MÉMOIRE A CO:NSULTER. Cet Ollvrage se Irowe :a InutlltS, CHEZ GRIGNON, ...
}

MÉMOIRE
A CO:NSULTER.




Cet Ollvrage se Irowe


:a InutlltS,
CHEZ GRIGNON,


MAISON BAUDOUI\.I{ FRERES .


• IMPRIMERIR DE J. TASTU,
I\UE DE VAUGmAI\D, N. 36.




, \'.


ME1\tJOIRE'
ACONSULTER


RELIGlEOX ET POLITIQUE,
TENDANT


A RBNVERSER LA RELIGION,
LA. SOCIÉTÉ ET LE TRONE ¡


PAJI.


'; Jll. lt (fomtt bt Jllontlooitr.


Malta dies "alÍasqae labo1' mutabilis· w:.i
Rettulit in meUua, multos alterna revisens
.t.Q.tlit, el in solido.l'ursus fortunalocavit.


Vuu;u..


DEUXlEME ÉDITION. '


PARIS .
.A.MBROISE DUPONT ET RORET, LIBRAIRES,


QUAI DBS AUGUSTINS, N. 37'
MOUTARDIER ET COMPAGNIE,


BUE GIT-LS-COBtlR, N. 4.
1826.






itÉMOIRE A GO~StJtTER
SUB. .


,


UN SYSTEME
RELIGIEUX ET POLITIQUE,


AJ .aV.aSER LA BE LIGIO",
LA SOCIÉTÉ ET LE TRONE .


.. ,'. '


INTRODUCTION.


UN vaste systeme, tranchons le mot, une
vaste conspiration contre la religion, contre
le Roi, contre la société, s'est elevée. Je l'ai
áperlfue a son origine; je raí suivie dans ses


. progr~s, je la vois au moment de nous cou-
vrir de ruines. Cette situation m'étant con-'
nue, selon ma conscience je dois la combat-
tr~; selon nos lois je dois la révéler.


Toutefois, pour combattre, comme.il faut
des armes; pour révéler, comme il faul ex-




( 2 )


poser et faire comprendre, sur ces deux
points je me trouve également embarrassé.


Et d'abord, a ce mol de. conspi~ation , on
me demande si fai conúaissa~ce de quelque
trame d'un prince étranger t méditant de
s'emparer de la France o~ d'une partie de
son territoire; on me demande si j'ai con-
naissance, contre la personnede nos princes,
de quelque projet sinistre ao dehors do palais
ou au dedans.


Rien de tout cela. En meme temps que la
conspiration quej'ai a dénoncer esteffrayante
par ses progres, elle est toute nouvelle par
soncaractere. Les trames de cette espece
sont ourdies, en général, par des hommes
pervers avec des moyens pervers; celle que
je désigne est ourdie par des hommes saints,
au milieu des choses saintes. Quel 5UCceS
puis-je espérer! Gest la vertu que je vais
Recuser de crime, c'est la piété que je vais
montrer nousmenant 8. l'iÍTéligioD, c'est 1~
fidélité: qae j"accnserai de noos conduire a la
:ré,'olte. El alors, éomme dans la liste de mes
conj urés, on pourra voir le premier person-
nage de la chrétienté, celui que touÍ: le monde
appeUe Sa--....~ainteté, et qui est en effet)a




( 3 )
sainteté meme; comme il sera questioQ. d'un
ordre religieux qui a pu, dit-oo, autrefois;'
commettI:e queIques fautes, máis qui est
venu de lui-meme se rétabIir en France ~
l'effet de les réparer; cO~IlIneil sera question
d'une ligue pieuse , form-ée dans nos mauvais
temps pour la défense de rauteI et du tróne ,
et qui aujourd'hui ne vent se maintenir que
dam le.dessein deles conserver; comthe iI
sera question d'un grand nombre de prélats
et de boos pretres, dignes confesseurs de la
foi dans les temps révolutionnaires, et prets
encore a verser leur sang pourelle ,on ne
sait quel nOID donner a mon entreprise; on
me demande si, au lieu d'une conspiration
contre la réligion, contre le Roi, contre la
société, ce n'est pas pIutót une éonspiratioÍl
én leur faV'eur que je veux signaler. .


lci meme on apel'(,{oit unpoint important.
de la cause. 00 peut demander si, dans Ull
état sociall'égulier, n est permis a une. col ...
lection particnlier~ de citÓ'yeus des'hl(~or""
porer, de s'enrégimenter, de se combiner el
de eomposer entre eux ~ saos l'autorislltion
de PÉtat; des regies, de~ signes de recon.-.;
naissance, des points de raIliement pour Ufte




( 4 )
ca~se pieuse quelle qu'elle puisse etre:Quand
c;:ette question soumise a MM. les juriscon-
suhes aura été décidée pareux en principe ,
ils auront a examioer, d'apres les lóis actuelles
de l'État, ce qui est ou ce qui n'est (las licite
en ce genre.


Relativement a la sainteté des pontifes; si
nous nous en rapportons aux documens de
l'histoire, c;m ,peut dopter qu'elle ait loujóurs
eté a l'abri d'attentats sur la domination de
nos rois. Au teinps présent, nous verrons s'il
n'y a pas déja par la do~trine des tentatives
eommencé'es; que dis-je 1 des formules toutes
dressées. .


En ce qui concerne un certain ordre reli-
gieux, iI faudra voir si, a raison de la situa-
tion actuel1e de la France, il péut ~tre souf-
fert pa,mi nous; si, par sa nature, il
peut. ~tre toléré chez:aucun·peuple. Il fau-
dra voi~ surtout si, a rRison des anciennes
lois qui I'ont ahrogé, ce. n'est pas un scan-
dale que l'audace avec laquelle iI est venu se
rétahJir.


Enfin, a l'égard de ces hons prétres, ohjet
de mon respect, et que je vais pourtant ac·
cuser f011ement, il De s'agi~ pas de savojr




( 5 )
s'jis oot la pensée d'une iofidélité envel's
I'État eL envers le Rói : j ugés sur la question'
intentionnellenoo-seulement on les' absdu-
drait, peut-etre memeon leurdécerneraitde.s
couronnes. Toutefois il s'agit de savoir si les
actes qu'ils se permettent; si la ligue sur· la-o
quelJe iJs se dirigent, ne conduisent pas la
religiou et]a Frauce asa perte.


Si les júrisconsultej de F¡'auce a qui cet
écrit est adressé adoptent cette crainte, mon
desseiu, quelles qu'en puissent etre les suites,
est arreté. Pendant quarante aos de ma vie
je n'ai cessé de combattre des' opinions
populaires toutes couvertes dú sang de
Louis XVI et de Charles ler. Je ne ferai pas
plus de grace- a une opinion religieuse éga-
rée, couverte du sang d'Hénri IV et d'He'n-
ri 111. Royalistes fideIes, nous' pumes suc-
comber eni 789; la ré~olution avait emporté
avec la monarchie les' magistrats et les lóis.
Aujourd'hui que la mooarchie est rétablie,
aujourd'hui que les magís~rats et les: lois.
veillent aupres du souverain, succomberons-.
nous de méme?


Au milieu de ces inqui(}tud~s, deux arréts:
de la Cour royalede París qui s6nt inter":"'.




( ti )
VC:PQ$~ ontpu ranimer le. courage etfaire con-
~ev1)ir des espérances.·Malbeureusement, par
le peu de traces qu'jls ont laissées, par le spe(}o
tacle qu'ib ont présenté,. par les intrigues
qu'ils ont mises a découvert, ils ont donné
lieu.~ de nouvelles Jnquiétudes. Il faut con,.,
na~t.X'e it ce sujet le plan qui a été conc;u.


Ceux qui IlQUS oot donllé les congréga-.
tiQP~;) les jésuites, l'uJtramontanisme et la
domination des pretres, ont imaginé., comme.
un~ chose merveilleuse, de commander pOUl'
ce~ inventions le meme respect quepopr la
fe~g,iQn •. Cette iQeptie ~xploitée avec be~u­
coup de talent. a obtenu ses fins,; il en est
résulté que ,po~r un~ grande part.ie de la
ff,ance.religiel1:se, la religion ,el les congré-
gations, la rcligion et les jésuites, la religion
et l'uh,ramontaois~e, .la religion et les, mus
de sépuhur~ out été une seuleet meme.
c~o.~e ;, des""!lors, ce qui restait d'imp¡étéen
Fra~ ~ con~u des espérance& ;de tous có..,
té~ elle ~'~st mise en mouvement • deux
jour~aux ont été accusés de laseconder.


Je m'expliquerai .franchement .s\1l" ces
jwrnaux. Je ne les appellerai pas ré"olu-
tl~01!-na~·res.: faieu ce tort-Ia une fois; j'ac-




( 7 )
cepte acet égard la réprimalide .qu'ils m'ont'
fitite, et je les en remercie. Mais il n'en est
pasmoins vrai qu'hahitués depuisloIig-temps
ase rendre les interpretes des opinions ain·si
que des intérets émanés de la révoluüon,
leurs attaques con~re le sysieme acluel pas-
saientd'autant mieux.pourdes -attaques ir-
réligieuses, que; d'urtcoté, l'ancienne eou-
leur de ces feuilles doqnait des souPlfons, et
que, d'un autre coté, le systeme était pré-
senté comme la religion meme.


Dans eette position, Otl la religion plaeée
dans les jesuites était si facilement attaquée ,
les chefs du ,!ystemeont été justement ef~
frayés. Ohstinés a tenir ensemhle leurs jé-
suites et la religion, ils se sont mis a noler
jour par jour, daos les journaux, les in-
convenances qui pouvaient Ieur échapper,
el ils en ont fait une masse pour un . proces
de tendance : proces dont l'objet le plus
apparent était sans doute le maintien du
respeet pour la réligion, mais dont l'objet,
heaueoup plus important peut-étre, était le
maintien de leur systeme.


L'artifice deeeHe eombínaison n'a point
écbappé au publico S'il a sorip~onné quedans




( 8 )
les attaques de deux journaml:cootl'e l'ultra""
IRontanisme et contre les jésuites, iI entrait
quelque intention irnJigieuse, iI a vu encore
mieux d:ms la défenSede,M. BelIart el, de
M. de Broe, en faveu1- de la religion, uo in-
téret pluS sprieuxen faveur des jésuites 'el
de la sop.veraineté du;~. Tout arret'con",
tre les deux journaux .&it d'avance ,ipter.;..
prété d~ns ce sens •
. Entre ces mensonges vernissés d'un peu


de vérité , la Cour royale quine vou]ait ni
abandonner la religion, ni adópter lesjésui-
tes,a p~ se trouverembarrassée. Elle a COID-
mencé1 dans Pintéret de la religio.n, ¡paJ',
seII.10ncer les journaux pour leur manque .de
respect envers les ChOS6S saintes; Ittais 'en
meme temps elle a ouvertJe stipulcre QU se
tenaient cachés les vérilahle~. objets de la
cause. Elle a mis 3U grand jOllr les scandales
que le mintstere Pllhlic tenait dans l'ombre,
tandis qu'il produisait avec éelat des inco,n:-
venances el des,im.prudences.


Sansdouteces deux arrets ont de }.'im ...
portance; saos doute ils o,nt rassuré a heau-
coup d'égards nos consciences ainsi que nos
vieilles fidélités. Cependant, C0II.1Ule ils n'ont




( 9 )
fllit que signaler les désordres au lieu de les
poursuivre, le scandale d'impun ité qu'ils'ont
proclamé est vellu s'ajouter 3UX'3utres scan-
daleso Avant les arrets, je me proposais de
dénoncer les délits; point du tout, c'est hi
Cour royale qui les dénonce 1 et elle se con-
tentede les dénoncero Les magistrats con..,;
naissentJes lois, puisqu'ils les invoquent; les,
delits, puisqu'ils les signalent; et cependaD~
les délits continuent a slibsister aumilieu des.,
lois qui les frappent etdes magistrats qlli les,
accusent.


Cette situation, qui l'évele ·une.siogul\Cr~
oonstitution, sociale, révele en. meme, temps
de nouveaux coupableset de nQuveaux dé..,
litso Au milieu de ces difficultés, Rome fut
un JOUl' tres-heureuseo TI s'ouvre dan s ses
campagnes un gouffre ou un citoyen ' peut
se précipiter pour la sauvero Messieurs: les
jurisconsultes, oo.· est le, gouffre? Au~mili~
de nos dangers, 00. sont les:moyens de:sa-
lut? Que peut-on faire avecdes.Iois qói n?ont
}loint de parole et, des magistrats qui n ',mt
PQint d'action? Quelleest cette puissance
mystérieuse qui plane sur nos loÍs pour les
faire taire; sur DOS magistrats PQu:rles. pru:a-




( 10 )


lyser.? ,L'imagination s'étonne et demeure
en :suspens.


Bans cette situation, n'existe-t-il, coinme
on le dit, d'autres reS50urces que la' liberté
de la pre!ise et le uroít de pétition ? Si , par
la nature meme du mal, les avenues de 1'0-
pinion $ont de tomo Cotés circonvenues; si,'
par la meme raison, les deux·chambressont
prévenues et comme barricadées;, quelle
antre ressource reste-t-il que ceHe des moyens
juridiques ? Dans le fait 1 comme les calami~és:
que je dénonce ne sont point des nouveau-
tés, ' comme jeIÍ'af point a appeler a leur
égard de la: part du législateur des di!iposi ... ·
tions nouvelles';eI1 un mot, comme ce sont
des délits, c'est-a.;..diredesinfraclions a des
lois établies ,c'est manifestement la voie ju-
diciairequi me parait ouverte. ,


'Cettepremiere solntion fixée; OOlIlme de"
puis long-temps les délits que' raccuse ne
sont', do la. part des magi5watS, l'ohjet cl'au-
enne i..ttention, et que,quelquefois on poúrJ
tait croire qu'ils sontvU$ par le gouvernc ....
ment avec' tomplaisattce r d'un nutre coté,
comme les délinquans, loin de figurer,
danslln ordre ,de personnes 'que ·peút· at':"




( 11 )


~indre la déconsidération, sont pl~é6: aw
contraire dans un rang éminent, il pourrait
s'l'ftablir dans l'opinion., que des loÍs faites
pour d'autres circonstances et d'autres temps
sont aujourd'hui sanso application et sans
valeur, d'ou ron cOnclurait que saos les
abroger positivement, il est permis ,de
continuer a les laisser tomber en désué!-
tude ..
~l m~importe d'effacer ceUe impression.!


Apres avoir montré comment, pendant un
certain laps de temps, ces lois n'oot pu etre
susceptibles d'exécution, jemoiltreraicom~
ment au' temps présent (tout différent .,des
temps passes), ce que j'ai appelé 'calamité
mérite réellement ce oom, et- CQmment se
trouve menacée par-la la France religieuse
et sociale .


. EI) eepointmeme obligé de' toucher a
l'oMlle· religieux· puur en elaguer des ra:-
meaux vétténeu.x ou par.asites, j'ai a aaindre
par une cen.sure~ qui quelquefois devra etrér
furte., d'afl'aiblir le raspeet qúi lui appartient:
POW'; éviter cet il;'conyénient, iI m'a paru.
indispensable de montrer en oppositionau
~auvais espr.it que j'nurai signalé ,.levéri-




( I2 )


wble espritdu christianisme, ainsi que' :te
véritable earaetere dll prctre.


Dans eette part diverse que j'aurai a dis-
tribner d'accusation et d'excUse·, d@ dnreté
et'de ménagement, on ne croira pdS-, j'espere,
que les excuses el les ménagemens soient de
ma part une simple pl'écaution oratoire. C0
so in de respeetm'est cornmandé par l'équité.
envers les ministres de la religion, .ainsi
qu'envers les dépositairas de' l'autoi'ité; iI
m'est eommandé' de meme 6Ilvers les m~­
gistrats des CO~FS royales, mnsi qu'eDVel'S le
ministerepublic.' . r r'; , " - ,


A l'égaNl de- celui~ei ,ilserait rigoureux
de dire- e¡ue form~Dt autrefois liD offiee , au-
jourd'hu.i une simple ' commissioD, iI n'a'plus
la mcme énergie pourses devoirs. :Les an.:..
cieDs procureurs-géDéraux aiDsi 'que les 'an-
ciens cOllseillers au 'p~FlemeDt -qui ' avaieDt
des offices inamG.vibIes,: n'enétaient pas
moiDsaccessibles aux rigueursde l'autorité.
Envoyéspar des:lettres de cachet a la Bas_
tille ou en exil; ils ontsu opposer, quaud il
a faUu, unerésistaDCe¡que leur devoir pl'es-
crivait.


J'aime a croire qu 'iI eD serait de mclllCi!




( 13 )
'1


ilbjbUl'd'hui. La négligencc du minis,tere
public relativement aux délits que fái si ..
gnalés., me parait provenir d~une autl'e cause.
n peut, croire que des infractions qui ont
commencé dans des temps de crise méritent
encore -auj'ourd'hui de l'indulgence, sur-
tout quand il voitau haut de I'État, ou se
trouve le. plus grand danger, ce danger traité
av~cin~itférence, quelquefois avec faveur.


Par"':'Ul je suis ramcmé natureUem~nt a
}\état singulier de la France et aux vicissi-
tudes par lesquelles elley est arri,vée.


La réyolution ayant ñ'abord détruit la
tete " puis ravagé tout l'intérieur de notre
"Organisation" il: en ~st résulté comme un
grln<l: esp3;ce vacant qui a été olfert au
premier OCCllpant. C'est d'abord le bas peu-
pIe en masse, sous le.noro de sans-culotte ;


.'Cnsuite les hommes de la pr~fession des ar-
,mes"ensuite la classe moyenne. Cette situa-
lion ayant excité les espérances do, clergé,
il s'y est porté en masse avec. ses jésuites,
,ses ultramontains I ses congréganistes. N ous
.sommes arrivés ainsi, apres be¡mcoup .d'au-
tres souverainetés, a la souverain~té des
,p.rétres.




( 14 )
ConstammeIit fidele a la 'Véritá.hle et légi~


time souveraineté ,je contbattrai auj6urd'hui
celle des prétres, ·oomme rai oombattu
celIes qui Pont précédée. :'E'il retnplíSsant
cette nouvelle miss ion 1 je n'ignore pas que
de nOllvelles traver!eS m'attendent.· ·Je ne
·les appelle pas; je ne les ~repoussepRS. Ce
sera le eompléínént dtune vie' titJi a étépeú
heureuse. Je ponrrais'bien direicisi j~·Vti\f..
lais, que mon opposition, loin' d'étre ariti-
religieuse, est ah contraire tonte favorable
a la religion j que loind'etre dirigée.contre


- les pretres, elle est toute pour eu~, et qu'ils
sont et qu'ils semnt toujours, malgré ienrS
écarts, l'objet de mes ·affections. Je pourrai
ajouter á l'égard du plus grana nombre que
je ne doute pas de leurs intentions. C-e
qne '.le dirais ne les convaincrait' tri n~
]es ápaiserait. Dans l'émigration,· quand
j'écrivais contre M. d'Entraigué et 'M. ·Fer-
rand , .le ne doutais Fas de le'ur úle, de
lenr talent etde leurs intentions; je trou-
vais seltlement qu'ils compromettaient ]a
cause qu"ils voulaient servir. n en est de
meme aujourd'hui des· hommes . qui, sons
une forme ou sous une autre, veulent'intro-




( 15 )
duÍre la puissance spirituelle dans le gou'"
vernement des choses civiles. Je repous$e
leurs vnes, en meme temps que je leur'ac ....
corde mon respecto


Sur ce point, je dois prévenír ceux qui,
mu~ par d'autressentimens que ceu:l que je
professe, seraient eúclios a m'accorderleut
approbation, qne je ne l'accepte pas:du tout.
Au mUien des. f(jlies de LOndres et de Co::"
bJe.ntz, ;lOurmenté dans mon existence t!t
da,ns cflle de mes amis par les proneurs de
ces folies, je n'en suispas· moins demeuré
atlaché a leur sort, et a tout ce qu'il y avait
de noble dans leurs sentimens. Combien son-
vent alors et depuis, ne m'a-t-il pas été pro-
posé de m'attacher a leurs adversaires? Com-
bien de fois n'a-t-on pas osé me dire qu'ils
m'accueilleraient? Cet accueil qui m'était
offert, je l'aí dédaigné. Ces émigrés qui me
repoussaient ont conservé mon affection. n
en sera de meme aujourd'hui. Ces pretres
dont je combats les p.·étentioIJs, ces pretres
qui m'ont lant accusé et qui probablement
~"A\',\',U1!>eTOn\ encore, continueront a avoir
mon respecto Ceux qui, par des principes de
révolution ou d'impiété, me donneront des




(16 )
~oges; m'en verront aUristé. Repoussé ain$i
par des hommes qu'on chérit; accueilli par
des hommes qu'on repousse, une telle vie
n'est pas douce. Dieu me l'a faite ainsi. Dans
peu, lorsqu'illui aurapludem'effacer de cette
terre, si mes écJoits subsistent encore, quel-
que apre que sOit leur composition, quelque
peu de droit qu'ilsaient a l'indulgence, on
.me pardonnera, j'espere;' et peut-etre aussi
~on,me croira, car la mort a quelque chose
qui demande grace ; elle a aum quelque
chose qui donne de l'autorité .




- " ..




PRE~lItRE PARTIE.
FAITS.


_tt_


CHAPITllE PREMIER.


DE LA CONGRÉGATION.


LA puissa1)C6l1lystérieuse qui, sous le nom
de CONGRÉGATION, figure aujourd'hui sur la
scepe du monde, m~ parait aussi coofuse
d;ms sa compositioD que daos son objet,
dan~ son objet que dans son origine. Il m'est
aussi difficile de dire avec précision ce qu'el1e
eshque de montrer au temps passé, comment
ell~ s'est successivement formée, étendue,
organisee. ~e dis organisée, avec cette . res-
tricti<,>o que queIquefois son corps est entier;
et alors 00 y voit Ull tronc et des membres :
d'autres fois-une partie de ces membres s'eo
retire, iI parait comme mutilé. Le corps


2




( 18 )
lui-meme s'est composé de maniere a pouvoir,
quand cela luí eonvient, se dissiper eomme
une ombre: el alors on s'interroge, pour
savoir s'il est vrai qu'il existe une congré-
gation.


Son objet n test pas moins difficíle a dé-
terminer que sa nature; ce sera, quand ille
faudra, de simples réunions pieuses: vous
aurez la des anges. Ce sera allssi quand on
voudra un sénat, uneassemblée de1ibérante;
-vous aurez la des sages; enfio ce sera, quand
les circonstances ledemanderont, un bon
foyer d'intrigue, d'espionnage et de déla-
tion : vous aurez -la des démons.


Un caractere aussi compliqué, et qui
échappe des qu'on veut le saisir, décele dans
les personnages dirigeans , non une habileté
du moment, une science individuelle, mais
un art profond perfectionné par d'anciennes
traditions. Il dééele le génie particulier d'un
corps vigoureusement constitué; et savam-
meTít organisé. Il est faciJe par-U de- décou-
vrir ses connexions avec une société monas-
tique célebre dont je traiterai uhérieurement,
mais qu 'iI me suffit en ce moment d'índiquer,
paree que douée d'une organisation robu~te,




( [9 )
des qu'elle trouve un terrain qui lui est
propre, son instinet est de s'y étendre, tant
par ses raeines que par ses rameaux, de
maniere a l'envahir bientót tout-a-fait.


On eroit eommunément que e'est par son
enseignement que la soeiété des jésuites est
parvenue a une grande importanee ; l'ensei-
gnement y a sans doute contribué, mais
e'est bien plus par un systeme partieulier
d'affiliations : lequel peut ~ui étre commun
avee d'autres corps relig'ieux, mais que nul
autre n'a porté a ce point de perfection
depuis Pythagore dont la domination couvrit
l'Orient, jusqu'aux temps modernes, ou
de simples mendians ont trouvé le moyen,
non-seulement de s 'emparer de rEurope,
mais encore de porter au-dela des mers le
joug tantót fleuri, tantót sangIant de Ieur
domination.


Au dix-septieme siecle, ou les jésuites
dominaient en Allemagne, a Naples, en
Italie, ce fut au moyen des congrégations;
en l'année 1604 expressément, la républiq~e
de Genes fut informée que les jésuites avaient
établi des sodalités 00. ron prenait diverses
résolutions contraires au bien puhlic, et OU




( 20·)
leseonfreres juraient de nc donner leurs voix
dans l'eleetion des magistrats, qu~a ceux de
la confrérie. Le senat tit aussitót publier un
édit portant défense a eeux qui étaient mem-
bres de ces sodalités de tenir aueune assem-
blée.


La Franee se convrit de meme de eongré-
gations; il parait certain que Louis XIV
s'affilia. Les jésuites ne se contellterent pas
de la soeieté; ils chereherent a s'emparer de
l'armée.


En l'année 1716, le gouvernement apprit
que dans les ·différentes provinces, les jésui-
tes s'appliquaient d'une maniere partieuliere .
a gagner les soldats. Dans chaque régiment,
ils avaient réussi a faire un certain nombre
de prosélytes, auxquels ils preserivaient des
pratiques particulieres de piété. Ces pratiques
consistaient a réciter chaque jour des orai-
sonsdont on distribuait des formules, et par
lesquelles{ les soldats priaient pour la con-
servation. de la religion et de rÉtat, qu'on
avait eu soin de leur représenter comme
étant dan s un grand danger. Parmi les sol ....
dats prosélytes, les jésuites faisaient un choix




( 2I )


de ceux qu'ils reconnaissaient eommep]us
dociles, pour en former une confr,érie saus
le nom de Sacré creur de Marie; eeux-ci
n'étaient admis qu'apres avoir prononeé des
vreux garans de leur fide1ité. Ces vreux con-
sistaient a promettre de défendre jusqu'a la
mort la bulle Unigenitus, les droits du pape
et le teslament du feu roi.


Cette Hgu~, dans laquelle quelques éveques
étaient entrés, ayant été découverte , le gou-
vernement fut embarrassé; iL craignit qu'en
approfandissant juridiqrement eette affaire,
il n'en ré$ultat. tllnt PQur la religion que
paur 1'llrmée, un éclat faeheux. Tout en
s'eff'or<;ant de l'étouff'er, il cherchait a dissi-
muler,lorsque tout-a-coup quarante soldats
du régiment de Bretagne présentent a leui'
colonel un placet tendant a ce qu'illeur soit
~ccordé les facilités nécessaires pour remplir
leurs sta.tuts. On apprit, par ces statuts, que
dans tautes les "illes ou ils se trouvaient en
garnison, et Itieme dans lenr marche, les
soldats affiliés devaient s'assemblcr d::lns
un meme Heu; qu'Hs avaicllt des chapcllés
particulieres; qu'ils formaient, avec un c;er~
tajo nombre de soldats des autres régimens,




( 22 )


un meme corps uni par des liens conununs
sous la direction des jésuites. Le mouvement
extraordinaire qui eut lieu cette année dans
les troupes , ~órifirma ces informatións; il tit
connaitre que ces associations avaient déja
gagné toute l'armée. Partont on il y avait
des maisons de jésuites, les connexions des
solrlats a vec ces mai!ions étaient remarqua-
bies; la on il. ll'yen avait pas, comme les
soldats associés se réunissaient d'eux-memes
dans des ég-]ises particulii~res au son de la
doche, pour des ex.?rcices de piété, ces con-
nexions et leursprincipes furent faciles a
découvrir. Les eh oses étant a ce . poiot, le
gouvernement crut devoir se prononcer. Il
défendit a toutes les troupes les associations ;
l'éveque de Poitiers, compromis dans ces
IllRnreUV res, reftut une réprilllande.


Ce!> QI'écautions QI'éserverent l'aI'mée. La
société ri'en demeura pas moins infectée;
e'est au point qu'en 1742, il Y avait plus de
deux cents villes ou hourgs du royaume ou
cette dévotion était en viguellr, et un peu
plus de sept cents institutions deceUe espeee,
les unes sous l'invocation de la Croix, d'au-
tres sons le nom du Saint-Sacrement, ou du




( 23 )
Saint-EsclaIJage de la Mere dé Dieu; dans
toutes il était recomroandé, corome dans
eeHes d'aujourd~hui, d'étre soumis aux
princes el aux magistrats, et de foire toute
:Jorte de bonnes a!uvres.


Ces stipl.llations, peut-etre réelles, peut-
elre aussi de démonstration, n'empecherent
pas le parlement , toutes les ehambres assem-
blées, de rendre, le 9 maí 1760, un arret par
lequel n supprima les cong"régations.


Soit par ces dispositions, soit par l'effet de
la suppression des jésuites qui eut lien deux
ans apres, on pourrait croire que les· asso-
ciations de ce genre vont disparaitre ; elles
se conservent. On voit aujourd'hui dans les
Mérnoires d'une dame célebre, que long"-
temps apres cette époque, un ministre du
roi fut trouvé ,a sa mort, revetu des insignes
consacrés par les affiliations.


Je ne erois pas uécessaire de mentionner
le temps de la révolution" Il est probable
qu'alors les affiliations s'effacerent; elles re-
parurent bientot. Sous Bonaparte, pendant
le consulat meme, j'ai pu savoir qu 'jI luí
avait été présenté divers mémoires dans les-
quels, sans parler des jésuites, on cher-




( 24 )
chaita ,établir qu'un ~(ln systeme d'instrllc-
líon puhlique ne ppurrai~ ~n)ir lieu en
Franc8> s'il n'étai,tc:o~fi~ l UI~e, congrégation
relig'ieuse: ceUe propo,sitioll Jle l'effraya point.
Peu de temps apres., sous la direction du
respecta,bleM:. E.mery ,~pupé:.;'ie,llr. général de
Sain~:Sl.llpí~e " ~t $oQ;la ,protection. de M. le
c.ardi~a,l Fe~ch., iI s.e fO~rr:t~, sans a:Ufp.ne op-
p,osit~qJ;l, de Ia,po1ice ~ . ce:rt~il!e!;i ass~mblées
religiellse~ ~ont, l'objet était de se fOTtifier
dans la piété;clles avaient par~Ia meme de
l'analogie avec l~!;i anciennes cqngrégations.
1!:'.lroc!Jletemps ,com~e iI commeI.1~.l a se
l~ontr~l' ,SOtiS le nom de Peresde la Foi de
. '" ; .,""


vé'ritables j~suites, ces geme institutiol1s se
trouverent ~aturellement en rappqrt. Quel-
que~évéqQes:, prio¡~~palementune partie du
clergé r~belle au ,I}Q~veau concordat, et
s'intitulantla Pe tite Eglise, vinrent se joindre
aces élémens, et les fortifierent. Des l'année
~808, sous la direction d'nn jés\lite connn,
la congrégation fondée son S rinvocation de


'. Saint-Sulpice est, COfWlle on' sait , une création
el une affiliation des jésuites.




( 25 )
la Vierge ( dénomination qu'elle. portait au
temps de la Ligue) eut, comme la Ligu.e, ses
chef s , ses officiers, son president.


Secondée par les événemens de la premiere
restauration, la congrégation prit un grand
essor. Le 20 mars ne l'affaiblit pas; au con-
traire il eu anima le zeIe; illui donoa surtout
une couleur politiqueo Cest alors que se "for-
mereut; soit avec tous les mOQvemenS du
1\lidi, soit avec toutes les Vendées partielles
qui s'élevereot, des liaisons qui ont subsisté
depuis. La gTavité des circonstances, le dan-
ger commun qui renforcerent ces liaisoDS,
renforcerent par-la meme les erigagemens.
Je ne puis dire si ces engagemens sont au-
jourd'hui pour toutes les catégories des
vreux ou de simples promesses. J'ai quelques
raisolls de doute sur ce point. Au temps
dont je parle, je suis assuré, qu'au moins
pour les hauts grades, les e{lgagemens
étaicnt des sermens; que ces sermens étaient
d'obéissance passive ,et qu'ils étaieot rec;us
par des jésuites,


La seconde restauration opérée, la cou-
grégation devait n'avoir plus d'action : c'est
aloroS qu'elle en eut davantage.




( 26 )
Pendant tout le temps qui suivit l'ordon-


nance du 5 septembre, on doit se souvenir
que le g'ouvernement, entrainé 'dansune
direction anti-royaliste, s'approchait de plus
en plus de la révolution. Chaque jour le péril
devenait ¡mOlinent. Dans cetteextrémité ()u
les plus grands efforts étaient devenus néces-
saires, on s'appela de tous cótés. on s'excita,
on se réunit. Dans toutes les vill~s du second
el du troisieOle ordre, dans la capitale, a la
cour, les affiliations se Olultiplierent. Une
correspondance secrete fut organisée dan s
toutes les parties de la France. Les postes
furent si bien distribués, que dans les pro-
vinces les plus éloignées, la congrég-atioll
était inforOlée de divers événeOlens qui
souvent n'étaient connus du gouverneOlent
et consignés dans le Moniteur que huit jours
apreso Je ne puís douter du faite


C'est alors que coOlOlence a se montrer ce
que la Olalveillance a appelé le gouvernement
occulte: dénoOlination fausse en tout point,
cal', dans ce qu'on a appelé ainsi, il n'yeut
rien d'occulte; iI n'y eut pas surtout de gou-
vernement. Des étourdis, pour se donner
de l'importance, ont pu, dans leur corres-




( 27 )
pondanee partieuliere , donner a une réunÍon
habituelle aupres de l'héritier du trone, un
caraetere qu'elle n'avait pas. Cette réuníon
a formé, a ee que je erois, les premiers élé-
ruens d'un conseil qui, a la décadencc du
feu roí et de son aveu, a participé en quel-
que sorte au gouvernement. En beaucotlp
de cas, ce conseil a pu s'aider aussi du
zele et des efforts de la congrégation. Voila
dans l'ensemble de con tes qui ont été faits,
ce que je puis reeonnaltre de réalité.


Au surplus, l'assemblée de 18 t 5, royaliste
et religíeuse ,avait tellement décrédité,
par ses bévues, les opinions royalistes
et religieuses, que le zele religieux et roya-
liste de la congrégation eut peude faveur.
D'un autre cote, l'ordonnance du 5 sep-
tembre qui survint, la loi du recrutement,
ceHe des élections et tout un ensemble d'in·
fluences et de directions démocratiques,
avaíent tellement pervertí l'opinion, qu'il
n'y eut plus moyen d'entreprendre quelque
chose avec la congrég"ation. C'est au point
que, san s le secours d'une partie notable de
bons et honorahles plébéiens, de bons et
honorables lihéraux, le trone· n 'eut point éte




( 28 )
pr~servé. e'est en vain qu'au renouvellement
intégral de l'assemblée de t8 t5, áinsi que
dans les renouvellemens partiels des années
suivantes, la congrégation mit ses fórce.sen
mouvement; 011 eut constamment de mau~
vais es élections, et par-la une continiIation
de mauvaises assemblées. La Providence a
voulu que ce fut par une de ces mauvaises
ass~~léesqtie Pancienne loides e1ec.tions
ait é~é détruite, et la monarchie renúse a
floto


La nouvelle loi des élections était une
grallde victQire. La congrégation' $'en em ....
para. Elle en prit avantage pour rétablir. de
plus en plus les principes monarchiques. On
a demandé el ce sujet si LouÍs XVIII en con-
naissait l'exislence. Je puis répondre affir-
maliveUleJlt. Un fonctionnaire public1e con-
sultant un jour sur l'emploi qu'il en pourrail
faire pour son service : « Les corpontions
dé. cette espece, luí répondit le tnonarque,
sont excellentes pour ahattre, incapables
de créer. Faítes ·ausurplus ce que vousju-
gerez llécessaire. )) On voit par-la qu'il ne
faisait que la.tolérer.


Les':,mouvemens de la congrégation ,ne




( 29 )
pouvaient échapper a l'agent ~ecret de la
Sainte-Alliance; iI est a ma connaissance
qU'Ull état détaillé de sa composition, de
son organisatíon et de son tlbjet avec le nom
des principaux chefs dirigeans, fut envoyé
aux diverses eours. On apprend' ainsi que
pendant tout le temps de la erise que j'ai
signalée , les puissances nos amies , effrayées
comme nous de rétat de la France, ne
s'étaient pas contentées des instructions or-
dinaires de leurs ministres. Tandís que les
ambassadeurs paradaient ostensiblement au-
tour du trone 1 un agent paiticulier envoyait
régulierement a la frontiere des dépéches
qui, lit, étaient transcrites a plusieurseopies,
pour etre expédiées aux principales cours.


Avec un tel ensemble de circollstances et
]e progres continu de la congrégation, le
minislere Richelieu, Pasquier el de Serres 1
qui avait succédé a celui de M. Decaze el
qui s'obstinait a se tenir dans une ligne séniÍ-
libéralc, ne pouyait se conservero Il hésita
un momento Une nouvel1e dissolution de la
chambre fut presque mise en délibération.
n aima mieux se retirer que d'exposer la:
France a de nouvelles commotions.




( 30 )
Ce fut l'époque de l'élévation de M.· de


Villele. Ce choix que la congrégation el1e-
meme avait sollicité ne fut pas long-temps
respecté. Au temps ou sa prépondérance
n'était pas encore fixée, ce choix lui avait
paru une fortune. Quand sa prépondérance
fut assurée, ce choix lui parut insuffisant. Se
prévalant de quelques échecs éprouvés aux
chambres, la congrégation osa demander un
ministre nouveau.


Louis XVIII n'était plus. Son successeur ,
qui, du vivant meme du monarque, mais
avec son consentement ,avait créé ce mi-
nistere, souffrait de s'en séparer. Comment
abandonner des servíteurs qui, dans de
mauvais temps , ont été dévoués et qui con-
tinuent a demeurer fideles! J'ai Heu de croire
que des négociationsfurent ouvertes a l'effet
d'apaiser ]a congrég~tion. On imagina de
faire entrer tout aIafois le ministere dans la
congrégation et la congrégation dans le mi-
nistere. Déja les postes, ]a police de París, sa
direction générale, avaientété données aux
affiliés. n ne manquait plus que d'enró)er
les principaux ministres eux-memes. Je ne
pnis ou je ne veux ríen affirmer de positif.




( 31 )
Je sais seulement que les bruits les' plus ri-
dicules en ce genre ont couru.


Il ne suffit pas a la congrégation de s'etre
emparée des postes, des deux poli ces, et d'a-
voir en quelque sorte soumis le ministere ;
sa dissémination dans toutes les parties du
royallme donna lieu a un nouveau systeme
de surveillance. Vespionnage était autrefois
un métier que l'argent commandait a la has-
sesse. Il fut commandé a la probité. Par les
devoirs que la congrégation impose, on as-
sure qu'il est devenu comme de conscience.
On est pret a lui donner des leUres de no-
blesse.


Les classes inférieures de la société furent
traitées a cet égard comme les classes supé-
rieures. Au moyen d'une association dite de
Saint-Joseph, tous les ouvriers sont aujour-
d'hui enrégimentés et disciplinés; il Y a
dans chaque quartier une espece de cen-
tenier qui est un bourgeois considéré dans
l'arrondissement. Le général en chef est
l'abbé L ... , jésuite secreto Sous les auspices
d'un grand personnage, il vient de se faire
livrer le grand Commun de VersaiJIes. La il
se pro pose de réunir comme dan s un quar-




e ':h )
tier-général huit a dix mille ouvriers des dé-
partemens. D'énormes dépenses oot déja été
faítes pour mettre ce batiment en état de
loger les enrégimentés. Apres avoir peio I en
blanc rosé l'intérieur comme l'extérieur de
ce vaste édifice, ou en refait a nenf la toi-
ture. Un milJiou suffira a peine pour tout ce
qu'on consent a fairp. au gré de M.l'abbé
L ...


En meme temps que les ouvriers oul été
disciplinés, on n'a pas négligé les marchands
de vino Quelques-uns d'entre eux ont été
désígnés pour donner leurs hoissons a meil-
leur marché. Tout en s'enivrant, on a des
formules faítes de bons pro posa tenir, ou
de prieres a réciter. Il n'y a pas jusqu'au
placement des domestiques dont on a eu
soin de s'emparer. J'ai vu a Paris des fem-
mes de chambre et des laquais qui se disaient
approuvés par la congrégation.


Les villages de la campagne, les officiers
de la cour, la garde royale n'ont pu échap-
p('r a la congrégation. Il est a ma connais-
sanee qu'un maréchal de France, apres avoir
sollicité long-temps pour son fils une place
de sous-préfet, n'a pu finalement l'obtenir




( 33 )
que par la recommandation du curé de son
vil1age a un chef de la congrégation.


Je ne sais rien de positif sur la chambre
des pairs. Pour la chambre des déplltés, au
mois d'avril dernier, le public y comptait
t:mtót cent trente membres de la congré-
gation, tantót cent cinquante. Un 'député ,
membre de la congrégation, que j'ai pu in-
terroger, ne m'en a accusé que cent cinq.
Depuis ce temps, on assure que le nombre
a aug'menté.


La congrégation peut présenter, selon les
points sous lesquels on l'envisage, des aspects
divers; ses parties n'étant pas encore bien
agencées , toutes ses connexions ne sont
pas encore bien établies: c'est ce qui faít
que certaines informations paraissent se con-
tredire. Sous un rapport, les forces de la
congrégation sont immenses; elles se com-
posent d'abord du partí jésuitique dont le
centre est aRome, a l'école de Sapience.
Apres le parti jésuitique, un autre appui
ardent de la cougrégation est le parti uItra-
montaín. A cóté de celui·ci se tíent un troí-
sieme partí, dont les nuances rapprochées
a quelques égards ne sont pas tout-a-fait


3




( 34)
les memes. C'est ce qu'on peut appeler le
parti prétre. Il est composé de ceux qui, a
tout risque et a tout péril, veulent donner
lit société au sacerdoce. Pour ceux-Ia, la
puissance du pape n'est (las en premiere
ligne: its ne le" oonsidel'ent que cornme sub-
s-idiaire. lls sont" préts a abandonner quand
on voudra la doctrine de la suprématie de
Rorne Sur les rois, pourvu que l~s rois re-
connaissent la leur. lIs signeront tout d'a-
hord le forrnulaire de 1682,si le Roí consent.
a mettre la société dans leurs mains.


Tels sont les différens soIs auxquels tient
par de fortes racines la congrégation. Elle
a de plus fortes racines encore dans les con-
sciences par lés sentirnens religieux qu'elle
profe'Sse ,el dans leS opinions par ses doc-
trines royalistes; elle en a" surtout dans la
puissance civil e etpolitique qui, presque
én entier ,s'est composée selon ses direc,...
tions.
: Avec ces forces qui soIit irntnenses, on
peut apercevoir des points de faiblesse : elle
résulte de ce que, composée d'une rnultitude
de partis qui tantOt se rttpprochent, tantót
se retirent, si quelquefois eHe présente un




( 35 )
volume Ímmense, quelquefoisaussi elle esl
réduite a' n'etre qu'une ombre. Eh effet ,le
partí jésuitique, le partí ultramontain, le
parti pretre ne marchent pas toujours en-
semble.Le partí royaliste lui-meme n'ayant
pas les memes eouleurs , la eongrégatíon est
sujette aperdre de grandes forces. Par
exemple, si au milieu de nos événemens
politiques elle vient a se jeter dans quelque
voie aventureuse, le partí jésuitique qui,
par-dessus tout, ne veut pas se eompromettre,
l'abandonnera. Il se con,duira de meme en-
vers le 'parti ultramontain; Montrouge si-
gnera quand onle pressera ladéclaration
de 1682; le parti ultramontain signera a
son tour, si on le lui commande, l'abolition
des jésuites : la eongrégation en ferait au-
tant , si elle y voyait sa eonvenance. Comme
tous ces partís ont pour premier instinct
eelui ,de leur eonservation, et pour premíer
objet eelui de la domínation, ils s'appuie-
ront, se serviront, se desserviront, selon
l'impression qu'ils recevront de Pun ou de
l'autre de ces inobiles.


Toutefois, ene ore que ces élémens soíent
selon les événemens sujets a s'éloigaer ou a







( 36 )
se rapprocher, et ainsi a présenter un volume
dífférent, comme la congrégation est tou-
jours sous le meme nom et que les additions
ou soustractions qu'elle peut éprouver sont
rarement aperIJues, reffet général reste a
peu pres le meme. Le mouvement imprimé
par un petit comité dirigeant composé de
huit ou dix personnes, paraitra dans le pu-
blic avec le volume entier et toute l'autorité
de la congrégalion. Cest ainsi dans la révo-
lution que des associations prenant le nom
de comité de sal'ut public, encore qu'ils fus-
sent formés d'élémens opposés, remuaient
la France et l'Europe par des arre tés qui
n'étaient émanés quelquefois que de trois ou
quatre individus.


Dans cet état, la congrégation qui rem-
plit la capitale domine surtout les provinces.
Elle forme la, sous l'influence des éveques
etde quelques grands vicaires affiliés, des
coteries particulii~res. Ces coteries, épouvan~
tail des magistrats, des commandans , des
préfets et des sous-préfets, imposent de la
augouvernementet auministere. Je n'ignore
pas que tout cet ensemble parait admirable
a certaines personnes. Nous examinerons




( 37 )
cela dan s une autre partie. En ce moment,
je n'ai a exposer que des faits. Je passe aux
jésuites.


• a.1iI




( 38 )


7 t


CHAPITRE 11.


DES JÉSUITES.


LE jésuitisme tire une grande force des
congrégations; il en tire aussi de l'enseigne-
mento Au moyen des congrégations, tout un
pays se couvre d'influences secretes, d'ou se
produit au besoin un ferment intérieur; au
moyen de l'enseignement, mi mouvement
patent se joint a un mouvement secret : par
les enfans, on a les familles. Au moyen des
congrégations, il se forme de nouvelles ha-
bitudes, de nouvelles mreurs, et en quelque
sorte un peuple nouveau au milieu de l'ancien
peuple; au moyen de l'enseignement, les
esprits sont saisis en meme temps que les
habitudes; un empire de doctrine s'ajoute a
un autre empire. On ramasse ainsi avec le
petit peuple , sous le meme sceptre, un peu-
pIe plus important. Les rois, les grands, les
acadé.mies, les sayans, les éveques, le clergé,




( 3~) )
les souverains pontifes eux-memes viennent
successivement bon gré mal gré se ranger
sous le joug.


Cette douhle force une fois composée el
son importan ce une fois sentie, le grand plan
se développe. Fortifier et aider les puis-
sanees amies, soumettre avee hahileté les
puissllnces douteuses, comhattre avec aehar-
nement les puissances ennemies, voila pour
rEurope. Bientót l'Europe ne suffit pas.
Une surabond:mce de vie a besoin de se
porter en Afrique, en Amérique, en Asie.
Partout e'est la société tout entiere et son
gouvernement qu'on envahit. Dans ce s1s-
teme, les grands et le petit peuple, les er-
reurs et les lumieres, la science et l'ignorance,
l'élévation, la bassesse, les vertus, les passions,
les crimes , toul est hon, tout trouve sa place.
On est, selon l'oecasion, cruel ou bienfaisant ,
relaché ou austere, respeetueux ou hautain.
011 aura de meme, selon les circonstances,
l'extérieur de l'opulence on celui de )a pau,-
vreté, l'ostentation de l'obéissance ou celle
de la révolte. On sera gallican a Paris, ultra-
montain aRome, idolatre a la Chine; on
sera iei sujet soumis, ailleurs sujet rebelle.




{ 40 )
Missionnaire, marchand, mathématicien,
astronome, gnerrier, législateur, médecin ;
qui que vous soyez, adressez-,vous a nous;
nous sommes de ,tous les pays, de toutes les
professions et de tous les métiers.


Ce caractere étant défini, on concoit com ..
. .


ment toutes les attaques contre les jésuites,
quand elles ont voulu se p1'éciser, se sont
trouvées fausses; et comment toutes les apo ..
logies, quand elles ont voulu avoi1' des trait5
positifs, se sont trouvées faíbles. De la g-ran-
dcur : voila ce qu'on aper¡;oit constamment;
eic'est ce que M. de P1'adt, dans son dernier
oU,vrage, a tres-ingénieusement et tres .. élo-
quemment établi.


Au premie:' moment ou les jésuitl~s s'in-
troduisirent en France, comme iIs se pro-
posaient pour l'enseig'nement, l'université
qui était préposée a cet enseignement, Ieur
demanda qui ils étaient; iIs re[ userent de
répondre. On le Ieur demanda jusqu'a trois
fois; me me silence; a la fin : Nous sommes
TEI.S QUELS, tales quales.; c'est tont ce qu 'on
put arracher d'eux.


Le parlement de Paris, devant qui i1s se
présenterent, les ayant renvoyés a M. l'é-




( /¡I j
veque de P.aris, Eustache de Bellaiexamina
leurs bulles, et pronoll(;;a aussitót «( que les-
JJ dites bulles contiennent plusieurs choses
)J qui semblent sous correction aliénes de
" raison, et qui ne doivent etre tolérées ne
») rcltues en la religion chrétienne '. JI


La Sorbonne qui, a son tour, fut chargée
du meme examen, décida, au bout de quel-
ques mois, (e que· cette société semble péril-
JI Jeuse au fait de la foi, perturbatrice de la
)) paix de l'Église, tendante a renverser la
J) religion monastique, et plus propre a dé-
1) truire qu'a édifier 2. )


Ces décisions ne détournerent poinf les
jésuites.


Au colloque de Poissy, les éveques vou-
lurent les soumettre a toutes. sortes de res-
trictions. lIs n'en tinrent compte. Les voila
dans la Ligue; el alors peu importe que


, Advis de M. l'éveque de París, en l'an 1554.
2 « Itaque his omnihus atque aliis diligenter exami-


» natis et perpensis, h;ec societas videlur in negotio
• fidei periculosa, pacis Ecclesi;c perturbativa, mo-
.. nastic;c religionis cversiva, et magis in dcstrllctiu-
n lIem, quam in ;edificationem. - Idee. t 554. »




( 42 )
Henri IV protestant ait fait abdication: il
faut qu~il périsse. Les jésuites ont pour cela
des doctrines faites. lIs ont aussi une cham-
bre de méditations. On va voir ce que c'est.


!I Jean Chatel enquis s~il n~avait pasété
)) dan s la chambre des méditations, oú les
JI jésuites introduisaient les plus grands pé-
)) cheurs qui voyaient en icelle chambre les
)) portraits de plusienrs diables de .diverses
») figures épouvantables, sous couleur de
11 les réduíre en meilleure víe pour ébran-
J) ler leurs esprits et les pousser par teHes
)) admonitions a faire quelque gralld cas, a
JI dit qu~il avait été pe:rsuadé ~ tuer le roí,
J) a dit avoir entendu en plusieurs lieux
)1 qu'il fallait tenir pour maxíme véritable
)) qu~il était loisible de tuer le roi ~ et que
)1 ceux qui le disaient. Pappelaient tyran.
») Enquis si le propos de tuer le roi n'était
)1 pas ordinaire auxjésuites, a dit leur avoir
JI oui dire qu~il était loisible de tuer le roí,
)) et qu'il était hors de PÉglise, et ne lui
)) fallait ohéir ne 'le tenir pour roí jusqu~a ce
JI qu~il fut approuvé par le pape. De rechef
)) interrogé en la grand~chambre , Messieurs
JI les présidens et conseillers d~icene assem-




( 43 )
)) blés, il a fait les memes réponses, et si'!"
" gnamment a proposé et soutenu la maxime
JI qu~il était loisible de tuer les rois, mem~
JI ment le roi régnant, lequel n'était en
JI l'Église, ainsi qu'il disait, paree qu'il n'é-
11 tait pasapprouvé par le pape, ))


Le pere Guignard et le pere Guel'el, in-
terrogés sur ces doctrines, ayant été con ....
vaincus et exécutés en place de Greve, les
jésuites furent chassés.


Tout chassés qu'ils sont, leurs nombreux
affiliés ne le sont pas 1, Henri IV investí de
nouveau, tantót de leurs poignards, tantót
de leurs intrigues, gémit quelque temps,


1 Si on veut avoir une idée du fanatisme que ces
hommes savaient inspirer a leurs éleves, ii faut lire
dans leurs lettres annuelles de 1594 et 1595 aux Peres
et aux Freres de la Société le récit de la pretendue
persécution, qu'ils disent avoir éprouvée a Lyon.
Les parens, disent-ils, el les magistrats avaient beau
venir dans les écoles tourmenter leurs jeunes éleves,
et les menaeer de la mort; ils ;De purent jamais arra-
cher d'eux autre ehose, si ce n'est qu'on devait res,-
pecter sans doute le roi légitime, mais qu'il n'y avait
de roi légitim.e que c~lui que l'autorité du pape re-
\!onnaissait.




( 44 )
hésite, balance. e( N'est-ce pas une chose
JJ étrang'e, écrivait-il a Sully, de voir des
J) hommes qui font profession d'etre rcli-
)/ gieux, auxquels je n'ai jamais fait de mal,
)1 ni en ai la volonté, qui attentent journel-
)1 lement contre ma vie? JI Une autre foís :
«( n me faut faire a prése'nt , lui disait-il, de
)) <leux choses l'une : a savoir d'admettre
)j les jésuites purement et simplement, les
1) décharger des opprobres desquels ils sont
1I fIétris, et les mettrdd'épreuve de leurs tant
11 beaux sermenset promesses excellentes,ou
JI bien les rejeter plus absolument que ja-
)1 mais, et Ieur user de toutesles rigueurs
H et dure tés dont on se pourra aviser, afin
)'qu'ils n'approchent jamais ni de moi ni
JJ de mes États : auquel cas iI n'y a point de
)1 doute que ce soit les jeter dans le dernier
11 désespoir, et par icelui, dan s des desseins
11 d'attenter a ma vie. )1


Quand on connait ces faits, on peut juger
le degré d'impudence avec lequel on ose
produire aujourd'huiune prétendue réponse
de ce monarque aux remontrances du pre-
mier président du Harlay; picce évidem-
ment fausse et altérée par les jésuites.




( 45 )
Enfin, pon r sa propre sureté, Henri IV,


qui avait cru les gagner par la confiance, se
remet dans leurs mains. Comment s'en trou-
vera-t-il !


On ne peut pas dire pleinement que ce soit
par l'instigation des jésuites que Ravaillae
ait agi, on peut dire au moins que ce fut
par ceHe de leur doctrine. Et ne croyez pas
que honnis et dénoncés de tóus cótés, les
jésuites reviennent de ces maximes. Ils les
prónent plus que jamais. Le pere Santarel
puhlie aRome, avec approhation des supé-
rieurs de l'ordre et du général, un livre ou
il met en príncipe I( que le pape peut punir
)} les mis et les princes de peines tempo-
» relles; qu'illes peut déposer et dépouiller
¡¡ de leurs États pour crime d'hérésie, et
1) qu'il est en droit de dispenser leurs sujets
)j du serment de fidélité. j)


Le parlement de Paris ne pouvait se dis-
penser d'informer contre ce livre. Les jésuites
de París sont mandés a la barre du parle-
ment. Le fameux pere Cotton répond ,( qu'iJ
») improuve cette doctrine, et qu 'iI est pret
)) de puhliel' son improbation. lJ - ¡f Mais,
)j lui dit.-on, ne savez-vous pas que cette




( 46 )
» méchante doctrine a été a.pprouvée par
» votre général? » Il répond : f( Notre g"é-
JI néral qui est aRome, ne peut pas faire
» autrement que d'approuver ce que ~e pape
JI approuve. Nous, qui sommes a Paris, ne
JI sommes poiut imputables de cette impru-
JI dence. »


Sous Louis XV, quoique les jésuites
aient été soup~onnés de l'attenlat de Da-
miens, on peut dire qu'il h'y a encore que
des souPít0ns. Seulement, ce qu'il y a de sin-
g"ulier, c'est que dans l'année meme 1757, il
parait une nouvelle édition d'un livre du
pere Busembaum, pub lié et commenté par
le pere Lacroix. Dans ce livrecondamné au
feu par arret du parlement, il est dit qu'un
h<}mme proscl'it par le pape peut étre tué par-
tout. (( Quelle année, s'écrie a ce sujet l'a-
JI vocat-général du parlement de Toulouse,
» pour produire un livre qui renferme une
» doctrine aussi détestable! Nous osons le
" dire, Messieurs, la réimpression d'un tel
JI ouvrage concourant avec l'exécrable at-
JI tentat dont nous gémissons encore (l'as-
» sassinat de Louis XV), est un crime de


1, ., » ese.-maJeste. JI




( 47 )
De tout cela faut-il conclure que les jé-


suites ajent un vérjtable dévouement pour
le pape? Pas le moins du monde. lIs le traite-
raient lui-meme avec aussi peu de fa.;on s'il
le fallait. (:lément VIII étant sur le point de
condamner par un décret la doctrine de
Molina, les jésuites ne sachant plus de quel
moyen se servir pour éviter cet affront, s'a-
viserent d'avancer publiquement dans des
theses, 1( qu'il n'était pas de foi qu'un tel
JI homme que l'Église regardait comme le
JI souverain pontife, fUt véritablement vi-
II caire de J ésus - Christ et successeur de
)) saint Pierre. 11 Vaffaire fut suspendue. Son
successeur ayant voulula reprendre, Aqlla-
viva \ui di\ qui\ ne Téponda.it pa.s d'elllpe-
cher dix mille jésuites de répandre dans
leurs écrits les invectives les plus outra-
geantes contre le Saint-Siége. La condam-
nation fut abandonnée.


Vordre ~s jésuites était fat,(onné ainsi;
e'est ce qui ressort de toutes parts, et c'est
ce que prouverait encore mieux 1 si elle était
authentique, la déclaration du pere La Chaise
mourant a Louis XIV, rapportée par Duelos:
« Sire, je vous demande en grace de ehoisir




( 48 )
» mon successeur dalls notre compag-nie;
)J elle est tres-attachée a Votre Majesté; mni~
» elle est fort étendue, fort llombreuse, et
)J composée de caracteres tres - différens ,
)} tous passionnés pour la gloire du corps.
JI On n'en pourrait pas répondre dans úne
») disgrace, et un mauvais coup est bientot
» fait. )


On a vu a la fin du dix-huitieme siecle
leur prétendue obéissance 3U pape. Lorsque
Ganganelli preúé par de puissans motifl
qu'il énonce et par d'autres encore, ajou-
te-t-il, qu'ilgarde dans le profond secret de
son caJur, supprime leur institution; rebelles
alors a sa puissance comme a son infaillibi-
lité, ils se réfugient en Prusse et en Russie.
Bravant de la l'autorité souveraine reli-
gieuse, comme ils avaient bravé la souve-
raineté royale, iJs méditent les moyens
de se reproduire. Il semble qu'au moins la
révolution fraw;;aise devait no" en avoir a
jamais délivrés; e'est elle, au contraire, qui,
avec ses flux et reflux , nous les a rappol,tés.


Partout ou iI y a du mouvement, du
trúuble, un théatre, on peut étre sur de voír
paraitre des jésuites. e'est leur aIiment, leur




( 49 )
élément. Dans des pays tranquille5 , ii'n'y a
rien a faire. Dans un pays comme la France,
que la révolution a mis en pieces, et quí s'a-
g'ite au mílieu des factions, e'est la qu'on
peut opérer fructueusement.


Sous Bonaparte, ce n'était encore que
quelques peres de la foibien petits, bien
humbles , bien obscurs. Des que la restau-
ration survient, les congrégations dont on
a. eu. soin de jeter I(a et la les semences,
semettent en mouvement. Jusque-la le nom
de jésuite avait été dissimulé. Il se prononce
ouvertement.


En 1817, un moine de Saint-Acheul, an-,
cien condisciple d'un ministre du roi, se
présente a lui: (( Tu ne me reconnais pas ,
Iui dit-iI, je suis tel. JI Il déclare son nomo
« Tuvas me demander d'ou je viens? de Saint-
Acheul; qui je suis? JÉSUITE. En cette qua-
lité ,tu peux me persécuter si tu veux. J'ac-
cepte tes persécutions; je suis sous la pro-.
tection de Dieu et sous ses ordres. II


Pendant ce temps, et depuis ce temps,
comme le mot était donné entre les congré-
ganistes de ne point avoue!' l'existence des
jésuites, une multitude de bonnes ames dans


4




( 50 )
P.\r'is et dans les provinces, dans les jour-
naux et dans les pamphlets, continuaient a
nievleur existence. Avec plus de bonne foi,
1eur géaéral écrit, le 27 mai 1823, au maire
de Chambéry, la lettre sl1Ívante :


(( Monsieur,


JI J'ai ref,"tl la lettre que vous ro'avez {ait
l'honneur de m'écrire au nom de MM. les
syndics de la ville de Chambéry , el je m'em-
presse de vous exprimer ma recoooaissance
pour les sentimens d'estime, de hienveillance
et de confI.ance envers notre compagnie,
que la ville de Chambéry a bien voulu ma-
nifester par votre organe. Je me trouverais
heureux de pouvoir y répondre en satisfai-
sant saos le moindre délai au désir bien
honorable pour notre compagnie que votre
lettre exprime. Croyez que j'en ai la volonté
bien sincere, et qu'il m~en emite beaucoup
de ne pas suivre les mouvernens de ma re-
connaissance; roais malheurellsement il se
rencootre daos l'ex:écution des difficultés
qu'il est de roon devoir de vous faire eon-
naitre.




( 5 [ )
, J). En premier lieu la langue tran~ai~ étaIit


telIe qu'on parle dans Yotte ville f il VÓÜs
faut des sujets qui la possedent parfai-
tement.


)) Mais l'état actuel de notre qompagnie
en France, ne permet pas d'en distraire un
seul des individus qui y sont employés,
puisqu'ils suffisent, a grand'peine, aux e'ta-'"
blissemens que nous y avons déja. et beau-
coup moins a ceux qu'on nous y offre de
toules parts , et que nous nous trouvons dans
la dure nécessité ele refuser, ou du moins
de rehvoyer a des tempséloignés. Or, tandís
que nous sornmes forcés ele résÍster aux 501-
licitations les plus pressantes des éveques
dont les dioct~ses fournissent des sujets a
notre compaguie, de quel mil verrait-on
des sujets frau(,tais sortir du royaume pour
faire ailleurs ce qu'ils refusent a leur patrie?


» Signé FORTIS. »


eette lettre , doní. le Constitutionnel a
trouvé le moyen d'attraper une copie, a eu
heau etre rendue publique; quelques niais
n'en ont pas moins continué pendant long-


4'




( 52 )
temps a nier I'existence des jésuites. En ce
moment, les individus de cet ordre parcou-
rent le royaume d'un bout a l'autre sans
aucun déguisement.


-." at -.




( 53 )


CHAPITRE III.


DE L'ULTRAMONTANISMI!. 1.


,
Lo'uls XIV fut certainemellt un grand roi.


n l'était par lui-meme, c1est-a-dire par
l'écIat dont iI était l'auteur; iI ]e fut aussi
par PécIat dont iI était cQntempQrain. Apres
avoir, avec ses grands ¡ours, comprimé un
reste d'énergie dans l'ancienne nohlesse,
apres avoir réprimé la puissance du parle-
ment qui, dans son enfance, avait osé lui
f¡lÍre la guerre, apres aVQir rég'lé quelques


1 Un fait récent, dont les meilleurs journaux ont
parlé avee l'aceent de la douleur, atteste la tyrannie
croissante de l'ultramontanisme en France. Quelques
mcmhres fort instruits de rancien clergé, tout meur-
tris qu'ils étaient des coups de la révolution, et malgré
leur gl'and age sentant revine en eux la vigueur de la
jeunesse a la vuc des attar{ues portées aux antique s
maximes de l'Eglise gallicane par une armée de gJl-


. uttes protégées et largement soudoyées, avaient en-




( 54 )
parties de radruinistration de l'État par des
ordonnances de détail assez sages, apres
avoir con ten u au dehors les prételitions des
puissances étr.ángeres, el Rome meme, les
prétentions du pape, il n'eut point el s'occu-
per, comrne iI aurait el le faire aujourd'hui,
des divers pouvoirs de rÉtat; il était lui-
me~le, a ce qu'il nousdit danss~s:\\Jémoires,
tOLÚ l'État; et cependant au milieu. de ses.
faiblésses comme homme, je veux: parler de
:ses amours et de ses coIeres, courbé par ses
sentimens religieux devant la puissance re-
lig'ieúse; et vo~lan~ savoir un jou,r ce que


trepris, au commencement de. 1'825, un ouvrage pé-
rio~ique intitulé: La France cathoZique, ou RecueiZ.
de dissertations religleuses et mOllarchiques selon les
principes de Bossuet. A peine leur premiere livraison
eut-dleparu, que le ¡¡igual de proscrire cet ouvrage
f~t qQnné a tous les CflrtJ(m.ari de la faction ultramon-
t;,liBe ; et, ponr subjuguer plus absolument ses aveu·'
gle& Ildeptell, elle lit répandre par le Joumal ecclé-
siastique de RQlJ1.eque la F,'ance catholique, était jan-
séniste. C~mment les adeptes auraient-ils résisté a cet
oracle d'un journal romain qui !lvait cornmencé par
se dire investí d'une pOl"tioil de l'intitillibilité que le
V~lic:lll s'aUrihue?1l est f6rt douteux que l'interrup-




( 55 )
c'est que cette puissancc, le voi];' 'lui se
présente devant les États-Généraux de la
religion : je me permets d'appeler ainsi
l'assemblée du clergé de 1682. QueDe est,
leur demande-t-il, cette puissance mena-
(jan te qui gronde sans cesse autour de moi,
souvent au-dessus de moi? Je veux lui etre
soumis comme chrétien; mais comme 50U-
verain, quelle est aupres de moi so~ aGtion ,
quelle est son étendue, quelIes sont ses
limites?


Le grand Bossuet qui, a raison de l'éléva-
tion de son caractere, ne devait j~mais etN


tioo de cet ollvrage soit compensée par la publication
que Mgr. d'Hermopolis vieot de faire de ses Yrais
príncipes de l' Églíse gallícane. N otre dou Le a cet éga¡'d
serait assez hieo fondé, quand il n'aurait pour motif
q~e les élogcs prodigués a eette broohurepar tous'nos
journalistes ultramontains, pour qui In Df!fensitl de-
clarationis de Bossuet, la Callía ort/¡odoxa et l' o¡¡vrage
de M. le Cardinal de la Luzerne sur le mAme sujet
soot des objets d'anathéme, et qui oe puisent leurs rai-
sonnemens que dans les écrits des Bel1armio, des' Sfoo-
drate, des Roccaberti, des Ors'i, des Dubois, des
Duval , si victoriellsemeot réfutés par ces deux illlls-
tres prélats de l'Église gallicane.




/


( 56 )
ni cardinal, ni archeveque de París, mais
qui~ relégu6 dans son petit éveché de Meaux,
ne laissait pas d'avoir par le talent la supé-
riorité qu'on' l'empechait d'avoir' par les
pIaces, fut chargé d'agiter avec toute la. sa-
gesse dont il était eapabIe eeHe diJIicile
et re'doutable qnestion.


Je suis tout étonné' d'avoir a la qualifier
ainsi. Dans aueun temps, elle n"avait laissé
de douteen Franee; s'iI ne fal1ait donner a
une décision a cet égard qu'une grande
autorité, "ingt él.ns auparavaut la Sorbonne
l'avait décidée dan s les teí-mes les plus précis.
Le 8 maÍ 1665, elle fit au roi la déclaration,
suivantc:


1 Q. Que ce n'est point la doctrine de la
faculté, que le pape ait aueune autorité sur
le temporel du roí; qu'au eontraire, elle a
toujours résisté, mém'e a ceux qUÍ se sont
restreints ane luí attribuer qu'une puissanee
indireete;


2°. Que e'est la doctrine de la faculté,
que le roi ne reeonnait et n'a d'autre supé-
rieur au temporel que Dieu seul; que e'est
une aneienne doctrine, de laquelIe elle ne se
départira jamais ;




( 57 )
3°, Que c'est la doctrine de la faculté,


que les sujets du roi luí doivent tellement
fidélité et obéissance, qu'ils n'en peuvent
etre dispensés sous quelque prétexte que ce
soit ;


4°. Que la faculté n'approuve point, et
qu'elle n'a jamais approuvé aucune propo-
sitio n contraire a Pautorité du roi, ou aux
véritahles lihertés de l'Église gallicane, el
auxcanons re-;;us dans le royaume; par
exempIe, que le pape puisse déposer les
éveques contre les dispositions des me mes
canons;


5°. Que ce n'est pas la doctrine de la fa-
culté que le pape soit au-dessus du coneile
écuménique;


6°, Que ce n'est point la doctrine ou le
dogme de la faculté, que le pape soit infail-
lihIe, lorsqu'il n'intervient aucun consente-
ment de l'Église.


Le discours de l'avocat-général Talon llQUS
apprend ee qui avait déterminé cette décla-
ration.


( Personne n'ignore, dit-il, les efforts et
)) les artifices pratiqués par les partisalls de
)) la conr de Rome depuis trente allS, pour




( 58 )
)) élever la puissallce du pape par de faus-
11 ses prérogatives, et pour introduire les
JJ opinions nouvelles des ultramontains.
» Enfin, les choses ont passé jusqu'a un tel
JJ exces, qu'apres avoir insinué en secret
IJ ces propositions fausses et dangereuses
» dans les écrits, ils ont eu la hardiesse de
» les publier et de les mettre dans des theses,
j¡ pour etre publiquement disputées. Cette
)) témérité n 'est pas demeurée impunie;
lJ car cette auguste compagnie, également
» jalouse de maintenir l'autorité royal e ,
») les droits de la couronne,' les libertés de
») I'Église gallicane et rancienne doctrine,
J) auxqucls ces opinions de l'infaillihilité et
» de la supériorité du pape au concile sont
» directement opposées, n'a pas manqué
)J de réprimer ces entreprises par la sévérité
Jl de ses arrets, et meme d' en punir les
)J auteurs, de sorte qu'on peut dire que ces
)) monstres ont été étouffés dans lcur naÍs-
)) sanee, et que ces tentatives, hien loin
)1 d'avoir eu aucun succes , n'ont servi qu'a
J) confirmer plus puissamment la vérité et a
J) couvrir de honte et de confusion les
11 émissaires de la cour de Home. Cependant ".




( 59 )
~ la faculté de théologie, occupée par une
)) cabale puissante de moines et de quelques
11 séculiers, liés ave e eux t par intéret et
)) par faction, a eu de la peine a se dé-
)) méler de ces liens injustes, et a suivre les
)) traces des Gerson et de ces autres persoll-
)) nages illustres qui ont été dans tous les
)) siedes les, principaux défenseurs de la
JI vérité. Mais enfin .... JI


Le 4 aout suiyant, une déc1aration duroi
ordonne l'enregistrement, dans toutes les
cours du royaume, des six artic1es de la
Sorhonne.


Je suisohligé d'entrer dans tous ces détails,
'afin que le public et MM. les jurisconsultes
voient comment, malgré toutes les décisions,
toutes les précautions, la cour de Rome, et
spécialement les jésuites, poursuivent sans
cesse le systeme séditieux de la dépendancc
des rois et de la suprématie des papes. En
1682, malgré la possession des siecles, malgré
de nombreuses lettres, et quelquefois assez
dures, adressées au pape par les éveques de


~ Les jésuites el les congrégations.




( 00 )
Franpe, malgré ennn la décision récente da
la, Sorbonne, rien ne semblait encore résolu.
n faut que Louis XIV invoque de nouveau
Pantorité des évcqu,es de France~


Ils n'étaient pas tons bien di.sposés. Apres
des détonrs, en bia,isant et en tergiversant
de toutes manieres, surtout en promettant
aux éveques , de la part 'du roi, comme je le
montrerai bientót, la domination du corps
social, Bossuet parvient a obtenir de l'assem-
blée du clergé les quatre articles devenus
anjourd'hui si fameux, et dont le premier
porte:


(1 Que saint Pierre et ses successenrs,
vicaires de Jésus-Christ, et que toute I'Église
mcme n'ont ret;u de puissance de Dieu sur
les choses temporelles et civiles: J ésns-Christ
nous apprenant lui-mcme que son royaume
n'est pas de ce monde; et en un autre en-,
droit, qu'il faut rcndre a César ce qui ap-
partient a César, et a Dieu ce qui appartient
a Dieu; et qu'ainsi ca précepte de Papótre
ne peut, en aucune maniere, etre altéré ou
ébranlé; que toute personne soit soumise
anx puissances snpérieures; car il n'y a
point de puissance qui ne vienne de Dieu;




(6t )
et c'est lui qui órdonn,e eelles qui sonl sur
la terre: celui done qui s'oppose aux puis-
sances résiste a rordre de Dieu. Nous décla-
rons, en conséquence, que les roí s et les
souverains ne sont soumis a aueune puis-
sanee eeclésiastique par l'ordre de Dieu dans
les choses temporelles, qu'ils ne peuvent etre
déposés direetement, ni indirectement, par
Pautorité des chefs de l'Ég!ise; que leurs su-
jets ne peuvent etre dispensés de la so u-
mission et de l'obéissance qu'ils leur doi-
vent, ou absous du serment de fidélité; et
que cette doctrine, nécessaire pour la tran-
quillité publique, et non moins avantageuse
a l'Eglise qu'a.l'Etat, doit etre inviolable-
ment suivie, comme conforme a la parole
de Dieu, a la tradition des saints Peres, el
aux exemples des saints. J)


A l'apparition de cette I déclaration, que
le clergé de France eroyait devoir publier
comme necessaire el la tranquillité publique,
les parlemens el la magistrature s'en empa-
rent; la Sorbonne et les universités la pro-
clament; tout l'enseignement la consacre.
Elle est regardée, dans les rapports du roí
au clerg'é et au pape, comme une espece de




( 62 )
grand'chartre. Elle devient partie de nos loi~
fondamelltales.


Mais si cette déclaralion plait a toute la
France, il n'en est pas de meme a Rome. Le
Saint-Siége a pu regarder avec une sorte
d'indifférence la décision émanée de la Sor-
bonne; ce n'est la qu'un corps particulier.
Mais la décision de tous les évéques de
France a un autre caractere. A l'annoneede
cette déclaration le saint Pere et tout son
conseil s'émeuvent. (( Quelle est cette EgH~e
" gallicane qui , se séparant par sa dénomi-
JI nation des autres Églises, semble vouloir
JI encore s'en séparer par la doctrine; pl'é-
JI tend a elle seule étahlir des articles de foi;
JI fixer sans l'intervention des souverains
)) pontifes, sans meme les appeler, les pré-
») rogatives et l' étendue de leur autoFité~· J.


Pendant tout le regne du pape les plaintes
ne cessent. Sous son successeur elles se re-
nouvellent. Cependant Louis XIV vieillis-
sait. L'inquiétude entre avec la faihlesse
dans cctte grande ame. Le vainqueur de
PEurope, vaincu par son confesseur et par
une femme, ne peut tenir au déplaisir qu'il
a causé, lui fidcle, au pere commun des fide-




( 63 )
les. 11 écrit secretement une lettre, dans la-:-
quelle il promet de ne donner aueune suite.,
non pas, comme on Pa dit, a la décla-
ration, mais seulement a Pédit qui en
ordonne l'enseignement. Les prélats de
leur cóté écrivent une leUre respectueuse,
qu'on appelle aujourd'hui une lettre d'ex-
euse.


Apres cette démarche, qui ne dérange
rien a Pétat des choses, et dont le monarque
a soiu, pour son compte, d'expliquer le vé-
ritable sens dans une lettre au cardinal de
La Trémoille, il meurt laissant Rome in-
terpl'éter a. sa maniere une conduite de res-
pect el de courtoisie, qu,on ne manquera
pas de regarder comme une rétractation. Et
en effet, des le premier nwment, Rome
s'empresse de recueillir ces actes, qui sont
gardés soigneusement aux archives du Va-
tican, et qu'clle se réserve de reproduire
dans de meilleurs temps.


Des deux cótés, les prétentions s'étant
conservé es , elles donnent líeu sous Louis xv
a de nouveaux débats. Ce fut a l'occasion
d'un mandement de M.l'éveque de Soissons.
Ce mandement faisant allusion aux doctri-




( 64 )
nes de 1682, le pape avait eru pouyoir pu-
'rement el simplement le faire condamner
par son Saint-Offiee. Louis XV erut de\'oir
intervenir.


Dans une premiere lettre au pape:' (( Je ne
eacheraí pas ,lui dit-il, que mon étonnement
el mes alarmes se sont aeerus, lorsque fai
vu que les motif s de eette eondamnation
inattendue (de l'ordonnanee et Ínstruetion
p~storale de l'éveque de Soissons par le
Saint-Office ) étaient l'elatifs a des maximes
qui annoncent l'indépendance de la eou-
ronne, qui 'sont tenues par tout le clergé
de FranCe, et, qu'a l'exempledemes prédé-
eesseurs, je me ferai toujours un devoir de
protéger et de maintenir. Si Votre Sainteté
avait bien voulu se représenter toute ]a dé-
lieatesse el l'importance de ]a matiere, el1e
y aurait trouvé une raison nouvelle et bien
déeisive ,d'éviter un éclat dont elle ne peut
jamais empéeher toutes les suites, et qni a
toujours le double inconvénient de ne pas
. annoncer suffisamment la bonne intellí-
genee, et de ne pas assez soig'ner le respeet
dli a l'autorité. J)


Dans une seconde leure, en date du 25




( G5 )
juillet 1765, Louis XV insiste plus fortement
encorc.


f( 'rres-Saint Pere,


»J'ai fait examiner, par plusieurs évéques
1) de mon royaume, en qui rai confiance,
J) le mandement de l'éveque deSoissons,
J) ainsi que je rai annoncé a Votre Sainteté
)¡ par u~e lettre du 6 juin derniér. Je me
JI ferai toujours gloire, a l'exemple des rois
)1 mesprédécesseurs, de donner a Votre
JI Sainteté les témoignages les plus sinceres
" de ma vénération el de mon attachement
" filial; mais je meUrai ,ainsi qu'eux, ao.
» rang de mes devoirs les plus étroits, de
JI maintenir, dans toute son intégrité, la
)1 doctrine tenue et enseignée de TOUT TEMPS
" par les éveques et les écoles de mon
11 royaume. Les maximes, qui résultentde
)\ eette doctrine et qui n'en sont que le
lJ précis, réunissent le double caractere des
JI lois civiles et religieuses de mon État; et
» je ne dois pas laisser ignorera Votre Sain";
JI teté que j'ai si fort a creur de les faire ob-
)1 server ,.que je regarderai comme infldMe a
)) son roí et a la patrie quiconque en Fl'ance


5




( 66 )
») osera Y' donner la moindre atleinte...... lf


Je prie qu'on fasse attention a ces der-
n.ieres expressions, parce que je serai peut-
etre dans le cas de les rappeler, en exami-
nant bientót, sous ce rapport, la conduite
actuel1e des ministres du roi, ainsi que de
plusieurs prélats.


J'ai dit, de la lettre de Louis XIV et de
eeHe des éveques, qu'elles furent gardées au
Vatican pour etre publiées dan s l'occasion;
cette occasion ne tarda pas a se présenter.
Apres les malheurs que la révolution de
:1. 789 avait causés a la religion ,ce fut eomme
une fortune pour le Saint-Siége que l'avé-
nement d'un usurpat~ur venant implorer
son assistance et sa puissance. Le concordat
de ISO 1 , dontle premier effet était de ren-
verser la déclaration de 1682 et de favoriser
sur tous les points le systeme de la cour de
Rome, peut étl'e regardé comme la pre-
miere atteinte portée a nos doctrines. Par
l'article VI de eette transaction, le pape délie
les évéques du serment de fidélité. Par l'ar-
tíc1e VII iI en délie pareillement les ecclé-
siastiques du second ordre: par l'article VIII
iI en affranchit tous les Frauf(ais, puisqu'il




( 67 )
brdohrie aú peuple de chanter, au lieu de
nmUNE SALVUM FAC REGEM, domine sálflós foc
consules.


Dans peu ces infractions papales vont
prendre un plus grand caraetere. Voila le
pape appelé au eourónnernent de Bona....;.
parte. NOllVel Étienne , il vient saerer le
houveau Pepino Ill'investit ainsi; aux yeux:
du peuple et de. tous les rois de l'Europe,
de la sanctiori de la réligiún. BO!laparte est
présenté a ses nouveaux sujets' avec une
couronne toute reluisante de eeUe espeee dé
légitirnité, qui est regardée p~r les peuples
eomme érnanant de l'autorité de Dieu!


En vertu de la suprématie du Saint-Siége,
puisque le pape eonsentait a donner une
couronne, ou, ce qui est la· rnerne ehose, a
consacrer, eommé légitime, une royauté
qui ne Pétait pas, c'était bien peu que de
demander au nouveau souvf"rain, en retour
d'un tel bienfait, la eonflrmation de la leUré
de Louis XIV. On promettait de laisser la
confltmation dans le rneme secret que la
leUre. Ce pouvait etre de lapart de l'usur-
pation une espece de contre-sens, de con-
tester quelque chose au pape. Je ne parle


5<




( 68 )
pasde reconnaissance, la politique n'en est


-pas la; mais, puisqu'on disposait ainsi de la
puissance du Saint-Siége, on pouvait trou-
ver de l'avantage id'étendre ~ta lui donner
du poids. II en ,arriv.a~ut autrement. Au-
cune leUre :nc fut donnée au pape~ La dé-
claration de 1682, qui déja avait été pro-
clamée a la suite du concordat , fut plus que
j amais remiseen vigueur.


Cette ,ingratitude de l'usurpation est
plus facile a comprendre que la, conduite,
a cet égard, de la légitimité. Bona-
parte: une fois tombé, si la maiwn régnante
avait montré envers le Sai~t-Siége quelqq.e
rancune; si envers une puissance aussi facile
a disposer des couronnes, on lui avait vu
prendrequelque précaution, tant pour le
présent qne pour l'avenir, perwnne en Eu-
rope n'eut hUmé ceUe pruden~e.


Des le premier lIloment, et pendant qq.el-
que temps" l~s ministeres de la maison de
Bourbon on,t pafu compter, pour quelque
chose lesordonnanGcs de Louis XIV etladoc-
trine de f682. lIs Ollt trouvé l'obéissance af-
faiblie. Sous le ministere de M. Laisné, si je
suis bien informé, les pretres de Bretagne, a




(69 )
qui le millistere alléguait l'autorité de Bos-
suet, lui écrivent que la déclaration de 1682
est daos la vie de Bossuet une tache, et Ron
pas une gloire. Les pretres du diocése de
L yon présentent la rneme opposition. (( Cette
,) déclaration, dit le supérieur d'un sénii-
~I naíre, est fausse, forcée, contraire a la doc-
») trine de l'Eglise, rejetée du clergé de
" Franee, favorable a tontes les sectes, coo-
., damnée par l'autorité spirituelle, 'par la
» puissance tempore1le. Il est temps de ne
}) plus s'endormir sur ces príncipes gallicans
J) qui' préludaient a lamine prochaine de
It la religion depuis {30 ans, el qui n'ont
» cessé d'enfanter sous nos yeux des mons-
11 tres d'erreuF , d'abuset de scandale. ))


Un rnembre du présent ministt~re ayant
voulu conserver la voie de ses prédécesseurs,
personne n'ignore le sort qu'a éprouvé sa
démarche. CeHe foís ce ne sont plus de sim-
ples pretres qui sont en scenc; e'est un.prince
de l'Église. Non-seulement ~ prélatrepousse
les ordres do ministere du Roi, il prétend
ne devoir pas meme lui faire réponse. ,L'l.
lettre suivante est relldue publique. .,




¡¡ Monseignellr,


J) Vous me faites l'honneur de me deman~
del' si fai rec;u une Iettre de Son Exeellence
le ministre de Pintérieur, qui demande aux
professeurs de mes sémina,i:res, leur adhésion
a la déclaratio,n du c1ergé de Fr~n,ce de t 682,
et vous désirez savoir si fai répondu a eette
lettre, et ce que fai répondu. Oui, MQnsei-


., . . . gneur, J al rec;u comme vous cettemISSlve
extraordiJ,la,ire. Je l'airec;ue meme deux;fois,
et je n'y ai P9int fait de réponse.


11 J'ai eu l'honneQr, d'écJ,'Íre lameme chose
a plusieurs de m.es colleglles qt;ti m'avaient
donné la meme confiance que vous, en me
faisant la meme demande. Je les ai priés d'ob-
server:


JI 1°. Qll'autrefois il n'y avait que MM. les
professeurs d'Uuiversité qui fussent astreiuts
a eette formalité.


JI 2°. Que l'autorité civile n'avait pas le
droit de fixer aux éveql,les ce ,qu'ils avaient a
prescrire, ponr l'enseignement, dans leur!!
séminaires.


)) 5°. Ql,le la formule d'a,dhés;on, telle
qu'elle était envoyée, semblait présenter les




( 71 )
quatre articJes comme une décision de foi;
ce qilí n'est pas, et ce quí nous exposerait a
la censure du Saint-Siége.


11 4°. Que cette mesure Ínutile étaít incon-
venante et inadmissible, en ce qu'elle con te-
nait l'engagement de professer la doctrinf'
des quatre articles, profiteri doctrinam. Elle
est de plus rídícule, en ce qu'elle exige que
ron prof~sse, et que ron veuille enseigner,
profiteri et docere velle.


)) 5°. Que cette mesure inutile 1 quí était
un nouvel attentat au droit des évéques, dé-
plaírait a la cour de Rome, et était aussi im-
politique que déplaeée dans un femps mI un
parfaitaccord reg"ne entre Rome etla France.


)) 6°. Que sachant avec quelle sagcsse le
gouvernement évítait tout ce qui pouvait
rappeler les discussions théologiques, tou-
jours dangereuses, je présumais que quel-
que employé subalterne du bureau du mi-
nistere , provoqué peut-étre par quelque sa-
"vant du conseil d'Etat, -avait présenté cette
circulaire a la signature du ministre quí sú-
rement n'y aura pas fait attention ..


), 7°' Que ce ne pouvait étre que l'reuvre
(l'un esprit brouillon , et que ce qu'il y avait




( 72 )
de mieux a faire, était de la regarder comme·,
non avenue. JI


Il n'est pas nécessaire, pour le moment,
de faire des observations sur cette lettre. La
de.mande du ministre de l'intérieur, qui en
a étél'occasiQn, a été convenablementjusti-:
fiée par le vertueux magistrat qui remplit
les fonctions de procureur du .roia Paris.
La lettre du préla~ el sil, publication' Ol'ltre'tu
u,ne condamnation solennelle. Cependant,
puisqu'on met tant d'obstination a la défense
des principes ultramontains, iI n'est pas sans
intéret de s'en faire uné idée précise.


Á commencer par le cardinal Bellarmin
dans son livre de Romano PontiJice, le pape,
selon ce prélat, est le maitre absolu de toute
la terre; ii a directement la puissance tempo-
relle en meme temps que la puissance spiri-
tueHe .. Les souverainsne regnent que par
une concession sans cesse révocable de sa parto
Je d6isfaireobserver que Bellarmin est ulttdes
ultramontains modérés. Par exemple, ee iI
» n'appartient pas, suil"ant lUÍ, aux reli-
JJ gieux et aux autres ecclésiastiques de tuer
)) les rois par desembuches, et les sOuve-
JI rains pontifes n'ont point coutume de ré-




( 7:~ )
)) . primer les princes par cette voie .. Seule-
JI ment, apres les avoir repris d'abord' pa-
11 ternellement, ils en viennent a les retran-
» cher par des censures de la communion
JI aux sacremenSj ensuite, s'il est nécessaire,
)) ils délient leurs sujets du serment de fidé-
» lité; apres quoi e'est a d'autres qu'a des
11 ecclésiastiques qu'il appartient d'en ,venir
JI a l'ex:écutiQn. Executio ad alios perti-
l) n,eat. JI


Molina s'énonce de la meme ¡naniere. n
dit que tous les rois de la terre sontsujets du
pape.


Suares énonce, comme article de foi, que
le pape a le droit de déposer les rois héréti-
ques et rebelIes. Il ajoute qu'un roi déposé
ainsi, et qui s'obstine a conserver la cou-
ronne, devient tyran et usurpateur,et qu'a-
lors il peut étre traité en ennemi public, et
tuépar le premier venu.


J. ne nnirais pas si j e voulais nommer
lous les docteurs ultranlOntainsj ils sont au
nombre de plus de cent, pI"esque tous jésui-
tes. On comprend d'apres cela d'un coté
les fureurs de la Ligueet les attentats horri-
.pIes qu'elle a fait commettre; d'un autre




( 74 )
ooté, les justes craintes de Louis XIV et de.
Louis XV , et les précautions qn'ont pu pren...,
are, a cet égard, nos magistrats el nos lois.


Au temps présent, peut-an diFe absolu-
meot que ces craintes sOlent des chimeres?
Oui, sans doute, et jePespere quant a rexé:..
eution; mais ne,suffitl-il pas de tel1es doctri-
nesembeUies, comme nous l'avons vu dans
oe temps.,-ci, d'uneverve d'éloqnenoe, pour
ébranler la fidélité" et ménager, dans des
temps plus ou mOlns prochaios, d-es com-
motions, violentes.


Grace a un écrÍvain célebre, rien ne nous,
manque en ce genre" nous avons de.lui des
formules tou1es pretes. Apres un chapitre
intitulé Exercice de la suprematie pontiJicale
sur les souí!er.ains temporels, et dans lequeJ
il établit ceUe' suprématie, M. le comte de
Maistre se donne, pour nolre plus grande
commodité, la peine de libeller lui-meme les
termes dont nous devons nous servir pour
un acle de déposition. Dans un chapitre in-
titulé Application hypothétique des prind-
pes précédens, se lrouvent les tres-humbles
et tres-respectueuses remontrances des états-
généraux du royaume de ..... assemblés a ..... .




( 75 )
a notl'e Saint-Pere le pape Pie VII, a l'effet
de déposer leur souverain. Ces remontrances
se terminent ainsi :


(( C'est a vous, Tres-SaÍnt Pere, comme ré"",
)1 présentant de Dieu sur la terre, que nous
JI adressons nos supplications, pour que
)) vous daigniez nous délier du serment de
)1 fidélité qui nous attachait a cette famille
)J royale qui nous gouverne, et transférer a,
)) une· autre famille des· droits dont le pos-
)1 sesseur actuel ne saurait plus jouir que
'1 pour son malheur et le :potreo J) (Du Pape,
p. 346.)


)1




" I


CHAPITRE IV.


DE L'ESPRIT D'ENVABISSEMENl' CHEZ I.ES PRETRES.


Apds avoir parlé précédemment des jé ...
suites el de l'esprit uItramontain, iI ne faut
pas s'étonner que je mette en quelque sorte
a part l'esprit des pretres. Je dois prévenir
que, quoique dans certaines circonstances
ces trois choses soient susceptibles de se
confondre, ce sont en général des príncipes
d'une autre nature ainsi que d'une autre
source. Il ya certainement des ultramontains
qui ne sont pas jésuites; il se trouve aussi
des jésuites qui ne sont pas ultramontains.
D'un autre coté, un grand nombre de pre-
tres ne sont ni ultramontains, ni jésnites.
Cela ne les empechera pas , si on les laisse
faire, de s'emparer de la société. D'abord
c'est que si le pape, comme successeur
de saint Pierre, possedc une premierc et




(77 )
principale puissance ( cequ'on appelle
rautorité des clefs) , les éveques qui ne sont
pas, il est vrai, successeurs de saínt Pierre,
mais qui peuvent diversement se dire suc-
cesseurs de saínt Panl, de &aint Jean, de
saint Barthélemy et des autres apótres, ont
droita une grande autorité. Les simples
pretres, avee leur droit divin de lier et de
délier, peuvent se saisir aussi de quelque
chose de eette filiation et prétendre a une
gTandc importance.


Si ces trois ordres de puissanee ont quel-
ques points de division, ce qui les affaiblit,
ils ont aussi un centre commun de doctrine
par lequel ils deviennent tres-forts. n con-
siste a établir comme axiome : l( 10 que Ja
morale est nécessaire a la société; 2 0 que
la religion est nécessaire a la morale : et
comme le pretre est nécessaire a la religion
et a la morale, celui-ci doit avoir daos la
société rimportance qui appartient a Pune
et a l'autre. ))


Nous allons voir comment de conséquence
en conséquence tirées dc ce principe et ha-
bilement filées, on arrive a produire l'as-
servissemeot social. Je oe me permettrai




( 78 )
point a cet égard d'allég'ation gratuíte. Je
me placerai au milieu des documens d'ÉtaL


. Dans un de ses discours a la Chambre des
députés, M. de Frayssinous commence a
établir (( que toujours et partout une reli-
J) gion quelconque a présidé a la formation
j) des sociétés. Jamais peuple civilisé n'a
)1 pu sans la religion se conserver, se per-
Jl pétuer, prospérer sur la terreo Elle seule
j) peut donner la vie sociale au péuple bar-
») bare qui la cherche, et la redonner au
J) peuple qui l'aurait perdue. ))


Qui voudrait eontester une maxime qui
renferme beaueoup de vérités! Poursui ....
vons.


Dans un discours que M. de Boulogne
prononee a la Chambre des pairs, il ne veut
sans doute aussi que parler des bienfaits de
la religion; malheureusement il s'aventure
a dire que ce n'est pas l'État en France qui
afondé l'Église, mais I'Église qui afondé
l'État. Ces paroles artieulées avec trop peu
de ménagement et dont il s'empresse de tirer
des eonséquences singulieres, déplaisent a la
Chambre des pairs qui y voit une invasion
de la suprématie politiqueo




{ 79 )
MtllgTé la défaveur qu'éprouve le discours


de M. de Boulogne, la principale pensée de
ce discours se trouve tellement établie dan s
les esprits, que meme a l'Académie frall(;aise
elle se reproduit dan s un discours de récep-
tion. Dans ce discours que le président de
ectte compagnie prononce en réponse a
1\1. rarcheveque de Paris: I( La religion, dit
II l'orateur, précéda l'établissement de tous
)) les royaumes chrétiens et FONDA leur civi-
l) Jisation.»


Si on demandait a l'orateur s'il est bien
sur du faít, et ensuite de rendre compte
de l'espece de civilisation qui succéda en
France a l'établissement du christianismc,
il serait surement embarrassé. Toutefois la
meme doctrine est encore énoncée H la
Chambre des députés. 1( N'oublions jamais ,
1I nous dit 1.\'1. de Frénilly, que toute la so-
l! ciété , son ordre , sa civilisation, sa sta-
1) bililé, la vraie monarchie enfin, sont sor-
1) tis du mol chrétien el dureront ou péri-
)) ront avec lui. ») (1~Ioniteur.)


Ces idées peuvent paraitre exagérées a
quelques personnes ; elles le seraient en-
eore plus, que dans tout autre temps iI ne




( 80 )
viendrait a la pensée de qui que ce soit de
les contester. Les Fran~ais et les Anglais ont
un grand bonheur a prononcer que le roi
ne peut faire du mal. Cette maxime dont on
pourrait tirer d'assez fausses conséquences ,
si elle était prise a la rigueur, est néan--
moins consacrée par tous les respects. Il en
est de meme de tont ce qu'on peut dire en
l'honneur de la religion; sans l'intention
dans laquelle les paroles sont prononcées
et les conséquences qu'on entrevoit, on ne
se croirait pas permis de les contredire. Ce
n'est que quand on voit le plan général
atlaché a ces professions de respect, qu'on
commence a y apporter de l'examen.


On a vu les principes ; on va voir actuel-
lement les conséquences.


( Si la religion, nous dit M. Frayssinous ,
II est le premier beso in des peuples, le pre-
» miel' devoir de ceux qui gouvCrnent est
» de la mettre avant tout dans leur pensée ,
» de lui rendre rhonneur et le respcct qui
» luí sont dus. )1 C'est bien. ActueIlement
des honneurs dus a. la religion, il va passer
aux honneurs dus au sacerdoce.


«( Que ceux, nous dit-il, qui seraient




( Si )
») tentés de désirer la ruine du sacerdote,
)) ou bien son avilissement et sa nullité, ce
J) qui est la meme chose, tremblent de vóir
J) leurs vreux exaucés. Toutes les théories
J) politiques n'empecheraient pas que la
)) religion ne périt avec le sacerdoce, et
JI que la société ne périt avec la reli-
) gion. J)


On pourrait trouver quelque exagération
dans ces maximes. La religion n'est pas tout-
a-fait la meme chose que le sacerdoce. La
France a été bien long-temps veuve de ses
pretres, et la religion n'a pas péri. N'im-
porte, voyons ce qu'il faut faire pour pré-
venir l'avilissement du sacerdoce.


( Il s'agit, dit M. Frayssinous, de donner
)) a notre Église cette consistance, cette di-
)/ gnité sans laquelle ses travaux seraient en
J) grande partie frappés de stérilité. J)


Il Y aurait encore ici, si on voulait, un
objetde contestation. On pourrait demander
si les apótres d'autrefois ont prétendu a Pes-
pece de consistance et de dignité que ré-
clament les apótres d'aujourd'hui.


On serait surtout curieux de savoir ce
qu'on entend par consistance et dignité.


6




( 82 )
, Le grand-pretre ne s'énonce a cet égard


que d'une maniere vague; les lévitt's vont]e
faire d'une maniere précise.


(( Puissions~nous arriver bientót ,nous dit
)) l\'I. de Frénilly, a convertir un salaire de-
n venu Ínsuffisant en une dotation quiéleve
» PÉglise du rang de soudoyée a celui de
» propriélaire! Puisse le lemps, la religion
)j des peuples el la sollicitude des rois chan-
)j ger par degTé une fortune instable en une
j) fortune fonciere que les siecles affermis-
" sent! » (Moniteur.)


M. de Lézardiere, dans un discours pro-
noneé a la meme séance, exprime les memel)
vreux. M. l'archeveque de Besant;on, a la
Chambre des pairs, les énonee avee eneore
plus de force, el M. le eomte de MareelIus
déclare que eomme chrétien et comme Fran-
fais, il adhere a eette opinion. (Maniteur.)


On eomprend a présent ce que c'est que
la consistanee el la dignité réolamée par'
M. FrayssillouS en favcur du dergé. En pre-
miel' lieu, eomme la puissance royale.3. la-
quelle il faut aussi sans doute de la consis-
tance el de la dignité, est en ce paint sur le
meme pied que le clergé, il s'cnsuit que




( 83 )
celui-ci se croit et se place au-de~sus du
roi et. de la puissance royale. En second
lieu, comme la religion est ordonnatrice ,de
tout, et que le clergé est ordonnateur de la
religion, on ne peut s'étonner qu'il se place
au niveau de la religion meme.


On va trouver sur ce point M. Frayssinous
tres-modéré. Il consent, a cet égard, a faire
un partage égal en'tre le roiet le cler,gé.
~( De tout temps, dit-il, on a parlé des deux
puissances, du sacerdoce et de rempire, du
pontife el du magistrat, de l'État et de l'.É.-
gIise, du pouvoir spirituel et du pt;mv.oir
temporel·; pour désigner ceux qui exercelÚ
l'autorité supreme dan s rordre re1igieux el
politiqueo ))


Dans un discours au sujet des communau-
tés reIigieuses, iI avait dit: « e'est ici une des
matieres mixtes des deux autorités spirituel-
les 'et temporelles de l'Église el de rÉtat.
( Moniteur. )


Cependant, apres avoir établi ,sur deu~
lignes paralleles la coex-istence de ces deux
grands pouvoirs, l'Église et l'État, commenl
les accordera M. Frayssinous! Les journaux
l'oyalistesn'y voient aucune difficulté. « Ce


6"




( 84 )
») sont, disent-ils, deux gouvernemens qui
,. agissent par des voies séparées, mais pa-
1I ra lJt.les. Vun régit les hommes par les
J) peines et les récompenses temporelles;"
J) rautre par les peines et les récompenses
JJ spirituelles. j) (Drapeau Blanc. )


Nous examinerons dans une autre partie
si des peuples, régis de cette maniere, se-
raient bien régis. M. de Frayssinous, plus
avisé", y voit de l'embarras. Il nous exhorte
meme d'avance a la résig"nation.


({ Que ces pouvoirs, dit-il, se heurtent,
» qu'ils se contestent, qu'ils luttent l'un con-
" tre l'autre, ce ne doit pas etreun sujet
» d'étonnement. C'est le sort de toutes les
J) puissances humaines. Il y aura des abus
» tant qu'il y aura des hommes. j) Pour ré-


"soudre cette grande difficulté, iI pense {( que
J) le législateur doit planer sur tous ces dé-
l) melés, les considérer avec calme, dissi-
)) muler, reprendre, corriger, réprimer
)) suivant les circonstances. )) (Ibid.)


C'est tres-bien. Cependant je voudrais de-
mander a M. Frayssinous de quellégislateur
iI veut parlero Dans la direction de ses idées, .'
comme il y a deux puissances agissant pa-




( 85 )
ralltdement sur la . société, il doit y avoir
anssi denx législateurs, et a10)'s sa solution
n 'en est pas une.


A cet égard, si M. FrayssillouS demeure
enveloppé, íl n'en est pas de meme des
journaux qui écrivent dan s son sens. (( Plus
JJ 1'Eglise aura d'indépendance, nous dit
/1 l'un d'entre eux, et plus il sera facile de
JI se défendre de ses empietemens. (Plus il
) sera faciJe! ) Si le clergé dépend du gou-
») vernement, s'il fait partie de la police po-
») litique, s'il n'est pas lui-meme, comment
») veut-on qu'il ait de la force et de la dignité,
JI et qu'il imprime la vénération po.ur son
)) caractere! JI


Ce n'est pas assez; les memes éerivains
I'Cpousscnt dans les mariages et les baptemes
toute espece d'intervention de la puissance
civile. c( La police de l'État, disent-ils, ne
" saurait commander a l'Église .... Ainsi par
JI exemple, les ]ois aetuelles portellt des
JI peines contre les négligences et les omis-
J) sions commises par les officiers de l'état
!l civil. 01', nous ]e demandons, est-il dans
)) l'esprit de l'Eglise et uu sacerdoce, est-il
» dans la nature de lenr institution· d'avoir




( S6 )
J) de tels rapports avec l'autorité temporelle,.
)) d'etre soumis au joug d'une discipline
») toute administrative, et a des obligations
J) roultipliées, aussi contraires a leur génie
J) et a leul's caracteres! Cornment s'y pren-
)1 dront un préfet et un tribunal, en cas de
J) forfaiture; d'abus, de désobéissance, et
J) meme de simple 'contravention ? Ce serait
» metlre aux prises les deux pouvoirs, oe
JI serait les armer l'un contre l'autre, et
» dans cette lutte, la victoire devrait néces-
J) sairement res ter a celui qui est retranché
JI dans des ligues formidables, el qui, dans
J) la sphere de ses attributions et de ses
» fonctions, ne reconnait et ne doit recon-
) naitre d'autre juridiction que la sienne
JI. propre. J) (Drapeau Blanc, article qu'on
croit de M .. de Lamennais. )


Ce droit de législation réclamé par le.
clergé n'est pas une prétention que je lui
attribue., ou que quelques écrivains lui at-
tribuent; c'esthien positivement une pré-
rogative qu'il croit avoir et qu'il veut exercer.
Toute la France a été instruite d'une démar-
che de M. l'archeveque de Rouen qui, un
jour, dans un c~rtain mandement, jugea a




( 87 )
propos de soumettre son diocese a une Jllnl-
titude de réglemens monastiques : ma~de­
ment si singulíer, que ce prélat lui-meme ,
cffrayé de Pimpression qu'il causa, .crút
devoir Pinterpreter, et par-la meme le mi-
ligero Dans une semhlable occurrence, on
croit peut-étre que M. Frayssinous, en sa
qualité de ministre du roí, montrera quel-
que mécontentement, tf,mt au moins qu'il
gardera le silence : point du tout,c'est dans
ce momeot meme, au mílieu de ce vacarme,
qu'il monte a la tribune de la Chambre des
députés, pour faire parade. c;lu droit des
éveques" el. spécialement de celui de faire
des lois et des rég'lemens de discipline. Apres
noos avoir dit que ce n 'est pas de la sanctioll
des rois que les décrets de l'Eglise tirellt
lenF existence ou leur autorité, iI nous p~rle
de ces temps he~reux «( ou l'Eglise prono n-
)1 ~ait avec une autorité souveraine, non-
}J seuleme~t sur les matieres de foi, mais
». encore sur les regles et .sur les mreurs, oú
", elle faisait des loís de discipline, en dis-
D' pensaít ou les ahroge~; ét.ablissait des
" pasteurs et des ministres dans les divers
11 raFlg's de la hwrarchie, et les destituait;




( 88 )
) corrigeait les fidCIes, et retranehaie de
») son sein les membres corrompus. )) Main-
tenan! il en est de meme .. Suivant lui, (( il
») serait facile de prouver par l'autorité de
)1 ce que la Franee a eu de plus graves ma-
) gistrats el de pontifes plus illustres, qu'a
)1 l'Église appartient le moit de statuer,
)1 non-seulement sur la foi, les moours el
j) les sacremens, mais encore sur la disci-:-
») pline, ainsi qne de faire des lois et des
» réglemens, droít essentie1 a. toute société. j)
(Moniteur. )


Un droit de législation ainsi établi, on
va croire que le clergé, législateur spiri-
tuel, se contentera (au moyen des peines
el des récompenses d'une autre vie) d'un
pouvoir exécutif spiritue1. Pas du tout :


Pie VII, dans un bref contre Bonaparte,
et plusieurs papes qui 1'ont précédé, ayant
étahÜ en principe que la puissance tempo-
relle est au-dessous de la puissance spíri-
tuelle, le clergé en rait, a son droit de légis-
lation sur la 'société, l'application la plus
stricte. Le roi n'est regardé par lui en ce
point que comme un premier serviteur exé-
cuteur de ses volontés : e'est ce qu'avee toutes




( 89 )
les formes du respect on fait dériver, d~un
coté, de sa qualité de roi tres-chrétien, d'un
autre coté, de sa qualité d'é~éque au-dehors,
qui, depuis des siecles , lui a été conférée.


De conséquence en conséquence, on voit
comment le clergé devient législateur supré-


A ' , me. u moment present, que ces consequell-
ces ne soient (las poursuivies rigoureusement,
cela tient a nos circonstancesó A cet égard,
je dois remarquer la dissidence qui s'est;éle-
vée entre deux grands contendans. M. d'Her-
mopoIis un jour parle de prudenee, du dan-
ger de se précipiter dans le bien, de la néces-
sité de prendre eonseil des cireonstanees,
d'éprouver pour mieux eonnaítre, et de
laisser ,[aire -quelque eh ose au temps. Cette
doctrine ne convient point a M. de Lamen-
nais; iI répond ironiquement a M. d'Her-
mopolis : (C Que ce n'est pas. une médiocre
)) consolation· pour un éveque de pouvoir
J) a cette époque de la societé se di re ; a soi-
J) meme ce qu'il ne fut pas certes·· donné
1; aux apótres de pouvoir se dire. Mais aussi,
" ajoute-t-il, que ne prenaient-ils conseil
JI des circonstances, que n'observaient-ils
JI l'esprit de leur siecle? Jl




( 9° )
Encore et encore, les circonstances de la


France s'opposent a une situation particu-
liin,'e, que tous regardent eomme le bien ~
mais vers laquelle une paI;tie du clergé vou-
drait se précipi(er" t~ndisqu'une autre par-
tie ne veut y aller qu'a pas roesuré. CelleS
des nations nos voisines qui ne se trouvent
pas eIPl>arra~sées CQUlme la Franee . d'une
malbeureuse Ch;}<rte qui met obstacle a beau-
coup de choses, nous présentent ence genre
des módeles admirables.


On peut ~ souvenir d'qn certain mande...,
ment de M. l'archeveque de Munieh, qui
r.évolta la Baviere, el que l'autorité royale ,
quoiqu'avec un peu de faibless~, s'empressa
de repousser. Qu'on veuille faire attention
a l'ordonnance suivante du roi de 8ar .....
daigne.


Apres avoirprescl'it aux étudians, i· d'etre
rendus chez eux avant la nuit ; 2 o de ne fré-
queI.1tcr aueun eafé, hillard,. speetacles ,
bals ou lien de réjouissance publique, (( ils
)) rempliront, di.t le souverain ,; avec exacti-
;) tude leurs devoil's religieux:; ils assisteront
}) au service divin de la paroisse, et appro-
l) cheront du tribunal de la pénitence, au,




( 91 )
• moins une fois par mois; i1s feront exacte-.
JI ment leurs paques, et se livreI'ont, avant
)) et apres Paque, aux exercices spirituels
JI qui seront etablis pour eux. lt (lWoniteur.)
Certainement, on ne peut pas étre mieux
éveque du dehors.


Le roi de N aples suit les memes erremens.
Par une ordonnance en date du f 5 mars 1822,
!( les maitrespublics o.u particuliers devront
JI seconder les soins des évéques, pour ce
JI qui concerne la fréquentation des eon-
JI grégations de Spirito. En conséquenee,
1) les maitres publics devront ehaque se-
)) meslre produire une attestation avec le
)1 vu des éveques, qui prouve qu'ils ont
JI veillé a ce que leurs éh~ves aient assisté
II auxdites congrégations. A dMaut de eette
JI attestation, ils ne recevront point leurs
}) traitemens. Quant aux maitres particu-
JI liers, fussent-ils munis d'une permission
» spéciale, les évéques pourront fermer
)1 l~urs écoles, toutes les foís qu'üs se trou-
» veront négligens dans l'accomp1issement
)J de leur devoir. J) Suivent d'autres articles
dans le meme sens, concernant les peres et
l~ enfans.




( 9:t )
Grace, a la déclaration de M. d'Hermo-:


polis, qui nous a promis de ne pas se pré-
cipíter dans le bien, et a celle de M.le ear~
dinaI~archevéque de Toulouse, qui, dans
son disoours au roi a l'occasion du sacre, a
bien voulu nous faire espérer de la pru-
dence, la France n'en est pas encore (au re-
gret de bien des gens) parvenue. au ¡:roint de'
perfection des royaumes de Naples et de
Sardaigne; elle en approche chaque jour ;
on commence a en voir quelque ehose dans
un mandement a l'occasion du sacre, de
M. l'archevéque-administrateur de Lyon.


IC C'est dans le temple de Dieu que le
JI prince va contraeter la relig'iel1se obli-
)J gation de régner en roi juste et en roi
») ehrétien, c'est-a-dire de faire observer
) le~ lois du royaume et de préter son
)) appui a l' exécutz'on de celtas de l' É-,
» {flise. )J


Cette doctrine, dont on cherehe tant
qu'on peut a adoucir les termes, n'est pas
nouvelle. Une partie du clergé a toujours.
regardé eette partie des. fonctions royales.
comme le premier devoir des rois. ce Vous.
» devez vous souvenir -saos cesse, dit a na




'( 93 )
" 'souverain 'saint Léon, pape, que le póu.,¡.
ji voir royal ne vous a pas été donné seule-
J) ment pour le gouvernement du monde,
)1 • mais principalement pour ]a défense de
)) l'Église t. JI


A ce sujet, je dois faire disparaitre une pré-
vention que je trouve génétalement établie :
c'est que cette doctrine est sortie seulement
de l'ultramontanisme moderne. Elle appar-
tient tout-a-fait. a l'esprit pretre. Oh va la
voir consacrée par le plus gaUican de tous
les hommes, par Bossuet , dan s son Discours
sur l'Unité de l'Église. Je demande quelque
attention pour les passages suivans :


le L'Église a appris d'en haut a se servir
des rois et des empereurs pour faire mieux
servir Dieu, pour élargir, disait saint Gré-
goire, les voies du cieL .. ])


Un empereur roi disait aux éveques: I( J e
veux que, secondés et servís par notre puis-
sanee, vous puissiez exécuter ce que votre
autorité vous demande. ])


i Debes ineunetanter advertere regiam potestatem
tibi non solum ad mundi regimen, sed maxime ad
Ecclesi:E pr;esidiulIl esse eollatam.




( 94 )
Bossuet fait remarquer ici que la puis-


sauce royale, qui partout ailleurs veut do-
miner, ne veut, en ce qui concerne les lois
des éveques, que servir: .fomulante ut deeet
potestate nostrá.


V oici un passage plus fort :
(( Que ceux, dit-il aux éveques, qui n'ont


)) pas la foi assez vive, pour craindre les
j) coups invisibles de votre glaive spirituel ,
)) tremblent a la vue du glaive royal. Ne
JI craignez ríen, saints éveques. Si les hom-
j) mes sont assez rebelles pour ne pas croire
J) a vos paroles, qui sont ceHes de J ésus-
). Christ, des chittimens rigoureux leut en
) feront, malgré qu'ils en aient, sentir la
)) force, et la puissance royale nevous man-
») quera jamais. ))


Ces belles paroles sont soutenues par l'au'-
torité d'un saint empereur, qui disait a un
saint pape:


« J'ai dans mes mains l'épée de Cons-
» tantin, vous, ceHe de Pierre. J oignons
)) les mains, unissons le glaive an glaive. )J
(Discours de Bossuet sur l' Unité de l' É-
glise. )


J urisconsultes fraw;ais, tel est le BIEN dans




( 95 )
lequelle úle de quelques pretres veut nouS
précipiter, et vers lequel la prudence de
quelques autres , grace a notre constitution,
consent a ne nous mener que pas a paso






SECONDE PARTIE.


DANGERS RÉSUL T ANT DES F AITS QUI Vi-ENNENT
D'tTRE EXPOSÉS,


DANS le narré qui vieot d'avoir líeu, je
n'ai pas eru devoir rappeler les faits qui
coneernent, ,soit rentrée donnée dans la
Chambre des pairs a un· certain nombre
d'éveques, soit la meme faveur pour le Con-
seil d'État , soit le systeme général des mis-
sionnaires, soit l'invasion par les pretres,
sous un grand-mait"e pretre, de toutes les
parties de l'instruetion publique, soit enfin
la multitude de faits seandaleux, survenus
relativement aux mariages, aux sépultures,
aux baptemes. Ces faits étant généralement
connus, et appartenant au plan g'élléral
adopté de concert par le gouvernement et·
par le clergé, j'ai cru devoir m'arreter prin-
cipalement sur le systeme de doctrine dont


7




( 98 )
ces fuits émanent. 'foutefois, eomme ces faits
particuliers vont comparaitre dans cette
seconde partie, en compagnie des quatre
principaux points qui ont été traités, j'ai
cru devoir les appeler ieí, pour préparet
l'attention du lecteur, ear ils sont graves et
ajoutent une grande importance a la di s-
cussion.


Dans une matiere aussi vaste, on sentira
que je n'ai du traiter l'ensemble qu'apres
avoir épuísé les détails. Je vais montrer que
le systeme des congrégations mis a part,
celui d~s· jésuites; éelui de l'ultramonta-
nisme, celui de l'esprit d'envahissement
des pretres, considérés isolément, suffiraient
pour bouleverser mi empíreo


Que sera-ce de ces quatre systemes agis-
sant réuilis?


C'est ce que fexaminerai dans une troi-
sieme partie.




( 99 )


CHAPITRE PllEMIER.


, ,
DES DANGERS RESULTANT DE LEXISTENCE DE LA


CONGRÉGATION,


LOI\SQUll, pendant un temps, rEurope a été
mena cée par des a5sociations de la couteur
la plus criminelle, c'est-a-dire par les jacó-
hins, et que, pendant un autré temps, elle
a chancelé so115 l'empil'e d'tassociations les
plus véI'tueuseS,Cál' il y en a nne qui a pris
le llOro meme de la vertu, iI peut paraitre
étrange qu'il y en ait une nouvelle qui soit
parvenue a S~ former aup&s du gouverne-
ment, si Ce' n'est avec une appt'obation éX-
pÍ'esse de sa part, au moins avec UÍJ'e' si
gr::rnde indulgence qu'eHe peut passer pout
de la faveur.


Ce phénomene sembIerait i'iJexplicllliJe, si
on ne faisait attention au éáraétere pa'l'fi'-
cttlier d'une époqué ou la Fral1ce a éour-u les
plús grands dange'ts, el óu le' gOüvememetrt
a étí besoin (tappdet a luí les plus gTands
~. ¡




( 100 )


secours. Je traiterai plus particulierement ce
poiut dans une autre partie, ou j'aurai a
rechercher, soit le caractere du systeme que
j'aí signalé, soit celuí de ses principaux
corypbées. Je n'ai a établir en ce 1IJ0ment
que le earactere général des congrégations,
et les dangers qui en peuvent ressortir pour
tout État policé, et plus particulierement
pour la France.


L'homme ¡solé se sent faíble. Le senti-
ment de eette faiblesse l'a porté dans l'ori-
gine des choses a se réunir a ses semblabJes,
a reffet de se procurer collectivement une
force qu'il a senti lui manquer comme in-
dividuo e'est ainsi que se sont formées les
sociétés. Une fois formées, de nouvelles
agrégations s'établissent encore dans leur
sein, et composent, ,sous diverses dénomi-
nations, des colJéges de scjence, de doc-
trine, d'arts, de commerce et de manufac-
tures.


Dans les temps ordinaires, ces agrégél.tions
particuJieres, saisies par l'agrégation géné-
raJe, sont soumises et coordonnées a ses
mouvemens. Dans les temps de crise, 10rs-
que, par quelque cause, rÉtat est menacé,




( 10 r )
un appel général est fait ordinairement a de
nouvelles forees; et eomme d'apres l'ancien
axióme de ehimie, corpora non agunt nisi
soluta, e'est a un déplaeement de tout rEtat
qu'il faut quelquefois recourir pour sauver
PEtat! Chose singuliere! e'est avee un mode
de monarchie que les républiques menaeées
cherehent a se préserver. Rome, dans ses


, troubles, eut reeours a des dictaleurs. Les
monarehies, de Ieur coté, cherehent a se
préserver par un mode de république.
Louis XVI eut reeours aux états-généraux
qui le perdirent. Philippe-Ie-Bel eut recours
a des états-généraux qui le sauverent. Les
monarehies d'Allemagne ont eu reeours a
l'assoeiation populaire de la ver~u.


En Franee, dans ces derniers temps , 101'5-
que toute l'Europe était inondée de carbo-
naris, et que les affiliés de Berton et de ses
consorts mena~aient toute la France; contre
eette force de dissolution qui tendait a des
eréations nouvelles, il pouvait etre bon de
composer des contre-forces, tendant a la
conservation. Aussi n'est-ce pas dans ses
principes que l'association allemande de la
Vertu a paru dangereuse aux puissances de:




( I02 )


I'Europe; enes 1'ont un contraire approuvée
et favorisée. Ce n'est pas non plus dans ses
principes que rassociation, appelée an-
jourd'hui congrégation, doit etre regardée
comme viciense; elle a été an contr:aire
bienfaisante. Ce;;t dans sa permanence, c'est
par son obstination a vOllloir s'étendre el
se conserver, lorsque les causes qui lui ont
donné naissance ont disparu, qu'elle devien,t
"Un objet d'animadversion; et alors, ni son
origine respectable, ni ses principes pnrs r
ni ses anciens services, ni le caractere re-o
commandable de ses principaux membres,
ne la mettront a l'abri de la censure.


Et d'abard on peut la cQnsidérer sous
trois points de vne; en premier lieu, commC
association religiense, n'ayant a s'occuper
que de rites et de pratiques pienses; e~l
second lien, comme association politiqoo r
arant a traii:er secretement des alfaires d'É-
tat; en tro.i.sieme lieu, comme associatjon
mélangée de .religion et de politiqueo


Sous le premier point de vue, c'C6t-a~dire
cousidérée comme congrégation religieuse;
je n 'ai .qu'a répéter ce que l'avocat--g,éTléral
Joli de Fleury disait an parlemeut de París




( J 03 )
en 1760; savoir que : « Par l'apport ~ Ja r~-
11 ligion meme, selon un grand nornbre~ de
j) conciles, ces établissemens nu]sent ¡l.\l:J
"fideles, et dérangent l'ordre établi dan s
u l'Église; qu'elles nuisent meme au tem-
JI porel, et introduisent le fanatisme dans
)) les esprits; qu'elles ne doivent leur éta-
» hlissement qu'a la négligenee des minis-
j) tres et a la dévotion peu éclairée des
)1 fidelcs, qui aimcnt mieux ce qui est de
)1 leur choix , et les moyens de se sanctifier
JI qui sont de leur invention , que ceux que
j) Jésus ... Christleur a presCrits ; que l'Église
1) p.'étau\ ~utre chose que l'assemblée des
)1 fideles unis aux pasteurs qui la gouver-
¡¡ nent, iI ne peQ.t y avoir de légitime as-
)1 semblée sans leur permission; que dans
" l'ordre politique, toute assemblée faite
JI sans l'approbatioJl du prince , serait con-
II damuable , et qu'il en doit étre de meme
JI pour les assemblées des fideIes. ») (Regi$!.
du parlerrtent.)


Considérée eomme politique ou eomme
mélangée de religion et de politiq1:Je, l'exis-
tence actuelle de la congrégation présente
des inconvéniens beaucoup plus ~l'aves. Pour




( 104 )
peu qu'on ai! d'instruction, on est frappé
de l'énormité de force que peuvent acquérir
"des combinaisons de ce genre, lorsqu'elles
sont abandonnées a elles-memes et favori-
sées par les circonstances. On a vu sortir des
plus petits berceaux, des puissances qui, s'é-
tenda!lt ~uccessivement, ont fini, tels que les
Teutons et les Templiers, par remplir le
monde. On admire comment les simples des-
servan s d'un hópital ont été amenés a fon-
dera Malte et a Rhodes une puissance re-
doufable. ,On apprend, par-la, que lorsque
la plus simple combinaison se Irouve au mi-
lien d'un ordre de mO!lvemens importans
qui peut se rattacher a elle, ou auquel elle
peut se rattacher, elle peut prendre a la suite
des temps une dimension incalculable.
" D'apres ces principes , je demanderai ce


qu'on' veut faiFe aujourd'hui de la congré-
gation?Veut-on la laisser tomber dans le mé-
pris par le spectacle continu qu'elle offrira
de son inutilité, et comprometlre par-la le ca-
ractere honorable qui appartient a son ori-
gine? ou bien en veut-on faire parmi nous
un objet de haine, par la crainte qu'inspi-
rera le spectacle continu d'une énergie sans




( 105 )


objet? La Ven dée a surement été admirable.
VOlldrait-on conserver en action, dans la
Bretagne et dans le Poitou, le mouvement
par lequel elle s'est formée? La police de
Paris s'arrangerait-elle du mouvement qui,
sous le Directoire, organisa les sections? La
ville de Lyon et son préfet s'accommode-
raient-ils du mOllvement qui, sous la Con-
vention, présida a la formatiou de ses mi-
lices? Tout cela a disparu et obtieut de nous
des souvenirs de respecto Que Ja congréga-
tion disparaisse de meme, et elle obtiendra
de tous les Franc;ais fidlHes lareconnaissance
qui est due a ses services.


Son objet primitif ayant été la défense de
l'autel et du tróne, s'il se trouve que Pautel
et le tróne ne sont pas attaqués, ou que,
contre des attaques individuelles ordinaires,
les moyens ordinaires sont suffisans, la con-
grégaÜon, moyen extraordinaire pour des
temps 'extraordinaires, ne sera plus, dans le
corps social, qu'une véritable superfétation.
Aupres de la puissance légitime, eHe se trou-
vera une puissance rivalc, et par-la mena-
c;ante; aupres du corps des citoyens, elle
deviendra une· puissance tracassiére, en ce




( lOb )
que VQUlallt faire, 1.00·squ'el1e 11'a "len a fai:t:e,
elle désordonnera I'actiQll réguliere de PÉ-
tat. Partout ou ses forces se porteront , elles
feront surabonder les force s existante!,. En
porlant la précipitation lit ou il ne faut que
ou mouvement, elle détruira partout l'équi-
libre; elle mettra le feu la OU il ne faut que
de la chaleur.


Ce Jle sont pas le1i se.uls dangers. La coQ.-
grégation eSli-elle une puissance isolée?
Non, certes. Elle se présente eomme prédo-
minan te , deeonserve ave e plusieurs autres
puissances déjit prédominaI)tes el se soute-
nant les unes les autres. Aupres de toules
ces puissanees, si on veut faire attentioI) au
vide Ímmense que la révolutiop a laissé, OQ.
s'apereevra qu'a la différenee des anciens
temps! ou le ,corps social était rempli et for..,.
tifié d'institutions di:ver~es, iI Y a aujour-
o'hui absence totale. Lacongrégation n'ayant
pl1,J1' d'Q»stilclel', prendra d'aut;;tpt plus de
pht,ee, qJl'e,Uc ne trQQVera rien aupres d'elle.
Al! milieu (Pune monarchie qui certes n'est
p;lS nouvelle, mais qui s'est placée sur cer-
taines bases qui peuvent paraitre nouvelles;
~upres d'UllC Chambre des pairs nouvelle-




( lO; )
ment et assez singulierement compo¡;ée; au"
pres de corps judiciaires tout nouveaux, in-
cel'tains partout de leur sphere el de leu\'$
attributions; aupres d'une noblesse qui vou"':
drait avoir un corps, et qui n'est .qu'une
ornbre; aupres d'une classe moycnne, qui
voit le monde enlier dans le rnouvement in~
eluslriel; enfin, alJprcs d'institutions dépar-
teroentales et municipales sans organisation,
et par conséquent sans consistance, tontes
les fois qu'une combinaison particuliere so-
ciale se présentera avec un granel volume et
un grand mouyement, on peut s'attendre
qu'elle aura un grand effet, qu'elle envahir.a
toutes les places vacantes, et encore les
places mal gardées. Une puissance JaIque
formée par la puissance ecc1ésjastique, a
l'effet d'entrer dans les choses du monde, y
cntrera certairrement avec facilité et par
toutes les issues. Dans l'état ou est la France,
on veut sans cesse nous donner .des sold¡lts-:
qu'on nous donne des architectes. On ve.ut
nOnS donner une puissance qui cornbau.e :
donnez-nous une puissance qui édifie.


A toutes ces considérations on peut ajou-
Ler ceHes qu'un jnrisconsulte , extrernement




( 108 )
hon.orable, vient de publíer. Si OH " eut recon-
naltre ave e luí qu'avee une association de ce
genre la súreté intérieure sel'ait continuelle-
ment menacee " la· súreté méme du monar-
que et celle de sa dynastie troublée, on com-
prendra qu'il est impossible a un royaliste
de s'arreter un moment a défendre une telle
institution. Aussi necherche-t-on pas au-
jourd'hui a défendre; 00 cherche seulemeot
a éluder. Les uns se fient a un mouvement
d'opposiÚoo générale qu'on voit parlout se
manifester; les autTes croient que le g'ouver-
nement, 'qui a long-temps soutenu en secret
la congrégation , cherche a la faire disparai-
tre ou a la modifier.


Commenc;ons par les oppositions.
Je conviens qn'elles ne manquent paso JI y


eo a surement de tres-fortes de la parl de
plusieurs membres honorables du clergé qui
voient avee peine, comme M. BilIecoq, la re-
ligion et le sacerdoee se commettre dans une
carriere que le zCle de quelques hommes res-
pectés peut faire trouver excusable, mais


• Du Clergé de Franee, p. 78,




( I09 )


que resprit de prévoyanee, l'expérienee des
siecles, une connaissance plus approfondie
des faiblesses humaines. en meme temps
que les vreux secrets de quelques personna-,
ges influens, leur fait regarder comme
une invention ambitiel1se.


Une autre partie d'opposition se manifeste
dans les corps judiciaires. D'anciens magis-
tI'ats imbus des doctrines parlementaires, la
mémoire pleine des anciens jugemens portés
danstoute l'Europe contre l'institution des
jésuites et lenr systeme d'affiliation; des ma-
gistrats qni, par eux-memes ou par des tra-:
ditions récentes, sont pénétrés des dangers,
non-·seulement de l'ultramontanisme, e'est-
a-dire de la doctrine qui consaere ]a supré-
malie des papes sur les rois, mais dans les
simples pretres, de ]a prétention d'étendre,
aux dépens de toute autre domination, leur
propre domination, s'étonnent et s'interro-
gent sur une puissance nouvelle qui, sur le
théátre poli tique , occupe déja une grande
place, et qui, sur celui des influences mo-
rales, ra envahie tout entiere.


Une autre partie d'opposition se trouve
dans quelques royalistes, lesquels étant at-




( ¡ 10 )


tachés de erenr a Ja c:I.usc de la royanté , a
ses prérogatives, a sa sup('riorité. a sa di-
gnité, s'impatientent du rang auque! on veut
faire descendre le monarque, et déclarent
qu'ils ne veuJent pas plus de la souveraineté
des pretres que de la souveraineté du peuple.


Un aütre éléIhcnt d'opposition se trouve
, dans le corps de la nation qui, étant attachée
au régirue de la ruonarchie selon la Charte ,
-\roit avec inquiétude une puissance nouvelle,
peu amie de la constitution actuelle des cho-
ses, y méditer des chang'cmens, el prendre
chaque jonr des forces pour l'effecluer.


Je pourrais mentionner aussi, si je "OU-
láis, l'opposition révolutionnaire. Mais tun-
dís que le reste de la Franee se lamente et
s'afHige, je crains que celle-ci ne se réjouisse
de ces excroi~sanées llOuvel1es qoi vont faÍré
sentir len!' aiguil10n a lá légitimíté, venge}'
la gent libérale de ses défaites, et c:réer
d'!reureuscs sóutceS ponr elle de ttléCónféIl'-
temel'lt et de révolte.


Quelqttes petsot1nes foutrlent Ieor espé--
ranee vers la Ctlárt1bre des députés. s'i1 est
vtai qu'íl n'y ait enCoré da:ns cetté Cháthbre
que t 05, 120 ot1130 m('~bres de 1:1 congrégá-




( 1 Il )


tion, la majorité non congTéganiste se trouve
saTIS doute considérable. A la cour, dans la
garde royale, parmi les officiers et sous-offi-
ciers de Parmée, on peut compter une ma-
jorité encore plus grande.


Enfin, eomme on sait que le monarque,
les princes et les princesses de son auguste
famille, ne figurent en aueune maniere dans
ces nouveautés, et que quelques-uns meme
de nos grands personnages·, auxquelsle res-
pect des FraIH;ais s'attache particulierement,
les improuvent , non-seulement une portion
du public, mais des hommes, meme réputés
avisés, affectent de Pindifférence.


Voila bien des motifs d'espérllnce. Faut ...
iI s'y fier?


Certes, si cet ensemble d'opposition était
habilement dressé et dirigé, comme ilít
une grande importan ce , il pourrait avoir
un grand effet. Pour cela il faudrait qu'il
parut a'Vec des garantics imposantes. Si au
plus haut de l'Etat les hommes les plus 'con·
sidérables n' ont que des opinions fausses, el
si dans le corps, les hommes les plus recom"
mandables partagent leurs rnéprises, que
faire avec ces deux especes d'hornmes ! Et




( 1 1 ~ )
d'abord, au plus haut de PEtat, celui-ci n{"
désavoue pas la puissance de la congréga-
tion; mais iI Iaisse entrevoir qu'elle ne peut
etre durable. ( Cest un torrent, dit-il, qu'il
») faut Jaisser éeouIer. JI Celui-l:\ me dit que
e'est une puissanee établie, avec Iaquelle
iI faut s'arranger. «( En Bretagne, par exem-
JI pIe, quelque autorité que vous ayez, soit
JI comme grand propriétaire, soit eomme
), ancien seigneur, votre infIuence sera
), nuJIe, si vous ne la soumettez pas a ceHe
» des pretres. n Un autre m'allt~gue pour
principe, que quand on appartient :\ un
parti, il faut mareher avee sa sagesse, coinme
avec ses folies, et ne jamais l'abandonner.


Aupres des hommes pieux vous ne trou-
vez pas plus de ressouree : ceIui-ci vous
dit que la royauté et la religion ayant eouru
de grands dangers, on ne saurait donner
trop de force a une eombinaison formée
d'hommes reIigieux et de royalistes. Un
autre vous dit que dans un siecle qui pro-
fesse Pamour de la liberté, d'une. maniere
qui signifie par-dessus tout la haine du pou-
voir, ou ne saurait donner trop d'avantage
au c1ergé qui est particulierement ami du




( I t3 )
pouvoir; que dans un siecle qui professe je
ne sais quelle philosophie qui n'est átitre
eh ose que l'impiété I ori ne saurait donner
trop d'autorité a une eombinaison essentiél-
lernent amie de la religión.


Si on pouvait espérer de faire entendre
raison a ces personnages, on dirait a célui-ci
que si on tie pellt toujours arl'etel' les totreris,
olÍ peut ati rnoins les détoul'nel': ils pássent,
il est vl'ai, mais apres avoil' tout ravagé. Il
en est ainsi des factions. N'en tenil' cbmpte ,
est une faute; leur donner apphi, est un
crlmc. On dirait a celui...:la, que si eil Bre-
tagne 'et dafls d'autres pal't.ies de la Fratice ,
l'iúfluence des pl'étl'es efface ceHe des pl'o-
priétaires; c'est un vice qu'il faut réforíner,
et non pas un ordre de choses qu'on doive
favoriser. On dh-ait a un tl'oisieme qué si Un
shrtple soldat du troupeau, gregarius miles,
est excusable de se laissel' entrajnel' aux fo-
lies de son parti, celui-Ia ne peut plus l'étre,
'qui revetu de l'autorité est páttenu au su-
preme pouvoir; que tout est perdu, 10rs-
que; chef d'tni parti qui s'égare, on h'¡i plus
aupres de lui l'espérance de le faire revenir
de ses éearts. On dirait a tous que l'esprit


8




( 1·4 )
du mal prend toute sorte de bannieres pOllY
arriver a ses lins. Au nom de la liberté, iI
nous mime a la servitude; au noro de l'hu-
manité, a des massacres; au nom de la re-
ligion , il nons mrnera tout de me me a
l'impiété. La France, si elle était livrée aux
folies royalistes de Coblentl., ou aux folies
religieuses de. PEspagne, croulerait aussi
vite que sous les bannieres franchement dé-
ployéell de l'impiété et du républicanisme.


Cest ainsi qu'au milien de ]a confiance de
ceux-ci et de l'insouciance de ceux-Ia, de
l'opposition de quelques autres, rEtat mar-
che a pleine voile vers les abimes. L'oppo-
sition sur laqueUe on se fie a beau etre nom-
breuse, elle ne peut avoir aucun effet,
lorsque d'un cóté décréditée par des voix
révolutionnaires qui se melent aux voix
royalistes, elle n'a pour support qu'une
masse respectable, a beaucoup d'égards,
mais toute désunie. Le parti assaillant au
contraire, encore qu'il ait quelques points
de division, est bien autrement lié dans tou-
tes ses parties. A ver. des rangs composés, des
pouvoirs distribués, une hiérarchie faite, iI
marche au milieu des consciences aveuglées




( Il5 )
sur un terrain et vers un but qu'il connait
J)ien. Peut-ette a-t-il contre lui en secret
le gouvernement qui parait le fa vorisei·.
Qu'ímporte si ce gonvernement qu'il a
courbé, il le force de marcher avec lui!
Oui, l'opposition est forte; elle est immense.
On la vaincra souvent : on ne la soumettra
jamais. C'est me me ponr moi un motif d'ín-
quiétude : cal' l'esphance, en cecas,
est ce He de la guerre civile. Quoi qu'on
fasse, la France ne consentira jamais a la
dégradation de son roi et a la sienne. Je
suis convaincu en meme temps que le partí
qui y tend ne se départira pas de 5a voie.
Que me faÍl apres cela la sécurité de quel-
ques beats religiel1x ou de quelques béats
politiques? Encore et encore nons ne som-
mes pas au temps des grands malheurs :
DOUS sommes au temps des grands dangers.


En meme temps que je trace ces lignes,
OD m'assure que la congregation n'existe
plus, ou du moins a tout.a-fait changé d'ob-
jet. II parait qu'on a voulu persuader la meme
chose a M. Billecoq, et qu'on y est par-
venu. J'apprends moi-meme, par le témoi-
gnage de personnes que je respecte, qu'a la


8"




( 116 )


snite des missions il y a eudes congréga-
tions toutes pienses dont ellesfaisaient partie,
e~ qui n'avaient auc;un objet politiqueo Que
puis-je dire! ce quej'ai affirmé au passé est
CERTAIN ~ ce qu'on m'allegue nu présent peut
l'etre de meme; et tmiJgré cela iI est cons-
t¡lOt qu'il exístedans toute la France un sys-
teme de tlongrégations qui partout se cor-
respondent, ou manreuvrent pour se cor-
respondre. Von dissimule depuis quelque
temps les directions politiques; a-t-on réussi
a les r<fduire a de simples rites 1 je l'ignore ;
mais voiai ce que je sais.


Je sais que ce systeme plus ou moins
favorisé, plus ou moins dissimulé, porte le
trouble partont.


Je sais que la Franee' entiere est imbue de
l'opinion qu'elle est gouvernée aujourd'hui,
non par son roi et par ses hommes d'Etat,
mais comme l'Angleterre des'Stuart,par des
jésuites el par des congrégations.


Je sais qu'il y, a sur oe point, ehez les uns
un mouvement de doulenr, chez d'autres
un mouvement de dérisioD, chez le plus
grand nombre un sentiment de honte qu'une
:Qation ne peut long-temps supporter.




( 117 )
Je sais que eette disposition, que lafidé-:


lité au roí de la parl des memhres acluels
du gouvernement, devrait chercher a te...,
pousser, en repoussant les rumeurs qui
Pentretiennent, est négligée plJr ceux - ci
eomme insignifiante, et que les rumeurs sont
propagées pat ceux .... la corome utiles.


Je sais que de grands personnages, au
plus haut de l'Etat, et encore d'autres dans
un degré inférieur, qui appartiennent plus
a la vie monastique qu'a la vie chrétienne,
J'Úin de gémir de cel état de choses, s'en ap-
plaud~ssent et le secondent de tuutes. Jeurs
rorces.


Je sais que la plupart des éveques mar-
chent avec ardeur dans eette direction, et
que dans heaueoup de villes, de préfectures,
des coteríes partieulieres sous Ieur direction,
ne ce&Sent de tourmenter, el fiualement de
dominer les dispositions des préfets, pour
les faire entrer han gré mal gré danj leQl's
vues.


Je sais que les préfets se plaigne(l,l ~{J14t
has. le dis tout has, dans la persua,sion 0-0
ils sonl, d'apres beaucoup d'exeluples, que
la moindre dissideuce (le leur part sera, aU,·




( 118 )
pres du gouvernement, un sujet de disgrace.


Je sais que des masoistrats tres...,royalistes
et tres-pieux, soit a París, soit dans les pro-
vinces, sont effra yés.


Je sais qu'aupresdu roi, des personnes
qui lui sont ardemment dévouées, lesquelles
avaient, daos le principe, partagé ces vues ,
sont aujourd'hui dans la terreur, et qu'au
plus haut on n'est pas rassuré. '


Enfin je sais que parmi les ministres quel-
ques-uns qui caressent ces dispositions qu'ils
n'osent combattre, prennent dans lenr in-
térieur des -précautions pour échapper a
leurs effets.


Dans une telle situation, si nOllS étions
encore sons l'ancien régime, je verrais au-
devant. de moi des parlemeos, de g-randes
corporations, de grandes illstitutions. .Je
sam'ais on me réfugier, je saurais, pour la
défense de mon roí et de mon pays 1 OU cher-
cher des armes; aujourd'hui je ne le sais pas.


J'apprends en ce moment, par un recen-
sement nouvellement fait, que-la congréga-
tiDn renferme 48,000 individuso Le moyen,
a dit un personnage congoréganiste, de ré-
sister a une semblable congrégation!


,. . .,..




( 119 )


CHAPITRE n.


DANGERS RÉSULTANT DE L'INVASION DESJÉSUITES.


POUR prouver que le retour des jésuites
est indispensable a la Franee, on allegue les
grands malheurs qui ont suivi leur suppres- -
sion; on affirme que c'est a cette suppression,
en 1762 , que nous devons l'explosion ,
d'ahord de l'esprit philosophique, bientól
ceHe de la révolution. Jene puis comprendre
une telle assertion. Il me semble que e'est
pleinement de l'éeole des jésuites que sont
sortis d'Alembert, Raynal, Helvétius, Vol-
taire, c'est-a-dire tous lespremiers apótres
de l'impiété. Diderot lui-meme avait été elevé
chez les jésuites; de plus, il ávait fait cinq
ans de théologie au séminaire de Saint-Lóuis
dépendant de Saint-Sulpice.


Comment! e'est la re traite des jésuites
qui a donné naissanee a l'esprit philosophi-
que! Mais apres eette suppression, la foí chré-




( 120 )


tienne a-t-elle été abandonnée? le zele de
M. de Beaumoot s'est .. jl refroidi? les ou-
vrages de M. Bergier, de lU. Voisin et de
l'abbé Guénée W11:-:-~\s ~~qqé de talent et
de célébrité? ces philosophes eux-memes
si redoutables n'ont-ils pas été joués sur la
sdme? a-t-on oublié la Dunciade et la
comédie des philosophes? a-t-on oublié les
satir.es de Gilher-t? le parlement de Paris
lui-m~ne,a.-:-t-iL mauqué de fairebr-uler par
la m~i~ du ho.urreau les linos impies qui
ont été a sa co:nnaíssanee 2 n'a~t,:,il pas fait
rompre vif le cheV!3itier de la Bl\rr~?: Qu'au-.
raít pu faire de mieux la. société des jé~
suites?
SOyQ,~ nais; la pbilosophie du dix-hui..,


tieme siecle, qu'o~ dit etre, proveuue de, l'ah-
seacedes jésuites'l es! pr.éeisément sortie
de Icur école. Aussi oe sont-ce pas les phi-
losophes qui les oot attaqués. En recherchant
leurs oUivrages, 00 troqve qu'iJs les out re-
grettés. D' Alembert ,J ean-Jacques, V oltaire ,
Ieur ont donné des éloges. Celte partie de la
justification des jésuites est précisément ce
qui pourrait les faire condamner. Mais a
n'estpasuécessaire de s'yarreter. Le repou~




( 121 )


sement général contre les jésuites appartient
a des motif:; plus graves.


Et d'abord sion consulte ohez tous les
hommes instruits les impressions qu'ils ont
re~ues de leur jeunesse" si on veut rappeler
dans sa mémoire les faits anciens qui concer-
nent les jésuites, ce dont on est frappé avant
tout, e'est la multitude de jésuites de tous
les pays qui out été condamnés' aux galeres ,
exilés, pendus. Parmi les pendus figurent
en AngleterI'e un pero Briond, pour avoir
conspiré co~tre la reine Elisabeth; un pere
C4l.mpian; pour la meme fante; UIl pe:reKet"oo:
vins, COffime complice des précédens. De
plus, un pere Parsons, un pere BaUar~. E.n
France, e'est un pere Guignard. Celui-13 n'a
pas été pendn , mais écartelé et hrtilé en
place de Greve. C'est son confrere le pere
Gl,lerel. En Portugal; e'est uu pere Mala-
grida; c'est le pere Jean Mathos, le pere
J eau Alexª~c¡lre. J e ne fiQil'~~ pas, si je voulai<i
rechercher et citer tous les noms, des jé~uiles
chassés, envoyés aux g~lert:s, poursuivis par
les diverses cours deju~tiCt: f-u dive1's. pays
et en dive~stemps. ~.spjrati()A d'Etat;
doctrines, tentatives ou exé~utiQn, jusqu'a




( 122 )


soixante-huit écrivains de cet ordre en fa-
veur du régicide : leur histoire n'est qu'une
suite d'attentats.


Quand, depois un siecle, tous les esprits
en Franee sont frappés de eette impression,
on se demande par quel ':lliracle d'aveugle-
ment une mllltitude de honnes ames s'ohs-
tinent a demander des jésuites. Si aujour-
d'hui il plaisait au gouvernement de rassem-
hIer, je ne dirai pas nominativement, lous
les membres vivans de la Convention , mais
avee leurs enfans et leurs diseipIes, leurs
próneurs , leurs fauteurs , leurs admira-
teurs, ponr en faire une institution particu-
Jiere; eonfier a eette institntion l'édneation
de la jeunesse , la personne de nos prinees,
qni sait! pellt-etre meme la personne de
Mgr. le duc de Bordeaux, il y aurait un eri
d'indignation daOs toute l'Europe, et pro-
bablement de la résistance en Franee. Les
bonnes ames aujourd'hlli en Franee el en
Enrope consentent a s'effrayer de cellx qui,
SOIlS le nom de jacohins, prétendent avoir
le droit d'assassiner ou de déposer les rois
par l'autorité du peuple. lIs ne le sont point
du tont de ceux qui prélendent ltvoir le droit




( 123 )
de les déposer ou de les assassiner par Pau·
torité du pape.


On peut dire que c'est la une inconsé-
quence de la tourbe. Voyons comment les
beaux esprits (ces metteurs en reuvre des
absurdités de tous les temps) réussissent a
parer Ieur ido le.


« Cescrimes, disent-ils, que vous recherchez
avec tant de so in , sont le fait de quelques
individus, nullement celui du corps, encore
moins de son institution. Que des jésuites
aient voulu tuer des princes qll'ils regardaien t
comme des tyrans, ce n'est ni ce qne nous
contestons, ni ce que nous approuvons.
l\'lais ces crimes et les doctrines qui ont été
publiées a Ieur appui, appartiennent - ils
seulement aux jésuites? Combien de philo-
sophes, de bons Iibéraux, de bons jacO'bins "
en ont fait autant? Nous admettons , si vous
voulez, que pendant toute la vie d'Henri IV,
les j ésuites out médité de le t.uer, et que
finalement ils I'ont fait assassiner. Mais Da-
miens qui a poig"nardé Louis XV, Louvel
qui a assassiné le duc de Berry, les assassins
de Louis XVI, ceux de Marie-AntoiIÍette
el de la prmcesse de Lamballe, n'étaient




( 124 )
pas jésuites. On n'a pas houIeversé la France
pour ces crimes. Dans les temps ~nciens ou
il n'y avait pas de jésuites, des arlllées ont
dél)osé Ieurs généraux; des gardes ont as ....
sassiné Ieur empereuF; le clergé en corps a
déposé Louis-Ie-Débonnaire ét Charles-Ie-
Chauve. Plusieurs papes ont dé posé des
princes et des rois. On accuse les jésuites de
violences et de crimes ; m,ais les dominicains
H'ont-ils pas étahli l'inquisition? n'ont-ils
pas rait lI.Iourir par le fer et par le feu des
milliers d'Alhigeois? Etait ... ce un jésuite que
celui qqi disait d'un mélange d'hérétiques
et de eatholiques faits prisonniers pele-mele:
Tuez tout: Dieu reconnaltra ceux qui lui ap-
partiennent. Dans le palais, n'est-il jamai;;
arrivé que des eourtisans aien! assassiné leur
prince; daos la maison, que des serviteurs
aient assassiné Ieurs maitres? En Allemagne,
de hons jeunes Iibéraul: n'ont-ils pa.s assassiné
Kotzebue ? La mort de KIébe:r ne nous ap-
prwd ... elle pas que Ies.MusuImans out aussi
Ieur meurtre sacré? Vous proscrivez les jé ....
suites, paree que ,daos des temps de folie,
quelques-uns d'entre eUK se sont arrogé le
droit de faire tuer 1es rois. Supprimez aussi




( 125 )


les armées, paree qu'il y en a eu qui se sont
révoltées cotltre leurs chefs, proscrivez les
assemblées représentatives, paree qu'il y
a eu dans lé nombre de ees assemblées, des
conventious et des longs parlemens; pros-
crivez la liberte, paree qu'elle a prúduit des
erimes; la religion, paree qu'elle a eu des
fanatiques. Les fautes ou les crimes des jé-
suites d'autrefois appartiennent aux temps et
aux erreurs d1autrefois. Les temps et les
jésuites d'aujourd'hui sont d'une autre na";
tute. Ouí, Ílous leur eOhflerons la jennesse
de nos priIiees, la. persoilile meme de Mgr .le
duc de Botdeatix , eomme nOlÍs les eonfions
a l'armee aetuelle, a la garde aetuelle, quels
qu'a!ent pu étre les délits des án'cienues
gardes él des alltiennes armées. )1


Quelqtie ingéniense que soit la défensé
d'uneíntmvaise eause, il es!: fadle a tI'avers
Part des paroles de tl'ouver le point de so-
phisme. n se tróbv~ ici dáhS detix supp'0si .....
tioI1s : la prelÍliere, que l'ins~itution actuelle
des jésuites n'est pas la II1eme qUé cellé d'au-
trefois; la seconde, que les' jésnites sont en
Fi'ance d'une n~cessit~ s~lílblablé a celle des
corps j'l1diciaires, des gll1'des et des armées.




( 12G )


Cette derniere prétention me parait sur-
tout extraordinaire. Quand une institu-
tion indispensable se présente dans un
Etat, el qu'elle montre l'appareil d'une
grande puissance, la sagesse fait prendre
relativemt'nt a cette institution les précau-
tions nécessaires pour jouir de sa puissance
et se préserver de ses écarts. Les armées et
les gardes du palais sont mises ainsi sous une
discipline sévere, les assemblées délibéran-
tes sont soumises a des regles sur lesquelles
on veille avec l'autorité nécessaire pour que
ces corps ne puissent les transgresser. Peut-
on dire que les jésuites qui ont cessé d'étre
Fran¡;ais du moment qu'ils se sont engag'és
par serment a l'obéissance, a un prince, a un
général étranger,sontsoumis auroi de France
comme le sont ses armé es et sa garde? Peut-
on dire que leurs opérations ainsi que leurs
délibérations soient livrées a la publicité , el
a des regles aussi préservatives que ceHes
qui régissent nos assemblées? Le pape et le
général des jésuites sont surement les amis
de la France : je suis convaincu qu'ils n'ont
I'intention de nous faire aueun mal; mais le
roi de Prusse et l'empereur d'Autriche sont




( I'!7 )


aussi de nos amis. Que dirait-on du.projet
de faire éntrer en France, pour notre pro-
tection et sous 1eurs ordres, cent ou deux
ceot mme hommes de leurs troupes?


En examinant ce que les jésuites ont été
autrefois, on allegue que la question est
mal posée. Elle le serait bien plus mal en
examinant seulement ce qu'ils sont a pré-
sent. D'abord c'est que, selon ce que nous
connaissons d'eux par le passé, iI est indifl'é-
rent aux membres de cel ordre d'adopter
teHe ou telle doctrine, teHe ou telle ligne de
conduite; tout est subordonné en ce genre.
au~ circonstanees et a la position "que les
circonstances leur eommandent. Tout est
subordonné aussi a la volonté du pape et
a eeHe de leur général. Encore que l'ul-
tramontanisme ajt parmi eux une grande
faveur, je suis convaincu qu'il y a a Mont-
rouge, ainsi que daos les bureaux de M. Fran-
ehet, un certain nombre de gallicans qu'on
tient en réserve pour les produire dans
]'occasion. On obtiendra d'eux quand on
voudra, pour ]a Charle el pour l'égalité de-
vant la loi, les professions qu'on exigera.


J'irai plus loin.




( I28 )


Dan~ ce premiet moment de leur appari-
tion, au milieu d'un pays tout dévoué a la lé-
gitimité, je suis convaincu que les promoteurs
de l'institution se sont attachés a eritretenir
leurs éIeves dans les meilleurs principes. Je
ne doute p~s que non-seulement le révérend
pere Getie$ ... , niais chacun des religieux en
particulier, ne soÍent animés siticeremem,
d'amour pour le prince , de respect pour ses
ordres; qu'ils ne soÍent animés de meme de
la meilleure volonté, pour entrer dans notre
nou~eau systcme civil el politiqueo On m'as-
sute que de Montrouge et de Saint-Acheul,
il parvient fréquemment a monseigneur le
Dauphin , aux princes et princesses du sang,
les pro.testatidns les plus vives, d'amour,
d'obéissance, de fidélité. Je les crois sin-
&tes. Relativement a la inorale de rordre ,
qu'on a signalée autrefois comme relAchée,
je ne doute pas que les nouveaux religieux
ne se montrent aujourd'hui tres-austeres.
J'apprends qu'ils en sont venus jusqu'a in-
terdire a leurs éltwes non-seulement les bals
et les spectacles, mais encare a Paris les
promehades aux Tuileries et dans les places
publiques. Je sais tout cela; mais je sais




( 129 )


aussi que c'est une mauvaise maniere de
raisonner sur une institution, que de la juger
sur son début. C'est sa nature qu'il faut eXa-
miner avant tout; c'est son organisation,
son' esprit, sa tendance. Les loups sont en
général d'assez mauvaises betes. lIs dévoreni
les moutons, les chiens, quelquefois les her-
gers. Et cependant rai reneontré dan s des
maisons parlicuJieres de jeunes louveteanx
tout-a-fait familiers. Ces louveteaux tou!
jeunes vous caressent, vous lechent. Laissez-
les grandir! Rois de l'Europe, l'institution
des jésuites vous leche aujourd'huí, vous
caresse. Elle est dans Pinnocence de l'ftge.
Laissez-Ia arriver a la puberté! Laissez-Ia
développer son véritable caractere!


Je serai frane a eet égard. Je ne crois pas
que ce caractere soit de la férocité. Je ne
crois pas que l'intention pI'écise des jésuites
ait jamais été de tuer les :rois. Elle a été
seulement de les dóminer. Il fallait les tenir
menaeés sans cesse, afin de les tenil' suh-
jugués.


On espere qu'il y a a cet égard quelque
chose do changé 3lJjourd'hui, Mais C'egt évi-
demment le meme esprit, puisque c'est la


9




( du )
meme institution. Le bref de Pie VII ne
laisse a eet égard aueun doute.


Apres avoir spéeilié les motifs de Ieur ré-
tll.blissement, le souverain pontife déelare
(( que les jésuites seront distrihués dan s un
)1 ou plusieurs eolléges, dans une ou plu-
J) sieurs provinces, sous l'autorité de leur
») général; que la ils conformeront leur
J) maniere de vivre a la regle prescrite par
)) saint Ignace de Loyola, approuvée et
J) confirmée par Paul lII. j) e'est positif.


Actuellement quand on sait qu'en se con-
formant a cette regle, les jésuites se sont
fait chasser jusqu'a trente-sept fois dans les
divcrses parties de l'Europe, lorsqu' on sait
qu'apres avoir fait assassiner Henri 11I, ils
se faisaient non-seulement absoudre par
le pape, mais encore approuver'; lors-
qu'o'u sait qu'ils faisaient ensuite assassiner
Henri IV et qu'ils obtenaient de meme
fapprobation du Saint-Siége; enlin lorsqu'on
sait que tous leurs livres de doctrine régicide
ont été approuvés par leurs supérieurs,


• Le pere Varade trouvait qu'il y !lv~it un peché
veniel.




( l3I )


quelquefois par le souverain pontife; ave e
tous ces faits présens a la mémoire, que
reste- t-il a peuser? J oignons a tout cela le
prononeé authentique de tous les parlemens
du royaume. Voici, entre autres, les eondu-
sions du parlement de Paris.


le En conséquence, la Cour, toutes les
» chambres assemblées, faisant . droít sur
» l'appel comme d'abus interjeté par le
H procureur-général du roi, de l'institu! et
» constitutiou de la socíété de Jésus , ... dit
)) qu 'il y a abus dans ledit institut, bulles,
)J brefs, lettres apostoliques, constitution,
» dédarations, formules de vreux, décrets
JI des généraux et congTégations générales
» de ladite société; ce faisant, déclare ledit
» institut inadmissible par sa nature dans
JJ tout État poliee' ~OlIlme contraire au droit
JJ naturel, attentatoire a toute autcirité spi-
J) rituelle et temporelle, et tendanta intro-
» duire sous le voile d'un intéret. religieux
J) un corps politique, dont l'essence con-
J) siste dans une activité continueUe , pour
» parvenir par toute sorte de yoie directe
» ou indirecte, sourde ou publique, d'a-
)t bord a une indépendance absolue, et suc-




( 132. )
JI cessivement a Pusurpation de toute au-
JI torité JI


Quand on sait que par ces motifs ]e roi
de Franee les ehasse en 1763, que le roi
d'Espagne en fait autant en 1767, ]e roi de
Nap]es, le due de Parme, le Grand-l\'Iaitre
de l.\tlalte en 1768; qu'enfin le pape lui-
meme Clément XIV déelare, en 1773, leur
société a jamais dissoute et abolie; on s'é-
lonne que quelqu'un de sensé imagine de
vanter une telle institution.


Et cependant on assure que le plan est
fait; qu'il Y a seulement sur ce poinl deux
avis dan s le gouvernement. Une partie qui,
suivant la direction de M. de Lamennais, veu~
absolument se précipiler dans le bien, vien-
dra un jour se présenter a la Chambre des
députés, déelarer l'existenee ignorée de
quarante colléges el de vingt mille éleves,
et affirmer que le eri de la Franee entiere
est pour le rétablissement des jésuites. On
assure qu'alors la partie du gouvernement
qui, selon la direetion de M. d'Hermopolis ,
ne veut aller au bien q~'a pas eomptés, de-
mandera par amendement la conservation
s eulement de quelques maisons d'éducation




( 133 )
avec la clause expresse de leur suhordination
a runiversité, et de lenr soumission áUx
éveques. On espere alors que toute-Ia partie
de la Chambre qui est opposée aux jésuites ,
saisie dans le piége et croyant avoir rem-
porté une vietoire , aceeptel'a le retonr des
jésuites a¡Jec les modifications.


Je désire, de tout mOD ereur, que eette an-
nonee ríe se ré:ilise paso Il en résulterait pou!"
toute la Franee un mouvement melé d'in-
dignation et de dérision qui, rejaillissant sur
les ehoses eomme sur les personnes les plus
saerées, affaiblirait tellementles respeets ,
qu'a la fin l'obéissanee meme -en pourrait
etre atteinte.


Qnelques personnes veulent ne pas com-
prendre eomment le rappel desjésuites ferait
eeHe impression. Elles ne veu]ent pas faire
attentiori aux mouvemens les plus naturels
du ereur de Phomme. Non san s doute, ce ne
sont pas les jésuites d'aujourd'hui qui sont
imputables des crimes qui ont été commis
autrefois; mais ce sont des jésuites; et ces
jésuites, e'est cet ordre, cette ancienne ins-
titution, avec toutes ses aneiennes traditions,.
que vouí reproduisez.




( 134 )
DallS l'armée, si un régiment quelcon':'"


que avait malheureusement renfermé dans·
son sein un petit nombre d'hommes sem-
blables an pere Guignard, au pere. Gue·
ret, au pere Varade, certainement, encore
que le corps entier n'eút pas participé a leurs
crimes, un tel corps serait abolí. Il ya, a cet
égard, pIusieurs exempIes; iI n'y en a aucun
de l'audace quí se permettráit de réclamer
son rétablissement. C'est l'observation que
faisait a Henri IV le premier président du
Harlay, en rappelant l'histoire de l'assassinat
du cardinal Boromée par un religieux de
l'ordre des Humiliés. (1 Les jésuites se plai-
» gnent, dans leurs écrits, que toute la com-
)) pagnie ne devait pas porter la faute de
}) trois ou quatre. Mais encore que l'assassi-
JI nat ducardinalBoromée n'eut étémachíné
JI que par un seul religieux de cet ordre,
) tout l'ordre fut aboli par le pape Pie V,
» suivant la résolution de l'assemblée des
J) cardinaux, quelque instance que le roi
JI d'Espagne fit au contraire. J.


Je passe dans la rue Richelieu. Je trouve
a rancien emplacement de l'Opéra un amas
de blocs de pierres. Ces blocs, ces édifices




( 135 )
auxquels ils appartenaient, ont-ils été cou-
pables de l'assassinat du duc de Berry? Non,
saos doute. On a youIu seuIement éloigner
ce qui pouvait rappeler le souvenir d'un évé-
nement horrible. Lors de cet événement, on
a vu toutes les familles du nom de Louvel,
dont quelques-unes étaienthonorables , s'em-
presser de changer de nom.Lors de Passas-
sinatde Louis XV par Damiens, tous les
Damiens du royaume en firent autant. Il n'y
eut pas jusqu'a la ville d'Amiens qui, a cet
effet, envoya une députation a Versailles.
En vérité je dois des éloges a Phabileté au-
tant qu'a la pudeur des jésuites d'aujour-
d'hui, qui, en revenant parmi nous l. ont
cru devoir cacher, pendant quelque temps,
sous le nom de peres de la foi , un nom odieux
et honteux.


Sans utilité comme eorps religieux ( nous
avons assez de nos eurés et de nos éveques ) ;
sans utilité eomme corps enseignant (nous
avons assez de nos écoles et de nos univer-
sités); objet de réprobation par les lois; ob-
jet d'exéeration par les souvenirs lendant a
eloigner les affections envers des personoa-
ges augustes qui ont Pair de le5 favoriser,.




( 136 )
ainsi qu'envers la religion a laqueIle on s'em-
pressc de les associer; sujet de dissension
parmi nous, a rai,son du fanatisme ardent
avec lequel un certain parti s'emploie en leur
faveur, et d'un fanatisme non moins ardent,.
a ce ql,le fespere, avec lequel un autre parti
cherche {des repousser; daos un tel ensem-
ble de choses, si le gouvernemeDt, comme
On le dit, pense sérieusement a retahlir les
jésuites, il ne faut pas qu'il soit, comme on
le dit, seulement trompé, seulemeot aveu-
glé, i1 faut qu'il soit ensorcelé.


,.: ....




CHAPITH.E IJI.


DANGERS RÉSULTANT DE L·ULTRA~IONTANISME.


EN commew;ant cet ouvrage je me pro-
posais de parler avec quelque ménagement
des fous quis'efforcent de placer la religion
dans les congrégations, dans les jésuites ,
dans rultramontanisme. Cela m'a été impos-
sible.


Ordinairemen t les ehoses précieuses, telles
que la sureté des Éta'ts, ceHe des princes, se
placent dans des citadelles, dans des, places
fortes qu'on cherche a Tendre inattaquables.
Si par hasard on choisissait des places ou-
vertes, démantelées, l'extravagance d'un te]
paupl~ et celle de son gouvernement seraient
signaléel'. C'€st ce qu'on a fait ponr la reli-
gion; elle avait pour sa défense les rniracles
de son {ondatenr, les pl'édictions de ses pro-
pbetes " 16 sang' de ses martyrs , les vertus et
rólutorité de ~on Église, c'est-a-dire de ses
éveques el de ses pasteurs. De bonnes gens,




( 138 )
se eroyant habiles, ont cru devoir la tirer
de-la: ils 1'ont placée comme par expres dans
une position sans défense, et sous des dra-
peaux décriés. Ces hommes ont si bien réussi,
que pour une partie de la France religieuse
avenglée, la religion et les jésnites, la reli-
gion et la congrégation , la religion et 1'ul-
tramontanisme ont parn la meme chose.


Cette ¡neptie arant en un plein succes, les
restes d'un ancien parti philosophiqne, im-
pie, libéral, comme on voudra rappeler, se
sont aussitót mis en mouvement. I1s n'ont
fait qu'attaquer la congrégation, les j ésuites,
rultramontanisme; mais a raison de la con-
fusion établie, leurs attaques ont fait sur une
grande partie de la France la meme impres-
sion que s'ils eussent attaqué la religion elle-'
meme.


n est résulté de cette circonstance le plus
singulier embarras pour la Cour royale ; fen
ai déja parlé, je dois y revenir encore. Il
consistait dan s le dilemme suivant : pronon-
~ait-elle contre les journaux inculpés? tout
était arrangé d'avance pour faire considérer
son arret comme étant en faveur des jésuites
et de l'ultramontanisme; jugeait-elle en fa-




( 139 )
veur! tout était arrangé pOlIr tourner son
jugement en sean dale. En tanl,{ant les jour-
naux. a raison de lcurs ínconvenances, en
dénonc;ant en meme temps le sean dale de
l'ultramontanísmc et de ses auxiliaires, elle
a vouluéchapper au piégequi lui étaitdressé;
elle a rempli sans doute undevoir, mais elle
a trompé de grandes espéranees, et excité
par-la de grands ressentimens.


Quand je porte mon attention sur ces res-
sentimens, je ne puis qne gémir du úle avec
Jequel de véritables défenseurs du roí, de la
religion, de la soeiété,· s'évertuent a provo-
quer la ruine de ce qui leur est le plus cher.
Je voudrais leur faire comprendre leur con-
tre~sens, et pour cela, je vais en me suppo-
sant leur úle et leur talent, m'établir dans
les--positíons suivantes.


Je me place d'abord aupres d'un grand
monarque du Nord. Admis a ses hontés et a
sa· contianee, je luí dís : Síre, vous etes un
prince hienfaisant, vous voulez le bonheur
de votre nation; voici eomment vous devez
procéder. 11 faut ehanger brusquement ses
habitudes, heurter ses gouts, choquer tout
resprit national. Qu'est-ee que cet aneien




( 140 }
costume, que ces anciennes inreurs militai-
res? La Prusse qui n'est pas loin de vous est
la perfection, elle est aussi un modele. Per-
suadez au peuple russe, a vos officiers, a vos
courtisaus de cesser d\~tre Russes; présentez-
vous vous-meme a vos soldats avec un cos-
turne allemand et en uniforme prussien.


Ce systeme admirable ne réussit paso J e vais
alors en Angleterre. J'y trouve au milieu
d'une nation pro tes tan te tres-cha touilleuse un
monarque catholique. Je lui dis: Sire, que vou·
lez-vous faire de cette nation hérétique? Elle
ne vous laissera jamais de reposo Mettez-vous
sous la protection du pape; metlez autour
de vous en abondance des ultramontaíns et
des jésuites, vous serez adoré.


Eh bien! ce systeme ne réussit ras mieux
que le précédent; je me transporte alors a
Dtesde aupres du roi de Saxe. Comment! un
roí catholique al! milieu d'un peuple luthé-
I'ien, el avec des ministres luthériens! Síre ,
il faut chailger tet état de choses. Vos de-
vOlt's dé Cátholique vou~ y obligent. Vous
n'aveZ re((o la puissance que pour servir la
religion. Au líeu de vo~ ministres luthériens,
faites-rnoi venir bien vite M. de M ... , M. de




( 141 )
B ... , M. de L ... , pour les remplacer. Cette
fois mes conseils ne sont pas suivis; et la
Saxe est conservée.


Me voici de retour en France. O l'heureux
pays! Que désirez-vous ? que voulez-vous?
Est-ce du jésuitisme? nous en sommes pleins.
Est-ce du gallicanisme? en voili.. De l'ultra-
montanisme? encore mieux. Cela révolte une
grande partie de la France.Elle s'y fera. Un
bon nombre de royalistes,bien dévoués, bien
ardens, bien betes, soutenus par un autre
bon nombre de royalistes pleins d'esprit,
de verlus et d'absurdités , réunis sur beau-
coup de points, se partagent sur un se&l: sa-
voir, s'il convient d'óter pleinement la cou-
ronne du rOl de France pOUf la donner au
pape,ou s'il ne faut pas les faire monter l'un
et l'autre sur le tróne, et les faire régner en-
semble.


Chose merveilleuse! la révolution étant
entrée dans le corps de la France, ayant
d'ahord détruit la tete, et ravagé ensuite
tout l'intérieur de l'organisation sociale, il
en est résulté corome un grand espace
vacant qui a été ofFert aux premiers oc-
cupans. C'est d'abord le peuple en masse.




( 142 )
On a en la souveraineté des ·sans-culottes.
Ceux-ci chassés par les hommes d'armes,
nous avons ea la souveraineté de l'épée. La
restauration nous ayant apporté avec une
certaine loi d'éleetion la souveraineté de la
classe moyenne, une nouvelle loi d'éleetion
survenue l'a dépostée. La vaste hiérarehie
saeerdotale, qni depuis long-temps se eom-
posait et se fortifiait, est entrée alors dans ee
vide et l'a rempli. Nous avons eu ainsi, ave e
une avant-garde de eongl'éganistes et de
jésuites, la souveraineté des prétres.


lei la conduite du gouvernement ne me
parait pas moins singulii~re, que eeHe de ses
d·éfenseurs. On se souvient d'un discours
de M. de Boulogne prononeé a la Chambre
des pairs et qui fut improuvé par celte
Chambre. On pourrait eroire que eette im-
probation fera quelque impression sur ce
prélat : nullement. On pourrait croire au
moins qu'elle fera impression sur le gouver-
nement : pas davantag'e. Peu de jours sont
a peine écoulés qu'on voit dans le Moniteur
ce meme prélat aceueilli par le monarque,
lui présenter hardimentenhommage ce meme
discours que la Chambre des pairs a repoussé.




( 143 )
11 en est de meme a l'ég'ard d'une certaine


lettre de Rome de M. le Cardinal archeveque
de Toulouse, dont le conseil d'Etat ordonne
la suppression. Au hout de quelques jours le
Mooiteur nous annonce avec un too de fa-
yeur les moindres déplacemens de son émi-
nencc. Bientót cette memé émioence puhlíe
une lettre dans laquelle elle proclame sa dé-
sohéissance au roi et a son ministre. La pu-
blication est poursuivie aussitót par M. le
procureur du roi, et soit la lettre, soit les
principes qu'elle contenait sont improuvés.
D'apres ceJa, on serait tenté de croire que
le prélat relaps ou reconnaitra ses torts, ou
reeevra du gouvernement quelque marque
de son déplaisir: pas du tout. QueJques mois
sont a peine écoulés, que le Moniteur nous
annonee, a l'occasion du sacre, que le prélat
a été combIé de graces et de faveurs.


Je citerai un autre sean dale , et jI a eu un
grand éclat, e'est celui de M. l'Archeveque
de Rouen qui s'imagine un jour d'imposer
a son diocese un ensemble de regles em-
pruntées du neuvieme ou du dixieme siecle.
On croit peut-etre a ce sujet que le gouver-
nement montreraquelque mécontentement:




( r44 )
pas du tout. e'est dans ce moment meme ,
et au mílieu de tout ce vacarme, que le mi-
nistre chargé particulierement de la surveil-
lance dans cette partie, monte a la tribune
de laChambre des députés pour faire pa-
rade de tous les droits des éveques, et no-
tamment du droit de faire des 10Ís et des
réglemens de discipline a leur volonté.


Tandis que de'tous cótés des flots de scan-
dale s'accumulent, c'est ainsi que le gou-
vernement qui d'un cóté fait semblant de
les repo\lssel", parait au contraire les favo-
ris,er. Avec son systeme temporisateur, il
semble ne metlre a la frénésie du moment
que l'espece d'ohstaéle qui est nécessaire pour
en assurer le succes.


Cette politique ne s'est développée sur
aucu9. point avec autant d'habileté que dans
l'érection pompeusement annoncée des haw-
tes eludes.


A eet égard voici ce qui a été généralement
remarqué.


1. o. Il Y avait un an que M. Frayssinous était
étahli ministre des affaires ecc1ésiastiques,
qu'il n~avait ene ore rien rait relativement a
Penseignement des quatre articles de 1682 ,




( 1M> )
el cependant il ne pouvait ignorer que les mi·
nistres de rintérieur , qui I'avaient précédé
dans ses nouvelles fonctions, ~'en étaient
constamment, quoique faiblement acquittés.


2°. Apres l'annonce de l'étllblissement des
hautes ét.udes, rien n'était encore positiv&-
mellt déclaré a cet égard, meme 'dans lé dé ...
cret qui en devait faire le principal objeto


3°. Vordonnance, en nornmant les mem-
bres de la commission chargéede rédiger
les statuts et réglemens, ne disait encore rien
sur le maintien des anciennes doctrines, et
meme. cinq . n.Iois apres I on ne savait a quoi
s'en tenir sur cet objet, tandis qU'OD voyait
l'ultramontanisme accroitre sans cesse ses
forces.


4°. Enfin dan s ces derniers tenips a latsuite
du jugement des Cours royales, il apparut
une circulaire sans date de M. d'Hermopolis.
Cettefois c'estlaSorbonne qui va reparaitre~
le Moniteur lui-meme a osé prononcer .son
nomo


A ce sujet il y a quelques remarques. a
faire.


En ce qui me concerne, si j'avais éM pour
quelque chose dans les conseils qui·ónt pr~!o


JO




( 146)
paré le retour de cet ailci'éJÍ)étahlissement,j~
déclare. que je m'y ,serais:oppos'é 'de tout~s
mes forces.·Ciest ,suivant ll1oii ;,11f pél1sée fa
plus malheureu5e' que dlaV'Üir· ímag'íne: le: ré ...
tablisserneht' tl'étudés théologiqu~s;3 ];effet
de jeter: :d~rils·lw société une troupe de spa~
dassms'.scholasti<¡ue'S, qui la ·rempliront de
no~~Hes tllssensitrlls: nous'en á'Vons deja
assez . .on devrait s'eflorcer d'étoufl'erles que-
l'~Ues religieuses; on cherchea les exciter;


D'un autrecóté,quel Qvantáge petit noils
offrir la nouvelle Sorboiine ultramontaine
qu'lJn. rlous pl'épare, quaiid bíf sl1it ·ql.l~aVeC
les bons ~suites d'áulrefois, on étai t parvenu
a lacorrompre et a la· subjugue'r? Nous avons
YU qu'en 1663 , la Faculte' de théologie
occupee par une cabale pUrS-santede moi-
nes .~t; de quelquessécuher.~ lies· ayec eu.r: ;
a"ai~-eu J)la peine bse deméler de'ées liens~
el. qu~il avait fallu toute· la force et tout le
r.ele roy.atiste <fu parlement pour:la dégager;
personne n'ignore que, par l'efret de ces intri-
gues, celle memeSorbonne si pure dan s d'au-
tres temps, et si fidele, osa, le 7 janvier 158!:1;
six 'Poís avant l'assassinat de HeIiri 111', au~
quel deva~t succéder· Henri -IV, declarér




( ! 47 )
qulun princ'e itérétique eslúlCaptihle de'ré,..,.
:gner. Personnen'ignore que les jésuites,s'Kat;¡,
tribuant cet exploit, disaient desdoctems
de ce temps: quoif'um magna pars discipnli
nostrzfuere.Si les jeunes ecclésiastiques, avec
lesquelsM. Fr~j'~inous prétend elev'er sanou,.
velle Sorbonne, continrrent' a etre instruits
dans de seUlblabl~s príncipes; difféJ!'erdnt~i1s


, beaucoup de la magna parsdes sórbonnistes
de i 589 '! Dans ce cits, qu'avons-nous besbin
d'une semblab]e Sorhonne?
. 'Ilest eonnu q:q.~nt:l'guerele principal pro.;.
fesseul"'de '}a,Facultéde theologie de:·Pa¡if!l
y'faisait souteair des thes~s,oi:t H'preconisáit
Grégoire VII et Pie V. En 'rueme'temps qu'on
fait soutenir des theses on les efiorts,de Gre-
guiré VII pour détroner pempereur Henri IV
súnt presentés cOUlme un des princip:lUx ti-
tres a sacanonhiát!ion , s 'il se trouve que les
uoet.eun de' la meme trempe, qui entDUrent
lU. I'Atcheveque de París, ont aséintÍ'o-
duire, daos 'le nouveau Bréviaire ,lin office
stllepnel ~n l'honneur du pape auteurde l~
hune in camá Domini, que faut·il penser de
1\1. d'Hérmopolis et de sa Sorbonne?


., Enfin <¡uand on sait que ces memes jésfiile~




( ,48 )
qui sont dans toute la France un objet de dé ..
solation, y jettent partout des établissemens
sous la protection m~me de M. d'Hermopolis,
quelles espérances peuvent offrir; daos eet
ensemble de circonstances, a un bon Franl(ais
et le prétendu gallicanisme de M. d'Hermo ....
polis, et son pompeux établissement des hau-
tes études, et sa prétendue résurrection de la
Sorbonne?


On sait d'avance le but auquel on veut ar-
river, e'est de ranger parmi les simples opi-
nions la doctrine de l'indépendance royale;
el alors in. dubiis libertas. Quelques per~
sonnes esperent que par un esprit de con-
venance, on ira, dans quelques écoles, jus-
qu'a Penseignement de eette opinion; déjit
on eommence a préparer les jeunes gallieans
a ceUe modification. On leur parle, au sujet
des quatre artic1es de 1682, du génie, de
l'aul-orit€ de Hossuet, jamais de preuves de
l'Ecriture-Sainte el de la tradition dont eette
déclaration s'est appuyée. Cartes je ne re-
garde pas comme nécessaire que l'indépen-
dance du roi de France soit classée parmi les
articles de foi, il me suffir que ee soit un ar-
tiele de fidélité et de vérité. Je veux croire




( 149 )
flue ce n 'est pas un article de foi religieuse,
que la France soit un gouvernernent rnonar-
chique, et que Charlés X soit descendantde
Louis XIII et de Louis XIV; c'est pour tous
les Fran~ais un article de foi poli tique; et
j'espere rnalgré toutes les subtilités théolo-
giques qu'on nous prépare ,. que l'indé .....
pendance des rois de 'France a l'ég'ard du
pape ne~era pas moins rigoureusernent con-
sacrée.




CHAPITRE' IV.


I)"'NGERS RKStJL'1:ANT DE L'ESPRI1' 1)·J'.NVAIfISSIlMFJIIT D6,I1
PI\~'l'l\fS.


l' Al cité précédemment deux ordonnances
des rois de Sardaigne et de Naples, reb-
tives aux pratiques l'eligieuses que doivent
observer les éleves de leurs colléges. Je ne
doute pas que ces ordonnances, aussitót
qu'elles ont paru, n'aient eu en France I'as-
llentiment de nos éveques, de nos jésuites,
de nos congréganistes. Si les lignes que j~
trace ici parviennent a ces majestés, mon
devoir est de leur di re qu'en croyant faire
quelque chose d'a vantageux a la religion,
elles ne pouvaient rien faire qui lui fut plus
préjudiciable. Je doís leur dire que ces deux
décrets feront, parmi les jeunes gens, dans
leurs États, plus d'impies et de mauvais su jets,
que toute la colonie d'encyclopédistes el




( 151 )


d'athées qu~ le dix-huitieme siecleaur,ai~p~
leur envoyer. ,,' ~


'Au 5ut'plus cetteintervcntion royale u'est
autr~ chose que¡ raccomplis$ement des v(eu~
de' Bossllet., Cer~aineinent j.~ ne.suis pas Q.I~
tI'amQntain 1 !maÍ:s je¡ dQffl J~ ~~~,.j'aimerais.
heaucoup mieux'l'étre a la qyf~\~fP,.ae~Jl4.,.
néloll{rlolit fai ¡tu' aV6(1 Vi~~~ss~Jeq . ~éci~ipns
alClit.cga:cd, d'a.llilses d~~U\\i~P$IiJ.til)fP.{ré;­
cemmenr pub}jées'~ q\le,:d~. n~, tr(}llVer~ g~l"
licán .ala: nlanii:re' dé .JlQ,ss~~~< :0: dépl'l.r:aple
ahus des 'fi:hQses,~ain1e!l, Q1,lf lilit .• qQ~ ',pfJur
défendw J'au\on,lé r<?y~J~~;II.tre les,p~~w.n7
tloJlsu1tramt>Jl.taines, on. ch~'fclw,a co~prt)
llD" audiwir~ d'éveqll~s;: p~f Pfl8P$r~nPe qu'()J,l
leur -donuee de retFni~ dag$ l~u.~i 19~,ns,~a pu..,..
prématie,qu1il!ul.rraeh~Í'pnt 3\l p,~pe I,~:, '
," J'ai· déj~,ttité:ltJs ma:x:hn€s, d~)J~u~t, j~
les citellai-~oJ'\e:t;:ll'Q~ que.~~~ol.lcéesnu­
Illént:ef ;(lJ'itIben t, dans, l;ln~Hlssem.Plé~; d 'é;v e7;
qu,es "qu 'i)$;;: v~laiffit ~n¡iell:er a~~ f,4~sw~ Id~
L~uis. XIY;( ile;iS~.I\t~oJ!r~ :f>~' Jl!tlir p.f~m..i~es
(;QnlV~nueh ~(ffi~! il;~~!¡:r~stfl\~"flwntr,~r les
conséqu~~t): ... 1,1 "¡¡U :Ia ',J,,'!O'! e, '"',,'


¡' 1· ~L'é~hs6, liou~ !d~t¡Qo.~u~t,#"a,pp:r\S! qlen
hnuLaS61 :&el:v,ir de~ ¡rois, ~~, Q.~S d~m~rellf~


, ,




( 152 )


pQurfaire mieux servir Dieu, pour élargir
les voies du cíe1. .......


2°. Un empereur ro.idisail au~ éveques: Je
veux que secondés et SfJwis pal' notre puis-
sance,fomulante ut decet potestale nostrá,
vous puissiezexécuter ce quevotre autorité
vous' demande.
3,~' (( Un sainH~mpereur disait ·a un:saint


j) pape: J'ai dan s les mainsl'épée de Constan-
)) 'tin; vous ave2! celle de Pierre. Joignons les
») maios, unissons ]e glaive au glaive. (Ego
JI Constantim:, 'Vos Pet",i gladium habemus
j) in manibus.Jungatnus de.1Jteras, gladittm
)l' 'g'ladiiJ copulemus. ) Que ceux, s'écrie-
JI t-il alors, , ql1i' n'ont pas, la foi" 3 $Se 1. vive,
Jj poul" craindte' les coups' invisibles de
JI votre glaive' spirituel, tremblent a la
" vue dU' : :glaiveroyal !Ne' cmignez. rieo,
)) sáintséveq1iesA~i 'les bommes sont¡asse~
)) rebelles pOOl" ne pas oroire -3.. vos paroles
») qui soot 'ceHes, de J ésus-Chr.íst~ des cha-
») timetis rigoureux leuren feront, malgré
)) qu'ilsen' aient; sentir' la rotee ; et la: puis-
) sanee royale oe vous manquerapas. 1)


Il m'aparu indispensable de montrer, d'a-
pres eette doctrine, quelleest, dans le systenw




( r53 )
meme des libertés de PEglise. gallicane', l~
destinée qui est promise a la France sous l'au~
toritéecclésiastique, tellequ'eUe esfenten4ué,
aujourd'hui. Ce discours,observe M. Frayssi";'
nous, a d'autant plus d'autorité que l'assem-
blée générale devant laquelle il. fut. pronoueé,
!la comme sanctionné, en l'appelant pieux t
savant,.é}()quent, dans sa leUfe aux 'éveques
de France, pour leur donner connaissance de
ses opél'ations.


Selon nos traditionschrétiennes, deux
grandes époques out signalé· ·le commence.,.
meot·des choses: la cOlTuptiori della· cl)air
qui a produit le déluge,la corruption de l'es':';'
prit qui a produit Penfer.: Par la corruption
de la chair, la lu xure est entree dans le monde;
par la corruption de l'esprit, l'orgueil.


Pour l'homme du man,de •. eniporté vers
les choses terrestres;·le;g¡ranel écueil,cesont
les faiblesses de la chair; pdurle, pretre q'ui
a dompté la 'ehair, la ,gra:nQe,tentati9D c"est
l'orgp.eil. " .. ' il' :¡ !.' . ,:.


Dans l'aritiquite payenne'¡· si· je cherché
l'impression qu'y fail le désir' de la domi~
nation , j'apprends d'elleque tout estpermis
pOUI' regner.' POUI' le reste, dit-elle, voUs




( 154 )
'pOuvmo-eultiverla vedu,cevteris virtutem
colás. Si finterrogel.es temps m,odernes 1
fappvénds d'w.;w,tramontaili mellieo, le cé':"'l.
lébr~ cO'mfe de' Maistre J que: la 'rage (l-e M do·
nUÍUlúon.e.t1 inmié drij&s; le c;~ur de l' homme ..
C'est;}rtJ; pMilme. jo:le montrerai bientót, le
pt'inéipaídédeux sentimens:de hainee~ de
reSfect.qu'on PQrte .diverseme:pt-.)pf~tr.e"
sélon~qn~n-;a.per<;oit én.lui (HH.~Ie,·:d.éboll":".
naire et di vin , suggestion de re~pl;it o de
Dieu, et'qui compos.e'i~n lui UD -bea" fa-o
natism.e: ,d'amouv,,::!lQ. cel, aU~I'e ,sentiJÍlen~ ,
mggesdQJÍo dB,:~tan"qu( :~ti\~~.:en::l~\
Phóhible .. féiI:lwti,m.e; d'Qrgue.iL ,:,,: :. ,
,o,C~tes,illÍ'6st: pastoJijourS,facile!d~ de~
JDcl6J'ldahsl leS !$éines ·jndiv1dus: des :seriti-.
mens dOD1, ·leSl ~uap:.oés' d'une J).;a.tul'e o oppo-
séel~ur)t~t'}~fois,¡¡6eI~riieI6nt~i se
ronfoodmt~JID_ j~ttíQ. 'elWs!stlnl apel'~ues;
ft.Jps )'eiXoitedt'J rda:p~ ',Ílok) c~u~ ;':Jseltbn leur
naturelf :l'!impt~jonr 'lul leill~;apparti~t. o leí
le pretre est un objet d'amour et de~especq
hI'"uIÍohjet: <\'all'ersi.cn~ el;,qei ¡haihe.· 'Pá.r-
lÓut:lbu le ';ratn; se; ÍlltéSente; flVM¡i::@t'e&prit
de ch~riti: qui oo~po5é:s9h¡ pn~~. cariac ....
l4ret ,il trauve, ac-cueil e.t :idces:,.: ramour




( [55 )
nttire l'ámour: . llartout on il se présootc,
avec l'épée deCotlstantiu, 00 avec le glaive
de Pierre, il est -repoussé.


·H pent arriver aussi, selon la prédictiou
de Dieu me me , que le pretr~ qui a etuployé
le glaiye " pé1'issé' pa!' le ghlive. . ..


AYee nmiu$ de (}OUr~g6." lorsquel 'se tné .....
tianti ;d~ ,\{t" f\)fc~ ,. .leprétre· se réfugievers
l'h~hilet~;lí:irsqiIe n'qshnt franphement·:eu.-
trer :datls hi maison, jI s lyména~ des inool..,
Jigences, qu'il cherche a gagneir:seÓl-etemerit:
les eh.fans· pa,r:les:pllr~ns, les~ ípa-r.ens:par les
eBfaris!,.le ma~¡'; par la femme ;' lll; fehilÍle~ PUl"
lemari,;.lol'squ'avec les memes'pratiqúes,n
ehel'chera Q.' entrer, dans l'ordrecivil etpo:-
l¡tique, qu"on le verra s'effor~er: d~g:agner
le 'Citoyen p:ar le, magistrat, le magistrat. par
le: citoyen '1 le;mouarqueparJ~ courtisan:ple
courtisán :par'l~'lnonarque; lorsqn'o.n l~
verra sé'lI\éfiantde Dieu , invoquer . asa· placé
les vices du:monarque On sesfaiblesSes,-ét
nepas dédaigne:r "s?ille f¡roq:> dlllvolr . me ....
cours a une courtisane , lé partage du i)l~efi.e
dans' ~'b'pini6n' du pehple serabientót fait.


·!felle ~sli imjour.d'hui la grande conception
deDOS hOllimes d'État ;employer la religiom




( 156)
comme moyen politique; el la politique
eomme moyen religieux; faire ()béir au roí
par l'ordre de Dieu, faire obéir a Dieu par
l'ordre du roi ; avec l'autorité d~. roi élendre
l'autorité . des pretros, avec.l'autorité des
pretres étendre rautorité, dur:oi.: ce sys-
teme qui provient dlJ grand priucipe gla-
dium gladio copulemus, . a pafú' sublitne.Je
ne.crois pas qu'il' y ait pourtousles hommes,
etsurtout pour le peuple frant;ais, rien de
plus révoltant.


Une obéissance spirituelleimposée par une
aut~rité laique; une coinbinaison d'autorité
spirituelle el temporeHe pour arriver a une
fin spirituelle, cet amalgame est, pourtous les
hommes, antipathique; et remarquons bien
quff, de ;meme que,sous un re&,ne, tyra»-
niqu.e, on:ne peutfaire exé~llter l'ab&wdite
que par la terreur, ainsi qu'on l'a vu sous
Néron, sous Caligula, sous Hobespierre , ce
rrest demeine que par la terreur qu'on pellt
fiÚr.e ',éxécuter le systeme politic()-sacerdo~
tal (¡ni esten faveur.


¡fe ne' dotite pas que les Bossue~ :,,'a1,lj,our~
d'hui nefussentsatisfaits de pouv(),ir dire anos
prel¡tts: I{'Ne cra~gnez rit~ni, s~ints éveques;




( 157 )
)1 si les hOillrriéS sont assez rebelles pOUI' ne
)1 pas croire a vos paroles qui sont cellesde
J, Jésus.Christ, des ch:Himens rigoureux leur
JI en feront, malgté qu'ils en aient, sentir la
" force. ), e'est ainsi qu'en attendant les
supplices d'une autre vie, les échafauds du
pretre viendraient se joindre aux échafauds
du magistrat ; consequence inevitable qu'ont
subie rEspagne, le Portugal ~t l'Italie, Oll
Pon a vu les moines de l'Inquisition parta-
ger avec les magistrats civils les droits de la
souveraineté, et 0-0, quoi qu'on fasse ,on les
reverra encore, si le systeme abominable
dont je viens de parIer s'y retablit el s'y
conserve.


Dans tous les temps, la'France a resiste
non pas a l'amalgame odieux des deux au,-
torites ,spirituelles et temporelles, mais au
moins a ses effets. Nousavons 'eu beau-
coup de honte; nous n'avons pas eu encore
celle d'un tribunal de PInquisition. n est a
croire que la Charte el notre systeme cons-
titutionnel, desespoir d'une certaine classe
d'hommes, contimieront de nous' en pré-
server. S'ils ne le pouvaient'pas, je puis dire
encore qu'en y mettant toute l'habilete ima-




( lSR )
gtn(lble"QlJ n '~ur.a,it pas t;ncore tout le Suc. ...
. (Ces 'qu' on atten~ • .spu~ le ,r~PPQ~t.de la re-
ligjon on n~QLticmdr~i.t ,qJl,\l~~p\>.éissai:tce
hypocrite, ,JQ:njOUl'S' ,r(}i~ine d~ r~Iqpi~té;
sQus,le rapport de l'autorité",on obti~ndl'a~t
une autte, Qbé[ssahce, hypocrite, t,oujours
voisiné deJa révolte. Ay~ ces ¡deux obé'is-
sanees :,oJ) obtiendrait saDS doute' ceHe ,dú t . . . .
de¡;gé. Ce seraitencore uneautrp hypoqrj ...
sieiav;ec laqueUe a marcherait a la domina-
tj(}{)'o, S'il est "raí, comme: no~s l'assure
M.; de J\laislre" que la rage d,e 1~ domtim-
tion:-dait.inn« datu l~homme, el qlle.1l1:,rage
48 la faz"re sent,fr ne, soit pas moins "at(l'r
relle, quelle garantie se trouvera-:-t-il pour
le 'gollvernetnent envers la puissance du
pretre" 'loi'Sque, suivant le systeme, d'aH-
jourd1hui ,'.au Jieu de preBQrc, d~sprépa~~
tions' contre,ceÚe! rage,¡iL s;'~~Inpresse.d~
luidonner ressor? , ,
:u\u :IDOIItent' ptésent je ne dout~. pas que
toutea,les intentions, ne ~Qien~ purEls~;.Lp
gouvernementMtsous le charm~ (r»ne,idee
religieus6 qui 1ui préseIlte ,d'ilvan~e.J!il~F,l'~n­
t;ais comm~ .un peuple d~ saiJ;l~ t etl~ J?r~Q.ce
comme un paradis anticipé.. ne leur cóté l




( 15!) )
les pretl'eS Sont sousle ch:irme d'uneélamll,¡.,
nation. religieuse, au moyen dé" laqu.eUe:f
hon gré mal gré, ils, von1 ehanger la eitq
mondaioo en:cjté,de Dieu. Ilsavancent ainsi
pie'Usement . s'Ur un terraiB dont ils cher .....
chent a se rendl'e' lesmaitres,; sans s'oceú ...
per, pas plus ; que- le, 'goqvernement, des
conséqúeilce~ fuuestes que:p.i les uns ni les an·
tres:rt'aper~plverit.,M; Frays$inOllSa eu heau
nous dire a la trihune que tOlltes les puis~
sanees sont naturellement port~es., a renva .....
ltissement, que l¡l pllissance <lu-pretra ,est
sliseeptible de.eeite te.udaooe 'con'lme toote
áutté>~ ''le'gouvélrnément, oqui én~endces pa~
roles, et qui apparemment ine le,s compremf
pas;emploie toute- -sapuissance a, étendre la
puissance~dupJ!etre, au lieu ,de la contenir.
. ,: J'entends· dire par' des royalistes, de·~eau.i+
COUlvd~6$pril!:U faut ¡que le gouvernemoot
se fásse jesuite ~, afj.n' que les jésuites ne se
fassent· pas g(}uvevnement.J?ai enlertdq. d~
de menié 'aans ,Hassemblée" qu'on iappelle
constituante ~ Ufaul ~ue¡Je:"roise faSS8
eotistitntionnel " a. ,J'effet?; de 'gouverner la
constitution. On a dit hientót dans le m~m~
se'il's : 11 fa,ut {ju'iLse f.asse rév<olutionnaire,.




( ,60 )
et on le coiffa du honnet rouge. On plalta dé
meme sur la tete de l'un de nos rois le cha ...
peron de la Ligue.On sait ce que tout cela a
amené. On veut créer une puissance pour
s'en faire un instrumento Cette puissance 1
elle, ne veut pas demeurer instrument : a cet
égard, moins lapuissance du clergé qu'au-
cune autre, puisque, comme l'a dit encore
M. Frayssinous, él1e ne la tient pas du roi .,
mais d'elle-meme.


Ce n 'est pas tout : on connait rexis ....
tence fréJe et viagere des princes et des mi-
nistres. Avec une telle exü,tence, comment
pense-t-on qu'iIs pourront lutter contre une
jmissance qui ne nait ni ne meurt, qui, par
5a nature, ne montre aueune vicissitude,
gens t:eterna in qua' nemo nascitur; contre
une puissance qui s'accroitsans cesse~ qui,
dans ses relations, embrasse le monde en-
tier, qui, comme peuple particulier, asa mi-
lice particuliere, et avec eette miliee un
général et un souverain éloigné, avec Jequel
elle décide quand et ~omment elle doito1;>éir
au souverain qui est aupres d'elle? C'est une
folie.


Je ne parle pas encore ici du peuple dé-




( ¡(:jI)


voto J'aurai bientót a signaler ce qu'il y a
pour une nation de beau et de· dangereux
dans le caractere de ce peuple; je veux
parler ici du peuple chrétien: celui-Ia, qui ,
eomme je le montrerai, est d'une nature
différente, et qui compose la plus gTande
partie de la France, est révolté de l'en-
vahissement et des prétentions des pretres.


L'Europe protestante partage ces dispo-
sitions. Je sais, par les rapparts que raí
eus avec un gTand nombre d'illdividus de
cette coromunion, que ce ne sont point les
dogmes du eatholicisme qui les éloignent,
encare moins la sévérité de sa morale: e'est
l'esprit de domination que Il10ntrent tou-
jours et partout les pretres catholiques.


Cest ce qui a paru d'une maniere
manifeste en Angleterre dans la fameuse
question de l'émancipation des eatholi-
queso M. l'éveque de Ches ter nous dit :
( Ce ne sont paint les doctrines théologi-
j' Cfues et morales du catholicisme qui· me
j) répugnent, ce sont les doctrines de PÉ-
JI glise romaine sur le pouvoir ecclésiastique
1) qui m'épouvantent. JI


Le coro te de Liverpool naus dit : ( Ce.
tt




( r02 )
¡, n'est pas contre les doctrines de la trans-
)) substantiation el du purgatoire que je
JI m' éleve, mais contre rinHuence des pre-
JI tres sur toutes les relations de la vie pri-
)J vée. 1/ D'apres ce ministre, si les catho-
liques n'obtienllent pasee qu'ils demandent,
la faute n'en est pas au protestantisme ni a
l'Angleterre; (( la faute en est a eux-memes,
» a la conduite du clergé qui ne ce$se d'ex-
JI citef des défiances; a leur doctrine, enfin,
) sur le pouvoir ecclésiastique qui provoque
JI l'oppression des autres cómmunions, et
)) qui nous ont valu cent soixante ans de
» guerres civiles. ))


Voila le vrai. En Angleterre, en Allema-
gne, en France, ce ne sont ni les dogmes,
ni les préceptes qui effraient les nations;
partout le grand obstad e a notre religion,
ce sont nos pretres. Amalgamée avec l''auto-
rité civile,leur autorité est odieuse; séparée
de l'autórité civile, comme elle devient ri-
vale, elle est embarrassante; on ne sait ni
comment la réprimer, ni comment la favo-
riser; on ne sait comment vivre avec elle.


Anciennement ,je veux dire sous l'ancien
régime, on 3vait assez de peine a se défen-




( 1 G3 )
dre de prelres; cependant on avait contre
eux toul l'avantage du pouvoir absolu. On
envoyait M. l'Archeveque de Paris· a la
Trappe ou a Conflans; on envoyait de
meme un cardinal, fUt-il grand aumonier,
a la Bastille ou dans un séminaire. Aujour-
d'hui, ou regne un systeme de liberté, ce
systeme ,encore qu'il leur soit odieux, leur
sert a faire ee qu'illeur plait. Si cela con-
vient, a la bonne heure; si on ne le trouve


. pas bon, e'est tout de meme; ils vous oppo-
sent, selon leur choix, partiellement ou toul.
a la fois , le pouvoir de Dieu et celui de la
Charle, l'autorité du pape et ceHe du régime
constitutionneI : en meme temps qu'iI~
ameutent les nouvelles lois, ils ameutent
aussi les anciennes. De cette maniere, d'en-
haut, d'en-has, a cóté, s'éleve un mouve-
ment renforcé de jésuites et de eongréga-
nistes qui ,se présentant au peuple comme
ayant la faveur meme du roi, aliene ainsi le
respect e~ l'affection publique, et prépare
d'avance dans un Etat encore mal organisé
des prétextes a larévolte.


e_


1 t ~






TROISIE1UE PARTIE.


PLAN DE DÉFENSE DU SYSTEME ET SA RÉFUT ATION.


;.


1L s'en faut de beaucoup que les auteurs
du systeme que j'accuse voient dans les ca-
lamités que j'ai signalées de véritables· cala-
mités. Les écueils leur paraissent un port ;
les dangers, un moyen de salut. lIs ne nient
poinl la réalité de leur trame, ils s'en glo-
rifient; la religion, la société, le tróne,
qu'ils renversent, ils croient les consolider :
c'est comme religieux, comme royalistes,
comme citoyens, qu'iIs conspirent a détruire
toutce qui peut etre cher a un homme re-
ligieux , a un royaliste, a un citoyen.


En meme temps, si leur intention est pure,
leur plan de défense est habile. Ils vous de-
mandent de considérer en quel état se trou-




( 166 )
vent en ce moment la société, la religjon, le
roi? c( La société, vous disent-ils, a été dé-
truite par la' ,~vol~ti6ni la teligion par
l'impiété. Cela suffit pour donner une idée
de la situation du roi. Quelle autorité que
ceHe qui, s'apee de lons cófés pc1¡' les doc-
trines et par les exemples, est encore et en-
core admise par les uns comme une conve-
nance, tolérée par' d'autres comme une
nécessité; une telle autorité, ayant perdu
tous ses supports, va tomber au moindre
souffle" si ~(}tre ~I~ ª~ pjrrvi~pt ~ l'ap-
puyer. »


«( Et d'abord, selon vous, la société ayant
été r-avagée, et selon les libéraux eux-me-
mes SOn illtérieur étant a vide, est-ce l'an-
cienne noblesse que nous irons chercher
pour le remplir, les parlemens pour le di-
riger? La noblesse n 'est plus qu'une ombre,
et cornme ombre vous l'avez évoquée dans
vos ouvrages; elle n'a pas paru. Les parle-
mens évoqués ne paraitraient pas davan-
tage. Dans eette absence de toute chose,
au milieu de ce 'désert social, nous 'rou-
vons a cóté de nous une puissance toute
faite, en possession des vertus, en posses-




( 167 )
sion des respects. Sans doute cette pU'issance
ne tire pas sa force dO. roi qui ést peb., de
la société qui ri'est rien: elle la tire de Dieu
qui est tout. Cede puissánce qui a ses :rii(}rá~
lités étahlies, ses doctrines fixées; qui a
ses rangs, ses cadres, sa hiéra:.:chie toute
composée; cette puissance qui, étant toute
faite, pourrait si bien refaire la société:
vous la repoussez! ))


( Dans les classes inférieures, toujours gros-
si eres , quelquefois féroces, si difficiles par-
Ia meme a régir, est-ce avec les anciennes
corporations que vous prétendez les gou-
verner ? Est-ce l'ancienne bourgeoisie que
vous prétendez ressusciter ? Aussi impos-
sihle qu'un corps de noblesse. Des supério~
rités de ce genre prises dans les rapports
d'homme a homme, quand elles sont an-
ciennes, reconnues par les lois, consacrées
par ]es mreurs, sanctifiées par une sorte de
superstition, peuvent, tant qu'elles existent,
se conserver long-temps. Quand elles n'exis-
tent plus, on ne les refait pas; les vanités
qui les ont ahattues sont la sans cesse pour
les empecher de se reproduire. Les désor-
dres que vous nous accusez de soulever,




( 168 )
avec nos congrégations, nos jésuites, nos
pret,res, c'est au contraire .DOUS qui, avec
nos institutions religieuses, les prévenons,
en meme temps qu'avec nos gendarmes,
nous les réprimons .. )) ..


J'espere n'avoir pointaffaibli le plaidoyer
du systeme quiest en cause: je vais le re-
prendre dans toutes ses parties.


üIIIIiiI.a-




CHAPITRE PREMIER.


DE LA CONSTITUTION ACTUELLE DE, LA. SOCIÉTÉ EN FRANCEj
SI ELLE PEUT. S' ACCOIIIMODER DES INSTITUTIONS RBLI-


GIEUSES, TELLES QUE .LE SYSTEME LES ENTEND.


QU'UNE grande révolution soit survenue
en .France, quen'épargnant dans le corps
social ni la tete ni les entrailles , en~ ,yait
opéré tout-a-coup un vide immense; c'est
un fait déplorable que nous avons déja men-
tionné, .et que tout le monde reconnait. Le
vide une foís fait, eomment . depuis cette
époque s'est-:-il rempli? Aujourd'huiest-il
susceptible de se remplir comme l'entendent
les próneurs du systeme? C'estce qu'il con-
vient d'examiner.


Au premier moment ou ]a révolution a
ouvert l'intérieur du corps social, j'ai dit ce
qui est arrivé. La multitude s'y est précipitée
avec violenc6. Nous avons eu le regne des




( 17° )
sans-culottes; sous un nom plus relevé, la
souveraineté du peuple. .


Apres quelques fluctuations, les sans-cu-
lottes ayant faít place aux hommes de
guerre, nous avons eu le gouvernement mi-
Jitaire, ou autrement la souveraineté de
l'épée.


A la imité d'alitrés fluctnations.¡ nous
avons en , au moyen d'une certairie loi é1ec-
tora]e, l'ancienne prépondérance des sans-
culottes porté e dans le peuple industriel, ou
si Pon veuf dans 'la dasse moyenne. Erlfin,
pa¡'l~effei de la derriil~re loi éleCttifale, hf
dasse moyenne :i perdu sa prépondérante
qui est arrivée' a la g'ránde propriété.


Au moyen de ces successions de souve':';
raineté, ou de prépondérance', le' vidé SO~
da} 'iritér'reur que j'ai mentionn.é á eté S'an~
doute diversement travérsé, eÍl~ahi; a..:.t.:..j}
éte réellement el solídement oecupé 1 Vest.:.;.
il eri ce tilohlerit-ci? "PaS dú tout ~ ét a q110~
cela tient-il? e'est qu'a toutes les épo'ques, tes
co'ntulsions de la Fta'nc~' . ont ért líeu,' Ílon
dans un sens dé goute'rriemerrt; lri'ais s1éül'é:.:
merlt dé dómirialiori.· en' ne s"esf p<i.s eril,;.:
paté de Íd cl\o~e p'nHliqúé' pour fá láil'é pr6~




( 17 1 )


fiter, mais seulemenl pour en jouir~ Tout
entier dans Pordre politique, le lieu de la
scime n'a jamais eté dans l'ordre civil. La
restauration dans ses phases ne s'en est paS'
plus occupée que la ré~olution dans les sien~
nes.La Charle a composé commeelle a su une
transaction entre les ¡nterats émanés de la
révolution et ceux de rancien regime; elle
a reglé aussi du mieux qu'elle a pu les mou-
vemens des grands corps poli tiques ; du
reste, comme elle n'a rien faíl pour la cons-
titution civile, l'intérieur de l'Etal diverse-
ment ravagé, diversement travel'sé; a· con..,..
tinne de demeurer a vide.


Cependallt, au milieu de ce viclle formé
par la révolution , el ne pouvallt jamais se
remplir, que fera-t-on d'nne multitude de
choses intérreures 'luí s'y trouvent comme
peIe-méle : popruation singuliere, el que~
qttefois tres-active d'un cha'Os sans regle el
sans discipline. Quand les horlogers campÚJ""
sent une montI'e, ils ont soin d'en cOlllposer
le mécanisme ihtérieur, de maniere qu'avec
tres-peu de soin, elle remplit d'elle-meme
son oüice. Soit pendant la révolution, soit
pendant l'empire, Soil pendant-Ia re.s1laurar-·




( 17 2 )
tion, les puíssances, quí, sous diverses for-
mes, ont occupé la dom,ination politique
n'ont pu faire aller un régime civil, qui
n'avait ni mécanÍsme ni ressort, qu


'
en y


tenant continuellement la main. e'est ce
qu'on a appelé CENTRALISATION.


Quelques personnes regardent la centra-
lisation commeun fléau, je suis de leur avis;
d'autres la regardent aujourd'hui comme
une nécessité, je suis encore de leur avis.


En vérité, ce serait une chose bien com-
mode, si les fruits venaient a nous tomber
tout-a-coup du ciel sans la peine de les
produire. La Providence n'a point imité
notre systeme de centralisation; elle a insti-
tué des causes secondes pour régir les pe-
tites eh oses de son administration; elle a
confié a l'homme lui-meme le soin de sa
subsistan ce. Le travail compose par-la dan s
les sociétés une des premieres conditions des
dernieres, classes.


Cependant, ce n'est pas tout que le tra-
vail; le .village a besoin d'une' horloge, d'une
fontaine, d'uneécole; l'église et son presby-
tere ont besoin de réparation. lci il faut re-
faire des '¡routes dégradées et qui ne peu-




( 173 )
vent plus servir a l'exploitation des champs;
la e'est un pont .qui est devenu nécessaire
pour passer plus commodément le torrent.
Enfin voila de nouveaux procédés d'agri-
culture, ou de manufacture : que faut-il
penser de ees proeédés? Sont-ils d'une ap-
plication utile au pays; ou ne sont-ce que
de futiles théories ?


Pour régler ces difficultés, n'aUez pas vous
adresser aux classes ouvrieres ; elles n'ont a
vous donner sur cela ni leur temps ni leurs
pensées. Tout appartient aux soins de leur
subsistance. N'allez pas non plus vous adres-
ser au chef de l'Etat; ces objets sonttrop
petitspour qu'il les aper<;oive; sa main est
trop Iarge -pourles manier. Dans notre état
aetuel, vous vous adresseriez avec aussi peu
de fruit a des hommes de la classe intermé-
diaire; la, le temps , les lumieres De man-
quent pas, mais -des intérets purement 10-
caux, e'est ce dont personne ne veut s'occu-
pero Si vous entrez aujourd'hui -chez un
Dotaire de yillage, ce monsieur vous parle
del'Espagne ou de la Grece,· des dissensions
du ministere ou ,'du partí de l'opposítion.
Il ne vous parlera pas des intérets de sa




( r 74 )
comanme ou de ceux de SQn arromlissement!
lqut cela eS,t trap petit pour sa pens.ée.


Au mílieu de ce déni gébérfll d'jnl~r,et
qqi, si on le m,ettait en action, De mallqu.e~
rait pas q.'etre suivi d'un dénigénéral de
justice, il a bien fallo que le gQuvernement
envoya! partout des maires, des préfets, .des
sous-préfets, des conseUa-rgénéFaui:. Quel
b~mheur ! Il ne faut pour celaIli aSliemblée,
pi ilection, Ili aucun mouvement d'espril
public. Ces préposés nous arriv~nt d'en h~ut
tout faits, comme le~ météores du ciel.


fl ne, faQ.t ~ien ()utrer~ Ces cpmmis du
gOHv~rnel!len~ vont sallS doute du mieux
qu'ils peuven~; quelques-uns meme operent
assez bien sur ceJte matiere marte. Cepen"'-
d~nt, cpmpJe a cóté pe l'apathie civile la
Ch*f'~ fl étahli ltn prme politique remuant
et =lgi$f;4nt, la vie de l'tt~t qni abandónne
l~s entraill~s se pPrte a la tetc; et ,alors gare
~p. gouyernemep.t de quelque maniere qu'il
fijsse ! au ministere, de quelque maniere qu'il
s,qit compos~ !


Sous Bon~parle, ces difficultés n'e~i,stajent
pas; il avait poul' qorp& légit!latif une assem-
blée de lll\lets t ~t pOprSfPat, des Dlafion,...




( 175 )
Dettes; du reste, tout était régi et com-
primé par une main de fer. Aujourd'hui une
grande activité poul' meUre d'en haut tout
en mouvement et en désordre, répond a
une grande inertie au centre pour pe rien
fructifier et ne rien empecher. L'amour de
l'argent a heau alors multiplier les canaúx,
ramour du plaisir multiplier les fetes;
un malaise générlll répand partout le mécon-
tentement el le murmure.


Nous savons tous que Pieu est Pauteur
de tout hieo, et que oous devons lui rendre '
des hommages; cependant telle es~ Ilotre
misérable nature, que nous avons hesoill de
quelque sis'oe sensihle pour f:xciter notre
attentioo el notre clllte. Dans les maux pu-
hIies oous montroos la meme faihlesse. Ce
o 'est pas tout de gemir et de deplorer :. ~ous
aimoos a 'lV~ir' deva~t nous quelque clwse
a laquelle U.OlJS pui~~io~~ eI\voyer a notre aise
no~ Plalédictions. po CQnn~it les super~titions
de l'amour. Les accusations qu'on port~
aujourd'hui au lll\nistere m'apprennent qJ,le
11\ haine peut aVQiI' au&~i son idolatrie.


AV'ec cet état de société, tel. que je
l'aper~ois, e~ cet étal qe gouverpement, tel




( 176 )
que je le vois, je ne doute pas que Dieu le
pere ne put encore gouverner la France;
celui qui a créé les mondes n 'a qu'a parler,
et tout ira; mais s'il n'a qu'un ange a nous
envoyer, cet ange peut se dispenser de quit-
ter la demeure céleste: il ne ferait rien de
nous.


Dans cette position, des jésuites, des mis-
sionnaires, des..freres qui sans doute sont de
tres-braves gens, mais qui pourtant ne sont
pas des anges, ont cru devoir venir a notre
secours. Leur zele n'a pas attendu qu 'on les
appelat: aussitót que la porte a été ouverte,
ils sont entrés en foule.


Certes je puis le dire hardiment, la France
ne s'y attendait pas. Aussitót que la gent li-
bérale, tres-contente d'avoir retrouvé dans
la prépondérance de la petite propriété quel-
'que chose de l'ancienne sOllveraineté du
peuple, a vu, au moyen de la nouvelIe loi
électorale, cette prépondérallce lui échapper,
elle s'est mise a crier que l'ancien régime
itllait revenir, qu'il était revenu. A sa voix,
qui a retenti dans toute la France, on a re-
gardé de tous cótés.· Quelle surprise! Au
lieu de la Bastille, on a aper~u Móntrouge;




( 177 )
au lieu de la chevalerie, on a trouvé des
moines; 3U lieu de la noblesse, la congréga-
tion. Tout cela nous est advenu comme une
fantasmagorie. n a fallu plus de deux ans
pour y croire. Les jésuites remplissaient la
France; on ne les y savait paso Les congré-
ganis es occupaient loutes lespositiollSj 00
ne les voyait paso Aujourd'hui encore une
partie de la France est en doute.


Dans tout autre temps que celui-ci, iI ne
faudrait pas beaucoup de force d'esprit pour
apercevoir que des institutions de ce genre,
habillées en institutions civiles, ne peuvent
en faire l'office. Cest bon pour le huiÜeme
siecle, ou pour le Paraguai. Des choses
civiles yeulent· étre gouvernées par des pou-
voirs qui sortent de leur nature , c'est-a-dire
par des pouyoirs civils; elles ne peuvent
l'etre par des institutions appartenant a la vie
monastique ou a la vie dévote. La premiere
question n'est pas de savoir si l'ancienne
noblesse, si l'ancienne bourgeoisie, les an-
ciennes corporations, les anciennes classes
peunnt se reprendre et se refaire : c'était
peut-étre de mimvaises institufons civiles;
il ¿'agit seulement de savoir si des institutions·


12




( 178 )
religieuses peuvent en tenír líeu ; si, appli-
qué es aux choses civiles pour lesquelles elles
ont peu d'aptitude, telles que les arts, la
g'uerre, le comrnerce, les manufactures,
elles n'altéreront pas par cela merne leu!'
caractere religieux, en rnerne ternps qu'elles
manqueront leur objet civil.


Ce n'est pas le seul mal qui peut etre re-
proché a ces institutions : en merne temps
qu'elles nefont pas, elles empechent de faire.
Elles détournent partout les intérets et les
espérances. En occupant a faux des places
qui ne leur appartiennent pas, elles éloi-
gnent par ce faít meme les institutions a qui
ces places appartiennent.


Je viens actuellement a la noblesse, a Pil-
lustration, au rang, aux classes, dont l'ab-
sence alléguée sert de prétexte a un rempla-
cernent grotesque de jésuites et de congré-
ganistes. n me semble que ce qui existe, a
cet égard, de défectuosité, et les obstacles
qu'on 5uppose, sont moins graves qu'on ne
croit. Nous n'avons pas sans doute les juges
d'autrefois, les nobles d'autrefois; nous n'a-
vons pas meme les pretres d'autrefois. Nous
avons pourtant des juges, des nobles et des




( I?9 )
prettes; nouS avons de meme des rangs, des
corporations et des classes. Tout cela peut
exister d'une maniere irréguliere et mal en-
tendue. Mais cela existe. Si la révolution avait
jugé a propos de supprimer les notaires, les
médecins , les pharmaciens, comme elle sup-
primait autre ehose, ces offiees se seraient
bientot rétablis en fait, ne Pétant pas en
droit. n en est de meme de la noblesse. On
aura beau l'avoir supprimée en droit; tant
qu'il y aura en Franee des choses el des
personnes nobles, elle se conservera en faíl.
Est-ce l'hérédité qui s'effaeera? Mais si vous
conservez au fils l'hérédité des biens de son
pere, comment ferez-vous pour mettre la
noblesse a part de ces biens ? Vous ne le
pouvez paso Ce qui se passe, en ee momen!,
dans le parti libéral, par rapport aux enfans
de M. le general Foy, est une preuve que
l'hérédité de la noblesse est reeonQue eomme
la plus saeree de toutes les hérédités. Ce sen-
timent existe; quoi qu'on fasse, il existera
toujours. n s'agit seulement d'examiner si,
en ce gen re , l'anarchie vaut mieux que l'or-
dre; le vague, que le préeis : e'est toute la
question.




( [80 )


Apres cela, je ne disconviens pas que les
nnités 'plébéiennes, toujours si faciles a
se hérisser,et qui, a raison des niveauxlong-
temps établis par la révolution, pensent avoir
acquis une sorte de possessoire, pourront
offrir a un législateur des difficultés; s'il ne
veut etre que raisonnable et juste, elles se-
ront faeiles a surmonter. La veille de 1'ins-
titution de la légion d'honneur, iI semblait
que la révolution entiere anait éclater; le
lendemain les prineipaux revolutionnaires
en portaient la décoration, el s 'en accommo-
daient tres-bien. La veille de la derniere loi
éleetoral.e, il semblait que tout París allait
etre en feu. Aujourd'hui tout le monde est
calme. Cest que, placé dans un jour plus
favorable, on s 'est aper~u, par rapport a la
légion -d'honneul', que le gouvernement
était dan's le vrai, et que les obstacJes qu'on
opposait provenaient d'une irritation de
jalousie et de vanité; par rapport a la nou-
velle loi d'éleetion, 011 S 'est aper~u de meme
que la grande propriété, qui a plus d'im-
portance, a droit, par la-:meme, a plus de
prépondérance.


Cependant n'y a-t-il dans l'intérieur du




( 18 [ )
corps social que des illustrations, des rangs
et des classes a régler? N'y a-t-il pas aassi
des rapports civils et moraux? La révolution
qui avait détruit la noblesse, n'avait-elle pas
détrui( aussi la paternité, le mariage, et , par
la-meme, les rapports des époux, ceux des
peres et des enfans? La révolution avait dé-
truit la seigneurie; n'avait-elle pas détruit
aussi la maison, el, par U'--meme, les rap-
ports des maitres, des serviteurs et des ou-
vriers? Enfin le régime des cités avait-il été
plus respecté? En vertu de la nature des
choses, tout cela est sans doute plus ou moins
revenuj mais les existences nouvelles qui, a
cet égard, se sont refaites, sont-clles tout ce
qu'elles doivent etre? Tout cet intérieur est-il
composé comme il doit l'étre? Il faut le re-
connaitre : la constitution civile dans un
Etat est toujours la principale base de .'la
eonstitution poli tique. Si la premiere est
dans l'anarchie, celle-ci, quelque bien com-
posée qu'elle soit, y arrivera bientot; et ce
n'est pas avec des jésuites, des freres et dei
miss'jonnaires qu'on l'empechera.




CHAPITRE 11.


QUE LE SYSTEME, DANS SON PLAN, TEND A ALTÉRERLA
RELIGION AU LIEU 'DE L' AFFERMIR.


COMME plan pour consolider notre ordre
social, le systeme que faccuse est une illu-
sion. Comme plan pour consolider la reli-
gion, l'illusion est plus forte encore.


Plusieurs vues fausses entrent dans ce
systeme : 1 0 por ter la vie dévote dans la vie
chrétienne; les confondre sans cesse, et
les proposer ainsi confuses a la vie sociale;
2 0 porter dans le culte religieux, qui est un
culte d'amour, un sentiment coIitinu de ter-
reur, pour augmenter par cette terreur 1'0-
héissance et la rendre servile; 3° chm'ger la
morale de rites; donner a ces rites, autant
qu'on peut ,la prépondérance sur la morale;
viser par.la, non pas directement, mais d'une
maniere détournée, et contre le vreu de la
religion, a la domination de toutes choses:




( 183 )
tel est Pensemble de vues avee lesquellea LE
SYSTEME, qui se donne pour vouloir le bien
de la religion , la dénature, et par-la meme
éloigne d'elle le respect et l'affection des
peuples.


A eommencer par la confusion établie
entre la vie chrétienne et la vie dévote, e'est
une calamité dont on peut se contenter de
gémir dans l'ordre des choses de Dieu, mais
qu'il faut absolument repousser dans l'ordre
des eh oses du monde, paree qu 'avec de
belles apparences elle y porte le désordre.


Je ne prétends pas etre théologien; je suis
un simple chrétien. En cette qualité je vais
quelquefois a la messe de ma paroisse; j'y
entends les paroles suivantes :


(( Peuple chrétien ! I'Église des le temps
de son établissement a choisi le dimanche
pour etre consacré a Dieu d'une maniere
particuliere. ))


Remarquons d'abord que le pretre 8'a-
dresse au peuple chrétien, et non pas au
peuple devol. En effet, pour celui-ci ce u'est
pas seulement le dim:mche qui est consacré
a Dieu d'une maniere particuliere, ce sont
tous les jours, et autant qu'il est possible a




( 184 )
la faiblesse humaine, tous les instans de la
vie. Le peuple chrétien au contraire, a qui
on prflld le dimanche, c'est-a-dire la sep-
tieme partie de sa vie, re((oit par-la meme
les six ,autres parties qu'il peut appliquer
aux affaires temporelles.


S'ensuit-il que les six autres parties seront
total~ment exclues de la pensée de Dieu ?
non sans doute. Toutes les familles chrétien-
Des ont l'usage de certaines pratiques reli-
gieuses, et notamment de la priere du m;;t-
tin et du soir.


p'un autre coté, parce que la vie dévote
doit etre entierement a Dieu, s'ensuit-il que
cette tension ,'ers Dieu sera sans interrup-
tion ? non sans doute. Chez les Chartreux,
des que le novice revenant de réglise rentre
dan s sa cellule, il y trouve une hache avec
une buche, qu'un frere lai lui a silencieuse-
ment et respectueusement apportée. Il sait
qu'il a a la travailler et a la mettre en pieces.
Ce que je veux dire, c'est que dans -la vie
dévote le fond de la vie est a Dieu; l'acces-
soire a des occupations futiles en maniere
de délassement. Dans la vie chrétienne, qui
est la vie sociale , l'accessoire de la vie est a
Dieu, le fond aux affaires et aux occupa-




( 185 )
tions mondaines; en cela meme elle est en
quelque sorte a Dien qui a composé ainsi
l'ordre ordinaire de la vie humaine.


Actnelle'ment avec lenr systeme que font
les grands personnages que j'accuse? En
confondant ]a vie dévote et la vie chré-
tienne, qui sont essentiellement dis~inctes,
ils les dégradent Pune par l'autre; ils désor..,.
donnent tout a la fois la religion qui, a
beanconp d'égards, a besoin de la vie dé-
vote, et la société qui est spécialement
faite ponr la vie chrétienne. La vie dévote,
toute angélique, emportée ridiculement dans
le train des choses temporelles, s'y trouve
naturellement gauche, incapable, et s'y fait
ainsi mépriserj la vie chrétienne mélée avec
la vie devote, devenant inapplicable au mou-
vement, a l'activité, quí dans certains temps
surtout conduisent les affaires temporelles,
iI en resulte qu'on les abandonne Pune et
l'autre. L'irréligion devient ainsi peu a peu
une habitude, a la fin une nécessité.


e'est ce quí a pu etre observé dans tout le
mouvement religieux de ces derniers temps,
et plus particulierement a l'égard des mis-
sionnaires. Je n 'ignore pas que cet objet a




( 186 )
heaucoup de faveur. Je demande a cet égard
un peu d'attention.


Au moment du concordat de 1801, si
celui qui était alors a la tete des choses
avait pensé a faire faire des missions pour
ramener la France a la relig'ion et aux sen-
timens religieux , il avait un heau prétexte ,
dans cet amas d'ordures que les orgies révo-
lutionnaires avaient accumulées; il aurait
ainsi, nouvel Hereule, nettoyé la France
heaueoup plus sale alors que les étables
d'Augias. Cest ce qu'il ne fit pas. Entouré
comme il Pétait de philosophes et de sol-
dats, ce fut beaucoup pour lui d'effacer le
décadi et de nous rendre le dimanche.' Plus
tard, lorsque sa domination fut déclarée,
notre purification morale l'occupa moins
que le soin de raffermir eeHe domination.


Apres douze ans d'un systtmie religieux
qui avait commencé a se montrer sous le
Directoire, et qui depuis le concordat s'était
tout-a-fait étahli; systcme tourmenté a
certains égards, mais laissé au moins
quant au dogrne et a. la morale dans toute
sa latitude, lorsque tout-a-coup la restau-
ration s'imagina de rcmplir le pays de pro-




t 187 )
cessions et de missionnaires, ee fut a mes
yeux un contre-sens. Désenivrée des folies
de la révolution , la Franee était alors beau-
coup plus religieuse qu'elle ne l'avait été
sous l'ancien régime, meme sous les regnes
jésuitiques de Louis XIII et de Louis XIV.
Cependant a tort et a travers, voila les pro-
cessions en mouvement et les missionnaires
en campagne.


Un premier vice de la mesure des mission-
naires fut sa couleur poli tique , et par-la
meme je ne sais quelle apparence de tartu-
ferie.


Un autre vice plus graye fut sa connivence
avec un systeme g'énéral dont elle faisait par-
tie. Ce systcme consistait a récIamer pour le
clergé une dotation territoriale, a envahir
l'éducation publique, a appeler tout douce-
ment et secretement les jésuites , en un mot,
a s 'emparer par la domination religieuse de
totite espeee de domination.


Au milieu de ees méfaits, il ne serait pas
exact de dire que les reuvres des missionnai-
res atent été tout-a-fait sans fruit. Il y avait
en France, soit dans les villes, soit dans les
campagnes, un certain nombre de vieux




( 188 )
invalides dll crime, tentés quelquefois au
bien parleur eonscience, et n'osant en pré-
senee de leurscamarades el de leurs curés,
confesser leur vie ancjenne. pour reprendre
une vie nouvelle; la solennité des missions,
la cireonstance de pretres étrangers et pas-
sagers dont ils n'auraient bientót plus a re-
douter les souvenirs, ont été en beaueoup
de cas des occasions heureuses. La religion a
fait ainsi quelques eonquetes; sous d'autres
rapports elle a fait des pertes.


Et d'abord le sentiment religieux tient
dans la conscience a des libres si susceptibles,
si délieates,qu'il faut y prendre garde quand
on les tonche. Je ponrrais eiter a eet .égard
beaueoup de preuves. Un pretre ira-t-il dans
les diverses maisons de sa paroisse, exhorter
nominativement tel ou tel a s'acquitter de
ses devoirs religieux? Peut-etre exhortera-
t-ille pere a faire ce commandement a son
61s, le maitre a ses ouvriers ou a ses disei-
pies? n ne le fait pas lui-meme, paree qu'il
sait qu'il y aurait de sa part indiserétion,
importunité. On parle de- liberté dans les
ehoses civiles et. politiques; c'est surtout
dans les cho~es de la eonseience que la




( lS9 )
liberté veut ctte iinmense, indéfinie. Dei
pretres qui viennent dans une ville avec une
rumeur extraordinaire, agiter dans un sens
religieux, le mari par la femme, la femme
par le mari, les voisins par les voisins, y
troublent cette liberté, cette spontanéité,
premier droit des consciences; ils remuent
ainsi des sentimens d'importunité qui, se-
cretement ou publiquement, deviendront
de la haine. Celui-ci vient de faire un ma-
riage : vous luí dites de penser a la mort,
il veut penser a la vie.Celui-la est tout ar-
dent d'une entreprise.nouvellede commerce:
vous vou]ez tourner ses pensées vers la vie
éternelIe, iI veut les tourner vers sa manu-
facture. Cet autre a commis récemment un
grand péché ; dans queIque temps peut-étre
il se repentira : en ce moment il n'y est pas
disposé. Vous avez indiscretement com-
battu son indifférence; vous avez provoqué
sa haine : du pécheur vous avez fait un
lmpw.


Un autre vice des missions a été d'entamer
sur Iedogme et sur la foi, pour Ieplaisirdes
beaux esprits missionr:.aires, une polémique
toujours inutile, souvent dangereuse. Ces




( 190 )
discussions font peu de chose· a la piété·;
eHes conduisent les indifférens a des curio-
sités f:icheuses, les ennemis a des recherches
funestes.


Enfin le grand vice des missions ( et c'est
la principalelI!ent que j'en voulais venir), a
été de porter la vie chrétienne dans la vie
dévote. J'ai observé quelques villes au mo-
ment des missions. Des qu'eJIes s'annoncent,
les spectacles sont interdits; les jeunes, les
abstinences, les quatre-temps, les vigiles,
l'avent,lt; careme rigoureusement observés;
et non-seulement les pratiques commandées,
mais ce Hes meme qui appartiennent le plus
particulierement a la vie dévote sont mises en
vigueur. Les pretres appeJIent cela la morale.
Cette morale qui a envahi l'autre, se conserve
ainsi pendant le temps des missions; elle se
conserve meme quelque temps apres; peu a
peu cependant, et les jeunes et les abstinen-
ces, et les quatre-temps et les vig"iles, et les
avents et les caremes, et les pratiqnes com-
mandées et eelles qui ne ]e sont pas, tont
cela est abandonné; et alors, il fant le dire




( 19 1 )
franehement, une ville est.perdue, ear la
morale des rites s'évaporant avee la véritable
moral e qu'on a eu l'imprudence de lui asso-
eier, rien ne reste.


Dans un de mes ouvrages, j'ai remarqué
eomment cette maniere de por ter le monde
dans la vie dévote avait produit nos temps
d'ignoranee et de barbarie. En reprenant
la meme marche, la eonspiration qui est en
seene nous mtmerait, si on la laissait faire,
au meme résultat. On ne la laissera pas faire.
Déja la Franee me parait se partager entre
deux especes de fanatisme : run de dévoue-
mení aux pretres, qui porte tout a leur do-
mination; l'autre de révolte contre eux, qui
dispose tout le pays a l'impiété.


Je puis témoigner des faits qui se sont
passés sous mes yeux. J'ai vu la France du
temps de Bonaparte; je vois la France du
temps des missionnaires. J'ai vu les eolléges
de rancien régime, j'ai vu les lyeées de Bo-
naparte; je vois actuellement les eolléges
royau?,. Cela ne peut se comparer; et ee
qu'il ya de plus singulier en ee genre, e'est




( 192 )
que le haut degré de corruption, loin de
se trouver dans les colléges soumis a l'au-
torité lalque, se trouve précisément dans les
petits séminaires, ainsi que dans les insti-
tutions soumises plus particulierement aux
pretres.


= ; so




( I93 )


CHAPITRE 111.


tONTlNUATION DU MEME SUJET j CARA8TE&E DU
CHnlSTlANlSME.


ROIS de la terre ! faí vu votre grahdeur;
guerriers ! /ai vo. votre gloire; Crésus du
temps ! raí vu vos efforts pour amasser des
richesses. Jeune, raí pu admirer ces mer-
veilles. Arrivé aujourd'hui. a cette premieré
agonie qu 'on appel1e vieillesse; désabusé de
toutes les illusions de la vie, iI ne me reste
plus qu'une seule vérité a prononcer : AUlER
EST QUELQUE CHOSE;TOUT LE RESTE N'EST RÍEN.


eette véri té, qui s 'applique particuIiere-
ment a l'homme, semble appartenir a un
principe général. Partout, dans les chatnps,
dans les eaux, dans les airs, les especes sem-
blables s'affectionrtent et se recherchent.
L'homme a beso in de l'hornme pour ses plai-
sirs: il en a besoin encote pour ses travaux~
La víeillesse n'est pas plus élrangere a ceUe


1.3




( 194 )
loi que le jeune age. Vamour prend sans
doute alors une autre teinte. Au milieu d'un
monde avec lequel il n 'a plus d'affinité, le
vieillard, repoussé de toutes, parts, se réfu-
gie vers Dieu et vers les enfans. La maladie
n'a pas? a cet égard, plus d'effet que la
vieilIesse. Au dernier moment, ou il n'y a
plusile 'pensée, le creur a des affections.
L'esprit est éteint; le creur hat toujours. On
est mort 'pour toutes choses; la vue d'un
objet chéri' nous ranime; et le prétre, qui
approche d'une houche ~ourante le signe
~e notre rédemption, trouve encore de 1'a-
mour sur des levres inanimées.


Cest ainsi qu'en tout temps, en tout sens,
dans toute situation, a tout age, cherche a
s'assouvir une faim d'amour, premier hesoin
de 4 vie.


Cette d,isposition de l'homme lu,i étant
naturelle, le cbristianisme n' a pas cherché
seulement a s'en emparer; il s'y est étahli.
c( Vous aimerez Dieu de tout votre creur,
)) de toute votre ame, de toutes vos forces ,
)1 et votre prochain comme vous-meme. ),1
Telles sont les paroles de / Jésus-Christ. Il
~joute: n e'est la tout~ roa Joi. 11 In his duo-




( 195 )
busmandatis um"ersa lex pendet etprophetee.
Cette loi d'amour, selon saint Augustin.,
a tellement été recommandée par Jésus-
Christ et par les apótres, qu'avee eette seuIe
chose vous avez tout; sans elle vous n'avez
rien: Sciant hanc ita eommendatam esse a
Christo et apostolis , ut si heee una absit,
inania; si heec adsit, plena sunt omnia. Dans
un autre endroit : AlMEZ, dit-il, E'l' FAlTES
CE QUE VOUS VOUDREZ, Dilige etfac quod 1,is.
Une religion d'amour et de liberté peut
n't~tre pas le ehristianisme de certaines per-
sonnes: e'est eertainement oelui de [Jésus ..
Christ.


Je n'ignore pas, qu'abusant de ces mots
foe quod vis, quelques personnes pie uses se
sont égarées. Au milieu de cette liberté
pleine, il ya des lois a observer. C'estl'am(mr
de Dieu, nous dit Papótre saint Jean, qui
nous prescrit d'obéir a ses commandemens,
H cee est charitas Dei ut mandata efus custo-
diamus. Mais comme s'il prévoyait qu'on
pourra abuser de ces paroles, il ajoute aus-
sitót que ces commandemens ne sont pas
rigoureux : Et mandata ~jus non sunt graíJl'a.


Poui" ce qui est des commandemens de
t3'




( 19G )
l'Eglise, les reg1es qu 'elle prescrit ne peuvent
:fvoir un autre caractere. A l'exemple de
l'agneau de Dieu, elle a eté instituee pour
ifacer les pe'chés du monde, et non pas pour
les multiplier. Au surplus, elle n'a pu s'e-
carter de ceUe doctrine: c'est celle de Dieu
meme. n a dit : MON JOUG EST DOUX ET lUA
CHARGE EST LÉGERE, Jugum meum suave et
onus mellm lere.


Le caractere du christianisme une fois
precise, j'avoue que je ne puis rien com-
prendre a tout ce fatras de regles, d'insti-
tutions et de moyens violens qu'on im~gine
pour le faire observer. Je ne puis compren-
dre davantage ce systeme d'cducation, qui
necessairement aussi dOÍt, dit-on, etre pris
des l'enfance, et qui necessairement aussi
doit etre livré a des moínes; au défaut de
moines, a despretres. En voyant ce systeme
se déployer, et les efforts de toutes parts se
multiplier, je me demande quel peut en etre
l'objet; je me demande si nos femmes et nos
enfans sont livres a un culte tel que celui de
Salurne et de Moloch, dont il faille les dé-
tourner; je me demande si nos moours sont
arrivees jusqu'aux prostitutions de Babylone




( 197 )
QU de Paphos ; si Paris represente quel-
que chose de cette dissolution que saint
Paul nous déeritdans une de ses epitres
aux Romains; en fin , je me demande si ]a
religion est quelque science transcendante
qui ne puisse s'acquerir, comme les mathe-
matiques el rastronomie, que par de lon-
gues annees d1une etude continue et opi-
ni:\tre.


Rien de tout cela ~ aimer est la 10i du
-christianisme, et de plus e'est toute la 10i.
Sans doute, iI presente a ramour un appa-
reil de eeremonies qui compose le culte; il
presente aussi a la croyance un ensemble de
dogmes qui compose la foi. Mais qu'est-ce
que la foi si ee n 'est sur certaines choses la
soumission de Pesprit? qu'est-ee que le culte,
si ce n'est un ensemble regle de rites et de
céremonies? Avant que les entreprises des
pretres se fussent declarees, qui pensait a
contester la soumission dans les choses de la
foi? Jamais, dans le eours d'une longue vie,
fai moins entendu de discours impies. On
dit qu'il y a parmi les jeunes gens quelques
athees ;je parierais que ce sont ceux que les
pretres eux-memes ont pervertis. J'en puis


I




( 198 )
dire'autant pour le culte.Malgré tout ce que.
peuvent faire les pretrespour éloigner et
dégouter les fideles, jamais j:e; n'ai vu les.
églises autant fréquentées.


Il faut expliquer pourquoi, malgré les:
pretres ,. il Y a encore de la religion en
France.


J'entre dan s un village. leí j'aper~ois une
fontaine; la une église. A la fontaine, ehaeun
vient a SR volonté pour les besoins dé la
maison; on vient de meme aux bassins qui
sont destinés ,it la ver le linge et le délivrer
de ses impuretés. Jusqu'a présent il n'y a en
aueune loi pour foreer les habitans a venir a
teljour, a telle ou a telle heure. Si une pareille
loi existait, et si elle était accompagnée de
menaces,on y viendrait encore : car l'eau est
un besoin indispensable. L'aeces du temple
est libre comme celui de la fonl'eline :·13.
est aussi une autre piscine pour d'autres im ....
mondices. Des lois sages ont prescrit a cet
égard quelque regle; mais sans ces regles
faites dans d'autres temps et peut-etre pour
d'autres temps, on peut croireque les églises.
seraient fréquentées de meme, car Diel\
aussi est un besoin pour les consciences.




( 199 )
Dans mes montagnes, si le chef de la


maison meurt, aussitót tout.e la famille se
couvre de deuil. Riche ou pauvre, artislln
ou laboureur, de condition humble ou de
condition élevée, personne ne manque a ce
devoir. Il est vrai que jusqu'a présent il n'1
:; a cet égard aucune loi; mais si, a l'exem-
pie de notre admirable Code frant;ais qui a
bien voulu prescrire a un pere de nourrir
son fils, si une loi avait la bonté de prescrire
a un fils de porter le deuil de son pere; si
a ceUe prescription elle ajoutait la menace
des échafauds.; si le pretre yajoutait de plui
les menaces d'etre brUlé vif pendant toute
l'éternité, et si ,pour le salut des ames, son
zele ajoutait encore un certain train d'in-
quisitions e\ de vexations domestiques, je
ne puis dire si de ceUe maniere l'ancien
usage du deuil eonserverait long-temps sa
faveur.


Quand je considere les dispositions géné-
rales de l'homme ,et en meme temps les dis-
positions particulieres de la France, ainsi
que le caractere essentiel du christianisme,
rien neme paraít sifacile que d'etre chrétien.
Cette facilité ne convient point a ceux qui,




( 200 )


dans les voies de la vie a venir, voient un
moyen de s'emparer de la vie presente. Ces
voies sont alors saisies, detournees, contour-
nees de toute maniere. Ce n'est plus la vie
chretienne qu\m propose a la societe, e'est
la vie devote. Cette vie, qui est toute de de ...
vouement, etant plus elevé e , plus difficile,
rintervention du pretre y devient par-la
meme plus eontinue et plus nécessaire. A tout
prix il faut ehercher a effacer sur la terre la
vie 'chrétienne, poul' y substituer la vie
dévote.


leí il faut prendre garde a un nouveau
danger. Encore que la vie dévote, toute dif-
férente de la vie chrétienne, me paraisse
inapplicable a la vie mondaine,illle s 'ensuit
pa-s que, meme pour les hommes du monde
(sí elle se contient dan s sa sphere), elle
puisse etre un opjet de dédain. Ceux qui
seraient disposés a eette impression doivent
savoir que cette sphere n'est etrangere au
monde que paree qu'elle lui est supérieure.
Le chrétien n'est qu'un candidat de sainteté
pOUl' une autre vie.Vhomme de la vie devote
offre le spectacle de la saintete melne sur la.
tel're, et ce n 'est pas seulement dans le~




( :Wl )


ages présens du christianísme ; dans tous leg
temps les choses du cíel se sont conservees
en possession d'etre au-dessus des choses
de la terreo Le meme sentiment s'est mani-
festé a cet egard dans les religíons fausses,
comme dans les religions vraies; et de-la
ces grandes institutions des Therapeutes
d'Alexandrie, ceHe des Brachmanes, des
Gymnosophistes et du Mont-Carmel, ainsi
que les sectes épurees du paganisme connues
sous le nom de pythagoriciens et de stoiciens.


La belle religion chrétienne, si faite pour
tous les genres de perfection, ne pouvait
manquer de rechercher ceHe de la vie devote.
Plus qu'aucune autre, elle a brillé de recIat
de ses institutions monastiques. Les cités
n'ont pas ete a cet égard plus négligées que
le deserto Ul aussi et au milieu du tumulte
du monde, on a pu reconnaitre parmi les
grands hommes de la vie presente des héros
de l'autre vie.


L 'exceJIence de la vie dévote au-dessus de
la simple vie chrétienne, a pu étre pour cer-
taines personnes un motif, pour d'autres elle a
été un prétexte. Comme dans cette sphere
toute particuliere,les regles, les rites, les com-




( 202 )


mandemenssont plus multipliés et plus aus-
teres, le ministere du pretre y devient
d'autant plus important, que l'amour qui
multiplie les devoirs, multiplie aussi les in-
fractions ; dans la vie chrétienne ,les fautes
ne sont que des fautes; la elles paraissent
des crimes. Par-la meme le pretre y est con-
tinuellement appelé, comme instrument
continuel et nécessaire de secours, de con-
solation et de réparation. J'ai lien de croire
que"ce gout d'importance, ce penchant a
l'étendre par tous les moyens, est ce qui
a porté le pretre a embarrasser la vie
chrétienne de beancoup de détails de la
vie dévote; pen a peu il a été amené a les
meler Pune a l'antre et Hes confQndre. Fans-
sant alors tontes les idées, for<;ant tous les
rapports, il a cherché a rendre la vie dévote
applicable anxhabitudes, au mouvement,au
besoin du monde. n n'a pu y réussir. n était
inévitable que cette nouvelle espece de chris-
tianisme s'appliquant gauchement aux be-
soins de la vie mondaine, ne fut peu a peu
tournée en dérision, éludée, repoussée, et
que tombanten discrédit, elle n'entrainat
dans sa chute le christianisme lui-meme.




( :103 )


CHAPITRE IV.


QUE LE SYSTEME, PAR SON PLAN GÉNÉRAL, TEND A,
ALTÉRER I!.T A DÉGRADER LE SACERDOCE ; CE QUE C'EST
QU'UN PRETRE.


EN meme temps que les grands person-
nag'es que j'aecuse s 'efforcent de porter la
vie mondaine dan s la vie dévote, le specta-
ele le plus singulier est de les voir s'eflorcer
de porter les pretres dans la vie du monde.
n n'est pas difficile de montrer le danger
d'un tel plan; iI suffit de se faire une idée
du véritable caractere du pretre, de consi-
dérer rorigine du respect qui s'y attache, et
ensuite de l'autorité qui en provient.


Une des parties les plus nobles dans le
caractere de pretre (et qui est particuliere a
l'excellente religion eatholique), e'est le cé ....
libat qui lui est imposé. Je ne vois pas en
général que les hommes du monde tiennent
assez de compte de ce sacrifice. Ceux qui "




( 204 )
soit dans Phomme, soit dans les animaux,
ont étudié avec soinles premiers développe-
mens de Porganisation, peuvent dire aquel
point toute cette nature, condamnee a la
mort, et qui en a le pressentiment, met,
dans les premiers momens, tout en reuvre,
non-seulement pour maintenir la vie, maÍs
plus encore peut-etre pour la transmettre et
la propager. Les ateliers de la reproduc-
tion se composant ainsÍ avec la meme acti-
vi té que ceux de la conservation, quand les
premiers sont parvenus a toute leur force,
ce n 'est pas une petite affaire que de les con te-
nir sans eesse et de les comprimer. Dans le
cours de sa vie , le pretre aura probablement
a triompher de beaucoup de choses; poul'
s'y préparer, il faut qu 'jI eommence a triom-
pher de lui-meme; de-la un état continu de
souffrance et de combats seerets qui, se
peignant sur le visage pale de la victime,
m'a fait souvent. baisser les yeux d'attendris-
sement et de respecto


Ce n'est pas le seul saerifice du pretre.
Vhomme du monde se pare de sa compagne;
il se pare aussi de ses enfans : dans les mise-
res de la vie, e'est une consolation, c'est ausst




( '.!O5 )
nn appui. Vos enfans, dit l'Esprit-Saint, se-
tont eomme les rejetons de l'olivier autour
de votre tableo ( Filii tui sicut nMellce olúm-
rum in circuitu menue tuce.) C' est ainsi,
ajoute-t-il, que sera béni celui qui craint le
Seigneur. (Ecce sic benedicetur horno qui
timet Dominum. )


Le pretre n'a a espérer ni eette bénédie-
tion, ni eette réeompense. Privé de eette
immortalité eharnelle vers laquelle se porte
avec vivacité la nature animale, le pretre qui
pense a une immortalité plus précieuse, et
qui, pour cela, s'est voué a Dieu, se voue
aussi a la priere. J'ouvre le livre qui lui a
été imposé. D'apres la regle qui lui a été
faite, il doit prier Diéu a la premiere heure,
ensuite a la troisieme, puis a la sixieme,
puis encore a la neuvieme; le soir e'est
vepres et eomplies; au lever du soleil c'est
matine et laude. Une joupnée, coupée ainsi,
laisse peu de loisir.


Par la priere,le pretre se remplit de Dieu:
cela ne suffit paso lei j'ai a rappeler un ordre
de mysteres qui form.e. dans la religion ca-
tholique un des premiers apanages du pre-
tre; e'est qu'a sa volonté Dieu deseend du




( ~w6 )
ciel et se transforme en nourriture. J'ai mon-
tré ailleurs comment, des le principe des
choses, une vertu divine était entree dans la
chair et avait composé l'homme; fai dil.en-
core comment, dans la suite, le verbe de
Dieu luÍ-meme s'était faÍt chair el. avait ha-
bite parmi nous. Pour complément de mer-
veille, une chair divine vient se meler a la
chair meme de l'homme. C'est ce que le pre-
tre exprime tres-bien, lorsque, s'adressant
dans le saint sacrifice de la messe au corps
et au sang de Jésus-Christ, illeur demande
des'attacher a ses en trailles : Adhcereat visee-
ribus meis.


Pénétré sans cesse de la substance de Dieu,
le pretre est la colonne par laquelle, d'un
cóté, les vreux et l'encens de la terre mon-
tent jusqu'au ciel; par laquelle, d'un autre
cóté, les bénédictions du ciel descendent sur
la terreo n devient ainsi le médiateur entre
Dieu et l'homme.


Avec tant d'avantages, est-ce que le creur
. d'un pretre ne se remplira pas d' orgueil? au
contraire, d'humilité. Plus il approche de
Dieu, et plus il comprend son néant ou sa
petitesse: Dans les choses spirituelles ce n'est




( 2°7 )
pas ce qui s'éleve qui a de la foree; e'est au
contraire ee qui s'abaisse. Le germe qui as-
pire a la vie ne se presente pas au soleil avee
arroganee; iI serait aussitót desséehé et
brulé. Mieux avisé, iI se eouvre de terre ;
réfugié ainsi dans les ténebres, il se produit
bientót au jour, et porte des fleurs et des
fruits. De meme e'est dans l'abaissement que
le pretre obtient l'élévation; e'est dansl'obs-
eurité qu'il parvient a la lumiere. Cette loi
qui nous découvre dans l'orgueil des anges
et dans eelui d'Adam les premiers erimes du
monde, nous faít apereevoir dans l'abaisse-
menl de Jésus-Christ et de ses Apótres le
grand principe de la grandeur du chris-
tianisme. Toute la grandeur du prctre et
toute sa force sont dans l'humilité.


Penetré de ees vérités, je 11 'ai pu voir
qu'avec douleur dans un bref reeent relatif
a u Jubilé, une éruption de colere el de me-
naces qui, en paraissant sans objet par rap-
port a la France, a paru aussi genéraIement
peu apostolique, et par-la meme peu pon-
tificale. Il nous asemblé entendre l'artillerie
du chateau Saint-Ange, melee aux foudres
du Vaticano Avec un autre esprit, le pape




( 208 )


sOn prédécesseur, a qui il avait échappé"
une erreur, se contenta de dire: Je suis cen-
dre et poussiere. C'est U. que pour un pretre
se trouve l'autorité; elle vient de Dieu
meme qui a dit: Apprenez de moi que je
suis doux el humble de camr.


Ce caractere du pretre, tel que je viens de
le décrire , ne peut se présenter aux hommes
sans provoquer le respeet; toutefois, entouré
des séduetions du monde, qu'il prenne
garde de s'y laisser entrainer; e'est ce qu'il
fera toujours, lorsque, malgré les préeeptes
de Dieu et des apótres, il voudra se melcr
a ses mouvemens.


En observant la chasteté, ou meme en
réduis3nt son corps en servitude comme
saint Paul, un pretre pense remplir les de-
voirs qui lui sont imposés. n n'en remplit
qu'une partie; illui reste a dompter les sug-
gestions de l'esprit. Vamour charnel n'est
pas la seule volupté de la vie, l'amour de la
domination en est une autre assez vive.


Dans les premiers ébats d'un amour inno-
cent~ si malgré la pureté d'un jeune homme,
les maitres de la vie spirituelIe conl(oivent
déja de l'inquiétudc: avertis cornme ils le




( ~:W9 )
sont de la folie des sens; pour peu que ces
ébats prennent un caractere vif, si leur in-
quiétude augmente, et s'ils reconnaissent
déja. ce qll


'
ils appellent indicia periturre


castitatis, que penser de ces autres ébats ou,
par refret d'une autre espece de concupis-
cence , l'orgueil convoite l'orgueil, ou
l'homme cherche a dominer l'homme? Cest
en vain qu'on se parera des plus beaux mo-
tifs, il sera facile de reconnaitre le penchant
d'une ten dance dépravée, et bientót indicia
periturte sanctitatis! lJour le jeune homme
passionné qu'y a-t-il de plus heau que l'a-
mour? Pour le pretre qui s'égare qu'y a-t-il
de plus noble que la conquéte des ames?
Que peut-on faire de mieux que de s'empa-
rer du monde pour le donner au cíel?


Telles sont les suggestions arti6cieuses
avec lesquelles l'esprit du mal pousse les
pretres dans les choses du monde, et par-la
meme. a leur dégradation.




( ?IO )


CHAPITRE V.


CONTINUATION DU MElIlE SUJltT ; DES IIAISONS QUI SONT
ALLÉGUÉES POUl\ POl\TEl\ LES PRETilES DANS LES CHOSES
DU MONDE.


TOUTE nation qui a des mreurs et qui s'est
placée dans le monde civilisé de maniere a y
avoir quelque honneur, se fait remarquer
par son respect pour les femmes et pour les
pretres. Elle se fait remarquer en meme
temps par le soin qu'elle met a les éloigner
de ses affaires.


Et d'abord, pourquoi cette exclusion des
femmes? y a-t-il dans leur constitution
particuliere quelque chose qui aceuse leur
incapacité? Si j'avan~ais eette maxime, la loi
civile s'éleverait aussitót pour me dire qu'a
la mort du mari , elle institue la femme tu-
trice des enfans et gouvernante de la mai-
son: la loi politique s'éleverait a son tour
pour me dire que meme dans le royaume de




( 211 )


France, ou les femmes ne succedent pas a
la couronne, elle institue a la mort du roí la
reine tutrice des enfans et regente du
royaume. Vhistoire et le tableau de la so-
ciéte s'eleveraient de leur cóté pour me
monlrer de grandes reines comme de grands
rois, ainsi qu'une multitude de femmes let-
trees et savantes. Certes; il faudrait avoir
bien du courage pour soutenir que madame
de Maintenon n 'avait aucune capacite poli-
tique, et que madame de StaCl n'etait pas
digne de figurer dan s une académie.


Actuellement, je puis me demander, non
pas s'il y a dans la constitution du pretre
quelque chose qui l'exclut des fonctions so-
ciales , mais au contraire pourquoi il ne les
exerce pas toutes. Véducation particuliere
que le pretre re¡;oit, les lumieres qu'il est en
état d'acquérir, la superiorite de vertu comme
de talent qui le place généralement au-des-
sus des autres hommes, me paraissent des
avantages tellement incontestables, que je
n'ai plus a demander pourquoi on lui attri-
bue telle ou te11e fonction, mais seulement
pourquoi i1 ne les exerce pas toutes . .Te ne
sais, par exemple, pourquoi nous avons un


14·




( 212 )


ministre de la justice et un ministre de Pinté';
rieur lalques? pourquoi nous avons de meme,
composés, cornme ils le sont, des préfets et
des sous-préfets, des maires de village et des
rnaires de can ton? pourquoi nous avons nos
cours royales actuelles, nos tribunaux de
prerniere instance el nos juges de paix.
Est-ce que le clergé supérieur et inférieur
ne remplirait pas bien ces places? Me con-
testerait - on qu'un curé qui a appris en
théologie son Traité de la justice , en meme
temps que son Traité de la grace, qui a
l'habitude de la dialectique et de la scho-
lastique, est moins propre qu'un maire bour-
geois au contentieux des affaires; qu'il por-
tera dans Padministration moins de lumieres,
dans ses jugemens moins de conscience et
d'équité? Me contesterait-on que certains
cardinaux, certains éveques, certains abbés,
n'aient pas été de bons juges, de bons minis-
tres, de véritables homrries d'Etat? Oserait-
on me dire, paree qu'on est pretre, qu'on
doit aussitót se trouver frappé d'une sorte
d'infériorité ou d'incapacité dans les affaires.


Ceux qui veulent exclure les pretres de
tonte fonction civile ne me diront pas cela;




( 213 )
ceux qui veulent les porter partout ne me
diront pas non plus que e'est a cause
d'une supériorité particuliere. Ils se gardent
de généraliser ainsi les prétentions; ils con-
sentent a laisser aux hommes du monde un
certain train des affaires du monde; ils met-
tent saulement a part l'éducation qu'ils at-
tribuent aux pretres, comme étant leur do-
maine particulier. On a entendu parler des
grandes difficultés du chinois et de l'hé':"
breu; on a entendu parler des grandes
difficultés du calcul différentiel et intégral :
aux yeux de ces hommes, la morale et le
cuIte chrétien offrent apparemment des dif-
ficultés semblables.


A l'égard des grandes fonctions d'Etat,
ces hommes sont de meme tres-raisonnablú.
Ils ne prétendent a aucune exclusion des
laiques; ils demandent seulement pour les
pretres une part suffisante: la vie dévote a.
laquelle le pretre appartient, et les soins
pénibles de son ministere exigeant du re-
pos, que peut-il y avoir de mieux que de
l'employer avec utilité aux affaires publi-
ques? En outre de ce délassement convena-
ble, la puissance temporelle étant sujette ;\




( ~H4 )
heaucoup d'entreprises, n'est-il pas natu-
rel qu'il y ai! dan s toutes ses parties un poste
d'éveques ou de pI:etres 11 l'effet de surveil-
ler jour a jour ses mouvemens, voir en quoi
ils peuvent contrarier ou favoriser, offenser
ou seconder ceux de la puissance spirituelle?
e'est ainsi qu'il y a eu de nos jours un com-
missaire anglais a Dunkerque, non pas pour
régir la ville, mais seulement pour observer
les mouvemens du port, et réprimer dans
l'intérieur toute entreprise de construction
supposée nuisible a des intérets rivaux.


Je ne suis point étonné de ces pretentions
des pretres. Je ne les accuse me me pas trop
de ce qu'elles ont d'exagération. Apres les
événemens d'une revolution qui a tout bou-
leversé, le mouvement qui l'a suivie a eté
tel, que les creations nouvelles, se faisant
avec toute l'énergie qui leur était pro-
pre, ont dO. excéder bien souvent l'espace
qui leur appartenait. Entre nos anciennes
institutions, comme celle du clergé, toute
mutilé e qu'elle était, se trouvait, par toutes
ses connexions, la plus facile a se reprendre;
elle s 'est reprise avec d'"autant plus d'activité,
qu'autour d'elle la place était vide. Attendu




( 215 )


les obstacles qu'elle a éprou vés de Bonaparte,
si au premier abord elle n'a pu s'étenclre R
son aise , aussitót que la légitimité lui en a
laissé la liberté, elle a dli en profiter. La 16-
gitimité elle-meme, trouvan,t tout désert, a
regardécomme une fortune une base ou
elle pouvait s'appuyer~


lei, il faut prendre g;lFde de ne rien ou-
trer. Dans le mouvement d'un grand Etat,
ou la puissance temporelle proteetrice de
tous les intérets a a protéger nos intérets
chrétiens comme tous les autres, il est dif~
fi,cile que le monarque qui a un conseil pour
to"tes les parties de sop gouvernement, n'y
,appelle pas quelquefois pour les intérets spi-
rituels les princes de la vie spirituelle : tout
ce ,que raí a di re , e 'est que pour les pretres
cornme pour le pouvoir, pour la religion
comme pOllr la SQciété, upe loi a 9bserver
rigoureusement c'estd'empecher les pretres
d'occuper dans les fonctions civiles un poste
fixe.


Quand une nation est tres-galante, elle
met un grand soin a éloigner les temmes des
affaires; caralors elles ont trop d'importance.
Quand une nation est trcs-religieuse, elle




( 216 )


doit par la meme raison mettreun grand soin
a éloigner les pretres; si elle n'est pas tres-
religieuse,ilfaut encore qu'elle les éloigne;
car elle doit chercher a gagneren leur fa-
veur l'affection et le respecto Eh !comment
les respecter, lorsque, fausSjlnt toutes les at-
titudes et toutes les ll11ul'es; on les vOlt
quitter Pétole pour la toge,la togepou.r l'é-
tole; cumuler les fonctions de magistrat et
de pretre, de législateur et de magistrat!


Si on a une véritable idée de ce qui cons-
titue des pretres, n 'est-ce pas une pitié de
les voir introduits non-seulement dan s les
universités 1 dan s les administrations , mais
meme dans les académies? Encore si c'é-
tait de ces pretres de Pancien régime,
especes d'abbés, je ne dirai pas sans sacer-
doce, mais au moins sansministere, etdont
iI était bon de Ihettre aprofit. les talen s
distingués, et l' éducation soignée. lVIaisce
sont, au contraire, nos pretres les plus fer-
vens, ce sont le plus souvent des modeles
de sainteté, especes d'arbres divins qu'on
se plait a dégrader en les el1tal1t sur la vie
du siecle pour leur faire porter les fruits de
la frivolité.




( 2 [7 )
On a cru donner ainsi de la considération


aux pretres. Je le demande, un artiste qui
aurait a faire le portrait de M. l'Arche-
veque de Paris, le peindrait-il de préfé-
rence au moment ou il siége ¡l rAcadémie,
faisant des observations savantes sur les par-
ticipes et les particules? Non. Pourquoi?
Parce qu1il sentirait que sou modele se
trouve ainsi abaissé. Granet vous a pIu ave e
son tableau des Capucins. Pourquoi? Par
beaucoup de raisons assurément d1art et de
talent, mais aussi par l'attitude dans laquelle
il a placé ces religieux. Si au lieu de les pein-
dre dans une église et en prieres, illes avait
peints en récréation, au réfectoire, ou
meme, si vous voulez, avec rimportance
que le cardinal de Richelieu avait donnée a
son pere Joseph, iI aurait pu, comme pein-
ti'e, avoir le meme talent: iI n1aurait pas eu
le meme succes.


Vous voulez inspirer en France du res-
pect pour les pretres. Au nom de Dieu ne
les mettez ni dans le monde, ni dans les af-
faires! Quoi qu'ils vous disent, empechez-Ies
de se prostituer dans le détail des miseres
humaines. Vous renfermez vos vases sacrés




( 218 )


dans des tabernacles; vous ne les produisez.
au regard public, meme au culte, qu'avec
menag'ement: faites-en antant de vos pre-
tres. Ne permettez pas a ees ciboires et a ces
ealices d'aller parader dans nos fetes. Les
fernmes sont des fleurs; les mettre dans les
affaircs, e'est les faner. Les pretres sont des
vases saints; les employer aux usages du
monde, c'est les profaner.


Pour legitimer cette profanation, plu-
sieurs exemples sont allégués. On a cité d'a-
bord rantiquité; on cite ensuite les services
importans rendus par le clergé a la société.
Certes, ce n'est pas moi qui contesterai ees
allégatioDs; je les appuierai meme de tout
mon ponvoir; j'en contesterai seulement
l'application.


Dans l'eufance des sociétés, Jorsque les
hommes appliques tantot aux besoins de la
vie, tantót emportés dans le mouvement des
combats, n'avaient encore ni instruction, ni
corps de lois fixé, ni presque de constitu-
tion soeiale, il était llaturel que tous les re-
gards se tournassent vers les hommes de
Bieu, leshommes de la méditation et de la
priere, les seuls qui, avee du loisir, eussent




( 21 9 )
en me me temps de rinstruction et des ver-
tus: c'est ainsi qu'en Égypte, chez les Hé-
breux et dans la Gaule, les pretres acquirent
la domination civile et politiqueo


En France et chez plusieurs nations de
rEurope, lorsque l'empire romain croulant
de toutes parts avec ses anciennes mreurs,
ses anciennes institutions, son ancienne re-
ligion, ses anciennes lois, le sol se trouva
tout-a-coup investí par une multitude d'é-
trangers, n'ayant eux-memes d'autres ha-
bitudes,que ceHes de la guerre, d'autre gou-
vernement que celui des armes, ce fut su-
rement une fortune pour ces étrangers , ainsi
que pour ce qui restait d'habitans indigenes,
de trouver aupres d'eux des hommes let-
trés, fa<;onnés, en meme temps qu'a la
vertu, aux arts, aux lois, a la discipline
sociale.


Dans un age plus avancé, les croisades
ayant de nouveau bouleversé la France, en
portant vers rOrieut tout ce qu'elle avait
d'hommes considérables, il fut encore tres-
heureux pour elle qu'ilrestat dans son sein,
sous le norn de clercs, des hommes capa bIes
de remplir une partie des fonctious civiles.




( 220 )


Ce n 'est ni dans une telle situation, ni
dans de telles circonstances, que se montre
un certain esprit ambitieux que j'aceuse.
Et d'abord une vérité importante dans
eette discussion, et qu'on ne doit jamais
perdre de vue, e'est que dans les éearts que
je signale, e'est toujours moins le clergé que
la société, les gouvernemens, les souverains
eux-memes, qui sont eoupabIes. Les temps
le sont aussi. Si les temps sont troublés , si
les gouvernemens sont peu éclairés, si la
société se partage entre une dévotion ar-
dente, stupide, et une indifférence religieuse
eneore plus stupide, iI faudra que tout sorte
de sa voie, et par eonséquent s'égare.


Qu'il me soit permis de prendre pour
exemple une des eommunes de Franee,
telles qu'elles sont eomposées avec leurs
juges de paix, leur maire, leur notaire. Si,
par l'effet de je ne sais quelle paralysie,
ces fonctionnaires se trouvaient empeehés
pour l'exereice de leurs fonetions, est-ee
que le curé, homme eharitable, plein d'ac-
tivité et d'instruetion, abandonnera a eux-
memes ses paroissiens? Au eontraire, iI
leur administreta avee plus de zele les se-




( 221 )


cours qui sont asa disposition. Des proprié-
taires ont entre eux des contestations sur les
limites de leur possession; le curé se trans-
portera sur les lieux, et avec prudence,
savoir, équité, il prononcera sur ces contesta-
tions. Il en sera de meme sur les autres
points. Des ponts sont a construire, des
chemins ont besoin de réparation; la fon-
taine du village, l'horloge, Pécole publique
demandent quelque entretien. En l'absence
du maire, si le curé, qui a du zele, assemble les
principaux habitans, s'il regle avec eux le
contingent des contributions; dans ses visi-
tes pastorales, si le mourant lni confie ses
dernieres volontés, si le pere de famille lui
confie ses projets d'établissement; dans les
maladies des hommes et des animaux, s 'il
lui convient d'appliquer les secours de ses
lumieres et de son expérience, quel repro-
che méritera-t-il en cela? quel prétexte sur·
tout trouvera-t-on pour Paccuser?


Je conviens de cette maniere que peu a
peu l'office de juge de paix, celui de maire,
celui de notaire, de chirurgien de village, ou
de maitre d'école, tomberont. A qui la faute?


Dans un de me~ précédens écrits fai cité




( 222 )


avec éloge l'ouvrage du Pape, de M. le
comte de Maístre. Cet éloge ne porte cer-
tainement pas sur la partie ultramontaine
de ce livre; mais iI est tres-vrai, a mon
avis, que personne n'a démontré aussi vic-
torieusement que cet écrivaill, comment,
sans allcune espece d'ambition, de dessein
et de préméditation, mais seulement par
l'impulsion des temps et des événemens, le
pouvoir des papes est parvenu a envahir
non-seulement la ville de Rome, maís en-
core l'Italie et une partie du monde. La
puissance des pretres envahirait de meme,
si certains temps revenaient, et si on. les
laissait faire, tous les emplois, tous les offi-
ces, toutes les dignités, toutes les autorités.
Et qui pourrait dire que l'administration
ecclésiastique n'est pas aussi bonne qu'une
autre? J'ai suivi pendant long~temps tout ce
que j'ai pu découvrir de nos vieilles char-
tres: j'ose affirmer que sous ce gouverne--
ment féodal qui a tant occupé nos écrivains,
l'administration des. éveques, ceHe des ah ...
bayes et des couvens de moines, non-seule-
ment égalait, mais encore surpassait en
équité, en bonté, en paternité, radminis-




( 223 )


tration la plus renommée des hauts barons.
~. Actuellement, apres avoir admis avec


vous tous ces faits, apres les avoir excuses,
justifies meme par le úle et la neeessité des
temps; apres avoir reeonnu encore les biens
que la société en a retires, il ne s'agit plus
que de savoir si nous sommes dans un
temps et dans un état de société, ou l'in-
tervention civile et politique des pretres
puisse etre regardée de meme comme un
avantage ou eorome une néeessité. Il faut
aussi eonsidérer, soit pour le sacerdoce,
soit pour la religion, soit pour I'autorité,
soit pour la societé, les ineonveniens qui
anciennement se sont melés aux avantages.


Si eette immersion des pretres dans les
affaires mondaines est precisément ce qui les
a perdus; si, en s'emparant du monde, il
est arrivé qu'en meme temps le monde s'est
emparé d'eux; s'il en est résulté des atta-
ques continuelles contre l'autorité, la dépra.
vation générale des mreurs, les r~voltes suc-
cessives du calvinisme, du jansénisme, et
finalement de l'athéisme , vous devez pren-
dre garde, avec les m~mes causes, de pro-
duire les memes effets . .Te n'irai pas recher-




( n4 )
cher ici avec affectation leur conduite sous
la seconde race, lorsqu'ils deposerent Louis-
le-Débonnaire et Charles-Ie-Chauve; je ne
la rechercherai pas non plus dans les pre-
miers temps de la troisieme race, lorsqu'ils
excommullierent le roi Robert, qu'ils mena-
cerent Philippe-Auguste, saint Louis, Phi-
lippe-le-Bel; je ne la rechercherai pas non
plus dans la guerre des Albigeois, lorsqu'ils
mirent tout le Midi en feu. Au temps de
saint Bernard, si le clergé était déja perdu
de simonie et de débauche, ainsi que je le
vois dans ses Lettres; sons saint Louis lui-
meme, si les abus étaient arrivés a un tel
point, que j'y trouve un éveque agé de dix-
huit ans; plus tard, c'est-a-dire apres le
concordat, s'il s'était renouvelé a l'égard des
pretres une sorte de spoliation semblable a
ceBe de Charles Martel; si la société était
arrivée,' a l'égard des pretres, a un tel mé-
pris, qu'il y avait de grandes dames qui di-
saient mon éíJéche', ma cure; plus tard en-
core, si le capitaine Bourdeille s'était sans
fat;on emparé de l'abbaye de Brantóme, dont
il a publiquement pris et gal'dé le nom;
enfin, si je me mets a peindl'e tout l'état de




( '!~5 )
l'Eglise, de la religion et de la so cié té' a u
temps de Léon X, et tout ce qui s'en est
suivi, on conviendl"a que les avantages ap-
portés par l'introduction des pretres dans
les choses temporelles, présentent des COlTl-
pensations.


Je n'ai pas fini.
Apres cette époque,je ne chercherai pas,


si ron veut, le temps de la Ligue el celte
eonspiration continuelle des jésuit€s contre
HenrilV, leur bienfaiteur etleur victime. Jc
me placerai, au plus presde rage présent t
sous le regnede,LonisXIlI.La je ne con les-
lerai pas au cardinal de Richelieu un grand
talent comme homme d'Etat; mais si je veux
le dessiner cornme pretre, dans quel1e partie
de sa vie le prendrai-je? Sera-ce lorsqu'il
endosse la cuirasse et qu'il commande les
armées ; lorsque, créant des commissions <lU
lieu de juges, il fait trancher la tete a Ma-
l'illac et au jeune de Thou; ou bieu, lors-
que, tout entier a la niaiserie d'un poeme
tragique, iI cherche a soulever l' Académie
el Paris contre le Cid; ou bien encore dans
l'intérieur de sa maison, lorsqu'il fail soute-
lIir des thcses d'amour a sa uícce ?


15




( 226 )


Je passe a la minorité de Louis XIV. Jé
ne contesterai surcment pas au etrdinal de.
Retz un grand talcn! et un esprit élevé; mais
oelui-la, sije veUK encQr.e le ,dessiner commc
pretre, daoS' qUJ~l.nloment l~ :prendrai-j1! '?
Est-ce au parlement~ lorsqu'il harangue pour
la Fronde, ou dan s les rues ,lorsqu'il en di-
rige les légioos , ou daníl les salena de Paris ,
lorsqu'il est p\1bliquemeni amoureux d~ ma-
Elemoiselle de Chevreuse?, Xl est vrai que
j'apprends de lui el du président ~lolt!qu'elle
avait de tres,,::-heaux yeux ..


Lecteur, vous ne counaissez peU:t~~tre pas
le madrigal suivant :


Iris s'cst rendue a ma fOÍ;
Qu'cut-elle fait pour sa défense?


Nous n'étions que nous trois, elle, l'amour et moi,
Et l'amour fu~ d'inteHigence.


Et de qui sont ces jolis vers? D'U~l pretre
acadéOlicien, d'un prédicateur du Roi sous
Louis XIV, du fameux ahbé CoUin.


Je vous fais g'race du cardinal Dubois. Je
ne veux vous citer que des abhésbeaux es-
prits, charmans vauriens , tels que Chaulieu
et Lattaignant, ou un homrne d'affaires de




( 2~j )
nos jours, l'abbé Terray. Avec une telle lé,...
g~ende de saints, vous etes étonnés de l'a-
baissement de la religion et de la dégra-
dation du caraetere depretre. Vous allez
chereher parmi les philosophes une eonspi-
ration eontre la religion; pretres, e'est dans
.votre sein que .vous la t~ouverez! Vous la
trouver~z dans ce eercle d'abbés de eour
qui, en Sorbonne, se réfugiant dan s un coin,
a l'effet de troubler plus a leur aise la dé-
monstration du professeur, lefit s'écrier: In
an::,07.tlo sardes' el de sordibus episcopio' Vous
la trouverez dans vos pfétentions> a'alors atl
bel esprit, aux affaires , a 'toutes les monda:...,
nités; vous la trouverezeneore aujourd'hui
dans lei memes dispositions' qui vous ont
repl"IS, et qui vous conduiront. aux niemes
drets.




( 228 )


CHAPITRE VI.


QUE LE SYSTlhm, OBJET DE L' ACCUSATION, TEND A
ALTÉRER~ BT A PERVERTIR LA ~lORALE; CE QUE C'¡:ST
QUE LES MORURS.


J E suis porté a croire, malgré les grands
progres de la civilisation, qu'on ne sait pas
bien ce que c'est que les mreurs. Jusqu'a
présent aucun homme administrant n'a été
daos le cas de s'en occuper; nos grands pen-
seurs eux-memes ,Locke, Montesquieu, Ba-
con, oot supposé les mreurs sans les définir.
00 a de Tacite un ouvrage admirable sur les
mreurs des Germains; dan s cet ouvrage, le
mot mmurs ne signifie que les coutumes. En
géoéral, les anciens ont parlé de mreul·s
comme on parle de l'air qu'on respire sans
sa voir ce que c'est. n me conviendrait fort de
suivre cet exemple, si en parlant sans cesse
des rnreurs qu'un certain partí confond avec
la religioll, a l'eRet de mettre le tont ensem-




( :t29 )


ble sons l'autorité du pretl'e, il n'en résm-
tait ponr la soeiété des eonséquenees redou~
tables que je dois éeal'ler.


Tout ce qui s'appelle MOEURS représente
une sorte <l'ensemble, <l'union, on, si ron
veut, d'harmonie. Sous ce rapport, on dis-
tinguetes moours politiques qui sont propres
a· unenation, les moours locales quiso.nt
propres a une eontrée, les moours domesti-.
ques qui sont propres a la famille, les moours
individuelles qui earaetérisent I'ensemble de
la vie. Cet ensemble, cette harmonie d'ou
résulte daos les individus eeHe énergie qu'on
appdle vertu, dan s leseongvégations l'es-
prit de corps, dans la famille l'honneur,
daos. la contrée l'esprit public, dans une
nation le patriotisme : voilit ce que c'est que
les moours.


Comme les mreurs, dans leurs diverses
lluanees, dérivent du meme principe, elles
sont sujettes anxmemes reg-les. Dans Phomme
individuel , si Pharmonie qui compose sa
force n'est jamais rompue, il a le bonhenr·
de demeurer, dans tout le cours de sa vie,
semblable a lui-meme. Il se trouve ainsi dans .
.sa vieillesse sur la meme voie qu'il a tenue




( 230 )


ftujeune:áge' : .c'€stce que l'Esprit-Saint ex ....
prime tres-bien par ces paroles: Adolescen .•
. , . . . ]uxta vwm suam, etlam cum senuerzt non
rectldet ah eá~ ".


Emporte par le flot des événemensqui
HOUS ég,arent, Gupar raraeur; des passions
quinous entrainent; siraccord de notre vie
viel4t: a: se rompre ,en quelquepoint., ílen
résultera, dans des chóses de peu d'impor-
lance, une simple imprassion de malaÍose;
dans aes ehoses qui loucheront notrehon-
neur Ou notre conscience, un etat plus ou
moins douloureux de honte et de remords~
5i'~etaccord vient a elre hrisé souven!, il
n'y aura plus de remoras; iI Y aura une vía
tout entiere 'rompue et déprise d'avec e11e-
m6ne. On dirá d'un tel homme qu'il est cor';"
rompu; il le sera en effet dans tout le sens de
oetté expJ'~ssion ;car !'la vie dissoutesera
tout. en pÍeees, et ne tiendra par aueun
hotit. '


n n'eh- sera pas autrement d'une nation.
Si par le flotdes passions ou par eelui des
6venemens, la vie nationale, s'affaiblissant
par certaines causes, vient a se déprendre
tout-?l-fait de sa vie passée, si toutes ses




( 231 )


;mciennes institutions viennent a. se rompre.,.
el si, en voulant ensuite se reprendre, elles.
se rompent encore el se fracturent ainsi sanso
cesse, pendant un certain laps de temps, on
aura en grand le spectacle de corruption qui
peut se remarquer dans la vie d'un indi-
vidu.


Dansim autre chapitre, faurai a montrer
plus particulierement comment la religíon
doit s'accorder avec les mreurs, les afIt~rmir
quand elles sont honnes, les ·corriger quand
elles sont défectueuses. En ce moment, je ne
<lois m'o,ccuper qu'a montrer·leur caractere.
J'ai a écarter surtout de fausses doctrines
qui mettent le. príncipe des mreurs tantót
dans la religion, tantót dans les lois. Pour
les peuples, comme pour les individus, les
mreurs ne sont autre chose qu'un concert
de sentimens ainsi que d'hahitudes. Comment
un tel concert peut-il parvenir a s'étahlir et
a se former? c'est ce qu'il imporre de recher-
cher. n parait que le grand príncipe a cet
égard est dans celui des conullu'nications
humaines.


Et d'ahord, que la nature humaine soit
ainsi faite, que les impressions soíent com.-




( ,.32 )
munieatives d'homme á homme, e'est ee
qu'íl est faciJe d'observer dans des rassem-
hlemcns nombreux 00 le rire , les pleurs, les
baillemens, les convulsions se communiquent
quelquefois de maniere a paraitre quclque
chose de contagieux. Dans les choses les plus
frivoles, on a vu se' développer, sous le
nomo d'enthousiasme , une énergie qui a
triomphé des plus grands obstacles.


Sur ce champ de jeux et de frivolités, il
peut s'élever des discussions violentes. On a
vu tou! Paris se partager entre les gluck istes
et les piccinistes; un parterre se diviser
sur le mérite d'une piece .de théatre, et
eette division occasioner des rixes sanglantes.
Cest ainsi qu'on peut comprendre l'impres-
sion que fit dans la Grcce l'addition d'une
cordea la Iyre.


Dans toutes les nations, le simple costume,
quand iI est établi, a une telle autorité, que
le moindre changement imposé par un czar
OH par un suItan, causerait un soulevement.
Les régens de collége sont tres-puissans:
ils ont a leur disposition des férules et des
Yerges; ¡Is sont incapables de retenir quel-
quC's centaines de morveux, au moment 00.




( 233 )
ceux-ci auront appris qu'un des leurs a
re<;u une insulte. JI en est de meme de la
police particuW~re des ouvriers dans une
manufacture; de meme de ceHe des soldats
dans Ieur chambrée. Ayec la seule force de
l'esprit public, vous pouvez obten ir les ob-
servances les plus difficiles sans aueune en-
tremise de la religion et de la loi. Avec cette
entre mise ,il peut arriver que vous n'obte-
nIeZ rlen.


Je eiterai a cet ég'ard queIques exemples.
Retiré dan s un village de la Suisse, je


vois sortir régulierement de ehaque maison
des seaux de lait qu'on apporte a une mai-
son commune pOllr une fabrique commune.
Un registre cxact est tenu chaque jour des
quotités versées , et chaque maison rc({oit
finalement sa quotité correspondante en fro-
mage. Dans une telle administration, ou la
fraude est si faeile, eomment n 'en voit-on
pas des exemples ? J amais.


Je vais en Allemagne. A Jéna et a Gotha,
les direeteurs des musées me montrcut
eomme objet de euriosité un squeIette de
loup. I( eomment, monsieur, dan s un pays
couvert d'oics el de moutons, vous n'avez




( 234 )
pas de)oup? - Nous en aurions bien si nOtlS
voulions; mais aussitót qu'il en parait un,
la eontree entiere s'emeut. n n'y a pas de
repos jusqu'a ce qu'il soit detruit. Celui que
vous voyez la parut, il Y a onZe ans, dans
les montagnes que vous venez de visiter. Au
bont de trois jours, il fut abattu et .apporté
lel. ))


VoiJa ce qui s'opere dans eertaines eon-
trees avec le seul mouvement de l'esprit
publico Actuellement, je vais montrer, dans
des choses bien plus importantes, et avec le
secours de la relig'ion et des IOÍs, ce qui S0
passe dans d'autres.


Je vais en ltalie. Il ne manque la ni de
Ulissionnaires, ni de croyance, ni de gen-
darmes, ni d'établissemens religieux .. Pos té
dans UD villag'e sur le bord du léi.c de 13ol-
senne, avec dix sbires qui étaient a ma solde
et qui devaient me protég'er dan s certaines
courses de monta.gnes, les voleurs dont ces
l110ntagnes étaient garnies enleverenten
plein jour une jeune fille qui puisait de l'eau
a la fontaine; il n'y eut pas la moindre ru-
meur dan s le village. Dans ces dernieres an,..,.
nées, les voleurs ont enlevé, a Frascati, dans




( 235 )
sa maison, le supérieur des eamaldules el
sept religieux. Personne :n'a bougé.


Ces faits expliquent ce qu'il y a de mys-
táieux dans les moours. On eomprenrl com-
ment, dans certains pays; sans aueune es-
peee de loi, il peut s'établir des regles et
de rordre; comment, dans d'autres pays,
malgré les lois et une abondance d\~tablis­
semens religieux, il peut s'établir une lene
chose que le brig'andage. Partout Ol!, ave e
les bonnes habitudes et les bons sentimens,
il s't~tablit des mreurs, iI s 'établit avec elles
du respect pour les choses et pour les per~
sonnes, et par-la meme des moyens facile;;
de g'ouvernement. La ou, par une Cause ou
par une autre, les respects sont dissous; la O" les classes pauvres ne sont contenues au-
pres des cIasses riehes que par la erainte,
les classes moyennes aupres des classes éle-
vées que par la loi, les classes supérieures
aupres du pouvoir que par la Charte, vous
serez dans ranarchie. Les gendarmes ne
vous préserveront pas plus álors que les
missionnaires; les échafauds, que les peines
d'une autre vie. Ces moyeos, f.'lits pour les
cas extraordinaires , appliqués sans cesse <lU




( ~36 )
cours de la vie, se trouvcront souvent ¡nu-.
tiles , tou.1ours insuffjsans.


11 est faciJe de se cOl1vaincre que ces dé-
sordres, qu'on s'obstine a attribuer ici a
une nég-ligence de la part des lois de police ~
ailleurs a un manque de úle de la part des
l)l'(~tres, sont simplement Pefret dlune cer-
taine défectuosité dans les mreurs. Si vous in ....
terrog-ez en 11'1 an de les 'luhi te boys ,.iIs ne vo us
citeront pom: se justifier ni rEncJ'clopédie,
ni la philosophie, dont ils n'oot point eo-
tendu parler; ils vous diroot que dans .I.eur
pays, les propriétés n'ayaot pour origine
que la spoliation el la confiscation, ils ne
sont tenus a aucun respect pour de telles pro-
priétés; ils ajouteront que les propl'iétaires
vivant presque tous a Londres, leurs posses-
sions sont livrées a de misérables fermiers
et sous-fermiers, fléaux de la contrée. Si
vous interrogez les luddistes, ils ne vous
parleront pas plus que les précédens de
Voltaire ou de d'Alembert; ils vous dironl
que les chefs fabricans OH manufacturiers ne
sont avec leurs machines que des aventuriers
qui ótent au peuple ses moyens de subsis-
Lance. Si vous interrogez les voleurs anglais,




( ~37 )
ils vous diront que dans Jeur patrie l'argent
a une telle importance, qu'au Heu de deman-
der, comme dans les autres pays, combien
un homme a de revenus, la locution admise
est de demander combien il vaut. lIs diront
ensuite bien d'autres choses sur un de leurs
rois qui a été voleur, ~t sur la commémo-
ration qu'en -font chaque année les chef s
d'une école célebre.


A l'ég'ard de l'Italie, il n'est pas plus diffi-
ciIe d'expliquer le systeme de désordre qui
y regne au milieu de ses missionnaires et de
ses gendarmes. Tout provient d'UD certain
mauvais esprit publico Ce n'est jamais que
par hasard que les brigands sont atteints :
ils ne sont ni recherchés, ni dénoncés; ils
vont habituellement aux marchés el aux
foi'fes. De tous cótés, on a soin de les infor-
mer des entreprises qu'on fail contre eux.
Leur profession n'est point un objet de
honte : quelquefois elle est honorée. Dans
un territoire particulier, un commissaire de
police m'a assuréqu'une honnete fille ne se
permettrait pas d'épouser un jeune hOIDme ,
s'il n'avait pas aU.moins pendant deux ans
exercé la profession de voleur.




( 238 )
.le suis faché que ces faits,leur rapproche.


ment el leurs conséquenees ne eadrent pas
avee les théories de cerlains politiques , qui
croient que pour ordonner un pays il n'y a
qtÚI. y parler d'enfar et d'éehafauds, de geno.
{lar mes et . de pretres .. Aueun pays,' encore
moins la France. d'au.jourdjhui, he 's'~eom­
modera de ce systeme. S'il est vrai que c'est
par les mreurs que se gouverneprincipa-
lement un p"ys, el si les mreUrs se compo-
sent principalement d'u:p. amalgame de bons
sentüllens et de bonnes habitudes, formez
les 'bolllles habitudes ,elltretenez les bons
sentimens : tout cela formera les bonnes
mreurs~ C'est par la religion qui a tant de
sympathie avee les autres bons sentimens ;
e'est par les habitudes du culte qui ont tant
de sympathie avec les autres bonnes' habi-
tudes , que VOllS affermirez et perfection:..
nerez votre ouvrage.


Connaissant peu eelte question, et aussi a
raison des occupations habitueBes, n'ayant
pasle temps de l'examiner, le gouvernement
de Louis XVIII qui reconnaissait Pimpor-
tance des mreurs, mais qui ne savait com-
ments'y prendre pour les refaire,en Chal'geá




( 239 )
les pretres, comme si c'était une chose spé-
cialement de leurressort. C'étaitune méprise.


Dans eeUe reune pour laquelle les pre-
t,oes se croient faits et pour laquelle cepen-
dant ils ont peu d'aptitude, s'ils n'y avaie;nt
pas melé une autre pensé e 1 si au lieu de se
meUre sans cesse en avant pour étendre leur
dominati.on et s'acharner a redemander,
dans l'état ou était la France, des avantages
qú'as avaient perdus, on les avait vus uni-
quement occupés de la religion, la pré-
sen ter eornme unseeour~ et non pas comme
llne mena:ce, et le . sacerdoce lui -meme
éom'n,le un· ministc:re el. nonpas comrne
une puissance, ils auraient pufaire quelque
hien.Avant tout, iIs devaient chercher la
morale dans le creur hurnain, et non pas
dans leu:rs: pr:éceptes,
. Il.fall~it:poul' cela qu'ils en connussent le
principe. Qu'étaÍt-ce dans les Gaules que ce
sentiment quiportait un ami dé"oué a ne ja-
rnais.survivtea soq ami,. ainsi que nous l'ap-
pre~d; César? Qu'est-ce au.Malabar que Ce
sent\m'entqui porte une femme a ne pas sur-
"i"re a son mari ? Qu'est-ce en France que ce
sentimen~ qui porte un hornrne .outrag'é a ce




( :l4o )
qu'on appclle duel, ou combat singnlier t
Tout ceja peut s'appeler comme on voudra de
mauvaises mreurs; ce sont des mreurs pour-
tanto Ces mrellrs Hent les hOOlmes en état de
nation; si quelquefoiselles marchent avec
la religion, quelquefois elles sont en oppo-
sition, et alors elles l'emportent et l'entrai-
nent ave e elles.


Autant l'union de la religion el des mamrs ,
quand elle existe j donne a une nation d'é-
nergie et de moyens de prospérité, autant
leur dissension peut étre funeste. Dans ce
cas , c'cst toujours la religion qui succornbe.
Elle fait ainsi un grand bien ou un gralld
mal: un grand bien, Jorsque les rnreurs
sont telles qu'elle peut leur donner son lustre
et son appui; un grand mal, lorsqu'étant
mal entendue, elle se jette sur les mreurs 1
non pour les corriger doucernent", comme
elles en ont besoin quelquefois, mais pour
les asservir et les dorniner. Elle fait encore
11n grand mal, lorsque se portant dans la vie
civile, elle en veut occuper tout l'espace
par ses rites, ses cérémonies, ses pratiques,
el substituer ainsi les rnreurs religieuses aUJí
mreurs civiles; d'ou iI arrive que peu a peu




( ').41 )
les Jois civiles se fondent dan s les lois reli-
gieuses; que le pretre législateur religieux
est conduít a devenir en meme temps legis-
lateur et souverain de la société : ce qui pré-
pare la chute de la religion et de la soeiété.


Voila ce que e'est qu'une religion qui, au
lieu de se lier auX mreurs, cherche de jalou-
sie a les combattre, veut sans cesse substi-
tuer sa force a la leur ,ou cornrne aujour ....
d'hui se mettre tout-a-fait a leur place. On
cite des effets particuliers de la religion pour
prouver que la religion est le seul príncipe des
rnreurs. C'est cornme si on citaít des effets par-
ticuliers des remedes pour prouver que la mé:-
de cine est le seul principe de la san té. Eh !
oui, sans doute, monsieur le médecin,l'opiurn
mefera dormir;j'aimerais mieux dormirpour-
tant par ma constitution propre; et s 'il me faut
dormir tOU5 les jours de cette maniere, j'ai
peur de ne pas dormir long-temps.


En voulant a elle seule faire les mreurs,
la religion se place dans un véritable
contre-sens; en voulant mal a propos les
c{)mbattre, le contre-sen~ devient heaucoup
plus facheux.


Certes la France~n'a pas, commela Greee,
t6




( 2f 2 )
des jeux olympiques, ou un Hérodote
pourra lire son Histoire apres avoir pris le
ton d'un joueur de fJúte, espece de congres
ou la force, l'adresse, l'esprit, les talens,
étaienten scene. Mais elle a, cornrne la Grece1
ses théatres, sa littérature, ses académies.
Elle re(,;oit de tous ses citoyens un beso in
continu de eommunication par la pensee el
par les sentimens ; elle a aussi un mouvemenl
général (Parts, ele sciences, ele littérature, ou
tous les esprits ¡uttent ;\ deviner les plm
heaux sentimens, avec leur plus beI entou-
rage et leurs plus beBes formes, a refret el'en
animer diversement la toile, le marbre, 1.,
papier , et quelquefois meme les repro-
duire avec une apparence de realité sur 12
scene.


Sans doute ces jeux ne conviennent point
a la vie dévote qui n'a point 11 se nourrir de
semblabJes frivolités.Mais sous prétexte qu'ilt
en sont séverement exclus, les prctres se li-
guent pour les exclure de meme de la ViE
chrétienne. Sur ce point en vérité leur con·
dllite est bizarreo D'uo cóté, dans leurs pré ..
dications, dans leurs missions, les spectacIe5
sont condamnés comme un crime ; d'un autre




( 2 {3 )
cóté, ils permettent ce crime a de grandes
princesses et a de grands potentats. Se
eroient-ils done en droit de faire a Ieur vo-
lonté le bien et le mal, de disposer du ciel
et de l'enfer ?


Avec une religion ainsi conduite, et des
mreurs publiques ainsi traeassées, on peut
réussir a subjuguer une partie du peuple,
on en révolte une autre partie : une troisibue
qui ne se révolte pas, eondamnant en secret
eette impuIsion ultra-chrétienne, ne la re-
pousse pas ouvertement, mais lui résiste
sans cesse, et fait a cet égard ce qu'on fait
des mauvaises Iois qu 'on ne veut pas abro-
gel' positivement, mais qu'on tache de faire
tomber tout doucement en désuétude.




( 244 )


CHAPITRE VII.


CONTINUATION DU MiME SUJET; APPLICATlON DE CES


PRINCIPES A L'ÉTAT ACTUEL DE LA FRANCE.


SI j'arréte mes regarrts sur IR France an-
cienne, deux sortes de tahIeanx se présen-
tent a ma pensée.


Personne ne con testera qu'il n'y eut en
France, sous l'ancien régime, des magistrats
integres, des conrs judicíaires d'un bon es-
prit; dans toutes les classes, un gTand dé-
vouement pour le roí et pour la famille
royale. n y avait de plus (ceci a quelque im-
portance) un bon ton de littérature, un théa-
tre qui cédait a celui du siecle de Louis XIV,
mais qui cédait peu; il Y avait un beau
mouvement général dan s les arts et dans les
sciences; partout un point d'honneur vif;
dan s l'armee, soit de terre soit de mer, de
l'instruction et du courage; enfin, de l'élé-
ganee dans les manieres, de la politesse




( 245 )
dans Pes formes et un· hon ton général.
Comment une nation composée ainsi ne se
conserve-t-elle pas ?


En, contre -partie, il n 'y avait plus de res-
pect pour les anciennes institutions de rE':'
tato Comme ces institutions tenaient a la
féodalité; et que par un concert des rois,
des parlemens et du clergé, la féodalité était
devenue un objet d'accusation générale,
tout ce qui reposait sur ceHe base étai't
ébranlé; tOllt tendait dans l'ordre poli tique
a des innovations que le gout général de
l'indépendan('e, les ambitÍons particulieres,
les exemples de rAngleterre et de I'Améri-
que favorisaieIJI .. Du coté de la rellgion, iI
fallt noter en premiere ligne l'intervention
des pretres dans les affaires; ce qui faisait
qu'on avait une assemblée du clergé qui
s'occupait de politique, des cardinaux mi-
nistres, des éveques académiciens et philo-
sophes, 'des conseillers clercs au parlement
el une multitude d'abbés de cour et de sa-
Ion. Ln ensemble ainsi composé devait etre
genéralement repoussé; et comme enmeme
temps le c1ergé dégradé se réunissait a ce
qui resfait de clerg'é aU8tere, pour imposer




( 246 )
les memes rites et réclamer la meme obéis ...
sanee, l'aversion de la haine venait se joindre
a toutes les autres aversíons.


Le contraste de cette double situation
mise en mouvement dut enfanter d'autres
contrastes. En effet, les mreurs représentant,
comme jerai dit, un certain'accord, un cer~
tain ensemble d'actes et d'impressions, si cet
accord se rompt dans certaines parties et se
conserve dans d'autres, on aura chez une
nation comme chez un indiyidu le contraste
singulier de la corruption dans quelques
points, et de rintégrifé dans quelques au-
tres. En Franee, ou, par l' effet de la révolu-
tion, les ~nciennes institutions avaient été
brjsées, ce qui chang'ea tout-a-coup cette
partie des mreurs qui provient des habitu-
des, deqx ordres de respect. furent aussitót
altérés : eelui qu'on porte aurang etcelui qui
~st dó au ministre du euIte.Cette partie de la
revolution une fois déclaree, tout noble, tout
pretre put etre impunément insulté.


Cependant, eomme d'un autre cóté les
anciennes impressions d'honneur et de dé-
licatesse n 'étaient 'pas effacees, la nouvelle
arÍnée ainsi que la nouvelle nation Ql1.i




( 247 )
$'étaient faites, en demeurerent saisies. On
eut aiusi trois résultats remarquables : des ac-
tions d'éc1at, des crimes d'éc1at, peu de crimes
obscurs. Tandis que les brigands étaient au
palais des rois, ou au palais de la justice ,
les grandes routes et les maisons privées
offraient autant de sÍlreté que dans l'ancien
temps, peut-étre plus. Et remarquons bien
que chez les nations voisines, que j'ai
citees precédemment, c'est l'inverse. La,
Olt les liens relig'ieux et politiques sont
conserves, el 01\ les liens moraux sont
dissous·, ce ne sont plus le 1'01, les nobles
et les pretres qui sont systématiquement un
objet d'attaque, ce sont les chefs de manu-
factures, les détenteurs d'argent ou de pro~
priétés. En Franee, sous la plus épouvanta-
ble revolution, les routes, les bois et les ca...,
vernes, repaire ordinaire des brigands,
étaicnt des lieux de sÍlreté; en Angleterre,
au milieu des plus belles 10is civiles et poli-
tiques,on peut voir pres de Londres les ron-
tes infestées de voleurs; ailleurs, des luddútes
ou des white boys. e'est ainsi, qu'aujour-
d'hni, aRome et. a Naples, pays !;ru il ne
manque ni de gendarmes, ni de missionnél.i~




( 248 )
res,. ni mema de jesuites; on peut a peine
s'écarter de renceinte des villes.


Tel est le caractere particulier de la révo-
lution frant;aise. e'es! certainement dans
l'ordre civil et politique le houleversement le
plus complet qui ait jamais eu Heu parmi les
nations~Mais en meme temps,. comme au
milieu des. choses visibles qui étaient empor ....
tées, la révolution en conservait intactes une
multitude qu'on n'apercevait pas ,on peut
di re , sous certains rapports, en employant
le langage ordinaire, qu'elle a renverse ]a
religion et les moours; mais cela n'est vrai
que sous certains rapports.


En efret, tout en perdant ses institutions
sociales, c'est-a-dire les formes visibles el
quelquefois usées dans lesquelles soo ancien
esprit était· enferme, jI est de fail que ]a
France n'a pas perdu cet esprit: meme aux
plus mauvais temps de la révolutjon, la
france ,Hvrée a ]a tyrannie d'une classe
moyenne exasperee, a conservé les senti-
mens nobles et délicats des classes elevées
qu'elle proscrivait : elle a conserve dans son
sejn, a10rs meme qu'enes ne pouvaient plus
éclore, les semcnces de délicatesse et d'hon-




( 249 )
neurqu'elleavait re~ues·des gériérations p'ré-
cédentes, comme la terre conserve en hiver
les sernences qui lui ont été confié es en au .
tomne. O hienfait de la Providence ! en per-
dant ses lois, elle a conservé le sentiment
de la justice; en perdant ses institutions
honorables, elle a conservé les sentimens
d'honneur; en perdant ses institutions re ...
ligieuses, elle a conservé le sentiment reli-
gieux. Au retour de rémigration; ce spec-
tacle singulier d'un peup]e qui a perdu tout
son corps, mais qui a conservé son ~me,
m'a frappé ~ je voyais heaueoup de maux :
avec eux, je voyais l'espérance.


Aujourd'hui en faisant notre hilan, il sera
facHe de voir ce que nous avons et ce qui
nous manque: ce que nous avons, il faut
lloigneusement le conserver; ce 'qui nous
manque, il faut soigneusement le recouvrer.
A cet égard, avoir eu offre une grande facilité
pour ravoir. On est étonné avec quelle facilité
des moours, qui n'ont été qu'effacées ou pliées
par les événemens, peuvent se rétablir. Si
vous aUez a Saint-Domingue, vous y trouvez
sous une peau noire des hommes qui rédigent
assez bien leurs 10is; vous twuvez de.




( 250 )


meme un ordre de moralité assez bien en .....
tendu, jusqu'a une espece de droit des gens.
Croirai-je avec M. Wilberforce et avec
1\1. Grégoire, que tout cela appartient a la
peau noire ? Allez visiter leurs semblables en
Afrique!


Vexplication de ce phénomEme est simple:
e'est que tout ce peuple d'aujourd'hui, a
peau noire, vit sous des mreurs, des lois et'
dés ~raditions blanches. n en fut de meme de
la revolution et de Parmee revolutionnaire.
Ce n'est pas moi certainement qui voudrais
me rendre le detraeteur de eeHe armée ;
,elle a rempli la Franee et le monde de sa
gloire : ce que je veux dire seulement, e'est
que dans ses premiers momens n 'ayant pas
le temps, en presence de l'ennemi, de se
creer des mreurs nouvelles, elle prit toutes
faítes ceHes qui existaient: un ramassis a
peau blanche s'inocula l'ancien esprit de la
France, comme un autre ramassis a peau
noire s 'inocula ses institutions et ses mreurs.


Avec le sentiment qui nous reste de notre
ancien esprit, cornme Fran¡;ais, nous nous
attacherons de plus en plus a cet esprit;
nous repousserons en meme temps les vices




( 251 )


qui sonl venus l'altérer. C'est d'abórd le
respect pour les rangs, qui, ayant été dissous,
n 'est pas' encore rétabli; e'esl la division el
l'ineertitude qui regne sur les points poli ti...,
ques les plus importans ; ee sont des institu--:
tions qui, faÍtes pour le sommet de PEtal et
n'existant que 13., tournent vers ce point
d'une maniere déplorable toutes les aetivités,
toutes les ambitions, toutes les habitudes,
tandis qu'au corps et au centre qui sont aban.,
donnés, iI regne un état d'inertie fácheux.


Rétablir dans l'ordre inférieur les rangs,
e'est-a-dire la subordination du maitre et
-du eompagnon, du eompagnon et de l'ap-
prenti, du maltre et du valet, du proprié-
taire et de I'ouvrier ; relever dans la bour-
geoisie des villes la hiérarchie municipale;
dans la noblesse, oa tout est aujourd'hui
eonfondu, sa' hiérarchie partieuliere et ses
rapports avee la cour; dans une échelle
encore plus élevée, fixer les grades et la su-
bordination qui lui sont nécessaires, e'est
ainsi que peu a peu, en faisant cesser le
déverg"ondage et l'arroganee, vous fixerez
les respects, et en ee point les moours.


Ce n 'est pas assez. Les esprits el la divag"a~




( 252 )


tion des doctrines réclament encore vos soi'ns]
Faire cesser par la doctrine l'anarchie qui
existe dans le mouvement des espri(s, de
meme que vous faites ces ser par les lois
l'anarchie dans le mouvernent des ¡ntérets,
c'est ainsi que vous rnarcherez. au rétahlis-
sement des mreurs.


A cet égard, la religion, telle que certaines
personnes l'entendent , vous sera non un
appui, mais un ohstacle. Vous aurelo con ti-
nuellernent a cornbattre ceux qui, pour
s'emparer de la dornination, vous disent
d'ahord doucernent que la rnorale fait la
société, pour vous dire ensuite plus hardi-
ment que la religion fait la morale. Non, la
morale ne fait pas tOlljollrs la société; quel-
que chose, comme de la société, peul s'éta-
hlir chelo des brigands: rnerne si les hommes
venaient a s'abrutir, iI pourrait s'établir par-
mi eux une société , ainsi qu'oo le voit
chelo les animaux. D'uo autre coté, en prin-
cipe rigoureux, 00 ne peut pas dire que la
religion fasse la morale, on peut dire tout
au plus qu'elle lui sert de base. Massillon va
plus loin, il prétend que c'est le hon ordre des
~ociéte's qni est la base des vertu.; chretiennes.




( 253 )
L'obserl,lance des lois de rEtal, dit-il, doit
preparer les voies a ('elles de l' EI,langile '.


Toutefois en écartant la religion d'une
place qui ne lui appartient pas et qu'une cer-
taine ambition veut lui faire, il est neces-
saire de spécifier et de respecter ceHe qui luí
appartient. Dans une question complexe,
ou les uns s'égarent par l'impulsion de vues
ambitieuses qui sont en eux - memes et
qu'ils ignorent, ou d'autres s'egarent plus
sciemment en cherchant a former pour
la politique des moyens de domination que
la religion reprouve; je doís sans. doute at--
taquer des erreurs qui ,en avoisinant la vé-
rité, cherchent a prendre ses couleurs; mais
il faut prendre garde de blesser la verité
elle-meme; el alors je dois distinguer les
effets rée]s du sentiment religieux lorsqu'il
est associé aux moours, des effets nuisibles
et facheux de ce memesentiment, lorsqll'on
luí fait produire les moours memes.


Non, la religion ne fait pas les mreurs,
mais d'un coté elle les emhellit, d'Ull autre
coté elle les cimente.


• Petit-Careme;




( 254 )
Non, ce n'es! point en vertu de la relig"iOli


qu'une mere soigne et allaite ses enfaus; ce
qu'on veut établir a cet égard est absurde;
et cependant la religion qui s'embellira de
ce sentiment l'embellira a son tour. Je me
contenterai de rappeler le tableau de la belle
Jardiniere de Raphael. Dans ce tableau, le
sentiment religieux semble ajouter quelque
chose d'élevé au sentiment meme de la ma-
ternité.


Non, Ce n'est pas en vertu des préceptes
de rEvangile ou duDécalog"ue que les hom-
mes disting"ués portent dans leurs rapports
mutuels" ce ton d'honnéteté et de douceur
qui se remarque chez tous les peuples polis;
et pourtant je dirai que le sentiment reli-
g"ieux ne lui est point étranger. J'ai vu dans
ma vie bien des curés; certainement, quel-
ques-uns n'étaientpas tout ce qu'ilspouvaient
étre; mais en voyant a cóté d'eux leurs pa-
rens, notaires, artisans, laboureurs, combien
de foi5 n'ai-je pas été frappé de ce que les
habitudes religieuses donnent d'élévation,
meme aux manieres! Je pourrais encore
mieux citer sur ce point les jésuites et
Saint - Sulpice; peut - etre pourratt - on




( 255 )
croire qu'il y a la de Pintention et de l'ap-
prét. Mais chez les chartreux I qui n'avaient
certainement pas des yues politiques, com-
bien de fois ai-je pu remarquer dans ma
jeunesse rélévation et le caractere disting'ué
de leur hospitalité ! Quelques personnes
encore vivantes peuvent se souvenir aveC
quelle dignité l'abbé (Tapiste de Sept-Fonds
faisait, lors des états de Bourgogne, les
hónneurs de sa maison a M. le prince de
Condé.


Enfin, ce n 'est point en vertu des préceptes
de l'Evangile ou du Décalogue qu'un hon-
nete homme ne donne. point la mort a son
ami; et pourtant le sentiment religieux ajou-
tera encore asa répugnance naturelle. Avec
ce sentiment, il ne se contentera pas d'é-
pargner la vie de son sell1blable; il lui
portera au besoin protection et secours.


A la suife d'une révolution qui, ayant
déplacé toutes les anciennes institutions, a
déplacé tous les rapports, tous les devoirs,
toutes les habitudes, dissous tous les liens,
mis en pie ces le corps du peuple -et jeté par-
toul des individus au líeu de citoyens;
dans une situation ou chaque individu est




( 256 )
par rapport a un autre lndividu ce que les
nations sont entre elles, c'est-a-dire obligé
de se rég'ir non par un droit établi, mais
sculement par une sorte de droit des g'ens,
c'est-a-dire par eette sympathie 'des cons-
ciences, par ce sentiment eommun a tous les
hommes, de l'honnete et du malhonnete,
du juste et de l'injuste, e'est ainsi que vous
parviendrez a rétahlir dan s la nation fran-
~aise eette harmonie pleine qui, faÍsant ré-
sonner sur le meme ton toutes les fibres d'ull'
peuple , développe au plus haut degré sa
puissance, son patriotisme, Son énergie.




CHAPITRE VIII.


QUE LE SYSTEME, OBJET DE L'INCULPATION, TEND A
. , '


RENV.ERSER LE TRONE ET L AUTORITE ROYALE.


S'Il, y a quelque ehose qui, en ee moment,
soit fait pour embarr,¡sser ma pens~e, e'est
d'avoir a traiter en publie des i,:t~rNs d'État
que je ne puis éluder, puisque ce sonl des
¡ntérets de salul, )orsqu'en meme temps,
pour toucber ces ¡ntérets d'une maniere con-
venable, je suis obljgé de m'approcher du
tróne, et en quelque sorte de la personne
sacr(~e d'un rojo Homme de la solitude, peu
au fait des délicatesses du monde, encore
moins des usages des eours, place entre
deux sentimens, run de respect, qui me
prescrit le silence, l'autre de fidélité, qui me
porte a la defense d'un tróne que je vois
en danger, si je commets quelque faute,
qu 'elle me soit pardonnée; cal' en vérite,
ma position est dillicile, en meme temps
que ma dérnarche est necessail'e.


Et d'abord, un fait que je dois rappeler
17




( 258 )
comme essentiel pour Pobjet de ce cha-
pitre, c'est que dans aucun temps l'avéne-
ment d'un roi de France ne s'est annoncé
sous des auspices plus rians. Ce n 'est pas
seulement la yille de Paris, c'est la France
tout entiere qui a voulu assister a cette
fete : El tu vivificabis nos el plebs tua lceta-
hitur. Jamais ces paroles du prophete n'ont
été plus completement justifiées.


Et d'ou viennent ces mouvemens d'alle-
gresse, ces cris de joie qui remuent la
France et qui retentissent dans toute PEu-
rope? On a dit quelquefois que la France est
amoureuse de charte et de constitution;
d'aulres nOU5 ont dit qu'elle a en horreur
les nobles et les emigres; je puis me de-
mander alors si c'est a cause de quelque
passion bien ardente ponr 1ft régime consti-
tutionnel, ou d'une aversion non moins
prononcée a l'égard de ses anciens compa-
gnons d'exil, que se soulhent ainsi pour le
monarque l'amour et l'enthousiasme.


Point du tout : fideIe avec loyauté a cette
constitution qu'il a jurée une fois et qu'¡¡
va jurer de nouveau, personne ne dit, apres
cela, que ce sentiment d'adhésion soit dans




( 25!) )
le IIlonarque une passion particuliere; on
dit encore moins qu'il ait abandonne ceux
qui, dans le malheur, ne l'ont point aban-
donné. Chaque jour iI leur donne des té-
moignages de bonté ; bientót illeur en don-
nera encore. Tout cela est vu, entendu,
accepté. Il faut chereher ailleurs le prin-
cipe de Penthousiasme que j'aper«;ois; je ne
sais si je me trompe, mais on avait entendu
parler si souvent de rois philosophes, de
rois citoyens: on dirait qu'une curiosité
amoureuse a transporté la France a l'idée
de voir sur le tróne un roi CHEV ALIElt.


Ce roi n'a pas pIutót pris les renes de
rÉtat: " Qu'est-ee que toutes ces entraves?
dit-il; qu'est-ce que eette censure ~ lIs m'ai-
ment, et ils veulent etre libres; qu'ils le
soient! 1) C'est précisément ce que le christia-
nisme dit a ses enfans.Le royaume de Franee
est proclamé désormais a toute I'Europe
comme un royaume d'amour el de liberté.


Cependant deux ans sont a peine écoulés.
J'ai a décrire une autre phase. QuelIe est
eette apparence nouvelle? qu'est-ce que ce
silence inaccoutumé? J'ai vu passer avec
toute la pompe des cours, le monarque, oh-
l"~


I




( '\6() )
jet de notre cuIte. Autrefois, tout se pres-
sait sur son passage; aujourd'hui sansdoute,
le fonds de respect et d'aíJ'eetion se conserve.
Pourquoi les temoignages ne sont-ils plus
aussi vifs? On a dit : Le silence du peuple
est la le'fon des rois; e'est bien; mais ici,
n 'y a-t·-¡I que du silenee?


Tandis que je medite eette pensee, je vois
passer un convoi funebre : cent mille ei-
toyens l'accompagnent. Toute la fortune de
París et eeHe de la Franee semblent vouloir
se precipiter pour doter sa famille. Quel est
l'objet de ees transports? Est-ee quelque
chose eomme Malborough a son retour en
Angleterre? Est-ee le marechal de Villars,
apres la batailJe de Denaín"1 Non, e'est un
simple brave homme de guerre, qui a en
du talent dans les combats et de l'éloquence
a la tribune, mais qui pourtant dans ces
deux earrieres ou il a merite l'estime, n'a
jamais figuré que dans une seeonde lig·ne.


Quelque énigme est cachée dans ces dé-
monstrations.


On croit généralement qu'il n'y a que les
particuliers qui soient susceptibles de dissi-
mulation et d'hypocrisie; oh ! que les peu-




( 261 )


pIes sont supérieurs en cegenre. Demandet
a tout ce public si 5ingulii~rement ému, pour-
quúi iI est ému; il se gardera de vous le dire.
Je vais répondre pour lui.


Des que sur quelque point d'Íntéret pu-
blic, un sentiment bien vif, bien sympa-
thique est devenu générdl, contenu par la
crainte, iI peut couver quelque temps, faute
d'issue; aussitót que l'issue se présente, il
fait explosiono Que le mOllvement en faveur
de M. le g'énéral Foy, paré des eouleurs du
deuil et de la donleur, ait un nutre ob,jet,
e'est a quoi iI n'y a pas de doute. Il ne faut
plus que rechereher l'objet. Je commencerai
par des exemples.


Louis XIV fut un tres - grand roi; la
France el les nations étrangeres lui porte-
rent un grand respecto Si je le considere au
déclin de sa vie, je voís ce respect effacé.
Mourant, iI est eouvert de maIédictions. A
ses funérailles, on a peine a le défendre des
fureurs de Paris.


Louis XV, enfant, n'est rien; mais des
qu'il a pris les renes du gouvernement,
toute la France l'adore. Il est malade a Metz,
c'est la Franee entiere qui l'est avee lui. On




( :lG:l. )


lui donne le titre de bien-aimé avec I'effu-
sion la plus vraie et la plus vive. Actuelle-
ment ce meme prince, si je le considere dans
le cours de sa vie, je ne trouve aupres de
lui rien de cette ancienne affection.


Voila des faits , cherchons les causes.
A régard de Louis XIV, est-ce parce qu 'iI


est prince religieux que l'amour des peuples
s'éloigne de luí? Saint Louis fut le plus reli-
gieux de tous les rois; il fit de grandes ac-
tions, iI commit melI1e des fautes. Jamais
Pamour des Fralll;:ais ne l'abandonna.


A l'égard de Louis XV, est-ce parce qu'il
a des maitresses que l'estime publique lui
est refusée? Mais Henri IV aété en ce genre
aussi léger qu'il est possible. La France a
souri de ses faiblesses; elle ne lui en a point
fait .un crime.


Ah! e'est que ce qu'on regarde comme les
memes choses ne sont pas toujours les me-
Jm!S choses. Des nuances, légeres en appa-
rence, apportent des différences immenses.
Saint Louis, courbé sans cesse devant Dieu,
sait se relever aupres d'un pape qui s'écarte,
et d'éveques quí se fourvoient; Louis XIV, au
oontraire,plié insensiblement par une femme




( 263 )
et par un pretre, tomue et ne se releve plus.


De son coté, Henri IV joue ave e ses
faiblesses et ne s 'en laisse pas maitriser;
Louis XV se laisse envahir.


J'ai trouvé par cela seul les causes que .le
cherchais. Qu'un peuple soit libre ou qu'il
ne le soit pas, il lui déplait d'avoir au-
deyant d'e lui un chef asservi : les esclaves
n'aiment point a oMir á des esclaves.


Pour ce que faí a établir dans ce chapi-
tre, fai sans doute Lesoin de ces exemples.
Je me ha te de dire, et faí peut-etre trop
tardé, qu 'en ce qui con cerne le prince qui
est sur le trone ils n'ont aucune app1ication~


Certes, ce n'est point a moi á savoír ce
quí se passe dans l'intérieur d'un palais. J'ai
encore moins a m 'occuper de ce qui appar-
líent a la vie privée d'un souverain; et ce-
pendant je me permettrai de dire que s'il
était vrai que notre hien-aimé monarqve
eut, comme saínt Louis, emhrassé la vie dé-
vote, ce serait un événement dont la France
n'aurait en aucune maniere a s'attrister,
mais, bien au contraire, á se glorifier et a
se feliciter. Ce serait pour elle, en meme
temps qu'une g'arantie de plus pour les ser-




( 264 )
meDs faits a ses libertes, une garantie non
moins heureuse pour l'accomplissement des
devoirs de la royaute.


Sur cela meme il se présente une observa-
tion importante. Dans un moment ou des pre-
tres imprudens pronent partout en ce genre
l'éclat et le bruit, je ne puis me dispenser
d'admirer le som de reserve et de modestie
qu'un pieux monarque met a couvrir aux
yeux des peuples ce que je regarde comme,
le premier lustre de sa vie. Charles X s'éle-
vant au-dessns de la vie chrétienne ordi-
naire, s'est voue a la vie devote. Si cela est,
e'est beau, e'est admirable; mais qui le sait?


On se plaint quelquefois du. déchainement
qui est montré contre des pratiques partieu-
lieres de piete. Je ne conteste pas que ce dé-
chainernent ne puisse a la longue avoir des
eflets facheux ; mais qu'il appartienne tou-
. , . . . .., . Jours a une mtentlOn lmple, e est ce que Je
Die. Lorsqu'au lien d'observer en seeret cer-
taines pratiques religieuses, on se met a les
próner ave e éclat, et a les proposer a l'imi-
tation comme des ti tres de gloire, ceux qui
ne sont point disposés a eette imitation s'é-
lt~Yeront prob,lblement c:ontre ces merveil-




( 265 )
les. Les abaisser alors , les critiquer, et fina-
lement, si on insiste, les dénigrer, pourra
provenir d'un faux jugement, peut - etre
d'un sentiment de jalousie, mais non pas
toujours, comme on le dit~? d'un esprit
d'impiété.


Si, ce qui serait tres-beau, le Roi a re-
noncé a la vie chrétienne pour embrasser la
vie dévote, n'est-il pas admirable qu'aupres
des simples chrétiens iI n'en paraisse rien
dans ses aCles? Ce n'est pas tout; on sait
combien daos diautres temps la place de con-
fesseurdu roia eu d'importance. CeUep]acesi
célebre sous les peres Cotton, les peres La
Chaise, les peres Le Tellier, qui l'occupe
aujourd'hui? J'enlends dire que c'est un
pretre ohscur, un simple habitué de pa-
roisse, un homme que personne ne connait.


Ce n'est pas en ce seul point que notrc
monarque mérite notre admiration et nos
affections. S'il appartient, comme on le dit,
a la vie dévote, combien ne lui aura-t-il
pas fallu de bonté et d'amour pour se
produire, comme exemple de condescen-
dance el de sacrifice, dans ces enceintes
qu'on dit etre prohibées par ]a vie chl'é-




( 266 )
tienne , mais qui le sont eertainement par la
vie dévote ! Je veux parler des speetacles.
J'avoue que ce n'est pas sans quelque souf-
franee que je cite iei ce trait partieulier. Si
les speetacles sont, eomme le veulent. eer.,...
tains pretres, une ¿hose interdite, aueune
raison ne doit engager un prinee ehrét.ien a
y assister : la raison d'État pas plus qu'une
autre. Cette raison d'État, fut-elle réelle
autant qu'iei elle est frivole , ce serait le cas
de dire ee qu'un de mes plus nobles amis,
M. Bergasse, disait a un grand souverain du
Nord : La OU l'éternité parle, le temps doit
se taire. En réalité , il n'y a daus eette
oeeurrenee aueune applieation de la raison
d'État; il n'y en ~ pas davantage des préeep-
tes de la vie ehrétienne; mais je erains qu'il
n'y ait une grande infraetioll ala vie dévote.


Dans eette vie partieuliere, il ne faut pas
oublier que les devoirs étant plus rigou-
reux, les observanees sont plus séveres.
Dieu ne demande pas de uous que nous
quittions la vie du monde pour venir a lui ;
il DOUS a fait expressément pour elle; nous
y sommes sous ses loi5 et sous sa proteetion;
wais si nous la quittons une fois, ce n 'est pas




( 267 )
saos danger que nous voudrons la repren-
dre. Abandonner Dieu alors, e'es! vouloir
qu 'jI nous abandonne.


Étant a Dresde, et causant avec un sei-
goeur saxon sur la singularité d'un roi ca-
tholique gouvernant un peuple lUlhérien, je
luí demandai si la bonlé connue du Roi ne
le portait pas quelquefois, par condescen-
dance, a relrancher aupres de ses sujets lu-
thériens quelque chose de ses devoirs de
catholique; je compris a sa réponse que
toute la Saxe luthérienne serait désolée que
son roí catholique ne remplit pas daos toute
son intégrité ses devoirs eatholiques. Dans la
supposition ou notre monarque eut embrassé
la vie dévote , je puis dire de meme que la
Franee ehrétienneserait désoléeque, par eon-
deseendance pour eUe,il ne remplit pas tous
les devoirs qui appartiennent ala vie dévote.


Dans le fait, la présenee royale a nos
speetacles est la ehose du monde la moins
nécessaire. Soigner a I'intérieur du palais
nos jeux, nos amusemens; veiller a ce qu'it
s'y observe de rordre et de la decence"
voila tout ce qui eonvient a une autorité
royale et paternelle. Et eependant il ro'a




( 268 )
convenu de m'appesantir sur cet exemple,
comme etant une preuve de plus de ce res-
sort de l'ame, de ce pouvoir de resistance
ave e lequel un enfant de saínt Louis, a l'imí-
tation de son auguste aieul, a su se defen-
dre dans ce sujet delicat de l'exag'ération
des pretres, auxquels on pourrait le croire
subordonné.


Ce n'est pas en ce point seul. Vame ferme
du monarque ne se décele pas moins dans
la doctrine que dans la eonduite.


A Dieu ne plaise que je veuille inculper
les intentions d'un prelat aussi recomman-
dable par ses vertus que par ses lumieres,
je veux parler de M. I'Archeveque de París;
et cependant je suis obligé de dire que dans
le trait que je vais rapporter iI s'est ecarté
des eonvenances aulan! que de la verite.
La Franee a entendu avec stupéfaction un
prelat dire au roí, en fa ce , a l'occasion du
sacre : Sire, la conse'cration royale que
r otre Majesle' vient de rece(Joir aura la
double verlu de vous ¡aire régner a(Jec sa-
gesse, el de nous ¡aire obéir a(Jec bonheur:
ce qui implique qu'avant le sacre les
Franf/ais n'obeÍssaient pas avec bonheur,




( 269 )
et que le roí ne reg'nait pas avec sagesse.


A vee autant de justesse que de digníté, le
Roí repond : M. l' Arche"éqlle, le sacre me
donnera de nou"ellesforces.


Toutes les vérités de la religion sont dans
eette reponse du Roi; toutes les erreurs du
temps dans le diseours de M. PArcheveque.
Les préposés a la religion qui veulent tOllt
faire, ont leur raison pour nous dire que la
religion fait tout. Mais comme celat' qui nous
a fait sans uous, ne nous sau"era pas san s
nous, ce nous qui entre dans toutes nos ac-
tíons, demeure, quoi qu'on fasse, notre apa-
nage. n compose la liperté de nos conscien-
ces, la spontaneite de nos actions, premiere
prerogative , premiere dignité de Phomme.


Apres avoir établi que les exemples cités
préeédemment ne s'appliquent point a la
conduite partieuliere du Roí; eependant,
eomme je ne les ai cites que paree qu'ils se
rapportent a quelque chose de sa position ,
il me reste a montrer sur quelle partie frappe
eette applieation.


Les peuples aupres de leur souverain
éprouvent toujours dans lenr obéissanee
deux sortes d'impressions : Pune, du cara~-




( 7.7° )
tere propre de eette obéissance; l'autre, de
ses eonséquences. Il me semble qu 'ils peu-
vent subir une obéissanee qui est dure,
pourvu qu'en meme temps elle sOlt noble et
qu'elle les conduise a un but qu'ils connais-
sent et qu'ils affeetionnent. Si l'obéissanee
'est honteuse, si elle est de nature a faire
craindre une déviation plus ou moins pro-
chaine du but qu'elle doit avoir pour objet ,
eut-elle les formes les lllus douces, elle
pourra deyenir insupportable, oecasioner
des murmures, bientót des résistanees.


J'atfache un grand prix a eette défínition
de l'obéissance; je demande a cet égard un
peu d'attention.


J'ai déja cité, plus d'une fois, l'exemp]e du
roi de Saxe, paree que sa situaLion est toute
propre a faire comprendre ma pensée. Le
roi de France n'est point eomme lui d'une
relig'ion différente de la religion de ses sujets,
mais il regne Sur un pays qui admet toute
liberté de eulte. Ainsi son gouvernement a
pour regle de ne pas inquiéter eette liberté,
comme le roi de Saxe de ne pas inquiéter la
croyance luthérienne. Ainsi la religion ca-
tholique que professe ce monarque peut avoir




( 27 1 )
donné quelquefois des exemples d'intolé-
rance; mais le monarque, soumis comme
chrétien , sait qu'il ne doit pas l'etre comme
souverain. En ce point, personne ne doute
de 5a fermeté et de sa loyauté. Cependant,
qu'on me permette une supposition.


Roi catholique, il a de nombreux amis
catholiques. Peu a peu ces amis catholiques
circonviennent sa personne et remplissent
sa cour. Peu a peu les grands offices sont
donnés a des catholiques. C'est d'abord l'ad-
ministration des postes, bientot ]a police
de la capitale, ensuite ceHe de tout le
royaume. A la fin congrégation, moines de
toute couleur et de toute espece, prédica-
,tion, mission; c'est une invasion générale.
A ce spectacle la contrée, qui se voit saisie
-par ce mouvement nouveau, commence a
s'alarmer. Dans le Roi sans doute ce sont
toujours les memes sentimens; ce n'est pas
assez. Comme dan s sa position et dans]a
position des choses autour de luí tóut
change, l'obéissance s'inquiete; de toutes
parts elle murmure.


TelIes sont les dispositions de l'obéissance,
quand elle a lieu de craindre, de la part de




( 27 2 )
l'autorité, une déviation du but qu'elle af-
fectionne, et qu'on commence a lui faire
perdre de vue.


J'ai annoncé dans l'obéissance d'autres
dispositions qui proviennent de la honte.
Celles-la ne sont pas moins facheuses. Ceci
a besoin d'une explicat!on particuliere.


A cet age délicat, ou un petit etre qui
n'est plus tout-a-fait enfant, n'est pas en-
core tout-a-fait jeune homme, si sa gou-
vernante qui avait Phabitude d'etre aupres
de lui, prolonge trop long-temps ses fonc-
tions, l'aLtorité de celle-ci aura heau etre
douce, ses soins bienfaisans, ces soins et
cette autor;té pourront devenir importuns.


Qu'y a-t-il de plus obéissant qll'UII soldat?
L'autorité qll'i! a ,\ subir est quelquefois
dure. Il la subit toutefois paree qu'eHe est
noble et qu'elle a un grand ohjet. Qu'on
fasse venir a la parade des Tllileries pour la
commander, non plus tel ou tel maréchal
de France avec leurs insignes mil itaires,
mais M. le chaneelier de Franee en simare,
ou M. le premier président de la Cour
royale en robe rouge. Ce n'est pas tOllt:
qu'un colonel. lui-meme imagine de venir




( 27 3 )
un jour en habit bourgeois commandcr
l'exercice a son regimento Il yerra.


Il faut le dire franchement : l'obéissanee
aujourd'hui en Frauee présente ees deux
sortes cPimpressions. A vec des formes dou-
ces, d'un cóte elle semble ne pas conduire
au hut que tout le monde affectionne; d'un
autre cóté, elle se présente avec des formes
qui font souffrir. Si la Franee qui est chre-
tienne, mais qui ne veut pas étre dévote,
se trouve sous un roi qu'on dit dévot, eir-
eonvenue par des hommes de la vie devote ;
de eette man¡(~re elle sera dans la position
que raí déerite de la Saxe luthérienne, qui,
sous un roi eatholique, se remplirait d'une
prépondérance catholique. Par tout le ma-
nége d'aujourd'hui, la liberté des conscjen-
ces.et la spontanéité des actes religieux sont
menacées; la sécurité, relativement a nos
libertés civiles et politiques, l'est encore na-
vantage.


Lorsque l'obéissance est ainsi inquiete
dan s son ohjet, si la honte vient la flétrir
encore par ses aeeompagnemens, cornment
pense-t:-on qu'elle pourra se supporter ?
Qu'on y fasse bien attention! La Franee a


18




( 274 )
pu s'acconunoder du joug de LouÍs XIV,
tout entouré qu'il était de Bast.illes et de
dragonnades; ce joug' était toat éclatant de
conquete et de gloire; de plus, c'était le
prince meme et de toute sa hauteur qui
l'imposait.


A une autre époque, lorsque la France
humiliée du joug de quelques hommes de l()i,
se déeida a passer sous eeluí ,d'un homme
de guerre, la dureté de ce nouveau joug,
imposé par une gTandeur individuelle, offrit
pour compensation un grand éclat.


11 ne reste plus qu'a faire l'applieation de
ces exemples. Aujourd'hui le Roí, paré de
toute sa grandeur personnelle , du lustre de
sa raee et de eeluÍ de la lég'jtimité, veut-
iI imposer a la Franee son propre despo-
tisme l .... je dirai plus! meme le gouverne-
ment féodal qu'elle a en aversion 1 Ce sera
difficile , et cependant je ne dirai pas que
cela soit impossible.


D'abord, c'est qu'aupres des prinees,
comme aupres des femmes, il Y a dans le
seríJage des eompensations nobles de dé-
vouement et d'amour. Ensuite, c'est qu'a
l'égard du g'ouvernement féodal me me , iI Y




( 275 )
a daos ce régime antique, tout inapplicable
qu'il soit aux temps présens, des parties
d'écIat et de grandeur qui oifrent une ba-
lance. En vérité je ne voudrais pas répondre
que le rétablissement des tournois n'amusát
beaueoup tout le peuple de Paris, et que les
dames , si le costume antique leur allait
bien, ne raffolassent de ce spectacIe.


Dans le cas présent ce n'est pas /fa. Il n'est
qnestion ni de joutes ni de tournois; il n'est
question ni d'éc1at ni de g'!oire ; l'obéissancc
ne semble pas meme apparlenir au Roi. 11 a
heau paraitre seul sur la scene avec les
insignes de son autorité, les coulisses sont
supposées remplies de pretres qui dirigent
eette autorité.


Ces pretrcs peuvent mcttre tant qu'ils
voudront dans leur conduite ce qu'ils ap-
penent de la prudence ou de Phahileté. lIs
pourront s'effacer en apparence, ne jamais
agir eux-memes, mais seu]ement faire agir;
on les devinera. On peut juger ce qui se
passe au palais par ce qui se passe chaque
j our dans nos demeures. Des qu 'un curé a
gag'oé la confiance d'une rnaitresse de rnai-
son qu'i] ne regarde pas comme asscz chré-


tS""




( ~76 )
tienne, aussitót, si elle est mere de famille, il
en fait une sainte Monique obligée a la con-
version d'Augustin; épouse, iI en fait une
Clotilde obligée a la conversíon de Clovis.
Si c'est le pere de famille dont iI a la con-
fiance, iI opere par lui d'une maniere plus
absolue; e1est un maitre obligé a la conver-
sion de toute sa maison.


-:\upres du monarque e'est le meme sys-
teme; selon les pretres iI a l'épée de Cons-
tantin, el alors , eomme nous l'avons vu, on
lui dit: Gladium gladio copulemus. On dira
de meme au peuple quand iI en sera temps:
(( Qu'e eeux qui n'ont pas la foi assez vive
)) pour craindre les coups invisibles de notre
)) glaive spirituel, tremblent a la vue du
)) glaive royal! J¡


Tel est dans tous les temps, soit aupres
des rois soit aupres des peuples, l'attitude
des pretres. Dans eette guerre d'une singu-
liere espece, la rus e leur est aussi bonne
que la force. S'attribuant tout droit, ils ap-
pellent prudence, c'est-a-dire du nom d'une
vertu, le sursis qu'ils veulent bien accorder
a eet égard aux rois et aux peuples. Mais
toujours en védette pour épier le moment,




( 277 )
ils temporisent quelquefois, ne se désistent
Jamals.


Ce serait déjá beaueoup de la haine qu'ils
font naitre de eette man iác contre eux, el
par reflet contre la religion dont ils sont
les ministres; les aulorités publiques qui
sont ou volontairement Oll servilement leurs
complices, en éprouvent les effets. L'autorité
royale , la grande autorité, ne peut manquer
d'en étre atteinte.


Les sllbterfuges a cet ~g·ard font peu de
chose. Je suppose que raumónier zélé d'un
régiment, au moyen de la confiance qu'il
s'est acquise aupres du colonel] obtint de
lui envers les soldats une multitude de re-
gles de tlévotion insolites, iI aurait beau se
mettre a l'écart, iI serait bientot deviné; et
le colonel et l'aumónier n'auraient plus qu'á
partager ensemble la haine qu'ils auraient
provoquée. J'avais a expliquer la cause d'une
certaine décadellce dan s la popularité du
Roi. Cette cause n'est pas en lui; pour lui tout
amour, tout respect, tout honneur; la cause
est rtans les choses qui l'obsedent et dans les
personnages qui l'entourent.




CHAPITRE IX.


CONTINUATION DU MEME SUJET; RÉSULTAT FINAL DE LA
CONDUITE ACTUELLE DES PlIETlIES.


ON m'objectera que celte continuité d'in-
criminations relativement a la conduiLe par-
. l" d' 1 d'j , , 1 tleu lere une C asse . '¡oro mes g'enera c-


ment respectables, peut établir contre eux
des préventions facheuses. Mais si mon accu-
satíon se trouve fondée, c'est aux pretres a
savoir ce qu'ils ont a faire. Toutes les classes
quand elles s'écartent de leur spherc sont
dans le meme cas. La noblesse, la magistra-
ture, l'armée, la hourgcoisie , le commerce,
ont re«;u souvent de semblables inculpations
qu'elles ont supportées. Quand ces classes,
au líeu de conserver leurs nuances propres
se mettent a les confondre, elles deviennent
par cela seul l'occasion d'une multitude de
comparaisons injurieuscs. Si un jour, mo-
raliste conlme La Bruycre, ou poete sati-




( 279 )
rique eomme Boileau ,je me mets a m'élever
eontre les manieres soldatesques que pour-
raient prendre eertains magistrats; un autre
jour, eontre le ton pédant et magist¡'al que
pourraient prendre eertains militaires; un
autre jour, eontre le ton efféminé de eertains
jeunes gens; un aulre jour enfin, eontre le
ton cavalier de eertail1es dames: cela signi-
fierait-il que j'ai voulu insulter l'armée, la
magistrature, tout le beau sexe?


Il en est de meme des prétres. Lorsque
vouú, eomme ils le doivent l'etre, a la peni-
tenee et a la priere, ils exereent dan s les égli-
ses leur ministere de eharité et de sainteté,
ils ont mon obéissanee et ma vénération.
Portés comme aujourd'hui dans les acadé-
mies, dans les colléges, dans les conseils-
d'Etat, dans les corps poli tiques , est-ce ma
faute s'ils y sent déplaeés? Oe jeunes éleves
en chimie et en médecine se sont pris a rire,
lorsqu'ils ont vu arriver dans leurs amphi-
théá.tres des ecclésiastiqlles en soutane; il~
auraient bien plus ri, s'ils y étaip-nt venus en
surplis. Monseigneur, vous venez de quittcr
la chaire de vérité ; vous nous y avez preché
les vérités les plus austeres; actuel1ement




( ,.80 )
vous voila dans le salon des ministr~s ,jouant
avec votre croix d'or, donnant la main aux
dames: eomme e'est gracieux! comme e'est
joli! Fi done!


Cette douleur qui provient en moi d'un
sentiment profondéIPent blessé, vous ne
voulez pas eroire que ce soit du respeet,
vous voulez eroire que e'est du dénigrement :
je ne sais qu'y faire.


Malheureusement eette' immersion du pré-
tre dans les choses du monde I dans ses mi-
seres, dalls ses futilités, outre qu'elle a pour
effet d'abaisser son earactere ,et par-la meme
de diminuer envers lui el envers l'a religioll
le respeet si néeessaire des peuples, a eneore
celui de troubler l'Etat, d'y metlre salls
ceS3e en contaet, et pareonséquent aux prjses,
des autorités qui, ponr etre paisibles, dóivent
le moins possible se toueher et se reneontrer.
On a heau, avec toutes les tergiversations
possibles, vouloir voiler aux yeux des rois et
des peupIes la supériorité de la puissance
spirituelle, cette supériorité est d'une telle
évidence que malgré tont l'artifice qu'on
peut empIoyer, iI en résulte une dégradation
dn sacerdoee, si se m&lant aux choses du




( 281 )


monde, iI ne sait pas y conserver sa hauteur;
ou une dégradation de l'autorité, si elle
eonsent a perdre la sienne.


Que les nuanees a cet égard soient plus ou
moins mitigées; que les formes du respect
envers le tróne soient plus ou moins observéesj
elles l'étaient aussi lorsque, sous la premiere
race , parvenus de degrés en degrés jusqu'a
la puissanee souyerainc, les maires du palais
se prosternaient chaque jour aux pieds de
nos rois qu'ils détrónaient. Que signifie le
respeet qu'on affecte de mcme aujourd'hui
pour le monarque, si ce respect au lieu de
profiter a la puissance, n'est qu'un artífice
de plus pour l'endormir et pour l'envahir?


Lorsque la fidélité, qui apen;oit eette
manreuvre, recueille toutes sesforces pour en
repousser les effets; si, d'un autre· cóté ,
tournant ses regards vers la royauté et vers
ses serviteurs, elle y trouve, non des appuis,
mais des obstac1es; non des hommes armés
contre ce mouvement, mais au contraire des
affidés et des complices; quelle espérance
peut-illui rester?


Je crois avoir déja fait l'óbservation
suivallte. Il mé convient de la répéter.




( 282 )


Dans le délabrement de l'empire romain,
dévaslé par les peuples du Nord, lorsque les
empereurs érablis a Constantinople n'avaÍent
plus a régard de Rome aucun moyen de
protectioo, que les. peuples se soient réfugiés
sous l'autorité la seule respectée, ceHe des
pontifes ;qu'il soh résulté peu a peu de ces
nouveaux rapports, et bientot de la situation
de l'Europe un nouvel empire, une nouvelle
domination, iI n'y a rien suivant moi a
imputer aux papes; ils ontété desbienfaiteurs
et des sauveurs.


Relativement aux premiers temps de ]a
France, lorsque par l'effet des guerres et des
dévastations de tout genre, et meme dans
des temps postérieurs, lorsque par l'effet du
mouvement des croisades, iI n'y a plus eu
dalls notre patrie d'autres personnages ins-
truits que des clercs; que ces clercs soient
entrés dans tous les offices, qu'ils se soient
emparés ainsi d'une grande partie de la
domination civile , je les remercie au líeu de
les accuser.


En ce moment meme , je pourrais dire la
meme chose a l'égard d'une grande partie du
c1ergé; a la suite d'une révolution qui a




( 283 )
tont bouleversé, que dans cet espace vide
de nos anciennes institutions, le clergé ait
cherché et cherche encore a occuper un
grand espace; c'est a la soeiété, si elle est
.ce qu'elle doit etrc ; e'est au gouvernement,
s'il a un peu de prévoyanee, a faire ce qui
est convenable. Le pretre, lui, qui avant
tont n'a a s'occuper que du salut des ames,
fera tont ce qui est en son pouvoir pour
agrandir et étendre ses moyens.


Dans une affaire de sépulture, sous
Louis XVIII, on porte plainte au gouverne-
ment contre le curé qui r~fuse d'ouvrir son
église; le gouve'rnement ordonne , et le curé
obéit. Récemment on s'adresse pour un cas
semblable au gouvernement qui déclarc n'a-
voir aueune autorité.


Sous rancien régime, avec nos lois el la
jurisprridence établíe, un curé qui se serait
permis de refuser la communion a la Sainte-
Tllble eut été poursuivi juridiquemen.t. Au-
jourd'hui les cours sont muettes, le gouver-
nement tolere les abus ou les protége, les
journanx qui sont a sa disposition les pré-
conisent: c'est a merveille!


Dans ce cas, ce n'est certainement pas le




( 284 )
pretre que fai a accuser, ce n'est pas lui qui
ira s'occuper du droít des citoyen.s. {( Je me
mets peu en peine, nous dira-t-íl, de vos
droits ou de VgS attributiollS temporelles.
Ma mission a moi, est rEternité. Si en exer-
c;ant telle ou telle rigueur, en jetant dans la
société telle ou telle crainte, je parviens a
intimider le pécheur, a cncourager le juste,
a diminuer les délits, fai rempli ma mission;
hómme de l'Eternité, je ferai tout ce que les
hommes da temps me laisseront faire! J)
V oila ce que dira le pretre; et ce sera un bon
pretre.


eette excuse du pretre qui me parait tout-
a-fait acceptable, ne Pest point envers les
serviteurs de la royauté. Il faut le dire fran-
chement; ce sont les vrais coupables.


J'ai parlé précédemment des faveurs ac-
cordées par Louis XVIII a un prélat qui
avait été improuvé par la Chambre des pail's;
j'ai cité aussi les graces et les faveurs con-
férées a un autre prélat a la suite de deux
inculpations graves. n y a des personnes
pour lesquelles ces circonstances sont peu
de chose. Je les prie de porter leurs regards
sur le faite de l'hótel de la Marine: il y a la




( 285 )
une machine en apparence matérielle, qui,
en remuant ses membres d'une certaine ma-
niere, exprime d'un bout de la Franee a rautre
les pensées et les volontés du gouverDement.


Les graces du prince, ses sourires, ses fa-
veurs rapportées par le Moniteur , ont pour
toute la France la meme expression et le
meme effet.


Sans doute on a pour se rassurer, la sagesse
actuelIe du monarque, les dispositions con-
nues de tout ce qui lui appartient, et eocore
si on veut la majorité établie des deux as-
semblées; je dirai plus, on peut se fier aux
sentimens connus decertains personnages du
temps, encore qu'iIs soient imprégnés de
dispositions facheuses: ces persoDnes, sont
en meme temps pénétrées de fidélité envers
le Roi. Dans des temps a venir, eette fidélité
aura-t-elle la meme énergie? Les BODald,
les Marcellus, les Lamennais de la génération
qui va suivre ressembleront-ils tout-a-fait
a ceux d'aujourd'hui? Du cóté du prince,
la volonté préseote est ferme. Sous un autre
regne, si la vieillesse qui a affaibli la grandeur
de Louis XIV venait a affaiblir une aulre
grandeur, que deviendrions-nous?




( 28G )
J'ai montré ailleurs eommént le soldat


valeureux, quí fut mis a la tete de la Franee,
pouvait de notre fonds antique faire ressortir
de nouvelles formes. Aux premiers momens
de la restauration, pourquoi eette reuvre
manquée n~a-t-elle pas été reprise ? elle nc l'a
pas été du tout. N'apereevant partout que
des ruines, le pouvoir s'est précipité vers la
religion et le clerg-é qui lui ont paru sa seule
ressource. Il n'a pas fait attention qu'a eette
époque les institutions religieuses, quoique
rétablies dans les vues de l'usurpation,
étaient rétablies pourtant. Quelques ameu-
deolens étaient nécessaíres sans doute. Du
reste, au milieu du néant dont on étaiten-
touré, c'élaient les institutioos religieuses
qui pressaient le moios. Poiot du tout; e'est
de ce c()té que toutes les forces se sont tour-
nées : l'arbre a porté son fruit.


Je peux l'avoir déja dit, je le répéterai
encore : dans le mouvement d'un grand
Etat, ou la puissance temporelle , protectrice
de tous les intérets, a a protég'er nos intérets
religieux par-dessus tous les autres, iI est
inévitable que le monarque n'appelle quel-
quefois aupres de lui les princes de la vie




( ~úi7 )
spirituelle. La cour des pairs en Angleterre,
fait entrer de meme momentanément dans
son enceinte un certain nombre de grands
jug'es qui l'éclairent sur les formes du droit;
mais ce n'est que momentanément; elle se
garde bien de les eonstituer en offiee per-
manent, et d'en faire une puissance.


Que d~\.ns les choses ecclésiastiques, des
eeclésiastiques aient besoin de confé'rer entre
eux sur des reg'les a établir ; que le prinee
de son coté, appelle dans les memes circom-
tances des prélats aupres de luí, e'est ce que
personne ne veut contester : le tout, sauf a
soumettre ces regles ecclésiastiquCs, poul'
leurexécution, ala puissanee publique, et
a leor faire subir dans les grands eonseils
d'Etat préposés a ces sortes d'affaires, l)exa-
men qui est nécessaire.


On eroit n'avoir a prendre de précautions
que cont.re ce qui est méprisahIe, ¿ontre ce
qui est odieux. Au eontraire e'est contre ce
qu\est aimable et honorable. Avee les gr.ices
dont elles sont ornées et' le respect qu'on
leur porte, si les femmes prennent quelque-
foís trop d'influence; si elles parviennent
quelquefois a s'emparer de la vie eivile, au




( 288 )
pOlilt que des ambassadeurs écrÍront daos
leurs dépéches: (1 Je puis me débarrasser
JI des affaires,je ne sais comment me débar-
J) rasser des femmes; J) a plus forte raison
pourra-t-on arriver a ce point,que les princes
et les ministres ne sauront plus comment
se débarrasser des prétres.


Si vous n'avez pas de religion, les
pretresne vous seront certainement pas
un obstacle : mais si vous étes r~ligieux,
comment refuserquelquechose a deshommes
qui disposent non-seulement d'un bonheur
passager ici-bas, mais de tous les biens
d'une autre vie ? c'estprécisément ce qu'un
souverain disait a un saint pape: Que puis-
je rifase,. a vous a qui, par Dieu ,je dois
tout? (Nihil negare possum cuí per Deum
omnia debeo.)


e'est ainsi que les rois, les prinees et les
magistrats qui, au milieu des orages du
monde, ont eru faire beaucouppour leur
vertu en résistant a la séduetion des femmes,
peuventfinir par tomber et par faire tomber
tout ce qui Ieur appartient dans]a séduction
des prétres.




QUATllIE~IE_ PARTIE.
DES MOYEi\S


QUI RXISTENT DANS NOS LOIS ANCIENNES ET
DANS NOS T,OIS NOUVELLES POUR COMBAT1'lIE
U: SYSTEME BT LE IlÉPRIIIIER.


---


CHAPITRE PREMIER.


C01\PS DU nÉLlT ET CARACTERES nu DÉ LIT.


DANS une cause aussi grave que eeHe qui
est Pobjet de cet écrit ,j'avais a établir avant
tout les points de fait, d'otl sortent eornme
d'autant desourcesles dangers que je signale.
On a YU ainsi, 1· rexistenc.e d'une eongré~
gation dont le systeme tantót rcligieux,
tantót politique , tant6t rnélangé de ces deux
caracteres, quelquefois mystériellx, quel-




( 29° )
quefois a découvert, quelquefois s'enfom;ant
dans les ténebres. quelquefois se montrant
au grand jour, a flni par embl'asser la France
entiere, ou au moins s'est étendu comme un
réseau sur tous les corps , sur toutes les COtn-
binaisons, sur tous les mouvemens qu'elle
cherche a envelopper.


On a vu, 2 0 l'existence d'une société mo-
nastique instituée, selon les uns, pour pré-
venir ou pour abaUre le protestantismequ'eJIe
n'a ni prévenu, ni abattu; selon les autres,
pour prévenir ou pour abattre, par l'éduca-
tion, un :,ysteme philosophique irréligieux
qui, au contraire, est. sorti de ses écoles et
de son sein; société répl'Ouvée a sa naissance
par la Sórbonne qui, apres avoir examiné
ses statuts, l'a déclarée plus faite pour la
destruction que pour l' edification ( magis ad
destructionem quam ad ted~ficationem); so-
ciété fléau de la France et de l'Europe pen ...
dant plusieurs siecles, par sa doctrine, par
ses intrigues, par ses attentats; et que tous
les souverains et tous les magistrats a la
fois se sont réunis pour exclure des États
policés.


On a vu, 3° l'existence d'une secte ouver-




( 29' )
tement séditieuse et félollne, occupée de
transporter, par tous les moyens de doctrine
qui sont en son pouvoir, a un souverain
étranger établi par-dela les monts, d'ou elle
a été appelée ultramontaine, tout ou partie
des droits de souveraineté acquis a Sa Ma-
jesté Charles X notre bon roi, ainsi qu'a ses
successeurs.


On a vu, 4° l'existence d'un systeme for-
tement ourdi et opini:Hrement poursuivi par
une partie considérable du clerg"é, a l'effet.
de revendiquer tantót contre l'autorité
royale, tantót contre nos libertés sociales,
une domination qui ne lui appartient en
aucune maniere. Médiateur entre Dieu et
nous, lorsque notre amour vient lui apporter
clans le temple notrp- culte et nos respects,
médiateur encore entre Dieu et nous, lors-
que notre douleur yient lui apporter notre
repentir et nos miseres, le pretre s'attriste
de ce double ministere qui lui parait petit
et insuffisant; il prétend au domaine de la jeu-
nesse par l'éducation , e-t a celui du reste de la
société par toutes les regles qu'illui con vi en·
dra d'établir : il ne lui suffit pas d'ctre appelé
comme ange de bénédiction aux baptemes ,


19"




( ~92 )
aux mariages, aux sépuItures, il prétend
en ctre l'ordonnateur et Parhitre.


Lo systeme qui parait épouvantahle con-
sidéré dans chacune de ses parties prises a
part ., et qui ,considéré daos son ensemble,
devi('nt plus épouvantable ene ore , on le dé·
fend avec hahileté par plusieUrs cOllsidéra-
tions religieuses ; on le défend aussi par
diverses considérations politiques. n a fallu
examiner attentivement el impartialement
les unes et les autres ; a la fin iI a été im-
possihle de ne pas voir que le plan de dé-
fense est aussi faux que le plan de con-
duite; que ce plan adapté a l'état particulier
social qui s'est formé par la révolution, et
qui s'est conservé jusqu'a nos jours, aggrave
les vices de cet état, au lietl de les adoucir;
que l'invasion actuelle des prétres daos le
vide actuel deootre constitutioo civile,
présentée comme un .hienfait, est uo fléau
qui dénature tout a la fois et l'ordre social
etl'ordre religieux; Pordre social, en ce qu'il
doií etre régi pal' des 10is sociales; rordre
religieux, en ce qu'il périt au moment ou
s'attachant a la terre iI se sépare du ciel
auquel iI est destiné.




( 293 )
Par ces considérations, j'ai dO. entrer plus


que je n'aurais voulu dans l'examen du carac-
ter e du christianisme et de celui de son sacer-
doce; rai pu , avec plus de liberté, traiter
les rapports de la religion avec la morale,
de ]a morale avec la société. Alors j'ai été
amené a montrer comment par son alliance
forcée avec une puissance d'une nature supé-
rieure, l'autorité royale :-e trouvait d'un
coté ternie et abaissée; d'un autre coté
comment l'obéissance, altérée dans ses prin-
cipes, pouvaitse trouver affaiblie. J'aimontré
comment les peuples qui supportent un joug
dur el glorieux peu,vent s'impatienter d'un
joug qui aurait de la douceur, lorsque ce
joug présente quelque chose de honteux.
. Ce que j'ai étahli a cet égard par la théo-
rie, je l'ai justifié par les faits. J'ai cité
l'exemple. actuel du meilleur des rois, de
celui qui d'un coté a donné aux Fran.;ais
le plus de gages de sa hon té el de sa loyauté,
qui d'un autre coté a donné le plus de preu-
ves d'un caractere élevé, résistant et ferme,
et qui cependant, en cela seul qu'on le voit
circonvenu de tous cotés par des moines,
par des pretres, ainsi que par les hoinmes




( 294 )
de la vie dévote, attriste toute la France
chrétienne, qui ne veut etre que chrétienne,
attriste aussi la France poli tique , qui veut
eonserver son régime constitutionnel, et
qui, avec urie garde de jésuites, de cougré.,..
g"<lnistes et d'ultramontanistes, s'obstine a
croire sa Charte et sa liberté en danger.


En point de raisonnement comme en point
de fait, si j'ai réussi a mettre en évidence
l'ensemble de cette situation, j'espere avoir
fait partager aux jurisconsultes que j'in-
voque, une partie de mon effroi; et alors je
pourrais leur paraitre excusable de cher-
cher dans leurs lumieres, ainsi que dans les
lois et aupres des magistratsde mon pays,
quelques secours en favenr de la relig'ion
qui va périr, de la société qui va etre bou-
leversée, de la monarchie qui va. crouler.
Les artisans de ces calamites auront beau se
prévaloir contre moi de leurs vertus, de leurs
lumieres, de leurs intentious; par eux, le
roi, la religion et la société vont perir. e'est
assez pour que je m'oppose a leurs trames.


Je me sers du mot trame; je puis em-
ployel' de meme celui de conspiration, la-
quelle n'est ;tutre chose qu'une aspiration




( 295 )
'. concertée de la part d'un eertain nombre
. d'individus PQur al'river a un but.


Ces trames ou cette conspiration, en cela
·seul qu'elles tendent a un objet final perni-
cieux, doivent auirer Pauention des magis--
trats et exciterleur répression, quandméme
elles emploieraient pour parvenir a leur fin
des moyens licites. C'est ici un des premiers
points de l'aeeusation. Si on croit que les
congr-égations, l'institution des jésuites, la
doctrine de l'ultramontanisme, les préten-
tions des prétres , sont des ehoses admises
par les 10is, elles n'en seraient pas moins
aceusables, comme devant avoir des eonsé-
quenees funestes. n est défendu d'aller au
mal par quelque route que ce soit.


Dans ce cas, cependant, tout dépend de
la manifestation plus ou moins évidente,
plus ou moins établie de l'objet final que
présentent des démarches licites; ce qui peut
oecasioner des dénégations et des contesta-
tions. Dans l'espece présente, on ne peut
avoir recours a ce subterfuge, et e'est ieí le
second point de, Paccusation. Les moyens
qu'emploíe le systeme ne sont pas moins
illicites que leur objeto Vaccusation a alors




( 'l~ii )
a frapper dans le$ rnoyens com.me dans
le hut .


. .! ~ mot de trame et deconspiration,
in;.putations faites aux personnes les plus
l'espect~bles, l~ plus religieuses, les plus
fideles, on s'étonne, el on a droit de s'é ...
tonner; c'~t faute de faire atoontiQI1 aux
car~ctCr~s diver¡¡ qui appartiennent IAUX
cho&es dé ce genre.


Quelquefois les conspirlltions sont tramées
dans un esprit de haine ouverte; e'est le
prince que les conspirateuF.$ veulent fran-
chemeIlt détróner .ou assassiner. : le sénat se
remplit aJors de poig'nards cachés sous les
togt'ls. Quelquefois les conspirations sont
prises dans un esprit de haine prudenté el
dissimulée; enfin, elles peuvent l'étre dans
u~ esprit de z6le et d'aveuglemeQ{. Certes.
~dant troi8. :ans'; ni l'AssenlhMe consti-
lUaIlte ,-ni les jacobins de la rue Saint-Ho-
nol1i" ni leurs nombreux affiliés, n'ont -dit
qu'ils vo-ulaient- . -détrónel' ou assassiner
Louis XV.J:·Au,contraire, iIs n'Qotcessé de
publier (el le plus grandnoimbre l'a pensé)
que par leurs ceuvres, le tróne serait de plus
el! plus ,consolidé. Des homme5 respectable5




( 297 )
de ce tCJDps auraient pu me dire alors :
f/ Monsieur l'accusateur, a qui en voulez-
)) vous.? Dans votre liste des conjurés; nous
» trouvons un prince du sang poussé par
) tous les sentimens de son éducation et de
11 sa.·naissance, a etre le solitien du tróne;
») nous tro.uvons deux archevcques, dont
» l'un; Qccupé toute ··sa vie a combattre
» l'incrédulité, n'a cessé d'etre un mo-
» dele de piété et de vertu, dont l'autre,
» d'un esprit élevé, n'a cessé de se reIidre
JJ recornmandable par son honneteté et par
>J sa fidélité; nous trouvons de gTands per-
» sonnages qui appartiennent au service du
ji prince et qui sont habituellement dan s sa
» familiarité; nous trouvons l'avocat le plus
J) célebre du clergé qui, pendant toute sa
n vie, a été occu pé de ses intérets, et qui
11 tout récemment encare a pris solennelle-
JI ment sa défense; enfin, nous y voyons
JI l'illustre, le bon, le vertueux BaiIly. Al-
J) Ion s , Monsieur l'accusateur, faites-nous
» grace de votre accusation. ))


Je n'ai stlrement pas hesoin aujourd'hui
de répondre a ces allégations. Il me suffit
d'en tirer la conséquence suivante : c'c~st'




( 298 )
que des conspírations, qui, dans peu, voot
se trouver régicides daos leurs effets, oot pu
originairement etre innocentes : que sais-je?
peut-etre meme vertueuses dans l'intention
de leurs auteurs,


Aujourd'hui, eomroe en t 789, la trame
qui existe préseote une perspeetive funeste;
aujourd'hui eomme alors elle tient des voies
détaurnées et prohibées par les lois. Anjon.'-
d'hui eomme alors il fant rattaqner.


Cependant eoroment l'attaquer?


..




( ~99 )


CHAPITRE n.


DE L'ACTIOl'f DES 1.01& ET DES MAGISTRATS RELATIVEMI!l'fT


Al! SYSTEME.


U N noble et célebre pélerin, traversant les
déserts de la Laconie, se met tout-a.coup a
crier : LÉONIDAS! Léonidas ne lui répond
pas ; iI est enseveli depuis des siecles dans la
poussiere avec les lois el les Iibertés de son
pays j et moi aussi pélerin dans la vie, je
veux appeler d-ans mon désert les vieilles lois
de ma patrie; qui me dira ou elles sont, et si
elles peuvent encore me répondre !


Si je tüurne mes recherches vers nos an-
ciens monumens ,les jleaux que je signale ne
me paraissent point une nouveauté qui aurait
échappé a la prévoyance législative; dans
d'autres temps la sagesse publique a, a cet
égard, pris des précautions. D'anciens arrets
du parlement, et notamment un arret de1760,
se rapportant aux conciles et aux anciennes




( 300 )


lois du royaume, ont supprimé les congréga-
tions; en 1763, un autre arret du parlement
de Paris, suivi de plusieurs arrets des autres
parlemens du royaum~, sanctionnés par une
ordonnance du roi, a supprimé l'ordre et
l'institution des Jésuites. Un grand nombre
d'autres arrets, édits et ordonnances ont pres-
crit l'enseignement des quatre articles de la
Déclaration du Clergé de 1682; une multi-
tude d'autres arrets, dans la question des
mariages, des baptemes, des sépultures et
de l'administration des sacremens, sont con~
signés de meme dans les anciens recueils
des lois civiles el canon ¡queso II semble des-
10rs qu'il ne peut plus y avoir rien de don ...
teux, relativement aux infractions que j'ac-
cuse, et qu'il n'y a plus qu'a énoncer les lois
et dénoncer les infractions. Pas du tou:t, d'un
cóté Cln me ditque toutes tes lois sont péri-
mées ; d'un alitre coté, que les cours royales,
teUes qu'elles sont anjourd'hui composees,
sont incompetentes pOUI' les appliquer.


Relativement aux lois, elles sont sans doute,
ainsi que toutes les institutions des hommes,
susceptibles de vicissitudes. Deslois anciennes
peuvent etre abrogées par des lois nóuvelles.




( 301 )


Elles peuvent aussi tomber en désuétude;
en est-il ainsi des lois que j'ai mentionnées?
ce ne pourrait etre que par reffet des lois
révolutionnaires et desdécrets de rAssernblée
constituante, ou par l'effetde que]ques lois
impériales et des sénatus-consultes orga-
niques; enfin en vertu de quelque¡; disposi-
tions émanées de la restauration et de la
Charte. Je cherche avec soin dans ces divers
monumens; non-seulement je n'y ttouve
allCune dérogation aux lois dont iI s'agit; en
certaines circonstances j'y trouve leur con-
6.rmation. D'un coté j'ai sur ma tahle un dé-
eret impérial du 28 février 1810 qúi prescrit
Penseignement des quatre articles,et qui en ce
point se réfere a l'ordonnance de Louis XIV;
d'un autre coté, j'ai le réquisitoire de M. !ac-
quinot de Pampelune, et le jugement du
tribunal qui s'est ensuivi. A Une pratique
constante, sous legouvernement de Bona ...
parte, se joint la meme observante sous la
restauration. Dans aucun temps un. ordre
monas tique nouveau, une congrégation,
unecorporation nouvellen'a pu s'éta-
blir en Franee sans le eonsentement ,du
souverain ; a plus forte raison un ordre




( 302 )


monastique ancien frappé de réprobation.
Relativement aux cours royales, je n'ai


point a contester qu'elles ne soíent dans une
position differente de ceHe des anciens par..;
lernens. Elles n'ont comme ceux-ci ni droit
de remontrance , ni la faculté des arrets de
réglement. N'ayant re«;u "aQ.cun droít de
concours a la législation, elles ne peuvent
s'immíscer dans des poUces nouvelles, mais
dan s tous les points Oll la législation est con-
sacrée ei oú les polices sont établies, peut-on
dire qu'elles n'ont aucun droit de les faire
observer ? Sous prétexte que leurs vacatíons
s 'exercent le plus ordinairement sur des con-
tentions individuelles ou sur des délits pri-
vés , peut-on dire qu'enes sont étrangeres a
tout délit public? Dans quelques cas qui sont
déterminés, elles peuvent n'avoir pas a 5' oc~
cuper des actes des corps constitués; mais
les aggrégats d'individus qui prennent le
llom de jésuites, sont-ils des corps, ont-ils
une existen ce légale? non certes ; les infrac-
tions que ces individus commettent contre
les anciennes lois rentrent des-Iors dan s la
catégorie des délits individuels.


Il me semble en ce moment que je puis me




( 303 )
(lispenser de diseuter cette question. La.
Cour royale de París a prononeé dans deux
arrets célebres, non-seulement qu'il y avait
en ce genre des lois et des délits, mais encore
elle a été sur le point de prendre l'initiative
relativement a I'écrit ultramontain de
M. Wurts qni avait été produit dans les dé-
bats. D'apr~s cela, iI semble que non-seu-
lement dan s cette affaire, mais dans toute
affaire semblable, on peutespérer une solu-
tion.


Pas du tonto Dans l'affaire dont il s'agit,
les magistrats ont eu beau prononeer; apres
l'arret eomme auparavant, les lois, les délits,
les délinqutlns, les magistrats restent paisi-
blement en présence les uns des autres. Sí
pour tons les autres délits il en était de
meme, on pourrait dire que e'est l'age d'or
du crime. Une anarchie scandaleuse est ainsi
mise a découvert;' de toutes parts, des in-
térets vifs de famille sont excités; tout souf-
fre ,tout est en mouvement, a l'exception
du gonvernement et des magistrats qui sont
immobiles et impassibles.


Veut-on quelques exemples du trouble
qui peut s'élever a ee sujet daos les familles?




( 304 )
Je 'suppose que mon fils se presente a moi
pour me demander la permission d'entrer
dans ce carbonarisme religieux, qui a au-
trefois enseigné lerégicide, el qu'on nous
présente aujourd'hui eomme le meilleur ap-
pui des rois ~ que .luí r.épondrai~e? Et si un
aulre de mes fils me révele que dans le sémi-
naire 00. il faitses études, on asupprimé
l'enseignement des qualre articles de f682 ~
s'il me dit que de peur de déplaire au pape,
on a résolu de laisser dans le doute, el
eomme question de eontroverse, la doctrine
des droits du pape sur le tróne de Charles X;
moi, Fr3ll(;ais, moi, royaliste ,laisserai-je
mon,fils dans une tene école? Non, eertes.
Mais alors que deviendra la vocation ecclé-
siastique a laquelle Dieu I'a appelé?


J'ai cité les jésuites, ma .penséeest"cer-
tainementque.c':est U'fle institutioh odie\lse,
abomÍnable. Je parle acet égard le langage
des lois qui 1'ont proscrite. Cependant a 1'en-
gouement dont cette institutionc5t l'objet, il
peut arriver a la pensée d'un cito yen que
e'est une institution reeommandable; el
alor.!! il a ledroil de demander pourquoi
des lois' respe~tables, des lois terribles in-




( 305 )
terdisent de s~y aSSóOcier. Sh1guliere situa-
tion que ceHe ou le corps des citoyens se
trouve placé comme dans un piége, entre
les préceptes et les exemples, et ou la fidé-
lité au Roí et aux lois, ébranlée dans ses
premiers principes, risque de perdre , non-
seulement rhonneur qui lui appartient
comme fidélité, mais encore en quelques cas,
de suhir le hIame public !


Une situatioll semblable peut-elle se con-
server?


...




( 300 )


CHAPITRE 111.


bHS MOYUNS QUI'RESTENT DANS LE Z,ELE DES CITOVENS.


S'IL ne s'agissait dans I'Qccurrence actu811e
qt.w de c~s délits qui troublent légerement la
surface des sociétés, pature des cOlltentions
ordinaires,je pourrais déIibérer avec moi jus-
qu'a quel point iI ,me convient de les igno-
rel' ou de les dénoncer. Mais si, comme je
l'ai établi précédemment, iI résulte des dé-
lits que rai exposés un danger imminent pour
le Roi, pour la religion el pour la société;
si, comme je l'ai montré, ces. délits tendent
a établir une domination nouvelle dans la
domination, a flétrir la religion, a abaisser
et a dégrader les droits du tróne; s'ils rece-
lent ainsi une conspiration flagrante et un
attentat a la majesté royale, je n'ai plus a
hésitér.


Par. l'instigation des cOllgrégations jaco-
hines et de loor:> affiliés, on sait comment




( 3°7 )
,des opinions populaires, d'abord assez fiO..,.
dérées, ont flní par devenir monstrueuses. A
r~ide des congrégations nouvelles et de leurs
afflliations de t<mte espece, peut-on deviner
aquel point paniendra a se dépraver l'an-
·eienne et admirable opinionroyaliste? Hélasl
des millions de Fran.¡ais fidelesn'ont pu pré-
:s.erVf!r LQuis XVI du s.ort de Charles 1 , tant
était forte alors l'impulsion donnée aux opi-
nions populaires; avec ceBe quiest donnée au-
jourd'hui aux opinions religieuses, des mil-
liol,lsdeFrant;ais fideles parviendront-ils a pré-
ierve·Y lfl Fr,ance des événemens de J acquesIH
Je l'espere, .encor.eque la dépravation pla~
cée autrefoi,s dans des classes et des passions
suhalterfiesait gagné et les classes les plus
él~vées et les sentimens les plus nobles: ce
'q1li a 'Pes yeux en aggrave le caractere, se-
lop. l'a~iome : Corruptio optimi pessima.


Pour un si grand mal, la liberté de la
presse, le droit de pétition, ressource qu'on
léli.ssecommunément aux citoyens, paraissent
de;; moyens bien faíbles.


'Dans l'état habituel de la société, la liberté
Jela presse peut etre un droit précieux. La
paro le de l'homme ne s'élcve pas seulement


20·




( 308 )
alors pour faire du bruit; elle se répand
eomme une semenee féeonde, et va porter
au loin ses fleurs et ses fruits. Mais dans les
grandes erises des Etats, dans la pressure
qu'elJes établissent, avec la crainte et la ser-
vitude générale qui en ressortent, que peut
faire la parole, si ee n'est de divaguer un
moment dan s les airs, eomme la feume de
l'automne pour retomber ensuite morte sur
la terre?


On peut en dire autant du droit de péti-
tion. Dans d'alltres temps je ne douterais
pas de refret de mes plaintes; je les porterais
avec confiance aux mandataires de ma pa-
trie. Dans celui-ci, ou un art infernal est
parvenu a cireonvenir la pensée publique,
lorsqu'une ténébreuse habilcté dirigée par
des hommes qui sont· an plus haut de PEtat
est parvenue a amortir le scandale qui ressort
des epinioos qu'ils mettent en ]umiere;
qu'ai-je a espérer dans les deux assem-
blées d'une démarche qui rencontrera contre
elle, en bataillons serrés, des vo]ontés d¿ci-
dées, des volontés fortes , et qui n'aura pour
elle, en rangs la ches et désunis, que des
volont-és incertaines et des volontés faibles!




( 309 )
Sous tous les rapports , encore que le droit


de pétition soit un don précieux de la Charte,
et qu'au temps présent meme il puisseoffrir
éventuellemenl quelques secours, cepen-
dant, relativement an mal qui existe, c'est
un remede insuffisant : qui sait! il pourrait
étrejngé meme un moyen a contre-temps.
Il estde principe qu'il ne doit ctre employé
qu'apres avoir épuisé les moyens juri-
diques.


Rest.e a examiner l'action qui peut com-
péter a un citoyen.


ARome, tout citoyen était admis a rendre
plainte d'un délit publico En France, encore
que nous "ayons emprunté des Romains une
partie de notre législation, l'action civique
a été restreinte; ce n'est point en négligence
de nos ¡ntérets sociaux. (( La partie publique,
») dit Montesquieu, veille pour les citoyens ;
») elle agit, el ils sont tranquilles. » A cet
égard iI y a une observation a faire.


Au temps ou Montesquieu écrivait, la
partie publique placée aupres des magistrats
était une mag'istrature, c'était un office ;au-
~ourd'hui c'est une commission. De cette
"


maniere, 'mcore que l'honneur soit dan s




( 3io )
toutes les professions, et sürtou( dans cQIle
des magistrats Un grand présetvatif, iI n 'y
a plus ponr la s'Ociété la méme sécurite. En
etfet, si un délit pIacé non eomme d'ordi--
naire dan s le centre dn cotps social, mais a
Ses phlS hautes SOinmités, se trouve avoir'
ponr fatih~tits de gránds pet~oDnages de
I'État, '}Ué ¡><>urra faite avec le nom pómpéux
d~procurtmr~généraI un simpl~ cOmmissaire
dépendant?


Au 5urplus, ce l1'est pás mai seulement
qui accuse ici la Iégíslation, on va la voi ..
s'accuset elle-meme. Peli de temps s'es(
éeoulé depuis son origine, que reconnais-
sant la defectuosité de ses premieres dis-
positions , une loi du 20 avril 1810 a attri-
bué par son article 11 aux cours royales
le droit, ponr chacuo de ses membres, dé
provoquer ]a réunion des chambres, de dé-
iloncer les déJits publics, et de mander dan s
leur se in le proeureur-général.


Il y a eu ainsi que]que reparation ap-
portée a la constitution défeetueuse du mi-
nistere publico J e ne sáis ~i par cela meme
ii n'y ;.t pas, au moins quant au droit de
dénonciation, quelque innovation oans la




( 31 i )
capacité júridique Ju citoyel1. n estd'áu:-
tant plus nécessaire d'étendré a cet égai'd
ectte capacité, qu'a beaucoup d'égards la.
jurisprudence me parait rigoureuse.


Le grand nombre des jurisconsultes parait
croire que l'action du citoyen, en ce qui
concerne la plainte, se borne uu délit patt¡~
culier dont il reftoit le dommage. l\lá.is d'a· ..
bord la plainte qui est admise pour ún délit
dont je re¡;ois le dommag'e, peut-elle étre


, , d repoussee sous pretexte que ce ommage.est
éprouvé par un grand nombre? COIílrrient !
si un homme met le feua ma maison, on
veut bien me permettre de me plaiudre ; .~
aveo ma maison la ville eiltiere esf. irit!-
nacée, ma plainte ne sera pas admise ?


Sans doute alors j'ai droit de recours au
ministere public; mais si les matieres in-o
flammables d'une composition chimique
nouvelle peu familiere aux procureurs-gé ....
néraux leur paraissent d\me nature inno-
cente et peu faite pour auirer Ieur atten-
tion; ou si les prévenus sont d'une impor-
tance et d1une qualité telles qu'iIs puissent im-
poser a la partie publique, quelle ressollrce
me restera-t-il ?




( 31:1 )


Je la cherehe dans la loi de 1810 que faí
rappelée. Cette loi ayant investí tous les
magistrats, ut singuli, d'une sorte de par-
ticipation au ministere public, je me réfu-
gierai vers ces magistrats ; je ]eur dénoncerai
a eux-memes ce que rai dénoneé aux procu-
reurs-généraux; et eomme le plus souvent
ce n'est que par les informations et les dé-
nonciations privées que ceux-ci sont a meme
d'exercer leur ministere , je me placerai
aupres. de tous le~ magistrats, ul singuli,
dans la meme situation, qu'aupres des pro-
cureurs-généraux, e'est - a- dire que .le leur
apporterai en duplicata l'ensemble d'accu-
sations, d'informations et de pieces de con-
viction que j'aurai rassamblées •


. -




( 3d )


CHAPITRE IV.


RESUMÉ.


LES plaintes et griefs exposés au présent
Mémoire peuvent étre réduits aux chefs
sUlvans:


1 0 • Les quatre grandes calamités que faí
signalées, savoir : la congrégation , le jésui-
tisme, l'ultramontanisme, le systeme d'en-
vahissemeut des prétres, menacent la sureté
de l'Etat, celle de la société, ceHe de la
religion.


2°. Ces quatre grandes calamités ne sont
point dans une espece nouvelle qui aurait
pu échapper a la surveillance ou a la pré-
cision du législateur : eHes sont notées par
nos anciennes lois et chargées de Ieur ana-
theme.


3°. Ces anciennes loÍs ne sont ni ahrogées,
ni tombées en désuétude ; elles sont dans Ieur
pleine et entiere vigueur ; elles sont confir-




( 314 )
ínées en plusieurs cas par les Iois nouvelles.


4°. L'infraction portée a ces lois constitue
un délit.


5°. Attendu que ce délit menace la sureté
du tróne, ceHe de la société et de la religioD,
il se classe parmi les crimes de lese-majesté.


6°. Par sa qualité de délitcontre la sureté
de l'Etal, l'action en déllonciation civique
n'est pas seul~ment ouverte, elle est com-
mandéé.


7°. Dans l'ordre juridique, l'action en
dénonciation pent ctré portée par-de,iant
le procureur-général, comme chargé spé ...
cialement dú ministere public: aux ter1íIes
de la loidu 20 avril 1810, elle peut ctré
portéé aussi concurrelnm~llt par-devánt
tous les magistrats des Cours royales.


8°. Dans l'espece, les dénonciations soit
tilix pto(ll1r~urs-généraux, soit lmx présidens
et aux magistrats des Cours royales, me pa .....
raissent deyoir ctre faites, non a une seul~
Cour royale en particulier, mais a toutes les
Cours du royaume a la fois, en ce que ce
délit objet de l'accusation étánt général;
l'action en dénonciiltion semblo devoir etre
également génét'ale.




( 315 )
Je viens de dire miment et franchemeni


sur eette matiere Pimpression qui est en moí.
Messieurs les jurisconsultes des Cours royales;
a qui j e la soumets, voudront bien,je les en:
supplie ,la conf1tluer ou la rectif1er.


Paris, ce 1 er février 1826.


LE COMTE DE MONTLOSIER.


POS1'-SCRIP1'UM.


Au moment 011 cet écrit paraitra, j'aurai
regagné mes montagnes; je recevrai lit avec
empl'essement -les censures que je pourrai
avoir méritées, et les avis que Pamitié vou-
dra bien m'adresser. S'il étuit dans la volonté
de la Providence que les vues que fai expo-
sées changeassent certaines déterminations,
je n'aurais qu'a m'applaudir et a garder dé-
sormais le silence. J'ai peur qu'il n'en soit au'-
trement, et qu'au péril de tout ce qui nous
est le plus cher, on s'ohstiue dans une VDi€'
pernicieuse; infailliblement alors on me ver'"
ta'¡t reparaitre dans l'al'cne.




( 3,6 }
J'ai quelque espérance dans]e gl'and ca-


ractere de plusieurs personnes qui s'égarent;
fen ai aussi dan s le temps qui peut ramener
heaucoup d'irréflexions. Le temps m'est né-
cessaire a moi-meme pour me fortifier, et
donner a mes démarches ]e poids el la matu-
rité convenab!es. ReJativement a l'action des
magístrats el des Ioís, je renouvelle, quand
elle sera ma derniere ressource ~ l'appel
que j'ai déja fait a tout le barreau de
France. Dans une cause aussi grave et
embarrassée de tant de difficultés, j'ai du
m'attacher a l'instruire avec so in , avant
de demander une solution. Sur ce point
qui n'est pas sans quelque délicatesse, j'ai
cru devoir soumettre ma conduite adeux
des principaux jurisconsultes de Paris. Je
me repose sur eux avec confiance. Mues par
divers motifs, quelques personnes ont voulu
medétourner de ma marche; je n'ai pu
céder a leur avis : ma fidélité peut at-
tendre s'il le faut; elle ne doit pas se désis-
ter; mon insuffisance ne serait pas meme
une justification. Le guerrier ne va pas
au combat a condition de la victoire; il
peut recCD'0ir des bIes sures ; toul n'est pas




( 31 7 )
douleur dans ces blessures; iI Y a aussi
que]que doueeur a remplir ses devoirs. Je
erois aux intentions pures des personnes
que je eombats; tout ce que je Ieur de~
mande c1est qu1elles veuillent bien eroire aux
miennes. Si fobtiens eette justiee , je la re-
g-arderai presque eomme une graee; je re-
mereierai alors mes adversaires. Je re-
mereierai aussi eelui qUi s1est réservé la
gloire dans le ciel, mais qui a promis la
paix sur la terre aux hommes d'une bonne
'lJolonté.




j


j


j


j


j


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j


j


j


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j


j


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j


j




PIECES JUSTlFICATIVES.




1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
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1
1
1
1
1
1
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1


"


1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1




prECES JUSTIFICATIVES.
_a.


l er Octobre 1818.


RAPPORT AUMINISTERE DE LA JUSTICE.


PARQUET DE LA COUR ROYALE DE RENNES.


L'ESPRIT jésuitique gagnc presque t0l15 les pretres.
Les peres de la foi de Sainte-Anne-d' Aurai ( Morhi-
han), vrai5 jésuites déguisés, gouvernent le diocese
de Vannes, el j eUent dans tous les dioceses voisins les
raeines de lcur puissance et de leur domination. lIs
appellent jansenistes tous eeux qui ne partagent pas
leurs doctrines, et quand on leur demande ce que
e'est qu'nn janseniste, ils repondent : Cest l'étre que
de le dema"der. Ils ont des adeptes, des affiliés qui
se reeonnailisent a des signes et a des seapulaires pIaeés
sur la poitrine. e'est une bonne fortune pour eUK
lorsqll'ils peuvent agreger les personnes appartenant
aux classes supérieures de la société, surtout parmi
les fQnetionnaires publies.


A "Nantes, rai Vil un tablean tres-eurieux expose
dans une chapelle de la eathédralc on l'on ne !>énetrc


2f




( 322 )
que par une porte qui le dérobe aux yeu:!: du publico
Ce tableau, execute sur un plan assez etendu, o{fre
plllsiellrs emblemes qu'il faudrait etre connaisseur
pOllr bien entendre et expliqller. Qllelques remillis-
cences de l'histoire et du proces des jésuites, m'ont
aide a en saisir les principales allusions.


Au sommet du tableau, agauche, saint Ignace est
assis dans un fauteuil entoure dc nuages, la main sur
un grand livre in-:folio ouvert, qui doit etre les constitu-
tions de la Sociéte de Jesus; a cote est saint Fran«ois-
Xavier en rochet et en etolc, egalement assis. Sur un
plan'plus bas, uniésuite, a genoux, tenant une grande
croix en face dcs deux saints, et ayant une couronne
royale renversee a ses pieds, semble offrira saínt Ignace
la puissance et la souveraineté universelle. Derriere
le jesuite a genoux, on voit l' ange exterminateur pour-
suivanl el chassant les vices et les passions, sous di-
verses figures infernales, precipites dans les tenebres.
En arriere de l'ange exterminateur, est une femme en
costume indien presentant a saint Ignace, sur un
carreau de velours blane, une eouronne et un sceptre;
a cole d'elle, et un peu plus reculée, une autre femm~,
qui doit étre la religion , eliwe un saint ciboire au ciel,
en l'inclinantvers le saint auqucl elle parait en faire
hommage.


Je crois avoir lu quelque part que l'original de ce
tableau avait ete, pour la premiere fois, cxposé a
Marseille, et que plu<icurs copies en avaient elte faÍtes
par les jésuilcs; si cela était, Riper de Monelar, pro-
cureur-général au parlement de Provence, n'aurait
pas manqué d'en parler daos son Compte rendu des




constitutions des jésuites, ce qu'il ne m'a pas été pos-
sible de vérifier.


Quoi qu'il en soit, le tableau existe; iI est exposé ,
comrne je l'aí dit, dans une chapelle de la 'cathédrale
de Nantes ou je l'ai vu et étudié assez long-temps, il
n'y a pas encore huit jours, pour garantir les ern-
hlernes ci-dessus définis. La couronne royale foulée
aux pieds par un jésuite; l'autre couronne et le sceptre
oft'erts sur un carreau de velours au saint par un génie
en costurne indien , et le saint cihoire présenté par un
autre génie ou une figure représentant la religion,
ne peuvent signifier que la dornination universelle,
temporellc et spirituelle dont on accusait justernent
la Société de Jésus de vouloir s'emparer. Sa résurrec-
tion, sous le litre de peres de la foi , leurs maxirnes,
leurs principes, leurs doctrines hien connues, parla-
gées rnaintenant par le clergé, font assez voir et corn-
prendre ce qu'on en doit craindre dans l'état actuel
des choses.


el. er


21 •




CONSTITUTION ANCIENNE


DE LA CONGRÉGATION.


LE pere Jean Craffet , qui fut, depuis 1668, jusc¡u'a
sa mort en janvier 1692, e' est-a-dire vingt-trois aos,
le p~re directeur de la grande congrégation dite des
Messieurs dans l' eglise professe de la rue Saint-Antoine
a Paris, fit imprimer, vers l'année 1670, en petit
format in-24 bien portatif, facile a cacher, et sans
frontispice ni date, un Manuel a l'usage de ses congré--
ganistes. Ce manuel est devenu fort rare : le format t
l'absence de toute date, de tout lieu d'impression, du
nom de l'imprimeur, montrent assez <lu~ ce li\'ret dc-
vait étre mystérieusement gardé, et il est probable
qu'a la mort de chaque congréganiste, le pere direc-
teur avait soin de le faire retirer de sa succession.


Ce Manuel avait pour titre a la premiere page seu-
lement: Regles de la Congrégation de Noire-Dame de
la Maison professe de Saint-Lou.rs ti París. On sait le
r&le que eeUe maison a joué dans la Ligue. Le livret a
i43 pages; iI commence par les Regles générales, dans
lesquelles on voit la éonstitution de la congrégation en
26 articles. • Elle était soubmise a la conduite et
.. direction de la Compagnie de Jesus. Les confreres
" devaient au uloins tous les mois une fois se con-
» fesser el communier dans l'oratoire et chapelle




( 325 )
» de la congrégation , et ce tous les premiers diman:~
» ches du mois, toutes les feles principales de notre
• Seigneur, de la sainte Vierge, des Apotres el nutres
• jours el solemnités rernarquables; dire tous les jours
.. sept fois le Pater noster et l' Ave Maria. » A chacun
de ces jours et a chacune de ees pratiques étaient atta-
cMes, ou des indulgences plénieres, ou des indulgences
partielles de troismille a cent cinquante-huit mille ans.


On ne pouvait prendre un autre confesseur que par
la perrnission du pere dirtcteur qui en réferait au pere
recteur du eollége; et ce confesseur ne pouvait elre
qu'un jésuite. C'était dans les maÍns du recteur qu'a-
boutissaient les fils de toules les congrégations de la
merne ville; et il était pl'escril de ne rien faife a
l'insu et sans le consentementdu pere directeur.


Sous lui était le préfel de la congrégation nommé
par elle; et le réglernent voulait qu'elle choisit
un congréganiste cminent dan s le monde; autorisant
meme a élire pour eeUe charge un éveque, qui, par-
la, devenait I'inférieur et le disciple oLéissant duo
PERE de la congrégation. Le ]}féfet y avait presque au-
tant d'l\Utorilé que ce pere , quand il était bien docile
a ses volontés et a sa direction.


Au-dessous du préfet étaient graduellement: 10 deul[
assislans j 2° un secrétaire; 30 de sil[ a douze conseil-
lersj 40 un dépositaire ou trésorierj 5° de m: portiers ~
6° des lecteurs , etc.


La seconde partie du Livret a pour titre: Regles


• Ceux. ci se tenant a la porte notaient lous les confreres qui
entraient , qui devaient communier ; ils en donnaienl a la fin de




( 326 )
particulieres pour les officiers de la congrégation de la
Bienheureuse rierge. Chaclln de ceux qlie je viens de
nommer et autres y troU\'aient IeUl's dcvoirs bien ex-
pliqués; et toujours celui de la déférence, de l'obéis-
sanee aux préfets et au pere directeur, dominait tou-
tes les autres obligutions.


La troisicme partie a pour titre : Coutumes prati-
lJuées es principales congrégations des maiJons profes-
ses de la compagnie de Jésus" tant d Rome qu'ail-
leurs.


Le Livret se termine par dix-sept pages sous ce ti-
tre : Briefreceuil des indulgences que peuvent gaigller
ceux lJui sont de la congrégation Notre-Dame" tiré
des bulles de SOl! érectiol! faite par les papes Gré-
goire x/u el Sixte r.


On sait que le premier de ces papes ne \'it pas avee
trop de cbagrin la Saint-Bartllélemy, ni la formation
de la Ligue; et que le seeond la favorisa de tout son
pouvoir apostolique.


Je ne donne pas l' état des mille el millions d'an-
nées d'indulgenees dont les eongréganistes sont dotés.
Par les dix-sept pages qui en sont remplies on eom-
prend que le nombre en serait difficile a compter.


Par les r~gIemens, la subordination des congréga-
nistes est poussée a tel point que dans les délibéra-
tions , ils ne doivent donner leur vote que quand ils
sont interpellés par le pe re directeur ou par le préfet,


cbaque mois \a liste au ph'e directeur " qlli par ce moyen con-
naissait ceux qui avaient manqué allx exercices el cellx qni n'a-
vaient pas communié.




et ne le donner qu'avec humilité, sans contester, h
l' elfet de le soutenir, contre le directeur et le préfet.
De plus, si quelqu'un d'eux est obligé de voyager
pour ses alfaires, il ne le peut faire san s en avoir
ohtenu la permission du pere ,du préfet, et contre-
signée du secrétaire ; par le moyen de cette permis-
sion, il peut se présenter, avoir acces, etre introduit
dan s toutes les congrégations jésuitiques du monde;
dans ses voyages, il doit écrire au préfet pour lui
rendre compte de sa conduite, et necessairement de
ceHe des autres.


Cela doit suffire pour donner une idee du systeme
politique . des congrégations. Le Livret qui nous a
fourni ces renseignemens est joint comme une pieee
justificative a un manuscrit assez volumineux: que
nous avons vu partiellement, el quí consiste en une
Histoú'e des congrégations el sodalités jésuite'ques
depuis leur origine ~ en i 563 ~ jusqu' au temps présent.
On y voit déc;ite, avec preuves, la part que ces as-
sociations mystirfues et secret.es ont eue en France, a
Naples, a Venise, etc., etc. , a toutes les intrigues
politiques, aux troubles, aux: ligues; et toujours, sui-
vant la grande maxime des jésuites, ad maiorem Dei
gloriam " ;\ quoi ¡Is ajoutent maintenant a Montrouge,
el sacratissimi cordes Jesu.




ARRET
DU PARLEMENT DE PARIS


CONTRR LES CONGRÉC:aTIONS.


PAR un arrét rendu , toutes les enambres assemblées,
le vendredi 9 mai {76o, la Cour a faít inhibitions et
défenses 11 toutes personnes de former aueunes assem-
blées ni confréries, eongrégations ou associations en
eette ville de Paris, el P1V'tout ailleurs, sans l'expresse
permission du roi et lettres-patentes vérifiées en la
Cour;


Ordonne que dans six mois les chefs, administra-
teurs et regisseurs de toutes confréries qui se trouvent
dans le ressort de la Cour, serollt tenus de remettre
au proeureur-général du roi, ou 11 ses substituts sur
les liem:, des copies "en bonne forme et signées d'eux,
des lettres'patentes de ieur établissement, ou autres
titres qu'ils peuvent avoir; leurs regles, statuts et
formules de promesses ou engagemens verbaux; en-
semble un mémoire eontenant le temps et la forme de
Ieur existence ; comme áussi un exemplaire des livres
eomposés pou\' l'usage desdites eonfréries , associa-
tions et eongrégations ;


Enjoint aux substituts da proeureur-général du roi
d'envoyer au proeureur-général les leUres-patentes,




élals, mémoires, formules de promesses et engage-
mens verbaux et autres pieces qui leur seraient re-
mises, pour, sur le compte qui en sera par lui rendu,
ctre statué par la Cour, toutes les chambres assem-
hlées, ainsi qu'il appartiendra ..... sinon el faute par
lesdits chefs •••• Leur fait, la Cour, défense de souffrir
aucune assemblée, ni continuer aueun exercice desdites
confreries, associations el congrrgations; et a toutes
personnes, de quelque qualité et conditions qu'elles
soient, de s'y trouver , sous les peines portées par les
ordonnances.


Cependant fait des a présent, sous les mémes peines,
défense a toutes personnes .... de s'assenihler a l'avenir
sous prétexte da confn\rie, congrégation ou associa-
tion dans aucune chapelle intérieure ou aueun ora~
toire particuljer de maison religieuse ou autre, niéme
dans les églises qui ne seraient pas ouvertcs a toutes
personnes qui se présenteraient pour y eutrer.




( 330 )


ARRET
DE LA CODR DD PARLEMENT


AU SUJET DES DIVERSES ASSERTIONS JÉSUITiQUES.


Extrait des Registres du Parlement, du 5 mars '762.


Vu par la Cour, toutes les chambres assemblees,
l'arret du 3seplembre t 76t, portantentre autres dispo-
sitions « que pour etrc véri6és el collationnés tant sur
les livres composés et publiés par les Boi-disant jésl:ites,
et condamnés par ladite cuur, que sur les autres livres
mentionnés IIU compte rendu a la cour, toutcs les
chambres asscmblées, le 8 jnillet J 76 1, par l'un des
cornmissaires en ladite cour, les extraits des assertions
dangcreuses el pernicieuses en tout genre, que lesdits
so¡-disant jésuitcs ont dans tous les temp~ constam-
ment et persévérarnrnent soutenus et publíés dans leurs
livres avec l'approbatioIl de leurs supérieurs et géné-
raux : il sera nornmé des commissaires de la cour, qui
s'assembleront le mardi, :1.5 décembre :1.761, IJourla-
dite vérifieation et collation faite et rapportée, Mre,
conformément a l'arret du 6 aout 1761, par la cour,
toutes les chambres assemblées, le 8 janvier 1762, sta-
tué ce qu'il appartiendra: l'arreté de la cour dudit
)our,8 janvierdernier, les passages edraits des auteurs




( 331 )
de la société desdits soi-disant jesuites, vérifiés et
collationnés par les commissaires de la cour, en exé-
cutioll de l'arrct du 3 seplembre 176 [ ,sur les livres
et autres picces que lcsdits soi-disant jésuitcs ont pu-
hlies avec l'approbation des supérieurs et générauK de
bdile société; ou pareilIemmt les traduclions d'au-
cuns dcsdits passages extraits, et les arretés de la
cour, des 5, 17,18, 26 février, et de ce jourd'hui
5 mars 1762, portant que lesdits extrails et traductions
d'aucuns d'iceux seront déposés au greffe civil de la
cour. La matiere mise en déliLératioll :


La cour, toutes les chambres assemblées, a arrété
et ordonllé que lesdits pas3ages extraits, véri6és et
collationllés par les commissaires de la cour, et la
traduction d'aueulls d'iceux, seront allnexés au proces-
verbal de ce jonrd'hui, pour,desdites assertiolls dépo-
se es au grefTe de la COllr, Hrc pris commulIication par
les gens du roi, et ctre par eux requis au premier
jour , et par la cOllr ordonné ce qll'il appartiendra;
commc allssi que le procllreur-b"énéral du roi sera
ehargé d'envoyer sans délai lesdltes asserlions a lous
les archeveques et éveques clant dans le ressort de la
eour, attendant ladile cour du úle dont ils sont ani-
més pour le bien de la rcligioll, pour la purelc de la
morale chrétienne, pour le mainticn des honnes mreurs,
pour la conservation de la tranquiUité publique et pour
la surete de la personne saeree uu roi , qu'ils se por-
teroot a prendre, chacuo en ce qui les eOllcerne, tou-
tes les mesures qu'exige leur sollicitude pastorale sur
des objets aussi importans; a arre té , en outre, que
M. le premier présideot sera chargé de se retircr in-




( 332 )
ccssamment par-dcvers le roi, a l'elfet de lui presen-ter
copie collationnée desdits passages de la tradnction
d'aueuns d'ieeux, pour mettre de plus en plus ledil
seigneur roi en etat de connaitre la perversité de la
doctrine soutenue constammenl et sans interruption
par les pretres, écoliers et autres se disant de la societe
de Jésus, dans unemultitude d'ouvrages réimprimés
un gr1\nd nombre de fois , dans des theses publiques
et dans des cahiers dictés a la jeunesse depuis la nais-
sance de ladite société, jusqu'au moment actul:1, avec
l'approbation des théologiens, la permission des su-
périeurs et géneraux, el l'éloge d'autres membres de
ladite societe: doctrine dont les consequences iraient
a détruire la loi naturelle , c·eUe regle des mreurs que
Dieu lui-meme aimprimée dans le creurdes hommes,
ct par conséquent a rompre tous les liens de la so-
ciété civile , en autorislInt le vol, le mensonge, l'im-
purete la plus crimmelle, el généralement toutes les
passions et tous les erimes, par l'enseignement de la
compensation occulte, des equivoques, des restrÍctions
mentales, du probabilisme el du peché philosophique;
a détruire tout sentiment d'humanité parmi les hom-
mes, en favorisant l'homicide et le parricide ; a anéan-
lir l'autorité royale et les principes de la subordina-
tion et de l'ohéissance, en dégradant l'orígine de cette
autorite sacree qui vienl de Dieu méme, et qui, en
alterant S8 nature qui consiste prineipalement dans
l'indépendanee entiere de toute autre pui~sance qui
boít sur la terre, a exciter, par l'enseignement abomi-
nable du régicide da~s le creur de ses fideles sujets,
et surtout de tous ceux qui composent la nation fran-




( 333 )
~aise, les alarmes les plus vives ct les mieux fondées
sur la sureté meme de la personne sacrée des souvc-
fains, sous l'empire desquels ils ont le honhcur de
vivre ; enlin a renverser les fondemens et la pratique
de la religion , et a y substituer toutes sortes de su-
perstitions, en favorisant la magie, le hlupheme,
l'irréligion et l'idolatrie. Et sera, ledit seigneur roi,
tres-humblement supplié de considérer ce qui resulte
d'un enseignement aussi pernicieux, combiné avee-ce
que prescrivent les regles et eónstitutions desdits soi-
disant jésuites sur le choix et 1'1Iniformité des senti-
mens et opinions dans ladite société. Ordonne qu'a
¡'elfet d'étre lesdits passages extrails par les commis-
saires de la cour, ensemhle ceux déja déposés au grelfe
civil de la eour, le 3i aout 1651 y plus promptement
et plus facilement envoyés aux archevéques et évé-
ques dans le ressort de la cour, tous lesdits extraits,
ensemble la traduelion d'aueuns d'icellx, et le present
arret en téte setont. imprimés, el lesdits cxemplaires
ordonnes a etre envoyés aUI arehevéques et éveques,
seront collationnés sur les copies manuserites déposées
au grelfe civil de la eour; Fa.it en Padement, toutes les
chambres assemhlées, le 5 mars 1')62. Collationné :
RÉGNAULT.


&gné, DUl'l\ll.NC.
(Registres du Parlement.)




( 334 )


SUR LE TABLEAU


TROUVÉ AU COLLÉGE .DES JÉSUlTES DE BILLOM.


Extrait d'un proces-verhal du 16 décemhre ]762, tiré du compte
reudu aux Chambres du Parlement assemblées par M.le pré-
sident Roland, le ]5 juillet '763.


Nous nous sommes transportes a l'église ou chapelle
dudit coll~ge, pour constater si parmi les tableaux
'qui y ont eté laissés par les ci-devant soi-disant jé-
suites, il y en avait un (comme on 1'a dit) moins
propre a édifiel' qu'a scandaliser.


Etant entres dans la dite église avec le procureur
du roi et J ean-J oachim Girot, notre greffier, nous
avons vu sur le mur, du coté droit, un tableau de la
longueur de vingt pieds de long sur dix pieds d'éléva-
tion , ,au haut duquel sont, ces mots écrits en leUres
d' 01' : T)'pus religionls.


Persuadésque c'était l'objet que nous étions chargés
de vérifier, nous nous sommes approchés, et quelques
notables habitans dudit Billom qui s'y sont trouvés,
nous ont assuré que ce tableau était en grande véné-
ration chez les jésuites, et qu'il était la tres-ancienne-
ment .... Nous avons observé que daos lcdit tableau la
religion est représentéesous l'embleme d'un tres-grand
vaisseau qui cingle a pIe in es voiles de la mer du sieele




( 335 )
au porl du salut. Au mílieu de ce vaisseau et sur le
tillac, saínt Ignace tenant a la main le nom de J ésus,
parait a la tete de huit autres fondateurs d'ordres. L'on
ne voil dans ce vaisseau d'autres personnages que des
religieux de ces neuf ordres différens, ce qui donne
lieu de presumer qu'on a cherché a confondre la rcli-
gion avcc l'élat religieux.


ecUe conjecture paraH d'autant mieux fondée,
que l' on n'y aper~oit ni pape, ni él'cque qui ne soit
chef d' ordre, ni pretre, ni aucun séculier. Il est
monté par ces seuls rcligieux ; ce sont eux seuls qui
le conduisent el y font toule la manreuvre. Partout
les jésuites tiennent le premier rang : les aulres reli-
gieux ne paraissent y agir que sous leurs ordres et en
subalternes; bien plus, quoique le Saint-Esprit enfle
les voiles de son souffie et pousse le vaisseau, c'est un
jésuite qui, chargé du gouvel'llail, le compas a la
lnain, en dirige la ron te. Au-dessous de ce pilote, on
lit: 'Imitatio vitre Chrúti. Ne parah-il pas évident que
ce tablcau n'a été fait que pour persuader que les jé-
suites seuls sont propres a conduire dans la voie du
salul? Nous avons observé encore, qu'a la suite de
ce vaisseall viennent deux petites barquessur lesquelles
on lit: NaIJes secularium quibus arma spiritualia ti
vires religionz's suppeditantur. Dans ces harques sont
peJe-mele le pape, un cardinal, un roi de France,
plusieurs tetes c.ou ronnées, des personnes de tout état
et de lout sexc .... Du meme cMé , sur la mer du siecle,
au haut du tableau, s'élevent plusieurs pointes de
rocher dontla plus élevée est surmontee d'une thiare,
une aulre d'un chapeau de cardinal, quelques autres




( 336 )
de mitres, de couronnes, et de la hunniere de Malte.
Au-dessus de tout, est écrit : Superbia v ita. Autour
de ces rochers sontreprésentés les sept péchés capi-
taux, sous l'emhleme dcsept pctits briguntins, portant
chaeun le nom d'un péehé ; au-dessous du tout est une
senlence eommen~ant par ces mots : Initium peccali
est superbia.


Au-dessods du filet dont on vient de parler est, en
grosses lettrell, sur une banderole: .Apostatrereligionis ••
Sous les légcndes on voit plusieurs figures en partie
submergées, parmi lesquellt!s on reconnait a son ha-
hillement le moine Luther qui dirige son are vers la
galere. Au milieu dI! ces apostats, et absolument dans
le hasdu tableau, esl une figure dont il ne sort de
I'eau que lebuste. Elle paraltsans mouvement el saisie
de ecainte, on voil meme sur son visage une espece
d'ahrutissement. Elle porte une toque avee une fraise.
Plusieurs personnes ont cru trouver a cette figure benu-
coup de ressemhlánce avee Henri IlI. Unmonstre
placé 11 droite de ces apostats en dévore un ....


Du cdté de la poupe, daos la galerie inférieure de
lá grimde: gál.8t-e tjaOIl'.~,M\igieuJl:, l'un jésuite el
l'autre - du tier5-ordre de ~aint Fran~ois; ils portent
cnacun un houclier... Ces deux religieux sont armés
de plqucs et combitttent , ain:tl qu'un ¡acoDin qUl est
daDs la galere du miliou, et qui tient une pierre a la
main I Clontre une barque qui est au bas du tahleau.
CeUo bárque, sur laquelle est assis un démoD tenant
un slIhre a la main, csl en partie submergée: plusieurs,
qui sont dedans, sout hlcssés et dirigent eependant
lcurs armes vers les I'elig'icux dont on vient de




( 337 )
ilal'ter. Dessous eette harque, on lit daus dt:ul[
banderules: Haretiat insultantes; et á coté, dans
un cal'touehe : Sagitta parvulorum facfa! sunt plaga
eorum, el infirmata! sunt contra eos lingua. Aulour
de eette harque sont plusieurs hérétifjUeS qui en
pa¡'uíssent tumbés, ils sont puur la plupart su.Lmer-
gés; un 8111'tuut est peint singulierement : on ne
"uit q u 'une tres-petite partie du buste : la tete est peinte
du baut en bas , de fa~on que les eheveux 50nt en bas
el la barbe en haut. En considerant de prcs ceLtc
figure, et en la regardllnt dan5 le sens naturel, un
serait bien tente de croirc que ¡'auteur du tableau a
voulu peindre un prince dont la mernoire sera toujours
chcre aux Fran~ais, dont le portrait est g¡'avé dans
tousles cceurs, et que la Ligue for~a de eonquérir son
propre royaume. . • • . . . . . . . . • • . • . . . .


N. B. Il est néeessaire d'ajuuler que d'apres le
eomple rendu aU'parlement de Paris, il se trouva au
eollége de Billom sept éditions dilférentes du fameux
li",re régicide de Busembaum ¡ savoir : trois de
Lyon des annees t665 , 1672 et 1690; une de Tou-
louse de '7°0; deux de Paris, de 1726 et 1746 I ct
celle de eoJogne de 1729.


{ Registres du ParlemeRt~ )


-.. -


22




TABLE.


Pa¡es.


lliTIlODlJ'CTIO'- •


PREMIERE P ARTIE.
FAITS.


CUPITRE PREMIER. - De la congrégation. 17
CHAPo 11. - Des jésuites. 38
CKAP. IIl. - De I'ultramontanisme. 53
CllA,P. IV. - De I'esprit d'envahissement chez les pretres, 76


SECONDE P ARTIE.
DANellllS RÉSULTAliT DES FAITS QUI VIENNENT D'i:TItE EX-


P.OSÚI, 97
CH.oI.PITRE PREMIER. - Des dangcrs résultant de I'existencc


de la congrégation. 99
CHAP. 11. - Dangers résultan! de I'invasion des jésuites. IIg
C.-.P. Ul • ....., Dangel'~ résslt:¡nt de l'ultrnmo\ltanisme. _ 137
CHAPo IV. - Dangers résultant de l'esprit d'envahissc~ent-


"des pr~tres. " 50


TROISIEME PARTIE.
PLAN DE nÉFENS& DU SYSTEMR E'r SA llÉFUTATION.


CIUPITRE PRE~IlER. - De la constilution aetuelle de la
80ciété en France; si elle peut s'accommoder des imtitu-


¡(¡S


tioDs roligieuses , telles que le systimlC les entend. -1 ~
'CHAPo ir. - Que le systeme, dans son plan, tend a altérer


la religioD , au lieu de l'affermir. ,82




CHAl'. In. - Conlillualion du meme slljel; caractere du
christianisme. 193


"CHAl'. IV. - Que le systeme, par son plan gén~ral , tend
a altérer el a dégrader le sacerdoce; ce qne e'esl qu'un
~~ ~


CHA.P. V. - Conlinualion du meme .njel; des raisons qui
sont aUéguées pour portcr les pretres dans !-es choses du
monde. 210


CHAPo VI. - Qnc le systeme, objet de l'accusalioB,
ténd a altérer el a pervertir la morale; ce que c'est que
les mreur.. 2,;aS


Cnu. VII. - Continuation du méme sujet; applicalien de
cc. principes a r éla! ae!ue! de la Franee. 241


CHAPo VIII. - Que le systhne, obje! de l'ineulpation,
tcnd a rcnverser le Ironc et l'autorilé royale. ,;aS)


CHAPo IX. - Continnation du meme Sl1fel; résult"t final
de la conduite aeluelle des pretreo. 2¡S


,


QUATRIEME PARTIE.
DES MOTENS QUI :f;XISTENT DA NS NOS LOIS ANCIEN""ES ET


DA.NS NOS LOli NOt,;VELLgS POUH. COXBATTRE LE SYSTE'UE


ET LE J\iPR1MER.


CHAPITRE PREMIER. - Corps du délit el caracteres du déht. 289
CHAPo II. - De l'action des ¡ois et desm3gistrats relative-


ment au systeme. 26\)
CHAP. IlI. - Des moyens qui restent dans le úle des


eitoyens. 306
CHAPo IV. - Résumé. :1I 3
POST-SCRIPTUM. 3,!")
PIECES JUSTIFICATIVES. 319


...