DE L'ORGANI8ATION DU GOUVERNEMENT RÉPUBLIC AIN CHEZ LES MEMES ÉDITEURS ...
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DE L'ORGANI8ATION


DU


GOUVERNEMENT
RÉPUBLIC AIN




CHEZ LES MEMES ÉDITEURS


OUVRAGES DU MEME AUTEUR


E~ l'OUVELLES ÉD1TlONS


EXAM~~~ CRITIQUE DES DOCTRINES DE LA HELIGfON CHRÉTIENNE,
2 volumes grand iu-S", 4c édition.


HÉNOVATION llELIG1EU3E, 1 volume grand iu-s'', 4e éditiou,


DE LA GUERltE ET DES ARMÉES PERMANENTES, 1 volume in-S",
3~ éclition.


DE L'ESCLAVAGE CHEZ LES NATlONS CHRÉTlENNES, 1 volume
" ~8 3e 'dOtOm-to, e 1 IOn.




DE L'üftGANI8ATlüN


UD


(}OUVERNEMENrl'
RÉPUBLlCAIN


..


l' A 11


PATRleE LARROQUE


PARIS
MICHEL LÉVYFRI~RES, ÉDITEURS


HVE VIVIENNE, 2 BlS~ ET BODLEVARD DES lTALIENS, 45
A LA LlBRAlRlE NOUVELLE


J870




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DE L'ÚRGANl8ATION


DU


GOUVERNEMENT RÉPUHLICAIN


INTRODUCTION


Parmi les grands événements qu'une étude atlentive
permettait non pas seulement aux philosophes mais a
tout homme sensé de voir pres de naitre, il n'en était
pas assurément de plus nettement aper~u que la chute
du second empire. La lassitude de la Franco était au
comblo et sa patience about; elle commencait aavoir
peul' en regardant le gouffre oú s'engloutissaient
toutes ses ressources, et surtout en s'apercevant que
la perte de ses lihertés achetées au prix de si gl'ands
sacrifices, enlruinait ¡lYCC elle la perte, encere plus
desustreuse, de sa iuoralitó el. de sa dignité. Elle les
redemandait cnfin ces libertés; mais elle comprenait
que .l'homme qui les lui avait ravics, était impuissant
pour les lui rendre, cal' c'est un des chátiments de la
tyrannie qu'eUe soit condamnée apersévérer dans sa


t




2 INTRODUCTION.


voie, comme c'en est un des nations qui la laissent
s'établir qu'elles soient condamnées a la porter encore
quand déja elles en sont lasses. Louis-Napoléon était
usé au moral plus encore qu'au physique. Ses com-
pliees mérnes, attaehés a sa fortune et ces matamores
qui faisaient si fierement la garde autour de son tróne,
n'osaient dire qu 'ils le soutinssent par estime pour sa
personne; les plus habiles d'entre eux s'apprétaient
depuis longtemps déja a I'abaudonner et a offrir leurs
services a ses successeurs quelconques, Ses jours
étaient done comptés. Apres avoir pendant vingt ans
opprimé et démoralisé le pays et I'avoir finalcmentjeté
dans la plus désastreuse des aventures; il a terminé
sa carrierepar un acte de supréme lácheté, et son tróne
de bateleur s'est écroulé dans le sang dont il était iSBU.


J'ai éerit ce livre pendant que se jouait la lugubre
comédie du seeond empire. Non-seulemeut les actcurs
mais la grande majorité des speetateurs eroyaient qu'il
y en aurait pour des siecles sinon pour l'éternité. Avec
les vrais républicains je n'ai pas eessé un seul instant
d'étre persuadé que le triomphe de ce qu'on pouvait
appeler la perfection méme de toutes les improbités
n'était pas définitif, et que le jour de la justiee, pour
étre différé, n'en arriverait pas moins infailliblement.
Qui avait raison, de cette cohue immonde, escortant
le chal' du triomphateur, ou de nous répuhlicains a la
foi inébranlable? Le sinistre temps d' arrét dans la vie
politique d'une nation qui semblait couverte POUl' tou-




INTIWDUCTION.


JOU!'S dun linceul, s'est dissipé comme un mauvais
nhe. La voilu réveillcc (le son somrneil léthargique,
el ello vieut de secouer enfin les hontes du plus pro-
fond abaissemcnt oú elle soit jarnais tombée. Justice
faite: poiut de réactions sauvages, point de vengeances
brutales. Si des rcsscntimeuts exasperes par de cruelles
souffrances, si des coleros longternps concentrées et
dJantant plus disposóes a se déchainer avec fureur
tentaient de souiller la plus pure des causes pae la
passiou et l'arbitraire , le devoir eles répuhlicains serait
de s'y opposor de tout leur pouvoir.


Pendant (Iue so consornmaient les debanches du
nouvel ernpiro, nous avons dú meare ü proíit ce temps
(le douloureuses épreuves que devait subir notre mal-
heureux pars, sans doute pour achever son instruction
politiquc en memo temps que pour expier ses fautes.
11 y avait, en 1848, dans le partí Iibéral, trois causes
qui rneuacaient de Iairc soruhrer le vaisseau républi-
cain , nouvclleurent lancé au milieu des tompétes.
D'ahord lo faux socialismo, issu des prédications du
saint-simonismc et du Iourierismo, ne pouvait mau-
quer de Iaire violemment explosion et d'ofírir aux fac-
tieux de l'idée monarchique un prétexte pour eífrayer
lo pays en attrihuant ü la cause de la liberté des aber-
rations qu'elle réprouvo énergiquemont et bien plus
sincerernont que ses ennemis. En second. lieu, le partí
libéral était, en grande majorité, encore infecté du
poison de la glo1'iolo militaire ; il exhumait ct exaltait




4 INT:nODUCT10~ •
sottement les souvenirs du premier empire, et le gou...
vernernent orléaniste lui-méme avait contribué a en-
tretenir cette maladie qui devait lui étre funeste, Enfin
le parti libéral ne voyait pas encore que la religion
officielle, attelée au chal' de l'État, était le principal
obstacle a tout progres politique (1.). Ces trois ennemis
que la République trouvait sur sa route en 1848, se
sont aujourd'hui considérablement amoindris, et cela
grace aux expériences mémes auxquelles nous a fait
assister le second empire. Le faux socialisme, quil
a caressé et copié sur plusieurs points, est maintenant
jugé et répudié par la plupart des esprits qui s'y
étaient pris d'abord, et la pratiquo de la liberté ache-
vera hientót, il faut I'espérer, de dissiper l'erreur de
ceux qui s'attardent encare dans ces ténebres (2).


(l) Jo reviendrai asee détails, dans le eours de eet ouvrage,
particuliérement dans les derniers chapitres, sur ces considé-
rations que j'indique ici briévernent.


(2) 1\"0 sornmeillons pus trop cependant sur cet espoir ; cal' les
diversos théories, souvent contradictoircs entre elles et si étran-
gement appelées socialistes (crédit gratuit, suppression de la
monnaie iuétallique remplacée par le papier-monnaie, hostilité
essentielle entre le capital et le travail, droit au travail, organi-
satiou du travail par l'État, attribution des terrcs ~l ceux-la seuls
qui les cultivent matériellemeut el des instruments 410 travail
Ü ceux-la seuls qui les manient et les uietteut directement en
ceuvre.Iiquidatíon sociale, abolition de la propriété individuelle
et par conséquent de I'héritage, communauté des hiens et
rnelllc des femmes, rémunération égale pour des services
inégaux, etc. etc.), trouvent ene ore des dupes dans les classes
ignorantes, exasperées d'ailleurs par des souffrances perfide-




lNTRODUCTION.


L'usaae que Louis-Napoléon a fait des institutions mi.
litaires eL des armées permanentes a mis les moins
clairvoyants en état de comprendre qu'elles sont abso-
lument incompatihles avec la liberté, la moralité et la
prospérité de la nation. Enfin son alliance hypocrite
avec un clergó dont il a fait le complico et l'apologiste
de ses attentats jusqu'au jour OÚ il a timidement ct
vainement essa:y(~ de secouer un joug devenu incom-
modo asa politique dcxpédients, cette al1iance, dis-je,
a appris aceux qui pouvaient encore I'ismorer en i 848,
(l11e la liberté religieuse est une des plus indispen-
sables au n"gime républicain, et qu'elle est impossihl«
lit oú l'État rr'est pas entiercment separe des {~glises.
Maintenant que 1'heure de la délivrance a sonné, sa-
chons bien ce que nous avons afaire, et ne soyons pas
pris au dépourvu comme l'ont été, au lendemain de
Février, les hommos aux intentions droites et pour-
tant si calomnives, qui avaient, il faut bien le dire, saisi
sans préparation suffisante les renes de la République.


Toute grande commotion politique porte inévita-
blement le trouhle dans les opérations industrielles Pi
commercialcs, et lorsqne ce trouble se prolonge au-


ment exploitées : il íaut bien le dire, ceux qui précheut ces énor-
mités, la plupart assurément aveo une honne foi qui ne saura i1
étre mise en doute, sont en réalité les plus grands ennemis de
la cause républicaine el lui font, auprés des esprits betenrent
peureux el toujours nombreux, plus de mal que ses adversaires
declares,




6 INTRODUCTION.
dela d'un certain temps, il peut entrainer ;\ sa suite de
grands desastres. Les révolutions légitimes u'eu doi-
vent pas moins s'effectuer ; cal' l'empirc du mal no sau-
rait se perpétuer et il faut bien que la justicc ait son
cours : les vrais coupablcs, les seuls moralemcnt ú~s­
ponsables devant Dieu et la sociéte, sont les hommcs
pervers qui ont rendu ces révolntions nécessaires. La
stagnation des affaires se manifeste des l'instant oú la
crise a éclaté. Les peureux et les' égoJstes, qui sont
toujours en immensc majorité, serrent les cordons de
leurs bourses et ajournent tout aehat de choscs qui ne
sont pas d'urgente nécossité , les plus empressés á
donnor ce láche exomple etant ordinairement ceux qui
eprouvent le moins de gt:'me. Les commercants, voyant
la vente s'arréter, ne font plus de nonvelles cornmaudes
aux fahriques ; les manufacturiers, nerecevant plus de
commandes, arrétent leur Iahrication , et alors un
nombre imrnense d' ouvriers uui n'avaient d' autres


e


moyens d'existence que leur travail quotidicn, se trou-
vent jetés sur la place publique oú les mauvais con-
seils de la faim et les exeitations du moment font de
leur oisiveté une cause nouvelle de trouhlo et une me-
nace contre les personnes et les choses, Nulle sagesse,
nulle puissance humaine ne peut faire qu'une telle si-
tuation ri'ait pas de tels embarras. Il serait tyrunnique
et d'ailleurs impraticable d'ohliger les manufacturiers
a continuer leur fabrication; cal' il faudrait en méme
temps obliger les commercauts ;\ continuer leurs corn-




INTl\ODUCTION. 7


mandes et le public des consommateurs acontinuer ses
achats. Créer des ateliers nationaux oú l'Etat, dont la
charge ne doit pas étre de distribuer le travail mais
d'en protéger la liberté, essaierait d'occuper d'une fa-
con quelconque les ouvriers oisifs, est un remede dont
on ne saurait penser a renouveler la malheureuse
épreuve. Le trésor public, qui voit alors diminuer ses
revenus dont une grande partie lui vient du systeme
inique des impóts appelés indirects, est dans l'impuis-
sanee de secourir tant de travailleurs inoccupés.
Frapper la propriété fonciere d'impóts extraordinaires
dans un pays oú elle est tres-divisée et tres-grevée et
oú par conséquent les petits propriétaires sont les
plus nombreux et vivent habituellement dans la gene,
est une mesure impolitique et ne fournit d'ailleurs
qu'une ressource insuffisante et en partie non recou-
vrahle. De tout ceci je conclus que la seule chose a
faire est d' abréger le plus possible la durée de la crise
en inspirant la confiance dans la stabilité du nouvel
ordre de choses, Mais comment inspirer eette confiance?
Par de promptes mesures d' organisation prévoyante
et forte. Indiquer ces mesures, exposer des convic-
tions résu1tant soit d'expériences personnelles soit de
longues méditations sur les causes et les effets des
nombreuses révolutions politiques auxquelles j'assiste
depuis plus d'UD derni-siecle et qu'il est bien temps de
clore par le triomphe définitif de la liberté, tel est
l'objet de cet ouvrage.




lNTltODUCT10N.


Je m'abstiens de rédiger les articles de ce qu'on ap-
pelle une Constitution. Nous avons vu passer tant de
Constitutions, souvent imprevisées en quelques heures
et puis traitées avee le plus insultant saos faeon, que
la ehose est presque devenue aussi peu séricuse qué le
mot (L). Jeme propose d'établir les príncipes géné-
raux, que l'organisation répuhlicaine devra appliquer,
si nous voulons enfin qu'elle vive et prospere. Lors-
qu'on s'entendra bien sur cette organisation, ce sera la
moindre chose que de formuler ce que ron peut con-
tinuer d'appeler une Constitution el que j'appellerais
plutót une simple déclaration de principes. Le mot
au reste importe peu; c'est la chose qui importe. En
supposant méme que quelques-unes des mesures que
j 'indiquerai comme conséquences des principes géné-
raux, ne fussent pas immédiatement réalisables, il sa-
rait encore bon que le germe en fút des a présent dé-


(1) D~ t79t a. 185!, c'est-á-dire dans un espace de soixante
et un ans seulement, la France a eu douze Constitutions, sans
compter les décrets transitoires, annulant celles qui étaient pré-
cédemment établies. De ces douze Constitutions, la nation s'en
est elle-mérne donné quatre, celles de i791, 1793, t 795 (an I11¡
et t 848; les huit autres lui out été octroyées par le bon plaisir
de ses maitres; elle a recu celles de i799 (un VIII), t802 (an X),
t804 (an XII) et t815de Bonaparte,celledet8U deLouisXVUI,
celle de 1830 d'une réunion de 219 députés qui n'avaient aucun
mandat a cet effet, et celles des t4 janvier et 7 novembre t852
de Louis-Napoléon. N'est-il pas bien temps d'en ñnir avec ces
essais qui nousont exposés a. passer, aux yeux du monde, pour
un peuple qui ignore le hut 01'1 il tend QH qui ne sait pas vouloir
yarriver?




JNTRODucrION.


posé dans les esprits, afin qu'on fút préparé ales voir
réaliser aussitót que le moment en serait venu, cal' il
doit y avoir progres continu dans l'organisation so-
ciale comme dans toutes les choses humaines.


Quoique les conquétes de la Révolution de !792
aient été retardées de plus de trois quarts de siecle
dans plusieurs de leurs applications, elle n'en marque
pas moins la date de la plus solennelle rénovation 80-
ciale.Que, dans l'ardeur de sa lutte contre les obstacles
de toutes sortes, suscités par les passions et les intéréts
du passé, elle n'ait pas toujours montré le sang-froid,
la modération et les sentiments humains qui conve ..
naient a la justice de sa cause, personnp. ne pense au-
jourd'hui á le nier. Ce qui doit étre conservé ou repris


.


de ses ceuvres, ce sont les institutions fondées sur les
grands principes de liberté qu'elle a proclamés, et ron
me yerra souvent y recourir. Ce qui doit en étre non-
seulement laissé mais fermement répudié, ce sont les
exemples qu'elle a donnés de la violation de ces mémes
príncipes en instituant ce régime de l'échafand, qui a
imprimé une si horrihle tache ason histoire. Dans les
mesures sanglantes, auxquelles elle ent recours contre
ses adversaires, elle ne parut pas méme s'apercevoir
qu'elle suivait ll'~ traditionsde la monarchie, Il suit
de 18 que les fauteurs de ces traditions ont mauvaise
gráce areprocher a la Hévolution les fureurs qu'ils lui
avaient apprises et qu'ils se sont d'ailleurs hátés de 1'0-
copier, de surpasser méme, ainsi qu'on 1':1 vu plusieurs




lO lNTRODUCTIOl'( •
fois depuis : la plénitude du droit de blámer les exces
de la premiere République n'appartient qu'a ceux 4~'


..... " -'.-


répuhlicains qui ne se bornent point aprofesser}I";;
OIj,>" ,


principes de liberté, mais qui les appliquent invaria....
hlement et quelles qu'en puissent étre les conséquences
passageres. Ces reserves faites sur les fautes de la Ré-
volution et sans ehercher ales excuser par les diffi-
cultés des temps, nul homme de sens droit ne refusera
non plus de lui reconnaitre le mérite d'avoir la pre-
miera posé les seules bases raisonnables de l'édifice
social. La répuhlique anglaise de f 649, qui eut besoin
du protectorat d'un homme fanatique et brutal, était
fondée sur le bigotisme et les traditions bibliques, si
radicalement hostiles ala liberté. La République fran-
caise seule a eu l'intelligence et le courage nécessaires
pour n'iuvoquer que les lumieres de la raison et les
droits de la nature. C'est done aelle seule que revient
l'honneur d'avoir proclamé les véritables prineipes
de l'émancipation des peuples; c'est de la France
qu'ils se sont propagés en Europe et qu'ils devront
irradier sur le globe entier maintenant que lestemps
sont venus.


Quatre fois en moins d'un siecle, les divers systemes
de gou vernements monarchiques se sont écroulés avec
fracas et ont jonché notre sol de leurs débris. La mo-
narchie bourbonnienne d'avant f 792, fidele ases tra-
ditions séculaires et devenue incompatible avec ,le pro-
gres des lumieres, a succombé en livrant les plus vio-




lNTRODUCTION.


~,}~!S combats. La monarchie napoléonienne de 1. 804
'·~~~lutót de 1799 (18 brumaire) ne fut pas moins ah-
,,~; mais son audacieuse usurpation sur la souve-
":'raineté nationale, l'hypocrisie de son semblant d'in-


stitutions représentatives et les flots de sang qu'elle a
fait verser, en rendent le souvenir plus odieux. Les
nouvelles monarchies bourbonniennes de 1.81.4 et 1.830,
la premiare restaurée par la gráce de Dieu et la lance
des Cosaques , et la seconde constituée par un tour de
main, n'ont été que des essais informes et sans vitalité
du systeme gouvernemental emprunté a l'aristocra-
tique Angleterre, systeme heureusement antipathique
anos idées et anos m-eurs , et contre les vices duqueL
les libérauxqui s'en sont accommodés pendant quel-
ques années, n'ont su inventer d' autre garantie que
cette maxime inepte : Le Roi réqne el ne gouverne pas.
On sait de quel nom Bonaparte baptisa cette sorte de
royauté, lorsqu'apres son coup d'État elle lui fut of-
ferte par Sieyes sous le titre de Grand Électeur. Enfin
la nouvelle monarchie napoléonienne de 1802 ou
plutót de i80! (2 décembre) n'est pas moins digne de
malédiction que sa devanciere de i 799, paree qu'elle
a été établie aussi criminellement par un homme qui
a égalementviolé ses solennels serments et foulé aux
pieds toutes les libertés nationales, et qui de plus a
épuisé la fortune publique et causé une démoralisa-
t,ion universelle.lnstruite par de terribles événements,
la France revient ala forme républicaine qu'elle s'é-




!2 INTRODUCTJON.
tait adeux reprises laissé ravir par les intéréts coalisés
du pas~é. Cette fois elle y revient pour ne la plusquit-
ter; s'il en était autrement, il ne lui resterait plus
qu'á attendre une fin prochaine et une complete disso-
lution.


Mais a-t-elle raison de préférer définitivement le
systeme républicain au systeme monarchique? Arre-
tons-nous un instant a l'examen de cette question pour
n'avoir plus ay revenir. Sa solution repose sur un pe-
tit nombre de principes d'une évidence immédiate.
Les penchants égoístes , stimulants naturels d'aetivité
mais d'une activité aveugle et qui deman~e a étre di-
rigée, poussent les individus ase faire la part la plus
forle dans la répartition des avantages de la vie, De la
d'incessantes compétitions rivales. Le progres moral
de l'humanité consiste en ce que ces compétitions
soient le plus possihle dominées par la raison et la
volonté de chacun ainsi que par ses penchants , non
moins naturels, de sympathie et de bienveillance ;
mais, lorsqu'elles ne le sont pas de cette facon , qui
est la meilleure, il devient nécessaire qu'elles le soient
au moins par la raison et la volonté de tous, sansquoi
le trouhle et l'injustice régneraient dans le monde.
~


L'état social, dans lequel tous les éléments de notre
nature exigent que nous vivions, suppose done l'exis-
tence d'une autorité destinée aprotéger l'exercice des
facultés de chacun, et assez forte pour surmonter
toutes les résistances des intéréts individuels cher-




ixraobucnox . 13
chant ase satisfaire au détriment d'auíres intéréts indi-
viduels ou collectifs. Nous savons cela aussi b~en que
ceux qui parlent sans cesse d'ordre et de tranquillité
et qui ont si peu réussi jusqu'ici a les faire régner dans
le monde; mais ce que nous comprenons mieux
qu'eux, c'est que tous les hommes sont naturel1ement
égaux en droits et que la liberté est la condition in-
dispensable de l'exercice moral de l'activité : d'OU •
nous tirons cette conséquence que, nul ne pouvant
justement imposer sa volonté ason semblahle adnlte
et jouissant de la plénitude de ses facultés, l'autorité
ou ledroit de diriger en commandant ne peut avoir
d'autre origine légitime que la volonté expresse de
ceux sur lesquels elle s'exerce (t). La monarchie héré-
ditaire, reposant sur un principe qui exclut cette ex-
pression réguliere et permanente de la volonté des
gouvernés, est done une institution radicalement illé-
gitime et condamnable, et cela dans la supposition
méme oú , au lieu de l'usurpation et de la violencc,
elle aurait en pour origine le libre consentement de la
génération d'alors, qui n'aurait pas pu lier par l'aban-
don de ses droits les générations futures. En présence
de cette considération capitale, je n'ai pas méme he-


(f) Par ces expressions adulte el jouissant de la plénitude de
ses facúltés j'écarte d'avance la prétention habituelle aux fauteurs
du systéme monarehique de tirer argument de l' autorité natu-
relle et nécessaire que les parents et particuliérement le pére
de famille exercent 5U1' les enfants mineurs,




INTRODUcTtON.


soin d'invoquer les exemples des monarques imbé-
ciles, ni Jes cas plus nombreux encore OU des monar-
ques libertins, comme ils le sont le plus ordinairement
par la raison que la facilité de satisfaire les passions
en est le plus actif excitant , laissent gouverner l'État
par des courtisanes, ni les exemples des monarchies
oú les femmes peuvent hériter de la couronne et oú le
pouvoir, tombant alors en quenouille selon le dicton
populaire , peut étre livré soit a des favoris soit a
des progéniteurs irresponsables. Quant a la monar-
chie élective, a vie ou a tem ps, elle pourrait étre,
sous la forme meme la plus absolue , le meilleur sys-
teme de gouvernement, si elle ne supposait ces deux
conditions : trouver un moyen infaillible de ne jamais
confier une arme aussi redoutable que l'est une auto-
rité souveraine, qu'á l'homme qui serait a la fois le
plus capahle et le plus honnéte , et faire qu'il conti-
nuát d' étre toujours 1'un et l' autre. 01' ces deux condi-
tions sont complétement irréalisables. Et d'abord mille
causes peu':ent empécher de choisir l'homme réunis-
sant ala plus haute intelligence la plus pure moralité,
persuadé que le pouvoir est institué non pour le plai-
sir 'personnel de celui qui l'exerce maispour procurer
atous la plus grande somme possible de bien en fai-
sant respecter le droit et la justice, travail1ant a cette
pénible tache sans jamais se Iaisser rebuter par les oh-
stac1es innombrables qu'il rencontrera, s'entourant
uniquement des personnes les plus capablesde coro":




iNtROÍ>UCTtOt. •


prendre ses pensées et de les faire passer dans la réa-
lité, doué de cette persistance de volonté qui ne ya
pas toujours avec les meilleures intentions et sans la-
quelle on n'aboutit a rien de véritablement grand,
animé enfin de cette espece de courage qui nait d'un
vif sentiment du devoir et qui est bien autrement rare
que le courage vulgaire produit par la fougue du tem-
pérament ou par une vaine gloriole. Mais supposons 4
qu'onait trouvé et élu cet homme, qui serait assuré-
ment une image de Dieu sur terre, moins imparfaite
que les monarques du droit divino Le plus intelligent
et le plus moral de tous les hommes peut toujours
perdre I'une ou l'autre et méme l'une et l'autre de ces
deux qualités. Une maladie, un accident peut faire un
idiot du plus intelligent, et tel qui était encore ver-
tueux hiel' peut demain, soumis a I'épreuve des in-
Iluences déléteres qui entourent le pouvoir, devenir
vicieux et méchant comme tant de monarques qui ont
aussi mal fini qu'ils avaient bien commencé. Donc la
raison réprouve le systemamonarchique aussi bien
sous la forme élective que sous la forme héréditaire.
Qu'il ait pu étre accepté sous l'une ou l'autre de ces
formes par l'humanité al'état d'enfance, soit, quoique
je ne croie guere que ce qui est foncierement mauvais
ait jamáis pu etre fait avantageusement; mais iI ne
saurait plusétreaccepté par l'humanité arrivée al'áge
oñ elle a conscience de sa force en méme temps que
de ses devoirs et de ses droits. Ce n'est pas quand les




i6 ixraonucrtox.
religions du passé vont bientót laisser le ehamp libre
a des conceptions religieuses uniquement fcndées sur
l' autorité de la raison, quand l'avancement des sciences
naturel1es et économiques a si profondément modifié
les conditions des sociétés modernes, quand la servi-
tude sous ses diverses formes d'esclavage ou de ser..
vage va tout a l'heure elre enfin répudiée par toutes
les nations civilisées, ce n'est pas, dis-je , a une pa-
reille époque de si grande transformation universelle,
que le systeme du gouvernement monarchique, ce der-
nier legs des premiers temps de l'humanité, pourrait
continuer de la régir adulte. Reste donc le systeme ré-
publicain, qui seul, je ne dis pas évite nécessairement,
mais peut éviter toutes les éventualités fácheuses atta-
chéesessentiel1ement aux autres systemes de gouver-
nement. Il réclame sans aucun doute au moins autant
de capacité et d'honnétetéque tout autre de la part des
hommes qui y exercent les fonctions publiques, et il
peut égaLement s'y commettre des erreurs dans quel-
tIues élections. l\fais ces mauvais choix de fonction-
naires n'exercant qu'une fraction infiniment petite de


• l'autorité, sont loin d'entrainer les mémes consé-
quellces que lorsqu'il s'agit de l'élection d'un homme
qui concentre dans sa main tous les pouvoirs sociaux
el imprime le mouvement initial ala machine gouver-


,nementale. Et d'ailleurs on verra plus loin qu'il y a
des moyens.de prévenir ces mauvais choix ou au moins
d'en atténuer l'eífet. 11 est bien entendu qu'il ne s'agit




lNTRODUCTION.


pas ici des républiques aristocratiques ou oligarcbi-
ques, que je ne daigne pas compter, mais de la répu-
hliquedémocratique, de celle oú lasouve~aineté réside
dans la totalité des membres actifs de l'association.


Avant de traiter de l'exercice de cette souveraineté,
je dois répondre aune objection que les partisans du
régime monarchique répetent comme une sorte
d'axiome. Ils commencent ordinairement par avouer
qu'en théorie le gouvernement républicain apparait
bien eomme le plus rationnel de tous; mais ils le ré-
pudient par ce motif qu'il réc1ame plus que tout autre
des vertus de la part des gouvernés; ils trouvent qu'il
peut convenir aune nation peu populeuse, simple dans
ses goúts, pauvre et surtout vertueuse, mais qu'il est
impossihle chezune grande nation, éc1airée, riche et
corrompue commel'est aujourd'hui la France. J'avoue
que cette ohjection m'avait arrété moi-mémedans un
autre temps (1.). Elle m'arréterait encore aujourd'hui


(t) L'aveu d'une erreur de jugement honore celui qui le fait,
puisqu'il est le signe d'une volonté de progresser dans la roie
de la vérité au prix méme d'une détermination contrariante pour
l'amour-propre et trop rare chez la plupart des auteurs. A une
époque ou,' déja républicain par le fond de toutes mes idées et
de tous mes sentiments, je n'espérais pas voir l'avénement du
gouvernement démocratique, j'ai écrit ce qui suit: «Quand
« j'entends parler de projets d'établissement de la République
« en Franca, je regarde de tous cótés, cherchant des républicains,
« de vrais républicains, et je n'en trouve pas un;i.!-~eraitessen­
« tiel pourtant d'en avoir pour faire une répuDitQbe. Du train
« dont marche notre éducation morale, je me résigne, tout zélé


i




18 INTRODnctlo~ .
SI Je ne considérais que les tristes résultats de la si~
tuation morale que la monarchie et particulierement
le second empire avait faite ala France. Mais au fond
cettc objection revient adire qu'une nation grande et


..


puissantc aurait moins d'intérét que si elle étaitpetite
ct faihle, á se constituer de mani-ere a ne pouvoir plus
Edre livrée a la spoliaíion organisée au profit d'une
arrogante aristocratie (1); elle veut dire encoré que
des populations éclairées seraient moins capahles 'de
se gouverner elles-mémes que,ne le sont des popula-
tions ignorantes, et que des hommes qui auraient
heaucoup a conserve!' seraient moins en état de gérer
leurs affaires qne ceux qui ne possedent rien ou qui
possedent pon; elle vout dire enfin qn'une nationqui


u partisan que je serais de ce régime si l'ou m'en démontrait
« la possibilité, a n'en voir jamáis l'avéuement. » (Cours dr;phi-
losophie, 4e partie, ch. ü, nv 533, Paris, 18:38.) Cette possi-
bilité, les grandes lecons auxquelles j'ai assisté depuis nc l'ont
pas seulement démontrée mais elles l' out convertie, a mes
yeux, en une nécessité, et Dieu sait comhicn j'ai éU~ heu-
reux de m'étrc trompé. Les événements ont íait de vrais répu-
hlicains. Je conviens qu'il y en a encere trap peu ; mais la Répu-
blique 'en augmentera chaqué jour le nombre.


(1) 11 estévident que je veux parler ici de l'aristocratie re-
posant uniquemcnt sur la naissance OH la fortune ou I'mtrigu«
hahile, et non de la seule aristooratio légitime, fondee sur la
capacitó misé an service du bien: a la monarchie soit ahsolue
seit constitutionnelle il faut le l!xe corrupteur des cours, les
fótes coúteuses, les amusements immoraux, un personnel adrui-
nistratif rnnombrahle, des armées permanentes avec de bril-
lantsétats-srajors, 'ehIe temps aantre -des expéditions insensées
et des guerrea rnineuses




lNTRODUC1'ION.


serait corrompue, devrait non-seulement continuer
de l'étre, mais s'exposer a le devenir toujours davan-


1 . •tage, a corruption ne pouvant guere demeurer sta-
tionnaire, mais allant ordinairement en s'accélérant,
La question ainsi ramenée a ses véritables termes, est
toute résolue, et Ioin qu'une nation dút repousser le
systeme républicain parce qu'elle serait grande,
éclairée, riche et corrompue, il y aurait la au con-
traire autant de raisons pour qu'elle adoptát ce sys-
teme) qui seul pourraitgarantir le maintien de sa puis-
sanee et de sa richesse, accroltre et répandre ses lu-
miares et surtout lui fournir les moyens de revenir a
des meeurs meilleures que celles dont la monarchie
lui aurait infusé les poisons (1). Pourquoi done avons-
nous l'idée da bien et le besoin du perfectionnement?
N'est-ce pas ponr y tendre? Est-ce que l'organisation
sociale ne se propose point de faire le plus possible


(1) On a dit souvent avec vérité que jusqu'ici le progrés de
la démoralisation des peuples avait généralement accompagné
celui de leur civilisation. Faut-il en conclure, avec les admi-
rateurs intéressés du passé, que le développement de la science
et de la richesse sociale soit de sa nature méme une chose mau-
vaise, et qu'il serait sage de s'y opposer au lieu d' en favoriser
la marche ultérieure? Manifestement non, Qui oserait en effet
condamner en príncipe la lumiére et le mouvement? La seule
conclusion u tirer, c'est que l'humanité doit enfin s'organiser
de facón a rendre le progres de la civilisation de plus en plus
impuissant pour Te mal et puissant pour le bien. Orcette con
dition ne peut étre réalisée que dans la forme gouvernementale,
vraiment et sincérement républicaine.




20 INTRODUCTlON.


d'hommes honnétes? La perfection n'est pas de ce
monde, sans doute; mais elle n'en est pas moins pour
cela un hut idéal, vers lequel il nous est prescrit d'al-
ler et dont nous pouvons indéfiniment approcher, tout
en sachant que nous n'y arriverons jamais, -Que
peut-on dire de mieux en faveur d'un régime poli-
tique si ce n'est qu'il est celui qui exige que les
hommes pratiquent le plus de vertus? Comment s'y'
prendre autrement pour démontrer que les sociétés
doivent s'efforcer de le réaliser? S'il était vrai, comme
le prétendent les défenseurs du régime monarchique,
que jusqu'á ce jour les Francais eussent été trop lé-
gers, trop inconstants, trop amis du luxe, de la re-
présentation et de la pompe des cours pour apprécier
les mérites du régime répuhlicain, ce serait le plus
hel éloge que l'on jrút faire de ce régime en mémo
tempsque leur meilleure justiíication pour y etre re- .
venus, puisque seul il pouvait les corriger des vices
que leur a donnés la monarchie et leur rendre les ver-
tus qu' elle a otées aux trois races, gauloise, latine et
franque, dont ils sontéssus. La preuve du reste qu'ils
ne se croient pas faits pour étre éternellement soumis
au joug et qu'ils ne tiennent pas a conserver les mala-
dies du systeme gouvernemental des Charlemagne, des
Louis XIV et des Napoléon, c'estque les premiers ils
avaient déja donné deux fois au monde le hon exemple
de secouerce jouget ses turpitudes. Je pourrais ajouter
que ceux qui ne nous jugent pas encore dignes du ré-




INTRODUCTION. 21


gime républicain, devraient au moins faire tout ce qui
est en leur pouvoir pour en doter les peuples auxquels
ils attribuent les vertus qui nous manquent. Maisc'est
lá une besogne a laquelle on ne les voit guere travail-
ler et pour laquelleil sera prudent de ne pas se re-
poser sur eux; cal' il ne faut pas se faire illusioñ sur
les difficultésque rencontrerait le systeme répuhlicain
chez une nation qui serait entourée d'Etats monarchi-
queso Les promoteurs de notre premiere révolution
l'avaient bien compris quand ils déclaraient comme
une conséquence de son príncipe la nécessité d'insti-
tuer en Europe une active propagande républi-
caine (:f). Nous devous done poursuivre le mérne but,
en renoncant sincerement a tout prétendu droitde
eonquéte et d'annexion, en respectant le droit de toute
nation de s'organiser comme elle l'entendra et par
conséquent en nous ahstenant de prendre acet égard
l'initiatived'une intervention armée, mais en mani-
festant nos vives sympathies et en offrant notre cor-
diale alliance a eelles des autres nations qui se consti-
tueront démocratiquement, particulierement sous la
forme fédérative, oú chaqué Etat eonfédéré, tout en
conservant son caracterc propre et ses regles particu-


(tI Décretde la Convention, du f 9 novembre 1792 : « 1.e peuple
f( francais accordera fraternité et secours a tous les peuplesqui
« voudront recouvrer leur liberté.» 11 est a regretter que la
Convention ait pris plus d'une mesure d'incorporation de ter-
ritoires, qui allait au-delá de ce sage décret.




22 INTRODí1t'rIO:N •


lieres de gestion des intéréts locaux I se soumet a des
lois plus générales róglant les intéréts communs et
sauvegardant les principes essentiels de l'unité so-
ciale (i). Ce systeme de confédération, dont un modele
encore tres-imparfait existe dans les cantons suis-
ses (2), etqui au fond consiste en grande partie a sup-
primer sur beaucoup de points et a restreindre sur
d'autres la centralisation administrative, si chere aux
gouvernements absolus; ce systeme de confédération,
dis-je, tend a prévaloir dans la constitution des socié-
tés politiquea de l'ancien monde, comme il a déja pré...
valu dans celles de plusieurs sociétés du nouveau
continent. Le courant des idées est dans cette direc-
tion, et bien aveugle est celui qui ne voit pas cela. Le
dix-neuvieme siecle ne Sl:l fermera pas, j'espere, sans
que les principales nations européennes aient adopté
la forme du gouvernement républicain et se soient
confédérées tout en conservant leur propre individua-
lité et leur indépendance. Cette transforrnation poli-
tique est intimement liée a la transformation morale
qui marquera entre les siecles notre grande époque.


(1) Voir, dans un deuxiéme appendice qu'on trouvera a la fin de
cet ouvrage, un projet de manifeste adressé a tous les peuples
par la République francaise,


(2) Dans les Constitutious de plusieurs cantons, la liberté re-
ligieuse non-seulement n' est pas garantie, mais elle est indi-
gnement méconnue, et le pacte fédéral, qu'il est du reste ques-
tion de reviser en ce moment, n'a ríen fait pour empécher ce
mal.




INT1l.0DUCTlON. 23
Un mot enfin d'une derniere assertion. Des parti-


sans du systeme monarchigue disent que I'Univers
étant régi par une pensée unique et une puissance
suprérne, il y avait la une invitation naturelle aéta-
blir sur le méme modele I'autorité destinée a régir
les sociétés humaines. La conséquence derniere de ce
systeme est l'établissement du despotismo le plus ah-
solu. Une volonté unique, réglant l'activité de toutes
les volontés, comme le ressort d'une machine bien
montée donne l'impulsion a tous les rouages! Un
monarque gouvernant une nation ou mieux encore le
monde entier, comme Dieu gouverne l'Univers! Quoi
de plus simple et de plus beau? Que peut-on imaginer
de mieux pour éviter les interminables et ténébreuses
discussions et les regrettablos pertes de temps, et pour
assurer l'unité et la prompto exécution du comman-
dement? Quel mécanisme semble devoir foncíionner
avec plus de facilité et procurer al'humanité des jours
plus calmes et une plus grande somme de félicités?
Cela n'est pas derneuré al'état spéculatif: les monar-
gues de droit divin, tenant leur pouvoir de Dieu seul,
et, dans le systeme théocratique, le plus hardi et le
plus logique des systemes mon~rchiques, les souve-
rains pontifes, représentants directs de Dieu sur la
terre, ont prétendu mettre la théorie en pratique, et
plusieurs d'entre eux ont ambitionné et obtenu la mo-
narchie universelle. C'était la en effet que devait
aboutir ce qu'on nous offre comme l'art suprérne de




24 INTRODUCTION.
gouverner. Outre que ce systeme fait descendre au
rang de machines ou de troupeaux de bétes des étres
doués d'intelligence, de liberté et de responsabilité
morale, il faudrait, pour qu'il fút vrai, que les mo-
narques de droit divin eussent, sinon égalé Dieu en
sagesse et en puissance, au moins surpassé tous les
autres hommes en science et en vertu. Or il se trouve
que par le fait ils ont été généralement d'odieux ty-
rans, souvent aussi imbéciles que perverso Et quand
ils ont joint l'habileté a la nerversité, ils ont en un
pouvoir incalculable de corruption.. S'appliquant a
óter tout ressort a l'ame humaine et áétouffer tous les
sentiments élevés, ils y ont substitué la peur, la la-
cheté, la servilité, la vanité, l'amour du luxe et des
plaisirs sensuels, Ainsi parvenus, en caressant les
mauvais instincts et en surexcitant les appétits, a
tuer tout ce qu'il y a de généreux dans l'homme, ils
en ont fait un instrument docile des ceuvres les plus
condamnahles. C'était l'installation sur terre et le dé-
chainement de toutes les improbités dont la théologie
chrétienne avait doté ses puissances infernales. Mais
voici la perfection mérne du systerne : dans I'antiquité
et plus paríiculierement au moyen áge, les vicaires de
Dieu sur terre, voulant se donner pleine carriere, en
sont venus ase déclarer infaillibles et a se faire accep-
ter comme tels (f). Tout cela étant conséquent aux


(1) La Papauté expirante vient de renouveler, en .l'an 1870,
eette triste bouffonnerie.




INTRODUCTlON o 25


principes posés et reeus, on a osé assimiler a l'Etre
pourvu d'une science et d'une sagesse infinies les ché-
tives idoles couronnées devant lesquelles on aimait a
se prosterner. L'histoire a enregistré tous lesrnaux
enfantés par ce fétichisme impie, Un de ses résultats
les plus fácheux du moment est de pousser dans une
voie déplorablement irréligieuse beaucoup d'esprits
faibles, croyant trouver un garant de leur libéralisme
dans des négations matérialistes, qui, pour tout esprit
logique, aboutissent au fatalisme, c'est-á-dire a ce
qu'il y a au monde de plus illibéral et de plus anti-
démocratique (no C'est ainsi que, par un enchaine-
ment et une action réciproque des causes et des effets,


(t) J'ai connu un républicain, homme de savoir pourtant et
écrivain distingué, qui s'était tellement effrayé de la doctrine
chrétienne du droit divin des puissances de la terre, qu'il répé-
tait a tout propos un affreux barbarisme: « n faut commencer,
« disait-il, par démonarchiser le ciel ponr rénssir a démonarchiser
«la terre.» C'était son Delenda est Carthaqo, On voit qu'a
ce compte nous aurions pu attendre longtemps l'avénement de
la République; cal', bien que l'hypocrisie et l'athéisme, comme
s'ils s'étaient concertés, aient fait, pendant le second empire, de
si grands progrés, il s'en fallait heureusement de beaucoup que
l'idée de Dieu eüt été chassée de l'universalité des intelligences.
Sur quelle base plus ferme espérer fonder le régne de la justice
en ce monde, que la croyance en l' existence et la providence de
l'étre qui, par sa définition rnéme, est l'idéal supréme mais en
méme temps le type réel de toute perfection et le priúcipe comme
la fin de toute la création? Ne pas comprendre cette vérité de
premier ordre suppose une aberration profonde el qui, si elle
continuait de se répandre, loin de profiter a la cause de la liberté,
ne pourrait qu'en retarder le triomphe.




26 . INTltÚDtJCTlON.
la fausse dévotion et l'impiété se sont jusqu'ici engen-
drées et perpétuées l'une l'autre.


Ces prélíminaires posés, j'arrive al'objet plus par-
ticulier de ce livre,




CHAPITRE PREMIER.


I¡\'ALIÉNABILITÉ ET UNITÉ DU POUVOIR SOCIAL. - DÉLÉGA.
TlON TEMPORAIRE DE CE POUvúIR.


S'il est évident qu'un homme ne saurait aliéner sa
liberté entre les mains de son semblable sans se mettre
dans I'impossibilité de remplir les devoirs résu1tant
de sa qualité détre moralemeut responsable de ses
actes, une nation qui aliénerait sa liberté entre les
mains d'un homme, ou qui s'inféoderait a une dynas-
tie, commettrait un méfait de mérne nature ei bien
plus granci encore, puisque l'individu ne disposerait
que de Iui-rnéme, tandis que la nation disposerait
non-seulement des générations dont elle se compose-
rait alors mais encore de nombreuses générations
futures. Tout cela est si clair que j'ai presque am'ex-
cuser de m'y étre encore arrété. Passons a un point
qui n'importe pas moins que l'inaliénabilité, je veux
dire l':unité du pouvoir social.


Une nation est constituée en république démocra-
tique. La souveraineté réside done en elle, et par
conséquenten elle réside tout pouvoir social oh plu-




28 CHAl'ITRE l.
tót un pouvoir unique. La distinction, la division des
pouvoirs en législatif, judiciaire et exécutif, est une
fiction anarchique, inventée par le systeme hyhride
appelé mcnarchie constitutionnelle etoú ron avait
érigé en prineipe saeré eette énorme sottise qui, refu-
sant au roi la fonction de gouverner, en faisait un ri-
dicule instrument, pouvant étre faeilement remplacé
par une maehine infiniment moins coüteuse. Le pou-
voir qui a le droit de faire la loi, est aussi le seul qui
ait le droit de juger de son applieation et de la faire
exécuter. On fera attention que je parle ici du pou-
voir et non des personnes aux mains desquelles ses
diverses attributions peuvent étre confiées. 11 y aurait
plus d'un ineonvénient a ce que les mémes hommes
fussent ehargés de légiférer, de juger et d'exéeuter :
indépendamment de l'impossibilité de bien .remplir,
dans un état de eivilisation avancé e, d'aussi impor-
tantes fonctions, dont ehaeune réclame tout le temps
et toute la capacité de eeux qui l' exercent, on com-
prend quelles facilité s cela offrirait aux passions .et
aux faiblesses humaines pour se satisfaire, Qu'il y ait
done partage, quant au personnel, dans les diverses
attrihutions de la puissance soeiale; mais qne eette
puissance elle-méme demeure essentiellement une.
Si le pouvoir qui rend des jugemcnts sur l'application
de la loi n'était pas le méme que eelui qui l'a dictée
et qui seul par eonséquent e11 counalt le sens et la
portée, il pourrait en fausser l'interprétatiou; 11 pour-




CHAPITRE J. 29
rait la violer, et des lors non-seulement iI lutterait
contre le pouvoir qui l'aurait faite, mais illui serait
supérieur, il l'anéantirait pour se mettre a sa place.
On en peut dire autant et a bien plus forte raison en-
core du pouvoir qui ferait exécuter la loi, s'il était
autre que ceIui qui l' aportée : il pourrait ne la point
faire exécuter, il pourrait méme administrer contrai-
rement ases prescriptions, et alors iI serait plus fort
que le pouvoir qui l'aurait faite. Les divers gouverne-
ments qui se sont su'"Ccédé en France depuis plus d'un
demi-siecle ont offert maintes fois ce triste spectacle.
La division des pouvoirs, e'est done la guerre et le
désordre organisés au sein méme du pouvoir. Dans la
monarchie absolue, oú l'on admet que le Prince est le
Souverain, tout le pouvoir est entre les mains du
Prince : c'est lui qui dicte la loi, et c'est lui qui juge
de son application et qui la fait exécuter,' soit par
lui-méme soit par des magistrats qu'il commet a
cet effet et qui parlent et agissent en son nomo Tout
cela est d'accord avec le príncipe d'oú ron est parti,
Dans la démocratie pure et vraie, la nation senle étant
souveraine, en elle et en elle seule doit done se trou-
ver tout pouvoir,


Comment une nation exerce-t-elle son pouvoir uní-
que? La puissance sociale consiste a dicter des lois
concernaut I'intérét général et a les faire exécuter. 01'
une grande nation ne peut directement ni discuter les
Iois projetées ni les faire exécuter lorsqu'elles sont




30 CtiAPITRE t.


promulguées. Elle fait tout ceja indirectement, en dé-
léguant son pouvoir a une assemblée unique, perma-
nente, pas trop nombreuse, composée d'hommos qui
soient l'élite du pays sous le rapportnon-seulement
de la capacité mais plus encore et indispensablement
de l'intégrité des mceurs el de I'élévation du caractere,
et qui se considerent, ainsi que le faisaient les députés
aux gran.ds corps représentatifs de la Révolution,
com~e les élus de la nation et comme chargés de veil-
ler ases intéréts généraux avant de s'occllper de .ceux
d'une province, d'un cantón, d'une commune. On doit
apporter le plus grand soin a rechercher et a aller
trouver les hommes vraimcnt dignes d'une pareille
mission , .et par con.séquent á repouss'cr ceux qui
mendieraient les sufIrages par les divers moyens, usités
jusqu'ici directement ou indirectement, de l'intrigue
électorale. Il faut surtoutécarter de l'Assemblée na- .
tionale ces hommes qui servent toutes les causes avec.,
la méme exubérancc d'éloquence, éternisent les dis-
cussions, embrouillent toutes les questions et sont en
un mot les plus redoutables écueils ponr les corps dé-
libérants. N'oublions plus que la fonction du législa- .
teur n'est pas de faire beaucoup de lois, mais d'en faire
de bonnes, que les peuples les plus moraux et les plus
heureux sont ceux qui 0Vt le moins besoin de r(~glc­
mentations, et qu'un des signes habituels de la déca-
dence des nations est la multiplicité et la complication
extreme de leurs lois.Dans la révision de nos Codes,




CltAPrthE I. 31
dont on yerra plus loin la nécessité, le devoir de l'As-
semblée nationale eonsistera done beaueoup plus are-
trancher ou a simplifier les aneiennes dispositions qu'a
y en ajouter de nouvelles. Une sorte d'axiome ou
plutót de fiction sociale veut que nul citoyen adulte ne
soiteensé ignorer la loi. Pour que cette fiction se rap-
proehe le plus de la vérité, 11 est done nécessaire que
la conneissance des lois soit le plus possible ala portée
de tous, en d'autres termes il faut que les lois soient
aussi peu nombreuses, aussi simples et d'une interpré-
tation aussi facile que possible.


Il faut prévoir, afin de l'éviter, le cas toujours sup-
posahle et dont I'histoire de nos dernieres années nous
ofIre plus d'un exernple, oú les mandataires du pe-u-
ple~ cessant de se pénétrer de son esprit et de ses in-
tentious, et oubliant l'origineet le but de leur mandat,
commettraient quelque attentat contre le droit et la li-
berté de la nation, ou.eans aller [usque-Iá, ,ferai~Dtdes
lois qui ne répondraient point a ses besoins et a Ses
volontés. Je sais bien que ce danger, qui étaitparti-
culierement inhérent aux divers systemes constitu-
tionnels dans lesquels on a établi jusqu'iciun pou-
voir exécutif, indépeadant, et qui finissait t~¡()t«'8 p.ar
se créer desintéréts opposés aeeux de la nationet par
oolT~m.preou fausser la représeutatioa, sera fort atté-
nué au point de vue OU je me plaoeet O'U l'on n'admet
qu'ua seul pouvoir ; mais il ne disparaitra peut-étre
jamais complétement, et, dans tous les cas., le$ van-




32 CHAPITRE l.


cunes des vieux partis s'opposeront longtemps encore
a ce qu'il en soit ainsi. Comment done le prévenir?
L'Assemblée nationale doit étre élue pour un temps
qui ne soit pas de trop longue durée, pour deux ans
au plus (i), et étre en outre renouvelée annuelleníent
par moitié, condition essentielle pour qu'elle conserve
son caractere d'assemblée permanente, de telle sorte
que la nation , qui doit toujours etre maitresse
d'elle-méme et pour cela demeurer constamment en


(I) Dans la Constitution de i 79i (titre 111, ch. i er, arto 2), elle
était élue pour deux ans, et dans celle de i793 (art.40), pour un
an seulement. A mesure qu'on a reculé depuis dans les voies de
la liberté, on a prolongé davantage la durée des pouvoirs de la
représentation nationale, en méme temps qu'on l'affaihlissait en
la partageant entre plusieurs assemblées. Dans la Constitution de
i 795 (titre V, arto 53), les conseils des Anciens et des Cinq-Cents
étaient renouvelés annuellement par tiers, ce qui leur donnait
une durée de. trois années. Dans la Constitution de 1799 (titre 11,
arto 15, et titre IlI, arto 27 et 3i), le Sénat était avie, et le Tri-
bunat et le Corpslégislatifn'étaient plus renouvelésannuellement
que par cinquiémes, ce qui leur donnait une durée de cinq ans,
Dans la Charte octroyée par la royauté restaurée en iSU (art. 27
et 37), la Pairie était ou a vie ou héréditaire selon la volonté du
Roi, et la Chambre des Députés était renouvelée annuellement
par cinquiéme et par conséquent élue pour cinq ans. Dans
l'Acte additionnel aux Constitutions de l'empire, octroyé en ~ St 5
par Bonaparte (titre lar, arto 3 et i3), la Chambre des Pairs était
héréditaire, et la Chambre des Représentants était élue pour
einq ans. Enfin, dans la Charte constitutionnelle de iS30 (art. 23
et 3i), la Chambre des Pairs était avie, et la Chambre des
Députés était élue pour cinq ans, Je ne compte pas le Sénat et 11)
Corps législatif du second empire, 'fantómes de représentation
nationale, assemblées de serviteurs chargés d' enregistrer les
volontés du maltre,




CHAPITi\E l.


possession de la direction politique, n'ait jainais aat-
tendre longtemps pour retirer leur mission a des man-
dataires qu'elle ne jugerait plus dignes de sa co~fiance.
De vrais patriotes, comprenant la nécessité, dans une
République, de s'appliquer avivre sérieusement de la
vio publique, ne trouveront pas que ce soit trop pré-
sumer de leur patriotisme que de leur demandor de
consacrer, chaque année, quelques heures uux grands
intéréts du pays. •


Les élus jugés dignes de la confiance des électenrs
doivent étre indéfinimeut rééligibles. Les fonction-
naires publics doivent-ils étre éligibles? Sous le régime
monarchique, le pouvoir exécutif a toutes sortes de
moyens de disposer des votes de ses agents, membres
des assemblées législatives ; les souvenirs encore tout
vivants d'un passé honteux me dispensent d'insister sur
ce faite Mais, SOU8 le régime républicain, appliqué dans
toute sa vérité, nulle raison de cette nature ne sub-
siste, ainsi qu'on le yerra au chapitre suivant, OU je
traite de l'organisation des fonctions publiques. Les
fonctionnaires doivent done pouvoir étre élus comme
tons les autres citoyens. Les exclure de l'Assemblée
nationale ne serait pas seulement une mesure injuste,
ce serait encore un contre-sens par lequella nation
déclarerait qu' elle met en suspicion l'honnéteté de ceux
qu'elle a chargés de la gestion de ses affaires : ce serait
surtout une mesure contraire aux intéréts de la chose
publique, puisque ee serait éloigner du conseil supréme


3




31 CHAPITRE t.
de la nation des hommes qui peuvent étre devenus des
plus hábiles par leurs études spéciales et l'expérience
que donne la pratique des affaires : leur capacité doit
done pouvoir étre utilisée si d'ailleurs ¡ls sont jugés
des plus dignes. Seulement, quand ils entreront dans
l'Assemhlée nationale, ils ne devront toucher que le
traitement de memhres de cette assemblée, le temps
de leur législature comptant du reste pour leur re-
traite.


Voyons maintennnt d'apres quelles regles doit
s'exercer le droit de suffrage, surtout en regnrd de sa
fonction la plus importante, celle qui a pour objet de
déléguer temporairement a une assemblée unique le
pouvoir souverain de la uation, lci se présente la
grande question du suffrage inexactement appelé uni-
versel.ll n'y a jamáis eu et iI ne pourra jamais y avoir
de suffrage réellement universel. D'abord per~onne
ne saurait penser aappeler les femmes it voter, per-
sonne excepté quelques galantinsplus fenunes qu'elles-
mémes, Interrogées sérieusement sur ce qu'elles pen-
sent de ce droit, les plus sensées non...seulement ne le
réclament pas, mais le refuseraient s'il leur était of-
fert : elles comprenneut trop bien qu' elles auraient
plus a perdre qu'á gngner aun pareil róle, et que leur
nature physique et morale leur en assigne dautres
qui n'importent pas moins it leur honheurparticulier
qu'á celui de tous. Voilá donc déjá la moitié de la na-
tion qui demeure étrangere al'exorcice du droit de




CHAPITRE i.


suflrage. En outre et sans parler des autresinterdic-
tions naturelles ou légales, les mineurs, e'est-á-diré
plus des 2/10 de la moitié restante, se lrouvent égale-
ment excluso Dans le systeme le plus large, ce ne
sera done jamáis que la minorité des membres de la
nation (3/l0 au plus) qui exercera le droit de suf-
frage (1). Jusque-lá aucune contestation. En these gé-
nérale, tous ou a. peu pres tous conviennent que l'exer-
cice de ce droit suppose, comme eondition indispen-
sable, la présomption d'une capacité suflisante, et
c'est seulement sur l'application de ce príncipe qu'ils
peuvent étre divises. Or, dans l'état actuel de la civi-
·Iisation, des hommes qui n'ont aucune espece de cul-
ture intellectuelle, et que leur iguorance livre en proie
a. ceuxqui ont intérét ales tromper, présentent-ils cette
garantie de capacité suffisante? Un grand nombre de
nos paysans actuels ne savent pas meme lire, et c'est
bien pis chez eertaines classes qui, se trainant ignomi-
nieusement dans la fange des villes, joignent la eor-
ruption a la plus erasse ignorance (2). L'expérience


(i) En France, les hommes adultes forment a peine les 31 i O
de la population totale. Les 3/10 d'une population d'environ
38,000,000 d'ámes donnent le chiffre de t i,400,OOO. 01', en f849,
le nombre des citoyens inscrits sur les listes électorales n'allait
pas a 10 millions. Lors du dernier opprobre du plébiscite du
8maL4870, le nombre des citoyens inscrits n'allaitqu'á fO millions
et demi, et 1'0n y avait compris les hommes des armées de terre
et de mer contrairement a ce qui s'était fait pour les électionsdes
membres du Corps législatif.


(2) Parmi les [eunes gens ayant accompli leur vingtiéme année




36 CHAPITRE t.
des dernieres années dit assez haut ce que peut pro...
duire le droit de suffrage qui leur a été attribué : une
Assemblée constituante, dont une notable partie mau-
dissait secretement la République qu'elle acclamait
hypocritement; puis l'immense turpitude de l'élection
d'un Président qui devait bientót , suivant en cela
l'exemple légué par le chef de la race des Bonaparte,
partir de la pour étouffer traitreusement la Répuhli-
que qu'il avait solennellement juré de défendre et pour
établir a sa place la monarchie absolue (i); enfin une
Assemblée législative, plus antipathique encore a la
Républiqne que sa devanciere, et préparant toutes les
machines qui devaient servir a la battre en ruine. Je


et se présentant au tirage au sort, il y en a prés d'un tiers qui
ne savent pas lire. En somme, le nombre des personnes ayant
appris a lire et a écrire ne dépasse guére la moitié de la popu-
lation, n y a tel département qui compte trois habitants d'illet-
trés sur quatre. En 1863, sur 4,543 individus des deux sexes et
de tout áge, accusés pour erimes, on en comptait 1,756, c'est-a-
dire plus de 38 pour cent de complétement illettrés.


(i) L'histoire marquera de ses plus noires eouleurs ces for-
faits du 18 brumaire et du 2 décembre, sans lesquels la Républi-
que, dégagée des embarras inévitables de sa laboríeuse installa-
tion, eút depuis longtemps fonctionné paisiblement et pour le
bonheur du monde, ces grands attentats d'oú est issu le régime
qui a fait maudire dans toute l'Europe et jusque dans le nouveau
monde le nom francais, autrefois si respecté, et surtout fait
descendre des hauts rangs jusque dans les derniers le culte du
succés et du succés pour l'unique eontentement des appétits, a
tel point que les quelques sages qui surnageaient dans l'universel
naufrage, étaient saisis d'épouvante a la vue des progrés de la
démoralisation et auraient désespéré de la régénération s'ils
n'eussent regardé qu'á la surface des choses.




CHAPITRE I. 37
ne parle pas des prétendus votes qui ont eu Lieu apres
le 2 décembre : de ce moment, toute liberté avait cessé
d'exister dans ce noble pays de France, et la dérision
la plus outrageante s'ajouta aux attentats lorsque celui
qui venait de báillonner et garrotter la grande nation,
trouvaplaisant de l'inviter, le sabre au poing,a ex-
primer une opinion sur ses forfaits. La République ne
doit-elle pas aviser cette fois aux moyens de rendre
impossible le re tour de pareilles trahisons? Il semble
done qu'elle ne devrait accorder le droit de suffrage
qu'aux adultes sachant au moins lire et écrire (t), et
qui en justifieraient dans la forme tres-simple que
j'indiquerai tout a l'heure. Demander des garanties
d'aptitude aémettre un vote éclairé n'aurait rien de
comparable ace que serait, par exemple, le rétablisse-
ment de l'ancien censo Je ne mets d'autredifférence
entre un homme et un autre homme que celle qu'éta-
blissent la capacité et la moralité ; le dernier et le plus
pauvre des travailleurs, s'il est éclairé et honnéte, est
pour moi, en fait de droits politiques et d'aptitude a


(í ) Dans la Constitution de l'an lIT (titre 11, arte 16), la Con-
vention avait mis aussi cette condition a l'exercíce des droits de
citoyen de la part des jeunes gens et sans definir ce qu'elle enten-
dait par jettnei gens; rnais elle eut le trés-grand tort, en méme
temps qu'elle posait ce principe salutaire, d'en ajourner l'appli-
catión jusqu'á l'an XII. C'était supprimer, pour le temps oú elle
était le plus nécessaire, la mesure de salut qui venait d'étre
prise, Ce fut une des fautes qui causérent la ruine de la Hépu-
blique ..




38 CH.l.PITR!: l.
les exercer, égal et souvent méme supérieur al'homme
le plus haut plaeé par le capriee de la fortuna et de la
naissance, Et ce ne serait certes pas se montrer bien
difficile que d'exiger da luí, comme présomption de
capacité suffisante, qu'il sút lire et écrire; car, avec
les sources multipliées d'instruction que la Répuhlique
mettra ala portée de tous, ainsi que je l'exposeraiplus
loin, il n'est guere d'hommes de bonne volonté qui ne
puissent, en moins de deux ans, étre en état de rem-
plir cette eondition. Quant a ceux qui ne voudraient
pas user de ce moyen de s'élever Aleurs propres yeux
comme aux yeux de leurs semblahles, mériteraient...ils
de prendre part au gouvernement de la société f C'est
au savoir animé de l'amour du bien et non al'igno-
rance, méme honnéte, qu'il appartient de diriger les
choses humaines, et il est entendu que cette fonetion
doit s'exercer non pas, comme cela est arrivé si sou-
vent, pour procurer le hien..etre de ceux qui sont ex-
haussés et au détriment de ceux qui sont ahaissés,
mais en vue du plus grand hien, physique, intelIeetuel
et moral, de tous, particulierement de ceux que leur
ignorance méme retient eneore dans les bas-fonds de
la société, Qu'on ne eroie pas me faire une objection
en disant, ce qui est tres-vrai, que, parmi les hommes
adultes, ne sachant ni lire ni écrire, il y en a beaucoup
qui sont plus intelligents que teIs autres qui sont ce
qu'on appelle lettrés. Cette argumentation ne serait
pas plus admissible que si l'on venait réclamer le droit




CHA.PITItK l. 39


de suffrage pour les femmes et les mineurs, sous pre-
texte qu'il y a incontestablement parmi enx heaueoup
de personnes plus intelligentes que tels hommes adul-
tes. Quelque nombreuses que puissent étre les excep-
tions, ce ne sont que des exceptions, et les lois poli..
tiques ne peuvent se régler que sur les conditions gé-
nérales de la nature des hommes et des choses. On
doit supposer du reste que les hommes intelligents
quoique complétement illettrés seraient par cela méme
empressés a accepter le moyen qui leur serait offert
de grandir intellectuellement et socialement, et que
n'ayant pas .intérét a réclamer, ils ne chargeraient
personne de le faire pour eux. Enfin la République
ne saurait plus avoir l'absurde générosité de fournir a
ses ennemis des armes pour travailler a sa perta, et
ne devrait...elIe pas alors exiger de ceux qui voudraient
exercer le droit de suffrage, une présomption d'hon-
néteté politique, plus nécessaire encore que celle de
capacité sufflsante? Voici done ce que je proposerais,
avec quelque hésitation toutefois, et je dirai tout a
l'heure pourquoi, Chaque citoyen aqui il conviendrait
d'aller retirer sa carte d'électeur, ne la recevrait iJU'en
remplissant la formalité suivante. Un registre, conte-
nant la liste, dressée d'avance, de tous les citoyens
actifs de la commune ou d'une de ses sections, porte-
rait en tete de chaque page cette déclaration imprimée :
« Je declare ne vouloir user de mes droits politiquea
« que pour servir la République, et étre pret aen dé-




enAPITftE 1..


u fendre les institutions si jamais elles pouvaient con-
« rir quelque danger. » L'électeur qui se présenterait
pour retirer sa carte, apposerait, a la"'suite de son in-
scription, sa signature, comprenant en toutes Iettres
ses nom et prénom, et en la faisant précéder de- ces
mots : « J'approuve la déelaration ci-dessus ({), » En-
tiere liberté serait du reste laissée a chacun d'user, a
cette condition, ou de ne pas user de son droit de suf-
frage, Je sais bien que ces mesures n'empécheraient
pas quelques ennemis des institutions répuhlicaines
de venir faire des déclarations mensongeres, et je n'es-
pere pas plus ici qu'en aucune autre chose voir la per-
fection absolue; mais je ne crains pas d'affírmer qu'une
pareille déclaration, faite librement et qui demeure-
rait consiguée dans un registre puhlic, aurait, auxyeux
de I'immense majorité de ceux qui la feraient, un ca-
ractere de gravité par lequel ils se tiendraient pour
engagés solennellem-nt. Et qu'on ne dise pas qu'en
prenant cette mesure, nécessaire asa súreté, la Répu-
blique frapperait d'une injuste interdiction, au moins
momentanée, des citoyens qui peuvent n'étre point
moralement responsables de l'ignorance dans laquelle


(t) Le serment politique, précédemment exigé des divers fonc-
tionnaires publics, serment aholi par le gouvernement provisoire
de !848, mais vite rétahli par Louís-Napoléon, peut étre remplacé
par eette simple déclarstion écrite et ainsi modiíiée : « Je declare
t( accepter telle fonction publique pour servir la République, et
« étre prét, etc. »




CHAPITRE l.


leurs parents ou des circonstances malheureuses les
ont Iaissés. Ce n'est point véritablement une peine que


'f.
la sociétéentendrait leur infliger: il s'agit ici, je le
répete, d'une simple présomption de capacité suffi-
sante et de sincérité, qu'elle a le droit d'exiger de
ceux quivoudraient prendre part au gouvernement
de la chose publique. Ceux que ces mesures exclu-
raient seraient d'autant moins fondés a se dire lésés
dans leurs droits naturels, qu'ils pourraient, s'ils te-
naient a se rendre dignes de la qualité de citoyens
actifs, l'acquérir promptement en profitant des moyens
d'instruction que la République leur offrira et qui leur


.avaient été refusés jusqu'ici : il n'y aurait de peine
réelle mais alors méritée que pour ceux qui répon-
draient par un refus obstinément coupable a l'oflre
hienveillante de la société, Une dispense pourrait tout
au plus étre réclamée en faveur d'hommes illettrés a
qui un age tres-avancé (70 ans par exemple) ne per-
mettrait plus guere d'apprendre a lire et a écrire;
mais la considération qui suit me semblerait s'opposer
invinciblement a ce qu'on établit aucune exception.
La mesure en question serait plus qu'une garantie de
capacité nécessaire a l'exercice intelligent des droits
politiques ; ce serait une condition rigoureusement in-
dispensable ponr que l'exercice de ces droits eüt une
signification sérieuse et fút exaetement constaté. En
etfet, lorsqu'un homme qui ne sait ni lire ni écrire,
vient déposer dans l'urne un hulletin de vote qu'il a




CHAPITRE l.


fait écrire au dehors ou qu'on lui a remis imprimé,
quelle preuve la soeiété a-t...elle que ce hulletin porte
véritablement le nom que le votant a voulu y mettre,
el ce votant lui-méme en a·t..il la certitude, quand, ne
sachant pas lire, il est dans l'impossihilité de vérifier
par lui-méme si I'on a réellement mis le nom qu'il a
voulu? Ce vote est done, de la part de celui qui le dé-
pose, un acto aveugle et de nulle valeur : c'est pire que
cela, c'est un vote múltiple, accordé par l'imprévoyanee
du législateur a celui qui 1'a éerit ou distribué et qui
en a peut..etre écrit ou distribué des milliers d' autres,
e'est par conséquent ou cela peut devenir un moyen
de fausser l'expression de la volonté nationale. Cetts
considération suffirait aelle seule pour motivar et jus..
tifiar la mesure que je viens d'indiquer, Cette mesure
en entralnerait une autre eomme conséquence .puisque
tout votant devrait savoir lire et écrire, l'emploi de
hulletins imprimés devrait elre interdit , et par con-
séquent plus de colportage et de distrihution de ees
bulletins, Enfin, puisque n01] 8 avons dit que ceux qui
mendieraient les suffrages par les divers moyeos em-
ployés jusqu'ici, doivent étre écartés, plus de ees igno-
hles affíches souillant toutes les murailles en temps
d'élections, Ceux qui auraient mérité qu'on les
eherchát et qu'on allát les trouver et qui auraient ac-
cepté l'offre d'atra portés comme candidats, auraient a
s'entendre avec leurs eommettants par les divers autres
moyens soit de la presse soit des réunions publiques




CHAPJTRlI: l.


ou privées, et de maniere a ce que les électeurs pris-
sent aleur charge les frais nécessités a cet effet; car il
est temps que les graves fonctions de représentants de
la nationne soient plus le privilége des riches et que
les électeurs ne se voient plus dans I'impossibilité de
porter leur choix sur tels hommes pauvres mais qui
en seraient jugés des plus dignes.


Si l'exercice du suffrage universel n' existait pas en-
eore, j'aurais exprimé en termes absolus et exprés 1'0-
pinion que je viens d'émettre. Mais on a dü remarquer
que je l'exprimais sous une forme conditionnelle;
e'est que j'ai des doutes non pas sur sa vérité intrin-
seque mais sur son opportunité. Je reconnais que c'est
une ehose grave en politique de revenir sur une ques-
tion qui semble résolue par une assez longue pratique
et surtout de restreindre l'exercice d'une faculté dont
on est en possession. Si done, apres avoir pesé les
avantages et les inconvénients, on ne pensait pas pou-
voir adopter la mesure que j'ai indiquée, je me rési-
gnerais a n'attendre que du temps et des soins pré-
voyants de la RépubIique cette diffusion de l'instruc-
tion qui seule pourra rendre les Franeais adultes ca-
pabIes d' exercer d'une facón intelligente Ieurs droits
de citoyens,





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CHAPITRE 11.


OR&ANISA.TlON DES FONCTlON8 PUBLIQUES.


L'Assemblée nationale, qui représente le Souve-
rain, prépare, discute et rédige, sauf approbation défi-
nitive par le Souverain lui-méme , ainsi qu'on l'a vu
plus haut, des lois dont la proposition appartient
non-seulement a ses diverses sections, mais encors a
chacun de ses membres.Elle charge de l'exécution de
ces lois, dans les divers services dont [e parlerai tout
al'heure, des fonetionnaires constamment révocables,
ce qui ne veut point dire revocables capricieusement,
brutalement et sans regles fixées d'avanee et devant
étre scrupuleusement ohservées. L'exereiee des fonc-
tions publiques est un des prineipaux élénients de la
souveraineté. 01' la souveraineté doit essentiellement
demeurer toujours une et entiere ; elle n'existe évi-
demment et par sa définition meme qu'á la condition
d'étre telle, Elle ne peut done jamais étre aliénéc entre
les mains d'sn fonetionnaire ou d'une classe de fonc-
tionnaires inamovibles. Les fonctionnaires de divers
ordres, professeurs , juges, agents de ]3 force pu-




CHAPITRE tí.


blique, des travaux publics, du trésor, sont institués
et dirigés par des conseils supérieurs d'administra-
tion, placés a la tete de chaque grand service, et
composés d'un petit nombre de fonctionnaires choisis
par l'Assemblée nationale parmi les plus méritants et
les plus capables de leur ordre respectif (t). Mais,


(i) Les conseils supérieurs d'administration s'éclairent et
s'aident des avis et propositions des commissions départemen-
tales dont il sera parlé au ehapitre IX, lesquelles commissions
départementales s'éclairent et s'aident de leur cóté des avis et
propositions des conseils municipaux,


Le principe de l'élection par les admiuistrés continue de
s'appliquer aur fonctions exereées gratuitement, de conseillers
municipaux, de conseillers des départements, de juges de com-
meree, et a quelques autres analogues, ayant un caractére en
quelque sorte de famille et s'occupant plus particuliérement de
la gestión des intéréts locaux. Mais, pour toutes les fonctions de
gouvernement général, appartenant aux divers services dont il
sera parlé plus loin, qui relévent directement de l'État et sont
enteetenus aux frais du trésor public, le pouvoir central n'est-
il pas seul placé assez haut et assez dégagé des prétentions
et des rivalitás de clochers pour juger entre tous les aspirante
nationaux queIs sontles plus méritants et les plus capables?
Peut..étre pourtant, a cause de son caractére plus particu-
lierement familial, le premier degré de judicature, eelui
des juges de paix, se recruterait-il utilement par la voiede
l'élection tempor-ire et renouvelable. Mais, par les raisons que
je viens de dire _ tout en reconnaissant que l'autorité des fonc-
tionnaires peut tirer une grande force du príncipe de l'élection
par les administrés, j'adopterais difficilement. l'opinion, tres-
respectahle d'aílleurs dans ses motifs, des personnes qui propo-
sent d'appliquer également aux degrés supérieurs de judicature
le principe de l'éleetion par les justiciables, ainsi que I'avaient
établi les Constitutions de t 79t, i 793 et t795. C'est au moins
une question gui demande a. étre examinée avec maturité, Quel-




tHAPITIUS n.


pour que ces conseils supérieurs ne dégénersnt pas
en ces états..majors pleins de morgue, tribunaux ju-
geant dans l'ombre, administrations anonymes et ir-
responsables, que nous avons vus au sommet de la
plupart des services publica, OU ils faisaient si commo-
démentendosser leurs caprices et leurs passions par


que partí que ron prenne, le choix des [uges de tous les degrés
devra étre l'objet de la plus sérieuse attention et n'étre également
que temporaire et renouvelable. C'est une redoutable fonction
que celle de décider de la fortune, de 1'honneur, de la liberté de
ses semblahles, et une triste expérience nous a appris que la vue
habituelle des miséres humaines, les fatigues, les ennuis et les
dégoUts du métier jetaient a la longue dans l'engourdissement
routinier el faisaient trop souvent contracter des dispositions a
l'insensibilité et au plus déplorable endurcissement.


Je conseille d'abolir la vaine formalité de ces grades de bacbe-
lier, licencié et docteur, placés a l'entrée de toutes les carriéres
dites liberales, et qui, au grand détriment des solides études
elassiques, laissaient paaser, comme chacun sait, une foule de
fats gonflés de nullité et d'importance. C'était pour le plus grand
nombre des maitres en possession de conférer ces grades, affaire
d'argent nvaut tout. On peut y substituer utilement des concours
publics, anulogues a ceux de I'agrégation et destinés a préparer
des aspirants aux diverses fonctions publiques, lesquels aspirants
prendraient rang, selon l'ordre de leur nomination au concours,
pour remplir les places devenues vacantes, mais en commencant
toujours par les plus humbles pour s'élever aux plus hautes
d'aprés des regles fíxes d'avancement qui tiendraient compte a
la fois de la capacité dont ils feraient la preuve pratique et de
leur temps de service. Si l'on me permet de citer mon expérience
personnelle, je dirai qu'ayant passé par les épreuves des trois
grades susdits et p.ar celle de 1'agrégation, j'ai dú fournir infini-
ment plus de travail de préparation pour étre reeu agrégé aux
chaires de philosophie que pour obtenir le coúteux diplóme de
docteur el lettres, donnant droit au triple rang d'hermine.




CHAPltRE H.


des fétiches invisibles, sourds et aveugles, il faut
qu'ils puissent étre eonstamment révoqués, soit en
totalité soit individuellement, par I'Assemblée' natio-
nale. Ils doivent rendre eompte de leur gestion a une
commíssion permanente de eette assemblée, commis-
sion qui saisit l'assemblée elle-méme s'il 1~i a lieu.


. ~


L'idée fondamentale du systeme se résume done en
eette formule : une Assemblée nationale, représentant
le peuple Souverain et exercant par délégation la sou-
veraineté, en dietant la loi et en la faisant exécuter
par une eommission prise dans son sein, se parta-
geant le travail administratif entre plusieurs comités
et ayant sous ses ordres autant de eonseils qu'il y a de
grande services publics.


On voit que j'ai eu grand soin de repousser l'insti-
tution gouvernementale d'une Présidence, institution
non pas seulement inutile mais pleiue de menaees
perpétuelles pour les Iibertés publiques. Louis-Na-
poléon, qui semble avoir eu pourmission de mettre a
nu toutes les eonséquences des fautes commises en
iB48, aura, j'espere, appris a tout le monde ce que
pouvait valoir la création d'un Président de Répu-
hlique, surtout dans un pays conservant encore tant
d'hahitudes de servilité, inoeulées par la monarchie et
si fort en retard sur les idées. Ce fait simplifie ma
tache et me dispense de discuter longuement la ques-
tion de savoir si en these générale il faut un prési-
dent a une République- Une pareille iprésidenee,




CHAPITIlE tI o


méme élue et temporaire, est une royauté déguisée et
en fait renaitre, dans maintes occasions, la plupart
des inconvénients, C'est l'anarchie instal1ée en perma~
nence au cceur de la souveraineté, qui, au lieu de de-
meurer parfaitement une, est ainsi fractionnée en
deux pouvoirs antagonistes, issus également du suf-
frage dela nation et y cherchant au besoin un appui
pour justifier leurs rivalités, l'avantage demeurant le
plus ordinairement du cóté de celui qui dispose de la
machine administrative et de la force matériel1e orga-
nisée, C'est en un mot une cause incossante de troubles
politiques. La plupart des Répuhliques du nouveau
,continent sentiront tót ou tard la nécessité de suppri-
mar ce rouage, conséquence de la faute qu'elles ont
commise en partageant entre deux assemblées la re-
présentation nationale.


Dans une République véritablement démocratique,
on ne saurait admettre le systeme d'administration
emprunté a la monarchie et dans lequel chaque ser-
vice public est gouverné par un ministre, qui est ainsi
un petit monarque, trouvant chaque jour des prétextes
pour dicter de véritables lois ou pour violer celles qui
existent, au moyen d'ordonnances, arrétés , décísions
et circulaires; monarque de quelques jours, soumis
aux fluctuations politiquea, se hátant d'exploiter son
pouvoir fugitif au profit des siens,et forcé, par son
insuffisance d'abandonner le maniement des affaires
publiques a une bureaucratie dont la grande affaire


4




CH,A.PITRE U.


est de se prélasser au milieu de- ses inútiles pape..
rasses (i). Une administration supérieure collective,
sans av~t une perfection qui n'est pas de ce monde,
offre des garanties d'instruction, de maturité, de sta-
bilité, de justice et de probité, que réunit rarement un
ministre. Les résolutions des conseils supérieurs d'ad-
ministration sont prises ala majorité des voix et exé-
cutées, en leur nom, par leurs présidents respectífs.
11 est dureste évident que, méme dans un systeme qui
fait décider par plusieurs tout ce qui suppose délibé-
ration sur un parti aprendre ou sur un choix lt faire
de personnes chargées de fonctions publiques, le prin-
cipe subsiste tout entier, non-seulement de l'utilité
mais de la nécessité qu'il y ait unité dans I'autorité
chargée de I'exécution des décisions prises , et par
conséquent unité dans la direction et le commande...
ment, sauf au fonetionnaire qui dirige et eommande,
Arendre eompte aqui de droit de l'usage qu'il fait de
la portion de pouvoir social qui lui a été confiée.
Les divers conseils supérieurs peuvent se réunir pour
se consulter sur les choses intéressant a la fois plu-
sieurs services. Ces conseils et les fonctionnaires
placés sous leurs ordres ne constituent point le gou...


(i) Ceci s'applique surtout a la haute bureaucratie. Dans
l'armée pullulan'W' des hommes de bureau, il en est beaucoup
d'un vrai merite, trés-modestes, trés-laborieux et tres-estimables;
mais ceux-lá sont habituellement relégués et oubliés dans les
ranga inférieurs.




ClIAPITRE n.


vernement. 11 n'y a pas d'autre gouvemement que
eelui du pays méme, représenté par~onAssemblée
nationale, qui seule a l'initiative de la préseqtation de
la loi, la discute, la dicte, la promulgue et la fait
exécuter par l'entremise de fonctionnaires qu'elle
eommet acet effet, Les fonetionnaires publics ,depuis
les premiara [usqu'aux derniers, ne sont done que les
eommis de la nation, Dans ce systeme , l'intérét
général est censtamment sauvegardé et l'unité gou-
vernementale conservée. La nation s'appartient véri-
tshlement et S8 régit elle-méme. Si le mal se gliasa
quelque part, le remede est la tout prét : les eonseils
supérieurs peuvent retirer leur commission a des
fenctionnaíres indignes ou incapables ; l'Assemblée
natienale peut retirar leur pouvoir aux conseils supé-
rieurs qui en useraient mal; enfin la nation tient
constamment suspendue sur l'Assemblée nationale la
faculté de lui retirer prochainement un mandat qu'elle
ne remplirait pas sagement et justement. Les intéréts
généraux sont done autant que possible garantis.


L'administration des divers services d'un État doit
Qtre conforme a la constitution fondamentale de cet
État. Rien n'est plus évident que ce príncipe. 11 s'en-
suit que l'organisation des fonctions puhliquesne peut
pas étre la méme dans une république et dans une
monarchie. Or la République proclnmée en i848 a


. .


conservé le systeme des divers services tel qu'il avait
été organisé par la monarchie et pour qu'il fonctionnat




52 CHAPITRE JI.
au profit des intéréts monarchiques (1). Apres avoir
chassé ignominieusement la royauté, elle a gardé res-
pectueusement sa maison, sa grande et sa petite
livrée, ses hommes liges, sans distinction de ceux qui
ne constituaient qu'une valetaille parasite et de ceux
qui, pouvant étre utilement appliqués au service de
la chose publique, doivent étre conservés. Il ne se
pouvait ríen concevoir de plus inconséquent. Avec ce
contre-sens la révolution était menacée de tout. ce qui
lui est arrivé depuis. De la je conclus la nécessité de
réformes radicales a introduire daos nos diverses ad-
ministrations, et dans le détail desquelles j'entrerai
tout a I'heure.


Le nombre 'des fonctionnaires publics doit étre con-
sidérablement réduit comparativement a celui d'au-
jourd'hui. Ils doivent étre choisis avec la plus scrupu-
leuse attention et uniquement d'apres des considéra-
tions de talent, de services et d'honnéteté. La capa-
cité leur a manqué souvent; mais ce qui leur a man-
qué plus souvent c'est une sévere probité. Il importe
par-dessus tout que la gestion des affaires publiques


(1) « Les préfets, avec toute l'autorité et les ressources locales
« dont ils se trouvaient investis, ajoutait I'Empereur, étaient
« eux-mémes des Empereurs au petit pied..... Je me trouvais
« dictateur, la force des circonstances le voulait aínsi ; il fallait
« done que tous les filaments issus de moi se trouvassent en har-
« monie avee la cause premiere, sous peine de manquer le résultat. »
(Mémorial de Sainte-Héléne, par M. le comte de Las Cases, jeudi,
7 novem¿re 18t 6, tome 7, Paris, 1824.)




CHAPITRE II~ 53
soit confíée aux plus honnétes en méme temps qu'aux
plus. capables. J'ajoute que jamais je ne regarderai
comme honnéte celui qui, étant admis aexercer des
fonctions dans une République, serait animé de senti-
ments hostiles au principe du gouvernement républi-
cain. L'exemple bénin, qu'a donné la France apres la
révolution de Février, d'une République consentant a
rester presque uniquement aux mains de ses ennemis
quibientót ont éloigné de toute participation au pou-
voir ceux qui ne partageaient pas leur haine, cet
exemple, dis-je, d'une République gouvernée par des
fonctionnaires anti-républicains, ne doit plus étre pos-
sible maintenant qu'est venu le moment de la vraie
organisation. Il faut surtout que le scandale du cumul
des fonctions ait un terme et que les traitements atta-
chés aux fonctions publiques, méme les plus hautes,
comme celles de membres de l'Assemblée nationale ,
ne soient pas trop élevés. « Vous voulez done, me
« dirá-t-on, que les serviteurs de l'Etat soient pauvres
« au milieu d'une nation riche, et les seuls pauvres. »
Je ne demande pas pour eux ce que je ne veux pour
personne, l'indigence, mais une simple et modeste ai-
sanee. Plus ils seront riches, plus ils auront d'orgueil,
d'avidité et de disposition ase corrompre; car ce sont
la les produits ordin'aires de l'opulence. Je prends la
nature humaine telle qu'elle est, je ne la fais paso


,


Voulez-vous que les affaires de tous continuent d'étre
malconduites? Continuez d'enrichir ceux que vous




54 CHAPITRE U.
chargez de- les conduire. Voulez..vous au contraire
qu'elles soient conduites cornme elles doivent l'étre
dans une République digne de ce beau nom? Sortez
done de ce systemed?nt vous avez tantde peine a
vous dégager, je veux dire du systéme des gouverne":
ments qui administraient par la corruption et aqui
iI fallait par conséquent des serviteurs corrompas
comme eux (ir « Mais, objectera..t-on encere, ~i les


(i) « J'avais, disait encere l'Empereur, donné des traitements
« énormes aux préfets et autres. » (Ibidem.) Vient ensuite une
tirade, a laquelle on ne s'attendait guére en pareil lieu, eontre
les gros traitements et Ieur infIuence corruptriee, tirade entre-
melée d'injures contre les néeessiteux, et qui se termine ainsí :
« Notre excuse a nous pouvait étre dans les bouleversements et
« les commotions de notre révolution; chacun avait été déplacé,
« chacun se sentait dans la néeessité de se rasseoir ;et c'est .pour
« aider ti cette nécessité générale et pour que les sentiments déli-
« cats se détruisissent le moins possible, que fai cru devoir doter
« toute« les places de tant d'argent, de lustre et de considération;
« mais avec le temps f eusse changé tou: cela par la seule force de
« l'opinion. » (Ibídem.) Cette belle eonclusion revient a dire que
Bonaparte commencait par corrompre les hommes, se proposant
de les rendre vertueux plus tardo L'admirable recette, et eomme
elle lui a réussi ainsi qu'á ses suceesseurs!


Les mauvais prinees ne font pas tant de mal par eux-mémes
que par la foule de malhonnétes gens dont ils s'entourent et
qu'ils ont aehetés pour s'en faire das instrumentsde lenrs usur-
pations et de leur tyrannie. Ils ne sont possihles en effet que
paree qu'ilsont des complices, lesquels vont toujours au-devant
de leurs plus criminels désirs, selon l'énergique expression de
Tacite : Ruere in seroiiium, IAnnales, livre ler, arto 7.) Sans aller
ehercher bien haut dans l'histoire des exemples de eette vérité,
n'avons-nous pas vu deux fois, en moins d'un demi-siéele, les
sénateurs créés par les deux Napoléons, venir les supplier de se




CHAPITRE 11.


« fonctions publiques sont peu rétribnées, on na l~ii
« recherchera plus. » Eh! tant mieux! Car c'estjuate-
ment Iá ce que je voudrais. Cette manie des placas,
cette rage des fonctions titrées, que nous a inoculée la
monarchie et particulierement la monarchie de ce
siecle, tant impériale que constitutionnelle, est une de
nos plus funestes maladies. Loin done de m' embarras-
ser en m' ohjeetant qu'on ne reeherchera plus les fono-
tions publiques, on me vient en aide au contraire,
N'ai-je pas dit tout al'heure qu'elles devraient désor-
mais étre confiées aux plus honnétes en méme temps
qu'aux plus capahles? Or les capacites les plus hon-
nétes ne s'agitent pas, ne s'offrent pas comme les mé-·
diocrités intrigantes : elles se tiennent cachées; il faut
done aller les chercher, Elles ne se vendent pas sur-
tout; c'est done moins avec de l'argent qu'il faut les
rétrihuer qu'avec de l'estime, de la cousidération et 4~
ce véritable honneur qui est fort différent de ce qu'on
appelle les honneurs.


Je conseille de supprimer les costumes affectés aux
diverses fonctions publiques, et qui out été imaginés
soit pour flatter la gloriole des classes privilégiées,
soit pour obtenir de la multitude, en ne s'adressant
qu'á ses yeux, une sortede réspect qui ne peut que
l'abétir. Ceux qui ignorent combien les distinctions


faire Empcreurs au mépris des institutions républicaines dont
ils s'étaient fait un marchepied et qu'ils avaient solennellement
juré de maintenir?




56 CHAPITRE 11.


extérieures contribnent ánourrir I'arrogance descastes,
pourront seuls s'étonner de me voir préter quelque
attention et attacher quelque importance..aune chose
si petite en apparence (i).


Je ne me contente pas de conseiller, je demande ex-
pressément la suppression de l'institution de la Légion
d'honneur, institution monarchique, ne se bornant pas
amener les hommes par cette vanité enfantine qui se
tire du costume, ce qui serait déjá un assez grand mal,
mais excitant un des plus mauvais sentiments du cceur
humain, celui de l'orgueil, institution qui produit a
peine un acte de vertu et de vertu déflorée par sa mise
en spectacle, pendant qu'elle fait naitre cent actes, se-
crets ou patents, de bassesse. Entre les mains des gou...
vernants, partieulierement des gouvernants malhon-
nétesvc'était un redoutable instrument de domination
par la corruption. Cette institution, ridicule copie


(t) Il Y a un fait patent et qui, si l'on réfléchissait aux
enseignements qu'il eontient, serait bien propre a discréditer
.l'emploi de ees livrées : depuis l'époque néfaste OU Bonaparte
s'est appliqué a restaurer sous d'autres noms et d'autres formes
presque toutes les institutions de l'ancien régime, combien
n'avons-nous pas vu de ces costumes, brodés et dorés sur toutes
les eoutures, de chambellans, ministres, sénateurs , pairs,
députés, maréchaux, préfets, directeurs, admiuistrateurs de
toutes les eatégories, aller rejoindre, aux ignobles devantures
des marehands de vieux habits, les défroques des marquis
d'autrefois, et aprés avoir brillé quelques jours au soleil de la
place publique ou aux lustres des plus hauts Iieux, tinir par ne
plus figurer que dans les farees de la foire et les orgies du
c-rnaval l




CHAPITRE II. 57
des anciens ordres détruits par la Révolution, a été
une des eeuvres les plus condamnables du premier
consul Bonaparte (-1).


(i) Si j'avais été étranger a la Légion d'honneur, j'aurais
hésité a proposer la suppression de cette institution; car il n'eüt
pas manqué de gens pour dire que c'était un sentiment d'envie
qui m'inspirait cette proposition. Afin de leur épargner une
méchanceté, si cela est possible, je les préviens que j'ai été fait
Officier de la Légion d'honneur, et ne leur laisse que la ressource
de dire que j'ai cherché cette singuliére facón de le faire savoir
ou bien encore que j'aurais voulu étre Grand'croix. Quoique je
pense m'étre rendu utile par l'espéce de serviees qui, protitant
a tous excepté a celui qui les rend comme on doit les rendre,
pourrait porter le mieux les récompenses honorifiques, j'avoue


. que je croirais valoir davantage si je les avais dédaignées,
Il y a peu d'années, il existait 15i ordres avec déeorations


et colliers ou rubans plus ou moins beaux. 24 ont disparu
récemment avee les Souverains détrónés des Deux-Siciles, du
Hanovre, de la Hesse électorale, du Mexique, de Modene, de
Nassau, de Parme et de Toscane. 11 n'en reste plus que i27 dont
voici la réparti tion sur la planéte : t t 6 ou la presque totalité
pour l'Europe, e'est-á-diré pour une portion minime mais la
plus éclairée, et i .. seulement pour le vaste mais obscur reste du
globe (i pour la Chiné, i pour les indigénes des lndes orientales
britanniques, f pour la Perse, i pour l'Égypte, i pour Tunis et
6 pour le Brésil). On voit que, dans tout le nouveau continent,
un Empire seul est doté de cet instrument gouvernemental. Les
Républiques n'en ont que faire : exceptons pourtant, sur notre
vieux continent, la République de Saint-Marin, qui a éprouvé,
en t859, le besoin de s illustrer en fondant un ordre de eheva..·
lerie. Notre premiére République avait naturel1ement supprimé
les ordres francais, et c'est pourquoi Bonaparte en a fondé un
qui a fleuri plus que ses devanciers. Des .. i 6 ordres européens,
5l sont allemands. La Baviére en a f 2 dont 4 pour .les dames,
et la Prusse i i dont 2 pour les dames. Aprés la Prusse vient
l'Espagne, qui en posséde !O. Nos voisins auraient done eu la




58 CHAPITl\i 11.


Faut-iI renouveler la mesure par laquelle, apres Fé-
vrier i 848, le Gouvernement provisoire décréta l'abo-
lition des titres de noblesse? En voyant paraitre ce dé-
cret, quelqu'un s'écria : « J'aurais plutót décrété que
« tout le monde pourrait désormais s'appeler Duc ou
« Marquis. » La sottise des titresde noblesse n'est pas
de celles qu'on tue par des décrets ou par des plaisan-
teries: ce devrait étre au silence et au mépris d'en
faire justíce. La République doit-elle daigner décréter
sur une aussi petite matiere ? Si je me trompe etque la
chose ait plus d'importance que je ne lui en attribue,
peut-étre suffirait-il de décréter que la loi ne recon-
nait pas les titres de nohlesse dans les actes publics,
Quant ala simple particule de, dont heaucoup de gens
sont encore fiers, il n'y a a s'en occuper d'aucune fa-
con : elle est déjá descendue et elle continuera de des..
cendre de plus en plus jusque dans les dernieres con-
ditions, comme son correspondant van du vieux fla-
mand, qui, honteux de ne plus rien signifier, a fini
par s'incorporer dans beaucoup de noms dont iI se dé-
tachait primitivement.


La question de savoir quelle est la part d'interven-
tion qui doit étre attribuée aux gouvernements dans
la réglementation de l'activité sociale, ne comporte
pas une solution absolue ; car elle est dépendante des


une eoupe des plus helles a. exéeuter, s'íls n'avaient commis
l'impardonnable faute de laisser eonfisquer leur Révolution de
septembre i 868 par leurs fanfaron! militaires.




CHA.'lTJ\B Il. ' 119
temps et de, divers degrés d'instruetion et de moralité
auxquels les soeiétés sont patvenU6a. Voiei toutefois
le principe général que l'on doit poser en cette
metiere : les gouvernements doivent faire, en vue de
l'utilité commune, tout ce que les indívidus sont
encere incapables de faire, mais cela seulemeut, et ils
doivent travailler en méme temps a les en rendre
capables. Par conséquent l'intervention des gouver-
nementa doit alfe restreinte amesure que l'instruetion
et la m~ralité des populations augmentent, e~ sorte
qu'elle devrait fiuir par devenir aulle si jamáis les
hornmes pouoaient devenir tous parfaitement éelairés
et moraux. On voit combien ce principe fondamental
de réduetion progressive de l'action centrale amesure
que les hommess'éclairent et se moralisent, est opposé
ala pratique de I~ plupart des gouvernements exis...
tants et attt théories que mettent en vogue 'des écri-
vains de camps souvent fort différents ({). Deux granda


ti l·..


(t] Quoi de plus sensé que les réflexions suivantes de Chan-
ning, de eet homme que j'appellerais un des plus grands entre
les moralistes des temps anciens et modernes, si, aprés qu'íl a
eu le courage de rejeter tous les dogmes du christianisme, il ne
lui avait manqué celui d'avouer qu'il n'était plus chrétien?
Voici eomment il définit le role du gouvernement : « Sa fonction
l< propre., sa fonction la plus relevée, e'est ele veiller sur les
« libertés de tous et de chacun, c'est d'ouvrir A une société le
« champ le plus vaste pour l'exercice de toutes les forces q\l'elle
« renferme. Ses chaínes et ses prisons mémes ont .la liberté
« générale pour objeto Elles sont justes seulement quand on les
« em.píoie a mettre un frein a l'oppression et a l*ill~l.lstice, a




60 CHAPITRE 11.
services publics sont de nature Ane pouvoir jamais
étre ahandonnés aux individus, je veux parler de l'ad-


« désarmercelui qui a un cceur de tyran, s'il n'en a pas le
« pouvoir, qui fait la guerre aux droits d'autrni, qui, en s'atta-
« quant a la propriété ou a la vie, voudrait substituer la force
« au régne des lois équitables. La liberté, nous le répétons, est
« la fin du gouvernement. Pousser I'homme a la domination de
« soi-méme est la fin de toute autre domination, et celui qui
« voudrait river sur lui l'arbitraire de sa volonté est son plus
« funeste ennemi.. ..... Nous sommes loin de le contester, nous
« le soutenons meme avec conviction, le gouvernement est un
« grand bien, il est essentiel au bonheur des hommes; mais il
« accomplit son bien principalement par une infiuence négative,
« en réprimant l'injustice et le crime, en préservant la propriété
« de toute atteinte et en écartant ainsi les obstacles au libre
« exercice des facultés humaines. 11 ne confére que peu d'avan-
« tages positifs. Sa mission est non de procurer le bonheur, mais
« de fournir aux hommes l' occasion de travailler a leur bonheur
« par eux-mémes, Le gouvernement ressemble a l'enceinte qui
« entoure nos terres; c'est une protection indispensable, mais
« elle ne fait pas pousser la moisson ni múrir les fruits. C'est á
« l'individu a décider si l' enclos sera un paradis ou tUl désert.
« Combien est peu positif le bien que le gouvernementest
« capable d'accorder! U. ne laboure pas nos champs, il ne hátit
« pas nos maisons, il ne noue pas les liens qui nous attachent a
« nos familles, il ne donne pas le désintéressement au cceur ni
« l'énergie a l'intelligence et a la volonté. Tous nos grands
« intéréts sont abandonnés a nous-mémes, et les gouverne-
« ments, quand ils s'en sont mélés, leur ont apporté plus
« d'entraves qu'ils ne les ont fait avancer. Par exemple ils n'ont
« pris la religion S011S leur protection que pour la défigurer.
tí. De méme l'éducation, dans leurs mains, n'a généralement
« fait que propager des maximes de servitude et préter appuiá
« d'anciennes erreurs. De la méme facón, ils ont paralysé le
« commerce par leurs soins et leurs encouragements, et ils ont
« accru le paupérisme par leurs expédients pour le soulager. Le
« gouvernement a presque toujours été une barriere centre




CHÁPITRE U. 61


ministration de la justice et de l'organisation d'une
force suffisante pour faire exécuter en temps ordinaire
les sentences rendues par les magistrats, organes de
la loi, et pour défendre extraordinairement l'indépen-
dance de la patrie sieIle venait aetre attaquée. Mais
iI est pIusieurs autres services publics, que les gou-
vernements se sont attribués, et dont l'utiIité et la
convenance peuvent étre reconnues ou contestées
selon les temps et l'état des moeurs. Appliquant ces
considérations aux principales sociétés européennes
actuelles et particulierement a la Franco, je concois,
pour le tempsprésent, la nécessité de ces quatre granda
services publics : Instruction, Justice, Force, Travaux;
aquoi iI fautajouter une administration des Finances
de l'État, qui, sans étre directement et a proprement
parler un service public, est le moyen indispensable a
l'exercice de tous les autres, Je vais traiter successive..
ment de toutes ces matieres, et en méme temps indi-
quer les nombreuses réformes qu'il est nécessaire d'y
apporter.


« laquelle l'intelligence a eu a lutter, et la société a dú ses
« principaux progrés aux individualités privées, qui ont laissé
« derriére elles leurs chefs et les ont graduellement surpassés, a
« leur confusion, en vérité et en sagesse. » (Remarques sur la
vie et le caractére de N.apoléon Bonaparte, 2m" partie, traduction
de M..Franeois Van Meenen, Brurelles, t857.)






CHAPITRE 111.


INS'l'RUCTION PUBLIQUE.


En attendant que vienne le plus tót possihle le jeur
oú la Répuhlique, ayant jeté de profondes et fortes
racines dans les idées et les habitudes et ne comptant
plus que de rares et impuissants ennemis, pourra se
reposer du soin de conserver et de grossir le trésor
des lumieres sur la liberté seule de l'activité des indi-
vidus ou des associations particulieres ou des eom-
munes, le service transitoire de l'Instruction publique
doit étre maintenu en Franca concurremment avee la.
liberté, plus entiere et plus vraie qu'elle ne l'a été
jusqu'ici, de l'enseignement privé. L'état intellectuel
du gros de la nation et le mauvais vouloir des nom-
hreux adversaires de l'instruction pupulaire ne per"
mettent pas de douter que la chose publique eourrait
un grand danger, si, dans la situation présente, on se
contentait de proclamer la liberté de I'enseignement,
qui ne profiterait guere alors qu'aux ennemis de toute
liberté. On sait que rien ne leur coúte pour assurer
les moyens de leur propagande, et que la gratuité de




64 CHAPITRE III.
leurs écoles est le principal appát par lequel les
classes populaires, quelque peu sympathiques qu'elles
leur soient, se laissent prendre pour livrer des enfants
qui ainsi élevés continuent dans ces mémes classes
le regne de la superstition. L'Instruction publique
sera done grandement organisée par 1'État lui-méme
et, pour la majeure partie, a ses frais : la est le salut
et l'espoir de la République; cal', si la masse de la
nation ne sortait pas de son ignorance actuelle f elle
serait sans eesse exposée a redevenir la proie dudes-
potisme monarchique. On yerra dans un instant que
je n'entends point par la assurer a l'État le monopole
de l'enseignement.


Mais d'abord je dois dire quelques mots du systeme
de 1'instruction primaire obligatoire, parce qu'un trop
grand nombre de nos amis politiquesme se~hlent étre
a cet égard dans une fácheuse erreur quand ils
demandent que l'on introduise chez nous des moyens
coercitifs, empruntés a d'autres pays qui s'accommo-
dent des réglem.entations autoritaires et au hesoin se
courhent assez pour recevoir la schlague (1). Ce
systeme est contraire aux principes essentiels aun
vrai régime républicain, et opposé aux droits naturels


(i) Dans plusieurs États allemands, oú la loi déclare l'instruc..
tion obligatoire, elle interdit le mariage aceux qui ne possédent
pas un certain mínimum de fortune. Dans la France monar-
chique, le pouvoir s'était srrogé ce droit ~ l'égard des offíciers
de l'armée.




CHAPITI\E 111. 65
dont un pere de famille, comprenant toute la dignité
de eette qualité, ne doit jamais se laisser déposséder,
pareequ'ils sont indispensables a I'accomplissement
de ses devoirs. C'est assurément, pour un pero, un
devoir sacré, un des premiers devoirs, d'élever ses
enfants le mieux qu'il croit pouvoir le Iaire, et par
conséquent de leur donner l'instruction que compor-
tent Ieur condition, leurs facultés et leur destination.
Mais c'est la un de ces devoirs de conscience comme
beaucoup d'autres, comme ceux de leur donner de
hons exemples, de bons conseils, de honnes directions,
oú le pouvoir social n'a rien a voir parce qu'il n'est
pas institué pour faire accomplir cet ordre de devoirs,
et qu'il serait d'ailleurs impuissant pour cela. Ce que
l'autorité gouvernementale peut et doit faire, e'est de
meUre a la portée de tons des moyens d'instruction,
et e'est la ce que .nous demandons qu'elle fasse ; mais
forcer les gens a en user par une coaction directe,
par des peines de la nature de celles qui sont édictées
contre les délits et les crimes portant atteinte aI'ordre
extérieur, cela aboutirait a ce résultat de faire haír ce
qui est naturel1ement aimé, de faire éviter ce qui doit
étre recherché : on n' oblige personne a accepter un
bienfait; cal' le hienfait, ainsi imposé, change aussitót
de nature ponr se transformer en injurieuse violence.
Est-cé que le besoin et le désir innés de savoir, est-ce
que la teudresse naturelle qui porte les peres et meres
aprocurer le bien de leurs enfants, ne sont pas des


5




C!iAPI'I'Il.E nr.


stimulants plus actifs que toutes les prescriptions
légales, la OU le législateur a eu la sagesse d'offrir a
tous des moyens suffisants dinstruction et d'organiser
l'état social dans le hut d'amoindrir loujours davan-
tage cette extreme misere qui condamne tant depau-
vres étres arester plongés dans les ténebres? Croit-on
que le prolétaire intelligent et honnéte, qui n'a pas
été al'école, ne souffre pas de l'état d'ignorance oú il
se sent et de la difficulté d'en sortir faute d'avoir été
pourvu des instruments de l'éducation premiare? Qui
ne l'a pas entendu maintes fois s'écrier douloureuse-
ment? « Je ne veux pas que mes enfants soient des
« ánes comme moi » (1). Enfin, le systeme de l'instruc-
tion obligatoire a un défaut capital, que ne paraissent


(i) Un écrivain anglais faisait derniérement ces réflexions
pleines de sens : « Self preservation and parental love we believe
« to be more powerfullaws than any that could be enacted, and
« we think that the people who can be educated under the
« emulation of liberty will be more ready to listen to the voice
« ofpacific progress and human brotherhood than the people who
« will just learn tho read and to write under the uniform
« system of a compulsory governmental school. Whatwe want
« to see is the natural development of mankind in its multi-


farious diversity, not the artificial sarneness of the Prussian
« grenadier type, so much accustorned to obey the bidding oí
« their chiefs, We want the diplomacy of the future to look
« more to the nations than to the governments, and the les')
« governments are put in the position oí benefactors and
« educators, the less they will be looked upon as guides. Men
« natural1y hate everything that is forced upon them. Shall uie
« gflJtthem r6asnn to hate ~ucation? (The intenuuiono: Courier,
ne du U; février 4865.)




ctíAPlTRE Il1. 67
pasvoir la plupart de ses partisans : il est voisin ot
parent de celui qui a été trop longtemps en vigueur,
qui l'est encore en trop de pays, et dans lequel le
pouvoir social se croyait chargé de pourvoir au salut
des ames en imposant des croyances et des pratiques
religieuses.


Je viens de montrer que l' on ne devait pas décréter
l'obligation de l'instruction, parce que c'est une me-
sure essentiellement mauvaise, J'ajoute maintenant
que, si l'on était assez mal inspiré pour en venir la ,
l'exécutiou de cette mesure souleverait non pas seule-
ment des difficultés mais des impossihilités de tout
genre. Porter une loi est facile ; mais il ne l'est pas
également de pourvoir aux moyens de lafaire exécu-
ter. Le systeme de l'instruetion obligatoire suppose le
droit, de la part de l'autorité, de pénétrer partout oú
se distribue cette instruction, écoles publiques, écoles
privées, foyer domestique. Pour les écoles publiques,
créées par l'Etat , entretenues ases frais et adminis-
trées en son norn , personne ne pense a lui contester
la faculté de réglementer, d'inspecter, d'examiner, etc.
Il n'en est plus de méme quand il s'agit des éeoles
privées ou de l'enseignement de famille. Ainsi qu'OIl
le yerra tout al'heure, l'enseignement privé doit dé-


.sormais étre véritablement libre et par conséquent
débarrassé entierement de ces diverses sortes d'inspec-
tions exercées par l'autorité et sans lesquelles l'instruc-
tion obligatoire n'a plus ni moyens sérieux de con-




68 CHAPITRE ni.
tróle ni sanction r d'OU il suit que ceux de nos- amis
qui demandent que I'instruction soit ohligatoire, iTe
s'apereoivent pas qu'ils demandent par la méme le
maintien de ces entraves. Pot qu1ils plaident par consé-
quent contra la cause de laliherté..C'est bien pis quand
il s'agit de l' enseignement domestique. 11 est tel pere
aqui il ne convient d'envoyer ses enfants ni dans les
écoles publiques ni dans les écoles privées ; il a pour
cela ses raisons, bonnes ou mauvaises, mais dont il
ne doit compte apersonne. Vous venez lui demander
s'il donne a cet enfant, dans sa propre maison, par
lui-méme ou par autrui, I'instruction premiare. Sup-
posons d'abord qu'il vous réponJe affirmativement.
Vous en rapporterez-vous asa déclaration? Maisquelle
garantíe avez-vous qu'elle est conforme a la réalité?
Ne vous en rapporterez-vous pas au contraire a sa
déclaration, et ferez-vous une enquéte pour vous' assu-
rer de sa véracité? Mais alors a quelles mesures into-
lérahles d'inquisition exercée dans l'intimité de la vie
de famille ne serez-vous pas obligés d'avoir recours It
Supposons en second lieu qu'il vous réponde que le
soin d'élever son enfant le regarde et ne vous regarde
paso Que ferez-vous? Vous le menacerez de l'amende
ou de quelque autre peine. E~ apres? Il résiste de plus
belle a votre coaction irritante. Vous introduirez-vous
de force dans son intérieur et lui arracherez-vous son
enfant commedans le cas oú un pere dénaturé assomme
ou affame le sien aux cris duquelles voisins appellent




CHAPITRE 1Il. 69
RQ, seeours ? Et si vous osez en venir acette extrémité
et:qu'il se laisse paisiblement enlever ce qu'il a de plus
cher j que ferez-vous ~" cet enfant désolé et efIrayé, a
qui il a défendu de répondre avos questions M qui se
conformera d'autant plus exactement a cette défense
flu'il aura plus de valeur intellectuelle et morale? Mais
admettons que cette défense n'ait pas été faite. Vous
allez soumettre l'enfant aun examen pour vous assu-
rer que le pere lui donne, dans la maison paternelle ,
parlui-méme oupar autrui, ou qu'il ne lui donne pas
l'instruction premiere. Mais sur quoi, je vous prie,
portera cet examen et jusqu'a quelle limite le pousse-
rez-vous ? Est-ce que cet enfant eonnait vos program-
mes et vos méthodes ? A ses réponses pleines rl'hésitu-
tion et de trouble dans une situation aussi insolite, vous
allez le prendre ponr un idiot quand il est peut-étre
au fond supérieur aux perroquets de vos écoles. Et
puis, qu'est-ce que l'instruction élémentaire rigoureu-
sement nécessaire? Y a-t-il rien de plus vague? Vous
indiquerez des limites. Lesquelles? Tout cela est le
comble del'arbitraire. Et si l'enfant vous paralt n'étre
pas arrivé aces limites, que ferez-vous? Je vous vois
lá, enpunition de votre systeme, plus inintelligent
encore que tyrannique, au milieu des tortures de la si-
tuation la plus embarrassante et la plus impossible. A
toutes ces considérations qui tranchent la question en
príncipe, je pourrais ajouter qu'elle est résolue en fait
de la facón la plus victorieuse. On sait qu'il n'est pas




70 CHAPITl\t 111.
un pays au monde OU l'instruction élémentaire gratuite
soit plus grandement organisée, plus généreusement
offerte et plus universellement acceptée et répandue
que dans les États du nord des Etats-Unis américains.
Or on s'y est bien gardé de la déclarer obligatoire.
Elle est offerte a tous comme un bien quechacun est
Iaissé libre de refuser, et tous s'empressent de l'accep-
ter. 11 ne vient al'esprit de personne qu'on ait pu eom-
mettre la faute de l'imposer comme une charge ; car
on sait trop bien, dans ce pays de liberté, que ce serait
un moyen infaillihle de la discréditer et d'en éloi-
gner. Je conc1us que toute mesure de contrainte pro-
prement dite, appliquée a11 devoir du pere de famille
de donner a Ses enfants I'instruction premiere, non-
seulement violerait le droit natural, mais compromet-
trait la cause qu'elle prétendrait servir et iraít centre
son but, et qu'il ne faut par conséquent chercher ni
d'autre remede au mal de l'ignorance sctuelle que la
muItiplication et la diffusion desmoycns d'instruction
mis gratuitement ala portée de tous, ni d'autre garan-
tie contre le danger auquel cette ignorance peut
exposer l'ordre social que la sage mesure dont j'ai
parlé plus haut et qui ne reconnaitrait la capacité né-
cessaire al'exorcice des droits politiques qu' a. ceux qui
savent au moins lire et écrire et qui en fourniraient la
preuve dans la forme que j'ai indiquée.


C'est déplacer la question presente que de montrer
que, dans tel autre pAys, le nombre des personnes qui




7f
ne savent ni lire ni écrire, cst de heaueoup inférieur a
ee qu'il est encore en France. S'il y a parmi nous des
gens regrettant au fond de leur ereur les hienfaits de
l'ignorance, c'est-a- dire les avantages personnels
qu'eux ou lenrs ancétres en retiraient, on n'en ren-
centre plus guere qui osent avouer de tels regrets : il
demeure done entendu que nous sommes presque tous
persuades que l'ignorance est en soi une chose mau-
vaise, et que la société doit prendre des mesures pour
la combattre. Le tout est de savoir prendre des mesures
sages et efficaces; 01' je crois avoir prouvé que celle
qui déclarerait l'instruction obligatoire est loin de
préseuter ces qualités, Parmi les partisans mémes de
cette mesure, ilen est qui, forcés de reconnaitre l'im-
possihilité de la mettre a exécution, se voient réduits A
dire qu' elle serait simplement comminatoire, et comme
telle, produirait toujours un peu debien aupresde quel-
ques personnes simples et fáciles aeffrayer. C'est pro-
poser au législateur de formuler des mesures qu'il
saurait dépourvues de sanction. Et l'on ne voit pas qu'en
fabriquant des lois que presque personne ne prend au
sérieux, on enseigne aux citoyens le mépris de la loi !
Est-il permis de se jouer ainsi de ce qu'il y a de plus
grave dans l'exorcice du pouvoir social? Quant aux cal-
culs trop exacts sur les nombres de nos illettrés et aux
compáraisonspar lesquel1es on cherche áhumilier notre
vanité nationale, cela reste a l'état de pure déelama-
tion, tant qu'on n'aborde pas la question par son coté




'12 CHÁPITRE 111.
pratique, Les sommes réc1amées par les besoins de
1'Instruction publique ne sont pas la dixieme partie de
celles qu'absorbent des dépenses dont il ne faut pas se
lasser de demander la suppression. Que ron m,ette
1'instruction a la portée de tous en la rendant vérita-
hlement gratuite, et bientót tous sauront au moins lire
et écrire : alors on dira partout qu'il a suffi d'ouvrir a
cette généreuse nation les portes de la science pour
qu'elle s'y précipitát, tandis que telles autres ont dú
étre forcées a y entrer par la menaee de la prison et
de l'amende. Quand nous en serons la, il n'y aura plus
ainscrire en compagnie des populations les plus attar-
dées celle qui passe atort ou a raison pour la plus spi-
rituelle, el l'on n'osera plus écrire, dans des journaux
prétendus libéraux, que ceux qui ne veulent pas d'in-
strnction obligatoire, sont ennemis de la cause du pro-
gres.


L'Instruction publique devra étre gratuite a tous
les degrés ainsi que toutes les épreuves destinées a
constater la capacité (i). Il ne manquera pas d'objec-


(t) La Convention avait décrété l' entiére gratuité de l'instruction
primaire; mais, sous le Consulat, Bonaparte fit restreindre le
bénéfice de la gratuité a une partie seulement de la population.
Avant la Révolution, pre~que tous les colléges distribuaient
l'instruction secondaire entiérement gratuite aux externes. Ai-je
besoin de faire observer que cette. expression gratuite ne veut pas
Jire que l'instruction puhlique ne contera ríen :\ personne ? On
yerra plus loin qu'elle nécessitera au contraire des frais considé-
rabies de la part soit de l'Etat, soit des communes, soit des asso-
ciatious particulieres, )Iai:3 ces dépenses serontles plus nécessaires,




CHAPITRE 111. 73


tions contre ce systeme. Je ne m'arréte pas acelle qui
consiste a dire que la dépense serait trop forte : on
yerra plus loin qu'un large hudget de l'Instruction pu-
blique peut tres-facilement figurer aux premiers rangs
des dépenses de la République. Mais il est une autre
ohjection plus sérieuse et (lue je dois prévenir. Pour-
quoi, dira-t-on, au lieu de se borner adonner gratui-
tement l'instruction aux pauvres, la donner aussi aux
riches? Le voici. D'ahord, entre l'indigence propre-
ment dite et la richesse ou méme simplement l'aisance,
il ya, pour le grand nombre, une gene habituelle ou
accidentelle, qui ne permet pas d'acheter l'instruction
premiare indispensable a tous et eneore moins l'ins-
truction supérieure alaquelle la Joule des exclus d'au-
jourd'hui pourrait fournir ses sujets les plus distin-
gués, En second lieu, l'instruction ofIerte gratuitement
aux indigents seuls revét alors et par cela méme le
caractere d'une aumóne humiliante, ce qui d'une part
avilit la chose et ceux qni l'acceptent, et de l'autre la
fait reponsser avec un sentiment de défiance ou de
juste susceptihilité par ceux a qui elle serait le plus
nécessaire ou qni en seraient souvent les plus dignes.
Tous ces inconvénients disparaissent dans le systeme
de I'absolue gl'atuité de l'Instruction publique a tous


les plus utiles et les plus recommandables qui aient jamais été
faites, Chacun y contrihuera dans la mesure de la quote-part
qu'il apporte aux caisses comruunes , et lous pourront en
recueillir les bienfaits.




CfJAPlT:RJ: 111.


les degrés : ee n'est plus alors une aumóne, mais une
dette , acquittée indistinctement envers toutes les
classes de citoyens et distrihuée aux frais des caisses
de l'État oudes communes , caisses oú tous , riches et
pauvres, apportent Ieur contingento Si quelques-uns
pensaientá se plaindre de n'avoir plusle privilége de
la haute instruction et d'étre exposés a coudoyer sur
les bancs des colléges et des Facultes les fils de l'arti-
san, ce serait un tres-petit malheur dont la Répu-
hlique n'a pas a prendre souci, Qu'on ne s'imagine
pas du reste qu'il s'agisse ici de faire une nation de
savants et d'encomhrer les carrieres dites lihéralss de
plus de médiocrités qu'elles n'en possedent déja,
L'instructionsupérieure sera comme l'instruction pri..
maire offerte a tous, elle ne sera imposée a personne,
et ceux qui y prendront part composeront toujours
par la force méme des choses le petit nombre; mais
nul ne pourra se plaindre d'en étre exclu autrernent
que par des causes ou volontaires ou auxquelles per-
sonne ne peut rien. Quant au flot de médiocrités
que l'on croit d'avance voir déborder, c'est une chi-
mere dont on s'effraie sans raison ; celles qui surchar-
gent la société actuelle, sont le fruit des régimes du
passé. Quand I'instruction est peu répandue, le demi-
savoir se pavane al'aise devant une foule ignorante,
et le meilleur moyen de le mettre asa véritable place
et de faire que le mérite réel se classe a son rang, est
précisément dans une plus grande diffusion des lu-




CHAPIT.RE lIJ. 75
mieres. 01' tel est le but de la mesure que je propose.
Il faut au surplus se garder d'une illusion fort com-
mune aujourd'hui. L'instruction est sans doute un des
plus pnissants instrumenta de moralisation ; mais ,
dans certaines conditions , elle peut n' étre qu'un ins-
trument appliqué au mal. Quand on aura appris alire,
écrire et compter, aun homme qui sera d'ailleurs abéti
par le fait d'une fausse éducation religieuse , ou COI'''
rompl1 par l'influence des mauvais exemples qu'il aura
en! 80Ug les yeux, non-seulement on n'aura pas avancé
mais Ot1 aura reculé dans la voie du véritable progres;
car cet homme usera du peu qu'il saura pour s'abétir
ou Sé corrompre encoré davantage. La question de
l'édueation importe done plus encore que celle de l'in-
struetion , et la bonne éducation ne peut demandar de
saines directions qu'a une religion rationnelle , autre
que lee religions du passé. Que doit étre cette religión
de I'avenir ?J'ai fait ailleurs de eette question l'objet
d'une étude spéciale (f ).


Les colléges d'aujourd'hui , appelés communaux,
peuvent continuer d'étre a la charge des villes OU ils
sont établis. Toutefois la 10i devra fíxer les minimums
des traitements des professeurs, en sorte qu'on n'ait
plus le spectacle ignoble de eonseils municipaux mar..
chandant le prix du travail des plus honorables fonc-
tionnaires et délihérant sur le sort de leurs familles.


(1) Bénovation ftligitrUle, 4e édition, Paris, 1870.




76 CH.A.PITRE 111.
Mais les étahlissements d'instruction primaire, intéres-
sant l'immense majorité des citoyens, ont trop d'im-
portan ce pour étre laissés ala charge des eommunes,
la plupart des communes rurales étant trop pauvres
pour faire aux instituteurs le traitement convenable
que la République doit enfin leur assurer. C'est done
l'État qui doit désormais se charger de ce traitement.
Outre I'instruction élémenlaíre et générale ,qui sera,
jusque dans le dernier village, mise a la portée de
tous, il faudra organiser, dans toutes les villes, des
eours publics, analogues aeeux du Conservatoire des
Arts et Métiers, et que les ouvriers puissent suivre le
soir apres leur travai1. 11 faudra également multiplier
et mettre a leur disposition les bibliotheques publi-
ques, qui devront désormais étre ouvertes, tous les
jours de l'année, avec séances du soir telles qu'elles
existent déjá ala Bibliotheque Sainte-Genevieve. Si
le personnel actuel du service des hibliotheques est re-
connu insuffisant (1), qu'on l'organise en conséquence


1i) 11 s'en faut qu'il en soit ainsi dans plusieurs grandes
bibliothéques de Paris surtout, qui sont surchargées d'un haut
personnel de luxe, au détriment du service et des fonctionnaires
subalternes et utiles. Puisque j'en trouve ici I'occasion, je signa.
lerai un abus, celui du prét des livres a I'extérieur, qui doit étre
absolument interdit. Il arrive achaque instant qu'aprés avoir
demandé un ouvrage et avoir perdu une heure a l'attendre, vous
receviez cette réponse: absent; ce qui veut dire, si ron s'est
bien véritablemént donné la peine de lechercher la oú i1 devrait
étre, que le livre est chez Monsieur un tel, qui est trop grand
personnage pour venir coudoyer a la table commune le public




mtAPITft~ m. 17
des nouveaux besoins : en présenee d'un immense in-
térét comme celui de l'instruction d'un peuple, on ns
s'arréte pas devant des questions de mesquine écono-
míe. A Paris, les palais de la monarchie, rendus au
seul véritable Souverain, ala nation, ne sauraient étre
affectés plus convenablement qu'á des cours publics,
a des bibliotheques et ades collections scientifiques.
J'en dis autan t des cháteaux nationaux des provinees
et de ces somptueuses résidences OU s'étalait le luxe
des préfets et des évéques, et qui deviennent disponi-
bles quand nous ne devons plus avoir, ainsi que je le
ferai voir plus loin (chapitre IX), ni évéques it notre
charge ni hesoin de préfets.


A coté de l'instruction publique et comme un sti-
mulant qui lui est nécessaire pour l'empécher de s'en-
gourdir dans l'orniere de la routine, que le privilége
ereuse toujours sur sa voie, l'instruction privée doit
étre laissée absolument libre a tous les degrés , et
ponr qu'elle le soit véritablement, il est nécessaire de
faire disparaitre désormais toutes ces entraves qu'uue
législation, tour a tour franchement despotique ou hy-
pocritement menteuse dans son demi-libéralisme, a si
longtemps maintenues, entre autres la prétention, de
la part de l'autorité, d'attacher des conditions de


des travailleurs. Il arrive de la que des établissements créés pour
l'usage de tout le monde et dont tout le monde fait les frais,
sont détournés de leur destination au profit de quelques privi-
légiés.




78 ClU.PITItE nt.
grades a l'ouverture des écoles privées et d'y ordon-
ner des inspections destinées soit acontróler les études,
soit a interroger, compter et enregistrer les éleves.
Les écoles privées De seront soumises ád'autres con..
ditions de grades, d'études, d'examens , que eelles
qu'elles voudront s'imposer; elles ne connaitront d'au..
tres juges de leur constitution et de leurs résultatsque
le public des familles qui croiront devoir s'y adres-
ser (f). Une des premieres choses afaire est d'abroger
les Iois qui ont mis le clergé en possession de l'éduea-
tion nationale, n'accordant de la liberté que le mot et
organisant, dans les étahlissements mérnesde I'Etat ou
des communes, la plus intolérable oppression (2). A


(i) Dans un Mémoile sur finstructionpublique, publié en t83f,
je réclamais déja la liberté d'enseignement, et je demandáis que
les instituteurs privés ne fussent soumis a aucun genre d'inspec-
tion de la part de l'autorité ; mais je voulais qu'ils fussent assu-
jettis a des conditions ayant pour but d'établir leur moralité et
leur capacité. Trente-neuf ans de nouvelle expérience m'ont forcé
de reconnaitre que ces conditions, ces prétendues garanties
centre des ahus qui peuvent étre plus efficacement prévenus ou
légalement réprimés, n' établissaient ni la moralité ni la capacité,
et ne tournaient qu'au proflt d'un pouvoir qui n'était ni moral
ni capable. Je me prononce aujourd'hui pour la liberté la plus
illimitée de I'enseignement privé, tout en demeurant partisan
d'un enseignement public, mais organisé autrement que comme
instrument de ce mono poIe gouvernemental d'instruction et
d'éducation, institué par le fondateur de l'Université.


(2) C'est du reste une conséquence de la grande et indispen-
sable mesure de la séparation de l':i!:tat et des églises, dont il
sera parlé au chapitre IX. Quelques-uns de nos amis politiques,
partisans en príncipe de la liberté d'enseignement, mais effrayés




CHAP1TRB IlI.


l'époque oú ces lois ont été préscntées par les hornmes
qui avaient recu de Louis-Napoléon la mission de livrer
l'Instruction publique au clergé pour prix de l'appui
qu'il en avait recu dans son élection ala Présidence, on
mettait en avant le prétexte de secouer le joug de l'U-
niversité, Loin de s'exagérer le sentiment de sa force,
l'Université a en de tout temps trop de peur de I'in-
f1uence rivale du clergé, et trop de ménagements pour
ses prétentions envahissantes, si bien qu'un beau jour
elle s'est laissé mener par lui daos le défilé d'une hy-
pocrite légalité et inhumer toute vivante entre deux
votes par assis et levé, Puisqu'elle s'est abandonnée
elle-méme et qu'elle a fini par ne savoir ni vivre ni


a tort du partí que les divers clergés pourront en tirer, seraient
assez disposés ¡\ leur en refuser en fait le bénéfice. L'autorité des
clergés tenait surtout a leur position officielle dans l'Etat et aux
puissanís moyens d'action que mettait entre leurs mains un
hudget de 54 niillious. Dans un nouvel ordre de choses oú l'État
n'aura plus ni á commissionner ni a rétribuer les ministres des
cultes, ceux-ci devront pouvoir user de toutes les lihertés et de
tous les droits laissés aux autres citoyens. Cela est juste et
rationnel. Ce qui ne I'était pas, c'était une situation ou, la vraie
liberté de religión et d'enseignement n'existant pas, l'État insti-
tuait et rétribuait des clergés usant des moyens qu'ils en rece-
vaient pOUt' décréditer et ruiner ses propres établissements
d'instruction publique en méme temps que pour fausser ou
tyranniser Ies-consciences. Cette situation cessant et lapleine
liberté religieuse aidant, le nombre des ecclésiastiques se réduira
bientót, et leur influence pernicieuse actuelle ira samoindrissant
rapidement. Que la transition ait d'ailleurs ses difficultés, cela
n' est pas douteux; mais il faut savoir se résigner a, les combattre
loyalement au lieu de penser a les supprimer au mépris des
príncipes.




80 CBAPITl\E xr,
mourir honorablement, il ne s'agira ni de la rétablir
sur les hases primitives de son organisation despoti-
que, ni meme d'en conserver le nom ridiculement am-
hitieux, mais d'en recueillir les débris, Parmi ses fonc-
tionnaires il en est encere un hon nombre que la Ré-
publique saura utiliser; mais je me vois aregret forcé
de convenir qu'á de rares exceptions pres , ce ne sera
pas dans les rangs les plus élevés qu'elle trouvera le
plus de dévouement ases intéréts.


Supprimons, dans les ótahlissoments d'instruction
publique, et laissons a l'industrie privée l'exploita-
tion de ces pensiorrnats qui n'ont pas seulement l'in-



convénient de faire deseendre l'Etat et les communes


"


au róle de teneurs d'auberges, mais qui dissolvent
l'esprit de famille dans ce qu'il a de meilleur,dimi-
nuent l'autorité paternelle , affaiblissent I'influence
moralisante du foyer domestique et aident au reláche-
ment des meeurs par les facilités qu'ils offrent aux gens
aisés pour se dispenser de la peill~~, de remplir leur
premier devoir. La précoce corruption et trop souvent
la dégénérescence physique méme des enfsnts éloigués
prématurément de leurs parents et entassés dans les


, pensionnats est chose trop connue de ceux qui savent
~ observer pour que j'aie besoin d'insister. Les établis-


sements d'instruction publique ne doivent désormais
distribuer que la nourriture de l'esprit, et il faut que
nul autre soin ne vienne distraire de cette grande tache
ceux qui en sont ehargés. La suppression des pension-




CHAPITRE nr. 81
nats et I'entiere gratuité de toutes les études dans les
établissements d'instruction publique entraine heureu-
sement la suppression des bourses, qui n'ont jamáis
été, entre les mains du pouvoir, qu'une monnaie pour
acheter des votes, payer des actes de servilité et don-
ner aceux qui avaient déjá.


Le systeme général de ce que l'on appelle I'instruc-
tion secondaire, systeme si souvent remanié avee tant
d'inhabileté, devra étre ordonné de telle sorte que les
études de langues anciennes et. modernes, de littéra-
ture, d'histoire et de philosophie ne soient plus en
querelle perpétuelle avec les études assez mal nom-
mées scientifiques et naturelles, comme si toute con-
naissance n'était pas scientifique et naturelle. Il n'existe
aucune opposition réelle d'intéréts entre les divers
genres d'études véritables, qui ne sont que des aspects
divers de la science générale; elles s'aident récipro-
qaement et vivent en bon accord, pourvu qu'on leur
Iaisse leur lihertéd'allure, mais elles ne vivent jamáis
plus mal ensemble que lorsqu'on prétend les obligar
i:t marcher du méme pas et accolées les unes aux autres,
OIl ne jeltera done plus toutes les intelligences dans le
mérne moule, mais on rendra toutes les branches des
études facultatives , tenant ainsi plus de compte des
aptitudes spéciales et des destinations diverses. En un
mot on enseignera dans les colléges plus qu'aujour-
d'hui, mais on n'enseignera pas tout a tous. Qu'on ne
pensé pas IIue ce que je dis la ait ponr hut de recorn-


(i




8.2 tlIAPITRE IIi.


mander cet abus de spécialisation qui a doté I'époque
actuel1e de tant desprits exc1usifs et étroits, vrais ma-
nreuvres de la pensée, comparables a ceux de I'indus-
trie qui excel1ent a faire une tete ou une pointe d'é-
pingle, mais qui, u'ayant fait que cela toute leur vie,
ne sauraient produire une épingle entiere, Dans la
science comme dans l'industrie, la spécialisation est
une chose bonne en príncipe, nécessaire méme ; mais
il ne faut pas non plus qu'on la pousse' trop loin, Nous
avons assez de ces psychologues, littérateurs, histo-
riens, qui sont entierement étrangers aux sciences
physiques et naturelles , assez surtout de ces algé-
bristes, physiciens, naturalistes, physiologistes, qui
demeurent aussi étrangers aux sciences philosophi-
ques et morales que si elles n'existaient pas. Tous ces
gens-la, que l'on compte par centaines a1'Institut et
dans l'enseignement officiel, croient que toute la
science réside dans le petit coin oú ils se sont confinés ;
ils regardent avec mépris, par les lucarnes de leurs
cases respectives, les habitants des cases voisines, et
se tiennent réciproquement pour des sots (t). Ce n'est


(i) Je pourrais citer un nombre infini d'exemples de eette ten-
dance des savants de nos jours a se confiner chacun dans sa
spécialité et a ne rien voir au-dela. Je me bornerai ici a un seul,
et je ne le demanderai pas a la foule des savants; il me sera
fourni par un des plus distingues d'entre eux. Un géologue com-
menee un ouvrage en ces termes: ( Les montagnes qui acci-
« dentent et diversifient la surface du globe n'y sont pas répan-
« dues au hasard comme les étoiles dans le cielo Elles forment des




CHAPITRE ui. 83
done pas pour venir en aide él cette science déplora-
hlement fractionnaire, que je viens demandar que
toutes les branches des études soient désormais facul...
tatives. Je veux seulement rendre la liberté aux intel-
ligenees, bien sur qu'elles se dirigeront alors avec ar-
deur dans la plupart des voies oú le systeme actuel les
force iL entrer et qu'elles prennent d'avance en dé-
goút (i). Le grec et le latin, par exemple, ces deux
« groupes ou systemes dans chacun desquels une analyse rigou-
« reuse falt distinguer les éléments d'une ordonnance gené'rale
« dont les constellations célestes ne présentent aucune trace. »
(Notice sur les sustémes de montagnes, par M. Élie de Beaumont,
Paris, 1802.) Est-il concevable qu'un esprit aussi étendu et aussi
cultivé ait pu écrire de telles choses? Lorsque le peu que nous
savons du petit point qu'occupe dans les espaces célestes le
systéme auquel nous appartenons, nous en montre toutes les
parties aussi parfaitementcoordonnées les unes aux autres, aussi
étroitement liées dans leurs rapportset leurs mouvements divers,
et nous autorise si évidemment a admettre qu'il régne entre les
divers systémes célestes, qui ne sont que des parties de l'Univers,
la méme coordination, la méme liaison, la méme dépendance
mutuel1e que nous découvrons entre les parties de notre systéme,
comment peut-on venir dire que les étoiles sont répandues dans
le ciel au hasard et qu'elles ne présentent aucune trace d'une
ordonnance générale?


(i) Le régime impérial avait prétendu corriger les incon-
vénients de l'ancien systéme des études communes et toutes
également obligatoires par ce qu'il a appelé la bifurcation, pal-
liatif mal eoncu, plus mal appliqué eneore, imaginé dans le
double but de ruiner les études d'humanités, base de toute édu-
cation quelque peu distinguée, et de faire profiter de cette ruine
les sciences exclusivement dites eaactes, comme si toute science
réelle ne devait pas étre exacte ou qu'il püt y avoir quelque
science proprement dite qui ne le serait paso Le premier but a
été atteint et le second manqué: les lettres ont haissé et les




84 CHAPITRE 111.
belles langues sans lesquelles il n'y a ponr nous d'in-
struction un peu profonde ni en littérature ni en gram-
maire, et que ron n'apprend presque plus dans nos
colléges, y reprendront le rang qui leur appartient
lorsqu'elles seront cultivées librement et avec goüt,
On peut dire que c'est par l'influence méme du systeme
général des études secondaires que les médiocrités sur-
abondent et qu'il ne se produit presque plus de gran-
des capacités intellectuelles. Ces capacités de premier
ordre, ces esprits synthétiques, rassemblant les ra-
meaux épars de la science, cueillis en détail par les
travailleurs de second ordre, sont l'exception, j'en con-
viens, mais n'en sont pas moins nécessaires au progres
et a la coordination des connaissances humaines, qui
sans cela s'évaporent comme aujourd'hui en poussiere
impalpable (i).


sciences n'ont pas monté. A aucune époque ceux qui cultivent
les lettres ne sont demeurés plus étrangers aux sciences dites
naturelles, et jamais ceux qui cultivent ces derniéres sciences
n'ont écrit plus mal et n'ont montré plus de vulgarité dans les
sentiments et le caractére. Dans aucun systéme d'instruction, on
le pense bien, il ne peut s'agir de faire des jeunes gens autant de
ces génies qui n'apparaissent que de loin en loin et qui sont capahles
d'embrasser tous les ordres de eonnaissances humaines avee une
égale supériorité, mais bien d'étendre le plus possihle le champ
des divers travaux intellectuels sans nuire a aucun d'eux en par-
ticulier, et d'élever air.si la vue de l'esprit. 01' rien n'est plus
propre a faire atteindre ce but que la culture simultanée et
l'allianee bien ménagée de ce que l'on appelle communément les
leitres et les sciences.


(1) Dans un premier appendice, .le donne un aperen génél'al




r;HAl'ITRE 1Il. 85
Les Facultes moins celles de théologie, le Collége


de France, le Muséum d'histoire naturelle, l'Observa-
toire, l'Ecole normale, rEcole polytechnique, l'Ecole
des langues orientales, l'Ecole des chartes, l'Ecole des
beaux-arts, le Conservatoire des arts et métiers, les
Ecoles vétérinaires, l'Institut, I'Académie de médecine
et les Bibliotheques doivent étre conservés. Mais ces
établissements fourmillent d'abus et demandent des
réformes tellement nomhreuses que je ne saurais pen-
ser aen donner le détail. Je dirai seulement quelques
mots des plus urgentes. Dans aueun service public le
cumul des fonctions n' est porté aussi loin que dans
le haut enseignement. La plupart des professeurs des
Facultés, du Collége de France, du Muséum, de 1'Ob-
servatoire, des Ecoles des langues orientales et des
chartes, comme aussi des Ecoles normale et polytech-
nique, du Conservatoire des arts et métiers, des Ecoles
des Mines et des Ponts, ont plusieurs fonctions. Il faut
une bonne fois mettre fin ace scandale. Que ceux qui
sont chargés d'un enseignement dans ces établisse-
ments, s'y livrent désormais tout entiers. Si les chaires
ne sont pas suffisamment rétribuées, qu'on les rétri-
hue mieux. Je ferai observer toutefois qu'il y a plus a
perdre ponr les hommes d'étude a s'enrichir qu'á vivre


sur I'organisation de l'enseignement secondaire. Je l'extrais d'UD
programme que m'avaient demandé, il ya quelques années, des
citoyens de Genéve pour la fondation projetée d'un colléze
rationaliste.




86 . CHAPITRE IIJ.
dans une modeste obscurité. Le nombre des lecons que
donnent les professeurs du Muséum et du Collége de
France estbeaucoup trop restreint, et plusieurs trouvent
encore mille moyens de le raccourcir. Il Ya longtemps
qu'on se plaint et toujours en vain du sans-gene avec
lequel ces Messieurs traitent le public, qui n'a pas été
créé pour eux mais pour lequel ils sont faits. L'Ecole
normale, qui serait mieux appelée Ecole d'enseigne-
ment publio, et qui a été créée, en 1794, par la Con-
vention S0118 forma de simple externat, puis établie en
pensionnat par Bonaparte en ISOS, devra étre de nou...
veau constituée en externat. Les cours devront étre
publics comme eeux des Ecoles spéciales des études
mathématiques et physiques et des travaux publics,
dont i1 sera parlé ultérieurement. Quoique les mots
importent moins que les choses, les établissements
appelés du PQm de Faculte«, nom aussi suranné que
celui d' Unive'l'sité, seraient mieux appelés simplement
Ecoles de, droit 011 de médecine et Eeoles des seiences


-- . ~


ou des lettres. L'Institut devientsouvent et contraire-.
ment a sa destination le tombeau de la seience et de
l'art, On sait qua ce n'est pas nécessairement la que se
forment les hommes de génie, mais qu'ils vont quel-
quefois s'y éteindre. Il faut reconnaitre cependant que
cet établissement peut donner une impulsion utile aux
travaux intellectuels; on ne saurait done penser a le
supprimer, mais seulement a changer sa constitution
actuelle, Que ce soit désormais un corps de philoso-




4:HAPITRE IlI. 87


phes, de naturalistes, de littérateurs, d'érudits et d'ar-
tistes se recrutant et s'administrant Iibrement, etsans
cette intervention de l'Etat, qui n'avait un sens que
sousle régime monarchique. J'en dis autant de l'Aca-
démie de médecine. Les membres de ces compagnies
savantes, redevenant maitres de s'organiser comme ils
l'entendront et n'exercant point d'ailleurs a ce titre
une fonction publique proprement dite, u'ont plus des
lora áétre pensionnés par l'Etat (i). L'Académiedes
sciences tient comme celle de médecine ses portes
ouvertes au public; ses quatre sreurs out la un boa
exemple asuivre,


Ceque j'ai dit jusqu'ici de 1'intervention de l"'État
dans l'Instruction publique et des moyens d' organi-
sation de l'éducation nationale, ne regarde directe-
ment que les hornmes. Mais l'éducation et I'instruc-
tion des femmes! N'y a-t-il done rien a faire 'ici? Au


(f) L'Institut coüte (budget de f 869), indépendamment du local
et dumatériel, 661,200 fr. par an, dont 390,300pour le personnel
des cinq académies, et 270,900 pour travaux, publications, prix
et frais diverso L'Académie de médecine coüte annuellement
45,500 fr., dont 28,000 pour le personnel. En continuant d'ac-
corder les suhventions relatives aux publications, prix et frais
divers, et de concéder l'usage des hátiments et du matériel, l'État
se montrera encore généreux. Mais la dignité méme de l'Institut
et de l'Académie de médecine est intéressée a ce qu'on retire les
~f8,300 ·fr., distribués en traitements et indemnités aux divers
membres, riches pour la plupart ou exercant des fonctions riche-
ment rétribuées, et qui doivent se sentir humiliés d'étre attirés a
leurs doctes séances par l'appát d'un jeton <te présence.




88 CH.\l'iTln: ur.
eontraire Üy a tout a faire. Tant que I'éducation fri-
vole, donnée aux femmes et qui est quelquefois pire
que l'ignorance méme, ne sera pas remplacée par une
éducation sérieuse et forte, elles continueront d'étre
la proie des prétres et des libertins, et avec des femmes
bigotes ou dissolues, souvent meme a la fois bigotes
et dissolues, n'espérez pas avoir une nation granda
et libre. Mais ce qu'il y a a faire pour sortir de
la situation présente, ce n'est pas seulement al'État
qu'il appartient de le faire directement, c'est a tous el
aehacun, el cela autrement que par l'établissement
de ce que ron appelle des écoles spéeiales de fílles.
Les femmes ont une répulsion naturelle pour ces
écoles et pour la forme pédantesque sous laquelle la
science s'y distribue. Quelque chose d'instinctif et de
stir leur dit que ces exorcices classiques, qui mettent
en jeu l'amour-propre et surexcitent, sous prétexte
d' émulation, une ambition précoce, et qui convien-
nent peut-étre aeelui des deux sexes qu'attendent les
luttes de la vie extérieure, ne sont pas leur fait a elles,
et que c'est surtout a la maison que l'ceuvre de leur
éducation doit s'accomplir, Je signale particuliere-
ment ces pensionnats de demoiselles, exploités par l'in-
dustrie religieuse, et OU les .jeunes personnes. des
classes plus ou moins élevées sont censées recevoir
une éducation plus distinguée que celle du COIDmUIl.
La iI y a absence aussi complete que dans tontes les
autres peole¡; de femmes de tnut enseignement suh ...




CHAPll'RE lIT. SH
stantiel; mais 011 y vend cherement une lit térature
reme fouettée, qui rend ces pauvres jeunes filles af-


folées des feuilletons vides, des romans échevelés et
des pieces corruptrices du théátre ; on y débite une
fausse élégance qui est le contre-pied méme du bon
goút et du véritable bon ton; on y dresse enfin aun
caquetage prétentieux, qui fait ses premiers exercices
sur les petites méchancetés du couvent, pour s'exercer
plus tard en grand dans ces conversations perfides oú
des langues acérées distilleront sur les réputations le
venin de la médisauce et de la calomnie. Combien
seraient justement punies, si elles étaient seules a en
.souffrir, ces meres qui abandonnent ad'autres le soin
de former le cceur de leurs filles, et qui croient pou~
voir acheter la dispense de l'accomplissement d'un
teldevoir! Les pensionnats de demoiselles devront
sans doute étre laissés parfaitement libres comme
tous les autres établissements privés; mais nous de-
vons éclairer l'opinion publique sur la valeur réel1e
de ces industries, et travailler de toutes nos forces a
háter le moment oú elles seront abandonnées (1). Mais
quand et comment arrivera cette époque? Elle vien-
dra naturellement ou plutót elle sera venue déjá le


11) La sévérité de ce jugement ne m'empéche point de reeon-
naltre qu'il existe quelques rares écoles tenues par des femmes
trés-méritantes, aussi instruites que modestes et se contentant
de faire le bien dans l'obscurité et sans bruit comme sans proflt.
Mais celles-la n'étaient ni recommandées par le clergé ni des
mieux notées dans les états officiels d'inspection.




90 CHAPITRE III.
jour OU chaque foyer domestique sera eonverti en une
école, et oú les hommes de toutes les classes seront
relativement assez instruits pour aimer arépandre leur
savoir autourd'eux et surtout ale communiquer aleurs
femmes, a leurs filles et a leurs sceurs. Alors le SY5-
teme actuel , si l'on peut appeler cela un systeme, de
l'éducation des femmes sera eomplétement changé,
En attendant l'époque oú toutes les femmes pourront
recevoir a la maison l'instruction qui leur est si né..
cessaire, nous n'avons pas a nous inquiéterpour
celles, d'ailleurs relativement peu nombreuses, qui
étant favorisées par la fortune, auronttoutes sortes de
moyens d'y suppléer, Mais ce qui doit nous préoccu-
per et nous intéresser au plus haut degré, c'est la
condition des femmes soit des villes soit des cam-
pagnes, appartenant aux classes inférieures et peu
aisées.Lá le moment est encore éloigné oú elles pour-
ront recevoir quelque instruction dans le sein méme
de leurs familles ; il faut pour cela que les hommes
sortent eux-mémes de cette ignorance oú ils sont en-
core ensevelis, Transitoirement done il faudra aviser
a ce que les instituteurs ouvrent des classes particu-
lierement destinées aux femmes et en dehors des
heures qu'ils consacrent aux hommes (J).


(i) Voici une indication du minimum d'instruction qui devra
etre mis a la portée des femmes mémes qui sont le plus maltrai-
tées par la fortune et qui composent nécessairement l'immense
majorité : la connaissance des príncipes de la langue francaíse,




CftAPITRE IU. 91


la science raisonnée du calcul arithmétique, les principales no-
tions des sciences naturelles et les grandes applications de
la philosophie a la morale. Joignez a cela, comme moyen
d'éducation esthétique, le dessin au moins linéaire et la mu-
sique vocale. Quant a celles qui auront plus de loisirs par le
privilége de leur condition, elles ajouteront a ce fonds commun
et selon leurs aptitudes et leurs goüts divers, les études plus
étendues ou plus élevées, comme l'histoire naturelle, les langues
non-seulement modernes mais anciennes, la philosophie et I'his-
toire éclairée par le flambeau d'une sévére critique, enfin, parmi
les arts, le dessin ombré, la peinture et la musique instru-
mentale,




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CHAPITRE IV.;


ASS1STANCE PUBLIQUE.


J'avais pensé d'abord aproposer de faire de I'assis-
tance publique une annexe du service de l'Instruction
publique, et c'est la raison pour laquelle je laisse ici
les considérations qui s'y rapportent. Mais il m'a paru
en dernier lieu qu' elle pourrait étre administrée soit
par les commissions départementales dont il sera
question au chapitre IX, soit peut-étre plus simple-
ment et °mieux encore par les autorités municipales
déjá en possession de la direction des institutions fort
imparfaites de hienfaisance, déja existantes, Quelle
que soit l'idée qui prévaIe acet égard, iI n'y aurait a
décider qu'une question d'attribution ; ce qui importe
surtout, c'est que le service soit créé et organisé.


L'impossibilité oú l'on est, dans l'état social, de se
procurer beaucoup de choses soit utiles sort méme
nécessaires, autrement qu' en les aehetant, se concoit,
Mais qu'il faille payer celui qui connalt ou qui croit
connaitre le moyen de nous délivrer d'un mal, et a
qui nous demandons de nous 1'indiquer, cela est aussi




94 CHAPITRE IV.


odieux que s'il nous fallait payer celui a qui nousde-
mandons de nous montrer notre chemin lorsque nous
sommes égarés (I). Le corps a besoin de santé eomme
l'esprit a besoin de vérité, Ce sont la deux choses qui
ont trop de valeur pour étre mises a. prix : elles ne
doivent done pas se vendre mais se donner; cal' ceux
qui ne pourraient pas les acheter seraient condamnés
a s'en passer, et personne ne peut étre justement eon-
damné a se passer de ce qui est de premiere et ah-
solue nécessité. 01' on ne saurait, aujourd'hui du
moins et de longtemps encore peut-étre, se reposer
sur les particuliers du soin de procurer ces deux
choses a ceux qui en sont privés. C'est done un des
principaux devoirs de la société de pourvoir a ce que
tous puissent les recevoir gratuitement. Mais, eomme
ceux qu'elle chargera de l'exercice public de la mé-
decine ainsi que des diverses sortes d'enseignement,·
en leur imposant l'obligation rigoureuse de s'ycon-
sacrer ontierement et en faisant d'eux par conséquent
de véritables fonctionnaires, peuvent n'avoir pas
d'autre moyen d'existence que Ieur travail, elle devra


(tI Bien de plus sensé que eette eomparaisondu vieux poéte
et historien latin Ennius. Un flambeau ne eontinue pas moins de
uire pour avoir eommuniqué sa lumiére a un autre flambeau :


« Horno qui erranti comiter monstat viam,
« Quasi de suo lumine lumen accendat, facit
« Nihllominús ut ipsi luceat quum illi accenderit. »


(Fragment conservé par Cieéron, De officiis, livre i er.)




CHAPITRE IV. 95
les rétrihuer convenahlement (i ). Cela fait, il de-
meure hien entendu que la plus entiere liberté devra
étre Iaissée soit a l'enseignement privé de tous les
degrés et de toutes les sortes, soit a l'exercice privé
de la médecine, a· l'usage de ceux a qui il plairait
d'acheter ce qui serait offert a tous pour rien et dans
des conditions d'incontestable supériorité (2). J'ai déjá
fait remarquer que cette libre concurrence était d'ail-
leurs indispensahle pour tenir constamment a leur
hauteur de pareils services publics, et pour empécher
~--------------------..


(J) Les associations particuliéres peuvent dans une certaine
mesure accomplir une partie de cette tache. Mais l'État seul peut
remplir grandement et complétement ladouble obligation de
pourvoir a l'instruction et ala santé publiques. Quelque élevée
que puisse étre la somme qu'il yaffectera annuellement, jamais
ses ressources n'auront été mieux employées. En se chargeant
lui-méme des traitements des instituteurs et des médecins publics,
il devra mettre ala charge des communes l'établisscment et l'en-
tretien de maisons et de mobiliers d'écoles, et de bibliothéques
communales, ainsi que les frais de distribution de secours á
domicile, dont je parlerai tout a l'heure. Les obligations des
communes a cet égard devront étre réglées par la loi et non point
abandonnées a l'arbitraire et a la mesquinerie des localités,


(2) L'exercice de la médecine privée doit étre débarrassé de
'toutes les formalités et conditions de grades. Ce systéme d'entiére
liberté paraitra exorbitant a certaines personnes timorées ou
inconséquentes, qui s'attendront avoir I'art de guérir envahi par
un débordement de charlatans, quoiqu'il soit évident que
jamais systéme n'en produira plus que le systéme actue1. Mais
cela n'est que la conséquence du principe de liberté; car une pré-
tendue liberté assujettie ades entraves est un leurre. Quand un
principe est posé, il n'y a que les esprits faux ou illogiques qui
en retiennent les conséquences.




96 CHAPITRE IV.
l'autorité qui en est chargée, de tomber dans la tor-
peur et de dormir mollement sur les commodes abus
que ne manquerait pas d'engendrer le monopole. Se
représente-t-on combien le systeme que je propose re-
leverait dans l'estime publique la profession de mé-
decin, et combien d'arnéliorations il apporterait dans
la pratique d'un art qui, s'appliquant avant tout a
prévenir les maladies, serait aussi intéressé amainte-
nir la santé publique qu'ill'est aujourd'hui il la voir
en péril (1)? Si l'histoire du curé Jean Chouart qui
couvait des yeux son mort (1), est malheureusement
aussi celle de quelques médecins, je m'empresse d'a-
jouter que les hommes de ceeur et de haute intelli-
gence sont nombreux parmi ceux qui exercent eette
noble fonction, et que ceux-lá seront les premiers a
applaudir a une pareille institution. 11 s'agit ici d'une
question d'intérét social de premiar ordre : je crois
done devoir insister, dans les considérations suivantes,


(1) Je n'ai pas a entrer ici dans lesdétails d'exécution Je me
contenterai de dire que chaque médecin puhlic devra, dans ~e5
villes au moins, avoir sous ses ordres et également aux fr$de
l'État un ou plusieurs jeunes médecins qui visiteront avec 11J.i les
malades, feront sous sa direction l'apprentissage pratique de la
profession, l'aideront et le suppléeront au besoin. Ces aides-mé-
decins formeront une pépiniére dans laquelle seront exclusivement
pris les médecins titulaires.


(2) e Monsir ur le mort, laissez DOUS faire;
« On vous en donnera de toutes les fa<;ons;


« 1l ne s'agit que du salalre, »
(La Fontaine, livre 7, fahIe I i .)




cttAPl'l'RE IV, 91
sur les vices radicaux de l'exercice actuol do la méde-
cine. Je montrerai ensuite ceux du systeme des hos-
.pIces.
Gráce aux progres des études anatomiques et phy-


siologiques et des observations microscopiques des
tissus al'état sain 011 malade, la médecine est aujour-
d'hui fort avancée en tant que science descriptivo des
altérations qui peuvent survenir dans les diversas
pieces dont se compose l'organisme humain et, par
suite, dans leur fonctionnement régulier. Mais com-
bien il s'en faut qu'elle soit aussi avancée en tant
qu'art de guérir! Quand on tient compte de l'extréme
complication des rouages de notre machine organique,
de la variété infinie des phénomenes vitaux, de la
complexité et de la solidarité mutuelle des fonctions,
de la diversité des constitutions individuelles, de la
multiplicité des troubles physiologiques, causés par
les développements mémes de la civilisation, il est
permis de douter que la médecine, tout en ajoutant,
comme les autres sciences humaines, de nouveaux
,~res aceux qu'elle a déjá accomplis, soit jamáis un
~irttien sur de ses moyens de guérison et bien perfec-
"tíonné dans sa pratique. Si l'on ne saurait contester
que, dans plusieurs circonstances, l'art de la méde-
cine prolonge la vie de malades qui mourraient sans
ce secours, il est égaiement hors de doute que, dans
beaucoup d'autres circonstances, iI tue des malades
<fui, sans son intervention, pourraieut guérir. Il peut




98 CHAPIT.ft.E IV.
done faire aux hommes ou du bien ou du mal. La oú
il ferait beancoup de bien et peu de mal, ce serait un
art utile a l'humanité; la oú il fait beaueoup de mal et
peu de bien, c'est un art funeste. Mais quand e~ oú
fait-il plus de bien que de mal ou plus de mal que de
bien? La solution de cette question est liée aune infi-
nité de circonstances : cela ne dépend pas seulement,
comme on pourrait le croire, du degré plus ou moins
avancé des sciences naturelles, mais encere du carac-
tere des institutions religieuses, civiles et politiques.
Dire que la médecine ne fait aujourd'hui que du mal,
c'est ce que ne soutiendra aucune personne sensée,
méme parmi celles qui y ont le moins de confiance et
qui en usent le moins. Lui demander de ne faire que
du bien et de ne se tromper jamais, ce serait en at-
tendre une perfection qui ne peut se trouver dans les
choses humaines. Mais lui demander de travailler ase
mettre toujours davantage en état de faire le plus de
bien et le moins de mal possible, voilá ce qui est rai-
sonnable et praticable. Or dans quelles conditions
I'art de la médecine travaillera-t-il a se mettre tou-
jours davantage en état de faire le plus de bien ef le
moins de mal possible ? Ce n'est assurément pas dans
les conditions actuelles, oú la réglementation légalc
en Iivre I'exercice exclusif a la routine ou aux expéri-
mentations aventureuses de l'esprit de systeme ; ce
n'est pas surtout quand les médecins sont intéressés
directement a ce qu'il y ait le plus de malades pos-




f;HAPITR~ IV. 9!:J


sible , et quand un si grand nombre d'entre eux
De s'apercoivent méme pas de l'influence mauvaise
qu'exerce sur eux une te11e situation. Dans l'état pré-
sent des choses, il ne faut pas plus s'attendre a ce que
la généralité des médecins travaillent avant tout a
prevenir les maladies, qui les font vivre , qu'á ce que
les avoués s'attachent surtout aempécher les preces,
qui lesenrichissent. L'art de la médecine ne s'appliqne
guere qu'a combattre les maladies déclarées, et tout
le monde sait combien peu de succes réel il obtient a
cet égard dans la plupart des cas, et combien surtout
il est peu avancé dans la connaissance des causes d'un
si grand nombre d'afIections des plus redoutables. Si
l'on ne peut pas toujours lui reprocher d'ignorer cer-
tains points de la science, on peut trop souvent lui
reprocher de ne pas avouer qu'il les ignore et de
vouloir paraitre les savoir. Quand on reconnait ne pas
savoir certaines choses, on peut chercher a les con-
naitre et y arriver, tandis que celui qui, les ignorant,
aime a se persuader qu'illes connait et agit en consé-
quence, ne les cherche pas et reste ignorante L'art de
la médecine devrait d'abord se préoccuper du soin de
prévenir les maladies ou d'en diminuer le nombre; il
devrait surtout réduire considérablement l'importanee
de ces officines brevetées d'empoisonnement plus ou
moins lent,Jont le Codex officiel ne cache sous la
pIupart de ses formules qu'un ramassis de recettes
fournies par l'empirisme [de tous les siecles melle les




too CtlAPl1'l\E 1V.
plus obscurs et de tous les pays méme les plus bar ...
bares (1). Le but principal du médecin devrait étre de
nous mettre en état de résister aux atteiutes des agents
destructeurs de notre constitution organique, plutót
que de nous faire soutenir contre des maux devenus
forts par son insouciance, des luttes trop inégales. Il
devrait s'appliquer surtout a rechercher et a faire
connaitre comment se développent le mieux et s'en-
tretiennent le plus longtemps les forces dont l'orga-
nisme est naturellement pourvu pour l'exécution des
fonctions vitales. L'hygiene, qui apprend a conserver
le corps en santé, est la partie la plus utile de l'art de
lamédecine, et e'en est précisément la partie la moins
étudiée et la moins avancée. Il n'y a pas lieu de s'en
étonner : les médecins d'aujourd'hui n'auraient rien a
gagner et ils auraient tout a perdre a cequ'elle se
perfectionnat et a ce que la connaissance en devint
générale. On a dit souvent et avec raison que l'exer-
cree de la médecine était ou devrait étre au moms,


(t) Le commerce de la pharmacie doit du reste étre laissé
entiérement libre. - Comment! Liberté a tout le monde de
vendre des poisons? - Pour toute réponse a cette question, je
demanderai si, dans le systéme actuel, les scélérats qui veulent
attenter a la vie de leurs semblables, sont embarrassés pour se
procurer soit des poisons soit des couteaux soit tout autre instru-
ment de meurtre, et s'il faut aussi breveter les droguistes, les
coutelíers et les armuriers. Ne comprend-en pas d'ailleurs que,
du jour OU les médecinsexerceront leur art autrement qu'au-
jourd'hui, le nomhre des pharmaciens, au lieu de tendre acroitre,
tendrá au contraire a se restreindre progressivemcnt?




CHAPITRE IV. 101


comme le professorat, une sorte de sacerdoce : mais le
moyen qu'il en soit ainsi dans les conditions présentes !
Done iI faut que cet exercice ait lieu dans d'autres
conditions; il faut en un mot qu'au lieu d'étre un mé-
tier, il devienne une fonction sociale (1), pour qu'il
procure a l'humanité toute la somme de bien qu'il
peut et qu'il doit lui procurer. Et je ne parle pas seu-
lement de bien physique, mais encore de bien moral;
car, parmi les principaux agents destructeurs de nos
organes, les vices et les exces ruinent encore plus de
santés que les rigueurs des c1imats, les variations
extremes de température et les effets pernicieux de
.divers travaux mécaniques, artistiques et scientifiques,
que nécessite une civilisation avancée. L'hygiene, en
IlOUS apprenant aprévenir ou acombattre ceux de ces
agents qui peuvent étre prévenus ou vaincus, et a
neutraliser dans une certaine mesure ceux qui ne peu-


(1) Qu'on ne croie pas qu' en demandant que l'exorcice public
de la médecine devienne comme l'enseignement public une [ene-
tion sociale, je veuille avec certaines écoles socialistes convertir
en fonction sociale l'emploi de toute faculté et de tout travail.
J'ai déja dit que l'exercice privé de ces deux professions devait
étre laissé entiérement libre. et I'on yerra mieux encore plus tard
que je suis trop ami de la liberté ponr m'accommoder de doc-
trines que je tiens au contraire pour de trés-regrettables erreurs,
tout en respectant l'intention de la plupart de ceux qui les pro-
fessent. Aprés m'avoir entendu jusqu'au bout, le lecteur demeu-
rera, j'espere, convaincu que personne n' est plus que moi disposé
a restreindre l'intervention de l'État a ce qui est strictement
nécessaire au bien de tous et a ce que lui seul peut faire dans les
meilleures conditions.




,102 CHAPITRE LV.


vent l'étre, rendrait done des serviees physiques et
moraux, bien autrement grands que ceux que peut
rendre la pathologie, en conservant pour quelques
jours des santés délabrées, des eorps usés et languis-
sants. Il faut dire aussi que l'état actuel des O1OOU1's
contribue pour beaucoup a eneou1'ager cette fausse
pratique de l'art de la médecine. Imaginez qu'un mé-
decin ait assez de conseience pour apprendre aux
gens a se passer de lui, et assez de courage pour leur
dire : « Vous) gourmand, trouvez moins de plaisir a
« table et demeurez-y moins longtemps. Vous) liber-
« tin, contentez-vous de votre femme, au lieu d'aller
« semant vos hátards qui font la honte et la desola-
« tion de la société. Vous, belle dame, ne dédaignez
« pas les occupations de votre ménage, nourrissez et
« élevez vous-méme vos enfants, levez-vous et vous
« couchez de bonne heure au lieu de passer les nuits
« au bal ou au spectacle et les jours au lit, et d'ac-
« croitre vos ennuis par la lecture d'impurs romans
« qui vous calcinent le sang el vous agaceni les nerfs.
« Vous, jeune insensé, mariez-vous pendant que vous
« eles dans I'áge oú les sens ont toute leur vigueur et
« les sentiments toute leur fraicheur, au lieu d'at-
« tendre l'époque oú vous n'apporterez plus que les
« restes d'un eorps épuisé et d'un ceeur hlasé a une
« jeune femme a qui vous inspirerez du dégoút a la
« place de cette tendresse et de cette affection qui
« sont les plus grands charmes de la vie. » Assuré-




CHAPITRE IV. 103


ment ce médecin-Iá mériterait que tout le monde
s'airessát alui. Eh bien! il parserait anjourd'hui pour
un homme mal élevé, et je u'oserais pas assurer qu'il
lui restát deux pratiques. Ces messieurs savent bien
cela, et j'ai entendu a cet égard de curieux aveux.
Comme la plupart d'entre eux ont pris leur diplóme,
non pas par amour de la science et de l'humanité,
mais pour faire fortune ou au moins pour se procurer
des moyens d' existence, ils se conduisent en gens qui
ont du savoir-vivre, et font consister tout l'exercice
de leur art dans cettedétestable thérapeutique sans
laquelle la plupart de leurs malades les prendraient
pour des ignorants.


J'arrive a la question des hospices (f). Cette insti-
tution, qui, dans des temps d'ignorance et de servi-
tude, a rendu al'humanité, faute de mieux, des ser-
vices réels, est jugée aujourd'hui par les économistes,
les moralistes et les philanthropes sérieux insuffisante


(t) 11 Y a, en Franee, 1,324 hópitaux, hospiees et hópitaux-
hospices, soignant et recueillant annuellement en moyenne
environ 600,000 individus. Par déeret du 23 messidor, an 11
(H juillet 1794), la Convention, en supprimant ces établissements,
avait attribué leurs biens a l'État, mais en déclarant que cette
mesure ne serait exécutée qu'apres l'ol'ganisution dun nouve'Ju mode
de secours pubiics, lassistance du pauvre étant une dette nationale.
On l'a done ealomniée lorsqu'on a dit et répété si souvent qu'elle
s'était contentée de détruire ces établissements et uniquement
pour s'emparer de leurs biens. Les hópitaux et hospices ont.recu
une nouvelle organisation par divers déerets et particuliérement
par la loi du 4 ventase, an XI (22 février i8ü3).




t04 CHAPlTRE IV.
et stérilement ruineuse. L'opinion publique commence
aétre un peu moins égarée sur ce point : j'essaierai
ici de la désahuser complétement par un simple exposé
de l'état véritable des choses. Un systeme de distribu-
tion de secours adomicile, bien concu et prudemment
administré, soulagera amoindres frais heaucoup plus
de souffrances et d'une maniere plus efficace que le
systeme des hospices (i). Rieu n'est plus facile a dé-
montrer; car les éléments de cette démonstration sont
des faits irrécusables , qu'il s'agit seulement de re-
cueillir et de laisser parlero Ils existent dans les
archives des commissions administratives des divers
hospices. On peut consulter les budgets et les regis-
tres d'entrée et de sortie des hópitaux d'une vingtaine
de' villes placées dans des conditions diverses, En
ajoutant ala dépense armuelle de chaque maison l'in-
térét des capitaux représentés par ses bátiments et
son mobilier, 00 arrivera ades conclusions inoutes,
soit que l'on calcule ce que coúte par jour et terme


(t) Tout en demandant a l'État de créer des hospices, Montes-
quieu, qui vivait a une époque OU la charité publique neC011-
naissait rien de mieux, ajoutait déj30 ces [udicieuses réf1exions:
« Tous les hópitaux du monde ne sauraient guérir cette pauvreté
« particuliére ; au contraire l'esprit de paresse qu'ils inspirent
« alJgmenle la pauv) eté gétlérale et par consequent particuliere...
« J'ai dit que les nations riches avaient besoin d'hópitaux, paree
« que la fortune y était sujette 'a mille aecidents ; mais on smt
« que desseeours passagers vaudraient bien mieue que des établis-
4( sements perpitue's. » (De l' Esprit des lois, livre XXIII, cha-
pitre XXIX.)




CHAPfTRE IY. 105
moyen chaque malade, soit que l'on veuille savoir ce
qu'a coúté en somme chaque personne admise al'hos-
pice. Mais on sera surtout efl'rayé du résultat définitif,
obtenu a si grands frais, quand on aura calculé, sur
le nombre total de malades qui entrent dans chaque
maison, combien en sortent morts ou encore malades
soit de leur maladie initiale soit de quelque autre
maladie souvent plus grave et contre laquelle elle s'y
sera échangée, Ce résultat n'étonnera pas du reste
eeux qui connaissent l'horreur du pauvre honnéte
pourl'hópital, et I'influence funeste qu'exercent sur le
malade la fatigue d'une translation toujours inoppor-
tune et souvent dangereuse, l'éloignement de sa fa-
mille, la vue des douleurs des autres patients, un air
empesté et qui suffit, surtout dans les temps d'épidé..
mies, pour rendre malades meme les mieux portants,
une nourriture qui peche par l'uniformité aussi bien
que par les proportions, la visite rapide et distraite
d'un médecin qui se ,fait le plus ordinairement de sa
position titrée un moyen d'attirer au dehors les re-
garas et la fortune, tout enfin jusqu'au langage em-
miellé de ces religieuses qui ne sont femmes qu'a
demi, ne connaissant de l'épouse et de la mere ni les
joies ni les douleurs, humbles personnes, dont .l'abné-
gation coúteuse prétend au monopole de la bienfai-
sance , bonnes sceurs qui, ayant plusieurs tons en
réserve dans .Ieur voix, font d'abord entenure les plus
doux pour introduirs le confesseur, puis, sur un refus,




106 CHAPITRE IV.
prennent bien vite les plus aigres pour instal1er au
chevet du mourant la menace des éternelles douleurs,
et ajouter ainsi les tortures morales aux dernieres
souffrances physiques (i).


On m'objectera les nombr.euses et évidentes amélio-
rations, qui, depuis un demi-siecle, ont été introduites
dans la plupart des hópitaux. Sans énumérer toutes
celles qui resteraient aréaliser encore et sans contróler
celles qui sont réalisées déjá, j'admets que le serviee
de ces étahlissements soit aussi bien fait qu'il peut
I'étre dans des conditions essentiellement mauvaises.
Mais je n'en maintiens pas moins cette conclusion, que
le systeme des hospices est tres-funesto, ne fút-ce que


(i) Il va sans dire que ce portrait des bonnes sceurs admet des
exceptions. J'ai connu et je connais encore des religieuses pleines
de douceur et de tolérance autant que d'humilité, et pour les-
quelles je professe respect et estime. Les religieuses qui se
vouent au service des pauvres, se rendent au moins utiles, quoi-
que ce soit particuliérement et a leur insu dans l'intérét d'un
systéme qui maintient sa domination sur les classes souffrantes
en les retenant dans l'avilissement, Quant a ces religieuses qui
s'enferment dans des cloitres pour y vaquer aux inutilités de la
petite dévotion, si elles sont moins méritantes elles n'en sont pas
moins a plaindre que celles qui se mélent au monde. Les unes
et les autres sont dignes de pitié plutót que de hláme ; cal' le
parti qu'elles ont pris de subir les tristesses de leur vie, trouve
trep de causes, d'une part dans de fausses idées religieuses, de
l'autre dans les miséres et les corruptions d'un milieu social
aetuel: ces malheureuses filles, pour la plupart sans fortune, se
voient refuser les douceurs du mariage et de la maternité, que
méritent beaucoup uioins et dont savent si peu jonir tant d'autres
femmes richement dotées,




CHAPlTRlii IV. 107
paree que, daos eeux mémes qui sont le mieux tenus,
les malades respirent un air vicié, et que l'éloignement
de leurs familles et la vue de eeux qui meurent aleurs
cotés, y exercent inévitablement une influence des
plus pernicieuses sur leur moral et par suite sur leur
physiquc (i). Combien sont condamués a mourir par


(1) Le journal l'Opinion nationa7e du 4 aoüt 1864 faisait les
tres-justes réflexions suivantes a propos du projet de reconstruc-
tion de I'Hótel-Dieu de Paris :


« Plus il y aura de Iits dans une inflrmerie, plus il y aura de
« chances d'influences contagieuses. La petitevérole, la rougeole,
« la scarlatine, la fíévre pntride ou typhoíde, la pourriture
« d'hópital, un grand nombre d'affections catarrhales, les maladies
« qui frappent les femmes en couche, Ja dyssenterie, le croup
« et d'autres affections sont toutes ou presque toutes transmissi-
« bles, les unes par le simple contact, les autres par l'aspiration
« de l'air que vicient les rnalades, S'il en est ainsi, a eombien
« d'influences désastreuses ne sont pas soumis de pauvres patients
« qui passent quelquefois plusieurs mois dans les salles d'un
« hópital l .


« C'est surtout a l'hópital des enfants, a dit le docteur Trous-
« seau, que ron peut apprécier les fácheux effets de la réunion
« des malades. Amené a I'hópital pour une fluxion de poitrine,
« un enfant guérit, et pendant la convalescence il contracte la
« coqueluche dont est atteint un autre malade. Pendant le cours
« de cette maladie nouvelle, la rougeole, la scarlatine viennent
« l'assaillir, et quelquefois enfín, lorsqu'il semble avoir triomphé
« de ces causes successives de destruction, lorsqu'il va sortir
« aprés avoir subi trois maladies contractées ci l'hópifal, il est
« pris d'une ophthalmie qui déja autour de lui a frappé d'autres
e( enfants, et il ne rentre dans sa famille qu'aveugle ou détlguré.


« Il existe encore, dans les grandes salles, des inconvénients
« d'un autre ordre Si, dans le cours d'une affection aigué, un
« malade est pris de delire, il passe quelquefois plusieurs jours
« et plusieurs nuits apousser d'horribles vociférations. Comme




tOS CHAPITRE IV.
ce fait seul, et qui mieux traités devaient guérir! Je
n'ai jamais eompris que la pensée ait pu venir, hors
les eas d'ahsolue impossibilité de faire autrement (1),
de réunir dans les mémes loeaux des malheureux qui
s'entendent muíuellement gémir et se voient agoniser.
Ne semble-t-il pas que ceux qui ont imaginé ou qui
patronnent cette institution, aient voulu y donner un
avant-goút de leur enfer? Ce qui me eonfond surtout
e'est que les médeeins ne soient pas les premiers a
réelamer contre un pareil état de ehoses, bon tout au
plus dans ces hospices que les Hindous entretiennent
pour des hétes qui ne connaissent et ne sentent que
leurs propres jouissanees et leurs propres douleurs.
Notez encore que les tourments des malades el de
leurs familles s'accroissent des rigueurs de reglements


« il n'y a pas pour ces malheureux une salle a part, tous les
« malades resteront plusieurs nuits sans sommeil et leur état
« s'en aggravera. »


(1) Je reconnais pour les grandes villes l'utilité de quelques
petits asyles, destines a recevoir les malades de passage, qui ne
composent que la moindre partie des malades entassés aujour-
d'hui dans les hópitaux et pouvant étre secourus a domicile. Je
dis petits asyles, paree qu'il ne faut pas qu'aprés avoir supprimé
les hópitaux, on les rétablisse au profit d'une population errante,
qu'il importe au contraire de ne pas trop inviter ti. venir encoru-
brer les grands centres OU elle ne rencontre souvent qu'un
surcroit de misére et de démoralisation.


En reconnaissant également l'utilité des hospices spéciaux,
recueillant des enfants ahandonnés, des aliénés, des personnes
ágées ou infirmes, sans fortune et sans parents qui puissent en
prendre soin, je réserve la question des réformes a introduire
dans leur organisation monacale.




CHAPITRE 1V. i09
plus ou moins nécessaires. A Paris, les parents, méme
les plus proches, ne peuvent visiter les malades que
deux fois par semaine dans les maladies ordinaires et
que quatre fois dans les maladies extrémement graves;
en sorte que celui qui vient de quitter un pere, une
épouse, un frere a l'agonie, est condamné aattendre
48 heures, qui semblent des siecles en pareille situa-
tion, pour qu'illeur soit permis de se revoir, et si le
malade meurt dans cet intervalle, ce qui arrive dans
la plupart des cas, il meurt délaissé ou en présence
d'étrangers indifférents, et ses proches n'ont pas la
consolation de pouvoir recueiJlir ses dernieres paroles
et son dernier soupir (1),


Je n'ai vouluparler ici que des inconvénients et des
vices inhérents ala constitution méme des hospices ;
je ne tirerai done aucun parti de désordres nombreux
et accidentels, qui peuvent absolument etre évités, et
qui résultent soit des embarras de l'administration de
biens qui sont en grande partie des biens fonciers, soit
de l'incurie, trop souvent méme de l'infidélité d' em-
ployés de toutes sortes qui ont la main dans la gestion
économique. Mais j'avertirai le lecteur qu'il doit étre


(f) C'est bien pis dans d'autres villes. A Bruxelles, par exemple,
l'entrée des hópitaux n'est perrnise, meme aux parents des
malades, qu'une fois par semaine, le dimanche, pendantune
heure. En revanche, les curieux et les indifférents peuvent y
pénétrer tous les jours en payant 1 franco II est difficile de dire
laquelle de ces deux choses mérite le plus de réprobation.




110
€HAPITRE IV.


en garde eontre les chiffres des défenseurs, méme les
plus honnétes, du systeme des hospices.J'ai interrogé
des administrateurs, qui pourtant voyaient les choses
de pres, sur la somme moyenne que leur coútait: par
jour chacun de leurs malades ; ils m'ont répondu, d'un
air de satisfaction vraie ou simulée, que eette somme
ne s'élevait qu'á tanto Dans leur caleu1, ils ne comp-
taient que la somme dépensée journellement pour la
nourriture des malades. Mais, quand je les obligeais a
tenir compte aussi de la dépense du personnel de ser-
vice et de l'intérét des capitaux engagés dans les báti-
ments et le mobilier, force leur était bien de convenir
qu'il fallait.doubler et tripler leur évaluation premiere.
Voiei enfin une cousidération capitale et qui suffirait
pour faire donner la préférenee au systeme de distri-
bution des secours a domicile sur celui desbospices.
Un ouvrier, qui a femme et enfants, et qui ne possede,
pour les nourrir et les entretenir, que son travail
quotidien, tombe malade. Il est reeu dans un hospice.
J'admets qu'il n'y manque de rien; pour mettre les
choses au mieux, je suppose que son mal ne doive pas
s'aggraver, comme cela arrive ordinairement, par le
fait meme de sa translation et de son séjour a I'hópital ;
je suppose enfin qu'il doive guérir. Mais, pendant des
semaines, des mois que dure la maladie, sa femme
et ses enfants sont la sans ressources, en proie a la
faim et a toutes sortes de hesoins. Si, au lieu de l'en-
lever a sa famille dans un moment oú elle lui était




CHAPITRE IV. tlt
plus que jamai~ nécessaire, on l'y eút laissé, mais en
lui donnant par jour une portion seulement de la
somme totale que coútait son entretien dans l'hospiee,
sa femme et ses enfants eussent continué de vivre avec
ce secours, et le malade, soigné par eux et débarrassé
du tourment le plus poignant pour un homme de cceur,
eút trouvé dans cette sécurité et dans le calme moral
qui l'accompagne une chance puissante de plus prompt
rétablissement, surtout si l'on eüt pris soin d'ajouter
a l' assistance matérielle celle des consolations et des
espérances, qui lui est plus douce et plus nécessaire
encore (n.


(í ) Ces observations critiques sur le systéme des hospices ont
été publiées déja dans une lettre adressée au directeur du journal
l'Cpinion naiionale, numéro du 16 septembre 1864. Il ya beau-
coup de gens que la pleine lumiére offusque et qui ne peuvent
marcher qu'a tátons : je savais bien d'avance quila trouveraient
que je vais trop vite et trop loin. J'exagere, voila le mot consacré,
I'éternel argument opposé a toutes les indispensables reformes, les-
quelles peuvent bien étre ainsi retardéesmaisqui plus tÓt ou plus
tardfinissent toujours paraboutir. Telle sera particuliérementcelle
de la suppression des hópitaux pour faire place a un systéme,
sagement entendu et largement organisé, d'administration de
secours a domicile. M. le docteur Montanier reconnait tout aussi
hien que moi que le systéme des hópitaux est désormais condamné
par la science et l'humanité et doit disparaitre. Mais, aprés étre
arrivé ainsi a la méme conclusion que moi, il a trouvé piquant
de prendre l'attitude d'un adversaire. Voici sa grosse objection :
il ne pense pas que la reforme radicale que je propose puisse
s'opérer brusquement et immédiatement. 11 y a sans doute des
difficultés d'exécution et des obstacles a écarter d'ahord. Les
réformateurs bénins s'arrétent tout court devant ces obstacles,
Mais la philosophie ne se traine pas a la suite de ces réformateurs :




H.2 ci-JAPITRÉ IV'.
Quelques mots des Dépots de mendicité et des Monts


son róle est d'éclairer l'opinion publique en la devancant, en lui
montrant de nouveaux horizons et en la préparant a exécuter les
réformes reconnues nécessaires. J'ai rencontré un autre adversaire,
que j'appellerai M. X, n'étant point autorisé a le nommer, et qui,
tout en eonfessant que la suppression des hópitaux aurait du
bon, demande leur eonservation par eette raison qui m'a semblé
assez curieuse : il lui faut de ces palais de la souffrance pour que
les grandea célébrités chirurgicales puissent s'y faire la main et
continuer d'y couper et tailler en grand et avec plus ou moins
de bonheur. Mais ces Messieurs vont bien exercer lenr habileté
dans la splendide demeure du riche; pourquoi done n'iraient-ils
pas aussi l'exercer dans l'humble réduit du pauvre ? Cela serait
encore plus méritoire. J'avais cru jusqu'ici que les malades
n'avaient pas été mis au monde pour les médecins, mais bien les
médecins pour les malades. A-t-on changé tout cela, et en serait-
on revenu a cet odieux dicten, Faciamus ~xperimentum in animam
vilem? Quant a cet hotel des invalides civils, dont M. X demande
la création comme pendant de l'hótel des invalides militaires,
c'est une de ces idées folles, nées du tohu-hohu des élucubrations
d'un soi-disant socialisme que je tiens pour trés-anti social. C'est .
déja trop de l'hótel actuel des Invalides, le plus détestable et le
plus coúteux entre les hospices existants. Qu'on aille interroger
ces pauvres gens qui y tuent leur triste débris d'existence, vic-
times des plus condamnables démences, et sur mille on en trou-
vera a peine un 'luí n'avoue qu'il préférerait á ce luxueux
sépulcre la liberté d'aller employer oú ille voudrait une pension
qui ne serait pas la moitié de ce qu'il coüte a l'État, cecoút
étant calculé sur les véritables bases que j'ai précédemment indi-
quées. Assez des débaucbes d'orgueil d'un Louis XIV: ceux qui
les admirent et veulent les continuer, sont en arriére de deux
siécles. Pour nous, regardons en avant et sachons y aIler intré-
pidement.


Ma lettre au directeur de l'Opinion nationale a provoqué, de la
part du ministre de l'Intérieur d'alors, un Communiqué,qui a été
publió dans le numéro du 20 septembre, et oú il était dit qu'on
ne répondrait pas á toutes mee critiques de détail : je l'ai cm




CHAPITRE IV. 113


de pilte (n. Toute personne adulte et [valide doit se
sans peine. On m'objectait que l'on traitait deja a domicile
60,000 malades : c'était me donner raison. Puisqu'on se trouvait
si bien d'étre entré dans cette voie, pourquoi n'y marcher que
d'un pied? Les bonnes sceurs sont parfaitement tolérantes sur
l'article religión, assurait-on. J'avais dit moi-méme que je con-
naissais de raresexemples de ce genre. Mais les autres, c'est-a-dire
le grand nombre? Qu'on y regarde d'un peu plus pres et sans
s'étre fait annoncer. Elles laissent, ajoutait-on, les malades libres
d'appeler les ministres des cultes reconnus par 1'État ou par les
gouvernements étrangers. Admettons cela. Les laissent-elles éga-
lement libres d'appeler les ministres des cultes reconnus par eux
quoique non reconnus par 1'État ou par les gouvernementsétran-
gers? Laissent-elles surtout mourir en paix ceux qui, se confiant
en 1'infinie bonté de Dieu, ne veulent de ses mandataires d'aucune
sorte? C'était particnliérement a cette derniére question qu'il eút
fallu répondre; mais on a craint peut-étre que les morts ne sor-
tissent de terre rour venir aussi en témoignage, et ron a jugé
devoir prudemment garder le silence a cet égard. Il yaurait,
disait-on enfin, des inconvénients graves a donner aux famillrs
plus de facilité de voir leurs malades. Soit. Plus on constatera
que le systéme des hópitaux rend inévitables de mauvaises censé-
quences au moral comme au physique, mieux on m'aidera a le
démonétiser.


[I) L", décret du 5 janvier t 808, prescrivant l' établissement,
dans chaque département, d'unDépot de mendieité, n'ajamais été
entiérement exécuté. En 1853, il n'en existait que 21.


L'institution des MonIs de piété nous est venue d'Italie. Le
premier fut établi a Pérouse en 1462. Le but primitif et seul raí-
sonnable de ces établissements était de préter aux personnes
nécessiteuses sans intérét et contre nantissement. Mais ils s'écar-
térent bientót de cette regle. Le premier Mont de p.été établi en
France, en t 777, prétait a 10 1/2 pour eent, et depuis le taux a
été souvent au-dela. Sur 44 Monts de piéte existant en France, en
18tJ3, trois seulernent prétaient sans intérét. Supprimés par la
Convention, les Monts de pieté furent rétablis par décret de Bona-
parte, du 24 messidor an XII 112 juillet 1804). Ils sont régis
aujourd'hui par une loi du 24 juin 18;')1.


I




4.1.1 CHAPITHE rv,


procurer par le travail des rnoyens d'existence. Ce
príncipe, ainsi exprime en termes généraux, est fort
simple et tres clair ; mais il n' en est plus de méme de
son application au milieu des complications d'une ci-
vilisation avancée. Le chómage, la maladie et divers
accidents imprévus peuvent mettre subitement en dé-
faut les mcilleures volontés de travailler. Il faut alors
que la bienfaisance publique et privée vienne au se-
cours des nécessiteux : e'est un devoir rigoureux. La
mendicité est sans aucun doute une chose dégradante
et que la morale réprouve par conséquent, On fait
done sagement de l'interdire; mais c'est a la condi..
tion que nul ne soit forcé d'y avoir recours, Sans cela
la loi qui le punit est injusta et cruelle. Qu'on se háte
done de remplacer par des institutions plus dignes de
la science économique ces DéptJts de mendicité, qui sont
de véritables prisons oú I'on fait expier a. des étres
souvent fort innocents le prétendu tort d'avoir été
atteints par le malheur (i). Quant aux Monts de piété,
---------'------------.....-_.--


(1) Qui ne se sent profondément ému en lisant le récit snivant
d'une de ces scénes qui se renouvellent tous les jours devant les
tribunaux correctionnels et qui ne se terminent pas toujours
d'une facón aussi honorable pour les magistrats?


« Deux femmes sont assises l'une prés de l'autre ti l'audience
«du tribunal correctionnel, 6e chambre. Toutes deux sont
« vieilles, faibles, chétives, pauvrement vétues, et leur préoccu-
« pation est vive; car l'une d'elles, la plus ágée, doit hientót
« avoir a répondre du délit de mendicité. Ces deux femmes sont
« la mere et la fílle. Ouclle est la mere? Quelle est la fille? On
« pourrait s'y tromper, et si fune a plus d'ann~es, l'autre est




4~~~ le JlRfP est une jrPRje ~H p,lp~ fU,R:Hvft-¡~ BAHt,
l~pr sp¡?prp,s~ip.wn'e~t p~s moins Hnmnt~· ~ff~RpiM~
y e;~rc~ sur la misare du peuple UP!3 U~1fr~ qu'~n~


« plus affaiblie. 4- chaque condamnation qu'elles entendent p,rQ-
« noneer, elles éehangent un serrement de main, et chacnne
« d'élles essuieles gouttes de s~eú'r tou'tba~t du front de l'autre,
« On appelle la causede la veuve Destrois ; la mere va se placer
« ~ la parre ,4r- trikul}!')~; s;~ ~11.t;l f!- ~r01?-~H sé 1~~~r ~.onr rn.cp,qm-~
« pagner; mais elle retombe sur son bane en fondant en.


:. . \ ~_ I
« larmes.


«Leprésident a la prévenue : Vous avez, m~p.Q.i~ rrt you,,~ s~ye~
« q~e la loi punít la meI:ldicité. .


« La mere: J'ai tendu la main, oui, monsieur ; pourquoi
« mentir? Mais SiVOllS saviez pourquoi l


5( La filIe, .de ~oH hanc ~t d'une y<?~ RFts*,e ~ ms-~~? fU~Fe~,dis
« pourquoi aces Messieurs. C'est paree que j'étais malade, Mes-
« ¡sie~rs, paree qu'elle voulait me guérir qu'elle ademalfdé. Je
« lui avais bien défendu pourtant: p:la~~, qv.an,~ jy suis ¡;p~,4~,
« il n'y a pas ~ la retenir. .


« Leprésident a la prévenue : Déja, il ya trois ans, vous avez
(1 été condamnée ponr mendlciíé: cetíe premiére condamnatíon
«av.r~it dÚY,Q.ut'~;r;np,e.cher,~e ;reeon;¡mellcer. .


.... ,. .' .' " ~ _ .'.' l. . ~. " .'... " .' . .' ~. '!. .".' .' ,..
« La mere: Il y a trois ans! oui, c'est possible. (Se tournant


« vers sa filIe :) C'est pendant ta premiére rnaladie, tu sal;'?
;« L~ ,filles,e rapprochant de la barre: Ah! oui, Messieurs;


« pour sür c'est vrai. Ma mere n'a jamáis rien demandé a pero
« sonne que quand j'ai été malade,


,« l~ pré.~de.Il:t: ¡Q,e;rl11i1,ure~-vous ensemble?
« La fine: Toujours, ~Hns~e;u.r, toujours; nous ne AO~ quit-


« ~Oij.~ jawais; AO~ somw,~.s veuves toutes les ~,e,ll:¡: : j.e n'ai p.as
« ,<;l',e,nfWlt et .e1),e !1'~ ,que.~oi.


« ~~ pI:~,si4r~: ~rI?Ns J?~ais~eren~ore ,~oufrant~et malade,
« ·Yo.ll? ~po;'Y-.Yef §oM~~r Yl1~f; !Afre•


«L? Jille viYeD?~ :~oJ;l, non, je :l~W suis plus malade ; a pré-
« sent je travaille, je gagne t:r:eJ.l,~~ sous par j9Nr,~tavec ~anous
,« n' av0ItS peso,in d.e p~r~gn~~. ,Qp! je \vo.~~,en prie, Messieurs, ne




H.6 CHAPlTRE IV.
punit chez les particuliers et dont le taux atteint d'ef-
frayantes proporLions aux yeux de celui qui en fait le
calcul exacto C'est d'ailleurs une cause permanente
d'excitation a la paresse et a la débauche par la faci-
lité de se procurer quelque argent comptant au prix
de sacrifices ruineux. Mais une des conséquences
les plus funestes de ces institutions, ce sont ces in-
dustries odieuses qui achetent les reconnaissances
des Monts de piété : il arrive alors journellement
que le malheureux qui a engagé son matelas ou


.


ses vétements , et qui, a l'arrivée de la mauvaise
saison ou du chómage ou de la rnaladie, se trouve
cncore plus pressé de besoins qu'á l'ordinaire, est ex-
cité avendre son titre, et alors nouvelle et plus forte
usure et spoliation consommée.


Un mot aussi, en passant, de l'institution de la 10-
terie, que divers États européens ont empruntée a
l'Italie oú aujourd'hui encore elle est associée aux su-
perstitions de la fausse dévotion, immorale institu-
tion, qui, en excitant le désir d'arriver a la richesse


« l'envoyez pas au Dépót, Je ne pourrais plus travailler sans la
« voir et nous serions malheureuses toutes deux.


«( Il faut renoncer a peindre la mere, regardant sa filIe les
« mains jointes et s'associant mentalement asa priére. Le tribunal
« s'est hité de 1'exaucer, et le président, en prononcant l'acquit-
« tement de la mere, a, dans quelques paroles touchantes, félicité
« la seconde de sa piété filiale, et 1'a encouragée a persévérer
« dans ses excellents sentiments. »


(Extrait de la Presse du i8 février i856.)




CHAPITRE IV. 117


autrement que par le travail, l'économie et la probité,
entretient la passion si funeste du jeu et d'un jeu oü
ceux qui offrent a jouer volent Ieurs dupes en toute
súreté. Le gouvernement de Juillet, qui pourtant n'é-
tait pas des plus moralisants, l'avait heureusement
abolie en France; mais le gouvernement impérial
l'avait l.iissé rétablir sous des milliers de formes, 10-
teries autorisées en faveur de prétendues institutions
de hienfaisance, lots et primes des ruineux emprunts
de I'État et des villes, etc. On ne pouvait attendre
mieux de la part d'un régime né dans le crime et
gouvernant par la corruption. e'est assez dire que la


.RépubJique mettra fin a ce débordement nouveau de
vols ef, de cupidités.




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CHAPITRE V.


ADMINISTJlA'flON D~ ~roSTI{;E.


La justice doit étre rendue plus promptement et
étre plus véritablement gratuite qu'aujourd'hui pour
le justiciable dont le juge proclame le droit. Tous les


.frais faits régulierement par les parties doivent de-
meurer a la charge de celle qui aura été condamnée ;
car il n'est pas juste que, pour faire reconnaitre son
droit , on ait a supporter des dépenses qui peuvent
équivaloir aune condamnation. Il faut simplifier les
formes actuelles de la procédure civile, qni ne sont en
grande partie que la reproduction des dispositions de
I' ordonnance royale de 1667. Elles occasio.nnent sans
utilité des lenteurs, des complications et des frais, qui
éternisent les preces et sont plus favorables au plai-
deur riche qu'au pauvre, qui ne peut suivre dans ce
dédale un adversaire de mauvaise foi.


Je ferais presque le méme reproche a la faculté des
a¡ppels enrnatieres civiles; cependant je nepropose
'pas de la suppnimer ; .oarellea ,malgré ses iuconve-
nients , son utilité , sa nécessité mérne. Jiais voici




t20 CHAPITRE v.


un point important qui appelle les méditations des
hommes compétents et désintéressés. Tout en conser-
vant la faculté des appels, y a-t-il lieu de conserver
les Tribunaux spéciaux d'appel, autres que le Tribunal
suprérne de cassation, qui est destiné amaintenir l'u-
nité de la jurisprudence? Ne peut-on pas revenir uti-
lement au principe posé par la Constitution de l'an 111,
titre 8, art. 2 J6 et 2i 9, qui établit un Tribunal unique
par département, et qui attrihua l'appel des jugements
prononcés par un Tribunal civil auTrihunal de l'un des
trois départeinents les plus voisins (i). Les Cours d'ap-
pel, instituées par Bonaparte, premierconsul (Consti-
tution de l'an VIII, titre 5, art. 61), ne sont pas seu-
lement une luxueuse superfétation, créée en vue
d'intéréts particuliers, mais de plus, comme il faut
qu'elles paraissent n'avoir pas été instituées pour rien,
elle·s ont l'inconvénient d'étre , soit par elles-mémes
soit par leur entourage et Ieurs dépendances, un exci-
tant permanent auser et abuser de la faculté d'appe-
ler. (Ibjecter que leur suppression priverait l'État d'un
moyen d'exciter l'émulation dans le corps judiciaire
par la perspective de l'avancement, ce serait recon-
naitre que leur fonction spéciale a été créée dans le
but de satisfaire des intéréts individuels et non de ser-
vil' l'intérét général. En fait d'administration de la


(1) L'Assemblée constituante, par la loi du 16-24 aoút 1790,
avait déja attribué le jugement de l'appel al'un des sept Tribu-
naux de district les plus voisins.




CHAPITRE V. t21


justice, la barbarie est d'abord tres-expéditive et tres-
simple, mais d'une simplicité brutale, passionnee et
ignorante. Vient ensuite la petite, la demi-civilisaíion,
qui se jette dan s l'extréme opposé , est tres-formalista
et affectionne les complications et les lenteurs. Arrive
enfin la grande civilisatiou, qui sent le hesoin, ici plus
encore que partout ailleurs, de revenir a la simplicité,
mais aune simplicité intelligente et équitable.


Notre législation pénale n'admet pas les appels en
matiere criminelle. Les affaires criminelles sont celles
oú les erreurs ont les plus graves conséquences, et les
Cours d'assises qui en décident sont souveraines, le re-
cours en cassation contre ces décisions n' étant pas un
véritable appel, puisque la Cour de cassation ne juge
pas sur le fond mais seulement sur la forme. Il ya
donc lieu d'établir la faculté d'appeler d'une condam-
nation en matiere criminelle, L' appel serait porté aux
assises de la session suivante. On yerra plus loin que
le pouvoir de faire annuler un verdict de condamna-
tion est bien accordé, dans certains cas, a la Cour : a
plus forte raison cette faculté doit-elle étre laissée aun
condamné, s'il se croit mal jugé. Mais alors, dirá-t-on,
tous les condamnés vont appeler, et le travail des Cours
d'assisesva étre doublé. Je réponds d'abord que cela
n'est pas certain; cal' les premiers débats peuvent sim-
plifier et abréger les seconds, et puis plusieurs con-
damnés, se sachant coupables et justement punis, ne
voudront pas s'exposer aétre iugés par un secondjury




jo';


CHAPlt\E V.
. '-~


..; -:.-'- .'j)fus séveremen! qü'ils ne l'avaient été par un pre-
1iKe':r (1). .lé dis en second lieu que, quand cela serait
eertain, je ne verrais pas un si grand mal ace que les
sessions des assises durasstit une quinzaine au lieu
d'une huitaine de jours, si ce surcroit de travail avait
pour butd'assurer les conditions d'une bonne justice
en matiere criminelle. Quant aux..¡ffaires de pollee
correctionnelle, les appels sont permis, et ils sont les
plus nombreux; 'mais ils sont jugés le plus ordinaire-
ment sans l'audition facultativo des témoins et seule-
ment sur pieces, quoique le prévenu soit présent: c'est
encore entres-grande partie la justice inquisitoriale des
anciens Parlements.


La faculté; attribuée au ministere publie, d'appeler
d'un jugement d' ahsolution prononcée par le Tribunal
ou d'uno condamnation a une peine qu'il trouve trop
douce (appe:~inimd),met en opposition avec elle-
méme rad~.~ation de la justice, qui se déconsidere


-en se souffletant ainsi de ses propres mains. Un cou-
pable peut étre traité par le juge avec trop d'indul-
gence; mais le pouvoir en possession du role, déja
assez redoutable, de justicier, ne doit pas supposeT ce
cas, tandisqu'il peut et doit supposer la possibilité
d'un exces de sévérité. La raison de cette différence
estfacile a eomprendre. Un -exces d'indulgence -est un


(t) in est bien entendu rque je suppose .ioi qu'on aura aboli,
comme je le dirai -bientót, la peine de mort ettoute .peineperpé-
tuelle.




CHA,PÍTR\v. .. 123-
i' , ,


tres-peta mal en comparaison d'un ~f'ces dé sevéth-t.
Íl suit de la que la faculté d'appeler, instituée pát'(
10i, apour hu~ principal l'avantagq d'uIl accusé qui se
croirait injustement c.aamné ou trop séverement
puni. Or il est évident que .c'est tout le contraire qui a
lieu si un accusateur puhlic, n'approuvant pas l'abso-
lution pronóncés-en faveur d'un accusé OU trouvant
trop douce la peine qui lui est infligée, est armé centre
lui de la faculté de faire annuler la séntence. Cette ini-
que faculté va directement coútre la seúle intentión
acceptable de l'institution de l'appel en matiere cor-
rectionnelle; elle doit done étre supprimée. Mais il y
a mieux encoré a faire, ainsi qu~ je le montrerai tout
a l'heure, par la suppression meme du ministere
putIic.


En agrandissaat les attributions des Justices de paix,
on peut réduire 'le nombre des p:ro, "<vider par les
Tribunaux civils. 'On les réduira sur" ~~onsid'érable-
ment en étahlissant comme une regle absolue qus,
dans tou!e affaire, le juge, soit de paix soit civil,
devra d'abord appeler devant lui les parties et tenter
de les concilier : ce préaIable rendra inutile, dans beau-
coup de cas, le jugement public proprement dit.


Les juges des divers degrés devront désormais élire,
chaqué année, dans leur propresein, Ieurs présidents
et vice-présidents.


Pour ce qui regarde l'administration de la justice en
matiere spécialement correctionn~Ile et crirninelle, ou




124 CHAPITRE V.


peut revenir, sauf ce qui concerne le ministere public,
aux disposiLions de la Constitution de i 795 (art. 234,
235, 24~ et 245), relatives ida composition du person-
nel des Tribunaux qui en seront chargés.


L' assistance da jury doit étre obligatoire pour les
délits de presse, comme aussi pour toute autre affaire
correctionnelle pouvant entralner une condamnation a
l'emprisonnement.


Le jugernent préalahle de mise en accusation, rendu
d'une facón inquisitoriale, sans puhlicité et par consé-
quent contrairement aux principes admis aujourd'hui
pour r administration de la justice, doit étre sup-
primé.


Les visites domiciliaires et les saisies ne pourront
avoir lieu que sur un ordre émané de la Justice.. Les
arrestations préventives devront également étre déli-
bérées et ordonnées par le Tribunal. Copie de cet ordrc
énoneant les motifs de l'arrestation sera remise a la
_personne arrétée , qui devra , dans les vingt-quafre
heures, étre amenée devant le juge.


La République ne saurait conserver le rouage ap-
pelé le ministére public sous ses diverses formes et dé-
nominations. Ceux qui remplissaient cette fonctions'ap-
pelaientautrefois l~sGens duRoi et s'honoraient fort de
cette qualification. Apres le renversement de I'aneienne
monarchie, ils ont eu, dans un moment de terrible et
lugubre crise, les noms, devenus vite odieux, d'Accu~
sateurs publicset de Commissaires du pouvoir ezécuti];




CHAPITRE V. 125


depuis ils sont redevenus les Procureurs des rois res-
taurés, des majestés de passage et méme de la bénigne
République de 1.8~8, et ils ont cons1amment montré,
sauf un tres-petit nombre d' exeeptions, la servilité de
gens chargés des affaires du pouvoir plutót que de celIes
de la justiee. L'exereice de cette fonction, quel que
soit le nom qu'on lui donne, produit plus de mal que
de bien, et ce mal, tenant a la nature mérne de l'insti-
tution, ne peut étre éloigné que par la suppression de
la fonetion (f).


(J) Je ne vois pas de réponse solide au réquisitoire suivant,
formulé en J815-1 contre l'existence du ministére public de nos
Tribunaux, dans un ouvrage qui rnérited'étre trés-sérieusement
étudié, qui abonde en vues élevées et dont je n'accepterais pour-
tant pas indistinctement toutes les propositions: « Un homme
.. personniíie l'action sociale, et cet homme n'est pas le magistrat
« qui dirige l'instruction d'une cause sans passion, qui constate
« avec calme et majesté un crime ou un délit, ou qui rappelle
« simplement une loi et en fait sentir l'application, qui conduit
« enfin les débats et prononce la sentence. Non, mais c'est celui
« qui a pour mission non-seulement de poursuivre l'accusé, mais
« encoré de se faire son ennemi au nom de la societé, de lutter
« de sophisme et d'argutie avec lui ou avec son avocat; c'est
« celui pour lequel il existe rarement des innocents; c'est celui
« qui, le plus souvent et a son insu, finit par substituer une pas-
« sion ou une appréciatíon d'individu (IU de caste a la grave
« exposition du fait et du droit. L'aetion sociale, au lieu de se
« confondre avec la vindicte ('vindicta, vengeance) publique, ne
« pourrait-elle pas n'étre que la justice? Au lieu d'étre l'opinion
« d'un homme, ne devrait-elle pas étre la raison ·du peuple? l\Iais
« Olí nous ohjectera: Si vous supprimez le ministere public,
« contre-partie nécessaire de la défense en matiére criminelle,
« qu'opposez-vous aux sophismes de l'avoeat, a ses convictions
« de commande, a son feint cnthousiasme, a toutes ses ruses et




ClJAp'Tft,E y.


La loi s'adressant atoutes les classes PA citoyens et
les obligeant toutes, doit étro rédigée en termes sim-
ples, précis et parfaitement intelligibles. JJp memhre


« a tous ses mensonges? Nous n'opposons rien, ríen que la vérit.~,
ti des raisons concluantes et des faits établis, Et si cela ne suffít
« point, de quel droit recourrions-nous aux exagérations d'une
1I fausse éloquence, et réveillerions-nous les passions des jurés
« et des juges pourobtenir une condamnarion que la raison toute
« seule serait impuissante a produire? II n'est d'ailleurs qu'un
« moyen pour le juge d'imposer a l'avocat; c'est de ne [amáis
« se departir de la dignité de la justice et de se réserver ainsi
« l'autorité nécessaire pPJJf le rapp.eJer ¡q.j,:,m~me a la bonne fqi.
« 4.u premier ahord, le ministére public peut sembler destiné a
« faire face a l'avocat, mais il est peut-étre plus juste de direque
« l'avocat, tel que nous le voyoIls, s'est formé pour faire face au
« ministére publico Otez ce dernier, l'autre se réduit ason r,~le
« légitime. Des aujourd'hu] croit on que les ~urés ~ntepi~ems
« forment leur [ugement sur les plaidoiries et les réqnisítoires?
« N'ont ils pas plutó] a se dégager du fatras oratoire de-la cause
« afín de laisser parler leur conscience? J)'ailleurs la simplifl-
« cation des 101s el les progrés de l'instruction publique rendront
« le ministére de I'avocat de plus en plus simple et de moins en
« moins indispensable. Les citoyens plaideront plus volontiers
« leurs causes eux-mémes quand ils seront assurés de n'avoir
« devant eux que des juges impartiaux par état et desjurés leurs
« concitoyens, et peut-étre bientót l'absence d'avocats dans une
« affaire deviendra-t-elIe aux yeux d11 puhlic une présomption
« de droit ou d'innocence.?) (Organisation communale et eenirale
de la flepuUique, chapitre V.III, Organisation judtc~am?, ~ IV, par
les citoyens Bellouard, Benoitl,~hara~sin, Chouippe, Erdan,
Fauvety, Gilardeau, Henouvier, Sergent, ete., Paris, 1851.) A ces
réflexions trés-sensées j'ajouterai que la fonction du ministére
public est absente de l'organisation judiciaire de l'~ngleterrequi
ne nous l'envie pas et OÚ les crimes et délits ne demeurent pas
pour cela impunis ni les droits des citoyens moins bien
protégés.




127
d'une société ne peut étre justement astreiut aobserver
une prescription que Iorsqu'il la comprendo Si la loi a
hesoin d'étre interprétée par le juge, qui n'était que
chargé de l'appliquer, elle peut perdre alors son carac-
tere de loi pour revétir celui d'un pUl' caprice indivi-
duel; cal' il peut arriver qu' en l'interprétant, le jugo
substitue son sentiment particulier, peut-étre méme
ses passions ou ses intéréts ala volonté du législateur.
On pourrait citer des milliers de cas oú, s'autorisant
du défaut de précision ou de netteté de la loi, des
j uges ont prononcé des sentences manifestement con-
traires al'intention bien connue du Iégislateur. On ne


.manquera pas d'objecter que, quelque bien formulée
que soit une loi, il Yaura toujours des hommes telle-
ment ignorants qu'ils seront incapahles de la com-
prendre, et des juges consultant leurs passions ou
leurs intéréts plutót que leur conscience. Mais 011 ne
saurait me supposer l'intention d'exiger I'impossible,
Les hornrnes absolurnent ignorants sont encoré trop
nombreux, j'en conviens ; ils le deviendront tous les
jours d'autant moins que la société s'acquittera rnieux
da devoir de mettre a la portée de tous des moyens
d'instruetion, Quant aux juges prévaricateurs, le sys-
teme républicain n'échappera pas entierement a ce
fléau ; mais il y sera moins exposé que le systeme mo..
narclrique , qni non-seulernent choisissait mal ses ma-
gistrats, mais s'appliquait lui-méme .3. les ,corrompre.
Ce qae jedemande. t-'.e8tt ~iUe l~ loí s'exprimedansuz; I




i28 C:KAPITRE V.


langage intelligible pou~ tout homme de sens, ayant
recu l'instruction élémentaire. 01' en est-il ainsi de
l'arsenal ténébreux de nos Codes ? Évidemment ils
sont incompréhensibles dans la majeure partie de
leurs dispositions, non pas seulement pour le commun
des citoyens, mais meme pour la plupart des gens
lettrés. Cela ne pouvait manquer de produire l'im-
mense chaosde ceUe fausse science appelée jurispru-
dence et qui ne se compose, dans la généralité des cas,
que de sentences arbitraires et souvent contradictoires
de juges qui ont substitué leurs pensées et leurs vo-
lontés acelles du législateur.


Les diverses réformes que je viens d'indiquer suffi-
ront pour faire rentrer dans de justes limites de nom-
bre el d'influence la classe des avocats, classe que l'on
ne saurait trop honorer lorsqu'elle comprend sa vraie
destination qui est de faire servir le talent de la parole
au triomphe de la justice, mais que l'on voit trop
souvent mettre indifféremment au service du pour et
du contre, du juste et de l'injuste, l'art oratoire, qui
n'est jamáis plus dégradé ni plus funeste que lorsque
l'orateur n est point persuadé de la vérité de ce qu'il
dit. Il va sans aire d'ailleurs que la fonction d'avocat,
comme celles de l'enseignement privé et de la méde-
cine privée, sera laissée absolument libre et dégagée
de toutes conditions de grades.


La formalité du serment, telle qu'elle se pratique
devant les Tribunaux, doit étre supprimée. Elle n'est




CHAPITRE V. i29


pas seulement vaine, elle est .immorale. La oú elle
produit quelque effet, elle entretient la multitude igno-
rante dans cette fausse idée, que le devoir de dire la
vérité nait de certaines formules, prononcées dans
telles circonstances et accompagnées de teIle posture
ou de tel geste, tandis que l'obligation d'et~e vrai en
toutes choses est une obligation stricte, qui suhsiste
partont et toujours, pour tous et a plus forte raison
pourceux qui sont appelés a venir témoigner devant
le magistrat dans le but de faire rendre la justice a qui
elle est due. Il faut aujourd'hui amener les hommes a
comprendre cela, au lieu de respecter des idées ab-


.surdes et de maintenir des usages superstitieux qui
les entretiennent. Ai-je besoin d'ajouter que l'usage
de ces crucifix surmontant les siéges des juges, établi
dans des temps oú il y avait une religion de l'État, qui
s'imposait a tous el ne souffrait pas qu'on en professát
d'autres, non-seulement n'aurait plus de sens pour
une société qui adopte dans toute sa sincérité et toutes
ses conséquences le principe de la liherté religieuse,
mais serait, s'il continuaitd'exister, un acte public de
mépris de ce principe?


L'inamovibilité des juges doit disparaitre comme
un privilége incompatible, ainsi qu'on l'a vu plus haut
(chapitre 1I), avec le régime républicain, et la ma-
gistrature étre renouvelée en majeure partie. Dans un
autre temps, j'avais cru voir dans l'inamovibilité une
garantie de bonne administration do la justice, en ce





130 CHAPITftE V.


qu' elle semblait protéger l'indépendanee du ju~e
contre les influences politiques. Mais j'ai été bien dé-
trompé a cet égard en voyant, dans ces dernieres
années surtout, les magistrats inamo~ibles, aun tres-
petit nombre d'honorables exceptions pres , remplir
leur mission d'une maniere aussi bassement servile
vis a vis de tous les gouvernements qui ont fait la
guerre aux idées et aux institutions progressives. Il
est évident du reste que, lorsqu'un juge attend du
pouvoir de l'avancement ou des honneurs de diverses
sortes ou des places pour ses pro ches et ses amis, lors-
qu'il a soit a obtenir d'étre admis a la retraite soit a
craindre d'y étre mis malgré lui sous pretexte qu'il a
atteint un áge qui peut étre une garantie de plus de
son aptitude a remplir ses fonctions, sa prétendue in...
dépendance vis a vis de ce pouvoir est parfaitement
dérisoire. Il n'y a done acet égard comme abeaucoup
d'autres de garantie sérieuse a demander contre la
corruption et la servilité des magistrats, qu'á I'honné-
teté du gouvernement et de ses agents.


Les dernieres traces de la vénalité des charges doi...
vent étre impitoyablement effaeées. L'institution des
avoués (procureurs de l'ancien régime) avait été sup-
primée sous la République, par la loi du 3 brumaire
an II (24 octobre i 793); c'était une raison poul' que
Bonaparte la rétablit, sous pretexte que la direction
des preces se trouvait livrée aune foule de praticiens
sans garantie d'instruction judiciaire et de probité, ce




CHAlIlnu~ V. {Si
qui était un mal aeeidentel , dépendant du tr()Uhl.
nécessairement apporté dans les relations socialespnt'
les terribles circonstances politiquea de l'épeque, et
qui, dans un état de choses normal, peut étre évité, 11
ne faut pas se laisser arréter p&r cette objection qui na
manquera pas d'étre renouvaléa, L'institution doit
étre irrávocahlement supprimée, et ses fonotioas fª~
cultatives doivent atre laissées aux avoeats ehoisia par
lesparties, ainsi que cela a été fait dans lo canten de
Geneve OU l'on ne voit pas que cette saga réforme a.it
entravé le cours de la justice. Au reste ce que ie de-
mande lá existe déjá en partie chez nous-mámes ; il Y
a des avoués licenciés, qui sont autorisés A plaider
comme avocats, et cela n'entralne aucun inconvénient
sérieux, Or, si les avoués peuvent faire en Jnélntt
temps ce que font les avocats, c'est qu'apparemment
les avocats peuvent en méme temps faire ea que font
lesavoués, Tout le monde gagnera acet áta] deehoses,
les plaideurs d'abord, qui n'ayant plus affaire qu'á un
intermédiaire au lieu de deux, épargneront leur peine,
leur temps et leur argent, les avoeats ensuite, qui tra-
vaillant désormais dans leur cabinet plus qu'au palai, \
et se familiarisant davantage avec le véritable esprit
de la loi et la pratique réelle de la procédure , seront
moins exposés aIatiguer ou Aennuyer des magi~tr~J.t$
impatients et un publie railleur, et 8. voir, ehose
cruelle! un Président quelque peu bourru arréter
l'écoulement de leur éloqueace juste au milieu de leur




CHAPITl\E V.


période la plus magnifique. Les charges spéciales
d'avocats ala Cour de cassation n'ont pas non plus de
bonnes raisons d' étre; on ne voit pas bien ce qui s'op-
poserait a ce que tous les avocats fussent admis a
plaider devant cette juridiction supremo. Quant aux
notaires, greffiers, huissiers, commissaires-priseurs et
agents de change, ils doivent devenir véritablement
des fonctionnaires de l'État, nommés et révocahles
comme tous les autres fonctionnaires publics (L), En
tant que propriétés transmissibles, toutes les charges
devront done étre supprimées au fur et amesure que
les titulaires actuels cesseront de les remplir. Il est
bien entendu qu'une juste indemnité sera due aux
familles qui seront ainsi dépossédées de priviléges ac-
quis de bonne foi et sous la garantie des lois alors
existantes. Puisque je viens de prononcer le nom
d'agents de change, je suis amené aparler de l'institu-
tion aux opérations de laquelle ils sont chargés de
présider. La fureur des jeux de Bourse , particuliere-


(f) Les fonctions de courtiers et de gardes du commerce, dont
on a fait des charges publiques, doivent devenir entiérement
libres. La vénalité s'est glissée jusque dans des offices qui ne
sont point institués par la loi, tels que ceux des gens d'affaires,
agréis par certains tribunaux de commerce,


Par la Constitution de f 791, l'Assemblée nationale avait sup-
primé la vénalité des offices publics, Elle fut rétablie par le pre-
mier consul Bonaparte, qui semblait s'étre donné míssion
d'annuler toutes les grandes reformes de la Révolution : c'est ce
que ses flatteurs, d'accord avec les partisans du passé, appelaient
des reconstructions et des créatíone,




CHAPITRE V. i33
ment de ceux qui ont pour objets des transmissions
fictives de titres, et le désir de s'enrichir par cette voie
peu honnéts constituent une des plus laides maladies
de notre époque, et tout le monde gémit de ses ra...
vages croissants. Par la loi du i 3 fructidor an 111
(30 aoút i 793) et par I'arrété du 5 ventóse an IV
(23 février i 796), la Convention avait pris les mesures
les plus séveres pour qu'il ne se fit a la Bourse que
des opérations sérieuses, que des ventes d'effets ou
de marchandises dont on serait véritablement proprié..
taire au moment de la vente. Bonaparte, par I'arrété
du 27 prairial an X (15 juin 1802), abrogea ces dispo-
sitions et ouvrit au public la Bourse, qui précédem...
ment n' était ouverte qu'aux agents de change, cour-
tiers, banquiers et négociants, Il est urgent de re.
venir aux dispositions de la Convention, si ron ne
veut que le peu de moralité qui nous reste encore,
aille hientót se perdre dans cet abyme dont la vue fas-
cine la plupart de ceux qui en approchent.


Je dirai ici quelques mots du Conseil d'Etat et de la
Cour des comptes, parce que, bien que ces deux corps
n'appartinssent pas a l'administration de la justice
proprement dite, ils avaient certaines attributions ju-
diciaires. Le Conseil d'Etat, ce rouage de la machine
mona~chique (1), rouage coúteux et désormais inutile,


(i) Rouage de luxe méme pour la monarchie; cal' des gouver
nementsmonarchiques, comme celui de la Belgique par exempls,




134 CHAPtTllE V.
doit etr.'l1pprimé. Sa fonotion prinoipale était de pJ'é..
parer les projets de loís. 01' cette fonction doit etré at.
trihuée ~ la commission permanente de I'Assemblée
nationale, qui, étant ehargée de surveiller la gestion des
eonseils supérieurs d'administration des divers I!I-~
vices publica, est en position de juger dé l'opportu-
uité des chengements a introduire dalla la législation,
Du reste ehaque memhre de l'Assemblée nationsle a le
droit d'initiative de la proposition de lois nouvelles,
Parmi les autres attributions, plus ou moíns sérieuses,
du Conseil d'Etat figurait celle d'accorder ou de refuser
l'autorisation de poursuivre devant les Tribunaux les
agents du gouvernement pour des faits relatifs aleurs
Ionctions. C'était lui aussi qui était chargé de déclarer
a'il y avait abus dans eertains actes émanés des évéques.
Or la premiere de ces attributions avait été étahlie par
Bcnapsrte, art.75 de sa constitution du 22 frimaire
an VIII (13 décembre i799), dans une intention anti ..
républicaine et protectrice des exces du pouvoir (i).
Depuis, tous les gouvernements 1'ont maintenue et en
out fait leur profit, particulierement le second Empire
(décret du 10 décembre i860). 11 est temps qu'elle soit


savent s'en passer, La Charte constitutionnelle, octroyée par
Louis XVIlI en HH4, n'en faisait aucune mention.


(t) Lorsque , pendant les Cent-Jours, il tentait de jouer de nou-
veau un role liberal, désappris depuis longtemps, il promettait,
dans I'Acie a~lditionnel aux Const-tutions de l'Empire, artic1e 50,
que cette dispesition do la C~mstitution de l'sn VUl serait modifiée
pal' U(j' ¡oí.




CftAPITIlE V.


enñn hannie de notro jurisprudence, et que les déposi...
taires de l'autorité publique sachent qu'ils doivent,
comme tous les autres citoyens et mieux encore que
tous les autres citoyens, étre toujours préts a rendre
compte de leurs actes devant la justice du pays. Quant
aux déc1arations dérisoires d'ahus commis par les
bauts dignitaires de l'Eglise, cette attribution du Con-
seil d'Etat est désormais sans objet, la République de-
vant définitivement prononcer' la séparation de l'Etat
et des églises, ainsi que je le ferai voir plus loin, au
chapitre IX. La Cour des comptes, créée sous le pre-
miel' Empire, a l'imitation des Chambres des comptes
de l'ancienne monarchie, est également un rouage a
supprimer. C'est une institution de luxe, fort vantée
par ceux qui l'exploitent et admirée par un certain
public qui se laisse éblouir si facilement. A-t-:elle véri-
tahlement, depuis sa fondation, prévenu ou réprimé
les dilapidations des deniers publics? Ses nobles con-
seillers regardaient avee leurs yeux de lynx le petit
coté formaliste, et avec leurs yeux louches et distraits,
cal' ils en avaient de rechange, le grand cóté moral
de la eomptabilité, arrétant dans leurs mailles serrées
quelques centimes échappés a l'attention des pauvres
employés de dernier ordre, pendant qu'ils laissaient
passer a travers de larges déchirures les millions et
les milliards des malversations et des expéditions
princieres ; ils ont, comme on dit encore, reje!é des
moucherons et avalé des chameaux, La Cour des comr-




136 CHAPITRE V.


tes sera naturel1ement remplacée par la commission
permanente de l'Assemblée nationale, chargée de sur-
veiller la gestion de toutes les administrations et par-


. .


ticulierement de celle des finances, le pouvoir qui v~W'
les contributions publiques ne devant jamáis se des~S»".
sir du droit d'en contróler l'emploi. Tout auplus pour-"
rait-on rétablir asa place les commissions de trésorerie
et de comptabilité nationale, qui avaient été instituées
parla Constitution du 6 fructidor an 111 (22 aoút i 795),
art. 3t5, 3t7 et 321-324.


Enfin je ferai remarquer que la dénomination de
Cour, appliquée auxTribunaux d'appeletde cassation,
est toute monarchique, et qu'il y a convenance a réta-
blir simplement celle de Tribunal, appliquée par l'As-
semblée nationale ala juridiction supérieurede cassa-
tion qu'elle institua par la Constitution des 3-f 4 sep-
tembre i79:l, titre 111, chapitre 5, arto 19 (i). Je
demande toute~ois que l'on n'attaehe acette restitution
que le genre d'intérét secondaire que j 'y attache moi-


(1) n va sans dire que la simple dénomination de Tribwlat de
cassation, appliquée méme par la Constitution monarchique de
1791, fut maintenue par toutes les Constitutions de la République
(Constitutions des 24- juin i 793, article \JS; 5 fructidor, an III
22 aoút 1795), article 254; 22 frimaire an VIII (13 dé-
cembre 1799), article 65; et 16 thermidor an X (4 aoüt 1802),
article SO). Mais Bonaparte, en se décorant du titre d'Empereur
dont il avait déja tous les pouvoirs, effaca le nom de Tribunal et
le rempláca par celui ele Cour, dans le Sénatus-consulte du
28 tloréal anXII (18 mai 1804), articlesí , 2 et 136.




CBÁPITRE V. 131
méme : parmi tant de choses Arégler, les plus graves
ne sont assurément pas celles de pure dénomination,
qui ont pourtant aussi quelquefois leur importance,


Il y a nrgence a réformer notre législation pénale en
matiere criminelle et correctionnelle (i), législation
qui a tel1ement peur de rencontrer des innocents dans
ceux qu'elle appréhende au corps, qu'elle semble n'a-
voir pas de plus grand malheur aredouter que d'étre
obligée de laehel' sa proie, et qui, lorsqu'elle trouve
de véritables coupables, n' a en vue que punition et
vindicte au lieu de l' amélioration morale et de la réha-
bilitation qu'elle devait avoir pour but principal. Pour
que le peuple francais, redevenu libre, donne de sa
sagesse et de sa foree une preuve devant laquelle les
siecles futurs s'inclinent d'admiration et de respect,
qu'un de ses premiers actes soit de déeréter l'abolition
immédiate et absolue de la peine de mort, et l'abais-
sement de la plupart des autres peines, en déelarant
que le but principal de la législation criminelle, lors-
qu'elle punit le coupable, doit étre de travailler ason
amélioration moraleet de lui laisser une porte toujours
ouverte ala réhabilitation. La détention dite d perpé-


(1) C'est une des ceuvres réactionnaires du premier Empire.
Le Cede d'instruction criminelle est de 1807, et le Code pénal de
1810. Le Code pénal du 3 brumaire au IV (25 novembre 1796),
peut étre consulté utilemeut dans le travail de révision : il con-
tieut plusieurs dispositions que les auteurs du Codepénal de 1810
out eu grand soin de remplacer par d'autres dispositions con-
formes aux intentions que leur signifiait Bonaparte-.




181 CHA'ITal V.
t..¡té, lui termant oette porte, peut le jetar dans le dlt-
couragementet ainsi faire obstaole ason amélioration
moraleau lieu de l'exciter a y travailler ({).


(i}Dans un des projets de résolutions qu'on trouvera a lafinde
cet ouvrage (2e appendice), [e dirai en quoi devra consister désor-
mais la répression des crimes et délits,


En di~ant qu.'i\ "'1 a urgente néc.essité de réform,r notce légis-
lation pénale en matiére criminelle et correctionnelle, je ne veux
point parler seulement, on le pense bien, des décrets et des lois
postérieurs au 2 décembre 185 í , comme, par exemple, les décrets
de 1852, qui ótent au jury la connaissance des délits de presse
et interdisent de faire la preuve des faits allégués dan s les procés
de diffamation, ou les lois de 1853, relatives aujury, mais encare
de dispositions qui existaient avant 1851, et que la République de
1848 a laissées subsister. Des 1832, on avait compris la nécessité
d'une réforme ; mais le législateur d'alors se contenta d'étahlir la
faculté de déclárer, dans les affaires criminelles et de police COl'-
rectionnelle, qu'il y a des circonstances atténuantes. Laissant aux
juristes de profession le soin d'entrer dans le détaíl de toutes les
contradictions, immoralités et inutiles duretés duo Code pénal,
qu'ils connaissent beaucoup mieux que moi, je me bornerai a en
donner ici quelques exemples. Je ne suis embarrassé que du
choix, en laissant méme de cóté les dispositions qui prodiguent
la peine de mort et les travaux forcés ou la détention a per-
pétuité,


D'aprés l'article 2 du Code pénaI, toute tentative de crime,
manifestée par un commencement d'exécution, et qui a été sus-
pendue ou qui a manqué son effet par des circonstances indé-
pendantes de la volonté de son auteur, est considérée comme le
crimeméme, CeUe disposition, qui est du reste contredite par pIu-
sieurs autres du méme Code, est d'une rigueur excessire. Tant
qu'un crime n'est pas consommé, il est possible que l'aut.eur ait
la bonne pensée de s'arréter dans sa voie criminelle avant l'en-
tiére exécution, et ce n'est pas seulement l'équíté, c'est encore
l'intérét social qui veut que, dans le jugement a portar sur son
aetion, on le fasse bénétlcier de cette possibilité,


L'expression d'iR.famántes que I'article 6 applique aux peines




efU PITA! V'.


Si la SOCi6té a le droit de s'assurer de la personna de
eslui qui est simplement prévenu d'un crime ou d'un
délit, elle doit, jusqu'á preuve légale de la culpabilité,


-en matiére criminelle, doit etre rejetée comme un héritage de
l'ancien droit, Elle rend la peine.perpétuelle, Et puis le juge n'a
pas adécider de la réputation; c'est un fait dépendant de l'opi...
nion publique, qui ne ratiño pas toujours, tant s'en faut, les
eondamnations prononcées par les Trihunaux.


L'article 55 rend tous les individue eondamnés pour un meme
erime ou pour un méme délit, solidaires non-seulement des res-


. titutions, des dommages-intéréts et des frais, ce qui est admis-
sib1e, mais encore des amendes, ce qui est inique, Cette disposition
est un reste de físoalité féodale.


L'artiole 06 éléve d'un degré la peine afflictive ou infamante
.encourue par un second crime. Cette disposition, exprimée en
termes généraux, est vicieuse en ce qu'elle ne tient pas compte
du temps éeoulé entre les fautes.


L'article 09 punit les complices d'un crime ou d'un délit de la
méme peine que les auteurs memes de ce crime ou de ce délit.
Cette rédaction est défectueuse dans le cas oú il y a pour les au-
teurs des circonstances aggravantes que les cómplices ignorent.


L'article 60 punit comme compliGes d'une action qualifiée crime
ou délit, ceux qui, par dons, promesses, menaees, abus d'autorité
ou de pouvoir, maehinations ou artífices coupables, auront pro-
voqué a cette action ou donné des instruotions pour la commettre.
Ceux la sont des auteurs plutót que des complices. Et puis, si le
crime n'est pas commis, ils ne seront alors passibles d'aucune
peine. Et quand le crime sera commis, malgré ce qu'ils auraient
fait, par suite d'un retour a de meilleurs sentiments, pour en
empécher l'exécution, ils seront punís comme s'ils avaient per-
sisté dans leur résolution premiére.


L'article toS exempte de peine les faux-monnayeurs qui, avant
les poursuites, dénoncent a l'autorité leurs cómplices ou qui en
procurent l'arrestation méme aprés les poursuites commencées,
L'artiele t~4 applique ces dispesitions aux contrefacteurs du sceau
de l'État¡ des etfets émís par le trésor et des billete de banque




140 CBAPITRE V.
réputer l'accusé innocent, et par conséquent le traiter
avec les égards dus aI'innocence, On voit qu'il ya sur


autorisés par la loi. Cette exemption de peine est immorale, en
ce qu'elle provoque chez les cómplices un acte odieux en les
excitant a se dénoncer entre eux.


Les articles 291,292 et 294, ainsi que la loi du iO avril1834
qui en aggrave la pénalité, défendent de s'associer et de se réunir
au nombre de plus de 20 personnes sans la permission préalable
de l'autorité. Avec de pareilles dispositions, l'exercice des droits
les plus indispensables a la condition de citoyens libres peut étre
constamment empéché, et je ne parle pas seulement des droits
que la législation actuelle a méconnus, mais méme de ceux qu'elle
reconnait : par exemple, la modification apportée aux articles
414-416 par la loi du 25 mai 1864, qui rend aux patrons et aux
ouvriers la faculté de se coaliser pacifíquement, n' est qu'un leurre,
quand il est toujours loisible a l'autorité de les empécher de se
concerter en les empéchant de s'associer etde se reunir.


L'article 321 excuse le meurtre, les blessures etles coups, lors-
qu'ils ont été provoqués par des coups ou violences graves. n
faudrait dire provoqltés immédiatement ou presque immeaiatement ;
cal', sans cette condition, ce seraient des actes de vengeance,
trés-coupables et trés-punissables.


D'aprés l'article 323, le parricide n'est jamais excusable. La loi
ne donnant pas plus que la morale a un pére le droit de tuer
son enfant, il fallait excepter le cas de légitime défense.


Le 26 paragraphe de l'article 324 déclare excusable le meurtre
commis par l' époUJ) sur son épouse, surprise en tlagrant délit
d'adultére dans la maison conjugale, ainsi que sur le complice.
La loi sarde dit moins mal par l'un des conjoints. Mais loi sarde
et loi francaiso méconnaissent également une des premiéres regles
du droit social, celle qui interdit a tout citoyen offensé, hors le
cas d'absolue nécessité de la défense, la faculté de se faire justice
a lui-méme, au lieu de recourir a l'impassible protectionde la
loi et du juge chargé de la faire exécuter. Que l'indignation fort
naturelle de l'époux outragé soit, dans le cas de meurtre, Ull~
circonstance atténuante de la criminalité de cet acte de colere, ~
la bonne heure, Mais qu'elle puisse l'ealcuser! Il y a la un regret-




CHAPITRE V. 141
ce point comme sur beaucoup d'autres, de notables
modifications aintroduire dans la pratique actuelle de


table emploi d'un tel moto Le meurtre en pareil cas est eneore un
acte de brutale sauvagerie et qui doit étre puni plus sévérement
que ne le permet l'artic1e326. Mais voyez quelle inconséquence!
Une nation chez laquelle tant de gens, dépourvus du sens moral,
riaient de l'adultére comme d'une peccadille, a inséré dans son
Code pénal une disposition qui donne a un des deux conjoints, a
celui qui, étant le plus fort, est le plus exposé a recourira I'emploi
de la violence, la faculté d'infliger, de sa propre autorité, au plus
faible la derniére des peines, celle qu'elle ne croyait pouvoir
appliquer elle-méme qu'aux plus grands crimes et aprés de lon-
gues íormaiités et des débats publics oú le droit de la défense
s'exereait hbrement, une peine qu'elle ne croira bientót plus
pouvoir infliger aaucun criminel, afin de laisser une porte tou-
jours ouverte ala réhabilitation! C'était un renversement de toute
saine notion d'administration de la justice en civilisation, c'était
un reste de l'état de barbarie.


L'article 329 comprend, parmi les cas de nécessité actuelle de
défense et oú par conséquent il n'y a ni crime ni délit, non-seu-
lement le cas oú l'homicide a été commis, les hlessures faite s ou
les coups portés en se défendant contre les auteurs de vols ou de
pillages exécutés avec violence, ce qui est légitime, mais eneore
le cas OU les hlessureset l'homicide méme ont eu lieu en repous-
sant pendant la nuit l'escalade ou l'effraction des clótures, murs
ou entrées d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs
dépendances. 01'cette derniére peut donner naissance ad' étranges
abus et a des crimes. Le législateur doit sans doute protéger le
droit de propriété; mais il ne doit pas, par amour excessif pour
le propriétaire, se jouer ainsi de la vie des hommes. Cet article
autorise un propriétaire avare ou brutal ou peureux a tirer des
coups de fusil sur un homme qui franchitnuitamment un mur ou
une clóture. 01' cet homme peut étre, par exemple, un malheu-
reux qui, incapable de violence commise sur les personnes, se
propose seulement de voler une gerbe de blé, acte coupable sans
doute et qui doit étre puní mais non de la peine de mort; ce
peut étre encare simplement un amoureux allant voir de nuit sa




CHAPt!'I\B V.


I'administration de la justice, La Convention avait at-
tribué aux accusés reconnus innoeents le droit de ré..
----------------- ._--------


prétendue ou sa maltresse. Ce Jernier cas s'est presenté récem-
ment dans un procés qui a eu du retentissement et un laJusUce a
innocenté l'homieide commis par un atroee propriétaire. C'est
cette méme tendresse exagérée de l'autorité pour les proprié-
taires, qui leur permet de placer des piéges dans leurs pares et
jardins, et de garnir de fragments de bouteilles le faite de leurs
clótures. Cela donne licence a un riche bourgeois de tuer ou d'es-
tropier un enfant étourdi ou affamé, qui franchit un mur pour
voler une pomme ou un raisin, action qui est loin de mériter la
privation de la vie ou d'une jambe ou d'un hras,


Les premiers paragraphes des articles 36f et 362eondamnent aux
travaux forcés a ternps ou a la réclusion, selon qu'il s'agitd'affaire
criminelle ou correctiunnelle, le faux témoignage soit contre l'accusé
soit en sa faveur. C'est bien, sauf la remarque qui termine cet
alinéa, lorsque le faux témoignage est contr~l'aecusé; rnais cela est
exorbitant lorsqu'il est en sa faveur. Évidemment la eulpabilité
n'est pas du méme degré dans les deux caso II est mal sans
aucun doute de chercher El. soustraire un accusé aux poursuites
de la Justice par un faux témoignage et cela doit étre sévérement
puní; mais cela n'approche pas de la culpabilité du faux témoi-
gnage ayant pour but d'aggraver devant le juge la position d'un
accusé qui peut étre innocent. Je ferai du reste remarquer en
passant que l'expression de Travaux forcés doit étre rayée du
Code comme associant deux idees qni se repoussent, celle d'infa-
míe et celle de travail, un des plus nobles attributs de la condi-
tion humaine.


D'aprés l'article 347 du Code d'instruction criminelle, la déci-
sion du jury contre l'accusé peut étre prise a la. simple majorité;
d'oú il suit que le sort de cet aocusé peut dépendre uniquement
d'une voix flottant entre six pour la condamnation et cinq pour
l'acquittement. Un pareil état de choses ne saurait étremaintenu.
Peut-étré ce qu'il y aurait de plus sage afaire serait-il d'aJopter
le principe de la législation eriminelle de l'Angleterre et des
États-Unis d'Amérique, en vertu duquel la condamnation de •
I'aecusé ne peut étre prónoneée que par l'unanimité des votes du




CHAPl1.'RK V. 143


elamer une indemnité proportionnée au temps de leur
détention préventive ainsi qu'au préjudice qui avait


jury. Si l'on ne croit pas pouvoir alIer [usque-lá, au moins fau-
drait il que la loi exigeát pour la condamnation les trois quarts
des voix.


L'article 352 du Code d'instruction eriminelle, qui accorde a la
Cour, dans le eas oú l'accusé est reconnu coupable et oú elle est
convaincue que les jures, tout en ohservant les formes, se sont
trompes au fond, le droit de renvoyer l'affaire aune autre session,
cet article, dis-je, peut aggraver la situation de l'accusé en 1'0x"
posant a se voir refuser par de nouveaux jurés le bénéfice des
círconstances atténuantes qui lui aurait été aecordé par les PI..,..
miers ; mais, d'un autre cóté, il lui offre la chance d'étre acquitté
par le nouveau jury. Jo ne propose done pas de supprimer le
susdit article. Maisje demanderai au moins qu'on en revienne a
la rédaction de la loi du 9 juin t 835, dont le début exigeait que
les juges fussent unanimement convaincus que les jurés s'étaient
trompes au fond, condition qu'a supprimée la rédaction aetuelle,
établie par la loi réactionnaire du 9 juin t853. Ent1n, pour que la
faculté accordée a la Cour ne püt paa tourner au désavantage de
l'accusé, le but principal de l'institution des appels étant, ainsi
que jo l'ai déjá fait observer, l'intérét de la défense des aeeusés,
iI serait nécessaire de déclarer, dans la nouvelle rédaction, que
le bénéfice des circonstances atténuantes, qui aurait été acquis
par un premier verdict, na pourrait pas étre retiré par un
second.


J8 ferai remarquer que le législateur, qui s'est si souvent
monteé sávére [usqu'á I'injustíoe et la cruauté, s'est quelquefois
montré facile pour le orime jusqu'a la complicité, On en a vu des
exemples tout a l'heure dans les cas des meurtres prévus par les
articles 32t et 324 du Code pénal. Par exemple aussi, le second
paragraphe de l'artiele 365 du Codo d'instruction criminelle veut,
en eas de convictíon de plusieurs erimes ou délits, que la peine
la plus forte soit seule prononeée. 11 resulte de la que. l'accusé
qui a commis un crime ou un délit, mais en l'aecompagnant de
beaucoup d'autreserimes ou délíts moindres, ne sera pas puní
plus queceluí qui n'a commil que le premier orime ou le p~




144 CHAPITll.E V.
pu en résulter pour leur honneur, leur santé et leur
fortune. Cette disposition était équitable et il y a Iieu


miel' délit. Une pareille disposition est un blanc-seing offert par
la loi aux scélérats pour commettre impunément des crimes ou
des délits. Constatons encore, en terminant cette note, la néces-
sité de combler une des plus regrettables lacunes de notre légis-
lation criminelle : je veux parler du silence du Code pénal au
sujet des duels. Que ces sortes de combats soient des crimes por-
tant le troubIe et l'effroi dans la société et attentatoires a son
droitjusticier et a sa souveraineté, cela n'a besoin d'étre discute
par aucun moraliste sérieux, Ils doivent done étre punís. Mais
peuvent-ils l'étre dans l'état actuel de notre législation pénale?
Tout le monde répond non, et cela paree qu'ils ne pourraient
étre poursuivis que comme assassinats et punís que de la peine
de mort ou au moins des travaux forcés. D'aprés les articIes 59,
296, 302 et 463 du Code pénal, les·cómplices sont punis de la
méme peine que les auteurs du crime, le meurtre commis avec
préméditation est qualifié d'assassinat, et l'assassinat est puni
de mort ou, en cas de' circonstances atténuantes, des travaux
forcés a perpétuité ou a temps. 01', a tort ou a raison, on ne trou-
vera jamais de juges qui assimileront a des assassins ordinaires,
pour qui ces peines ont été instituées, ceux qui se battent en'
duel et ceux qui les assistent. De la cesdéplorahles semblants de
poursuites, qui déconsidérent la justice, et ces acquittements
immoraux de citoyens qui ont tué ou regardé tuer leurs sem-
hlables souvent pour un mot blessant, acquittements dont on a
de temps a autre (récemment encore devant la cour d'assises de
Seine-et-Oise) les scandaleux exemples. Évidemment on ne fera
disparaitre cette cause de véritable honte pour la civilisation,
reste de barbarie doublée d'ignorance religieuse, de préjugés du
faux honneur et de prétentions hypocrites a la distinction et a
l'élégance, que par des dispositions spéciales, protégeant plus
efflcacement que ne le fait la législationactuelle le véritable hon-
neur des citoyens, et en méme temps prohibant expressément le
duel et en punissant les auteurs et complices par un emprison
nement et une amende dont je n'ai pas a indiquerici les termes.
En l'absence de ces dispositions spéeiales, la suppression de la




CHAPITRE V.


de la rétablir. L'indemnité sera, selon les eas , a la
eharge des accusateurs solvables ou de l'État.


On a beaucoup préconisé le systeme de l'emprison-
nement cellulaire avant que l'expérience en eút mon-
tré le cóté fácheux, et j'avoue que j'en ai d'abord été
moi-méme partisano Il a l'avantage de satisfaire plei-
nement aune condition dont tout le monde sent la né-
cessité, celle d'empécher entre les condamnés ces eom-
munieations par lesquelles ils se pervertissent toujours
davantage, les plus avancés dans la voie du crime ou
du vice cherchant aélever aleur niveau les moins cor-
rompllS et n'y réussissant que trop souvent. Mais b.
stricte séquestration dans la cellule, telle au moins
qu'elle est pratiquée aujourd'hui dans plusieurs pri-
sons de France, a l'inconvénient de mener un grand
nombre de condamnés ala folie ou a l'héhétement ou
au désespoir et a la ruine tres-prompte de la santé:
ainsi appliquée, elle est en réalité une aggravation de
peine el par conséquent une institution inhumaine. Si
done on conserve le systeme cellulaire, il sera juste
d'en tempérer I'usage et d'en prévenir les mauvais ef-
fets. 11 faudra que le travail solitaire dans la cellule soit


peine de mort et de toute peine perpétuelle remédiera enpartie
maisimparfaitementau mal que jeviens de signaler, enpermeitant
aux jurés et auxjuges de punir de peines applicableset [ustement
sévéres ceux qui, dans les combats singuliers, respectent assez
peu la vie humaine pour commettre ou aider a comniettre des
meurtres ou des tentatíves de meurtres bien íncontestablemeqt
prémédités.


10




CHAPITRE V.


chaque jour interrompu par les visites du direeteur ou
des membres dela famille dont la moralité sera recon-
nue oudes soeiétés de hienfaisance et par des prome-
nad~g silencieuses dans des cours plantéese Il faudra


... enfin étAblir dans les' prisons des écoles destinées a
'. '.. ,~ , . :.': - ". . - ',:. ',. . .faire ou reformer 1 éducation intellectuelle et surtout
morale des 'c:ónda~nés, qui pour la plupart réc1ament
de pareils soins.Tls' ne seront alors privés ni de la vue
desaútrés'ho~~mes 'ni de ces communications orales
dont 'le besoíu est impérieux, particulierement ehez
une nation d'un carac,lere aussi expansif, ni enfin de
l'air et de la lumiere également nécessaires a la vie
physiq~e" et de cette sorte on pourra recueillir les
avantages incontestables du systeme cellulaire et en
éviter les désavantages non moins évidents,


'Des .auteurs ontpensé que la loi pénale pourrait
déterminei' uncertain quantum d'augmentation ou de'
'dí~lnutión:de 1a, durée de l'emprisonnement, que
radminis't~~Üon appliqucrait au prisonnier selon sa
conduite, Cela es! admissible tout au plus pour le
quanturtÍ'de diminution , et encore cela donnerait-il
'líen, de la: partde I'administration, a l'arbitraire et a
la Iaveur;' et, de la part des prisonniers, a beaucoup
da .démo~strations simulées. On .a aussi réclamé des


'rnstítutions complémentaires de la 'législation, crimi-
.nelle, .destinées a suivre et.apro.iég~r le condamné
pendantun-certaia- -temps .aprea.I'expiration de sa
peine. Il ya la ea effet une grande ceuvre a opérer;




CHAPITRE V. 147
mais e'est reuvre de morale philanthropique, qui ne
peut guere étre exécutée que par des institutions pri-
vées el des associations libres.


Le Code pénal actuel prodigue la peine de I'empri-
sonnement, peine qui, pour le plus grand nombre di
eeux qu'elle atteint ordinairement, s'aggraie de ce
qu'elle frappe avec les coupables des innocents qui
vivaient du travail journalier des condamnés. Il con-
vient done de diminuer dans une proportion considé-
rahle soit le nombre des cas actuels d'application de
la peine de l'emprisonnernent soit la durée de cette
peine pour les cas OU elle sera conservée.


Le systeme de pénalité par des amendes pécuniaires
conserve une partie des ineonvéníents de la confisca-
tion, qui a été justement abolie, et il a d'ailleurs le
défaut de punir le riehe et le pauvre, pour des délits
de meme nature J d'une maniere inégale en réalité
quoique égale en apparenee. Il estvrai que la fixation
d'un maximum et d'un mínimum laisse aun magistrat
judieieux un certain espaee dans lequel il peut se
mouvoir et approeher de l'équité. Et d'un autre coté,
quoi qu'on fasee , il est impossihle que les mémes
peines soient rigoureusement égales pour tous : un.
homme riche ou célihataire et un ouvrier dont le tra-
vail quotidien est nécessaire a la subsistance d'une
famille , sont condamnés tous deux , commeauteurs
communs d'un méme délit, a l'emprisonnement *et a
l'amende; cette peine peut étre légere pour le pre-"




i48 t:H.A.PJTRI: V.
mier et terrible pour le seeond et sa famille, lors méme
que la prévoyance sociale aurait organisé un systeme
de secours aapporter a eette famille. De ces réflexions
je n'entends done point conclure la nécessité de ~up­
primer la pénalité des amendes, mais bien d'en faire
un usage plus intelligent et d'en abaisser le tarifo


Quoique pouvant accidentellement ouvrir a un
juge peu éc1airé ou partialla voie a des sentences ar-
bitraires, la distinction déjá établie dans notre Code
entre le maximum et le minimum des peines, est une
chose bonne en principe, paree qu'elle fournit a un
juge perspicace et humain un moyen de tempérer la
rigidité de la loi pénale ou mieux de l'appliquer, ainsi
que le veut la justice, en ayant égard le plus possible
aux circonstances, plus ou moins aggravantes ou at-
ténuantes, qui se tirent des différences d'áge, de sexe,
d' éducation, de position, en un mot de la diversité des
milieux oú se trouvaient placés les délinquants. Elle
doit donc étre non-seulement maintenue, mais ren-
forcée sur plusieurs points par une plus grande étendue
de I'espace compris entre les deux limites extremes,
par un abaissement du minimum et non par un ex-
haussement dumaximum qui doit au contraire étre
aussi abaissé, puisque nous sommes placés au point
de vue de la nécessité d'un adoucissement général de
la répression pénale, réserve faite de quelques cas
exceptionnels, indiqués dans la note de la page 138.


Je ne parlerai pas des nombreuses imperfections de




CHAPITRE V. 149
ce Code civil de 1803, si vsnté depuis sous le nota de
Code Napoleon, imperfections qui proviennent surtout
des additions et changements apportés par Bonaparte,
premier consul, a la rédaction primitive, beaucoup
plus simple et surtout plus breve, présentée ala Con-
vention en ! 793. On a trop oublié que ce qu'il y a de
rationnel dans la substance de notre législation civile,
appartient acette rédaction primitive (I), et que pres-
que tout ce qui doit aujourd'hui en étre retranché et
qui n'est qu'une informe compilation de coutumes ra-
massées <;a et la dans les traditions de l'ancien régime,
est l'ceuvrepropre du despote et de ses serviles conseil-
Iers. Énumérer les réformes réc1amées par la légis-
lation civile et les reglements d'administration et de
police générale, nécessiterait des détails infinis et qui
ne peuvent trouver place ici (2). Mais je dirai, en pas-


(f) M. Edgar Quinet a déja protesté contre cet oubli, dans son
ouvrage La Révolution, livre XV, article 2, tome second, Paris,
f865. Voiraussi les ouvrages de M. Émile Acollas, intitulés Néces-
sité derefondre l'ensemble de nos codes, Paris, f866, et Manuel de
droit civil, tomes f et 2, París, f869 et f870.


(2) La loi du 3f mai f 854, article i er, a aboli la peine barbare
de la mort civile, instituée par le Code civil (articles 22-25) ; mais
elle ena laissé subsister une partie, en maintenant, dans se
articles 2 et 3, l'interdietion légale.


Les articles 9f3 et 9f5 du Code civil, qui ne permettent de
disposer de la totalité des biens, par acte entre-vifs ou par testa-
ment, que dans le cas oú il n'y a ni descendants ni ascendants,
porte une grave atteinte au droit naturel attaché a la propriété.
Un pére doit élever ses enfants le mieux possible et les mettre
en étatde se procurer des moyens convenables d'existence, mais




ioO CHAPITRE V.
sant , quelques mots de l'action du pouvoir social et
des Iimites de cette action sur les mceurs publiques et
privées.


il ne leur doit pas de leur laisser sa fortuna. Assurément et dans
la presgue universalité des eas il tiendra avec raison a la leur
laisser et le plus ordinairement par portions légales; e'est pour
cela que la législation universelle, supposant cette volonté a
défaut d'expression formelle d'une volonté contraire, attribue la
fortune du décedé intestat a ses enfants, notre Code en particu-
lier établissant en ce cas la condiíion du partage par égales por-
tions et sans distinction de sexe. Mais un pére peut avoir de
justes motifs pour laisser a tel de ses enfants plus qu'a tel autre,
011 méme pour laisser toute sa fortune a tel de ses enfants, ou
meme encore pour laisser tout ou partie de sa fortune a un
étranger qui l'affectera a telles oeuvres de bienfaisanee publi-
que OH privée, L'égalité de partage entre les enfants est sans
doute la regle générale, lorsqu'il n'existe pas de grandes inéga-
lités soit naturelles soit de position aceidentelle; dans le cas de
ees inégalités, la similitude de traitement pourrait dégénérer en
véritable iniquité, tandis que la différence de traitement, tendant
ti. rétablir une égalité réelle ou a atténuer une trop grande inéga- .
lité, ne serait que justie. Un pere a un fils débauché, qui a
résisté a tous les bons conseils, et qui attend sa part de succes-
sion pour la dissiper dans le désordre et l'oisiveté ; il voudrait
pouvoir l'en priver, espérant méme que cet aete d'extréme
sévérité le ferait sortir de la mauvaise voie en l'obligeant a
ehereher dans le travail des moyens d'existenee; ou bien ila un
Iils que le hasard ou diverses eireonstanees ont enrichi, et il
voudrait laisser ce qu'il possede soit a un antre fils qui n'a
rien et qu'un faible état de santé rend ineapable de travailler,
soit a une tille dont il faeiliterait par la l'établissement ou qui
est exposée a demeurer un jour dans l'isolement du eélibat ou
qui déja subit la gene d'un veuvage ehargé d'enfants; ou bien
encora/ il n'a que des enfants déja riehes ou indignes, et il
voudrait léguer ses biens a un étranger qu'il estime et qu'il
sait devoir en faire un bon usage, Dans tous ces cas et dans




CHAPITI\E v,


Quand le législateur parle de devoirs, ce doit étra
pour en prescrire l'accomplissement, et iI faut alors


.~,' ' ..".' ~ ~..


beaucoup d'autres que ron peut imaginar, il reacontee 'un
insurmontable obstaele .dans les articles en question du Code
civil. La raison veut donc que cet ohstacle soit levé. La tendresse
ordinaire des peres pour leurs enfants péehant'plutót par ~xc~s
que par défautet dégénérant plutót en faiblesse qu'en ;vigueur
exercée a outrance, i~ n'y .a; pas a.se préoccuper des· CfI;S ,
absolument possibles, oú ils ne feraient pas un' usage parfaC
tement raisonnable 'de 'la faculté de disposer de leur fortuna :
l'usage.qui.en serait fait, .particuliérement .en f!'lvR,1,lf .d'étrangel'S
a la farnille, ne constitueraitjamais que la trés-minime .exceptíon,
En vain objecterait-on qu'il pourrait donnerIieu, dans lesein
des familles, a de perfides manrauvres et á debasses -adulations
et y semer la jalousie et les dissensions ; il n'est point de liberté
dont I'exercice nepuíssé étre I'occasion de' queÍque' mal q'lli ne
saurait 'etre une -raison pour supprimer cette liberté méme,: et
d'ailleurs ces inconvénientsexistent aussi dans le systéme aet~,~)
malgré ses reserves en faveurdes descendants ou des ascendants.
Pour étre conséquent il faudraitdónc pousser plusloirl rohjeé-
tien, et réclamer la .suppression méme des articles .susditsper-
mettant d,e disposer d'une portien des biens quipeu~ allerjus-
qu'auxtrois quarts.· " ..." '<' L .,. .,.


L'iniquellrtiCIé'1781/d'apres lequellemaUre était'cru sur'sdn
affirrnation, po¡.w la.quotité. des gages,. pour,lept;tiem~nt dV!.salf;l.i1;:e
de l'année éehueetpllur les a-compte donn,és pour l'tumée courante,
vient enfin d'étre suppriméjrnais 'íl subsiste encoré dans 'le Corte
civil beIge,. qui l'avait emprunté du nótre.Imagjne-t1)n ríen
de plus contraire et á I'équité naturelle ,et aUÁ. réglesmémes
d'égalité de droits et d'obligations que le Code étáhlit. aiHeufs
avec raisonenire les contraotants r Pourquoi donc,:daIt~.,ceeas
de contrat de louage, l'une desdeux parties et' précisément
celle qui est habituellement: ..la"plusforte,serait-elle par
avance .déclarée infailliblement justecontre l'autre;, quiest
'généralement faible et sans,défense ?Pourquoi la'pr~iere
serait-elle dispensée de faire lapreuve légale de.lavérité de ~s
affirmations, et pourquoi surtout interQ..irait..on a la seconde la




152 CHAPITRE V.
c¡u'il institue des peines contre leur infraction. 11 ne
doit jamais commettre la faute de prétendre régler les
choses sur lesquelles il n'a pas de prise; sans quoi il
eompromet son autorité par la facilité avec laquelle on
élude des commandements dépourvus de sanction.
C'est un príncipe de droit que la loi humaine ne doit
avoir pour objets que les relations pouvant donn,er
lieu aune action. Dans la presque universalité des cas,
les rapports illicites des sexes sont des choses intimes,
d'uae nature insaisissable , et qui échappent al'mil de
l'autorité eivile. Le Code pénal ne contenant pas et ne
POUV&:J.t pas an efi'et contenir de dispositions punissant
tous les faits d'infidélité de l'un et l'autre conjoint, on
ne saurait voir qu'une faute dans cette formule impé..
rative de l'arto ~ i2 du Code civil : « Les époux se doi-
« vent mutuellement fídélité. » 8'H y a quelque chose
de parfaitemerrt ridicule , c'est le 1'Óle d'un magistrat
récitant eet article aUK nouveaux époux avec une gra-
vité de commande , qu'il ne parvient pas toujours a
soutenir jusqi....'au bout de la cérémonie , distrait qu'il
est par les sourires et les chuchotements d'unauditoire
libertino Que répondrai: ce magistrat aI'époux qui lui
demanderait quelle peine ilencourra s'il commet tel
---_._---------------------


faculté d'établir devant le juge la légitimité de ses prétentions t
Est-ce que le législateur don consacrer une telle monstruosité,
quir,*,ent en déflnitive a professer qu'il tient pour honnétes
gens'~ibus maltres dont auraient 11 se plaindre domestiques et
ouvriers, et pour malhonnetes gens tous domestiques et ouvriers
qui aursient a se plaindre de Ieurs maltres ?




CHAPlTRE V. H53
acte contraire acette fidélité que le Code lui prescrit?
Évidemment la morale relig~euse seule aurait réponse
a eette question, et par morale religieuse j'entends
celIe d'une religion telle qu'elle n'a pas encore existe
mais qu'elle existera certainement un jour.


Je demanderai aceux mémes qui traitent ces choses
légerement mais aqui il resterait encore quelque no-
tion du bien et du mal, s'ils peuvent sans frémir arre-
ter leurs regards sur le tableau des désordres causés
par la dissolution des mreurs publiques et privées (1).
Ces désordres sont des faits officiels, incontestables, et
dontl'effrayante signification ne peut échapper aper-


.sonne. Et la société qui repousse impitoyablement de
son sein les étres qu'elle a procréés pour se donner du
passe-temps , et a qui elle refuse famille et propriété,
s'étonne ensuite et se plaint qu'ils ne soient pas épris
des charmes de la famille, el qu'ils n'aient pas sur les
---------------


(t) Voici un des cótés trés-raecourci de ce tableau. Le nombre
des enfants naturels monte aujourd'hui en France a plus d'un
million. Il en nalt annuellement environ 80,000. Le nouveau
Paris fournit le cinquiéme de ce nombre, quoique la population
n'y soit que le vingt-et-uniéme environ de celle de toute la
France. La moyenne de la vie de ces malheureux enfants;: aban-
donnés pour la plupart, est de 4 ans. Un tiers d'entre eux meurt
dans la premiére année, et un second tiers avant la fin de la
douziéme année. Un grand nombre de ceux qui survivent sont
destinés, selon le sexe, aux Cours d'assises ou a. la prostitution,
Et je ne puis compter ni les innombrables avortemen~voqués
criminellement, ni les cas monstrueux oú des meres '11i1aturées
détruisent de leurs propres mains le fruit sorti vivant de leurs
entrailles.




154 CHAPITRE V.
droits de la propriété une croyance aussi ferme qu.e tel
autre qui, né dans I'opulence et vivant dans l'oisiveté,
occupe ses loisirs afaire le plus grand nomhre pos-


•sible de prostituées 1II Ya la tout a la fois cruauté et
ineptie (L). Combien ne voit-on pas d'hommes qui se-
raient justement saisis d'horreur ala pensée que leurs
sceurs ou leurs filIes fussent jetées dans le cJoaque de
la prostitution, corrompre de gaieté de creur de pau-
vres filIes qH 'ils livrent ensuite en páture au liberti-
nage public, et ne pas se faire le moindre scrupule de
répandre ainsi la désolation daus d'honnétes familles !
Parmi leurs victimes, le nombre augmente tous les
jours de celles qui se dérobent par le crime du suicide
aux douleurs poignantes de la honte ou ala menace
de la misere et de l'hópital , et ce sont ordinairement
celles qui ont le plus de cceur et qui mériteraient le
mieux de vivre. Qu'est done devenu le sens moral
chez ceux qui trouvent toutes sortes de formules pour
parler agréahlement de choses aussi tristes? On évite
..


(~) Une pauvre villageoise es! séduite par nn riche bourg-
mestre, qui la rend mere et l'abandonne ensuite a la misereo
Elle meurt au pied d'un arbre en retournant dans sonvillage.
Son ñls réunit a de hautes facultés intellectuelles de brillants
avantages physiques. Devenu roí de Sion, Jean de Leyde cou-
vrira Munster de ruines ensanglantées, et puis enfermé dans' une
cage de fer, son squelette sera élevé sur le clocher d'une cathé-
draJe par l'atroce vengeance d'un évéque. Croit-on que le fana-
tisme rtd,igieux suffise pour expliquer une telle víe, et que les
souvenirs et les ressentíments de l'eníant dé douleur n'y aíent
pas été pour une grande part?




CHAPITRE V.


avec grand soin, on éloigne de sa demeurs lea hommes
que ron eroit capables de porter atteinte ala propriété
matérielle et a la sécurité des perscnnes ; el l'on fait
hon accueil aceux qui tirent vanité de ravir aux fa...
milles des hiens mille Iois plus précieux l On leur sou....
rit tant que leurs infames prouesses n'atteignent pas
celui qui y applaudit; car si celui-ci vient a apprendre
quec'est a lui...méme qu'on 0111evQ ce qu'il a de plus
cher , le ooeur d'une épouse, l'honneur d'une fille ou
d'une sreur, alors les sourires gracieux font place aux
plus grands éclats de fureur : mais tant que ces mal-
heurs ne frappaient que les voisins et.les amis, loin
de s'en indigner, on en riait jusqu'aux larmes. Ces
étranges inconséquonces se produisent journellement
dans le monde, et c'est a cette source que viennent
puiser leurs sujets de prédilection ces auteurs drama..
tiques et ces rotnanciers qui, propae-eant le mal au líeu
de le combattre, respectent si pen la noble mission de
l'écrivain : je ne coanaís point de faits qui démontrent
mieux combien le progres de la moralité est encoré
pen avancé chez les nations qui se croient les plus ei...
vilisées.


Ya-t· il, humainement parlant, possibilité de re-
médier au .mal de la prostitution d'une maniere effi...
cace et non pas seulement par des mesures qui ne
fassent que le pallier? Je n'hésite pas a répondre que
non. On peut bien organiser une police réglementant
la corruption, dosant les quantités quotidiennes de




{lS6 CHAPITIlE V.
poison qui seront infusées dans les veines du puhlic,
et s'acquittant de ce heau róle avec cette hahileté a
remuer la fange, que donne seulement une expérience
consommée. Mais aquel résultat cela doit-il ahoutir
en fin de compte ?A la propagation du mal sous appa-
rence de répression ou sous prétexte de saluhrité pu-
hlique (i). D'ailleurs, outre la prostitution duement


(f) 11 est facile de s'en assurer par la comparaison avec d'autres
pays oú l'autorité ne s'est pas crue appelée a réglementer le li-
bertinage. M. Benjamin Delessert, que sa position de membre
du conseil général des hospices de Paris mettait a méme d'etre
bien renseigné, fournissait les documents suivants a la Chambre
des députés dans la séance du 30 mai 1838.


Sur f ,000 naissances, il y avait alors. a Paris, 316 enfants
naturels, a Londres 26 seulement, c'est-á-dire 12 fois moins.
5,000 enfants étaient abandonnés annuellement a Paris, .,000 a
Londres, c'est-á-dire 10 fois moins proportionnellement a la
population qui était alors presque double de celle de París. En
Angleterre, toute proportion gardée, il y avait moitié moins d'in-
fanticides qu'en France, et pourtant les Anglais, que je suis loin
du reste de proposer en toutes choses pour modeles aux Franeais,
n' ont point multiplié comme nous ces hospices d'enfants trouvés,
oú la mortalité est si considérable que M. Benjamin Delessert
était d'avis qu'on y mi! cette enseigne: La on fait périr les en-
fants ouai {rais du publico


Depuis 1838, le mal a été croissant. On lisait dans l'Annuaire
du bureau des Longitudes pour 1856, que, d'aprés les documents
fournis par la préfecture de la Seine, sur 36,464 naissances qui
avaient eu lieu aParis en 1854, avant l'annexion de la banlieue,
il yavait i 1,717 enfants naturels, c'est-á-dire 321 sur 1,000 ou
presque t sur 3. Certains documents, publiés récemment, pour-
raient induire en erreur sur ce point s'ils n' étaient expliqués :
c'est ainsi que l'Annuaire dubureau des longitudes pour f 869 porte,
d'aprés les renseignements fournis par la préfecture de la Seine,
que, sur 55,044 naissanees qui ont eu lieu a Paris, en 1867, il Y




CHAPITRE V.


enregistrée et que les protecteurs de la vertu des rues
n'ont pas encare su empécher d'étaler aux regards de
nos femmes et de nos enfants 1'immonde et pervertis-
sant spectacle du stationnement sur la voie publi-
que (t), il Ya une autre prostitution que je n'appelle-


avait 15,4i2 enfants naturels, e'est-á-dire 281,08 sur 1,000.
Mais il faut remarquer qu'il s'agit ici non plus de Paris propre-
ment dit mais de Paris aeeru de la population annexée de la
banlieue, Combien on se tromperait en supposant que, de 1854
a 1867, les mceurs parisiennes s'étaient épurées !


(1) Quelle que soit l'opinion que l'on se forme sur les diverses
questions qui se rattaehent a eette triste matiére, il est un point
sur lequel toutes les personnes honnétes doivent au moins étre
d'accord, a savoir qu'un gouvernement, soueieux de l'intérét de
la morale publique, ne doit point permettre que la prostitution
stationne dans les rues et s'offre aux passants. Le gouvernement
républicain ne permettra done pas que ce spectaele continue d'of-
fenser les regards des citoyens. Les tribunaux appliquent jour-
nellement les dispositions de l'article 330 du Code pénal a des
actes beaucoup moins dommageables aux mceurs, Quant a la
question de savoir si l'autorité devra continuer de réglementer
13; prostitution dans l'intérét de la santé publique, je ne suis pas
bien eonvaincu que I'absence de réglementation mais avec dé-
fense de stationner dans les rues fút aussi dommageable a la
santé publique que l'est la réglementation d'aujourd'hui avec
stationnement sur la voie publique et provocation adressée aux
passants. La prostitution est un mal qui ne cessera jamais en-
tierement et que la morale religieuse a seule mission d'atténuer.
Que le pouvoir gouvernementalla laisse exister lorsqu'elle se
cache, a la bonne heure: il ne réussirait pas a la supprimer et
ce n'est d'ailleurs pas pour cela qu'il est institué; mais en la
réglementant il la prend eomme sous sa protection et lui donne
une sorte d'existenee légale, ee qui est un vilain role que le ré-
gime républieainne saurait accepter.


Qu'on me permette de mentionner ici un autre sujet de honte




CSAPI'IltE V.


rai pas méme clandestine; ear, loin de se cacher, elle
s'étale souvent en public, elle s'affiche dans les roes,
les promenades, les théatres, sous un luxe insolent de
folles toilette s et de brillants équipages. Contre cette
prostitution-lá les moralistes de la policene se fáchent
point et pour cause. Si la prostitution officielle est le
dernier gite de l'avilissement, elle n'est peut-étre ni
la plus eoupable ni la plus dangereuse ; elle doit in-
spirer encore plus de dégoút et de pifié que de colere,
et je voudrais qu'on réservát les expressions les plus
séveres de l'indignation pour sa cause premiare, c'est-
á-diré pour cette prostitution censée occu1te, et qui est
l'école oü elle fait son apprentissage et oú elle se re-
erute, La femme perdue, aujourd'hui la plus éhontée,


publique, qui tient par plus d'un cóté a l'objet de cette note:
je veux parler de ces ignobles orgies du ' carnaval (Mascarades,.
Bceufgras, etc.), qui ont eu pour origine et pour raisond'étre
les excés et les institutions des fausses religíons. Le gouverne-
ment répuhlicain peut-il, comrne lesgouvemements monarchi-
ques qui y trouvaient leur protit, permettre que ces turpitudes,
abrutissantes pour la multitude, continuent de s'étaler sur la
voie publique? Les bons citoyens se montrent au dehors la face
découverte; ceux qui se couvrent d'un masque, prétendent a un
droit de licence, qu'ils exercent généralement au 'détriment des
meeurs, et qu'un pouvoir éclairé et sage ne saurait leur recon-
naitre. Je suis certes moins que personne disposé a multiplier
les prohibitions de l'autorité, et 1'0n voudra bien remarquer que
je ne la fais intervenir ici qu'en ce qui regarde la fonction, qui
lui appartient essentiellement, de veiller sur les divertissements
publics et de faire la police des rues dont l'acces doit toujours
étra maintenu libre et exempt d'occasions prochaines soit de vexa-
tion des honnétes gens soit surtout de spectacles dégradants,




CHAPITRE V. 159


était encore pure au moment oú elle rencontra un su-
borneur. Une premiare chute en a,rendu une seconde
plus facile, celle-ci en a amené une autre, tant qu'en-
fin la malheureuse créature, dont on s'est appliqué
avec une infernale habileté a exploiter la faiblesse de
caractere ou les dispositions ala paresse et au goút de
la parure, aété insensiblement conduite au bord de
l'abyme, puis y a été précipitée par l'abandon, la faim
et le désespoir. Dieu jugera ces pauvres créatures,
aujourd'hui si dégradées, moins séverement peut-
étre que ces femmes au cceur sec et froid, qui passent
si commodément et souvent si gratuitement pour ver-
'tueuses au sein de L'aisance et du luxe, et qui, non
contentes de ne point ressentir de pitié pour leurs
sceurs égarées et avilies, les accahlent de lenr plus
dur et de leur plus insultant mépris. C'est de la pro-
gression du mal et de son point de départ surtout
qu'on devrait faire horreur aux jeunes gens, au lieu
de leur apprendre a s'en jouer. Vouloir que, la cause
subsistant et agissant incessamment, l'effet ne s'en-
suive pas, c'est évidemment vouloir l'impossible. C'est
done seulement par la réforme des meeurs privées
que peut s'opérer et que doit commencer la réforme
des moeurs publiques; c'est en s'attaquant d'abord au
mal occulte, contre lequel chaque individu peut quel..
que chose et l'autorité ne peut absolument ríen, que


, ,


ron eombattra fructueusement le mal publico Si la loi
humaine est impuissanto contre le désordredes meeurs,




!60 CHAPITRE V.
c'est que la chasteté ne se décrete pas; elle s'impose
par la seule autorité de la conscience. Quiconquen'est
pas persuadé que l'union de~ sexes ne saurait étre lé-
gitimée que par le mariage, se rit des prescriptions de
la loi sur ce sujet, et trouve toujours mille moyens d'y
échapper. Lorsqu'á Rome, deux législateurs libertins,
Jules César et Auguste, voulurent encourager les ma-
riages par l'institution de récompenses ou de peines,
cette protection compromettante n'empécha pas la dis-
solution el la dépopulation d'aller croissant (1). Quel-
ques-uns ohserverent ces lois par spéculation, ce qui
était un nouveau Igenre et un surcroit de corruption;
la pluparfs'en moquerent et les éluderent de toutes
sortes de facons. Auguste s'étant avisé un jour de
compter cambien il y avait de maris dans l' ordre des
Chevaliers, fut tout étonné en voyant qu'il s'y trouvait
un plus grand nombre de célibataires et de céliba- .
taires ayant tous des compagnes de leur lit et de leur
table. Il adressa aux derniers un beau sermon qui fit
sur eux aussi peu d'impression qUA ccrtaines prédica..
tions d'aujourd'hui sur des déhauchés sans croyances,


(1) Les véritables sources de I'accroissement de la population
sont la paix, la sécurité, la liberté et toutes les mesures qui ten-
dent a diminuer les causes de la mortalité, et non les primes et
exemptions accordées par le pouvoir. Celles qui ont été offertes
a cet égard aux familles par Jules César, Auguste, Trajan,
Louis XIV et Bonaparte ont complétement manqué leur hut: ces
conquérants dévoraient par la guerre mille et mille fois plus
d'hommes que leurs encouragements n'en faisaient naitre.




CHAPITR~ v, 161
La. malignité du public fut tres-égayée par une de
ses lois les plus séveres contre le célibat, la loi Papia
Poppaa, rendue sous les consuls Papius Mutilus et
Poppeeus Sabinus, qui tous deux étaient céliba-
taires (4).


Des auteurs tres-graves, 56 fondant sur des motifs
tirés de la sainteté meme de l'union conjugale, récla-
mentle rétablissement de la faculté de divorce, aholie
par la loi du Hmai rsts. J'ai reconnu ailleurs (2) que
cette faculté, quelque répugnance qu'elle m'inspire,
était néanmoins d'une absolue nécessité pour certains
cas extraordinaires, et j'ai dit dans quelle prudente me-
sure je pensais également qu'elle devait étre rétahlie,


Les articles HH-t54 du Code civil, relatifs al'acte
si ridiculement qualifié de respectueux, ne sauraient
etre conservés. Je ne vois rien de respectueux dans un
acte par lequel on force des ascendants adéclarerqu'ils
consenten~ a des mariages qu'ils désapprouvent.Si
cette disposition a été imaginée dans l'intention da
sauvegarder la juste part d'influence qui leur est dus
dans une aussi grave matiere, elle n'atteint pe.sson
hut, puisqu'elle fournit au contraire un, moye~ légal


('1) Tacite nous apprend que cette loi ne ~t pas contracter plus
de mariages ni élever plus d'enfants, paree ou'on t~n,yp.U e!lCCre


,., T ...


de I'avantage a rester célibataire : « Nsc ideó conjllgip, et ~..;~,c~,-
« tiones liberüm frequeatabantur, pr.levali~or~itate. J) (Annales,
ti vre 3, § 25.)


(2) Rénovation religieme, chapitra VI, S
1t




462 CHA'ITRJI: V.
d'éluder des oppositions qui peuvent étre fondées, et
ne tait ainsi qu'envenimer les causes de discorde dans
les familles, Si elle tenda protéger les enfants contre
I'exces de l'autorité paternelle, elle n'atteint pas da..
vantage son but : des enfants bien doués et bien élevés
répugneront.á user d'un moyen dont I'emploi n'est fa-
eile que pour ceux.qui ont moins de valeur morsle: et
d'ailleurs ce que le législateur a de mieuz afaíre pour
prévenir l'ahus de l'autorité paternelle, e'est de ne pas
l'étendre.au...delá de ses hornes naturelles, Le refus de
consentement des parents peut etre raisonnable ou ne
I'étre paso S'il est raisonnahle, il ne faut pas l'irriter
par un semblant d'appuiinefficace, S'il n'est pas raí-
sonnahle, pourquoi mettre des.entraves a des unions
que la morsle approuve et peutméme exiger, et pour-
quoivenir en aide ades résistances inspirées souvent
par l'orgueil ou l'avarice ou d'autrea sentiments aussi
eondsmnablesYEn résumé, on ne protége pas effíca..
cernen!' desparente qui auraient raison contra das en-
fants -qui .auraient tort, et ron protége des parents qui
anraient tort-eontre des enfants qui auraient raiaon:
éar,' encere une fois, des enfants írrespectueus na re-
culeront presque jamais devant l'emploi du moyen que
leur fournit la loi pour se passer du consentementréel
-de-leurs pareats, tandisque des enfants vraiment.res-
;p~c~ueux répugneront presque toujours Auser de ce
. .. " ' - ' . - . -' , . , : j
moyen, et finalement le législateur n aura pa&, em-
peché les mariages déraisennables.qu'íl voulait rendre




CHÁPIT.ftE V. 163
difficiles, et il en aura empéché de raisonnables qu'il
devait faciliter. Quelque supposition que l'on fasse, la
disposition en question ne présente done que des in-
convénients; elle doit donc étre supprimée, et la liberté
de eontracter mariage sans avoir besoin du consente-
ment de personne, étre laissée aux individus des deux
sexes ayant atteint I'áge de la majorité, a partir duquel
la loi leur reconnait et leur attribue la pleine respon-
sahilité de leurs actes, Il y aurait lieu alors de ne main-
tenir la néeessité du consentement des ascendants que
pour le cas de minorité des enfants des deux sexes, en
faisant par conséquent disparaitre ]e privilége de dif-


férence d'áge, que l'article i48 avait étahli en faveur
de la femme, comme s'il fallait enpareille matiere ne
tenir compte que des conditions physiques de nubilité
et non des conditions morales qui assujettissent autant
et peut-étre plus encore une jeune fille qu'un jeune
homme ala direction tutélaire de ses parents, Ici
comme en beaucoup d'autres choses, c'est a la morale
religieuse qu'il appartient de sauvegarder l'autorité
des ascendants lorsqu'elle s'exerce dans les limites du
juste et de I'honnéte, et le législateur ne peutque la
eompromettre par un appui dérisoire.


Je ne demanderai certes pas qu'une union aussi
grave que l'est le mariage puisse étre formée avec au-
tant de facilité. que dans certains paya, qu'en Ecosse
par exemple. Mais, parmi les formalités et les préala-
bles aremplir ches nous, il en est plusienrs autres qui




CHAPITRE V.


doivent etre également effacés de notre Code, non-sen-
lement comme inutiles et peu rationnels mais comme
ayant un inconvénient plus fácheux encore : afin dese
soustraire aces formalités plus ou moins longues et
plus ou moins coúteuses, heaucoup de personnes pren-
nent le parti de vivre en concubinage, ce qui contri-
bue pour une notable part a la naissance des enfants
illégitimes.


Enfin il y a lieu arévision du Code civil pour les ar-
ticles 756-758, restrictifs des droits de succession des
enfants naturels légalement reconnus, ainsi que pour
l'article 335, interdisant de reconnaitre les enfants nés
d'un commerce incestueux ou adultérin. Ces disposi-
tions ne peuvent que fomenter, dans le sein des fa-
milles, les jalousies et les haines au lieu de ces senti-
ments d'affectueusefraternité, qui sont la premiere con-
dition du bonheur domestique. Quedevant la loi morale
les parents aient mal agi en procréant des enfants illé-
gitimes, de ceux surtout dont parle l'article 335, cela
n'est point contestable; mais ce n'est pas de cela qu'il
s'agit ici. La question est de savoir si la loi doit punir
des enfants pour les fautes de leurs parents, ou plutót
cette question n'en est pas une pour tout homme qui
ne va pas puiser aux sources bibliques ses idées de
justice.


Il est peu d'articles du Code civil qui aient fourni
matiere a de plus vives discussions que I'article 340,
qui interdit la recherche de la paternité. En demande-




C!fAPITRE v. 165
rons-nous l'abrogation? On ne saurait nier que cette
interdiction ne paraisse au premier aspect offrir des
facilités au libertinage, en déchargeant de la respon-
sabilité de leur criminelle conduite ces peres dénatu-
résqui abandonnent leurs enfants et vouent tant de
malheureuses femmes a la honte et a la misereo 11 est
également incontestable que la perspective d'une pour-
suite judiciaire pourrait prémunir contre la tentation
de se livrer ades actes de coupable séduction. Cepen-
dant les difficultés de la recherche de la paternité et
les inconvénients qui pourraient en résulter ne se-
raient-ils pas plus grands encore que le mal auquel
elle aurait pour but de remédier, et parce que ce se-
cond cóté de la question frappe moins vivement que
le premier, en est-ille moins important? Le principal
moyen sur lequel devrait s'appuyer la recherche de la
paternité, serait évidemment l'affirmation de la mere.
Or d'abord comment acquérir la certitude que celle-
ci ne se serait livrée qu'á un seul homme et pourrait
toujours désigner le coupable? N'arriverait-il pas que
des femmes vinssent, sciemment peut-étre, porter de
fausses accusations contre des hommes ou parfaite-
ment honnétes ou au moins réel1ement étrangers ala
génération d'enfants abandonnés par leurs peres véri-
table~?N'oublions pas ce grand principe, trop souvent
méconnu dans l'administration de la justice des hom-
mes, que, dans le doute, il vaut mieux s'exposer a
laisseraller un coupable que s'exposer a condamner




166 CHAPITIlE V.


un innoeent. Et puis, si les femmes pouvaient, par le
bénéfíee de leur dénonciation de complices vrais ou
supposés, se débarrasser des conséquences de leur in...
conduite, »'y aurait-il pas la pour les unes un enco.u-
ragement, en quelque sorte légal, a la pratique des
mc:eurs faciles, et pour d'autres une excitationá séduira
des hommes inexpérimentés qu'elles ameneraient par
d'odieuses spéeulations ades mariages forcés? Ce nou-
vel état de ehoses ne créerait-il pas, pour l'honneur et
la sécurité des individus et des familles, les dangers les
plus graves? Je ne vois guere aquels moyens infail-
Iibles on pourrait avoir reeours pour éviter tous ces
périls : s'il en existe et qu'onme les montre, je ne de-
manderai pas mieux que de réclamer aussi l'abroga-
tion de l'article 340; car c'est un des spectacles les plus
navrants que le cruel abandon des enfants naturels et
de Ieurs malheureuses meres. 11 faut noter qu'on ne
pourrait donner a la loi qui permettrait la recherche
de la paternité que l'une ou plusieurs de ces trois
sanctions : obliger le séducteur aépouser la mere et a
légitimer l'enfant, ou le condamner a leur payerune
indemnité pécuniaire, ou le punir de la peine de l'em-
prisonnement.Or aucune de ces peines ne serait un
moyen efficace de réparer le mal déjá existant, et la
premiare pourrait l' aggraver encore; que serait en
effet la condition de deux étres mariés par sentence du
juge? Un véritable enfer OU les victimes d'une láche
séduction pourraient avoir aendurer les plus mauvais




CHAPITRE V. !67
traitements. L'indemnité pécuniaire seule, payée ala
mere et a l'enfant, outre qu'elle les exposerait a
une sorte de flétrissure en paraissant acquitter le
prix d'un déshonneur vrai ou faux, assurerait aux


I


riches des facilités et presque un privilége pour se
livrer a un odieux libertinage. Quant a l'emprison-
nement, il neprésente pas les inconvénients des deux
précédentes peines, quoiqu'il soit également impuis-
santaréparer lafaute commise, et c'est pourcette peine
que je me prononcerais si l'on se décidait apermettre
la recherche légale de la paternité. Mais je conclus,
en répétant ici ce que j'ai déjá dit, que c'est plutót sur
le respeet des préceptes de la morale que sur les pres-
criptions de la loi civile qu'il faut compter pour réa-
liser sur ce point"comme sur beaucoupd'autres le
progres des meeurs.






CHAPITRE VI-.


l'oacl: PUBLIQUE.


Apres le désarmement général de l'Europe, la.
Force publique pourra consister simplement dans une
milice peu nombreuse, d'une organisation analogue a
eellede la gendarmerie actuelle, ne recevant que des
magistrats l'ordre d'intervenir, et destinée aprotéger
les citoyens centre les malfaiteurs et aassurer l'exécu-
tiondes sentences de la justice. Mats, en attendant ce
moment, la Force publique doit consister dans une
garde nationale fortement organisée. Le licenciement
de l'armée (apres la guerre actuelle, bien entendu) est
une des mesures les plus nécessaires au salut de la Ré-
publique (1). Une des principales fautes commises en


(1) Chaque nation européenne se sent écrasée par le fardeau
de ses armées permanentes et appelle de ses vceux le désarme-
ment général; mais ehaeune d'elles demandant que ses voisines
prennent I'initiative et ne voulant par conséquent pas eommen-
eer, le mal doit se perpétuer tant que dure cet état de.défiance
universelle. Il n'y a done qu'un moyen de sortir d'une situation
aussi fausse, c'est qu'une nation donne l'exemple, et ce deroir
íacomhe évídemment a eelle qui passe pour la plus puissante et




i70 CIUPITllE VI.


i848 est de n'avoir pas pris cette mesure des le lende-
main de la révolution (1). Si je me prononce .aussi
nettement sur cette question, ce n'est pas seulement
parce que l'armée permanente est un gouffre oú s'en-
gloutissent les trésors de la Franee et parce qu'aucune
amélioration sérieuse dans sa gestion économique
u'est possible tant que ce gouffre ne sera pas fermé,
mais e'est surtout parce que la profession des armes et
les institutions militaires sont absolument incompa-
tibles avec la liberté d'une nation : quiconque ne sait
pas lire cette vérité dans toute l'histoire du passé, est
frappé d'une incurable cécité, Beaucoup de gens vont
s'écrier : « Vous choisissez, pour désarmer la France,


que cette supéríorité méme, jointe ~ de détestahles traditions
qu'íl ést bien temps d'abjurer déftnitivement, fait encoré redou-
ter de toutes les autres.


(i) Depuis le coup d'Etat du ~ décembre on s'est souvent demandé
ce que la Républíque auraít dü faire pour prévenir cette surprise .
qui lui a conté la víe, Une des plus pernicieuses erreurs de eette
bénigne République, je raí déja dit, a été l'institution d'un
Président, et de quel Président! Mais,dans la supposition méme
oú elle aUtait en raison de penser qu'il lui en fallait un, au
moins aurait-elle di! aviser a ce qu'il ne pñt jamais faire tourner
a sa ruine les pouvoirs qu'elle luí confiait. Or il est manüeste
que ce qu'il y avait a faire avant tout dans ce but, était de ne
poilit laísser entre ses mains une armée permanente. Est-ee
qu'il eut pu exécuter son attentat contra la représentation et la
souveraineté nationales, s'il n'avait pas euootte armée a son
entiere disposition? La pensée mema d'un pareil attentat luí
rut..elle jamaii venue s'i! eüt su ne pouvoir appeler a son aide
que des gaMas nationaux1 Done le maintien du systeme militaire
a été la source principale de ce déluge de calamités,matérielles
et surtout morales, qui a marqué le passage du second ~mpire,




CDAPITRE VI. t7t
« le momsnt oú, se reconstituaat en République. elle
« va réveiller les défiances et les terreurs de la plu..
« part des monarehies européennes et soulever oontre
« elleleur mauvais vouloir et leur hainel N'est-ce pas
« le eas au contraire ou elle doit déployer l'appareil
« de toutes ses forces, soit pour tenir en respect ses
« ennemisdu dehors et du dedans, soit pour etre en
« état de prater main forte acelles des autres nations
« qui, voulant recouvrer eomme elle leur indépen....
« dance, I'appelleraient a leur seeours? » Me. réponse
sera bien facile. Loin de penser pour le moment a. dé-
sarmer la France, je pense au contraire a l'armer
presque entiere. Je veux que personne ne soit plus
soldat par métier, par profession exclusive, mais que
tout citoyen franeais, en état de porter les armes, de
20 a50 ans par exemple, le soit au besoin par devoir
et de droit (1). Je veux que la force matérielle, qui n'a


(1) La faculté de se faire remplacer aprix d'argent doit absolu-
ment étre supprimée, comme constituant un privilége des classes
aisées. Le systáme d'exonération, pratiqué par la second Empire,
avait deux vices radicaux. D'abord il maintenait et reníorcait,
par la surélévation d'un prix légal d'exemption, le privilége
établi en faveur des riches, qui se déchargeaient ainsi sur lea
pauvres de l'accomplissement d'un devoir de tout citayen valide:
le prix de l'exonération s'élevait, dans les derniers temps, a
2,500 francs,somme au-dessus des ressourses de l'immense
majorité des familles appartenantaux diverses elasses de travail-
leurs. En seeond líeu, comme ce prix servait a payar des ren...
gagements de soldats libérés, il en résultait que l'armée se coro-
posait en grande partie de mercenaires, contrairement a l'inten-
tion des précédentes lois sur le recrutement, qui avaient rele"é




172 CRAPITllE VI.


d'autre destination naturelle, d'autre emploi légitime
que de protéger la justice et la liberté, au lieu de con-
tinuer a etre confiée par la société a des hommes
imbus d'un esprit anti-civil et anti-libéral, co~me
I'ont toujours été, le sont essentiellement et le seraient
toujours les militaires de profession ade rares excep-
tion pres, ne soit désormais confiée qu'á des soldats
citoyens, demeurant habituellement attachés au foyer
de la famille et s'y nourrissant de sentiments civiques
et libéraux. Croit-on maintenant qu'une forcepu-
blique, organisée sur de telles bases, qui s'éleverait,
si cela devenait nécessaire, a plusieurs millions
d'hommes en partie mobilisables, qui n'aurait d'ail-
leurs que le nom de commun avec ces gardes na-
tionales pour rire, que nous avons vues, plusieurs fois
depuis plus de 50 ans, fonctionner avec ferveur pen-
dant quelques mois, pour s'endormir ensuite et s'é-
clipser au grand contentement et par le fait méme du
pouvoir monarchique, croit-on, dis-je, qu'une force
ainsi organisée laissát la République désarmée contra


dans l'opinion publique le caractére de la dette du service mili-
taire, nécessité par l'invasion étrangére, en l'attribuant a l'uni-
versalité des citoyens. Ce systéme d'exonération, pratiqué pen-
dant quelques années, a été abandonné. Mais comme la faculté
des remplacements a été maintenue et que le plus grand nomhre
des remplacants était pris parmi des soldats libérés, qui,
déshahitués du travail, préféraient se vendre plutót que de ren-
trer dans la vie active de la société, le mal que je viens de signa-
ler suhsistait.




CHAPITRE VI. .173


les attaques qui pourraient survenir soitdu dehors
soit au dedans, et hors d'état de secourir les peuples
qui l'appelleraient a leur aide ({) ?


L'horrible guerre que le second Empire, en tombant
sous la réprobation universelle, a léguée a la Répu-
blíque qui ne la voulait pas mais qui, attaquée au-
jourd'hui et outrageusement menacéedans son indé-
pendance, est obligée de se défendre, cette guerre,
dis-je, aura achevé de décréditer le systeme des ar-
mées permanentes. Une armée réguliere de 400,000
hommes battue et presqua anéantie en quelques jOU1S
de campagne, malgré les nombreux exemples de bra-
voure individuelle! Et puis, opprobre unique dans les
fastes militaires de la France, 80,000 hommes ayant
pu dévorer la honte de poser les armes! On dit qu'ils
n'étaient pas préts, qu'ils ont été conduits par des chefs
ineptes, qu'ils ont été trahis, qu'ils manquaient de
munitions, etc., etc. Ce sont la de vaines excuses,
comme on en trouve toujours dans toutes les défaites.
Si la France républicaine peut conjurer I'extréme péril
oü l'a précipitée le plus odieux des despotes, si elle
peut étre sauvée, et elle le sera, espérons-le, elle l'aura
été par des gardes nationales sédentaires et mobiles,
des marins, des bourgeois s'armant volontairement,


(t) Pour un examen plus approfondi de toutes les questions se
rattachant a celle de l'organisation de la Force publique, je dois
renvoyer le lecteur amon livre spécial De la guerre ce d,s armées
permanentes, 3' édition, París, 1870.




1'14 CHAPITRE VI.
e'est-á-dire par des soldats pour la plupart improvi-
sé~. Que! meilleur argument peut-on invoquer en fa-
veur de la doctrine que nous soutenons depuis long-
temps, a savoir qu'il faut remplaeer les armées per-
manentes par un systeme d'organisation militaire,
analogue acelui del cantona suisses et des Etats-Unis
d'Amérique, et dans lequel personne n'est soldat de
profession et tous le sont momentanément dans le
danger de la patrie injnstement attaquée? Hésitera-
t-on, apres la terrible expériencequ'on vient de faire,
aentrar dans cette voie de salut?


La forcede mer ne doit pas eonstituer un .service pu-
blieaparte Elle sera réunie au servieegénéral de la force
publique. Apres le désarmement général de l'Europe,
elle devra etre tres.réduite. A. ceus qui prétextent
1'inté:ret des eelonies pour réclamer le maintien d'un
grand déploiement de force maritime, je réponds que
la science éeonomique n'admet le systeme des colonias
qu'a la condition qu'elles ne soient ni suhventionnées
ni réglementées par la mere-patrie, mais qu'elles soient
au contraire laissáes entierement libres.


J'ai exprimé ailleurs (1) ce que je erais etre le véri-
table sentiment démocratique sur les expéditionsde
Crimée, d'Italie, de Syrie, de Chine, de Cochinchine
et du Mexique; je n'y reviendrai pas id. Disons-le du
reste, ce n'est pas la Franee qui s'est déeidée de son


¡ ( % - .44- • u;. 4


(1) Ibidem, p. partie, SXXIII.
,.




CHAPITRE VI. t7fS
propre mouvement aaIler guerroyer de neuveau. La
plupart de ceux mémes qui ont fait un Empereur
paree qu'on laur avait promis que I'Empire serait la
pai:J:, ne s'attendaient pas a eette déception trop mé~
ritée, 118 savent maintenant a qui ils doivent d'svcír
été entrainés dans cet abyme : on était ahout d'expe..
dients; on avait besoin de jouer au soldat pour se
maintenir quelques annáes de plus sur un tróne de
bateleur et pécher plus al'aise dan! l'eau trouble des
milliards des budgets ordinaires et extraordinair68et
des emprunts dits nationaux. Que la Franca a'inter-
pose par ses conseils et ses représentations bienveil-


. lantes pour smpécher les despotes et les nations qui
8'accommodent du despotisme de s'entre-déehirer ;
mais elle ne doit ses alliances et ses seeours qu'aux
nations qui les lui demandent pour s'aft'ranchir QU pour
défendre leur liberté msnacée, Qui ne 8ait que les
traites et les conventions, faits ala suite des guenes
et par eonséquent imposés par la force, n'ont jamais
été des garanties de paix et da bonne amitié entre les
nations? Ils ne font que couvrir hYPoQritemellt les
ressentiments et les haines, qui attendel1t le Dloment
favorable pour se déchainar da nouveau sua peuple
ne sera jamáis I'ami sincere d'un voísin qui l'aura
violemment humilié et amoindri. TI n'y a de bons trai-
tés et ayant des chancea da durée que cela qui sont
contractés librement par les deux parties et qui stipu-
lent, dans les conditiona de padaite égalité, d~. enga-




t76 CHAPITRE VI.
gements destinés a assurer les intéréts et aprocurer
les avantages communs et réciproques.


Et notre conquéte d'Afrique! Et l'armée qu'il faut y
entretenir habituellement á si grands frais pour la par-
der! Qu'en ferons-nous? Si l'expédition d'Alger était
8. recommencer, la République n'aurait pas ala faire,
puisque c'était une guerre offensive. C'est un ulcere
que la France porte attaché a ses flanes et quia dé~
voré en pure perte, depuis 40 ans, des milliards et fait
périr des centaines de mille de nos compatriotes. Ajou-
tez que le genre de guerre que font en AIgérie les
soldats que nous y envoyons, les rend tellement fé-
roces que les Arabes les appellent les chacals et qu'on
a pu dire avec vérité que la monarchie entretenait la
une école de bouledogues pour les lácher de temps a
autre sur la mere-patrie (I), Puisque cette expédition
désastreuse est aujourd'hui un fait consommé, et que
l'abandon pur et simple est un parti extreme et auquel
on ne saurait guere penser, on doit done aviser aren-
dre le moins infructueux possihle les sacrifices faits
jusqu'á ce jour, el qui n'ont guere profité qu'á quel-
ques moines, mis en possession de vastes domaines
qu'ils faisaient cultiver par nos malheureux transpor-
tés, devenus ainsi un troupeau d'hiérodules, Maintenir


< .


(t) On se rappelle avec quelle stupide cruauté, aux journées
lugubres de décembre i 85I, ils se sont rués sur les défenseurs
de la Constitution et des libertés publiques, n'écoutant que ce
rnot d'ordre, parti de I'Élysée: Tue, tue,




CHAPITRE VI. 171
le systeme actuel d'oecupation illimitée, ce serait ou
nous condamner a1'abominable nécessité d'exterminer
la race arabe qui ne subira jamáis ce systeme, ou nous
exposer au danger d'étre un jour chassés honteuse-
ment du sol africain. J...e seul moyen d'échapper acette
alternative Ast l'occupation restreinte. Nous devons
nous borner au littoral et aux grands étahlissements
que nous y avons formés et qui heureusement sont a
peu pres les seuls qui intéressent notre commerce et
notre industrie. Quant au désert, nous devons le lais-
ser aux Arabes inofIensifs, que nous avons injusto-
ment attaqués, et qui ne lieront avec nOl1S de sinceres
-rapports de bon voisinage qu'á cette condition. Dans
ce systeme pacifique, les colons pourront bientót suf-
tire ala tache de se garder eux-mémes, et il sera pos ..
sible de rappeler proehainement d'Afrique nos derniers
soldats.J'entends dire que, si nous prenons le parti
de l'occupation bornée au littoral, les Arabes ne tar-
deront pas a nous y attaquer. Ce n'est la qu'une me-
nace de gens imbus de préjugés militaires et intéres-
sés au maintien du systeme actuel, Admettons toutefois
que cette menace vlnt a se réaliser. Eh bien! je dis d'a-
bord que ce serait le résultat des fautes commises dans
le passé et leur juste chátiment; mais je me háte d'a-
jouter qu' étantJplacés sur le terrain de la simple et forte
défense, nous serions alors dans des conditions bien
meilleures que celles d'aujourd'hui pour triompher
d'attaques qui n'auraient plus de légitimes prétextes.


12




178 CHAPITHE VI.


L'École polytechnique, qui sera mieux appelóe
École spéciale des études mathématiques et physiques,
et qui n'est point, comme les Écoles des mines et des
ponts, un établissement d'application, mais un éta-
blissement oú l'on fait de la science pure, doit appar-
tenir au service de l'Instruction publique, au lieu
d'étre dans les attributions du service de la Guerre.
Ce qui importe plus encore que la réunion de l'É-
cole polytechnique a l'Instruction publique, c'est sa
réforme radicale. Elle ment a l'intention de ses fon-
dateurs et méme a son nom prétentieux et dont se mo-
quent avec raison les étrangers en demandant si toutes
les écoles oú s'enseignent plusieurs branches de la
science huÍnaine ne sontpas des écoles polytechni-
ques (1). Les études mathématiques s'y sont fait une
part léonine, et ces études, fort belles sans doute
comme abstraction, et que personne n'apprécie plus
que moi en tant qu'elles fournissent aux sciences et
aux arts d'utiles instruments , font en réalité, lors-
qu'elles absorbent l'activité intellectuelle, perdre en


(1) Lors de sa création sous la République, elle avait recu le
nom d'École cenirole des Traccuai publws, qui n'était point exaote-
ment approprié a sa destination puisqu'elle n'est pas une école
d'application, mais qui évitait au moins le ridicule de I'appella-
tion "de polytechnique. Le nom d'Ecole des tracauo: p1lblics doit étre
réservé pour l'établissement unique dont je parlerai tout á
l'heure, au chapitre des Travaux publics, et qui doit étre formé
de la réunion des deux écoles actuelles des Mines et des Ponts
et chaussées,




CHAPITRE VI. 179
spontanéité plus qu'elles ne donnent en exactitude;
l'esprit s'habitue alors a ne marcher qu'appuyé sur
des formules, et quand elles viennent a lui manquer,
il se traine ou, s'il essaie de se lever, e'est souvent
pour trébucher. Voici les plus urgentes des réformes
que doit subir l'École polytechnique. Constitution en
externat, comme aux jours de son origine, OU elle
n' était point organisée militairement, et qui ont été
ses plus beaux jours. Admission gratuite des eleves,
Suppression de tout costume. Publicité des cours.
Changement de programme des études et des condi-
tions d'admission et de sortie,


II va sans dire que la suppression de l'armée per-
manente entraine la suppression de la détestable in-
stitution de la justice militaire et de son code draco..
men,






CHAPITRE VII.


T R A V A TI X P TI B L 1 CS.


Les Travaux publics, consistant en routes nationales,
chemins de fer, canaux artificiels, canalisation et re-
dressement des divers cours d'eau naturels , création
de digues, d'écluses et de grands bassins ou réservoirs
ala naissance ou sur le passage des flenves, irrigations
des contrées dcsséchées, dessechement et assainisse-
ment des contrées basses et marécageuses, défriche-
ment et mise en culture des landes et terrains vagues,
rehoisement des contrées élevées et dénudées, ports,
édifices publics, etc., tous les grands travaux en un
mot ayant un but d'utilité générale et ceux-lá seule-
ment, tous ceux qui revétent de telles proportions et
nécessitent de telles dépenses qu'ils réclament manifes-
tement, pour leur exécution, l'intervention de la ri-
chesse et de la puissance sociales, incombent a l'État.
Les grandes voies de communication par terre et par
eau doivent étre sa propriété; car lui seul est apte a
les exécuter, les entretenir et les mettre au service du
public dans les meilleures conditions. Lui seul est




i82 CHAPITRE VII.


également apte a exécuter les grands travaux néces-
saires pour ménager désormais et distribuer les grands
cours d'eau, au triple point de vue de l'intérét de la
culture du sol dans les irrigations, de la salubrité P.u-
blique et de la nécessité de prévenir les ravages des
inondations.


Le service des travaux publics est déja pourvu de deux
bonnes institutions, mais qui demandent des réformes ;
je veux parler de l'école des Mines (1) et de l'école
des Ponts et chaussées. D'abord elles peuvent etre
réunies en une seule, non pas uniquement au point de
vue des économies réalisables sur le personnel et le
matériel, mais encore au point de vue du profit des
études: dans une troisieme et derniere année, le tra-
vail serait spécialisé selon les aptitudes et les destina-
tions. En second lieu, l'école des Travaux publics
n'aura pas seulement a faire des ingénieurs pour les
routes, les canaux et les mines, mais encere des ingé-
nieurs pour la construction des édifices publics, des
ports, des vaisseaux de I'État, etc. Enfin la réforme la


(í ) La loi d'avril f8iO, relative a l'exploitation des mines et
attribuant a l'Etat le droit d'accorder ces concessions qni ont
ouvert la porte atant d'ahus et de tromperies, doit étre remplacée
par une loi tres-simple, reconnaissant le droit de tout proprié-
taire du sol d'en exploiter le dessous sans avoir besoin d'aucune
autorisation préalable, mais a la charge de prévenir l'autorité
dont le devoir est de surveiller l'exploitation par ses agents,
uniquement afin de s'assurer que les travaux ne dépassent point
les limites de la propriété et qu'ils présentent toute garantie a
la süreté publique.




CHAPlTRE VU. i83


plus indispensable est d'en ouvrir les portes toutes
larges et d'en faciliter l'acces a toutes les fortunes.
Elle sera constituée en externat gratuit, et ses cours
seront publics.


L'admission dans les divers services des Travaux
publics doit étre réglée par le concours dont j'ai par-
lé plus haut (note de la page 46). Les fonctions d'in-
génieur n' étaient accessibles jusqu'ici qu'anx jeunes
gens des classes aisées, paree que les voies qui eon-
duisaient aux écoles des Mines ou desPonts étaient
tres-coúteuses. 01' c'est la un état de ehoses dont la
justice et l'intérét social réc1ament également la ces-
sation. Qui oserait nier en efiet la possibilité que tel
enfant pauvre fit un jour un ingénieur aussi distingué,
plus distingué peut-étre que tel de ceux qui ont eu,
par le privi1ége de leur fortune, le monopole de ces
fonctions? Si cette possibi1ité est evidente, il faut avi-
ser aux moyens de la faire passer a la réalité.






CHAPITRE VIII.


FINANCES.


L'administration des finances percoit l'impót d'apres
la loi et paie les dépenses publiques. Quelle que soit
son organisation future, on devra supprimer l'institu-
tion immorale des cautionnements, créée par le pre-
mier consul Bonaparte. Voici ce que je reproche a
cette institution. D'abord c'est une note flétrissante,
écrite par l'Etat sur le front des employés des finances,
et ainsi coneue : «Je confie acet homme une des fone-
« tions sociales qui exigent le plus de probité; mais
« je le tiens pour un fripon, et eomme je le erois alors
« capable de me voler, s'il ne craignait de perdre sa for-
« tune, je prends d'avanee avee lui mes súretés, » En
second lieu, les fonctions financieros doivent, eomme
toutes les autres fonctions publiques, étre confiées aux
plus dignes et aux plus capahles. Mais les plus dignes
et l~s plus eapables peuvent étre et sont souvent pau-
vres ; ne pouvant pas fournir de eautionnements, ils
seront done exclus des fonetioris financiares qui de-
viennent des lors la propriété exclusive des gens




186 CHAPITRE vm,


rlches, c'est-a-dire de ceux qui souvent sont les moins
dignes et peuvent étre les moins capables. Qu'on re-
marque bien que je u'entends pas ici qu'il faille exclure
indistinctement tous les candidata riches, ni encore
moins admettre tous les candidats pauvres, quoique je
pense qu'a mérite égal ces derniers doivent étre pré-
férés. Je ne prétends point non plus qu'une fois les
cautionnements supprimés, il ne se commettra plus
d'infidélités, et que la plus incorruptible vertu aura
désormais son siége sur le coffre-fort du Trésor. Je
n'oublie ni qu'il y a, parmi les riches, des gens 1100-
néles et capables, ni qu'il y a, parmi les pal~vres, des
gens malhonnétes et incapables. Mais ce que veulent
le bon sens et la justice, c'est f{ue le plus digne et le
plus capable ne soit pas exclu parce qu'il est pauvre,
et il est nécessairement exclu dans le systeme des cau-
tionnements. Ce qu'on dit de l'obligation que l'in-
térét général impose au pouvoir, d'exiger des garanties
contre les infidélités possibles de ses agents financiera,
n'est qu'une invention de ceux qui en profitent.
Ne sait-on pas que, dans ce systeme , il se commet
journellement, malgré les eautionnements, je dirais
presque méme a cause des cautionnements, soit
des vols patents soit divers genres d'infidélités plus
ou moins adroitement déguisées? Un agent du Tré-
sor est honnéte ou il ne I'est pas : s'il est hon-
néte, un cautionnement n'ajoutera pas a son hon-
néteté et il la fera suspecter et la déconsidérera;




CHAPITRE VIII.


si c'est un malhonnéte homme, quoi que vous fas-
siez, quelque précaution que vous preniez aveo lui,
il trouvera divers moyens de vous voler impuné-
ment, et l'obligation de fournir un cautionnement
sera meme ponr lui une excitation de plus a cher-
cher les moyens de se récupérer a vos dépens de la
charge que vous lui imposez. Les cautionnements se-
raient done en.core inutiles quand ils n'auraient pas
déja les autres inconvénients que j'ai signalés. Done
il n'y a pas d'antre garantie véritable ademander aux
fonctionnaires des finances, comme a tous les autres
Ionctionnaires publics, que leur probité et leur capa-
cité, c'est-a-dire qu'en définitive, ici comme ailleurs,
l'art de gouvHrner consiste a choisir les agents les
plus dignes et les plus capables. Il ne resterait qu'un
refuge aux partisans dn cautionnement, ce serait qu'ils
fussent fondés it dire : « Vous avez raison enprincipe
« et dans la supposition OU il existerait des honnétes
« gens aqui l'on pút confier en toute sécurité le manie-
« ment des fonds de l'EtaL Mais vous avez tort en fait,
« paree que la corruption est telle aujourd'hui que les
« pauvres n'ayant pas plus d'honnéteté que les riches,
« mais ayant plus de besoins et de tentations en méme
« temps qu'ils n' ont rien it perdre, il y aurait de lenr
« part plus de chances d'infidélité que de celle des
« riches, ces derniers étant au moins retenus par la
« crainte de compromettre leur fortune privée. » Voilá
ce qu'on entend dire chaque jour et ce que répetent




iBS CllAPITRE VIIl.
plus souvent et plus haut que personne les plus cor..
rompus. Je m'avouerais vaincu par cette objection s'il
était vrai qu'il n'y eüt plus d'honnétes gens en France.
Mais je suis bien éloigné d'admettre que l'espece en
ait complétement péri dans ce déluge de perversités
qui nous a inondés, et je crois qu'il en reste encore
beaucoup plus qu'il n'en faut pour remplir les emplois
de finance; il s'agit seuIement de savoir et de vouloir
les trouver.


Notre systeme d'impóts, si ron pent donner ce nom
a de vieux errements de la fiscalité monarchique et
méme féodale, doit étre modifié profondément. Autre-
fois on payait au Roi, aux seigneurs et au elergé, soit
séculier soit régulier, des redevances pour ceci, puis
pour cela, puis encore pour l'exercice de tels ou te1s
droits, Aujourd'hui, pour user des mémes choses,
nous versons les prémices du produit de nos labeurs
dans un gouffre unique mais toujours béant. Voilá
toute la différence. Je ne nie pas le mérito de la sim-
plification, mais e'est trop pen, si le gouffre uniqne
réunit a lui seul tous les appétits de ceux qu'il rem-
place. Tel n'était pas assurément le résultat auquel
voulaient arriver nos peres lorsqu'ils ont fait la pre-
miere Révolution.


La regle générale et seule rationnel1e en matiere
d'impót, est que tout citoyen actif doit contrihuer aux
charges publiques, nécessitées soit pour la protection
de sa personne et de sa famille et le libre déploiement




CHAPITll.E VIíI. 189


de son activité, soit pour la sécurité de tous ses capi-
taux, mobiliers ou immobiliers, et proportionnelle-
inent a leur revenu. Au moyen de ce critérium, il est
facile de voir quels sont ceux des impóts actuels qui
doivent étre supprimés ou conservés.


Parlons d'abord des impóts radicalement déraison..
nables. L'impót des Portes et [enétres fait payer les
deux choses que le Créateur a répandues dans la na-
ture avec le plus de profusion, parce qu'elles sont les
plus nécessaires a l'existence, l'air et la lumiere, que
les petits propriétaires et les petits Iocataires sont alors
obligés de se refuser. L'impót du Timbre, création de
Bonaparte, semblable aces reptiles fabuleux aux mil..
liers de tetes et de pattes qui n'ont aucune raison
d'étre, a fini par s'insinuer et s'étaler partout et jus-
que sur les productions purement intellectuel1es.
L'impót des Patentes, charge inique, établie sur le
travail (1.), et les impóts des Douanes sont contraires a
la liberté des transactions commerciales, élevent le


(f) e'est une queue de l'ancienne législation des maltrises et
j urandes, abolie par l'Assemblée nationale, les 15 et t 6 février t 791.
11 fallait s'en tenir a eette abolition. Mais, eomme les droits de
réception de maitrises et jurandes étaient pour le trésor une
souree de revenu, l'Assemblée eut la malheureuse pensée de
chereher une eompensation dans I'impót des Patentes, ne s'aper-
cevant pas qu'elle ehargeait de nouvelles ehaines le travail qu'elle
venait d'émanciper. (Voir le Moniteur du 17 février 1791.) Il va
sans dire que le gouvernement du premier consul, loin de
penser a réparer cette faute, en fit au eontraire bel et bien son
proflt.




190 CHA:PITRE "VIII.


prix de tous les objets de eonsommation et par eonsé-
quent pesent en réalité sur les eonsommateurs dont
I'imrnense majorité vit dans la gene : on sait que,
selon la remarque de Franklin, une taxe quelconque
vient toujours en fin de eompte se loger dans la fac-
ture du marchand. Je reviendrai tout al'heure sur la
quastion des douanes. L'impót de Prestation, ayant
pour hut l'ouverture ou l'entretien de ehemins que le
riehe détériore infiniment plus que le pauvre, fait
!)ASer sur celui-ci une charge heaucoup plus dure
pour lui que pour le riehe : e'est un reste de la corvée
féodale. Il faut assurément multiplier les facilités de
eommunication mais par d'autres moyens. L'établis-
sement et·1'entretien dAS ehemins eommunaux doi-
vent étre aux frais des propriétaires du sol, qui en
usent et en profitent ineomparablement plus que le
prolétaire. Est-ee que eelui-ci, passant ápied dans un .
ehemin vicinal, y cause la millieme partie des dégra-
dations qu'y cause le propriétaire foneier avee ses
troupeaux, ses eharrues et ses voitures? Parmi les
impóts indireets ou de eonsommation, il en estqui
pesent principalement sur la classe la plus néeessi ..
teuse et la plus nombreuse; ce sont eeux qui portent
sur les objets de premiere néeessité, eomme le pain,
la viande, le vin, le sel, le suere , etc. (1). 01' e'est une


(1) Le prix de revient du sel dans les salines est de 3 centimes
par kilogramme, et celui du sucre a Cuba de 1.5 centimes au
plus.




ClIAPITRE VIII. 19J


chose odieuse que le pauvre soit obligé, pour consom-
mer un kilogramme de pain ou de viande ou un litre
de vin, de payer une cettaine somme a l'État, et la
méme somme que celle que paie le riche. Que dis-je
la méme somme? Dans le systeme actuel, I'impót sur
les boissons, qui a vait été aboli par l'Assemblée con-
stituante et qui fut rétabli par Bonaparte en tS04,
croit en raison directe de la pauvreté du consomma-
teur; c'est un impót progressif dans le sens inverse de
celui que semble récla~er la justice (1). L'artisan, ne
pouvant puint aujourd'hui faire de provision de vin,
qu'il consommerait utilement et modérément en fa-


.mille, est réduit al'acheter en détail, ce qui lui fournit
souveut une occasion d'en user avec exces hors de
chez lui, et ce qui est, pour le dire en passant, une
des principales causes des débauches du cabaret (2).
Or les droits établis sur la vente en détail sont propor-


(1) Je dis semble, et l'on verra tout a 1'heure pourquoi.
(2) Le vice de l'ivrognerie, qui en engendre tant d'autres, est


sans doute, comme tous les excés de l'intempérance, une des
maladies morales auxquelles est exposée notre nature, et qui
existera toujours a des degrés diverso Mais, quoique ce vice ne
puisse étre entierement extirpé du sein de l'humanité, il peut
étre combattu fructueusement et toujours atténué, et si la légis-
lation doit laisser ce role a la morale, au moins ne doit-elle pas
agir dans un sens directement contraire. 01'le vice de l'ivrognerie
est excité et entretenu dans la classe ouvriére par le systéme
actuel des impóts indirects. L'impossibilité OU elle se trouve
généralement d'avoir sa provision de vin, fait pulluler ces débi-
tants au comptoir, qui l'arrétent achaque coin de rue, et surtout
ces gargotiers des barrieres OÚ elle va, deux ou trois fois dans




192 CHAPlTRE VIlI.
tionnellement plus élevés que ceux qui sont étahlis
sur la vente en gros. Il suit de la cette monstrueuse
conséquence, que le pauvre paie a l'État et a divers
entremetteurs, pour consommer un litre de vin frelaté
et souvent empoisonné, plus que ne paie le riche
pourconsommer un litre de bon vin; car le fisc ne
tient pas compte de la qualité des hoissons, qui varie
pourtant dans la proportion d'un a vingt (1.). Ma con-


la semaine, se rumor par économie et s'abrutir par-dessus le
marché.


L'institution des octrois nous retient en plein moyen áge par
les entraves qu'elle met a la circulation et par les clótures rigou-
reuses qu'elle nécessite. Mais elle fait bien pis que cela: elle
appelle autour des barrieres des grandes villes la fainéantise et
la débauche; a París surtout, elle y multiplie ces cloaques OÚ
grouillent la crapule et le crime, et dont les honnétes familles ne
peuvent plus approcher qu'avec des sentiments de dégoütet d'effroi,
Le systéme des droits d'entrée, per<;l.;ls au profit des villes, repro-
duit d'ailleurs et multiplie les inconvénients que j'ai déja signa-
les dans le systéme de divers impóts indirects, percus au profit
de l'État. Établis sur les objets de consommation et de premiére
nécessité, ils sont légers pour les classes riches ou aisées,
e'est-a-diré pour le petit nombre, et trés-lourds pour les classes
peu aisées, c'est-á-dire pour l'immense majorité. Une reforme
est donc également nécessaire ici. Le systéme actuel des octrois
municipaux doit étre remplacé par un systéme de cotisatíon
analogue a celui vde l'impót mobilier. La Belgique a pris
récemment l'initiative de cette bonne mesure de la suppression
des octrois; mais elle l'a gátée par des dispositions dans lesquelles
le Trésor public intervient et qui grévent les campagnes au profit
des villes.


(1) n ne peut pas en tenir compte, dit-on. Cela n'est pasbien
súr. Mais admettons-le. Raison de plus pour renoncer a un sys..
teme qui entrainerait forcément de telles iniquités,




CHAPITRE VIlI. 193
clusion est que tous les impóts que je viens de passer
en revue, doivent etre complétement supprimés. Les
impóts indirects sont ceux auxquels tiennent le plus
les gouvernements fonctionnant le plus cherement et
les moins soucieux des intéréts généraux, particulie-
rement les gouvernements monarchiques, paree que
ces sortes d'impóts sont ceux dont le contribuable
ignorant et irréfléchi s'apercoit le moins et qui le font
le moins crier; il les paie en détail et par portions
minimes mais tellement multipliées que leur total
compose une somme décuple de celle que lui deman-
derait un impót direct qu'il aurait a acquitter a des
époques fixes. Dans cette question comme dans beau-
coup d'autres, le remede au mal s'appliquera d'autant
plus facilement qu'on aura affaire a un public plus'
éclairé sur ses véritables intéréts.


Venons aux impóts personnel, foneier, mobilier et
de transmission de la propriété atitre gratuit ou oné-
reux. D'apres la regle générale, établie tout al'heure,
la légitimité des trois premiers ne saurait étre con-
testée. Celle des impótsde transmission de la propriété
n'est pas aussi évidente. Quand un bien, immeuble ou
meuble, passe en de nouvelles mains, il y continue de
payer l'impót permanent, soit foneier soit mobilier, dú
al'Etat pour la protection qu'il en recoit. Est-il juste
alors qu'il soit en outre grevé d'une autre charge ac-
cidentelle? On voit que j'ai des doutes ace sujet, plus
que des doutes peut-étre, Toutefois, comme la ques-


i3




CRAPITRE VUl •


. tion est celle qui entraine les plus sérieuses censé-
quenccs pour les íinances de l'Etat, je ne me prononce
pas púur la suppression des impóts de transmission
de la propriété atitre gratuit ou onéreux, et en les con-
servant provisoirement t jo me borne ici a demander
que cette question soit mise al'étude, Si l'on se decide
a les conserver définitivement, il faudra au moins évi-
ter 1 dans leur perception, certains abus quis'y mélent
et qui sont de nature a étre corrigés. En voici quel-
QU8lt exemples.


Le systeme actuel des droits de succession ne tient
pas compte das dettes dont la suecession est grevée.
Ces droits na doivent étre per<;us désormais qu'apres
la liquidationde la suceession etu'atteindre que l'excé-
dant de l'actií sur le passií, lequel excédant ccnstitue
seul la véritable succeseion. Le ílsc devra aussi laiisef
un temps suffieantpour qu'on puisse les acquitter avec
les revenus mémes de l'héritage, au lieu d'étre ohligé,
comme cela arrivait fort souvent, de recourir ti l'em-
prunt,


Dans les cas de successions ab intestal, on sait qu'a
défaut soit d'héritiers légitimes, eompris dana les douze
premiers degrés, soit d'enfauts naturels reeonuus, les
articlea 7i3 f 750-708, 767 et 760 du Code civil attri..
buent la succession al'Etat. Il n'y aurait rien qui ou-
trepassát le droit qu'on s'accorde a. reconna1tre au lé-
gislateur~ ace qu'au Iieu d' établir eette attribution a
partir du treisieme degré seulement, ill'étahlit 3 par-




CHAPlTRlil vui. i90
. /


tir d'UD degré moins éloigné, du onsiemo par exemple
ou méme du neuvieme. Dans l'état actuel de disper..
sion plus ou moins forcée des familles, et de relstións
si málées de notre fourmiliere sociale , qui est-ce qui
connait ses parents au...delá des huit ou dix prernlers
degrés? Et s'il les connait, ne vit ...il pas aleur égard,
dans l'irnmense majorité des cas, comme avsc des in..
connua, et ne les place-t-il pus, dnns ~e8 aííections, bien
au-dessous de beaucoup d'autres personnes qu'il tient
pour étrangeres a sa parenté? Sous ce rapport déja"
le eysteme en vigueur est reformable, D'un autre cótd.
lorsqu'on laisse aun degré quelconque le plein droit
de succéder, mema en le chargeant d'un impót tre~
élevé, il ne semble ni juste ni intelligent de le reínser
brusquement et dans sa totalité acelui qui vient im~
médistement apres, Il serait plus rationnel d'arriver a
l'entiere suppreseion par une transition préparatoire,
Voiei done ce qui me semblerait préférable au ~y~t6m8
actuel, La loi attribuerait al'Etat, au...delá des- sis p:r@""
miers degrés par exemple ou méme des quatre pre-
miers, une quote-part de succession, qui augmenterait
amesure qu'on a'en éloignerait, et elle luiattribuerait
la totalité de la succession en partant du onzieme de-
~ré par exemple ou meme du neuvieme, au lieu da
treiziéme ; i1 prendraít alors, je suppose, un cinquisme'
sur les succeseions du septieme ou du cinquieme degré,
deux einquiemss 511r eelles du huitieme ou du sixieme,
trois cinquiemes sur celles du neuviéme OU ?Ú Sep~




196 CHAPITRE VIII.
tieme, quatre cinquiemes sur celles du dixieme ou du
huitieme, et le tout a partir du onzieme ou du neu-
visme. Il va sans dire que ees chiffres n'ont rien d'in-
fiexible,et que je les pose uniquement pour montrer
qu'il y a iei quelque ehose afaire.


Lorsque les droits a payer pour les transmissions a
titre onéreux sont trop élevés, eomme ils le sont au-
jourd'hui, ils entravent la circulation de lapropriété
au détriment de la production et de la richesse sociale,
et excitent ala fraude au détriment de la morale. Ils
doivent done étre allégés au moins par la suppression
du timbre, et, aussitót que cela sera possible, par la
diminution graduelle des droits d'enregistrement.


On a demandé la suppression de la contribution per-
sonnelle ou taxe par tete, qui est légere pour le riche
et lourde pour celui qui vit dans la gene. On a égale-
ment demandé la suppression, a partir d'un certain .
minimum de fortune, des impóts foncier (1) et mobi-
lier (2), et celle des droits de succession, dans la ligne


(t) Dans l'état actuel de la propriété en France, pour un grand
propriétaire il y en a des centaines de petits. Surcharger la pro-
priété fonciére, c'est, pour égratigner quelques riches, broyer
des multitudes de familles pp,u aisées. Loin de moi la pensée de
mettre en doute la loyauté des intentions du gouvernement proví-
soire, qui se prit en 1848 a la malheureuse idée de l'impót
extraordinaire des 45 centimes; mais je ferai remarquer qu'indé-
pendamment de son impopularité, cet impót n'offrait qu'une
ressource mesquine en eomparaison de celles qu'il fallait deman-
der a la suppression des budgets des cultes et de l'armée perma-
nente et a la réorganisation simplifiée des fonctions publiques.
•- f2)A Paris, les loyers au-dessous de 400 franes sont exemptés




CHAPITRE VIII. 197
directe, apartir d'un certain mínimum d'héritage et
en ayant égard au nomhre des copartageants s'il y a
plusieurs héritiers. Plus l'héritage en ligne directe est
faihle, plus ordinairement les héritiers sont pauvres,
et alors, surtout dans le cas oú ces héritiers sont mi-
neurs, la mort des ascendants est pour eux une cala-
mité qui accroit leur pauvreté et leurs souffrances.
L'impót sur la succession vient encore ajouter acette
calamité. J'inclinerais vers ces mesures de suppression
d'impOt, particulierement vers celle qui intéresse les
faibles héritages des mineurs, si je n'étais arrété par
une considération grave et qui demande a etrP, exa-
minéemúrement. N'auraient-elles pasle défaut de faire
breche au principe de l'égalité des citoyens devant la
loi, principe qui est un des plus grands résultats de
notre premiere Révolution? Dispenser les classes infé-
rieures de la société de leur part des charges com-
munes par une sorte de charité légale, d'aumóne so-
ciale, qui n'avilit pas moins que I'aumóne privée, qui
avilit peut-étre davantage a cause de sa publicité
méme, ce serait amoindrir , a leurs propres yeux
comme aux yeux des autres, la dignité decitoyen. Or,


de l'impót mobilier. Mais cette exonération n'est qu'un leurre,
compensée qu'elle est largement par l'exagération des droits
doctroi. 11 serait plus juste et plus loyal de demander ouverte-
ment aun petit ménage sa part d'impót mobilier, 10 ou 20 franes
par exemple, que de luí en soutirer i 00 ou 200 par des voies
détournées.




198 CHAPITRE VIII.


si ron doit aviser aux moyens de soulager effeetive-
raent les classes souffrantes, on doit d'abord prendre
gardo de les avilir. Ajoutes, ponr ce qui eoncerne les
irnpóts foncier, mobilier et de succession, la difficulté
de fixer la limite de minimum soit de fortune soit d'hé-
nitage, devant laquelle le fise devrait s'arréter, et les
innombrahles réelamations que l' on ferait naítre en se
jetant ainsi dans le vague et l'arhitraire. VoilA les raí-
sena qui m'empécheraient d'adopter les suppresslons
en question. Si ron trouve que je me trompe et si Pon
se déclde a les adopter, jo suppose au moins qu'on ne
le fera que dans un systeme et d'apres des bases de
supputation qui n'ahoutiront point acette absurdité de
laisser moins 1\ eelui qui .poaséderait davantage. J'ai
besoin d'entrer icl dana quelques détailspour faire
cemprendre ma pensée. Supposons qu'on se contente
d'établir, pour ce qui regarde les impóts foncier et·
mobilier, que les revenus ne dépassant point 600 fr.
ne devront pas d'impót, mais que ceux qui dépassent
cette somme paieront un impót de ! Opour cent par
exemple. Daus ce systsme, colui qui n'a qu'un revenu
de 600 {ranes, le g&rdera tout entier, et a eelui qui
avait un revenu de 601 francs, il ne restera plus que
540 franca 90 centimes. Ce résultat serait dérisoire, et
ron ne ferait qu'en atténuer I'odieux sans jamáis le
faire disparaltre entierement, quand, au lieu de pré-
lever un dixiame du revenu, on n'en préleverait qu'un
vingtieme, qu'un cinquantieme, puisque, dans ce der..




CHAPITRE VIII. tUI
nler eas méme, un revenu de 601 fraucs sertlit réduít
11. ~88 franes 93 eentimes, tandis qu'un revenu de
600 francs demeurerait tout entier. On peut appliquer
un raisonnement analogue a I'impót sur les sucees-
sions. Supposons, par exemple, qu'une sueeession au
premier degré, de LOOO franes seulement par tete, na
paie point d'impót, tandis que, au-dessus de cette
somme, elle devra payer un impót de 5 pour eent.
Dans ce systeme, eelui qui hérite d'une somme de
1,000 franes, la gardera tout entiere, tandis que eelui
qui hérite d'une somme de! ,001 franes, ne conservera
que 9:>0 franes 9M eentimes. La justice et la han sens
exigeraient done que, dans tout systéme qui suppri-
merait l'impét apartir d'un minimum, on na l'établtt
que sur les sommes qui dépassent ce minimum. C'est
ainsi que, pour revenir aux exemples que j'ai POSéi
tout al'heure, eelni qui possede un revenu de 60 i Iranca
seulement, eonserverait 600 franca 90 eentímes, et ce...
luí qui n'hérite de son pere que d'une somme de
1,001 francs, eonserverait f ,000 franes 95 eentimes,
l'impttt n'étant étahli que sur la somme qui dépasse la
mínimum de 600 franes dans le premier cas , et de
i ,000 franes dans le seeond.


On a beaueoup agité la question de savoir si I'impét
direetdevait étre simplement proportionnel OH pro...
portionnel et progressif. Si l'on supprime ceux des
lmpéts indireets dont j'ai parlé et qui portent sur les
objets de eonsommation , et si ron exécute d'aillsnrs




200 CBAPITRE VIII O;


les principales réformes indiquées dans cet ouvrage,
le nécessaire qui manque aujourd'hui au grand nombre
étant mis alors ala portée de tous, j'avoue que je ne
verrai pas de raison pour abandonnerle systeme ac-
tuel de I'impót simplement proportionnel. Je récon-
nais assurément que celui qui ne possede, par exemple,
que {,OOO francs de revenu, souffre plus en prélevant
sur cette somme tOO francs pour I'impót, que celui qui
possede ~ 00,000 francs de revenu , ne souffre en en
prélevant tOJOOO. Mais cette différence, qui tienta l'es-
sence méme de la condition humaine, est inévitable;
car, quoi qu'on fasse, celui qui est riche aura toujours
moins de privations physiques aendurer que celui qui
ne 1'est paso Ma principale objection contre l'impót


. progressif, c'est qu'il est contraire a ce grand principe
que j'invoquais tout a 1'heure et que j'invoque plus
particulierement encore ici, de l'égalité des citoyens
devant la loi soit pour les charges soit pour les bien-
faits de l'organisation sociale, principe en. vertu du-
quel la part qu'ils ont tous a supporter dans les dé-
penses communes doit·etre proportionnée acelle que
nécessite la protection due aleurs personnes et a leurs
fortunes. Avec le systeme de l'impót progressif, les
citoyens seraient classés par la loi méme en catégo-
ríes, en castes, d'apres les proportions progressive-
ment différentes selon lesquelles ils contribueraient
aux charges publiques. Les classes élevées seraient
nlors fondées a réclamer une part progressive aux




CHAPITRE VIII. 20f..
avantages de l'association et a la gestion de ses inté-
réts, Or, dans le systeme de I'impót simplement pro-
portionnel, elles ontdéjá trop de tendance aprétendre
a une plus grosse part des bénéfices sociaux et de la
conduite des affaires, se fondant sur ce qu'elles versent
au trésor un plus gros tribut, et ne comprenant pas ou
feignant de ne pa~ comprendre que la protection de
leur fortune occasionnant une somme de dépense pu-
blique, proportionnée a son étendue, elles paient en
réalité d'apres la méme mesure que tout le monde, et
qu'ainsi ni l'État ni aucun de leurs coassociés ne sont
leurs obligés. L'impót progressif fortifierait encore et
justifierait cette mauvaise tendance, et c'est la surtout
ce qui me le ferait rejeter. Si ne trouvant pas cette
raison suffisante, on se décidait a l'adopter, il devrait
au moins étre établi dans un systeme intelligent et
praticable. En effet il y a tel systeme dans lequel il
conduirait a des absurdités du genre de celles que j'ai
déjá signalées. Supposons qu'il doive étre per<;u d'a-
pres l'échelle du tableau ci-apres, et en le faisant por-
ter selon la meme proporti.il sur ehacun des deux
chiffres qui sont successivement en regard dans chaque
ligue de la premiare eolonne. Dans ce systeme, celui
qui a un revenu de 1,000 francs, payant 66 francs
66 centimes d'impót , conserve encore 933 francs 34
centimes, tandis que celui qui possede un revenu de
:1,001 franes, devant payer 83 franes 4i eentimes, ne
conserve. plus que 917 franes 09 centimes. Celui qui a




202 CHAP1TftE VIII.


~n revenu de 12,000 francs, payant f ,333 franee 39
centimes d'lmpót , conserve encore 1.0,666 franca 61
centímes , tandis que celui qui possede un revenu de
t 2,001. francs, devant payer f ,~OO franes i2 centimes,
ne conserve plus que fO,500 franes 88 eentimes. Celui
qui a un revenu de 200,000 franes, payant 40,000
francs d'impót, conserve encore 160,000 franca, tandis
qua celul qui possede un revenu de 200,001 franes,
devant payer lSO,OOO franes 25 centimes, ne conserve
plus que fñO,OOO franes 75 eentimes (1). Le méme rai-
sonnement est applicable al'impót sur les successions,
Voilá des résultats d'une grossiereté qui saute aux
yeux et sur lesquels triomphent trop faeilement les


(i)


linimolls frllporlieDS Binimums el maximums MinimtlIDS el mnimums
el ma~imuml des aprélem de I'imp61. restants apres le prélevfmenl


somRl, s Il impeser ponr l'imp61. de I'illlpOI.
- . •


,


fr. fr, fr. e. fÍ'o c. fr. c. fr. e
De -1 b. -1,000 4/tS De 6 06 h 66 66 De O 94 .. 933 34


4,001 h 5,000 4/42 83 41 a sse 00 9017 31 lI. t,nO '0
3,001 " .,000 titO SOO 40 o. 600 00 fM0090 a $,4QOOO
6,001 a 12,000 -1/9 667 77 a -1,333 33 5,333 23 11 40,66667


-12,001 a 25,000 01/8 -1,50001211, 3,-125 00 10,500 88 a 21,875 00


25,00t a 50,000 01/7 3,57t 57 11 7,t42 85 21,429 43 a 42,857 015


50,001 a -100,000 01/6 8,333 50 11 16,66666 .u,667 50 a 83,33334


100,601 ~ 200,000 4/5 26,000 20 a 40,000 00 80,000 80 ti -160,000 60


200,001 et 8U- 01/4 50,000 i5 •••••••••• • 50,000 75 a ..........
dessus,




CllAPITRE VIII. 208
ennemia intéeeseés de toute réferme. Ces gens-la sa-
vent bien qu'au fond de l'idée de I'impót progressíf il
y a au moins une intention sérieuse et louable sinon
suffisamment éc1airée, et e'est pour en détourner l'at-
tention publique qu'ils-font tant de fracas de quelques
bévues éehappées al'étourderie de certains réforma-
teurs, Il est évident que l'impót progressif n'est prati-
cable que dans un systeme qui en ferait porter les pro-
gressions seulement sur les sommes qui dépassent
suceessivement les rnaximums de chaqué série, eemme
on le voit dans le tablean ci-joint, que je prends seu-
lement pour fixer les idées (I). Le douzieme ne se le-


. p _J' :4.;.h3.6 .$ J .._ Q' ,.t ..# .. ti
(1)


rO' ••.•• ( .• t .•


lIiailllUIlII I'roporliuDI Minimums el maximuml liBimum••1 mllimums
el maximum~ des iI prelever q l'iIllP't. reslanla apres le prelevemenl


"Mmes • impoler, p.ur 1'iJOp61, de l'imp61.


• ¡fr, fl, fr~ • c. fr. e, t'1'. c. fr. e,
De 1 a 4,000 1/15 De 0008 6~ 6fi DQ O 9.\ ~ ~33 a..


1,001 a 8,000 l/t2 (.;urltlS 6674 a 23a 3~ 9U 26 a 2,766 68
sommes au-
dtl~sUS ue
t,ooo rr.)


3,001 • 6,000 tito (sur les 233 42 a 53$ 8! 'J,767 58 a 5,466 68
"Olllml;sau-
de-sus de
3,000 fr.)


6,001 a U,OOO t/9 (sur les 533 43 a t,tg~ 98 5,~7 57 b. iO,SOO 02
souunes au·
de-sus de
6,000 fr.]


U,OOI • 211,000 l/S (sur le.; t ,200 to a. 2,82498 iQ,iOO se a ~,t75 02
so.umes an-
dessus de
12,000 fl.1


(Voir la 8uit. atH1/lf'o.'




204· tHAPITRE VIII.


verait que sur les sommes qui dépassent 1,000 franes
et vont jusqu'á 3,000, tandis que les premiers f ,000
franes ne subiraient que l'impót du quinzieme ; le
dixieme ne se leverait que sur les sommes qui dépas-
sent 3,000 francs et vont jusqu'á 6,000, tandis que les
premiers 3,000 franes ne subiraient que l'impót alever
sur 3,000 francs, c'est-a-dire un quinzieme pour 1,000
franes et un douzieme pour 2,000; le neuvieme ne se
leverait que sur les sornmes qui dépassent 6,000 franes
et vont jusqu'á 12,000, tandis que les premiers 6,000
franes ne subiraient que l'impót á lever sur 6,000 fr.,
c'est-á-dire un quinzierne ponr f ,000 fr., un douzierne
pour 2,000 et un dixieme pour 3,000; et ainsi du reste.
Quelques exemples acheveront cette explication. Celui


lIinimums l'repertiens
el maximums des iI prélmr


semmes II impeser, pour l'impñt.
Min:mums el maximums


de l'impol.


mnimums el marimums
restann allres leprélevemen:


de l'impol.


tr. fr. fr. c. f«. c. 1'1'. ". tI' 1:.
25,001 il. 50,000 f;7 (su!' l,,~ 2,825 12 a 6,49, 4{) 22,t75 88 a 43,503 60


. O:JJ1uel! au-
de'~II;; de


25,0001'1'.)
50,001 f,. roo.coo f/6 (t<ur le~ 6,496 56 11 U,829 73 43,504 U a 85,f70 27


"",·mes lIU-
des-us de
50,000 fl'.)


fOO,OOI 11 200,900 f/5 [sur les 14,829 93 a 34,8'29 73 85,171 07 a f65,i70 27
-omm-s au
d ;;,118 de


tOo,OOO fr.:


200,00\ el au- f/4 [sur les 34,829 98 a 165,171 02 11 .
uessus, UIDUll'S au-


nes-us de
200,000 fl.)




CHAPITRE VIII. 205


qui possede un revenu de 3,805 franes , paierait un
quinzieme pour 1,000 franes, un douzieme pour 2,000
et un dixieme pour 805. Total de I'impót , 313 franes 82
eentimes. Revenu effeetif restant, 3,49 i franos l8 een-
times. Celui qui possede un revena de 12,üOO francs,
paierait un quinzieme pour 1,000 franes, un douzieme
pour 2,000, un dixieme pour 3,000, un neuvieme pour
6,000, et un huitieme pour 500. Total de I'impót,
i ,262 franes 48 eentimes. Revenu effeetif restant,
1i ,237 francs 52 centimes. Enfin, ponr prendre Le eas
le plus compliqué, celui qui possede un revenu de
200,001francs, paierait un quinzierne ponr {,OOO franes,
un douzieme pour 2,000, nn dixierne ponr 3,000, un
neuvieme ponr 6,000, un huitieme ponr 13,000, nn
septieme POUl' 25,000, un sixieme pour 50,000, un
cinqnieme ponr 100,OuO, et un quart pour L Total de
l'impót, 34,729 franes 98 eentimes. Revenn efIeetif
restant, 165,271 franes 02 eentimes. On voit par ces
exemples eomment le systeme de l'impót progressif
devrait étre pratiqné, s'il était reeonnu vraiment pra-
tieable; on voit aur si quel arbitraire il entrainerait
dans la fixation de la place a assigner atous ces degrés
divers d'une échelle aussi complignée, et qui, devant
foreément s'arréter quelque part sans pouvoir atteindre
une limite, ne l'est pas encore assez, et qnelles diffi-
eultés on rencontrerait lorsqu'une fois entré dans eette
voie, on vondrait fa.ire quelque ehose de complet et de
rationnel. Tourner autour de ces difficultés serait




206 CHAPl'fI\R VUI.


absolument possible mais ne les laisserait pae moins
suhsister ({). Pour toutes ces raisons et surtout acause


(I} C'est ce qu'a fait l'administration municipale de la ville de
París depuis quelques années, en adoptant, pour l'impót rnobi..
lier, divers essais de systéme progressif, qui sont tout ce qu'on
pouvait imaginer de plus informe, de plus arbitraire et de plus
incompleto En 1850, aprés avoír exempté de cet impót les loyers
au-dessous de 200 francs, elle établissait 7 catégeries de lt>yerl,
allant de 201 franes al, 501 francs et au-dessus, et íixait pour
ces diverses eatégories des taux progressifs d'impóts, allant de
2 t 12 a 9 pour cent, et portant sur la totalité des ehiftre~ des
loyers. Dans ee systéme, des loyers tellement voisins qu'on peut
dire qu'ils se eonfondent, payaient des impóts fort différents :
par exemple, un loyer de 700 franes payalt 36 francs d'impót,
et un autre loyer de 701 franos payaít 42 franca 06 centimes ;
un loyer de 1,500 franes payait H2 franes 00 centimes, et un
autre loyer de 1,001 franespayait i30 franes 09 centimes.
L'année suivante , l'admlnistratlon tnoditlace systeme;En
exemptant de I'impót les loyers au" dessous de 20:1 francs, ella 1~
fixa a 2 112 pour eent pour les loyers allantde 201 francs a.
400 franca. Puis, comme si eette conception eñt épuisé ses forees .
ou qu'elle eút été effrayée des diffleultée qui se dressaient devant
elle, au lieu de eontinuer sa progression, elle se contenta de
décider en bloc que les loyers au-dessus de 400 franes paieraient,
pour les 400 premiers francs, 2 1/2 pour eent, et pour le surplus,
9 pour eent. Aprés étre demeurée enfoneée dans cette orniére
pendant einq ans, l'administration munieipale a fait un nouvel
effort pour en sortir, et voici ce qu'elle á. enfanté en 1856: elle
est revenue en partie a 80n sjstéme de 1850. Exemptant
de l'impót les loyers au-dessous de 250 franes, elle a établi
.4 catégories seulernent de loyers , allant de 2150 franes a
i ,000 franca et au-dessus, et filé pour ce~ diverses catégories
des taux progressifs d'nnpóts, allant de a a 9 pour cent, 01'
ce troisiéme systéme, s'il atténue quelques-uns des vices du
sseond, revient a ceux du premien1 et les fait croitre par la
diminution du nombre des catégories et surtcut en arretant la




GHAl'lfRE VIII. 207


de son iniquité radieale puisqu'il viole la príncipe de
l'égalité des citoyens devant la loi, je ne saurais ad-
metíre le systeme de l'impót progressif.


On a proposé de remplacer tous les impóts actuels
par un impót unique, établi soit sur le capital soit sur
le revenu. Il y R, centre I'impót unique , établisur le
capital, de considérahles objections. C'est d'abord la
difficulté, quelques-uns disent l'impossibilité d'attein..
dre toutes les valeurs de crédit, valeurs vagues, fugi-
tivas, flottantes, qui constituent une grande partie de
la riehesse commerciale, industrielle et financiere,
Cette objection n'est peut-étre pas insoluble; mais,
jusqu'a ce qu'on m'indique une solution satisfaisante,
je tiendrai pour injuste un systeme qui n'atteindrait
pas sérieusement la richesse des Bens de commerce,
dindustrie et de finance. En second lieu, parmi les
salariés, il en est heaucoup qui, tout en n'ayant ni ca"
pital foncier ni capital mobilier autre que les meuhles
meublants , tirent cependant de l'exorcice de leurs
facultés personnelles, de leur travail, un revenu quel...


._-----. ----


progression a eette limite de 1,500 franes, relativement peu
élevée eu égard a l'accroissement excessif des prix de Iocation :
par exemple, un loyer de 499 franes paie 14 francs 97 eentimes,
et un autre loyer de 500 franca paie 25 franes; un loyer de
1,499 franes paie 112 francs 42 eentimes, et un autre loyer de
1,500 franes paie 135 franes. En 1869, eneore un chai.gement
aussi ínintelligent, Un s1st~me qui, pratiqué de cette facon, con-
duit a un tel arbitraire est condamné par cela seul, et pour s'ob..
stiner a le mettre a. edcütion, il fallait en €ltre venu a croire que;
lorsqu'on a la force en main, on n'a plus besoin d'avoir raisen. J




208 CHAPITRE VIIl.
quefois considérable, et qui fait d'eux des gens aisés,
riches méme. 01' l'impót établi seulement sur le capital
ne les atteindrait paso Cela serait absurde. Veut-on,
faussant la nature des choses, considérer comme un
capital l'exercice des facultés personnelles? Mais a
quel taux l'évaluer et d'apresquelles bases? Aussitót
qu'on voudrait entrer dans le détail infini des diverses
branches de l'activité et de l'industrie humaine, et
l' on ne pourrait y entrer que par un controle inquisi ..
torial qui deviendrait hientót intolérable, on rencon-
trerait, sur ce terrain mouvant, des difficultés qui
paraissent insurmontables et sur lesquelles je revien-
drai dans un instant.


Le systeme de l'impót unique, établisur le revenu,
semble au premier abord le plus rationnelde tous (l).
Cependant il souleveaussi de graves difficultés de pra-
tique; il Ya surtout telle maniere de l'entendre et de
l'appliquer, qui présenterait de grands inconvénients.
11 existe deux sortes de revenus, celui que l'on retire
d'un bien foncier ou d'uno somme d'argent placée
de diverses facons a intérét et sur hypotheque, et celui
que l'on retire de l'exercice des facu1tés personnelles,
du travai1. L'immense majorité des citoyens n'a que
cette seconde espece de revenu; tels sont la plupart


(1) Depuis quelques années, un impót sur le revenu a été,
dans une certaine mesure, établi en Angleterre et dansquelques
États d'Allemagne; mais il y existe concurremment avec d'autres
impóts.




CtrA1>lTRÉ 'VItI. 209
des paysans, des ouvriers, des artistes, des fonction-
naires publics surtout dans les rangs inférieurs, des
médecins, des avocats, des instituteurs privés, des pe-
tits commercants, etc. Ce re ven u est précaire et sujet a
milie chances de suspensión, de disparition brusque et
complete, tandis que la premiare espece de revenu est
assurée contre toutes ces chances. Or supposez que 1'on
exige le méme impót d'un salarié, d'un travailleur,
qui a, par exemple, 3,000 francs de revenu, et d'un
propriétaire qui tire de son fonds, toujours subsistant,
ce méme revenu. Cela serait-il juste? Si le travaiI1eur
a des enfants a établir, il ne peut rien leur donner;
s'il vient amanquer de travail ou á étre destitué ou a
étre malade ou amourir, sa femme et ses enfants tom-
bent dans l'indigeuce, Le propriétaire au contraire
peut doter ses enfants, et s'il vient amourir, sa femme
et,ses enfants n'en continuent pas moins d'étre dans la
méme situation de fortune. Ajoutez que 1'État fait
beaucoup plus de frais pour protéger le propriétaire
et lui assurer la paisihle jouissance de son avoir, qu'il
n'en fait pour la protection de celui qui ne possede
ríen. Enfin, s'il est possible d.e connaitre le revenu
d'un bien foncier ou d'une somme d'argent placée A
ir-térét, il est, dans beaucoup de cas, extréruementdif-
ficile ponr ne pas dire impossihle de connaitre méme
approximativement celui qui provient de l'exereiee
des facultés personnelles du plus grand nombre des
travailleurs, ouvriers, artistes, commercants, etc. C'est


H




2ft CBAPITI\E vm.


ici surtout que ron rencontre les inconvénients que je
signalais tout al'heure dans l'hypothese oú l'on con-
sidérerait comme un capital l'exercice des faculté s per-
sonnelles, Sur quelles bases établir I'évaluation du re-
venu de ces faculté s? Sera-ce sur ce <iu'elles produi-
sent effectivement? Mais c'est un immense travail que
cette déterminatiou. Et puis, en le supposant fait pour
une année, comme l'exercice des facultes personnelles
est essentiel1ement et constamment variable, il faudra,
chaqué année, renouveler les enquétes et refaire sans
cesse un travail qui se défera a mesure qu'on le fera.
Si on le maintient comme base de l'impót, ne füt-ce
que pour deux aunées consécutives, voyez quelles in-
justiees on s'exposera acommettre. On aura fixé, je ne
sais par quels moyens, a 4,000 francs, je suppose, le
produit annuel du travail de cet artiste ou de cet avo-
cat ou de ce commercant, et on lui en demandera pour
le fisc le vingtieme par exemple, soit 200 franes. Mais
il pourra arriver que, l'année suivante, au lieu de
4,000 francs, il n'en gagne que la moitié ou le quart
ou moins eneore, tandis que tel autre, imposé au
méme taux, en gagnera deux fois, trois fois plus; et
pourtant ils seront tous deux également imposés.
Est-ee équitable? Je ne vois pas, je l'avoue,comment
on surmonterait cette difficulté, Si l' on trouve que
I'impót unique, établi sur le revenu, est véritahlement
praticable, au moins faut..il reconnaitre qu'il ne le
serait justement qu'á la condition de faire supporter




CHAPITRE VlII. 2!t


auxrevenus de mérne taux un impót proportionnelle-
ment qifférent selon qu'il s'agirait d'un revenu de la
premiere ou de la seconde espece, de telle sorte que le
revenu tiré d'un bien foncier ou d'une somme d'ar-
gent placée a intérét et sur bypotheque supportát un
impót beaucoup plus fort que celui qui serait établí
sur le revenu tiré du travai1. Mais de combien plus
fort,et sur quelles données essentiellement variables
fonder l'estimation du revenu des diverses sortes de
travaux? Ici encore on se retrouve plongé dans le
vague et l'arbitraire. On m'objectera peut-étre : «Vous
« ne voulez donc rien demander aux revenus prove-
« nant des facuItés personnelles, lesquels font sou-
« vent des gens aisés, riches méme, et qu'il serait ab-
« surde, ainsi que YOUS le disiez vous-méme tout a
«1'heure, de ne pas atteindre?» Je suis loin de l'en-
tendre de la sorte, et je le voudrais que la force des
choses ne permettrait pas qu'il en fút ainsi. D'abord
les gens que l'exercice de leurs facultés personnelles
enrichit, ont généralement un genre de vie dans le-
quel l'impót mobilier les atteint en proportion de l'ai-
sanee de leur état social; ensuite ils ne consomment
généralement pas la totalité de leurs revenus et n'en-




fouissent pas la portion économisée, qu'ils appliquent
au contraire aI'acquisition scit d'immeubles soumis a
l'impót foncier soit de ti tres fiduciaires, pour la plu-
part atteints également par le fisco Quant a ceux de s
revenus en queslion, qui sont entierement consommée




212 CllAPlTRE VIU.


a mesure qu'ils s'acquierent, ils sont ou faibles ou
considérables : dansle premier cas, qui pourrait pen-
ser justement a les charger d'impóts ? Dans le second
cas, relativement exceptionnel, que faire a ce mal, a
moins de décréter l'esprit dJordre, de prévoyance, de
tempérance, de régularité de meeurs, toutes choses oú
le législateur humain est obligé de reconnaitre son
impuissance et que la morale religieuse seule peut
prescrire efficacement?


Certaines gens s'iugénient pour découvrir de nou..
velles matieres imposables. Les impóts dits somp-
tuaires en particulier, outre qu'ils ne sauraient se jus-
tifier en principe, puisque le capital qu'ils atteignent
est déjá imposé sous diverses autres formes, donnent
des produits insignifiants. Ce sont la des palliatifs
miserables. Le remede au mal actuel s'obtiendra sur-
tout par une réduction et un plus sage emploi des
dépenses publiques en méme temps que par les sup-
pressions, indiquées plus haut, de divers impóts. C'est
ainsi qu' on apportera enfin le soulagement et le bien-
étre dans la coudition des travailleurs, qui composent
la grande majorité de la nation. En simplifiant les
services publica el y introduisant les reformes néces-
saires et praticables, on peut ramener le budget nor-
mal de l'État a des proportions hien inférieures a
celles d'aujourd'hui, tout en dotant plus Iargement
certains services jusqu'ici trop négligés, comme celui
de l'instruction populairc, qui est la base indispen-




eHÁPITRE VIII. 213


sable d'un systsme d' organisation sociale oú la nation,
reconnue souveraine, est appelée a exercer la pléni-
tude de tous les droits politiques. La grande réforme,
la réforme radicale consiste surtout, cornme je l'ai fait
voir plus haut, dans la suppression de l'armée et dans
une antre organisation, vraiment nationale, de la
force publique. J'aurai a formuler ayer. plus de détails
et de précision un projet de budget des dépenses et
des recettes de 1'État (1); mais auparavant je dois
indiquer diverses su ppressions qu'il est nécessaire
d'effectuer.


. (f) Les détails de chiffres que comporte la question du budget
des dépenses et des recettes, out une certaine aridité qui rebute
beaucoup de lecteurs : je les renvoie done a un troisiéme appen-
dice qu'on trouvera a la fin de eet ouvrage.




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CHAPITRE IX.


SUPPRESSIONS ET RJtFORMES.


Ce chapitre est un de ceux auxquels je prie le lec-
teur de préter le plus d'attention. Quoique les diversas
suppressions et reformes qui s'y trouvent mentionnées
portent un caractere ordinairement négatif, elles ne
laissent pas que d'étre de celles qui importent le plus
al'organisation du régime républicain.


Suppression de toutes entraves apportées ala liberté
de 1'industrie, et de toutes restrictions autres que
celles qui sont réelamées par la süreté, la salubrité et
la moralité publiques. En application de ce principe,
on admet, par exemple, que l'État controle l'usage
légal des poids et mesures, ce controle étant toutefois
supposé gratuit, qu'il mette des conditions soit a la
construction de machines soit a l'exercice d'indus-
tries pouvant compromettre la süreté ou la salubrité
publiques, qu'il interdise l' emploi des enfants dans les
fabriques au-dessous d'un certain áge, quoique son
immixtion acet égard soit facile aéluder et qu'il faille
moins en attendre que du progres de l'état social et de




2J6 CHAPITRE IX.


la moralité des hommes; mais on n'admet pas qu'il
intervienne, hors les cas de violence réelle ou d'agita-
tion compromettant la paix publique, pour gener en
rien la liberté appartenant essentiellement a l'ouvrier
comme au maitre, de débattre les .eonditions soit de
durée soit de rémunération du travai1. Parmi les en-
traves mises a la liberté du travail, il en est qui revé-
tent un caractere plus spécialement odieux : tels sunt,
par exemple, ces li vrets imposés aux ouvriers et dont


L le but principal est leur humiliante inscription a la
k police (f), et ces brevets que la monarchie s'attrihuait


le droit d'accorder et de retirer, selon son bon plaisir,
aux imprimeurs et aux libraires, dans le but de n'ou-
vrir ces deux voies de diffusiou de la lumiere que dans
la mesure de ses intéréts (2). De cet état de choses


(1) Établie par l'ancienne monarchie en 1749 et i781, cette
formalité avait été abolie par la premiére Révulution; mais le
cousul a vie, Bonaparte, la rétablit le 22 germinal an Xl
(H avriI 1804), et le second Empire l'a aggravée en l'appIiquant
aux femmes par sa Ioi du 22 juin 18M.


(2' Le décret de Bonaparte, du 5 février {8to, titre 11, arti-
cIes 7 et 9, et titre IV, articles 30 et 33, imposait a ceux qui sol-
licitaient un brevet d'imprimeur 011 de libraire, entre autres
conditions, celle de jflstifi,er de leur attachement au -cuoe. ai«, et
de préter serment de ne ríen imprimer ni distribuer de eoutraire
a'UaJ ,jevoi,s envers le souverain. D'aprés la loi du 21 octubre 1814,
articles ti et 12, les imprirneurs et lihruires étaient hrevelés,
assermentés et revocables. L'ordonnauce du 8 octobre1 817,
article 1er, appliquait ces dispusitions aux imprimeurs Iitho-
graphes, et le décret du 22 mars.í Soz, article {er, les appliquait
aux imprimeurs en taille-douce,


Le gouvernement de la défense nationale a eu la bonne inspi-




eHAPITRE IX. 217


ainsi que des aulres dispositions qui ont fait participer
les imprimeurs et les éditeurs a la responsabilité en-
courue par les auteurs dans les preces ponr délits en
matiere de publication, est résultée cette détestahle
conséquence, que les écrivains ont été placés SOU8 la
tutelle des imprimeurs et des éditeurs, qui, ayant sou-
vent des fonds considérables engagés dans leurs éta-
hlissements, et craignant de se voir retirer leurs
brevets par les pouvoirs dont ils dépendaient et aux-
quels ils avaient promis de ne pas déplaire, se sop.t
crus trop souvent obligés d'exercer sur les auteurs
une pression dégradante. Un tel systeme étouífait la
pensée a son origine mérne et tendait a e.upécher, Ú
c'eút été possible, tout progres des sciences qui impor-
teut le plus a la dignité humaine et au honhenr des


ration de rendre par un de ses premiers déerets la liberté aux
professions d'imprimeur et de libraire. Il est regrettable que le
mérite de eette mesure ait été quelque peu amoindri par 1'obli-
gation imposée a eeux qui voudront en bénéficier d'en faire la
déclaration préalable a l'autorité. Les motifs qui peuvent étre
allégués en faveur de cette restriction seraient également appli-
cables el une infinité d'autres industries laissées avec raison
entiérement libres et dégagées de toutes forma1ités. La mesure
d'émancipation des professions d'imprimeur et de libraire en
appelle une autre non moins juste et non moins urgente La
législation encore existante rend les imprimeurs etlibraires
responsables des délits qui peuvent étre commis par la voie de la
presse, 101's mérne que les écrits portent la signatura des auteurs,
lesquels devraient alors étre les seuls el en répondre. Il suffirait
done de rendre les imprimeurs responsables des écrits anonymes,
et dans ce cas seul de les astreindre a mettre sur les Imprimes
le nom et I'adresse de I'imprimerie,




218 CHAPITRE IX.


sociétés, je veux dire des sciences religieuses, morales
et politiquea.


J'ai déjá dit, dans les chapitres III, IV et V, que
les conditions de grades devaient étre désormais ~n­
tierement facultatives pour l'exercice privé de l'en-
seignement et de la médeeine et pour la fonetion d'a-
vocat. Le discernement et l'intérét du publio sont les
meilleurs juges du degré de confiance que lui inspi-
rent ceux a qui il s'adresse pour de tels services, et
tI'rin autre cóté on ne comprendrait pas que, sous un
régime de liberté, un professeur instruit, un habile
médecin, un savant jurisconsulte dussent étre assu-
jettis atelles ou telles formalités officielles pour com-
muniquer ades disciples de leur choix 1eur savoiret
leur habileté, ainsi que cela s'est pratiqué dans d'au-
tres temps et que cela se pratique encore aujourd'hui
chez d'autres nations qui n'étaient pas ou ne sont pas
plus barbares que la nótre et qui ne s'en trouvaient
pas ou ne s'en trouvent pas plus mal.


Suppression de divers monopoles d'industrie, de
fabrication el de vente, exercés par l'Etat et autres que
ceux qui tiennent a. l'exorcice meme de la souveraine-
té, comme, par exemple, celui de la fabrication des
monnaies. Je ne consens alui laisser celui du transport
des dépéches que si ron trouve un moyen de rendre
désormais impossible cette intolérable violation du se-
cret des correspondanees, centre laquelle on a toujours
et si infructueusement réelamé, J'y mets encore cette




CKAPITRE IX. 2H'
eondition, que la reeette ne dépassera pa,! la dépense
nécessitée par ce service. J'ignore s'il est bienvéritahle-
ment démontré que l'industrie privée ne pourrait pas,
dans I'état actuel des choses, se charger du transport
des dépéches plus expéditivement, plus súrement et a
moindres frais que l'État. Mais, en admettant que cela
soit démontré, il n' en demeure pas moins évident
qu'une nation qui se paie aelle-méme un service plus
cher qu'il ne lui coúte, fait une opération absurde. Le
revenu Res postes dépasse aujourd'hui la dépense ~'
plus de 22 millions de franes: c'est comme si quelqu'un
croyait recevoir ce qu'il se donnerait, ou acquérir ce


. qu'il se prendrait. L'exces de la recette sur la dépense
doit, en pareil cas, étre appelé de son véritahle nom
d'impét illégitime, s'ajoutant aulégitime paiementd'un
service. Je laisse encore al'Etat, mais temporairement
et avec quelque hésitation, lemonopole des tabacs ,
paree qu'il atteint une de nos plusmauvaises habitudes,
et celui de la poudre de chasse, parce que I'exereice
de la chasse, s'il est nécessaire dans le but de prévenir
I'exeessive et nuisihle multiplication de certains ani-
maux, est encore plus favorable a des habitudes de
déseeuvrement ou de sauvagerie. J'ai dit toutefois tem-
porairement et avec quelque hésitation; car je ne suis
pas bien sur qu'en fait de mauvaises habitudes, la cher-
té d'une chosesoit un hon moyen d'en diminuer l'u-
sage : iI est permis d'en douter quand on voit, par
exemple, qu'll y a souvent plus d'ivrognes dans eer-




220 CHAPITRE IX.
tains pays oú le vin est cher que dans d'autres oñ il
est avil prix.


Suppression de toutes barrieres de douanes, et par
conséquent liberté entiere des échanges soit aI'entrée
soit a lá sortie du territoire. 11 n'est rien de plus men-
tenr qne le systeme qui ose encoré s'appeler protecteur,
et qui est né dans l'enfance de l'art d'organiser les so-
ciétés humaines. Le maintien de ce systeme serait un
contre-sens aune époque oú les diverses nations, jus-
qu'ici opposées les unes aux autres, tendent d'une
maniere si prononcée a s~ rapprocher enfin et a s'en-
tr'aider au Iieu de se combattre. S'il y a, en matiere
d'industrie et de commerce, une idée simple et claire,
c'est celle-ci : les provenances de la terre et du travail
de l'homme demandent a étre exportées des lieux OU
elles sont produites en meilleure qualité,. en plus
grandeabondance et aux moindres frais, et elles ten-
dent naturellement aaIler jusqu'oú elles peuvent sup-
porter le prix du transport en. conservant sinon la
totalité au moins la plus grande partie de leurs avan-
tages primitifs. Les provenances analogues, produites
aillcurs en qualité inférieure, en moindre abondance
et aplus grands frais, demandent aétre consommées
sur place ou an'aller que jusqu'oú ne peuvent pas ve-
nir les premiares aprix égal. Laissez ce principe s'ap-
pliquer librement, et hientót un équilibre gé~éral
s'établit sur tout le globe entre la meilleure production
et la plus large consommation ; vous décuplez les con-




CHAPl1'RE rx, 221


ditions du hien-étre, et vous changez la face actuelle
des choses. Chaque pays ne s'appliquera plus qu'á
produire ce qu'il peut produire le mieux et de plus
facile écoulement, et il recevra en échange ce qu'il ne
pourrait produire avec les mémes avantages ; on n'en
yerra plus s'épuiser comme aujourd'hui aproduire en
mauvaise qualité et en petite quantité des choses fluí
leur arriverout meilleures, plus abondantes et amoin-
dres frais (1). Prohiher l'entrée de produits étrangers,


(f) Qu'il puisse étre utile d'introduire dans les diverses contrées
du globe les productions soit.naturelles soit industrielles d'autres
contrées, a la condition que ces productions ne reviendront pas
plus cher quecelles de qualité supérieure qu'on pourrait tirer
d'ailleurs, et qu'elles ne nuiront pas a des productions plus natu-
relles au pays et plus fructueuses : voila le vrai. Mais l'absurde
consiste a dire que chaque pays doit s'appliquer a produire lui-
meme tout ce dont il a besoin, afin de n'étre pas a la merci des
autres, Voici comment un savant auteur répond a cette préten-
tion: « Chaque pays n'a-t-il pas, comme chaque homme, sa
« nature et son aptitude particuliére? Pourquoi ne pas cultiver
« spécialement cette aptitude, ne pas lui faire produire tout ce
« dont elle est capable? N'est-ce pas un crime de lése-productiou
« que de détourner cet instinct de sa voie naturelle, de lui faire
« suer sang et eau pour produire péniblement un fruit exotique
« et rachitique, a la place d'un produit plus sympathique a sa
« nature, et qui, par son abondance ou sa qualité, permettrait au
« travailleur d'obtenir par l' échange le fruit du travail étranger? »
(Aucaigne, la questum des grain.s en Eurep» et en Amériqne, nu-
méro de la Libre Recherche de février f 858.1 Sans nier la possi-
hilité d'importer utilement daus nos contrées et de fixer en
bonnes et viables races des animaux et des végétaux venus de
pays a peu prés analogues sous le rapport des diverses condi-
tions du climat, on doit appliquer en partie ces réflexions aux
exagérations répandues dans le public sur la possibilité d'accli-




2~2 ClIAPITRE tx,
ou, ce qui revient au méme, la rendre impossiblepar
l'établissement des droits d'importation, sous prétexte
de protéger une industrie locale, qui ne pourrait se
soutenir sans cela et qui par conséquent est établie
dans de mauvaises conditions, e'est vouloir favo-
riser quelques individus aux dépens du public, c'est
sacrifier a l'intérét particulier d'un producteur qui
s'obstine asuivre une fausse voie, l'intérét de mille
consommateurs que I'on condamne ainsi a payer
cherement ou a se refuser ce qu'ils pourraient se
procurer ameilleur marché et de qualité meilleure. Et
puis voyez les autres conséquences du systeme. Vous
prohibez les fers ou les tissus d'une nation en faveur
de la production des, vótres qui ne les valent pas;
alors, de son coté, cette nation, vous rendant la pa-
r~le, prohibe vos vins, vos objets d'art, etc. (1). C'est


mater dans certaines contrées des animaux et des végétaux qui
ont évidemment été faits pour vivre et prospérer sous d'autres
ciels, exagérations qu'a contrihué a accréditer l'existenee d'une
société dont le but n' est pas toujours bien compris et qui compte
parmi ses membres beaucoup d'hommes instruits et aussi dé-
voués au hien-étre de l'humanité que l'était son honorable fon-
dateur. Quand on réussirait, a force de soins et de dépenses, a
faire produire en Franee quelques animaux malingres et qui
mourraient hientótde phthisie, et ay faire croitre quelques plantes
souffreteuses et dégénérées, on n'aurait abouti, aux yeux de qui-
conque étudie les lois de la nature plus sérieusement que ne le
fait le commun des hommes, qu'a une ceuvre ridicule et forcé-
ment eondamnée aavorter,


(i) Comme un mal en appelle un autre, il pourra meme arriver
que, dans les années OU vos récoltes en céréales, par exemple,




·CHAPlTRE IX. 223
ainsi que se perpétuent avec la misera universelle ces
rivalités internationales, causes de tant de guerres et
de tant de désastres. A qui tout cela profite-t-il? A
ces gouvarnements qui veulent continuer de mener les


,hornmes par I'isolement et la division, ainsi qu'á quel-
ques hauts seigneurs de l'industrie et aux parasites
attablés autour du fisco Mais les nations? Elles ont
tout a y perdre. Done liberté entiere des terres et des


, '


seront insufflsantes, cette nation vous refuse l'excédant des
siennes, vous infligeant ainsi cruellement la famine et les cala-
mités qu'elle traine él sa suite. Cette considération suffirait a elle
seule pour motiver la suppression des barrieres de douanes, En


,effet, sans ces barrieres, les famines qui ont si souvent désolé le
monde, seraient désormais impossihles. 11 n'y a jamáis eu et il
ne peut heureusement pas y avoir de dérangement des saisons
qui se fasse sentir sur touta la surface du globe, Dans les condi-
tions générales de la période géologique actuelle et tant que cette
période se maintiendra, la somme moyenne de ehaleur et d'hu-
midité, répandue autour de la terre, est constante, d'oú il suit
que les forces qui président aux phénoménes du régne végétal,
demeurent les mémes et peuvent toujours répondre au lravail de
l'humanité Iui demandant la somme de productions qui lui est
nécessaire. S'il y a, par défaut ou par excés de chaleur ou d'hu-
midité, déficit dans les réeoItes, au nord ou au midi, él l'orient
ou él l'occident, cela est compensé par un excédant dans d'autres
contrées. Laissezcet excédant refluer lihrement sur les points OU
il est appelé, et le déficit n'existe plus nulle parto Ne semble-t-il
pas que, par cette loi générale de répartition des moyens de sub-
sistanee, la Provideneé ait donné aux diversas races eomposaat la
famille humaine et disséminées sur le globe, cet avertissement,
qui leur vient du reste par beaucoup d'autres voies, él savoir
qu'elles doivent combler les distanees qui les séparent, au moyen
de relations bienveillantes et ue services réciproques, au lieu de
se diviser et des'entre-déchirer comme elles l'ont fait jusqu'ici.




224 CItAPITRE IX.
mers. Liberté absolue et immédiate des échanges. Je
dis absolue et immédiate, pour n'étre point confondu
aVAC ceux qui, paraissant désirer aussi la liberté des
échanges internationaux, y mettent unecondition qui
a pour cffet de l'ajourner indéfiniment. Les entraves
du systeme douanier sont tellement vexatoires pour
les individus et tellement eontraires a la prospérité
bien entendue des nations, qu'il n'est presque per-
sonne aujourd'hui qui le défende par des arguments
directs. Que font done eeux qui sont intéressés ason
maintien? Ils recourent ades mOytms indireets et sur-
tout acelui-ci, qui présente au premier abord uneap-
parenee de raison, mais qui n'est aufond qu'une échap-
patoire : « Nous ne demandons pas mieux, disent ils,
~~"ilue de voir enlever nos barrieres de douanes. Mais
~f,.que les autres nations suppriment aussi les leurs;
« ear il ne serait nijuste ni conforme aux intéréts de
« notre industrie qu'elles pussent nous inonderde leurs
« produits en refusant de reeevoir les nótres, » Vous
pourriez croire que ceux qui tiennent ce langage, se
préoeeupent beaucoup des intéréts de la justiee et du
progres de notre industrie. lls se préoccupent par-
dessus tout de leur intérét privé. La suppression du
systeme actuel les obJigerait aehereher d'autres voies,
moins eommodes, pour s'enrichir; il leur faudrait peut-
étre travailler dans ee hut vingt ou trente ans au lieu
de dix, Leur objeetion captieuse est rópétée journelle-
inent par beaucoup de personnes qui y apportent plus




CHAPITRE IX. 225
ou moins de honne foi. On a vu tout al'heure que ce
qu'ils affectent d'appeler I'intérét de notre industrie en
général, n'était que l'intérét partieulier de certaines in-
dustries avides et égoístes, et que eet intérét ne pou-
vait se satisfaire qu'au grand détriment de I'intérét
général des eonsommateurs, qui eomposent la presque
universalité des membres de la soeiété. Si, comme ils
nous en menacent, nous étions inondés des produits
des nations voisines, ce serait un tres-grand bien pour
notre pays, puisque, d'apres la loi éeonomique qui
regle souveraincment les prix de vente, ces produits
nous seraient livrés abon marché. Et si ces mémes na-
tions refusaient de recevoir en franchise eeux des pro-
duits de notre sol ou de notre industrie, qu'elles ne
peuvent se procurer sur leur propre sol 011 par leur
propre travail que dans de moins bonnes conditions d~·;
qualité ou de prix, eh bien! elles ne feraienttort qu'á
elles-mémes, en se privant ainsivolontairement d'a-
vantages a leur portée; mais leur refus ne constitue-
rait pas pour notre industrie, dans ses rapports avec
elles, une situation pire que celle d'aujourd'bui. L'oh-
jection ne résiste done pas a un examen approfondi,
On peut d'ailleurs y opposer cette fin de non-reeevoir :
si une pareille argumentation était admise, elle auto-
riserait chaque nation en partieulier ane point prendre
I'initiative de la suppression de ses douanes. Mais si
toutes attendent que les voisines donnent l'exemple, il
est évident que le systeme actucl s'éternise. 11 faut


15




CDAPlTU .....


done que l'une d'elles commence. Laquelle? L'une des
plus a vancées, des plus puissantes et des plus riches,
comme l'est aujourd'hui la France ou I'Angleterre (1).
Je ne veux pas dire pour cela que la France ne puisse
et ne doi ve en méme temps chereher a amener, par


"
voie de propositien et de négoeiation pacifique, les
autres nations i supprimer comme elle leurs barrieres
de douanes, Nul doute qu'elle ne réussít danscette
proposition aupres de plusieurs d'entre elles, qui ver-
raient fort bien qu'un refus tournerait en définitive
contre leurs intéréts généraux; mais, lors méme qu'elle
échouerait, elle n'en devrait pas moins exécuter l'uae
des reformes les plus néeessaires, Le seul coté sérieus
de la question est le malaise et le déclassement me-
mentanéque cansera l'applieatiou de l'eatiere liberté
des échanges parmi les ouvriers, dans les eontrées ou
sont établies aujourd'hui en de mauvaises eonditíoas
certaines industries. Mais on comprend que ce n'est la
qu'un mal local et passager, qui ne doit nullement etre
mis en balance avec I'intérét universel, et que les tra-
vailleurs des contrées susdites trouverontd'aillsurs
forcément, un peu plus tét ou un peu plus tard, d'au-
tres moyens d'employer utilement leur activité. De


(f) « Que nos voisins suppriment leurs armées et BOlla -suppri..
« merons les nótres, », ont suuvent dit aussi les fauteurs ciu
systéme des armées permanentes. Et les voisins leur out de-
mandé de donner l'exemple, et 10il1 de déJarmer on s'est armé
toujours davantags.




(;JU1'j,THE ix.


pareilles perturhations accidentel1es se sont toujours
produites nécessairement partout oú quelque grand
progres s'est accompli, et jamais elles n'ont pu étre
considérées comme une bonne raison pour repousser
ce progreso Il est beaucoup d'esprits qui n'ont jamais
le courage d'aller tout droit aux conséquences natu-
relles de leurs pri ncipes, Ila savent et al¡ hesoin ils dé-
montrent que le régime de la protection est faux en
thécrie et funeste en pratique; mais ils eonseillent un
systeme transitoire, qui consisterait dans l'affaihlisse-
ment graduel et la suppression par parcelles du ré-
gime des douanes (1). Daos cet ordre de choses eomme
dansbeaucoup d'autres, les demi-mesures et les ater-
moiements u'ont d'autre efIet que de perpétuer le mal
sans y apporter de soulagement notable. Aux grands
maux les grands remedes, les remedes énergiques et
rauicaux. Exemple: la question de l'esclavage dans
nos colonies, Pendant les quinze années qui out pré-
cédé sa suppression, les assemblées législatives s'é-
taient bornees a tourner autour de la solution, et en
définitiva, avec leurs petits moyens anodins, avec tous
leursreglemenís destinés aadoucir le sort des esclaves,
elles n'avaientabouti qu'á aigrir les douleurs de ces


(I) Ce sont ces mémes esprits, tremblants devant les derniéres
conséquences Ae Ieurs príncipes, qui, dans la question militaire,
se bornent a eosseiller timIdement le stérilceapédí nt ü'UJIe
simple réduction proportionnelle des armées permm entes, expé-
dient si souvent mis en pratique mais pour étre bien.ét suivi de
nouveaux et plusconsidérables armements.




CHAPITRE IX.


infortunés. Est venue la Révolution de Février, qui
d'un trait de plume a supprimé I'esclavage dans nos
colonies, et il n'en a plus été question. C'est le seul
acle du Gouvernement provisoire, auquel n'ait pas osé
toucher l'homme qui a détruit successivement toutes
les reuvres de la République de :1848.


Du principe de la liberté illimitée du commerce et
de l'industrie suit la suppression du serviee publie ac-
tuel du commerce et de l'agricu1ture. Les écoles vété-
rinaires, attrihuées aujourd'bui a ee serviee, doivent
étre eonstituées en externat et réunies al'lnstruetion pu-
hlique, ainsi que le Conservatoire et ·les Écoles des arts
et rnétiers, si ces dernieres remplissent véritablement
le but de leur institution, ce qui est mis en doute par des
hommes compétents et ce qui doit étre examiné. Il
eonvientégalementd'examiner si, au point oú la seienee
et 1'industrie sont arrivées aujourd'hui,· l'Etat doit
continuer d'avoir des manufactures modeles, comme
celles de l'Imprimerie nationale, des Tapisseries des
Gohelins et de Beauvais, des Porcelaines de Sevres et
des Glaees de Saint-Gobain. L'institution abusive des
hrevets d'invention, dont le résu1tat le plus clair est
de retarder les progres de l'industrie et de les faire
payer au publie heaueoup plus qu'ils ne valent, doit
étre supprimée. Les grandes découvertes qui se-
raient de nature a faire faire de notables prógres a
l'industrie, peuvent étre l'objet de recompenses na-
tiouales.




CHAPlTRE IX. 229
Je saisis l'occasion qui s'offre ici d'exprimer mon opi-


nion sur lesprogres de 1'industrieou plutót sur ce qu'on
appelle de ce nomo Considérée d'une maniere générale,
l'industrie étant l'application de l'intelligence et des
forces humaines a. l'exploitation des richesses natu-
relles, dans le but de satisfaire nos divers besoins, est
manifestement une chose bonne en elle-méme et ne
demandepas d' apologie, Mais, si de ce point de vue gé-
néral nous descendons aux détails, nous reconnaltrons
qu'il est des époques oú 1'industrie peut prendre une
fausse direction et devenir ainsi une source de mal. C'est
lorsqu'au lieu de se mettre au service du plus graud
nombre, en procurant au moins de frais possihle les
moyens de satisfaire les besoins réels de la vie, elle
s'applique surtout amultiplier ces objets de luxe qui
ne devraient venir qu'apres que le nécessaire aurait
été mis ala portée de tous, ces inutiles colifichets, ces
mille riens qui deviennentbientOt des nécessités de
convention et qui dévorent par leur nombre une
énorme portion de la suhstance d'un peuple. A!ors
l'industrie et ce mercantilisme avide qui s'attache a
elle comme une lepre, répandent partout le goút des
vains ornements, qui ne doit pas étre confondu avec
celui de la propreté dont il est souvent l'opposé, né-
gligeant d'autant plus ce qui ne se voit pas qu'il veut
étre plus brillant dans ce qui se voit. Alors une exis-
tence factice se substitue a la vie réelle; l'amour du
clinquant et du faux gagne de proche en proche toutes




CDAPrtnE [1.


les classes, ét le moral des populations s'appauvrit a
mesure que léur extérieur semble s'enriehir. Je dis
sernh!e,car la misero du grand notnbre peut croltre
enréalité avec les progres mal entendus de l'activité
industrielle. Quand on songe a tout ce que la majeure
partie de I'espeoo humaine est condamnée anjourd'hui
áendurer de souñrances pOlit que l'industrie de luxe
puisse étaler ses produits dans ces exposltions si eou..
·rué5, un sentirnent pénible Mméle a I'admíratíon que
font naltre ces térnoignages du pouvoir exereé par
I'homme sur la nature brute, et ron se demande si,
au lieu de chercher ainsi a créer toujours de nouvelles
superfluités qui ne sont á l'usage que du petit nombre,
il ne serait pas plus digné de nations qui prétendent
mareher a la tete de la civilisation, de eommeneer par
mettre tous les hommes de bonne volonté a méme de
se procurer le nécessaire, et par appliquer la puissance
de i'industrie acombattre l'indigence et la dégradation
physique et morale qui marche cornmunément asa
suite, Dans ces grands jours oú l'industrie expose aux
regards émerveillés ses prodigas et ses magniflcenees,
c'est un triste spectacle puur l'homme qui pense que
de voir tant de belles et honues choses, quidevraient
naturellernent étre appliquées ala satisfaction de nos
plaisirs honnétes, étre détournées au service des pas..


.sions, des gouts capricieux et désordonnés, et au lieu
d'étre Ia splendeur de la civilisation, en devenir ainsi la
d¡~g'fa(lation et la honre. Le~progres df~réglt~13 de I'indus-




CHAPITRE IX. 23i
trie ccntribuent d'autant plus aIacorruption desmeeurs
que le nombre auquel ils profitent est plus petit; car
ils excitent les convoitises, l'envie et les coleres de la
plnpart de ceux qui n'y participent pas, la production
et la richesse sociales ne pouvant jamais, quels que
soient leurs développements, etre assez considérables
pour procurer le luxe a tout le monde.


L'idée exprimée par ce mot de luze revét saos doute
des earaeteres tres-variables selon les eirconstanees,
et je ne nie pas que, si 1'0n a égard aux divers états
de fortune, aux positions occupées daos l'ordre social
et aux hesoins qu'ont fait naitre les milieux si divers
de la naissance et de l'éducation, ce qui est le superflu
pour telle famille ne puisse atre le néeessaire pour telle
autre. Le luxe n' est pas une chose absolue mais rela-
tive aux ressources dont on dispose. Une robe de cent
francs, qui sera simple pour une femme opulente, sera
luxueuse pour une femme qui devrait se contenter
d'une robe de vingt francs. Mais de ce principe incon-
testable que le luxe n' est pas en soi une chose absolue
n'entend-on pas journellement déduire eette fausse
conclusión, qu'il ne saurait avoir rien de blámable?
Si le luxe est chose relative, il n'en est pas moins vrai
que, dans telle circonstance de temps, de fortune, de
persQnnes, il ne peut exister sans prendre les caracteres
d'un fait ruineux el coupable. II y a une autre apologie
du luxe, qui n'a pasmoins cours dans les conversations
~ les éerits, e'estcelle qui eonsiste adire qu'il fait tra-




232 CHAPITRE IX.
vailler les ouvriers et aller ·le commerce et les arts.
C'est encore la un déplorable sophisme. En recom-
mandant cette símplícité de meeurs et cette modéra-
tion dans les dépenses, qui n'excluent ni le hon goút
ni la véritable élégance, les moralistes ne veulent nous
ramener ni a l'état sauvage ni a la barbarie; ils ne
proposent pas d'enfouir et de stériliser les produits de
l'épargne, mais bien de les appliquer a des travaux
utiles et surtout aune foule d'exeellentes ceuvres, le
tout infiniment plus profitable au grand nombre des
ouvriers, des commercants et des artistes que les dé-
penses de vain luxe. Lequel vaut le mieuxqu'une cer-
taine somme d'argent soit appliquée a enrichir un
joaillier etune marchande de modes, ou aprocurer
des moyens de subsistance a cent produeteurs de choses
vraiment bonnes et servant ades milliers d'autres per-
sonnes? L'industrie de ce joaillier ou de cette mar-
chande de modes, il est vrai, fait vivre misérablement
quelques travailleurs; mais combien l'agriculture et
les nutres arts n'en font-ils pas vivre davantage et dans
de uieilleures conditions? JI Ya done, pour toute situa-
tion, une mesure que ron ne peut dépasser sans en-
courir le justereproehe d'un luxe relativement exces-
sif, c'est-á-diré d'une recherche exagérée de l'élégance
dans l'habillement, l'ameublement et les divers moyens
de paraltre plus que ron n'est. C'est une maladie qui
se complique le plus ordinairement de la fievre des
plaisirs et dont la nature est de s'exaspérer par ses




CHAPITRE IX. 233


propres exces. Ne voit-on pas en effet le débordement
des mreurs accompagner les exagérations du luxe? Il
est fort commun aujourd'hui d'entendre des personnes
qui, sans aIler jusqu'á approuver en théorie les progres
incessants du luxe, y contribuent au moins en en don-
nant pratiquement l'exemple, se plaindre de ceux de
l'immoralité. Ces plaintes sont irréfléchies et incensé-
quentes; car elles reviennent ane pas vouloir qu'une
cause que l'on a posée produise son effet. On ne sau-
rait nier que déjá le mal ne soit arrivé parmi nous a
un tel point que ceux qui se sentent le moins disposés
acéder a la tyrannie du mauvais exemple, se croient
obligés, par la crainte de se singulariser, de lui payer
quelque tribut; ils se disent que, s'ils voulaient vivre
aujourd'hui avec la simplicité d'autres temps, ils se
feraient remarquer et montrer au doigt (i).


(1) Parmi ceux qui ne se font faute de dire que la frénésie du
luxe est une chose mauvaise, la plupart s'arrétent a cette appré-
ciation vague et ne se rendent pas un compte exact des causes
de la maladie. De la tant d'explications fausses ou incomplétes
dans les discussions économiques. Par exemple, au renchérisse-
ment universel et croissant de presque toutes choses on assigne
diverses causes secondaires sans remonter jusqu'aux premiéres
et a la premiére de toutes, Si les denrées alimentaires, destinées
a satisfairedes besoins de premier ordre, ont subi et continuent
de subir une surélévation de prix, ce n'est certes pas que la
nature réponde aujourd'hui au travail de l'homme avec moins
de prodigalitéqu'en d'autres temps. Mais la production de ces
denrées n'est plus en rapport avec leur consommation, et ce
défaut d'équilihre provient de ce que les bras et les capitaux,
appliqués dan. une mesure excessive aux divers travaux des




CHAPn1\t IX.


J'ai parlé tout al'heure de la Iepre envahissantedu
mercantilisme. Il ne peut venir a la pensée de per-


industries de luxe, manquent a l'agriculture, source premiére
de toute richesse: le nombre des paysans attirés dans les villes
et consommés infructueusement par l'armée, est allé croissant,
et les capitanx ont couru se perdre dans les emprunts des États
el des villes et dans une infinité de spéculations plus ou moins
malhonnétes, Les goüts de jouissance qui font cortége au luxe
étant passés des villes dans les campagnes, les cultivateurs du
sol dépensent davantage, et veulent tirer un plus haut prix des
denrées qu'ils font naitre et qui sont en quantité décroissante,
les statistiques et les publications offlcielles mémes accusant une
climinution tres-notable de la production agricole depuis une
quinzaine d'années. L'augmentation et par suite la dépréciation
relative du numéraire circulant, amenées par l'exploitation des
nouvelles mines dor, ont sans doute contribué a élever le prix
de toutes choses, Il est également vrai que la démolition et la
reconstruction d'une portien considerable de París et de quelques
autres grandes villes, causant une augmentation du prix des
loyers, sont aussi pour beaucoup dans l'augmentation du prix
des denrées. l\bis la fureur de démol.r pour élever, a grands
frais ~t, en quelques années, des constructions demandant un
siéele, confortables et salubres en apparence plus qu'en réalité,
et, sous le rapport de l'art architectural, accusant un goút plus
que contestable particuliérement dans les édifices publics, cette
fureur, dis-je, est un des fácheux résultats de 1amour excessif
du luxe, venant stupidement en aide aux calculs d'un pouvoir
qui, ne vivant que d'expédients, était condamné adévorer l'avenir
pour snffire aux nécessités de son présent. 11 faut donc arriver
en dernier lieu a cette question : pourquoi cette poursuite
fíévreuse des moyens de contenter des goüt luxueux, qui carac-
térise particuliérement notre époque t 11 ne suffira pas de répon-
dre, ce qui est vrai, que I'impulsion dans eette funesta voie est
venue surtout, dans ces derniéres années de régime impérial,
d'hommes profondémeut pervers, qui, trouvant p.US facile d'asser-
vir un peuple corrompu que de gouverner un peuple vertueux,
s'appliquaient a eorrompre toujours davantage; il faudraajouter




CA'A'lTRI tt.


sonn. de nier l'utilité et la nécessité méme de eertains
intermédiaires entre les producteurs et les eonsemms-
teurs dans les reIations d'éehange..Mais ce que l'on a
pu avec raison regarder enrome un mal, e'est le nom-
bre han de proportion avee les besoins réels, auquel
s'élevent ces intermédiaires. II y a alors perte réelle
POUl" la fortuna publique. Plus ces intermédiaires sont
nornhreux, moins ils operent et plus par eonséquent
ils sont obligés , pour vivre, de hausser le gain qu'ils
prélsvent sur les consommateurs ; le prix des objets de
consommation s'éleve alors, au profit d'un 'nombre
relativement petit d'individus et contrairement al'in-
térét de tous. Dun autre cóté, ces intermédiaires pa-
rasites privent la. fortune publique du fruit du travail
qu'ils pourraient effectuer dans d'autres earrieres. Quel
remede ace mal? Le principe de la liberté d'industrie
ne permet de recourir aaueun de ceux qui s'imposent
d'autorité. Il Yen a un autre bien plus simple et plus
sur, e'est la liberté d'association, sur laquelle je re-
viendrai dans le chapitre suivant, et qui pourra seuIe
délivrer les producteurs du nombre da ces intermé-
diaires, porté bien au-delá des limites de la néeessité
et de l'utilité. Ce serait assurément un grand service
rendu ala civilisation que de trouver les mo~e-ns d'at-


que le peuple francais n'a suivi si docilement et si longtemps
cette impulsicn que paree qu'il manquait déja du sens moral et
religieuz, Mais cette derniére eonsidératioa se ratWhe a un
ordre d'idées dout j'ai traité dans d'autres ouvrages.




236 CHAPITRE IX.
tirer les populations vers le premier des arts, vers cet
art, aujourd'hui encare si peu appréeié,de l'agricul-
ture inteIligente et raisonnée, qui est la source prin-
cipale de la richesse des peuples, et qui, en ajoutant
les lumieres de la science aux lecons non moins pré-
cieuses de l'expérience des siecles, se substituerait a
l'ignorante routine de la plupart des habitants actuels
de nos campagnes. Mais un pareil résultat na se dé-
crete ni nes'improvise ; il ne peut naitre que du pro-
gres moral des populatiousr-et malheureusement ce
progre~',: est retardé par le mal méme que nous dé-
plorons ici et auquel il devra porter remede.


Suppression du service actuel, appelé de rIntérieur,
et de tout son personnel administratif, les services pu-
blics mentionnés dans les chapitres précédents étant
tous des services de l'intérieur, pourvus de leur per-
sonnel..et d'un autre coté la liberté devant elre laissée
aux edÓ\munes pour la gestion de leurs intéréts maté-
riels et locaux et pour l'élection des magistrats muni-
cipaux chargés de cette gestion (i). On peut réunir a


(1) On ne se méprendra pas sur ce quej'entends par cettc
entiére liberté qui doit étre laissée aux communes pour ce qui
regarde la gestion de leurs intéréts locaux. On a déja vu que je
ne l'étendais pas jusqu'aux choses d'un ordre plus élevé et qui
touchent aux grands intéréts sociaux: il ne faut pas, par exem-
pIe, que les communes soient libres de laisser leurs populations
croupir dans l'ignorance et leurs pauvres mourir de misére, Voilá
pourquoi j'ai demandé plus haut que la loi les obligeát a contri-
buer avec l'État aux frais de l'instruction et de la santé publi-
qnes.




€HAPITRE JS.. 237
l'Instruction publique les Beaux-Arts, et j'entends par
la seuIement la direction des écoles publiques de des-
sin, de peinturc, de sculpture, de musique, et l'admi-
nistration des col1ections des l\1usées. Quant a ce
qu'on appelait les eneouragements que la monarchie
accordait aux artistes, et par lesque1s illui arrivait si
souvent de les avi1ir en les tenant él ses gages, je ne
nie pas la possibilité que la République évite le dan-
gel' de les déconsidérer en venant a 1eur aide, et par
conséquent je ne vais -Vas [usqu'á proposer que cet
article disparaisse de son budget. Mais je voudrais que
"-".~' ... >'


les artistes et les gens ele lettres comprissenfvqu'ils
n'ont rien a demander aujourd'hui a 1'État que la li-
berté, cet aliment qui leur est bien plus nécessaire en-
core que le pain matériel : si ce TI'est pas l'avis de ceux
d'entre eux qui sont enrichis, c'est du moins 1'avis de
ceux qui valent et se respectent le plus. L'art ...~pma­
tique doit également étre rendu a la libert~~~ par
eonséquent toute interventionde I'Etat, dans l'exer-
cice de cet art, doit cesser. Ce que je dis la íera jeter
les hauts cris a certaines gens; leur désappointement
se cachera sous 1'épouvantail d'une licence effrénée
dans laquelle ils ne manqueront pas de prédire que le
théátre va tomber aussitót qu'il ne sera plus sous la
proteetion de leur haute vertu. Je réponds d'abordgue
je n'entends nullement dispensar l'Etat de son devoir
de surveillance générale a exercer dans les lieux oú le
public est assemblé et par conséquent dans les théá-




tres, et que, s'il s'y commettait, pal' le fait soit des au-
teurs soit des acteurs, quelques délits d' outrages ala
morale, il y a des lois qui répriment cesdélits et des
magistrats pour faire respecter ces lois. Mais j'ai hate
d'ajouter que, sans compter pleinement sur le bon
goút et l'honnéteté du puhlic actuel pour faire justiee,
j 'y compterais encore plus que sur l'intervention de
l'autorité, Dans toutes les suppositions, je ne erains
pas que le régime de la plus entiere liberté laisséo ala
scene, y apporte plus ni méme autant de pieces immo-
rales qu'en laissaient journeliement passer les admiais-
trateurs du régime préventif. Personne n'ignore que
l'intérét de la morale était le moindre des soucis de ces
protecteurs, qui n' exercaient leur surveillanee que dans
un but politique, quand ce n'était pas dans uu autre
hut, plus honteux encoré. Les écoles de sourds- muets
et de jeunes aveugles peuvent aussi éíre réunies au
service de l'Instruction publique.


Au point de vue oú nous sommes placés , d'une Ré-
publique vraiment démocratique, le systeme de 1'01'-
ganisation sociale doit étre conséquent et tout d'une
piece, La suppression du Monarque et du Ministre
qu'il mettait a la tete de chaqué grand service public,
entraine la suppression de ces Préfets ;placé~a la wte
des départements comme chefspolitique$, et qui
étaient de petits Ministres comme les Ministres étaient
de petits Monarques (!). Dne co~mission administra-
..


(J) Cetterestauration, sous un autre nom, .d,es aJicíenl Intea...




tive, permanente, siégeant au ehef-lieu du dépsrte-
ment, appelée commission départementale et placée
comme intermédiaire entre l'administration centrale
et les administrations municipales, veillera él l'ohser..
vation des lois générales de la République. Cette com-
mission, composée des chefs des divers services pu-
blics, ainsi que d'un certain nombre de membres rési-
dant au ehef-lieu et désignes par le eonseil de dé-
partement dont il sera parlé tout al'heure, peut étre
chargée de I'administration, qui ne ressemblera guere
ace qu'on appelle aujourd'hui de ce nom, et qui se
trouvera considérahlement réduite, lorsqu'on aura
affranchi véritablement les communes en ce qui con-
cerne la gestion de leurs intéréts particuliers, Il y au..
rait utilité a concentrer davantage la división du ter-
ritoire en départements. Aujourd'hui méme l'adminis-
tration des deux grands services de la Justice et de la
Force publique a des ressorts indépendantsde la divi-
sion dépsrtementale, et ilenétait de méme pOlir lIns-
truction publique avant que des lois de ténebres eussent


dants des Provinces, supprimés par la Révolution, était, comme
on sait, une des oeuvres du premier consul Bonaparte. Ce vaste
systéme de centralisation, oú tant de sots et de flatteurs inté-
ressés ont vu ou feint de voir des créations de son génie, u'était
qu'un plagiat, plus ou moins habilement déguísé, des iastitu-
tions. de l'aucien régime, et n'avait d'autre but que de servil'
son despotisme en placant sous sa main tous les instruments de
l'activité sociale, direction politique, admínistratíon, jus1iee,
religión, enseignement et éducation, íinances, etc,




240 CHAPITRE IX.
fait de l'éducation populaire une affaire d'inquisition
dioeésaine et de poliee départementale. Le nombre des
89 départements actuels devrait, je erois, étre réduit;
il pourrait étre ramené a une trentaine (1). L'arron-
dissement est une subdi vision tout a fait inutile du
département. Les 373 arrondissernents aetuels doivent
done étre supprimés. On peut eonserver la division du
département en eantons ou justices de paix, et du ean-
ton en communes. Le département eontinue d'avoir
son eonseil élu par les eantons, et se réunissant au
ehef-lieu en une ou deux sessions annuelles pour dé-
libérer publiquement sur les travaux aexéeuter aux
frais du département. Ce conseil choisit dans son sein
un président et un viee-président (2). L'élément fon-
damental de 1'édifiee social est la eommune. On peut
dire de cette premiere agglomération, qu'elle a, dans


(i) 11 est bien entendu qu'alors méme quel'on remplacerait
utilement le nom de département par celui de province, il ne
pourrait nullement étre question de rétahlir simplement la divi-
sion des 32 provinces de I'ancienne France, division trés-inégale
en étendue, trés-arbitraire et fondée en grande partie sur des
traditions féodales surannées, des usurpations brutales et d'ini-
ques conquétes. Cette division doit demeurer supprimée pour
toujours, malgré la possibilité d'en tenir aujourd'hui quelque
compte dans un nouveau partage départemental, plus en rapport
avec les similitudes d'origine, de meeurs et d'intéréts,


(21 Il est également entendu que, si 1'0n remplacait le nom de
département par celui de province, les conseils de département
s'appelleraient alors conseils provinciaux, et que la commission
administrative remplacant l'administration préfectorale porte-
rait le nom de provinciale.




CEIAPIT!'.E IX. 241


l'ordre civil et politique, le degré d'importance que
ron attribue justement a la colleetion appelée espece
dans les sciences naturelles. Elle continue d'avoir son
conseil municipal, élu par tous les membres actifs, Les
conseils municipaux choisissent eux-mémes dans leur
sein leurs présidents ou maires et leurs vice-prési-
dents ou adjoints, et déliberent publiquement. Mais je
ne vois pas de nécessité de maintenir l'éparpillement
actuel des communes rurales: c'est encore le parlage
féodal et ecclésiastique du sol par seigneuries et pa-
roisses, La plupart de nos villages, se composant d'un
tres-petit nombre d'habitants (i), et formant autant de
communautés asservies aux influences dominatrices de
quelques familles , sont condamnés a l'isolement et a
l'impuissance. De la cette ignorance et ce gout d'immo-
bilité, qui les rendent encore si peu propres a la vie
nouvelle a laquelle les appe11ent les institutions répu-
blieaines, et qui en font si facilement lAS instruments
des ennemis de ces institutions. Pourtirer les habitants
de nos campagnes de leur engourdissement, il ne suffi-
rait pas sans doute mais il serait utile,je crois, de fondre
entre elles un grand nomhre des communes rurales
aetuelles, en fixant pour cela un minimum de popula-
tion, i ,200 habitants par exemple (2). Qui ne sait les


(1) Prés de la moitié des communes de France (16,674 sur
37,048) ont une population qm demeure au-dessous de 500 ames.
Dans 533 communes on necompte pas f 00 habitants.


(2) Dans cette supposition, lorsqu'une commune se compo-
16




242 CJtAPITRE ix.


préjugés, les jalousies, les prétentions de cIocher, et
l'habileté avee laquelle eertaines gens exploitcnt ces
petitesses? C'est du reste en raceourci le mémo fonds
de sottise qui fait quo tel homme est plus fier d'.etre
francais que d'étre allcmand ou italien, et que tel ha-
bitant de Paris se eroit d'une nature bien supérieure
a eelle d'un Bourguignon ou d'un Dauphinoie, Mais
plus on descend l'éehelle de ces miseros, plus elles
sont étroites et mesquines. En attendant done que 1'0n
puisse amener nos paysans a eomprendre qu'il faut
etre fier d' étre homme bien plus que d'étre fraacais,
faisons en sorte au moins qu'ils soient plus fiers d'étre
francais que d'étre habitants de tel village plutót que
de tel autre.


Suppression des eonseils de préfecture, dont les
attributions sont déférées soit a la eommission dépar-
tementale soit aux trihunaux ordinaires.


Suppression de l'immorale institution de la police


serait de pIusieurs villages, elle devrait avoir plusieurs écoIes.
J'ai déjá dit que l'instruction élémentaire devait, jusque dans
le dernier village, étre mise a la portée de tous, Comme il y a
exceptionnellement quelques parties du territoire, particuliére-
ment dans les pays pauvres et montagneux, OU l'on ne peut
trouver le nombre de 1,200 hahitants que sur une superficie trop
étendue pour le commode íonction.rernent de l'aetivité com-
munale, la loi constitutive des nouvelles communes, en ílxant a
un mínimum de 1,200 habitants l'agglomération nécessaire pour
former une commune, devrait ajouter ces mots, ti rnoins que l'é-
tendue de territoire nécessaíre pour fournír ce chiffre nI dépasse...•
kilor.netre$ carrés.




CHAPITRE IX. 243
secrete, générale et extra-judiciaire. Cette machine in-
dispensable aux turpitudes de la monarchie déshono-
rerait la République; elle doit étre remplacée, selon
les diverses attributions bien défiuies, par une police
soit judiciaire soit municipale. Cette réforme avait été
déja presqua universellement réclamée par les cahiers
de 1789.


8uppression du service public actuel des Affaires
étrangeres et de son personnel de vain luxe, l'Assem-
blée nationale devant se contenter d'avoir, pour ses
relations tres-simples avec les nations étrangeres, un
petit nombre d' envoyés et de résídents, modestement
rétribués. Ce rouage de la monarchie, appelé diplo-
matie, rr'a guere été jusqu'ici qu'une mine de riches-
ses et de dignités exploitée par l'aristocratie, el une
école de rouerie, enfantant des complications et des
difficultés toujours funestes aux nations. Le gouverne-
ment républicain n'a que faire de ce fléau.


Enfin suppression du service actuel des Cultes.
L'État doit assurer a toutes les religions une liberté
d'exercice sans limites, et laisser a tous les citoyens,
avec la pleine faculté de s'associer acet effet, la charge
des frais du culte qu'il leur convient d'adopter, mais
n'en salarier lui-méme aucun (1). Les mémes raisons


(t) La France avait conquis cette liberté au prix des terribles
épreuves de sa premiare Hévolution, lorsque Bonaparte, premier
consul, la lui ravit avec toutes ses autres Iibertés. C'est un des
nombreux attentats d'un homme dont la mémoire ne saurait




244 CHAPITRE IX.


s'opposent a ce que désormais les communes suhven-
tionnent aucun culte. Cette réforme est la plus ur-
gente, et je l'aurais indiquée des les premieres pages
de ce livre si I'on devait juger du degré d'importance
que j'attache aux diverses considérations dont il se
compose par la place qu'elles y occupent. On peut
dire que, tant qu'elle n' aura pas été exécutée, rien
n'aura été fait de ce qui importe le plus a la consoli-
dation de la République. Sans doute il y a la une éco-
nomie considérable a obtenir, puisque le budget des
dépenses ordinaires et extraordinaires des cultes s'é..
leve a plus de 54 millions; mais le point de vue finan-
cier est le cóté le plus petit de la question : il s'agit
avant tout d'obtenir enfin la réalité de la liberté reli..
gieuse, qui est ahsolument impossible dans le systeme
de l'alliance de l'Etat avec les églises.La religion
chrétienne comme la religion juive, sa mere si peu
rcspectée, est radicalement antipathique a toute insti-
tution libérale. Ses dogmes principaux, ses traditions
bibliques, tout ce qui la constitue en un mot est con-
forme au principe de l'autorité absolue. Un affranchis-
sement définitif est done impossible la oú elle continue
de régner, fút-ce dans un Etat portant le nom de Ré-


étre trap maudite par les républieains. Qu'ils se souviennent du
J8 germinal an X (7 avril 1802), rétablissant l'allianee offieiel1e
de l'Etat avecles églises, allianee qu'avait définitivement rompue
le déeret du 3 ventase an III (21 février 1795)., par lequella Con-
vention avait en méme temps proclamé de nouveau la liberté
religieuse,




CHAPITRE IX. 245
publique. Celui-lá ne saurait vouloir étre libre en po-
litique, qui n'a pas d'abord rompu le dernier des liens
par lesquels I'enchainaient des doctrines dont 1'essence
est d'étre hostile au progres humain. Lorsqu'on s'est
fait un point de religion de croire a la légitimité de
l'absolutisme et au mérite de l'obéissance passive,
lorsque ron tient pour sacrés les priviléges que quel-
ques hommes se sont arrogés par la violence ou la
ruse au détriment de 1'immense majorité de leurs sem-
hlahles, lorsqu'enfin on fait profession de déprécier
le libre examen et d'insulter ala raison humaine, cette
voix intérieure par laquelle seule Dieu nous parle et
que nous ne pouvons par conséquent pas négliger
d'interroger ou refuser d'écouter sans une suprérne
impiété , comment pourrait-on entrer franchement
dans un ordre de choses qui n'admet comme légitimc
que ce qui est avoué par la justice, qui ne reconnait
d'autresdroits et d'autres titres que ceux qui sont con-
formes ala raison? C~ que l'on doit vouloir alors, ce
n' est pas un gouvernement démocratique, que l'on ne
eomprend pas, ce n'est plus mérne ce systeme hyhrido
de gouvernement, appelé monarchie constitutionnelle
el qu'un petit nombre d'années d'épreuve a rendu
désormais impossible en France; ce qu'on doit désirer
et demander, c'est le despotisme le plus entier avec
toutes ses conséquences. On a beau Jire par moments
que 1'on aime et que ron veut la liberté; on n'aime et
l' on ne demande que la liberté d' opprimer. A ce point




246 CHAPITRi IX.·


de vue, il faut hrúler les livres, fermer les écoles et
háillonner ceux qui ne veulent pas subir cette humi-
liation. Encore une fois il y a nécessité de prendre tout
cela au complet et au sérieux, quand on accepte le
christianisme réel et logique, et non pas un christia-
nisme de fantaisie dont il serait loisible á chacun de
prendre seulement ce qui lui conviendrait comme le
font aujourd'hui tant de prétendus chrétiens. Si done
on rejette les conséquences, on doit d'abord rejeter le
principe d'oú elles découlent, et eomprendre enfin que
toute grande réformation sociale doit commencer par
une grande réformation des idées religieuses, L'esprit
des dogmes chrétiens, en les prenant mérne tels qu'ils
sont formulés dans les communions protestantes, est
essentiellement opposé aux principes libéraux sur les-
quels repose le régime républicain. A Dieu ne plaise
que je vienne pour cela demander que l'on interdise
l'exercice de la religion chrétienne et que l'on inquiete
ceux de ses ministres qui se renfermeront paisible-
ment dans leur role religieux et qui n'emploieront pas
a conspirer contre la République la liberté mérne
qu'elle leur assurera ! Le temps est passé des mesures
d'intolérance en matiere de religion, mesures plus
odieuses encore que partout ailleurs dans une société
délivrée du joug des tyrans et quine saurait pas s'af-
franchir de sa propre tyrannie; il est passé, j'espere,
pour ne plus revenir: tel est du moins le vceu des
vrais républicains. Plus de violences, plus d'arbitraire.




CHAPITRE :1:.


Justice vigilante et ferraevCela suffit pour sauvegar-
del' les intéréts présents et futurs de la République.
Qu'on laisse donc au christianisme comme atoute au-
tre religion la pleine liberté d'exercice. Mais que la
République ne se charge pas de l'enseigner elle-meme
par l'entremise d'un corps de fonctionnaires qu'elle
continuerait de salarier a cet effet. Au reste personne
moins que le clergé ne sera étonné de la voir se sépa-
rer des églises; cal' il s'y attend, Les prétres catho-
liques en particulier savaient bien, lorsqu'ils se sont
prosternés, l'encensoir ala main, aux pieds de I'assas-
sin de la République, que, pour le cas oú elle renal-
trait, ils auraient joué de leur reste, et ils pouvaient
s'attendre a acquitter plus cherement la peine due él
cette iniquité. Les hornmes qui ont été chargés de
conduire le chal' politique apres la Révolntion de Fé-
vrier, ont commis, entre plusieurs autres fautes, une
faute immense. Au lieu de séparer l'Etat des églises,
comme cela pouvait alors étre réalisé facilement, sans
oppression et en invoquant simplement le principe de
la liberté de conscience, ils se sont pris a de faux sou-
rires et a des protestations dictées par la peur; daos
leur imprévoyante honnéteté, ils ont accepté l'alliance
insidieuse des ennemis-nés de tonte idée de progres,
et les ont ainsi laissés s'emparer petit a petit de la
direction des affaires. 00 se souvient qu'alors ceux
qui nous assourdirent le plus de leur subit enthou-
siasme pour la liberté, et qui assaisonnaient tous Isurs




248 CHAPITRE IX.
discours du mot de Fraternité, étaient précisément ces
mémes hommes qui, aussitót qu'ils ont été guéris de
leur frayeur, ont traité leurs prétendus freres comme
des befes féroces. Puisque j'ai arappeler ces odieuses
profanations de ce que le langage a de plus saint, je
donnerai en passant un conseil aux républicains. Lais-
sons anos adversaires les métaphores hypocrites. Re-
connaissons sincerement el efficacement chez nos sem-
blables tous les droits que nous revendiquons pour
nous-mémes. Traitons-les avec cette bienveillance et
ce respect qui sont dus a leur qualité d'hommes. Em-
ployé hors de propos, le beau nom de [réres n'est trop
souvent qu'un mot vide ou un mensonge, N'affichons
point des sentiments que nous n'éprouvons pas. Il est
dans notre nature et par conséquent dans l'ordre que
nous aimions nos enfants plus que les enfants de nos
voisins et que nous préférions nos véritahles freres
aux autres hommes; mais iI est de notre devoir de ne
consentir jamais ace que nos enfants et nos freres re-
cueillent une trop forte part des avantages sociaux et
jouissent ainsi du superflu, tant qu'il y a des hommes
que nous savons manquer du nécessaire et qu'il nous
est possible d'aider a l'acquérir.


lci se présente naturellement cette question: Que
fera-t-on des temples attribués aux diverses religions,
ainsi que de leurs mobiliers soit artistiques soit affec-
tés au culte? Les diverses sectes religieuses cessant ,
aux yeux de la loi, d'exister en tunt que corps publics




CIJAPlTRE IX. 2~9
et comme partie eonstituante de la société politique,
manifestement l'État seul peut hériter des biens, soit
immeubles soit meubles, précédemment attribués a
des eultes qu'il subventionnait. Puisqu'il en devient
seul propriétaire, .il a done ledroit d'en disposer, Ceux
des temples qui, n'ayant pas une tres-grande valeur
sous le rapport de l'art et ne méritant pas d'étre eon-
servés eomme monuments historiques, empéchsnt la
libre eirculation des eitoyens et la distribution de la
lumiere et de l'air, au détriment de la commodité, de
la sécurité et de la santé publiques, doivent étre dé-
molis. Les plus grands et les plus beaux peuvent étre
appropriés a des services publics, musées, bibliothe-
ques, écoles, mairies, salles de justice, etc. Quant aux
autres églises qu'il n'y aurait lieu ni de démolir ni
d'affecter a des services publics, l'État poul'ra en ven-
dre la propriété soit a des particuliers soit a diverses
associations religieuses privées, nées ou a naitre, et
qui auront alors a supporter toutes les charges com-
munes qui incombent aux autres propriétaires, comme
prix de la protection assnrée par I'Etat a la paisible
jouissance de leurs biens (1.). Ces dispositions me sem-


(1) Les propriétés appartenant ades individus paient au trésor
public, indépendamment des impóts annuels, des droits eonsi-
dérables de transmission soit par suite des décés des proprié-
taires soit par les néeessités d'aliénation qui sont bien autrement
fréquentes pour les individus que pour des soeiétés qui ne meu-
rent paso L'équité veut done que les propriétés appartenant a
des associations religieuses ne puissent pas se soustraire aI'ac-




250 CPIAPITI\~ IX.
blent plus dignes de la République que si elle se mettait
a raser avec colere tous les édifices affectés jusqu'ici
aux divers cultes publics, solution qui, dans sa sau-
vage simplieité, trancherait, j'en conviens, plusieurs
difficultés, et vers laquelle j'inclinerais moi-méme si,
outre qu' elle détruirait des valeurs considérables et
susceptibles d'étre utilisées, eUe ne devait pas étre jus,
tement accusée de s'inspirer de cet esprit de vengeance
qui va s'attaquant jusqu'á des pierres. Il ne faut pas
•imiter le christianisme qui, devenu tout-puissant lors-
que les Césars le firent monter avec eux sur le tróne,
renversa les temples du paganisme (1). Toutefois si la


quittement de ces droits de transmission, et des lors il faut de
deux choses l'une, ou que ces propriétés soient inscrites, dans
les titres établissant la possession, sous des noms individuels, ou
que, si elles sont inscrites sous les noms de sociétés qui seraient
censées ne pas mourir, elles soient assujetties a des impóts an-
nuels proportionnellement plus élevés, en compensation de ce
qu'elles feraient perdre au trésor par l'absence desdroits de suc-
cession. On objectera peut-étre que, dans le cas oú les associations
religieuses seraient reconnues aptes aposséder et par conséquent
a recevoir des legs, on courrait le danger de voir s'accumuler de
nouveau entre leurs mains d'irnmenses richesses, Mais, outre que,
dans la supposition OU HOUS nous placons, de l'entiére liberté
religieuse, ce danger serait loin d'étre aussi grand qu'il a pu
l'étre dans d'autres temps et sous d'autres régimes politiques,
je ne vois pas comment on pourrait, sans faire breche a nos prin-
eipes, refuser aux associations religieuses une faculté laissée [us-
tement a d' nutres sociétés.


(t) Dans un ouvrage qui abonde en excellentes appréciations
des principaux événements de la Révolution et en ces expressions
sincérement religieuses, qui ont fait jeter les hauts cris a. nos




~H.APITRE IX.


mesure que je propose était appliquée sana de pru-
dentes réserves et sans inteUigence des hesoins et das
éventualités de l'avenir, elle pourrait faire naltre des
dangers sérieux, Dans I'état d'asservissement oú la
pensée religieuse a été retenue jusqu'ioi, les diversas
communions chrétiennes et particulierement la com-
munion catholique seront presque seules en position
de profiter immédiatement de la faculté d'acquérir la
propriété susdite ; elles seraient done hientót remisas
en jouissance de la plupart des édifices religieux, si
ron accédait trop facilement aux demandes que leurs
c1ergés respectifs les presseront de faire a cet égard.
Ce serait done remettre entre les mains d'ennemis du
nouvel ordrepolitique un moyon puissant d'influence,
dont ils useraient pour retenir, pendant longtemps en-


politiques matérialistes, M. Edgar Quinet eonseille de reeourir a
un pareil moyen; {( Un novateur, dit- il , eommande, impose,
ti foudroie, il ne discute pas.)) (La Béoobuum, livre V, arto 7,
tome [er, 2e édition, París, 1865.) Ces paroles étonnent de la part
d'un écrivain aussi haut placé parmi les libres penseurs. Voir
aussi, dans le tome 11, l'article 1f du livre XVI, dont la meilleure
réfutation se trouve du reste dans tout le livre XVII, particulié-
rement aux articles 2 et 3, oú l'auteur combat éloquemment la
théorie de la terreur. C'est d'ailleurs trés-justement que M. Quinet
reproche a la Constituante la grande faute qu'elle eommit 101's-
qu'au lieu de séparer simp.ement l'Etat des églises et d'étahlir
sérieusement la liberté des eultes, elle institua une religión of-
ficielle par sa Constitution eivile du clergé catholiqne, en date
du f7 juin i 790. De la part d'une assemhlée composée en tres-
grande majoritéde Voltairiens, cette mesure, qui suscita des tem-
petes et neut que quelques jours de vie, était en effet un acte
de faiblesse autant que d'impardonnable manque de sincérité ,




~52 CHAPITRE IX.
core, dans les liens de la superstition les populations
que la République doit avant tout éclairer etmora-
liser. Done il ne faudra vendre aux associations chré-
tiennes qu'un certain nombre des temples existants,
afin d'étre améme de faire de pareilles ventes ad'au-
tres cultes soit déjá existants soit futurs (t). Personne
n'aura le droit de se plaindre, les prétres chrétiens
moins que personne, eux qui ont tout fait pour mériter
d'étre traités plus séverement et qui ne devront queala
générosité de la République de ne l'étre pas en effet.
S'ils croient sincerement ala vérité de leur religion,
ce qui est sans doute le cas de la plupart d'entre eux,
non-seulement ils n'auront pas a se plaindre d'étre


(1) On ne saurait douter qu'avec l'entiére liberté des cultes
et les besoins actuels des esprits vraiment religieux, il ne s'éta-
hlisse une religion qui soit enfin d'accord avec la raison au
Iieu de faire, comme toutes celles du passé, profession de l' Oll- .
trager.C'est le premier besoin de ce temps et la eondition
indispensable de l'établissement défínitif de la liberté politiqueo
Le principe religieux a été ahsent de toutes les tentatives d'af-
franchissement faites en France depuis trois quarts de siécle,
et si ce n'est pas la seule cause qui les a fait échouer, c'en est la
prineipale. Mais je n'ai pas a traiter iei spécialement ce sujet
pour lequel je dois renvoyer le lecteur a mes livres Examen
critique des doctrines de la religion ehrétienne et Rénovation reli-
gieuse, dont j'ai publié, eette année, de nouvelles éditions. Ces
ouvrages ont eu particuliérement pour objet de poser les bases
d'un eulte purement philosophique, fondé sur les seules don-
nées du déisme et du spiritualisme rationnels. 11 faut espérer
que les nombreux obstacles, opposés jusqu'a ce [our par une
fausse politique a. l'établissernent de ce culte, seront enfin levé"
sous le régime de vraie liberté que doit inaugurer la Hépu-
blique,




ca APl'IRE IX. 203
ramenés aux conditions de la liberté et de l'égalité
cornmunes, mais ils devront s' en applaudir; cal' s'il
leur est donné de reconquérir quelque ascendant sur
les esprits qui se sont éloignés d' eux ou au moins de
conserver ce qui leur reste d' autorité sur ceux qui leur
sont demeurés fideles, ce ne peut étre désormais qu'en
combattant avee les seules armes de la persuasion et
sans s' appuyer sur des priviléges et des faveurs. Au
point de vue OU nous sommes plaeés de l'entiere sé-
paration des églises et de I'État, tous les cultos deve-
nant parfaitement libres et égaux devant la loi, sont
tenus de' se suffire él eux-mémes et de pourvoir par
conséquent él tous leurs frais de loeaux, de mobilier et
f1e personnel; l'État ne leur doit done rien que la pro-
teetion commune, nécessaire él leur libre exorcice.


Les palais épiscopaux et les hátiments des sémi-
naires, qui étaient concédés par l'État ou les departe-
ments, devront étre repris et vendus ou affectés ades
serviees puhlies. J'en dis autant des maisons presbyté-
rales, que les communes étaient précédemment tenues
de fournir et qu'elles devront reprendre. Un grand
nombre de communes rurales sont eneore dépourvues
de maisons d' éeoles : les presbyteres ne peuvent done
pas y recevoir une meilleure destination.


Le, mobilier, dúment inventorié, sera en partie
vendu. Parmi les objets d'art (tableaux, statues et au-
tres), ceux du plus grand prix seront conservés pour
etre distribués dans les musées des villes.




254 CHAPITRE IX.
Le principe de la séparation définitive de l'Etat et


des églises une fois posé résolümen t et de maniere
a n'avoir plus ayrevenir, il va de soi qu'un certain
délai, pas trop long pourtant, un an par exernple,
peut étre accordé pour l'évacuation des temples, pa..
lais épiscopaux, séminaires et presbyteres, afin de
laisser aux diverses associations religieuses privées le
temps de se reconnaitre et de prendre telles mesures
d' organisation qui leur conviendraient.


J'ai a peine besoin de faire observer que J tous les
cultes étant libres et égaux devant la loi, aucun d'eux
ne peut etre pour les autres une cause de gtne quel-
conque, et qu'ainsi, pour leurs cérémonies, ils de-
vront se renfermer dans l'intérieur de leurs temples
respectifs.


Notre systeme de supputation du temps abonde en
défectuosités de tout genre. Il y a des siecles qu'il eút
été abandonné si sa conservation n'eút été liée al'éta-
blissement des églises chrétiennes dans les diverses
nations européennes. Mais maintenant qu'en Franee
l'Etat doit se séparer complétement des églises, celles-
ci demeurant parfaitement libres de eontinuer de
compter le temps et de régler leurs jours de repos et
de Iétes comme illeur plaira, il n'y a plus de raison
ponr que l'État continue Iui-méme de suivre, dans la
fixation des jours de repos légal des tribunaux et des
diverses administrations publiques, les usages d'une
religión dont il n'est plus le serviteur, et pour qu'il




CflAPITR~ I~. 255


conserve un systeme de supputation dont les nombreux
défauts sautent aux yeux de quieonque veut y regar-
derd'un peu preso L'adoption d'un autre systeme est
done une conséquence de la mesure par laquelle l'Etat
se séparera des églises (i). Sans y attacher le méme
degré d'importance qu'á la réforme des idées reli-
gieuses et politiques et des mceurs qui en découlent,
je crois néanmoins a l'utilité, a la néeessité méme de
réformer une institution qui contribue plus qu'on ne
pourrait le penser au maintien des fausses idées aux-
quelles elle se rattache. 00 n'a sans doute pas oublié
que le culte catholique, rétahli, au commencement de
ce siecle, par le plus grand comédien des temps mo-
dernes et imposé de nouveau a la France en tant que
culte national, n'a pas tardé beaucoup a rappeler le
calendrier grégorien comme un instrument nécessaire
a l'exercice de la domination qui venait de lui étre
rendue (2).


(1) Voir le projet de reforme du calendrier aetuel, que j'ai
proposé dans l'ouvrage intitulé Rénovation religieuse.


(2) La nécessité d'instituer des jours de repos légal pour les
tribunaux et les administrations publiques n'a pas plus besoin
d'étre démontrée que l'évidence des rapports qui s'établissent
forcément entre le travail des individus et celui de tous, Mais il
importe de ne pas s'exagérer I'étendue du pouvoir social a cet
égard : c'est un excés dans lequel on est tombé trap souvent, au
mépris de la liberté naturelle et surtout des droits de la
conscience, Par décret du 4 frimaire an lJ (24 novembre 1793),
la Convention avait simplement fixé les jours OU devaient vaquer
les tribunaur et les administrations publiques, laissant d'ailleurs
achaque citoyen l'entiére liberté de régler son temps de travail




256 CHAPITRE IX.


lnutile de dire que, dans ma pensée, tous les fonc-
tionnaires des divers services publics (officiers de l'ar-
mée, magistrats, membres actifs des c1ergés, etc.), qui
seront supprimés, devront recevoir de l'Etat des pen-
sions de retraite, s'ils ont atteint un certain minimum
d'áge et d'exercice. Quant aux jeunes, une portion
de leurs traitements pourrait leur étre continuée pen-
dant deux ans, afin de leur donner le temps de se
pourvoir. Ces fonetionnaires sont entrés dans les ser-
vices publics sur la foi de la constitution de l'État alors
existante , et ce n'est point par leur fait que leur
carriere se trouve fermée; il est done juste qu'ils
soient dédommagés.


et de reposo C'était la tout ce qu'il y avait a décréter sur cette
matiére. Mais, par une loi du :17 thermidor an VI (4 aoüt 1.798),
le Directoire ordonna que les magasins et ateliers seraient fermés
les décadis et les jours de fétes nationales. C'était rouvrir une
fort mauvaise voie dans laquelle on ne pouvait manquer d'étre
suivi plus tard par d'autres gouvernements, animés d'iutentions
rétrogrades. En effet,par la loi du :18 novembre :18:14, la Restau-
ration prescrivit la fermeture des magasins et ateliers les
dimanches et fétes, jours que, par son décret du :18 germinal
an X (7 avril :1802), Bonaparte, premier consul, avait rétablis
comme temps de repo5 des fonctionnaires publics. Par une circu-
laire ministérielle du 24 mars :1848, le gouvernement provisoire
de la République abrogea la loi de 18:14. Mais, depuis le nouvel
empire, la Cour de cassation a rendu plusieurs arréts qui en
appliquaient diverses dispositions.




LHAPITRE X.


CONfl1:QUENCES nES PRINCIPES POSÉS : ENTIERE LIBERTÉ,
ASSOCIATION, FAUSSETÉ DE CERTAINES THÉORJES DITES
SOCIALlSTES, VRAIE NOTION DU PROGRES. CONCLUSlON.


Pour que toutes les réformes et améliorations que
je viens d'indiquer rapidement s'effectuent et durent,
il est nécessaire que la République démocratique s'éta-
blisse enfin dans toute la sincérité de son principe et
avec toutes ses conséquences naturelles. Une Répu-
blique qui prétendrait avoir succédé aune inonarchie
dont elle conserverait toutes les maladies et tous les
vices, ne serait qu'un odieux mensonge; elle serait
bien pire que cette monarchie, puisqu'elle joindrait
au mal déja existantcelui de l'hypocrisie, en décorant
des beaux noms de liberté et d'égalité des servitudes
et des inégalités, en consacrant la corruption sous des
semblantsde vertu, et en ajoutant ainsi la dégrada-
tion des ames aux miserea des institutions.


Une des premieres conséquences du principe répu-
blicain , entendu dans toute sa vérité , c'est la liberté"
qui, indépendamment de ce qu'elle est la condition de


i7




9"8
...0 CHAPITRE X •


tout perfectionnement intellectuel et moral, est encore
l'instrument indispensable du bien dans I'ordre rnéme
de 1'existence matérielle, Tenons ponr sur que tout
systeme de réformation sociale, qui, sous prétexte
d'améliorer la vie physiqne, fáh bon marché de la
liberté, part d'un principe faux et ne peut aboutir en
définitive qu'á des résultats contraires a son intention
premiere, La liberté doit done étre la grande conquéte
de la République. Il ne faut pas, quand elle nous aura
coúté si cher, nous la laisser ravir ni gáter par d'im-
prudents théoriciens qui nous rameneraient au despo-
tisme en croydnt nous affránchir. Satis douto otl ne
conquiert pas la liberté pour ellé-méme ~t pour íle-
meurer ~ apres l'avoir conquise , eh. c'ódteillplatibn
oisive de sescharmes : il fáut la D:1ettré ft. l'iliuyrt! bn
constituant l' état soclal sous la fotInE! la piü~ i'áthm.:
nelle. Les révolutions qui se conténtént ae falre p~s~r .
l'autoritó en d'autrés mains , né répondent htilh~ri:i'en\
áux besoins du présent. Le but térs leqüel tend l~p'O:'
qué actuelle 'et tlU'elle doit atteindre, e'ést l'á.ill~litlrá:
tion du sort des classes lahorieiíses et souffralite§~ q\ii
constituent I'immense majorité, Uh~ réfórniaU'ó\i pólt.:.
tique h'e peiit plus avoir de valeür qh'alitarit fqtr~lle
conduit a ce but; et e'est cbmmé étaot le plús \1rompt
et le plus sur moyen d'y arriver que la forni'e du 'gÓu';'
vernement répuhlicain a été d'éfihitivetnérit adoptée
par la nation. Sous le régime tépubUbaití; appliqué
dans toute sa vérité , la machine goüverneméntalé




CHAl'lTRE x. 259
ét'llnt organisée le plus simplementet aux moindres
frais et la part des charges communes étant des lors la
moins lourde possible pour chacun des citoyens, la
eondition de l'ouvriér lahorieux et rangé et d'ailleurs
débarrassé de toutes entraves doit devenir la meil-
Ieure possible el ne pent devenir telle que sous ce
~girire. Le travail Intelligent et honnáte est la seuIe
voie qni doive désormáis conduire quelquss-uns a la
ricltesse et le grana nombre a cette moyenne aisance
i}'úf est préférable a la richesse. L'ancienne aristoeratie
nobiliaire et oisive; possédant encoré une honne partie
du sol, mais déja ámoindrie par I' effet 'de l'égálité des
partages, ira diminuant par fa suppression des car-
ríefes militaire et de haute administration monar-
chhtue 0\\ s'entretenait sa Iuxueuse oisiveté, et il n'f
auhlbi.~nMtplus que de sérieux travailleurs dans les
UiVerses brsnches de l'activité soeiale, magistrature,
bárreaü; enseignement, médecine, beaux-arts, finance,
irHiustrie,commerce, agriculture, etc. ; les uns con-
serveront ou obtiendront par leurs seuls efforts cette
cbndition que ron nomme bourgeoisie, et les autres,
en marche pour y arriver, auront entre les mains les
moyens néeessairés Acet effet, et sauf le chapitre des
accidenta et des vicissitudes humaines, que nul régime
ne peut prétendre supprimer entierement, ne pour-
ront s'en prendre qu.'a la force des choses ou peut-élre
aeux-mémes s'ils n'y parviennent paso Da reste, au-
dessous de la condition de la bourgeoisie aisée, il est




260 CHAPITRE X.
encore pour les classes lahorieuses heaucoup de degrés
entre la richesse et la pauvreté, et ce qui importe sur-
tout c'est que le contraste entre I'extréme opulence et
l' extreme misero s'efIace par la disparition graduelle
de la distance qui les sépare.


Les chefs des diverses écoles socialistes modernes
[Saint-Simon, Fourier, Cabet, Louis Blanc et autres)
ont tous, dans la partie positive de leurs systemes,
professé des doctrines qu'il m'est impossihle d'ac-
cepter et que, dans l'occasion, je ne me fais pas faute
de comhattre, doctrines qui, menacant de s'appliquer
apres Février iB4B, ont fait plus de mal a la Répu-
hlique que l'insuffisance de ses gouvernants; mais
tous ont un point commun, sur lequel je sympathise
avec eux : ils ont voulu alléger les douleurs physiques
et les miseras morales du prolétariat et y ont travaillé
avec dévouement lors méme qu'ils se son! le plus
trompés sur les moyens. Mais la pleine réalisation des
reformes de nature a fair.e atteindre ce hut, j'insiste
sur ce point capital, ne pourra s'ohtenir que dans un
rr.gime d'entiere liherté. J'en donnerai ici unexemple
frappant, Un des plus grands problemas parmi ceux
dont certains écrivains cherchent si péniblement et si
infructueusement la solution, celui qui préoccupe au-
jourd'hui presque tous les esprits et qui se retrouve
au fond de la plupart des discussions politiques, lors
méme qu'elles y sont le plus étrangeres en apparence,
c'est la recherche des moyens de mettre le travail pré-




CHAPITRE X. 261


sent, qui entretient la vie des nations, d'accord ave:
les capitaux accumulés par le travail passé, et qui en
étant la représentation légitime mais non une repré-
sentation inerte et égotste, doivent fournir de nou-
veaux instruments au travail futur. La monnaie d' or
et d'argent possede, en tant que métal, une valeur
intrinseque et de plus, comme moyen d'échange, des
qualités particnlieres (inaltérabilité, densité, divisibi-
lité), qui 1'ont fait choisir de temps immémorial, pré-
férablement atoutes les autres substances naturel1es,
pour mesure commune et pour signe représentatif de
toutes les autres valeurs, paree qu'elle est elle-mema
une valeur réelle et équivalente a toutes les autres,
une marchandise qui s'achete pource qu'elle vaut (1);


(1) Les économistesenseignent avec vérité que l'avantage de la
monnaie d'01' et d'argent sur tous les autres signes de valeurs et
de moyens d'échange, lui vient de ce qu'elle a comme marchan-
dise métallique une valeur intrinséque, correspondant a sa
valeur de convention publique. 11 convient toutefois d'ajouter
l'observation suivante. Il ya, entre cette marchandise et toutes
les autres dont elle est l'intermédiaire commun d'échange, une
petite différence, a savoir que, malgré sa diminution croissante
de poids et de valeur par la circulation et l'usage, elle conserve
toujours [usqu'a refonte l'intégralité de sa valeur nominale,
avantage qu'elle ne doit évidemment qu'a son titre légal méme,
a l'attribution qui lui est faite par le pouvoir social d'unevaleur
nominale fixe, ce qui, sous ce dernier rapport, fait de la monnaie
d'or et.d'argent, dans une certaine mesure, une valeur de con..
vention. Cette mesure n'est pas aussi restreinte qu' 011 pourrait le
supposer au premier abordo Ainsi, pour ce qui regarde nos di.
verses piéees francaises en argent, i ,000 franes en piéces de
~ francs ont subi, en moyenne par la diminution de poids pro-




262 C:a;AP.ITRE X.
mais on ne saurait disconvenir qu'en tant que signe,
elle a toujours queIque chose d'arhitraire el de con-
ventionnel, tandis que le travail a une valeur indépen-
danta des conventions humaines, d'oá il suit qu'en
définitive il est la source réelle de toute richesse 50-
ciale. Le capital monnayé a été inventé comme repré-
sentation nominale des produits du travail et pour en
faciliten les échanges ; dans la pensée premiere de ion
institution, il était done destiné aaider le travail futur
autant qu'á représenter le travail passé qui avait servi
a l'acquérir. C'est trop souvent un parvenu qui se
montre sans entrailles, un fils ingrat qui se fait servir.
par son pere et qui lui r.efuse das aliments. Eh hien !
quel est le remede a tout cela ~ Ce n'est ni la chimere
du crédit gratuit ti), ni la suppression, manifestement


..J'.$. "._'." , .. _." ,-," ,-~ . -.' -" ." '.. ¡ • ...; , ,i L, • •


v~lwnt d~ r,\sag~~ une perte de ~ fr~~y~ c.rnar~~te ee~ti~~~; ~n
p~~~es de 2 francs, une perte 4~ 25, ff'ln~~; eA piéces d'un franc,
que perte de 70 franes, et el! piéces de. ~O centimes, une perte
de ~UQ francs. On V9i~ que la perte croit en raison 4~ la dirq~n~tion
de volume et de poids des piéces, par la raison fort simple qu'elles
circulent d'autant plus qu'elles sont plus petites. Jusqu'~ ces
derpiers temps, la perte que l'usure faisait éprouver ~ la w.o~mü~
d'l,>\" qui relativement circulait trés-peu, ~ta\~ b~R4fo1m WPlllS
cO)l§ül~r,able et presque in~~gp.'~a~~~: il n'~~ Yl:j. plus ~b;~qe
II\~m~ bientót sí la monnaie d'or, flart\c\ll\e.r~,~~n~pOHde~piéees
d~ iO et de 5 francs, eqnt~J;l~~ a ~e su.bstitu~w g~H~r~lemQnt,
co.qrm~ ~lle faít depuis quelque telllP& ~~ Fr~HWe~ a'H-X RI~ce~. d~
5 francs en argento


a) Cette théorie absurda trouve pourlant ~,ncQr~ des défen-
~~qr~. Le numero 4H 1, 5 septemhre 1~~6, de l~ re.YHe wep,~uelle
la, M~t1,talité contient, sous le titre 09r1:gré$ Q~vri~, un a;rtic!e qH
il ~~t écrit en toutes, !e,ttre~ : « Le capital ~tjl;qt 4~ trqYf'! ?-ceu-




l:HAPITRE X. 263
impossible, du capital monnayé (i). C'est encore moins
la spoliation violente de ceux qui en sont les déten-


« w¡v:1é, n'a droit qu'á son remb.ourse~ent intégral, rien de
~ f.?~sr l'i~téret ne peut étre qu'une prime pour les risques de
« f~rte~ et ~e feut eeister quand il y a garantie de rembour-
« semeni: »
(~) Loin de goüter les. nomhreux syst~IIles ~i ont été :proposés


p<!ur apwner sa suppression~ je tro~ve ~~ja trop multipliées les di-
versesformes de pa:pier-monnaie. Lescomhinaisons, plus ou moins
iI\fénie~s~s., du pa:pie.r,-J;llOnnal~~:m~ ét~ ~~a~~~éeqpour ~{largner
la: peine matériel1e et les frais du transport de la monnaie métal-
lique, éviter les doubles emplois de paiement, faciliter et sim-
p~~~~r ~es opérations de pnd~strie et du commerce, Mais il ne
nos~e4~ees avantages: qu'a 13; condition, r~~oureusement indis-
pensable, que l'écrit circ~lant soit u:qe promesse sincere, un gage
assuré, un' garant infaillible du remboursement de la somme
IP,éta;Wqlle gu'p represente : e'est alor~ seulement que cet écrit
IIl~rHe l'appellation de titre ~duci~ire; s'il ne représente plus
r~~~,: c'estu~e fromesse menteuse,_ un P?r .instrume~tde trom-
~~le: De{lms 113 systéme de Law et la création des assignats, qw
ca.~serent tan¡t de désastres au siéele dernie,r,' jus~'au syste~e,
effrontément ahsurde, próné par Proudhon dans ces derniers
temp'~, des théories déplof~blement erronées sur la puissance,
prétendue illimitée, du crédit ont trouhlé bien' des esprits et en


1 - "i ,. ., '. I t,! l • ,_ •
tr9u~I~~~ encoré aujourd'h~i un bien grand nombre.' Le crédit
n' existe effeetivement et d'une existence utile et bienfaisante
q~'~'\lta~t que les titres, soit publics soit privés, qu'il met en
clrc~~a~iQJ;l, sont vér,ita~le~ent réalisables e:q des sommes équi-
val~nt~s de monnaie métallique. On croit généraléIIlent que les
billets 4~ la Banque de Franee sont dans ce cas; mais il n'en est
rien ~algré l'apparence contraire. Si 1'0n apportait a la Banque
tólls ses billets .en lui demandant de ·les échanger contre de
l'argent comptant, elle serait dans l'impossibilité de le faire,
puisqu'~lIe a été autorisée a en émettre autant qu'elle le veut el
~l!'~~ ~éáli~é elle en a émis pour prés d'un milliard, c'est-á-diro
pO,ur ~':W somme '~~ ~otns triple de so~ encaisse métallique ha,
bituel. Cet embarras ne lui vient pas sans doute dans les temps




2fH CHAPITRE X.


teurs ; cutre que cela serait un crime et que le crime
ne mime jamais abien, cela ferait passer ce capital en
ordinaires et prosperes; mais, dans les grandes crises, elle est
assiégée par les demandes d'échange et hientót réduite aux ahois.
Aussi demande-t-elle alors au pouvoir social de décréter le cours
forcé Jeses billets, moyen de salut qui a pu réussir lorsque les
diffícultés de la situation n'étaient pas extremes, mais qui, dans
le cas contraire, peut contribuer a augmenter encore la défiance
publique et les désastres financiers. Le cours forcé revient en
effet, de la part du débiteur, a dire a son créancier qu'il est dans
l'impossibilité de lui payer ce qu'il lui doit, et que le pouvoir,
qui est institué pour faire rendre achacun ce qui lui est dú, l'au-
torise a déclarer qu'il ne paiera pas ses dettes ou du moins qu'il
en ajourne le paiement indéfiniment. Puisque l'occasion se pré-
sente de parler du privilége de la Banque de France, j'ajouterai
que, lorsqu'on maintient la loi, d'ailleurs mauvaise, par laquelle
le pouvoir public, s'attribuant le droit de fíxer le taux de I'intérét
de l'argent, défend de le porter au-delá de 5 ou 6 pour cent, il
est inique d'aceorder a des capitalistes privilégiés l'autorisation
d'émettre, pour une somme supérieure aux valeurs qu'ils pos-
sédent véritablement, des billets pouvant ubtenir la faveur du
cours forcé ; cal', dans ce cas, lorsqu'ils semblent retirer de leur .
argent un intérét de 5 ou 6 pour cent, étant autorisés a émettre
des hillets représentant une somme de beaucoup supérieure a
celle de leur encaisse métallique et en émettant, par exemple,
pour une somme triple de cet encaisse, ils percoivent en réalité
un intérét usuraire de i5 ou i8 pour cent et non pas seulement
de 5 ou 6. Il faut done, de deux choses l'une, ou supprimer tous
priviléges en déclarant l'entiére liberté des banques, et c'est le
partí que nous conseillerions, ou bien, si le privilége de la Banque
de France venait aétre maintenu par la République, astreindre
cet établissement a ne jamais dépasser, dans l'émission de ses
billets, la somme toujours présente de son encaisse métallique.
En résumé, tels sont les vrais príncipes économiques, réglant
cette matiére et devant désormais étre strictement appliqués : iI
ne doit y avoir de banques de circulation qu'a la condition d'étre
d'abord, comme la vieille banque de Hambourg, banques de




CHAPITRE X. 265
de nouvelles mains qui seraient tout aussi avides que
les premieres, et par conséquent cela laisserait sub-
sister le mal actuel en y ajoutant d'autres maux. Le
remede? II est aussi simple {!u'infaillible.C'est la li-
berté sérieuse. Que les travailleurs aient la faculté
vraie de former diverses sortes d'associations, faculté
qu'ils exerceront d'une maniere toujours plus intelli-
gente et plus pacifique amesure qu'ils acquerront plus
d'instruction, et alors les possesseurs du capital le
leur offriront ades conditions acceptables. Le droit au
travail, disons mieux le droit de traoailler, que Turgot
appelait la propriéte de tout homme, la premiére, la
plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes les pro-
priétés, n' a pas besoin d'étre autre chose que la liberté
complete, laissée au travailleur, en supposant d'ail-
leurs réalisées les diverses réformes politiques que
j'ai indiquées dans ce livre. Cela fait, ne craignez pas
que l'ouvrage manque jamais a l'ouvrier honnéte , la-
horieux et valide. Entendue de toute autre facón, l'ex-
pression amhigué, pleine d'embúches et de meuaces,
de droit au travail, serait une énorme sottise ; car elle
voudrait dire que l'État doit se faire entrepreneur et
distributeur de travaux. Or non-seulement en principe


dépóts des épargnes et des produits accumulés du capital, re-
présentant exactement la valeur monétaire des billets circulants.
Tout autre systéme est radicalement faux el ne peut produire que
du mal au lieu des services réels que l'institution est appelée a.
rendre au travail industriel et commercial,




~66 CHAPITRE X.
tel nest pas le róle de rÉtat, mais en fait ce sont les
gouvernements les plus tyranniques et les plus odieux
qui s'en sont attribué un pareil el). Inscrire cela dans
une Gonstítution, ce serait, je le répete, nous ramener
aux temps de barbarie, de despotisme et d'esclavage.


Je viens de parler d'association, Nos adversaires ne
manqueront pas d'objecter le peu de durée des diverses
associations de production, qui se sont établies apres
la révolution de Février. En répondant a cette objec-
tion, je trouve une occasion de donner d'utiles avis a
ceux qui ont formé ces associations. Elles n'out pas
échoué seulement devant les entraves que leur out sus-
citées le mauvais vouloir d'une autorité peureuse et
inintelligente et la cupidité alarmée des maitres de l'in-
dustrie et de la finance. Leur peu de succes a tenu a
d'autres causes encore. Deux choses sont indispensables
a une association formée dans un hut de production,


(i) Voyez plutót quel usage l'auteur hypocrite du livre
Exti~c~ion du paupérisme, cet appát grossier jeté aux appétits
les plus aveugles , ce programme de socialisme de la' pire
espéce, du socialisme autoritaire et centralisateur, cet auxiliaire
le plus dangereux du despotisme sans fci ni loi, quel usage,
dis-je, Louis-Napoléon a fait des finanees de la Franee et en par-
ticulier de ceHes de París, pour donner du pain et des spectacles
a la population ouvriére et l'endormir sur les miséres et les
h~~t~s de la servitude, II ne s'est :pas contenté d'élever la dette
de l'Etat a, douze milliards ; il a poussé toutes les villes dans la
voi~ ~~i:rW~s.~. H~~ en.UWlH~ts, les condamnant IWl,lr 1911g~~rpP~ a
ne p0ltvoir a:p.por~er aucun allégemeJ;lt aux charges ~1Unicipale~.
En dévorant ainsi l'avenir E\Y4:l~ le présen], II espérait lifl~ le P~ys
tout entier aux chances de sa fortune personnelle. .'




tH~f~TR.~ x. 267
l~ p~pHal ~t ~f.l travail, Lpr&qu~ ces d~,,~ ~o,~e~ ont
des iHtér~ts distincts et opposés, ce qui a Iieu lorsque
les travailleurs ne sont pas possesseurs du C~HÜ~é\', il
arrive pr~~ql1e tOlljp;U:rs fIUf3 l'un des deux 0PIWiIIlf'
nm~re ~ le B\l\f? ordiuairement c'est le capital qui p'p-
prime le ~t~y~ll, ~:p, ~ffiBQsant les conditions de, r~SSO"7
Cl~tion ~t ~.:q se ~\[;i.an~ une part trop forte d~~s la ré-
p~It~t'Q~des ~~né~ces. ~~~ associations établies dans
lesmeilleurea conditions sont done celles oú les tra-
v<\\llePfs el1~>-we:qlcs apportent le capital ; cal' alors
t~mt~ :rh~~Hté, toute opposition entre les intéréts du
capital et ceux du travail disparaissent, puisque ces
iqtér~t5 s'identifient. Ajoutez a cela qu~ le travailleur
éta~~ intéf~s~é, ~ 111\ double tilre, au succes de l'entre-
pr¡~~ pO,w:~"n~h ~'y affectionne davantage ~t en suit
de plus p:r~s le~ ppérations. .Mqlhf3Ufe\lse,me.~t ~~s tra-
vailleurs sont gé~~r~l€}~ent aujourd'hui d(m~ un état
de misare qui r~~q fort ~lfficHe I'accomplissement de
eette condition d'un apport de capital. EIl attendant
que le nouvel ordre de choses, produisant ses fruits
naturels, les fasse sortir de cet état, une partie de leur
salaire peut etn~ convertie en une quote-part des bé-
néfices, ~,~§¡ q-qc cela se pratique déjá dans quelques
étahlissements ; en s'intéressant alors {lh'~fte,ment au
succes g~n~f(d de l'entreprise, ils conserveraient néan-
móins le salaire régulier et fixe , qui, dans [eur' situa-
tion actuelle, le~~ est encere nécessaire. :pa,~s tous les
cas, il f~Ht qu'il y 'lit qq~\é ~'lH~ la qirccti~~ q~;~ tra-




268 CHAPITRH X•
. vaux. Sans doute les mesures réglementaires, les opé-


rations de.I'asso ciation, la nature et l'étendue de ses
entreprises, la gestion de ses moyens financiers et
beaucoup d'autres choses d'organisation générale p.eu-
vent étre arrétées par des assemblées formées de tous
les associés ou par des commissions déléguées a cet
effet ; mais, cela fait, il est indispensable qu'il y ait
hiérarchie dans les fonctions et que l'exécution pro-
prement dite des travaux dépende d'une direction
unique. C'est surtout sous ce dernier rapport que pé-
cherent plusieurs associations ouvrieres formées apres
!B4B. Je ne dirai rien de celles qui crurent pouvoir se
passer de capital, et qui.ri'étant pas sérieuses, se virent
condamnées a une prompte dissolution.Passant éga-
lement sous silence heaucoup d'autres exagérations
théoriques ou prétentions stupides, comme par exem-
pie celle qui réclamait des rémunérations égales pour
des capacités et des services d'une valeur inégale, exa-
gérations et prétentions auxquelles il fallait du reste
s'attendre dans une aussi brusque transition, j'insiste-
rai seulement sur une considération des plus graves.


Le désir de se soustraire au joug de patrons trop
souvent avides et durs et d'améliorer sa condition ma-
térielle en tirant tout le fruit possible de son travuil,
est, de la part de l'ouvrier, un désir parfaitement lé-
gitime, mais tres-insuffisant si des motifs d'un autre
ordre ne viennent s'y joindre. Pour réussir as'affran-
chir définitivement, il faut en étre digne et capable , il




CHAPITRE X. 269
faut avoir les sentiments qui élevent l'homme a ses
propres yeux comme aceux des autres; il faut possé-
del'les vertus qui, apres avoir conquis la liberté, per-
séverent dans les moyens de la conserver intacte, ver-
tus qui manquaient a la plupart des ouvriers apres
!B4B, et qui aujourd'hui encore font défaut a un si
grand nombred'entre eux; en un mot il faut d'abord
bien comprendre ses devoirs et avoir la ferme volonté
de les remplir, pour arriver abien connaitre la nature
ella mesure des droits qui en découlent et asavoir au
besoin les défendre. Des ouvriers ignorants, paresseux
el intempérants sont condamnés a étre honteusement
exploités. Esclaves des appétits, ne comprenant ni la
moralité du travail ni la nécessité d'une juste suhor-
dination, ils sont incapables de rien organiser de du-
rable (1). Cesont ceux-lá qui se laissent persuader que


It) En ce qui eoneerne particuliérement les soeiétés de pro-
duetion, il ne faut pas se faire illusion sur ce qu'il ya a attendre
aujourd'hui de la puissanee de l'association. Je ne crois pas faire
trop grande la part aetuelle du mal en disant que, sur un eertain
nombre d'ouvriers pris au hasard, s'il y en a la moitié d'intelli-
gents, de eapables, de laborieux et de rangés, les autres sont
plus ou moins ineapables ou paresseux ou débauchés, Les der-
niers consentiraient peut-étre volontiersá entrer avee les premiers
dans une soeiété de coopération, paree qu'ils espéreraient vivre
aux dépens d'autrui. .Mais les ouvriers se [ugent fort bien entre
eux et connaissent mieux que personne leurs qualités et leurs
défauts respectifs; jamais done les prerniers nc voudront faire
avee les derniers une association oú ils seraient pris pour dupes,
et l'on ne saurait penser a les en blámer. Ajoutons que les
ourriers intelligents, capables, laborieux et rangés ne le sont pas




270. CHAPITRE X.


le gouvernement est chargé de pourvoir atous leurs
hesoins, et qui le rendent responsable des mécomptes


tous au méme degré, et que plusieurs d'entre eux, inspirés soit
par le désir fort légitime de devenir maltres a leur ton!', soit le
plus souventpar des prétentionsexágérées, de petítes jalousiés
de métier ou des sentiments égoístes, s'éloigneront de l'asso-
ciation el préféreront la continuation du régime des patrons par
lesquels ils se savent d'ailleurs apprécies, recherchM et g~ht..­
ralement bien payés. Done en déflnitive, parmi les ouvriers
actuels, un petit nombre seulement présente de hons éléments
pour la création des sociétés de productioii ; les aUfres sont con-
damriés par leurs vices ou leur ighohnc~ et pour longtemps
peut-étre a ne pouvoir jouir des bienfaits de l'une des principales
applications du principe de l'association et a vivre de la vie infé-
rieure de simples salariés, et si le nombre de ces derbi~~s né
peut diminuer qu'á mesure que les diverses classes ouvriéres
s'éléveront en intelligence et en moralité, il faut bien reconnaltre
aussi qu'il ne disparaítra jamais entierement. Ces consid¿rations
tendeni-elles a déprécier le systéme des sociétés de pro'duetión T
Bienau contraire elles en font l'éloge. L'idée de la coopération


, .


est appelée, je crois, a réaliser de grandes arnéliorations dans
l'existence des travailleurs, et il est parfaitement juste que ses .
bienfaits profitent d'ahord a ceux d'entre eux qui sont en méme
temps les plus intelligents et les pluS moraux. Ne dút-elle pro-
duire d'autre résultat que d'élever la condition de l'élite des
ouvriers, en laissant les moins intelligents, les moins laborieux
et les moins rangés au service des patrons, ce serait encere la
un tres-notable service ; mais elle en rendra certainement
un autre eneore plus appréciable, ce sera d'agir par l'efficacité
de l'exemple sur un trés-grand nombre de ces derniers dont elle
excitara l'intelligence engourdie et releyera la moralité.
. Dans son livre intitulé l'Ourrü}re, Paris , i86i, 2e partie,


chapitre 111, l'Ivrognerie, le Libe-rtinage et leurs suites, M. Jules
Simon fait une peinture fidéle de la vie désordonnée des classes
ouvriéres et de toutes les miséres qui en naissent.Il leur re-
proche sévérement tous leurs vices, et les presse de revenir a
la pureté des mreurs et aux doucesjoies de la famille. Ajoutons




CHAltlTRE X~ 271
résultant d'une aussi grossiere erreur ti,. Les gol1ver':'
nements sont institués pour proteger le libre etrégu-
lier .déploiement des aetivités soit individuélles soit
collectives, et poúr procurer par la le plus grand bieh
possibledes sociétés, Mais, quelque perfectionnée qu'en
puisse étre la forme, Hy aura toujours un grand nom-


ace vérídique tableau la recherche de la cause premiare dti mal
et l'in~icntion du remede. ¡Pourquoi les ouvriers se jettent-i)s
dans les étourdissements de la dé6auche? Ce n' est pas uni-
quement mals c'est surtou] paree qu'ilssont 'dé~óuhl1s de prm:..
cipes fermement religieux. Mais pourquoi n'ont-ils ni religión ni
morale par conséquent? Paree que la soeiété elle-meme. tout
entiére Ji'eh a pas davantage, paree que les classes élevé~~ ab-
dessus des autres, les classes dirigeantes sont généralement
irréligieuses et immorales, et que les exemples de sensualisme,
partís de haut, ont produit en bas leur effet. C'est done apréparer
l'avénement d'une religión vraie et destinéé a remplacercellequi
est gisante au milieu des autres décombres du vieil ordre soci»l,
que les philosophes doivent travailler aujourd'hui,


'( í ) Comment le vulgaire ne caresserait-il pás <Í'e pareilles
aberrations, quand les esprits de premier ordre leur en donnent
l' exemple? Montesquieu n' a-t-il pas écrit cette phrase? « Quelques
« aumónes que l'on fait a un homme nu dans les rúes ne rem-
« plíssent point les obligatlons de l'État, qu~ do'i't ti tuU8 les eituyéns
« une subsistanee assurte, la nourriture, un »étement convenable et
« un genre de »ie qui nesoitpoint contrais» ti la senté: » (De rEsprit
dds 'loi~, lívre xxiñ, éhapitteXXIX.) Ce n'est hu\lement hiton'etióli
de 1'État, et Montesquieu fait ici du mauvais socialisme. Tout au
plus fallait-ildire : «L'État doit s'organiser de telle sorte que tout
« citoyen soit le pluspossible en position de se procurer par son
« travail des moyens de subsistance. » Je dis toa: au plus, paree
que, dans 1'État méme le mieux organisé, I'homme de la meil-
leure volonté peut se trouver en face de nombreuses impossibilités
de vivre aussi convenablement que le veut Montesquieu, impos-
sibilités qui ne sauraient étre ni prévues ni écartées.




272 CH.A.PITRE X.


bre de maux qu'ils seront ajamais impuissants a faire
disparaitre de la vie humaine. C'est done se faire une
grande illusion et se préparer d'ameres déceptions que
de croire ala possibilité d'une organisation sociale qui
extirpe entierement le mal de ce monde. Le gouver-
nement démocratique méme, qui réunit les meilleures
conditions d'atténuation des abus du pouvoiret de per-
fectionnement incessant, ne dispenserajamais l'homme
du travail auquel il est assujetti par sa nature ni par
conséquent de la peine qui en est inséparable. Bien
différente de la monarchie, qui, sauf quelques rares
exceptions, a gouverné les hommes par leurs appétits
et leurs passions et qui les a gouvernés d'autant plus
facilement qu'ils étaient plus ignorants ou plus cor-
rompus (i), la République, j'entends la seule qui soit
possible mainteuant, ne pouvant les gouverner que par
leurs idées de justice et leurs sentiments généreux,.
doit s'appliquer a faire de vrais républicains, e'e8t-a-
dire des hommes non-seulernent intelligents, mais en-
core et surtout doués d'une intégrité éprouvée et
d'une grande pureté de mceurs. Personne ne désire
plus ardemment que moi l'amélioration de la condi-


(:1.) De tout temps les plus exécrables despotes ont été tres-
populaires parmi les classes a la fois ignorantes et corrompues,
dont ils se sont faít des appuis et <les instruments en échange de
la pitance et des spectacles qu'ils leur fournissaient. Il n'est pas
nécessaire de remonter [usqu'aux Néron ou aux Commode pour
en trouver des exemples, l'histoire moderne et méme contempo-
raine nous en offrant assez d'autres,




CHAPITRE X. 273


tion de cette classe de travailleurs a laquelle je m'a-
dresse ici plus particulierement ; mais c'était une rai-
son de plus pour que je lui disse sans détour ni flatterie
par quels moyens elle l'obtiendra. Il ne lui est pas
moins difficile de dissiper les ténebres de son igno-
rance actuelle que de corriger les habitudes vicieuses
qu'elle engendre; cependant ni l'un ni l'autre n'est im-
possible, et ceux qui le voudront fortement sauront
bien en venir a bout. Les ouvriers des villes ont a leur
portée divers moyens d'instruction. Dans les campa-
gnes ces moyens sont plus rares. Cela est triste a dire,
mais il faut bien reconnaitre, ce que les derniers évé-
nements politiques ne nous ont d'ailleurs que trop ap-
pris, que l'immense majorité des 20 millions de paysans
que l'on compte en France, demeurent plongés dans
un état pitoyable de somnolence intellectuelle. Ajou-
tez qu'ils sont défiants a l'exces, et que leur routine
résiste a tous progres, méme aux plus simples et aux
plus évidemment réalisables. C'est la assurément un
des points sur lesquels il est urgent que la République
porte son attention et ses premiers soins. Il faut dire
aussi que certaines prédications d'un faux socialisme
ont, dans ces derniers temps, tantót effarouché leur
ignorance par des théories, heureusement irréalisa-
bles, qui s'attaquent a leur amour excessif de la pro-
priété du sol, tantót au contraire surexcité 1'avidité
avec laquelle ils voudraient en etre les seuls posses-
seurs. N'a-t-on pas proposé, par exemple, de mettre


18




CHAPlTRJi: x.


le sol en actions? Il ne manquerait plus que cette abo..
mination a réaliser pour que le reste de la fortune de
la France vint s'abymer dans le gouffre immonde de la
Bourse.· Comme cela viendrait en aide a ces hábiles
coquins en grand, qui exploitsnt déja si effrontément
la gent moutonniere et élevent sur tant de ruines leur
fortune privée l N'a-t..on pas dit aussi et écrit que la
propriété fonciere ne devrait appartenir qu'a ceux qui
la cultivent matériellement (1)?


Voyons un peu OU conduit cette derniere assertiou,
qui présente de loin quelque appareIlce trompeuse de
justice et de raison. Remarquons d'ahord que, sur
38 millions d'hahitants qui existent en France.. il u'y
en a guere plus de la moitié qui eultivent efleetivs-
ment la terre, tOI15 eeux qui habitent les campagues Utt
mettant pas la main aea travail matáriel.Le jOQrQU
le sol appartiendrait exclusivement a eeux qui l~
--'-~..---..-_~~,----~-_.. ,. .... ------._.-,..",,-~.-.------,- -:---:-----~-----.- ~--~_...-.


(1) Pour mettre cette derniére théorie en application, on a de-
mandé un décret qui ohligerait les nouveaux propriétaires a
payer aUK aneiens une indemnité armuelle. Rédiger un décret
n'est pas la cbose difflcile : on sait que le despotisme n'en est p~s
avare. Maís cette indemnité équivaudrait aux fermages actuels
ou lui serait inférieure. Dans le premier cas, on maintiendrait
SOl1S un a_elíliGm et sous la forme d'une sorte de féo(1alitá IlQU..
velle l'état présent des choses sans remédier a ses miséres. Dans
le second cas, 00 spolierait les propriétaires actuels, ponr cone-
tituer et mettre en Ieur lieu d'autres propriétaires, qui, .bientbt
enrichís el .a'étant alors JiÚ moins égoístes ni plus tendres qu~
ceux qu'on aurait dépossédés, trouveraient bien le moyen de
faire travaitler aleur place et a leur profit les prolétaires qu'on
n'aumit pas suppmnés.




CHAl'lTRE X. 275
fouillent, eomme sa culture est en déflnitive la souree
premiare de la richesse sociale, on aurait reeonstruit
aleur profit une seule classe réellement riche, formée
de la moitié la moins éclairée de la population. Voila
un des heaux résultats de eertaines élucuhraíions so..
eialistes : quelque 4. S millions d'hommes, les plus in",
telligents et les plus eapables, condamnés au proléta-
riat 1Mais entrons plus profondérnent dsns la quese
tion ,puisqu'il faut aujourd'hui diseuter l'évidence
méme. Une eertaine étendue de terre, bien eultivée
par un seul homme, peut suffire a la nourriture de
plnsieurs. Tous ne peuvent done pas, quand ils 18
voudraient, appliquer leur aetivité et leurs foroes au
travail, tres...méritant sans aucun doute et trop peu
recherché, de la culture de la terreo Mais i] y a plus.
Ce serait un grand amoindrissement de la valeur de
notre espeoe qu'il en fút ainsi. Dans l'état social le
plus élémentaire mérne, il n'y a pas seulement pour le
corps le besoin de la fairn, il y en a heaucoup d'autres
qu'il faut satisfaire et qui nécessitent un hon nomhre
d'industries autres que l'agriculture. Ces besoins ,
méme exelusivement matériels , s'aceroissent dans un
état social avaacé, et de plus il s'y joint une infinité
d'autres besoins contribuant su développenient de ces
faenltés intelleetuelles et morales qui constituent la
partie la plus élevée de notre étre , nouveaux besoins
qui nécessitent encere plus impérieusement des indus-
tf\e$ autres qu~ I'agriculture. Cea industries sont done




27lj CHAPlTllE X.
tres-légitimes et doivent par conséquent fournir une


. juste rémunération et des mOYtms de subsistance a
ceux qui s'y livrent, ouvriers des métiers mécaniques,
artistes, savants, magistrats et autres travailleurs
d'une infinité d'especes, voués ades occupations sans
nombre qui peuvent et doi vent étre exercées de ma-
niere a étre a la fois le soutien, l'ornement et la di-
gnité de la vie. Maintenant ces travailleurs, qui, lors-
qu'ils sont rangés et prévoyants, savent qu'indépen-
damment des mili e chances d'accidents de nature ales
priver subitement de leur activité, la vieillesse peut
les trouver sans ressources ou leur mort prématurée
Iaisser leurs veuves et leurs enfants daos le dénue-
ment, ont-ils tort de ne pas consommer au jour le
jour le fruit de leur travail, et d'en réserver au con-
traire, quand ils le peuvent, une part pour les éven-
tualités ou les nécessités de I'avenir ? Et si, moins
avides ou plus consciencieux ou plus prudents que
tant de gens qui appliquent leurs économies et sou-
vent celles des autres a la poursuite de moyeos plus
ou moins malhonnétes de s'enrichir, ils acquierent la
propriété de biens fonciers, quoi de plus respectable
que cette possession, et quoi de plus juste que de les
faire jouir d'une part du produit de ces biens , s'ils en
coníient par un contrat régulier la culture ad'autres
travailleurs, qui ont besoin de trouver cet utile emploi
de leurs facultes physiques, quand il est reconnu, je
le répete, qu 'une certaine étendue de terrain, soigneu-




CHAPITREX. 277


sement cultivée par une famille, peut en nourrir au
moins deux? Cet état de choses ne tourne-t-il pas a
l'avantage de tous? En quoi blesse-t-illes droits natu-
rels de qui que ce soit? Les cultivateurs ne peuvent-
ils pas aussi aleur tour devenir propriétaires de biens
fonciers, et par le fait une grande partie du sol ne leur
appartient-elle pas aujourd'hui en France (:l)? Si cer-
tains propriétaires se montrent durs, arrogants, insatia-
bles, ce sont des maux accidentels qui viennent de tout
autres causes que du principe meme de la propriété et
auxquels il est du reste évident qu'on ne remédierait
pas en se bornant a la faire changer de mains. De
toutes ces considérations je conclus qu'on ne saurait
penser sans une iniquité révoltante a dépouiller les
possesseurs actuels de la propriété fonciere au profit
de ceux qui la cultivent. Tout au plus, si ron était en-
core pres des temps OU des barbares ont fait invasion
sur le territoire et ont violemment dépouillé les pro-
priétaires d'alors, pourrait-on penser a les dépossé-
der :je dis tout au plus; car de cette supposition sur-
girait l'embarras inextricable d'avoir a rechercher et
aétablir la légitimité du droit des précédents proprié-
taires et a retrouver leurs successeurs survivants.
Mais au moins est-il certain que, dans la situation pré-
sente , lorsqu'apres plusieurs siecles écoulés , les des-


(t) On y compte plus de 9 millions de paysans propriétaires
des terres qu'ils cultivent.




278 CHAPITRE X.


cendants des conquérants ont disparu ou sont incon-
AU8, lorsque la propriété fonciere a passé par une in-
íinité de mains en vertu de contrata lihrement con-
sentís par les parties, elle ne peut plus étre eensée
reposer sur une autre hase que le travail, soit immé...
diat soit transmis dans ses droits par l'hérédité, et elle
4Ut par conséquent ce que l'on coneoit de plus saeré..


La doctrine qui veut que la terre appartienne a
eeux..la seuls qui la cultivent matériellement, va tout
droit a des absurdités et a des impossihilités évi..
dentes. Montrons-en encore quelques-unes, 11 faudrait
d'abord procéder aun partage des terreset par por-
tions relalivement égales entre tous les cultivateurs
actuels, en se réglant, je snppose, sur le nombre des
~t\fant5 encoré mineurs ; cal' poutquoi l'un en aurait..il
plus que l'autre, si ron n'admet d'autres titres ala
pnssession que la faculté de cultiver effeetivement? Ce
Be serait pas déjá une petite besogne que ce partage
parfaitement égal, oú il faudrait tenir compte de la
valeur intrinseque des terree. Mais supposous-le
exécuté, Il faudra le maintenir, sans quoi on n'aurait
den fait, Or est...CB possible ? Les nombres relatifs
d'enfants augmentent ou diminuent sans cesse, et puis
les mineurs deviennent majeurs; on sera done dans la
nécessité de remanier incessamment ce difficile travail
de distribution des terres. Ce n'est pas tout. Un cul-
tivateur devient, par suite d'infirmités precoces ou
de vieillesse, incapable de cultiver la propriété qui lui




CHAPITRE X. 279


avaít été assignée ; il faudra l'en chasser apres qu'il
rauta arrosée de ses sueurs et qu'il lui aura donné
peut-étreune plus grande valeur. Il ne pourra pas la
faire cultiver par d'autres en se réservant une partie
des produits, puisque cela reviendrait au systeme
actuel du fermage et que cela est contraire au principe
posé par nos adversaires. J'ai dit qu'il aura peut-étre
aceru la valeur de sa propriété. Mais pourquoi se serait-
il donné cette peine, 5'H peut étre dépossédé d'un
instant al'autre, et s'il ne lui est pas permis d'employer
I'accroissement de sa richesse a l'acquisition de nou-
velles terres, dépassant la mesure de ce qu'il doit
eultiver personnellement? Il ne lui restera plus alors
qu'á enfouir son 01' ou a le dépenser infructueusement.
n y a mieux encere. La rigueur du prineipe conduit a
ne pas permettre que d'autres que les possesseurs
déclarés du sol mettent la main a sa culture. Ils ne
pourront done pas se faire aider par des gens a gages;
car ce serait continuer le systerne du salariat, que la
théorie en question doit absolument interdire. 1\1ai8
alors aquel état d'éparpillement et d'isolement, c'est-
á-dire aquel état final d'impuissance, de stérilité et
d'abandon ne va-t-on pas réduire la culture des terres?
Décrétera-t-on que les fils des cultivateurs, arrivés a la
majorité, devront continuer d'aider leurs peres dans
leurs cultures? Mais, outre que ce serait violenter les
vocations et rétablir le systeme des castes, ces fils
auraient droit a leur tour, d'apres leprineipe susdit, a




280 CHAPITRE x.


devenir les propriétaires des torres qu'ils cultiveraient.
Évincera-t-on les peres en leur attribuant des pensions
alimentaires aservir par les fils sur les produits de la
culture? On retombe encoré dans le svstsme du fer-


" -


mage, que I'on veut proscrire. Je pourrais signaler
bien d'autres conséquences, égalemont impossibles,
de la doctrine qui veut que la terre soit possédée par
ceux-lá seuls qui la cultivent matériellement. J'ai
presque honte d'avoir combattu sérieusement une
pareille idée; mais ille fallait, puisque des écrivains
distingués lui prétent l'appui de leur talento Cette
théorie a d'étroites affinités et finit méme souvent par
se confondre avec celle de certains socialistes qui,
refusant de reconnaitre la nécessité de l'appropriation
individuelle du sol, aboutissent au cemmunisme, Je
ne m'arréterai pas ici a cornbattre cette autre aber-
ration, ayant montré ailleurs (i) qu' elle ramenerait les
hornmes a la barbarie OH les soumettrait au régime du
plus rigoureux et du plus dégradant despotisme.


Des auteurs ont faussé les applications du principe
de l'associatiou, qui n'a de valeur que dans un régime
de liberté illimitée; ils en ont fait sortir des théories
d'organisation du travail social, qui conduiraient au
plus effrayant monopole et auraient ainsi pour résultat
d'étouffer toute spontanéité individuelle. Le lecteur
sait par tout ce qui precede que je suis trop partisan


(í) Bénovation religieuse, chspitre VI, § 2.




CHAPITRE X. 281


de la libre concurrence dans le développement de I'acti-
vité humaine pour étre du nombre de ces personnes,
et par conséquent ce que je puis dire des hienfaits de
l'association ne saurait lui étre suspect. La vérité est
qu'un bien plus grand nombre encore de personnes ne
comprennent pas tout ce qu'elle peut réaliser lorsqu'elle
est habilement organisée et qu' elle fonctionne avec
une pleine indépendance (1). S'il Ya quelque chose de


(f) Voici un exemple de cette ignorante inertie du publico
Depuis un certain nombre d'années, il a .laissé se multiplier ces
industries parasites qui, sous l'étiquette menteuse de sociétés
d'assurance contre les risques de toutes sortes, prélévent joyeu-
sement la plus forte et la meilleure part des fonds versés par les
sociétaires et leur font payer bien au-dela de sa valeur une fausse
sécurité. Rien ne serait plus facile aux gens qui se laissent ainsi
exploiter, que de se passer d'aussi coüteux intermédiaires ; il
leur suffirait de s'associer entre eux sur le principe de la vraie
mutualité. Administrant alors leurs propres affaires, ils ne pour-
raient point penser a faire des profits sur eux-mémes, et ils oh-
tiendraient contre les risques de diversas natures une sécurité
réel1e et aux moindres frais possible. Des écrivains, effrayés des
désordres de la situation actuelle, qui est pire que l'ahsence méme
de toute association véritable, ont proposé que l'État se fit luí-
méme assureur général. Je verrais dans ce systéme un incon-
vénient capital et qui me suffirait pour le repousser, ce serait
de faire intervenir l'État la OU il n'y a aucune nécessité qu'il in-
tervienne et OÚ il Y aurait au contraire danger qu'il étendit son
action au-dela de ses limites naturelles. Les príncipes posés dans
ce livre établissent, je crois, avec évidence que le progrés social
consiste a restreindre toujours davantage la part d'action du
pouvoir central et de ne le charger de faire que ce que l'initiative
et l'action soit des individus soit des associations particuliéres
sont dans l'impuissance de faire ou ne feraient, selon les temps
et les lieux, que dans de mauvaises conditions. 01' tel n'est ma-
nifestement pas l'état des choses en ce qui concerne les sociétés




282 CHAPITRE X.
démontré aujourd'hui, c'est que le plus grand nombre
des misares de la situation disparaltraient du milieu de
nous, si les divers genres de travailleurs, ouvriers,
agriculteurs, commercants , fonetionnaires puhlics ,
artistes, savaient former entre eux des associations,
non pas sans doute dans lA but de mettre en commu-
nauté entiere et de confondre des intéréts qui doivent
continuer de detneurer distincts comme les capacités
et les mérites divers qui leur donnent naissance, mais
dans le hut de réserver sur le fruit des travaux indivi-
duels quelques parts, légeres ponr chacun, et qui,
grosses par le nombre des associés, seraient destinées


d'assuranee centre les diverses cspéces de risqnes. La scieneaéco-
nomiqueest pourvue de données suffísantes pour fairecomprendre
aux plus simples intelligences les bons effets que produira, quand
on le voudra, I'application sincere du príncipe de la mutuaiité
dans ces associations, dont les écritures peuvent étre tenues a
trés-peu de frais SOtiS la surveillance gratuite decommissaires
choisis parmi les sociétaires, et les fonds étre déposés dans les
caisses municipales des ehefs-lieux des sociétés.


Nous avons presque sous les yeux d'éclatants exemples de la
puissance de I'association chez unenation voisine, OU un pouvoir
prudent laisse a l'activité individuelle ou collective une large
liberté, en decá toutefois de la mesure nécessaire pou!' discuter
les priviléges exorbitants que la Constitution accorde a la nais-
sanee et a la richesso. Qu~ sera-ce done lorsque le peuple anglais
aura brisé les chelines de son institution politique et religieuse ?
Mais il lui reste pour cela á guérir de ses trois grandes maladies,
fétichistne royal particuliérement SOtiS la forme féminine, domi-
nation féodale d'un petit nombre de famiíles aristocratiques
possédant le sol, enfín bigotisme oppresseur de 'Son 'église of-
n'Ciené.




CfIAPITR1!: X. l83
soit afaire face aux éventualités des infortunes parti-
cnlieres, soit méme et mieux encore a les prévenir.
Mais pour cela, je le répete, il faut la liberté parfaite
de parler, d'écrire, de voyager, de se reunir et de
s'associer ; il Iaut étre débarrassé des entraves d.e
toutes les mesures préventives, depuis les plus grandes
et les plus odieuses, comme celle, par exemple, d'une
autorisation préalable ponr faire connaitre sa pen-
sée par la voie de la presse ou de l'enseignement,
jusqu'aux plus petites et aux plus ridicules, comme
celle, par exemple, de la forrnalité des passe-ports,
qui ne gene pas un seul coquin tant soit peu exercé,
et qui ne sert qu'a vexer les honnétes gens; en un mot,
il he faut pasqu'il y ait d'autre garantie de 1'obser-
vation de l'ordre, que l'obligation égalernent imposée
a tous, de répondre devant la loi de l'usage que l'on
pourrait faire de sa liberté pour préjudicier aux droits
des autres. Tene est la seule garantie vraiment
efficace a exiger d'étres doués de raison et agissant
moralement.


J'ai eu souvent a parler de perfectionnernent et de
progreso Il u'est peut-étre pas inutile que je dise
(jueHe distinetiou j'établis entre perfectionnement et
perfection : cela préviendra toute interprétation erro-
née de ma pensée. Je ne cours pas et ne veux faire
eourir personne apres des chimeres ; je me borne a
désirer et a demander simplement le possihle. Perfec...
tionnement signifie pour moi la marché incessante




284. CHAPITRE X.


vers la perfection théorique : c'est, si l'on veut, la
perfection relative mais non ahsolue. Il ne faut pas
une grande pénétration d'esprit pour comprendre que
la perfection absolue dans ce monde et particuliere-
ment dans les rapports sociaux est impossihle. Pres-
que tous voient cela avec un peu plus ou un peu moins
de lucidité. Mais l'immense majorité des hommes, par
défaut d'instruction ou de moralité, s' en tiennent acette
vue générale et n'en tirent aucune conclusion pratique.
Un petit nombre au contraire, habitués aréfléchir et a
raisonner, ne s'arrétent pas ainsi en chemin, mais con-
cluent que cette perfection est un type idéal sur lequel
on doit régler ses actes, et que, s'il est impossible de la
réaliser complétcment, on n'en doit pas moins y tendré
comme aun but dont OIl peut toujoursapprocher da-
vantage sans y arriver jamáis. Mais concevoir que 1'00
doit faire, ce n'est pas encore faire. Aussi le petit
nombre d'hommes dont je viens de parler, qui réflé-
chissent et raisonnent sur les choses de J'ordre moral,
se partagent-ils en deux catégories : la plupart, n'ayant
pas un sentiment assez profond de ce que l'idée dude-
voir comporte de striclement obligatoire ou manquant
de cette énergie de volonté qui resiste aux sollicita-
tions des intéréts et aux mauvaises influences des pré-
j ugés et des faits établis, apres avoir marché quelque
temps, parfois méme précipitamment, dans la voie du
progres, se lassent hientót et rentrent, soit par lácheté
soit par des motifs plus coupables encore d'égoísme,




CHAPITRE x. 285


dans la foule inerte, laissent aller le monde comme il
allait, bien plus reeueillent leur part d'exploitation du
mal qu'il renferme. Le spectacle de ces défections
n'est jamais plus commun que dans les temps de révo-
lutions politiques. On concoit pourquoi est si clair-
semée l'autre catégorie, celle des hommes de véritable
élite, qui, tout a la fois concevantavec une pleine
évidence toute l'étendue des devoirs et voulant y con-
former leurs actes, ne reculent devant aucun sacrifice
de leur intérét personnel, travail1ent avec une persé-
vérance infatigable etréussissent enfin a atténuer tou-
jours davantage la puissance du mal et a diminuer la


. somme des miseres de la vie humaine, tout en sachant
mieux que personne qu'ils n'arriveront jamais a y in-
troduire cette perfection dont l'idéal est sans cesse sous
leregard fidele de leur intelligence.


Enfin j'ai eu maintes fois, dans le cours 'de cet ou-
vrage, a faire remarquer que l'absence d'une éduca-
tion convenable laissait les masses dépourvues des
principes d'une morale élevée et solide, et que c'était
la le plus grand obstacle au triomphe des príncipes
répuhlicains. Que le lecteur m'excuse done de revenir,
en terminant, sur ce point capital. Le mal persistera
tant qu'il y aura des religions se disant révélées et re-
tenant les populations dans les ténebres de la super-
stitión ; tant qu'il y aura des armées permanentes,
faisant assigner a l'activité et a l'énergie del'homme
un hut de fausse gloire et substituant aux sentiments




286 Cl:lAPITR~ X.
de bienveillance universelle des instincts d'hostilité
sallvage; tant qu'jl y aura des trónes entretenus au
prix de la misere universelle ; tant qu'il y aura des
castes oú un petit nombre d'habiles tireront profit des
souffrances de l'immense majorité de leurs semblahles.
Quand 00 ne regarde qu'á la surface des sociétés ae-
tuelles, il semhle que la corruption ait fait de teIs pro..
gres qu'il n'y ait plus rien a attendre de la génération
presente. l\1ais il ya encare un bien plus grand nombre
qu'on ne pense d'hommes conservant la tradition du
bien; ceux-la se tiennent al'écart, dans l'ombre, et ne
font pas de bruit, ce qui fait croire qu'ils n'existent
pas; et puis, dans un moment donné et lorsqu'il Ie


.


veut, un homme de creur peut plus pour le bien qij.~
cent hornmes, láchement pervers, pouf le mal. C~ qui
manque aujourd'hui a beaucoup de gens de bien, j~
l'ai déjá dit souvent, c'est une volonté ferme de surtir
de leur repos et de leal' apparente indifférence, Qu'ils
se mettent donc résolúment a I'reuvre. Si 1'on me per...
met de mentionner ma faible part d'action person-
nelle, je dirai que j'ai fait et que je continuerai de faira
tout ce qui est en mon pouvoir pour préparer la régé-
nération. Dans mon livre De la, guerre et des armées per-;
manentes, j'ai dérnontré la nécessité et la possibilité de
substituer a un systeme démoralisant et ruineux un
autre systeme d' organisatiou de la force publique;
dans mes ouvrages Examen critique des doctrines de /4
religiQ?l chrétienne, De ¡;esclaoaqe ches les nauons chré..




287


tiennes, et Rénovation religieuse, j'ai achevé de hattre
en ruine toute religion se prétendant révélée en.méme
temps que j'ai cherché a fonder sur des bases inéhran-
labIes les grandes vérités religieuses et morales; enfin,
dans le présent ouvrage, je dresse l'acte mortuaire du
gouvernement monarchique, et je montre comment iI
est possible de réduire i.\ l'impuissance l'hahileté des
corrompus qui tenteraient de le faire renaitre, Que la
Hépuhlique, dúment avertie de ce qll'elle a a faire
pour vivre et prospérer et pour que son principe et
ses bons exemples s' étendent sur le globe, avise done
ot agisse. Gn avait pu croire un instant que la Franco
se résignait asubir 1«. haute du second Empire ; mais
les dures lecons qu'elle méritait d' en recevoir et qui
1:1\ out été prodiguées, ont bien fini par lui faire com-
prendre qu'il n'y avait désormais de salut pOllr elle
comme pop.r les autres nations européennes. que dans
le systeme gouvernemental républicaiu, appliqué dans
toute sa vérité et sa pureté. Il lui est devenu évident
que ce systerne seul pouvait organiser les services pu-
blics aux moindres frais, prévenir les guerres offen-
siveset toutes les autres déhauches de la monarchie et
de son entourage aristocratique, laisser la plus grande
part deleur avoir non-seulement aux citoyens vivant
dsns la gime mais aux riches eux-mémes, et par con-
séqnent assurer le bien-étre social par le libre dé-
ploiement de l'activité du travai1. Je veux parler, il
est vrai, du travail fructueux et honnéte : quant acelui




288 CBAPITRE Y.
de cette armée de fonctionnaires de luxe que les mo-
narques attachaient a leur fortune et gui s'enrichis-
saient par l'appauvrissement du plus grand nombre
des membres du corps social, son moindre dé-
fant était d'étre inutile, et je ne sache pas que d'au-
tres que ceux, en nombre relativement petit, qui en
profitaient, puissent le regretter.


Je finis par une réflexion que le lecteur aura déjá
vue, j'espere, inscrite implicitement a toutes les pages
de ce livre. La République que nous voulons voir éta-
blir détinitivement est celle qu'ont attendue ou au
moins appelée de leurs veeux les sages de tous les
áges, celle qui, loin de menacer aucun intérét légi-
time, en est au contraire la meilleure protectrice, celle
enfin qui garantít atous la plénitude des droits néces-
saires a l'accomplissement de tous les devoirs. Elle n'a
done rien de commun avec celles qui en ontplus d'une .
fois usurpé le nom vénérable. Par cette déclaration de
notre ferme intention de désavouer ceux qui continue-
raient de la compromettre soit par des théories soit
par des actes contraires a la liberté qu'elle a surtout
pour hut de sauvegarder, nous ótons a ses adversaires
quels qu'ils soient tout motif raisonnable pour conser-
ver des préventions dont le temps seul pourra du reste
faire justice complete.




PREMIER APPENDIC.E.


APERI;U GÉNÉRAL SUR L'ORGANISATIO~ DE L'ENSEIGNEMENT
SECONDAIRE.


(Voir la note 1 de la page 84.)


Objets de l'enseignement.
Langue francaise, Principes, exorcices oraux et


écrits. Lecture a haute voix , intelligente el sentie;
prononciation, intonation et accentuation correctos.
Exercices de mémoire, peu étendus mais dits posé-
ment et exactement, choisis dans les meilleurs mo-
deles de prose et de poésie.


Langue grecque et latine. Principes, traductions,
orales et écrites, en francais. Versions seulement mais
point de themes. On n'a plus aujourd'hui aapprendre
les langues mortes pour les parler ni pour les écrire,
mais pour étre en état de eomprendre et de traduire
les beaux ouvrages classiques qui ont été écrits dans
ces langues, et sans l' éíude desquels il n'est pas pos-
sible d'avoir une connaissance étendue et un peu
profondedes littératures des langues modernes qui
en sont issues en grande partie. Le temps que ron con-


i9




290 PREl\IIER APPENDl CE.
.sacrait aux exercices des themes grecs et latins, doit
etre employé plus utilement. Regles de versification
grecque et latine, étudiées uniquement pour étre en
état de eomprendre et de goúter les ceuvres poétiqucs,
mais point d'exercices de eomposition de vers .grees
ou latins. Les remplacer par des exerciees de composi-
tion en vers francais : eomprend-on en efIet qu'on ap-
prit a de jeuues Francais afaire des vers latins et qu'on
les laissát ignorer l'art d' écrire en vers dans leur pro-
pre langue? Exereices de mémoire, ehoisis dans les
meilleurs modeles en prose ou en vers, grecs et latins,
et récités eomme il a été dit ci-dessus.


Langues vivantes, italienne, espagnole, allemande
el anglaise. Ici les exereices de themes sont á leur place;
cal' on apprend les langues vivanles non-seulement
ponr etre en état d' en lire et d' en eomprendre les osu...
vres littéraires el scientifiques, mais pour les parler
au besoin et les écrire. Beaucoup d'exercices oraux,
comme il a été dit plus haut pour la langue francaise.


Cours supérieurs d'histoire et de géographie poli-
tique, des littératures anciennes el modernes eompa-
rées, et de philosophie comprenant, outre les études
de psychologie, de théologie rationnelle et de morale,
les éléments du droit positif et de l'économie politiqueo
L'enseignement spécial del'histoire, devant étre éclairé
par une saine critique philosophique, aura sa place
dans les dernieres années des études classiques.


Cours de mathématiques élémentaires et spéciales,




PllE?llIER APrf~NIHCE. 291
de physique et de chimie, de cosmographie, de miné-
ralogie et de géologie, de hotanique et de zoologie,
éléments de physiologie et d'hygiene publique et
privée.


Plusieurs parties de ce vaste enseignement devront
étre entremélées et suivies simultanément.La distri-
bution et l' enchalnement devront en atre faits de telle
sorteque le cours des études puisse atre parcouru,
danssa totalité ou dans ses parties esssntielles, en un
temps moyen de huit années, les éleves commancant
vera I'áge de dix ou douze ans leurs études classiques
et les terminant vers dix-huit ou vingt ans,


L'instruction religieuse ne sera l'objet d'aucun en-
seignement spécial autre que celui du cours de philo-
sophie; mais l'esprit religieux du pUl' déisme ration-
nel n'en devra pas moins pénétrer el animer toutes les
études. Les familles devront étre averties que Ton ne
veut pas faire des athées mais des libres penseurs,
solidement religieux, et que le nouvel enseignement
littéraire, scientifique, historique et philosophique,
tout en excluant les fausses doctrines théologiques
du passé , sera fortement empreint du spiritualisme
déiste.


L'instruction classique ne doit pas se proposer de
faire immédiatement et directement des savants, mais
de donner les moyens de le devenir plus ta!'d aux jeu-
nes gensqui en auront la capacité et le hesoin. Elle
doit surtout s'appliquer aleur faire désirer d'acquérir




292 PREl\IlER APPENDlCE.
la science, au lieu de la leur présenter sous des formes
qui la leur font prendre d'avance en dégoút : le succes
acet égard dépend du granJ sens des instituteurs, de
la valeur des méthodes, du régime des occupations
quotidiennes ordonnées de facón afaire goüter le tra-
vail et lerepos l'un par l'autre. Il convient dans ce but
de ne point trop prolonger l'application de l'esprit a
une méme étude, les forces pouvant se réparer par le
changement de travail mieux encore que par le repos
absolu. Les classes ne dureront qu'une heure et demie
chacune, et les éleves devront en suivre trois par jour.
Le reste du temps journalier sera affeeté aux études
préparatoires des classes, aux repas, aux récréations
et aux arts de la musique, du dessin et de la peinture.
Les deux jours hebdomadaires de congé, adoptés dans
la plupart des étahlissements d'instruction, interrom-
pent beaucoup trop (2/7 du temps) l'enseignement pro-
prement dit : l'année classique, composée de 300 jours,
sera partagée en 30 décades, et les jours appelés
de congé auront lieu les cinquieme et dixieme jours
de chaque décade; l' enseignement ne sera ainsi sus-
pendu que pendant f/'5 du temps au lieu des 2/7, ce
qui donnera ce résultat considérable de rendre 26
jours au travail de l'année classique et a un travail
modéré. Mais, aulieu de prendre, au grand détriment
des études, des vacances armuelles d'une durée de deux
mois consécutifs, je crois qu'il serait beaucoup plus
convenable d'en prendre deux, qui commenceraient




PREl\IlER APPENDlCE. 293
aux équinoxes da printemps et de l'automne, et qui
dureraient la premiere une vingtaine de jours et la
seconde un mois : il y aurait eneore la une dizaine
de jours a rendre au travai1.


Les diverses branches des connaissances humaines
seront étudiées dans le but de faire des hornmes dans
toute la vérité de l'expression J des hommes éclairés,
moraux, dévoués au progres des idées et des institu-
tions liberales, et forts de volonté et de caractere plus
encore que de pensée. Par conséquent point de ces
prograrnmes d'études, rédigés et suivis en vue d'exa-
mens d'admission atels grades, atelles écoles spéciales
QU atelles fonctions, programmesqui ont causé une
décadence si notable des études, les eleves n' étudiant
plus la science pc;ur elle-méme, pour sa valeur intrin-
seque, mais ne se préoccupant que de réponses afaire
dans des examens et que du soin de confier áleur mé-
moire une petite collection de mots qu'ils savaient par
tradition devoir étre au gré des examinateurs et qu'ils
se hátaient d'oublier aussitót qu'ils étaient parvenus a
obtenir des fonctions titrées et aétre des personnages
dans la société. Ce systerne était la dégradation 01'-
ganisée de la science. Pour n'avoir pas été dressés a
ce manége, ceux des éleves qui, apres avoir achevé
leurs cours d'études, croiraient devoir se présenter
aux concours publics, ne se montreront pas pour cela
au-dessous de ces épreuves. Que l'institution d'exa-
iuens aLsubir réclame des programmes publiés d'a-




294 PREMIEn APPENDICE.
vanee, des programmes généraux et non des question-
naires détaillés, et que les jeunes gens qui veulent su-
bir ces examens soient obligés de faire leur prépara-
tion spéciale sur ces programrnes, cela est évident;
mais ce que je veux établir ici, c'est que l'organisation
du systeme général de l'enscignement secondaire ne
doit pas se régler lá-dessus.


Point d'uniforme, habituant les eleves a I'idée et au
désir de portar un jour ces costumes ou plutót ces li-
vrées dont tant de gens étaient si fiers et qui leur fai-
saient si pen d'honneur. La parfaite égalité du régime
des colléges et de l'éducation qu'y recevront les éleves
devra mieux que tous autres moyens les familiariser
avec ces sentiments de bienveillance et de confrater-
nité qu'ils porteront ensuite dans le monde.


Les punitions corporelles, de quelque nature qu'elles
soient, seront absolument interdites. Le systeme des
pensums devra également étre abandonné et remplacé
par des remontrances bienveillantes et des avertisse-
ments paternels, faisant appel aux bons sentiments du
véritable honneur. Les éleves qui se montreraient opi-
niátrément réfractaires ace nouveau régime, seraient
rendus a leurs familles; mais on peut dire d'avance
que par l'efficacité mema du régime la nécessité de
ces regrettables exclusions deviendrait toujours plus
rareo


Je conseille enfin de renoncer a ces distinetions el
récompenses qui enflent les uns et humilient ou décou-




PREMIER .APPENDICE. 295
ragent les autres, aces proc1amations de places et ces
distributions publiques de prix, qui, sous prétexte de
stimuler I'émulation, éveillent et exaltent le penchant
ala vanité, et font faire, des lA collége, l'apprentis-
sage de mauvais sentiments, traduits plus tard, dans
la vie sociale, en luttes haineuses d'envie, d'orgueil et
d'ambition.




DEUXIEME APPENDICE.


PROJETS DE l\IANIFESTE ET DE DIVERSES RÉSOLUTlONS.


Je n'aurais pas achevé de remplir la táche que je
me suis imposée, si je ne tracais sommairement les
projets d'un manifeste a adresser a tous les peuples
par la République, et de diverses résolutions qui
doivent, si je ne me trompe, etre prises d'urgence les
unes par le gouvernement provisoire les autres par
l'Assemblée constituante, soit qu'elle les prenne SOtiS
forme de décrets, soit qu'eUe en fasse la matiere de
divers articles de la nouvelle Constitution. Sauf les
changements de rédaction dont ces projets paraitraient
susceptibles, ils formulent plusieurs des mesures d' 01'-
ganisation qui ont été indiquées dans le cours de cet
ouvrage. Quant a celles que ne rappelle pas cet appen-
dice, elles pourront étre prises les unes par l'Assemblée
nationale sous forme de lois ou sous forme de regle-
ments d' administration publique, les autres simplement
sous forme d'arrétés ou d'instructions émanant des
Conseils supérienrs d'administration.




DEUXIEME APPENDICE.


MANIFESTE DE LA RÉPUBLlOUE.


(Voir la note i de la page22.)


297


La nation francaise, constituée définitivement en
République, déclare renoncer atoute idée de conquéte,
d'envahissement, d'immixtion quelconque dans la
constitution et les affaires des autres nations, et comme
garantie de la sincérité de ses intentions a cet égard,
elle licenciera son armée apres la guerre qui lui est
faite si injustement et la remplacera par l'institution
de la garde nationale, appliquée uniquement ala dé-
fense éventuelle du territoire, au maintien de I'ordre
intérieur et al'exécution des lois.


Abjurant tout grief pour le passé et toute vaine
défiance pour l'avenir, et se tenant, dans le noble sen-
timent de sa force, pour honorée d'avoir a prendre
l'initiative de toutes les généreuses réformes, elle
abaissera immédiatement ses barrieres de douanes
devant toutes les nations. Elle offre particulierement
de se lier, dans le but de former des États-Unis euro-
péens, avec chacune de ses voisines qui se consti-
tuerait comme elle en République sans Président,
gouvernée par une Assemblée émanée du suffrage de
tous les citoyens jouissant de leurs droits civils ,
renoncant aentretcnir une armée permanente, séparant
l'État des églises, mettant les moyens d'instruction a la




j)EUXI~ME APPENDlCE.


portée de tous, supprimant la peine de mort et toute
peine perpétuelle, rendant 1'administration de la
justice prompte et véritablement gratuite, décentra-
lisant dans la plus large mesure 1'action gouverne-
mentale en faisant des citoyens toujours plus capables
de se gouverner eux-mémes, et proclamant l'égalité
des droits naturels et des charges sociales, la respon-
sabilité des agents du pouvoir et l'entiere liberté de
culte, de presse, d'enseignement, d'association, de
réunion, de travail et d'échange.


Elle adresse ce manifesté a tous les peuples sans
distinction de race ou de couleur et déclare qu'elle ne
veut voir désormais, dans les diverses agrégations hu-
maines, que des membres d'une méme famille, avec
lesquels elle désireentretenir des relations de sincere
amitié et de mutuels services.


Elle prend Dieu et la terre entiere a témoin de sa
ferme volonté de garder fidelement ceserment solennel,
et conjure les autres nations d'entrer résolüment avec
elle dans les grandes voies de la justice et du perfec-
tionnement politique et économique, préparé par les
siecles passés particulierement par le siecle dernier, et
que le dix-neuviemc, avant de se clore, doit enfin con-
sacrer en ouvrant l'ere nouvelle de l'humanité,




DEUXIÉ1\lE APPENDICE.


ÉLEJTION DE L'ASSEMBLÉE NATlONALE, CONSTITUTION DES SERVICES
PUBLlCS ET PARTAGE ADMINISTRATIF DU TERRITOIRE.


l.
Une Assemblée nationale, eomposée de.... membres,


et a laquelle la nation souveraine delegue les pouvoirs
nécessaires pour gouverner la République, sera élue
dans le délai de.....


Le nombre des membres a élire par chacun des
départements actuels, est réparti, d'aprss les hases de
la population.


Est électeur et éligible tout citoyen franeais majeur,
jouissant de ses droits civils (t).


Le vote a lieu au chef-lieu de cantono
Chaqué bulletin de vote comprend un nombre de


candidats, ne devant point dépasser celui des membres
de l'Assemblée nationale, qui est attribué au dépar-
tement, mais pouvant y demeurer inférieur.


L'élection a lieu ala majorité des votes exprimés.
L'Assemblée nationale est renouvelée intégralement


tous les deux ans et par moitié chaque année. Les
membres en sont indéfiniment rééligihles. S'ils sont
fonetionnaires publics, ils ne peuvent obtenir de
l'avancement pendant leur législature ni pendant


(1) Réserve faite de la disposition sur laquelle l'Assemblée
constituante aura aseprononcer et quej'ai proposée avec quelque
hésitation au chapitre le., disposition qui n'attribuerait le droit
dj~ledio11 qu'aux cítoyens sachant Jire et écrire,




300 DEUXIEME APPENDICE.
I'année qui la suit; ils ne tonchent que leur traitement
de membres de l'Assemblée nationale, mais le temps
de leur législature compte pour leur retraite.


11.
L'administration de la République est partagée en


cinq grands services publics, Instruction, Justice,
Force, Travaux, Finances.


L'institution des ministres est supprimée.
Chacun des services publics est administré par un


Conseil supérieur, nommé etrévocable par l'Assemblée
nationale, et rendant compte de sa gestion aune Com-
mission permanente de cette Assemblée. Les membres
de chaqué Conseil supérieur sont pris parmi les fonc-
tionnairessupérieurs de chaqué ordre respectif.


Les Conseils supérieurs nomment et révoquent les
fonctionnaires qu'ils sont chargés de diriger, mais ils
ne les révoquent qu'apres les avoir mis en demeure
de présenter les moyens de justification qu'ils croi-
raient pouvoir faire valoir. Ces Conseils s'éclairent des
avis des Commissions départementales, mentionnées
au sixieme alinéa de l'article V.


Les reglernents d'administration et les instructions
que rédigent les Conseils supérieurs n' ont ponr objet
que l'exécution des lois et doivent en rappeler expres-
sément les dispositions.


1I1.
Le Conseil d'État et la Cour des Comptes sont.sup-


primés. La Commission permanente de l'Assemblée




DEtJXIEME APPENDlCE. 301.


nationale exercera celles des fonctions de ces deux
corps qui doivent étre conservées, particulierement
celles qui concernent l'examen de l'emploi légal et
régulier des deuiers de l'État.


IV.
Les fonctions publiques, de quelque nature qu'elles


soient, cessent d'étre vénales. Les eharges d'avocats
ala Cour de cassation et d' avoués sont supprimées
moyennant indemnité, et leurs fonctions facultatives
Iaissées atous les avocats régulierement inscrits. Les
titu1aires actuels de ce que l' on appelait également les
charges de notaires, greffiers, huissiers, commissaires-
priseurs et agents de change, sont nommés et révo-
cables comme tous les autres fonctionnaires publies.
A mesure qu'ils cesseront de les remplir, une indem-
nité sera accordée soit a eux soit, en cas de déces, a
leurs héritiers.


Le cumul est interdit dans tous les ordres de fonc-
tions publiques.


La nécessité des cautionnements précédemment
exigés des fonctionnaires comptables est abolle.


Les titres d'aspirants al'entrée des diverses fonctions
publiques s'obtiennent dans des concours publics.


V.
Le territoire francais est partagé en départements,


le département en cantons et le canton en communes.
La division du département en arrondissements est


supprimée,




302 DEUXIE])IE APPE~DlCE.


Il sera fait par l'Assemblée nationale, dans le plus
bref délai possible, une réduction du nombre actuel
des départements et des communes.


L'agglomération nécessaire ponr former une com-
mune devra étre au moins de 2,000 habitants, ainoins
que l'étendue de territoire nécessaire pour foumir ce
chiffre, ne dépasse kilometres carrés.


L'institution des préfets est supprimée.
L'administration du département est confiée aune


Commission permanente, appelée Commission dépar-
tementale et composée des chefs de services publics,
ainsi que d'un certain nombre de memhres résidant
au chef-lieu et désignés par le Conseil de departe-
ment, mentionné au huitieme alinea de cet article.
Cette Commission, siégeant au chef-lieu du dépar-
tement, correspond avec les di vers Conseils supé-
rieurs, siégeant pres de I'Assemblée naiionale, et
s' éclaire des avis des Conseils municipaux, mentionnés
au neuvieme alinéa de cet article.


Les Conseils de préfecture sont supprimés, et leurs
attributions déférées soit a la Commission départe-
mentale, soit aux Tribunaux ordinaires,


Un Conseil départemental, élu par les cantona pour
deux ans mais renouvelé annuellement par moitié, se
réunit au chef-lieu du département en une GU deux
sessions annuelles dont il regle lui-méme les époques
et la durée, pour délibérer sur les travaux publics a
exécuter aux frais du département.




DEUXlEME APPENDICE. 303


La commune a son Conseil municipal permanent,
élu par tous les citoyens actifs pour deux ans mais
renouvelé annuellement par moitié, et chargé d'admi-
nistrer les intéréts locaux de la commune.
. Les membres des Conseils départementaux et mu-


nicipaux sont indéfiniment rééligibles.
VI.


Les Conseils supérieurs d'administration, les Com-
missions départementales, les Conseils départemen-
taux et les Conseils municipaux choisissent eux-mémes
dans leur sein leurs présidents etvice-présidents et
leurs secrétaires. Les présidents n'ont pas de voix
prépoudérante.


INSTRUCTlüN PUBLIQUE.


I.


Le territoire est partagé en ..... Académies de
l'Instruction publique. Chaque Académie est adminis-
tréepar un Conseil académique, composé du recteur
président, de ..... inspecteurs, des doyens de Faculté
et des proviseurs de Lycée, résidant au chef-líeu de
l'Académie. Les décisions de ce Conseil sont exécutées
en son nom par les soins de son président, qui est
également chargé de correspondre avec le Conseil
supérieur d'instruction publique.


Les directeurs ou présidents de ceux: des gran<4; éta-




304 DEUXLE~IE APPEl'IJIICE.
blissements scientifiques énumérés dans l'article sui-
vant, qui ont leur siége dans la capitale, font partie du
Conseil académique de l'Académie de Paris,


n.
L'Observatoire, le Muséum d'histoire naturel1e, le


Collége de France, les Facultés moins celles de théo-
logie, l'École polytechnique, l'École normale, l'École
des langues orientales, l'École des chartes, l'École des
beaux-arts, le Conservatoire des arts et métiers et les
Écoles vétérinaires sont conservés sauf révision des
statuts et reglements, et continuent d'étre entretenus
aux frais de l'État. Ceux de ces établissements qui
étaient encore en dehors du service de l'Instruction
p~blique, comme l'École polytechnique, les Écoles
vétérinaires et le Conservatoire des arts et métiers, y
sont rattachés.


Tous les cours déjá existants ou a créer dans ces
établissements seront puhlics,


L'École polytechnique prend le nom d'École spé-
ciale des études mathématiques et physiques, et
l'École normale celui d'École d'enseignement publico
Elles sont ainsi que les Éeoles vétérinaires reconsti-
tuées en externats. L'École spéciale des études mathé-
matiques et physiques a pour hut principal de pré-
parer asuivre les cours de l'École des travaux publics
mentionnée plus loin, et l'École d'enseignement pu-
hlic prépare des aspirants aux concours de l'agréga-
tion donnant droit au professorat des lycées.




nEl.:x¡J.'::\IE APP.KNBICE.


111.
L'instruction publique est gratuite atous les degrés,


ainsi que toutes les épreuves destinées a constater la
capacité.


IV.
Les administrations académiques, les Facultés, les


Lycées, lesécoles normales primaires et les écoles
primaires publiques sont entretenus aux frais de
l'État POUl' ce qui regarde les traitements des fone-
tionnaires. Mais les eommunes sont tenues de fournir
les locaux et le mobilier néeessaires a ces établisse-
ments.


Les communes qui useraient de la liberté d'entre-
tenir a leurs frais des eolléges appelés communaux,
devront assurer aux professeurs des traitements dent
le mínimum sera fixé par la loi.


V.
11 ne pourra y avoir de pensionnats dans aueun des


établissements d'instruetion publique, entretenus aux
frais de l'État ou des eommunes.


VI.
L'enseignement privé, a tous les degrés, est entie-


rement libre. 11 n'est assujetti a aueune inspection non
plus qu'á aucune condition de grades ou de formalités
quelconques. L' exercice en est interdit aux fonction-
naires de l'enseignement publico


VII.
L'État n'intervient plus dans la constitution de


iO




306 DEUXIEME APPENDICE.


I'Institut, qui devient un corps de philosophes, de sa..
vants, de littérateurs, d'érudits et d'artistes, se recru-
tant et s'administrantlibrement. Néanmoinsil continúe
de lui accorder bénévolement l'usage des bátiments
ainsi qu'une subvention pour publications , prix et
fraiedivers , a la condition de tenir les séances de
toutes ses sections ouvertes au publico Les mémes dis-
positions s'appliquent al'Académie de rnédecine.


ASSI8TANCE PUBLIQUE.


l.
L'exercice public de la médecine sera organisé aux


frais de l'État sur toute l'étendue du territoire , et en-
tierement gratuito


Chaque médecin public, dans les villes au moins,
sera assisté d'un ou de plusieurs jeunes médecins, éga-
lement rétribués par ]'État, et parmi lesquels seront
exclusivement choisis les médecins titulaires.


n.
L' exercice privé de la médecine est entierement


libre. Il n' est assujetti a aucune condition de grades
ou de formalités quelconques. 11 est interdit aux mé-
decins publics et a leurs aides,


III.
Un systeme de distribution de secours a domicile


sera, dans le plus court délai possible, substitué au
systeme actuel des hospices,




DEU:tlbIE APPENDICE. 107
Les Dépóts de mendicité et les Monís de piété sont


supprimés.


RÉVISION DES eODES ET DES TARJFS DES :FRAIS, ORflAIJS.ATlON
DE LA HAGISTRATUllE ET RÉPRESSION DES CRIalES IT DÍl.ITl.


I.
Il sera fait par l'Assemblée nationale, dans le plUí


court délai possible, une révision du Code civil et du
Code de proeédure eivile, destinée a en supprimer ou
a en modifier eertaines dispositions, a en simplifier les
formes et aétendre les attributions des juges de paix.
L'Assemblée nationale examinara s'il n'y aurait pas
lieu de simplifier également les formes du Code de
commerce.


11.
Dans toute affaire eivile, le juge appellera d'abord


devant lui les parties et tentera de les concilier sans
aucune espece de frais. Dans le cas oú cette tentativo
demeurerait infructueuse, le jugement qui sera ensuite
rendu, devra en faire mention expresse.


L'administration de la justice est entierement gra-
tuite pour la partie dont le droit sera proclamé par le
jugement. Tous les frais quelconques, faits réguliére-
ment par les parties et dont le compte sera vérifié el.
approuvé par le président du Tribunal, demeureront a
1a charge de la partíe qui aura été eondamnée.


Le tarif des frais ~t dépens sera révisé.




308 DEUXiEME AP¡ENDICE.


111.
Il y a unTribunal civil pardépartement et une Justice


de paix par canton.
L'appel des jugements prononcés par un Tribunal


civil sera porté a l'un des trois Tribunaux civils les
plus voisins, désigné par la partie appelante (1).


Les Tribunaux civils connaitront, soit seuls soit avec
l'assistance du Jury, selon les cas qui seront déter-
minés, de toutes les affaires criminelles qui étaient
portées précédemment devant les Cours d'appel.


IV.
Les juges de tout ordre sont désormais amovibles


comme tous les autres fonctionnaires publics.
V.


La peine de mort est abolie, Elle est remplacée par
la transportation, pour une durée qui n'excédera pas
trente années, dans un établissement pénitentiaire,·
placé hors du territoire de la mere-patrie.


La détention dite perpétuelle est remplacée par
la détention pour une durée qui n' excédera pas vingt
années.


L'Assemblée nationale fera, dans le plus court délai
possible, une révision du Code pénal, destinée aintro-
duire un adoucissement dans la plupart des peines de
détention, d'emprisonnement etd'amende. Le Code


(f) Je suppose ici résolue par l'Assemblée constituante, dansIe
sens que j'ai indiqué au chapitre V, la question relative aux Tri...
bunaux spéciaux, nommés Cours d'appel,




DEUXIEME APPENDICE. 3C9
li'instl'uction criminelle et le tarif criminel seront éga-
.ement révisés.


Le systeme cellulaire est supprimé pour le jour et
conservé seulement pour la nuit,


Les maisons pénitentiaires et les maisons de déten-
tion seront placées hors des villes. Elles seront orga-
nisées pour des travaux obligatoires d'agriculture ou
d'industrie et de préférence pour les premiers.


Les maisons de simple emprisonnement, autres que
celles d'arrét provisoire et de prévention, seront aussi
placées hors des villes. Des travaux industriels y
seront organisés el également obligatoires; mais ils y
seront plus multipliés, de telle sorte que les aptitudes
diverses puissent y trouver leur application.


Le régime uniforme d.es condamnés des mémes caté-
gories exclut tous les priviléges qui étaient accordés
précédemment a eeux qui pouvaient les payer, Il n'y
a d'adoucissements possibles que eeux que les diree-
teurs des établissements jugeraient pouvoir aecorder
soit pour cause grave de santé soit comme réeompense
d'une bonne eonduite éprouvée et soutenue.


Dans aueun eas, les prévenus de crimes ou délits ne
pourront étre eonfondus avee les eondamnés ni soumis
au méme régime. Ils devront étre réputés innoeents et
traités comme telsjusqu'a ce qu'un jugement régulier
en ait décidé autrement. Ceux d'entre eux qui seront
acquittés, auront droit 8 réclamer une indemnité pro-
portionnée au temps pendant lequel Ils auront été




.to DEUX-IEME APPENDICS.
retenus et au dommage que Ieur aura causé leur
détention.


Les prisonniers agés de moins de :l8 ans seront placés
dans desmaisons apart et soumis aun régime spécial,
destiné El redresser par l'éducation leurs mauvais pen-
chants et a leur faire contracter des habitudes labo..
rieuses,


Les femmes ne pourront étre envoyées que dans les
maisons de détention ou de simple emprisonnement de
l'intérieur, et devront y étre traitées avec l'indulgenee
que réclame la faiblesse de leur sexe.


VI.
Dans tous les étahlissements pénitentiaires, les mai-


sons de détention et de simple emprisonnement, il y
aura des écoles dont la fréquentation sera ohligatoire
pou!' tous ceux des condamnés auxquels l'adminis-
tration le jugera nécessaire ou utile. Cet enseignement
comprendra au moins la lecture, l'écriture, la gram-
maire francaise, les éléments des sciences mathéma-
tiques et naturelles, le dessin linéaire et le chant. Les
travaux, soit agricoles soit industriels, devront étre
distribués de telle sorteo qu'ils laissent, chaque jour,
quatre. heures pour les études soit de classe soit de
préparation silencieuse.


L'enseignement comprendra nécessairement un
eours de morale, fait au point de vue de la religión
naturelle et da pUl' déisme spiritualiste. Ce cours sera
fait, le$jours de rep6S lég~11 p~r le direoteur m~me da




DEUXIE.ME APPENDICE. 3H


l'établissement (1).11 devra etre suivi par tous les con-
damnés,


VII.
Les peines disciplinaires, applicables aux fautes


commises dans l' établissement et autres que celles
dont la répression devrait étre déférée aux Tribunaux,
sont les suivantes : i o réprimande particuliere ; 2° ré-
primande en présence des autres prisonniers; 3° sé-
questration avec continuation de travail; 4° séquestra-
tion avec privation de travail; 5° mise aux fers, dans
le cas seul oú le condamné se livrerait ades actes de
férocité. Ces peines disciplinaires ne pourront étre
prononcées que par le directeur, sur le rapport de ses
agents el apres qu'il aura entendu le prisonnier en
leur présence.La séquestration et la mise aux fers se-
ront subies dans des locaux éclairés et sains, et les
condamués y seront visités chaque jour par le direc-
teur. L'emploi du cachot est supprimé.


VIII.
Le systeme de régie au eompte de l'Etat soit pour


les dépenses de tous genres soit paur lestravaux des
détenus est substitué acelui des entreprises par fer-
mage et adjudications,


(1) Cette disposition dit a elle seule que les fonctions si impor-
tantes de direeteur devront étre confiées désormais non plus a
ces hommes qui y recherchaient <le gros appointements et qui
venaient y étaler trop souvent un luxe si déplacé, rnais a de.
hommes graves et éclairés, qui les accepteront comme ceuvre de
dévouemcnt et qlti se cententerent de modestes tra:tteménts.




312 J>EUXIEME APPENDICF.:.


Les produits du travail des prisonniers seront ven-
dus au compte de l'Ét¡¡t selon les prix moyens des
marchés des diverses places, afin d'éviter de faire a
l'industrie libre la concurrence qu'entrainait le sys-
teme des entreprises.


Pour rémunérer le travail des condamnés en mema
temps que pour leur assurer des ressources au mo-
ment de leur lihération, illeur sera attrihué des sa-
laires dont les tanx varieront selon leurs aptitudes et
les genres d'industrie auxquels iIs seront reconnus
propres. Ces salaires seront, en moyenne, moitié .de
ceux des ouvriers libres du dehors dans les divers
genres de travaux correspondants, l'autre moitié re-
venant a l'État en déduction des dépenses que lui im-
posera I'étahlissement. Sur ce qui reviendra aux pri-
sonniers,un quart leur sera remis chaque jour de repos
légal, et les trois autres quarts seront déposés dans
des caisses spéciales d'épargne poury étre capitalisés
avec les intéréts et leur étre remis a l' expiration de
leur peine. lIs auront entre Ieurs mains un livret sur
lequel la direction inscrira, quatre fois par an, le
compte de leur avoir ala caisse d'épargne.


IX.


Apres qu'aura eu Iieu la révision du Coda pénal
prescrita par le troisieme alinéa de l'art. V, les
condamnés actuels, qui auraient accompli ou qui
viendraient aaccomplir par la suite le temps de leur




DEUXIEME APPENDICE. 313


peine, réduit en conséquence de Iadite révision, 50-
ront immédiatement mis en liberté.


.JORGE PUBLIQUE


l.
La Force publique consiste désormais dans une


garde nationale, dont fait partie tout Franeais, jouis-
sant de ses droits civils, valide et ágé de 20 a50 ans.
Apres 50 ans d'áge, le service n'est plus obligatoire, '
mais il peut se continuer volontairement, tant que le
citoyen n'a pas réc1amé sa radiation des cadres.


La garde nationale est organisée en légíons qui
élisent elles-mémes tous leurs chefs pour une durée
de deux ans.


Les jeunes gens de 20 a 30 ans et non mariés for-
ment la' partie mobilisable de la force publique. En
temps ordinaire, ils sont confondus avec les autres
gardes nationaux. Dans le cas OU leur mobilisation
deviendrait nécessaire, ils éliraient leurs chefs et
pourraient les prendre soit parmi eUK soit parmi les
gardes nationaux ágés de plus de 30 ans et qui accep-
teraient ces eommandements.


Apres le:désarmement gónéral de l'Europe, la garde
nationale sera réduite a la partie mobilisahle.


Un reglement disciplinaire fíxera la nature et 1'01'-
dre des exercices militaires auxquels sont assujettis
les gardes nationaux.




314 DEuxtEME APPENDICE.
11.


L'armée actuelle est Iicenciée, sauf la portien qui
sera jugée transitoirement nécessaire pour l'occupa-
tion restreinte de l'AIgérie.


ÉCOLE DES TRAVAUX PUBLICS.


Il est institué une École des Travaux publics, dans
laquelle viendront se fondre les deux Écoles actuelles
des mines et des ponts et chaussées, et destinée afor-
mer des ingénieurs pour tous les grands travaux exé-
cutés au compte de l'Etat ou dont il doit surveiller
l'exécution dans un grand intérét de súreté publique.
Elle est constituée en externat gratuit et les cours sont
publics.


Les conducteurs de travaux, exercant sous la direc-
tion des ingénieurs préposés aux divers travaux pu-
blics, pourront, apres dix ans au moins de services,
étre promus au grade d'ingénieur.


SUPPRESSlON OU MODlFICATlON DE DIVERS IMPÓTi.


lo
Sont supprimés :
L'impót des portes et fenétres ;
L'impüt des patentes;
L'impót du timbre;




DEUXJEHE APPENDlCE. 3U;
Les impóts des douanes tant a l'importation qu'á


l'exportation ;
Les impóts sur les hoissons, le sel, le suere et les


denrées alimentaires queleonques.
1I.


Les droits de succession ne seront percus qu'apres
la liquidation de la succession et que sur l'excédant de
l'actif sur le passif.


IlI.
Le systeme des octrois des villes est abolí; il est


remplacé par un systeme de cotisation analogue acelui
de l'impót mobilier.


LlBJ<;RTÉ DE L'INDUSTRIE.


Sont suppriinés les divers monopoles de fahrication
et de vente, précédemrnent exercés par I'Etat, a I'ex-
ceptien de celui de la fabrication et de la vente du
tahac, qui est prooisoirement maintenn ainsi que le
service du transport de" dépéches.


Les brevels d'invention sont supprimés. Des ré-
compenses nationales pourront étre accordées a de
grandes découvertes faisant faire de notables progrés
a l'industrie.


LIBERTÉ RELIGIEUSE.


I.
La Hépublique déclare inviolable et ahsolue la li-




316 DEUXIEME APPENDICE.


herté de tous les cultes. Elle n'en administre et n'en
subventionne aucun. Elle n'intervient que pour répri-
mer les atteintes qui seraient portées au libre exercice
de chacun d'eux.


11.
Les temples attribués aux diverses religions précé-


demment subventionnées par l'État rentrent dans sa
possession, ainsi que leurs mobiliers soit artistiques
soit afIectés aux divers usages des cultes. Les princi-
paux de ces édifices seront appropriés ades services
publics, musées, hibliotheques, écoles, etc. Quelques-
uns pourront étre vendus ades associations religieuses
privées, qui auront alors asupporter toutes les charges
communes de la propriété.


Les palais épiscopaux, les hátimentsdes séminaires
et les maisons presbytérales, qui étaient précédemment
fournis par l'État ou les départements ou les com-
munes, sont repris pour étre vendus ou afIectés a des
services publics.


III.
Tous les cultes étant égaux devant la loi, ils doi-


vent s'exercer dans I'intérieur des temples ou des en-
ceintes qui leur sont afIectés, la voie publique appar-
tenant atous, a ceux qui professent une religion aussi
bien qu'a ceux qui en professent une autre OU qui n'en
professent aucune.




lIEUXIE)lE APPENDlCE.


LmERTÉ DE LA PRESSE ET DE L'ART DRAMATIQUE.


317


La presse périodique ou non périodique est entiere-
ment libre.


L'art dramatique estégalement rendu a la liberté;
il cessed'étre subventionné par l'État.


Les auteurs et les acteurs auront seuls it répondre
devant la loi des délits qu'ils pourraient commettre
par outrage soit it la morale soit aux institutions ré-
publicaines soit aux personnes individuellement dési-


,gnees.


FONCTIONNAIRES SUPPRlMÉS.


Les fonctionnaires des divers services publics sup-
primés, qui auront atteint le minimum de... 'ans d'áge
et de... ans d'exercice, recevront une pension de
retraite, qui sera, pour chaque année de service,
un cinquantieme du traitement qu'ils touchaient sur
le trésor au moment de leur mise a la retraite.
Cette pension sera réversible par moitié sur leurs
veuves. lIs cesseront de la toucher s'ils venaient a
rentrer dans quelqu'une des fonctions publiques.


Ceux qui ne sont pas dans les conditions d'áge et
d'exercice, énoncées au précédent alinéa, recevront,
pendant une premiare année, la moitié, et' pendant
une seconde année, le quart de leurs traitements.






TROISIEME APPENDICE.


PAOJET D~ BUDGET DES DÉPENSES EN DES ~ECETT~S
DE LA RÉPUBLIQUE.


(Voi1' la note de la page 213.)


Avant de tracer ce projet de hudget, je vais exposer
la situation financiere de la fin du second Empire, puis
indiquer les reformes qu'elle réclame ,


B1JDGET DE :1889.
DÉPEI\SES ORDINAIRES.


DETTE PUBLIQUE ET DOTATIONS.
Intéréts de la dette consolidée.
Intéréts de capitaux remhoursa-


hles atitres diverso
Intéréts de la dette viagere.
Dotations el dépenses des pouooirs


législatifs


MINISTERE D'ÉTAT•


.-idministration centrale .
Con.•eils privé et d'État..


343,799,936 fr.


34,968,832
90,ñ44,476


49,002,280


51.8,31.5,524 fr.


553~500 fr.
2,618,900


S,i72,400 fr.




320 1'ROlSIE:ME APPENDlCE.


M1NISTERE DE lA JUSTICE IT DES CULTES.


Justice.


. .


. .Administration centrale •
Cour de cassation. .
Cours impériales .
Cours d'assises. .
Tribunaux de premiere instance .
Tribunaux de commerce. .
Tribunaux de police ,
Justices de paix..
Justice en Algérie, .
Frais de justice criminelle. . •
Dépenses diverses. .


Culte«,


Administration centrale .
Culte catholique. .
Cultes non catholiques .


726,450 fr.
i,192,900
6,976,300


159,800
10,247,015


178,200
80,200


7,890,500
934,900


4,900,000
70,000


33,356,265 fr.


284,400 fr.
46,517,295
2,016,836


48,818,531 fr.


MINISTERE DES AFFAIRES ÉTRANGERES.


Administration centrale .
Agents du seroice eatérieur ,
Dépenses variables. .


931,400 fr.
6,933,300
5,299,500


i3,i64,200 fr.




piJ


TROISIEME APPENDICE.


MINISTERE DE L'INTÉRlEUR.


Administration centrale .
Préfets, sous-préfets et inspecteurs


administratifs.. . . . • .
Garde nationale . • •
Service télégraphique.. .
Sftreté publique. . •.
Service des prisons .
Suhventions et secours .


llINlSTERE DES FINANCES.


Administrationcentrale.
Monnaies et médailles .
Exercices périmés.. • .
Cour des comptes. •.
Service de trésorerie. .
Contributions directes .
Enregistrement, timbre et do-


.


malnes.. .
ForMs.. . . . •
Douanes etcontributions indirectes,
Manufactures de rÉtat, tabacs et


poudres. •. .•..
Postes.. . • . • • • .
Remboursements et restitutions .


321


2,027,iOO fr.


!2,009,450
80,000


iO,049,700
8,976,575


18,045,000
8,793,4!0


59,98t,235 fr.


7,775,764 fr.
t86,200
t41,000


1,546,700
8,785,000


i8,o26,340


f5,272,100
tO,133,OI7
56,765,795


70,230,244
63,97!,i67
12,216,000


264,775,777 fr.
~i




322 TROlSm1'rlE APPENDICE.


MINISTERE DE LA GUERRE.


Administration centrale . . • •
États-rhdjors. . . . • • •
Gendarmerie , .. ..
S olde el entretien des troupes •
Artillerie et génie.
Écoles militaires, invalides, se-


cours et dépenses secretes. • •
Gouvernement de l'Algérie. . .


2,74:1.,8~8 fr.
23,474,787


. 28,28g,393
3Ó3,345,720
!g,~87,55B


7,859,2l)~
t4,616,9Ó7
~. .. ,>..


396,3:1.1,459 fr.
HINliTERE DE LA. llAIUNE El' DES COLONIES.


Administration centrale .
États.;;rn:ajo1'S, équipaqes, trbupes .
Ouvriers, áppoínteménts, travaux,
Justiéé i école navale, hydrogra-


pfiie, ctii~mes, etc. ..
Serviee colonial. .•..


2,068,989 fr.
7!,9iY,260
g~ ,t47,5'3


l,957,~70
~6,784,56Ó


i63,237;7;;2 fr.


MlNlsTERE DE L'lNS'1'RUCnON PUBLIQUE.


• •


Administration centrale. . . •
Servicés géñéraux. .
Enseignement supérieur. .
Instructioñ secondaire,
Instructioñ pr1maire. •


7:1.3,200 fr.
i, '746,900
1,994,92~
3,72Ó,ÓÓQ
9,488,3ÓÓ


').3,663,32i fr.




TROISIEME APPENDICE.


KINlSTBU: :DE L'AGRlCUL'l'Ul\!, DU COmmRCE ET DES


TRAVAUX PUBLlC$.


Administration centraie, .. • •
Serviees ae~ travaux publica, '.
Ag'í'tculture. • • ~ .. , • ti
Commerce, industrie, etc. ¡ • l
Ponts et chaussées et miIlet4. • •
Ch~1üin8 de ter.. ti • • • ti


I já46,9DO fr.
1,965,953
&,928,300
6,i48,100


10,375,000
1-11,272,500


MINl8'ftRIt D~ LA. MAISON DE L'gPEREUR .1' lis BIAUX-Al\TS.


Adrriitlistratioh eentrale, archives,
fJs1lle de StJvl1hU!,. ti ~ • .-


Beaúx-arts, thlá".", IrltJfíü1ü8ntt
histoJ1qtlti8,i' . i ~ ;o


Hare«. .. . • • • • • • ¡


RÉC.A.lITUUTION.


Dette publique et dotátions. . •
Ministere d'État. ..••


Id. Hb la justice et des eultes.
Id. des afl'aireiétfingefí9.
lit. tlt l'intérieur , • • •
'Id. des finances . . . •


A reportero •


111;10& fr.


1;864;'80.
3,.7••,


II,ilH,OMJ fr.


!18,315,5!4 fr.
!,172,400
8~,i74,796
f3,fel,flJé
!',9§',~H .


fi61,1'18,17'
;,,-'_.'-0'.; .Ó,


94A,583,932 fr.




~90,837 ,003


163,237,752
23,663,32i


941,583,932 fr.
396,3Ii,459


TROISIEME APPENDICE.


Beport . .
Ministere de la guerre. . • .


Id. de la marine et des co-
lonies • . . • •


Id. del'instructionpublique
Id. de l'agriculture, du


commerce et des tra-
vaux publics. .. •


Id. ,de la maison de 1'Em-
pereur et des Beaux-
Arts. • • • .• 12,HH,600


1,627,785,067 fr.
Le chiffre total précédent ne donne pas le chiffre


réel des dépenses ordinaires; il faut y joindre i o les
dépenses suivantes dites sur ressoureesspécialee :
Ministere de l'intérieur. . .. 156,23:1,000


Id. des finances. . .. iOi,013,163
Id. de la guerreo • • . i92,700
Id. del'instructionpublique iO,9i i,OOO
Id. de l'agrieulture , du


commerce et des tra-
. ....


vaux publics. .. 4,611,900
2' Le budget spécial de la caisse


d'amortissement. . . .. 76,i59,000
3' La dépense de la Légion d'hon-


neur. • . -. .. • . . • 18,134,159
367,2lS2,922 fr.




TROISIE1IE APPENDlCE.


Ce dernier total, réuni au précédent, donne, pour le
total général des dépenses ordinaires, le chiffre de
1,995,037,989 francs.


Il y a de plus ay réunir les dépenses extraordinaires
suivantes:


IDNISTERE DES CULTES.


Matériel et traoau» du culte catho-
lique. ••. •


llINISTERE DE L'JNTÉRmUR.


!S,300,000 fr.


7,253,310• ••
Divers travaux, constructions, che-


. . ..


mms vicmaux.
MIN1STERE DES FINANCES.


Monnaiea, foréts rehoisées, con-
structions, etc. ••• •


lIINISTERE DE LA GUERRE.


Matériel, travaux, colonisation,


.5,,325,000


61,,831,766
MINISTERE DE LA MARINE.


Approvisionnements el traoaue, •


MINISTERE DE L'lNSTRUCTION PUBL1QUE.


Observatoire, puhlications, ensei-
gnement spécial, etc.


21.500,000


t,870,OOO
MlNISTERE DU COMMMERCE, DE L'AGRICUL-


- .


TURE ET DES TRAVAUX PUBLICS.


Travaux extraordinaires, des rou-
A reportero 103,080~076 fr.




nqlsIDE APPENDlCE,


J1eRQrt, •
tes, ponts, eanaux , rivieres)
PfU'tf et pll~JPm§ 4~ fer ~ 7~,7t9,OOO


mIflSTERE DB LA. MAIION DE L'gPEREUR
ET DES BEAUX-ART8.


Travaux du Louvre 11 Ñ& T'lile..
,i,,_ A'i ltm-ve1 Opéra. . • . .8,5.00,QQP


1:81,299,016 fr.
Ce dernierchiffre de.d~p8D'8Su:traordinaires, réuai


acelai d.H 4'pensas .ordinairss, 'donne, pour les dé-
penses, un.total général de 2,i79,337,065 franes,


RECETTES Ol\DlNAIRES.


CONTRmUTIONS DlREGTES.


Fonci~re. . • • . . . . .
Personnelle et mohiliere. . • .
Portes et {ene/res. • • . • .
Patentl$. • • • • . • • .
Taxe de premier svertissement.•


t72"OOO?000 fr.
52,650,000
38,793,000
63,491,6(}{)


576,000


S29,!'H6,60B fr.


433,946,000 fr.


330,500,000 fr.
83,446,000


,


A reportero


~" . .


BNREGlSTREMENT, TIMBRE ET DOMAlNES.


Enregistrement, gretre et hypo-
théques. . . • • . . •


ffm6re. • • • • . . . .




TROIsmME APPENDlCE.


Beport. •
Revenus et prix de vente .des do-


.


mames, , . • . . • • •


Vente tlobjets mobiliers des minis-
t' er'e's. .. . . . . . .


Produits d'ltdhlissetnents spééiaux
de rEt~t. . . . . . . .


rOhtrs.
Prélsvement sur le produit ,bru.t


eles !erata.. . . . . . .


DOUANES ET SELS.


DrlJit$ tiimportation, d'exporlqlj,Qn,
et de navipation, et taxe des seis
consomm és dans le rayon des
j,f)uanes. . . • • . . .


327
433,946,000 fr.


1,838,000


4,IOO,O~t)


1,211)8,816
'44,!37,816 fr.


144,313,000


Boissons.. . . • . • . •
Sel§ hors du rayon des douanes •
Sucre i1J(#g~ne. .. • ~
Droits div~rs.. . • . . . .
Tahaos. ~ .. ...
Poudres 8. leu. . . . . .


A reportero


234,3i6,000
10,462,000
59,740,000
32,938,000


247,658,OQO
. 12,732,000


597,846,000 fr.




328 TROISIEM~ APPENDlCE.


Beport.
Produits des postes. .•.
Produits universitaires.. • . .
Produits de l'Algérie. . • . .
Produits affectés au service des


pensions civiles. • •. . .
Produits divers du budget. . .


RECETTES SPÉCIALES.


Contributions directes des dépar-
tements et communes. . . •


Produits éventuels départemen-
taux. ..•....


Produits divers spéciaux.. . .


597,846,000 fr.
85,809,000
3,664,621


17,600,200


1.\,645,600
51,862,783


173,582,204 fr.


228,245,843 fr.


40,874,000
3,839,920


. 272,959,76~ fr.


Total des recettes ordinaires. i,972,90B,000 fr.


RECETTES EXTRAORDINAIRES


Excédant des recettes du budget .
ordinaire. . . . . . . •


Indemnité de Cochinchine. . .
Produits extraordinaires des fo-


72,164,077 fr.
1,080,000


rels.. • • . . . . . . 2,500,000


A reportero . 75,744,077 fr.




TROISIEME APPENDICE. 329


Beport. 75,744,077 fr.
Produit de la refonte des an-


eiennes monnaies d'argent. 1,000,000
Intéréts d'une somme due par le


Mont-de-Milan. 250,000
Versement a faire par .la Société


générale algérienne. . i6,666,666
Portion de l'emprunt de 440 mil-


lions. 90,638,333


184,299,076 fr.
Ce dernier ehiffre des recettes extraordinaircs, réuni


a eelui des reeettes ordinaires, donne, pour les re-
cettes, un total général de 2,io7,207,076 fr.


Nota. Les frais de régie, perception et exploitation
des impóts et revenus publics sont évalués, dans le
budget des dépenses ordinaires, a 246,34i, i j 3 francs
(total des sept derniers articles du titre Ministere des
finances, page 32i). Il s'en fallait done de beaucoup
que le chiffre des recettes fút un chiffre net de revenu.


J'ai maintenant aindiquer les suppressions et modi-
fications dont les divers chiffres de ces budgets des
dépenses et des recettes de l'Empire sont susceptibles.
Je le ferai hrievement, renvoyant aux diverses parties
du livre OU ces changements ont été motivés explicite-
ment ou implicitement,




330 TROlSIEME APPENDICll:.


BUDGET DES DÉPENSES.


DETTE PUBLIQUE ET DOTATIONS.


A supprimer l'article Dotations et dépenses des pou-
»oirs législatifs, comprenant la dotation de la famillo
impériale et les traitements du Sénat et du Corps légis-
latif.T'indiquerai plus loin la somme aaffecter aI'As-
semblée nationale républicaine,


Mais la dette publique sera sacrée pour la Répu-
blique, quoique I'énorme chiffre dont elle se cQmpose
soit en majeure partie aífecté a solder les fautes de la
monarehie. La dette contractée envers ceux qui, adi-
verses époques, ont prété leur avoir a l'État, sous la
gllr~Jltie des lois alors existantes, doit etre acquittée.
Je n'excepte pas méme les preteurs qui, en apportant
leur argent au gouvernement de Louis-Napoléon, ont
eontribué a prolonger un regne odieux, qui a aug-
menté de pres d'un milliard le budget des dépeasss
annuellés et porté notre dette publique aplus ele douze
milliards. Ce qui doit aussi étre aequitté religieuse-
ment, e'est la dette contractée envers les fonction-
naires qui ont loyalement eonsaeré leur vie au service
de l'État dans les divers ordres de fonetions publiques.
Par cette raison, le ehiffre, déjá si eonsidérable, de la
dette publiq:ue devra méme étre augmenté, transitoi-
rement il est vrai et avee extinction pradp.elle, po~
les retraites a aceorder aux divers fonctionnaires qui




TROISIEME APPENores. 331
seront supprimés (conseil d'Etat , cour des comptes,
cours d'appel, cultes, armée et marine (i), agents di-
plomatiques, etc.).
.


MINlSTERF; D'É'1'AT.
A supprimer entierement.


)lINlST:E&¡ DI L.4. JT8TIOJ ET D~ CULTIS.
A supprimer les articles Administration centrale 8t


Cours impériales, ainsi que toutes les dépenses rela-
tives aux cultes.


Les autres articles peuvent étre conservés, a la,
condition que l'article des Frais de justice eriminelle
soit pour la plus grande .part appliqué aux mesures de


,


moralisation des condamnés, quiont été indiquées plus
h~t el! ce qui concerne la répression des crimes et
délits (Jr appendice ).
M]NISTER~ DES AFFAIR;ES ÉTRANGERES.


Le hudget de ce service doit étre presque entisre-
ment supprimé. Un million doit suffire aux voyages
de quelques résidents que la République entretiendra
al'étranger.


t+
(i) Dans cette catégorie je comprends non -seulement les officiers


des armées de terre et de mer mais aussi les simples soldats inva-
lid.e~. Oui.cpnque les a interrogés, sait qu'ils se trouveront heu-
reux de recevoir des pensions qui ne s'éléveront p~s ala moitié
de la dépense qu'ils occasionnent aujourd'hui a l'Etat, dépense
exorbitante quand oq, tieut compte 'le l'intérét ~~ tQPS ¡es capitaux
enfouis dans ces immenses hospices OU la monarchie se plaisait a
étcUu- au regllrds hébétés du public les mutílations que uéces-
sitait son régime.




332 TROISIEME APPENDlCE.


IlIN1STERE DE L'INTÉRlEUR.


A supprimer les articles Administration centrale,
Préfets et sous-préfets et inspecteurs administratifs et
Sureté publique, ainsi que celui de Garde nationale,
pour lequel j'aurai aréclamer un chiffre plus élevé.


A conserver, en l'attribuant au service de la justice,
l'article Sercice des prisons, sous la réserve de la condi-
tion posée plus haut au sujet de 1'article Frais de justio«
criminelle. A conserver mais avec révision sévere I'ar-
ticle Suboentions et secours, qui devra étre attribué au
service de l'assistance publique. A conserver 1'article
Service télégraphique, qui devra étre réuni acelui des
Postes.


MINISTERE DES PINANCES.


A supprimer les articles Administration centrale,
Cour des comptes , frais de perception du timbre et des.
douanes et contributions indirectes, et frais de régie des
manufactures de rÉtat (porcelaines J tapisseries, im-
primerie, glaces, etc.).


A conservar, sauf révision et réduction des traite-
ments des hauts fonctionnaires, les 9 autres articles
Monnaies etmédailles, Exercices périmes, Service de tré-
sorerie, Contributions directes , Enreqistrement et do-
maines, Foréts, Tabacs et poudres, Postes, et Bembour-
sements et restitutions.


MINISTERE DE LA GUÉRRE ET DE LA MARINE.


e'est sur les budgets de ces deux services que doi-




TROISl:EME APPENDlCE. 333


vent etre faites les plus fortes suppressions. Au budget
de la guerre, il n'y a aconserver que les articles Gen-
darmerie et Gouoernement de rAIgérie ou mieux occu-
pation militaire restreinte et transitoire de l'AIgérie ;
mais il faut y ajouter, pour l'organisation de la garde
nationale, une somme d'une vingtaine de millions.
Au budget de la marine, il n'y a aconserver, et avec
révision, que les articles Ouoriers, etc., Justice, etc., et
Serv(ce' colonial.


• - '. '.. 4; .¡ .".


..j MINisTERE DEL'INSTRUCTlON PUBLIQUE.


~;', A.' supprirrie; I'article Administration centrale.
-Ó, A: conserver 'les articles Services généraux, Ensei-
gnementsupérieü~, Instruction secondaire et Instruction
primaire, pour lesquels j'aurai aréclamer une somme
beaucoup plus \ élevée, particulierement en vue de
l'enseignement populaire. . :'


MiNlSTERE DE L'AGl\ICULTURE, DU COmlERCE ET DES TRAVAUX
PUBLICS.


A supprimer les articles Administration ícerurale,
Agriculture esCommerce et Industrie.


A conserver, sauf révision, les trois autres articles
Seroices des travauxpublics, Ponts et chaussées etmines
et Chemins de [er,


llINlSTEl\E DE LA. MAISON DE L'EMPEREUl\ :gT DES BEAUX-ARTS•.


A supprimer les articles Administration centra/e,
Asyle de Saverne, Thédtres et Haras.




334 TROlSIEME APPENDICE.


A conserver, sauf sévere révision, les articles
Archives, Beaua-Arts et Mon~ment$ historiques,


A supprimer en outre La dépense de laLégion d'hon-
neur, et les dépenses extraordinaires des articles
Mátériel et travaux du culte catholique, Matdrie~ tra-
vaux el colonisation de la guerre, Approvisíonnements
el travaux de la marine, et Travaux du Lóiivre, des
Tuileries et du nouvel Opera.


BUDGET DES REGETTES.


Il faut retrancher de ce budget les articles Portes el
fenétres, Patentes, Timbre, Vente d'objets mobiliers des
ministéres, Produits d'établissements spéciaux de l'État,
Droits d'importation, d'exportation et de navigation el
taxe de seis consommés dans le rayon des douanes,
Boissons, Sels hors du rayon des douanes, Sucres indi-
genes, Droits divers, et Produits universitaires. Ces
recettes s'élevent a Ia somme de 678,524,037 francs,


Resterait, pour les articles Contribution [onciére,
Oentriinuionspersonnelle et mobiliére, Tase de premier
avertissement, Droits d'enregistrement, de gfelfe- et
d'hypothequé, Beoenus et prix de venU] de domaines,
Préleveil'lent sur le produi: bru: des fór~t9, Tabaes, PoiJ-
dres, Produits des Postes, Produits de l'Algt!rie, Ptbti-ui/s
alfectés au service des pensions civiles,Produitsdivers du
budget, Produits éoentuels départementaux, et Produits
di1Yéi's spécitlu:t, l1tie recette íotalé de i,("66,í~iI,t20~.




. ,


TROlSIEME APPENDICE. 335
BUDGET SOMMAlRE ET APPROXlMATIF DES DÉPENSES


DE LA RÉPUBLIQUE.
5,000,000 fr.
t ,000,000


60,000,000
30,000,000
40,000,000
90,000,000
80,000,000


200,000,000
520,000,000


40,000,000
__-0-_- __• • • __


. 1,066,000,000 fr.total.


Assemblée nationale (1)..
Envoyés résidents al'étranger.. .
Instruction publique (2).•
Assistance publique (3).. •
Administtation de la justice (4).
Forcé publique (5). •
Travaux publica. . •
Finarrces.
D~tte publique. •
Hetraites aux fonctionnaires sup-


o .,pnmes.


(I) Je suppose 300 memhres a 16,000 francs chacun. Ce taux
de traitement des plus hauts fonctionnaires de l'État servira de
r~gulateuro Il ne doit pasy en avoir de plus élevé.


(2) La République doít assurer, [usque dans la derniére com-
mune rurale, a l'instituteur public, qui sera désormais l'instru-
ment principa1 de la civilisation, un minimum de 800 a 1,000 fr.
de traitemetí.t, indépendamment du logement fourni par la com-
mune. Le minimum doit étre de f,200 a i,500 francs dans les
chefs-lieux decantons, et de 2,000 a 3,000 francs dans les villes.


(3) t'organísation de I'exercice public de la inédecine n' exigera
pas moias de 30 millions, J'estime qu'un médecin public suffirait
en moyenne pour quatre communes rurales, et qu'~bligé d'en-
tretenir un cheral, il ne devrait pas avoir un traitement inférieur
a 8,000fr.


(4) Aux chiffres quej'ai indiqués comme devant étre conservés
dans le service de la justice il faut joindre une certaine somme
pour les articles du ministére actuel de l'intérieur, qui doivent
y étre reportés,


(U) Ministeres actuels de la guerre et de la marine réunis.




336 TROlSIElHE APPENDICE.


Gn voit que le budget des dépenses de la Répu-
blique peut étre moitié de celui de l'Empire. Si des
causes extraordinaires amenaient la diminution des
recettes, le déficit, asupposer qu'il ne fút pas cou:vert·
par l'extinction successive des charges transitoires, le
serait facilement par une autre ressource. Dans le nou-
veau régime républicain, les armées permanentes de-
vant étre supprimées, la plus grande partie des valeurs
improductives soit mohilieres, soit surtout immobi-
Iieres, précédemment affectées au service des armées
de terre et de mer, n'ont plus de destination.Or ces
immenses valeurs représentent aujourd'hui une somme
de plus de 4 milliards. Leur vente successive offre
donc a la République des ressources considérables
pour ses besoins extraordinaires éventuels et pour
l'extinction desa dette. Finalement, et si ses finances
sont administrées désormais avec honnéteté et habileté, .
il doit lui devenir facile, tout en ménageant ses res-
sources extraordinaires et en travaillant al'extinction
de sa dette, d'équilibrer son budget annuelordinaire
par le chiffre d'environ un milliard, soit en recettes
soit en dépenses, C'est un chiffre de beaucoup infé-
rieur acelui auquelle systeme monarchique impérial
était déja arrivé et qui tendait a s'élever encore an-
nuellement.




POST~SCRIPTU:\I.


FilJ octobre lH70.


J' écris ces derniers mots le jour anuiversaire de celui
oú, il y a ().f¡. ans, le parjure du 18 Brumaire entrait a
Berlin, accumuluntpar d'iniquesconquétcs les causes de
tous les rnaux qu'il devait léguer ala France avant de
dispuraitre de la scene politiqueo Aujourd'hui le téné-
hreux conspirateur du 2 Décembre calcule sans doute
l'heurc oú il apprendrait que ses nouveaux alliés, en-
trés dans Paris, y auraient enseveli sous d'immenses
décomhres la République renaissante. Est-ce a eette
supréme calamite qu'aboutira la situation qu'il nous a
faite avee l'aide de pervers cómplices et de tant d'i-
neptes soutiens? S'il en devait étre ainsi, que l'homme
soit maudit dans les siecles , qui aurait fait déchoir
notre nohle race a un tel point qu' elle ne serait plus
susceptihled'étre sauvée et qu'elle toucherait asa fin
en punition d'avoir supporté si longtemps un pareil
régime. Mais croyons plutót que la terrible épreuve
qu'elle suhit en ce moment sera une salutaire expia-
tion, oú elle retrouvera, avec le sentiment de sa force,




. ",


. ,


338 '-:·f e" ,
. .'


l'OST-SCRIPTUM.


la. tradition du róle d'initiationqu'elle doit remplir,
sous sa forme définitivement républicaine ,dans les
destinées de la grande Confédération européenne :
e'est daos cette pensée que je me décide apublier ce
livre, espérant qu'il contribuera aháter la délivrance
attendue avec tant d:anxiété en méme temps qu'á as-
su~er le triomphe de la vraie liberté.


fIN.




'fABLE DES MATI~RES .


..


INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •


CHAPITRE ler. - Inaliénahilité et unité du pouvoir social.
Délégation temporaire de ce pouvoir , . , . . .


CHAPITRE n. - Organisation des fonctions publiques.
CHAPITRE 11I. - Instruction publique. . . . . '.
CHAPITRE IV. - Assistance publique. . . . . t .
CHAPITRE V. - Administration de la justice ,
CHAPITRK VI. - Force publique. .
CHAPJTRE VII. - Travaux publics ,
CUAPITRE VIII. - Finances. . . .
CHAPITRE IX. - Suppressions et réformes.
CIlAPITRE X. -Conséquences des príncipes poses : entiére


liberté, association , fausseté de certaines théories
dites socialistes, vraie notion du progreso Conclusion.


Premier appendice. - Aperen général sur l'organisation
de l'enseignement secondaire. . ....•.•


Deuxiéme appendice. - Projets de manifeste et de
diverses résolutions . . . . . . . . . . . • . . .


Troisiéme appendice. - Projet de budget des dépenses et
des recettes de la République.


PO!lT-SCnIPTulf. • • • . • . • , • • . . • . . • • . •


IIlHlI'llIlé p81' Clmri<'s Nobll't, rue Soufflut, 18.


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