HISTOIRE DE LA. RÉVOLUTION FRAN<;AISE. TOME Uf. TYPOGRAPHIE DE...
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HISTOIRE
DE


LA. RÉVOLUTION
FRAN<;AISE.


TOME Uf.




TYPOGRAPHIE DE FIRJ\Il:'l 1lIDOT FRimES,
RLE JACOn, NO 2!¡.
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[IISTOIRJ~
DE


LA RÉVOLUTION
FRANGAISE,


PAR lU. A. THIEIlS,
MINISTRE D)~:TA'l' E.T nÉrUTÉ.


TOME TROISIEl\IE.


~roi9icmc (!f'irü ion.


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS~


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LlBRAlIU:, PLACE DE L.~ ROURSE.


1\1 DCCC xxxn.P¡~·:·:,..·>\.
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AVIS ..


Les notes et pieces justificatives. de ce
volume ont été jointes au n e vo]ume.


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..




HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE. ,


CHAPITRE 1.


Suite et fin de la journée du 10 aout. - Rappel dll minis-
tere girondin; Danton est nommé ministre de la jllstice.
- État de la famillc royale. - Sitllation des pa,·tis dans
l'assemblée et au-ddlOl'S apresle 10 aout. - Organisa-
tion el influence de la commune; pouvoirs nomureux
qu'elle s'arroge; son opposition avec l'assemulée. _
Érection d'un tribunal criminel extraordinaire. _ État
des armées apres le lO aO(lt. Résistance de Lafayette all
llouveau gOllverllemellt. Décl'été d'aeclIsation, il qllilte
son armée et la France; est mis aux fers par lt's Autri-
chiens. - Position de Dumouriez. - Disposilions des
puissances, et situation réciproque des armi'es co~lisées
el des armées fran\i:Jises. - Prise de Longwy par les
Prussiens; agitation de Paris a cette Ilouvelle. - Me-
S"llres révolutionnaires prises par la commune; arresta.
tions des suspects. - Massacres dans les prisolls les 2,
3, 4, 5 el6 septembre, Principales sdmes et cil'cons-
tan ces de ces journées sanglantes.


LES Suisses avaient courageu5ement défendu
r.






4 IIÉVOLUTlOlS "l\AN«AIS!:.
les Tuileries, mais leur résistance fut inutile:
le grand escalier avait été forcé, et le palais
envahi. Le peuple, désormais vainqlleur, pé-
nétrait de toutes parts dans eette demeure de
la royauté, ou il avait toujours supposé des
trésors extraordinail'es, une félicité sans bor-
nes, une puissance formidable, et des complots
sinistres! Que de vengeances a exercer a la foís
contre la richesse, la grandeur et le pouvoir!


Quatre-vingts grenadiers snisses, qui n'ont
pas eu le temps de se retirer, défendent vigo u-
reusement leur vie, et sont irnpitoyablement
égorgés. La mllltitude se préeipite ensuite dans
l(ls appartements , et s'aeharne sur ces inutiles
amis, aceourus pour défendre le roí, et pour-
suivis, sous le nom de chellaliers du poignard,
de toute la haine populaire. Leurs armes ¡m-
puissantes ne servent qu'a irriter les vainqueurs,
et rendre plus vraisemblables les projets im-
putés a la cour. Toute porte qui se ferme
est abattue. Deux huissiers voulant interdire
l'entrée du grand conseil, et s'immoler a l'éti-
quette, sont massacrés en un instant. Les nom-
breux serviteurs de la famille royale fuient
tumultueusement a travers les vas tes galeries,
se précipitent des fenetres, ou cherchent dan s
l'immensité du palais un réduit obseur qui
protége leur vico Les femmes de la reiQe se ré-




ASSJ,lUDLÉE LÉGISLA TIVE (1792). 5
fugient oans l'un de ses appartemellts, et s'at-


,tendent achaque instant a etre attaquées daos
leur asile. La princesse de Tarente en fait ou-
vrir les portes pour ne pas augmenter l'irrita-
tion par la résistance. Les assaillants se pré-
selltent, et se saisissent de l'une d'elles. Déja
le fer est levé sur sa tete. - Gráce aux fem-
mes! s'écrie une voix; /le déshollorez pas la
nation! - A ce mot, le fcr s'abaisse, les
femmes oe la reine sont épargnées, protégées,
conduites hors du chateau, par ces memes
hommes qui allajent les 'immoler, et quj, avec
toute la mobilité populaire, les escortent main-
tenant, et em plojent pour les sauver le plus
ingéllieux dévOllement. Apres avoir massacré.
on dévaste; on brise ces magnifiques amell-
blements, et on en disperse au loin les débris.
JJe penple se répand dans les seerets apparte-
ments de la reine, et s'y livre a la gaité la
plns obscene; il pénetre dans les lieux les plus
reculés, recherche tons les oépOts de papiers,
brise toutes les fermetllres, et satisfait le dou-
ble plaisir de la curiosité et de la destruction.
A l'horreur du meurtre et dn sac se réunit
eeHe de l'incendie. Déja les fIarnmes ayant dé-
voré les échoppes adossées aux COllrs exté-
rieures commencent a s'étendre a l'édifice, et
menacent eI'tllle ruine complete cet imposant




tt


ti Rt:VOLUTlON FftANC;;AISE.
séjol1r de la royauté. La désolation n'est pas
bornée a celte triste enceinte; elle s' étend au
loin. Les rues sont jonchées de débris et de
cadavres. Quiconque fuit ou est supposé fuir
est traité en ennemi, et poursuivi a COllpS de
fusil. Un bruit presque continuel de mous-
queterie a succédé a celui du canon, et révele
achaque instant de nouveaux meurtres. Que
d'horreurs dans les suites d'une victoire, quels
tIue soient les ~aincus, les vainquellrs, et la
cause pour laquelle 011 a combattu ~


Le pouvoir exécL:tif étant dissous par la
slIspension de LOllis XVI, il ne restait plus
dans París que denx autorités, eeHe de la com-


. mune et celle de l'assemblée. Comme on 1'a
Vil dans le récit du 10 aout, des députés des
sections réunis a l'Hotel-de-Ville, s'étaient em-
parés du pouvoir municipal, en expulsant les
ancieus magistrats, et avaient dirigé l'insurrec-
líon pendant toute la uuit et la journée du 10.
lIs possédaient la véritable force de fait; ils
avaient tont l'emportement de la victoire, et
représentaient cette classe révolutionnaire,
neuve et ardente, qui venait de lutter pendant
toute la session contre l'inertie de cette autre
classe d'hommes, plus éclairés, mais moins
actifs, dont se composait I'assemblée législa-
tive. Le premier soin des députés des sections


me




A.SSEMBLÉE LÉGISLA TIVE (1792 ). 7
fut de destituer toutes les hautes autorités,
gui, plus rapprochées du pouvoir supreme,
lui étaient plus attachées. Ils avaient suspendu
l'état-major de la garde nationale, et désorga-
nisé la défense des Tuileries en arrachant Mandat
au chateau, et donné a Santerre le comman-
dement de la garde nationale. lIs n'avaient pas
mis mojns d'empressement a suspendre l'admi-
nistra tion d Ll département, qui, de la haute
région ou elle était placée, con.traria toujours
les passions populaires, qu'elle ne partageait
paso Quant a la mllnicipaIité, ils en avaient
supprimé le conseil général, s'étaient snbsti-
tués a son autorité, ne conservant que le maire
Pétion, le procureur-syndic Manuel, et les
sejze administratellrs municipaux. Tout cela
s'était fajt pendant l'attaque du chatean. Danton
avait audacieusement dirigé cette oragellse
séance; et, 10rsql1e la mitraille des Suisses re-
foula la multitude le long des qnais, et jusqu'a
I'Holel· de-Ville, il était sortí en disant : « Nos
« ¡;'el'es demandent dlt secours, allons leur en
(eporter.» 5a présence avaít conlribué a rame-
ner le peuple sur le champ de bataille, et a
décider la victoire. Le combat terminé, iI fut
question de délivrer Pétion de sa garde et de
le replacer dans ses fonctions de maire. Cepen-
dan t, soi t véritable intéret pour sa personne,




8 RÉVOLUTlON FRAN<,tAISE.
soit crainte de se donner un chef trop scru-
puleux pour les prerniers mornents de l'in-
surrection, on avait <lécidé qu'il serait gardé
encore un jour ou deux, SOIlS le prétexte de
mettre sa vie a couvert. En rneme temps on
avait en levé de la salle du conseil général, les
bustes de Louis XVI, Bailly et Lafayette. La
classe nouvelJe qui s'élevait écartait ainsi les
prernieres iUustratiolls révolutionnaires , pour
y substituer les siennes.


Les insurgés de la commune devaient cher-
cher a se mettre en rapport avec l'assemblée.
lis luí repJ,'ochaient des hésitations, el meme
du royalisme; mais ils voyaient toujours en
elle la seule autorité souveraine actuellement
existante, et n'étaient poilIt du tout disposés
a la mrconnaitl'e. Dans la matinée meme dn 10,
une députation vint a sa barre hii annoncer la
formation de la commune insurrectionnelle,
el lui exposer ce qui avaít été fait. Danton était
au nombre des députés. « Le peuple qni nous
« envoie vers vous, <lit-il, nous a chargés de vous
« déclarer qu'il vous croyait toujours dignes
« de sa confiance, mais qu'il ue reconnaissait
« d'autre juge des mesures extraordinaires aux-
« quelles la nécessité l'a contraint de recollrir,
« que le peuple fran¡;ais, notre souverain et le
( votre, réuni dans les assemblées primail'es. »


m •••




ASSIiMBLÉE LÑGISLATIVE (1792 ). 9
L'assemblée répondita ces députés, par 1'01'-


gane de son président, qu'eUe approuvait tout
ce qui avait été fait, et qu'elle Ieur recom-
mar..dait l'ordre et la paix. Elle Ieur fit donner
en outre communication des décrets J'endus
dans la journée, avec in vitation de les répandre.
Apres cela, elle rédigea une proclamation pour
rappeler le respect dti aux personnes et aux
propriétés, et chargea quelqucs-uns de ses
membres d'aller la porter an peuple.


Son premier süin dans ce moment devait
etre de suppléer a la royauté détruite. Les mi-
nistres, réunis sous le nom de canseil exécu-
tif, furent provisoirement chargés par elle des
soins de l'adrninistration, et de l'exécution des
lois. Le ministre de la justice, dépositaire du
seean oe I'état, devait l'apposer sur les dé-
crets, et les promulguer au' nom de la pnis-
sauce législative. n fallait ensuite choisir les
pcrsonnes qui composeraient le ministere. On
songea toul d'abord a replacer Roland, Cla-
viere et Servan, destitués pour leur attache-
ment a la cause populaire, cal' la révolution
lIouvelle devait vouYoir tOtlt ce que n'avait pas
voulu la royauté. Ces trois ministres furent
done unanimement réintégrés, Roland a l'in-
térieur, Servan a la guerre, et Claviere aux
finan ces. II y avait encore á nommer un tni-




10 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
nistre de la justice, des affaires étrangeres et
de la marine. Id le choix était libre; et les
vreux formés uutrefois pour le mérite obscur,
011 pour le patriotisme ardent et désagréabIe
a la cour, pouvaient etre réalisés sans obstacle.
Danton, si puissant sur la multitude, et si en-
traIllant pendant les quarante·huit heurcs écou-
lées, fut jugé nécessaire; 'et , bien qu 'iI déphit
aux girondins comme un élu de la populace,
il fut nomnié ministre de la justice a la majo-
rité de 222 voix sur 284. Apres avoir donné
eette satisfaction an peuplc, et accordé cette,
place a l'énergie, on songea a mettre un savant
a la marine. Ce fut le mathématicien Monge,
connn et apprécié par Condorcet, et adopté sur
sa proposition. On porta enfin Lebrun aux af-
faires étrangeres, et on récompensa dans sa
personne l'nn de ces hommes laborieux, qui
faisaient auparavant tont le travail dont les
ministres avaient l'honneur.


Apres avoir remplacé le pouvoir exécutif,
l'assemblée déclara que tous les décrets sur
lesquels Louis XVI avait apposé son veto re-
eevraient force de loi. La formation d'un camp
sous Paris, ohjet de l'un de ces décrets ,et cause
de si vives discussions, fut ordonnée sur-le-
ehamp, et les canonniers re«;urent l'autorisa-
tion, le jour meme, de commencer des espla-




ASSEl\lBL};E LÉGISLATJVE (792). JI
nades sur les hauteurs de Montmartre. Apres
avoir fait la révoIütioll de Paris, iI fallait en
assurer le !mcces dans les départements, et
surtout aux armées, ou commandaient des gé-
néraux suspects. Des commissaires pris daos
l'assembIée furent chargés de se rendre daos
les provinces et les armées, pour les éclairer
sur les événements dll JO aout, et 00 leur
donn3 des pouvoirs pour renouveler au besoin
tous les chefs civils et militaires.


Quelqti-es heures avaient suffi a ton s ces dé-
crets; et pendant que l'assemblée était occupée
a les remIre, d'autres soins venaient sans cesse
l'interrompre. Les effets précieux, enlevés aux
TuilerÍes, ét<lient transportés dans son en-
ceínte; les Suisses, les serviteurs du chateau,
tC:utes les personnes arretées dans leur fllite ,
ou arrachées a la furenr du peuple, étaient con-
dllites a sa barre. comme dans un lieu d'asile.
lJne foule de pétitionnaires venaient les uns
apres les autres rapporter ce qu'ils avaient faÍt
011 vu, et raconler Jeurs décollvertes sur les
complots supposés de la cour. Des accllsations
et des invectives de tout genre étaient proférées
contre la familleroyale, qui entendait tout cela
du líeu étroit ou on l'avait reléguée. Ce líen
était la loge du logographe. LOllis X VI écoutait
avec calme tous les discours, et s'entretenait




• t


J:.l Jl.HVOLlITION FRANVAISI;.


par intervalles avec Vergniaud et d'autres dé-
putés, placés tout pres de lui. Enfermé la de-
puis quinze heures, iI avaít demandé quelques
aliments, qu'il partagea avec sa femme et ses
enfants, et qui provoquaient d'ignobles obser-
vations sur le gout qu'on lui imputaít pour la
table! On saít si les partís victorieux épargnent
le mal.heur! Le jeune dauphin, couché sur le
se in de sa mere, y dormait profondément,
accablé par une chaleur étouffante. La jeune
princesse et madame Elisabeth, les yeux rouges
de larmes, étaíent a coté de la reine. Au fond
de la loge se trouvaient queIques seigneurs dé-
voués quí n'avaient pas abandonné le malheur.
Cinquante hommes, pris dans la troupe qui
avait escorté ]a famille royale dn chateau a 1'as-
semblée, servaient de garde a cette enceinte.
C'est de la que le monarque déchu'contemplait
les dépouilles de ses palais, assist<lit au démem-
brement de son antique pOllvoir, et en voyait
distrihuer les restes aux diverses autorités po-
pulaires.


Le tumulte continu<lit avec une extreme vio-
lence, et, au gré du peuple, ce n'était pas
assez d'avoir suspendu la royauté, íl fallait la
détruire. Les pétitions se succédaient sur ce
sujet; et, dans l'attente d'nne réponse, la mul-
titude s'agitait al1 oehors de la salle, en ¡non·




ASS!:MBLJh: LÉGISLATIVE (1792). J:1
dait les avenues, en assiégeait les portes, et
deux ou trois fois elle les attaqua si violemment
qu' on les crut enfoncées, el q u' on craignit pOUl'
la famille infortunée dont l'assemblée avait rec;u
le dépot. Henri Lariviere, envoyé avec d'au-
tres commissaires pour calmer le peuple, rentra
dans cet instant et s'écria avec force: (e Ouí,
« Messieurs, je le sais , je l'ai vu, je l'assure,
ce la masse du peuple est décidée a périr mille


(C fois, plutot que de déshollorer la liberté par
I( allcun acle d'inhumaníté; et a coup sur íl
c( n'est pas une tete ici présente (et l'on doit
cc m' entendre, ajouta-t-il) qui ne puisse compter
(e sur la loyauté franc;aise. » Ces paroles ras-
surantes et courageuses furent applaudies.
Vergniaud prit la parole el son-tour, et répondit
aux pétitionnaires qui demandaient qu'on chan-
geat la suspension en déchéance. (e Je suis
(e charmé, dit-il, qu'on me fournisse l'occasion
{( d'expliquer l'intention de l'assemblée en pl'é-
(f sence des citoyens. Elle a décrété la suspen-
(f sioll dn pouvoir exécutif, et a nommé une
ce convention qui déciderait irrévocablement
« la grande question de la déchéance. En cela,
« eHe s'est renfermée dans sespouvoirs, qui
« ne lui 'permettaient pas de se faire juge elle-
(e meme de la royauté, et elle a pourvu au salut
" de I'État, en mettant le ponvoir exécutif dans




14 ItÉVOLUTION t'RAN'tAIS!:.
« l'impossibilité de nuire. Elle a satisfait ainsi
« a tous les besoins en demeurant dans la limite
« de ses attributions. » Ces paroles produísi-
rent une impression favorable, et les pétition-
naires eux-memes, calmés par elles, se char-
gerent d'éclaírer et d'apaiser le peup]e.


Il fallait mettre fin a cette séance si longue.
Il fut done ordonné que les effets enlevés au
chateau seraient déposés a la commune; que les
Suisses et tOGtes les personnes arretées seraient
ou ganlées aux Feuillants, ou transportées
dans diverses rnaisons de détention, enfin que
]a famille royale serait gardée au Luxembourg
jusqu'a la réunioIl de la Convelltion qationale,
mais qu'en attendant Jes préparatifs nécessaires
pour l'y recevoir, elle logerait dans le local
merne de l'assemblée. A une heure dumatin, le
samedi 11, la famille royale fut transportée
dans le logement qu'on luí destinait, et qui
consistait en quatre cellules des anciens feuíl-
lants. Les seigneurs qui n'avaient pas quitté le
roí s'établirent dans la premiere, le roí dans
la seconde, la reine, sa sreur et ses enfants
dans les deux autres. La femme du concierge
servit les princesses, et rempla~a le cortege
nombreux des clames, qui, la veille encore ,
se dísputaient le soin de Icur service.


l.a séance fut suspendue a trois heures du




ASSEIUBLÚ LÉGISLATIVE (J 792.). J 5
matin. Le bruit régnait encore dans Paris. Pour
éviter les désordres. on avait ilJuminé les envi-
rons du chateau, et la plus grande partie des
citoyens étaient sous les armes.


Telle avait été cette journée célebre, et ses
résultats immédiats. Le roí el sa famille étaient
prisonniers auxFeuillants; et les trois ministres
disgraciés replacés en fonctions; Danton, caché
la veille dans un club obscur ~ se trouvait mi-
nistre de la justice ; Pétion était consigné chez
lui, mais a son nom proclamé avec enthou-
síasme on ajoutait celuí de Pere du peuple.
Marat, sorti de l'obscure re traite ou Danton
l'avait caché pendant l'attaque, et maintenant
armé d'un sabre, se promenait dan s París a
la tete du bataillon marseillais. Robespierre,
qu'on n'a pas vu figurer pendant ces terribles
scenes, Robespierre harangllait aux Jacobins,
et entretenait quelques membres resté s avec
lui, de l'usage a faire de la victoíre , de la né-
cessité de remplacer l'assemblée actuelle, et de
mettre Lafayette en accusation.


Des le lendemain. jI fallut songer encore a
calmer le peuple soulevé, et ne cessant de mas-
sacrer ceux qu'il prenait pour des aristocrates
fugitifs. L'assemblée reprit sa séance le 11 a
sept heures du matin. La famille royal e fut
replacée dans la loge du logographe, pour as-




16 RÉVOLUTION FRfll'H;AISF..
sister aux décisions qui allaient etre prises , et
aux scenes qui allaient se passer dans le corps
législatif. Pétion, délivré et escorté par un
peuple nombreux, vint rendrecompte de l'état
de Paris, qu'i! avait visité, et ou il avait taché
oe répandre le calme et l'esprit de paix. Des
citoyens s'étaient faits ses gardiens pOUl' veiller
sur ses jours. Pétion fut parfaitement accueilli
par l'assemblée, et repartit aussitot ponr con-
tinuer ses exhortations pacifiques. Les Snisses
déposés la veille aux Feuillants étaient menacés.
La multitude demandait leur mort a grands cris,
en les appelant complices du chateau et assas-
sins du penple. On parvint a l'apaiser en annon-
<;ant que les Suisses seraient jugés, et qu'une
cour martiale allait etre formée pour punir ce
qu'onappela depuisles conspirateursdu 10 aoút.
« Je demande, s'écria le violent Chabot, qu'ils
« soient conduits a l'Abbaye pour etre jugés ....
« Dans la terre de l'égalité, la loi. doit raser
/1. toutes les tetes, meme ceHes qni sont assises
« sur le trone. » Déja les officiers avaient été
transportés a l' Abhaye; les soldats le furent a
leur tour. Il en couta des peines infinies, et
il fallut promettre au peuple de les juger
promptement.


Comme on le voit , 1'idée de se venger de tOIlS
les défenseurs de la royauté, et de punir en CUI




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE ([792.)· 17
les dangers qU'OIl avait courus; s'empatait déja
des esprits, et bientot allait faire naitre de
cruelles divisions. En suivallt les progres de
l'insúrrection; on a déja remarqué les germes
des dissentiments qlli comrnen<;aien t a s'élever
dans le parti popu~aire. On a déja vu l'assem ..
blée, composée d'hommes cultivés et calmes,
se trouvcr en opposition avee les clubs et les
muoicipalités, ou se réunissaient des hommes
inférieurs en édueation, en talents, mais qui,
par leur position n]{~me, leurs mreurs moins
élevées, leur ambition ascendante, étaient por-
tés a agir et a précipiter les événements; on
a vu que la veille du JO aout, Chabot différa
d'avis avee Pét,ion, qui, d'aceord avee la ma-
jorité de l'assemblée, voulait qu'on préférat
un décret de déchéauee a une attaque de vive
force. Ces hommes, qui avaient conseíllé la
plus grande énergie possible, se trouvaient
done le lendemain en présenee de l'assembIée,
fiers d'une victoire remportée presqlle malgré
elle, et lui rappelant, ave e les expressions
(\'un respect équivoque, qu'elle avait ahsous
Lafayette, et qu'il ne f~lllait pas qu'elle com-
promlt encore par sa faiblesse le salut du peu-
pIe. lis remp~issaient la commune, ou ils étaient
melés a des bourgeois ambitieux, a des agita-
teurs subalternes, a des clubistes; ils occupaient


lIJ. 2




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
les Jacohins et les Cordeliers; et quelques-uns
d'entre eux siégeaient sur les hancs extremes
elu eorps législatif. Le capucin Chahot, le plus
ardent de tous, passait tour-a-tour de la tribune
de l'assemhlée a celle des Jaeobins, et mena¡;;ait
toujours des piques et <1M toesin.


L'assemhlée avait prononeé la suspension,
et ces hommes plus exigeants réclamaient la
déchéance; en nommant un gouverneur pour
le dauphin, elle avait supposé la royauté, et
eux voulaient la répuhlique; elle pensait en
majorité qu'on devait se défendre activement
contre l'étrangcr, mais faire grAce aux vaincus;
eux soutenaient au contrairc qu'il falJait non-
seulement résister a l'étranger, mais encore sévir
contre cellX qui, retranchés dans le chateau,
avaient voulu massacrer le peuple, et amener les
Prussiens a Paris. S' élevant dans leur ardeur aux
idées les plus extremes, ils soutenaient que les
corps électoraux n'étaient pas nécessaircs pour
former la nouvelle assemhlée, mais que tous
les citoyens devaient etre jugés aptes a voter.
Déjit meme un jacohin proposait de donner
des droits politiques aux femmes. lis disaient
hautement enfin qu'il falJait que le peuple se
présentat en armes pour manifester ses volon-
tés au corps législatif. Marat excitait ce dé-
bordement des esprits, et provoquait a la ven·




ASSEMBLÉE LÉGISLAT1VE (1792). 19
geanee, paree qu'il pensait; dans son affreux
systeme, qu'il convenaít de purger la France.
Robespierre, moins par systeme d'épuration,
moins par disposition sanguinaire, que par
envíe contre l'assemblée, élevait eOIllre elle les
reproches de faiblesse et de royalisme. Proné
par les jacobins, proposé avant le 10 aout
comme le dictateur nécessaire, il était proclamé
aujolll'd'hlli comme le défenseur le plus élo-
quent et le plus incorruptible des droits du
peuple. Danton, ne songeant ni 11 se faire
louer, ni a se faire écouter, et n'ayant jamais
aspiré a la dictature, avait néanmoins décidé
le 10 aout par son auclace. Maintenant encore,
négligeant l' étalage, il ne songeait qu'a s' em-
parer du cons~il exécutif, dont il étaít mem-
bre, en dominant ou entrainant ses colleglles.
Incapable de haine ou d'envie, il ne nourris~
sait aucun mauvais sentiment contre ces dé-
putés dont J'éclat offusquait Robespierre, mais
il les négligeait comme inactifs, et leur pré-
férait ces hommes éuergiques des classes infé-
rieures, sur lesquels il comptait davantage pour
tnaintenir et achever la révolution.


Ces divisions n'étaient pas soup-;;onnées au
dehors de Paris; tout ce que le public de la
France avait pu voir, c'était la résistance de
l'assemblée a des vreux trop ardenls, et l'ab-


2.




20 RÉVOLUTlON FIlANQAISE.


soJurion de Lafayette prononcée malgré la
éommnne et les Jacobins. Mais on imputait tout
a la majorité roya liste et feuillantine; on ad-
mirait toujours les girolldins, OH estimait éga-
lement Brissot et Robespierre., on adorait sur-
tout Pétion comme le maire si maltraité par
la cour; et on ne s'informait pas si Pétion pa-
raissait trop modéré a ChaLot, s'il bJessait
l'orgueil de Robespierre, s'jl était traité comme
un honn.he homme inutile par Danton, et
comme un conspirateUl' sujet a l'épuration par
Marat. Pétion était done encore entouré des
respects de la multitude; mais, comme Bailly
apres le J 4 juillet , iI aHait Lientot devenir im-
portun et odieux, en désapprouvant des débor-
dements qu'il ne pouváit plus empecher.


La principale coalition des nouveaux révo-
lutionnaires s'était formée aux JacoLins et a la
commune. Tous les projets se proposaient, se
disclltaient aux Jacobins; et les nH~mes hommes
venaient ensuite exécuter a I'Hótel-de-Ville, au
moyen de leurs pouvoirs municipaux, ce qu'ils
n'avaient pu que projeter dan s leur club. Le
conseil général de la cornmune composait a lui
seul une espece d'assemblée, aussi nombreuse
que le corps législatif, apnt ses tribunes, son Lu-
reau, ses applalldissemellts bien plus bruyants,
et une force de fait bien plus cousidérahle. Le




llSSEMBL~E Ll:GISLATIVE (1792). 21
maire en était le président, le procureur-syn-
die I'orateur officiel, chargé de faire toutes les
réquisitions nécessaires. Pétion ne s'y préseu-
tait déja plus, et se bornait an soin des sub-
sistances. Le procure m Manuel, se laissant por-
ter plus loin par le flot révolutionnaire, y faisait
tous les jours entendre sa voix. Mais l'homme
qui dominait le plus eeHe assemblée, c'était
Robespierre. Resté a l'éeart pendant les trois
premiers jours qui suivirent le 10 aout, il s'y
était rendu apres que l'insurrection eut été
consomméc, et, se présentant au bureau ponr
y faire véritier ses pouvoirs, il avait semblé en
prendre possession, plutot que venir y sou-
mettre ses titres. Son orglleil, loiu de déplai re,
n'avait fait qu'augmenter les respects dont on
l'entourait. Sa réputation de talents, d'incor.
rupribilité et de conslance, en faisait un per-
sonnage grave et respectable, que ces bour-
geois rassemolés étaient fiers de posséder au
milieu d'eux. En attendant la réunion de la
Convention dont il ne doutait pas de faire
partie, il venait exercer lá un pouvoir plus
réel que le pouvoir d'opinion dout il jouissait
aux Jacobins.


Le premier soin de la commune fut de s'em-
parer de la police; cal', en temps de guerre
civile, arre ter, poul'suivre ses ennemis, est l~




~ÉVOLUTJON FRAN9AJSl':.
plus important et le plus envié des pouvoirs.
Les.juges-de-paix, chargés de l' exercer en par-
tie, a vaient indisposé l'opinion par leurs pour-
suites contre les agitateurs populaires; et se
trouvaient ainsi, volontairement ou non, en
hostilité avec les patriotes. On se souvenait
surtout de celui qui, dans l'affaire de Bertrand
de Molleville et du journaliste Carra, avait
osé faire citer deux députés. Les juges-de-paix
furent donc destitués, et on transporta aux
autorités municipales tontes leurs attributions
relatives a la police. D'accord ici avec la com-
mune de París, l'assemblée décréta que la po-
lice, dite de súreté générale, serait attribllée
aux départements, districts et municipalités.
Elle consistait a rechercher tous les délits me-
na<;ant la súrelé intérieul'e et extérieure de l'E-
tat, a faire le recensement des citoyens sus-
pects par leur opinion ou leur cOl1d!lite, a les
arreter provisoirement, a les disperser meme
et a les désarmer, s'il était nécessaire. C'étaient
les conseils des municipalités qui remplissaient
eux-memes ce ministere, et ]a masse entiere
des citoyens se trouvait ainsi appelée a obser-
ver, a dénoncer et a poursuivre le partí ennemi.
On con<;oit combien devait etre active, mais
rigoureuse et arbitraire, eette police démo-
cratiquement exercée. Le conseil entier rece-




ASS};l\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 23
vait la dénonciation, et un comité de sUl'fJeil-
lance l' exam inai t, et faisai t exécuter l' arresta tion.
Les gardes nationales étaient en réquisition
permanente, et les municipalités de toutes les
villes au-dessus de vingt mille ames pouvaient
~jouter des réglements particuliers a eette loi
de sureté gén éra le. Certes, l'assemblée législa-
tive ne croyait pas préparer ainsi les sanglan-
tes exécutions qui eurent líeu plus tard; mais,
entourée d'ellnemis au dedans et au dehors,
elle appelait tous les citoyens a les surveiller,
eomme elle les avait tous appelés a administrer
et a eombaltre.


La commune de París s'empressa d'user de
ces pouvoirs nouveaux, et fit de nombreuses
arrestatíons. C'étaÍent les vaínqueurs, irrités
encore des dangers de ]a veille, et des dangers
plus grands du lendemain, qUÍ s'emparaient
de leurs ennemis, abattus maintenant, mais
pouvant bientot se relever avec le secours
des étrangers. Le comité ele surveillance de la,
commune de París fut composé des hommes
les plus violents. Marat, qui, dans la révolu-
tÍon, s'était si audacieusement attaqué aux
persollnes, fut le chef de ce comité; et de
tous les hommes, c'était le plus redoutable
dans de pareilles fonctions.


Outre ce comité priucipal, la commUlle de




RÉVOLUTION FRAN<tAISF.
París en institua un particulier dans chaque
section. Elle décida que les passe-ports ne se~
raient délivrés que sur la délibération des as-
semblées de sections; que les voyageurs se-
raient accompagnés, soit ida municipalité, soit
aux portes de París, par deux témoins qui at-
testeraient l'identité de la personne qui avait
demandé le passe-port, avee eeHe qui s'en ser-
vait pOUl' partir. Elle tachait ainsi, par tous
les moyens, d'empecher l'évasion des suspects


, sous des Iloms supposés. Elle ordonna ensuite
qu'il fUt fait un tableau ues ennemís de la ré-
volntion, et invita les citoyens, par une pro-
clamatíon, a dénoneer les coupables du 10
aout. Elle fit arreter les éerivains qui avaiellt
soutellu la cause royaliste, et donna leurs
presses aux écrívains patriotes. Marat se fit
restituer triomphalemcnt quatre presses qui.,
disait-il, lui avaien t été enlevées par les ordres
du traltre Lafayette. Des commissaires allerent
<1ans les prísons délivrer les détcnus cnfermés
pour cris et propos contre la cour. Toujours
prompte enfill a s'iugérer partout, la com-
mune, a l'exemple de l'assemblée, envoya des
députés pour édairer et ramcner l'armée de
Lafayette, qui donnait des inquiétudes.


La commune fnt· chargée en outre d'une
derniere mission Bon moins importante, celle




ASSEl\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 25
de garder la famille royale. L'assemblée avait
(l'lbord orclonné sa translation au Luxem-
bourg, et sur l' observation que ce palais était
difficilc a garder, on se décida pour l'hotel du
ministere de la justice. Mais la cornmune, qui
avait déjil la poliec de la capitale, et qui se
croyait partieulierement chargée de la garde
du roi, proposa le Temple, et déclara ne pou-
voir répondre de ce dépot que dans la tour de
eeHe ancienne abbaye. L'assemblée y consen-
tit, et confia les augustes prisonniers au mairc
e't au eommandant général Santerre, sous leur
respoIlsabilité personnelle "'. Douze commis-
saires du conseil général devaient, sans inter-
l'Uption, veiller au Temple. Des travaux exté-
rieurs en avaicnt fait une espece de place
d'armes. Des détachements nombreux de la
garde nationale en formaient tour-a-tour la
garnison, et on ne pouvait y pénétrer que sur
une permission de la municipalité. L'assemblée
décréta aussi que cinq cent mille franes se-
raient pris au trésor pour fonrnir a l'entretien
de la familIe royale, jusqu'a la prochaine réu-
nion de la Convention nationale.


Les fonctions de la commune étaient, comme


• Le roí et sa famille furent condllits al! Temple aaus
la soiréc au 13 aout.




nÉVOLUTION FRAN~AISE.
on le voit, tres-étendues. Placée au centre de.
l'état, la ou s'ex,erceIlt les grands pouvoirs, et
portée par son énergie a exécuter elle-meme
tout ce qui Iui semblait fait trop mollemellt
par les nautes autorités, elle était conduite a
empiéter sans cesse .. L'assemblée, reconnais-
sant la ¡;¡écessité de la con ten ir dans certaines
limites, décréta la réélection d'un nouveau
conseil de département; pour rernplacer eelui
quí fut dissous le jour de l'insurrection. La
commune se voyant menacée du joug d'une
autorité supérieure, qui probablement gene-
raít son essor, eomme avait fait l'ancien dé-
partement, s'irrita de ce décret, et ordonna
aux sections de surseoir a l'élection déji:t com-
mencée. Le procureur-syndic Manuel fut aussi-
tot dépeché de l'Hotel-de-ViII e aux FeuiUants,
pour présenter les réclamations de la muni~
cipalité. « Les délégués des eitoyens de París,
« dit-il, ont besoin de pouvoirs sans limites;
(e une nouvelle autorité placée entre eux et
« vous ne fera que jeter des germes de divi-
« sions. II faudra que le peuple, pour se déli-
« vrer de cette puissance destructive de sa
c( souveraineté, s'arme encore une fois de sa
« vengeance.))


Tel était le langage mena(lant que déja on
osait faire entendre a l'assemblée. eeHe-ei ae-




ASSHJBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 27
corda ce qu'on lui demandait; et, soit qu'elle
crút impossible ou imprudent de résister, sOlt
\:¡u'elle regardat comme dangereux d'entraver
dans le moment l'énergie de la commune, elle
décida que le nouveau conseil n'aurait aucune
autorité sur la muuicipalité, et ne serait qu'une
simple commission de finances, chargée du
soin des contributiol1s publiques dans le dé-
partement de la Seine.


Une autre question plus grave préoccupait
les esprits, et devait faire ressortir bien plus
fortement la différence de sentiment qui exis-
tait entre la eommunc et l'assemblée. On ré-
clamait a grands eris la punition de ceux qui
avaient tiré sur le peuple, et qui étaient prets
a se montrer des que l'ennemi approcherait.
On les appelait alternativement les conspira-
teul'S du 10 aoút, ou les traÍlres. La commis-
sion martiale, institué~ des le r 1 pour juger les
Suisses, ne semblait pas snffisante, paree que
ses pouvoirs étaient bornés a la poursuile de
ces militaires. Le tribunal criminel de la Seine
paraissait soumis a des formalités trop lentes,
et d'ailleurs on suspectait toutes les autorités
antérieures a la journée du lO. La commllne
demanda done, le 13, l'érection d'un tribunal
spéeial pour juger les crimes du 10 aoút, et qui
eút assez de latitud e pour atteindre tont ee




RÉVOLlJTION .FIlAN<;:AISE.


qu'on appelait les traitres. L'assemblée renvoya
la pétition a sa _ eommission extraordinaire,
chargée depuis le mois de juillet de pro po ser
les moyens de salut.


Le 14, une nouvelle députation de la com-
mune arrive an Corps législatif, pour deman-
del' le déeret relatif an tribunal extraordinaire;
déclarant que, s'il n' est pas eneore rendu ,elle
est ehargée de l'attendre. Le député Gaston
adresse a cette députation qu~lques observa-
tions séveres, et elle se retire. L'assemblée
persiste a refuser la eréation d'un tribunal
-extraordinaire, et se borne a attribuer aux tri-
.hunaux établis la connaissance des crimes du
ro ao.út.


A eette nouvelle, une rumeur violente se
répand dans Paris. La section des Quinze-
Vingts se présente au conseil-général de la
commune, et annonee que le tocsin sera sOllllé
au faubourg Saint - Antaine, si le décret de-
mandé n'est pas rendll sllr-le-champ. Le con-
seil-général envoie alors une nouvelle dépnta·
tíon, a la tete de laquelle est Robespicrre.
Celui-ci prend la parole au nom de la muni~
cipalité, et fait aux députés les remontrallces
les plus insolentes. (( La tranquillité du peuple,
« leur dit-il, tient a la punition des coupables;
(( et ccpendant vous n'avez rien fait pour les




ASSHIBLÉJ, LÉGISLATIVE (1792 ). 29
« atteindre. Votre décret est insuffisant. Il n' ex-
« plique point la nature et l'étendue des cri-
C< mes a punir ,cal' iI nc parle que des crúnes
« du 10 aout, et les crimes des eunemis de la
« révolution s'étendent bien au-dcla du 10
« aout et de París. A vec une expression pa-
( reille, le traltre Lafayette échapperait al1x
e( coups de la loi! Quant a la forme du tri-
(t bunal, le peuple ne peut pas tolérer davan-
ce tage ceHe que vous lui avez conservée. Le
( double degl'é de juridiction cause des délais
« interminables; et d'ailleurs toutes les anc¡en-
« nes autorités sont suspectes; il en faut de
« nOllvelles; il faut que le tribunal demandé
« sOlt compos'é par des députés pris dans les
« sections, et qu'il ajt la faculté de juger les
« coupables souverainement et en dernier res-
« sort. ))


Cette pétition impérieuse parut plus dure
encore par le ton de Robespierre. L'assemblée
répondit an peuple de París par une adresse
dans laquelle elle repoussa tOllt projet de com-
mission extraordinaire et de chambre arden te ,
comme indigne de la liherté, et COlime pro-
pre seulement au despotisme.


Ces raisonnables observations ne produisi-
rent aucnn effet; l'irritation n'en devínt que
plus grande. On ne parla dans tout París que




30 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
du tocsin, et des le lendemain un représen-
tant de la commune, se présentant a la barre,
dit a l'assemblée : « Comme citoyen, comme
« magistrat du peuple, je viens vous annon-
I( cer que ce so ir a minuit le tocsin sonnera,
« et la générale baura. Le peuple est las de
«( n'etre point vengé. Craigncz qu'il ne se fasse
« justice lui-meme. Je demande, ajouta l'all-
« dacieux pétitionnaire, que san s désemparer
« vous décrétiez qu'il sera nommé un citoyen
« par chaque section pour former un tribunal
« criminel, »


Cette menac.ante apostrophe souleva l'assem-
blée, et particulierement les députés Choudieu
et Thuriot, qui réprimanderent vivemcnt l'en-
voyé de la commune. Cependant la discussion
s'engagea, et la proposition de la commune,
fortement appuyée par les membres ardents
de l'assemblée, fut enfin convertie en décret.
Un corps électoral dut se réunir pour élire les
memhres d'un tribunal extraordipaire, destiné
a juger les crimes commis dans la journée du
10 aout, el aulres crimes y relatifs, circons-
lances el dépendances. Ce tribunal, divisé en
deux sectiOll5 , devait juger en dernier re5sort
et sans appe!. Te! fut le premier essai du tri-
bunal révolutionnaire, et la premiere accélé-
ration donnée par la vengeance allx formes d('




ASSEMBLÉE LÉGISLA. TIVE (1792). ;) 1
la justice. Ce tribunal fl\t appelé tribunal du
17 aoUt.


On ignorait encore l'effet procluit aux armées
par la derniere révolution , et la maniere dont
avaient été accueillis les décrets dn ro. C'était
la le point le plus important, et duquel dé-
pendait le sort de .la révollltion nouvelle. La
fmnliere était tOlljollrs partagée en trois corps
d'armée, cellli dn nord, dn centre et du midi.
Lllckner commandait au nord, Lafayette au
cent re, et Montesquiou au m idi. Depuis les
malheureuses afIaires de Mons et de Tournai,
Luclmer, pressé par Dumouriez , avait encore
essayé l'offensive sur les Pays-Bas, mais iI s'é-
tait retiré, et, en évac.uant Courtrai, il avait
brulé les faubourgs, ce qui était devenu un
grave motif d'accusation contre le ministere a
la veiPe de la déchéance. Depuis, les armées
étaient clemeurées dans la plus complete inac-
tion, vivant clans des camps retranchés, et se
bornant acle Jégeresescarmouches. Dllmouriez,
en quittant le ministere, s'était rendu comme
lieutenant-général aupres de Luckner, et avait
été mal acclleiUi a l'armée, ou dominait l'esprit
du parti Lafayette. Luckner, tout-a-fait soumis
dans le moment a cette inflllence, relégua
Dumouriez dans 1'un de ces camps, celui de
Manlde, et l'y laissa, avec un petit nombre de




RÉVOLUTION FRAN9AISE.


troupes, s'occuper a des retranchements et a
des escarmouches.


Lafayette, voulant, a cause des dangers du
roí, se rapprocher de Paris, desiraít prendre
le commandement dll nord. Ceper.dant iI ne
vOlliait point qllítter ses troupes, dont il était
trcs-aimé, et iI convint avec Luckner de chan-
ger de position, chacun avec sa divi~íon, et de
décamper tous les deux, l'un pour se porter
au llord, l'autre au centre. Ce déplacement des
armées, en présence de l'ennemi, aurait pa avoir
des dangers, si tres - hellreusement la gnerre
n'eut été complétement inactive.Luclmer s'é-
tait donc rendu a Mctz, et Lafayette a Sedan.
Pendant ce mouvement croisé, Dumouriez,
chargé de suivre avec son petit corps l'armée
de Luclmer, a laquelle ii appartenait, s'arreta
tout-it-eoup en présenee de l'enllemi, qlli avait
fait menaee de l'attaquer; et il fut oLligé de
demeurer dans son eamp, sons peine d'ouvrir
l'entrée de la Flalldre au dne de Saxe-Tesehen.
Il réunít les mitres généraux qui oeeupaicnt
aupres de lui des eamps séparés; il s'entcndit
avcc Dillon, qui arrivait avec une portion de
l'armée de Lafayette, et provoqua un conseil
de gnerre a Valenciennes, pour justifier, par
la nécessité, sa désoLéissallce a Luekner. I)en-"
danl ce temps, Ludmer était arrivé ;1 NIctz ~




ASSlmnÜE ÚGISLA.TIVE (179:>. J. 33
Lafayette a Sedan; et sans les événements du
10 aoút, Dumouriez allait pellt-etre subir une
arrestation et un jugement militaire, pOUl son
l'eflls de marcher en avant.


Telle était la situatian des armées, lorsque
la lJouvelle dll renversement du trane y fut
connue. Le premier soiu de l'assemblée légis-
lative fut d'y envayer, comme OH l'a vu, trois
commissaires, pour porter ses décrets, et faire
preter le nouveau serment aux troupes. Les
trois commissaires, arrivés a Sedan, furent re-
({us'par la municipalité, qui tenait de Lafayette
l'ordre de les faire arreter. Le maire les Ínter-
rogea sur la scene du 10 aout, exigea le I'écít
de tous les événemellts, et déclara, d'apres les
secretes instructiOI1S de Lafayette, qu'évidem-
ment l'assemblée législative n'était plus libre
lorsqu'elle avait prononcé la suspension du roi ~
que ses commissaires n'étaient que les envoyés
d'une troupe factieuse, et qu'ils allaient etre
enfermés au 110m de la constitution. Ils furent
en effet emprisonnés ; et La fayett e , pour mettre
a couvert les exécuteurs de cet ordre, le prit
sous sa propre responsabilité. Immédiatement
apres, iI fit renouveler dan s son armée le ser-
ment de fidélité ala loi et au roi, et ordonna
qu'il fut répété dan s tous les corps soumis a
son commandement. II comptait sur soixante-


JIJ. 3




34 RÉVOLTJTION FRAN~:AISE.
quinze départements, qui avaient adhéré a sa
lettre du 16 juin, et il se proposait de ten ter
un mouvement contraire a celui du 10 aoút.
DilloIJ, qui était a Valenciennes sous les ordres
de Lafayette, et qui avait un commandement
supérieur a Dumouriez, obéita son général en
chef, fit preter le serment de fidélité a la loi et
au roí, et enjoígnit a Dllmouriez d'en faire de
meme dans son camp de Maulde. Dumouriez,
jugeant mieuxl'avenir, et d'ailleurs irrité con-
tre les feuillants, sous l'empire desquels il se
trouvait, saisit eette oeeasion de lenr résister
et de gagner la faveur dn gouvernement nou-
veau, en refusant le serment pour lui et pOllr
~es troupes.


Le 17, le jour meme ou le nouveau tribu-
nal criminel fnt si tumultueusement établi , OH
apprit par une lettre que les commissaires en-
voyés a l'armée de Lafayette avaient été arre-
tés par ses ordres, et que l'autorité Iégislative
était méconnue. Cette nonvelle répandit encore
plus d'irritation que d'alarme; les eris eontre
Lafayette retentirent avee plus de force que
jamais. On demanda son accusation, et on re-
procha a l'assemblée de ne pas l'avoir pronon-
cée plus tot. Sur-le-champ un décret fut rendu
CQntre le département des Ardennes; de nou-
veaux commissaires furent dépechés avec les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 35
mellles pouvoirs que les préc~dents, et avec la
commission de faire élargir les troisprison-,
niers. On envoya aussi d'autres commissaires a
l'armée de Dillon. Le 19 au matin, l'assem-
blée déclara Lafayette traitre a la patrie, et
lan¡;;a contre lui un décret d'aeeusation.


La circonstance était grave, et, si celte ré-
sistance n'était pas vaineue, la nouvelle révo-
lution se trouvait avortée. La Franee, partagée
entre les républicains de l'intériellr et les cons-
titlltionnels de l'armée, demeurait divisée en
présiomee de l'ennemi, également exposée a
l'invasioll et a une réaction terrible. Lafayette
devait détester dans la révolution du JO aout ,
l'abolition de la eonstitution de 91, l'aecorn-
plissemeut de toutes les prophéties aristoera-
tiques, et la justification de tons les reproches
que lacouradressait a.la liberté. Il ue devait voir,
dans eette victoire de la démocr:rtie, qu'une
anarchie sanglante et une confusion intermi-
nable. Potlr nous, cette confusion a en un
terme, et le sol au moins a été défendu contre
fétl'anger; pour Lafayette, l'avenir était ef-
frayant et inconnu; la défense du sol était peu
praticable au milieu des convulsioDs politiques,
et il devait éprouver le désir de résister a ce
chaos, en s'al'ooant contre les deu" ennemis
extérÍeur et intérieur. Mais sa position était


3.




36 RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
difficile, et il n'e,.ut été donné a aucun homme
de la surmonter. Son armé e lui était dévouée,
mais les armées n'ont point de volonté person-
nelle, et ne peuvent avoir que ceBe qui leur est
communiquée par l'autorité supérieure. Quand
une révolution éclate avee laviolence de 89,
alors, entrainées aveuglément, elles manquent
a l'aneienne autorité, paree que la nouvelle im-
pulsion est la plus forte; ma-is il n'en était pas
de meme ieÍ. Proscrit, frappé d'nn déeret, La-
fayette ne pouvait, avee sa seule popularité mi-
litaire, soulever ses troupes eontre l'autorité de
l'intérieur, et, avee son impulsion personnelle,
combattre l'impulsion révolntionnaire de Paris.
Plaeé entre deux ennemis, et ineertain sur ses
devoirs, il ne pouvait qll'hésiter. L'assemblée,
au contraire, n'hésitant pas, e-nvoya déerets
sur décrets, et les appuyant par des commis-
saires énergiques, dut l'emporter sur I'hésÍta-
tíon du géhéral et déeider l'armée. En effet, les
troupes de Lafayette s'ébranlerent suceessive-
ment, et parurent l'abandonner. Les autorités
civiles, intimidées, eéderent aux nouveanx
commissaires. L'exemple de DumourÍez, qui se
déclara pour la révolution du JO aoút, acheva
de tont entrainer, et le général opposant de-
menra seul avee son état-major, composé d'of-
ficiers feuillants on eonstitutionnels.




ASSt:MBI.ÉJ' LÉGISLA.TIVE (1792). 37
Bouillé, dont l'énergie n'était pas. douteuse,


Dumouriez, dont les grands talents ne sau-
raient etre contestés, ne purent pas non plus
agir autrement a des époques différentes, et se
virent obligés de prendre la fuite. Lafayette ne
devait pas etre plus heureux. Écrivant aux di-
verses antorités civiles qni l'avaient secondé
dans sa résistance, iI prit sur lui la responsa-
bilité des ordres donnés contre les commis-
saires de l'assemblée, et quitta son camp le
20 aoUt, avec quelqlles officiers, ses amis, et
se~ compagnons d'armes et d'opinion. Bureau
de PIIZY, Latour-Maubollrg, Lameth, l'accom-
pagnaient. lis ahandonnerent le camp, n'em-
portant avec eux qll'un mois de leur solde, et
suivis de quclques domestiques. Lafayette laissa
tout en ordre dans son armée, et eut soin de
faire les dispositions nécessaires pour résister
a J'ennemi, en cas d'attaque. II renvoya quel-
qnes cavaliers qni l'escortaient, pour ne pas
enlever a la France un seul de ses défenseurs,
et le 2 J, il prit avec ses amis le chemin des
Pays-Bas. Arrivés allx avant-postes autrichiens,
apres une route qui avait éPllisé leurs chevaux,
ces prcmiers émigrés de la liberté furent arre-
tés, eontre le droit des gens, et traités eorome
prisonnicrs de guerreo La joie fut grande quand
le Dom de Lafayette retentit daos le carop deli




38 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
coalisés, 'et qu'on le sut captif de la ligue aris-
tocratiql1e. Torturer l'un des premiers amis de
la révolution, et pouvoir imputer a la révolu-
tion elle-meme la persécution de ses premiers
autenrs, voir se vérifier tous les exces qu'on
avait prédits, c'était plus q u'il ne fallait pour
répandre une satisfaction universelle dans l'a-
ristocratie européenne.


Lafayette réclama, pour lui et ponr ses amis,
la liberté qui lenr était due; mais ce fut en vain.
On la luí offrit an prix d'nne rétractation, non
pas de tou~es ses opinions, rnaís d'une seu te ,
cellequi était relative a l'abolition de la no-
blesse. Il refusa, mena~ant me me , si on 'in ter-
prétait faussement ses paroles, de donner un
démenti devant un officier pub lic. II accepta
doQne les fers ponr prix de sa constance, et alors
qu'il eroyait la liberté perdue en Enrope et en
Fr.anee, il n'épl'ouva aucun désordre d'esprit,
.et ne eessa pas de la regarder comme le plus
précieux des biens. n la profcssa encare, et
elevant les oppresseurs quí le tenaientclans les
eaehots, et devant ses anciensamis qui étaient
demeurés en Franee. ce Aimez, écri vait-iJ a ces
derniers, aimez toujours la liberté, malgré se!¡
orages, et servez votre pays. ). Que l'on com-
pare cette défection a ceHe de Bouillé, sortant
de son pays pour y rentrer avec les souverains




Assnnn,ÉE LÉGISLATIVE (1792). 3~
ennemis; a ceHe de Dumouriez, se brouillant,
non par conviction, mais par humeur, avee la
Convention qu'il avait servie, et OH rendra jus-
tiee a l'homme qui n'abandonne la France que
lorsque la vérité a laquelIe il croit, en est pros-
erite, et qui ne va point ni la maudire, ni la
dfsavouer dan s les armé es ennemies , mais qui
la professe et la soutient encore dans les ca-
chots.


Cependant ne blamons pas trop Dumouriez,
dont on va bientot apprécier les mémorables
services. Cet homme flexible et habile avait par-
faitement devi-né la puissance naissante. Apres
s'etre rendu presque indépendant par son re-
fus d'obéir a Luckner et de quitter le camp de
Maulde, apres avoir refusé le serment ordonné
par Dillon, il fut aussitot récompensé de son
dévouement par le commandement en chef des
armées du lJord et du centre. Dillon, brave,
impétueux, mais aveugle, fut d'abord destitué
pour avoir obéi a Lafayette; mais il fut réin-
tégré dans son eommandement par le crédit
de Dumouriez, qui, youlallt arriver a son but,
et blesser, en y marchant, le moiüs d'hommes
possible, s'empressa de l'appuyer aupres des
commissaires de· l'assemblée. Dumouriez se
tr'ouvait done général en chef de toute la fron·
tiere, depuis Metzjusqu'a DUll·kerque. Luc.knel'




40 RÉVOLllTlON FRAl'í9A1SE
était a Metz avec son armée autrefois dll non\.
Inspiré d'abor<1 par Lafayette, iI avait paru l'é-
sister au 10 aout; rnais, cédant hieutót a son
arrnée et aux cornmissaires de l'assernblée, ii
adhéra aux décrets, et, apres avoir pLeuré en-
core, obéit a la nOllveIle impulsion qui lui était
commnniquée.


Le JO aout, et l'avancement de la saison,
étaient des motifs pour décider la coalition a
pousser enfin la guerre avec activité. Les dis-
positíons des puissaHces ll'étaient. point chan-
gées a l'égard de la France. L'Angleterre, la
Hollande, le Danemarck et la Suisse prornet-
taient tpujours une stricte neutralité. La Suede,
dermis la mort oe Gustave, y revenait sincere-
ment : les principautés italiennes étaient fort
malveillantes pour nous, mais hellreusement
tres-impuissantes. L'Espagne ne se prollon(!ait
pas encore, et demeurait livrée a des intrigues
contraires. Restaient pOllr ennernis prollollcés
la Russie et les deux principales cours (l'Alle-
rnagllc. Mais la Russie s'en tenait encore a de
mauvais procédés, et se bornait a renvoyer
notre ambassadeur. La Prllsse et I'Autriche
portaient seules leurs armes sur nos frontieres ..
Parrni les états allernands, il n'y avait que les
tr·ois électf'urs ecclésiastiques, et les lalldgraves
des deux Hesses, qui eussent pris une part ac-




ASSEMllLÉE LÉGISLATIVE (179'),)' 41
tive a la coalition : les autres attendaient d'y
etre contraints. Dans cet état de choses, cent
trente-huit miIle hommes parfaitement organi-
sés et disciplinés mena<,;aient la France, qui ne
ponvait en opposer tout au plus que cent vingt
mille, disséminés sur une frontiere immense,
"ne formant sur aucun paint une masse suffi-
sante, privés de Ieurs officiers, n'ayant aUCUlle
conflance en eux-memes et dans lellrs chefs , et
jusqlle - la toujours battus dans la guerre de
postes qu'ils avaient soutenue. Le projet de la
coalition était d'envahir hardiment la France
en pénétrallt par les Ardennes, et en se por-
tant par Chttlons sur París. Les deux souverains
de Prusse et d'Autriche s'étaient rendus en per-"
sonne a Mayence. Soixante mille Prussiens,
héritiers des traditions et de la gloire de Fré-
déric, s'avar)(;aient en une seule colonne sur
notre centre; ils marchaient par Luxembourg
sur Longwy. Vingt mille Autrichiens, comman-
dés par le général Clerfayt, les sOlltenaient a
droite en occupant Stenay. Seize mille Autri-
chiens, sous les onlres du prince de Hohelllohe-
K.irchberg, et dix mille Hessois, flanquaient la
gauche des Prussieus. Le duc de Saxe-Teschen
occupait les Pays-Bas, el en mena~ait les places
fortes. Le prince de Candé, avec six mille émi-
grés fran~ais, s'était porté vers Philipsbourg.




ltÉVOLUTION FRAN~AJSE.
Plusieurs autres corps d'émigrés étaient répan-
dus dans les diverses armées prussiennes et
autrichiennes. Les cours étrangeres, qui ne
voulaient pas en réunissant les émigrés leur
Jaisser acquérir trop d'jnfluence, avaiellt d'a-
bord eu le projet de les fondre dans les régi-
ments allemands, et consentirent ensuite a les
Iaisser exister en corps distincts, mais répartis·
entre les armées coalisées. Ces corp.s étaie.nt
pIeins d'officiers qui s'étaient résignés a deve-
nir soIdats; ils formaient une cavalerie bril-
lante, mais plus propre a déployer une grande
valeur en un jour périlleux, qu'a. soutenir une
lougue campagne.


Les armées franc,;aises étaient disposées de
la maniere la plus malheureuse pour résister
a. une telle masse de forees. Trois généraux,
Beumonville, Moreton et Duval, réunissaient
trente mille hommes en trois camps séparés,
a Maulde, Manbeuge et Lille. C'étaient 1:'.1. tou-
tes les ressourees frarll;aises sur la frontiere du
nord et des Pa ys- Bas. L' armée de Lafayette,
désorganísée par le départ de son général, et
livrée a la plus grande incertitudc de senti·
ments, campait a Sedan, forte de vingt-trois
mille hommes. Dumouriez allait en prendre le
commandement. L'armée de Luckner, compo-
sée de vingt milIe soldats, occupait Metz, et




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792.). 43
venait, comme toutes les autres, de reccvoir
un nouveau général, c'était Kellermann. L'as-
semblée, mécolltente de Luclmer, n'avait ce-
pendant pas voulu le destituer; et, en donnant
son commandement a Kellermann, elle lui
avait, sons le titre de généralissime, conservé
le soia d'organiser la nouvelle armée de re-
serve, et la mission purement honorifique de
conseiller les généraux. Restaient eustine, qui,
avec quinze mille hommes, occupait Landau,
et enfin Biron, qui, placé daos l' Alsace ave e
trente mille hommes, était trop éloigné du
principal théatl'e de la guerre pour influer sur
le SOl't de la campagne.


Les deux seuls rassemblements placés sur
la rencontre de la grande armée des coalisés,
étaieut les villgt-trois mille hommes délaissés
par Lafayette, et les víngt mille de Keller-
mann, rallgés autour de Metz. Si la grande ar-
mée d'invasion, mesuraot ses mouvements él
son but, eut marché rapidement sur Sedan,
tandis que tes troupes de Lafayette, privées
de genéral, livrées au désordre, et n'ayant pas
encore été saisies par Dumouriez ,étaient sans
en\\emble et sans direction, le principal corps
défensif eu.t été enlevé, les Ardennes auraient
été ouvertes, et les aulres généraux se seraient
vus obligés de se replier rapidement pour se




44 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
réunir derriere la Marne. Peut-etre n'auraient-
ils pas eu le temps de venir de Lille et de Metz,
a Chalons et a Reims; alors París se trouvant
décollvert, il ne serait reste au nouveau gou-
vernement que l'absllrde projet d'un camp sous
París, ou la fuite an-dela de la Loire.


Mais si la France se défendait avec tout le
désorelre d'une révolution, les pnissances étran-
geres attaquaient avec toute l'incertítude et la
divergence de vues d'une coalition. Le roí de
Prusse, enivré de l'idée d'une conqlH~te faeile,
flatté, trompé par les émigrés, qni lui présen-
taient l'invasion eomme une simple promenade
militaire, vOl/lait l'expédition la plus hardie.
Mais il y avait encore trop de prudence a ses
cotés, dans le duc de Brnnswick, pour que sa
présomption eut an moins l'effet heurenx de
faudace et de la promptitnde. Le dnc de Bruns-
wick, qni voyait la saison tres~avlmcée, le pays
tout autrement disposé que ne le disaient les
émigrés, quí d'ailleurs jugeait de I'énergie ré-
volutionnaire par l'insurrection du 10 aoút,
pensait qu'il valait mieux s'assurel' une solide
base d'opérations sur la Moselle, en faisant les
siéges de Metz et de Thionville, et remettre a
la saison prochaine le renouvellement des hos-
tilités, avec l'avantage des conquetes précé-
dentes. Cette lutte entre la précipitatíon da




ASSRl\IBLÉE LÉGISLA TIVE (1792). 1~5
souverain et la prudence du général, la lenteur
des Autrichiens, qui n'envoyaient sous les 6,,-
dres du prince de Hohenlohe, que dix - huit
mílle hommes au líeu (le cinquante, empe-
cherent tOllt mouvement décisiE. Cependant
I'armée prussienne continua de marcher vers
le centre, et se trouva le 20 devant Longwy,
l'une des places Eortes les plus avancées de
cette frontiere.


Dumouriez, qui avait tonjours eru qn'une
invasion dans les Pays-Bas y ferait éclater une
révolution, et que 'ceHe diversion sauverait la
France des attaques de l' AlIemagne, avait tout
préparé pour se porter en avant, le jour meme
00. il re~u.f: sacommission de général en chef
des deux armées. Déj:i íl allait prendre l'ofEen-
sive contre le prince de Saxe-Teschen, lorsque
Westermann, si aclif au 10 aout, et envoyé
comme commissaire a l'armée de LaEayette,
vint lui apprendre ce qui se passait sur·le théa-
tre de la grande invasion. Le 22, Longwy avait
ouvert ses portes aux Prussíells, apres un hom-
hardement de quelques heures. I"e . désordre
de la garnison et la Eaíhlesse du commandant
en étaíent la cause. Fiers de cette conqllete et
de la prise de Lafayette, les Prussiells pen-
chaient plus que jamais pour le projet d'une
prompte offensive. L'armée de Lafayette était




46 RÉVOLlITlON Fil.AN~AISE.
perdue si le nouveau général !le venait la ras-
surer par sa présenc~, et en diriger les mou-
vements d'une maniere utile.


Dumouriez ahandonna done son projet fa-
vori, et, le 25 ou le 26, se rendit a Sedan, ou
sa présence n'inspira d'abord parmi.les troupes
que la haine et les reproches. Il était l' ennemi
de Lafayette qu'on chérissait encore. On lui
attribuait d'ailleurs ceUe guerre malheureuse,
paree que c'est sous son ministere qu'elle avait
été déclarée;enfin ilétait considéré commeun
homme de plume, et point du tout comme
un homme de guerreo Ces propos cil'culaient
partout dans le camp, et arrivaient souvent
jusqu'a l'oreille du général. Dumouriez ne se
déconcerta paso Il commeIH;;a par rassurer les
troupes, en affectant une conteIlance ferme
et tranquílle, et bientot iI leur fit sentir 1'io-
fluence d'nn commandement plus vigoilreux.
Cependant la situatíon de vingt - trois mille
hommes désorganisés, en présence de quatre-
vingt mille parfaitemeot disciplinó, étaít tout-
a-faít désespérante. Les Prussieos, apres avoir
pris Longwy,· avaient bloqué Thionville, et
s'avan<,;aientsur Verdun, qui était beaucoup
moins capable de résister que la place de
Longwy.


Les généraux, rassemblés par Dumouriez,




ASSEMRLÉt: LÉGISLUIV]I (( 792 ). 47
plmsaient tous qu'il ne fallait pas attendre les
Prussiens a Sedan, mais se retirer rapidement
derriere la Marne, s'y retrancher le mieux pos-
sible, pour y attendre la jonetion des autres
armées, et pour couvrir ainsi la capitale, qui
n'était séparée de l'ennemi que par quarante
lieues. Ils pensaient tous que, sion s'exposait
a etre battu en voulant résister a l'invasion,
la déroute serait complete, que l'armée démo-
ralisée lIe s'arreterait plus depuis Sedan jusqu'a
Paris, et que les Prussiens y mareheraient di-
redement et a pas de vainqueur. Telle était
notre situation militaire, et l'opinion qu'en
avaíent nos généraux.


L'opinion qu'on s'en formait a París n'étaít
pas meilleure, et l'irritation eroissait avee le
danger. Cependant eette imm.ense eapitale, qni
l1'avait jamais vu l'ennemi dans son sein, et
qui se faisait de sa propre puissance une idée
proportjonnée a son étendue et a sa popula-
tion, se figurait difficilement qu'on put péné-
trer dans ses murs; elle redoutait beaueoup
moins le péril militaire qu'elle n'apereevait
pas, et qui était encore loin d'elle, que le péril


. d'une réaetion de la part· des royalistes mo-
mentanéroent abattus. Tandis qu'a la frontiere
les généraux ne voyaient que les Pl'ussiens, a
l'intérieur on ne voyait que les· aristocrates ,




41{ nÉvor.UTION FRAN~AlSE.
conspirant sourdement pour détruire la liberté.


On se disait (lue le roí était prisonnier, mais
que son partí n' en existait pas moins, et qu'il
conspiraít, comme avant le 10 aout, pour ou- .
vrir Paris a l'étranger. On se figurait toutes
les grandes maisons de la capitale rempIies de
rassemblements armés, prets a en sortir au
premier signal, a délivrer Louis XVI, a s' em-
parer de l'autorité, et a livrer la .France sans
défense au fer des émigrés et des coalisés.
CetLe correspondance entre l'ennemi intérieur
et l'ennemi extérieul' occupait tons les esprits.
Il./alll, dis~üt - 011, se délivI'el' des traÍlres, et
déja se formait l'épouvantable iMe d'imuJOler
les vaincus, idée qui chez le grand nombre
n'était qu'un rnouvement d'imagination, et qui,
chez ql1elques hOl?mes, ou plus sanguinaires,
ou plus ardents, ou plus a portée d'agir, pou-
vait se changer en un projet réel et rnédité.


On a déjit vu qu'il avait été questioll de ven-
ger le pellple des coups re~us clans la jonrnée
dll 10; et y',úl s'était élevé entre l'assemblée
et la commulle une violente querelle au sujet
du tribunal extraordinaíre. Ce tribunal, qui
avait déja fait tomber la tete de Dangremont
et du malheureux LaporLe, intcndant de la
liste civile, n'agissait point assez vite an gré
d'un peuple furieux et exalté, qui voyait des




ASSEl\fDLÉE LÉGISLATIVE \ 1792 j. 49
ennemis partout. Il lui fallait dés formes plus
promptes pour punir les trattres, et il deman-
dait surtout le jugement des prévenus déférés
a la haute COUI' d'Orléans. C'étaient, pour la
plupart, des ministres et oe bauts fonction-
naires, aecusés, eomme OH sait, de prévarica-
tion. Delessart, le ministre des affaires f>tran-
geres, était du lJombre. On se récriait de tous
cotés contre la lellteur des p!'océdllres, on
voulait la translation des prisonniers a Paris,
et leu!' prompt jugement par le tribunal du J 7
aout. L'assemblée consultée a cet égard, OH
plntot sommée de céder au vreu général, et
de rendre un décrpt de translation, avait fait
une courageuse résistance. La haute eour na-
tionale était, disait-elle, 'un établissement eons-
titutionnel, qu'elle ne pouvait changer, paree
qu'elle n'avait pas les pouvoirs constituants, et
paree que le droit de tout accusé était de n'e-
tre jugé que d'apres des lois antérieures. Cette
question avait de nOllveall soulevé des nuées
de pétitioIlilaires, et I'assemhlée cut a résister
a la fois a une minor.ité ardente, a la com-
mune, et aux sections déchainées. Elle se con.-
tenta ele remIre plus expéditives quelques for-
mes de la procédure, mais elle décréta que
les accusés aupres de la haute cour demeure-
raient a Orléans, et ne seraient pas distraíts de


JII. 4




50 Rt:VOLUTION FRANc,;AI~F..
la juridiction que la constitution leur avait
assurée.


II se formait ainsi deux opinions: l'une qui
voulait qu' on respectat les vaincns, sans dé-
ployer pourtant moins d'énergie contre l'étran-
ger, et l'autre qui vouJait qu'on immoh\t d'a-
bord les ennemis caché s , avant de se porter
eontre les ennemis armés qui s'avaIH;aient sur
París. eette derniere peÍlsée était moins une
opinion qu'un sentiment aveugle et féroce,
composé de peur et de colere, et qui devait
s'accroitre avec le danger.


Les Parisiens étaient d'autant plus irrités que
fe péril était plus grand pourleur vil/e, foyer de
toutes les insnrrections, et hut principal de la
marche des armées ermemies. lis accnsaient
l'assemblée? composée des députés des dépar-
tements, ele vouloir se retirer dans les pro-
vinces. Les girondins surtont, qui apparte-
naient pour la plupart aux provinces un midi,
et qniformaient cette majorité modérée, odieuse
a la commune, les girondíns étaieut accusés
de vouloir sacrifier Paris, par haine pour la ca-
pitale. On leur supposait ainsi des sentíments
assez naturels, et que les Pal'isiens pouvaient
croíre avoir provoqnés; mais ces députés ai-
maient trop sincerement leur patrie et ¡cm
cause ponr songer a abandonn~r Paris. 1/ est




ASSEMBLÉE LÉGISLA TIVt: \ 1 ';92 ). 5 I
vrai qu'ils avaient toujours pensé que, le nord
perdu, on pourrait se replier sur le midi; iI
est vrai que, dans le moment meme, quelques-
uns d'entre eux regardaient comme prudent
de transporter le siége C!U gouvernement au-
dela de la Loire; mais le désir de sacrifier UIle
cité odieuse, et de transporter le gOl1verne-
ment dalls des lieux ou ils en seraient maltres,
n'était point dans leur creur. Jls avaient trop
d'élévation dans l'ame, ils étaient d'ailleurs
encore trop puissants, et comptaient trop sur
la réullion de la prochaine convention, pour
songer déja a se détachel' de Paris.


On accusait done a la fois leur indulgence
pour les traitres, et leur .indifférence pour les
intérets de la capitale. Forcés de lutter contre
les hommes les plus violents, ils devaient ,
meme en ayant le nombre et la raison pour
eux, cérlel' a I'activité et a l' énergie de leurs
adversaires. Dans le conseil exécutif, ils étaiellt
Cillq contre un, cal', outre les trois ministres
Servan, Claviere et Roland, pris dan s leur
sein ,les deux alltres, Monge et Lebrun, étaient
aussi de lem choix. Mais le seul Danton , qui,
sans etre lenr ennemi personnel, n'avait ni
]eur modération ni leurs opiniolls, le seul
Danton dominait le conseil, et Icur enlevait
toute inllucnce. Tandis que Claviere tachait


[l·




R ÉVOLUTION FR A NC ,\ TSE.
de réunir quelqnes ressonrces financÍeres, qUf'
Servan se hatait de procurer des renforts aux.
généraux, que Roland répandait les cÍrclllail'es
les plus sages pour éclairer les provinces, diri-
ger les autorÍtés locales, empechel' leurs empié-
tements de pouvoir, et arreter les violences
de toute es pece , Danton s'occupaít de placer
daps l'administration ton tes ses créatures. II en-
'voyait partont ses fideles cordeliers, se procn-
rait aiusi de nombreux appuis, el faisait par-
tager a ses amis les profits de la révolution.
Entrainant ou eff,'ayant ses collegues, ilne trou-
vait d'obstacle que dans la rigidité inflexible
de Rolami, qlli rejetait sOllvent 011 les mesu-
res OH les slljets qu'il pl'Oposait. Danton en était
contrarié, san s rom pre néallmoins avec Roland ,
et il tachait d'emporter le plus de nominatiol1s
011 de décisiolls possibles,


Danton, dont la véritable domÍnation était
dans París, voulait la conserver, et il était bien
décidé a empecher toute translatÍoll an-deLl de
la Loire. Doné el'lIlle audace extraordinaÍre,
ayant proclamé l'insnrrection la veille du 1 ()
aout, lorsque tont le monde hésitait encore,
il n'était pas homme a recnler, et il pellsait
qu'il fallait s'ensevelÍr dans la capitale. Maltre
du conseil, lié avec Maral et le comité de slIr-
veillance de la commune , écouté dan S tOIlS les




ASSUIBLÉE LÉGISLATIVE (I7~P. J. 53
cluhs, vivant enfin an milieu de la multítude,
comme dans un élément qu'il soulevait a vo-
lonté, Danton était l'hornme le plus pnissant
de Paris; et cette puissance fondpe sur un na-
turel violent, qui le mettai t en rapport avec les
passions du peuple, devait etre redoutable aux
vaincu5. Dans son ardenr révolutionnaire, Dan-
ton penchait pOli!' tOlltes les idées de vengeallce
que repotlssaient les girondins. 11 était le chef
de ce partí p;irisien qui se clisait : « Nous ne re-
« culerons pas, nous périrons dan s la capitale et
« SOtlS ses I'UilleS; mais nos ennemis périrollt


., « avant llous.»Ainsi se préparaient clans les ames
d'épouvantables sentiments, et des scenes hor-
ribles alIaient en etre l'affreuse conséquence.


Le 26, la nouvelle de la prise de Longwy se
répandit avec rapidité , et causa dans Paris une
agitatíoll générale. On disputa pendant toute
la jourllée sllr sa vraisemblance; enfin elle ne
put etre contestée, et on sut que la place avait
ouvert ses portes apres un bombardement de
quelques heul'es. La fermentation fnt si grande,
que l'assemblée décréta la peine de mort con-
tre quiconque proposerait de se rendre dans
Hne place assiégée. SlIr la demallde de la com-
mune, OH ordonna qlle Paris et les départe-
ments voisins fourniraient, sous quelques jours,
trente mille hommes armés et équipés. L'en-




54 lIÉVOLUTION Fl\AN~AISH.
thousiasme qui régnait rendait cet enrólement
facile, et le nombre rassurait sur le danger.
On ne se figurait pas que cent mille Prus-
siens pussent )'emporter sur quelques millions
d'hommes qui voulaient se défendre. On tra-
vailla avec une nouvelle activit~ au camp sous
Paris, et toutes les femmes se réunirent dans
les églises pour contribuer a pl'éparer les effets
de campernent.


Danton se rendit a la commune, et sU!· sa
proposition, on eut recours anx moyens les
plus extremes. On résolut de faire dan s les sec-
tions le recensement de tous les illdigents, de
leur donner une paie el des armes; on or-
donna en OlItre le désarmement et l'arrestatíon
des suspecls, et 011 réputa tels, tous les signa.
taires de la pétition coutre le 2.0 juin, et contre
le décret dl1 camp sous Paris. Pour opérer ce
désarmement et cette arrestation, OH imagina
les visites domiciliaires, qu'on organisa de la
maniere la plus effrayante. Les barrieres de-
vaient etre fermées pendant 48 heures, a par-
tir dn 2.9 aout au soir, et aucune permission
de sortir ne pouvait etre délivrée pour aucun
motif. Des pataches étaient placées sur la ri-
viere, ponr empecher toute évasion par cette ís-
sue. Les communes environnantes étaient char-
gées d'arreter quiconque serait surpris dan s la




ASSEMBLE}~ LÉGlSLA.TlVE (1792 J. 55
campagne ou sur les routes. Le tambourde-
vait annoncer les visites, et a ce signal, chaque
citoyen était tenu de se rendre chez luí, sous
peine d'ctre traité comme sllspect de rassem-


., blement, si on le trouvait chez autrui. Po.ur cette
raison, tOlltes les assemblées de section, et le
grand tribunallui-meme, devaient vaquer pen-
dant ces deux jours. Des comlr.issaires de la
commUl1e, assistés de la force armée, avaient
la lllissionde faire les visites, de s'emparer des
armes, et d'arreter les suspeets, e'est-a-dire
les signataires de toutes les pétitions déja dé-
signées, les pretres non assermentés, les ci-
toyens qui mentiraient dans leurs déclarations,
eeux eontre lesquels il existait des dénollcia-
tions, etc., etc ... A dix heures du soir, les voi-
tures devaient eesser de circuler, et la vilIe etre
¡Iluminée pendant toute la nuit.


TelJes furent les mesures prises pour arreter,
dit-on, les mauvais citoyensqui se cachaienl de-
puis le 10 aolit. Des le 27 an so ir, on cornmerH,;a
ces visites, et un partí, Jivré a la dénonciatioIl
d'un autre, fut exposé a ctre jeté tout entiel'
dans les prisolls. Tout ce qui avait.appartenu
a l'ancienIle eonr, ou par les emplois, ou par
1e rang, ou par les assiduités au chatean, tout
ee qui s'était pronoueé pour elle lors des divel's
mouvemenls royalistes, tous ceux qui avaient de




56 RJ~VOUJTION FRAN<;:AISE.
Mches eonemis, capables de se ven gel' par IIne
dénonciation, furent jetés dans les prisons an
nombre de douze ou quinze mille individus. C'é-
tait le comité de surveillance de la commune qui
présiclai.t.a ces arrestations, et les faisait exécuter
sous ses yeux. Ceux qU'OIl arretait étaient con-
duits d'abord de leur demeul'e an comité de leur
section, et qe ce comité a celui de la commune.
UI, ils étaient brievement questionnés sur leurs
sentiments et sur les acles qui en prollvaient
le plus ou moins d'énergie. Souvent un seul
membre du comité les interrogeait, tandis que
les autl'es membres, accablés de plusieurs jours
de veille, dormaient sur les chaises ou sur les
tables. Les individus arretés etaiellt ¡}'abo¡:d dé-
posés a l'Hótel-de-Ville, et ensuite distribués
dan s les prisons, ou il restait encore quelque
place. La, se trouvaient enfermées toutes les
opiniolls qui s'étaient succédé jusqu'all 10 aoUt,
tous les rangs qui avaient été renversés, et de
simples bourgeois déja estimés aussi aristocrates
que des ducs et des prillces.


La terreur régnait dans París. Elle était ehez
les républicains mena ces par les armées pI'llS-
siennes, et chez les roya listes menacés par les
républicains. Le. comité de déjense générale,
établi dans I'assemblée, pour aviser allx mOyPlls
dt> résister ~ l'pnnemi, se rénnit le 30, et appda




ASSEMllLÉF LÉGISLATIVE (1792). 5.., j
daús son sein le conseil exécutif pour délibérer
sur les moyens de salut publico La réunion était
nombreuse, paree qu'aux membres du comité
se joignirent une foule de députés, qui vou-
laient assister a ce He séance. Di "ers avis furent
ouverts. Le ministre Servan n'avait aucune con·
fiance dans les armées, et ne pensaít pas que
Dumouriez put, avec les vingt-trois mille hom-
mes que luí avait laissés Lafayette, arrt~ter les
Prllssiens. Il ne voyait entre eux et París au-
cune position assez forte pour lenr tenir tete,
et arreter lellr marche. Chacun pensait comme
luí a cet égarrl , et apres avoir proposé de por-
ter toule la population en armes sous les murs
de París, pour y combattre avec rlésespoir, OJ}
parla de se retirer an besoin a Sallmur, pOllr
mettre, entre l' ennemi et les alltorités déposi-
taires de la souveraineté nationale, de nou-
veaux espaces et de nouveaux obstacles. Vel'-
gnialld. Guadet, eombattirent l'idée de qlliuer
Paris. Apres ellX, Danton pl'it la parole.


« On vous propose, dit-il, de qllitter Paris.
« Vous n'ignorez pas que, dans l'opinion des
« ennemis, Paris représente la Franee, et que
« lenr céder ee point, c'est leur abandonner la
« révo\ution. Reculer c'est nons perdre. n faut
({ donc nous maintenir ¡ei par tous les moyens,
« et IlOW; san ver par l'audace.




58 RÉVOIJUTION FRAl'i~AlS":.
« Parm; les moyells proposés, aucun ne m'a


« semblé décisif. Il faut ne pas se dissimuler la si-
« tuation dan s laquelle nous a placés le 10 aout.
({ Il nous a divisés en républicains et en royalis-
« tes, les premiers peu nombreux, et les se-
(( conds beaucoup. Dans cet état de faiblesse,
« nous républicains, nOlls somtnes exposés a
« deux feux, celui de l'ennemi, placé au de-
« hors, et celni des royalistes, placés au de-
« dans. 11 est un directoire royal qlli siége se-
« cretement, a Paris, et correspond avec l'armée
« prussienne. Vous di re ou il se réunit, qui
« le compose, serait impossible aux ministres.
« Mais pour le déconcerter, et empecher sa fu-
( neste correspondance avec l'étranger, iifaut ...
« ilj(/'utfaire peur aux royalistes ..... »


A ces mots, accompagnés d'un geste ex.ter-
minateur, l' effroi se peignít sur les visages. « Il
« faut, vous dis-je, reprit Dantoll, faire pellr
« aux royalistes ... e'est dans Paris surtout qu'il
« vous importe de vous maintenir, et ce n'est
« pas en vous.. épuisant dans des combats in-
" certains que vous y réussirez ..... » La stupeur
se répandit aussit6t dans le conseil. Aucun mot
ne fut ajouté a ces paroles, et chacun se retira
sans prévoir précisément, sans oser meme pé- ~
nétrer ce que préparait le ministre.


II se rendit immédiatement apres au comité




ASSElUBLÉE LÉGISI.ATlVE (1792). 59
de surveillance de la commune, qui disposait
souveraillement de la personne de tons les ci-
toyens, et 00. régnait Marat. Les collegues igno-
rallts et aveugles de Marat étaient Panis et Ser-
gent, déja signalés au 20 juin et au 10 aout,
et les nommés Jourdeuil, Duplain, LefOj't et
I~elJfant. La, dans la nuit du jeudi 30 aout an
vendredi 31, fllrent médités d'horribles projets
contre les malheureux, détenus dans les pri-
sons de París. Déplorable et terrible exemple
des emportements politiques! Danton que tOll-
jours on trollva sans haine contre ses ennemis
personnels, et SOlIvent accessible a la pitié,
preta son audace aux horribles reveries de
Marat : íls formerent tous deux un complot
dont plusieurs siecles ont donné l'exemple,
mais qui, a la fin du dix-buitieme, ne peut pas
s'expliquer par L'igoorance des temps et la féro-
cité des mrellrs. On a vu, trois années aupara-
vant, le nommé Maillard figurer a la tete des
femmes sonlevées clans les fameuses journées
du 5 et du 60ctobre. Ce Maillard, ancieu huís-
sier, homme intelligent et sallguinaire, s'était
compasé une bande d'hommes gl'Ossiers et pro-
pres a tOllt oser, tels enfi~ qU'oll les trollve dans
les classes ou l'éducation n'a pas épuré les pen-
challts en éclairant l'intelligence. II était connu
comme maltre de cette bande, el, s'il fant en




60 RÉVOLU'l'lON FRAN~AISJ!.
croire une révélation récente, on l'avertit de se
tenir pret a ::.gir au premier signal, de se pla-
cer <I'une maniere utile et sure, de préparer
des assommoirs, de prendre des précautions
pour empecher les cris des victimes, de se pro-
curer du vinaigre, des balais de houx, de la
chaux vive, des voitures cou vertes, etc.


Des cet instant, le bruit d'uue terrible exé-
cuLion ~e répandit sourdement. Les pal'ents des
détenus étaient dans les angoisses, et le com-
plot, comme celui du 10 aout, du 20 juin, et
tous les autres, éclatait d'avance par des signes
sinistres. De toutes parts, on répétait qu'il fal-
lait, par un exemple terrible, effrayer les cons-
pirateurs qui du fond des prisons s' enteudaient
avec l'étranger. 011 se plaigllait de la lentellr
du tribunal chargé de pnnir les coupables du
10 aout, et on demandait a grands cris une
prom pte justice. Le 31, L'ancien ministre Mont-
morin est acquitté par le tribUl!al <lu J 7 aoút,
et OH répand que la trahisoTl est partout, el
que l'impunité des cJ'upables est assurée. Daus
la me me journée, OH assure qu'un condamné
a fait des révélations. Ces révélations portent
que dans la Huit les prisonniers doivent s'é-
chapper des cachots, s'armer, se répandre dans
la ville, y commettre d'horribles vengeances,
(,Illevet' en:.uite le !'oi, et ouvrir París aux Prus-


:





ASSI·;)rm,J¡E U\GISLATIVE (¡ 79'1). 6 [
siens. Cepenclant les détenus qu'on accl1sait
tremblaient pour leur vie; leurs parents étaient
consternés, et la famille royale n'attendait que
la mort an foud de la tour du Temple.


Aux Jacobins, dans les sections, au conseil de
la commnne, clans la mi~orité de l'assemblée,
il était une foule d'hommes qui croyaient a ces
complots supposés, et qui osaient déclarer lé-
gitime l'extermination des détenus. Certes la
nature ne fait pas tant de monstres pon!' un
seul jour, et l'esprit de parti seul pellt égarer
tant d'hommes a la fois! Triste le~on ponr les
pellples! on eroit a des dangers, on se per-
suade qu'il fant les repousser; on le répete,
on s'enivre, et tandis que cerlains hommes
proclament avee légereté qu'il fant frapper,
d'autres frappent avec une iludace sanglli-
natre.


IJe samedi ¡el septembre, les quarante-hnit
heures fixées pour la fermeture des barrieres
et l'exécution des visites domiciliaires étaient
écoulées, et les commllnications furent réta-
blies. .Mais tout-á-eoup se répand,' dans la
journée, la nOllvelle de la prise de Verdun.
Veroutl n'est qu'investi, mais on croÍt que la
place est emportée, et qn'llne trahisoll nouvelle
1'a livrée comme celh~ ele Longwy. Danton fait
:lussitot décréter par la comOllme, que le len-




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
clemain, '2 septembre, on battra la générale,
on sonnera le tocsin, on tirera le canon d'a-
larme , et que tous les citoyens disponibles se
rendront en armes an Champ-de-Mars, y cam-
peront pendant le reste de la journée, etparti-
ront le lendemain pour se rendresous les murs
de Verdun. A ces terribles apprets, il devient
évident qu'il s'agit d'autre chose que d'une
levée en masse. Des parents accourent et fout
des efforts pour obtenir l' élargissement des dé-
tenus. Manuel, le procureur-syndic, snpplié
par une femme généreuse, élargit, dit - 00 ,
deux prisonnieres de la famille Latrémouille.
Une autre femme, madame Fausse-Lendry,
s'obstine a vouloir suivre dans sa captivité
son onele l'abbé de Rastignac, et Sergent lui
répond: eN ous faítes une impruderrce; les pri-
.sons ne sont pas súres. »


Le lendemain, '2 septembre, était un díman-
che, et l'oisiveté augmentait le tumulte popu-
laire. Des attroupements nombreux se mon-
traient partout, et on répandait que l'ennemi
pouvait etre a París sous trois jours. La com-
mUlle informe l'assemblée des mesures qu'elle
a prises, pOllr la levée en masse des citoyens.
Vergniaud, saisi d'un enthousiasme patriotique,
prend aussitót la parole, félicite les ParÍsiells
de leur cotlrage, les loue de ce qu'ils ont con-




ASSElIlRL Éll LÉGISLA TIVE (1792)' 63
vertí le úle des motions en un úle plus actif
et plus utile, celni des comhats. « Il parait,
cc ajoute-t-íl, qu~ le plan de I'ennemi est de
« marcher droit sur la capitale, en laissant les
(c places fortes derriere lui. Eh bien! ce projet
«( fera notre salut et sa perte. Nos armées, trop
« faibles pour luí résister, seront assez fortes
« ponr le harcelel' sur ses derrieres; et tandis
« qn'il arrivera, pOllrsuivi par nos bataillons,
cc il trouvera en sa pl'ésence l'armée parísienne,
ce rangée en bataille sons les murs de la capi-
(( tale; et, enveloppé la de toutes parts, il sera
(c dévoré par eette terre qu'il avait profanée.
(( Mais an milieu de ces espél'ances flatteuses ,
« il est IIn danger qu'il ne faut pas dissimuler,
« e'est celui des terreurs paniques. Nos ennemis
(( y comptent, et sement rol' ponr les pro~
(( dnire; et, vous le savez, il est des hommes
cc pétris d'un limon si fangeux, qu'ils se dé-
(( composent a I'idée dn moindre danger. Je
(( voudrais qu'on put signaler cette es pece sans
le tune el a figure bumaine, en réullir' tous les
( iudividus dans tlne meme vilIe, a Longwy par
«( exemple, qu'on appel1erait la ville des laches,
(( et la, devenus l'objet de l'opprobre, ils ne
I( semeraient plus l'époUv311te chez Jelll's con-
I( citoyens. ils ne leurferaient plus prendre des
I( nains pOllr des géants, et la poussiere qui




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« vole devaut une compagnie de houla/ls pOllr
« des bataillons armés ~


« Parisiens, c'est aujourd'hl1i qu'il faut dé-
« ployer une grqude énergie l Pourquoi les te-
« tranchements du camp ne sont-ils pas plus
« avancés? Qu sont les Leches, les pioches, qui
« ont élevé l'autel de la fédération, et nivelé le
« Champ-de-Mars? Vous avez manifesté une
« grande ardeur pour les fetes; salls doute vous
« n'en montrerez pas moins pour les combats :
<L vous avez chanté , célébré la liberté; il faut la
« défendre! Nous n'avons plus a renverser des
« rois de bronze, mais des rois vivants et ar-
a més de lellr puissance. Je demande donc
« que l'assemblée natiollale dOllne le premier
« exemple, et envoie douze commissaires, non
« pour faire des exhortations, mais pour tra-
« vailler eux-memes et piocher de leurs mains,
« a la fa ce de tous les citoyens. J)


Cette proposition est artoptée avec le plus
grand enthousiasme. Danton succede a Ver-
gniaud, il fait part des mesures prises, et en
propose de nouvelles. « Une partie dll peuple,
« dit-il, va se porter aux frontieres, une autre
:( va creuser des retranchemen ts, et la troisieme
« avec des piques défendra l'intérieur de nos
« villes. Mais ce n'est pas assez : il faut envoyer
i( partout des commissaires et d(>s COllrriers




ASSEMB:LÉE :LÉGISLATIV¡': (1792). 65
tc pour engager la Franee entiere a imiter Paris;
« il faut rendre un déeret par lequel tont ei-
ce toyen soit obligé, sous peine de mort, de
« servir de sa personne, ou de remettre ses
« armes. --Danton ajoute : Le canon que vous
« allez entendre n'est point le canon d'alarme ,
cc e'est le pas de charge sur les ennemis de \a
(c patrie. Pour les vainere, pour les atterrer,
e( que faut-¡l? DE L'AUDACE, t:NCORE DE L'AU-
e( DACE, ET TOUJOURS DE L' AUDACE. )


Les paroles et l'aetion du ministre agitent
profondément les assistants. Sa motion est
adoptée, i\ sort, et se rend au comité de snr-
veillanee. Toutes les autorités, tous les eorps,
l'assemblée, la eommune, les sections, les ja-
eobins étaient en séanee. Les ministres, réunis
a l'hotel de la marine, attendaient Danton
pour tenir eonseil. La ville entiere était dehout.
Une terreur profonde régnait dans les prisons.
Au Temple, la famille royale, que chaque
mouvement devait menacer plus que tous les
autres prisonniers, demandait avec anxiété la
cause de tant d'agitations. Dans les divel'ses
prisons, les geolíers semblaient eonsternés.
Celui de l'Abhaye avait des le matin faít surtir
sa {emme et ses enfants. Ledinel' avait été serví
aux prisonniers deux heures avant l'instant ae-
coutumé; tous les couteaux avaient été retirés


111. ~




66 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
de leurs serviettes. Frappés de ces circonstan-
ces, .ils interrogeaient avec instance leurs gar-
diens, qui ne voulaient pas répondre. A deux
heures enfin la générale commence a battre,
le tocsin sonne, et le canon d'alarme retentit
dans l'enceinte de la capitale. Des troupes de
citoyens se rendent vers le Champ-de-Mars;
d'autres entourent la cOImnune, l'assemblée,
et remplissent les places publiques.


n y avait a I'Hótel-de-Ville víngt-quatre pre-
tres, qui, arretés a cause de leur refus de preter
serment, devaient etre transférés de la salle du
dépÓl aux prisons de l' Abbave. Soit intention,
soit effet du hasard, Oll choisit ce moment pour
leur translation. lIs sont placés dans six fiacres ,
escortés par des fédérés bretons et marseiUais,
et sont conduits an petit pas, vers le faubourg
Saint-Germain, en suivant les quais, le POllt-
N enf et la rue Dauphine. On les entoure, et
on les accable d' outrages. Voila, disent les fé-
dérés, les conspirateurs qui devaient égorger
nos femmes et nos ellfants, tandís que nous
serions a la frontiere. Ces paro les augmentent
encore le tumnlte. Les portieres des voitures
étaient ouvertes; les malheureux pretres vet;-
lent les fermer pour se mettre 11 l'abri des
mauvais traitements, mais on les en empeche,
et ils sont obligés de souffrir patiemment les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 67
coups et les injures. Enfin ils arrivent dans la
cour de l'Abbaye, ou se trouvait déja réunie
une foule irnrnense. Cette cour conduisait aux
prisons, et communiquait avec la salle ou le
comité de la section des Quatre-Nations tenait
ses sé.'Ulces. Le premier fiacre arrive devant la
porte dll comité, et se trouve entouré d'une
fouJe d'hommes furieux. Maillard était présent.
J~a portiere s'ouvre; le premier des prisonniers
s'avance pour descendre et entrer au comité,
mais il est aussitót percé de mili e coups. Le
second se rejette dans la voiture , mais il en est
arraché de vive force, et immolé comme le
précédent. Les deux autres le sont a leur tour,
et les égorgeurs abandonnent la premiere voi-
tlll'e pour se porter sur les suivantes. Elles
arrivent l'une apres l'autrc dans la cour fataJe,
et le dernier des vingt - quatre pretres est
égorgé, au milieu des hnrlements d'une popu-
lace furiense ".


Dans ce moment accourt EilJaud-Varennes,
rnembre du conseil de la commune, et le seul,
entre les organisateurs de ces massacres, qui
les aií constamment approllvés, et qui ait osé
en soutenir la vueavec une crnauté intrépide.


~ Exeepté un seu!, \'abbé Sicard, qui fut sauvé par mi-
racle.


5.




68 RÉVOLtTTION FRA N~AISE.
n arrive revetu de son écharpe, marche dans le sang et sur les cadavres, parle a la fonle des
égorgeurs, et luí dit : Peuple, tu imllloles tes
ennemis, tu fais ton devoir. Une voix s'éleve
apres ceHe de Billaud, c'est ceUe de Maillard :
11 n'y a plus rien a.faire ici ~ s'écrie-t-il, allons
allX Carmes. Sa bande le suit alors, et ils se
précipítent tons ensemble vers l'église des Car-
:mes, Otl deux cents pretres avaient été enfer-
més. Ils pénetrent dan s l'église, et égorgcIlt
les malheureux pr,etres qui priaient le cíel, et
s'embrassaient les uns les autres a l'approche
de la mort. Ils demandent a grands cris 1'ar-
cheveque d'Arles, le cherchcnt, le reconnais-
sent, et le tuent d'un coup de sabre sur le
crane. Apres s'etre ser vis de leurs sabres, ils
emploient les armes a feu, et font des déchar-'
ges générales dans le fond des salles, dans le
jardin, sur les muroS et sur les arbres, ou quel-
ques-unes des victimes cherchaicnt a se sauver.


Tandis que le massacre s'acheve aux Carmes,
Maillard revient a l' Abbaye avec une partie
des siens. Il était couvert de sang et de sueur;
iI entre au comité de la section des Quatre-
Nations, et demande di/, vin pOllr les brapes
trlU'ailleurs qui délivrent la nation de ses en-
nemis. Le comité trcmblant leur en accorde
vingt-quatre pintes.




ASSEIUBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792 ). 69
Le vin est servi dans la cour, et sur des


tables entourées des cadavres égorgés dans
l'apres-midi. On boit, et tout-a-coup, mon-
trant la prison, Maillard s'écrie : A I'Abbaye!
A ces mots, on le suit, et on attaque la porte.
Les prisonlliers épouvantés entendent les hur-
lements, signal de leur mort. Le geolier, sa
femme s'évanouissent. Les portes sont ouver-
tes; les premiers détenus qui s'offrent sont
saisis, traillés par les pieds et jetés tout san-
g.lants dans la cour. Tandis qu'on immole san s
distinction les premiel's venus, Maillard et ses
affidés demandent les écl'ous, et les clefs des
diverses prisons. L'un d'eux, s'avaIH;ant vers
la porte du guichet, monte sur un tabouret,
et prend la parole. c( Mes amis, dit - il, vous
« voulez détruire les aristocJ'ates, qui sont les
" enllemis du peuple et qui devaient égorger
« vos femmes et vos enfants taudis que vous
« seriez a la frontiere. Vous avez raison, sans
(e lioute; mais vous etes de bons citoyens,
I( vous aimcz la justice, et vous seriez déses-
« pérés de tremper vos mains dans le saug in-
« nocent.-Oui! ouí! s'écrient les exécuteurs.
( -Eh bien! je vous le demande, quand vous
ce vou\ez, sans rieIÍ enteIlche, vous jeter cornme
« des tigres en fureur sur des hommes q ui
i< vous sont illcounus, ne voUs exposez-vous




70, nÉVOLUTION FRAN~AISE.
« pas a confondre les innocents avec les COll-
« pables?» Ces paroles sont interrompues par
un des assistants, qui, armé d'un sabre, s'é-
críe a son tour: « Voulez - vous, vous aussi,
ce nous eodormir? Si les Prussiens et les Au-
ce trichieos étaient a Paris, chercheraient - ils (( a distinguer les coupables? J'ai une femme
« et des enfants que je ne veux pas laisser en
e( danger. Sí vous voufez, donnez des armes a
e<ces coquins, nO!lS les combattroos a nombre
« égal, et avant de partir París en sera purgé. ))
-11 á 'raison, il faut entrer, se disent les au-
tres; 'ils poussent et s'avancent. Cependant on
les arrete, et on les oblige a consentir a une
espece de jugement. Il est convenu qu'on pren-
dra le registre des écrous, que l'un d'eux fera
les fonctions de président, lira les lloms, le
mótif de la détention, et prononcera a l'instant
meme sur le sortdo prisonnier. - MailIard !
Maillard président! s'écrient plusieurs voix; et
ji entre aussitot en fonctions. Ce terrible pré-
sident s'assied aussitot devant une tabIe, place
sous ses yeux le registre des écrous, s'entoure
de quelques hommes prís au hasard pour doo-
ner leur avis, en dispose quelques-uns dans la
pris~n pour amener les prisonniers, el laisse
les autres a la porte pour consommer le mas-
sacre. Afin de s'épargner des sctmcs de déses-


I




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). 7 I
poír, iI est convenu qu'il prononcera ces mots :
Monsieur a la Force, et qu'alors, jeté hors du
guichet, le prisonnier ,sera livré, san s s· en dou-
ter, aux sabres qui l'attendent.


On amene d'abord les Suisses détenus a l' Ab-
baye ,et dont les offitiers avaient été conduits
a la Conciergerie. - C'est vous, leur dit Mail-
lard, qui avez assassiné le peuple au 10 a06t.
-Nous étions attaqués, répondent ces mal-
heureux, et 110US obéissions a nos éhefs. -
Au reste, reprend froidement Maillard, il ne
s'agit que de vous conduire a la Force.-Mais
les malheul'eux, qui avaíent entrevu les sa·
bres mena~ants de l'autre coté du guichet, ne
peuvent s'abuser. Il faut sortir, ils reculent,
se rejettent en arriere. L'un d'eux, d'une con-
tenante plus ferme, demande ou il fant pas-
ser. On lui ouvre la porte, el il se précipite
tete baissée au milieu des sabres et des piques.
Les autres s'élancent apres lui, et subissellt le
meme sort.


Les exécnteurs retournent a la prison, en-
tassent les femmes dans une meme salle, et
amenent de nouveaux prisonniers. Quelques
prisonniers accusés de fabricatíon de faux as-
signats, sont immolés les premiers. Vient apres
eux le célebre Montmorin, dont l'acquittement
avait causé tal1t de tumulte, et ne lui avait pas




RÉVOLUTION FRAN9AJSE.
valu la liberté. Amené devallt le sanglant pré-
sident, il déclare que, soumis a un tribunal
régulier, il ll'en peut reconnaltre d'autre.-
Soit, répond Maillard, vous irez done a la
Force attendre un nouveau jugement.-L'ex-
ministre trompé demande une voiture. On lui
répond qu'il en trouvera une a la porte. Il de-
mande encore quelqlles effets, s'avance vers
la porte, et re«,?oit la mort.


On amene ensuite Thierry, valet·de-chambte
du roí. Telmaitre tel valet, dit Maillard, et le
malheureux est assassiné. Viennent apres les
juges- de - paix Buob et Bocquillon, accusés
d'avoir fait partie du comité secret des Tuile-
ries. lIs sont égorgés pour cette cause. La nuit
s'avance ainsi, et chaque prisonnier, enten-
dant les hurlements des assassins, eroit tou-
c\ler á sa derniere heure.


Que faisaient en ce moment les autorités
constituées, tous les corps assemblés, tous les
citoyens de París? Dans cette immense capi-
tale, le calme, le tumulte, la sécurité, la ter-
reur, peuvent régner ensemble, tant tlne par-
tie est distante de l'autre. L'assemblée n'avait
appris que tres-tard les malheurs des prisons,
et, frappée de stupeur, elle avait envoyé de~
députés pour apaÍser le peuple, et sauver les
yictimes. La commune avait délégué des com-




ASSEMBLÉE LÉGISLATJVE (J 792 ). 73
missaires pour délivrer lesprisonniers pour
dette, et distinguer ce qu'elle appelait les inno-
cents et les coupables. Enfin les jacobins, quoi-
qu' en séance, et instruits de ce qui se passait,
semblaient observer un silence convenu. Les
ministres ,: réunis a I'hótel de la marine pour
former le conseil, n'étaient pas encore avertis,
et attendaient Danton qui se trouvait au co-
mité de surveillance. Le .commandant-général
Santerre avait, disait-il a la commune, donné
des ordres, mais on ne lui obéissait pas, et
presque tout son monde était occupé a la
garde des barrieres. Il est certain qu'il y avait
des commandements inconnus et contradic-
toires, et que tous les signes d'une autorité
secrete et opposée a 1'autorité publique s'é-
taient manifestés. A la cour de l' Abbaye, se
trouvait un poste de garde nationale, qui avait
la consigne de laisser entrer et de De pas lais-
ser sortir. A ilIeurs, des postes attendaient des
ordres et ne les recevaient paso Santerre avait-
iI perdu la raison comme au JO aout, ou bien
était-il dans le complot? Tandis que des com-
missaiI;'es, publiquement envoyés par la com-
mune, venaient conseiller le calme et arreter
le peuple, d'autres membres de la meme com-
mUlle se présentaient au comité des Quatre-
Nations, qui siégeait a coté des massacres, et




74 RBVOLUTION FRAN"-:AISE.
, disaient : 1'0Nt va-t-il bien ieí comme aux Car-


mes tJLa commune nous envoie pour vous oj~
4 frir des secours si vous en aYeZ besoin.


Les commissaires envoyés par l'assemblée
et par la commune, pour arreter les meur-
tres, furent impuissants. lis avaient trouvé une
foule immense qui assiégeait les :environs de la
prison, et assistait a cet affreux spectacle aux
cris de vt've la nation! Le vieux Dusaulx, monté
sur une chaise, essaya de prononcer les mots
de clémence sans pouvoir s:e faire entendre,
Bazire, plus adroit, avait feint d'entrer dans
le ressentiment de cette multitude, mais ne ffit
plus écouté des' qu'il vOl/lut réveiller des sen-
timents de miséricorde. Manuel, le procureur
de la commune, saisi de pitié, avait couru les
plus grands dangers sans pouvoir sauver une
seul~ victime. A ces nouvelles, la commune,
un peu plas émue, dépecha une seconde dé-
putation pour calmer les esprits el éclairer le
peuple sur ses véritables intérets. Cette députa-
tíon, aussi impuissante que la premiere , ne
put que délívrer quelques femmes et quelques
débiteurs.


Le massacre continue pendant cette horri-
ble nuit. Les égorgeurs se succedent du tribu-
nal dans les guichets, et sont tour-a-tour j u-
ges et bOllrreaux. En meme temps ils boivent,




ASSEMIILÉI<~ LÉGISLATIVE (1792 ). 73
et déposent sur une table leurs verres em-
preints (le sango Au milieu de ce Clarnage, ils
épargnent eependant quelques victimes, et
éprouvent eo lé~ rendant a la vie une joie in-
concevable. Un jeune homme, réclamé par
une section, et décIaré pur d'aristocratie, est
acquitté aux cris de vive la nation, et porté en
triomphe sur les bras sanglants des exéeuteurs.
Le vénérable Sombreuil, gouverneur des In-
valides, est amené a son tour, et eondamvé a
etre transféré a la Force. Sa filIe 1'a aperc;u du
roilieu de la prison; eHe s'élance au travers des
piques et des sabrt!s, serre soh pere daos ses
bras, s'attache a lui avec tant de force, sup-
plie les meurtriers avee tant de larmes et un
accellt si déchirant, que leur fureur étonnée
est suspendue. Alors, eorome pour mettre 11
une nOl'lvelle épreuve eette sensibilité qui les
touche : Bois, disent-ils a eette fine généreuse,
bois du sang des aristocl'ates, et ils luí presen-
tent un vase plein de sang : elle boit, et son
pere est sauvé. La filie oe Cazotte est parve-
nue aussi a ellvelopper son pere dans ses bras;
elle a prié eomme la généreuse Sombreuil, a
ét~ irrésistible comme eHe, et, plus heureuse,
a obtenu le salut de son pere, sallS qu'un prix
horrible ait été imposé a son amour. Des lar-
mescoulent des yeux de ces hornmes féi'oces;


. ,"-.',


"JI{




,


RÉVOLUTION FRAN~AISE.
et ils reviennent encore demander des victi-
mes! L'un d'entre eux retourne dans la prison
pour conduire des prisonniers a la mort; il
apprend que les malhemenx qu'ii venait égor-
ger ont manqné d'ean pendant vingt-deux
heures, et il vent aller tuer.le geolier. Un au-
tre s'intéresse a un prisonnier qu'il traduit au
guichet, paree qu'il lni a entendu parler la
langiIe de son pays. - Pourquoi es-tu ici? dit-ii
a M. Journiac de Saint-Méard. Si tu n'es pas
un traitre, le président, qui n' est pas un SOl,
sama te rendre j ustice. N e tremble pas, el" ré-
pOllds bien. - M. Jonrniac est présenté a Mail-
lard , quí regarde l'écrou. - Ah! dit Maillard,
e'est vous, M. Journiac, qui écriviez dan s le
Jomnal de la cour et de la ville? - Non, ré-
pond le prisonnier, c'est une calomnie; je n'y
ai jamais écrit. - Prenez garde de nons trom-
per, reprend Maillard,. car tout mensonge est
ici puní de mort. Ne vous etes·vous pas ré-
cemment absenté pour aller a l'armée des
émigrés? - e'est encore une calomnie; j'ai un
certific¡)t attestant que, depuis vingt-trois mois,
je n'ai pas quítté Paris. - De quí est le certi-
ficat? la signature en est-elle authentique?
- Heureusement pour M. de Journiac, ii Y
avait dans le sanguinaire audítoire un homme
auquel le sigllataire du certificat était person-




ASSEMBLÉIl LÉGJSLATIVE (1792 ). 77
neIlement connu. La signature est en effet vé-
rifiée et déclarée véritable. - Vous le voyez
donc, reprend M. de Journiac, on m'a calom-
nié. - Si le calomniateur était ici, reprend
Maillard, une justice terrible en serait faite.
Mais répondez, n'avait-on aucun motif de vous
enfermer? - alli, reprend M. de lourniac,
j'étais connu pour aristocrate. - Aristocrate!
- Ouí, aristocrate; mais vous n'etes pas ici
pour juger les opinions; vous ne devez juger
que la conduite. La mienne est sans reproche;
je n'ai jamais conspiré; mes soldats, dans le
régiment que je commandais, m'adoraient, el
ils me chargerent a Nancy d'aller m'emparer
de Malseigne. - Frappés de tant de ferme'té,
les juges se regardent, et Maillard donne le
signal de grace. Aussitot des cris de vive la na-
lion! retentissent de toutes parts. Le prison-
nier est embrassé. Deux individus s'emparent
de lui, et, le couvrant de leurs bras, le font
passer saín et sauf a travers la haie menac;ante
des piques et des sabres. M. de Journiac vent
lenr donner de l'argent, mais ils refusent, et
ne demandent qu'a l'embrasser. Un autre pri-
sonnier, sauvé de meme, est reconduít chez
lui avec le merrie empressement. Les exécu-
tellrs, tout sanglants, demandent a etre té-
moins de la joie de sa famille, et immédiate-


,




,
,8 RÉVOLUTION FRAN~A.ISE.
mentapres ils retournent au carnage. Dans cet
état convulsif, toutes les émotions se succe-
dent daos le creur de l'homme. Tour-a-tour
animal doux et féroce, il pleure OH _ égorge.
Plongé dans le saog, il est tout-a-coup touché
par un beau dévouement, par une noble fer-
meté ~ iI est sensible a l'honoeur de paraitre
juste, a la vanité de paraitre probe on désin-
téressé. Si dans ces déplorables journées de
septembre, on vit quelques-uns de ces sauva-
ges devenus meurtriers et voleurs a la fois,
00 eo vit aussi qui venaient déposer sur le
bureau du comité de l' Abbaye , les bijoux san-
glants trouvés sur les prisonniers.


Pendant eeUe affreuse nuit, la troupe s'était
clivisée, et avait porté le ravage dans les autres
prisons de Paris. Au Chatelet, a la Force, a la
Coociergerie, aux Bernardins, a Saint-Fil'min,
a la Salpetriere ~ a Bieetre, les memes massa-
eres ava~ent été eommis, et des flots de sang
avaient co'ulé comme a l' Abbaye. Le lende-
main, lundi.3 septembre, le jour éclaira l'af-
freux earnage de la nuit, et la stupellr régna
dan s Paris. Billaud-Varennes reparut a l'Ab-
baye, ou la veille iI avait eneouragé ce qu'on
appelait les trallailleurs. Illeur adressa de nou-
vean la paro le : « Mes amis, leur dit-il, en égor-
{( geant des scélérats, vous avez sauvé la patrie.




ASSEMDLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). • 79
( La France vous doit une reconnaissance éter-
« neHe, et la municipalité ne sait comment s'ac-
« quitter envers vous. Elle vous offre 2.4 livres
« a chacun, et vous allez etre payés sur-Ie-
« champ. » Ces parales furent couvertes d'ap-
plaudissements, et ceux auxquels elles s'adres-
saient suivirent alors Billaud-Varennes dans le
comité, pour se faire délívrer le paiement qui
leur était promis. - Oil voulez-vous, di! le pré-
sident a Billaud, que nous trouvions des fonds
paur payer? - Billaud, faisant alors un nou-
vel élage des massacres, répondit au président
que le ministre de l'intérieur devait en avoir
pour cet usage. On courut chez Roland, qui
venait d'apprendre avec ]e jaur les crimes de
la uuit, et qui repoussa ]a demande avec in-
dignatían. Revenus au comité, les assassins de-
manderent, sous peine de mort, le salaire de
leurs affreux travaux, et chaque membre fut
obligé de dépouiller ses poches pour les satis-
faire. Enfin la commune acheva d'acquitter la
dette, et on pent lire an registre de ses dé-
penses ]rentian de plusieurs sommes payées
aux exécuteurs de septembre. On y yerra en
outre, a la date du 4 septembre, la somme de
J ,463 livres affectée a cet emploi.


Le récit de tant d'harreurs s'éta.it répandu
dalls París, et y avaít produit la plus grande




· 80 RÉVOLU1'ION FRAN9AISt,.
terreur. Les jacobins continuaient a se taire.
A la comn:lUne on commen-;;ait a etre touché;
mais on ne manquait pas d'ajouter que le peu-
pIe avait été juste, qu'il n'avait frappé que des
criminels, et que dans sa vengeance il n'avait
eu que le tort de devancerle glaive des lois.
Le conseil général avait envoyé de nouveaux
commissaires pour calmer I'fÚférfJescence, et
ramener aux principes ceux qui étaient égarés.
Telles étaient les expressions des autorités pu-
bliques. Partout on rencontraít des gens qui,
en s'apitoyaut sur les souffrances des malheu-
reux immolés, ajoutaient: «Sion les ent laissés
vivre, ils nous auraient égorgés dans quelqnes
jours.ll D'autres disaient: « Si nous sommes vain-
cus et massacrés par des Prussiens, ils auront
du moins succombé avant nous.)) Telles sont les
épouvantables conséquences de la peur que les
partis s'inspirent, et la haine engendrée par
la peur.


L'assemblée, au milieu de ces affreux dé-
sordres, était douloureusemellt affectée. Elle
rendait décrets sur décrets pOllr demander
compte a la commune de l' état de París, et
la commune répondait qu'elle faisait tous ses
efforts pour rétablir l' ordre et les lois. Cepell-
dant l'assemblée, composée de ces girondius
qui poursuivirent si courageusement les assas-




AssE~lnLÉf LÉGISLATIVE (1792). 81
sins de septembre , et moururent si noblement
pour les avoir attaqués, l'assemblée n'eut pas
l'idée de se transporter tout entiere daos les
prisons, et de se mettre entre les meurtriers
et les victimes. Si eette idée généreuse ne vint
pas l'arraeher a ses baues et la porter sur le
théatre du eamagc, il Emt l'attribuer a la
surprise, au scntiment de son impuissanee,
peut- ctre ;}[lssi a ce dévouement insuffisant
qu'inspire le danger d'un ellnemi, enfin a eette
désastreuse opinion, partagée par quelques
députés, que les vietimes étaient autant de
eonjurés, desquels on aurait re¡;u la mort, si
on ne la lcur avait donnée.


Un homme déploya en ce jour un généreux
caractere, et s'éleva avec une noble énergie
contre les assassins. Sous leur regne de tl"ois
jours, il réclama le second. Le lundi matin, a
l'iustant on iI venait d'apprendre les crimes de
la nuit, iI écrivit au maire Pétion, qui ne les
connaissait point encore, il écrivit a Santerre
qui n'agissait pas, et leur fit a tous deux les
plus pressantes réquisitions. II adressa dans le
moment meme a l'assemblée une lettre, qui fut
couverte d'applaudissements. Cel homme' de
bien, si indignement calomllié par les partis,
était Roland. Dans sa lettre il réclama contre
tous les genres de désordres, contre les 118ur-


lfl. 6




RÉVOT.UTION FRAN<.;!ATSF..


pations de la commune, conlre les fUl'eurs de
la populace, et dit noblement qu'il saurait
mourir an poste que la loi lui avaÍt assigné.
Cependant, si l'on veu1:'se faire une idée de la
disposition des esprits, de la fureur qui régnait
contre ceux qu'on appelait les lraitres, et des
ménagements qu'il fallait employer en parlant
aux passions délirantes, OIl peut en juger par
le passage suivant. Ccrtes on ne peut pas douter
du courage de l'homme qui, seul et publique-
Iflent, rendait toutes les autorités responsables
des massacres, et cependant voici la maniere
dont il était obligé de s'exprimer a cet égard:


(( Hiel' fut un jour sur les événements duque!
I( iI faut pellt.etre jeter un voile. Je sais que le
« peuple, terribJedans sa vengeance, y porte
« encore une sor te de justice ; iI ne prend pas
«( ponr victime tout oe qui se présente a sa
t( fureur; a la dirige sur ceux qu'il croit avoir
«( été trop long- temps épargnés par le gIaive
(( de la toi, et que le péril des circonstances
( luí persuade devoir etre irnmolés sans délai.
« Mais je sais qu'il est faciJe a des scélérats, a
« des traltres, d'abuse!' de ceHe effel'vescence,
(e et qu'il faut I'al'reter; je sais que nous devons
ce a la France entiere la déclaration, que le
(( pouvoir exécutif n'a pu prévoir ni empecher
ce ces exd~s ; je sais qu'il est du devoir des au-




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (179'2). 83
« torités constituées d'y mettre un terme, ou
e( de se regarder comme anéanties. Je sais encore
( que cette déclaration m'expose a la rage de
ce quelques agitateurs. Eh bien! qn'ils prennent
(( ma vie, je ne veux la conserver que pour
(( la liberté, l'égalité. Si elles étaient violées ,
(cdétruites, soit par le regne des despotes
« étrangers, ou l'égarement d'un peuple abusé,
(c j'aurais assez vécu; mais jusqu'a mon der-
c( nier soupir j'aurai fait mon devoir. e'est le
(( seul bien que j'ambitionne, et que nulle
« puissance sur la terre ne saurait m'enlever.»


L'assemblée couvrit cette lettre d'applaudis-
sements, et, sur la motion de Lamourette, or-
donna que la commune rendraitcompte de
l'état de París. La commime r~pondit encore
que le calme était rétabli. En voyant le cou-
rage du ministre de l'jntérieur, Marat et son
comité s'irriterent, et oserent lancer contre lui
un mandat d'arret. Telle était leur fureur aveu-
gle, qu'ils osaient attaquer un ministre, et un
homme qui dan s le mom~n t jouissait encore de
tonte sa popularité. Danton, a cette nouvelle,
serécria fortement contre ces membres du comi·
té, qn'ilappela des enragés. Quoique contrarié
tous les jours par l'inflexíbilité de Roland, ii
était loin de le halr; d'aillellrs iI redoutait, dalls
sa terrible politique, tont ce qu'il croyait inu-


G.




84 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
tile, et ii regardait comme une extravagance
de saisir au milieu de ses fonctions le pre-
mier ministre de l'État. Il se relld a la mairie,
court au comité, et s'emporte vivement contre
Marat. Cependant on l'apaise, on le réconcilie
avec Marat, et on lui remet le mandat d'arret,
qu'il vient aussitot montrer a Pétion , en lui ra-
contant ce qu'il avait faít. - Voyez, dit-il au
maire, de quoi sont capables ces enragés! mais
je saurai les mettre a la raison. - Vous avez
eu tort, réplique froidement Pétion, cet acte
n'aurait perdu que ses auteurs.


De son coté, Pétion, quoique plus froid que
Rolancl, n'avait pas montré moins de cOllrage.
Il avait écrit a Santerre, qlli, soit impllissance
ou compIicité, répondait qu'il avait le crellr
déchiré, maís qu'il ne pouvait faire exécuter
ses ordres. Il s'était ensuite rendu de sa per-
sonne sur les divers théatres du carnage. A la
Force, iI avait arraché de leur siége sanglant
deux officiers municipaux qlli remplissaient,
en écharpe, les fonctions que Maillard exer«;;ait
a l'Abbaye. Mais a peine était-il sorti pour se
rendre en d'autres lieux, que ces officiers mu-
nicipaux étaient rentrés, et avaient continué
leurs exécutiolls. Pétion, partont impuissant,
était re tourné aupres de Roland, que la dou-
lenr avait rendu malade. On n'était parvenu a




ASSEMBLÉE LÉGlSLATlVE (1792). 85
garantir que le Temple, dont le dépot excitait
la fureur populail'e. Cependant la force armée
avait été ici plus heureuse, et un ruban tri-
colore, tendu entre les murs et la populace,
avait suffi pour l'écarter, et pour sauver la fa-
mille royale.


Les etres monstrueux qui versaient le sang
depuis le dimanche, s'étaient acharnés a cette
horrible tache, et en avaient contracté une
habitude qu'ils ne pouvaient plus interrompl'e.
lIs avaient meme établi une espece de régula-
rité dans leurs exécutions; ils les suspendaient
pOOl' transporter les cadavres, et pour faire
leurs repaso Des femmes meme, portant des ali-
ments, se rendaient aux prísons, pour donner
lediner a.leurs maris, qui, disaient-elles, étaient.
occupés a l'Abbaye.


A la Force, a Bicetre, a. l' Abbaye, les massa-
cres se prolongerent plus qtTailleurs. C'était a
la Force que se trouvait l'infortunée princesse
Lamballe, qui avait été célebre a la cour par
sa beauté et par ses liaison5 avec la J·eine. On
la conduít mourante au terrible guichet.-
Qui etes-vous? lui demandent les bourreaux
en écharpe. - Louise de Savoie, princesse de
LambaUe. - Quel était votre role a la cour?
Connaissiez-vous les complots du chateau?-
le n'ai connn aucun complot. -Faites serment




86 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
d'aimer la liberté et l'égalité; faites serment de
hair le roi, la reine et la royauté. - Je ferai le
premier serment; je ne puis faire le second,
il n'est pas dans ruOD creur.


- Jurez donc, luí dit un des assistants qui
voulait la sauver. Mais l'infortunée ne voyait
et n'entendait plus rien. - Qu'on élargisse ma-
dame, dit le chef du guichet. - lei, comme a
l'Abhaye, on avait imaginé un mot pour ser-
vir de signa! de mort. On emmene cette [emme
infortunée, qu'on n'avait pas, disent quelques
narrateurs, l'intention de livrer a la mort, et
qu'on voulait en effet élargir. Cependant elle
est re«;ue a la porte par des furieux avides de
carnage. Un premier coup de sabre porté sur
le derriere de sa tete faít jaillir son sango Elle
s'avance encore soutenue par deux hommes,
qui peut-etre voulaient la sauver; mais elle
tomhe a quelques pas plus 10Ín sous un dernier
coup. Son heau corps est déchíré. Les assas-
sins l'outragent, le mutilent, et s'en partagent
les lambeaux. Sa tete, son creur, d'autres par-
tíes du cadavre, portées au bont d'une pique,
sont promenées dans Paris. Il fant, disent ces
hommes dans Ieur langagc atroce, les porler
au pied du tróne. On court au Temple, et on
éveille avec des cris affreux les infortunés prí-
sonniers, qui demandent avec effroi ce que




A.SSEIUBLt~E LÉGISLATIVE (1792). 87
c'est. Les officiers· municipaux s'opposent a ce
qu'ils vOlent l'horrible cortége passer sous leur
femhre, et la. tete sanglante qu'on y élevait· au
bout d'une pique. Un garde national dit enfin
a la reine: « C'est la téle Lamballe qu'on veut
« vous empécherde voir.)) A ces mots, la reine
s'évanouit. Madame Élisabeth, le roi, le valet
de ehamure Cléry, emportent cette princesse
infortunée; el les cris de la troupe féroce re-
tentissent long-temps eucore autour des murs
du Temple.


Lajournée du 3 et la nuit du 3 au 4, conti-
IIuerent d'etre souiUées par ces massacres. A
Bicetre surtout le earnage fut plus long et plus
terrible qu'ailleurs. n y avait la quelques mille
prisonniers, enfermés, comme on sait, pOUl'
toute espece de vices. lis furent attaqués, vou-
Jurent se défendre, et on employa le canon
poul' les réduire. Un membre du conseil géné-
ral de Ja commune osa meme venir demander
des forces pour réduire les prísonniers qui se
défendaient. Il ne fut pas écouté. Pétion se
rendít encore a Bicetre, mais il n'obtint rien.
Le besoin du sang animait eette multitude; la
fureur de combattre et de massacrer avait suc-
cédé chez elle au fanatisme pobtique, el elle
tuait pour tuero Le massacre dura la jusqu'all
mercredi 5 septembre.




88 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Enfin presque toutes les victimes désignées


avaient péri; les prisons étaient vides; les fu-
rieux demandaient encore du sang, mais les
sombres ordonnatel1rs de tant de mel1rtres
semblaient se montrer aeeessibles a quelque
pitié. Les expressiolls de la eommune eommen-
«;aient a s'adollcir. Profondément touchée, di-
sait-elle, des rigueurs exereées eontre les pri-
sonniers, elle donnait de nouveaux ordres pour
les arreter; et eette fois elle était mieux obéie.
Cependant a peine restait-il quelques malheu-
reúxauxquels sa pitié put etre utile. L'évalua-
tÍon du nombre des victimes differe dan s tous
les rapports du temps; eette évaluation va-
rie de six a douze mille dans les prisons de
París '1-.


Mais si les exécutions répandirent la stllpellr,
l'audace qu'on mit a les avouer et a en recom-
mander l'imitation, ne surprit pas moin.s que
les exécutions memes. Le comité de surveillance
osa répandre une cirClllaire a toutes les com-
munes de France, que l'histoire doit conserver
ave e les sept signatures qui y furent apposées.
Voici cette piece monumentale :


Paris, 2. septembre 1792.


« Freres et amis, un affreux com plot tramé


.. Voyez sur ces journées la note 7 a la fin dll·4 e vol lime.




ASSliMBLlÍE LÉGISLATIVE (1 792). 89
(l par la cour pour égorger tous les patriotes
« de !'empire fran<;ais, complot dans leque\ un
le. grand nombre de membres de l'assemblée
t( nalionale sont compromis, ayant réduit, le
« 9 du mois dernier, la commune de Paris a
« la plus cruelle nécessité d'user de la puis-
I( sanee du peuple pour sauver la natíon, elle
« n'a rien négligé pour bien mériter de la pa-
(e trie. Apres les témoignages que l'assemblée
« nationale venait de lui donner elle-me me ,
ee eut-on pensé que des lors de nouveaux com-
«( plots se tramaient dans le silence, et qu'ils
(céclataient dans le moment meme 00. l'assem-
« blée nationale, oubliant qu'elle venait de dé-
« clarer que la cornmune de Paris avait sauvé
« la patrie, s'empressait de la destituer pour
(e prix. de son brulant civisme? A cette nou-
« velle, les clameurs publiques élevées de tou-
( tes parts ont fait sentir a l'assemblée nationale
( la llécessité urgente de s'unir au peuple, et
( de rendre a la commune, par le rapport du
« décret de destitution, le pouvoir dont elle
« l'avait investie.


« Fiere de jouir de toute la plénitude de la
( eonfiance nationale, qu'elle s'efforcera de
« mériter de plus en plus, placée au foyer de
« tOLltes les conspirations, et déterminée a pé-
[( l'ir pOLlr le salut pLlblic, elle ne se glorifiera




90 ,RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
« d'avoir fait son devoir que lorsqu'elle aura
« obterm votre approbation, qui est l'objet de
({ tous ses vreux, et dont elle ne sera certaine
« qu'apres que tous les départements auront
« sanctionné ses mesures pour le salut publico
(e Professant les príncipes de la plus parfaite
( égalíté, n'ambitionnant d'autre privilége que
« celui de se présenter la premiere a la breche,
« elle s'empressera de se soumettre au niveall
« de la commune la moins nombreuse de l'em~
te pire, des qu'il n'y aura plus rien a redouter.


« Prévenue que des hordes barbares s'avan-
t( c;aient contre elle, la commune de Paris se
(C hate d'informer ses freres de tous les dépar-
{( tements qu'une partie des conspirateurs fé-
c( roces détenus dans les prisons a été mise a
« mort par le peuple, actes de justice qui lui.
« ont paru indispensables pour retenir par la
l( terreur les légions de traltres renfermés dans
« ses murs, au moment ou jI allait marcher
« a l'ennemi; et sans donte la natíon, apres
« la longue suite de trahisons qni l'a conduite
« sur les bords de l'abime, s'empressera d'a-
c( dopter ce moyen si utile et si nécessaire; et
« tons les Fran<,;ais se diront comme les Pari-
c( siens : Nons marchons a l'ennemi, et nons
« ne laissons pas derriere nons des brigands
l( ponr égorger nos femmes et nos enfants.




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 91
e( Signés Duplain, Panis, Sergent, Leufant,


( Marat, Lefort, Jourdeuil, administrateurs
ce du comité de surveillance constitué ti la
« mairie. )}


La lecture de ce document peut faire juger
aquel degré de fanatisme l'approche du dan-
ger avait poussé les esprits. Mais il est temps
de reporter nos regards sur le théatre de la
guerre, ou nous ne trouvons que de glorieux
souvenirs.






ASSEMBLÉE LÉGJSLATJVE (1792 ). 93


CHAPITRE JI.


Campagne de I'Argonne.-Plans militaires de Dumouriez.
_ Prise du camp de Grand-Pré par les Prussiens.-
Yictoiredc Yalmy. - Retraite des coalisés; bruits sur
les causes de eette retraite.


DEJ A., comme on 1'a vu, Dumourjez avait tenu
un conseil de guerre a Sedan. Dillon y avait
émis l' opinion de se retirer a Chalons pour
mettre la Marne devant IlOUS, et en défendre
le passage. Le désordre des vingt-trois mille
hommes laissés a Dumouriez, l'impuissance ou
ils étaient de résister a quatre-vingt mille Prus-
siens parfaitement aguerris et organisés, le pro-
jet attribué a 1'ennemi de faire une invasion
rapide sans s'arreter aux places fortes, tels
étaient les motifs qui portaient Dillon a croire
qu'on ne pourrait pas arreter les Prussiens, et
qu'il fallait se hater de se retirer devant eux ,
pour chercher des positions plus fortes, et sup-




94 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
pléer ainsi a la faiblesse el au mauvais état de
notre armée. Le conseil fut tellement frappé
de ces raisons, qu'il adhéra unanimement a
l'avis de Dillon, et Dumouriez, a qui apparte-
nait la décision, cdmme général en chef, ré-
pondit qu'il y réfléchirait.


C'était le 28 aout au soir. lei fut prise une
résoIution qui sauva la France. Plusieurs s'ell
disputent l'honneur : tout prom"e qu'eIle ap-
partiellt a Dnmouriez. L'exécutioll au reste la
luí rend tout-a-fait propre, et doit lui en mé-
riter toute la gloire. La France, comme on sait,
est défendue a l'est par le Rhin et les Vosges,
au nord par une suite de pIaces fortes dues an
génie de Vauban, et par la Meuse, la Moselle
et divers conrs d'eau qni, combinés avec les
places fortes, composent un ensemble d'obs-
lades suffisants pour protéger cette frontiere.
L'ennemi avait pénétré en France par le nord,
et iI avait tracé sa marche entre Sedan et Metz,
laissant l'attaque des pIaces fortes des Pays-Bas
an dnc de Saxe-Teschen, et masqnant par un
corps de tronpes Metz et la Lorraine. D'apres
ce projet, iI eut fallu marcher rapidement,
profiter de la désorganisation des Franc;¡ais, les
frapper de terreur par des coups décisifs, en-
lever meme les vingt - trois mille hommes de
Lafayette, avant qu'un nouveau général ¡eur




ASSEi\IBLÉIl LÉGISLAT1VE (1792). 9S
cUt remlu l'ensemble et la cOl'lfiance. Mais le
combat entre la présomption du roi de Prusse
et la prudence de Brunswick, arretait toute
résolution, et empechait les coalisés d' etre sé-
rieusement ou audacieux ou prlldents. La prise
de Verdun excita davantage la vanité de Fré-
déric-Guillaume et l'ardeur des émigrés, mais
ne donna pas plus d'activité a Brtinswick, qui
n'approuvait nullement l'invasion, avec les
moyens qu'il avait el avee les dispositions du
pays envahi. Apres la prise de Verdun, le 2.
septembre, l'armée eoalisée s'étendit pendant
plusieurs jours dans les plaines qui bordent la
Meuse, se borna a oeeuper Stenay, et ne fit
pas un seul pas en avant. DlImouriez était a
Sedan, et son armée eampait dans les environs.


De Sedan a Passavant s'étend une foret dont
le nom doit etre a jamais fameux clans nos an-
uales; e'est eeHe de l'Argonne, qui couvre un
espace de treize a quinze lieues, et qui, par
les inégalités du terrain, le mélange des bois
et des eaux, est tout-a-fait impénétrable a une
armée, excepté clans qllelqlles passages prin-
cipaux. e'est par eette foret que l'ennemi de-
vait pénétrer pour se rendre a ChaIOIlS, et
prendre ensnite la route de Paris. Avee un
projet pareil, iI est étonnant qu'il n'eut pas
songé encore a en occuper les principaux pas-




96 RÉVOLUTION FRA.N<;;:A.ISE.
sages, et a y devaneer Dumouriez, qui, a sa
position de Sedan, en était éloigné de toute la
longueur de la foret. Le soir, apres la séance
du eOllseil de guerre, le général franc;;ais eon-
sidérait la carte avec un officier dans les ta-
lents duquel iI avait la plus grande confiance :
c' était Thouvenot. Lui montrant a10rs du doigt
I'Argonne et les clairieres dont elle est traver-
sée: (( Ce sont la, lui dit-il, les Thern~opyles de
la Franee : si je puis y etre avant les Prnssiens,
tont est sauvé. »


Ce mot enflamma le génie de Thouvenot,
et tous deux se mirent a détailler ce beau plan.
Les avantages en étaient immenses : outre
qu'on ne reeulait pas, et qu'on ne se rédui-
sait pas a la Marne pour derniere ligne de J.é-
fense, on faisait perdre a l'eunemi un temps
préeieux; on l'obligeait a rester dans la Cham-
pagne pouilleuse. dont le sol désolé, fangeux,
stérile, ne pouvait suffire a l'entretien d'une
armée; on ne lui eédait pas, comme en se re-
tirant a Chalons, les trois éveebés, pays riche
et fertile, ou il aurait pu hiverner tres-hell-
reusement, dans le cas meme ou il n'aul'ait pas
forcé la Marne. Si l'ennemi, apres avoir perdu
quelque temps devant la foret, vonlait la tour-
ner, et se portait vers Sedan, il trouvait dev:lIJt
luí les plaees fortes des Pays-Bas, et iI n'était




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (179'1)· 97
pas supposable qu'il put les faire tomber.
S'il remontait vers l'autre extrémité de la foret,
iI reneontrait Metz 'etl'armée du centre; óh
se mettait alors 'a sa poursuite, et, en se réu-
nissanta l'armée' de Kellermalln, on pouvaít
former rine masse de cinquante mille hommes,
appuyée sur Metz et diverses pIaees fortes.
Daris tous les cas, on luí avaít fatt manquer sa
marche et perdre cette campagne; car on était
déjil en septembre, et a eette époqut'(on faisait
encore hiverner les armées. Ce projet était
excellent; mais il fallait l'exécuter, el les Prus'-
siens, rangés le long de l'Argonne, tallois <lile
Dumouriez était a l'une de ses extrémités,
pouvaient en' avoir ocCupé les passages. Ainsi
dónck: sort de ce grand projet et de la Franee
dépendait d'un 'hasard et d'une faute de l'en.
neml.


Cinq défilés dits du Chene-Populeux, de la
CrOiX-:lllX-~ois, de Grand-'Pr€, de la: Chalade,
et des Jslettes, traversaient l'Argonne. Les plus
importants étaient ceux de Grand-Pré et' des
Islettes, et malheureusement c'étaient les plus
él~és de Sedan et les plus rapproché3 de
l'ennemi. Dumonriez résolut de s'y portér lui::':
meme avec tont son mond,e. En meme temps
iI ordonna' au' "Sénéral' Dubbuquet de quitter
le départementdu' 'Nord.'pour veniT' oecupel'


1II. 7




98 aÉVOLUTION FRAN~AISE.
le passage ·du Chene-Populeux, qui était fort
important, mais tres-~approché de Sedan, et
dont l'occupalion était moios urgente. Deux
ro lites s'offraiellt a Dllmouriez pOllr se rendre
a Grand-Pré et aux Islettes : l'une derriere la
foret, l'autre devant, et enlace de l'ennemi.
La premit~re, passant derriere laforet, était
plus sure, mais plus longue; eHe révélait a
l'ennemi nos projets, et lui donnait le temps
de les prévenir. La seconde était plus courte,
mais elle trahissai t aussi notre but, et exposait
notre marche aux eoups d'une armée formi-
dable. 11 fallait en effet s'avaneer le long des
bois, et passer devant Stenay, ou se trouvait
Clerfayt avec ses Aulrichiens. DllmOl.lriez pré-
féra cependant ceHe-ei, et COIH'¡Ut le plan le
plus hardi. Il pensait qu'avec la prudenee au-
trichienne, le général ne manquerait pas, a la
vue des FraI)(;ais, de se retrancher dans'i'excel-
lent campde Broüenne, et que pendant ce
temps, OH lui éehapperait pour se porter a
Grand-Pré et aux Islettes.


Le 30, en effet, Dillon est mis en mouve-
ment, . et part avec huit mille hommes pour
Stenay, marchant entre la Meuseet l'Argonne.
Il trouve Clerfayt, qui occupait les deux bords
de la rivÍere avec vingt-einq mille Autrichiens.
lJe général Miaczinsky attaque avec qumze




ASSEl\JBLÉE LÉGISLA.TIVE (1 79'l)·· 99
cents hommes les avant- postes de Clerfayt,
tundís que Dillon, placé en arriere, marche a
l'appni avec toute sa division. Le feu s'eugage
avec vivacité, et Clerfayt repassant aussitót la
Meuse ,va se placer a Brouenne, comme I'a-
vai': tres-:heureusement prévu Damouriez. Pen-
dant ce temps, Dilloll ponrsuit hardiment 5a
route entre la Meuse et l'Argonnl'. Dllmouriez
le suit immédiatement avec les quinze mili e
hommes qui composaient son corps de bataille,
et ils s'avancent tOllS deux vers les postes qui
leal' étaient assignés. Le 2 septembre, Durnou-
riez était a Beffu, et n'avait plus qu'une mar-
che a faire pour arriver a Gl'and-Pré. Dillon
était le meme jour a Pierremont, et s'appro-
chait toujonrs des Islettes avec une extreme
hardiesse. Heureusement ponr celui-ci, le gé-
néral Galbaud,' envoyé ponr renforcer la gar-
nison de Verdun, était arrivé trop tard, et
s'était replié sur les Islettes, qn'il tenait ainsi
d'avance. Dillon y arrive le 4 avec ses dix mille
hommes, s'y établit, et fait garder de plus la
Chalade, autre passage secondaire qui lui était
confié. En meme temps Dumouriez parvient a
Grand -Pré, trouve le poste vacant, et s'eo
empare le 3. Ainsi, le 3 et le 4, les passages
étaient occupés par nos soldats, et le salut de
la France était fort avancé.





100 RÉVOJ,UTION FRAN~AISE.
Ce fut par cette marche audacieuse, et au


moins aussi méritoire que l'idée d' occuper l' Ar-
gonne, que Dumouriez se mit en état de ré-
sister a )'invasion. Mais ce n'était pas tout: il
fallait remIre ces passages inexpugnables, et
pour cela faire encore une foule de dispositions
dont le succes dépendait de beaucoup de ha-
sards.


Dillon se retrancha aux IsIettes; jI fit des
abatís, éleva d'exceUents retranchements, et,
disposant habilement de l'artillerie franc;:aise ,
qui était nombre use et excellente, pla~a des
batteries de maniere a rendre le passage in-
abordable. Il oecupa en meme temps la Cha-
lade, et se rendit ainsi martre des deux rontes
qui conduisent a Sainte - Menehould, et de
Sainte-Menehould a Chalons. Dumouriez s' é-
tablit a Grand - Pré, dans un camp que la
nature et l'art avaient rendu formidable. Des
hauteurs, rangées en amphithéatre, formaient
le terrain sur lequel se tl'ouvait l'armée. Au
pied de ces hauteurs s'étendaient de vastes
prairies, devant lesquelles l' Aire coulait en
formant la tete du campo Deux ponts étaient
jetés sur l' Aire; deux avant-gardes tres-fortes
y étaient placées, et devaient, en cas d' attaque,
se retirer en les bnilant. L'ennemi, apres avoir
déposté ces troupes avancées, avait a effectuer




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 101
le passage de l'Aire, sans le secours des ponts,
et sous le feu de toute notreartillerie. Apres
avoir franchi la ri,:iere, il lui fallait traverser
un bassin de prairies ou se croisaÍent mille
feux, et enlever enfin des retranchements es-
carpés et presque inaccessibles. Dans le cas ou
tant d'obstades eussent été vaincus, Dumou-
riez, se retirant par les hau teurs qu'il occupait,
descendait sur leur rever s , trouvait a leur
pied l'Aisne, autre cours d'eau qui les longeait
par derriere, passai t deux autres pOlltS qu'il
détruisait, et pouvait mettre encore une ri-
viere entre lui et les Prussiens. Ce camp pou-
vait etre regardé comme inexpugnable, et la
le général fralu;ais était assez en sureté pour
s'occuper tranquillement de tout le théatre de
la guerreo


Le 7 , le général Dubouquet occupa avec six
mille hommes le passage elu Chene-Populeux.
Il ne restait plus de libre que le passage beau-
coup moins important de ]a Croix-aux-Bois,
situé entre le Chene-Populeux et']e Grand-
Pré. Dumouriez, apres avoir fait rompre ]a
route et abattre des al'bres, y posta un co]onel
avec deux bataiHons et deux escadrons. Placé
ainsi au centre de ]a foret, et dan s un camp
inexpugnable, iI en défendait le principal pas-
sage au moyen de quinze mille hommes; iI




102. RÉVOLUTION FltANt;tAISE.


avait a sa droite, et a quatre lieues de distance,
Dillon, qui gardait les Isletteset la Chalad e avec
huit mille; a sa ganche Dubouquet, défendant
le Chene- Populeux avec six mille, et, dans
I'intervalle <Iu Chene-Populel1x a Grand-Pré,
UH colonel qui surveillait avee quelques com-
pagnies la poute de la Croix-aux-Bois, qu'on
avait jllgée d'une importance tres-secondaire.


Toute sa défense se trouvant ainsi établie,
iI avait le tempsd'attendre les renforts, et il
se hala de donner des ordres en conséquence.
n enjoignit a Beurnollville de quitter la fron-
tiere des Pays-Bas, ou le due de Saxe-Teschen
ne tentait rien d'important, et d'etre a RetheL
le 13 septembre, avec dix mille hommes. Il
fixa Cheilons pour le dépót des vivres et des
munitions, pour le rendez-vous des recrues et
des renforts qu'on Iui envoyait. Il réunissait
ainsi derriere luí lous les moyens de composer
une résistance snffisanle. En meme temps il
manda au pouvoir exécutif qu'i! avait occupé
l' Argonne. ClGrand-Pré et les Islettes, écrivait-il,
le sont nos Thermopyles; mais je serai plus heu-
eereux que Léonidas. " IL oemandait qu'on dé-
tachat quelqlles régiments de l'armée du Rhin,
qlli n'était pas menacée, el qu'on les joignit
a l'armée du centre, confiée désormais a Kel-
lermann. Le projet des Prussiens étant évi-




ASS}:l\IBLÉE LÉGISLATlVE (1792). 103
demment de marcher sur Paris, puisqu'ils
masquaient Montmédy et Thionville san s s'y
arreter, il voulait qu'on ordonnat a Kellel'mann
de cotoyer Ieur gauche par Ligny el Bar-Ie-Duc,
et de les prendre ainsi en flanc et en queue
pendant Ieur marche offensive. D'apres totltes
ces dispositions, si les Prussiens, renon<;ant a
forcer l'Argonne, remontaient plijs haut, Du-
mouriez les précédait a Revigny, et la, trouvait
Kellermann arrivant de Metz avec l'arrriée du
centre. S'ils descendaient vers Sedan, Dumon-
riez les suivait encore, rencontrait la les tlix
milIe hommes de Beurnonville ,et attendait
Kellermann sur les bords de l' Aisne; el, dans
les deu~cas, la jonction produisait une masse
dtl soi~ante mille hommes, capables de se mon-
trer en rase campagne.


Le ponvoir exéclltif n'ouhlia rien ponr se-
conder Dumouriezdans ses excellentesdis-
positions. Senan, le ministre de la guerre,
quoique maladif, veillaít sans relache a l'ap-
provisiollJlement des armées, au transport des
effets et munitions, et a la rénllion des nou-
velles levées. II partait tous les jOUI'S de París
de quinze cents a deux mille volontaires. L'en-
trainement vers l'armée était général, et on y
conrait en foule. Les sociétés patriotiques, les
conseils des communes, l'assemblée, étaient




J 04 RÉVOLUTlON FRAN~A.lSE.
cpn~Wl,lellep1ent traverséspar des compagnies
levé~s sp~nt:;tQ.ément,et marchant vers Chalons,
I:e~~e~-vons général des volo.ntaires,Il ne man-
.qHait a ces jeuues soIdats q~e la discipline et
I'habitude du champ de bataille,qu'ils n'avaient
point. en~c;>re" mais qu'ils pouvaient bientot
acquérir . ,Sou~ QU général habile.


Les gil'ondins étaient ennemis personnels
de Durnouriez, et lui accordaient peu de con-
fAAnce"depuisqu'illes avait. chassés du minis-
te[~; ;~'s ~v:~~ent meme vQ\l11,l lui substituer
.~P~,J~ iCj)mnV~lldemen.tr.général .un ,offider
no.l)lmé Grimoard. Mais ilss'étaient réunis a


" , .' ~ ". , .' , <


luí :dep,uis qu'il semblait chargé des destinées
de la patrie. Ro)and, le meiIJeur, le plus dé-
sintéressé d'entre eux:, luí écrivit. qJle lettre
touchante pour l'assurer qUf; tont était oublié,
e~: qu,e ses amis. De demandaient tous que d'a-
vO,ir a célébrer ses victoires.


Dl1mouriez s'était done vigoureusement em-
paré de cette frontiere, et s'était fait le centre
de vas tes mouvements, jusque-Ia trop lents et
trop désunis. Il avait heureusement occupé les
défilés de l' Argonne, pris une position <¡ui
dOl1uait aux armé es le temps de se grouper et
de s'ol'ganiserderriere luí; iI faisait arriver suc-
cessivement tous les corps pour composer une
masse imposante; il mettait KeUermano daos la




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (I792). 105
nécessité de venir recevoir ses ordres; it com-
mandait avec vigueur, agissa~t aveccélérité, et
soutenait les soldats en se ~ontrant au mmeu
d'eux, en leur-témoignant beaucoup de con-
fiance, eten s'effort;ant de leur faire désirer
uneprochaine renconlre avec l'ennemi.


On était ainsi arrivé au 10 septembre. Les.
Prussiens pareoururent tous nos postes, escar-
moueherent sur le front de tous nos retranche-
ments, et furent partout repoussés. Dumouriez
avait pratiqué de secretes cornmunications dans
l'intérieur de la foret, et portait sur les points.
menacés des forces inattendues, qui, dans
l'opinion de l'ennemi, doublaient les forees
réelles de notre armée. Le 1 I , iI Y eut une
tenllatÍ've générale contre Grand-Pré; mais le
général Miranda, placé a Mortaume, et le
général Stengela Saint-Joúvin, repousserent
toutes les attaques avec un pIein sueces.' Sur
plusieurs points, les soldats, raSsurés par Ieur
position et par l'attitude de leurs chefs, saute-
rent au - dessus de leurs retranchements, et
devancerellt a la balonnette l'approche des
assaillants. Ces combats oecupaient l'armée,
quL, quelquefois, manquait de vivres, a cause
dn desordre inévitable d'un service improvisé,
Mais la gaité du général, qui ne se soignait
pas mieux que ses soldats, engageait tOllt le




106 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


monde a se résigner; et, malgré un commen-
cement de dyssenterie, on se trouvait assez
bien dans le camp de Grand-Pré; Les offiC'iers
supérieurs seulemcnt, qui doutaient de la pos-
sihilité d'une longue résistance, le ministt~re
qui n'y croyait pas davantage,parlaient d'nne
re traite derriere la Marne, et assiégeaient Du-
mouriez de leurs conseils; et lui, écrivait des
lettres énergiques aux ministres, et imposait
silence a ses officiers, en leur disant que, lors-
qu'il voudrait des avis, il convoquerait un
conseil de guerreo


Il fant toujours qu'un homme ait les incon-
vénients de ses qUalités. L'extreme promptitude
du géníe de Dumouriez devait souvellt l'em-
porter jusqu'a l'irréflexion. Dans son ardeura
cOIlcevoir, illui était déja arrivé de ne pas bien
calculer les obstacles matériels de ses projets,
Ilotamment 10rsqu'il ordonna a Lafayette de se
porter de Metz a Givet. Il commit encore ici
une fante capitale, qui, s'il avait eu moins de
force el'esprit et de sang-froid, eut elltrainé
la perte de la campagne. Entre le Chelle-Po~
puleux et Gl;and-Pré se' trouvait, avons-ilOus
dit, un passage secondaire, dont l'importance
avait été jugée tres-médiocre, et qui Il'était dé-
fendu que par deux bataillons et deux esca-
drons. Accablé de soius immenses, Dumoul'iez




ASSEMDLÉE LÉGISLATIVE (J 792). fU?
n'était pas alIé juger par ses propres yeux de
ce passage. N'ayant d'ailleurs que peu de monde
a y placer, jI avait cru trop facilement que quel-
ques cents hommes suffirajent a sa garde. Pour
combIe de malhellr, le colonel qui y comman-
dait, lui persuada qu'on pouvait meme retirer
une partie des troupes qui s'y trouvaient, et
qu'en brisant les routes, quelques volontaires
suffiraient a y maintenir la défensive. Dllmou-
riez se laissa tromper par ce colonel, vieux
militaire et jllgé digne de confiance.


Pendant ce temps, Brllnswick avait fait exa-
miner nos divcrs postes, et il avait eu un mo-
ment le projet de longer la foretjusqu'a Sedan,
pOllr la tourner vers eette extrémité. Il parait
que, pendant ce mOllvement, des espions révé-
lerent la négligence du général fran~ais. La
Croix-aux-Bois fut attaquée par des Autrichiens
et des émigrés commandés par le prince de
Ligne. Les abatis avaient a peine été com-
mencés, les routes n'étaient point brisées, et
le passage fut occupé sans résistance des le
13 au matin. A peine Dumouriez eut-il appris
cette fnueste nouvelle, qu'il envoya le général
Chasot, homme d'une grande bravoure, avec
del1x brigades; six escadrons et quatre pieces
de huit, ponr occuper de nonveall le passage ,
et en chasser les Antrichieus. 11 ordonna de




108 RÉVOLUTION FRANctAISE.
les attaquer a la baionnette avec la plus grande
vivaoité, et a"ant qu'ils eussent trouvé le temps
de se retrancher. La journoo du I3 s'écoula,
et -éelle du J 4 se passa encore sans que le gé-
néralChasot put exécuter cet ordre. Le J 5 ,
cnSn, iI attaquaavec vigueur; repoussa l'en-
nemi, et luí 6t perdre le poste et son chef, le
prince de Ligne. Mais, attaqué deux heures
apres lui-m~me par des forces tres - supérieu-
res, et avant d'av.oir pu se retrancher, iI fut
repoussé de nouveau , et entierement dépos-
sédé de la Croix-aux-Bois. Chasot était en outre
coupé de Gl'and - Pré, et ne pouvait se re-
tirer ver s l'armée principale, qui se trouvait
ainsi affaiblie. Il se replia aussitot sur Vouziers.
Le général Dubouquet, commandant au Chene-
Populeux, et heurellx jusque-la dans sa résis-
lance, se voyant séparé de Gl'and-Pré, pensa
qu'il ne fallait pas s'exposer a etre enveloppé
par I'ennemi, qui, ayant coupé la ligne a la
Croix-aux-Bois, allait déboucher en masse. Il
résolut de décamper, et de se retirer par Attigny
et Somme-Puis, sur Ch:ilons. Ainsi le fruit de
tant de cambinaisons hardies et de hasards
heureux, était perdu; le seuI abstacle qu'on
put appaser a i'ínvasion, l'Argonne, était fran-
chi , et la raute de París était auverte.


Dumouriez, séparé de Chasot et de Dubau-




ASSElVlBLÉE LÉGJ&J,ATIVE (1792). 109
quet, n'avait plus que quiuze· miUe hommes;
et si l' ennemi, débouchan~ rapi<leroent par la
Croix-aux-Bois, tournait la position de Grand-
Pré, et venait occuper les passages de l' Aisne,
qui, a vons-nous dit, servaient d'issue aux der-
rieres du camp , le généra,l fran~ais était perdu.
Ayant quarante mille Prussiens en tete, vingt-
cinq mille Autrichiens sur ses derrieres" enfer-
mé ainsi avec quinze mille hommes par soixante·
Cillq mille, par deux cours d'eau et la foret, iI
n'avait plus qu'a mettre has les armes, ou a
faire tuer inutilement jusqu'au dernier de ses
süldats. La ~eule armée sur laqueHe comptait
la France était alors anéantie, et les coalisés
pouvaient prendre la route de la capitale.


Dans cette situation désespérée, le général
ne perdit pas courage, et conserva un sang-
froid admirable. Son premier süin fut de songer
le jour meme a la retraite, car le plus pressant
était de se soustraire aux fourches Caudines.
Il cünsidéra que par sa droite iI touchait a
Dillün, maitre encore des Islettes et de la route
de Sainte-Menehould; qu'en se repliant sur les
derrieres de celui-ci, et appuyant son dos contre
le sien, ils feraient tous deux face a l' ennemi,
l'un aux Islettes, l'autre a Sainte-Menehould, et
présenteraient ainsi un düuble front retranché.
La ils pourl'aient attendre la jonction des deux




1 I u RBVOLUTI?N Fl\AN~AISE.
généraux Chasot et Dubouquet, détachés du
corpsde hataille, ceHe de Bellrnonville, mandé
Ae Flandre pour etre le 13 a Rethel, ce He en-
fin de Kellermann, qui, étant depllis plus de
dix jours en marche, ne pouvait tarder d'ar-
river. Ce plan était le meilleur et le plus consé-
quent au systemé de Dumouriez ,qui consjstait
a ne pas reculer a l'intérieur, vers un pays Oll-
vert, mais a se tenir dalls un pays difficile, a
y temporiser, eta se mettre en position de
faire sa jonction avec l'armée du centre. Si,
an contraire, iI s'était replié sur Cheilons, ii
était poursuivi comme fugitif; iI exécutait avec
désavantage une retraite qu'il aurait pu faire
plus utilement des l'origine, et surtout iI se
mettait dans 1'impossibilité d't~tre I'ejoint par
Kellermann. e' était une grande hardit{sse, apres
uu accident tel que celui de la Croíx-aux-Bois,
de persister dans son systeme, et il fallait , daos
le moment, autant de génie que de vigueur
pour ne pas s'abandonner au cooseil, si répété,
de se retirer derriere la Marne. Mais que de
hasards heureux He íallait-il pas encore pour
réussir dans une retraite si difficile, si surveil-
lée, et faite avec si peu de monde, en présence
d'lln ennemi si puissant!


Aussitot iI ordonna a Beurnonville, déjil di-
rigé sur Rethel, a Chasot, dont ji venait de




ASSEMBLÉE LÉGISLATl\'E (1792). JI [
l'ecevoir des nouvelles rassurantes, ~ ,Dubou-
quet, retiré sur Attigny, de se rendre tous a
Sainte -Menehould. En meme temps iI manda
de nquveau a Kellermann de continuer sa mar-
che; cal' il pouvait craindre que Kellermann,
apprenant la perte des défilés, ne voulút re-
venir sur Metz. Apl'es avoir faít toutes ces dis-
positions, apres avoir re<;u un officier prussien
qui demandait a parlementer, et lui avoir mon-
tré le camp dans le plus grand ordre, iI tt
détendre a minuít, et marcher en silence vers
les deux ponts qui servaient d'issue au camp
de Grand·Pré. Par bonheur pour lui, l'enne-
mi n'avait pas encore sougé a pénétrer par la
Croix - aux - Bois, et a déborder les positions
fran~aises. Le ciel était orageux, et couvrait
de ses ombres la retraite des Fram;ais. On mar-
cha toute la uuit par les chemins les plus mau-
vais, et l'armée, qui heureusement n'avait pas
eu le temps de s'alarmer, se retira sallS con-
naitre le motif de ce changemeut de position.
Le lendemain J 6, a huit heures du matiu,
toutes les 'troupes avaient traversé l'Aisne;
Dumouriez s'était échappé, et iI s'arretait en
bataille sur les hauteurs d'Autry, a quatre
lieues de Grancl-Pré. Il n'était pas suiví, se
croyait sauvé, et s'avan<;ait a Dammartin-sur-
Hans, afin cl'y choisir un campement pour




r 1 2 RÉVOLUTION i'RANC;;:AISE.
la j(H~née, lorsque túut-a-coup ii entend les
fuyards accouril' et crier que tout est perdu,
que t'ennemi, se jetant sur nos derrieres, a mis
l'armée en déroute. Dumouriezaccourl, re-
tourne a son arriere-garde, et trouve le Péru-
vien Miranda et le vieux général Duval, arretant
les fuyards, rétablissant avec heaucoup de fer-
meté les rangs de l'armée, que des hussards
prussiens avaient un instant surprise et trou-
blée. L'inexpérience de ces jeunes troupes, et
la crainte de la trahison, qlÚ alors remplissait
tOQS les esprits, renda¡ent les terreurs paniques
tres-faciles et tres-fréquentes. Cependant tont
fut réparé, grace aux trois généraux Miranda,
Duval et Stengel, placés a l'arriere-garde. On
bivouaqua a Dammartin avec l'espérallce de
s'adosser bientot aux Islettes, et de terminer
heureusement cette périlleuse retraite.


Dumouriez était depuis vingt heures a che-
val. 11 mettait pied a terre a six heures du soir,
lorsque tout-a-coup il entend encore des cris
de sauve qui peul, des impl'écations contre les
généraux qui trahissaiellt, et surtout cOlltre le
général en chef, qui v~nait, dit-on, de passer
a l'enneini. L'artillerie avait attelé et voulait se
réfugier sur une hauteur: toutes les troupes
étaiellt confondues. n fit allumer de grands
feux, et ordonna qu'on restal sur place tOllte




ASSI':MBLÉE LÉGISLATIVJ<: (1792). 1 13
la nuit. On passa ainsi dix heures. dans les boues
et l'obscutité. ~Plus de quinze cellts fuyards;
s'échappant a travers les eampagnes, allerent
répandre a Paris et dans toute la France, que
l'armée du Nord, le dernier espoir de la pa-
trie, était perdue, et livrée a l'ennemi.


Des le lendemain tout était réparé. Dumou-
riez écrivait a I'assemblée nationale avec son
assurance ordinaire: « J'ai été obligé d'abandon-
« oer le eamp de Grand-Pré. La retraite était
« faite, lorsqu'une terreur panique s' est mise
( dans l'armée; dix milÍe hommes ont fui de-
e( vant quinze eents hussards prussiens. La perte
« ne monte pas a plus de einquante hommes et
« quelql1es bagilges. TOUT EST HÉPARÉ, ET JE
« RÉPONDS DE TOUT. » Il ne fallait pas moins que
de telles assuranees pour calmer les terrellrs
de Paris et du eonseil exécutif, qui allait de
nonveau presser le genéral de passer la Marne.


Sainte-Meoehould; ou marchait Dumouriez,
est'placé sur l' Aisne, J'une des deux rivieres
qui entouraient le eamp de Grand-Pré. Du-
mouriez devait dOlle en remonter le eours, et,
avant d'y parvenir, iI avait a franehir trois
rúisseaux assez profonds qui viennent s'y cono.
fondre, la Tourbe, la Bionne et l'Auve. Au-cIela
de ces trois ruisseaux se trouvait le camp qu'il
allait occuper. Au-devant de Sainte-Menehollld


JII. 8




J '4 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
s'élevenl circulairement des hauteurs de trois
quarts de Iielle. A Ieur pied s'étend un fonds
dans IequelItAuve forme des marécages avant
de se jeter dans I'Aisne. Ce foneIs est bordé a
droÍte par les hauteurs de l'Hyron, en face par
ceHes de la Lune , et a gauche par ceHes de
Gisancourt. Au ~entre du bassin se tronvent
différentes élévations, inférieures cependant a
ceHes deSainte-Menehould. I~émoulin de Valmy
en esl une, el iI fail immédiatement face aux
coteaux de la Lune. Lagranderoute de Ch:HollS
a Sainte-Menehould passe a travers ce bassin,
presque parallelement au cours de l'Auve. C'est
a Sainte-Menehould et au-dessus de ce bassin
que se pla-;a Dumouriez. Il 6t occlIper alltour
de Iui les positions les plus importantes, et ap-
puya le dos contre Dillon, en ¡ui recomman-
dantde tenirferme contre l'ennemi. JI occlIpait
ainsi la grande route de París sur troW points:
les Islettes, Sainte-MenehouId et Chalons.


Cependant les Prussiens pouvaient, en pé-
nétrant par Grand-Pré, le laisser a Sainte-Me-
nehould, et courir a ChilJons. Dumouriez or-
donna done a Dubouquet, dont iI avait apprís
l'heureuse arrivée a Chalons, de se placer,
avec sa division, an camp de l'Épine, d'y réu-
nir tons les volontaires nouvellement arrivés,
afln de couvrir Chalons contre un coup de




ASSEMBLÉE LÉGlSLATlVE (1792). 1 [5
maÍn. Il fut rejoint ensuite" par Chasot, el en-
fin par Beurnonville. Celui·ci s'était porté le
15 a la vue de Sainte-Menehould. Voyant une
armée en bon ordre, il avait supposé que c'é-
tait l'ennemi, car il ne pouvait croire que Du-
mouriez, qu'on disait battu, se fUt sitot et si
bien tiré d'emharras. Dans cette idée, il s'était
replié sur Ch.11ons, et la, informé de la vérité ,
il était ¡evenu, et avait pris position le 19 a
Maffrecourt, sur la droite du campo Il amenait
ces dix mille braves, que Dumouriez avait
pendant un mois exercés, dans le camp de
M aulde, a une continuelle guerre de postes.
Renforcé de Beurnonville et de Chasot, Du-
mouriez pouvait compter trente-einq miIle hom-
mes. Ainsi. grftCe a sa fermeté et a sa pré-
sen ce d' esprit, il se retrouvait placé dans une
position tres-forte, et en état de temporiser en-
core assez long-temps. Mais si l'ennemi plus
prompt le laissait en arriere, et courait en
avant sur Ch:ilons, que devenait son camp de
Sainte-Menehould? C'était toujours la meme
crainte; et ses précautions, au camp de l'É-
pine, étaient loin de pouvoir prévenir un dan-
gel' pareil.


Deux mouvemtmts s' opéraient tres-Ientement
autou1' de lui : celui de Brunswick, qui hési-
tait dans sa marche, et celui de Kellermann,


8.




J lO RÉVOLUTION FRAN(?ATSJ-:.
qui, parti le ti de Metz, n' était pas encore ar- #
rivé au point convenn, apres quinze jours de
route. Mais si la lenteur de Brunswick servait
Dumouriez, ceHe de Kellermann le compromet-
tait singulíerement. Kellermann, prudent et ir-
résolu, quoique, tres-brave, avait tour-a-tour
avancé ou reculé, suivant les marches de rar-
mée prussienne; et le 17 encore, en apprenant
la perte des défilés; il avait fait un mouvement
en ari'Íere. Cependant le 19 au soir il fit aver-
tirDumouriez qu'il n'étaitplus qu'adeux lieues
de Sainte-Menehould. Dumouriez luí avait ré-
servé les hallteurs de Gisaucourt, placées a sa
gauche, et dominant ]a route de ChaIOllS et
le ruisseau de l' Auve. Il lui avait mandé que;
dans le cas d'une bataille, il pourrait se dé-
ployer sur les hauteurs secondaires, et se por-
ter sur Valmy, au-dela de I'Auve. Dumouriez
n'eut pas le temps d'aller placer lui-meme son
collegue. Kellermann, passant l' Auve le 19 dans
la Huit, se porta a Valmy au centre du bassin,
et négligea les hauteurs de Gisaucoutt, qui
formaient la gauche du camp de Sainte-Mene-
hould, et dominaient celles de la l,une, sur
lesquelles arrivaient les Prussiens.


Dans ce moment, en effet, les Prussiens,
débouchant par Grand-Pré, étaient arrivés en
,,"ue de l'armée fralu;aise; et, gravissant les




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). J 17
hauteurs de la Lune, découvmieol déja le ter-
rain dont Dumouriez occupait le sommet. Re-
ooo<;ant a une course rapide sur Ghatons, i1s
~ étaient joyeux, dit-on, de trouver réunis les


deux généraux fran~ais, afin de pouvoir les
enlever d'un seul coup. Leur but était de se
rendre maitres de la route de ChaIons, de se
porter a Vitry, de forcer Dilloll aux Islettes,
d'entourer ainsi Saillte-Menehould de toutes
parts, et d'obliger les deux armées a mettre
has les armes.


Le 20 au matin, Kellermann, qui, au líen
d'occuper les hauteurs de Gisaucourt, s'était
porté au centre du bassin, sur le moulin de
Valmy, se vit dominé en face par les hauteurs
de la Lune, occupées par l'ennemi. D'un coté,
il avait l'Hyron, que les Franc;ais tenaient en
leur pouvoir, mais pouvaient perdre; de l'au'-
tre Gisaucourt, qu'il n'avait pas occllpé, et OU
les Prllssiens allaient s'établir. Dans le cas d'ullc
défaite, il était rejeté daos les marécages de
l'Auve, placés derriere le moutin deValmy, et
il pouvait etre écrasé avant d'avoir rejoint Du-
mouriez, dans le fond. de cet amphithéatre.
Aussitot iI appela son collegue áupres de luí.
Mais le roi de Prus~e, voyant un grand mou-
vement dans l'armée fran~aise, et croyant que
le projet des généraux était de se porter sur




I 18 • RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
ChéÜons, vouhW'Ilussitot en fermer le chemin,
et ordonna l'attaque. L'avant.garde prussienne
rehcontra sur la route de ChaIons l'avant.garde
de KelIermann , qui se trouvait avec son COl:pS
de bataille sur la hauteur de Valmy. On s'a-
borda "ivement, et les Fran(,;ais, repoussés
d'abord, furent tamenés et soutenus. ensuite
par les carabiniers du général Valence. Des
hanteurs de la Lune, la canonnade s'engagea
avec le mouJio de Valmy, el notre artillerie
riposta vivement a celle des Prussiens.


Cependant la position de Kellermann était
tres-hasardée; ses troupes étaient toutes. eQtas-
sées confusément sur'la hauteur de Valmy, et
trop mal a l'aise pour y combattre. Des han-
t~urs de la Lune, on le canonnait; de ,celles;de
Gisaucol,lrt, un ,feu établi par les Prussiens
maltraitait sa gauche; I'Hyron, qui flanquait
sa droite, était a la vérité occupé par les Fran-
(,;ais; mais Clerfayt~ attaquant ce poste avec
vingt-cinq mille Autrichiens, pouvait s'en em-.
parer : alors, foúdroyé de toutes parts, Keller-
mann pouvait etre rejeté .de Valmy dan s rAuve 1
sans que Dumouriez put le secourir. Celui-ci
envoya aussitot le général Stengel avec une
forte divisionpour maintenir les Fran<;:ais sur
l'Hyron, el y garantir la droite;de Valmy; iI
enjoignit a Beurnonville d'appuyer Stengelavec




ASSEIUBLÉE LÉG1SLATIVE (1792). 119
seize bataiIJuns; iI dépecha Chasot avec neuf
bataillons et huit escadrons sur la roule de
Chatons, pour occuper Gisaucourt et flanquer
la gauche de Kellermann. Mais Chasot, arrivé
pres de Valmy, demanda les ordres de Keller-
mann au lieu de se porter sur Gisaucourt, et
laÍssa aux Prussiens le temps de l'occuper, et
d'y établir un {eu meurtrier pour nous. Cepen-
dant, appuyé de droite et de gauche, Keller-
mann pouv aitsesoutenirsurlemouIinde Valmy.
MaJheureusement un obus tombé sur un cais-
son le lit sauter, et mit le désordre dans l'ín-
fanterie; le canon de la Lune l'augmenta en-
core, et déjfl la premiere ligne commen-;ait a
plier. Kellermann, apercevant ce mouvement,
accouru.t dan s les rangs, les raWa, et rétablit
l'ord¡;e. Dans cet instant, Bruuswick pensa qu'il
{allait gravir-la bauteur, et culbuter avec la
balonnette les lroupes fran~aises.


Il était midi. Un brouillard épais quj, jusqu'a
ce moment, avait enveloppé les deux armées,
était dissipé; elles s'apercevaient distinctement,
et nos jeunes soldats voyaient les Prussiens
s'avancer sur trois colonnes, avec l'assurance
de troupes vieilles el aguerries. C'était puur la
premiere foís qu'ils se trouvaient au nombre
de cent mille hommes, sur le champ de ba-
taille, et qu'ils aHaient cl'oiser la baionnette.




] 20 aÉYOLUTION FRANCAISE •
.


lIs ne connaissaient encore ni eux ni l'ennemi,
et ils se regardaient avec inquiétude. Keller-
llano entre dans les retranchements, dispose
ses troupes par colonnes d'un batailloll de
front, et Ieur ordonne, lorsque les Prussiens
seront a une certaine distance, de ne pas les
attendre, et de courir au-devant d'eux a la
balonnette. Puis il éleve la voix et crie : rive
la nation! - On pouvait dans cet instant etre
brave ou lache. Le cri de vive la nation ne fait
que des braves, et nos jeunes soldats, entrai-
nés, marchent en répétant le cri de vú/e la
nation! A cette vue, Brunswick, qui ne tentait.
l' attaque qn'avec répugnance,et avec une grande
crainte du résultat, hésite, arre te ses colon-
nes, et finít par ordonner la rentrée au campo


Cette épreuve fut décisi ve. Des ce moment,
pn erut a la valeur de ces savetiers, de ces
tailleu,rs, qui composaient l'ar~ée fraw;aise
d'apres les émigrés. On avait vu des hommes
équipés, vetus et braves; on avait vu des of-
ficiers décorés et pleins d'expérience; un gé-
néral Duval, dont la belle taille, les. cheveux
blanchis inspiraient le respect; Kel1ei'IDann,
Dumouriez enfin, opposant tantde constance
et d'habileté en présence d'un. ennemi si sllpé-
rieur. Dans ce moment, larévolution fraut¿aise
fut jugée, et ce chaos,jusqu~Hl ridicule, n'appa-




A.SSE1\lJlLÉE LÉGISLATIVE (1792). J 2 I
rut plus que eomme un terrible élan d'énergie.


A quatre heures, Brunswiek essaya une nou-
velle attaque. L'assurance de nos troupes le
déconcerta eneore, et il repIia une seeonde fois
ses eotonnes. Marchant de surprise en surprise ,
trollvant faux tout ce qu'on lui avait annoncé,
le général prussien n'avan<;ait qu'avec la plus
grande circonspection, et, quoiqu'on lui ait
reproché de n'avoir pas poussé plus vivemeut
l'attaque et' eulbuté Kellermaim, les boris ju-
ges pensent qu'il a eu raison. Kellermánn , sou-
tenu de droite et de gauche par toute l'armée
franc;;aise, pouvait résister; et si Brunswick, en-
foncé dans une gorge et dans un pays détesta-
ble, eut été battu une fois, il risquait d'etre en-
tierement détruit. D'ailleurs il avait, par le
résultat de la journte, oecupé la route de Cha-
lons : les Franc;ais se trouvaient coupés de leur
dépót, et il espérait les obliger a quitter leur
position dans quelques joul's.Il ne considérait
pas que, maitres de Vitry, ils en étaient qui ttes
pour un détour plus long, et pour quelques
délais dan s l'arrivée de leurs convois.


Telle fut la célebre journée du 20 septembre
17~2 , Ol! furent tirés plus de vingt mille coups
de canon, et appelée depuis CANONNADE DE
V ALIUY. La perte fut égale des deux cotés ,et
s'éleva pour ehaque armée a huit ou :neuf eerits




J 22 RÉVOLUTIO~ FRANC;:AlSE.
hommes. Mais la gaieté et l'assurance régnaient
da~s le camp fraw;ais, et les reproches, le re-
gret, clans eeluí des Prussiens. On assure que
dans la soirée meme les émigrés re~Ul'ent les
plus vives remontrances du roi de Prusse, et
qu'on vit diminuer l'influence de CalolJne, le
plus présompt'ueux des ministres émigrés, et
le plus féeond 'en promesses exagérées et en
renseignements démentis.


Dans la ~'Uit meme, Kellermann repassa
l' Auve a petit b.ruit, et _vint camper sur les
hauteurs dE,: Gisaucourt, qu'il aurai~ du occu-
per des l' origine, et dont les Prussiens avaient
profité dans ]a journée. Les Prussiens demeu-
rerent sur les hauteurs de la Lune. Dans le
fond .opposé se t~ouvait Dumouriez, et a la
gauche de e,elui-ci Kellermann, ~ur les -hau-
teurs qu'il venait de. reprendre. Dans eette po-
sition singuliere, les Fran~ais, faisant face a la
Franee, semhlaient l'envahir, et les Prussiens,
qui étaieritappuyés eontre elle, semblaient la
défendre. e'est ici que eommelll,;a, de la pari
de Dumouriez, une nouvelle suite d'aetes pleips
d' énergie et de ferrneté, soit eontre l' ennemi ,
soit eontre sespropres offieÍers et eontre l'au-
torité fran~aise. A vee pres de soixante-dix miIle
homme~ d.e troupes, dans un hon eamp, ne
manquant. pa~ de vivres, ou du moins rare-




ASSEMBLEE LÉGISLATIVE (1792.). ] 23-
me~t, iI pouvait attendre. Les Prussíens al)
eontraÍre manquaient de subsistances; les ma-
ladíes commen-;;~nt a ravager leur armée, et
dan s eette situation ils perdaíent beaueoup a
temporiser. Une saison affreuse, au milieu d'un
terrain argileux et humide, ne leur permettait
pas de séjourner long-temps. Si, reprenant
trop tard l'énergíe et la eélérité de l'invasion ,
iIs voulaient marcher sur París, Dumouriez
était en force pour les suivre, et les enveIopper
lorsqu'ils seraient engagés plus avant.


Ces vues étaient pleines de justesse et de
prudence. Mais dans le <;amp ,-. ou les officiers
s'ennuyaient des privations, et ou Kellermann
éta~t peu satisfait de subir une autorité supé-
rieure; a París, ou ron se sentait séparé de la
prin<;ipale armée, et ou ron n'apercevait ríen
entre soi et.les Prussiens, ou ron voyait m~me
le.ll hulans arri:ver ~ quinze lieues, depuis que
la foret de l'Argonne .. était ouverte, on ne
poqvait approuver le plan de Dumouriez. L'as-
s.emblée, le. conseil se plaignaient de son ente-
t(lrpent, luí écrivaient les lettres les plus iropé,:
ratives ,pour loi [aire abandonner 5a position,
et ,repas~er la Marne. Le camp a Montmartre,
et une ,arwé~. entre Chalons et París, étaient: l~
double .. ~mpart qu;il fallait aux imagillation:~
épouva,lté,e!l.Lt¡.s hulan,s vous harcelent, eeri.,




=


J 24 RÉVOLUTION FRAN<1A1S.E.
vait Dumouriez , eh bien! tuez-les; cela ne me
regarde paso le ne changerai pas mon plan
pour des housardailles. Cependant les instan-
ces et les ordres n'en continuaient pas moins.
Dans le camp, les otliciers ne cessaient pas de
faire des observations. Les soldats seuls, sou-
tenus par la gaieté du général, qui avait soin
de parcourir leurs rangs , de les encourager, et
de Ieur expliquer la position critique des Prus-
siens, les soldats supportaient patiemment les
pluies et le~ privations. Une fois Kellermallll
voulut partir, et il ·fallut que Dumouriez,
comme Colomb demandant encore quelques
jours a son éqnipage, promit de décamper si',
dans un nombre de jours donnés, les Prussiens
ne battaient pas en retraite.


La belle armée des coalisés .se trouvait en
effel dans un état déplorable; elle périssait par
la disette, et surtout par le cruel effet de la
dyssellterie. Les dispositiollS de Dumouriez y
avaient contribué puissamment. Les tirailleries
sur le front du camp éta~t jugéesinutiles par-
ee qu'elles n'aboutissaient a aúcun résultat,·il
flit convenu entre les deux armé eS de les sus-
pendre; mais Dumouriez stipúla 'fll1ece serait
sur le Eront seulement.' Aussitot il détacha
toute SR cavalerie, surtout ce,llede nouvelle le-
vée, dans les ·pays environnants, afin d'intel'-




ASSE~JBLÉE I.ÉGISLATIVE (1792). 125
cepter les convois de l' ennemi, qui, étant ar-
rivé par la trouée de Grand-Pré, et ayant re-
monté l' Aisne pOl\r suivre notre retraite, était
ohligé de faire suivre les memes détours a ses
approvisionnements. Nos cavatiers avaient pris
gout a cette guerre lucrative, et la poursui-
vaient avec un granel sucees. On était arrivé
aux derniers jours de septembre; le ma1 de-
vellait intolérable dans l'armée prussienne, et
des officiers avaient été envoyés au eamp fran-
<;ais pOUI' parJementer. D'abord il ne fut ques-
tion que d'échanger des prisonniers; les Prus-
síens demanderent aussi le bénéfice·de l' échange
pOUl' les émigrés, mais on le leur refusa. Une
grande polítesse avait régné de part et d'autre.
De l'échange des prisonniers, la eonversation
s'étaient reportée sur h~s motifs de la guerre,
et, du eoté des Prussiens, on avait presque
avoué que la guerre était impolitique. Le ca-
raetere de Dllmouriez reparut ici tout entier.
N'ayant plus a combattre, il faisait des mémoi-
res pour le roí de Prusse, et luí démontrait
combien il lui était peu avantageux de s'unir
a la maison d'Autriche contre la France. En
meme temps, il lui envoyait douze livres de
café, les seu tes qui restassent dans les deux
camps. Ses mémoires, qui ne pouvaient man-
ql1er d'thre appréciés, furent néanmoins tres'




'126 RivOLUTION FRAN~AISE.
mal accueillis, et devaient l'etre. Brunswick
répondit au nom du roí de Prusse par une dé-
'Claration aussi arrogante que le premier mani-
feste, et toute négociation fut rompue. L'as-
semblée, consuitée par Dumouriez, répundit,
eomme le sénat romain, qu' on ne traiterait
avecl'ennemi quelorsqu'il seráitsorti deFrance.


Ces négociations n'eurent d'autre eHet que
-de faire calomnier le général, qu'on soup~onna
des Iors d'avoir des relations secretes avec l'é-
tral~ger, et de ·lui attirer quelques dédains af-
fectés de la part d'un monarque orgueilleux et
humilié du r.ésultat de la guerreo Mais tel était
Dumouriez : avec ton s les genres de courage,
avec tous les gen res d'esprit, iI manqnait de
eette retenue, de cette dignité qui impose aux
hommes, tandis que le génie ne faít que les
saisir. Cependant, aínsi que l'avait prévu le gé-
néral franc;ais, des le le< octobre les Prussiens,
ne pouvant plus résister a la disette et aux
maIadies, commencerent a décamper. Ce fut
en Europe un grand sujet d'étonnement, de
conjectures, de fa bies , que de voir une armée
si puissante, si vantée, se retirer humblement
devant ces ouvriers et ces bourgeois soulevés,
qui devaient etre ramenés tambour battant
dans leurs villes, et chatiés pour en etre sortis.
La faiblesse avec laquelle furent pOllrsuivis les


..




"


ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792)~ 127
Prussiens,l'espece rl'impunité <tont iIs jouirent
en Fepassant les défilés de l' Argonne, firent
supposer des stipulations secretes, et meme
un marché avec le mi de Prusse. Les faits mi-
litaires vont expliquer, mieux que toutes ces
suppositions, la retraite des coalisés. •


Rester dan s une position aussi malheureuse
n'était plus possible. Envahir était devenu in-
tempestífj par une saisoIl aussi avancée et aussi
mauvaise. La seule ressource était done de se
retirer vers le Luxembourg et la l .. orraine, et
de s'y faire une forte base d'opérations, pour
reeommencer la campagne 1'année suivante.
D'ailleul's on a lieu de croire qu'en ce moment,
Frédéric-Guillaume songeait a prendre sa part
de la Pologne; car c'est alors que ce prince,
apres avoir excité les Polonais eontre la RUS4>ie_
et l'Autriche, s'appretait a partager leurs dé-
pouilles. Ainsi l'état de la saison et des lieux,
le dégout d'une· entreprise manquée , le regret
de s'etre allié contre la Franee avec la maison
d' Au~riche, et enfin de nouveaux illtérets dalls
le Nord, étaient chez le roi de Prusse des mo-
tifs suffisants pour déterminer sa retraite. Elle
se fit avec le plus grand ordre, ear cet en-
nemi, qui consentait a partir, n'en était pas
moillS tres-puissant. V ouloir lui fermer tout-
a-faít la retraite, et l'obliger a s'ouvrir un pas-




,. 28 RÉVOLUTION FRAN~AIS}:.
sage par une victoire, eut été une imprudence
que Dumouriez n'aurait pas commise. Il f;tllait
se contenter de le harceler, et c'est ce qu'il 6t
avec trop peu d'activité, par sa faute et celle
de Kellermanu.


Le danger était passé, la campagne finie, et
chacun était rendu a soi et a ses projets.
Dumouriez songeait a son entreprise des Payso
Bas, Kellermann a son commandement de
Metz, et la poursuite des Prussiens n'obtint
plus des deux généraux l'attention qn'elle mé-
ritait. Dumouriez envoya le général d'Harville
au Chene-Populeux pour chfttier les émigrés;
ordonna au général Miaczinski de les attendre
a Stenay, au sortir du passage, pour achever
de les détruire ; dépecha Chasot du me me coté
pour occuper la route de Longwy; plac;a les
généraux Beurnonville, Stengel et Valence avec
plus de vingt-cinq mille hommes sur les der-
rieres de la grande armée, pour la poursuivre
avec vigueur, et en meme te01ps enjoignit a
Dillon, qui s'était toujours maintenu aux Is-
lettes avec le plus grand honheur, de s'avancer
par Clermont et Varennes, afin de couper la
route de Verdun. Ces dispositions étaient bon-
nes sans doute, mais elles auraient dú etre
exécutées par le générallui-meme; il aurait du,
suivant le jugement tres-juste e-t tres-élevé de




ASSl'MRLÉE LÉCISLATIVE (1792). 129
M. Jomini', fondre directement sur le Rhin, et
le descendre ensüite avec wute son armée.
Dans ce moment de sucd~s, renversant tout
devant lui, iI aurait conqllis la Belgique en'
une marche. Mais il songeait a venir a Paris
pour préparer une invasion par Lille. De leur
coté, les trois généraux Stengél, Beurnonville
et Valence ne s'entendirent pas assez bien, et
ne poursuivirent que faiblement les Prussiens.
Valence, qui dépendait ele Kellermann, ret;?ut
tout-a-coup l'ordre de revenir joindre son gé-
néral a Cha1ons, afin de reprendre la route de
Metz. Il faut convenir que le mouvement
était singlllierement imaginé, puisqu'il rame-
gait Kellermann dan s l'intérieur, pour repren-
dre ensuite la route de la frontiere lorraine.
La route naturelle était en avant par Vitry ou
Clermont, et elle se conciliait avec la pour-
suite des Prllssiens, telle que l'avait ordonnée
Dumouriez. A peine celui-ci connut-il l'ordre
donné a Valence, qu'il lui enjoignit de pour,:,
snívre sa marche, disant que tant que dure-
raít la jonction des armées du nord et du
centre, le commandement supérieur lui ap-
partíendrait a lui seul. Il s'en expliqua tres-
vivement avec KeHermann, qui revint sur sa
premiere détermination, et consentit. a pren-
dre sa route par Sainte-Meuehould et Clermont.


III. 9




.30 RÑVOLUTlON FRAN9AISE.
Cependant la poursuite ne s'en fit ras moins
avec beaucoup de mollesse. Dillon seul harcela
les Prussiens avec une bouillante ardeur, et
faillit meme se faire battte en s'élan~ant trop
vivement sur leurs traces.


Le désaccord des généraux, et leurs distrac-
tions personnelles apres le danger, furent évi-
demment la seule cause qui procura une re~
traite si facile aux Prussiens. On a prétendu
que leur départ avait été acheté, qu'il avaÍt
été payé par le produit d'un grand vol dont
nous allons parler, qu'il était convenu avec
Dumouriez, et que l'une des stipulations du
marché était la libre sortie des Prussiens; en-
fin que Louis XVI l'avait demandé du fond de
sa prison. On vient de voil' que cette retraite
peut etre suffisamment expliquée par des mo-
tifs naturels; mais bien d'autres raisons encore
d~molltrellt l'absurdité de ces suppositions.
Ainsi ii n'est pas croyable qu'ull monarque,
dont les vices n'étaient pas ceux d'une vile cu-
pidité, se soit laissé acheter ; on ne voit pas
pourquoi, dans le cas d'une convention, Du-
mouriez ne se serait pas justifié, aux yeux des
militaires, de n'avoir pas poursuivi l'ennemi,
en avouant un traité qui n'avait ríen de hon-
teux pour lui : ellfin le valet de chambrc du
roi, Cléry, assure que rien de semblablc a




ASS EMULJíF. LÉGISLATIVE (1792). 131
la prétendue lcure adressée par Louis XVI a
Frédéric-Guillaume, et transmise par le pro-
cureur de la commune Manuel, n'a été éerít
et donné a ce dernier. Tout cela u'cst done
que mellsonge, et la retraite des coalisés ne
fut que reffet llaturel de la guerreo Dumou-
riez, malgré ses fautes ~ malgré ses distraetions
a Grand-Pré, malgré sa négligenee au mo-
ment de la retraite, n'en fut pas moins le sau-
veur de la France, et d'une révolution qui a
peut-etre avancé l'Europe de plusieurs siecles.
C'est lui qui, s'emparant d'une armée désor-
ganisée, défiante, irritée, lui rendant l' ensem-
hle et la confiance, établissant sur toute eette
frontiere l'unité et la vigueur, ne désespérant
jamais au milieu des circonstances les plus
<lésastreuses, donnant apres la perte des défi-
lés uu exemple de sang-froid inoul, persis-
tant daos ses premieres idées de temporisa-
tion malgré le péril, malgré son armée et son
gouvernement, d'ulle maniere qui pro uve la
viguenr de son jngement et de son caractere;
c'est lui, disons-nous, qui sauva notre patrie
. de l'étranger et du eourroux eOlltre-révolu-
tionnaire, et donna l'exemple si imposant
d'un homme sauvant ses coneitoyens malgré
eux-memes. La eOllquete, si vaste qu'elle soit,
n'est ni plus belle ni plus morale.






ASSEl\1BLÉR LÉGISLATIVE (1792). 133


CHAPITRE 111.


Nouveallx massacres des prisonniers a Vergailles. - Abus
de pouvoir et dilapidations de la commune. - Élec-
tions des députés a la convention. - Composition de
la déplllation de Paris. - Posit-ion el projets des gí-
rondills; caractere des chefs de ce partí; du fédéralisme.
-État du partí parisien el de la commllne.-Oll\'t'rture
de la convention nationale le 20 septembrc 1792.; abo-
lition de la royauté; étahlissement de la république.-
Premiere lutte des girondins et des montagnards; dé-
nonciation de Robespierre et de -Marat. - Déclaration
de I'unité et de l'indivisibilit~ de la république. -Dis-
tribution et rorces des partis, dalls la convelltion. -
Cha-ngements dans le pouvoit· exécutif. - Danton quiue
son ministere. - Création de divers comités adminis-
tratifs et du comité de constillltion.


T ANDIS que les armées fran(,;aises arretaient la
marche deos coalisés, París était tOlljours dans
le trouble et la coilfusion. On a déja été témoin
des débordements de la commmle, des fureurs
si prolongées de septemhre, de l'impllissance




.34 nÉVOLUTION FRANC/A 'ST'.
des autorités et de l'inaction de la force pu-
blique, pendant ces journées désastreuses : on
a vu avec quelle audace le comité de surveil-
lance avait avoué les massacres, et en avait
recornmandé l'imitatíon aux autres communes
de France. Cependant les commissaires envoyés
par la commune avaient été partout repoussés,
paree que la Franee ne partageait pas les fu-
reurs que le danger avait excitées dans la ca-
pitaleo Mais dans les environs de Paris, tous
les meurtres ne s'étaient pasbornés a ceux dont
on a déja lu le récit. Il s'était formé dans eette
ville un'e troupe d'assassius que les massacres
de septembre avaient familiarisés avec le sang,
et qui avaient beso in d'en répandre encore.
Déja quelques cents hommes étaient partis
pour extraire des prísons d'ürléans les accusés
de haute-trahison. Ces malheureux, par un
dernier déeret, devaient etre conduits a Sau-
máro Cependant leur destinatioll fut changée en
route, et ils furent acheminés vers Paris. Le 9
septembre on apprit qu'ils devaient arriver le
J o a Versailles. Allssitót, soit que de llouveaux
ordres fussent donnés a la bande des égor-
geurs, soit que la nOllvelle de cette arrivée
suffit pour réveiUer leur ardenr sanguinaire,
ils envahi.oent Versailles du 9 au 10. A l'installt
l;e bruit se répandit que de llOllveaux massa.-




ASSm\fIlLÜ LÉGISLATIVE (1 79'¿). J 35
cres allaient etre commis. Le maire de Versailles
prit tnutes les précautions pour empecher de
nouveaux malheurs. Le président du tribunal
criminel COl1rut a Paris avertir le ministre
Danton du danger qui mena«;ait les prison-
niers; mais il n'obtint qu'une réponse a toutes
ses instances : Ces hommes-ld sont bien coupa-
bles.-Soit, ajonta le présidentAlquier, mais la
loi seule doit en faire justiee. ~ Eh! ne voyez-
vous pas, reprit Danton d'une voix terrible,
que je 'vous aurais déja répondu d'une autre
maniere si je le pouvais! Que vous importent
ces prisonniers? Retournez a vos fonetions et
ne vous occupez plus d'eux .....


Le lendeplajn, les prisolluiers arriverent a
VersaiUes. Une fonle d'hommes ineonllUS se
précipiterent sur les voitures, parvinrent a les
entourer et~ les séparer de l'escorte, renver-
serent de cheval le commandallt Fournier,
enleverent le maire, qui voulait généreuse-
ment se faire tuer a son poste, et massaere-
rent les infortunés prisonniers, au nombre
de cinquante - deux. La périrent Delessart et
d'Ahaneour, mis en aceusati~n eomme mi-
nistres, et Brissac, comme chef de la garde
constitutionnelle, lieenciée sous la législative.
lmmédiatement apres eette exéeution, les as-
sassins cournrent aux prisons de la viHe, el




J 3(; REVOU1TlON }·nAN~AIS.E.
renouvelerent les scenes des premiers jours de
septembre, en employant les memes moyens,
et en parodiant, comme a París, les formes
judiciaires. Ce dernier événement, arrivé a
ciuq jours d'intervalle du premier, acheva de
produire une terreur universelle. A Paris, le
comité de surveillallce ne ralentit pOÍnt son
action: tandis que les prisons venaient d'etre
vidées par la mort, il recommen(,;a a les rem-
plir en lanc;;ant de nouveaux mandats J'arret.
Ces mandats étaieut en si grand nombre, que
le ministre de l'intérieur, Roland, dénoncant
a l'assemblée ces no~veaux .actes arbitrai~es,
put en déposer ciuq a six cents sur le bureau,
les uns signés par une seule personne, les uu-
tres par deux ou trois au plus, la plupart dé-
pourvus de motifs, et heaucoupfondés sur le
simple soupc;;on cl'incivisme.


Pendant que la commune exerc;;ait ~a puis-
sance a Paris, elle envoyait des commissaires
dans les départements. pour y justifier sa con-
duite, y conseiller son exemple, y recomman-
der aux électeurs des députés de son choix,
et y décrier ceux qui la contrariaient' dans
l'assemblée législative. Elle se procurait ensuite
des valellrs immellses, en saisissullt les s?mmes
trouvées chez le trésorier de la liste civile, Sep-
tctül, en s'emparant de l'argeuterie des églises




ASSEMBLÉE LÉGISLATJVE (1792.)· 137
et du riche mobilier des émigl'és, en se faisant
délivl'er enfio par le trésor des sommes consi-
d~rables, sous le prétexte de soutenir la caisse
de secours, et de fail'e achever les travaux du
campo Tous les effets'des malheureux massacrés
dans les prisons de Paris et sur la route de
Versailles avaient été séquestrés, et déposés
dans les vastes salles du comité de surveilIance.
Jamais la commune ne voulnt représenter ni


• les obit;.ts, ni leur valeur, et refusa meme toute
réponse a cet égard, soit au ministere de 1'in-
térieur, soit au directoire du dépal'tement,
qui, comme on sait, avait été converti en sim-
ple commission de contributions. Elle tit plus
encore, et elle se mit a .velldre de sa propre
autorité le mobilier des grands hotels, sur les-
quels les scellés étaieut restés apposés depuis
le départ des propriétaires. Vainement l'admi-
uistration supérieure lui faisait-elle des dé~m­
ses: toute la classe des subordonnés chargée
de l'exécution des ordres, ou appartellait a la
munícipalité, ou était trop faíble pour agir.
Les ol'dres ne °recevaient ainsi aucune exécu-
tion.


La garde nationale, recomposée sous la
dénomination de sectiolls armées et remplie
d'hornmes de toute espece, était dans une dés-
orgauisation complete. Tantot elle se pretait




138 U:VOLUTION FR AN~AISE.
au mal, tantot elle le laissait commettrc par
négligenee. Des postes étaient complétement
abandonnés, paree que les hornmes de gardc,
n'étant pas relevés, meme apres quarante-huit
heures, se retiraient épuisés de dégoút et de
fatigue. Tous les eitoyens paisibles avalent
quitté ce corps, naguere si régulier, si utilc;
et Sanlerre, qui le eommandait, était trop
faible et trop peu intelligent pou!' le réorga-
ni ser.


La snreté de Paris était done livrée au ha-
sard; et d'une part la commune, de l'autre la
populaee, y pouvaient tout entreprendre.
Parmi les dépouilles de la royauté, les plus
précieuses, et par conséquent les plus convoi-
tées, étaient ecHes que renfermait le Garde-
Mellble, riche dépot de tous les effets qui
servaient autrefois a la splendeur du trone.
Depllis le JO aont, ce dépot avait éveillé la
cupidité de la multitude, et plus d'une circons-
tan ce excitait la surveillance de l'illspecteur de
l'établissement. Celui-ci avait fait réquisitions
sur réquisitions pour ohtenir \lne gardc suffi-
sante; mais soit désordre, soit difficulté de
suffire a tous les postes, soit enfin négligence
volontaire, on ne lui fournissait point les for-
ces qu'il demandait. Pendant la nuit '4u 1 ()
scptembre, le Garde - Meuble fut volé, et la


·




ASSE:MRn::E J.ÉGISLATIVE (1792). 139
plus grande partie de .ce qu'il contenait passa
dans des mains inconnues, que l'autorité fit
depuis d'inutiles efforts pour découvrir. On
attribua ce nouvel événement aux hornmes qui
avaient secretement ordonné les massacres. Ce·
pendant ils n'étaient plus exeités ieí ni par le
fanatisme, ni par une poli tique sanguinaire; et,
enleur supposant le motif du vol, ils avaient
dans les dépóts de la commune de quoi satis-
faire la plus grande ambition. On a dit a la
vérité, qu'on fit cet enlevement pour payer la
retraite du roi de Prusse, ce qui est absurde,
et pour fournir aux dépenses du parti, ce qui
est plus vraisemblable, mais ce qui n'est nul-
lement prouvé. Au reste, le vol du Garde-
1\'Ieuble doit pen infIuer sur le jugement qu'il
faut por ter de la commune et de ses chefs. n
n'en est pas moins vrai que, dépositaire de
valeurs immenses, la commune n'en rendít
jamais aucun compte; que les scellés apposés
sur les armoires furent brisés, sans que les ser-
rures fussent forcées, ce qui indique une sons.
traetion et point un pillage populaire; et que
tant d'objets précieux disparurent a jamais.
Une partie fut impuclemment volée par"'~es
subalternes, tels que Sergent, surnommé ABa-
lhe, a cause o'un bijou précieux dont i1-s'était
pan~; une 311tre partie servit aux frais (Iu gou-




140 RiYOI,UTlON FRANItAISE.


vernement extraordinaire qu'avait institué la
colluimne. C'était une guerre faite él l'ancienne
société, et toute guerre est souíllée du mellrtre
et dll píllage.


Telle était la situatÍon de Paris, pendant
qu'on faisait les électiolls pour la convention
nationale. C'était de cette nouvelle assemblée
que les citoyens honnetes attendaient la force
et l'énergie nécessaires pour rameller l'ordre :
ils espéraient que les quarante jours de COll~
fusÍon et de crimes, écoulés depuis le 10 aout,
ne seraient qll'un accident de l'insurrection,
accident déplorable mais passager. Les députés
meme, siégeallt avec tant de faiblesse dallS
l'assemblée législative, ajournaient l'énergie a
la réunion de cette convention, espérance
commuue de tous les partis.


On s'agitaít pour les élections daps la France
entiere. Les clubs exer<;aient a cet égard ulle
grande influence. Les jacobins de París avaient
fait imprimer et répandre la liste de tons les
votes émis 'pendant la session législative, afin
qu'elle servit de documents aux électeurs. Les
députés qui avaient voté contre les lois dési-
rées par le parti populail'e, et surtout ceux qui
avaient absous Lafayette, étaient particuliere-
ment désignés. Néanmoins, dans les provínces
ou les discordes de la capitale n'avaieut pas.




ASSEMBLÉF. d:GISL¡\TIVE (179~). J41
encore pénétré, les girondins., meme les plus
odieux aux agitateurs de París, étaient nommés
a cause de leurs talents reCOllnus. Presque tous
les membres de l'assemblée actuelle étaient
réélus. Beaucoup de constituants, que le décret
de non-réélection avait exclus de la premie re
législature, furent appelés a faire partie de
cette eonvention. Dans le Hombre on distín-
gnait Buzot e't Pétion. Parmi les nouveaux mem- -1
bres figuraient naturellement les hommes qui,
dans leurs départements, s'étaient signalés par
]eur énergie et ]eur exaltation, ou les écrivains
qui, comme Louvet, s'étaient fait connaitre,
par leurs talents, a la capitale et aux provinces.


A Paris, la faetion violente qui avaít dominé
depuis le 10 aout, se rendít maltresse des
élections, et mit en avant tous les hommes de
son choix. Robespierre, Danton furent les pre-
miers nommés. Les jacobins, le conseil de la
commune accueillirent cette nouvelle par des
applaudissements. Apres eux furent élus Ca-
mille Desmoulins, f~mellx par ses écrits; David,
par ses tableaux; Fabre-d'Églantine, par ses
ouvrages comiques et une grande participa-
tion aux troubles révolutionnaires; Legendre,
Panis, Sergent, Billaud-Varennes, par leur
conduite a la commune. On y ajouta le pro-
curcnr - syndic Mauuel, Robespierre jellnc,




J 42 RÉV.gLUTION FRAN~AlSE.
frere du célebre Maxiroilieu; Collot-d'Herbois, .
anCÍen coroédien; le <lue d'Orléans, qui avait
abdiqué ses titres, et s'appelait Philippe-Éga-
lité. Enlin, apres tous ces noros, on vit paraitre
avec étonnement le vieux Dusaulx, run des
éleeteurs de 1789, quis'était tant opposé aux
furcurs de la multitude, qui avait tant versé
de larmes sur ses exees, et qui fut réélu par
un derniel' souvenir de 89, el comme un etre
bon et inoffensifpour tous les partís. Il man-
quait a cette étrange réunion le cynique et
sanguinaire Marat. Cet homme étrange avait,
par l'audaee de ses écrits, quelque chose de
surpreuant, meme pour des gens qui venaient
d'etre témoins des jouruées de septembre. Le
capucin Chabot, qui dominait aux Jaeobins
par sa verve, et y cherchait les triomphes qui
lui étaient refusés dalls l'assemblée légíslative,
fut obligé de faire l'apologie de Marat; et,
eomme e'était ehez les jacobins que toute
chose se délibéraít d'avanee, son éleetion pro-
posée chez eux fut bientot eonsommée dans
l'assemblée électorale. Marat, un autre jour-
naliste, Fréron, et quelques individus obscurs
compléterent eette députation fameuse, qui,
renfermant des eommer~ants, un boucher, un
comédien, un graveur, un peintre, un avocat,
trois OH quatre écrivains, un prince déchu,




ASSEl\mutE LÉGISLA.TIVE (I7~j2.). 143
rcprésentait bien la confusion et la variété des
existen ces qui s'agitaient dan s l'immense capi-
tale de la France.


Les députés arrivaient successivement a Pa-
ris, et a mesure que Ieur nombre devenait plus
grand, et que les journées qui avaient prodnit
une terreur si profonde s'éloignaient, on com-
menc;ait a se rassurer, et a se prononcer contre
les désordres de la capitale. La crainte de l'en-
nemi était diminuée par la contenance de Du-
lllouriez dalls l' Argollne : la haine des arislo-
erales se changeait en pitié, depuis l'horrible
sacrifice qu'on en avait Cait a París et a Ver-
sailles. Ces forfaits, qui avaient trouvé tant
d'approbateurs égarés ou tant de censeurs LÍ-
mides, ces forfaits, devenus plus hideux par
le vol qui venait de se joindre au meurtre,
cxcitaient la réprobation géllérale. Les giron-
(Hus, indignés de tant ~ 'crimes, el courroucés
de l'oppression personnelle qu'il5 avaient subic
pendant un mois entier, deveuaient plus fermes
et plus énergiques. Brillants de talent et de
courage aux yeux de la France, invoquant la
justiC{l et l'humaníté, ils devaient avoir l'opi-
nion publique pour eux, et déja ils en mena-
c;aient hautemeilt leurs adversaires.


Cependant, si les girondins étaient égale-
lllcnt proIloncés 'contre les exces de Pal'is, ils




) 44 RÉVOLllTION FRAN~AJSE.
n'éprouvaient et n'excítaient pas tous ces res-
sentiments personnels qui enveniment les
haines de parti. Brissot, par exemple, en ne-
cessant aux Jacobins de lutter d'éloquence avec
Robespierre, lui avait inspiré une haine pro-
fondeo A vee des lumieres, des talents, Brissot
produisait beaucoup d'effet; mais il n'avait ni
assez de considération personnelle, ni assez
d'ha];>ileté pour etre le chef du parti, et la
haine de Robespierre le grandissait en luí im-
putant ce role. Lo~squ'a la veille de l'insurrec-
tion, les girondins écrivirent une lettre a Bose,
peintre du roi, le bruit d'un traité se répandit,
et on prétendit que Brissot, chargé d'or, allait
partir pour Londres. Il n'en était ríen; mais
Marat, a qui les bruits les plus insignifiants,
ou meme les mieux démentis, suffisaient pour
établir ses accllsations, n'en avait pas moins
lancé un mandat d'arret eontre Brissot, lors de
l'emprisonnement général des prétendus cons-
pirateurs du 10 aout. Une grande rumeur s'en
était suivie, et le mandat d'arret ne fut pas
exécuté. Mais les jacobins n'en disaient pas
moins que Brissot était vendu a BruIlswiek;
Robespierre le répétait et le croyait, tant sa
fausse intelligence était portée a croire COll-
pables ceux qu'il haissait. Louvet lui avait ins-
piré tout autant de hatne, en se faisant le se-




ASSEl\lllLÉE LÉGISLATIVE (I 792 ). 145
tond de Brissot aux Jacobins et dans te Journal
de la Sentinelle. Louvet, pIein de talent et- de
hardiesse, s'attaquait directement aux hommés.
Ses personnalités vírulentes, reproduites cha-
que jour par la voie d'un journal, en avaient
faít l'ennemi le plus dangereux et le plus dé-
testé du partí Robespierre.


Le ministre Roland avait déplu a tout le parti
jacobin et municipal par sa courageuse lettre
du 3 septembre, et par sa résistance aux ern-
piétements de la cornmune; rnais n'ayant riva-
lisé avec aucun individu, iI n'inspirait qu'une
colere d'opinion. Il n'avait offensé personnel-
lement que Danton, en lui résistant dans le
conseil, ce qui était peu dangereux, car de
tous les hommes il n'y en a pas dónt le res-
sentiment fut moins a craindre que celui de
Danton. Mais dans la personne de Roland c~é ...
tajt principalement sa femme qu'on détestait,
sa femme, fiere, sévere, courageuse, spiri-
tuelle, réunissant autour d'elle ces girondins
si cultivés, si brillants, les animant de ses
regards, les récompensant de son estime, et
conservant dans son cercle, avec la simplicité
républicaine, une politesse odieuse a des
hommes obscurset grossiers. Déja ils s'effor-
caient de répandre contre Roland un bas ridi-
cule. Sa femme, disaicnt-ils, gouvernait pour


TIT. 10




14G RÉVOLUTION FRANC1AlSE.
lui, dil'igeait ses amis, les réeompensait menw
de ses faveurs. Dans son ignoble langage, Ma-
rat l'appeIait la Circé clu parti.


Guadet, Vergniaud, Gensonné, quoiqu'ils
eussent répandu un grand éclat dans la légis~
latí ve, et qu'ils se fussen t opposés au parti ja-
cobin, n'avaient cependant pas éveillé encore
toute la haine qu'ils exciterent plus tardo Gua-
det meme avait pIn anx républieains énergiques
par ses attaques hardies eontre Lafayette et la·
~Ol]r. Guadett"vif, prompt a s'élancer en avant,
pa.ssait du plus grand emportement au plus
grand sang-froid; et1 maitre de lui a la"tribune,
ji y brillait par l'a-propos et le~ mouvements.
Aussi devait-il, eomme tons les hommes, ai-
mer un exercice dans lequel ii excellait, en
abusel' meme, et preudre trop de plaisir a battre
avec la parole, un partí qui lui répondrait hien-
tot avec la mort. "


Vergniaud n' avai t pas aussi "bien réussi que
Guadet aupres des esprits violents, paree qu'il
ne montra jamais al1tant d'ardeur contre la
cour, mais iI avait été moins exposé aussi a les
blesser, paree que, dans son abandon et sa
non chalanee , il heurtait moins les personnes
que son ami Guadet. Les passions éveillaient
peu ee tribun, le laissaient sommeiller au mi-
Jieu dés agitations de parti, et, ne le portant




ASSEMBLÉE LÉGJSLA TIVE (1792). J 4?
pas au-devant des hommes, ne l'exposaient
guere a leur haine. Cependant il n'était point
indifférent. Il avait un creur noble, une belle
et lucid e intelligence, et le feu oisif de son etre,
s'y portant par intervalIe, l'échauffait, l' élevait
jusqu'a la plus sublime énergie. Illl'avait pas la
vivacité des reparties de Guadet,maisil s'animait
a la tribune, ji Y répandait une éloquence abon,..
dante, et, grace a une souplesse rl'organe ex-
traordina~re, iI rendait ses pensées avec une
facilité" une fécondité d'expression, qu'aucun
homme n'a égalées. L'élocutjon de Mirabeau
étai t, comme son caractt~re, inégale et forte; celle
de Vergniaud, toujours élégante et noble, de-
venait avec les circonstances, grande et éner-
gique. Mais toutes les exhortations de l'épouse
de Roland ne réussissaient pas toujours a éveil-
ler cet athlete, souvent dégouté des hommes,
souvent opposé aux imprudences de ses amis,
et peu convaineu surtout de l'utilité des paroles
eODtre la force.


Gellsonné, plein de sen s et de probité, mais
doué d'une facilité d'expression médiocre, et
capable seulement de faire de bons rapports,
avait peu figuré encore a la tribune. Cependant
des passions fortes, un caractere obstiné, de-
vaient lui valoir chez ses amis beaucoup d'in-
flllence, et chez ses ellnemis la haine, qui at-


10.




148 TIF.VOUlTION FRAN<1AT5J<:.
teint le caractere toujours plus que le ta-
lento


Condoreet ,_ autrefois marquis et toujollrs
philosophe, esprit élevé, impartial, jugeant
tres-bien les fautes de son pilrti, pen propre
aux terribles agitatiolls de la démoeratie, se
mettait rarement e.n avant, n'avait enLore au-
enu ennemi direet ponr son eompte, et se ré-
servait pour tOllS les genres de travaux qui exí-
geaient des méditations profondes. Buzot, pIein
descns, d'élévation d'ame, de eourage, joi-
gnant a une belle figure une éloeution ferme
et simple, imposait aux passions par toute la
Tloblesse de sa pcrsonne, et exert;ait autour de
luí le plus grand ascendant moral.


Barbaroux ,élu par ses concitoyens, venait
d'arriver du midi, avec un de ses amis député
eomme luí a la convelltion l1ationale. Cet ami
se nommait Rebecqui. C'était un hornme peu
cultivé, mais hardi, elltreprenant. et tout dé-
voué a Barbarollx. On se souvient que ·ce der-
níer idolatrait Roland et Péti~1l , qu'il regar-
dait Marat comme un fou atroee , Robespierre
eomme un ambitieux, surtout depuis que Panis
le lui avait proposé eomme un dictateur indis-
pensable. Révolté des erimes eommis depuÍs
son absence, il les imputait volontiers a des
hommes qu'il détestait déja , et íl se pronon<;a,




ASSEl\IBLÉE LÉGlSLA TlVE (1792). 149
des son arrivée, avec une énergie qui rendit
toute réconciliation impossible. Inférieur a ses
amis par l'esprit , mais doué d'intelligence et
de facilité, beau, hérolque, il se répandit en
menaces, et en quelques jours il obtint autant
de haine que ceux qui pendant toute la légis-
lative n'avaient cessé de blesser les opiuioos
el les' hommes.


Le personuage autour duquel se rangeait
tout le. parti, et qui jouissait d.'une considéra-
tion univcrselle, était pétion. Maire pendant la
législative, il avait, par sa lutte avec la cour,
acquis une popularité immense. A la vérité iI
avait, le 9 aoUt, préféré une délibération a un
combatí depuis iI s'était pronoueé contre sep-
tembre, et s'était séparé de la eommune,
comme Bailly en J 790; mais eeHe oppositioll
tranquille et silenciense , salls le brouiller en-
core avec la faetion, le lui avait rendu redou-
table. Plein de lumieres, de calme, parlant
rarement, ne voulant jamais rivaliser de talent
avec personne, iI exer~ajt sur tout le monde, el
sur Robespierre lui- meme, l'ascendant d'uue
raison froide, équitable, él universellement
respectée. Quoique réputé gil'olldin, tous les
partís voulaientsoll suffrage, tous le redou-
taient, et, dans la nouvelle assemblée, il avait
pour luí Ilon - seulement le coté droit, mais




150 RÉVOLUTION FRAN<1A1SE.


toutela roasse moyenne ,el heaucoup meme du
caté gauche.


TeUe était done la situalion des girondins,
en présence de la faction parisienue : ils avaient
pour eux l'opinion générale, qui répro\lvait les
exces; ils s'étaient emparés d'une grande partie
des députés qui arrivaient chaque jour a París;
ils avaient tous les ministres, excepté Danton,
qui souvent dominait le conseil, mais ne se
servait pas de sa puissaneecontre eux; enfin
ils montraient a leur' tete le maire de Paris,
l'hommele plus respecté du momento Mais a
J}aris, ils n' étaient pas chez eux, ils se lrou-
vaient au mílieu de leurs ennemis, et iIs avaient
a redoutel' la violence des classes inférieures,
qui s'agitaient au-dessous d'eux, et surtout la
violence de l'avenir, q1;li aUait croitre avec les
passions révolutionnaires.


Le premier reproche qu'on leur adressa fut
de vouloir sacrifier Paris. Déja on leur avait
imputé de vouloir se réfugiel' dans les dépar-
tements et au - dela de la Loir.e. Les tort5 de
París a leur égard étant plus grands depuís les
:.1 et 3 septembre, on leur supposa d'autant
plus l'intention de l'aband~nner, el on pré-
tendit qu'ils avaient voutu réUlllr la convention
ailleurs. Peu a peu lessoup<;ons s'arrangeant,
prirent une forme plus réguliere. On leur I'epro-




ASSElHlILÉE LÉGISLATlVE (1792). 15I
chait de vouloir rompre l':tHli.té llati0JHite, et
composer des quatre-villgt-troisoopartemellts,
quatre-villgt-trois états, tous égaux entre eu:x,
el unís par un simple lien fédératif. Ol! ajou-
tait qu'i!s voulaient par lit détruire la supré-
matie de París, et s'assurer unedomination
personnelle danslcm's départemeuts respect'fs.
C'est alors que fut imag,inée lacalomnie du le,:"
déraJisme. H dt vrai que, lursque la Franeé
était menacée par' l'invasion des Prussieus, ils
avaient songé, en cas d'~tr.émíté, a se retrall-
cher daos les départements méridiollaux; il
est encore vrai qu'cn voyant les exces et la ty-
ranllie de Paris, ¡Is avaient quelquefois reposé
leur pensóe sur les départemellts; mais de la
a un projet de régime fédératif ii y a~ait lo in
encore. Et d'ailleurs, entre un gouvernement
fédératif et un gouvernement unique et cen-
tral, toute la différence consistallt dan s le plus
OH moins d'énergiedcs institutions Locales, le
crime d'ull1e telle idée était bien vagl1e~ s'il exis-
tait. Les girondins, n'y voyautau reste ríen de
eoupable, ne s'en défendaient pus, et beaucoup
d'eutre eux, indignés de l'ahslilrdité atVec la-
queHe 00 poul'suivait ce systeme, demandaient
si, apres tont, la N ouvelle-Amérique, la HoJ.-
lande, la Suisse,!n'étaient pas heureus€set libres
sous 1111 régimefédératif, .et s'ál 'Y aUIlllt tine




152. RÉVOLUTlON FRAN9AISE.
grande erl'eur ou un graud forfait a préparer
a la Franee un sort pareil. Buzot surtout so u-
tenait sOllvent eeHe doctrine, et Brissot , granel
admirateur des Amérieains, la défendait égale-
ment, pIutot comme opinion philosophique
que comme projet applicable a la France. Ces
conversations divulguées donnerent plus de
poids a la calomnie du fédéralisme. Aux Jaco-
bins, on agita gravement la question du fédé-
ralisme, et on souleva mille fureurs contre les
girondins. On prétendit qu'ils voulaient dé-
truire le faisceau de la puissance révolution-
naire, lui enlever cette unité qui en faisait la
force, et cela, pour se faÍre rois dans leurs pro-
VIIlces.


Les girondins répondirent de leur coté par
des reproches plus réels, mais qui malheureu-
sement étaient exagérés aussi, et qlli perdaient
de leur force en perdant de leur vérjté. lIs
reprochaient a la commune de s'etre rendue
souveraine, d'avoÍr par ses usurpations em-
piété sur la souveraineté nationaJe, et de s'etre
al'rogé a elle seule une puissance qui n'appar-
tenait qu' a la France entiere. Ils lui reprochaient
de vouloir dominer la cOTlvention, eorome elle
avait opprimé l' assemblée législa tive; ils disaient
qu'en siégeantaupres d'elJe, les mandataires na·
tionaux n'étaient pas en sureté, et qu'ils siége-




ASSEl\'IllL:ÉE LÉGlSLA TIVt; (1792 J. 153
raient au milieu des assassins de septembre. lis
l'accusaient d'avoir déshonoré la révolution
pendant les quarante jours qui suivirent le JO
aoút, el de n'avoir rempli la députation de Paris
que d'hommes signalés 'pendant ces horribles
saturnales. Jusque-Ia tout était vrai. Mais i1s
ajoutaient des reproches aussi vagues que ceux
de fédéralisme dont eux-memes étaient l'objet.
lIs accusaient llauterrient Marat, Danton et Ro-
bespierr-e, d'aspirer ¡. la supreme puissance;
Marat, paree qu'il écrivait tons les jours qu'il
falIait un dictateur pom purger la société des
membres impurs qui la corrompaient; Robes-
pierre, paree qu'il avait dogmatisé a la comffillue,
et parlé avee jnsolenee a l'assemblée, et paree
que, ala veitle du 10 aout, Panis l'avait proposé
el Barbaroux comme dictateur; Danton enfin,
paree qu'il exer<;ait sur le ministere, sur le
peuple et partout 011 il se ffiontrait, l'influence
d'un etre puissant. On les nommait les trium-
virs, et cependant il n'y avait guere d'union
entre eux. Marat n'était qu'un systématiqut' in-
sensé, Robespierre n'était encore qu'un jaloux,
mais il n'avait pas assez de grandeur pour etre
un ambitieux; Danton enfin était un liomme
aetif, passionnépour le but de la révolution,
et qui portait la maio sur toutes choses, par
ardeur plus que par ambition personnelle. Mais




I 54 RÉVOLUTION FRAN~ArSE.
par.mi ces hommes, iI n'y avait encore ni un
usurpateur, ni des eonjurés d'accord entre eux;
et ii était imprudent de donner a des adver-
saires, déj:'t plus fort5 que 50i, l'avantage d'etre
aecusés injustement. Cependant les girondins
ménageaient plus Danton, paree qu'il n'y avait
rien de personnel entre lui et eux, ~t ils mé-
prisaient trop Marat pour l'attaquel' directe-
ment; mais ils se <léchainaient impitoyablement
contre R.obespierre, paree que le sueees de ce
qu'on appelait sa vertu et son éloquenee les
irritait davantage : ils avaient pour lui le res-
sentiment qu'éproúve la véritable supériorité
eontre la médiocrité orgueilleuse et trop vantée.


Cependant on essaya de s'entendre avallt
fouverture de la convention nationale, et 11 y
eut diverses réunions dans lesquelleson proposa
de s'ex:pliquer francnement ,et de terminer des
disputes funestes. Danton s'y prthait de tres-
bonne foi 'f., paree qu'il n'y apportait aueun
orgueil ~ et qu'il souhaitait avant tout le sucees
de la révolution. Pétion montra beaucoup de
froideuret de raison; mais Robespierre fut
aigrc eomme un hornme blessé; les girondins
furent fiers et séveres eomme des hommes in-


.. Voyez Durand-Maillanne, DumulIricz, M¡;ilhall et
tuus les contemporaius.




ASSEMBLÉE LÉGISr,UIvE (1792). .55
nocents, indígués, et qui eroiellt avoir dans les
maíns leur vengeance aSsurée. Barbarouxdit
qu'il n'y avait aucune amance possible entre le
crime et la vertu, et de part et d'autreonse
retll'a phlS éloigné d'uDe réeonciliation qu'avant
de s'etre vu. Tous les jacobins se rangerent au-
tour de Robespierre, les girondins et la masse
sage el modérée autour de Pétion. L'avis de
celui-ci et des hommes sensés était de cesser
toute accusation, puisqu'il était impossible de
saisir les auteurs des massacres de septembre
et du vol du Garde-Meuble; de ne plus parler
des triumvirs, paree que Ieur ambition n'était
ni assez prouvée ni assez manifeste pOul· etre
puníe; de mépriser une vingtaine de mauvais
suj.ets introduits dans l'assemblée par lesélec-
ti011S de París; cnfia de se ha.ter de remplir le
but de la convention, en faisant une constítu-
tíon et en déeidant du sort de Louis XVI. Tel
était l'avis des hommes froids; mais d'autres
moins calmes fireat comme d'usage des projets
qui, ne pouvant etre encoreexécutés, avaient
ledanger d'avertir et d'irriter leurs adversaires.
lIs. proposerent de casser la munieipalité, de
déplacer au besoin la convention, de transpor-
ter son s«tge aiUeurs qu'a París, de la former
en cour de justice, pour juger sansappel les
conspirateurs, de lui composer enfln une garde




l. 56 RÉVOLUTION FRAN(fAISll.
particuliere príse dan s les quatre-vingt-trois dé-
partements. Ces projets n'eurent aucune suitc
et ne servirent qu'a irriter les passiolls. Les gi-
rondíns s'en reposerellt sur la conscÍence pu-
blique, qui, sllivallt ellX, a1lait se soulever aux
accent~ de leur éloquellce et au récit des crimes
qu'ils devaient dénoncer. lIs se domH~rent ren-
dez-vous a la tribune de la convelltion ponr y
écraser leurs adversaires.


Enfin, le 20 septembre, les députés a ]a COll-
vention se réunirent aux TuileríespoUl' cOl1sti-
tuer la nouvelle assemblée. Lenr nombre étant
suffisant, ils se constituerellt provisoirement,
vérifierent leurs pouvoil's, et procéderent de
suite a la nominatíon du bureau. Pétion fut
presque a l'unanimité proclamé président.
Brissot, Condorcet, Rahaud Saínt - Étienne ,
I .. asource , Vergniaud et Camus, furent élus
secrétaires. Ces choix prollvent qllelle était
alors clans l'assemblée l'influence du partí gi-
rondín.


L'assemblée législative, qni depuis le JO aout
avait été en permanence, fut informée, le 21,
par une déplltation, que la convention natio-
nale était formée, et que la législature était
terminée. Les denx assemblées n'eurent qu'a
se confondre l'lln~ dans l'autre, et la convcll-
tíon alla occuper la salle de la législative.




CONVENTION NATIONALE (1792). ¡57
Des le 21 , Manuel, procureur-syudic de la


commune, suspendu apres le 20 juin avec
Pétion, devenu tres-populaire a cause de celte
suspension , enrolé des lurs avec les furieux
ele la commune, mais depuis éloigné d'eux,
et rapproché des girondins a la vue de's mas-
sacres de l' Abbaye, Manuel fait le jour meme
une proposition qui excite une grande rumellr
parmi les ennemisdé la Gironde : « Citoyens
(e représentants, dit-il, il faut ici que lout res-
ce pire un caractere de dignité et de grandeur
« qui eu impose a l'univers. Je demande que
« le président de la France soit logé dans le
ee palais national des Tuileries, qu'il soit pré-
« cédé de la force publique et des signes de
« la loi, etque les citoyens se levent a son
(e aspecto » A. ces mots , le jacobin Chabot, le
secrétaire de la 'commlme Tallien, s'élevent
avec véhémence contre ce cérémonial, imité
de la royauté. Chabot dit que les représentants
du pellple doivent s'assimiler aux citoyens des
rangs desquels ils sortent, aux sans-culottes,
qui forment la majorité de la natíon. Tallien
ajollte qu'on ira chereher le président de la
convention a un cinquieme étage, et que e'est
la que logent le génie et la vcrtu. La proposi-
lion de Manuel est done rejetée , et les ennemis
de la Gironde prétendent qu' elle a vouln décer·




158 R:HVOLnTION J,·RAN~AISE.
ner a son chef Pétion les honneurs souve-
rains.


Apres cette proposítion, une foule d'autres
se succedent sans interruption. De tontes parts
on veut constater par des déclarations aut.hen-
tiques les sentiments qui animent l'assemblée
et la France. On demande que la nouvelle cons-
titution ait pour base l' égalité absolue, que la
souveraineté du peuple soit décrétée, que
haine soit jurée a la rayauté, a la dictature,
au triumvirat, a toute autorité individuelle, et
que la peine de mort soit décrétée contra qui.
conque en proposerait une pareille. Danton
met fin a toutes les motions, en faisant décréter
que la nouvelle constitl1tion ne sera valable
qu'apres avoir été sanctionnée par le peuple.
On ajoute que les lois existantescontinueront
provisoirement d'avoir leur effet, que les auto-
rités non remplacées seront provisoirement
maintenues, et que les impots seront per<;us
comme par le passé, en attendant les nou-
veaux systemes de contríbution; Apres ces'
propositions et ces décrets, Manuel, Collot-
d'Herbois, Grégoire, entreprennent la question
de la royauté, et "demandent que son abolition
soit prononcée sur-Ie.champ. Le penple, disent-
iIs, víent. d' etre déelaré souverain, mais il ne
le sera réellement que lorsque vous l'aurez




CONVJ<:NTlON NATIONALE (J 792). 159
délivré d'une autorité rivale, ceHe des rois.
L'assemblée, les tribunes se levent pour ex-
primer une réprobation unanime contre la
royauté. Cependant Bazire voudrait, dit-il,
une discussion solennelle sur une question
aussi importante. « Qu'est-il besoin de discuter,
« reprend Grégoire , lorsque tout le monde est
« d'accord? Les cours sont l'atelier du crime,
« le foyer de la corruption; l'histoire des rois
« est le martyrologe des nations. Des que HOUS
« sommes tous également pénétrés de ces vé-
« rités, qu' est-il besoin de discuter? l>


La discussion est en effet fermée. Il se faít
un profond silence, et, sur la déclaration una-
nime de l'assemblée, le président déclare que
la royauté est abolie en France. Ce décret est
accueilli par des applaudissements universels;
la publication en est ordollnée sur-le-champ,
ainsi que l'envoi aux armées et a tontes les
mUllicipalités.


Lorsque cette institution de la république fut
proclamée, les Prussiens mena<;aient encore le
territoire. Dumouriez, eomme on l'a vu, s'était
porté a Sainte - Menehould, et la canonnade
du 21 , si heureuse pour nos armes, n'était
pas encore connue a Paris. Le lendemain 22,
BilIaud-Varennes proposa de dater, non plus
de l'an 4 de la liberté, mais de l'an I er de la




160 REVOI,UTlON FRA.N~AISf:.
république. Cette proposition fut acloptée.
L'année 1789 ne fut plus consirlérée eomme
ayant commeneé la liberté, et la nouvelle ere
républicaine s'ollvrit ee jour meme, 22 sep-
tembre 1792.


Le soir OIl apprit la canonnade de Valmy, et
lajoie commen~a a se répandre. Sur la demande
des citoyeIls d'Orléans, qui .se plaignaient de
leurs magistrats, iI fut décrété que tous les
membres des corps admiuistratifs et des tribu-
nallX seraient réélus, et que les conditions d'é-
ligibilité, fixées par la constitution de 91, se-
raient considéréescomme nuBes.ll n'était plus
nécessaire de prendre les juges parmi les lé-
gistes, ni les administrateurs dans une certaine
classe de propriétaires. Déja l'assemblée légis-
lative avait abolí le mare d'argent, et attribué
a tous les cituyens en age de majorité la capa-
cité électorale. La conventioll aeheva d'effilcer
les dernieres démarcations, en appelaIlt tous
les citoyens a toutes les fOllctions les plus di-
verses. Ainsi fllt commeIlcé le systeme de l'é-
galité absolue.


Le 23, tous les ministres furent entendus. Le
député Cambon tit un rapport sur l'état des
finan ces. Les précédentes assemblées avaient
décrété la fabrication de deux milliards sept
cents milliollsd'assignats; neux milliards cinq




CONVllNTION N ATION ALE ([ 792). 161
cents millions avaient été dépensés; restait deux
cents millions, dont cent soixante-seize étaient
encore a fabriquer, et dont vingt - quatre se
trouvaient en caisse. Les impóts étaient rete-
nus par les départements pour les aehats de
grains ordonnés par la derniere assemblée; ii
fallait de nouvelles ressources extraordinaires.
La masse des biens nationaux s'augmentant
tous les jours par l'émigratíon, 00 ne craignait
pas d'émettre le papier qui les représentait,
et 00 n'hésita pas a le faire : une nouvelle créa-
tion d'assignats fut done ordonnée.


Roland fut entendu sur l'état de la France et
de la capitale. Aussi sévere et plus hardi encore
qu'au 3 septembre, il exposa avee énergie les
désordres de París, les causes et les moyens
de les prévenir. Il reeommanda l'instítution
prompte d'un gotlvernement fort et vigoureux,
comme la seule garantíe d'ordre dans les états
libres. Son rapport, entendu avec faveur, fut
couvert d'applaudissements, et n'excita cepen-
dant aucune explosion chez ceux qui se regar-
daient comme aeeusés, des qu'il s'agissait des
troubles de París.


Mais a peine ee premier coup d'reil était-il
jeté sur la situatioll de la France, qn'on ap-
prend la nouvelle de la propagation du désor-
tire daos certains départemeots. Roland écrit


lJI. 11




) 62 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
une leUre a la convcntion pour lui dénoncer
de nouveaux exces, et en demander la répres-
sion. Aussitot eette leeture achevée, les dépu-
tés Kcrsaint, Buzot s'élancellt a la tribulle pour
dénoncer les violen ces de tout genre qui cOrn-
mencent a se comrnettre partout.-« Les assas-
sinats, disent-ils, sont imités dalls les dépar-
tements. Ce n'est pas l'anarchie qu'il faut en
accuser, mais des tyrans d'une nouvelle espece,
qui s'élevent sur la France a peine affranchie.
C'est de París que partent tous les jours ces
funestes inspirations du criQle. Sur tous les
mllTS de la capitale, on lit des affiche s qui pro-
voquent aux meurtres 1 aux incendies, allx pil-
lages, et des listes de proscription ou sont
désignées ehaque jour de llouvelles victimes.
Cornrnent préserver le peuple d'une affreuse
misere, si tant de citoyens sont condarnnés a
cacher leur existen ce ? Comment faire espérer
a la Franee une constitution, si la convention,
qui doit la décréter, délibere sons les poignards?
11 faut, pour l'honneur de la révolutioll, arre-
ter tant d'exces, et distinguer entre]a bravoure
civique qui a bravé le despotisme au 10 aout,
et la cruauté servant, aux 2 et 3 septembre, une
tyrannie muette et cachée. »


En conséquence, les orateurs demandent l'é-
tablissement tI'un comité chargé,




CONVENTlON NATIONALE ~I792). 163
]0 De rendre compte de l'état de la républi.


que et de París en particulier; .
2" De présenter un projet de loí contre les


provocateurs au meurtre et a l'assassinat;
30 De rendre compte des moyens de donner


a la convention nationale une force publique a
sa disposition, prise dans les quatre-vingt-trois
départements.


A cette proposition, tous les membres du
coté gauche, ou s'étaient rangés les esprits les
plus ardents de la nouvelle assemblée, pous-
sent des cris tumultueux. On exagere, suivant
eux, les maux de la France. Les plaintes hypo.
crites qu'on vient d'entendre partent du fond
des cachots, ou out été justement plongés les
suspects qui, depuis trois ans, appelaient la
guerre civile sur leul' patrie: Les mal1X dont on
se plaint étaierit inévitables; le peuple est en
état de révolution, et il devait prendre des me-
sures énergiques pour' son salut. Aujourd'hui,
ces moments critiques sont passés, et les dé-
clarations que vient de faire la convention
suffiront pour apaiser les troubles. D'ailleul's,
pourquoi une juridiction extraordinaire? Les
ancienQ.es loís existent, et suffisent pOUI' les
provocations aux meurtres. Serait-ce encore
une nouvelle loi martiale qu'on voudrait éta-
blir? ..


1 l.




1 Gl, H ÉV'OLtl'l'I'ON FRAN(;:A ¡S"E.
llar une c'Ontradicti'On bien ordinaire chet


les partjs, ceux qui avaient demandé la jurj-
¿icti'On extra'Orclinaire du 17 a'Out, ceux qui
allaient demander le tribunal rév'Olutionnaire,
s'élevaient c'Ontre une l'Oi qui, disaient-ils, était
une l'Oi de sang! - U oe l'Oi de sang, répond
Kersaint, lorsque je veux au contraire en pré-
venir l'effusi'On!-Cependant I'aj'Ournement est
vivement demandé. - Ajollrner la répressi'On
des meurtres, s'écrie Vergniaud, c'est les or-
donner! Les ennemis de la Franee s'Ont en ar-
mes sur n'Otre territoire, et l'on vent que les
citoyens fraIH¿ais, au lien de c'Ombattre, s'en-
tr'ég'Orgent comme les soldats de Cadmus!. ..


Enfin la proposition de Kersaint et Buzot est
adoptée tont entiere. On décrete qu'il sera pré-
paré des lois ponr la punition des provocatellrs
au meurtre, et pour l'organisati'On d'une garde
départementale.


Cctte séanee dn 24 septembre avait causé
une grande émoti'On dans les esprits; eepen-
dant aueun nom n'avait éié prononeé, et les
aecllsations étaient restées générales. Le len-
demain, 011 s'aborde avec les ressentimeilts de
la veille, et d'u11e part '011 murmure contre les
déerets rendus, de l'autre on éprouve le regret
de n'av'Oir pas assez dit c'Ontre la faetion appe-
léc désorgan isa trice. Tandis qu'OTl attaque les




CONVIlNTION NA. TION ALE (179'2). } 65
décrets, 011 qu'on les défend, Merlín, autrefois
huissier et officier municipal a Thionville, puis
député a la législative, ou il se signala parmi
les patriotes les plus prononcés, Merlin, fameux
par son ardeur et sa bravoure, demande la pa-
role.-«L'ordre du jour, dit-il, estd'éclaircir si,
oomme Lasource me l'a assuré hier, jI existe,
au seÍn de la convention nationale, une faction
qui vellille établir un triumvÍl'at ou une dic-
tatllre : il f;mt ou que les défiances cessent , ou
que Lasource indique les eoupables, et je jure
de les poignarder en faee de l'assemblée. ))
Lasource, si vivement sommé de s'expliquer,
rapporte sa conversation avec Merlin, et dé-
signe de 110uveau, san s les nommer, les ambi-
tieux qui veulent s'élever sur les ruines de la
royauté détruite.-(( Ce sont ceux quí ont pro-
voqué le meurtre et le pillage, qlli ont lancé
des mandats d'arret contre des membres de la
législative, qui désignent aux poignards les
membres courageux de la convention, et qlli
imputent au peuple les exces qu'ils ordonnent
eux.-memes. Lorsqu'il en sera temps, il arra-
chera le voile qu'il ne faíl que soulever, dut-ÍI
périr sous leurs coups. »


Cependant les triumvÍrs n'étaient pas nom-
més. Osselin monte a la tribune et désigne la
députation de París, dont il est membre; il dit




166 RÉVOLUTION l'RA.N<;::A.lSE.
que e'est eontre elle qu'on s'étudie a exciter des
défiances, qu'elle n'est ni assez profondémellt
ignorante, ni assez profolldémellt scélérate,
pour avoir conc;u des projets de triumvirat el
de dictature; qu'il fail serment du contraire ,
et demande l'anatheme et la mort contre le pre-
mier qui serait surpris méditant de pareils pro-
jets.-Que chacun, ajoute-t-il, me suive a la tri-
bune, et y fasse la meme déclaration. - Oui,
s'écrie Rebecqui, le courageux ami de Barba-
roux; oui, ce parti accusé de projets tyranni-
ques existe, et .le le nomme : e'est le partí Ro-
bespierre. Marseille le connait, et nous envoie
ici pour le combattre.


eette apostrophe hardie cause une grande
rumeur dans l'assemblée. Les yeux se dirigent
sur Robespierre. Danton se hatede prendre la
parole pour apaiser ces divisions, et écarter
des accusations qu'il savait en partie dirigées
contre lui-meme. - e' est, dit-il, un beau jour
pour la république que celui ou une explica-
tion franche et fraternelIe calmera toutes ces
défiances. On parle de dictateurs, de trium-
virs; mais eette accusation est vague, et doit
etre signée. - Moí je la signerai, s'écrie de
nouveau Rebecqui, en s'élanc;ant au bureau.
- Soit, répond Danton; s'il est des coupables,
qu'ils soient immolés, fnssent.ils les meillems de




CONVENTlON NATlUNALE (1792)' 167
mes amis. Pour moi, ma vie est connue. Dans
les sociétés patrio tiques , au 10 aout, au con-
seil exécutif, j'ai servi la cause de la liberté
san s aucune vue personnelle, et avec l' éner~(p
de mon tempérament. Je ne crains done pas
les accusations pour moi-meme ; mais je veux
les épargner a tout le monde. Il est, j'en con-
viens, dans la députation de Paris, un homme
qu'on pourrait appeler le Royou des républi-
cains : c'est Marat. Souvent on m'a accusé d'e-
tre l'instigateur de ses placards; mais j'invo-
que le témoignage du président, et je lui
demande de déclarer si , dans la eommune et
les comités, il ne m'a pas vu souvent aux
prises avec Marat. Au reste, cel écrivain tant
accusé a passé une partie de sa víe dans les
sonterrains et les cachots. La souffrance a al-
téré son humeur, il fant excuser ses emporte-
ments. Mais laissez la des discussions tout in-
dividuelles, et tachez de les faire servil' a la
chose publique. Portez la peine de mort con-
tre quiconque proposera la dictatnre Ol! le
triumvirat. - Cette motíon est couverte d'ap-
plaudissemerits. - Ce n'est pas tout, reprend
Danton; il est une autre crainte répanQue dans
le public, et il faut la dissiper. On prétend
qu'une partie des députés médite le régime
fédératif, et la division de la France en une




168 nÉVOLUTlON FRAN9AISF..
foulede sections. II nous importe de former
un tout. Déclarez done, par un autre décret,
l'unité de la Franee et de son gouvernement.
<;es bases posées, écartons neis défiances,
soyons unis, et marcholls a notre but.


Buzot répond a Danton que la dictature se
prend, mais ne se demande pas, et que por-
ter des lois contre cette demande est illllsoire;
que quant au systeme fédératif, personne n'y
a songé; que la proposition d'une garde dé-
partementale est un moyen d'unité, puisquc
tOI1S les départements seront appelés a gal'der
en commun.la représentation nationale; qu'au
reste, il peut etre bon de faire une loi sur ce
sujet, mais qu'elle doit etl'e murement réflé-
chie, et qu'en conséquence, iI faut renvoyer
les propositions de Danton a la commlSSlOn
des six, décrétée la veille.


Robespierre, personnellement accusé, de-
mande a son tour la parole. D'abord iI au-
nonce que ce n'est pas lui ql1'il va défendre,
mais la chose publique, attaquée dans sa per-
son ne. S'adressant a Rebecqui: « Citoyen, lui
dit.il, q ui n' avez pas craint de m' accnser, je vous
remercie. Je reconnais a votre courage la cité
célebre qui vous a député. La patrie, vous et
moí, nous gagnerons tous a cette accusation.


(( On désigne, continue-t-il, un partí qui




CONVENTION NATIONALE (1792). J69
médite une nouvelle tyrannie, et c'est moí
qu'on en nomme le chef. L'accusation est va-
gue; mais, grace a tont ce que j'aí faít pour
]a liberté, il me sera faciJe d'y répondre. C'est
moí qni, dans la constituante, ai pendant trois
ans combattu toutes les factions, que]que nom
qu'elles empruntassent; c'est moi qui ai com-
battn contre la conr, dédaigné ses présents;
e' est moí .... - Ce n' est pas la question, s' é-
crient pJusieurs députés. - Il faut qu'íl se jus-
tífie, répond Tallien. - Puisqu'on m'accuse,
reprend Robespierre, de trahir ]a patrie, n'ai-
je pas le droit d'opposer ma vie tout entiere?»)
Il recommence alors l'énumération de ses dou-
bIes services contre l'aristocratie et contre les
faux patriotes qui prenaient le masque de la
liberté. En disant ces mots, iI montrait ]e coté
droit de la convention. Osselin lui-meme, fa-
tigué de cette énumération, interrompt Robes-
pierre, et lui demande de donner une expli-
cation franche. - II ne s'agit pas de ce que tu
as fait, dit Lecointe -Pllyravaux, mais de ce
qu'on t'aCCllse de faire aujourd'hui. -Robes-
pi erre se replie alórs sur la liberté des opinions,
sur le droit sacré. de la défense, sur la chose
publique, aussi compromise que lui - meme
dans cette accusatíon. On l'invíte encore a etre
plus bref, mais il continlle ave e la meme dif-




170 RÉVOLUTION FRAN~.\.ISE.
fusiono Rappelant les fameux déerets qu'il a
fait remire contre la réélection des consti-
tuants et contre la nomination des députés a
des places données par le gouvernement, il
demande si ce sont la des preuves d'ambition.
Récrimillant ensuite conÜ;e ses adversaires, il
renouvelle l'accusation de fédéralisme, et finit
en demandant l'adoption des décrets proposés
par Danton, et un examen sérieux de l'accu-
sation intentée contre lui. Barbarollx, impa-
tíent, s' élance a la barre: « Bárbaroux de Mar-
« seille, s' éCl"ie - t - il, se présente pour signer
« la dénonciation faite par Rebecqlli contre
« Robespierre.») Alors il raeonte une histoire
fort insignifiante et souvent répétée: e' est qu'a-
vant le 10 aout, Panis le eonduisit chez Robes-
pierre, et qu'en sortant de cette entreyue
Panis lui présenta Robespierre comme le seul
homme, le seul dictatellr capable de sauver la
chose publique; et qu'a cela luí, Barbaroux,
répondit que jamais les Mal"seillais ne baisse-
raient la tete devant un roi ni devant un dic-
tatenr.


Déja nous avons rapporté ces faits, et on a
pn juger si ces vagues et insignifiants pro pos
des amis de Robespierre pouvaient servir de
hase a une accusation. Barbaroux reprend une
á une les imputations adressées aux girolHlins;




CONVENTION NATIONALE (1792). 17 1
il demande qn' on proscrive le fédéralisme par
un décret; que tons les membres de la con-
vention nationale jurent de se laisser bloquer
dans la capitale, et d'y mourir plutót que de
la quitter. Apres beaucoup d'applaudissements,
Barbaroux reprend, et dit que, quant aux
projets de dictature, on ne saurait les con tes-
ter; que les usurpations de la commune, les
mandats Iancés contre les membres de la re-
présentation nationale, les commissaires en-
voyés dans les départements, tout pro uve un
proj~t de domination; mais que la ville de
Marseille veille a la sureté de ses députés; que,
toujours prompte a devancer les bons décrets,
elle envoya le bataillon' des fédérés, malgré le
veto royal, et que maÍntcnant encore elle en-
voie huit cents de ses citoyens, auxquels leurs
peres ont donné deux pistolets, un sabre, un
fusil, et un assignat de cinq cents livres;
qu'elle y a joint deux cents hommes de cava-
lerie, bien équipés, et que cette force servira
a commencer la garde départementale propo-
sée pour la sureté de la convention! l( PouÍ'
« Robespierre, ajoute Barbaroux, j' éprouve un
« vif regret de' l'avoir accusé, car je l'aimais,
« je l'estimais autrefois. Oui, nous l'aimions,
« et nous l'estimions ton s , et cependant nous
« l'avons accusé!, Mais qu'il reconnaisse ses




) 72 RÉVOLUTION FRANc;.;AlSE.
( torts, et nous nous (lésistons.< Qu'il cesse
a de se plaíndre, car s'il a sauvé la liberté par
« ses écrits, IlOUS l'avoIls défendue de nos per-
« sonnes. Citoyens, quand le jour du péril
« sera arrivé, alors OIl nous jugera, alors nous
(G verrons si les faiseurs de placards sauront
« mourir avec 110US!») De nombreux applau-
dissements accompagnent BarbarotlX jusqll'a
sa place. Au mot de placards, Marat réclame
la parole. Cambon la demande apres lui, et
obtient Ja préférence. Il dénonce alors des
pIaeards GU la dictature est proposée eomme
indispensable, et qui sont sigllés du nom de
Marat. A ces ruots chacun s'éloigne de celui-
ci, et il répond par un sourire aux mépris
qll'on lui témoigne. A Cambon succedent
d'autres accusateurs de Marat et de la com-
mune. Marat fait de Iongs efforts pour obtenir
la parol~; mais. Panis l'obtient encore avant
luí ~ pour répondre aux allégations de Bar-
baroux. Pallis nie maladroitement des faits
vrais, mais pcu probants, et qu'il vaIait mieux
avouer, en se repliant sur Icur peu de valeur.
Il est alors illterrompu par Brissot, qui lui de-
mande raison du mandat d'arret lancé eontre
sa personne. Panis se replie sur les circons-
tan ces ,qu'on a, dit-il, trap facilement ou-
bIiées, sur la terreur et le désordre qui ré-




CONVENTION N ATION AU (1792). 173
gnaient alors dans les esprits, sur la multitude
des dénanciatians contre les conspirateurs du
10 aaut, sur la force des bruits répandus can-
tre Brissot, et sur la nécessité de les éclaircir.


Apres ces langues expJications, a tout mo-
ment interrompues et reprises , Marat insistant
toujours pour avoir la paraJe, l'abtient enfin,
lorsqu'il n'est plus possibJe de la lui refuser.
C'était la premieJ'e fois qu'il paraissait a la tri-
bnne. Son aspect produit un mouvement d'in-
dignation, et un brnit affreux s'éleve contre
lui. Abas! ti has! est le cri général. Négli-
gemment vetu, portant une casquette, qu'il
dépose sur la tribune, et promenant sur son
auditoire un sourire convulsif et méprisant :
«'J'ai, dit-il, un grand nombre d'ennemis per-
« sonnels dans eette assemblée. . . .. - Tous!
« taus! s'écrient la plupart des députés. - J'ai
« c1ans eette assemblée, reprend Marat avee la
« meme aSSllrance, un grand nombre d'enne-
« mis personnels, je les rappelle a la pudeul'.
« Qu'ils s'épargnent les clameurs furibandes
I( contre un homme qlli a serví la liberté, et
« ellx-memes, plus qu'ils ue pensent.


« On parle de triumvirat,. de dictatllre, on
« en attribue le projet a la liéputation de Pa-
(e ris; eh bien 1 je dois a la justice de déclarer
« que mes collegues, et notamment Robespierre




174 RÉVOLUTJON FRANC;:AIS1"
« etDanton, s'y sont toujours opposés, et que
«( j'ai toujours eu a les combattre sur ce point.
« Moi le premier, et le seul en France, entre
« ton s les éerivains poli tiques ,j'aí songé a eette
« mesure, eomme au seul moyen d' éeraser les
« traitres et les eonspirateurs~ e' est moí seul
« qu'il faut punir; mais avant de punir il faut
« entenclre.» leí quelques applaudissements
éclatent, mais peu nombreux. Marat reprend:
« Au milieu des machinations éternelles d'un'
« roi perfide, d'une cour abominable, et des
« faux patrio tes quí, dans les deux assemblées,
1( vendaient la liberté publique, me reproche-
« rez-vous d'avóir imaginé le seul moyen de
« salut, et d'avoir appelé la vengeanee sur les
c( tetes eriminelles? non, car le peuple vous dé-
«( savouerait. Il a senti qu'il ne lui restait plus
« que ~e moyen, et e' est en se faisant dietateur
« lui-meme qu'il s'est délivré des traitres.


« J'ai frémi plus qu'un autre a l'idée de ces
« mouvements terribles, et e'est pour qu'ils ne
« fussent pas éternellement vains que j'aurais
« désiré qu'ils fussent dirigés par une main juste
« et ferme! Si, a la prise de la Bastille, on eút
ce eompris la née~ssité de eette mesure; einq
({ cents tetes scélti'ates seraient tombées a ma
« voix, et la paix eút été affermie des eette
« époque. Mais fante d'avoir déployé eette




CONVENTION NATIONALE (1792 ). ]75
(( énergie aussi sage que nécessaire, cent mille
(( patriotes ont été égorgés, et cent mille sont
{( menacés de l'etre! Au reste, ]a preuve que je
(( ne voulais point faire de eette espece de die-
( tatellr, de tribun, de triumvir (le nom n'y
« faitrien), un tyran te! que la sottise pour-
(e rait l'imaginer, mais une victime dévouée a
t( la patrie, dont HuI ambitieux n'aurait envié
{( le sort, c'est que je voulais en rrH~me temps
«( qne son autorité ne durat que peu de jours,
« qu'el1e fUt bornée au pouvoír de condamner
(( les traitres, et meme qll'on lui attaehat du-
( rant ce temps un boutet au pied, afin qu'il
ee fUt tonjours sous la main du peuple. Mes
« idées, quelque révoltantes qu'elles vous pa-
( russent, ne tendaient qu'au bonheur publico
( Si vous n'étiez point vous-memes a la hau-
«( teur de m'entendre, tant pis pour vous! »


Le profond silence qui avait régné jusque-la
est interrompu par quelqties éclats de rire, qui
ne déconcertent point l'orateur, beaucoup plus
effI'ayant que risible. 11 continue : ce TeIle était
« mon opinion, écrite, signée, publíquement
( soutenue. Si elle était fausse, iI fallait la com-
« battre, m' éclairer, et ne point me dénoncel'
( au despotisme.


( On m'a accusé d'ambition! mais voyez, el
«( jllgez-:moi. Si j'avais senlement vou]u mettre




176 REVOLunON FRAN~AISE.
« un prix a mon silence, je serais gorgé d'or,
« et je suis pauvre! Poursuivi sans cesse, j'ai
« erré de souterraills en souterrains, et fai pré-
« ché la vérité sur le billot!


« Pour vous, ouvrez les yeux; loin de con-
ce sumer votre temps en discussions scandaleu-
(( ses, perfectionnez la déclaration des droits,
« établissez la constitutÍon, et posez les bases
« du gouvernement juste et libre, qui est le
« véritable objet de vos travaux. »


Une attention universelle avait été accordée
a cet homme étrange, et l'assemblée, stupé-
faite d'un systeme aussi effrayant et aussi cal-
culé, avait gardé le sil en ce. Quelques partisans
de Marat, enhardis par ce silence, avaÍent ap-
plaudi; mais ils n'avaient pas été imités, et
Marat avait repris sa place sans recevoir ni ap-
plaudissemeQts, ni marques de col ere.


Ver.rniaud , le plus pur, le plus sage des gi-
rondins, croit devoÍr prendre la parole pour
réveiller l'indigllation de l'assemblée. Il déplore
le malheur d'avoir a répondre a un homme
chargé de décrets!!! ... 0habot, Tallien se ré-
crient a ces mots, et demandent si ce sont les
décrets lancés par le Cbatelet pour avoir dé-'
voilé Lafayette. Vergniaud insiste, et déplore
d'avoir a répondre a un homme qui n'a pas
purgé les décrets dont il est chargé, a un homme




CONVENTroN NATlONALE (J 792 ). 177
tout dégouttant de ealomuies, de fiel el de
sang! - Les m~rmures se renouvellellt; m3is
il continuc avec fermeté, et apres avoir distin-
gué dans la députation de Paris, David, Du-
saulx et quelques autres membres, iI prend en
mains la fameuse circulaire de ]a commune que
uous avons déja citée, et la lit tont eQtíere.
Cependant comme elle était déja eonnue, elle
ne produit pas autant d'effet qu'une autre
piece, dont le député Boileau faít a son tour
la Iecture. C'est une feuille imprimée par Ma-
rat, le jour meme, et dans laquelIe il dit : « Une
« seu le réflexion m'aecable, e'est que lous mes
I( efforts pour sauver le peuple n'aboutiront a
le ríen sans une nOllvelle insurrection. A voir
«.la trempe de la plupart des députés a la con-
(1 vention nationale, je désespere du salut pu-
{( blic. Si dans les huit premieres séallces les
« bases de la constitution ne sont pas posées,
« n'attendez plus rien de cette assemblée. Cin-
(( quante ans d'anarchie vous attendent, et
(e vous n'en sortirez que par un dictateur, vrai
«opatriote et homme d'état ..... O peuple ba-
(1 billard! si tu sallais agir! . ... )}


La lecture de ceHe piece est SOllvent inter-
romplle par des cris d'indignatioll. A 'peine est-
elle achevée, qu'une foule de membres se dé-
chainent contre Marat. Les uns le menacent et


IlI. n




J 78 ll.ÉVOLUTlON .FRAN9AISE.
erient a l'Abbaye! a la guillotine! d'autres l'ae-
eablent de paroles de mépris. 11 ne répond que
par un nouveau sourire a toutes les aitaques
dont il est l'objet. Boileau demande un décret
d'accusation, et la plus grande partie de 1'as-
semblée veut aller aux voix. Marat insiste avee
sang-froid pour etre entendu. On ne vent l'é-
eouter qu'a la barre; enfin íI ohtíent la tribune.
Selon son expression accoutumée, il rappelle
ses ennemis ti la pudeur. Quant aux décrets
qu'on n'a pas rougi de lui opposer, iI s'en f¡lit
gloire, paree qu'ils sont le prix de son eou-
rage. D'ailleurs le peuple, en l'envoyant dan s
eette assemblée Ilationale, a purgé les déerets,
et décidé entre ses aeeusateurs et lui. Quant
a l'écrit dont on vient de faire la leeture, il ne
le désavouera pas, ear le mensonge, dit - il ,
n'approcha jamais de ses levres, et la erainte
est étrangere a son ereur. « Me demander une
« rétraetation, ajoute-t-il, e'est exiger queJe ne
« voie pas ee que je vois, que je ne sente pas
« ce que je sens, et il n'est aueune puissanee
« son s le soleil qui soít capahle de ee renver-
«( sement d'idées: je puis répondre de la pu-
( reté de mon ereur, mais je ne puis ehanger
« mes pensées; elles sont ee que la nature des
(( choses me suggere. »


Marat apprend ensuite a l'assemblée que cet




CONVENTION NATIONALE (1792 ). 179
écrit, imprimé en placards, iL Y a dix jours, a
été réimprimé, contre s.on gré, par son Iibraire;
mais qu'il vient de clonner, dans le premier
numéro du Journal de la République, un nou·
vel ex posé de ses principes, dont assurément
l'assemblée sera satisfaite, si elle veut l'écouter.


On consent en effet a lire l'article, et l'as-
semblée, apaisée par les expressions modérées
de Marat, dans cet article intitulé Sa noulJelle
marche, le traite avee moins de rigueur; iI ob-
tient meme quelques marques de satisfaction ..
Mais iI remonte a la tribune avec son audace
ordinaire, et prétend donner une le~on a ses
collegues sur le danger de l'emportement et
de la prévention. - Si son journal n'avait pas
paru le jour meme, pour le disculper, on l'en-
voyait aveuglément dans les fers. « Mais, dit.il,
en montrant un pistolet qu'il portait toujours
dan s sa poche, et qu'iL s'applique sur le front,
j'avais de qiJoi rester libre, et si vous m'aviez
décrété d'accusation, je me brulais la cervelle
a eette tribune meme. Voila le fruit de mes
travaux, de mes dangers, de mes souffrances!
Eh bien, je resterai parmi vous, pour braver
vos fureurs!» ·A ce dernier mot de Marat. ses
collegues, rendus a leur indignation, s'écrient
que c'est un fou, un scélérat, et se livrent a
un long tumnlte.


1 :.l.




180 ltÉVOLUTION FRAN~AIS};.
La discussion avait duré pIusieurs heures,


et cependant qu'avaít-on appris ? .... rien sur le
projet prétendu d'une dictature au profit d'un
triumvirat, mais beaucoup sur le catactere des
partis, et sur leur force respective. On avait vu
Danton, facile et pIe in de bonne voIonté pour
ses collegues, a condition qu' on ne l'inquié-
terait pas sur sa conduÍíe ; Rohespíerre, pIein
de fiel et d'orgueil: Marat, étonnant de'cy-
nisme et d'audace, repoussé meme par son
partí; mais tachant d'habituer les esprits a ses
atroces systemes : tons troisenfin réllssissant
dan s la révolution par des faculté s et des vices
différents, n'étant point d'accord les unil avec
les autres, se désavouant réciproquement; et
n'ayant évidemment que ce gout pour 1'in-
fluence, naturel a tous les hommes, et qui
n'est point encore un projet de tyrannie. On
s'accorda avec les girondins pour proscrire sep-
tembre et ses horreurs; on leur décerna l'es-
time clue a Ieufs taIents et a Ieur probité; mais
on trouva leurs accusations exagérées et impru-
dentes, et on ne put s'empecher de voir dans
leur indignation quelques sentiments person-
neIs. Des ce moment l'assemblée se distribua
en coté droit et cotégauche, comme chns
les premiers jours de la constituante. Au cOté
droit se placerant tous les gironclins, et ceux




CONVENTIOl'l N.A.TIONA.LE ('792). 181
qui, sans etre aussi personnellement liés 11 leur
sort, partageaient cependant Ieur indignation
généreuse. Au centre s'accumulerent, en nom-
bre considérable, tous les députés honnetes,
mais paisibles, qui, n' étant portés ni par leur
caractere, ni par leor talent, a prendre part a
la tulte des partis autrement que par leur vote,
cherchaient, en se confondant dans la multi-
tude, l'obscurité et la sécurité. Leur grand
nombre dans l'assemblée, le respect encore
tres-grand qu'on avait pour elle, l'empresse-
ment que le parti jacobin et municipal mettait
a se justifier a ses yeux, tout les rassurait. lis
aimaient a croire que l'autorité de la conven-
tion suffirait, avec le temps, pour dompter les
agitateurs; ils n'étaiellt pas fachés d'ajourner
l'énergie ,et de pouvoir dire aux girondins que
Ieurs accosations étaient hasardées. !ls ne se
montraient encore que raisonnables et impar-
tíaux, parfois un peu jaloux de I'éloquence
trop fréq-uente et trop brillante du coté droit;
mais bientOt, en présence de la tyrannie, ils
allaient devenir fa,ibles et Iaches. On les nomma
la Plaine, et par opposition on appela /l1on-
tagne le coté gauche, ou tous les jacobins s'é-
taient amoncelés les tlllS au-dessus des autres.
StH' les degrés de eette Montagne, on voyait
les députés de París et ceux des départements




182 RÉVOI.UTION :t'RAN~A1SE.
qui devaient leur nomination a la correspon-
dance des clubs 1 on qui avaient été gagnés
depuis leur arrivée, par l'iMe qu'il ne fallait
faire aucun quartier aux ennemis de la révolu-
tiOIl. On y comptait aussi quelques esprits
distingués, mais exacts, rigoureux, positifs,
auxquels les théories et la philantropie des
girondins déplaisaient comme dé vaines abs-
tractions. Cependant les montagnards étaient
peu nombreux encore. La Plaine, unie au coté
droit, composait une majorité immense, qui
avait donné la présidence a Pétion, et qui ap-
prouvait les attaques des girondins contee sep-
tembre, sauf les personnali tés, qui semblaient
trop précoces et trop peu fondées"'.


On avait passé a l'ordre du jour sur les ac-
cusations réciproques des deux partís; mais on
avait maintenu le décret de la veille, et trois
objets demeuraient arretés : 1 ° demander au
ministere de l'intérieur un comple exact et
fidele de l'état de París; 2° rédiger un projet
de loi contre les provocateurs au meurtre et au
pillage; 3° aviser au mayen de réunir autour
de la convention une garde départementale.
Quant au rapport sur l'état de París, on savait


* Voyez un cxtrait des Mémaires de Carat, note 3 a la
Jin du 4e volume.




CONVENTION NA.TIONALE (1792). 183
avec quelle énergie et dan s quel sens iI serait
fait, puisqu'il était confié a Roland : la com-
mission chargée des deux projets eontre les
provocations écrites et pour la eomposÍtion
d'une garde, ne donnait pas moins d'espoir,
puisqu'elIe était toute composée de girondins.
Buzot, Lasource, Kersaint en faisaient partie.


e'est surtout contre ces deux derniers pro-
jets que les móntagnards étaient le plus sou-
levés. Ils demandaient sí on voulait renouveIer
la loi martiale et les massacres du ehamp-
de-Mars, si la convelltion voulait se faire des
5a tellites et des gardes - du - corps, eomme le
dernier roí. lIs renouvelaient ainsi, comme le
disaient les girondins, toutes les raisons don-
nées par la cour contre le camp sous Paris.


Beaucoup des membres du coté gauche, et
meme les plus ardents, étaient, en Ieur qualité
de membres de la convention, tres-prononeés
contre les usurpations de la commune; et, a
part les dépntés de París, ancun ne la défen-
dait lorsqu'elle était attaquée, ce qui avait lieu
tous les jours~ Aussi les décrets se succéderent-
ils vivement. eomme la commune tardait a se
renonveler, en exécution du décret qui pres-
crivait la réélection de tous les corps aclmi-
nistratifs, on ordonna au conseil exécutif de
veillcr a SOB renouvellement, et d'en remIre




184 RÉVOLUTION FRAN<;:.US.E.
compte a l'assemblée sous trois jours. Une
commission oe six membres fut nommée pour
recevoir la déclaration, signée de tous ceux qui
avaient déposé des effets a l'Hótel-de-Ville, et
pour rechercher I'existence de ces effets, ou
vérifier l'emploi qu'en avait fait la mnnicipalité.
Le directoire du département, que la com-
mune insurrectionnelle avait réduit au titre et
aux fo.nctions oe simple comrnission adminis-,
trative, fut réintégré dans tOlltes ses attribu-
tions, et reprit son titre de directoire. Les
élections communalcs po.ur la nominatio.n du
maire, de la municipalité, et du conseil géné-
ral, que les jacobins avaieut récemment ima-
giné de faire a haute vo.ix, po.ur intimider les
faibles, furent de nouveau rendues secretes par
une confirmatio.n de la lo.i existan te. Les élec-
tions déja o.pérées el'apres ce mo.de illégal, fu-
rent annulées, et les s.ections se soumirent a
les recommencer dans la forme prescrite. On
décréta enfin que tous les prisollniers eufermés
san s mandat d'arret, seraient élargis sur -lc-
champ. C'était la un grano coup po.rté au Co.-
mité de surveilJance, acharné surtout contre
les personnes.


Tous ces décrets avaient été rendus dans
les premiers jours d'octobre, et la commUIle,
vivement poussée, se voyait obligée a plier




CONVENTION N,\.TIONALE (1:792). 185
sons l'ascendant de la convention. Cependant
le comité de surveillance n'avait pas vouln se
laisser battre salls résistance. Ses membres s'é-
taient présentés a I'assemblée, disant qu'ils V'e-
naient confondre leurs ennemis. Dépositaires
des papiers trouvés chez Laporte, intendant
de la liste civile, et eoodamné, eomme 00 s'en
souvient, par le tribunal du 17 aoUt, ils avaient
découvert, disaient - ils, une leltre oú il était
parlé de ce qu'avaient couté certains décrets,
rendLls dans les précédentes assernblées. lis
venaient démasqner les députés venclus a la
cour, et prollver la fausseté de leur patriotísme.
- Nornmez-Ies, s'était écriée I'assernblée avec
indignation. - Nous ne pOllvons les désigner
encore, avaient répondu les rnembres du co-
mité. Sur·le-champ, pour repousser la calomnie,
il fut nommé une commission de viogt-quatre
députés, étrangers a la constituante et a la lé-
gislative, ebargés de vérifier ces papiers el cl'en
faireleur rapport. Marat, inventenr de eette
ressource, publia c1ans son journal qu'il a\'ait
rendll aux Rola n dis tes , aeellsateurs de la eom~­
mune, la !nonnaie de leur piece; et il annoo<;a
la prétendue découverte d'unc trabison des
girondins. Cependant les papiers examinés,
aucun des députés actnels ne se trouva com-
pl'Omis, et le comité de surveillanee fLlt déclaré




186 RÉVOI,UTION FRANQAISE.
calornniateur. Les papiers étant trop volumi-
neux pour que les vingt - quatre députés en
continuassent l'examen a l'Hotel-de-Ville, 011
les transporta daos l'un des comités de l'assem-
blée. Marat, se voyant ainsi privé de riches
tn~tériaux pour ses accusations journalieres,
s'en irrita beaucoup, et prétendit, dans son
journal, qu'on avait voulu détruire la preuve
de toutes les trahisons.


Apres avoir ainsi réprimé les débordements
de la commune, l'assemblée s'occupa du pou-
voir exécutif, et décida que les ministres ne
pOllrraient plus ctre pris dans son sein. Danton,
obligé d'opter entre les fonetions de ministre
de la justice et de membre de la convention,
préféra, comme Mirabeall, ceHes qui lui assu-
raient la tribune, et quitta le ministere sans
rendre compte des dépenses secretes, disant
qu'il avait rendu ce compte au conseil. Ce faÍt
n'était pas tres-exact; mais on n'y regarda pas
de plus pres, et on passa mItre. Sur le reflls
de Fran<;ois de Neufchateau, Garat, écrivain
distingué, idéologue spirituel, et devenu ta-
meux par l'excellente rédaction du Journal de
Paris, occupa la place de ministre de la jus-
tiee. Servan, fatigué d'llne administration labo-
rieuse, et au-dessus non de ses facultés, mais
de ses forces, pl'éféra le commandernent de




CONVENTION NATIONALE (1792). 187
l'armée d'observation qu'on formait le long des
Pyrénées. Le ministre Lebrun fut provisoire-
ment chargé d'ajouter le portefeuille de la
gúerre a celní des affaire s étrangeres. Roland
enfin offrit aussi sa démission, fatigué qu'il
était d'nne anarchie si contraire a sa probité
et a son inflexible amour de l'ordre. Les gi-
rondins proposerent a l'assemblée de l'inviter
a garder le pottefeuílle. Les montagnards , et
partículiel'ement Danton, qu 'il avait beaueoup
contrarié, s' opposerent a eette démarche eomme
peu digne de l'assemblée. Danton se plaignit de
ce qu'il était faible, et gouverné par sa femme ;
on répondit a ce reproche de faiblesse par la let-
tre du 3 septembre, et on aurait pu répondre en-
core en citant l'opposition que luí, Danton, avait
reneontrée dans le eonseil. Cependant on passa
a l'ordre du jour. Pressé par les girondíns et
tous les gens de bien, Roland demeura au mi-
nistere. « J'y reste, écrivit-il noblement a l'as-
« semblée, puisque la calomnie m'y attaque,
(C puisque des dangers m'y attendellt, puisque
« la convention a paru désirer que j'y fusse
« encore. n est trop glorieux , ajouta-t-il en 6-
« nissant sa lettrei qu'on n'ait eu a me reprocher
(( que mon union avec le eourage et la vertu. »)


L'assemblée se partagea ensuite en divers
comités. Elle eréa un comité de surveillance




J 8~ l\ÉVOLUTION FRA.Nc.:A.lSE.
composé de trente memhresj un second de la
guerre, de vingt - quatre; un troisieme des
comptes, de quin~e; un quatrieme de législa-
tion criminelle et civile, de quarante-huit; un
cinquiem.e des assignats, monnaies et finances,
de quarante-deux. Un sixieme comité, plus
important que tous les autres, fut chargé du
principal objet pour lequella convention était
réunie, c'est-a-dire, de préparer un projet de
constitution. On le compasa de Ileuf memLres
diversement célebres, et presql1e tous choisis
dans les intérets du cotédroit. La philosophie y
el] t ses représelltants dans la personne de Sieyes,
de Condorcet, et de ]'Américain Thamas Payne,
récemment élu citoyen fran<;ais et membre de
la convention natianale; la Gironde y fut par-
ticulierement représentée par GensoIlllé, Ver-
gniaud, Pétion et Brissot; le centre par Barrere,
et la MOIltagne par Dantan. 011 est saos doute
étonné de voir ce tribun si remnant, mais si
peu spéculatif, placé daos ce comité tont p~i..,
losophique, et il semble que 16 caraclere de
Robespierre, sinoo ses talents, aurait du lui
valoir ce role. TI est certain que Rohespierre
ambitioIlllait bien davantage cette distiuction,
et qu'il fut profondément blessé de ne pas l'ob-
tenir. On l'accorda de préférence a Dantoll,
que 50n esprit naturel rendait propre a tout,




CONVENTION NATIONA.LE (1792). 189
et qu'aucun ressentiment profond ne séparait
encore de ses collegues. Ce fut cette compo-
sition du comité qui fit renvoyer si long-temps
le travail de la constitution.


Apres avoir pOlltVIl de la sorte au rétablis-
sernent de l'ordre dans la capitale, a I'organisa-
tío n du pOllvoir exécutif, a la distribution des
comités et allx préparatifs de la constitution,
il restait mI derrrierobjet a régler, ¡'un des plus
graves dont I'assemblée eút a s'occuper, le sort
de Louis XVI et de sa famille. Le 'plus profond
silence avait été obset'vé a cet égard dalls l'as-
semblée, et on en parlait partout, aux Jacobins,
a ]a commune, dans tous les lieux particuliers
ou publics, excepté seulement a la c.onvention.
Des émigrés avaient été saisis les armes a la
main, et on les conduisait a Paris pour leur
appliquer les lois crimiuelles. A ce sujet, une
voix s'éleva (c'était la premiere), et demanda
si, au lieu de s'occuper de ces coupables sub-
alternes, on ne songerait pas a ces coupables
plus élevés renfermés au Temple. A ce mot, un
profond silence régna.. dans l'assemblée. Barba-
rOllx prit le premier la parole, et demanda
qu'avant de savoir si la conventioll jugerait
Louis XVI, on décidat si la convention serait
corps judiciaire, car elle avait d'autres coupa·
hIes a juger que ceux du Temple. En élevant




190 RÉVOLUTION FRANC;;:AISE.
cette question, Barbaroux faisait allusion au
projet d'instituer la convention en cour ex-
traordinaire, pour juger elle-meme les agita-
teurs, les triumvirs, etc. Apres quelques débats,
la proposition fut renvoyée au comité de lé-
gislation. pour examiner les questions aux-
quelles elle donnait nai.ssance.


_G_




CHAPITRE IV.


Situatíon militaire a la fin d'octobre 1792. - Bombarde-
ment de Lille par les Autrichiens j prise de Worms et
de Mayenee par Custine. - Faute de nos généraux.-
Mauvaises opérations de eustine. - Armée des Alpes.
Conquete de la Savoie et de Nice. - Dumouriez se
rend 11 París; sa position 11 l'égard des partis. ---:- In-
fluence et organisation du cJub des Jacobins. - État de
la soeiété franpise; salons de Paris. - Entrevue de
Marat et de Dumouriez. Anecdote. - Seeonde lutte des
girondins avec les mOlltagnardsj Louvet dénonce Ro-
bespierre; réponse de Robespierre; l'assemblée De
donne pas suite a son aeeusation. - Premié res pro-
positions sur le proees de Louis XVI.


DANS ce moment, la situation militaire de la
France était bien changée. On touchait a la mi-
o~tobre; déja l'ennemi était repoussé de la
Champagne et dé la Flandre, et le sol étranger
envahi sur trois points, le Palatinat, la Savoie
et le comté de Nice.





19~ RÉVOLUTION FRAN«;:A.IS~.
On a vu les Prllssiens se retirallt du camp


de la LUlle, reprcnant la route de I'Argonne,
jonchant les défilés de morts et de malades, et
n'échappant a une perle totale que par la négli-
gence de nos généraux qui pOllrsllivaient cha-
eLln un but différent. Le UlIC de Saxe-Teschen
n'avait pas mieux réussi dans son alfaque sur
les Pays - Bas. Tandis que les Prussiens mar-
chaient sur l' Argonne, ce prince ne voulant pas
rester en aniere, avait cru devoir essayerqllelq ue
entreprise éclatante. Cependaut, quoique notre
frontiere du nom fUt dégarnie, ses moyens
n'étaiellt pas beaueoup plus grands que les
nOtrcs, et il put a peine réllnir qllinze mille
hommes avee un matériel médiocre. Feignant
alors de fausses attaques sur toute la ligne des
places fortes, iI provoqua la déroute de fun
de nos petits eamps, et se porta tout-a-eoup
sur Lille, pour essayer un si{>ge que les pltis
grands géiléraux n'avaient pu exécuter avec de
puissantes armées et un matérieI considérable.
11 n'y a que la possibilíté dn succes qui jl1sti-
fie a la guerre les e'!ltreprises cruelles. Jje duc
ne put aborder qu'un poiot de la place, et y
établit des batteries d' obusiers, qui la bomb¡lr-
derent pendant six jours consécutifs, et ineen-
ilierent plus de deux cents maisons. On dit que
l'archiduchesse Christine vOlllnt assistf'1' elle-




CONVENTION N A TION ALE (1792.). J 93
meme a ce spectacle horríble. S'il en est ainsi,
elle ne put etre témoin que de l'héroisihe des
assiégés , et de l\nutilité des barbaries autrÍ-
chiennes. Les Lillois, résistant avec une noble
ob;tination ,ne cOl1sentirent jamais a se rendre;
et, le 8 octobre, tandis que les Prussiens aban-
donnaient l' Argonne, le duc Albert était obligé
de quitter LiIle. Le ~énéral Labourdonnaie,
arrivant de Soissons, BeurnonvilIe, revenant
ele la Champagne, le foreerent a s'éloigner ra-
pidement de nos frontieres, et la résistance des
1.illois, publiée par toute la Franee, nefit
qu'augmenter l'enthousiasme général.


A peu pres a la meme époque, Custine ten-
tait dans le Palatinat des entreprises hardies,
mais d'un résnltat plus brillant que solide.
Attaehé a l'armée de Biron, qui eampait le
long du Rhin, il était plaeé avee dix-sept mille
hommes a qltelque distanee de Spire. La grande
armée d'invasion n'avaitque faiblement protégé
ses derrieres, en s'avant(ant dan s l'intérieur de
la Franee. De faibles détaehements eouvraient
Spire, Worms et Mayenee. Custine s' en aper-
<;ut, marcha sur Spire, et y entra sans résis-
tanee le 30 septembre. Enhardi par le sucees,
il pénétra le 5 octobre dans Worms, sans ren-
eontrer plus de diffieultés, et obligea une gar-
nison de dellx mille sept cents hommes a mettre


III. d




J 94 nÉVOLUTION I'RAN9AISE.
bas les armes. Il prit ensuite Franckenthal,
et songea sur-Ie-champ a l'importante place de
Mayence, qui était le point de retraite le plus
important pour les Prussiens, et dans lequel
ils avaient en l'imprudence de ne laisser qu'une
médiocre garnison. Custine , avec dix·sept mille
hommes et sans matériel, ne pouvait ten ter un
siége; mais il essaya d'un coup de maill. Les
idées qui avaient soulevé la France agitaient
toute l' Allemagne, et particulierement les villes
a université. Mayellce en était une, et Custine
y pratiqua des intelligences. n s'approcha des
murs, s'en éloigna sur la fausse nouveUe de
l'ax:rivéé d'un corps autrichien, s'y reporta de
nouveau, et, faisant de grands mouvements,
trompa l'ennemi sur la force de son armée. On
délibéra dans la place. Le projet de capitulation
fut fortement appuyé par les partisans des Frau-
c;ais, et le 2 J octobre les portes furen~ onvertes
a Cnstine. La garnison mit bas les armes, ex-
cepté huit cents Autrichiens, qui rejoigllirent
la grande armée. La nouvelle de ces sueces se
répandit avec éclat, et causa une sensation ex-
traordinaire. lis avaient. sans· doute bien peu
couté; ils étaientbieIl peu méritoires, comparés
a la constance des Lillois, et au magllanirne
sang-froid déployé a Sainte-Menehould; mais
011 était enehanté de passer de la simple résis-




f:ONVENTION NATIONALE (1792 ). 19&
tance á la conquete. Jusque-la tout était bien
de la part de eustine, si, appréciant sa posi-
ti~n; ii eut su terminer la campagne par un
mouvement, qui était possible et décisif.


En cet instant, les trois armées de Dumou-
riez, de Kellermann et de Custine ,étaient, par
la plus heureuse rencontre, placées de maniere
a détruire les Prussiens et a conquérir par u!le
seule marche toute la ligne du Rhin jusqu'a
la mero Si pumouriez, moins préoccupé d'une
autre idée, eut gardé Kellermalln sous ses or-
dres, et eut poursuivi les Prussiens avec ses
quatre-vingt mille hommes; si en meme temps
Custine, descendant le Rhin de Mayence a Co-
blentz, se fUt jeté sur leurs derrieres, OH les
aurait accablés infailliblement. Suivant ensuite
le cours du Rhin jusqu' en Hollande, on prenait
le duc Albert a revers, on l' obligeait a déposer
les armes OH a se fait'e jour, et tous les Pays-
Bas étaient soumis. Treves et l .. uxembourg.
compris dans la ligne que nous avions décrite,
tombaient nécessairement; tout était France
jusqu'au Rhin, et la campagne se trouvait ter-


. minée en un mois. Le génie abondail: chez Du-
mouriez, mais ses idées avaient pris un autre
cours. BruJant de retourner en Belgique, jI ne
songeait qu'it y marcher directement , pour se-
cOlJl'ir Lille el pOllsser de fron! le onc Albert.


,3.




'196 I1ÉVOLUTION FUAN9AISE.
n laissa done Kellermann seul a la poursuite
des Prussiens. CeluÍ-ei pouvait encore se porter
sur Coblentz, en passant entre Luxembourg
et Treves, tandis qúe Custine descendrait de
Mayence. Mais Kellermann, peu entreprenant,
ne présuma pas assez de ses troupes, qui pa-
raissaient harassées, et se eantonna autour de
Metz. Custine, de son eoté , voulant se l'endre
indépendantet faire des ineursions brillantes,
n'avait aueune envíe de se joindre a Kellermanll
et de se renfer~er dans la limite du lihin. Il
ne pensa done jamais a venir a Coblentz. Ainsi
fut négligé ee bean plan t si bien saisi et dé-
veloppé par le plus grand de nos historien s
militaires "'.


Custine, avee de l'esprit, était hautain? em-
porté et inconséquent. Il tendait surtout a se
rendre indépe~dant de Biron et de tout autre.
général, et il eut l'idée de eonquérir autour de
lui. Prendre Manheim, l'expos~it a violer la
neutralité de l'éleeteur palatin , ce qui. lui était
défendu par le eonseil exécutif; il songea done
a désemparer le Rhin pOllr s'avancer en Alle-
magne. Francfort, pIacé sur le Mein., lui sem-
bla une proie digne d'envie, et iI :résolnt des'y
portero Cependant eette ville libre, eommf'r~


_ * Jomini.





CONVl<;NTION N A.TlON A.LJ' (1 7~P)' J 97
<;ante, toujours neutre dans les diverses guer-
res, et bien disposée pour les Fran«;ais, De
méritait pas cette facheuse préférence. N'étant
point défendue, il était faciJe d'y entrer, maís
difficile de s'y maintenir, et par conséquent
inutile de l'occuper. Cette excursion ne pou-
vait avoir qu'un but, celui de frapper des
contr'ihutions, et il n'y avait aucune justice a
les imposer a un peuple habitllellementneutre,
comptant tout au plus par ses vreux, et par ses
vamx memes méritant la bienveillance de la
France, dont il approuvait les principes et sou-
haítait les succes. Custine commit la faute d'y
entrer. Ce fut le 27 octobre. 11 leva des contri-
butions, indisposa les habitants, dont il 6t des
ennemis pour les Frall(,;ais; et s'exposa, en se
jetant ainsi sur le Meín, a etre couré du Rhín,
OH par les Prussiens, s'íls fussent remontés jus-
qu'a Bingen, ou par l'électeul' palatin, si, rom-
pant la neutralité, il fut sorti de Manheim.


La nouveIle de ces courses sur le territoire
ennemi continua de causer une grande joie a
la France qui était tout étonnée oe conquérir,
quelques jours apres avoir tant craint d'etre
conquise elle-meme. Les ·Ptussiens alarmés je-
terent un pool: volant sur le Rhin, pour remon-
ter le long de la rivt' droite , et chasser les Fran-
c::aIS. H eureusement, pour Custine, ils mirent




J 98 REVOLUTION FRAN-;;AISE.
douze jours a passer le fleuve. Le decourage-
ment, les maladies et la séparation des AuLri-
chiens avaient réduit cette armée a cinqllante
mille hommes. Clerfayt, avec ses dix-hllit mille
A lltrichiens, avait suivi le mouvement géuéral
de nos trollpes vers la Flandre, et se portait
au secours du duc Albert. Le corps des émi-
grés avait été licencié, et cette brillante milice
s'était réunie an corps de Condé, ou avait passé
a la solde étrangere.


Tandis que ces événements se passaient a la
frontiere du nord et du Rhin, nous rempor-
tions d'autres avantages sur la frontiere d~s
Alpes. Montesql1iou, placé a l'armée dn midi,
envahissait la Savoie et faisait occuper le comté
de Nice par un de se~ lieutenants. Ce général,
qui avait fait voir dans la constituante tautes
les lamieres d'un homme d'état, et qui n'eut
pas le temps de montrer les qualités d'un mi-
litaire, dont OH assure qu'il était doné, avait
eté mandé a la barre de la législative pour
rendre compte de sa conduite, accusée de trop
de lenteur. Il était parvenu a convaincre ses
accusa.teurs que ses retards tenaient au défaut
de moyens,et non au manque de úle, et il
était retourné aux Alpes. Cependant iI apparte-
nail a la premiere génération révolutionnaire,
et se trouvait ainsi incompatible avec la nou-




CONVENTION NATIONALE (1792 ). '99
velle. Mandé encore une fois, il allait etre des-
titné, lorsqu'on apprit enfin son entrée en Sa-
voic. 5a destitutioll fut alors suspendue, et on
]u~ laissa continuer sa conquete.


D'apres le plan con<.;u par Dumouriez, lors-
qu'en qua lité de ministre des affaires étran-
geres il régissait a la fois la diplomatie et la
gllerre, la Fr:mce deva:it pousser ses armées
jUSqll'.l ses frontieres naturelles, le Rhin et la
haute chaine des Alpes. Pour cela, il {allait con-
quéI'ir la Belgique, la Savoie et Nice. La France
avait ainsi ravantage, en rentrant dans les princi-
pes'naturelsde sa politique, de ne dépouil1er que
les deux seuls ennemis qui lui fissent la guerre,
la maison d'Autriche et la cour de Tl1rin. C'est
de ce plan, manqué en avril dan s la Belgique,
et différé jllsqu'ici dans la Savoie, que Mon-
tesquiou alIait exécuter sa partie. Il donna une
division au général Anselme, pour passer le
Var et se porter sur Nice a un signal donné; il
marcha lui-meme, avec la plus grande partie
de sdh armée, de Grenoble sur Chambéry; il
fit menacer les troupes sardes par 5aint-Ge-
nies, et s'avan<.;ant luÍ-meme du fort Barraux
sur Montmélian, il parvint a les diviser et a
les rejeler dans les vallées. Tandis que ses lien-
tenants les poursuivaient, il se porta sur Charo-
béry, le 28 septembre, et y fit son entrée triom-




200 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
phale, a, la grande satisfactioI\ des habitants,
q\li aimaient la liberté en vrais enfants des mon-
tagnes, et la France eomme des hommes qui
parlent la meme langue, Ollt les memes mreurs,
et appartiennent au meme bassin. Il forma aus·
sitót une assemblée de Savoisiens, pour y faire
délibérer sur une question qui ne pouvait pas
etre douteuse, eeHe de la réuniona la France.


Au meme instant, Allselme, renforcé de six i
mille Marseillais, qu'il avaít demandés eomme
auxiliaires, s'ét¡iÍt apPJ;c;>ché du Val', torrent
¡,:légal, conu~e tous ceux qui descendent des
hautes montagnes, tour - a - t9ur irpmense ou
desséché, et ne pouvant pas pleme reeevoir un
pont fixe. Ansehne passa tres-hardiment le Val',
et occupa Nice que le comt~ Saint-André ve-
nait d'abandonner, et ou les magistrats l'avaicnt
pressé d'entrer pour arreter les désordres ele
la po'pulace, qui se livrait a d'affreux pillages.
Les troupes sardes se rejeterent vers les hautes
vallées; Anselme les poursllivit; mais il s'arreta
devant un poste redolltable, celui de Saorgio ,
dont il ne put jamais chasser les Piémontais.Peu-
dant ce temps, l'escadre de l'amíral Truguet,
combinant ses mouvements ~veG. c~ux dll gé-
~éral Anselme, avait obtenu la redditioIl de
VillefI"anche" et s'ét~it portée devant la petite
principauté d'OneilJe. Be¡¡UCOllp de corsaires




CONVJ.'NTION NATIONALE (1792). 20'
trouvaient ordinairement un asile dans ce port,
et par eette raison, iI n'était pas inutile de le
rédllire. Mais, tandis qu'un canot fran<,;ais s'a-
van<;ait pour pílrlementer, plusieurs homrn'es
furent, en vÍolation du droit des gens, tués
par une déchal'ge générale. L'amiral, embos-
sant alors ses vaisseaux devant le port, l' écrasa
de ses feux , y débarqua ensuite quelques trou-
pes, qui saccagerent la ville, et firent un grand
carnage des moines qui s'y trouvaient en grand
nombre, et qui étaient, dit-on, les instigateurs
de ce manque de foi. Te He est la rigueur des
lois militaires, et la malheureuse viII e d'Oneille
les subit sans aucune miséricorde. Apres cette
expédition, l'escadre fran<;aise reto urna elevant
N ice , oa Anselme, séparé par les erues du Var
du reste de son armée, se trouvait dangereu-
sement compromiso Cependant; en se gardant
bien coutre le poste de Saorgio, et en ména-
geant les habitants plus qu'il ne le faisait, sa
position était tenable, et il pouvait conserver
sa conquete.


Sur ces entrefaites, Montesquiou s'avanc;ait
q~ Chambéry sur Geneve, et allait se truuvel'
en présence de la Suisse, tres-diversement dis-
posée pour les Franc;ais, et qlli prétendait voir
dans l'invasion de la Savoie un danger pour sa
lleutralité.




202 RÉVOLUTJON FRAN(/AISJ-:,


Les s(lntiments des cantons étaient tres-pal·la.
gés a notre égard. TOlltes les républiques aristo-
cratiques condamnaient notre révolution. Berne
surtont, et son avoyer Stinger, la d~testaient
profondément, et d'autant plus que le pays de
Vaud, si opprimé, la chérissait davantage. L'a-
ristocratie helvétique, excitée par l'avoyer Stin-
ger et par l'ambassadeur anglais, demandait la
gllerre contre nous, et faisait valoir le massacre
des Gardes-Suisses aH JO aoM, le désarmement
d'un régiment a Aix, et enfin l'occupation des
gorges du Porentruy, qui dépendaient de l'é-
veché de BiUe, et que Biron avait fail: occuper
pOLlr fermer le Jura. Le parti modéré I'emporta
néanmoins, et on résolut une nentralité armée.
I~e canton de Berne, plus irrité el plus défiant,
porta un eorps d'armée a Nyon, et, S01lS le pré-
texte d'une demande des magistrats de Geneve,
plac;a garnison dalls eette ville. D'apres les an-
eiens traités, Geneve, en eas de guerre entre
la Franee et la Savoie, ne devait recevoir gar-
l1ison ni de l'une ni de I'autre puissance. Notre
envoyé en sortit aussitot, et le conseil exécutif,
poussé par Claviere, alltrefois exité de Geneve,
et jalollx d'y faire entrer la révolntion, ordonna
a Montesqniou de faire exécuter les traités. De
plus, on lui enjoignit de mettre luÍ-meme gar-
I1ison dan<; la place, c'est-a-dire d'imiter la {aute




CONVENTION N ATION AI,E (J 792). :103
reprochée aux Bernois. Montesquiou sentait d'a-
bord qu'il n'avait pas actuellement les moyens
deprendre Geneve, et ensuite qu 'en rompant
la nelltralité et en se mettant en guerre ave e
la Snisse ,on ouvrait l'est de la France, et on dé-
couvrait le flane droit de notre défensive. Il
résolut d'un cúté d'inlimider Geneve, tandis
que de l'autre il t:kherait de faire entendre
raison all conseil exéclltif. Il demanda done
hautement la sortie des troupes bernoises, et
essaya de persuaderauministere fran~ais qu'on
ne pouvait exiger davantage. Son projet était,
en cas d'extrémité, de bombarder Geneve, et
de se porter par une marche hardie sur le can-
ton de Vaud, pour le mettre e~ révolutjon.
Geneve consentít a la sortie des troupes ber-
noises, a condition que Montesquiou se reti-
rerait a dix lieues, ce qu'il exécuta sur-Ie-cham p.
Cepelldant cette eoncession fut blamée a Paris,
et Montesqujou, placé a Carouge ,ou l'entou-
rajent les exilés génevois qui vOlllaient rentrer
dans Jeur patrie, se trouvait la entre la crainte
de brouiller la France avec la Suisse,et la crainte
de désobéir au conseiJ exécutif, qui méconnais-
sait les vues militaires et politiques les plus
sages. Cette négociation, prolongée par la dis-
tance des lieux, n'était pas encore pres de fi-
mr, quoiqu'on fut a la fin d'octobre.


,




~:w4 nÉVOLUTION FRAN'<';:AISE.
Tel était donc, en octobre 1792, depuis Dun-


kerque jusqu'a B:Ue, et depuis Bale jusqu'a
Nice, l'état de nos armes. La frontiere de la
Champagne était délivrée de la grande Ínva-
sion; les troupes se portaient de cette province
vers la Flandre, pour secourir LiIle et envahir
la Belgique. Kellermann prenait ses quartiers
en Lorraine. Custine, échappé des mains de
Biron, maitre de Mayence, et courant impru-
demment dans le Palatinat et jusqu'au Mein ,
I'éjouissait la France par ses conqlH~tes, effrayait
I'Allemagne, et s'exposait imprudemment a
etre coupé par les Pruss{ens, qui remontaient
la rive droite du Rhin, en troupes malades et
battues, mais nombreuses, et capables encore
d'envelopper la petite armée fran<;aise. Biron
campait toujours le long du Rhin. Montes-
quiou, maltre de la Savoie par la retraite des
Piémontais au-dela des Alpes, et préservé de
nouvelles attaql1es par les neiges, avait a dé-
cider la ql1estion de la neutralité suisse ou par
les armes on par des négociations. Enfin An-
selme, maitre de Niee, et soulenu par une es-
cad re , pouvait résister dan s sa position malgré
les emes du Var, et malgré les Piémontais
groupés au-dessus de lui dans le poste de
Saorgio.


Talldis que la guerre aUait se transporter de




CONVENTJON NA.TIONALE (1792). 205
la Champagne da~s la Belgique, Dumouriez
avait demandé la permission de se rendre a


• Paris pour deux OH trois jours seulement, afin
de concerter avec les ministres l'invasion des
Pays-Bas ~ et le plan général de toutes les opé.
rations militaires. Ses ennemis répandirent qu'il
venait se faire applaudir , et qu'il quittait le
soin de son cornmandement pour une frivole
satisfaction de vanité. Ces reproches étaiellt
exagérés, cal' le commandement de Dumou-
riez ne souffrait pas de cette absence, et de
simples marches de troupes pouvaient se faire
sans lui. Sa présence au contraire devait etre
fort utile au conseil po nI' la détermination d'un
plan général, et d'ailleurs 011 pouvait lui par-
donner une impatience de gloire, si générale
chez les hommes, et si excusable quand elle
ne nuit pas a des devoirs.


II arriva le I 1 octobre a Paris. Sa position
était embarrassante, caril oe pouvait se trouver
bien avec aucun des deux partis. La violen ce
des jacobins lui répugnait, et il avait rompu
avec les girondins, en les expulsant quelques
mois auparavant du ministere. Cependant, fort
bien accueilli dans toute la Champagne, ille
fut encore mieux a París, surtout par les mi-
nistres et par Roland lui-meme, qui mettait ses
ressentiments personnels au néant, qualld il




206 RÉVOLUTION FRAN~AIS}:.
s'agissait de la chose publique. Il se présenta
le 12 a la convention. A peine l'eut-on annoncé,
que des applaudissements melés d'acclama-
tions s'éleverent de toutes parts. Il pronom,;a
un discours simple, énergique, ou était brieve-
ment retracée toute la campagne de l' Argonne,
et ou ses troupes et Kellermann lui -meme
étaient traités ave e les plus grands éloges. Son
état-major présenta ensuite un drapeau pris sur
les émigrés, et l'offrit a l'assemblée comme un
m.onument de la vanité de leurs projets. Aussi-
tot apres, les députfs se baterent de l'entou-
rer, et on leva la séance pour 'donner un libre
cours aux félicitations. Ce furent surtont les
nombreux députés de la Plaine, les impar-
tiaux, comme on les appelait, qui, n'ayant a
lui reprocher ní rupture ni tiédeor révolution-
naire, luí témoignerent le plus vif et le plus
sincere empressement. Les girondins !le' reste-
rent pas en al'riere; cependant, soit par la {aute
de Dumouriez, soit par la leur, la réconcilia-
tío n ne fut pas elltiere, et on put apercevoir
entre eux un reste de froideur. Les monta-
gnards, qui lui avaient reproché un moment
d'attachement pour Louis XVI, et qui le trou-
vaienl, par ses manieres, son méríte et son
élévation, déja trop semblable aux girondins,
lui surent mauvais gré des témoignages qu'iI




CONvt:NTION NATIONALt: (1792). 2.07
obtinl de leur part, et sllpposerent ces té-
moignages plus significatifs qu'ils ne l'étaient
réellement.


Apres la convention, restait a visiter les ja-
cobillS, et eette puissance était alors devenue
si imposante, que le général victorieux ne pO u-
vait se dispenser de lui rendre hommage. C' est
Hl que l' opinioll en fermentation formait t0l15
ses projets, et rendait tons ses arrt'hs. S'agissait-
il d'une Ioi importante, d'une haute question
poli tique, d'une grande mesure révolutionilaire,
les jacobins, toujours plus prompts, se hataient
d'ouvrir la diseussion et de donner leur avis.
Immédiatement apres, ils se répalldaient dans
la commune, dans les sectioIls, iIs écrivaient
a tous les clubs affiliés; et l'opinion qu'ils
avaient émise, le vceu qu'ils avaient formé,
revenaient saus forme d'adresse de tous les
points de la France, et sous farme de pétitian
armée, de tous les quartiers de Paris. Lorsque,
dans les canseils municipaux, dans les sec-
tians, el dans toutes les assemblées revetues
d'une autorité quelconque, on hésitait encare
sur une question, par un dernier respect de
la légalité, les jacohins, qui s'estimaiellt aussi
libres que la pensé e , la tranchaiellt hardiment,
et toute jUiurrection était proposée chez ellx
long-temps a l'avance. lis avaient pendant tout




~w8 RhVOLUTION }'RAN<;:AISE.
un mois délibéré sur ceHe du 10 aout. Outre
cette initiative dans chaque question, ils s'al'-
rogeaient encore, daus tous les détails du
gouvernement, une inquisition inex.orable. Un
ministre, un chef de hureau, un fournisseur
étaient-ils accusés, des commissaires partaient
des jacobins, se faisaient ouvrir les bureaux,
et demandaient des comptes rigoureux; qU'0I1
Ieur rendait sans hautcur, sans dédain, sans
impatience. Tout citoyen qui croyait avoir a
se plaindre d'un acte quelconque, n'avait qu'a
se présenter a la société, et il y trouvait des
défenseurs officieux pour lui faire rendre jus-
tice. Un jour c'étaient des soldats qui se plai-
gnaieRt de leurs officiers, des ouvriers de leurs
entrepreneurs; un autre jour on voyait une
actrice réclamer contre son directeur; une fois
nH~me un jacobin vint demander réparation
de I'adultere commis avec sa femme par 1'un
de ses collegues.


Chacun s'empressait de se faire inscrire sur
les registres de la société pour faire preuve de
úle patriotique. Presque tous les députés nou-
vellement arrivés a Paris s'étaient hatés de s'y
présenter; on en avait compté cent treize dans
Hile semaine, et ceux nH~me qui n'avaient pas
l'intention de suivre les séances ne laissaient
pas que de demander Ieur admission. Les 50-




CONVENTION NATIONALE "( J 79~)' ::lOg
ciétés affiliées écrivaient du fond des provinces,
p~ur s'informer si les députés de leurs dépar-
tements s'étaient fait recev6ir, et s'ils étaient
assidlls. Les riches de la capitale tachaient de
se faire pardonner lenr opulence en allant aux
Jacobins se couvrir du honnet rouge, et ]eurs
équipages encomhraient la porte de ce séjour
de l'égalité. Tandís que la salle était remplie
du grand nombre de ses memhres, que les
trihunes regorgeaient de peuple, une foule
immense, melée aux équipages, attendait a la
porte, et demandait a grands cris a etre intro-
duite.Quelquefois cette multitude s'irritait, lors·
que la pluie, si fréquente sous le ciel de Paris,
ajoutait allX ennuis de l'attente, et alors quel-
que memhre demandait l'admission du bon
peuple, qui souffrait aux portes de la salle.
M arat avait souveht réclamé dans de pareilles
oecasions; et quand l'admission était accordée,
quelquefois meme avant, une multitude im-
mense d'hommes et de femmes venaient inon-
der la société et se meter a ses membres. e' était
a .1á. fin du jour qu'on s'assemblait. La eolere,
excitée et contenue a la convention, venait
faire la une libre explosiono La nuit, ]a multi-
tude des assistants, toot contrihuait a échauffer
les tetes; souvent la séance, se prolongeant,
clégénérait en un tumulte épouvantable, et les


JIJ. 1 rl




210 ll.FVOLUTION FRAN~ATSF.
agitatellrs y puisaient, pour le lemlema¡n, le
eourage des plusalldacieuses tentatives. Cepen-
dant eette soeiété, si avancée en démagogie,
n'était pas encore ce qu'elle devint plus tardo
On y sOllffrait encore a la porte les équipages
de eeux qui venaicnt abjurer l'inégalíté deseon-
ditions. Quelql1es membres avaient fait de vains
efforts pour y parler le chapeau sur la tete, et
on les avait obligés a se découvrir. Brissot, a la
vt:rité, venait d'en etre exclll par une déeision
solennelle; mais Pétion eontinuait d'y présider,
au milien des applaudissements. Chabot, Col-
10t-d'Herbois, ¡"abre d'Églantine, y étaient les
orateurs, favorisés. Marat y paraissait étrange
encore, et Chabot disait, en langage du lieu,
que Marat était un porc-épic qu' on ne pow'ait
saisir d'aucun cóté.


Dumouriez fut re~u par Danton, qui prési-
dait ]a séance. De nombreux applaudissements
l'accueillirent, el en le voyant on lui pardonna
l'amitié supposée des girondins. Il pronon~a
quelqlles mots convenahles a la sihtation ,. et
promít aflanl la fin du moís de marche" /j¡,la
téte de soixante mille hommes., pourattaquer
les rois, el sauflerles peuplesde la tyrannie.


Danton répondant enstyle analogue, luí dit
que, ralliant les Fram;ais:(\u ~amp de Sainte-
Menehould, il avait bien mérité de la palTie,




CO.NVE.NTJO.N N ATIONAl,E (1792). !H 1
mais qu'une nouvelle carriere s'ouvrait; qq.'il
devait faire tomber les couronnes devant le
bonuet rouge dont la société l'avait honoré,
et que son noro figurerait alors parmi les plus
beaux noms de la France. Collot-d'Herbois le
harangua ensuite , et luí tint un discours qui
mOlltre et-la langue de l'époque, et les dispo-
sitions du moment a l'égal'd du généraL


(e Ce n'est pas un roi qui t'a nommé, o
ce Dumouríez, ce sont tes concitoyens. 80u-
« vieus-toi qu'un général de la république ne
(e doit jamais servir qu'elle seuIe. Tu as en-
« tendu parler de Thémistocle; iI venait de
« sauver la Grece a Salamine; mais, calomnié
« par ses ennel1lis, iI se vit obligé de cher-
« cheJ' un asile chez les tyrans.On luí offrit de
« servir contre sa patrie : pour toute réponse,
« il s'enfon~a son épée dans le creur. Dumou-
c( riez, tu as des ennemis, .tu seras calomnié,
ce souviens-toi de Thémistocle!


« Des pellples esclaves t'attendent pour les
« secourir : bientot tu les délivreras. Quelle
« glorieuse mission1... Il faut cependant te dé-
« fendre de quelque exces de générosité envers
({ tes enn€mis. Tu as reconduit le roi de Prusse
« un peu trop a la maniere fram;aúe ... Mais,
« nOlls l'espérons, l'Autriche pajera dOllble.


(( Tu iras a Bruxelles, Dumouriez .... je n'ai
14.




212 lrÉVOLUTION FRAN~A.ISF:.
" rien a te <lire ... Cependant si tu y trouvais
ce une femme exécrahle qui, sous les murs de
ce LiBe, est venlle Tepaitre sa férocité du spec-
«( tade des houlets rouges 1. .. Mais cette femme
(e oe t'atteod pas ....


«( A Bruxelles la liherté va reoaltre son s tes
(( pas .... citoyens, filies, femmes, e"nfants ,se
« presseront autolJr de toi; de quclle félicité
« tu vas jonir, Dumouriez l. .. Ma femme ... est
c( de Bruxelles, elle t'embrassera aussi *!»


Dantoo sortit ensuite avec Dumouriez, dont
il s'était emparé, et auquel íl faisait en quel-
que sorte les honneurs de la oouveUe répu-
blique. Dallton ayant montré a Paris une
contenance aussi ferme que Dumouriez a
Sainte-Menehould, on les regardait l'un et l'au-
tre comme les deux:. sauveurs de la révolutioo";
et 00 les applaudissait ensemble dans tous les
spectacles oú ils se montraient. Un certain
instioct rapprochait ces deux hommes, mal-
gré la différence de leurs habitudes. C'élaient
les corromplls des deux régimes qui s'unis-
saíent avec un meme génie, un meme gout
pour les plaisirs, mais avec une corruption
différente. Danton avait eeHe du peuple, et
Dumouriez celle des cours; mais plus heurellx


~ Voyez la note 1 a la fin du t.e voll1m~.




CONVENTION NATIONALE (1792). 2.13
que son collegue, ce dernier n'avait serví que
généreusement et les armes a la main, et
Danton avait en le malheur de souiller un
grand caractere par les atrocités de septembre.


Ces salons si brillants, ou les hommes cé-
lebres jonissaient autrefois de ]a gloire, oú,
pendant tout le dernier siec1e, on avait écouté
et applaudi Voltaire, Diderot, d' Alembert,
Rousseau, ces salons n'existaient plus. Il res-
fait la société simple el choisie de madame
RoJand, oú se réunissaient fous les girondins,
]e beau Barbarollx, le spiritllel Louvet, le
grave Buzot, le brillant Guadet, l' entrainant
Vergniaud, et oú régnaient encore une lan-
gue pure, desentretiens pleins d'intéret, et
des mceurs élégantes et polies. Les ministres
s'y réunissaient deux fois la semaine, et on y
faisait un repas composé d'un seul service.
Telle était la nouvelle société républicaine, qui
joignajt aux graces de l'ancienne France le sé-
rieux de la nouvelle, et qui allaít bientot dis-
paraitre devant la grossiereté démagogique.
Dumouriez assista a l'un de ces festins si sim-
pIes, éprouva d'abol'd quelque gene a l'aspeet
de ces anciens amis qu'il avait chassés du mi-
njstere, de eette femme quí luí semblait trop
sévere, et a laquelle il paraissait trop lieen-
cieux; mais íI soutínt eette situatíon avec son




214 RÉVOLUTION FIlAN9AISE.


esprit accoutumé, et fut touché surtout de la
cordialité sincere de Roland. Apres la soeiété
des girondins, eeHe des artistes était la seule
qui eút survécu a la dispersion de l'ancienne
aristoeratie. Presquc fous les artistes avaient
embrassé chaudement une révoiution qui les
vengeait des dédains nobiliaires, et qui ne
promettait de faveur qu'au génie. lIs aceueil-
lirent Dumouriez a leur tour, et lni donnerent
une fete, on furent réunis tous les talel1ts que
renfermait la capitale. Mais au milieu meme
de la fete, une scene étrange vint l'interrom-
pre, et causer autant de dégoút que de sur-
prIse.


Marat, toujours prompt a devaneer les mé-
fiances révolutionnaires, l1'était point satisfait
<Iu génél'al. Dénonciateur acharné de tous les
hommes entourés de la faveur publique, iI .
avait toujours provoqué, par ses dégoútantes
inveetives., les . disgr:kes encourues par les
chefs populaires. Mirabeau, BaiHy, Lafayette,
Pétion, les girondins, avaient été aecabIés de
ses outrages, lorsqu'ils jouiss~ient encore de
toute leur popularité. Depuis le 10 aout sur-
tout, il s' étai.t livré a tous les désordres de son
esprit; et, quoique révoltant pour les hommes
raisonnables et honnetes, et étrange au moins
pour les révoIutionnaires emportés, ii avait




CONVENTJON NATIOlIiALE (1792). 2]5
été encouragé par un commencement de suc-
ces. Aussi ue manqllait-il pas de se regarder
en quelque sorte comme un homme public~
essentiel au nouvel ordre de choses. 11 passait
une '\lartie de sa vie a J'ccueillir des bruits, a
les répandre dans sa fcuille, et a parcourir les
bureaux pour y redresser les tOl:ts des admi-
nistrateurs envers le peuple. Faisant au public
la confidencc d~ sa vie, il disait un jour dans
l'un de ses numéros", que ses occupatiollS
étaieut accablantes; que sur les vingt-quatre
heul'es de Jajournée, il n'en donnait que deux
au sommeil, et une seute a la table et aux
soins domestiques; qu'en outre des heures con-
sacrées a ses -devoirs de député, il en em-
ployait régulierement síx a recueillir et a faire
valoir les plaintes d'une foule de malheureux
et d'opprimés; qu'il consacrait les heures res-
tantes a lire une multitude de leUres et a y
répondre, a écrire ses observations sur les
événemellts, a recevoir des dénonciations, a
s'assurer de la véracité des dénonciateurs, en-
fin a faire sa feuille, et a veiller a l'impression
d'un grand ouvrage. Depuis trois années ilu'a-
vait pas pl'is, disait- il, un qual't d'heme de


• Journal de la Répllbliquefranqaise, nO 93, mel'cl't:cli
9 janvicr 1793.




:H 6 llÉVOLUTION FRANI;:.\ISE.
récréation; et on tremble en se figurallt ce
que peut produire dans une révolutiolL une
intelligence aussi désordollnée, servie par cette
activité dévorante.


Marat prétendaít ne voir dans Dumoúriez
qu'un aristocrate de mauvaises mreurs, dont
il fallait se défier. Par surcroit de motifs; iI
apprit que Dumouriez venait de sévir avec la
plus grande rigueur contre deux bataillons de
volontaires qui avaiellt égorgé des déserteurs
émigrés. Sur-le-champ il se rend aux Jacobins,
dénonce le général a leur tribune, et demande
deux commissaires pour aller l'illterroger ~ur
sa conduite. On lui adjoint aussitot les nom-
més Montaut et Bentabolle, et sur l'heure iI
se met en marche avec eux. Dumouriez n'était
point a sa demeure. Marat court aux divers
spectacles, et enfin apprend que Dumouriez
assistait a une fe te que lui donnaient les ar-
tistes chez mademoiselle Candeille, femme cé-
lebre alors. Marat n'hésite pas a s'y rendre,
malgré son dégoutant costnme. Les équipages,
les détachements de la garde nationale <l!'qu'il
trouve a la porte du lieu ou se clonnait la fete,
la présence du commandant Santerre, d'une
foule de députés, les app.rets d'un festin, irri-
tent son humeur. Il s'avance hardiment et de-
mande Dumouriez. Une espece de rumeur s'é-·




CONVE1UlON N ATlON ALE (I79:l). 217
leve a son approehe. Son nom prononcé fait
dispara'ltre une foule de visages, qui, disait~
il, fuyaient ses regards accusateurs. Marchant
droit vers Dumouriez, ill'interpelle vivement,
et lui demande compte des traitements exer~
cés envers les deux bataíllons. Le général le
regarde, puis luí dit avec une euriosité mé-
prisante:-Ah e'est vous qu'on appelle Marat!
-11 le considere encore des pieds a la tt~te, et
lui tourne le Jos, sans luí adresser une parole.
Cependant, les jacobins qui aceompagnaient
Marat, paraissant plus doux et plus honnetes,
Dumouriez leur dorme quelques explieations,
el les renvoie satisfaits. Marat, qui ne l'était
pas, pousse de grands cris daus les anti-
chambres, gourmande Santerre , qui fait, dit~
il, aupres du généraIle métier d'un laquais;
déclame eontre les gardes nationaux qui con-
tribuaient a l'éclat de la fete, et se retire en
-mena~ant de sa eolere tons les aristocrates
composant la réllnion. Aussitot iI court trans-
crire dans son journal cette scene ridicule,
qui peint si bien la situation de Dumouriez,
les fureurs de Marat et les m<ellfS de eette
époque* .


.. Voyez le récit de l\'larat lui-meme, note 2 it la fin du
4" volllme.




:.! I 8 RÉVOLUTION FRANc,;AISJl.
Dumouriez avait passéquatre jours a París,


et, pendant ce temps, il n'avait pu s'entendre
avec les girondins , quoiqu'il eút parmí euX: un
ami intime dans la personne de Gellsonné. II
s'était borné a conseiller a e'e dernier de se ré-
cOllcilier avec Dantol1, comme avec l'homme
le plus puissant, et celui guí, malgré ses vices,
pouvait devenir le plus utile aux gens de bien.
Dllmouriez ne s'était pas mieux entendu avec
les jacobins, dont il était dégouté, et auxquels
il était suspect, a cause de son amitié supposée
avec les girondins. Son séjour a Paris l'avait
done peu serví aupres des deux partis, mais
lui avait été plus utile sous le rapport mili-
taire.


Suivant son usage, il avait conc¡u un plan
gél1éral adopté par le eonseil exécutif. D'apres
ce plan, Montesquiou devait se maintenir le
long des Alpes, et s'assurer la grande challle
pour limite, en achevant la conquete de Nice,
et en s' efEor(,;ant de conserver la neutra/ité suisse.
Biron devait etre renEorcé, afin de garder le
Rhin depuis Bale jusqu'a Landau. Un eorps de
dOllze mille hommes, aux ordr~s du général
Meusnier, était destiné a se porter sur les der-
rieres de Custine, afin de couvrir ses commu-
nieations. Kellermann avait ordre de quitter ses
quartiers, de passer rapidement entre Luxem-




CONVENTJON NATIONALE (1792). 219
bourg et Treves, pour courir a Coblentz, et
de faire ainsi ce qu'on lui avait déja conseillé,
et ce que lui et Custine auraient du exécuter
depuis long-temps. Prenant enfin l'offensive
lui-meme avec quatre-vilJgt mille hommes, Du-
monriez devait compléter le territoire franc;ais
par l'acquisition projetée ele la Belgique. Gar-
dant ainsi la défensive sur toutes les frontieres
protégées par la nature du sol, on n'attaquait
hardiment que sur la· frontiere ollverte, ceHe
des Pays-Bas, la OU, comme le disait Dumou-
riez, on ne pouvait SE DÉF.ENDRE QU'E.N GAeN ANT
DES BATAILLES.


Il obtint, par le crédit de Santerre, que
l'absurde idée du camp sous Paris serait aban-
donnée; que tous les rassemblements qn'on
avait faits en hommes, en artillerie, en muni-
tions, en effets de campement, seraient re-
portés en Flandre , pour servir a son armée qui
manquait de tout; qu'on y ajouterait des sou-
liers, des capotes, et six millions de numé-
rairepour fournir le pret aux soldats, en at-
lendant l' entrée dans les Pays-Bas,apres laquelle
il espérait se suffire a lui-meme. Il partít, vers
le 16 octobre, un peu désabusé de ce qu'on
appelle reconllaissance publique, un peu moins
d'accord avec les partis qu'auparavant, et tout
au plus dédommagé de son voyage par quel-




:120 RÉVOLUTION FRAN<,;3AlSE.


ques arrangements militaires, faits avec le con-
seil exécutif.


Pendant cet intervaIle, la convention avait
continué d'agir contre la cornmune en pressant
son renouvellement, et en surveillant tous ses
actes. Pétion avait été nornmé niaire a une ma-
jorité de treize mille huit cent .quatre-vingt-
dix-neuf voix " tandis que Robespierre n'en
avait obtenu que villgt-trois, Billaud - Va-
rennes quatorze, Panis quatre-vingts, et Dan-
ton onze. Cependant il ne faut point mesurer
la popularité de Robespierre et de Pétion d'a-
pres cette différence dans le nombre des voix,
paree qu'on avait l'habitude de voir dans l'un
un rnaire~ et dans l'autre un député, et qu'on
ne songeait pas a faire autre chose de chacuu
d'eux; mais cette immense majorité proU\'e la
popularité, dqnt jouissait encore le principal
chef du parti girondin. Il ne faut pas oublier
de dire que Bailly obtint deux voix, singulier
souvenir donné a ce vel'tueux magistrat de 1789'
Pétion refus~ la mairie, fatigué qu'il était des
convulsions de la commune, et préférant les
fonctioIls de député a la conventióll natío-
nale.


Les trois mesures principales projetées dan s
la fameuse séance du 24 septembre étaiellt, une
loi contre les provocatiolls au meul'tre, un




CONVENTION NATIONALE (1792). 11 J
décret sur la formation d'une garde départe-
mentale, et enfin un compte exact de l'état
de París. Les deux premieres, confiées a la
commission des nenf, excitaient un cri conti-
nnel aux jacobins, a la communeet dans les
sections. 1,a commission des neuf n'en contí-
nuait pas moins ses travaux, et de divers dé-
partements, entre alItres de Marseille et du
Calvados, arrivaient spontanément et comme
avant le JO aoút, des bataillons qui devan<;aient
le décret sur la garde départementale. Roland,
chargé de la troisieme mesure, c'est-a-dire do
rapport sur l'état de la capitale, le fit san s fai-
blesse et avec une rigoureuse vérité. JI pei-
gnit et excusa la confusion inévitable de la
premiere illsurrection; mais iI retra<;a avec
énergie et frappa de réprobation les crimes
ajoutés par le 2 septembre a la révolution du
JO aout; il montra tous les débordements de
]a commune, ses abus de pouvoir, ses empri-
sonnements arbitraires, et ses immenses diJa-
pidations. Il flnit par ces mots :


« Département sage, mais peu puissant; com-
« mUlle active et despote; peuple excellent,
« mais dont une partie saine est intimidée ou
« contrainte, taudis que l'autre est travaillée
« par les flatteurs et enflammée par la calom-
« nie; confusion des pouvoirs, ablls et mépris




222 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« des autorités.; force publique faible ou nulle
({ par un mauvais commandement, voila Pa-
« ris 1 '" )1


Son rapport fut cOllvert d'applaudissements
par la majorité ordinaire, bien que, pendant
la lecture, certains murmureseussent éclaté
vers la Montagne. Cependant une lettre écrite
par un pal'ticulier aun magistrat, communi-
quée par ce magistrat au conseiI exécutif, et
dévoilant le projet d'un nouveau 2 septembre
contre une partiede la convention, excita une
grande agitation. Une phrase de cette lettre,
relative aux conspirateurs, disait: lis ne veu-
lent enlendre parler que de Robespierre. A ce
mot tous les regareIs se dirigerent sur lui; les
uns luí témoignaient de l'índignation, les au-
tres l'excitaient a prendre la parole. Ula prit
pour s'opposer a l'impression du rapport de
Roland, qu'il qualifia de roman diffamatoire,
et il soutint qu'on ne devait p~s donner de Pll-
blicité a ce rapport,avant que ceux qui s'y
trouvaient accusés, et lui-meme particuliel'e-
ment, eussent été entendus. S'étendant alors
sur ce qui lui était personnel, iI commeuc;;a a
se justifier; mais i1 ne pouvait se faire euteo-
dre, a cause du hrllit qui régnait dans la salle.


* Séance du :19 octobre.




CONVENTION NA.TfONAL1' (1792). 223
- Parle, lui disait Danton, parle; les b011S ci-
toyells sont la qui t'entendent. Robespierre,
parvenant a dominer le bruit, recommence son
apologie, et défie ses adversaires de l'accuser
en face, et de produire contre lui une sen le
preuve positive. A ce défi, Louvet s'élance:
-e'est moi, lui dit.il, moí qui t'accuse. Et en
achevant ces mots iI occupait déja le pied de
la tribune, et Barbaroux , Rebecqui, l'y suivaien t
ponr soutenir l'accusation. A cette vue, Ro-
bespierre est imu, et son visage parait al téré;
iÍ demande que son aCCllsateur soit entendu,
et que lui-meme le soit ensuite. Danton, luí
succédant a la tribnne, se plaint du systeme
de calomnie órganisé contre la commune et la
députation de Paris, et répete sur Marat, qui
était la principale cause de toutes les accusa-
tions, ce qu'il avait déja déelaré, c'est-a-dire
qu'íl ne l'aimait pas, qu'il avait fait l'expé-
rience de son tempérament volcanique el inso-
ciable, et que toute idée d'une coalition trium-
virale était absurde. Il finit en demandant qll'on
fixe un jour pour discuter ce rapport. L'as-
sernblée en décrete l'impression, mais eHe en
ajoul'ne la distribution anx départements, jus-
qu'a ce qu'on ait entendll Louvet et Robes-
plerre.


Louvet était plein de hardiesse et de COll-




~24 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
rage; son patriotisme était sincere; mais, dans
sa haine contre Robespierre, entrait le ressen-
timent d'une lutte personnelle, commencée
aux Jacobins, continuée dan s la Sentinelle,
renouvelée dan s l'assemblée électorale, et de-
venue plus violente depuis qu'il se trouvait
face a face avéc son jaloux rival dans la con-
vention uationale. A une extreme pétulance de
caractl~re, Louvel joignait une imagination ro-
manesque et crédule qui l'égarait, et lui faisait
supposer un concert et des complots la OU iI
n'y avait que l'effet spontané des passions.
Il croyait a ses propres suppositions, et vou-
lait forcer ses amis a y ajouter la meme foi.
Mais iI rencontrait dans le froid hon sens de
Pétion et de Roland, dans l'indolente impartía-
lité de Vergniaud, une opposition qui le déso-
lait. Buzot, Barbaroux, Guadet, sans etre aussi
crédules, sans supposer des trames aussi com-
pliquées, croyaient a ]a méchanceté de leurs
adversaires, et secondaient les attaques de
Louvet par indignation et par cóurage. Salles,
député de la Meurthe, ennemi opiniatre des
anarchistes dans la constituante et dans la con-
vention, Salles, doué d'une imagination sombre
et violente, étaít seul accessible a toutes les
suggestions de Louvet, el croyait, comme luí,
a de vastes complots, tramés dans la commune




~ONVJ!NTION N~T/ONAU: (1792). 22!í
et aboutissant a l'étranger. Amis passionnés de
la libet,té, Louvet et Salles 'Be pouvaient con-
sentir a lui imputer tant de maQx, et íls aimaíent
mieux croire que les montagnards, surtout Ma-
rat, étaie'nt stipendiés par l'émigratioll et l'An-
gleterre, pour pousser la révolution an crime,
an déshonneur et a la confusion générale. Plus
incertains sur le compte de Robespierre, ils
voyaíent an moins en luí un tyran dévoré d'or-
gueil et d'ambition, et marchant par tous les
moyens an supreme pouvoir.


Louvet, résolu d'attaquer hardiment Robes-
píerre et de ne lui laísser aucun repos, tenait
son discours tout pret, et s'en était muni le
jour ou Roland devait faire son rapport : aussi
fut-U tout ,préparé a soutenir l'accusation lor8-
qu' on lui donna la.parole. Ula prit sur.le-champ,
et immédiatement apres Roland.


Déja les gírondins avaient assez de penchant
a mal juger les événements, et a supposer des
projets críminels la OU il n'y avait que des pas-
sionsemportées: mais, ponr le crédule Louvet.
la conspiration était encore bien plus évidente
etp~us fortement combinée. Dansl'exagératioll
croi:ssante des jacobins, dansle succes que la
morguede Robespierre y avait obtenu pendant
1792, il voyait un complot tramé par l'ambi-
tieux tribuno 11 le montra, s'entourant de. sa-


lIr, 15




?2G RKl'OLUTION FRAN9AISF,.


tellites a la violcnce desquels il livrait ses
contradicteurs; serendant luí -meme l'objel.
d'nn culte idolatre, faisant dire partont, avant
le 10 aout, que lui seul pouvait sauver la li-
berté et la France, et, le 10 aoút anivé, se
cachant a la lumiere, reparaissant deux jonrs
apres le danger, marchant alors droit a la com-
mune, malgré la promesse de ne jamais accep-
terdeplace,et, de sapleine autorité, s'asseyant
lui.-meme au bureau du conseU général; la s'em-
parant d'mle bourgeoisie aveugle, la poussanl
ason~ré a IDuS·les exces, aUant insulter pour
elle l'assemblée législative, et exigeant de cette
assemblée des décrets sous peine du tocsin;
ordonuant, saos jamais paraitre, les massacres
et les vols de septembre, pour appuyer l'autorité
municipale par la terreur; .eo:voyant ensuite
par tonte la France des émissaires qui allaient
conseiller les memes criroes , et engager les pro-
vinces a recODllaitre la supériorité et l'autorité
de Paris. Robespierre, ajonte Louvet, voulait
détruire la représentation nationale POQf; lui
substituer la commune dont il disposait" ~tno~lS
donner le gouvernement de Rome, 9U,S0I1S le
nom de municipes" les provincl'ls étaitmt sou-
mises a la souvéraineté de la 1I1étropole. Maitre
ainsi de París., qui r eut été de la France, il
aurait succédé a la royauté détruite. CepCIl-




CONVJ.'NTION NATIONALE (1792). 221
dant, voyant approcher le moment de la ré-
union d'une nouvelle assemblée, il avait passé
du conseiLgénéral a l'assemblée électorale, et
avait dirigé ses ehoix par la terreur, afin d'eti'e
tnaltre de la convention par la députation de
Paris.


C'est lui, Robespierre, qui avait désigné ame
électeurs cet homme de sang dont les placards
ineendiaires remplissaiellt la Franee de sur-
prise et d'épouvante. Ce libelliste, du nom du-
quel Louvet ne voulait pas, disait- ji, souilIer
ses levres, n'était que l'enfantperdu de l'as-
sassinat ,doué , pour precher le crime et ca-
lomnier les citoyens les plus purs, d'un cQurage
qui manquait au cauteleux Robespierre. Quant
a I)anton., Louvet le séparait de l'accusation ,
et s'étonnait meme qu'il se fut élancé ~ la tri-
bune pour repousser une attaque qui ne se
dirigeait pas eontre luí. Cependant il ne le sé-
parait pas de septembre, paree que dans ces
joursmalheurellx, lorsque tOlltes les autorjtés,
rassemblée, les ministres, le maire, parlaient
en vaip. pour arreter les massaeres, le ministre
seul de. la justiee ne parlait pas; paree qu'en-
fin., dans les fameux plaeards, il était ex~epté
seul des calomnies répandues contre les plus
pursdescitoyens. « Et puisses-tu, s'~cl'iait LOlJ-
(( vet, puisses-tu, o Danton, te laver aux yeux


15.




2',Ú~ R:ÉVOI.UTION I"RAN<;AISE.
«( de la postérité de cette déshonorante exeep-
e< tion! » Des applaudissements avaient accueilli
ces paroles, aussi généreuses qu'ímprudentes.


Cctte accúsation, constamment applaudie,
n'avait cependant pas été entendue saTis beau-
coup de murmures;mais un mot 50uvent répété
pendant la séance les avait arretés. Assurez-moi
dll silence, avait dit Lonvet an président, car
je vais toucher le mal, et on criera. - Appuie,
avait dit Danton, touche le mal. Et chaque fois
que s'élevaient des murmures: silence! criait-
on , silence les blessés!


Louvet résume enfin son accusation. «Robe~
« pierre, s'écrie·l-il, je t'accnse d'avoil' ca10mnié
« les plus pnrs citoyens, et de l'avoir fait le jour
« ou les calomnies étaient des proscriptions; je
f( t'accuse de t'etre produit toi-meme comme
t( un objet d'idolatrie , et d'avoir fait répandre
« que tu étais le seul homme capable de sauver
t( la France ; je t'accllse d'avoir avili, insulté et
« persécuté la représentation nationale, d'avoir
« tyrannisé l'assemblée électorale de París, et
«( d'avoir marché an sllpreme pouvoir par la
« calomnie, la violence et la terreur, et je de-
« mande un comité ponr examiner ta conduite.»
Louvet propose une loí qui condamne au ban-
nissement qnicollqlle aura fait de son nom un
sujet de division entre les cítoyens. 11 veut




CONVENTlON NATlONALE (1792). 229
qu'aux mesures dont la cornmissíon des neuf
prépare le projet, on en ajoute une nouvelle,
c'est de mettre la force armée a la disposition
du ministre de l'intérieur. « Enlin , dit-il, je de-
t( mande sur l'heure un décret d'accusation
« contre Marat!. .. Dieux! s'écrie-t-il, dieux!
«( je raí nommé! »


Robespierre, étourdí des applaudissements
prodigués a son adversaire, veut prendre la
paroJe. Au milieu du hruit et des murmures
qu'excite sa présence, iI hésíte, ses traits et
sa voix sont altérés, iI se faít entendre cepen-
dant, et demande un délai ponr préparer sa dé-
fense. Le délai lui est accordé , et la défense cst
ajournée au 5 novembre. Le renvoí était heu-
reux ponr l'accusé, car, excitée par Louvet,
l'assemhlée ressentait ce jour-Ia une vive in-
dígnation.


Le soír, vive rumeur aux Jacobins, ou se
faisait le controle de toutes les séances de la
convention. Une foule de membres accourent
éperdus pour raconter la conduite horrible de
I~ouvet, et pour demander sa radiation. Il avait
calomnié la socíété, inculpé DantoIl, Sallterre ,
Rohespierre et Marat; iI avait demandé une
accusation cantré les deux derniers, propasé
des lais sanguinaires, attentatoires a la liberté
de la presse, et enfin propasé l'ostracisme d'A-




1130 RÉVOLUTION FRt\l'H;AI!il:.


th;m,es. Legendre dit que e' était un coup monté,
puisque Louvet avait son discours tout pret,
et que bien évidemment le rappOI"t de Roland
ll'avait eu d'antre objet que de fournir une
occasion a celte diatribe.


Fabre d'Églantine se plaillt de ce que le
scandale augmente tous les jours, de ce qu'on
s'évertue a calomnier Paris et les patriotes.--«On
lie, dit-iI, de petites conjectures a de petites
suppositions, on en fait sortir une vaste cons-
piratio.n, et on ne veut nous dire ni ou elle
est, ni queIs en sont les agents et les moyens.
S'íl y avait un homme qui eut tout Vl.l, tout
apprécié daos l'un et I'autre parti, vous ne
pourriez douter que cet homme, ami de la
vérité, ne fut tres-propre a la faire couoaitre.
Cet homme e'est Pétion. Forcezsa vertu a dire
tout ce qu'il a vu, et a prononcer sur les cri-
mes imputés aux patriotes. Quelque condes"":
cendaoce qu'il puisse avoir pour ses amis, j'ose
dire que les intrigues ne 1'ont point corrompu.
Pétion est toujours pUl' et sincere; iI voulait
parler aujourd'hui, forcez-Ie 11 s'expliquer *.)


Merlin s'oPI)Ose 11 ce qu'on fasse Pétion juge
entre Robespierre et Louvet, ear e'est violer
l'égalité que d'instituerainsi un eitoyen juge


• Voye~ la note 5 11 la fin du 4 e volUllle.




CONVENTION NATIONALF. (1792). :131
·supreme des autres. D'ailleurs PétiOll est res-
pectable, sans doute; mais s'il venait a dévier!
n' est - il pas homme? Pétion n'est - il pas ami
de Brissot , de Roland? Pétion ne rec¡oit-il pas
Lasource, Vergiliaud, Barbaroax, tous les in-
trigants qui compromettent la liberté?


La motíon de Fabre est abandonllée, et Ro-
bespierre jeune, prenant un ton lamentable,
eomme faisaient a Rome les parents des accu-
sés, exprime sa douleur, et se plaint de n'etre
pas calomnié comIne son frere. « C' est le mo-
« ment, dít-il, des plus grands dangers, tout
« le peuple n'est pas pour nous. Il ll'y a que
t< les citoyens de Paris qui soient suffisammeut
(( éclairés; les autres ne le sont que tres - im-
« parfaitement. .... Il serait dOlle possilile que
« l'innocence succombat luudí!... car la convell-
f( tion a elltendu tout entier le long mensonge
« de Louvet. Citoyens, s'écrie-t-il, j'ai eu un
« grano effroi; il me semblait que des assassius
« allaient poignarder mon frere. J'aí entendu
{( des· hommes dire qu'il ne périrait que de
{( leurs mains; un alltre m'a dit qu'il voulait
« etre son bourrcau.» A ces mots, plusieurs
membres se levent, et déclarent qu'eux aussi
ont été menacé·s, qu'ils l'ont été par Barba-
roux, par Rebecqui et par plusiellrs citoyells
des tribulles; que ceux qui les menal,;aiellt leur




2:12 RÉVOLUTION FRAN~AIS:t:.
ont dit : Il faut se débarrasser de Marat et de
Robespierre. On entoure alors Robespier.'e
jeune, on luí promet de veiUer sur son frere,
et on décide que tous ceux qui ont des amis
Oll des parents dans les départements écrirOflt
pour éclairer l'opinion. Robespierre jeune, en
quittant la tribune, ne manque pas d'ajol1ter
une calomnie. Anacharsis Clootz, dit - jI, lui
avait assmé que tous les jours il rompait, chez
Roland, des lances contre le fédéralisme.


Vien1f. a son tour le fougueux Chabot. Ce
<¡ui le blesse surtout dans le discours de
Louvet, e'est qu'il s'attribue le JO aout a luí
el a ses amis, et le 2 septembre a deux cents
assassins. « Moi, dit Chabot, je me souviclls
(r que je m'adressai, le 9 aout au soir, a mes-
« sieurs du coté droít, pour leur- proposer l'in-
« sl1rrection, et qu'ils me répondiren t par un
« sourire <Iu bout des levres. Je ne vois donc
«( pas quel droít ils ont de s'attribuer le 10
e( aout. Quant au 2 septembre, I'auleur en est
( ellcore ce meme peuple qui a fait le 10 aout
« malgré eux , et qui apres la victoire a voulu
« se venger. Lonvet dit qu'illl'y avait pas deux
" cents assassins, et moi j'assure que j'aí passé
« avec les commissaires de la législative sons
« une voúte de dix mille sabres. J'ai reconllU
« plus de cent cillql1ante fédérés. II n'y a poiut




CONVENTION NATIONALE (1792). 233
( de cl'imes en révolutions. Marat, tantaccusé,
" n'est poursuivi que pour des faits de révolu-
« tion. Aujourd'hui orí accuse Marat, Danton,
« Robespierre; demaín ce sera Santerre, Cha-
« bot, Merlín, etc.»


Excité par ces audacieuses paroles, un fédéré
présent a la séance, fait ce qu'aucun homme
n'avait encore publiquement osé : il déelare
qu'il agissait avec grand nombre de ses cama-
rades anx prisons, et qu'il avait cru n'égorger
que des conspirateurs, des fabricateurs de faux
assignats, et sauver Paris du massacre et de
l'incendie; il ajoute qu'il remercie la société de
la bienveillance qu'elle leur a témoignée a tous,
qu'ils partent le lendemain pour l'armée, et
ll'emportent qu'un regret, c'est de laisser les
patljptes dans d'aussi grands périls.


Cette affreuse déclaration termina la séance.
Robespierre n'avait point paru, et il ne parut
pas de toute cette semaine, préparant sa ré-
pouse, et laissau t ses partisans disposer l' opi-
nion. Pendant ce temps, la commune de Paris
persistait dans sa conduite et son systeme. On
disait qu'elle avait enlevé jusqu'a dix millions
dans la caisse de Septeuil, trésorier de la liste
civile; et, dans le moment meme, elle faisait
répandre une pétition aux quarante - huit
munícipalités contre le projet de donner une




23Lí RÉVOLUTION ,FRANC;:;AISE.
garde a la convention. Barbaroux proposa aus-
sitot quatre décrets formidables et parfaite-
ment con~us :


Par le premier, la capitale devait perdre le
droit de P\lsséder la représentation nationale,
quand elle n'aurait pas su la ptotéger contre
les insultes ou les \'iolences; .


Par le second, les fédérés et les gendarmes
natlonaux devaient, concurremment avec les
sections armées de Paris, garder la représen-
tation nationale et les étabIissements publics ;


Par le troisieme, la convention devait se
constituer en cour de justice pom jugel' les
conspirateurs;


Par le quatrieme enfin, la cOIlvention cassait
la municipalité de París.


Ces quatre décrets étaíent parfaitement adap-
tés aux circonstances, et convenaient aux vrais
dangers du moment; mais, pour les rendre, il
auraít faUu avoír toute la puissallce qui ne
pouvait résulter que des clécrets memes. Ponr
se créer des moyens d' éncrgie, iI faut l' énergie,
et tout partí modéré qui vent arreter un parti
violent, est dans un cercIe vicieux dont il ne
peut jamais sortir. Sans doute la majorité, pen-
chant pour les girondins, aurait pu rendre les
(Mcrets, maís c'était sa modératioll guí la fai-
:-;aiL pellcher pour eux , el sa mod¡"ratiol1 memc




CONVENTlON l'IATlONAU (1 792). ~35
lui conseillait d'attendre, de temporiser, de se
fier a l'avenir, et d'écarter tout moyen trop tot
énergique. L'assemblée repoussa meme un dé-
cret heaucoup moins rigoureux; c'était le pre-
mier de ceux dont on avait confié la rédaction
a la commission des neuf. Buzot le proposait,
et il était relatif aux provocateurs au meurtre
et a l'incendie. Toute provocation directe était
punie de mort, et la provocation indirecte
punie de dix ans de fers. L'assemblée trouva
la provocation directe trop séverement punie,
et la provocation Índirecte trop vaguement
définie et trop difficile a atteiIidre. Buzot dit
en vain qu'il fallaít des mesures révolution-
naires, et par conséquent arbitraires, contre
les adversaires qu'on v!"ulait combattre; il ne
fut pas écouté, et iI ne pouvait pas Iietre en
s'adressant a une majorité qui condamnait dans
le parti violent les mesures révolutionnaires
meme, et qui par eonséquent était peu propre
a les employer eontre lui. La loi fut done ajour-
née; et la commission des neuf, instituée pour
aviser aux moyens de maintenir le bon ordre,
devint pour ainsi dire inutile.


L'assemblée cependant montrait un peu plus
d'énergie, des qu'íl s'agissait de réprimer les
écarts de la commune. Alors elle semblait dé-
tcndre sou autorité avec UIle espece de jalousie




2.36 RÉVOLUTION FftA.N<;USE.
et de force. Le conseil général de la commune~
mandé a la barre a cause de la pétiti01'l contre
le projet d'une garde départementale, vint se
justifier. Il n'était plus, dit-il, celui du JO aoút.
Quelques prévaricateurs s'étaient rencontrés
parmi ses membres, on avait éu raison de les
dénoncer, mais ils ne se trouvaient plus dan::;.
son sein. Ne confondez pas, ajoutait-il, les in-
nocents et les coupables. Rendez-nous la con-
fiance dont 1l01lS avons beso in . N OllS vonJons
ramener le calme nécessaire a la convention
pour l'établissement des bonnes lois. QlIant a
l'envoi de cette pétition, ce sont les sections
qui l'ont voulu, HOUS ne sommes que leurs
mandataires; mais on les engagel'a a s'en dé-
sister.


ectte soumission désarma les girondins eux-
memes, et, a la reqlH~te de Gen~onné, les hon-
neurs de la séance furent accordés au conseiI-
général. eette docilité des administrateurs pou- .
vait bien satisfaire l'orgueil de I'assemblée,
mais elle ne prouvait rien quant aux véritables
dispositions de París. Le tumulte augmentait a
mesure qu'on approchait dn 5 novembre, jour
fixé pour entendre Robespierre. La veille, iI y
eút dfls rumeurs en sens diverso Des bandes
parcoururent Paris, les unes en criant ; A la
guilLotille, Hobespierre, DaIlton, Marat! les.




CONVENTION NATrol'iALE (1792 ). 237
aulres en criant: A la mort, Roland, Lasource.
Guadet! On s'en plaigllit aux Jacobins, ou i.l
ne fut parlé que des cris poussés contre Ro-
bespierre, Danton et Marat. On accusait de
ces cris' des dragons et des fédérés, qui alors
étaient encore dévoués a la convention. Robes-
pierre jeune parut de nouveaü a la tribune, se
lamenta sur les dtUlgers de I'innocence, re-
pOllssa un projet de conciliation proposé par
nn membre de la société, en disant que le
parti 'opposé était décidément contre-révolu-
tionnaire, et qu'on ne devait garder avec lui
ni paix ni treve; que sans doute I'innocence
périrait dans la llltte, mais qu'il fallait qu'elle
se sacrifiat, et qu' on laissat·succomber Maxi-
milienRobespierre, paree que la perte d'un seul
hornme n'entrainerait pas ceHe de la liberté.
Tons les jacobins applaudirent a ces beaux sen-
timents, en assurant aujellne Rcibespierre qu'il
n'en serait rien, et que son frere ne périrait
paso


Des plaintes toutes différentes furent profé-
rées a l'assemblée, et la, on dénon~a les cris
poussés contre Roland, Lasource, Guadet, etc.
Rolaml se plaignit de l'inutílité de ses réq llisi·
tions an département et a la COll1IDUne ponr
obtenir la force armée. Qn discuta bcaucoup,
011 échangea des reproches, et la journée s'é-




·138 RÉVOLUTION FRANC;:A.lSt..
couJa san s prenrlrc aucune mesure. Le lende-
main, 5 novembre, Robespierre parut enfin a
la tribune.


Le concours était général, et on attendait
avee jmpatience le résultat de eette diseussion
solennclle. Le discours de Rohespierre était
volumineux et préparé avec soin. Ses répon-
ses aux accusations de Louvct furent celles
qu'on ne manque jamais de faire en pareil cas :
« Vous m'accnsez, dit-il, d'aspirer a la tyran-
« nie; mais, pouryparvenir,ilfautdes moyens,
« et ousont mes trésors et mes armées? Vous
« prétendez que j'ai élevé dans les Jacobins l'é·
« difice de ma puissance. Mais que pro uve cela?
« c'est que j'y étais plus écouté, que je m'a-
« dressais peut-etre mieux que vous a la raison
« de cette société, et que vous ne voulez Íei
« venger que les disgraces de votre amour-pro-
« pre. Vous prétendez que cette société céle-
« hre est dégénérée; mais demandez un décret
« d'aceusation eontre elle, alors je prendrai le
« soin de la justifier, et nous verrons si vous
« serez plus heureux ou plus persuasifs que
(l Léopold et Lafayette. Vous prétendez que .le
« n'ai paru a la eommune que deux jours apres
« le 10 aout, et qu'alors je me suis moi-meme
« installé an bureau. Mais d'abord je n'y ai pas
« été appelé plus tot; et, quand .le me 5ms


..




C:ONVENTIONNA.TlON ,\LE (1792). :139
(( préscnté an lmreall, ce n'était pas pour m'),
" installer, mais pour faire vérifier mes pou-
« Yoil's. Vous ajoutez que j'aí insulté l'assem-
,( blée législative, que je l'ai menaeée du toc-
« sin: le fait est faux. Quelqu'un, plaeé pres
« de moi, m'aceusa de sonner le toesin; je ré-
(l pondis a l'ínterlocuteur que les sonneurs de
« toes in étaient eeux qlli, par l'injustiee, ai-
« grissaient les esprits; etalors I'lln de meseol-
« legues, moins réservé, ajouta qu'on le son-


, « nerait. Voila le faít unique sur lequel roon
« aceusateur a bati eett.e fable. Dans l'assemblée
ti électorale, j'ai pris la parole, mais 011 était
« eonvenu de la prendre; j'y ai présenté quel-
« ques observations, et plusieurs ont Qsé d!l
« m.eme. droit. Je n'ai aeeusé ni recommandé
« pen,()nl).e, Cet hornme dont vous m'impQ\ez
« de me servir, Marat, ~e fut j¡lrnais pi mún
« ami ni rp.on reeOll)m;HlCJé. Si je jugeail? de
« luí par eeux qu~ l'attaquent, iI serait abSQus.
« mais je ne prononce pas. Je dirai seuIement
« qu'il me fut eonstamment étranger, qu'une
«( t'pis iI vint ehez moi, que je lui adressai quel-
( que1> observations sur ses écrÍts, sur lenr
« exagération et spr le regret qu'éprouvaient
(e les patriotes de lui voir compromettre notre
« cause p~r la violen ce de ses opinion!?; mais
(( iI me trouva poliüque a vues ~troites, et le




140 RÉVOLUTION l'RA~~AISE.
(e publia le lendemain. C'est done nne ca 10m·
« nie que de me supposer l'instigateur et l'al-
« lié de cet homme. )) De ces accusatiqns per-
sonneHes passant aux aeellsations générales
dirigées eontre la commune, Robespierre ré-
pete avec tous ses défenseurs, que le 2 sep-
tembre a été la suite du 10 aout; qu'on ne
peut apres coup marquer le point précis ou
devaient se briser les flots de l'insurrection
populaire; que sanS doute les exécutions étaient
illégales, mais que sa.ns mesures illégales on
ne potlvait ~eeouer le despotisme; qu'il fallait
faire ce meme reproche a toute la révolution ;
car tout y était illégal, et la chute dll treme,
et la prise de la Bastille! Il peínt ensuite les
dangers de París, l'indignatíon de ses citoyens,
leur concours autour des prisons, leur irrésis-
tibIe fureur en songeant qu'ils laissaient der-
riere eux des conspirateurs qui égorgeraNmt
leurs familles. « On assure qu'nn innoeent a
(e péri, s'éerie l'orateur avec emphase, un seul;
f( e'est beallcollp trop, sans doute. Citoyens!
« pleurez eette méprise crueIle! nous l'avons
« pleurée des long-temps; c'était un bon ci-
« toyen, e'était un de nos amis! Pleurez meme
« les victimes qui devaient etre réservées a la
(1 vengeance des loís , et qui sont tombées SOll5
oc le glaíve de"la justice populaire! Mais que




CONVENTION NATlONALE (1792). 241
c( votre douleur ait un terme comme toutes les
« choses humaines. Gardons quelques larmes
« pour des calamités plus touchantes : pleurez
« cent mille patrio tes immolés par la tyrannie!
« pleurez nos citoyens expirant sous lellrs toits
« embrasés, et les fils des citoyens massacrés
« au berceau ou dans les bras de leurs meres!
« pleurez donc l'humanité abattue sous le joug
« des tyrans .... , Mais consolez-vous, si, im-
« posant silence a toutes les viles passions,
ce vou~ voulez assurer le bonheur de votre pays,
« et préparer celui du monde.


« La sensibilité qui gémit presque exclusi-
« vement pour les enllemis de la li.berté m'est
« suspecte. Cessez d'agitel' sous mes yeux la
« robe sanglante du tyran, ou je croirai que
l( vous voulez remettre Rome dan s les fers ~ »


e' est avec ce mélange de logique astucieuse
et de déclamation révolutionnaire, que Robes-
pierre parvint a captiver son auditoire, et a ob-
tenir des applaudissements unanimes. Tout ce
qui lui était personnel était juste, et iI y avait
de l'imprudence de la part des girondins a si-
gnaler un projet d'usurpation la ou il n'yavait
encore qu'une ambition d'influence, l'endue
odieuse par un c::tractere envieux; iI Y avait de
l'imprudence a vouloir trouver dans les actes
de la commnne la preuve d'une vaste cons-


IIJ. 1(;




242 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
piration, lorsqu'il n' existait que les effels natu-
rels du débordement des passions populaires.
Les girondins fournissaient ainsia l'assemblée
l'occasion de leur donner tort contre leurs ad-
versaires. Flattée pour ainsi dire de voir le
prétendn chef des conspirateurs réduit ase
justifier, charmée de voir tOllS les erimes expli-
qués par une insurreetion désormais impossi-
ble, et de rever un meilleur avenir, la con-
vention crut plus digne , plus prudentde mettre
toutes ces personnalités au néant. On proposa
done l'ordre du jonr. Aussitot Louvet s'élance
pour le combattre, et demande a répliquer ..
Une foule d'orateurs se présentent, et veulent
parler pour, sur, OH contre l'ordre dll jour.
Barbaroux, désespérant de se faire entendre,
s'élanee a la barre pour elre éeouté au moins
eomme pétitionnaire. Lanj uinais pro pose qu'on
engage la diseussion sur les importantes ques-
tions que reuferme le rapport de Rolanq,. En-
fin Barrere parvicnt a obten ir la paroJe ; « Ci-
c( toyens, dit-íl, s'il existait dans la répnblique
« un homme né avec le génie de César ou
~( l'audaee de Cromwell, un homme qui, avec
«( le talent de Sylla, en aurait les dangercux
(( moyens; s'il existait ici quelque légisJateur
( d'un grand génie , d'une ambition vaste, el'un
« caractere profond ; un général, par exemple,




CONVENTION NA.TIONA.LE (1792). 243
« le front ceint de lauriers, et revenant au mi-
« lieu de vous pour vous commander des 10is
« ou insulter aux droits du peuple, je propo-
« serais contre lui un décret d'accusation. Mais
« qt~e vous fassiez cet honneur a des hommes
« d'unjour,ade petits entrepreneurs d'émeute,
« a ceux dont les couronnes civiques sont me-
« lées de cypres, voila ce que je ne puis con-
« cevoi r! »


Ce singulier médiateur pro posa de motiver
ainsi l'ordre (lu jour : Considérant que la con-
I'ention nationale ne doit s'occuper que des in-
téréts de la république ... -« Je ne veux pas de
« votre arore du jour, s'écrie Robespierre , s'jl
« renferme un préambule qui me soit inju-
« rienx. ») L'assemblée adopte l'ordre du jour
pur et simple.


On conrnt aux Jacobins célébrer cette vic-
toirc, et Hobespierre y fut re¡;u en triompha-
leur. A peine parllt-il qu'on le couvrit d'ap-
plalldissements. Un membre demanda qll'oll
lui laissat la paraIe pour faire le récit de ]a
journée. llu autre assura que sa madestie ren
empecherait, et qu'il ne vondrait pas parlero
Hobespierre , j(Hlissant en silence de cet en-
thollsiasme, laissa a un autre le saín d'un récit
adulatenr. n fut appelé Aristide. Son éloquence
naú'(!el mále fut lonée avec mw affectation qui


J (j.




2!¡4 RÉVOLUTION FRAN~AISF..
prouve combien était connn son goUt pour la
louange littéraire. La convention fut réhabi-
litée, l'estime de la société lui revillt, et on
prétendit que le triomphe de la vérité com-
men¡;ait, et qu'il ne faltait plus désespérer du
salut de la république.


Barrere fut interpellé pour qu'il s'expliqufü
sur la maniere dont íl s'était exprimé a l'égard
des petits faiseurs d' émeute; et il se peignit
tout entier en déclarant qu'il avait voulu,
par ces mots, désigner non les chauds patrio-
tes accusés avec Robespierre, mais leurs ad-
versatres.


Ainsi finit cette célebre accllsatiol1. Elle fut
une véritable imprudence. Toutc la conduite
des girondins se caractérise par cette démar-
che. 11s éprouvaient une généreuse indigna-
tion; ils l' exprimaient avec talenl; mais il s'y
melait assez de ressentirnents personnels, as-
sez de fausses conjectures, de suppositions
chimériques, pour donner a ceux qui aimaiellt -
a s'éibuser, une raison de ne pas les croire, a
ceux qui redoutaient un acte d'énergie, un
motif de l'ajollrner, a ceux. enfin qui affec-
taient l'impartialité, uu prétexte pour !le pas
adopter leurs conclusions, et ces trois classes
composaient toute la Plaille. Un d'entre ces
membres, cependant, le sagc PétioIl, ne par-




CONVENTION NATIONALE (J 792). 245
tagea point leurs exagérations; il fit imprimer
le diseours qu'il avait préparé, et ou toutes
dIOses étaient sagement appréciées. Vergniaud,
que sa raison et son indolence dédaigneuse
mettaient au-dessus des passions, étalt exempt
aussi de leurs travers, et iI garda un profond
silence. Dans le moment, l'accusation des gi-
rondins n'eut d'alltre résultat que de remIre
délinitivement toute réeonciliation impossible,
d'avoir meme usé dans un combat inutile le
plus puissant et le seul de leurs moyens, la
parole et l'indignation; et d'avoir augmenté la
haine et la fureur de leurs ennemis, sans s'e-
tre donné une ressource de plus.


Malheur anx vaincus lor'sque les vainqueurs
se divisent! Ceux- ci font diversion a leurs
propres querelles, ils cherchent surtout a se·
surpasser en úle, en écrasant leurs ennemis
abattus. Au Temple étaient des prisonniers sur
lesquels allait se décharger toute lafollgue des
passions révolutionnaires. La monarchie, l'aris.
tocratie, tout le passé enlin contre lequel la révo·
lution luttait avec fureur, se trouvaient eomme
personnifiés dan s le malheurellx LOllis XVI. Et
la maniere dont on traiterait le prince déchu
devait, pour chacun, servir a prouver la ma-
niere dont on haissait la contre-révolution.
La Iégislative, trap rapprochée de la constitu·




246 RÉVOLU'l'tON FRAN~AISE.
tion qui déclarait le roi inviolable, n'avait pas
osé décider de son sort; elle l'avait suspendu
et enfermé au Temple; elle n'avait pas meme
aboli la royauté, et avait légué a une eonven-
tion le soin de juger le matériel et le personnel
de la vieille monarchie. La royauté abolie, la
I'épublique déerétée, et le travail de la consti-
tUlion confié aux roéditations des esprits les
plus distingués de l'assemblée, iI restaÍt a s'oc-
euperdu sortde Louis XVI. Un moiset demis'é-
tait éeoulé, et des soins infinis, la direction des
approvisionnements, la surveillance des ar-
mées, le soin des subsistances qui manquaient
alors eorome dans tons les temps de troubles,
la police et tous les détails du gouvernement
qu'on n'avait transmis, apres la chute de la
royauté, a un conseil exécutif qu'avec une ex-
treme défiance , enfin des querelles violentes
empecherent d'abord de s'occnper des prison-
niers du Temple_ Une {oís il en avait été ques-
tion, et, comme OIl l'a Vil; la proposition fut
renvoyée au comité de législation. En attendant
on en parlait partout. Aux Jacobins, on deman-
dait chaque jour le jllgement de Louis XVI,
et on accusait les girondins de l'éearter par
des querelles, allxquelles eependant ehacun
prenait autant de part et d'intér(~t qu'eux-
llu'!mes. Le I er novembre, dans l'iutCl'valle de




CONVENTION NATJONALE (1792.)· 247
l'accusaLÍon de Robespierre a son apologie,
une section s'étant plaint de nouveaux pla-
cards provoquant au meurtre et a la séditioIl,
on réclama, comme OH le faisait toujours, le
jugement de Marat. Les girondins prétendaient
que luí et quelques-uns de ses coUegues étaient
la cause de tont le désordre, et achaque faít
Jlouveau ¡Is proposaíent de les poursuivre.
Leurs enncmis au contraire disaient que la
cause des troublcs était au Temple; que la
Jlouvelle répllblíque ne serait fondée, et que
le calme et la sécurité n'y régneraient, que
quand le ci-devant roi aurait été irnmolé, et
que par ce coup terrible tOllte espérancc au-
rait été enlevée aux conspiratel1rs. Jean de Bry,
ce député qlli, á la législative, avait voulu
qu'on ne suivit pour regle de conduite que la
lai du salta public, prit la parole a ce sujet, et
proposa de juger a-la-fois Marat et Louis XVI.
« Marat, dit-il, a mérité le titre de mangeur
« d'hommes; il serait digne d'etre roi. Il est
« la cause des trollbles dont Louis XVI est le
« prétexte : j ugeons-Jes tOIlS les deux, et as-
« surons le repos public par ce double exem-
« ple.») En conséquence la conventíon ordonna
que le rapport sUr les dénonciations cOIltre
Marat lui seraít faít séance tenante, et que,
sous huit jours au plus tard , le comité de lé-




248 l\ÉVOLUTION FRAN9AJSR.
gislation donnerait son avis sur les formes a
observer dans le jugement de Louis XVI. Si
apres huit jours le comité n'avait pas présenté
son tl'avail, tout membre aurait le droit de se
présenter a la tribune pour y traiter cette
grande question. De nouvelles querelles et de
nouveaux soins empecherent le rapport sur
Marat, qui ne fut meme présenté que long-
temps apres, et le comité de législation pl'é-
para le sien sur l'auguste el malheureuse fa-
mille enfermée au Temple.


L'Europe avait en ce moment les yeux sur
la Franee. On regardait avec étonnement ces
sujets d'abord jugés si faibles, maintenant de-
venus victorieux et conquérants, et assez au-
dacieux pour faire un défi a tous les trunes.
On observait avec inquiétude ce -qu'ils allaient
faire, et on espérait encore que leur audace
aurait bientot un terme. Cependant des événe-
ments militaires se préparaient, qu i allaient
doubler leur enivrement, et ajouter a la sur-
prise et a l'effroi du monde.


,¡z¡c:;;




CONVENTJON NATJONALE (1792 ). 249


CHAPITRE V.


== .. =-


SuÜe des opérations militaires de Dumouriez. - Moditi-
cations dan s le ministere. Pache mini~tre de la guerreo
- Victoire de Jemmapes. - Sitllation morale et poli-
tique de la Belgiqllc; conduite politiql1e de Dumouríez.
- Prise de Gand, de Mons, de Rruxellcs, de Naml1r,
d'Anvers; conqlléte de la Belgiqllc jusqll'a la Mellse.-
Changements dans l'administration militaire; mésintel-
ligence de Dumouriez avec la convention et les minis-
tres. - Notre position allx Alpes et allX Pyrénées.


DmJOuRI:Ez était partí pour la Belgique a la fin
d'oclobre, et le 2.5 il se trouvait a Valenciennes.
Son plan général fut réglé d'apres l'idée qui le
dominait, et qui cOIlsistait a pousser l'ennemi
de front, en profitant de la grande supériorité
numérique qu'on avait sur lui. Dumouriez
aurait pu, en suivaut la Meuse, ave e la plus
grande partiede ses forces, empeeher la
jonetion de Clerfayt, qlli arrivaÍt de la Cham-
pague, prendre le duc Albert a revcrs, et exé-




250 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
cuter ainsi ce qu'il avait eu le tort de ne pas
faire d'abord, en négligeant de courir sur le
Rhin, et de sllivre ce flcuve jusqu'a Cleves;
mais son plan était autre, et il préférait a une
marche savante une action éclatante qui redou-
bUt le courage des soldats, déja tres-relevé
par la canonnade de Valmy, et qui détrllislt
J'opinion établie en Europe, depuis cinquante
ans, que les Fl'an<;ais, excellents pour des cüups
de main , étaient incapables de gagner une ba-
taine rangée. La supériorité du nombre lui per-
mettait une tentative pareille, et cette idée avait
sa profondeur, aussi bien que les manceuvres
qu'on lui a reproché de n'avoir pas employées.
Cependant iI ne négligea pas de tourner l'en-
nemi et de le séparer de Clerfayt. Valen ce ,
placé a cet effet le long de la Meuse, devait
marcher de Givet sU!' Naml1r et sur Lipge,
avec l'armée des Ardennes, fOrte de dix-huit
mili e hommes. l)'Ilarville, avec dOllZC miIle,
avait ordre de se mouvoir entre la grande ar-
mée et Valen ce , pour tOUl'ner l' ennemi de plus
preso Telles étaiellt les dispositions de Dumou-
riez a sa droite. A sa gallche, Labourdonnaie
devait, en partant de Lille', parcourir la cote
de la }<'landre et s'empnrer de toutes les places
maritimes. Arrivé a Anvers, illui avait été pres-
crit de longer la fronLÍere hollandaise, ct de




CONVt~NTlON N ATION ALE (1792). 251
joindre la Meuse a Ruremonde. La Belgique
se trouvant ainsi enfermé e dans un cercle,
Dumouriez en occupait le centre avec une
masse de quarante mille hommes, et pouvait
accabler les ennemis sur le premier point ou
ils voudraient ten ir tete aux Fran<,;ais.


Impatient d'entrer en campagne et de s'ou-
vrir la vas te carriere oú s'élan<{ait son artlente
imagination, Dumouriez pressaít l'arrivée des
approvisÍonnements qu'on lui avait promis a
París, et qui amaient dli etre rendus le 25 a
Valenciennes. Servan avait quitté le ministere
de la guerre, préférant au chaos de l'adminis-
tration les fonctions moins agitées d'un com-
mandement d'armée. Il rétablissait sa tete et
sa santé dans son camp des Pyrénées. lloland
avait pro posé et fait accepter ponr son succes-
seu!', Pache, homme sim pie, éclairé, laborieux,
qui, ayant autrefois quitté la France pour alter
vivre en Suisse, était revenu a l'époque de la
révolution, avait rendu le brevet d'une pen-
sion qu'il recevait dn maréchal de Castries, d
s'était distingué dans les bureaux de l'intérieur
par un esprit et une application rares. Portant
dans sa poche un morceau de pain , et ne quit-
tant pas meme le ministere ponr mallgel', il
travaillait pendant des journées entieres, et
avait eh armé Roland par ses mreurs et SOl!




252 RKVOLUTION FRA.N~AISF..
úle. Servan avait demandé a le posséder pe n-
dant sa difficile administration d'aout et de
septembrc, et Roland ne le lui avait cédé qu'a-
vec regret et en considération de l'importance
des travaux de la guerreo Pache rendit dans ce
nouveau poste les memes services que dans
le premier ; et, lorsque la place de ministre
de la guerre vint a vaquer, il fut aussitot
pro posé pour la rcmplir, comme un de ces
etres obscurs, mais précieux, auxquels la jus-
tice et l'intéret public devaient assurer une
faveur rapide. Pache, doux et modeste, plai-
sait a tont le monde, et ne pouvait manquer
d'etre accepté : les girondins comptaient na-
turellement sur la modération politiquc d'un
homme aussi calme, aussi sage, et qui d'ail-
leurs lellr devait sa fortune. Les jacobins,
qui le trouvaient plein de déférence pour enx ,
exaltaient sa modestie, et l'opposaienL a ce
qll'ils appelaient l'orgueil et la dureté de
Roland. Dumouriez, de son coté, fut charmé
cl'un ministre qui paraissait plus maniablc que
les girondins, et plus disposé a suivre ses vues.
Il avait en effet de nouveaux griefs contre
Roland. Celui-ci lui avait écrit, an nom du
conseil, une l cttre clans laquelle il lui repro-
chait de vouloir trop imposer ses plans au
ministere, et lui témoignait d'autant plus de




CONVENTION NATIONALE (179:1). 253
défiance qu'on lui supposait plus de talents.
Roland étaÍt loyal, et ce qu'il disait dan s le
secret de la correspondance, ill'eut combattu
en publico Dumouriez, méconnaissallt l'inten-
tÍon honnete de Roland, avait fait ses plaintes
aPache, qui les avait re~ues, et qui l'avaitcon-
solé par ses flatteries des défial1ces de ses col-
legues. Te! était le 110uveau ministre de la
guerre : placé entre les jacobins, les giron-
dins et Dumouriez, écoutant les plaintes des
nns contre les autres , íls les gagl1ait tons par
ses paroles et sa déférence, et lenr faisaít es-
pérer a tons un second et un ami.


Dllmollriez attribua au renouvellemellt des
bureaux les retards qu'essllyait l'approvision-
nement de son armée. Il n'y avait d'arrivé
que la moitié des munitions et des fournitures
promises, et il se mit en marche sans attendre
le reste, écrivant aPache qu'illui fallait in-
dispensablement trente mille paires de souliers',
,'ingt-cillq mille couvertures, des effets de
campement pour quarante mille hommes, et
surtout deux millions de numéraire pour four-
nir le pret aux soldats, qui, entrant dans nn
pays ou les assignats n'avaient pas cours, de-
vaient payer en' argent tont ce qu'ils achete-
raiellt. On promit tont, et Dumouriez, excitant
l'ardeur de ses troupes, les encourageant par




254 RÉVOr.UTION FRA.N~ATSF..
la perspective d'une conquete prochaine et as-
surée, les porta en avant, quoiql1e dépourvues
de ce qui était nécessaire pour une campagne
d'hiver et sous un c1imat rigoureux.


La marche de Valence , retardée par une di-
version sur Longwy, et par le dénument de
tous les effets militaires qui n'arriverent qu'en
llovembre, permit a Clerfayt ele passer sans
obstacle du Luxembourg dans ]a Relgique, et
de joindre le cInc Albert avec douze milIc
hommes. Dumouriez, renont;;ant pour le mo-
ment a se servir de Valence, rapprocha de lui
la division du général d'Harville, et portant ses
troupes entre Quarouble et Quiévrain, se hata
de joindre l'armée ennemie. Le dl/c Albert,
fide[e an systeme autrichien, avait formé un
cordon de Tournay jusqu'a Mons, et, quoiqu'il
eut trente mille hommes, il n'en réllnissait
guere quevingt devant la ville de Mons. Dumou-
riez le serrant de pres, arriva le 3 novembre de-
vant le moulin de Boussu, et ordonna a son
avant-garde, commandéc par le brave Beur-
llonville, de chasser I'ennemi posté sur les
hauteurs. L'attaque réussit d'aboro, mais rc-
poussée eusuite, notre avant-garde fut obIigée
de se retirer. Dumouriez sentant enmbien iI
importait de ne pas reculer au début, reporta
Bellrnonville en avant, fit cnlevcr tOllS les pos-




CONVENTION NATIONALE (1792). 255
tes ennemís, et le 5 au soir se trouva en pré-
sence des Autrichiens, retranchés sur les hau-
teurs qui bordent la ville de Mons.


Ces hauteurs, disposées circlllairement en
avant de la place, portent trois villages, Jem-
mapes, Cuesmes et Berthaimont. Les Autri.
chiens, qui s'attendaient a y etre attaqués,
avaient formé l'imprudente résollltion de s'y
maintenir, et avalent mis des long-temps le
plus grand soin a s'y rendre inexpugnables.
Clerfayt occupait Jemmapes et Cuesmes; un
peu plus lo in , Beaulieu campait au-dessus de
Berthaimont. Des pentes rapicles, des bois,
des abatis, quatorze redolltes, une artillerie
formidable rangée en étages, et vingt miIle
hommes, protégeaient ces positions et en ren-
datent l'abord presque impossible. Des chas-
seurs tyroliens remplissaient les bois qui s'é-
tendaient au-dessous des hauteurs. La cavalerie,
placéc dans l'intervalle des coteaux, et surtont
dans la trouée qlli séparait Jemmapes de Cnes-
mes, était prete :'t déboucher et a fondre sur
nos colonnes, des qu'elles seraient ébranlées
par le feu des batteries.


C'est en présence de ee camp si fortement
retranché que s\~tablit Dumollriez. Il forma
son armée en demi-cercle, parallelement allx
positions de l'ennemi. Le gém'ral d'Harville,




,


256 RÉVOLUTION FRAN9A.ISE.
qui venait d'opérer sa jonction avec le corps
de bataílle·, dans la soirée du 5, fut destiné a
manrellvrer sur l'extreme droite de notre ligne.
Des le 6 all matin, il devait, longeant les po-
sitions de Beaulieu, s'efforcer de les tourner,
et occuper ensuite les hauteurs en arriere de
Mons, seule retraite des Autrichiens. Beur-
nonville, formant la d1'oite meme de notre at-
taque, avait ordre de marcher sur le village de
Cuesmes. Le due de Chartres, qui servait dans
notre armée avee le grade de général, et qui
ce jour-la cOlllmandait au centre, devait abor-
del' Jelllmapes de front, et tacher en meme
temps de pénétrer par la trouée qui séparait
Jemmares de Cuesmes. Enfin le général Fer- ,
rand, revthu du commandement de la gauehe,
était chargé de t1'ave1'ser un petit villagc nOlllmé
Quaregnon, et de se porter sur le flanc de
Jemmapes. Toutes ces attaques devaient s'exé-
cuter en colonnes par bataillons; la cavalel'ie
était prete a les soutenir par derriere et sur
les ca tés. N otre artíllerie fut disposée de ma-
niere a battre chaque redoute en flanc', et a
éteindre ses feux s'il était possible. Une réserve
d'infanterie et de cavalerie attendait l'événe-
ment derriere le ruisseau de Wame.


Pendant la nuit du 5 an 6, le général Beau-
líen ouvrit l'avis de so1'tir des retranchelllents




f:ONVENTlON NATlONIHE ([792). '157
pt de fondre inopinément sur les Fran<;ais,
pour les déconcerter par une atta que brusque
et nocturne. Cet avis énergique ne fut pas
suivi, et le 6 a huit heures du matin, les Fran·
<;ais étaient en bataille, pleins de courage et
d'espérance, quoiqlle sous un feu meurtrier
et a la vue de retranchements presque inabol'-
dables. Soixante miIle hommes cOllvraient le
champ de hataiIle, et c~nt Lonches a feu re-
tentissaient sur te front des deux armées.


La canon nade fut engagée des le matíu ~
Dllmouriez ordonna anx généraux Ferrand et
Beurnonville de commencer l'attaque, l'un a
gauche et l'autre a droite , tandis que lui-memt>
atteudrait au centre le moment d'agir, et que
d'Harville, longeant les positions dt> Beaulieu,
irait fermer la retraite. Ferrand attaqlla molle-
ment, et Beurnonville ne parvint pas a éteindre
le fen des Antrichiens. Il était onze heures, et
l'enncmí n'était pas assez éLranlé sur les calés
pour qu'on pilt I'aborder de front. Alors Du-
lllouriez envoya son fideIe Thouvenot a l'aile
gallche pour décider le·succes. Thouvenot, faí-
sant.cesser une inlltile canonnade, traverse Qua-
regnon, tourne J em mapes, et marchant tete
baissée, la baionllette au bout dll fu~, gravit
la hauteur par coté, et arrive sur le flallc des
Autrichíens. Dl11110urÍez apprenant ce mon-


III.




~58 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
vement, se résout a commencer l'attaque de
front, et porte le centre oirectement contre
Jemmapes. Il fait avancer son infanterie en
eolonnes , et dispose des hussaros et des dra-
gons pour eouvrir la trouée entre Jemmapes et
Cuesmes, o'ou la cavalerie ennemie allait s'é-
lancero Nos troupes s'ébranlent et traversent
sans hésiter l'espace intermédiaire. Cependant
une brigade voyant déboueher par la trouée la
eavalerie autriehienne, ehanceJe, recule, et
découvre le flane de nos colollnes. Dans cet
instant, le jeune Baptiste Renard, simple do-
mestique de Dumouriez , cédant a une inspi-
ration de courage et d'intelligence, court au
général de cette brigade , lui reproche sa fai-
blesse, lni signale le danger , et le ramene a
'a trouée. Un certain ébranlement s'était ma-
nifesté dans tout le centre, et nos bataillons
commell(,;aient a tourbillonner sons le feu des
batteries. Le duc de Chartres se jette au mi-
lien des rangs, les rallie,' forme antonr de lui
un bataillon qu'il appelle bata ilion de Jem-


_ mapes, et le porte vigóureusement a l'ennemi.
Le eombat est ainsi rétabli, et Clerfayt, déja
pris en -flane, menaeé de front, résiste néan-
moins avee une fermeté héroique.


Dumouriez, témoin de tous ces mouvements,
mais ineertain du sucees, eourt a la droite,




CONVENTION NATIONAU; (1792 ). 259
ou le combat ne se décidait point, malgré les
efforts de Beurnonville. Son intention était de
terminer brusquement l'attaque, ou bien de
replier son aile droite, et de s'en servir pour
protéger la retraite dll centre, si un mouve-
ment rétrograde devenait nécessaire.


Beurnonville avait fait de vains efforts contre
le village de Cuesmes, et il aHait se replier lors-
que Dampierre, qui commandait un point de
l'attaque, prend avec lui quelques compagnies,
et s'élance audacieusement au milieu d'une re-
.doute. Dumonriez arrive a l'instant me me ou
Dampierre exéeutait eette courageuse tenta-
tive; il trouve le reste de ses bataillons san s
chef, exposés a un feu terrihle, et hésitant
en présenee des hussards impériaux qui se pré-
paraient a les eharger. Ces bataillol1s étaient
ceux qui au eamp de Maulde s'étaiellt si forte-
ment attaehés a Dumouriez. Il les rassure , et
les dispose a tenir ferme contre la eavalerie
ennemie. Une décharge a bont portant arrete
eette cavalerie, et les. hussards de BerchiIli
lancés a propos sur elle achevent de la mettre
en fuite. Alors Dumouriez, se mettant a la
tete de ses batailloIls, et entonnant avec eux
l'hymne des Marseillais, les entraine a sa suite,
les porte sur les retranehements, renverse tout
devant lui, et enleve le village de Cuesmes.


J 7.




260 RltVOLUTION FRAN~AISE.
Cet exploit a peine terminé, Dumouriez,


toujours inquiet pOllr le centre, repart au gaIop,
suivi de quelques escadrolls. Mais tandis qu'il
aeeourt, le jeune due de Montpellsier arrive a
sa rencontre, pOllr lui annoneer la victoire du
centre, due principalementa son frere le due
de Chartres. Ainsi, Jemmapes étant envahi par
coté et par devant, et Cuesmes emporté, Cler-
fayt ne pouvait plus opposer de résistance, et
devait se retirer. n cede done le terrain apres
une belle défellse, et aballdonne a Dumol1-
riez une victoire cherement disputée. Il était
deux heures; nos troupes·, hal'assées de fatigue,
demandaient un instant de repos : Dumouriez
le Ieur accorde, et faít halte sur les hauteurs
meme de J ernmapes et de Cnesmes. Il eomptait,
pour la poursuite de l'enuemi, sur d'Harville,
qui était chargé de tonrner Berthaimont et
d'aller cOllper les derrieres eles Autrichiens,
Mais, l'ordre n'étant pas asséz c1aÍr et ayant
été mal eompris, d'Harville s'était tenu en pré-
sence de ~erthaimont, et en avait inutílement
canollné les hallteurs. Clerfayt se retira done
sous la proteetion de Beaulien, qui n'avait
pas été entamé, et tous denx prirent la route
de Bruxelles, que d'Harville ne lellr fermait
pas.


La bataillp avait roúté allX A utrichiens quinze




CONVENTI0N NATIONALE (I7~)2,). 261
ct:'uts prisonniers, quatre mille cinq cents morts
ou blessés, et a peu pl'es autant aux Fran¡;:ais.
Dumouriez déguisa sa perte, et n'avoua que
quelques cents hommes. On lui a reproché de
n'avoir pas, en marchant sur 5a droite, tourné
l' enriemi, ponr' le prendre ail1s~ par derriere,
au lieu de s'obstiner a l'attaque de gauche et
du centre. Il en avait eu l'idée en ordonnant a
d'Harville de longer Berthaimont, mais iI ne
s'yattacha pas assez. 5a vivacité, qui souvent
empechait la réflexion, et le désir d'une ac-
tíon éclatante, lui firent préférer a Jemmapes,
comme dans toute la campagne, UIle attaque
de front. Au reste, plein de présence d'esprit
et d'ardeur au milieu de raction, ji avait elllevé
nos troupes, et leUl' avait comnnplÍqué un
courage hérolque. L'éclat de cette grande ac-
tíon fut prodigicux. La victoire de Jemmapes
remplit en un instant la Franee de joie , el'
l'Europe d'ullc nOllveUe surprise. 11 fut ques-
tiol1 partout de cette artillerie bravée avec tant
de sang-froid, de ces redoutes escaladées avec
tant d'audace; on exagéra memc le péril et la
victoire, et, par toute l'.Europe, la f:1CUlté de
remporter de grandes hatailles fut de nOllveau
reconnue aux Fran¡;:ais.


A Paris, tous les républicajus sinceres eurellt
une grande joie de cette llouvclle, et prépa.




262 RÉVOLUTION FRAN-;;AISE.
rerent des fetes. Le domestique de Dumoll-
riez, le jeune Baptiste Renard, fut présenté
a la convention, et gratifié par elle d'une
couronne civique et d'une épaulette d'officíer.
Les girondins, par patriotisme) par justice, ap
plaudirent aux succes du général. Les jacobins,
quoique le suspectant, applaudirent aussi par
le besoin d'admirer les succes de la révolution.
Marat seul, reprochant a tous les Fran<;ais leur
engouement, prétendít que Dumouriez avait
dti mentir sur le nombre de ses morts, qu' on
n'attaquait pas une montagne a si peu de frais,
qu'il n'avait pris ni bagage ni artillerie, que les
Autrichiens s'en allaient tranqllillement, que
c'était une retraite pIutot qu'une défaite, que
Dumouriez aurait pu prendrc l'ennemi au-
trement ; et melant a cette saga cité une atroce
fureurde calomnie, ilajoutait que eette attaque
de front n'avait eu lien qne pour immoIer les
braves bataillons de París; que ses collegues a
la convention, aux Jacobins , tons les Fran~ais
enfin, si prompts a admirer, étaient des étour-
dis; et que pour luí, il déclarerait Dumouriez
un bon général, quand toute la Belgique serait
soumise, sans qU"ln seuIAutriehiens'enéchap-
pat; et un bon patriote, lorsque la Belgique
serait profondément révolutionnée, el rendue
tout-a-fait libre.-Vous autres Fran~ais,disait-il,




CONVENTION N ATlONALE (f 792). 263
avec cette disposition a tout admirer sur-le-
champ, vous etes exposés a revenir aussi promp-
tement. Un jour vous proscrivez Montesquiou ;
on vous apprend qu'il a conquis la Savoie,
vous l'applaudissez : vous le proscrivez de
nouveau, et vous devenez la risée générale
par ces allées et venues. (( POli l' moi, je me dé-
(( fie, et j'accuse toujours; et quant aux in-
( convénienís de cette disposition, ils sont ín-
'l comparablement moindres que ceux de la
« disposítion contraire, cal' jamais ils ne corn-
ee promcttent le salut publico Sans doute ils
«( peuvent m'exposer a me méprendre sur le
« compte de quelques individus; mais, vu la
«( corruption du siecle, et la multitude d' enne-
(( mis par éducation, par principes et paríntéret
(( de toute liberté, il Y a milI e a parier contre
«( un que je ne prendrai pas le ehange , en les
( considérant d'emblée comme des intrigants
«( et des fripons publics tont prets a machiner.
( Je suis done mille fois moins exposé a etre
« trompé sur le compte des fonctiollnaires pu-
« blics; et, tandis que la funeste confiance que
(l ron a en eux les met a meme de tramer
(e contre la patrie avec antant d'audace que
«( de sécurité, la défiance éternelle dont le
(( pnhlic les environnerait, d'apres mes prin-
«( cipes, ne leur permettrait pas de faire un pas-




264 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
« san s trembler d'etre démasqués et punís ".»


Cette bataille venait d'ouvrirla Belgique aux
Fran/{ais; mais la, d'étranges difficuItés se pré-
sentaient a Dumouriez, et deux tableaux frap-
pants vont s'offrir: sur le territoire canquis, la
révoIution frarH;aise agissant sur les révolu-
tionsvoisines pour les hater ou se les assjmiler;
et dans notre armée , la démagogie pénétrant


, dans les adminístratians, et les désorganisant
pour les épurer.


Il y avait en Belgique plusieurs partís: le
premíer, celui de la domination autríchienne,
n;existait que dans les armées impériales chas-
sées par Dllmouriez; le second, compasé de
toute la natían, nobles, pretres, magistrats,
peuple, repoussait unanimement le joug étran-
ger, et voulait l'indépcndance de la natíon
beIge; mais celuí- eí se saus-divisait en deux
autres: les pretres et privilégiés voulaient con-
server les anciens états, les anciennes institll-
tíons, les démarcations de classes et de pro-
vinces, tout enfin, excepté la domination
autrichienne, et ils avalent pOllr eux une partie
de la population, encore tres-superstitieuse et
tres-attachée au c1ergé : enfin I~s démagogues


* Joumal dI> la Répllblique jranqaise, par Mal'at, l'Ami
du f'euplt', n° 4.1, du lundi 12 novembre 1792.·




CONVENTION NATIONALE (1792). ~65
ou jacobins belges voulaient une révolution-
complete et la souveraineté du peuple. Ceux-
ci demandaient le niveau frall(,;ais et l'égalité
absolue. Ainsi chacun adoptait de la révolution
ce qui luí convenait; les privilégiés n'y cher-
chaient que leur aneien état; les plébéiens vou-
laient la démagogie et le regne de la multitude.
Entre les divers partís, on eon(,!oit que Dumou-
riez par ses gouts devait garder un milieu. Re-
poussant I'Autriche qu'il combattait avec ses
soIdats, condamnant les prétentÍons exclusives
des privilégiés, il ne voulait cependant pas
transporter a Bruxelles les jacobins de París,
et y faire naitre des Chabot et des Marat. Son
but était done, en ménageant l'ancienne orga-
nisation du pays, de réformer ce qu'elIe avait
de trop féodal. La partie éclairée de la popu-
lation se pretait bien a ces vues ; mais iI était
difficile d'en faire un ensemble, a cause du peu
d'union des villes et des provinees; et, de
plus. en la formant en assemblée, on l'expo-
sait a etre vaincue par le parti violent. Dans
le cas oú il pourrait réussir, Dumouriez son-
geait, soit par une allianee, soit par une ré-
un ion , a rattacher la Belgique a l'Empire Fran-
-;ais, et a completer ainsi notre territoire. Il
uurait désiré surtout empecher les dilapidations,
s'assllrer les immenses ressourees de la con-


..




\


!!66 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
trée pour la guerre, et n'indisposer aucune
classe, pour ne pas faire dévorer son armée
pae une insurrection. Il songeait principale-
ment a ménager le clergé, qlli avait eneore
une grande influenee sur l'esprit.du peuple. Il
voulait enfin des choses que l' expérience des
révolutions démontre impossibles, et aux-
quelles tout le génie admillistratif et politique
doit renoncer d'avance avec une entiere rési-
gnation. On verra plus tarel se développer ses
plans et ses projets.


En entrant en Belgique, il promit, par une
proclamation, de respecter les propriétés, les
personnes et l'indépendance nationale. Il or-
donna que tout fut maintenu, que les autori-
tés demeurassent en fonctions, que les impots
continuassent d't'hre pert;us, et que sur-Ie-
champ des assemblées primaires fussént ré-
unies, pour former une convention nationale
qui déciderait du sort de la Belgique .
. Des difficultésbien autrement graves se pré-


paraient pour lui. Des motifs de politique, de
bien public, d'humanité, pouvaient luí faire dé-
sírer en Belgique une révolution prudente et
mesurée, mais il avait a faire vivre son armée,
et c'était ici son affaire personnelle. Il était
général et avant tout obligé d'etre 'victorieux.
Pour cela, ii luí fallait de la discipline et des




CONVENTlON NATIONALE (J 792). 2.67
ressources. Entré a Mons le 7 novembre a u
matin , au milieu de la joie des Braban~ons,
qui lui décernerent une couronne ainsi qu'au
brave Dampierre, il se trouva dans les plus
grands embarras. Ses cornmissaires des guerres
étaient a Valenciennes; rien de ce qu'on lui
avait promis n'arrivait. 11 lui fallait des vete-
ments pour ses soldats a moitié nus, des vívres,
des chevaux pour son artillerie, des charrois
tres-actifs pour seconder le mouvement de 1'ln-
vasion, surtout dans un pays ou les transports
étaient extremement difficiles, enfin du numé-
raire pour payer les troupes, paree qu'en Bel-
gique on n'acceptait pas volontiers les assignats.
Les émigrés en avaient répandu une grande
quantité de faux, et les avaient ainsi discrédités;
d'ailleurs, aucun peuple n'aime a participer
aux embarras d'un autre, en acceptant le pa-
pier qui représente ses dettes.


L'impétuosité du caractere de Dumouriez ,
portée j usqu'a l'imprudence, ne permet pas de
croire qu'il mt demeuré depuis le 7 jusqu'au 11
a Mons, et qu'il eut laissé le duc de Saxe-Tes-
chen se retirer tranquillement, si des détails
d'administration ne l'eussent retenu malgré
lui, et n'eussent absorbé son attention qui
aurait du etre exclusivement fixée sur les dé-
tails militaires. n forma un plaIÍ tres - bien




2.68 RÉVOLUTION FRANt;AISE.
con<;u; c'était de passer lui-meme des marchés
avec les Belges, ponr les vivres, fourrages et
approvisionnements. II y avait a cela une fonle
d'avantages. Les objets a consommer étaient
sur les lieux, et on n'avait pas a craindre les
l'etards. Ces achats illtéressaient beaucoup de
Belges a la présence des arÍnées fran~aises. En
payant les vendeurs en assignats, eeux - ei
étaient obligés d'en favoriser eux - rrit~mes la
eirculation; on se dispensait ainsi de rendre
eette circulation foreée, ehose 1m portante, ear
chaque individu a qui arrive une monnaie for-
cée se regarde comme volé par l'autorité qui
l'impose, et c'est le moyen de blesser le plus
universellement un peuple. Dumouriez avait
en outre songé a faire des emprunts ~u clergé ,
avee la garantie de la Franee. Ces emprunts
luí fournissaient des fonds et du numéraire;
et le clergé, quoique frappé momentanément,
se sentait rassuré sur son existence et ses hiens,
puisqu'on traitait avee lui. Enfin la Franee ayant
ademander aux Belges des indemnités· pour
les frais d'une guerre libératrice, on eut affeeté
ces indemnités au paiement des emprunts, et,
moyennant un léger appoint, toute la guerre
eut été payée , et Dumouriez, comme ill'avait
annoncé, anrait véeu aux frais de la Bclgique,
sans la vcxer ni la désorganiser. Mais e'étaicut




CONVENTION NA.TIONALE (1792)' 269
la des plans de génie, et, en temps de l'évolu-
tion, il semble que le génie devrait prendre un
parti décidé: iI devrait ou prévair les désor-
dres. et les violences qui vont suivre, et se re-
tirer sur-Ie-champ; ou, en les prévoyant, s'y
résigner, et consentir a etre violent pour con-
tinuer d'etre ntile a la tete des armées on de
l'é~at. Aucun homme n'a été assez détaché des
choses de ce monde, pour essayer dll premier
partí; ii en est un qUÍ a été granel, et qui a
su demeurer pUl' en suivant le second. e'est
celui qui, placé au comité dn salut public ,
sans participer a ses actes poli tiques , se ren-
ferma dans les soins de la guerre, et organisa
la victoire, chose pure , permise, et toujours
patriotique sous tous les régimes.


Dumouriez s'était serví p011r ses marchés et
ses opérations financieres de Malus, commis-
saire des gue~res, qu'il estimait beaucoup
paree qu'ille trouvait habile et actif, san s trop
s'inquiéter s'il était modéré ou non dans ses
gains; il avait employé aussi le nommé d'Es-
pagn3c, aneien abbé lihertin, et l'un de ces
eorrompus spirituels de l'ancien régime, qui
faisaient tous les métiers avec beaucoup de
gra.ee et d'habilelé, et laissaient dans tous une
réputation équivoque. Dumouriez le dépeeha
;m ministere ponr expliquer ses plans, E't faire




270 RÉVOLUTION FRAN~AISF:.
ratifier tous les engagements qu'il avait pris. Il
donnait déja bien assez de prise sur lui par
l'espece de dictature administrative qu'il s'ar-
rogeait , et par la modératioIl révolutionnaire
qu'il montrait a l'égard des Belges, sans se
compromettre encor:e par son association avec
des hommes déja suspects, et qui, ne le fus-
sent-ils pas, allaient bientot le devenir. Dans
ce moment en effet une rumeur générale s'é-
levait contre les auciennes administrations,
qui étaient remplies, disait-on, de fripons et
d' aristocrates.


Apres avoir donné ses soins a l'entretien de
ses soldats, Dllmouriez s'occupa d'accélérer la
marche de Labourdonnaie. Ce général, apres
s'etre obstiné a demeurer en arriere, n'était
entré a Tournay que fort tard, et la, il provo-
qooit des scenes dignes des jacobins, et le-
vait de fortes contribulÍons. Dumouriez lui
ordonna de marcher rapidement sur Gand et
l'Escaut, pour se rendre a Anvers, et achever
ensuíte le circuít du pays jusqu'a la Meuse.
Valence, enfin arrivé en, ligne apres des re-
tarrts invololltaíres, cut orrtre d'etre le 13 ou le
14 a Nivelles. Dumouriez, croyant que le dnc
de Saxe-Teschen se retirerait derriere le canal
de Vilvorden, voulait que Valence, tournant
la foret de Soignies, se portat derriere Ce




CONVENTION NATIONALE (1792.)· 2.71
canal, et y rel,;ut le duc au passage de la Dyle.


Le 11, iI partit de Mons, ne joignit que len-
tement l'armée ennemie, qui elle-meme se re-
tirait avec ordre, mais avec une extreme Ien-
teur. Mal serví par ses transports, iI ne put pas
arriver assez promptemellt ponr se venger des
retards qu'il avait été obligé de subir. Le 13,
s'avanl,;ant lui-meme avec une simple avant-
garde, iI donna au milieu de l'ennemi a Ander-
lecht, et faillit etre enveloppé; mais, avec son
adresse et sa fermeté ordinaires, iI déploya sa
petite troupe, usa avec beaucoup d'appareil
de quelques pieces d'artillerie, et persuada
aux Autrichiens qu'il était sur le champ de
bataille avec toute son armée. Il parvínt ainsi
a les contenir, et eut le temps d'etre secouru
par ses soldats, qui, apprenant sa posltIon
critique, accouraient en toute hate pour le
dégager.


Il entra le J 4 dan s Bruxelies, et y fut ar-
reté de nouveau par des embarras administra-
tífs, n'ayant ni numéraire ni aucnne des res-
sources nécessaires a I'entretien de ses troupes.
II apprit la que le ministere avait refusé de
consentir ses dern{ers marchés, excepté un
seul, et que toutes les anciennes administra-
tions militaires étaient renouvelées et rempla-
cées par un comité dit des achats. Ce comité




;).72 llÉVOLUTlON FRAN~AISE.
avait seul, a l'avenir, le droit d'acheter pour
l'entretien des armées, sans qu'il mt permis
aux généraux de s'en meIcr ancunement. C'é~
tait la le commencement d'une révolution qui
se préparait dan s les administrations, et qui
alIait les livrer pour un temps a une désorga-
nisation complete.


Les administrations qui exigelll une longue
pratique on ulle application spéciale sont or-
dinairement celles ou ~llle révolutioll pélletre
le plus tard, paree qu'elles excitellt moills
l'ambition, et que d'ailleurs la néeessité d'y
conscrver des sujets capables les garantít de
la fureur des renouvellements. Ainsi on n'avait
opéré prcsque aucun changcmellt dans les
états-majors, dans les corps savants de L'arm(~e,
dans les hureaux des divers ministeres, claBs
les anciellnes régies des vivres, et surtout dans
la marine, qui est de toutes les parties de I'art
militail'e ceHe qui exige les connaissances les
plus spéciales. Aussi ne manquait-on pas de
erier conlre les aristocrates dont ces corps
étaient remplis, et on reprochait au conseil
exécutif de ne pas les renouveler. L'administra-
tion qni soulcvait le plus d'irritation était eelle
des vivres. On adressait de justes reproches
aux fournisseurs, qui, par dispositioll d'état,
et Slll'tout a la faveur de ce moment de désor-




c.DNVENTION NATIONAL"E (1792). 273
dre, exigeaient dans tous leurs marchés des
prix exorbitants, donnaient les plus mauvaises
marchandises aux troupes, et volaient l'état
avec impudence. Il n'y avait qu'un cI'i de toutes
parts cOlltre leurs exactions. Ils avaiellt surtout
un adversaire inexorable dans le député Cam-
bon de Montpellier. Passionné pour les ma-


. tieres de finances et' d'écollomie publique, ce
député s'était acquis un grand ascendant dans
les discussions de ce genre, et jouissait de
toute la confiance de l'assembIée. Quoique
démocrate pl'Ononcé, iI n'avait cessé de ton~
ner contre les exactions de la commune; et iI
surprenait ceux qui ne comprenaient pas qu'il
poursuivit comme financier les désordres qu'iI
aurait peut-etre excusés comme jacobino n se
déchainait avec une plus grande énergie en-
core contre les fournisseurs, et les poursui-
vait avec toute la fougue de son caractere.
Chaque jour iI dénoI1(,;ait de nouvelles fraudes,
en réclamait la répression, et tout le monde
a cet égard était d'accord avec luí. Les hommes
honnetes voulaient punir des fripons, les jaco-
bins voulaient persécuter des aristocrates, et
les intrigants rendre des places vacantes.


On eut done I'idée de former un comité
composé de quelql1es individus chargés de
faire tous les achats pour le compte de la ré-


m. 18




274 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
publique. On pensa que ee comité, unique el
responsable, épargnerait a l'état les fraudes d('
cette multitude de fourllisseurs isolés, et qu'a-
chetallt seul ponr toutes les administrations,
il ne ferait plus hausser les prix par la eoneur-
renee, eomme il arrÍvait lorsque chaque mi-
nistere, chaq!le armée traítaient individnel-
lement, ponr leurs besoins respeetifs. Cette
institntion fut établie de l'avis de tous les mi-
nistres , etCambon surtout en était le plus
grand partisan, paree que eette forme nou-
velle et simple eonvenait a son esprit absolu.
On signifia done a Dumonriez qu'il n'aurait
plus aueun marehé a passer, et on lui ordonna
d'annn]er eenx qu'il venait de signer. On sup-
prima en meme temps les caisses des régis-
seurs, et on poussa la rigueul' de l'exécntio'n
jusqu'a faire des difficultés ponr aequitter, a
la trésorerie nationale, un pret qn'un négo-
ciant beIge avait faít a l'armée sur un bon de
Dumouriez.


Cette révolution dan s l'administration des
vivres, dont le motif était Jouable, concourait
malheureusement avec des cireonstances qui
allaient en rendre les effets désastrenx. Pen-
dant son ministere, Servan avait eu a pour-
voir aux premiers besoins des troupes hative-
ment rassemblées dans la Champagne, et c'était




CONVENTION NA.TIONALE (1792). 275
heaucoup d'avoir suffi aux embarras du pre-
mier momento Mais, apres la eampagne de
I'Argonne, les approvisionnements faits avec
tant de peine se trouvaient épuisés; les volon-
taires, partís de ehez eux avec un seul habit,
étaient presque nus, de sorte qu'il fallait four·
nir un équipement eomplet a ehaeune des ar-
mées, et suffire a ce renouvellement de tout
le matérieI, an milien de l'hiver et malgré la
rapidité de l'invasion en Belgique. Le sucees-
senrde Servan, Pache, était donc chargé
d'ulle tache' i mmense, et malheureusemeÍlt,
ave e beaueoup d'esprit et d'applieation, il avait
un caractere souple et faible qui, le portant a
plaire a tout le monde, surtout aux jacobins,
l'emptkhait de commander a personne, et de
communiquer a une vaste administration le
nerf néeessaire. Si on joint done a l'urgence,
a l'immensité des besoins, aux difficultés de la
saison, et ii la nécessité d'une grande promp-
titnde, la faiblese d'un nouveau ministere, le
désordre général de l'état, et par-dessus tout
une révolution dans le systeme administratif,
on concevra la confusion du premier moment,
le dénument des armées, leurs plaintes ame-
res, et la violence des reproches entre les gé-
néranx et les ministres.


A la nOllvelle de ces changements adminis-
18.




276 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
tratifs, Dumouriez s'emporta vivement. En at-
tendant l'organisation du nOllveau systeme, il
voyait son armée exposée a périr de misere,
si ses marchés n'étaient pas maintenus et exé-
eutés. Il prit donc sur lui de les maintenir, et
ordonna a ses agents, Malus, d'Espagnac, et
a un troisieme nommé Petit-Jean, de conti-
nuer lenrs opérations sous sa propre respon-
sabilité. II écrivit en meme temps au ministre
avec une hauteur qui allait le remIre plus sus-
pect encore a des démagogues défiants, om-
bragenx, mécontents déja de sa tiédeur révo-
lutionnaire, et de sa dictatul'e administrative.
n déclara qn'il exigeait, ponr continuer ses
services, qn'on lui laissat pourvoir lui-meme
aux besoins de son armée; iI soutint que le
comité des achats était une absurdité, paree
qu'il exporterait laborieusement et de loin ee
qu'on trouverait plus facilement sur les lieux;
qne les transports exposeraient a des frais
énormes el a des retards, pendant lesquels les
armées mourraient de faim, de froid et de
misere; que les Belges perdraient tont intéret
a la présence des Fran<;ais, ne seconder~ient
plus la circnlation des assig:nats; que le pillage
des fournissellrs continuerait tont de meme,
paree que la facilité de voler l'état dans les
fouruitures avait tonjours {ait et ferait tOll-




CONVENTION NATIONHE (I7~)2). 277
jom's des voleurs, et que rien n'empecherait
les membres dll comité des achats de se faire
entI'eprenellrs et aeheteurs, quoique la loi le
leur défendit; qu' ainsi e' était la ti o vai o reve
d'économie, qui, oe fut-il pas chimérique,
amenerait ponr le moment uoe désastreuse
interruption dans les services. Ce qui ne con-
tribnait pas pen a Írriter DnmourÍez contre le
comité des achats, c' est qu'il voyait dans les
membres qui le composaient des créatures eln
ministreClaviere, et croyait apercevoir daos
cette innovatioo un résultat ele la défiaoce des
girondins contre lui. Cependant c'était une
création faite de bonne foi, et approllvée
par tons les catés, sans al/cune intention de
parti.


Pache, en ministre patriote et ferme , aurait
du chercher a satisfaire le général ponr le con-
server a ]a république. Pour cela iI aurait fallu
examiner ses demandes, voir ce qu'il y avait de
juste, y faire droit, repousser le reste, et con-
duire toute chose avec aut.orité et vigueur,
de maniere a empecher les reproches, les dis-
putes et la confusion. Loin de la, Pache, ac-
clisé deja par les girondins de faiblesse, et
mal disposé ponr eux, laissa se heurter entre
cux le général, les girondins et la convention.
Au conseil, il faisait part des lettres irréfléchies




278 RÉVOLUTION FRAN~AISF..
ou Dumouriez se plaignait ouvertement des
défiances des ministres girondins a son égard;
a la convention, il faisait connaitre les de-
mandes impérieuses, a la suite desquelles Du-
mouriez offrait sa démission en cas de refus.
Ne bh\mant den, mais n'expliquant rien, et
affectant dans ses rapports une fidélité scrupu-
leuse, il laissa produire achaque chose ses
plus facheux effets. Les girondins, la conven-
tion, les jacobins, chacun fut irrité a sa ma-
niere de la hauteur du général. Cambon tonna
contre Malus , d'Espagnac et Petit- Jean, cita
les prix de lenrs marchés, qui étaient exces-
sifs, peignit le luxe désordonné de d'Espagnac,
les anciennes malversations de Petit-Jean, et
les fit décréter tous trois par l'assemblée. n
prétendit que Dllffiouriez était entouré d'in-
tl'igants dont il fallait le délivrer; il soutint
que le comité des achats était une exceIlente
illstitution; que prendre les objets de con-
sommation sur le théatre de la guerre, c'était
priver les ouvriers fran({ais de travail, et les
exposer aux mutineries de l'oisiveté; que,
quant aux assignats, il n'était nullement né-
cessaire d'user d' adresse pour les faire circuler;
que le général avait tort de ne pas les faire
recevoir d'autorité, et de ne pas transporter en
Belgique la révolution tont entiere avec son




CONVENTlON NATlONALf; (1792.)· 279
régimc , ses systemes et ses monnaies; et que
les Be1ges, auxquels on donnait la liberté,
dcvaient en aeceptel' les avantagcs et les in-
eonvénients. A la tribune de la conventioll,
Dllmouriez ne fut guere considéré que comme
dupé par ses agents; mais, allX Jacobins, et
dalls la feuille de Marat, iI fut dit lout uniment
qu'il était d'aeeord avec eux, et qu'il recevait
une part des bénéfiees, ee dont on n'avait
d'autre pl'euve que l'exemple assez fréqueut
des généraux.


Dumouriez fut done obligé de livrer les trois
eommissaires, el on luí fit l'affroht de les faire
arreter malgré la garantie qll'il Ieur avait <\011-
née. Paehe lui éerivit, avee sa doueelll' aecou-
tumée, qu'on examinerait ses demandes, qu'on
pourvoirait a ses besoins. et que le comité des
achats ferait pour eela des aeqnisitions Con si-
dérables ; il lui annonf,(ait en meme te~ps de
nombreux arrivages, qui n'avaient pas lieu.
Dumollriez, qlli ne les reeevait pas, se plai-
gnait sans eesse; de maniere qu'a lire d'nne
part les lettres du ministre, on auraít eru qne
tout abondait, et a lire eeHes dll général, OH
devait croire a un dénumeut absolu. Dumou-
riez ent recours a des expédients, a des em-
prunts sur lesehapitres des églises; il vécut
avee un marché de Malus, qu'on lui ayait p~r-




280 RÉVOLUTI0N FRAN~AISE.
mis de maintenir, vu l'urgence,et il fut encore
retenu du 14 au 19 a Bruxelles.


DaBS cet intervalle , Stengel, détaché ave e
l'avant-garde, avait pris Malines : c'était une
prise importante, a cause des munitions en
poudre et en armes de toute espece que cette
place renfermait, et qui en faisaient l'arsenal
de la Belgique. Labourdonnaie était entré le
18 11 Anvers, organisaít des clubs, indisposait
les Belges en encourageant les agitateurs po-
pulaires, et malgré tout cela ne mettait aucune
vigueur dans le siége du chateau. Dumouriez,
ne pouvant plus s'accommoder d'un lieutenant
si fort occupé de clubs, et si peu de la gllerre,
le remplaVl par Miranda, Péruvien pIeio de
bravoure, qui était venu en France a l'époque
de la révolution, et avait obteou un haut grade
par l'amitié de Pétion. Labourdonnaie, privé
de son armée et ramené daos le département
du N ord, vint y exciter le úle des jacobjos
cootre César Dumouriez. C'était la le nom que
déja 00 commelH;ait a donner au général.


Vennemi avait soogé d'abord a se placer
derrjere le canal de Vilvorden, el a se tenir
en relation avec Anvers. n eommett'dit aiosi la
meme faute que Dumollriez, en cherehaot a
se rapprocher de l'Eseaut, au lien de courír
sur la Meuse, eomme ils auraient dó le faire




CONVENTION NATIONALE (1792). 281
tous dellx, l'un pour se retirer, l'autre pour
empecher la retraite. Enfin Clerfayt, qui avait
pris le cornrnandement, sentit la nécessité de
repasser promptement la Meuse, et d'aban-
donner Anvers a son sort. Dumollriez alors re-
porta Valence de Nivelles sur Namur, pour en
faire le siége, et iI eut le tort tres-grave de ne
pas le jeter au contraire le long de la Meuse,
pour fermer la retraite des Autrichiens. La dé-
faite de l'armée défensive eut amené naturel-
lement la reddition de la place. Mais l'exemple
des grandes manceuvres stratégiques n'avait
pas encore été donné, et d'ailleurs Dumouriez
manqua ici, corome dan s une fonJe <l'occa-
sions, de la réflexion nécessaire. n partit de
Bruxelles le 19. Le ~w, il traversa Louvain; le
22 , il joignit l' ennemi a Tirlemont, et luí tlla
trois on ql1atre cents hommes. La, encore re-
tenu par un dénument absolu, iI ne repartít
que le 26. Le 27, iI arriva devant Liége, et eut
asoutenir un fortengagement a Varoux, contre
l'arriere-garde ennemie. Le général Starai, qui
la commal1dait, se défendit gloriellsement, et
re<;{ut une blessure mortelle. Enfin, le 28 an
malin, Dumouriez entra dan s Liége , auxaccla-
matiollS du peuple, qui était la dans les dispo-
sitions les plus révolutíonnaires. Miranda avait
pris la citad elle d'Anvers le 29, et pouvait




:J.82 RÉVOLUTION FRANVAISE.
aehever le circuít de la Belgique, en marchan!
jusqu'it Ruremonde. Valeoce oecupa Namu!"
le 2. décembre. CIerfayt se porta vers la Roer,
et Beaulieu vers le Luxembollrg.


Daos ce momeot, toute la Belgiqlle était
oceupée jusqu'a la Meuse; mais il restait a con-
quérir le pays jusqu'au Rhin, et de grands obs-
tacles se présentaient encore a Dumouriez.
SoÍt la difficulté des transports, soit la négli-
gence des bureaux, rien n'arrivait a son armée;
et quoiqu'il y eut d'assez grands approvision-
nements it Valenciennes, tout manquait sur la
Meuse. Pache, ponr satisfaire les jacobins , leur
avaít ouvert ses hureaux, et la plus grande
désorganisation y régnait. On y négligeait le
travail, on y donnait, par inattentíon, les
ordres les plus contradictoires. Tout service
devenait ainsi presque impossible, ettandis que
le ministre croyait les transports effectllés, ils ne
l'étaient paso L'institution du comité des achats
avait encore augmenté le désordre. Le nouveau
cornmissaire nommé Ronsin, qui avait rem-
placé Malus et d'Espagnac, en les dénon-;ant,
étaít clans le plus grand embarras. :Fort mal
accueilli a l'armée, il avait été effrayé de sa
tache, et, sur l'ordre de Dumouriez, continua
les achats sur les lieux, malgré les dernieres
décisions. Par ce moyen, l'armée avait eu du




CONVENTION NATIONALE (1792). 283
pain et de la viande; mais les vetements, les
moyens de ttansport, le numéraire et les four-
rages manquaient absolnment, et tons les che-
vaux mouraient de faim. Une autre ealamité
affligeait cette armée, e'était la désertion. Les
volontaires, qlli dans le premier enthousiasme
avaient eouru en Champagne, s'étaient re-
froidis depnis qne le moment dn péril était
passé. D'ailleurs ils étaient dégoutés par les
prh'ations de tont genre qn'ils essuyaient, et
jls désertaient en fonle. Le senl eorps de Du-
monriez en avait perdu au moiils rlix milI e ,
et chaque jour iI en perdait davantage. Les
levées belges ne s'effectuaient pas, paree qu'il
était presque impossible d'organiser un pays
ou les diverses classes de la population et les
diverses provinces du territoire n'étaient nul-
lement disposées a s'entendl'e. Liége abondait
dans le sens de la révolution; mais le Brabant
et la Flandre voyaient avec défiance surgir les
jacobins dan s les clubs qu'on avait essayé d'é-
tablir a Gand, Anvers, Bruxelles, etc. Le peu-
ple beIge n'était pas trop d'accord avec nos
soldats qni voulaient payer en assiguats; nulle
part on ne consentait a recevoir notre papier
monnaie, et DLimouriez refusait de lui donuer
une circulation foreée. Ainsi, quoique victo-
ríeuse et maltresse de la campaghe, l'armée




284 RÉVOLUTION FR.o\N<;AISJ;.
se trouvait dans une situation malheureuse a
cause de la disette, de la Msertion , et de la
disposition incertaine et presque défavorable
des habitants. La convention assiégée des rap-
ports contradictoires du général qui se plai-
gnait avec hauteur, et du ministre qui certifiait
avec modestie, mais avec assurance, que les
envois les plus abondants avaient été faits,
dépecha quatre commissaires pris dans son
sein, pour aller s'assurer par Ieurs ycux du
véritabIe état des choses. Ces quatre com-
missaires étaient Danton, Camus, Lacroix et
Cossuin.


Tandis que. Dumouriez avait employé le
mois de novembre a occuper la Belgique jus-
qu'é't la Meuse, Custine, courant toujours aux
environs de Francfort et du Mein, était me-
nacé par les Prussiens qui remontaient la Lahn.
Il aurait vouIu que tout le versement de la
guerre cut líeu de son coté, pOllr couvrir ses
derrieres, et assurer ses folles incursions en
Allemagne. Aussí ne cessait-il de se plaindre
contre Dumouriez, qui n'arrivait pas él Colo-
gne, et contre Kellermann, qui ne se portait
pas sur Coblentz. On vient de voir les difficultés
qui empechaient Dumouriez d'avancer plus
vite; et pour rendre le mouvement de Keller-
mann possible , il aurait fallu que Custine, re·




CONVENTION NATIONALE (1792). 285
non~ant a des incursions qui faisaient retentír
d'acclamations la tribune des jacobins et les
journaux, se renfermat dans la limite du Rhin,
et que, fortifiant Mayence, iI voulut descendre
lui-meme a Coblentz. Mais il désirait qu'on fit
tout derriere lui, pour avoir l'honneur de
prelldre l'offensive en Allemagne. Pressé de
ses sollicitations et de ses plaintes, le conseil
exécutif rappela Kellermann, le rempla.,;a par
Beurnonville, et donna a ce dernier la mission
tardivc de prendre Treves, dan s une saison
tres-avaneée, au mílien d'nn pays pauv,:e, et
difficile a ocenper. Il n'y avait jamais en qu'une
b011ne voie pour exéeuter eette entreprise,
c'était, daus l'origine, de marcher entre
Luxembourg et Treves, et d'arriver ainsi a
Coblentz, tandis que Custine s'y porterait par
le Rhin. 011 aurait alors écrasé les Prussiens,
encore abattus de lcur défaite en Champagne ,
et donné la main a Dumouriez, qui devait
etre a Cologue, ou qu' on aurait aidé a s'y
porter s'il n'y avait pas été. De ectte maniere,
Luxembourg et Trevcs, qu'il était impossible
de prendre de vive force, tombaient par fa-
mine et par défaut de secours; mais Custine
ayant persisté dans ses COllrses en W étéravie,
l'armée de la Moselle étant restée dans ses
cantonnements, iI n'était plus temps de mar-




:A86 RJÍ.VOLUTION FRA:N~A.ISE.
cher sur ces places a la fin de uovembre, pour
y soutenir Custine contre les Prussiens rani-
més et remontant le Rhin. Beurnonville 6t va-
loír ces raisons; mais OH était en disposition de
eonquérir, on voulait punir l'électeur de Treves
de sa condllite envers la France, et Beurnon-
ville eut ordre de tenter une attaque qu'il es-
saya avec autant d'ardeur que s'il l'avait ap-
prouvée. Apres quelques combats brillants el
opiniatres, il fut obligé d'y renoncer et de se
replier vers la Lorraine. Dans eette situation,
Custine se sentait compromis sur les bords du
Mein; mais il ne voulait pas, en se retirant,
avouer sa térnérité et le peu de solidité de ~a
eonquete, et il persistait a s'y maintenir sans
ancune espérance fondée de sueees. Il avait
placé dans Francfort une garnison de deux mille
quatre cents hommes, et quoique cette force
fut tout-a-fait insuffisante dans une place ou-
verte et au milieu d'une population indisposée
par des contributions injustes, il ordonnait au
cornmandant de s'y maintenir; et luí, posté a
Ober-Usel el Hombourg, un peu au-dessous de
Francfort, affectait une COllstance et une fierté
ridicules. Telle était la situation de l'armée sur
ce point, a la fin de novernbre et an commen-
eernent de déeembre.


Ricn nc s' était done encore effectué le long




CONVJ.:NTlON .NATlONALE (1792). 287
dn Hhill. Aux Alpes, Montesquiou qu'on a vu
négociant ave e la Suisse et tachant a la fois de
f;úre entendre raison a Geneve et au ministere
fl'an<{ais, Montesquiou avait été obligé d' émi-
grer. Une accusation avait été dirigée cOlltre luí,
pour avoir compromis, disait·on, la dignilé de
la France, en laissant insérer oans le pl'Ojet de
convention un article par lequel nos troupes
devaient s'éloigner, et surtont en exécutant
cet artíc1e du projet. Un décret fut lancé contre
luí, et il se réfugia dans Geneve. Mais son on-
vrageétait garanti par sa modération, et tandís
qu'on le mettait en accllsation, on transigeait
avec Geneve d'apres les bases qu'il avait fixées .


. Les troupes bernoises se retiraient, les troupes
fran<{aises se cantonnaient sur les limites con-
venues, la précieuse neutralité suisse était assu-
rée a la France, et run de ses flanes était ga-
rantí pour plusieurs années. Cet important ser·
vice avaít été méconnu, grace aux inspirations
de Claviere, et grace aussi a une susceptihilité
de parvenus que nous devions a nos victoires
de la veille.


Danslecomté de Nice on avait glorieusement
repris le poste de Sospello, que les Píémon-
taís nous avaient arraché pour un instant, et
qu'ilsavaient perdu de nouveau apres un échec
considérable. Ce succes était du a l'habilcté




288 llEVOLllTION FRAN<';:Afst.
du général Brunet. Nos flottes, qui dominaient
danslaMéditerranée, aHaientaGenes, a Naples,
ou régnaient des branehes de la maison de Bour·
bon, et enfin dans tous les états d'Italie, faire
reconnaltre la nouvelle république fran~aise.
Apres une canonnade dcvant Naples, on avait
obten u la reconnaíssance de la république, et
nos floUes revenaient fieres des aveux arrachés
pareHes. Aux Pyrénées, régnait une parfaite im·
mobilité, et Servan, faute de moyens, avait la
plus grande peine a recomposer l'armée d'oh-
servation. Malgré des dépenses énormes de
cent quatre-vingts, de deux cents millions par
mois, tou tes les armées des Pyrénées, des Al·
pes, de la Moselle, étaient dans la meme dé-
tresse, .par la désorgauisation des serviees, et
par la confusion qui régnait au ministere de la
guerreo Au milicu de eette misere, nous n'en
avions pas moins l'ivresse et 1'0rgueil de la vic-
toire. Dans ce moment, les esprits exaltés par
J emnla pes, par la prise de Francfort, par l' oe-
cupation de la Savoie et de Nice, par le subit
retour de l'opinion européenne en notre fa·
veur, crllrent entendre s'ébranler les monar·
chies, el s'imaginerent un instant que les peu·
pIes allaient renverser les trones et se former en
républiques. « Ah! s'il était vrai, s'écriait un
« membre des jaeobins, a propos de la réunioll




CONVENTION NATIONALE (1792). 289
{( de la Savoie a la France, s'il était vrai que le
(( réveil des peuples fut arrivé; s'il était vrai
ce que le renversement de tous les trones dut
(( etre la suite prochaine du succes de nos ar-
(( mées et du volean révollltionnaire; s'il était
( vrai que les vertus républicaines vengeassent
«( enfin le monde de tous les crimes couron-
«( nés; que chaque région, devenue libre,
( forme alors un gOllvernement conforme a
( l'étendue pJu~ ou inoins grande que la nature
« lui aura fixée, et que de toutes ces conven-
ce tions nationales, un cerlain nombre de dépll-
({ tés extraord inaires form en t an cen tre d lJ globe
(( une convention univerSoelle, qui veille sans
({ cesse an maintien des droits de l'homme, a
«( la liberté générale du commerce et a ta paix
({ du genre humain ! ... 'f- »


Dans ce moment, la conventíon apprenant
les vexations commises par le duc de Deux-
POllts contre quelques sujets de sa dépendance,
rendít, dans un élan d'enthousiasme, le décret
suivant :


({ La convention nationale déclare qu'elle
ee accordera secours et fraternité a tons les
(( peuples qui vomlront reeouvrer Ieur liberté,


* Discollrs de ~'1ilhaud, dépllté du Cantal, pl'Ononcé
al1X Jacobins en novembre 1792..


IIJ.




290 RÉVOLUTION FRAN{:AISE.
c.c et elle charge le pouvoir exécutif de donner
(( des ordres aux généraux des armées franc;ai-
( ses, pour secourir les citoyens qui auraient
« été ou qui seraient vexés pour la cause de
« la liberté.


« La convention nationale ordonne aux gé-
« néraux des armées fran«;;aises de faire impri-
« mer et afficher le présent décret dans tous
( les lieux ou ils porteront les armes de la ré-
(( publique.


«( Paris, le 19 novembre 1792. »


=




CONVENTION N A TJON ALE (1792). 291


CHAPITRE VI.


•••


J:;[at des partis au morn~nt du proces de Louis XVI. -
Cal'actel'C et OpilliollS des rnembres du millistcre a eeUe
époque, Roland ,Pache, Lebrull , Garat, MOllge et Cla-
viere. - Détails sur la vie intérieure de la famille royal e
daos la tour du Temple. - Commencement de la dis-
eussiou su r la mise eu j ugemell t de Louis XVI; l'ésumé
des débats; opiuion de Saiut-Just. - État fficheux des
subsistauces; détails et questious d'écollomie politique.
- Discours de Robespierre sur le jugement du roí. -
La conventiou déerete que le roi sera jugé par elle. -
Papier's trouvés dans l'armoire de fa. - Premier inter-
rogatoire de Louis XVI a la cOllvenlioll. - Choc des
opinions et des inténhs pendant le proces; inquiétude
des jacobins. - Position du duc d'ürléam; Oll propose
son banoissement.


LE pro ces de LOllis XVI allait en fin commell-
cer, et les partis s'attcndaient ¡ei pour mesurer
leurs forces, pOllr découvrir Icurs intentions,
et se juger définitivement. On observait surtout
les girondins, pour surprendre chez cux le


19,




~9'l RÉVOJ.UTION FRAN~AISE.
moindre mouvement de pitié, et les accuser
de royalisme, si lagrandeur déchue parvenait a
les toucher.


Le partí des jacobins, qui poursuivait dans
la personne de Louís XVI la monarchie tout
entiere, avait faít des progressans doute, mais
jI trouvait une opposition encore assez forte a
Paris, et surtout dans le reste de la France. n
dominait dans la capitale par son club, par
la commune, par les sections, mais la classe
moyenne repl'enait courage, et lui opposait en-
core quelque résistance. Pétion ayant refu~é la
maírie, le médecin Chambon avait obtenu une
grande majorité de suffrages, et avait accepté
a regret des fonctions qui convenaient pell el
son caractere nwdéré et nullement ambitieux.
Ce choix pro uve la puissance que possédait
encore la bourgeoisie dans París meme. Et elle
en avait une bien plus grande dans le reste de
]a France. Les propriétaires , les commer~ants,
toutes les classes moyennes enfin n'avaient dé-
serté ni les conseíls municipaux, ni les conseils
de départements, ni les sociétés populaires, et
envoyaient des adresses a la majorité de la con-
vention, dans le sens des loÍs et oe la modéra-
tion. Beaucoup de sociétés affiliées aux jacobins
improuvaient la société mere, et luí deman-
daient hautement la radiation de Marat, quel-




CONVENTION NATIONALE (1792). 293
ques-unes meme ceUe de Robespierre. Enfin,
des Bouehes-du-Rhone, du Calvados, dn Fi-
nistere, de la Gironde, partaient de nouveaux
fédérés, qui, devan~ant les déerets comme au
10 aout, venaient protéger la eonvention et
assurer son indépendance.


Les jacobins ne possédaient pas ene ore les
armées; les états-rnajors et l'organisation mi-
litaire eontinuaient de les en repousser. lIs
avaient eependant envahi un ministere, eelui
de la guerreo Paehe le leur avait ouvert par fai-
blesse, et iI avait remplacé par des membres
du club tOU5 Mi aneiens employés. On se tu-
toyait dans ses bureaux, on y allait en sale C05-
turne, on y faisait des motions, et iI s'y trou-
vait quantité de pretres mariés, introduits par
Audouin, gendre de Pache, et pretre marié
lui-meme. L'un des chefs de ce ministere était
Ha5senfratz, autrefois habitant de Metz, expa-
trié pour cause de banqueroute, et, cornme
tant d'autres, parvenu a de hautes fonetions en
déployant beaueoup de z.eIe démagogique. On
renouvelait ainsi les; administratiolls de l'ar-
mée, et autant que possible, on remplissait l'ar-
rnée elle-meme d'une nouvelle classe et d'une
nouvelle opinion. Aussi, tandis que Roland
était voué a la haine des jacobins, Paehe était
chéri, loué par eux. On vantait sa donceur, sa




294 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
modestie, sa grande capacité, et on les oppo-
sait a la sévérité de Roland, qu'on appelait de
l'orgueil. Roland en effet n'avait donné auxja-
cobins aucun acees dans son ministere de I'inté-
rieur. Observer les rapports des eorps consti-
tués, ramener dans les limites eeux qui s'en
écartaient, maintenir la tranquillité publique,
surveiller les soeiétés populaires, pourvoir aux
subsistances, protéger le commeree et les pro-
priétés, c'est-a-dire veiller a toute l'adminis-
tration intérieu¡;e de l'état, telles étaient ses
immenses fonetions, et il les remplissait avee
une rare énergie. Tous les jours, il dénon<;ait
la commune, poursuivait ses exd~s de pouvoir,
ses dilapidations, ses envois de eommissaires;
il arretait ses correspondances, ainsi que ceHes
des jacobins, et substituait a leurs écrits vio-
lents d'autres écrits pIeins de modération, qui
produisaient partout le meilleur effet. Il veil-
lait a toutes les propriétés d'émigrés échues a
l'état, donnait un grand soin aux subsistances,
réprimait les désordres dont elles étaient l'oc-
casion, et se multipliait en quelque sorte pour
opposer aux passions révolutionnaires la 10i et
la force qllaud ille pouvait. Ou con~oit quelle
différence les jacohins devaient mettre entre
Pache et Roland. Les familles des deux minis-
tres contrihuaient elles-memes a rendre eette




CONVENTION NATIONALE (1792 ). 295
différence plus sensible. La femme, les filIes de
Pache allaient dans les clubs, dans les sections,
paraissaient meme dans les casernes des fédé-
rés, qu'on voulait gagner a la cause, et se dis-
tinguaient, par un bas jacobinisme, de cette
épouse de Roland, polie et fiere, et surtout
entourée de ces orateurs si brillants et si odieux.


Pache et Roland étaient done les deux hom-
mes autour desquels on se rangeait dans le con-
seil. CIaviere, aux finanees, quoiqu'il fut sou-
ven t brouillé avee tous les autres, par l' extreme
irasclbilité de son caraetere, revenait toujours
a Roland quand iI était apaisé. Lebrun, faible,
mais attaché aux girondins par ses lumiercs,
travaillait beaucoup avee Brissot; et les jaeobins
appelant ee dernier un intrigant, disaient qu'il
était maitre de tout le gouvernement, paree
ql1'il aidait Lebrun dans les travaux de la diplo-
matie. Garat, en contemplant les partis d'une
hauteur métaphysique, se contentait de les ju-
ger, et ne se croyait pas ten u de les combattre.
II semblait se croire dispensé de soutenir les
girQndins, paree qu'illeur déeouvrait des torts,
et se faisait de son inertie une véritable sa-
gesse. Cependant les jaeobins aceeptaient la
neutralité d'un esprit aussi distingué comme un
précieux avantage, et la payaient de quelques
éIoges. Monge enfin, esprit mathématique, pa-




296 RÉVOLUTION FRANc.;AISE.
triote pronollcé, peu disposé pour les théorÍes'
un peu vagues des girondins, suivait l'exemple
de Pache, laissait envahir son ministere par les
jacobills, et sans désavouer les girondins aux-
qllels il devait son élévation, recevait les éloges
de leurs adversaires, et partageait la popularité
du ministre de la guerreo


Ainsi, trouvant dellx complaisants dans Pache
et Monge, un idéologue imlifféren t dans Garat.
mais un adversaire inexorable dans Roland, qui
ralliait a lui Lebrun et Clavíere, et souvent ra-
menait les autres, le partí jacobin n'avait pas
encore le gouvernement de l'état, et répétait
partout qu'il n'y avait qu'un roí de moins
dan s le nOllvel orelre de cllOses, mais qu':'t part
cela •. c'était le meme despotisme, les memes
intrigues et les memes trahisons. Il disait que
,fa révolution ne serait complete et sans retour
que lorsqn'on aurait détruit l'auteur secret de
toutes les machinations et de toutes les résis-
tances, enfermé an Temple.


On voit quelles étaient les forces respectives
des partis, et l'état de la révolution a l'instant
ou fut commencé le pro ces de Louis XVI. Ce
prince avec sa· famille habitait la grande tour
du Temple. La commune ayant la disposition
de la force armée et le soin de la police dans
la capitale, avait aussi la garde du Temple, eL




CONVENTION NATIONALE (1792 ). 297
c'est a son autorité ombrageuse, inquiete et
peu généreuse, que la famille royale était sou-
mise. Cette famille infortunée étant gardée par
une classe d'hommes bien inférieure a ceHe
dont se composait la convention, ne devait
s'attendre ni a la modération. ni aux égards
que l'éducatioll et des mreurs polies inspirent
toujours pour le malheur. Elle avait d'abord
été placée dans la petite tour; mais elle fut en-
suite transportée dans la grande, paree qu'on
jugea que la surveillance en serait plus fa-
cile et plus sure. Le roí oeeupait un étage, et
les princcsses avec les enfants en oeeupaient
un autre. On les réunissait pendant le jour, et
on leur permettait de passer ensemble les tristes
instants de leur captivité. Un seul domestique
avaIt obten u la permíssion de les suívre dans
leur prison: c'était le fidele Cléry, qní, échappé
aux massacres du 10 aout, était rentré au mi-
lien de Paris, pour servir dans leur infortune
ceux qu'il avaít servís jadis dans l'éclat de Ieor
toute-puissance. Il étaít levé des le commen-
cement du joor, et se multípliait pour rem-
placer aupres de ses maitres les nombreux servi-
teurs qui les entooraient autrefois. On déjennait
a nenf heures dans la chambre du roí. A díx
heures, tóute la famille se réunissait chez la
reine. LOllis XVI s'occupait alol's de l'éduca-




2g8 llÉVOLUTION FRAN9AISE.
tion de son fils. n lui faisait apprendre qnel-
ques vers de Racine et de Corneille, et ensuite
iI lui donnait les premieres notions de la géo-
graphie, science qu'il avait cuItivée lui-meme
avec beaucoup d'ardeur et de sucd~s. La reine,
de son coté, travaillait a l'éducation de sa fille,
et puis s'occupait avec sa sceur a des ouvrages
de tapisserie. A une heure, quand le temps était
beau, la famil1e tOilt entiere était conduite dans
les jardins pour y respirer 1'air, et y faire tIlle
courte promenade. Plusieurs municipaux et of-
ficiers de garde l'accompagnaient, et, suivant
les occasions, elle trouvait quelquefois des vi-
sages humains et attendris, quelquefois durs
et méprisallts. Les hommes peu cultivés sont
peu générellx, et chez ellX, la grandeur n' est
pas pardonnée, aussitót qu'elle est abattlle.
Qll'on se figure des artisans grossiers, sans Iu-
mieres, maltres de cette famille dont iJs se re-
prochaient d'avoir si long-temps souffert le pou-
voir et alimenté le luxe, et on concevra quelles
basses vengeances ils devaient quelquefois exer-
cer sur elle f Souvent leroi et la reine enten-
daient de cruels propos, et retrouvaient, sur les
lllurs des COllrs et des corridors, l'expression
d'une haine que I'ancien gouvernement avait
fréquemment méritée, mais que Louis XVI ni
son épouse n'avaient ríen faít pour inspirer. Ce-




CONVENTION NA. TION ALE (1792 ). 299
pendant ils trouvaient parfois un soulagement
dans de fllrtives expressions d'intéret, et ils
continllaient ces promenades douloureuses a
cause de leurs enfants, allxquels l'exercice était
nécessaire. Tandis qu 'ils parcouraient triste-
:ment eette cour du Temple, ils apercevaiellt
aux fenetres des maisons voisines une foule
d'anciens sujets encore attachés a leurs maltres,
et qui venaient contempler l'espace étroit OU
était enfermé le monarque déchu. A deux heu-
res, la promenade finissait, el on servait le di-
ner. Apresle diner, le roi prenait quelque repos;
pendant son sommeil, son épouse, sa sceur et
sa filIe travaillaient en silence, et Cléry clans
lIne autre salle exer«;ait le jeune prince a des
jeux de son age. On faisait ensuite une lecture
en commull, on soupait, et chacun rentrait
dans son appartement, apres un adieu pénible,
car ils ne se quittaient jamais sans douleur. l .. e
roí lisait encore pendant plusieurs heures.l\Ion-
tesquieu, Buffon, l'historien Hume, l'Imitation
de Jésus - Christ, quelques classiques latins et
italiens formaientses lectures habituelles. n
avaít achevé enviran deux cent cinquante vo-
lumes a sa sortiedu Temple.


Telle était la vie de ce monarque pendant sa
triste captivité. Rendu a la vie privée, il était
rendu a toutes ses vertus, el devellait digne de




300 RÉVOLUTION FRAN9A.ISE.
l'estime de tous les creurs honnetes. Ses en-
nemis eux-memes, en le voyant si simple, si
calme, si pUf, n'auraient pu se défendre d'une
émotion invol?ntaire, et auraient, en favenr des
vertus del'homme, pardonnéaux tortsdu prince.


La commune, extremement méfiante, em-
ployait les plus genantes précautions. Des of-
fieiers munieipaux ne perdaient jamais de vue
aueune des personnes de la famine royale, et,
au moment seul du coucher, ils consentaient
a en etre séparés par une porte fermée. AIors
ils pla<;;aient un lit a l'entrée de chaque appar-
tement, de maniere a en fermer la sortie, et
y passaient la nuít. Santerre avec son état-
major faisait chaque jour une visite générale
dans toute la tour, et en rendait un compte
régulier. Les officiers municipaux de garde for-
majent une espece de conseil permanent, qui,
placé dans une salle de la tour, était chargé de
donner des ordres, et de répondre a toutes les
demandes des prisonniers. D'abord on avait
laissé dans la prisan, enere, papier et plumes ;
mais bientot on enleva tous ces objets, ainsi
que tous les instruments tranchants, comme
couteaux, rasoirs, ciseaux, canifs, et OH fit les
recherches les plus minutieuses et les plus of-
feusantes ponr découvrir ceux de ces instru-
ments qui auraÍent pu etre cachés. Ce fut une




CONVENTION N ATIONALE (I79~). 30 I
grande peine pour les prineesses, qui des-Iors
furent privées de leurs ouvrages de couture, et
ne purent plus réparer leurs vetements, déja
dans un assez mauvais état, n'ayant pas été re-
nouvelés depuis la transJation au Temple. Dans
le sae du chatean, prcsque tout ce qui tenait
a l'usage personnel de la famille royale avait été
détruit. L'épouse de l'ambassadeur d' Angleterre
envoya du linge a la reine, et la commune, sur
la demande du roi, en fit faire pour toute la fa-
mílIe. Quant aux habits et vetements, ni le roi
I1i la reine ne songerent a en demander; ils en
auraient sans doute obtenu s'ils en avaient ex-
primé le désir. Quant a l'argent, on leur remit
en septembre une somme de 2000 fr. ponr
leurs menues dépenses; mais OH ne vonlut plus
leur en donner depuis, paree qu'on craignait
l'usage qu'ils en pourraient faire. Une somme
était déposée dans les mains de l'administra-
teur du Temple, et sur la demande des pri-
sonniers, on achetait les divers objets dont ils
avaient besoin.


Il ne faut pas exagérer les torts de la nature
lmmaine, et supposer que joignant une exécra-
ble bassesse aux fureurs du fanatisme, les gar-
diens de la famille prisonniere lui imposassent
ú plaisir d'indignes privations, et voulussent
ainsi luí rendre plus pénible le souvenir de sa




302 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


grandeur passée. La méfiance était seu le cause
de certains refus. Ainsi, tandis que la crainte
des complots et des communications empechait
qu'on leur accordat plus d'nn serviteur dans
l'intérieur de la prison, un nombreux. domes-
tique était employé a préparer leurs aliments.
Treize officiers de bouche remplissaient la clli-
sine p]acée a quelque distance de la tour. Les
rapports de la dépense du Temple, ou la plus
grande décence est observée, ou les prisonniers
sont qualifiés avec égard, ou leur sobriété est
vantée, ou Louis XVI est justifié du bas re-
proche de trop se livrer an gout du vin, ces
rapports non suspects portent la dépense de la
table a 28,745 livres en deux mois. Tandis que
treize domestiques occupaient la cuisine, un
seul pouvait pénétrer dans la prison, et aidait
Cléry a servir les prisonuiers a tableo Eh bien,
tant est ingénieuse la captivité! c'était par ce
domestique, dont Cléry avait intéressé ]a sen-
sibilité, que les Ilouvelles extérieures péné-
traient quelquefois au Temple. On avait tou-
jours laissé ignorer aux malheureux prisonniers
les événements du dehors. Les représentants
de la commune s'étaient contentés de Ieur com-
muniquer les journaux qni mentionnaient les
victoires de la république, et qui lellr otaient
ainsi tout espoir.




CONVENTJON NATJONAL~ (179'1). 303
Cléry avait imaginé, pour les tenir au cou-


rant, un moyen adroit, et quiluiréussissait assez
hien. Par le moyen des communications qu'il
s'était ménagées au dehors, iI avait fait choisir
et payer un crieur public, qui venait se placer
sous les fenetres du Temple, et sous préte~
de vendre des journaux, en rapportait les pnL 'o
cipaux détails de toute la force de sa voix.
Cléry, qni était convenu de l'heure, se pla<;ait
aupres de la meme fenetre, recueillait ce qu'il
entendait, et le soir, se penchant sur le lit du
roi, a l'instant ou illui en fermait les rideaux,
illui rapportait ce qu'il avait appris. Telle était
la situation de la famille infortunée tombée du
trone dans leS fers, et la maniere dont le úle
industrieux d'un serviteur fidele luttait avec
]a défiance ombrageuse de ses gardiens.


Les comités avaient enfin présenté leur tra-
vail sur le proces de Louis XVI. Dufriche-V alazé
avait fait un premier rapport sur les faits repro-
chés au monarque, et sur les pieces qui po u-
vaient les constater. Ce rapport, trop long pour
etre entendu jusqll'au hout, fut imprimé par
ordre de la convention, et distrihué a chacun
de ses membres. Le 7 novembre, le député
Maille, parlant au Ilom du comité de législa-
tion , présenta le rapport sur les grandes ques-
tions .auxquelles le proces donnait llaissance :




304 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
Louis XVI peut-il etre jugé?
Quel tribunal prononcera le jugement?
TeIles étaient les deux questious essentielles


qui aHaient occuper les esprits, et qui devaient
les agiter profondément. L'impression du rap-
mort fut ordonnée sur-Ie-champ. Traduit dans
\Otites les Iangues, distribué a un nombre con-
sidérable d' exemplaires, il remplit bientot la
France et l'Europe. La discussion fut ajournée
au 13, malgré Billaud-Varennes, quí vOlllait
qU'OIl décidat par acclamation la question de la
mise en jugement.


Ici aUait se livrer la derniere lutte entre les
idées de l'assemblée eonstituante et les idées
de la eonvention; et eette lutte devait etre
d'autant plus violente, que ]a vie ou la mort
d'un roí allaít en etre le résuItat. L'assemblée
eonstituante étaít démoeratique par ses idées,
etmonarehique par ses sentiments. Ainsi, tandis
qu'elle,eonstituait l'état tout entier en républi-
que, par un reste d'affection et de ménagement
pour Louis XVI, elle conservait la royauté avec
les attributs qll' on est convenu de lui attribuer,
dans le systeme de la monarchie féodale régula-
risée. Hérédité, pouvoir exécutif, partieipation
au pouvoir législatif, et surtout inviolabilité,
telles sont les prérogatives que ron reconna!t
au tl'one dans les monarehies modernes, et que




CONVENTION NATJONA.LE (1792). 305
la premiere assemblée avait laissées a lá maison
régnante. La participation aiJ pouvoir législatif,
et le pouvoir exécutif, sont des fonctions qui
peuvent varier dans leur étendlle, et qui ne
constituent pas aussi esscntiellement la royauté
moderne que I'hérédité et l'inviolabilité. De ces
deux dernieres, l'une assure la transmission
perpétuelle et naturelle de la royauté, la se-
conde la met hors de tOllte attéÍnte dans la
personne de chaque héritier; tóutes c1eux en·
fin en font quelque chose de perpétuel qlli ne
s'interrompt pas, et quelque chose d'inacces·
sible, qu'ancune pénalité ne peut atteindre.
Condamnée a n':)gir que par des ministres, qui
répondent de ses actions , la royauté. n'est ac-
cessible que dans ses agents, et on a ainsi un
point ponr la frapper sans l'ébranler. Telle est
la monarchie féodale, successivement modifiée
par le temps, et concilié e avec le degré d~
liberté auquel sont parvenus les peuples mo-
dernes.


Cependant l'assemblée constituante avait été
portée a mettre une restriction a cette inviola-
bilité royale. La fuite a Varennes, les entre-
prises des émigrés, l'amenerent enfin a penser
que la responsabilité ministérielle ne garanti-
,'ait pas une nation de tontes les fautes de la
royallté. Elle avait en conséquence prévu le


111. 20




306 RÉVOLUTJON FRA.N~AJSE.
cas ou un lllonarque se mettrait a la tete d'une
armée ennemie, pour attaquer la constitution
de l'état, OH bien ne s'opposerait pas, par un
acle forme!, a une entreprise de cette natUl'e
faite en son 110m. Dans ce cas, elle avait dé-
cIaré le monarque non poiút justiciable des
lois ordinaires contre la félonie, mais déchu;
il était censé avoir abdiqué la royauté. Tel est
le I;mgage textuel de la loi qu' elle avaít rendue.
La proposition d'accepter la constitution, faite
par elle au roí, et l'acceptation de la part du
roí, avaient rendu le contrat irrévocable, et
l'assemblée avaít pris le solennel engagement
de tenir comme sacrée la personne des mo-
narques.


C'est en présellce d'un engagement pareíl
que se trouvait la convention, en décidant du
sort de Louis XVI. Mais ces nouveaux cousti-
tnants, réunis sons le nom de conventionneIs,
nc se préteudaieut pas plus engagés par les
institutions de Jenrs prédécesseurs, que ceux-
ci ne s' étaient crus engagés par les vieilles
institutions de la féodalité. Les esprits avaieut
subí un entralnement si rapide, que les lois
de 179 J paraissaient aussí absurdes a ]a géné-
ratiqn de 1792; que ceHes du XIIJe síecle l'a-
vaieu.t paru a la génération de J 789' Les con-
velltiollnels He se croyaient dOlle pas liés par




CONVJ<:NTION NATIONALE (179'2). 307
une loi qu'ils jugeaient absurde, et se décla-
raient en insurreetion eontre elle, eomme les
états-généra:ux contre eeHe des trois ordres.


On vit done, des l'ouverture de la diseus-
sion, lel 3 novembre, se pronolleer deux sys-
temes opposés : les uns soutenaient l'inviola-
bilité, les autres la rejetaient absolument.
Les idées avaient tellement ehangé, qu'aueun
membre de la convention n'osait défendre l'in-
violabilité comme bonue en elle-nH~me, et ceux
meme qui étaient pour elle ne la défendaient
quecomme disposition antérieure, dont le
bénéfice était aequis au monarque, et qu'on
ne pouvait lui eontester san s mallquer a un
engagement national. Eneore n'y avait-il que
tres-peu de députés qui la soutinssent a ee
titre d'engagement pris, et les girondins la
condamnaient meme sous ce rapport. Cepen-
dant ils demeuraient hors du débat, et obser-
vaient froidement la discnssion élevée entre
les rares partisans de l'inviolabilité et ses nom-
breux adversaires.


(e - D'abord, dísaíent les adversaires de l'in-
. violahilité, ponr qu'un engagement soit vala-
ble, il faut que celui qui s' en gag e ait le droit
de s'engager.Or, la souveraineté nationale est
inaliénable, et ne peut pas se lier ponr l'ave-
nir. La nation peut bien, en stipulant l'invio-


20.




308 RÉVOLUTION FRA1'H';:AISE.
labilité, avoir rendu le pouvoir exécutif inac-
cessible aux coups du pouvoir législatif; c'est
une précaution poli tique dont OH con«;oit le
motif, dans le systl~me de 1'assemblée consti-
tuante; mais, si elle a tendu le roí inviolable
pour tOllS les corps eonstitués, elle n'a pu le
rendte inviolable pour elle-meme, car elle ne
peut jamais renoneer a la faculté de tout faire
et de tout vouloir en tout temps ; cette faculté
constitue sa toute-puissance, qui est inaJiéna-
hle; la nation n'a donc pn s'engager envers
L~llis XVI, et on ne pent lui opposer un en-
gagement qu'elle n'a pas pu prendre.


« Secondement, il aurait falIn, meme en sup-
posant l'engagement possible, qu'il fUt réci-
proque. Or ji ne 1'a jamais été du coté de
Louis XVI. Cette constitution, sur laquelle il
vent maintenant s'appuyer, iI ne l'a jamais
voulue, il a toujours protesté COlltre elle, el
n'a jamais cessé de travailler a la détruire,
non seulement par des conspirations intériell-
res, mais par le fer des ennemis. Quel clroit
a-t-il done de s'en prévaloj¡·?


«Qu'on aclmette meme 1'engagementcomme
pOBsible et eomme réciproque, il faut encore
qu'il ne Boit pas absurcle, pour avoir quelque
valellr. Ainsi 011 con~oit l'inviolabilité qui s'ap-
plique :\ tous les actes ostensibles dont un mí-




CONVJ;;NTION NATlONAU: (1792.). 309
nistre répond a la place du roi. Pour tous les
actes de ce genre , il existe une garantie dans
la responsabilité ministérielle, et l'inviolabilité,
n'étant pas l'impunité, cesse d'etre absurde.
Mais pour tous les actes secrets, comme les
trames cachées, les intelligences avec l'ennemi,
les trahisons enfin, un ministre est-il Hl pour
contre-signer et l'épondre? Et ces derniers ac-
tes cependant resteraient impuuis, yuüique les
plus graves et les plus coupables de tous!
Voila ce qui est inadmissible, et il fau t recon-
naitre que le rOÍ, inviolable pour les actes de
son administration, cesse de l'etre pouI' les
actes secrets et criminels qui attaquent la su-
reté publique. Ainsi un député, inviolable
pOUI' ses fonctions législatives, un ambassa-
deur pour ses fonctions diplomatiques, ne le
sont plus pour tous les autI'es faÍts de leur vie
privée. L'inviolabilité a dOllc des bornes, et il
est des points sur lesquels la personne du roí
cesse d'etre inattaquable. Dira-t-on que la dé-
ehéance est la peine pronollcée contre les per-
fidies dont un ministre ne répond pas? C'est-
a -dire, que la simple privation du pOllvoil'
serait la seule peine qu'on infligerait au mo-
llarque, ponr en avoir si horrihlement abusé!
Le peuple qu'il aurait trahi, livré au fer étrali-
gel', el a tous les fléal1x a-Ia-fois, se bOl'uel'ait




3, o RÉVOLUTION J'RAN~AJSE.
a lui dire : Retirez-vous. Ce serait la une jus-
tice illusoire, et une nation ne peut pas se
manquer ainsi a elle-meme, en laissallt im-
puní le crime commis contre son existenee et
sa liberté.


« Il fant, ajontaient les memes orateurs, il
faut a la vérité une peine eonnue, renfermée
dans une loi antériew'e, pour pouvoir l'appli-
quer a UIl délit. Mais n'y a-t-il pas les peines
ordinaires eontre la trahison? Ces peines ne
sont-elles pas les memes dans tous les eodes?
Le monarque n'était-il pas averti, par la mo-
rale de tous les temps el de tons les lieux, que
la: trahison ,est un erime; et par la IégisIature
de tous les peuples, que ce erime est puní du
plus terrible des chatiments? 11 fallt, outre
une loi pénale, un tribunal. Mais voici la na-
tion souveraíne qui réunit en elle tous les
pouvoirs, celui de juger eomme eclui de faire
les loís, de faire la paix ou la glierre; elle est
¡ci avec sa toute-puissance, avee son univer-
saIité, et il n'est aucune fonction qu'elle ne
soit capable de rempliI'; eette nation, c'est la
convention qui la représente, avec mandat de
tout faire ponr elle, de la venger, de la eons-
tituer, de la sauver. La convention est done
compétente pour juger Louis XVI; elle a des
pouvoirs suffisants; elle est le tribullal le plus




CONVENTION NA.TIONALE (1792). 311
indépendant, le plus élevé, qu'un accusé puisse
choisir; et , a moins qu'il ne lui faille des par-
tisans, ou des stipendié1í de l' ennemi, pour
ohtenir justice, le monarque ne peut pas dé-
sirer d'autres juges. A la vérité, il aura les me-
mes hommes pour accusateurs el juges. Mais
si, daos les trihunaux ordinaires, exposés dans
une sphere inférieure a des causes individuelles
et particulieres d'erreur, 011 sépare les fone-
tions, et OH empeche que l'accnsation ait lJOur
arbitres ceux qui l' Ollt soutenue, dans le con-
seil général de la nation, qui est placé art-
dessus de tous les intérets, de tons les motifs
indlViduels, les memes précautions ne sont
plus nécessaires. La nation ne saurait errer,
et les députés qui la représelltent partagent
son infaillibilité et ses pouvoirs.


« Ainsi, continuaient les adversaires de l'i11-
violabilité, l'engagement contracté en J 791 ne
pouvant lier·la souveraineté natiollale, eet en-
gagemellt étant salls aucune réciprocité, et
renfermant d'ailleurs une c1ause absurde, eeHe
de laisser la trahison impunie, est tOl/t-a-fait
nul, et Louis XVI peut etre mis en cause.
Quant a la peine, elle a été counue de tout
lemps, elle s' est trouvée dans toutes les lois.
Quant au tribunal, il est dans la conventioll
revetue de tons les ponvoit's législatifs, exé-




312 ItÉVOLUTION fRAN<;:AISE.


cutifs et judi(.::i¡lires. Ces orateurs dcmandaieut
done, avec le comité: que Louis XVlfut j ugé,
qu'ille fUt par la convention nationale; qu'un
acte énonciatif des faíts a lui imputés fUt
dressé par des commissaires choisis; qu'il com-
parut en perSOllne pour y réporulre; que des
conseil~ lui fussent accorrlés pOllr se défendre;
et qu'immédiatement apres !'avoir enteudu, la
convention pronon~at son jugement, par ap-
pel nominal. »-


Les défenseurs de l'inviolabilité n'avaient
laissé aucune de ces raispns sans réponse, et
avaient réfuté tout le systeme de leUl's adyer-
saires.


((- On prétend, disaient-ils, que la natíon n'a
ras pu aliéner sa souveraíneté et s'interdire le
droit de punir un attentat commis contre elle-
meme; que l'inviolabilité prollollcée eH ] 791
ne liait que le corps législatif, mais point la
nation elle-meme. D'ahord, s'U est vrai que la
sOllveraineté nationale ne puisse ras s'aIiéner,
et s'interdire de renouveler ses loís, jI est vrai
aussi <.Ju'elle ue peut rien sur le p¡¡ssé; aim,¡
elJe ne sanrait faire q'Je ce qui a été ne soit
pas; elle ne peut point empecher que les lois
qu'elle avait portées aient eu leur effet, et que
ce qu'elles absolvaient soit absous; elle peut
bien pour l'avenir déclarer que les monarque~






CONVENTlON N ATJON ALE (J 792). :1 J 3
ne seront plus inviolables, mais, pour le passé,
elle ne peut pas empecher qu'ils le soient,
puisqu'elle les a déclarés tels; elle ne pent sur-
tont rompre les engagements pris avec des
tiers, ponr lesquels elle deveuait simple partie
en traitant avec eux. Ainsi done la souveraineté
nationale a pu se lie!' pour un temps; elle l'a
vOl1lu d'une maniere absolue, non seulement
pour le eorps législatif, auquel elle interdísait
toute aetion judiciaire eontre le roí, mais ponr
elle- meme, car le but politique de l'inviola-
hilité eut été manqué, si la royauté n'eút pas
été mise hors de toute atteinte ql1elconque, de
la part des autorités constituées, comme de la
part de la nation elle-meme.


(( Quant au défaut de réciprocité dans l'exé-
cution de l'engagement, tout a été prévlI. Le
manque de fidélité a l'engagement a été prévu
par l'engagement meme. Toutes les manieres
d'y manquer sont comprises dans une seule,
la plus grave de toutes, la guerre a la natioll,
et sont punies de la déehéance, e'est-a-dire
de la résolution dn eontrat existant entre la
nation et le roi. Le défaut de réciprocité n'est
done pas une raisan ql1i puisse délier la nation
de la promesse de l'inviolabilité.


« L'engagement était done réel et absolu,
commun a la nalion comme au eorps législatif;




1 f 4 níVOLUTION FRAN(lAISE.
le défaut de réciprocité était prévu, et ne peut
etre une cause de nullité; on va voir enfin que,
dans ]e systt~me de la monarchie, cet engage-
ment n'était point déraisonnable, et qu'il ne
peut périr pour canse d'absurdité. En effet,
eette in violabílité ne laissait, quoi qu' on en ait
dit, aucun crime impuni. La responsabilité
ministérielle atteignait tous les actes, paree
qu'un roi ne peut pas plus conspirer que gou-
verner sans agents, et ainsi la justice publique
avait toujours prise. Enfiu ees erimes seerets,
différents des délits ostensibles d'administra-
tion, étaíent prévus et punis de la déchéance,
cal' toute faute de la part du roí se J'éduisait,
dans cette législation, a la cessation de ses
fonctions. On a opposé a cela que la déehéance
n'était pas une peine, qu'elle n~était que la
privation de I'instrument dont le monarque
avait abusé. Mais, dallS un systeme ou la per-
sonne royal e devait etre inattaquable, la sévé-
rité de la peine n'était pas 'ce qui importait le
plus; l' essentiel était son résultat politique, et
ce résultat se trouvait atteint par ]a privation
du pouvoir_ D'ailleurs, n'est-ce done pas une
peine que la perte du premier treme de I'uui-
vers? Est-ce done sans une affreusc donlellr,
que l'on perd une couronne qu'ell naissant 011
trouva sllr sa tete, avec laqnelle on a vécu,




CONVENTION NATION ALE (1792). 3 J 5
sons laqueIle on a été adoré vingt années? Sur
des erenrs nourris dans le rang supreme, ce
suppliee n'est - iI pas égal a celui de la mort?
D'ailleurs, la peine fUt - elle trop donce, elle
est telle, d'apres une stipnlation expresse, et
une insuffisance de peine ne peut etre dans
une loi une cause de nullité. n est eonvenu en
législation crimÍnelle, que toutes les fautes de
la législation cloivent profiter a l'accusé, paree
qu'il ne faut. pas faire porter au faíble désarmé
les erreurs du fort. Ainsi done l' engagement ,
démontré valable et absolu, ne renfermait rieu
d'absurde; aucune impullíté n'y étaít stipulée,
et la trahison y trouvait son ehatiment. n n'est
done besoin de reeourir ni au droit natnrel,
ni a la nation, puisque la déchéanee est déjit
prononeée par une loi antérieure. Cette peine,
le roi l'a subie, sans un tribunal qni la pro-
nonc;at, et d'apres la sellle forme possible,
eeHe d'une illsurreetion llationale. Détroné en
ce moment, hors de toute possibilité d'agir,
la Franee ne peut plus rien eontre lui, que dp
prendre des mesures de poliee pOlll" sa surdÚ.
Qu'elle le bannisse hors de son territoire pour
sa propre séeurité, qu'elle le détienne meme,
si elle vent, jusqu'a la paix, ou qu' elle le laisse
dans son sein redevenir homme, par l'exercice
de la vie privée : voila tout ce qn'elle doit, et




3 J 6 RÉVOLUTION FRAN~AISK
tout ce qu'elle peut. Il n'est done pas néccs-
saire de constituer un tribunal, d' examiner la
compétence de ]a convention: le JOaoút, tout
fut fini pour Louis XVI; le 10 aout, il cessa
d'etre roi;le 10 aout, iI fut mis en cause, jugé,
déposé, et tout fut consommé entre lui et la
nation. )) '--


Telle était la réponse que les partisans de
l'inviolabilité opposaient a leurs ad versaires.
La souveraineté nationale entelldue eomme on
l'entendait alors, leurs réponses étaient victo-
rieuses, et tons les raiSOllllements du comité
de législationu'étaient que de laborieux sophis-
mes, sans franchise et sans vérité.


On vient de lire ce qui se disait de part et
d'autre clans la discussion réguliere. Mais, de
l'exaltation des esprits et des passions, nais-
saient un autre systeme et une autre opinion.
Aux Jacobins, dan s les rangs de la Montaglle,
on se demandait déja s'il était nécessaire d'une
discussion, d'un jugement, de formes enfin,
pour se délivrer de ce qu'on appelait un tyran,
pris les armes a la main, et versant le sang de
la Ilatioll. Cette opillion eut un organe terrible
dans le jeune Saint-Jllst, fanatique austere el
froid, qui a vingt ans méditait une société tout
idéale, ou régneraient l'égalité absolue, la sim ..
plicité, l'austérité et une force indestructible.




CONVF.NTION NATIONAI.E (1792). :117
Long-tcmps avant le 10 aout, il revait, dans les
profondeurs de sa sombre intelligence, cette
société surnaturelle, et il était arrivé, par fa-
natisme, a cette extrémité des opinions hu-
maines, a laquelle Robespierre n'était parvenu
qu'a force de haine. Neuf au milieu de la
révolution, dans laquelle il entrait a peine,
étranger encore a toutes les luttes, a tous les
torts, á tous les crimes, rangé dans le parti
des montagnards par ses opinions violentes,
charmant les jacobins par l'audace de son es-
prit, captivant la convention par ses talents,
il n'avait cependant pas encore acquis une re-
nommée populaire. Ses idées toujours bien
accueillies, mais pas toujours comprises, n'a-
vaient tout leur effet que lo.rsqu'elles étaient
devenues, par les plagiats de Robespierre , plus
eommunes, pI us claires et plus déclamatoires.


Il parla apres Morisson, le plus zélé des
défenseurs de l'inviolabilité, et, sans employer
les personnalités eontre ses adversaires, paree
qu'il n'avait pas encore eu le temps de con-
tracter des haines personnelles, il ne parut
s'indigner d'abord que des petitesses de l'as-
semblée, et des arguties de la discussion ".
(1 Qlloi! dit-il, vous, le comité, ses adversaires,


• Séance !lu 11 novembrp.




3, B RÉVOLUTION FRAN~AISJc.
« vous cherchez péniblement des formes pour
« juger le ci - devant roí 1 vous vous efforcez
« d'en faire un citoyen, de l'élever a eette qua-
« lité. pour trouver des lois qui lui soient ap-
« plicables 1 Et moi ,au eontraire, je dis que le
ce roi n'est pas un citoyen, qu'il doit etre jugé
« en ennemi, que nous avons moins a le juger
« qu'a le eombattre, et que n'étant poul' rien
c( dans le contrat qui unit les Fran¡;ais, les
C( formes de la proeédure ne sont point dans
« la loí civile, mais dans la loi du droit des
c( gens ..... j)


Ainsi done Saint - Just ne' voit pas dans le
proees une question de justiee, mais une ques-
tion de guerreo (e Juger un' roi comme un ci-
« toyen! Ce mot, dit - il, étonnera la postérité
c( froide. Juger, c'est appliquer la loi; une loi
« est un rapport de justiee : quel rapport de
ce justiee y a-t-il done entre I'humanité el les
« rois?


« Régner seulement est un attentat, une
(f usurpatioo que rien ne peut absoudre, qu'uP,
({ peuple est coupable de souffl'ir, et eontre
(e laquelle chaque homme a un droit tout per-
C( sonnel. 00 ne peut régner innocemment,
« la; folie en est trop grande. II faut traiter
I( cctte usurpation eomme les roí s eux-memes
« tr::litent ceHe de lenr prétendlH' <lntorité. NI-'




..


CONVENTlON N ATION ALE (1 792 J. 3 J 9
(( fit-on pas le proces a la mémoire de Crom-
(c well, pour avoir usurpé l'autorité de Char-
« les ¡er? Et certes, l'un n'était pas plus usur-
cc pateur que l'autre; cal' lorsqu'un peuple est
(( assez lache pour se laisser dominer par des
(( tyrans, la domination est le droit du premier
«( venu, et n'est pas plus sacrée, pas plus lé-
( gitime sur la tete de l'un que sur ceHe de
( l'autre!))


Passant a la question des formes, Saint-Just
n'y voit que de nouvelles et inconséquentes
erreurs. Les formes dans le proces ne sont que
de l'hypocrisie; ce n' est point la maniere de
procéder qui a justifié toutes les vengeallces
connues des peuples contre les rois, c'est le
droit de la force contre la force .....


(cpn jour, s'écrie-t-il, on s'étonnera qu'au
I( XVIlle siecle on ait été moins avancé que
«( du temps de César: la le tyran fut irnmolé
(( en pleill sénat, sans autre formalité que
({ vingt-trois coups de poignard, et san s autre
« loi que la liberté de Rome. Et aujourd'hui,
« on faÍt avec respect le proces d'un homme as-
(( sassin u'un peuple, pris en flagrant délit ! .... )


En,visageant la question sous un autre rap-
port, tout étranger a Louis XVI, SaÍnt - Just
s'éleve cOlltre la subtilité et la finesse des es-
pri ts, quí nuisent, dit-il, aux grandes choses.




32U RÉVOLllTION FRAN~AlS¡':.
La vie dé Louis XVI n'est rien, c'est l'esprit
dont ses jllges vont faire preuve quí l'inquiete;
e'est la mesure qu'ils vont donner d'eux-memes
qui le frappe. « Les hommes qui vont juger
« Louis ont une répnblique a fonder, et eeux
('( 'qui attachent quelque importance au juste
« chatiment d'un roi ne fonderont jamais une
re république ..... Depuis le rapport, une eer-
« taine incertitude s'est manifestée. Chaeun
¡( rapproche le proces du roi de ses vues parti-
« clllieres : les Bns semblent craindre de porter
I( plus tard la peine de leur eourage; les autres
« n'ont paint renoneé a la monarchie; ceux-ei
« eraignent un exemple de vertu qui serait un
« líen d'unité .....


« Nous 1l0llS jugeons tons avec sévérité, je
« dirai meme avec fureur; HOUS ne songeons
« qn'a. modifier l'énergie du pellple et de la
l( liberté, tandis qu'on accn~e a peine l'ennemi
« comnnm, et que tont le monde, OH rempli
" de faiblesse, on engagé dans le <:rime, se re-
« garde avant de frapper le premier COllp!


« Citoyens, si le peuple roma'in , apres six
(( cents ans de vertu et de haine contre les
« rois, si la Grande-Bretagne, apres Cromwell
« mort, vit renaltre les rois malgré son énergie,
« que ne doivent pas craindre parmi nous les
( hons citoyens, amis de la libertp, en voyant




CONVJ::I'l'1'lON NATlONALI:: (179~). 3·).1
« la hache trembler dans nos mains, et un
« peuple, des le premier .lour de sa liberté,
« respecter re souvenir de ses fers? Quelle ré~
« publique voulez - vous établir au milieu de
« nos eombats particuliers et de nos faiblesses
« communes? ... Je ne perdrai jamais de vue,
« que l'esprlt avec lequel on jugera le roi sera
« le meme que celui avec lequel on établira la
« république ..... ' I,a mesure de votre philoso-
« phie dans ce jugement , sera allssi la mesure
(( de volre libet,té clans la constitution! » ,


n était pourtant des esprits qui, moins fa-
natisés que Saint-Just, s'effon;aient de se pla~
cer dans des rapports plus vrais, et tachaient
d'amener l'assemblée a considérer les choses
sous un point de vue plus juste, « Voyez, avait
« dit Rouzet (séance du 15 novembre), la,vé-
« ritable sitllation du roí dans la c.onstitution
« de J 79J, Il était plaeé en préseoce de la ,re":
« p, ésentation nation~le pour rivaliser ,avec
( elle. N'était - il pas naturel qu'il chercMt a
« recouvrer le plus possibJe du pouvoir qu'il
« avait perclu? N'était-ee pas vous qui lui av~t'z
« ouvert cette lice, et qui l'aviez appelé él, y
« lutter avec la puissallce législative? Eh bien!
({ dans eette lice, il a été vaiocu; iI est s~ul,
« désarmé, abattu aux p~e~s de vingt-cinq luil-
(( lions d'hommes, et ,ces-. ~Viflgt - pi~lq miUions


IIJ. :.u




322 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
le d'hommes auraient l'inutile lacheté d'immo-
«ler le vaincu! D'ailleurs, ajoutait Rouzet 1
« cet éternel penchant a dominer, penchant
« qui remplit le creur de tous les hommes,
« Louis XVI ne Yavait - iI p::ts réprimé dans le
« sien, plus qu'aucun souverain du monde?
(e N'a-t-il pas fait en 1789 un saerifiee volon-
/( taire d'une partie de son autorité? N'a-t-il
« pas renoneé a une partie des droits que ses
« prédécesseurs s'étaient permis d'exercer?
« N'a-t-il pas abolí la servitude dans ses domai-
« nes?~ N'a-t·il pas appelé. dans ses conseils les
« ministres philosophes, et jusqu'a. ces empi-
« riques que la voix publique lui désignait?
« N'a-t-íl pas convoqué les états-généraux, et
« rendu au tiers-état une partie de ses droits ?))


Faure, député de la Seine-II1férieure, avait
montré plus de hardiesse encore. Se rappelant
la conduite de Louis XVI, il avait osé en ré-
veiller le sóuvenir. « La volonté du peuple,
f.( avait·il dit, aOrait pu sévir contre TitllS, aussi
« bien que contre Néron, et eHe" aurait pu lui
« tronver des crimes, ne fussent que ceux
« commis devant Jérusalem. Mais ou sont ceux
« que vous imputez a Louis XVI? J'aí mis
« toute mon attention aux pieces lues contre
« lui; je" &y ai trouvé que la faiblesse d'un
\( homlI'lequi se laisse alter a toutes les espé-




CONV:ENTION NATIONALE (J 792). 323
« rances qu'on l,ui donne de recou.vrer son an~
( cienne autorité; et je soutiens que tous les
« monarques morts dans leur lit étaient plus
« coupables que lui. Le hon Louis XII meme,
« en s-acrifiant en Italie cinquante mille Fran-
« .,;ais pour sa querelle particuliere, était mille
c( fois plus criminel! Liste civile, véto, choix
( de ses ministres, femmes, parents, courti-
( sans, voilit les sédu<::tcllrs de Capet! et quels
« séducteurs! J'invoque Aristi<le,Épictete; qu'ils
« me disent si leut" fermeté eut tenll a de telles
{( épreuves. C'est sur le c~ur des débiles mor-
« tels que je fonde mes príncipes ou mes er-
« reurs" Élevez-vous donc a toute la grandeur
« de la souveraineté nationale; concevez tout
( ce qu'une teHe puissance doit comporter de
( magnanimité. Appelez Louis XVI,non comme
« un coupable, mais comme un Fram;ais, et
« dites-Iui: Ceux qui t'avaient jadis élevé sur
« le pavois, et nommé leur roí, tedéposent
« aujourd'hui; tu avais promis d'etre leur pere,
« et tu ne le fus pas ..... Répare, par tes ver-
« tus commecitoyen, la conduite que tu as
« tenue comme roí. »


Dans l'extraordinaire exaltation des csprits,
chacun était conduit a envisager la question
so os des rapports différents. Fauchet, ce pre-
tre constitutionnd qui s' était rendu célebre en


21.




32.4 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
17B9, pour avoir porté dans la chaire le lan-
gage de la révolution, avait demandé si la so-
ciété avsit le droit de porter la peine de mort *.
(c La société, avait-il dit, a-t-eHe le droit d'ar-
cc racher a un homme la vie qu'elle ne lui a pas
ce donnée? Sans doute elle doit se conserver;
c( mais est-i1 vraí qu'elle ne le puisse que par
c( la mort du coupable? Et si eHe le peut par
cc d'autres moyens, n'a-t-cHe pas le droit de les
( employer? Dans cette cause, ajoutait-il, plus
(( que dans aucune autre, eette vérité est sur-
ce tout applieable. Qnoi 1 c'est pour l'intéret
(' public, e'est pour l'affermissement de la ré-
c( publique naissante que vous allez immoler
ce Louis XVI! Mais sa famille entiere mourra-
« t-eHe du meme eoup qui le frappera lui-meme?
r( D'apres le systeme de l'hérédité,un roi ne sue-
« cede-t-il pas immédiatement a un autre? Etes-
" vous débarrassés, par la mort de Louis XVI,
ce des droits qu'une famille entiere eroit avoir
« re(,;us d'une possession de plusieurs siecles?
« La destrllction d'un seul est donc inutile. Au
« contraire, laissez subsister le chef actuel qui
(e ferme tont acd~s anx antres; laissez-Ie exis-
« ter avee la haine qn'iJ inspire a tous lei aris-
c( toerates pour ses ineertitudes, ses con ces-


" Séance dll ] 3 novembl'e.




CONVENTION NATIONALE (1792). 325
{( sions; laissez-Ie exister avec sa réputation de
,{ faiblesse, avec l'avilíssement de sa défaite, et
{( vous aurez moins a le craindre que tout au-
« treo Laissez ce roi détróné errer dans le vaste
« sein de votre république, sans ce cortége
« de grandeur qui l'entourait; montrez com-
« bien un roí est peu de chose réduit a lui-
'{ meme; témoignez un profond d~dain pour
« le souvenir de ce qu'il fut, et ce souvenír ne
« sera plus a crailldre; vous aurez donné une
« grande le~on aux hommes; vous aurez faít
« pour la république, sa sureté et son instruc-
« tion, plus qu'en versant un sang qui ne vous
« appartient pas. Quaut au fils de Louís XVI,
« ajoute Fauchet, s'il peut devenir un homme,
c( nons en ferons un citoyell, comme le jeune
«( Egalíté. Il combattra pour la république, et
f( nous n'aurons pas peur qu'nn seul soldat de
( la liberté le seconde jamais, s'il avait la dé-
« menee de vouloir devenir un traitre a la pa-
(, trie. Montrolls ainsi aux peuples que nous
« ne craignons rien; engageons-Ies a·nous imi-
« ter; que fous ensemble ils forment un con-
« gres européen, qu'ils déposent leurs sOllve-
« rain s , qu'ils envoient ces etres chétifs trainer
« leur vie obseute le long des républiques, et
« qu'ils leur donnent meme de petites pensions.
« cal' ces etres-la sont si dénués de faculté:o.,




326 RlivOLU'flON liRAN'1A.ISK
« que le besoin meme ne leur ~pprelJdrait pas
« a gagner du pain! Donnez done ce grand
(,( exemple de l'abolition d'une peine barbare.
ce Supprimez ce moyen inique de l'effusion du
(e sang, et surtout guérissez le peuple dll be-
( soin qu'il a de le répandre. Tachez d'apaiser
({ en luí eette soíf que des hommes pervcrs
« voudrai€fnt exciter pour s'en servir a boule-
« ver ser la république. Songez que des hommes
« barbares vous demandent encare cent cín-
« quante mille tétes, et qu'apres letir avoir ac-
« cordé celle du ci~devant roi, vous ne pourrez
« leur en refuser aucune. Empechez des erimes
« qui agiteraient pour long-temps le seín de la
" républíque, déshonoreraient la liberté, ra-
ce lentiraient ses progres, et nuiraient a l'accé-
« lération du bonheur du mond-e. »)


Celte diseussion avait duré depuis le 13 j us~
qu'au 30 novembre, et avait excité une agita-
tíon générale. Ceux dont le nouvel ordre de
choses n'avait pas entierement saisi J'imagina-
tío n , et qui conservaient quelque souvenir de
1789, de la bonté du monarque, de l'amour
qu'on lui porta, ne pouvaicnt comprendre que
ce roi, tout-il-coup transformé en tyran, fút
dévoué a l'échafaud. En admettant meme ses
intelligences avec l' étranger, jIs imputaient ceUe
faute a sa faiblesse, a ses entours, a cet inviu-




CONVENTION NATIONALt: (1792). 327
cible amour du pouvoir hérédi taire, et l'idée
c1'un supplice infame les révoltaít. Cependant
¡ls n'osaient pas prendre ouvertement la dé-
fense de Louis XVI. Le péril récent auquel
nous venions d'etre exposés par l'invasion des
Prussiens, l' opiníon généralement répandueque
la cour était la cause secrete de cet envahisse-
ment de nos frontieres, avaient excité une ir-
ritation qui retombait sur I'infortuné monar-
que, et contre laquelle on n'osait pas s'élever.
On se contentait de résíster d'une maniere
générale contre ceux qui demandaient des ven-
geances; on les peignait comme des instiga-
teurs de troubles, eomme des septembriseurs,
qui voulaient couvrir ,la Franee de sang et de
ruines. Sans défendre nommément Louis XVI,
on demandait la modération envers les enne-
mis vaincus. On se recommandait d'etre en
garde contre une énergie hypocrite, , qui, en
paraissant défendre la république par des sup-
plices, ne cherchait qu'a l'asservir par la ter-
reur, ou a la compromettre envers l'Europe.
Les girondins n'avaient pas encore pris la pa.,
role. On supposait, plutot qu'on ne connaíssait,
Ieur opinion, et la Montagne, pour avoir oc-
casion de les accuser, prétendait qu'ils vouIaient
sauver Louis XVI. Cependant ils étaient incer-
tajus dans cette Cause. D'une part, rejetaqt


¿




328 RÉVOLUTlON FRAN~AJSF.
l'inviolabilité, et regardant Louis XVI eomme
complice de l'invasion étrangere, de I'autre,
émus en présence d'une grande infortune, et
portés en toute occasion a s'opposer a la vio-
lenee de leurs adversaires , ils ne savaient quel
parti prendre , et íls gardaient un silence équi-
voque et menac,;ant.


Une autre qllestion agitait en ce moment
les esprits, et ne produisait pas moins de trou-
bIes que la précédente : c'était eelle des sub-
sistances, qui avaient été une grande cause de
discorde a toutes les époques de la révolution.


,On a déjit vu combien d'inquiétudes et de
peines elles avaient causé a Bailly et a Necker,
pendant les premiers temps de J 78~} Les me-
mes diffieultés se présentaient plus grandes en-
core a la fin de 1792, acc,ompagnées des mon-
vemen ts les plus dangereux. La sllspensioll du
commerce pour tous les objets qui ne sont
pas de premiere nécessité, peut bien faire souE·
frir l'industrie, et a la longueagir sur les
c1asses ouvrieres; mais quand le blé, premier
alimeut, vient a manquer, le trol1ble et le dé-
sordre s'ensuivent immédiatement. Aussi l'an-
eieuue poliee avait·elle rangé le soindes sub-
sistances au rang de ses attributions, comme
un des objets qui intéressaient le plus la tran-
quillité publique.




CONVENTlON N ATlON ALI<: (1792). 329
Les blés ne manquaient pas en 1792; mais


la récolte avait été retardée par la saison, et en
outre le battage des grains avait été différé par
le défaut de bras. Cependant la plus grande
cause de disette était ailIenrs. En 1792 comme
en 1789, le Mfaut de súreté, la crainte du pil-
lage sur les routes, et des vexations dans les
marchés, emptkhaient les fermiers d'apporter
]eurs denrées. On avait crié aussitot a l'acca-
parement. Oll s'était élevé surtout contre ces
fiches fermiers qu'on appelait des aristocrates,
et dont les fermages trop étendus devaieut,
disalt-on, etre divisés. Plus on s'irritait contre
eux, moins ils étaient disposés a se montrer
dans les marchés, et plus la disette augmen-
tait. Les assignats avaient aussi contribué a la
produire. Beaucoup de fermiers, qui ne ven-
daient que pour amasser, ne voulaient pas
accumuler un papier variable, et préféraient
garder lellrs grains. En outre, comme le blé
devenait chaque jour plus rare et les assignats
plus abondants, la disproportion entre le signe
et la chose s'était constamment accrue, et le
renchérissemcnt augmentait d'une maniere de
plus en plu~ sensible. Par UlI accident ordinaire
dans tOlltes les disettes, la prévoyance étant
éveillée par la érainte , chaclln voulaít faire des
approvisionnements; les familles, les munici-




330 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
palités, le gouvernement, faisaient desachats
considérables, et rendaient ainsi la denrée en-
core plus rare et plus chere. A París surtout,
la municipalité commettait un abus tres-grave
et tres-ancien : elle achetait des blés dans les
départements voisíns, et les. vendait au-des-
sous du prix, dans la double intention de
sOl1lager le peuple et de se popuIariser encore
davantage. Il résultait de cela, que les mar-
ehands, écrasés par la rivalité, se retiraient du
marché, et que la population des campagnes,
attirée par le bas prix, venait absorber une
partie des subsistanees rassemblées a grands
frais par la police. Ces mauvaises mesures,
inspirées par de fausses idées économiques el
par une ambition de popularité excessive,
tuaienl le commerce, nécessaíre surtout a
París, oú iI faut accumuler sur un petit. espace
une quantité de grains plus grande que nuBe
autre part. Les causes de la disette étaient done
tres-multipliées : d'abord la terreur des fer-
miers qui s'éloignaient des marchés, le ren-
chérissement provenant des assignats, la fu-
reur de s'approvisionner, et enfin l'intervention
de la municipalité parisienne , qui troublait le
commerce par sa puissante eoneurrence.


Dans des difficultés pareiUes, il est facile de
deviner quel partí devaient prendre les dcux




CONVENTION NATIONAI,E (1792). 33.
classes d'hommes qui se partageaient la souve-
raineté de la France. Les esprits violents qui
avaient jllSqll'ici voulu écarter toute opposi-
tion nn détruisant les opposants; qui, pour
empecher les conspirations, avaient immolé
tous ceux qu'ils suspectaient de leur etre con-
traires, de tels esprits ne concevaient, pour
terminer la disette, qu'un moyen, c'était tou-
jours la force. IIs voulaient qu' on arrachat les
fermiers a leur inertie, qu'on les obligeat a se
rendre dans les tnarchés, que la ils fussent
contraints de vendre leurs denrées a llIl prix
fixé par les communes; que les grains ne quit-
tassent pas les lieux, et n'allassent pas s'accu-
muler clans les greniers de ce qn'on appelait les
accapareurs. Ils demandaient done la présence
forcéc des commerc;ants dans les marchés, la
taxe des prix on maximum, la prohibition de
toute circulation, enfin l'obéissance du com-
merce a leurs désirs, non par l'attrait ordinaire
dn gain , mais par la crainte des peines et de
la mort.


Les esprits modérés désiraient au contraire
qu'on laissat le commerce reprendre son conrs,
en dissipant les craintes des fermiers, en les
laissant libres defixer lenrs prix, en leur pré-
sentant l'attrait d'nn échange libre, sur et
avantageux, en permettant la circulation d'uu




332 RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
département a l'autre, pour pouvoír secourir
ceux qui ne produisaient pas de blé. Ils pros-
crivaient ainsi la taxe, les prohibitions de toute
espece, et réclamaient avec les économistes
rentiere liberté du eommerce des grains, dans
l'étendue de la Franee. D'apres l'avis de Barba-
roux, assez versé dans ces matieres, ils deman-
daient que l'exportation a l'étranger fUt sou-
mise a un droit qui a'ugmenterait quand les
prix viendraient a s'élever, et qui renorait ainsi
]a sortie plus diffieile quand la présence de la
denrée serait plus néeessaire. Ils n'admettaient
l'intervention administrative que pour l'éta-
blissement de certains marebés, destinés aux
eas extraordinaires. lIs ne voulaient employeI'
la sévé.'ité que eontre les perturLateurs qUl
violenteraient les fermiers sur les routes ou
dans les marehés; ils rejetaient enfin l'em-
ploi des chatiments a l'égard du commerce,
car la erainte peut ctre un moyen de répres-
sion, mais elle Il'est jamais un moyen d'ae-
tion; elle paralyse, mais elle u'anime pas les
hommes.


Quand un partí devient maltre dans un état,
il se faÍt gouvernement, et bientot forme les
vreux et eontracte les préjugés ordinaires de
tout gouvernement; iI veut a toul prix faire
avaneer toutes choses, et employer la fmee




CONVt:NTlON N ÁTlON ÁLE (1792). 333
eomme moyen universel. e'est ainsi que les ar-
dents amis de la liberté avaient pour les sys-
temes prohibitifs la prédileetion de tous les
gouvernements, et qu'ils trouvaient pour ad-
versaires eeux qui, plus modérés, voulaient
no," seulement la liberté dans le but, mais dans
les moyens, et réclamaient sureté pour leurs
ennemis, lenteur dan s les formes de la justice,
et liberté absolue du eommeree.


Les girondins faisaient done valoir tous les
systemes imaginés par les esprits spéeulati['j
contre la tyrallnie administrative; mais ces
nouveaux éeonomistes, au lien de rencontrer,
comme autrefois, un gouvernement honteux
de lui-nH~me, et toujours condamné par l'opi-
nion, tronvaient des esprits ellivrés de ,'idée du
salut publie, et qui croyaient que la force em-
ployée pour ce but n'était que l'énergie dn
bien.


eette discussion amenait un autre sujet de
graves reproches : Roland aeeusait tous les
jours la eommune de malverser dans les subsis-
tances, et de les faire rellchérir a Paris, en
réduisant les prix par une vaine ambitioIl de
popularité. I,es montagnards répondaient a
Roland, en l'aeeusant lui-meme d'abuser de
sommes considérables, affeetées a son minis-
tere pour l'achat des grains, d'etre le chef des






334 RÉVOLUTION FRA.N~AJSE.
accapareurs, et de se faire le véritable dicta-
teur de la France, en s'emparant des subsis-
lances.


Tandis que pour ce sujet on disputait dans
l'assemblee, on se révoltait dans certains dé-
partements, et particulierement dans celui
d'Eure-et-Loir. Le peuple des campagnes, ex-
cité par le défaut de pain, par les instigations
des curés, reprochait a la convention d'etre la
cause de tous ses maux; et tandis qu'il se plai-
gnait de ce qu'elle ne voulait pas taxer les grains,
ill'accusait en meme temps de :vouloir détruire
la religion. C'est Cambo n qúi était cause de ce
dernier reproche. Passionné rOUI' les écono-
mies qui ne portaient pas sur la guerre, iI
avait annoncé qu'on supprimerait les frais du
culte, et que ceux qui voudraient la messe la
paieraient. Aussi les insurgés ne manquaient
pas de dire que lareligion était perdue, et, par
une contradiction singuliere, ils reprochaient
a la convention, d'une part la modération en
matiere de su~sistances, et de l'autre la violence
a l'égard du culte. Deux membres; envoyés
par l'assemblée, trollverent aux environs de
Courville un rassemblement de plusieurs mille
paysans, armés de fourches et de fusils de
chasse, et iIs furent obligés,. sons peine d'etre
assassinés, de signer la taxe des grains. lis y




CONVENTION NATIONALE (' 79'A): 335
consentirent, et la convention les désapprouva.
Elle déclara qu'ils auraient dñ mourir, et abolit
la taxe qu'ils avaient signée. On envoya ]a force
armée pour dissiper les rassemblements. Ainsi
commenc;aient les troubles de rOuest, par la
misere et l'attachement au culte.


Sur la proposition de Danton, l'assemblée,
pour apaiser le peuple deTOnest, déelara que
son ¡ntention n'étaÍt pas d'abolir la religion;
mais elle persista a repousser le maximum.
Ainsi, ferme encore au miIien des orages, et
conservant une suffisante liberté d'esprit, la
majorité conventionnelle se déclarait pour la
liberté <iu coinmerce contre les systemes prohi-
bitifs. Si on considere done ce qui se passait
dans les armées, dans les administrations, dan s
le proces de Louis XVI, on yerra un spectacle
terrible et singulier. Les hommes ardents s'exal-
tent, et veulent recomposer en entier les ar-
mées et les adminÍstrations pour en écarter les
tiedes ou les suspects; ils veulent employer la
force contre le commerce pour l'empecher de
s'al'reter, et déployer des vengeances terribles
pour effrayer tout ennemi. Les hommes mo-
dérés, au contraire, craignent de désorganiser
les armées en les renouvelant, de tuer le com-
merce en usant de contrainte, de soulever.les
esprits en employant la terreur; mais leurs ad-




336 REVOLUTION FRANc.;AISJi.
versaires s'irritent meme de ces cl'aintes, et
s'exaltent d'autant plus dans le projet de tout
renouveler, de tout forcer, de tout punir. Tel
était le spectacle donné en ce moment par le
coté gauche contre le coté droit de la conven-
tion.


La séance du 30 avait été fort agitée par les
plaintes de Rolalld contre les falltes de la muni-
cipalité, en matiere de subsistances, et par le
rapport des commissaires envoyés dans le dé-
partement d'Eure-et-Loir. Tout se rappelle a la
foís quand on commence le compte de ses maux.
D'une part, on avait rappelé les massacres, les
écrits incendiaires, de l'autre , les incertitudes,
les restes dn royalisme, les lenteurs opposées a
la vengeance nationale. Marat avait parlé et ex-
cité une rumeur générale. Robespierre prend la
parole au milieu du bruit, et vient proposer,
dit-il, un moyen plus puissant que tous les au-
tres pomo rétablir la tranquillité Pllbliq ue, un
moyen qui ramenera au sein de l'assemblée l'im-
partialité et la concorde, qui confondra les en-
nemis de la convell tiou natiouale, qui imposera
silence a tous les libellistes, a tONS les' auteurs
de placards, et déjollera leurs calomnies. -
Quel est, s' écrie- t-on, quel estce moyen? -
Robespierre reprend : « e'est de condamner de-
,( main le tyran des Fran~ais a la peine ele ses




CONVENTION NATIONALE (1792). 337
« crimes, et de détruÍre ainsi le point de rallie-
c( ment de tous les conspirateurs. Apl'es-demain
« vous statuel'ez sur les subsistances, et le jour
« saivant vous poserez les bases d'une consti-
( tution libre. ))


eette maniere tout a la foís emphatique et
astucieuse d'annoncer les moyens de salut, et
de les faire. consister dans une mesure com-
battue par le coté droit, excite les girondins,
et les oblige a s'expliquer sur la grande ques-
lÍon du pro ces. « Vous parlez du roí, dit Buzot;
« la Ümte des troubles est a ceux qui voudraient
c( le remplacer. Lorsqu'il sera temps de s'ex-
« pliquer sur son sort, je saurai le faire avec
« la sévérité qu'il a méritée; mais iI ne s' agit
«( pas de cela ici; il s'agit des troubles, et ils
« viennent de l'auarchie; l'anarchie vient de
({ l'inexécution des lois. Cette inexécution sub-
({ sistera tant que la conveution n'aura rien fait
« pour assurer l'ordre. » Legendre succede aus-
sitot a Buzot, conjure ses collegues d'écarter
toute personllaIité, de ne s'nccuper que de la
chose publique et des séditions qui, n'ayant
d'autre objet que de sauver le roi, cesseront
quaud i1 ne sera plus. Il pro pose done a l'as-
semblée d'ordonner que les opinions préparées
sur le proces soient déposées sur le bureau,
imprimées, distribllées a lous les membres, et


In. 2~




338 RÉVOLUTION FIL\N(:AISF.
qu'on décide ensuite si Louis XVI doit et!'(·
jllgé, sans perdre le temps a entendre de trop
longs discours. Jean -Bon - Saint-André s'écri('
qu'il n'est pas meme besoin de ces questiollS
préliminaires, et qu'il'ue s'agit que de pronoll-
eer sur-Ie-champ la condamnation et la forme
du supplice. La convention décrete enfin la pro-
position de Legendre, et l'impression de tous
les discours. La discussion est ajo !I rnée au 3 dé-
cembre.


Le 3, on réclame de toutes parts la mise en
cause, la rédaction de l'acte d'aecusation, et la
détermination des formes d'apres lesquelles le
proees doit s'instruire. Robespierre demande la
parole, et quoiqu'il eut été décidé que toutes
les opinions seraient imprimées et non lues, il
obtient d'etre enteudu, paree qu'il voulait par-
ler, non sur le proces, mais contre le proces lui-
meme, et pour une condamnation sans juge-
mento


Il soutient qu'instruire un proces, c'est ou-
vrir nne délibération; que permettre de délibé-
rer, c'est permettre le doute, et une solutioll
meme favorable á l'acclIsé. 01', mettre le crime
de Louis XVI en probleme, c'est accuser les
Parisiens, les fédérés, tous les patriotes enfin
qlli ont fait la révolutioll du ro aOlJt, c'est ab-
~oHllre LOllis X VI, les arislocrates, le,<; Pllis-




CO:'lVENTION NATIONAL1, (1792 ). 339
sanees étrangeres et leurs manifestes; c'est en
HU mot, déclarer la royauté innocente et la
répllblique coupable.


« Voyez aussi, continue Robespierre, quelle
«( audace ont acquise les ennemis de la liberté
«( depuis que vousavez pro posé ce doute! Dans
{( le mois d'aout dernier, les partisans du roí se
«( cachaient. Quiconque eút osé entrepreIldre
«( son apologie, eut été puni comme un traitre ...
t( AlIjourd'hui, ils relevent impunémeut un
«( front auclacieux; aujourd'hui, des écrits inso-
« lents inondent París et les départements; des
(( hommes armés et appelés dans ces murs a
({ votre insu, contre les lois, ont fait retentir
1( eette cité de úis séditieux, et demandent l'im-
« punité de Louis XVI! Il ne vous reste plus
« qu'a ouvrir eette enceinte a ceux qui briguent
« déja l'honneur de le défendre! Que dis-je! au-
« jourd'hui, Louis partage les mandataires du
({ peuple 1 On parle pour Oll contre luí! Il Y a
« deux mois, qlli eút pu soup~onner qu'ici ce
«( serait une question s'il était inviolable? Mais,
<.<. ajoute Robespierre, depuis que le citoyen
« Pétion a présenté comme une question sé-
( rÍense, el qui devait etre tl'aitée a part, ecHe
«( de savoir si le roí pOllvait etre jugé, les doc-
«( trines de l'assemblée constituante ont reparu
« icí. Ocrime!óhontella tribunedupeuple fran-


22_




340 1\ t:VOJ.UTION FIl A N~::HSE.
« (,'ais a retenti du panégyriqllede Louis XVI!
« Nous aVOIlS entendu vanter les vertus et les
(e bienf~tits dll tyran! Tandis que nous avons en
ce la plus grande peine pour arracher les meil-
« lenrs citoyens a l'injustice d'une décision pré-
« eipitée, la cause scule dI} Iyran est tellemenl
« sacrée, ql1'elle ne peut etre ni assez longuc-
« ment ni assez Iibrement discutée! Si nOlls en
I( croyons ses apologistes, le proces dllrera plu-
(( sieUl's moís : il atteindra l'époque du prÍn-
« temps prochain, ou les despotes doivent 110 11 S
« livrer une attaque générale. Et quelle car-
(( ríere ouverte aux conspirateurs! quel aliment
( donné a l'intrigue et a l'aristocratie'!,


( J liste cíel ! les hordes féroces d Il despolisn1l'
« s'appreteut a déchirer de Ilouveau le sein de
« notre patrie au nom de Louis XVI! LOllis
« combat encore eontre oous du fond de sa
« prison, et l' ou doutc s'íI est coupable, s'il est
«( permis de le traiter en enoemi[ 00 demande
( quelles soot les lois qlli le coodamoent! 0[1
« invoque eo sa faveur la coostitutiou !. ..... La
« constitution vous défendait ce que vous avez
« fait; s'jl ue pouvait etre puní que de la dé-
« chéance, vous ue pouviez la prononcer saos
« avoír instruit son proces; vous o'aviez point
« le droít de le l'etenir en prison; iI a celui de
,{ demander des domnwges et intérets et SOll




CONV ENT10N N ATION HE (1792). 34 f
« élargissemellt: la con,stitution vous condam-
« lIe; aUez aux pieds de Louis iIlvoquer sa dé-
(1 menee! »


Ces déclamations pleines de .fiel, qui ne
renfermaient rien que Saint-Just n'eut déja
dit) produisirent eependant une profoude
sensation sur l'assemblée, qui voulut statuer
séance tenante. Robespierre avait demandé
que Louis XVI fut jugé sur-Ie-ehamp ; cepen-
d;mt plusieurs membres et Pétion s'obstine-
rent a proposer qu'avant de fixer la forme du
jugement, on pronon<,;at au moins la mise<en ju-
gement; car e' était la, disaient-ils, un prélimi-
naire indispensable, quelque célérité qu'on
voulrit mettre dans eette procédure. Rohes-
pierre veut parler eneore, et semble exiger la
paro le; mais on s'irrite de son insolence, et
on luí interrlit la tribune. L'assemblée rend
enfin le déeret suivant :


ce La eonvention nationale déclare que
«( Louis XVI sera jugé par elle. » (3 déeembre. )


Le 4, on met en discussion les formes du
proceso Buzot, qui avait entendu beaueoup
parler de royalisme, réclame la paroJe pour
une motion d' ordre; et pour écarter, dit-il,
tout soupc;on, il demande la peine de mort
cOlltre ql1iconque proposerait en Franee le
rétablissement de la royanté. Ce sont la des




342 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
moyens que prennent souvent les partís pour
prouver qu'ils sont ineapables de ce dont OH
les aeeusc. Des applaudissements n0'11br·ell x
aceueilIent eette inutile proposition; mais les
mOlltagnards, qui, dalls leur systcme, n'au-
raient pas dli l'empecher, s'y opposent par hu-
menr, et Bazire demande a la eombattre. On
crie al/X voix ! au.x voix! Philipeaux s'unis-
sant a Bazire, propose de ne s'occnper que de
Louis XVI, et de te~ir une séance perrna-
nente jusqu'a ce qu'il ait été jugé. On demande
alors ~uel intéret porte les opposants a re-
pousser la proposition de Buzot, car iI n'est
personne qui puisse regretter la royauté.
Lejeune réplique que e'est remettre en ques-
tion ce qui a été déeidé en abolissant la royauté.
« Mais, dit Rewbel, il s'agit d'ajouter une dis-
« position pénale au décret d'abolition; ce o' es!
« done pas remcttre en question une ehose
{( déja déerétée. J) Merlin, plus maladroit que
ses prédécessellrs, veut un ameodement, el
propose de mettre une exception a I'applica-
tion de la peine de mort, dans le cas ou la
proposítion de rétabJir la royauté serait faite
daos les asscmblées primaires.-A ces mots,des
cris s'élevent de tontes parts. Voi1:'t, dit-on, le
mystere découvert! On veut un roi, mais sortí
oes assemblées primaires, de ces ass('mb1<'~c:-;




CONVENTION NATIONALE (1792). 31¡3
d'ou se sout élevés Marat, Robespierre et Dan-
tOIl. - Merlin cherche a se justifier en disant
qu'a a voulu rendre hommage a la souverai-
lIeté du peuple. On lui impose silence en le
traitant de roya liste , et on propose de le rap-
peler a l'ordre. Guadet alors, avec une mau-
vaÍse foi que les hommes les plus honnetes
apportent quelquefois dans une discussíon en-
venimée, sOlltient qu'il faut respecter la li-
berté des opinions, a laquelle on doit d'avoir
découvert un secret important, et quí donne la
clef d'une grande machination.-«L'assemblée,
dit-il, ne doit pas regretter d'avoir entendu
cet amendement, qni lui démontre qu'un nou-
veau despotisme doit succéder au despotisme
détruit, et OH doit remercier Merlín, Join de
le rappeler a l'ordre.» Une explosion de mur-
mures couvre la voix de Guadet. Bazire, Mer-
lin, Robespierre, crÍent a la calomnie 7 et iI est
vrai que le reproche de vouloir substituer un
roí plébéien an roi dé troné , étaít aussi absnrde
que celui de fédéralisme adressé aux gil'on-
dins. L'asselnbléc décrete enfin la peine de
mort contre quiconqne voudrait rétablir en
France la royauté, sons quelque dénomina-
tíon que ce puisse etre.


On revient aux formes d,u proces et a la
proposition d'une séance permanente. Robes-




344 RÉVOLUTION FRANC;;:AISE.
pi erre demande de nouveau que le jugement
SOlt prononcé sur - le - champ. Pétion, victo- .
rieux encore par l'appui de la majorité? [ait
c1écider que la séance ne sera pas permanente,
ui le jugement instantané, mais qu< l'assem-
hlée s'en occupera tous les jours, et toute af-
faire cessante, de onze a six heures du soir.


Les jours suivants furent employés a la lec-
ture des pieces trouvées chez Laporte, et
d'autres trouvées plus récemment au chatean
dans une armoire secrete, que le roí avait fait
construire dans l'épaisseur d'une mllraille. l;a
porte en étaÍt en fer, d' 011 elle fut connue de-
puis sous le nom d'armoire de fer. I...'ouvrier,
employé a la constrllire , la dénon¡;a a Roland ,
qui, empressé de vérifier le faít , eut l'impru-
dence de s'y rendre précipitamment, san s se
faire accompagner de témoins pris dans }'as-
semhlée, ce qui donna líen a ses ennemis de
dire qll'il avait soustrait une partie des papiers.
Roland y trollva toutes les piecesrelatives aux
communications de la cour avec les émigrés
et avec dívers mernhres des assemblées. I;es
transactions de Mirabeau y furent connues, ct
la mémoire du grand orateur allait etre pros-
crite, lorsqu'a la demande de Manuel, son
admirateur passionné, on chargea le comité
d'instruction publique de faire de ces docu-




CONVENTION NATJONALE (1792). 345
ments un plus ample examen *. On nomma
enSllÍte une commission pour faire, d'apres ces
pieces, un acte énonciatif des faÍts implltés a
Lonis. XVI. Cet acte énonciatif, llne foís ré-
digé, devait etl'e approuvé par l'assemblée.
Louis XVI devait '-ensuite comparaitre en per-
50nne a la barre de la convention , et etre in-
terrogé par le président sur cbaque article de
I'acte énonciatif. Apres sa cúmparution, deux
jonl's lui étaient accordés ponr se défendre, et
le lendemain de 5a défensc , le jugement de-
vait etre prononcé par appel nominaL Le pou-
voÍr exécutif était chargé de prendre toutes
les mesures lJécessaires ponr assurer la tran-
quillité publique pendant la translatÍon dn roi
a I'assemblée. Ces dispositions avaient été dé-
crétées le 9.


Le 10, l'acte énonciatif fut présenté a l'as-
semblée, et la comparution de Louis X VI fut
arretée pour le lendemain 1 I déeembre.


Ce monarque infortuné allait done compa-
raitre en présence de la convenlion natÍonale,
et y subir un interrogatoire sur tous les actes.


• Cette révélation cut lien dans la séance dn 5 décem-
breo On voulait briser immédiatement le buste de Mira-
heall, et ordonner que ses cendres fussent enlevees dll
Panthéoll; llIais on se contenta ce jOllr-lit de voiler SOl!
IJllsle.




;)46 nÚOLUTION FRA.NyAIS.E.
de son regne. La nOllvelle du proces et de
l'ordre de comparution avait pénétré jusqu'a
Cléry, par les secrets moyens de correspon-
(lance qu'il s'était ménagés au dehors, et ¡1m'
l'avait transmise qu' en tremblaut a cette fa-
mille désolée. N'osant la donner au roi lui-
meme, il Ja communiqua a Mme Élisabeth, et
Ini apprit en outre que pendant le proces la
commune avait résolu de séparer Louis XVI
de sá famille. Il convint avec la princesse d'un
moyen de correspondre pendant eette sépura-
tion; ce moyen consistait dans l'envoi d'un
mouchoir que Cléry, destiné a rester aupres
dll roi, devait faire parvenir aux princesses si
Louis XVI était maJadeo VoiJit tout ce que les
malheureux prisonniers avaienl la prétention
de se communiquer les uns aux mitres. Le roi
fut averti par sa sreur de sa prochaine com-
parlltion, et de la séparatioll qu'on devait ¡lIi
faire subir pendant le proceso 11 re<{ut eette
llouvelle avec une parfaite résignation, et se
prépara a subir· ave e fermet~ eette scene dou-
IOl1reuse.


La commune avait ordonné que des le 1 J
an matin, tous les corps administratifs seraiclIt
en séance, que toutes les sections seraient ar-
mées, que la garde de tous les lieux publies,
caisses, c1épots ; etc., serait augmcntéc c!p del/X




CONVENTION NATlON¡\U: (1792 ). :':;47
cellts hommes par poste, que des réserves
lIombreuses seraient placées sur divers points,
;¡vec une forte artillerie, el qu'une es corte d' é-
lite accompagnerait la voiture.


Des le 11 :m matin, la générale annoTl!]a
dans París eette scene si triste et si Tlouvelle.
Des troupes nombreuses entollraÍcnt le Tem-
pIe, et le bruit des armes et des chevaux ar-
rivait jusqu'aux prisonniers, qui feignaiellt
d'ignorer la cause de cette agitation. A neuf
hcurcs du matin, la famille, suivallt l'usage,
se rendit chez le roi, pour y déjeuner. Les
officiers municit)aux, plus vigilants que ja-
mais, empechaient par leur préscncc le moin-
tlr'e épanchement. Enfin on les sépara. Le roi
demanda eH vain qu'on lui laissat son fils cn-
core quelqlles instants. Malgré sa priere, le
jeunc enfant lui fut enlevé, et il demeura seu1
environ deux heures. Alors le maire de París,
le procureur de la eommune arriV'erent, et luí
communiquerent {'arret de la convention qui
le mandait a sa barre sons le nom de Louis
Capet. - Capet, reprit le prince, est le nom
de I'un de mes ancetres, et n'est pas le mien.
Il se leva ensuite, et se rendit daos la yoiture
du maÍre, qui l'attendait. Six cents hommes
d'élite cntouraient la voiture. Elle étaÍt précé-
dée de trois pie ces de canon et suivie de trois




3[18 RÉVOI.UTION FRA N<;AIS:E.
autres. Une nombreuse cavalerie formaÍt \'a-
vant-garde et l'arriere-garde. Une foule im-
mense contemplait en silence ce triste cortége ,
et souffrait cette rígueur comme elle avait
sonffert si long-temps celles de l'ancien gon-
yernement. Il y eut quelques cris, mais fort
rares. l .. e prince n'en fut point ému, et s'en-
tretint paisiblement des objets quí étaient sur
la ronte. Des qu'on fut rendu aux Feuillaúts,
OH le déposa clans une salle, en attendant Jes
ordres de l'assemblée.


Pendant ce temps on faisait diverses mo-
tions relativement a la maniere de recevoir
Louis XVI. On proposait qu'aucune pétition
ne put etre entendue, qu'aucuIl dépulé ne pitt
prendre la parole, qu'aucun signe d'improba-
tion OH d'approbation ne put etre donné an
roí. ({ II faut, dit Legendre, l'effrayer par le si-
]ence de1? tombeaux.)) Un murmure condamna
ces paroles cruelles. Défermont demanda qU'OIl


. disposat un siége pour l'accnsé. La proposition
fut trouvée trop juste pour etre mise aux voix,
et on plava un siége a la barre. Par une vanité
ridicule, Manuel proposa de discuter la ques-
tion a l'ordre du jour, pOIll' n'avoir pas l'air
de ne s'occuper que du roi, dut-on, ajouta-t-jl,
le faire attendre a la porte. On se mit donc á
discuter une loi sur les émigrés.




CONVENTlON NATIONALE (1792). :l~!l
Santerre annonce enfin l'arrivée de LouisXVl.
Barn~l'e est présideut. « Citoyens, dit-il, l'En-
« rope vous regarde. La postérité vous jugera
« a vec une sévérité inflexible; eonservez dOlle la
« dignité et l'impassibilitéqui conviennent a des
« juges. Sollvenez-vous dll silenee terrible qui
« aecompagna Louis, ramené de Varennes. J)


Louis parait a la barre vers deux heures et
dcmie. Le maíre et les génél'aux Santerre et
Witteugo[fsont a ses cotés. Un silenee profoncl
n~gne dans l'assemblée. La dignité de Louis, sa
contenance tranquille, dans une anssi grande
infortune, touchent tout le monde. Lesdéputés
du milieu sont émus. Les girondins éprouvent
un profond attendrissement. Saint-Just, Robes-
pierre, Marat, sentent défilÍllir ellX- memes leUl'
fanatisme, et s'étonnent de trouver un homIlle
lJans le rOL dont ils demandellt le suppliee.


- Asseyez-vous, dit Barrere a Louis, el
répondez aux questions qui vant VOus étre
adressées. Louis s'assied, et entelld la lectl1re
<le l'acte énonciatif, article par article. La, toutes
les fautes de la cour étaient rappelées et reudues
personneUes a Louis XVI. Un lui reprochait
l'interruptioll des séances le 20 juin 1789, le
lit de justice tenu le 23 du mé"me mois, la
eanspiration al'istocratique déjouée par l'insur-
rectioJl el II I!! j uillet, le repas des gardes-d 11-




350 RÉVOLIlTION ];'ItANt,:A.ISE.
corps, les outrages filits a la cocarde nationale,
le rcfus de sanctionner la déclaration des droits,
ainsi que les divers al,ticles constitutionnels,
tous les faits en fin qui manifestaient une nou-
velle conspíration en octobre, et qui furent
sllivis des scenes du 5 et 6; les discours de ré-
conciliation qni avaient suivi tontcs ces scenes,
et qui promettaient un retonr qui n'était pas
sincere; le fallx serment preté a la fédération du
14 juillet; les menées de Talon et de lVIirabeau
ponr opél'er une contre - révolntioll; l'argent
donné pour corrompre une foule de députés;
la réunion des chevaliers du poignard lC2.8 fé-
'\Tier J 791 ; la fuite a Varellnes; la fllsillade dn
Champ-de-lVIars; le silence gardé sur la conven-
tion de Pilllitz; le retard apporté a la promul-
gation du décret quí réunissait A vignon él la
France; les mOllvements de Nimes, MOlltallban,
l\lende, JaIles; la continuatíon de paie accor-
dée aux gardes-du-corps émígrés et a la garde
constitutionnclle licenciée; la correspondance
secrete avec les princes émigrés; l'insuffisance
des armées réunies sur la frontiere; le refus de
sanctionner le décret pour le camp de vingt
mille hommes; le désarmement de toutes les
places forces; l'allllonce tardive de la marche
des Prussiens; l'organisation de compagnies
"ecretes dans l'intérienr de Paris; la rf>vue des




U)NVENTION NATIONALE (1 7~P). :Ví I
SlIisses et des tl'onpes qui fOl'maient la garnisoll
du chateau le matin du 10 aoUt; le doublement
de cette garde; la convocatíon du mairc aux
Tuileries; enfin l'effusion du sang quí avaít été
la suíte de ces dispositions militaires.


Si l'on n'admettait pas comme naturel le rC'-
gret de son ancienne puissanee, tont dans la
conduite dLl roi pouvait etre tourné ,a crime;
cal' sa conduite n'était qu'un long regret, mt·l{~
de quclques efforts tímides ponr reconvrer ce
gu'i! avait 'perdu. A chaqne article le président
s'arretait en disant: Qa'avez-vous a répondre?
Le roi, répondant t.on jours d'une voix assurée,
avait. níé une partie des faits, rejet.é l'autrc
partie sur ses ministres, et s'était appuyé cons-
tamrnent sur la constitution, de laquelle il assu-
raít. ne s'etre jamaís écarté. Ses réponses avaient
toujours été rnesurées. Mais a eette ínterpella-
tion, Vous avezfait couler lesangdu peupleau
ro aOlÍt, 11 s'écría d'une voix forte : N OH, Mon-
. , ., Sleur, non, ce n est pas mm.


On lui montra ensuite loutes les pieces, et,
usant d'un respectable privilége , iI refusa d'en
avouer une partie, et iI contesta l'existence de
l'arm0ire de fer.Cette dénégation produisit un
eilet défavol'able, et elle était impolitique, cal'
le faít était démontré. Il demanda ensuite une
copie de I'acte d'accusation ainsi que des pieees,




:-:;'S2 RÉVOLU'rION FnA.N~AISE.
et un conseil pour l'aider dans sa défellse.


Le président lui signifia qu'il pouvait se re-
tirer. On lui fit prendre quelque rafraichisse-
ment dans la salle voisine. et, le faisant remon-
ter en voiture, on le ramena au Temple. Il y
alTiva a six heures et demie, et son premier
soin fut de demander a revoir sa famille; OH le
lui refusa, {m disant que la eommune avait or-
<1onné la séparation pendant la durée de la pro-
cédure. A huit heures et demie, lorsqu'on luí
annon/{a le moment du souper, il demanda de
Ilouveau a embrasser ses enfants. Les ombrages
de la commune rendaient tous les gal'diens
harbares, et on lui refusa encore eette conso-
Jation.


Pendant ce temps l'assemblée était livrée au
tllmulte, par suite de la demande ({'un conseil
que Louis XVI avait faite. Treilhard, Pétioll
insistaient avec force pour que ectte demande
fUt accordée : Tallien, BiUaud-Varel1ncs, Cha-
bot, Merlin, s'y opposaient, en disailt qu'on
allait encore différer le jugement par des chi-
canes. Enfin l'assemblée accorda uu cOllseiL
Une députation fut chargée d'aller l'apprendre
á Louis XVI, et de lui demandel' sur qui tom-
berait son choix. Le roí désigna Target, 011 a
son défaut Tronchet, et tous deux s'il était
possible. JI (lemanoa en mitre qn'on lui clOIl-




CONVENTlON NATIONALE (1792.).' 353
nat de l'enere, des plum es et du papíer, pour
travailler a sa défense, et qu' on lu1 permit de
voÍr sa famille. La conventioll décida sur-le-
champ qu'on luí donnerait tont ee qui était
néeessaire pour écrire, qu'on avertirait les deux
défenseurs dont il avait fait choix , qu'il luí se-
raít permis de communiquer librernent avec
eux, et qu'il pourrait voir sa famílle.


Target refusa la cornrnission dont le char-
geait Louis XVI, en donnant pour raison que
depuís 1785 íI ne pouvait plus se livrer a la
plaidoirie. Tronchet écrívit sur-le-champ qu'il
était Pl'et a accepter la défense qui lui était
eonfIée; et, tandis qa'on s'occupait a désigner
un nouveall conseil, on re<,;ut une lettre écrite
par un eitoyen de soÍxante-dix ans, par le vé-
nél'able Malesherbes, ami et compagnon de
Turgot, et le magistrat le plus respecté de la
FraIlce. Le noble vieillard éerivait au prési-
dent ; « J'ai été appelé deux fois au eonseíl de
(( eelui qui fut mon maitre, dans le temps que
( eette fonetion était ambitionnée par tout le
« monde; je lui dois le meme service lorsque
( e'est une fonetion qne bien ues gens tron-
(e vent dangereuse. »


Il priait le président d'avertir Louis XVI qu'il
était pret a se dévouer a 5a défense.


Beallcoup d'autres citoyens firent la meme
lII. 2.3




354 RÉVOLUTION FRA.N~AISE.
offre, et on en instruisit le roí. Il les remercia
tous, et n' accepta que Tronchet etMalesherbcs.
La commune décida que les deux défenseurs
seraient fouillés jusque dans les endroits les
plus secrets, avant de pénétrer aupres de lcm
dient. La convention, qui avait ordonné la
libre communication, renouvela son ordre, et
¡Is purent entrer librement dans le Temple. En
voyant Malesherbes, le roi courut au-devant de
luí: le vénérable vieillard tomba a ses pieds
en fondant en larmes. Le roi le releva, et ils
demeurerent long-temps embrassés. lIs com-
mencerent aussitót a s'occuper de la défense.
Des commissaires de l'assemblée apportaient
tous les jours au Temple les pie ces , et avaient
ordre de les communiquer, sans jamais s'en
dessaisir. Le roi les compnlsait avec beaucoup
d'attention, et avec un calme qui chac[ue fois
étonnait davantage les commissaires.


La sente consolation qu'il cut demalldée ,
celle de voir sa famille , ne lui était point accol'-
dée, malgré le décret de la convention. La com-
mune, y mettant toujours obstade , avait de-
mandé le rapport de ce décret. - Vous aurez
beau l'ordonner, dit Tallien a la convention,
si la commune ne le vent pas , cela ne sera pas.
Ces insolentes paroles exciterent un grano tu-
multe. Cependant l'assemblée, mo.oifiant son




CONVENTION N ATION ALE (1792). 355
décret, ordonna que le roi pourrait avoir ses
deux enfants aupres de lui, mais a condition
que les ellfants ne retourneraient plus aupres
de leur mere pendant tout le proceso Le roí,
sentant qu'ils étaient plus nécessaires a leur
mere, ne vonlut pas les lui enlever, et se sou-
mit a cette nouvelle douleur avec une résigna-
tion qu'aucun événement ne pouvait altérer.


A mesure que le proces s'avanc;ait, OH sen-
tait davantage l'importance de la question. Les
UIIS comprenaient que procéder par le régi-
cide envers l'ancienneroyauté, c'était s'engager
dans un systeme inexorable de vengeances et
de cruautés , et déclarer une guerre a mort a
rancien ordre des choses; ¡ls voulaient bien
abolir cet ancien ordre des choses, mais ils ne
voulaient pas le détruire d'une maniere aussi
violente. Les autres au contraire désiraient
cette guerre a mort, qui n'admettait plus ni
faiblesse ni retour, et creusait un abime entre
la monarchie et la révolution. La personne du
roi disparaissait presque dans eette immense
question, et 011 n'examinait plus qu'une chose,
savoir s'il {allait ou ne {allait pas rompre en-
tierement avec le passé par un acte éclatant
et terrible. On ne voyait que le résultat, et OH
perdait de vue la victime sur laquelle allait
tomber le COllp.




356 RÉVOLUTION FRA.N~AISll:.
Les girondins, constants a poursuivre les


jacobins, leur rappelaient sans cesse les crimes
de septembre, et les présentaient comme des
anarchistes qui voulaient dominer la conven-
tion par la "terreur, et immoler le roi pour le
rcmplacer par les triumvirs. Guadet réussit
presque a les expulser de la convention, en
faisant décréter que les assemblées électorales
de toute la France seraient convoquées ponr
confirmer ou révoquer leurs députés. Cette pro-
position décrétée et rapportée en qllelques
minutes avait sinKulierement effrayé les jaco-
bins. D'autres circonstances les inqniétaient
bien plus encore. Les fédérés continuaient
d'arriver de toutes parts. Les municipalités
envoyaient une multitud e d'adresses dans les-
qnelles, en approuvant la .république et en
félicitant l'assemblée de l'avoir instituée , elles
condamnaient les crimes et les exces de l'anar-
chie. Les-sociétés affiliées reprochaient tou-
jours a la société-mere d'avoir daos son sein
des hommes de sang qui pervertissaient la mo-
rale publique, et voulaient attenter a la sureté
de la conveotion. Qnelques-unes reniaient leur
mere, déclaraicnt ne plus vouloir de l'affilia-
tíon, e~ annolll;aient qu'au premier signal elles
voleraicnt a Paris pour soutenir l'assemblée.
Toutes demandaient surtont la radiatioo de




,


COl'iVENTIOl'f NATIONALE (1792 ). 357
Marat, et quelques-unes ceHe de Robespierre
lui-meme.


I,es jacobins désolés avouaientque l' opinion
se corrompait en France; ils se recommall-
daient de se tcnir unís, de ne pas perdre de
temps ponr écríre dan s les provinces, et éclairer
leurs freres égarés; ils accusaieut le traitre Ro-
land d'arreter leur correspolldance, et d'y suLs-
titner des écrits hypocrites qui pervertissaient
les esprits. lis proposaient un don vololltaire
ponr répandre les Lons écrits, et particuliere-
ment les admirables discours de Rohes¡ierre,
et ils cherehaient les moyens de les falre par-
venir malgré Roland, qui violait, disaient-ils,
la liberté des postes. Cependalll ils convenaient
d'une ehose, e'est que Marat les compromettait
par la violence de ses écrits; el iI fallait, sui-
vant eux , que la société·mere apprit a la France
qllelle différence elle mettait entre Marat, que
son tempérament enflammé emportait au-dela
des bornes, et le sage, le vertueux Robespierre,
qui, toujours dans la véritabIe limite, voulait
sans faiblesse, mais sallS exagération, ce '-'lui
était juste et possible. Une forte dispute s' était
engagée sur ces deux hommes. On avait re;.
connu que Marat était une tete forte et hardie,
mais trop emportée. Il avait été lltile, disait-


t on, 11 la cause dn peuple, mais Hile savait pas




3 ~8 ' '"' REVOLUTION FRANt;:AJSE.
s'arreter. Les partisans de Marat avaient ré-
pondu qu'il ne croyait pas nécessaire d' exé-
cuter tout ce qu'il avait dit, et qu'iI sentait
mieux que personne le terme Otl iI fallait s'ar-
reter. lis citaient di verses paroles de lui. Marat
avait dit : ({ Jl ne faut qu'un Marat dans la
f'( république.-Je demande le plus pour ob-
c( teni,. le moins. - Ma main sécherait plutót
cc que d'éc,.i,.e~ sije croyais que le peuple e~­
« cutát ti la lettre tout ce que je lui conseille.
« - le suifais au peuple, paree que je sais
« qu'il me marchande. » Les tribunes avaient
appuyé eette justificatíon de Marat par leurs
applaudissements. Pourtant la société avait ré-
solu de faire une adresse, dans laquelle, décri-
vant le earaetere de Marat et de Robespierre,
elle montrerait quelle différence elle faisait
entre la sagesse de l'un et la véhémence de
l'autre"". Apres cette mesure, on en proposa
plusieurs autres, et surtout on se prornit de
demandercontinuellement le départ des fédérés
pour ]a {rontiere. Si on apprenait en effet que
l'armée de Dumouriez s'affaib]issait par la dé-
sertion, les jacobins s'écriaient que le renfort
des fédérés lui était indispensable. Marat écri-
vait que depllis plus d'un an on retenait les


• Voyez la note 6 a la fin du 4 e volume.




CONVENTION N A TION ALE (1792). 359
volontaires 'luí étaient partís les premiers, et
qu'il était temps de les remplacer par ceux
quí séjournaient a Paris; OIl venait d'appren-
clre que Custine avait été obligé d'abandonner
Francfort, que Beurnonville avait inutilement
attaqué l'électorat de Trcves, et les jacobins
soutenaient que, si ces deux généraux avaient
eu avec eux les fédél'és qui remplissaient inu-
tilement la capitale, ils n'eussent pas essuyé cet
échec.


Les di verses nouvelles de l'jnutile tentative
de Beurnonville et de l'échec de Custine avaient
singulierement agité l'opiníon. Elles étaient fa-
ciles a prévoir, car ~rnonville, attaquallt
par une mauvaise sais~, et sans moyens suf-
fisants, des positions inabordables, Be pouvaít
réussír; et Custinc , s'obstinant a ue pas re-
culer spontanément sur le Rhin, pour ne pas
avouer sa témérité, devait infailliblement etre
réduit a une retraite a Mayence. Les malheurs
p~lics sont pour les partis une occasion de
reproche. Les jacobins, qui n'aimaient ras les
généraux suspects d'aristocratie, déclamerent
contre eux, et les accuserent d' etre feuillants
et girondins. Marat ne manqua pas de s'élever
de nouveau contre la lureur des conquctes,
qu'il avait, disait-il, tQujours blamée, et qui
u'était qu'une ambition déguisée des généraux




360 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
pour arriver a un degré de puissance redou-
tableo Robespierre, dirigeant le reproche selon
les inspirations de sa haine, soutint que ce
n'était pas les généraux qu'ilJallait accuser,
mais la faetion infame qlli dominait l'assem-
blée, et le pouvoir exéeutif. Le perfide Roland,
l'intrigant Brissot, les seélérats Louvet, Gua-
det, Vergniaud, étaient les auteurs de tous
les maux de la Franee. Il den"iandait a etre le
premier assassiné par eux; mais iI voulait avant
tOllt avoir le plaisir de les dénoneer. Dumou-
riez et eusrine, ajoutait-il, les eonnaissaieut
et se gardaient bien de se ranger avee eux :
mais tout le monde le\ craignait, paree qu'ils
disposaient de 1'01', des plaees et de tous .les
moyens de la république. Leur intention était
de l'asservir, et pour eela ils enehainaient tous
les vrais patriotes, ils empeehaient le dévelop-
pement de leur énergie, et exposaient ainsi la
Franee a etre vaineue par ses ennemis. Leur
intention était prineipalement de détruire la
soeiété des jacobins, et de poignarderquiconque
aurai t le eourage de résister. - (( Et pour moi,
s'écriait Robespierre, moi je demande a etre
assassiné par Roland! ,) (Séance des Jacobins du
J 2 décembre.)


Cette haine furibollcle, se communiquant a
toute la société, la soulevait comme une mer




CONVENTION N ATION ALE (179'1). 36 I
orageuse. On se promettait un combat a mort
contre la faction; on repoussait d'avance toute
idée de réeoneiliation, et comme il avait été
question d'un nouveau pI'ojet de transaction,
on s'engageait a refuser a jamais le baiser La-
mourette.


Les memes sdmes se reproduisaient dans
l'assemblée pendant le délai qui avaít été ae-
cordé a Louis XVI pour préparer sa défense.
On ne manquait pas d'y répéter que partout
les royalistes mena<;aient les patriotes, et ré-
pandaient des pamphlets en faveur du roi.
Thuriot pro posa un moyen, e' était de punir de
mort quiconque méfjterait de rompre l'unité
de la république ou d'en détacher quelque
partie. C'était la un décret eontre la fable du
fédéralisme, e' est-a -dire con tre :les girondins.
Buzot se hate de répondre par un autre projet
de décret, et demande l'exil de la famille d'Or-
léans. Les partis échangent les faussetés, et se
vengent des calomnies par d'autres ealomníes.
Tandís que les jaeobins accusaient les giron-
dins de fédéralísme, eeux-ci reprochaient aux
premiers de destiner le duc d'Orléans au treme,
et de ne vouloír immoler Louis XVI que pour
rendre la place vacante.


Lé due d'Orléans existait a París, s'effor~ant
en vain de se faire ollblier dan s le sein de ]a




362 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
convention. Cette place sans doute ne lui con-
venait pas au milieu de furieux démagogues;
mais ou fuír? En Enrope, l' émigration l'atten-
dait, et les outrages, peut-etre meme les sup-
pI ices , menat;aient ce parent de la royauté qui
avait répudié 5a naissance el son rango En
France, jl s'effort;ait de cacher son rang sous
les titres les plus humbles, et iI se nommait
Égalité. Mais iI restait l'ineffat;able souvenir
de son ancienne existen ce , et le témoignage
toujours présent de ses immenses richesses.
A moins de prendre les haiUons, de se rendre
méprisable a force de cynisme, comment échap-
per aux sOllpt;Ons? Dans les rangs girondins, il
eut été perdu des le premier jour, et tous les
reproches de royalisme qu'on leur faisait eus-
sent été justifiés. Dans ceux des jacobins, il
avait la violen ce de Paris pour appui ; mais ii
ne pouvait pas échapper aux accusations des
girolldins, et c'est ce qui lui arriva en effet.
Ceux-ci, ne lui pardonnant pas de se ranger
avec leurs ennemis , supposaient que, paur se
rendre suppartabie, ii pradiguait ses trésors
aux anarchistes, et leur faurnissait le secours
de sa puissante fartune.


L' ombrageux Lauvet croyait mieux, et s'ima-
ginait sincerement qu'il nourrissait toujours
l'espoir de la royauté. Sans partager cette opi-




CONVENTION NATIONA.LE (1792). 363
nion, mais pour eombattre la sOl'tie de Thuriot
par une autre, Buzot monte a la tribune. « Si
(e le décret proposé par Thuriot doÍt ramener
« la eonfianee, je vais, dit-il, vous en proposer
« un qui ne la ramenera pas moins. La monar-
« chie est renversée, mais elle vit encore dans
« les habitudes, dans les souvenirs de ses an-
a ciennes créatures. Imítons les Romains; iIs
re out ehassé Tarquín et sa famille: eomme eux,
ce ~hassons la famille des Bourbons. Une partie


ee de eette famille est dans les fers, roais iI en
ee est une autre bien plus dangereuse, paree
« qu'elle fut plus populaire, c'est eeHe d'Or-
« léans. Le buste d'Orléans fut promené dans
« París; ses fils, bouilIants de courage, se dis-
el tinguent dans nos armées, et les roérítes
(e meme de eette famílIe la rendent dangereuse
« pour la liberté. Qu'elle fasse un dernier sa-
ce crifiee a Ja patrie en s'exilant de son se in ;
ce qu'elle aille porter ailleurs le malheur d'avoir
« approché du trone, et le roalheur plus grand
« encore de porter un noro qui nous est odíeux,
«et dont l'oreille d'un homme libre ne peut
« manquer.d' etre blessée. )) Louvet succédant
a Buzot, et s'adressant a d'Orléans luí-meme,
lui cite l'exil volontaire de Collatin , et l'engage
a l'imiter. Lanjuinais rappelle les élections de
Paris dont Égalité fait partie, et qui se firent




364 RÉVOI.UTION FRA.l'l~A.JSE.
sous le poignard de la, faction anarchique; il
rappelle les efforts qu'on a tentés pour nom-
mer ministre de la guerre un chancelier de la
maison d'Orléans, l'influcnce que les fils de
eette famille ont acquise dans les armées; et,
par toules ees raisons, il demande le bannis-
sement des Bourbons. Bazire, Saint-Just, Cha-
bot s'y refusent, plutot par opposition aux
gil'ondins que par intéret pour d'Orléans. lIs
soutiennent que ce n'est pas le moment de sé-
vil' contre le seul des Bourbons qui se soit
loyalement conduít envers la nation; qu'il faut
d'aboro. punir le Bourbon prisonnier, faire en·
suite la constitution, et qu'apres on s'occupéra
des citoyens devenus dangereux; qu'au reste,
envoyer d'Orléans hors de Franee, e'est l'en-
v oyera. la mort, et qu'íl faut au mOlns ajourner
eette eruelle mesure. Néanmoins le hannisse-
ment est déerété par acclamation. Il ne s'agit
plus que de déeider l'époque du baunissement
en rédigeant le décret.-Puisque vous employez
l'ostracisme eontre Égalité, dit Merlín, em-
ployez-Ie contre tous les hommes dangereux,
et tout d'abord je le demande contre le pouvoir
exéeutif. - Contre Roland! s'éerie klbitte. -
Contre Roland et Paehe 1 ajoute Barrere, qui
sont devenus une eause de division parmi nons.
Qu'ils soientbannis l'un et l'autre du ministerc,




CONV'RNTION NATIONALE (1"792). 365
pOllr nons rendre le calme et l'union. - Ce-
pendant Kersaint craint que I'Angleterre ne
profite de eette désorganisation du ministere
pour nous faire une-guerre désastreuse , comme
elle tit en 1757, lorsque d' Argenson et Machau
furent disgraciés.


Rewbel demande si on peut bannir un re-
présentant du pellple, et si Philippe Égalité
n'appartient pas a ce titre a la nation qui l'a
nommé. Ces di verses observations arretent le
mouvement des esprits. On s'interrompt, on
rcvient, et san s révoquer le décret de bannis-
sement contre les Bourbons, on ajourne la
discussion a trois jours, pour se carmer, et
pour réfléchir plus múrement a la question de
savoir si on pouvait bannir Égalité, et destituer
sans danger les deux ministres de l'intérieur
et de la guerreo


Apres cette discussion, on devine quel dé-
sordre dut régner dans les sections, a la com-
mune et aux Jacobins. On cria de toutes parts
a l'ostracismc, et les pétitiollS se préparerent
ponr la reprise de la dis.cllssion. Les trois jours
écoulés, la discussion recommen-;a; le maire
vint a la tete des seclions demander le rap-
port du décreL L'assemblée passa a l'ordre du
.jour apres la lecture de I'adresse; mais Pétion,
voyant quel tumulte excitait ceUe qllestion, en




366 RÉVOLUl'lON FRAN~AISE.
demanda l'ajournement apres le jugement de Louis XVI. Cette espece de transaction fut
adoptée, et on se jeta de nouveau sur la vic-time contre laquelle s'acharnaient toutes les passjons. Le célebre pro ces fut done aussitót
repris.




CONVENTION NATIONA-LE (1792). 367


CI-IAPITRE VII.


Continuation du proces de Louis XVI. Sa défense. - Dé-
bats tumultueux a la convention. - Les girondins pro-
posent l'appel au peuplc; opinion du député Salles;
discours de Robespierre; discours de VergniauJ. -
Po sitio n des questions. - Louis XVI est Melaré cou-
pable et condamné a mort, sans appel au pCllple et
san s sursis a l'exécution. Détails sur les débats et les
votes émis. - Assassinat dn député Lepclletier SaÍnt,
Fargeau. Agitation dans París. - Louis XVI faít ses
adieux asa famille; ses dcrniers moments dans la prison
et sur l'échafaud.


LE temps accordé a Louis X VI pour préparer
sa défense était a peine suffisant pour compnl-
ser les immenses matériaux sur lesql1els elle
devait etre établie. Ses deux défenseufs oeman-
derent a s'en adjoindre un troÍsieme, plus jenne
et plus actif, qui rédigerait et prononcerait la
défense, tttlldis qu'ils en chercheraient et pt'é-




36S ltÉVOLUTION FRAN«;;AISE.
pareraient les moyens. Ce jeune adjoint était
l'avocat Deseze, qui avait défenclu Besenval
apres le r 4 jllillet. La convention, ayant ac-
cordé la défense, ne refusa pas un nouveau
conseil, et M. Deseze cut, comme Malesherbes
et Tronchet, la faculté de pénétrer au Temple.
Une commission y portait tous les jours les
pieces, les lllontrait a Louis XVI, qui les re-
cevait avec beaucoup de sang-froid , et comme
si ce proces eút regardé un autre, disait un
rapport de la commune. Il montrait aux com-
missaires la plus grande politesse, et leur fai·
sait servir a manger quand les séances avaient
été trop longues. Pendant qu'il s'occupait ainsi
de son proces, il avait trouvé un moyen de
correspondre avec sa famille. Il écrivait au
moyen du papier et des plnmes qu'on lui avait
donnés pOlÚ' tl'availler a sa défense, et les
princesses tra¡;aient leur réponse sur du papier
avec des piqures d'épingle. Quelquefois on
pliait les billets dans des pelotons de fil , qu'un
gar¡;Oll de l'office, en servant les repas, jetait
sous la table; .quelquefois on les filisait des-
cendre par une ficelle d'Ull étage a un autre.
Les malheureux prisonniers se donnaient ainsi
des nouvelles de leur san té , et trouvaient une
grande conso]ation a apprenclre qu'ils n'étaient
point malades.




CONVENTION NA TION A LE (1792 ). 3()9
En6n M. Deseze avait terminé sa défense en


y travaillant nnit et jonr. Le roi lui 6t re-
trancher tout ce qui était trop oratoire, et
voulut s'en tenir a la simple discussion des
moyens qu'il avait a faire valoÍr. Le 26, a neuf
heures et demie du matin, toute la force a1'-
mée était en monvement pour le coneluire dll
'Temple aux Feuillants, avec les memes pré-
cautions et dans le meme ordre que lors de
5a premiere comparution. Monté dans la voÍ-
ture du maire, il s'entretint avec lui pendant
le trajet avec la men~e.tranquillité que de cou-
turne; on parla de Séneque, de Tite-Live, des
hopitaux; il adressa meme une plaisanterie
assez fine a un des municipaux, qui avait dan s
la voiture le chapeau sur la tete. Arrivés aux
Feuillants, il montra beaucoup de sollicitude
pour ses défenseurs, il s'assit a leurs cutés
dans l'assemblée, regarda avec beaucoup dü
ealme les banes OU siégeaient ses accusateurs
et ses juges, sembla reehercher sur leur visage
l'impression que produisait la plaidoirie de
M. Deseze, et plus d'une foís il s'entretint en
souriant avec Tronchet el'" Malesherbes. 1: as-
semblée accueillit sa défense avec un morne
silence, et ne. témoigna ancnne improbation.


Le défenseur s'occupa d'abord des principes
du droit .. et en second lieu des faits imputés a


IJI. ~ '.




370 RÉVOLUTION FI\AN9AISE.
Louis XVI. Bien que l' assemblée, en décidant
que le roí serait j ugé par elle, eut implicite-
rnent décrété que l'invíolabilité ne pouvait etre
invoquée, M. Deseze démontra fort bien que
rien Be pOllvait limiter la défense, et qu'elle
demeurait entiere, meme apres le décret; que
par c~nséquent, si Louis jugeait l'inviolabilité
sOlltenable, il avait -la droit de le faire valoir.
IL fut d'abord obligé de reconnaitre la son ve-
raineté dll peuple; et, avec tous les déftmseurs
de la coustitution de ] 791, il soutint que la
souveraineté, bien que maitresse absolue, pou-
vait s'engager; qu'elle l'avait voulu a l'égard de
Louis XVI, en stipulant Tinviolabilité; qu'elle
n'avait pas voulu une chose absurde dans le
systeme de la monarchie; que par conséquent
l'engagement devait etre exécuté; et que tous
les crimes possibles, le roí en eut-il commis,
ne pouvaient etre punis que de la déchéance.
Jl dit que sans cela, la constitution de 1791 se-
raít un piége barbare teudu a Louis XVI, puis-
qu'on lui aurait promis avec l'intention secrete
de ne pas tenir; que, si OH refusait a Louis
ses droits de roi, il fallait lui laisser :.tu moins
ceux de citoyen, et il demanda ou étaient les
formes conservatrices que tout citoyen avait
(Iroit de réclamer, telles que la distinction en-
tre le jUl'y d'accusation et cellli de jugemcnt,




CONVENTION NATJONAU: (1792). 371
la faculté de réeusation, la majorité des deux
tiers, le vote secret, et le silenee des juges
pendant que Ieor opioion se formait. Il ajouta ,
avec une hardiesse qui ne rencontra qu'un si-
lenee absolu ,qu'il cherchait partout des juges
et ne trouvait que de~ accusateurs. Il passa
ensuite a la discussion des fuits, qu'ii rang.ea
sous deux divisions, ceux qui avaient précédé
et ceux qui avaient suivi l'acceptation de l'acte
constitutionnel. Les premiers étaient couv.erts
par J'aceeptation de cet acte, les autres par
l'inviolahilité. Cependant il ne refusait pas de
les discuter, et iI le tit avec avántage, paree
qu'on avait amassé une foule de faits insigni-
fiants, a défaut de la preuve précise des intel-
ligences avec l'étranger; crime dónt on étah
persuadé, mais dontla preuve positive manquait
encore. Il repoussa victorieusementl'aecusatiDn
d'avoir versé le sang fran<;¡ais au 10 aout. Dans ce
jour, en effet, l'agressellr lJ'était pas LouisXVI,
mais le peuple. Il était légitime que Louis XVI,
attaqué, cherchat a se défendre, et qu'il prit
les précautions nécessaires:.Les magistrats eux-
nH~mes l'avaient approuvé, et avaient donné
aux troupes l'ordre forme! de repousser la force
par la force. Malgré cela, disait M. Deseze, le
roi n'avait pas voulufaire usage de cette au-
tor'isation, qn'il tenait et de la natllre et de la
2!~




372 RÉVOLUTION FRAN~AISF..
loi, et jI s' était retiré dans le sein du corps lé·
gislatif pour éviter toute effllsion de sango Le
combat qui avait suivi ne le regardait plus,
devait meme luí valoir des actions de graces
plutot que des vengeance1O, puisque c'était sur
un ordre de sa main que· les Suisses avaient
abandonné la défense du chatea u et de leur
vie. Il y avait donc une crian te injustice a re·
procher a Louis X VI d'avoir versé le sang
francais, et sur ce point il avait été irrépro.
chable; il s'était montré au contrail'e plein de
délicatesse et de vertu.


Le défense'ur termina par ces mots si courts,
si justes, et les seuls ou il fut question des
vertus de Louis XVI.-


« Louis était monté sur le trone a vingt ans,
« et a vingt ans il donna sur le trone I'exem·


- « pie des mreurs ; il n'y porta aUCllne faiblesse
« coupable ni aucnne passion corruptrice; il
« y fut économe, juste, sévere, et jI s'y mon-
« tra toujours l'ami constant du peuple. Le
« peuple désÍraít la destruction d'nn ¡mpot dé·
« sastreux qui pesait sur 111Í, il le détruisit : le
( peuple demandait l'abolítÍon de la servitude,
« il cornmen<;;a par l'abolir lui-meme dans ses
« domaines : le peupIe sollicitait des réformes
« dans la législation criminelle pour l'adoucis-
« sement du sort des accllsés, il fit ces réfor-




CONVENTJON NATlONALE (1792 ). 373
« mes: le peuple voulait que des milliers de
({ Frall({ais, que la rigueur de nos usagesavait
{( privés jusqu'alors des droits qui appartien-
~f. nent aux citoyens, acquissent ces droits ou les
« recouvrassent, illes en 6t jouír par ses lois :
« le peuple voulut la liberté, et ¡ila lui donna!
t( Il vint meme au-devant de luí par ses sacri-
t( fices, et cependant e' est au IIom de ce meme
« peuple qu'on demande aujourd'hui ..... Ci-
« toyens, je n'aeheve pas ..... je m'arrete de-
« vant l'histoire: songez qu'elle jugera volre ju-
« gement, el que le sien sera celui des siec1es! »


Louis XVI, prenant lá parole immédiatement
apres son défenseur, pronolH;a quelqlles mots
qu'il avait écrits. « On vient, dit-il, de vous
« exposer mes moyens de défense; je ne les re-
« nouvellerai point; en vous parlant peut-etre
« pour la derniere fois, je vous déclare que ma
« eonscience r.e me reproche rien, et que mes
« défenseurs vous ont dit la vérité.


( Je n'ai jamais eraint que ma conduite fut
« examinée publiquement; mais mon creur est
« déchiré de trollver dans l'acte d'accusatioll
« l'imputatíon d'avoir vouln faire répandre le
« sang du peuple, et! sllrtout que les malheurs
« du 10 aout me soient attribués! '


« J'avoue que les preuves multipliées que j'a-
u: vais dOllnées dans tous les temps, de mon




374 1lÉVOLUTION FRAN~AlSl:.
C( amour pour le peuple, et la maniere dont je
te m'étais toujours conduít, me paraissaient de-
« yoir prouver que je ne craignllis pas de m'ex-
« po ser pour épargner son sang, et éIoigner a
« jamais de moi une pareille imputation. »


Le pré~ident demande ensuite a Louis XVI
s'iI ne lui reste plus rien a di re pour sa défense.
Louis XVI ayant déclaré qu'il a tout dit, le pré-
sident lui annonce qu'il reut se retirer. Con-
duit dans une salle voisine avec ses défenseurs,
jI s'oecupe avec sollicitude du jeune Deseze 1
qui para'it fatigué d'une longue plaidoirie. Ra-
mené cnsllite en voiture, il parle aVeé la meme
~érénité a ceux qui l'escortent, ét aflFive RU
Temple a cinq heures.


A peine avait-il quitté la convention, qu'un
or~e violent s'y était élevé~ Les uns voulaient
qu' on ouvrlt la diseussion; les autres se plai-
gnant des délais éternels qu'on apportait a la
décision de ce proces, demandaíent sur-le cham p
l'appel nominal, en disant que dans tout tribu-
nal, apres avoir 'OUl l'aecusé, 00 pass.ait aUJl
voix. Lanjuinais nourrissait depuis le eOillmen-
ccment du proces une ind,jgnatioll 'd{'lle son ca-
ractere ímpétueux ne luí peIi~ettait plns de
contenir. Il s'élance a la tribulle, el mI milieu
des cris qu'extlte sa présence, il demande non
pas un délai pour la cliscuss-Íon, mais l'annula·




CONV.ENTION lSATIONALE (1792). 375
tioll meme de la procédure; il s'écrie que le
temps des hornmes féroces est passé, qn'il ue
filllt pas déshonorer l'assemblée en lui faisant
juger Louis XVI; que personne n'en a le droit
en France, et que l'assemblée particulierement
n'a aucun titre pour le faire; que si elle veut
agir comme corps politique, elle ne peut pren-
dre que des mesures de súreté contre le ci-de
vant roí, mais que si elle agit comme tribunal,
elle est hors de tous les principes, car c'est faire
juger le vaincu par le vainqueur lui - meme,
puisque la plupart des membres présents se
sont déclarés les conspirateurs du 10 aout. -
Au mot de conspirateurs, un tnmulte épouvan-
table s'éleve de tOUtéS parts. On crie ti l'ordre!
ti I'Abbaye! ti has de la triúune!- Lanjuinais
veut en vain justifier le mot de conspirateurs,
en disant qu'il doit etre pris icí dan s un sens
fa vorable, et que le 10 aout fut une conspira-
tíon glorieuse: iI continue au milieu du bruit,
et finit en déclarallt qu'il aímeraít mieux pérír
mille foís que de condamner, conlre toutes les
loís, le tyran meme le plus abominable!


Une foule d'orateurs luí succedept, et le tu-
multe ne faíl que s'accroitre. On ne veut plus
rien entendre, on quitte sa place, on se mete,
on se forme pa,r groupes, on s'injurie, on se
menace, et le présideut est obligé de se eou·




3'76 , RÉVOLUTION FRAN9¡\ISJ.:.
Vrlr. Apres une heure d'agitation, le calme se
rétablit ellfin, et l'assemblée, adoptant l'avis
de ceux qui demandaient la discussion sur le
proces de Louis XVI, déclare que la discussion
est ouverte, et qu'elle sera continuée, toutes
affaires cessantes, jusqu'a ce que l'arret soít
rendu.


La discllssion est donc reprise le 27; la fonle
des orateurs déja eutendus reparait a la tri-
t>une. Saint - Just s'y montre de nOll veau. La
présence de Louis XVI, humilié, vaincu , et se-
reín encore dans l'infortune, a fait naitre quel-
ques objections dans son esprit. Mais il répond
a ces objections en appelant Louis un tyran
modeste et souple, qui a opprimé avec modes-
tie, qui se défend avec modestie, et contre la
douceu!" insinueuse duquel il faut se prémunir
avec le plus grand soin. Il a appelé les états-gé-
néraux, mais c'était ponr hllmilier la llobless~
et régner en divisant; aussi, quand il a Vu la
puissance des états s'élever si rapidcment, il a
vouIu la détrllire. Au 14 juillet, aux 5 et 6 octo-
bre, on I'a vu amasser secretement des moyens
ponr accabler le peuple; mais chaque foís que
ses conspiratioHs étaient déjouées par l'énergie
nationale, il feignait de revenir lui-meme, il
montrait de sa défaite et de la victoire du peuple
une joie hypocrite et qui n'était pas natureHe.




CONVENTION NATIONALE \1792 ). 377
Depuis, ne pouvant plus faire usage de la force,
il corrompait les défenseurs de la liberté, iI
complotait avec l'étranger, iI désespérait les
ministres, dont l'un était obligé de luí écrire :
f/ os relations secretes m' empéchent d' exécuter
les lois, et je me retire. Enfin il avait employé
tous les moyens de la plus profonde perfidie
jusqu'au 10 aout, et maintenant encore il af-
fectait une feinte douceur pour ébranler ses
juges et leur échapper.


e'est ainsi qlle les incertitudes si naturelles
de Louis XVI se peignaient dans un esprit vio-
lent, quío voyait une perfidie furte et cakulée
la ou iI n'y avait que faiblesse et regrets du
passé. D'autres.orateurs succedent a Saint-Just,
et on attend avec impatience que les girondills
p.'ennent la paroJe. lis ne s'étaient pas pro-
Iloncés enc~re, et il était temps qu'ils s'expli-
quassellt. On a déjil vu queJles étaient et leLirs
incertitudes, et leurs dispositions a s'émouvoir,
et Jeut' penchant a excuser dans Louis XVI une
résislancc qll'ils étaient plus capables de com-
prendre que leurs adversaires. Vergniaud con-
vint devant quelquesamis de l'attelldrissement
qu'il éprouvait. Sans etre aussi touchés peut-
etre, les autres étaient tOI1S disposés a s'inté-
resser a la victime; et, dan s cette situation, ils
jmagillerent un moyen qui déce!e léur émotion




378 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
et l'embarras de leur position : ce moyen était
l'appel au peuple. Se décharger d'une respon-
sabilité dangereuse, et rejeter sur la natíon le
reproche de barbarie si le roí était eondamné,
011 eelui de royalisme s'il était absous, tel était
le but des girondins, et e'était un acte de faí-
blesse. Puisqu'ils étaient tOllehés a la vue de la
profonde infortune de Louis XVI, ils devaient
avoir le courage de le défendre eux-memes, et
ils ne devaient pas provoquer la guerre civile
en renvo.yallt aux quarante - q natre miIle sec-
tions qui partageaient la FraIlee, Ulle questioll
quí allail ínfailliblement mettre tous les partís
eIl présence, et soulever les passíons les plus
furjeuses. Il fallait se saísir fortement de l'all-
torité, avoir le courage d'en user soi-meme,
sans se décharger sur la lllultitude d'un soin
dont elle était incapable, et qu,i eut exposé le
pays a une confusion épouvantable. lcí, les gi-
rondins donnerent a leurs adversaires un avan-
tage immense, en les autorisant a répandre
qu'ils fomentaient la guerre civile, et en faisant
suspecter leur eourage et leur franchise. Aussi
ne manqua-t-on pas de dire chez les jacobins,
que ceux qui voulaient absoudre Louis XVI
étaient plus frailes et plus .estimables que ceux
qui voulaient en appeler an peuple. Mais teUe
est l'or.dinail'e couduite des partís modérés : se




CONVENTlON N¡\TIOWAI.E (J792 ). 379
conduisant ici comme aux 2. et 3 septembre,
les girondins hésitaient a se compromettre pour
un roí qu'ils regardaient comme un ennemi,
et qui, dan s leur persuasion, avait voulu les
détruire par le fer étranger; cependant, émus
a la vue de cet ennemi vaincu, ils essayaient
de le défendre, i1s s'indignaient de la violence
commise a son égard, et ils faisaient assez pou!'
se perdre eux-memes, sans faire assez pour le
sauver ..


Salles, celui de tous qui se pretait le mieux
aux imaginations de Louvet, et qui meme le
surpassait dans la supposition de complots ima-
ginaires, Salles proposa et soutint le premier
le systeme de l'appel au peuple, dans la séance
du ?7' Livrant a tout le blame des républicains
la conduite de Louis XVI, et avouant qu'elle
méritait toute la sévérité qu'on pourraít dé- •
. ployer, il fit observer cependant que ce n'était
point une vengeance, maís un grand acte de
poli tique que l'assemblée devait exereer; il sou-
tint done quec'étaít SOIlS le point oe vue de
l'intéret pubJic, que la que&tfon devait etre jn-
~ée. Or, dans les deux cas, de l'absolution et
de la condamnation, il voyait des 1 nool1vénienls
-énormes. I.'absolution serait une cause éter-
tlIeHe de disoorck, etle roí deviendrait le point
de I'alliernent de t~us les 'partis. Le '$ouveftl,r




380 RÉVOLUTION FRAN~AISJ<:.
de ses attentats serait constamment rappelé a
I'assemblée ponr luí reprocher son indulgence :
eette impunité serait un scandale public quí
provoquerait peut-etre des révoltes populaires,
et qlli servirait de prétexte a tons les agitateurs.
Les hommes atroces qui avaient déja boule-
versé )'état par lellrs crimes, ne manqueraient
pas de s'autoriser de cet acte de c1émence pOllr
commettre de lJouveaux attentats, comme ils
s'étaient antorisés de la leuteur des tr·jbunaux
pour exécuter les massacres de septembre. De
toutes parts, enfin, on accuserait la convention
de n'avoir pas en le courage de terminer tant
d'agitations, et de fander la république par un


\ exemple énergique et terrible.
Condamné, le roí léguerait a sa famille


toutes les prétentions de sa race, et les légue-
raít a des freres plus dangereux, parce qu'ils
étaient moins déconsídérés par leur faiblesse.
Le peuple ne voyant plus les crimes, mais le
supplice, viendrait pellt-etre a s'apitoyer sur le
sort du roí, et les factieux trouveraient encol'o
dans ceHe disposition un moyen de l'irriter
contre la convention nationale. Les souverains
de l'Emope gardaient un morne silence, dans
l'attente d'ull événement qn'ils espéraiellt de-
voir soulever une indignation générale; mais
des que la tete dn roi serait tombée, tOllS"




CONVENTION N ATION ALE (1792). 38 f
profitant de ee prétexte, fondraient ~ la fois
sur la Franee pour la déehirer. Peut-etre aloI's
la Franee, aveuglée par ses souffranees , repro-
cherait a la eonvention un acte qui lui allrait
valu une guerre eruelle et désastreuse.


Telle est, disait Salles, la funeste alternative
offerte a la eonvention nationale. Dans une si-
tuation pareille, e'est a la nation elle-me me a se
déeider, et a fixer son sort en fixant celui de
Louis XVI. Le danger de la guerre civile - est
chimérique , ear la guerre civile n'a pas éclaté
en convoquant les assemblées primaires pour
nommer une eonvention qui devait déeider du
sort de la Franee, et on He parait pas la re-
douter davantage dans une occasion tout aussi
grave, Pllisqu'on défere a ces memes assem-
blées primaires ]a sanction de la constitution.
On objecte vaioement les longueurs et les dif-
ficlllté~ d'une nouvelle délibération dans qua-
raIlte-quatre mille assemblées; car il ne s'agit
pas de délibérer, mais de choisir sans discus-
sino entre les deux propositi'ons présentées
par la cOIlvention. On posera ainsi la qllestion
aux assemblées primaires : Louis XVI sera-t-il
puní de mort, Oll déteIlll jusqu'a la paix? Et
elles répundront par ces mots : détenu, ou mis
a mort. A vec des courriers extraordínaires, la
répome peut etre arrivée en quinze jours des




38:1 RÉVOLUTION FllAN<,jAISE.
extrémités les plus éloignées de la France.


Cette opinion avait été écoutée avec des dis-
positions tres-diverses. Serres, député des Hau-
tes-Alpes, se rétracte de sa premiere opinion,
qlli était pour le jugement, et rtemande l'appd
au peuple. Barbaroux combat la j ustification de
Louis XVI, sans prendre de conclusions, cal'
il n'osait absoudre contre le v~u de ses com-
mettants, ni condamner contre celui de ses
amis. Buzot se prononee pOUI' l'appel au peu"-
pie; toutef-ois ii modifie l' opiuion de Salles, et
demande que la convention prenne elle-meme
l'initiative en votant pour la mort, et en n'exi-
geant des assemblées primaires que la simple
sanction de ce jugement. Rabatü Saint.Étienne,
ce ministre protestant déja distingué par ses
talents dans la constituante, s'indigne de eeUe
eumulation de pouvoirs qu'exerce la eonven-
tion. « Quant a moi, dit-il, je suis las de ma por-
« tion de despotisme; je sllis fatigué, harcelé,
« bOUI'relé de la tyrannie que j'exerce pour ma
« part, et je soupire apres le moment ou vous
« aurez créé un tribunal qui me fasse perdre
« les formes et la contenance d'un tyran ....
« Vous cherchez des raisons de politique ; ces
« raisons sont dans l'histoire ... Ce peuple de
« Londres, qui avait tant pressé le supplice du
;( roi, fut le premier a maudire ses juges et a




CONn:NTION NATION HI, ('792). 383
re se prosterner devant son successeur. Lorsque
(e Charles II monta sur le treme, la ville lui
« donna un superbe repas, le peuple se livra
(e a la joie la plus extravagante, et iI courut
« assister au supplice de ces me mes juges que
« Charles imrnola depuís aux manes de son
« pere. Peuple de París, parlement de France,
«( ,m'avez-vous entendu? ... »


Faure demande le rapport de tous les décrets
portant la mise en jugement. Le sombre Robes-
pierre reparait enfin, tont plein de colere et
d' amertume. r( Lui aussi, dit-il , avai t été touch(~
« et avait senti chancel er dans son crenr la vertu
( républicaíne, en présence dn coupable humi-
«( lié devant la puissance souveraine. 1\Iais la
«( derniere preuve de dévouement qu'on devait (( a la patrie, c'était d'étouffer tout mouvement
«( de sensibilité. » 11 répete alors tout ce qlli a
été dit sur la compétence de ]a conyention,
sur les délais éternels apportés a la vengeance
nationale, sur les ménagements gardés envers
le tyran, tandis qn'on atta que sans aucune es-
pece de réserve les plus chauds amis de la li-
berté; 11 prétend que cet appel au peuple n'est
qn'une ressource semblable a cclle qu'avait ima-
ginée Guadet, en demandant le scrutin épura-
toire; que cette ressource perfide avait pOllr
but (h~ remettre tout en question, et la dépll.o




3t{{l RÉVOLllTION FRAN~A.ISR.
tatjon actuelle, et le 10 aout, et la républiql1e
elle-meme. Ramenallt tonjours la question a
Iui-mthne et a ses ennemis, il compare la sitl1a-
tíon actllelle a celle de juillet 1791, lorsqn'il
s'agissait de jnger LOllis XVI pour sa fuite a
Varennes. Robespierre y avait joué un role im-
portant. Il rappelle et ses dangers, et les ef-
forts heureux de ses adversaires pour replacer
l .. ouis XVI sur le trone, et la fusillade du
Champ-de-Mars qui s'en était suivie, et les
périls que Lonis XVI, replaeé sur le trone,
avait fait cOllrir a la chose publique. Il si-
gnale perfidement ses adversaires d'anjourd'hlli
eomme étant les memes que ses adversaires
d'antrefois; il se présente eomme exposé, et la
Franee avec lui, au meme danger qu'alors, et
toujours par les intrigues de ces fripolls qui
s'appellent exclnsivement les hOllIH~tes gens.
ce Aujourd'hui, ajoute Robespierre, ils se tai-
e( sent sur les plus grands intérets de la patrie;
« ils s'abstiennellt de prononcer lellr opinion
« sur le dernier roí; mais lenr sourde et per-
« nicieuse activité procluit tons les troubles qui
ce agitent la patrie; et pour égarer la majorité
ce saine, mais SOllvent trompée, ils poursuivent
(c les plus chands patriotes sons le titre de mi-
re norité factiense. La mÍnorité, s'écrie-t-il, se
(l changea souvent en majorité, en éclairant les




CONVENTION N A.TION ALE ([ 792). 385
« assemblées trompées. La vertu fut toujours
« en minorité sur la terre! Sans cela la terre
c( serait-elle peuplée de tyrans et d'esclaves?
« Hampden et Sidney étaient de la minorité,
« car ils expirerent sur un échafaud. Les Critias,
t( les Anitus, les César, les Clodius, étaient de la
I( majorité, mais Socrate était de la minorité,
« car il avala la cigue; Caton étai t de la mino-
« rité, car il déchira ses entrailles. " Robes-
pierre recommande ensuite le calme au peuple
ponr (¡ter tout prétexte a ses adversail'es, qui
présentent de simples applaudissements don-
nés a ses. députés fideles ponr une rébellion.
« Peuple, s'écrie-t-il, garde tes applaudisse-
« ments, fuis le spectaele de nos débats! I,oin
« de tes yeux nous n'en combattrons pas
c( moins.» Il termine enfin en demandant que
Louis XVI soít sur-Ie-champ (léelaré coupable
et condamllé a mort.


Les orateurs se succedent le 28, le 2.9, et
jusqu'au 3 [. Vergniaud prend enfin la pal'ole
ponr la premiere fois, et on écoute avec un
empressement extraordinaire les girondins
s'exprimant par la bOliche de leur plus grand
oratenr, et rompant un silence dont RoLes-
pierre n'était pas le seul a les accuser.


Vergniaud développe d'abord le príncipe de
la souveraineté dn peuple, et distingue les cas


IJI. 25




386 RÉVOLUTION FRAN<:HSE.
ou les représentants doivent s'adresser a elle.
II serait trop long, trop difficile de recourir
a un grand peuple pour tous les actes légisJa-
tifs; mais pour certains actes d'une haute im-
portance, il en est tout autrement. La consti-
tution, par exemple, a été d'avance destinée a
la sanction nationale. Mais cet objet n'est pas
le seul qui mérite une sanction extraordinaire.
lJe j ugernent de Louis a de si graves caracteres,
soit par la cumulation de ponvoirs qu'exerce
l'assemblée, soit par l'inviolabilité qui avait
été constitutionnellement accordée au monar-
que, soit enfin par les effets politiques qui
doivent résulter d'une condamnation; qu'on
ue saurait contester sa haute importance, et
la nécessité de le soumettre an peuple lni-
meme. Apres avoir développé ce systeme,
Vergniaud, qui réfute particulierement Robes-
pjerre, arrive cufin anx inconvénients poli ti-
ques de l'appel au peuple, et touche atontes
les grandes questiom' qui divisent les deux
partís.


Il s'occupe d'abord des discordes qu'on re-
doute de voir éclater si on renvoie au peuple
la sanction dn jugernent du roí. Il reproduit
les raisons données par d'autres girondins, et
soutient que si ron ne craignait pas la guerre
civil e en rénnissant les assemblées primaires




CONV};NTION NATIONALE (1792 ). 3~7
pour sanctionner la constitutioll, iI ne voyait
pas pourquoi on la redonterait en les réunis-
sant pour sanctionner le jugement du roi.
Cette raison , SOlIvent répétée, était de peu de
valeur, car la coustitution n'était pas la vérita-
ble question de la révolution; elle ne pouvait
etre que le réglement détaillé d'une institu-
tíon déjit décrétée et consentie, la république.
Mais la mort du roi étant une question formi-
dable, il s'agissaít de savoir si, en procédant
par I,voix de mort contre la royauté, ]a ré-
volution romprait sans retour avec le passé,
et marcherait par les vcngeances et une éner-
gie inexorable au but qu'elle se proposait. Or,
sí une question aussi terrible divisait déja si
fortement la convention et Paris, il Y avait le
plus grand danger a la proposer encore aux
quarante - quatre mille sections du territoire
fraw;:ais. Dans tous les théatres, dan s toutes
les sociétés populaires, on disputait tumul-
tueusemelft, et 11 fallait que la convention eut
la force de décider elIe-meme la question, pour
ne pas la livrer a la F'rance, qui l'eut peut-
ctre résolue par les armes.


Vergniaud, partageallt a cet égard l' opinion
de ses amis, soutient que la guerre civil e n'est
pas a craindre. Il dit que dans les départe-
ments les agitatellrs n'ont pas acquis la pré-


25.




388 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
pondérance qu'une lache faiblesse leur a laissé
usnrper a París; qu'ils ont bien parcouru la
surface de la république, mais qu'ils n'y oot
trouvé partout que le mépris, et qu'on a donné
le plus grand exemple d'obéissance a la loi, en
respectant le sang impur qtii coulait daos leurs
veines. Il réfute ensuite les craintes qu'on a
exprimées sur la véritable majorité qu'on a dit
etre composée d'intrigants, de royalistes, d'a-
ristocrates; iI s'éleve contre cette orgueilleuse
assertion , que la vertu était en minorité sur la
terreo « Citoyens, s' éerie.t-il, Catilina fut en mÍ-
« norité dans le sénat romain, et si cette mi-
« norité eut préva]u, c'en était fait de Rome,
« du sénat et de la liberté. Dans l'assemblée
« constituante, Maury, Cazales, furent en mi-
( norité, et s'ils avaient prévalu, e'en était fait
« de vous! Les rois anssi sont en minorité sur
ce la terre; et pour enchainer les peuples, ils
« disent aussi que la vertu est en minorité!
« Ils disent anssi que la majorité des pellples
(e est composée d'intrigants auxquels iI faut
«( imposel' silence par la terreur, si ron veut
c( préserver les empires d'un bouleversement
(e géoéral.»


Vergniaud demande si, pour faire une..ma-
jorité conforme aux ~ceux de certains hommes,
jI faut employer le bannissement et la mort,




CONVENTION NATIOlIIAU (1792.)· . :)89
changer la France en désert, et la livrer ainsi
aux conceptions de quelques scélérats.


Apres avoir vengé la majorité et la France,
ir se venge luj·meme et ses amis, qu'il montre
résistant toujours, et avec un égal courage, a
tous les despotismes, celui de la cour et celuí
des brigands de septembre. Illes montre pen-
dant la journée du 10 aout, siégeant au bruit
du canon du chatea u , pronon<;ant la dé-
chéance avant la victoire du peuple, lanclis
que ces Brutus, si pressés aujourd'hui d'égor-
ger les tyrans abattus, cachaient leurs frayeurs
dans les entrail1es de la terre, et attendaient
ainsi l'issue du combat incertain que la liberté
livrait au despotisme.


Il rejette ensuite sur ses adversail'es le re-
proche de provoquer a la guerre ci víle. « Oui,
« dit-il, ils veulent la guerre civil e ceux qui,
« en prechant l'assassinat eontre les partisans
( de la tyrannie, appliquent ce nom a toutes
«( les victimes que leur haine veut immoler;
(e ceux qui appellent les poignards sur les re-
«( présentants du peuple, et demandent la
( dissolution du gouvernement et de la con-
« vention; ceux qui veulent que la minoríté
« devienne arbitre de la majorité, qu'elle puisse
ce légitimer ses jugements par des insurrec-
\C tions, et que les Catilina soient appelés a ré-




390 ln:VOLllTION },'RAN<1A.ISE.
« gner dans le sénat. IIs veulent la guerre ci-
« vile, ceux qui prechent ces maximes dans
« tous les lieux publics, et pervertissen t le
« peuple en accusant la raison de ftuillan-
« tisme, la justice de pusillanimité, et la sainte
c( humanité de conspiration.


« La guerre civile, s'écrie l'oratenr, pour
« avoir invoqué la souveraineté du peuple ! ....
« Cependant en juillet J 79 1 vous étiez plus
« modestes, vous ne vouliez pas la paralyser
« et régner a sa place. Vous faisiez courir une
« pétition pour consulter le peuple sur le ju-
f( gement a rendre contre Louis revenu de
f( Varennes! Alors vous vouliez de la souverai·
{( neté du peuple, et vous ne pensiez pas que
« l'invoquer put exciter la guerre civil e ! Serait-
« ce qu'alors elle favorisait vos vues secretes,
« et qu'aujourd'hui elle les contrarie?»


L'orateur passe ensuite a d'autres considéra-
tions. On a dit que l'assemblée devait montl'er
assez de grandeur et de courage pour f~lire
exécuter elle- meme son jugement sallS s' ap-
puyer de l'avÍs du peuple. « Du courage, dit-
« il; iI en fallait pour attaquer Louis XVI dans
« sa toute -puissance; en faut-íl tant ponr en-
(( voyer au supplice Louis vaincu et désarmé?
(f Un soldat cimbre entre dans la prison de
c( Marius pour l'égorger; effrayé a l'aspect de




CONVENTION NATIONALE (qy'l). 3gr
(( la victime, iI s'enfuit saIlS oser la frapper. Si
« ce soldat aVilit été membre d'un sénat, dou-
« tez-vous qu'il eut hésité a voler la rnort du
(( tyran? Quel conrage trouvez-,:ous a faire un
( acte dont un lache serait capable? »


II parle ensuite d'un autre genre de courage,
de celui qu'il faut déployer contre les puis-
sances étrangeres. « Puisqu'on parle continuel-
« lernent, dit-il, d'un grand acte politique, iI
« n'est pas inutile d'examiner la question sous
« ce rapport. Il u'est pas douteux que les puis-
(( sanees n'attendent ce dernier prétexte pour
{( fondre toutes ensemble contre la France.
« On les vaincra sans doute; l'hérolsme des
« soIdats fraIH;ais en est un sur garant : rnais
« ce sera un surcrolt de dépenses, d'efforts de
« tout genre. Si la guerre force a de nouvelles
( émissions d'assignats, qui feront croitre dans
« une proportion effrayante le prix des denrées
«( de premiere nécessité; si elle porte de nou-
« velles et morteHes atteintes au comrnerce;
« si elle fait verser des torrellts de sang sur le
.« continent et sur les mers, queIs si grands
« services aurez-vous rendus el l'humanité?
« Quelle reconnaissance vous devra la patrie
«( pour avoir faít en son nom, et au rnépris
( de sa souveraineté rnéconnue, un acte de
f( vengeance devenu la cause OH seulement le




392 RÉVOLUTION FRAN<;:AJSl'~.
« prétexte d'événements si calamiteux ~ J'é-
« carte, s'écrie l'orateur, toute idée de revers,
« mais oserez-vous lui vanter vos services? 11
« n'y aura pas une famille qui n'ait a pleurer OH
« son pere ou son fils; l'agricultellr manquera
« bientot de bras; les ateliers seront aban-
«( donnés; vos trésors écoulés appelleront de
« nouveaux impots; le corps social, fatigué
« des assauts que lui livreront an dehors les
« ennemis armés, au dedans les factions SOIl-
« levées, tambera dans une langueur morteHe.
« Craignez qu'au milieu de ces triomphes, la
« France neressembleaces monumentsfameux
« quí, dans I'Égypte, ont vaincu le temps :
« l'étranger quí passe s'étonne de leur gran-
« deur; s'il veut y pénétrer, qu'y trouve-t-íl?
« Des cendres inanimées, et le silellce des
« tombeaux. »


Apres ces craintes, il en est d'autres qui se
présentent encare a l' esprit de Vergniaud; elles
lui sont suggérées par l'histoire anglaise, et par
la condnite de Cromwell, auteurprincipal, mais
caché, de la mort de Charles le!. Celui-ci, pons-
sant toujours les peuples, d'abord contre le roí,
puis contre le parlement lui - meme, brisa en-
suite son faíble instrllment, et s'assit au su-
preme pouvoir. (1 N'avez-vous pas, ajoute Ver-
a. gniaud, n'avez-vons pas entendu , dan s eette




~


CONVENTlON NATlONALE (1792.). 393
« enccinte et ailleurs, des hommes crier : Si le
« pain est cher, la caus e en est au Temple;
({ si le numéraire est rare, si nos armées sont
« mal approvisionnées, la cause en est au l'em-
« pie; .si nOllS avons ti souffrir chaque joar
« du spectacle de l'indigence, la cClllse en est
ce au Temple!


(e Ceux qui tiennent ce langage n'ignorent
({ pas cependant que la cberté du pain, le dé-
« faut de circulation dans les subsistances, la
« mauvaise administration dans les armées, et
« !'indigence dont le spectacle ·nous afflige , ti en-
« nent a d'autres causes que ceHes du Temple.
({ Quels sont done leurs projets? Qui me garan-
( tira que ces ItH~mes hommes qui s'efforcent
« continuellement d'avilir la convention, et qui
« peut.etre y auraient réussi si la majesté du pell-
« pie, qui réside en elle, pouvait dépendre de
« leurs perfidies; que ces memes hommes qui
{( proclament partout qu'une nOllvelle révolu-
« tíon est nécessaire, qui font déclarer teUe on
el lelle section en état d'insurrec~ibn perma-
« nente, qui disent a la,commune que-Iorsque


. « la convention a sl1ccédé' a Lúuis 00, n'a fait
({ que changer de tyr;ll1s; et qu'il fant 'une
c( autre journée du. 10 aoút; que ces mames
(e hornmes qni ne parlent que de complots, ile
ce mort, de traitres, de proscriptions; qui pu-




394 RÉVOLUTlON l"RAN~AIS1-:.
« blieot daos les assemblées de seetion et dalls
« leurs écrits qu'il fant oommer un difenseul'
« a ]a république, qll'il u'y a qu'un chef qni
« puisse la sanver; quime garantira, dis-je, que
« ces memes hommes ne crieront pas, apres la
« mort de Louis, avec la plus grande violcnce :
l( Si le pain est cher, la cause en est dans la
« convenlion; si le numéraire est rare, si nos
« armées sont mal approfJisionnées, la cause en
« esl dans la convention ; si la machine du gou-
« fJernement se traíne avec peine, la cause en
( est dans la confJention chargée de la diriger;
« si les calamités de la guerre se sont accrues
« par les déclarations de l' A ngleterre et de l' E s-
« pagne, la cause en est dans la confJentioll, qui
« a prolJoqué ces déclarations par la cOlldam-
(( natioll précipitée de Louis!


« Qui me garantira qu'a ces cris séditieux de
« la turbulence anarchigue ne viendront pas
« se rallier l'aristocratie avide de vengeauce, la
« misere avide de changement, et jusqu'a la
« pitié, que des préjugés invétprés auront ex-
« citée sur le sort de Louis? Qui me garaotira
« que de cette tempete, ou l'on yerra ressortir
« de leurs repaires les tueurs du 2 septembre,
( 00 ne vous présentera pas tout couvert de
( sang, et eomme un libérateur, ce dqenseuT,
!( ce chef qu'on dit etre si néeessaire? Un chef!




CONVENTION NATIONALE (1792). 395
« ah! si telle était leur audace , ii ne paraitrait
c( que pour etre a l'instant percé de mille coups !
t( Mais a quelles horreurs ne serait pas livré
C( París; Paris, dont la postérité admirera le
« courage héroique contre les rois, et ne con-
( cevra jamais l'ignominieux asservissement a
« une poignée de hrigands, rehut de l'espece
t( hllmaine, qui s'agiteut dans son sein et le
(( déchirent en tous sens par les rnouvements
ce convuIsifs de leur ambition et de leur fureur!
(( Qui pourrait habiter une cité oú régneraient
(( la terreur et la mort! Et vous, citoyens in-
c( dustrieux, dont le travail fait toute la richesse,
«( et pour qui les moyens de travail seraient dé-
c( trl1its, vous qui avez fait de si grands sacri-
(C fices a la révolution, et a qui l' on enleverait les
c( derniers moyens d'existence, vous dont les
« vertus, le patriotisme ardent et la honne foi
(l ont rendu la séduction si facile, que devien-
«( driez-vous ? quelles seraient vos ressources?
« quelles mains essuieraient vos larmes et por-
« teraient des secours a vos familles déses-
(c pérées?


(C Iriez-vous trouver ces faux amis, ces pcr-
C( fides flatteurs qui vous auraient précipités dans
« l'ahime? Ah! fuyez-les pIutot! redoutez lem
( répol1se ! je vais vous l'apprendre. Vous leue
CI demanderiez <in pain; ¡ls vous diraient : Allez




396 RÉVOLUTION FRAN<;;AISE.
« dans les carrii~res disputa ti: la terre quelques
« lambeaux sanglants des victimes que vous
(e alJez égorgées! Ou : Voulez-vous dlt sang?
( Prt~nez, en voici! du sang el des cadafJres ,
« nOllS n' afJons pas d' autre nourriture ti vous
« o.fFil' ! .. , Vous frémissez, citoyens ~ O ma
« patrie ,je demande acte a mon tour des efforts
( que je fais ponr te sauver de cette crise dé-
«( plorabIe ! »


L'improvisation de Vergniaud avait produit
sur ses auditeurs de tous les eOtés une impres-
sion profonde, et une admiration générale.
Robespierre avait été atterré sous eette franche
et entralnante éIoquence. Cependant Vergniaud
avait ébranlé mais n'avait pas entrainé l'assern-
blée, qui hésitait entre les deux partis. PIusieurs
oratellrs furent successivement entelldus, pour
ou contre l'appel au penple. Brissot, Genson-
né, Pétion , le soutinrent a lenr tour. Enfin un
orateur eut sur la question une iufluence dé-
císive; ce fut Barrere. Par sa sOllplesse, son
éloquence évasive et froide, iI élait le modele
et I'oracle dll mílíell. II parIa longllement surle
proces, l'envisagea SOllS tous les rapports, des
faits, des loís et de la politiqlle, et fournit des
motifs de condamllatioll a tous les faibles qlli
ne demandaíentque des raísons spécieuses pOUF
céder. Sa médiocre argumentation servit de




CONVENTION NATlON ALE (1792.)· 397
prétexte a tous ceux qui tremblaient, et des
cet instant le malheureux roi fut condamné.
ta discussion s'était prolongée jusqu'au 7 jan-
vier 1793, et déja personne ne voulait pJus
entendre cette éternelle répétition des memes
faits et des memes raisonnements. La c1óture
fut prononcée sans opposition ; mais la pro po-
sition d'un nouvel ajournement excita un sou-
Ievernent des plus violents, et fut enfin décidée
par un décret qui fixa la position des questions
et l'appel nominal an 14 janvier.


Ce jour fatal arrivé, un concours extraordi-
naire de spectateurs entourait l'assemblée et
remplissait les tribunes. Une fouJe d'orateurs se
pressent pour proposer différelltes manieres de
poser les questions. Enfin, apres de longs dé-
bats, la convention renferme toutes les ques-
tions dans les trois suivantes :


LOllis Capel est·il coupable de conspiration
contre la liberté de la nation, el d' attentats
contre la súreté générale de l'état?


Le jugement, quel qu'il soit, sera-t-il envoyé
a la sanclion du peuple?


Quelle peine lui sera-t-il infligé?
Toute la journée du 14 avait été occupée a


poser les questions. CeHe du J 5 fut réservée a
l'appel nominal. L'assemblée décida d'abord que
chaque membre prononcerait son vote a la tri-




398 RÉVOUTTION FRAN¡;;AISE.
bune; ,que ce ,-ote pourrait etre motivé, et se-
rait écrit et signé; que les absents saos cause
seraient censurés, mais que ceux qui rentre-
raient pourraient émettre leurvreu, meme apres
l'appel nominal. Enfin ce fatal appel commence
sur la premiere question. Huil membres sont
absents pour cause de maladie, vingt par com-
mission de l'assemblée. Trente·sept, en motivant
leurs votes de diverses manieres, reconnaissent
Louis XVI coupabIe, mais se déclarent incom-
pétents pour prononcer un jugement, et ue
demandent contre lui que des mesllres de sureté
générale. Enfin six cent quatre - vingt - trois
membres déclarent sans explication LouisXVI
coupable. L'assemblée se composait de sept
cent quarante-neuf membres.


Le président, au llom de la convention na-
tionale, déclare Louis Capet coupable de cons-
piration contre la liberté de la nation, et
d'attentats contre la súreté générale de l'état.


L'appel nominal recommence sur la seconde
question, ceBe de l'appel au peuple. Vingt-neuf
membres 500t ab5enl's. Quatre, lesquels sont
Lafon, 'Vaudelaincourt, Morisson et Lacroix,
refusent de voter. Le nommé Noel se récuse.
Onze donnent lcur opinion avec différentes
conditions. Deux cent quatre-vingt-un 'Votent
pour l'appel au peuple; qtlatre cent Vi.tlgt-tl'ois




CONVENTION NATIONALE (1792 )' 399
le rejettent. Le président déclare au nom de
la convention nationale, que le jugement de
Louú Capet ne sera pas enfJoyé a la ratifica-
Izon du peuple.


l,a journée du 15 avait été absorbée tout
entíere par ces deux appels nominaux, le troi-
sieme fut renvoyé a la séance du lendemain.


L'agitation augmentait dans Paris a mesure
que l'instant décisif s'approchait. Aux théatres,
des voix favorables a Louis XVI s'étaient fait
entendre, a l'occasion de la piece de l'Ami des
Lois. La commune avait ordonné la suspension
de tous les spectacles; mais le conseil exécutif
avait révoqué cette mesure, comme attenta-
toire a la liberté de la presse, dans laquelle
OH comprenait la liberté du théatre. Dans les
prisons, il régnait une consternation profonde.
On avait répandll que les épouvantables jour-
nées de septembre'deváient s'y renouveler, et
les prisonniers, leurs parents , assiégeaient les
déplltés de supplications, pour qu'on les arra-
chttt a la mort. Les jacobins, de leur cOté, di-
saient que de toutes parts on conspirait po nI'
soustraire Louis XVI au supplice, et pour ré-
tablir la royauté. Leur coJere, excitée par les
délais et les obstacles, en devenait plus mena-
({ante, et les deux partis s' ef[rayaient ainsi l'un
l'autre, en se supposant des projets sinistres.




400 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
La séance du 16 avait excité un concoul'S en-
core plus considérable que les précédentes.
C'était la séance décisive, cal' la déclaration de
la culpabilité n'était rien si Louis XVI était
condamné au simple bannissement, et le but
de ceux qui voulaient son salut était rempli,
puisque tout ce qu'ils pouvaient attendre dans
le moment, c'était de l'arracher a l'échafaud.
Les tribunes avaient été envahies de bonne
heure par les jacobins, et leurs regards étaient
fixés sur le bureau ou chaque membre allait
paraitre pour déposer son vote. Une grande
partie du jour est consacrée a des mesures
d' ordre public, a appeler les ministres, a les
entendre, a provoquer des ex plica tion s de la
part du maire, sur la c1óture des barrieres,
qu'on disait avoil' été fermées pendant la jour-
née. La conventioll décl'ete qu'elles resteront
ouvertes, et que les fédérés présents a Paris
partagerollt avec les Pal'isiens le service de la
ville et de tous les établissements publics,
Comme la journéc était avancée, on décide
que la séance sera permanente jusqu'il la fin
de l'appel nominal. A "instant ou l'appel no-
minal allait commencer, on demande a fixer a
quel nom:h,r~ de voix l'arrth doit etre rendu.
Lehardy propose les denx tiers des voix,
comme dans les tribunanx cl'imincls. Danton,




CONVENTION NATIONALE (1793). 4t)J
qui venait d'arriver de llelgique, s'y oppose
fortement, et requiert la simple majorité, c'est-
a-dire la moitié des "oix plus une. Lanjuinais
s'expose a de nouveaux orages, en demandant.
qu'apres tant de violations.des formes de la
justice, on observe au moins ceHe qui exige
les deux tiers des suffrages. - Nous votons,
s'écrie-t-il, sous le poignard et le canon des
factieux.-A ces mots, de nombreux cris s'éle-
vent, et la convention termine le débat, en
déclarant que la forme de ses décrets est uni-
que, et que, d'apres cette forme, ih sont tous
rendus a la simple majorité.


Il est sept hcures el demie du soir, et l'appel
nominal commence pOllr durer toule la nuit.
Les uns prononcent simplemellt la morL; les
autres se déclarent pour la détention , et le ban-
nissement a la paix; un certain nombre vote
la mort avec une restriction, c'est d'examiner
s'iL ne sCl'ait pas convenable de surseoir a l'exé-
cution. Mailhe était l'auteur de cette restric-
tlon, qui pouvait sauver Louis XVI, cal' le
temps était tOllt ici, et un délai équivalait a
une absolution. Un assez grand nombre de
députés s'étaient rangés a cet avis. L'appel
continue an milieri du tumulte. Dans ce mo-
ment , l'jntéret qu'avait inspiré Louis XVI était
parvenu jI son eomble, et beaucollp ele mem-


Il1. 26




402 RÉVOLUTJON FRAN9AISE.


hres étaient arrivés avec l'intention de voter
en sa faveur; mais d'autl'e part aussi, l'achar-
nement de ses ennemis s'était accru, et le
peuple avait fini par ídentifier la cause de
la république ave~ la mort du dernier roí,
et a regarder la république comme con-
damnée, et la royauté comme rétablie, si
Louis xvr était sauvé. Effl'ayés de la fureur
que soulevait cette conviction popuJaire , beau-
coup de membl'es I'edoutaíent la guerre civile,
et, quoique fort émus du sort de Louis XVI,
étaient épouvantés des suites d'un acquitte-
mento Cette crainte devenait plus grande a la
vue de l'assemblée et de la scene qui s'y pas-
sait. A mesure que chaque député montait l'es-
caJier du burean, OH se taisait pOllr l'entendrej
mais apres son vote, les mouvements d'ap-
probatíon et d'improbation s'élevaient aussitót,
et accompagnaicnt son retonr. I.es tribunes
accneillaient par des murmures tout ,'ate qui
n'était point pour la mort; souvent elles adres-
saient a I'assemblée elle-meme (fes gestes mena-
<;ants. Les députés y répondaient de l'intérieur
de la salle, et iI en résultait un échange tu-
multueux de mellaces et de paroles injnrieuses.
Cette scene sombre et terrible avait ébralllé
toutes les ames, et changé bien des résollltions.
Lecointre de Versailles, dont le courage n'était




CONVENTION NATIONALF. (1793). 403
pas doutellx, et qui n'avait cessé de gesticuler
contre les tribunes, arrive au bllreau, hésite
et laisse tomber de 5a bOlIche le mot inattendn
et terrible: la mort. Vergniaud, qui avait paru
profondément tonché du sort de Louis XVI.
et qui avait déclaré a des amis que jamais ii
ne pourrait condamner ce rnalheureux prince,
Vergniaud , a l'aspect de cette sct~ne désordon-
née, croit voir la guerre civile en France, et
prononce un arret de mort, en y ajoutant
néanmoins l'amcndement deMailhe.Onl.in-
terroge sur son changement d'opinion, et iI
répond qu'il a cm voir la guerre civile prete
a éclater, et qu'il n'a pas osé mettre en ba-
lance la vie d'llTl individn avec le salut de la
France.


Presque tous les girondins adopterent l'a-
mendement de Mailhe. Un député dont le vote
excita surtont une vive sensation, fut le duc
d'Orléans. Obligé de se rendre supportable
aux jacobins Oll de périr, il prollonr;a ]a mort
de son parent, et retonrna a sa place au milieu
de l'agitation causée par son vote. eette triste
séance dura toute la nuit du 16, et toute la
journée du 17, jusqu'a sept heures du soir:
On attendait ]e recensement des voix avec une
impatience extraordinaire. Les aveunes étaient
remplies d'un~ foule immense, au miliell de


26.




404 RÉVOLUTION FRA.N~AISE.
laquelle on se demandait de proehe en proehe
le résultat du scrutin. Dans l'assemblée on était
incertain encore, et on croyait avoir entendu
les mots de réclust"on Oll de bannissement pro-
férés aussi souvent que celui de la mor/o Sui-
vant les uns, il manquait Un suffrage pour la
conuamnation; suivant les autres, la majorité
existait, mais elle n'était que d'nne seule voix.
De toutes parts en fin , on disait qu'un seul avis
pouvait décider la question, et on regardait
avee anxiété si un votant nouveau n'arrivait
paso En ce moment parait a la tribune un
homme qui s'avance avec peine, et dont 11\ tete
enveloppée annOIlce un malade. e'est Duchas-
tel, député des Deux~Sevres, qui s'est arraché
de son lit pour venir donner son vote. A cette
vue, des cris tumultueux s'élevent. On prétend
que les machinateurs sont allés le chercher
pour sauver Louis XVl. On veut l'illterroger,
mais l'assemblée s'y refuse, et lni donne la
faculté de voter en ve~tu de la décísion qui
admettait le suffrage apres l'appel nominal.
Duchastel monte avec fermeté a la tribune, et
au miheu de l'attente Ilniverselle prononee le
bannissement.


De nouveaux ineidents se snccedent. Le mi-
nistre des affaire S étrangeres demande la pa-
role pone cornmuniquer une note dn chevalier




CONVENTION N ATIONALE (1793). fluS
d'Ocariz, ambassadeur d'Espagne. Il offrait la
neutralité de l'Espagne, et sa médiation au-
pres de toutes les puissances, si on laissait la
vie a Louis XVI. Les montagnards impatients
prétendent que c'estun incident combiné pour
bire naltre de nouveaux obstacles, et qeman-
dent l'ordre du jour. Danton veut que sur-Ie-
champ on déclare la guerre a I'Espagne. L'as-
semblée adopte l'ordre du jour. On annonce
ensuite une nouvelIe demande : ce sont les
défenseurs de Louis XVI qui veulent paraitre
devant l'assemblée pour lui faire une commu-
nication. Nouveaux cris du coté de la Monta-
gne. Robespierre prétend que toute défense
est terminée, que les conseils n'ont plus ríen
a faire entendre a la convention, que 1'arret
est rendu, et qu'il faut le prononcer. On dé-
cide que les défenseurs ne seront introduits
qu'apres la prononciation de l'arret.


Vergniaud présidait. « Citoyens, dit -il, je
« vais proclamer le résultat du scrutin. Vous
« garderez, je I'espere, un profond silence.
« Quand la justice a parlé, l'humanité doít
(e avoir son tour. »


L'assemblée était composée de sept cent
quarante-neuf membres : quinze étaiellt ab-
sents par cornmission, huit par maladie, cinq
lI'avaierlt pas VOUlll voter, ce qui réduisait le




~06 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
nombre des députés présents a sept cent vingt-
un, et la majorité absolue a trois cent soixante-
une voix. Deux eent quatre-vingt-six avaient
voté pour la détention ou le bannissement
avec différentes eOllditions. Deux avalent voté
pour les fers; quarante-six pour la mort avee
sursis, soit jusqu'a la paix, soit jusqu'a la ra-
tifieation de la eonstitution. Vingt-six s'étaient
prononeés pour la mort, mais, eomme Mailhe,
ils avalent demandé qu'il fUt examiné s'il ne
serait pas utile de surseoir a l'exéeution. I~eHr
vote était néanmoins indépendant de eette der-
niere clause. Trois eent soiJ(ante- un avaient
voté pour la.mort sans eonditipn.


Le. présidellt, avee raeeent de la douleur,
<léelare au 1I0m de la eonventioll que la peine
prononcée·contre Louis Capet est la mort.


Dans ce momeot, on introduit a la barre les
défenseurs de Lonis XVI. M.,Deseze prend la
parole, et dit qu'il est envoyé par son e/ient
poní' ínterjeter appel aupres du peuple du ju-
gemellt rcndu par la convention. II s'appuie
sur le petit nombre de voix qui ont décidé la
condamnatioIl, et souticut que, puisque de
tels doutes se sont élevés dans les esprits, il
eonvient d'eu référer a la nation elle - meme.
Tronchet ajonte que le code pénal apnt été
suivi quant a la sévérité de la peille ,OH au-




CONVENTlON NATIONALE II 793). !~u7
'raít dli le suivre au moins quant a l'humanité
des formes; et que celle qni exige les denx
tiers des voix n'anrait pas dti etre négligée. Le
vénérable Malesherbes parle a son tour, et,
d'une voix entrecoupée par les sanglots, « Ci-
« toyens, dit-il, je n'ai pas l'habitude de la pa-
« role .... Je vois avec douleur qu'on me refnse
(e le temps de rallier mes idées sur la maniere
« de compter les voix .... J'ai beaucoup réflé-
« chi autrefüis;mr ce sujet; j'ai beáucoup d'ob-
ce servations a vous -communiquer ..... mais .. :.
« Citoyens , ... pardonnez mon tl''fmble .... accor-
« dez-moi jusqn'a demain pour vous présenter
e( mes idées.)J


L'assemblée est émue a la vue des larmes et
des cheveux blanchis de ce vénérable vieillard.
« Citoyens, dit Vergniaud aux trois défen-
« seurs, la convention a elltendu vos récla-
(e mations; elles étaient pour vous un devoir
« sacré. Veut-on, ajuute-t-il en s'adressant a
l( l';lssemblée, décerner les honneurs de la
« séance aux défenseurs de Louis?»- Oui,
ouí, s'écrie-t-on a l'unanirnité.


Robespierre prend aussitot la parole, et
rappelant le décret relldu conlre l'appel au
peuple, repousse 'la demande des tléfenseurs.
Guadet veut que, 'san s admettre l'appel au
peuple ~ 00 accorde vingt - quatre heures a




408 RÉVOLUTION FRAN9A.lSE~
Malesherbes. Merlin de Douai soutient qu'íl
n'y a rien a dire sur la maniere de· compter
les voix, cal', si le code péllal qu' on invoque
exige les deux tiers des voix pour la déclara-
tion du fait, il n' exige que la simple majorité
pour l'application de la peine. Or, dans le cas
actuel, la cnlpabilité a été déc1arée a la pres-
que unanimité des voix; el des-Iors pell im-
porte que pour la peine on n'ait obtenu que la
simple majorité.


J)'apres ces diverses observations, la con~
vention passe-a l'ol'dre du jour sur les récla-
matiuns des défenseul's, déclare Hui l'appel
de Louis, et renvoie an lendemaill la question
du sursis. Le lendemain 18, on prétend que
I'énurnératíon des votes ne s'est pas faite exac-
tement, et on demande qu' elle sOlt I'ecom-
mencée. Toute lajournée se passe en t:ontesta-
tions; enfin le calcul est I'econnu exact, et on
est obligé de rernettre au jour suivant la ques-
tion du sursis.


Le (9 enfin, on agite cette derniere ques-
tiOll. e' étai t rernettre en problerne tout le pro-
ces, car un délai était pour Louis XVI la vie
meme. Aussi, apres avoir épuisé toutes les raÍ-
sons, en discutant la peine et l'appel, les gi-
rondins et ceux qui voulaient sauver LüuÍs XVI
He sa vaient plus quels müyens em pluyel'; ib




CONVf:NTION NATIONA.LE (1793). 4uv
alléguerent encore des raisons politiques; mais,
on Jeur répondit que si Louis XVI était mort,
on s'armerait pour le venger; que s'il éfait vi-
vant et détenu, on s'armerait de meme pour le
délivrer, et que par conséquent les résultats
seraient lesm~mes. Barrere prétendit qu'iJ
était indigne de promener ainsi une tete dans
les cours étrangeres, et de stipuler la vie ou la
mort d'nn condamné comme un article de
traité. JI ajonta que ce serait une cruauté pour
Louis X VI lui-meme, qui mourvait achaque
mouvement des armées. L'assemblée, fermant
anssitot la discllssion, décida que chaque mem-
bl'e voterait par oui ou par non sans désem-
parer. Le 20 janvier, a trois heures du matin,
l'appel nominal est terminé, et le président
déclare, a la majorité de trois cent quatre-
vingts voix sur trois cent dix, qu'il ne sera
pas sursis a l'exécution de Louis Capet.


Dans cet instant il arrive une lettrede
Kersaint. Ce député donne sa démission. Il ne
peut plus, dit-il a l'assemblée, supporter la
honte de s'asseoir dans son enceinte avec des
hommes de sang, alo1's que ¡eur avis, précédé
de la terreur, l' emporte sur ceJui des gens de
bien, alors que Marat l'emporte sur Pétión.
CeHe lettre cause une rumeilr extraordinaire.
Genso[]né pl'elld la parolc et choisit cctte oc-




410 nÉVOLUTION }'llA.N«;;:AISl:.
'caSlon de se venger sur les septembriseurs du
décret de mort qu'on venait de rendre. « Ce
t( ll'étaít ríen, disait - il, que d'avoir puni les
"« attentats de la tyrannie, si on ne punissait
t( d'autres attentats plus redoutables. On n'a-
« vait rempli que la moitié de sa tache, si on
« ne punissait pas les forfaits de septembre,
« et si on n'ordonnait pas une instruction
tr contre leurs auteurs.») A cette .proposition,
la plus grande partie dé l'assemblée se leve
avec acclamation.-Marat et Tallien s'opposent
a ce mouvement. « Si vous punissez, s'écrient-
« ils, les autcurs de septembre, punissez aussi
te les conspirateurs qui étaient retranchés au
« chateau dans la journée du 10 aout.» Aussi-
tot l'assemblée, accueillant toutes ces deman-
des, ordonne au alinistre de la justice de
poursuívre tout :'t la foís les auteurs des brí-
gandages comn:is dans les premíers jours de
septembre, les indívidus trouvés les armes a
la main dans le ch:heau pendant la nuit du 9
au 10, el les fonctionnaires qui avaiellt quitté
leur poste pour revenir a París conspirer avec
la cour.


Louis XVIétaitdé6nitivement condamné; au-
ello sursis ne pouvait différer le moment de la
sentence ,et tous lesmoyens imagínés pour recu-
lel'l'illstallt fatal étaient épuisés. Tous les mem-





CONVENTION NATIONALE (1793). 411
bres da cOté droit, les rovalistes secrets comme


J


les républicains, étaient égalemeIlt consternés
et de cette sentence crueIle, et de l'ascendant
que venait d'acquérir la Montagne. Dans París
régnait une stupeur profonde; l'audace da
nouveau gouveruement avait produit l'effet or-
dinaire de la force sur les masses ; elle avait pa-
ralysé, réd nit au silence le plus grand nombre,
et excité seulement l'indignation de quelqlles
ames plus fortes. Il y avait encore quelques
aIlciens serviteurs de Louis XVI, qnelques jen-
nes seigneurs, qnelques gardes-du-corps, qui
se proposaient, dit-O'Il, de voler au secours dll
monarque et de l'arracher au supplice. Mais se
voir, s'entclldre, se concerter au mílieu de la
terreur profonde des uns, et de la surveillance
si active des autres, était impraticable, et tout
ce qui était possible, c'était de tenter quelques
actes ¡solés de désespoir. Les jacobiIls? charmés
de lenr triomphe, en étaieIlt cependant éton-
ués, et ils se recommandaient de se tellir serrés
pendant les derllieres viIlgt-quatreheures, d'en-
voyer des commissaires a tontes les antorités,
a la cOmmtHle, a l'état.major de la garde na'"
tionale, au département, au cOllseil exécutif,
ponr réveiller leur úle, et assurer l'exécution
oe l'arret. Ils se disaient que eette exéeutiou
3Ul'ilit lieu, qn'e11c était iufaillible; rnais, au




412 nÉvoLuTION FRAN9AlSE.
soín qu'ils mettaient a le répéter, on voyait
q u'ils n'y croyaient pas entiel'ement. Ce sup-
plice d'un roi, au sein d'un pays qui trois all-
nées auparavant était, par les mreurs, les usages
et les loís, une monarchie absolue, paraissait
encore douteux, et ne devenaít croyable qu'a-
pres l' évéllement.


Le conseil exéeutif était ehargé de la don-
loureuse mission de [aire exéellter la sentenee.
Tous les ministres étaient réunis dans la salle
de leurs séances , et frappés de consternatiOll.
Garat, eomme ministre de la justice, était chargé
du plus pénible de tOllS les roles, celui d'aHer
sigllifier a Louis XVI les décrets de la conven-
tion. II se rend au Temple, aecontpagné de San-
terre, d'une députatíon de la commune et du
tribunal críminel, et du secrétaire du conseil
exécutif. Louis XVI attendait depuis quatre
jours ses défensenrs, et demandáit en vaill a
les voir. Le 20 janvier, a. deux heures d'apres
midi, il les attendait encore, lorsque tout-a.-
COllp il entend le brllit d'un c~rtége nombl·ellx;
ii s'avanee, et apen;oit les envoyés du conseil
exéeutif. Il s'arrete avee dignité sur la porte de
sa chambre, et ne paralt point ému. Garat luí
dit alors avec tl'istesse qu'íl est chargé de luí
commllniqller les décrets de la conventioll.
Grouvellc, secrétaire du cOllseil exécuLif, en




CONVJ.:NTrhN NA.TJONUJ.~ (1793). 413
fait la lecture. Le premier déclare Louis XVI
coupable d'attentat contre ]a sureté générale
de l' état; le second le condamne a mort; le troi-
sieme rejette tout appel au peuple; le qua-
trie me enfin ordonne l'exécution sous vingt-
quatre heures. Louis, promenant sur tous ceux
qui l'entouraient un reg~rd tranquille, prend
l'arret des mains de Grollvelle, l'enferme dans
sa poche, et lit a Garat une lettre dan s Iaquelle
iI demandait a la convention trois jours pour
se pnéparer a mourir , un confessenr pour l'as-
sister dans ses derniers moments, la faculté de
voir sa famille, et la permission pour elle de
sortir de France. Garat prit la lettre, en pro-
mettant d'aIler la remettre de suite a la conven-
lÍon. Le roi lui don na en meme temps l'adresse
de l'ecclésiastique dont il désirait recevoir les
derniers secours.


Lonis XVI rentra avec beauconp de calme,
demanda á diner, et mangea comme a l'ordi-
naire. On avait retiré les couteaux, et on refu-
sait de les luí donner. « Me croit-on assez
« lache, dit-il avec dignité, pour attenter a
<c ma vie? Je suis innocent, etje saurai monrir
c( san s crainte. » Il fut obligé de se passer de
coutean; íl acheva son repas, rentra dans son
appartement, et attendit avec sang-froid la ré-
ponse a sa lettre.




414 RÉVOLl1TION FRANC;;AJ5J.:.
La convention refusa le sursis, mais accorda .


toutes les autres demandes. Garat envoya cher-
cher M. Edgeworth de Firmant, l' ecclésiastique
dont Louis XVI avait f:út choix; ille fit manter
dans sa voiture, et le conduisit lui - meme au
Temple. Il arriva a six heures, el se présenta
clans la grande tour, accom pagné de Santerre.
Il apprit an roi que la convention lui permet-
tait d'appeler un ministre du culte, el de voir
sa f~mille sans témoins, mais qu'elle rejetait la
demande d'un snrsis.


Garat ajouta que M. Edgeworth était arrivé,
qü'il était dans la salle du conseil, et qn'on a\-
lait l'introduire. Garat se retira, toujours plus
surpris et plus tonché de la tranquille magna-
nimité ou prince.


A peine introduit aupres du roí, M. Edge-
worth voulut se jeter a ses pieds, mais le roi
le releva aw;sitOt, et versa avec lui des larmes
d'attendrissement. Illui demandaensuite, avec
une vive cnriosité, des nouvelles rtu clergé de
Franee, de plusieui's évequcs, et surtout de
l'areheveque de París, et le pl-ia d'assurer ce
dernier qu'il mourait fidelement attaché a sa
communion. Huit heures étant sonnées, iI se
leva, pria M. Edgeworth d'attendre, et sortit
avec émotion, en disant qu'il allait voir sa fa-
mille. Les municipaux, n{~ voulant pas perdre






CONVRNTION N ATION ALE (1793). • 4 r 5
de vue la personne du roi, nH~me pendant qu'il
serait avec sa famille, avaient décidé qu'il la
verrait dans la salle a manger, qui était fermée
par une porte vitrée, et dan s laquelle on pou-
vait apercevoir tous ses mouvements saIls en-
tendre ses paroJes. Le roí s'y reIldit, et fi t placer
de l'eau sur une table pour secourir les prin-
cesses, sí elles en avaient besoin. Il se prome-
nait avec anxiété, attendallt le moment dou-
loureux ou paraitraient les etres qui lui étaient
sichers. A huit heures et demie la portes'ollvrit;
Jareine,tenantle dauphin parla main, madame
Élisabeth, madame Royale, se précipiterent
dans les b1'as de Louis XVI, en poussant des
sanglots. La porte fut fe1'mée, et les muni-
cipaux, Clé1'Y, M. Edgeworth, se placerent
devant le vitrage pOlJr etre témoins de eette en-
trevue déchirante. Ce ne fut pendant le premier
moment qu'une scene de confusion et de déses-
poir. Les cris, les lamentations empechaient
de rien distinguer. Enfin les ]armes tarirent,
la conversation devint plus tranquilIe, et les
princesses, tenant toujours le roí embrassé, lui
parlerent quelque temps a voi'x basse. Apres
un entretien assez long, melé de silenC6 et d'a-
battemen t, il se leva pour se soustraire a cette
.o.;ituation douloureuse , et promit de les revoir
le lendemain matin a huit heures.-Nous le pro~




4/6 RÉVOLUTION ¡"RAN~~A.ISE.
mettez-VOllS? lui dcmanderent avec instance les
princesses. - Oui , oui, répondit le roí avec
dOllleur. Dans ce moment la reine l'avait saisi
par un bras, madame Élisabeth par l'autre ;
madame Royale tenaít son pe re embrassé par
le miliell du corps, et le jeune prince était.
devant Iui, donnant la main a sa mere et a sa
tanteo Au moment de sOl'tir, madame Royale
tomba évanouie; on l'emporta aussitot, et le
roi retonrna aupres de M. Edgeworth, accablé
de cette sceoe cruelle. Apres quelques 10S-
taots, il parvint a se remettre, et recouvra
tout son calme .


. M. Edgeworth lui offl'it alors de lui dire la
messe, qu'il n'avai.t pas entendue depuis long-
temps. Apres quelques difficultés, la commlloe
consentít a cette cérémonie , et on tit demander
a l' église voisine les ornements nécessaires pour
le lendemain matin. Le roí se coucha ver s mi-
nuit, en recommandaot a Cléry de l'éveiller
avant cioq heures. M. Edgeworth se jeta snr un
lit; Cléry resta debout pres le chevet de son
maitre, contemplant le sommeil paísíble dont
il jouissait a la veille de l'échafaud.


Pendant que cec! se passait au Temple, une
scene épollvantable avait ea líen dans Paris.
Quelques ames iodignées fermentaient <;a et
la, talldi5 que la masse, OH indifférente ou




CONVENTlON NATIONALE (1793).417
terrifiée, demeurait immobile. Un garde-du-
corps, nommé Paris, avait résolu de venger
la mort de Louis XVI sur l'un de ses juges.
Lepelletier-Saint-:Fargeau avait, cornme beau-
coup d'hornmes de son rang, voté la mort,
ponr faire onblier sa naissance et sa fortune.
n avait excité plus d'indignation chez les roya-
listes, a cause merne de la classe a laquelle il
s.ppartenait. Le 20 au soír , chez un restaura-
teur du Palais-Royal, on le montra au garde.
du-corps Paris, tandis qu'il se mettait atable.
Lejeune homme, revetutl'unegrandehouppe-
lande, se présente et lui dit : - C'est toi, scé-
lérat de Lepelletier, qui as voté la mort du roí?
- Oui, répond celui-ci, mais je ne suis pas
un scélérat, j'ai voté selon rna conscience. -
Tiens, reprend París, voila pour ta récom-
pense; et il lui enfonce son sabre dans le
flanco Lepelletier tombe, et París disparait
sans qu'on ait le temps de s'ernparer de sa per-
son~e.


La noU\'eIle de cet événernent se répand
aussitot de toutes parts. On le dénonce a la
convention, aux Jacobins, a la cornrnune;
et cette nouvelle donne plus de consistance
aux bruits d'une conspiration des royalistes,
tendant a massacrel' le coté ganche et a déli-
vrer le roi an pied de l'échafand. Les jacobins


Jn. 27




t.I8 nÉvoLuTION FRAN<,:AJSF..
se déclarent en permanence, et envoicnt de
nouveaux commissaires a toutes les autorités,
a tontes les sections, pour réveiller le zele et
mettre la popnlation entiere sous les armes.


Le lendemaín 2. 1 janvier,cinq heures avaient
sonné aú Temple. Le roi s'éveille, appelle Cléry,
lui demande l'hellre, et s'habille avec beau-
coup de calme. Il s'applaudit d'avoir retrouvé
ses forces dans le sommeil. Cléry allumedu feu,
transporte une cornmode dont il fait un ante!.
M .. Edgeworth se revet des oruements ponti-
ficaux, et commence a célébrer la messe; Cléry
la sert, et le roí l' entend a genoux avec le plus
grand recueillement. Il re~oit ensuite la com-
munion des mains de M. Edgeworth, et apres
la rnesse, se,releve plein de forces, et attendant
avec calme le moment d'aller a l'échafau{l. n
demande des ciseaux pour couper ses cheveux;
luí-meme, et se soustraire a cette humiliante
opération faite de la main des bourreaux; mais
la cornmune les lui. refuse par défiance.


Dans ce moment, le tambour battait dans la
capitale. Tous ceux ql\\ faisaient partie des sec- ,
tions armées se rendaient a ·leur· compagnie
avec une complete soumission; ceux qu'aucune
obligation n'appelait a figurer dans cette ter-
rible journée se cachaient chez eux. Les portes,
les fenetres étaient fermées, et chacun atten-




a +-


CONVE:NTION NATIONALE (1793). 4[9
dait chez soi la fin de ce triste événement. On
dísaít que quatre on cinq cents hommes dé-
voués devaient fondre sur la voiture, et en-
lever le roi. La convention, la commune, le
conseil exécutif, les jacobins, étaient en séánce.


A huit heures du matin, Santerre, avec une
députation de la commune, du département
et du tribunal criminel, se rend au Temple.
Lonis XVI, en entendant le hruit; se leve et
se dispose a partir. Il n'avait pas voulu revoir
sa famille pour ne pas renouvelerla triste
scene de la veille. Il charge Cléry de faire pour
lui ses adieux a sa femme, a sa sreur et ases
enfants; iI lui donne un cachet, des cheveux
et divers bijoux, ave e comrnission de les leur
remettre. Il lui serre ensuite la main en le re-
merciant de ses services. Aprescela, iI s'a-
dresse a run des municipaux en le priant de
transmettre son testament ala commllnc. Ce
municipal était un ancien pretre, nornmé
Jacques Roux, qui luí répond brutalement
qu'i! est chargé de le conduire au supplice, et
non de faire ses cornmissioIlS. Un autre s'en
charge, et Louis, se retourl1al1t vers le cor-
tége,.donne avecassurance le signal d~ départ.


Des officiers de gendarmerie étaient placés
sur le elevant de lavoiture; le .roí et M. Edge-
worth étaieut assis dans le fondo Pendant la


¿




4:w RÉVOLllTION FRANc,.:AISE.
route, qlli fut assez longue , le roí lisait, dans
le bréviaire de M. Edgeworth, les prieres des
agonisants, et les deux gendarmes étaient con-
fondus de sa piété et de sa résignation tran-
quille. lls avaient, dit-on , la commission de le
frapper si la voiture était attaquée. Cependant
aucun,e démonstration hostile n'eut heu depuis
le Temple jusqu'a la place de la Révolution.
Une multitude armée bordait ]a haie : la voi-
ture s'avan«;ait lentement et au milieu d'un
silenee universel. Sur la place de la Révolution,
un grand espaee avait été laissé vide autour de
l' échafaud. Des canons environnaient cet es.-
pace; les fédérés les plus exaltés étaient placés
autour de l'échafaud, et ]a víle populace, tou-
jours prete a outragel' le génie, la vertu, le
malhenr, quand on lui en donne le signal, se
pressait derriere les rangs des fédérés, et don-
nait senIe quelques signes extérieurs de satis-
faction, tandis que partout on ensevelissait au
fond de son creur les sentiments qu'on éprou-
vait. A dix heures dix minutes, la voiture s'ar-
rete. Louis XVI, se levant avec force, descend
sur la place. Trois bourreaux se présentent;
iIles repousse et se déshabille lui-meme. Mais
voyant qu'ils voulaient lui lier les mains, iI
éprouve un mouvement d'indignation , et sem-
ble pret a se défendre. M. Edgeworth, dont




...


CONVENTION NATION ALE (1793). 421
toutes les paroles furent alors sublimes, lui
adresse un dernier regard, et lui dit: « Souffrez
(( cet outrage comme une derniere ressemblance
r( ave e le Dieu qui va etre votre récompense. »
A ces mots , la victime résignée et soumise se
laisse lier et conduire a l'échafaud. Tout.a-coup
Louis fait un pas, se sépare des bourreaux,
et s'avance pour parler au peuple. e( Fran<;ais ,
ce dit-il d'une voix forte, je meurs innoeent des
re erimes qu'on m'impute; je pardonne aux au-
e( teurs de ma mort, et je demande que mon
(e sang ne retombe pas sur la France. J) Il allait
continuer, mais aussitot l'ordre de hattre est
donné aux tambours; leur roulement couvre
la voix du prince, les hourreaux s'en empa-
rent, et M. Edgeworth lui dit ces paroles : Fils
de saint Louis montez au ciel! - A peine le
sang avait-il eoulé, que des furieux y trempent
leurs piqnes et leurs mouchoirs , se répandent
dans Paris en criant vifJe la république! vifJe
la nation! et vont jusqu'aux portes du Temple,
montrer la brutale et fausse joie que la muJ-
titude manifeste a la naissance, a l'avénement,
et a la chute de tous les princes.


FIN DU TOME TROISIEME.






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TABI.E
DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME TROISÜMF..


CHAPITRE l.


Suite et fin de la journée du 10 aout. - Rappel du minis-
tere girondin; Danton est nommé ministre de la justice.
- État de la familleroyale.- Situation des partis dans
l'assemblée et au dehots apres le 10 aout. - Organisa-
tion et influence de la commune j pouvoirs nombreux
qu'eIle s'arroge j son opposition avec I'assemblée. -
Érection d'un tribunal criminel extraordinaire. _ État
des ar~ées apres le 10 aout. Résistance de Lafayette au
llouveau gouvernement. Décrété d'accosation, il quitte
son armée et la Frallcej est mis aux fers par les Autri-
chiens. - Position de Dumouriez. - Dispositions des
puissances, et situation réciproque des armées coalisées
et des armées fran~aises. - PrÍse de Longwy par les
Prussiensj agitation de Paris a cette nouvelle. - Me-
sures révolutionnaires prises par la communej arresta·
tions des suspects. - Massacres daos les prisons les 2,
3, 4, 5 et 6 septembre. Principales scimes et circons-
tances de ccs jOllrnéps sanglantt's.. . . . . . . . . . . . . . 3




TABLE DES CllA.PlTlln5.


CHAPITRE JI.
Campagne de I'Argonne._ Plans militaires de Dumouriez.


- Pri~e du camp de Grand-Pré par les Prussiens.-
Victoire de Valmy. - Retraite des coalisés; bruitssur
les causes de cettc retraite ... , . . . . . . . . . . . . . .• 93


CHAPJTRE 111.
Nouveaux massacres des prisonniers a Versaílles. -Ablls


de pouvoir et dilapidations de la commune. - Élec- .
tions des députés a la convention. - Composition de
la députation de Paris. - Position el projets des gí-
rondins; caractere des chefs de ce parti; du fédéralisme.
-État du parti parisien etde lacomml1ne.-Ouverture
de la convention nationale le 2.0 septembrc 1792.; abo-
!ition de la royauté; établissement de la républiquc.-
Premiére lutte des girondins et des montagnards; dé-
nonciation de Robespierre et de Marat. - Déclaration
de I'unité el de I'indivisibilité de la république. -Dis-
tribution ~t forees des partis dans la convention. -
Changements dans le pou voir exécutif. - Danton quitt~
son ministere. - Creation de divers comité~ adminis-
tratifs et du comité de cOllstitution . . . . . . . . . . .. 133


CHAPJTRE IV.
Situation militaire a la fin d'octobre 1792.. - Bombarde-


ment de Lille par les Autrichiens; prise de "\yorms et
de Mayence par Custine. - Faute de nos g¡;néraux.-
Mauvaises opérations de Custille. - Armée des Alpes.
Conquéte de la Savoie el de Nice. - Dumonriez se
rend a París; sa position a I'égard. des partis. - In-




a •


TA.BLE DES CHAPITI\.ES.


fluence et organisation du club des Jacobins. - ttat de
la société franftaise; salons de Paris. - Entrevue de
Marat et de Dumouriez. Anecdote. - Seconde lutte des
girondins avec les mOlltagnards; Louvet dénonce Ro-
bespierre; réponse de Robespierre; l'assemblée ne
donne pas suite a son accusation. - Premieres pro-
positions sur le proces de Louis XVI.. . . . . • . . .. 191


CHAPITRE V.
Suite des opérations militaires de Dumouriez . .r- Modifi-


catíons dans le ministere. Pache ministre de la guerreo
- Victoire de Jemmapes. - Situation morale et poli-
tique de la Belgique; conduíte politique de Dumouriez.
-,. Prise de Gand, de Mons, de Bruxelles, de N amllr,
d' Anvers; conquete de la Belgique jusqu'a la Mellse.-
Changements dans l'administration militaire; mésintel-
ligence de Dumouriez avec la eonvention et les minis-
tres. - Notre position aux Alpes et aux Pyrénées. 249


'CHAPITRE VI.
ttat des partís au moment du proet':s de Louis XVI. -


Caractere et opiníons des membres du ministere a eette
époque, Roland,Pache, Lebrun, Garat, Monge et Cla-
viere. - Détails sur la vie intéri~.ure de la famille royal e
dans la tour du Temple. "- ConimeIÍeement de la dis-
cussion sur la mise en jllgement de Louis XVI; résumé
des débats; opinion de Saint-Just. - ttat facheux des
subsistan ces; détails et questions d'éeonomic politique.
- Diseours de Robespierre sur le jugement dn roÍ.-
La convention décrete que le rOl ~era jugé par elle. -
Papiers trouvés dans I'armoire de {er. - Premier inter-
rogatoire de Lonis XVI a la convention. - eh oc des


111. 28




TABLE DES CHAPITRES.


opinions et des intércts pendant le proces; inquiétude
des jaeobins. - Position du due d'Orléans; on propose
son bannissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 2901


CHAPITRE VII.
Continuation du proees de Louis XVI. Sa défense. - Dé.


bats tumultueux a la convention. - Les girondins pro-
posent l'appel au peuple; opinion du député Salles;
discours de Robespierre; discours de Vergniaud. -
Position des questions. - Louis XVI est déelaré cou-
pabIe et condamné a mort, sans appel al1 peupIe et
sans sursís a I'exéeution. DétaiIs sur les débats et les
votes émis. - Assassinat du député Lepelletier Saint.
Fargeau. Agitation dans París. - Louis XVI raít ses
adieux asa famille; ses derniers moments dans la prison
et sur l'échafaud ....•...................... 367


FIN DE I,A. TA.BLE.