en fit aucune mentíon dans son manifeste
du 1110is de juillet. Ce ne fut qu'au mois de sep-
tembre 17°2, 10rsque les Fran<;ais occupel'ent
Cologne, que le cel'cle des électeurs, et apres
lui les autres cercles de I'Empire, se déclal'e-
rent ponl' la guer., dont la c~nduite couvl'it
la constituti~n et le gouvel'nement de l' Alle-
magne d'une honte et d'une ignominie éter-
nelles. A la tete des Anglais et des Belges, dans
les Pays-Bas, était le favori de la reine Anne,
lord Marlborough, qui fut duc dansla suite, et
run des plus grands guel'l'iers de son siecle. Des
rappol'ts intimes l'attachaient au prince Eu-
gene, général en chef des armées impériales.
Ces deux généraux, sujets a de grandes faibles-
ses de caraétere, avaient les memes talents ;
mais Eugene ne se laissa jamais influencer, au-
tant que son ami, par un sordide intéret. Les
Fran~ais trouverent ces deux ennemis en Ita-
lie et dans les Pays-Bas; ils cherchel'ent donc
a se frayer un chemin par la Baviere, afin d'at-
taquer l'Autriche meme,'comptant pour le suc-
ces de leur expédition sur l'assistance des Ba-
varois. Catinat, qui réunissait sous ses ordres
Villar~ et Guiscard, fut chargé de pénétrer en
Baviere sans attaquer Louis de Bade, général
en chef de·l'armée de I'Empire; cal' on savait




10 HISTOIRE DU XVIIle SIi~CLE.
que cet électeur était entierement atfachéaux
Fran~ais, et que la noblesse du pays n'avait
pas des sentiments tres-patriotiques l.


Villars prétendait bien avoir remporté une
victoire sur Louis de Bade a la hataille de
Friedlingen 2, ce qui lui vAlt le bato n de ma-
réchal; cependant il ne put jamais effectuer
dans cette année ·la jonction désirée; ce fut
seulement l'année suivante que son armée, ren-
forcée par les troupes de Tallard, joignit les
Bayarois pres de Dutlingen, le 12 mai 1703:
alors lesaffaires de l'Empire changerent de face.
Le comte de Mansfeld, surnommé prince de
Tondi,président du conseil aulique de la guerre,
désespéra Louis de Bade par les fausses mesures
qu'il avait prises. A la sollicitation de Louis il
fut enfin destitué, et le prince Eugene nommé
a sa place. Le général Styrum qui cOlnmandait
les Autrichiens en Baviere se 6t hattre a Hochs-
téedt le 12 septembre 1703, et perdit touteson
artillerie avant d'avoir tiré un seul coup de
canon. Eugene lui-meme ne put obtenir en
ltalie sur le brave et habilc Vendome les memes
avantages qu'il avait remportés précédemment


I Les pieces justificatives de cette derniere assertion' se trou-
vent dans le Theatrum eUl'OpeallUm, yol. XVI, pago 693.


:1 Le 14 octobre 170 :l.




LIVRE 1, CHAPITRE 1. 11


sur le maréchal de Villeroi. L'ineptie, ou le peu
de talents guerriers du duc de Baviere, offrit du


,moins une compensation a l'Autriche; car cet
électeur se brouilla sérieusement avec Villars l.


Aussitót apres leur jonction avec les Bava-
rois, les Fran«;;ais avaient formé le plan de se
réunir a l'arrÍlée fran«;;aise d'ltalie conlmandée
par Vendome, qui était posté a Trente avec
vingt-cinq mille hommes. L'électeur s'avan«;;a
jusqu'au Brenner; mais les Tyroliens s'étant
soulevés firellt rouler des quartiers de roches
du haut des montagnes, allumerent des feux
sur toutes les hauteurs, et furent habilement
dirigés par des officiers autrichiens, et par lenr
propre sénéchal Sterzinger. Apres la premiere
défaite des Bavarois dans la vallée de Finster-
munz, Zirl, Schwatz, Scharnitz, Hall, furent
pris par les paysans, Inspruck menacé, et l'é-
lecteur se vit forcé de sauver par une retraite
précipitée, ses troupes, dont la plus grande
part~e trouva la Dlort dans le Tyrot 2.


1 Il Y avait l0l!g-temps qu'ils n'étaient plus d'accord. L'é-
leeteur trouvait l'uniforme des Fran~ais trop simple, Villars le
nombre des Bavarois trop petit, il ne voulait pas non plus etre
souslesordres de l'électeur. Il expédia un courrier a París, ql,li
rapporta la réponse suivante, u que dan s l'absence de l'élec-
• tenr, Villars commanderait; sinon, illui serait adjoint eomme
• envoyé extraordinaire ...


2 Aout 1703.




12 HISTOIRE DH XVIIIc SlECLE.


S'il y avait en de la mésintelligence entre
Villars et l'électeur avant cet échec, elle s'aug-
menta ensuite bien davantage l. Villars fut en-
fin rappelé par Louis XIV, pour que l' électeur
n'abandonnat pas le parti de laFrance, comme
le due de Savoie venait de le f<1ire, et surtont,
pour que le fardeau de la guerre' contre la
moitié de l'Europe ne tombat point de l'Es-
pagne sur la Franee. Louis XIV s'était toüjours
méfié du due de Savoie, quoiqne la duchesse
de Bourgogne, qui méritait a si juste titre son
alnitié, et qui avait toute sa eonfiance, fut prin-
cesse de Savoie. Il donna a Ja.reine d'Espagne
une dame d'honneur 2 qui luiparut entiel'e-
ment attaehée et dévouée; son choix tomba sur
la prineesse des Ursins, née fran<;aise, unie plus
tard a un prince romain. Elle se fanliliarisa avee
les mreurs et la langue espagnoles, ce qui a
ROlne meme parut convenable a l'épouse d'un
grand d'Espagne. Comme camérera de la nou-
velle reine, elle dirigea bientot toutes les af-
faires 3. Elle aurait voulu empecher le voyage


1 Villars se plaignit que l'électcur employait ies subsides a
nourrir ses maitresses, et a payer ses dettes de jeu.


2 I Camérera-mayo,'.
3 On apprend par les Mémoil'es de Noailles quels moyens elle


employait pour y parvenir, et quel triste tableau présentait
l'intérieur du palais de Philippe V.


Coxe Memoirs 1, ch. lV, a consacré un chapitre entier a ces




LIVRE 1, CHAPITRE r. 13
de Philippe V en ltalie, l'an 17°'2; mais le roi
partitmalgré ses conseils. Il ne put néanmoins,
se passer long - temps de son épouse et de la
princesse des Ursins, et il revint dans le mo-
ment meme ou sa présence en Lombardie était
d'autant plus nécessaire, que la défection du
duc de Savoie se faisait pressentir l. Le duc,
sommé de renouveler son traité avecLouis XIV,
éluda la question, s' engagea avec l' empereur,
et signa un traité formel avec luí a.Turin, le '25
octobre~. Louis demanda comm.e gage de ]a
neutralité que les forteresses du pays lui fus-
sent remises. Le duc s'y étant refusé, la France
luí déclara la guerre le ti décembre 1703, avant
que les troupes iInpériales eussent opéré leur
jonction avec lui. A la fin de l'année, il avait
perdu presque toute la Savoie, et il lui restait
peu d'espoir de la recouvrer, rnalgré les talents
d'Eugime et ele l\1arlhorough, qui, l'année sui-
vante, par l'heureuse réunion de leurs troupes,
avaient presqu' entierement détruit les armées


miseres. Louville 1 , chapo XII, page 358 , entre dans de plus
grands détails.


x Mémoires de LOll~·ille 1, pago 325-26.
, Les conditions en furent tres - hrillantes ; le point essen-


tiel fut que l'empereur accorda l'agrandissement du territoire,
que ni l'Espagne, ni la France, ne pouvaient et ne voulaient
reconnaltre.




14 H I STOIRE DU' X VlIle SIECI,E.
franc;aise et bavaroise, illa journée dll 13 aout
1704 , nommée par les AIlemands, bataille
d'Hochstredt, et par les Anglais, hataille de
Blenheim l. Les luauvaises dispositions de la
part des Allemands \ la bizarrerie {le Louis.de
Bade, et le départ de Marlborough, forcé d'alIer
dans les Pays-Bas, rendirent cette victoire moills
éclatante dans ses résnltats qu'on n'aurait du
l'espérer; cependant elle aluena la soumission
de la Bavier~ a l' Autriche pour toute la durée
de la campagne, et elle rendit, pour quelque
temps, l'absence d'Eugene moins sensible en
Allelnagne. Un traité que l'électrice de Baviere
conclut avec le roi des Romains, Joseph, trois
mois apres la bataille d'Hochstredt, le J 4 no-
vembre I70{I, dans le camp devant Landau,
livra la Baviere a l'Autriche, et lui fit évacuer
les places fortes. Le sort de ce pays devint de
plus en plus déplorable, surtout depuis l'avé-
nenlent de Joseph Ier au trone 3• Ce prince ne


J Enviran trente-cinq mille hommes furent ou faits prisoll-
niers ou tués, 28 bataillons et 12 escadrons de Fran~ais cou-
pés dans le village de Blenheim pres d'Hochstredt.


2 Marlborough écrit en confidence au grand pensionnaire,
q~'on pouvait prendre Landuu en quinze jours; mais que d'a-
pres la bonne maniere allemande, on n' était pourvu de ríen,
et qu'il avait été obligé de faire venir des Pa~ys-Bas de la poudre,
et d'autres provisions. Le siége dura done troi~ mois, et la
place ne capitula que le ~4 novembre.


3 Le 5 mui 1705.




L 1 V R.E 1, e H A PI T R E 1. 15
conserva point envers la maison de Baviere,
son alliée, les ménagements que son pere avait
toujours observés, et qu'illui avait encore re··
commandés a son lit de mort l. En ltalie, Eu-
gene manquait d'argent; il avait contre lui les
deux Vendome ( le grand prieur et le maré-
chal); il ne put donc emptkher les préparatifs
que les Fran<;ais firent en 1705 pour prendre
Turin. La perte de cette ville aurait ravi au
duc de Savoie les moyens de nuire aux Fran-
c;ais, et toute l'ltalie supérieure serait tombée
en leur pouvoir. Le prince Eugene aurai t trouvé
de grandes difficultés dans l'exécution de ~on
plan, si Vendome avait pu exécuter en per-
sonne ceh;Ji qu'il avait projeté; mais Villeroi
ayant déposé le commandement dans les Pays-
Bas, apres la défaite qu'il venait d'essuyer a
Ramillies contre Marlborough 2, Louis XIV ap-
pela Vendome a sa place.


Philippe, dnc d'Orléans, depuis régent, alla
en Italie avec des ressources immenses en trou-
pes et en provisions 3. Le duc n'était point dé-


1 Cette conduite était d'autant plus noble, que l'électeur,
dans un manifeste de 1704, avait osé attribuer la mort de son
fils a un empoisonnement ordonné par l' Autriche.


2 Le ~3 mai 1706.
3 Heinrich Deutsche Reichsgeschichte (Histaire de l' empire


allemand) tomo VII, p. 512, donne de plus amples renseigne-
ments.




16 HISTOIRE DU xv 1 Be SIECLE.
pourvu de talents 1; mais sa Inaniere de vivre
et d'agir le rendait odieux él Louis XIV et a
lnadame de l\Taintenon; iI eut done les lnains
liées par Marsin , qlli lui fut subordonné et qui
le retint, malgré lui, avee plus de cinquante
mille hommes dans son eamp devant Turin,
au moment ou Eugene avan~ait au seeours de
la ville ave e trente mili e' hOlnrnes. Le dne avait
prévu l'issue de ces lenteurs. Attaqué dans ses
retranchements, iI fut totalement battu le 7
septembre 17°6, et obligé d'évacuer l'ltalie
septentrionale. Toute l'Espagne était alors au
ponvoir de l'archiduc Charles qui s'y était
rendu en personne. Cependant Philippe V se
maintint sur le trane par la fermeté qll'il mOD-
tra dans le malheur, et par la victoire que le
dncde Berwick 2 remporta,en 1707,pres d'AI-
manza. Louis XIV sentit des ce mOlnent tout
le fardean de la gnerre, et voyant que la France


1 On peut dire qu'il était capitaine, ingénieur, intendant
d'armée, qu'il eonnaissait la force des troupes, le nom et la
capacité des offieiers les plus distingués de chaque eorps, qu'il
sut s'en faire adorer, les tenir néanmoins en discipline, et exé-
cutcr, en manquant de tout, les eh oses les plus difüciles. e'est
ce qui a été admiré en Espagne et pleuré en ¡talíe qualld il pré-
~·it fout, et que Marsin lui arréla le bras sur toat. ( Mémoires de
Saillt-Simon, édition in-8° de 1789, t. II, p. :& l.)
~ Le duc de Berwick était un des Anglais qui avait suivi


Jacques 1I dans son exil, et qui fut hientOt naturalisé en France.




LIVRE 1, CHA.PITR.E l. 17
épuisée ne pouvait plus subvenir aux frais des
3 rmemen ts 1, iI trai ta a vec les alliés, et chercha a
f~lire consentir son petit-'fils au partage des
royaunles d'Espagne 2. Autant Philippe et les
EspagnoJs étaient peu disposés a entendre par-
ler de cession, autant ils se trouvaient peu en
état de défendre lenr pays qui manquait de
soldats et de généraux franc;ais. C'était done a
Louis XIV seul a décider de.la guerre ou de la
paix. Il avait fait un nouvel effort dans les
Pays-Bas, mais iI fut encore battu par les ar-
mées coalisées d'Eugime et du duc de Marlbo-
rough, pres d'Oudenarde, le 11 juillet 1708.
Beauvilliers, président du conseil des finances,
le controleur général Desmarets, le chancelier
Pon~chartrain , et Chamillard, ministre de la
gnerre, déclarerent qu'il était impossible de ti-


t D'apres les Mémoires de Noailles, les revenus annuels de
l'Espagne étaient tomhés a cinq millions de florins ; ce royaume
ne pouvait done pas fournir de subsides.


2 Mémnires de LouIlille, t. II, pago 164: «La France, ou
plutot son roi, montrait alors moins de constance. Peut - étre
la journée fataJe de Ramillies imposait-elle de nouveaux de-
voirs a un prince accablé de rever s , qui aimait son peuple, et
qui ne se croyait pas Dieu. Il est sur que des 1706 commen-
cerent ces instances tant de fois réitérées du cabinet de Ver-
sailles a celui de Madrid, pour obten ir de Philippe qu'ilsacrifiat
une moitié, ou méme la totalité de sa couronne au bien de la
paix .• Les négociations que Louis fit aupres des alliés se trou-
vent dans Lamberty, tomo v, pago 266; Walpoles answer to
Bolingbroke, pago 173.


H. l. 2




d'Í H l ~ T o l RE D U X V 11 l e S d: e I, E.
rer de la Franee l'argent et les homnles lléees-
saires a une nouvelle expédition. Le l'oi des-
lors se décida non-seulemeIit él sonscrire aux
eonditions faites au président Rouillé, qui de-
puis le moís d'avril était él Voerden, mais il en-
voya meme le marquis de Torcy, nlinistre dcg
affaires étrangeres, a La Haye, avec plein pou-
voirdefairc la paixa toutesconditions. Parmiles
quarante articles que Torey et Rouillé, malgré
leurs pouvoirs, n'oserent accepter, Louis XIV
n' en trouva que cinq qu'il crut devoir refuser 1 ~


'Ces cinq articles donneront plus que toutes les explications
une idée de la dure té des 35 autres.


¡er arto Le duc de Savoie gardera cequ'il a pris aux Fran-
~ais, mais iIs seront tenus a lui rendre leu!'s conquetes.


:.l. Les électeurs de Cologne et de Baviere perdront leurs
pays pour avoir emLrassé le partí des Fran~ais.


3. Jusqu'a ce que la paix soit entierement conclue, la France
aonnera en otage toutes les piaces fortes qui la défendent dan s
les provinces du nord.


4. Elle cédera pour toujours plusieurs de ses forteresses.
5. Elle aideTa a chasser Philippe d'Espagne.
Ces grands sacrifices de I,ouis XIV prouvellt que la passion


de la guerre et le besoin des conquetes étaiem chez lui sub-
ordQnnés au bonheur de son pel1ple. Napoléon, dans des cir-
constances it pen pres semblables, aima micux exposer le~
restes infortunés de ia plus brillante jeunesse de France, que
d'act¡uicscer a des C'Onditions beaucoup moins onéreuses; aussi
ces deux princes entre lesquels il y a plus d'un rapport, re-
cueiUirent chacl1n ce qu'il avait semé. Louis XIV fit de grands
sacrifices au peuple, le peuple lui en tint compte, et ne lui
fut pas moins attnché dans les temps de revers que dans ceux
de la prospérité. Napoléon au contraire ne put maltriser le pell-
chant irrésistible qui l'entrainait á la guerre; ii sacrifia l'in~




L 1 V R El, e H A P 11' R E 1.


et iI finit par en aecepter trois l. Polignae et le
maréehal d'Uxelles entalnerent en 1710 une
nou v elle négoeiation a Gertruydenberg pres de
Bréda. Soit qu'Eugene et Marlborough n'aient
pas ajouté foi a eette grande eondeseendanee,
soit qu'ils n'aient pas vou)u faire la paix en
eomptant trop sur l'épuisement des Fran(jais,
il est eertain qu'ils ne retrancherent aueun des
articles, et. qu'ils donnerent par la a Louis XIV
l'avantage d'en appeler a l'orgueil national et
a l'indignation que les Fran(jais ressentirent
des humiliations qu'on voulait leur faire subir
aussi bien qu'a leur roi. Une mutation a la eour
d'Angleterre et la mort de Joseph ler, arrivée
le 17 a vril 1 7 1 1, changeren t les rapports des
alliés. L'archiduc Charles, par la mort de son
frere, devint empereur des Allemands et son-
verain de l'empire d'Autriehe sous le nom de
Charles VI. Les alliés ne pouvaient done plus
désirer qu'il réunlt l'Espagne a ses États. Le
ehangemen t opéré en Angleterre demande plus
de détails.


Depuis l'avénement de la reine Anne au


téret de la France a son orgueilleux entetement ; la France sé-
para sa cause de la sienne, et elle ne se défenditqu'autant
qu'il était nécessaire pour ne point perdre l'honneur de vingt~
cinq ans de victoires (Note da traducleur. )


J Louis n'excepta que le :1 e et le 5 e de ce~ articles.
9 ..




:lO HlSTOlRE DI! XVII1 e SJ1~CLE,
trone, rAngleterre était entierement gouver··
née par les Whigs, et la famiHe Marlborough
posséda't toutes les places ou les avait a sa dis-
position. Godolphin, ministre de l'intérieur,
n'agissait que d'apres la volonté de J\'Iarlbo-
rough, dont la cupidité et la sordjde avarice
ternissaient les grandes et brillantes qualités.
Robert Harley, depuis comte d'Oxford, était
le seul horrlme dans le ministere qui n 'approuvat.
point la potitique des Whigs, et qui s'opposat,
mais en vain, aux autres ministres: illui faliut
céder. Toutefois avant de déposer sa charge, il
avait su prévenir la reine en flattant son faible
COl1tre les Whigs. Ce faible était sa prédilection
pour l'Église épiscopale, que les Whigs atta-
quaient vivement, et qui avait trouvé un zélé
défenseur dans le docteur Sacheverell) prédi-
cateur de la cour. Sacheverell ne precha pas
seulement c6ntre les ministres, iI fit meme im-
primer ses discours, et les Ininistres attaque-
rent puhliquement, l'an 17°7, ses principes ,
tandis que le peuple le regardait comIne rnar-
tyr. C'était dans le temps oú mistriss Masham ,
niece de la duchesse de Marlborough, cher-
chait a gagner ¡es honnes graces de la reine.
Mistriss Masham, pour faire hien sentir a cette
princesse ce qui devait résu1ter des principes




LIVRE 1, CHAPITRli I.


des Whigs, ne lui montra pas seulement jus-
qu' 011 pouvait aller un parti qui considérait la
résistance a un gouvernement établi et légi-
time comme licite et conforme a la relígion;
mais elle décida meme la reine a assister au
proces du docteur Sacheverell, pour se COll-
vaincre que les príncipes des Whigs étaient réel-
lement contraires a l'Église épiscopale et a la
royauté. A vant que la rei ne eut entierement
changé d'idées, Rohert Harley était éloigné de
sa place de secrétaire d'état; sir John~ depuis
lord Bolingbroke, n'étant plus ministre de la
guerre, la reine se trouva tel1ement entourée
de Whigs, qu' elle se vit enfin forcée de cons-
pirer elle-meme contre son propre ministere.


Offensée cruellement par son amíe intime,
la duchesse de Marlborough, Anne fit venir en
secret Robert Harley, l'an 1710, et résolut, sur
son avis, de disgracier la famille de Marlbo-
rough. Elle remercia d'abord Sunderland, se-
crétaire d' état et gendre de Marlborough, Go-
dolphin, lord de.l'échiquier, ensuite toutes les
créatures du partí l. Elle cassa le parlement des


1 De tous les hommes importants du parti des Whigs ~
l\Iarlborough seul resta en place; Harley fut noromé lord de
l'échiquier, et sir J olm secrétaire d' état. Ce dernier, sous le
DOro de lord Bolingbroke, est conDU comme un admirateuI'
aveugle des FraD~ais.




2'1 HIS1'OIRE DU XVIlIe SrECLE.


Whigs au mois d' octobre 17 JO. Pour q u' on put
s'en passer, la paix devenait nécessaire; pour
pouvoir la traiter, il fallait chercher un pré-
texte plausible dans la diminution des charges
du peuple etdu fardeaude la guerreo Un homme
qui pendant la guerre avait vraisemblablemcnt
servi a Louis XIV d' espion a Londres 1, fut le
premier qui entama la négociation entre l' An-
gleterre et la France : on employa plus tard le
poete Prior, et enfin Ménager, officier muni-
cipal deJa ville de Rouen , jusqu'alors'¡nconnu.
Ce dernier régla les préliminaires, et la mort
de J oseph en hata la conclusion; on les signa
le 8 octobre 17 JI, au grand déplaisir des Pays-
Bas et de l' empereur d' Autriche 2. Le prince
Eugene chercha en vain a relever le duc de
Marlborough par sa présence a Londres; iI
neput empecherqu'on ne lui demandatcompte
des moyens viIs q'u'il employait pour s'enri-
chir, et qu' on ne le révoquat de ses fonctions.
Des ce moment les négociations furent pour-


. suivies avec plus de zele; toute l'année 1712 se


1 Le fran~ais Gautier, qui avait été chapelain de la mai-
son de l'ambassadeur impérial. ~oxe, en parlant de lui, dit avec
assurance: Originally a frenc1t spy.


2 Le comte de Gallas, ministre impérial , fut obligé de quit-
ter l' Angleterre pour avoir fait imprim((r les préliminaires qu'il
s'était procurés, et qui devaient exciter le peuple.




LIVRE ], CHAP1T.Rl~ J.


passa en délibérations a Utl'eeht, sur la paix;
et on for<;a, pour ainsi dire, les États-généraux
d'aceepter les cOllditions que la Franee et l' An-
gleterre avaient stjpulées d'avanee. La paix fut
signée le 1 1 avril 17 J 3 par l'Angleterre , lo
Franee, la Savoie, le Portugal, la Prusse et les
États-généraux. L'Empereur et l'Enlpire eoriti-
nuerent la guerre, mais de maniere a exeiter,
meme alors, les plaintes réitérées et publiques
des patriotes oe l'Allemagne l. Tant que le
brave et expérimenté Louis de Bade resta a la
tete de l'armée de l'Elnpire, les frontieres
furent au moins eouvertes; n1ais apres sa mort
les Fran«;ais leverent des eontributions jus-
qu'au fond de l' Allemagne, et l' on évalue a neuf
millions les sommes ex:igées seulement dans le
eercle de la Souabe. L'état des ehoses resta le
meme lorsque le nouvel éleeteur Georges Louis


1 Le commandement des troupes de l'Empire passa, l'all
1707, a la mort de Louis de Bacle, dan s les mains dll mar-
gral'e Chrétien Erllest de Bayreuth. Celui-ci perdít aussitót
contre Villars, les lignes pres de Stollhofen que Loui~ de
Bade avait long-tero ps défendues, et 1 {) 6 canons. Les princes
allemands, et meme la Prusse, lui conseillerent de déposer le
cornmandernent ; iI répondit a la Prusse qu'il venait d'ap-
prendre , non san s quelque altération, par la Iettre ,,!-rnicale


, de son cousin, du 18 du mois passé, que le Brandebourg
désirait qu'il abdiquat; mais qu'il ne fallait pas s'étonner si
les affaire s allaient mal, puisque le cousin méme refusait le
contingento




~4 BIS'I'OIRE DU XVIII4I Srf:CLE.
de Hanovre prit le commandement; car OH oh-
servait lnalheureusement dans toutes les affai-
res de l'Empire une marche aussi ridicule que
fausse 1; et tandis que les Fran~ais levaient des
Olillions dans l'Empire, on ne put s'accorder
sur deux cen t lnille écus demandés pour fon-
der une caisse d' opérations de guerre, et on
perdit une année entiere en délibérations sans
engager les trois mille hommes de cavalerie
saxonne cornme on l'avait projeté 2. Eugene ~
qui avait déja été a la tete des Allemands avant
que l'électeur de Hanovre se rebutat, et qui
n'avait repris qu'il regret le cornmandement,
ne fut pas plus heureux que ce dernier. n
trouva contre lui, dans l'année de la paix d'U-
trecht , le vaillant maréchal de Villars que
Louis XIV avait envoyé sur le Rhin avec des
renfo'rts considérables. Lalldau et Fribourg
dans le Brisgau furent occupés par les Fran-


I La Diete de l'Empire, étonnée par la prise des lignes de
Stollhofen, décréta qu'il ne suffisait pas de donner des arl'~­
tés pompeux pour continuer la guerre présente de I'Empire,
et pour soutenir le bien de la cause commune, lorsqn'on ne les
exécutait pas avec plus de !mcces qu'on ne l'avait faít jusqu'a-
lors en mainte occasion.
~ Il est dít a la fin qU'Oll avait manqué non-seulemeut d'in-


structions, mais encore de fonds nécessaires. Ce point ne fut
done plus délibéré, et le décret de I'Empire resta sans valeur.
(Voyez sur ces faÍts le Theatrum europ., vol. vrIl, p. 1 () ~ z.
Édit. de 1708.)




LIVRE 1, CHAPITRE 1.


({ais 1, toute la Souabe menacée, sans qll'il pút
y mettre obstacle. Lorsqu'Eugime meme con-
seilla la paix, l'Empereur lui donna le pouvoir
de presser pendant le blocus de Landau les
négociations entamées a Rastadt; mais apres
la prise de Fribourg, Villars fit des demandes
si exagérées qu'Eugene quitta avec indigllation
le lien ou se traitaient les affaires 2 et se rendit
a Stuttgard, tandis que Villars restait a Stras-
bourg. L'empire d'Allemagne, et menle les
princes isolés, prirent alors, pour la premiere
fois, une attitude mena<;ante, et Louis XIV ju-
gea a propos de donner de Ilollvelles instruc-
tions a Villars. On signa les préliminaires de
la paix de Rastadt , le 6 mars, entre la France
et l'empereur d'Autriche, sans la participation
de l'Espagne. La paix avec l'Empire, ret~rdée
de quelques mois, fut enfin ratifiée a Bade
comme l'Empereur l'avait arretée d'abord a
Rastadt.


lII. La monarchie espagnole, sous Philippe V,
fut réduite a la péninsulp- et aux Hes de la mer


f Le géoéral Harsch défeudit d'ahord la ville avec la plus
grande opinia.treté, se soutint eosuite daos les forts jusqu'au
15 novembre, OÚ Eugene meme lui permit de se reodre.


2 ViIlars oe voulut cepeodaot pas proposer qu'on créat, pour
la priocesse des Ursios, uo duché souveraio daos les Pays-Bas
d'Autriche; et il répoodit que c'était une chose honteuse a
aemander, et me me a proposer.




26 HISTOIRt De XVIlle SIECLE.
d'Espagne, y compris les possessions des Espa~
gnols dans les lndes orientales et accidenta ..
les l. MiJan, Naples, la Sardaigne, et quatre
places fortes sur la cote de Tose:tne 2 furent
cédées a l'Autriche. On donna an dnc de Sa-
voie la Sieile, les forts d'Exilles, de Fenestrelle,
et de Chatean - Dauphin. Les Pays - Bas espa-
gnols tomberent en partage a I'Antriche, et la
France rendít plusieurs villes qui luí avaient
été cédées autrefois; mais on réserva aux États-
généraux le droít de joindre leurs troupes au~
garnisons des places fortes des Pays - Bas, et
l'empereur d'Autriche fut tenu a faire avec eux
un traité de démarcation. Ce traité devenu si
important sous le regne de Joseph Il, ne fut
arre té que le 15 novembre 1715. Aussitot les
Pays .. Bas, jusqu'alors eomme ótages dans les
mains des États-généraux, furent livr:és a l'em-
pereur.


La condition principale du traité était d'en-


1 Le gouvernement commenc;¡a par détruire les priviléges de
l' Aragon et de la Catalogne. Les bra ves Catalans fureut les vic-
times de la misérable poli tique des Anglais, et Barcelone
montra autant de dévouement que Saragosse en montra plu's
tard contre Bonapal'te.


(San Philippe, ensuite Berwíck mémoires, tomo Il, p. 174,
et C<?xe memoirs, t. II, chapo XXI, ont bien tracé le tahleau
de ces efforts.)


2 Parmi elles fut Porto~Longone.




LIVR El, CH A.PIT RE L


tretenir dans ces provinces trente a trente-
cinq mille hommes, et en eas de guerre qua-
rante nülle. L'empereur en fournit trois cin ...
q:uiemes et les États-généraux les deux autres.
Les villes de Namur, Dornik, Meenen, Furnes,
Warneton, Ypres, le fort Knoek, ne devaient
reeevoir dans leurs garnisons que des troupes
des Pays-Bays ; a ces droits des États-généraux
s'attaehait un grand nOlTIbre d'articles onéreux
pour l'empereur. Quant a l'Angleterre, elle se
rendait caution de l'exécution du traité. L'é-
leeteur de Brandebourg, reeonnú eomme roi
de Prnsse par Louis XIV, eut le quartier de la
haute Gueldre.


La Franee, en garantissartt au Hanovre la
suecession au treme d'Angleterre, saerifia le
Prétendant aux Anglais; et leur eéda la Nou-
velle-Éeosse, la baie d'Hudson, Terre-Neuve,
et Saint-Christophe. L'Espagne livra a l'Angle-
terre Gibraltar. Minorque, le Port-Mahon, et
pour trente ans le traité de l'assiente, c'est-a-
dire la traite exclusive des negres dans l' Amé-
rique espagnole. En Allemagne les deux élec-
teurs proserits, eelui de Cologne et de Baviere,
rentrerent dans leurs droits. Louis XIV obtint
Landau, mais il fut obligé de rendre Fribourg,
Brisach et Kehl; au reste la paix de Rjswiek fuf




~8 HISTOfRE DU XV]lI e SIECLE.
maintenue; un des articles préliminaires de la
paix avee I'Angleterre portait déja que ,t'Espa-
gne et la Franee ne seraient jamais réunies
sous le meme seeptre, et que Philippe V devait
renoneer pour Iui et ses héritiers a la sucees-
sion de la eouronne de Franee.


CHAPITRE 11.
GUERRE DU NORD.


l. Depuis le traité de Bade jusqu'a la bataille de Pultava.-
II. Depuis la bataille de Pultava jusqu'aux traités qui ter-
minerent la guerreo - IlI. Changements causés en Europe,
par la guerre du Nord.


1. A l'époque OU l'on voyait tout le midi et
l'occident de l'Europe sous les armes, le sep-
tentrion et l'orient étaient engagés dalls une
guerre générale, qui til'ait aussi son origine du
siecle passé, et qui amena des ehangements bien
plus importants dans les relations de l'Europe
que le partage \ de la monarehie -d'Espagne et
l'élévation d'un Bourbon au trane de ee pays;
ear la Russie sáumit des-lors la Pologne et la
Sued,e.


La prineipale eause de la guerre dll Nord fut,
loros de l'avénement de Charles XII au trane de
Suede, l'espoir que eon<;llrent le Danemarck,




LIV Rl: 1, eH APITR}<~ JI. 29
la Pologne et la Russie de reconquérir les pri-
viléges et les provinces qu'ils avaient perdus
antérieurement. On était bien loin de prévoir
alors qu'un monarque adolescent qui,jusqu'au
moment de la guerre:n'avait aimé que le faste
et la débauche, se montrerait tout-a-coup un
héros: car, peu de temps avant que les enne-
mis de la Suede se fussent ligué s , Charles XII
avait obtenti, par les démarches du comte Pi-
per, qu'il serait affranchi de la tutelle a laquelle
le soumettait sa jeunesse : les États suédois, en
lui déférant le pouvoir absolu, le 9 novembre
1697, lui accorderent, le 20 du meme m9is, une
puissance dont l'étendue ne conservait plus
que le nOID de l'ancienne constitution. Les en-
nemis de la Suede attendaient, del'inexpérience
'et de l'étourderie du jeutie roi, le plein succes
des projets qu'ils avaient con((us depuis long-
temps. Patk1.lJ, un des nlembres de la ch:eva.-
lerie livonienne, opprimé et dépouillé par
Charles XI, fut l'ame de la ligue qui se forma
contre la Suede. C'est lui qui , par la hardiesse
.de ses représentations contre les démarches du
roi;opposées a la constitution, et par ses efforts
alarmants, avait tellement irrité Charles XI,
qu'étant venu en Suede comme député des che-
valiers de Riga, le roi le fitarreter, juger, et




30 HI STOIR E UU X VI (le SÜ~OLE.
condanlner a mort, et illui.en couta beaucoup
de cornmuer eette peine.


Patkul ayant trollvé plus tard les "moyens
de s' échapper, alla porter les armes en Saxe,
d'ou il passa en 17°1 art service de la Russie.
Auguste, roi de Pologne, électeur de Saxe, et
Christiern V, roi-de Danemarck, avaientbien
contracté une alliance le 24 mars J 6g8 ; mais
la circonspection de Christiern avait empeché-
qu'elle ent des résultats. A l'instigation de Pat-
kuI, les Saxons chercJ:¡erent a faire une .. nou·
velle alliance ayec Frédéric IV qui venait de
succéder a son pere : Frédéric envoya secrete-
ment son grand chancelier Revendau a Dresde,
ou il fit, avec le tout puissant Flernming, un
traité formel, offensif et défensif contre la
Suede; personne n' en fut instruit que Patkul
qui, envoyé ave e CarIowiz ~ Pierre Ier, le dé-
termina le 1 1 novembre a signer ce traité. Le
Danemarck cOllunen<;a les hostilités en traitant
.en ennemi le duc de Holstein, beau-frere de
Charles XII, depuis long-temps alIié de la Suede,
et en rOlupant la paix d'Altona.


Presqu'a la nleme époqpe, des troupes saxo-
nes marcherent contre Riga, et Pierre Ier en-
vahit la Livonie et l'Esthonie ave e ses Russes
encore mal disciplinés. Des que la. guerl'e eut




LIVRE 1, CHAPITRE 11.


éclaté, OH s'aper<;llt que 1'on s'était t,'olnpé sur
le caractere de Charles XII; 11 n'attendit pas
que les garants du traité d' Altona, et leur ar~
mée commandée contre le Danemarck, eussent
forcé Frédérie IV a maintenir la paix; il fit
preuve d'une témérité sans égal~ 1, alla droit
en Zélande, et aborda le 25 juillet 17°0, en
présenee de ton tes les forees danoises. Il se
proposait, aussitot que son artillerie serait ar-
rivée de Suede, de bloquer, avee qninze mille
hommes, la,viUe de Copenhague. A son grand
déplaisir, et avant qu'il eut rassemblé le In a ..
térieI du siége, la pajx fut faite au mois d'aout,
par la Inédiation des garants du traité d'AI-
tona, a Traveridahl, dans le chateau du dne
de Ploen. Elle assura él la Suede et au dnc de
l-l01stein-Gottorp une satisfaetion éclatante.


Sur ces entrefaites les Saxons éehouerent de-
vant Riga. Pierre eommen<;a le siége de Narva
le 17 septcmbre 1700; et Charles, a pres un
eourt séjour en Suede, se dirigea en toute
hate 'vers la Livonie et 1'Esthonie eontre les


1 La flotte danoise était dans le Chenal; les fIottes anglaises
et hollandaises, quoique envoyées au secours des Sriédois,
avaient rec;u l'o.dre formel de ne pas faciliter l,e passage des
Suédois en Zélande. Cha~les XII for~a son amitalle comte de
Wachmeister a passer par la Flintrinne , proprement dite, OU
Óll a"ait cru jusqu'a présent le passage desgrands batiments im-
possihle. Les autres fioUes furent alors obligées de le secorider.




32 HISTOIRE DU XVIlIe SI1~CLK
Saxons et les Russe~. Il débarqua avec son ar-
mée, le 5 octobre, pres de Pernau. Les Saxons,
dont l'entreprise ne fut ni approuvée ni ap-
puyée par les Polonais, qui ne partageaient
point l'opinion de leu!' roi, s'étaient retirés.
Charles alla done au-devant des Russes qui as-
siégeaient Narva. Toute l'armée russe, organi-
sée depuis peu, était forte d'environ quarante
mille- hommes; Charles n'en avait que dix-huit
mille, encore le terrain ne lui permettait-il
el' en faire agir que huit milie. Cependant il
remporta du 20 au 21 une victoire si complete
que tout l'état-major, cent quarante-cinq ca-
nons et vingt-huit mortiers tomberent en son
pouvoir. Il passa l'hiver en Livonie et conc;ut
des-Iors le projet de détroller le roi Auguste
en Pologne, et d'exercel' ainsi s~r lui une ven-
geance san s exemple. Les dissensions intérieu-
res des Polonais, les différents entre les fa-
milles de Sapieha et d'Oginsky en Lithuanie 1
firent entrevoir a Charles la réussite possible
1e son projet, contr~ire cependant a la con-
stitution et aux usages du pays; mais il comptait
que les armes d~s Suédois lui donneraient le
droit de hasarder des dIoses nouvelles.


I Supplément de Nordherg -a la lIje de Charles XII, ( 3 vol.
in-4°.) piece nO XII et xxx des suppléments.




LIVRE 1, CIlAPITRE n. 33
Pendant que Charles se préparait á trans-


porter la guerre en Pologne, Pi erre et le roi
Auguste eurent a Birzen en Lithuallie une en-
trevue qui dura depuis le lnois de février jus-
qu'au mois de mars 1701, et dans laquelle ils
contractt~rent une alliance plus intime qu'aupa-
ravant. Dans ce nouveau traité, tout l'avantage
était encore du coté de Pierre; il parvint a
tourner la puissance entiere de Charles contre
Auguste, et, pendant la campag~e de Pologne
et de Saxe, il eut tout le 10isir d'occuper I'ln-
grie 1, et de porter a diverses reprises la guerre
dans l'Esthonie et dans la Livonie. Charles mit
d' abord les Saxons e~ déroufe, et a la demande
de la diete l'entrée de la Pologne leur fut in-
terdite : enfin, les mécontents, et parmi eux le
primat et l'archeveque de Gnese, le cardinal
RadzewusJ{y, en trerent en correspondance ave e
le roi de Suede; celui-ci leur exposa s~n projet
de détroner le roi Auguste et de faire une nou-
velle élection. Mais le moment de la déchéance
n'étaitpasencorevenu,etCharlesagissaitmeme
contre les lois et les coutumes de la Pologne,
malgréles tOl;ts qu'on pouvait reprocher au roi
Auguste d'avoir violé sa capitulation.


I Pierre Ier jeta, comme on sait, d"es l'an -1'704, les fonde-
ments de Saint-Pétersbourg.


H. I. 3




34 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
La Lithuanie et la Courlande furent ravagées


par les Suédois; les Saxons sueeomberent par-
tout en Pologne, et l'armée polonaise de la
couronne, enfin rassemblée sous les orares
du roi, essuya une défaite si cornpIete, pres
de Clissov, entre Varsovie et Craeovie, le 20
juillet 1702, que le camp, avee toute l'artil-
lerie et les bagages 1 , tomba au pouvoir de
Charles qui occupa Cracovie le 10 aoUt.


Malgré les maux que la Pologne endurait
de la part des Suédois et meme des Russes ses
alliés, la proposition de la déchéanee y trouva
encore bien des adversaires; et ce ne fut que
le 21 janvier 1704 qu'un parti se rassernbla a
Varsovie, se eonstitua en confédération géné-
rale, se déclara dégagé, de l'obéissanee envers
le roi, prononc;a la vacan ce du trone et fixa
une nouvelle éleetion. Si les deux fils alnés de
Jean Sobiesky, gui, eomme roi de Pologne,
s' était acquis une gloire I>ternelle par le secours
qu'il porta a yienne assiégée et par ses victoires
sur les Tures, n'avaient été arretés, eontre le
droit des gens, en Silésie, et eonduits a Leip-


I Un seul trait caractérise Auguste et Charles XII. Auguste
députa au roí de Suede, avant de faire, la paix, la helle
KrenigsnÍarck; il refusa m~me de la voir. Charles trouva dans
le camp de Clissov cinq cents dames de la suite d' Anguste;
il les fit conduire sous escorte jusqu'aux frontieres de la Saxe.




LIVRE 1, CJlAPITRE XI. 35
sick par des troupes saxonnes, d'apres un or-
dre du roi Auguste, un d'eux aurait sans
doute réuni les suffrages. Alexandre, leur ca-
det, refusa la couronne, par égard pour ses
freres. Sans ce refus, Charles aurait certaine-
ment donné la préférence a cette famille l. Mais
aucun des membres de la maison de Sobiesky
ne pouvant etre élu, il suivit son affection per-
sonneHe et exigea que les Polonais nommas-
sent Stanislas Lescinski, vayvode de Pose, qui
avait su gagner ses bonnes graces.


Autant le cardinal primat était indisposé
contre Frédédc-Auguste, autant l'élection de
Stanislas lui déplaisait. Il refusa de présider a
l'élection, et l'éveque déposé fut obligé de le
remplacer le ¡er juillet 17°4, jour des votes.
Le général Rorn , commandant la garnison sué-
doise a Varsovie tint dan s lerespectl'assemblée
électorale; enfin, a neuf heures du soir ,. l'ar-


I Une lettre de Charles, datée de Heilsberg, du 13 décem-
hre , dans V oltaire; rie d' A uguste, pago 447; dans Lamherty,
tom.UI, p. 33 la ; dans Schmauss, t.lI, pag.,3 !)O, recommande
Sohiesky. •


Nordherg regarde tout cela comme úne fiction de Voltaire ;
la raison qu'il en apporte n'est pas solide. Ilattaque l'authen-
ticité de sa lettre, en soutellant que Charles n'était pas encore
a cette époque a Heilsberg. Son traducteur a déja fuit quel9ue!J
objections, et Weisse, Kursoochsische Geschichte, (Histoire de
la Saxe électorale) tomo V, pago 374, regarde la lettre comme
authentique.


3.




36 H ISTOIRE DU X V IUe SIltCLE
gen t, les troupes suédoises, et les liqueurs fortes
assurerent tous les suff~ages a Stanislas. Le car-
dinal primat n'osa point désavouer le nouveau
roi que Charles venait de reconnaltre; mais
l'éveque rusé ~luda la fonctíon du couronne-
ment par un prompt départ pour Dantzick, et
Stanislas ne fut solennellement couronné que
l'année ~uivante, .au ntois d'octobre 1705, a
Lemberg, par l'archeveque de cette ville, en
présence de Charles XII.


Le COUl'onnernent avait été retardé par la
tournure que la guerre venait de prendre. Char-
les, apres l'élection, marcha de suite sur Lem-
berg. Auguste, renforcé par des troupes russes,
avait profité de son absence pour faire capitu-
ler Horn el: les Suédois a Varsovie, et pouren-
voyer l'éveque de Pose a Rome. Les socces des
Saxons et les· irruptions des Russes en Livo-
nie et en Lithuanie ne donnerent pas un in-
stant de repos aux Soédois, quoique Auguste
demenrat toute l'année 1705 en Saxe.' Il fallut
a Charles une nouvelle victoire décisive pres
de. la Vistule, a la fin du mois de juillet 1705,
pour que toute la Pologne retombat au pouvoir
des Suédois.


L'année suivante, Charles fut retenu en Li-
thnanie, on le roi de Pologne détroné eut une




LIVRE 1, CHAPITRE tI.


conférencé" avec Pierre Ier. A son retour, Au-
guste résolut de surprendre Varsovie pendant
l'absenee du roi de Suede, et eette tentative va-
lut a Rhensehmld, général suédois, 1'occasion
de se distinguer par un des plus brillants faits
d'al'mesque laguerre duNord aitproduits? Aux
Saxons commandés par Schulenburg et dont
les troupes seules étaient déja plus nombreuses
que l'armée suédoise, se joignirent encore des
Polonais et six mille Russes. Cependant Rhens-
chreld 5' opposa pres de Fraustadt ou V schova
au passage des S'lxons, n'hésita pas un instant
a donner hataille et décida en deux heures la
victoire, le 14 flvrier 1706. Toute l'armée
saxonne fut entiereme'nt dispersée, l'artillerie
prise', et Auguste voyant son plan 'sur Varsovie
manqué, alla d'abord a Cracovie, puis en Li'-
thuanie. Charles voulant terminer a sa maniere
tous les différents de la Saxe et de la Pologne',
marcha sur I'Allemagne, a la tete de vingt-
deux lnille soldats,aussi braves que mal vetus,
sans s'inquiéter des menaces de l' empereur et
des déerets de I'Empire 1; et, du 22 au 26 ao~t,
ayant traversé la Silésie, il entra en Saxe sans


1 Le cabinet de Vienne, d'abord san's nommer Charles,
ensuite le nOJIllnant expressément "avaitdéclaré qu:il serait I'e-
gardécomme ennemi de l'Empire s'il passait l'Oder, pendant la
guerre contre les Fran<;ais.




38 HISTOIRE DU XVIIle SI:ECLE.
en demander la permission a l'empereur alors
souverain de la Silésie.


Aussitot que Charles fut entré en Saxe, Au-
guste sollicita sérieusement la paix. On la con-
clut au mGis de septembre 1706 a Alt-Rans-
tredt pres de Leipsick, d'apres les conditions
onéreuses que Charles prescrivit. Auguste fut
obligé de se soumettre a une autre humiliation
pour ne pas irriter le vainqueur; il se vit forcé
de recevoir non-seulement Charles, mais aussi
Stanislas, et de saluer ce dernier comme roi.
L' équipage de Charles dans cette occasion fut
aussi singulier que son discours l. La condition
la plus ignominieuse de la paix fut ceHe de li-
vrer le malheureux Patkul, dont on ne saurait
approuver le caractere et les menées, mais en-
vets qui le droit des gens et de l'humanité se
trouvent quatre fois violés; la premiere foís,
par le ministere saxon, dont il dévoila la pe-
titesse et qui le fit arreter malgré son titre d'am-
bassadeur de Russie; en second lieu le meme
gouvernement le li vra a un ennemi irrité; en-


1 On trouve une peinture tres-avantageuse de Charles XII,
par un Polonais témoin oculaire, qui a cité au moins les faits
avec fidélité, dans I;.amherty, tomo IV. page 436-37. L' 0-
pinion contraire , rapportée par un Anglais , s'y trouve a
c6té, pago 439, ou il dépeint en m~me temps ,A.uguste Sta-
nislas.




LIVRE 1, CHAPITRE JI. 39
suite Charles le 6t rouer de la maniere la plus
cruelle 1 ; enfin Pierre Ier par poli tique ne se
vengea point sur la Saxe de la violation du
droit des gens et des horreurs qu' elle se per-
mettait envers ses plénipotentiaires.


Charles demeura plus d'une année en Saxe,
équipa toute son armée a neuf, la recruta, et
leva des sommes immenses 4ans un pays épuisé
par l'administration infame de Flemming et par
la prodigalité d' Auguste; l' électorat lni paya en
Qutre six cent rnill~ ~cus par mois; et 'cepen-
dant les Saxons le trouverent plus éqnitable
envers eux que leur propre souverain et leur
noblesse 2.


Le séjour en Saxe avait porté l'ar~ée sué-
doise a trente quatre mille homm~, mais ce
n'étaientplusdevieuxsoldatsaguerris;c'étaient
de jeunes paysans rassemblés en Suede, ou
de Inauvais sujets enrolés a la, hateo


An nlois de septembre, Charles se mit en


1 Wei~se, Histoire de la Saxe électorale, tomo V, pago 384,
indique les ouvrages OU l'on peut trouver les notions les plus
exactes sur cette histoire.
~ Flemming avait. l'impudence de demander au roi, que


dan s la tépartition des tailles, il voulut faire attention que
la noblesse et toutes les autres personnes exemptes , ne fussent
point chargées de cet impot. Le roi répondit tres-judicieu-
sement qu'il voulait bien qu'elles restassenttoutes exemptes,
si de rien elles pouvaient faire de l'arg~nt.




40 HIS'rOIRÉ ])U XVIIle SJECLE.
111arche contre Pierre; il demeura quelque
temps pres de Pose avant de décider s'il irait
en Livonie ou directement él J\ioscou. Pi erre
venait d'occuper et de coloniser toute l'Istrie,
de ravager I'Esthonie, la Courlande et la Po-
logne; et Lrewenhaupt , le général le plus dis-
tingué de Charles, ne défendait qu'avec heau-
coup de peine la Livonie contre les Russes. Tout
le monde s'attendait a voir Charles chasser d'a-
bord l' ennerni des provinces de la mer Baltique,
et pénétrer ensuite, renforcé par Stanislas et
ses Polonais, plus avant en Russie. Son carac-
tere violent en disposa autrement.


Mazeppa, chef des eosaques, ber~a le roi
de Sued~ de l'espoir qu'il s'unirait él lui avec
tout son lleuple, s'il s'avan~ait par la Pologne
en Ukraille, et de la directement él Moscon.
Charles agréa cette proposition qui flattait ses
idées, sans examiner les ressources de Mazeppa;
et il se mit en marche malgré l'hiver, depuis le
mois de février jusqu'au 17 maiI708. L'armée
suédoise gagna la Lithuanie et s'arreta quelque
temps pres de laBérésina. En continuant sa mar-
che, tout le SUCct~s dépendait de sa jonction
avecLrewenhaupt qui amenaitde la Livonie des
chevaux, des vivres, des munitions, des ren-
forts, et toute l'armée qu'il y avait commandée·




LIVRE J, CHA.PITRE Il. 4.t
Charles aurait :dli alors se diriger vers Smo-


lensk, ou attenclre Lrewenhaupt a l'endroit
fixé pour leur réunion, ou s'avancer apetites
journées. Il ne fit rien de tout cela; au lien d'aI ..
ler a SmoIensk, ii pri tune route tout opposée
pour se rendre en Ukraine, et,au lien d'attendre
Lrewenhaupt, il fit des Inarches forcées, du 15
au 25 septembre : aussi ce général, poursuivi
par toute l'armée russe, ne put atteindre le
roi de Suede, et, attaqué par quarante milte
Russes, iI livra le 28 et le 29 septembre 1708
une bataille mémorable entre Lisna et Pro-
pOlsque, oú iI demeura maltre du champ de ,
bataille. Il rejoignit enfin son lnaitre le 13
octobre avec ses troupes réduites a dix mille
hommes, il s'était vu obligé de détruire son
artillerie, se~ bagages -et ses provisions, pour
conserver les chevaux, de se faire jour a travers
un ennemi trois fois supérieur, et detraverser
des déserts horribles, par de~ routes inconnues "-
et non frayées. Les provisions que Lrewenhaupt
avaitamenées, et qui étaient indispensables aux
Suédois, s'ils vou]aient avancer, étaient aussi
perdues. l\lazeppa venait d' etre abandon~é de
ses soldats, et on avait manqué Staradub, le
meilleur défilé en Ukraine.




42 HISTOIRE DU XVIlIe SI:ECLE.
L' opinüitreté que Charles montra tan t de fois,


put seule exposer une si belle armée a une
perte évidente. Des besoins de toute espeee,
la fa~m, le manque de vetements, le froid en
170 9, (eomme en 1740 1 ), plus rigoureux
qu'on ne l'avait jamaiséprouvé en Europe,
et les travaux pénibles exéeutés dans un
terraill gelé pour fortifier Pllltava, eouterent
la vie a des milliers de Suédois. Les attaques
des Russes tirent aussi, périr beaucoup de
monde.


Des le moÍs d'avril il n'y avait plus de suc-
ces a espérer de tous les efforts de Charles et
de son armée ; a11 mois de mai to~s les ouvrages
faits par les Suédois étaient détruits; cependant
Charles passa le'mois de juin dans une inaction
complete. 11 donna enfin le ID juillet une ba-
taille do'nt l'is~ue était facile a prévoir. n parait
que Rhenschreld, fatigué d'un entt~tement sans
exemple 2, que pourtant H avait favorisé d'a-


I Et cotmne en 1812.
2 Charles XIT fut eaprieieux , mais il ne fut point fou. Rühs,


Geschiehte von Sehweden, A,llgemeine Weltgesehiehte (Bis-
toire de SuMe, dans l'Bistoire ulliperselle) , vol. LXVI, p. 285,
ou li V. XVIII, § 41 5 , n' aurait done pas dñ raeonter, sur la foi
de Gyllenkrrek, que Charles s'était proposé d'aller abSolument
en Asie , et qu'il avait eru y arriver sans heaucoup de peine.
Adlerfeld raconte eette histoire d'une maniere bien plus rai-




LIVRE 1, CHAPITtU! 11. 43
bord, négligea les dispositions qui auraient
pu assurer le succes de la bataille~ Piper et
lui se rendirent aux Russes pour éviter les
effets de la coIere du roi. Toute l'armée
suédoise fut détruite, et les dix-huit mille
hornmes qui, sous la conduite de Lrewenhaupt
etKreuz, échapperent au carnage, capitulerent
avec précipitation. Charles seul se sauva par
sa térnérité; il passa le Bog avec deux mille
hornmes, parcourut du 14 juillet jusqu'au ¡er
aout l'Ukraine, arriva a Bender ,se mit sous la
protection des Turcs, et voulut demeurer en
Turquie, jusqu'a ce qu'il pút fondre sur la Rus-
sie a la tete d'une armée ottomane.


H. Tandis qu'a"Bender Charles voulait régner
sur la Suede et faire la loi au sultan; tan-
dis qu'il renversait les grands visirs qui lui
étaient opposés, et que ses ambassadeurs dé-
terminaient les Turcs a décIarer la guerre a la
Russie, ses ennemis n'étaient pas moins actifs.
On renouvela d'abord au mois de juin 1709
le traité entre le Danemarck el: la Suede. En-


.,


-- sonnable. Kolomark, dit-íl, n'étantéloigné que de sept lieues
de l'endroit ou le pays des Tartares Nogais commence, le vieux
Mazeppa, pour flatter le roi, s'approcha de luí a cheval, et s'é-
cria, qu'ils n'étaient qu'a huit lieues de l' Asie. Le roí luí ré-
pondlt en souriant: Sed non conveníant geographi,. et Mazeppa
demeura confuso




44 HISTOIRE DU XVIJIe srECLE.
suite Wurtembe.rg, Revendau et Fleluming ;
favoris du premier roí de ,Prusse, du roi de
Danemarek et' de l'éleeteur Auguste, délibé-
rerent eomment la Prusse pourrait prendre
part au démembrement de la Suede. Auguste
enfin se dirigea sur la Pologne a la tete de
quinze mille Saxons. Il se mit en marche le 8
aout. Le manifeste d'apres lequel iI reprit le
litre de roí, et rompit la paix d'Alt-Ranstadt,
ne parut que ·le 18 du me~e mois; mais avec
son- arrnée brillante d'or, d'argent et de soie,
a laquelle se joignait une garde a eheval eom-
posée de eomtes, vieorntes et marquis fran-
c;ais, écossais, italiens, un corps de satellites
et de gardes du eorps du nlelne rang 1 ; iI n' osa
point attaquer les neuf mille Suédois en souque-
nilles que Crassau arnenait de la Pologne en
Poméranie, et auxquels Stanislas se joignít plus
tard, avee huit mille Polonais demeurés fideles
a son parti.


I Le roí étaít lui-m~me capitaine de cette garde a cheval; un
ital~l en était lieutenant-capitaine. L'uniforme était excessÍ-
vement riche et galonné.Cette garde se composait de quatre
brigades dont chacune comprenait soixante cavaliers. I1 fallait
a chacun deux ou trois chevaux et un palefrenier; plusieurs
avaient six chevaux, un cuisinier et un valet de chambre; plus
ils en avaient, plus ils étaient considérés. Les soixante satel-
lites a cheval, commandés par Flemming, étaient équipés de
meme, ainsi que les gardes du corps.




LIVRE 1, CHAPITRE II. 45
Les Da.nois ayant envahi Schonen, au mois


d'octobre, furent totalenlent battus en Alle-
magne. Les garants du traité de Travendahl
désirerent conserve!' la paix. L' empereur, les
Pays-Bas et l' Angleterre, pour réprimer la guerre
au nord de l'Allemagne, et pour avoir la fa-
culté d' agir avec plus d' énergie sur le Rhin,
contre les Fralu;ais, offrirent aux Suédois, dans
la convention de La Haye, au 20 ll'lurs 1710, de
défendre leurs pays allemands, s'ils consen-
taient a ne point porter le théatre de la guerre
d~ns l'Empire, ni sur le territoire de I'Allema-
gne. La régence suédoise aceepta eette propo-
sition, mais Charles la rejeta avec le plus grand
mépris; cependant la paix ne fut point trou ..
blée pendant quelque temps.


Charies, de Bender qu'il occupait toujours,
ne cessait d'exciter le sultan a combattre la
Russie. Il vit enfin ses désirs réalisés, et il par-
vint au mois demaiI 710, a faire nommer vi-
sir Achmet Kupergli qui lui était entierement
dévoué. Achmet ne put se soutenir; et néan-
moins la guerre fut déclarée au nlois de no-
vembre. Charles XII pe:r:dit par sa faute ·tous
les avantagesqu'ils'en étaitpromis. Lenouveau
visir Mehemet Battadschi, déja ennelui des Sué-
dois, s'irrita encore plus des bravades de Char..,




46 HISTOIRE bu XVIII" Sd~CLE.
les et de son refus de lui rendre une visite' dans
son campo Il négligea a dassein de profiter des
avantages de la campagne.


Pierre comptant sur son ami Cantemir,
hospodar de la Valachie, s' était hasardé, comme
Charles XII, d'apres les promesses de Mazep-
pa, dans des contrées ou les vivres lui man-
quaient. Il voulut ensuite réparer sa faute en se
dirigeant du Niester vers lePruth, mais a peine
en touche-t·il les Dords qu'il se voit cerné\de
tous cótés. Le 1.0 juillet 171 I , les Russes pri-
rent le parti désespéré de briller, dans les re-
tranchementsbloqués par l' ennemi et enfermés
par le Pruth, tous les chariots' et tous les ba-
gages; l'armée resta sans vivres, les chevaux se
nourrirentde feuillages et d'écorces, et les sol-
dats, ponr se défendre de l'ennemi, éleverent
autour d'eux un rempart des cadavres de leurs
freres. Charles, ayant appris la position des
Russes, comptait le lendemain apprendre ~ cha-
que instant que lenr armée était entierement
détruite ou faite prisonniere, quand on lui an-
non~a que le visir n'avait pas seulement signé
la paix,maislivré passage a toute l'armée russe l.
La violence de l'envoyé suédois Poniatowski,


I Pierre I.er attribue, comme on sait, dans un manisfeste ,
.a Catherine, qu'il avait déja déc1arée aloI's son épouse el qu'il




LIVRE 1, CHAPITRE II.


qui s'opposa au visir et voulait melne lui don-
ner des ordres, h:ha san s doute le traité, et le
roi de SuedQ, accourant enfin lui-meme, ar-
riva deux jours trop tardo Des ce moment Char-
les, XII rompit ouvertement avec les Turcs et
leur livra a Bender une bataille rangée. De
la il se retira a Demirtasch et ensuite a De-
motique, ou iI demeura huit mois en proie a
sa mauvaise humeur.


Sur ces entrefaites, le Hanovre s'associa en
secret a ses ennemis ; une armée de Russes, de
Polonais et de Saxons entra dans la Poméranie
suédoise, en occupa une partie , et se disposa
a assiéger Stralsund. Stettin fut bloqué, Wis-
mar assiégé par les Danois, qui pénétrerent
au nombre de douze mille, au mois de juillet
1712, dans les duchés de Brelne et de V oorden,
alors a la Suede l.


I .. a nation suédoise épuisée, donna une
nomma ensuite impératrice , la plus grande part de ce change-
mento II est cel'tain qu'elle l'avait pris a calUr et qu'elle avait
m~me sacrifié tous ses hijoux.


1 11 est vrai que cela ne pouvait pas se faire sans la conni-
vence du Hanovre. Cet État ayant pr~té cent mille écus au Da-
nemarck, en avait re~u, comme possesseur d'Oldenhourg et de
Delmenhorst, ce dernier comté en ótage, mais son8 la con-
dition expresse que le Danemarck. occuperait Bréme et V rer-
den, les donnerait au Hanovre et reprendrait Delmenhorst en
échange. Le Hanovre lailsa done passer les Danois, contre tout
dr~it des gens, par le territoire de Lauenhdurg.




If8 HISTOIRE DU XVIlle ~Ii:CLE.
preuve de son énergie en équipant une armée
de vingt-quatre mille hommes, que le général
Stcnbock conduisit le 14 septembre a Stral-
sund. Stenbock attaqua malheureusement les
Danois, au lieu de tourner ses arrnes contre
les Russes et les Saxons. n n'échappa que par
une marche hardie aux armées qu'illaissa der-
riere lui, et battit ensuite, au milieu du mois
de décembre, les Danois pres de Gadebusch;
lnais iI souilla sa victoire par la barbarie qu'il
eut de mettre le feu a Altona l. Des -lors la
fortune lui tourna le dos; serré par les Russes
et les Danois, il s' avan~a dans le Hols tein , san s
avoir formé aucun plan: une intrigue de Grerz,
nlinistre de Holstein-Gottorp, depuís si céle-
bre, lui favorisa l'entrée de la forteresse de
Trenningue; mais le 19 nlai 1713 il se vit forcé
de se rendre avec toutes ses troupes.


1 On dit ordinairement que ce fut par représaiUes que les
Danois avaientbombardé Stade, m~is Stenbock méme n'en dit
pas un moto V oici comment iI s' exprime la -des sus dans sa lettre
(V oyez Lamberty, t. VIII, p. 291 ) : '" Les Russes ont entiere-
" ment dévasté la Poméranie; je vais done bruler dans le Holstein
" autantde villes et de villages qu'ils en ont brulé en Pomérallie.»


Il est a remarquer que l'incendie des grandes villes est as-
sez fréquent dans les gnerre8 du nord , et l' on en con~oit faci.
lement la raison. eomme on a besoin d'abri pendant l'hiver,
dans ces climats affreux , c' est détruire son ennemi que de le
laisser a la merci des éléments; les effrayants résultats del'em-
,brasement ~ Moscau en fournissent une preuve a jamais
mémorable. (Note dll tradllcteur.)




LIVRE 1, CHAPITRE II. 49
La puissance suédoise parut alors totale-


ment anéantie. I".- Danois oceuperent le Hols-
tein-Gottorp ; Breme et Voerden n' épargnerent
que Stralsund et les Iles. Par une nouvelle
intrigue du eomte de Grerz, des troupes
neutres du Holstein-Gottorp et de la Prnsse
furent luises en garnison a Stettin et dan s une
grande partie de la Poméranie ; mais le carac-
tere de Frédéric-Guillaume, nouveau roi de
Prusse, qui venait de prendre les renes du
gouvernemellt au mois de février 1713; la
somme considérable 1 qu'il paya pour la neu-
tralité de Stettin, les promesses secretes, faítes
probablement par Grerz, ainsi que tont l'état
des choses, laisserent peu d'espoir que cette
partie de )a Poméranie revint jamais aux Sué-
dois.


La nouvelle que tons ses États allemands
étaient perdus, qu'un nouveau siége n~ena<;ait
Stl'alsund, réveilla enfin Charles a DéInotique


1 Grerz avait, déj a peu auparavant, obtenu des alliés, que
Stettin et Wismar fussent reconnus neutres, en cas que la
ville de Stettin fut occupée par des troupes de Prusse et'/ du
Holstein-Gottorp ; mais le commandant suédois, Meyerfeld,
ne voulu t pas en entendre parler. '


La forteresse fut assiégée, mais Grerz gagna Menzikoff, le
favoriavide de Pierreler~ parquatrecentmilleécusque laPrusse
paya, pour qu'apres la prise de la ville, iI ne la remlt ni aux
Russes ,ni aux Saxons, mais aux trouI~s neutres de Prusse et
<Iu Holstein-Gottorp.


TI. J. I , ~




50 HJSTOIRE DU XVIIle SI'ECLE.
et il partit subitement avec une folle précipita-
tion poul'laSuede.Il avaiten.urqllieaussi pell
de cl'édit que soo. royaume avait d'importance
en EurQpe l. Un négoéiant anglais lui fournit
par générosité de l'argent pour son voyage,
qu'il fit a cheval depuis les frontiere'S de la Vala-
chie jusqu'a Stralsund, du 73 octobre au 11
novembre '714. Aussitot qu'il y fut arrivé,
le rusé comte de Grerz 2 gagna sa confiance
et joua alors, dans les affaires de l'Europe, le
lnetne role que dans leHolstein-Gottorp 10rs-
qu'il entraina le duc et le pays dans la meme
ruine 3.


L' occllpatioo de Stettin par les Prussiens
fut la premiere difficulté que le roi de Suede
l'encontra a Stralsund ; et Grerz essaya en vain


IOn a évalué que la guerre de Charles XII, dans l'année
17°9, avait déjit conté a ]a SuMe, peu populeuse, environ
quatre cen~ mille hommes. L'an 1714 tous les impóts furent
doublés , les soldats et les matelots levés de force, et les bour-
geois contraints de donner leur argenterie II tit.re de prét.


2 Leur connaissance date déjil. de l'an 17°7, ou Goorz et
Marlborough furent en Saxe pres de Charles; Grerz étant alors
plus ,consulté et méme plus employé que Piper, ne vivait pas
en tres-bonne intelligence avec lui.


3 Wedderkopp y domina avant Grerz, dont il était exacte-
ment le pendant. Grerz le renversa par une série de cabales
et d'injustices honteuses ; prodigua l'argent de son maitre a
ses créatures; tint Charles en Turquie par Fabrice dans ses
filets, et flt perdre a son maitre, le neven de Charles t le
Holstein et In SuMe.




LIVRE 1, CHAPITRE U. 51
ses artifices a Berlin pour rentrer en possession
de la ville. Il y perdit son argent et ses
peines l. Le roi de Prusse, pénétrant les projets
de Charles, s'associa l'année suivante aux en-
nemis de la Suede, désarma les soldats du Hol-


I


stein-Gottorp, qui étaient en garnison a Stettin
avec les Prussiens, les fit prisonniers de guerre.
et marcha, au mois de juillet 1715, a la tete
de vingt milI e hommes, sur Stralsund ,ou il
trouva l'armée danoise, tandis que Charles n'a-
vait pu amener pour la 'défendre que quinze
mille Sl1édois.


C'est a tort qu'on accuse Charles XII de n'a-
voir vouln se preter a aucun accommodement2.


1 11 s'en tira tres-mal. Sachant que Gumrbkow, dont l'avi-
dité était sans bornes, dirigeait entierement Frédéric-Guil-
laume, iI lui préta quatre mille écus; celui-ci néanmoi~s lui
fit dire sechement, lorsqu'il vint l'an 1714 a Berlín, de s'en
aller sans délai. Il demanda alors son argent, qu'on ne lui ren-
dit paso Le roi luí envoya son secrétaire, et lui fit signifier de
quitter sous dix heures la résidence, et en vingt-quatre laPrusse,
puisqu'il ne faisait (ipsa 'Verba) que brouiller ses ministres. Les
autres pieees justificatives se trouvent dans Lamberty, t. VIII,
pago 876 et sui".


2 Flassan (Histoire de la diplomatre franfaise) donne des
notions sur sa liaison avec Louis XIV et Colbel't-Croissy (le
frere du ministre Torcy), sur son voyage a Berlin et a Stral-
sund. Le rapport du baron de LottuII\ prouve que Charles
commenfiait a fléchir. (Voyez Schlrezer Staatsanzeigen, Annonces
politiques., page 468, dans la COI"responda.ncs de Lamberty;
Nordherg, ríe de CI,arles XIl, tomo 1lI, pago 197. Büsching,
JJfagasin, t. xx, 'page ,32 el SU;".)





52 HISTOIRE DU ~VIIle srEcLE.
Le roi d'Angleterre Georges Ier, qui monta sur
le trone á l'époque ou Charles quittait Démo-
tique, accéda aussi au mois de juillet a ce traité
inique,mais. seulement en qualité d'électeur
de Hanovre, et iI envoya un petit nombre de
troupes se join~re aux Danois devant Wismar.
Le p~ix de la paix était Breme, Voerden" et le
pays de Hadeln que les Suédois avaieht occu-
pés jusqu'alors, comrne troupes de cercle, par
ordre . de TEmperenr 1 ..


JJe" Hanovred'ailleurs ne dé clara la guerre
qu'au moís d'octobre, lorsqu'on ouvrit les tran-
chées devant Stralsund. Charles défendit cette
ville avec beaucoup de valeu~ et de persévé-
rance, lDais il n'en tira d'autre fr'uit que la perte
du reste de ses braves Suédois. Il fut obligé
d' abandonner la ville, le 1 o décembre 1715, sous
le fen de l'ennemi, et le général Duckert capi-
tula aussitot apres son départ.


Au mois d'avril 1716, Wisrnar fut pris pa~ les
Danois, et la Suede vit toutes ses possessions
perdues en de<;a de la roer 13altique. Depuis


x Dans les conditions manifestes, on ne lui en donna que
six cent mille écus, et deux cent soixante-dix-sept mille d'im-
pots restants; mais en secret (voyez Bassewitz, Éclaircisse-
ments; aans nüsching . Magasin, tomo IX, p. 327) le ministre
de la Grande-Bretagne et celui de Hanovre luí garantirent la
possession de la partie de Sleswick, énle\'ée au duc de Hols-
tein-Gottorp.




LIVRE 1, CHA.PITRE 11. 53
ce llloment Grerz commen~a ses opérations de
finan ce en Suede; plus tard il se lia avec A.l ..
béroni, qui jouait en Espagne le meme role que
lui en Suede. Tous les deux voulurent réfor-
mer les gouvernements de:France et d'Angle-
terre par la violence, et constituer rEurope
selon leur maniere de voir. Les Anglais décou-
vrirent assez t6t la liaison qui existait' entre
le ministre suédois el l' eS'pagnol. Grerz, arreté
au mois de février 1717, :en Hollande, ou il
s' érait rendu pour conduire l'intrigue de 'plus
pres, demeura prisonnier jusqu~au- mois de
juillet.


Cependant il était parvenu a rapprocher
Pi erre Ieret Charles XII , . et a éloigner pen-
dant quelque temps la guerre des Russes
eontre la Suede l. Mais, tandis qúe 'G~rz et
Albéroni rendaient Pierre favorable:: a:leuÍ's
prójets 2, et qu'ils le décidaient enfina entrer
formellement en négociation, Charles; fit. des
expéditions réitérées en N orvege; iI y perdit,


• en se l'etirant du'pays, un grand .. nombre de
J Grerz, rendu ida liberté, quittad'abord la Hollandepourse


retirer dans une terre qu'il avait a.huít licues de1lerlín, etIlé~
gociá en appUl'ence avec laP~usse; iI se tOllrnaensllite tout
_ de hon versFlemming en Saxé, aUa de lit á Sáint-Péfersbourg.;
et ce ne fot qu'alors qu'il se lia étroiteme)lt'avec Altéroni.


2 Coxe memoirs , tomo II , chapo XXIX.




54 HISTOIRE DU XVlIle SIi;(a~E.
soldats pres de Ffiedrichshall, qui n'était dé ..
fe!ldu cependant que par la milice"; ce qUI lui
suggéra l'idée de s' emparer de ce passage pen-
dant l'hiv~r~' Il poursuivit le siége des différents
forts séparés, pendant le froid le plus violent.,
avec son activité ordinaire; et déja la tranchée
était ouverte, devant la place 1 lorsqu'il fut tué
d'un coup de fusil, le I 1 décernbre 1718, a
neufheures du soir. On croit généralement que
le coup partit de la main d'un de ses propres
officiers. Un d'eux, nommé Siggert, s'accUt;ait
ineme, en 1 T:J.2 , daos un acces de folie, d\~tre
son meurtrier. Cependant le fait est resté dou-
teux jusqu'aujourd'hui 2. Ce qui est c.ertain,
-c'est que Grerz fut 3rreté ímmédiatement apres


I


1 Friedrichshall n'était pas tres-fortifié. Tout a coté s'éÍeve
sur les autres rochers qui s'avancent, Friedrich-Stein, autour
de ce fort Stoore-Taarn, 00 la haute tour, Oever Beerget ou
Oberberg et Gülden-Lrewe-Schanze; a l'assaut de ces! der-
niers retranchements, il avait planté lui-~me l'échelle, et
des deux cents grenadiers il fut le second qui escalada la mu-
raille.


3 Ce qu'il y a de plus nouveau la ,¿tessus se trouve dans
Rühs, qui, dans son Histoire de SuMe, croit que Charles fut
assassiné; iI est étonnant qu'il n'ait pas considéré ce que
Schlre~ Briefwechsel ( Correspondance, nO. 3, p. 144; nO. 4,
p. 230; et,ensuite dans les Annonces poütiques, 11°.24, p. 454)
avait citédu rapport du général suédois de Leutrum. 11 est


'vrai que ce général était Hessois, et si le meurtre fut commis
ce ~e fut qu'a l'instigation du parti qui nomma ensuite le Land-
grave roí de Suede.




LIVRE 1, CHAP.ITRE 11. 55
la mort de Charles et ql1'il périt victime d'nn
jugement injuste l.


Les Suédois, ayant déja pris leurs mesures
avant la mort du roi, proclamérent une COll-
stitution qui ota au roi tont pouvoir, et, pour
etre en état de la maintenil', ils exclul'ent de la
successiOll le duc de Holstein-Gottorp, fiis de
la sreur aillée de Charles. Sa sreur cadette,
unie au landgrave de Hesse-Cassel, souscrivit
a toutes les conditions et reconnut publique-
ment que c'était l'élection, et non son droit de
naissance,qui l'avait faít montersur le trone 2 •


Le résultat le plus funeste de ces nouvelles
dispositions fut de rompre tout d'UIl coup, en
haine de Grerz 3, les négociationsouvertes avec
Pierre, car on craignait que ce prince De pro-
tégeat le duc de Holstein-Gottorp, que le COll-


1 Quant a l'arrcstation de Grerz, nous avons le rapport d'nn
téllloin oculaire dan s Schlrezer, COl'l'espondance, nO. 4, p. :135,


:2 Les vingt - quatrc cQnseillers de l'Elllpire gouvernaient
dans le fond , et on ne disputait que pour savoir si la famille
et le partí de Horn qu'on appelaít BonTlets ,ou si les famílles de
Gyllenhorg et Tessin, llommés Chapeau~, devaient régner.
Les derniers remporterent la vjctoire l'an 1738. La malheu-
reuse guerre cOl1tre 1... Russie en 1741, jusqu' au mois d' aou t
1743, et depuis, des comhats perpétuels en furent la suite.


3 Grerz fut exécuté le 13 mars 1719; il avait mérité; comme
BassewÍlz le remarque avec raison, ce sort en Holstein, et 11011
en Suede. Rihhíng, le pJ'ésident de la justice criminelle mé-
rita, par sa conduite dans cette circol1stance, une place aapres
de Jefferson et de Fouquier-Tainville




56 HISTOIRE DU XVIlle Sd:CLE.
seil de l'Empire venait de priverde ses droits,
et on ruina ainsi entierement la Suede. Pierre


, entra sOlIvent, les deux années suivantes, dans
ce pays, fit de:s ra vages extraordinaires, dé-
truisit meme les mines et leur exploitation 1,
et il fallut enSn accepter la paix a des con-
ditións bien plus désavantageuses que celles
qu'on aurait pu obtenir auparavant.


III. Une des suites les plus importantes de
la guerre du Nord, fut que la Russie passa de
l'état de puissance asiatiqne a celui de pnis-
sance européenne; qu'elle fonda une nouvell~
capitale, nommée Saint - Pétersbourg; qu'elle
employa des miUiers de Suédois prisonniers a
la CÍvilisation de ses sujets; qu'elle organisa.
dans le cours de la guerre, des troupes qui
se conlposaient d'excellents officiers, pris
a l'Europe entiere, surtout aux débris de l'ar-
mée suédoise, et de soIdats sortis de cette na-
tion, conservant leur énergie; enfin que
l'arnlée russe se recruta toujours depuis des


x A la ~escente pres de Nikreping, outre le grand nombre
de moulins et de chateaux brúlés, quatre forges, deux mines
de cuivre furent entierement encombrées; treize cent soixante
villages et vingt villes devinrent la proie des flammes. Parmi
les forges , iI Y en avait une que les Suedois voulaient l'acheter
t'tois cent mille écus; d'ailleurs des bois entiers furent mis en
cendres; on tua plus de dix mille breufs, et l'on jeta dans le
fleuve quatre vingt mille lingots de fer.




LIVRE 1, CHAPITRE 11.


aventuriers les plus habites et les plus intelli-
gents de l'Europe.


On peut regarder eomme la conséquenee la
plus immédiate de ces débats le ehangement de
la eonsti tution suédoise, souree de troubleséter-
neIs, qui mirent le royaume, apres une nou-
velle guerre malheureuse eontre la Russie ( de
1741 a 1743), dans des rapportshonteuxavee
ce puissant État, et qui amenerent l'an 1772
une nouvelle révolution.


Les ehangeinellts produits par les traités de
paix sont plus faeiles a démontrer que ce que
nous venons d'exposer. Le premier traité avec
le Hanovre fut conclu par la médiation des
ministres anglais et fran«;ais l. Le 20 novelnbre
1719/, la Suede eéda Breme , Voerden, et le
droit, d'hypotheque au Hanovre, qui paya un
miIlion d'écus, dans l'espace de trois ruois,
aux Suédois entieI~ement dénués de ressour-
ces 2. Elle conserva le droit de siéger et de
voter a la diete, pour prix de la Poméranie
qu' elle avait cédée a la Prusse; eette derniere


1 Campreuon et Cartcret.
2 lis;' conclurent ensulte, le 21 janvier 1720, un traité of-


fensif par Jequel la dignité royale d' Angleterre et de Suede
fut surtaut garantie~ Touteso deux craignaient Pierre; l'une
appréhendait qu'il ne secondat le Prétendant, et l'autre qu'il
ne soutint le Holstein-Gottorp.




58 HlSTOIRE DU XVIllC SÜ:CLJ~.
s'engagea a ne poiilt établir de douanes sur la
Peene et a payer, l'année meme, trois millions
d'écus. Carteret etCampredon, eherehant a
faire la paix avee le Danemarek et le Hanovre,
lui saCl'inerent le duc de Holstein-Gottorp. La
Suede n~ fit point mentian du neveu dépouillé
d~ la reine. L' Angleterre et la Franee assurerent
au Danemarck, par le traité signé au mois de
juin et de juillet J 720, la possession de Sleswiek
enlevé au duc. Le Danemarck rendit a la Suede
la ville et la forteresse de· Stralsund, 1'ile de
Rügen, toute la Poméranie jusqu'a la Peene,
le fort de Marstrand, Wismar 1, et lui donna
six eent mille écus. La Suede a son tour re;
non~a a toute liaison avec le dnc de HoJstein~
Gottorp, ainsi qu'a la délivrance de SUlldzoll.


La Suede ne continua la guerre contre la
Russie que pendant deux ans, et, dan s cet in-
terv~lle, elle fu t ravagée d' une maniere affreuse
dans son intérieur et sur ses cotes, jusqu'it ce
qu'elle conchit, le Ioseptembre, a Nystadt,
tlne paix plus désavantageuse qu'elle ne l'an-
rait été immédiatement apres la mort de Char-
les XII. La Livonie, l'Esthonie, l'Ingrie, une
partie de la Carélie et du fief de """ybonrg,


1 La. ville de Wismar ne fut cédée que ~;ous la conditioll
qu'elle ne serait plus fortifiée.




LIVl\F. 1, CHA.PITRE 11. 59
une partie de la Finlande, les Hes de Dagoe,
d'OEsel, de Moen furent cédées a la Russie 1
qui ne donna en échange que le faible reste
de la Carélie, et l'autre partie de la Finlande
paya deux milliolls d' écus 1 ,et abandonna le
duc de Holstein-Gottorp 2.


CHAPITRE 111.


1. Frédéric-Gnillaume ¡er. -H. Albéroni. - IIJ. Le Régent.
-IV. Élisabeth d'Espagne et Ripperda. - V. Le cardinal
FJeury. - VI. L'empereur Charles VI.


I. Ce n'est pas id le lieu d'examiner si une
graildeur factice peut etre avantageuse aux
sujets et a des États entiers; mais ce qui
De peut etre contesté, c'est que Frédéric ler,
Frédéric-GuilIaume et Frédéric 11 surent don-
ner cette grandeur factice a leur royaume. Le
premier, en prenant le titre de roi, fonda plu-
sieurs institutions que ses successeurs, malgré
leur économie, ne purent entierement anéan-


1 La Russie accorda d'exporter tons les ans des hlés jus-
qu'a la valeur de cinquante mille roubles sans qu'on payat la
douane.


2 Elle ne l'exprima pas positivement, mais elle dit qn'elle
renon~ait á toute intervention daos les affaires intérieures de
la SuMe.




60 HISTOIRE DU xv lile SIBCL1L
tir; le second organisa le trésor et l'armée, el
le troisieme en usa d'apres les circonstances.
Frédéric-Guillaume, étant parvenu au trolle,
réforma toutes les dispositions onéreuses et
mit sa maison sur un pied moins élevé que
celui de la maison d'un simple ci toyen. n avai tia
parfaite. conviction que l'État devait etre gou-
verné comme le ménage d'un particulier, tan-
tot dirigé par les soins d'un bon pere de fa-
mille, tantot par les ordres d'un maltre sévere.
Il prit eette maxime pour regle de son regne.
Comme ses sujets ne blamerent point eette
conduite, et qu'on ne s'éleva jamais contre
son gouvernement, on I'a souvent accusé de
cruauté et dedespotisnle l. En pere de famille
sévere et prévoyant, il s'attachait surtout a
mettre l'ordre dans les finan ces. Les revenus
de l'État consistaient, ou en domaines, ou' en
contributions indirectes, et on les adminis-
trait de maniere qu'il pouvait voir a tout in-
stant le produit net des recettes et des dépeil-


1 Frédéric ¡er, d'ailleurs indulgent, usa de la meme ma-
niere de son crédit domestique. Un de ses favoris, alchimiste,
5urnommé le comte Cajetano, l'avait tioll}pé; iI le fit pendre
sans grandes formalités dans un habit de papíer doré, a une
potence revétue égalemellt de papier doré. Un seul éprouva ce
50rt; mais qu'on lise dans Prellnitz t.lI, pago 98 et suiv., coro-
roent Frédéric-Gúillaume traitait la cour quand elle luí don-
nait quelque sujet de mécontentcment.




LIVRE 1, CHAPITRE 111 ...


ses. Il mit régulierement, presque tous les ans,
un milI ion d' éc~s en réserve ; mais il laissa cet
argent oisif,· paree que, nlalgré son économie,
il ignorait les spéculations mercantiles. Il était
tres-sévere pour le soldat et pour les affaires
d'intéret 1 ; du reste hon, malgré son caraetere
violent, et pieux jusqu'a I'exces.


Il él eva une capitale sur un terrain maréca-
geux, et organisa une excellente armée, aidé
des conseils du prince Léopold d' Anhalt, ¡'un
des meilleurs éleves du prince Eugene ; mais
la maniere dont il fonda ]a ville, lui fut re~
prochée comme la plus grande injustice, par
le digne prévot Rolof, pendant sa maladie, l'an-
née qui précéda_sa mort 2 • La discipline de I'ar-


1 On prétendait que Hesse, J'eceveur des douanes en
Prusse, avait dérobé quatre milleécus 'des cleniers (jI se trouva
ensuÍte qu'il était innocent); un tel délit demandait, d'apres
les Iois, quatre allnées de prison dans une forteresse. Le roi
donha le l'escrit suivant : " CeluÍ qui a volé dix écus doit ~tre
(( pendu, Hesse m'en a volé quatre mille, iI le mérite done a
"plus forte raison. »


2 Nous n'empruntons qu'une seule histoire authentique !t
Büsching, Beitrage zur Lebensgeschichte denkwürdiger Per-
sonen (Pieces relatifles au:e biographies des homme:r rema rq uables ),
Halle, 1783, t. ler, page 32 1, et suiv.


Le colonel Derschau et le bour'gtnestre Koch dirigent la
construction,ils désigrient les personnes qui doivent faire batir;
le rpi signe, et toutle monde est te~u a l' obéissante, ~ans obtenir
les moindres dédominage'rrients; voilit comme le ministre, M. de


. Marschal, s'exprime unjour nettement; le lenuemain il pnrait
une liste des }Jarents du ministre, et parmi eux son beau-frcJ'e;




6~ HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
mée, confiée a Léopold, prellait le caractt~re
cruel de son chef. L'enrólement était injuste et
jmlnoral;~on recherchait avec affectation des
hommes d'une taille extraordinaire. Cette pro-
digalité faisait un contraste f~appant ave e la
parcimo~ie du r~i 1.


Ce fut bien Frédéric-GuilIaume qui institua
le systeme de cantons, d'apres lequel chaque
régiment avait son cercle, qui lui fournissait
entemps de paix trente hommes, et cent en


huil membres de sa famille rec;urenl rordre de faire remplir
un grand et profond marais dan s la Friedrichsstrasse ( rue
de Frédéric), et d'y élever des batiments. TI y avait parmi
ces personnes M. de Nüssler, assesseur du tribunal, qui avait
rendu hien des services et qui n'avait pas 'encore d'appointe-
ments ; le riche chancelier de Ludwig, a Halle, en était le
beau-pere. M. de Nüssler ayant prié le colonel Derschau de
l' épargner, celui - ci lui offrit de décider le roi a obliger
son heau-frere de lui avancer l'argent. M. de Nüss}er s'.en dé-
felldit et adressa une requéte au rOÍ; qui luí répondit Iqu'il
avait a batir une maison a la place indiquée, sans faire les
moindres ~bjections, s'il ne voulait encourir la disgrace de
sa majesté royale. La maíllon COtIta douze mille écus, et n'en
valait pas deux mille. .


I C'est ce qu'on remarque surtout dan s la garde surnom·
mée la Parade de Potsdam, régiment qui se composait de
trois bataillons, dont chacun était de cinq cents hornmes,
deux bataillons étaient a Potsdam, le troisieme it Brande-
bourg. Six a huít cents hommes n'étaient point rangés. Le roi
donna une fois quarante-trois mille Borins pour quarante-trois
hommes de cette garde, et une autre foís cinq rnille pou~ un
seul. Ce m~rne homme se fit voir comme géant en France et
en Angleterre, et ne fut que dan:; le quatrieme rang apres le
chef oe file.




LIVRE 1, CHAPITRE 111. 63
tempsde guerre. Ce systeme, de mettre l'armée
au complet de soixante-douze mille homn1es,.
ne futdnstitué que l'an 1733, et .la taille des
hommes exigés par Frédéric - GuiUaume pour
les régiments en campagne, rendít l'enrole-
ment indispensable hors du pays l. L'activité
infatigable du roi, son érudition en théologie,
et le soin qu'il portaít a l'Église, aux intérets
ecclésiastiques et aux sermons, contrastaient
singulierement avec sa fa~on d'agir ordinaire,
avec le ton de sa société 2, qu'on appelait la
tabagie de Potsdaln, et avec les manieres peu


1 Tous les premiers rangs de l'armée prussienne devaient
étre composés d'hommes qui eussent quelques pouces au-dela
de six pieds. Il y avait plusieurs régiments qui. ne recevaient
que des hommE's de cinq pieds huit pouees. OIl a compté qu'un
homme decinq pieds dix pouees coutait a Frédéric-Guillaume
sept cents écus, un homme de six pieds, mi\le f ainsi en pro-
gression de chaque pouce. On a évalué que plus de douze mil-
lions sont passés a l'étranger, pe~dant son regne, pourpayer
les enrolements.


a Voltaire n'en avaitdéja pas fait un portrait trop avanta-
geux-; on aurait done bien pu se dispenser d'imprimer les me-
moires de sa filIe. C'était plutot son naturel que le manque
d'édncation qui lui donna le gout exclusif pour le militaire.


On lit dans Prellllitz, Mémoires pourse",ira l'histoiredes qua/re
derniers SOltvel'ains de la maisonde Brandehourg I 79 I, Berlin, t. Ier,
page ~ I8 : La reine, amie de Leihnitz, et de toute instruction
soignée, portait sa complaisance pour son fils jusqu'a assister
quelquefois aux exerciees qu'il faisait faire a ses cadets, mais
comme elle désirait heaucoup lui faire perdre le gout ex-
clusif qu'il montrait pour les armes, et luí en inspirer pour
la politesse et ponl' les leures, elle lui faisait lire en sa pré-
senee des livres propres a fonner l'esprit, etc.; mais le prinee




64 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.
gracieuses qu'il prenait, meme avec sa fenlme
et ses enfants.


Frédéric-Guillaume, devenu maitre de la Po-
méranie, se garita bien de s'engager dans une
guerre ~ il demeura l'ami constant de l' empe-
reur, ,tant par le profond respect qu'il l,ui
portait que par l'influence que' Seckendorf,
envoyé impérial a Berlin, avait toujours
conservée sur ce prince, en lui faisan t venir des
États · de l'-Empire des hommes d'une taille


. 'énorme I • 11 ne se servit de ses troupes con-
stamment exercées, qu'une seule fois, en


s'acquittait de tont cela d'une maniere a faire voir que ce qu'il
en faisait , était plutot par obéissance que par gotit.


( I Un journal,du temps nous fait voir combien on crai-
gnait peu de aire en public que le roi' se laissait facile-
ment gagner p.ar des hommes d~ne grande taille. Le duc de
Mecklenbourg s' était engagé dans uIle telle controverse
avec ses États et ses parents , que l'Empire fut obligé d'inter-
venir par les armes, d'e déférer le gouvernement .i1 Chrétien-
Louis, frere puiné du duc, et de faire entrer da~s le pays.
des troupes de Hanovre et de Prusse.


Les États jugerent a propos de demander des soldats a des
princes moins puissants, pour que l'occupation ne se changeat
pas en possession. Le Hanovre retira aussitot ses troupes , et
on dit de la Prusse, dan s le journal de Francfort de 1735 ,
"que lesÉtatset l'administration de l\'I.ecklenhourg avaient prié
" sa majesté deretirer ses troupes du pays, qu'autrement les
" troupes de Schwarzbourg, que son altesse l'administrateur et
IX les États avaient re~ues, ne p011rraient ni subsister ni etre
" bien payées. » Il est dit en m~me temps que l'administrateur
et les États firent présent au roi de Prusse de six heaux
hommes qui avaient couté bcaucoup (l'argent.




LIVRE 1, CHAPITRE lII. 65
1735, pres du Rhin, pour ne point donner
de subsides; car, comme État de I'E~pire, il
ne payait pas meme les mois romains a la guerre
de l'Empire l.


11. L' étrange caractere du roi d'Espagne le
rendít toujours dépendant des personnes qui
l'environnaient, et son tempérament l'attacha
tellement a ses épouses, qu'il en fut insépa ..
rabie, et qu'il partagea leurs penchants et
leurs passions. Sa derniere femme était gou-
vernée par la princesse des Ursins, qui dirigea
pendant des années entieres les affaires de l'Eu-
rope, par l'influence qu'elle avait sur le roi et
sur la reine. L'Espagne était alors le centre de
toutes les négociations 2. La princesse sut gar-
der son ascendant sur le faibleet mélanco-
lique monarque, apres la mort de sa premiere
femme 3 , qui s'était concilié l'amour de toute
la nation espagnole; et le bruit courait meme


J Lorsque son ministre lui rappela de payer lel mois ro ..
mains, il dit sechement qu'il n'avait pas d'argent.


!> Celui qui aime les anecdotes trouvera des notions sur la
vie domestique du roí d'Espagne dans les M émoires de N oailles,
les Mémoires de Saint-Simon, tome 11, page 140-170; Lou-
ville, t. 1 et II, enstiite avec les plus grands détails dans Coze
memoirs, et dans Lacretelle, Bistoire de France, ¿iz-hui/ieme
si~cle. Celui qui ne serait pas satisfait, pourra cOJI.Isulter les
quatre-vingt-dix premieres pages des .Mémo~fes de Ducws,


3 Elle mourut le 1 4 février 17 1 4. .
H. l. 5




66 H 1 S l' O IR E D U X V Jll e S d: e LE.
que, nlalgré l'age avancé de la princesse, Phi-
lippe V en ferait son épouse. Outre le ridi-
cule 1 et l'impossihilité de cette idée, elle con-
naissait trop le tempérament du roi pour y
songer. Elle lui cherchadonc une fernme qui
luí devraít a elle seule le honheur de' se voir
reine, et qui fut trop simple pour se'meler du
gouvel'pement. Mais pour cette fois l'ad~oite
fran«;a~e fut surpassée en ruse par Albéroni ,
pretre italien, qui ensuite parvint a jouer en
Espagne, pendant plusieurs années, le role que
la princesse des Ursins avaít rempli, et qui
mit toute l'Europe en feu 2.


I Son second mariage avait été conelu l'an 1675 ; on était
alor~ a l',année 1714.


2 Tous les FUllC$ais, comme Saint-Simon, Duelos, et méme
Voltaire, ne font <¡u'une caricature d'Albéroni, et ne le dé.
peignent que du cóté le plus défavorable. Coxe, dans la moitié
du second volume de ses mémoires, et Ortiz, dans le septieme
volume de son Bistoire d'Espagne, sont trop prévenus en sa
faveur. L'auteur des Lijes 01 tlze cardinal Alheroni, tlze duke
01 Ripperda and marquis 01 Pomhal, etc. , ne connait pas assez
l'histoire , mais il est cependant tres - utile ,puisqu'il a écrit
d'apres Coxe. Poggiali, Memorie istol'iclze di PiaceTtza , est une
des sources principales, mais suspecte. Les pieces qu' Albé-
roni publia lui-méme, d'abord a Genes, ensuite aRome, ca-
ractérisent le mieux sa vie publique. Les Harrington papera
suiv:ent le dédale des cabales du temps. .


Comme nous n'avions pas les pieces imprimées d' Albéroni a
notre disposilion, nous en ferons plus bas des remarques d'a-
pres le manuscrit de la hibliotheque de MONSIEUR, manuscrit
fran<;ais, Hist. nO 657 (de la bibliotheque de Lamartiniere),
soixante-seize pages in-folio, remplies des deux cotés. Le ca-




'LIVRE 1, eH A.PITRE 111. 67
Albéroni, avant de se lier avee la princesse ,


avait parcouru toutes les classes de la société;
tantot savant; tantot maitre-d'hotel ou cuisi-
nier, tantot négoeiateur ou interprete, tantot
bouffon, il avait été employé dans des affaires
importantes, et avait su se faire ainier sons
toutes les formes. C'était l'homme qui semblait
a laprineesse le plus propre a l'aider, dans le
ehoix d'une reine, et il la décida adroi!ement
pour la pripeesse de Parrne Élisabeth Farnese.


Laprincesse dés Ursins l'eeonnut enfin
qu'elle s'était trompée dans son ehóix. Elle
voulut empecher les fian<;ailles dans le mo-
ment meme qu'elles dévaient se eélébrer; il
n'en était plus temps. Elle fut bannie d'une
m~niere bien singulieré, sans doute a l'insti-
gatión de la eour de Frálite,· des la premi~'re
entrevue qu'elIe eut avee la reine, el avalit que
celle-ci eut vu son époux.


La nouvelle reine trouva d'ailleurs Albé-
"'1 d'E \ h 'd'f. rom a a cour spagne eomme'e arge a -


faires de son oncle le duc de Parme, dont
le ministre le marquis de Casali, ,a son ,dé-
part, lui avait confié le soin. Albéroni ué a
talogue de la bibliothéque ne nomme que la. piece la moins
importante; les lettres connues du' cardinal A lhéroni a 7l . car-
dinal Paulucci,. mais les 'pieces adjointes méritent bien plus
d'attention.


5.




68 HISTOIR.E DU xv lile SI:ECLE.
Pañne , envoyé en sa qualité, avait naturelle-
ment plus d'aeees que toutautrepresde la nou-
velle reine, qui 6.t son entrée a Madrid la veille
de N oel 1714; et il sut profiter de son erédit
sans reehereher d'abord~our lui.meme aueune
ehargeimportante. 11 voulait, avant tout, as-
snrer sa puissanee, et etre cardinal avant d' etre
ministre. Il se borna done long-temps a jouer
le role de eonfident du roí et de la reine. Gri-
maldi fut nommé seerétaire d'État, et le car-
dinal del Giudiee premier ministre. Albéroni
demeura modestejusqu'a ce qu'il eut mis l'An-
gleterre dans ses intérets, abusé la Franee, ga-
gné le pape par le seeours qu'illui preta eontre
les Turcs, et que le cardinal del Giudice lui
avait refusé auparavant; alors il jeta le mas-
que [. Son crédit s'accrut lorsque la reine ae-
coucha d'un prince a qui elle. désirait procu-
rer Un duché; la monarchie espagnole devant
etre l'héritage de ses deux beaux-fils, l'Italie


1 Pour Alhéroni, l'inventeur du drame , il en fut le héros,
et re~ut le prix de ses manreuvres consommées; sans entrer
d'ahord dans le minístere, íl jouít de la faveur entiere de la
reine, e' est-a-ilire de tout le pouvoir royal, et se fit bien venir
dans l'opinion publique, en la vengeant de ceux qui avaient
été les fléaux de la nation. Le nouveau meneur était trop
adroit pour caresser pers~)llne aux dépens du peuple épuisé ,
lorsqu'il se sentait au-dessus de taute cabale. Mémoires de Lou-
pille, tomo III, pago 176.




Ll VRE 1, ClIAPITRÉ 111. 69
seule pouvait lui offrir ce duché. L' oncle de la
reine et son frere Antoine ne pouvaient plus
compter sur des héritiers males, on pouvait
done négocier l'acquisition de Parme et de
Plaisance.


Ces duchés parurent trop peu importants a
Elisabeth. Le projet était trop simple' pour AI-
béroni, qui avait l'idée de réformer l'Espagne
et de changer la fa ce de l'Europe l. Il essaya
de gagner l' Angleterre pour un plan plus vaste,
par un traité de cornmerce, et en refusant de
reconnaitre le Prétendaht. Georges Ier, effrayé
par une descente de ce prince, et par l' expé-
rience qu'il venait de faire que le partí des
Stuarts était toujours grand enAngleterre, pré-
féra l'alliance de la Hollande et de la France a
ceHe qu'Albéroni lui proposait, puisqu'elle lui


1 Duelos, ¡J;lémo¡res secrets su/' les regnes de Louis XIV el de
Louis XV, tomo Ier; Buisson 1791, pago 339. Le plan d'AI-
béroni était, disait-il : .


1° De sauver l'honneur gu roi d'Espagne. - 2° De maÍn-
tenir le repos de I'Italie. - 3° D'assurer aux fils de la reine
d'Espagne les succesiions de Toscane et de Partne, et d'oh-
ten ir pour le roí d'Espagne Naples, la Sicile et .les ports de
Toscane.-4° De diviser l'État de Mantoue, en donnant la ville
et une partie du territoíre aux V énitiens , l'autre partie au duc
de Guastalla. - :, ° Le Milanais entier et le l\lontferrat a l'Em-
pereur. - 6° La Sardaigne 311 roí Victor, pour le dédommager
de la Sicile.-7° De restitu'er le Commachio an pape. - 8Q De
partager les Pays-Bas catholiques entre la France et la Hol-
lande. -




70 HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
assurait la eouronne d'Angleterre, et donnaít
a la Franee la régence de l'Espagne. Aussitot
apres I il fut eonelu entre la Franee et l'Angle-
terre, a La Baye, u~e allianee qu' on nomma la
triple alliance, lorsque les Pays-Bas eurent ac-
eédé a ce traité le 4 janvier 17172. Dne des
condition~ était de d~eider le due de Savoie,
ou, a l' extrén~.ité, d~ le foreer a donner la
Sid1.e a l' emp~reur en éehaQge de la Sardaigne.
Cette. condition. dut offenser le due de Sa-


, ) ¡,. , . . .


voie, et Albéroni.vit clairement que la Franee
et les puissápees .lTlaritimes ne s'intéresseraient
point al~. plan qu'il méditait contre Charles VI.
n gag.p.a done le duq d~ Savoie par la promesse
dehú .Géder un~ par;tie du Milanais, qu'il íallait
d' abor~:l.. pren~re ,a l',empereur.


L'Espagne n'avait jamais faít de traité avee
Charles; Albéroni COlnmen<;a de suite contl'e


1 Au mois de juillet.
2 Les époques sontprises dans Flassan., Histoire de la dí-


plomatie franfaise, deuxiem~ édit., tomo IV, pago 430, OU il
faut lire les détails.- Coxe, tomo II, a la fin du chapo 24, qui
avait sous les yeux Íes papiers de légation des Anglais, indique
ainsi les époques: Au mois de janvier l' Angleterre contracta
la premiere alliance avec la France; au mois de février elle
renouvela le traiié avec les Pays-Bas; au mois de mai elle Jit
un traité défensif et óffensifavec l'empereur, sous la clause
extraordinaire qu'ils se garantissaient les possessious futures,
qu'ils acquerraient d'un consentement mutuel. Flassan, t. IV,
pago 4 44, dit: .. Le TraiÚ de la triple A llianee fut en général
.. désapprouvé du publico •




LIVRE 1, CHAPITRE IIl. 71'
lui les hostilités auxquelles il s'était préparé
des long-temps. 11 prouva alors par le faít, a
l'étonnement de tout le monde, que I'Espagne
était en état de mettre sur pied Une force ¡m-
posante. Il équipa une armée et une fIotte con-
sidérables, et l'arrestation du grand inquisiteur
lors de son passage par Milan , lui fournit le pré-
texte de faire une ."descente en Sardaigne. La
conquete de ce pays fut tres-rapide. Albéroni
se fIatta de l'espoir d'occuper NapIes aussi
promptement, puisque le duc de Savoié s?en-
tendait en secret avec lui, ne faisait point de
grands préparatifs pour la défense de l'He, et
que les Napolitains étaient fatigués du joug
des Autrichiens.- Une nouvelle expédition était
partie pour la Sicilé; Palerme'et d'autres places
étaient prises lorsque les Anglais, sans ,avoir-
déclaré la guerre, détruisirent la fIotte pres de
Messine, et déjouerent ainsi l'attaque sur Na-
pIes.


Ces révers irriterent beaucoup le cardinal
contre l'Angleterre, mais n'empecherenfrii.la
reine Élisabeth ni Albéroni de former des pro ..
jets extraordinaires et sans fin l. Une rio},lvelle


I Coxe, qui cherche partoutailleurs a justiñer Albéroni, et
qui cite en entier toutes 'les cabales, les négociations, les dis-
cours diplomatiques et al,tificieux de ce témps, doit etre rec-
tifié d'(apres les Mémoires de Louville ,dans la missioD remar-




T.A HISTOIRE DU XVlIle SlECLE.
fIqtte devait porter le Prétendant en Angle-
terre, et un parti considérable en France,
attaché a l'Espagne, devait conspirer ponr
éloigner le Régent du gouvernement, qUl de-
venait alors nécessairement le partage de Phi-
lippe, par la médiation d'un agent de la cour
de Madrid.


Charles XII et Pierre Ier étaient en négocia-
tions de paix dans rIle d'Aland, et ils venaient


" de signer les préliminaires. Ils devaient en-
suite tons les denx, joints a l'Espagne, faire
une descente dans les Iles Britanniqnes et en
chasser Georges, pendant que I'Espagne pour-
suivraitla guerre en Italie I • Cesprojets échoue-
rent, ou lous a ~a fois, on séparément. Les
puissances qui avaient condu la triple alliance
obtinrent d'abord, le 21 juin 1718, la paix
quable de ce dernier a Madrid. On y trouve l'instruction
d' Albéroni et d'autres actes; iI devait renverser Albérolli : ce-
lui-ci ne rendít donc par la suite que la pareille au Régent.


Flassan, tomo IV, p. 467, en rapportant les détails d'une
seconde cabale, dit ensuite, page 469 : ex L'instruction en-
ex voyée au duc de Saint-Aignan, ambassadeur fr,an«;ais a Ma-
e drid, devait avoir été rédigée par le marquis de Louville,
.. a qui un long séjour en Espagne, au sein de toutes les in-
.. trigues de la cour de Philippe V, avait appris l'art de perdre
" les hommes en place, les uns par les autres. Ce qui peut
.. excuser le Régent, c'est que le cardinal Albéroni lui rendait "1
ex bien la pareille par le prince de Cellamare. »


On voít bien ,qu'il faut plutot admettre le contraire.
I San Philippe t MémQire3, tom. III, page 357.




LI"VRE 1, CHAPITRE 111. 73
honorable de Passarowitz, entre les Tures et
l'empereur. Celui-ci aeeéda le 2 aout a l'al-
lianee 1, qu' on appela depuis la quadruple al ..
lianee en eamptant sur l'assoeiation des Pays-
Bas, qui ne s'effeetua eependant qu'au mois
de février de l'année suivante. Le due de Sa-
voie se vit obligé de se soumettre aux condi-
tians preserites, pour ne pas perdre la Sieile
sans dédommagements. Une des eonditions
qu'on lui imposa, fnt de d<:>nner la Sieile a
l'empereur en éehange de la Sardaigne. Il ae-
eéda au traité le 8 novembre 1718. L' espair
qu'on avait mis en Pierre Ier et en Charles XII,
s' évanouit a la mort de ee dernier, et lors de
l' exéeution de Grerz. Il en fut de meme de la
derniere espéranee qu' on avait con~ue de ren-
verser, a l'aide des méeontents de Franee, le
Régent ~t le sysÍ(~me de ee royaume 2 ; l'impru-
denee du prinee de Cellamare3 , qui dirigeait


1 Stanhope et Dubois signerent les articles préliminaires a
Paris ,le 1 S juillet; ils allerent ensuite ensemble a Londres, OU
ils signerent le traité, le :& aout, eux, et le haron de Penten-
rieder, pour l' empereur.


2 Les enfants naturels de Louis XIV, le cardinal de Poli-
gnac, les pre~ieres personnes de l'État en France, savaient
que le Régent devait étre arrété la veille de Noel, et conduit
en Espagne. .


3 Le meilleur portrait de lui se trouve dans les Mémoires du
maréchal duc de Richelieu, que Flassan, tomo IV, page 475 , a
compilés •.





74 HISTOIRE DU xv lile SLECLE.
toutes les affaires eomme ambassadeur d'Es-
pagne a Paris 1, la trahison d'un certain Buvat,
qui était aux gages du cardinal Dubois 2 et l'ar-
restation de l'abbé Porto-Carrero pres de Poi-
tiers 3, en furent la véritable cause.


Les deux pieces contre l'ambassadeur d'Es~
pagne tomberent par l'arrestation de Porto-
Carrero dans les mains du ministere anglais.
Il fut arre té , et les deux eours, alHées par le
sang, se déclarerentformellement la guerre en'!'
viron un mois apres la mort de Gharles XIL


L'empereur et I'Angleterre venaie~t de pu-
blier le manifeste de guerre, au mois de dé-
cembre ] 718, la Franee ne le publia qu'au
nlois de janvier 1-719' ,


Le lnaré~hal: de Villars refusa le eomman-


1 Le prince de Cellamare était un proche parent du cardina I
del Giudice, et jadis meme ministre au cabinet de Madrid.


2 Le roi Georges en donna la nouvelle au Régent, et au car-
dinal Dubois, son ministre et son confident; l'imprudent Cella- ~
mare employa d'ail~eurs ún grandnombre de copistes qn'il ne
conllaissait pas assez , entre autres Buvat, un des espions de
Dubois, qui continua de travailler jusqu'a ce qu'illui cut ap-
pris qu'il avait copié le plan de tonte l'entreprise en cinquallte
chapitres, et que le neveu de l' ambassadeur don. V incen te
Porto",Carrero porterait cette·copie a Madrid~


:> On peut lire cette hístoire da"ns Voltaire, Siecle dI! Louis X P,
dans Lacretelle et Duelos, l'rl émoÉres secrets, tome 1, pag. 41 1
et suiv., mais, d'apres ce que nous avons dit plushaut,. iI faut
réduire leurs anecdotes a. lenr juste valeur. Lacretelle, dans.-
une note, tome 1, page 237, a indiqué la meme chose.




LIVRE 1, CHAPITRE lIT.


dement de farmée destinée contre l'Espagne;
mais le marécha~ de Berwick, malgré son titre
de grand. d'Espagne, se mit sans hésiter a la tete
des troupes l. Il serait injuste de ne pas recon-
naitre ici le talent d'Alhéroni, qui, seul, avait
mis l'Espagne en état d'organiser une puissance
respectable sur mer et sur terre \ et de sou..:
tenir une année entiere la lutte contre les plus
grands États de l'Europe, sans SUCct~s il est
vrai, mais avec peu de pertes.


Pour gagner la reine d' Angleterre, on offrit
encore dans ce moment allX Espagnols, les
memes avantages qu'on leur avait proposé,sau":
paravant pour les amener a la quadruple al-
lianee. Ces avantages étaient l'investiture éven-
tuelle :impériale. de Farme., de· Plaisance et de
Toscane 3, et la déshérence de ces duchés a un


J On prétend que le manifeste de la guerre fut rédigé par
Fontenelle.


2 Une flotte considérable et une armée de terre avaient été
équipées et armées contre la Sicile; la premiere fut presque
entierement détruite par les Anglais; les troupes de terre hat-
taient les Impériaux, hie,Q qu'ils fussent en plus grand n.ombre,
Le roi devait conduire ]ui-m~me une autre armée contre les
Fran~ais. Au mois de m~rs 1719 on envoya encore une .fIotte
nomhreuse, six mille soldats de terre, des armes pour trente
mille hommes, sous .les ordres du duc d'Qrmond, en Écosse,
pour y conduire le Prétendant.


3 La Tosca~e, comme fief de l'Empire, devait retomber. a
l'Emp~~e, vu que le dernier duc d~ la famille des Médicis était
mort sans laisser d'héritiers.




76 rIlSTOIRE DU .XVIlle Sd:CLE.
des fils d'Élisabeth et de Philippe. TOU5- ces
États s'accordaient sur ce point, qu'il n'y avait
pas de paix a espérer, tant qu'Albéroni serait
au timon des affaires.


Les deux puissances principales, la France
et l'Angleterre,ou plutot leRégent, le duc d'Or-
léans et Georges Ier, avaient été offensés per-
sonnellementpar Albéroni; elles voulurent s' en
venger. Ces deux États ne crurentpas manquer
a leur dignité en convenant entre eux, qn'ils
n' entendraienta aucnne conditiondepaixavant
l'éloignement d'Albéroni I~ ils allerent meme
jusqu'él se servir du crédit de la nourrice de
la reine, qui était alors sa premiere femme de
chambre , et de ceHe du due de Parme 2, pour
décider le -roi Philippe V a renvoyer le cardi-
nal sans délai.


Ce ·ne fut pas dans un billet, comme les
Fran~ais le disent, mais dans un décret for-
mel,' présenté él Alhéroni par le marquis de
Tolosa secrétaire d'État 3, qu' on lui signifia,


1 C'était un article formel de la convention de La Haye du
10 novembre 1719.


2 Selon Coxe, Daubenton, le confesseur du roi, les deux
abbés de Sicile PJatania et Carracioli, les dames Astafeta,
Laura Piscatori et Scotti, le député du duc de Parme, y
coopérerent; cependant Ripperda, qui espérait d'obtenir la
place d' Albéroni , y contribua aussi par ses écrits.


3 San Philippe, tome III, page 4:A,,; Duelos, Tolume II ,
page 61-63, n'a rapporté que des erreul's.


> •




LIVRE 1, CHAPITRE 111. 77
le 5 décembre 1719 au matin, de quitter l\tIa-
drid sous huit jours, et l'Espagne sous trois
semaines, apres avoir travaillé la veille au soir
avec le roi, a des affaires d'État l.


Philippe accéda des le 25 janvier a la qua-
druple alliance; la France suspendit toute hos-
tilité, et, le 17 février, un nouveau traité fut
conelu a La Haye. L'empereur seul eut d'a-
bord de la peine a se décider pour la paix et
meme pour l'investiture du prince d'Espagne.
Il accorda bien enfin l'acte de l'ínvestiture au


1 Le cardinal Polignac le fréquenta ensnite aRome et lni
rendit meme des services signalés. Faucher, Histoire du car-
dinal de Polignac, tome n, p. :l 1 5, et sniv., donne des notions
tres· intéressante'i sur Albéroni. Coxe, Memoirs, tomo II,
chapo xxx, a la fin, dépeint ses mérites (qu'il éleve beau-
conp trop) et ses dernieres 9.ventures. On est dans une grande
erreur lorsqu'on croit qu'il avait emporté le testament de
Charles II; il dit lni.méme, fol. 44, recto du manuscrit, qu' on
«l'avait arre té a une lieue de Barcelonne l)our chercher, par
ordre de Sa Majesté, certain écrit ayant rapport au testament
que elle fit pendant sa dangereuse maladie, qne je remis avarit
mon départ au pere Daubenton, hien fermé et bien cacheté.
M.le marquis de Grimaldi me fit demander cet écrit, sons le
nom de codicille, par un conrrier qui me tronva a Saragosse;
j'avoue qu'nne pareille demande me surprit, et je renvoyai le
courrier avec la réponse que, non-seulement je n'avais point
de codicille, mais qu'il était entre les mains du roi. On me
dépecha a Lérida un autre courrier qui me dit que si l' OIl
m'avaitlltparlé de codicille, c'était une pure question de nom,
et qa'on me demandait un certain papier écrit de la maín du
roi apres son retour de l' Escurial a Madrid, etc. lO Albéroni
donne d'nne maniere tres-exacte et positive les notions de ce
qu'il a fait en Espagne; nous y reviendrons plus tardo




78 IIISTOIUE DU XVJIfe SI:ECLE.
llouveau con gres de Cambrai, mais il voulut
toujours rester gralld-maitre de la toison-d'or,
porter le titre de roi d'Espagne, et demanda
que les cortes espagnoles ratifiassent la renon-
ciation de Philippe V, aux anciennes posses-
siol1s d'Espagne l. L'empereur et I'Espagne de-
meurerent donc toujours sur un pied hostile.


III. On voit rarement des hommes nés avec
plus de talents que Philippe d'Orléans; mais on
en voit encore moins qui réunissent comme luí
a tant de bonnes qualités un si grand lnépris
des hommes, et une immoralité aussi profonde.
Il faut chercher les causes principales de sa dé-·
pravation précoce dans les principes honteux
que lui avait inculqués son gouverneur, l'in-
fame Dubois, dep~is nommé cardinal a la honte
de l'Église catholique. Plus les réglements
de la cour de Louis XIV avaient été rigoureux,
plus n1~dame de Maintenon avait été sévere,
plus la dévotion de l'ancienne cour avait été
affectée, plus l'influence des nouveaux prin-
cipes fut fatale a la cour et a la haute noblesse.
La légereté, le mépris de tout sentiment hon-
nete, que le Régent et ses amis manifesaient,
]a vie dissoluc qu'ils menaient, el le précepte ,
qu'il faIlait etre Jibertin pour etre utile et pour


1 Flassan, Histoil'e de la diplo1natie franc¡aise, t. V, pago 17,




LtVRE 1, CHAPITRE llI. 79
avoir de l'esprit, qu'ils donnaient et approu-
vaient publiquement, furent d'autant plus per-
nicieux, que le désordre dans les finan ces , la
prodigalité inoule d'une cour débauchée et de
tous ceux qui cherchaient a s'enrichir a ses dé-
pens, l'exeInption d'impots de classes entieres
de citoyens, écrasaient le reste du peuple.


Des le regne de Louis XIV les dettes et les
exactions étaient si grandes, que le ministre
des finances, l'habile Desmarets, a qui on im-
puta la faute de ce qu'il n'y avait pas d'argent,
prouva, en rendant compte de son adminis-
tration, qu'a. la mort de Louis XIV} arrivée le
1 er septembre 1715, tous les revenus étaient
déja assignés d'avance jusqu'en 1717; que la
masse des dettes était aussi grande que l'année
de la guerre OU elle était montée au plus haut
degré. Le Régent, au líeu de songer a l'éco-
nomie ou a la convocation des États, négligée
depuis 1714, aima mieux, pour sortir d' em-
barras, recourir el une mesure indigne de lui l.


1 On trouve rassemblé dans la Pie privée de Louis X P ,
Londres 1781, tout au commencement du premier volume,
tout ce qu'il y a de plus scandaleux; mais, ce qui est bien
plus important, ce sont les pieces justi6catives de ce temps,
qui ~se trouvent jointes au premier volume de m~me qu'aux
trois autres. On trouve l' essentiel la - dessus dans Lacretelle,
vol. Ier, page 133 et suiv. Nous remarquons seulement, pour
expliquer ce texte, que. ce fut le duc de Saint-Simpn qui pro-




80 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
Il oeeasionna , ou au moins iI toléra long-temps
une duperie formelle de tous ses sujets, par la-
q~elle les fripons se virent enriehis et les hon-
netes gens ruinés.


Un banquier d'Éeosse, nornrné Law, fut
ehoisi pour mettre ordre a l'embarras péeu-
niaire de la Franee par les memes moyens
qu'Albéroni avait ernployés préeédernment
pour rernédier au déficit de I'Espagne. Les
premieres dérnarehes furent raisonnables , car
une banque bien établie aurait facilité les opé-
rations finaneieres du gouvernement, et Law
entendait assurénlent mieux le systeme de la
banque que tout autre homme en Franee et
peut-etre merne en Enrope l. On adopta en-


""-
posa l~ banqueroute ; que la dette comprenait trois milliards,
cinq cent soixante-dix-huit millions de notre monnaie d'au-
jourd'hui., et qu'on en paya cinq cents millions par le visa tlt
les billets d'État par lesquels tout le monde perdít un, deux,
trois et quatre cinquiemes du capital.


x Il est dit, a cet égard, dans les 1Jfémoires du maréchal duc
de Ric/zelie.u, tome II, page 95, que le duc régent avait chargé
Noailles d'examiner le plan de Law. NoailJes assembla le pré-
vot des marchands, d' Argenson, Amelot, Le Blane, et pIu-
sieurs banquiers qui ne furent pas tres-favorables au sys-
teme. Law se retourna, et proposa l'établissement d'une
banque, composée d'nne compagnie, qui ferait un fonds de
six miliions. Cet étabIissement pouvait étre utile au commeree.
Il termine ainsi le chapitre IV, page 96: u Noailles et Rouil-
« lere purgerent les plans de l'aventurier de tout ce qu'il y
" avait de téméraire et d'injuste, pour ne laisser que de siro ...
« pIes moyens de faciliter le coromerce. "




LIVRE 1, CHAPITRI~ UL 81
suite ce nouveau systeme dans l'administra-
tion financiere du royaume, par un édit qui
constitua la banque de MM. Law et compa- .
gnie, banque générale de toute la France. L'é-
dit portait « que cette banque procurait l'a-
(( vantage d'échanger l'argent a grands intérets
c( contre du papier, qn'oH pouvait le réaliser en
« especes a tout moment contre la SOlnme qni
« s'y trouvait énoncée.» L'année suivante (1717)
une compagnie des Indes occidentales fut réu-
nie a cette banque son s la direction de Law;
on la nomma compagnie du Mississipi, parce
que le Régent luí donna, au nom du roi, des
terres immenses le long de ce fleuve, et qu'on
répandait partout le bruit que son commerce
rapportait des intérets énormes. Tout le monde
s'empressait d'acheter les actions de cette COIll-
pagnie, et les billets de banque de Law, d'au-
tant plus qu'on acceptait pour leur valeur in-
trinseque les papiers de l'état qui perdaient
.alors 50 et 60 pour cent. Dans l~ moment ou
les richesses augmentaient en apparence par
la grande quantité de ce papier - mOIlnaie qui
circulait, on fit, malgré tout~s les représenta-
tions du gouvernernent, des changements de
monnaies qui firent varier la valenr de ¡'ar-
gent tant aneien que nouveau, et qui favorise-


H. I. 6




th HISTOIRE D.o XVlIle SI.ECLE.
rent le eours du papier. La banque de Law
devint enfin une banque royale. Une folie suÍ-
vit l'autre, l'intéret porta les eitoyens a ~iaeer
tout ieur argent eomptant dans eette maison.
Les paiements en especes au-dessus d'une
sornrne fixée furent interdits 1 : enfin, au
mois de février 1720, il fut défendu, sous des
peines séveres, d'avoir plus ele einq eents
franes éeus chez soi.


Une telle mesure devait convaincre tont
homme possédant la moindre idée de com-
merce, que l'état avait établi une banque 8i-
lllulée, dont le créateur fondait sa riehesse sur
la banqueroute générale. lUais les Fran<;ais en
furent les dupes et poursuivirent long-temps
ee commerce de papiers. 'L' esprit de vertige


I Duelos, Mémoires, vol. Ill, page 93, est ici surement le
meilleur garanto Les profllsions du Régent, dit-il, charmaient
la cour et ruinaient la nation. Les grands payerent leurs dettes
avec du papier, ce qui n'était qu'une banqueroute légale. Ce
gui étaít le fruit du travail et de l'industrie de tout un peuplf',
fut la proie du courtisan oisif et avide. Le papier perdit biell-
tot toute faveur par sa surabondance seule. On chercha 11 le
réaliser en especes; au défaut de matieres monnoyées, on
achetait 11 quelque prix que ce fUt les ouvrages d'orfévrerie,
de meubles , et généralement tout ce qui pouvait conserver
une valeur réelle, apres la chute des papiers; chacun ayant le
meme empressement, tout devint d'une c,herté incroyable, et
la rareté des especes les faisait resserrer de plus en plus. Le
gouvernement, voyant l'ivresse dissipée et qu'il n'y avait plus
moyen de séduire, usa de violeuce; ror, l'argent, les pierre-
ries, furent défendus, etc.




LIvn .... : 1, CHAPITRE II!. 83
avait atteint son plus hant degré, lorsqu'a
la compagnie du l\;Iississipi on joignit ceHes
de la traite des negres, du Sénégal, de la
Chine et des Indes orientales, le n10no-
pole du tabac, et meme celui des douanes;
qu'on promit quarante pour cent d'intérets et
qu'on fit Law controlenr général. Il ne fallut
que deux moÍs pour conduire ce systeme ab-
snrde de la plus haute fortune a sa chute,
et pour changer généralement la position
domestique de tout honlme d'une aisance
médiocre l. Aussit6t que le systeme se mani-
festa dans sa nullité, Law en porta seul pu-
bliquement toute la faute:J, quoique tout le
monde sut bien que le Régent, Dubois, la
cour et les grands avaient .amassé et pro-
digué pendant trois ans des trésors immenses.
Il fut 9b1igé de céder, en décembre 1720, au
parlement qui l'avait toujours poursuivi ; et il


IOn peut de meme ajouter foi a ce que Duelos, tome III,
page 95, dit la·dessus: " On n'entendait parler a la fois que
d'honn~tes familles ruinées, de miseres secretes, de fortunes
odieuses, de nouveaux riches étonnés et indignes de l' ~tre, de
grands méprisables , de plaisirs insensés, de luxe scandaleux ••


;¡ Au mois de mars on défendit absolument d'avoir chez soi
de l'argent ou de I'or monnoyé, ou de lui donner cours.
Le 2 1 mai on baissa tous ces papiers, les actions de banque
et de compagnie de la moitié de leur valeur; ainsi tout crédit
rut anéanti. C'est en vain qu'on révoqua-ensuite l'édit et qu'on
cherrha a relever la banque par des moyens factices.


6.




)


84 HISTOIRE DU XVIlle Sd~CLE.
lui fallut meme abandonner ses richesses -par-
ticulieres 1.


Si les affaires extérieures étaient mieux ad-
rninistrées que les finances, il est a remarquer
qJlecen'était pasl'ouvrage dUlninistre. Dubois,
qui dirigea en partie les affaires de l'Europe, se
vendit au roi Georges 1 er, pour une pension
de 900,000 livres. La religion profanée par les
discours et les rnreurs de la cour et du clergé ,
devint odieuse et méprisable au peuple qui vit
commentondisposaitdesbénéfices et des char-
ges ecclésiastiques. Il ne faut done pas s'éton-
ner de la voir des-Iors plus que jamais servir
de but aux railleurs, qui se multiplierent de
jour en jour. On pouvait croire que les biens
de l'Église étaient destiné s a récompenser le
vice, l'irnmoralité et la bassesse.


Duhois, lihertin, séducteur, entremetteur,
compagnon d' orgies, rninistre inique du Ré-
gent, ayant déja sept ahbayes, voulut s'assu-


1 Law avait quatorze comtés; les commissaires nommés
pour l'enquete rencontrerent de grandes difficultés; les hon-
netés gens perdirent Ieur argent, lit les fripons furent quittes
pour une punition légere. Duelos, Mémoil'cs, tomo II, p. 134 ,
dit: Cl Le rappel du parlement (de son exil ridicule a Pon-
e toise) décidait l'expulsion de Law, qui partit prudemment
.. deux jours avant la rentrée, dans une chaise aux armes de
• lVI. le duc, accompagnée de quelquesvalets a la livrée de ce
• prince, qui senaient d'une espece de sauvegarde, et a tout
« événement muni de passe-ports du Régent. a




L 1 V R t: 1, e H A P 1 T R E 1 1 1. 85
rer un rmnrart ecclésiastique contre tont chan-
gement futur et fixer ses revenus a douze mil-
lions de livres; iI demanda, avec une arroga n ce
qni étonna le Régent lui-melneI , l'archeveché
de Cambrai; il lui fut accordé; et, ne se trou-
vant pas encore satisfait, iI sollicita et obtint
du pape la dignité de cardinal. Toute I'Europe
apprit avec indignation qu'un athée avéré, qui
faisait parade d'athéisme dans ses discours et
dans sa conauite, fut investí d'une des pre-
mi eres dignités de l'Église~. Mais la politique
paraissait le demander et elle l'emporta.


1 Duelos, tome II, page 79, lui met l'apostropbe suivante
dans la bouche. "Toi, archeveque de Cambrai? toi! e'est ac-
tuellementque tu reves! • -11 insiste davantage. Le Régent, en-
nuyé de la liste et fatigué de la persécution, espéra s'en défaire
en lui disant : " Mais tu es un sacre ..... ! et quel est l'autre
sacre •.. .? qui voudra te sacrer ? ... D Il a tout prévu .... " Votre
premier aumónier, monseigneur l'évéque de Nantes, iI est
d ans votre antichambre. D


2 11 est dit dan s les Pltilippiques, chant V, stance JI ( du
reste lilleHe infame et misérahle ) ;


Soleil! dissipe ce fantome "
Qui parait dans un si grand jour ;
A ton départ c'est un at6me.
C'cst un colosse a ton retour.
Rome, que veux-tu que je croie,
De voir que ta pourpre est la proie
De cet infame scélérat,
Par qui l' obscurité de Brive ...
Pour rendre la Gaule captive,
Acheve le triumvirat.


;. La grandeur de Dubois.
u Lieu de sa naissance.




86 HISTOIRE IUI XVIIlC SIECLE.
Tels furent l'aveuglement de ce temps et


l'influence des opinions du jour, que tous ces
désordres, qui amenerent une révolution COlll-
plete dans les rapports extérieurs, changerent
les mreurs et les principes des classes élevées
de l'Europe qui vinrent puiser presque ex-
clusivement a Paris la regle de Ieur conduite,
ne fixerent pas plus l'attention générale,
que ces événements ordinaires, auxquels
nous n'attachons aujourd'hui aucune impor-
tance.


Quel bien aurait pu faire une puissance mé-
diatrice entre le gouvernement et le peuple!
Le parlement avait annulé le testament de
Louis XIV et accordé un pouvoir iIlimité a
Philippe; mais ce qui occupa bien plus sé-
rieusement l'esprit et l'attention des Fran-
c;ais, ce fut la rescision de l' ordonnance de
Louis XIV qui donnait a ses fils naturels les
droits de princes du sango Les dissensions avec
le parlement, les querelles de l'Église, la dis-
pute des partisans serviles du pape et des jan-
sénistes durerent d'ailleurs pendant toute la
régence.


IV. Les faiblesses de Philippe V , son carac-
tere et son tempérament, le rendirent, tout-a-
fait incapable de régner, et son épouse, aidée




L 1 V 1l El, e H A P 1 T R E II I.


de Grimaldo l., He put supporter le fardeau
du gouvernement qui retompa sur elle apres
la mort d'Albéroni. Le caractere bizarre de
Philippe , sa folie concentrée et extérieure-
ment raisollnable, empecherent la reine de l'a-
balldonner a lui-meme~. Ripperda en profita
pour marcher sur les traces d' Albéroni ; il of.
frit d'exécuter ce que la reine avait projeté.


Ripperda était d'une bonne famille des Pays-
Bas; ce ne furent done ni son origine ni sa vie
privée, Inais ses vastes projets, qui lui rnérite-
rent le titre d'aventurier, qu'on avait si juste-
ment donné a Albéroni. Issu d'une ancienne
maison de Grreningue, il avait servi cornrne co-
lonel dans l'arrnée des Pays-Bas; il fut nornmé,
en 1715, ambassadeur des États en Espagne. Il
s'y lia avec Albéroni 3, les jésuites et la reine, et


J Il ne prit que plus tard le nom de Grimaldi.
~ Nous avons marqué plus hant, ou se trouvent les anecdotes


de la vie privée de Philippe V; comme ce ne sont pour la
plupart que des choses de curiosité et non d'instruction, 110\15
les paisons avec raison sous silence.


3 Albéroni, dans la lettre écrite a M. le marquis N. N. ,
fol. 61 1 verso du mannscrit cité, en fait mentíon, lorsqu'il
parle des peines qu'il s'est données ponr les manufactures et
les fabriques d'Espagne (il faut cemarquer qll' Albéroni ré-
pandait cet écrit l'an 1721).


Le cardinal, dit-il, s'attachant saos délai a l'économie, in-
troduisit les manufactures en Espagne. 11 ut a cet effet élever,
avec une dépense et des travaux immenses, le? eaux de la
riviere de Heuares, et établit a Gllada11.xara l' .' f~l'<r:"!' vrai-




88 IiISTOIRE DU XVllIC Sd:c"LF.
croyantpouvoirjoueren Espagne un plus grand
role que dans sa république il quitta le ser vice
deson pays, changea dere1igion aumoisdejuin
1718, et chercha une place a la cour de Madrid.


Tant qu' Albéroni tint le gouvernail des
affaires, H.ipperda, malgré son influence sur
le cabinet et sur la reine, qu'il employait
quelquefois pour obtenir de l'argent des
ministres anglais, ne put guere parvenir.
Soutenu par la cour, iI établit cependant aux


ment ro]ale de draps tres-Rns, apres avoir fait venir en une
seule fois de Hollande cinq cents familles qui débarquerent a
Bilbao avec tous leurs meubles, ustensiles et outils nécessaires.


Parmi ces familles presque toutes protestantes trois seulement
étaient encore restées fideles a Ieur religion lorsque le cardinal
quittal'Espagne.ll tira des hopitaux de Madrid un grand nombre
dejeunes gar~ons quiactuellementsesont rendus habiles enl'art
de filer. Il appela.d'Angleterre de bous teinturiers, peuplant
ainsi, avec les nouveau-venús, la vaste solitude de l'Espagne


. et retenant l'argent dan s l'intér.ieur du royaume, tandisqu'au-
paravant, tout compte fait, l'Espagne, par la vente des Iaines,
ne retirait pas des étrangers le quart de ce qu'il luí en cou-
tait en achetant ensuite les draps dont elle avait besoin. 4-u~
jourd'hui les troupes du roi sont habillées de draps fabriqués
en Espagne, quand peu d'années auparavant on les achetait
dans d'autres pays. Par I'entreprise du baron de Ripperda,
ambassadeur de Hollande it Madrid, homme de qualité, tres-
ami du cardinal (amitié qui eut toute la part a la conversion
du baron a la religion eatholique ), iI introduisit a Madrid
des fabriques de linge de table et d'autres toiles de Hollande,
d' ou il avait tiré, 'h eette occasion, des ouvriers, ayant fait
instruire quatre cents religieux espagnols dans la maniere de
filer avec la m~me perfection qu'en HoIlande. Ce fut par son
moyen qu'on établit pres de Madrid une fabrique de cristaux ~
dont iI fit expédier un ample privilége a don Juan de Goe-
neche, etc ....




L 1 V R El, e JI A P 1 T R E lIt. 89
frais du gouvernement une fabrique 1 , a.,vec
des ouvriers qu'il tira de la Hollande , et re«;;ut,
comme récompense , une terre considérable et
une forte pensiono Albéroni favorisait ses entre-
prises sans qu'il en cherchat moÍns a renverser
lé cardinal; il échoua, et perdi t, a vec la direction
de la fabrique, sa terre et sa pensiono Apre~ la
chute d'Albéroni il se sentit renaltre a l'espoir,
mais il ne trouva pas de sitot l'occasion de se
rendre nécessaire d'une maniere signalée.


L'Espagne s'était de nouveau étroitement
alliée avec la France. Le duc régent avait fiancé
l'Infante avec Louis XV; et de ses deux pro-
pres filles (les princesses de Montpensier et
de Beaujolais), l'une avait été mariée au
prince des Asturies , l'autre fiancée a son
frere et envoyée en Espagne pour y etre éle-
vée. La France et l'Angleterre étaient alors
en parfaite harmonie. Le congres de Cambrai
durait toujours. Un homme d'état comme Rip-
perda ne pouvait done pas se faire remarquer.
Mais les affail'es ne tarderent pas a prendre
une autre face. Philippe succomba bientot en-
tierement a sa mélancolie; et rien ne put le


l Cette fabrique était située a Guadalaxara, OU eHe s'est main-
tenue jusqu'aujourd'hui. L'endroit, eité plus haut, se rap-
porte done a Ripperda, meme dans le eas OU le rusé AlbéronÍ
ne le nomme paso




90 HlSTOIRE DU XVlIle SI1~CL}:.
dissuader d'abdiquer, au grand mécontente-
lnent de son épouse, le 15 janvier 1724; il
transmit le trone a son fils atné du premier
lit, Louis, alors prince des Asturies, et se re-
tira ave e la reine a Saint:-Ildephonse.


Grimaldo, qui les accompagna, tint pen-
dant quelques temps les renes de l'état; mais
on vit bientot que Louis était fatigué de Ja
tutelle a laquelle on le souluettait. I..'éloigne-
lnent que ce prince avait pour sa belle-mere,
fournit a Ripperda l' occasion de se rendre
nécessaire a la reine; illui suggéra l'idée d' en-
voyer ses bijoux et des sornmes considérables
a Parme. Sur ces entrefaites, a la grande sa-
tisfaction de la reine, Louis mourut peu de
mois apres, et on ne négligea ·rien pour dé-
terminer le malheureux Philippe a reprendre le
gouvernement. Tous les efforts d'Élisabeth
furent inutiles. Son confesseur l'ayant enfin
décidé, apres bien des peines, a remonter sur
le treme au lllOis d'aoút 1724, la reine n'eut
d'autre idée que ceHe d'assurer a son fils don
Carlos les duchés italiens 1, pour lesquels on


I Il existait encore un prince du premier lit, nommé Fer-
dinand, qui fut ensuite roi; ou ne pouvait guere songer a
prendre possession de ces principautés pour don Cados, tant
que les poiuts que nous avons cités en peu de mots restaient
en controverse entre l'Espagne et l' Autriche.




LIVRE 1, CHAPITRE III.


négociait toujours a Cambrai; Ripperda devait
suivre une route toute particuliere en s'adres-
sant directement él l'empereur. Les ministres
impériaux et surtout le comte Sinzendorf,
l'ame de toutes les affaires, étaient alors guidés
par cet esprit usurier et mercantile qui avait
désolé la France. Ils entreprirent de Trieste un
commerce considérable dans la mer Adriatique,
et le fameux Law, qni habitait Venise, fut ap-
pelé él Trieste, pour imaginer des expédients
qui pussent faire fleurir de suite le cornmerce
du Levant qu'on avait négligé jusqu'alors.


Tont cela dépendait de l'ernpereur qui,
pendant son séjour él Ostende, pennit de
porter le comrnerce, sous le pavillon im-
périal, jusqu'aux lndes orientales, jusqu'él la
Chine et uu Japon. Les États-généraux lui en
disputerent le droit, mais Charles se souciait
si peu des plaintes que les Hollandais 1 élevaient


J Les Hollandais déclarerent que l'empereur n'avait obtenu
les Pays-Bas que sous les mémes conditions que les Espagnols
les avaient possédés. Les cinquieme et sixieme articles de la
paix de Munster renfermaient cependant la promessc des Es-
pagnols, qu'ils suspendraient tout commerce de leurs pro-
vinces d'Europe avee les Indes orientales.


Les Hollandais avaient renoneé de leur coté a passer par le
détroit de Magellan. Les puissances maritimes avaient protesté
contre la compagnie des lndes orientales, et l'Espagne avait
appuyé la protestation. Les traités de Ripperda furent d'autant
plus étonnants.




92 lIJSTOIRE DU XVIUe SItCLE.
contre ~on commerce dans les lndes, qu'il.
étabJit au contraire une nouvelle compagnie
avec la plus grande soIennité et qu'il en fit
publier le réglement, le 28 juillet 1723, a
Bruxelles, ce qui causa de la mésintelligence
entre lui, les puissances maritimes et la France,
alors tres -liée avec l' Angleterre. Ripperda
fonda lél-dessus l'espoir de plaire en meme
temps et él la reine d'Espagne et él l'empereur,
en faisant réussir un projet que toutc l'Eu-
rope regardait comme impossible et insensé.


Il alIa, au mois d' octobre 1724, él Vienne,
y demeura, dans un fauhourg, sons le nom dll
comte de Pfaffenberg, négocia jllsqu'au mois
de février 1725, san s qu'un ambassadeur ou
ministre, excepté ceux qui furent dans le se-
cret, se doutat de la présence d'un agen t es-
pagnol. L'empereur et ses ministres ne joigni-
rent a leut's prétentions que des promesses
et de froides assurances d'amitié. Ripperda
aurait difficilement réussi, si un événement
d'une autre nature n'eút offensé et irrité la
reine d'Espagne comme femme. Élisabeth
chercha tout-a-coup, et él tout prix, a ache-
ter des alliés contre la France. On venait
de renvoyer sa fille, élevée jusqu'alors dans
ce royaume, comme l'épouse future du roi,




LIVRE 1, CHAPITRE III. 93
et traitée avec tous les égards dus a une reine,
_pour donner une autre femme a Louis xv l.


Le duc régent étant mort le 2 décembl'e
1 723,Louis XV,déclaré majeur seulenlentpoul'
la forme, fut confié a la tutelIe du duc de Bour-
hon, dont les projets ne s'accorderent point
aveccetteunionavecl'Espagne.Ilordonnadonc
de renvoyer la princesse espagnole en prétex-
tant sa trop grande jeunesse et la nécessité de
hater le mariage du roi. Cette offense aurait
sans doute aHumé une guerre entre la France
et l'Espagne, si cette derniere puissance avait
en les moyens de la soutenir. A défaut de ces
moyens, la reine se contenta de rompre toute
union avec la Franee, et de renvoyer de meme
les deux filIes du Régent. Il était naturel qu' on
donnat alors a Ripperda rordre de souscrire a
toutes les demandes de l' empereur pour en
obtenir un traité; on accusa meme Charles VI,


, et avec plus de raison ses ministres, d'avoir
partagé entre eux la plus grande partie des
quatre cent mille florins dont Ripperda ne
put rendre compte. On traita d'ailleurs les
choses essentielles 2 verbalement, et il parut


1 Au moment des fian<¡ailles, l'infante Marie-Anne-Victoire
n'avait que trois ans et demi , Louis XV dix ans.
~ Nous dirons plus tard quels furent les points essentiels.




9!1 HlSTOlHE DU XVIIl e SIJ~CLE.
qu'on était convenu de tromper Ripperda, a
qui ron se garda bien de communiquer les ar-
tieles principaux du traité écrits et signés. Les
ministres impériaux les nierent par la suite,
et l'Europe serait encore aujourd'hui dan s l'i-
gnorance sur cette affaire, si les deux Wal-
pole n'avaient publié leurs écrits politiques l.


Quatre traités rnystérieux furent conclus
alors entre l'Espagne et l'Autriche, c'est ce
qu'on appelle la paix de Vienne, et Rip-
perda se glorifiait surtout des articles princi-


Moore assure que Ripperda seul était un trompeur. Le comte
ele Krenigseck aurait joué alors un role bien plus misérable
qu'il ne le joua en effet; les écrits politiques des deux Walpole
eclaircissent tout; cependant, en comparant les l'rlemoirs de
sir Robert Walpole, chapo XXVII, avec les 1'tfemoirs de Ldrd
Walpole (Horace), page 139, iI reste encore a savoir si
l'empereur fut informé de ce que ses ministres avaient fait. ,


1 Toute l'histoire se trouve rapportée dans Coxe, Ilistory ~f
the llOuse of Austria, tome, III; Flassan, tome V, p3ge :1 1,
donne le contenu du quatrieme traité secret :


1° Une ligue offensive et défeusive dans tous les cas qui
pourraient survenir en Europe.


2° Une garantie de la part de l'Espagne pour le commerce
d'Ostende.


3° Une promessede l'empereurd'employeraupres de l'An-
gleterre des bons offices et autres voies pour la restitution de
Gibraltar a l'Espagne.


Tels sont maintenant les articles concertés de vive voix, et
qui importaient le plus a la reine.


Les deux archiduchesses devaient épouser deux princes es-
p;:¡gnols,l'un don Carlos, et l'autre Philippe. L'empereur ai-
dait a prendre Gibraltar de force et a ramener le Prétendant,
si Georges Ier ne voulait point accéder a ce traité.




LIVRE 1, CHAPITRE IIl. 95
paux UU quatrieme traíté faít le 30 avril et
le 2 mai. Ils lui valurent, au mois de novem-
bre 1725, la charge de premier ministre en
Espagne. Ces conditions inquiéterent la France
et l'Angleterre, quoique le cabínet d'Autriche
en 11iat absolument l'existe'nce, et elles don-
nerent lieu a une contre-alliance entre l'Angle-
terre, la France et la Prusse, qui fut concIue
a Hanovre, le 25 septembre 1725. Ces puis-
sanees s'engagerent dans le traité avec toutes
les provinces de lenr dépendance, a lnainte-
nír la paix d'Utrecht pendant quinze ans; et
si, par les menées de Seckendorf et de Grumb-
kow ~ , Frédéric-GuiIlaume se retira ensnite de
l'alliance, la Hollande prit sa place au mois
,d'aout 1726.


Cependant 011 armait de tontes parts 2; mais,
excepté l'Angleterre, aucune puissance n'avait


1 Grumkow, surnommé le Buveur ( Biberius ), dans le jour-
nal secret du baron Christophe Louis de Seckendorf (a la lin
du second volume des Mémoires de la margrare de Bayreuth.
Cotta, Tubingue 1811 ), doit, d'apres la meme SOllrce, avoir
tiré plus de vingt-cinq mille florins de la cour impériale. La
maniere dont il s'y prit, lui et Seckendorf, a brouiller Fré-
déric-Guillaume avec le Hanovre, est rapportée avec les plus
grands détails dans les Mémoires cité s de la margrare.


" L' Angleterre et l'Espagne se faisaient déjit dan s le fon,d la
guel're, car l'une avait envoyé des flottes aux In des occiden-
tales et sur les cotes d'Espagne; l'autre commen'Sa, le 22 fé-
vrier 1727, le siége de Gibraltar. Fleury sut accommocler tOl1S
ces différents.




,96 HISTOIRE DTJ XVIIle S-jECLE.
les moyens de faire la gue,rre; on s'en tint
done aux préparatifs, et I'Espagne ne l'em-
porta a la vérité, que par la eondeseendance
de l'Angleterre.


Ripperd,a, apres quatre mois de pouvoir,
avait été renversé par sa propre imprudenee
et par l'infIuenee du comte de Krenigseck, am-
bassadeur d' Autriehe a Madrid. Patinho com-
men«;ait a jouir d'un grand crédit'o La reine
s'aper«;ut enSn qu'on ne pensait pas sérieuse-
ment a l'union de l'archiduchesse, et que les
lninis~res' d' Autriche la trompaien t. eette puis-
sanee s'était jouée quatre ans de I'Espagne. La
reine demanda (ce qu'elle eut du faire long-
temps avant), une réponse catégorique ; et,
la réponse qu' on lui fit étant évasive ,elle s'u-
nit étroitement a la Fr.ance et a l' A!lgleterre.
Cette alliance lui valut par la suite plus qu'elle


. n'avait espéré. On conclut entre la France, la
Grande-Bretagne et l'Espagne, a Séville, le 9
oetobre 1729, un traité,auquelles États-géné-
raux aceéderent le 2 I. L'Espagne retira aux
sujets d'Autriche les' priviléges qu'elle leur
avait accordés par le traité de Vienne, pour
faire le commerce dans tous les pays du


J Patinho ne fut premier ministre que l'an 1734, mais il
dirigeait déja toutes les affaires bien avant ce temps.




J_IVRE 1, CIIAI~J'fnE IlI. 97
royaume, et rétablit les compagnies anglaises
et franc;aises dans leurs anciens priviléges.


Pour dédommager I'Espagne des avantages
qu' elle accordait aux alliés du Hanovre, et
qu'elle ravissait it l'empereur, on consentit
que six mille soldats espagnols fussent en-
voyés a Livourne, a Porto-Ferrajo, a Parme,
et assurassent au prince don C~rlos la posses-
sion de la Toscane, de Parme, et de Plaisance.
eette mesure indigna l' empereur et surtou t le
duc de Toscane, qui voyait qu'on disposait de
. ses états pendant sa vie, sans daigner ~Hhne le
consulter. L'Empire fut sornmé d'y prendre
part l. Cinq cercles et quatre électeurs, dont
trois ecclésiastiques et un palatin, s'armerent
en effet; lnais l' Autriche sentit heureusement
sa pl~pre htiblesse , et suivit l'idée de la Prag-
matique - sanction sur la succession hérédi-
taire; elle accepta les dispositions du traité de
Séville, le 6 mars 1731, en signant la paix
qu'on nomma la seconde paix de Vienne, et
don Carlos parut en Halie avec bien moins de
troupes qn'on ne lui en avait accordé~·


V. Louis XIV avait confié l'éducation du
1 L'Empire, a qui le grand duché de Toscane appartenaiJ,


rt'avait pas été consulté, et don Car l.)f¡ en l'ec;¡ut l'hommage du
vivant du grand-dnc, san:'S rechercher l'jnvestiture de l't::mpe-
reur et de l'Empire.


H. I. 'i ¡




98 HISTOIRE ou xv lIle SIECLE.
dauphin au duc du Maine, un de sesfils na-
turels; il ne pouvait s'acquitter de cet emploi
qu'-en sa qualité de prince du sango Le due
régent l'ayant privé de ee! honneur, le maré-
chal de Villeroi fut seul ehargé de gouV8l'ner
le jeune monarque, paree que le régent était
retenu par ses oceupations et ses débauehes.
Villeroi avait obtenu pourTéveque de Fr~jlls,
Fleury', la fonetion de préeepteur. Celui - ei
renon<;a a son minee éveché , et se voua exclu-
sivementa l'édueation de l'enfant-roi l. Doux,
humble et fier, rusé, savant, dévot, rampant;
sans reproches dans les relations extérieures
de la vie, Fleury sut, comme particulier,


. comrne ecclésiastique et cornme précepteur,
tirer parti de ses artífices monas tiques , depuis
la flatterie permise, et ~elne les pienses' ré-
prirnandes, jusqu'a la dissimulation. Étant
ministre il fit, pour le bien de l'État, preuve
d'habileté en maintenant la dignité du gouver-
nement sans verser le sang fran~ais; lnais il ne
songea pas que son earactere se preterait a
nourrir l'hypoerisie et les mauvaises habitudes
dans son éleve, et q\le son systeme de paix
et de négociations avilirait'la nation.


1 Saint-Simon, Mémoires , tome III, page 99-r03, le racontc
d'une maniere concise, máis mordante.




L 1 V R El, e u A P 1 T lU~ II l. 99
Le jeune roj, dont le creur ne connaissait pas
~ncore fe vice, crllt voir en lui le seul hornrne
vertueux dans une cour corrompue.ettout-a-
faitpervertie;leseulhornmemoral,pieux,aima-
ble, qui lui fut dévoué pararnouret non par in-
téret;il s'attacha done a lui de plus en plus, lui
futentierement abandanné apres qu' on eut éloi-
gné Villeroi 1 , et lorsque des hommes comme
le cardinal Dubois chercherent, par de basses
et vtles flatteries, a gagner du crédito


A l'age de quinze ans (au mois de février
17 ~3) Louis prit lui -meme en apparence les
renes de l'état, mais au fond ce fut le duc-
régent qui, comme premier ministre, régna
jusqu'a sa morí, arrivée le 2 décembre sui-
vant. Le duc de Bourbon (petit-fils du grand
Condé) demanda alors au jeune roi la régence
de l'étaP; et, malgré son ineptie générale-
rnent reconnue, sa demande lui fut accordée,
d'apres les eonseils de l'éveque de Fréjus. Taus
les contemporains croyaient qu'il avait des-


1 Duelos en donne de courtes notices. Saillt-Simon, t. IlI,
page 201, qui y coopéra lui-méme, est assez prolixe.


:2 Cette affaire ayilit été concertée d'avance. VrilJiere tenait
déja la patente toute préte; le roí, agé de quatorze ans, re-
garda Fleury; celui-ci, n'osant désapprouver la chose, fit de
nécessité vertu.


\
,... ¡ .


/




100 HISTOIHE DU XVIlle Sd:CLE.


Iorscon<;u l'idée de se nlettre un jour a la tete
du gouvernernent l.


Le dnc de Bourbon ne gouvernait que pour
la forme les affaires de l'état. La marquise de
Prie 2 , sa maitresse en titre,Jes dirigeait réel-
lement. A défaut de lumieres, elle consultait
ses trois freres, fils d'un aubergiste des Alpes,
gens pleins d'énergie et d'esprit. Cependant
l'éveque de Fréjus prenait de jpur en jour
plusd'ascendant sur leroi: il assistait aux con-
seils les plus secrets de sa majesté avec le duc,
et disposai t seul de la feuille des bénéfices. La
chose la plus importante que fit le duc de
Bourbon, pendant son ministere, fut de con-
dure le mariage du roi, et de rompre toute
alliance avec l'Espagne, ce qui irrita tellement
cette puissance qu'H n'y avait plus de rappro-
¿hement a espérer qu'en éloignallt le duc de
la cOl{r. La politique seule aurait nécessité cet
éloignement, mais il ne fut renversé que par


1 Ñ/émoires secretsde Duelos, yol. II, page 285; Féveque de
Fréjus, en procurant le premier ministere a M. le duc, su-
vait bien qu'il ne lui confiait qu'un dépot, et faÍsait lui-meme
trop Feu de ca,s de la reconnaissance FOlil' en eSllérer beau-
coup d'un prince ; mais il voulait, sous un fantome respecté,
accoutumer la cour a son crédit, et la préparer a sa puissance.


JI Elle était l'épouse de l'ambassadeur de France a Turin.
On trouve les horreurs de cette histoire dans les Mémoil'es
de Richclieu, tome IV, an commencement.




LIVR:E I,CIIAPITR"'~ lIJ. 101


sa conduite imprudente.envers Fleury, qui pos-.
sédait toute la confiance du roi ct qui la mé-
ritait surement plus que lui. Le duc de Bour-
bon, pour assurer son influence, avait nlarié
le jeune roi a la fille du roi Stanislas 1, hannÍ.
de la Pologne, qui vivait alors a Wissembourg,
sans ressources et sans appui. I


. ComIne la llouvelle reine lui était entiere-
mentdévouée, et que Louis XV l'aima d'abord
ave e passion, le duc résolutde travailler avec'
sa maj.esté, dans l'appartement de la reine, et
d'en exclure Fleury. Ce dernier, qui connais-
sait son. crédit aupres de Louis, et qui savait
que le roi s'apercevrait bientot de son ab-
sence, ,eut l'air <le se retirer des a ffai l' es , . se
rendit tout d'un coup a Issy,2, et fut rappelé
subitement, par ordre du roi, a Paris, ou
iI obtint a son tour l'exil du duc de Bourbon.


l. Marie Lescinska.
2 Duelos, Mémoires , vol. II, page 31)6. « Horace Walpole,


ambassadeur d' Angleterre et frere de Robert, ministre de la
m~me cour, cultivait beaucoup l'év~que de Fréjus dont iI pré-
voyait la pnissance et sentait déja le crédit solide et caché; il
fnt le seul qui ,a la premiere nouvelle, courot a Issy faite a
l'évéque des protestations d'amitié. Comme c'était avant le dé-
nouement de l' affaire, tout défiant qu' était le vieux prélat, par
caractCre et par expérience, iI eut toujours en Walpole une
confiance dout celui-ci tira grand parti au préjudice de notre


_ ]llarine et de nofre commerce. "




10~ HISTOIRE DU XVIlle Sd~CLE.
Des ce moment (1 l-juin 1 T~6) FleuJl'Y, devenu
cardinal, depuis le mois de septembre précé-
dent, gouyernait sous le nom du jeune prince.
Il chercha ir ramener la douceur, la justice,
les honnes mretIrS et l' économie, cal' il sentait
hien qu'il lui manquait les talents élevés qui
caráctérisent un grand homme d'état.


Comparé au gouvernement espagnol et a
celui d' Autriche, le gouvernement fran<;ais,
sous le ministere de Fleury, offrait sans doute
le modele d'une bonne organisation; mais la
sensualité et le lúxe augmenterent de jour en
jour au sein d'une longue paix, et eette na-
tion belliqueuse ne trouva plus assez d'occa-
sions d' exercer ses talents militaires.


n n' est pas prouvé que Fleury ait laissé le
jeune roi dans la société de jeunes gens fri-
voles et légers, et qu'il ait favorisé sa passion
pour la chasse 1; mais ce qui est certain, c'est
que la liaison avec la comtesse de Charolois
devint des-lors la cause et la raison de tous
les maux qui éclaterent dans la suite.


Le faible gouvernement de I'Empire, le man-
que de patriotisme parmi les princes, la triste


1 Les aff~ires de r état étaient gouvernées par Fleury, tandis
que le roi allait a la chasse ; car, avec la meilIeure volonté,
il ne pouvait plus travailler a son retour.




L 1 V n El, e TI A P 1 T R J.~ IJ I. 1 03
position de la eour impériale, fonrnirent ce-
pendant a Fleury l'occasion de faire pour la
Franee, sans les moindres efforts, une aequi-
sition que le cardinal de Richelieu et Louis XIV
avaient cherchée en vaÍn. L'Allemagne, si sou-
vent victime des dissensions étrangeres, le fut
encore dans eette circonstanee, a l'occasion
des différents sur la Pologne. Ce malheureux
royaume était bien retombé au ponvoir de
l' électeur Auguste; mais les Polonais en étaient
si mécontents, que l'an 1717, úneguerrefor-
melle e-q fut la suite; elle se termina par une
paix des sujets avec leur roi. Cette paix ne fut
pas seulement conclue par la médiation des
Ru~ses, mais Pi erre Ier se <léelara me~egarant
de ses conditions. Des ce moment la Russie
regarda la Pologn~ comme un rQyaume tri- ,
butaire, et empecha que leHIs du roí Auguste,
Maurlce, qui s' est depuis ímmortalisé en France
sons le nom du maréchal, de Saxe, fút créé
ducde Courlande, quoique la chevalerie cour-
landaisel'eut nommé selon ses priviléges, et
qu'il fut appuyé de la Pologne, qUÍ cOInptait
ce pays panni ses provinees.


La position de la Courlande fut assez sin-
guliere au commencenlent du dix-huitieme
siecle ; il ~e restait que deux rejetons de la rnai-.




104 HISTOIRE BU XVl11 c Sd:CLE.


son de Kettler I "Frédéric-Guillaume, lnarié 2
a la fille de Pierre-le-Grand et mort l'année
d'apres son mariage, et son frere Ferdinand.
Ces deux princes étaient sans hé~itiers. OIl
nomma Ferdinand Hégent de la CourJallde,


e


ma.is il n'€,ll avait que le titre et vivait misé-
rablement a Dantzick, tandis que des Russes
occupaient le pays, et que la princesse Anne ,
veuve du dernier duc , ensuite impératrice, en
était véritable souveraine.


Anne protégeait 1\Iaurice 3; cependant il fut
obligé de céder, et la Courlande resta sous la
dOlnination des Russes jusqu'a ce qu'appelée au
trone· de Hussie, Anne donnat ce pays a Biren
son favori. Si l'ininlitié des Russes rendait.
Maurice malheureux, leur amitié rendait bien
plus a plaindre Auguste IlI, fils alné du roi
AugustelI. Ce prince ressemblait a son pere 4,


1 Cette famille était depuis 1560 a la t~te du gouvernement.
:l En 17 10•
3 Cela fut encore Í' an 17 26. Le prinee Menzikoff, qui ré-


gnait en Russie au nom de Catherine Ire, n'agissait en Courlande
que d'apres ses propres eonseils. Anne alla done a Saint-Pé-
tersbourg, pour s'en plaindre, mais elle fut bientot obligée
de revenir. Ce qu'elle effectua pour la Courlande se trouve
rapporté dans un style de palais en : Das verrenderte RussI[!.ud
(La Russie ehangée), Hanovre, 1739, in-4°, t. III, p. 67.


4La foree'de son·corps, l'adresse, la galanterie, une ma-
jesté royale, et un grand talent de représentatioll, distingue-
)'ellt Augustc n. Son fils, corps sans ame, était paresseux,




·LIVRE 1, CH,\.PITRF. IU. 105


seulement pour l'extérieur, et son favori le;
. comte de Bl'ühl ne réunissait a tons les défauts
de Flemrning presqu'aucune de ses qualités /
brillantes I • Le prince électeur, elevé jusqu'a-
lors dans la religion protestante, l'avait déja.
abjurée en 171 1 pour obtenir la couronne de
Pologne; on avait caché son abjuration jus-
qu' en 17 17 ou il paru t nécessaire de la publier
ponr lui gagner peu á peu les suffrages des
Polonais.


L' empereur d' Autriche, la Prusse'et la Rus-
sic, ne semblaient d'abord nulleinent disposés a
soutenir le prince de Saxe ; aussi ces trois puis-
sanees, des la liouvelle de la lnaladie de son
pere a Berlin, Gonclurent, au mois de dé-
cembre 1732. , le trai té de Lcewenwald 2, dans
flegmatique, imbécile, et Seckendorf, dans son journal, le dé-
signe tonjours par le sobriquet de Potsdam : Mantelsack (porte-
mantean).


1 Flemming, malgré une prodigalité qn'on reprocherait á
des 1'o(s, laissa a ~a mort neuf milli.ons d'écus. Il était généra-
lement détesté en Pologne et en Saxe; cependant la maniere
dont il se mit en faveur, est plus noble' que ceHe que BrühI
employa. Un ouvrage essentiel; quant a6x faits, est : Leben
und Charakter des koniglich - polnischen und kurfiirstlich-
sachsischen P1'emierministers Grafen von B1'ühl, in vertrau-
lichen Briefen entworfen. ( ríe el caractere du comte de Briiltl ,
premier miilistre du rOL de Pologne ei de l'électeul' de Saxe, dépeillts
en letlres familieres), 1760, in_SO.


2 Ce "traité futainsi nommé paree qu'il fut conelu par la
médiation de M. de Lrewenwald, grand-écuyer russe. et du
général Seckendorf.




106 HISTOIRE DU XVIIIC SIECLE.


lequel ils convinrent de donner le royaume
de Pologne a un prince portugais. Il est évident
que la Russie ne songeait pas a exécuter ce
traité l. Auguste II mourut 2 avant qu'il fut
ratifié , et la plus grande partie des Polonais
se pronon~a pour le rétablissement du roí
Stanislas ,ainsi que les Fran<;ais qui se donne-
rent des peines incroyables pour remettre le
be:,tu-pere de leur roí sur le trone. La Russie
et l' Au triche redoutant l'influence des Fránc;ais
en Pólogne, firent avancer des troupes; mais
Fleury déclara d'une maniel'e énergique, et
avant que l'elnpereur se fut joint aux Saxons,
qu'il regarderait la lnarche des Al~trichiens
vers la Silésie comme un acte d'hostilité 3.


Trois armées Russes occupaient déja les
frontiere& des le moís d'avril; elles étaient sans


I Pour connaitre les causes qui amenerent ce traité, et pour
s'initier dans la politique des trois cours, on fera bien de lire
la conversation du général Seckendorf avec le général Thule-
meier, dans le journal de Seckendorf, page 13.


2 Auguste II momut au moÍs de février 1733.
, 3 La chose n'était pas tout-a-fait ainsi, mais teIle que le
rapporte Flassan, Histoire de la diplomatie fl'ant¡aise, tome V,
page 65, dans la note. Le roí de France avait donné, du mo-
ment de la marche des troupes de l' empereur vers la Silésie ,
une déclaration portant : oc Que sa majesté ne pourrait regarder
" toutes le,'; démarches ou entreprises, faites pour contraiudre
« les suffrages des Polonais, que comme un dessein de troubler
« le repos de l'Europe. J) L'empereur donna en réponse une
déclaration par laquelle il s'engageait lui-méme a soutenir la




L 1 V 1\ El, e H ,~p 1 T R E II l. 1°7
doute destinées contre Stanislas, mais ll9'n
contre la Saxe.


La Russie ne se ~éclara pour Auguste <}lile
lorsqu'il eut renoIlcé a la Courlande; }' empe-
reur Charles VI l'imita, au mois de juillet
1733, aussitot qu'Auguste se fut désisté de ses
prétentions a l'héritage d'Autriche, et qu'il
eut 'reconnu la Pragmatique - sanction; la
France, comptant sur le parti des patriotes
Polonais 1, n'abandonna pas en~ore Stanislas,
fit enlbarquer des troupes et parut équiper
une flotte a Brest pour conduire ce prince par
mer a la tete d'une graude armée en Pologne.


Tandis que les Russes attendaient leroi Sta-
nislas en pleine mer 2, il allait déguisé, seule-
ment accompagné de Solignac, par terre, sur
Berlin tout droit a Varsovie, ou il arriva le 9
liberté' des suffrages dans la nation polonaise, et il ajoutait
« qu'en qualité de souveraio, iI n'avait aucuo eompte a rendre
u de la marche de ses troupes en Silésie. »


Cela eut lieu au mois de mars; au mois de mai la France
effectua la confédération en Pologne.


J Cette confédération fran~aise avait fixé d'abord 1; jour de
l'éleetion au mois d'aout, elle le fixa eosuite an 12 septembre '"
et décréta de plus qu'uo piast (Polonais noble iodigime) seul
ponrrait étre élu ; que le pere et la mere du candidat devraient
avoir été catholiques, et que le primat seul pourrait pr0da~"
mer le roi.


2 Le ehevalier de Thianges, qui ressemblait beaueoup a
Stanislas, changea d'habits avec lui a Charnbord, et s' ernbar~
qua sous son norn sur la fIotte de Brest. /




108 HlSTOlRE DU XVIllC SlECL.E .
. '


septenlbre, et le 12 il fut réeIu roi par les Po-
tauais, rassemblés sur le champ d'élection a
W~la.


Environ trois rnille nobles., partisans de
l' éveque de Craeovie et du prince Wiesno-
witzky, vendus ·aux Russes, protesterent con-
tre eette éleetion. Réunis sur l'ancien champ
d'élection pres de Praga, ou Henri de Valois
avait été él~ jadis, ils prodamel'ent le 13
septembre, l' électeur de Saxe roi de Pologne.


Le ministre russe, appuyé par eelui d' Au-
triche, avait dédaré au mois d'aout que sa
souveraine emploierait la force pou!' exclure
Stanislas <Iu ú6ne. Aussit6t apres l'(:lcctioll,
Lasey entra en Pologne, a la tete de trente
mille h9mmes; il fut suivi de I'un des meillcurs
généraux de l'école d'Eugene, l\Iünnich, qui
amenait une al'lnée formidable. Les troppes
russes et saxonnes repousserent bient6t Stanis-
las jusqu'a Dantziek, et si quinze cents Fran-
c;ais accoururent a son secours, ce fut plutot
une entreprise particuliere insensée du eomte
de Plelo, ambassadeur de France a Copenha-
gue, qu'une assistance du gouvernement fran-
<;ai5. Leseinsky, obligé de s'enfuir sur le terri-
toire prussien, retourna eusuite conlnle exilé
et fugitif en France , et y resta j Llsqn'a ce qu'il




LIVIU~ I,.CHAPITRE III. r09


fút dédommagé aux dépCllS de l'elnpire alle-
mando


. Le 25 septembre, Fleury gagna le roi de
Sardaigne, qui espérait·aequérir par eette a1-
li¡:tnee le Milanais, et le 2.5, oetobre, ilobtint
un traité semblable 1 des Espagnols, par la
promesse qu'illeur 6t de leur assurer Naples
par la paix. La Franee venait de déclarer la
guerre a l'empereul', le 10 oetobre 2 • Les Pays-
Bas d' Autriehe s' étaient constitués ne~tres, par
un tr~té avec les États-généraux; l'Allelnagne
ne prenait aueune part aux dissensions de la
Pologne ;aussi le théatre de)a guerre n'aurait
du etre porté qu'en Italie; lnais les Fran<;ais
oceuperent la Lorraine sons prétexte de la
séquestrer, vu queFran~ois-Étienne, duc de
ce pays, élevé a Vienne, vivait el la cour impé-
riale et éta i t des tiné a devenir l' époux de Marie-
Thérese 3. .


Non 'contents de s' etre emparés de la Lor-
raine, les Franc,;ais prirent Kehl, forteresse
de l'Empire ; leur armée ne se süutint que
par les réquisitions faites dans les viUes et


I Le traité de l'Escurial.
2 A l'effet de venger l'injure ·que ce prince venait de lni •


faire, dans la personne de son beau-pere.
3 Le mariage fut conclu l' an (736.




1 JO HISTOIltE DU XVII le Sd:CLJ~.
districts voisins. Ces vexations donnerent a
l'empereur la facilité d'engager l'Empirc a la
guerre au mois de mars 1734, ce qui fut d'un
grand avantage pour les FraiH;ais. Sans bles-
ser le droit des gens, ils pouvaient alors pil-
ler les états patriotiqnes; car les autres états,
ou ne fournissaient pas de troupes, ou faisaient
des traités particuHers, ou se tiraient d'affaire
comroe le roi de Prusse.


Lorsque le maréchal de Berwick parllt sur
le Rhin 1, au lieu des cent vingt mille hornmes
de l'armée de l'Enlpire, a peine se trollva-t-il
douze mille soldats rassemblés; les trois gé-
néraux de l'Empire, Alexandre de W urtem-
berg, Albert de Brunswick-Bevern, etLeopold
de Dessau se disputaien t le commandement 2,
etavant qu'Eugime le prit, Bevern fut battn
par les Franc;ais. La Baviere conclut un traité
de subsides avec la France ,et refusa le passage
aux Impériaux; cet exemple fut suivi pa~ le


x Le maTé chal de Berwick fut tué dans les tranchées devant
Philisbourg. _


2 Celui qui ne voudrait pas lire tout au long les délihéra-
tions et les décrets de l'Empire, sur la charge du général feld-
maréchal catholique et évangélique, dans le dix-huitieme vol.
de Reichs-Fama (Fame de l'Empire) ,oudans lesoixante-qua-
trieme et soixante - cillquieme vol. de F~ber, Staats-Kanzel~i
( Chancellerie d'état) trouvcra les choses essentielles dans les
Exploits du grand général Eugene, Nuremberg, 1736, tome
VI, page 679 et suill.




LIVRE 1, CHAPITHE lIT. 111


Pahltinat et Cologne. Eugene, qui arriva au
mois d'avril ] 735, comptait dans son armée
dix mille Prussiens, parmi lesquels ét~t le


J grand Frédéric. Il ne put et ne voulut couvrir
que les contrées en-de~a du Rhin, et souffrit
qu'on prit Phi1isbourg sous ses yeux, tandis
que les Fran~ajs levajent des contributions
daos le Bas-Rhin.


Pendan tque le princeÉugene,/agé de soixante
et onze aIis 1, cherchait a trainer la guerre en
longueur 2 pour que les puissances maritimes ,
qui avaient garanti l'ltalie a l'empereur, fus-
sent en fin obligées de se déclarer, on perdait les


1 IL mourut l'année suivante 1736.
:A Eugene souffrit d'ailleurs a cause de son grand Age, et,


tout bien considéré, son armée n' était point en étatde tenir
eontre les Franc;:ais. Un poete de l'éeole d'Opitz 6t une épi-
taphe a notre héros, que nous transerirons ici pour dífférentes .
raisons.


« Eugene devait- iI a voir une fin si douee et si paisible! que ne
« mourut-iI, ce prinee plein de eourage et d' ardeur, au son
• de la trompet.te, au cri joyeux de la gllerre, au bruit
« des armes et du canon! La postérité, en lisant les exploits
« de ce guerrier, ne pourra done pas dire qu'Eugime ex-
« pira au champ d'honneur! telle est la plainte que fait en:-
• tendre Mars, les levres décolorées : mais la renommée, dans
" son enthousiasme, publie partout que ce héros, qui l).e sut
« jamais que triompher, attaeher la gIoire et le bonheur a ses
" pas, vainere et l'ennemi, et l'envíe, et la cour, et en fin luí-
e meme, dut mourir en paíx, et n'avait besoin d'aucun 1110-
« nument a sa mort! A vec moi le Thels, le PÓ, l'Escaut, la
" Meuse, le Rhin, tous ses ennemis, le répctcnt; il est im-
« mortel' ..




112 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


avantages obtenus dans la péninsule italique.
Déja vers la linde l'année 1733, le Milanais avait
été oecupé par des troupes de Franee et de Sa-
voie, et don Carlos, s'étant déclaré majeur de sa
propreautorité, venait de se eonstituer due de
Parme et de Plaisanee. Élisabeth, dans l'espoir
de voir le sueees eouronner tous ses désirs, en-
voya le,marquis de Montemar avec une armée
considérable d'Espagnols en Toseane. Des le
IllOÍS d'avril, trois millehom~es entrerent a Na-
pIes, et le 10 mai don Carlos fut proclalné roi.
L'armée üllpériale en Italie, commandée par un
nouveau chef, résolut de risquer une bataille
a une époque défavorable. -Jusqu'alors les
~onseils de Caraffa n'avaient pu l'emporter sur
le systeme du comte de Traun, qui voülait
temporiser. et disperser les forees de l'armée,
pour laisser du temps aux puissanees mari-
tirnes. Le combat livré trop tar<1 futperdu, et
les memes généraux italiens de.l'armée im-
périale, Qattus aupr~s de Bitonto par le mar-
quis de ~lontemar 1, abandonnerent l'empe-


1 Un article dans un journal de ce temps, fera parfai-
tement c,onnaitre comment on traitait et racontaitalors ces
choses en Allem::lgne. Nous l'empruntons du gl'and général
Eugene, tome VI, page 858.


« Apres l'abolition de l'ancienne jnnte 011 eollége de
«la juridiction royaJe, il en fut constitué unenouvelle
" nommée degl'ínconfidenti pour former le proces cóntte ceux




LIVRE 1, CHAPITRE JII. 113


reur dan s le Jort de la guerre, pour ne pas
perdre leurs terres dans les États napolitains,
et reconnurent le nouveau roi. On donna an
marquis de Montemar le titre de due de Bi-
tonto. Il conquit l'année suivante toute la Si-
cile.


Dans l'ltaliesupérieure les affaires de l'Empe-
reur, n'avaient pas plus de suect~s. Le nlaréchal
de Broglie et le roi de Sardaigne se partageaien t
le eommandement des armées alliées. Le gé-
néralMerey eommanda d'abord les Impériaux;
-il prit de force, au mois de juin 1734, Colorno
sur le territoire de Panne 1, le perdít ensuite
de la meme maniere, fut hattu le 29 pres de
Parme, et tué sur le ehamp de h~taille. Les
deux armées suspendirent alors les hostilités,


, jusqu'aumoment ou on appela le comte de Kre-
lligseck a la tete des Impériaux. Il surprit le


" qui lle reconnaitraient pas le nouveau ]'oi jusqu'a une époque
• fixée. Laplupart, parmi lesquels les princes d'Ottojano, di
• Forano , de Belmonte, de Caraffa, de Monteleone, et le
• comte de Conversano, erurent plus eonvenable de s'accom-
« moder au. temps, et de suivre plutot l'astre qui s'élevait,
« que de perdre Ieurs biens par une plus longue opiniatreté ,
« ce qui n'aurait point été d'une grande utilité a l'Empereur
• leur maitre; ils allerent done l'un apresl'autre a Naples,
" prett~rent le serment de fi~élité, et furent re<sus en grace. "


1 On dit qu 'Eugtme, e~lDlDe présidellt du eonseil aulique de
la guerre, lui éerivit de pronter des erreurs des généraux fran-
<,;ais, d'autant qu'il ne pourrait pas faire de grandes conquétes.


H. '1. 8




114 llISTOIP.E DU XVIUe SIECLE.


Inaréchal de Broglie a Quistello, demeura lnai-
tre du camp et fut sur le point de faire prison-
nier le maréchal dans son lit. Les alliés tire-
rent vellgeance de l'affront du 15 septembre,
le ~ 9, par la bataille de Guastalla, ou les Im-
périaux essuyel'ent une défaite.


ToutsemblaitannpncerenI735quelaguerre
aUáit etre conduite avec plus d'ardeur que ja-
maís; dix-huit mille Russes venaient enfin de
se montrer sur le. Rhin,tlorsqu'~n entra en
Ilégoéiations secretes avec l' Autriche. Fleury
cherchait la paix potlr pouvoir se passer dé
Chauvelin et de ses amis 1 qui empechaient
Georges II de sontenir l'Empereur autant qu'il
l'aurait vonlu, et que ,son aUian~~ le deman-
dait. Charles VI avait consenti d'ahord a se ser-
vir de l'intervention des puissances mariti-
mes; mais voyant qu'il serait obligé de toutes
les manieres de sacrifier une partíe de l'ltalie ,
il aima mieux négocier directement avec ses
ennem'is, la France etl'Espagne. En effet, il ne
pouvait alors rien faire de plus sage que de con-
dure la paix le plus tot possible; paree que son
armée, sesflnances, son gouvernement étaient
dans un état déplorable, et que I'union ne ré-
gnait point parmi ses luinistres.


t C'étaient les deux Walpole.




LIVRE 1, CUAPITRE IIJ. lIS


Eugene était vieux et capricieux; la comtesse
de Bathyani son amie vendait les places ; depuis
long-telnps les conseils du prince n'étaient plus
écoutés. n mourut et le comte de K..renlgs-
seck, jusqu'alors vice-président du conseil
aulique de la guerre, fut nommé président;
ses différents avec Khevenhüller ,son ennemi
juré, appelé plus tard a la vice - présidepce ,
firent beaucoup de tort a la cause publique.


Sinzendorf, <¡ui avait fait preuve d'une
grande habileté, de beaucoup d' expérience et
d'adresse a Utrecht, et ensuite a Soissons,
était premier ministre; rnais iI était facHe de
le séduire. Bartenstein , référendaire privé et
secrétaire du cabinet; en avertit son souverain
et ~ut:ptendre en secret le plus grand aseen dan t
sur lui. Il était adroit, inébranlable dans ses
résolutions, mais honnete, et il composa
bientOt a lni seul avec I'Empereur tout le mi-
nistere l.


I Dans le Jo~rnal sccret du haron de Seckendorj, page 151 ,
00 lit ee dialo-gúedé Seckendorf dvec le poi de P¡'l1sse.


SECltENlJORP. Oui, sire, Bartefistein iaii a cette heúre l~
pluié él 'lé hea1i te'mps. ~LE ROl. Et ce Bartenstein est un
homl~te homme?--SECKENDOBF. Ouí, sire.-LE ROl. Mais
je ne comprends pas comment rEmpereur, qni saít qu'il est
trompé par Sinzendorf et par tant d'autres, ne punit pas ces
gens selon la rigenr?-SEcKENDORF. C'est la déhonnaireté de
la maison d' Antriche qui l'en emp~che. - LE ROl (en sou-


8.




,


II6 HISTOIR¡'~ DU XVIlle SIIi:CLEo
On racante de différentes manieres, eomment


on entama, menle avant la mort du prinee Eu-
gene, et sans l' en informer, des négoeiations
avecl' Autriehepar la voiedeSinzendorf. Cequ'il
y a de plus vraisemblable, e' est que les eomtes
de Neuwied et M. de Nierodt en furentles pre-
miers médiateursIoLa Beaune nevint queplus
tard, et par ordre de Fleury, a Berneastell et en-
fin a Vienne, oú les préliminaires étaient signés
dcsle 3 oetobre 1735. Cependant la reine d'Es-
pagne, mécontente des conditions, ne voulut
accepter, qu'au mois d'avril 1739, la paix for-
mellement conclue a Vienne le 8 février 1738.


Elle obtint néanmoins le royaume des Deux-
Sieiles poúr son fils, qui s'était engagé a céder
Parme et Plaisance a l'Empereur, et la Toseane
au duc de I .. orraine. Fran<;{ois - Étienne devait
livrer de suite, pou~ la Toseane, le duché
de Bar et la Lorraine, aussitot apres la mort
du dernier duc de Toscane de la maison de
Médicis ~ o Stanislas, a qui on permit de gar-
riant et en imitant le dialecte autrichieno ) Que voulez - vous?
mon pere Léopold et mon grand-pere Ferdinand ont été trom-
pés et n'en ont pas eu de ressenliment, je ne puis done pas
en agir autrement.


1 Seekendorf, Joumal recret, page 130 et suiv., en fait un
rapport exacto


3 Le dernier due de Lorraine mourut l'an 1737, au mois
de juillet.


(




LIVRE 1, ClIAPITRE 111. 117


der le titre de roi, obtint pendant sa vie les
duehés de Lorraine et de Bar qui aph~s lui
devaient etre réunis a la Franee. On -don na au
roi de Sardaigne, pour le réeompenser dn
role qu'il avait joué, plusieurs seigneuries
qu'on détaeha du Milanais. .


VI. L'histoire du regne de Charles VI doit
etre divisée en deux périodes. La premie re com-
prend le temps ou sa bonne intelligenee avee
les alliés et les talents d'Eugene agrandirent
ses États, hérédit~ires des plus belles provinees
que I'Espagne eút possédées en Europe, 00
Charles hurnilia les Turcs, 6t perdre au roi
de Sardaigne la Sieile, et projeta des spéeula-
tions mercantiles, qui devaient lui assurer
une fIotte et les richesses des Indes.


La seconde période nous le présente mé-
content de ses ministres, trahi par ses servi-
teurs les plus habiles, et vendu par des em-
ployés subalternes l. N ous le voyons fléchir
d'une maniere honteuse devant les puissanees
lllaritimes, sacrífier son beau-fils, céder une
partie du Milanais au roi de Sardaigne 1. et
presque tont le reste de l'ltalie au prince d'Es-


\


~ On .trouve dans Flassan, tome V, le compte des sornmes
que le duc de Richelieu donna a son ministre pour se faire
des partisans.




118 HISTOIRE DU XVllle SIECLE.


pagne. Son trésorsetrouveépujsé, etlesTur,cs,
qu'il attaque avec l'aide des Russes, le forcent
de faire peu avant sa mort une paix ignomi-
nieuse. On á déja parlé des p'remieres actions
de son regne.Nous ~ verronsmaintenant do-
luiné par le caprice de vouloir assurer a sa
filIe la succession desÉtats héréditaires de l' Au-
triche par des traités, au lien de la mettre en
état de se soutenir dans ses' possessions, par
une armée bien organisée et un riche trésor.
Si ron disait combien ]a négligeIlCe daIis ton-
tes les branches de l'administration intérieure
augmentait avec la vieilIesse de Charles, il
semblerait qn'on se propose d'écrire une sa-
tire contra l'aristocralie p'Autriche, ou contre
le ministere qui met tout le bien-etre ou 'le


/' malheur d'nn peuple entre les mains d'une
seule personne, sans savoir si ses qualités per-
sonneIles la rendent propre a cette char-ge im-
posante l.


I Toute la monarchie, y compris NapIes et le Milanais, don-
naient environ quarante millions de revenu par ano Ceue
somme fut payée l' an 1 794 par la Hongrie et l' Autriche senles
(sans y compter la Stirie et la Carinthie), .et elles n'en fu-
rent pas accablée~. V lJistoire de Ma1'te- Thél'Jse, cinq volum'es
in-8°, 1743, tout au commencement du premier vol., cite
un des exemples qui prouvent que cet argent fut sínguliere-
ment employé. La maSS6 des fiuanciers proprement dits, (')u
des gens qui, outre les employés de la juridiction ou de l'ad-
mÍnistration, vivaient du salaire de I'Empereur, comprenait




LIVRE 1, CHAPITRE IJI. 1]9


I./origine de la fantaisie de Charles VI, de
constituer la Pragmatiqne-sanction en faveur
de la snccession de Marie-Thérese, date dela
paix d'Utrecht; iI n'avait cessé depnis de cares~
ser ce projetr. La Baviere senle avait refusé
constamment de renoneer a ses prétentions
qui n'étaient fondées sur aucun droit .


. La France, garante de la Pragmatique-sane-
tion, depuis la derniere paix, fut impliquée
imprudemment et, pour ainsi dire, eámme
arbitre naturel et direet dans les dissensions
qui se préparaient. A en juge'r par la maniere,
dont on avait fait la derniere guerre, par la
paix qu'on s'était fajt prescrire, et par la triste
position des fin~nees de l'Autriehe)- une nou-
velle' guerre ne pl~ésentait que de nouveaux


quaraute mille personnes des deux sexes~ et c011tait une somme
de neuf miUions et demi : dans les notes de cuisine on trou-
vait la 60mme de quatre mille fIorins wpensés pour du persil ;
dans les notes de cave, entre aJltres articles aussi ridicules ,
les suivants : « Donné a l'impératrice, veuV'e Amélie Wilhel-
« mine, pour boire avant de se coucher, tous les soirs, douze
« pintes de vin de Hongrie; fourni deux pieces de vin de
" 'Tukai, pour tremper le pain des perroquets de l'Empereur ;
ot pour un bain ,quinze seeaux de vin; la fauconnerie seule
" coutait quarante mille écus~ »


1 On trouve toutes les notices diploma tiques - et toute la
marche de cette affaire da-fiS un ouvrage cyclique de ce temps.
Histoire de la grande erise de t'Europe, ou des suites de la Prug-
~ati~ue .. sanetion el de la mort de CIUll'ld Vl; Londres 1743,
m"S.




I~Ó . IIISTOIRE DU XVIUe $IECLE.


désastres; mais l' espoir de pouvoir arracher
la Moldavie et la Valachie aux Turcs, l'emporta -
sur toute corisidération raisonnable, et meme -
sur l~équité et le droit naturel.


Le feId - maréchal Münnich, a la tete des
Russes; commandés ~lors par les plus habiles


# officiers de l'Europe, dispersés par la guerre
du ~ord ou de la succession, et équipés aneuf,
venait de conquérir laCrimée, de hattre les
Turcs, les ,Tartares, el songeait a une expédi-
tion contre ·Rumilie. /


Un traité de 1726 engageait les deux cours
cbrétiennes impériales a se preter, en cas de
~ guerre contre la Porte, un seCQurs mutuel de


trente millehomptcs; mais les Turcs recou-
rurent a l'in~ervention de l'empereur d1Aútri-
che qui demanda assez singulierement pour
lui-meme la Moldavie et la Valachie. Cela em-
pecha l'intervention, e~ la Russie réclama les
troupes auxiliaifes promises.


Dans l'état ou les choses se trouvaient alors, -
cette circonstance n'aurait point amené de
guerre avec la Turquie ,; mais Bartensteil! et
quelques autres I eurent l'idée de profiter de
l'embarras des Tures, pour faire des eonque-


1 Le baron de Schmettau ct le prince de Hildhurghausen.
Les détails se fi'ouvent en : Lehensgeschichte des Grafen von




·/
LIVRE 1, eH A PITRE lIl. 121


tes, el ils aimerent mieux déclarer la guerre
que fournir des troupes auxiliaires.


La premie re expédition contre les Ottomans,
en 1737, fut dirigée par Seckendorf qui ,comme
protestant, d'apres les idées re<;{ues a la cour,
n' était point en état de se signaler par de hauts
faits. D'ailleurs avare et arbitraire 1, il avait
sons lui le duc de Lorraine, époux de Marie-
Thérese, qui n'entendait ríen a·l'art militaire
et qui pourtant aspirait au cornmandement.
Le conseil aulique de la guerre, ~ont Kh~ven­
hüIler était président, et qui avait désiré se
mettre el la place de Seckendorf, dunna des
ordres d'un coté; l'Empereur, du fond de son
cabinet, en donna d'autres; ainsi, il ne faut
pas -s'étbnner si les affaires prirent des le com-
mencement une rnauvaise tournure, et si les
Turcs, battus de tous cotés par les Russes, ohli-
gerent les Impériaux el faire une retraite dés-
avantageuse. Seckendorf pouvait etre ~ coupa-
Schmettau, von seinen Sohn dem Hauptmllun von Schmettau.
Biographie da comte de Schmettaa, écrÜe par son fils te capitaine
de Schmettaa. BerliB, 1806, pago 14 et suiv. ,


• I PQtllnitz, t. 11, pagé 15g,dit:.1l áffectait la probité germani-
que qu'i\ ne connaissait pas, et, sous les dehors tromj,eurs dé la
dévotion , il suivait tous les principes de Machiavel. A un es-
prit d'intérét sordide, il joignait des manieres g¡'ossieres; le
mensonge luí était si habituel, qu'il aváit perdu l'usage de la
vérité. C'était l'ame d'un usurier, qUi passait -tantot d~n's le
corps d'un militaire, tantot dans celuid'un négociateur, etc.




12~ HIS'¡'OIRE UU XVIJJe Sd:CLE.
b)e, mais jI était .injuste de lui faire porter a
lui seulla peine d'une faute générale. Arreté,
le 3 noyeIJ1Qre 1737, impliqué 'dans un long
prQees,iln.e p\lt'reeQuvrersa liberté, pendant
Jq. vje d~ J'E:rllpereur, Jnalgré le vif interet que
OharJe,& preQait ft le défendre, et 'malgré la
eonyie~ionqq'n ~vait de son innocenee l.
L'~~pépitiQn &uiyante, dirigée par le due de
LQr~~hw ~t·)~ ~pmt~ de Krenigse~k, justjfia
~eckaI)porf ;, fQQS l~s ~~.Q.1ifirent,daDS l'année
1738, d~sf~~t~S'M g-r~ssiares~' que le duc' se
vjt eontraint d'aband~nn~r le commandement
de l'armée, et que Krepigseekfutobligé de se dé;.
mettr~ de la présidenee dll COJlscil aulique de la
gpefre, Ge d~:rp.ier eut'cependant untQut autre
sprl' qu~· Se,*eQdp:rf, e,aF' Qn' bá donna la. :pre-
m~er~ ch~rg~ de la cour. En! 739 Wallis et Nei·
p~rg, deu~ ennemis jurés, furent mis a la tt~te
des arroées- impériales, et le prémier 6t a
d~~seiQ. p~~~er le Danubea' l~autre pour avoir
seul l'hon~eur d'une vietoire qu'il croyait
assurée.


Les Tures étaient cOIDlJlanqés eette anllée,.la
par le mar.quis de BODneval, un des· plus ha-


1 o~ tl'9Jlve AaIlS Scbmettau, pllge 30 et sui¡l. le ~écit le
plus e~ct ~ ~~tte ~~péditioD. Seckendorf y est recounU tout-
a-faít ~9up~ble t plt-ge 5.4~ .


2 I{~ev~p.hüner vint lf! qer.nier de VienQe.




. LIVRE h CHAPITRE 111. 123
. hiles officiers de la ~hrétienté l. Cet homme
si~gulier, forIJlé a, l'écol~ des généraux' de
Louis. XIV, avait servi sous Eugene; ~on or-
gueil blessé lui avait fait abjuJ:er sa religion,
et on reeonnait f~cilement ses dispositions
da~s la discipline etdafJS 1'0rdre de l'armée
tl;lrque a la .pataille de Grot2:ka, le 23 juil-
let I739' .


Les Impériaux n'y essuy~rent pas seulem~t
une ~éiaite ignpmjIlieu~e ~ mais les ,deux géné-
rau~ W~.llis ei ~ e~p~rg~uraieJltété e~llierem'ent
'séparés l'uri de l'autre, si les Tures avaient
suivi les conseils de Bonneval,aussi bien apres
que pendant l~ h~taille. .
U~ pé4~1~ q~wtrigq~s,des ord~es op'posés,


l'activité du ministre fran~ais V~ll~l1eu:ve, ~
le désir de Marie -Thérese ~ de voir la guerre


1 Le marquis de Bonneval, issJl d'UlJe tres - bonne famille
franftaisc, se distÚlgua dans la guene de la succession i maÍs il
s' offensa lelleqle~t d'une impertinence du ministre de la guerre
~hamillafd , qp.'il se ~rut alltorisé a paS$Cl' a 1"eDnemi. 11 se
mil dans les ho~nes graces d'Eugep~, 'mó$itac:1epuis 1704 de
gl'a4~ epgrade, etfutllommé généf~let copseillev aulique de la
guerre.U~H~ e~s~ite ~n diffé~~~,.v~c le stathouder des-Pays;'
Bas, le marquis de Prie; aUa, l'an. 1721, en Turquie, ety:par-
vint de méme a un haut rang, $OUs le IlO~ dEl p~~h.~ A~hmet.
Quant a ses autres aventures', 'elÍ~s ne sonípluli.~iter ¡ci;
ou les trouve dans les Mémoires du domte de B~1l;e,P91, ~vec des
notes par M. Guyot - Desherbiers; Paris, 1806-, ~ volumes
in-SO, Mémoires sur le comte de JJonneval, par te pri~ce de Li{Jne;
Paris, IS07, in.So.


, I Il ne peut pas étre contesté que Mal'ie - Thérese avai,




124 HISTOIRE DU XVlne SIi~CLE.
contre les Turcs terminée avant la mort de
son pere, embrouilIerent les négociations de
paix qu'on avait entamées, et amenerent la
conclusion . d'un traité honteux pour l'Empe-
rtmr., Ce traité, basé sur la . paix de Passa-
rowitz" fut signé les 1 er et 15 septembre 1739,


On céda Belgrade a la Turquie, malgré
l'intljgnation que montra Charles VI quand
on lui, rendit compte du' véritable état des
choses. Wallis, ainsi que Neiperg , furent bla-
més publiquernent et arretés. Une longue cir- _
culaire, envoyée a tous les ministres impé-
riaux des cours étrangeres 1, lit connaltre que
l'Empereur se regardait cornme trahi et vendu,
et la paix ne fut ratifiée qu'au mois de- dé-
c~mbre 1739,
donné deS ordus 8e~ets a Neiperg; on le voit d'ailleurs <fa-
pres la maniere toute différente dont elle traita les trois pri-
sonniers d'État a son avénement au trone. Seckendorf fut
rendu a la liberté, on supprima toute enquéte contre lui,
et il fut méme employé de nouveau ,apres un cuurt séjour
dans ses ter res. Wallis obtint aupsi 5a liberté, mais on lui
signma, en termes tres-durs, de se retirer de la cour. Neiperg
fut reconnu innocent de la maniere la plus honorable, et em-
ployé immédiatement apreso


1 On trouve la note circulaire dans l' Histoire de la grande
crise d(J l' Europe, page 55-81, de méme qn'un récit40mplet
des faits, qui est suivi dll traitk de paix avec ,tous s~s détails.




LIVRE PREMIER.;


PAR TIE LITTÉBAIRE.






LIVRE PREMIER.


SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


l. La Frauce . ..;....Ii. L'Ángleterre.-ÍII. t'Allemilgne.


l. Autant les pattis en Franee different dans
leurs idées sur la religion, le gonvernement
el les relations de la vie, autant le jugement
sur les auteurs, qui ont eu f daos :les p:rogres
de l'esprit", l'influence la plus directa, estton-
tradietoire; puisqu'un párti reeonnait comme
pernicieux, ee que l'autre regarde eomme sa-
lutaire', et que Tun bénit ee qui est maudit
par l'autre.


Sans discuter sur le plus ónmoins de Iilé-
rite des écrivains, nous ai~ons mieux étabiir
eorome certain que la linérattire, les ffibdes,
l,es mreurs et le gouvérnement franQais'influen~
cerent trop ~orfement toute l'E-qt'ope, depuis
le commencement du dix-huitieme si(~cle jus-




128 HISTOIRE DU XVIIIe SIECLE.


qu'a la guerre oe la ~uccession d'Autriche.
Cet te influence se fit sentir en Ángleterre, et
tlonna bientot une autreteinte a la littérature
de ee pays.


La tendanee de la littérature franc;aise qui
nous üecupe id, celle qui influa direetement
sur l'État, ses mreurs et sa vi e, s' était fait sentir


7'
dans ]a derniere partie du dix-septieme siecle.
On avait tüut rapporté, en Franee, a l' étude
des aneiens, autant que la natioQalité fran~aise
le permettait l. Les regles pédantesques qu' on
übservait du temps de LÜllis XIV dans les rap-
pürts jüurnaliers de la vieet de la südété, furent
<le meme übserv~esd~ns tüus les üuvrages
d' esprit, qui se trouverent répandus par les
réfürmés fran~ais,~ engagés partüut eümnle
güuverneurs des prinees; car la langue et les
usage~ fran~ais étaient uevenus indispensables


1 J'enappelled'autantpIusaunFranctais,quedepuisplusieurs
années j'avais l~s memes idées sur la marche de la littérature
fran«iaise que M. de BARANTE, dans son livrede la Littél'aturefl'an-
faise pendant lp dix-huitieme si~cle, page 36. n dit, page 38,39 ;
cOn oublia entierament ces anciens chants; toute traditÍoD-natio-
nale devint le patrimoine exclusif des doctes qui connaissaient
bieIi Horace et -Pindare, mais qui oubliaient la nature. Ceue
imitabon des anciens eut d'abordun caractere pédantesque et
entierement hors de la vérité. Peu a peu iI se forma une sorte
de mélange, le~ cir~onstances réelles modifierent les emprunts
qu'on faisait a la littérature ancienne, et il résulta de ceUe
double action une direction moyenne, dans laquelle on a ton-
jours ma~ché depuis. "




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. 129
a toutes -les cours et dans toutes les affaires
diplomatique~.


On sentira facHernent, d'apres ce que nous
venons d'exposer, cornment et par quelle rai-
son avant les encyclopédistes 1, quelques au-
teurs franc¡ais purent changer les idées et les
opinions de toute l'Europe. On vit le con-
traire de ce qui s'était passé du lemps des ef!1-
pere,urs romains. Alors le christianisme opéra
une révolution qui sortit du peuple et- se ré-
pandit sur les hautes classes; ici,ce fut les 'áu-
teurs de bon ton qui en effectuerentune autre,
en commenc;ant.par les classes élevées, afin
de la répandre ensuite sur le peuple.


Pour ne pas" etre injuste envers les fri;.
voles disciples des docteurs de Paris, il faut
remarquer d'abord qu'ils n'avaient inventé ni '
le genre ni la maniere, mais que la tendance
contre la religion et leculte s' était rnontrée déjil,
en Angleterre, au dix-septieme siecle,' eomme
en ltalie auseizieme,dans les écrits des penseurs ,
les plus distingués; ~l faut ensuite se rappelér
que la profession d'auteur devenant un rné;
tier, on' spéc~lait sur les passions et les désirs
de la foule, ou bien,on écrivait seulement pour


• Noua appelons ainsi l'epoque de la guerre de sept nns , et
les dix années qui suivirent. '


H. l. 9




·30 'Hl5TOIR'E UU XVlIIe SJECLIL
entretenir et amuser le public; il faut obser-
ver encore que l'absence, de toute peine ou
_réprimande, meme dans les choses les plus
graves, ne prit son originé que dan s les Pays ..
Bas, et dans quelques autres contrées 1, ou les
réformés fran~ais s'établirent. Ce fut le hesoin
qui obligea les protestants émigrés a montrer
d~ns des écrits leur talent, leur éloquence,
leurs connaissances diverses, leur esprit na-
tUl!el, oppos~a l' érudition insensée des écoles,
enfin leur facilité a s' exprimer, Fésultat du siecle
de Richelieu, de ~Iazarjn et de Louis XIV. G


Ces' auteurs se procurereftt ainsi, surtont
dans les P~,s-Bas, des moyens d'existence; ils
fournirent des livres a la France et tirent fleu-
"ir la librairie hollandaise, ayant en ce pays
toute liberté d'écrire, pourvu que les illtérets
de la nation fussent toujours respectés.


Comme nous n'indiquons ici que les épo'*
ques principales,. il serait horsde propos de


. parler de tous les hommes qui méritent
d'etre compris dans cette derniere catégorie;
~ous n' en citerons que quelques-uns comme
exemple. Bayle occupé parmi eux, sans 'contre-


1 Ceci est expliqué et recherché de plus loin, d'apres le
caractere général de l'homme, et d'apres la marche naturelle
de l'esprit huma in, dausl'ouvrage spirituel de M; DB BUlANTB,
intitulé de la Littératu;'~fran~ais. pendant le dix - huitieme siecle.




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIItE. .31
dit, la premiere place, quoiqu'il appartienne
pIntot au siecle précédoot I ; iI inHua puissam-
,ment~ le publicpar son grand Diciionnaipe
critiqueet par son Journal; il fournitaux mil ..
leul"~ et aux auteurs frivoles, mais habites de
rage suivant, les matériaux qu'íls n~aur-a'¡'ent
jamais su rassembler sans' luí. Il joignit a une
érudition profonde une grande connaissance
du creur humain.
TQ\lt~a-fait,ex>empt·de préjugé&2; ilput ser-


vi .. · tO\l$ ~s pat"tis·, et si ondoit lui reproch<er
quelques traits sardooiques, 00 ne pourra ja-
maisl'accuser' de s'etre porté a ·de véritables
injures. Qu'il ait flattéquelquefols les désirs et
le caraetere futile, aiors encorecaché dans la
haute classe, elest ce qu'on peut'avouer: sarlS
lui faire le moindre tort, pUiSqtl'il voulait ·etre
In; lnais la plupartde sesnomhr-eu~ onvrages


1 Bayle mourut l'an 1706.
2 J e ne crois pas pouvoir mieux dépeindre Bayle que par


UIle anecdote que F01Icher, Bis/oire 4' caivlinal de Polignac,
Par.is, 1~77" deux vol. iu-8°, tpme I,page 4u>, ~po~le de
!tú : e Le cardinal Pollgnac demandait a Bayle de :quelleJSeCte
etde quelle opiniqn il était; eebli-ci l'épOlldit par 1m-pauage
de LuOl'eee; pre~sé de JiI;<Mlveau, il, se contenta ~di¡re: epa'il
était hon protesJ~t, ce. qui ne signifiait pas dar.mtage; plus
vivement pl'essé, il répéta, ane une sortecrimpa~:floCe.: oui,
~nsieur, je suU bo" p,.o~6taRt ,daRs t(Aa/e la force da. ter~,
C4r .. 4~s lefQ¡uj demon ame, jeprotest4'CQlJlre·tolll ce qui se dit
etsefait ••





132 . HISTOIRE DU XVIlle Sd~CL'E.
50nt écrits pour .de vrais savants; il offre '
toujours dans ses' traits mordants le pour et
le contre, il n'est ni malveillant, ni digne de
blame,puisqu' on doit supposer aux lecteurs la
faculté de discerner et de juger les choses. Bayle
d'aiUeQrs est toujours cité lorsqu'on parle des
prédécesseurs des encyclopédistes ; Baillet l' est
~oi.ns. Cependantson ouvrage intitulé : Juge.. .
ment~des Savants mérite d' etre regardé comme
un ouvrage im,partial ~Iqui dépeintparfaitement
son tempset celuiqui le précéd'a; mais sou-
vent ce n'est qu'une compilation.


Il faut que BailIet ait eu une tres .. grande
influence sur les géuératjons suivantesen
Franc:e, Ol! il faut adrileltre que Sabatjerde
Castres .a menti en cent occasions t.


Nous citerons aussi Jean Leclerc, quoique,
dans ses quatreoovingtdeux volumes qui paru-
rent d'abord comme Bibliothéque générale,
ensuite comme Bibliothéque choisie, il :p.'ait


t Baillet vécut de l'an 1649 jusqu'a l'an 1706, et mourut a
Paris, mais son livre appartient a la littérature du dix-huitieme
-sioole. Sabatier de Castres, dans les ·Trois Siecle.r de la Litté·
raturefranfaise, trois 'Y01. in-8°, 1784, tome 1 ,page 79, dit:
.. Presque toutes les préfaces des ouvrages de Baillet formellt
autant dtarticles dans le Dictionnaire Encyclopédique, sans
qu'on ait pris la peilile d'en avertir le lecteur .• Cela m'a été as-
suré a París par plusieurs autres personnes qui étaient plus
digoes de foí que Sabatier; do reste, je ntal jamaisfait mo.i-
mhne cette coJllparais.on.




LIVRE 1, PAR'fI~ LI'fT:f:RAIRE. J 3'3
eu l'intention que de donner une suite a' la
République des lettres de Bayle et qu'il se pro ...
posat le meme but. Nous parlerons d'autant
lnoins -du nombre pr.odigieux· d'auteurs. q.ui
écrivirellt alors dans les Pays-Bas, sur l'histoire,'
la littérature, la· philosophie et ·les . relations
de la' vie, que plusieurs d' entre eux, prin-
dpalement le 11larquis d'Argens, qui.ont in-
fIué sur I'Allemagne, par leu~liaison:avec


. Frédéric II, doivent etre mentionnés. plusbas.
Quap.t aux auteurs fran~is, -en ,Fra~ce .meme,
les poetes aussi bien que les prosateurspri-
rent déja, avant le regoe absolu de Voltaire,
le. ton léger en vogue a lacour du Régen,t, et
~ournerent toutesles·choses sérieuses et graves
en dér.ision.


Voltaire et Montesquieu faciliterent le·'dé..;
veloppement des connaissances' d'une roa·
niere adroite et ingénieuse. Ils ap.lanirent
les difficultés , exposerent le sérieux' sous
une enveloppe plaisante et rendirent les prín-
cipes, d'apres lesquels les princes et les pte-
tr.es avaiellt' gouverné le monde, odieux: bu
ridiéules .dans les cercles Oll on les' lisait.' lIs
acheverent ce que les auteurs répúblicains
de Hollande et d' Angleterreavaient con~
meneé.




134 .HISTOIRE DU XVI He sIl~cLE.
Quant auxpoetes, leur ton de légereté se


'manifesta dans' ·teurs ouvrages des le siecle
meme de LoGis XIV~ Jean-Baptiste llousseau,
dan s ses JÍpigramm:es, se perdait quelquefois
dans ,la ·a~1aisoD et dans l' obscene 1 ; Chaulieu
qo? Oh lisait peut-etre plus 'lúe Rousseau fut
mo·ins ,amer 'et IIJoins licenciellX ;mais le ca-
.ractere de ses' poésies . donne lieu de cToire
que. ses admi:Mteurs tie suivirent pas franche-
IDeRt la' momIa fib ehtistianistiJe:).


Les deu~ autet1rs ptíncipaux qui infltterenf ,
eommeréformatetlrs, sur les gouvernements
de I'Europe et sur les' principes, la vie et les
relatiotts des hattteselasses, ne doiveilt etre
eonsidárés r ici que' sOtíS ueux points de ~ue.
D'abord du coté de la finesse,' jusqu'alors
ÍDouie, ave-c laquelle íls surent gagner les es-
prits 'et flattel' les passit>lls; ensnite du coté


I Ce genre de satirse, auquel le Uvra Jean-Baptiste Rous-
leao , dut. surprendto tout lé iíloBie, et ltii lit a"autant plus
de torl, qu'il voulait passer pot41' un poll~ sérieux, paa- ses
6des , ses psaumes, et ses autres chants religieux. ,


•• Cene société' m. Temple dont ii a chanté tes plaisirS Ílvee
tant de ;srace el. d'abandon , était l'héritiere de la société des
Tourn.ellés. La gaieté des amis de Ninon avait pa$Sé, en pre-
Dant 11D C81'acte.re plus licenclest:;c, chtz les couFtisans dti grand-
prieur de, Vendome. On sait assez qnelles habitudes ce prince
et sun frer'e apportaient dans les camps , quels exemples ils
y donnai.ent; quelles opinions ils y professáient, sans ~e
I'etenu. ~ le re.spect dti a leur rang, etc. • M. DE BA.B.A.NTB ,
de la Liitérature franfaise pendant le dix-huitieme siecle, page 42.




LIvnE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. I~5
de l'habileté Qvec laquelle 'ils porterent, mem~
dans les choses les plus sérieuses , le badinage
et le ton moqueur de la haute société avec la-


"-


quelle ils étaient en relation.
Voltaire qui devint ensuite, en 1740 oú


• rastre de Frédéric se leva, l'ami et le. maitre
de cet homme vraitnent grand, le juge-absolu
dJl gout en Allemagne et meme dans le Pala-
tinat, .et qui d9nna ph~s .tard( 1764) 4eslpis
a St.-Pétersbourg , s' était frayé danS la période


- que nollS parcourons le chemin qui devait le
conduire au point de gloire qu'U atteignit par
la suite.


Le long séjour de Voltaire en Angleterre
eut lieR au eqmmeneement dQ. ·fiiec}e l.; il Y fut -


\
si intimetnentlié a.vee Bolingbro~e et quel<Iu~
atUres ennemis du christjallislll~et de .l~ ~~ ...


. vérité des stiences ánciennes, qu'il {ut reté en
Angleterre avant de l'etre en Allemagne. Il
venait de fixer, en meme temps comme auteur
dramatique et par le premier essai de sa Hen-
riade 1, toute·l'attention de sa nation. Bientot
I'Europe entiere fut remplie de sa gIoiré. Il
donriá. a la phiÍosophie et a l'bistoire la cou-


x Voltaire fut en Anglete'rre de l'an 172.~ ~ 1729.
:a La Henriade ne fut publiée, l'an 171,3 J que SOUi le titre


de la Ligue.




136 IIISTOI~E DU ,XVIIle SIECLE.
leul' et le ton qui convenaient aux hautes clas~
ses l. Il se moqua de la relig~on , des mreurs
etde ladécence, dans un chef-d'reuvre d'es-
prit et d'obscénité, répandu en manuscritdaus
toutes.les sociétés distinguées 2. Il était des-Iors
ramí intime du prince royal de Prusse.


De meme que Voltaire prit·, en Angleterre,
tant par les amis qu'il y.avait que par'l'étude
qu'il 6t de, plusieurs ouvrages anglais, une
nouvelle -direetion;, de meme Montesquieu,
qui apparti~nt aussi a la premiere moitié de ce
siecle, adopta, dans son ouvrage le plus mar-
quant, une maniere tout-a-fait anglaise, bien.
que l' ouvrage qui lui valut sa premi<~re célé-
bríté -en Fraliée fU. ~crlt·d'un ton fort léger
et dáns l'esprit de la société du Régent. Ce
premier ouvrage par lequel Montesquieu dé-
buta, les Lettres Persanes 3; dut plaire par. la· .


Z Comme nous verrons V oltaire plus tard nu falte de sa
grandeur, il suffira de désigner ses ten dances ,d'apres llordre
chronolQgique dans Jequel sesouvrages parurent alors.


t 706, Petites poésies;- 1718, OEdipe ;"'1723, la Ligue,
(connue ensuite sous le nom de la Henriade); - 1724 a
1729, tragédies et autres pillees; - 1730, Brutus;- 1731,
Charles xn ; - 1733 , Leltres philosophiques , Dictionnaire phi-
losophique; - 173-6, .A lzire, l'Enfant prodiGue; - 1738 ) EIé-
ments de laphilosopltie de Newton, Essa; surta naturedufeu ,"-
1739, Défense du llewtonianisme.


• La Pllcelle fut répandue en manuscrit par parties détachées
des l'année 1730.


3. Les Lettres persanel parurent l' an 172 I ; nous croyons




LIVRE 1, P,A.RTIE LITTÉRAIRE. 137
politique ,souvent obscene; amere et satirique
qu'il contenait ~dans un temps ou la mémoire
de Louis XIV, qui s'y trouvait outragée, était


d'~illeurs ,qu'outre l'instruction que l'anteur del'Esprit des
Lois avaif acquise en lisant des l'efátions de voyages, son éru-
dition De fut. pas bien éteDdne (comme l'a remarqué Vol-
taire, ennemi déclaré de tonte érudition); du reste, nous
n'examinons point Montesquieu soos ce rapport. Nous prenons
l'homme tel qu'il est réputé o,rdinairement. Nous le r~gardons
d'apres l'histoire t de méme que Voltaire, comme la.propriété
de l'opinioll publique. Nous remarquons en méme temps que
M. Guizot, ami de l'a~r .de .la;.Litt{raturefranfai4~ pendant
le dÍ3;~huit~ liecle (M.deBarante), n'a nullement approuvé
ropiniou 'fIW no\8 -.vons énoncée sur le premier ouvrage de
Mont~eu; elle peut étre fausse, nous ne cherchons point a
abuser llotre reclenr, mais elle est notre opinion invariable * .


• M. Schlosser ne nous semhle pas avoir justement apprécié toute l'im-
portance des Lettres persanes et de leur sueces; la forme, il est vrai, en
est légere, et U se peut .qtl~, bo.rs de France et apres no siecle , quelques
allusíona ne paraissent pas claires, 00 soient devenues moius piquantes.
~:_ L6ttre~ Pfr-ltfM6ont no plus baut .Dlériteque.l'agrémentcdelá
latire , et ont produit un bien autre effet que d'amoser ~_málignité des
contemporains. Elles ont émancípél'esprit de la Franca sur.le despotisme '
et les mreurs des cours. L'éclat du regne de Louis XIV avait insJ,>iré a la
nation une admiration sincere; les plus grands esprits, éblouis ou iJ!timi-
dés , avaient perdutoute hahitude de juger le pouvoir ; a peipe quelques
bommes entrevoyaien~ilsla profonde faiblesse du systeme de gouver:ne-
ment qui. prévalait, &t tont príncipe politique, tOot 5eD.timent patriQtique
disparaissaient graduellement saos que personne ft1t choqué de ('ette se-
crete décadence. Montesquieu le premier tit sentir, daos les Lettres per-
sanes. les vices de ce systeme, et quel affaiblissement, quelle corruption.
mena~aient no paylo11 J.a conr était tout , sous ongouvernementlivré aox
plns misérables intrigues. Plus tard ces .,vices devaient. etre'¡attáqués
par des doctriDes, mélées de beaucoup d'errenrs, mais conséquentes et
énergiqna: au momentde.la PQhlication des.Lettrespersane" ces doc-
trines n'existaient point encore, lepublic n'était pqint ~ncore .vivement
préoceopé de raisonnements et de ,tbéories: politiques; l'ironie de Mon-
tesquie\l devat;t~a les théories et leur fraya le-ch~min en frappaut de ri~i­
cule ce que bientÓt elles devaientrenverser.,Malgré la légereté de la,




138 \ BISTOIRE DU XVlIle SIf~CLE.
encoré toute récente, et ou 1'011 ressentait la fa·
tale influence du systeme de Law, qui s'y trou ..
vait dépeint sous le jour le plus odieux; lnais
ces lettres n'ont plus aujourd'hui le. rneme
sel , paree que les ·allusions sur les mreurset
les partieularités du temps deviennent natu-
rellemént plus obseures. •


Le séjour de Mpntesquieu en Angleterre
donna une' autre direction a ses idées, et, a vant
qu'il fit paraitre l'-llsprit des Lois '\ il s'occUpa
du droit publieproprement dit;.lsentáit com- .
bien le gouvernement franc;ais ruinait alors
ses sujets. Il écrivit dans le prernier fen de ses
nouvelles inspirations, en 1714, les, Considé-


'rationssur les causes de la. grafuJeur des Ro-
maitu 'etlkleuriJécadence, li.re qui mériteune
place a coté des dialogues de M,achiavel sur
fonne, .rialgré ~ ton quelquefois cynique de la satire, i1 y a áu fond, daD5
léSL'ettres persanes, des idées et des sentittlént!lplúsÜrlbux, pluslllo..
ranlt m~nl.eque depuis long-temps la Fl'IUlce á'~ aeooutmn~e a eIl voi1"
porler en pareilIe 1ítá~ J et élles ctmtribuePéDf ¡m~eD:t a affran ..
chir les esprits que plus tatd l' Esprt't 'tIes Ló~ detéh éclai~. On ¡e
trompe sur le mérite '&5 écrltS d'lin bOinme de géntC:i , si l"ón M 15e re-
pó~i léur époqú-e-, cái' ónt(ryoit plUs aloM que Fmtnepbitosophique
oú liiter.ure ; on oublíe quelté plaée-ih oot tefiue, queDe inilnmuie amiTe
et I'éelle ilS out eXercee clault le coUrs·Cle8'táits :m :lJ4ttres pin-rliMs, qili
De sOntaujó'n.'ra'Jltti qu'une Satil'e; Iürtmi en t7~t un ffftém~nt. elles
firent haute attX 'tónteinporams '<Hl fa frirolliéde fordre so.ciaL, dé loor
pi'opre ftivoliM. et leur Í1I.SpireFeIl t ami lb besoin de maiurs plus Cortes
et d'inrerets plus smeus:. e' est par la /mrtóut qu'elIes 80n1 un ~pertaD t
ouVrage , et doiTent ~re rangées au nombre des symptÓmes ataca CaUfie&
d~ progres de ce sieCle, qai en a fuit de si gt'ftDds. (F. G.).




LIVRE 1, PARTIE LIT'NRAIRE. 139
Tit~Live,autant a cause des bonnes que des
mauvaises -idées qu'il renferme.


L'histo¡'re,dll peuple romain est représentée
daos cet ouvrage de maniere a faire bien res-
sortir le contraste d'une nation énergique,
disposée a. agir et -a penser; avec un etat gou-
verné systématiquement par une couí' que
trop de civilisation semble avoir énervee, C'est,
comme ton s les autresouvrages' fran«;a:ts qui
obtinrent dansce siecle de la célébtité ,ptutOt
le proouitde l'tHoquencé ,qu"nne bistoíre OH
une suite de recherches philosophiques; le
plus bel éloge qn' on puisse en faire, e' est qu'il
retentit, comme la voix d'un homme qui pense,
aux oreilles etlgounlies dO: peuple;mais s'il
Wlait lui acoord:erle méri>te qU'ttn-&aíl~ais
luí reconnrut, nous avouons que'notistl~ pOtlt--
rions porter le meme jugement sur aucnn
ouwage allemand, san's désbon6rer pour cela
n0tre natioo l.
~M, LaeretelIe dit, e:n parlant de eet onvrage : 'c qu'il pretait


c aux eolllpatriot~s de l' auteur ,el) le lisallt, le phís gránd
c charme; oui J le mérite le plus solide, de se sentir, apres l' a-
« TOir lu, mIgré toute l'admiration pbul' les Romains, plus
c heureux d'~tre. Fl'a~ais. • •


J'avais d'abord l'idée de supprimer eette note, ¡uisqn'on m'a
prbúvéque e' étaituil8és cOJites qné M~ Lacretelle dehitait depuis-
<D\'il n'était plus jacobin, pour expíer Ses' VieGx:péchés; maiS
je la laisse pour faire observer eornment. ces messieurs traitent
1'lílsliOlte.




JAo 'IUSTOlilaE DU XVIllc SI tCLE;
L' Esprit des lois, rendít au gouvernemel1t 'et


a la législation le memeservice"<}ue les Consi-
dérations -sur les'causes de la grandeur des Ro-
mainsetd{! leur.décadence rendirent a l'histoire:
car,dans lepremierouvrage,le gouvernement
anglais et 5a législatioIl étaient aussi hi~n ex-
posés"que., dans le dernier, l'histoire romaine
an;cienne ..


, Apres avoir"reconnu le principe, que tous
l,es auteuts) que: nous: venons de nommer, et
leurs. nombreux imitateurs, étaient ennem~
du eu] te 'existan t et des dogmes adoptés, en
considérant que, maitres de la Jangue, i1s em-
ployerent toutes les finesses dü cornmerce so-
cial dans leurs ·écnts,. pour .répandre leurs·
idées; on expliquera facilement comnlent et
pourquoi ilspréparerent peua peu une révo-
lution, que. nous verrons éclater plus tardo


H. Il sera facHe de démontrer, saos' ent~er
plus avant dans l'histoire de la littératür~ an-


. glaise, qu' elle ne fut pas aveuglement emprun-
téecomme . celle des Allemands au'xFranc;ais;
que c'étaiellt plutotles Anglais qui influerent
sur leurs plus grands auteurs, mais que les écri~
vains anglais changereIit cependant de tonet
de maniere, soit avant les Franc;ais ,soitd'ap~es
leur exemple. Nous pouvons passer sous: si-




LIVRE 1, PA.RTIR LITTÉRA.IRE. 14l


.Ience Toland, et tonte la série .~esenne~is
proIloncés de l' Apocalypse, surtout ceux de
la religion chrétienne, puisqu'ils appartiennent
réelleJIlent an siecle précédent, et qu'ils n'eu-
rent jamais une grande influence sur lanation ;
mais il fant nécessairement parler de ces feuil-
les périodiques, desquelles les Anglaisdatent
leur nouveau style, et la nouvellemaniere de
trai ter les .belles-lettres.Elles-furen t .regardées
.pendant long-:temps commesclassiques, 'et le
sont encore en partie, car elles avaient été rédi-
.géespardeshommesattachésal'écolefranc;aise,
maist qui n'approuvaient pás la légereté et qui
préféraient au contraire une morale sévere l.


Steele commenc;a le Tadler ( Causeur ), Ad-
di~son le continua avec lui ;ils tr.availler.ent
ensuite tous les deux auSpectator (Specta- '
tenr) et iJs entreprirent plus tard le Guardian
( Inspecteur ) 2. En jettant les yeux sur ces


K Ces jou.rnaux tombent eneora dans le temps sérieux des
FwIlCiftis. Le Tadler date du mois d'avril ~09, jusqu'en jan-
vier 1711.


Le Spectator du mois de mars 17II, jusqu'en décem-
hre 1715.


a Le GuarJian de l'an 17 I 3, jusqu'en 17I'¡.
Eichhorn, Geschichte der Litteratur (Histoire de la Lit-


térature) ,tome IV, part. 11 , page .207, C'Íte ungrand nombre
d'autres journaux de eette espece que lesuceeideoeux meD-
tionués avait fai! naitre.




14!l ,HISTOJ RE DU XVI He SI ECL E.


deux écrits1· OU en lisant le Caton d'Addis-
son, si célebre alors, on reconnait aussitot
que les reglesdel'école fMnf(aise y pl'édO'mi-
nerent l.


Ce qllC. cesoommes avaient exécuté d'UB
coté, &>1ingbroke et ses par.tisans l'effectue-
rent de l'autre. lIs voulaient avec Voltaire lais-
ser la superstitio:Rau peuple ; mais les hautes
:classes devaient en· etre 6xemptes et se mettre
au-dessusde tollt-cequi n'existe que ilansla
foi.


Bolingbr<>ke surtout-eontribua heaucoup par
ses écrits a faire accueillir et gouter Vohaire
et Montesquieu en Angleterre~ L'influence mu-
tualla dti 'Fr~n~ais eol des Anglais·, ·etleurs·cf-
liorts réuni~ pout opérer un changement dans
les idées religieuses et politiques, en répan-
dant les lumieres dont ils avaient été éc1airés,
se manifestentplutot dansles prosateurs que
dans les poetes, et surtout dans lesphiloso-
.phes. • • .


Locke se forma presque seul , par l' étudc de


x Cowley, Dryden, Prior. Waller, méme Thomson et
Pope, ont bien plus de regle et d'élégance qu~ d'originalité et
d'éll~rgie, qualitésqui con"Viennent aux Anglais. Il serait dif-
ficÍle de po:rter un jugement sur Swift. Glover doit étre nom.mé
~i ; Young tom},e dans une époque plus moderne. Ses Nuits
ne parurent que Pau 1741.




LIVRE 1, PAllTIE LITTÉRAIRE. 143
la philosophie ~rtésienne, a devenir ce qn'il·
fut plus taro; et son Essai sur fintelligence hu-
maine .servit ensuite de base a la philosophie
franc;aise réfléchie, qui fut exposée, sous les
formes les plus diverses, par toos ces hommes
que nous citer.ons dans.la suite, . quoiqu'ils
different tant entre eux, et qu'Oll reconnaisse
si peu Locke dans leurs systemes.


Antoine-Asthley Cooper.,' plus .cormusous
le nom de eorote de ~haf~bul'y ~, suiyit pre&.
que avec la rMOle tendance que. Voltaire la.
route d'une philosophie légere et adaptée a
la vie, et la sellsation que ses écrits, rassenl-
blés ensuite SdllS le titre de Caractéristiques,
ont pr-oduite ,a -été, en. quelque fru;on, plus
forteque ceUe qúe les auteurs fraw;ais pe ce
genre ont causée.


L'histoire dut prendre de meme une, ten-
dance toute fran~aise depuis qu'en 1737
H~me joignit a .l'esprit et a la saillie la con-
nrussance du creur humain, la finesse et l' é-
légance du style, et· une ooucation entiere-
ment franc;aise. Hume et Gibhon al/aient
achevé leqrs étq~es e.1,l Fta~ce. Hume resta ,


1 La philosophie de lord Chesterneld en ca1qIMe sur les
m$t¡es bases,. mals moins sY!ltématique; el~ n'ese pour ainsi
dire qu'un pur égolsme.




144 B15TOIRE DU XVIIl6 SI:F.CLE.
meme apres, toujours"en rapport avec les Fran~
c;ais, en suivant l'ambassadeur anglais aux
cours deParis, de Vienne et de Turin. Nous
ne parlons d'ailleurs id que de ses essais
historiques, puisque son ouvrage principal,
l' Histoire ti' Angleterre, ,appartient au temps
qui va swvre ..


111: En tournant nos regards sur I'Allemagne
et:sur la littérature allemande de cetteépoque I,
HOUS ne nous étonn:rons pas devoir des ambas-
sadeurs, des nobles' instruits par desvoyages,
des hommes atalents-, qui,n'avaient point suivi
la routine, des universités, des princes élevés
presque tous sansexception 2 pnr des Fran«;ais ,
lnontrer de larépugnance pour -les 'écri~s de
leur prop~enation et s' entourer ,de gens qui
parlaient une autre langue, et qui avaient
d'autres moours que le peuple dont ils de-
vaient etre les souverains et les peres. Com-
ment un homme tel' que Frédéric 11, prompt
et énergique, riche en saillies et en connais-
sance deshommes, comment, dis-j e, pouvait-
il prendre en.'affection ceHe philosophie lente


I Dei'ivá, N ouvelie 'Vie de Frédér,ic '11, Amsterdam, 1789,
in-So, chapo IV, 'page 37 et suiv., eu parle a sa maniere. c'est-
il-dire superfieiellement.


2 Frédéric-Guillaume (l'AÍlemand dans la (orte du terme)
m~me awit eu m~dame de Rocole ¡mur gouvel'nante.




LIVRE 1, PAIlTIE LITTÉRAIRE. 145
et pédantesque, cette poésie dénuée d'esprit,
ceUe rhétorique sans gout eteeHe langue bar-
bare, qui demandait un Gottsehed pour se
faire supporter ? . eomment un prince admira-
teur des Fran<;ais pouvait-il diriger et gOllver-
ner de son fauteuil tous ses États, et plus tard
les affaires de l'Europe, et suivre', en meme
temps, la marche de la révolution miracu ..
leuse qui changea tout-a-fait la, face de la lit-
téra ture dans les vingt dernieres années de son
regne, et la porta a un degré d' originalité qui
retombe sur les Fran<;ais, malgré toutes les
peines qu'ils prirent pour s'y opposer.


Leibnitz, qui, comme grand esprit, sut en
toutes choses, meme dans la· philosophie et
dans la théologie, s'accommoder· au gout pu ..
blic, sans se faire tort a lui - meme ou a son
opinion, avait di¡ rendre homnlage aux usages
fran<;ais: il avait du se servir de la langue fran-
<;aise afin d' obt-enir l'influence qui devient un
besoin pour un esprit aussi é~evé l •


. Il lui faUnt entretenir des connaissances et
des liaisons avec l'Angleterre et la France·,


x Boyneburg, chancelier de Mayence, qui le premier re-
connut le grand esprit de Leibnitz, et qui .voulllt l'employer
dan s les affaires d'Etat, l' engagea a se rendre en France" et
iI resta á Paris, comme onsait, l'an 1672 etI6¡3,etensuite
pendant quinze mois, en 1675 el 1676.


H. I. JO




J46 HISTOIRE DU XlVIII- SdO:CLE.
comme avec I'Allemagne; il ne voyait que
dans ud avenir bien éloigné la langue et
la littérature alle:rnandes 'prendre un carac-
tere na.tional. Si les próneurs et les admira-
teurs de ce gra~d homme, dont la plupart
des ouvrages sont écrits en fran<;ais correct,
mais dur, 'ou en latill melé de galliéismes,
avaient montré le meme zele que lUl pour la
langue et la littérature allemandes, on n'au-
rait pas eu besoin de Gottsched pour les ré-
'fomerl.


Il est vrai que la natioD allemande oe man-


1 Gottsched écrivit une. brochure excellente intitulée: Ge-
danken wégeIi. Verbesserung der deutscnen Sprac,he (Réflexions
sth larJfonne .. /aire daiu la langue allemande), oa il dit, § 24:
• On apprend, pu ,les décl'ets de l'Empire et par d'autPes
actes állemands, quel fut le so1't de cette langue. Elle 'était
parlée ~sez correctement dans le siecle de la réforme ,
mais mélée de quelques mots italiens, et méme de mots espa-
gnols, qui' s'y étaient glissés en dernier lieu par la cour impé-
riale et par quelques servrteurs étrang~s; mais lors de la guerre
de trente ans, r Allemagne fut mondée de peúples étrangers
et indigenes, la langue en souffrit ainfl que le pays, et OD
voit les acles de l'Empire de ce temps remplis de mots que
nos. aieux auraient démentis. Apres les traités de paix de
Munster et des Pyréllées, la langue et la puissance &anctaises
dominerent chez D-oUS. La France fut, pour ainsi djre, pro-
poséecommemodelede toute élégan$:e. " On voit que ce grand
homme avait tres-bien saisi la chose. On trouve cette brochure
tout entiere dans Leibnitz. Collect. etymol., ex edito J oan
Georg. Eccardi. Hanov. 1717, in-SO" et enextrait dans Schrif-
ten der Mannheimer Gesellschaft ( Ecrits de la Société allemande
de Mallnlceim) , tome 11, page 201.




LIVRE 1', PARTIE LITTÉRAIItE. J 47
quait pas enCOFe d' auteurs vraiment nationaux,
~ais ils ne furent reconnus ni des savants· ni
des gens de qualité, qui seuls donnaient alors
le ton; car malheureusement ils étaient pas-
sés ces jours de cordialité el de probité avec
la mutation du systeme de gouvernement et
avec les progres de la civilisation 1, . et l'in ...
fluence frant;aise 'se faisait sentir en partant
d'une source élevée.


Les théosophes nevoulaientpas des dogmes
de la Bible , mais ils demarid~ient un systemel
Les efforts de Spener, de 'Godefroi Arnold, et
de plusieurs auíres, dont le mérite, pour la lan-
gue et le caractere allemands, n'ont pas en ..
core été assez qignemellt appréciés, ne fu ..
r-ent utiles qu'it un petit nombre 2; le génie
transcendant de Jacques Brehm passa sur ·lá


1 11 s'agit ici des piétistes; nous ne chercherons ni a les dé-
fend~e,Di a les accuser; maís tout le monde conviendra que
les príncipes qu'ils donnerent valaient mieux que fe dogma.
tique insipide qui régnait, comme une nouvelle doctrine
sc;olasti<¡ue, des le dix-septieme siecle, dans PÉglise luthé-
rienne; il fallait qu'il y eut quelque eh ose de national pour
qu'ils se répandissent si promptement dans toute l' Allemaglle.


2 Parmi les vingt-cinq ouvrages principaux de GodeftoiAr-
noId, son Histoire de r Eglise et des lIérétiques, sa ríe des Fi-
deles, ou Relation des Izommes pieux qui se sont surtout signalJs
dans les deux derniers sreeles, son Histoire el 'tfsc,.iption de la
Tkéologie mptique, et enfin les Eerits religieu¡Q.J.e han Nusbl'O-
c/Uus; Die paraissent les plus importants. '


10.




J48 1IISTOIRE DU XVIIl8 SIECLE.
nation comme un souffle, puisque la parole
lui manquait, et que ses orades philosophi-
ques ne, trouver'ent point de prophete I qui
leur servitd'interprete.


Leseul qui, daos le nouveau chemin, cher-
cha a. res ter aHemand, fut Chrétien Thoma-
sius. Ses Pensées ingénues, gaies, sérieuses,
ou dialogues 'des mois sur divers livres, et sur-
tout sur les nouveaux ouvrages, conserverent
-le caractere nationaldanstoute sa pureté, mais
'aigrirent les esprits et firent beaucoup de
bruit. Thomasius, excité par la masse des pré-
jugés et du pédantisme invincible des univer-
sités et de leurs apologistes, passa du piétisme
a la philosopbie réfléchie. Du moment qu'iI
reconnut lesysteme de Locke, il fray.a, sans
le savoir et sans le vouloir, le chemin a la nou-
velle philosophie fran~aise.


De la science proprement dite, qui trouvajt
encore de fórts soutiens dan s Leibnitz, Tho-


, masius et autres savants contemporain~, ~i
ron passe auxbelles lettres, nous voyons déja
Opitz méconnaitre la langue de sa nation,


r 1I'pO({)~T"G. Il y avait, comme on sait, des gens attachés
a l'oraele de Delphes, qui versifiaient les sons inarticulés de
la pretresse lorsqu'elle se trouvait ~ans un saint délire, et qui
les transmettáient ainsi a ceux qui venaient la consulter.




LIVRE 1, PARTIE LITTÉ.ft.AIRE. 149'
suivre les Fran~ais et les Belges qui travestis-
saient en quelque sorte les anciens, et re-
commander, en plusieurs endroits de ses poé-
sies, l'imitation des nouveaux modeles. Ses
conseils ne furent, hélas! que trop bien suj-
vis l. N eukirch , le poete le plus distingué de
ce temps, vonlut versifier le Télémaque. De
Besser, qui n' occupait pas un rang moins élevé
parmi les poetes, entreprit un poeme épique
sur la vie du gralld électeur Frédéric - Guil-
laume ; Patsch, une épopée sur sa majesté im-
périale; de Krenig ,une sur le roi de Pologne.
Enfin Postel fit un poeme épique, en. dix
chants, intitulé le Grand lritteküzd 2 ,;


Qui aurait pu s'attacher a de tenes produc--
. tions, apres avoir lu et compris les livres anglais


et fran~ais? Les compatriotes de Frédéric,mal-
1 Voyez le huitieme volume des suppléments de Sulzer; iI


est vrai que tout ce qui y est donné comme histoire de la
poésie alIemande n'est pas trop profond, mais cela n'était pas
Don plus le but qu'on se proposait; e'est un récit vrai, pru-
dent, dans lequel on a mis trop d'importance aux dissensions
puériles des Lipsiens et des Suisses.


:1 Le grand Wittekind est un' poeme en dix chants, que
Gottsched loue beaueoup. N ous croyons pouvoir donner une
idée suffisante de ce poeme et de tous ceux que nous D.vons
placés dans la ~me catégorie, en citant les premi6l's vers : '


.. Divinité, qui as b¡:illé surle Sinai, daigne embraser mon
.. esprit par ton ardeur, l'éclairer par ta lumiere, et le forti-
.. fier par ta grace; qu'un transport illuminatif se manifeste
.. seulement devant toi. lO




150 HISTOIRE DU XVI n e Sd:CLE.


gré leur moralité et leor habileté, le faisaiént
m'óurir . d'ennui; il lisait les étrangers avec
plaisir, quoiqu'iI méprisat et rejetat Ieur phi-
losophie et leur' doctrine. Il est vrai qu'il y
avaitquelques poetes eomme Amthor, Ri-
chey, etc., qui ·valaient un peu mieux; mais
combien leurs idées étaient faíbles. Brokes
meme, dont le Plaisir terrestre en Dieu, de-
meurapendant un demi-siecle un livre popu-
lail'e, ne s'élt,ve porot, comme poete, a une
place éminente. Go ttschedpanit enfin, et
quoique nons ne puissions adopter l'opiníon
de ceux qui méeonnaissent entierement son
grand mérite, il nóus parait cependant con-
stantqu'il avait la :parfa:ite conviction que les
poésies el les ouvrages d' éloquence se faisa:ient
de la meme maniere que l' écolier fait son
theme. D'apres cela, le modele et la regl~
étaient pour lui la chose essentielle. Il ne les
emprunta aux anciens que de temps en temps;
mais souvent aux Franc;ais et a lui-meme. Tout
cela suffit póur expliquer la sensation qt}'il
. produisit. Gottsched, favorisé .de Menken, vint
a. Leipsick; eeUe ville possédait albrs le droit
decritiquer les ouvráges allemands, et il fut
bientot au fait de toutes les petites finesses par
lesquelles on se procure des amis et de la ré-


I I \




LIVRE 1, PARTIE LITTÉRAIRE. 15l


putation : on va d'abord doucement, on rampe,
ensuite on protége, on répand par ses pro-
tégés une auréole autour de soi, on se fait
encenser; et ceux qui font le service de l'au-
tel, parviennent par des recommandations a
des places qu'ils ne mériteut pas, el devien-
nent meme de grands hommes avant d'en
avoir le pressentiment.


Le journal, qu'il publia d'abord I, fut d'ail-
leurs tout nouveau dans son genre et, comme
réveil des Allemands endormis, une entreprise
méritoire. Ilexcita l'intéret sur les livres écrits .
dan s la langue maternelle, méprisée jusqu'a-
lors parmi les savants. Ses propres ouvrages,
qu'il écrivit dans l'intentiQn de fo~der une
littérature eIl Allemagne, n' eurent, au com-
mencement, d'autre succes, que de faire pa-
raitre un grand nombre d'écrits, qui n'étaient
ni fran«;ais, ni allemands, ni dans le gout an-
cien, ni dans le nouveau; ils causerent cepen-
dant enfin un mouvement. dan s la natioD et
produisirent un chaugement complet dan s la
maniere de penser et d'écrire; car les ouvra-
ges de Gottsched, ou directement, ou par les
eDtr~ves qu' on opposait au 'Douveau dictateur,
do-nnerent le jour a la littérature allemande,


I Die Tadlerinnen (les critiques ).




152 HISTOIRE DU XVIIIC SLECLE.


qui comln/en~a a briller a peu pres dix ans
avant la révolution fran<;aise. Le prernier et le
principal ouvrage de Gottsc~ed, dans le- gen re
dont je viens de parler, fut sa Poésie critique,
qui parut en 1730. Ce n'était qu'un résurné
des regles fran<;aises, appuyées sur des mo-
deles fran~ais. Un tel manuel, rédigé en alle-
mand, dut e!re utile alors, mais il n'est pas
nécessaire de dire que tout hornme d'esprit
dut préférer les sources.


Dans ,sa Rhétorique raisonnée, publiée en
1736, ce sont moins les Fran~ais que les
Grecs et les Romains qu'il suivit avec soin et
él la lettre; mais a coté des exemples des Grecs
et des Romains, il présente les siens . d'une
maniere tres-assurée. Gottsched,- dans la cita-
tion et dans la critique des prosateurs, qui
s'étaient distingués en quelque sorte, et qui
avaient écrit depuis 1680, nous faít déjél voir
combien il y avait peu d' Allemands, él la fin
du dix-septieme et au commencement du di x-
huitieme siecle, qui écrivissent passablement
leur langue.


Scriver, Müller, Lassenius furent des ora-
teurs ecclésiastiques. Lohenstein, Francisci,
Puffendorft de Ziegler, Fuchs, Canitz, Besser,
Thomasiús , des écrivains séculiers; et, si l' on




LIVRE ], PARTíE LITTÉRAIRE. 153
remarque que Gottsched et ses disciples de-
vinrent alors les juges du gout et qu'ils vou-
lurent meme réformer le théatre, on aura tout
dit. Gottsched fut tellement eonvaincu de son
talent poétique, qu' en 1737 il fit chasser, par


. madame N euber, qui était a la tete de la troupe
la plus distinguée des eomédiens du temps, l'ar-
lequin du théatre, avec une solennité ridicule,
et qu'il erut donner, dans son Catan mourant,
a la nati?ll allemande, la premiere tr~gédie
véritable.


Lorsqu'oIl suit la marche de la littérature
Jt


aIlemande jusqu'en l'année I74o, on ne ~'é-
tonne plus de voir que tout homme instruit,
qui n'était pas 'scolastique, ou qui n'apparte-
nait pas au vulgaire, ne voulut ríen lire d'al-
lemand.


FIN DU LIVRE PREMIER.






I \


LIYR·E DEUXIEME.


PARTIE POLITIQUE.






!LIVRE DEUXIEME.


PREMIERE PARTIE.
HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREMIER.
GUERRE DE ,LA SUCCESSION D'AUTRICHE.


l. Depuis le commencement jusqu'a la :fin de la premiere
guerre de Silésie.- 11. Depuis la paix de Breslau jusqu'au
commencement de la seconde guerre de Silésie. - 111. De-
puis le commencement de la .seconde guerre de Silésie
jusqu'a la paix de Dresde . ..:- IV. Du traité de Dresde jus-
qu'a la paix d,' Aix-Ia-Chapelle.


l. Irnmédiaternent apres la mort de Char-
les VI, arrivée au mois d' oetobre 1740, les
bases faetices dela Pragmatique-Sauetion, que
Charles avait j etées avee tant de soin, s' éerou-
lerent. Aueune des puissances qui avaient
garantí a la filIe de Charles VI l'intégritéde
la succession 1, ne se montra disposée ~a rem-


• L'Histoire de la crise de l'Europe, page 87-98, cite toutes
les puissances qui, par traités, avaient accédé a, la Pragma-
tique-Sa~ction, ainsi que les articles des diffé~ents traités qui
parlent de cette garantie.




158 HISTOIRE DU XVIIl8 SIECLE.
plir l'obligation contractée. Mais ~arie-Thé­
rese, . pa!' ses lumieres et sa fermeté, par le
parti qu' elle sut tirer de l'attachement du peu-
pIe a ses souverains, par l'admiration qu'ins-
pirait sa grandeur d'ame au milieu des dangers
et des troubles, se soutint seule, sans recourir
aux traités de son pere, aidée des seuIes ar-
mes de ses sujets et surtout de la bravoure des
Hongrois.


L'Espagne et la Baviere n'avaient pas d' abord
reconnu Marie-Thérese. L'Espagne prétendait
a la monarchie de Charles-Quint, n'ayant ja-
mais approuvé le partage des anciennes pro··
vinces espagnoles, stipulé par les traités d'U-
trecht et 4e Rastadt; la Baviere s' était élevée
des l'an 1724 d'une maniere formelle et pu-
blique contre la Pragmatique-Sanction; elle
chercha alors a faire valoir le testamen t de
Ferdinand 1, e-n appuyant ses prétentions sur
une clause du codicille et du contrat de ma-
riage qui rénfermait les conditioHs auxquelles
Anne, fille de Ferdinand, avait été mal'iée a
Albert V, trisajeul de l'éIecteur régnant. Lors-
qu' on eut prouvé la nullité de ceUe clause, la
Baviere eut recours a quelques autres chicanes
de droitI.


• La Bavjere, qui avait vu deux fois des filies de la maison




LIVRE 11, CHA.PITRE f. 159
Les réclamations de l'Espaghe et de la Ba ..


viere étaient dans le fond peu a craindre; l'Es ..
pagne seule ue pouvait rien entreprendre, et
Charles Albert de Baviere, prince faible et
pieux, n'avait ni argent ni armée, et se laissait
-conduire tantot par ses ministres, tantot par
ses maitresses; ~adame Morawi tzka qui épousa
le prince Portia, et la comtesse de Fuggerfurent
celles, qui conserverent le plus long - temps
leur influence.


La Prusse présentait un tout autre aspecto
Frédéric 11, ayant succédé a son pere au mois
demaiI 740, chercha avec empressement a
se distinguer par de hauts faits et a déployer
la grandeur de son génie. Sa propre situation
et celle de l'Eur<>pe alors ne pouvaiellt lui etre
plus favorables. Son pere lui avait laissé un
riche trésor, soixante-doúze mille hommes,
armée considérable pour ces temps-Ia: elIeavait
d' Autriche unies a ses électeurs, prétendit que la clause du
testament de Fréderic ler disait: • qu'en cas qu'un souve-
rain d' Autriche mourrait sans laisaer d'héritier mMe, toute
la succession reviendrait aux desct!Iidantíi de ces épouses d' .Al-
bert de Baviere; • mais le vice - chancelier de Slnzendorf fit


, convoque!' tous les ministres étrangers qúi se tróuvaient el
Vienne, et leUr 'montra la piecé originale, qüi parlait
d'héritiers légitimes, tandis que la copie de Baviere port~
héritiers males. La Baviere eut alors recours au droit d'hé.
rédité regressíve, ou la succession, d'apres le drbit romain-
aUeman~, fllt confondue avec l'ordre de &Uccession d'apl'es
les coutumesallemandes en )ignes directes.




160 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.


été formé e par un éleve d'Eugene , et Frédérie
a son avénement au tróne en av~it banni tout
ce qui n'était que parade 1 OH exagération ri-
dieule. Il' put employer cette armée a sa vo-
lonté, car c'étaient des troup~s salariées. Outre
qn'il la regarda comme une maehine a sa di s-
position, iI considéra les revenus de son
royaume comme son bien particulier, et ~on
génie'neconnaissait aucnn obstacle quand il
s'agissait d'exéeuter ses projets, quand meme
il ent fallu saerifier l'indépendanee des ci-
toyens.


Frédérie II fut le premier qui , les armes a
la main , fit valoir son droit a une partie des
états de Charles VI, en déclarant dans tous ses
manifestes qu'il n' attaquait point la Pragmati-
que-Sanction, quoique l'Autriehe ent violé les
conditions en échange desquelles la Prusse
s'était rendne caution 2; il demanda les duchés


1 Il Y avait bien encore dans l'al'mée prussienne quelque
prédilection pour les hommes d'une grande taille, puisque les
officiers restaient, et que cela se transmet comme tradition.
Les opinions sur le trésor que Frédéric- Guillaume laissa sont
partagée~; Frédéric ne déclara que huit milliGlls écus , et par
de bonnes raisons; tI'ente millions écus s'accorderaient avec
le rapport que Frédél-ic Guillaume me.ttait tons les ans buit
cent miUe écus de coté.


2 La famille régnante dans le Palatinat était prMe a s' éteindre,
et Charles Théodore, descendant de la ligue de Sulzbach , hé-
ritait de tous les pays du Palatinat. Prédéric-Guillaume, en




J,IVRE 11, CHA.PITnl~ 1. 161
Silésiens, Liegnitz, W ohlau, J'regerndorf, Brieg ,
et il ne commen<;a pas comrne la Baviere par
des négociations 1; mais au mois de décerobre
il entra en Silésie avec une armée au moment
ou l'on s'y attendait le moins. Leministere en
Baviere était part~gé; Unertel,alors chancelier,
et le grand-écuyer comte de Preysing étai:ent
par des raisons tres-plausibles contre le projet.
de faire valoir les droits de la Baviere sur
toute la succession de l'Autriche¡ Trerring seul
appuyan ce plan; el a cet effet il a\rait entre-
tenu avec la France des rapports qui n'avaient
pas toujours été honorables pour lui 2. :Fleury
qui gouvernait les affaires de la France n'ap-
prouva pas le plan de cette vaste entreprise
lorsque Trerring vint en 1738 a Paris 3; et le


accédant a la Pragmatique-Sanction, avait obtenu de l' Autriche
que le pays de .Berg serait excepté et gu'il reviendrait a la
Prusse, comme une possession enlevée antérieurement a la
maison de Brandebourg. La France et l' Autriche l'a'Vaient ga-
ranti, mais elles l'etirerent Ieur parole, et la Prusse se vit dé-
gagée de . son obligation.


J Frédéric; abandonnant les négoéiations a des hommes de
robe, prit de suite les armes. On trouvefous les écrits sur la
prétention de la Prusse a la Silésie dans Faber, Staa~s-Kau-
ze]ei (Chancellerie de ['Etat) , tom.- 78-79-80. .


2 Trernng ayant formé depuis plusieurs années uueétroite
liaisouentre la France et la Baviere, s'opposa,depuis l'a~ 1735,
a ce que la Baviere donnlh le contingent a la guerre. de l'Em-
p~~ -


3 La Chroniqu~ scandaleuse (Joumal de Seckendoif) rap-
H. l.




16~ HISTOIRE DU XVIU8 SIECLE.
cardinal ne se serait. jamais décidé pOUI' la
guerre si les deux freres Bellisle ne l'y euss~nt
engagé pour ainsi dire malgré sa répugnance.
On se servit alors pour' la premiere fois de
l'influence fatale li'une maltresse du faible roi
Louis XV, qu' on avait enfin éloigné de la reine
son épouse, et qu'on entraina ensuite par de-
gré jusqu?aux dernieres débauches t •


. Frédéric >11 se serait contenté alors de quel ..
ques provillces de la Silés.iesi l'Aútriche n"'ent
toutrefusé. Ce ne fútpourtantqu'au commen-
cement de l'année 1741 que le feld-maréchal
Neiperg, a la tete d'une armée autrichienne,
re~ut l'ordre de se porter sur les provinces
en v.ahies; il chassa au moís de mars les. Prus-


porteq~'Unertel aurait bien voulu ~tre débarrassé pour qUel-
qúe temps de Trerring, qui commen"ait a jouir d'un tres.gran<l
crédit, el que la comtesse de Fugger, niece de Trerring, n'en fut
pas fachée, paree qu'il désapprouvait sa liaison avee l'électeur.
Fleury disait alors que quoiqu'il erut plus avantageux pour la
Baviere de ne pas mentioriner les droits éventuels de la mai-
son de Baviere a la suecession d' Autriche, que l' électeur ee-
pendant pouvait eompter sur la Fninee qui' remplirait a la
lettre l'obligation contraetée avee la Baviere. Louis XV donna
l~i-meme eette réponseéquivoque a l'ambassadeur d'Autriehe,
quand illui annonc;¡a l'avénement de Marie-Thérese au trone.


I La maltresse de Louis XV était alors madame de Mailly;
son inHuenee ne surpassait pas eelle de Fleury. mais elle l'ero-
portait quelquefois sur lUÍ, ou ,il eédait. Les deux Bellisle, le
cornte et le chevalier, s'adressaient a madame de Mail1y, qui
montra au jeune roi que Fleury laissait flétrir la gloire des
Fran~ais.




LIVRE 11, CHAPITRF. l. J63
siens de la Haute-SiÍésie et leur offrit le com-
bat le 20avril , a une petite lieue de Brieg pres
de Molwitz. Ce fut la premiere bataille' a la-
quelle le roi assista en personne. Le prince
Léopold de' Dessan et le comte de Schwerin
remporterent uné victoire complete I , a laquelle
Frédéric n' eut aucnne parta Cet événement
facilita les projets du comte de Bellisle : aidé
de solf fl'ere et de leurs amis, il avait enfin ga-
gné Louis e~a vanité desFran~a:is. lIs avaient
fait a.dopte'r le plan de donner un Empereur
a I'AlJenlagne et de démembrer l'Autriche.


Des le mois de mars Bellisle l'ainé, devenu
depuis maréchal, ,fut envoyé en Allemagne
pour faire nornmer empereur T électeur de Ba-
v~l'e. Un grand nombre d'agents subalter~es
l'accompagnaient partout ou il se montrait,
et toutes les'cours allemandes se laisserent ou
éblouir par sa magnificence, ou gagner par
ses largesses 2.


:r Frédéric lui-méme, dans l' Histoil'6 de mon temps, est assez
modeste pour avouer qu'il fut spectateur de la hataille et non
cause de la victoire. Le prince Léopold de Dessau commanda


• la réserve avec beaucoup de sueces, et le comte de Schwerin
tira parfaitement parti du petit feu.


2 Le 9 avril 1741 , le comte de Bellisle se rendit incognito
a Berlín, et de la a Bonll, Coblentz, Mayence, Dresde, puis
en Silésie au camp devant Brieg (Trerring l'accompagna a
Berlineten Silésie), et a Munich, entin a Mannheim; le s5
juin il était a Frandort, et le 1 1 juillet de retour a v ersailles.~


JI.




16!J HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
Il était él peine depuis deux mois en Alle-


rilagne que, se réunissant a Tcerrirl'g et aux
négociateurs d'Espagne ,il fit conclure le 18
mai 1741 le traité de Nimphenhourg, dont les
véritables dispositions n'ont jamais été bien
connues I • La France et la Baviere furent les
principauxcontractantsdans ce traité.La Fran-
ce s'engagea a Journir quarante mille hommes
et él empecher le Hanovre, Treves, l\iayence
et les Pays-Bas des'opposer aui'-projets de la
Baviere. L'Espagne accéda pour elle et le roi
des Deux-Siciles ( c'est-a-oire pour la Sicile),
él la ligue contre Marie-Thérese. I~a Prusse, porir
gagner le Palatinat, renOllí,{a au point depuis
long-temps en .litige, sur la succession de Ju-
liers et de Berg. La Pologne, la Saxe et la Sar-


1 D'Ohlenschlager, Geschichte der Interregnums ( Histoire
de l'lnterregne) , venait de I'indiquer dans le second volume;
dans le troisieme vol., page 39-40, il donna'le traité entre la
Baviere et la France, mais ii dit en meme temps que BellisIe avait
déjil déclaré alors, par la voie des journaux, qu'il était sup-
posé: de méme Fiassan, Bistoire de la Diplomatle fram¡aise.
Comparez W ~isse, Geschichte der Kursrechsischen Sta aten
(Bistoire des Etats de la Saxe électorale ), tome VI, page 132 ,
ou iI faut lire mai pour marso


Le cornted'Hauterive, garde des archives aux affaires étran-
geres, m'avait promis trois fois positivement de m'éclairer sur
ce point et sur un autre; il avait méme éloigné mes scrupules,
lorsque j'appris tout d'un coup, par une voie indirecte, que
M. le comte ne tiendrait pas sa promesse; je ne pus done in-
sistel' davantage sans blesser les convenances;




LIVRE IJ, CHAPITRE I. J 65
daign~ s'unirent a, cette ligue I ponr prendre
part au bulin. La seule puissance en état 'de
preter secours a Marie-Thérese était la Graride-
Bretagne; mais Walpole, a qui le parlelnent
était vendu, craignait de s'engager dans une
guerre; la voix du peuple l'avait bien forcé
malgré lui de faire une expédition navale con-
tre l'Espagne; mais il pouvait éviter une guerre
sur le continent sans offenser lavanité de sa
nation. Georges 11, par crainte pour ses États
d'Allemagne, n'osa, sans i'assistancedes An-
glais, employer les trente mille soldats hano-
vriens qu'il avait rassemblés pour secourir
l\Iarie-Thérese son alliée. J~a crainte de Georges
pour le Hanovre étant connue, la France fit
passer la Meuse a un corps d' armée , et la Prnsse
envoya une armée d'observation, sons la Con-
duite du vieux prince de Dessau,sur le territoire
de Magdebollrg. Ces menaces eurentleur 'cffef,
et Georges prornit, dans un traité conclu le 27


,septembre a Hanovre, non seuÍement de res ter
neutre:1; mais il s'engagea "en outre a donner


, La Saxe ne prit les armes contre Marie-Thérese qu'au mois
d'octobre 1741, en alléguant pour cause la co-régence de
I<'ranc;:ois.


:1 La dette nationale de l' Angleterre provenait en grand'e
paptie de ce que Georges Ier et Georges I1 furentimpliqués , a
cause du Hanoyre, dans 'toutes les affaires dn continent, et'




166 HISTOIRE DU XVIIIC SJECLE.
;


lo~s de l'élection d'un empereur, sa voix a l'é-
le"cteur de Baviere.


Marie-Thérese resta donc abandonnée a elle-
n}(~me. Si Fleury av~it gouté le projet duma-
réchal de Bellisle, s'il avait, d'apres la méthode
observéede nos jQurs par les Franc;ais, écrasé
I'Autriche par une armée de cent quarante
inille homlues, le systeme des États de l'Eu-
rope aurait pu etre changé; mais Fleury comp-
tait sans raison sur la Baviere , et il prétendait
que la France ne faisait point la guerre a l' Au-
triche, lnais qu'elle .envoyait deux corps d'ar-
mée de trente et de vingt milIe hommes au
secours de l' électeur de Baviere'. Les troupes
alliées eurent bientot occqpé l'Autriche. I~e~
Saxolls se réservant la Haute-Silésie et la Mo-


pay~rent des subsides, ce quí irrita beaucoup lous les vrais
Anglais.


Le fils excellent de Georges II , F rédéric , prince de Galles,
qui mourut l'an 1751, fut toujours de l'opposition, et, étant
avec son roí en discussio~ publique et scandaleuse aínsl que
Georges II l'avait été avec son pere, des scenes comme on les
trouve rapportées dan s les Memoirs ol the life and administra-
lion 01 Robert IValpole, 3 -vol. in-4° , ou 5 vol. in-8°, 1798,
tome IV, page 585, n'étaient pas rares.


Deux .ingements opposés sur les freres Walpole se trouvent
d'ailleurs dans deux livres anglais; le défavorable dans les
premieres pages de R eview 01 the reign 01 Ge01we II, 1762 ,
in-So; el le favorable dan s Memoirs o[ Horatio lord Walpole,
ttc. "y Will¡am eore, troisieme édit., 1820, in-8°, tome 11,
tout au commencement.




LJVRE JI, CHA.PIT.RE J. 167
ravie, leur g~néral Rutowsky, a la tete de vingt
mille hommes, se joignit aux Fran<;ais et aux
Ravarois qui, le 26 novembre, se rendirent
rnaltres de Prague.


Le roi de Prusse rompit 5a promesse, donnée
dans une conférence , de demeurer neutre pen-
dant quelque temps, du moment qU'UIl traité
avec la France, du ler novembre 1741, luí
assura la possession de' la Basse-Silésie l. Marie,
abandonnée· de tous cotés, se réfllgia aupres
des Hongrois, et ces derniers· montrerent au
mondequ'un peuple qui sent sa dignité et qu¡'
est inspiré par un véritable enthousiasme,
lorsqu'il s'agit de défendre une cause chere
et sacrée, devient invincible.


La reine étaitpartie au mois de juillet pour
la Hongrie; elle s'était attaché le peuple par
son amabilité et par sa déférence pour les
mreurs dll pays; elle avait excité les plus grands
transports dans la nation par le discours qu' elle
pronon<¡a du haut de son trone ~, le I 1 sep-


r La conférence des Prussiens et des Autrichiens eut líen le
9 octobre 1741 , a Petit-Schulendorf, ou Frédéric promit de
continuer les négociations de paix pendant I'hiver; mais on
n'eut pas grande con6ance en ses promesses.


2 La chose serait plus touchante , si je racontais que MarÍe-
Thérese entra dans l'assemblée des Hongrois, tenant dans
se~ bras J oseph II, son Ills, alol~s agá . de six ans ; qn6
les Hongrois tirerent leurs épées r el; jurerent • moriamur




168 HrSTOIRE DU XVllIC sJi.:CI,E.
tembre 1741, quand elle remit ses destinées
entre les mains des Hongrois. Ce qui ne con-
. tribua pas peu a la satisfaction du peuple, fut
que le hon Fran~ois son époux déposa, d'apres
le désir de la nation, la co-régence qu'il ,avait
acceptée sans le· consentement des États, et
qu'il ne reprit plus tard qu'avec l'assentiment
des Hongrois. Fran~ois resta d'ailleurs dans la
suite sans la moindre influence dans le gou-
vernement des pays hé.réditaires, car Marie-
Thérese était tres-jalouse de son autorité. Ce
ne~ut qu'en Hongrie qu'elle consulta sou-
vent le vieux palatin comte de PaJfy.


La reine, pour fIatter la nation, s'habil1ait
a la hongroise. Elle rétablit la constitution
telle qu'elle avait existé avant les troubles de
Ragotzky et de Trekely. Les Hongrois épuise-
rent leurs mines d'argent pour lui fournir des
subsides. Une grande partie de la noblesse


.. pro rege nostro Maria Theresia,., comme Engel, dans
l'Bistoire de Hongrie, le rapporte. Le jésuite G. Ferrarius,
Res bello gestre ausp., lIJar. Theres, Vind, 1733, dit: .. Ora-
.. tione et infantuli Josephi aspectu excitavit Panonicorum
« animos; » mais Coxe prouve, par le rapport de l'amhassa-
denr anglais Robinson, que l'enfant ne fut transporté que
le 20 septemhre a Presbourg, el présenté ensuite aux États. n
est dit m~me, dans l' Histoire et les actions de lJ1arie - Tlté-
"ese, 1 7 4 3 , quatre vol. in-So, OU toutes les pieccs justifica-
tives du temps se trouvent, tome ler, page 585, que Joseph
ne fut transporté que le 20 septembre a Preshourg.




LIVRE 11, CHAPITRE I. 169
prit les armes, et une foule prodigieuse de
troupes légeres accoururent de toutes les con-
trées du royaume.


Au mois de décembre 1741, l'électeur de
Baviere re((ut I'hommage des Bohémiens qui ,
si ron en croit Frédéric 1I, lui étaient plus
attachés qu'aux Autrichiens; mais il· quitta
presque aussit6t la Boheme, pour aller a
Frencfort ( on était sur le point de le -procla-
mer empt:reur), lorsque Khevenhüller passa
les frontieres de la Baviere, pres de Linz', et
que Menzel fit des incursions en Baviere a la
tete de ses Croates et Pandours.


Au commencement de l'année suivante (le
17 janvier 1742), le général bavarois Trer-
ringl se trouva cerné entre deux petits fleuves
et totalement battu par Brerenklau qui sortait
de Schrerding et par Menzel qui venait de Vils-
hofen. Sa défaite. ex posa la Baviere, mit I'ar-
mée fran((aise en Boheme dans une position
critique, et for((a le général franc;ais Ségur de
capituler a Linz, en se réservant la liberté de
se retirer avec dix mille hommes, tandis que
Charles VII était -élu par les Franc;ais et cou-
ronné empereur d' Allemagne.


/


I Tre~ring avait été posté jus<Ju'alors en Bohéme avec
Broglie.




170 HISTOIRE DU XVIIi- SiECLE.


, Les Impériaux occupaient sa capitale, les
hordes 'barbares de Menzel t ravageaient ses
États héréditaires. Charles convoqua bien une
diete et une assemblée des États de l'Empire
a Francfort"mais il n'avait pas le moindre cré~
dit dans l'Empire, et il se vit bientot dénué
d'argent et de toutes ressources:¡. 11 parut en
vain une nouvelle armée fran~aise. Les affai-
res des alliés devenaient de plus en plus dés-
espérées , et Robert Walpole ayant été éloigné
le 3 février J74~ du ministere d'Angleterre,


t Menzel se dépeint lui et ses hordes le mieux possible par
le décret contre la milice de Baviere, qu'il publia le 7 janvier
a Nied: « Si la milice osait i'élever et agir-bostilementenvers
1( moi, je ne la reconnais plus pour milice, et je ne la feraí
«point punir d'~pres les lois de la guerre, vu qu'eile n'est
« composée que de rebut, de gens misérahles et odie'ux, qui
• n'~ront d'autre traitement ou pardon a attendre de moi.
« qu'a étre condamnés a se couper les uns les autres le nez el
• les oreilles, et a étre livrés ensuite a la juridiction civile pour
.. étre rendus. JO


2 Si l'on veut savoir a quelle extrémité il fut rédu~t l'année
suivante, et combien les princes allemands, qui préféraient
voír assister ainsi leur empereur, au lieu de fournir eux-mémes
de l'argent, étaient peu animés par une vraie gloire nationale,
iI faut lire les Mém'Oires de Noaítles. Il y est dit, tome V,
page 359 : « Comme l'Empereur était réduit a demander nqn-
" seulement la continuation des subsides pour ses troupes,
t( maís un subside alimentaire pour sa personne, le maréchal
« crut devoir lui prOCllrer au moins de quoi ne pas mourÍr
.. de faim; illui 6t toucher quarante mille écus sur une lettre
.. de crédit qu'il avait. Ce prince ne les accepta qu'il condi-
• ·tion deg subsides qui devaient lui revenir. »




LIVRE 11, CHAPITRE I.


un nouvel ennemi formidable I nlena<;a la con-
fédération.


La Baviere étant occupée, et les Fran<;ais
menacés d' etre bloqués dans Prague, Frédé-
ric seul s' éleva, parmi les pygmées du temps,
comme un colosse, et, pour la premiere fois,-
montra él rEurope étollnée ses talents mili-
taires. Ils lui assignent le lneme rang qu'a Cé-
sar, qui l' emporte sur Ini comme auteur et
historien, mais qui n'approche pas de Frédé-
rje, quant a la connaissance et au mépris des
hommes.


Pendant que Marie-Thérese cherchait la vic-
toire dans sa confiance en Dieu, dans la bonté
de sa cause, daos l'amour de ses sujets et le


. droit héréditaire, soutenu par l'opinion de~
1 En lisant les cinq gros vo1um~s des Memoirs 01 the Lije


and administration 01 sir Robert Walpole, by Coxe, et sllrtout
la fin du cinquieme volume, on dirait que la voix du peuple
m~me n'était rien; mais iI faut aller un peu plus au fond de
la chose. Le roi de Prllsse, dans ses OE u"res posthumes, tomo 1,
page 242, montre bien qll'iI ne peut nullement se figurer un
tel gouvernement. Walpole lui est cher, iI regarde sa chute
comme une cabale, iI dit que tous. les seigneurs voulaient ve-
nir au miúistere, la voix du peuple est intrigue a ses yeux.
L' Anglais, qui a écrit Tite Lije ofGeorge II, page 64, dit au con-
traire • que Robert Walpole, s'étant .aper~u de la violence
de la chambre, et reconnaissant combien iI était détesté, avait
quitté la chambre et déclaré qu'iln'y retournerait jamais. Le
jour suivant, le 4 févríer, le roí prorogea les deux chambres
de douze jours, ce qui causa une grande 'indignation. Robert
Walpole , dans cet intervalIe, fut créé comte d'Oxford. "




172 H 1STOl RE DU XV 11 le Sd~CL}<:.
peuples, Frédéric la trouva dans la persuasion
que l'esprit et la force constitllaient le droit
et devaient etre tous ses ,dieux, sans qúe cette


,conviction le portat a des crimes.
Frédéric s'était maintenu d'abord dans sa


position en Moravie, ou Lobkowitz l'observait,
et ne s'était retiré que lorsque Fran~ois eut
confié le commandement de l'armée d'Autri-
che a son frere., le prince Charles Albert de
Lorraine, car il ne pouvait guere compter sur
les Saxons indignés contre lui, paree qu'ils
s'apercevaient tres-bien qu'il ne songeait qu'a
ses intérets personnels. Frédéric désirait en
venir a une bataille, qui lui assurat une paix
dont il put dicter lesconditions, et qui ne l'ex-
posat pas trop en cas de reverso En signant la


\ paix iI rompait bien sa promesse, mais il De
se faisait point de scrupule de tromper les
Fran~ais; il était persuadé que plus tard on
serait obligé de recourir de nouveau a lui l.


Charles de Lorraine, parfaitement secondé
par les deux habiles généraux Krenigseck et
Brown, offrit spontanélnent a Frédéric, le
17 mai, entre Chotusit~ et Czaslau , la bataille


1 Frédéric II, OEupres posthumes, au commencement du
tome II, a tres-bien ex posé les raisons qui le porterent a la.
paix.. .




LIVREII, CHA.Pll'RE I. 173
qu'il cherchait. Les Pr'ussiens, supérieurs pour
l'unité et la célérité des n10uvements, battirent
le prince Charles. Les députés anglais repri-
rent de nouveau le cours des négociations in-
terrompues depuis la conférence du 9 octo-
breo Bartenstein., qui garda sur Marie-Thérese
le meme ascendant qu'il avait exercé sur son
pere, comptait encore sur les Fran<;ais. Son
cspérance ayant été dé<;ue, il conseilla ensuite'
a la reine d'abandonner la Silésie, que les mo-
tifs religieux faisaient pencher plutot pour la
Prusse. Appuyés par Bartenstein, les députés
anglais réussirent, le 11 jllillet 1742, a con-
dure la paix de Breslau, par laquelle la Haute
et la Basse Silésie, a l'exception de Troppau,
de Jregerndorfet des monts au-dela du fleuve
Oppa avec le cornté de Glatz I furent cédés a
la Prusse. La Saxe fut avantagée, et Auguste,
douze jours apres, accepta la paix, ratifiée le
28 d~ meme lllOis, a Berlin.


H. Les puissances prussiennes et saxonnes
s'étant retirées du champ de bataille, les trou-
pes autrichiennes se tournerent' d'un coté
contre la Baviere, et de l'autre contre Prague 2


1 La Prusse avait profité du moment OU la Baviere semhlait
~tre en possession légitime de la Boh~me pour se faire céder
Glatz ; l' Autriche devait alors confirmer cette cession.


2 Les troupes autrichiennes s'étaient portées vers Prague,




J74 HISTOIRE DU XVIJIe SIECLE.
ou elles tinrent cernée l'armée fran«;aise, qui
venait de repousser avec fierté la proposition
ignominieuse de se rendre prisonni~re de
gúerre. Broglie et Bellisle commandaient en
Boherne.' Harcourt conduisit en Baviere une
nouvelle arlnée qui chassa les Autrichiens de
Munich ; mais elle eut tellement a souffrir du
climat et des aliments qu'elle y perdit plus de
dix mille soldats. On envoya le maréchaI de
Maillebois l , a,la tete de trente mille hommes,
au secoufs de l'armée fran«;aise, enfermée a
Prague, et dénuée de vivres et de munitions.
Maillebois s'avan«;a jusqu'aux frontieres de la
Bohenle; les assiégés de Prague firentúne
sortie; mais ce général ayant des ordres expres
de ne pas risquer une bataille, sans laquelle
il n'y avait pas moyen d'éloigner l'armée au-
trichienne, qui le séparait des assiégés, iJ re-


depuis que Broglie, tout-a-fait hrouillé avec BeBisle, s'y était
rendu: Les afTaires de guerre méme furent regardées en France
comme une cabale de com', ainsi qu'il est rapporté dans les
lrlémoires de Richelieu, tome VI, page 236 : .. Les uns favo-
risaient Bellisle, les autres se montraient les partisans de
BrQglie. La reine, N angis, madame de Mazarin, les Chatillon ,
les ministres, Orry surtout et Maurepas, défendaient Broglie;
le roi et madame de MailIy soutenaient Bellisle. que les
N oailles, excepté la comtesse de Toulouse , ne pouvaient
~sou'ffrir.


1 Maillehois avait commandé en Westphalie l'armée d'oh-
servation contre le Hanovre.




LIVRE 11, CHAPITRE lo 17'.J
tourna subitement et abandol1Ila l'armée de
Prague a sa destinée. Bellisle réussit alors a
sauver a l'improviste, par une lnarche déses-


. pérée, au milieu d'un froid excessif, la partie
de son armée qui avai t échappé a la faim.
Son aetivité lui fit/ gagner, avec onze mille
hommes d'infanterie et trois mille cinq cents
cavaliers, dans la nuit du 16 au 17 déeembre
1742 , environ vingt-quatre lieues sur le prince
de Lobkowitz, et iI árriva en onze jours a
~gra, en laissant, -il est vrai, toute hl route
couverte de cadavres. L' exees du froid et la
disette rendent eette marche remarquable
dans les fastes de l'histoire militaire. Il ne faut
pourtan~ pas la cOlnparer, comme l'a fait Vol-
taire, avec la re traite des dix mine.


Apres la prise de Prague, presque toute la
Baviere fut oeeupée par les Autrichiens, et
Georges II, dont le ministere 1 avait enfin dé-
terminé la nation anglaise a faire la guerre et
a payer des subsides a l'Autriche 2 , marcha a


l Lord Cartcret avait remplacé Walpole et était en faveur
aupres du roi. Le duc de Newcastle, san frere, Pelham et le
chancelier Hardwick jouissaient de la plus grande infIuence,
et Georges 11 fut forcé, l'an 1744, de Ieur sacrifier le mi-
nistre.


2 L' Angleterre dOllua cinq millions et cinq cent mille fIorins
de subsides a Marie-Thérese. I1 est a remarquer qu'en Alle-
magne des Hessois se battaient contre des Hessois; il Y eu




) 76 HISTOIRE DU XVlIle SIF:CLE.
la tete de ses Anglais, des Hanovriens et des
Hessois qu'on appelait par ironie l'armée prag-
lllatique; d'abord sur Hanan, ensuite sur As-
chaffenbourg :. cette armée se trouva entre
Aschaffenbourg et Seligenstadt dans une posi-
tian tout-a~fait critique; car le maréchal de
Noailles occupait toute la rive opposée dll
Mein; il venait de prendre Seligenstadt et de
séparer l'armée de ses roagasins a Hanau l. Les
deux armées en vinrent ensuite aux mains entre
Petit-Ostheim et Dettingen. La situationdes
lieux rendait les Fran<;ais maitres de la vic-
toire, mais ils perdirent, au mament décisif,


/


par l'imprudence du dnc de Grarnmont, neveu
de leur chef, tons les avantagrs de Ieur pre-
roiere position. Obligés de se retirer, ils lais-
serent le passage libre aux alliés 2. La perte
de la bataille de Dettinge¿ n'eut pas étéd'un
grand préjndice aux Fran<;ais, si la guerre
n'eut éclaté d'un autre coté en France.


avait six mille au service des Anglais, et les Bavarois en comp-
taient un pareil nombre sous leurs étendards.


I Nons remarquerons, a eette oecasion, qu'il faut eonsulter
iei le einquieme et le sixieme yolumes des Mé,moires politiques et
m ilitaires , -eomposés sur les pieees originales recueillies par
M. de Noailles, maréebal de France et ministre d'État, par
Millot, page 177, six vol. iu_BO.


2 Frédéric se moque de Georges JI, qui s'était mis a la
bataille de Dettingen, cornme un maitre d'armes, l'épée nue
i.¡ la tete de ses gardes hallovrielllles.




LIVRE 11, CHAPITRE J. 177
Seckendorf, qui commandait. les Bavarois,


ne fut jamais d'accord avec Broglie, général de
l'armée fran<;aise; ils se firent séparément
attaquer par le prince de Lorraine. Les retran-
chements des Bavarois, pres. de Braunau, fu-
rent emportés d'assaut, et les Fran<;ais se trou-
verent' tellement pressés pres d'Ingolstadt,


, qu'ilne Ieur restaít d'autre choix, que de se
faire enfermer dans le~ fortifications de la
ville, ou de repasser le Rhin l • BI:oglie préféra
ce dernjer parti. La co:ur de France lui ~onna
. sa re traite ~. Seckendorf crut _endre service a
son empereur en cédant de hon gré la Baviere
aux Autrichiens 3, et en promettant de rester
neutre, pour réunir son armée sur le Rhin ,
ou elle fut pórtée ensuite a dix~huit miUe
hornmes. Cette neutralité se prolongea jus-
qu'all 26 mai 1744, époque ou les A utrichiens
arriverent sur le Rhin.


1 Munich fut pris pour la troisiellle fois dans cette guerre,'
le 8 juin 1743 ; pour la prellliere le 13 février 17 4 ~ , et pour
la seconde le 6 lllai de la m~me année.


2 La cour de France prétendit que Broglie avait agi saos
la cODsulter, et ce fut la cause de sa disgrace.


3 L'Empereu~ était dans une position bien facheuse; il fut
obligé, Comme DOUS l'avonJ prouvé plus haut, d'accepter des
lettres de change de Noailles, pour payer le plus nécessaire.
L'an 1742 iI avait été forcé de demullder cinquante moís ro-
mains, presque comme aumolle, a l'Empire, pour entretenir
le conseil aulique et les ambassades.


H. J. 12




178 1I1STOIRI~ HU XVIJlc Sd':CLE.
Les Autrichiens obtenant partou!" des avan-


tages, et les Espagnols ayant éehoué 1, malgré
l'appui du roi des Deux-Sieiles, le fardeau de la
guerre parut pres de' ~omber uniquement sur
la Franee; mais 1'Empereur devait sueeomber.
Des le mois de déeembre 1743, la Saxe s' était
jointe a l'Angleterre et a l'Aufriche;ce qui dé-
cida le roide Prusse a faire publier dans les
Pays-Ba.s l'énergiqne déclaFation qu'il soutien-
drait I'Ernpereur, en casde be$oin,avee une
armée. Pen detemps apres il y eut un· nou-
vean traité, con~lu entre la Saxe et l'Autriche,
le 13 mars 1744; on n'y 6t pas mention de la
paix de Breslau, et la Saxe s' engagea a fournir
vingt mille hommes stipendiés par l' Angle-
terreó La Franee s'éleva alors avee 'loute sa
puissanee; et, le 15 mars 1744, elle déclara
formellement la guerre a I'Angleterre et en-


1 Ce meme marquis de Montemar, célebre par la bataille de
Bitonto, ne put entrer en Lombardie; ii resta dans l'État ee-
clésiastique , et quinze mille Espagnols, auxqnels on accordait
le passage par la Franee, arriverent trop tard. On rappela
Montemar par dépit. Les troupes espagnoies de¡¡cendue,s a:N aples
étaient d'ailleurs trop faibles a elles seules, et le général <J,nglais
forc;¡a le roi des Deux-Siciles, en le menac;¡ant de bombarder
Naples, d'aecepter une neutralité, qui cessa l'an I744. L'his ..
toire privée et honteuse du roi d' Espagne, que son épouse
ne savait plus' diriger que par le chanteur Farinelli, expli-
querait ici bien des choses; mais elle n'appartient qu'a l'his-
toire spéciale de l'Espagne, et non a l'histoire de l'Europe.




LIVRE II, CHAPITRE J. 179
suite, le 26 avril, a I'Áutriche; quelques
DlOis apres, le 13 septembre, le roi de Sar-
daigne s' engagea, par le traité de W orms, a
coopérer a la défense des États Lombards de
Mari e-Thérese. Le roi de Prusse, ne eroyant
plus devoir hésiter, déclara hautement que
pour ne pas etre troublé dans la possession
de la Silésie, il accédait a l'union de Franc-
fort; mais on ne peut guere indiquet préci-
sément les avantages qu'il sy était résérvés l.
Cette unioo de Francfort, du 2~ mai 1744,
fut conclue entre I'Empereur, le Palatinat, la
Suede, Hesse-~assel, et la Prusse, pour assu-
rer aux aIliés leurs possessions, maintenir la,
constitution allemande et rétablir l'autorité
de l'Emperenr légitimement élu. Frédéricdé~
sira faire entrer la France dails cette alliance.
Il faHait done préalablement renverser le mi-


• On publia des articles séparés entre la Baviere et la Prusse,
mais ils sont absurdes en etÚ-mémes, el De furent d'ailleurs
}las reconnus de ces deux puissances. F!assan prétend que la
Prussc avait assuré la BoMme a l'Empereur, et qu'~lle s'était
réservée la Haute-Silésie, comme une possession appar~enant
it la Bohéme; mais les dépeches de Chavigny prouvent que
c'était le cercle de Krenigsgratz. C'était l'autre point que j'es-
pérais éclaircir par le comte d'Hauterive, d'autant plus qu'il
fait encore moins de cas de l'ouvrage de Flassau que je n'en
avais faít jusqu'alors, et qu'il me nt conrÍaitre IDeme les rai-
~()ns plausibles qui empecherent que l'ouvrage de Flassan ne
fut plus exact, mHi~ cela con!! couduit trop loin et n'e't pas
Je notre re5sort.


1 'l.




180 HIS:rOIRE DU XVlIIe SIECLE.


nistre Amelot, par une cabale de la maitresse
du roi : l'éloígnement d'Amelot laissa conclure
en tre Fr·édéric et la France, le 5 juin 17117 , un
traité, par lequelcette derniere puissance ac-
céda a l'union de Francfort. En France la pé-
riode . fatal e de l'autocratie apparente du sou-
verain venait de commencer; les créatures de
la maitresse du roi; et non pas les ministres,
tenaient les renes duGouvernement.


LouisXV tamba· d'abord, c'est-a-dire im-
médiatemellt apres lamort de Fleury 1, dans
d'assez bonnes mains, car madame de Cha-
teauroux ne négligea rien pour le décider a
s'occuper des affaires de 15État 2; elle le con-
firma dans' sa résolution d'aller en Flandre et
de s'y mettre a la tete de ses troupes. Elle sui-
vit meme le roi a l'armée, avec tous ses par-
tisans, a l'instigation du dllc de Richelieu, ce
qui indigna le peuple et les soldats; mais le
roí possédait encore alors l'amour de ses Sll-
jets; cet amour se manifesta pendant sa ma-
ladie.


III. Au milieu de l'année 1744, les affaires
de l'Enrope prirent une autre tournure; I'Au- .


I Janvier 1743.
2 Maurepas était contre madame de Ch¡heauroux, qui avait


le célebre duc de Richelieu pour con6dent, Jequel lui doit
son élévation.




LIVRE I1, CHAPITRE I. lSI


triche, au líeu de perdre ses propres posses-
sions, semblait songer a faire des eonquetes.
En Italie, les armées d'Autriche et de Sardaigne
eombattaient avec sueces eontre les Espagnols
et les Fran~ais; elles s'emparerent m~me de
Genes, dans les années suivantes, etJa maltrai-
terent a un te] point, que le peuple de eette
ville, irrité, étonna l'Europe par son énergie
et prouva au marquis de Botta que tout sen-
timent de liber.té n'était pas éteint dans sa ré-
publique;il soutint avec- avantage dan s ses
murs un eombat eontre toute l'armée vieto-
rieuse· des Autrichiens.


En Alle,magne, la Baviere était oceupée; les
Fran~ais chercherel1t'en vain a empecher le
passage du Rhin. Nadasti' et Trenck 1 passe-
rent ce fleuve, le ¡,er júillet 1744, pres de
Schreck, et immédiatement apres Baerenklau
le passa pres de Wissembourg. Des Croates et
des Pandours inonderent la ·Lorraine etl'AI-
sace:l. ,On s'empressa de réprimer cette supé-


1 Trenck et Menzel sont a mettre dans la meme catégorie ;
le dernier avait trouvé, dan s I'He des Muriers, pres deW orms,
une mort tout-~fait digne de lui.


2 Le prince Char]es de Lorraine cornmandait l'armée pour
la forme; Khevenhüller, ensuite Traun, lui fureht adjoints.
Traun présente un exemple de l'illgrati-tude de l'histoire; il
n"est pOlnt question de lui, tandis qu.e c'était lui qui remplar-
tait les victoires. Frédéric JI lui rend justice et dit qu'on




182 HISTOIRE DU XVllle SJECLE.


riorité des Autric~iens, de deux cotés oppo-
sés; en attaquant les Pays - Bas, qu'on avait
épargnés en faveur de la république 'hollan-
daise,et en faisant faire au roí de Prusse une
invasion en Boheme.


Louis. XV dirigea en personne l'attaque des
Pays-Bas. Des les premiers jours du mois de
Inai, il s'était rendu a l'armée commandée par
le duc de Noailles, et il avait Pl'js plusieurs
petites forteresses, lorsqu'on lui manda que
les Autrichiens avaient passé le Rhin. En ap·
prenant que son propre territoire était me-
nacé, il mar<?ha a grandes journées avec des
renforts consi~érables sur le Rhin, mais il
tomba dangereusement~alade a Métz. Aussi-
tot qu'il fut rétabli, et, apres avoir demeuré
peu de temps ~vec les troupes destinées con-
tre l'Allelnagne, il joignit l'armée des Pays-
Bas, pour etre témoÍn des victoires que son
général, Maurice de Saxe, un des plus grands
hommes de son siecle, remportait sur les al-
liés. C'était le meme Maurice, fils du roi de
Pologne, électeur de Saxe, auquelles Russes
n'avaient pas voulu accorder la possession de
voyait par lui combien le gouvernement d' Autriche s'était peu
entendu en généraux, en le renvoyant, apres des expéditions
parfaites, en 1744 et 1745 , sur le Rhin et en Bobéme, et en
rappelant Lobkowitz de l'Italie.




LIVRE Il, CHAPITRE I. 183
la Courlande; il refusa ses services a son. in-
grate patrie et con sacra ses talents et ses armes
a la France, qu'il affectionnait par gOÍlt et
par inclination. Pendant cet intervalle, l'inva-
sion du roi de Prusse dans les pays d'Autriche
avait éloigné la guerre des contrées du Rhin.
Ce prince, étant entré a la tete de dix mille
hommes en Boheme, s'était rendu maitre de
Prague, avant que l'armée autricwenne put
arriver des bords du Rhin au secours de ~ette
place. Marie - Thérese et ses conseillers met-
taien t plus d'importance a éloigner le roi de
Prusse de la Boheme qu'a s~ soutenir sur le
Rhin. .


Louis XV, apres sa guérison~ commanda lui-
memc, pendant guelque temps, l'armée du
Rhin et occupa le Brisgau ,mais, comme on
vient de le dire, il tourna ensuite l'élite de ses
troupes vers les Pays-Bas. Les Franc;ais ne s'a-
vancerent point sur la Baviere, comine on
l'avait cru; Gbarles de Lorraine avec une ar-
mée considérabled'Autrichiens, renforcée de
vingt-d'ellX mille Saxons, marcha en· Boheme
et pressa tellement-·Frédéric avec toutesa puis-
sanee, qu'ill'obligea d'évacuer le pays iÍ la fin
de l'année meme I • Le seul avantage que le


1 FréMric II dit qu'apres la prise de P.rague, il avait mau-




184 HISTOIRE DU XVlIIe Sd:CLE.
malheureux Charles VII retira des entreprises
de ses alliés , fut ,de pouvoir retourner dans sa
résidence, et il aurait été forcé de prendre de
nouveau la fuite, si la mort ne l'eut enlevé
fort a propos l.


Immédiatement apres la mort de Charl es ,
Seckendorf, qui n'avait jamais sérieusement
soutenu les Fran«;{ais contre l'Autriche, fut
remplacé par· Trerring; les Franc;ais et les Ba-
'var01s se trouverent néanmoins forcés d'éva-
cue! le pays , et J\'Iaximilien, le nouvel Empe ..
reur, se vit eontraintd~abandonner sa capitale.
LesAutrichiens étaient postés pres du Lech,
lorsque Maximilien consulta a Augsbourg son
conseíl de guerre , pour savoir s'il fallait faire
la paix avec l' Au t'ri che ; com¡ne il ne l'y trouva
pas disposé, il chargea Sed~endorf des négo-
ciations. Celui-ci les continua ensuite a Füssen


qué de vivres et de nouvelles; que les paysans auxquels le gou-
veruement avait promis de restituer Ieur perte, s'étaient réfu- '
giés dans les hois et avaient enfoui leur blé, et qu~ils avaient


'évité, par hain, de religion, d'entrer dans le moindre rap-
port avec l'ennemi, ét de lui donner la moindre nouvelle, a
quelque prix que ce fUt.


On apprend , par les Mémoires de Noailles, vol. V, quel ar-
tifice , qu.elle dissimuIation, quelle flatterie et quelle ruse em-
ployaít Frédéric II dans ses négociations, combien iI était su-
périeur a tous ceux qui traitaient avec lui 1 car lui-méme n'en
parle paso


J Le· 20 janvier 1745.




LIVRE 11, eH APITRE 1. 185
lorsque l'éleeteur alta a Mannheim. Le 18 avril
on eonclut une treve, et le 22 on signa la paix
a Füssen. En vertu de ee traité ,'la Bavh~re sé-
para ses troupes de l'arlnée franttaise et pro-
mit ses suffrages a l' époux de Marie-Thérese,
pour l'éleetion a l'Empire. De tous les er~l1emis
de I'Autriehe, la Franee et la Prusse seules
étaient alors a redouter; l'Espagrie ne montrait
pas la moindre énergie dan s la Péninsule ita-
lique, et la Saxe, dans l'espoir d'un butin a
faire sur la Prusse, venait de se Her étroitement
avee l' Autriche 1 ; mais la Franee et la Prusse
ne furent jamais plus formidables, que lors-
qu'elles n'eurent aueun allié, ear l'Europe n'a-
vait pas de général qui put se mesurer eontre
Frédérie et le maréehalde Saxe.


Le roi de Prusse ne se borna point a éva-
euer la Haute-Silésie, illaissa meme entrer les
armées alliées des Saxons et des Autriehiens ~


1 Il fut conelu un traité de subsides a Varsovie, au mois de
janvier 1745, entre les États - généraux, l' Angleterre et la
Saxe , d'apres lequelle roi Auguste dé~ait envoyer trente mille
hommes en Boh~me, et toueher de l' Angleterre et de la Hol-
lande dix .. sept milliolls et de mi de florins de subsides. La Saxe
et Marie-Thérese eontraeterent une allianee au mois de mai.
Onpromettait alors a la Saxe, si les affaires aUaient hien, de
lui donller Magdehourg, et méme quelques partiesdu terri-
toire de la Prusse, dans le eas ou Frédéric serait ohligé de eé-
der a l' Autriche la Basse-Silésie et Glatz.


:l L'armée des Saxons et des Autrichiens était cornmandée
par le prin(~e Charles et le due de Weissenfels.




186 HISTOIRE DU XVIJIe SIE:CL.E.
en Basse-Silésie, les attaqua a l'inlproviste
pres de Hohenfriedherg entre Schweidnitz
et S trigau, le 14 j uin 1 745, ou il remporta la
plus brillante des victoires. Les deux armées
tirerentalors vers la Boheme, ou elles demeu ..
rerent pendant quelques mois en face l'une de
l'autre, sans risquer un coup décisif, jusqu'li
ce qu' on eut reconnu la voix électorale de
Boheme, en Autriche, et proclamé Empereur
Franc;ois Étienne, époux de Marie-Thérese, le
13 septembre 1745'.


Le prince Charles voulut sans doute illustrer
l'élection de son frere par une victoire sur les
Prussiens, qui avaient une armée moitié moins
forte que la sienne; ílleur présenta la bataille,
Frédéric l'accepta avec empressement, rem ..
porta une victoire entre Sor et Trautenau, et
se retira ensuite en Silésie.


Affectant de déclarer l'alliance de la Saxe
avec l'Autriche comme une rupture formelle
de paix, il voulut a]ors détruire la Saxe, avant
decontinuer la guerre contre l'Autriche 2 • Il
commellc;a par chasser l'armée autrichienne


1 Les deux électeurs du Palatinat et de Brandebourg, pro-
testant contre I'élection de .Franqois, furent convoqués de
nouveau solennellement par l'électeur de Mayence avant qu'on
en vInt a l'élection.


:1 Le prillce Charles et lec!! Saxons avaient, a ce que Fl'édé-




LIVRE 11, CHAPIl'RE I. 187
de la Lusace. Une partie de son armée joignit
ensuite le corps que le prince d' Anhalt-Dessau
avait rassemblé pres de Halle, et s'avan<;a dans
le fort de décembre contre Meissen, pour at-
taquer les Saxons renforcés par les troupes
autrichiennes que Brown eommandait. Les
Saxons, dans une posi~ion invincible , par une
faute semblable a eeHe du jeune Grammont a
Dettingen, furent totalement battus le 13 dé-
ceInbre 1745. Leur défaite amena la jonction
de Frédéric avec le prince de Dessau, l'occu-
pation de Dresde, et hata les négociations de
paix entamées quelques semaines avant la ba-
taiHe I par la médiation de l'ambassadeur d'An-
gleterre.


Il y eut, le 2.5 décembre, une double paix
conclue entre ]a Saxe et la Prusse. I.Jes deux
dernieres puissances se tinrent a la paix de


rie rapporte, l'intention de l'attaquer méme dans l'hi~er; la
premier devait passer, dans ce but, la Lnsace, pendant que
les derniers tireraient sur le Havel et l'Elbe.


¡ Frédérie II ne voulut point continue~ seul la guerre pour
l'amour des Fran~ais; les déclarations de la Russie faisaient
d'ailleurs craindre qu'elle ne prit le partí des Saxons. 11
envoya done, an eomJ)1eneement de 1745, son ambassadenr
Podewils des Pays-Bas en Hanovre, ou Georges et le ministre
anglais Harrington se tronvaient. Les garanties qu'il avaÍt
demandées luí furent accordées par la eonvention de Hanovre
du 26 ao!).t 1745 par l' Angleterre, les Pays-Bas et les autres
alliés; iI ne luí manquait que l' Autriche et la Saxe.




188 HISTOIRE DU XVIlle SdWLE.
Breslau, mais la Prusse reeonnut en outre
Franc;ois ¡er eomme"Empereur, et promit la
meme chQse pour le Palatinat, eomme onl'avait
arreté dans la convention de Hanovre; la Saxe
seule fut tenue a supporter tous les frais de
la guerre l.


'IV. Lapaix de Dresde avait ehangé la faee
des affaires. La guerre de la sueeession d' Au-
triehe s'était transformée en une guerre sans
but et sans raison , eontinuée en ltalie par l'Es-
pagne et la Franee contre l'Autriche, dans les
Pays-Bas, par la Franee seule 'eontre I'Angle-
terre et I'Autriche réunies, et plus tard aussi
eontre la république des ~ays-Bas. En...Jtalie
les Espagnols et les Franc;ais avaient éprouvé
un éehec eomplet; l'ann'ée suivante, les Autri-
chiens ayant été battus en Boheme et dans les
Pays-Bas, une arnlée de Napolitains, de Génois,
d'Espagnols, eommandés par l'infant Philippe ,
ou plutot par le maréehal de Maillebois , parut
de nouveau dans la Lombardie, oecupa Tor-
tone, soumit Parme et Plaisanee, entra le 20


1 Les États et la ville de Leipsick ne furent.,pas seulement
tenus a payer , sous la garantie du souveraill, les contributions
arriérées, mais aussi a donner un million d'écus avec les in-
tér~ts a la foire de Paques. Tous les Saxons qu' on avait ineor-
porés a l'armée prussienne y demeurerent, et les différents
des douan~s furent conciliés comme la Prusse le trouvait le
plus convenable.




L J V R E IJ, e H A P 1 T R E I. 1 89
décembre 1745 dans le Milanais, et les alliés
se crurent ll1altres de la Lómbardie, lorsque
la fortune les abandonna tout-a-coup. lIs es-
suyerent bien des pertes dans les mois de fé-
vrier et de mars, sans avoir livré decombats;
ils perdirent en outre la bataille de Plaisance,
et leur armée, forte de quatre-vingt mille hom-
rnes, se trouva réduite a environ trente lnille
par les maladies et la chaleur.


La mort de Philippe V apporta encol'e de nOll-
veaux changements. Philippe, dont on a remar-
qué la faibIesse d'esprit, avait été gouverné
jusqu'au dernier nloment de sa vie par Élisa-
beth d.e Parme, qui ne cherchait que l'agran-
dissement de ses enfants. Ferdinand, fils de
Philippe, mais du premier lit, adopta, des son
avénement au trolle, le 9 juillet 1746, un sys-
teme a peu pres semblable. Faible comme son
pere, il se laissa guider par son épouse, prin-
cesse portugaise, amÍe des Autrichiens l. Les
chefs des troupes en ltalie , Gages et Castellar,
qui n'étaient pas d'accord entre eux, mais qrii
favorisaient tous les deux le parti des Fran~ajs ,


I L'épouse de Philippe avaÍ.t assuré Naples a son fils ainé
don Carlos, Parme et Plaisance au puiné, et elle voulait, par
la guerre, rendre le cadet maltre de la Lombardie. Ferdinand
n'avait l.laturellement pas le meme zele pour son bean - frere
qn'elle pour son lils.


12'"




190 H 1 S T o 1 RED U X VIII e S I~: e LE.
furent rappelés, et remplacés par le marquis
de Mina, connu par la haine qu'il portait a la
France. :Mina ordonna a ses Espagnols de quit-
ter 1'ltalie. Les Fran<;ais ne purent se soutenir
seuls. Genes tomba dan s les mains des Autri-
chiens; la Provence et le Dauphiné meme vi-
rent, pour la seconde fois depuis Charles-
Quint, des ennemis sur leur territoire.


L'état des choses était bien différent enFlan-
dre, ou le fils d'un électeur allemand 1 snt
prendre les Fran<;ais tout-a-fait selon lenr ca-
ractere, et ou la présence du roi fit encore
qnelqueimpressionsur lesesprits,carLouis XV
et ses maltresses n'avaient pas encore abjuré
toute pudeur et toute décence; on avait com-
meneé l' expédition en 1744; le 1 1 lllai 1745


I Maurice de Saxe était né soldat; iI avait servi sous Marlbo-
roughdans laguerre de la succession; il s'était distingué ensuite
parmi les troupes saxonlles devant Stralsund. L' an 1717 il fut
avec Eugene devant Belgrade; depuis 1720 iI fut an service
des Fran~ais. Il inventa de nouveaux exercices et de nouvelles
évolutions, refusa, l'an 1733, le commandement de l'armée
polonaise-saxonne , se distingua, l'an 1741, al' expédition en
Boheme , ramena ensuitc les troupes vers le Rhin, et prit les
lignes de l'ennemi pres du Lauter. Il fut nommé maréchal
l'an 1744, sans qu'il fut obligé de changer de religion, ou de
preter le serment ordinaire; iI resta toujours endetté, quoi-
qu'il cut, outre ses revenus en France , une pension de trente
mille écus en Saxe, et un fief en Thuringe qui lui rapportait
~uit mille écus par ano Il est reconnu qu'il était le fils de la com-
tesse de Krenigsmark , et le frere consanguin d' Auguste lI.




LIVllE 1I, CHAPITRJ<: lo 191


les Frao«;ais gagnerent la bataille de Fontenoy,
en arrachant la victoire aux Anglais qui péri-
rent sans céder le terrain. C~<Njctoire livra
aux Fran<;ais, daos la meme année, Gand,
Oudenarde, Bruges , Dendermonde, Ostende,
N euport et Ath. Madame d'Étioles, depuis
toute puissante en France sous le nom de la
marquise de Pompadour, dominait alors en-
tierement sur l' esprit de Louis XV qui aurait
bien voulu etre dédommagé des dépenses et
des peines de la guel're, si Marie-Thérese De
s' était refusée a toutes concessions.


La guerre continua Inalgré le roi, et au com-
mencement de l'année suivante Bruxelles, Lou-
vain, Malines el meme Anvers se trouverent
occupés par les Fl'an<;ais; de toutes les pIaces
fortes des Pays-Bas il ne restait que Limbourg
et Luxembollrg au pouvoir .des Autrichiens.
Les progres des Fran~ais furent d'autant plus
rapides cette année-Ia, que le duc de Cumher-
land et ses Anglais avalent été rappelés pae
Georges II ponr arre ter les entreprises des par-
tisans de la maison des Stuarts, cornmandés


, par le fils du PrétendanP , que les Fran~ais


x On nomme le Prétendant ordinairement le chevaliel' de
Saint.G~orges. C'était le fi.ls de Jacques II, et sa légitimité fut
fortement contestée; il épousa , en 1719 , Marie Sohieska, qui




19~ HISTOIRE DU XVIlIe SIECLE.
avaient conduit en Écosse. Charles-Édouard,
léger et étourdi, mal secondé par la France,
entraina dan. perte tous les sujets fideles
qui s'attacherent a sa cause; car la victoire de
ses Écossais aupres de Preston-Pans, apres la-
queIle ils avancerent en Angleterre, au mois de
septembre 1745, n'eut aucun résultat. Totale-
ment battus pres de Culloden, les Écossais
perdirent le-reste de l'ancien systeme féodal,
qu'ils avaient conservé jusqu'alors; plusieurs
nobles qui ne resterent point sur le champ de
bataille périrent sous le glaive d'une prompte
justice l. Le prince échappa heureusement,
mais se désbonora en France par sa conduite.


Les Angla,is se vengerent des Fran~ais par une
descente sur les cotes de la Bretagne; apres
la bataille de Culloden ils firent repasser leurs
troupes dans les Pays-Bas, oú Charles de Lor-


lui donna deux fils, Charles-Édouard et Hellri·Benoit. Celui-
ci, devenu cardinal d'Y ork, perdit ses revenus du temps de la
révolution, mais Georges III lui lit une pensiono


J AUllsitót que sir John Cope et ses trois milIe hornrnes eu"
rent été forcés d'ahandonner le champ de bataille a Preston-
Pans, les lords Kilmarnock, Elcho, Balmerino, Ogilvy, et le
fils de lord I,.ovat, arriverent. Le due d'Argyle, le comte Su-
therland, lord Rae et plusieurs autres seigneurs de l'Écosse et du
nord de l' Angleterre, avaient appelé leurs propres vassaux aux
armes et enrOlé des étrangers. ~ord Gordon, John Drummon:l,
le comtc de Cromartie, 5uninrent plus tard avec un assez
grand nombre de troupes.




LIVRF: 11, CHAPITR,E I. 193
raine rassembla une armée eonsidérable, et
se retraneha entre Liege et. Maestrieht sur les
bords de la Meuse. Mauriee attaqua l'armée
alliée malgré l'avantage de 5a position et gagna
la bataille le 11 oetobre I, aupres du village de
Roeoux. Les puissanees maritimes, sans s'in-
quiéter des négoeiations qu'on venait d'enta-
mer, eonc1urent un traité avee la Russie. L'im-
pératriee clevait fournir trente mille hommes
pour dessubsides. Les Fran<;ais, qui avaíent faít
préeédemmel1t des invasions sur le territoire
Hollandais, déclarerent enfin la gllerre aux Pa ys-
.Has-Unis, au mois d'avril 1747, et pénétrerent
dans les provinees de la république meme.


La suite naturelle des· eonquetes franc;:aises
fut, eomme sous Louis'XIV, en 1672, l'intro-
duetion en Hollande edu systeme monarehi-
que qui amena une révolution daos eette
eootrée; cal' le peuple des Pays - Bas, apres
la mort de Guill;!ume III , ne reeopnut pas
eornrne géoéral- stathouder 2 son héritier le
prinee de Nassau-Diez~ Jean-Guillaume Friso,




1 Frédéric II rapporte que le prince de Wald~ck, chef des
Belges, s'était mal posté; que le prince Charles De l'avait point
!lecondé, mais qu'il avait rait couvrir sa retraite par Louis de
Brunswick. Les alliés arriverent a Maestricht saos essuyer de
grandes p<;rtes. .


2 Le prince de Nassau-Diez partagea la succession allodiale
H. l. 13




194 HISTOIRE DU XVIIIe SIECLE.
gouverneur de la Frise, de Gueldres et de
Grreningue. Chaque province se gouverna
elle-meme, de maniere que le parti' aristo-
cratique (les patriotes) avait le dessus dans
les villes et dans les États séparés.


Guillaume Friso s'étant noyé, en J 7 1 [, son
fils Guillaume IV delneura stathouder, des
trois provinces que nous venons de nommer.
Les autres resterent livrées a l'oppression des
familles' riches, qui considéraient toutes les
places, meme celles d' officiers, comme le par-
tage exclusif de l'oligarchie. Le peuple témoi-
gna souvent son mécontentement, et attri-
bua, non sans raison, la triste situation de
la fIotte, de l'armée et des places fortes, aux
menées des familles dominantes.


Quand les Frall(;ais etltrerent dans le pays,
l'indignation du peuple contre le misérable
gouvernement qui avait négligé l'armée et la
fIotte, ne connut plus de bornes; il se souleva
dans toutes les villes contre les magistrats,
obligés de reconnaitre comme stathouder des
provinces, amiral, général et capitaine .de l'ar-
mée~ Guillaume IV. Celui-ci sut les éloigner
de toutes les places. L'année suivante, la di-


avec le roi de Prusse; ce partage fut la cause de longues di!-
scnsions.




LIVRE 11, CHAPITRE I. Íg5
gnité héréditaire de stathouder lui fut accor-
dée avec le droit de succession meme pour ses
des~endants féminins. Ce changement ne put
naturellelnent opérer des effets subits, et le
duc de Cumberland, alors général en chef de
l'armée des alliés, était aussi peu capable que
le prince Charles d~ tenir tete el Maurice. Les
Fran~ais remporterent done 1 une nouvelle
victoire au mois dejuillet, pres de Maestrieht,
a coté du village V ál ou Laffelt, et prirent
Breda et Berg-op-Zoom, ehef-d'ceuvre de Co ..
horn, dan s le court espace de deux mois 2.
La Franee, épuisée par la guerre, par la pro':
digalité de la cour, par des pensioIls et par la
rapaeité de la nobles se ,était fatiguée ;malgré
ses brillants sueees. Madame de Pompadour
et ses créatures eraignirent que Louis XV ne
s'habitUélt el la vie des camps. La eour soupi":
rait apres la capitale; tous ces motifs firent
aeceptér la proposition d'un congres a Aix-Ia-
~. Frédéric 11 dit que la cour était alors a charge· a l'armée,


qu'il y avait tous les jours dix mille rations de plus, et une
quantité d'intrigues. Le duc de Cumberiand nt malles dispo-
sitions de la bataiUe, mais bien ceHes de la retraite, et Clermont':'
Tonnerre ne suivit point les ordres réitérés de fondre avec la
cavalerie sur l' ennemi.


:a Le général Cederstroem, d'une famille suédoise de l'an-
áenne école, agé de quatre-vingt-quatre ~ns, commandait dans
le fort; Lrewendahl, suédois de la nouvelle école, fut nommé
maréchal de France pour avoir pris la ville de Breda.


J3.




196 HISTOIRE DU XVlIl e Sd~CL.E.
Chapelle sur la demande du ministre anglais.
Trois raisons h:herent l'issue des négociations;
la convention faite l~ 26 février 1748", ~ La
Raye, par les alliés 1 ; la paix de Maestricht,
par les Fran~ais, le 7 mai; et l' arrivée des
Russes sur le Rhin 2.


L' état des choses en ltalie, ou l'armée des
alliés avan~a jusqu' en Provence, et ou les Gé-
nois, secondés par les troupes fran~aises, He
défendirent qu'il peine leur ville, qu'ils avaient
reprise par une va~eur héroique sur les Autri-
chiens, fournit le moyen de dédommager les
Fran~ais lorsqu'on leur redemanda toutes les
conquetes faites dans les Pays-Bas. Telle fut
la base' des négociations, Au grand étonne-
ment de l'Europe, la France, l' Angleterre et
les Pays-Bas signerent les préliminaires de la
paix, le 30 avril 1748. Au mois de mai le


I La convention de La Haye fut signée par l' Autriche, l' An-
gleterre, la Sardaigne et la Hollaude. On s'engagea mutuelle-
ment a porter l'armée a cent quatre-vingt.douze milIe hommes,
sans compter les soixante mille que l' Autriche devait faire mal'-
cher sur l'Italíe. La Sardaigne devait ensuite joindre trente
mille hommes a cette derniere armée, et .le roi en etre le gé-
néral en chef. L'Angleterre paya trois cent mille livres sterling
de subsides a la Sardaigne et quatre cent millé a Marie-Thé-
rese, a condition que 1'0n diminuerait ces sommes a mesure
que le nombre des troupes diminuerait lui-merne.


a Le parlement anglais avait voté exptessément 317,881
livres sterling pour les Russes qui mareherent sur le Rhin.




LIVRE 1I, CHAPITRE r. '97
eomte de Kaunitz, quicommenc;ait ajouerdes
ce moment un role important en Europe, les
signa pour Marie-Thérese. La France rendit
toutes les conquetes, el l' Angleterre lui remit,
en échange, le cap Breton et d'autres posses-
sions dans les lndes orientales et occidentales;
ce qui fut tres - avantageux a sa navigation.
L'impératrice consentit que la possession de]a
Silésie et de Glatz fut garantie au roi de PrUS5e
par toutes les puissances. Philippe, dernier
frere consanguin du roí d'Espagne. obtínt les i
duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla ;
mais, comme iI y avait peu d'espoir que Fer-
dinand ent des hé.ritiers, on ajouta la clause
que ces duchés retourneraient a la maison
d' Autriche, aussitot que Philippe de,viendrait
roi de Naples, puisque son frere Charles"deve-
nait alors roi d'Espagne.


Genes reprit sa liberté et son indépendance 1;


J On vit alors, comme on a vu dernierement encore J qu'il
est déraisonnable d'esp~rer qu'une classe entiere d'hommes
renonee spontanément el des priviléges pour se plier aux eir-
constances. Le peuple de Génes avait délivré la ville, il l'avait
défendue en 1747. La noblesse redouta que le peuple ne vou-
lilt s'arroger de nouveaux droits et ñégocia avee l' Autriche.


Cela causa naturellement des différents entre la noDlesse et #
le peuple. Richelieu fut alors envoyé a Génes, et on aSlli-
gua deux cent cinquante mille livres par an aux Génois. Le.
paysans Jurent gagnés. Riehelieu avait .cependant des Ol'dres
secrets du roí de France d'indulre le pauvre peuple de 'Génes




J98 HlSTOIRE DU XVJlle SI:ECLE.
tous les peuplesreeonnurent enfin qu' on avait
agi sans aueun but, en reJetant.sur les sujets
le fardeau inoui d'une guerre, dont leurs pe-
~its' fils se ressentent eneore aujourd'hui.


CHAPITRE 11.


INTERVALLE DE LA GU~RRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICH1t
A LA GUERRE DE SEPT ANS.


l. Frédéric 11 et sa puissance militaire. -no L' Autriche.-
111. LaFrallce.-IV. La Sax~.-V. L' Angíeterre.- VI. La
Russie. - VII. Causes éloignées et récentes de la guerre ~e
sept ans. - VIII. Principaux événements de eette guerreo
- IX. Changements et relations politiques qui occasion-
nerent la fin de la g:uerre de sept ans. -


Frédérie II, hal par l'Autriehe et par Geor-
ges 11, observé avee défiance par le gouverne ..
ment fran~ais, tres - mal dans l'esprit, de la
toute puissante impératriee de Russíe. a eause
~e ses saillies, n'avait, dans toute I'Europe,
d'autre ami et d'autre appui que Iui-meme. Il
lui fallut done, pour se soutenir, se eréer une
puissanee militaire, ee qu'il fit avee une habi-:-
leté étonnante.


en erreur. 11 avait l'instruetion d'assurer.la noblesse, que son
roi leur garantissait Ieur gouvernement, et qu'illeur promet':'
tait de ne jamais retirer ses troupes de G~nes, si le peuple
n'était ramené a l'obéissance due a ¡es souverains légitimes.




L I V R E 11, e H A PI T RE .I I. 199
Il avait joint la Silésie a ses États; illa ren-


dit bientot, par ses institutions.et par ses soins
pour le bien etre public, une des provinces
les plus importantes de tout son royaume; et,
pendaut qu'il se moquait comme philosophe
de tous les sentiments religieux, il se plac;;ait
comme poli tique , par la défense de la cause
des protestants, a la tete du eorps évangélique
de I'Empire, dont la Saxe se retira spontané-
ment l.


Dans tous les autres pays la eour englou-
tissait les trésors de I'État; Frédéric seul fit
des éeonomies sur ses propres revenus, pour
enrkhir J'État , qu'il regardait eornme sa pro-
priété. Douze e.ent mille écus, desquels eent
mille servaient a l'entretien de l'opéra italien,
suffirent a toutes ses dépenses, et l'accroisse:'
ment d'une armée salariée ne l'empecha pas
d'amasser un trésor. Lui seul fut toot et en
tous lieux; il se ehargea meme de l' emploi sa-


1 Une clause favorable aux ehrétiens évangéliques ayant
paru nécessaire dans la eapitulation de l'empereurromain, ram-
bassadeur de Saxe ne voulut poiót tenir une conférenee; eelui
de Brandebourg la donna. Les princes· de Hohenlohe, Schil-
lingsfürst et Bartenstein, ne s'étant faits eatholiques que
depuis la paix de Westphalie, opprimaient leurs sujets pro-
testants. Anspach fut obligé, par les soins de Frédéric, d' exé-
cuter les décrets que le conseil aulique de l'Empire avait por-
tés contre eux. .




~oo HISTOIRE DU XVllle Sd:<;LE.
eré de juge et du travaille plus pénible, ceIui
d' amender les lois l.


Il ne faut pas croire que le gouvernement
de ce roi philosophe approchat de la républi-
que de PIaton 2 ~ mais ii faut convenir que
Frédéric '11 avait su se concilier l'estime de
toute l'Europe, long-temps avant la guerre de
sept ans, par sa justi~e sévere, son économie,
sa surveillance sur toutes les branches de l'ad-
ministration et par ses soins pour l'intéret de
ses sujets 3.


II. l\larie-Thérese voulut aussi faire des ré-
forInes, mais le gouvernement aristocratique
de tous ses États s'y opposa; et, quand Frédé-
ríe traitait son royaume eomme une maehine,
tous ses fonetionnaires comme de simples res-


1 Tous les rapports parvenaient dans le cabinet du roi; il Y
fépondait lui - méme, ou par ses secrétaires qui étaienten
grande considération. . '


2 Frédéric 1I nt publier au son du tambour qu'on ne prétAt
plus rien a son fameux et spirituel chambt'llan Prellllitz. Il
changea les jugements des tribunaux, défendit a un pasteur
de Berlín de donner des séances I'elígieuses, et le permit a un
arti~an qui se plaignait d'une défense semblable du ministre.
Quant a Cocceji, ses changements de juridiction et tout ce
qui y est analogue, Selchow, juristische . Bibliothek (B ib/io-
théque du j urisconsulte }, donne le pour et le contre.


3 Pour se convaincre que le roi de Prusse avait de l'influence
sur l'Europe, méme avant la guerre de sept ans, ji faut se rap-
peler un passage de l'écrit politique qu'Horace Walpole nt pré-
sen ter a Georges II en 1751, au moisde novemhre, par sa mai.
tresse la comtesse de Yarmuth.lralpole, Memoirs, t.lI. p. 3 :lO.




LIVRE Il, CHAPITRE II. 20r


sorts, et qu'il écrasait toute individualité, toute
ame et tont sentiment par son esprit; en Au-
triche l'innovation la plus sensée fut toujours
étollffée par le /legme naturel de ses hahitants.
La quantité de généraux et de maréchaux ren-
dirent impossible une réforme générale dans
l'armée, quoíque le eomte Daun exécutat alors
le projet que KhevenhüIler avait con<;u, et
ql.~'il 6t partager les exercices militaires a
toutes les branehes de l'armée autrichienne.
On déracina dans l'administration de la justice
les abus qui frappaient le plus les yeux 1 ; et
Haugwitz sut, dans les 6nances, sans établir
aueun nouvel impot, donner a Marie-Thérese,
meme ap1'e5 \a perle ne "~p\e~ e't ne \~ ~1c\\e ,
les revenus que son pe re avait a l' époque ou
il réunissait tous ces États sous son sceptre 2.


Les relations, dans le cabinet, demeurerent
• long-temps telles qu'eIles avaient existé sous


1 La police et la chambre des douanes furent séparées, les
chancelleries de provinces supprimée~; on constitua un tribu-
nal spécial pour tous les pays allemands.


:lFrédéric U. OEupres, t. 111, page 26, dit bienlam~mechose;
mais il porte un coup malicieux au bon empereur Fran~ois,
qui eu vérité ne jouait qu'un r6Ie secondaire; il: prételld
qu'il 's'était faít banquier et fournisseur, qu'il avait pris a
ferme les douanes de Saxe, qu'il s'était associé a Schimmel-
mann pour faire des fournitures, et méme en 1756 pOUl' Ja
Prusse ,- lorsque son épouse, a laquelle il prétait sur gages ,fai-
sait la guerre a eette puissance.




~02 HISTOIRE DU XVllle SI:ECLE.
Charles VI, jusqu'a ce que Kaunitz, l'homnle
le plus orgueilleux et le plus singulier de l'Eu-
rope, mais aussi le politique et le diplómate
le plus habile a dévoiler les intrigues des ea-
binets, crut, aínsi que Marie-Thérese, que pen-
dant son ambassade a Par~s, depuis 1750 jus-
qu'en 1755, il trouveraít le moyen de ramener
la Silésie al' Autriche, et de faire cesser la dou-
leur, que l'impératrice éprouvait de ]a perte de
eette province. Bartenstein alors perdit sa
place, et Kaunitz dirigea durant pres d'un demi-
siecle, avee une véritable astnce italienne, les
affaires diplomatiques de l'Europe l.


III. Si nous voulions développer systémati-
quement les raisons du ehangement opéré a
la fin du siecle, nous serions obligés de remon-
ter a l'histoire de la régence et de dépeindre
la dipravation des moours dans laquelle tom-
berent, sous le regne de Louis XV, et la cour
de France, et toutes les hautes classes de l'Eu-
rope, formées sur le modele fran~ais. n nous
faudrait montrer ensuite comment, a coté de
la superstition et de ses menées, tout principe
et tont sentiment religieux furent imités par


I Un FraJl~ais caractérise Kaunitz parfaitement en ces mots:
« Un seigneur qui joiguait a la légereté d'un Fran~ais, l'as-
tuce d'un Italien et la profolldeur d'un AutrÍchien. n




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 203


l'hypocrisie, dans les cours et dans les classes
élevées; mais nous ne devons qu'indiquer les
faits et nous nous hornerons a quelques ob-
servations.


Louis XV était déja bien déchu avant la- fin
de la guerre d'Autriche; le duc de Richelieu
,et ses partisans trouvaíent leur intéret dans
l' oubli ou il était de lui-meme, et madame de
Pompadour savait al1ier aux artifices d'une
coquette consommée, ceux d'une entremet-
teuse 1.


Le changement que, la corrllption de la
cour et des courtisans produisit dans les sen-
timents de la natíon pour son roi, semani-
festa, dan s les _ dernieres années de la gu~rre
de la succession d'Autriche" d'une manie~e si
prompte, que Louis XV était encore adoré de


1 Il ne sera peut-étre pas hors d,e propos de rappeler ici
quelques anecdotes du temps, qui font assez bien connaitre
eette c ... n titréf, et l'influence qu' elle exer~ait sur le so uve·
rain.


Louis XV disait un jour au Dauphin , que madame de Pom-
padour parlait parfaitement l'allcmand ... Oui, sire, lui dit le
« prince, mais on trouve qu'elle écorche furieusement le fran ..
• <;ais. " Le Dauphin fut exilé a Meudon.


Lorsque madame de Pompadour, dont le nom de famille
était Poisson, se vit élevée au rang de duchesse , elle demanda
pour son frere le cordon bIeu ; a son royal amanto Le roi con-
sulta Ia-dessus un seigueur de sa cour, qui luí dit: .. J e ne crois
a pas, sire, que ce poisson-lil vaille la peine d'~tre mis au bIen. lO


Ce poisson fut faÍl marquis de Vandieres; lescourtisans, par
dérisioll, l'appelaient marquis d' aflant-hier. (Note du traductellr.J




204 HISTOIRF. DU XVIJIe SlECLE


ses sujets en 1746, et que, trois années apres 1
un vieux cpurtisan peu accoutumé a dire des
vérités aussi dures a son maitre, lui déclara
nettement qu'il ruinerait son royaume, s'il ne
cherchait a regagner l' estime publique l.


Ce conseil fut inutile; et, meme depuis,
Louis XV abandonna publiquement les 'af-
faires de l'État a sa maitresse: elle les diri-
gea de la maniere la plus scandaleuse, tandis
que les ministres se disputaient tantot avec le
parlement, tantot avec les jésuites, et soule-
vaient de nouveau l'ancienne querelle des jé-
suites et des jansénistes 2, ou naturellement la
cour dOllnait de tous cotés prise sur elle. eette
lutt~ éternelle dévoila l'impéritie et la faiblesse
du gouvernement. Les ministres furent nom-


1 Mémoires de Noailles, tome VI, page 322 : • Pardonnez-
• rnoi, sire, écrit le maréchal , d' avoir osé entrer dans un aussi
• triste détail avec votre majesté, rnais je la supplie de consí-
• dérer que c'est le dernier effort du courate et l'effet de la
• juste confiaBce que l' 011 doit avoir dans sa droiture et dans
• son amour pour la vérité, que d' oser lui annoncer que son
• gouvernement s'affaiblit, que son autorité se perd, que les
• liens qui lui attachaient les peuples se rompent journelle-
'" ment, et que l'opinion des étrangers s'altere. "


Le méme homme, demande en 1758 qu' on donne, en
récompense de ses services, a son fils sa charge de capi-
taine des gardes, et a son petit-fils, la survivance de cette
charge.


2 La haine entre les jésuites et les jansénistes est hien loin
d'étre éteinte. N'a-t-on pas vu dernierement en France refuser
a un vieillard de quatre-vingt-quatre aus, monsieUl' Lal~be,




LIVRt.: 11, CHIlPITRE 11. 205


més et destitués par madame de Pompadour.
On commen~a par remercier Maurepas, mi-
nistre de la marine; Machault et d'Argenson
partagerent bientot son sort, et, des ce mo-
ment, la maitresse du roí et ses créatures dis-
poserentseules de toutes les places, a l'armée,
sur la fIotte et dan s le cí vil. Les revenus de
l'État furent engloutis par la prodigalité im-
mense de la cour.


IV. En comparant l'état de la Saxe a celui -
de la Prusse , il nous serait facile de démontrer
qu' Auguste, électeur de Saxe et roí de Polo-
gne comme son pere, gouverné par son mi-
nistre, le fameux comte de Brühl, se trouva a
peu pres dan s la meme position que Louis XV
vis .. a-vis de sa maitresse. Nous n'en ébauche-:-
rons que quelques traits.


LaPrusse avait alors une fois plus d'hahi-
tants que la Saxe; elle n'avait point de dettes,
et les taxes n' étaient pas trop élevées; la Saxe
succombait sous les impots et devait quatre
cent millions. La Prusse avait une armée de
cent cinquante mille hommes; la Sáxe n' en
comptait que dix-sept mille.
ancien maire de Troyes, les secours de la religion, sous le
prétexte qu'il était janséniste. Cette scene, aussi révoltante
que pénible, est consignée daos le Courrier fran«¡¡ais du ~ 6 no-
vembre 1824. (Notedu traducteur.)




206 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
Brühl avait le grand rnérite d'etre le com-


pagnon de son maitre et de partager ses en-
nuis; iI était extremement vain et savait se
présenter. Il avait déja renversé, en 1738, le
prince Sulkowsky, s' était entouré de ses créa-
tu res , et avait réuni en lui tous les titres et
tontes les charges possibles. Depuis 1746 il
était premier ministre et jouait le souverain.
Il comptait jusqu'a deux cents domestiques,
des jardins, des cabinets de minéraux, des
galeries de tableaux etd'objets d'arts, des bi-
bliothéques, et il regardait le bien de l'État
comme le sien propre, cal' iI fit démolir une
partie des fortifications de -Dresde, pour
agrandir ses jardins. Des opéra, des bals et
des fetes de toute espece se succédaieIit chez
lui; des FraIu;ais et des Italiens composaient
sa société. Celui qui parlait klal de lui était
traité et puni COIllme un criminel de haute
trahison; et tout le pays était appauvri par la
guerre de sept ansa


Ce simple particulier laissa une fortune qui,
déduction faite de toutes ses dettes, montait
a environ douze millions, pendant qu'il avait
épuisé tout le crédit du royaume ; mais iI se
souciai t peu de la détresse des Saxons. Pour
avoir de l'argent comptant il créa le papier-




LI VRE 11, CHAPITRE ] lo 207


monnaie, vendit, en 1751, des troupes saxon-
nes aux puissances maritimes, et mit une
partie de la succession de Saxe - Weissenfels ,
tombée en partage a l'électeur, en gage au Ha-
novre contre un pret de q_uelques millions.


V. Le contraste d'un gouvernement, garanti
par une constitution et des lois, administré' par
plusieurs ministres responsables sous un chef
inviolable, dont les fonctionnaires jouissent de
la confiance du peuple et ont la voix publique a
redouter, avec un gouvernement qui n'est
dirigé que par le pouvoir absolu et le hasard,
ne pourrait mieux se faire sentir qu'en com-
parant l'histoire d'Angleterre,!sous le regne de
Georges II, avec le tablean précédent.


Georges ne s'entendait pas trop aux af-
faires du gouvernement. Il regardait le bien
public cornme le sien, iI ne voulait d'autres
ministres que ceux qui lui convenaient per-
sonnellernent, il avait ses maltresses qui le
gouvernaient, dont tróis se melerent succes-
sivement des affaires de l'État. La quatrieme,
Sophie de Walmoden, nornmée comtesse de
Yarmuth, eut, dans son cabinet, des confé-
rences avec les hommes d'Etat qui voulaient
bien s'y pretero Le roi exigea ensuite de ses
ministres que les relations politiques fussent




208 HISTOIRE UU XVIlIe SIECLE.


liées ou rompues d'apres ses affections ou ses
aversions personnelles; lllais cela ne put avoir
tout au plus qu'une influence répressive sur
la marche gé~érale des affaires. Son nlinistere
fut toujours nommé cOntre 5a volonté ; on se
passa de ses lumieres, en ne Jui accordant
qu'une voix négative. Ses maltresses ne pu-
rel1t influer q~e sur des choses indifférentes,
ou sur de petites ames dans le ministere,
cr&r tout au plus un nouveau pair, ou don-
ner l'ordre de la jarretiere; ses dépenses
étaient resserrées dans des bornes fixées, et
meme les subsides a des princes alIemands,
souvent tres-mal employés, n'étaient, d'apres
la maniere dont on en parlait dans le parle-
ment anglais, qu'une perte légere pour eux,
et devenaient tres .. ignorninieux pour les prin-
ces qui les acceptaient.


Si l'Angleterre, sous le regne de Georges 11,
ne souffrait guere des maux qui pesaient sur
le reste de l'Europe, ce royaume n' en sentit
que plus fortement le coup que le mjnistere
anglais, .d'une maniere toute particuliere,
porta a la morale publique. Comme ces prín-
cipes, énoncés par les deux Walpole ~ se trou-
vent cOlocidents daos leurs effets avec les
autres causes intérieures, qui bannirent la




tlVRE Ir, r.HAPITRE JJ. 209


pndeur de la politique'l Hons 1es réunirons id
sous le meme point de vue. Frédéric JI fut le
premier qui, par son esprit supérieur et son mé-
pris pour les hommes,dégrada le-genre humain,
ell traitallt l'État cornme une machihe, et en
réduisant le bonheúr de l'homme ~ un bien etre
qu'il ne trouvait que hors de lui-rneme.


Louis XV, et tous ceux qui l'entouraient,
rendaient d'un autre 'coté homrnage a la vo.:.
lupté la plus grossi~re en bravant ouvertement
la décence et en.blessant les lois les plus sacrées.


La philosophie fraw;aise, qui ne respirait
que la douceur, semblait bien y opposer de~
moyens de salut, mais les auteurs qui, dans
ce siecle. révélaient en partie les noblesprin-
cipes de l'humanité, furent les'précurseurs de
cette. démence qui ne considere que les sens
dans l'homme et qui regarde le pur épicurisme
comme la véritable sagesse. Presque tons les
philosophes célebres alors parmi les Fran<;ais, I
ne firent de l'homme qU'UIl etre sensuel, qui
a re«;u la raison ou l'espl'it COlnme un moyen
et non comme un but dans son existellce.
L' exemple des souverains, imité par les grands
et les riches du monde, soutenus par ces princi-
pes dév~loppés d'une maniere séduIsante 11 ne
putque donner les plus violentes secousses


Ro 1.




.. .


210 HJSTOIRE DU XVIII6 SIECI,E.


aux bases éternelles detoutes les relations so-
ciales de l'homme; voila ce qui se répandit, par
les Franc;ais, en Angleterre¡ Lesdeux Walpole,
surtout Robert, 'par leur systelne de corrup-
tion; ébranlerent, sous le regne de Georges 11,
toute confiance en un amour pUl', en up
sentiment vrai et en des motifs plus nobles
que Ceux de l'avidité et de l'égolsrne. Wal-
pole énonc;a' hauternent le principe que tont
homme avait son prix, que tout était vénal ,
et son rninistere ne le' prouva malheureuse-
ment que trop.' L'histoire) meme en Angle-
terre, prit des -lors un ton analogue a cette
maxime. Malgré l'amitié que le roi lui portait
Carteret ou Granville dut céder au parlement
et Georges fu t obligé de souffrir que les
Pelhams, qu'il détestait, fussent a. la tete
des affaires; et meme pendant le ministere
du duc .. de N ewcastle, qui se donna toutes
les peines possibles pour se mettre dans les·
honnes graces du roi ; le comte de Chesterfield
se vit forcé de, céder a la jalousie de ~es col-
légues , a cause des conférences secretes qu'il
avait avec le roi dans le cahinet de la conl-
tesse de Yarnluth.


La maniere dont Pitt l'ainé ~'éleva par lui-
meme, pendant ce miI1istere, prouved'ailleurs


'/




LIVRE 11~ CHAPITRE IL 11 t


que le talent avait bien plus d'ascendant sur
toute la nation que la faveur. Pitt devint telle-
mentredoutable pour Walpole au parlemeilt;
que celui -ci chercha de toute maniere ou a
l'intimider, ou a le gagner. Placé au~jnistere;
il montra bientot qu'il était trop grand pour
se contenter d'un role secondaire. Lorsqu'il
en sortit, l'attention publique était de nouveau
fixée sur lui, jusqu'a'ce qu'on l'ap.t enSn;
contre le désir et la vólonté du roi, au timon
des affaires.


VI. Pierre-,Ie-Grand avait fait de la nation
russe, adroite et imitative, un peuple belli-


'" queux. Il s'était entoure des officiers les plus
habiles de Charle~ XII ~et de l'élite des tneil.;:
leuresarmées de toute l'Europe. Il avait pris
aux Suédois les provinces allemancles de la mer
Baltique, et il venait die fonder une nouvelle
capitale. L'empire devint donc bientot sous ses
successeurs une puissance formidable. Ce ne
fut qu'en RussÍe que le systeme militaire de
Louis XIV et de Frédéric-Guillaume put etre
développé avec succes, car il faut des siedes
avant que les lumieres de l'Europe soient a la
portée des paysans russes, ou que les intri-
gues de.la cour donnent du scandale aux habi.;.
tants des vil,les et des campagnes.




:112 ftISTOIRB DU XVII18 5IF:CLE.


Il est done fadle d'expHquer cornment avec
. le soin continuel des différents' gouverne-


ments, d'attirer les étrangers, et de faire
mouvoir cette masse de barbares par l'esprit
de l'Eurdpe, la force d'une nation, encare
pure, s'accrut malgré toute ]a perversité" de
la cour et de ses serviteurs. '


Apres la mort de Pierre Ier, Menzikaff éleva
Cather.au trone, en 172.5, pour, régner
sons son' nomo La vie débauchée de l'impéra-
trice et un ulcere aux poumons ayant causé
sa mort prém'aturée et subite, Menzikoff, en-
core plus connu par ses vic'es que par ses ta-
lents, distingué par Pierre ¡er, fut accuse d'a-
voir voulu, par sa mort, se frayer le chemiri. au
trone, car le bruit courait généralementqu'il
l'avaitem,poisonnée. Quoi qu'il ~n soit, .Menzi-
koff, pour conserver le maniernent des affaires,
décida ou plutot fort;a l'impératrice, dans ses
derniers moments, a déclarer hériti~r de l'em-
pire, .le fils du' malheureux Alexis, que Pier-
re Ier avait fait exécuter. Pi erre II monta sur
lt~ trone, l'an' 1 72.7, a l'age de douze sns; mais
Menzikoff dévoila trop tot ses projets amhi-
tieux. Une double alliance devait unir Pierre
a sa filleetsonfils a la sreur du czar. Ce fut
le signal de sa perte. Les princes DoIgoroucki




LIVRE 1l, CHAPITRE 11. :lI3


s'~mparerent du" jeune czar, le déciderent a
abandonner subitement Menzikoff, a le bannir
et a le poursuivre meme jusque dans sQn exil;
ils s'arrogerent, eux et leurs parents, apres


. SO~l éloignement, la meme influence qu'il avait
eue sur le gouvernement. Les Dolgoroucki
youlurent aussi établir le~r pouvoir a jamais,
en mariant le czar ave e leur sreur; mais le
jeune empereur mourut a,u mois (le j.anvier
1730 d'une maniere si subit.e, qu'ori n'eut pas
~em~ letemps de lui faire désjgner son suc-
~e~seur, d'apres la loi de Pi erre Ier. .


A la mort de Pierre II, les Dolgoroucki gou-
yernaient l'État, et ce fut par leur crédit que
dans l'assemblé~ des g~ands de l'empire, con-
yoqués p9ur élire un llouveau souverain , l' é-


,lection tomba sur la princesse de la maison
de Romanow, qui avait moins de droits que
tous les autres héritiers. Les DoIgoroucki pou-
vaient d'autant plus espérer de régner sous
son nomo Cette princesse était Anne, fille du
frere ainé de Pierre et duchesse douairi,ere de
Courlande. Av:~nt de déclarer l'élection, les
Dolgoroucki firent promettre a Anne .de ne
point amener en Russie son favori Biren,
et de remplir en outre 'd'autres conditions
onéreuses. La nouvelle ímp~ratriCe ne pu~




HfSTOfRE nu XVIlIc SIE:CLE.


se séparer de Biren. La restriction du pou-
voil' impérial dans ces conjonctures était ridi-
cule; Anne trouVél done facilement les moyens
de l'éluder et de ,égner en souveraine abso-
lue. La . premiere suite de cette capitul~tion
anéantie fut la chute, et, immédiatement
;:¡pres, la poursuite cruelle de la maison Dolgo-
roucki etl'élévation de Biren au gouvernement
de cet immense empile ~.


__ Pendant que Biren régnait en despote dans
l'intérieur" des généraux de l' école d'Eugene ,


. et surtout Münnich, qui avait bien dis-
~ cerné le caractere de la natjon, formaient
l'arméé a la discipline et lui inculquaient
le sentim~nt de la gloir~ militaire; ils montre-
rent aux Polonais que leur république n'était
qu'une ombve et, en ~eme temps, combien il
5e~ait facile a des yoisins puissants, qui nom-
maient aujourd'hui un roi, d'occuper demain
le pays. '


La Russie disposait déja du trone de la Polo,-
gne. Ce fnt Münnich e't ses Russes, accoutumés
a la mort et aU'meurtre, qui donnerent a Au-
guste 11 la couronne, qui firent perdre le trone
a Stanislas et empecherent les Frant;ais de lui


I Biren ou Büren s'appela de ce moment Biron, et se dit
parent de la famille' fran«taise de ce nomo




I,lVRE 11, CfIAPITRE 11. ~I5
preter secours. Ce furent encare les Russes
qui, en 1737 , forcerent la noblesse de Cour-
lande d'accepter, pour due, Biren qu'elle n'a-
valt pas voulu recevoir membre de la cheva-
lerie, et qui étdufferent les protestations des
Polonais par le bruit de lenrs armes. La guerre
de Turquie, qu'ils firent conjointement avee
l'Autriche, fut glorieuse et meurtriere; l'a-
vantage qui en résulta a la fin de I'année
1746 ne fut pas grand, mais le chemin a des
conquetes fntures était frayé. et le rapport
de l'armée russe a ceHe des Turcs se trou-
vait fixé.


Biron t gouverna l' empire pendant dix ans
sous le nom de J'impératrice Anne, mais il
éprouva le menle sort que Menzikbff, dans r es-
pérance qu'il av~it con<;:ue de reten ir l'au~orité
apres la mort de l'impératrice. Ill'avait déci-
dée a reconnaitrepour successeur le jeune
Ivan, fils.de sa niece, mariée au duc Antoine


.'It Ulrich de Brunswick, sous'la condition qu'il
resterait a la tete des affaires: mais il avait en
Münnich un rival caché. Quoique jusqu'alors
intimement ·lié avee lui, Münnich persuadé


x Biron, d'apres une lettre de Suhm, dan s sa correspon-
dance avec Frédéric 11, de l'an 1737, préta de l'argent au
prince royal que son pere surveillait de preso




~16 HI5TOIRE 1)U XVl11e SItCLE.
qu'il ue devait plus fOllder d'espoir que sur la
famiHe tl'.lv~n ~ s'p..nit a eHe pour perdre Biren.
Ille fit arreter '. et nommaUlrich el son épouse;
régents de rempir~ ; mais son tr~omphe fut de'
courte durée&Lestoeq,cQ.irurgien fr~n.«;:ais ~
forma le plan d' élever Élisabeth "filIe de fierre-
le-Grand, au trane, ~t iI l' exécuta pendant
l'absence de Münnich, pui~queleducdeBruns-:
wick ,n'av~it ~~i¡ l'activité, ni l'énergie néees-
saires pour prévenir le danger qui le m~na«;:ait.


Élisabeth fut procl~ée iInpératrice au mois
de décembre 1741 , peu de temps apres le cou~
ronnement de Frédéric II. Elle eon«;:ut aussitót
une inimitié morteHe eontre luí, caro elle n' é:-
taitpas disposée a sacrifier aux affíl:ires le te~ps
qu' elle consacrait a ses plaisirs licencieux, dont
l~ roi de Prusse fit les critiques les plus ameres.
La vanité d'Élisaheth n'oublia jamais eette of-


. .


fense.
VII.LaFI'a~ce et l'Angleterre, pour ne point


retarder la conc1usíon de la paix d'Aix-Ia-Cha-.
pelle, renvoyerent a d'autres négociations rae-
commodement d'une mésintelligence tres-im-
. portante pour leurs possessions et leur com-
merce dans l' Amérique septentriollale. Ces
deux nations s'aecuserent ensuite mutueIle-
ment de ne pas agir avec honne foi ~ et apres




LIVRE Il, CHAPITRE II. ~I7


une correspondan ce tres - yiolente, elles ~n
vjnrent bienfot a des hostj]jtés. Les F.ranfais
avaientde$ colonies a l'Ohio, a la Louisjane, et
aU fh~uve St.-Laurent dans le Canada. Les An-
glais possédaient les États-Unis de l'Amériquc
d'aujourd'hui, qui étaient alors encore resser-
rés dans l'intérieur des montagnes bIenes. Les
Francais montrant l'intention de fonder des
~ ,


forts et des établiss.ements depuis lé Callada
jusqu'a rOhio, les Anglais se ,yirent exposés a
perdre tout leur commerce de pe}leteries et a
voir leurs colonies entourées par l'ennemi.
La discussion semblait insignifiante, ~ais elle
ne le fu~ pas, c0!Dme les Fran~ais et les An-
glais le reCODJlurent hien, puisqu'elle ]~l~r pa-
rut une raisciri suffisante pou~ se faire la g,uerre.
La rupture eut lieu dans le, temps. ou .le mi-
nistere de Georges II était eJ?~i~rement dévoué
a ses volontés personnelles. En d~pit de toute
saine politique , le roi d'Angl~terre: s'étaitJi~.
étroitement, al'Autriche c;ontr~ 1~¡Prll~se. IL
se sépara de FrédéricU', et, au lieu de soute-
nir avec lui le développement libre de~ prin ..
cipes du protestantisme, il fit, par patriotisme
allemand, de, la cause de la souveraineté im-
périale la sienne propre. Enfin il se vit , COlnme
lnalgré lui, poussé a embrasser la cause de




218 HISTOIRE DU XVI11- Sd:CLE.


Frédéric, qui, lui-meme, se détacha a regret
du parti de la France.


Des ~hangements s'étaient déja opérés a la
cour de France, en 1752.; on suivait deux sys-
temes différents dan s le cabinet et dans le con-
~eil privé; Frédéric et la France réunirent tout
Ieur créditt pour que Joseph 11 ne fut point
nommé empereur des Romains du vivant de
son pere, tandisque Georges 11, maIgré l' op-
posiiion du parlerrient, cherchait a gag~er,
pour cette élection, les électeurs par l'argent
de l' Angleterre. Georges, si fidelement attaché
a l'Autriche, devait bien s'attendre qu'eIle dé-
fendrait le Hanovre contre les attaques des
Fran~ais, sans égard pour l'Empereur et l'Em-
pire, mais il en fut tout autrement. Kaunitz,
alors ambassadeur a la cour de France, n'a-
vaitrien négligé,depuis la fin de l'année 1750.,
pour désunir la Franee avec la Prusse; il
avait décidé Marie-Thérese a éerire a madame'
de Pompadour, et a I'appeler sa couiine, tan-
dis que Frédéric la persiflait d'une maniere _
mordante et n'épargnait pas meme son royal
amanto


I Suivant 1'Ilvis de Frooéric, Vergennes, alors ministre a
Treves, Cut député par les Fran<¡ais a Hanovre, ou Georges
avait assemblé un congres des électeurs.




LIVRE IJ, CHAPITRE 11. 2.19


Le conseilprivé était entré depuis long.temps
dans les vues de Kaunitz, avant que, dan s le
ministere, Puysieux et Tiquet, qui lui était
subordonné, voulussent entendre parl~r·d'un
traité avec I'Autriche. Le cabinet franc;ais
balanc;ait enc~re entre une alliance avec la
Prusse ou cette puissance, dans le moment
ou les Anglais, profitant des différents qui
s'étaient élevés sur les possessions de l'Amé-
rique, prenaient des vaisseaux franc;ais I san s
avoir ~éclaré laguerre~ Sur ces entrefaites, ma-
dame de Pompadour venait de faire conclure
en secret un traité avec I'Autriche par l'abbé
de Bernis depuis cardinal 2 •


·Le roi d' Angleterre chercha alors aernpecher
une invasion dans le Hanovre; Frédé.ric 11 s' oc-
cupa de défendre la Silésie éontre les~égo­
ciations de I'Autriche, et d'assigner a la Prusse
une place' parnli les premieres puissances de
l'Europe. Ces efforts rapprocherent ces deux


I En 1753 et 1754 les Anglais et les Franc;ais étaient hattus
en Amérique, dans l'intérieur et a l'entour des forts. En 1755,
au mois de juin, les Anglais prirent des vaisseaux franCiais;
ramiral anflais Boscaven avait rectu l'ordre d'agir hostilement.


2 Le trallé a'Yec l' Autriche , que le roi de France ne put nul-
I,ement présenter it'tQut son conseil d'état, fut d'ahord négocié
¡\ la fin du mois d'avri'l ¡7'S5, dans une maison de campagne
de.madame de Pomp~dour, ensuite dans la maisoll d'un par-
tlculier a Paris. La notice qui se trouve lit-dessus dans la vie
de Schmettau, page 31 1 , mérite cependailt quelque attention.




,


LIVI\}r'II,CHAPITRE JI. . 221


honnete homme; les moyens qu'íl employa
pour gagne~ les secrétaires d~l'ambassade im ..
périale a Berlin , ne sont pas moíns odieux l.


On n~ \leut cont~stel' ~ue la l\.ussie , la Sax.e
et l' Autriche faisaien t des' arnlements, mais le
témoignage des officiers généraux prussiens ,
et surJont celtii du éomte qe Schmettau , prou-
ventjusqu'a l'évidence qu'il n'y avait pas encore
d'époque fixée, et qu'en Boheme on n'avait
pas faít lesmoindres lYréparatJfs. Quoi q'u'il ~n,
soit, Frédéric a vait hien -deyiné la' ligue 'de ses
eonelnis. Il crut plús prlldent de sacrifier la
Saxe que d'etl'e Iui-meme victime', et il aima
mieux commencer la guerre, que d'attendre
qu'on l'attaquat. Apres avoir rasse~hlé ses
troup~ avec 1a.·Jlus grande célérité au mois
dé juílIet I,75~6, Frédéric entra le mois suivant
de trois cotés en Saxe; la F~ance et l'Angle-
tetre se faisaient la guerre depuis le m~is
d'avril. '


VIII. Au moment de l'ínvasion des Prussiens


• Men~l, secrétaire a la chanceUerie de Dresde, Cut ppé
parl'ambassadeur prussien de Malzahn, pour comm~niqu~r
désactes. 11 seservit de' faússes clefs pour ouvrir les armoÍre§
ou les actes étaientenfermés. La c.our de. Sa~e étanJ: allée en
Pologne , 'le cónseiÜerp~vé Eichel , de Potsdam, lui envoya
un 'tAOUsseau de clefs; Í'nicune ·d'elies n'allant auxserrures des
aI'IDoiJ:es, Menzel marqua a Éichel les changemeftts qu' on de-
vait taire aux clefs. L'autre 'histoire élt de la m~me fac¡on.


.#




,


LIVREII, €HAPITRH JI. ~2.1


honnete hon1me; les moyens qu'il employa
púur gagner les secrétaires d&.l'ambassade im-
périale a Berlin , ne sont pas moins odieux l.


On ne peut contester que la Russie, la Saxe
et I'Autriche faisaient des arnlements, mais le
témoignage d~s officiers généraux prussiens,
et surJout celui du éarnte Qe Schmettau, prou-
ventjusqu'a l'évidence qu'il n'y avait pas encore
d'époque fixée, et qu'en Boheme on n'avait
pas fait les·moindres préparatifs. Quoi qu'il ~n
soit, Frédéric avait bien -deyiné la ligue de ses
ennemis. Il crut plús prudent de sacrifier la
Saxe que d't~tl'e llli-meme victime, et jI aima
mieux commencer la guerre, que d'attendre
qu'on l'attaquat. Apres avoir rassemblé ses
troupes avec la. ,lus grande célérité aumois
de jllÍllet 1.7 5~6, Frédéric entra le mois suivant
de trois cotés en Saxe; la France ét l'Angle-
terre se faisaient la gllerre depuis le mois
d'avril.


VIII. All moment de l'invasion des Prussiens


I Menz~l, secrétaire a la chancellerie de Dresde, fut gagné
par l'amhassadeur prussien de Malzahn, pour communiqu~r
des· actes. II seservit de fatÍsses Clefs pour ouvrir les armoire&
ou les actes étaient enfermés. La cpur de Saxe étant allée en
Pologne, le conseiller p~ivé Eichel , de Potsdam, lui envoya
un tAOusseau de cJefs; aueune d'enes n'allant aux serrures des
al'moi¡:es, M'enzel marqua a Éichelles changements qu'on de-
nit faire aux clefs. L'autrehistoire est de la m~me fact0n.




-


2~~ HJSTOIRE DD XVIII- SIECLE~
en ~axe les préparatifs de l'Autriche n'étant
pas terminés, s~~ troupes surprises se virent
obligées de battre en retraite; mais Bernis était
ministre de~ affaires étrangeres en Fra.nce, et,
en eette quaÍité, il conclut avec l' Autriche un
nouveau trai té, en vertu duquella Frances' 0-:
bligeait a donner deux m,illions a eette puis-
sanee, a mettre cent mille hommesen cam-
pag¡¡¡e, apayér de plus a la- Suede des s~bsides ,
pour que ce pays, alors impuissant, j9uat aossi
U11 role actif dans la guerre; la conduite de '
Frédéric ~ Saxe. en fournit le prétexte. La ,
Russie et l'Autriche, comme alliées, la France
et, la Suede comme garants de l~ paix de West-
phalie s'en déclarerent ,les vengeurs. , _


La Saxe promptement oc.ripée an mois de
septembre, Brown, général des Autl'Íchiens,
voulant secourir l'armée saxonne enfermée
pres de Pirna, fut battu lé 1 er octobre pres de
Lowositz; tpute l'armée saxonne obligé~ de se
rendre aux Pruss,iens, fut traitée, c,omme le
pays, avec une dureté que la nécessité la plus
pressante. peut 'a peine excuser. ,La Pologne
abandonnason roi; l' AHemagne, ou plutot la
diete se déclara, a la majorité d~s voix , la pre-
miete' contre la Prusse 1 ; mais elle devint de


J Tout,le parti évangélique s'étant déelaré contre la 'pros·




LIVRE '-'11, CHAPITRB 11. ~~3
nouveau, par la mapiere donton fit la guerra
de l'empire, la risée de toute' l'Europe.


L'année ,~uivante, 1757, préseÍlta le grand
tablean ,d'nn homme énergiqne et actif a la
tete d'une armée dévonée, luUant contre des
ennemis innombrables ; Frédéric, attaqué de
tons cótés, r.~al secondé par ses alliés, sortit c~­
pendallt tonjonrs victorieux des co~bats qu'il
dirigea en personne. D'apres l'obligation que
Georges II e,' étaiÜmposée,'il devait fonrnir une
armée pour la défense dti Hanovre:, dans' le
cas ortles Fran«;ais attaqueraient le pays. Mais
le min~tere de Hanovre 1 lnit d'ahord de la
lenteur; le dnc de Cnmberland prit ensuite
des mesures toQ.t oppos~es.Le prince anglais 2


cription de la Prusse, et une séparatíon des parties ét.nt a\
craindre, si elJe fut adoptée , olÍ se contenta, apres une négo-
ciation ~i se prolongea du mois de septembreI756 jusqu'au
mois de janvier 1757, de s'en tenir ,\ l'armée misérable de
l'Empire ehargée de l'exécution. ,


1 Frédérie 11, OEuvres, tome In, page 13 1 ,parle a cette
occasion, sur le ministere de Hanovre', entierement dans le
ton d'on Saint-Just ou d'on Buonaparte. '


:1 Pitt ayant été éloi8Dé des affa.ires au mois de novembre,
175'5 , on forma un ministere dévoné au due de Cumber"'nde
BIs ainé ~e Georges. Ce ministere fut {lirigé par Fox. L'année
smvante Fox fut forcé. de céder la place a Pitt qui ~pI:it le ti-
man des affajres,; il avait une tout autré opinion sur ledoc de
Cumberland et sor le Hanovre que son prédécelseur, qui avait
conSé au prince le commandement des troupes destinées pour
l' Alle~agne. Le prince ne voulut point aller en AlIemagne , a


-r




2~4 HISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
ehercha a soutenir son systeme de défense
anssi long - temps qu'il le put, mais les Fran-
c;ais, une fois au W éser, le forcerent de livrer
bataille a Hastenbeck, pres de Hameln, le ~6
juillet 1757; il fut battu et il aurait perdu en-


I eore plus de monde, si les deux générílux en-
nemis, d'Estrées et Maillebois, avaient été en
nleilleure inteHigence.


Le prince héréditaire de BrunswÍck rnontra,
pour la premiere fois, dans cette hataille, ses
talents militaires l. Richelieu, nornmé immé-
diatement apres la bataille de Hastenbeck, gé-
néral en chef de l'armée franc;aise, pressa tel-
lement le duc de Cumberlaná a Breme et a
v rerden, ou ilI' enferma, qu'il ne lui laissa d'au-
tres ressources que ceHe de capituler. eette
capitulation fut concIue d'une maniere tres-
précipitée et tres,;,imprudente, au monastere
de Seven, par le comte de Lynar, piétiste,
alors gouverneur danois de Delmenhorst et
d'Oldembourg; on aba.ndonna entierement l'é-


I


moins que Pitt ne fut éloigné du mini§tere. Ce dernier se vit
contraint de se retirer le 5 avril 1757. Le roi et tous les nou-
veaux ministres n'avaient pas la majorité des voix au parle-
mento On fut obligé , au mois de juillet , d' employer Pitt de
nouveau et de lui laisser le soin d'organiser un ministere a
son idée.


x Frédéric II, OEuvres, tomo III, p. 190, parle aussi avan·
tageusement du co]one] Breitenhach.




LIVRE 1I, CHAPITRE II. ~2.5
lectorat de Hanovre l. Frédéric se serait vu
aiors dan s une position fort critique si son co-
lonel Balby, qu'il envoya a Hanovre, n' eut
su faire accueillir favorablenlent de Richelieu
différentes représentation~, quoique le due
ne put entrer dan s les propositions princi-
pales 2. La convention déplut d'ailleurs aux
deux puissances pour lesquelles elle avait été
faite, c'est-a-dire a la France et a l'Angleterre;
les Fran<;ais, mécontents de ce que l' on ne
renvoyait que les troupes alliées 3, se plai-


_gnaient aussi qu'on n'eut rien décidé sur les
Anglais, et que les Hanovriens restassent ar-
més dans le Lauenhourg. Georges ne pouvant
refuser nettement la capitulation, traina en
longueur les négociatiolls qu'on avait enta-


1 On trouve le rapport dans les petits écrits du comte de
Lynar; nous n'y releverons rien, maÍs il est impardonnahle
que, dans toute la convention, il ne soit nullement question
de la contrihutioll et restitution du Hanovre ahandonné. Le
comte de Lynar n'agissait d'ailleurs que d'apres les ordres
du ministre danoi!! Bernstorff.


2 SoulAvie, ~fémoires de Riclzelieu , tome IX, page 198, va
bien plus loin en disant : u RicheIieu temporisa; iI resta pen-
dant pres de deux mois a Halherstadt, attcndant pour ainsi
dire l'arrivée de Frédéric n, communiquant avec lui au moyen
d'une machine a chiffres. lO •


Je n'y attache pas trop de foi; mais la premiere note est
tres-remarquable, ainsi que les lettres de Vienne, page 203.


3 Les troupes alliées furent composées de soldats de Hesse.
de Brunswick, de Gotha et de Lippe.


H. I. 15




226 HISTOIRB DU XVIIl e !IECLE.


mées pour la ratifier, jusqu'a ce que la bataille
de Rosbach lui donntlt, pour la premiere fois,
la meme opinion que Pitt; iI ordonna aussi-
tút a ses troupes de reprendre les armes I •


Le roi dePrusse était perdu si les Russes, qui
dévastaient son pays, avaient voulu ou pu agir
avec l'énergie nécessaire; car Frédéric venait,
il est vrai, de battre les Autrichiens, le 6 mai
1 757, a Prague , ,et d' occu per presqu e tou te la
Boheme, mais la fortune s'était tournée contre
lui depuis la perte de la bataille de Collin, le
28 juin 1757' Elle fut d'autant plus funeste,
que la relraite malheureuse du prince héré-
ditaire de Prusse, auquel le roi avait confié
une partie de son armée, le mit dans un em-
barras bien plus cruel encore que la perte de
la bataille meme 2. Frédéric vit alors les Au-
trichiens occuper la Silésie, pendant que les
Fran({ais, joints a l'armée de I'Empire, mar-
chaient sur la Saxe, et, apres la défaite qu'il


I La' convention du monastere de Seven fut faite au mois de
septembre et rompue au mois de novembre.


2 Cela explique la colere du roí de Prusse. On trouve le rap-
port du prince héréditaire, apres les lettres de Frédéric a Fou-
quet ; la faute principale est attribuée a Schmettau; ce fait est
détaillé dans sa biographie. Schmettau prétend que le prince
héréditaire avait, dans le fond, commis taute'la (aute, mais
qu'on la rejette sur l'accusateur Winterfeld. Celui-ci, a ce que
l'on dit, apres avoir donné le mauvais conseil, sut, en vrai
courtisan, s'en défendre publiquement.




LIVRE 1I, CHAPITR.E 11. ':A ':A 7
essuya, le 30 aoút, pres de Grand-Jregerndorf,
il commenc;a lui-meme a craindre pour l'issue
d'une entreprise admirée de toute PEurope.


Les généraux russes qui se retireren t dan s
ce moment par des raisons personnelles a l'hé-
ritier de leur treme, sauverellt Frédéric, en
lui laissant le temps de .marcher a la rencon-
tre des Fran<;;ais et des troupes de l'Empire.
Le 5 novelnbre il remporta, contre toute
attente, une victoire décisive, et la fortune
tourna de nouveau du coté du talent et de
l' énergie. Les Allemands se moquerent ce-
pendant bien a tort de l'armée franc;aise a
cause de la terreur panique qui l'avait saisie
a la bataille de Rosbach. lIs auraient du piu-
tot se moquer du prince de Soubise et des
officiers efféminés qui 1'entouraient, et qui
devaient leur place a la naissance el a la fa-
veur. CeUe victoire, et le changement dans
les mesures de l' Angleterre qui en résuIta, ré-
tablirent en quelque sorte la balance: le grand
génie de Frédéric 6t le reste.


Avant la bataille de Rosbach, Pitt avait con-
voqué le parlement pour le 15 novembre. A la
nouvelle du suc'ces brillant de Frédéric, il re-
cula la session de quinze jours, quoiqu'il n'y
eut aucun exemple d'un tel ajournement dans


15.




~28 lHSTOIR~ "DU XVIII!: Sd:CLE.
l'históire anglaise, et il conc;ut, dans l'inter-
valle, le projet de s'unir a la Prusse et d'agir
de concert avec elle. Ce fut dan s ce hut que
Frédéric lui communiqua ses plans l. La capi-
tulation faite au monastere de Seven fut dé-
clarée nulle. Les Hanovriens et les Anglais r.e-
prirent les armes. Pitt convint, avec le roí de
Prusse, que Ferdinand de Brunswick com-
manderait les troupes alliées, et Frédéric sou-
scrivit a tous les changements que Piu.fit dans
ses pIans; car celui - ci aUiait a la grandeur
d'ame un esprit étendu, et a ses autres projets
la direction de la guerre en Allemagne 2 •


Pendant que les préparatifsde l'expédition,
dans la Basse-Saxe, se poursuivaient avec acti-
vité, Frédéric répara en Silésie par la victoire
éclatante'de Lissa, ou de Leuthen, le 8 décem-
bre, tont ce que le dnc de Bevern avait perdu,
le 22novembre, par la bataille de Breslau 3 ;


1 Les traités entre la Prusse et l' Angleterre du mois de jan-
vier 1756, du 11 avril et 7 décembre 1758, et les notices né-
cessaires sur leur prolongation jusqu'au 9 novembre 1759 et
I!l décembre 1760, se trouvent dans les A~lecdotes 01 the l[fe
01 W. Pitt, 8e édit., tome 111, page 18-31, appendix. E.


2 Frédéric II re«;¡ut de l' Allgleterre quatre millions d'écus en
hon urgent qu'il cOllvertit en dix millions, écus, mauvaise
monnaie de Suxe.


3 Le prince Charles de Lorraine déposa le commandement
ponr avoir perdu la bataille de Breslau. Il fnt cependant pn-
blié en Autriche, " qu'il était défendu a tout le monde de bla-




LI VRE 11, CHAPITRE 1I. ~29


la ville de ce nom, qui, apres la défaite du duc,
était tombée dans les mains des Autrichiens ,
fut reprise, et la garnison, forte de dix-sept
mille hommes, se constitua prisonniere. L'an-
née suivante, l' armée anglo-hanovrienne, sou-
tenue par Frédéric, fit des progreso rapides l.
Les Franc;ais évacuerent des le mms de mars le
pays au-dela du Wéser. Le 23 juin ils furent
battus a Crefeld, et le prince de Clermont, qui
les avait commandés en dernier lieu, re-
tourna couvert de honte a Paris.


Quoique la France désirat la paix avec la
Prusse , que les officiers et les soldats ne vou-
lussent plus se battre contre Frédéric, le roí
et madame de Pompadour persévérerent dans
leur volonté. On réforma les officiers qui dé-
plaisaient a madame de Pompadour; Bernis,
qui insistait pour la paix, a cause du délahre-
ment des finances, fut obligé de se retirer du
ministere; l'ambassadeúr franc;ais a la cour de
Vienne, depuis duc de Choiseul, fut nommé
a sa place, et, le 28 décernbre 1758,on cOnclut


" mer le prinee, relativement a eette bataille, pnisque , pen-
~ dant le combat, il n'avait fait qu'exécuter les ordres de
«l'Empire. » Quelle maniere étrange de diriger I'opiniollpu-
blique!


1 L'al'mée anglo-hanovrienne avait commencé l'expédition
au mois de uécembre par le siége de Haarbourg.




23Q HISTOIRE. DU XVlIle SIECLE.


un nouveau traité" par Jequel on promit aussi
des subsides aux SaXODS et aux Suédois. 00
invita la Russie 3. reconnaitre ce traité l ; Bro-
glie et Contades furent mis a la tete des ar-
mées renforcéesqui s'avan~aient surJe Wéser.
Frédéric avait, outre les Autrichiens, les Sué-
4ois .. et les Russes '¡i combattre; il remporta
une victoire sur ces derniers, le 25 aout 1758,
p~s 'de Custrin·3. Zorndorf, mais il se laissa
surprendre,le 14 o ctobre , par les Autrichiens
3. Hochkirch. L'état 'des,affaÍres se trouva,
él la fin de l'année, 3. peu pres le .meme
qu'au commencement, a l'exception que la
pauvre Allemagne fut saccagée et pillée tour-
a-tour par :ses alliés et ses ennemis.


Le 13 avril 1759, les Fran«;ais'gngnerent la
bataille <!e Bergen, pres de Francfort, sur le
Mein, repasserent de nouveau le Wéser et se
soutinrenten Hesse et en Hanovrememe aprés
la perte de la bataille de Minden, le 1 er aout.
La position du roi de Prusse devint tres-criti-
q~e. Wedel, songénéral, avait été hattu par
les Russes , lorsqu'ils sortirent enfin de la Po-


~ La Ruasie demanda, par une circulaire du 28 octobre
et 1 er décembre 1 759, que la Prusse proprement dite luí
f~tcédée, au moins jusqu' a ce qu' elle fut dédommagée des frais
de la guerreo




LIVRE 1I, CH.A.PIT~E 11. :l3J
logne pour ,se joindre aux Autrichiens ·pres d,e
.Züllichau 1 ..


Le 23 juillet, apres la jonction des Russes
avec Laudon, les armées aUiées défiren t si


• r


complétement Frédéric, pres. de Kunersdorf
sur l'Oder, que toute la guerre aurajtpuetre
terminée p.ar eette seu le bataiUe 2, si le géné-
ral Soltikoff l'avait voulu. Les Russes se plai-
gnaientde la Jenteufo de Daun el du manque
<le provisions. Pendant les discussions de$es
-ennemis,; Frédéric ras-sembla une n()uveUe ar-
mée, et lorsque les Autrichiens se .disposel'ent
enfill a s'avance.r, Soltjkoff se retira suhite-
ment enPologne; le roi de Prusse, voulant a
cette Qccasion .é.loigner de la Bohcme les AU7
trichiens ·comman.d~ par Daun, éch~adansr
son cl1treprise ~t y perdit, l~ 2p ~v~re
1759, le petit corps d'armée du génél'al Fjnk~.


XLa hataille de Züllichau porte aussi te nom de K,rai ou de
Palzig.


2 Frédédc U était déja maitre de la víC!0ire; maís v01Jbmt
entiereinellt détruire les Russes, comme a Zorndorf, iI perdít
tant de monde, qu'il réunit a peine jllsqu'an soir dix miUe
homroes sous .ses drapean-x; le lendemaíQ. il en avait dix~huit
mille, et quelqries jours apres vingt-huit mille a sa disposition.


3 Aussitot Fink et quelques autres généraux furent cassés
par le roí; la paix étantsignée, le conseil de guerre les con-
darona a une réclusion limitée dan s une place forte. Fink mou-
rut chef de l'arroée danoise, et Rebentisch général des Por ..
tugais.




~3~ HISTOIRE DtJ XVIUe"'SI:E:CLE.
L'année suivante, l'année du prinee Ferdi-


nand de Brunswick, obligée de donner douze
mille hommes a Frédérie, se vit paralysée dans
ses entreprises. ,Le général Fouquet, l'ami in-
time dti roi de Prusse, fut ensuite totalement
battu a Landshut, le 23 juin, et meme fait
prisonnier. Frédérie se rendit en Silésie pour
ranimer le courage de ses guerriers par une
vietoire'qu'il remporta, le 15 aout 1760, sur
Laudon a Liegnitz, etdont il ne tira point d'au-
tre avantage. Il to"mba des lors dan's une posi-
tion eneore plus embarrassante. Les Fran~ais
oeeupaient 'la Westphalie et la Basse - Saxe,
l'armée de l'Empire était postée dans la Haute:-


, Saxe, les Russes se trouvaient au mois d' oe-
tobre a Berlin, Daun était sur le pointde se
joindreaux troupes de l'Empire et de tenir Fré-
dérie eerné entre plusieurs·armées. Ce général
crut meme se rendre redouJable aux Prussiens
sans livrer ~ataille ,en se retranchant dans son
camp, pres de Torgau, ou il ne supposait pas
qu'onput l'attaquer; mais Frédérie résolut de
le 'Íoreer dans ses retranchements, et de se
délivrer par eette attaque, él laquelle personne
ne pouvait s'attendre. Les Prussiens réussi-
rent, le 3 novembre 1760, dans leur entre-
prise, quoique Daun eut, jusqu'a 6 heures du




LIVR~ J, CHAPITRE 11. 233
soir, la ·victoire entre ses mains. Cette journée
ne valutguere au roi que le champ de ba-
taille et I'honneur. Dresde resta aux Autri-
chiens , avec une partie de la Saxe et de la Si-
lésie; les Fran<;ais étaient postés au- dela de
Grettingue.


IX. Si la campagne de 176ln'offrait rien de
décisif, ni meme auenn fait important, les n~­
gociations n'en furentque plus vives. Pitt sa-
chant diriger la guerre de maniere que les
Anglais fussent ohligés de la }'eg=:trder comme
une affaire nationale et mercantile, presque
toutes, les colonies fran<;aises étaiellt tODlbées
~ au pouvoir de l' Angleterre. Lecommerce et la
puissance maritime de la Franceétaient an,éan-
tis, et toutes leUrs ressources sur le point de
tarir. Les ministres fran<;ais, obéissant a la
nécessité, chercherent alors a obtenir des Añ-


I


glais une paix particuliere l. Pitt refusait tQute
paix spéciale; les Fran~ais conclurent un traité
d'alliance avec l'Espagne, qui mena~ait de de-
venir dangereux pour la· Grande - Bretagne ;
cela occasionna dans le ministere anglais une
mutation qui fut d'un grand préjudice a la


x Tous les documents de la négociation da mois d'avril jus-
qu'en juillet 1761, se trouvent rassemblés dans les Anecdotes
of the LiJe 01 W. P. M. Appendix, H •• tome UI, page 57-145.




234 HISTOIRE DU :XVIII· SItCLE.
Pmsse; lepacte.de lamille entre la France et
l'Espagne devait.lHlir-les deuxroyaumes a ja-
mais 1 et réintégrer les Fran~js daos leurs ,co-
lonies, par l'occupation du 'Portugal : mais
eeUe ligue ue servit qu'a. impliql1er l'Espagne
dans une guerre pernicieuse, sans lui proc~
rer d';autredédí?mmag.em.ent qu-e le vainhon-
neur 4e se trouver ,él-evée au Ineme rang que
la France, .hollUeur qu'elle lui ,avait (lisputé
j'llSqu' alore.


Tant quePitt, qui 'a \Yait r~~u du maréchal
·Keith, ambassadeur de Frédéri~ en Espagne ,
une copie du traité, resta a la tete du minis ...
tere anglais, il .fit toutes les dispositions né-
cessairespour tournel'la.puissance aQglaise
contre . les Espagnols ;D1ais la mort du roí
cpangea le systeme du gotlvernement anglais
et ravit a Frédéric son unique allié. Georges III
a peine majeur, venait de monter sur le trone
le 25octobre: u'étant que prince de GaIles,
il avait été .entieremelltdirigé par Lord Bute,


1: Apres la mort de Ferdinand VI, Charlesltt rut contraire
a l'intérét de rAllgleterre. L'artic~pr.incipal.du pacte de fa ..
mille portait : " que les deux branches étanteonsidérées eomme
• lam~me maison, leurs (!onqu~tes et leon pertes seraient
• communes; de sorte que les avantages de l'une compense-
If ratent les pertes de l'autre. »


·Ce pacte de famille Cat .signé le 15 aout et ratil.ié leS ~ep­
tambre 1,61.




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 235
iI chereha alors a le faire entrer au ministere.
Cela ne pouvait se faire pendant la durée de
la guerre I. Lord Buté gouverneur du prinee
royal, ne garda plus aueune mesure pour
renverser Pitt; il fit crier et écrire publique-
ment eontre le pere et prédécesseur du roi,
eontre ses maitresses et contre le due de Curo-
berland; on l'appela au ministere. Pitt voulait
déclarer la guerre el l'Espagne ~ on 5'y opposa ,
c'était lui donner sa démission. Pitt l'ayant d~
mandée le 5 octobre 1761, tout le ministere
fut changé, et Lord Bute, contre la volonté
du peuple, fut mis a la tete des affaires.


Il commenc¡a par traiter avec la France, et
par refuser des subsides a 'la Prusse. Cepen ..
dant l'impératrice de Russie venait de mourir
au mois de janvier 1762; Pi erro JII son suc-
cesseur qui se montra admirateur fon de Fré-
déric, et qui l'imita jusque dans les plus pe-
tites choses, fit joindre les troupes. russes a
l'armée prussienne, pendant que les négocia-
tions entamées avec l' Angleterre arretaient
l'armée franc¡aise. Frédéric ne jouit pas long ..
telnps des avantages qu'il se promettait de
la jonction de ses troupes aux Russes, car
Pierre fut détroné au mois de juiUet par son


• Anecdotes and speechest elc., tome. 1, page 3Iti.




236 HISTOIR:B DU XVIII- SItCLE.
épouse Catherine 11, princesse d' Anhalt-Zerbst.
Lan~uvelleimpératrice, ne se sentait nulle-
m~nt disposée a 'prendre les armes en faveur
des Autrichiens. Ils' venaient d' etre battus a
Freíberg ,. par le· prin'ce Henri; le roí de Prusse
Ieur avait pris Schweidnit~;, cette puissance
pencha donc aussi pour la paix : les prélimi-
naires en avaient été signés par l' Angleterre
et la France au mois de novembre ] 762. L'Au-
triche et 'la'Pruss~' jugerent alors a propas de
suspendre les hostilités en Saxe et en Silésie :
cal', quoiqu'il ne fut pas question de l'Allema-
gne, les deux parties belligérantes retirerent
leur armée de ce pays, et Marie - Thérese
n'avait nulle envíe de; continuer seule la
guerreo


IeJes négociations pour la paix n'éprouverent
pas de grandes difficultés, puisque Frédéric
ne prétendait pas a des cOQquetes, et que le
prince électeur de Sa~e donnait l'assurance


. que Marie-Thérese pensait sérieusement a
traiter. On négocia él Hubertsbourg, chateau
de plaisance de Saxe, et la paix conclue le 15·
février 1763, fut, quant a l' Autriche, ceHe de
Breslau ,et pour la Saxe ceHe de Dresde , a l' ex-
ception 'que l'électorat porta tout le poids du
traité et paya toutes les contributions arrié-




LIVRE 11, CHAPITRE 11. 237
rées 1, apres avoir déja donné environ soíxante-
dix millions d' écus pour cette guerre fatale
dont elle fut la victime.


L' Angleterre trouva seule, dans la destruc-
tion de la puissance maritime des Franc;ais,
dans l' occupation des colo ni es et dans les ces-
sions faítes par la paix, quelques dédommage-
ments a l'augmentation de ses dettes. Frédéric
p~r ses exploits venait d'élever son armée et
son peuple au faite de la gloire, et avait placé
la Prusse au rang des premieres puissances de
l'Europe; tous les autres souverains avaient
chargé en vain Ieurs sujets d'un fardeau exor-
bitant d'impots; ils laisserent a leurs petits-fils
une masse de dettes qui rendít tot ou tard les
Étáts le jouet des usuriers, comme nous en
avons fait la triste expérience.


1 Les, dettes que la cour de Saxe s'engagea a payer a la
Prusse, allaient jusqu'a deux millions et demi d'écus. L'écu
de Saxe vaut quatre franes de no.tre monnaie.


.'






,


LIVRE DEUXIEME.


PARTIE LITTÉRAIRE.






LIVRE DEUXIEME.


SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


PROGRES DE J.A LITTÉR.\'rURE EN FRANCR ET EN ALLEIUGNB.


l. La Frauce. - 11. L' Allemagne.


1. L'ínfluence luérítée que Voltaire exerc;a sur .
presque toutes les branches de la littérature,


. se fit sentir plus ou moins dans rEurope en-
tiere.


Depuis long-temps le systeme de l'école et
l'autorité exclusivement reCODDue des anciens
philosophes,avaientlaissé peu d'empire au hon
sens; mais la maniere ingénieuse et facile ayec
laquelle Voltaire jugea, peut-etre trop légere-
ment, les choses divines et humaines, dissipa
tout-a-coup les vieux préjugés : elle pénétra
J'ahord dans les c0!lrs et de la successivement
dalis toutes les classes de la société. Ce qui
n'av~it été qu'un jeu présomptneux a la conr


H. I. 16




242 HISTOIRE DU XVIlle SI~:CLE.
devint ailleurs une arme dangereuse. Ou VoI-
taire ne réussissait pas comrne auteur, il sut
l' enlporter cornme courtisan. Cette tache lui
était d'autant plus fadle, que, suivant les maxi-
lnes du grand monde, il méprisait toutes les
classes du peuple, et les confondait indistinc-
tement sous l'ignoble appellation ,de vulgaire.


I Frédéric, Catherine, et beaucoup de princes
et princesses d' Allemagne, qui charrnaien t
leurs loisirs en cultivant la littérature , se glo-
rifiaient d'etre en relation avec lui, et ils en-
tretenaient, a Pans , ,des agens qui leur com-
muniquaient le plus petit ouvrage sorti de sa
plume, ou écrit dans son esprit.


Frédéric alla encore plus loin; 11 ne croyait
pas satis' doute que :les' conversaÜons fran<;ai-
'ses, qui le délassaient le soir , influeraient un
jÓur sur le caractere grave ~t réflechi des AI-
IémaIids. tI re«;ut, dáns son intimité, 'des au-
teur¿ 'dorit'les entretÍens spirituels étaient pour
tui 'moins iristructi'fs qu'amusants; leurs ou-
vr~ge's~ qu'H accrédita, furentd'autant plus per-
iíi~teüx',' qti'ils avaient moins de mérite réel.


A.ü reste si ron considere avec attention cette
fo'ule a' écrivains qui, pour se faire un nom,
antagónistes ou disciples de VoItaire, le coro-
bátláient, ou luí eInpruntaient leurs idees: si




LIVRE II, PARTJE LITTÉU¡\1RE,' 243
l'on cotnpare avec son grand talent leur es-
prit, Ieur style et Ieur versification, on ne s' é-
tonnera plus de le voir s' élever au lnilieu d' eux
comme un colosse.


:pe Prades , La Beaumelle et La Mettrie 1 du-
rent a Frédéric seuI I'importance qu'ils eurent
dans la littérature, et l'influence momentanée
qu'ils exercerent sur la société; nons n'en par-
lerionspas si leurs succes ne caractér'isaient
les 'hautes classes de ce temps.Un athée a' di1:
que La Mettrie avait preché la doctrine du' vic~
avec l'arrogan'ce d'un insensé; cependant ses
ouvl'ages eurent trois éditions, et Fr~déI:ic fit
prononcer son éloge ~.


I La Mettrie a écr~t, il est vr,ai, ,<Juelq~es .o~vI:~ges NU' la mé-
decine , qui ne sont pas sans ínérhe, a ce que ron dit; mais
iI f~ut bien ;se garo~r de le confoo.dre ,a'VecLa Methtie,!natil.
raliste distingué. , . . .",


Les écrits du premier, Bisto;"e natul'elte de l'ame, 1745,
in-So, et I'Hnmme machine, Leyde, 1748, Jurent hdllés par
ordre du gouvernement; lui-méme fut poursllivi. C'étaient des
rai'Son~ asse1; fortes pour engager le roi' de 'PI'usse a l'appeler
allpres dtl lui. La Mettrie suivit S?ll jnvitat.i~ 3\l .moi!l: de ~.
vrier 1748 , se mit de suite sur un pied familier avéc Fré~é­


/ rie, et -étrivit son Sénhlue' et Anti-Séneque,. l' Homme pldnle ;
l'Artdejouir; Yénusllzétapltysique, ou t'Origine des ames.


2 Frédéric 11 fitlire par d' Arget, a l'académie de Berlin,
50ll ÉlogeJe La ,Me/trie. LeS: reunes de ce dernier :parurent
dallscetteviHe, en 1751, in-4°. En 1774, on dOJ;luaune nou-
velle édítion en doúze v~lu~;és in-8° , et la Al~~e ~nnée, il en
par.utu:ae troisieme a Amsi:erdam.J"a Mettrie monl'Uten 1751,
dausl~ m~i80n de l'awh:.tss'adeur,aAgla.i~ l'~r,cpnncl., d'une ma·
niere' digne de ~a philosophie. - .




244 HISTOIRE DU XVIIle SJECLE.
D' Arget, secrétaire du roi de Prusse ,joua un


role peu nlarquallt; uéanmoins il cúntribua
a naturaliser en Allemagne l'esprit de la litté-
rature fran(faise. Le roi se servait de lui dans
ses rapports avec une académie allemande,
qui ~'écrivait qu'en fran<;ais.


La route que se fraya Frédéric, parfait~ment
en harmonie avec sa situation et son caractere,
lui était également tracée par la poli tique et ]e
soin. de sa propre gloire.


En France, la course séparaitdeplusenplus
de la partie éclairée de la ¡lation; la premiere,
malgré toute la dépravation de ses mreurs, sui-
vait extérieurement les anciens rites du cuIte
catholique, tandís que l'autre s'en moquait de
jour en jour plus hautement.; rune blessait
et poursuivait, ces memes hommes, auxquels
l'autre donnait les marques les moins équivo-
ques de son admiratioh.


Frédéric , ~n butte 11 la haine des grands de
sonroyaumoe, n'av:ait ríen de mieuxa faire
que de gagger la natíon: il y parvint, non-seu-
lem-ent en favorisant les Fran~ais et en accueil-
lan t les hommes qu' on persécutai t, mais encore
en établissant, par sa maniere de vivre et de
gouverner; un contral@ frappant avec la cour
de France, livrée extérieurement a la dévotion.




LIVRE li, PARTIE LITTÉRAIRE. 245
Parmi ceux que Frédéric re<,;ut dans son in-


timité, et auxquels il donna quelque influence
littéraire, le marquis d' Argens est un des plus
connus. Il avait vécu long-temps en Hollande
du produi t de sa plumeo Voltaire et Montes-
quieu s'étant acquis unegrandecélébrité, l'un
par ses Lettres .Anglaises, et l'autre par ses Let·
tres. Persanes, d'Argens,dans l'espoir d'acqué-
rir la meme gloire, écrivitsesLettres-Chinoises,
Juiveset cabalistiques ;enesformerentung~and


'nombre devolumes, el trouverent beaucoup
de lecteurs sans obtenir un véritable succes.
Ces écrits légers, et d'autres du meme genre,
le firent passer pour une tete ingénieuse, et at-
tirerent sur lui l'attention de Frédéric, alors
prince royal. Ill'invita a se rendre pres délui;
roais d' Argens n' osa d' abord accepterses offres;
car il craignait, a cause de sa haute taille;d'etre
enrolé par le vieux roi c.Jans sa garde~ Des que
Frédéric-Guillaume futmort,ilse rendit a l'in-
vitation du nOllveau monarque, qui lui confia
la direction des belles-Iettres a l'académie de
Berlin. Il écrivit dans cette ville une vingtaine·
el' ouvrages, ou il atta qua des doctrines et des,
systemes auxquels il n'entendait rien. Ces ou-
vrages sont remplis de cette érudition facile ,.
qui fait fortune dans la conversation, quoi-.




246 HISTOIREDU xv lile SI:BCLE.
qu'on n'y trouve nihut, ni plan, ni connexion I •


Frédéric fit aussi un accueil honorable a
Helvétius, qui, dansson livre de l' Esprit, qu' on
a peu In, rapporte systématiquement toutes
les ~ctions de'l'homme a l'amour propre, et
qui·, Ae l'esprit des personnes de sa connais-
sance el de son siecle, vo~lnt faire celui de
,tout~s.l~s générations et de tous les peuples.
Ohlig.é d~ quitta- la France ~ ce p,hilosophe,
aprep ~voir .passé par la Hollande, se rendit a
Berlln ou Frédéric luifit connaitre l!état de
ses finances, et lui demanda des conseils pour
augnlellter ses revenus 2.


L'auteur de l'Histoire du Commerce et des
Établifsements áesEaropéens áans les ·áeux
lnáesJut .moins bien accueilli par le roi phi-
losophe; iJ n'était pas meme en France tres-
estimé dans les classes élevées. Si Raynal De
jouissait pas alors d'une brillante réputation,


x D' Argens retourna de Berlín en Provence, ou iI mourut
en 1771. .


i Helvétius, a rin$tár de béaucóup' de défenseurs les plus
violeJlts des principes irréligieux , était bien loin de les prendre
pou~ regle de sa vie. 11 rut cause, sans le vouloir, que Frédé-
rie orgánisa une administratio~ de douanes et d'accise fran-
"aisesj Helvétius, intéressé pendant quefque temps a la douane
tran~a:ise, se.laÍssa engager a faire venir de Paris des douaniers
qui traitaient tout en fran~ais dans un pays allemand. 11 y a
un exemple de la maniere dont ces gens se conduisaient en-
vers les émployés aUemands, dan s les leUres de Hamann a Ja-
oobj, a l' occasion du congé qu'il demande.




¡,IVRE 1I, PARTIE LITTÉRA1RE. ~47
ilne fal;lt pas précisément l'attribuer a son p~
de solidité et de bonne-foi, a sa vanité et a. se~
déc1amations ; mais a quelques idées qui. :lui
étajent p~rticulieres ; a la place des principes
de piété du vi~\~xsystewe thé()logique et phi-
losophique ,et des ma"imes d' égolsmequ'on
trouvait achaque page dans Locke et Condil-
lae, il youlait intropuire l~ systeme d'iridépeo ..
dance et de p~ilantro~~e, .pl1,ls. g~P;ltltpour
les libertills, ~t rklicul~ au~y~ux. des gl,'ands ..


Qllel q~esoit le jllgement qu'9n p.or~~ ,s~r
Raynal, eomme éc:rivaio, il est eert~io ,. qu'a
cause des matit~res qu'il traitait,il ent parmi le
peuple plus de leeteurs qlJe les philo,sophes.
Si .Buf(Oll av~it_,chqis.~ '\l.!)' .pw. npllveau pOU)'
rhistoire d~ J¡l ~~lij.,J:e, y pl~~ e~ !.\¡1Y.D,al; Q9111"
neren t J¡l'his toire"p.~9w~~·ent di \~." ~n.~ 4np~.l­
SiOll qu'ellen'avait poiot eue jusqu'a~ors. T()~s
les dc:uxne rapportereot plus la lDílrcheqes
choses aux idées ~héoJogiques de .l.e.urs l?rédé-
cesseurs.; ils r~jeterent mem.~ la pe~sée {l'un
ordre supér,ieq.r·et d'une prov.idence éternelle ~
dont Voltairese moquaalJl~rementd~ns Z(¡tdig
et daos Candide.
To~s les hommes dont nous avoJlS parlé, et


B,uffon lui-meme, ~lans so,n gra~ld et inlmortel
ouvrage de la terre, des homrnes et eles ani-




248 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.
maux, malgré la ~isparité de leurs talents et
de leurs dispositions, s'accorderent dans le
principe que la fli et l'intelligence étaient in-
'compatibles, que l'hornrne subsistait par lui-
rneme, et que toutes les institutions humaines
étaient-des créations de son esprit, qu'il chan-
geait et amendait' a mesure qu'il se dévelop-
pait. AJoutez a cela, qu'on avait juré une haine
irréconciliable a la religioncatholique, depuis
dix siecles incorporée a l'État; que les j ournaux
de toute espece se répandaient de plus en plus;
que chaque pensée nouvelIe se présentait en
meme temps sous mine formes diverses aux lec-
teurs, dont le nombre croissait chaque jour; et
vous concevrez sañs peine que la génération,
grandie, pour ainsi dire, pendant la guerre de
sept ans, dut recevoir, de cette premiere in-
structÍon, des principes tout autres que ceux
qui avaient fait jusqu'alors la base de l'ancien
systeme politique et ecclésiatique. L'éducation
plus libérale et les conversations plus Jibres
devaient naturéllement se trouver partout
en opposition forrneHe °avec l'ordre établi, les
formes usitées, les autorités reconnues et le
style indispensable de la cour.


Pour achever cette révolution intérieure et
ponr oter au vieux systeme poli tique et reli-




LIVRE 11, PARTIR LITT~RAIRE. 249
gieux des États catholiques son 'soutien princi-
pal, l~s diverses cours de la maison de Bourbon ,
ignorant qu'elles allaient mettre par-la l'in-
struction de"Ia jeunesse en des mains bien diffé-
rentes, se réunirent contre les jésuites aux-
quels les jansénistes avaient faÍt perdre, des
long-temps, et par des moyens souvent tres-
équivoques, l' estime acquise depuis des siecles.


En Espagne et en Portugal, les jésuites ayant
pris part a des différents politiqries dont nous
parlerons plus tard, avaient irrité le gouver-
nement. On en tira une vengeance despotique
et on punit de ]a maniere ]a plus dure et la
plus injuste des citoyens innocents, et souvent
tres-respectables, pour des attentats qu'il fal-
lait attribuer a leurs statuts fondámentau~: ou,
tout au plus, aux supérieurs de leur ordre. La
Fran~e eut bien des démarches a faire aupres
du pape pour obtenir l'autorisation de prendre
des mesures, qui devaient changer entiere-
ment le systeme d'éducation daos toute l'Eu-
rope catholique.


11 est vrai que tandis qu'un nouvef esprit,
une nouvelle énergie, se répandaient parmi' le
peuple, les jésuites avaient lalssé tomber leurs
écoles jadis florissantes; mais. il fant avouer
qu'ils possédaient l'art difficile,et si important




'~5o HISTOI'RE DU XVIlJe SIECLE.
pour les sciences, d'attaeher les éle\!es autant a
leurs maitres qu'al'étude. .


En France, les jansénistes s'étaient déclarés,
depuis long-temps, leurs ennemis. 00 les baiSo-
saitdans les parlelnents; les UDS, parce que,
eomme gallicans, ils voyaient en 'e.ux les enne-
mis des lihertés de rÉglise, de France, et les
fauteurs 'de 'la . suprém.atieabsolue du· siége
apo~tolique; les ,autres, pareé que, comme
jansénistes, ils' détestaient le:nrs príncipes re-
lachés sur la pénitence et Ía (grace~ lis avaient
de plus contre eux la nouvelle doctrine de
Voltaire et de sespartis.ans; mais ils étaient
assez adroits,po,ur prendre ·les philosophes
dans leuFs propres filets ,:landis. que. la . séYé ...
rité : nexorable des jansénistes, e;n Jait de mo-
rale, et leurvio lence con tre les j ésui tes, frayaient
lechemin aux novateurs,etaugmentaient leur
parti de tous ceux qui redoutaient l'~natheme
religieux.


L'Espagne -et le Portugal auraient . perdu
leurs peines, les parlements fraq93is auraient
en valn rendu mut l'ordre des jésuit€s respon-
sable 'desspéculations d'un ,frere religieux 1,
dans ce .fameux proces qui roula sur une ban-


" queroute, et ils auraient cherché inutilem6IÑ,
I Le P. Lavalette.




LIVRE 11, PARTIE tITT~RAIRE. 251
dans les constitutions de l'ordre, la raison
d'une enql1ete judiciaire, siChoiseul n'avait
fait cause commune avec tous les ennenl'is des
jésuites ,et si madame de Pompadour n'avait
voulu perdre cet ordre par bien des raisons
qui sont étrangeres a. l'histoire générale.


J./instrumentde leur destruction fut un
pape qu'on avait élevé au siége apostolique 1 ,
dans l'espoir qu'il prononcerait la suppression
de cet ordre. "


En meme temps que, le corps enseignant
des jésúites fut dispersé, Un nutre, d'un gen re
tout .opposé, s'éleva; il se conlposait de tons
ceux qui travaillerent él l'Encyclopédie. N ous
passerons'sóus silence un grand nombre d1~h_
cyclopédistes'; nous ne'citeroI1s que 'd'Aleltt-
bert et Diderot I,¡eur influencesur rAngle-
terre et 1'1Ulernagne fut, ponr ainsidire,
encore ,plus grande que ceHe de Voltaire,
dont ils étaient les disciples. Il 'est facHe d' en
comprendre la· raison; ces denx 'philosophes
étaient recherchés par tous les hornmes de


J: Ganganelli, nommé pape sous le nom de Cléme~t XIV,
naquit en 1705; éleTé par Benolt XIV, Clément xm , protec-
teur des jésuites, lui donna le chapean de cardinal, en 1769 ;
promu, la méme année, au souverain pontificat, pár- le crédit
des ~Ol1rs de France et d'Espagne, il signa, au mois de juillet,
LJ blllle de 8uppression de l' ordre des jésuites ;et mourut deux
moís apreso




~52 HISTOIR'E' DU XVIII- SI1!:CLE.
l'Europe, qui cultivaient la littérature avec
quelque succes 1; d' Alembert était d'ailleurs
avautage:usement conllU comme mathémati-
cien, bien a:vant qu'il débutat comme philo-
sophe et bel esprit.


Parmi ses ouvrages philosophiques, histo-
riques et littéraires, il faut remarquer ses
ÉlogeJ desacadémiciens qu'il pronon<;a comme
successeur de Fontenelle; ce qu'il avait dit des
morts Jemit en crédit aupres des vivants. Sa
défense de l'infame abbé de Prades, entrois
volumes, prouve jusqu'a l'évidence, de memec
que sa correspondan ce avec Voltaire, , que 111i.
et ses partisans croyaient sérieusement rendre
un 'service au monde en détruisant la religion.,
Dans les éléments de la philosophie, atixquels
il 'ajouta des articles, a rinstance dll roi de
Prusse, d' Alembert fit, pour ainsi djre, un
systeme des principes de matérialisme qu'il
avait énoncés d'abord en général dans sa cor-
respondan ce avec Frédéric et l'impératrice de
Russie.


Diderot alla bien plus loin, et influa aussi da-
vantage sur le peuple; comme auteur dramati ..


J Les plus célebres maisolls que Voltaire méme respectait,
Curent celles de madame dú: DefCand, de mademoisclle de l'Es-
pinasse; bien plus tard, celles de madame d'Épinay et du :ba-
ron d'Holbach




LIVRE 11, PARTIE LITTÉRAIRE. ~53
que, il servit le premier de modele aux Jün-
ger, Iffland, Kotzebue; il mit en scene des
personnages mélancoliques et malheureux, et
introduisit la bourgeoisie sur le théatre. Il
mela ensuite dans ses romans, d'une maniere
habite, le sentjmental el l'obscene. Dans le
grand nombre de ses ouvrages, l'apologie de
l'abbé de Prades est peut-etre un de ses ~crits
les plus supportables. Jacques le Fataliste estun
de ces romans qu' on ne peut pas lire quand on
conserve quelque pudeur; ses BiJoux indiscrets
ne valent guere mieux. Son roman intitulé la
Religieuse·, est rnécharnment conc;u et." exécnté
avec une scandaleuse indécence.


Cependant c~s hommes durent surtout Ieur
crédit a la connaissance' qu'ils avaienf des
haures classes oisives qui, rehutées· par le pé-
dantisme, craignent-et halssent l'école; a Ieur
talent pour la conversation ; el lenr facilité
d' expliquer et de relldre, pour ainsi dire,
palpables, les choses les plus difficiles, et de
ne jamais décourager par un sérieux hors de
saison.


Quant a l'Encyclopédie, le vraibut d'une
entreprise, qui devait comprendre tout ce
qu'H est utile a l'homme de savoir, ne pouvait
rester ignoré de personne , lorsque d' Alembert




2. 54 11 1 S T o 1 RED U X V 111 e S 1 i~ e L.E.
et Diderot 1 étaient a la tete, et que Voltaire
cherchait a rassembler des collaborateurs. Di-
derot formalt, a proprement parler, le centre
de toute l' entreprise. Prédicateur effronté de
l'athéisme, iI eut soin de donner la teinte de
5a philosophie nH~me aux ar'ticles qui ne trai-
taient ni de religion ni de morale. Il rédigea
le prospectus, ii classa les branches séparées
des sciences sous le titre ambitieux de S)"steme
des connaissances humaines; il se chargea en-
tierement des articles des arts et métiers, et s' as-
socia a d'Alelubert pOUI' revoir les mItres.
I....'introchIction que celui- ci mit en tete de
I'Encyclopédie 2 est généralement regardée
comme un écrit qui, avec l'ouvrage séduisant
de Buffon, a ·contribué infinirnent a porter
dans ce siecle toutes les nations de l'Europe
vers l' étude de l'homrne, de la terre, de la
nature, des lois qui gouvernent le monde et
de rordre qui en est le résultat.


1 Diderot était le plus zélé défenseur de l'athéisme. Ses pe n-
sées philosophiques, publiées en 1746, lui attirerent des pour-
suites méritées.


2 Les deux premiet's voIumes de l'Encyclopédie parurent
en 1751. Dinerot fit insérer, rlans l'article In toléran ce , la fa-
meusa lettrepar Iaquelle il engagea son frere a renoncer au
christianisme., et luí dit en propres termes d'aJ)diquer un sys-
teme atroce. L'article ame mit a découvert l'athéisme insensé
de ce philosophe,




LIVRE IJ, P A Il TI E L 1 TTÉR AIRE. - 255
D'Alenlbert montra, avec une noble élo-


quence, el' sans un vain fatras de paroles, la
grandeur de l'esprit humain, qui se manifeste
dans la recherche des lois de la terre et du
ciel, et son exposition a avancé d'une maniere
étonnante le développement des sciences par
l' étude des mathénlatiques et de la physique ,
qui, depuis la moitié du dix-huitieIne siecle,
6t des progres prodigieux. Ce serait en vain
qu'on voudrait forcer les générations vivantes
a reprendre la foi entierement aveugle ou la
trompeuse superstition. Son Diseours prélimi·
naire, rédigé avec noblesse et sans dé clama-
tion, est un extrait de tont ce qui peut atta-
cher l'esprit de l'hornme pensif aux sciénces
sérieuses, et dévoiler la grandeur de l'ame
humaine, merne dans les effets ou elle ne eher-
che qne la science et non pas Dieu.


Telle était la faiblesse du gouvernement
franc;ais de ce temps, qu'apres avoirdéfendu de
publier cet ouvrage, il se vit bientot contraint
de révoquer cette ordonnance. La négligence
que ron apporta dans l'exécution de ee décret,
et l'indulgenee avec laquelle on laissa entrer
en Franee les livres imprimés dans des pays
étrangers·, attirerent l'aUention et la curíosité
du peuple sur les écrits prohibés~




256 HISTOIRE DU XVIUO SIf:CLE.
C'est ainsi qu'il connut I'Encyclopédie, ou-


vrage bien propre a lui faire prendre en haine
les formes offensantes d'un gouvernement en-
tierement dévo]u a certaines classes de la na-
tion, et le systeme hiérarchiqne dont tous
les avantages appartenaient uniquement a ces
classes privilégiées en France comme en Al-
lemagne.


Pendant que les principes de ces hommes se
tépandaient dans la littérature, l,'enseignement
et les mrenrs de la société, il s' éleva un homme
d'un tout autre caractere : Jean-Jacques Rous-
seau. 11 ne fut jamais secondé par Frédéric ni
par aucune coterie; nlais iI sut captiver les
suffrages des femnles et ~ettre dans son parti
les amis de la vertu et de la religion, qui dé-
testaient également Faveugle superstition du
vieux systeme, et l'athéisme révoltant des gens
qui, dans leur hardiesse, se disaient exclusi-
velnent philosophes.


Rousseau, né dans une ré.publique , fut ré-
publicain des sa naissance; néanmoins, ses
deux premiers traités, dont les idées fonda-
mentales se retrouvent dan s tons ses autres
écrits, prouvent qu'il avait revé des hornmes
qu'il chercha depuis partout, et dont iI admit




PA.RTIR LITTÉRAIR.E. 'l.57
la possibilité, quoiqu'il n'en trouvflt nulle part
l'existence. 11 alla jusqu'a s'hnaginer que eette
société avait fleuri dans les temps de l'age
d'or.


Les philosophes qui voulaient détruire l'an-
cien désordre en France étaient habitués a
faire sensation dans le monde en défendant les
theses les plus singnlieres; ils avaient meme
forcé Rousseau d'en soutenir une qui semblait
absurde; ils en furent done d'abord tres-con-
tents; ils l'aceueillirent amicalement eomme
un de leurs partisans, le feterent, le regarde-
rent, malgré I'improbation qu'il donnait a l'af-
féterie de leurs soirées, a lenr luxe, a leurs
sciences et a leur érudition, eomme un nou-
'yel allié dont ils admiraient les talents et dont
ils répandirent partout les onvrages. Ronsseau
se conduisait eependant tont autrement; ear,
excepté Voltaire, il les lnéprisait trop ponr
se déelarer lenr champioll.


La révolution qu'il causa fut bientot plus
importante que celle qu'avaíent amenée Dide-
rot et ses partisans. Sa réforme embrassa les
choses les plus essentielles: la religion qn'il
respecta, les mreurs qu'il chereha a purifier,
la vie domestique qu'il simplifia, et l'éducation
qu'il ramena a l'état primitif. 11 signala la va-


. H. I. 17




258 11ISTOIRE DU XVIIle sJi.:CLE.
nité des re1ations du grand monde, il s'attacha,
dans son Héloise, a mettre le sentiment a la
place de la saillie et a réintégrer la nature dans
tous ses droits. ~Ianiant habilement sa plum e ,
il sut exciter les passions par une éloquence
persuasive, et montrer que, saIlS recourir a
la révélation, OH pouvait croire en Dieu et ad-
m~ttre ulle providence.


Son Émile renversa tout le systeme d'in-
struction , et ébranla dans l'Europe entiere les
bases d'une éducation qu'on disait classique,
et qui réellement n'étaitqu'un misérable fatras
de paroles et qu'un sévere pédantislne. Les
Fran<;ais et les Anglais se contenterent d'appli-
quer a l'éducation particuliere et publiqUé les
plans d'nn hO'rnme qui ne éoncevait nuUement
qu'une nouvelle génération ile peut se com-
prendre elle-meme, sans avoir une connais-
sanee parfaite de ceHes qui l'ont précédée.
Les Allemands , aux quels Basedow et ses suc-
cesseurs donnerent le systeme de Rousseau
dans une forme moins belle, bouleverserent
tellement l'instruction publique, qu'il a faUu,
quarante ans apres, chercher a se rapprocher
de l'ancien systeme.


Enfin,leslittérateursfranc;aisinfIuerentd'une
maniere prodigieuse sur Ieur siecle. Le chris-




LIVRE 11, PARTIE LITTÉUAIRE. 259
tianisme ordonnait a l'homme de se reeueillir
en lui-lneme et de ne se meter en ríen du gou-
vernement; la philosophie propagea une nou-
velle c1vilisation: toute force fut tournée en
dehors, et toutes les idées qui tendent a f~lire
voir a I'h0111me qu'il est plus qu'un etre pas-
sif dans la soeiété, se développerent plus dans
les trente allnées qui suivirent la guerre de
sept ans, que dans deux ou trois siecles des
temps antérieurs.


II. L' Allemagne, au eommeneement de eette
époque, vi t briller une lumiere toute nouvelle ;
mais malheureusement l'influence de Berlín et
les ouvrages de Wieland, malgré l' opposition
du earaetere et de la nature énergiques des AI-
lemands, firent peneher leur théatre et leur
éducation vers le genre sentimental et léger
des Fran~aÍs l. On a vu Gottsched, au falte de
sa gloire, ne ríen négliger pour naturaliser le
gout fran<;¡ais dans sa patrie par ses tradue-


I Les moyens employés par les encyclopédistes, pour in-
fluencer le public, sont tres-bien dépeints dan s l'Administra-
tion de Necker, par lui - méme , page JO ,on iI dit : .. Ce
e sont des élans combinés et des mouvements systématiques
«qui créent des sentiments avec de l'esprit, et des vertus ave e
ti des opinions exagérées ... Necker, ii est vra1, ne parle pas
des encyclopédistes, mais de ceux qui donnaient le ton dans
l'assemblée nationale~ Nous n'avons pas beso in , a ce que je
crois, de nous expliquer davantage.




260 llISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


tions et eeHes de sa femrne; mais cornrne elles
étaient sans aueun mérite, il s' éleva bientot
eontre lui un parti eontraire qui inclinait vers
la littérature anglaise. Le premier antagoniste
de Gottsched, Pyra, sous-recteur a Berlin,
homme plein de talent pour la poésie, tenta
en vain ,en 1743, de lTIOntrer que l' école de
Gottsched gatait le gotit. Aecablé de libelles,
d'in jures, et blessé an fond de l' ame, il mourut
l'année suivante. Apres lui, les Suisses dessille-
rent peu a pen les yeux du publie allenland.
Albert de Haller écrivit en 1729 ses Alpes, et
en 1732 il donna ses Essaú de poésies suisses.
Bodmer et Breitinger, meilleurs juges que
Gottsched, ne eomposerent eependant que de
fort médiocres ouvrages. Le plus grand mérite
de Bodmer , et qu' on méeonnut presque entie-
rement de son temps, fut sans doute eelui de
renvoyer aux sourees d'une littérature alle-
mande du beau temps de la Souabe.


Hagedorn, Liscov, Rabener, débuterent
dans la earriere des lettres, lors de la guerre


_ de la sueeession d'Autriche, et Gottsehed ne
rougitpas de eonfondre Hagedorn avee le
rnisérable Stoppe; heureusement pour l' Alle-
magne, la nation prenait part aux sucees et
aux eontroverses de ses savants. Une fonle de




LIVRE 11, l>ARTIE LITTÉRAIRE. 261


journaux et de feuilles périodiques furent ac-
cueillis par le peuple, et les discussions des
partis formerent peu a' peu le jugement des
individus.


Gottsched employa tous les artifices, par
lesquels les hommes ordinaires se font un
nomo On publia des journaux dans lesquels
ses partisans furent 10ués, ses antagonistes
injuriés l. Affable, et s'intéressant aux travaux
de sesarnis 2 , qui jouissaient de la"considération
publique, il protégeait ceux qui le révéraient
cornme un granel homrne. Il vivait en intiInité
ave e des gens de beaucoup de mérite, comme
Gaertner, Rabener, Gellert, Krestner, Jean
Élie et Jean-Adolphe Schlegel, Cramer, Ébert,
Gieseke et Zacharire. Ces derniers re:rfdire,nt,
il est vrai, de grands services a une nation dont
la langue devait (~tre purgée de la barbarie
et du pédan tisme de l' école 3; mais ils se sen-


I Beitriige zur kritischen Geschichte der deutschen Sprache,
Poesie , Beredsamkeit, herausgegeben von einigen Gliedern
der deutschen Gesellschaft in Leipzig. (Suppléments a l' f¡is-
toire critique de la lllngue, poésie et éloquelice allemandes, publiés
par qllelqlles memhres de la snciété de Leipsick) 8 tomo 1732-
1744.-Neuer Büchersaal des schonen Wissenschaften und
freien Künste (Nolll'elle bibliotheqlle des helles -leUres et des
beaux-arts) , 1745-1754, JO vol.


2. Gottsched s'intéressait a tOllS ce.!lX qui avaient travaillé
a la traduction de Bayle et de RoBin.


3 Nous ne nous proposons pas de faire ici l'énumération de




262 HISTOIRE HU XVIUe SI i~CLE.
tirent trop faibles pour donner a la littérature
une direction nouvelle et pour la détourner
del'imitationmalheureusedesFran<;ais qui eux-
m~mes n'avaient pas un caractere original l.


Dans cette époque ou l'intéret était gé-
néralement excité, Otl le ridicule était senti,
et ou tout le monde prenait pour modele
les Fran<;ais qui déployaient l'esprit du temps
et non la sagesse de l'étude, ~n vit pa-


tous leurs ouvrages, mais nous remarquerons que presque
tous ces écrivains avaient travaillé aux Belustigungen des
Geistes und Herzens (Amusements de l'esprit el du caur) , mais
qu'ils crurent devoir faire apres un choix plus rigoureux des
morceaux, et les soumettre a une critique plus sévere qu'ils
n'avaient faÍt jusqu'alors. Gaertner, Cramer, Schlegel, en tra-
cerent le plan, ainsi que Arnold, Schmidt, Ebert et Zacharire;
ensuite, au second volume, Gellert, Giescke et Hagedorn.
e'est l'oRgine des: Neue Beitrage zum Vergnügen des Ver-
standes und Witzes (Nouveaux suppléments pour omer et récréer
l'esprit) , plus connus sous le nom de Bremer Beitrage (Al'ticles
de Bréme), qui parurent depuis le mois d'octobre 1744, et
qui eurent une grande influence sur la littérature moderne.


1 N ous sommes bien loin de partager l' opinion de M. Schlos-
ser. D'ailleurs, presque tous les savants allemands sont trop
prévenus contre la littérature fran(pise. M~me en admettant
que Moliere ait puisé ses' sujets dans Plaute, Térence et
dans la comédie espagnole, 011 ne pourra nier qu'il surpassn
ses modeles; que le premier il sut peindre et développer par-
faitement le caractere de l'homme. Le TartuJe, l'A~'are, sont
des conceptions originales, et portent le cachet du génie.


Qui oserait nommer Racine et Voltaire de simples imitatenrs?
Ce fut Racine qui as signa a la. tragédie fl'an<¡aise le pl'emier
rang ; ce fut Voltaire qui, d~ns le roman , se créa un genre
tout particulier, et s'éleva au·dessus de tous lOes devanciers.


. (Note du traducteur.)




LIVR E II, PAHTIE LITTÉRAIRE. 2.63
raitre deux hommes qui auraient flní par IlOUS
faire recourir aux seules sources des Grecs et
des Germains, si Nkolai et ses partisans ne
s'en fussent nH~lés. Ces deux hommes furent
Klopstock et Lessing; l'un était pénétré du
vrai sentiment national, l'autre doué de tmItes
les connaissances et de la sagacité d'esprit qui
caractérisent le critique habile et impartial.


Klopstock publia, en 1746, les premiers
chants de sa Messiade. En 1751, le roí de Da-
neluarck lui flt une pension qui le mit en état
d'achever tranquillement ses travaux poéti-
queso Gottsched essaya en vain de lui oppo-
ser le Nimrod, poeme épique de N aumann, en
vingt-quatre chan ts, et le Hermann du baron
de ~choenaich, en douze,livres l. L' Allemagne
sentit que la langue et la dignité de Klopstock
n'étaient point l'ouvrage de l'école, mais une
création poétique. L'admiration générale que la
Messiade excita dans toute l'AUemagne, s'atta-
chait cependant encore étroitement a l'ancien
systeme de l'orthodoxie et aux formes dont
l'Europe cherchait a se défaire.


Pour que la nation abandonnat la maniere
1 Le Baron de Schoenakh fit encore réimprimer, en 1805 ,


ce poeme, avec la préface de Gottsched, in-4°, et le hillet
que Voltaire lui adressa, et qui contient ces paroles ironiques :
• Une langue qu'un Gottsched et vous illustrent. J)




264 HIST01 RE DU XV] U e Sd:CLE.
antique, et pour la transporter de l'ancien
temps dans le nouveau, il fallait des ouvrages
qui fussent plus liés aux diverses habitudes
du monde et de la vie privée. Pour y parvenir,
iI était "nécessaire d'attaquer, d'une nlaniere
judicieuse, les principes et les doctrines qu' on
avait jusqu'a ce jour regardés comme irréfn-
tables~essing et ses ami s , qui créerent alors
une nouvelle prose allemande, se chargerent
de ce pénible et glorieux travail.


Depuis 1753 jusqu'en 1756, les essais de
Lessing, ses critiques, ses fabIes, ses poésies
légeres, s'étaient tellement accrédités, qu'on
en faisait partont le recueil. 00 y reconnait
déja parfaitement la tendance directe contre
l'orthodoxie despote de ce temps. Le pen-
chant que Lessing montrait, dans ses premiers
écrits, a renverser l' exagération et le ridicule de
l'ancien systeme, le lia surtout avec Nicolai qui,
admirateur aveugIe de Frédéric 11, aurait donné
vololltiers le caractere frant;:ais a toute la lit-
térature allemande. Dans les Épitres littéraires,
ouvrage si important pon!' les savants d'Alle-
nlagne, Lessing et Nicolai prirent la meme
route quant au changement de ton 1; mais


l Rammler et Sulzer ( un des Suisses que l'tIaupcrtuis pro-
pasa a Frédéric paur membre de son académie ), ne commen-




LIVRE JI, PARTIE LIl'TÉRAIRE. ~65
lorsque Nicolai destina entierement la Biblio-
thequegénérale allemande a persiffler l'ancienne
littérature et a élever la nouvelle 1, Lessing re-
fusa de rester son collaborateur et s'opposa
directement, dans sa dramaturgie, a l'école
qui recOlnmandait Eatteux comIne le vrai
principe du goút.


1\'lalheureusement les fauteurs de l'ancien
systelne n'étaient pas familiarisés avec l'art
difficile d'abandonner l'accessoire pour con-
server l'essentiel. Ils se brouillerent avec Les-
sing et avec les nombreux écrivains qui s'at-
tachaient a lui comme a leur maltre. N'ayant
point ses armes a leur disposition, ils se ser-
virent, dans la lutte qui s'engageait, des arme~
franc;aises faciles a manier. N ous indiquerons.,


cerent qu'en 1750 a don~er les Nachrichten aus clem Reiche
der GelehrsamkeÍt CNotions du domaine de l'érudition) , qu'ils
ne continuerent que pendant le cours d'une année. Lessing
fit alors heauconp de sensation par son supplément littéraire
au journal de Voss. Nicolai écrivit ensuite, en 1754, des leUres
sur la belle littérature.


1 Nicolai venait de commencer la Bibliotheque générale des
belles-lettres, a laquelle travailla MOlse Meudelssohn. Lessing
n'a donné qu'un article; Weisse s'en chargea apreso Tout ce
que Lessing a fourni aux épitres littéraires se trouve réuni.
daos le vingt - sixieme volume de ses ouvrages. Nicolai ne
donna que qu_elques articles; MOlse Meudelssohn et Aht y
coopérerent le plus: Grillo et Sulzer ne donnerent que deux
lettres. Resewitz travailla heaucoup au dernier volume, mais
avec trop de légereté, de moquerie et de hardiesse.




266 HI STOIRE DU XVIllc SI ECL E.
dans le livre suivant ,comment la nation se
divisa alors entierement, comment Goethe,
Schiller et d'autres furent trop élevés pour la
multitude, qui sentait le besoin de lire; com-
ment Wieland, la société de Berlin et tous
ceux qui spéculerent a Leipsick, a Weimar et
a Gotha sur le produit de leur plume, s'em-
parerent du peuple avide de lecture, en lui
donnant des romans insipides et de mauvais
drames. Au lieu de lui rappeler qu'il devait
chercher son bonheur en Dieu, et dans l'in-
térieur de sa maison, ils lui precherent une
philosophie tout épicurienne et famuserent
par le jeu léger de leurs saillies obscenes.


Le germe d'un caractere distinctif et natio-
nal, entre la France et l' Allemagne, se déve-
loppa a l' occasion du bes?in d'une certaine
piété. Quand on vit qu'il était possible de ré-
former 'la religion sans la détruire, les céré-
monies du culte et la croyance aux dogmes
mystérieux purent tomber dans l'Allémagne
protestante, mais la religion du creur et la
croyance en certaines maxilnes, éternellement
vraies, subsisterent au moins jusqu'a ce mo-
ment fatal ou ron bannit des écoles, avec la
version de la bible de Luther, son langage
cordial et ses exhortations paternelles.




LJVRE IJ, PARTlE LITTÉRAIRE. 2.67
La France, au contraire, ne présentait qu'un


abime entre le présent et l'avenir; les jansé-
nistes eux-memes y furent entrainés; l'exagé-
ratio n de leur foi, le ridicule de leur sévérité,
leur aIliance imprudente avec les philosophes
contre les jésuites, porterent a leur cause des
coups terribles; mais, lorsqu'en élevant l'éten-
dard de la révolte, ils eurent abattu le rempart
de la foi romaine, il fut facHe de les renverser
du haut de leur fanatisme l.


Cette fa<;on de penser, différente dan s les
deux pa ys, se manifesta lorsque les sophistes
tenterent inconsidérément de faire nlarcher
la génération a la lueur incertaine et mourante
du flambeau de leur philosophie hasardeuse.
Dans le petit nombre de ceux qui, suÍvant une
autre route, ont conservé jusqu'a nos jours
l'estime de Ieur nation et des hommes sages,
également ennemis d'un despotislne outré ou
d'une liberté effrénéé, tant dans la religion que
dans la société, on doit placer au premier rang


l Outre Rousseau, qui, a proprement parler, n'admettait
aueune religion, on ne saurait eiter en Franee un seul homme
qui ait rendu au dix-huitieme siecle les services que Pasealse
proposait de rendre au dix-septieme par ses Pensées. Entre les
mains des antagonistes des philosophes, elles devinrent une
arme dangereuse , tandis qu'elles auraient pu, comme en Alle-
magne, servir a resserrer de nouveau les liens de la philosophie
et de la théologie.




268 IUSTOIRE DU XVIIlC Sd:CLE.
Moeser d'Osnabruck. Celui - ci resta étranger
aux controverses théologiques; en politique
habile, et connaissant a fond le creur humain,
il chercha, dans un langage pIein de force, de
franchise et de simplicité, a démontrer le dan-
ger de discuter sur la religion de I'État et de
provoquer le doute dans l'ame de ceux aux-
quels OH ne peut cornmuniquer ni sa propre
indifférence ni une croyance nleilleure.


Tel est l'esprit de l'excellente brochure in-
titulée : Lettre a ¡}J. le l/icaire savoyard pour
remettre a AJ. J. J. Rousseau, que Moeser écri-
vit contre le philosophe de Geneve qui, dans
son Vicaire savoyard, attaque toute religion
révélée. Nous citerons encore C. F. de Moser,
caractérisé par son ouvrage le Seigneur et le
Passal, ou cet auteur, a l'instar de Moeser,
dan s ses fantaisies patriotiques, défendit con-
tre la doctrine misérabIe des flatteurs, les prin-
cipes de la vraie liberté, les droits du citoyen
et ceux du peuple foulés aux pieds, a vec une
conviction, un courage et une noblesse qui
attirerent a cet homme pieux de grandes per-
sécutions. Malheureusement la dévotion a la-
quelle il rendít hommage ne convient qu'a.
une société, toute composée ~e quakers ou
freres moraves.




IJIVRE 11, PARTIE LITTÉRAJRE. 2.69
Hamann, dont la maniere de penser était


entierement opposée a ceHe de l'école de Ber-
lin, n'eut ni les moyens ni le désir de gagner
heaucoup de crédito Il n'en eut pas les moyens,
car il affectait de négliger son style; il ne le
voulut paint, car il sentait qu'il fallait des an-
nées entieres avant que le calme put succéder
aux secousses que la nation venait d'éprouver
dans ses idées. C'est le spectacle que nous of-
frent aujourd'hui quelques parties de l'Alle-
magne.


FIN DU L1VRE DEUX..E:ME.






\


LIVRE TROISIEME.


PARTIE POLITIQUE.






~~~~~~,~~,~~~~~,~,-~~~"-~~,~,~"'~~
!


LIVRE TROISIEME~


PREMIERE PARTIE.
HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREMIER.


ACCROISSEMENT D}<~ LA PUISSANCE DE LA RUSSIE. -RÉVOI,U-
nON DANS LES GOUVERNEMENTS ET LES CONSTITUTIO~S


ÉTABLIES, JUSQU' A LA RÉVOLUTION FRANt;:AISEo


lo Le Portugal.-lI. L'Espague.-lll. Le Danemarcko-
IV o La Suede.


l. De la fin du seizieme siecle jusqu'au mi-
lieu du dix-septieme, le Portugal, qui venait
d'etre réuni a I'Espagne, n'avait ces sé de dé ...
cheoir de sa premiere grandeur. La famille de
Bragance occupait le trone: trop influencée
par l'Angleterre, ellé n'eut pasassez de pouvoir
sur le clergé et la noblesse pour rendre a l'État
son ancienne gloire; aussi le Portugal déchut-
il encore bien plus dans le dix-huitieme siecle.


Jean V, malheul'eux imitateur de Louis XIV,
H. r.




:.174 HISTOIRE l>U XVIIl" SIECLE.
épuisa ses trésors par un luxe qui n'était utile
qu' a l'industrie de la Fran ce et de l' Angleterre.
n dépensa des SOInmes énormes pour obtenir
du chef de l'Église l'autorisation d'établir une
sorte de papauté portugaise, et d' entonrer ,
d'une conr de cardinaux, le patria/che revetu
de cette nouvelle digníté. Cela eut líeu dans
un temps ou toutc l'Europe était montée sur
un pied militaire. Un tel gouvernement ne put
qu'apauvrir de jour en jour le Portugal, mal-
gré ses richesses immenses , et, au milieu de la
splendeur que les produits de l'industrie des
pays étrangers répandaient autour de lui, le
roi se présentait toujours avec la plus grande
simplicité.


Vers la fin de sa vie, il abandonna les af-
faires de I'État au franciscain Gaspard 1 : des-
lors plus d'administation, tont se fit au hasard,
et les Portugais, sans police, se plaisaient dans
lenr oisjveté, lenr indigence, leur saleté, et
poursuivaient ilnpnnément le cours de leurs
vengeances particulieres.


T Gaspard était issu de la familIe d'Avt:iro. Le ducd' Aveiro,
tout puissant sous le regne de J{~an V, devait done étre fu-
rieux de se voir, par les menées de Pombal, sans erédit sous
le roí Joseph ler. Il est done assez prohable qu'un régieide
meme ~ui aurait peu eouté , s'illui eut assuré son ancienne in-
fluence.




LIVRE IU, CU.APITRE 1. 275
Jean V , pendant ic ministere du frere Gas-


pard, employa a Londres et a Vienne Sébas-
tien-Joseph de Carvalho, nommé comte de
Oeyras, et plus tard nlarquis de Pombal l. Ce
seigneur apprit, dans les cours étrangeres, que
les intrigues qui régissaient sa patrie ne s'ac-
cordaient pojnt avec le gouvernelnent militaire
des divers États de I'Europe; on prétend qu'il
indiqua les moyens de renverser le gouverne-
ment ecclésiastique de Lisbonne, et de mettre
le Portugal sur le meme pied que les autres
pays ; c' est pourquoi on Ht tout pour l' éloigner
des affaires; et Carvalho ne put obtenir de
place importante pendant la vie du roi Jean.


Mais celui-ci étant mort le 30 juillet 1720,
la mere du nouveau roí Joseph le 6t entrer au
ministere2 • N ommésecrétaire·d'Étatdesaffaires .
étrangeres, il sut gagner entierement le roí


J De tons les écrits pour et contre Pombal, je ne citerai que
son apologie, qui ressemble souvent a une ~ccus/:\tion ironique.
Cet ouvrage parut sous le titre : I'Administration de Sébastien
Joseph de Can'atlzo et bfélo, comle de OEyras, marquis de Po m ..
bal, etc. , Amsterdam , 1789, quatre vol. in_So. Je rapporte
eette apologie non pour le tcxte, mais pour les pieces justi-
llcatives originales de l'histoire de ce temps, qui $e trouvent
a la fin du deuxieme. troisieme et quatrieme volumes, et qui
l'endent le texte inutile.


:> La mere du roí Joseph était une princesse d'Autriche.
Carvalho avait épousé a Vienne une comtelise de Dann, bien vue
dans l'esprit de la reine douairiÚe.


18.




276 HlSl'OIRE DU XVllle SlECLE.
en lui donnant l'idée de rétablir la souverai-
neté l. Ce n'est point ici le lieu de juger les
dispositions qu'il fit cornme premier ministre,
ou par lui-merne, et par les membres de sa fa-
lniUe, ou par ses créatures ; quelques-unes de
ses ordonnances montreront qu'il fut guidé
par l'idée de jeter des constitutions sur le pa-
pier, oú il suffit de commander pour se créer
un état, des citoyens, un gouvernement, un
esprit public tels qu' on les désire. Le marquis
de Pomba} sut engager le roi a des réformes vio-
lentes, en lui faisant entrevoir que c'étaitle seu)
moyen de se déli vrer de cette espece de tyrannie
qu' exer~aient, dans les affaires, les grands du
royaume; et sahaine contre la société de Jé-
sus 2 lui concilia les jansénistes et les philoso-
phes fran~ais si puissants alors dans l'Europe.


D'apres son systeme, le Portugal avait trop
1 L'abbé Georgel, jésnite il est vrai, donne elle ore une


autre raison. Il dit, dans ses 1Jfémoires, tomo 1, p. 19 . « Cet
homme connut bientot les faiblesses de son maitre et les moyens
de s'emparer de sa confiance; iI entoura le fainéant et volup-
tueux Joseph ¡er de tout ce qni pouvait alimenter et prolon-
ger sa passion ponr l'oisiveté et les femmes. »


:a Georgel, dan s ses mémoires, rapporte: « Leprince de Kau-
nitz me disait que, daus un entretien, iI avait OUl Carvalho se
plaindre amerement de la superstition qui asservissait sa pa·
trie, et qu'il avait jugé que des-lors il méditait une grande ré-
volution dans les opinions religieuses. "


Cet entre ti en eut lieu Iong-temps avant que Pombal fUt mi-
nistre, pendant son séjour a Vienne.




LIVRE 111, CHAPITRE 1. 277
de vignes et ne cultivait pas assez le blé; il
publia une ordonnance par laquelle la troi-
sieme partie des vignes fut s~crifiée a la cul-
ture du blé, dans un terrain qui souvent ne
lui était pasfavorable. LePortugahnanquaitde
commerce, de manufactures, de fabriques et
d'ulle puissance maritime. L' or des lndes pas,:"
sait en Angleterre , le ministre en défendit aus-
sitot l'exportation, sans indiquer les moyens
de subvenir aux besoins. Il établit des compa-
gnies dans les lndes et en Chine, avant qu'ily
eut un assez grand nombre de négociants qui
pussent correspondre avec elles. Voyant la
dépravation des Inreurs et le libertinage por-
tés a l'exces, il défendit par une ordonnance
de se moquer des époux. malheureux dans le
choix de leurs moitiés, et, tandis qu'il mena-
<;ait les gens frivoles de punitions séveres, il
laissa le vol et le meurtre iInpunis, et fit pen-
dre, en un jour, cent personn~s sans qu'on
Ieor eút fait Ieor proceSo


Dans les lndes, de vastes contrées étaient
entre les n1ains des ecclésiastiques, ou de sé·
culiers qui ne pensaient point a les défricher;
tout le Brésil était la possession des familles
auxquellcs les rois avaient autrefois donné
de~ districts : par un décret, ces donations




278 HlSTOIUEDU XVII le SIECLl:.
retournel'ent au gouvernement. Un volnme
contiendrait él peine toutes les lois, les réfor-
mes et les changements de Pombal dans les
premieres années de son administration; lnais
quelques lignes renfermeraient aisément ce
qu'il 6t d'essentiel et d'utile.


Il faut cependant, a moins que d\~tre in-
juste, accorder quelque infIuence durable a
l'a.tivité de ce ministre. C'est lui qui parvint
a réfonner le systeme d)instruction en Portu-
gal et a fonder une puissance militaire illimi-
tée l. Le changement dans l'instruction ne fut,
pour ainsi dire, que le résultat d'une lutte lon-
gue et opinüitre, qu'il soutint contre les jésui-
tes. Cette révolution s' opéra, presque en meme


1 Si M. Schlosser veut seulement ici louer l'activité de Pom-
bal, et prouver qu'il exer~a une influence durable sur le pays
qu'il gouverna, je suis loín de combattre son opinion; il Y a
plus, je loue sous tous les rapports la mesure qui changea
dans, le Portugal le systeme d'.instruction publique; mais ce
que je suis loin d'admirer, ce que je regarde comme un grand,
attentat politique ;c'est d'avoir donné :lU pouvoir le tnoyen
d'opprimer a son aise les peuples déja presque sans garantie.
Personne n'jgnore qu'une puissance militaire illimitée con-
duit tot ou tard au despotisme, et SQuvent a la tyrannie. Le
gouvernement a toujours, par sa position m~me, le moyen
d'exercer une grande influence, tandis que le peuple le mieux
garanti n'est point a l'abri de tous les actes arbitraires. Que
sera-ce done si vous mettez a la disposition des ministres une
puissanee illimitée, qui abandonne les peuples a leurs capriccs,
quand ils devraient etre comptables de leurs mesures méme
constitutionnelles? (Note du traducteur. )




I,IVRE 111, CHAPITRE l. ~79


temps, dans les deux gouvernements de la pé-
ninsule : car I'Espagne et le Portugal venaient
de s' a lli er con tre l' ordre qui tenait alors presque
toutes les écoles de l'Europe catholique l.


Ce qui animait surtout Pombal contre les
jéstÍites, c'est que les principes qui dil'igeaient
cet ordre étaient les memes que ceux qui le
faisaient agir; ils croyaient unanimement que
le hut sanctifie les moyeos ; luais Pombal se
proposait un hut terrestre, tandis que les Jé-
suites prétend-aient que le Ieur était le cíel, ce
que nous n' osons c01uhattre ni défendre 2.


Les colonies et les missions des jésuites au
Paraguay fonrnirent a Pombal l'occasion de
leur faire sentirles effets de sa haine. Apres de
violents démelés sur la démarcation de leurs
limites réciproques dans l'Aluérique roéridj~:..


1 Pour rendre le texte plus clair et plus exact, nous diroIls :
En I 7 54, les Anglais proposerent auJé Portugais de mettre un
terrne a leurs dissellsion-s éterneIles avec l'Espagne, en lui cé·
dant la colonie de San-Sagramento, située le long du Rio de la
Plata, et servant de refuge aux contrebandiers. Le Portugal
demanda en échange des colonies situées sur la rive gauche
de la Plata et la seigneurie de Tu)', appartenant a la Gallicie.
Les Espagnols , rtíalgré les représentations des jésuites • accep-
terent l'échange.
~ Un des gricfs des jésuites contre Pombal, fut la hardiesse


du P. l\Ialagrida qui fi.t jouer, sous le titre d' Aman, dan s un
des collégcs de sa soci.été, une piece OU Pombal se trouva trop
ressemblant. Il s'en vengea bien par la suite sur l'auteur.


( Note da traducteur. )




~8o HISTOIRE DU XVIUe SIi!:CLE.
nale, l'Espagne et le Portugal avaient enfin con-
elu un traité; I'Espagne cédait le Paraguay au
Portugal et recevait en échange la florissante
coloniede San-Sagramento. Les jésuites, depuis
la conversion des Indiells, avaient changé le
Paraguay e.n un État hiérarchique patriarchal;
ils ne souffraient point que les Espagnols
s'approchassent de leurs prosélites , gouvernés
corome des enfants et des moutons. Ils sa-
vaient tres - bien que les Portugais ne cher-
chaieut, d:tns le Paraguay, que des mines d' or
al' exploitation desquelles ils auraient employé
les Indiens 1; ils prévoyaient tous les maux
que les nouveUes dispositions des froids finan-
ciers préparaient a ce peuple innocent, et ils
refuserent long-temps de recevoir les envoyés
du Portugal.


Malheureusement, ils n'en resterent pas aux
protestations: ils aigrirent, dit-on, l'esprit des
Indiens jusqu'a les exciter a la guerreo L'oc-
cupation tranquille du Paraguay devint impos-
sible. Les habitants resterent décidés a ne
point reconnaitre la nouvelle puissance, et
les Portugais con<;;urent enfin le projet inoui
de transporter toute la population du Para-


1 Le Portugais Gomez Perail'a prétendait qne le P9.raguay
renfermait dans son sein des trésors immenses.




LIVl\E UI, CHAPITRE I. 281


guay dans une autre eontrée, ehose plus faeile
a ordonner qu'a exéeuter.


Les difficultés s'aeeumulaient, le gouverne-
ment portugais ne déployait pas une grande
énergie ; les Indiens persistaient dans leur op-
position. La chose en resta la jusqu'au nlÍnis-
tt~re de Pombal. Celui-ci; nommé premier
ministre, traita cette affaire tout autrement
qu'on ne l'avait fait jusqu'alors; il ehargea son
frere, en 1753, d'exécuter, par la sévérité et
la force, les ordres de sa cour, OH plutot sa
propre volonté. Tous les rapports du nouveau
gouverneur, de meme que ceux des Espa-
gnols désignaient les jésuites COlume les fau-
teurs de la résistance qu'on éprouvait dans
l'Inde. Des troubles éclatés a Porto, des dis-
cours violents contre le ministre ( qui décréta
alors la peine de mort contre ceux qui bUlme-
raient ses mesures), devinrent les crimes des
jésuites, dont on voulait détruire la société.


En 1741, le pape s'était vu obligé de lancer
une bulle sévere I contre les abus d'un ordre


1 Les jésuites, qui s'étaient emparés du commerce et de la
mercerie du PortJlgal, ruinerent les particuliers, paree qu'ils
ne payaient pas d'impót pour leurs marchandises, et qu'ils éta-
blissaient des maisons de change. Benoit XIV le lcur défendit
par la bulle imme.nsa pastorllm principis du 2.0 déeemhre 1741 ;
mais ils s'en inquiéterent fort peno




28:l HISTOIRE DU XVlIle Sd:CLE.


qui n'a été égalé en poli tique que par les ja-
cobins de la révolution fram;aise. OIl employa
alors, aupres du souverajn pontife, tantot les
instances, tantot les mellaces, ponr le décider
a supprimer ou au moins a réformer la com-
pagnie de Jésus. Le pape tardant a faire ce
qu'on lui demandait, Pombal trouva, dans
l'attentat réel ou supposé a la vie du roi, le
3 septembre 17581, le prétexte de perdre a la
fois ses ennemis a la cour et les jésuites. Il
était d'autant plus facile d'impliquer cet ordre
dans la conjuration contre le roi, que le pape,
a sa priere, venait de porter un coup terrible
a la société.


Benolt XIV avait donné au cardinal Sal-
danha, patriarche de Portugal, le plein pou-
voir de réformer 2 l'ordre et toutes ses institu-
tiOIlS, quant au Portugal. Supposons d'ailleurs
qu'une conjuration cut été tramée contre le
roí, ce qui est resté tres-donteux, il n'y avait
d'autres complices que les anciens amis du


1 Lisbonne était alors en ruine par les suites funestes du
trembleroent de terreo Le roí, demeurant a Belero, quittait
a onze heures du soir sa maitresse, fille et sreur des conjurés;
trois firent feu sur sa voiture, mais ils ne l~ Olesserent que
légerement.


2 llenolt XIV avait donné au cardmal Saldallha le plein
pouvoir de réformer l'ordre des jésuitcs en Portugal, par la
bulle: In specllla supremre dignitatis. dn 1 er avril' 1788 .




LIVRE 111, CHAPITUE I. ~83
roi; et l'attentat asa vie ne pouvait etre qu'une
tentative insensée de la famille Tavora 1, qu'il
avait grievement offensée. CeUe famille cepen-
dant ne pouvait etre guidée par d'autres motifs
que par le dessein de se venger, ou de 1'0u-
trage que le roi voluptueux lui avait fait,
comme a beaucoup d'autres familles, ou des
mortifications et des refus qu' elle avait essuyés
pres de lui, a l'instigation de Pombal. Il se
pourrait encore qu'a la mort dll roi elle espé-
rat voir renverser le ministre tont puissant et
que le dépit d'avoir perdu son influence dans
le royaume 2 la fit agir.


La seuIe raison de connivence alléguée en-
tre les supérieurs des jésuites et les promo-
teurs prétendus de l'attentat a la víe dll roi,
est la reconciliation subite entre le duc el' A-
veiro, chef supposé des conj urés, et l' ordre
détesté qui, pendant tout le regne précédent,
avait vécu avec lui en dissension publique et
scandaleuse 3. On remarqua aussi que trois j é-


1 J oseph Mascarenhas , chef de la famille Tavom, avait le
litre de duc d' Aveiro, et la charge de grand-maitre d'hotel a
la cour.


, 2 Le pere Gaspard était l' oncle du duc d' Aveiro qui, par
cette raison, avait joui d'une grande influence 8011S le regne
précédent.


3 Tous les détails de cette affaire se trouvent rassemblés dans
le proces et la sentence publiés par ordre d11 roí. n faut étre




~84 HISTOIRE DU XVIJle SIECLE.
suites eonsidérés étaient liés avee la fenlme
instigatrice de eette affaire; et ce sont la tous
les reproches qu'on peut faire aux enfants d'I-


,


gnaee dans eette cireonstanee l.
Pombalfut tellement satisfait d'etre, dans ce


proces, aeeusateuret juge, et de perdre tous
ses ennemis.a la fois, qu'il déeouvrit bientot
apres une nouveIle eonspiration du meme
genre, ou ,il irnpliqua toutes les personnes
mécontentes de son ministere desp?tique; il
les fit arrther, jeter dans les eaehots les plus
horribles; il les y laissait lentement périr de
misere et de besoins, s'il ne les faisait point
condamner a mort ineontinent.


Ayant demandé au pape, d'une maniere
mena«;;ante, la suppression entiere de l'ordre
des jésuites, iI se brouilIa ave e le Saint-Siége
et se vit forcé de traiter les affaires religieuses
sur un pied lnilitaire. Benolt XIV, qui avait
restreint les priviléges de cet ordre, n'était


tres.circonspect dans son jugement; car il y avait assez de gens
qui ne croyaient pas a la conspiration, et qui regardaient le
pro ces comme une ruse employée contre les premieres familles
du royaume et les jésuites. Le roi d'ailleurs avait séduit l'é-
pouse et la fille du duc d' Aveiro.


1 On n'imagina l'histoire de la conspiratioll que deux mois
apres l'attentat; et de ces trois jésuites considérés, le P. Ma-
lagrida, qui avait soixante douze ans, était depuis long-temps
en prison cornme fou. (Note du trad!lcteul'.)




LIVR"E 111, CHA.PITRE T. 285
plus; son successeur CIément XIII, protecteur
des jésuites ne voulut entendre parler ni de
leur suppression, ni meme de leur réforme.
Il reprit le pouvoir que Benolt XIV avait
donné au cardinal Saldanha et députa le car-
dinal Acciajuoli comme nonce a Lishonne
avec l'instruction d'agir contre le ministre;
mais Pombal sut se débarrasser aussi bien du
nonce que des jésuites. Il alla jusqu'a refuser
au cardinal les civilités d'usage et profita de
la premiere occasion pour l' exiler du royaume
de Portugal.


Toute les causes, jusqu'alors soumises au
pape, furent renvoyées au patriarche de Lis-
bonne. Pombal rompit tous les rapports avec
le Saint-Siége, et, sans consulter le souverain
pontife, iI chassa les jésuites , privés depuis
six ans de toutes leurs places. On confisqua
leurs biens et, en Ieur 1aissant a chacun, en
particulier, un revenu de cent 'reis 011 huit
sous a peu pres par jour, on les obligea de
quitter l'habit de Ieur ordre, en cas qu'ils vou-
lussent demeurer dans le royaume.


Mais, soutenu par le chef de l'Église, l' or-
dre ne put déposer 1'habit religieux, ni se dis-
soudre ainsi lui-meme : c'était cette désobéis·


• •
sanee prévue que Pombal attendait pour la




286 HISTOlItE DU XVIIlc Sd:CLE.
punir. Cent vingt jésuites furent arretés et
transportés en ltalie sur un vaisseau ragusain.
On ne fournit a ces hornmes, la plupart tres-
agés et tres .respectables, aueun moyen d' exi-
stence. Le manifeste que le ministre, au nom
de sa cour, lanc;a contre le pape, a cette oe-
casion, était en parfaite harmonie avec l'opi-
nion publique, fixée par les Frall(;ais , et il ne
contribua pas peu a changer les idées de l'Eu-
r-Ope catholique.


Clément XIV qui oecupa bientot apres le
Saint-Siége, parl'influeneede laFraneeet de I'Es-
pagne, ayant approuvé, par une bulle, la eon-
duite de Pombal envers les diseiples de I~oyola,
ce lninistre rétablit en apparenee les anciens
rapports du Portugal ave e la cour de ROlne,
mais e' en était fait de la juridiction du nonce .
. Dans tous les changements opérés par Pom-
bal, l'utilité était souvent douteuse 1, le pro-
cé{!é injuste et barbare; le seul avantage qui
résulta de sa sévérité militaire ne se fit sentir
que plus tardo Le changeulCnt dans l'éduea-
tion de la jeunesse et la propagatioIl d'ull
nouveau gen re de littérature , n'influerent que


J On ferait tout un code des ordonnances de Pombal. Celui
qui désirerait s'eu instruire, trouvera , dans l' Administra-
tion du marquÍs de Pombal, le regisftoe complet et l'apologie de
toutes ses ordonnances.




LIVRE III, CHAPITR.E I. ~87
bien des années apres sur une partie de la na-
tion. Ce ne fut que de nos jours qu'on rejeta
les anciennes idées.


N ous parlerons plus favorablement des au-
tres réformes que Pombal effectua par la
force et la vio]ence. Sa réforme du systeme
patriarchal et l'incorporation aux domaines·
des biens immenses de la ridicule papauté
de Portugal, méritent une mention honorable;
il en est de meme de la reconstruct1on de
Lisbonne, détruite par un tremblel1len\ de
terreo


Il établit d~s écoles primaires, qui avaient
luanqué jusqu'alors, et fonda, en 1766, pour
les hautes classes de la société, un collége en-
tierement organisé sur les nouveaux. princi-
pes du jour. C'est lui encore qui,ramenant la
discipline parmi les soldats, leur fit trouver
dans leur noble profession un honneur qu'ils
avaient, pour ainsi dire, oublié. Il est assez sin-
gulit~r que, dans la réforme Dlilitaire, bien des
institutions que Frédéric II avait prises a toute
l'Europe aient passé en Portugal.


Par une des conditions du pacte de famille,
conclu entre I'Espagne et la Franee, pendant
la guerre de sept ans, le Portugal était désigné
pour victime; les Fraw;;ais l'abandonnerent a




288 llISTOIRE DU XVllle Sd:CL.E.
l'Espagne qui équipa une armée pour porter
ses armes dans ce royaume sans défense. Les
Anglais envoyerent des troupes a son secours,
et Pombal 6t les préparatifs de guerre ave e sa
promptitude ordinaire. La patrie dut son salut
ason aetivité.Ilnepouvait seprésenter une oc-
easion plus favorable d' organiser une Ilouvelle
arméé;le eomtedeLippe-Buekelubourgquien,
fut chargé, connaissait parfaitement le systeme
militaire de. son temps et contribua beaucoup
a faire revenir les Portugais de leur aversion
et de leur mépris pour les armes. Cependant
on ne pouvait créer tout d'nn coup une armée
entierement nationale. Il fallut recourir, d'a-
pres l'usage, aux enrolements dans l' étranger.
L'argent du Portugal décida des Allemands,
des Irlandais, des Fran<;ais et des Sujsses a
entrer au service de eette puissance. 11 n'était
done pas étonnant que Pombal se vil souvent
forcé d'exercer, a sa maniere, une justice
exemplaire envers des régiments en tiers.


La réforme des ordres Inonastiques et de
l'université de Coimbre, la suppression des
confréries, l'abolition de plusieurs jours de
fe te et de rites insignifiants, ainsi que l'abro-
gation de la différence entre les nouveaux et
anciens chrétiens, les encoul'agements don-




L 1 V R F: 1 1I, e R A P 1 T R l~ J. 289
nés a l'imprimerie dúrent agjr avantageuse-
ment sur sa nation , ll1algré les voies despoti-
ques qu' on employa a eonstituer ees nouvelles
dispositions. l,e ministre, en détruisant l' oli-
garehie de la haute noblesse, en düninuant les
« ~ •


revenus et l'influenee du clergé, les avait na-
turellement soulevés eontre ses réformes:
aussi leurs menées et lenr opiniatreié le por-
terent souvent a des nlesures violentes.


Le roi fut a peine filort que les harpies
éloignées reparurent. Joseph qui, pendant sa
Inaladie, ava}t remis le gouvernement de l'É-
tat a la reine, le 29 novembre 1776, lTIOUrut
le 23 février 1777. On ouvrit aussit6t les pri-
sons d'État; il en sortit une foule de malheu-
reuxde toutes les eonditioIlS de la soeiété, qui,
languissant depuis bien des années dans les
eaehots, relnplirent le peuplc d'indignation
eontre le ministre despote.


On commem;:a par séparer les eharges, que
Pombal avait réunies dans sa personne; en-
suite iIdonna 5a démission. L'hOInme redouté
n'étant plus aU eabinet, les jésuites, fauteurs
de la superstition aveugle, et la haute noblesse,
entOl1rerent Marie, la nou'veIle reine, filIe de
Joseph, et implorerent s~ vengeanee eontre
Je ministre Moigné, en 1ui irnputant tous les


n. T. 19




290 IHSTOIRE DU XV11le sd:cr.E.


crimes iInaginables. Les enfants d'Ignace, im-
placables dans leur haine, parurent a la cour
sous leurnom, malgré lasuppression de leuror-
dre, et parvinrent lneme a obtenir une enquete
judiciaire contre leurardent persécuteur r.


Le 3 avril 1781, la révision des grands pro-
ces intentés par son ordre fut terminée, et
tontes les personnes conaamnées, comme cri-
lninels d'État, sans jugement régulier, furent
acquittées. Le tribunal de justice pronon<;a
des peines séveres contre lui, mais la reine
lui accorda sa grace 2; iI monrut l'année sui-
vante au mois de mai 1782; sa familIe fut ré-


1 La dénominatioll odíeuse que l'auteur donne ici aux jé-
suites 1 est parfaitemcnt en harmonie avec tout ce que l'histoire
nous offre dans tous les pays OU ces religieux eurent quelque
influence. Au reste, ce n'est point M. Schlosser qu'i1 faut ac-
cuser d'anímosité contre eux; il plaint les partícnliers ; il con-
damne Ieurs persécuteurs; il leur acrorde, sinon le talent
d'élever la jeunesse, da moins celui de l'instruire. On peut
m~me dire qu'il est injuste envers ceux qui les priverent de
Ieur crédit; car, en avonant que leurs statuts fondamentaux
sont tont en dehors des intérets de la société , il bIame d'avoir
faít tomber sur les mernhres la punition que le corps seul avait
méritée; mais, je le demand" comment détruire une corpo-
ratio n sans atteindre les partículiers <{ui la composent, et
qui aiment mieux mourir que de s'en séparer ou m~me de
renoncer aux marques extéJ¡ieures qui la distinguent des autres
sociétés religieuses. (Note du tl'údllCteUl'.)


> La reine Marie, ayant In la sentence prononcée contre
PomhaI, déc1ara qu'en considération de son age et de sa
santé, elle adoucissait la peine; elle se contenta de le bannir
il vingt lje:le.~ (le la cour.




LIVRE 111, CHAl)ITHE [. 291


intégrée dan s toutes les dignités qu'elle avait
occupées sous le regne de Joseph.


Les résultats de l'administration de Pombal,
malgré eette réaetion, se firent toujours sen-
tir seereteluent et préparerent les événements
dont nous avons depuis été les témoins.


II. Les opinions qui avaient ehangé la faee
de la France eOlnmen<;ment a se propager en
Espagne. Elle ehercha a se rapproeher d"es au-
tres États de l'Europe qui l'avaient devancée
d'un siecle. Cette nouvelle selnence, san s avoir
pris allssitotracine, porta enfin lesfrllits désirés.


Pendant le regne de PhiIippe V, on plutót
d'Élisabeth de Parme, l'Espagne, quelle que fút
son importance dans le systeme européen, a
cause de ses rapports avec l'Italie, n'avait été
que faiblement influencée par la France et les
autre5 royaumes. Albéroni n'effectua, dans le
gouvernelnent, qu'une réfornle Iuomentanée.
La maladie d' esprit de Philippe, la faiblesse
de Ferdinand VI qui, eomme son pere , aban-
donna les affaires de l'État a son épouse, prin-
cesse de Portugal, firent de l'Espagne un théa-
tre on tont était conduit par le hasard. Cette
direction fatale se prolongea lneme apres le
ministere d' Albéroni et de Ripperda; elle du-
rait encore lorsque Élisabeth de Parme, de-


19·




2~2 HISTOIRE DU :XVIII'" Sd':CL}~.


venue veuve, pleurait les crimes nombreux
de sa longue administration. Un fameux chan-
teur, l' eunuque Farinelli, avait encore conservé
sur Ferdinand l'ascendant qu'il avait sur
Philippe. n s'opéra cependant un change-
lnent dans les principes <Iu gouvernement,
vers la fin du regne de Ferdinand, par la
politique de Keen, ministre anglais a la cour
de Madrid, qui déjoua le plan des Fran<;ais et
fit entrer I'Irlandais Wall au ministere.


Les Fran~ais voulurent, en 1754, engager l'Es-
pagne dans la grande ligue contre le Hanovre,
l'Angleterre et la Prusse; F'arinelli, favori du
roí, et Carvajal, son premier ministre, avaient
adroitement tout disposé pour cette fin. Le
marquis de la Ensenada qui, a la mortde Carva-
jal, avait été chargé de son portefeuille, con-
tinuait ce qu'avait commencé son prédéces-
seur , 'lorsque l'Angleterre se nH~la tout, d'un
coup de ceUe intrigue de cour. Keen et le dnc
de Huesear firent embrasser a Ferdinand VI
un autre systeme, avant que Farinelli put s'y
opposer. Le marquis de la Ensenada fnt arreté
le 20 juillet; on nomma ministre des relations
extérieures l'irlandais Wall, jusque la ambas-
sadeur d'Espagne aupres de l'Angleterre J • Wall


J Le parti anglais en Espagne, soutellu par la reine, aJant




I~ 1 v II I~ Il 1, e H A. P 1 T R E 1. 2. 9 3
ayant séjourné plusieurs années en Angleterre,
fut consulté, meme dans les affaires intérieu-
res, et prépara bien des changements confor-
mes a l'esprit du siecle. S'il ne resta pas au
ministere, sous le regne suivant, il n'en con-
serva pas moins une grande influence clans les
affaires l.


Ferdinand, la reine et la cour étaient
trap ennemis de toute réforIne pour souffrir
seulement que la poli ce de la capitale flit
organisée comme clans les autres États. Le
trone devint le partage du fils ainé d'Élisabeth
de Panne qui, sous le nOln de Charles III,
avait régné jusqu'alors sur Naples; malgré son
age avancé, Élisabeth acceptala régence 2 , jus-
fait reconnaltre l'échange mentionnéavee le Portugal, de laEn-
senada en instruisit Charles III, alors roi de Naples, comme
héritier présomptif du trone. Celui··ci fit présenter une pro-
testation formelle, ce qni occasionna la chute subite de la Ense-
nada. Charles, parvenu a la couronne d'Espagne, rappela cette
protestation, annula, en 1761, tout le traité d' échange, et des
dissensions sanglantes éclaterent de nouveau.


1 Onorato Gaetani, Elogio Storico di Carla III re delle
Spagne, etc., Napoli, 1789 eou nous avons puisé différentes
Botices avec la circonspection nécessaire), page 86. "Wall fu
« un grand' uomo , e un gran ministro, ed iI re CarIo ebbe per
{( luí deIla tenerezza anche dopo che quegli avea lasciato iI
« suo servizio; quando il re andava in Aranquez si tratteneva
" con lui. "


2 É:lisaheth était sur le point de perdre toute influence, 10rs-
que Philippe V abdiqua pour quelqne temps; alors elle von-
1 ut gouverner le royan me du fond de la solitude de Saint-Il-




294 HISTOIRE UU X V 1 IIe Sd~CLE.
qu'a l'arrivée de son fi1s. Charles. en quit-
tant l'ltalie, laissa son frere maltre de Parme
et de Plaisance, déclara son fils ainé imbécile ,
emmena le pulné, comme héritier présomptif
de la couronne d'Espagne , et nomma le caclet
Ferdinand, régent de Naples et de Sicile, en
l'instituant son successeur dans les deux royau-
mes qu'il ne pouvait, a cause de quelques trai-
tés, réunir a celui d'Espagne.


A son avénement au trone, le 15 aout l76 1,
la France et I'Espagne renouvelerent rancien
pacte de famille, par lequelles habi fants des
deux pays devaient en tOllt se regarder comIne
cOlnpatriotes. Cela dut rendre le cornmerce
plus intime avec la France et donner un grand
ascendant a l'homme d'État qui favorisait le
plus la politique et la littérature fran~aises.
C'était le comte d'Aranda, le meme qui, ayant
quitté ses charges en Espagne, en 1773, et
s' étant faít nornmer ambassadeur a París,
brilla seize ans dans la société des philoso-
phes, sans partager la pétulance et l' orgueil


uephonse. Louis mourut fort a propos, et Élisabeth décida son
époux a reprendre de nouveau sa place au treme; mais, des ce
moment, elle ne put le diriger que par Farinelli. Philippe
étant mort en 1746, Élisabeth se vit sans le moindre crédit; •
on ne lui permit pas meme de se rendre en Italie aupres de
ses enfants, et on exer~a :'!ur elle une sorte de surveillance.




LlVRE IlI, CflAPITftE 1. 295
de plusieurs d'entre eux. De concert avec le
lninistere fran<;ais et Pombal, il avait su tirer
parti de la résistance des jésuites et de leurs
colonies,lors de l'échange du Paraguay, pour
ébranler d'un seul coup toutes les bases de
l'éducation. Non content d'avoir, en 1762,
restreint le pouvoir de l'odieux tribunal de
l'inquisition I, il lit signer au pieux roi d'Es-
pagne, le 17 février 1763, un décret contre les
jésuites, semblable a cehú qu'avait donné le
roi de Portugal. L'exécution de ce décret avait
été confiée au cOlnte d'Aranda 2, qui tint l'af-
faire secrete jusqu'a ce qu'il eút pris toutes
les mesures nécessaires 3. Ce ne fut que le 2
avril qu'il tlt chasser, en meme temps, de leurs
maisons ,les jésuitcs indigenes, et du royaume,
les jésuites étrangers.


Cet ordre :lyant été exécuté dans toute sa
sévérité, et les eufall t5 de Loyola emharqués


J Le grand-inquisiteur venait de prohiher un livre fran~ais.
2 L' abbé Georgel, clans ses Mémoires, tome 1 , p. 9:' suiv. ,


donne plus de détails; iI cite }\/[ontalegre, Camvomanes, Mo~
nino (depuis eomte de Florida Blanca), eomme eeux qui
donnaient leurs avis, rédigés ensuite par le eomte d' Aranda.


3 Le eomte d'Aranda adressa, le 20 mars 1763, une cir-
eulaire aux juges ordinaires du roi, dans tous les endroits OU
il y avait des jésuites. 11 y joignit un petit paquet eacheté,
qu'ils ne devaient ouvrir que le 2 avril, pour exéeuter alors
sans retard les ordres qui y étaient contenus. 11 leur était dé-
fendu de parler a personne de la circulaire et du paquet.




296 HISTO 1RE DU X V lllC Sd:CLE.
sur des vaisseaux espagnols pour l'Italie, les
lnaisons d'éducation, a l'exception de quel-
ques écoles de piété, furent soustraites a l'in-
fluence du clergé. Les professeurs pouvaient
etre séculiers; l'instruction, iI est vra~, n'y
gagna rien, mais au moins elle ne resta pas la
meme.


Le crédit du comte d'Aranda s'augmenta
encore, en 1766, 10rs du nouveau réglement
de police, fait a Madrid, et des dispositions
onéreuses el la perceptioIl des tailles, données
par le ministre des finances, Squilazi, qui por-
terent le peuple a une révolte dangereuse l.
Tout le pouvoir civil et militaire en Castille
demeura six ans confié el ses soins~. n fut


J Depuís long-temps, la place d'un président du conseil de
Castille n'avait pas été occupée. On la renouvela alors pOUl'
d' Aranda, et on le nomma capitaine-général de toute la Castille.


2 Bourgoíng, Tableau de l' E spagne moderne, seconde édi-
tíon, 1797 - 8., tome 1, page 317 : ti Malgré ce qu'on a dit
.. de M. d' Aranda pendant et depuis son ministere de sept ans,
« on se souviendra long-temps en Espagne des talents qu'il a
.. déployés pendant son administration. Madrid surtout n'ou-
t( hliera pas ce qu'il a fait ponr son emhellissement, ponr sa
" surelé, et meme pour ses plaisirs. C'est a sa prudence et a
{( ses soins que l'Espagne doit l'expulsion des jésuites, prépa-
« rée dans le plus grand secret et exécutée sans éclat. Il lui lit
« connaltre sa population, sur laquelle on n'avait que des
.. dounées tres-vagues. Grace a lUÍ, la vie dissipée et souvent
« liceucieuse des moines a fait place a des rnceurs un peu plus
.. conformes a leur état. L'ahus de l'asile que les plus odieux
K crimillels trouvaient dans les églises a été r{·primé. L'auto-




I.IVRE 111, CHAPITR.E I. 297
forcé, ii est vrai, en 1773, de demander sa
démission, mais les lumieres commen~aient a
pénétrer en Espagne et ii se préparait une ré-
volution dans le systeme du gouvernelnent
ecclésiastique et politiqueo On venait ~e sen-
tir le besoin de tirer parti des expériences des
autres .États de l'Europe; les traductions des
ouvrages fran~ais répandirent bientot la nou-
velle philosophie. Charles favorisait la révo-
lutÍon; le ministere se composa done sou-
vent d'hommes instruits et formés dans les États
constitutionnels ou démocratiques, comnle
don Diego Gardoqui. La France qui, depuis
long-temps, n'avait pas convoqué ses États-Gé-
néraux, l'Espagne, qui se ressouvenait a peine
de ses anciennes Cortes, en participant a la
guerre de la liberté en faveur des Atnéricains
contre I'Angleterre, se yirent dans une posi-
lÍon singuliere, qui contribua beaucoup a dé-
voil'er les cléfauts de la vieille administration.
" rité temporelle a été défendne contre les prétentions dn
« Saint-Siége; iI a mis des bornes a ces pratiqnes extérienres
o. de la religion (les processions jonrnalieres, connnes SOU9
« le nom de rosarios), bien plus cheres a la fainéantise qn'a la
" vraie dévotion. - n a meme enchainé, a plnsienrs égards,
.. comme nous le verrons plus bas, le pouvoir du fanatÍsme.
ti Il eut été bien plus loin san s la fnneste intervention du
.. confesseur de Charles III, qui, dans tont ce qu'il croyait
« du ressort de la conscience, balan~ait l'influence du comte
« d' Al'anda. lO




298 IIISTOIRE nu XVIlle SIECLE.
Plusieu"rs réformateurs de la nouvelle phi-


losophie furent les victimes de la haine qu'ils
inspiraient aux défenseurs du despotisme et
aux ennemis de toute espece de réforme; 111ais
ces persécutions donnerent lieu a des combats
sans lesquels un nouveau systerne ne 5' éleve
jamais sur les ruines d'un plus ancien. Un
homme distingué par ses lumieres en politi-
que et en religion fut le plus célebre martyr
de sa philosophie. C'était le Péruvien don Pa-
blo Olavides 1, nomlné intendant des quatre
rovaumes d' Andalousie et assistant de Séville .


.J


Olavides posséda tellement la confiance du roí
qu'il fut chargé de l'exécution du grand proj et
de faire cultiver et peupler la partie de la
Sierra Morena qui se trouve sur la route de
Madrid a Cadix. Olavides accueillit des e olons
de t011S les pays et surtout de I'Allemagne.


I Don Pablo Olavides était né a Lima capitale du Pérou.
Voyez les recherches sur cet intéressant personnage, dans les
OEurres de Diderot, tomo 111, pago 384. Paris, Briere, 1821.
(Note du traducteur.)


Olavides fut obligé, 10rs de su condamnation, de lire les
actes sur lesquels elle était fonJée ; nons pouvons assurer ici
que les auteurs fran<¡¡ais y jouerent un rOle. lllutentre autres
le rapport détaillé de toute sa vie, qu'il avait fait lui-mcme; iI
avoua qu'il avait fréquenté, clans son voyage, les pbilosopbes qui
se moquaient de la religion ,surtout Voltaire et Rousseau; qu'il
était retourné en Espagne plein de préventions contre le clergé,
persnadé que les priviléges ecclésiastiques et les opini9ns de
la eDur de Rome empcchaient l'aisanee extérieure des États; iI




I. 1 V R E 1 IJ, e II A P 1 T R E J. 299
Pour la premiere fois, depuis Charles V, des
protestants furent tolérés en Espagne; OIl Ieur
promit, dans ces colonies, le libre exercice de
lenr religion; mais un capucin allemand ar-
reta ce progres des lumieres.


Le chef de son ordre lui avait confié l'in-
spection des missions dans ces établissements;
il cherchait a faire des conversioIls, et par pro-
sélitisme il se melait souvent d'affaires qui ne
le regardaient en aucnne maniere. O]avides
réprima les élans d'un zele mal entendu. Des
10rs , le pretre rancuneux anima plusieurs AI-
Jemands contre Ieur protecteur, au point que
les colons ingrats porterent contre luí une
p]ainte au conseil de Castille. Le fanatislue
peignit an roi cette affaire sons les couleurs
les plus noires. Olavides, appelé a Madrid, au
mois de novembre 1775, ne vit plus dans l'a-
venir qu'une triste perspective. Tandis que,
pendant deux longues ,années, il languit dans
les cachots de l'inquisition, qu'on avait excitée
contre lui, la tolérance fut de nouveau bannie,
les fabriques détruites, et les colonies dépéri-
rent de jour en jour. Son injuste condamna-
convint qu.e depuis qu'ilavait présidé aux colonies de la Sierra"
Morena, il s'était exprimé imprudernment sur les obstacles
que ces colonies trouveraient a s'élever, ainsi que sur l'infail-
Jihilité du pape et sur les trihunaux de l'inquisition.




300 HISTOIRE DU XVIJle S¡j~CLE.
tion, le grand intéret que les Espagnols in-
~\ruit5 priren\ a son 50rt, et \e triompbe que
lui décernerent les Fran~ajs, cornme un mar-
tyr ues lurnieres, lorsque, échappé a la 5urveil-
lance du clergé, il se réfugia aupres d' eux , in-
fluerent plus sur I'Espagne et parIerent plus
haut en faveur de sa doctrine, que ne l'auraient
fait l'appui de la cour, et la plus brillante
fortune.


Le comte de Florida Blanca lui-meme, qui
jouit, depuis 1777 jusqu'a 1789, d'un crédit
presque absolu en Espagne, quoique entouré
de moines et de pretres, favorisa la propaga-
tion des nouveaux principes. Il renferma dans
de justes limites la trop vaste autorité de la
cour de Rome. Il empecha l'augmentation des
biensdu clergé, et s'opposa aux prétentions
qu;il s'était despotiquement arrogées de déci-
del' des affaires politiques.


Il ne faut point ollblier que les coups portés
au systerne hiérarchique ébranlaient aussi dans
sa base le gouvernement monarchique absolu.


Florida Blanca suivitune toutautre conduite,
lorsque la révolution fran<;aise eut éclaté; mais
les événements oont ii fut l'instrument ou
la cause, appartiennent pIutot a sa biographie
qu'a l'histoire générale.




LIVllE Jll, CHAPITUE 1. 301


III. Dans le court aperc;u que nous alloIls
donner de l'histoire du Danemarck, nous
sommes obligés de mentionner les. troubles
intérieurs, les changements dans le cabinet,
les cabales et les intrigues amoureuses qui
désoIerent pendant quelque temps ce In al-
heureux pays; le scandale public, qui en fut
la suite, est d'une haute importance histori-
que, puisqu'il dévoila les secrets des cours
aux yeux des peuples et signala les horribles
résultats d'un gouvernementdespotique; néan-
nloins, nous ne jetterons sur ces événements
qu'un co~p d'reil rapide, puisque l'histoire
des cours n' entre qu'indirectement dans le
but que nousnous sommes proposé.


Le Danemarck, par l'acquisition duSleswicl\,
se trouvait dans des conjonctures difficiles. La
Russie s' était, pour ainsi dire, engagée a réta-
blir un jour le duc de Holstein d~ns ses droits.
I .. a position du Danemarck devint plus 'criti-
que, lorsqne le dllC de Holstein, déclaré l'hé-
ritier présomptif de la couronne des Czars,
manifesta hautement, et a plusienrs reprises,
l'intention Ol! iI était de tirer vengeance des
torts que le Danemarck avait faits a sa famille.
Il faUnt alors a ce petit état un ~ouverain sage
et un ministre habile, comme iIles posséda,




302 HISTOIRE nu XVIlle SIECLf:.


depuis 1746, dans Frédéric V et Berns torff
l'ainé. Ils surent, par lenr prudence, gagner
des alliés, et, malgré leur piété, ils ne dédai-
gnerent point d'employer la voie des intrigues
a la cour de Saint-Pétersbourg, pour prévenir
des dangers futurs.


Les Danois, en se montrant tres-dévoués
aux ministres russes, chercherent, avec le chan-
eeHer Bestuscheff, a tenir l'héritier du trane
éloigné de l'impératrice Élisabeth, et se lierent
avec l' Angleterre, pour avoir un appui de plus.
La chute subite de Pierre IJI délivra bien le
Danelnarek du danger eertain d'une attaque
hostile; mais ce royaume tomba presque en-
tierement sous la dépendance de la Russie,
qui devait reconnaltre la eession du Sleswiek
et garantir l' échange du Holstein eontre Oldem-
bourg et Delmenhorst; les ministres russes
Saldern et Philosophoff prirent, a Copenhague,
a peu pres le rrJ(~me ton qu'a Varso;vie.


Les arts et les sc.iences trouverent, pendant
l'administration de Bernstorff, un protecteur
dans le roi; mais Chrétien VII, fils de Frédé-
ríe V, lui sueeéda n1alheurensement quelques
années trop tat, et sa vie lieeneieuse devint
le germe d'une aliénation d'esprit; malgré
eette rnaladie, les ordres directs du eabinet




Llvn E 111, eHA I~ITnE I. 3u3
furent les seu les lois et le seul mobile du
gOllvernement, tant était vicieuse la constitu-
tion danoise. La confusion, la cabale, l'injus-
tice, le pouvoir arbitraire, tout con$pirait 1 a
affaiblir la confiance que les peuples du con-
tinent avaient ene dans leurs gouvernements
monarchiques; elle disparut presque généra-
lement vers la fin du dix-huitieme siecle.


Chrétien VII était monté sur le trone, en
1766, et, q uoi qu'il n' eut que dix-sepf ans, il
avait épousé la sreur de Georges III, Caroline
Mathilde; il parcourut une partie de l'Europe
accOlnpagné d'l1n jeune médecin allemand,
nomIné Struensée, qui s' était insinué, a force
de soins, aupres de ce roí voluptueux. La
jellne reine ne vécut pas en trop bonne intel-
ligence avec son époux, et, pour comble de
malheur, des dissensions éclaterent entre elle
et la reine douairiere, Julienne-Marie, née
princesse de Brunswick-W olfenbuttel, qui au-


1 Les F:ources oú iI faut rechercher ces histoires sont assez
conoues; nous n'indiquerons que deux ouvrages fran~ais:


Quelques pa/'ticularités relatives ti l' Itistoire du Danemarck, par
un ofGcier hollandais, auxqllelles 00 a joiot son voyage en
Suede, La Raye, 1789, in.-So.


Mérnoil'es llistoriques et inédits sllr les l'é~'olllt¡ons al'l'i"ées efl
Danemal'ck el en Suc!de pendan! les allllées 177 O , 1771 et I 772 ,
par ¡eu ['aMé Roman, Paris, io~So.


Le premier ouvragc est écrit avec beaucoup de circons,pec-
tion, l'autre avee bcaucollp de hardiesse.




304 IUSTOIRE DU XVIlIe Sr:f~CLE.
rait désiré pouvoir donner plus d'importance


, a son fils cadet Frédéric.
Le roi, de retour dans ses États, n'accorda


pas d'abord autant de crédit a Struensée; mais
les deux Holk et quelques alltres jellnes gens
porterent Chrétien a de nonvelles débauches,
qui exténuerent entierement ses faculté s in-
tellectuelles. Tant que les Holk et leur partí
dirigerent le roi devenu imbécile, tout le
pouvoir denleura dans les mains de la noblesse,
des vieux lninistres et du conseil d'État qui,
menle apres la'révollltíon de 1660, avaient con-
servéquelque autorité dans le royaume. La
jeune reine et Struensée s' emparerent ensuite
du faible roi, et éloignerent les freres Holk,
ce qui changea la face des affaires.


La vaccine n'était pas encore trop connue
alors;Struensée inocula hel1reusement la petite
vérole au prince royal, ce qui le luit dans J'in-
timité de la reine et lui valut la place de gou-
verneur du prince. COlnme conseiJIer, il eut
part a l'administration de l'État et il demeura
toujours le favori de la reine. La passion qu'il
lui avait inspirée, devint si forte, que cette
épouse adultere crut qu'elle pouvait sans rou-
gir laisser paraitre au grand jour sa scanda-
)euse inclination. Struensée devint insolent <'t




LIVRE 111, CHAPITRE lo 305
impérieux, iI ne se contenta point d'avoir éloi-
gné un des Holk, dans un voyage que le· roi
fit el Sleswick, au lDOis de juin 1770, et d'avoir
rétabli Brandt, son compagnon fidele, dans
les Lonnes graces que Holk lui avait faÍt per-
ore. Il voulut réformer le royaunle et s' édger
seulen n1altre. Au mois de septembre, l'autre
Holk et tons les ministres rec;;urent leur desti-
tution; au mois de déeembre, le couseil d'É-
tat fut congédié, et toutes les affaires renvoyées
au roí furent administrées par le bizarre favori
des deux époux. Le magistrat de Copenhague
meme fut obligé de céder el Struensée, paree
que l'ainhitieux alIemand désirait voir toutes
les plaees oecupées par ses créature~; sans avoir
l'énergie de caractere qu'il fallait pour jouer le
role des Richelieu des Mazarin, et des Pitt, iI
ne reconnaissait, comme eux, d'autre pouvoir
que le sien. Les changements qu'il voulut ef-
feetuer ne trouverent d'ailleurs pas un accueil
plus flatteur aupres du peuple, qu'ils favori-
salent, qu'aupres des nobles auxquels ils
étaient eontraires. Il diminua les appointe-
111ents, mit sa cour sur un pied moins élevé,
retira les pensions, réforma l'amirauté, les
chancelleries danoises et allernandes, diminua
les impots, réduisit le nombre des corvées et


H. 1. 2Q




306. HISTOIRE DU xv lile SÜ:CLE.
prépal'a ainsi, en Danelnarek, l'affranchisse-
ment de la se~vitude, prononeé plus tard par
une Ioi générale; mais en voulant réformer les
gardes et le~ troupes, iI donna a ses ennemis
des armes contre lui. I.Ja reine et Struensée
prouverent combien iIs connaissaient peu
leurs intérets : on donna a la signature du fa-
v9ri la meme a,utorité qu'a la signature royale
dans .les tribunaux et dans les bureaux de
l'administration; il -s'arrogea insolernlnent le
titre de eomte et de ministre privé du ea-
binet.


La liberté entiere de la presse qu'il aceorda
et qu'ilrestreignit trop tard, en renouveIant
l'aneienne loi eontre les libeUes, lui devint
préjudieiable, paree que sa eonduite avec la
reine, OH plutot eelle de la reine avec lui,
était trop scandaleuse, et qu'il se rnontra
craintif et faible dans différentes occasions;
par exemple, 10rs de la sédi tion oecasionnée
par quelques matelots de N orwege, et encore
lors de la. suppression des gardes a pied. La
reine douairiere profita habilement de chaque
imprudence de Caroline Mathilde.


Struensée offensait les nobles en les exilant
dans leurs terres; mais ce qui les hUlniliait
davantage et les animait le plus contre lui,




L IVRE 111, eRA PITRE I. 307
c'est qu'il regard~it les hautes fonctions comme
le partage du mérite et non celui de la no-
blesse.


Ce qu'il y eut de plus répréhensible dans la
eonduite de la reine et du favori, c'est qu'ils
ne songeaient qu'a leurs plaisirs a Hirsd{holm,
tandis que Brandt traitait le roi d'abord comme
un enfant et ensuite eorome un prisonnier. Les
ennemis du gouvernement, alors en faveur,
ehercherent a s' emparer du roi , en intimidant
Brandt par des menaces, ou en le gagnant par
des promesses; mais l'ayant trouvé incorrup-
tible et attaché a Struensée , ils cont;urent le
projet hardi d'éloigner Struensée et Brandt
de force etd' envelopper la reine dans leur perte.


Ce projet n'aurait pas réussi, si Struensée
avait montré quelque fermeté ou s'il avait eu
seulement un peu du eourage que Caroline
Mathilde déploya l. La reine mere était l'ame
de toute la ligue de plusieurs hommes miséra-
bIes contre des imprudents devenus arrogants
par la prospérité, qui, dans leur insoucianee,


~- 1 Ne pouvant donner ici que le sommaire de l'histoire scan-
daleuse, nous passons sous silence toutes les hassesses Oll des-
cendirellt les deux partis, ainsi que les marcjues de crainte que
Struensée donna et les mesures ridicules qu'il prit. Le ministre
auglais Keith lui conseilla eofin tout franchement de se retirer ;
il voulut s'en aller I mais la reine s'y opposa.


:1.0 •


..




308 IIlSTOlRE DU XVIIl(;' Sd~CLE.
donnaiellt a tont moment prise eontl'e eux.
En s' emparant de Chrétien, on voulait lui faire
signer la perte de Struensée et de son partí,
eomptant exéeuter le reste par la force et la
ruse. On désigna le eomte de Ranzau-Aseh-
berg, les colonels Keller et Eiehstaedt eornme
les instruments de la eonspiration, et on ehoi-
sit la nuít d'un hal de cour, du 16 au 17 jan-
vier 177 r, pou!' l' exécution.


La reine mere et son 6.ls Frédérie, aeeOID-
pagnés de Ranzau, pénétrerent dan s la eharn-
bre a coucher du roi, l'éveillerent hrusque-
ment par la fausse nouvelle d'une révolte et
le déciderent, pour ainsi dire nlalgré lui, a
signer l'ordre de l'arre¡;tation de Struensée·et
de la reine. Strue~sée 6.t preuve de laeheté, la
reine, au eontraire, de fermeté et de eourage 1;
ils furent arretés sans que personne songeat a
prendre leur défense. Le prinee Frédérie se
montra, irnmédiatement apres, avee le roi a


T Les nouvelles sur la maniere dont la reine fut arretée
different beaucoup l'une de _l'autre. Une des plus exactes et
des plus vraisemblables, me parait celle de Wraxall, Me-
moirs 01 the courts 01 Berlin, Dresdert, H.Tarsr,llt and Yienna,
London, 1800, deux vol. in-8°, premier vol., page 71 et
suiv. Si Struensée, arreté avant l'ordre précis du roi, avait
demandé a lire la signature, et s'il s'était adressé aux of6.ciers
qui n'étaient pa~ initiés dans le secret, le colonel"Ke\\er au-
rait sans doute échoué.




L 1 V In: 1 IT, e H A P 1 T R E I. 309
toute la capital e ~ Chrétien et sa signature se
trollvant depuis dans les mains de sa nlere
et de son parti, toutes les ordonnances éma-
nerent d'elle ou de ses créatures. .


Le point historique le plus important dans
toute ceHe affaire c'est que, pour se justifier,
le parti tl'iomphant fut obligé d'ordonner une
enquete judiciaire et de publier tons les scan-
dales. On voit par-la que le gouvernement,
malgré sa souveraineté, avait a redouter la
voix du peuple, et qu'il cherchait a gagner 1'0-
pinion publique. Les curés, dans lenr saínt
zele contre l'anlonr coupable de la reine, ne
contribuerent pas peu a faire onblier a la na-
tion le but que Struensée s'étaü proposé. Le
roi demeura prisonnier, eomme auparavant,
et on nomma un tribunal pour examiner les
relatjons de la reine avec Struensée, quoique
Georges nI s'y opposat de tout son pouvoir.
I.a reine avait contre elle les ténioignages peu
équivoques de ses filIes d'honneur et I'aven
de son favori meme; mais on n' osa pas faire re-
monter leur liaison avant la naissance du prince
royal, et le faible roi assura lui-mem~" que la
princesse était réellement sa filIe, ce qui n'em-
pecha pas de prononcel' le divorce. Struensée
et Hrandt, condamnés a mort, furent exécu-




310 HISTOIR:E DU XVIIle SIi~CLE.
tés le 28 avril; on permit a la reine de se re·
tirer dans sa patrie, et elle finit ses jours a
Zelle, au mois de mai 1775.


Les hommes qui avaient secondé la reine
Julienne-Marie dans ses projets, trouverent la
récompense qu'ils avaient méritée dans la
perte de leur ínfIuence. Le prince Frédéric et
sa mere gouvernerent seuls l'État, jusqu'en
1784, lorsque le prince royal, agé de seíze
ans, fut déclaré majeur. Il se procura par les
moyens, déja plusieurs foís employés, la si-
gnature de son pere et renversa au nom de
l'autorité royale le gouvernement précédent.
Le prince Frédéric, il est vrai, tint encore sa
place au conseil d'État, mais l' organisation des
ministeresfutentierementchangée.Eichstaedt,
quoiqu'il eut été gouverneu,r du prince royal,
re~ut rordre de quitter la cour. Dans ces nlU-
tations, on fit usage du meme pouvoir absolu
que Struensée s'était arrogé.


IV. Si nons avons vn dans les trois royan-
mes, dont on vient de parler, le ministere
s'élever contre le roi, le peuple ou la noblesse,
nous vQyons, au contraire, en Suede, le roi et
'ses soldats opérer une révolution, agréable a
'la majorité du peuple, contre une constitu-
tion injuste et une oligarchie misérable. La




LIVRE 111, CHAPITRE I. 31 J


Suede, plus heureuse en cela que les autres
royaurnes, avait de tout temps joui du privi-
lége de ne pas etre simplement constitution-
neBe, mais de compter l' ordre des paysans
parmi les autres ordres de l'État. eette insti-
tution ancienne ne put etre abolie lors de la
réforme du gouvernement, qui eut lien apres
la mort de Charles XII, mais on chercha, avec
adresse, a en empecher les effets bienfaisants:
Ulrique-Éléonore, et plus encore Frédéric de
Hesse, son époux, furent obligés, pour mon-
ter sur le trone, de souscrire a toutes les con-
ditions qu'on ]eur imposait. Le conseil du
royaume reprit, sous lenr regne, tous ses an-
ciens droits. Un comité secret des trois pre-
miers corps de l'État, revetu d'un pouvoir im-
lnense, opprima les paysans et les accabla d'im-
pots. Achaque assemblée des États, malgré
l'opposition des deux autres, OIl augmenta les
prérogatives de la noblesse. Les pIaces devin-
rent le partage exclusif de certaines familles,
et les snites pernicienses de cette oligarchie
se firent sentir ~ci comme partont ailleurs l. Les


1 Douze sénateurs avaient tout le pouvoir exécutif et une
partie du pouvoir législatif. La diete seule pouvait leur de-
mander compte; ils constituaient le premier tribunal et con~
voquaient, au nom du roí, les États, qui devaient se rassem-
hler tous les !rois ans. Le Sénat se réunissait sans attendrc


20*




312 HISTOIRI~ UU XVIII C Sli~CLJ~.
finances tomberent, les affaires publiques fu-
rent négligées, la Suede se vit perdue dans
l'estime de l'Europe et paralysée dans sa puis-
sanee exécutive : plus de discipline dans l'ar-
mée, plus de concorde dans la nation, et lBs
Snédois se vendaient él l'étranger.


La France suivait alors, au détriment de ses
finances, la funeste maxime de payer, dans
toutes les' cours, un parti qlli exécutait tous
les ordres des ministres franc;:ais, au préjudice
de son propre pays. Ce parti se composa en
Suede d,es hornmes qu'on nomma ensulte le
parti des clzapeaux, paree qu'ils nourrissaient
le fol espoir de reconquérir sur les Russes les
provinces perdues. Les chapeaux, comme par ti
politique vendu él. la France, étaient contre)a
constitution et auraient préféré un gouverne-
ment plus monarchique. Lellrs antagonistes,
les bonnets, tenaient avec fureur él l'oligar-
chie; ils se vendirent él. la Russie . et cherche-
rent él. soutenir, par la terreur des armes étran-
geres, la nouvelle constitution qui ótait au
roi le pouvoir. L'argent fran<;ais l'emporta. En
1738, le parti des chapeaux eut le dessus et
l'ordre ni la présence du mOllarque, ouvrait les dépéches
des ministres a des cours étrangeres , etc. Le roi avait bien le
droit d' élire les sénateurs parmi les trois candidats proposés
par les États; mais on sut le réduire ;, une simpll' formalit~.




LIVRE III, CHAPITRE 1, 313
il en résulta une guerre funeste eontre les
Russes. Cette imprudenee aurait eouté des
lors la Finlandc aux Suédois, si l'impératriee
n'eut trouvé plus avantageux de donner un
roi a la Suede.


La paix fut done aehetée au prix de l'hon-
neur; le neveu du grand-pere de 1'héritier
présomptif de l' empire russe, fut imposé aux
vaineus et saisit ee m,eme seeptre qtt'on avait
formelIement refusé, a la mort de Charles XII,
au neveu de son pere l. La Suede, par eette
paix honteuse, se vit, comme la Pologne, 80U-
mise a la politique russe.


Le nouveau roi, nommé Adolphe-Frédérie


I La ligne de Holstein-Gottorp était alors:


~-----...... -----~----........ ------
Frédéric IV + 1702.


I
Charles Frédéric


+ 1739


1


Chrétien Auguste + 1727-
---------- ------------Adolp. Fréd., Fréd. Aug., GeorgesLouis~


roí de Suede. éveque + 1727-
de Lubeck.
+ 1786


Charles.Píerre-Ulrich, Gustave TII.
I


p'e. Frédéric p"e. Fréd.
empereur de Rus-
sie, sous le nom de
Pierre 111.


I
Pauir.


Guillaume, Louis.
1;mbécile.




314 HISTOIRJ': DD XVllle SIi~CLE.
de Holstein-Eutin, monta sur le trone, en 1757.
La confusion parvint au plus hant degré sous
son regne. Si l'un des deux partis proposait
un projet tItile, l'autre aussitót, pour ruiner son
crédit, calomniait ses intentions, s'y opposait
de tont son pouvoir et soutenait au contraire
avec une méchanceté inouie les choses les
plus préjudiciables. Des-lors plus de liberté
individuelle, plus de justice impartiale, le
droít de propriété cessa d'etre sacré. Les deux
partis poursuivaient mutuellement les hom-
mes de mérite qui leur étaient opposés et,
dans ceUe scission générale, queIle adminis-
tration eut' été possible !


Le comte de Brahe et le maltre des céré-
monies Horn avaient échoué dans leurs tenta-
tives de réformer le gonvernement; ils furent
exécutés apres les tourments les plus cruels:
leur sort arretait tous ceux qui áuraient voulu
les imiter; le roi meme n'osa secouer le joug
de l'oligarchie, quoique le parti des chapeaux,
d'abord contraire a ses entreprises, se joignit
plus tard a lui 1, quoiqu'il eút la majorité des
voix dans l'asseI.11blée des États, et que tont
sembUlt se preter a une révolution.


1 La convocation des États royalistes opposés au sénat,
ayant été refusée en J 76 8, le roi abdiqua a la fin du mois de




LIVRE lB, CHAPITRE I. 315
Au commencement du regne, les ministres


anglais, russes, fran<;ais avaient imposé et in-
flué autant l'un que l'autre a Stockholtn; la
prodigalité déraisonnable des Fran<;ais, sacri-
fiant des millions au systeme ministériel et a
la vanité, leur ohtint la prépondérance et
augmenta considérablement le parti des roya-
listes de ces hommes qui tiennent plus an
rang et a la fortune qn'a l'honneur et a la pa-
trie.On ne s'étonnera done pas de voir que le
prinee royal, a la mort de son pere, arrivée
an mois de février 1771, concerta lui-meme,
avec le ministre franc;ais Choiseul, les mesures
de la révolution qui devait renverser la COll-
stitution.


Tandis que Gustave III se liguait a Paris
avec les ministres frallf;ais, le partí suédois,
opposé a la cour, sut, par l'influence des
Russes et des Aoglais, faire entrer daos ses
vues la 1Dajorité des députés des trois derniers
États. Les fauteurs de l' oligarchie se trom-
paient d'ailleurs en eroyant avoir le dessus
par la majorité des voix qui étaient vendues.
L'ahus qu'ils firent de leur suprématie, et de
décembre pour quelques jours; iI reprit les renes du gouver-
nement des que la diete fut accordée. Le prince royal joua
alors un rOle qui le famili.1.risa avee celui qu'il devait prendre
dans une révolution.




3r6 HISTOIRE DD xviu l ' Sd~CL.E.
cette majorité vénale, pendant la session nH~me,
hata les desseins du jeune roí, qlli se propo-
sait d'établir un gouvernement militaíre l.


Les États, guidés par le parti des bonnets,
insisterent pour que les lois restrictives, qui
avaient limité le ponvoir du dernier roi, fllS~
sent conservées. lis oserent enfin díssoudre le
sénat, ou le partí des cllapeallx avait en jus-
qü'alo!'s la supériorité, et le foreerent de
s'attacher sans restrietion au souverain. Gus-
tave, couronné le 28 mars 1772, fut forcé
de signer une dure eapitulation : le sénat fut
reeonstitué, et les deux partís reeomnlenee-
rent él agir publiquement l'un contre l'autre.
Le roi traina l'assemblée des États en Ion-
gueur, et gagria les officiers et les soldats; les
amis de l' oligarchie chercherent él leur tour él
séduire des troupes pour leur partí; tandis
que le roi employait le lieutenant - eolonel
Sprengporten, le capitaine et commandant de
Christianstadt Hellichius, ses adversaires se
servirent de Pechlin et de plusieurs autres
pour poursuivre, avee une grande sévérité, les
auteurs des libelles répandus, él l'instigation
de la cour, eontre le gOllvernement établi.


1 Gustave III n'avait que vingt-cinq ans, et il tenait de !la
ID ere , niece de Frédéric JI , un peu du caractere prussien.




LIVRE 1I1, CHAPITRE l. 317
L':une de toutes ces entreprises du parti


lllonarchique fut Gustave lui - merne; OH
avait envoyé de France, pour le soutenir, Ver-
gennes revetu d'un titre brillant. Ce ministre


, répandit l'argent a pleines mains. Les soldats
seuls opérerent la révolution. Sprengporten
devait amener les trollpes de Finlande, Helli-
chius avait occupé Christianstadt pour le roi,
et lancé un manifeste violent contre les États.
Les freres du roi, Charles et Frédéric, rassem-
blaient des troupes a Schonen, Blekingen et
dans l'Est de la Gothie, en leur faisant preter
serment de défendre Gustave et la nouvelle
constitution. '


:i\Iais si, dans le midi, la révolte contre le
gouvernement établi avait éclaté, la garde et
les soldats de Stockholm n'étaient pas encore
gagnés. On attendait que Sprengporten arri-
vat de la Finlande dans la capitale, mais il
ne venait pas, et le roi n'avait devant les yeux
qu'une triste perspective. Le conseil d'État et
le comité secret prirent alors les mesures les
plus énergiques. Hellichius fut déclaré rebelle
et coupable de haute trahison; le roí se vit
obligé de signer d'apres la constitution la sen-
tence de ses propres partisans l. n ne put non


1 Le roí abusa le sénnt, en ayant l'air d'approuver toutes




3d~ HISTOIRE DU XVIlIc SIF.CL.E.
plus enlpecher que le régiment d'Upland, dé-
voué aux amis de l'oligarchie, ne fut appelé
a Stockholm. Ce régiment devait arre ter le roi,
et le conseiller d'État Funk prendr'e le com-
mandement a Schonen pour agir contre Helli-
chius et les freres du roi.


Le régiment d'Upland n'étant qu'a quatre
lieues de la capitaIe, iI devint urgent de pro-
fiter du tnoment, ce que le roi lit avec une
grande adresse. II se chargea lni -meme du
role principal, harangua d'un ton solennelles
officiers de la garde qui étaient ce jour-la de
service au chatea u , avec cette facilité que lni
avait donné l'habitude de parle~ la langue
suédoise; iI appuya particulierenlent sur la
décadence prochaine de la nation et les mit
tous dans ses intérets. Une autre division de
la garde se joignit bientot a la premiere; toutes
les deux preterent serment de fidélité, et pour
témoigner qu'ils avaient embrassé le parti mo-
narchique, ils se mirent au bras une écharpe
blanche, que le roi lui-meme portait depuis
ses mesures; il accompagna la garde nationale lorsqu'elle fai-
sait patrouille, et la gagna. Quaud le prince Charles lui écri-
vit qu'il avait rassemblé cinq régiments, le roí déclara au sé-
nat qu'ils étaient destinés contre Christianstadt f el lui demanda
d'en dODller le commalldement uu prillce royal. Mais le sénat
le refusa, et confia le commandement a Funk; alors le roí
reconnut qu'il ne devait plus tarder.




LIVRE 111, CH.\P1THE J. 319
le 19 aout 1772. Le conseil d'État fut aussitot
enfermé dan s la salle rneme de ses conféren-
ces I et le comité secret dispersé; toute la
garde preta sermen t. Les régiments d'U pland et
de Sudernlannland se soumirent; les marins et
le peuple triompherent. Trois jours apres on
convoqua les États; la nouvelle constitution 2
qui donnait au roi toute la puissance exécutive
et une partie de la législation, fut lue; l'ac-
clamation de ceux qu' 011 avait OH gagnés ou
intimidés, étouffa l'opposition, et l'acte, sans


t Trente-six grenadiers s'avancerent la baionnette a la main;
les sénateurs qui étaient a délibérer descendÍrent au bruit. Les
grenadiers les forcel'ent de rentrer dans leur salle et la ferme-
rent ensuite aclef.


2 Le" conseil du l'oyaume n'avait que dix-sept membres, dont
les grands employés de la eouronne et le gouverneur de la Po-
méranie faisaient partie. Dans le eonseil, le roi délibérait sur -
la guerre et la paix, les allianees et les traités. Il doit, a pro-
prement parler, suivre la majorité des voix, mais il décide
des qu'une seu le voix est pour lui. On voit bien que la der-
niere loi annule la premiere. Un roi, né dans l'étranger, ne
peut pas sortir du royaume san s consulter les États, un roi
indigene le peut arbitrairement. Le souverain a le droit de
donner des titres de nobles se , de faire grace, de monnayer ,
et de nommer a toutes les charges ecclésiastiques et séculieres.
Le roi et les États unis, et Don l'un sans l'autre, peu~nt
donner une llouvelle loi, ou abolir Ulle ancienne. I,e mo-
narque ne peut pas établir et le ver de nouveaux impots saus
l'assentiment des États, a moins que l'ennemi n'attaque subi-
tement le royaume. Le comité secret des États , muni de tout
Ieur pon voir, d élibere avec le roi , c' est-ft-dire lui est entiere-
ment subordonné. Le roi seul convoque les États et les dis-
sout, lui seul commaude a l'armée et al,IX fIoues; les États ne


, peuvent délibérer que sur les affaires qu'il propose.




320 HISTOlItE DU XVIlI C SlECL1~.
autre délibératioll, fut écouté, rec;u et signé
dans le meme momento Les États preterent le
serment dicté par le roi, et personne ne pro-
testa par éerit, eomme plnsieurs avaient fait
en 1720.


Le roi avait Jéployé dans toute eette affaire
beaucoup d'aetivité et de talent, iI usa avec
donceur de la vietoire qu'il venait de rempor-
ter, et tout le royanme s'en réjouit. La Rllssie
seule, de toutes les puissances, témoigna quel-
que mécontentement de ce triomphe des prin-
cipes monarchiques sur l'oligarehied'une man-
vaise constitution 1 ; les écrivains fran<;ais, que
Gustave admirait et prenait pour modeles,
oubliant leur amour pour la liberté, et leur
haine contre la souveraineté, célébrerent le
monarque suédois a vee la nleme ehaleur que
le gouvernement militaire en Prusse.


La eonstitution qu'on venait d'abattre u'a-


1 Sheridan, surement une des meilleures sourees sur ectte
révolution, dit mot a mot d'apres l'anglais: " Le roi qui le
matin se leva eomme le lUonarque le moins absolu de 1 'Eu-
rope, se trouva, dans l'espace de deux heures, aussi absolu
a Stoekholm, que le roi de France a Versailles et le Grand-
Sultan a Constantinople. Le peuple vit avec plaisir que le pou-
voir d'une aristocratie insolente passa dans les mains d'un roí
possédant l'amour et l'estime de la natÍon. JI


Le roí déclara d'ailleurs, en toute occasion, qu'il ne son-
geait pas a la souveraineté, mais qu'il voulait rétablir l'état
des eh oses te! qu'il était avant 1780.




LlVRE lll, CnA.PITnI~ J. 321
vait ríen produít ni pour les arts, ni ponr les
sciences; on avait a la fois négligé l'utile et
l'agréable; Gustave mérite sans doute quel-
ques louanges pour avoir pris une marche ab-
solument contraire; il imita tout ce qu'il avait
vu en FraIlee, mai~ it ne ~ut ~()int ~e tenh'
dan s les bornes que sa position lui assignait;
son royaume Qevait moins que tout autre ex-
citer l'adnliration de l'Europe par son éclat 1 ,
son luxe, les arts, les sciences, les spectacles,
en un mot par tout ce qui faisait briller la
France, et qu'on ne pouvait naturaliser en
Suede qu'au prix des sueurs du citoyen et
surtout dll cultivateur.


Voulant sans doute paraitre en héros sur la
scene du monde, Gustave s' Qccupa trop de l'art
militaire. 11 empiéta de plus en plus sur la haute
juridiction qu'il avait été obligé de créer; ii
établit des monopoles d'autant plus onéreux,
qu'ils retombaient sur les choses les plus néces-
saires aux Suédois, comIne les droits de brasser
et.de distiller. C~tte conduite aigrit les esprits 2.


I Le Carrousel cmita a la pauvre Suede quatre cent mille
écus en monnaie du payiO, ce qui n'empccha pas que rannée
suivante iI n'y en eut encore un.


2 Les qualités personnelles du roi, la facilité avec Jaquelle
ii écrivait le fran~ais, et la quantité d' excellentes institutions
qu'il fit organiser, ne nous intércssent pas ici, puisqu'elles
ll'empecherent pas les résultats dont nous avüns parlé dans


H. l. 21




322 HISTOIRE DD XVIll e Sd:CLE.


La révolution qui s' était opérée dans le gou ver·
nement fut suivie d'un changement tota,1 dans
les rnceurs, les doctrines et les habitudes de la
vie. Cornme ce changement n' était dans le fond
qu'un triomphe du plus adroit et du plus fort
sur le plus faible et le plus imprudent, l'en-
thousiasme se ralentit et disparut avec l'ivresse
qu'avait excitée la chute des orgueilleu~ et mi-
sérables fautéurs de l'oligarchle. Des que le rOl
se vit obligé de puiser dans la bourse de ses su·
j ets pour satisfaire a 5a ma gnificence, le nombre
des mécontents s'accrut. On voit par les diffé-
rentes dietes, convoqué es sous le regne de Gus-
tave III, que le parti qui lui était contraire gros-
sissaitchaquejour.Ala diete de 1778, lespropo-


. sitions du roi ne ftirent presque pas contestées
et passerent toutes; en 1786, on n'approuva
presque aucune des propositions royales; en
1778, les impots avaient été accordés pour un
temps illimité, en 1786, seulerrlent pour quatre
ans.


Dans le discours que le roi prononC;a pour
la clóture de la derniere diete, il se plaignit


le texte; mais iI faut rernarquer, puisqu'on connatt Gustave
seuIem<ent comme écrivain !¡'an~ais, qu'il fut, depuis Char-
les XII le premier qui, au irone de Suede, parh\t bien le
suédois. I1 écrivit aussi quelques pie('es clans sa langue, tre~­
estimées de sa nation.




JJIVRF. IlJ, CHA.PITHE J. 323
hautement de l'opposition; mais pOUI' rega-
gner au moins en partie la favenr du peuple,
iI se vit obligé bientót apres de renoncer au
monopole odieux qu'il avait établi sur l'eau-
de-vie. Le mécontentement général augmenta
lorsque le roi chercha a se faire la réputation
d'un héros aux dépens de la Russie, en ou-
bIiant cornbien l' état des choses venait de
changcr depuis Charles XII. A la vérité, il
apaisa le courrouxde lanoblesse pourquelque
temps, mais iI se forma contre lui une conspi-
ration qui devait amener une nouvelle révo-
lution et qui n'eut ponr tout résultat que le
régicide.


CHAPITRE 11.


ACCROISSEMENT IMMENSE DE LA RUSSIE, ET PARTAGE


DE I.A POLOGNE.


l. La Russie sous Catherine 11 J considérée surtout dans ses
rapports vis-a-vis de la Pologne, jusqu'en 1769. - 11. Dé-
membrement de la Pologne.


1. L'imprudence de Charles XlI, la fai-
bIesse de la Pologne, les guerres onéreuses de
Louis XIV, la confusion des affaires de l' Au-


21.




324 HISTOIRE UU XVlIle Sd:ctE.
triehe dans les dernieres années du regne de
Charles VI, avaient facilité a Pierre Ier les
moyens de fonder une puissanee qui menac;ait
pour l'avenir la liberté de tous les anciens
États de rEurope. Il ne transforma pas seu-
lement en tres-peu de temps sa nation vigou-
reuse en une puissance militaire du premier
ordre, mais il s' empara aussi de toutes les
provinces sur la cote de la mer Baltique. J-"a
Pologne et la Suede, a proprement parler, sans
gouvernement et sans armée, devinrent bien-
tot ses tributaires. Le Danemarck, dans la
crainte que la Russie ne prit un jour la dé-
fense du due de Holstein qu'on avait dépouillé
de ses biens, se laissa diriger en tout par les
ministres russes. Toutes les guerres eontre les
Tures firent voir la supériorité que la puis-
sanee nouvellement organisée avait sur les
hordes de I'Asie, et les armées indiscipliné es
du sultan. Il fu t tres-heureux que la constitu-
tion de l'Empire allemand empeehat Pi erre Ier
de s'arroger une voix a la diete, eomme il en
avait eu l'idée. Les forces m11itaires de la Rus-
sie s'étaient développées de plus en plus, de-
puis la mort du czar jusqu'a l'avénement de
Catherine II au trone (au mois de juillet 176'2).
IJes soldats avaient fait toutes les révolutions




LfVnF: III, CHAPITll.E 11. 32.5
de fElnpire , c'était donc sur les soldats que
chaque nouveau czar devait fonder son pou-
vOJr.


Catherine avait renversé son époux infor-
tuné, surtout a l'aide de cette partie de l'ar-
11lée russe, qu'il avait offensée par sa prédilec-
tion pour les troupes du Holstein et les antres
soldats allemands, et par son amonr pour la
discipline prussienne. L'Europe s'aper~ut a~c
étonnement, sons le regne de Cathel'ine, qu'une
pnissance colossale venait de s' élever dans 1'0-
rient, et qne ces barbares, qui n'étaient pas
encore amoIlis par la civilisation, pouv:aient
devenir redoutables aux autres États affaiblis.
L'impératrice, dans ses rapports ave e les di-
verses puissances de I'Enrope, etsurtout avec
la France, prit Frédéric II pour modele; en
adoptant lenr croyance et leurs dogmes, elle
s'attacha les philosophes qui ppuvaient éten-
rlre sa renommée; et pour étouffer le cri gé-
néral qu'excitaient ses prétentions inouies sur
les États voisins, et ses conquetes pendant la
paix, elle sut adroitement faire retentir le
monde du bruit des louanges qu' on donnait a
ses lumieres, a son esprit, a ses écrits et a ses
ukases qui sonventne devaient ni ne pouvaient
etre exécutés. Son plan réussit parfaitement ;




326 HISTOIRE DlJ XVIlle SJ:ECLJ~.
et, quelque opinion qu'on ait encore de ses
rnreurs et de son systerne d'adrninistration, 00
ne peut lui refuser la gloire d'avoir possédé
un génie profond et un talent particulier pOUI'
gouverner les hornmes.


L'impartial historien ne pourra guere approu-
ver toutes les mesures de Catherine ni louer sa
vie privée; mais il ne pourra nier que, depuis
son regne, l'opinion des hommes éclairés de
l'Europe commen~a a gagne~ en Russie quel-
que influeoce sur les affaires publiques. Si les
résultats ne furent pas aussi brillants qu' 00
devait l'espérer, c'est rnoins a l'ünpératrice elle-
meme, qu'aux circonstaoces ,a quelques Fran-
~ais devenus les organes exclusifs de l' opioion
et a leurs imitateurs, qu'il faut en imputer la
faute.


La position de rEurope devenait tres-favo-
rable a Catherine pour déployer les forces
prodigieuses de la Russie. La Pologne était pa-
ralysée, sans argent, sans arrnée, dévorée par
des divisions intestines, et, pour comble de
rnalheur, elle n'avait pas d'état moyerr 1 et
manquait de peuple 2.


1 Wraxall Memoil's, tome II, page 3-4.
2 La Pologne avait alors :
l° Environ sÍx millions de paysans bien malheUI'eux;




L 1 V R J~ I II, e II A P 1 T R E 11.


La Suede était en butte a un plus grand dés-
ordre encore; le Danemarck se trouvait dans
une inquiétude continuelle a cause du Hol-
stein l. L'cmpire turc faisait chaque jour un
pas vers sa ruine. La Prusse et l'Autriche, ré-


2° Un clel'gé extremement ignorant et fanatique;
3° Une noblesse, ou la nation proprement dite ; celle-ci se


composait: l. De la Itaute noblesse; quatre ouCillq familles
jouissaiellt de richesses immellses et d'une influence royal e ;
douze OU seize avaiellt une supériorité absolue pal' leurs biens
et leur crédit, et a peu pres cent autres familles exer~aiellt la
haute juridiction;


11. De la nlJhtess,e moyellul.e; celle.ci vivait dans ses terres et
les cultivait. Elle fournissait la plus grande partie des députés
qui se laissaient faci!ement gagner par l'argent et le parti do-
minant;


lIt De la basse llob/esse, composée d'environ un million et
demi d'homrues encore presque sauvages et indomptahles, fiers
de leur liberté, rendue ilUpossibl~ p~r 1Jne lQi de leur régle-
ment;


IV. Des bourgeois; ce n'étaient que les marchands dans les
villes. surtout dans ceHe:; situées du cOté de la me».'


V. Des juifs, au nombre d'un million.
1 Pierre était héritier du' Holstein-Gottorp. Con\me on ne


faisait pas la moindre attention a luí en Russie, le J)uneJ,llarck
avait décidé la SuMe, en 175 o, a lui céder la tutelle et
l'administration, qui lui appal'tenaient de droit, comme a
la hranche la plus proche. Catherine envoya aJol's l'C;>llcle.de
son fils, le prince Georges, pour gouyerner le pays. Le Dane-
marck ne voulut d'ahord pas l'accepter, mais futhientot
ohligé de le reconnaltre. L'impératrice ayant fait des menaces,
les Danois évacuerent Kiel et députerent M. de Haxthausen a
Saint~Pétersbourg pour y présenter des excuses. En 17'73, Ca-
therine pro posa, au nom de son fils , d' échanger OldembDurg
et Delmenhorst contre le Holstein, ce qu'on accepta ayec le
plus grand empressement. Elle donna ensuite ~s deux pays it
la ligne cadette, dont le chef était a\oJ!s Frédérjc-Auguste,
évéque de Luheck.




328 HISTOIRE BU XVIlle SIECL.E.
eoneiliées en apparence, s'en voulaient plus
que jamais. L' empire allemand ~ depuis la
guerré de sept ans, ne présentait qu'un corps
désorganisé, un elupire sans souverain, et n' en
conservaít que le nomo Qui aurait pu empe-
cher la Russie de donner des lois aux pays
que l' Angleterre nepouvait corrompre par
son. argent, ni la France séduire par ses adroi-
tes flatteries? Les écrivains franc;ais, accueillis
par Cathe!rine, comme par le grand Frédéric,
célébrerent dans I'Europe entiere la généro-
sité, les IUlnieres et les institutions de l'impé-
ratrice qui établissait des écoles, ~aisait fleurir
les fabriques, les manufactures et protégeait
les arts et les sciences. Tout le lllonde ac-
~ourait pour participer a sa libéralité; elle sut
distinguer le talento 11 ne faut done pas s'é-
tQnner que les Russes intelligents et dociles
aient fait, durant son regne de trente ans, les
progres de plus d'un siecle dan s tout ce qui
est extérieur, comme la politesse, les modes,
les manieres, etc.


Ayant trop rapidementpassé de l'ignorance
a eette sorte d'urbanité, ils resterent tou-
jours étrangers a la vie religieuse, civile et
chevaleresque du reste de l'Europe; formés.
sur le lllodeIe des Fran~ais, enfants de la ré-




LIVRJ: 11I, CHAPITRE 11. 329
volution , ils ne font aucun cas de tout ce qui
n'est point pour les sens. Transportés sans in-
tervalle de la barbarie a la civilisation, ils
n'ont pas connu cette période de la vie des
peuples ou l'homme n'agit que par les nobles
impulsions de l' ame, et ou les belles contempla-
tions de la religion sont un véritable besoin.


Tandis que Catherine influen<;ait l'opinion,
et que la position de la Russie lui donnaít la
supériorité sur les autres États, ses ministres
faisaient impérieusement la loi aux cours
de Copenhague, de Stockholm et de ·Varso-
vie. Philosophoff dirigea, jusqu'au temps de
Struensée , la cour danoise, ainsi que Repnin
celle de Pologne l. Il serait difficile de d~cider
lequel de ces deux ministres s'arrogea le plus
de droits. Si la Russie rencontra quelque op;..
position a Stockholm, il fant l'imputer au
pernicieux systeme de Choiseul : ce vaniteux
ministre acheta des alliés dans toute l'Europe,
et répandit, avec une inconcevable légereté,
des richesses si nécessaires dans l'intérieur de
la France.


Lors du démembrement de la Pologne, la
Russie fit sentir toute sa prépondérance aux


( Kaiserling avait élevé Stanislas Poniatowsk y au tróne de
Pologne,ou Repnin régnait a sa place.




330 IIIST01RE DU XVJlle SJi.:CLE.


autres puissanees du premier ordre, qui en-
trerent dans le partage. Elles ne purent main-
tenir la part qui leur était échue, qu'en sui-
vant le principe des Russes, adopté ensuite
par les auteurs de la révolution fran~aise. D'a-
pres ce principe, ledroit n'est qu'Ulle conven-
tion arbitraire, et la possession n'est valable
_qu'autant que l'agresseur est le plus faible:
d'ailleurs, si la Pologne subit le joug de la
Russie, si elle fut traitée avec plus de dureté
qu'un pays de eonquete 1, e'est a sapropre
eonstitution, et a l'usurp4tion de quelques fa-
luillcs qu'elle doit son avilissem.ent et son op-
pression.


Au milieu du seizj{nne siecle, Sigismond
Auguste avait aecordé a la noblesse polonaise
quatre prérogatives, qu'il faut regarder eomme
un présent tres-funeste. L'expérience a prouvé
eornbien les deux premiers priviléges furent


1 Rulhieres, Bistoire de l'anarchie de Pologne, trois vol. in-SO,
malgré l'imperfeetion de son ouvrage, sert ¡ei de souree prín-
eip~le. (On trouve un bon jugement sur l'hjstoire de. Rul-
hieres, dans Flassan, Bistoire de la diplomatie franc¡aise, t. V.
page 423.) .


On pourrait eonsulter, outre ):lulhieres: Coxe, Wraxall,
et surtout Facts relatil'e to tlze dismembcrmeht of Poland, ql1i
se trouvcnt en entier dans Bistory of Poland fo the commence-
ment oftlteyear 1795. LOlldon, 1795,in-8°; ensuiteLifeof
Catlzarine 1I, elUpress of Russia, troisieme édit., troía vol., 1799,
London.




LIVRE JlJ, CHAIlJTRE JI. 33[
pernicieux x ; le troisieme, par ce fameux libe-
rum veto, ou l'opposition d'un seul Polonais
arrete le décret de toute la diete, devint la
cause de bien ~es malheurs 2. Le quatrieme,
s'il n' empecha pas entierement la civilisation
du pays, la retarda du moins beaucoup3. Les
Polonais n'avaient jamais possédé ni un gou-
vernement ni une armée, ni une admini-
stration. Les puissances étrangeres, depu;s un
siecle, avaient disposé, soit par l'argent, Boít
par la force,. de l'élection des rois; mais jamais
la Pologne n'avait été traitée si durement pen-
dant la paix que par la Prusse et ]a Russie.
Immédiatement apres l'avénement de Cathe-
rine 11 au trone, cet empire ne se contenta pas
de déposséder le prince Charles de Saxe,
en bannissant Biron 4, nornmé duc de Cour-
lande, avec l'approbation de l'impératrice Éli-
sabeth et de la république polonaise; mais la


J 10 Le royaume est électif. On ne nomme jamais pendant la
vie du roí son successeur au trone. .


2 0 Des que le roi agit contre les Ipis ou viole les priviléges
de la. nation, elle n'est plus tenue a S011 serment.


:1 Tous les denx: ans ii doit y avoir des dietes générales. En
vertu du liberum 'Veto, une seule voix arr~te toutes les délibé.
rations .


. 3 A l' élection dn roi, la noblesse sente a une voix, maís
qui est accordée a tout individn parmi elle.


4 Pierre III rappela Biroll de Sibérie, Catherille II le réta~
blit dans son duché sans consulter les Polonais.




332 HISTOIRE DU XVIIlC Sd:CL.E.
lueme arluée, qui vit la Courlande occupée
au nom de Biron, entradans la Pologne et
mena<;a Varsovie. Tout cela se fit sous prétexte
que le roi ne savait pas maintenir l'ordre, et
que l'impératrice. sentait l' obligation de so u-
ten ir le parti Czartorinsky contre le parti Rad-
zivil.


Le roi prit la fuite; on attendait les Russes
d'un jour a l'autre., a Varsovie. Les Prussiens,
postés de l'autre coté de la Pólogne, pénétre-
renP dans ce pays, et y exercerent une juri-
diction tont - a -fait arbitraire. Les Polonais
s'adressaient-ils au ministre de Prusse, a Var-
sovie, iI n'était pas visible; allaient-ils jusqu'a
Frédérjc, il avait l'air, d'ignorer les exd~s de
ses fonctionnaires; forcé· enfin par les irnpor-
tunités et craignant sans doute une responsa-
hilité trop pesante en Enrope, le roi donna, il
est vrai, a la priere des Inalhenreux PoIonais ,
l'ordre a ses officiers de ne pas s'arroger le droit
de juger et d'exécuter a la foís sur un territoire


\


étranger; ¡nais ces memes officiers, trop bien
1 Les Prussiens palliaient cette invasion tantot par le désir


qu'ils avaient de ramener leurs sujets réfugiés en Pologne,
tantot par leur obligation de faire payer aux seigneurs justi-
ciers les dettes contractées envers les paysans polonnis, qui
s'étaiellt mis sous leur protection ; les officiers se permettaient
it cette occasion les injustices les plus criantes; ils s'érigeaient
en .iuges , et cxécutaient en meme temps leurs sentences.




LIVH.E 111, CHAPITHE 11. 333
instruits des secretes volontés de lenr sou-
verain, déclarerent qu'ils n'avaient pas d'or-
dres directs a recevoir du roi, qu'ils n'obéis-
saient qu'a leurs généraux. Le roi de Pologne
lui-meme, Frédéric Auguste, ne voyait plus
personne; son ministre Brühl était, disait-il,
chargé des affaires de la Saxe, et celles de la
Pologne ne le regardaient en aucune maniere.


Une alliance étroite existait entre la France
et l'Autriche. Frédéric II, sans alliés a .cette
époque, chercha a conserver l'amitié de la
Russie; il sacrifia la malheureuse Pologne a
ses rapports politiques. Aussi personne ne
s'opposait réeHement aux vues de'la cour de
Saint-Pétersbourg. Lorsque Auguste mourut,
le 5 octobre 1763, l'impératrice de Russie ré-
solut d'élever sur le trone vacant son ancien
favori, Stanislas Poniatowsky, homme sans ta-
lent, et dont la famille et le parti n'avaient ni
crédit ni puissance.


Par une déclaration du 16 mars 1764, les
cours de Vienne et de Versailles abandonne-
rent l'élection a la czarine 1, et par un traité
du 1 1 avril suivant 2, le roi de Prusse em-


1 Le marquis de Paulmy, arobassadeur de Franee a Varso-
vie, déclara a la diete que Louis XV ne se méIerait pas de
l'élection.


2 Frédéric II avait envoyé le eorote de SoIros a Saint-Pé.




,
334 HISTOIRE DU XVIUe SIECLE.
brassa satis restriction les projets de Catherine.
Les Czartorinsky, désirant voir leur parent
Stanislas sur le trone, ne pouvaient pas tenir
tete an parti des Radzivil; les Russes leur pre-
terent secours; ils occuperent Varsovie , éloi-
gnerent le vieux maréchal, qui n'entrait pas
dans leurs vues, et mirent un Czartorinsky a
sa place; ils dépouillerent ensuite le conné ...
table de sa dignité pour la donner a un autre
membre de la famille qu'ils favorisaient. Cent
vingt mille Russes ayant pénétré en Lithuanie,
Radzivil, Branicl~y et leur parti commencerent
une guerre en regle l. Radzivil fut vaincu
apres un combat opinühre , et Branicky ne put
se soutenir plus long-temps. La crainte qu' on
avait de la Russie décida enfin les Polonais él
élire Stanislas Poniatowsky, le 6 septembre
1764, presque a l'unanirnité. Si ron espérait,
par cette élection cornmandée, sortir de la tu-


tersbourg, pour conclure le traité défensíf et offensif entre la
Prusse et la Russie. On ajouta a ce traité les c1auses suivantes :
m les deux.contractants ne souffriront jamais que la constitution
polonaise soit changée (pour éterniser l'anarchie); et ils ne
reconnaitront pas de roi héréditaire. JI On avait décidé que Sta~
nislas Poniatowsky serait élu roi.


~ Rulhíeres, Anarchie de la Pologne, vol. II, rapporte, avec
les plus grands détails, les bassesses dont le partí russe, ainsi
que les Potocky, les Radzivil et les Branicky se rendirent
coupables.




L I V n E llI., e Il .\ P lT R El!. 335 .
telle onéreuse des Russes, on reeonnut bien-
tot que c' était une erreur. Repnin alla bien
plus foin dans ses prétentions que Kaiserling.
Il ne luanqua pas d'occasions pour monfrer
dan s ce .malheureux pays son esprit domina-
teur. Les troupes russes y demeurerent; on 6t
une nouvelle ligne de démarcation au grand
préjudice de la Pologne. On pro posa une aJ-
liance offensive et défensive qU\i rendait la
perte de ce royaume inévitable. En6n l'inipé-
ratl'ice prit les dissidents sous sa protection.
Cette tolérance prétendue, et surtout l'em-
pressement de la Russie a soutenir l'Église
gl'ecque en Pologne' ne 6t illusion a per-
sonne ; cal' iI était facile de concevoir que les
Russes ne prenaient le parti des dissidents,
que pour pouvoir se meler plus décemment des
affaires les plus secretes de la républiqlle. Le
nouveau roi devait etre l'organe des étrangers
a la diete; méprisé des Polonais , eomme créa-
ture russe, il ne put et ne voulut pas se son-
mettre sans l'estriction aux ordrés de la Russie,
contraire's a la constitution. Cette puissance ne
garda done bientot plus de nlesüres envers lui.
Repnin traita le faíble Stanislas sans aucun
égard, et meme avec violence; il l'offensa
a dessein et a1la jusqu'a chercher l'occasion de




336 HISTOIRE DU XV[Ile Sd:CLE.
lui montrer du mépris l. Catherine se faisait
elle-meme un plaisir d'humilier son ancien
favori. La confusion fut done plus grande que
jarnais en Pologne. La nation, offensée des
long-temps pa.r les Russes, se vit encore excitée
par le fanatisme, et le prétexte de la religion
preta de nouvelles arnles a leurs funestes scis-
sions, filIes de l' ambition et de l' a'vidité 2.


L'animosité contre la Russie étant montée
au plus haut degré , on convoqua en 1766 une
diete pour décider la cause des dissidents.
Tous les ministres des puissances, dont ces
uerniers avaient réclamé le secours, y firent
des représentations pressantes en faveur de


1 Repnin était le neve u et le favori de Pantn, a qui Cathe-
Tine II conflait la direction de son eabinet. Btanislas, iI est
vrai, ne se faisait nullement respecter ; sa légereté ne eonnais-
sait pas de bornes. Wraxall (du reste, mauvaise source) , .I.tle-
Tlloil's, tome Il, page 45, rapporte a ce sujet plusieurs anec-
dotes.


2 Les dissidents, c'est-a-dire les protestants et les Grecs,
avaient flni, dans le seizieme siecle, par se faire tolérer en
Pologne, et me me par avoir part uu gouvernement. La paix
d'Oliva, de 1660, assura Ieurs droits; en 1733, ou les ex-
cIut entierement des dietes. Des -lors les troubles augmen-
taient de jour en jour ; on leur opposa enfin une nouvelle loi,
par laquelle les dissidents qui s'adresseraient aux puissances
étrangeres, pour faire maintenir les droits de leur religion,
sel'aient déclarés eoupables de haute-trahison. Les Grees re-
eoururent a la Russie, qui avait entretenu avec so in ce diffé-
rent; les protestants démand('rent l'intenention de la Prusse ,
du Danemarck et de l' Angleterre, comme garants du traité
d'Oliva.




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 337
\'Rg\ise gl'ecque et des \?l'otestál\ts.Le, pl'ince
Repnin demanda non-seulement que ces dis-
sidents fussent tolérés, mais encore qu' on les
admlt aux charges publiques. Le roi et ses
partisans ainsi que le primat, archeveqne de
Gnesne, voyant qu'ils ne pouvaient ni nlainte-
nir leurs mesures séveres, ni éluder les de-
mandes des quatre pllissances, le déclarerent a
la diete, et irriterent par cette déclaration les
éveques fanatiques. Ceux-ci ,non contents d'at-
taquer le roi et le primat dans des libelles, for-
merent meme des confédérations armées. Rad-
zivil, absent jusqu'alors, revint en Pologne. Les
dissidents prirent les armes; le sang coulait de
tous catés, et le roi, opposé depuis long-temps
aux Russes, recourut alors a lenr assistance.


Les troupes russes occupaient Varsovie,
lorsque Stanislas convoqua une diete extraor-
dinaire, en 1767' OIl mena<;a les confédérés
el' employer la force pour les souIJ,l.ettre; lnais
les Polonais montrerent de l'énergie et ne flé-
chirent que le 15 octobre l. Repnin fit alors


1 Igelstrom , colonel russe, arr~ta l' év~que de Cracovie a la
table du eomte de Miniseheek, le m~me jour qu'il avait parlé
avec violence eontre le roi, le primat , les Russes et les dissí~
dents. L' évéque de Kiew, les vayvodes de Cracovie, de Dotín
et plusieurs nobles partagerent son 50rt. On devait aussi ar-
reter l'éveque de Caminieck, mais iI échappa et fonda la ligue
que Pulawsky ftt connaitre trop tOt. La diete foreta le roí de


JI, J. 22




338 HI!TOIRE nu XVIIIC 5d~CLE.
arreter et transporter en Sjbérie ceux qui s1é_
levaient violemment contre la réceptjon des
dissidents a la diete. Apres l'éloignement des
chefs de l'opposition, il ordonna aux autres
d'approuver un décret eontre lequel ils avaient
d'abord unanilnement protesté; et quand ces
affaires furent terminées, les troupes russes
demeurerent en Pologne. Repnin dirigea tout
en roi a Varsovie; les puissanees de l'Europe
le souffrirent, parce que la Prusse avait be-
soin d'etre bien avee la Russie, et que l'An-
gleterre avait été gagnée par un traité qui lni
promettait de grands avantages eommereiaux.
Les Fran<;ais seuls ehereherent a susciter les
Tures, fournirent de l'argent aux Polonais, et
les engagerent a fomenter de nouveaux trou-
bIes. Les Polonais fanatiques ou mécont~nts,
excités par Krasinsky, Pulawsky, Potocky et
d'autres, formerent des eonfédérations, et
ayant rassemblé un grand nombre de Jeurs
partisans a Bar 1, ils prirent Cracovie et y
PoIogne de demander a Repnin la liberté de ces prisonniers ;
mais celui-ci ne fit pas attention a ses représentations, et iIs
resterent pendant six ans en Sibérie. Repnin, dans un ac;;te mé-
morable, revétu de sa si.gnature, dé clara a la diete que pOUl'
maintenir la liberté, iI avait détruit la licence.


I Bar est un pctit bourg en Podolie, a 5 lieues de Cami.
nieck. Les Polonais mpcontents s'y rpunirent a la fin de févriel'
17 68 .




LtVRE 11 1, CHAPITR E n. 339
établirent la république. Les troupes régulieres
des Russes demeurerent naturelleInent tou-
jours supérieures aux troupes indisciplinées
des Polonais et vengerent par des crjmes les
atrocités auxquelles on s'étaitporté envers eux.


Admettons que le manifeste affreux de
l'impératrice aux cosaques saporogiques ait
été fabriqué par des ennemis des Russes 1 ~ il
n'est pas moins vrai que ces cosaques agirent
tout-a-fait dan s le sens du manifeste. Les Turcs;
a l'instígation des Fran<;;ais, s'armaient en fin
contre la Russie, iI ne leur manquait qu'une
raison plausible pour faire la guerre; ils cru-
rent la trouver lorsque les Russes poursuivi ..
rent les Polonais fuyards au-deHt de la frontiere
turque, et brúIerent la petite ville de Balter.


Cfpendant l'inhabilité des Musulmans fit
échouer les desseins de la politique fran<;aise ;
de grosses sommes d'argent furent vainement
dépensées; la guerre éclata, 11 est vrai, mais
elle prit une tout autre tournure que ceHe
qu'en espéraient ceux qui l'avaient suscitée.


U. - Lorsque le's Turcs eurent déclaré la


1 Le manifeste est du 20 juin 1768, et se trouve dans les
Manijastes de la république confédérée de Pologne, du 15 no-
vembre 17()9, 1770; les eosaques y sont appelés (page 261)
pour extirper et abattre, avee l'aide ele Dieu, tous les Polo-
nais et les juifs hIllsphf.mateurs de notre sainte religion.
2~.




340 HISTOIRl! DU XVJ1Ie Sl1{CLl';.
guerre a la Russie, la Pologne se trouva quel-
que temps plus libre; car les armées de la
czarin<t avaient passé le Danube et étaient en-
trées dans la Valachie et la Moldavie. Le mi-
nistre russe mit tout en reuvre pour exci-
ter les Grecs a une révolte. Les Frant;ais au
contraire uonnerent des subsides réguliers t
aux Polonais confédérés; Dumouriez, devenu
si célebre depuis, les dirigeait par ses con-
seils.


Tandis que ce général obtenait en France
qu'on fournlt aux Potonais de l'argent, des of-
ficiers et tout ce qu'il leur fallait, Joseph I1,
alors co-régent momentané, avec sa mere 2.,


I Les Franeais donuaient aux Polonais eonfédérés six mille
ducats de subsides par mois. L'habile et éloquent général
Mokronofsky offrait au duc de Choiseul de faire adopter la
confédération a toute la Pologne, s'il donnait deux millions de
franes, et reconnaissait le eornte de Vilheorsky eornme mi-
nistre de la eonfédération de Bar a París. Choiseul y était dis-
posé, mais la cour de Vienne ne goíha pas ee projet, et l'en.
dissuada.


2 Marie. Thérese avait d'abord confié a Joseph II, no mm,:
eo-régent, toutes les affaires, mais voyant eombien iI était pout'
la guerre et pour des mesures promptes, elle reprit ave e son
ministre l'administration ,et ne laissa a son fiIs que les affaíres
militaires et le comrnandement de l'armée.


Quant au démembrement de la Pologne, CaraeeioIi, ríe df'
Joseph 11, dit de l'impératrice : ti Ce qu'il ya de sur, e'est que
• Marie - Thérese, vivement sollieitée par son fils de prendre
" part au partage, ne le fitqu'avee la plus profonde douleur, el
.. qn'apres avoir consulté Rome et les plus sa,-ants juriscon~




LIVi\E 111, CHAPIT R E [1. 341
leur aecorda la permission de se rassembler
sur son t(uritoire en Hongrie, et d'entrer dans
la Pologne. Frédéric II 6t, avec sa finesse ordi-
naire, le négoeiateur aupres des deux partis.
L'empereur et le roi eurent alors deux entre-
vues, la premiere au mois d'Aout 1769, ou
Joseph fit une visite au roi de Prusse, a Neisse;
l'autre au mois de septembre 1770, a Neu-
stadt en Moravie, ou FI'édéric visita l'empe-
reur a son tour. Dans la derniere entrevue., la
question du démembrement de la Pologne fut
agitée. Un mois apres, Catherine consentit vrai-
sembJabJement au partage; e' est le prinee Henri
qui lui 6t prendre eette résollltion , en lni re-
présentant 1 que c'était le seul moyen d'em-


« sultes, pour savoir si elle pourrait, sans ble&ser sa con-
~ scÍence et le droit des gens, participer a cette invasion .•


Rome, dans cette affaire, cut moins de scrupules que Ma-
rie-Thérese.


1 Le prince Henri alla, en 177 o, au mois d' octobre, a
SaÍnt - Pétershourg, y arrÍva le 1 2 , et reto urna a Berlín en
1771, au mois de janvier. Frédéric II, OEUfJres posthllmes,
tome V, page 60, faÍt eutendre qu'il y négocia le partage de
la Pologne. Flassan, tome VI, page 84, ainsi que Lije 01 the
empress Catharine II, tome II, page 28, répNent le mot que
Catherine doit avoir dit au prince Henri :


11 J'épouvanterai la Turquie, je flatterai l'Angleterre; que
la Prusse se charge de gagner l' Autriche pour en dormir la
France. lO


Les détails exacts se trouvent dans Dohm Denkwürdigkei-
ten. (Mémoires) , vol. 1, p';g. 483 et suiv. 11 a méme joínt a
ce volume, dans les suppléments, un article tr\'s-étendu sur




342 HlSTOIRE DU X V 11 le SI ECLE.
pecher l'intervention armée entre elle et la
Porte. Ainsi les Turcs furent les victimes du
machiavelisme de Frédérie: ils avaient donné,
en 1771 huit millions de florins pour les ar-
mements de I'Autriche ; ils apprirent bientot
apres, a leur grand étonnement, que eette
puissance allait tourner contre eux-memes ces
armements qu'ils avaient payés. Lorsqu'on
cherche a savoir pourquoi l'Autriehe agissait
de la sorte, pourquoi Frétléric et Joseph , qui
ne s'entendaient du reste nullement, se rappro-
cherent ainsi l'un de l'autre ; lorsqu'on veut
admirer la poli tique du roi de Prusse, dont
les actes n'étaient déterminés, ni par une af-
fection ni par une aversion personnelle, on
n'a qu'a jeter un coup d'reil sur la marche
de la guerre entre la Porte et la Russie.


Les généraux de Catherine gagnent sur le
Pruth une bataille qui eut d'imlnenses résul-
tats. Bender et Chotzyln furent pris, le pays
des Tartares Nogais occupéjusqu'ida Crimée;
Otschakof et tout le Budschack conquis, la
Bessarabie enlevée; et les provinces de M~l­
davié et de Valachie rendirent hommage a la
czarine par des députations.


le premier partage de la Pologne et la part que Frédéric prit él
eette affaire.




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 343
Cependant une floUe russe se montre dans


la mer Naire, une autre entre dan s la Médi-
terranée. Les Grecs se soulevent dans les Hes,
en Épire et en Morée. AH, bey de l'Égypte,
leve l'étendard de la révolte et se met sou~
la protection des Russes l. Les descentes des
Grecs en Syrie et sur les cotes de l' Asie mi-
neure furent puissamment favarisé es. Alors
Alexandre Orloff, avec toute la pompe des
anciens .. ois de l' Asie , donna des lois, au nom
de sa souveraine, des cotes de l'ltalie jus-
qu' aux rivages de la mer N oire 2.


Enlin, le 6 juillet 1770, le lendemain d'un
combat naval pres de Scio, ou la victoire était
restée indécise_, la fIotte russe, dirigée par des
amiraux anglais et cornmandée par Spiridoff,
brida et détruisit, dans la baie de Tschesmé,
la fIotte innombrable des Ottomans. En vain
les Turcs, au commencement de l'année sui-
vante, remporterent -ils quelques avantages
dans la Valachie 3 ; en vain firent-ils attaquer


1 Orloff députa Plestchejeff a Ali bey en Égypte. Cet en-
voyé a fait un rapport détaillé de sa mission; on le trouve
dans les rariétés de littératul'e, vol. IX, pago 477'


2 Orloff et ses officiers sont bien dépeints dans the Life o/
the empl'ess Ca/harina J1, vol. 1, pago 49.


3 Les Polonais confédérés eurent alors tellement le dessus ,
qu'ils prononcerent la déchéance de Stanislas, el qu'ils luí




344 HISTOJRE UU XyIUe SlECLE.
les Russes par les Tartares de la Crimée, leurs
succes furent monlentanés, ils perdirent bien-
tot trois nouvelles batailles. Romanzoff prit
ses quartiers d'hiver dans la Moldavie et la
Valachie. Les Tartares de ]a Crimée furent
poursuivis par Dolgoroucky 1 jusque dans len!'
pays fortifié, le kan en fu t chassé et la Criulée
occupée.


Immédiatement apres, les Russes donne-
rent aux Tartares un nouveau souverain. Ce
kan se déclara indépendant de la Turquie;
mais au congres de Fokschiani, tenu le '2 aout
J: 772, par la médiation de I'Autriche et de la
Prusse, Catherine demanda aux Turcs de recon-
tlaitre solennellement que les Tartares étaient
les tributaires de la Russie. Ce congres n'eut
aucun résultat; de nouvelles négociations s'en-"
tarnerent a Bncharest. Les Turcs furent con-
traints de céder. Le démembrement de la Po-
logne était résolu entre la czarine et les nlédia-
tenrs. La France seule aurait pu et du Inettre
obstacle a cet injuste partage; mais les affaires
extérienres de ce royaume étaient alor5 diri-
en nrent intimer le décret dans su résidence. Le 3 septembre
177 J, ils l'aui'aient presque enlevé de Varsovie, si Lukawsky,
Stravensky et Kosinsky fussent restés en aussi bonne intelli-
gence apres cette entreprise , qu'ils l'avaient été avaut.


IOn donna a Dolgoroucky le titre hOllorinque de Crimsky.




LIVRE 111, CHA.ll ITRE JI. 345
gées par le due d'Aiguillon, qui s'oceupait
plutot de lui-meme que de l'État.


Marie-Thérese, la seule qui, parmi les sou-
veraines du temps rnoderne, n'oublia point sa
dignité de fernme sur le trone, qui, eornme
épouse et eomme veuve, honora son sexe et
illustra son regne en soumettant la politique
a la morale et a la religion, eéJa a la ~olonté
de son fils et de Kaunitz qui voulait plaire a
ce dernier. Elle eonsentit au dépouillement
du prinee 'foisin sans l'approuver au fond de
son ame. Avant que la résolution des trois
puissances transpirat, des troupes prussiennes,
russes et autrichiennes entrerent en Pologne,
et l'empereur oeeupa, eomme sa propriété, le
Palatinat Zips, jadis engagé, par les Hongrois,
a la Pologne. Le systeme de l'Enrope, le hon
ou le mauvais droit, l' équité et le sort futur de
la nation polonaise, embarrasserent bien moins
les trois puissances, que la diffieulté de eoncilier
leurs intérets personnels. La Russie et la Prusse
s'entendirent les premieres; la derniere eut
en partage Pomerelle, daqs la Grande-Polo-
gne, situé au - deHt du fleuve N etze, l' éveehé
d'Ermeland, les Palatinats de Marienbourg et
de Culm, les distriets les plus beaux et les
plus peuplés de la Pologne , mais il Iui faIlut re-




346 HISTOIRE DU XVIlI e SlECLE.
noncer a ses prétentions sur Dantzick et Thorn.


La Russie et la Prusse s'étant accordées, le
12 février 1772, sur leur part au butin, les
traités furent signés le 17 et le ] 9 février. La
Prusse s' engagea alors 1 a décider l' Au tri che
a un accommodement; il s' écoula encore quel-
ques mois avant que le pacte définitif, sur-
tout entre l' Autriche et la Russie, fút ratifié,
et on ne termina le traité de partage que le
5 aoút, a Saint-Pétersbourg 2 •


Trois armées, chacune de dix mille horn-
mes, occupaient la Pologne; les généraux de-
luanderent aux États, assemblés a Varsovie,
la cession des provinces envahies, et, le 18
septembre , parut un manifeste bienveillant


I 00 trouve les notions et les détails sur ces traités dans
Manso, Histoire de l'état de Prusse, depuis la paix de Huberts-
bourg, jusqu'au deuxieme traité de París, vol. i , pago 30 et
suivantes.


2 Herzberg, Recueil, tomo 1, pago 385, rapporte l'acte de
partage ; et donne de plus le mémoire qu'il avait fai~ sur le
droit supposé du roi de Prusse, au port de Dantzick, et aux
bouches de la Vistule. Dohm présente parfaitement la nature
du partage en ces mots: La Russie eut la plus grande part ,
mais la moins peuplée et la moins fertile; l' Autriche, la plus
fertile et la plus productive ; la Prusse la plus petite, mais la
plus peuplée et la plus importante. La Pologne perdit cinq mil-
Hons d'habitants: la Russie en eut un million cinq cent milIe;
l' Autriche, deux millions cinq cent mille, et la Prusse, huit cent
soixante mille.


Manso, pago 33 et 37, nous raconte les moyens que Fré-
déric employa pour augmenter sa parto




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 347
des tI'ois monarques, qui justifiait leurs in-
tentions et défendait leurs droits sur la Polo-
gne. Stackelberg, ministre russe a Varsovie,
présenta, avec le traité , une proposition con-
cernant les changements dans la constitution
polonaise, nécessités par le partage 1 ; on ne
détacha pas seu lement de force des provinces
entieres de la Pologne, mais on demanda
meme au roi et aux États qu'ils conflrlnassent
le traité des trois, puissances. Cette conduite
exaspéra tous les esprits, et ni l'argent ni les
menées ne purent assembler une diete sui-
vant les formes ordinaires. Le roi se vit alors
obligé d'organiser une confédératión générale
pour pouvoir nommer des commissaires qui
exalninassent les propositions. Cette diete s'as-
sembla le 19 avril 1773; ni les menaces des
trois cabinets, ni la barbarie exercée dans les
provinces limitrophes, ne purent décider ses
membres a donner leur assentiment aux pro-
jets qu'on leur pl'ésentait. Il fut nomnlé, au


1 La Pologne avait perdn la meilleure part de ses revenus,
et cependant les trois puissances demanderent a la nation de
pourvoir a l'entretien du roí qui par le partage avait été dé-
pouillé de toU!! ses domaines et du tiers de ses revenus. Elles
exigerent en outre qu'elle étabUt un fonds assuI'é pour en-
tretenir trente mille soldats.


Par manque d'argellt, presque toutes les troupes, a l'excep-
tÍon de la garde, avaient été réformées.




348 HISTOIRE DD XVIlle SItCLI::.
1110is de mai, un comité qui, n'osant al~toriset·
l'injustice, négocia jusqu'au mois de septem-
breo Les plus forts l'emporterent enfin sur les
opprimés , et le comité signa le décret que per-
sonne n'approuva, mais qui ne s'en exécuta
pas moins. La diete, il est vrai, ne le confirlna
que le 13 avril 1775.


La demande la plus dure était contenue
dans la note présentée, le 13 septembre 1773,
par les ambassadeurs des trois cours. D'apre~
eette note la constitution ancienne devait etre
maintenue, sauf quelques changements qui
rendaient toute amélioration impossible l. On
donna encore plus d'infIllence a la noblesse;
on lui laissa le liberum veto, et on restreignit
considérablement le pouvoir royal. Toute
rEurope retentit des justes plaiutes des Po-
10nais. On reconnut alors que la poli tique et
la morale devaient des ce moment etre sépa-
rées pour toujours l'une .de l'autre. La con-


1 1 0. La Pologne restera a jamais un royaume électif.
2° Aucunétranger ne sera plus élu roi.
3° Le gouvernement Polonais demeurera toujours libre,


indépendant et républicain.
4° La nature du gouvernement Polonais constitue la ha-


Jance entre le roi, le sénat et la noblesse. La derniere, jusqu'a-
lors tout-a-fait exclue de l'administration dans l'intervalle des
dietes, y aura sa parto -Le pouvoir exécutif sera confié a un
conseil permanent, composé du roi , des sénateurs et de la
noblesse.




LlvnE IU, CHAPITRE 11. 349
fiance des peuples européens, en une balance
supposée de l'Europe, fut perdue a jamais, et
la 10i du plus fort rec;ut une sanetion solen-
nelle l.


Dantzick et Thorn éprouverent bien des
vexations de la part de la Prusse; l'Autriehe
semblait vouloir s'arroger de nouveaux droits,
lorsque Catherine, apres avoir étouffe la re-
bellion de PugatschefÍ'l et fait la paix avee les
Turcs a Cuttsehuck, Cainardschi, en Bulgarie,
an mois de Juillet 1774 3, arreta toutes les
prétentions ultérieures. La Pologne jouit alors,
jllsqu'en r 778, d"un calme assez constant.
A eette époque, la Russie et l' Autriche s' enga-


1 La Pologne, comme on sait, était alors dans un état dé-
plorable, et le faíble roi ne gardait que l'ombre du pouvoir.
On apprend d'ailleurs de Wraxall memoirs, qu'en 1777 tout
le monde prévoyait la dissolution de ce malheureux royaume.


;¡ Pugatscheff joua son role en 1773; au commencement
de l'année 1774 tout avait éclaté. Au mois de septembre, il
fut transporté a Moscou, et exécuté en 1775, au mois de jan-
vier.


3 Les malheureux Grecs, qui ne s'étaiellt soulevés que dans
l'espoir d'etre soutenus par la Russie, furent abulldonnés a
leur mauvaise fortune. Cette paix assura aux Russes le passage
des Dardanelles, et le droit de navigation dans la mer noire et
dans toutes les mers de l'empire Ottoman. Ils conserverent
Azow, Taganrock, Kertsch et Kinbnrn, mais rendirent les
autres conquétes. L'indépendance de la Crimée était un article
principal de ce traité. La Porte, en donnant une somme d'ar-
gent peu considérable a la Russie , lui céda le pays littoral de
la mer noire, entre le Bog et le Bori~thene.




350 HISTOIRE DU X VIII' SIECLE.
, gerent dans une nouvelle guerre contre la


Turquie. Frédér'ic Guillaume II voyant avec
inquiétude l' agrandissemen t de ses voisins,
déja si puissants, désirait empecher l'oppres-
sion des Turcs. Pour effectuer ce projet, iJ
fallait exciter les Polonais a refuser avec fer-
meté l'alliance étroite que la Russie leur pro-
posait. La Prusse consentit que la' diete abolit
la constitution passée de force en 177 5, qu~elle
demandat l'éloignement des troupes russes,
et qu' elle proposat meme une réforme de
l'ancienne constitution l.


Frédéric Guillaume ne s'elJ tint pas a ces
dé marches , il se lia étroitement avec les Po-
lonais; la Prusse et la Pologne ayant conclu ,
signé et ratifié un traité offensif et défensif, le
29 mars 1790, Potocky et l'éveque de Cami-
nieck firent le plan de reformer l'ancienne
constitution. Comme on sentait que la Po-
logne, en quali té de royaume électif, serait tou-
jours exposée aux corruptions et aux menaces
des étrangers, on voulait en faire un état hé-
réditaire et assurer la couronne, avec l'assen-
timent des assemblées provinciales, a ]' ex-


1 On reconnait l'iutervention des Prussiens a la note de
M. de Buchholz du 19 llovem bre ' J 778 , et á la répOD:1e des
f:tats ou 8 décembre.




I.IVRE 111, CHAPITRE 11. 351
ception de celle de Volhynie, a la Saxe-, ce
qui du reste était contraire aux pactes con-
venus. Les Polonais favorisaient la réforme de
leur constitution; encouragés par la révolu-
tion frall(;aise, ils s' engageren t, le 3 mai 1791,
en présence du roí et dans son palais, a ef-
fectuer ce changement a la diete pl'ochaine.
Les enthousiastes, a l'instar de ceux qui dé-
truisirent en France, dans une nuit, tous les
droits de la féodalité avant d'en avoir múri
les suites, firent passer en Pologne pour ainsi
dire de force la nouvelle constitution 1, et mal-
gré toutes les réclamations de la minorité de
la nation, elle fut acceptée le jour lneme qu'on
la proposa. Les dix - huit députés de la no-
blesse, ayant refusé de la reconnaitre, protes-
terent des les lendemain.


Les puissances limitrophes, qui détestaient
au-dela de toute expression l'assemblée natio-
nale en France , et qui craignaient d'en voir


1 On lit les articles principaux de cette constitution dans
Manso. Geschichte des preussischen Staats. \ Histoire de l'état
de Prusse), volume 1, pages 313-316. Il faut comparer avec
cela toute la fin du 1 er voh:tme, ou l'histoire est présentée
sous un tout autre point de vue. On trouve d'ailleurs la con-
stitution en entier dans la Gazette de Leyde, et dans tous les
grands journaux du temps. La critique n'est pas ici a sa place,
et me semble inutile puisque toute constitution ne peut étre
jugée que par l'expérience, ou par le philosophe qui ne s'at-
tache qu'aux principes.




352 H 1 S T 01 R:E D II X V 1 II e S J1~ e L J~.
renonveler aillellrs les scenes effrayan tes ..
trOllVerent dans la protestatíon des nobles un
prétexte assez plausible pour s'jmmiscer clans
les affaires de la Pologne. Le roi de Prusse ne
déclara pas seulement a la diete, par son oli-'
nistre, qu'il donnait son assentiment a tout
ce que les Polonais venaient de faire, et sur-
tout a l'élection de la maison de Saxe, il écri-
vit meme le 23 mai 1791 une lettre autographe
au roi Stauislas. Le député Russe Bulgakoff
avait présenté le 18 ·mai une déclaratiou tres-
violente oú il 6t valoir la caution de son im-
pératrice pour l'ancienne cOllstitution 1, et OU
il annonca i' entrée des troupes russes en Po-
logue. Il aurait faUu, dans ces circoustances ,
un homme énergique a la tete des affaires.
Tant qu'il ne s'agissait que de parler ou d'é-
erire, Stanislas était adroit et habile, mais
aussitot qu'il fallait agír, il 1110ntrait son carac-
tere faíble et pusillanime. Les Polonais avaient
compté sur l'assistance de la Prusse; lnais ils
ne furent pas long - temps sans reconnalh'e


1 D:ms eette fatale scÍssion, ii Y avait bien eles Polonais
qui invoquaient l'appui des Russes. 00 publia le 14 mai, a
Saiot-Pétersbourg, une protestation signée par Branicky, Fe-
¡ix Potocky, Rzewusky, et d'autres qui se trouvaient aJors
daos la capitale de la Russie. Une conftdération á Targowie7.
fournit aux Russes une raison plausihle d'occuper la Pologne.




LIVRE lIT, CHAPITRE II. 353
combien ils avaient été trompés, lorsque la
Russie se mit en devoir d'en venir a des voies
violentes.


La Prusse, sur le poin t d~ faire la guerre
a la France, chercha un misérable suhterfuge
pour ne pas fournir aux Polonais les secours
promis, et déclara, le 8 juin 1792, qu'elle
n'assisterait pas la république de Pologne,
paree qu'elle avait fait un traité avec les Polo-
nais de l'ancien régime, et que ce traité n'a-
vait pas été renouvelé depuis la révolution.
Le roi de Prusse montra dan s la meme ré-
ponse sa méfJance contre la nouvelle constitu-
tion, et offrit d'une maniere équivoque sa mé"-
diation entre la Pologne, la Russie et l' Autriche.
Les Polonais rassemblerent enfin une armée,
lllais ils en donI)(~rent le commandement au
prince Joseph Poniatowsky, qui montra dans
eette éampagne toute sa lacheté et toute son
impéritie. Un seul hornme, Th~ddams Kos-
ziusco 1, se distingua par ses exploits; mais il ne
put sauver un pays qui se trahissait lui-melne.


Pendant toute l'apnée 1792, la Pologne
attaquée sur tous les points devint le théatre
du plus affreux carnage et de toutes les hor-
reurs. Le dénouement de cet horrible drame


J Ou plutot Kostschiefsky.
H. J. :.!3




354 HISTOIRE DU xv lile SIECLE.
fut un nouveau partage. Les premiers sei-
gneurs du royaume, Branicky, Rzewusky et
surtont Felix Potocky s'étaient vendus a la
Russie. Alors, avec la meme légereté qu'il avait
signé la réforme, le roi déclara a la diete
que la nouvelle constitution était nulle, et
que l'ancienne était rétablie. Le maréchal de la
diete et quatre mille nobles protesterent
contre ce décret; mais ni la lacheté duo roi ni
la guerre imprudente des amis de la patrie'ne
purent changer la résolution des cabinets
rllsse et autrichien, qui venaient enfin de
s' eritendre avec la Prusse sur la cession de
Dantzick et de Thorn.


Le 6 jaIlvier 1793, la cour de Berlin donna
un manifeste; elle y annon~ait l'entrée des
troupes commandées par Mrellendorf, et don-
nait, pour raison de cette mesure, la propa-
gation des principes démocratiques frant;ais.
Le ~4, les Prussiens étaient a Thorn, Les con-
fédérés de Grodno, assemblés par l'influence
russe, protesterent, le 3 février, contre la vio-
lence de son alIié, ce qui n' empecha pas la Prusse
dedonner, le ~4 du meme mois, un nouveau
manifeste sur l'occupation de Dantzick.


L'Autriche s'était déclarée, le 14 février,
contre"tous ceux qui s'opposeraient aux vues




LIVRE 111, CHAPITRE 11. 355
de la Russie. Elles furent publiées dans un
ukase sur le l10uveau partage des provil1ces
polonaises entre les trois puissances. Cet ukase
devait etre lu le 27 mars dans toutes les églises
de la Pologne. Catherine se déclarait sur sa
part, ainsi que le roi de Prusse l'avait fait
le 25 du meme lDOis. Le 9 avril, le ministre
russe adressa une nouvelle note tres-sévere
aux confédérés de Grodno, ou il exposa les
dangers que les États d'Enrope couraient par
les clubs et les principes de liberté répandus
en Pologne, et ou il démontra la nécessité de
démembrer un État basé sur des fondements
dangereux.


Les confédé-rés s'éleverent, le 28 avril,
contre les principes des trois puissances , avec
la meme force qu'elles s'étaient élevées elles-
11lemes contre les príncipes de la natiol1 po-
lonaise; mais, en attendant, les Russes domi-
naient a Varsoyie, et les confédérés étaient de
toutes parts pressés de reconnaitre le nouveau
partage, cornme ils avaient signé le pI:écédent.
La malheureuse Pologne, inondée de soldats
russes et prussiens, demeurait exposée aux
maux d'une guerre intestine et aux mauvais
traitements des armées étrangeres. La confé-
dération de Grodno, excítée par le rOÍ, espé-


23.




356 HISTOIRE DU XVII!C SlECLE.
rait, vers le mois de juin ou de juillet , obte-
nir qnelque adoucissement, a force de soIlici-
tations aupres de la Russie, mais cette espérance
était illusoire. L'ambassadeur russe demanda
positivement que le partage et le traité d'al-
liance et de commerce avec la Russie, qu'il
présenta, fussent acceptés sans restriction. La
diete refnsa avec fermeté de souscrire a toutes
les demandes qui paraissaient préjudiciables
a la patrie. Alors Catherine fit ponr ainsi dire
formellement une déclaration de guerre et
mena<;a la diete de séquestrer les biens et pos-
sessions de ses membres et de Ieurs familles ,
si les décrets de la Russie n'étaient pas ac-
ceptés sur-Ie-champ. Voyant que les Inenaces
avaient été vaines, et que les débats se pro-
longeaient chaque jour avec plus d'aigreur et
de vivacité, le ministre assiégea 1 la diete,
en toura de grenadiers et de canons le lien ou
le roi et les députés étaient assemblés, et leur
signi6a que personne ne sortirait avant que
les ordres ne fussent exécutés. La diete, obligée


I Cet ultimatum de M. de Sievers est concu en ces termes: Le
so~ssigné se voit obligé de signifier aux Ét~ts de la république
que pOUl' éviter de nouveaux troubles, il a cru oevoir faire
ranger deux bataillons oe grcnadiers avec ({uatre canons a
l'entour du chateau, et donner le commandement au major
général Rautenfeld, chargé de s'entendre avec le maréchal de
Líthuanie pour le maintien de la tranquillité.




LIVR:E UI, CHAPITRE 11. 357
de céder a la force, espéra pouvoir au moins
négoeier avec la Prusse. Mais eette puissanee
eut recours aux memes mesures que le cabi-
net russe avait employées; elle fit arre ter
quatre memb~es de l'assemblée, dont le cou-
rage, la fermeté et le patriotisme échouerent
contre la violenee 1; ils furent transférés
sous une escorte militaire dans leurs pro-
vinces. I .. e ehat'au, ou la diete tenait ses
séances, fut eerné de eanons et de soldats.
Comme les Polonais ne voulaient pas eon-
tinuer leurs délibérations, un général russequi
se promenait, en présence du roi, dans la salle
oules députés étaient assemblés, demandad'un
ton tantot persuasif, tantot mena<;;ant, qu'on
reeonnut le partage prussien, eomme celui de
la Rus~ie. Cinq heures s' écoulerent ainsi. Les
Polonais demeuraient inébranlables et les sol-
dats ne bougeaient pas, lorsque le député de
Craeovie 2 ouvrit un avis que la diete agréa;
il conseilIa de protester contre la maniere dont
on avait extorqué leur assentiment; mais d'é-
eouter avec un silenee luorne la proposition


1 Krasnodemesky de Liva, Szydlusky de Plock, Mikersky
de Wyszogorod et Scharzynsky de Lomza, furent arrétés a la
diete.


20Le comte d' Ankwiez, député de Cracovie, était homme a
faire un trafic de sa conviction, ou de ce qu'il donnait pour tel.




358 HISTOIRE DU XVlIlC SJ:ECLE.
du maréchal et d'approuver ce qu'on ne pou-
vait refuser. Des ce moment, chaque individu,
ainsi que le faible roi, ne songea qu'a ses pro-
pres ¡ntérets, et on ne délibéra guere sur la
constitution et sur ce que la R~ssie proposa.
On souscrivit a tout en masse. Le traité de
commerce avec la Prusse,. onéreux pour la
Pologne, ou plutot pour ce qui restait de ce
misérahle pays, ne fut pas fatifié irnmédiate-
ment; on le laissa a la disposition du nou-
veau conseil permanent.


Ce partage réduisit la Pologne a un tiers
de ce qu'eHe avait été autrefois. L'impératrice
Catherine, pour récompenser le roi de la
conduite qu'il avait tenue dans les derniers
temps, se déclara caution d'un emprunt de
ving - sept millions de florins qui d€vaient
payer ses dettes particulieres 1, et ne répondit
que de dix millions pour la république entiere.


Malheureusement, l'impétuosité polonaise
éclata encore une foís mal-a-propos, a la elo·
ture de la mémorable diete de Grodno. La
derniere séance UU 23 au 24 novembre, pro-
longée jusqu'a neufheures du matin, fut aussi


'1 n faut remarquer qu'apres le démembrement de la Polo-
gne, tousles revenus de l'Étatne mOlltaient qu'il seize millions
de florins, et qu'il ne restait au roí que deu" millions de re-
venus par ano




LIV RE 11 J, CIIAP ITR E 11. 359
orageuse que les premieres, et on fournit tres-
imprudemment aux Russes l'occasion désirée
de recourir de nouveau a des mesures vio-
lentes. On renouvela un ordre militaire institué
dans la guerre contre les puissances étran-
geres , et supprimé par des raisons poli tiques
a la demande de l'impératrice de Russie. Il fut
reconnu de nouveau par un décret, au milieu
du tumulte de l'assemblée, quoique le roí et
le maréchal de la diete Inontrassent-l'urgence
de révoquer ce décret. La diete se sépara. Le
conseil permanent garda l'administration, mais
Catherine émit, le 24 décembre, une décla-
ration tres-forte relativement aux di~positions
qu' on venaít de prendre. Le consei~ perma-
nent, pour conjurer l' oráge, se permít de suppri.
mer l'ordre et envoya une députation a Saint-
Pétersbourg"pourfaire des excuses. Apres toutes
les humiliations que les Polonais venaient
d'endurer et qu'ils méritaient en partie, ils
eurent encore a subir l'affrant de livrer el la
Russie tous les actes poli tiques , passés depuis
1788 jusqu'en 1791, et de consentir a leur
destruction.


La natian parut enfin, malheureusement
trop tard, sentir sa dignité; elle s'adressa a un
homme plus estimé par ses amis el: ses ennemü;




360 I1ISTOIRE DU X V II le Sd~CLE.
que ne l'était le faible et vaniteux roí, adonné
aux femmes et a la déclamation. La noblesse
polonaise prit de tous cotés les armes et se
rassembla autour de Kosziusco, croyant recon-
naltre en lui un chef aussi versé dans la poli-
tique que dan s l'art militaÍre; il avait étudié
les premiers éléments de la tactique en Ii'rance,
avait servi en Amérique sous Washington et
s' était distingué en Pologne.


Les députés de la convention franc;aise,
apres lui avoir faÍt un accueil honorable, lui
avaient promis douze lnillions, dans l'intention
secrete de tenir ainsi le roi de Prusse éloigné
de la France, et de l'occuper dans les troubles
de la Pologne. Kosziusco se voyant , au mois de
février 1794, a la tete des troupes polonaises,
chassa six cents Russes de Cracovie, et adressa,
le 24 mars, une proclamation aux Polonais. Ses
liaisons avec la France l'obligerent de procIa-
Jner la liberté générale de tous les individus; ii
ne gagna personne, et il rebuta la lnajorité de
la n~tion. Le paysan polonais, soit qu'il n'eut
aucune idée de la liberté, soit qu'il fut encore
trop peu civilisé pour s'en servir a propos, ne
gotita pascesprojetsd'indépendance; d'ailleurs
il n'avait pas encore l'habitude de la guerre;
non-seulement eette proclamation inteIDpes~


I




LIVR:E IIJ, CHAPITRE 11. 361
tive déplut a la nablesse riche et belliqueuse,
mais encare elle donna a la czarine le moyen
plausible d'excuser la conduite qu'on 'tint par
la suite envers la Pologne; car le premier de-
voir des États et des individus est de songer
a leur sureté et a leur propre défense.


Depuislong-temps, touta Varsovies'achemi-
nait vers une révaIte. Le général russe Igels-
troem qni vit la fermentation toujours crois-
~ante, crut devoir se mettre, lui et ses soldats,
a l'abri de la fureur du peuple. en faisant
arreter les patriotes qu'il connaissait. eette
arrestation fut le signal d'une sédition générale.
Le 18 avril, tout le peuple deVarsovie 1 tomba
les armes a la main sur les Russes et en tua
plus de deux milIe. Le général lui-meme ne
dut son salut qu'a la ruse: iI s'échappa dans le.;
camp fortifié que les Prussiens avaient pres
de la ville. Des. troubles semblables éclaterent
a Wilna, oú on se contenta de traiter les Russes


1 Igelstroem avait demandé la reddition de l'arsenal, on s'y
était opposé opiniatrement. Kosziusco étant sorti de Cracovie
avec des troupes , le 8 avril, pour se rendre a Varsovie, Igel-
stroem réitéra sa demande; iI maltraita le ehancelier Sulkowsky
qu' on luí députa, et le 17 avril six mille Russes recommeneerent
les hostilités. Les Polonais ne faisaient d'abord que se défen-
dre, et le roi meme dit que ses soldats devaient venger leur
honneur outragé par les Russes. II faut considérer que la Po~
logne était encore a eette époque un État libre dont IgeIstroem.
voulait désarmer les troupes libre/!.




362 1llSTOIRE DU XVllle Sl~:CLE.
en prisonniers de guerreo Les viIles de Chelm
et de Lublin suivirent l'exemple de Varsovie et
de Wilna. Trois régiments polonais, au serviee
'des Russes, passerent a leurs compatriotes.
Toute la Pologne était sous ]es armes, et le
roi Stanislas se voyait pour ainsi dire dan s sa
capitale prisonnier de ses propres sujets.


Frédérie-Guillaume II, se détaehant alors
peu a peu de la ligue contre la Franee, pen-
chait .pour la paix et espérait peut-etre effaeer,
par une expédition eontre les Polonaisrebelles,
l'ignominie dont son armée s'était couverte
dans la eampagne contre les Franc;ais révolu-
tionnaires. Il se mit lui-meme a la tete de ses
troupes. Les Prussiens prirent Craeovie, blo-
querent Varsovie, mais ils y échouerent et
furent obligés de se retirer vers la frontiere de
Silésie I ; les armées russes, commandées par
Suwarow et Fersen, se mirent alors en marche,
Kosziusco, voulant attaquer Suwarow avant
qu'il n'arrivat a Varsovie, se vit arre té , le
19 octobre, par Fersen; les deux généraux
désiraient une bataille, elle fut sanglante
de part et d'autre; les Polonais la perdirent


I ,Les Prussiens pour pallier leur l'etraite de Varsovie, in-
voquerent la sédition éclatée dan s le midi de la Prusse, et les
progres que l'insurrection faisait dans la partie occidentale du
meme royaume.




LIVRE 111; CIIAPITRE 11. 363
-par la faute de Poninsky ; Kosziusco, blessé,
tomba entre les mains des Russes. La con-
corde et le courage disparurent avec lui ;
les Russes s'avanc;erent sur Varsovie, et les gé-
néraux polonais Madalinsky et Dombrowsky
se jeterent dans la ville avec leurs troupes,
tirées du midi de la Prusse.


Suwarow ayant réuni sous ses ordres les
divisions des généraux Fersen , Denison , etc. ,
employa contre les Polonais les memes mayens
dont il s' était servi contre les Turcs. Il prit
d'assaut, le 5 novembre 1794, apres un car-
nage horrible, les fauhourgs de Varsovie 1,
et une capitulation lui ouvrit, le 7 , les portes
de la ville. On dispersa bientot les Polonais ,
qui cherchaient encore a résiste~. La destruc-
tion entiere de la nation se justifia alors maI-
heureusement par le príncipe que les Fran-
c;ais invoqueren t plus tard pour excuser toutes
les révolutioIlS ettous les changements violents,
c'est-a-dire que le salut de toute l'Europe de-
manclait le démembreInent des États isolés
qui déviaient d'un systeme de gouvernemen~


I Les Russes donnerent l'assaut malgré les fortifications de
Prague et les cent canons qui s'y trouvaient; ils avaient ordre
de ne se servir que de la haionnette; ils tuerent ensuite vingt
mille hommes tant armés que s~ns défense. Le pillage fut aussi
horrible que le carnage.




364 HISTOIRE DU XV'lIle SIi<:CLE.
universellement adopté. La Russie et la Prusse
firent le partage de la' Pologne, et l' Autriehe,
qui n'avait envoyé pour eette expédition ni
soldats ni argent, eut sa part de ce royaume
enfin détruit et qui peut-etre ne sortira jamais
de ses ruines.


CHAPITRE 111.


l. Réformes de Joseph Il. - JI. Révolution hollandaise.-
111. Révolution beIge.


l. Joseph II était, plus qu'aueun autre sou-
verain, supérieur a sa nation et a son sickle ;
néanmoins, jamais monarque ne laissa en
mourant ses peuples plus en arriere de la ci-
vilisation des autres peuples eontemporains 1;
mais e'est sans eontredit a ses réformes dans
l'administration et dan s le gouvernement qu'il
faut attribuer les ehangements extérieurs qui


Z Nous avons consulté outre PezzI, Charakteristik Josephs
des lIten (CaractéristiquedeJoseph JI), 1790, Heinrich, vol. 8;
Coxe, Huber, Dohm et autres sources plus connues , les anec-
dotes et traits caractéristiques de la vie de Joseph II, 1 vol.
in-So; la vie de Joseph II empereur d'Alle,magne, roi de Hon-
~grie et de Bohéme, du marquis de Caraccioli, a Paris, chez
Couchet, 1790, in-SO. Les derniers ouvrages méritrnt d'au-
tant plus de foi, que ce sont des éloges qui conduisent l'ob~
servateur impartial a la critiq~.




LIVRE III, CHAllITRE 11. 365
subsisterent meme malgré la marche rétro ..
grade que ses successeurs adopterent.


Nous n'examinerons pas le caractere de
I'Empereur et les principes qui le dirigerent;
mais, en rapportant les faits prinéipaux de son
regne, nous démontrerons qu'il agissait tou ..
jours, Ineme dans les intentions les plus
philantrophiques, arbitrairement et d'apres le
principe militaire monarchique de son temps,
et qu'il contribua beaucoup a affaiblir la con-
fiance des sujets en leurs souverains l.


Joseph n'avait montré, dans sa jeunesse , ni
djspositions ni talents 2; en grandissant, il
prit pour modele le grand Frédéric, sans
avoir été comme lui instruit a l'école du mal-
heur, et sans eti'e con1me lui a la tete d'un
gouvernement militaire qui n'admettait pas
de constitution, et dont l'aristocratie et le
clergé se voyaien t pour ainsi dire sans pou-
voir. Des le principe, Joseph méconnut tel-


I Caraccioli, daos sa préface, page IX, dit : La passion de
changer et d'améliorer le poursuivit au milien des voyages,
au sein des armées, jusqu'au moment de son sommeil. C'est
un prince aont les actions paraissent aussi rapides que les pen-
sées, un monarque qui semble avoir le pressentiment d;une
mort prochaine, et qui se hate de finir un ouvrage, dans la
crainte de le laisser imparfait.


:2 Wraxall J}femoirs, fidele a sa profusion, s'étend heaucoup
sur les premieres années de Joseph II.




366 HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
lernent sa position qu'il con~ut l'espérance de
faire de la dignité irnpériale en Allemagne,
plus qu'un simple titre; car n'osant s'aball-
donner entit~reHlent a son esprit turb\Ilent, iI
n'avait encore rien changé dans l'Autriche.
Co-régent de sa mere, depuis 1765, il ne
jouissait que d'uné influence précaire dans
les États héréditaires. Devenu autocrate, a la
IDort de son pere, on le seconda d'abord dans
les efforts qu'il 6t pour réformer la justice de
I'Empire; mais la viiitation de la chambre im ..
périale ayant duré nenf ans, les désagréments
qu'il y éprouva, les résultats insignifiants qu'il
obtint, et l'impossibilité de passer de la forme
au fait le dégouterent de nouvelles tentatives l.
Des ce moment, il régna plus pour lui que
pour les États quicomposaient sous son em-
pire la confédération germanique.


Les empereurs donnaient autrefois les bé-
néfices; il renouvela cette prétention depnis
long-temps prescrite; il enrichit ses États hé~
réditaires au préjudice de Salzbourg et de
Passau, il disputa Ratisbonne a son éveque et
meme apres la paix de Teschen, il manifeBta


I Le seul résultat qu'eurent les tentatives de Joseph, fut que
la chambre impériale agréa la division du sénat, et que les as-
sesseurs, dont le nombre avait été réduit a dix-sept, fut porté
de nouveau a cinquante.




L 1 V RE 1 II, e H A PI T RE 1 II. 367
de nouveau le désir d'acquérir la Baviere, en
faisant entamer des négocia'tiOI\s sur l' échange
de ce pays contre les Pays-Bas de I'Autriche.
Des-Iors, le lien de I'Empire fut rompu et ron
ne reconnut plus dans Joseph l' empereur d' Al-
lemagne 1; il se forma meme contre lui une
ligue de princes patriotes, qu'il faut regarder
comme une ligue des' membres de la confédé-
ration allemande contre leur chef, quoi qu' en
disent Dohm et lean de Müller. Le Hanovre,
la Prusse, la Saxe s'entendirent, au mois de
Juillet 1785, sur les points essentiels de la réu~
nion des princes contre les pIans de Joseph;
Mayence, Deux-Ponts, Bade et Anhalt, ainsi
que tons les princes séculiers un pen impor-
tants, entrerent dans ceUe aUiance 2. Faut-il
done s'étonner si l'Empereur abandonna en-
suite de son coté la grande cause de la liberté


J Si Joseph, dans cette occasion, agit moins en empereur
d' Allemagne qu'en souverain d' Autriche, il est cependant
juste d'avouer qu'il se montra meilleur allemand que Frédé-
ric II et Marie-Thérese. Frédérie ne parIait que le fran<;ais
avee tous eeux qui l'entouraient et l'approchaient; avant Jo-
seph, l'allemand était entierement banni des grandes soeiétés
de Vienne. Il ne parla et lle souffrit le franc¡ais qu' en cas de
besoin, mais iI ne put l'emporter.


2 Par égard pour la Russie, le Wurtemberg"et Oldembourg
n'aeeéderent point a la ligue des prinees; Hesse-Darmstadt
n'entra pas dans eette allianee, paree qu'il dépendait de l'Em-
pereur d'envoyer une commission de créance dans le pays.




368 HISTOIRE UU XVIlle SLECLE.
ecclésiastique allemande, et s'il ne voulut pas
augmenter a ses dépens la puissance des ar-
cheveques l ?


Joseph, n'ayant pu effectuer comme Empe-
reur une réforme selon ses principes, voulut
l'exécuter ensuite comme souverain des pays
héréditaires; mais il se laissa entrainer par sa
vivacité et son impatience, et ne fut pas
assez circonspect dan S le choix de ses moyens.
Comme simple .co-régent de sa mere, c'est
lui, et non Marie~ Thérese, qui insista ponr le
démembrement injuste de la Pologne 2; il eut
le plus grand soin de s'entourer d'une armée
pour faire respecter sa volon té.


Lorsque le treme de Baviere se trouva va-
cant, Joseph chercha a s'enrichir au préjudice
des héritiers légitimes, et on jugea avec rai-
son qu'il se sentait disposé a renverser l'ordre


1 Le pape avait été censé hlesser les droits des archevéques
en établissant, en 1785, une noncÍature a Munich; les dé-
marches aRome ayant été infruetueuses, on ehereha a éta-
blir une administration eeclésiastique en Allemagne. On pré-
senta a ce sujet, au eongres d'Ems, un projet en vingt et un
articles, pour mettre ordre aux abuso Les arehevéques s'étant
adressés a J oseph , eelui-ei ne parvint que deux ans apres a
renvoyer eette affaire par un déeret a la diete, ou elle fut na-
turellement oubFée.


2 On voit, par les mémoires de l'abhé Georgel, tome 1,
pages 248-49, que Marie-Thél'ese n'approuva point le démem-
hrement de la Pologne.




LIVRE 111, CHAPITRE 111. 369
des choses d'une maniere violente et arbitraire.
Labranche de Bavii~re, de la famille de Wittels-
bach, s'éteignit le 30 décembre T777 par la
lnort de Maximilien-Joseph. Charles-Théodore
du Palatinat, n'ayant pointd'enfants légitimes 1,
fut gagné par les persuasions desecclésiasti-
ques et par la promesse que l'Autriche lui fit
d'établir ses enfants naturels; il consentit que
la cour de Vienne occupat une partie consi-
dérable de la Baviere sur un titre prétendu et
contre les 10is de la bulle d'or 2. L'ordre de la
Toison servit a récompenser Charles- Théo-
dore; iI aurait fallu avoir le consentement
du· plus proche héritier du duc de Deux-
Ponts" mais Joseph ne s'en inquiéta pas, et


1: Nous renvoyons a Manso, tome 1, page 45 et suiv. , pour
les actes et les détails de cette histoire.


2 Caraccioli, Pie de Joseph ll, page 87, se tire ainsi de
l'affaire: .. La cour de Vienne s'empressa de faire connaitre
ses ti tres de reversion, appartenant a la cour de Boheme. n y
eut a ce sujet un manifeste daté de Ratishonne, dans lequel
011 exposait solidement les droits de la maison d~ Autriche ,
pour revendiquer des fiefs, dont la püssession luí fut assurée
par l' empereur Math~as, en 1614 , et confirmée par ses suc-
cesseurs. Les troupes autrichiennes se répandirent en con sé-
quence dans la Baviere , et la prestation de l'hommage par les
vassaux du pays de Straubiug eut lieu avec tout l'éclat que
requierent ces actes de souveraineté. On vit le commissaire
impérial, la tete couverte , assis sous un dais, recevoir le ser-
ment des Bavarois , qui se présenterent dans la salle préparée
pour cette imposante cérémonie. On se mit pareil1ement en
possession du baillage d'Obernherg, situé sur 1'Inn.


H. I. 24




370 HISTOIRE DU XVIlIC SIECLE.
6t occuper aussitot par des troupes autri-
chiennes les districts réclamés. Le duc de
Deux-Ponts, trop faible pour maintenir ses
droits les armes a la main, fut sur le point
de signer une convention avec l'Empereur,
lorsque la Prusse, se melant de l'affaire, em-
pecha le duc de souscrire au démembrement
de son héritage, luí assura son secours et de-
manda, de concert avec la Saxe, que les trollpes
autrichiennes évacuassent la Baviere. Les re-
présentations demeurerent sans effet; une
armée, commandée par Frédéric et son frere
Henri, entra en campagne 1, ce qui provoqua
la guerre de la sllccession de Baviere. Marie-
Thérese sentit l'injustice des prétentions et
de la guerre; Frédéric crut imprudent et con-
traire a son but de risquer un coup décisif;
Joseph reconnl~t bientot qu'il n'était pas né
guerrier; ses généraux eurent les mains liées
par Marie-Thérese, et, des l'année suivante,
l'Empereur sentit qu'il avaít sacrifié sans nuBe
raison la confiance des princes allemands en
leur chef, et il permit que des négociations
fussent entamées a Teschen.


I LesPrussiens entrerent eomme amis et défenseurs en Saxe
el en Lusace , et eomme ennemis en Boh~me, l'an t 77 8, an
mois de juillet.




LIVRF. 111, CHAPITRE IlI. 371
La Franee y défendit l'intérth de I'Empe-


reur, mais Repnin, plénipotentiaire russe;
chercha a restreindre les prétentions de l' Au-
tri che , en faveur de la Prusse, ou plutot de
l'héritier présomptif de la Baviere, de sorte
que les aequisitions de Joseph furent réduites
de deux cent trente - quatre mBles carrés a
trente-hui tI. Cependant a la mort de Marie-
Thérese, qui arriva le 29 novembre 1780,
Joseph publia plusieurs ordonnances et lit di-
vers ehangements dans l'administration 2. 11
oublia que les institutions hurnaines sont as-


I Le baron de Thugut avait été employé comme négociateur,
et la paix de Teschen ne fut conclue que le 15 mars 1779.


2 Pour prouver ~ombien J oseph. 11 aimait les réformes.
nous citerons les vingt - un articles que Pezzl rapporte dans
son esquisse : •


l° Suppression des processions, pélerinages et mascara des
religieuses;


2 ° Amendement des livres de priere;
30 SoumissÍon des moines sous l'éveque de diocese, et sup-


pression de leurs rapports avec le général de l'orclre aRome.
4° Renvoi de toutes les causes matrimoniales a l'évéque dio-


césain, et défellse de s'adresser pour ces affaÍres aRome.
5 ° Abolition des moÍs romains et des indults.
6° Protection accordée aux opprimés contre le cardinal Mi-


gazzi , el interdiction des bulles: ln cama domini el unigenitus ;
7° Édit de tolérance pour tous les États de l' Autriche ;
8° Abolition de plusieurs couvents;
9° Concession des droits de bourgt'oisie aux juifs, en les


obligeant au service militaire;
10° Abolition de la servitude dans toute la monarchie;
1 l° Obligation des moines qui u'étaient pas réformés de


remplir les fonctions sacerdotales;




37 2 HISTO [RE nu XVIIle SI~~CLE.
sujéties a la marche du temps, et que le grand
talent du législateur consiste a savoir, d~année
en ant1ée, de siecle en siecle ~ améliorer in-
sensiblement les anciennes lois par des dé-
crets nouveaux. L'ingratitude de ses contem-
porains lui empecha d'effectuer ses IneiIleurs
projets, et ce neJut point sa génération , mais
la génération suivante plus éclairée, qui pleura
sur son tombeau et qui bénit sa mémoire.


Les violentes mutations dans l'administra-
tion intérieure étaient incompatibles avec-Ie
gouvernement qu'il voulait maintenir, et tout-
a-fait opposées au principe monarchique qui


12° Abolition du serment que les éveques d' Allemagne pre-
taient au pape;


13° Abolition du serment qu'on faisait pour attester la
croyance a la conception spirituelle de la sainte Vierge ;


14° Défense d'envoyer de l'argent aRome pour des cas ré-
servés;


15° Concession aux protestants d' élever des églises a leul'
culte publi.c;


16° Interdiction de toutes les fian<.:ailles contractées pOUI'
des enfants;


17° Abolition de toutes les scenes théatrales et ridicules
dan s l'église ou pres de son enceinte;


18° Augmentation et réforme des écoles de ville et de vil-
lage;


1 9 ° Ordonnance d' employer les biens des églises et des
couvents supprimés a l'entretien des pauvres et des malades;


20° Défense de danser dans les églises; réglement des chants
d'église;


21° Réforme de la procédure ; punition et cassation des ma-
gistrats mauvais et ineptes.




L 1 V R]: 111, e 1I A PI T R E JI 1. 373
le guidait 1 , de rnelne que ses entreprises con-
tre des États étrangers n'étaient nullement en
harmonie avec le repos de l'Europe et le sys-
teme des traités.


Passons sous silence la guerre contre les
Turcs aussi injuste que funeste; nous parle-
rons seulement des différents avec la HoHande.


Marie-Thérese, a l'instigation de son fils,
venai t de décIarer, en 1776, que le. traité de
démarcation de ] 775, et tout ce qui y était
relatif, n'était pas obligatoire, paree que les
Hollandais n'avaient pas eu les garnisons
completes, ni travaillé autant qu'il le fallait
aux fortifications. L'impératrice cependant
n' entreprit jamais rien contre la Hollande;
son successeur, comptant sur l'amitié de la
France, ne balan<;a pas a lui faire sentir sa
supériorité .. Apres avoir été en personne 'dans
les Pays-Bas, au ruois de juillet 1781, il de-


J Caraccioli, Pie de Joseph II, page 190: " Mais ce qui ne
peut échapper a l'esprit du lecteur, c'est de voir presque tous
les plans de l'assemblée nationale, qui se tient actuellement
(1790) a París, ébauchés par l'Empereur. Abolítion de la
servitude, du droit d'ainesse, des dimes, des chasses impé-
riales, curés salariés, j uifs et protestan ts déclarés citoyens, to-
lérance civile accordée, nombre des paroisses diminué, tout
sujet capable de parvenir aux premiers emplois. pIaces don-
nées au concours, projet de mettre toutes les provínces en dé-
partements; telles sont les réformes. - Ríen de plus ressem-
blant! »




374 HISTOIR};~ BU XVIIJe SlJ.:CLK
manda positi vement, au mois de novembre,
que les Hollandais retirassent leurs garnisons
de ses plaees. Obligés de eéder, puisque au-
cune puissanee ne prit leur parti, ils éva- .
cuerent les forteresses, au mois de mars 1782.
L'Elupereur n' en demeura pas la; dans toutes
les querelles qu'il leur ehereha, il en vint
toujours a des voies hostiles. La Hollande se
soumit a sa volonté, jusqu'au moment oú
Joseph attaqua son cornmerce, et qu'il" de-
manda, au ruois d'aoi\t 1784, que ses sujets
ne fussent plus restreints dans leur droit na-
turel par des traités, et qu'ils eussent la li-
hertéde sortir avec leurs vaisseaux du port
de I'Escaut. Les Hollandais s' opposerent en ""
mena<;ant de faire feu sur les vaisseaux qui
sortiraient du port. Kaunitz eonseillait la eir-
conspection. La Fra¡nce quoique tres-étroite-
ruent liée avec I'Autriehe s'éveilla; toutes les
puissanees d'Europe s'éleverent I. Les Hollan- /'
dais nrent enfin feu sur deux galio tes , sor-
tant du port de l'Escaut, au ruois d' oetobre.


I Les puissances d'Europe s'éleverent avec raison contre les
prétentioDs de J oseph 11; car les négociations sur l' échange de
la Baviere contre les Payi-Bas, commencerent alors avec l'ap-
probation et l'assistance de la Russie, et furent conduites avec
tant de vivacité, que Charles-Théodore se vit obligé de puhlier,
le 13 février 1785 , un manifeste pour rassurer ses sujets.




LIVRE IlI, CHAPITRE IIl. 375
Tout le peuple des Pays - Bas se prépa-


rait a la guerre, tandis que l'Empereur faisait
lnarcher ses armées eontre eux. Les traités
étant rompus ouvertelnent, Joseph aurait dú
exécuter ses projets a.vec énergie, pour faire
mettre le sysÍ(~me de la force a la place du
systeme de droit établi; il ne s'attendait a au-
cune résistance et cepenuant toute la nation
hollandaise s'armait. La Franee faisait des mou-
vements a la frontiere des Pays-Bas d'Autriche,
oú il n'y avait que peu de troupes, et JQseph
se vit forcé de nouveau d'eiltrer dans les pro-
positions du ministere franc;ais. L' Autriehe, re-
llonc;ant alors a ses prétentions, 6t une de-
maud(! d'arge,~.t, sur laquelle on négo.<;ia, du
moisde février jusqu'au moi~de juin 1785,
..I'une maniere tout-a-fail mercantile l. On
Jonna a I'Empereul' neuf millions de flol'ins,
quan(l la marche seule de ses troupes hu en
avait couté dnq 2.


I Joseph ayant d'abord demandé quinze millions, se con-
tentait alors de neuf. Les Hollandais n' en voulurent donner que
einq; la Frau~ y aj()l1ta eulla quatre miUions et demi, paree
que le moiadremouvelaent hpstile lui aurait eouté day~ntage.
C',est a -cette occasionqu'on dit que la reineenvoyait a son
frere des sommes considérables du trés.or fran~ais.


:z Geo.rgel,tom. 1, page 557, donne des no,tices tres intéres-
sao,tes .sur cette histoire et l'iofluence de la reiI).e; roais, comme
partis&n de Roh~n et eJ;Ulemide la reine, iI nemérite pas trop




376 HISTOIR.E DU X V lile SIE:CLE
lI. Les aristocrates républicains dans les


Pays-Bas-Unisavaient de tout temps ménagé
l'amitié de la France l. Le parti du stathouder
ayant presque toujours les classes inférieures
du peuple pour lui, s'était attaché a l'Angle-
terre; e'est pourquoi on lui reprocha d'avoir
livré aux Anglais le commerce et la marine des
Pays-Bas, quoiqu'on doive attdbuer encore
a d'autres raisons la diminution des richesses
de la Hollande et l'abaissement de sa puissance
maritime.


Guillaume IV étant nommé stathouder par
l'influence des Anglais, 'les Pays-Bas sem-
blaient entierement venclus a la Grande-Breta-
gne;' et on reproche au duc Louis-Ernest de
Brunswick, tuteur de Guillaume V, d'avoir
dirigé le gouvernement d'une maniere beau-
eoup plus favorable a I'Angleterre qu'aux Pays-
Bas.On l'accuse aussi d'avoir voulu étendre sa
puissance, tout-a-fai t insupportable au parti aris-
tocratique, all-dela du temps légal, et d'avoir


de foi, lorsqu'il dit: " L'empereur demanda trente millions.
Les Hollandais s'obstiDerent a De vouloir en donner que dix-
huit. M. de Vergennes, sur les instances de la reine, décida
le roi a payer les douze autres. "


1 Outre Dohm, Ségur. dans sa rie de Frédéric-Guillaume JI,
donne une tres-bonne histoire des troubles de la HolIande.
On trouve l'essentiel dans Manso, vol. 1, pages 151-16 l.




LIVRE IIJ, CHAPITRE lIf. 377
eherehé a miner la liberté hollandaise, en fai-
santsigneraGuillaume V l'acte deeonsultation.


Ces aeeusations, quoique exagérées 1, ne
sont pas dénuées de fondement, eomme quel-
ques faits évidents le prouvent. Louis-Ernest
s' était arrogé le droit ~e disposer des plaees.
Dans la guerre d'Amérique, iI avait voulu don-
nerauxAngIais les gardes éeossaises dustathou-
der, et les envoyer contre le Nouveau-Monde,
faisant agir ainsi l'armée d'un État libre contre
la liberté et l'indépendance. Il avait refusé la
co~erve aux héhiments ehargés de munitions
de guerre pour l' Amérique; et pe~dan t la
guerre contre les Anglais, les instruetions qu'il
donna aux officiers furent contraires au bien de
I'État. On lui imputa particulierement la faute
de ne pas avoir profité de la guerre d' Amé-
rique, et d'avoir trop tard fait accéder la Hol ...
lande a la ligue des puissances nelltres. Ces
dernieres se proposaient d'aholir le despotisme
de la mer qu'avaient usurpé les Anglais, ou
plutot d'empecher les violen ces qu'ils exer-
<;aient sur les vaisseaux qui naviguaient sous


I LouÍs-Ernest de Brunswick, avant feld-maréchal au service
d' A.utriche , fut le tuteur de GuiUau-me V, éle-puls 1. 748 lUs-
qu'en 1765. Illui nt signer, la derniere année, l'acte de con-
sultation. En 1784, les États l'obligereut de résigner, et on lui
imputa la faute de tous les maux.




378 HISTOIRE DU XVIlle ~IECL}=.
la sauvegarde de la neutralité. Vergen n es, pen-
dant la guerre de l'Atnérique septentrionale,
avait proposé que toutes les puissanees, ex-
eepté la Franee et l'Espagne, alors en guerre
avee I'Angleterre, fissent publier et maintenir
par les armes les réglelnents d'apres lesquels
les vaisseaux neutres devaient etre traités.
Catherine 11 gouta ee plan 1 , et il parllt une
déelaration de la Russie sur les réglements de
la marine neutre. Le Danemarek, la Suede,
ensuite la Prllsse, l'Autriehe, le Portugal les
reconnurent 2, et les premiers États ~e pré-


1 On constitua, comme hase, que la mer devait étre libre
aux commercallts neutres. Les états neutres doive,nt avoir la
faculté de faire leur commerce comme s'il n'y avait pas de
guerre; des vaisseaux neutres peuvellt porter des marchan-
dises d'un p.artí helligérant a l'autre, méme par cahotage,
sauf celles que des traités antérieurs auraient déclarées con-
trehande.


2 Les principes que les puissances neutres établirent, étaient:
10 La cargaison des vaisseaux neutres doit rester intacte ,


quand méme eHe appartiendrait aux puissances helligérantes,
a l'exception des m.archandises prohibées;


2 o Des vaisseaux neutres doivent a\:oir la liberté d'aller en
sureté d'un port A l'autre , de passer méme aux cotes des peu-
pIes en -guerre ;


30 L'impératrice de Russie, auteur du manifeste, déclare
qu'elle comprend sous le nom de U1archancilises prohihées,
ceHes qui se trouvent spécifiées dans le dixieme et ollzieme
ar.ticIes de -son traitéde co.mmerce avec l'Angletene. et veut
que les autres puissances reconnaissent cette ohligation ;


4° Un port hloqué est celu.i que .les vaisseaux d'une puis-
sanee assaiBante tiennent tellement enfermé, qu'ils en empe-
chent l' entrée ;




LIVRE 111, CIIAPITRE 111. 379
parerent a les défendre les armes a la maine
Si les Hollandais s'étaient joints a cette ligue,
la marine et le commerce anglais auraient
éprouvé un terrible échec. Les partisans des An-
glais en HoHande, ayant empeché pendant long-
tenlps que la république n'accédttt a la ligue,
la Grande-Bretagne trouva, dans le traité par-
ticulier que la ville d'Amsterdanl avait vouln
concIure ave e I'Amérique septentrionale , une
raison plausible pour déclarer, .le 20 décem-
bre 1780, la guerre a la Hollande. Les Pays-
-Has ne purent done se réunir a la neutralité
arnlée, vu que leur décIaration ne fut donnée
que le 24 décembre él la cour de Saint-Péters-
bourg, et qu'ilne fut question que des États
qui n'étaient pas encoreen guerreo


On imputa lamalheureuse issue de cette
guerre contre I'Angleterre auparti du stathou-
der et surtout au duc de Brunswjck. Le duc
fut úbligé de quitter le pays; car la majorité
dans les États:- généraux se· pronon<;a contre
Guillaume. Ses partisans ameuterent la popu-
lace contre les républicains, et il s'éleva une


50 Ces priviléges dQivent ~tre les seuls d'apres lesqllels on
constitueune honne prise.


On trouv.e les actes dans les collections connues ainsi que
,dans Tlle lije 01 Ca/harina JI, vol. IV, pages 520-543, sous les.
numéros XIV, XV, XV!" XVII.




380 HISTOIR.E DlJ XVIlle Sd':CLJ:..
discussion a la Raye, qui se reproduisit par-
tout dans les provinces séparées. Le paint
qu' on discutait fut de savoir si les États avaient
le droit d'exercer eUx-n1emes la haute ju-
ridiction, ou s'ils étaient obIigés de la faire
exécuter par le stathouder. Les richesses
comme la magistrature étant partout dan s les
mains du parti aristocratique, les États s'ar-
rogerent bientot ce droit par force r.Les mi-
nistres anglai.s auraient bien voulu porter se-
cours a Guillaume, mais ils avaient les mains
liées, et Herzberg conseillait au grand Fré-
déric de se llleler de l'affaire. « Vous pouvez ,
lui disait-il, employer au moins les menaces,
puisque le stathouder est marié a la sceur de
l'héritierprésomptif de la couronne de Prusse.»
Dans ces conseils, qui furent inutiles, Herz-
berg suivait toujours la meme opinion, lnais
iI vouIait faire exécuter par la balonnette le
projet dont auparavant il espérait obtenir le


1 Les États-Généraux, voyant qu' on se servait du peuple
contre eux, et qu'on ne voulait pas employer les soldats a
leur défense, donnerent des ordres direets a l'armée sans re-
quérir le stathouder, et firent faire de nouveaux drapeaux.
Comme ils se croyaient souve~ains, ils demanderent que la
porte du palais administratif, seulement ouverte au stathou-
der, le fút aussi pour les membres séparés des États- Généraux.
n est évident que l'on confondit ici toute l'assemblée avec les
membres séparés, ce qui causa la premihe sédition de la po-
pulace, le 17 mars 1784.




L 1 V R F II T, e H A P J T n t: 1 Il. :) 8 J
résultat par de longues négo~iations. Frédéric
mourut le 17 aout 1786, et iI eut pour suc-
cesseur le frere de la régente ; elle se mela des
affaires d'État, et le nouveau roi envoya le
eomte de Grerz a la Haye, qui excita d'autant
plus le mécontentement que son langage de-
vint plus in1périeux, et que l'ambassadeur
anglais Harris se lia plus étroitement ave e lui.
La discussion s'échauffa bientot au point d'ar-
lner les deux par~is l'un contre l'autre. Les
républicains firent exercer la milice et en-
rolerent des soldats. Guillaume voulait occu-
per Utrecht de force, pour étouffer ses dé-
marches antí-constitutionnelles. La populace
lneIlac;ait d'assassiner les membres des États-
Généraux, et les villes d'Amsterdam et de
Rotterdam, entierement républicaines, se dis-
posaient a cnvoyer des troupes a la Haye,
pour défendre la diete. Le stathouder hérédi-
taire ayant quítté avec son épouse le terri-
toire de la répubJique, les États-Généraux le
déposerent de sa dignité. La Prusse et surtout
le duc dlt; Brunswick, tout-puissant au conseil,
a la tete de l'armée prussif'nne, chercherent
alors un prétexteplausiblepour s'imnliscer avec
quelque droit dans ce différent. Il se préscnta
bientot. L'épouse du stathouder s'étant aviséc




382 HISTOIRE DU XVIJIe SI"ECLE.
tont d'un coup de se charger du role de mé-
diatrice et de retourner de son chateau de Loo
a la Haye', les États hollandais prirent ce re-
tour pour uü signe donné a la populace de
massacrer les aristocrates, et ordonnerent
d'arreter l-.princesse él la frontiere de Hollande,
et de l'empecher de continuer son voyage. Cet
ordre fut exécuté, dans la nuit du 28 au 29
juillet 1786, avec grossiereté par la milice et
les commis des États, qui savaient aussi peu
les regles militaires que ce Hes de l'étiquette et
de la galanterie. La simplicité un peu brusque
des Belges se montra ici dan s tout son jou!',
quoique les chefs, chargés de cet ordre, aient
mis ensuite plus de délicatesse dans l' éxécution.


Les Prussiens ne se récrierent pas móins
contre l'offense faite a leur roi, dans la per-
sonne de sa sreur. La Prusse et le duc de
Brunswick, qui espérait venger en meme
temps l'outrage fait a son oncle, ne pouvaient
rencontrer une' occasion plus favorable. Jo-
seph, en guerre avee ses propres sujets, et
Catherine ne purent point employer leurs
troupes dans l'Oecident, paree que l'Orient
ne les occupait que tropo Le plan projeté a
Mohilef et a Saint,-Pétersbourg 1 , et tout-a-


1 La Russie et la Prusse furent ~troitemellt liées jusqll'en




LIVRE IlI, CJIAPITRE Uf. 383
fait développé dans une nquvelle entl'evue
entre les deux monarques a Cherson, en 1787,
devait etre exécuté par la jonction de leurs
armées. Les républicains mal commandés
et peu discipliné s furent de . tóutes parts
assaillis par la populace des villes et les trou-
pes régulieres. La France aurait du a.1ors sou-
tenir les Pays-Bas, mais soit qu'elle entrevit
déjil les maux précurseurs de la révolution,
soit qu'elle ne s'attendit pas a voir les affaires
des Pays-Bas sitot terminées, il est certain
qu'elle mit la plus grande lenteur a rassembler
une armée au camp de Givet. Ainsi qu'autre-
fois les Russes entrerent en Pologn~, de menlC
les Prussiens entrerent au nOlnbre de vingt
t 780; la premiere puissance aceornrnoda ses différents avec
la Porte, coneernant la Crimée et les Tartares Nogais. En 1780,
Potemkin gagna l'impératriee pour le plan romanesque de
chasser les Tures de Constantinople et de partager les États de
l'empire ottoman. Joseph gotita beaucoup ce plan. La Russie
voulait commeneer par occuper la Crimée. Panin avait su
maintenir jusqu'alors l'alliance avec la Prusse; on disait qu'il
était tomhé malade de chagrin; il est certain qu'il se retira des
affaires. Catherillc ayant promis a J oseph de le seconder dans
l' échange des Pays-Bas contre la Baviere, abandonna les Turcs.
Cela fut déeidé par Catherine et Joseph a Mohilef, au mois
de juin 1780; l'Empereur aUa ensuite a Moscou et a Saint-
Pétershourg. La France détourna alors le coup dirigé contre
les Tures. En 1783 , le général Balmain prit C,!-ffa; Suwarow
soumit les Tartares au Cuban et dans le Budschack, et Po-
temkin eeux au-dela du Cubano On oeeupa tout le pays pendant
la paix; on destitua le Kan; on lui promit une pension , mais
on la paya fort mal.




384 IUSTOIR.E DU XVIIle SI1~CLF:.
mille hOlumes, sur trois colonnes, dans les
l)ays-Bas, mais ils montrerent plus d'humanité.
Le rhingrave de Sal m , chargé de défendre
Utrecht, disparut d'une maniere presque co-
mique pendant plusieurs mois. La saison ne
favorisa point les sublnersions, et avant la fin
de l'année 1787, les Pays-Bas furent obligés
de se soumettre au stathoudérat. Quoique les
soldats prussiens ne se portassent pas a des
exces condamnables, et que GuillaUlue n'a-
busat point de sa victoire, tous les patriotes
furent cependant éloignés du gouvernement
et les magistrats nornrnés par les États-Gé-
néraux que le stathouder choisit. On con-
fisqua les biens de plusieurs particuliers.
Comme la révolution comrnen<;ait en France,
les fau:teurs d'un gouvernement tout-a-fait
républicain se réfugierent a Paris; leurs écrits
s'accorderent avec le ton du temps 1, ~t la
France, accoutumée a soutenir le parti con-
traire a la maison d'Orange, l'abandol1na alors
et donna par poli tique 2 des pensions aux


x 1\1irabeau éCl'ivit alors, avec l'approhation du gouverne-
ment fran"ais , son livre intitulé: A ux Bataves, sur le Stathou-
Jirat, qui est entierement rédigé dans l' esprit du coté gauche
lle l'assemblée nationale fran"aise .


.l Il faut lire avec quelque circouspection le l'écit que Cail-
lard, et apres lui Lacretelle, font de ces troubles.




I,IVRE 111, CHAPITHE JIr. 385
républicains, pour qu'ils l'aidassent á renver-
ser son gouvernenlent et sa constitution l.


III. Les Belges avaient de tenlpS immémo-
rial une constitution libre comme les Pays-
Bas du nord. Les États provinciaux et les villes
différaient beaucoup dans leurs droits et
leurs institutions.


Entrés d'abord dans la ligue contre Phi-
lippe II, lorsqu'il voulut supprinler leurs an-
ciennes prérogatives, ils se séparerellt cnsuite
des provinces septentrionales qui suivaient
la réforme, parce que leur religion parut plus
surement protégée par I'Espagne que par leurs
compatriotes protestants, depuis que les suc-
cesseurs de Philippe av~ient abandonné le
plan formé de renverser la constitution.


Apres la guerre de la succession d'Espagne,
les puissances maritimes, en assurant a la luai-
son d' Autriche la possession des Pays-Bas, luí
imposerent expressément l'obligation de lais-
ser á ses habitants leurs priviléges. Comme le
Brabant et Limbourg seuls avaient des actes
écrits, le prince, dans la plupart des provinces,
jur:=t de maintenir les anciellnes coutumes. Ce
serment; qui constatait les droits des sujets et


I Les mouvements éclatés a Liége nous paraissent trop peu
importants pour ~tre mentíonnés icí.


H. I.




386 IIJSTOIHE DU XVIII" SIECLE.
les devoirs du souverain, fut appelé la Joyeuse-
Entrée l. Les articles principaux de ce traité
étaient: Que toutes les places de l'administra-
tion ne devaient etre données qu'a des indi-
genes, qu'un citoyen ne pouvait etre aJ'reté
sans une action juoiciaire. Les États seuls, ex-
cepté dans la Flandre, réglerent les impots,
leur perception, leur distribution, leur em-
ploi. Ces derniers étaient représentés par un
comité entre les assemblées.Le gouvernement
des Pays-Bas cependant n'avait pas le moindre
rapport avec celui des au tres États hérédi-
taires. Le clergé innombrable 2, la nohJesse et
la bourgeoisie privilégiées ahusaient souvent
de leur influence, et. me me les trois tribunaux
(le tribunal de Gueldres, le conseil de :l\la-
lines et le grand conseil de Brabant), aux-
quels les décrets du gonverneUlent devaient
etre sounlis pour avoir une force légale, dé-
cidaient bien des fois sur de simples préven-
tions. J\lais le pellple était habitué a regarder
ces tribunaux comme des institutions libé-


1 On trouve l'acte, tel que Joseph II l'accepta, ainsi que
les ordonnances de l'Empereur, dans Meiners und Spittlers
Gotting. histor. Magazin (Magasin ltistoriql!e de Gottingue, ré-
digé par Meiners et Sl'ittler) , vol. 1, nO ti, page' 724.


2 Les Pays-Bas avaient un archevéque, sept évéques. cent
huit a hhayes, dont quelques-unes passaiellt pour les plus riches
de touk l'Europe.




LIVRE lJ1, Cl1APITIU~ I1I. 387
rales, et a coosidérer la religioo émanée de
l'uoiversité de Louvaio corome la seule véri-
table l. Des siecles s'étaieot écoulés sans qu'on
eut songé a réformer les études des ecclésias-
tiques, OH a diminuer les couvents, les proces-
sions, les confréries. Joseph II toucha le pre-
Inier cet.te corde sensible: il retira a l'université
de Louvain son pri vilége exclusif de rassem-
blerdans son sein d~s docteurs etcles étudiants,
óta aux éveques la surveillance de ,l'instruction
publique et fonda, malgré la résistance opi-
niatre du gouvernement, de l'archeveque de
Malines et du nonce dLl pape, un séminaire
général oú quinze cents jeunes gens devaient
etre rassemblés comme dans une caserne.


Cette mesure causa, au mois de \décembre
1786, une grande rumeur; pour l'apaiser, iI
fallut recourir a la force armée 2. L'Empereur
en fut tellement irrité que, dans un premier
mouvementde c'oIere, il supprima par un seul
décret, en janvier 1787, toute la constitution
provinciale, et qu'illuit a sa place un gouver-


1 L'université de Lonvain avait des revenus immenses; mais
011 en tirait peudeparti, et les príncipes ultramontains, que Jo-
!wl'h' cherchait a extjrper, avaient dans cette universíté une
racine profonde.


1 Joseph rappela ensuite l'archeveqtie de Malines et ren-
yo:va le nonce.




388 lIISTOIR:E DU XVIU C StI;:CLE.
nement général. Un second décret cassa le
lueme jour les tribunaux patrimoniaux et na-
tionaux. Au mois de mars, les Pays-Bas, trai-
tés comme une nouvelle conquete, furent di-
vjsés en cercles a l'instar de l' Autriche. Par
ces dernieres mesures, Joseph venait d'orga-
niser en quelque sorte lui-merne une révolu-
tíon. Au IllOis d'avril, il éclata dans tout le
pays des troubles excités et fomentés par les
États et les membres du gouvernement pré-
cédent. Tout ce qu'il y avait de gens éclairés
dan s le ministere autrichien, meme la sreur
de 1'Empereur, l'archiduchesse Christine 1,
jusqu'alors régente des Pays-Bas, chercherent
a réconciliel' les partis, tandis que Joseph et
Catherine faisaient a Cherson des plans contre
les Turcs. J oseph a son retour désapprouva
tout ce qu'on avait fait sans le consulter; il
rappela le stathouder général, et il aigrit tel-
lement les esprits, que les Belges, depuis le
mois de nlai jusqu'au nlois de septembre, se
préparerent a une guerre civile.


Si les affaires des Turcs avaient pris la tour-


1 L'archiduchesse Christine et son époux , le duc Albert de
Saxe - Teschen , avaient toujours le ministre plénipotentiaire
de Joseph a consulter. Le gouvernement de Bruxelles cepen-
dant fut regardé comme indépelldant, et il y résidait m~me
des ministres étrangers.




1~I\'Rl: 111, CII:\PITRE JI!. 389
Hure que I'Empereur avait espérée, il n'au-
rait pas balaneé un moment a enlployer la
force des armes pour se faire obéir; mais le
mauvais état dan s lequel son armée se trou-
vait sur les frontieres de la Turquie, l' obligea
de eharger le eomte de Murray de ten ter a le
réeoneilier avee les Pays-Bas. Murray eassa les
derniers déerets, rétablit la eonstitution et
reeonnut la Joyeuse-Entrée au mois de sep-
tembre 1787' L'Empereur n'en fut pas moins
méeontent, et le peuple ne s'abandonna pas
moins a ses soupc;ons.


Joseph mit, immédiatement apres, le géné-
ral d'Alton a la tete des troupes, et nomma
Trautmannsdorf gouverneur par intérim a
Bruxelles; mais il ne se pressa pas de terminer
les différents religieux, eonformément aux
désirs du peuple superstitieux, et se brouilla
avee le Tiers-État qui lui refusa des subsides;
pendant tout le eours de l'année 1788, l'af-
faire demeura en suspenso En 1789, de nou-
veaux troubles ayant éclaté a Louvain, d'AI-
ton prit des mesures séveres; Trautmanns-
dorf au contraire montra des dispositions
bienveillantes. L'archiduehesse memeet son
époux retournerent dans le pays, mais la paix
ne fut pas de longue durée.




390 HISTOIRE DU XVllIe SIE:CLl~.
L'odieux sélninaire général fut rouvert au


IIJois demail 789 et Oil se porta a de nOll-
velles violences. Les États s'opposerent aux
décrets de l'Empereur, et dans le InOInent
meme ou les droits des peuples et les devoirs
des souverains étaient séverement cxaminés a
)'assemblée nationale fran~aise, et ou toute
j~Europe espérait que les disciples de J.-J. Rous-
sean et les philantropes ramtmeraient l'état
primitif, l'innocence, Joseph eut l'imprlldence
d'abolir, au moins en partie, la Joyeuse-Entrée
et de dissoudre les États le 18 juin. Les
troupes autrichiennes en assez petit nombre
devaient ensuite empecher le peuple, par la
force, de lever l'étendard de la révolte. Plu-
sieurs des plus considérés et des plus riches
habitants des IJays-Bas, appuyés en secret par
l'épouse de Guillaume V, stathouder général
de Hollande I, nonlmerent a Breda un comité
qui se mit en rapport avec les mécontents du
pays, lnais qui nlalheureusement ne comprit
dans son sein que des hommes, ou san s pa-
triotisme comme van der N oot et van Eupen 2,


1 Elle espérait réunir toos les Pays-Bas soos sa aomination.
L'Angleterre et la Prusse la confirmaient aans eet espoir.


2 Nous employons iei, quoique avee grande eirconspeetion,
l'ouvrage d'un homme qui joua un granel role dans la Bel-
gique, et Cfui, violent et révolutionnaire, donna meme son




L l. V R.E II 1) e Il A PI T R E 11 l. 39 [
ou guidés par un faux patl'iotisme COIlHne l'ar-
cheveque de Malines, l'abbé de Tongerloo et
Krumpipen. Van der N oot sut gagner du cré-
dit; les députés du Tiers-État employercnt un
lfloyen bien immoral pour lui faire avoir
une procuration l. Van del' N oot alla a BerIin
ou iI obtint une audience 2, tandisque le co-
lnité de Breda organisait aux frontieres une
armée a la tete de laquelle van der Mersch
entra du coté de Turnhóut dans le pays.


Quoique les troupes du nouveau général
des provinces de Brabant 3 n'eussent que de


110m a un parti : Abrégé ltistorique, serllant d'introduction allX
considératiolls impartíales sur l'état actuel da Erabant, par
lH. V onck, traduit du flamand, et augmenté de plusieurs
notes. A Lille, chezJaeques, imprimeur-libraire, sur ía Pe tite
Place, 1 vol. in-SO.


1 Vonck, page 14: " Dix-sept des soixnnte-trois doyens de
Louvain out signé eette proeuration de leur propre main,
les lloms des autres y furent écrits par un ou deux des elix-
sert qui, }lour mieux couvrir eette fraude, se servaient d'encre
et de plumes différentes ...


2 V onck ,page 16 : " Van der N oot elltl'eprit done au mois
d'aout le voyage de Berlin , OU iI obtint enfin, par la reeom-
malldation de la prineesse d'Orange, une audienee du mi-
nistre. Celui - ci apen;ut en van dér N oot plus de vengeanee
que de raisonnement, plus d'ambitioll que de connaissanees
poli tiques ; mais pour ne pojnt le rebuter ouvertcment, et
pour pouvoir tirer parti de la révolution, en eas que l'es-
prit d'insurrection eontiuuat ehez les Belges et que eette révo-
lution eut un sueces heureux) il douna a van del' Noot quel-
ques paroles en l'air, et lui eonseilla d'attendre jusqu'au prín-
temps ele l'année suivante. J)


1 Pour pouvoir négocier avec honneur en Hollande et a.




392 HfSTOIR.E DU XVIlle SIF:CLE.
grandes fourches, des massues et des batons
pour armes, elles ne tarderent pas a se ré-
pandre,parce que le peuple s'éleva dans tou-
tes les villes contre les soldats, et que les scenes
de la révolution fran~aise donn~rent alors a
toutes les émeutes populaires un caractere
plus redoutable. Les troupes de I'Empereur
reculaient partout; les Pays-Bas furent entie-
rementévacués, du 27 octobreau 14 décembre
1789.


L'archiduchesse et son époux s'éloignerent
pour la seconde fois. Les mesures d' Alton
contredisaient les déclarations de TrautmanllS-
dorf. D'Alton, en faisant sortir ses troupes,
agissait hostilement. Trautmannsdorf au con-
tI:'aire 6t publier, au llom de l'Empereur,
une déclaration en vingt-un articles, par la-
quelle il promit une amnistie, remit en vigueur
la Joyeuse-Entrée, et voulut rétablir l'ancien
ordre des choses. Limhourg, qui était demeuré
tranquille pendant quelque temps, finÍt par se
joindre aux autres provinces; Luxembourg
seul fut défendu par le général Bender, tout
le reste forma une république, gouvernée par


Berlin, les confédérés de Breda avaient publié un mallifeste,
le 24 octobre 1789, par lequel les provinces de Brabant se
.léclarerent indépendantes.




LIVR}~ lB, CHAPITRf: TU. 393
un congres, et appelée depuis le J 1 janvier
1790 la République-Unie. Joseph mourut au
mois de février, avant d'avoir faít les prépa-
ratifs d'une expédition militaire contre les
Belges.


La discorde, qui régnait dans cette répu-
blique a peine constituée, ou un parti inju-
riait, accusait et poursuivait l'autre, dans
des écrits et des sermons, facilita a Léopold 11,
frere et 8uccesseur de Joseph, les moyens de
reconquérir la Belgique. Trois partis luttaient
dans l'intérieur. I}un, ennemi des troubles et
du désordre, aspirait d'autant plus a etre réin-
corporé a }' Autriche, que Léopold réhabili-
tait la Belgique dans ses anciennes préroga-
tives l. L'autre, fauteur de l'anarchie, était
heureux du role que chaque individu y jouait.
Un troisieme parti, a la tete duquel se trou-
vaient Vonck.et van der Mersch, voulait une,
réformation entiere et une alliance étroite
avec les Fran~ais. Comme tous les États mo-
narchiques de l'Europe redoutaient cette li-
gue, la Prusse et les, autres puissances firent


1 La plupart des graudes familles des Pays-Bas étaient étroi-
tement liées avec l'aristocratie de l' Autriche. Les ducs d' Arem-
berg et d'Ursel, le comte de La Mark, voulaient une révo-
lution enticre, mais non l'anarchie des États dirigés par van
der Noot et van Eupen.




394 HISTOIRE Dlf XVIIIC Sll~CLL
des démarches au pres du parti insensé q ui ré-
gnait, et le bert,{ant d'jllusoires promesses,
elles le détournerent de toutes les mesures effi-
caces, etempecherent ainsi que la constitution
ne fut changée selon le gré des réformateurs
fran~ais. Cela recula l'alliance avec la France
révolutionllaire, jusqu'a ce que Léopold eut
pu renforcer ses troupes et se préparer a la
guerreo Il ne négoci~ pas mojns pendant les
ruoís de mai et de juin, quoique inutilement,
ave e les Belges. Les délibérations des cabinets
SUI' les troubles de France, comm€ncerent a
eette époque. L' Autriche et la Prusse termine-
rent 1 a l'alniable leurs différents concernant la
guerre contre les Turcs, et déciderent qu'il fal-
lait mettre des entraves a toutes nouvelles me-
nées révolutionnaires des Belges.


Autant les troubles de la France semblaient
demander la pacification de la Belgique, au-
tant les trois puissances qui s'étaient liées avec
les Belges, cherchaient a éloigner le soupc;on
de les avoir trahis. Elles leur proposerent l'in-
tervention de l' Angleterre, de la Prusse et de
la Hollande; elles convoquerent un con gres a
]a Haye, ou les Belges pouvaient espérer d'a-
bord d'etre admis comme InClnbres princi-


1 A Reichenbach.




LIVIU: 111, CHAPITUE 111. 395
paux l. lIs en furent exclus par leur faute, et
on négocia ensulte sur lenr sort pour ainsi
dire sans les consulter 2 • lIs avaient refusé par
une brava de insensée les dernieres ressour-
ces d'un accommodement amical qu' on leur
offrait et ils le reculerent meme, au moment
OIl Léopold 6t avancer son armée de Bo-
heme sur la l\leuse. Tandis qu'on discutait a
]a Hay e les conditions qui devaient réconci-
líer les Belges et I'Empereur, les troupes de


1 Vonck, page 79 : « Il (Léopold) arreta avec les trois
}luissances , l' Angleterre, la Prusse el la Hollande, un cOllgres
a la Haye, ou les plénipotelltiaires de ces trois derllieres ter-
minerent conjoillternent avec le cornte de Merci-Argenteau ,
plénipotentiaire de l'Empereur, les affaires des Belges. JI sern-
blait d'abord que les députés de la nation beIge y auraient
été adrnis avec pouvoir de traiter eomme l'exigeait naturelle-
ment le droit des gens. J)


:>. Vonck, ídem. u A eette fin, les plénipotentíaíres des trois
puissances conseilIerent aux États , par une note verbale du 17
septembre 1790, de consentir entre - temps a une suspension
d'armes avec l'Empereur; mais hélas! le refus incollsidéré de
cette proposition, et les raisons puériles qu' en donnerent a la
Haye les députés du congres beIge, a l'instigation des deux
instruments des :f:tats de Brabant, van Eupen et van der
Noot; la persévérance opiniatre et la conduite imprudente et
indécente furent cause que l'Empereur, indigné avec raison
de ce procédé. . . . . . . " publia la déclaration du 14 oc-
tobre suivant, et qu'ainsi son ministre, le comte de Merci-
Argenteau, et les plénipotentiaires des trois puissances, dis-
poserent du sort des braves Belges, eomme ils le jugerent
convenir au bon plaisir et a l'intéret particulier de leurs maltres,
sans que l'on permlt en cela aucune influence a la nation ~
eomme si elle eut été en tutelle.




396 IIISTOIRE DU XVII{ SIECL.E.
Léopold passaient la Meuse, et se rendaient
maitres de tout le pays, presque sans rési-
stance. Aussi, quoique le plénipotentiaire au-
trichien eut, le 10 décembre 1790, signé con-
jointement avec les ministres des puissances
médiatrices une coilvention qui assurait aux
Belges leurs anciennes prérogatives, I'Empe-
reur, dont l'armée occupait toute la Belgique,
ne voulut pas reconnaitre ce traité sans queJ-
ques restrictions. On conserva cependant les


I


principaux articles de la eonvention l.


CHAPITRE IV.


I. Illfluence pécuniaire de l' Angleterre. - 11. Effets de la
révolution d' Amérique en Europe.


I. Nous séparons entierement l'histoire
d'Angleterre de ceHe des autres nations de
l'Europe, paree que ectte He, défendue par sa
position et la forme de son gouvernement , ne
se ressentit point des secousses qui éhranIe-
rent les États du continent. Au commence-
ment de ce siecle régnait partout une monar-


1 La convention se trouve dans Herzberg, t. Jll, p. 223 ,
et dans la collection de Martens, tome 111, page 34~.




LIVRJ~ II 1, CHAP ITH.E 1 v. 397
chic absolue? qui s' était ~levée sur les débris
des anciennes constitutions. Bien des gouver-
nements s'étaient mis au-dessus de l'esprit du
temps et de la voix du peuple. eette opposi-
tion fit éclore des principes démocratiques;
ils durent produire tot ou tard une révolu-
tion? ne pouvallt l' emporter que dans une
lutte ouverte contre les priviléges et le ca-
price. En Angleterre seulement la monarchie
se confondit de plus en plus avec la démo-
cratie, jusqu'a ce que la révolution fran<;aise
fit prévaloir de nouveau le príncipe monar-
chiqueo


N ous ne nous occu perons pas ici de l'his toire
d'Angleterre proprement dite, nous nous bor-
nerons a rappeler comment, long-teinps meme
avant la révolution fran<;aise, s,e pays com-
menc;a a fleurir, a mesure que l'avidité des
plaisirs, l'égoisIne, l'esprit mercantile, l'ar-
gent et le luxe imposerent a l'Enrope des
chaines encore plus fortes que la hiérarchie,
la chevalerie et le despotisme, a qui seuls nous
attrihuons souvent tous nos nlaux.


L'art de gouverner et l'art militaire étaient,
depuis Louis XIV, organisés de maniere a
ravir insensiblement el l'homme sa dignité.
L'argent était le senl lllobile nécessaire; il




3~)8 HISTOllU: BU XVIUc S[~:CLJ~.
servait a entretenir les troupes qui devaient
maintenir l'ordre; il attachait les serviteurs
salariés a leur patrie, il récompensait les tral-
tres et faisait soutenir le faste qui bientot
éclipsa le rang et le vrai mérite. Peu d'États
purer;¡t trouver en des cas pressants tout l'ar-
gent qu'il leur fallait. lis furent tous plus Oll
moins écrasés de dettes, et la Hollande servit
long-temps de banque' a l'Eurape entiere. Les
richesses de ce pays provenaient de sa marine
et de son COlnmerce. L'Angleterre s'en em-
para a la fin du dix - septienlC siecle, et, au
commencement du dix-huitierne, la splendeur
des Pays-Bas avait entierementdisparu. La Hol-
lande perdit des-Iors tont son crédit; ses fIoUes
ne purent plus ~e mesurer avec celles de l'An-
gleterre, et ses arlnées fllr~nt cornmandées
oepuis la guerre de la succession el' Autriche
par un homrne dévoué a la Grande-Rretagne.
Le Portugal était de melne vendn a l'Angle-
terre, et l'Espagne se voyait obligée de payer,
avec l'argent qu~ene tirait de ses c?lonies, les
marchandises qu'elle achetait aux Anglais.
Dans toutes les parties du monde, les colo-
nies principales étaient au pouvojr des insu-
lall'cs; dans la Méditerranée, Gibraltar et Mi-
llorque reconnaissaient leurs lois, tanrlis qu'íls




L 1 V RE T 1I, e HA P 1 T R F. 1 v. 399
faisaien t presque seuls le cornmerce avec le
Levant. Toutes les négociations et tous les
traités donnerent de nouveaux avantages a
l'Angleterre dont l'industrie et l'acti vité aug-
mentaient avec la puissance rnaritime. L'anglo-
manie et le désir de se procurer une douce ai-
sanee, rendirent l'Europe entiere tributaire
d'un pays, Otl les agl'érnents de la vie (com.fOrts)
sont regardés comme les plus grands des
biens. L'industrie semblait avoir passé en An-
gleterre, et toutes les guerres dépendaient de
ses subsides avant merne qu'elle eut consolidé
son regne dans les Indes orientales, et chassé
les Fran~ais et les Espagnols de l'Amérique,
avantqu'elle ne les eÍlt privés des avantages de
leurs propres colonies.


Sous le ministere ele Pitt atné, Lord Chat-
ham 1, pendant la guerre de sept ans, l'Angle-
terre acquit d'abord dans les Indes orientales
sa premiere préponderance; elle I'augmenta
depuis d'année en année, et, ayant humilié la
France et l'Espagne par la paix de Paris, elle
se vitsouveraine de la mel'. La paix de Paris
du Ter novembre 1762, la plus ignorninieuse


r Nous avons remarqué plus haut que Pitt quitta, au moj~
d'octobre 1762, le ministere. La paix de París ne fut concilie
qu'au moís de novemhre ; il Y avaít cepend:mt coopéré.




400 HISTOIR}~ DU xv lIle SI ECLE.
que la France eutjarnais signée, ne rendit pas
seulernent aux Anglais l'ile de Minorque,
qu' on leur avait prise au cornrnencernent de
la guerre, Inais la France perdít avec Acadie
le Canada et tont le fleuve de Laurence, Gre-
nade, les Grenadines, et en Afrique toutes les
colonies le long du Sénégal. L'Espagne fut
obligée de souffrir que les Anglais coupassent
la garanc'e dans la baie de Hondoura, et qu'ils
prissent les Florides. Outre les avantages ac-
cordés par la paix a l' Angleterre , eUe avait
encore en l' occasion dans la guerre de détruire
les floues de ses rivaux, lorsqu'un nlinjstt~re
abusé voulut restreindre de force la liberté des
Américains septentrionaux. La guerre d' Amé-
rique fut conduite avec moins de succes, et la
Grande-Bretagne se vitcontrainte, par la paix
de Versailles, du 19 j anvier 1783, de rendre les
conquetes qu'elle avait faites sur les Fran-
<;ais, les Espagnols et les Hollandais. Elle avait,
cependant affaibli la puissance rnaritime de
France, d'Espagne et des Pays-Bas-Unis, et
déjoué le projet des autres puissances mariti-
mes d'abolir par une neutralité armée le droit
infame qu'elle exer<;ait sur la mero Tous les
États de l'Europe succomberent sous le far-
dean des dettes accumulées par la guerre d' A-




'LIVRE IU, CHAPITRE IV. 401


lnérique. L'Angleterre seule trouva dans sa
dette nationale un nouveau lien de la société,
un refuge des capitalistes et un levier d'indus-
trie et de cornmerce.Des ce moment, la pros-
périté anglaise devint de jour en jour plus flo-
rissante, et les richesses qui ne corronlpirent
que plus tard chez eux la religion, les rnceurs
et les nobles sentiments des seigneurs provin-
ciaux, jusqu'alors l'élite de la nation, donne-
rent aux Anglais le moyen d' éblouir les sots
par un extérieur élégant et riche, et de ga-
gner a leur cause tous les fripons en pouvoir.
L'Europe se vit ainsi sous l'influencé de l' An-
gleterre, et aujourd'hui l'argent et les ban-
quiers asserviss~nt a la honte des générations
actuelles, et les Hes britanniques et tous les
royaumes du continente .


n. Ce n'est pas dans un ·aperc;u général
de l'histoire Européenne, que l' on peut rai-
sonnablement discuter les causes, le~ événe-
ments et les résultats des troubles de l' Amé-
rique. N ous nous bornerons a faire observer
qu'ils ébranlerent les premieres bases. des
constitutions humaines; et qu'alors les princi-
pes d'une liberté idéale, si séduisante dan s la
spéculation, furent appliqués a la liberté civile
qui convient él une société réelle. Le droit


H. l.




402 HIS'fOIRE DU XVIlle SIECLE.


que l'Angleterre s'arrogeait, de charger sa
colonie d'impots, fut en Amérique lapomme
de discorde,· et provoqua les premiers mou-
vements, en 1765 et 1766.


La réponse que franklin donna au parlement
Anglais, lursqu'on le consulta devant la cham-
bre des communes, et le discours énergique
de lord Chatham effectuerent alors la révoca-
tion d'une loi si odieuse, et p·acifierent les
esprits ; mais on nedonna pas une décision
positive sur le véritable point en litige, et il en
résulta bientot de nouvelles dissensions plus
redoutables que les premieres.


Townsend, pour consoJider le principe COn-
testé, mit, en l'fry., un impot léger sur le
thé, le papier, les couleurs et le verre. Mais
les défenseurs attentifs des droits coloniaux
pénétrerent bientot les intentions des minis-
tres. Des-Iors il n'y eut plus de tranquillité en
Amérique, et lord North, qui dirigeait tout le
ministere, ne put espérer, que dans un fol
aveuglement, d'étouffer par des soldats, a<che-
tés aux princes allemands de Hanovre, de
Brunswick, d' Anhalt-Zerbst , de Hesse .. Cassel,
des tl'oubles qu'il prit pour un mécontente-
m.ent momentané.


En 1773, les prellüeres hostilités réelles




LIVRE 11[, CHAPITRE lV_ 403
entre les1nglais et les Américains éclaterent
a Baston, et, en 1774, au mais ~e septembre,
le premier congres de liberté fut ten u a Phi-
ladelphie par cinquante et u~ membres' des
onze provinces; c'est ici qu'on émit la mélnora-
ble déclarationqui fixait les droits de l'homme
par rapport a 1'1hat. Elle convellait peut-etre
a la république naissante d'Amérique, mais
nullement aux États dont les principes sont
fixés par l'histoire. Toute l'Eurape l'accueillit
a vec transport; la France et I'Espagne en per-
mirent la traductian ~ la publication , les com-
mentaires, et la laisserent insérer dan s les jour-
naux et lesouvrages detoute espece, tout cela
dans l'intentioñ de nuirea l' Angleterre.


Le cri de liberté retentit alors dans l'En-
rope en tiere. Les hommes irréfléchis con ..
fondirent la véritable indépendance avec la
licence el la dissolutjon. L'audace et l'enthou-
siasmedes Américains, qui osaientse mesurer
avec les Anglais, redoutables sur lecantinent,
étonna a la fois et électrisa toutes les ames
généreuses.


Au mois de juillet 1776, Jefferson, Adams
et Franklin composerent avec la plus grande
habileté l'acte qui consacrait l'indépendance
~ltlH~ficaine. et le firent préceder d'une intTo-


26.




404 HIS'fOIRE DU xv IlJ e sIl:CLE.
duction1 , qui ressemble a un manifeste contl'e
les gouvernemen ts monarchiqucs. Aussi ces
derniers trouverent-ils partout beaucoup d'an-
tagonistes. e'est alors seulement que se fit
sentir Í'influence des ouvrages de J.-J. Rous-
seau. Les philosophes de ,son école croyaient
toucher au moment ou leurs r~ves chimériques,
allaient se' réaliser. Toutes les ames nobles et
sensibles, en France, comptaient avec impa-
ticnce sur un avenir plus heureux. Franklin
enflamma encore cet enthousiasme a Paris et
dans toute l'Europe. Envoyé, I'an 1777, en
France pour obtenir du roi qu'jI reconnut le
nouvel État des Provinces-Unies comme répu-
blique, tous les Franc;ais éclairés le recher-
cherent; il devint leur orade; cal' il sut réunir
a la finesse de l'hornme du monde l' extérieur
d'un sévere réptiblicain et d'un quaker. A vant
que la cour se déclarat pour l' Amérique, les
plus nobles jeunes gens transportés allerent
en foule dans ce pays si vanté de la liberté
combattre pour conquérir un avenir plus glo-
rieux si ardemment désiré.


1 Cette introduction comprit la déclaration de la liberté et
de l'égalité naturelles, de la démocratie et du droit ou plutot
de l'obligation du peuple, de changer et de réformel' sa con-
stitution et son gouvernement. Tout cela était bien développé,
et selon les príncipes des philosophes franc;ais.




LIVILE 111, CHAPITRE IV. 405
Lafayette était a la tete de ces jeunes en-


thousiastes philantropes ; l'humanité ou la va-
nité, et peut-etre ces deux passiolls réunies,
lui firent sacrifier une grande partie de sa
fortune, et cet aete généreux lui mérita de la
part de la cour autant d'éloges qu'il en re<;ut
plus tard de malédictions. La Franee, ayant re-
eonnu, a la fin de l'année 1777, l'indépen-
dance des États-Unis, eonclut, au mois de
février 1778, un traité de eommerce et d'amitié
avee la nouvelle république, et entreprit une
gnerre qui augmenta de quinze a dix-huit
millions de franes la' masse de ses dettes. Cette
guerre heureusement tel'minée, une foule de
guerriers, tous opposés au gouvernement de'
Ieur patrie, retournerent en Europe. Les mili-
taires fran~ais, la plup*t officiers qui avaient
défendu la cause de I'Amérique, depuis 1778
jusqu' en 1783, propageren t chez eux les ídées
de ce pays, et tous les journaux de l'Europe
se' helterent de les publier. Ríen n' était done
plus simple, en Franee , que de' changer I'an-
cienne forme de l'État, surtout quand le gou-
vernement lui-meme reconnaissait hautement
qu'il ne pouvait la maintenir. Le résultat fa-
eile a prévoir fut obtenu quelques années
apres; et celui qui étudie l'histoire avec atten ..




406 HISTOIRE DU XVIIle SJECLE.
tion ne peut s'étonner que l'édifice de l'ancien
gouvernement fran<;ais se soit écrbulé subite-
ment et pour ainsi dire de lui-merne.


:a ••




,


LIVRE TROISIEME.


PARTIE LITTÉRAIRE.






SECONDE PARTIE.
HISTOIRE LITTÉRAIRE.


NOTICE SUR LA LITTÉRA'rURE CONSIDÉRÉE iOUS SES.
RAPPOR TS AVEC LA POLITIQUE.


l. La France. - 11. L' Allemagne.


l. N ous ne répéterons pas ce que Chénier et
apres lni MM. de Barante et Latretelle ont pré-
senté sons trois points de vue diftérents. D'ail-
leurs les temps sont trop rapprochés de nous,
et le caractere allemand trop sérieux pour oser
juger des besoins littéraires et du COlnmerce so-
cial d'unenation viveetlégere;llousdirons seu-
lernent que la littérature fran<;aise était cultivée
par deux sortes de personnes qui s'éleverent
contre l'ordre établi dans l'État et dans I'É-
glise, paree qu'il fallait tout renverser ou tout
maintenir.


Le- premier parti était forIné des ~neycIo­
pédist~s, des partisa~ de la philosophie




4 1 o H 1 S T O 1 RED U X ,r 1 I 1 e S J I~ e LE.
d'Auteuil, des aluis de d'Holbach, de Galiani,
de Grirnm , etc.


Le second partí se composait des philau-
tropes, divisés en deux classes : la premiel'e
l'enfeflllait les disciples de Rousseau et de Ber-
nardin de Saint-Pierre; elle ne voulait que l'é-
tat de la nature; la seconde comprenait les éco-
nomistes, les matérialistes et tous les ennemis
de la barbarie judiciaire des parlements. Les
~ncyclopédistes suivaient ~e qu'il y a de per-
nicieux dans la 'doctrine de Voltaire ; les phi-
lantropes adoptaient les principes de douce
humanité qu'on rencontre plus souvent dans
ce philosophe.


L' encyclopédie devint alors en quelque fa<;on
classique; les éloges de d'Alembert grossirent
son parti de tous les hommes jaloux de leur
propre gloire, OH du moins les empecherent
de s'élever contre lui. Les écrits polémiques
ponr et contre les jésuites , les ridicules dont
les jansénistes se couvrirent, la banqueroute
du perela Valette, les mémoires mordants et
parfaitement rédigés des le Pelletíer de Saint-
Fargeau, des la Chalotais et autres, ponr rendre
la société entiere solidairelnent responsable
de son banquier, donnerent aux ennelnis du
ehristianisme le Inoyen de rcnverser ce He re-




LIVRE IJI, PARTIE LITTÉRAIRE. 411


ligion et de tourner ses pretres en ridicule.
Buffon, doné d'nn esprit vraiment poétique,


rempli de scienee et d'expérienee, dévoila
avee une éloquenee entrainante et souvent
dithyranlbique, le seeret de la nature , eher-
eha a l' expliquer par elre-meme et a trouver en
elle les lois quí la gouvernent. Il détruisit ainsi
toutes les méditations théologiques faites sur
la nature. Lalande, le plus célebre astronome
de son siecle, soutínt qu'il n'y avait pas de
Dieu , ni dans les cieux, ni sur la ter re , pré-
tendít que les hommes les plus éclairés étaient
de son avis, et pOllrsuivait son opinion jllS-
qu'a l'extravaganee. Voltaire, depuis la guerre
de sept ans, patriarche de la littérature eu-
ropéenne, décida du gout a Saint-Pétersbourg
comOle a Paris.


La haine eontre la hiérarehie devint de plus
en plus dangereuse, paree que tous les hom-
mes qui désiraient acqllérir quelqlle crédit dans
le monde littéraire, étaient obligés de lui
plaire, et pour y parvenir, illeur fallait saeri-
fier a son idole, c'est-a-dire a/ son, aversion
pour le christianisme. Tous les princes de
l'Eu~rope , les-souv~rains memes eomme Gus-
tavellI, roi de Suede, et Stanislas Poniatowsky,
roí de Pologne, vinrent a París puiser a la




412 HlSTOJRE DU XVIIle SI1~CLI:.
SOllrce de cette philosophie fatate. lIs y
voyaient d; A]embert soit chez mademois"elle
de I'Espinasse, sOlt chez lui; iIs rencontraient
dans les sociét.és qu'ils fréquentaient Diderot
qui, avant et apres son voyage de Saint-Péters-
bourg, étourdissait par ses déclamations toutes
les personnes de l'Europe, remarqllabtes par
leur rang et leur fortune r. Catherine, Fré-
déric, Kaunitz, tous les princes alIemands
en état deles payer, avaient a leurs gages des
gens comme le fameux Grimm , dont on a pu-
blié il Y a quelques années la vaste correspon-
dance; ceux-ci leur communiquaient chaque
hon mot, chaque misérable anecdote qui cou-
rait a Paris. Les petits bourgeois allemands,
pellpIe pIein de bonhomie, se rassasiaient ainsi
des miettes qlli tombaient des tables franc;:aises;


x M. Schlosser,a ce qu'il nous semble,n'accorde pas a Diderot
le mérite que ses memes ennemis sont obligés de lui reconnaltre.
Égaré par sa haine contre quelques sociétés religieuses, ce philo-
sophe publia , iI est vrai , ses Pensées p!t!los0l'hiques , et attaqua
la religion chl'étienne, lorsqu'il n'aurait du blamer que les
vices de plusieurs de ~es ininistres; mais il ne faut cepen-
dant pas oublier que ce fut Diderot qui, apres avoir travaillé
avec Eidous et Toussaint a un Dictionnaire universel de méde-
cine, con~ut le premier le plan de l' Encyclopédie. Les articles
qu'il donna a cet ouvrage vraiment national, ne sont palO toos
dirigés contre la rel.igioll révélée; il Y professa le plus souvent
une morale claire et pure, et dans les sciences et les arts ce
fut lui qui, de concert ayec d' Alembert, étendit le cercle des
connaissances humaines. ( Note da tl'aducteur.)




LIVRE 111, PARTIE LITT.ÉRAIRE. 413
des-Iors la licence fut mise a la place oe la
liberté et l'irréligion a la place du sentiment.
eette lnaladie gagna une partie des hautes
classes.


Les résultats du systeme philantropique
furent bien différents. Les philantropes vou-
laient une morale, une religion ; ils reCOIIl-
mandaient, au lieu d'une érudition' inutile a
tout]e monde, une charitévéritable: « Ne re-
cherchez point, disaient-ils, !'inflní en vous-
meme, tachez de le comprendre hors de vous.»
Toutes les alues bien nées en Europe, meme
parmi les familles les plus élevées, rendaient
hommage a ce príncipe. D'Holbach et les
hommes de son école ne gagnerent des suf-
frages qu'en le reconnaissant, qu'en le prati-
quant et qu'en opposant a la singuliere hu-
mani té des nloines une religieuse bienfaisance I •
La doctrine séduisante de Jean-Jacques était
parfaitement en rapport avec ce qu' on en-
tendait de Franklin, et tout ce qui se passait
en Amérique. Tandis qu' on ne songeait pas en-


I Naigcon, qui porta son athéisme presque au méme point
de folie que Lalande, fut obligé de saisir l'esprit de ce prín-
cipe philantropique dan s son éloge du baron d'Holbach, ce
qu'il lit d'une maniere tres-ingénieuse. On trouve. cet éloge
dans le journal de Paris du 9 février J 789 , n" 40, et le sup-
plément dil11s.le 11° 43, page J 19,




414 HISTOIHE DU XVIIle SIi~CLE.
core a réfol'Iner les gouvernelnents, elle ef-
fect~la une réfonue dans l'éducation qui sen-
tait trop le pédantisme; la severe étiquette
disparut, elle fut remplacé e par la franchise et
la simplicité. Rousseau, ayant rendu sa doctrine
universelle par son HéloiSe et par son Émile,
jouissant lui-menle du plus grand crédit, pu-
blia ses idées spéculatives dans le Contrat so-
cialet dans les Lettres ardentes et démocrati-
ques écrites dB la montagne. L'esprit d'une
chat'Íte douce, malheureusement peu en har-
monie avec les désordres de la société, se ré-
pandit aussi par l'organe de Rousseau, de
Bernardin de Sai~t-Pierre et de leurs partisans,
parnli la haute noblesse de France ,et ranima
les creurs refroidis des grands, surtout chez
les femmes. La doctrine de la chute originelle
et de la natUl'e primitive universellement cor-
rompue fut remplacée par le dogme contraire.
L'éducation et le gouvernement seuls, disait-
on, rendaient l'homIne hon ou méchant.


La législation, l'administration, et surtont
la procédure criminelle formaient le plus grand
contraste avec cette doctrine. Tonte l'Europe
écouta bientot la voix de Beccaria et ceHe de
Filangieri. Les parlements ne faisaient pas
moins rouer, pendre et torturer, jusqu'a ce




LIVILE IlI, PARTlJ~ LITTÉRAIRE. 4.5
que Turgot, et a vant tons, le noble, sage et
savant Malesherbes, digne d'un nleilleur siecle,
firent triompher la philantropie. En meme
temps que les tribunaux écoutaient la voix de
l'humanité, et respectaient les droits. de
l'homme, meme dans le criminel, le príncipe
de la natul'e l'emportait dans l'administration.
Toutes les sectes de physiocrates ou écono-
mistes, désirant -la vérité et la simplicité,
étaient entier~ment opposées au systcme des
cours, d'apre~ lequel le luxe doit fayoriser
l'industrie et augmenter l'aisance; elles n'al-
maÍent pas meme les fabriques. Quesnay, le
martyr de la doctrine des économistes, se dé-
clara ouverteínent contre le systeme de com-
nl€I'Ce et ~d'industrie; il De voulait entendre
parler que d'agriculture. Vincent, de Gournay
fut bien moins ennemi du commerce, mais
il en demanda la liberté absolue, s'attacha peu
au prix de la possession, et ne chercha que
dans le travaille vrai prix des choses. La phi-
lant.ropie pénétra meme jusqu'a la cour. Tur-
got (1775) et Malesherbes furent nomnlés
ministres. Les journaux et les livl'es répandi-
rent le triomphe de laphilosophie et de l'hu-
manité sur la superstition et le despot}sme.
Turgot déc]ara au nom du roi que la liberté




416 HISTOJRE BU XVJIIe SIF:CLE.
du commerce serait dorénavant absolue, et
la gabelle abolie; l' onéreuse féodalité allait
disparaltre, la taille réelle remplacer lacapi-
tation; on promettait de répartir également
les impóts, de proclamer la liberté des cultes
et de fermer plusieurs cloitres. Combien le
peuple et ses représentants durent-ils souf-
frir, lorsqu'une cabale de conr fit échouer
toutes leurs espérances dans un temps ou la
philantropie et le hon sens repoussaient les
préventions et la barbarie de l'esprit de caste
et de tribu, ou les meilleurs hommes en
étaient pénétrés! Turgot et ses amis chel'che-
rent en vain a les introduire dans l'administra-
tion de l'État; ils furent traités d'hérétiques
par les fauteurs de l'ancien systeme et par ces
gens qni ne peuvent ou ne veulent jamais se
conformer aux circonstances, et ils ne purent
réfoI:mer ces abus surannés.
. La sévérité de l'ancienne étiquette, le regne
des femlnes et des courtisans emptkherent
de meme N ecker, pendant son ministere, d' exé-
euter ce qu'il avait annoneé hautement, et il
ne put inflllencer l'opinion publique en fa-
venr de son administration, quoiqu'il l'eut
sonvent invoquée dans· ses comptes rendllS l.


J Quelque contraire que soit, aux Allemands ronds et franes,




LIVILE IU, PA.RTIE LITTÉRAIRE. Lp7


Apres l'éloigl1ement de Necker et de Turgot,
apres la lutte de Beaumarchaisavec le parle-
ment l\'Iaupeou, les opinions des personnes
éclairées dans toutes les classes du peuple
fran<;ais, énoncées dans des ouvrages, étaient
en lutte perpétuelle avec le gouvernement.
La morale de d'Holhach donna un coup Inor-
tel aux mreurs, ainsi que les romans de Dide-
rot et de ses sectateurs. Beaumarchais fit alors
représenter sur la scene qui devrait toujours
etre l' école des mreurs, le Mariage de l?igaro,
et ce chef-d'ceuvre immoral servit de modele
a heaucoup de pieces du lneme genre, qui se
jouent encore aujourd'hui sur le premier
théatre de la France.


JI. Depuis la guerre de sept ans jusqu'a la
révolutíon fraIH;aise, la littérature alIenlande
suivit absolument la marche de la philosophie
régnante, et, si ron en excepte Goethe 1, t011S
les écrivains nationaux chercherent cornme
cette maniere de vivre, de p3rler et d'etre, cette brillante so-
ciété de madame de Sta el , iI nous faut cependant convenir
qu'a coté de la sombre philosophie de Diderot, madame de
N ecker et son cercle surent rester purs et vrais, et propager
les príncipes de la morale.


L'Élog'e de Colbert n'eut rien de bien remarquable; cepen-
dant Necker, qui en est l'auteur, doit etre préféré a tous ces
gens, auxquels il étaít ímpossible d' ouhlíer qu'íl avait été
commis.


1 Schiller suivit entit'>rement le Kantisme.
H. J.




!Jl~ HlSTOIH.E IH1 XVlll e SI1~CLJ':'
Herder une philosophie nouvelle, ou nlirenl
en harmonie avec celle du jour leurs 111anie-
res et leur langage, et firen t tous leurs efforts
pour dévancer leur siecle. Les idées de dévo-
tion et des dogmes calqués sur les principes
de W olf, prédominaient au comlnencement du
siecle. lIs donnerent le jour a la Messiad.e de
Klopstock, et él la Noaclllde. Le ton sentimen-
tal de ces épopées singulieres fut emprunté
aux romans d'un monde pastoral alors en vo·
gue, ou aux Idylles des Suisses. Klopstock, Bod-
mer et leurs nOlubreux imitateurs donnerent
naissance él une vie séraphique = mais la nation
allemande se rapprochait encore trop de la bar-
barie, et les écrivains contemplateurs étaient
trop fastidieux pour qu'ils pussent en etre gou-
tés. Elle prit done bientot le ton des Fran<;ais,
lorsque la philosophie de Berlin se répandit
en Allemagne. Wieland lui servit de modele ou
plutot luarcha de p~ir avec Nicolai. Il dut son
influence él ses heureuses traductions, et surtout
au talent avec lequel son pinceau badin et dé-
cent peignit, sous des couleurs él moitié fran-
<;aises, le léger et l' obscene. Il insinua aillsi, par
des paroles mielleuses,dans les creurs allemands
un poison qu'ils ne sentaient pas, en donnant él
la langue l'harmonie, aux périodes la ron-




LIVRE llI, PARTIE LITTÉRAIRE. 419
deur, él l'expression la facilité, et en éloignant
le pédantisme de l'école.


Tandis que Wieland gagnait le public par
ses ouvrages, les savants formaient, sous les
drapeaux de Lessing et de Nicolai 1, deux
partis tout-a-fait opposés, qui tous deux tra-
vaillaient a une révolution littéraire. Lessing,
s'étant fait un nouveau genre de philosophie
d'apres Spinosa, ne pouvait pas etre directe-
lnent contre l'ancien systeme; il en admettait
au contraire les conséquences; car il voyait
combien la Inorale publique s'y attachait faci-
lement. I1 ne s'éleva contre ce systenle, que
lorsque des zélateurs insensés proscrivirent
le choix, la critique , et jusqu'a l' examen.
Bien plus, dans la lutte contre ceux qui criaient
san s cesse a l'hérésie, Lessing parut un philo-
sophe qui aimait mieux qu'on conservat une
relig;jon austere, que de n'en paint avoir. Ni-
colai etMendelssohn penserent tont autrement,
et le dernier ne démentit jamais son caractere
de juif ..


Lessing, vraiment nourri des anciens, vou-


I Pour éviter une erreur, HOUS remarquerons que l'immor-
tel Lessing ne se trouve íci que par hasard en parallele avec
Nícolai. Tous les deux étaient a la tete d'n» partí, mais ces
partís différaient alltal1tfun de l'autre queleurs deux chcfs.




420 H 1 S T O 1 R 1<: D U X V 1 11 e S 11<: e LE.


lut mettre le culte aimable des Romains et
des Grecs a la place des rnysteres sombres de
la pénitence effrayante et souvent hypocrite
des enfants de Jésus-Christ. Illui semblait qu'il
valait mieux vivre gaielllent que lllourir avec
gloire. Ce príncipe sourit a Ja jeunesse alle-
lllande. Le gen re larmoyant fut banni jusqu'a
ce que les Werther et Siegwart, dont l'un fut
mal et l'autre bien entendu, le ramenerent
pour quelqnes années. La littérature allemande
se développa alors avec succes. Le patriotisme
et la dignité de la langue éleverent les camrs ;
toutes les ames nobles qui désiraient s'in-·
struire et répandre des lumieres firent tacite-
ment entre elles une alliance sacrée, eornme
Gleim, Jacobi, Dohm, Goekingk, le noble
Schlosser 1, Clalldius, Herder, Goethe, Hein-
sius, J ean Müller et une infinité d'autres de
caracteres tout opposés; V OSS, Hrelty, les deux
Stolberg, qui font encore l'honneur de leu!'
nation, et Bürger leur ainé, se réllnirent pour
propager les anciens en Allemagne, par des
traductions ou par des imitations. La Iallgue
allemande parut renaltre; alors on vit se dé-


x L'auteur n'est point parent de ce Sehlosser; s'il lui at-
tribue eette qualité, e'est qu'il lui eonnait le mérÍte et les
vertus qui eonstituellt la véritable nohlesse.




L] V R f: I JI, PAR 'lTE LIT Ti R A 1 RE. 42 J
velopper d'une maniere admirable les germes
d'un talent et d'un zele studieux qui malheu-
reusement se ralentissent aujourd'hui. 11 se
forma dans toutes les villes, meme parmi les
gens peu versés dans les leures, des so cié tés
IÜtéraires, oú l'OIl ne s'attachait pas seulement
~1 lire des gazettes et des romans. Le nombre
des théatres augmenta. Il parut plusieurs jour-
naux presque tous excellents; on vit se rap-
procher les savants et ceux qui l1e l'étaient
pas, jusqu'alors séparés par une distance im-
mense; le sentiment national les 6t tous mar-
cher vers le meme but; leur langue fut épurée
de l'ancien idiome, enfin ils eurent une litté-
rature. Le parti gouverné par Nicolai fut llloins
indépendant. Frédéric II et son frere Henri ,
qui encore plus que le premier 111éprisait les
Allemands, leurs mreurs, lenr langne et leur
religion, furent leurs ¡doJes, et les idées de
Frédéric, de ses sociétés du soir et de son aca-
démie a rnoitié fran(,;aise, exercerent sur tous
leurs travaux la plus grande influence.


Batteux fut lenr rnaltre, et Rammlel' leur
poete lima tous les ouvrages sans distinction
et cl'itiqua tout d'apres les regles les plus
sével'es. Le hut des philosophes de Berlín étant
moins pUl' que celui des autres, ils furent




ft22 HISTOIRJ~ HU XVlIlc SIj.:CLf~.
moins scrupuleux dans le choix des moyens.
lIs vonlaient calquer la philosophie des Alle-
mands sur ceHe des Fran~ais; ils appelaient
protestantisme la religion de Rousseau, et
pour ne point effaroucher les Allemands, dont
les creurS ont besoin de la foi, plusieurs mem-
bres adroits du parti de Berlin, proprement
dits encyclopédistes fran~ais, s'appuyerent sur
la nouvelle interprétation de la Bible et sur
les ~ogmes qu'on devait réformer. Afin de
recueillir toutes les parcelles de cet esprit, la
vanité él eva la Bibliothéque générale. Lessing
n'y travailla janlais. Bientot ces ahnales n'of-
frirent que des idées communes et superfi-
cielles, la trivialité y passa sons le bean nom
dephilosophie oud'esprit,sansqu'on songeata
poser les bases d'un nouveau systeme.On dé-
truisit l'ancien en voulant changer la théologie
etla philosophie, on renversa aussientierement
l'instruction et l' éducation; car depuis Me-
lanchthon elles avaíent plutot rétrogradé
qu'avancé, et quand meme ces principes eus-
sent été meilleurs, ils devaient succomber
sous l'attaque, s'ils n'étaient point adaptés aux
relationsextérieuresde la vie. Basedow, Wolkc,
Salzmann , Campe, hommes éclairés et in-
struits, mais sans solidité, sans érudition, sans




LIvnE III, PARTIE LITTÉRAIRE. ~23
profondeur, n'avaient pas meme bien com-
pris ce systeme de Rousseau qu'ils voulaient
faire adopter. lis voulaient réaliser un songe
pour satisfaire les parents; cependant Jean-
Jacques lui-nleme, a l'instar de PIaton , avait
dit hautement que son éducation n'était pas
de ce monde.


n faut placer ici une remarque importante.
La réforme trouva en France de puissants
ennemis dans l'autorité de l'Église, dans les
parlements et les autres tribunaux, et néan-
moins l'opinion publique se prononc;a de jour
en jour plus vivement contre l'état des choses;
en Allemagne, an contraire, la réforme mar-
cha sans efforts a la suite de la nouvelle philo-
sophie, encouragée par le protestantisme plein
de tolérance.


Quant a la religion, on se serait aperc;u bien
plus vite quels résnItats le nouveau systeme
devait avoir, si W reUner et Bischoffswerder
n' eussen t porté Frédéric Guillaume II a une
opposition fausse et imprudente, et excité
par la meme les modérés contre les dogmes
qu' on voulait despotiquement lenr faire ac-
cepter.


Relativement a la philosophie, Kant attaqua
la lnanie de parler au hasard et de lnettre la




424 H 1 S T o 1 RED U X VIII e S 1 :E e L T~.
science a la portée de tout le monde. l .. e jour-
nal de Jene s'éleva contre les partisans de
Berlin et triompha par le Kantisme: des-Iors
une réaction se fit sentir, et quelque senti-
ment qu'on ait sur le romantisme 1 nais-
sant, sur le mérite, des deux Schlegel, sur la
philosophie de Fichte et sur celle de Schelling,
iI n'el1 est pas moil1s vrai qu'ils porterent les


1 N ous voyons aujourd'hui, dans la littérature, ueux partís
tout opposés se disputer le premier rang ; les classiques croient
avoir satisfait a toutes les demandes de l'art en observant peut-
etre trop servilement les regles d' Aristote; les l'Omantiques,
cherchant a peindre la nature, s'abandonuent entieremellt a
l'essor de leur imagination.


Sans nous permettre d'examiner JequeJ des deux gen res se-
rait a préférer, nous ferons seulement remarquer que le mé·
rite d'une production dramatique lle repose pas exclusivement
sur la beauté des vers, mais encore sur le caractere national du
Bujet et la grandeur des pensées. e'est ce que nous trouvons
dans le G uillallme Tell de Schiller.


Il ne faut cependallt pas que le drame devienne un simple
roman dialogué, eomme le Goe<; de Berliclting'en de. G oethe,
patriarehe de la littérature allemande.


En Franee, les imitatellrs du genre romantique, faussement
surnommé tudesque, se trompent lorsqu'ils s'imaginent avoir
rempli leur tache, en habillallt des idées vulgaires clans des
métaphores, auxquelles le génie de la langue fran\aise ne se
prete paso - Voltaire se livre a tout son talent satirique en
parlant de Hamlet et d'autres pieces de Shakspeare; mais, sans
approuver entierement le défaut d'unité et le earactcre sombre
qui prédomille dalls les productions de ce grand pocte, nous
sommes obligés de lui accorder le mérite d'avoir su peindre
1 'homme dans ses vertus et ses travers.


Il ne fut réservé qu'a Racine d'allier a une versification sé-
duisante, le selltiment le plus tendre et la grandeur ele la
pensée. (Note du traductellr.)




LIVRE 11[, PARTLE LITTÉRAIRE. 425
derniers co'ups aux idées et au style vulgaires,
au superficiel, et qu'ils donnerent a la littéra-
ture allemande un caractere plus national
qu'elle n'avait en jnsqu'alors.


FIN ou TOME pREMIF.R.




T ABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS CE VOLUME.


= e =---


LIVRE PREMIER.
PREMIERE PARTIR. - HISTOIRE POUTIQUE.


CHAPITRE P REMIER.


Guerre de la succession d'Espagne.
1. État des choses avant la guerreo Page
n. Guerre de la succession d'Espagne. 8
IU. Changements causés en Europe par les traités d'Utrecht,


de Rastadt et de Bade. 25


CHAPITRE DEUXIEME.


Guerre du nord.


1. Depuis le traité de Bade jusqu'a la bataille de Pultava. ~8
n. Depuis la bataille de Pultava jusqu'aux traités qui termi-


nerent la guerreo 43
lII. Changements causés en Europe par la guerre du NorJ. 56


CHAPITRE TROISIEME.


l. Frédéric-Guillaume Ier .
n. Albérol1i.
nI. Le Régent.
IV. Élisabeth d'Espagne et Ripperda.
V. Le cardinal de Fleury.
VI. L'empereur Charles VI.


LIVRE PREMIER.
SECONDE PA.RTIE. - nfSTOIRE LITTÉRAm:E.


l. La France.
n. L'Angleterre.
IlI. L' Allemagne.


59
65
78
86
97


117




TAnLE ~H:S l\IATII~R.ES.


LIVRE DEUXIEME.


PREl\IJERE PARTlE. - HISTOlRE POLlTIQUF.:.


CHAPITRE PREMIER.


Guerre de la sllccession d'Autriche.


l. Depllis le commencemellt jusqll'a la fin de la premiere
guerre de Silésie. Page 158


n. Depuis la paix de Breslau jllsqu'au commencement de la
seconde guerre de Silésie. 173


IIl. Depuis le commencement de la se conde gllerre de Silésie
jusqll'a la paix de Dresde. 180


IV. Du traité de Dresde jusqu'ida paix d'Aix-Ia-ChapeUe. 188


CHAPITRE DEUXI~ME.
lntervalle de la guerre de la succession d' Autriche a la


guerre de sept aus.


l. Frédéric II -et sa puissance militaire.
n. L' Autriche.
IIl. La France.
IV. La Saxe.


198
200
202
205


V. L' A.ngleterre. 2 07
VI. La Russie. 211
VII. Causes éloignées et récentes de la guerre de sept aos. 2 I 6
VIII. Principaux évéoements de eette guerreo 2::1 1
(X. Changements et relations politiques qui occasionnerent la


fin de la guerre de sept aRS. 233


LIVRE DEUXIEME.


SECONDEPARTIE. - HISTOIRE LITTÉRAIRE.


Progres de la littérature en France et en Allemagne.


l. La France.
n. L' AUemagne.




'1' A B L.E D.E S 1\'[ A T 1 E H.I~ S.


LIVRE TROISIEME.
PREMIERE PARTIE. - HISTOIRE POLITIQUE.


CHAPITRE PREl\HER.


Accroissement de la puissance de la Russie. -Révolution dans
les Gouvernements et les Constitutions établies, jusqu'a 11'
révolution fran<;;aise.


I. Le Portugal.
II. L'Espagne.
IlI. Le Danemarck.
IV. La Suede.


qHAPITRE DEUXIEME.


Accroissement immense de la Russie et partage de la
Pologne.


l. La Russie sous Catherine II, considérée surtout dans ses
rapports vis-a-vis de la Pologne, jusqu'en 17{)9. 323


n. Démembrement de la Pologne. 339


CHAPITRE TROISIEME.


l. Réformes de Joseph lI.
Il. Révolution hollandaise.
In. Révolution beige.


CHAPITRE QUATRIEME.
l. Influence pécuniaire de l' Angleterre. 39(;
!l. Effets de la révolution d'Amérique en Europe. 40 r


LIVRE TROISIEME.
SECONDE PARTn~. -HISTOIRE LITTÉRAIRE.
N otice sur la littérature considérée sous ses rapports


avec la politiqueo
l. La France.
II. L' Allemagne.