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DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ


LA


CONSTITUTION FRANÇAISE


DE 1875


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DROIT CONSTITUTIONNEL COMPARÉ


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CONSTITUTION FRANÇAISE
7.-) 'JE 1875


ÉTUDIÉE DANS SES RAPPORTS


AVEC LES


POITIERS.— INP. A. DUPRÉ.
CONSTITUTIONS ÉTRANGÈRES


PAR D[.


A. BARD,
Lireucié lettres, Porteur en droit,


Avocat à la Cour d'appel de Paris.


P. ROBIQUET,
Licencié ès lettres, Officier d'Académie,


Avocat à la Cour d'appel de Paris.


PARIS
ERNEST THORIN , ÉDITEUR.


LIBRAIRE DU COLLÉGE DE FRANCE
ET DE L'I'COLE NORMALE SUPEUIEURE


7, RUE DE MÉDICIS, 7


1876




Ce livre n'est pas une oeuvre de polémique. On a
déjà beaucoup écrit sur la Constitution de 1875. Les
uns lui dressent des autels ; les autres affectent de la
décrier. Nous nous contenterons ici de l'analyser. Ce
n'est pas à dire que nous considérions en spectateurs
indifférents et désintéressés les évolutions politiques
de notre pays ; mais nous avons cru faire un travail
plus utile , en donnant à nos recherches un objet
précis, en prenant pour point de départ les faits et
les données positives, qui excluent toute spéculation
hasardée. Avant de juger, il faut connaître, quoique
beaucoup de personnes n'en voient pas la nécessité.


Bien qu'animés d'un profond respect pour la phi-
losophie du droit constitutionnel, nous n'avons pas
cru devoir étudier les institutions nouvelles de la
France, à la seule lumière de la théorie. Les théories
ont été si fréquemmen t d ém en hes par les événements,
qu'on ne saurait leur accorder une place dominante
dans l'analyse de nos lois, sans entrer du même coup
dans la voie des hypothèses et des controverses
stériles.




— vJ —


La méthode que nous avons adoptée est à la fois
plus prudente et plus modeste. Elle consiste à se
rendre compte des faits, à les grouper, à les rappro-
cher les uns des autres, à -en fixer le caractère et la
portée , au moyen de la comparaison. Le lecteur y
perdra peut-être quelques dissertations abstraites ,
mais il y gagnera de voir de plus près la réalité vi-
vante qui porte en soi , croyons-nous , les enseigne-
ments les plus sérieux et les plus féconds. En sui-
vant cette méthode, nous ne faisons d'ailleurs qu'ap-
pliquer les procédés d'investigation qui tendent de
plus en plus à s'imposer aux esprits , dans l'ordre
des sciences morales et politiques comme dans les
autres branches des connaissances humaines 1.


Ainsi entendue, l'étude du droit constitutionnel
ne présente pas seulement l'avantage de donner aux
conceptions théoriques le point d'appui qui leur
manque trop souvent. Par le rapprochement des
diverses législations, elle permet de s'élever à ces
principes dont parle Montesquieu 2 , « auxquels les
cas particuliers se plient comme d'eux-mêmes et
dont les histoires de toutes les nations ne sont que
les suites » ; elle procure la connaissance des lois


' La Société de législation comparée, dont la savante collection
nous a fourni des documents précieux à consulter, nous offre à cet
égard l'exemple de la plus heureuse initiative.


' Préface de l'Esprit des lois.


— —


générales qui président au développement des Etats.
Pour nous en tenir à l'objet particulier de ce travail,
la comparaison de notre Constitution avec les Cons-




titutions étrangères fournit le moyen le plus efficace
de donner sa physionomie véritable à l'oeuvre léguée
à la France par l'Assemblée nationale de 1871.
Nombre de dispositions qui , considérées au point
de vue de la pure logique, seraient peu comprises ou
mal appréciées, retrouvent leur sens véritable, quand
on les rapproche des précédents historiques et des
institutions actuelles (les différents peuples. C'est la
pratique générale des États constitutionnels qui
éclaire et caractérise bien des côtés de notre organi-
sation politique.


Si, grâce à ce travail , on apprend à mieux con-
naître et à mieux juger les lois fondamentales de la
République; si l'on discerne avec plus de netteté ce
qu'elles présentent de conforme à la Raison et au
Droit ; si , en même temps , ces pages impartiales
suggèrent l'idée des améliorations dont la Consti-
tution de 1875 peut être susceptible, tous nos VŒ,UX
seront comblés.


A. B. P. R.




INTRODUCTION.,


Presque toutes les Constitutions qui se sont suc-
cédé en France depuis la Révolution, et la majeure
partie des Constitutions étrangères, contiennent, soit
dans une déclaration spéciale et solennelle, soit au
cours de leurs dispositions, un énoncé des droits
qui appartiennent aux citoyens. C'est que, selon les
expressions mêmes de la Déclaration formulée par
la Constituante de 1789, « toute société dans la-
quelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution.» L'objet d'une Constitution est en effet
de mettre certains principes protecteurs du droit des
citoyens à l'abri des variations de la législation , ou
plutôt d'en faire la base même de la législation.


Le but est atteint par l'insertion de ces principes
clans la Loi fondamentale à laquelle sa nature et par-
fois des dispositions expresses assurent une fixité
et une stabilité toutes particulières. Les déclarations
préliminaires ne servent qu'à le mieux préciser.


C'est ce que la Constituante a indiqué en ces




2 INTRODUCTION.
termes : « Les représentants du peuple français ,
constitués en Assemblée nationale, considérant que
l'ignorance , ou le mépris des droits de
l'homme sont les seules causes des malheurs pu-
blics et de la corruption des gouvernements, ont
résolu d'exposer dans une déclaration solennelle
les droits naturels , inaliénables et sacrés de
l'homme, afin que cette déclaration, constamment
présente à tous les membres du corps social, leur
rappelle saris cesse leurs droits et leurs devoirs ;
afin que les actes du Pouvoir législatif et ceux du
Pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant
comparés avec le but de toute institution politique,
en soient plus respectés ; afin que les réclamations
des citoyens, fondées désormais sur des principes
simples et incontestables, tournent toujours au main-
tien de la Constitution et au bonheur de tous. »


En conséquence, la Constituante affirme : l'égalité
des droits entre les hommes (art. 1); — le droit
imprescriptible de chacun à la liberté, à la pro-
priété, à la sûreté, à la résistance contre l'oppres-
sion (art. 2) ; — à concourir sans exception, soit per-
sonnellement, soit par leurs représentants, à la
formation de la loi (art. 6); — à n'être accusé, arrêté
ni détenu que selon les formes légales (art. 7); — à
professer ses opinions religieuses sans être inquiété,
pourvu que leur manifestation ne trouble pas
l'ordre public établi par la loi (art. 10); — à com-
muniquer librement ses pensées par la parole ou
l'impression (art. 11) ; —à ne subir qu'une équitable


INTRODUCTION.
3


répartition des impôts, auxquels tous doivent con-
tribuer en raison de leurs facultés (art. 13); — enfin
à n'être exproprié que moyennant une juste et préa-
lable indemnité.


Ces principes devaient trouver leur application
dans l'acte constitutionnel de 1791, qui néanmoins
contient encore, au titre premier, un énoncé des
« dispositions fondamentales garanties par la Cons-
titution »


« La Constitution garantit, comme droits natu-
rels et civils : 1° que tous les citoyens sont admis-
sibles aux places et emplois, .sans autre distinction
que celle des vertus et des talents ; — 2° que toutes
les contributions seront réparties entre tous les
citoyens également, en proportion de leurs facultés ;
— 3° que les mêmes délits seront punis des mêmes
peines, sans aucune distinction des personnes.


» La Constitution garantit pareillement, comme
droits naturels et civils : la liberté à tout homme
d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté
ni détenu que selon les formes déterminées par la
Constitution ; — la liberté à tout homme de parler,
d'écrire, d'imprimer et publier ses pensées, sans
que les écrits puissent être soumis à aucune cen-
sure ni inspection avant leur publication ; et d'exer-
cer le culte religieux auquel il est attaché ; — la
liberté aux citoyens de s'assembler paisiblement
et sans armes, en satisfaisant aux lois de police




» Les citoyens ont le droit d'élire ou choisir les
m inistres de leurs cultes.




INTRODUCTION.
INTRODUCTION. 5


» Il sera créé un établissement général de secours
publics pour élever les enfants abandonnés , soula-
ger les pauvres infirmes , et fournir du travail aux
pauvres valides qui n;auraient pas pu s'en procurer.


» 11 sera créé et organisé une instruction pu-
blique, commune à tous les citoyens, gratuite à
l'égard des parties d'enseignement indispensables
pour tous les hommes , et dont les établissements
seront distribués graduellement dans un rapport
combiné avec les institutions du royaume.


» 11 sera fait un code de lois civiles communes à
tout le royaume. »


La Constitution du 24 juin 1793 est également
précédée d'une Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen, sensiblement pareille à celle qui vient
d'être analysée. On y relève cependant quelques
idées nouvelles dans les articles suivants :


« 25. La souveraineté réside dans le peuple ; elle
est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable.




26. Aucune portion du peuple ne peut exercer
la puissance du peuple entier ; mais chaque section
du souverain assemblée doit jouir du droit d'expri-
mer sa volonté avec une entière liberté.


» 27. Que tout individu qui usurperait la sou-
veraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes
libres.


» 28. Un peuple a toujours le droit de revoir, de
réformer, de changer sa Constitution.Une génération
ne peut assujettir à ses lois les générations futures.


» 30. Les fonctions publiques sont essentielle-
ment temporaires ; elles ne peuvent être considérées
comme des distinctions , ni comme des récom-
penses, mais comme des devoirs.


Quant au fameux article 35 : « Quand le gouver-
nement viole les droits du peuple, l'insurrection est,
pour le peuple et pour chaque portion du peuple ,
le plus sacré et le plus indispensable des devoirs, »
il était virtuellement contenu dans le droit de « ré-
sistance à l'oppression » proclamé par la Consti-
tuante; mais de ce qui n'était qu'un droit, la Con-
vention a fait « le plus sacré des devoirs ».


La Constitution du 5 fructidor an III offre une
particularité nouvelle. La Déclaration qui la précède
expose non-seulement les droits, mais les devoirs
de l'homme et du citoyen ; cette seconde partie con-
tient des préceptes de morale tels que celui-ci :
« Art. 4. Nul n'est bon citoyen s'il n'est bon fils,
bon père, bon frère, bon ami , bon époux. » L'énu-
mération des droits ne se distingue en rien des
précédentes.


La. Constitution du 22 frimaire an VIII, née du
coup d'État du 18 brumaire, s'abstint prudemment
de toute déclaration relative aux droits des Français.
Elle se borne à l'organisation des pouvoirs publics,
et se termine par quelques «dispositions générales »
aussi peu gênantes pour le gouvernement que peu
protectrices à l'égard (les citoyens.




6 INTRODUCTION.
La Charte de 1814 méconnaît dans son préam-


bule le principe de la Souveraineté nationale admis
dès 1789 « Nous avons volontairement, et par le
libre exercice de notre autorité royale, accordé et
accordons, fait concession et octroi à nos sujets ,
tant pour nous que pour nos successeurs, et à tou-
jours, de la Charte constitutionnelle qui suit. » Elle
énumère cependant quelques principes de droit
public consacrés par la Révolution : égalité des
Français devant la loi , contribution aux charges de
l'État proportionnelle à la. fortune , admissibilité de
tous aux emplois civils el militaires, liberté indi-
viduelle, protection pour tous les cultes, inviolabi-
lité des propriétés. — Quant à. ]a liberté de publier
et de faire imprimer leurs opinions, les Français la
possèdent « en se conformant aux lois qui doivent
réprimer les abus de cette liberté ». On sait que ces
lois établirent la censure.


Il est facile de relever les droits antérieurement
proclamés et que la Charte a omis de reconnaître.
C'est d'abord la participation de tous les citoyens,
soit directement, soit par leurs représentants, à la
confection de la loi; puis le droit à l'instruction
élémentaire, celui de choisir les ministres du culte,
droit qui du reste avait été supprimé par le Con-
cordat, celui de s'assembler paisiblement et sans
armes ; de plus, il n'est pas question dans la Charte
de l'assistance à fournir aux individus privés de
travail ou incapables de subvenir aux besoins de
l'existence. '


INTRODUCTION. 7
La Charte de 1830 supprime la déclaration con-


tenue dans la Charte de •814 que la religion catho-
lique, apostolique et romaine « est la religion de
11,:tat », et elle ajoute à l'article qui reconnaît aux
Français le droit de publier leurs opinions cet éclair-
cissement devenu nécessaire : « La censure ne
pourra jamais être rétablie. » A part ces modifica-
tions, l'exposé constitutionnel du « Droit public des
Français » reste le même.


La Constitution républicaine de 1848 contient un
Préambule où sont développés les sentiments qui
ont inspiré l'Assemblée nationale dans l'accomplisse-
ment de son oeuvre, et un chapitre spécial (chap. 11)
consacré à l'énumération des « droits des citoyens
garantis par la Constitution » .


Ces droits sont en grande partie ceux que garan-
tissait la. Constitution de 1791. 11 faut signaler seu-
lementles dispositions nouvelles ou caractéristiques :
abolition de la peine de mort en matière politique
(art. 5); l'esclavage ne peut exister sur aucune terre
française (art. 6) ; liberté de l'enseignement (art. 9)
exercée selon les conditions de capacité et de mora-
lité déterminées par les lois et sous la surveillance
de l'État ; abolition des titres nobiliaires (art. 10);
liberté du travail et de l'industrie (art. 11) ; inviola-
bilité des engagements pris par l'État avec ses créan-
ciers (art. 14).


• La Constitution du 14 janvier 1852, devenue celle




8 INTRODUCTION.
du second empire, affirme, clans l'unique article de
son titre premier, qu'elle reconnaît et « garantit les
grands principes proclamés en 1789 , et qui sont la
base du droit public des Français » ; mais en fait elle
n'a d'autre objet que l'organisation des pouvoirs
publics.


La Constitution du 25 février 1875 va plus, loin
encore : elle ne fait pas même allusion aux droits
qu'elle pourrait avoir à garantir ; de sorte que, s'il
fallait prendre à la lettre les expressions de la Dé-
claration de la Constituante citées au commence-
ment de cette Introduction, la garantie des droits des
citoyens n'étant pas déterminée par la Loi fondamen-
tale, il faudrait dire que la France n'a pas de Consti-
tution. Mais l'insuffisance de la Constitution fran-
çaise sur ce point est beaucoup plus grave en appa-
rence qu'en réalité, car l'organisation des pouvoirs
publics entraîne l'application de certains principes
de droit constitutionnel , et les droits les plus im-
portants des citoyens, pour n'être pas énoncés dans
une déclaration solennelle, n'en sont pas moins im-
plicitement déterminés.


On trouverait difficilement parmi les législations
étrangères une Constitution aussi laconique à cet
égard. Les Constitutions autrichienne, badoise, ba-
varoise, belge, danoise, hellénique, italienne, néer-
landaise, portugaise, prussienne, roumaine, sué-
doise, suisse, wurtembergeoise, contiennent toutes
soit un ensemble de déclarations relatives aux droits


INTRODUCTION. 9
des citoyens, soit des dispositions expresses et for-
melles destinées à affirmer la liberté individuelle ,
la liberté de la presse, l'égale admissibilité de tous
aux fonctions publiques (sauf parfois certaines con-
ditions de religion) , l'équitable répartition des
charges de l'État, etc., ce qui n'empêche pas d'ail-
leurs les gouvernements de comprendre aussi diffé-
remment que possible l'application de ces principes,
qui sont, pour ainsi dire, passés clans le droit public
européen, mais dont la pratique sincère et complète
est restreinte à un petit nombre de nations. Au fond
même, dans la plupart des États, l'affirmation des
droits des citoyens, loin d'en attester le respect, a sa
raison d'être dans les violations fréquentes aux-
quelles ces droits ont été soumis de la part des gou-
vernants. C'est ce que la Constitution de 1793 indi-
quait par cette formule qui porte bien le cachet de.
l'époque : « La nécessité d'énoncer les droits sup-
pose ou la présence ou le souvenir récent du des-
potisme. »


Il serait excessif de dire que le silence gardé par
la Constitution française sur les droits des citoyens
s'explique par cette raison. La vérité est que, sans
avoir été constamment appliqués, les principes con-
sacrés en 89 sont du moins assez généralement re-
connus pour n'avoir plus besoin d'être affirmés de
nouveau et pour être considérés aujourd'hui comme
la base incontestée du droit public français. Cet
accord à peu près unanime de l'opinion, en même
temps qu'il rend inutiles les déclarations habituelles,




10 INTRODUCTION•
constitue une garantie beaucoup plus puissante que
ces déclarations mêmes.


Quant aux additions faites par la Constituante de
1848 à l'oeuvre de sa devancière , si quelques-unes
sont vivement contestées , comme par exemple la
liberté de l'enseignement, il en est d'autres au con-
traire qui semblent irrévocablement passées clans les
moeurs. On peut citer l'interdiction de l'esclavage
sur toute terre française, et aussi l'abolition de la
peine de mort en matière politique. Les législateurs
qui ont méconnu ce dernier principe n'ont pu s'em-
pêcher de présenter sa violation comme une mesure
tout à fait exceptionnelle (voir la discussion de la
loi du 10 juin 1853). Enfin on doit remarquer
que le rétablissement du régime républicain et dé-
mocratique implique celui des dispositions inhé-
rentes et essentielles à ce régime qui sont insérées
dans la Constitution de 1848, sauf le cas oit ces
dispositions ne seraient pas en harmonie avec l'or-
ganisation actuelle des pouvoirs publics.


Les lois de 1875 ne forment donc, à vrai dire,
qu'une partie de notre droit constitutionnel, et la
situation de la France à cet égard n'est pas sans
analogie avec celle de l'Angleterre dont la Constitu-
tion, comme chacun sait, n'est pas condensée en
un acte unique, mais éparse dans une foule de sta-
tuts particuliers, ce qui ne l'empêche nullement de
former, grâce à l'esprit public dès longtemps déve-
loppé de nos voisins d'outre-Manche , un obstacle
sérieux aux abus de l'autorité gouvernementale.


INTRODUCTION. 11


Comme nous l'avons d'ailleurs fait observer, l'or-
ganisation des pouvoirs publics détermine implici-
tement les droits des citoyens.


Tout d'abord, l'organisation actuelle, en consa-
crant la forme républicaine, consacre par cela même
la souveraineté de la nation , puisque cette forme.
de gouvernement a précisément pour effet de . ga-
rantir aux peuples qui l'adoptent la faculté de rester
maîtres exclusifs de leurs institutions et de leurs
destinées.


D'autre part, l'article l e ` de la loi constitutionnelle
du 25 février 1875 porte que la Chambre des dé-
putés est nommée par le suffrage universel 1 :et la
loi sur le Sénat que ce corps sera choisi par des
élus du suffrage universel ou par leurs délégués 2.
Le parlement de la République française repose
donc de toutes parts sur le suffrage universel. Soit
que ce suffrage fonctionne directement, soit qu'il
s'adapte au mécanisme imaginé par les Constituantes
de I 875 pour la nomination du Sénat, il n'en est pas
moins la cheville ouvrière de nos institutions. Or le
suffrage universel, c'est l'égalité politique.


Sans doute tous les citoyens peuvent être appelés
à voter, sans qu'il faille en conclure à l'égalité poli-
tique. Par exemple, les lois électorales de plusieurs
États allemands répartissent les citoyens en diverses
classes, suivant leur chiffre d'impôts, de façon que
chaque classe, représentant une quotité égale d'im-


Voir
partie, liv. Il, eh. rt.


2 Voir Ire partie, liv. III, ch. H.




12 INTRODUCTION.
pôts payés, choisisse un nombre égal d'électeurs du
second degré. Il est trop visible que ce système de
répartition, renouvelé de Servius Tullius et des cen-
turies romaines, a pour effet d'annihiler complete-
ment le rôle électoral de certaines catégories de
citoyens. En France rien de pareil, ni même d'ana-
logue , dans l'organisation politique. Le système
(les élections sénatoriales peut altérer l'exactitude
mathématique du vote exprimé par le suffrage uni-
versel qui a choisi les électeurs du second degré,
mais tous ceux qui ont participé à ce fonctionne-
ment du suffrage universel y ont apporté des droits
identiques. Il est, par conséquent, rigoureusement
exact d'affirmer que l'égalité politique préside au
choix des représentants de la nation.


Quant à ces représentants, malgré quelques appa-
rences contraires, ce sont eux seuls qui sont chargés
d'exercer la souveraineté nationale. Si le président
de la République n'est. pas entièrement subordonné
aux Chambres, il ne faut cependant pas perdre. de
vue qu'il est élu par elles, et non par le peuple comme
en 1848 et dans la plupart des républiques améri-
caines. Le droit de dissolution de la. Chambre des
députés ne lui appartient qu'autant que le Sénat le
lui concède ; son droit d'ajourner les Chambres est
restreint dans des limites relativement étroites ; lui-
même peut, en cas de haute trahison, être mis en
accusation par la Chambre des députés devant le
Sénat ; enfin la responsabilité ministérielle l'oblige
à laisser la direction des affaires aux hommes poli-


INTRODUCTION. 113


tiques qui jouissent de la confiance du Parlement.
Il résulte de ces dispositions que la marche du gou-
vernement dépend exclusivement des représentants
de la nation, avec lesquels le pouvoir exécutif est mis
constitutionnellement dans l'impossibilité d'entrer
en conflit. La France est donc, d'après les lois fon-
damentales de 1875, non-seulement une démocratie,
mais une démocratie se gouvernant elle-même, s'il
est permis d'employer ce pléonasme, qu'excusent du
reste les divers systèmes de démocratie césarienne
ou monarchique.


Il n'est pas difficile de voir qu'un tel régime or-
(Yanisé constitutionnellement, c'est-à-dire d'une0
manière définitive, exige et implique nécessaire-
ment certaines garanties de liberté et d'instruction
générales dans lesquelles on peut faire rentrer
presque tous les droits essentiels proclamés par
les législations antérieures ou étrangères. L'Assem-
blée nommée en 1871 a ainsi, peut-être à son insu,
affirmé les principes démocratiques et libéraux, à
la façon de cet ancien qui démontrait le mouvement
en marchan t.


Nous nous proposons d'imiter cette façon de pro-
céder. Si l'affirmation des principes a sa place dans
notre travail, nous essaierons du moins d'écarter
toute dissertation superflue et nous éviterons de
rouvrir des discussions épuisées. Il nous semble
préférable de partir des faits acquis et de nous en
tenir à ce qui constitue l'objet de ce livre : étude de
la Constitution française de 1875 au point de vue




4 INTRODUCTION.


du droit comparé. C'est, autant que possible, dans
le rapprochement des législations antérieures et
étrangères avec celle qui régit actuellement la
France que nous chercherons un enseignement.
Nous appliquerons cette méthode à tous les sujets
compris dans les lois constitutionnelles et orga-
niques, mais nous ne sortirons pas du cadre qui
nous est tracé par ces lois elles-mêmes. Notre tâche
sera donc exclusivement d'analyser l'organisation
des pouvoirs législatif et exécutif.


Li première partie de cette étude traitera du pou-
voir législatif, la seconde du pouvoir exécutif; un
appendice sera consacré à la révision de la Consti-
tution.


PREMIERE PARTIE.


POUVOIR LÉGISLATIF.


LIVRE I er. — De l'exercice du pouvoir législatif.


LIVRE II. — De la Chambre des députés.


LIVRE III. — Du Sénat.




LIVRE PREMIER.


DE L 'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.


CHAPITRE PREMIER.


CONDITIONS D'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. — ORIGINES
DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES EN FRANCE.


Principe du pouvoir législatif.—Attribution de l'exercice de ce pou-
voir h un monarque, au monarque el au parletnent réunis, au
parlement seul, au peuple. Droit comparé.— Historique de l'idée
de représentatiou nationale eu France jusqu'en 1789. Etats -
Généraux. Absolutisme du pouvoir royal aux xvitv eLxvill e siècles.
Nécessité de convoquer les représentants I le la nation.Constitution
d'une it,:semblée nationale. — Participation des représentants de
la nation à l'exercice du pouvoir législatif, jusqu'à la Constitution
actuelle.


L'État, considéré comme l'organisation destinée
à garantir à chacun la jouissance de ses droits na-
turels, le libre développement de ses facultés et en
même temps la plus grande somme d'avantages que
les hommes puissent retirer de leur réunion en so-
ciété , possède légitimement le pouvoir de rendre
obligatoires et de sanctionner certaines dispositions
indispensables au but qu'il doit poursuivre. Ce pou-
voir est le pouvoir législatif.


Si le principe du pouvoir législatif est aujourd'hui




18 POUVOIR LÉGISLATIF.
acquis à la science politique, son exercice est encore
soumis aux règles les plus différentes.


II faut écarter tout d'abord l'hypothèse de la mo-
narchie absolue, où, le monarque étant censé per-
sonnifier l'État, il s'ensuit qu'un seul peut, comme
dit Montesquieu , entraîner tout par sa volonté et
par ses caprices.


Il s'agit ici des régimes constitutionnels, qui
exigent l'intervention de la nation pour la confection
de la loi, et c'est parmi eux que nous constatons
dans l'exercice du pouvoir législatif des variations
telles, que certains de ces régimes confinent au gou-
vernement despotique, tandis que d'autres réalisent
la démocratie la plus indépendante.


Deux éléments sont essentiels à l'exercice du pou-
voir législatif : le droit d'initiative et le caractère exé-
cutoire de la délibération arrêtée par le législateur.


Une assemblée qui ne posséderait pas le droit
d'initiative , lors même qu'elle aurait la faculté
(l'amender les projets présentés par le gouverne-
ment , n'aurait qu'une faible part du pouvoir légis-
latif. Si l'initiative des lois lui appartenait, ce droit
impliquerait déjà un rôle notablement plus consi-
dérable. Mais, pour jouir d'une pleine souveraineté,
il faudrait encore que l'assemblée fût dispensée de
soumettre les lois votées par elle à la sanction d'une
autre autorité.


Dans les monarchies constitutionnelles , le pou-
voir législatif est en général attribué collectivement


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.
19


au monarque et au parlement; cependant le partage
de ce pouvoir peut se concevoir (le diverses ma-
nières.


Il y a peu de temps encore, un certain nombre de
Constitutions n'admettaient pas que le parlement eût
l'initiative de la proposition des lois. — L'article 172
de la Constitution de Wurtemberg était ainsi conçu :
« Des projets de loi peuvent être proposés aux États
par le roi , mais les États ne peuvent en présenter
au roi. Les États peuvent présenter au roi (les péti-
tions tendant à ce qu'une loi nouvelle soit proposée,
ou tendant à l'abrogation ou modification des lois
existantes. » L'article 6 de la loi du 23 juin 4874,
modifiant cette disposition peu libérale, a seul ac-


e
cordé aux deux Chambres une part d'initiative. —
D'après la Constitution du grand-duché de Bade,
« les Chambres peuvent prier le grand-duc de pro-
poser une loi sur un objet quelconque, en dévelop-
pant les motifs de leurs demandes. »


Grâce au progrès des idées libérales, cette subor-
dination du parlement n'est plus aujourd'hui qu'une
exception , même dans les pays monarchiques. En
Autriche, en Prusse, en Grèce, en Italie, dans la
Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Da-
nemark, la Suède, la Norwége, l'initiative des lois
appartient au parlement, en même temps qu'au pou-
voir exécutif.


Mais ce qui est également une exception dans les
pays monarchiques, c'est la souveraineté du parle-
ment dans l'exercice du pouvoir législatif. En fait,




90 POUVOIR - LÉGISLATIF.


dans les États habitués à la pratique du régime par-
lementaire, la sanction royale ou impériale peut ne
paraître qu'une formalité. En droit, elle indique une
conception particulière du régime représentatif,
d'après laquelle il existerait une autorité supérieure
à celle des députés de la nation.


Il faut aller jusqu'en Norwége pour voir la préro-
gative monarchique contrainte de s'incliner devant
le voeu formel du peuple. Par une disposition d'une
analogie frappante avec celles qu'édicta notre Consti-
tuante de 89, la loi fondamentale de 1814 déclare
que si le roi refuse sa sanction à une délibération du
Storthing, et si cette délibération est maintenue par
les deux législatures suivantes , la sanction royale
devient inutile.. e


La Constitution du Brésil offre une particularité
semblable : « L'empereur, porte l'article 64, s'il re-
fuse de donner sa sanction , répondra dans les
termes suivants : « L'Empereur désire méditer sur
le projet de loi pour se décider en son temps ;
à quoi la Chambre répondra qu'elle remercie Sa
Majesté impériale de l'intérêt qu'elle prend pour la
nation. » — « Ce refus, ajoute l'article 65, a seule-
ment un effet suspensif. Lorsque deux législatures,
après celle qui a présenté le projet, le reproduiront
successivement dans les mômes termes, l'empereur
sera considéré comme ayant donné sa sanction. »


Dans les républiques, il est naturel que le partage
des pouvoirs s'effectue d'une manière plus complète


I


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIV.
21


et que l'exécutif n'ait point la faculté d'empiéter sur
les attributions du législatif, qui sont exercées exclu-
sivement. par le parlement. On ne saurait assimiler
à une participation au pouvoir législatif le droit
pour le président de renvoyer au parlement une loi
déjà votée, afin qu'il soit procédé à une nouvelle
délibération. Ce droit, conféré au président des
États-Unis comme à celui de la République fran-
çaise, ne limite en aucune façon la souveraineté des
assemblées. On peut donc dire que le pouvoir légis-
latif appartient réellement à la nation représentée
par ses délégués.


Cette attribution du pouvoir législatif à la nation
est encore plus sensible chez les républiques démo-
cratiques, clans lesquelles le peuple peut être appelé
par voie de referendum à, sanctionner la loi qu'ont
élaborée ses représentants (Confédération helvé-
tique I , cantons d'Argovie, Bâle-Campagne, Berne,
Soleure, Thurgovie, Zurich), ou possède le droit d'y
opposer son vélo (Lucerne, Saint-Gall, Schaffouse),
ou même délibère en assemblée sur les projets
de loi, (le sorte que chaque citoyen exerce direc
tement et personnellement l'autorité législative
(Appenzell, etc.).


C'est là le dernier terme que puisse atteindre la
réalisation du principe de la souveraineté nationale
dans l'exercice du pouvoir législatif. Mais la per-
fection théorique est ici unie à des difficultés pra-


, Voir à l'appendice sur la révision de la Constitution ce qui con
-cerne la Suisse.




22 POUVOIR LÉGISLATIF.
tiques qui rendent le régime inapplicable dans l'im-
mense majorité des États.


L'histoire constitutionnelle de la France offre
l'exemple de toutes les organisations possibles du
pouvoir législatif.


Avant la Révolution, la nation ne participait pas
à la confection de la loi. La volonté royale était la
source unique de la législation. Néanmoins l'idée
d'une représentation du peuple a pris naissance
d'assez bonne heure dans notre pays ; et c'est dans
l'histoire des États-Généraux qu'on peut trouver le
premier germe des institutions représentatives. A
ce titre, il ne sera pas sans intérêt d'entamer, par
l'étude rapide de ces assemblées intermittentes de
l'ancien régime, les développements sans lesquels
on ne comprendrait qu'imparfaitement la consti-
tution actuelle du pouvoir législatif. C'est Phi-
lippe le Bel qui prit, en 1302, l'initiative de la con-
vocation des Étais-Généraux. Pour la première fois,
on vit alors siéger côte à côte les représentants des
trois ordres , clergé , noblesse et bourgeoisie.
C'était là un grave événement dans l'histoire inté-
rieure de la France. Quels que fussent en effet le
but et l'esprit d'une semblable assemblée, qu'on la
réunit pour voter des subsides ou pour approuver
la politique du Roi clans son conflit avec le Pape, la
Couronne s'habituait dès lors à compter avec la
Nation. L'avénement d'un nouveau Droit , antago-
niste du Droit féodal, commen çait à se dessiner.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.
23


Le rôle des États-Généraux prend très-rapidement
de l'importance. A la mort de Louis X, ce sont eux
qui proclament la loi salique, et changent ainsi la
dévolution de la couronne. Sous le règne de Phi-
lippe V — un règne de six ans — ils sont convo-
qués trois fois et deviennent presque périodiques.
Après Crécy, le peuple, décimé par tous les maux,
la guerre, le pillage, la peste noire, écrasé par la
gabelle, exploité par des princes faux monnayeurs,
manifeste ses aspirations et ses doléances, avec une
énergie croissante.


En 1351, les États-Généraux avaient payé, sans
trop se plaindre, pour équiper l'armée du roi.
En 1355, ils nomment une commission pour sur-
veiller l'emploi des impôts. En 1357, au lendemain
du désastre de Poitiers, Étienne Marcel demande
la formation d'une commission permanente, tirée
des trois ordres et la faculté pour les États de s'as-
sembler deux fois l'an. Marcel avait devancé son
siècle. Il échoua dans sa tentative de réforme et paya
de sa tête l'audace (le ses revendications. Mais,
après l'épopée de .Jeanne d'Arc, après la délivrance
du pays par cette admirable héroïne, sortie des
rangs du peuple ; après la reconstitution de l'auto-
rité royale qui cherche à se dégager de la tutelle
féodale , c'est le roi lui-même qui reprend la tac-
tique de Philippe le Bel et faitappel au concours
des États-Généraux. En 1439, les États d'Orléans
participent, avec un empressement patriotique, à la
formation d'une armée nationale et permanente, et


j




24 POUVOIR LÉGISLATIF.
votent la taille perpétuelle pour permettre au Trésor
de payer la solde des troupes.


Un peu plus tard, sous Louis XI, ce sont encore
les États-Généraux qui se trouvent aux côtés du roi,
pour défendre l'intégrité du domaine et empêcher
la cession de la Normandie.


Ils s'enhardissent sous le règne suivant. Convo-
qués par la noblesse, qui voulait en faire l'instru-
ment d'une sorte de restauration féodale, les États-
Généraux de 1484 marquent une grande étape dans
l'histoire de notre droit national. Pour la première
fois, les paysans sont appelés à. participer au choix
des délégués. Leur accession à la bourgeoisie forme
le tiers état ; et la fusion est même si complète que
les députés réunis à Tours, au lieu de voter sépa-
rément et de se diviser en trois ordres, se partagent
en bureaux répondant à six régions territoriales.
Bien qu'aucune réforme sérieuse n'ait été la suite de
l'assemblée des États de 1484, on peut relever clans
les cahiers du tiers — car les premiers cahiers ne
datent pas de 89 —toutes les doléances de la classe
populaire. De plus, si l'on se reporte aux discus-
sions qui endormaient parfois le roi Charles VIII,
on y trouve des accents tout à fait démocratiques.
Philippe Pot et ,Tean Masselin parlent à peu près
comme on parlera trois siècles plus tard. Ils rap-
pellent l'origine élective de la royauté et déclarent
que l'État est la République, la chose du peuple, et
que les flatteurs seuls: attribuent la souveraineté au
prince, qui n'existe que par le peuple. Ils présentent,


DE L ' EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 25
comme l'idéal d'un bon gouvernement, le régime de
la République romaine qui n'autorisait la mise en
-vigueur des lois qu'après leur avoir donné la con-
sécration d'un vote populaire.. Ils placent enfin la
souveraineté dans l'assemblée des États, qui repré-
sente la nation, et professent cette opinion que la
Royauté ne doit rien faire sans l'assentiment des
députés.


Les États-Généraux du xvi e siècle n'ont pas l'éclat
de ceux du xv'. Ils se bornent presque toujours à
demander l'abaissement des impôts, quand ils ne
sont pas absorbés par les questions religieuses, qui,
sous les derniers Valois, dominent les questions po-
litiques. Cependant les États de Blois de 1576 ré-
clament pour trente-six de leurs délégués le droit
d'assister au Conseil (lu roi; et ceux de 1588 disent
en face à Henri III par l'organe de Brissac « que le
peuple est grandement refroidi de l'amour qu'il por-
tait à ses princes » . Déjà, au milieu des tempêtes de
la Ligue, le respect de l'autorité royale s'affaiblit, les
vices de l'organisation politique apparaissent et sont
signalés avec énergie ; mais les masses n'ont pas
encore acquis la notion claire de leurs droits.


A la. mort d'Henri IV, les nobles, pour donner un
prétexte à leur lutte contre la royauté, essaient de.
s'ériger en défenseurs du peuple. Ils déplorent dans
leurs manifestes la dilapidation des finances et la
mauvaise administration du royaume. C'est le
prince de Condé qui venant d'arracher à la Cour
une pension de 200,000 livres et.le comté de Cler-




26 POUVOIR LÉGISLATIF'.
mont, réclame la convocation des États-Généraux
pour réformer les abus. Les États se réun ssen I à Paris
le 14 octobre 1614 ; mais , dès le début, le dissen-
timent éclate entre les trois ordres, qui n'entendent
pas de la même manière « cette réforme des abus »
dont il avait été tant parlé dans les proclamations
des princes. En 1484, les trois ordres délibéraient,
en commun ; en 1614, ils se séparent et s'injurient.
Le baron de Senecé , président de l'ordre de la no-
blesse, déclare qu'il y a entre les seigneurs et les
membres du tiers autant de différence qu'entre le
maître el le valet. Le tiers répond par des couplets,
mais ne peut tirer vengeance des coups de bâton que
reçoit un de ses membres. Les ministres profilèrent
de la division des ordres pour les congédier brus-
quement; et leurs cahiers restèrent lettres mortes. Il
se fait alors un grand silence. Le pouvoir royal veut
désormais régler tout seul les affaires de la France.
Richelieu remplace les États-Généraux par les as-
semblées de notables qu'il trouve moins gênantes.


Quant à Louis XIV, il repousse même ce simu-
lacre de contrôle. Le Grand Roi qui disait : « Je suis
le lieutenant de Dieu : je possède la vie et la fortune
de mon peuple en toute propriété ; » celui qui se
laissait élever un autel sur la place des Victoires
par le maréchal de la. Feuillade , ne pouvait consi-
dérer que comme une insulte les mots d'Assemblée et
d'États-Généraux. Aveuglé par son orgueil, par une
foi profonde dans sa prérogative, Louis XIV aurait
cru déroger en consultant la nation. Dans la pé-


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 27


riode la plus triste de son règne, de 1709 à 1715,
lorsque Desmarets succombait presque sous le poids
de la dette et annonçait la banqueroute, lorsque la.
reine Anne ne voulait régler les préliminaires du
traité d'Utrecht qu'à la condition qu'ils fussent ra-
tifiés par les représentants de la France, le roi ne
fléchit pas et rejeta bien loin , dès le premier mot,
l'éventualité d'une convocation des États-Généraux.
« Les Français, disait-il, ont oublié qu'il y a des
États-Généraux dans leur monarchie, et il y aurait
imprudence à les en faire souvenir. » On ne s'adres-
sait au peuple que pour en tirer de l'argent. Cinq ou
six provinces avaient conservé des États en posses-
sion du privilége de voter l'impôt ; mais c'était là un
fort mince avantage, car les États étaient dominés et
présidés par le gouverneur de la province. Grâce à
la pression de ces hauts fonctionnaires, les débats
tournaient toujours au profit du Trésor. Le duc
de Chaulnes , le prince de Conti avaient notam-
ment des procédés infaillibles pour extorquer l'ar-
gent des contribuables ; et AI' de Sévigné en fait
des gorges chaudes. C'était merveille, paraît-il, de
les voir « mettre la main à la pâte » . L'élection des
députés n'était d'ailleurs entourée d'aucune garantie.
Elle faisait l'objet d'une réglementation variable sui-
vant les provinces. Afin de conserver plus de prise
sur les délégués, on les prenait, en majorité, parmi
les officiers publics et les magistrats.


Quant à l'enregistrement des ordonnances royales
par les parlements (outre que ces corps n'émanaient




28 POUVOIR LÉGISLATIF.
à aucun degré du choix de la nation), on ne saurait
l'assimiler à une attribution législative, puisque la
résistance des parlements pouvait être facilement
vaincue par l'envoi de lettres de jussion ou par la
tenue d'un lit de justice.


Sous Louis XV, la théorie ne change pas ; et le ma-
réchal de Villeroy, montrant à son maitre, du haut
de la terrasse des Tuileries, la foule qui se presse
dans le jardin , peut s'écrier : « Sire , tout ce peuple
est à vous. » Cependant la différence qui sépare les
moeurs des institutions devient peu à peu si cho-
quante que l'opinion publique finit par s'émouvoir et
par s'indigner. D'Argenson , Choiseul — des mi-
nistres — osent écrire ce qu'un courtisan n'eCit ja-
mais osé penser sous le dernier règne. Voltaire ,
Montesquieu , Rousseau marchent à l'assaut des
abus antiques et impriment à la monarchie du droit
divin une terrible secousse.


Après la mort de Louis XV et les fautes graves des
Calonne et des Brienne, les premiers ministres de
son successeur, il faut enfin se décider à. faire
appel à cette nation dont la voix depuis si long-
temps était réduite au silence. On crut d'abord qu'une
assemblée des notables suffirait à calmer l'opinion
publique ; mais le temps n'était plus aux ater-
moiements , aux demi-mesures. Necker convoqua
les États-Généraux pour le 1 e ' mai 1789. C'était la
résurrection du droit national et la mort de l'ancien
régime.


Nous n'insisterons pas sur les circonstances qui


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 29
ont marqué la réunion des États, sur les demandes
des cahiers, sur les prétentions de la Cour, sur tous
ces incidents qui . accusaient son profond désaccord
avec la majorité des représentants du pays. Cette
assemblée , qu'on voulait forcer à signer l'acquit
des dettes de l'État et à se dissoudre après la liqui-
dation financière, s'érigea en Assemblée nationale, le
17 juin.


Le principe de la souveraineté du peuple était
posé. Il entraînait l'intervention active , directe,
permanente de la nation dans l'exercice du pouvoir
législatif.


On verra plus loin ( liv. I I , chap. l e i) suivant
quelles combinaisons, plus ou moins sages etplus ou
moins exactes, a été organisée la représentation na-
tionale, SOUS les différents régimes qui se sont suc-
cédé depuis 1789. Nous nous bornons à constater
ici qu'à partir de cette date il existe une représenta-
tion nationale possédant des attributions législatives.


Dans quelle mesure le pouvoir législatif a-t-il été
exercé par cette représentation, c'est ce que nous
allons indiquer.


La Constitution des 3-14 septembre 1791 contient,
relativement au pouvoir législatif, les dispositions
suivantes :


Art. 2.— La nation, de qui seule émanent tous
les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation.


» La Constitution française est représentative :
les représentants sont le Corps législatif et le roi.




30 POUVOIR LÉGISLATIF.
» Art. 3. — Le pouvoir législatif est délégué à


une Assemblée nationale composée de représentants
temporaires, librement élus par le peuple, pour être
exercé par elle, avec la sanction du roi. »


« Chap. III. — Art. 2. — Dans le cas où le roi re-
fuse son consentement, ce refus n'est que suspensi f.


» Lorsque les deux législatures qui suivront celle
qui aura présenté le décret auront successivement
représenté le décret dans les mêmes termes, le roi
sera censé avoir donné la sanction.


» Art. 6. — Les décrets sanctionnés par le roi et
ceux qui lui auront été présentés par trois législa-
tures consécutives ont force de loi et portent le nom
et l'intitulé de lois.


» Art. 7. — Seront néanmoins exécutés comme
lois, sans être sujets à. la sanction : les actes du Corps
législatif concernant sa constitution en assemblée
délibérante, sa police intérieure et celle qu'il
pourra exercer dans l'enceinte extérieure qu'il aura
déterminée ; — la vérification des pouvoirs de ses
membres présents ; — les injonctions aux membres
absents ; — la convocation des assemblées pri-
maires en retard ; — l'exercice de la police constitu-
tionnelle sur les administrateurs et sur les officiers
municipaux ;— les questions soit d'éligibilité, soit de
validité des élections. — Ne sont pareillement sujets
à la sanction les actes relatifs à la responsabilité des
ministres, ni les décrets portant qu'il y a lieu à accu-
sation.


» Art. 8. — Les décrets du Corps législatif con-


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 31
cernant l'établissement, la prorogation et la percep-
tion des contributions publiques porteront le nom et
l'intitulé de lois. Ils seront promulgués et exécutés
.sans être sujets à la sanction, si ce n'est pour les dis-
positions qui établiraient des peines autres que des
amendes et contraintes pécuniaires. »


Ainsi le pouvoir législatif émane de la nation ; le
Corps législatif et le roi , considérés l'un et l'autre
comme représentants de celle- ci , sont chargés
(l'exercer ce pouvoir. En cas de désaccord, le der-
nier mot doit finalement appartenir aux élus du
peuple.


D'après la Constitution du 24 juin 1793, qui, pour
n'avoir pas été appliquée, n'en est pas moins inté-
ressante au point (le vue scientifique, le Corps légis-
latif, (lui se compose d'une Chambre unique, pro-
pose (les lois et rend des décrets.


Sont compris sous le nom général de loi les actes
du Corps législatif concernant : la législation civile
et criminelle, — l'administration générale des re-
venus et des dépenses ordinaires de la République,
les domaines nationaux, — le titre, le poids, l'em-
preinte et la dénomination des monnaies, — la na-
ture, le montant et la perception des contributions,
— la déclaration de guerre, — toute nouvelle distri-
bution générale du territoire français, — l'instruc-
tion publique, — les honneurs publics à la mémoire
des grands hommes.


Sont désignés sous le nom particulier (le décret




32 pOUVOIH LÉGISLATIF.
les actes du Corps législatif concernant : l'établis-
sement annuel des forces de terre et de mer, — la
permission ou la défense du passage des troupes
étrangères sur le territoire français, —l'introduction
des forces navales étrangères dans les ports de la
République, — les mesures de sûreté et de tranquil-
lité générale, — la défense du territoire, la rati-
fication des traités, — la nomination et la desti-
tution des commandants en chef des armées, —les
récompenses nationales, etc.


Les projets de loi sont précédés d'un rapport. La
discussion ne peut s'ouvrir, et la loi ne peut être
provisoirement arrêtée, que quinze jours après le
rapport.


Le projet est imprimé et envoyé à toutes les com-
munes de la République, sous ce titre: Loi proposée.
Quarante jours après l'envoi de la loi proposée, si
dans la moitié des départements, plus un, le dixième
des assemblées primaires de chacun d'eux, réguliè-
rement formées, n'a pas réclamé, le projet est ac-
cepté et devient loi ; s'il y a réclamation, le Corps lé-
gislatif convoque les assemblées primaires, qui sont
appelées à voter par oui ou non.


Ce système est, à quelques détails près, celui du
referendunt, tel qu'il est pratiqué. en Suisse.


La Constitution de l'an III ne l'adopta point et or-
ganisa un régime purement représentatif. Le Con-
seil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens devin-
rent les dépositaires exclusifs du pouvoir législatif.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.
33


La Constitution de l'an VIII, issue du coup d'État
du 18 brumaire, marque une réaction considérable.
L'initiative des lois est remise au Gouvernement :
lui seul a le droit de les proposer. Les projets de
loi, élaborés par le Conseil d'État, sont présentés au
Corps législatif qui les renvoie au Tribunat, après
avoir entendu les orateurs du Gouvernement et sans
pouvoir discuter lui-même. Le Tribunat, dépourvu
de tout droit d'amendement, formule un voeu pour ou
contre la proposition et charge trois de ses membres
d'exposer et de défendre ce voeu devant le Corps
législatif , contradictoirement avec les membres
du Conseil d'État. C'est dans ces conditions que la
loi est votée ou rejetée. en bloc par le Corps législatif.
Si elle est adoptée, le Tribunat peut encore la déférer
au Sénat pour cause d'inconstitutionnalité.


Toutes ces combinaisons sont dirigées contre la
liberté de discussion et le droit d'amendement.
Jointes à l'exclusion de toute initiative, elles autori-
sent à affirmer que les assemblées élues sont presque
entièrement dépouillées du pouvoir législatif.


Le Sénat renonça bientôt lui-même à son pouvoir
d'annulation des lois inconstitutionnelles , par le
sénatus-consulte du 28 floréal an XII portant éta-
blissement du gouvernement impérial.


« Le Sénat, y est-il dit à l'article 72, dans les six
jours qui suivent l'adoption du projet de loi , déli-
bérant sur le rapport d'une commission spéciale, et
après avoir entendu trois lectures du décret tenues à




34 POUVOIR LÉGISLATIF.
des jours différents, peut exprimer l'opinion qu'il
n'y a pas lieu à promulguer la loi. — Le président
porte à l'empereur la délibération motivée du Sénat.
— L'empereur, après avoir entendu le Conseil
d'État, ou déclare par un décret son adhésion à la
délibération du Sénat, ou fait promulguer la loi. »


Sous la Charte constitutionnelle de 1814, « la
puissance législative s'exerce collectivement par le
roi, la Chambre des pairs et la Chambre des députés
des départements » (art. 15).


Le roi seul propose et sanctionne les lois. « Les
Chambres, porte l'article 49 de la Charte, ont la. fa-
culté de supplier le roi de proposer une loi sur
quelque objet que ce soit et d'indiquer ce qu'il leur
paraît convenable que la loi contienne. »


Toute loi, aux termes de l'article 18, doit être.
discutée et votée librement par la majorité de cha-
cune des deux Chambres.


Aucun amendement ne peut être fait à une loi s'il
n'a été proposé ou consenti par le roi.


D'après l'Acte additionnel aux Constitutions de
l'Empire, le pouvoir législatif est exercé par l'em-
pereur et par deux Chambres. Le Gouvernement a
la proposition de la loi ; les Chambres peuvent pro-
poser des amendements ; si ces amendements ne
sont pas adoptés par le Gouvernement, les Chambres
sont tenues de voter sur la loi telle qu'elle a été pro-
posée. Les Chambres peuvent « inviter le Gouver-


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF .
35


nement » à proposer une loi sur un objet déterminé
et rédiger ce qu'il leur parait convenable d'insérer
dans la loi.


Sous la Charte de 1830, le roi a encore le pouvoir
de sanctionner la loi, mais le droit d'initiative ap-
partient à chacune des deux Chambres. Si une pro-
position de loi a été rejetée par l'un des trois pou-
voirs, elle rie peut être représentée dans la même
session.


En 1848, « le peuple français délègue le pouvoir
législatif à une Assemblée unique. » Le président de
la République n'a aucune part à l'exercice de ce
pouvoir ; il ne peut que demander à l'Assemblée,
par un message motivé, de procéder à une nouvelle
délibération sur une loi votée par elle. Après cette
nouvelle délibération, la résolution de l'Assemblée
devient définitive et doit être promulguée dans le
délai de trois jours.


Par la Constitution du 14 janvier 1852, le prési-
dent Louis-Napoléon Bonaparte s'attribua le droit
exclusif de proposer les lois et celui de les sanc-
tionner. Le Corps législatif' n'eut même pas la fa-
cuité de délibérer sur les amendements , s'ils n'é-
taient adoptés tout d'abord par le Conseil d'État,
nommé par le pouvoir exécutif et révocable à son
gré. Le Sénat, composé par le chef de l'État, pouvait
s
'opposer à la promulgation des lois émanées de




36 POUVOIR LÉGISLATIF.
l'initiative de celui-ci et adoptées par le Corps légis-
latif. — Le sénatus-consulte du 8 septembre 1869,
en restituant aux députés le droit d'initiative et le
droit d'amendement, maintint les pouvoirs du Sénat
et les augmenta même ; ce corps, qui précédem-
ment ne pouvait s'opposer à la promulgation que
sous certains prétextes énumérés par la Constitution,
eut désormais un contrôle illimité sur les délibéra-
tions de l'autre chambre. Il put dans tous les cas
écarter les lois votées par le Corps législatif. Le pou-
voir législatif restait donc, en fait, à la discrétion de
l'exécutif.


La proclamation de la République et l'élection
d'une Assemblée devaient restituer à l'exercice du
pouvoir législatif ses conditions normales : droit
d'initiative absolu pour les représentants de la, na-
tion comme pour le gouvernement, souveraineté
des représentants de la nation dans la confection de
la loi. Le président de la République promulgue les
lois votées, sans avoir à les sanctionner. La loi n'est
autre chose que la volonté du peuple exprimée par
ses élus.


Après avoir étudié les conditions d'exercice du
pouvoir législatif, suivi les développements succes-
sifs qu'ont reçus en France les institutions repré-,
seniatives jusqu'à leur admission au partage de ce.
pouvoir, et constaté enfin leur avénement à une
entière souveraineté, il nous reste à examiner quelle


DE L'EXERCICE 1)U POUVOIR LÉGISLATIF.


37
forme peut ou doit revêtir la représentation natio-
nale. Nous discuterons• donc dans le prochain cha-
pitre la question de savoir si cette représentation
doit se composer d'une Chambre unique ou de deux
Chambres. Quant au fonctionnement et aux attribu-
tions de chacune des deux Chambres, nous en fe-
rons l'objet des livres deuxième et troisième de cette
première partie.


CHAPITRE II.


llE LA REPRÉSENTATION NATIONALE PAR UNE CHAMBRE
UNIQUE OU PAR DEUX CHAMBRES.


Droit comparé. — Presque unanimité des législations constitution-
nelles en faveur des deux Chambres. — Portée limitée de ce fait.
— La loi est l'expression de la volonté générale. Réfutation des
objections. — L'existence de cieux Chambres est-elle compatible,
avec cette idée? Si oui, est-elle avantageuse? — Argument de
M. John Stuart Mill en faveur d'une Chambre unique.


Aux termes de l'article premier de la Consti tu Lion,
le pouvoir législatif s'exerce en France par deux
assemblées : la Chambre des députés et le Sénat.


Ce n'est pas ici le lieu d'analyser le rôle et les
attributions des Chambres hautes clans les pays où
existent ces assemblées. Ces détails trouveront leur
place au livre troisième. Nous devons nous borner
en ce moment à noter sommairement ce qui résulte
d'un premier coup d'oeil jeté sur l'ensemble des
législations constitutionnelles, et à rechercher les


1


1




38 POUVOIR LÉGISLATIF.
éléments de la question soulevée par l'institution
d'Une double représentation nationale.


La Grande-Bretagne a son Parlement, composé
de la Chambre des lords et de celle des Communes ;
—le Danemark son Rigsdag, composé du Folkeihing
et du Landsthing ; —la Norwége son Storthing, divisé
en Odelsthing et en Lagthing — la. Suède sa Diète,
formée de deux assemblées ; — la Belgique une
Chambre des représentants et un Sénat ; — les
Pays-Bas ont les deux Chambres de leurs États-
Généraux ; — les Landtage de Prusse, de Bavière,
de Wurtemberg comprennent une Chambre des sei-
gneurs et une Chambre des députés ; — il en est de
même du Reichsrath de l'empire d'Autriche ; —
l'Italie possède, un Sénat ; — la Roumanie s'en est
donné un en 1864; — les Cortès portugaises ont une
Chambre des pairs ; — l'Assemblée fédérale de la
Suisse se compose d'un Conseil national et d'un
Conseil des États ; — le Bundesrath vient s'ajouter
au Reichstag dans la représentation de l'empire
allemand.


En Amérique, le régime des deux Chambres existe
aux États-Unis, au Canada, au Brésil, dans la Con-
fédération Argentine, le Paraguay, l'Uruguay, ]e




Chili, le Pérou, l'Équateur, les États-Unis de Co-
lombie, le Vénézuéla, les républiques de Costa-Rica,
de Salvador, etc. Il n'est pas jusqu'à la noire répu-
blique d'Haïti qui ne soit pourvue d'un Sénat.


On trouve également des Sénats en Afrique, à


DE L'EXERGICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 39
Libéria, au Cap ; on en trouve encore en- Australie
dans trois, sur cinq, des Constitutions provinciales.


Le régime de la Chambre unique est représenté
en Europe par le royaume de Grèce et par la Serbie ;
nous ne mentionnons pas les quelques principautés
allemandes où il existe, ni les Constitutions canto-
nales de la Suisse. Hors d'Europe, nous citerons la
Bolivie qui a commencé par avoir trois Chambres,
puis deux, et qui s'est enfin réduite au strict néces-
saire; — le Mexique qui offre cette particularité
d'une Chambre unique avec une Constitution fédé-
rale; — le Honduras, et enfin quelques provinces
canadiennes et australiennes.


Le dédoublement de l'exercice du pouvoir légis-
latif se retrouve, on le voit, dans l'immense majorité
des États constitutionnels. Le système politique de
l'Angleterre, ce beau système trouvé dans les bois
de la. Germanie, suivant la trop paradoxale expres-
sion de Montesquieu, paraît avoir obtenu, du moins
en ce qui concerne l'institution des deux Chambres,
un succès à peu près universel. Au Midi comme au
Nord, dans les républiques comme dans les monar-
chies, dans le nouveau monde comme dans l'an-
cien, presque partout le pouvoir législatif s'exerce
par deux Assemblées ; et il semble que la science po-
litique ait véritablement trouvé la forme naturelle et
nécessaire du régime représentatif à notre époque.


Au fond, cette unanimité des Étals constitution-
nels est beaucoup plus apparente que réelle, et il
serait plus que téméraire d'en tirer une conclusion




40 POUVOIR LÉGISLATIF.
absolue. Ce n'est que par une légèreté manifeste de
raisonnement que l'on pourrait grouper ensemble
le Bundesrath de l'empire allemand et le Sénat fédé-
ral des États-Unis, le Sénat d'Italie et la Chambre
des seigneurs de Prusse, pour en faire sortir un ar-
gument en faveur du système des deux Chambres.
La représentation fédérale est autrement comprise
et appliquée I sous la présidence de l'empereur alle-
mand que dans l'Unieei américaine ; de plus , cette
représentation, qui répond à une nécessité spéciale,
n'explique pas l'existence de deux Chambres dans
les pays unitaires ; et enfin l'addition d'une autre
assemblée à celle qui procède plus directement de la
volonté nationale se justifie par des principes es-
sentiellement différents, suivant qu'il s'agit d'une
assemblée féodale et aristocratique ou d'un corps
constitué par le gouvernement pour faire contre-
poids à la Chambre élective. La dualité de représen-
tation dans les quatre États que nous venons d'indi-
quer résulte donc en réalité de causes particulières
à chacun d'eux, et n'est nullement l'application d'un
système identique. I l


serait facile de constater qu'il
en est de même dans la plupart des pays qui ont
admis le régime des deux Chambres. Mais alors qui
ne voit que la prétendue unanimité des législations
constitutionnelles ne peut fournir une raison à priori
à l'appui de ce régime? Si les Chambres hautes, qui
assurent soit la prépondérance de l'élément anis-


' Voy. le livre UT, ,ivr le Sénat, chap. ter.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 41
tocratique, censitaire ou gouvernemental, soit l'in-
dépendance des États au sein d'une confédération,
sont. les produits divers mais naturels des circons-
tances et de la situation politique des nations chez
qui elles sont instituées, comment leur établisse-
ment autoriserait-il à ériger en principe la création
i.rti.ficielle des Chambres hautes dans les pays où les
mêmes besoins n'existent pas?


Pour qu'il fût permis de conclure de l'expérience
générale à la nécessité des deux Chambres, il fau-
drait que cette nécessité se fût révélée chez un cer-
tain nombre de nations, en dehors de tout besoin de
représentation spéciale. C'est ainsi qu'en Norwége
le Storthing , élu pour trois ans par les citoyens ,
choisit le quart de ses membres pour composer le
Lagthing destiné à jouer le rôle de première
chambre, les trois autres quarts des représentants de
la nation formant l'Odelsthing ou seconde chambre.
Le but exclusif de cette curieuse combinaison n'est
évidemment pas autre que l'application du principe
des deux assemblées ; et si un grand nombre d'États
offraient des exemples analogues, il pourrait y avoir
quelque chose de caractéristique dans cette concor-
dance des législations constitutionnelles. Mais ,
comme nous venons de le faire observer, l'institution
de la Chambre haute est à peu près partout destinée
soit à protéger les bases d'une union fédérative, soit
à restreindre, au nom de tel ou tel principe , l'inter-
vention de la volonté populaire clans la direction des
affaires publiques; ce n'est que très-exceptionnelle-




I




POUVOIR LÉGISLATIF.


ment qu'elle a pour objet unique le partage de la re-
présentation nationale entre deux assemblées.


La question de la préférence à donner au régime
de la chambre unique ou à celui des deux chambres
n'est donc pas, quoi qu'on en ait dit, une question
tranchée par l'expérience des constitutions étran-
gères. Il serait plus exact d'affirmer que c'est une
question presque entièrement neuve chez un peuple
unitaire et démocratique.


Sans doute la France elle-même a fait successive-
ment l'essai de l'un et de l'autre régime. Mais tout es-
pritde bonne foi conviendraque ces essais n'ont donné
que des résultats peu concluants, au point de vue de
la science politique. S'il s'agit de liberté, la dictature
de cette assemblée unique qui s'appelait la Conven-
tion nationale sera-t-elle un argument plus probant
que la modération de la Constituante de 1844? S'il
s'agit de stabilité , de représentation a-t-elle
mieux garanti la Législative de 1849 contre le coup
d'État de 1851 que la division de la représentation
nationale n'avait protégé les conseils des Cinq-Cents
et des Anciens contre le 18 brumaire? Quant aux
Chambres hautes des périodes monarchiques, outre
qu'elles ne peuvent être invoquées à l'égard d'un
régime républicain et démocratique, qui pourrait
déterminer exactement leur influence sur les événe-
ments? Qui pourrait dire si l'absence d'une chambre
de cette sorte en 1792 , si la présence d'un Sénat ou
d'une Chambre de pairs en 1814, en 1815, en 1830,
0.111848, en 1870, a été d'un poids quelconque dans la




DE L'ExERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 43
balance politique? Le renversement du premier Em-
pire a-t-il tenu. à la déclaration des sénateurs? Le
libéralisme intermittent des pairs a-t-il contribué à la
chute de Charles X? Bien hardi serait, croyons-nous,
celui qui prétendrait tirer de notre histoire depuis
quatre-vingts ans un argument décisif, soit pour,
soit contre le régime des deux Chambres.


Il faut donc examiner la question en elle-même.
Elle a été nettement posée par Sieyès dans ce rai-
sonnement si connu : La loi n'est que l'expression de
la volonté nationale ; or la volonté nationale est une ;
s'il existe deux Chambres, ou bien elles représente-
ront la même volonté et l'une d'elles est inutile, ou
bien l'une d'elles représentera autre chose que la
volonté nationale, ce qui est inadmissible.


Le principe affirmé par Sieyès est d'une incon tes-
table évidence ; en suivant son application, nous ver-
rons si la déduction qu'en a tirée le rigoureux logi-
cien n'est pas susceptible de quelques tempéraments.


Que la loi doive être l'expression de la volonté
générale, c'est ce qui ne saurait faire de doute pour
quiconque reconnaît la souveraineté de la nation,
base fondamentale du droit public français depuis
1789. Cette vérité élémentaire n'est cependant pas
acceptée universellement. Sans parler des théories
surannées qui font soit d'une famille , soit d'une
classe de citoyens, soit des ministres d'une religion,
les dépositaires d'on ne sai t quelle autorité supérieure
et les conducteurs des peuples, selon le langage




44 POUVOIR LÉGISLATIF.
d'Homère , le principe de la souveraineté de la vo-
lonté nationale se heurte à. deux sortes d'objections.


Tout d'abord, au point de vue du droit naturel,
on a fait observer que la loi ne peut commander
le respect et l'obéissance par cela seul qu'elle
est la volonté du plus grand nombre ; une viola-
tion de la justice ne perdrait pas son caractère
parce qu'elle serait commise ou approuvée par la
majorité dûment constatée de la nation ; il existe
des droits antérieurs et supérieurs à la volonté
générale ; cette volonté ne doit donc pas être con-
sidérée comme souveraine. — Il y a dans cette
façon de raisonner une équivoque si manifeste que
l'argument mériterait à peine une réfutation s'il ne
se trouvait dans des ouvrages considérés comme
sérieux. La toute-puissance des majorités n'est nul-
lement un corollaire logique de la souveraineté na-
tidnale. Que le gouvernement émane ou non de la
volonté des gouvernés, il a des limites qu'il ne peut
légitimement franchir ; et c'est précisément lorsqu'il
a pour base le droit de tous les citoyens , lorsqu'il
naît de l'exercice de ce droit, qu'il est moins exposé
que jamais à y porter atteinte. Lapratique du régime
de la souveraineté nationale exige en effet les libertés
les plus étendues, de même qu'elle suppose l'égalité
politique la plus entière entre les citoyens. Loin
d'être compromis par ce système, le respect des mi-
norités en est au contraire la condition essentielle.


On peut se placer à un autre point de vue pour
critiquer la souveraineté de la volonté nationale. On


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LEGISLATIF. 45
peut considérer la politique comme une science et
affirmer que l'opinion populaire ne saurait prévaloir
contre des vérités scientifiques. Que cette science
soit fondée sur. des conceptions rationnelles ou sur
des données expérimentales, qu'elle s'inspire de
certaines idées a priori ou qu'ail contraire elle parte
des faits pour suivre la sûre et féconde méthode de
l'induction, toujours est-il que les lois auxquelles
elle conduit ont leur valeur propre et indépendante
du consentement général, comme les lois physiques
ou mathématiques que personne n'aura jamais l'idée
de soumettre à la sanction de l'opinion publique. —
Ce qui est exact, croyons-nous, dans ces considéra-
tions, c'est l'idée de faire aux phénomènes sociaux
l'application la plus large possible d'une méthode
rigoureusement scientifique. Sur ce point aucun
désaccord. Mais la difficulté commence immédia-
tement ensuite. Parmi les diverses méthodes qui
ont été ou peuvent être appliquées à la science poli-
tique, laquelle choisir? Faut-il demander un système
à Rousseau ou à Montesquieu, à de Bonald ou à
Auguste Comte, à de Maistre ou à Proudhon? Où
découvrira-t-on la vérité scientifique? Dans l'obser-
vation des faits? Soit ; mais, pour quiconque ne
veut pas se payer de mots, n'est-il pas évident que
la méthode inductive, cet admirable instrument de
toutes les études, ne saurait fournir, en la matière
dont il s'agit, des résultats constamment positifs,
complets et précis? Il y a dans la vie des sociétés
comme dans celle des individus plusieurs ordres deI




POUVOIR LÉGISLATIF.


phénomènes qui se prêtent merveilleusement aux
observations de la science ; il en est d'autres au con-
traire, appelés intellectuels ou moraux, sur lesquels
nous n'avons que des idées beaucoup moins nettes
et moins sûres. Que l'on écarte, par exemple, la
théorie du libre arbitre, il n'en est pas moins difficile
de fixer actuellement, d'une manière certaine, les
conditions de nos déterminations ; or n'est-ce pas
là un élément considérable soustrait aux calculs de
l'observateur, et l'insuffisance des résultats obtenus
n'enlève-t-elle pas quelque chose à l'autorité de la
science? Si l'on suppose que celle-ci comble ses
lacunes et qu'elle parvienne à une réelle exactitude,
les adversaires du système de la souveraineté natio-
nale n'y auront rien gagné. Car du jour oà les no-
tions politiques cesseront d'être les opinions plus
ou moins fondées de théoriciens plus ou moins
aventureux pour devenir des vérités rigoureusement
démontrées, elles passeront, pour ainsi dire, dans le
domaine public ; elles seront accessibles à tous les
esprits, comme le sont déjà certains axiomes élémen-
taires de l'économique, et alors la question sera de
savoir s'il est préférable de les imposer d'autorité
ou de les enseigner au suffrage universel qui serait
chargé de les faire passer clans la pratique gouver-
nementale. Poser cette question, c'est la résoudre.


La proposition dç Sieyès est donc juste. La loi
n'est que la volonté nationale se manifestant dans
des conditions de liberté qui en assurent la sincère
expression. C'est à ce point de vue qu'il faut exa-


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF. 47
miner la légitimité ou l'utilité des deux Chambres.


Nous croyons que ce point de vue n'exclut pas
nécessairement la dualité de représentation ; il suffit,
pour s'en convaincre, d'analyser le caractère et d'étu-
dier le fonctionnement de la volonté nationale.


Ce serait une puérilité indigne d'un esprit sérieux
que d'assimiler la volonté nationale à une volonté
individuelle et d'appliquer à la première les raison-
nements qui sont applicables à la seconde. La vo-
lonté nationale est, de sa nature, générale et quelque
peu flottante, tandis que , au contraire , ce qu'on
appelle volonté chez l'individu est un effort conscient
et calculé vers un but rigoureusement circonscrit.
Quand l'individu accomplit un acte volontaire, il est
inévitable que la volonté s'accentue et se précise
dans tous lies détails de l'exécution. Il n'en est pas
de même d'une nation. Un exemple fera comprendre
notre pensée : •


S'il est une tendance qui, à notre époque, se soit
accusée avec une vigueur et une constance remar-
quables, c'est assurément celle qui porte tous les
esprits généreux à désirer la plus grande diffusion
possible de l'instruction populaire. Faisons une
hypothèse, assez vraisemblable d'ailleurs : La vo-
lonté nationale s'est exprimée relativement à l'ins-
truction primaire : la nation la veut gratuite et obli-
gatoire. Que les législateurs doivent se conformer à
ce désir, que leurs fonctions ne consistent même,
pour ainsi dire, qu'à l'enregistrer, cela va de soi ;


1'




48 POUVOIR LÉGISLATIF.
mais si c'est la nation qui formule le principe , si
même elle peut indiquer les principaux moyens
d'exécution, il n'en restera pas moins une foule de
détails d'application sur lesquels elle ne se sera pas
prononcée formellement et sur lesquels cependant
le législateur devra nécessairement statuer. A sup-
poser qu'en exprimant sa volonté sur le principe la
nation l'ait exprimée également sur toutes les ques-
tions qui s'y rattachent, il pourra arriver que, par
suite de divergences plus ou moins nombreuses, plus
ou moins profondes, la solution à donner à ces
questions secondaires ne réunisse pas la majorité
que réunit le principe. Il sera donc vrai de dire que
la nation veut l'instruction gratuite et obligatoire et
que la loi qui établit ce régime est dans son en-
semble l'expression de la volonté populaire, mais
on ne pourra affirmer que chacun des articles dont
elle se compose est l'expression d'une volonté for-
mulée par la nation.


Il suit de là que ce que l'on appelle la volonté na-
tionale n'est en fait., sous le régime représentatif
dont nous nous occupons ici, rien autre chose que la
manifestation de l'opinion publique en faveur d'un
principe admis par la majorité, manifestation es-
sentiellement générale, même lorsqu'elle se produit
sous sa forme la plus énergique, comme les cahiers
de 1789 ou les mandats impératifs de notre époque.


S'il en est ainsi, et nous ne croyons pas qu'on
puisse le contester, le raisonnement de Sieyès com-
porte un premier correctif. Il pourrait en effet exis-


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.
49


ter deux Chambres qui , s'inspirant l'une et l'autre
de la volonté nationale, n'en réaliseraient pas l'exé-
cution d'une façon absolument identique. Si l'opi-
nion publique s'était manifestée avec une netteté et
et une précision suffisantes, les divergences seraient
très-légères ; dans le cas contraire, elles pourraient
être plus grandes, sans que l'on fût fondé à dire que
la volonté nationale est méconnue.


Mais il existe entre la volonté nationale et la vo-
lonté individuelle une seconde différence non moins
grave que la première et qui pas plus que celle-ci ne
doit être perdue de vue.


La volonté individuelle est un phénomène natu-
rellement transitoire, variable, susceptible de modi-
fications contradictoires à de courts intervalles. La
volonté nationale, au contraire, doit être stable et
permanente, puisqu'elle statue sur l'avenir et sur cies
intérêts auxquels il est nécessaire d'éviter des chan-
gements trop brusques ou trop fréquents. La loi ne
sera clone pas le caprice momentané de l'opinion, ni
le produit d'un engouement irréfléchi ou d'un entraî-
nement passager. Ce sera la volonté longuement
réfléchie, mûrement délibérée et fermement arrêtée
de la nation. Si l'élection d'une assemblée est due à
Un état exceptionnel de l'opinion publique, cette
assemblée peut faire face aux nécessités du mo-
ment, mais son oeuvre législative est condamnée.
Or, pour avoir une idée des variations possibles du
Suffrage universel, il suffit de se reporter au temps
Peu lointain où, dans l'espace de quatorze mois, le


4




5() POUVOIR LkISLATIle.
même peuple trouvait le moyen de consacrer l'Em-
pire par un plébiscite , de nommer une Chambre
royaliste et de faire , dans la presque totalité des
départements français, les élections républicaines
du 2 juillet 1871. 11 n'est donc pas téméraire de
supposer Glue, sous certaines influences, il peut se
produire des manifestations accidentelles, contraires
aux tendances permanentes et à la volonté fixe de
la nation. Dans ce cas, l'existence d'une seconde
Chambre, issue comme la première de l'élection,
mais à une autre époque et dans d'autres conditions
de renouvellement, ne constituerait pas une viola-
tion de la volonté nationale, mais bien plutôt une
garantie destinée à en assurer la sincère et véritable
expression, puisque cette volonté, si elle était réflé-
chie et persistante, arriverait à s'affirmer successi-
vement dans les deux assemblées.


De ce qui précède il résulte que la souveraineté
de la volonté nationale, sous le régime représentatif,
n'exclut pas nécessairement le système des deux
Chambres, pourvu toutefois que les deux Chambres
dérivent du suffrage universel.


Il resterait à rechercher si, les deux Chambres
étant possibles, leur utilité est également établie et si
les avantages de ce régime l'emportent sur ses in-
convénients. Nous croyons que c'est là une question
qui dépendra, en très-grande partie, des circons-
tances, et relativement à laquelle il est impossible
de formuler une règle absolue.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR L gOISLATIF.
51


Dans un pays où l'esprit public n'est pas formé
et dont l'éducation politique est incomplète, on ad-
mettra plus facilement l'utilité des deux Chambres.-
Les idées de réforme traversant, avant de se fixer,
une période d'incertitude et de tâtonnements, et la
volonté nationale étant à cet égard sujette à des
oscillations plus ou moins prolongées, la nécessité
de l'accord entre les deux Chambres, nommées dans
des circonstances et des conditions différentes, aura
pour effet de mettre à l'abri des soubresauts d'une
opinion publique encore peu sûre d'elle-même les
lois fondamentales , la politique extérieure, le ré-
gime économique, celui de l'instruction publique,
enfin tout ce qui exige dans le gouvernement une
certaine suite et une certaine régularité.


Même chez les peuples mûrs pour le self-govern-
ment, d'heureux résultats pourront être dus au ré-
gime des deux assemblées. C'est ainsi que dans
l'Union américaine , grâce à l'existence d'un Sénat
républicain; la Chambre des députés a compté une
majorité démocrate, sans que les effets de la pacifi-
cation de 1865 fussent sérieusement remis en ques-
tion. Si la Chambre des députes eût été une Chambre
unique , un simple entraînement électoral pouvait
avoir les plus graves conséquences. L'institution sé-
natoriale a protégé le gouvernement des États-Unis
contre les fluctuations excessives de l'opinion et ré-
gularisé le courant de la volonté nationale.


Si l'on écarte cet ordre de considérations, l'utilité
des deux Chambres semble difficile à justifier. L'in-




52 POUVOIR LÉGISLATIF.
térêt de la liberté que l'on invoque ordinairement a
certes été moins compromis par la Constituante de
1789 et celle de 1848 que par les deux Chambres
impériales. Quant à. l'avantage d'une plus grande
maturité dans la confection des lois, outre qu'il peut
être obtenu par une sage réglementation des travaux
parlementaires, il suffit de rappeler que ce sont les
trois premières assemblées de la France , assem-
blées uniques, qui ont posé les assises inébranlables
de notre législation moderne.


Un argument intéressant a été imaginé par
M. John Stuart Mill contre la dualité de la représen-
tation nationale. Nous le trouvons reproduit dans
une lettre de M. Louis Blanc publiée par les jour-
naux du 13 février 1876: « N'oublions pas, dit le
publiciste français, qu'il y a dans le seul fait de la
division du pouvoir législatif un obstacle à l'adop-
tion des réformes les plus importantes. C'est ce qu'un
illustre penseur, M. John Stuart Mill, a fort bien
montré, lorsqu'il a supposé une assemblée de
600 membres se fractionnant en deux corps de
300 membres chacun et appelée à se prononcer sur
une réforme utile. Si tous les membres étaient clans
une même assemblée, il faudrait, pour que la ré-
fdrmc utile fût rejetée, que le nombre des opposants
fût de 301, tandis que, dans le système de la délibé-
ration séparée, il suffirait que le nombre des oppo-
sants fût de 151. Dans le premier cas, il faudrait la
moitié des membres pour arrêter le progrès ; dans le
second, un quart suffirait.


DE L ' EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.
53


» I1 est vrai que , dans cette hypothèse , ce qui
ferait obstacle à des changements salutaires serait
aussi de nature à faire obstacle à des changements
nuisibles. Mais l'avanta.ge serait loin de compenser
l'inconvénient, parce qu'il est plus facile, hélas !
d'arrêter le progrès que de l'accomplir ; parce que,
chez la plupart des hommes , l'amour des choses
nouvelles est victorieusement combattu par la force
de l'habitude, la soumission aux idées reçues, l'es-
prit de routine, la peur de l'inconnu ; parce que
dans tous les pays, et même dans le nôtre., qui a vu
tant de révolutions, l'instinct conservateur est très-
répandu, très-craintif. »


Peut-être serait-il permis de retourner cette der-
nière considération contre le système de la Chambre
unique, et de dire que, précisément à cause de cette
tendance des esprits, la précipitation ou l'intempé-
rance clans l'application d'idées nouvelles aurait le
danger de susciter des réactions également intem-
pérantes et beaucoup plus funestes au progrès que
le retard tout à fait momentané qu'occasionnerait
l'obstacle dénoncé par M. John Stuart Mill. Mais, en
somme, il semble plus juste d'admettre que l'incon-
vénient signalé pourra se produire, pourvu qu'on
reconnaisse d'autre part, avec M. Louis Blanc, que
ce qui peut faire obstacle à des changements salu-
taires « serait de nature aussi à faire obstacle à des
changements nuisibles »




LIVRE II.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.


CHAPITRE PREMIER.


HISTORIQUE. — COMPOSITION DU CORPS ÉLECTORAL
EN FRANCE DE 1791 A 575.


Composition du corps électoral d'après la Constitution de 1791. —
Régime électoral établi par l'Assemblée législative pour élire la
Convention.— Constitution de 1193. — Constitution de l'an 111. —
Constitution de l'an VIII. — Sénatus-consulte de l'an X. — Charte
de 1811. — Acte additionnel. — Loi électorale de 1817. — Loi élec-
torale de 1820. — Loi électorale de 4831. — Constitution de 4848.
— Suffrage universel. — Loi du 31 mai 1850. — Constitution de 1852.
— Décret du 29 janvier 1871. — Loi électorale du 30 novembre 1878.


C'est seulement à partir de •791 que le corps
électoral reçoit une constitution permanente qui est
la base même des institutions représentatives.


Les citoyens sont divisés en deux catégories : les
citoyens actifs, c'est-à-dire ceux qui ont vingt-cinq
ans au moins, habitent dans le même canton depuis
un an au moins, sont inscrits au rôle de la garde
nationale, ne se trouvent pas dans un état de domes-
ticité, ont prêté le serment civique et paient un cens
équivalent à la valeur de trois journées de travail.
La seconde catégorie de citoyens comprend les ci-


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 55


toyens passifs , c'est-à-dire ceux qui ne réunissent
pas les conditions indiquées plus haut. Le pouvoir
législatif est délégué à une seule assemblée, appelée
Assemblée nationale législative et renouvelée inté-
gralement tous les deux ans par voie d'élections. Ces
élections n'ont pas lièu au suffrage direct, encore
moins au suffrage universel. Nous avons vu toutes
les restrictions dont la formation du corps électoral
était entourée. Seuls les citoyens actifs avaient
l'exercice des droits politiques. Au bout de chaque
période de deux ans, le second dimanche de mars,
ils devaient se réunir en assemblées primaires de
villes et cantons.


Les assemblées primaires ainsi constituées nom-
ment des électeurs de second degré, dont le nombre
est fixé à vii pour cent citoyens actifs, présents ou
non. Les électeurs de second degré ne peuvent être
pris que parmi les citoyens propriétaires, usufruitiers
d'un bien égal à la valeur locale de 200 journées de
travail pour les villes au-dessus de 6,000 âmes, et
de 150 journées de travail pour les campagnes et les
villes au-dessous de 6,000 âmes. Les électeurs de
second degré se réunissent ensuite en un collége dé-
partemental et nomment les représentants et les sup-
pléants que la loi attribue au département. La ré-
partition des 745 députés est faite par la Constitution
d'une façon très-curieuse. On établit trois éléments
de proportions : le territoire , la population et la
contribution directe. Deux cent quarante-sept dé-
putés sont attachés au territoire, soit trois représen-




5756 POUVOIR LEGISLATIF•
tants à élire pour chaque département, à l'exception
du département de Paris qui n'en nomme qu'un.
Deux cent quarante -neuf députés sont attribués
à la population. Chaque département en nomme
autant qu'il a de parts de population , la masse to-
tale de la population du royaume étant divisée en
249 parts. Enfin deux cent. quarante-neuf représen-
tants sont. attachés à la contribution directe, chaque
département nommant autant de députés qu'il paie
de parts de contribution.


Les conditions de l'éligibilité sont bien moins
sévères que celles de l'électorat. En effet, tous les
citoyens actifs peuvent être élus représentants de la
nation, tandis que, pour être apte à devenir électeur
du second degré, il faut payer le cens spécial que
nous avons indiqué.


Le régime de 4791 fournissait environ deux
millions d'électeurs. C'était trop pour la. Cour ; ce
n'était. pas assez pour le, peuple. Il faut remarquer
cependant que les assemblées électorales, investies
du droit de nommer les députés, nommaient de plus
les administrateurs du département , ceux du dis-
trict et les juges des tribunaux.


Après la journée du 10 août 1792, l'Assemblée
législative rendit deux décrets : par le premier le
peuple français est invité à former une Conven-
tion nationale; par le second , l'Assemblée, consi-
dérant qu'elle n'a pas le droit de soumettre à. des
règles impératives l'exercice de la souveraineté dans


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTES.


la formation d'une Convention nationale, et que ce-
pendant il importe au salut public que les as-
semblées primaires et électorales se forment en
même temps , agissent avec uniformité, et que la
Convention nationale soit promptement réunie, in-
vite les assemblées primaires à nommer le même
nombre d'électeurs que dans les dernières élections.
La distinction des Français en citoyens actifs et non
actifs est supprimée. Pour être admis à la jouissance
des droits politiques il suffit d'avoir vingt et un ans,
de justifier d'un domicile d'une année, de la pres-
tation du serment civique et de n'être pas en état
de domesticité. — Il suffit, pour être éligible comme
député ou comme électeur du second degré, d'être
âgé de vingt-cinq ans et de réunir les conditions exi-
gées des électeurs primaires. Le nombre des repré-
sentants et des députés suppléants est le même que
pour la législature précédente. Les élections se
font d'après un mode identique. Une indemnité
est accordée aux électeurs qui , pour exercer leurs
droits, seront obligés (le s'éloigner de leur domicile.


La Convention , nommée en vertu de ces dispo-
sitions électorales, décréta, dans la Constitution du
24 juin 93, l'établissement du suffrage universel et
direct. Cette Constitution, qui, comme on sait, ne fut
jamais appliquée, prend la population pour base
unique de la représentation nationale.


Il y a un député à raison de. quarante mille indi-
vidus. Il est attribué un député à chaque réunion
d'assemblées primaires, résultant d'une population




HI


58 POUVOIR LÉGISLATIF.
de trente-neuf à quarante et un mille âmes. Les as-
blées primaires nomment bien encore des électeurs
secondaires, mais ces électeurs n'ont plus que la
mission de choisir les administrateurs, les arbitres
publics, les juges criminels et de cassation.


La Constitution de l'an III, nouvelle oeuvre de la
Convention, contient une innovation capitale : le par-
tage du pouvoir législatif entre deux assemblées I.


Quant au régime électoral , il repose toujours sur
le suffrage à deux degrés. Pour avoir droit au titre
de citoyen français, il faut être âgé de vingt et un
ans, justifier d'un an de domicile sur le territoire de
la République, et payer une contribution directe,
foncière ou personnelle. Les assemblées primaires
sont formées des citoyens domiciliés dans le canton
depuis un an au moins. Ils nomment un électeur à
raison de deux cents citoyens. Jusqu'au nombre de
trois cents citoyens inclusivement, il n'est nommé
qu'un électeur. Il en est nommé deux, depuis trois
cent un jusqu'à cinq cents ; trois, depuis cinq cent un
jusqu'à sept cents ; quatre, depuis sept cent un
jusqu'à neuf cents.


Au second degré, les électeurs doivent être âgés
de vingt-cinq ans et réunir les conditions de cens
renouvelées de 1791. Les assemblées électorales de
département se réunissent le 20 germinal de chaque
année et terminent en une seule session de dix jours
au plus toutes les élections qui se trouvent à faire.


Voy. 1" parfie, liv. ler , chap. I er , et liv. Ili, chap. fer.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 59
Ces élections comprennent la désignation 1° des
membres du Corps législatif, savoir : les membres
du Conseil des Anciens, ensuite les membres du
Conseil des Cinq-Cents ; 2° des membres du tribunal
de cassation ; 3° des hauts jurés ; 4° des administra-
teurs de département ; 5° des président, accusateur
public et greffier du tribunal criminel ; 6° des juges
des tribunaux civils.


Aux termes de la Constitution de l'an VIII, les
membres du Corps législatif sont choisis par le
Sénat sur une liste dite nationale, dont nous devons
préciser la nature. Le mode de suffrage organisé par
le trop ingénieux Sieyès était, en réalité, un suffrage
à quatre degrés. Les citoyens de chaque arrondis-
sement communal désignent par leurs suffrages ceux
d'entre eux qu'ils croient le plus propres à gérer
les affaires publiques. Il en résulte une liste de con-
fiance contenant dix fois moins de noms qu'il n'y a
d'électeurs primaires. C'est dans cette première
liste communale que doivent être pris les fonction-
naires publics de l'arrondissement. Les citoyens
portés sur les listes communales désignent ensuite
un dixième d'entre eux. Il en résulte une seconde
liste départementale dans laquelle doivent être pris
les fonctionnaires publics du département. Enfin les
citoyens portés sur la liste départementale désignent
pareillement un dixième d'entre eux, et ils établis-
sent ainsi une troisième liste qui comprend les éli-
gibles aux fanai-ms nationales. L'ensemble de toutes




60 POUVOIR LÉGISLATIF.
les listes du troisième degré forme la liste nationale;
et c'est sur cette liste épurée que le Sénat choisit les
législateurs, les tribuns, les consuls, les juges de
cassation et les commissaires à la comptabilité. .


Le Corps législatif qui compte trois cents membres
est réduit au rôle d'assemblée (le muets. Il n'a en
effet ni l'initiative des lois ( elle est réservée aux
consuls), ni la préparation des projets (elle est du
ressort du conseil (l'État), ni la discussion (elle ap-
partient aux tribuns). Que lui reste-t-il donc? Uni-
quement le vote. Enfin, par une dernière précaution,
la Constitution témoigne d'un soin jaloux pour la
sécurité de ces représentants silencieux, et fixe à
deux cents le maximum des assistants qu'on pourra
laisser pénétrer dans le sanctuaire des lois. Le séna-
tus-consulte de l'an X ajoute encore aux restrictions
signalées plus haut. Il permet au premier Consul
d'augmenter arbitrairement les collèges électoraux
en y faisant entrer des membres de la Légion-d'Hon-
neur ou des « citoyens ayant rendu des services ».
Les membres des collèges électoraux deviennent
inamovibles. Ceux des collèges de département ,
qui sont investis du droit de présenter les membres
des Conseils généraux, du Sénat et du Corps légis-
latif, doivent tous être pris sur une liste compre-
nant les six cents citoyens les plus imposés aux rôles
des contributions foncière, mobilière et somptuaire
et au rôle des patentes.


En résumé, ce qui résulte de l'organisation élec-
torale de l'an VIII et de l'an X, c'est un suffrage à


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 61
quatre degrés qui désigne au choix d'autres autorités
et ne nomme pas lui-même un certain nombre de
candidats pris sur des listes de censitaires, dont la
confection appartient au gouvernement.


D'après la Charte de 1814, le régime électoral
est fondé sur le cens. Les électeurs ne peuvent
concourir à la nomination des députés que s'ils
paient une contribution directe de 300 francs et s'ils
ont trente ans au moins. Aucun député ne peut être
admis dans la Chambre s'il n'est âgé de quarante
ans et s'il ne paie une contribution de 1,000 francs.
La Charte se prononce en faveur du renouvellement
partiel. Un cinquième des députés est remplacé
chaque année. Le président de la Chambre est
nommé par le roi sur une liste de cinq membres
que les députés lui soumettent.


Nous parlerions peu de l'Acte additionnel s'il ne
présentait celte particularité que, dans le nouveau
régime électoral qu'il organise, l'industrie et la pro-
priété manufacturière ont une représentation spé-
ciale. Les députés du commerce et de l'industrie
sont élus par le collège électoral du département et
choisis sur une liste d'éligibles dressée par les
chambres de commerce et les chambres consulta-
tives réunies. En vue de ces élections, la France est
divisée en treize arrondissements qui ont à nommer
ensemble vingt-trois députés. Chaque arrondisse-
ment commercial fait une liste de soixante noms.
Celui de Paris présente cent vingt noms.




RH


62 POUVOIR LÉGISLATIF.
A côté de la loi électorale du 5 février 1817 qui


ne fait guère que développer les dispositions ins-
crites dans la Charte de 1814, il faut signaler la loi
du 29 juin 1820 qui organise ce qu'on a appelé le
système du double vote. On établit deux catégories
d'électeurs : I° les électeurs qui tiennent leur qualité
des lois antérieures et qui ont à nommer un député
dans chaque arrondissement, c'est-à-dire au total
258 représentants ; 2' on choisit un quart des élec-
teurs d'arrondissement parmi les plus imposés ;
on les amène au chef-lieu et on leur fait émettre un
second vote ; ce second vote produit, pour toute la
France, 172 députés qui viennent s'ajouter aux 258
nommés par les collées d'arrondissement.


La loi électorale du 19 avril 1831 ne conserve pas
le système du double vote, mais maintient le régime
censitaire. Sont électeurs les Français âgés de vingt-
cinq ans qui paient 200 francs de contribution.


Le cens est abaissé à 100 francs pour les membres
de l'Institut et les officiers qui justifient d'une pen-
sion de 1,200 francs et d'un domicile de trois ans
dans l'arrondissement électoral.


L'accueil fait par la monarchie de Juillet aux vœux
populaires qui réclamaient l'extension du droit de
suffrage eut. pour conséquences la révolution de 1848
et la proclamation de la République. La nouvelle
Constitution confie la nomination des membres de
l'Assemblée unique à tous les citoyens âgés de vingt.
et un ans. Le suffrage universel est appliqué pour là


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 63
première fois. Le vote a lieu au scrutin de liste par
département ; les électeurs se réunissent au chef-
lieu de canton.


Bientôt cependant la loi du 31 mai 1850 mutile
le suffrage universel et supprime trois millions d'é-
lecteurs, en exigeant trois ans de domicile pour l'ins-
cription sur les listes électorales. Cette loi malheu-
reuse, soutenue par les ministres de la présidence,
est une des causes qui ont rendu possible le coup
d'État du 2 décembre 1851.


Aux termes de la Constitution de 1852, Louis-
Napoléon Bonaparte rétablit le suffrage universel,
en supprimant le scrutin de liste ; mais la. candida-
ture officielle rend peu sincère l'expression de la
volonté populaire.


Après la chute de l'Empire et la guerre allemande,
le décret du 29 janvier 1871 déclara que les élections
législatives auraient lieu par département au scrutin
de liste, conformément à la loi du 15 mars 1849.
De ces élections sortit l'Assemblée qui se réunit à
Bordeaux le 12 février. La loi électorale du 30 no-
vembre 1875 qui nous régit actuellement a été l'un
des derniers actes de cette Assemblée. Nous pren-
drons la loi de 1875 pour point de départ de notre
étude sur l'organisation comparée de la seconde
Chambre clans les Étals modernes.




64 POUVOIR LÉGISLATIF.


CHAPITRE II.


LES ÉLECTEURS.


Composition du corps électoral en France et dans les différents pays.
— Division en trois classes des systèmes élecloranx : 1 0 suffrage
universel; 2° suffrage direct et restreint; 3 0 suffrage à deux do-
grés. — Systèmes mixtes, combinaison des précédents. — Suffrage
Cumulatif. — Suffrage par catégories d'électeurs.


La législation électorale qui assure le recrutement
de la Chambre des députés, appelée quelquefois
Chambre basse, n'est pas modelée sur un type uni-
forme dans les pays civilisés qui admettent le ré-
gime représentatif. Sans entrer dans des classifica-
tions trop minutieuses, on peut ramener à trois caté-
gories les différentes formes de l'électorat moderne :


1° Suffrage universel et direct ;
2° Suffrage direct çt restreint, avec conditions de


cens ;
3° Suffrage à deux degrés, combiné ou non avec


le cens.
Nous examinerons tout d'abord , en commen-


çant par la France, la législation électorale des pays
de suffrage universel.


La loi électorale du 30 novembre 1875, qui a com-
plété l'ensemble de nos lois constitutionnelles, rend
un complet hommage au principe de la souveraineté
nationale et consacre dans toute son étendue le suf-
frage universel, contre lequel, de l'aveu même de cer-


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
• 65


tains royalistes , « rien désormais ne prévaudra 1. »
L'article ter de la loi dispose que les députés se-


ront nommés par les électeurs inscrits sur deux
listes : 1° sur les listes dressées en exécution de la
loi du 11 juillet 1874 ; — 2° sur la liste complé-
mentaire comprenant ceux qui résident dans la com-
mune depuis six mois.


Le principe qui résulte de ce texte, c'est qu'en
France tout citoyen est électeur, sauf les cas d'inca-
pacité ou d'indignité prévus par la loi.


La commission a déclaré formellement, par l'or-
gane d'un de ses rapporteurs, que telle avait été sa
pensée 2.


Les listes dressées en exécution de la loi du 11 ju il-
let 1874 comprennent les électeurs municipaux. Or
on exige de ces électeurs (art. 5 § 4) la justification
d'une résidence de deux années ou certaines condi-
tions soit d'origine , soit d'établissement dans la
commune. Cette exigence se comprend en matière
d'élections municipales , car le véritable fondement
du droit d'élire les fonctionnaires de la commune,
c'est l'intérêt municipal. Quand il s'agit au con-
traire des élections politiques, quand il s'agit de
prononcer sur les destinées générales du pays,
chaque citoyen a le droit incontestable d'exercer sa
part d'influence, en concourant à l'élection des dé-


' Voy. le discours de M. de Francliert, séance du 8 novembre 1875.
—Comparez avec la Gazette de France du 4 novembre 1850 et du
12 novembre 1851, déclarations de M. de Lourdotteix el du duc de
Larochefoucauld-Doudeauville.


2 Voy. discours de M. Ricard, séance du 8 novembre 1875.
5




66 POUVOIR LÉGISLATIF.
putés. 11 emporte partout avec lui sa capacité élec-
torale; et, si on l'astreint à justifier d'un domicile
de quelques mois, c'est uniquement pour constater
son identité et mettre de l'ordre et de la régularité
dans la confection des listes.


Telles sont les raisons pour lesquelles l'Assemblée
nationale a reconnu l'électorat politique, c'est-à-dire
le droit de participer aux élections législatives, non-
seulement aux électeurs inscrits sur les listes muni-
cipales qui ont deux années de domicile dans la
commune, mais encore à bous les citoyens qui ré-
sident dans la commune depuis six mois.


Il ne faudrait pas d'ailleurs s'exagérer la différence
numérique qui existe entre la liste municipale et la
liste des électeurs politiques. L'écart entre les deux
listes n'était en 1874 que de 362,097 électeurs


En dehors de la condition de six mois de domi-
cile, il faut, pour être inscrit sur la liste électorale
législative, être Français, âgé de vingt et un ans ac-
complis et jouir de ses droits civils et politiques.
Nous n'insisterons pas sur les circonstances qui, aux
termes des lois antérieures, entraînent la perte des
droits civils et politiques. On peut dire d'une manière
générale que toutes les condamnations à des peines
;Irflietives et infamantes, ou infamantes seulement,
donnent lieu à la radiation du condamné. Les tribu-
naux correctionnels peuvent, aussi interdire le droit


' Les électeurs politiques sont au nombre de 9,911,737, d'après la
liste électorale close le 3i mars 1874. Les électeurs municipaux
s'élèvent au chiffre de 9,549,640, d'après la liste électorale municipale
arrêtée le 17 septembre 1874.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
67


de vole et d'élection, par application de lois spéciales.
Enfin la perte du droit électoral dérive d'un certain
nombre de délits, tels que l'usure, le vagabondage, la
mendicité, la vente ou le débit de boissons falsifiées,
l'outrage à la morale publique ou aux bonnes moeurs,
la violation de la loi du recrutement. Les interdits,
les faillis non réhabilités tombent sous le coup de la
même incapacité 1 . S'appuyant sur la loi du 21 mai
1836, le décret organique du 2 février 1852 avait
déclaré d'une manière générale que tous les citoyens
condamnés en vertu de la loi sur les loteries seraient
exclus des listes électorales. Cette disposition, qui
pouvait atteindre des personnes fort peu coupables,
par exemple des journalistes s'étant bornés à an-
noncer les numéros sortis, fut jugée excessive lors
de la discussion de la nouvelle loi électorale, et l'ar-
ticle 22 l'abrogea, tout en laissant aux tribunaux le
soin de juger s'il y a lieu de prononcer la privation
des droits civiques.


Aux termes de l'article 1" de la loi du 20 no-
vembre 1875, l'inscription sur la liste complémen-
taire aura lieu par les commissions instituées dans
les articles 1, 2, 3, 4 de la loi du 7 juillet 1874, con-
formément aux lois et règlements qui régissent ac-
tuellement les listes électorales politiques. La loi du
7 juillet, qui est visée par le renvoi, confie le soin de
dresser les listes électorales à une commission, sié-
geant dans chaque commune et composée : 1° du


' Pour tout ce qui concerne les incapacités, il faut se référer au
décret organique du 2 février 1832, qui est resté en vigueur.'




68 POUVOIR LÉGISLATIF. •
maire , 2° d'un délégué du préfet, 3 0 d'un délégué
du conseil municipal. A Paris et à Lyon, la liste est
établie , dans chaque quartier ou section , par une
commission composée du maire de l'arrondisse-
ment, du conseiller municipal du quartier el d'un
électeur désigné par le préfet. La liste électorale,
une fois dressée, est déposée au secrétariat de la
mairie et communiquée à tout requérant ; les récla-
mations doivent être faites dans les vingt jours, à
dater de l'avis du dépôt notifié au public par voie
d'affiches. Le maire donne récépissé de chaque ré-
clamation. Une commission composée des membres
de la commission qui a préparé la liste, auxquels sont
adjoints deux autres délégués (lu conseil municipal,
est chargée de statuer sur la valeur des réclamations.
A Paris et à Lyon, cette commission se compose des
membres de la commission qui a préparé la liste,
auxquels sont adjoints deux électeurs nommés par
cette commission, avant tout travail de révision, et
domiciliés dans le quartier ou la section.


La commission statue dans le délai de cinq jours
(loi du .15 mars 1849), et notifie sa décision aux in-
téressés dans le délai de trois jours.


L'appel des décisions de la commission est porté
devant le juge de paix du canton. Le délai de l'appel
est de cinq jours, à partir de la notification de la dé-
cision. La jurisprudence reconnaît aux tiers qui
n'ont pas été partie dans les débats le droit d'inter-
jeter l'appel (Cass. l er déc. 1874).


Le juge de paix statue dans les dix jours, sans


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
69


frais ni forme de procédure, sur simple avertisse-
ment donné aux parties trois jours à l'avance, à
peine de nullité. Cette décision du juge de paix est
en dernier ressort, mais susceptible de faire l'objet
d'un pourvoi en cassation, formé dans les dix jours
de la notification. Les pourvois , formés sur simple
requête, sans l'intermédiaire d'un avocat à la cour et
sans frais, sont. portés directement devant la cham-
bre civile. Sur ce point., la loi électorale de 1875 a
innové, car, sous l'empire du décret de 1852, la, com-
pétence appartenait à la chambre des requêtes. On a
considéré qu'il appartenait à la chambre civile de
fonder la jurisprudence et de statuer définitivement.


Les listes électorales sont révisées chaque année,
suivant les règles tracées pour leur confection.
Dans les communes divisées en sections électo-
rales, il y a une liste distincte par section. L'élec-
teur radié d'office par la commission est prévenu par
le maire et peut présenter ses observations. Les opé-
rations de révision commencent le 10 janvier, et la
liste est définitivement arrêtée le 31 mars. Entre ces
deux dates se placent les réclamations et recours.


La liste électorale subit une restriction considé-
rable par suite de l'article 2 qui consacre le principe
« que les militaires ne prennent part à aucun vote
quand ils sont présents à leur corps, à leur poste ou
dans l'exercice de leurs fonctions » .


On a voulu, en édictant cette prohibition , ins-
crite déjà dans la loi militaire , tenir l'armée. à
l'écart des luttes de la politique, assUrer le respect




70 POUVOIR LÉGISLATIF.
de la hiérarchie et de la discipline , et prévenir
l'esprit d'insubordination dans les corps de troupe.


Toutefois les militaires qui, au moment des élec-
tions, se trouvent en résidence libre, en non-acti-
vité, en disponibilité ou en possession d'un congé
régulier, peuvent voter dans la commune sur les
listes de laquelle ils sont régulièrement inscrits. Il
en est de même pour les officiers ou assimilés placés
dans le cadre de réserve.


Nous aurons à traiter plus bas des conditions
dans lesquelles l'électeur exerce son droit; mais,
pour préciser l'étendue de ce droit, il faut indiquer
dès maintenant qu'il y a un député par arrondis-
sement, et que les arrondissements dont la popu-
lation dépasse cent mille habitants nomment un
député de plus par cent mille ou fraction de cent
mille habitants.


Chaque département de l'Algérie ne nomme qu'un
député. Il en est de même pour les quatre colonies
auxquelles la loi du 24 février accorde des sénateurs.
Les avantages el les inconvénients du scrutin par
arrondissement sermt examinés à propos des opé-
rations électorales '.


Les Étais qui ont appliqué le suffrage universel
à l'élection des députés ne sont pas extrêmement.
nombreux. Ce sont les républiques américaines
qui montrent le plus de goût pour l'extension des
droits politiques à tous les citoyens.


vo• . li v. Il, chap . i v de la ire partie.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 71


La Chambre des représentants des États-Unis se
compose de députés nommés au suffrage universel
et par circonscriptions distinctes. Tous les dix ans,
un nouveau recensement de la population est or-
donné par le Congrès en vue de la répartition des
députés entre les différents États. La répartition
de 1872 a porté de 243 à 292 le nombre (les repré-
sentants ; elle est établie sur la base de un repré-
sentant pour 130,000 habitants. Les États nouveaux,
tels que Nevada et Nebraska, dont la population est
au-dessous de ce chiffre, ont néanmoins reçu le
droit d'élire un représentant. On a calculé qu'avec
la proportion admise la population des États-Unis
peut s'élever à 100 millions d'habitants sans que le
nombre total, des représentants dépasse 750.


Le xve amendement à la Constitution, voté le
30 mars 1870 répare une grande injustice en dé-
clarant que « les citoyens des États-Unis ne pour-
ront être privés en tout ou partie du droit de vote, ni
par le gouvernement de l'Union, ni par les gouver-
nements des États, sous aucun prétexte tiré de la
race, de la couleur, ou d'une ancienne condition
(l'esclavage » . .Mais', si le xv e amendement confère
aux noirs les droits politiques, il faut remarquer que
le xive retire ces mêmes droits aux blancs .qui , pour
prendre part à la guerre de sécession, ont résigné
des fonctions électives, diplomatiques, administra-
tives, judiciaires ou militaires, soit auprès du gou-
vernement d'un État, soit auprès du gouvernement
de l'Union. On n'est venu about des soulèvements et




72 POUVOIR LÉGISLATIF.
des désordres qui ont été la suite de cette mesure
qu'en votant un bill d'amnistie qui s'étendait à plu-
sieurs milliers d'anciens fonctionnaires des États du
Sud. Quinze ou douze cents fonctionnaires du gou-
vernement fédéral qui avaient embrassé la cause des
1.;,,tats du Sud furent toutefois exceptés de l'amnistie.


Un phénomène qui ne s'est produit encore qu'aux
États-Unis, du moins d'une façon sérieuse, c'est la
prétention des femmes à participer aux élections
politiques. ll faut dire que les femmes d'Amérique
ont obtenu, sous tous les rapports, d'être bien plus
favorisées par la législation que les femmes qui ap-
partiennent à d'autres nationalités. Maîtresses ab-
solues de leurs biens, même pendant le mariage,
jouissant de la capacité civile dans sa plénitude, in-
vesties du droit d'exercer certaines professions,
telles que la médecine, le droit et la théologie (!),
elles ont été ainenées, par une ambition fondée sur
le sentiment de leur force, à réclamer le droit de suf-
frage. Et, chose étrange ! ces revendications fémi-
nines ont trouvé des complices parmi les autorités
elles-mêmes et les membres du clergé. On cite no-
tamment le gouverneur du Massachusetts qui, en
1872, a recommandé de conférer aux femmes les
droits politiques par voie d'amendement à. la Cons-
titution. Lors de la discussion de la Constitution de
l'Union, il s'en fallut de bien peu qu'on n'ouvrît aux
femmes les rangs des électeurs. Si elles n'avaient pas
protesté elles-mêmes contre une telle galanterie ,
l'amendement aurait certainement passé. Disons,


DE LA enAmnuE DES DÉPUTÉS. 73
pour finir sur ce point délicat, qu'un congrès de
femmes se tient tous les ans à New-York, afin de
discuter et s'entendre sur les moyens d'assurer le
triomphe définitif des prétentions politiques d'une
moitié du genre humain.


Nous n'avons pas encore parlé des conditions
d'âge, de capacité, de domicile qu'on exige des.
électeurs américains. Elles varient suivant les États.
Quelques règles générales sont toutefois imposées
par l'Union ; mais on peut affirmer que les incapa-
cités sont très-restreintes aux États-Unis. Il faut,
pour perdre le droit de vote, avoir subi une con-
damnation pour crime à, la réclusion (confinement
in the penitentiary). Un courant (l'opinion favorisé
par le président et le Sénat, qui marchent presque
toujours d'accord, tend depuis quelque temps à ex-
clure du droit de suffrage beaucoup de citoyens ré-
putés indignes. Le premier pas a été fait en 1872
par la résolution du 19 avril qui autorise le vote des
lois ayant pour objet d'enlever la capacité électorale
aux personnes convaincues de corruption, de vol ou
d'autres crimes infâmes (intimons crimes).


Le suffrage universel est encore usité dans d'au-
tres républiques du continent américain. Nous cite-
rons notamment le Mexique, où les hommes mariés
sont électeurs à dix-huit ans, tandis que, les céliba-
taires doivent attendre jusqu'à vingt et un ans ; plu-
sieurs des républiques de l'Amérique centrale, la con-
fédération Argentine , le Paraguay, l'Uruguay, etc.


Les législations les plus larges de l'Europe, au




V


74 POUVOIR LÉGISLATIF.
point de vue électoral, sont, avec la nôtre, celles de la
Suisse, de la Grèce, de l'Allemagne et du Da.nemark.


La loi relative aux élections du Conseil national
suisse, en date du 20 juillet 1872, porte à. cent
trente-cinq le nombre des députés. Comme aux
États-Unis, une grande initiative est laissée aux ré-
glementations locales ; mais la Constitution pose des
règles dont il n'est pas permis de s'écarter. Tout
citoyen d'un canton est citoyen suisse. Il peut, à ce
titre, prendre part à, toutes les élections et votations
cri matière fédérale, après avoir justifié de sa qualité
d'électeur. L'âge de l'électorat est fixé à vingt et un
ans. Les militaires votent entre les mains du com-
mandant de leur corps, et leurs suffrages sont ajoutés
aux voix du collége auquel le militaire appartient.
On nomme un député pour 20,000 âmes. Les frac-
tions en sus de 10,000 sont comptées pour 20,000.
Chaque canton, et, dans les cantons partagés, chaque
demi-canton élit un député au moins.


La Grèce accorde la qualité d'électeur à tout
citoyen qui a atteint sa majorité, jouit de la capacité
légale et est domicilié au lieu de l'élection. En Da-
nemark on n'exige de l'électeur qu'une année de -
domicile et la libre disposition des biens ; mais per-
sonne ne vote avant d'avoir atteint l'âge de trente ans.


La Prusse, qui, comme nous le verrons, conserve
pour elle le suffrage à deux degrés, fait nommer le
Reichstag de l'empire allemand au suffrage univer-
sel et direct. Cette assemblée est composée des re-
.0fisentants de toute la population allemande, sur


4:


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTES.


le pied d'un député pour 100,000 âmes , chaque
fraction de 50,000 âmes donnant droit à un autre
député. Cette proportion donne à la Bavière 48 re-
présentants, au Wurtemberg 17, à la Saxe 23, à
Bade 14, à l'Alsace-Lorraine 15, à la Prusse 235.
Le chiffre total, en y comprenant les représentants
des petits États, s'élève à 396 députés. Tout. Alle-
mand, âgé de vingt-cinq ans et jouissant de la capa-
cité civile et politique, est électeur, au lieu de son
domicile réel. Les militaires en activité ne votent
pas. Nous devons signaler, avant de sortir de l'Alle-
magne, la curieuse législation électorale du Wur-
temberg qui repose sur une combinaison du suffrage
universel avec les institutions féodales. Sur les
94 députés qui composent la seconde Chambre,
13 sont désignés par la noblesse équestre, divisée
en quatre cercles. Les six surintendants généraux
de l'Église protestante, l'évêque catholique, le plus
ancien diacre de . la. Confession catholique, le chan-
celer de l'Université de Tubingue sont membres de
droit. Les 71 députés restants sont nommés, depuis
la loi du 20 février 1868, par le suffrage universel
et direct des villes et bailliages, clans la même forme
que les députés au Reich stag .


Il y aurait bien des particularités à relever dans
plusieurs autres Constitutions des petits États alle-
mands ; mais cette excursion dans le domaine tu-
desque nous entraînerait au-delà des limites de
notre sujet.




76 Youvoin LEGISI„Vfl
convient maintenant d'aborder la. seconde


classe de législations électorales, celle qui se résume
dans le suffrage direct, restreint par des conditions
de cens. lin grand nombre de monarchies euro-
péennes ont adopté ce système, qui est exempt des
complications inhérentes au suffrage à deux degrés
et assure une influence plus forte aux classes riches
que ne saurait le faire une application du suffrage
universel, entendue sans aucunes restrictions. On
reconnaîtra facilement dans les lois étrangères, dont
nous donnerons une analyse aussi rapide que pos-
sible, les traits caractéristiques du régime censitaire
de la France de 1814 et de 1830.


Les lois belges nous fournissent . l'exemple le
plus saillant de l'organisation censitaire. Jusqu'en
1848, le• cens électoral du royaume de Belgique
était différentiel, c'est-à-dire avait un taux variable
suivant l'imporla.nce des localités ou la richesse
présumée des populations. La loi du 31 mars 1848
l'a rendu uniforme pour les élections générales et
provinciales. Depuis cette époque, des changements
importants ont modifié les conditions de l'électorat.
Ainsi, en 1870, l'âge à partir duquel les citoyens
peuvent voter a été abaissé de vingt-cinq à vingt
et un ans. C'est à la même époque qu'on déclara
que les contributions de la femme seraient comptées
au mari pour le calcul du cens, sauf le cas de sépa-
ration de corps. A force de transformer et d'amé-
liorer la loi électorale de, 1831, on était arrivé à ne
plus voir clair dans un amas de textes souvent con-


DE LA CHAMBRE DES o;puTùs. 77
tradictoires. De là une loi de 1872 (18 mai) qui eut
pour objet de coordonner toutes les lois électorales
de la Belgique. C'est une sorte de code ou de manuel
qui résume le dernier état de la législation'. Nous
avons déjà dit à quel âge on devient électeur en Bel-
gique. 11 faut , en outre, pour exercer le droit de
vote, n'être sous le coup d'aucune incapacité légale,
n'être pas en état de faillite déclarée, ou notoire-
ment connu comme tenant une maison de jeu ou de
débauche ; enfin payer un cens électoral de vingt
florins au moins, patentes comprises. Cette somme,
qui équivaut à 42 fr. 32 c., n'a rien d'excessif, si on
la compare au cens français de 1831 (200 fr.), mais
elle est plus élevée que le cens (le plusieurs législa-
tions électorales en vigueur. Ainsi , en Portugal, on
est électeur moyennant le paiement de 5 fr. 55 c. de
contributions directes ; en Serbie, on se contente
d'une imposition quelconque. Le paysan hongrois
est électeur s'il justifie d'un revenu de 105 florins,
ce qui équivaut à 262 fr. 50 c. La loi belge ne parle
pas de conditions de domicile. Elle va donc plus loin
que la loi française qui réclame six mois de domi-
cile pour constater l'identité de l'électeur. Mais le
lieu de l'inscription est très-suffisamment déter-
miné chez nos voisins par la quittance des contribu-
tigns qui justifie du paiement du cens. D'ailleurs
l'électorat se constate sur des listes spéciales, tenues
d'une façon permanente et révisées chaque année,


' Voy. l'Annuaire de la Société de législation comparée, année 1872,
p. 411.




78 POUVOIR dOISLATIF.
du t er au 14 août, par le collége des échevins. Les
réclamations sont portées devant la députation per-
manente du Conseil provincial , avec droit d'en
appeler de la décision du Conseil provincial devant
la Cour du ressort qui peut, en tout état de cause,
évoquer l'affaire. Enfin le réclamant qui a succombé
devant les deux juridictions a le droit de se pourvoir
en cassation, sauf à donner dans sa requête l'indica-
tion des lois dont la violation lui causerait préjudice.


Nous .n'insisterons pas sur les conditions du
régime du suffrage direct et censitaire qui est pra-
tiqué par l'Italie , la Hollande , le Portugal. Les
Portugais sont électeurs à vingt-cinq ans, moyen-
nant un cens de 1,000 reis (5 fr. 55 c.) de contri-
butions directes ; les Hollandais à vingt-trois ans,
moyennant un cens qui varie, suivant les localités,
entre 42 fr. 35 et 338 fr. 50 cent. En Italie, il faut,
pour être admis au droit de vote, être âgé de vingt-
cinq ans, savoir lire et écrire et payer 40 fr. d'impôts
directs.


L'institution des capacités, dont il a été tant parlé
en France, lors de la révolution de 1848, existe de
l'autre côté des Alpes. Les académiciens, les méde-
cins, les fonctionnaires, les personnes décorées d'un
ordre national ou pourvues d'un haut grade univer-
sitaire, ne sont pas astreints à la condition du celas.


C'est également au moyen du suffrage direct,
restreint par des conditions de cens, que les
Anglais nomment leur Chambre des Communes.
Mais ces lois anglaises sont tellement empreintes


DE LA CHAMBRE DES DÉpuTÉs. 79
d'un caractère historique et national, tellement in-
fluencées par des privilèges séculaires, qu'elles oc-
cupent une place à. part dans le droit constitulion-
nel, sinon par leur incohérence, du moins par leur
originalité. On a tout dit sur les scandales des élec-
tions anglaises, sur les fameux bourgs pourris et sur
tous les abus que l'intérêt de l'aristocratie et une
sorte de respect superstitieux de la part des masses
ont perpétués et protégent encore en partie. Les
Anglais se souviennent toujours que Pitt et Shé-
ridan ont été envoyés au Parlement par des bourgs
pourris. Ils défendent comme une arche sainte leurs
institutions les plus surannées et ressemblent un
peu aux jurisconsultes de la vieille Rome qui gref-
faient le nouveau droit sur le droit ancien. C'est ce
côté profondément conservateur du caractère bri-
tannique qui explique l'insuccès relatif des efforts
tentés depuis plus d'un siècle pour changer le sys-
tème électoral des Anglais.


Dès 1770, quelques esprits novateurs parlaient
déjà de réformes, de l'autre côté de la Manche; et,
en 1831 ,- cinquante-six bourgs pourris ,• dont la po-
pulation restait inférieure à 2,000 habitants, avaient
encore HI siéges à la Chambre des Communes.
Vers la même époque , Old-Sarum, qui comptait
12 habitants, envoyait encore deux députés à la
Chambre des communes. Mais le bill Russell-Grey,
(lui acquit force de loi sous Guillaume IV, fit dispa-
raître une partie de ces abus, en retirant le droit
d'élection à tous les bourgs d'une population infé-




80 POUVOIR LÉGISLATIF.
rieure à 2,000 habitants, et en doublant la repré-
sentation de vingt-cinq comtés. Toutefois l'inégalité
entre les diverses parties du royaume resta considé-
rable. En 1851, Liverpool, qui comptait 14,072 élec-
teurs au cens de dix livres sterling, n'envoyait pas au
Parlement plus de députés qu'Audover, où il y avait
seulement 242 électeurs de cette catégorie. En 1873,
sir Charles Dilke , à l'appui d'une proposition par
laquelle il demandait qu'on procédât à une nou-
velle répartition des siéges du Parlement entre les
bourgs et les comtés, présentait des calculs d'où il
résulte que la moitié de la Chambre est élue par un
demi-million d'électeurs, et l'autre par plus de cieux
millions. Aussi Fische] ' , qui aboutit , en donnant
d'autres exemples, à la même conclusion, a-t- il
quelque raison d'affirmer que la Chambre basse
n'est pas la. représentation de toutes les communes,
mais celle de certains comtés et de certaines corpo-
rations investies du droit d'élection par le souverain.


Dans l'état actuel de la législation, la Chambre
des Communes comprend 632 membres, représen-
tant des comtés, des bourgs et villes et des univer-
sités. Le droit électoral n'est pas le même dans les
trois catégories de colléges.


Dans les bourgs la qualité d'électeur s'attache :
1° aux francs-bourgeois qui, antérieurement à1832,
étaient en possession du droit. de vote ; 2° aux pro
priétaires et locataires qui, à la date du 31 juillet,


Ide Constilulion d'Anglele,rre, 2 vol., Reinwald,


DE LA CHAMBRE DES nbud:s. 81
occupent et habitent à eux seuls, depuis un an au
moins, une maison d'habitation non meublée ; qui
ont été astreints, en raison de cette occupation, à
payer la taxe des pauvres, et qui, le 20 juillet, ont
acquitté au moins ce qu'ils devaient sur cette taxe
au 5 janvier précédent; 3° aux locataires en garni
qui, depuis un an au 31 juillet, habitent à eux seuls
un logement loué, sans meubles, 10 livres sterling
(230 fr.).


Dans les comtés, sont électeurs : 1° les posses-
seurs d'un freehold (tenure libre d'une valeur an-
nuelle de 40 shillings (50 fr.) ; — 2° les individus
détenant depuis six mois au moins, à titre hérédi-
taire ou autrement, un bail emphytéotique représen-
tant une valeur annuelle de 5 livres sterling au moins
(125 fi'.) ; — 3° les lessee (fermiers) et les assignee
(cessionnaires temporaires) qui sont en possession
depuis un an au moins, et autrement qu'à titre héré-
ditaire, d'un titre créé pour soixante ans et repré-
sentant une valeur annuelle de 5 livres sterling ; —
4° tout individu occupant depuis un an , à titre
de propriétaire, ou de locataire, un immeuble d'une
valeur imposable de 12 livres sterling (300 fr.) au
moins, et payant la taxe des pauvres à. raison de
cette occupation.


Dans les Universités, le droit électoral n'est pas
sujet à moins de variétés. A Oxford et Cambridge,
les maîtres ès arts sont électeurs sans condition de
cernads.uts sI2nutbéliliele, teluesrs.agrégés, les étudiants el lesg




82 POUVOIR lAlISLATIE.


Que l'électeur fasse partie d'un bourg, d'un comté
ou d'une université, il doit réunir, en dehors des
conditions spéciales à la catégorie dont il est
membre, les conditions générales exigées de tous
les votants, c'est-à-dire la qualité d'Anglais, l'âge
de vingt et un ans, la libre disposition de ses biens,
l'absence de toute condamnation encourue pour
manoeuvres électorales, enfin une situation indépen-
dante qui ait permis à l'électeur de se passer du
secours de la paroisse.


Les listes électorales sont dressées par les ins-
pecteurs des pauvres (oves' seers) et révisées, après
publication, par des membres du barreau que dé-
signe, dans chaque ressort judiciaire, le premier des
juges chargés de présider les assises d'été. Les dé-
cisions (les réviseurs sont souveraines sur les points
de fait, et susceptibles, quant aux points de droit,
d'un appel devant la cour des plaids communs.


A côté de la loi anglaise on peut en placer une
autre qui présente de même un caractère archaïque
et empreint d'une grande originalité : c'est la loi
hongroise. Jusqu'en 1848, la noblesse seule était
représentée dans les assemblées hongroises. Elle
envoyait à la Diète deux délégués par comitat ou dé-
partement. Quelques délégués des villes et de nom-
breux représentants des établissements ecclésias-
tiques servaient à compléter l'assemblée. En 1848;
les non-nobles furent admis à. concourir au droit de
vote, mais chaque comitat conserva un minimum
de deux députés. Des inégalités choquantes furent


DE. LA CHAMBRE DES MPUTÉ.S.
83


volontairement maintenues ; et l'on cite tel comitat
qui, aux élections de 1872, ne nomma qu'un repré-
sentant pour 58,000 habitants, tandis qu'un autre
envolait un député pour 11,500 habitants.


La loi du 26 novembre 1874 a complétement re-
fondu la législation électorale de la. Hongrie. Elle,
maintient l'électorat aux privilégiés que la législa-
tion de 1848 avait laissés en possession de leurs
droits électoraux, c'est-à-dire aux nobles et aux
bourgeois ne réunissant pas les conditions cen-
sitaires imposées aux autres électeurs. Elle ac-
corde en outre le droit de concourir aux élections
législatives à tout paysan, petit propriétaire, artisan
ou fabricant, qui justifie d'un revenu de 105 florins
(262 fr. 50). On exige des fonctionnaires et em-
ployés un revenu minimum de 700 florins. Quant à
ceux qui appartiennent aux professions dites libé-
rales, tels que professeurs, artistes, docteurs, avo-
cats, notaires, prêtres, maîtres d'école, membres
d'une académie, etc., ils sont électeurs sans con-
dition de cens. On a remarqué que cette catégorie.
d'électeurs augmentait clans de grandes proportions.
Limitée, en 1865, à 31,205 votants, elle s'élevait, en
1872, à 44,165'. Les soldats et marins, gens de
Police et douaniers sont. privés du droit de vote.
D 'importantes modifications sont apportées par la
loi que nous analysons à la confection et à la ré -
vision des listes électorales. Jusqu'en 1874, ces


Voy. Annuaire de la Société de législation comparée, 1874. —
Notice de M. Horn, membre du parlement hongrois.Mai




84 POUVOIR LÉGISLATIF.
listes étaient dressées seulement la veille de l'élec-
tion eL restaient valables jusqu'aux élections sui-
vantes, c'est-à-dire pour trois ans. La loi nouvelle
confie la formation et la révision des listes à la com-
mission centrale ', qui délègue annuellement pour
chaque circonscription électorale un comité de trois
membres. Ce comité fait son travail dans un délai
fixé d'avance et en s'aidant des listes antérieures,
du livre des impôts directs de la commune, du
cadastre et. des livres, tenus par les prêtres de
chaque confession : car les registres de l'état civil
n'existent pas en Hongrie. Tout intéressé peut ré-
clamer dans les dix jours contre une omission ou
une inexactitude quelconque qui le concerne. Les
réclamations sont transmises à la commission cen-
trale, qui statue clans les vingt jours par une décision
motivée. L'ensemble des décisions de la commis-
sion centrale est affiché du 20 au 30 septembre de
chaque année. L'appel peut être porté dans le délai
de huitaine devant la Cour royale, qui statue souve,
rainement. La commission doit avoir terminé sis
opérations le er novembre, et la Cour royale les
siennes le '15 décembre, de telle sorte que la rédac-
tion définitive des listes est arrêtée le 30 décembre
de chaque année. Nous aurons à élu dierplus loin


La commission centrale est instituée dans chaque comiles et
dans chaque ville investie par la loi (le 1848 du droit d'élire ou dé-
puté. Les membres de la commission, dont le nombre varie suivant
l'importance du comilat, sont élus par l'assemblée générale du co-
mitat. Celte assemblée rappel:e de très-prés tel ou tel de nos conseils
généraux.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
85


les opérations électorales de la Hongrie. C'est dans
cette partie de la législation que se trouveront
surtout les traits caractéristiques du génie national.


L'ordre naturel de nos développements nous
amène à terminer le tableau des législations électo-
rales par l'étude de la troisième catégorie de Cons-
titutions : nous voulons parler de celles qui ont
adopté le suffrage à deux degrés, avec ou sans
conditions de cens.


Ce mode de suffrage est employé par les gouver-
nements qui pensent que la masse de la population,
les ouvriers, les paysans, qui vivent de leur travail,
n'ont pas une instruction , une éducation politique
qui leur permettent de porter un jugement éclairé
sur les besoins généraux du pays et de concourir au
choix des députés. On croit trouver un remède à cette
insuffisance des couches inférieures de la société
dans le système qui consiste à faire nommer par les
électeurs d'autres électeurs, en nombre limité, et à
former ainsi des assemblées électorales de second
degré, auxquelles on attribue des lumières plus com-
plètes et une intelligence politique plus développée.


La Prusse, le grand-duché de Bade, la Bavière,
le Brésil, la Norwége se servent du suffrage à deux
degrés pour leurs élections législatives. Tantôt
législations de cette nature se combinent avec des
conditions censitaires, et c'est là le cas le plus fré-
quent; tantôt elles limitent l'exercice du suffrage
un iversel , en réduisant son rôle à la nomination




86 POUVOIR LÉGISLATIF.
d'électeurs secondaires. C'est ainsi que le grand-
duché de Bade, qui a d'ailleurs une Chambre des
seigneurs absolument féodale, n'exige aucune con-
dition de cens des électeurs du premier et du se-
cond degré qui participent au choix des membres
de la seconde Chambre. Tout Badois âgé de vingt-
cinq ans, tenu pour citoyen dans le district de l'élec-
tion ou exerçant une fonction publique, est électeur
du premier degré. Tout électeur du premier degré
est apte à devenir électeur secondaire.


En Bavière, la seule différence qui sépare les deux
catégories d'électeurs , c'est que les électeurs de
premier degré votent à vingt et un ans et que les
électeurs de second degré doivent être âgés de
vingt-cinq ans au moins. Mais, dans certains États,
il y a des conditions de cens qu'on impose aux élec-
teurs du premier degré et d'autres conditions qu'on
exige des électeurs du second degré.


La Constitution du Brésil, notamment, présente
une particularité de cette nature. On distingue les
électeurs de paroisse ou électeurs primaires et les
électeurs de province ou électeurs secondaires. Est
électeur de paroisse tout citoyen brésilien âgé de
vingt-cinq ans révolus et possesseur d'un revenu de
300 fr. au moins. Les électeurs primaires désignent
les électeurs de province , dont le nombre est pro-
portionnel à la population ; mais le choix ne peut
porter que sur les citoyens qui possèdent un revenu
de 600 fr. au moins. La loi de 4860 déclare que
dans quelques districts, où le nombre des électeurs


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 87
de province n'est pas assez grand, les élections ont
lieu au suffrage direct.


Cette coexistence du suffrage direct et du suffrage
à deux degrés se retrouve en Suède. Dans ce pays,


.dont la Constitution est si originale, les élections
ont lieu à un ou à deux degrés , suivant la volonté
des populations. Lorsque les électeurs primaires
d'une commune ou ville désirent voter directement,
ils se prononcent en faveur de ce mode électoral, à
la majorité des suffrages, et leur décision est notifiée
au gouverneur. Celui-ci convoque les électeurs des
autres communes de la circonscription ; et, si la ma-
jorité des votants est favorable au système de l'élec-
tion directe, il entre en vigueur pour cinq années
clans la circonscription tout entière. Pour être élec-
teur primaire en Suède, il faut d'ailleurs réunir des
conditions censitaires assez élevées, savoir : ou pos-
séder un immeuble évalué pour l'assiette de l'impôt
à 1,000 riksdales (1,430 fr.), ou avoir affermé pen-
dant cinq ans au moins un immeuble agricole évalué
à 8,580 fr., ou payer l'impôt à l'État sur un revenu
minimum équivalent à 1,144 fr.


En Norwége , où le suffrage à deux degrés est
également en vigueur, ce qu'il y a de remarquable
dans la législation électorale c'est l'influence qu'elle
laisse au clergé, tant au point de vue de la confec-
tion des listes que des élections elles-mêmes.


Les pasteurs de chaque paroisse rurale dressent
eux-mêmes les listes d'électeurs, et décident les
questions litigieuses qui sont soulevées par les ré-




88 POUVOIR LÉGISLATIF.
clamations des citoyens, sauf à eux à porter leur
appel devant le Storthiny. Il faut aussi relever cette
particularité qu'avant de se faire inscrire sur la liste
chaque électeur doit prêter serment de fidélité à la
Constitution. En Bavière, l'électeur jure de donner
sa voix selon sa conviction et de « n'accepter aucun
cadeau ».


Nous n'avons pas la prétention d'avoir épuisé
toutes les variétés du droit électoral comparé. En
dehors des trois classifications indiquées plus haut,
se placent des législations importantes dont le prin-
cipe n'est pas plus le suffrage univerel que le suf-
frage censitaire, direct ou à deux degrés , mais qui
empruntent presque toujours quelque chose à tous
ces systèmes. Il y a, par exemple, le vole cumulatif,
dont le mécani sme pourrait échapper à tous ceux
qui n'ont pas une certaine teinture de l'algèbre.
La loi du 9 avril 1872, qui concerne les élections
de l'État de l'Illinois I (États-Unis), nous fournit un
curieux exemple du vote cumulatif : « Si l'électeur
entend donner plus d'une voix à un candidat, il le
marquera sur son bulletin en chiffres, de la manière
suivante : AB, CD, EF, ce qui signifie une voix pour
chaque candidat désigné ; — ou AB deux voix, CD
une voix ; — ou AB trois voix. Si l'électeur désigne
pour une charge plus d'élus qu'il n'y a de candidat,.
à élire, ou s'il exprime plus de voix ou de parties de


' Annuaire de la Sociét n; de législation compa rée, 1872.— Notice
de M. Demotigeot.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 89
voix pour des candidats à la députation qu'il n'a
droit d'en donner, son bulletin sera annulé pour tous
les candidats. »


A côté de ce procédé qui peut effrayer les intelli-
gences simples, d'autres pays nous offrent le vote
par catégories, qui se combine tantôt avec le suffrage
direct, comme en Autriche, tantôt avec le suffrage
à deux degrés, comme en Prusse. Celte seconde
forme, en apparence plus compliquée, est pourtant
moins capricieuse que la première. Tout Prussien
qui a accompli sa vingtième année est électeur du
premier degré, sauf condition de cens, dans la com-
mune où il est domicilié et où il possède la capacité
d'élire pour le conseil municipal. Mais voici ce qu'on
fait ensuite du corps électoral ainsi composé : on le
divise en trois sections, en prenant pour base de la
répartition la quotité d'impôt payée par chaque
électeur. La première section comprend les électeurs
les plus imposés, jusqu'au tiers de l'impôt total dû
par l'ensemble de la circonscription. — La seconde
section est composée des électeurs qui , après ceux
de la première, paient le plus d'impôts, jusqu'à con-
currence d'un second tiers des contributions totales.
—La troisième section renferme ceux qui paient les
impôts les moins forts ou qui n'en paient pas, jus-
qu'au troisième tiers de la somme des impôts de la
circonscription. — Chaque section nomme ensuite
un tiers des électeurs secondaires afférents à la cir-
conscription, et dont le nombre est calculé à raison
del pour 250 habitants. Aucune condition spéciale




90 POUVOIR LÉGISLATIF.
n'est exigée des électeurs secondaires, qui peuvent
être choisis indifféremment clans les trois sections (lu
premier degré.


Quant au système autrichien, il ne saurait être
compris, si l'on ne connaissait, au moins dans ses
grandes lignes, la Constitution nouvelle de l'Empire.
En vertu du compromis de 1867, les pays dont se com-
pose la monarchie austro-hongroise sont divisés en
deux grands groupes. Le premier groupe comprend
les territoires situés au-delà de la Leitha, et appelés,
pour cette raison géographique, Transleithanie. C'est
la Hongrie et les provinces voisines : Transylvanie,
Croatie, Slavonie, Confins militaires. Le parlement
de la Transleithanie siége à Pesth ; et nous avons
dit comment était composé le corps électoral qui
nommait les membres de ce. Reichstag, ou plutôt de
sa Chambre (les députés. Le second groupe de pro-
vinces, appelé Cisleithanie, comprend les territoires
situés en det,:à de la Leitha : c'est l'Autriche propre-
ment dite. Le parlement de Cisleithanie siége à
Vienne et s'appelle Reichsrath. Nous aurons à dire
comment se compose le corps électoral qui donne
naissance à l'un de ses éléments la « Chambre des
députés ».


Enfin, au-dessus des deux parlements autrichiens
et. hongrois, il existe un pouvoir législatif commun
aux deux portions de l'Empire et qu'on nomme : les
Délégations. Ces Délégations sont formées d'un
nombre égal de mandataires que les parlements
Cis et. Transleithaniens choisissent annuellement


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 91
dans leur sein (60 membres pour chaque parlement).
Les Délégations ont pour mission de traiter les af-
faires communes, qui sont : les relations extérieures ;
l'armée et la marine ; les affaires financières intéres-
sant les deux groupes de la monarchie. Un minis-
tère commun, dont les titulaires correspondent aux
catégories des affaires indiquées plus haut, exerce le
pouvoir exécutif. Les Délégations se réunissent . al-
ternativement à Vienne et à Pesth, dans une session
de six à huit semaines.


Cette organisation étant connue, attachons-nous
à la. composition de la Chambre des députés d'Au-
triche,, c'est-à-dire de la portion du Reichsrath qui
représente le principe démocratique, à côté de la
Chambre des seigneurs (lui représente le principe
contraire, et dont nous n'avons pas à parler ici.


Jusqu'en 1873, les députés autrichiens ont été
nommés par les Diètes des différents pays cisleitha-
niens. Mais la loi du 2 avril 1873, portant une pro-
fonde atteinte à la loi sur la représentation de l'Em-
pire de 1867, a substitué à l'élection des députés par
les Diètes locales l'élection par les citoyens mêmes
qui nomment ces Diètes locales'. La nouvelle Cham-
bre des députés se compose de 353 membres ré-
partis entre les différentes provinces (54 pour l'Au-
triche proprement dite, 93 pour la Bohème, 63 pour
la Galicie, etc.). La nomination des députés affé-


C'est, le parti allemand ou centralisateur qui a obtenu cette grave
//Affirmation. Le fi novembre 1873 , la législature, issue de la loi du
3 avril, qu'ou appliquait pour la première fois, s'est réunie à Vienne.




92 POUVOIR LÉGISLATIF.
rents à chaque pays est attribuée à des catégories
d'électeurs organisées par les ordonnances de 1860,
qui furent rendues pour la création ou le rétablisse-
ment des Diètes locales.


Ces catégories sont au nombre de quatre, savoir :
Classe A : la grande propriété foncière et féodale.
Classe B : les villes, marchés et centres industriels.
Classe C : les Chambres de commerce.
Classe D : les communes.
Dans chaque province, un certain nombre des


députés auxquels la circonscription a droit est nom-
mé par chaque catégorie. Ainsi, dans la Bohême qui
a 93 représentants, la classe A nomme 23 députés,
la classe B 31, la classe C 9, et la classe D 30. 11
suffit de jeter les yeux sur ces chiffres, dont la pro-
portion est la même dans les autres provinces, pour
se convaincre que la classe des grands propriétaires
et des nobles a conservé une situation très-forte
en Autriche. De plus, il importe de remarquer que,
tandis que les trois premières classes, A, B, C, nom-
ment leurs représentants au suffrage direct, la classe
D, c'est-à-dire celle des communes , ne nomme les
siens qu'au moyen du suffrage à deux degrés. Les
communes élisent un électeur secondaire par chaque
fraction de 500 habitants. Mais le mode de suffrage
ne constitue pas la seule inégalité au profit des`
hautes classes. Ainsi , dans la catégorie de la pro-
priété foncière, les femmes, si elles jouissent de leurs
droits d'une manière indépendante et ont atteint
l'âge de vingt-quatre ans, figurent au nombre des


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 93
électeurs. En outre, les électeurs de la même classe
peuvent voter par procuration, ce qui n'est pas per-
mis au commun des électeurs.


D'une manière générale, on peut dire que la capa-
cité électorale pour la nomination des membres du
fleichsrath est identique à la capacité exigée pour
la formation des Diètes locales. Il faut, pour être
électeur autrichien, avoir vingt-quatre ans révolus
et la jouissance de ses droits civils et politiques ; le
plus souvent on exige un cens, variant de 1 florin ,
minimum fixé par la loi de 1850, à 10 florins (de
2 fr. 59 à 25 fr. 90). L'exercice de certaines profes-
sions dispense de cette dernière condition. Telle est
la composition singulière du corps électoral de
l'Autriche.


CHAPITRE III.


LES ÉLIGIBLES.


Droit comparé :conditions d'âge, de cens, de religion, de laïcité. —
Incompatibilités, exceptions aux incompatibilités. — Droit com-
paré.


La loi française est on ne peut plus large en ce
qui concerne les conditions d'éligibilité qu'elle exige
des candidats à la députation. « Tout électeur, aux
termes de la législation du 30 novembre 1875, est
éligible, sans condition rie cens, à l'âge de vingt-
cinq ans accomplis. » Il résulte de ce texte, qui n'a
été l'objet d'aucune contestation sérieuse lors de la




POUVOIR LÉGISLATIF.


discussion à l'Assemblée, que les populations jouis-
sent d'une liberté presque sans limites, relativement
au choix de leurs mandataires. A part la condition
d'âge, qui est plus.élevée pour les éligibles que pour
les électeurs, le candidat peut se présenter dans une
circonscription quelconque du territoire français.
Il n'est astreint à aucune condition de domicile ou
de résidence (voy. décret organique du 2 décembre
1852, art. 26). Il peut fort bien n'être inscrit sur
aucune liste : il suffit qu'il ait la capacité électorale.
L'âge de vingt-cinq ans a été adopté par plusieurs
États comme la condition préalable à laquelle tout
candidat à. la députation doit satisfaire. Ainsi, en
Belgique comme en France, on est éligible à vingt-
cinq ans et électeur à vingt et un ans ; mais, chez nos
voisins, l'électeur paie un cens, tandis qu'on n'en
exige pas de l'éligible. La législation américaine,
celles du Brésil, de la confédération Argentine, du
Portugal fixent de même à vingt-cinq ans l'âge de
l'éligibilité. Mais les conditions complémentaires
varient beaucoup, suivant les pays. Tandis que la
Suisse et la confédération Argentine assimilent à peu
près les conditions de l'électorat et celles de l'éligibi-
lité, les États-Unis demandent au candidat de prouver .
qu'il est citoyen depuis sept ans au moins ; le Brésil
et le Portugal exigent des aspirants àla députation un
cens bien plus élevé que le cens payé par les électeurs :
1,200 fr. de revenu au Brésil ; 4,000 reis (22 fr. 20)
de contributions directes ou 20,000 reis (Ill fr.) de
contributions foncières, en Portugal. Toutefois la


0E LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
95


Constitution de ce dernier pays réduit de vingt-cinq
à vingt et un ans l'âge de « pour les
hommes mariés, les prêtres, les fonctionnaires civils
et militaires et les gradués de l'Université » . Les
personnes rentrant dans ces catégories sont égale-
ment dispensées du paiement du cens. D'autres
États, loin de favoriser les membres du clergé, leur
interdisent au contraire toute ambition politique.
En Suisse, en Angleterre, la laïcité du candidat est
une des conditions de l'éligibilité. Dans plusieurs
républiques hispano-américaines, et notamment
(qui le croirait?) au Paraguay, le mandat de député
est incompatible avec les fonctions ecclésiastiques.


Une seconde classe de législations recule jusqu'à
trente ans l'âge à partir duquel on devient éligible.
On peut citer, à titre d'exemples : l'Autriche, l'Italie,
la Hollande, la Suède, la Norwége , la Serbie, la
Grèce, la Prusse et la plupart des petits États alle-
mands. Quelques particularités sont à relever : ainsi
la Prusse exige des candidats la justification d'un
service de trois années dans -l'armée ; la Suède
n'ouvre la porte de ses assemblées qu'à ceux qui
appartiennent au culte protestant, et le grand-duché
de Bade qu'à ceux qui font partie d'une des trois
communions chrétiennes.


Il y a un État qui fixe à vingt-quatre ans l'âge
de l'éligibilité : c'est la Hongrie. Le candidat hon-
grois est obligé, en outre, de satisfaire à cette dis-
position de la loi, suivant laquelle la langue hon-
groise est seule employée au parlement.




96 POUVOIR d'GISLATIle.
Une question qui se lie étroitement à celle de


l'éligibilité est la question des incompatibilités.
La loi électorale française règle ce point avec un


soin tout particulier.
Le principe général est posé dans l'article 8 qui


déclare que l'exercice des fonctions publiques rétri-
buées sur les fonds de l'État est incompatible avec
le mandat de député. En conséquence, tout fonc-
tionnaire élu député est remplacé dans ses fonctions
si, dans les huit jours qui suivent la vérification des
pouvoirs, il n'a pas fait connaître qu'il n'accepte pas
le mandat de député.


Lors de la discussion qui a eu lieu à l'Assemblée
nationale au sujet des incompatibilités, on s'est
préoccupé surtout de la situation qu'il y avait lieu
de faire aux officiers. Sous la Restauration et le
gouvernement de Juillet, les militaires de tous
grades pouvaient entrer à la Chambre des députés ;
et, sauf quelques avancements assez rapides obte-
nus par les officiers-législateurs, leur présence à la
Chambre ne paraît pas avoir été l'objet d'une sérieuse
critique. Mais déjà, sous la Constituante de 1848
et la Législative de 1849, certains faits devinrent
l'occasion ou le prétexte de controverses très-vives
sur l'utilité qu'il peut y avoir à admettre les militaires
au parlement. L'Empire les écarta du Corps législa-
tif; mais ils y rentrèrent, en grand nombre, après la
guerre de 1870. La nécessité, comprise par tous les
partis, de réviser la législation militaire du pays ne
contribua pas peu à ce retour aux anciens errements.


DE LA CHAMBRE DES DIPLITES.
97


Cependant, en 1875, l'Assemblée nationale, après
un débat où toutes les opinions furent brillamment
exprimées inscrivit dans la loi 'électorale ce prin-
cipe « qu'aucun militaire ou marin faisant partie des
armées actives de mer ou de terre ne pourra, quels
que soient son grade et ses fonctions , être élu
membre de la Chambre des députés » . Par consé-
quent, ce qui est interdit aux officiers en activité de
service, c'est non-seulement de cumuler le mandat de
député avec leurs fonctions militaires, mais encore
de poser leur candidature pour un siége à la Chambre
des députés. Quant aux officiers placés dans la se-
conde section du cadre de l'état-major général, ou à
ceux qui sont maintenus dans la première section
comme ayant commandé en chef devant l'ennemi, la
disposition prohibitive ne s'applique pas à eux, et ils
peuvent se présenter aux suffrages des électeurs. Il
en est de même pour les officiers qui appartiennent à
la réserve de l'armée active ou à l'armée territoriale.


Un certain nombre de hauts fonctionnaires sont
exceptés des dispositions qui frappent les fonction-
naires d'inéligibilité : cc sont les ministres, sous-
secrétaires d'État, ambassadeurs, ministres pléni-
potentiaires, préfet de la Seine, préfet de police,
premiers présidents et procureurs généraux des
cours de cassation et des comptes et de la cour
d'appel de Paris, archevêques et évêques, grand-
rabbin, premiers présidents de consistoires, profes-
Sé lanV:du 9, .nottalomvienrenlil)trel .es discours de M. Rive et de M. J Simon,




98 POUVOIR, LÉGISLATIF.
seurs titulaires de Facultés, chargés de mission
temporaire. Certaines facilités sont données à ces
fonctionnaires polir liquider leur pension de retraite
(voy. l'art. 10).


La raison des exceptions qui précèdent, c'est que
les candidats dont il s'agit sont dans une situation
hiérarchique trop éminente pour faire du mandat
législatif le marchepied, en quelque sorte, de leur
avancement. D'autre part, ceux d'entre eux, tels
que les préfets, les magistrats et les prélats, qui
pourraient abuser de leur position élevée pour exer-
cer une pression sur les électeurs, sont mis dans
l'impossibilité d'employer à leur profit personnel les
moyens d'action dont ils disposent; car l'article 12
de la loi leur interdit de se présenter dans l'arron-
dissement compris en tout ou partie dans leur res-
sort, soit pendant l'exercice de leurs fonctions, soit
pendant les six mois qui suivent la cessation de ces
fonctions par démission, destitution, changement de
résidence ou de toute autre manière. La même in-
terdiction est étendue aux ingénieurs en chef Gt
d'arrondissement, aux recteurs et inspecteurs d'aca-
démie, aux trésoriers payeurs généraux et receveurs
particuliers des finances , aux directeurs des contri-
butions directes et indirectes, de l'enregistrement et
des domaines et des postes, aux conservateurs et
inspecteurs des forêts. Quant aux sous-préfets, ils ne
peuvent être élus dans aucun des arrondissements
du département où ils exercent leurs fonctions.


On s'est préoccupé de remédier à un abus qui a pré-


DE LÀ CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
99


senté, dans certaines périodes de notre histoire, une
gravité exceptionnelle : nous voulons parler de ces
manoeuvres politiques grâce auxquelles des députés
pourraient apporter leur concours à un ministère en
quête de recrues, moyennant la stipulation de places
et avantages personnels. L'article 11 porte que
« tout député nommé ou promu à une fonction pu-
blique salariée cesse d'appartenir à la Chambre par
le fait même de son acceptation ; toutefois il peut
être réélu si la fonction qu'il occupe est compatible
avec le mandat de député ». ll est entendu que cette
disposition rie vise ni les députés nommés ministres,
ni les sous-secrétaires d'État. Ce sont là des situa-
tions évidemment politiques que la pratique du
gouvernement parlementaire confie aux représen-
tants des majorités, et qui d'ailleurs, par leur carac-
tère instable et la responsabilité qui s'attache à elles,
ne peuvent être assimilées aux autres fonctions sala-
riées. Un poste de ministre ou de sous-secrétaire
d'État peut sans doute — l'hypothèse n'est pas im-
possible à concevoir — faire l'objet d'un marché ou
d'un compromis ; mais si ce compromis n'est pas ra-
tifié par l'opinion publique et par la volonté persis-
tante d'une majorité , il ne produira que des consé-
quences précaires.


Les cas d'incompatibilité prévus par les législa-
tions étrangères se confondent très-souvent avec les
cas prévus par la loi française. En général, l'exercice
du mandat de député est déclaré inconciliable avec




100 POUVOIR LÉGISLATIF.


l'exercice d'une l'Onction salariée, surtout quand le
gouvernement la confère à un député investi de son
siége. Ainsi la loi belge est formelle à cet égard.
Mais on s'exposerait à mettre quelque confusion
dans l'énumération des incompatibilités qui résul-
tent des lois étrangères, si on ne distinguait deux
hypothèses : I° celle où le fonctionnaire est élu dé-
puté ; 2" celle où le député est nommé fonctionnaire.
Il y a des pays qui autorisent la nomination des
fonctionnaires en qualité de députés et qui leur per-
mettent de cumuler les deux fonctions. En Prusse,
les fonctionnaires n'ont même pas besoin de congé
pour entrer dans les Chambres ; mais si un député,
une fois élu, accepte une fonction salariée, il doit se
soumettre à une réélection. Le Wurtemberg, l'An-
gleterre ont adopté la même règle. D'autres États
n'admettent pas. le cumul. Le Portugal relève pro-
visoirement de leurs charges les fonctionnaires élus
députés, et cette mesure ne prend fin qu'avec l'expi-
ration du mandat.


Sans entrer dans une énumération complète, qui
risquerait d'être fastidieuse, de toutes les incompa-
tibilités établies par les différents peuples, on peut en
signaler quelques-unes qui se reproduisent le plus
fréquemment. C'est ainsi que nous citerons comme
incompatibles presque partout avec le mandat de
député les fonctions ecclésiastiques, les fonctions
judiciaires, celles de conseiller d'État. En Belgique
les avocats des grandes administrations publiques,
en Angleterre les avocats de révision dont nous avons


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
101


parlé plus haut, ne peuvent pas non plus ajouter à
leurs titres celui de député. La législation britannique
frappe également d'inéligibilité les pensionnaires de
l'État et les fournisseurs du gouvernement.


Dans plusieurs États, comme en France, un cer-
tain nombre de fonctionnaires ne peuvent être élus
députés dans la circonscription où ils exercent leurs
charges. En Angleterre, par exemple, les shérifs
des comtés et les maires des bourgs ne peuvent être
élus dans le ressort de leurs fonctions. De même,
dans le grand-duché de Bade et plusieurs autres
États allemands, les baillis, pasteurs, médecins de
province ou de seigneurie, et autres fonctionnaires
civils ou ecclésiastiques, ne peuvent être élus députés
dans le district où ils exercent. Cette règle est fort
raisonnable et ne réclame aucuns commentaires.


Après avoir étudié la composition du corps élec-
toral et les conditions de l'éligibilité, nous devons
aborder l'explication des opérations électorales elles-
mêmes et discuter les questions qui se rattachent à
cette matière importante.


CHAPITRE IV.
OPÉRATIONS ÉLECTORALES.


Division des circonscriptions. — Scrutin par arrondissement. —
Convocation des électeurs. — Réunions électorales, professions de
foi. — Publicité.— Lieu du vote. — Mode, — durée du vote. —
Second tour de scrutin. Dépimillement du scrutin. — Procla-
mation et recensement général des votes. — Pénalités répressives
des fraudes électorales. — Droit comparé.


Depuis 1848, le. principe qui domine tous les


â




102 POUVOIR I,ÉGISLAT117.
règlements relatifs aux opérations électorales, c'est
que les élections doivent se faire sur la base unique
de la population. Il n'y a plus ni électeurs privilégiés,
ni double vote, ni représentation spéciale des inté-
rêts de telle ou telle catégorie de personnes : l'égalité
absolue des suffrages fait le caractère distinctif du
régime électoral en vigueur.


Toutefois, le principe étant posé, il faut recon-
naître que son application est plus apparente que
réelle. Quelle que soit la répartition des électeurs,
quelles que soient les circonscriptions qu'on adopte,
la division administrative du pays ne permet pas
d'assurer à chaque électeur français une participa-
tion tout à fait égale dans le choix des députés. Il y
aura toujours, en effet, des inégalités résultant de
l'infériorité numérique de, tel ou tel collége électoral
par rapport à Lel ou tel autre. lin électeur qui ne
partage son droit de nommer un représentant qu'avec
40,000 autres électeurs exerce évidemment une at-
tribution plus étendue que l'électeur qui vote avec
50,000 citoyens.


Ces réserves théoriques étaient nécessaires, avant
d'exposer les grands systèmes de répartition des
électeurs qui se trouvaient en présence lors de la dis-
cussion électorale de 1875. 11 y en avait deux : le
scrutin de liste et le scrutin d'arrondissement. Les
avantages et les inconvénients de ces deux systèmes
ont fait l'objet d'une discussion approfondie, au
cours de la deuxième lecture de la loi électorale. Les
uns faisaient remarquer que le scrutin uninominal


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTES. 103
par arrondissement forçait à entrer dans la voie, de
l'arbitraire pour découper les divers arrondissements
dont la population est supérieure à 100,000 âmes ;
que l'on établissait ainsi des inégalités choquantes
entre les divers arrondissements 1 . On ajoutait que
le scrutin d'arrondissement ne permet pas l'union
des partis, qu'il porte le coup le plus funeste aux
minorités et amène leur écrasement complet par la
majorité ; tandis qu'avec le scrutin rie liste , l'union,
qui était impossible sur un nom , peut se faire sur
plusieurs noms composant la liste. En outre, le scru-
tin d'arrondissement serait, disait-on, de nature à
faire descendre le niveau de la lutte électorale, à
favoriser le succès des médiocrités locales au dé-
triment des grandes notoriétés politiques ; enfin , et
surtout, à rendre possible et probable le retour de la
candidature officielle 2.


Les adversaires du scrutin de liste disaient de leur
côté : Le scrutin de liste n'est pas le régime électoral
qui convient aux temps calmes. Il ne faut y recourir
que clans les temps de crise et de révolution, pour
nommer une Assemblée constituante, unique et sou-
veraine. Le système du scrutin de liste n'assure pas
plus que le


I Ou a. calculé que, dans les Alpes-Maritimes, Puget-Théniers nom-
merait un député avec 23,00(1 habitants, et Grasse, à côté, un député
avec -10.0a0 habitants. Dans l'Ain, Trévoux, un député avec 91,000 ha-
bitants: Gex, un député a vec 20;000 habitants. Dans l'Aube, Troyes,
avec 98,000 habitants, nomme mn députe; Arcis-sur-Aube en nomme
un autre avec :33,000, etc.


Vol-. le discours de M, picard , rapporteur, séance du tt no-
vembre 1815.


scrutin d'arrondissement l'égalité ab-




à


104 POUVOIR LÉGISLATIF.
solue du droit de chaque électeur, relativement au
nombre de députés qu'il nomme. On en vient tou-
jours à découper les circonscriptions, et, à moins
de faire de la France un échiquier, ce qui serait.
l'anéantissement de la division administrative, on
ne peut donner à chaque électeur le droit de voter
pour le même nombre de députés. Avec le scrutin
de liste par département, les liens qui attachent
l'électeur à l'élu disparaissent, ce qui est contraire
aux saines doctrines démocratiques. Le député, le
plus souvent, ne connaîtra pas ceux qui lui ont donné
leurs suffrages ; il y a tout au moins une grande
partie du département où il n'aura jamais eu de
racines. Les électeurs ont déjà beaucoup de peine à
choisir un nom, quand il s'agit d'élire un conseiller
général : comment feront-ils, quand il s'agira de se
prononcer pour une liste qui contient cinq ou six
noms? Un candidat « remorqueur » décidera du
succès de toute la liste. Quant au reproche qui est
adressé au scrutin d'arrondissement, d' amener
l'écrasement des minorités, il n'est pas fondé : les
petits colléges sont, au contraire, le refuge et la. ga-
rantie des minorités. Enfin, le vote par département
transforme l'élection en plébiscite au petit pied, pro-
voque les passions et constitue un grand danger pour
tout gouvernement parlementaire I .


Tels étaient, en
substance, les arguments invoqués de part et d'autre.


Voy. uoIammeut le discours de M. Dufaure, garde des sceaux.
rance du II novembre 1875.


DE LA CHAMBRE DES nÉpuTÉ:s. 105
L'Assemblée nationale adopta, par 357 voix contre


326, dans la séance du 11 novembre, l'amendement
de M. Lefèvre-Pontalis qui consacre dans toute son
étendue le système du scrutin uninominal par arron-
dissement. L'article 14 de la loi porte que :


« Les membres de la Chambre des députés sont
élus au scrutin individuel. Chaque arrondissement
administratif nommera un député. Les arrondisse-
ments dont la population dépasse 100,000 habitants
nommeront un député de plus par 100,000 ou par
fraction de 100,000 habitants. Les arrondissements,
dans ce cas, seront divisés en circonscriptions dont
le tableau sera établi par une loi et ne pourra être
modifié que par une loi spéciale. »


Le tableau des circonscriptions dont la popula-
tion dépasse '100,000 habitants a été arrêté par la loi
du 24 décembre 1875. Il accorde au département de
la Seine 25 représentants, dont 20 pour les arrondis-
sements de Paris, 3 pour l'arrondissement de Saint-
Denis , et 2 pour l'arrondissement de Sceaux. Le
département du Rhône a 7 députés, dont 5 pour l'ar-
rondissement de Lyon et 2 pour celui de Villefran che.


Il serait difficile de ramener à des règles fixes la
répartition des électeurs dans les différents pays
étrangers. Le plus souvent les circonscriptions sont
déterminées par le pouvoir législatif, à l'exclusion
du gouvernement. Ainsi, aux États-Unis, le Congrès
fixe les circonscriptions tous les dix ans, en prenant
pour hase la population de chaque État.




106
POUVOIR LÉGISLATIF.


En Belgique, un recensement décennal sert éga-
lement de point de départ à la répartition des dépu-
tés. La loi du 7 mai 1866 accorde un représentant à
chaque groupe de 40,000 habitants. La circonscrip-
tion électorale est l'arrondissement ; mais le mode
(le scrutin est le scrutin de liste. Cette combinaison
ressemble au scrutin de liste mitigé dont plusieu rs
hommes politiques français se sont faits les défen-
seurs I . La province d'Anvers, qui a 480,000 habi-
tants, se divise en trois arrondissements dont cha-
cun nomme, 2, 3 et 4 députés au scrutin de liste.


Les circonscriptions électorales de l'Angleterre
sont loin d'avoir toutes la même importance. Il n'y
a, par exemple, aucune .


ressemblance entre la cir-
conscription d'un comté ou d'un bourg et une uni-
versité, investie du droit d'élection. Nous retrouve-
rons ces différences à propos du mode de votation.
Qu'il nous suffise de dire que les députés envoyés
à la Chambre des Communes par la cité de Londres
et par les bourgs sont élus, les uns au scrutin uni-
nominal, les autres au scrutin de liste.


En Hollande, l'élection a lieu au scrutin (le liste
dans le district, c'est-à-dire dans l'arrondissement.


La Suède a des circonscriptions (l'une nature très-
complexe. Aux termes de l'art. 13 de la loi sur lare
présentation du 22 juin 1866, trois catégories de cir-


' Voy le compte-rendu des séances de la Commission des Trent
(séance du 12 février 1874, proposition de 31. Cbesuel.Jng el de M.
La Rochefoucauld - Bisaccia). — Voy. également l'amendement


JOZOII (séance du 26 novembre 1575) et l'amendement de M.
(séance du 27 novmbre).


e


DE LA CJIAMI31 E DES DÉPUTÉS. 107
conscriptions sont distinguées : «A la campagne, à


laquelle , en matière électorale , sont assimilées
également les villes qui n'ont pas de tribunal à
elles, ainsi que les bourgs, il sera élu un membre




de la Diète par chaque juridiction (domsaga).
» Quant auxjuridictions qui dépassent40,000 âmes,


le roi les divisera, autant que faire se pourra, par
districts (/tœrad) en deux circonscriptions (val-


» kretsar), qui éliront chacune un membre de la.


Diète. Dans chaque ville dont la population est
de 10,000 habitants et au dessus, il est élu un
membre de la Diète par nombre complet de
10,000 habitants. Pour les autres villes qui ont
leur propre tribunal, il sera créé, pour la première
fois par le roi, et ensuite tous les dix ans par la
Chambre, des circonscriptions électorales, sépa-
rées; autant que faire se pourra., par provinces,




lesquelles éliront chacune un membre de la Diète.
Chacune de ces circonscriptions devra contenir
une population d'au moins 6,000 habitants et de
12,000 au plus. »
En Norwége, la loi du 26 novembre 1859 accorde


37 députés aux circonscriptions urbaines et 74 aux
districts ruraux.


On sait que la législation électorale de l'Autriche
organise le vote par catégories d'électeurs (loi du
2 avril 1873). Il àrem arquer que cette organisation
se combine avec le scrutin de liste. « Pour l'élection
des' députés attribués à la catégorie de la. grande pro-
priété foncière, dit l'article I", les terres qui rentrent


• 1
tiT


e




108 POUVOIR LÉGISLATIF.
dans cette catégorie, d'après l'ordonnance territoriale
de chaque pays, forment, sauf les exceptions spéci-
fiées à l'article 2, une seule circonscription électorale,
et les électeurs de chaque circonscription un seul
collège électoral. »


En général , les électeurs autrichiens de la caté-
gorie, des villes forment un seul collège électoral. On
cite, à titre d'exception, Trieste qui en a trois. Les
chambres de commerce forment tantôt un collège
spécial , tantôt sont jointes aux circonscriptions des
villes. Les circonscriptions rurales sont formées d'un
certain nombre de circonscriptions judiciaires.


C'est le Pouvoir exécutif qui est chargé de convo-
quer les collèges électoraux. L'intervalle entre la
promulgation du décret et l'ouverture des collèges
électoraux est de vingt jours au moins (décret du
2 février 1852, art. 4). Le Journal officiel, le Rulletin
des lois et les Affiches administratives donnent au
décret de convocation une large publicité.


A partir de la promulgation du décret de convoca-
tion d'un collège, la période électorale est ouverte.
Les réunions électorales peuvent avoir lieu et se re-
nouveler jusqu'au cinquième jour avant celui qui est.
fixé pour l'ouverture du scrutin (loi du 6 juin 1868).
Le but de ces réunions est de permettre aux élec-
teurs de s'éclairer sur l'esprit et les intentions des
candidats, aussi bien que sur les titres et les apti-
tudes qui peuvent les recommander à la confiance
publique. L'existence de l'état de siège n'est pas sans


DE LA CIIAMBRE DES DÉPUTÉS. 109
influer sur la tenue des réunions publiques. Aux
termes de la loi de 1849, l'autorité militaire, dans
les lieux soumis à l'état de siége, ale droit « d'inter-
dire les publications et les réunions qu'elle juge de
nature à exciter ou à entretenir le désordre » . C'est
encore sous le régime de l'état de siége que se sont
bites les dernières élections législatives dans les dé-
partements de la Seine , de Seine-et-Oise, du Rhône
et des Bouches-du-Rhône. La loi du 29 décembre
1875 l'avait levé dans tous les autres départements.


Les réunions électorales ne peuvent être compo-
sées que des électeurs de la circonscription et des
candidats. Par une disposition tirée peut-être des
lois anglaises , chaque réunion doit être précédée
d'une déclaration signée de sept personnes domici-
liées dans la commune où l'élection doit avoir lieu ,
et indiquant les noms , qualités et domiciles des dé-
clarants, le local, le jour et l'heure de la réunion,
ainsi que l'objet spécial et déterminé de la réunion
(loi du 6 juin 1868, art. l er). La déclaration est faite,
à Paris, au préfet de police ; dans les départements,
au préfet ou sous-préfet. Toute réunion doit se tenir
dans un local clos et couvert et être dirigée par un
bureau composé d'au moins trois personnes. Enfin,
l'administration a le droit de se faire représenter par
un délégué, qui peut dissoudre la réunion si elle de-
vient tumultueuse ou si la discussion s'égare.


L'article 3 de la loi électorale en vigueur porte
que , « pendant la durée de la période électorale, les
manifestes et professions de foi signés des candi-




110 POUVOIR LÙGISLATIE.


dais, les placards et manifestes électoraux signés
d'un ou plusieurs électeurs, pourront , après dépôt
au parquet du procureur de la République, être affi-
chés et distribués sans autorisation préalable


».


Une circulaire ministérielle I explique que «
munité concédée par cet article ne concerne que
les écrits qui ont directement trait à l'élection et
qui recommandent une candidature déterminée.
En dehors de ces cas, les imprimés, brochures
et proclamations ne peuvent être affranchis des
règles du droit commun. »
La distribution des bulletins de vote n'est pas


soumise à la formalité du dépôt au parquet.


Quand le jour désigné dans le décret de convoca-
tion pour l'ouverture des colléges électoraux est ar-
rivé, les électeurs se rendent à la section que le
maire a indiquée par voie d'affiches, afin d'y expri-
mer leurs suffrages. Le bureau de chaque collège ou
section est composé d'un président, de quatre asses-
seurs et d'un secrétaire 2 , choisis parmi les élec-
teurs. Dans les communes où il n'y a qu'un bureau,
la présidence apparlient au maire. S'il y a plusieurs
bureaux, le maire préside le premier et l'adjoint le
second. A défaut d'adjoint et de conseiller muni-
cipal , le maire peut désigner un président parmi
les électeurs sachant lire et écrire. Les assesseurs


' V o


. la Gazette des tribunaux du 28 février 1.876.
2 La fonction de ce dernier consiste principalement à rédiger le


procès-verbal.


DE LA CHAMBRE DES Dlh'UTES. 111


peuvent être également des conseillers municipaux
ou des électeurs choisis parmi les plus jeunes el les
plus âgés.


Le président a la police de l'assemblée. En cas
de tumulte, il peut lever la séance et l'ajourner à une
autre heure. Un certain pouvoir judiciaire est con-
féré au bureau pendant la durée des opérations
électorales. Il statue, sauf appel devant le conseil de
préfecture, sur toutes les difficultés qui s'élèvent à
l'occasion du vote.


Le scrutin ne peut durer qu'un seul jour. 11 a lieu


un dimanche, autant que possible , et reste ouvert
depuis huit heures du matin jusqu'à six heures
du soir.


Nul, dit l'article 18 de la loi du 30 novembre,
n'est élu, au premier tour de scrutin s'il n'a réuni :
1° la majorité absolue des suffrages exprimés, 2° un
nombre de suffrages égal au quart des électeurs
inscrits. Au deuxième tour, la majorité relative suf-
fit; en cas d'égalité de suffrages, le plus âgé est élu.
Ce deuxième tour de scrutin continue à avoir lieu ,
comme le prescrit l'article 6 de la loi de 1849, le
deuxième dimanche qui suit le jour de la proclama-
tion du résultat du premier scrutin.


Nous avons tracé, en quelque sorte, le cadre des
opérations électorales. Montrons maintenant com-
ment s'expriment les suffrages, comment s'opère le
dépouillement du scrutin et quelles conditions sont
nécessaires à sa validité.




112 POUVOIR LEGISLATIF.
Après l'ouverture du procès-verbal par le secré-


taire du bureau, on procède à la réception des bul-
letins de vote. L'électeur présente d'abord la carie
qui lui a été délivrée par le maire, et qui constate
l'identité, le domicile et l'âge du citoyen. Un des
assesseurs la prend, en déchire un coin et la rend
ensuite à l'électeur pour qu'il l'emploie au deuxième
tour de scrutin s'il y a lieu. Le président introduit le
bulletin de vote dans la boîte qui est déposée devant
lui et dont il a l'une des clefs. En même temps, le
vote de chaque électeur est constaté sur la liste, en
marge de son nom, par la signature ou le paraphe
d'un des membres du bureau.


Ces garanties dont le secret du vote est entouré
par les lois , circulaires et décrets n'ont pas paru
suffisantes à quelques-uns des législateurs de 1875.


On a soutenu notamment que les bulletins imp•i-
més dévoilaient presque toujours le secret du vote,
par la forme du papier ou sa transparence. Cette
circonstance, surtout dans les petites localités, où les
yeux de plusieurs personnes sont ouverts pour sa-
voir comment votent l'ouvrier ou le petit cultivateur,
pouvait être de nature à exercer une intimidation
fréquente et réelle sur les électeurs. En conséquence,
on proposait le vote facultatif sous enveloppe.
L'amendement qui contenait cette innovation fut
adopté lors de la deuxième lecture de la loi 1 ; mais,
à la troisième délibération (séance du 24 novembre),


Séance du 12 novembre I575 (amendement Corne).


DE LA CHAMBRE DES DEPUTES.
13


le paragraphe fut supprimé, sauf ces quatre mots,
qui contiennent l'énonciation du principe : « Le vote
est secret. » Le scrutin étant déclaré clos par le pré-
sident, il est procédé au dépouillement. Quand le
nombre des votants a dépassé le chiffre de 300 , le
bureau désigne parmi les électeurs présents un
certain nombre de scrutateurs sachant lire et écrire,
lesquels Sont divisés par tables de quatre au moins.
Les bulletins sont répartis entre les diverses tables,
et l'on fait le relevé des suffrages. Quand les scru-
tateurs ont terminé les relevés, ils les remettent au
bureau, avec les bulletins c[ui auraient donné lieu à
contestation. Le bureau procède au dépouillement
général du scrutin , en présence de l'assemblée ;
puis le résultat, arrêté et signé par le bureau, est
porté par le président au bureau de la première sec-
tion. On annexe au procès-verbal, sans les faire en-
tre• en compte, les bulletins blancs ou illisibles, ceux
qui ne contiennent pas une désignation suffisante,
ou portent une qualification inconstitutionnelle.


Pour chaque circonscription électorale, le recen-
sement général des votes se fait au chef- lieu du
département, en séance publique et par les soins
d'une commission composée de trois conseillers gé-
néraux. A Paris, la commission est portée à cinq
membres, que désigne le préfet de la Seine (décret
du 2 février 1852, art. 34). La commission de re-
censement examine l'ensemble des opérations élec-
torales et rédige un procès - verbal contenant ses
observations. Le président, que la commission




'114 POU VOIR T.S:oisLyriF.
nomme elle-même, fait ensuite connaître le résultat
aux électeurs présents, et proclame députés ceux qui
ont satisfait aux conditions légales'. Un certain
nombre de pénalités ont élé édictées par la loi du
30 novembre pour la répression des fraudes électo-
rales. Comme ces dispositions sont, en grande partie,
empruntées aux lois antérieures, nous nous borne-
rons à les rappeler sommairement.


Il est interdit à tout agent de l'autorité publique
ou municipale de distribuer des bulletins de vote,
professions de foi et circulaires des candidats. Celte
prohibition risquait fort de rester platonique et dé-
pourvue de sanction, surtout après le rejet d'un
amendement par lequel on avait proposé 2 d'em-
prunter au décret du 2 février 1852 son article 39
qui punit certaines fraudes électorales d'un em-
prisonnement d'un mois à un an et d'une amende de
500 francs à 1,000 francs, sauf application de l'ar-
ticle 463 du Code pénal, qui permet d'abaisser l'a-
mende à 1G francs. Mais, lors de la discussion de
l'article 22, qui est le dernier de la loi électorale, un
député 3 , soutenu par la commission, fit adopter un
article additionnel qui substituait une pénalité plus
douce à celle que l'Assemblée avait repoussée à
propos de l'article 3.


«Toute infraction, dit le paragraphe, aux disposi-


' Voir, pour ce qui concerne le détail des opérations électorales, le
Code electorâ1 de M. Bidault, 1876.


Voy. l'amendement de M. Bozérian, séance du 23 novembre ler).
s M. Humbert, nommé depuis sénateur inamovible.


DE LA ClIAXIBRE DES De.PUTÙS.
115


lions prohibitives de l'article 3 § 3 de la présente loi
sera punie d'une amende de 16 francs à 300 francs.
Néanmoins le tribunal correctionnel pourra faire
l'application de l'article 463 du Code pénal. »


Un autre paragraphe additionnel déclare que
« les dispositions de l'article 6 de la loi du 7 juillet
1874 seront appliquées aux listes électorales poli-
tiques ».


Voici comment est rédigé cet article 6 de la loi
municipale : « Ceux qui , à l'aide de déclarations
frauduleuses ou de faux certificats , se seront fait
inscrire indûment sur une liste électorale; ceux qui,
à l'aide des mêmes moyens, auront fait inscrire ou
rayer, tenté de faire inscrire ou rayer indûment un
citoyen , et les complices de ces délits, seront pas-
sibles d'un emprisonnement de six jours à. un an
et d'une amende de 50 à 500 francs. Les coupables
pourront en outre être privés pendant deux ans de
l'exercice de leurs droits civiques. L'article 463 du
Code pénal est, dans tous les cas, applicable. »


Dans les pays de suffrage universel, le mécanisme
des opérations électorales se rapproche tellement du
système français qu'une étude comparative offrirait
peu d'intérêt. En Suisse, par exemple, il faut, comme
en France, réunir au premier tour la majorité absolue
des suffrages et le quart du nombre total des élec-
teurs inscrits. Le vote est également secret. Les élec-
tions pour le Reichstag allemand se font d'après des
règles sensiblement analogues. Aux États-Unis, le




1.16 POUVOIR LÉGISLATIF.
lieu , l'époque et la forme des élections diffèrent sui-
vant chaque État. Toutefois l'Un i o n . a établi certaines
règles qui sont communes à tous les États. Ainsi,
l'acte du 3 mai 1872, modifiant l'article 19 de la loi
du 31 mai 1870, porte que « tous votes pour les dé-
putés au Congrès seront donnés à l'avenir par bul-
letin écrit ou imprimé, nonobstant toute loi contraire
des États; tous votes reçus et comptés en viola Lion des
dispositions du présent article seront de nul effet l ».


La législation électorale de la confédération Ar-
gentine est plus curieuse à étudier que les précé-
dentes, bien qu'elle admette aussi le suffrage uni-
versel. Aux termes de la loi du 25 septembre 1873,
l'ouverture des assemblées électorales a lieu sous le
portail de l'église paroissiale ou du tribunal supé-
rieur territorial. Il n'entre dans le lieu du vote qu'un
citoyen à la fois, qui dépose son vote, en montrant
son bulletin d'inscription. Tout citoyen désigné pour
faire partie d'un bureau électoral qui ne s'y rend pas
est passible d'une amende de 200 pesos forts ou d'un
mois de prison. La confédération Argentine interdis
toute réunion de troupes le jour du vote. Cette crainte
de l'intimidation exercée par des troupes armées
sur les électeurs se retrouve chez plusieurs peuples,


Inlalgré cette loi, des écrivains contemporains, comme M. Jaunet
(Les .1),'Ials-Unis contemporains, in-12, Paris, Pion), accusent les
électeurs de l'Amérique de vendre souvent leurs voix aux deux candi-
dats en présence, et de voter pour les deux. Il suffirait de faire cons-
tater sou identité par témoins, dans chaque bureau, pour are admis
à voter; Le même auteur affirme que des électeurs habiles arrivent à
voter douze ou treize fois dans la même journée, et se transportent
même d'un Etat clans un autre par trai i express.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
117


et particulièrement chez les Anglais. En Angleterre,
la veille du jour fixé pour l'élection, tous les mili-
taires de la garnison doivent être éloignés à la dis-
tance de deux milles au moins et ne peuvent rentrer
dans la ville que le lendemain du vote.


La législation électorale des pays censitaires et de
ceux où existe le suffrage à deux degrés présente
tout. naturellement un plus grand contraste avec la
réglementation usitée en France. Afin de ne pas mul-
tiplier des détails dont l'accumulation semblerait
peut-être indigeste , nous n'insisterons que sur les
points caractéristiques. En ce qui concerne les États
où fonctionne le suffrage à deux degrés , les expli-
cations précédemment fournies sur la nomination des
électeurs secondaires par les électeurs primaires nous
permettront de nous occuper exclusivement ici de l'é-
lection des députés par les électeurs du second degré.


On a beaucoup parlé des élections anglaises et
des abus qu'elles engendrent. Certes, il ne faudrait
pas les juger à travers les prismes grossissants des
romanciers ou des dramaturges. Néanmoins ces es-
pèces de foires d'élections, auxquelles rien ne man-
quait, pas même le tréteau où parade le candidat ,
ces votes à main levée , ces rixes, ces scènes de vio-
lence ou de corruption qui se produisaient encore il
y a quelques années , tout cela n'était pas de nature
à préconiser l'organisation électorale de nos voisins
d'outre-Manche. Ils le comprenaient eux-mêmes
depuis fort longtemps, car, dès le commencement




118 POUVOIR LÉGISLATIF.
du siècle, quelques voix se faisaient entendre à la:
Chambre des Communes pour réclamer le scrutin
secret. Mais c'est seulement en 1867 que l'idée fut
réellement mise à l'ordre du jour et qu'on entra dans
la voie des réformes pratiques. A cette époque, une
commission fut nommée pour étudier la question ;
et, au début même de la session de 1871, M. Glads-
tone déposait un projet de loi. pour substituer le vote
secret au scrutin public. Adopté par la Chambre des
Communes, le bill fut rejeté par la Chambre des
lords ; mais, l'année suivante, l'assemblée aristo-
cratique se résigna à laisser passer la réforme, avec
cette réserve que le vote secret resterait facultatif.
La Chambre des Communes trouva cette exigence
inacceptable , et une transaction intervint par suite
de laquelle le scrutin secret fut déclaré obligatoire ;
mais il était stipulé que la durée d'application de la
loi serait limitée à huit années'. La loi du 18 juillet
1872 assujettit tout candidat à se faire présenter par
deux citoyens inscrits sur la liste électorale du comté
ou du bourg et par huit autres électeurs adhérents.
11 n'est pas nécessaire que cette présentation ait lieu
sur la demande ou même du consentement du can-
didat ; seulement les présentateurs assument la res-
ponsabilité des dépenses de l'élection, clans le cas
où le candidat refuserait de payer. Les bulletins sont
fournis par le gouvernement. Ils portent les noms et
prénoms des candidats, ainsi que l'indication de sa


Voy. le. texte de la loi de 1872, et la Notice de M. Picot daus
• Aimuaire de la Socac; de léoislalion comparée pour 1872.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 119
profession. Le numéro de l'électeur est inscrit, au
clos du bulletin qu'on détache d'un registre à souche
où le même numéro est reproduit. C'est là un moyen
de retrouver l'électeur, en cas de besoin. On a voulu
ainsi corriger, en quelque manière, le secret du vote.
Avant le ballot (tel, l'élection avait lieu dans une
prairie. Aujourd'hui elle. kt lieu clans une salle, di-
visée en autant de compartiments qu'il y a de fois
•50 électeurs. Après avoir fait timbrer son bulletin
et pointer son numéro sur la liste, l'électeur se rend
dans son compartiment, et y trouve un crayon avec
lequel il fait vie croix dans l'espace laissé en blanc
à la. droite de son nom ; puis il met son bulletin plié
dans la boîte du scrutin, en présence du président.
Une telle réglementation vaut assurément mieux que
les pratiques anciennes de l'Angleterre qui voulaient
que l'élection eût lieu par la levée des mains ou, en
cas de contestation, par l'inscription publique des
suffrages sur un registre spécial. Cet aperçu serait
incomplet si nous négligions de parler du returning
°Meer ( ou magistrat commissaire d'élections) , qui
est chargé, dans chaque circonscription , de sur-
veiller et de diriger les opérations. Cet officier prête
entre les mains du juge de paix le serment de proté-
ger le secret du vote. Les agents subalternes prêtent
le même serment entre les mains du returning °Meer.


Des dispositions très-sévères sont établies pour
réprimer les fraudes électorales. Ceux qui falsifient
le scrutin en détruisant les bulletins, ou en les enle-
vant frauduleusement de la salle du vote, sont pas-




120 POUVOIR LÉGISLATIF.
sibles de six mois d'emprisonnement avec ou sans
travail pénible. Les mêmes peines frappent les fonc-
tionnaires qui tenteraient d'intervenir auprès d'un
électeur en train d'écrire son vote.


Nous venons de voir que la loi anglaise autorisait
la fourniture des bulletins par le gouvernement. Mais
l'emploi de ces bulletins est facultatif. La loi belge va
plus loin : elle charge le gouvernement de fabriquer,
timbrer et tarifer les bulletins de vote. La forme en
est indiquée par la loi de 1872, dont l'article 96
porte : « Le prix du papier électoral est fixé par ar-
rêté royal. »


A l'inverse , il y a des pays où le gouvernement,
loin de fournir aux électeurs des bulletins imprimés,
exige au contraire que les bulletins soient écrits et
signés de la main de l'électeur : telle est, par exem-
ple, la règle adoptée par le Wurtemberg. Le même
rant aU torise le vote par mandatai re quand l'électeur
est retenu par les occupations de son emploi. En Au-
triche, le vote par procuration est autorisé d'une
manière absolue pour les électeurs de la classe A
(grande propriété foncière).


La législation hongroise du 26 novembre 187•,
qui a remanié tout le droit électoral du pays , nous
offre des particularités plus importantes. C'est le mi-
nistre de l'intérieur qui fixe un délai de dix jours pour
les élections générales. La publication de l'arrêté
ministériel qui détermine l'époque électorale doit
précéder de vingt jours au moins. Chaque commis-


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 121


sion centrale' fixe, dans le délai de dix jours, l'époque
des élections générales (le son ressort, de façon tou-
tefois que celles d'une même circonscription ou
d'une même ville aient lieu toutes le même jour ; elle
détermine également le jour des élections complé-
mentaires, sans toutefois que le délai entre la récep-
tion (le la décision du parlement et le jour de l'élection
puisse être moindre de quatorze jours et supérieur à
vingt-quatre jours. L'élection se fait toujours au chef-
lieu du district , lors même qu'il y aurait plusieurs
comités de scrutin.


Il est prescrit aux électeurs de se rendre sans
armes ni cannes au lieu du vote ; et cette disposition
n'était pas inutile, eu égard au tempérament belli-
queux des Hongrois. Lorsqu'une demi-heure après
l'ouverture du vote il n'a été présenté qu'un seul can-
didat, le président du collége déclare le vote terminé
et proclame le candidat député élu du district. Si,
au moment indiqué , plusieurs candidats ont été
désignés et que dix électeurs demandent la votation,
elle doit être ordonnée par le président du collége ;
elle commence à neuf heures du malin devant les
comités de scrutin et est continuée sans interruption.


Celte prolongation indéfinie du scrutin, cette re-
marquable patience à attendre l'électeur qui se fait
prier, ne sont pas une des moins singulières pres-
criptions de la loi hongroise. Il n'y a pas bien long-


' Nous avons déjà. dit que la commission centrale des Hongrois
était une commission nominée par l'assemblée de district pour ere-
skier à toutes tes opérations du vote.




122 POUVOIR LÉGISLATIF.
temps qu'on a vu des élections se prolonger plusieurs
jours, notamment en Transylvanie : de là des rixes et
des scènes violentes qui, à la faveur (le la nuit, pre-
naient souvent une regrettable gravité.


Les vieux usages ont acquis une telle force dans ce
pays, que l'autorité n'a pas osé les aborder de front.
Elle a pris un biais, en établissant des sections de
vote pour 1,500 électeurs, de manière à permettre à
tout le monde de voter dans la même journée. Le
législateur a dû également chercher les moyens d'em-
pêcher les rixes entre les partisans des candidats
rivaux. Dans cet honnête dessein, l'article 75 de la
loi dispose que les électeurs de la même commune
ou du même quartier voteront séparément, suivant
le candidat pour lequel ils se prononcent ; de plus,
les communes ou quartiers sont admis au vote dans
l'ordre fixé par la commission centrale. Malgré ces
palliatifs, la loi hongroise a conservé beaucoup des
vieilles traditions. Ainsi, elle maintient le vote publie
et verbal, tout en laissant aux districts la faculté
d'opter pour le vote secret. Mais le caractère national
regarde comme un manque de loyauté le secret du
suffrage ; et c'est à peine si trente districts sur quatre
cents ont profité de la latitude offerte par la loi.


Signalons, à Litre de dernière particularité , le
silence gardé par la loi hongroise sur le chiffre de
votants nécessaire à la validité des opérations.
Aucune des lois modernes, cro yons-nous, n'offre une
pareille lacune. Il en résulte que le député hongrois
est souvent élu par une infime minorité.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTES. 123
Un jurisconsulte du pays ' cite un district de sept


à huit cents électeurs dont le représentant aurait dû
son mandat aux deux voix de son frère et de son
beau-frère. Tels sont les principaux traits d'une légis-
lation électorale qui, par son originalité, méritait
d'être analysée avec quelques développements.


CHAPITRE V.


LES ÉLUS.


Nature du mandat.— Question du mandat impératif. — Serment._
Renouvellement partiel ou intégral. — Durée du mandat. — Dé-
mission. — Décès. — Option. — Traitement accordé aux. députés.
— Inviolabilité. — Droit comparé.


La première question qui se présente, à propos
des citoyens élus par la nation pour la représenter,
est celle de savoir quelle est précisément la nature
du mandat dont ils sont investis.


On peut concevoir et on 'conçoit de deux manières
la délégation législative. Dans un premier système
politique, on attribue, une fois pour toutes, au re-
présentant le droit de défendre les intérêts et d'in-
terpréter à sa guise les voeux du représenté, sans
lui imposer la moindre obligation de rendre compte
à. ses électeurs jusqu'à l'expiration du mandat. On
proclame le député représentant du pays tout entier
et non d'une circonscription déterminée. On le livre,


' Annuaire (le la Société de législation comparée, 1874.




124 POUVOIR LÉGISLATIF.
en un mot, à sa conscience ; on ne lui demande pas
un seul engagement.


Dans un second système, on fait remarquer qu'il
y a un moyen terme entre l'indépendance absolue
du représentant et le gouvernement direct par le
peuple, dont le principe est posé dans l'acte cons-
titutionnel de 1793. Ce moyen terme a été appelé
le « mandat impératif » ou mandat contractuel.
s'analyse dans une injonction faite par l'électeur
au candidat d'avoir à voter au parlement dans un
sens défini sur tel ou tel point qui a -été indiqué
d'avance. L'engagement pris par le candidat est la
condition du choix fait par ses électeurs 1 . Les par-
tisans du mandat impératif invoquent l'autorité de
Montesquieu, qui admet la légitimité « d'une ins-
truction générale donnée par l'électeur à l'élu » ; de
M. 'de Talleyrand, qui pense que « le mandat peut
fixer la durée des pouvoirs qu'il donne à son man-
dataire ; les restreindre à certains objets ; exiger que
ce mandat ne s'exerce sur certains points qu'après
que certains autres ont été décidés ». Ils citent avec
M. de Falloux, qui a traité la question en 1846, les
nombreux exemples de mandats impératifs que nous
ont fournis l'Angleterre et d'autres États. Ils rappel-
lent les paroles de Shéridan à ses électeurs, lors du
vote de la septennalité : « Vous me demandez si je


Dans la pratique, nous croyons que cet engagement a presque
toujours eu un caractère tellement général qu'il ne différait pas es-
sentiellement des engagements spontanés que les candidats ont cou-
tume de prendre dans leurs professions de foi.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 125
veux comparaître devant vous tous les trois ans ? Je
comparaîtrai devant vous tous les trois mois si
vous voulez 1 . » Enfin, ils font remarquer que, si
l'on déclare nul le mandat impératif, il faudrait,
pour être logique, le frapper d'une peine, telle, par
exemple, que l'annulation de l'élection. Or c'est ce
qu'on ne peut pas faire, car le délit n'existe pas, et
le caractère du mandat impératif ne se peut définir
Glue très-difficilement. Le législateur n'atteint qu'un
résultat qui est immoral : il engage celui qui s'est
lié par une promesse envers ses électeurs à violer
cette promesse, déclarée nulle par la loi'.


La loi électorale de 1875 a consacré le premier
des systèmes que nous venons d'exposer. Son ar-
ticle 13 porte « Tout mandat impératif est nul et de
nul effet. »


il n'est pas rare de trouver dans les Constitutions
antérieures de la France des formules analogues.
La Constitution de 1791 disait « Les représentants
nommés dans les départements ne sont pas repré-
sentants d'un département particulier, mais de la
nation entière, et il ne pourra leur être donné aucun




' Rousseau a écrit dans son Contrat social (chap. xv du livre III)
un passage qui semble favorable à la théorie du mandat impératif.
« La souveraineté, dit-il, ne peut être représentée, par la même raison
qu'elle ne peut être aliénée. Elle consiste essentiellement dans la
volonté générale, et la vol nté générale ne se représente point: elle
est la même ou elle est autre : ii n'y a point de milieu. Les députés
du peuple ne sont ∎ 'onc ni ne peuvent être ses représentants; ils ne
sont que ses commissaires : ils ne peuvent rien conclure définitive-
ment. »


Voy. le discours de M. Madier de Montjau (séance du 25 novembre
1815).




126 pouvom LÉGISLATIF.
mandat. » La Constitution de l'an III, clans son ar-
ticle 52, affirme le même principe dans des termes
presque identiques. Enfin la Constitution de 1848
dit encore : « Les membres de l'Assemblée nationale
sont les représentants non du département qui les
nomme, mais de la France entière. Ils ne peuvent
recevoir de mandat impératif. »


Si l'on voulait faire la revue de toutes les disposi-
tions relatives au même point que contiennent les
législations étrangères, on en trouverait peu qui no
prohibent pas le mandat impératif. Les formules res-
semblent beaucoup aux formules françaises. Que dit
la Constitution de l'Empire allemand ? « Art. 29. —
Les membres du Reichstag représentent le pays tout
entier. Ils ne sont liés par aucun mandat ni instruc-
tion. » Et la Charte de Wurtemberg? « Art. 155. —
Le député n'est pas considéré comme député d'un
arrondissement électoral, mais comme le député de
tout le pays. Il ne peut lui être donné aucune instruc-
tion qui le lie dans sa manière de voter à l'assem-
blée des États. »


La grande majorité des Constitutions républi-
caines contiennent implicitement ou explicitement
des prescriptions du même genre. On peut citer, à
titre d'exception , la législation de l'État de New-
Jersey, suivant laquelle un candidat n'est élu qu'a-
près avoir juré « qu'il ne laissera pas porter atteinte
par les tribunaux ordinaires à la sainte juridiction du
jury, qu'il défendra la liberté de la presse et main-
tiendra au-dessus de toute contestation la périodi-


DE LA CUAM BR E DES DÉPUTÉS. 127


cité des élections » . Rossi i n'admet la légitimité du
mandat impératif que clans les pays fédératifs, où le
principe de la souveraineté locale l'emporte sur celui
de la souveraineté nationale. Il ajoute qu'en Amé-
rique les deux principes se balancent. En Suisse, le
premier est prépondérant. C'est ce qui fait dire au
célèbre jurisconsulte qu'en Amérique il y a des
représentants, et en Suisse des envoyés. La Consti-
tution fédérale de 1848 porte cependant que « les
membres des deux conseils doivent voter sans ins-
tructions» (art. 79), et les constitutions cantonales
représentatives proscrivent généralement aussi le
mandat impératif.


11 serait, à coup sûr, excessif de prétendre que le
serment imposé par quelques États aux nouveaux
députés équivaut à un mandat impératif. Les for-
mules de serment qui résultent des textes en vigueur
n'offrent, en général, que des déclarations vagues
et des protestations de fidélité aux pouvoirs consti-
tutionnels de l'État. Voici, par exemple, le libellé
du serment des députés bavarois : « Je jure fidélité


au roi, obéissance à la loi, observation et main-
tien de la Constitution ; je jure de ne conseiller
dans l'assemblée que le bien général du pays,
sans égard à des états ou à des classes particu-
lières, selon ma conviction intime ; aussi vrai
que Dieu me soit en aide et son saint Évangile! »


Cours de droit constilutionned,77 , leçon, IS35-36.— 4 vol., 186G.




428 POUVOIR 1.1:cusi.ATI v
On retrouve souvent dans les serments législatifs


le reflet des moeurs et des traditions des peuples.
Ainsi le serment des députés hellènes porte l'em-
preinte de la doctrine orthodoxe : « Au nom de la
)) sainte, consubstantielle et indivisible Trinité , je
)) jure fidélité à la patrie et au roi constitutionnel,
)) obéissance à la Constitution et aux lois de l'État,


et de remplir loyalement mon mandat. »
Le serment hollandais donne l'idée d'un peuple


positif et riche , qui prend des garanties contre les
tentations pécuniaires qu'on pourrait faire miroiter
aux yeux du député, afin d'influencer son vote : « Je
)) jure fidélité à la loi fondamentale. Ainsi Dieu me


soit en aide ! Je le promets. Je jure que, pour être
)) nommé membre de la seconde Chambre des États-


Généraux , je n'ai donné ni promis, ne donnerai


ni ne promettrai directement ou indirectement,


sous quelque prétexte que ce soit, aucun don ou


présent à aucune personne en place ou hors de


fonctions. Je jure que jamais je ne recevrai de qui


que ce soit, ni sous aucun prétexte, directement
ou indirectement, aucun don ou présent pour faire




ou ne pas faire quoi que ce soit dans l'exercice de
mes fonctions. Ainsi Dieu me soit en aide ! »
Plusieurs des Constitutions antérieures de la


France imposaient aux députés une formule de ser-
ment. Les lois constitutionnelles ne renferment au-
cune prescription de cette nature.


L'article 15 de la loi électorale porte ce (lui suit :


OR L.\ 1:1-1\ AIBRE DES DtiPT I TIS.
1 29


« Les députés son élus pour quatre ans. La Chambre
reno intégralement. »se uv ;
La durée du mandat, ainsi que les procédés de re-


nouvellement, ont beaucoup varié en France depuis
la Révolution.


La Constitution de 1791 fixe à deux années la
durée du mandat ; les députés sont renouvelés par
des élections générales. En '4795, le renouvellement
par tiers et, en 1799, le renouvellement par cin-
quième remplacent le renouvellement intégral. Il
faut relever dans la Constitution de l'an Ill cette par
ticularité que les membres sortants peuvent être
réélus pour une nouvelle législature de trois ans,
mais qu'à l'expiration du second mandat ils doivent
rester trois années avant de poser à nouveau leur
candidature. Sous la Charte de 1814, le renouvel-
lement s'opère chaque année par cinquième. La
Chambre étant alors composée de deux cent cin-
quante- huit députés , le pays était appelé à élire
chaque année une moyenne de cinquante représen-
tants. Ce règlement avait pour but, si l'on en croit
Rossi , d'affaiblir la représentation nationale ; mais,
ce calcul ayant été déjoué , on institua par la loi de
1824 un nouveau système , qui se résumait dans le
renouvellement intégral et septennal. De septennal,
le mandat devint quinquennal avec la. Charte de 1830,
et triennal avec la Constitution de 1848. En 1852, la
durée du mandat législatif fut portée à six ans. L'As-
semblée nationale de 1871, dont le mandat n'avait
pas été limité, s'estséparée volontairement après le


9




430 POUVOIR LÉGISLATIF.
vote des lois constitutionnelles. Elle a vécu près de
cinq ans.


Les Constitutions étrangères se partagent entre les
deux systèmes du renouvellement intégral et du re-
nouvellement partiel.


La. seconde Chambre est renouvelée par des élec-
tions générales tous les deux ans aux États-Unis ;
tous les trois ans en Prusse, en Suède, en Norwége,
en Danemark. Le Conseil national de la Suisse, le
Reichstag allemand sont également nommés pour
trois années. Lc terme de quatre ans est adopté, sans
parler de la France , par la Grèce , le Portugal , la
confédération Argentine, le Brésil ; celui de cinq ans
par l'Italie , celui de six ans par le Wurtemberg et
la. Bavière, enfin celui de sept ans par l'Angleterre et
l'Autriche.


Peu de pays ont changé . aussi fréquemment que
l'Angleterre la durée du mandat législatif. Le bill
de 1641 avait rendu le Parlement triennal ; mais il
fut aboli sous Charles II, en 1664, comme portant
atteinte à la prérogative royale. Guillaume refusa de
le rétablir. En 1694, on en revint à la triennalité ;
mais , lors de l'établissement de la maison de Ha-
novre, le Parlement devint septennal. Il l'est encore
aujourd'hui.


Les pays où le renouvellement partiel est en vi-
gueur présentent des différences, non-seulement au
point de vue de la durée du mandat, mais encore au
point de vue de la fraction sujette à renouvellement.


Le renouvellement par moitié, tous lés deux ans.


0E LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
131


s'emploie en Belgique et en Hollande. Le renouvel-
lement par tiers, tous les trois ans, est usité dans le
royaume de Saxe. Le grand-duché de Bade préfère
le renouvellement par quart, tous les deux ans. Indi-
quons en finissant que les Délégations austro-hon-
groises, qui exercent le pouvoir législatif avec l'em-
pereur-roi pour tout ce qui concerne les affaires
communes, sont renouvelées chaque année par les
deux parlements.


La fin naturelle des pouvoirs du député est fixée
par l'expiration légale de son mandat. Toutefois la
plupart des législations accordent au représentant de
la nation le droit de résigner ses fonctions par voie
de démission.


ll v a cependant quelques pays où, par suite de
cette idée que le mandat législatif est, un devoir que
le patriotisme ne permet pas de décliner, on oblige
le candidat élu à occuper son siège. C'est ce qui a
lieu en Suède. La Constitution de ce pays déclare
que nul candidat ne peut refuser le mandat législatif
s'il ne se trouve dans un des cas suivants : 1° être
âgé de plus de soixante ans ; 2° avoir siégé dans trois
sessions ordinaires de la Diète ; 3" présenter un des
cas d'empêchement légitime prévus par le Code.
Quand le refus se produit au moment de l'élection,
les raisons alléguées sont soumises au magistrat qui
dirige les opérations électorales. Si la démission est
donnée dans l'intervalle des sessions, elle est déférée
à l'appréciation du gouvernement provincial ; si elle




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134 POUVOIR LÉGISLATIF".
Aussi les Constitutions républicaines accordent-


elles presque toujours des indemnités aux représen-
tants, et il en est de même de la majorité des mo-
narchies constitutionnelles.


En Suisse, les membres du Conseil national re-
çoivent de la caisse fédérale des jetons de présence
représentant 7 francs par jour. Aux États-Unis , les
membres du Congrès touchent 5 mille dollars par an,
soit environ 25,000 francs; en outre, on leur alloue
une indemnité à titre de remboursement des dé-
penses de voyage faites en allant à Washington et
en retournant chez eux. Il a même été question de
changer le siége du gouvernement pour que les dé-
putés qui viennent de loin aient à présenter une
moins grosse note. La confédération Argentine ac-
corde 1,600 francs par mois aux députés. Dans cer-
tains pays, l'indemnité se borne aux frais de voyage
et de séjour, comme en Prusse et en Norwége , et
même est supprimée , comme dans la Saxe (loi du
12 octobre 1874 — art. 120 modificatif' de la Charte
de 1831), quand le député habite au lieu oit se réu-
nit le Landtag . Cette dernière disposition se retrouve
dans la Constitution belge. Mais ici l'indemnité est
fixée à une somme ronde ( 200 florins par mois ) ,
comme en hollande (2,000 florins par an , on
4,233 fr.), comme en Suède (•,200 riksdales, ou
1,716 fr., par session ordinaire) , comme en Grèce
(2,000 drachmes, ou 1,800 fr., par session). Au Bré-
sil, l'indemnité pour frais de voyage se combine avec


DE LA CHAMBRE DES ',Érin-És. 135
un traitement fixe qui est déterminé dans le cours de
la législature précédente.


Enfin, d'autres législations consacrent la gratuité
absolue du mandat. C'est ce qui résulte des lois an-
glaises et de la Constitution de l'Empire allemand.
On comprend la disposition pour le Parlement bri-
tannique, oit l'aristocratie de la naissance et de la
richesse joue un si grand rôle ; mais il nous paraît
malaisé de concilier la gratuité du mandat législatif
avec le régime du suffrage universel qui préside aux
élections pour le Reichstag allemand. En 1873, le
Reichstag, comprenant lui-même que cette ano-
malie devait disparaître, avait voté l'abrogation de
l'article 32 de la Constitution de l'Empire qui établit
la gratuité du mandat; mais le Conseil fédéral n'a
pas sanctionné la réforme.


En Italie, les fonctions de député sont entière-
ment gratuites ; mais les membres du Parlement
jouissent du privilége de circuler sans payer sur les
chemins de fer et sur les paquebots. On prétend
même, au-delà des Alpes, que cette grain i té de circu-
lation porte les députés italiens à s'absenter trop
fréquemment.


L'article 17 de la loi électorale française porte
que les députés recoivent une indemnité ; et l'ar-
ticle 26 de la loi organique sur les élections des sé-
nateurs déclare que l'indemnité est la même pour les
membres des deux Chambres. Elle s'élève aujour-
d'hui à 9,000 francs. C'était Le chi lire auquel on s'é-
tait arrêté en 1848. Les membres de l'Assemblée na-




136 POUVOIR LÉGISLATIF.
tionale de 1871 recevaient également 9,000 francs
de traitement.


Il n'en a pas toujours été ainsi dans les diffé-
rentes périodes de notre histoire nationale. Ainsi, la
Constitution de l'an III accordait aux membres du
Corps législatif (art. 68) une indemnité représentant
la valeur de trois mille myriagrammes (le froment
(613 quintaux 32 livres). Cette valeur, qui, au cours
de 18 francs l'hectolitre, donnait 7,200 francs, variait
en raison des mercuriales. A partir de l'an VI (loi du
29 thermidor), les députés touchèrent, de plus, une
somme fixe de 330 francs par mois , pour frais de
logement, de bureau et entretien du costume qu'ils
recevaient gratuitement de l'État. Enfin ils avaient
droit à 5 francs par poste, pour frais de voyage ou
do déplacement, et à une indemnité d'un chiffre va-
riable qui devait tenir lieu de franchise postale (loi
du 5 frimaire an VI).


La Constitution de l'an VIII fixait à 10,000 francs
le traitement des membres du Corps législatif. Mais,
en d'autres temps, sous la monarchie de Juillet par
exemple , le mandat était gratuit. L'article 67 de la
loi électorale du 19 avril 1831 est conçu en ces ter-
mes : « Les députés ne reçoivent ni traitement ni
indemnité. »


Nous avons indiqué plus haut quel était le chiffre
de l'indemnité en 1848-49. La Constitution de 1852
disait formellement « que les députés ne reçoivent
aucun traitement » (art. 37) ; mais on ne tarda pas
à revenir sur ce principe économique. Le sénatus-


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 137
consulte du 25 - 30 décembre 1852 accorda aux
députés une indemnité de 2,500 francs par mois
pendant la durée de chaque session , et le sénatus-
consulte du 18-22 juillet •1866 porta le chiffre à
12,500 francs pour chaque session législative ,
quelle qu'en fût la durée.


Lors de la discussion de la loi électorale de 1875,
on amendement 1 , s'appuyant sur la disposition cons-
ti lutionnelle qui fixe à cinq mois la durée (les ses-
sions, avait proposé de réduire à 6,000 francs le
traitement législatif ; mais cet amendement a. été
repoussé , « par cette raison qu'il n'était ni possible
ni convenable pour les membres de l'Assemblée
nationale de fixer à une somme différente de celle
qu'ils avaient reçue l'indemnité à donner à leurs
successeurs ».


Les députés étant, pour une fraction, dépositaires
de la souveraineté nationale , ils ont évidemment
droit au bénéfice de l'inviolabilité. Aussi la Consti-
tution& 1791, qui, pour la première fois, consacrait
les droits de la nation, a-t-elle garanti aux repré-
sentants ce précieux privilége.


« Les représentants 2 de la nation, dit-elle, sont
inviolables : ils ne pourront être recherchés, accusés
ni jugés en aucun temps, pour ce qu'ils auront dit,


' Voy. le compte-rendu de la séance du 12 novembre Iii (amen
-dement Repasse).


= HI, chap. r, sect. ', art.




138 POUVOIR LÉGISLA
écrit ou fait dans l'exercice de leurs fonctions de
représentants. »


Après avoir ainsi posé le principe, la Constitution
de 1791 le limite par une restriction fort raisonnable,
qui a depuis passé dans la plupart de nos textes
constitutionnels : « Art. 8. — Ils pourront, pour fait
criminel , être saisis en flagrant délit ou en vertu
d'un mandat d'arrêt ; mais il en sera donné avis,
sans délai , au Corps législatif, et la poursuite ne
pourra être continuée qu'après que le Corps légis-
latif' aura décidé qu'il y a lieu à accusation n


La Constitution de 1793 (art. 43-44) , celle de
l'an III (art. 110 à 112), reproduisent presque iden-
tiquement les prescriptions de 1791 relativement à
l'inviolabilité des députés. La législation de l'an Ill
ajoute qu'un membre du Corps législatif ne peut être
traduit devant aucun autre tribunal que la haute cour
de justice. Le conseil des Cinq-Cents propose la
mise en jugement et le conseil des Anciens la décrète.


Sous le régime de l'an VIII, les délits personnels
commis par un membre du Corps législatif sont
poursuivis devant les tribunaux . ordinaires , après
qu'une délibération du corps auquel l'accusé appar-
tient a autorisé cette poursuite.


La Charte de 1814 déclare qu'aucun membre de


' C'est. dans la séance du 23 juin que, fut proclamé le principe de
l'inviolabilité parlementaire. sur la ludion de Mirabeau, qui avait
(lit : « Assurons notre ouvrage en déclarant inviolable la personne
des députés aux fe.trit:,-Généraux. Ce n'est pas manifester une crainte,
c'est agir avec prudence, c'est un frein couse le couse ils violents
qui assiégent le trône. »


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 139
la Chambre ne peut, pendant la durée de la session,
être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf
le cas de flagrant délit, qu'après que la Chambre a
permis la poursuite (art. 52).


La Charte de 1830 reproduit textuellement la
même disposition (art. 44).


Elle se retrouve encore clans la Constitution de
1848, avec l'addition suivante : « En cas d'arrestation
pour flagrant délit, il en sera immédiatement référé
à l'Assemblée, qui autorisera ou refusera la. conti-
nuation des poursuites. Cette disposition s'applique
au cas où un citoyen détenu est nommé représen-
tant » (art. 36 in fine).


La loi sur les rapports des pouvoirs publics du
16 juillet 1875 consacre à nouveau le principe de
l'inviolabilité législative :


« Art. 13.— Aucun membre de l'une ou de l'autre,
Chambre ne peut être poursuivi ou recherché à
l'occasion des opinions ou votes émis par lui clans
l'exercice de ses fonctions. »


« Art. 14.— Aucun membre de l'une ou de l'autre
Chambre ne peut , pendant la durée de la session ,
être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou
correctionnelle qu'avec l'autorisation de la Chambre
dont il fait partie , sauf' le cas de flagrant délit. La.
détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou
de l'autre Chambre est suspendue pendant la session,
et pour toute sa durée si la Chambre le requiert. »


Le principe de l'inviolabilité parlementaire n'est




140 POUVOIR LÉGISLATIF.
pas établi depuis moins longtemps qu'en France
dans le plus grand nombre des États libres.


La Constitution des États-unis (sec.l. VI, § 1)
porte que. « dans tous les cas , excepté ceux de
trahison, de félonie et de trouble à la paix publique,
les sénateurs et les représentants ne pourront être
arrêtés soit pendant leur présence à la session, soit
en s'y rendant ou en retournant dans leurs foyers ;
dans aucun autre lieu, ils ne pourront être inquiétés
ni interrogés en raison de discours ou opinions
prononcés dans leurs Chambres respectives ».


En Angleterre, oè le sentiment de la liberté indi-
viduelle est si vif et si général, on n'a pas manqué
de protéger l'indépendance des membres du Parle-
ment par des dispositions érigées en coutume, et
qu'il serait impossible de modifier ou de restreindre.
Dès le règne d'Élisabeth , les Communes deman-
daient à la Couronne, au commencement de chaque
session, la liberté de la parole pour le cours de cette
session. Les députés s'assuraient ainsi la certitude
de ne pas comparaître devant le Conseil privé, qt*
ne traitait pas toujours avec des égards suffisants la
prérogative des membres du Parlement. Aujourd'hui
la liberté de discussion peut être considérée comme
absolue dans l'une et l'autre des deux Chambres
britanniques ; nul n'est responsable, sinon devant
la Chambre à laquelle il appartient, des opinions
émises et des discours tenus au sein du Parlement
ou dé ses comités. Toutefois , le membre du Parle-
ment qui fait imprimer et publier ses discours peut


DE LA CHAMBRE DES DEPUTES. 141
être poursuivi devant les tribunaux, comme tout autre
citoyen, conformément aux lois sur les abus de la
liberté de la presse. Quant aux crimes de droit com-
mun dont les membres du Parlement se rendraient
coupables, ils donnent lieu à la procédure usitée
dans les autres pays. Il faut remarquer qu'à l'égard
des embarras pécuniaires et de leurs suites désagréa-
bles, les Pairs sont mieux traités que les membres
des Communes ; car les premiers ne peuvent, même
hors du temps des sessions, être soumis à la con-
trainte par corps, tandis que les seconds ne jouissent
de ce privitége que depuis le quarantième jour pré-
cédant la convocation jusqu'au quarantième jour
suivant la prorogation. — Les députés italiens sont
soustraits à la contrainte par corps durant la session
de la Chambre et dans les trois semaines qui précè-
dent son ouverture ou suivent sa clôture. — Ces dé-
lais de faveur se trouvent, sauf de légères variantes,
dans la Constitution des llellènes.


Il serait monotone de faire la revue de tous les
textes qui consacrent l'inviolabilité•parlementaire
dans les différents États. L'Autriche, la Prusse, la
Belgique, la Bavière, le Wurtemberg, le Brésil,
emploient des formules presque identiques.


La_ législation suédoise est plus intéressante, en
ce qu'elle prévoit certains attentats contre les repré-
sentants qui ne sont pas visés par les autres Consti-
tutions. L'article 110 de la loi constitutionnelle du
royaume de Suède est ainsi conçu « Aucun membre
de la Diète ne pourra être poursuivi, ni privé de sa




142 POUVOIR LÉGISLATIF.
liberté, .à raison de ce qu'il aura fait ou dit en ladite
qualité, à moins que la Chambre dont il est membre
n'autorise cette poursuite par une résolution for-
melle à laquelle au moins les cinq sixièmes des
membres présents auront adhéré. Aucun membre de
la Diète ne pourra non plus être expulsé du lieu où
la Diète est assemblée. Si un individu ou un corps
militaire ou autre, ou une réunion de citoyens de
quelque dénomination que cc soit, entreprend de
son propre mouvement , ou par ordre d'autrui ,
(l'exercer des actes de violence sur la Diète , les
Chambres ou les comités, ou sur quelque membre
particulier de la Diète, ou de troubler la liberté des
délibérations et des résolutions de la Diète, ce fait
sera réputé trahison, et la Diète pourra faire poursui-
vre les infractions selon les prescriptions des lois. »


La suite de cet article dispose que, si un membre
de la Diète est molesté ou injurié dans son voyage
pour se rendre à la Diète ou pour en revenir, on ap-
pliquera la disposition du Code relative aux offenses
dirigées contre les employés du roi dans l'exercice
ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. '143


CHAPITRE VI.


ATTRIBUTIONS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.


Sect. I re . Attributions réglementaires.— Droit de vérifier les pou-
voirs. — Nomination du bureau. — Règlement inférieur. — Police
de la Chambre. — Mesures prises pour $a siireté.— Publicité des
débats. — Droit de recevoir les démissions, d'accorder des congés.


Sect. il. Attributions législatives. — Droit. — Particula-
rités relatives aux lois de finances. — Priorité accordée à la se-
conde Chambre par plusieurs pays pour l'examen et le vote des
lois. — Dérivations du droit d'initiative. — Droit d'amendemeni.
— Droit d'interpellation. — Droit d'enquête. — Adresses. — Péti-
tions. — Confection de la loi. — Ordre et nombre des délibéra-
tions. — Modes de votation. — Majorité exigée pour la validité des
votes.


SECTION I". — ATTRIBUTIONS REGLEMENTAIRES•


Nous avons vu par quel mécanisme le corps au-
quel est remis l'exercice du pouvoir législatif arri-
vait à se constituer. Il nous reste à examiner dans
quelles conditions les représentants du pays exercent
leurs droits ; quelle est la nature et l'étendue de
leurs attributions ; dans quelle mesure et suivant
quels procédés ils expriment la volonté générale,
sous cette forme souveraine qu'on appelle LA.


La première nécessité qui s'impose aux élus, dès
qu'ils se trouvent réunis dans la salle de leurs déli-
bérations, consiste à vérifier la régularité des opé-
rations électorales pour chacun des membres du
parlement. Dans la très-grande majorité des États
soumis au régime représentatif, on s'est rangé à la




théorie suivant laquelle les membres du parlement,
étant investis de la délégation de la souveraineté,
ne peuvent être validés ou invalidés par une autre
juridiction que le parlement lui-même. Mais une
objection se présente immédiatement: De quel droit,
dit-on, une Chambre qui, dès le début de ses tra-
vaux, se compose de députés non encore validés ,
peut-elle statuer sur la régularité de telle ou telle
élection'? Un député dont l'élection n'a pas été véri-
fiée n'a pas qualité pour consacrer ou pour infirmer
l'élection de ses collègues : il s'érige en juge , avant
même de savoir si son propre mandat est valable.


C'est apparemment afin de ne pas donner prise à
une objection de cette nature que la Constitution du
Wurtemberg a organisé un système assez ingénieux
pour mériter qu'on l'expose avec quelques détails.


Dans l'intervalle des sessions des États wurtem-
bergeois, on les remplace par un Comité, dit Comité
des États, qui est chargé d'expédier les affaires ren-
trant dans les attributions de la représentation na-
tionale2Ce Comité comprend 12 membres, savoir :
2 membres de la Chambre des seigneurs, 8 membres
de la Chambre des députés et les présidents des
deux assemblées. Ainsi le Comité des États, malgré
le petit nombre des personnes qui le composent,
représente en somme le pouvoir législatif. Quand
une législature arrive à son terme légal , on lui fait
nommer un Comité des États, comme dans l'inter-
valle des sessions ; et c'est devant la délégation du
parlement ancien que les membres du nouveau


144 POUVOIR LÉGISLATIF. DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 145
Landtag doivent se présenter pour que leurs pouvoirs
soient vérifiés, et validés s'il y a lieu. Lorsque le
Comité a vérifié les deux tiers des élections pour la
Chambre des députés, il avertit le Conseil privé du
roi. Le souverain ouvre alors le Landtag devant les
deux Chambres réunies, sous la présidence du pré-
sident de la Chambre des seigneurs, s'il est nommé,
ou de celui qui était président sous la précédente
législature. A dater de ce moment, les deux Cham-
bres siégent séparément et procèdent à la vérifi-
cation des élections qui restent à examiner. Toute-
fois, si, lors de l'ouverture du Landtag, l'une des
deux Chambres n'est pas en nombre, elle est censée
approuver les résolutions de l'autre Chambre, aux
séances de laquelle ses membres ont le droit d'as-
sister avec voix délibérative, jusqu'à ce qu'ils aient
atteint le nombre exigé pour délibérer séparément.


Ce système n'aurait assurément rien d'illogique,
si le Comité des États ne pouvait comprendre que
des membres de l'ancien parlement ; mais, en vertu
d'une disposition qui fait grand tort au principe, le
roi a la faculté d'adjoindre des délégués au Comité
pour procéder à la vérification des pouvoirs.


La Constitution suédoise tombe dans la même
confusion de pouvoirs, en faisant vérifier les opéra-
tions électorales par les Chambres, sur le.rapport
du ministre d'État et de la justice.


L'Angleterre a trouvé un expédient radical pour
prévenir les invalidations prononcées sous l'in-
fluence des passions de la majorité parlementaire.


10




DE LA CHAMBRE DES D gPCTÉS.
147


L'article 10 de la loi française du 16 juillet 1875,
qui règle les rapports des pouvoirs publics , déclare
aussi que « chacune des Chambres est juge de l'éli-
gibilité de ses membres et de la régularité de leur
élection » .


La vérification des pouvoirs de la Chambre des
députés nommée le 20 février 1876 a été faite con-
formément aux dispositions du règlement de l'As-
semblée nationale, qui, à quelques variantes près,
n'était autre chose que le règlement du 6 juillet 1849,
remis en vigueur par une résolution du 13 février
1871. La Chambre , réunie sous la présidence du
doyen d'âge', a d'abord nommé un président et un
vice-président provisoires, et s'est partagée en onze
bureaux pour l'exa.men des dossiers d'élection. Après
la validation du plus grand nombre des élections non
contestées, la Chambre nomma son bureau définiti f
et se déclara constituée.


Au droit de vérifier les pouvoirs correspond, pour
la Chambre des députés, celui de faire son règlement
et de nommer son bureau, c'est-à-dire ses président,
vice-présidents et secrétaires. Si conforme aux prin-
cipes du gouvernement représentatif que paraisse
cette prérogative, elle a été plusieurs fois refusée à
la Chambre dans notre pays. C'est ainsi que la
Charte de 1814 attribue au roi le soin de nommer le
président de la Chambre des députés , sur une liste


F.-V. Raspail.


146 POUVOIR LÉGISLATIF.
Depuis 1868, elle a érigé en coutume d'ouvrir la
première session de chaque législature sans procé-
der à la vérification des pouvoirs. Le parlement se
décharge sur les tribunaux ordinaires du soin de
trancher les questions relatives aux élections con-
testées et de réprimer les faits de corruption ou de
fraude auxquels donnent lieu les opérations électo-
rales. Le clerk de la couronne se contente de dépo-
ser sur le bureau de la Chambre le livre d'élection
(return book), dont les feuillets contiennent les noms
des candidats élus dans les différents colléges. Le
résultat du scrutin , tel qu'il est proclamé par le
shérif, est tenu pour exact, et l'on procède immédia-
tement à la nomination du speaker.


Sauf ces exceptions, les monarchies parlemen-
taires, et, à plus forte raison, les gouvernements ré-
publicains, laissent aux Chambres le droit absolu de
vérification, sans intervention des agents du pouvoir
exécutif.


« Chaque Chambre, dit la Constitution des Ela' s-
Unis (art. t er , sect. V), sera juge des élections et des
droits et titres de ses membres. Une majorité de
chacune suffira pour traiter les affaires ; mais un
nombre moindre que la majorité peut s'ajourner de
jour en jour, et est autorisé à forcer les membres ab-
sents à se rendre aux séances par telle pénalité que
chaque Chambre pourra établir. »


En Suisse, chaque Conseil vérifie les pouvoirs de
ses membres. Les représentants dont l'élection est
contestée doivent se retirer au moment du vote.




k


148 POUVOIR LI:GISLATIF.
de cinq membres présentée par la Chambre. De
même, la Constitution de 1852 contient la disposi-
tion suivante : « Le président et les vice-présidents
du Corps législatif sont nommés par le Président de
la République pour un an ; ils sont choisis parmi les
députés. Le traitement du président du Corps légis-
latif est fixé par un décret. » Aujourd'hui, « le bu-
reau de chacune des deux Chambres est élu chaque
année pour la durée de la session et pour toute ses-
sion extraordinaire qui aurait lieu avant la session
ordinaire de l'année suivante... 1 »


Si les États républ icains sont unanimes pour laisser
aux Chambres le droit de composer leur bureau . il
n'en est pas de même de tous les États monarchi-
ques. Ainsi, en Hollande, le président de la seconde
Chambre est nommé par le roi, sur une liste de trois
candidats que les députés lui présentent. Une dispo-
sition identique est appliquée dans le grand-duché
de Bade.


La loi constitutionnelle de la Suède supprime
même la garantie. de la liste de présentation par la
Chambre. Elle se contente de dire : « Les présidents
et vice-présidents des Chambres sont nommés par
le roi » (art. 52).


Jusqu'en 1874, la Saxe et le Wurtemberg avaient
conservé au rei la nomination du président de la
Chambre des députés ; mais les lois du 12 octobre et


' Art. H de la loi du 16 juillet 1875, sur les rapports des pouvoirs
publies.


DE LA CHAMBRE DES DÉPIYKS. 149
du 23 juin ont transporté à la représentation de ces
deux pays la prérogative dont il s'agit.


La Prusse , l'Allemagne (Reichstag), la Bavière ,
l'Autriche, la Belgique, l'Italie, la Roumanie , la
Grèce, attribuent à la Chambre des députés le droit
de nommer son bureau'.


Parfois l'intervention du Pouvoir exécutif, qui ne
s'était pas fait sentir dans la nomination (lu bureau,
se manifeste, après coup, pour la consacrer. Ainsi
le speaker de la Chambre des Communes, dès le len-
demain de son élection, se rend, précédé de l'huis-
sier de la verge et suivi des députés des Communes,
à la barre de la Chambre des lords, où il reçoit sa con-
firmation du lord chancelier, au nom de la Couronne.


Les pouvoirs du bureau de la Chambre ont pour
• principal objet : la direction des débats, la police in-
térieure et la sûreté extérieure de l'Assemblée. Nous
insisterons peu sur ces différents points , qui, tout
au moins pour le détail, rentrent plutût dans le do-
maine du règlement que dans celui du droit consti-
tutionnel. Les lois françaises de 1875 n'y font aucune
allusion ; mais les Constitutions républicaines anté-
rieures affirment nettement, sous le rapport qui nous
occupe, les droits des Assemblées délibérantes.


« Le Corps législatif, dit la Constitution de 1791
(chap. III, sect. I re , art. 4), a le droit de police clans


' Il faut remarquer qu'aux termes de la Constitution suisse, le
membre (lu Conseil national qui a été président pendant une session
ordinaire ue peut, à la session ordinaire suivante, obtenir cette
charge, ni celle de vice-président.




150 POUVOIR LÉGISLATIF.
le lieu de ses séances et dans l'enceinte extérieure
qu'il aura déterminée. Il a droit de discipline sur ses
membres; mais il ne peut prononcer de punition plus
forte que la censure, les arrêts pour huit jours ou la
prison pour trois jours. Il a le droit de disposer, pour
sa. sûreté et pour le maintien du respect qui lui est
dû, des forces qui, de son consentement, seront éta-
Hies dans la ville où il tiendra ses séances. « Art. 5.
— Le Pouvoir exécutif ne peut faire passer ou sé-
journer aucun corps de troupes de ligne dans la
distance de trente mille toises du Corps législatif, si
ce n'est sur sa réquisition ou avec son autorisation. »


La Constitution de l'an III, après avoir reproduit
presque textuellement les dispositions qui précèdent,
ajoute « qu'il y a près du Corps législatif une garde
de citoyens pris dans la garde nationale sédentaire
de tous les départements et choisis par leurs frères
d'armes. Cette garde ne peut être au-dessous de
quinze cents hommes, en activité de service. Le Corps
législatif détermine le mode de ce service. » (Art. 70
et 71.)


Enfin l'article 32 de la Constitution de 1848 est
ainsi conçu : « L'Assemblée nationale détermine le
lieu de ses séances. Elle fixe l'importance des forces
militaires établies pour sa sécurité, et elle en dis-
pose. »


L'article G du décret du 11 mai 1848, que la
Constitution n'avait pas abrogé, posait la même
règle en termes plus précis encore : « Le président
de l'Assemblée nationale est chargé de veiller à la


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 151
sûreté intérieure et extérieure de l'Assemblée. A cet
effet, il ale droit de requérir la force armée et toutes
les autorités dont il juge le concours nécessaire.
Ses réquisitions peuvent être adressées directement
à tous les officiers, commandants ou fonctionnaires,
qui sont tenus d'y obtempérer immédiatement, sous
les peines portées par la loi. »


C'est l'article que nous venons de citer qui a servi
de point de départ à la fameuse proposition des
questeurs, déposée le G novembre et repoussée, le
17, par 408 voix contre 300.


Quant à la discipline intérieure de la Chambre,
nous nous contenterons de dire que le règlement de
1849, adopté par l'Assemblée de 1871, déclare ap-
plicables aux représentants les pénalités suivantes :
le rappel à l'ordre, le rappel à l'ordre avec inscrip-
tion au procès-verbal, la censure, la censure avec
exclusion temporaire du lieu des séances. La cen-
sure simple et la censure avec exclusion temporaire
emportent de droit, en outre de la privation pour un
mois de moitié de l'indemnité législative, l'impres-
sion et l'affichage , à mille exemplaires, aux frais


• du représentant, de l'extrait du procès-verbal men-
tionnant la censure. Les affiches sont apposées dans
toutes les communes du département par lequel le
représentant a été élu.


En général, les Constitutions étrangères ne con-
tiennent pas une réglementation expresse de la po-
lice intérieure des assemblées; elles laissent presque
toujours aux règlements législatifs le soin de déter-




152 POUVOIR LÉGISLATIF.
miner les pénalités que peuvent encourir et de dé-
finir les délits dont peuvent se rendre coupables les
représentants de la nation. La Constitution des
États-Unis (art. 1", sect. V § 2) se contente de dire :
« Chaque Chambre fera son règlement, punira ses
membres pour conduite inconvenante et pourra, à la
majorité des deux tiers, exclure un membre. » Le
règlement de la Chambre des Communes, qui a été
publié en 1854, laisse au speaker le soin d'exercer
comme il l'entend l'autorité présidentielle.


Les décisions du Parlement perdraient assuré-
ment la plus grande partie de leur autorité et les
députés manqueraient du stimulant le plus efficace,
c'est-à-dire du contrôle de l'opinion populaire , si
une large publicité n'était pas assurée à ce qui se
passe au sein des Chambres. Cette publicité s'exerce
de deux manières : et par la présence des assistants
qui pénètrent chaque jour dans la salle des séances,
et par les comptes-rendus complets ou analytiques
que la presse répand à des milliers d'exemplaires.


Le droit de publicité a été souvent contesté en
France aux assemblées politiques et a été l'objet de
diverses restrictions. Là Constitution de l'an III
admet bien le principe de la double publicité que
nous avons indiquée ; mais elle y apporte cette res-
triction que les assistants ne peuvent excéder en
nombre la moitié des membres respectifs de chaque
conseil. En l'an VIII, le chiffre maximum des assis-
tants est fixé à deux cents pour le Corps législatif.
Les Charles de 1814 et de 1830 déclarent, il est


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 153
vrai, que les séances de la Chambre sont publiques ;
mais elles ajoutent que la demande de cinq membres
suffit pour qu'elle se forme en comité secret. Le
règlement de 1849, combiné avec la Constitution de
1848 (art. 39), reproduit la même disposition, que
nous trouvons encore inscrite dans la Constitution
de 1852 (art. 41). Sous le second Empire, le compte-
rendu des séances du Corps législatif par les jour-
naux, ou par tout autre moyen de publication, ne
consista d'abord que dans la reproduction du pro-
cès-verbal dressé à l'issue de chaque séance par les
soins du président du Corps législatif; mais le séna-
tus-consulte du 2-4 février 1861, modificatif de la
Constitution , améliora cet état de choses , en pres-
crivant de mettre chaque soir les comptes-rendus
rédigés par les secrétaires-rédacteurs à la disposi-
tion des journaux, et en faisant insérer au Moniteur
officiel le texte complet des débats , obtenu par la
sténographie. Les journaux restèrent libres de ne
reproduire que la partie des débats qui concerne un
seul ou plusieurs des projets discutés. La publica-
tion parallèle des comptes-rendus analytiques et
des comptes-rendus in extenso permettait dès lors
au public de suivre les débats législatifs et d'en
juger le caractère autrement qu'à travers des appré-
ciations de seconde main.


Le principe de la publicité des discussions parle-
mentaires semble être entré dans le droit, constitu-
tionnel de presque tous les pays, sauf cette restric-
tion , assez généralement adoptée, que la Chambre




154 POUVOIR LÉGISLATIF.
peut se former en comité secret sur la demande d'un
certain nombre de membres. Le chiffre de 10 est le
plus en faveur 1 . L'article 82 de la Constitution hel-
vétique se contente de dire : « Les séances de chacun
des conseils sont ordinairement publiques. » Celle
des États-Unis s'occupe exclusivement de la publi-
cité par voie d'imprimés : « Chaque Chambre , dit-
elle, tiendra un journal de ses délibérations et le
publiera d'époque en époque, à l'exception de ce qui
lui paraîtra devoir rester secret, et les votes négatifs
ou approbatifs des membres de chaque Chambre sur
une question quelconque seront, sur la demande
d'un cinquième des membres présents , consignés
sur le journal. »


Dans quelques États , la publicité n'est qu'une
tolérance. En droit strict, les séances du Parlement
anglais ne sont pas publiques mais l'usage s'est
prononcé dans le sens de la publicité de la séance et
de la reproduction des débats. Les discussions de la
Chambre des communes sont consignées dans un
procès-verbal officiel appelé report, qui fait foi, sans
que la preuve contraire soit même admissible.


Nous ne mentionnerons que pour mémoire, parmi
les attributions dela. Chambre, le droit qui lui appar-
tient de recevoir les démissions de ses membres et
de leur accorder des congés. On a vu plus haut que,
dans plusieurs États, les Assemblées n'acceptaient


' Voy. notamment les Constitutions
de Prusse, de Belgique, des


Pays-Bas, de l'Autriche, etc.
2 Voy, liv. II, chap. y.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. '155
pas, sans y regarder à deux fois, toutes les démis-
sions qui étaient déposées sur le bureau , et. qu'elles
exigeaient de sérieux motifs à l'appui. Le point de.
départ des dispositions de cette nature ne peut être
qu'une idée très-noble, qui a été exprimée dans la
Constitution française de 1793 : « Les fonctions
publiques ne peuvent être considérées comme des
distinctions ni comme des récompenses, mais comme
des devoirs 1 . » On peut décliner un honneur, on ne
se soustrait pas à. l'accomplissement d'un devoir.
Dans le même ordre d'idées, nous rappellerons que
le député suisse qui donne sa démission doit assister
aux séances jusqu'à l'élection de son successeur.


SECTION — ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES.


A côté des attributions, pour ainsi dire réglemen-
taires, que nous venons d'énumérer rapidement, la
Chambre des députés en a d'autres beaucoup plus
importantes et qui sont le fond même du droit consti-
tutionnel , car elles constituent l'application la plus
directe du principe de la souveraineté nationale. 11
s'agit ici des attributions législatives. Ce qui a été
dit précédernmen t de l'essence et de l'exercice du pou-
voir législatif, des combinaisons diverses auxquelles
il se plie, des différents partages dont il est l'objet',
ce que nous dirons plus loin à propos du Pouvoir


' Voy. l'art. 30 de la Constitution de 1793.
Voy. i re partie, liv. I o *, chap. j e ', De l'exercice du pouvoir légis-


latif.




156 POUVOIR LÉGISLATIF.
exécutif, nous dispensera d'entrer dans des considé-
rations théoriques sur le rôle de la seconde Chambre
et nous permettra de ne retenir que ses attributions
actuelles, pour en faire le point de départ d'une
étude de droit comparé.


Mettant de côté les Constitutions où la faculté de
proposer la loi est absolument refusée à la seconde
Chambre ce qui est la négation même de tous les
principes du gouvernement représentatif, on peut
dire que le partage de l'initiative entre un autre pou-
voir et les députés ne modifie pas la portée de leur
droit. Libres de repousser les propositions émanées
de l'exécutif qui ne leur paraîtraient pas conformes
aux voeux (lu pays, ils ont, d'autre part, toute facilité
pour soumettre au Parlement des projets conçus
dans un esprit différent. De plus, dans les États
républicains, comme la France de 1876 ou comme la
Suisse, rien ne peut empêcher légalement la repré-
sentation nationale de transformer en loi sa volonté
souveraine : car la loi est parfaite en vertu (lu vote
du Parlement. Sous un tel régime, c'est donc la loi
elle-même qui gouverne ; et la loi n'est autre chose
qu'un acte de la volonté générale exprimée par ceux
qui ont reçu mission de la manifester publiquement l . •


Nous avons cité la Constitution du grand-duché de Bade du
22 aoin 1818, inspirée sans doute par la Charte française de 181.4.
Ajoutons la Constitution du Pérou, qui est pourtant républicaine.


« J'appelle république tout État régi par des lois, sous quelque
forme d'administration que ce puisse être, car alors seulement l'in-
térêt public gouverne et la chose publique est quelque chose. Tout
gouvernement légitime est républicain.» (Rousseau, Contrai social,
liv. chap. vt.)


DE LA Clitall3RE DES DÉPUTÉS. 157
Aux termes de la loi du 25 février 4 875 (art. 3),


la Chambre des députés est investie du droit d'ini-
tiative.


Si le Pouvoir exécutif possédait seul le précieux
privilége de proposer la loi, il arriverait facilement,
par une fin de non-recevoir implicite, à écarter toutes
les mesures qui lui seraient désagréables, fussent-
elles réclamées par l'unanimité des citoyens.


Aucune entrave n'est plus imposée à l'initiative du
député. n'est plus réduit, comme sous le régime
inauguré par la Constitution de 1852, à enregistrer
les propositions du gouvernement épurées et ampli-.
fiées par le Conseil d'État. Les projets qu'il dépose
sur le bureau de la Chambre ne sont examinés, ap-
prouvés, amendés ou repoussés que par la Chambre
elle-même. Cette procédure rapide peut avoir, nous
ne prétendons pas le méconnaître, quelques incon-
vénients, au point de vue de la rédaction des textes
législatifs. Tous les représentants ne sont pas des lé-
gistes, et, à supposer qu'ils le soient, le mouvement
des discussions ne va pas sans une certaine confu-
sion, qui expose les Assemblées à. commettre des
erreurs qu'eût prévenues un contrôle attentif et minu-
tieux ; mais, d'autre part, il se dégage de cette large
participation de tous les députés à la confection de
la loi une autorité, une force, une énergie qui n'ap-
partiendront jamais à l'oeuvre laborieuse de tel ou tel
comité ou de telle ou telle section consultative placés
en dehors du Parlement, et souvent animés (l'un
esprit contraire.




158
POUVOIR LÉGISLATIF.


Le droit constitutionnel accorde presque partout
un privilége fort légitime à la Chambre des députés :
nous voulons parler du droit de proposer les lois
d'impôts et de les voter avant la première Chambre.
« Tous les bills établissant des impôts doivent prendre
naissance dans la Chambre des représentants, » dit
la Constitution des États-Unis.


Cette disposition n'a rien que de fort naturel dans
un pays qui refuse le droit d'initiative au Pouvoir
exécutif ; elle constitue néanmoins un privilége pour
la Chambre des représentants, puisque le Sénat amé-
ricain n'a que le droit d'amender les bills d'impôts.


Sous les régimes constitutionnels qui accordent
le droit d'initiative concurremment au Pouvoir exé-
cutif et aux Chambres , il est assez remarquable
qu'une restriction soit apportée quelquefois à l'ini-
tiative du gouvernement, précisément à propos des
lois de finances et de quelques autres qui intéressent
la masse générale de la nation.




Ainsi la Constitution du Brésil (art. 36) déclare
formellement que la Chambre des députés a seule
l'initiative en matière d'impôts I et de recrutement.
L'article 34 de la Charte du Portugal contient une
règle semblable.


Une disposition qui est beaucoup plus commune
est celle qui ordonne de soumettre à la deuxième
Chambre, avant d'en saisir la Chambre haute, tous


La Charte du Wurtemberg, modifiée en 1874, dispose au contraire
que « les projets de loi concernant les impôts , les emprunts, la
fixation des dépenses de l'État ou les dépenses extraordinaires non
prévues au budget, ne peuvent émaner que du roi ».


DE LA CHAà113RE DES Di puTÉs. 159
les projets qui intéressent les finances, sans distin-
guer de quelle autorité ils émanent. On la trouve
dans la loi française du 24 février 1875 sur l'orga-
nisation du Sénat (art. 8), clans la loi britannique, la
loi italienne, la loi danoise, la loi belge, la loi rou-
maine, etc. Il est fréquent que la même prescription
s'étende aux lois militaires.


Quelques Constitutions, généralisant cette règle,
disposent que tous les projets, émanés de l'initia-
tive des députés ou du gouvernement, doivent être
soumis en premier lieu à la seconde Chambre. C'est
ce qui est pratiqué clans le royaume dés Pays-Bas et
en Norwége.


Le paragraphe 76 de la loi fondamentale de ce
dernier pays débute ainsi : « Toute loi sera d'abord
proposée à l'Odelsthing, soit par ses propres mem-
bres, soit par le gouvernement, et, dans ce cas, par
l'organe d'un conseiller d'État. Si le projet de loi y
est accepté, il sera envoyé au Lagthing, qui l'approu-
vera ou le rejettera, et, dans ce dernier cas , le ren-
verra, en y joignant ses objections


La Constitution brésilienne prescrit de soumettre
d'abord à la Chambre des députés : 1° l'examen de
l'administration passée et la réforme des abus qui s'y
sont introduits ; 2 0 la discussion des propositions
faites par le Pouvoir exécutif.


Quelle conclusion tirer de tous les détails qui pré-
cèdent, sinon que, pour la plupart des États, la se-
conde Chambre est considérée comme représentant
plus particulièrement la nation, et, par conséquent,




160 POUVOIR LÉGISLATIF.
qu'elle est plus apte à statuer sur les projets qui of-
frent une importance capitale, et qui engagent non
pas les intérêts spéciaux de telle ou telle classe, mais
ceux de l'ensemble des citoyens. De là le rôle pré-
pondérant qui lui incombe dans l'élaboration (les lois
de finances, et souvent aussi des lois militaires.


Par une autre conséquence de la composition des
secondes Chambres, c'est dans leur sein que le minis-
tère prend ordinairement son principal point d'ap-
pui : car elles représenten


• la masse générale de la po-
pulation et sont l'image fidèle de l'opinion publique. '


Le droit (l'initiative ne consiste pas seulement à
proposer au parlement une loi tout entière, un mo-
nument législatif qui forme un ensemble et qui est
complet dans toutes ses parties. Il consiste égale-
ment, pour chaque député, à proposer des modifica-
tions aux projets de loi qui émanent du Pouvoir exé-
cutif ou de l'initiative d'un collègue. Il consiste
encore à réclamer des éclaircissements sur la ligne
de conduite que tient le gouvernement ou qu'il se
propose de tenir, soit dans la discussion d'une
mesure particulière, soit dans la direction de la po-
litique générale.


Les droits auxquels nous faisons allusion s'ap-
pellent le droit d'amendement et le droit d'interpel-
lation.


Bien que le droit d'amendement constitue une
dérivation logique du droit d'initiative, on peut
concevoir qu'il existe isolément et alors même que


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 161
la proposition des lois est refusée au Pouvoir légis-
latif. C'est à peu près à ce résultat que conduisait,
en fait, la Charte de 1814. Le roi, aux termes de
l'article 1G, avait seul la proposition des lois, et, aux
termes de l'article 46, « aucun amendement ne pou-
vait être fait à une loi s'il n'avait été proposé ou
consenti par le roi, et s'il n'avait été renvoyé et dis-
cuté dans les bureaux » . Mais on sait que , par la
force des choses, l'article 46 ne reçut aucune applica-
tion ; que les députés de la Restauration exercèrent
effectivement le droit d'amendement, et que, par
cette porte détournée, ils se saisirent presque du droit
(l'initiative. Quand le droit d'initiative n'est plus
contesté aux Chambres, on peut en conclure que le
droit d'amendement se réduit à la faculté d'amé-
liorer la loi au cours de la discussion. Il appartient
à la représentation nationale elle-même d'empêcher
que l'exercice de ce droit n'ait pour conséquence de
changer toute l'économie d'un projet et de lui enle-
ver son unité et sa cohésion.


Le règlement de 1849-1871 (art. 65) exige que
les amendements soient rédigés par écrit et remis
au président. De plus, pour que la Chambre déli-
bère sur un amendement, il faut que, après avoir
été développé, il soit appuyé. Quand un amende-
ment est présenté dans le cours même de la délibé-
ration, son auteur doit le motiver sommairement à
la tribune. La Chambre consultée décide par assis
et levé, sans débats, si elle le prend en considéra-
tion ; dans ce cas, il est renvoyé à une commission.


rr




162 POUVOIR LÉGISLATIF.
A côté du droit d'amendement, nous avons placé


le droit d'interpellation. C'est peut-être le moyen de
contrôle parlementaire le plus énergique. Il complète
le principe de la responsabilité ministérielle et facilite
sa sanction. « L'action des assemblées délibérantes
sur la marche des affaires publiques, dit Rossi 1,
n'est pas seulement l'action directe et immédiate
qu'elles exercent en faisant les lois et en votant le
budget : il y a l'action indirecte, qui est bien autre-.
ment efficace.


» Que de choses que le Pouvoir ne fait pas et
n'imagine même pas, parce qu'il y a une discussion
publique, parce qu'il y a un droit d'interpellation !
Ainsi il est vrai , en principe, que les Chambres
n'administrent pas, mais elles exercent un contrôle
sur toutes les branches de l'administration : on sait .411
que le parlement est là, et cette action est bien au-
trement tutélaire pour la prospérité et la liberté du
pays que les quelques lois qu'on fait et le budget
qu'on vote. »


La procédure à laquelle est assujetti actuellement
le droit d'interpellation peut se résumer en quelques
mots. Tout député qui veut faire une interpellation
en remet la demande écrite au président. Cette
demande explique sommairement l'objet de l'inter-
pellation; le président en donne lecture à la Chambre,
qui, après avoir entendu un des membres du gou-
vernement, fixe par assis et levé, sans débats, le


' Coure de droit constitutionnel,
L 1V, p. 459.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 163
jour où les interpellations seront faites. Le ministre
interpellé n'est pas obligé de répondre. Il est abso-
lument libre de prendre, vis-à-vis de l'interpella-
tion,, telle ou telle attitude; mais il agit à, ses risques
et périls, et la Chambre est juge entre le gouverne-
ment et ceux qui critiquent ses actes. C'est presque
toujours à la suite d'un ordre du jour motivé par
une interpellation que les modifications ministé-
rielles se produisent dans notre pays.


Le droit d'interpellation serait difficile à mettre
en pratique si les ministres ne faisaient pas partie
du Parlement et n'y avaient pas entrée. C'est pour-
tant une anomalie de cette nature qui s'est produite
dans différentes périodes de notre histoire et sous
des régimes absolument dissemblables. Ainsi notre
première Assemblée de 1789 avait interdit à ses
membres de devenir ministres, et fermait les portes
de l'enceinte législative aux ministres en fonctions.
Mirabeau, protestant contre cette décision et com-
parant, à cet égard, nos institutions avec celles de
l'Angleterre, exposa vainement tous les vices d'un
pareil système : « Je ne puis imaginer, disait-il ,
qu'un des moyens de salut public parmi nos voisins
ne puisse être qu'une source de maux parmi nous ;
que nous ne puissions profiter des mêmes avantages
que les Communes anglaises retirent de la présence
de leurs ministres ; que cette présence ne fût parmi
nous qu'un instrument (le corruption ou une source
de défiance , tandis qu'elle permet au Parlement
d'Angleterre de connaître à chaque instant les des-




164 POUVOIR LÉGISLATIF.
seins de la cour, de faire rendre compte aux agents
de l'autorité, de les surveiller, de les instruire, de
comparer les moyens avec les projets et d'établir
cette marche uniforme qui triomphe de tous les
obstacles. »


Bien qu'elle fût contraire aux véritables prin-
cipes, nous dirions même aux nécessités du gou-
vernement représentatif, la prohibition édictée en
89 s'expliquait par le souvenir des excès de toute
nature dont l'absolutisme des ministres de l'ancien
régime avait été le point de départ. Mais une sem-
blable excuse ne pouvait être alléguée par le rédac-
teur de la Constitution de 1852, lorsqu'il écrivait
dans la proclamation du 14 janvier : « Le Corps
législatif discute librement la loi, l'adopte ou la
repousse, mais n'y introduit pas à l'improviste de
ces amendements qui dérangent souvent toute l'éco-
nomie d'un système et l'ensemble du projet primitif.
A plus forte raison n'a-t-il pas cette initiative parle-
mentaire qui était la source de si graves abus et qui
permettait à chaque député de se substituer à tout
propos au gouvernement en présentant les projets les
moins étudiés, les moins approfondis. La Chambre
n'étant plus en présence des ministres, et les projets
de loi étant soutenus par les orateurs du Conseil
d'État, le temps ne se perd plus en vaines intelpella-
lions, en accusations frivoles, en luttes passionnées,
dont l'unique but était de renverser les ministres
pour les remplacer. »


Malgré ces déclarations, qui rappelaient d'ailleurs


liE LA CHAMBHE DES DÉPUTÉS. 165
l'esprit de la Constitution consulaire de l'an VIII, le
second Empire fut obligé de se déjuger, en restituant.
aux Chambres par des décisions successives le droit.
d'interpellation, le droit d'initiative, le droit d'amen-
dement, la responsabilité ministérielle et la com-
parution des ministres devant les Chambres. Il est
vrai que la réalité de ces réformes était compromise
par le maintien d'un système général de gouver-
nement que nous aurons plus tard à. caractériser 1.


En ce qui concerne les dérivations du droit d'ini-
tiative que nous Venons d'étudier dans les lois fran-
çaises, le droit comparé nous offre aussi bien des
nuances et bien des contrastes ; mais, par cela même
que les droits dont il s'agit se rattachent au droit
d'initiative, comme différentes branches à un tronc
commun, on peut poser en règle que ces différences
n'affectent que la forme et ne touchent pas aux prin-
cipes. Qu'on soit en France ou qu'on soit en Bel-
gique, sous une monarchie ou sous fine république
parlementaire, il est évident que l'exercice du droit
d'amendement n'en sera pas pour cela modifié dans
sa source, puisque, d'après les deux s ystèmes poli-
tiques, le Parlement peut proposer la loi. Mais on
relèvera facilement tel ou tel point de l'organisation
constitutionnelle qui, n'existant pas dans les lois
françaises, se présentera dans les lois belges ou les
lois anglaises, et dont l'effet sera de restreindre un
droit d'apparence similaire dans les trois pays.


' Voy.
2e partie, liv. Il, chap. Fr.




166 POUVOIR LÉGISLATIF.
Ainsi le droit d'amendement, attribué aux membres
de la seconde Chambre, n'aura pas la même étendue,
suivant qu'il sera ou ne sera pas contrarié par la
sanction ou le vélo que certaines législations accor-
dent à l'exécutif.


Quant au droit d'interpellation , il est également
admis par la majorité des États constitutionnels.
Plusieurs textes constatent même l'obligation qui
s'impose aux ministres de répondre aux questions
ou aux critiques qui leur sont adressées.


« Les Chambres aussi bien que les Comités, dit
la Charte bavaroise de 1818, ont la faculté, dans les
limites de leur sphère d'attributions, de demander
aux ministères compétents les explications et ren-
seignements qu'ils considèrent comme nécessaires ;
et ces derniers doivent condescendre aux désirs ex-
primés'


La loi autrichienne du 21 décembre 1867 ne dé-
finit pas avec moins de netteté en quoi consiste le
droit d'interpellation. L'article 21 attribue au
Beichsrath « le droit d'interpeller les ministres sur
toutes les affaires de leur compétence, de soumettre
à son examen les actes du gouvernement, de leur
demander des explications sur les pétitions pré-
sentées, de nommer des commissions auxquelles
les ministres doivent fournir les informations né-


' Nous ne parlerons pas ici da droit attribué à la seconde Chambre
d'accuser les ministres, car il est impossible d'isoler ce droit de sa
sanction. Nous en traiterons donc à- propos des attributions judi-
ciaires du Sénat (liv. suivant, chap. vi) et de la responsabilité minis-
térielle (chap. n du livre II, 2 e partie).


DB LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
167


cessaires, d'émettre leur avis sous forme d'adresses
et de résolutions » .


Cet article fait allusion à un autre droit qui rentre
dans les attributions législatives et est tantôt le point
de départ, tantôt la conclusion et le résultat d'une
interpellation : nous voulons parler du droit d'en-
quête. — L'enquête est un ensemble d'investigations
dirigées sur une question déterminée et en vue de
résoudre un' problème défini. Il ne peut s'agir ici
que des enquêtes parlementaires, c'est-à-dire de
celles qui sont ordonnées, conduites et terminées
par la représentation nationale, à laquelle il appar-
tient de faire sortir une conclusion pratique des faits
et documents recueillis. Lorsque la question qui
fait l'objet de l'enquête parlementaire n'est em-
preinte d'aucun caractère politique ; quand elle porte
uniquement sur des intérêts commerciaux, agricoles
ou industriels, et que tous les partis peuvent indis-
tinctement collaborer à l'étude entreprise, sans
autre préoccupation que celle d'arriver à, la vérité,
alors l'enquête n'offre aucun danger et ne présente
que des avantages. Elle apparaît comme un procédé
puissant qui réunit dans un effort commun l'action
du Parlement et celle de l'administration, et joint
à l'énergie et à l'indépendance de la première les
lumières et l'expérience de la seconde. Mais lorsque
l'enquête est dirigée contre un parti politique ,
qu'elle a pour but de faire le procès d'un gouverne-
ment et de ceux qui l'ont servi ; lorsqu'on voit cette
mission confiée aux ennemis mêmes de ce parti et




168 POUVOIR LÉGISLATIF.
de ce gouvernement, le Parlement se transforme en
tribunal, les commissaires enquêteurs sont à la fois
juges et parties, ce qui expose leur œuvre à des sus-
picions fort légitimes.


Malgré ces inconvénients, qu'on ne saurait mé-
connaître, le droit d'enquête est un de ceux dont
l'application s'observe fréquemment dans les États
constitutionnels. L'Angleterre, la Belgique, le Da-
nemark 1 , la Prusse 2 , inscrivent formellement dans
leurs lois cette précieuse attribution du Parlement.
La. France ne l'a pas fait figurer clans sa Constitu-
tion, mais elle est consacrée par un usage constant :
il est à peine besoin de rappeler les enquêtes sur les
marchés de la guerre contre l'Allemagne, sur la
révolution du 4 septembre, sur les événements du
48 mars 1871, etc.


Sous les régimes monarchiques qui refusent aux
Chambres le droit d'initiative, on comprend que, par
une sorte de compensation, les représentants du pays
reçoivent le droit d'exposer leurs' doléances au Pou-
voir exécutif, au moyen d'adresses ou de suppliques
plus ou moins respectueuses. C'est ainsi que, sous la


' Chacune
des Chambres, dit la Constitution danoise, art. 46, peut


nommer des commissions prises dans.son sein, pour examiner les
matières d'intera public; et ces commissions sont autorisées à exi-
ger. tant des autorités publiques que des particuliers, qu'ils leur
fournissent verbalement ou par écrit les renseignements dont elles
ont besoin.


Chaque Chambre, dit la Constitution prussienne„ a le droit de
nommer des commissions chargées de prendre des informations pour
la recherche des faits.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 169
Restauration, l'Adresse de la Chambre des députés
avait une réelle signification. Ce fut l'adresse du
18 mars 1830 qui fut le point de départ du conflit de
la royauté et des pouvoirs publics.


Mais quand chaque député peut librement élever
la voix et déposer sur le bureau de la Chambre les
propositions qui lui paraissent répondre aux voeux de
la nation, les adresses au monarque n'ont plus guère
de raison d'être. L'institution existe pourtant dans
des pays qui, comme l'Angleterre, ont un Parlement
souverain et omnipotent, doté des plus larges préro-
gatives.


Chaque Chambre, en Angleterre, a le droit de pré-
senter une adresse à la Couronne, en réponse au dis-
cours du trône. Mais les Anglais eux-mêmes semblent
regarder l'Adresse comme un de ces vieux usages
qu'ils conservent par un reste de superstition dans
leur arsenal parlementaire ; encore n'en parlent-ils
pas toujours avec un grand respect , témoin Junius,
qui écrivait au siècle dernier : « J'ai toujours, pour
ma part, considéré les adresses du Parlementcomme
une forme à la mode, mais vide de sens. Des usurpa-
teurs, des tyrans et des sots ont été successivement
gratifiés des mêmes protestations de fidélité et d'a-
mour » Si spirituelle que soit cette boutade , elle
n'empêche pas que l'élaboration des adresses ne con-
serve dans les Chambres anglaises une certaine im-
portance. Si l'on en doutait, il suffirait de se rappeler


Voir la 38 e lettre, du 3 avril .1110.




170 i ouvoix LÉGISLATIF.
que le ministère Derby est tombé, en 1859, à l'occa-
sion d'un amendement à l'adresse. Indépendamment
de l'adresse, la Chambre des Communes peut encore
porter ses avis au roi, en se rendant auprès de lui en
corps et le speaker marchant en tête du cortège.


Si les communications doivent s'échanger facile-
ment entre le Pouvoir exécutif et le ' Pouvoir légis-
latif, il n'est pas moins nécessaire que ce dernier ac-
cueille et examine les voeux que lui adressent les
citoyens. L'examen des pétitions est un des devoirs
du Parlement ; la Constitution de 1793 met le droit de
pétitionner au nombre « des droits de l'homme et du
citoyen », et déclare « qu'il ne peut, en aucun cas,
être interdit, suspendu, ni limité ».


Le règlement de 1849-1871 développe l'applica-
tion du principe et précise la procédure à laquelle les
pétitions sont assujetties. Toute pétition doit être ré-
digée par écrit et signée. Elle doit indiquer la de-
meure du pétitionnaire et être revêtue de sa signature
légalisée. Adressées au président de la Chambre, les
pétitions sont inscrites sur un rôle général qu'on
distribue aux députés. Une commission spéciale est
chargée de l'examen des pétitions. Elle rapporte, en
séance publique, celles qui, à son avis, méritent d'être
soumises à la Chambre et renvoyées à un ministre.


L'exercice du droit de pétition est réglementé à peu
près de la même façon dans tous les États consti tu-


' Ca droit était expressément garanti au titre P., de la Constitution
de 1;91.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 171
tionnels. « Le Reichstag, dit l'article 23 de la Consti-
tution de l'Empire allemand, a le droit de proposer
les lois , dans les limites de la compétence de l'Empire,
et de renvoyer les pétitions qui lui sont adressées au
Conseil fédéral et au chancelier de l'Empire. »


La Constitution suisse porte que « le droit de péti-
tion est garanti » . En Angleterre , les pétitions sont
renvoyées à un comité, qui les classe et en fait rap-
port cieux fois par semaine. Les bills d'intérêt privé
sont introduits sous forme de pétitions. « I1 est in-
terdit, d'après l'article 43 de la Constitution belge,
de présenter en personne des pétiti ons aux Chambres.
Chaque Chambre a le droit de renvoyer aux minis-
tres les pétitions qui lui sont adressées. » L'acte
constitutionnel de la Bavière prescrit de renvoyer les
pétitions à une commission, chargée de les étudier
(art. 22). « Un jour de la semaine doit être réservé
à la délibération et à l'expédition des motions des
membres et des pétitions. »


Il a. été interdit parfois à la seconde Chambre de
recevoir les pétitions des citoyens. L'article 45 de la
Constitution de 1852 posait en principe que toutes les
pétitions devaient être adressées au Sénat, et non au
Corps législatif.


Nous avons dit quelles étaient les attributions lé-
gislatives de la Chambre des députés ; nous avons
énuméré les différents droits qui découlent du mandat
dont les représentants sont investis. Il convient main-




174 POUVOIR LÉGISLATIF.
Seules les propositions reconnues urgentes sont


exemptes des formes indiquées dans l'article 77.
Lorsque le Conseil des Anciens est saisi de la propo-
sition votée après trois lectures par le Conseil des
Cinq-Cents, va-t-il se contenter de l'examiner une
seule fois, puis de voter pour ou contre ? Non : il
soumet la proposition à trois nouvelles lectures, sé-
parées par un intervalle de cinq jours au. moins. La
discussion est ouverte après chaque lecture. Toute
résolution est imprimée et distribuée deux jours au
moins avant la seconde lecture.


L'Angleterre, qui a deux Chambres, pratique dans
chacune d'elles le système des trois lectures.


« A la Chambre des Communes, les bills d'intérêt
général (publie poliey) doivent être appuyés par un
membre (seconded). La Chambre , si elle accorde
l'autorisation demandée, ordonne que le bill soit pré-
paré et rédigé dans les formes de son auteur et par
le membre qui l'a appuyé. » Le membre qui annonce
le bill le dépose sur la table entre les mains du clerk,
qui le lit à haute voix, et la Chambre en ordonne
alors, sans débat, une première lecture , qui n'est
qu'une simple formalité. Quand le jour fixé pour la
deuxième lecture est arrivé , les adversaires du bill
peuvent réclamer l'ajournement à six mois ou à toute
autre époque qui dépasse la durée de la session. La
secondelecture est le moment où s'ouvre la discussion
générale et où les orateurs sont entendus. Après que
le bill a été voté en seconde lecture, on le renvoie à
la Chambre, siégeant en comité of the whole horse,


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
175


sous la présidence du chairman, pour que les articles
en soient examinés en détail. Cette discussion des
articles en comité n'est qu'un stage intermédiaire
pendant lequel se produisent les amendements et
l'examen détaillé des articles. Lorsque cet examen
est terminé , le comité redevient la Chambre et le
chairman cède la place au speaker. La Chambre est
encore une fois consultée sur la question de savoir si
elle veut qu'il soit procédé hune troisième lecture. Au
cours de cette troisième lecture, de nouveaux amen-
dements peuvent se produire, et le bill tout en tierpeut
encore être renvoyé au comité. Enfin le speaker pose
la question de l'adoption définitive du bill (dm titis
bill do pass), et le vote a lieu.


M. Maurel- Dupeyré , k qui nous empruntons la
substance de ces usages rie la Chambre des Com-
munes, compare le système anglais des trois lectures
avec le système français de 1869, qui n'en admettait
qu'une, et arrive à conclure que l'examen sommaire
dans les bureaux, l'examen détaillé et approfondi des
projets par les commissions législatives, enfin la dis-
cussion publique assuraient au Corps législatif de
cette époque à peu près toutes les garanties que les
Anglais demandent à leurs trois lectures.


ll y a cependant une grande différence entre les
deux systèmes, différence reconnue d'ailleurs par
l'auteur que nous citons : c'est qu'en Angleterre tout
se passe au grand jour de la discussion publique,
tandis qu'au Corps législatif de l'Empire la dernière
phase de l'élaboration des projets était seule livrée à


é




176 POUVOIR LÉGISLA
la publicité. De plus , on ne voit en Angleterre ni
exposés de motifs , ni rapports écrits. Toute la pro-
cédure est orale.


Si l'on peut soutenir que les trois lectures sont né-
cessaires dans les pays pourvus de deux Chambres,
à plus forte raison les trois délibérations peuvent-
elles se justifier dans une organisation poli tique
fondée sur une seule Assemblée. Elles sont un moven
de permettre aux esprits de se rasseoir, d'examiner,
dans l'intervalle des trois lectures, les diverses faces
d'une question, de se prêter à des transactions légi-
times , et de s'arrêter à une décision définitive en
connaissance de cause. « Aucun projet de loi, sauf
les cas d'urgence , disait la Constitution de 1848
(art. 41), ne sera voté définitivement qu'après trois
délibérations, à des intervalles qui ne peuvent être
moindres de cinq jours. » L'Assemblée de 1871
s'était approprié cette disposition, complétée par
l'article 64 du règlement de 1849.


Ce serait sortir de notre sujet que d'entrer dans
des détails qui appartiennent au domaine du règle-
ment, et qui, par cela même, ne peuvent être ramenés
à des principes rationnels et déterminés. Il nous
suffira de,dire quelques mots des différents modes
de votation et du nombre de suffrages qui est néces-
saire à la validité des délibérations.


On peut dire d'une manière générale que le vote
par assis et levé est le mode de votation de droit com-
mun. Il favorise par sa rapidité la prompte solution


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 1 77
des questions peu importantes et de nature à se
représenter fréquemment, telles que celles qui s'élè-
vent sur la fixation de l'ordre du jour, la priorité,
l'ajournement, le renvoi, la clôture de la discussion
et la prise en considération des propositions.


Au contraire, le scrutin public est un mode excep-
tionnel auquel on n'a recours que dans certains cas.
Il est employé notamment après deux épreuves dé-
clarées douteuses et quand il s'agit de projets de lois
portant ouverture de crédits. D'après le règlementtan


1849, le vote au scrutin public pouvait, sauf
quelques exceptions, être réclamé par vingt mem-
bres signataires d'une demande écrite. Les noms de
ces signataires, avec ceux des votants, devaient être
insérés dans l'organe officiel.


Une troisième forme de scrutin est celle du scrutin
secret, qui peut se combiner avec l'appel nominal..
On l'emploie quand il y a lieu de supposer que la
mention du vote dans le compte-rendu livré à la
presse pourrait déterminer un certain nombre de
membres soit à s'abstenir, soit à voter dans un sens
qui n'est pas conforme à leur manière de voir.


En Angleterre, lorsqu'un débat législatif est clos,
le speaker se lève et pose la question en ces termes :
Que ceux qui sont d'avis d'adopter disent oui (aise) ;
puis, que ceux qui sont d'un avis contraire disent
NON (no). Les voix répondent dans les deux sens, et
le speaker apprécie dans quel sens la majorité s'est
prononcée. Il annonce le résultat ainsi : Je pense que
les oui (ou que les NON) l'emportent.




178 POUVOIR LÉGISLATIF.
Lorsqu'on procède au vote par division, les Cham-


bres anglaises votent à peu près comme le Sénat
romain. Le speaker donne l'ordre de faire sortir les
étrangers et de fermer les portes extérieures. Les
partisans et les adversaires de la motion se retirent
dans les couloirs et rentrent par telle ou telle porte,
suivant l'opinion à laquelle ils se rangent. On ap-
précie, de cette manière , de quel côté se trouve la
majorité. Afin de 'forcer à rester à la séance les mem-
bres qui auraient l'intention de la quitter sans motifs
légitimes , les Chambres anglaises ont souvent
recours à l'appel nominal.


Le vote par appel nominal et à haute voix est de
droit commun dans certains États , les Pays - Bas
par exemple.


Le plus grand nombre des Constitutions exige,
pour la validité des votes , que la majorité absolue
du nombre légal des représentants prenne part à la
délibération.


Certaines législations qui se contentent de la majo-
rité absolue des votants pour valider les délibérations
des Chambres exigent une majorité plus forte pour
quelques lois d'une gravité particulière. C'est ainsi
que la loi autrichienne du 21 décembre 1867, qui
déclare suffisante pour la validité des délibérations
ordinaires du Reichsrath la majorité absolue des
votants, fixe la majorité requise aux deux tiers au
moins des voix, lorsqu'il s'agit de changements à
introduire dans la loi fondamentale sur les droits
généraux des citoyens des royaumes et territoires


DE LA CHAAIBRE DES DÉPUTÉS.
179


représentés dans le Reichsrath, sur l'institution d'un
tribunal d'Empire, sur le pouvoir judiciaire, ainsi que
sur le fonctionnement du pouvoir gouvernemental
et du Pouvoir exécutif. De même, le grand-duché de
Bade, qui valide les autres lois votées par la majorité
absolue, veut que les modifications constitu ti annelles
réunissent les deux tiers des suffrages exprimés, et
soient discutées en présence des trois quarts des
représentants.


Ceci nous amènerait à traiter de la révision de la
Constitution française , qui figure au nombre des
plus importantes attributions des deux Chambres, et
pour laquelle les délibérations du Parlement doivent
être prises à la majorité absolue des membres com-
posant l'Assemblée nationale de révision. Mais cette
matière fera l'objet d'une étude spéciale 1.


' Vo •
. l'Appendice, à la fin de l'ouvrage.




LIVRE III.


DU SÉNAT.


CHAPITRE PREMIER.


DE LA FORMATION DES CHAMBRES HAUTES.


Distinction entre les Sénats fédéraux et les Chambres hautes propre-
ment dites. — Droit comparé. — Chambres hautes formées par
l'hérédité., par le choix du pouvoir exécutif, par l'élection ; systèmes
mixtes; droit comparé.


L'Assemblée qui vient s'ajouter à celle des députés
de la nation, nommés proportionnellement au chiffre
des habitants ou des électeurs, n'a ni le même carac-
tère ni les mêmes fonctions dans tous les pays dont
le régime comporte deux Chambres. Il y a à cet
égard une distinction capitale à faire entre les Sénats
fédéraux et les Chambres hautes proprement dites.
Les premiers ont pour objet de garantir l'indépen-
dance des États ou cantons, en leur assurant soit une
représentation égale pour tous , soit une représen-
tation proportionnelle à la situation que leur a faite
le pacte fédératif. Les autres sont destinées à limiter
et à contenir, ou, si l'on veut, à rectifier et à régu-


DU SÉNAT. 481
lariser l'expression de la volonté nationale se mani-
festant par l'organe de la Chambre des députés.


Nous nous bornerons aux indications essentielles
relativement aux Sénats ou Conseils d'un caractère
fédéral, car on ne saurait établir et suivre complète-
ment une comparaison scientifique entre eux et le
Sénat français.


On sait que l'autorité suprême de la Confédération
helvétique est représentée par l'Assemblée fédérale,
qui se compose de deux sections, savoir : le Conseil
national des députés du peuple suisse, élus à raison
d'un membre par chaque 20,000 âmes de la popu-
lation totale, et le Conseil des États.


Le Conseil des États se compose de quarante-
quatre députés des cantons. Chaque canton nomme
deux députés ; dans les cantons partagés, chaque
demi-Etat en élit un. Les membres du Conseil na-
tional et ceux du Conseil fédéral (Pouvoir exécutif)
ne peuvent être simultanément députés au Conseil
des États.


Le mode d'élection des députés au Conseil des
États varie suivant les Constitutions cantonales.
Dans les cantons où le Grand-Conseil (Assemblée
législative) a conservé toute son autorité, comme à
Genève, c'est lui qui délègue les représentants des
États à l'Assemblée fédérale ; dans ceux où le
referendum est pratiqué, il est naturel que les députés
du canton soient nommés par le suffrage universel ;
enfin, lorsque la Landsgemeinde est organisée, c'est




182 POUVOIR LÉGISLATIF.
à l'Assemblée du peuple qu'appartient l'élection, qui
se fait alors à main levée.


La Constitution fédérale veille avec un soin jaloux
à ce qu'aucun canton n'acquière au Conseil des États
une influence prépondérante. Ainsi , le président et
le vice-président de ce Conseil, qui sont nommés à
chaque session par le Conseil lui-même, ne peuvent
être élus parmi les députés du canton dans lequel a
été choisi le président pour la session ordinaire qui
a immédiatement précédé, et les députés du même
canton ne peuvent revêtir la charge de vice-prési-
dent pendant deux sessions ordinaires consécutives.


Le Conseil, des États ne possède d'ailleurs aucune
upériori té sur le Conseil national : la même autorité


leur appartient , ou plutôt l'autorité est possédée
d'une manière indivise par les deux Conseils.


Il n'en est pas de même États-Unis. Le Sénat
de l'Union est investi du pouvoir de juger les accu-
sations intentées par la Chambre des représentants,
et il possède en propre un droit de contrôle très-
étendu sur les actes du président et la nomination
des hauts fonctionnaires. Le président, dit la Cons-
titution I , « aura le pouvoir de faire des traités, de
l'avis et du consentement du Sénat, pourvu que les
deux tiers des sénateurs présents y donnent leur
approbation ; il nommera, de l'avis et du consente-
ment du Sénat, et désignera les ambassadeurs, les


' Art. 2, sect. n.


UU SIiNAT. '183
autres agents diplomatiques et les consuls, les juges
des cours suprêmes et tous autres fonctionnaires
des Etats-Unis aux nominations desquels il n'aura.
point été pourvu d'une autre manière dans cette
Constitution, et qui seront institués par une loi ;
mais le Congrès peut, par une loi, attribuer les nomi-
nations des employés subalternes au président seul,
aux cours de justice ou aux chefs des départe-
ments. » Et cette attribution du Sénat paraît assez
importante au législateur pour qu'il prenne soin de
déclarer, dans l'article suivant, que les commissions
accordées par le président pendant l'intervalle des
sessions du Sénat seront essentiellement provisoires
et expireront à la session suivante.


Ces pouvoirs spéciaux font du Sénat des États-
Unis autre chose qu'une simple représentation fédé-
rale et permettent de le considérer comme une
Chambre supérieure à celle des députés nommés
par le suffrage du peuple.


Les deux sénateurs qui sont attribués à chaque
État de l'Union, quelles que soient son étendue et
sa population, sont choisis par la législature de cet
État. On sait que dans toute l'Union les législatures
sont divisées en deux Chambres.


Pour être élu sénateur, il faut avoir trente ans,
être citoyen des États-Unis depuis neuf ans et habi-
ter au moment de l'élection l'État où l'on est nommé.


Les sénateurs sont élus pour six ans et se renou-
vellent par tiers, pendant que la Chambre des dé-
putés se renouvelle intégralement tous les deux ans.




184 POUVOIR LÉGISLATIF.
Comme en Suisse, les membres de la représenta-


tion fédérale votent individuellement, et non par
États, dans la Chambre dont ils font partie ; comme
en Suisse également, ils reçoivent une indemnité ; les
sénateurs de l'Union ont 10,000 dollars (50,000 fr.)
par congrès, soit 25,000 fr. par an 1.


Ces dispositions relatives au vote et à l'indem
nité des représentants fédéraux ne se retrouvent pas
dans le Bundesradi de l'Empire germanique. Mais
ce « Conseil fédéral » (pour traduire exactement
l'expression allemande) peut-il être assimilé à un
Sén•? On a quelquefois dit qu'il était plutôt une
réunion d'agents diplomatiques. Ce qui a suggéré
cette idée, c'est d'abord le mode de nomination des
membres qui sont désignés par leurs gouvernements
respectifs ; puis le mode de votation, chaque Etat
ayant un nombre de voix déterminé, quel que soit le
nombre de ses délégués ; et enfin l'article 10 de la
Constitution, suivant lequel ces délégués doivent
recevoir de l'empereur la protection diplomatique
d'usage. Mais la nomination des membres du Run-
desrath par les gouvernements n'a rien d'extra-


Nous ne croyons pas devoir insister sur l'organisation du Sénat
dans les républiques fédératives de l'Amérique du Sud, confédération
Argentine, Colombie, Vénézeela, où les sénateurs sont nommés par
les États, suivant', forme établie par la législature spéciale de chaqueÉtat; nous nous bornerons a ajouter que, dans l'Équateur, les séna-
teurs sont élus au scrutin direct, à raison de deux par province. et,
dans l'Uruguay, au scrutin indirect, à. raison de un par département;
mais, dans les deux cas, des conditions de cens sont imposées pour
l'éligibilité, ce qui donne aux Sénats de ces républiques un double
caractère.


Du SÉNAT. 185
ordinaire dans un pays où fleurissent les Chambres
des seigneurs ; la répartition des voix a pour objet
de garantir la situation réciproque d'États qui sont
d'une inégale importance ; et la protection impériale
n'assure guère aux gardiens du pacte fédératif que
l'inviolabilité qui, dans les pays libres, appartient
aux représentants de la nation.


C'est d'après ses attributions qu'il faut caracté-
riser le Bundesrath. Voici en quoi elles consistent :


Tout d'abord il contribue à la confection des lois
fédérales avec le Reichstag élu par le suffrage uni-
versel, puisque, d'après l'article 5 de la Constitution,
« une majorité concordante dans l'une et l'autre.
Assemblée est nécessaire et suffisante pour toute
loi de l'Empire ».


Mais, en outre, « le Bundesrath statue I : sur les
règlements d'administration et les instructions gé-
nérales nécessaires pour l'exécution des lois de
l'Empire, sauf pour les lois de l'Empire qui en or-
donnent autrement ; — sur les imperfections révé-
lées par les lois de l'Empire, ou des règlements ou
instructions dont il vient d'être parlé. Chaque
membre du Conseil fédéral a le droit de faire des
propositions et de les développer ; le président de
la Confédération est tenu de les mettre en délibéra-
tion. En cas de partage, la voix du président est
prépondérante. Dans les décisions sur une question
qui, d'après la Constitution, n'est point commune à


Art. 7 de la Constitution.




186 POUVOIR LÉGISLATIF.
tout l'Empire, les seules voix qui comptent sont
celles des États auxquels la question à. résoudre est
commune. »


De plus, « le Bundesrath nomme dans son sein
des commissions permanentes : 1° de l'armée de
terre et des fortifications ; 2° de la marine ; 3° des
tarifs douaniers et des impôts ; 4° du commerce et
des échanges ; 5° des chemins de fer, des postes et
des télégraphes ; 6° de la justice ; 7° de la compta-
bilité. Dans chacune de ces commissions doivent
être représentés au moins quatre Étais fédéraux en
dehors du président de la Confédération ».


Enfin « tout membre du Bundesrath a le droit 2 de
se rendre dans le Reichstag et d'y être entendu
chaque fois qu'il le désire, à l'effet d'exposer l'opi
Mon de son gouvernement, quand même cette opi
nion n'aurait pas été adoptée par la majorité du
Bundesrath » .


On voit que le « Conseil fédéral » de l'Empire
allemand réunit les pouvoirs d'une Chambre haute
et d'un Conseil de gouvernement. C'est une sorte de
Directoire de l'Empire, Directoire cumulant avec le
législatif une véritable intervention dans l'exécutif
et d'autant plus puissant que l'empereur, qui rempli t
les fonctions de la présidence (prœsidium), ne pos.
sède aucun droit de véto , pas même suspensif.


Il faut ajouter immédiatement que la répartition
des voix entre les différents États représentés au


Art. S de la Coustitutiou.
2 Art. 9 de la Coustitation.


UU SÉNAT. 187
Bundesrath modifie, dans une certaine mesure, le
caractère de cette organisation. Les suffrages sont
en effet au nombre de 58 pour toute la Confédéra-
tion (majorité, 30); or la Prusse, dont le roi est
revêtu de la dignité impériale, possède à. elle seule
17 suffrages. De là, pour la présidence, une influence
prépondérante dans le Bundesrath.


Le reste des voix est réparti comme suit : Ba-
vière 6, Saxe 4, Wurtemberg 4, Bade 3, liesse 3, •
Mecklembourg-Schwerin 2, Brunswick 2; tous les
autres États, principautés ou villes libres, chacun
1 voix. Le nombre des suffrages n'est pas en raison
exacte du chiffre de la population ; cependant la
proportion établie concorde dans une certaine me-
sure avec ce chiffre. Un tel système garantit la re-
présentation des Étals, mais il est loin de garantir
leur indépendance comme les systèmes suisse ou
américain, puisqu'il est destructif de l'égalité qui
doit régner entre confédérés.


Nous avons déjà dit que le nombre des voix ac-
cordées à. chaque État était le même, quel que fût
celui des délégués que cet État juge à propos d'en-
voyer au Bundesrath; ainsi la Saxe, qui a 4 voix,
disposerait de ces 4 voix, lors même qu'elle n'aurait
qu'un représentant. D'autre part, les suffrages qui
appartiennent à un État ne peuvent être donnés di-
visément , ils doivent tous être comptés dans le
même sens : par exemple, la Saxe, avec ses 4 repré-
sentants, ne peut fournir 2 voix pour une mesure et
2 contre, mais seulement 4 pour ou 4 contre.




X188 POUVOIR LÉGISLATIF.
Le Bundesrath doit être convoqué par l'empereur


lorsqu'un tiers des voix en font la demande. Il siége
toujours en même temps que le Reichstag, qui doit
être réuni tous les ans ; mais il fallait qu'il pût éga-
lement siéger seul pour accomplir ses fonctions
gouvernementales et pour préparer les travaux lé-
gislatifs : ce droit lui est assuré par l'article 13 de la
Constitution.


Nous arrivons aux Chambres hautes proprement
dites, aux Chambres constituées non pas dans un in-
térêt fédératif, mais dans un but, de résistance ou
seulement de pondération. Ici trois systèmes s'offrent
à notre étude : l'hérédité, la nomination par le Pou-
voir exécutif, l'élection.


Toutes les Constitutions qui consacrent l'hérédité.
admettent en même temps soit la nomination par le
Pouvoir exécutif, soit même le principe électif l'or-
ganisation de la Chambre haute y est donc d'une na-
ture mixte. Ces Constitutions sont celles de la Grande-
Bretagne, de l'Autriche, de laHongrie, de la Prusse,
de la Bavière, du Wurtemberg, du grand-duché de
Bade, du Portugal. La Constitution saxonne, malgré
son caractère féodal, n'admet pas de pairs hérédi-
taires, non plus que celle d'Italie. Nous ne parlons
pas des Chambres hautes électives comme celles de
Belgique, des Pays-Pas, de Norwége, de Roumanie
ou des républiques non fédérales de l'Amérique du
Sud ; il est évident que l'élection ne saurait conférer
une fonction héréditaire.


DU SÉNAT. 189
Nous donnerons seulement une idée de l'applica-


tion des deux premiers systèmes ou de leur combi-
naison dans les États que nous venons d'énumérer,
nous réservant d'examiner en détail , à la fin de ce
chapitre et dans ceux qui suivront, le fonctionnement
des Chambres hautes purement électives.


Dans la Grande-Bretagne, la Chambre des lords se
compose de plus de 500 membres, dont 44 sont élus,
savoir : 16 à chaque renouvellement du Parlement .
par la pairie d'1 cosse, et 28 à vie par la pairie d'Ir-
lande. La Couronne a un pouvoir illimité de nomina-
tion, et elle en use ; mais la tradition n'admet pas
qu'elle puisse créer des pairs à vie ; le titre hérédi-
taire est de rigueur. Du reste, plus de la moitié de ces
titres héréditaires n'ont guère qu'un demi-siècle au
plus d'existence; une vingtaine à peine remontent
au delà du xvIi 0 siècle.


A côté des pairs temporels, il y a ce qu'on appelle
les pairs spirituels : ce sont les archevêques d'York
et de Cantorbéry, et les évêques anglais.


Les membres de la Chambre des lords jouissent de
priviléges antiques, comme celui d'être assis à l'ou-
verture du Parlement pendant que les députés des
Communes restent debout, celui de siéger la tête cou-
verte dans les cours de justice, de réclamer les grades
universitaires sans avoir à passer d'examen ; un avan-
tage plus solide est de ne pouvoir être incarcéré pour
dettes, ni jugé que par la Chambre des lords.


On sait que la Chambre des Communes a seule le
droit de voter les impôts, et que seule elle oblige les




190 POUVOIR LÉGISLATIF.
ministres à se retirer en leur refusant sa confiance.
Un ministère contre lequel la Chambre des lords diri-
gerait le blâme le plus absolu resterait en fonctions
s'il continuait d'avoir l'appui des Communes


En Autriche, d'après la loi fondamentale du 21 dé-
cembre 1867, sont. membres de la Chambre des sei-
gneurs, par droit de naissance, les princes majeurs de
la famille impériale ; sont membres héréditaires les
chefs majeurs des familles nobles indigènes, impor-
tantes par leurs propriétés, à qui le droit héréditaire
est conféré par l'empereur ; font partie de la Chambre
des seigneurs, en vertu de leur haute dignité ecclé-
siastique, tous les archevêques et évêques ayant titre
de princes de l'Empire ; enfin peuvent être nommés
à vie les hommes éminents qui ont bien mérité de
l'État, de l'Église, des sciences ou des arts.


-


La Chambre des seigneurs n'a point d'attributions
particulières, et se borne à partager le pouvoir légis-
latif avec l'autre Chambre du Reichsrath et l'empereur.


La Chambre des seigneurs de Prusse offre un mé-
lange d'hérédité, d'élection et de nomination par le
Pouvoir exécutif.


Hérédité : Chefs des maisons de Hohenzollern-
Hechingen et Hohenzollern-Sigmaringen ; — chefs
de dix-huit maisons ci-devant souveraines ;— mem-
bres héréditaires nommés par le roi.


' Voy. Bageliot,
Constitution d'Angleterre.


DU SÉNAT. 191
Élection : Les membres présentés à la nomination


du roi par : 1° les seigneurs qui siéger' t à la Chambre
haute en vertu de l'ordonnance du 3 février 1847 ;


—2° la classe des comtes possédant un fief (chaque pro-
vince peut présenter un candidat) ; —3° la classe des
familles à qui l'importance de leurs propriétés im-
mobilières a fait conférer par le roi le droit de présen-
tation ; — 4° la classe des familles de propriétés fon-
cières autrefois fortifiées ; — 5° les neuf Universités
(chacune un candidat) ;— 6° les quarante et quelques
villes auxquelles le roi a octroyé ce privilége.


Nomination par le Pouvoir exécutif sans élection
préalable : princes de la famille royale, — hauts fonc-
tionnaires siégeant en vertu de leur titre, membres
appelés à siéger par la volonté du roi.


L'organisation de la Chambre des seigneurs de
Prusse, établie par une ordonnance, peut être modi-
fiée par la voie législative ordinaire, de même que
toute la Constitution de ce pays.


La Chambre des seigneurs de Bavière n'a pas un
caractère moins aristocratique. Elle est composée des
princes majeurs de la maison royale, — des grands
dignitaires de la Couronne,—des deux archevêques,
— d'un évêque désigné par le roi et du président du
Consistoire supérieur protestant, — des chefs héré-
ditaires des familles princières ou comtales média-
tisées en 1806, — enfin des personnes que le roi
nomme « soit comme membres héréditaires, soit à




192 POUVOIR LÉGISLATIF.
vie , en considération de services éminents rendus
à l'État, de leur naissance ou de leur fortune » .


L'acte constitutionnel ajoute 1 : « L'hérédité ne
sera accordée par le roi qu'aux propriétaires fonciers
nobles qui possèdent le droit de citoyen et des biens-
fonds sur lesquels sont fondés des fiefs ou des fidéi-
commis qui paient 300 florins d'impôt foncier, et sur
lesquels est établie une succession par ordre de pri-
mogéniture. La dignité de membre héréditaire de la
Chambre des seigneurs n'est transmise avec les biens
sur lesquels est fondé le fidéicommis qu'au posses-
seur survenant par droit de succession. Le nombre
des membres à vie ne peut dépasser le tiers des
membres héréditaires. »


La Chambre des seigneurs de Wurtemberg a une
Constitution sensiblement pareille ; mais les dignités
ecclésiastiques n'y donnent pas accès, elles confèrent
le titre de membre de la seconde Chambre : c'est
parmi les 94 députés du Wurtemberg que prennent
place les six surintendants généraux de l'Église pro-
testante, et les trois dignitaires de l'Église catholique
indiqués par la loi.


La Chambre des seigneurs du grand-duché de Bade'
offre la réunion de toutes les combinaisons possibles :


Membres héréditaires : princes de la maison du-
cale, chefs des familles d'État.


' Laferriiere et Batbie, Constitutions, p. 228.


DU SÉNAT. 193
Membre de droit : évêque du grand-duché.
Membres élus : huit délégués de la noblesse ,


nommés pour huit ans, se renouvelant par moitié
tous les quatre ans deux délégués nominés pour
quatre ans, l'un par l'université de Fribourg, l'autre
par celle de Heidelberg. Les professeurs ordinaires
ont seuls le droit de vote dans les élections des uni-
versités.


Membres désignés par le grand-duc , au nombre
de huit toute personne « pourrait plaire au
grand-duc d'appeler à la Chambre des seigneurs,
sans distinction de rang ni de naissance ».


Dans le royaume de Saxe , la pairie héréditaire
n'existe pas, si ce n'est pour les princes de la maison
royale, qui ont droit de siéger à leur majorité.


Les seigneurs ne sont représentés que par cinq
chefs de familles médiatisées en 1806, lesquels sont
élus par leurs pairs.


Les propriétaires de biens équestres élisent à vie
douze membres de leur ordre , jouissant au moins
d'un revenu foncier de 2,000 thalers, ou 7,500 f'r.


Les huit villes principales envoient leur bourg-
mestre.


L'université de Leipzig nomme un membre de la
Chambre haute.


Enfin les Églises sont représentées par deux pré-
lats protestants, membres de droit„„deux députés des
fondations protestantes et un député d'une fondation
catholique.


13




194 POUVOIR LÉGISLATIF.
A cela, le roi peut ajouter dix membres nommés à


vie par lui-même ; mais il est astreint à faire porter
une partie de ses choix sur les propriétaires de biens
équestres.


Nous nous bornerons à m entionner le Portugal, oà
la Chambre des pairs est composée de membres àvie
et de membres héréditaires nommés par le roi, sans
détermination de nombre. C'est le système qui a
régné en France sous la Restauration.


L'Italie, au contraire, nous a emprunté le système
de la loi du 29 décembre 1831 ; son Sénat se com-
pose de membres en nombre illimité, nommés à vie
par le roi et choisis dans certaines catégories.


Avec la Constitution de l'empire du Brésil, nous
commençons à nous rapprocher du principe électif.
Voici quelles sont ses dispositions relativement à la
formation de la Chambre haute : « Le Sénat èst com-
posé de membres à vie, et il sera organisé au moyen
d'élections provinciales. — Chaque province fournira
un nombre de sénateurs égal à la moitié du nombre
de ses députés ; quand le nombre des députés de la
province sera impair, celui des sénateurs sera la
moitié du nombre pair immédiatement inférieur, de-
telle sorte que la province qui aura onze députés
nommera cinq sénateurs. — La province qui n'aura
qu'un député nommera cependant un sénateur, no-
nobstant la règle ci-dessus établie. — Les élections
seront faites de la même manière que celles des dé-


DU SÉNAT.
195


putes, mais en listes triples ; l'empereur choisira sur
l'ensemble de ces listes un tiers des noms qui y se-
ront portés »


Un revenu annuel de 800,000 reis (4,896 fr.) en
propriétés, commerce ou traitements, est exigé pour
l'éligibilité aux fonctions sénatoriales.


Ainsi le système libéral de l'élection des sénateurs
par l'ensemble des citoyens reçoit de nombreux tem-
péraments : double degré de l'élection , conditions
de revenu chez les candidats et même chez les élec-
teurs 2 , attribution à vie des fonctions sénatoriales,
enfin choix du gouvernement entre un nombre d'élus
triple du nombre des places à occuper.


D'après l'article 3 de la loi suédoise de 1866 sur
la représentation , « pour les deux Chambres les
membres de la Diète sont nommés par la voie de
l'élection et pour un temps déterminé » . L'article 6
porte que « les membres de la première Chambre
sont élus pour neuf ans par les assemblées provin-
ciales (Landstingen), et par les conseillers munici-
paux (Stads fulmetige) pour les villes qui ne prennent
pas part aux assemblées provinciales. Chaque assem-


Art. 40 à 44 de la Constitution, d'après Laferrière. — Les élections
au Brésil se fout par le suffrage à deux degrés. Les électeurs du se-
cond degré doivent jouir dan revenu de 1,224 francs en propriétés,
commerce, ou traitements.


Les électeurs du premier degré sont eux-mêmes astreints à jus-
tifier d'un revenu de 612 francs, qui peut du leste être celui de leur
t
ravail. Il nous faudrait des renseignements statistiques, qui nous


ma
nquent en partie, sur la condition (les classes populaires au Brésil,


pour mesurer exactement la portée de cette d isposii




196 POUVOIR til:GISLATIF.
blée provinciale et ville de la catégorie mentionnée
ci-dessus élit, d'après la population de son territoire,
un membre de la Diète par chaque nombre complet
de 30,000 habitants. »


Dans le royaume de Danemark, o'ù le suffrage
universel nomme la Chambre des députés ( Fol-
kething), la Chambre haute ou Landsthing procède
à la fois du cens et de l'élection à deux degrés. Les
électeurs du premier degré choisissent des électeurs
spéciaux, et à ces derniers viennent s'adjoindre, en
nombre égal, les citoyens qui l'année précédente ont
payé les impôts les plus élevés. Dans les villes, et
notamment à Copenhague, l'élément censitaire est
composé par une élection faite entre les citoyens
qui, l'année précédente, ont eu un certain revenu
imposable, au lieu de l'être par l'adjonction pure et
simple des plus imposés.


Sur les 66 membres du Landsthing, il y en a 12
nommés à vie par le roi ; le reste est élu de la façon
que nous venons d'indiquer, sauf le représentant des
îles Féroë, qui est élu par le Lagthing, parlement de
ces îles.


Le Landsthing est nommé pour huit ans et renou-
velable par moitié, tandis que la Chambre populaire
n'est élue que pour une période triennale.


Les Pays- Bas , où subsiste encore le suffrage
restreint pour la nomination de la seconde Chambre,
forment la première par l'élection à deux degrés, et


DU SÉNAT. 197
exigent en outre, pour l'éligibilité, des conditions de
cens très-élevées.


Ce sont, en effet, les États provinciaux, conseils
analogues à nos conseils généraux, mais jouissant .
d'une plus grande autonomie, qui, issus eux-mêmes
du suffrage censitaire, choisissent les membres de la
première Chambre parmi les habitants les plus
imposés au rôle des contributions directes de l'État,
et la, liste des éligibles est dressée de telle sorte qu'il
n'y en a qu'un pour 3,000 habitants. La population
des Pays-Bas est de 3,600,000 habitants ; le nombre
des membres de la première Chambre, de 39.




La Belgique nous offre un Sénat. procédant éga-
lement du cens, mais en procédant directement, sans
élection à deux degrés ; les électeurs sont les mêmes
que ceux de la Chambre des députés I , et le Sénat ne
se distingue de celle-ci que par le nombre plus res-
treint de ses membres (moitié de ceux de l'autre
Chambre) , les conditions censitaires
(1,000 florins d'impôt direct), la gratuité du mandat,
sa durée plus longue (huit ans au lieu de quatre), et
enfin le renouvellement partiel par moitié tous les
quatre ans, excepté en cas de dissolution.


Ce dernier détail nous amène à faire remarquer
que, les Chambres hautes électives de la Belgique et
des Pays-Bas peuvent être dissoutes par le Pouvoir
exécutif. Il en est de même du Landsthing danois,


' oy. livre préedent, chap. u.




198 POUVOIR LÉGISLATIF.
bien que douze de ses membres soient nommés à vie
par le roi.


Jusqu'à présent, nous avons constaté dans la


constitution de toutes les Chambres hautes, soit Fi n-
tervention plus ou moins souveraine du Pouvoir
exécutif, soit certaines conditions particulières de
cens imposées aux électeurs ou aux candidats. Que
la Chambre des députés fût nommée par le suffrage
universel ou par le suffrage restreint, nous avons vu
que, en fait, l'autre Chambre était vis-à-vis d'elle
une Assemblée de privilégiés destinée à tenir en
échec la. représentation nationale. Toutes les consi-
dérations que l'on peut invoquer sur le rôle des
Chambres hautes seraient impuissantes à pallier ce
fait incontestable; et, si l'institution sénatoriale
devait nécessairement rentrer dans un des systèmes
que nous venons de passer en revue, il ne serait
pas permis de produire pour sa défense les argu-
ments qui ont été indiqués au premier livre de cette
étude t . C'est, en effet, un principe élémentaire de
notre droit public, que la loi est « l'expression de la
volonté nationale », et, dans une telle organisation,
la volonté nationale ne serait plus qu'une fiction tout
à fait dérisoire.


Il semble au contraire que des s ystèmes exclu sive-
mentfondés sur l'élection à deux degrés, sur certaines
conditions d'âge imposées aux candidats, sur une


' Voy. Pouvoir législatif, liv. i er , II, p. 43 et suiv.


DU SÉNAT. 199
plus longue durée du mandat, sur le renouvellement
partiel, pourraient être exempts du vice capital que
nous venons de signaler, sans, pour cela, faire double
emploi avec la Chambre des députés. Pourtant l'his-
toire constitutionnelle comparée est très-peu abon-
dante en spécimens de ce genre, et c'est sans doute
cette difficulté de rencontrer ailleurs que dans les pays
fédératifs des institutions sénatoriales combinées
avec un régime démocratique qui a valu à ces insti-
tutions le désavantage d'être considérées comme
essentiellement monarchiques ou aristocratiques.


Il n'en a pas toujours été ainsi, puisque la Con-
vention nationale elle-même n'avait pas cru déroger
au principe républicain en établissant le régime des
deux Chambres. Le système consacré par la Consti-
tution de l'an III n'avait d'ailleurs rien d'oligar-
chique, les conditions d'âge et de mariage imposées
aux membres du Conseil des Anciens étant réalisa-
bles pour tous les citoyens, quelquefois même réali-
sées au-delà de leurs voeux, et la condition de quinze
ansées de domicile sur le territoire de la. République
n'étant inaccessible à personne.


Au reste, il existe encore actuellement en Europe
un État où le régime des deux Chambres fonctionne
sans demander aucun sacrifice au principe que la loi
est l'expression de la volonté nationale : nous vou-
lons parler de la Norwége.


En Norwége, aux termes de l'article 49 de la
Constitution, « le peuple exerce le pouvoir législatif
par le Storthing, qui est composé de deux Chambres,




200 POUVOIR LÉGISLATIF.
le Lagthing et l'Odelsthing » . Notons immédiatement
que le roi n'a pas le droit de dissoudre le Storthing
et ne possède qu'un vélo suspensif qui disparaît
devant trois votes du Parlement ; celui-ci est donc
investi d'un pouvoir qu'on peut regarder comme
exceptionnel dans une monarchie, et il en a usé
notamment pour abolir la noblesse dès 1821, malgré
la résistance du roi.


Comment procède-t-on à la formation de la Cham-
bre haute ? Rien de plus simple : le Parlement élu,
le Storthing 'choisit un quart de ses membres pour
composer le Lagthing, qui remplit les fonctions de
Chambre haute ; les trois autres quarts du Storthing
forment la seconde Chambre sous le nom d'Odels-
thing. Chacune de ces deux divisions tient ses séances
séparément etnomme son président et son secrétaire.


Ajoutons que la Chambre haute ainsi élue pos-
sède , outre le pouvoir législatif, certaines attribu-
tions judiciaires ; elle contribue en effet, conjointe-
ment avec le tribunal suprême, à composer le Rigeel,
qui juge souverainement toutes les actions intentées
par la Chambre des députés (Odelsthing) contre les
membres soit du Conseil d'ltat où siégent les
niStres, soit du tribunal suprême, soit du Parleme t,
à raison de faits relatifs à leurs fonctions.


Cette organisation rudimentaire de la don e
représentation répond assez au désir de ceux «q
demandent surtout au système des deux Chambr
une plus grande maturité dans l'élaboration des lois
Quant à ceux qui voient dans la Chambre haute


DU SÉNAT. 201
sinon la dépositaire des traditions, du moins l'inter-
inédiaire destiné à ménager les transitions et à régu-
lariser le progrès, ils ne manqueront pas de remar-
quer que le Lagthing disparaît tous les trois ans avec
l'Odelsthing, et que les deux Chambres du Parlement
se trouvent renouvelées intégralement du même
coup. Ce renouvellement total n'empêche pas la
Norwége de jouir du calme politique le plus profond,
sous un régime presque absolument démocratique ;
car, si le suffrage n'y est pas tout à fait universel,
el s'il fonctionne à deux degrés, les conditions en
sont fort larges. Nous lisons dans une notice de
M. Maurice Block que , parmi les 111 élus , « on
compte toujours beaucoup (50 à 60) de fonction-
naires communaux, et notamment. des pasteurs, des
instituteurs, des chantres 1 ».


Avant d'entrer dans les détails qui feront l'objet
des chapitres suivants, nous pouvons constater que
le Sénat de la République française ne ressemble à
aucun de ceux que nous venons d'examiner; il s'en
rapproche sur quelques points, mais l'ensemble de
ses traits généraux I n i donne u ne physionomie à part.
Si, en effet, les conditions d'âge, la longue durée du
mandat, le renouvellement par tiers et le rôle de
haute cour de justice politique, sans parler des attri-
butions législatives, lui sont communs avec un grand


' Dictionnaire de la politique, 2 e édition, 1873. —Nous acquittons
Iule dette eu déclarant que cet utile recueil nous a fourni plusieurs
rois des renseignements qui eussent exigé de notre part de plus
l on gues recherche:.





202 POUVOIR LÉGISLATIF.
nombre de corps analogues, on peut regarder comme
des particularités plus rares l'élection à divers degrés
avec le suffrage universel pour point de départ, l'ab-
sence de toute condition de cens chez les électeurs et
chez les élus, le recrutement partiel du Sénat par
lui-même, et enfin le pouvoir d'autoriser la disso-
lution de la Chambre des députés. La haute Chambre
établie par les lois fondamentales de 1875 offre donc
un type relativement nouveau, dont il nous reste à
examiner les caractères.


CHAPITRE II.


DES ÉLECTEURS SÉN 1TORIAUX.


1)u corps électoral sénatorial dans les divers pays. — Analyse du
système adopté en France. — Supériorité numérique des délégués
communaux sur les autres électeurs. — Supériorité numérique des
petites communes. Statistique.— Caractère de cette organisation
électorale. — Sénateurs inamovibles élus par le Sénat. — Carde-
1 ère du Sénat. ainsi composé. — Mode de constitution du corps
électoral ; désignation des délégués.


Pour apprécier le rôle et le caractère d'une Assem-
blée, le plus nécessaire n'est pas de considérer quels
sont les éligibles , mais quels sont les électeurs. A
moins que la catégorie des éligibles ne soit extrême-
ment restreinte et qu'elle n'embrasse qu'un très-
petit nombre d'individus, il est vraisemblable qu'elle
comprendra assez de citoyens pour former une AS-
semblée politique selon le voeu de l'opinion. Au con-
traire, si le corps électoral est composé d'une certaine


DU SÉNAT. 203
classe, ou si certaines classes en sont exclues, on
peut prédire à coup sûr ce que seront les élus.


Nous verrons plus loin quelles conditions d'éligibi-
lité sont exigées des membres des Chambres hautes ;
dans ce chapitre,il s'agit exclusivement des électeurs.


Nous ne reviendrons pas sur la première Chambre
saxonne, où presque tous les élus représentent les
ordres féodaux ou religieux qui les ont choisis ; —
sur la première Chambre suédoise, nommée par des
conseils locaux parmi les citoyens jouissant d'une
fortune déterminée ; — sur le Landsthing danois,
produit au second degré d'un corps électoral mi-
partie démocratique et censitaire ; — sur le Lagthing
norvégien, nommé par un Parlement issu d'un suf-
frage non universel ; — sur la première Chambre
néerlandaise , choisie par des États provinciaux
formés eux-mêmes par uri corps électoral censi-
taire, dont le minimum contributif est de 42 francs
35 centimes ; — sur le Sénat belge, qui a pour élec-
teurs directs ceux de la Chambre des députés, c'est-
à-dire tous les citoyens âgés de vingt et un ans et
payant 42 francs 32 centimes d'impôt.


Sans insister sur les États de l'Amérique espa-
gnole, dont un grand nombre n'ont de la république
que le nom, il nous faut cependant, à titre de compa-
raison, indiquer le régime d'élections sénatoriales
qui a été adopté. chez eux, parce qu'il est intéressant
de constater sur quelle base. y repose l'institution de
la. Chambre haute.




204 POUVOIR LÉGISLATIF.
Au Chili, au Pérou, clans l'Uruguay, à Costa-Rica,


les élections sénatoriales se font à deux degrés, mais
les conditions varient d'un pays à l'autre.


Au Chili, tout citoyen possédant une propriété ou
exerçant une industrie dont le produit atteint le chiffre
fixé par la loi , est électeur primaire, et a droit,
comme tel, de participer à la nomination des élec-
teurs sénatoriaux. Ceux-ci doivent jouir d'un revenu
minimum de 2,500 francs ; de plus, les sénateurs
doivent justifier d'un revenu de 10,000 francs.


Le Pérou est un peu moins exigeant. D'abord ,
pour avoir le droit de vote, il suffit de savoir lire et
écrire, ou d'être chef d'atelier, ou de payer une con-
tribution, si minime qu'elle soit. Puis , les électeurs
secondaires ne sont astreints à aucune condition par-
ticulière; enfin, quoique la chose se passe au Pérou,
on considère 5,000 francs comme un revenu suffi-
sant pour un sénateur.


L'Uruguay touche à la démocratie complète. Il
admet au vole tout individu de vingt et un ans (ou
même de dix-huit ans, s'il est marié) , et qui sait
lire et écrire. « Tous les citoyens investis du droit de
vote désignent, au scrutin secret, des électeurs
secondaires , dont le nombre est proportionnel au
chiffre de la population ; ces électeurs secondaires,
réunis ensuite au chef-lieu de département, procè-
dent à l'élection du sénateur 1 . »


Charbonnier, Organisation électorale de tons les pays.civilisés;
Paris, Guillaumin, 1874. Nous empruntons une partie des renseigne-
ments ci-dessus à ce savant et très-tilde travail.


DU SÉNAT. 205
A Costa-Rica, les électeurs secondaires doivent


remplir certaines conditions de cens (1,000 fr. de
revenu).


Dans l'Équateur et le Paraguay, ce n'est pas l'élec-
tion à deux degrés, mais le suffrage direct qui nomme
les membres du Sénat ; cependant le système poli-
tique de ces deux pays offre de notables différences.


Dans l'Équateur, « pour être électeur, il faut rem-
plit' les conditions suivantes : 1° être Équatorien ;
2" être catholique ; 3° savoi r lire et écrire ; 4° être ma-
rié ou avoir vingt ans révolus ; 5° posséder en rentes
ou en biens-fonds un capital de 200 piastres (1, 000 fr.);
6° appartenir à la paroisse clans laquelle se fait l'élec-
tion i » . Le Sénat se distingue de l'autre Chambrepar
des conditions censitaires d'éligibilité (2,500 fr. de
revenu, qui peuvent provenir de l'exercice d'une in-
dustrie), par l'attribution de deux sénateurs à chaque
province , sans avoir égard à la proportion plus ou
moins grande de la population ; enfin par la plus
longue durée du mandat (neuf ans).


Le Paraguay, après avoir admis pendant près de
soixante ans le régime purement dictatorial du doc-
teur Francia et des deux Lopez, est gouverné aujour-
d'hui par une. Constitution démocratique, établie
en 1870. D'après cette Constitution, le Sénat, comme
la Chambre des députés, est nommé proportionnelle-
ment à la population par tous les Paraguayens âgés de


Charbonnier, ibid.




206 POUVOIR LÉGISLATIF.
dix-huit ans au moins ; mais ily a un sénateur contre
deux députés. Le Sénat se renouvelle d'ailleurs par
tiers, pendant que l'autre Chambre se renouvelle par
moitié. Aucune condition de cens chez les électeurs,
ni chez les candidats.


A ces systèmes électoraux tirés des Constitution
étrangères, nous n'ajouterons pas les nombreuse
combinaisons imaginées par les membres de l'As
semblée qui vota, en définitive, la loi du 24 févrie
1875. Il ne s'agit pas ici de toutes les organisation
possibles , mais seulement de celles qui ont pass
dans le domaine des faits. Nous nous bornerons
rappeler que l'Assemblée avait été saisie d'un proje
consistant à faire nommer le Sénat par le suffrag
universel , et déterminant seulement certaines coté
gories , anciens représentants, ancien
hauts fonctionnaires, membres de l'Institut, etc.


La Constitution de 1875 attribue la nomination
des sénateurs à un corps électoral spécial.


Ce corps électoral se compose de deux catégories
distinctes : les électeurs de droit et les électeurs spé
cialement désignés à l'effet de prendre part au choix
des sénateurs.


Les premiers sont : les députés, les conseillers gé-
néraux et les conseillers d'arrondissement du dépar




tement. Les seconds sont les délégués choisis par les
conseils municipaux, chaque conseil municipal nom-
mant un délégué.


s
s


r


(3


DU SÉNAT. 207
On a vu au livre précédent (chap. Il et suiv.) dans


quelles conditions sont élus les députés. — D'autre
part, le Conseil général de chaque département se
compose d'autant de membres qu'il y a de cantons
dans le département, chaque canton, quelle que soit
sa population, nommant au suffrage universel un
conseiller. Les conseillers d'arrondissement sont
nominés également par les cantons ; mais, la loi fixant
leur nombre au minimum de 9 par arrondissement,
ils sont presque toujours plus nombreux que les con-
seillers généraux, quoique leur rôle soit plus effacé,
puisqu'il est restreint à la répartition des impôts, au
lieu de s'étendre à toutes les affaires départementales.


Le vote de cette première catégorie d'électeurs sé-
natoriaux est donc un vote au deuxième degré ; quant
aux délégués nommés par les conseils municipaux,
ils ne représentent le suffrage universel qu'au troi-
sième degré. On peut même contester l'exactitude de
cette expression, en faisant observer que l'élection à
plusieurs degrés suppose un choix fait par les élec-
teurs primaires en vue des opérations électorales ; on
peut dire que les conseillers généraux ou d'arrondis-
sement, de même que les conseillers municipaux, ne
sont pas élus à titre d'électeurs secondaires , mais
comme représentants des intérêts locaux. C'est là un
fait indéniable ; cependant il est très-probable que
la loi qui confère le privilége de l'élection sénato-
riale aux représentants des intérêts locaux aura pour
conséquence de faire prédominer davantage les con-
sidérations politiques dans les choix du suffrage uni-




f


208 POUVOIR LÉGISLATIF.
versel appelé à élire les conseillers généraux, d'ar-
rondissement ou municipaux. Il est donc permis de
considérer les élections sénatoriales comme des élec-
tions à cieux et à trois degrés.


Mais ce détail ne donnerait qu'une idée imparfaite
du corps électoral. Il faut remarquer, de plus, que le
nombre des députés ne dépasse qu'exceptionnelle-
ment celui des arrondissements, — que le nombre
des conseillers généraux est égal à celui des cantons,
—celui des conseillers d'arrondissement légèrement
supérieur dans la plupart des départements,— tandis
que le nombre des délégués municipaux est égal à
celui de toutes les communes ; d'où il s'ensuit que,
dans tous les colléges électoraux , les électeurs du
troisième degré sont en grande majorité.


On ne peut citer qu'une seule exception : c'est le dé-
partement de la Seine, où le nombre des députés et
des conseillers généraux et d'arrondissement est plus
élevé que celui des communes.


Pour montrer la supériorité numérique des élec-
teurs du troisième degré, il nous suffira de repro-
duire quelques chiffres caractéristiques empruntés
au tableau des premières élections sénatoriales :


Dans le département de l'Eure, on comp tail,90 dé-
putés , conseillers généraux et d'arrondissement
contre 700 délégués communaux ;— dans la Somme,
103 contre 832; — dans le Pas-de-Calais , 114
contre 903; — dans la Manche, 86 contre 665 ; —
dans la Côte-d'Or, 86 contre 717; — dans l'Aisne,
95 contre 837. Dans quatre ou cinq départements à


DU SÉNAT.
209


peine, le nombre des députés et des conseillers gé-
néraux et d'arrondissement atteignait le quart du
chiffre total des électeurs sénatoriaux.


Non-seulement ce sont les électeurs du troisième
degré qui forment l'immense majorité des citoyens
appelés à nommer le Sénat, mais, pour être exact, il
faut ajouter qu'il y a entre eux et les électeurs inter-
médiaires qui existent dans la plupart des États une
différence capitale : c'est que leur nombre n'est
nullement proportionnel à celui des électeurs pri-
maires. Toute commune, avons-nous dit, est repré-
sentée par un délégué que choisit son conseil muni-
cipal. Il n'y a, à cet égard, aucune distinction entre
une commune de plus de 1 million 800,000 âmes,
comme Paris, et une commune de 100 habitants. Lors
du vote des lois constitutionnelles, une proposition
avait été mise en avant pour accorder deux délégués
aux villes dont la population dépasserait un certain
chiffre ; cette proposition fut écartée.


Le tableau suivant donne une idée approximative
des résultats du système adopté.
bitNanotms bre des communes avant moins de 100 ha-y


Ayant de 100 à 200
habitants 2,953


- 201 à 300




4,542
- 301 à 400


4,677
- 401 à 500
3,969


- 501 à 1,000




11,525
- 1,001 à 1,500


4,451
- 1,501 à 2,000
2,101


14




210 POUVOIR LÉGISLATIF.
Nombre des communes :


ayant de 2,001 à 3,000 habitants 1,477
— 3,001 à 4,000 581


4,001 à 5,000 249
5,001 à 10,000 309



10,001 à 20,000 108



20,001 et au dessus 73


Il y a donc 8,028 communes dont la population
n'excède pas 300 habitants ; — 12,705 communes
dont la population n'excède pas 400 habitants ; —
16,674 communes dont la population n'excède pas
500 habitants ; — 28,199 communes dont, la popu-
lation n'excède pas 1,000 habitants; — et 36,228
communes dont la population ne dépasse pas trois
mille habitants.


Les communes qui ont plus de 3,000 habitants ne
sont qu'au nombre de 1,320.


Ainsi, dans la nomination du Sénat, les communes
de plus de 3,000 habitants disposent de 1,320 voix
contre 36,000 appartenant aux petites communes.


Les 73 plus grandes villes de France ont 73 suf-
frages contre trente-sept mille quatre cent soixante-
quinze ; elles sont, par conséquent, comptées toutes
ensemble pour la cinq-cent-quatorzième partie de la
France.


Enfin les communes de Paris, Lyon, Marseille,
Bordeaux , Lille et Toulouse , dont la population
atteint le chiffre de trois millions d'habitants, Sont
comptées pour moins de la six-millième partie de la
France.


est malaisé de


211
11 découvrir l'idée théorique à" SiNAT.


d cette combinaison électorale.laquelle correspond
Ira-t-on chercher dans cette égale participation


de toutegsell,emsecdon,
teur•s le


:
l'ineui:ee;réàs Can tna°t imo n tui


sni eésd ésréanl ea;
Il semble, en effet , qu'on ait voulu attribuer à chaque


,litéaipci qu'elle soit, un droit. iden-mun ,
tique à celui des plussi


h u mbl
importantes, de sorte qu'on a


pu dire' que le Sénat était le « grand Conseil des
communes français es » •


que les com-Mais, pour
jouissant.


d'une certaine in


cela,


lp reanuddar:ticte7cpeppog luis rflest. contraire raire à
inlaurléleaslitféradneçsafis:iss, oent tcdeeqs 1Lilinietxéisgerait d'ailleurs des


p lus considérables. On com-groupements beaucoup P


dciuhea lbeitsaérintsa.t n e


prend la confédéraltaiocnodnerésdrranttioonns szi.ssbeesn;rogialdieise
comprendrait pas
rurales duen eq uacultcri eu cl: cisconntaii)10.1eusr


puisse
représenter dans aucune mesure l 'autonomie com-
munale: c'est que, pour affirmer dans une assemblée
l 'indépendance de groupes autonomes, il faut que
chaque groupe y soit représenté. C'est ainsi que
chaque canton


,


de' la Suisse est représenté au Conseil
d et que même les demi


-cantons ont un
délégué ; c'est ainsi encore que les plus petites


a fédération all
Pri"-


e e envoient un
commissaire au Bundesrath. Sans sortir de France.
cipautés d l




fédératio




Gambetta , dan;. an discour...: prononcé à. il eliev e.




212 POUVOIR LÉGISLATIF.
nons pouvons citer les Conseils généraux de dépar-
tement, dont l'organisation élective assure la repré-
sentation spéciale de tous les cantons, lesquels con-
servent ainsi leur individualité distincte. Mais
comment en serait-il de même lorsque les délégués
des communes sont simplement appelés à élire à la
majorité des voix une liste de sénateurs pourle dépar-
tement tout entier ! Sans doute, au moment du vote,
chaque commune pèse autant que n'importe quelle
autre ; sans doute alors toute commune compte pour
une unité et acquiert une véritable personnalité poli-
tique, mais ce n'est là qu'une personnalité transitoire
et éphémère, qui disparaît dans le vote d'où doit
sortir une représentation exclusivement départe-
mentale.


Si, comme nous le pensons, le Sénat n'est nulle-
ment le grand Conseil des communes, il nous sem-
blerait exact, au contraire, de l'appeler le grand
Conseil des campagnes , et, en employant cette
expression, nous constatons seulement un fait qui
ressort avec une évidence mathématique des chiffres
que nous avons rapportés plus haut. Nous ignorons
si la pensée du législateur de 1875 a été d'assurer
aux classes rurales la direction des affaires publi-
ques, ou d'assurer aux gouvernements à venir la dis-
position d'éléments politiques qu'il jugeait plus dis-
ciplinables que ceux des villes ; — à vrai dire, nous
inclinons fortement vers cette dernière hypothèse.


Les électeurs que nous venons de passer en revue


DU SÉNAT. 213
ne sont pas seuls investis du droit de participer à la
formation du Sénat. Le Sénat se compose, en effet,
de 300 membres, dont 225 seulement sont nommés
par les départements. Les 75 autres, formant le quart
de la totalité des sénateurs, sont issus d'un corps
électoral particulier, qui n'est autre que l'Assemblée
du 8 février 1871, au droit de laquelle succède le
Sénat lui-même. Lorsque l'Assemblée établit l'ins-
titution sénatoriale, elle se réserva la nomination
d'un quart du futur Sénat, et décida que les 75 sé-
na teurs désignés par elle seraient inamovibles.


En cas de vacance par décès, démission ou autre
cause. il est, dans les deux mois, pourvu, par le
Sénat lui-même, au remplacement des sénateurs à
vie. Le remplacement des sénateurs inamovibles par
le Sénat marque un quatrième degré d'élection, si
l'on considère le vote des 225 sénateurs départe-
mentaux; et un cinquième degré, si l'on considère
celui des sénateurs à vie nommés depuis la disso-
lution de l'Assemblée.


Ce serait une oeuvre ardue que de caractériser
nettement la nature des éléments complexes qui
concourent à la formation du Sénat.


Nous avons vu que le corps électoral sénatorial
était constitué de façon à annuler le vote des villes, et
à l'annuler d'autant plus complétement que les villes
sont plus peuplées. Ce qui n'est pas moins certain,
c'est que, même en tenant compte exclusivement des
communes rurales, le Sénat ne peut être regardé




214 POUVOIR LÉGISLATIF.
comme représentant le suffrage universel, puisque,
sans parler des inamovibles, ni le nombre des séna-
teurs, ni le nombre des électeurs intermédiaires entre
eux et la nation ne sont, même approximativement,
proportionnels à la population.


Cependant le Sénat procède du suffrage universel
en un certain sens ; car les électeurs sénatoriaux, tels
que députés, conseillers généraux et d'arrondisse-
ment, ou les conseils municipaux chargés de choisir
les délégués qui seront électeurs, sont tous des élus
du suffrage universel. Il en est de même de l'Assem-
blée nommée le 8 février 1871 et renouvelée par les
élections partielles qui se succédèrent depuis cette
époque jusqu'à la nomination des 75 inamovibles.
Ainsi, de toutes parts, à la hase de l'institution sé-
natoriale, on retrouve le suffrage universel. Il résulte
de là que , si tous les citoyens n'interviennent pas
dans l'élection des sénateurs d'une manière directe
et proportionnelle au nombre des suffrages expri-
més,-ils y interviennent néanmoins dans une mesure
plus ou moins efficace par le choix de leurs députés,
de leurs conseillers généraux, de leurs conseillers
d'arrondissement, et surtout de leurs conseillers
municipaux ; toute commune qui nomme son conseil
municipal émet, pour ainsi dire, du même coup son
vote aux élections sénatoriales qui pourront avoir
lieu plus tard ; chaque élection de député, de con-
seiller général ou d'arrondissement, permet à tous les
citoyens d'assurer à leur opinion un suffrage de plus
dans le collége où se fera la nomination des sénateurs.


DU SF.NAT. 215
Il n'est que trop facile de signaler les défectuosités


de ce système ; mais, en le comparant à ceux qui sont
appliqués clans les autres États libres, on reconnaît
qu'il n'est ni le moins libéral, ni le moins démocra-
tique. Si l'on fait abstraction du défaut de propor-
tionnalité dans la représentation et de l'annihilation
des villes qui en est la conséquence, que reste-t-il?
Il reste un Sénat nommé, sans aucune condition de
cens, ni chez l'électeur, ni chez l'élu, par les délé-
gués des conseils communaux ; et que sont ceS-con-
seils communaux formés par les humbles travailleur
des campagnes, sinon la représentation la plus popu-
laire et la plus démocratique qui existe dans notre
pays ? Nos institutions sénatoriales offrent même ce
singulier spectacle de la prépondérance politique
attribuée non pas à la fortune, non pas à la culture
intellectuelle, mais aux classes les plus modestes et
les plus déshéritées des bienfaits de l'instruction.


Dans le système présenté à l'Assemblée le 23 fé-
vrier 1875, et écarté par le vote du contre-projet qui
est devenu la loi actuelle, les sénateurs devaient être
choisis par le même corps électoral ; mais, pour la
désignation des délégués communaux, on adjoignait
aux membres du conseil municipal, et en nombre égal,
les propriétaires les plus imposés de la commune.
De plus, sur 300 sénateurs, 100 étaient nommés par
décret du Président de la République. 11 n'est pas
besoin d'insister sur la différence capitale qui
existerait entre un Sénat ainsi formé et. celui qui a
été établi par la Constitution. L'intervention des plus


I!




• 216
POLTV0111 LÉGISLATIF.


imposés et du Président de la République eût été la
négation de deux principes auxquels il n'est pas
dérogé par le système adopté, savoi r : l'indépendance
absolue du Sénat vis-à-vis de l'exécutif, et l'égalité
politique entre tous les citoyens. On peut reconnaître
par là que, pour apprécier équitablement l'institution
sénatoriale de 1875, il ne fa ut pas seulement voir ce
qu'elle renferme, mais aussi tenir compte de ce qui
ne s'y trouve pas.


Il nous reste à indiquer le mode de constitution
du corps électoral sénatorial.


Pour que les députés, les membres des conseils
généraux ou des conseils d'arrondissement soient
inscrits sur la liste des électeurs sénatoriaux et admis
à prendre part au vote, il suffit qu'ils aient été pro-
clamés par les commissions de recensement, lors
mème que leurs pouvoirs n'auraient pas été vérifiés.
Comme il est de principe qu'aucun électeur n'ait plus
d'une voix, les députés et conseillers généraux ou
d'arrondissement ne peuvent être choisis comme
délégués par les conseils municipaux, mais ils peu-
vent prendre part aux choix faits par ces conseils
lorsqu'ils en sont membres ; ils participent ainsi à la
nomination d'un électeur sénatorial avant de parti-
ciper à la nomination des sénateurs.


Voici de quelle manière sont élus les délégués des
conseils municipaux, qui forment, comme on l'a vu,
les gros bataillons de l'armée électorale :


DU SÉNAT. 217
Un mois avant le jour fixé pour l'élection des séna-


teurs, les conseils municipaux sont convoqués pour
désigner chacun un délégué et tin suppléant. Si une
commune était privée de conseil, parce que les élec-
tions municipales auraient été annulées, ou parce
qu'on aurait établi une commission à. la place du
conseil élu, le gouvernement devrait, dans le premier
cas, faire procéder par la commune à. la nomination
d'un conseil, — dans le second cas, convoquer l'an-
cien conseil. Dans toutes les hypothèses, un conseil
municipal élu sera appelé à choisir le délégué de la
commune et son suppléant.


Le choix du délégué et celui du suppléant se font
séparément, sans débat, au scrutin secret, à la majo-
rité absolue des votants, et peuvent porter sur tous
les électeurs de la commune. Aucune condition par-
ticulière n'est requise du délégué ; il peut n'avoir que
vingt et un ans, ne posséder que six mois de domicile
clans la commune et ne payer aucun impôt direct'.
—Un suppléant doit être désigné, soit que le délégué
refuse son mandat, soit même qu'il l'accepte.


Il est dressé de toutes les opérations du vote un
procès-verbal ; chaque membre du conseil municipal
a le droit d'y faire consigner ses observations. Un
exemplaire de ce procès-verbal est transmis immé-
diatement au préfet; un autre est affiché à la porte de


' Le délégué peut également étre uu conseiller municipal non do
-micilié dans la commune , et n'y avant d'autre droit électoral que


celui que les conseils inunicipain exercent eu désignant des électeurs
sénatoriaux: la loi est formelle sur ce point; mais un conseiller mu-
nicipal non domicilié doit payer un chiffre d'impôts directs.




218 POUVOIR LÉGISLATIF.
la mairie. Cet affichage a pour but de permettre à
tout électeur de la commune de protester contre la
régularité de l'élection. Tous les citoyens inscrits sur
les listes électorales tiennent de la loi la faculté de
protester contre l'élection du délégué ou du suppléant,
parce que tous ont le droit d'être élus délégués ou
suppléants et qu'ils peuvent, par suite, avoir intérêt
à signaler eux-mêmes les irrégularités qui auraient
été commises. Les protestations sont jugées, en
premier ressort, par le conseil de préfecture, et, en
appel, par le Conseil d'État. Mais l'appel n'est pas
suspensif, et son effet ne peut jamais se produire,
grâce aux lenteurs de la procédure, qu'après l'élec-
tion sénatoriale ; il influera donc tout au plus sur la
validation de cette dernière élection.


Le tableau de l'élection des délégués et suppléants
est dressé, dans la huitaine., par le préfet ; ce tableau
est communiqué à tout requérant ; il peut être copié
et publié.


Enfin, huit jours au plus tard avant l'élection des
sénateurs, le préfet doit avoir dressé la liste, par
ordre alphabétique, de tous les électeurs sénatoriaux.


CHAPITRE III.


LES ÉLIGIBLES.


Des conditions de nomination par le pouvoir exécutif. — Des
conditions d'éligibilité. Droit comparé.— Incompatibilités.


Dans les pays où les fonctions sénatoriales ne sont


Du SÉNAT. 219
ni héréditaires, ni attribuées à une certaine classe de
citoyens, il arrive souvent qu'elles sont soumises à
des conditions légales qui ont pour effet de restreindre
soit le droit de nomination du ' p ouvoir exécutif, soit
les choix du corps électoral, à des catégories déter-
minées de personnes.


Si, dans certaines monarchies, comme en France
sous la Restauration, et en Portugal d'après la Charte
de 1826 révisée en 1852, le droit de nomination qui
appartient au Pouvoir exécutif est illimité , clans
d'autres, comme sous la royauté, dei uillet et actuel-
lement en Italie, ce droit est circonscrit par la loi
constitutionnelle.


En I talle, les catégories sont les suivantes :
Clergé : Archevêques et évêques de l'État;
Sciences et instruction publique : Membres de


l'Académie royale des sciences nommés depuis sept
ans ; membres ordinaires du conseil supérieur d'ins-
truction publique après sept ans d'exercice ;


Corps électifs : Le président de la Chambre des
députés ; les députés depuis trois législatures ou
ayant six années d'exercice ; les membres des con-
seils de division après trois élections à.laprésidence ;


Hauts fonctionnaires: Ministres d'État ; ministres
secrétaires d'État, ambassadeurs, envoyés extraor-
dinaires en fonctions depuis trois années ; conseillers
d'État en fonctions depuis cinq années ;


Magistrature : Premiers présidents et présidents
de ln Cour de cassation et de la. Chambre (les
comptes ; premiers présidents des Cours d'appel, en




290
POUVOIR LÉGISLATIF.


fonctions depuis trois ans ; avocats généraux et
officier fiscal près les Cours d'appel, en fonctions
depuis cinq ans ;


Armée : Officiers généraux des armées de terre et
de mer et intendants généraux en exercice depuis
sept ans ;


Censitaires : Personnes qui, depuis trois années,
paient trois mille livres d'impôt direct à raison de
leur fortune ou de leur industrie.


Telles sont les catégories parmi lesquelles le roi
d'Italie peut choisir en nombre illimité les citoyens,
âgés de quarante ans au moins, qu'il lui convient
d'élever à lit dignité sénatoriale ; il faut, de plus, y
ajouter « tous ceux qui, par services ou mérites émi-
nents, auront bien mérité de la patrie ».


Nous avons déjà dit qu'au Brésil le Sénat était
formé au moyen d'élections provinciales désignant
au choix du Pouvoir exécutif un nombre de candi-
dats triple de celui des siéges à pourvoir. D'après In.
Constitution de 1824 (art. 46), « pour être sénateur il
faut : 1° être citoyen brésilien et jouir des droits poli-
tiques; 2° être âgé de quarante ans accomplis ; 3° être
un homme de savoir, de mérite, de vertu , la préfé-
rence étant donnée à ceux qui ont rendu des services
à la patrie; 4° avoir un revenu annuel de 800,000 reis
(4,896 fr.) provenant de biens-fonds, industrie,
commerce ou traitements ».


En Belgique, où les conditions de cens, imposées


DU SÉNAT. 221
aux électeurs, ne sont pas requises des députés, elles
sont, au contraire, assez élevées pour l'éligibilié sé-
natoriale. « Pour pouvoir être élu et rester sénateur,
porte l'article 56 (le la Constitution , il faut : être
Belge de naissance ou avoir reçu la grande natura-
lisation ; jouir de ses droits politiques et civils ; être
domicilié en Belgique ; être âgé d'au moins quarante
ans paver en Belgique au moins 1,000 florins d'im-
positions directes (plus de 2,000 fr.), patentes com-
prises.— Dans les provinces où la liste des citoyens
payant 1,000 florins d'impôt direct n'atteint pas la
proportion de 1 sur 6,000 âmes de population, elle
est complétée par les plus imposés de la province jus-
qu'à concurrence de cette proportion de 1 sur 6,000. »
— Il y a incompatibilité entre le mandat de sénateur
et l'exercice d'une fonction salariée par l'État; les
membres du Sénat ne peuvent -être nommés à une
fonction de ce genre qu'une année au moins après
l'expiration de leur mandat.


Pour être éligible à la première Chambre des États-
Généraux des Pays-Bas, nous avons déjà eu l'occa-
sion de noter qu'il fallait appartenir à la catégorie
des habitants les plus imposés dans les contributions
directes de l'État, catégorie formée itraison de 1 éli-
gible par 3,000 âmes; il faut, de plus, réunir les
conditions exigées pour les membres de la seconde
Chambre , c'est-à-dire être Néerlandais , avoir la
jouissance pleine et entière des droits civils et poli-
tiques, être âgé de trente ans accomplis.




DU SÉNAT. 2;23
avoir été dans la situation requise au moment de son
élection, viendrait à perdre une partie de sa fortune
ou de son revenu, et à se trouver dans une position où
il ne serait plus éligible, il devrait se démettre de ses
fonctions.


Les sénateurs roumains, élus par des colléges de
censitaires (sauf les deux sénateurs désignés par les
Universités, et les métropolitains ou évêques diocé-
sains , lesquels sont membres de droit), doivent
réunir les conditions d'éligibilité suivantes : être
Roumains et domiciliés en Roumanie, jouir de leurs
droits civils et politiques, avoir atteint l'âge de qua-
rante ans, enfin avoir un revenu, de quelque nature
que ce soit, de 800 ducats (plus de 9,000 fr.), cons-
taté par le rôle des contributions, les quittances ou les
avertissements délivrés par les percepteurs des contri-
butions pour l'année précédente et l'année courante.


Cependant certaines catégories de citoyens sont
éligibles au Sénat sans condition de cens. Ce sont :
les présidents et vice-présidents des Assemblées lé-
gislatives ; les députés qui ont fait partie de trois
législatures ; les militaires jouissant du grade de
général ou possédant celui de colonel depuis trois
ans ; les anciens ministres ou agents diplomatiques
de la Roumanie ; les magistrats ayant rempli pendant
un an les fonctions de conseiller à la Cour de cassa-
tion, de, président de cour ou de procureur général ;
enfin les docteurs ou licenciés de quelque spécialité
que ce soit qui ont exercé leur profession pendant six


4


222 POUVOIR LÉGISLATIF'.
Les membres (les États-Généraux ne peuvent être


en même temps membres ou procureurs généraux de
la haute Cour, membres de la Chambre des comptes,
commissaires du roi dans les provinces, prêtres ou.
ministres d'un culte. — Les militaires en service
actif qui acceptent les fonctions de membre d'une des
deux Chambres sont, pendant la durée de ces fonc-
tions, placés de droit en non-activité. Du moment où
ils cessent d'être membres de la Chambre, ils ren-
trent dans le service actif. — Les fonctionnaires qui
président aux élections ne sont pas éligibles dans le
district de leur présidence.—, Enfin les membres des
États-Généraux qui acceptent des fonctions salariées
de l'État, ou qui obtiennent un avancement dans le
service de l'État, cessent de siéger ; ils sont toutefois
immédiatement rééligibles 1.


D'après la loi suédoise sur la représentation
(22 juin 1866), il faut, pour être élu membre de la
première Chambre, avoir trente-cinq ans accomplis,
et posséder; depuis trois ans au moment de l'élec-
tion, des immeubles évalués pour l'assiette de l'impôt
à 80,000 riksdales au minimum (115,000 fr., chiffre
rond). A défaut de cette condition, il faut que depuis
trois ans le candidat paie l'impôt à l'État, pour son
capital ou son travail, sur un revenu annuel de
4,000 riksdales (un peu plus de 5,720 fr.). Dans le
cas où un membre de la première Chambre, après


' Ed.Laferrière. Constitutions. Celle abondante collection de textes
constitutionnels, dont un grand nombre sont encore en vigueur,
fournit des éléments précieux et sûrs pour l'étude du droit comi,are.




224 POUVOIR LÉGISLATIF.
ans. — Les sénateurs nommés par le gouvernement
à une fonction salariée qu'ils acceptent, cessent d'être
représentants , et ne reprennent l'exercice de leur
mandat qu'en vertu d'une réélection.


Les membres du Lag thing n orwégi en, nommés par
le Storthing dont ils font partie , ne sont soumis à
aucunes conditions particulières.


En Danemark, sont éligibles au Landsthing tous
ceux qui le sont au F olkething , lorsque, pendant
l'année qui précède les élections, ils ont été domici-
liés dans leur cercle électoral ; or, sont éligibles au
F olkething tous les individus jouissant d'une répu-
tation intacte, qui possèdent le droit d'indigénat et
sont âgés de vingt-cinq ans accomplis.


Les Constitutions de toutes les républiques his-
pano-américaines, excepté le Paraguay, exigent des
conditions de cens pour l'éligibilité des membres de
la Chambre haute ; nous avons déjà eu l'occasion
de noter ces conditions 2.


En France, peut être élu sénateur tout citoyen âgé
de quarante ans au moins et jouissant de ses droits
civils et politiques.


Les cas d'indignité et d'incapacité étant les mêmes
que pour les fonctions de député 3 , il suffit, pour être


' Nous employons à dessein l'expression de « Chambre haute »,
pour écarter l'idée des Sénats fédéraux.


2 Voy. commencement du chapitre précédent.
Voy. le livre pi écédent, chap. Il et Ill.


DU SÉNAT. 225
nommé sénateur, de posséder la capacité électorale,
lors même qu'on ne pourrait l'exercer parce qu'on
ne serait inscrit sur aucune liste ou qu'on n'aurait
pas six mois de résidence clans une commune; il
suffit, en un mot, de n'être frappé d'aucune incapa-
cité électorale pour être éligible.


II existe toutefois des différences très-notables
entre l'éligibilité à la Chambre des députés et l'éli-
gibilité au Sénat. En effet, aucun militaire ou marin
faisant partie des armées actives de terre ou de mer
ne peut, quels que soient son grade ou ses fonctions,
être élu membre de la Chambre des députés ; de
plus, l'exercice des fonctions publiques rétribuées
sur les fonds de l'État étant incompatible avec le
mandat de député, tout fonctionnaire élu doit (sauf
les exceptions admises par la loi) être remplacé de
Ses fonctions dans les huit jours de la vérification des
pouvoirs, s'il n'a pas fait connaître qu'il n'accepte
pas le mandat de député. — Les fonctions sénato-
riales, au contraire, sont accessibles aux militaires
et ne sont qu'exceptionnellement incompatibles avec
les fonctions rétribuées sur les fonds de l'État. L'in-
compatibilité frappe : les conseillers d'État et Inke:
Ires des requêtes au Conseil d'État ; — les préfets et
sous-préfets, à l'exception du préfet de la Seine et
du préfet de police ; — les membres des parquets des
Cours d'appel et des tribunaux de première instance,
sauf le procureur général à la Cour d'appel de Paris ;
— les trésoriers-payeurs généraux el les receveurs


45




*1


226 POUVOIR LÉGISLATIF.
particuliers ; — enfin les fonctionnaires et employés
des administrations centrales des ministères.


Si les fonctionnaires non mentionnés dans cette
énumération peuvent être élus sénateurs, la loi a dû
cependant veiller, dans un intérêt (le moralité poli-
tique, à ce que les fonctions rétribuées par le budget
ne pussent servir d'instrument électoral à ceux qui
les exerceraient. Aussi nombre de fonctionnaires ne
peuvent être élus par le département ou la colonie
compris en tout ou en partie dans leur ressort, pen-
dant l'exercice de leurs fonctions et pendant les six
mois qui suivent la cessation de ces fonctions par
démission, destitution, changement de résidence ou
de toute autre manière ; ce sont : les premiers prési-
dents, les présidents et les membres des parquets des
Cours d'appel ; — les présidents, les vice-présidents,
les juges d'instruction et les membres des parquets
des tribunaux de première instance ; — le préfet de
police, les préfets et sous-préfets et les secrétaires gé-
néraux des préfectures ;—les gouverneurs, directeurs
de l'intérieur et secrétaires généraux des colonies ; —
les ingénieurs en chef et d'arrondissement et les
agents voyers en chef et d'arrondissement ; les
recteurs et inspecteurs d'académie ; les inspecteurs
des écoles primaires ; — les archevêques, évêques
et vicaires généraux ; — les officiers de tous grades
de l'armée de terre et de mer ; — les intendants
divisionnaires et les sous-intendants militaires; —
les trésoriers-payeurs généraux et les receveurs par-
ticuliers des finances ; — les directeurs des contri-


t


DU SÉNAT.
227


butions directes et indirectes, de l'enregistrement et
des domaines et les directeurs des postes.


CHAPITRE IV.


OPÉRATIONS ÉLECTORALES.


Inégale représentation des départements.— Convocation des élec-
teurs. — Période électorale. — Réunions publiques. — Vote au
chef-lien de département. — Indemnité de voyage. — Scrutin. —
Vote obligatoire pour les délégués communaux; pénalités.— Droit
comparé.


Les sénateurs ne sont pas élus, comme les députés,
au scrutin uninominal, mais au scrutin de liste par
département. Les listes sont d'ailleurs extrêmement
restreintes, puisqu'elles ne comprennent plus de
deux noms que dans trente-cinq départements, et
n'atteignent un total de cinq noms que dans la Seine
et le Nord.


Sans établir une proportion même approximative
entre le chiffre des élus et celui des habitants, la
détermination du nombre des sénateurs est cepen-
dant faite en raison de la population. Ainsi, le Nord
et la Seine, qui sont, comme on sait, les deux dépar-
tements les plus peuplés ', sont représentés par cinq
sénateurs ; — six départements d'une importance
moindre sont représentés par quatre élus; ce sont : la
Seine-Inférieure , 792,768 habitants ; le Pas-de-
Calais, 749,777 habitants ; la Gironde, 701,855 ha-


La Seine a 2,220,000 liabitank, le Nord 1.392,000.




228 POUVOIR LÉGISLATIF.
bitants ; le Rhône, 676,493 habitants ; le Finistère,
662,485 habitants, et les Côtes-du-Nord, 641,210
habitants ; — enfin les départements de la Loire-
Inférieure, Saône-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Seine-et-
Oi se, Isère, Puy-de-Dôme, Somme, Bouches-du-
Rhône , .Aisne , Loire , Manche , Maine-et-Loire ,
Morbihan, Dordogne, Haute-Garonne , Charente-
Inférieure, Calvados, Sarthe, Hérault, Basses-Pyré-
nées, Gard, Aveyron, Vendée, Orne, Oise, Vosges,
Allier, dont la population est au-dessous de 600,000
habitants, ont chacun trois sénateurs.


Tous les autres départements n'ont que deux séna-
teurs, depuis l'Ardèche, qui compte 387,174 habi-
tants, jusqu'aux Hautes-Alpes, qui n'en ont que
122,000.


Le territoire de Belfort, les trois départements de
l'Algérie, les quatre colonies de la Martinique, de la
Guadeloupe, de la Réunion et des Indes françaises,
nomment respectivement un sénateur.


La convocation des électeurs sénatoriaux a lieu
par un décret du Président de la République, rendu
au moins six semaines à l'avance. Ce décret fixe le
jour où doivent avoir lieu les élections pour le Sénat,
et en même temps celui où doivent être choisis les
délégués des conseils municipaux ; il doit y avoir,
comme on l'a vu plus haut L , un intervalle d'un mois
au moins entre le choix des délégués et l'élection
des sénateurs.


Fin du chapitre II de ce livre.


DU SÉNAT. 229
Comme il est indispensable que les candidats et


les citoyens indirectement représentés par les élec-
teurs sénatoriaux puissent se rendre. compte des
conditions dans lesquelles s'accompliront les élec-
tions, la loi donne à tout électeur « la faculté de
prendre, dans les bureaux de la préfecture, commu-
nication et copie de la liste'par commune des conseil-
lers municipaux du département, et, dans les bu-
reaux des sous-préfectures, de la liste par commune
des conseillers municipaux de l'arrondissement» .-
Tout requérant obtient, de mème, communication
du tableau des résultats de l'élection des délégués et
suppléants dressé, dans la huitaine, par le préfet :
ce tableau peut être copié et publié. — Enfin, nous
avons déjà vu que, huit jours avant l'élection des sé-
nateurs, le préfet doit avoir dressé la liste, par ordre
alphabétique, des électeurs sénatoriaux. Cette liste est
affichée à la porte de la préfecture et des sous-préfec-
tures; elle est, de plus , àla disposition du public et
non pas seulement des électeurs ou des candidats.
Tout requérant en obtient communication sans au-
cune formalité, même sur une simple demande ver-
bale. Elle peut être copiée et portée à la connaissance
de tous par toutes les voies de publicité.


Quoique la période électorale commence certai-
nement dès le décret de convocation des conseils
municipaux, la loi n'autorise les réunions électorales
publiques pour l'élection des sénateurs qu'à dater de
la nomination des délégués ; mais, en compensation,


t




230 POUVOIR LÉGISLATIF.
elles peuvent être tenues jusqu'au jour du vote inclu-
sivement.


Les réunions électorales doivent être précédées
d'une déclaration faite la veille au plus tard par sept..
électeurs sénatoriaux de l'arrondissement. Cette
déclaration indique les noms, qualités et domicile
des déclarants , le local, le jour et l'heure de la
séance ; elle indiquera également les noms, profes-
sion et domicile des candidats appelés à s'y présen ter,
afin que, si ces candidats ne sont pas électeurs séna-
toriaux, ils puissent néanmoins pénétrer dans la
réunion. Les formalités et la police des réunions
d'électeurs sénatoriaux sont réglées comme celles
des réunions électorales ordinaires 1.


La distribution des circulaires, bulletins, profes-
sions de foi, est également soumise aux mêmes règles
el, jouit des mêmes immunités que dans les élections
des députés.


L'élection des sénateurs ne se fait pas à la fois sur
plusieurs points du département, mais au chef-lieu
seulement.


Le projet présenté par la Commission des Trente
chargée d'élaborer la loi sur les élections sénato-
riales divisait, au contraire, les colléges électoraux
en colléges d'arrondissement. « N'y pas, disait
le rapporteur 2 ; le plus grand avantage à éviter les
réunions trop nombreuses dans lesquelles les élec-


Voy. I re partie, liv. Il, chap. iv.
2 Séance du 22 février 1875.


DU SÉNAT. 231
leurs sont inconnus les uns aux autres ? Ne doit-on
pas craindre que les délégués des conseils munici-
paux, appelés au chef-heu (le département, ne soient
bien plus facilement circonvenus et exposés à être
enrégimentés au profit des partis ? Le vote au chef-
lieu de département pour les élections sénatoriales
ne serait-il pas la contre-partie de la loi salutaire par
laquelle nous avons rendu aux communes le droit de
voler qui leur avait été enlevé en faveur des chefs-
lieux de canton ? » On sait que le vote à la commune
est regardé par ses partisans comme un moyen d'as-
surer l'usage des influences locales dans les luttes
électorales.


Les délégués des communes devront donc se
rendre au chef-lieu du département pour remplir leur
mandat. En considération de ce déplacement, la loi
leur accorde une indemnité, qui leur sera payée sur
les mêmes bases et de la même manière que celle qui
est accordée aux jurés. Cette indemnité a été fixée
par le décret du 26 décembre 1875 à 2 francs 50 cen-
times par myriamètre parcouru, tant en allant qu'en
revenant. L'indemnité est réglée par myriamètre et
demi-myriamètre ; les fractions au-dessus de 7 kilo-
mètres sont comptées pour 1 myriamètre, et celles
de 3 à 7 kilomètres pour 1 demi-myriamètre. Il n'y
a. lieu à aucune indemnité lorsque la distance n'at-
teint pas 3 kilomètres. La distance se compte, quel
que soit le domicile du délégué, du chef-lieu de la
commune qui l'a élu au chef-lieu du département,
d'après le tableau officiel des distances dressé par le




232
POUVOIR L ÉGISLATIF.


préfet., en conformité de l'article 93 du décret du
18 juin 1811. Aux colonies, l'indemnité est fixée
pour chaque myriamètre : par mer, à 8 francs ; par
terre, à 5 francs.


L'indemnité est payée sur la demande des inté-
ressés et sur la présentation de leur lettre de convo-
cation, signée par le président du collége électoral. Ils
n'y ont droit que s'ils ont pris part à tous les scrutins.


A l'occasion de ces dispositions toutes démocra-
tiques, il faut remarquer que les élections sénato-
riales ne peuvent pas retenir les délégués plus d'un
jour au chef-lieu du département.


Les opérations du vote s'accomplissent selon cer-
taines formalités spéciales que nous allons indiquer
sommairement.


Les électeurs sont réunis en un seul collége, ayant
un bureau unique. Le bureau se compose d'un prési-
dent, de quatre assesseurs et d'un secrétaire. C'estle
président du tribunal civil du chef-lieu du départe-
ment qui est désigné par la loi pour présider le bu-
reau; à son défaut, c'est le vice-président, et, à
défaut du vice-président , c'est le plus :ancien juge.
Les deux plus âgés et les deux plus jeunes électeurs
sénatoriaux présents à l'ouverture de la séance rem-
plissent, de droit, les fonctions d'assesseurs. Le pré-
sident et les assesseurs choisissent, parmi les élec-
teurs sénatoriaux, un secrétaire chargé de dresser le
procès-verbal des opérations et de tous les incidents
auxquels elles peuvent donner lieu.


DU SCAT. 233
Le bureau statue sur toutes les difficultés qui s'é-


lèvent au cours de l'élection ; mais sa liberté d'appré-
ciation ne va pas jusqu'à pouvoir se mettre en con-
tradiction avec les décisions rendues par le Conseil
de préfecture, lors même qu'elles seraient l'objet
d'un pourvoi au Conseil d'État.


Pour rendre plus faciles et plus rapides les opéra-
tions du scrutin, les électeurs sénatoriaux sont di-
visés en plusieurs sections de vote comprenant au
moins 100 votants ; cette répartition se fait par ordre
alphabétique ; chacune des sections est pourvue d'un
président, et de scrutateurs désignés par le bureau.


Le vote a lieu, comme nous l'avons dit, au scrutin
de liste, soit qu'il s'agisse de nommer deux séna-
teurs, soit qu'il s'agisse d'en élire davantage.


Le scrutin s'ouvre à huit heures du matin ; il est
fermé à midi, et l'on procède à un dépouillement im-
médiat. Deux conditions sont alors nécessaires pour
être élu sénateur : la majorité absolue des suffrages
exprimés ; un nombre de Voix égal au quart des élec-
teurs inscrits.


Si les candidats qui réunissent le plus de voix n'y
joignent pas ces deux conditions, il est procédé à un
second tour de scrutin, qui dure de deux heures à
quatre heures.


S'il en est de même au second tour, on passe à un
troisième tour de scrutin, qui dure de six heures à
huit heures, et, cette fois, la majorité relative suffit.
En cas d'égalité de suffrages au troisième tour de
scrutin, le candidat le plus âgé est élu.




234 POUVOIR LÉGISLATIF.
Dans toutes ces opérations, la loi sur les élections


sénatoriales prescrit formellement (art. 27) d'ob-
server, à défaut de dispositions particulières, les dis-
positions prescrites par la loi électorale. Les irrégu-
larités qui viendraient à se commettre peuvent être
signalées clans des protestations adressées au Sénat,
car le Sénat seul est juge de l'éligibilité de ses mem-
bres et de la régularité de leur élection '.


Les résultats des scrutins sont recensés immédia-
tement par le bureau, et proclamés le même jour par
-le président du collége électoral 2.


Les règles concernant la poursuite et la punition
des délits électoraux sont , en général, les mêmes
qu'en matière d'élections de


. députés. La loi sur les
élections sénatoriales porte expressément qu'il faut
appliquer à l'élection du Sénat toutes les dispositions
relatives « aux délits, poursuites et pénalités » . Nous
ne pouvons donc que renvoyer au chapitre IV du
livre consacré à la Chambre des dépu tés.


I l faut cependant noter une pénalité spéciale aux
élections sénatoriales : c'est celle qui est destinée à
réprimer la négligence des délégués ou des sup-
pléants. Les fonctions de délégué ou de suppléant
sont un mandat qu'on ne peut déserter quand on l'a.


' Voy. chapitre VI ei-aprés.
2 Lors des premières élections sénatoriales, les résultats commen-


cèrent d'être reçus à Paris dès deux heures et demie; à quatre
heures, un connaissait ceux de la majorité des départements; les
derniers ballottages arrivèrent avant la lin de la soirée. Il serait diffi-
cile de concevoir un système d'opérations plus rapide.


DU SÉNAT. 235
accepté. Tout délégué qui, sans cause légitime, s'est
abstenu de prendre part à un scrutin, doit être con-
damné à 50 francs d'amende par le tribunal civil du
chef-lieu, sur la réquisition du ministère public. Il
subit la même peine si, légitimement empêché, il ne
justifie pas d'un avertissement donné par lui en
temps utile à son suppléant. Quant à celui-ci, lorsque,
averti par lettre, dépêche télégraphique ou avis à lui
personnellement donné en temps utile, il n'a pas pris
part à tous les scrutins, il est. également puni de
50 francs d'amende.


Remarquons, d'autre part, que c'est la loi sur les
élections sénatoriales (art. 19) qui a fourni à la loi
sur les élections des députés la disposition en vertu
de laquelle toute tentative destinée à influencer le
vote d'un électeur ou à. déterminer à. l'abstention, soit
par offres ou promesses, soit par dons ou présents,
est punie d'un emprisonnement qui peut s'élever à
deux ans, et d'une a mende qui peut être de 500 francs,
ou de l'une de ces deux peines seulement.


Polir que, à l'occasion des opérations électorales,
le droit comparé offrît matière à des rapprochements
intéressants, il faudrait que le mode d'élection que
nous venons d'analyser se retrouvât dans d'autres
Etats. Ni le suffrage à deux degrés proprement dit,
ni l'élection par des assemblées provinciales , ni le
scrutin direct, ne présentent de combinaisons dont
le jeu puisse être mis en regard du fonctionnement




236
POUVOIR LÉ'GISLATIF.


des opérations électorales qui donnent naissance au
Sénat franQais.


Nous ne relèverons que quelques détails qui mé-
ritent de fixer l'attention.


La première question qui se pose relativement à
l'élection des sénateurs clans un État qui n'est pas
fédératif, c'est de savoir sur quelle base doit se faire
la répartition des colléges électoraux.


En Belgique, les membres du Sénat sont élus
comme les députés, mais en nombre de moitié infé-
rieur, au scrutin de liste par arrondissement. La ré-
partition a lieu en raison de la population (1 sénateur
par 80,000 habitants) ; le Sénat se compose de
62 membres.


Aux Pays-Bas, c'est la loi fondamentale elle-même
qui fixe le nombre des membres de la première
Chambre pour chacun des États néerlandais. Les
39 membres de la première Chambre sont élus par
les États provinciaux dans la proportion suivante :
Brabant sep Lentri ona1,1 ; —Gueldre ;


2; — Hollande
méridionale , i ; — Hollande septentrionale, 6 ; —
Zélande, 2 ; — Utrecht, 2 ; — Frise, 3 ; — Over-Ys-
sel, 3 ;—Groningue, 2 ;—Drenthe, 1 ;—Limbourg, 3.


Les membres du Sénat roumain sont élus à raison
de deux par district ; mais le district est divisé en
deux collèges : l'un comprenant les propriétaires ru-
raux, l'autre comprenant les propriétaires d'immeu-
bles fixés au chef-lieu du district ; ce n'est qu'à défaut
d'habitants du chef-lieu réunissant les conditions de
cens exigées par la loi qu'on peut faire entrer dans le


DU SINAT. 237
collège urbain quelques propriétaires du district,
destinés à parfaire le chiffre de 100 électeurs.


En Suède, la plupart des membres de la première
Chambre sont élus par les Landstingen (conseils gé-
néraux) à raison de la population du tan; mais les
villes qui, aux termes de la loi du 21 mars 1862, ne
sont pas représentées aux Landstingen , ont un droit
particulier d'élection qu'elles exercent par leurs
Stadsfultmaktige (conseils municipaux) ; il y a ainsi,
dans la première Chambre , les représentants spé-
ciaux des villes les plus importantes à côté des repré-
sentants des Landstingen, qui procèdent surtout de
l'élection des campagnes.


• Sur les 54 membres élus du Landsthing danois,
7 sont nommés par la ville de Copenhague, 1 par
Bornholm, 1 par la représentation des îles Féroé;
les 45 autres sont élus par de grands cercles électo-
raux où les villes et les campagnes fournissent les
unes et les autres leur contingent d'électeurs secon-
daires, la prépondérance numérique étant d'ailleurs
assurée aux campagnes.


Dans les républiques hispano-américaines, la ré-
partition des membres de la Chambre haute se fait
généralement par provinces ou par départements.
Les élections sénatoriales par le suffrage à deux de-
grés n'y offrent aucunes particularités notables ,
sauf au Chili, dont M. Charbonnier i décrit ainsi
les opérations électorales : «Au jour fixé pour l'élec-


' Organisation électorale, p. 331.




238 POUVOIR LÉGISLATIF.
Lion , les électeurs sénatoriaux t se réunissent dans
la capitale de leur province respective, et chacun
d'eux vote pour autant de candidats qu'il y a de sé-
nateurs à nommer. Le scrutin doit avoir lieu sans
interruption ; lorsqu'il est terminé, les résultats ob-
tenus sont consignés sur une liste en double expédi-
tion,. signée, attestée et scellée par les électeurs.
L'une de ces listes est remise au Cabildo de la capi-
tale de la province pour être déposée dans ses ar-
chives; l'autre est remise à. la Commission conserva-
trice 2 . La Commission conservatrice communique
ces listes au Sénat, de telle sorte que, le 15 mai sui-
vant, avant la première réunion ordinaire des Cham-
bres, le scrutin général soit vérifié, et que le Sénat.
ait procédé, le cas échéant, aux élections restant à
faire. Dans le cas, en effet, où le scrutin n'a pas
donné de résultat absolu , « le Sénat choisit entre
ceux qui ont obtenu le plus de suffrages ».


' Choisis par les électeurs primaires; condition de cens, 2,500 fr.
de revenu.


Commission de sept membres élue par le Sénat, pour siéger dans
les intervalles des sessions ordinaires, veiller à l'observation de la
Constitution, et donner ou refuser au Président de la République le
consentement dont il a besoin pour certains actes.


DU SÉNAT. 239


CHAPITRE V.


LES ÉLUS.


Nature du mandat. — Conditions de renouvellement. — Durée du
mandat. — Élections triennales. — Inviolabilité des sénateurs. —
Indemnité. Droit comparé.


Nous ne reviendrons pas ici sur la question du
mandat donné par les électeurs à l'élu ; si la loi sur
les élections sénatoriales a passé sous silence la
question du mandat impératif, ce que nous avons dit
à cet égard en traitant du mandat des députés ne s'en
applique pas moins à celui des sénateurs. Quant à
l'étendue de ce dernier, elle peut être plus ou moins
grande, suivant les attributions de la Chambre haute
(voir chapitre suivant).


Les législations . constitutionnelles sont presque
unanimes pour donner aux membres des Chambres
hautes un mandat d'une durée plus longue que celle
du mandat des députés, et pour les soumettre à un
renouvellement partiel. Sans cette combinaison, le
Sénat perdrait une des raisons d'être qu'on invoque
en sa faveur. On explique l'existence d'une Chambre
haute dans une démocratie en faisant remarquer que
la volonté nationale ne doit pas avoir pour seule in-
terprète une Chambre née peut-être de circonstances
momentanées ou d'événements exceptionnels, et qu'il
est sage d'en ajouter une autre chargée, non pas de




40 POUVOIR LÉGISLATIF'.


dominer celle-ci, mais d'assurer à l'opinion, si mo-
bile et parfois si prompte aux entraînements exces-
sifs, la faculté de rester maîtresse d'elle-même et de
porter un jugement plus calme, plus réfléchi, et par
conséquent plus arrêté, sur les affaires publiques. Il •
suit de là que le Sénat n'atteindrait pas son but prin-
cipal s'il disparaissait avec la Chambre des députés
pour être intégralement renouvelé en même temps
qu'elle ; aussi n'y a-t-il de ce renouvellement inté-
gral et simultané aucun autre exemple que le Stor-
thing norwégien, dont les deux parties restent toutes
les deux trois ans en fonctions.


Non-seulement le Sénat doit être renouvelé à d'au-
tres époques que la Chambre des députés , mais la
nature de son rôle politique autorise et engage le
législateur à fixer une durée assez longue au mandat
sénatorial, tandis que la seconde Assemblée, plus spé-
cialement appelée à représenter les moindres varia-
tions de l'opinion, devra être fréquemment renouve-
lée, afin d'accuser dans toute son exactitude l'état de
l'esprit public. En dehors de la Norwége , il existe
bien un pays où la durée du mandat est la même pour
les sénateurs et les députés : c'est la République
péruvienne ; mais il faut remarquer, d'abord , que
cette durée est très-longue (six ans), et, ensuite, que
le renouvellement des deux Assemblées se fait par
tiers tous les deux ans. Le renouvellement partiel
produit ici le même résultat que la durée plus pro-
longée du mandat.


Ce mode de renouvellement, qui impose une len-


DU SÉNAT. 941
Leur calculée à l'intervention de l'opinion publique,
et qui ne permet à la volonté nationale que d'arriver
graduellement à s'affirmer d'une manière complète,
a pour effet de garantir la stabilité législative et poli-
tique, et, à ce point de vue, il convient particulière-
ment au corps sénatorial. Nous ne croyons pas qu'il
existe d'autre exemple du renouvellement intégral de
la Chambre haute que celui de la première Chambre
suédoise; mais la durée du mandat y atteint le maxi-
mum, c'est-à-dire le chiffre de neuf années. La pre-
mière Chambre suédoise voit donc la seconde Cham-
bre, où la durée du mandat est de trois ans, se
renouveler intégralement trois fois, pendant qu'elle-
même ne subit aucune modification. Ce système peut
être justifié par les conditions dans lesquelles il est
établi ; mais on ne saurait le trouver théoriquement
satisfaisant, puisqu'il soustrait la Chambre haute à
l'intervention de l'opinion publique pour un laps de
temps considérable, pendant lequel il peut se pro-
duire, entre cette Chambre et celle qui représente la
volonté nationale d'une manière plus autorisée, des
dissentiments et des divergences qui, au lieu de dis-
paraître peu à peu , grâce au renouvellement gra-
duel 1 , iront sans cesse grandissant jusqu'au jour du
renouvellement total.


Aux Pays-Bas, où le mandat des membres de la
première Chambre est également de neuf années, le


' Cette divergence disparaîtrait par la dissolution de la Diète, qui
peut être prononcée par le roi; mais alors c'est le pouvoir exécutif, et
non l'opinion publique qui serait juge des conflits cotre les deux
Chambres.




242 POUVOIR LÉGISLATIF.
renouvellement a lieu par tiers tous les trois ans ; le
mandat des députés étant de quatre années , cette
combinaison serait identique à celle qui nous régit,
si la seconde Chambre, au lieu d'être soumise, comme
en France, à une réélection intégrale tous les quatre
ans, n'était renouvelée par moitié tous les deux ans.


Dans l'organisation parlementaire du Chili, le re-
nouvellement intégral de la Chambre des députés se
combine avec un Sénat élu pour neuf ans et renou-
velé par tiers ; mais la Chambre des députés n'a qu'un
mandat de trois ans, de sorte qu'elle se renouvelle
toujours trois fois pendant la période nécessaire à
l'entier renouvellement du Sénat, tandis qu'avec un
mandat de quatre années elle serait appelée à se re-
nouveler tantôt trois fois, tantôt deux fois.


En Roumanie, la Chambre des députés est élue
pour quatre ans ; le Sénat, nommé pour huit ans, se
renouvelle par moitié.


Même proportion en Belgique ; seulement la Cham-
bre des députés se renouvelle par moitié, comme le
Sénat.


Même durée du mandat pour le Sénat danois ;
quant à la. Chambre des députés, des élections géné-
rales ont lieu tous les trois ans. Cette combinaison
est plus libérale que la nôtre , puisque le mandat
des sénateurs et celui des députés ont l'un et l'autre
une durée moindre que dans le système français,
savoir : huit ans au lieu de neuf pour les séna-
teurs, et trois ans au lieu de quatre pour les députés ;
mais, d'un autre côté, les élections sénatoriales par-


DU SÉNAT. 243
tielles n'ont lieu que tous les quatre ans,. tandis qu'en
France elles se produisent tous les trois ans '.


Dans les républiques hispano-américaines , c'est
le mandat de six ans qui paraît prédominer pour l'or-
ganisation (les Chambres hautes. Nous avons déjà
cité le Pérou, où tette durée est fixée pour les deux
Chambres, qui sont également renouvelées par tiers.
Dans l'Uruguay, le même système est appliqué au
Sénat; mais la seconde Chambre se renouvelle inté-
gralement tous les trois ans. Au Paraguay, le renou-
vellement du Sénat a lieu dans des conditions iden-
tiques , et le renouvellement de la Chambre des
députés se fait par moitié tous les deux ans.— Pour
être complet, on doit ajouter que plusieurs petites
républiques vont beaucoup plus loin dans la voie dé-
mocratique : c'est ainsi que , dans le Salvador, des
élections ont lieu tous les ans pour nommer la tota-
lité de la Chambre des députés et le tiers du Sénat.


En France, la durée du mandat de sénateur atteint
le chiffre considérable de neuf années ; nous avons
remarqué que ce chiffre n'est dépassé par aucune
autre législation électorale. Les inconvénients de ce
système sont en partie compensés par le renouvelle-
ment triennal d'un tiers du Sénat. Conformément à
l'article 5 de la loi du 24 février 1875, au début de
la première session du Sénat, les départements ont
été divisés en trois séries, contenant, chacune un


Il est bien entendu que nous ne comparons ici que les combinai-
son s adoptées pour le renouvellement; car il ne faut pas oublier que,
sur les soixante-six membres du Landslhing , douze sont nommés
à vie par le roi.




244 POUVOIR LÉGISLATIF.
nombre égal de sénateurs, et il a été procédé, par la
voie du tirage au sort, à la désignation des séries qui
devraient être renouvelées à l'expiration de la pre-
mière et de la deuxième période triennale. « Il a été
reconnu, à cette occasion, qu'il était indispensable el
entièrement conforme aux intentions du législateur
de s'appliquer à ne pas localiser le renouvellement;
il a été admis que chaque série devait comprendre
des départements autant que possible non limitro-
phes, pris sur toute la surface du territoire ; qu'il fal-
lait enfin éviter des élections régionales, et s'attacher
à cette condition, importante entre toutes, que chaque
renouvellement triennal frit, au point de vue des in-
térêts et des besoins, par la diversité des moeurs et
du tempérament du corps électoral appelé à y prendre
part, la reproduction restreinte des élections géné-
rales , desquelles est sortie pour la première fois la
haute Assemblée I . » Après un examen approfondi,
on arrêta « la répartition des départements en trois
séries, suivant l'ordre alphabétique pur et simple,
en plaçant dans chaque série un des départements
de l'Algérie et une ou deux de nos colonies, et com-
prenant, en conséquence : série A, de l'Ain au Gard,
Alger, la Guadeloupe et la Réunion ; série B , de la
Hante-Garonne à l'Oise, Constantine et la Marti-
nique ; série C , de l'Orne à l'Yonne , Oran et les
Indes françaises 2 » .


' Rapport de M. Leimay, à la séance du 29 mars 1876.
tirage au sort amena la série Bpremière el. la série C deuxième;


la série A resta pourvue de son nrindat de neuf année:.


vu sÉx.vr. 245
Indépendamment du renouvellement triennal, il


peut v avoir lieu de pourvoir à la vacance des siéges
sénatoriaux dont les titulaires auraient opté, seraient
morts, ou auraient donné leur démission.


D'après l'article 22 de la loi sur les élections séna-
toriales, le sénateur élu dans plusieurs départements
doit faire connaître son option au président du Sénat
dans les dix jours qui suivent la déclaration de la
validité de ces élections. A défaut d'option dans ce
délai, la question est décidée par la voie du sort et
en séance publique. Il est. pourvu à la vacance clans
le délai d'un mois et par le même corps électoral. Il en
est de même dans le cas d'invalidation d'une élection.


Dans le cas de vacance par décès ou démission, la
loi exige (vele nombre des sénateurs d'un départe-
ment soit réduit de moitié pour qu'il soit procédé à
de nouvelles élections ; et encore n'y est-il pas pro-
cédé lorsque les vacances surviennent dans l'année
qui précède le renouvellement triennal. A l'époque
fixée pour ce renouvellement, il est pourvu à toutes
les vacances qui se sont produites, quel qu'en soit le
nombre et quelle qu'en soit la date.


Lorsqu'un siége de sénateur inamovible devient
vacant, le Sénat procède à l'élection d'un nouveau
membre en séance publique et à la majorité absolue
des votants, quel que soit le nombre des épreuves. Il
résulte du texte de la loi que, si plusieurs sénateurs
inamovibles devaient être remplacés à la fois, l'élec-
tion aurait lieu au scrutin de liste.




246 POUVOIR LÉGISLATIF'.
Les sénateurs jouissent du même privilége d'in-


violabilité que les députés ; ils ne peuvent être pour-
suivis ou recherchés à l'occasion des opinions ou
votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions,
ni être poursuivis ou arrêtés en matière criminelle ou
correctionnelle, qu'avec l'autorisation du Sénat, sauf
le cas de flagrant délit ; la détention ou la poursuite
d'un sénateur est suspendue pendant la session, et
pour toute sa durée, si le Sénat le requiert.


Nous avons déjà examiné la question de la gra-
tuité des fonctions législatives , à l'occasion des
membres de la seconde Chambre ; nous nous borne-
rons à noter ici que les sénateurs reçoivent la même
indemnité que les députés.








La. loi française n'a fait que se conformer, sur
ce point, à l'usage suivi par la majorité des États
constitutionnels dont la Chambre haute est issue
de l'élection. Sans parler des États-Unis, où les
membres des deux Chambres reçoivent la même in-
demnité pour chaque session, et de la Suisse, où ler
membres du Conseil des États sont payés par les
cantons qui les ont délégués, on peut citer : les Pays-
Bas, où les membres de la première Chambre, « pris
parmi les habitants les plus imposés dans les contri-
butions directes» , jouissen t néanmoins, pour chaque
session, « de frais de voyage et de séjour fixés par la.
loi 1 » ; — le Danemark, dont la Constitution porte


Ad. 56 de la Constitution..


DU SÉNAT. 247


(art . 39) que « les membres du Landsthing reçoiventpar jour la même indemnité que les membres du
Folkething »; — la Norwége, où, suivant l'article 65
de la loi fondamentale, chaque membre du Parle-
ment a le droit d'être indemnisé sur le Trésor de ses
frais de voyage, aller et retour, ainsi que de ses frais
de séjour. Il faut remarquer, à ce sujet, que le Stor-
thing ordinaire se tient « tous les trois ans dans la
capitale du royaume, à moins que le roi, à. cause de
ci rconstances extraordinaires, telles qu'une invasion
hostile ou une maladie contagieuse, ne désigne à cet
effet une autre ville du royaume. — Dans les cas
extraordinaires , ajoute l'article 69 de la loi, le roi
peut convoquer le Storthing à une époque autre que
celle de la session ordinaire. Il fera alors publier une
notification qui sera lue dans les églises de toutes les
villes épiscopales, au moins six semaines avant le
jour où les membres du Storthing doivent être rendus
à l'endroit fixé. » Dans ces conditions , l'indemnité
de route et de séjour allouée par la Constitution est
bien réellement une simple indemnité, et non un
traitement.


Dans la plupart des républiques • de l'Amérique du
Sud, les sénateurs sont payés comme les députés ;
mais il existe des exceptions notables, par exemple
le Chili, où ni sénateurs ni députés ne reçoivent d'in-
demnité. La République haïtienne , qui accorde aux
représentants 200 piastres (1,200 fr.. environ) pour
chaque mois dela session législative n'en concède
que 125 aux sénateurs, quoique ceux-ci ne soient




If


248 POUVOIR LÉGISLATIF.
astreints à aucune condition particulière de fortune.
Dans l'empire du Brésil, au contraire, l'allocation des
sénateurs est égale à une fois et demie celle des
députés '.


Les Sénats électifs d'Europe où le mandat est gra-
tuit sont ceux de Belgique, de Suède et de Roumanie;
dans ces trois pays, des conditions de fortune relati-
vement élevées sont exigées pour l'éligibilité.


CIIAPITRE VI.


ATTRIBUTIONS DU SÉNAT.


Intervention du Sénat pour la dissolution de la Chambre des députés.
Droit comparé. — ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTA IRES.Élection du bureau et confection du règlement. — Partage du pou-
voir législatif avec l'autre Chambre. — Influence p lus grande de
la Chambre des députés sur la marche du gouvernement. — ATTRI-BUTIONS JUDICIAIRES. DFOi I. comparé. — Étendue de ces attributions:jugement du Président de la République, des ministres, des indi-
vidus accusés d'attentat à la sûreté de l'État. — Historique.


—ATTRIBUTIONS CONSTITUANTES. Renvoi.


Les attributions des Chambres hautes sont tantôt
identiques à celles des secondes Chambres et tantôt
sensiblement différentes. Il peut arriver qu'il y ait
simple partage du pouvoir législatif entre les deux
Assemblées, ou au contraire que la Chambre haute
soit investie de certaines fonctions spéciales : c'est
ce dernier cas que nous présente la Constitution
française de 1875.


Art. :j1 de la Constitution.


DU SÉNAT. 249
Parmi les attributions particulières conférées au


Sénat actuel, la plus importante est celle en vertu de
laquelle il est appelé, le cas échéant, à autoriser la
dissolution de la Chambre des députés. Ce pouvoir
attribué à la Chambre haute française la distingue
à la fois des Sénats républicains et des Sénats élec-
tifs établis clans les monarchies. Le droit de dis-
soudre la Chambre des députés n'est, en effet, qu'une
exception parmi les républiques, et, d'autre part, les
monarchies constitutionnelles où sont institués des
Sénats électifs soumettent ceux-ci au pouvoir de dis-
solution, bien loin de le leur attribuer.


Ainsi, en Belgique, le roi a le droit de dissoudre
les Chambres , soit simultanément, soit séparé-
ment t ; aux Pays-Bas, en Danemark, il en est de
même ; le roi de Suède peut également, au cours
d'une législature, ordonner de nouvelles élections,
soit pour les deux Chambres du liiksdag, soit pour
l'une d'elles : le Sénat roumain n'est pas davantage
à l'abri de la dissolution.


Au contraire, le Sénat français ne peut être dissous
pal' le Pouvoir exécutif ; il est placé en dehors et au-
dessus de l'action de ce Pouvoir ; il jouit de la pleine
souveraineté qui, dans les républiques, est exercée
pur les parlements. Mais le législateur de 1 875n'a pas
eu la même confiance dans la Chambre issue du suf-
frage universel, et il a voulu que cette moitié du Par-
lement pût être, au besoin, dissoute. Seulement,


' Art. 71 de la Constitution.




250 POUVOIR LÉGISLATIF.
comme le droit de dissolution attribué au Pouvoir
exécutif eût constitué un privilège monarchique, et
que son exercice n'eût d'ailleurs été d'aucune utilité
pratique, en présence de l'opposition d'une Chambre




haute indissoluble, on a décidé qu'il faudrait un avis
conforme du Sénat pour que la. Chambre des députés
fût dissoute. Les législations étrangères ne nous of-
rent qu'un seul exemple de cette combinaison : Pour
dissoudre le Reichstag de l'Empire allemand, il faut
une résolution du Conseil fédéral (Bundesratit) rendue
avec l'assentiment de la présidence ; mais nous
avons vu plus haut 1 de quelle autorité considérable
était investi le Conseil fédéral, véritable directoire
de l'Empire, quoique placé sous l'influence prépon-
dérante de la présidence du roi de Prusse. En outre,
il y a entre le rôle du Bundesrath et celui du Sénat
français une différence notable : le Conseil fédéral
allemand a le pouvoir de décider la dissolution du
Reichstag, sauf l'assentiment de la présidence ; le
Sénat français, au contraire, ne peut être saisi de la
question de dissolution que par le Pouvoir exécutif.
Ainsi, dans le système actuel, si le Sénat est l'arbitre
des difficultés qui peuvent s'élever entre la repré-
sentation du suffrage universel et l'exécutif, il n'est
pas moins exact de dire que l'exécutif est, clans une
certaine mesure, l'arbitre des divergences et des
dissentiments entre la Chambre des députés et l'au ire
Chambre ; il ne peut dissoudre la première sans
consulter la seconde, mais il peut la conserver malgré


Chap. l er de ce livre..


DU SÉNAT. 251


celle-ci, sauf à user vis-à-vis du Sénat des ménage-
ments nécessaires pour que l'hostilité de la. Chambre
haute n'arrête pas la marche du gouvernement. Et
il y a quelque prudence dans cette combinaison des
pouvoirs, car, s'il est choquant d'accorder au délégué
du Parlement le pouvoir de dissoudre à son gré l'As-
semblée nommée par le pays, il eût été également
singulier que la Chambre haute, élue clans les con-
ditions analysées aux chapitres précédents, fût maî-
tresse absolue des destinées de la Chambre issue du
suffrage universel.


L'attribution considérable que nous venons d'in-
diquer assigne au Sénat français une place à part
dans la. classe des Chambres hautes ; on verra plus
loin quelle Sénat remplit en outre les fonctions de
haute cour de ,justice; mais nous devons d'abord
indiquer ses attributions législatives.


ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES.—
Le Sénat, comme la. Chambre des députés, vérifie les
pouvoirs de ses membres et fait son règlement inté-
rieur ; il nomme son bureau chaque année pour la
durée de la session, et pour toute session extraor-
dinaire qui aurait lieu avant la session ordinaire de
l'année suivante.


Il est à peine besoin de dire que les Chambres
hautes non électives ne possèdent généralement pas
le droit de nommer leur président. Ainsi en Autriche,
en Italie, clans le grand-duché de Bade, le Wurtem-




252 POUVOIR LÉGISLATIF.
Berg, etc., le président de la. Chambre haute est nom-
mé par le souverain. — La Chambre des lords est
présidée par le lord chancelier ; en cas d'absence
de celui-ci ou de vacance de sa place, la Chambre
des lords peut se choisir un président ; le lord chan-
celier touche 250,000 francs par an et, en sortant de
fonctions, reçoit une pension de 125,000 francs. —
D'après l'article 78 de la Constitution prussienne de
1850, la Chambre des seigneurs règle elle-même sa
discipline et l'ordre de ses travaux, et choisit ses
président, vice-présidents et secrétaires.


Ce qui n'est qu'une exception dans les Chambres
hautes non électives est, au contraire, la règle dans
les Chambres hautes issues de l'élection. Celte r.,gle
n'est cependant pas universelle. Aux Pays-Bas, le
roi nomme, pour la durée de chaque session le pré-
sident de la première Chambre des États-Généraux'.
En Suède, aussitôt que la vérification des pouvoirs
a eu lieu, la première Chambre, comme la seconde,
adresse immédiatement air roi une députation pour
le prier de choisir parmi ses membres un président
et un vice-président, lesquels prêtent le serment
suivant : « Moi, nommé pour cette Diète président
de la première Chambre, je jure, devant Dieu et
son saint Évangile, que je veux soutenir et défendre
et que je soutiendrai etdéfend rai de toutes mes forces
le pouvoir du roi et les droits de la Diète, conformé-
ment à. la loi sur la forme du gouvernement du


' Art. 87 de la loi fondamentale.


DU SÉNAT. 253
royaume. Je me conformerai également et sans res-
trictions aux autres lois fondamentales du pays. Je
serai fidèle à ce serment, aussi vrai que Dieu sauvera
mon corps et mon âme. » La Diète convoquée, en
cas de minorité, d'absence ou de maladie prolongée
clu roi, par le Conseil d'État ou, à son défaut, par
les tribunaux de deuxième instance a le droit de
choisir elle-même son président et son vice-prési-
dent.—En Nomége, il est de règle que chacune des
deux divisions du Storthing nomme son président et
son secrétaire. • En Danemark, chaque Chambre du
Rigsdny fait elle-même son règlement et choisit son
président ainsi que celui ou ceux qui doivent le
remplacer en cas d'empêchement 2 . Le Sénat belge
compose librement son bureau à chaque session ; il
en est de même du Sénat roumain'. Au Brésil, la
nomination des président, vice-présidents et secré-
taires , la vérification des pouvoirs et la police inté-
rieure sont également soumises au règlement inté-
rieur de la haute Chambre 4.


Il serait superflu de passer en revue les Sénats
républicains ; on concevrait difficilement que le bu-
reau y fût désigné par une autre autorité que le
Sénat lui-même ; nous devons toutefois signaler
cette particularité que le président du Sénat fédéral
des États-Unis n'est point élu par les sénateurs ; ce


' Art. 05 de la loi sur la forme du gouvernement.
2 Art. 66 et 60 de la loi fondamentale.


Art. 44 de la Constitution.
Art. 21 de la Constitution.




254 POUVOIR LÉGISLATIF.
président n'est autre, en effet, que le vice-président
de l'Union américaine nommé par les électeurs pré-
sidentiels ; il n'a pas le droit de voler, à moins que
les voix ne se partagent également, auquel cas la
sienne est prépondérante. Le Sénat américain nomme
les autres membres de son bureau, et notamment un
président chargé de suppléer le vice-président des
Etats-Unis, lorsque celui-ci est absent ou qu'il exerce
les fonctions de président de l'Union '.


Parmi les dispositions d'un caractère réglemen-
taire insérées dans les lois constitutionnelles et orga-
niques, il en est plusieurs que nous avons déjà in-
diquées , telles que le mode de votation pour le
remplacement des sénateurs inamovibles, et le tipage
au sort de l'ordre dans lequel doit s'opérer le renou-
vellement triennal. Les lois de 1875 ont posé à cet
égard des règles auxquelles le règlement intérieur du
Sénat ne peut déroger. C'est, de même, la loi. sur les
rapports des pouvoirs publics qui assure la publicité
des séances ; néanmoins , d'après cette même loi
(art. 5), le Sénat peut, comme l'autre Chambre, se
former en comité secret sur la demande d'un certain
nombre de ses membres , fixé par le règlement. Il
décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance
doit être reprise en public sur le même sujet.— Nous
nous bornerons à noter, en outre, que la déclaration
portant qu'il y a lieu de réviser les lois constitution .-


' Art. 5, section III de la Constitution.


DU SÉNAT. 255
nelles ne peut être votée qu'à la majorité absolue des
voix.


Si de ces détails réglementaires on passe à l'exa-
men des attributions législatives du Sénat, on voit
que ce corps politique partage strictement avec
l'autre Chambre le pouvoir législatif. 11 a, comme
elle, l'initiative des lois ; il doit, comme elle, déclarer
l'urgence de la promulgation, pour que le Président
de la République soit tenu de promulguer la loi dans
les trois jours ; toute délibération législative émanée
de la Chambre des députés est inefficace sans l'adhé-
sion du Sénat, de même que toute délibération légis-
lative du Sénat a besoin de l'adhésion de la Chambre
des députés.


Le Sénat de la République actuelle se distingue,
en ce point, très-nettement et du Conseil des Anciens
de la première République et des Sénats qui ont
suivi. Le Conseil des Anciens partageait bien avec
les Cinq-Cents l'autorité législative, mais en ce sens
seulement qu'il pouvait refuser son approbation aux
résolutions du Conseil des Cinq-Cents qui n'avaient
pas été prises dans les formes prescrites par la Cons-
titution. Le Sénat conservateur de l'an VIII avait
pour fonction principale d'annuler les actes incons-
titutionnels. D'après l'auteur même de la Constitution
de 1852 1 , le Sénat du second Empire n'est pas,
« comme la Chambre des pairs, le pâle reflet de la


' Proclamation du 14 janvier 1852.




VI


25G POUVOIR LÉGISLATIF.
Chambre des députés, répétant à quelques jours d'in-
tervalle les mêmes discussions sur un autre ton ; il
est le déposi taire du pacte fondamental et des libertés
compatibles avec la Constitution ; et c'est uniquement
sous le rapport des grands principes sur lesquels re-
pose notre société examine toutes les lois et
qu'il en propose de nouvelles au Pouvoir exécutif. Il
intervient, soit pour résoudre toute difficulté grave
qui pourrait s'élever pendant l'absence du Corps lé-
gislatif, soit pour expliquer le texte de la Constitution
et assurer ce qui est nécessaire à sa marche. Il a le
droit d'annuler tout acte arbitraire et illégal, et jouit
ainsi de cette considération qui s'attache à un corps
exclusivement occupé de l'examen de grands intérêts
ou de l'application de grands principes. » En dépit de
cette considération, l'Empire éprouva le besoin de
modifier les attributions du Sénat ; par le plébiscite
de 1870, il lui retira le pouvoir constituant , et lui
conféra des attributions identiques à celles de l'autre
Chambre, avec laquelle le Sénat partagea le pouvoir
législatif, toute loi d'impôt devant d'ailleurs être
votée d'abord par les députés.


Dans tous les pays constitutionnels, y compris la
France de 1814 à 1848 et sous le régime actuel, les
attributions de la première Chambre ne diffèrent pas
essentiellement de celles de la seconde. La seule
nuance qui les sépare, remarque un publiciste d'une
compétence spéciale en ces matières ', c'est que tout


' M. Léonce de Lavergne, sénateur inamovible.


DU SÉNAT. 257
ce qui concerne les recettes et les dépenses publiques
dépend plus spécialement de la Chambre des dé-
putés. Nous avons déjà noté' que les lois constitu-
tionnelles donnaient satisfaction à ce principe en
décidant que toutes les lois de finances doivent être,
en premier lieu, présentées à la Chambre des députés
et votées par elle. Il faut y ajouter le corollaire sui-
vant, qui reçoit son application clans tous les États
constitutionnels : si le concours de la Chambre haute
est indispensable au gouvernement, celui de la se-
conde Chambre est la base même de l'autorité mi-
nistérielle ; l'un et l'autre sont nécessaires, mais ils
ne le sont pas de la même façon. On peut assimiler la
situation des ministres français à celle des ministres
britanniques , qui ne sont réellement responsables
que devant la Chambre des Communes. En effet,
le législateur de 1875 a expressément reconnu à la
représentation du suffrage universel une autorité
supérieure à celle de l'autre Chambre pour régler
l'emploi des fonds publics et voter le budget, c'est-à-
dire pour accomplir la partie de beaucoup la plus
considérable de la tâche imposée chaque année au
Parlement. Une prépondérance légitime est clone
attribuée à la Chambre des députés dans la gestion
des affaires publiques, prépondérance qui doit se
traduire par une influence plus marquée sur la poli-
tique gouvernementale. Il en est ainsi dans tous les
Etats constitutionnels où existent des Chambres
hautes. La participation du Sénat français à l'exer-


Livre précédent, chap. VI.




258 POUVOIR LÉ.GISLATIF.
cite du droit de dissolution ne modifie en rien cette
situation, qui résulte de la nature des choses. La
prépondérance de la seconde Chambre est, en effet,
incontestée dans les pays même où cette seconde
Chambre peut seule être dissoute ; et, si le Sénat
français est appelé à donner son avis sur la néces-
sité de nouvelles élections, il ne faut pas perdre de
vue qu'en cette matière il n'a aucune initiative et ne
possède pas un pouvoir exclusif (le décision.


Le Sénat, d'après la Cons titu tion de 1875, n'est en
somme qu'une moitié du Corps législatif, et, pour
mieux marquer ce caractère, la loi sur les rapports
des pouvoirs publics lui applique son article 4, sui-
vant lequel toute réunion de l'une des deux Cham-
bres tenue hors du temps de la session commune est
illicite et nulle de plein droit.— 11 y a cependant pour
le. Sénat deux cas exceptionnels. D'abord, il peut
arriver que la présidence de la République devienne
vacante à une époque où la Chambre des députés se
trouverait dissoute ; les deux Chambres devant se
réunir immédiatement et de plein droit, le Sénat seul
s'assemblerait pendant qu'il serait procédé sans
délai à l'élection d'une Chambre des députés. Un
autre cas dans lequel le Sénat peut se trouver seul en
session, c'est celui où il est réuni comme Cour de
justice.


ATTRIBUTIONS JUDICIAIRES. — Nous venons de si-
gnaler une des fonctions spéciales que laConstitu fion


DU SÉNAT. 259
de 1875 a dévolues au Sénat, celle de Cour de jus-
tice. Il ne sera pas sans intérêt de parcourir rapide-
ment les divers systèmes constitutionnels pour re-
chercher quelles attributions judiciaires ils donnent
soit au Parlement, soit à l'une des deux Chambres.


Commençons par quelques Chambres hautes non
électives. En Angleterre, ce n'est pas uniquement la
Chambre des lords qui possède des attributions judi-
ciaires, et forme la seule Cour de justice ayant com-
pétence pour juger les pairs et pairesses ; mais, par
une confusion des pouvoirs bien propre à décon-
certer les théoriciens, dans cette terre classique du
libéralisme , le Parlement est la Cour suprême de
l'État. « Il statue souverainement' sur tout ce qui
concerne ses privilége.s , peut traduire devant lui
toute personne publique ou privée qui s'est rendue
coupable d'une infraction à ses droits, ordonner l'ar-
restation des inculpés et statuer en dernier ressort
sur leur vie, leur liberté et leurs biens. Il peut , par
un bill of attainder, soumettre un criminel d'État à
toutes les conséquences d'un arrêt de justice, et
même lui appliquer des peines qui ne sont point
portées par le droit commun, hors des cas prévus et
des formes prescrites par la loi. La Chambre des
Communes peut mettre en accusation devant la
Chambre des lords les membres du Conseil privé,
les ministres et tout fonctionnaire public d'un ordre
élevé, pour violation de droits constitutionnels, mal-


Laferrière, I. 44S.




260 POUVOIR LÉGISLATIF.
versations ou autres crimes ou délits contre l'État,
ainsi que pour toute faute ou négligence préjudi-
ciable à l'État dans l'administration des affaires pu-
bliques. Cette mise en accusation (impeachment) peut
être proposée, sous forme de motion, par tout mem-
bre de la Chambre des Communes. Si la motion est
admise, les Communes nomment des procureurs spé-
ciaux (managers), qui soutiennent l'accusation de-
vara la Chambre haute. Lorsque les preuves ont été
produites et que les managers et les défenseurs de
l'accusé ont été contradictoirement entendus, le lord
haut-sénéchal (high steward) recueille les voix des
pairs, en commençant par le plus jeune. » La. Cou-
ronne ne peut gracier les personnes condamnées par
le Parlement. — En Italie , d'après les articles 36
et 37 de la Constitution, le Sénat est constitué en
haute Cour de justice, par décret du roi, pour juger
les crimes de haute trahison et. d'atttentat à la sûreté
de l'État, et pour juger les ministres accusés par la
Chambre des députés ; il est seul compétent pour
juger les délits imputés à ses membres. — Ce sys-
tème, emprunté aux Chartes françaises de 1814 et
de 4830, n'est pas exactement celui du Portugal..
Dans cc royaume (comme dans l'empire du Brésil),
les attributions judiciaires de la Chambre haute con-
sistent à connaître des délits commis par les mem-
bres de la famille régnante, par les ministres et les
conseillers d'Étal, par les membres de la Chambre
haute, et enfin par les députés durant le cours de la
session ; la Chambre haute statue également sur lat


DU SÉNAT. 261
responsabilité des conseillers et secrétaires d'État'.


Sans nous arrêter à la Chambre- des seigneurs de
Prusse, qui possède seulement le droit , attribué
aussi à l'autre Chambre, de mettre les ministres en
accusation devant le tribunal suprême pour violation
de la Constitution, concussion ou trahison, nous ar-
rivons aux Chambres hautes purement électives.


En Belgique, en Roumanie, aux Pays-Bas, c'est
à la Cour suprême qu'est dévolue la connaissance
des faits qui pourraient relever de la. compétence du
Sénat; ainsi la Cour suprême juge les accusations
intentées contre les ministres. Ce n'est pas à dire que
les Chambres soient absolument dépourvues de toute
participation au pouvoir judiciaire. Par exemple, en
Belgique, les présidents ou vice-présidents des tri-
bunaux de première instance et les magistrats des
Cours sont nommés par le gouvernement, sur une
double liste de présentation émanée de la Cour de
cassation et du Sénat; aux Pays-Bas , quand une
place est vacante à la haute Cour, la seconde Cham-
bre des États-Généraux dresse une liste de cinq can-
didats entre lesquels le gouvernement doit choisir.


La Diète suédoise (Riksdag) intervient d'une ma-
nière analogue dans la constitution du pouvoir judi-
ciaire ; elle est même obligée, tous les trois ans, de
nommer une commission spéciale de 48 membres
(24 pour chaque Chambre), chargée d'examiner si
parmi les membres du tribunal suprême il n'y en


' Art. 41
de la Constitution du Portugal et 47 de la Constitution du




269
POUVOIR LÉGISLATIF.


aurait pas un ou plusieurs qui, sans qu'on eût à leur
reprocher un fait coupable, auraient cessé d'être
dignes d'exercer la justice. Mais ce n'est pas plus au
tribunal suprême qu'à la première Chambre que sont
renvoyées les accusations contre les conseillers
d'État, ministres, hauts fonctionnaires : une Cour
(Riksràtt) , dont il serait trop long de dénombrer les
éléments, est constituée spécialement dans ces cir-
constances; il ne faut pas oublier, à ce sujet, que,
les ministres suédois ayant seulement la responsa-
bilité des avis donnés par eux et non pas celle des
résolutions prises, lesquelles sont censées émaner du
roi, la responsabilité ministérielle se trouve ainsi
notablement limitée.


En Danemark, le Rigsret juge non-seulement les
accusations portées par la Chambre des députés ou
par le roi contre les Ministres, mais encore les indi-
vidus inculpés de crimes compromettant la sûreté de
l'État, lorsque le gouvernement juge à propos de les
traduire devant cette juridiction spéciale. Qu'est-ce
que le Rigsret? C'est un tribunal composé d'un nom-
bre égal de membres de la Cour suprême du Dane-
mark et de membres de la Chambre haute (Lands-
thing) élus pour quatre ans par cette Assemblée, et
conservant leur siée, en cas de dissolution du Lands-
thing , jusqu'à la solution définitive de l'affaire en-
tamée devant eux.


Le Rigsret norvégien est, de même, composé par
l'adjonction des membres (le la première Chambre
(Lagthing) à ceux (le la Cour suprême il juge les


DU SÉNAT. 263
membres de la Cour suprême, du Conseil d'État, et
les députés des deux Chambres, pour les infractions
commises par eux en cette qualité ; c'est le président
du Lagthing qui préside le Rigsret.


La plupart des républiques américaines ont con-
féré des attributions judiciaires à la Chambre haute 1,
suivant en cela l'exemple des États-Unis de l'Amé-
rique du Nord, dont il nous reste à signaler le sys-
tème. D'après la Constitution américaine (section II,
art. 5), la Chambre des représentants peut seule
mettre en accusation pour cause politique ; c'est ce
qu'on appelle impeachment. Le Sénat (section III ,
art. G et 7) a seul le pouvoir de juger les accusations
intentées par la Chambre des représentants ; aucun
accusé ne peut être déclaré coupable qu'à la majorité
des deux tiers (les membres présents. Le jugement
n'a d'autre effet que (le priver le condamné (le sa
place et de le frapper d'incapacité politique, sauf les
condamnations qui peuvent être ultérieurement pro-
noncées, s'il y a lieu, par les tribunaux ordinaires.
La section IV de la Constitution porte que le prési-
dent, le vice-président et tous les fonctionnaires civils
peuvent être renvoyés de leurs places si, à la suite
d'une mise en accusation , ils sont convaincus de
trahison , de dilapidation ou d'inconduite dans la
gestion des affaires publiques. Quand c'est le prési-
dent des États-Unis qui est mis en jugement, comme


' Dans la République équatoriale, le Sénat, au lieu d'are constitué
juge, est seulement chargé d'autoriser la mise en jugement devant
les tribunaux des individus accusés par la Chambre des députés.




264 POUV OI R LÉG ISLATIF.
lors du procès d'Andrew Johnson, c'est le chef de la
justice qui préside le Sénat.


La France, en matière de haute justice politique
comme en toutes les autres matières constitution-
nelles, a, pour ainsi dire, fait l'expérience de tous
les systèmes.


Sous les Constitutions qui n'admettaient qu'une
seule Chambre, l'institution d'une haute Cour s'ex-
pliquait d'elle-même, du moment que le législateur
voulait créer une juridiction spéciale à. certains délits
politiques d'une gravité exceptionnelle. La Consti-
tution de 1791 et celle de 1848 établirent donc une
haute Cour. La haute Cour de 1848 jugea les per-
sonnes inculpées d'avoir participé à l'organisation
des mouvements du 15 mai et du 13 juin 1848; ce
sont les magistrats qui la composaient qui mirent en
accusation l'auteur du coup d'État du 2 décembre.


Les Constitutions qui n'ont pas admis le système
de la Chambre unique ont hésité cependant parfois à
confier des attributions judiciaires à. la Chambre
haute. Sous la Constitution de l'an III 1 , « il y a une
haute Cour de justice pour juger les accusations ad-
mises par le Corps législatif, soit contre ses propres
membres, soit contre ceux du Directoire exécutif. La
haute Cour de justice est composée de cinq juges et
de deux accusateurs nationaux tirés du tribunal de
cassation, et de hauts jurés nommés par les assein-


' Art. 26i et 26(;.


DU SÉNAT. 265
blées électorales des départements» . C'est cette haute '
Cour qui , par suite de l'inculpation dirigée contre
Drouet , membre du Conseil des Cinq-Cents , fut
saisie du procès intenté à Babeuf et à 63 de ses
partisans. — La haute Cour de la Constitution de
l'an VIII ne fonctionna jamais. — Celle de laCons-
titution de 1852 resta sensiblement pareille à la
haute Cour de 1848 quant à la composition du tri-
bunal et du jury, le premier étant choisi dans la Cour
de cassation, et le second tiré au sort parmi les con-
seillers généraux des départements. Cette haute Cour
ne fut pas assemblée avant l'année 1870, où elle eut
à juger le meurtre commis sur Victor Noir par Pierre
Bonaparte. Sa compétence consistait, en effet ,
connaître « des crimes et des délits commis par des
princes de la famille impériale et de la famille de
l'empereur, par des ministres, par des grands-offi-
ciers de la Couronne, par des grands-croix de la
Légion-d'Ilonneur, par des ambassadeurs, par des
sénateurs, par des conseillers d'État » . La haute
Cour fut abolie après le 4 septembre.


La Constitution de 1875 , en établissant deux
Chambres, a conféré des attributions judiciaires à la
Chambre haute ; elle n'a point toutefois adopté la
combinaison américaine, car aucune disposition ne
limite le pouvoir du Sénat quant à la portée des
jugements rendus par lui ; sa compétence est res-
treinte à certaines causes politiques, mais dans ces
causes il peut prononcer une véritable condamna-
tion et non pas une simple destitution, comme le




266 PouvoIrt LÉGISLATIF.
Sénat fédéral de l'Union ; il a, en un mot, avec une
compétence différente, des pouvoirs aussi étendus
que ceux dont a joui la Chambre des pairs de 1814
à 1848.


On sait que la Chambre des pairs pouvait être
érigée en Cour de justice, soit qu'elle fût saisie par
une ordonnance royale, soit qu'elle le fût par une ac-
cusation émanée de la Chambre des députés. Elle
connaissait , suivant la Charte , non-seulement des
poursuites dirigées par la Chambre des députés
contre les ministres , des crimes de haute trahison
et des attentats à la sûreté de l'État, mais aussi
de toutes les poursuites criminelles intentées contre
ses membres. C'est en vertu de ce privilége que le
maréchal Ney, traduit devant un conseil de guerre,
demanda à passer en jugement devant la Chambre
des pairs, dont il était membre, et qui le condamna
à mort par 128 voix contre 17. C'est pour le même
motif que M. de Kergorlay fut traduit devant la
Chambre des pairs pour délit de presse, et que M. de
Montalembert fut, en 1831 , poursuivi devant la
même juridiction pour contravention aux lois consti-
tutives du privilége universitaire. L'avant-dernière
affaire relative à des pairs de France dont la Chambre
haute ait été saisie fut celle de Teste et Despans-
Cubières , accusés de corruption (1847), et la der-
nière celle du duc de Choiseul-Prasl in, accusé d'avoir
assassiné sa femme le 17 août 1847.


Le Sénat actuel n'a aucune compétence pour juger
ses membres, en tant que sénateurs ; s'ils jouissent


nu SÉNAT. 267
du privilége de l'inviolabilité parlementaire, dès que,
par la volonté de la Chambre dont ils font partie, ce
privilége vient à disparaître, ils sont justiciables des
tribunaux ordinaires.


La loi sur l'organisation du Sénat détermine ainsi
(art. 9) les attributions judiciaires de la haute Cham-
bre : « Le Sénat peut être constitué en Cour de jus-
tice pour juger soit le Président de la République,
soit les ministres , et pour connaître des attentats
commis contre la sûreté de »


Les ministres, outre la responsabilité solidaire
de la politique générale du gouvernement et la res-
ponsabilité individuelle de leurs actes personnels,
double responsabilité dont la sanction appartient
aux Chambres 1 , peuvent, aux termes de l'article 12
de la loi sur les rapports des pouvoirs publics, « être
mis en accusation par la Chambre des députés pour
crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions ;
en ce cas ils sont jugés par le Sénat » .


Dans ces circonstances , le Sénat est saisi par la.
Chambre des députés, en dehors de toute interven-
tion du Pouvoir exécutif. En 1830, les ministres
de Charles X furent traduits devant la Chambre des
pairs , non pas par une ordonnance royale, mais
par une simple résolution de la Chambre des dé-
putés prise en date du 28 septembre. La Chambre
des pairs, sur la proposition de son président,


' Art. 6 de In loi sur l'organisation des pouvoirs publics.




268 POUVOIR LÉGISLATIF.
M. Pasquier, se constitua en cour de justice, le 1" oc-
tobre, par l'acte suivant : « La Chambre, vu le Mes-
sage à elle adressé sous la date du 30 septembre
dernier, portant communication de la résolution
prise par la Chambre des députés dans sa séance du
28 du même mois, et de la nomination des commis-
saires chargés de suivre et soutenir l'accusation
portée en ladite résolution , arrête qu'à l'effet de
procéder ainsi qu'il appartiendra, elle se réunira en
cour de justice lundi prochain, 4 du présent mois,
à » Le 4 octobre, la Cour des pairs rendit un
arrêt préparatoire par lequel elle détermina les
formes de l'instruction judiciaire qui seraient suivies
devant elle. L'accusation fut soutenue par les trois
commissaires délégués par la Chambre des députés 1.
Les ministres, aux termes de l'article 56 de la Charte
de 1814, ne pouvaient être traduits devant la Cour
des pairs que pour fait de trahison ou de concussion,
et le même article ajoutait : « Des lois particulières
spécifieront cette nature de délit et détermineront la
poursuite. » En l'absence de textes plus précis , la.
Cour des pairs jugeaqu'investie d'une véritable sou-
veraineté clans l'ordre judiciaire, elle pouvait décider
dans sa sagesse si la trahison résultait des faits in-
criminés, et, par suite, punir le crime de trahison, soit
en puisant la peine clans le Code pénal, soit même
en arbitrant ou instituant une peine nouvelle ; c'est
en vertu de ces pouvoirs souverains qu'elle con-


MM. Bérenger, Persil et Madier de Moutlau.


DU SÉNAT. 269
damna les ministres à la prison perpétuelle et, de
plus, l'un d'entre eux, M. de Polignac, à la mort
civile. 11 n'est pas sans intérêt de reproduire les
motifs de l'arrêt qui établissent le fait de trahison :
« Considérant que, par les ordonnances du 25 juillet,
la Charte constitutionnelle, de 1814, les lois électo-
rales et celles qui assuraient la liberté de la presse,
ont été manifestement violées , et que le pouvoir
royal a usurpé la puissance législative ; — consi-
dérant que, si la volonté personnelle du roi Charles X
a pu entraîner la détermination des accusés , cette
circonstance ne saurait les affranchir de la respon-
sabilité légale; — considérant qu'il résulte des débats
que NN. (suivent les noms et qualités de MM. de Po-
lignac , de Peyronnet , Chantelauze , Guernon de
Banville), responsables, aux termes de l'article 13 de
la Charte de 1814, ont contresigné les ordonnances
du 25 juillet, dont ils reconnaissenteux-mêmesl'i llé-
galité ; qu'ils se sont efforcés d'en procurer l'exé-
cution et qu'ils ont conseillé au roi de déclarer la
ville de Paris en état de siége, pour triompher, par
l'emploi des armes, de la résistance légitime des
citoyens ; — considérant que ces actes constituent
le crime de trahison prévu par l'article 56 dela Charte
de 1814. »


La loi sur les rapports des pouvoirs publics, en
décidant que les ministres pourraient être traduits
devant le Sénat par la Chambre des députés, pour
crimes commis clans l'exercice de leurs fonctions,
n'a pas déterminé les formes à suivre pour l'instruc-




270
POUVOIR LÉGISLATIF.


tion et le jugement. L'exposé des motifs, présenté
par M. Dufaure, porte que, si une loi spéciale n'est
pas faite, « le Sénat réglera lui-même les formes à
suivre, comme l'avait fait avec tant de mesure et de
fermeté la Chambre des pairs de 1830 » . Il est de
tradition que la Chambre haute constituée en cour
de justice n'a d'autres règles que celles qu'elle se
donne, mais il n'est pas douteux qu'elle doive res-
pecter les principes qui s'imposent à toutes les juri-
dictions, tels que notamment la liberté de la défense.


Quant au Président de la République, d'après
l'article 6 de la loi organisant les pouvoirs publics,
il « n'est responsable que dans le cas de haute trahi-
son » , et, d'après l'article 12 de la loi sur les rapports
des pouvoirs publics, il « ne peut être mis en accu-
sation que par la Chambre des députés et ne peut
être jugé que par le Sénat » .


La loi de 1875 n'a pas défini les caractères de
la haute trahison, et c'est au Sénat qu'il appartien-
drait d'apprécier si les faits reconnus constants
constituent le crime qui peut seul justifier la con-
damnation du Président. Toutefois, il est une certaine
classe de faits que les législations constitutionnelles
qui se sont expliquées sur ce point s'accordent à
qualifier de haute trahison : nous voulons parler des
actes par lesquels le Pouvoir exécutif porte atteinte
aux droits de la représentation nationale. Il nous
suffira de citer une Constitution monarchique, celle
du Danemark, dont l'article 43 porte : « Le Rigsdag


DU SÉNAT. 271


est inviolable ; quiconque en attaque la sécurité ou la
liberté, quiconque donne un ordre dans ce but ou y
obéit, est coupable de crime de haute trahison. » La
Constitution française de 1848, dans son article 68,
déclarait également crime de haute trahison tout
attentat du Président de la République contre la
liberté de l'Assemblée nationale.— II n'est pas besoin
d'ajouter que, dans ce cas comme dans celui où il
s'agit de juger les ministres, le Sénat est directement
saisi par la Chambre des députés.


Arrivons au troisième ordre d'attributions judi-
ciaires conférées au Sénat : jugement des « attentats
commis contre la sûreté de l'État » .


L'article 12 de la loi sur les rapports des pouvoirs
publics dispose que le Sénat sera, dans ce cas, cons-
titué en cour de justice par un décret du Président
de la République, rendu en conseil des ministres. Si
l'instruction est commencée par la justice ordinaire,
le décret de convocation du Sénat peut être rendu
jusqu'à l'arrêt de renvoi.


La Charte de 1814 attribue à la Chambre des
pairs la connaissance des attentats à la sûreté de
l'État « qui seront définis par la loi » . Lors de la
révision de 1830 , cette phrase souleva quelques
observations à la Chambre des députés. « Il y a, dit
M. Berryer, un livre entier intitulé : Des Crimes contre
la sûreté de l'État : devront-ils être soumis à la
Chambre des pairs? » M. Dupin : « Un seul article
ne peut pas établir tout un système de législation ;




272
POUVOIR LÉGISLATI


c'est pourquoi on a. renvoyé à ce qui serait défini par
la loi,


La loi ne fut jamais faite , mais au contraire
plusieurs délits furent assimilés à des attentats pour
les faire rentrer dans la compétence de la Cour des
pairs. La loi du 10 avril 1834 sur les associations
disposa (art. 4) que « les attentats contre la sûreté de
l'État commis par les associations non autorisées
pourraien t être déférés à la juridiction dela Chambre
des pairs » . La loi du 9 septembre 1835 sur la
presse autorisa également à considérer comme atten-
tats à la sûreté de l'État les provocations de la presse
soit aux attentats contre la famille royale, soit aux
offenses contre la personne du roi, soit au change-
ment de gouvernement. « Elle n'est pas franche,
cette loi, dit Royer- Collard ; ce qu'elle ose faire,
elle n'ose pas le dire. Par un subterfuge peu digne
de la gravité du gouvernement, en appelant tout à
coup attentat ce qui est délit selon la loi et selon la
raison, les délits les plus importants (le la presse,
transformés, sortent du jury et s'en vont clandesti-
nement à la Chambre des pairs. Par le délit érigé en
attentat, le jury est destitué, spolié de ses attribu-
tions constitutionnelles. » Et l'orateur montrait que
la Chambre des pairs, décriée, avilie, frappée de
mort politique par ce rôle de cour prévôtale de la
presse qu'elle serait condamnée à. jouer, ne pourrait
plus revivre que par l'élection : « La Chambre des
pairs élective, voilà, messieurs, la dernière et inévi-
table conséquence de cette loi. Je le veux bien, mais


DU SÉNAT. 273
ce n'est pas par cette voie qu'il faudrait y arriver; et,
si nous y arrivons en effet, une Chambre des pairs
élue ne s'enrichira pas, soyez-en sûrs, de la dépouille
du jury. » Malgré les adjurations éloquentes de
Royer-Collard et l'opposition de M. Dupin lui-
même, la loi soutenue par M. Thiers fut adoptée ;
mais , après avoir été très-rarement utilisée pour
saisir la Chambre des pairs, elle fut abrogée le 6 mars
1848, et aujourd'hui les délits de la presse ne peu-
vent être qualifiés que d'après les règles posées dans
la loi de 1819.


Les procès relatifs aux attentats contre la sûreté de
l'État, reconnus comme tels par le Code pénal, furent
au contraire assez nombreux sous la Restauration, et
surtout sous la monarchie de Juillet. Il y eut, d'une
part, les attentats dirigés contre des personnes royales
ou princières, qui occasionnèrent plusieurs convoca-
tions de la Cour des pairs : procès de Louvel (14 fé-
vrier 1820) , de Fieschi (juillet 1835) , d'Alibaud
(25 juin 1836), de Meunier (27 décembre 1836), de
Darmès (15 octobre 1840) , de Quénisset (13 sep-
tembre 1841); — d'autre part, les conspirations ou
les insurrections : le 21 août 1820 , la Chambre des
pairs était constituée en cour de justice pour juger
une conspiration militaire; en avril 1834, pour juger
ce fameux procès des insurgés d'avril, qui dura plus
d'un an ; le 14 mai 1839, pour juger Barbès, Blan-
qui et les autres auteurs du mouvement des 12 et
13 mai ; le 44 août 1840, pour juger Louis Bona-
parte après son débarquement à Boulogne.


tS




SECONDE PARTIE.


POUVOIR EXECTITIF.


LIVRE


— De l'exercice du pouvoir exécutif.


LIVRE II. — Du Président de la République
et des Ministres.


274 POUVOIR LÉGISLATIF.
On voit, par ces exemples, de quelle importance


sont les attributions judiciaires déférées au Sénat, et
cette importance paraîtra plus grande encore, si l'on
réfléchit que la loi n'a pas déterminé limitativement
les attentats contre la sûreté de l'État qui seraient
justiciables de cette haute juridiction.


ATTRIBUTIONS CONSTITUANTES. — Pour terminer ce
qui concerne les attributions du Sénat, il nous reste-
rait à traiter de son rôle clans la révision de la Consti-
tution ; mais, une étude spéciale étant consacrée à la
révision (voir l'Appendice), nous nous bornerons à
noter ici : premièrement, que la Constitution ne peut
pas être révisée sans l'assentiment du Sénat ; et,
secondement, qu'une fois que le Sénat a donné cet
assentiment, c'est l'influence de la Chambre des dé-
putés qui devient prépondérante dans les opérations
de la révision, puisque les deux Chambres se réunis-
sent en une Assemblée nationale, dont la Chambre
des députés forme près des deux tiers.


Le Sénat a néanmoins l'avantage, presque pure-
ment honorifique, de donner son bureau à l'Assem-
blée nationale ; il en est de même dans la plupart des
Constitutions étrangères qui comportent la réunion
des deux Chambres en une Assemblée unique.




LIVRE PREMIER.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF.


CHAPITRE PREMIER.


DUS DIVERS MODES D'ORGANISATION DU POUVOIR EXÉCUTIF.


Multiplicité des systèmes en vigueur. — Différence entre la Répu-
blique et la Illotiarebie.— Du pouvoir exécutif dans les monarchies
absolues; dans les monarchies constitutionnelles; clans les Etats
républicains. Droit comparé. — Constitution du pouvoir exécutif
par le Parlement ou par le peuple. Droit comparé.


En dépit des théories sur la pondération des pou-
voirs, peut-être même à cause de ces théories, l'ex-
pression de « Pouvoir exécutif » est loin d'avoir un
sens exactement déterminé.


Ou l'exécutif est destiné à faire contre-poids aux
élus de la nation chargés de la confection des lois,
comme dans les monarchies constitutionnelles, —
ou il n'est que l'agent indispensable de l'application
des lois souverainement votées par les représentants
du peuple, comme dans presque tous les gouverne-
ments républicains. Dans le premier cas, l'exécutif
constitue un Pouvoir distinct du législatif ; dans le
second cas, au contraire, l'exécutif ne constitue pas,




278 POUVOIR EXÉCUTIF.
à proprement parler, un Pouvoir spécial, puisqu'il est
essentiellement subordonné ; il en est ainsi, notam-
ment., dans les républiques où le président est nommé
par les Assemblées législatives ; l'expression de
« Pouvoir exécutif » , autorisée par un usage cons-
tant, ne désignera dès lors rien autre chose que
l'organisation nécessaire pour réaliser la volonté de
la nation constitutionnellement formulée par les
représentants.


C'est surtout cette organisation que nous avons à
étudier, sans négliger toutefois les développements
dont elle est susceptible chez les peuples qui ont
attribué à l'exécutif un rôle pondérateur ou même
prépondérant dans l'équilibre gouvernemental.


11 serait difficile d'établir une classification rigou-
reuse de tous les systèmes usités et, à plus forte rai-
son , de tous ceux qui seraient possibles. Entre le
Pouvoir exécutif qui ne connaît (le règles que l'arbi-
traire et celui qui n'est qu'un instrument passif, il y
a place pour une multitude de nuances. La puissance
exécutrice peut être absolument libre ou enchaînée
par une Constitution ; dans cette dernière hypothèse,
la puissance exécutrice peut être placée au dessus
du Parlement, ou à côté, ou au dessous ; elle peut
être héréditaire, ou temporaire, ou sans cesse révo-
cable ; elle peut avoir l'initiative exclusive des lois
et le droit de vélo qui lui assurent une liberté d'ac-
tion considérable , le droit de convoquer les Cham-
bres , celui de les ajourner, celui de les dissoudre,


f


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 279
ou quelques-uns seulement de ces droits, ou n'avoir
aucun de ces droits ; elle peut également être collec-
tive ou exercée par une seule personne , comporter
une responsabilité plus ou moins étendue, etc.
Parmi toutes ces variétés d'un même genre , il n'est
guère qu'une classification qui s'impose à l'esprit. :
c'est celle qui consiste à distinguer le Pouvoir
exécutif héréditaire et le Pouvoir exécutif constitué
par voie d'élection.


La nécessité de constituer par l'élection le Pou-
voir exécutif sert à différencier théoriquement le
régime républicain, non-seulement de la monarchie
absolue, qui en est le contre-pied à tous égards, mais
encore de la monarchie constitutionnelle, dont une
république comme la république actuelle se rap-
proche par de nombreuses analogies.


« Entre la monarchie constitutionnelle et la Ré-
publique , disait Benjamin Constant en 1818 , la
différence est dans la forme. Entre la, monarchie
constitutionnelle et la monarchie absolue , la diffé-
rence est dans le fond » Pour compléter la pensée
du célèbre publiciste, on doit faire remarquer que la
différence de t'orme qui sépare la république de la
monarchie constitutionnelle a une très-grande im-
portance. En effet, si libérale qu'elle puisse être , la
monarchie enlève toujours aux sociétés une fraction
de leurs droits et « ne leur laisse qu'en partie , sui-


1 13. Constant, Cours de politique constitutionnelle. 2 vol., 1872,




280 POUVOIR EXÉCUTI v.
vint la remarque d'un écrivain contemporain I,
l'exercice de la souveraineté constituante ». Le roi,
tout en acceptant le contrôle parlementaire et la limi-
tation de ses pouvoirs par une charte ou une cons-
titution écrite, ne les reçoit pas moins à titre héré-
ditaire; et ce principe de l'hérédité est inconciliable
avec celui de la pleine souveraineté du peuple. Il
n'est pas besoin d'ajouter qu'au point de vue de
l'exercice du Pouvoir exécutif, les hasards de la
naissance ne peuvent donner les mêmes résultats
que le choix éclairé des intéressés.


Parmi les monarchies , nous ne parlerons pas
des États absolument despotiques, comme la Chine
ou la Turquie. Bien que le souverain du Céleste-
Empire s'intitule officiellement « père etinère » de
son peuple, il ne peut trouver grâce devant le droit
constitutionnel, qui constate que l'autorité paternelle
se traduit, dans ce cas, par la concentration de tous
les pouvoirs en une seule main et par l'exercice tout
à fait arbitraire de la puissance exécutive. — Il en
est de même du padichah, qui, seul chargé de l'exé-
cution de la loi, dont il est l'unique répréscntant, se
trouve investi de l'autorité la plus absolue. Il faut
ajouter cependant que tous les actes du padichah
doivent passer par l'intermédiaire administratif du
sadrazam ou grand-vizir et recevoir le visa du cheikh-
u , chargé de l'interprétation de la loi reli -


' H.
Passy, Des Formes de gouvernement, 1.870.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 281
gieuse. Sans prétendre que l'intervention de ces
hauts fonctionnaires limite en rien l'absolutisme des
sultans , nous devons la noter comme une des con-
ditions de l'exercice de leur pouvoir I.


L'empereur et autocrate de toutes les Russies a
pour auxiliaires : 1° le Conseil de l'empire, formé par
lui et où siégent de droit ses ministres ; 2° le Sénat,
également composé par lui et qui, par la nomination
à un grand nombre d'emplois, ainsi que par ses pou-
voirs administratifs, détient une certaine part de la
puissance exécutrice. Cette puissance réside d'ail-
leurs tout entière en la personne du czar, qui pos-
sède l'autorité la plus absolue.


Les Constitutions ayant généralement pour objet
de garantir aux peuples une intervention plus ou
moins étendue clans la direction de leurs affaires , il
s'ensuit nécessairement que, dans les monarchies
constitutionnelles , le Pouvoir exécutif est plus ou
moins limité par les attributions des représentants
de la nation.


Si le Pouvoir législatif est subordonné 2 ; s'il ne
peut prendre l'initiative des mesures qu'il croit utiles
au pays; si, ne pouvant amender les propositions qui
lui sont soumises, il est placé entre le rejet et l'adop-
tion pure et simple , c'est-à-dire presque toujours


' Après le massacre des consuls de France et d'Allemagne à Salo-
nique (mai 1876) et lors de l'agitation qui en a été la suite, le grand-
Vizir et le cheikh-ut-islam alors en fonctions ont ôté destitués; telle
est la farine turque des crises ministérielles.


= Voy. liv. f er , chap. l e, (le la première partie.





DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 283
des fictions constitutionnelles , les ministres étant
censés les auteurs exclusifs des mesures contre-
signées par eux , c'est à eux que s'en prendront les
Chambres. La responsabilité ministérielle sera ainsi
une soupape de sûreté destinée à protéger le Pouvoir
exécutif héréditaire contre l'explosion de l'opinion
publique, et ce Pouvoir se trouvera mis en demeure.
de modifier son attitude en choisissant de nou-
veaux agents.


Montesquieu' formule en ces termes a théorie
des rapports entre l'exécutif et le législatif, d'après
la Constitution d'Angleterre : « Si , dans un Etat
libre, la puissance législative ne doit pas avoir le
droit d'arrêter la puissance exécutrice , elle a droit
et doit avoir la faculté d'examiner de quelle manière
les lois qu'elle a faites ont été exécutées ; et c'est
l'avantage qu'a ce gouvernement sur celui de Crète
et de Lacédémone , où les cosmes et les éphores ne
rendaient point compte de leur administration. —
Mais , quel que soit cet examen , le Corps légis-
latif ne doit point avoir le pouvoir de juger la
personne et, par conséquent, la conduite de celui
qui exécute Mais , comme celui qui exécute ne
peut rien exécuter mal sans avoir des conseillers
me.chants et qui haïssent les lois comme ministres,
quoiqu'elles les favorisent comme hommes, ceux-ci
peuvent être recherchés et punis. Et c'est l'avantage
de ce gouvernement sur celui de Gniole, où, la loi ne


Esprit dos lois, liv. Xi, chap.


282 Pouvola EXÉCUTIF.
condamné à l'adoption; si ses délibérations sont ex-
posées au vélo et lui-même à la dissolution , le rôle
des Assemblées n'est guère au fond qu'un rôle con-
sultatif, et le Pouvoir exécutif reste, en réalité ,
maître absolu de la situation. En dehors même de
toutes ces circonstances, il en serait également ainsi
au cas où, grâce à l'organisation administrative,
à l'absence de liberté et au défaut d'esprit public ,
le gouvernement pourrait exercer sur la majorité
des électeurs une pression décisive en faveur de
certains candidats.


Nous avons indiqué, dans notre première partie,
les rapports de subordination ou de prépondérance
qui existent entre le législatif et l'exécutif dans les
principales monarchies constitutionnelles. Il faut
ajouter ici que , quels que soient ces rapports, le
fait seul de l'hérédité du Pouvoir exécutif implique
l'indépendance de ce Pouvoir vis-à-vis de l'autre.
Comme il fallait cependant que la volonté natio-
nale parût respectée, on a imaginé la responsabilité
ministérielle.


C'est une question assez oiseuse que de savoir si,
dans les monarchies parlementaires , le roi , selon
l'expression de M. 'Thiers, « règne et ne gouverne
pas » . En fait, il est presque toujours également in-
vraisemblable qu'un monarque s'abstienne de par-
ticiper à la direction politique et que des ministres
aient assez de caractère pour ne pas subir son in-
fluence ; le gouvernement reste donc entre ses mains
pour une très-grande partie. Seulement, en vertu




284
POUVOIR EXÉCUTIF.


permettant pas d'appeler en jugement les amvmones,
même après leur administration, le peuple ne pouvait
jamais se faire rendre raison des injustices qu'on lui
avait faites. »


On ne saurait mieux faire ressortir l'intention s ys-
tématique d'écarter la responsabilité réelle de -« celui
qui exécute » pour y substituer une responsabilité
fictive et l'on pourrait dire artificielle.


Aux termes de la loi fondamentale de l'Autriche du
21 décembre 1867, « l'empereur est sacré, invio-
lable et irresponsable.— Il exerce lepouvoir gouver-
nemental par des ministres responsables et des fonc-
tionnaires qui leur sont subordonnés. »


Au Brésil, la Constitution de 1824 porte : « Ar-
ticle 98. Le pouvoir modérateur est la clef de toute
l'organisation politique. Il est délégué exclusivement
à l'empereur comme chef suprême de la nation et
son premier représentant , pour qu'il veille inces-
samment sur la conservation de l'indépendance, de
l'équilibre et de l'harmonie des autres pouvoirs poli-
tiques. — 99. La personne de l'empereur est invio-
lable et sacrée ; elle n'est soumise à aucune respon-
sabilité.— 135. Les ministres ne sont pas affranchis
de la responsabilité qui leur incombe par un ordre
verbal ou écrit de l'empereur. »


Ces dispositions se retrouvent textuellement dans
la Charte du Portugal décrétée par don Pédro I" ,
empereur du Brésil , le 29 avril 1826, et elles con-
tinuent de faire partie de la loi fondamentale du
royaume portugais.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 285
Nous n'avons pas à énumérer tous les articles de


Constitution qui proclament l'inviolabilité, ou même
le caractère sacré, des personnes chargées du Pou-
voir exécutif à titre héréditaire, non plus que ceux
qui exigent le contre-seing d'un ministre responsable
pour donner aux actes royaux le caractère exécutoire.
Ce sont là les applications du principe même de la
monarchie constitutionnelle.


La loi suédoise , sur la forme du gouvernement ,
offre seule des particularités Intéressantes. Toutes
les affaires relatives au gouvernement doivent être
rapportées devant le roi au Conseil d'État (conseil
des ministres) et y être décidées, sauf celles concer-
nant les relations extérieures , qui peuvent n'être
communiquées qu'à deux membres du Conseil, et
celles concernant le commandement (les armées de
terre et de mer, qui sont décidées de concert avec le
chef du département militaire auquel elles ressortis-
sent. « Il sera dressé , ajoute l'article 9 , un procès-
verbal de toutes les affaires rapportées devant le roi
en Conseil d'État. Les membres présents du Conseil
doivent absolument émettre et motiver leur opinion
pour être insérée au procès-verbal, et ils sont respon-
sàles de leurs conseils, ainsi qu'il est dit ultérieure-
ment aux. articles 106 et 1.07; cependant il est réservé
au roi seul de prendre la décision. Si jamais, contre
toute attente, il arrivait que la décision du roi fût évi-
demment contraire à la loi fondamentale du royaume
ou au Code en vigueur, les membres du Conseil
d'État sont tenus de faire des remontrances vigou-




286 POUVOIR EXÉCUTIF.
reuses contre cettedécision. Celui qui n'aura pas fait
consigner au procès-verbal une opinion divergente
est responsable de la décision, comme s'il avait con-
seillé au roi de la prendre. »


Nous arrivons aux gouvernements républicains.
Les conditions d'exercice du Pouvoir exécutif n'y
sont pas moins variables que dans les monarchies.


L'histoire des législations constitutionnelles et la
comparaison des systèmes encore actuellement en
vigueur nous montrent tantôt des présidents , tantôt
des conseils exécutifs ; parmi ces présidents ou ces
conseils, les uns sont élus par le peuple, les autres
par les Assemblées ; les uns sont responsables, les
autres ne le sont pas.


Cette divergence est digne de remarque, car la
gigue semble indiquer le mode naturel et nécessaire
de la constitution du Pouvoir exécutif dans une Ré-
publique. L'observation constante de la volonté
exprimée par les électeurs étant la règle essentielle
de ce gouvernement, et les Assemblées délibérantes
étant les organes de cette volonté, il y a une contra-
diction choquante à établir, à côté des Assemblées,
un pouvoir qui, lui aussi, représenterait le peuple,.
et qui, tenu de se renfermer dans l'exécution des lois,
puiserait néanmoins dans son origine une autorité
égale, sinon supérieure à celle du législateur 1 . On


' Voy. les arguments présentés par M. Grévy, en 1848, contre le
système de l'élection du président de la République par le suffrage
universel, livre suivant. chap. ler.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 287
peut discuter l'étendue des attributions à conférer
LUI président d'une République, et la mesure de l'in-
fluence qui lui revient dans la confection des lois ;
mais on aboutira toujours à. cette conclusion que, si
le. président de la République a des fonctions pu-
rement exécutives et s'il n'est pas placé au-dessus
des Chambres, c'est par celles-ci qu'il doit être dé-
légué à l'exercice du pouvoir, que la délégation soit
d'ailleurs incessamment révocable ou faite, au con-
traire, pour un certain laps de temps. Le même rai-
sonnement s'applique aux conseils exécutifs.


La Constitution américaine et celles des républi-
ques de l'Amérique du Sud, auxquelles elle a servi de
type, sont bien éloignées de cette organisation, et
nous devons dire immédiatement que, si le régime
adopté par elles semble avoir subi une épreuve déci-
sive aux Etats-Unis, il a eu des effets beaucoup moins
satisfaisants dans les républiques du Sud. Malgré
l'autorité du système auquel l'Union a dû les
Washington et les Lincoln, il est permis de penser
que les conditions exceptionnelles de la vie politique
et le développement de l'esprit public , qui en est la
conséquence, ont seuls maintenu un accord, sinon
parfait, du moins suffisant entre les deux pouvoirs.


Le président des États-Unis, nommé par les élec-
teurs de chaque État', possède le plein exercice du
Pouvoir exécutif; il est, de par la Constitution, seul
et exclusivement chargé du gouvernement; ses fonc-


Voy. liv. II de cette partie, chap. I.




288 POUVOIR EXÉCUTIF.
tions sont essentiellement personnelles ; ses minis-
tres « ne sont pas, dit M. Laboulaye, des ministres
dans le sens anglais ; ils ne paraissent pas dans les
Chambres, et n'ont aucune responsabilité politique ;
ce sont des agents du président, qui peut les révo-
quer à. son bon plaisir. Quant au président, il n'est
responsable, comme tout autre officier des États-
Unis, qu'en cas de trahison, de concussion ou de
crime. Ce système, qui laisse plein pouvoir au pré-
sident d'agir à son gré pendant quatre années, sans
être tenu d'écouter ni ses ministres, ni le Congrès, ni
l'opinion, semble aux Anglais bien inférieur à la res-
ponsabilité ministérielle des pays constitutionnels ,
responsabilité qui permet toujours à l'opinion de se
faire entendre, et au pays de prendre en main ses
affaires et de régler sa destinée. » — On verra plus
loin que le président des États-Unis est, en outre,
armé d'une sorte de veto suspensif, dont l'effet est
d'entraîner une nouvelle délibération sur la loi votée,
qui doit réunir alors les deux tiers des voix dans
chacune des deux Chambres '.


Le président du Mexique est élu, comme celui des
États-Unis, au scrutin indirect, par tous les États de
l'Union, et l'organisation du Pouvoir exécutif est
sensiblement pareille à celle qui fleurit de l'autre côté
du Rio-del-Norte.


Le président du Vénézuéla est élu par la totalité
des citoyens de chaque État.


' Voy., sur le droit, de sanction et le véto suspensif, liv II de cette
partie., chap. H.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF.
289


Dans la majorité des républiques américaines, le
Pouvoir exécutif' est ainsi constitué en dehors de
toute participation des Chambres, soit par des élec-
teurs du second degré, comme au Pérou, au Chili,
dans la confédération Argentine, à Costa-Rica, soit
par tous les citoyens ayant droit de vote, comme à
flonduras, à Salvador, dans l'Équateur et dans le
Paraguay. Il est à peine besoin de rappeler par quels
conflits sont déchirés la plupart de ces États , où
le climat, le tempérament des habitants et les tradi-
tions absolutistes de la conquête espagnole semblent
se coaliser pour rendre inutiles toutes les richesses
du sol et tous les avantages de l'indépendance.


Ce n'est que dans l'Uruguay et dans laRépublique
haïtienne que le Pouvoir exécutif est constitué par le
Parlement ; et, comme le Parlement se compose de
deux Chambres, c'est en séance plénière des deux
Chambres réunies qu'est élu le président de la Ré-
publique'.


N'imaginant pas que l'inventeur de laConstitution
française de 1875 soit allé chercher si loin des exem-
ples, nous aimons mieux faire observer que, si l'on
admet le principe de la constitution du Pouvoir exé-
cutif par le Parlement, on ne peut guère le réaliser
autrement, lorsqu'il existe deux Chambres.


On pourrait, il est vrai, concevoir que le Pouvoir
exécutif fût constitué par le vote successif des deux


' Dans quelques États de l'Union américaine , le gouverneur, au
lien d'être nommé par le peuple, est élu au scrutin secret par les
deu x Chambres réunies en une seule Assemblée.




290 POUVOIR EXÇCUTIF.
Assemblées ; mais ce système présenterait des in-
convénients manifestes, soit que les deux Assem-
blées ne fussent pas d'accord , soit même que le
Pouvoir législatif eût dans l'une d'elles une majorité
beaucoup plus considérable que dans l'autre ; dans
ce dernier cas , il serait porté à se considérer comme
le délégué de l'une des deux Chambres, tandis qu'il
doit être le délégué du Pouvoir législatif tout entier.
Aussi préfère-t-on généralement réunir en une As-
semblée unique tous les représentants du Pouvoir lé-
gislatif, lorsqu'il s'agit d'élire soit un président, soit
un conseil chargé de la puissance exécutrice.


C'est ainsi que, dans la Confédération helvétique,
le Pouvoir exécutif est délégué par l'Assemblée fé-
dérale, « autorité suprême de la Confédération I , »
qui se compose de deux sections, délibérant séparé-
ment pour l'exercice du Pouvoir législatif et qui ne
forment plus qu'une seule Assemblée lorsqu'il s'agit
de constituer « l'autorité directoriale et exécutive ».


Ces dernières expressions nous amènent à cons-
tater qu'en Suisse le Pouvoir exécutif n'est point
confié à un seul citoyen , mais à un directoire , pour
employer le terme consacré par la Révolution. Il
existe un président de la Confédération ; ce prési-
dent est nommé pour un an par l'Assemblée fédé-
rale, mais il est choisi parmi les sept membres du
Conseil fédéral chargé du Pouvoir exécutif, et n'a en
réalité d'autres fonctions que celle de président de


' Termes de la Constitution du 12 septembre 1848, art. 60.


DE L'EXERCICE. DU POUVOIR EXII:CUTIF.
291


ce Conseil ; les attributions exécutives sont conférées
par la Constitution au Conseil fédéral et non au pré-
sident; c'est le Conseil fédéral qui dirige le gouver-
nement , qui fait les nominations , qui donne ou
refuse son approbation aux lois ou ordonnances can-
tonales, qui partage avec les Conseils l'initiative des
lois , etc. Toutes ces affaires ne peuvent être traitées
que par quatre membres au moins du Conseil fédé-
ral. L'article 91 de la Constitution de 1848 porte :
« Les affaires du Conseil fédéral sont réparties par
départements entre ses membres. Cette répartition
a uniquement pour but de faciliter l'examen et l'ex-
pédition des affaires ; les décisions émanent du
Conseil fédéral comme autorité. »


Si de la loi fondamentale de la Confédération on
descend dans le détail des Constitutions cantonales,
on doit distinguer d'abord , parmi ces petites répu-
bliques dont la réunion forme la République helvé-
tique, celles qui sont organisées selon le mode parle-
mentaire et celles où règne la démocratie la plus
pure et la plus absolue 1.


Il est évident que, dans les cantons où fleurit la
Landsgemeinde (assemblée du peuple) comme Pou-
voir législatif, l'origine, le caractère et les fonctions
de l'exécutif sont tout indiqués par cela même.


Mais dans ceux où il existe un Grand-Conseil , et
dl plus fôrte raison dans ceux où le Grand-Conseil
possède le plein exercice du Pouvoir législatif, il y


Voy. Pouvoir législatif, liv. P r, chap. lor,




292 POUVOIR EXÉCUTIF.
a place pour deux systèmes , l'un qui ferait du Pou-
voir exécutif le délégué du Grand-Conseil, l'autre
qui en ferait le délégué direct du peuple. En fait, ces
deux systèmes sont appliqués selon les cantons. Les
membres des Commissions chargées de l'exécutif
(petits Conseils, Conseils exécutifs, Conseils d'État)
sont, dans la plupart des cas, désignés par l'Assem-
blée législative ou Grand -Conseil ; mais il existe
plusieurs cantons où le Pouvoir exécutif est direc-
tement constitué par le peuple ; tels sont ceux de
Bâle-Campagne, de Zurich , de Thurgovie et de Ge-
nève. Il est à peine besoin d'ajouter que, dans tous les
cas, le Pouvoir exécutif est responsable de ses actes.


CHAPITRE 11.


HISTORIQUE DU POUVOIR EXÉCUTIF EN FRANCE,


Ancien régime. — Couslitutions de 1701, de 1795, de l'an
l'an VIII, de 1814, de 1830, de 184-8, de 1852. — Historique t
voir exécutif sous FA.5,,erublée du 8 février 1871.


Sous l'ancien régime, la royauté absorbait en elle
tous les pouvoirs. Souveraine dans l'établissement
des lois I , elle était souveraine également dans l'exé-
cution , de sorte que ses actes, par cela sèul qu'ils
émanaient de l'autorité royale, étaient censés porter


' Voy. première partie, liv. I UT , chap. 1c,.


n fM


III, de
u Pou-


DE L ' EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF.
293


en soi le caractère de légitimité qui s'attache, dans
les pays libres, aux dispositions constitutionnelle-
ment édictées par le législateur. La loi étant l'oeuvre
exclusive de la volonté du prince , les volontés du
prince étaient, par une juste réciprocité, nécessaire-
ment légales , et la puissance exécutrice se trouvait
absolument indépendante de tout contrôle. C'était
le temps où l'Église disait par la voix de Bossuet :
« 0 rois, exercez hardiment votre puissance, car elle
est divine et salutaire au genre humain. Vous êtes
des dieux, c'est-à-dire vous avez dans votre autorité,
vous portez sur votre front un caractère divin. »
C'était le temps où les actes du Pouvoir exécutif se
terminaient par la formule : Tel est notre bon plaisir.


Depuis la substitution du principe de la souve-
raineté nationale aux dogmes théocratiques de la.
vieille monarchie , on ne peut voir clans le Pouvoir
exécutif que l'autorité librement instituée par les
représentants de la nation pour assurer l'exécution
des lois et veiller à l'administration générale du
pays; et c'est pourquoi nous n'examinons les attri-
butions et le rôle du Pouvoir exécutif qu'après avoir
déterminé les droits du véritable souverain (c'est-à-
dire de l'ensemble des électeurs) et indiqué le fonc-
tionnement des grands corps qui, par l'effet d'une
délégation nécessaire , sont chargés de faire la loi.
Aujourd'hui, à notre époque de démocratie et de
suffrage universel , il n'y a de pouvoir initial ou pri-
mordial , comme on disait autrefois, que le Pouvoir
législatif. Il engendre et domine tous les autres, qui




294 POUVOIR EXÉCUTIF.
ne sont que ses instruments plus ou moins dociles,
plus ou moins dépendants.


Mais il n'est pas sans intérêt de voir par quelles
phases a successivement liasse l'organisation du
Pouvoir exécutif dans notre pays, depuis la chute de
l'ancien régime.


La Constitution de 1791 place, on le sait, la sou-
veraineté non pas entre les mains du chef de l'État ,
mais entre les mains de la nation, « de qui seule
émanent tous les pouvoirs I » , et c'est en vertu de la
fiction constitutionnelle qui fait du roi l'un des re-
présentants de la nation', que le Pouvoir exécutif lui
est déféré. « Il n'y a point en France, porte un ar-
ticle 3 , d'autorité supérieure à celle de la loi. Le roi
ne règne que par elle, et ce n'est qu'au nom de la loi
qu'il peut exiger l'obéissance. »


Le chapitre 1V du titre III de la Constitution con-
tient, relativement à l'exercice du Pouvoir exécutif ,
les dispositions suivantes : « Le Pouvoir exécutif
suprême réside exclusivement dans la main du roi .—
Le roi est chef suprême de l'administration générale.
du royaume ; le soin de veiller au maintien de l'ordre
et de la tranquillité publique lui est confié. — Le roi
est le chef suprême de l'armée de terre et de l'armée
navale. — Au roi est délégué le soin de veiller à la
sûreté extérieure du royaume, d'en maintenir les


Art. :il du titre III.
Même article.


III. u, sect. / TC , art. 3.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 295
droits et possessions. » Et ailleurs on lit : « Aucun
ordre du roi ne peut être exécuté s'il n'est signé par
lui et contre-signé par le ministre ou l'ordonnateur du
département. — Les ministres sont responsables de
tous les délits par eux commis contre la sûreté natio-
nale et la Constitution, de tout attentat à la propriété
et à la liberté individuelle de toute dissipation des
deniers destinés aux dépenses de leur département.
En aucun cas, l'ordre du roi, verbal ou par écrit, ne
peut soustraire un ministre à sa responsabilité t . »


Nous avons déjà noté ces dispositions dans les
Constitutions étrangères ; celles-ci les ont emprun-
tées à l'oeuvre de notre première Constituante.


Si la Constitution de 1791 était monarchique, l'or-
ganisation départementale établie à la même époque
était fondée sur ce principe que l'administration peut,
sans inconvénients, être confiée à des corps collec-
tifs, contrairement à ce brocard, qui a prévalu de-
puis : « délibérer est le fait de plusieurs, agir est le
fait d'un seul. » Le Pouvoir exécutif départemental,
s'il est permis de parler ainsi, était remis par la loi
aux mains de directoires.


Du moment où la royauté fut supprimée, ce sys-
tème, essentiellementrépublicain, devait passer dans
l'organisation politique. Il y passa, en effet, lors de
la Constitution de l'an III ; mais, auparavant, il faut
nous arrêter un instant à la première oeuvre de la


' Tit. III, chap. sect. iv, art. 4-6.




296 POUVOIR EXICUTIF.
Convention nationale, à la Constitution de 1793, dont
la partie relative; au Pouvoir exécutif est générale-
ment la moins connue.


Suivant cette Constitution 1 , le Pouvoir exécutif
est déféré à un Conseil composé de 24 membres. —
L'assemblée électorale de chaque département (c'est-
à-dire la réunion des électeurs du second degré
chargée de nommer les administrateurs, les arbitres
publics et les juges criminels ou de cassation) choisit
un candidat. Sur la liste générale des candidats pré-
sentés par les départements, le Corps législatif eboisa
les membres du Conseil, qu'il renouvelle par moitié
à chaque législature, dans le dernier mois de la ses-
sion. — Le Conseil exécutif est chargé de la direction
et de la surveillance de l'administration générale ; il
ne peut agir qu'en exécution des lois et décrets du
Corps législatif. Il nomme , hors de son sein , les
agents en chef rie l'administration générale de la Ré-
publique. Le Corps législatif détermine le nombre et
les fonctions de ces agents, lesquels ne forment point
un Conseil, mais sont séparés, sans rapports immé-
diats entre eux, et n'exercent aucune autorité per-
sonnelle. — Le Conseil nomme , hors de son sein ,
les agents extérieurs de la République. Il négocie les
traités. — Les membres du Conseil, en cas de pré-
varication , sont accusés par le Corps législatif. Le
Conseil est responsable de l'exécution des lois et des
abus qu'il ne dénonce pas. — II révoque et remplace


' Art. 62-77.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 297
les agents à sa nomination. Il est tenu de les dénoncer,
s'il y a lieu, devant les autorités judiciaires. Il peut
être appelé au sein du Corps législatif toutes les fois
que celui-ci a un compte à lui demander, et il doit,
en conséquence, résider auprès du Corps législatif,
dans la salle duquel il a l'entrée et une place séparée
marquée d'avance.


On sait qu'à l'époque où fut volée cette Constitu-
tion, le Pouvoir exécutif était exercé par la Conven-
tion elle-même, au moyen de ses comités. Les divers
ministères furent même abolis par un décret du


avril 1794, qui les remplaça par douze commis-
sions, placées sous la surveillance du Comité de salut
public.


Sous la Constitution de l'an III, le Pouvoir exécu-
tif est délégué à un Directoire de cinq membres.


Le. Conseil des Cinq-Cents forme, au scrutin secret,
une liste décuple du nombre des membres du Direc-
toire qui sont à nommer, et la présente au Conseil
des Anciens, qui choisit aussi, au scrutin secret,
dans cette liste. Le Directoire est renouvelé par l'é-
lection d'un nouveau membre chaque année, sans
que les membres sortants puissent être réélus avant
un intervalle de cinq COIS.


Chaque membre du Directoire le préside à son
tour, durant trois mois seulement.


Le Directoire nomme hors de son sein les minis-
tres, et « les révoque lorsqu'il le juge convenable »
Les ministres « ne forment point un conseil », et sont




298 POUVOIR EXÉCUTIF.
« respectivement responsables, tant de l'inexécution
des lois que de l'inexécution des arrêtés du Direc-
toire ».


Signalons, à titre de curiosité, les dispositions sui-
vantes : « 165. Les membres du Directoire ne peu-
vent paraître dans l'exercice de leurs fonctions, soit
au dehors, soit dans l'intérieur de leurs maisons, que
revêtus du costume qui leur est propre. — 166. Le
Directoire a sa garde habituelle, et soldée aux frais
de la République ; cette garde est composée de
120 hommes à pied et de 120 hommes à cheval. —
167. Le Directoire est accompagné de sa garde dans
les cérémonies et marches publiques, où il a toujours
le premier rang. — 168. Chaque membre du Direc-
toire se fait accompagner au dehors de deux gardes.
—169. Tout poste de force armée doit au Directoire
et à chacun de ses membres les honneurs militaires
supérieurs. — 170. Le Directoire a quatre messa-
gers d'État, qu'il nomme et qu'il peut destituer. Ils
marchent précédés de deux huissiers. — 173. Le
traitement de chaque membre du Directoire est fixé,
pour chaque année, à la valeur de 50,000 myria-
grammes de froment. »


Le caractère prétentieux ou théâtral de ces dispo-
sitions est profondément significatif. Après le grand
drame de la Révolution, c'est une scène nouvelle qui
commence, et qui se continuera par la parodie du
Sénat, des tribuns et des consuls romains, pour se
terminer avec Napoléon empereur (imperator) de la
République française. Que de pareilles puérilités aient


DE L ' EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 299
pu être édictées comme des lois fondamentales, c'est
ce qui indique mieux que toute autre chose quelles
modifications avait subies la Convention nationale
depuis le 21 septembre 1792 jusqu'au 22 août 1795.


Les auteurs de la Constitution directoriale avaient
pris le soin de confier le dépôt de leur oeuvre « à la
vigilance des pères de famille, aux épouses et aux
mères, à l'affection des jeunes citoyens, etc. » (ar-
ticle 377). Ces exhortations platoniques n'étaient
pas de nature à empêcher Bonaparte de porter at-
teinte , par le coup d'État de brumaire an VIII, aux
institutions républicaines.


La Constitution du 22 frimaire (13 déc. 1799) ne
s'embarrasse point de déclarations de principes. On
a vu I les procédés qu'elle organisa pour mettre la
représentation nationale dans l'absolue dépendance
du Pouvoir exécutif. Les consuls sont en réalité
les maures de l'État ; ils ne tiennent plus leur man-
dat des représentants du peuple, mais « de la Cons-
titution », c'est-à-dire d'eux-mêmes.


« Le gouvernement, porte l'article 39, est confié à
trois consuls, nommés pour dix ans et indéfiniment
rééligibles. — Chacun d'eux est élu individuelle-
ment avec la qualité distincte ou de premier, ou de
second, ou de troisième consul. — La Constitution
nomme premier consul le citoyen Bonaparte , ex-
consul provisoire ; second consul , le citoyen Cam-


' Pouv. légi51., liv. l e t, chap. u.




300 POUVOIR EXÉCUTI .
bacérès , ex-ministre de la justice, et troisième con-
sul le citoyen Lebrun, ex-membre de la Commission
du Conseil des Anciens. Pour celle fois, le troisième
consul n'est nommé que pour cinq ans. »


On ne peut d'ailleurs s'empêcher de remarquer
que le premier consul n'admet pas ses cieux collègues
au partage des attributions essentielles du chef de
l'État. Il a seul la nomination des hauts fonction-
naires ; dans les conseils du gouvernement, Cam-
bacérès et Lebrun n'ont que voix consultative. Ils
peu vent constater leur opinion surun registre, « après
quoi la décision du premier consul suffit


Bientôt le sénatus-consulte du 4 floréal de l'an XII
(18 mai 1804) organise l'Empire, en conservant en-
core le mot de République. « Le gouvernement de la
République, dit l'article 1", est confié à un empe-
reur qui prend le titre d'Empereur des Français. »
Pendant dix années, la voix populaire est étouffée
par le bruit du canon ; l'exécutif est tout.. « lin seul
homme, a di t un poète, était en vie alors en Europe'. »


Après la chute de Napoléon et la restauration du
frère de Louis XVI par les alliés, le Pouvoir exécutif
tend à se mettre au-dessus de la représentation na-
tionale, dont il n'admet pas la souveraineté. Nous
avons déjà vu 3 que la Charte de 1814 déclare formel-
lement dans son préambule « que l'autorité tout en-


' Art. 42.
2 A. de 31u3set, Coït ression d'un enfant du siècle.
' Pour'. législ., liv,


chap. if'.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 301
titre réside, en France, dans la personne du roi ».
Elle constate que c'est de son plein gré et « par le
libre exercice de son autorité que le roi fait conces-
sion et octroi à ses sujets d'un statut constitution-
nel ». C'était faire du Pouvoir législatif, source natu-
relle du Pouvoir exécutif, une sorte de don de joyeux
avénement que le roi se réservait le droit de re-
prendre à son peuple. Les phrases équivoques de
la Charte de 1814 portent la trace de cette préoccu-
pation constante du Pouvoir exécutif de ne pas tenir
compte de la Révolution qui avait déplacé l'axe de
la souveraineté.


L'article 14, en particulier, devient le point de dé-
part des tentatives audacieuses du successeur de
Louis XVIII pour accroître illégalement ses préro-
gatives. Le peuple répond à la provocation de la
royauté par une révolution qui, en substituant la
branche cadette à la branche aînée des Bourbons,
marque une fois de plus la rupture de la France avec
la théorie du droit divin. Désormais le Pouvoir exé-
cutif ne pourra plus avoir la prétention de tirer la
légitimité de son existence et de son action d'une
autre source que du consentement de la nation ; et
aucune Constitution ne dira plus que l'autorité réside
tout entière dans la personne du chef de l'État. De
mème que 1814 avait marqué la restauration de l'an-
cienne monarchie, fortement tempérée , il faut le
reconnaître , par les institutions constitutionnelles ,
de même on pourrait dire que 1830 marqua la res-
tauration de la monarchie de 1791, mitigée dans un




?à'


302 iouvoin EXÙCUTIP.
sens conservateur. Ce qui caractérise en effet la
Charte de 1830 , ce sont moins ses dispositions,
presque intégralement empruntées à celle de 1814,
que ce fait, relativement très-important, de la révi-
sion de la loi fondamentale par les Chambyes , en
vertu d'une révolution qui avait renversé la royauté.


On sait qu'après cette révision, à laquelle prirent
part 252 députés sur 406, 210 voix se prononcèrent
pour latransmission de la couronne à Louis-Philippe
d'Orléans, qui accepta et prêta serment de main-
tenir la Charte. L'hérédité monarchique était frap-
pée clans son principe ; et c'est pourquoi la date de
1830 , sans rappeler l'établissement d'un régime dé-
mocratique, indique une étape dans notre histoire
constitutionnelle et marque l'inauguration d'un gou-
vernement complètement parlementaire.


Au point de vue spécial de l'exercice du Pouvoir
exécutif , nous devons toutefois mentionner une im-
portante correction apportée à la Charte de 1814.


L'article 14 de cette Charte avait, nous l'avons
dit, servi de prétexte aux empiétements du pouvoir.
Il portait que le roi « fait les règlements et ordon-
nances nécessaires pour l'exécution des lois et la sû-
reté de l'État » C'est en vertu de ce pouvoir que
Charles X avait lancé les ordonnances de juillet, dont
la première modifiait les lois sur la presse, la se-
conde dissolvait la Chambre des députés et la troi-
sième établissait un nouveau système électoral.
Après les journées de juillet, on ajouta à l'article 14
que le roi ne pourrait jamais « ni suspendre les


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXECUTIP. 303
lois elles-mêmes , ni dispenser de leur exécution » .


La Constitution du 4 novembre 1848 supprime
naturellement l'hérédité du Pouvoir exécutif; le chef
de l'État est déclaré responsable , ainsi que les mi-
nistres, les agents et dépositaires de l'autorité pu-
blique. Le président de la République est assisté
d'un vice-président, nommé par l'Assemblée natio-
nale sur la présentation de trois candidats, faite par
le président, dans le mois qui suit son élection. Le
vice-président de la République est, de plein droit,
président d'un conseil d'État dont les membres sont
nommés pour six ans par l'Assemblée.


La Constitution de 1848, que le président de la
République avait juré de maintenir, ne devait rece-
voir qu'une application éphémère. A la suite du
coup d'État du 2 décembre 1851, dirigé par le Pou-
voir exécutif contre le Pouvoir législatif, Louis-
Napoléon promulgue la Constitution du 14 janvier
1852, dans laquelle il prétend renouer les traditions
de 89. « Notre société actuelle , dit le chef de l'État,
n'est, pas autre chose que la France régénérée par
la révolution de 1789 et organisée par l'Empereur. »
En réalité , aucun des principes du gouvernement
constitutionnel qui avaient été formulés en 1791
ne se retrouve dans la Constitution de 1852. La
responsabilité ministérielle , qu'on peut considé-
rer comme la clef de voûte du système, est quali-
fiée « d'obstacle journalier à la pensée du chef de




304 POUVOIR EXÉCUTIF.
l'État ». On la remplace par la responsabilité du
chef de l'État , responsabilité dépourvue d'ailleurs
de toute espèce de sanction « La Constitution ac-
tuelle , dit le préambule , proclame que le chef que
vous avez élu est responsable devant vous , qu'il a
toujours le droit de faire appel à votre jugement
souverain, afin que, dans les circonstances solen-
nelles, vous puissiez lui continuer ou lui retirer
votre confiance. »


Pour compléter cette organisation qui place entre
les mains de l'exécutif une autorité presque sans
limites, il faut noter qu'il a seul le droit de proposer
les lois et que la liberté d'amendement n'existe pas
pour le Corps législatif 2 . Les ministres ne peuvent
être membres du Corps législatif, qui n'a aucun
moyen sérieux de contrôler leurs actes.


La Constitution de 1852 était faite en vue du réta-
blissement de l'Empire. Pendant la plus grande par-
tie de sa durée, le second Empire fut un régime de
centralisation excessive dont le Pouvoir exécutif était
le rouage essentiel et dominant. Le sénatus-consulte
du 20 avril 1870 , en rétablissant la responsabilité
ministérielle , ne supprima pas la responsabilité du
chef de l'État, laquelle d'ailleurs n'était qu'un mot.


Né de la guerre et pour la guerre, le gouverne-
ment essentiellement exécutif de la Défense natio-
nale présente cette singularité qu'il eut deux centres
à la fois , une partie de ses membres étant assiégée


' Voy. livre suivant, fin du chapitre II.
Voy. liv. ler, chap. 1-, et liv. II, chap.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF. 305
dans Paris et l'autre étant chargée d'organiser la
lutte dans les départements. En l'absence d'un Par-
lement, les décrets du Pouvoir exécutif furent sou-
vent revêtus de l'autorité de la loi.


A la fin de la guerre, M. Thiers, nommé, le 17 fé-
vrier 1871, chef du Pouvoir exécutif par l'Assem-
blée nationale , réunie à Bordeaux , est chargé
d'exercer ses fonctions sous l'autorité directe de
l'Assemblée, dont il n'est que le délégué. Ses attri-
butions encore mal définies ne diffèrent pas sen-
siblement de celles d'un président du Conseil des
ministres sous un régime constitutionnel. Quant à
la forme du gouvernement , le pacte de Bordeaux
la laisse, pour ainsi dire , en suspens. La loi du
31 août, 1871, en accordant à M. Thiers le titre de
« Président de la République » et en lui continuant
ses fonctions pour tout le temps que dureront les
pouvoirs de l'Assemblée, néglige de supprimer une
cause grave de conflits entre celle-ci et le chef de
l'État : car la responsabilité personnelle du prési-
dent est affirmée .de nouveau dans l'article 3 ; et,
d'autre part, la faculté de se faire entendre par l'As-
semblée nationale, toutes les fois qu'il le croit néces-
saire, continue à exposer le dépositaire de la puis-
sance publique à des luttes et à des chocs répétés.


Pour prévenir ces crises parlementaires, qui sont
plutôt des crises de gouvernement que des crises de
cabinet, le Pouvoir exécutif réclame l'organisation
des pouvoirs publics , tandis que la majorité veut
se borner à organiser la responsabilité ministé-




306
POUVOIR EXÉCUTIF.


riche'. A la suite du rapport de la première Com-
mission des Trente , l'Assemblée sanctionne une
procédure très-compliquée, pour rendre plus difficile
et moins fréquente l'intervention personnelle du
chef de l'État dans les discussions législatives. Le
13 mars 1873, une résolution porte que l'Assemblée
ne se séparera pas avant d'avoir constitué les pou-
voirs publics ; mais l'intention de plus en plus ar-
rêtée du gouvernement d'adopter la reconnaissance
de la République comme fondement des institutions
nouvelles ne tarde pas à faire naître entre le prési-
dent et l'Assemblée un conflit décisif. Il aboutit, le
24 mai 1873, au vote d'un ordre du jour 2


qui a pour
conséquence la démission de M. Thiers.


Le maréchal de Mac-Mahon lui succède et prend
le pouvoir dans les conditions où son prédécesseur
l'exerçait. Mais bientôt, après l'échec des tentatives
de restauration monarchique, le chef de l'État in-
siste à son tour pour qu'on fortifie ses attributions
et pour qu'on donne plus (le stabilité à sa préroga-
tive. A la proposition qui tend à proroger pour dix
ans les pouvoirs du Maréchal , une partie de l'As-
semblée répond en demandant que le projet de pro-
rocation soit lié et subordonné au vote des lois cons-
• r>
titutionnelles. A la suite d'une longue discussion qui
remplit plusieurs séances, le contre-projet défendu
par la minorité de la Commission finit par l'emporter.


Comparez le Message du 13 novembre 1512, et la proposition de
Kerdrel (séance du 25 novembre).


2 Proposé par M. Ernoul.


DE L'EXERCICE' DU POUVOIR EXÉCUTIF. 307


Il confie pour sept ans le Pouvoir exécutif au
maréchal de Mac-Mahon « dans les conditions ac-
tuelles , jusqu'aux modifications qui pourront y être
apportées par les lois constitutionnelles ». Une com-
mission de trente membres est nommée, en exécu-
tion de la même loi du 20 novembre 1873, pour pro-
céder à l'examen des lois constitutionnelles. Ce n'est
qu'en 1875 que ce travail constituant devait aboutir.
L'amendement Wallon, adopté par 353 voix contre
352 (séance du 30 janvier), est le point de départ
des institutions républicaines qui nous régissent ac-
tuellement. Le 25 février 1875, l'Assemblée votait le
projet de loi relatif à l'organisation des pouvoirs publies.


Après avoir tracé ce tableau sommaire des diffé-
rentes formes que le Pouvoir exécutif a successive-
ment revêtues en France , il nous reste à étudier en
détail les attributions actuelles du Pouvoir exécutif
et à éclairer cette analyse par des comparaisons
tirées des Constitutions étrangères.


j




LIVRE II.


DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
ET DES MINISTRES.


CHAPITRE PREMIER.


DE L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.


Discussion sur les différents systèmes d'élection. — L'amendement
Grév y, en 1848. Droit comparé. — Durée du mandat. — Majorité
exigée pour la validité de — Expiration du mandat. —
Démission, décès du président. — Procédure organisée par les lois
constitutionnelles.


L'article 2 de la loi du 25 février 1875, relative à
l'organisation des pouvoirs publics, est ainsi conçu :


« Le président de, la République est élu à la ma-
jorité absolue des suffrages par le Sénat et la Cham-
bre des députés réunis en assemblée nationale. Il est
nommé pour sept ans ; il est. rééligible. »


Ce texte contient la reconnaissance d'un fait et
l'application d'un principe. Le fait, c'est que la forme
du gouvernement est la République; le principe, c'est
que le chef de l'État, dans une république , doit
tenir ses pouvoirs de l'élection.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 309
Mais par qui doit-il être nommé ? Est-ce par le


peuple tout entier réuni dans ses comices , ou bien
par les corps représentatifs qui tiennent eux-mêmes
leur mandat du suffrage populaire.


Cette question, dont nous avons déjà parlé 1 , n'a
pas été débattue lors du vote des lois constitution-
nelles ; mais, à la Constituante de 181,8 2 , chacune
des deux solutions que nous avons indiquées ren-
contra de chaleureux partisans. Un certain nombre
de représentants demandaient que le président fût
nommé par l'Assemblée et prît le titre de président
du Conseil des ministres.


Dans la séance du 6 octobre 1848, M. Grévy
développa son fameux amendement qu'il a lui-même
résumé ainsi : « Le chef du Pouvoir exécutif est élu
par l'Assemblée ; il prend le titre de président du
Conseil des ministres. Il est élu pour un temps illi-
mité. Il est toujours révocable. Il nomme et révoque
les ministres. »


Après avoir ra i t remarquer que l'objet de sa propo-
sition n'était autre que le maintien de l'étai de choses
qui existait alors, l'orateur établissait qu'il se sépa-
rait en un point capital de ceux qui demandaient
simplement la nomination du président de la Répu-
blique par l'Assemblée. En effet, les partisans de
cette solution assignaient un temps fixe à la délé-
gation du Pouvoir exécutif et le mettaient à l'abri
d'une révocation éventuelle. Dans le système de


'Voy. Pouvoir exécutif, liv. ler , chap. ler.
Voy. le compte-rendu de la Séance du 5 octobre 18/k8.




310 POUVOIR EXÉCUTIF.
l'amendement, au contraire, la délégation du Pou-
voir exécutif était faite pour un temps illimité, mais
elle restait perpétuellement révocable.


A ceux qui contestaient à l'Assemblée le droit
d'organiser à sa guise le Pouvoir exécutif, M. Grévy
répondait : « Je voudrais bien savoir comment une
Assemblée constituante issue du suffrage universel,
délégataire de tous les pouvoirs du peuple , sans
conditions, sans limites, investie du plein exercice
de la souveraineté, ne pourrait pas faire la Consti-
tution comme elle l'entend. Je voudrais bien qu'on
me dit pourquoi ses pouvoirs seraient plus limités
pour une partie de la Constitution que pour toutes
les autres ; pourquoi elle serait moins toute-puis-
sante pour l'organisation du Pouvoir exécutif que
pour l'organisation du Pouvoir législatif et du Pou-
voir judiciaire. Comment ! nous avons le droit de
régler les conditions d'élection du Pouvoir législatif,
et nous n'aurions pas le droit de régler celles du
Pouvoir exécutif? Nous pouvons décider que le Pou-
voir exécutif sera délégué à des consuls, à des direc-
teurs, à un président, nous avons le droit de déter-
miner la durée de cette délégation, et nous n'aurions
pas celui d'en déterminer le mode? Cela est d'autant
moins soutenable que, clans le système même de la
commission, c'est l'Assemblée qui nomme le pré-
sident, toutes les fois qu'aucun candidat n'a obtenu.
la majorité des suffrages, ou que, l'ayant obtenue, il
ne remplit pas les conditions d'éligibilité. »


Quant à ceux qui répétaient que le Pouvoir institué


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 311
par le projet de Constitution sous le nom de présider
de la République n'avait rien de redoutable et qu'il
se réduisait à peu de chose, l'orateur, en quelques
paroles prophétiques, répliquait que le président de
la République nommé par le suffrage universel
« aurait la force immense que donnent des millions de
voix ». Qui assurait qu'il ne la tournerait pas Contre
la République ; que, parmi cette série d e personnages
qui se succéderaient tous les quatre ans « au trône
de la présidence », il n'y aurait que de purs répu-
blicains empressés d'en descendre ? En réalité, que
faisait-on en attribuant au peuple entier le droit de
nommer le président de la République? Au lieu de
prendre des précautions contre l'ennemi capital, on
lui frayait la voie, « on élevait dans la République une
forteresse pour le recevoir » .


Cette opinion fut énergiquement combattue par
Lamartine (et si nous citons deux noms et deux dis-
cours, c'est qu'ils résument admirablement les cieux
faces de la controverse qui nous occupe). Le grand
poste se demande où est le pouvoir dans les répu-
bliques ; et à cette question il fait cette réponse : 11
est dans la popularité. Or, qu'arriverait-il d'un pré-
sident nommé par une Assemblée, si cette Assem-
blé.e perdait sa popularité ? le favori du Parlement
perdrait du même coup la sienne, et le prestige des
cieux pouvoirs s'éclipserait. Respectant la parole
des honnêtes gens, l'orateur ne redoute pas les pré-
tendants. Si l'Assemblée nommait le président, on
pourrait peut-être accuser les députés de s'être laissé




312 POUVOIR EXÉCUTIF.
corrompre. Bien « qu'il y ait des moments d'aber-
ration dans les multitudes, qu'il y ait des noms qui
entraînent les foules comme le mirage entraîne les
troupeaux, comme le lambeau de pourpre attire les
animaux privés de raison », l'orateur estime qu'en
accordant. au Pouvoir exécutif, dans la personne du
président de la République, toutes les attributions
que comporte la nature des institutions, on rend plus
impossible, en le rendant plus grave, plus odieux,
plus inexcusable , l'attentat contre la République
elle-même et contre les deux pouvoirs qu'elle a
constitués.


On sait que la grande majorité du Parlement
partagea la manière de voir de Lamartine. L'ar-
ticle 43 de la Constitution décida que le président
serait nommé au scrutin secret et à la majorité ab-
solue des votants par le suffrage universel et direct 1.


Les législateurs de, 1875, contrairement à ces
précédents , ont confié aux Chambres le soin de
nommer le président de la République.


Il n'en est pas de même dans tous les États répu-
blicains 2.


Aux États-Unis, le président et le vice-président


' Un autre grand homme, M. Victor Ilugo, s'honore quelques
jours après, dans un de ses discours, « d'avoir concouru à une mesure
qui consacre la plénitude de la souveraineté du peuple » (séance du
11 octobre).


Voir les développements que nous avons donnés, liv. l er , du
Pouvoir exécutif, chap. ter,


PRÉSIDENT DE LA HÉ:PUBLIQUE ; MINISTRES. 313
de la République tiennent leurs pouvoirs d'une élec-
tion à deux degrés. La procédure électorale est assez
compliquée. Chaque État nomme, de la manière qui
est prescrite par sa législature 1 , un nombre d'élec-
teurs égal au nombre total de sénateurs et de repré-
sentants que l'État envoie au Congrès. Ces électeurs
du second degré s'assemblent dans leurs États res-
pectifs et votent au scrutin pour deux citoyens, dont
un au moins ne doit pas être du même État qu'eux.
Ils transmettent ensuite les résultats du vote au pré-
sident du Sénat qui, en présence du Sénat et de la
Chambre des représentants, procède au dépouille-
ment général des scrutins. Celui qui a obtenu le plus
grand nombre de suffrages est proclamé président,
si cc nombre forme la majorité de tous les électeurs
réunis ; et, si aucun candidat n'arrive à cette majo-
rité, la Chambre des représentants choisit immé-
diatement le président, par la voie du scrutin, entre
les trois personnes ayant obtenu le plus de voix. Mais,
clans ce dépouillement des différents scrutins prési-
dentiels, les votes sont comptés par État, la repré-
sentation de chaque État n'ayant qu'une voix. Les
deux tiers des États doivent prendre part à cette
élection. Si la Chambre des représentants ne choisit
point le président, quand ce choix lui est dévolu,
avant le quatrième jour du mois de mars suivant, le
vice-président devient président, comme si le prési-
dent était décédé ou inhabile à exercer ses fonctions.


' Dans quelques États ce sont les Chambres, dans d'autres ce sont
tous les électeurs qui choisissent les électeurs présidentiels.




314 POUVOIR EXÉCUTIF.
De même, si aucun candidat à la vice-présidence


n'a réuni la majorité du nombre total des électeurs,
le Sénat choisit le vice-président parmi les deux can-
didats qui ont le plus de voix. La présence des deux
tiers des sénateurs et la majorité absolue sont. indis-
pensables pour la validité du vote '.


Ainsi, dans le système américain, c'est le suffrage
à deux degrés qui nomme le président, et les Assem-
blées ne participent à la constitution du Pouvoir
exécutif que dans des cas très-rares. Ce n'est pas
qu'à plusieurs reprises on n'ait essayé de changer le
mode d'élection du président. En 4826, à la suite de
la nomination laborieuse de Quincy Adams, les deux
Chambres nommèrent l'une et l'autre un comité spé-
cial pour étudier la question. Les comités se pronon-
cèrent en faveur de l'élection directe par le peuple ,
mais saris rallier dans chaque Assemblée la majorité
des deux tiers, requise pour l'adoption des amen-
dements constitutionnels. Le 10 décembre 1872, le
Sénat des États-Unis a chargé un comité de remettre
à l'étude la réforme dont il s'agit, et d'examiner s'il
n'y aurait pas lieu de faire nommer le président, le
vice-président et les sénateurs par le suffrage uni-
versel. Quelles que soient les conséquences de ce
mouvement des esprits, on peut dire qu'il n'est pas
favorable au système de l'élection du chef de l'État
par les Chambres, mais qu'il tend plutôt à augmenter
les droits des électeurs du premier degré.


' V o
• . Constitution des Étais Unis, ara. 2, sections I, II et III, si


amendement air.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 315
Rappelons que les Constitutions des jeunes répu-


bliques américaines comportent de grandes variétés.
Les unes confient la nomination du président au suf-
frage à deux degrés, et, si personne n'obtient la ma-
jorité, chargent ordinairement les Assemblées de
choisir entre les candidats qui ont obtenu le plus
grand nombre de suffrages (Mexique , République
dominicaine, Costa-Rica, Chili, Colombie, Paraguay
et confédération Argentine); les autres font nommer
le président par le suffrage universel (Honduras ,
Équateur, Salvador, Venezuela). Quelques États ont
opté pour l'élection du président par les Assemblées
(Haïti, Uruguay). Puis viennent des dispositions bi-
zarres. Ainsi le Guatemala charge de l'élection pré-
sidentielle un collége composé de la Chambre des
représentants, du Conseil d'État, de l'archevêque et.
de la Cour de justice. Le Pérou a limeur de l'élément
civil et ne veut pour présidents que des militaires.


Nous avons déjà indique le mode de constitution
du Pouvoir exécutif en Suisse. Nous aurons l'occa-
sion de revenir sur la révision de 1874, qui a fait
subir à la Constitution de graves modifications. Mal-
gré ces modifications, le Pouvoir exécutif continue
d'être exercé par un Conseil fédéral de sept membres,
nommé par les deux sections réunies de l'Assem-'
blée fédérale. Chaque année , les deux Chambres
choisissent dans le sein du Conseil fédéral le pré-


Liv. l eT , chap. icr de cette partie.




316
POUVOIR EXÉCUTIF.


sident de la Confédération et le vice-président du
Conseil fédéral , qui, l'année suivante, est appelé à
la présidence de la Confédération. La Constitution
suisse présente donc avec la nôtre une certaine ana-
logie, sauf que le Pouvoir exécutif est. exercé par un
corps collectif. Ce mode de gouvernement ressemble
beaucoup à notre Directoire de l'an III.


Le président de la République française est nommé
pour sept ans. De là le mot de septennat , par lequel
on a prétendu quelque temps caractériser la forme
du gouvernement, et qui ne peut indiquer qu'une
chose : la durée d'un mandat.


Stuart Mill ', qui estime que dans une république
le président doit être l'élu de la majorité du Parle-
ment, « parce que cette majorité nommera, en géné-
ral, son propre chef, qui est toujours un des hommes
politiques les plus importants, et souvent le premier
de tous », Stuart Mill n'hésite pas à penser qu'il est
indispensable que le mandat du président ait une
certaine durée. C'est l'unique moyen, suivant l'au-
teur que nous citons, de mettre l'exécutif àl'abri des
crises parlementaires , qui renversent si fréquem-
ment en Angleterre le premier ministre. L'idéal de
Stuart Hill est le système américain, « moins l'élec-
tion populaire et ses maux ».


La Constitution actuelle de la France réalise assez
bien cet idéal.


' Le Gouvernement représentatif,
2 e édit., 186r).


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 317


La durée du mandat présidentiel est plus longue
chez nous que dans tout autre pays. Aux États-Unis,
le président et le vice-président ne sont nommés que
pour quatre ans. Il en est de même au Mexique, au
Paraguay, dans l'Uruguay, au Vénézuéla , dans la
République dominicaine, dans celle d'Haïti, au Pé-


..k rou, dans le Guatémala et le Honduras. Le mandat le
plus long est celui du président de l'Équateur et du
président de la confédération Argentine (six ans). Le
plus court est celui du président de la Confédération
helvétique , qui expire au bout d'une année.


L'Assemblée nationale, avant de fixer à sept ans
la durée des pouvoirs du président, de la République,
a dû examiner diverses propositions qui les auraient
étendus .au delà ou reculés en deçà de cette limite.
Les souvenirs du consulat de l'an VIII et de la pré-
sidence de 1852 indiquaient aux uns le terme de dix
ans (proposition Changarnier); aux autres, le terme
de dix ans paraissait trop éloigné : ils trouvaient su f-
fisanle une prorogation de cinq années seulement
(proposition Laboulaye — séance du 15 nov. 1873).
Le septennat fut un moyen terme entre les deux dates.


Certaines Constitutions républicaines , pour em-
pêcher le président de se perpétuer au pouvoir, ont
déclaré qu'à l'expiration de son mandat il ne serait
pas rééligible. En Suisse, par exemple, le président
ne peut remplir ses fonctions pendant deux années
consécutives. Le président de la confédération Ar-
gentine n'est pas non plus rééligible. La Constitution
française a témoigné moins de défiance au chef de




318 POUVOIR EXÉCUTIF.
l'État; et l'article 2 de la loi du 25 février 1875 prend
soin de dire que « le président est rééligible ».
peut donc être élu deux ou plusieurs fois de suite'.


Pour que l'élection soit valable, il faut qu'elle
réunisse la majorité absolue des suffrages dans l'As-
semblée nationale, composée du Sénat et de la
Chambre des députés. Nous avons vu qu'aux États-
Unis le candidat à la présidence devait réunir, pour
être nommé, la majorité du nombre total des élec-
teurs présidentiels, et, dans les cas où la nomination
est faite par la Chambre des représentants, la majo-
rité des voix attribuées aux États. La Constitution
française de 1848 exigeait, pour valider l'élection du
président, la majorité absolue de tous les électeurs
des départements et de l'Algérie (art. 43). Ces diffé-
rentes règles ont le même but : asseoir sur une. large
base l'autorité du président, et ne l'admettre que si
elle est appuyée par le consentement d'une majorité,
que cette majorité soit prise d'ailleurs dans le peuple
ou dans le Parlement.


Les lois constitutionnelles règlent la procédure
qu'il conviendra de suivre dans trois cas : expira-
tion du mandat, démission ou décès du président de
la République. Reprenons successivement chacune
de ces hypothèses.


' De même, aux litats-Lais,
le président est indéfiniment rééli-


gible; mais, Washington ayant refusé une troisième présidence, son
exemple a, jusqu'ici , fait loi pour ses successeurs.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 319
Dans la première , c'est-à-dire quand le mandat


du président de la République est sur le point d'expi-
rer, les Chambres doivent être réunies en Assemblée
nationale pour procéder à l'élection du nouveau pré-
sident. Cette réunion doit être faite un mois au moins
avant le terme légal des pouvoirs du chef de l'État.
Si le président n'en prend pas l'initiative, elle a lieu
de plein droit le quinzième jour avant l'expiration
des pouvoirs.


Dans le second cas, c'est-à-dire quand le président
vient à mourir; ou dans le troisième , c'est-à-dire
quand il donne sa démission, les deux Chambres se
réunissent immédiatement et de plein droit. Si la
Chambre des députés se trouvait dissoute au moment
de la vacance du Pouvoir exécutif, les colléges élec-
toraux seraient aussitôt convoqués, et le Sénat se
réunirait sans convocation 1.


Aux États-Unis , les élections présidentielles ont
lieu tous les quatre ans , le premier mardi du mois
de novembre. Le vice-président remplace le prési-
dent, si ce dernier meurt., donne sa démission ou est
frapppé d'une incapacité quelconque. La Suisse a
également un vice-président du Conseil fédéral, qui
a vocation éventuelle à la présidence de la Confédé-
ration. Le législateur français de 1875 n'a pas cru
devoir instituer une vice-présidence de la Répu-
blique, bien que la Constitution de 1848 ait imité
sur ce point les législations étrangères. Le vice-pré-


Voy. art. 3 de la loi sur les rapports des pouvoirs publics.


41.




320 POUVOIR EXÉCUTIF.
sident de la République était alors de plein droit 'le
président du Conseil d'État.


CHAPITRE II.


ATTRIBUTIONS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.


ATTRIBUTIONS A DMINIS1 RATITES. — ATTRIBUTIONS GOUVERNEMENTALES.
—Nomination à tous les emplois civils et militaires.—Question du
droit, de paix et de guerre. Solutions diverses. — Droit de repré-
senter le pays dans les solennités nationales.


ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES directes et indirectes. — Droit de convo-
quer et d'ajourner le Parlement; de dissoudre la Chambre des dé-
putés. Avis du Sénat.— Législation comparée.— Messages — Droit


— Question du droit de sanction; solutions diverses.
— Promulgation et publication de la — Décrets.


ATTRIBUTIONS JUDICIAIRES — Droit de nommer les juges.— Des droits
de grâce et d'amnistie. — Responsabilité du président de la Repu-
bliq- ue; renvoi. — Question du serment.


On peut ranger sous quatre chefs les attributions
du Pouvoir exécutif :


1° Attributions administratives ;— 2° attributions
gouvernementales ; — 3° attributions législatives;
— 4° attributions judiciaires.


l convient d'écarter la première de ces catégories
d'attributions. Elle se rattache exclusivement au
droit administratif. Disons seulement que les attri-
butions administratives se résument dans la faculté
de rendre des décrets.


ATTRIBUTIONS GOUVERNEMENTALES. — Les attribu-
tions gouvernementales du chef de l'État sont très-


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 321
importantes dans tous les pays. Que la forme du
gouvernement soit républicaine ou monarchique, il
est une foule d'actes que le Pouvoir législatif, pou-
voir essentiellement collectif, ne peut accomplir par
lui-même. « Il est aisé de voir, dit Rousseau ', que
la puissance exécutive ne peut appartenir à la géné-
ralité comme législatrice ou souveraine, parce que
cette puissance ne consiste qu'en des actes particu-
liers, qui ne sont point du ressort de la loi , et , par
conséquent, de celui du souverain , dont tous les
actes ne peuvent être que des lois. »


Le gouvernement n'est donc que l'exercice du Pou-
voir exécutif. Aux termes de nos lois constitution-
nelles, il comprend : le droit de disposer de la force
armée, la nomination à tous les emplois civils et mi-
litaires, le privilége de représenter le pays dans les
solennités nationales et les relations avec les puis-
sances étrangères ; enfin celui de négocier et de rati-
fier les traités, sous les réserves que nous indique-
rons plus tard.


Par le commandement suprême de l'armée, ]e
chef de l'État tient dans ses mains « la force », cette
force qui devrait toujours être mise au service de la
loi et qui a été plus d'une fois tournée contre elle.
Par la nomination à tous les emplois civils et mili-
taires , il peut arriver à se composer une légion de
partisans dévoués qui étendent son autorité et forti-
fient son prestige sur toute la surface du territoire.


' Contrat social, liv. III, chap. I".




322 POUVOIR EXkUTIle.


Un orateur calculait, en 1848 1 , que le président de
la République nommerait 362,280 employés, émar-
geant ensemble 423 millions de francs. La propor-
tion, si elle est exacte, n'a pas dû faiblir depuis cette
époque. Dans presque tous les pays monarchiques,
les souverains ont les mêmes attributions gouverne-
mentales. Le droit de nommer les hauts fonction-
naires, au premier rang (lesquels se placent les mi-
nistres , leur est presque toujours accordé. C'est
également au chef de l'État qu'il appartient de dé-
signer les ambassadeurs. La gravité de ce choix n'a
pas besoin d'être démontrée : car l'incapacité ou la
présomption d'un ambassadeur ont entraîné plus
d'un grand pays dans des luttes désastreuses.


Dans les États monarchiques, le droit de déclarer
la guerre et de faire les traités paraît une applica-
tion naturelle de l'autorité royale ou impériale. On
citerait à peine deux ou trois Constitutions qui en-
tourent cette prérogative capitale de quelques garan-
ties, d'ailleurs peu sérieuses. En Suède par exemple,
le roi, avant de déclarer la guerre ou de faire la paix,
doit prendre l'avis du Conseil d'État : seulement il
n'est pas obligé de le suivre. En Portugal , le roi
« déclare la guerre et fait la paix , en transmettant à.
l'Assemblée les communications compatibles avec
l'intérêt et la sûreté de l'État ».


La question du droit de paix et (le guerre a sou-


Vo • . discours de M. Bouvet (séance du 44 octobre 1848).


PRÉSIDENT DE LA RI PUBLIQUE; MINISTRES. 323
levé, en 1790, un débat fameux entre deux grands
orateurs de la Révolution , Barnave et Mirabeau : le
premier soutenant que, la déclaration de guerre étant
un acte de volonté, c'est au Corps législatif qu'il ap-
partient de l'exprimer, puisque le Corps législatif
exprime la volonté nationale ; le second se pronon-
çant pour un système mixte « qui consiste à attribuer
concurremment le droit de faire la paix et la guerre
aux deux pouvoirs que la Constitution a consacrés,
c'est-à-dire au droit mixte qui tient à la fois de l'ac-
tion et de la volonté ». Il est à remarquer que les
arguments de Mirabeau sont presque exclusivement
tirés du caractère monarchique de la Constitution.
« Je ne crois pas, disait-il, qu'on puisse, sans anéan-
tir la Constitution, déléguer au roi l'exercice du droit,
de faire la paix ou la guerre ; je ne crois pas non
plus qu'on puisse attribuer exclusivement ce droit au
Corps législatif, sans nous préparer des dangers
d'une autre nature, et non moins redoutables. Mais
sommes-nous forcés de faire un choix exclusif? Ne
peut-on pas , pour une des fonctions du gouverne-
ment qui tient tout à la fois de l'action et de la volonté,
(le l'exécution et de la délibération, faire concourir
au même but, sans les exclure l'un par l'autre, les
deux pouvoirs qui constituent la force de la nation et
qui représentent sa sagesse? »


A son contradicteur qui maintient que le droit de
déclarer la guerre est un acte de souveraineté qui
rentre dans les attributions du Pouvoir législatif,
Mirabeau répond que le raisonnement serait juste sin




324 POUVOIR EXÉCUTIF.
le Corps législatif avait tout le Pouvoir législatif.
Mais, en réalité , le roi participe à ce dernier pou-
voir : cela résulte (le son droit de véto et de la néces-
sité de sa sanction pour assurer l'existence légale
des actes du Corps législatif. Donc , lorsqu'il s'agit
d'exprimer la volonté générale sur la question de
paix ou de guerre , il est naturel que le monarque et
le Corps législatif, c'est-à-dire les deux délégués de la
nation, concourent àl'exercice du droit dont il s'agit.


L'Assemblée nationale donna raison à. Mirabeau
contre Barnave, en adoptant le projet de décret pré-
senté par le premier de ces orateurs , décret qui
figure dans la Constitution de 1791 et débute ainsi :
« La guerre ne peut être décidée que par un décret
du Corps législatif, rendu sur la proposition formelle
du roi et sanctionné par lui. » Ainsi les deux repré-
sentants du Pouvoir législatif sont appelés à se
mettre d'accord sur la déclaration de guerre. 11 est
évident que les raisons fournies dans cette discus-
sion célèbre se réduisent presque à rien , quand le ,
chef de l'État ne participe pas à l'exercice du Pou-
voir législatif. C'est ce qui a lieu, par exemple, aux
termes de nos lois constitutionnelles de 1875. Dès
lors, il parait logique d'attribuer exclusivement aux
dépositaires du Pouvoir législatif, c'est-à-dire aux
membres des Assemblées, le droit qui nous occupe.
Aussi notre loi sur les rapports des pouvoirs publics
a-t-elle décidé que le président de la République ne
peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable
des deux Chambres:


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ; MINISTRES. 325
Les Constitutions républicaines ne manquent pas,


en général , d'accorder aux principes cette satis-
faction.
. Aux États-Unis, le droit de déclarer la guerre est
compris dans les attributions du Congrès , qui est
chargé en même temps de délivrer les lettres de
marque et de faire des règlements « sur les captures
de terre et de mer ». Le président ne peut conclure
les traités que de l'avis et du consentement du Sé-
nat, et à la condition que les deux tiers des sénateurs
présents donnent leur approbation. L'avis du Sénat
est exigé aussi pour la désignation des ambassa-
deurs, des consuls, des juges des cours suprêmes et
d'un grand nombre de fonctionnaires publics.


Le Pouvoir législatif, qui, en vertu de la loi du
24 mai 1872, nommait les membres du Conseil d'É-
tat, est dépouillé pour l'avenir de cette attribution,
qui passe au président de la République. Remar-
quons, par contre, que ce dernier ne participe en
rien à la constitution de la Chambre haute, et que le
Pouvoir législatif,. en se conférant le droit de nom-
mer 75 sénateurs , n'a demandé au chef de l'État la
désignation d'aucun candidat.


Nous n'insisterons pas sur le privilége de repré-
senter le pays dans les solennités nationales, bien
que le chef de l'État puisse être fréquemment appelé
à jouer un rôle personnel important, par exemple
dans la réception des chefs d'États étrangers et
dans certaines relations diplomatiques.




326 POUVOIR EXÉCUTIF.
On peut mentionner enfin parmi les attributions


gouvernementales du président de la République le
droit d'accorder les croix et distinctions honori-
fiques, si enviées dans notre pays. C'est assurément
là un des moyens d'action les plus efficaces dont
dispose le gouvernement. Les États monarchiques
ont multiplié les ordres à l'infini ; mais quelques
républiques, entre autres la Suisse et les États-Unis,
ont repoussé ces distinctions, comme contraires à
l'esprit d'égalité et indignes d'un peuple libre.


ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES. - On peut diviser les
attributions législatives (lu chef de l'État en deux
catégories : I n


les attributions législatives indirectes,
c'est-à-dire celles qui n'influent pas directement sur
la confection ou la mise en vigueur des lois; 2' les
attributions législatives directes, c'est-à-dire celles
qui tendent à faire modifier la loi ou à en assurer
l'exécution.


Attributions législatives indirectes. — Les pre-
mières sont énumérées dans la loi du 16 juillet
1875 sur les rapports des pouvoirs publics (art. 1,
2 , 3, 6). Le Sénat et la Chambre des députés se
réunissent chaque année , le second mardi de jan-
vier ; mais le Président a le droit de les convoquer
antérieurement à cette date. C'est lui qui prononce
la clôture de la session. Il peut, en outre, convoquer
extraordinairement les Chambres et les ajourner
quand elles sont en session. Toutefois l'ajournement.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ; MINISTRES. 327
ne doit pas excéder le terme d'un mois, ni avoir lieu
plus de deux fois dans la même session. Ces res-
trictions au droit d'ajournement caractérisent suffi-
samment ce droit , et doivent indiquer au président
qu'il est d'une bonne politique de ne pas inter-
rompre trop fréquemment le cours des travaux par-
lementaires.


Quand la situation devient trop tendue entre les
cieux pouvoirs, le président de la République a une
ressource suprême , dont l'usage est encore plus
délicat que celui du droit d'ajournement : il peut
dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration
légale de son mandat (art. 5 de la loi du 25 février).
Mais, par une précaution indispensable, la Constitu-
tion n'a pas permis au Pouvoir exécutif de prononcer
cette dissolution, en ne consultant que sa passion ou
son caprice. Avant de prendre une détermination
aussi grave, le président est assujetti à s'éclairer de
l'avis du Sénat ; et il ne peut passer outre, au cas où
le Sénat n'autorise pas la dissolution de l'autre
Chambre.


Si le Sénat et le président sont d'accord sur l'op-
portunité de la dissolution, rien ne s'oppose plus à
ce qu'elle soit prononcée. Toutefois , pour que la.
représentation nationale ne reste pas indéfiniment
supprimée, les collèges électoraux sont convoqués
pour de nouvelles élections, dans le délai de trois
mois. Telle est la réglementation actuelle du droit de




328 POUVOIR EXÉCUTIF.
dissolution que les lois françaises accordent au pré-
sident de la. République.


Parmi les publicistes qui ont écrit sur les principes
du gouvernement représentatif, beaucoup professent
que cette prérogative du pouvoir est indispensable
pour assurer le jeu régulier des institutions. « Si la,
puissance exécutrice, dit Montesquieu 1 , n'a pas le
droit d'arrêter les entreprises du Corps législatif,
celui-ci sera despotique : car, comme il pourra se
donner le pouvoir qu'il peut imaginer, il anéantira
toutes les autres puissances.» Stuart Mill estime éga-
lement que le premier magistrat d'une république
« doit posséder le pouvoir de dissoudre le Parlement,
même sous un système où il serait assuré de garder
sa place pendant une période déterminée. 71 ne de-
vrait pas, dit-il, y avoir en politique de dédales pos-
sibles, c'est-à-dire de conflit entre un président et une
Assemblée, où ils seraient face à face pendant un laps
de temps donné — peut-être de plusieurs années —
sans pouvoir se débarrasser l'un de l'autre. » Cet ar-
gument présuppose la supériorité de l'exécutif sur le
législatif; et il faut reconnaître que les Constitutions
monarchiques sont unanimes pour conférer au sou-
verain le droit de dissolution. Des pays même qui ,
comme la Grèce, ont une Chambre unique et inscri-
vent en tête de leurs lois que tous les pouvoirs
émanent de la nation, ne marchandent pas au Pou-
voir exécutif la faculté de faire appel à la•nation par


Esprit des lois, liv. XI, chap. vi.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 329


voie d'élections générales, quand un conflit s'engage
avec le Parlement.


Les partisans du droit de dissolution insistent sur
la nécessité de trouver un moyen de dénouer pacifi-
quement les crises constitutionnelles, et aucun ne
leur paraît plus raisonnable que la dissolution du
Parlement. Ils ajoutent que ce moyen ne pourrait
être considéré comme attentatoire aux droits du
peuple et de ses mandataires qu'autant que de nou-
velles élections n' auraien t pas lieu dans un délai assez
court. Montesquieu ', suivant eux, a bien raison de
dire que « si le Corps législatif était un temps consi-
dérable sans être assemblé , il n'y aurait plus de,
liberté; car il arriverait de deux choses l'une : ou qu'il
n'y aurait plus de résolutions législatives, et l'État
tomberait, clans l'anarchie ; ou que ces résolutions
seraient prises par la puissance exécutrice, et elle
deviendrait. absolue ». Mais un tel danger n'est vis
à craindre avec une Constitution qui .oblige le chef
de l'État, la dissolution du Parlement une fois pro-
noncée, à provoquer, dans un délai fixe, des élec-
tions générales. Dans le conflit, des deux pouvoirs,
le dernier mot reste, en définitive, au pays ; et mal
en prit à la royauté, en 1830, de ne pas accepter le
verdict national.


II en est tout autrement dans les Constitutions
républicaines. Celle des États-unis, notamment,
n'accorde au président le droit, non pas même de


des loi:, liv. XL chap. vt.


I




330 POUVOIR EXÉCUTIF.


dissoudre, mais d'ajourner les Chambres, «qu'en cas
de dissentiment entre elles sur le temps de leur
ajournement » .


Tl va sans dire que le président de la Confédération
helvétique, pas plus que le Conseil fédéral , n'a le
droit de dissoudre les Chambres.


Sous l'empire de notre Constitution de l'an III, le
Conseil des Anciens et celui des Cinq-Cents étaient
permanents ; mais ils avaient le droit propre de
s'ajourner à des termes qu'ils désignaient. Le Direc-
toire ne pouvait les dissoudre. Les conventionnels,
auteurs de la Constitution qui nous occupe, avaient
pris l'habitude de faire tout fléchir demi-Ille principe
de la souveraineté nationale.


C'est, en effet, à ce point de vue qu'on se place,
lorsqu'on refuse absolument au Pouvoir exécutif le
droit de dissolution. Lamonarchie absolue a, dit-on,
un souverain : le Roi ; la monarchie constitution-
nelle en a deux : le Roi et le Peuple ; la République
n'en a qu'un seul : le Peuple. Il y a donc contra-
diction à permettre au Président d'une République,
c'est-à-dire à un délégué, à un mandataire de la
Nation, de dissoudre la représentation nationale. Cet
argument n'a que plus de force quand le Président
est élu par les Assemblées, au lieu de tenir ses pou-
voirs du suffrage direct des électeurs. 1.e Pouvoir
exécutif n'étant que l'agent du législatif, comment
le premier se débarrasserait-il du second?


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 331


Dans l'état actuel de la législation constitution-
nelle de la France, il faut remarquer que le droit de
dissolution a un caractère complexe.


Tl est d'abord un moyen de faire cesser le dé-
saccord éventuel des deux Chambres ; comme il
faut bien que l'une des deux l'emporte, le législa-
teur a accordé le droit d'autoriser la dissolution de
la Chambre des députés au Sénat, qui, par la durée
plus longue de son mandat et son mode de renouvel-
lement partiel, lui a peut-être semblé moins exposé à
représenter un état accidentel de l'opinion publique.


De plus , les pouvoirs du président actuel de
l'État ayant une durée fixée par la Constitution elle-
même, il y a liedde prévoir le cas où le droit de dis-
solution pourrait dénouer un conflit non-seulement
entre les deux Chambres, mais entre la Chambre des
députés, d'une part, et le Pouvoir exécutif appuyé
sur le Sénat, de l'autre.


Enfin, si l'on suppose un désaccord entre le Pou-
voir exécutif, d'un côté, et les deux Chambres du
Parlement, de l'autre, la solution de la difficulté ne
consiste pas alors dans l'expédient monarchique de
la dissolution, mais uniquement dans la ressource
constitutionnelle d'un changement de ministère. C'est
là, du reste, un des traits les plus caractéristiques de
l'organisation actuelle des pouvoirs.


En interrompant brusquement la confection des
lois, la dissolution risque parfois de troubler le fonc-
tionnement régulier des services publics , qui récla-




332
POUVOIR EXÉCUTIF'.


ment à tout instant l'adoption de mesures nouvelles
et urgentes. Faut-il donc, dans l'intervalle des ses-
sions, ou en attendant les élections générales, armer
le gouvernement de pouvoirs extraordinaires? Dans
plusieurs pays, on est allé jusque-là. En Danemark,
le roi peut, en cas d'urgence, et lorsque le Rigsdag
n'est pas assemblé , édicter des lois provisoires,
pourvu qu'elles ne soient pas contraires au Statut
fondamental. Ces lois doivent toujours être présen-
tées au Rigsdag dans la session suivante.


Dans l'intervalle dies sessions du Sénat , le prési-
dent des États-Unis est investi du droit de remplir
toutes les places vacantes et d'accorder des commis-
sions provisoires.


La Constitution française de 1852 autorisait le cher
de l'État à pourvoir, avec le concours du Sénat, aux
nécessités du gouvernement. LaConstitution actuel le
n'augmente pas les pouvoirs du président quand le.
Parlement ne siée pas. Elle semble même inviter
le gouvernement à rester alors plus strict observa-
teur que jamais des limites de ses attributions ;
elle l'assujettit à convoquer les Chambres , si la de-
mande en est faite par la majorité des membres de
chacune d'elles.


La dissolution , quand on l'a.dmet, n'est jamais
qu'un remède héroïque, et dont l'emploi risque fré-
quemment d'exaspérer le malade, voire de tuer le
médecin.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 333
Si le président de la République désire exposer


au Parlement ses idées personnelles, la Constitution
lui offre un moyen d'exercer sur la représentation
nationale son influence légitime. Il peut adresser
aux Chambres desmessages, qui sont lus à la tribune
par un ministre. Avant le vote des lois constitu-
tionnelles, le Pouvoir exécutif s'est plusieurs fois
servi du message » pour indiquer à l'Assemblée
nationale la politique du gouvernement. C'est ainsi
qu'en novembre 1872 M. Thiers demandait aux dé-
putés d'organiser la République , et de lui donner
« cette force conservatrice dont elle ne peut se
passer » . C'est ainsi que, l'année suivante, le maré-
chal de Mac-Mahon demandait encore par voie de
message que l'Assemblée ne subordonnât pas la pro-
rogation des pouvoirs présidentiels au vote des lois
constitutionnelles (13 novembre 1873).


Il est presque superflu de faire remarquer qu'au
point de vue de la conduite politique il peut y avoir
de graves inconvénients pour le président de la Ré-
publique à mettre trop souvent sa personne en avan t.
Le caractère de son autorité doit l'engager à réser-
ver, pour des circonstances tout à fait exception-
nelles, une intervention directe dans les débats légis-
latifs. La même réserve s'impose aux ministres, qui,
dans la pratique, prennent une certaine part à la ré-
daction des messages, puisqu'elle est arrêtée ordi-
nairement en conseil des ministres.


A Uributions législatives directes. — Si les repré-




334 POUVOIR EXECUTIP.
sentants de la nation jouissent, dans l'exercice du
Pouvoir législatif, de l'entière souveraineté qui ap-
partient à celle-ci, il semble sage néanmoins que l'ini-
tiative des lois soit partagée entre eux et l'exécutif.


Cette règle se justifie par des raisons tirées de la.
nature des choses et de la nécessité. En effet, d'une
part, le Pouvoir exécutif est mieux placé que per-
sonne pour posséder des renseignements exacts sur
la situation du pays. I1 sait ou doit savoir quels sont
ses besoins, ses désirs, ses aspirations. Les rapports
qu'il reçoit de tous ses auxiliaires lui permettent de
se faire une opinion juste sur l'opportunité de telle
ou telle loi. Enfin, chargé de diriger la marche des
affaires publiques, lui seul peut sentir la nécessité
de certaines mesures. Tels sont les motifs que l'on
invoque pour concéder au Pouvoir exécutif le droit
d'in itiative.


Dans un autre système cependant, on fait observer
que cette attribution importante semble inconciliable
avec le fondement même du régime républicain, qui
est ta souveraineté absolue du peuple. Dans une ré-
publique, disent les partisans de cette manière de
voir, le chef de l'État n'est qu'un pur agent d'exécu-
tion. Il y aurait


• confusion, s'il proposait lui-même
les mesures qu'il est chargé d'appliquer. Il n'en est
pas de même dans une monarchie constitutionnelle,
où le chef de l'État est souverain et représente un
autre principe que celui de la volonté populaire ; dès
lors, son initiative ne fait plus double emploi avec
celle du Parlement.


M


PRI,SIDENT DE LA IIIPIIBLIQUE; MINISTRES. 233


Quoi qu'il en soit, l'article 3 de la loi constitution-
nelle du 25 février 1875 porte , dans sa première
partie, que « le président de la République a l'ini-
tiative des lois, concurremment avec les membres
des deux Chambres » .


Aux États-Unis, le président de la République n'a
que le droit « de donner au Congrès des informations
sur l'état de l'Union, et de recommander à sa consi-
dération les mesures qu'il jugera nécessaires et con-
venables » .


En Suisse, bien que le Pouvoir exécutif repose sur
plusieurs têtes, il a des attributions plus importantes
que celles du président des Mats-Unis. Les mem-
bres du Conseil fédéral ont voix consultative dans les
deux sections de l'Assemblée fédérale, ainsi que le
droit d'y faire des propositions sur les objets en dé-
libération. Le Conseil fédéral présente des projets de
lois, décrets ou arrêtés à l'Assemblée fédérale , et
donne son préavis sur les propositions qui lui sont
adressées par les Conseils ou les cantons.


Les Constitutions des républiques américaines ad-
mettent en général le Pouvoir exécutif au partage
du droit d'initiative. Celle du Pérou va même jus-
qu'à le mettre tout entier entre les mains du prési-
dent, à l'exclusion des deux Chambres , qui prêtent
seulement leur concours à l'élaboration de la loi.
— Le Chili, la République dominicaine, le Véné-
zuéla, refusent au contraire le droit d'initiative au
président, pour le concentrer dans les Chambres.


L'organisation des États Monarchiques comporte




336
POUVOIR EXÉCUTIF'.


nécessairement de moins grandes variétés. Les mo-
narques ont tous le droit d'initiative, et l'on citerait
peu d'États où il fût soumis à quelques restrictions.
— La Suède impose au souverain de ne présenter
aucun projet de loi avant d'avoir demandé l'avis du
Conseil d'État et du tribunal suprême. — En Grèce,
le Conseil d'État examine également tous les projets
émanés de la Couronne.


Par contre, on trouve encore des Constitutions
monarchiques qui n'admettent pas les deux Cham-
bres au partage du droit d'initiative. Telle est la loi
hollandaise, qui ne confère cette prérogative qu'au
roi et à la deuxième Chambre. La Charte wurtem-
bergeoise de 1819 allait bien plus loin , puisqu'elle
conférait au roi seul le droit d'initiative. Mais, depuis
la loi du 23 juin 187•, cette disposition antilibérale
a cédé, comme nous l'avons vu I , devant le droit
moderne.


Bien que nos lois constitutionnelles accordent au
président de la République le droit de proposer les
lois, concurremment avec les membres des deux
Chambres, il n'en résulte pas qu'il partage avec les
Assemblées le pouvoir législatif. Autre chose est pro-
poser la loi, et autre chose est la faire et lui imprimer
un caractère définitif.


Quand le chef de l'État participe à l'exercice (lu
pouvoir législatif, quand son consentement est in-


' Vo • . le livre ier , chap. ter de la première partie.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 337
dispensable à la perfection de la loi, on dit qu'il a le
droit de sanction. Celle prérogative n'est nullement
connexe au droit d'initiative. Ainsi la Constitution
(le 1791 refuse au roi le droit d'initiative et lui ac-
corde le droit de sanction.


Il arrive également que le chef de l'État cumule
les deux priviléges. C'est ce qui résulte notamment
de la Charte de 1814, de celle de 1830 et de la Cons-
titution de 1852.


On peut encore conférer au Pouvoir exécutif le
droit d'initiative et lui refuser le droit de sanctionner
les lois, de sorte que la loi est complète et obliga-
toire, soit qu'il l'ait, soit qu'il ne l'ait pas provoquée.


La comparaison des diverses législations constitu-
tionnelles nous amène à dire quelques mots de l'exer-
cice du droit de sanction, bien que ce droit se con-
cilie malaisément avec un régime politique dont le
fondement est la reconnaissance de la pleine souve-
raineté de la nation et de l'entière indépendance du
Pouvoir législatif.


La sanction a tantôt un effet absolu, tantôt un effet
relatif; en d'autres termes, elle est tantôt indispen-
sable à la validité de la loi, et tantôt elle n'est qu'une
condition , dont l'absence n'invalide pas un projet
d'une façon définitive . '.


' Notre Charte de 1811 (art. 22) contient un exemple du droit de
sanction avec tous ses effets prohibitifs.


La Constitution de 1852 s corde également au chef de l'État le
droit de sanction, bien que le Corps législatif n'ait ni le droit (nui-


22


"Mb


4




338 POUVOIR EXÉCUTIF'.
Nous avons déjà donné des exemples de cette


dernière combinaison 1 ; nous ajouterons que, dans
plusieurs États, le droit de sanction n'est accordé au
souverain que moyennant certaines réserves. Aussi
le roi de Suède ne peut repousser un projet présenté
à sa sanction par les Chambres, sans consulter le
Conseil d'État et le Tribunal suprême. Il doit en outre
motiver son refus.


Nous avons dit qu'il y avait des cas où le refus
de sanction n'a pas un effet absolu ; alors la préro-
gative accordée au chef de l'État prend la dénomi-
nation de véto suspensif. Tout le monde connaît les
graves débats que souleva au sein de l'Assemblée
constituante la question du vélo. Chacun sait que
Mirabeau intervint avec son éloquence ordinaire pour
faire accorder au souverain le véto suspensif. Il alla
jusqu'à dire : « Je crois le véto du roi tellement né-
cessaire, que j'aimerais mieux vivre à Constanti-
nople qu'en France, s'il ne l'avait pas. Oui, je le dé-
clare , je ne connaîtrais rien de plus terrible que
l'aristocratie souveraine de six cents personnes, qui
demain pourraient se rendre inamovibles, après-
demain héréditaires et finiraient, comme les aristo-
crates de tous les pays du monde, par tout envahir. »
Conformément à l'opinion soutenue par l'orateur, le
droit de vélo fut accordé au roi par la Constitution
de 1791 ; mais , dans le cas où le roi refuse son con-
tiative, ni le droit d'amendement. M. ilathic justifiait cette disposi-
tion en disant que le gouvernement, après avoir fait voter une loi,
pouvait avoir des raisons d'y renoncer.


Pouvoir législatif, liv. l et, commencement du chapitre jet.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 339
seulement , ce refus n'est que suspensif. Lorsque
deux législatures reproduisent successivement le
projet frappé du véto royal, le roi est censé lui avoir
donné sa sanction, et le projet prend le nom de loi.


Sous le Consulat, il n'est question ni de sanction,
ni de véto. La loi est parfaite par le- vote du Corps
législatif ; et le droit de vélo eût été en effet bien inu-
tile au chef de l'État, puisqu'il avait l'initiative des
lois, à titre exclusif, et que les lois ne pouvaient
être amendées. Cependant la Constitution de 1852,
dans des conditions identiques, exige encore la sanc-
tion du Pouvoir exécutif.


La plupart des Constitutions américaines accor-
dent au Pouvoir exécutif la faculté suivante : «'Tout
bill , dit la Constitution des États-Unis ' , qui aura
reçu l'approbation du Sénat et de la Chambre des
représentants, sera, avant de devenir loi, présenté
au président des États-Unis ; s'il l'approuve, il y
apposera sa signature, sinon il le renverra avec ses
objections à la Chambre dans laquelle il aura été
proposé ; elle- consignera les objections intégrale-
ment dans son journal et discutera de nouveau le
bill. Si, après cette seconde discussion, deux tiers
de la Chambre se prononcent en faveur du bill , il
sera envoyé, avec les objections du président, à
l'autre Chambre qui le discutera également ; et, si la
même majorité l'approuve, il deviendra loi : mais,


sec .§ 2.




340 POUVOIR EXÉCUTIF.
en pareil cas , les votes des Chambres doivent être
donnés par oui ou par non , et les noms des personnes
votant pour ou contre seront inscrits sur le journal
de leurs chambres respectives. Si, dans les dix jours
(les dimanches non compris), le président ne renvoie
point un bill qui lui aura été présenté, ce bill aura
force de loi comme s'il l'avait signé, à moins cepen-
dant que le Congrès, en s'ajournant, ne prévienne le
renvoi : alors le bill ne fera point loi. »


Les mêmes règles s'appliquent à tout ordre , toute
résolution ou vote pour lequel le concours des deux
Chambres est nécessaire.


Les lois constitutionnelles de 1875 ne soumettent
pas la France au régime du vélo. Elles se bornent à
conférer au président de la République la faculté de
demander aux Chambres , dans le délai d'un mois
à partir de la transmission de la loi au Pouvoir exé-
cutif, une nouvelle délibération qui ne peut être
refusée. Cette demande est faite par un message mo-
tivé t . Ainsi, dans l'état actuel de notre droit public,
le consentement du président n'est pas nécessaire à
la perfection de la loi, qui devient définitive par le
vote des Chambres.


Supposons maintenant que la loi est faite : va-


' La disposition dont il s'agit se trouvait déjà dans la Constantiem
de 1848 : « pans le délai fixé pour la promulgation, disait l • article 4S,
le président dla tépuld igue peut, par un message motivé, deman-
der une nouvelle delibé: •ation. L'Assemblée délibère : sa résolution
devient définitive; elle est transmise au président de la Ripublique.»
En ce cas, la promulgation a lieu dans le délai fixé pour les lois
d'urgence.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 341
t- elle devenir immédiatement exécutoire ? Il faut
auparavant que le gouvernement accomplisse trois
actes : 1" promulguer la loi, c'est-à-dire notifier son
existence au pays ; 2° prescrire par voie de règle-
ment général les mesures nécessaires pour la mise
en pratique de la loi ; 3° mettre en oeuvre la force.
publique pour assurer le respect et l'exécu lion forcée
de la loi.


Le président de la République promulgue les lois
dans le mois qui suit la transmission au gouverne-
ment de la loi définitivement adoptée. Il doit pro-
mulguer dans les trois jours les lois dont la promul-
gation , par un vote exprès dans l'une et l'autre
Chambre, aura été déclarée urgente.


L'article 59 de la Constitution de 1848 porte qu'à
défaut de promulgation par le président .de la Répu-
blique dans les délais constitutionnels, il y serait
pourvu par le président de l'Assemblée nationale.


Pour devenir exécutoire , la loi promulguée doit
être publiée.


L'histoire de notre droit public offre une collection
assez riche de procédés de publication. Vers l'an II,
les lois se publiaient à son de trompe dans chaque
Commune. Plus tard, une loi du 12 vendémiaire
an IV porte que les lois, insérées au Bulletin des lois,
seront envoyées aux Directoires de chaque départe-
ment et deviendront obligatoires dès la constatation
de l'envoi sur un registre ad hoc. Mais l'expérience
ayant condamné ces procédés, on ne tarda pas à y
renoncer. Le titre préliminaire du Code civil orga-




342 POUVOIR EXÉCUTIF.
nise ce qu'on a appelé le système de la publication
virtuelle. Le législateur établit une présomption, en
vertu de laquelle la loi est supposée connue au bout
d'un certain temps. Le point de départ du délai est le
jour de la promulgation. Ce système pouvait se jus-
tifier au moment de la confection du Code civil, puis-
que, à cette époque , la loi devait être nécessaire-
ment promulguée le dixième jour qui suivait le vote.


Mais sous la Restauration le procédé devint dé-
fectueux, en ce sens que, aux termes de la Charte de
1814, la loi n'existait que par l'effet de la sanction
royale. Or, cette sanction n'étant pas donnée dans un
délai fixe , la promulgation risquait fort de ne rece-
voir qu'une publicité éventuelle et variable. Ln 1816,
on crut trouver un remède à cet état de choses, en
donnant à la promulgation de la loi, destinée à de-
venir le point de départ du délai , une date factice,
résultant de l'insertion au Bulletin des lois. L'ar-
ticle 2 de l'ordonnance du 27 novembre dispose que
la promulgation est réputée connue dans le départe-
ment de la résidence royale un jour après que le
Bulletin des lois aura été reçu de l'imprimerie royale
par le ministre de la justice.


Un peu plus tard, on introduisit l'usade d'im-
primer à l'avance sur chaque Bulletin des lois la date
de la réception au ministère de la justice, bien que
cette réception soit nécessairement postérieure à la
date de la publication.


On a souvent contesté la légalité de l'ordonnance
de 1816, parce qu'elle semble modifier l'article ler


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 343
du Code civil. Or, dit-on, la loi ne peut être modifiée
par une ordonnance. Mais, en réalité, l'ordonnance
dont il s'agit ne modifie nullement l'article 1 du
Code civil, car cet article ne définissait pas la pro-
mulgation. L'ordonnance n'a fait que combler cette
lacune dans ses premiers articles. Toutefois, il y a
dans ce texte important une autre disposition dont
la légalité paraît véritablement sujette à caution :
nous voulons parler de l'article 4 , qui autorise le
gouvernement, « dans les cas et les lieux où il le
jugera convenable » , à considérer les lois comme pu-
bliées et à les déclarer exécutoires du jour qu'elles
seront parvenues au préfet, qui en constate la ré-
ception sur un registre. C'était là une modification
véritable qu'on faisait subir à la loi ; et le gouver-
nement lui-même se rendit si bien compte de l'illé-
galité qu'il prit l'habitude de faire insérer dans les
lois urgentes une disposition permettant de les rendre
rapidement exécutoires.


Cette procédure compliquée, que nous avons cru
devoir exposer, parce qu'elle présente un certain
intérêt au point de vue juridique, a été considéra-
blement simplifiée par un décret (lu gouvernement
de la Défense nationale, en date du 5 novembre 1870.
Aux termes de ce décret, qui consacre le droit attri-
bué au gouvernement par l'ordonnance de 1816, la
question de la promulgation et de la publication des
lois est réglée à nouveau. L'article l er décide que
désormais la promulgation des lois résultera de leur
insertion au Journal officiel. Le Code civil est mo-




344 POUVOIR EXIlCUTIF.
difié par l'article 2, qui porte que le délai à. partir
duquel la loi promulguée sera réputée obligatoire
est, à Paris, un jour franc après la promulgation et,
dans les départements, un jour franc. après l'arrivée
au chef-lieu de l'arrondissement du Journal officiel.
Le décret ajoute que le Bulletin des lois continuera
à être publié et qu'on y insérera les actes non publiés
au Journal officiel. Cette insertion vaudra pour eux
promulgation. Aujourd'hui encore les lois sont pro-
mulguées par la voie du Journal officiel , et portées
ainsi à la connaissance du public. D'après le décret
rendu le 6 avril 1.876 par le président de la Répu-
blique, les lois doivent être promulguées dans la
forme suivante : « Le Sénat et la Chambre des dé-
putés ont adopté, le président de la République pro-
mulgue la loi dont la teneur suit : (texte de la loi). La
présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et la
Chambre des députés, sera exécutée comme loi de
l'État. Fait à..., » L'autorité administrative fait
en outre afficher un grand nombre de lois d'intérêt
général. Le principe de l'affichage était déjà posé
dans une ordonnance de 1817, destinée à compléter
celle de 1816.


Afin de mettre la loi en pratique , le Pouvoir
exécutif a le droit et le devoir de faire des règlements
qui sont exécutoires comme la loi elle-même. Les
actes du Pouvoir exécutif s'appellent des décrets.
Ils comportent plusieurs classifications, dont nous
aurons à parler à propos du Conseil d'État, mais qui


PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 345
rentrent plus spécialement dans la sphère du droit
administratif. Disons seulement que la ligne de dé-
marcation qui sépare la loi du décret est parfois assez
difficile à tracer.


A l'époque du premier Empire , par exemple ,
beaucoup de décrets impériaux ont empiété sur le
domaine législatif. Depuis la Restauration , on a
souvent discuté en justice la question de savoir
jusqu'à quel point les décrets dont il s'agit devaient
être appliqués par les tribunaux. Le système qui a pré-
valu en jurisprudence, c'est que ces décrets doivent
être considérés comme inattaquables quand ils ont
été insérés au Bulletin des lois. On essaie de justifier
celte solution par un raisonnement assez spécieux
et que nous n'avons pas à juger. La Constitution de
l'an VIII instituait, dit-on , une autorité , le Sénat,
qui avait pour mission d'annuler, sur la demande
des tribunaux, les actes inconstitutionnels du chef de
l'État. Le Sénat, par son silence, aurait donc validé
les décrets impériaux.


Le droit de prendre des décrets est une des attri-
butions les plus considérables du Pouvoir exécutif.
C'est avec raison que Rossi fait observer que plu-
sieurs branches importantes de l'administration
publique ont été organisées au moyen de décrets. On
pourrait citer notamment l'instruction publique et le
Conseil d'État.


On sait aussi que l'extension illégale du droit de
prendre des ordbnnances a été, en 1830, la cause
d'une révolution. Dans plusieurs pays, le Pouvoir




PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 347
avec exactitude, et les populations feront également
leur devoir en respectant l'autorité des lois.


ATTRIBUTIONS JUDICIAIRES. — Après avoir terminé
l'étude des attributions législatives directes ou indi-
rectes du Pouvoir exécutif, nous arrivons à une der-
nière classe d'attributions, qui nous arrêtera moins
longtemps.


Quand on parle de la séparation des trois pou-
voirs, on entend, à coup sûr, que chacun de ces trois
pouvoirs doit être indépendant dans sa sphère. Mais
il ne faut pas exagérer la réalité du principe , car on
se heurterait bien vite à l'évidence des faits. Il suffit,
en effet, de se reporter aux développements qui pré-
cèdent pour remarquer que le Pouvoir exécutif influe
dans une certaine mesure sur le Pouvoir législatif ,
notamment par le droit de dissolution et le droit de
prendre des décrets.


' 11 nous reste à démontrer qu'il n'influe pas moins
sur le Pouvoir judiciaire. Cette influence se manifeste
sous deux formes : 1° le chef de l'État, par l'intermé-
diaire de son agent, le ministre de la justice, nomme
tous les membres de la magistrature assise, et nomme
et révoque tous les représentants (lu ministère public
(nous ne parlons pas des officiers ministériels et de
tous les auxiliaires de la justice , dont l'investiture
par le chef de l'État se réduit, depuis 1816, à une for-
malité); 2° le Pouvoir exécutif corrige la sévérité des
arrêts de la justice, au moyen du droit de grâce.


Certes, nous n'avons pas le dessein de soutenir


346 POUVOIR EXÉCUTIF.
exécutif paraît abuser de la même faculté. En Por-
tugal, par exemple, les ministres, exagérant la portée
de l'article 75 de la Charte constitutionnelle, « s'ar-
rogent une part énorme de l'autorité législative en
interprétant et quelquefois en dénaturant les lois, au
moyen de décrets, d'arrêts et de règlements I » .


Nous n'insisterons pas sur les moyens matériels
dont dispose le gouvernement pour assurer l'exé-
cution de la loi. Les anciennes formules de promul-
gation contenaient une sorte de mandement aux
tribunaux et à la force publique d'avoir à tenir la
main à l'application exacte des lois. Depuis, on a
supprimé ces formules, qu'on considérait comme
inutiles. La meilleure garantie de l'exécution des
lois, c'est en effet la force et la solidité du pouvoir
central soutenu par l'adhésion de l'opinion publique.
Si l'harmonie règne entre les autorités, si l'organi-
sation politique de l'État répond au voeu (lu plus
grand nombre et aux nécessités pratiques qui varient
suivant les époques (car, pour emprunter une obser-
vation profonde à Rousseau, « on a beaucoup et de
tout temps disputé sur la meilleure forme de gouver-
nement, sans considérer que chacune d'elles est la
meilleure en certains cas et la pire en d'autres 2 ») ; si
toutes ces conditions de stabilité se trouvent réunies,
la hiérarchie de fonctionnaires qui part du centre
pour aboutir aux extrémités du pays fera son devoir


' Voy. Notice de M. Midosi , avocat à Lisbonne, Annuaire de la
Société de
comparée, 1871, p. 382.


2 Contrat social, liv, chap. ter,




348 POUVOIR EXÉCUTIF.
que la nomination des juges par le chef de l'État
porte nécessairement atteinte à l'indépendance de
leurs décisions. Toutefois, il ne faudrait pas remonter
très-haut dans notre histoire pour trouver des cir-
constances où la magistrature a été mise en demeure
de prêter son concours à un parti politique. Il est
toujours mauvais de placer un magistrat dans la
cruelle alternative ou de sacrifier sa carrière, ou de
manquer à cette impartialité qui est le premier


. de ses
devoirs professionnels.


Le plus grand nombre des Constitutions prêtent le
flanc à cette critique, dont il serait puéril de mécon-
naître la gravité. Ajoutons que l'inamovibilité de la
magistrature assise, tout en préservant le juge d'une
révocation brutale , est impuissante à remédier aux
effets capricieux de la faveur ou de la disgrâce du
pouvoir. La suppression de l'avancement équivaut à.
peu près à une révocation. Où donc est le remède?
Assurément, il ne peut consister dans la vénalité
des charges. Montesquieu', dit Voltaire, « a désho-
noré son ouvrage » en la défendant par ce raisonne-
ment singulier que, «dans une m "onarchie, où, quand
les charges ne se vendraient pas par un règlement
public, l'indigence, l'avidité des courtisans les ven-
draient tout de même, le hasard donnera de meil-
leurs sujets que le choix du prince ».


Il y a bien une autre solution, qui ne dérive ni de-
la vénalité des offices, ni du choix du prince. Elle se


Esprit des lois, liv. V, chap.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 349
trouve clans la loi du 24 aoisit. 1790, qui attribuait
aux justiciables le droit d'élire les juges.


Ce système de l'élection des magistrats fut reconnu
par les Constitutions successives, jusqu'à celle de
l'an VIII, qui transporta la nomination des juges au
chef de l'État, sauf à les ch o i sir sur une liste , d'ailleurs
fort restreinte. Seuls les juges de paix devaient con-
tinuer à être élus par les justiciables. Quant aux
juges de cassation, leur désignation était confiée au
Sénat conservateur. La Constitution de l'an VIII et
la loi de ventôse, qui la suivit, accordaient aux ma-
. gistrats, à titre de compensation sans doute, le bien-
fait de l'inamovibilité. Mais cette garantie même était
presque illusoire, à en juger du moins par le sénatus-
consulte du 12 octobre 1807, qui déclara que les
lettres d'institution ne seraient accordées aux juges
qu'après cinq ans d'exercice et à la condition qu'ils
se seraient montrés dignes, pendant cette période, de
la confiance du gouvernement.


Telle fut la situation de la magistrature jusqu'à la
Charte de 1814, qui généralisa le droit de nomina-
tion de tous les juges, en le maintenant entre les m ains
du roi. Le principe de l'inamovibilité fut reconnu ,
sauf en ce qui concerne les juges de paix , qui , bien
que nommés par le roi, sont déclarés amovibles
(art. 61). Depuis la Restauration, le recrutement de
la magistrature a été laissé àla discrétion du gouver-
nement.


Les lois constitutionnelles de 1875 n'ont rien
changé à cet état de choses.




350 POUVOIR EXECUTIF.
fl est presque inutile de dire que la plupart des


Constitutions de l'Europe monarchique placent éga-
lement la nomination des juges au nombre des at-
tributions du Pouvoir exécutif. En Belgique, les
conseillers des cours d'appel et les présidents et vice-
présidents des tribunaux de première instance sont
nommés par le roi, sur deux listes doubles présentées,
l'une par le Sénat, l'autre par la Cour de cassation.
— Quant aux Constitutions républicaines, elles sui-
vent parfois d'autres errements. C'est ainsi que la
Constitution des États-Unis attribue au Congrès le
privilège de constituer les tribunaux subordonnés à
la Cour suprême. Les juges de cette dernière Cour
sont nommés par le président, mais « de l'avis et du
consentement du Sénat » . De plus, les magistrats de
tous les degrés ne conservent leurs places « qu'au-
tant que leur conduite est bonne, et ils reçoivent pour
leurs services, à des époques fixées, une indemnité,
qui ne peut être diminuée tant qu'ils conservent leur
place » ( art. 3, sect. I re de la Constitution ). — En
Suisse, le chancelier et certains magistrats supérieurs
sont nommés par l'Assemblée fédérale.


Nous avons dit plus haut que le Pouvoir exécutif
influait encore sur le Pouvoir judiciaire en vertu
d'une prérogative qu'on appelle le droit de gréke. Il
ne sera pas inutile de donner quelques éclaircisse-
ments sur la nature précise de ce droit, qu'on ne dis-
tingue pas toujours avec une netteté suffisante d'un
autre droit, appelé le droit d'amnistie.


PRESIDENT DE LA REPUBL1QUE; MINISTRES. 351
Le droit de punir est un droit que la société s'ar-


roge beaucoup plus sous l'empire d'une nécessité
pratique que par l'effet d'un principe abstrait. «Si
donc les circonstances et les événements sont tels, dit
M. Ortolan que, loin de demander la répression de
ces faits, quels qu'en soient les auteurs, l'utilité pu-
blique demande qu'ils soient mis en oubli et qu'au-
cune suite judiciaire n'y soit donnée, une des deux
causes fondamentales du droit de punir de la société
non-seulement manque, mais elle vient agir même en
sens contraire : ce droit de punir s'évanouit. » De
cette opportunité variable selon les circonstances
dérive, pour les représentants du pouvoir social , le
droit d'amnistie, c'est-à-dire le droit d'oublier les
suites pénales que certains faits délictueux ou crimi-
nels sont susceptibles d'entraîner. On ne peut dire
que l'amnistie anéantisse les faits qui ont motivé la
peine : un fait ne se détruit pas. L'efficacité de l'am-
nistie consiste dans l'acte de la société qui abjure
publiquement et solennellement ses ressentiments
justes ou injustes, et invite tous les citoyens à faire
de même. Les conséquences pénales des crimes ou
délits amnistiés tombent du même coup ; les peines
corporelles cessent d'être appliquées, et la capacité
de la personne renait. Seules les actions civiles en
réparation du préjudice ne sont pas éteintes par
l'amnistie, car le droit des tiers est sacré.


' Éléments de droit pénal, liv. i ur , 2' partie, t. VI. — On peut lire
aussi, à titre de document historique sur cette question de l'am-
nistie, le discours prononcé au Sénat par M. Victor Hugo, dans la
Séance du 22 mai 1316.




352 • POUVOIA EXÙCUTIP.
La délégation du droit d'amnistie n'est pas faite


d'une manière uniforme par toutes les Constitutions.
Dans la plupart des États monarchiques , le droit
d'amnistie constitue l'une des attributions de la Cou-
ronne. En France même, le chef de l'État, sous le
dernier règne — pour ne, pas remonter plus haut —
avait le droit formel d'accorder des amnisties (art. ler
du sénatus-consulte du 25 décembre 1852). Aujour-
d'hui, l'article 3 de la loi du 25 février 1875 déclare
que « les amnisties ne peuvent être accordées que
par une loi ». En revanche, le même texte maintient
le droit de grdce entre les mains du président.


Il nous reste à voir ce qu'est le droit de grâce , et
en quoi la grdce diffère de l'amnistie.


L'amnistie est une mesure générale qui s'applique
à toute une catégorie de personnes. Elle peut même
n'avoir pour objet que de faire cesser un état de pré-
vention ; d'interrompre des poursuites commencées
contre un ensemble de crimes et de délits, tels que
ceux, par exemple, qui résultent d'une insurrection.


Au contraire, la grâce n'est que la renonciation au
droit de faire exécuter la peine prononcée contre un
individu. Elle ne relève pas la personne graciée des
déchéances ou incapacités qui sont l'effet légal de la
condamnation, et n'ont aucune connexité avec l'exé-
cution matérielle de la peine.


L'ancien régime avait fait un tel abus des lettres
de grdce, que l'opinion publique n'était pas favorable
au maintien du droit de grâce, lors de la confection
du Code pénal de 1791. L'article 13 du titre premier


PR SIRENT DE LA Fu ; MINISTRES. 353
de ce Code supprima « l'usage des lettres de grâce,
de rémission, d'abolition, de pardon et de commu-
tation de peine pour tout crime poursuivi par voie de
jurés ». Mais le droit de grdce rentra dans nos lois,
en vertu du sénatus-consulte du 16 thermidor de
l'an X; et, depuis, il a été consacré par toutes nos
Chartes et nos Constitutions successives. Sous la
Constitution de 1848, le président a le droit, de faire
grâce ; mais il ne peut exercer ce droit qu'après avoir
pris l'avis du Conseil d'État.


A la suite des événements de la Commune, le Pou-
voir exécutif se déchargea de l'exercice du droit de
grâce sur une commission législative, dite commission
des grâces, qui fut investie des attributions ordinai-
rement dévolues au chef de l'État. Elle a aujourd'hui
cessé de fonctionner et ne pouvait d'ailleurs pro-
longer son mandat au delà du terme fixé pour la
séparation de l'Assemblée nationale.


La grâce peut être entière ou partielle ; elle peut
consister dans la substitution d'une peine inférieure
à une peine plus grave.


Tantôt on considère la grâce comme une mesure
ordinaire ; elle est alors l'objet de règlements et de
prescriptions contenus dans plusieurs ordonnances
et circulaires. C'est ainsi que l'ordonnance du G fé-
vrier 1818 et les circulaires qui l'ont suivie décident
que, pour être l'objet d'une grâce, le condamné doit
avoir subi la moitié de la peine prononcée.


Tantôt la grâce prend le caractère d'une mesure
exceptionnelle el extraordinaire, et alors elle échappe


23


be,




354 POUVOIR EXICUTIP.
à toute réglementation : tel est le cas qui se présente
lorsqu'il s'agit de la peine capitale. Dans cette hypo-
thèse, l'usage a prévalu, depuis 1830, de surseoir à
l'exécution, quand même le condamné n'aurait pas
formé de recours en grâce, et de transmettre les pièces
au ministère de la justice, en appelant l'attention du
gouvernement sur les circonstances qui seraient de
nature à provoquer l'exercice du droit de grâce.


Après avoir indiqué les origines du droit de grâce
et résumé ses caractères , au point de vue du droit
positif, il nous sera permis de ne pas dissimuler les
objections principales qu'on peut diriger contre cette
attribution du Pouvoir exécutif.


Par cela même que le droit de grâce consiste dans
des mesures particulières et Personnelles aux con-
damnés, il peut avoir pour conséquence d'introduire
une grande inégalité dans l'application des peines à
des délits identiques ; personne ne soutiendra qu'on
n'a jamais vu de grâces scandaleuses ; mais c'est le
sentiment naturel du coeur humain de laisser passer
plus facilement les actes de clémence que les actes de
rigueur. La question est seulement de savoir si,
quand la justice compétente a prononcé, quand elle
a déclaré qu'un individu méritait une peine définie,
il est conforme au droit d'atténuer ou de supprimer
entièrement les effets de cet arrêt, rendu en exécution
de la loi. Dans le cas où l'on résoudrait affirmative-
ment cette première question, la seconde qui se pose
est celle-ci : « Le droit de grâce étant déclaré légi-
time, à qui faut-il en confier l'exercice ? Est-ce bien


PuéSWENT DR LA RéPUBLIQUE; MINISTRES. 355
au représentant du Pouvoir exécutif ou à une autre
autorité ? En second lieu, convient-il


que le droit de
grâce soit exercé sans contrôle et d'une façon entiè-
rement arbitraire ? »


Le droit de. grâce est complété par l'attribution
faite au Pouvoir exécutif du droit d'accorder au con-
damné sa réhabilitation, c'est-à-dire de le relever
des incapacités et des déchéances qui sont un des
effets de la condamnation. Depuis la loi du 3 juillet
1853, la réhabilitation peut s'appliquer aussi bien aux
peines correctionnelles qu'aux peines criminelles.


Le droit comparé n'offre pas un grand nombre de
particularités intéressantes relativement aux droits
de grâce et d'amnistie. Nous avons déjà noté que,
dans les monarchies constitutionnelles , ces droits
sont généralement attribués au chef de l'État ; ajou-
tons qu'ils ne peuvent être exercés pour empêcher
les ministres de répondre de leurs actes (Constitu-
tions d'Angleterre, d'Autriche, de Bavière, de Bel-
gique, etc.).


D'après la Constitution des Pays-Bas (art. 66),
s'il s'agit de condamnations à un emprisonnement
de trois ans et au dessous et à l'amende, conjointe-
ment ou séparément, le roi exerce le droit de grâce
après avoir entendu l'avis du juge qui a prononcé ;
dans tous les autres cas, il prend préalablement l'avis
de la haute cour. L'amnistie et l'abolition ne peuvent
être accordées qu'en vertu d'une loi.


L'article 25 de la loi sur la forme du gouvernement




356 POUVOIR EX 3 CUTIF.
en Suède porte : « Le roi a le droit, dans les affaires
criminelles, de faire grâce, de commuer la peine de
mort, de rendre l'honneur ainsi que les biens con-
fisqués au profit du Trésor public. Cependant le tri-
bunal suprême sera entendu sur les demandes à ce
sujet, et le roi prendra ses décisions en Conseil d'État
(Conseil des ministres). » La loi suédoise ajoute
cette disposition d'un caractère éminernmentphiloso-
phique, et que nous retrouvons dans la Constitution
de Norwége : « Il dépendra du condamné d'accepter
sa grâce ou de se soumettre à la peine prononcée. »


La loi norvégienne est d'une extrême rigueur en
ce qui concerne les actions intentées par l'Odelsthing
(seconde Chambre) contre les membres du Conseil
d'État, du tribunal suprême ou du Storthing (Parle-
ment) pour faits relatifs à leurs fonctions. Elle dé-
clare que, («Jans les causes que l'Odelsthing aura fait
porter devant le Rigsrel, il ne pourra y avoir d'autre
grâce que la rémission de la peine de mort ».


Enfin, nous devons signaler la législation consti-
tutionnelle du canton de Genève. Dans cette répu-
blique, le droit de grâce n'est pas conféré au Conseil
d'État chargé du Pouvoir exécutif ; il appartient au
Grand-Conseil ou Assemblée législative, qui l'exerce
par lui-même ou par délégation. Le Grand-Conseil
l'exerce toutefois directement lorsqu'il s'agit d'une
condamnation à mort ou à la réclusion perpétuelle.
Il peut toujours évoquer à lui une demande en grâce.


Il nous resterait à parler de la responsabilité pe


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 357
sonnette du président de la Républiq ite ; mais, comme
elle est limitée au cas de haute trahison' et que celle
des ministres est organisée de façon à placer le chef
de l'État en dehors des luttes politiques 2 , le texte
même de la Constitution nous interdit d'insister lon-
guement sur ce point, que nous avons d'ailleurs traité
en examinant les attributions judiciaires du Sénat.


Nous nous bornerons à remarquer qu'en fait,
lorsqu'on a proclamé la responsabilité politique des
chefs d'État, cette responsabilité a presque toujours
été illusoire ; et, à cette occasion, nous nous appro-
prierons la critique qu'un jurisconsulte connu 3 a di-
rigée contre la disposi tion de la Constitution de 1852
qui déclarait l'empereur responsable. Il ne suffit pas,
en effet, d'édicter le principe de la responsabilité du
chef de l'État ; la difficulté consiste à déterminer de
quoi le chef de l'État est responsable et•à préciser la
procédure, le juge et la peine. C'est ce que la Cons-
titution précitée avait omis de faire. Le sénatus-
consulte de 1858, qui la complète, contient même un
article aux termes duquel la haute cour ne peut se
réunir sans l'ordre de l'empereur. Comment donc
celui-ci aurait-il pu être traduit en jugement par un
tribunal qu'il avait seul le droit de convoquer ? Au
surplus , aucune disposition n'attribuait à la haute
cour la compétence nécessaire pour juger le chef de


' Art. 6 Je la loi du 25 février 1875.— Vuir les développements que
nous avons donnés (I re partie, livre du Sénat, chap. vi).


2 Vol-. le chapitre suivant.
-3 M. Bathie, Cours de droit public et administratif.r-




358 POUVOIR EXÉCUTIF.
11X dont la prétendue responsabilité était ainsi
dépourvue de toute sanction.


Indépendamment de la responsabilité des minis-
tres et de la responsabilité personnelle du chef de
l'État, les Constitutions monarchiques ou républi-
caines ont maintes fois cru devoir imposer d'autres
freins aux empiétements éventuels du Pouvoir exé-
cutif sur les droits de la nation. Le serment est une
des garanties que les Chartes des pays libres exigent
le plus souvent du chef de l'État. De. 1791 à 1848
notre histoire nous offre plusieurs formules de ser-
ment. Leur énumération pourrait sembler fasti-
dieuse, et risquerait d'ailleurs de rappeler des sou-
venirs qui ne plaideraient que faiblement en faveur
de l'efficacité des serments politiques.


Voici seulement celui que le Prince-Présidentpro-
•nonça dans la séance du 20 décembre 1848 : « En
présence de Dieu et devant le peuple français, repré-,
sente par l'Assemblée nationale , je jure de rester
fidèle à la. République démocratique, une et indivi-
sible, et de remplir tous les devoirs que m'impose la




Constitution. »
La Hollande, la Norwége, l'Autriche-Hongrie, la


Belgique demandent au souverain, lors de son avé-
nement , un serment constitutionnel. Dans quelques
États, le serment a conservé un caractère religieux.
Ainsi le roi de Portugal, avant d'être proclaMé, prête,
en présence des deux Chambres, le serment suivant:
« Je jure de rester fidèle à la religion catholique


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 359
apostolique et romaine, de conserver l'intégrité du
territoire du royaume, d'observer et de faire observer
la Constitution politique de la nation portugaise et
les autres lois du royaume, et de pourvoir au bien
général du royaume, autant qu'il est en moi. »


Le roi des Hellènes prête serment en ces termes :
« Je jure, au nom de la sainte , consubstantielle et
indivisible Trinité, de protéger la religion dominante
des Hellènes, d'observer la Constitution et les lois de
la nation hellénique, et de maintenir et défendre l'in-
dépendance nationale et l'intégrité du territoire hel-
lénique. »


Le président de la République de l'Équateur prête,
devant le Congrès ou , en son absence, devant la
Cour suprême, le serment suivie L : «Je jure par Dieu
Notre-Seigneur et les saints Évangiles de remplir
fidèlement les fonctions de président de la Répu-
blique , de professer et protéger la religion catho-
lique, apostolique et romaine, de conserver l'intégrité
et l'indépendance de l'État, de respecter et de faire
respecter la Constitution et les lois. S'il en est ainsi,
que Dieu m'aide et me prenne sous sa protection ;
sinon, que lui et lapatrie m'en demandent compte! »
Plusieurs des républiques de l'Amérique du Sud im-
posent à leur président un serment du même genre.


Le serment des rois d'Angleterre se prête entre les
mains de l'archevêque de Cantorbéry. Le souverain
jure « de gouverner le peuple d'Angleterre et de ses
dépendances suivant les statuts du royaume, les lois
et les coutumes ; de maintenir les lois de Dieu , la




360 POUVOIR EXÉCUTIF.
vraie profession de l'Évangile et la religion protes-
tante réformée, établie par la loi » .


En France, les lois constitutionnelles de 1875 ne
font pas mention du serment. On s'est souvenu sans
doute des paroles prononcées par M. Crémieux en
1848', lorsqu'en combattant l'amendement Buchez,
il affirmait « que les serments n'avaient jamais rien
» empêché., et avaient été une (les plus mauvaises
» pages de l'histoire, surtout depuis soixante ans ».


CHAPITRE III.


DES MINISTRES ET DU CONSEIL D'ÉTAT.


Des MiNisTnes. — Nature du pouvoir
— Responsabilité


solidaire el
— Sanction de celte responsabilité ; ren-


voi. — Différentes procédures et juridictions.
Du CONSEIL D'ÉTAT.


—Historique. — Loi du 24 mai 1872. —Modifica-
tions apportées à cette loi par la loi constitutionnelle du 25 février
1875.— Attributions actuelles, au point de vue législatif et politique.
Droit comparé.


DES MINISTRES. — Les ministres sont les hauts
fonctionnaires qui dirigent l'administration générale
du pays. Leur rôle varie suivant le régime politique.


Dans un État despotique, les ministres ne seront
que des instruments passifs de la volonté d'un
maître : tel, Colbert, obligé de subvenir aux fantai7
sies ruineuses de Louis XIV; ils seront, de plus, ré-
vocables à tout moment, sous le plus léger prétexte ;


' Voy. le compte-rendu de la séance du 18 octobre.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 361
la. régularité dans l'administration deviendra impos-
sible.


Les ministres ne seront, de même, que des agents
essentiellement subordonnés , s'ils sont exclusive-
ment responsables devant le chef de l'État, comme
dans l'Union américaine, où ils ne paraissent pas
devant les Chambres, mais sont choisis, sauf le veto
du Sénat, par le président de la République, qui peut
les destituer à son gré 1.


Dans une autre forme d'organisation politique, la
responsabilité personnelle du chef de l'État existe
parallèlement à celle des ministres. Nous avons déjà
donné des exemples de cette coexistence de respon-
sabilités, qui s'est rencontrée dans plusieurs phases
de notre histoire, et qui était consacrée encore dans
la loi du 31 août 1871, fixant les attributions du
président de la République et des ministres.


Enfin , suivant un dernier système , qui est celui
de la monarchie constitutionnelle comprise dans le
sens le plus libéral, et celui de la République, orga-
nisée comme elle l'est actuellement en France, le
Conseil des ministres est, en réalité, le groupe d'hom-
mes politiques que le Parlement, en lui accordant sa
confiance, désigne pour la direction des affaires pu-
bliques, et auquel il remet l'exercice effectif du Pou-
voir exécutif , conféré nominalement au roi ou au
président les Conseils des ministres sont les gouver-
nements temporaires et révocables qui, selon la vo-


Voy. Pouvoir exécutif, liv. Pr, chap. per.




362


POUVOIR EXÉCUTIF.


lonté du Pouvoir législatif, se succèdent, sous la pré-
sidence impartiale d'une personnalité placée en
dehors des luttes parlementaires.


Tel est le sens de l'article 6 de la loi du 25 fé-
vrier 1875 « Les ministres sont solidairement res-
ponsables devant les C.hambres de hi politique géné-
rale du gouvernement, et, individuellement, de leurs
actes personnels. — Le président de la République
n'est responsable que dans le cas de haute trahison.»


Dans les États modernes, la responsabilité minis-
térielle n'a plus la gravité qu'elle avait autrefois.
Depuis le procès Polignac, qui suivit la révolution
de 1830, on n'a pas mis en accusation un seul mi-
nistre français. En Angleterre, les moeurs politiques
se sont adoucies dans la même proportion ; et Fis-
chel peut faire remarquer à bon droit que « les
votes de défiance ont remplacé les arrêts de mort ; la
disgrâce temporaire du Parlement, le billot et la
hache ». D'après Macaulay, il est devenu conforme
à la théorie constitutionnelle du Royaume-Uni « de
regarder la perte de l'office et la désapprobation
publique comme un châtiment suffisant pour des er-
reurs dans l'administration non imputables à des
faits personnels de corruption » . En 1848, Anstcy
échoua complètement dans sa tentative de faire
mettre en accusation lord Palmerston.


Toutefois, il serait dangereux de supprimer la sanc-
tion pénale de la responsabilité ministérielle. La
plupart des Constitutions ont senti qu'il fallait main-
tenir un moyen de contrôle qui, pour être devenu


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ; MINISTRES. 363


rare, n'en a pas moins conservé toute sa légitimité.
Quant à l'application dont il est susceptible, nous ne
pouvons que renvoyer aux développements que nous
avons donnés relativement aux attributions judi-
ciaires du Sénat.


On sait. ' que, dans les pays dont l'organisation
politique comprend deux Chambres_ et où la respon-
sabilité ministérielle existe, c'est souvent la Cham-
bre haute qui juge les ministres et la seconde Cham-
bre qui les met en accusation. Tel est le système
actuellement admis par nos lois constitutionnelles,
qui l'ont emprunté aux Chartes de 1814 et de 1830.
Tel est aussi celui des Anglais.


Lorsque la Constitution d'un État ne comporte
qu'une Assemblée unique, les accusations dirigées
par cette Assemblée contre un ministre ne peuvent
qu'être soumises à une autre juridiction ; sinon , la
représentation nationale serait à la fois juge et partie.
Ordinairement, le tribunal auquel la compétence est
alors attribuée a une composition de nature mixte.


C'est ainsi que l'article 23 de la Constitution de
1791 confiait le soin de juger les ministres, le Corps
législatif ayant rendu son décret d'accusation, à une
haute cour martiale, formée de membres du tribunal
de cassation et de hauts jurés. Cette cour ne devait
être rassemblée « que sur la proclamation du Corps
législatif et à une distance de trente mille toises au
moins du lieu où la législature tiendra ses séances » .


Première partie, Du Sénat, chap. VI.




364 POUVOIR EXÉCUTIF.
Nous avons vu qu'en 1848 la procédure était à


peu près la même 1
Aujourd'hui, la Grèce, qui n'a qu'une seule Assem-


blée, laquelle est investie du droit d'accuser les m nis-
fres, et a même usé récemment(avril 1876) de ce droit,
en faisant condamner à la prison et à l'amende deux
ex-ministres et trois archevêques prévenus d'avoir
trafiqué de plusieurs sidges épiscopaux , la Grèce
confie le jugement à une cour spéciale, présidée par
le président de la Cour de cassation et composée de
12 membres qu'on tire au sort parmi tous les con-
seillers de cassation et les juges d'appel. L'élément
judiciaire est donc chargé ici de statuer sur des délits
ou crimes d'une nature qui parfois peut être exclusi-
vement politique.


Dans un autre système, qui aparu préférable à un
certain nombre d'États, l'élément politique et l'élé-
men t judiciaire en trent tous deux dans la composition
de la haute cour. Celle du. Wurtemberg, par exem-
ple, comprend un président nommé par le roi et
douze juges, dont rnoilié sont nommés par le roi et
moitié par les États


Nous avons déjà, fait connaître la composition de
la haute cour du Danemark, appelée Rigsret, chargée
de statuer sur les accusations portées par le roi ou le
Folketing (Chambre des députés) contre les min istres'.


La loi autrichienn e
du 25 juillet 1867, sur la res-


ponsabilité, des ministres, pour les ro yaumes et pays
' Voy. première partie,


Du Sénat, chap. VI.
Voy. le chap. vi du livre III, I re partie.


PRÉSIDENT DÉ LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 365
représentés au Reichsrath, organise une procédure
assez curieuse et fort compliquée qui permet au Pou-
voir législatif d'exercer un contrôle très-sérieux sur
les actes des ministres. Le droit de mise en accu-
sation appartient à chacune des deux Chambres du
Reichsrath. Toute proposition de mise en accusation
d'un ministre doit être présentée par écrit et signée
de vingt membres, à la Chambre des seigneurs, et
de quarante membres, à la Chambre des députés.
La proposition doit indiquer exactement les faits sur
lesquels elle s'appuie et l'acte illégal qui fait l'objet
de l'accusation. La mise en accusation , pour être
valable, doit être prononcée à la majorité des deux
tiers des voix.


Le ministre décrété d'accusation est suspendu de
ses fonctions, et le président de la Chambre invite
le président de la haute cour (Staatsgerichtshon à
convoquer sans délai, à Vienne, les membres de cette
cour. Elle est composée de vingt-quatre « citoyens
versés dans la connaissance des lois et ne faisant pas
partie de l'une des deux Chambres » . Chacune des
deux Chambres du Reichsrath nomme la moitié des
membres de la haute cour. Ils sont élus pour six ans
et choisissent eux-mêmes leur président. Les fonc-
tions du ministère public sont exercées par six dé-
légués des Chambres qui soutiennent l'accusation
devant la haute cour. Les débats sont publics et
oraux. Le vote a lieu au .scrutin secret. En cas de
déclaration de culpabilité , pour laquelle une majo-


- rité des deux tiers des voix est nécessaire , on doit




j




366 POUVOIR EXÉCUTIF.
indiquer dans le jugement les faits tenus pour prou-
vés, et les qualifier au point de vue de la criminalité.
Il n'y a pas de recours possible contre les décisions de
la haute cour. L'empereur lui-même ne peut exercer
le droit de grâce que sur la proposition de la Chambre
qui a pris l'initiative de l'accusation. Enfin l'accusé
n'est pas admis à donner sa démission avant la fin
du procès.


On voit que, si la représentation nationale ne statue
pas elle-même sur les griefs qu'elle impute aux mi-
nistres, elle a une action très-puissante et très-directe
sur la décision à intervenir, en se faisant représenter
par six délégués qui soutiennent l'accusation au nom
des Chambres, et surtout en s'attribuant la désigna-
tion des juges.


Du CONSEIL D'ÉTAT.—Les lois de 1875, sans faire
du Conseil (l'État un des rouages constitutionnels de
notre organisation politique, ont cependant admis
son existence. Elles ont conféré au président de la
République le pouvoir d'en désigner les membres ,
en Conseil des ministres. C'est pour cette raison que
nous devons dire ici quelques mots de son rôle dans
le gouvernement.


Nous ne parlerons pas du Conseil d'État de l'an-
cienne monarchie qui fut supprimé en 1791. Le Con-
seil d'État établi par la .Constitution de l'an VIII,
pourvu d'attributions notablement différentes , était
destiné à jouer un rôle considérable, sous le premier


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 367
Empire. C'était, suivant M. de Cormenin , le véri-
table siége du gouvernement. Chargé de préparer
les projets de loi et de les soutenir au Tribunat, au
Sénat et au Corps législatif, il fournissait, de plus, des
directeurs à toutes les branches des services publics
et des administrateurs extraordinaires à toutes les
provinces conquises par les armées impériales.
Le règlement du 5 nivôse an VI conférait, en outre,
au Conseil d'État la mission d'interpréter les lois
par voie d'autorité, et sous forme d'avis approuvés
par le gouvernement et insérés au Bulletin des lois.


A la chute de l'Empire, le Conseil d'État perdi t
ses attributions constitutionnelles, relativement à la
préparation et à l'interprétation de la loi, et ne con-
serva guère que les attributions d'un tribunal admi-
nistratif. Mais la révolution de 1848 lui rendit une
importance qu'il avait perdue et modifia profondé-
ment son organisation , en confiant à l'Assemblée
nationale la nomination des conseillers. Le Conseil
d'État fut alors chargé de l'élaboration des projets
ministériels , sans préjudice de la préparation des
règlements d'administration publique. Après les
événements du 2 décembre, on en revint à l'organi-
satiôn de l'an VIII. Le Conseil d'État , dont tous les
membres sont désormais nommés par l'empereur,


• sert d'organe et d'instrument à l'initiative de celui-ci.
11 élabore les projets de loi et en soutient la discus-
sion devant le Corps législatif. Il écarte, si telle est
sa volonté , les amendements qui lui sont adressés
par les commissions législatives et peut maintenir




368 POUVOIR EXÉCUTIF.
ses projets dans leur intégrité, sauf au Corps légis-
latif à les rejeter en bloc.


Sous le gouvernement de la Défense nationale, le
Conseil d'État perdit ses attributions politiques. En
attendant sa réorganisation, un décret du 15 sep-
tembre 1870 le remplaça par une commission pro-
visoire. Le Conseil d'État fut rétP,bli en 1872. La loi
du 24 mai substitua trois innovations importantes à
l'état de choses antérieur. La nomination des con-
seillers fut enlevée au Pouvoir exécutif et transportée
à l'Assemblée nationale ; l'indépendance du Conseil,
en tant que tribunal administratif, fut proclamée ;
et la connaissance des conflits d'attributions passa à
un tribunal mixte, renouvelé de 1848.


La nomination des conseillers d'État par l'Assem-
blée nationale a soulevé certaines critiques On l'a
taxée d'empiétement sur les droits du Pouvoir exé-
cutif, auquel on impose des collaborateurs qu'il n'a
pas choisis. De plus, le renouvellement périodique du
Conseil par la représentation nationale, en permet-
tant à la majorité de perpétuer son esprit et ses ten-
dances dans le sein du Conseil d'État, porte une
grave atteinte , disait-on , à la cohésion du corps, à
l'unité de sa jurisprudence et à l'impartialité de ses
décisions. Le seul exemple d'un Conseil élu remonte
à 1848. Mais alors la situation n'était pas la même,
puisque le Conseil d'État de cette époque joignait à


Voy. notamment le livre de M. Émile Flourens sur l'Organisa-
tion judiciaire et administrative de la France c; de la Belgique,
1875, 1 vol., Garnier.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 369
ses attributions consultatives la mission pondératrice
qui incombe aujourd'hui à la Chambre haute et
devait servir d'intermédiaire entre les deux pouvoirs
issus du suffrage universel : le président de la Ré-
publique et l'Assemblée. De plus , disaient encore
les adversaires de la loi de 1872 , on a eu tort. de
rendre facultative la participation du Conseil d'État
à la confection des lois. Cètte participation constitue
une garantie des plus précieuses pour l'intérêt public :
car un projet élaboré avec calme et maturité dans
le sein du Conseil ne présentera pas les lacunes ou
les incohérences qui peuvent se rencontrer dans les
lois improvisées à la tribune d'une Assemblée po-
litique.


Telles sont les critiques essentielles qu'avait sou-
levées la loi de 1872. Elles ont perdu ce qu'elles
pouvaient avoir de valeur, depuis que la nomination
des conseillers d'État a été rendue au Pouvoir exécu-
tif par la loi d'organisation des pouvoirs' . publics.
Cette mesure n'a pas d'ailleurs d'effet rétroactif ; et
les conseillers nommés par l'Assemblée ne doivent
être remplacés par les candidats du Pouvoir exécu-
tif qu'au fur et à mesure des vacances. Actuellement,
les nominations et les révocations sont faites par le
président de la République en conseil des ministres
(voy. art. 4 de la loi du 25 février 875). Il faut ajou-
ter que les conseillers d'État nommés en vertu de la
loi de 1872 ne peuvent être révoqués, depuis la sé-


24




370 POUVOIR EXÉCUTIF.
parution de l'Assemblée nationale, que par une réso-
lution du Sénat.


Le Conseil d'État est présidé par le garde des
sceaux, ministre de la justice, et, en son absence,
par le vice-président. L'organisation actuelle com-
prend des conseillers en service extraordinaire , qui
perdent leur titre de conseillers d'État, de plein droit,
dès qu'ils cessent d'appartenir à l'administration ac-
tive. Quant à la division du Conseil en quatre sec-
tions, dont trois sont chargées d'examiner les affaires
d'administration pure et une de juger les recours
contentieux, elle est trop connue pour que nous ayons
à insister sur ce point.


Le rôle administratif et judiciaire du Conseil d'État
ne doit pas non plus nous arrêter, car il sort de notre
sujet. Nous nous bornerons àrappeler que les attribu-
tions judiciaires du Conseil ont été augmentées par
la loi du 31 juillet 4875, qui décide que toute récla-
mation dirigée contre l'élection d'un conseiller gé-
néral sera examinée et jugée par le Conseil d'État.
Ajoutons qu'aux termes de la loi organique sur les
élections des sénateurs les protestations relatives à
l'élection du délégué ou du suppléant sont jugées, au
second degré, par le Conseil d'État, si un recours est
élevé contre la décision du Conseil de préfecture
(art. 8, §1").


Bien que le Conseil d'État ne soit plus nécessaire-
ment consulté sur les projets émanés de l'initiative


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 371
parlementaire, saeblission reste encore assez impor-
tante, puisqu'il est appelé à donner son avis sur les
projets de loi préparés par le gouvernement, et qu'un
décret spécial ordonne de lui soumettre ; sur les pro-
jets de décret, et en général sur toutes les ques-
tions qui lui sont soumises par le président de la
République ou par les ministres. Consulté nécessai-
rement à l'égard des règlements d'administration
publique et des décrets en forme de règlements d'ad-
ministration publique , il exerce , en outre, les attri-
butions qui étaient dévolues à l'ancien Conseil d'État,
et que la loi de 1872 n'a pas abrogées. Enfin, des
conseillers d'État peuvent être chargés par le gou-
vernement de soutenir devant les Chambres les pro-
jets de loi qui ont été renvoyés à l'examen du Con-
seil. Ce sont là des attributions assez multiples et
assez considérables pour suffire à l'activité de ce
grand corps.


Un grand nombre de Constitutions étrangères re-
produisent l'institution du Conseil d'État; mais les
attributions ainsi que la composition de ces corps
varient beaucoup , suivant les pays.


Tantôt le Conseil d'État, confondu pour ainsi dire
avec le Conseil des ministres ou le Conseil privé,
n'est qu'un auxiliaire du Pouvoir exécutif , comme
sous l'ancienne monarchie française. C'est ainsi que
le Conseil d'État suédois, dont tous les ministres font
partie, a pour mission essentielle d'éclairer la Cou-
ronne par ses avis, et de formuler son opinion sur




372 POUVOIR EXÉCUTIF.
les projets de loi qui émanent de l'initiative royale.
Ces projets ne peuvent être présentés aux Chambres
que par l'organe d'un conseiller d'État. Avant que la
Chambre prenne une décision, le comité compétent
doit donner sorravis. Les membres du Conseil d'État
peuvent assister aux séances de chaque Chambre et
prendre part aux délibérations, mais non atix résolu-
tions, s'ils nu sont pas membres de la Chambre. En
Norwége, quand le roi est absent, il confie l'admi-
nistration au vice-roi ou gouverneur général, assisté
de cinq conseillers d'État au moins.


Tantôt le Conseil d'État prête son concours aussi
bien au Pouvoir législatif qu'au Pouvoir exécutif.
Ainsi le Conseil d'État du royaume de Grèce examine
tous les projets (le loi présentés à la Chambre par le
gouvernement ou provenant de l'initiative des dé-
putés. La Chambre peut également envoyer au Con-
seil tous les projets de loi amendés par elle. Il
exprime son opinion dans le délai de dix jours, et
peut demander une prolongation de délai de quinze
jours au maximum. Les conseillers sont nommés par
le roi, sur la proposition du Conseil des ministres. ils
sont élus pour dix ans et rééligibles.


La Hollande , tout en conférant au Conseil d'État
des attributions analogues, étend, de plus, sa com-
pétence à « toutes les mesures générales d'adminis-
tration intérieure du royaume et de ses possessions
dans les autres parties du monde » . Les lois et ordon-
nances royales portent en tête que le Conseil d'État a
été entendu.


PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE; MINISTRES. 373
La Constitution portugaise, qui, relativement au


Conseil d'État, se rapprocheaucoup des précé-
dentes, déclare que « les conseillers d'État sont res-
ponsables à raison des conseils qu'ils donneraient,
quand ces conseils sont reconnus contraires aux
lois et à l'intérêt de l'État, ou manifestement per-
fides — dolosos ».


Le Reiehsgeritch ou tribunal d'Empire , qu'a or-
ganisé la loi constitutionnelle austro-hongroise du
21 décembre 1867, exerce, parmi d'autres pouvoirs,
quelques-unes des attributions ordinaires des Con-
seils d'État. Il juge les conflits entre les autorités
administratives et les autorités judiciaires, entre la
représentation d'un pays et les autorités gouverne-
mentales, entre les pouvoirs locaux et indépendants
des divers pays de l'Empire. 11 statue définitivement
sur les demandes formées contre l'État entier par un
des États représentés au Reichsrath , ou réciproque-
ment; sur les plaintes élevées par les citoyens à raison
de la violation des droits politiques garantis par la
Constitution. Ce tribunal se compose d'un président
et son suppléant nommés à vie par l'empereur, de
douze titulaires et de quatre suppléants également
nommés à vie par l'empereur, sur la présentation du
Reichsrath. Six membres et deux suppléants sont
pris sur la liste de candidats proposée par chaque
Chambre.




APPENDICE.


DE LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION.
De la faculté de révision. —Droit comparé.— Procédure dl la révision.


La loi du 25 février 1875 contient, relativement à
la révision de la Constitution que nous venons d'é-
tudier, des dispositions dont le sens, le caractère et
la portée ont donné lieu aux controverses les plus
ardentes et les moins raisonnées.


Ces dispositions sont renfermées tout entières dans
l'article 8, ainsi conçu :


« Les Chambres auron t le droit, par délibérations
séparées, prises dans chacune à la majorité absolue
des voix, soit spontanément, soit sur la demande du
président de la République, de déclarer qu'il y a lieu
de réviser les lois constitutionnelles.


» Après que chacune des deux Chambres aura
pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée
nationale pour procéder à la révision.


» Les délibérations portant révision des lois cons-
titutionnelles, en tout, ou partie, devront être prises
à la majorité absolue des membres composant l'As-
semblée nationale.


» Toutefois, pendant la durée des pouvoirs con-
férés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maré-
chal de Mac-Mahon, cette révision ne peut avoir


DE LA RÉVISION. 375
lieu que sur la proposition du président de la Répu-
blique. »


Que résulte-t-il de ce texte ? D'abord, jusqu'en
1880, la question de révision ne peut être portée
devant les Chambres que par le président de la Ré-
publique. Ensuite, si la question de révision est
soulevée , soit avant 1880 par le président , soit.
après 1880 par les sénateurs, les députés ou le pré-
sident, il faut, pour y donner suite, que chacune des
deux Chambres alors en fonctions déclare, à la majo-
rité absolue des voix, qu'il y a lieu de procéder à la
révision ; puis que les deux Chambres se réunissent
en une seule Assemblée composée des 534 députés et
des 300 sénateurs ; et enfin que les modifications de
la Constitution soient adoptées par la majorité, non
pas des votants, mais des membres composant l'As-
semblée nationale, c'est- à- dire par 418 voix au
moins.


Il y a ainsi une série d'obstacles apportés à l'exer-
cice du droit de révision : jusqu'en 1880, néces-
sité de l'initiative personnelle du président ; avant
comme après cette date, nécessité d'un complet ac-
cord entre les deux Chambres, car il n'est pas vrai-
semblable que le Sénat se prononce pour uneré,vision ,
s'il n'adhère pas aux modifications projetées par la
Chambre des députés , celle - ci devant posséder,
grâce au nombre de ses membres, une puissance
prédominan te dans le vote ; enfin, nécessité de réunir
dans les délibérations la majorité absolue des mem-
bres de l'Assemblée nationale de révision, l'absten-




376 APPENDICE.
Lion, l'absence même équivalant au rejet des propo-
sitions. Ajoutez à cela l'immutabilité relative de la
composition du Sénat, dont 75 membres sont inamo-
vibles, dont 225 sont nommés pour neuf années et
ne se renouvellent pas d'un seul coup, mais tous les
trois ans par groupes de 75, représentant le quart du
nombre total des sénateurs. Cette combinaison est
telle, qu'un mouvement d'opinion en faveur d'une
modification constitutionnelle, qui donnerait-nais-
sance à une Chambre des députés inspirée du même
esprit, n'aurait la plupart du temps, à l'expiration
du mandat de cette Chambre des députés, renouvelé
que le quart des sénateurs.


On peut juger par ces détails combien l'organi-
sation du droit de révision est prudente et conser-
vatrice des institutions existantes.


Quant à l'étendue de ce droit, nul cloute qu'elle ne
soit constitutionnellement illimitée. Lors du vote des
lois constitutionnelles, certains membres de l'Assem-
blée ont demandé et obtenu qu'on leur donnât acte de
ce que ces lois garantissaient la, faculté de révision to-
tale et absolue. C'est là un incident qui ne s'explique
guère que par des notions inexactes sur le caractère
deslois constitutionnelles dan s un Étatrépubl icain . La
plupart des Constitutions monarchiques forment des
pactes entre les gouvernés et les gouvernants ; quel-
ques - unes• sont une concession des gouvernants ;
toutes consacrent un pouvoir héréditaire, et par
conséquent sont censées engager l'avenir : de là des
restrictions au droit de révision. Mais, dès que l'on


DE LA RÉVISION. 377
établit le régime républicain, ce serait une contra-
diction que de refuser au pat,,z ,si, appelé à se gouverner
lui-même le droit de modifier librement dans son en-
tier l'organisation constitutionnelle qu'il s'est don-
née, et, loin de prévoir l'éventualité d'une autre forme
de gouvernement, la clause de révision constitue
au contraire la disposition la plus républicaine qu'on
puisse imaginer, puisqu'elle a pour objet d'affirmer
cette pleine indépendance politique de la nation qui
disparaîtrait nécessairement avec la République.


Aussi voyons-nous que les Constitutions les plus
démocratiques sont précisément celles qui se sont
montrées le plus disposées à admettre l'exercice du
droit de révision.


Par exemple, la Constitution de 1793 inscrivait
dans sa Déclaration des droits : « Un peuple a tou-
jours le droit de revoir, de réformer et de changer
sa Constitution » ; et elle disposait en conséquence :
« Art. 115. Si dans la moitié des départements ,
plus un, le dixième des assemblées primaires de
chacun d'eux, régulièrement formées, demande la
révision de l'acte constitutionnel ou le changement
de quelques-uns de ses articles , le Corps législatif
est tenu de convoquer toutes les assemblées pri-
maires de la. République, pour savoir s'il y a lieu à.
une Convention nationale. — 416. La Convention
nationale est formée de la même manière que les
législatures et en réunit les pouvoirs. — 117. Elle
ne s'occupe, relativement à la Constitution, que des
objets qui ont motivé sa convocation. »




378 APPENDICE.
Le même régime gouverne aujourd'hui la Suisse,


où la Constitution peut être révisée en tout temps sur
l'initiative de l'Assemblée fédérale, et où la question
de savoir s'il y a lieu de procéder à la révision doit
être posée au peuple, dès que 50,000 citoyens suisses
ayant droit de voter le demandent. Au cas où la ma-
jorité des citoyens suisses se prononce affirmative-
ment, les deux Conseils sont renouvelés pour tra-
vailler à la révision. La Constitution fédérale révisée
entre en vigueur lorsqu'elle a été acceptée par la
majorité des citoyens suisses prenant part à la vo-
tation et par la majorité des États. Pour établir la
majorité des États, le vote d'un demi-canton est con-
sidéré comme le vote de l'État '.


En 1872, un essai de révision avait été fait en
Suisse. Adopté par les deux Conseils, un projet de


' En vertu de la loi du 17 juin ern, qui est une conséquence de
la révision votée le 19 avril et mise en vigueur le 29 mai, le système
du plébiscite est étendu aux lois fédérales et aux arrêtés fédéraux.
« Les lois fédérales, dit l'article l er de cette loi, sont soumises à l'adop-
tion ou au rejet du peuple, si la demande en est faite par 30,000 citoyens
ou par huit canions. Il en est de même des arrêtés fédéraux qui sont
d'une portée générale et qui n'ont pas un caractère d'urgence. » La
demande de révision doit être faite dans les 90 jours de la publication
de ladite loi dans la feuille fédérale. Si le nombre voulu de signa-
tures est réuni, le conseil fédéral organise la votation populaire, in-
forme les gouvernements cantonaux et ordonne les mesures néces-
saires. La votation du peuple suisse a lieu le même jour dans toute
l'étendue de la Confédération. Le jour est fixé par le Conseil fédéral.
Toutefois, la votation ne peut avoir lieu que quatre semaines au
moins après la publication suffisante de la loi ou de l'arrêté en
question. Tout Suisse âgé de vingt ans révolus a le droit de voter. La-
loi ou l'arrêté doit être considéré comme adopté lorsqu'il a été ac-
cepté par la majorité des citoyens suisses qui ont pris part au vote.
Les résultats de la votation sont publiés par le Conseil fédéral, qui
fait un rapport à leur sujet à l'Assemblée fédérale, dans sa première
session.


DE LA RÉVISION.
379


Constitution avait été soumis au peuple ; mais, sur
516,465 votants, il ne enit que 255,606 suffrages
contre 260,859. Treize cantons se prononcèrent con-
tre la révision et neuf pour. (Vote du 12 mai 1872.) Un
nouveau projet fut voté par les Conseils le 31 janvier
1874. Lepeuple l'adopta, le 19 avril, par 340,199 voix
contre 4 98, 013 sur 538,212 votants, et par quatorze
États et demi contre sept États et demi. La nouvelle
Constitution a été mise en vigueur le 29 mai 1874.
Elle comprend 121 articles. Celle de 1848 n'en con-
tenait que 114, et le projet avorté de 1872, 118. La
Constitution fédérale de 1874 réalise la centralisa-
tion de l'armée, d'importantes réformes financières,
et est animée d'un esprit anti-clérical. Elle interdit
de fonder de nouveaux couvents ou ordres religieux,
ainsi que de rétablir ceux qui ont été supprimés.


Quant aux Constitutions cantonales, il nous suffira
de dire que, depuis 1830 jusqu'à la fin de juin 1873,
il y a eu en Suisse, d'après une statistique dressée
par M. le professeur G. Vogt 1 , 83 révisions totales
ou partielles, fie sorte qu'en faisant abstraction des
révisions partielles, au nombre de 23, on trouve qu'en
moyenne une Constitution cantonale n'a guère qu'une
durée de dix-sept ans, et cela sans que les change-
ments opérés produisent ces émotions populaires si
faciles à exciter chez les peuples moins habitués à.
la pratique de la liberté. La Constitution du 24 mai
1847 pour la « République et canton de Genève » ne


' Cité par M. Stoessel,




380
APPENDICE.


se borne pas à admettre la révision : elle exige que,
tous les quinze ans, la question de la révision totale


soit posée au Conseil général » , lequel n'est, comme
on sait, rien autre chose que l'ensemble des électeurs.


La Constitution des États-Unis consacre égale-
ment le droit de révision, quoique d'une manière
plus timide. L'article cinquième porte ce qui suit :
« Le Congrès , toutes les fois que les deux tiers des
deux Chambres le jugeront nécessaire, proposera
des amendements à cette Constitution ; ou , sur la
demande des deux tiers des législatures des divers
États , il convoquera une convention pour proposer
des amendements, lesquels, clans les deux cas, seront
valables à toutes fins, comme partie de cette Consti-
tution , quand ils auront été ratifiés par les législa-
tures des trois quarts des divers États ou par les trois
quarts des conventions formées dans le sein de cha-
cun d'eux, selon que l'un ou l'autre mode de ratifi-
cation aura été prescrit par le Congrès




» Ainsi la
Constitution américaine confie le droit d'apprécier
l'opportunité d'une modification du pacte fonda-
mental aux Assemblées législatives et non à l'en-
semble des électeurs. A cet égard, il y a quelque ana-
logie entre la réglementation du droit de révision
aux États-Unis et la loi française du 25 février 1875.


Aux dispositions des Constitutions républicaines


' Art. 453.


DE LA RÉVISION. 381
qui consacrent le droit de révision , on peut opposer
le silence gardé par les Chartes monarchiques et par
les Constitutions impériales qui ont gouverné notre
pays. C'est ici le lieu de rappeler notamment le sé-
natus-consulte du 18 juillet 1866, portant : « Art. ter.
La Constitution ne peut être discutée par aucun
pouvoir public autre que le Sénat procédant dans les
formes qu'elle détermine. Une pétition ayant pour
objet une modification quelconque ou une interpré-
tation de la Constitution ne peut, être rapportée en
séance générale que si l'examen en a été autorisé par
trois au moins des cinq bureaux du Sénat.— Art. 2.
Est interdite toute discussion ayant pour objet la
critique ou la modification de la Constitution, et
publiée ou reproduite soit par la presse périodique,
soit par des affiches, soit par des écrits non pério-
diques , des dimensions déterminées par le para-
graphe l er de l'article 9 du décret du 17 février 1852.»
Toute infraction à ces prohibitions pouvait être pu-
nie d'une amende de 10,000 francs.


Ces dispositions n'empêchèrent pas le gouverne-
ment impérial d'être contraint par les circonstances
de modifier sans cesse sa Constitution, et elles ne sau-
vèrent pas cette Constitution de la chute définitive
qui menaçait. l'oeuvre du 14 janvier 1852.


Si l'on peut affirmer qu'une grande liberté dans
l'exercice du droit de révision est conforme aux prin-
cipes républicains et démocratiques , il n'est pas
moins certain que cette liberté est pour les lois cons-




382 APPENDICE.
titutionnelles un élément de stabilité infiniment plus
assuré que des dispositions prohibitives.


Les auteurs de Constitutions sont enclins à re-
garder leurs combinaisons, trop souvent artificielles,
comme le dernier mot de la sagesse et de la science
politiques. Les gouvernés se placent à un p.i.:Are
point de vue et sentent plus vivement les vices du
système qu'on leur applique. Si ces inconvénients ,
une fois révélés par le fonctionnement du mécanisme
constitutionnel, ne peuvent être facilement suppri-
més ; si la liberté d'améliorer la marche du gouver-
nement est entourée de mille entraves, la Constitu-
tion se trouve beaucoup plus menacée dans son
existence qu'elle ne l'eût été par le droit de révision.
Faute de pouvoir être amendée, elle sera détruite ou
violée. Si au contraire on a su laisser une porte ou-
verte à la légitime intervention de l'opinion pu-
blique , la Constitution, retrempée dans l'épreuve de
la révision, en sortira plus solide et prête à fournir
une nouvelle carrière, jusqu'à l'époque oà d'autres
circonstances demanderont d'autres réformes. La
facilité de réviser les lois fondamentales est ainsi un
gage de stabilité, parce qu'elle est un instrument de
progrès, et l'on ne doit y apporter d'autres restric-
tions que celles qui seraient nécessaires dans un pays
où des partis repoussés par la majorité de h, nation
chercheraient sans cesse à remettre en question la
forme du gouvernement.


Dans un grand nombre d'États monarchiques, on


DE LA RÉVISION. 383
a compris la nécessité de ne r.eas fermer complete-
ment la porte aux modifications constitutionnelles
que les circonstances peuvent rendre opportunes et
même indispensables. Mais, en général, l'exercice
du droit de révision est soumis à des formalités
assez compliquées.


Une première observation, qui s'applique à toutes
les Constitutions monarchiques, c'est qu'implicite-
ment ou explicitement elles n'admettent que les ré-
visions partielles qui n'affectent pas la forme même
du gouvernement, et repoussent la révision intégrale
qui tendrait à substituer, par exemple, la République
à la Monarchie. Ainsi la Constitution grecque dit for-
mellement : « La Constitution ne peut être révisée
en entier. » La loi fondamentale de la Norwege dé-
clare « qu'aucun changement ne doit être contraire
aux principes de la loi fondamentale. On ne peut la
modifier que dans quelques dispositions particu-
lières qui n'altèrent point l'esprit de la Constitution » .


D'ailleurs, le roi est presque toujours associé à
l'examen des propositions de révision, cc qui sup-
pose que la forme monarchique ne peut être mise
en question. Ainsi la Constitution belge porte « que
les Chambres statuent d'un commun accord avec le roi
sur les points soumis à la révision » (art. 131). En
Bavière , la Charte de 1818 confie exclusivement au
roi le droit de proposer les modifications constitu-
tionnelles ; et les Etats ne peuvent les mettre en
délibération que sur sa présentation. En Suède, le


• roi peut frapper d'un vélo absolu les propositions




384 APPENDICE.
de révision qui émanent de la Diète. « Si , par
une résolution de la Diète ( lit-on dans l'article 81
de la Constitution) , une motion faite dans son sein
et relative aux lois fondamentales a été approuvée,
celte résolution sera soumise au roi , qui devra,
avant la clôture de la Diète, prendre l'avis de, tous
les membres du Conseil d'État à ce sujet, et faire
connaître à la Diète dans la salle du trône son assen-
timent ou bien les raisons pour lesquelles la résolu-
tion ne saurait être sanctionnée» . La sanction royale
est également une condition exigée par la législation
danoise pour qu'une modification constitutionnelle
acquière force de loi.


Un autre genre d'obstacles est parfois apporté à
l'exercice du droit de révision. Il arrive que les ré-
dacteurs d'une Constitution , pour donner le temps à
l'expérience de se prononcer, interdisent toute mo-
dification à leur oeuvre, avant qu'un certain nombre
d'années ne se soient écoulées. Cette précaution a
été prise par nos lois constitutionnelles de 1875, qui
ne permettent pas aux Chambres , jusqu'en 1880,
d'exercer le droit de révision, le Pouvoir exécutif
conservant d'ailleurs la faculté de proposer des mo-
difications à la Constitution.


De même , la Constitution grecque de 1864 ne
permettait de réviser les articles des lois fondamen
tales que dix ans après leur promulgation: La Charte
portugaise de 1826 disait, de son côté : « Si quatre
ans après que la Constitution aura été jurée, on recon-


DE LA RÉVISION. 385
naît que quelqu'un de ,<ses articles doit être modifié,
la proposition en sera Pite par écrit, et devra pren-
dre naissance dans la Chambre des députés
(art. 140).


Mais il en est de ces dispositions comme de celles
dont nous parlions plus haut: les circonstances sont
souvent plus fortes que les hommes ; et Montes-
quieu 1 a bien raison de poser en règle que « c'est au
législatedr à suivre l'esprit de la nation , lorsqu'il
n'est pas contraire aux principes du gouvernement» .
Si cet esprit vient à changer, un texte prohibitif sera
toujours impuissant à prévenir une réforme (les ins-
titutions politiques ; et bien audacieux sera celui qui
tentera d'opposer des digues 2 « au fiot qui continue
à marcher, à la mer qui monte », comme dit M. de
Tocqueville.


Afin d'éviter que les modifications constitution-
nelles ne soient volées avec une précipitation regret-
table, on entoure l'exercice du droit de révision de
garanties variables suivant les pays. Nous avons
déjà indiqués une disposition de la loi autrichienne
du 21 décembre 1.867, aux termes de laquelle une
majorité des deux tiers des voix doit être obtenue
dans le Reiehsratli pour autoriser un changement à
la. loi fondamentale. Cette exigence d'un plus grand
nombre de suffrages, quand il s'agit d'une révision


' Esprit des lois, liv. XIX, chap. Y.
2 M. de Tocqueville, Correspondance, V, ri.
3 Voy. première partie, liv. Il, chap. vt.




386 APPENDICE.
constitutionnelle, se retrouve dans beaucoup d'au-
tres Fats. En Belgique„ nulle modification de ce
genre n'est adoptée, si elle ne réunit également les
deux tiers des suffrages. 11 en est de même en Ba-
vière, en Hollande, en Roumanie, en Norwége, etc.
La loi française du 25 février 1875 se contente de
déclarer que « les délibérations portant révision 'des
lois constitutionnelles, en tout ou en partie, devront
être prises à la majorité absolue des membres com-
posant l'Assemblée nationale » (art. 8).


Dans le même dessein de rendre les révisions
moins fréquentes et plus réfléchies, certaines Cons-
titutions exigent que plusieurs législatures se pro-
noncent sur la nécessité des changements à intro-
duire dans le pacte fondamental.


Ainsi la Constitution suédoise dispose que la loi
sur la forme du gouvernement et les autres lois fon-
damentales du royaume ne peuvent être modifiées
ni abrogées qu'à la suite d'une résolution prise par
le roi et deux diètes ordinaires. Une règle identique
est inscrite dans la loi de lo. Nor wé,ge et dans celle du
Danemark. De même, en Grèce, aucune révision ne
peut avoir lieu que si la Chambre des députés la ré-
clame dans deux législatures consécutives par une ré-
solution spéciale, prise à la majorité des trois quarts
du nombre total de ses membres, et désignant les
dispositions constitutionnelles à réviser. La révision
une fois décidée en principe, la Chambre est dissoute,
et on en convoque une autre, qui doit être composée




DE LA FdWISION. 387
d'un nombre de membreouble du nombre ordi-
naire des députés. Cette Assemblée extraordinaire
statue définitivement sur I es modifications proposées.


D'après la Constitution portugaise et celle du Bré-
sil, la proposition de révision est lue trois fois à la
Chambre des députés, avec un intervalle de six jours
entre chaque lecture ; et, après la troisième, la Cham-
bre se prononce sur la question de savoir si la pro-
position peut être mise en discussion. Au cas où le
vote est favorable à la mise en discussion, et où l'on
reconnaît la nécessité de modifier un article consti-
tutionnel, une loi est sanctionnée et promulguée par
le roi, afin de prescrire aux électeurs de conférer aux
candidats destinés à faire partie de la prochaine lé-
gislature un mandat spécial d'accepter, de rejeter ou
d'amender la réforme proposée. Dans la première
session de la législature suivante, la question est
mise en délibération ; et , quand le changement ou
l'addition à la loi fondamentale est adopté , l'amen-
dement est joint à. la Constitution et solennellement
promulgué.


La Belgique. et les Pays-Bas ne confient pas da-
vantage à la même législature le soin de déclarer
qu'il y a lieu à révision et celui de procéder à la ré-
vision. « Le Pouvoir législatif, dit l'article 131 de la
Constitution belge, a le droit de déclarer qu'il y a
lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle
qu'il désigne. Après cette déclaration , les deux




Chambres sont dissoutes de droit


» Ce sont les
nouvelles Chambres qui statuent, avec le roi, sur les





388 APPENDICE.
points soumis à la révision. La loi hollandaise repro-
duit presque identiquement ces dispositions.


Néanmoins, on peut signaler des États nui n'ap-
portent pas tant de retard à l'exercice du droit de
révision. Ainsi la Constitution prussienne de 1850
(art. 107) porte que « la Constitution peut être modi-
fiée par la voie ordinaire » . Elle se borne à exiger
que le vote réunisse la majorité absolue, et, s'il y a
deux votations, qu'elles soient séparées par un in-
tervalle d'au moins vingt et un jours. Nous avons
déjàvu ce que prescrit, en pareil cas, la loi française ;
les deux Chambres qui ont déclaré la révision néces-
saire se réunissent en Assemblée nationale, sous la
présidence du président du Sénat,. et procèdent aux
opérations de la révision, à la majorité absolue des
membres composant cette Assemblée.


LOIS CONSTITUTIONNELLES


DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.


Loi relative à, l'organisation des pouvoirs publics.


ARTICLE PREMIER. — Le pouvoir législatif s'exerce par deux As-
semblées : la Chambre des députés et le Sénat.


La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel,
dans les conditions déterminées par la loi électorale.


La composition , le mode de nomination et les attributions du
Sénat seront réglés par une loi spéciale.


ART. 2. — Le président de la République est élu à la majorité ab-
solue des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis
en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans; il est rééligible.


ART. 3. — Le président de la République a l'initiative des lois,
concurremment avec les membres des deux Chambres; il promulgue
les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux Chambres; il en sur-
veille et en assure l'exécution.


Il a le droit de faire grâce; les amnisties ne peuvent être accor-
dées que par une loi.


1 I dispose de la force armée.
Il nomme à tous les emplois civils et militaires.
Il préside aux solennités nationales; les envoyés et les ambassa-


deurs des puissanges étrangères sont accrédités auprès de lui.
Chacun des actes du président de la République doit être contre-


signé par un ministre.
ART. 4. — Au fur et à mesure des vacances qui se produiront à


partir de la promulgation de la présente loi, le président de la Répu-
blique nomme, en conseil des ministres, les conseillers d'État en
service ordinaire.


Les conseillers d'État ainsi nommés ne pourront être révoqués
que par décision prise en conseil des ministres.


Les conseillers d'État nommés en vertu de la loi du 24 mai 1872
ne pourront, jusqu'à l'expiration de leurs pouvoirs, être révoqués
que dans la forme déterminée par cette loi.


Après la séparation de l'Assemblée nationale, la révocation ne
pourra être prononcée que par une résolution du Sénat.




390 LOIS CONSTITUTIONNELLES
ART. 5. — Le président de la République peut, sur l'avis conforme


du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale
de son mandat.


En ce cas, les colléges électoraux sont convoqués pour de nou-
velles élections dans le délai de trois mois.


ART. 6. — Les ministres sont solidairement responsables devant
les Chambres de la politique générale du gouvernement, et indivi-
duellement de leurs actes personnels.


Le président de la République n'est responsable que dans le cas
de haute trahison.


ART. 7. — En cas de vacance par décès, ou par toute autre cause,
les deux Chambres réunies procéderont immédiatement à l'élection
d'un nouveau Président. Dans l'intervalle, le conseil des ministres
est investi du pouvoir exécutif.


ART. 8. — Les Chambres auront le droit, par délibérations sépa-
rées, prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spon-
tanément, soit sur la demande du président de la République, de
déclarer qu'il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.


Après que chacune des deux Chambres aura pris cette résolution,
elles se réuniront en Assemblée nationale pour procéder à la révision.


Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en
tout ou partie, devront être prises à la majorité absolue des membres
composant l'Assemblée nationale.


Toutefois, pendant la durée des pouvoirs conférés par la loi du
20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne
peut avoir lieu que sur la proposition du président de la République.


Ain. 9. — Le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres est
à Versailles.


(Délibéré les 23 janvier, 3 et 23 février 1873; promulgué au Jour-
nal officiel (ln 28 février 1813.)


Loi sur l'organisation du Sénat.


ARTICLE PREMIER. — Le Sénat se compose de trois cents membres :
Deux cent vingt-cinq élus par les départements et les colonies, et


soixante-quinze élus par l'Assemblée nationale.


Atur. 2. — Les départements de la Seine et du Nord éliront chacun
cinq sénateurs;


Les départements de la Seine-Inférieure, Pas-de-Calais, Gironde,
Rhône, Finistère, Côtes-du-Nord, chacun quatre sénateurs;


Les départements dé la Loire-Inférieure, Saône-et-Loire , Ille-et-


DE LA RÉPUBLIQUE FRANCAISE.
391


Vilaine, Seine-et-Oise, Isère, Puy-de-Dôme, Somme , Bouches-du-
Rhône, Aisne, Loire, Manche, Maine-et-Loire, Morbihan, Dordogne,
Haute-Garonne, Charente-Inférieure, Calvados, Sarthe, Ilerault ,
Basses-Pyrénées, Gard, AveNœ, Vendée, Orne, Oise, Vosges, Allier,
chacun trois sénateurs;


Tous les autres dédartements, chacun deux sénateurs.
Le territoire de Belfort, les trois départements de l'Algérie, les


quatre colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion
et des Indes françaises éliront chacun un sénateur.


ART. 3. — Nul ne peut être sénateur s'il n'est Français, âgé de
quarante ans au moins, et s'il ne jouit de ses droits civils et politiques.


Aur. 4. — Les sénateurs des départements et des colonies sont élus
à la majorité absolue, et, quand il y a lieu, au scrutin de liste, par
un collège réuni au chef-lieu du département ou de la colonie et com-
posé : 1 0 des députés; 2 0


des conseillers généraux ; 3 0 des conseillers
d'arrondissement; 40 des délégués élus, un par chaque conseil muni-
cipal, parmi les électeurs de la commune.


Daus l'Inde française, les membres du conseil colonial ou des con-
seils locaux sont substitués aux conseillers d'arrondissement et aux
délégués des conseils municipaux.


Ils votent au chef-lieu de chaque établissement.
ART. 5.— Les sénateurs nommés par l'Assemblée sont élus au


scrutin de liste et à la majorité absolue des suffrages.
ART. G.— Les sénateurs des départements et des colonies sont élus


pour neuf années et renouvelables par tiers, tous les trois ans.
Au début (le la première session, les départements seront divisés


en trois séries, contenant chacune un nombre égal de sénateurs; il
sera procédé, par la voie du tirage au sort, à la désignation des
séries qui devront être renouvelées à l'expiration de la première et
de la deuxième période triennale.


ART. 7. — Les électeurs élus par l'Assemblée sont inamovibles.
En cas de vacance par décès, démission ou autre cause, il sera,


dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.
ART. 8. Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des dépu-


tés, l'initiative et la confection des lois. Toutefois les lois de finances
doivent être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés
et votées par elle.


ART. 9. — Le Sénat peut être constitué en cour de justice pour ju-
ger soit le président de la République, soit les ministfes, et pour
connailre des attentais commis contre la sûreté de l'État.


ART. 10. — Il sera procédé à l'élection du Sénat un mois avant
l'époque fixée par l'Assemblée nationale pour sa séparation.




392 LOIS CONSTITUTIONNELLES
Le Sénat entrera en fonctions et se constituera le jour même où


l'Assemblée nationale se séparera.
(Délibéré le 24 février 1875; promulgué au Journal officiel du 28 fé-


vrier 1875.)


t
Loi sur les rapports des pouvoirs publics.


ARTICLE PREMIER. — Le Sénat et la Chambre des députés se réu-
nissent chaque année , le second mardi de janvier, à moins d'une
convocation antérieure faite par le président de la République.


Les deux Chambres doivent être réunies en session cinq mois au
moins chaque année. La session de l'une commence et finit en même
temps que celle de l'autre.


Le dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront
adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour appeler
sou secours sur les travaux des Assemblées.


ART. 2. — Le président de la République prononce la clôture de la
session. Il a le droit de convoquer extraordinairement les Chambres.


Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans l'intervalle
des sessions, par la majorité absolue des membres composant chaque
Chambre.


Le Président. peut ajourner les Chambres. Toutefois, l'ajournement
ne peut excéder le terme d'un mois, ni avoir lieu plus de deux fois
dans la même session.


A wr. :3. — Un mois au moins avant le terme légal (les pouvoirs du
président de la République, les Chambres devront être réunies en
Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau Président.


A défaut de convocation, cette réunion aurait, lieu de plein droit
le quinzième jour avant l'expiration de ces pouvoirs.


En cas (le décès ou de démission du président de la République,
les deux Chambres se réunissent immédiateme: t et (le plein droit.


Dans le cas où, par application de l'article 5 de la loi du 25 lévrier
1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au moment où la
présidence de la République deviendrait vacante, les colléges électo-
raux seraient aussitôt convoqués, et le Sénat se réunirait de plein
droit.


ART. 4.— Toute assemblée de l'une des deux Chambres qui serait
tenue hors du temps de la session commune est illicite et titille de
plein droit, sauf le cas prévu pur précédent et celui où. le
Sénat est réuni comme cour de justice, et, dans ce dernier cas, il ne
peut exercer que dos fonctions judiciaires.


DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. 393
ART. 5. — Les séances du Sénat et celles de la Chambre des dépu-


tés sont publiques.
Néanmoins chaque Chambre peut se former eu comité secret, sur


la demande d'un certaMenombre de ses membres, fixé par le règle-
ment.


Elle décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être re-
prise en public sur le même sujet.


ART. 6.— Le président de la République communique avec les
Chambres par des messages qui sont lus ab tribune par mi ministre.


Les ministres ont leur entrée Jans les deux Chambres et doivent
être entendus quand ils le demandent. Ils peuvent se faire assister
par des commissaires désignés pour la discussion d'un projet de loi
déterminé, par décret du président de la République.


ART. 7. — Le président (le la République promulgue les lois dans
le mois qui suit la transmission au gouvernement de la loi définitive-
ment adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les lois dont
la promulgation, par un vote exprès dans l'une et l'autre Chambre,
aura été déclarée urgente.


Dans le délai fixé pour la promulgation , le président de la Répu-
blique peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres
1111C nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.


ART. 8.— Le président de la République négocie et ratifie les traités.
Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la
sûreté de l'État le permettent.


Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les fi-
nances de l'État, ceux qui sont relatifs à (les personnes et au droit
de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs qu'après
avoir été votés par les deux Chambres. Nulle cession, nul échange,
nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi.


ART. 9. — Le président de la République ne peul déclarer la guerre
sans l'assentiment préalable des deux Chambres.


ART 10. —Chacune des Chambres est juge de l'éligibilité de ses
membres et de la régularité de leur élection; elle peut seule recevoir
leur démission.


ART. 11. — Le bureau de chacune des deux Chambres est élu
chaque année pour la durée de la session, et pour toute session ex-
traordinaire qui aurait lieu avant la session ordinaire de l'année sui-
vante.


Lorsque les deux Chambres se réunissent en Assemblée nationale,
leur bureau se compose des président, vice-présidents et secrétaires
du Sénat.


ART. 12. — Le président de la République ne peut être mis en accu-




394 LOIS CONSTITUTIONN. DE LA RÉPUBL. FRANCAISE.
sation que par la Chambre des députés et ne peut être jugé que par
le Sénat.




Les ministres peuvent être mis eu accusation par la Chambre (les
TABLE DES MATIÈRES.


députés, pour crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En
ce cas, ils sont jugés par le Sénat.


Le Sénat peut être constitué en cour de justice par un déG>et du
président 'de la République, rendu en conseil des ministres, pour
juger toute personne prévenue d'attentat commis contre la sûreté
de l'État.


Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le décret




de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi.
PRÉFACE.




Une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, lins-
INTRODUCTION.


truction et le jugement.
ART. 13. — Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut


être poursuivi ou recherché à l'occasion des opinions ou votes émis
par lui dans l'exercice de ses fonctions.




ART. 11. — Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut,
Première partie.


pendant la durée de la session, être poursuivi ou arréié en nutière
criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la Chambre
dont il fait partie, sauf te cas de flagrant -délit.




POUVOIR LÉGISLATIF.
La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre


Chambre est suspendue pendant la session, et pour toute sa durée,
si la Chambre le requiert.




(Délibéré les 22 juin, 7 et 16 juillet 1875 ; promulgué au Journal


LIVRE PREMIER.
officiel du 18 juillet 1875.)


DE L'EXERCICE DU POUVOIR LÉGISLATIF.


CHAP. — CONDITIONS D'EXERCICE. DU POUVOIR LÉGISLATIF.




ORIGINES DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES EN FRANCE. . . 17


Principe du pouvoir législatif.—Attribution de l'exercice de ce
pouvoir à un monarque, au monarque et au parlement réunis,
au parlement sent , au peuple. Droit comparé. — Historique
de l'idée de représentation nationale en France jusqu'en 1789.
États - Généraux. Absolutisme du pouvoir royal aux xvn e et
xvlue siècles. Nécessité de convoquer les représentants de la
nation. Constitution d'une assemblée nationale. — Partici-
pation des représentants de la nation à l'exercice du pouvoir




législatif, jusqu'à la Constitution actuelle 17


CHAP. — DE LA F. PR SENTATION NATIONALE PAR UNE




CHAMBRE UNIQUE OU PAR DEUX CHAMBRES
Droit comparé. — Presque unanimité des législations consti-


tutionnelles en faveur des deux Chambres. — Portée limitée
de ce fait. — La loi est l'expression de la volonté générale.
Réfutation des objections. — L'existence de deux Chambres


rages.
V


37




396
TABLE DES MATIÈRES.


TABLE DES MATIÈRES. 397
Pages.


est-elle compatible avec cette idée? Si oui, est-elle avanta-
geuse? — Argument de M. John Stuart 11E11 en faveur d'une
Chambre unique.
37


LIVRE II.


DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.




CHAP. l er . — HISTORIQUE. — COMPOSITION DU Cours ÉLECTORAL


EN FRANCE DE 1791 A 1875




Composition du corps électoral d'après la Constitution de 1791


— Régime électoral établi par l'Assemblée législative pour
élire la Convention. — Constitution de 1793. — Constitution
de l'an III. Constitution de l'an VIII. — Sénatus-consulte
de l'an X. — Charte de 1814. — Acte additionnel.— Loi électo-
rale de 1817. — Loi électorale de 1820. — Loi électorale de
1831. — Constitution de 1848. — Suffrage universel. — Loi du
3t niai 1850.— Constitution de 1852. —Décret du 29 janvier
1871.— Loi électorale du 30 novembre 1875




CHAP. H. — LES ÉLECTEURS
Composition du corps électoral en France et dans les différents


pays. — Division en trois classes des systèmes électoraux :
1 0


suffrage universel; 2 0
suffrage direct et restreint; 3 0


suf-
frage à deux degrés. — Systèmes mixtes, combinaison des
précédents.— Suffrage cumulatif. — Suffrage par catégories
d'électeurs.


CHAP. TH. — LES ÉLIGIBLES


Droit comparé : conditions d'âge, de cens, de religion, de
laïcité. — Incompatibilités, exceptions aux incompatibilités.
— Droit comparé


CHAP. IV. — OPÉRATIONS ÉLECTORALES:


Division des circonscriptions. — Scrutin par arrondissement. —
Convocation des électeurs. — Réunions électorales , profes-
sions de foi. — Publicité. — Lieu du vole. — Mode, — durée
du vote.— Second tour de scrutin. — Dépouillement du scru-
tin. — Proclamation et recensement général des votes. — Pé-
nalités répressives des fraudes électorales. — Droit comparé. 101


CHAP. V. — LES ÉI US
Nature du mandat. — Question du mandat impératif. — Ser-


ment. — Renouvellement partiel ou intégral. — Durée du
mandat. — Démission. — Décès. — Option. —Traitement ac-
cordé aux députés.— Inviolabilité. — Droit comparé. . . . 123


Pages.


CHAP. VI.— ATTRIBUTIONS DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. . . 143


Sect. I re . Attributions réglementaires. — Droit de vérifier les
pouvoirs. — Notation du bureau. — Règlement intérieur.
— Police de la Chambre. — Mesures prises pour sa sûreté. —
Publicité des débats.— Droit de recevoir les démissions, d'ac-
corder des congés


Sect. II. Attributions législatives. — Droit d'initiative. — Par-
ticularités relatives aux lois de finances. — Priorité accordée
à la seconde Chambre par plusieurs pays pour l'examen et
le vote des lois. — Dérivations du droit d'initiative. — Droit
d'amendement. — Droit d'interpellation. — Droit d'enquête.
— Adresses. — Pétitions. — Confection de la loi. — Ordre et
nombre des délibérations. — Modes de votation. — Majorité
exigée pour la validité des votes


LIVRE III.


DU SÉNAT.


CHAP. I". — DE LA FORMATION DES CHAMBRES HAUTES. . . . 180


Distinction entre les Sénats fédéraux el: les Chambres hautes
proprement dites. — Droit comparé. — Chambres hautes for-
mées par l'hérédité, par le choix du pouvoir exécutif, par
l'élection; systèmes mixtes; droit comparé 180


CHAP. Il. — DES ÉLECTEURS SÉNATORIAUX 202


Du corps électoral sénatorial dans les divers pays. — Analyse
du système adopté en France. — Supériorité numérique des
délégués communaux sur les autres électeurs. — Supériorité
numérique des petites communes. Statistique. — Caractère
de cette organisation électorale. — Sénateurs inamovibles
élus par le Sénat. — Caractère du Sénat ainsi composé. —
Mode de constitution du corps électoral ; désignation des
délégués.


CHAP. III. — LES ÉLIGIBLES 218


Des conditions de nomination par le pouvoir exécutif. — Des
conditions d'éligibilité. Droit comparé.--Incompatibilités. . 218


54


54


64


64


93


93


101


123


143


155


202




398 TABLE DES MATIÈRES.
CHAP. IV. — OPÉRATIONS ÉLECTORA I ES
Inégale représentation des départements. — Convocation des


électeurs. — Période électorale. — Réunions publiques. —
Vote au chef-lieu de département. — Indemnité de voyage.
—Scrutin.— Vote obligatoire pour les délégués communaux;
pénalités.— Droit comparé




227,
CHAP. V. — Lus ÉLUS


239
Nature du mandat. — Conditions de renouvellement. — Durée


du mandat. — Élections triennales. — Inviolabilité des séna-
teurs. — Indemnité. Droit comparé




239


TABLE DES MATIÈRES. 399
Pages.


dans les États républicains. Droit comparé. — Constitution
du pouvoir exécutif par le Parlement ou par le peuple. Droit
comparé.


277


CHAP. IL —HISTORIQUE DU POUVOIR EXÉCUTIF EN FRANCE. . . 292


Ancien régime. — Clibtitutions de 1791 , de 1793, de l'un III,
de l'an VIII, de 1814, de 1830, de 1848, de 1852. — Historique
du pouvoir exécutif sous l'Assemblée du 8 février 1871. . . 299


Pages.
227


CIIAP. VI. — ATTRIBUTIONS DU SÉNAT
Intervention du Sénat pour la dissolution de la Chambre des dé-


putés. Droit comparé


ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES. Élection du
bureau et confection du règlement. — Partage du pouvoir lé-
gislatif avec l'autre Chambre. — Influence plus grande de la
Chambre des députés sur la marelle du gouvernement.


. 23t
ATTRIBUTIONS JUDICIAIRES. Droit comparé. —Étendue de ces at-


tributions : jugement du président de la République, des
ministres, des individus accusés d'attentat à la sûreté de
l'État. — Historique.


ATTRIBUTIONS CONSTITUANTES. Renvoi
274


Seconde partie.


POUVOIR EXÉCUTIF.


LIVRE PREMIER.


DE L'EXERCICE DU POUVOIR EXÉCUTIF.


CHAP. T er . — DES DIVERS MODES D'ORGANISATION DU POUVOIR
EXÉCUTIF. 277


Multiplicité des systèmes en vigueur.— Différence entre la Ré-
publique et la Monarchie.— Du pouvoir exécutif dans les mo-
narchies absolues; dans les monarchies constitutionnelles;


LIVRE II.


DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ET DES MINISTRES.


CHAP. — DE L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. 308
Discussion sur les différents systèmes d'élection. — L'amende-


ment Grévy, en 1848. Droit comparé.— Durée du mandat.
—Majorité exigée pour la validité de — Expiration
du mandat. — Démission , décès du président. — Procédure
organisée par les lois constitutionnelles. 308


CIIAP. II.— ATTRIBUTIONS DU PRÉSIDENT DE. LA RÉPUBLIQUE. . 320


ATTRIBUTIONS ADMINISTRATIVES. — ATTRIBUTIONS GOUVERNEMEN-
TALES. —Nomination à tous les emplois civils et militaires.—
Question du droit de paix et de guerre. Solutions diverses.
— Droit de représenter le pays dans les solennités nationales. 320


ATTRIBUTIONS LÉGISLATIVES directes et indirectes. — Droit de
convoquer et d'ajourner le Parlement; de dissoudre la Cham-
bre des députés. Avis du Sénat. — Législation comparée. —
Messages.— Droit d'initiative. — Question du droit de sanc-
tion; solutions diverses. — Promulgation et publication de
la — Décrets. 326


ATTRIBUTIONS JUDICIAIRES. — Droit de nommer les juges.—Des
droits de grâce et d'amnistie. — Responsabilité du président
de la République; renvoi.— Question du serment 347


CHAP. III. — DES MINISTRES ET DU CONSEIL D'É.VIT 160


DES MINISTRES. — Nature du pouvoir ministériel. — Responsa-
bilité solidaire et individuelle — Sanction de cette respon-
sabilité; renvoi.— Différentes procédures et juridictions. . 360


248


248


258




400 TABLE DES MATIÈRES.
P'agea.


Du CONSEIL D'ÉTAT. — Historique. — Loi du 24 mai1872. —Mo-
difications apportées à cette loi par la loi constitutionnelle du
25 février 1875. — Attributions actuelles, au point de vue lé-
gislatif et politique. Droit comparé


366


A ppendi ce


DE LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION.
374


De la faculté de révision. — Droit comparé. — Procédure de la
révision. 374


Lois CONSTITUTIONNELLES DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. . . 339


Pottier,. — Typographie do A. DITYP.P..