HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE. " TYPOGRAPlIIE DE FIRJfIN...
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HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.


"




TYPOGRAPlIIE DE FIRJ\fIN DInOT FR/.:RF.S,
RUE .JACOB, NO 24.




HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRAN<;AISE,


PAR M. A. THIERS,
MINISTRE n'ÉTAT ET D}~PUTF .•


TOME PREMIEn..


ir.llisiime C!Ebition.


---------


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


..... --
QUAI DES AUGUSTINS, NO 49 .


PAULIN, LIBRAIRE, PI.ACE DE LA BOURSE.


M DCCC XXXII.




.. , .
. ,


f
.W_




HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE .




JE me propose d~écritel'histoire d'Qnerévolu~
tion mémorable, qui a profondément agite les
hommes, et qui les diviseencore aujourd'hui.
Je ne me dissimule pas les difficultés de l'entre~
prise, car des passions que l' on croyait étouffées
sous l'influence du despotisme militaire, vien"
nent de se réveiller. Tout a coup des hommes
accablés d'ans et de travaux ont senti renai~
tre en eux des ressentiments qui paraissaient
apaisés, et nous les ont communiqués, a nous,
leurs fils et leurs hérit:iers. Mais si nous avons a
soutenir la meme cause, nous n'avons pas a
défendre leur conduite, et nous pOUVOI1S sépa-
rer la liberté de ceux qui 1'0nt bien ou mal ser-


l.




RÉVOr.UTION FRA N9A.ISE.
vie; tandis que nous avons l'avantage d'avoir
entendu et observé ces vieillards, qui, tont
pleins encore de leurs souvenil's, tOllt agités de
leurs impressions, nous révelent l'esprit et le
caractere .des partís, <:t ~ous apprennent a les
comprendre. Peut-etre ie moment ou les ,-ac-
teurs vont expirer est-ille plus propre a écrire
l'histoire : on peut recueillir Ieur témojgnage
sans partager toutes leurs passions.


Quoi qu'il en soit, j'ai taché d'apaiser en moí
tout sentiment de haine; je me suis tour a tour
figuré que, né sous le chaume, animé d'une
juste ambition, je voulais acquérir ce que I'or-
gueil des hautes classes m'avait injustement re-
fusé; ou bien qu' ékvé danp les palais, hér~tier
d'antiques priviléges ,il m'était douloureux de
renoncer a une possession que je prcnai¡; pour
une propriété légitime. Des IQfS je n'ai pu m'jr-
riter; j'ai plaint les combattants, et je me suis
dédommagé .en adorant les ames généreuses.


-~009~-




REGNE DE LOTllS XVI.


CHAPITRE 1.


;;¡¡¡¡¡C;;


ttat politique et moral de la France a la fin du lse siecle.
- Avénement de Louis :XVI.. - Maurepas, Turgot et
Necker ministres. - Calonne. AssemblÚ des notables.
- De Brienne ministre. - Opposition du parlement,
son exil et son ral'pel. - Le duc d'Orléans exilé. -
Arrestation dI!., conseiller d'~préw.é"il, ,..,.. Noolt'rf es~
rappclé et remplace de Brienne. - N ouvelle assemblée
des notables. - Discussions relatives aux états-géné-
raux. - Formation des clubs. - Causes de la révolu--
tion. - Premieres élecliolls des déplltés allX états-gé-
néraux. - Incendie de la maison Réveillon. - Le ·duc
d'Orléans; son caractere.


ON connait les révoIutions de la monarchie
fran<;aise; on sait qu'au milieu des GauIes a
moitié sauvages, les Grecs, puis les Romains ap-
porterent leurs armés et Ieur civilisation; qu'a,..
pres eux, les hal\hares y établirent leur hiérar-
chie militaire; qqe eette hiérarchie, transmise
des personnes aux terres, y fut eomme immobi-


I.




4
lisée, et forma ainsi le systeme féodal. L'auto-
rité s'y partagea entre le chef féodal appelé roi,
et les chefs secondaires appelés vassaux, qui
a leur tour étaient rois de leurs propres sujets.
Dans notre temps, ou le besoin de s'accuser a
fait rechercher les torts réciproques, on IlOUS a
suffisamment appris que l'autorité fut d'abord
disputée par les vassaux, ce que font toujours
ceux qui sont le plus rapprochés d'elle; que
cette autorité fut ensuite partagée entre eux,
ce qlli forma l'anarchie féodale; et qu'enfin t'lle
retourna au trone, ou elle se concentra en des-
potisme sous LOllÍS XI, Riche/ieu et Louis XIV.
La population frant;¡aise s'était progressivement
affranéhie par le travail , prerniere source de ]a
richesse et de la liberté. Agricole d'abord, puis
cornmert;¡ante et manufaclm·iere, elle acquit
une teIle importance qu'elle forma la nation
tont entiere. Introduite en supp/iante dans les
états-généraux, elle n'y parat qu'a genoux, ponI'
y etre taÍllée a merci el miséricorde; bientot
meme Louis XIV annont;¡a qu'il ne von/ait plus
de ces assemblées si soumises, et iI le déclara
aux parlements, en bottes et le fouet a la maÍn.
On vit des lor5 a la tete de l'état, un roi mUlli
d'un pouvoir mal défini en théorie, mais absoln
dan s la pratiqlle; des grands qui avaient aban-
donné leur dignité féodale pOUl' la favt'llr du


~---~----------




REGNJo~ DE LOU15 XVI. 5
monarque, el qui se disputaient par l'intrigue
ce qu'on leur Iivrait de la substanee des peu-
pies; au-dessous une population immense, sans
autre relation avee eette aristocratie royale


. qu'une soumission d'habitude et l'acquittement
des impóts. Entre la eour et le peuple se trou-
vaient des parlements jnvestis du pouvoir de
distribuer la justice et d'enregistrer les volontés
royales. L'autorité est toujours disputée: quand
ce n'est pas dans les assemblées légitimes de la
llation, e'est dan s le palais meme du prince. On
sait qu'en refusant de les enregistrer, les parle-
ments arretaient reffet des volontés royales; ce
qui finissait par un lit de justice et une transac-
tion , quand le roí était faíble, et par une sou-
mission entiere,quand le roi étaitfort.Louis XIV
n' eut pas meme a traIlsiger, carsous son regne
alIeun parlement n'osa faire·de remontranees;
ji entralna la nation a sa suite, et elle le glorifia
des prodiges qu'elle faisait elle-me me dans la
guerre, dan s les arts et les seiences. Les sujets et
le monarque furent unanimes, et tendirent vers
\In meme but. Mais Louis XIV était a peine ex-
piré, que le régent offrit aux parlements l'occa-
sion de se vellger de leur longue llullité. La vo-
lonté du monarque, si respectée de son vivant,
fnt vioJée apres sa mort, et son testament eassé.
L'autorité fut alors remise en litige, et une lon-




6 RÉVOLUTION FRANC;;:AISE.
gue Iutte commenc;a entre les parlements, le
clergé et la cour, en présence d'une nation
épuisée par de longues guerres, et fatiguée de
fournir aux prodigalités de ses maitres, livrés
tour a tour au gout des voluptés ou des armes.
Jusque-Ia elle n'avait eu du génie que pour le
service et les plaisirs du monarque; elle en eut
alors pour son propre usage, et s' en servÍt a exa-
miner ses ¡ntérets. L'esprit humain passe in-
cessamment d'un objet a l'autre. Du théa.tre, de
la chaire I'eligieuse et funebre, le génie franc;ais
se porta vers les sciences morales et poli tiques ;
et alors tout füt changé. Qu'on se figure, pen-
dant un siecle entier, les usurpateurs de tous
les droits nationaux se disputant une autorité
usée; les parlements poursuivant le clergé, le
clergé poursuivant les parlements; ceux-ci
contestant l'autorité de la cour; la cour, in-
souciante et tranquille au sein de cette lutte,
dévorant la substance des peuples au milieu
des plus grands désordres; la nation, enrichie
et éveillée, assistant a ces divisions, s' armant
des aveux des uns contre les autres, privée de
toute action poli tique , dogmatisant avec au-
dace et ignorance, paree qu'eIle était réduite
a des théories; aspirant surtout a recouvrer
son rang en Europe, et o(frant en vain son 01'
et son sang pour reprendre une place que la




UNGNJ, DE LOU 15 X V I. 7
faiblesse de ses maitres lui avait faít perure ;
tel fut le dix-huitieme siec1e.


Le sean dale avait été poussé a son comble,
lorsque I.ouÍs XVI, prince équitable, modéré
dan s ses gouts, négligemmeut élevé, m~is porté
au bien par un penchant naturel~ monta fort
jeune sur le trone "'. JI appela aupres de lui un
vieux courtisan pour lui donner le soin de son
royaume, et partagea sa conflance entre Mau-
repas et la reine, jeune princesse autrichienne ,
vive, aimable, et exén,;ant sur lui le plus
grand ascendant. Maurepas et la reine ne s'ai-
maient pas; le roi, cédant tantot a son ministre,
tantot a son épouse, commen<,;a de bonne heme
la longue carriere de ses incertitudes. N e Be
dissimulant pas l'état de son royaume, il en
croyait les phifosophes surce point; mais, élevé
dans les sentiments les plus chrétiens, il avait
pour eux le plus grand éloignement. La voix
publique, qui s'exprimait hautement, lui dé-
signa Turgot, de la société des économistes ,
homme simple, vertueux, doué d'un carac-
tere ferme, d'un génie lent, mais opiniatre et
profond. ConvainCll de sa probité, charmé de
ses projets de réformes, Louis XVI a répété
souvent : « Il u'y a que moi et Turgot qui




8 REVOLUTION }'RAN<tAISE.
{( soyons les amis du peuple. » Les réformes
de Turgot échouerent par la résistance des pre-
miers ordres de l'état, intéressés a conserver
tous les genres d'abus que le ministre austere
voulait détruire. Louis XVI le renvoya avec
regret. Pendant sa vie, qui ne fut qu'un long
martyre, il eut toujours la douleur d'entrevoir
le bíen, de le vouloir sincerement, et de mano
quer de la force nécessaire pour l'exécuter.


Le roí, placé entre la cour, les parlements
et le public, exposé aux intrigues et aux sng-
gestions de tont gen re , changea tour a tour
de ministres: cédant encore une fois a la voix
publique et a la nécessité des réformes, iI ap~
pela aux finances N ecker *, Genevois enrichi
par des travaux de banque, partisan et dis-
ciple de Colbert, comme Turgot l' était de Sully;
financier économe et integre, mais esprit vain,
ayant laprétention d'etre modérateur en tou-
tes choses, philosophie, religion, liberté, et
trompé par les éloges de ses amis et du public,
se flattant de condnire et d'arreter les esprits
au point OU s'arretait le sien.


Necker rétablit l'ordre dan s les finances, et
trouva les moyens de suffire aux frais considé-
rabies de la guerre d' Amérique. Génie moins


.. 1777·




9
vas te , mais plus flexible que Turgot, dispo-
sant surtont de la confiance des capitalistes,
il trouva pour le moment des reSSOllrces inat-
tendues, et fit reualtre la confiauce. Mais iI
fallait plus que des artífices financiers pour
terminer les embarras du trésor, et il essaya
le moyen des réformes. Les premiers ordres
ne furent pas plus faciles pour luí qu'ils ne
l'avaient été pour Turgot : les parlements, in-
struits de ses projets, se réunirent contre luí,
et l'obligerent a se retirer.


La conviction des abus était universelle; on
en, convena'Ít partoot; le roí le savait et en
soutfrait cruellement. Les courtisans, qui jouis-
saient de ces abus, auraient voulu voir finir
les embarras du trésor, mais sans qu'il leur
en COtItat un seul sacrifice. I1s dissertaient a
la cour, et y debitaient des maximes phi 10-
sophiques; ils s'apitoyaient a la chasse sur les
vexations exercées a l' égard du laboureur; on
les avait meme vus applaudir a l'affranchis-
sement des Américains, et recevoir avec hon-
neur les jeunes Franl,(ais qui revenaient du
Nouveau-Monde. Les parlements invoquaient
aussi l'intéret du peuple, alJéguaieut avec hau-
teur les souffrances du panvre , et cependant
s'opposaient a l'égale répartition de l'impot
aillsi qu'a l'abolitioll des restes de la barbarie




JO RÉVOLUTION FRAN9AISE.


féodaJe. Tous parlaient du bien public , peu le
voulaient ; et le peuple, ne démelant pas bien
encore ses vrais amis, applaudissait tous ceux
qui résistaient au pouvoir, son ennemi le plus
apparent.


En éeartant Turgot et Neeker, on n'avait
pas changé l'état des choses : la détresse du
tl'ésor était la meme; on aurait consentí long-
temps encore a se passel' de l'intervention de la
Hation, mais iI fallait exister, iI fallait fournir
aux prodigalités de la eour. La difficulté écartée
un moment par la destitution d'un ministre,
par un emprunt , ou par l'établissement forcé
d'un impot, reparaissait bientot plus grande,
comme tout mal négligé. On hésitait eomme
iI arrive toujours lorsqu'il fallt prendre un parti
redonté, mais nécessaire. Une intrigue amena
au ministere M . .de Calonne, peu favorisé de
l'opinion, paree qu'il avait contribué a la per-
sécution de La Chalotais *. Calonne, spiri-
tuel, brillant, fécond en ressources, comptait
sur son génie, sur la fortune et sur les hammes,
et se livrait a l'avenir avec la plus singuliere
insouciance. Son opinion était qu'il ne Callait
paint s'alarmer d'avance, et ne découvrir le
mal que la veille du jour ou on voulait le ré·





REGNE DE LOUIS XVI. 1 J


parer. Il séduisit la cour par ses manieres, la
toucha par son empressement a tout accorder,
procura au roi et a tons quelques instants plus
faGites, et fit succéder aux plus sinistres pré-
sages un moment ,de bOllheur et d'aveugle
confiance.


Cet avenir sur lequel on avait compté ap-
prochait; iI faIlait enfin prendre des mesures
décisives. On ne pouvait charger le peuple
de nouveaux impóts , et cependant les caisses
ét:úent vides. Il n'y avait qu'un moyen d'y
pourvoir, c'était de réduire la dépense par la
suppression des graces, et, ce moyen ne suffi-
sant pas, d'étendre l'impót sur un plus grand
nombre de contribuables, c'est~a-dire sur la
noblesse et le cIergé. Ces projets , successive-
ment telltés par Turgot et par N ecker, et repris
par Calonne, ne parurent a celui-ci suscep-
tibles de réussir, qu'autant qu'on obtiendrait
le consentement des privilégiés eux-memes.
Calonne imagina done de les réunir dans une
assemblée, appelée des notables, pour leur sou-
mettre ses plans et arracher leur consente-
ment, soit par adresse, soit par convictioll "'.
L'assemblée était composée de grands, pris dans
la noblesse, le clergé et la magistrature; d'nne


• Cette assemblée s'ouvrit le 22 févricr I7Sí.




12 RÉVOLUTION FRAN(,'AIS}:.


foule de maitres des requetes et de quelques
magistrats des provínces. Au moyen de cette
composition, et surtout avec le secours des
granos seigneurs populaires et philosophes,
qu'il avaÍt eu soin d'y faire entrer, Calonne se
flatta de tout emporter.


Le ministre trop con6ant s'étaitmépris. L'o-
piníon publique ne lui pardonnait pas d'occu-
per la place de Turgot d de Necker. Charmée
surtout qu'on obligefü un ministre a rendre
des comptes, elle appuya la résistance des
notables. Les discussíons les plus vives s'cnga-
gerent. Calonne eut le tort de rejcter sur ses
prédécesseurs, et en partie sur Necker, l'état
<lu trésor. Necker répondit, fut exílé, et l'op-
posítion n'en devint que plus vive. Calonne
suffit a tout avec présence d'esprit et avec
calme. Il 6t destituer M. de Miroménil, garde
des sceaux, quí conspirait avec les parlements.
Mais son tl'iomphe ne fut que de deux jOllrS.
Le roi, qui l'aimait, lui avait promis plus
qu'il ne pouvait, en s'ellgageant a le soutenir.
Il fut ébranlé par les représentations des no-
tables, qui promettaient d'obtempérer aux
plans de Calonne, mais a condition qu'on en
laisserait l'exéclltion a un ministre plus moral
et plus digne de confiance. La reine, par les
suggestions de l'abbé de Vermont, proposa et




·n'.:GNE DE LOUlS XVI (1787)' 13
tit accepter au roi un ministre nouveau,
M. de Briellne, archeveque de Toulouse, et
l'un des notables qui avaient le plus contribué
a la perte de Calonne, dans l'espoir de lui
succéder *.


I..'archeveque de Toulollse, avec un esprit
obstiné et un caractere faible, revait le mi-
nistere depuis son enfance, et poursuivait par
tous les moyens cet objet de ses vreux. Il s'ap-
puyait principalement sur le crédit des fem-
mes, auxquelles iI cherchait et réussissait a
plaire. Il faisait· vanter partout son administra-
tion du Languedoc. S'il n'obtínt pas en arri-
vant au ministere la faveur qui aurait entoUl'é
Necker, iI eut aux yeux du public le mérite
de remplacer Calonne. Il ne fut pas d'abord
premier ministre, mais il le devint bientót.
Secondé par M. de Lamoignon, garde des
sceaux, ennemi opiniatre des parlements, il
commen<,;a sa carríere avec assez d'avantage.
Les notables, engagés par leurs promesses,
consentirent avec empressement a tout ce qu'ils
avaÍent d'abord refusé : impót territorial, im-
pót du timbre, suppression des corvées, as-
semblées provinciales, tout fut accordé avec
affectation. Ce n' était point a ces mesures,


• Avril J787.




14 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
maÍs a leur auteur qu'on affeetait d'avoir ré-
sisté; l'opinion puhlique lriomphait. Calonne
était poursuivi de malédietions, et les notables,
entourés du suffrage publie, regrettaient ce-
pendant un honneur acquis au prix des plus
grands sacrifices~ Si M. de Brienne mt su pro-
fiter des avantages de sa position, s'i\ eut
poursuivi avec activité l'exécution des mesures
consenties. par les notables, s'jIles eut toutes il
la foís et sansdélaí'¡l)résentées au pal'lement,
a l'instant ou l'adhésion des premiers: ordres
semblaít obligée, e' en était fait peut-etre : le
parlement, pressé de toutes parts, aurait con-
sentí a tout, et eette transaction, quoique
partielle et forcée" eut probablement retardé
pour long-temps la lutte qui s'engagea bientot.


Rien de pareil n'eut lieu. Par des délais ¡m-
prudents, on peJ,'mit les retours; on ne pré-
senta les édits que l'un apres l'autre; le par-
lernent eut le temps dediscuter, de s'enhardir,
et de revenir sur l'espece de surprise faite aux
notables. Il enregistra, apres de longues dis-
cussions, l' édit portant la .seconde abolition
des corvées, et un autre permettant la líbre
exportation des grains. Sa haine se dirigeait
surtout contre la subvention territoriale; mais
il craignait, par un refus, d'éclairer le public,
et de lui laisser voir que son opposition étaÍt




RllGl'fE DE LOUlS XVI ('787)' 15
tont intéresséfl. Il hésitait, lorsqu' on luí épar-
gna cet embarras, en présentant ensemble
l'édit sur le timbre et sur la snbvention terri-
toriale, mais surtaut en commen<,¡ant la déli-
bération par celui du timbr~. Le parlement
put ainsi refuser le premier sans s'expliquer
sur le second; et, en attaquant l'impo.t du
timbre, qui affeetait la majorité des eontri-
buables, ilsembla défendre les intérets pu-
hlies. Daris une séance ou les pairs assisterent,
ildénon~a les ahus, les scandales .et les prodi ..
galités de la COUI-, et demanda des états de
dépenses~ Un conseiller, jouant sur le mot, s' é.-
cria:,o:Ce ne sont pas des états, mais des états-
généraux qu1il nous faut.» Cette demande in-
attendue frappa tout le monde d'étonnement.
Jusqu'alors on avait résisté paree qu'on sonf-
frait; on avait secondé tous les. genres d'op-
position, favorables ou non a la cause popu-
laire, pourvu qu'ils fussent dirigés contre la
cour, a laquelle 00 rapportait tous les maux.
Cependant on ne savait trop ce qu'il fallait
désirer: 00 avait toujours été si loin d'influer
sur le gouveroement, 00 avait tellement l'ha-
bitude de s'en tenir aux plaintes, qu'on se
plaignait· sans concevoir l'idée d'agir ni de
faire une révolution. Un seul mot prononctS
offrit un but inattendu; chacun le répéta, et




16 RtVOLUTJON FRAN~AISE.
les états-généraux furent demandés a grands
cris.


D'Espréménil, jeune eonseiller, orateur em-
porté, agitateur saos but, démagogue dans les
parlements, aristocrate dans les états-géné-
raux, et qui fut déclaré en état de démence
par un décret de l'assemblée constituante,
d'Espréménil se montra dans eette occasion
l'un des plus violents déclamateurs parlemen-
taires. Mais l'opposition était conduite secre-
tement par Duport, jeune homme doué d'un
esprit vaste, d'un caractere ferme et persévé-
rant, qui seul peut-etre, au milieu de ces
troubles, se proposait un avenir, et. voulait
eonduire sa compagnie, la cour et la nation,
a un but tout autre que celui d'une aristocra-
tie parlementaire.


Le parlement était divisé en vieux et jeunes
eonseillers. Les premiers voulaient faire con-
tre-poids a l'autorité royale pour donner de
l'importance a leur compagnie; les seconds,
plus ardents et plus sinceres, voulaient ¡ntro·
duire la liberté dans l'état, sans bouleverser
néanmoins le systeme politique sous lequel ils
étaient nés. Le parlement fit un aveu grave;
il reconnut qu'il n'avait pas le pouvoir de con-
sentir les impots, qu'aux états.généraux s'euls
appartenait le droit de les établir; et iI de-


~--.-L--......_~",:> _-___ - - ~-----_.




REGNE DE LOUIS XVI (1787)' i 7
manda au roi la communication des états de
rccettes et de dépenses.


Cet ave u d'íncompétence et meme rl'usurpa-
tíon, puisque le parlement s'était jusqu'alors
arrogé le droit de consentir les impots, cet
aven dut étonner. IJe prélat-ministrc, irrité
de cette opposition, manda aussitot le parle-
ment a v crsailles, et fit enregistrer les deux
édits dans un lit de justíce ". Le parlement,
de retour a París, fit des protestations, et or-
donna des ponrsuites contre les prodigalités
de Calonnc. Sur-Ie.champ une décision du
conseil cassa ses arretés et l'exila a Troyes .....


Telle était la situation des choses le 15 aout
1787. Les denx freres du roi, Monsieur et le
comte d'Artois, furent envoyés, l'un a la COllr
des comptcs, et l'alltre a la cour des aides,
paur y faire enregistrel' les édits. Le premier,
devenu populaire par les opinions qu'il avait
manifestées dans l'assemblée des notables, fut
accueilli par les acclamations d'une foule im-
mense, et reconduit jusqu'au Luxembourg au
milien des applaudissements universels. Le
comte d'Artois, COlInu pour avoir soutenu Ca-
lonne, fut accueilli par des murmures, ses


* 6 aouL
•• J 5 aouL


1.




18 RÉVOLUTlON I'RAN<;AISE.
gens furent attaqués, et on fut obligé de re-
courir a la force armée.


Les parlements avaient autour t.!'eux une
clientele nombreuse, composée de légistes,
d'employés du palais, de clercs, d'étudiants,
population active, remuante, et toujoUl's prete
a s'agiter pour leur cause. A ces alliés naturels
des parlements se joignaient les capitalistes,
qui craignaient la banqueroute; les classes
éclairées, qui étaient dévouées a tous les op-
posants; et enfin la multitude, qui se range
toujours a la suile des agitateurs. Les troubles
fllrent tres-graves, et l'autorité eut beaucoup
de peine a les réprimer.


Le parlement, séant a Troyes, s'assemblait
chaque jour, et appelait les causes. Ni avocats
ni procureurs ne paraissaient, et la justice
était suspendue, comme iI était arrivé tant de
foís dans lecourant du siecle. Cependant les
magistrats se lassaient de leur exil, et M. de'
Brienne était san s al'gent. I1 soutenait avec
assurance qu'il n'en manquait pas, et tran-
quillisait la cour inquiete sur ce seuI objet;
mais iI n'en avait plus, et, incapabIe de termi-
ner les difficultés par une résolution éner-
gique, ii négociait avec queIques membres du
parlement. Ses conditions étaient un emprunt
de 440 millions, réparti sur quatre années, a




nI.:GN." lH: I~OUlS XVI (17 88). 1 D
l'expiration desquelles les états-généraux se-
raient convoqués. A ce prix, Brienne renon-
~ait aux deux impots, sujets de tant de dis-
cordes. Assuré de quel<Jues membres, il erut
l'etre de la compagnie ~btiere, et le parlement
fut I'appelé le 10 septembre.


Une séance royale eut líeu le 20 du meme
mois. Le roí vint en personne présenter l'éd¡t
portant la eréation de l'emprunt successif, et la
convocation des états-généraux dans cinq ans.
On ne s'était point expliqué sur lá llature de
eette séance, et on ne savait si e'était un lit de
justice. Les visages étaient mornes, un profond
silence régnait, lorsque le duc d'Orléans se leva,
les traits agités, et avec tous les signes d' une
vive émotion; il adressa la parole au roi, et
lui demanda si eette séance était un lit de jus-
tiee ou une délibération libre. ( e'est une séance
royale, »répondit le roi. Les eonseillers Fréteau,
Sabatier, d'Espréménil, prirent la parole apres
le duc d'Orléans, et déclamerent avee leur vio-
lfmee ordinaire. L'enregistrement fut aussitot
forcé, les eonseillers Fréteau et Sabatier furent
exilés aux Hes d'Hyeres, et le due d'Orléans a
v illers-Cotterets. Les états·généraux fm'en t ren-
voyés a cinq ans.


Tels furent les principaux événements de l'an-
uée 1787. L'allnée 1788 commen¡;;a par de nou-


2.




20 RÉVOLUTION FRAN9A1SE.
velles hostilités. Le 4 janvier, le paFlement ren-
dít un arre té contl'e les lettres de cachet, et
pour le rappel des personnes exilées. Le roi
cassa cet arreté; le parlement le confirma de
nouveau.


Pendant ce temps, le dne d'Orléans, consi-
gné a Villers-Cotterets, ne pouvait se résigner
<1 son exil. Ce prince, brouillé avec' la cour,
s'était réconcílié avec l'opinion, qui d'abord
ne luí était pas favorable. Dépourvu a la foís
de la dignité d'un prince et de la fermeté d'un
tribun, jI ne sut pas supporter une peine aussi
légere; et, pour obtenir son rappel, il descen-
dít jusqu'aux sollícitations, rneme envers la
reine son ennemie personnelle.


Brienne était irrité par les obstacles, sans
avoir l'éncrgie de les vaincre. Faible en Eu-
rope contre la Prusse, a laquelle iI sacrifiait
la Rol/ande, faible en Franee contre les par-
lements et les grands de l'état, íl n'était plus
soutenu que par la reine, et en outre se trou-
vait souvent arreté dans ses travaux par une
mauvaise santé. Il ne savait ni réprimer les
révoltes, ni faire exécuter les réductions dé-
crétées par le roi; et, malgré l'épuisement
tres-prochain du trésor, íl affectait une ineon-
cevable sécurité. Cepcndant, au rniliell de tant
de difficultés, íI ne négligeaít pas oe se ponr-




REGNE DE LOUlS XVI (1788). 21
VOlr ue llouv.eaux bénéfices, et d'attirer sur
sa famille de Ilouvelles dignités.


Le garde des sceaux Lamoignon, moins.
faible, mais aussi moins infIuent que l'arche-.
veque de Toulouse, concerta avec lui un' plan
llouveau pour frapper la puissance politique
des parlements; car .c'était la le principal but
du pouvoir en ce momento Il importait de
garder le secreto Tout fut préparé en silence:
des leUres closes furent envoyées aux com-
mandants des provinces; l'imprimerie ou se
préparaient les édits fut entourée de gardes.
On voulait que le projet ne fút connu qu'au
moment meme de 5a communication aux par-
lements. l..'époque approchait, el le bruit s'é-
tait répandu qu'un grand acte politique s'ap-
pretait. Le conseiller d'Espréménil parvint a
séduire a force d'argent un ouvrier imprimeur,
et a se procurer un exemplaire des édits. Il se
rendít ensuite au palais, 6t assembler ses col-
legues, et leur dénon<;a hardiment le projet
ministériel *. D'apres ce projet, six grands
bailliages, établis dans le ressort du parle-
ment de Paris, devaient restreindre sa juri-
diction trop étcndue. La faculté de juger en
dernier ressort, et d' enregistrer les lois et les




22 RÉVOI,UTION FRANyAISE.


édits, était transportée a une cour pléniere,.
composée de pairs, de prélats, de magistrats.
de chefs militaires, tous choisis par le roi. Le
capitaine des gardes y avait meme voix déli-
hérative. Ce plan attaquait la puissance judi-
ciaire du parlement, et anéantissait tout-a-fait
sa puissance politiqueo La compagnie, frappée
de stl1peur, ne savait quel partí prendre. Elle
ne pouvaít délibérer sur un projet qui ne lui
avait pas été soumis; et iI lui importait ce-
pendant de ne pas se laisser surprendre. Dans
cet embarras elle employa un moyen tout a la
fois ferme et adroít, celui de rappeler et de
consacrer dans un arreté, tout ce qu'elle ap-
pelaít loís constitutives de la monarchie, en
ayant soin de comprendre dans le nombre son
existence et ses droíts. Par eette mesure gé-
nérale, elle n'anticipait nuUement sur les pro-
jets supposés du gouvernement, et garantissait
tout ce qu'elle vouIait garantir.


En cOl1séquence, iI fut déclaré, le 5 mai"
par le par!,ement de Paris:


ce Que la France étaít une monarchie gou-
« vernée par le roi, suívant les lois; et que de
« ces loís, plusieurs, qui étaient fondamenta-
« les, embrassaient et consacraient : 1° le droit
« de la maison régnante au tronc, de mttle en
« mate, par ordre de primogéniture; 2 o le




RJ.:GNE DE LOUIS XVI (1788). 23
« dl'oit de la nation d'accorder librement des
« subsides par l'organe des états-gélléraux, ré-
« gulierement cOIlvoqués et eomposés; 3° les
« coutumes et les capitulatioIls des provinces;
II 4° l'inamovibilité des magistrats; 5° le droit
l( des cours de vérifier dans chaque provinee
« les volontés du roi, et de n'en ordonner l'en-
(( registremens qu'autant qu'elles étaient con-
« forrl?es aux lois constitutives de la province,
t( ainsi qu'aux lois fondamentales de l'état;
« 6° le droit de ehaque citoyen de n'etre ja-
( mais traduit en aueune maniere par-devant
« d'autres juges que ses juges naturels, qui
« étaient ceux que la loi désignait; et 7° le
ce droit, sans lequel t~us les autres étaient in-
« utiles, de n'etre arreté par quelque ordre
« que ce fUt, que pour etre remis sans délai
« entre les mains des juges eompétents. Pro-
« testait ladíte eour eontre toute aUeinte qui
« serait porté e aux principes ci - dessus ex-
(( primés. »)


A eette résolution énergique le ministre ré-
pondit par le moyen d'usage, toujours mal et
inutilement employé: iI sévit contre quclques
membres du parlement. D'EspréméniI et Gois-
lart de Mousalbert, apprenant qu'ils étaient
menacés, se l'éfugierent au sein du parlement
assemblé. Un officier, Vincent d'Agonlt, s'y




24 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
rendít a la tete d'une compagnie, et, ne con·
naissant pas les magistrats désignés, les appela
par leur nomo Le plus grand silence régna
d'abord dans l'assemblée; puis les conseillers
s'écrierent qu'ils étaient tous d'Espréménil.
Enfin le vrai d'Espréménil se nomma, et sui-
vit l'officier chargé de 1'arreter. Le tumulte
fut alors a son combIe; le peuple accompagna
les magistrats en les couvrant d'applaudisse-
ments. Trois jours apres, le roi, dans un lit
de justice, fit enregistrer les édits; et les
princes et les pairs assemblés présellterent l'i-
mage de cette cour pléniere qui devait suc-
céder aux parlements. .


Le Chatelet rendít aussitot un arreté contre
les édits. Le parlement de Rennes déclara in-
fames cellX qui entreraient dans la cour plé-
niere. A Grenoble, les habitants défendirent
leurs magistrats contre deux régiments; les
troupes eUes-memes~ excité es a la désobéis-
sanee par la noblesse militaire, refuserent
bientOt d'agir. Lorsque le commandant du
Dauphiné asscmbla ses colonels, pour savoir
si on pouvait compter sur leurs soldats, ils
garderent tous le siIence. Le plus jeune, quí
devait parler le premier, répondit qll'il ne
fallait pas compter sur les siens, a cammen-
cer par le calonel. A cette résistance, le mi-


\..




llEGlYE m: LOUIS XVI (1788). 25
nistre opposa des arrets du grand conseil qlli
cassaient les décisions des cOllrs souverailles,
et iI frappa d'exil huít d'entre elles.


I .. a eour, inquiétée par les premiers ordres,
qlli lui faisaient la guerre en invoquant l'inté-
ret <1u peuple et en provoquant son inter-
vention, ent reCOllrs, de son coté, au meme
moyen; elle résolut d'appeler le tiers-état a
son aide, eomme avaient faít autrefois les
rois de Franee pour anéantir la féodalité. Elle
pressa alors de tous ses moyens la eonvocatioll
des états-généraux. Elle prescrivit des recher-
ches sur le mode de leur réunion; elle invita
les écrivaíns et les corps savants a donner
leur avis; et, tandis que le clergé assemblé
déclarait de son coté qu'il fallait rapprocher
l'époque de la convocation, la cour, acceptant
le défi, suspendit en meme temps ]a réunion
de la cour pléniere, et fixa l'ouvertllre des
états-généraux au I er mai 1789. Alors ent lien
la retraite de l'archeveque de Toulouse'" qui,
par des projets hardis faiblement exécutés,
avait provoqué une résistance qu'il fallait ou
ne pas exciter on vaincre. En se retirant, il
laissa le trésor dans la détresse, le paiement
des rentes de l'Hotel-de-Ville suspendu, toutes




RÉVOLT1TION FRAN~AISE.
les autorités en lutte, tOlltes les provinces en
armes. Quant a lui, pourvu de huit cent mille
franes de bénéfices, de l'archeveché de Sens,
et du chapeau de cardinal, s'il ne fit la for-
tune publique, iI fit <lu moins la sienne. Pour
deruier conseil, iI engagea le roí a rappeler
Necker au ministere des finan ces, afin de s'ai·
der de sa popularité contre des résistances
devenues invincibles.


C'est pendant les deux années 1787 et 1788
que les Franl{ais vonlnrent passer des vaines
théories a la pratique. La lutte des premieres
autorités Ieur en avait donné le désir et l'oc-
casion. Pendant toute la durée du siecle, le
parlement avait attaqué le clergé et dévoilé
ses penchants ultramontains; apres le clergé,
il avait atta qué la cour, signalé ses abus de
pouvoir et dénoncé ses désordres. Menacé de
représailles, et inquiété a son tour dans son
existence, iI venait enfin de restitller a la
nation des prérogatives que la cour voulait
lui enlever a lui-meme, ponr les transporter
a un tribunal extraordinaire. Apres avoir ainsi
averti la nation dp, ses droits, il avait exercé
ses forces en excitant et protégeant l'insur-
rection. De leur coté, le hant clergé en fai-
sant des mandements, la noblesse en fomen-
tant la désobéissance des troupes. avaient réuni




UEGNE DE LOUIS XVI ('788). 27
leurs efforts a cenx de la magistrature, et ap-
pelé le peuple aux armes pour la défense de
leurs priviléges.


La conr, pressée par ces divers ennem is ,
avait résisté faiblement. Sentant le hesoin d'a-
gir, et en différant toujours le moment, elle
avait détruit parfois quelques abns, plutot au
profit du trésor que du peuple, et ensuite était
retombée dans l'inaction. Enfin, attaquée en
dernier lien de toutes parts, voy:mt que les
premiers ordres appelaient le peuple dans la
lice, elle venait oe l'y introduire elle-meme en
convoquant les états-généraux. Opposée, pen-
dant toute la durée du siecle, a l'esprit philo-
sophique, elle lui faisait un appel eeHe fois,
et livrait a son examen les constitutions du
royaume. Ainsi les premieres autorités de l'é-
tat donnerent le singulier speetacle de déten-
teurs injustes, se disput~nt un objet en pré-
sence du propriétaire légitime, et finissant
meme par l'invoquer pour juge.


Les eh oses en étaient a ce point lorsque
Necker rentra au ministere *. La confiance l'y
suivit, le crédit fut rétabli sur-le-champ, les
difficultés les plus pressantes furent écartées. Il
pourvnt, a force d'expédients, aux dépenses in-
dispensables, en attendant les états-généraux,


.. Aoút.




28 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
qui étaientle remede invoqué par tout le monde.


On eomment;ait a agiter les grandes ques-
tions relatives a leur organisation. On se de-
mandait quel y serait le role du tiers-état : s'il
y paraitrait en égal ou en suppliant, s'il ob-
tiendrait une représentation égale en nombre
a eeHe des deux premiers ordres, si 011 délibé-
I'erait par tete ou par ordre, et si le tiers n'au-
rait qu'une seule voix contre les deux voix de
la noblesse et du clergé.


La· premiere questiol1 agitée fut celle da
nombre des députés. Jamais controverse phi-
losophique du dix-huitieme siecle n'avait ex-
cité une pareille agitation. Les esprits s'échauf-
ferent par l'importance tout actuelle de la
question. Un écrivain coneis, énergique, amer,
prit dans eette diseussion la place que les
grands génies du siecle avaient oecupée dans
les discnssions philosophiques. L'abbé Sieyes,
dans un livre qui don na une forte impulsion
a l'esprit pubiic, se demanda: Qll'est le tiers-
état? Etil répondit: Ríen. -. Que doit-il etre .... ?
Tout.


Les états du Dauphiné se réllnirent malgré
la cour. Lesdeux premiers ordres, plus adroits
et plus populaires dans eette contrée que par-
tont ailleurs, déciderent que la représentatiol1
du tiers serait égalQ a ceHe de la noblesse et




RJ.:GNE DE LOUIS XVI (1788). 29
{Iu clergé. Le parlemellt de París, entrevoyant
déjit la conséquence de ses provocations im-
prudentes, vit bien que le tiers-état n'allait pas
arriver en auxiIiaire, mais en maitre; et en en-
registrant l'édit de convocation, iI enjoignit
pour clause expresse le maintien des formes
de 1614, qui annulaient tout-a-fait le role du
troisieme ore/re. Déja dépopularisé par les
difficultés qu'il avait opposées a l'édit qui re n-
dait l'état civil aux protestans, il fut en ce
jour complétement dévoilé, et la cour entiere-
ment vengée. Le premier, iI fit l'épreuve de
l'instabiIité des faveurs populaíres; mais si plus
tard la nation put paraitre ingrate envers les
chefs qu'elle abandonnait l'un apres l'autre,
cette fois elle avait toute raison contre le par-
lement, cal' iI s'arn~tait avant qu'elIe eut re-
couvré aucun de ses droits.


La cour, n'osant décider elle-meme ces ques-
tions importantes, ou plutot voulant dépopula-
riser a son profit les deux premiers ore/res,
leur demanda leur aviii, dans l'intention de ne
pas le suivre, si, comme il était probable, cet
avis était cOlltraire an tiers-état. Elle convo-
qua done une nouvelle assemblée de nota-
bles'(- , dans Iaquelle toutes les questions rela-


* Elle s'ollvrit 11. Versailles le 6 novembre, et ferma sa
scssion le 8 déeembre sllivant.




30 RÉVOLUTION UlAN9A1S"E.
tivcs a la tenue des états-généranx furent
mises en discussion. La dispute fut vive: d'une
par·t on faisait valoir les ancienlles traditions,
de l'autre les uroits naturels et la raison. En
se reportant meme aux traditions, la cause du
tiers-état avait encore l'avantage, car, aux for-
mes de 16r4, invoquées par les premiers or-
drcs, OIl opposait des formes plus aneiennes.
Ainsi, dans eertaines réunions, et sur certains
points, on avait voté par tete; quelquefois on
avait délibéré par provinee et non par ordre;
souvent les députés du tiers avaient égalé en
nombre les déplltés de la noblesse et du
clergé. Comment done s'en rapporter aux an-
ciens usages? Les pouvoirs de l'état n'avaient-
ils pas été dans une révolutioll continueHe?
L'autorité royale, souveraine d'abord, puis
vaineue et dépouillée, se relevant de nouveau
avee le seeOllrs du peuple, et ramenant tous
les pouvoirs a elle, présentait une llltte per-
pétuelle, et une possession toujours ehan-
geante. On disait au clergé, qu'en se reportant
aux aneiens temps, il ne serait plus un ordre;
aux nobles, que les possesseurs de fiefs seuls
pourraient etre élllS, et qu'ainsi la plupart
d'entl'e eux seraient exclus de la députation;
anx parlements eux-memes, qu'ils n'étaient
que des officiers infideles de la royauté; a




nllGNE m: LOUlS XVI (1788). 3 (
iOus, enfin, que la constitution fran~aise n' était
qu'une longue révolution, pendant laquelle
chaque puissance avait successivement dominé;
que tout avait été innovation, et que, dans ce
vaste conflit, la raison seule devait décider.


Le tiers-état comprenait la presque totalité
de la nation, toutes les classes ntiles, indus-
trieuses et éclairées; s'il ne possédait qll'llne
partie des térres, <.In moins il les exploitait
tontes; et, selon la raison, ce n'était pas trop
que de lui donner un nombre de députés égal
a celui des deux autres ordres.


L'assemblée des notables se dé clara eontre
ce qu'on appelait le doublement du tiers. Un
seul bureau, celui que présidait Monsieur, frere
du roi, vota pour ce donhlemellt. La conr
alors, prenant, disait-elle, en eonsidératÍon
l'avis de la minorité .. l'apinion prononcée de
plusieurs princes du sang, le vu!u des trois
ordres du Dauphiné, la demande des assem-
blées provinciales, l'exemple de plusieurs pays
d'états, l'avis de divers publicistes, et le vreu
exprimé par un grand nombre d'adresses, la
eour ordonna que le nombre total des dépu-
tés serait de mille au moins; qu'il serait formé
en raison composée de la population et des
con trihutioIlS de chaque bailliage, et que le
nombre particlllier des députés <Iu tiers-état




32 RÉVOLUTION FRAN<;:AJSE.
scrait égal a celui des deux pl'emiers ordres
réunis. CArril du consei¡ du 27 décembl'e 1 7~8.)


ectte déclaration excita un enthousiasme
universel. Attribuée a N eeker, elle acerut a
son égard la favenr de la nalion et la haine
des grands. Cependant cette déclaration ne
décidait ríen qllant an yote par tete ou par 01'-
dre, mais elle le renfermait impliciterncnt, car
i'l était inuti!e d'augmcnter les voix si on ne
devait pas les compter; et elle laissait au tiers-
état le soin d'emporter de vive force ce qu'on
lui refusait dans le momento Elle donnait ainsi
une idée de la faiblesse de la conr et de ceHe
de Necker lui-mcme. eette cour offrait un
assemblage de volontés qui rendait tOHt résul-
tat déc!sif impossible. Le roí était mod~é,
-éqnitable, stlldieux, et se défiait trop de ses
propres lumieres; aimant le peuple, accueil-
lant volontiers ses plaintes, il était cependant
atteint quelquefois de tcrreurs paniques et
superstitieuses, et croyait voir marcher, avec
la liberté et la tolérance, l'anarchie et l'im-
piété. l/esprit philosophique, dans son pre-
miel' essor, avait dú commettre des écarts, et
-un roi timide et religieux avait dú s'en épou-
vanter. Saisi a chaqne instant de faiblesses, de
terrenrs, d'incertitlldes, l'infortuné Louis XVI,
I'ésolu pour luí a tons les sacrifices, mais ne




H~~GNE m( LOUlS XVI (1788). 33
snchant pas les imposer aux autres, victime de
sa facilité pour la cour, de sa condescendance
pour la reine, expiait tOlltes les fantes qu'íl
n'avait pns commises, mais qui devenaient les
siennes parce qu'il les laissait commettre. La
reine, lívrée aux plaisirs, exer¡;;ant autonr d'elle
l'empire de ses charmes, voulait que son époux
fut tranquílIe, que le trésor fút rempli, que la
cour ~ ses snjets l'adorassent. Tantot elle
était d'accord avee le roí ponr opérer des ré-
formes, quand le besoin en paraissait urgent;
tantot, au contraire, quand elle croyait l'auto-
rité menacée, ses amis de conr déponillés, elle
arretait le roi, écartait les ministres populai-
res, et détruisait tout moyen et toute espé-
rance de bien. Elle cédait surtout aux inflllen-
ces d'une partie de la noblesse qui vivait au-
tour du trone et s'y nourrissait de graces et
d'abus. ectte noblesse de cour désirait sans
doute, eomme la reine elle-meme, que le roi
eút de quoi faire des prodigalités; et par ce
motif, elle était ellnemie des parlements quand
ils refusaient les imp6ts, mais elle devenait
leur alliée quanu ils défcJl(laient ses priviléges
en refusant, sous de spécieux prétextes, la sub-
vention territoriale. Au milieu de ces jnfluen-
ces contraires, le roi, n' osant envisager en
face les difficultés, juger les abus, les détrnire


J. 3




34 RÉVOLUTION FRAN~A.ISF;.
d'autorité, eédait alternativement a la eour ou
a l'opiníon, et ne savait satisfaire ni rune ni
l'autre.


Sí, pendant la durée du dix-huitieme siede,
lorsque les philosophcs, réunis dans une allée
des Tuileries, faisaient des vceux pour Fré-
déric et les Américains, pour Turgot et pour
Neeker; si, lorsqu'ils n'aspiraient point a gou-
verner l'état, mais seulement a éclairer les
princes, et prévoyaient tOllt au plus des révo-
lutions lointaines que des signes de malaise et
l'absurdité des institutions faisaient ass·ez pré-
sumer; si, a eette époque, le roi eilt sponta-
nément établi une eertaine égalité dans les
charges, et donné quelques garanties, tout
eUt élé apaisé pour long-temps, et Louis XVI
aurait éle adoré a l'égal de Marc-A.ureIe. Mais
lorsque toutes les autorités se trouverent aví-
hes par une longne lutte, et tous les abus dé-
voilés par une assemblée de notábles; lorsque
la natíon, appelée dans la querelle, eut eon~u
l'espoir et la volonté d't~tre quelqne ehose, elle
le voulut impérieusement. On lui avnit promis
les états-généraux, elle demanda que le terme
de la convocation fUt rapproché; le terme rap-
proché, elle y réclama la prépondérance : OH
la luí refusa; mais, en doublant sa représen-
tation , on lui donna le moyen de la conquérir.




RF:GNE DE LOUIS XVI (1788). 35
Ainsi done on ne eédait jamais que partiellement
et.seulement lorsqu'on ne pouvait plus luí ré-
sister; mais alors ses forees étaient acerues et
senties, et elle voulait tout ce qu'elle eroyait
pouvoir. Une résistanee continuelle,irritant son
ambition, devait bientot la remIre insatiable.
Maisalors meme, si un grandministre, commu-
niquant un peu de force au roi, se conciliant
la reine, domptant les privilégiés , eut devaneé
et rassasié tout-a-eoup les prétentions natio-
nales, en donnant lui-meme une constitution
libre; s'il eut satisfait ce besoin d'agir qu' é-
prouvait la nation, en l'appelant tout de suit~,
non a réformer l'état, mais a diseuter ses in-
térets annuels dans un état tout eonstitué,
peut-etre la Iutte ne se fut pas engagée. Mais
il fallait devaneer la difficulté an lieu d'y cé-
der, et surtont immoler des prétenlions no m-
breuses. Il fallait un homme d'nne eonvietion
forte, d'unc volonté égale a sa eonviction; et
cet homme, sans doute audacieux, puissant,
passionné pent -etre, eut effrayé la eonr, qui
n'en aurait pas voulu. Ponr ménager a la fois
l'opinion et les vieux ¡ntérets, elle prit des
demi-mesures; elle choisit, comme on l'a vu,
un ministre demi-philosophe, demi-audaeieux,
et qui avait une popularité immense, paree
qu' alors des intentions demi - populaires daos


3.




36 RÉVOLUTION FRAN9AISt:.
un agent du pouvoir surpassaient toutes les
espérances, et excitaient l'enthousiasme d'un
peuple, que bientot la démagogie de ses chef.,
devait a peine satisfaíre.


Les esprits étaient dans une fermentation
universelle. Des assemblées s'étaient formées
dan s toute la Franee, a l' exemple de l' Angle-
tcrre et sous le mcme nom, celui de club. On
ne s'occupait la que des abus a détruire, des
réformes a opérer, et de la constitution a éta-
blir. Ou s'irritait par un examen sévere de la
sítuation du pays. En effet, son état politi-
que et éeonomíque étaít intolérable. 'fout était
privilége dans les indívidus, les classes" les
villes, les provinees et les métiers eux-memes.
Tout était entrave pour l'industrie et le génie
de l'homme. Les dignités civiles, ecclésiasti-
ques et militaíres étaient exclllsivement résE'r-
vées a quelques e1asses, et dans ces classes á
quelques illdividus. On ne pouvait embrassér
une professioll qu'a certains titres et a eertai-
nes condítions pécuniaires. Les villes avaient
leurs priviléges pour l'assiette, la perception,
la quotité de l'impót, et pour le choix des ma-
gistrats. Les graces Illt"me, converties par les
survivances en propriétés de famille, ne per-
mettaicnt presque plus au mouaI'que de <lon-
ne\' des pl'éférellces. n ne lui restait de libel'té




ni'GNF. m: LOUIS XVI (1788). 37
que pour quelques dons 1)éeuniaires, et on
l'avait vu obligé de disputer avee le duc de
Coigny pour l'abolitíon d'une charge ¡nutile *.


,Tout était done immobilisé dans queJques
mains, et partout le petit nombre résistait au
grand nombre dépouilIé. Les eharges pesaient
sur une seule cIasse. La noblesse et le clergé
possédaient a peu pres les deux tiers des ter-
res; l'autre tiers, possédé par le peuple, payait
des impóts au rOÍ, une fouJe de droits féodaux
a la noblesse, la dime au c1ergé, et supportait
de plus les dévastations des ehasseurs nobles
et du gibier. Les impóts sur les eOllsommations
pesaient sur le gralld nombre, et par eonsé-
quent sur le peuple. La pereeption était vexa-
toire; les seigneurs étaicnt impunément en
retard; le peupJe, au eontraire , maltraité , en-
fenné, était conclamné a livrer son eorps á
défaut de ses produits. JI nourrissaÍt done de
ses sueurs, iI défendait de son sang les hautes
classes de la société, san s pouvoir exister lui-
meme. La bourgeoisie, industrieuse , éclairéc,
moins malheureuse san s doute que le peuple,
mais enriehissant le royaume par son indus-
trie, l'illustrant par ses talents, n'obtenait
allCun des avantages auxque]s elle avait droit.


"Voye..: les Méllloircs de BouilIé.




38 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
La justice, distribuée dans quelques provin-
ces par les seigneurs, dans les j uridictions
royales par des magistrats acheteurs de leurs
charges, était lente, souvent partiale, toujours
ruineuse, et surtout atroce dans les poursuites
criminelles. La liberté individuelle était violée
par les leUres de cachet, la liberté de la presse
par les censeurs royaux. Enfin l'état, mal dé-
fendu au dehors, trahi par les maitresses de
Louis XV, compromis par la faiblesse des mi-
nistres de Louis XVI, avait été récemment dés-
honoré en Europe par le sacrifice honteux de
la Hollande et de la Pologne.


Déja les masses populaires commeUl:;aient a
s'agiter; des troubles s'étaient manifestés plu-
sieurs fois, pendant la lutte des parlements, et
surtont a la retraite de I'archeveguc de Tou-
louse. On avait brulé l'effigie de celui - ci; la
force armée avait été insultée, et meme atta-
quée; la magistrature avait faiblement pour-
suivi des agitateurs qui son tenaient sa cause.Les
esprits émus, pleins de l'idée confuse d'une
révolution prochaine, étaient dans une fer-
mentation continuelle. Les parlements et les
premiers ordres voyaient déja se diriger contre
eux les armes qu'ils avaient données au peupIe.
En Bretagne, la noblesse s' était opposée au
doublement du tiers, et avait refusé de Ilommer




REGNE DE LOUIS XVI (1788-89)' 39
des députés.I,a bourgeoisie, qui l'avait si puis-
sarnment servie contre la cour, s'était alors
tournée contre elle, et des combats meurtriers
avaient eu lieu. La cour, qui ne s!3 croyait pas
assez vengée de la noblesse bretonne*, lui
avait non-seulement refusé ses secours, mais
encore avait enfermé quelques-uns de ses
membres venus a París pour réclamer.


Les éléments eux-memes semblaÍent s'etre
déchalnés. Une grele du 13 juillet avait dé-
vasté les récoltes, et devait rendre l'approvi-
sionnement de París plus Jifficile, surtout au
milieu des troubles qui se préparaient. Toute
l'activité du commerce suffisait a peine pour
concentrer la quantité de subsistances néces-
saire a eette grande capitale; et il était a crain-
dre qu'il ne devlnt hientót tres-difficile de la
faire vivre, lorsque les agitations poli tiques
auraient ébranlé laconfiance et interrompu
les communications. Depuis le cruel hiver qui
suivit les désastres de LOllis XIV, et qni im'"
mortalisa la charité de Fénélon, on n'en avait
pas vu de plus rigoureux que celni de 88
a 89' La bienfaisanee, qui alors éclata de la
maniere la plus touchante, ne fut pas suffi-
sante pour adoucir les miseres dn peuple. On


* Voyez Bouillé.




40 RÉVOLUTlON FRÁN~AISE.
avait vu accourir de tOU5 les points de la
France une quantité de vagabonds sans pro-
fessÍon et sans ressources, qui étalaient de Ver-
sailles a París lcur miserc et leur nudÍté. An
moindre bruit , on les voyait paraitre avec em-
pressement pour profiter des chances toujours
favorables a ceux qui ont tout a acquérir, jus-
qu'au pain du jour.


Ainsi tout concourait a une révolution. Un
siecle entier avait contribué a dévoiler les
abus et a les pousser a l'exces; deux années
a exciter la révolte, et a aguerrir les masses
populaires, en les faisant Íntervenir dalls la
querelle des privilégiés. Enfin des désastres
naturels, un concours fortuit de diverses cir-
constances amenerent la catastrophe, dont l'é-
poque pouvait bien ctre différée, mais clont
l'accomplissement était t6t ou tard infaillible.


C'est au milieu de' ces circonstances qu'eu-
rent IÍeu les élections. Elles furent tumul-
tueuses en quelques provinces, actives partout,
et tres-calmes a Paris, ou il régna beallcoup
d'accord et d'unanimité. On distribuait des
listes, on tachait de s'rmir et de s'entendre.
Des marchands, des avocats, des hommes de
leures, étonnés de se voir réUllis pour la pre-
miere foís, s'élevaient peu a peu á la liberté.
A París, ils renommerent eux-memes les bu-




REGNE DE LOUIS XVI (1789). 41
reaux formés par le roí, et, sans changel' les
personnes, firent acte de leur puissance en
les confirmant. Le sage Bailly quitte sa re-
traite de Chaillot : étranger aux intrigues, pé-
nétré de sa noble mission, iI se rend seul et
a pied a l'assemblée. Il s'arrt'he en route sur
la terrasse des FeuilIants; un jeune hornme
inconnll l'aborde avec respecto - Vous serez
nommé, hii dit-il. - J e n' en sais ríen, répoIHl
Bailly; cet honneur ne doit ni se refuser ni
se solliciter. - Le modeste académicien re-
prend sa marche, iI se rend a l'assemblée, et
il est nommé successiv'ement électeur et dé-
puté.


L' élection du comte de Mirabeau fut ora-
geuse : rejeté par la noblesse, accueilli par le
tiers·état, il agita la Provence, sa patrie, el
vint bientot se montrer a Versailles.
. La conr ne vouJat point influencer les élec-
tions; elle n'était point fachée d'y voir un
granel nombre de curés; elle comptait sur leur
opposition aux grands dignitaires ecclésiasti-
ques, et en meme temps sur lenr respect pour
le tronco D'ailleurs elle ne prévoyait pas tout,
et dans les députés du tiers elle apercevait
encore plutot des adversaires pour la noblesse
que pour elle-meme. Le duc d'Orléans fut ac·
clisé d'agir vivement pour faire élire ses par-




42 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
tisans, et pour etre lui-meroe nomme. Dtijit
signalé parmi les adversaires de la cour, allié
des parlements, invoqué pour chef, de son
gré ou non, par le partí populaíre, on lui
imputa diverses menées. Une seene déplorable
eut líeu au faubourg Saint-Antoine; et eorome
on veut donner un autenr a tous les événe-


..


ments, on l'en rendít rt~sponsable. Un fabri-
cant de papiers peints, Réveillon, qui par son
habileté entretenaít de vastes ateliers, perfee-
tionnait notre industrie et fournissait la sub-
sistance a trois cents ouvriers, fut accusé d'a-
voir voulu réduire les salaires a moitié prix.
La populaee menal{a de briller sa maison. On
pal'vint a la disperser, mais elle y retourna le
lendemain; la maison fut envahie, incendiéc,
détrnite ". Malgré les menaees faites la veille
par les assaillants, malgré le rendez - vous
donné, l'autorité n'agit que fort tard, et agit
alors avec une rigueur excessive. On attendit
que le peuple fut maitre de la maisoll; on l'y
attaqua avec furie, et on fnt obligé d'égorger
un grand nombre de ees hommes féroees et
intrépides, qui depuis se montrerent dans
toutes les oecasions, et qui re(iurent le nom
de brigands.


* 27 avril.




REGNE DE I.OUIS XVI (I 789). q 3
Tous les partis qui étaient déja formés s'ac-


enserent ; on reprocha a la cour son action
tardive d'abord, et cruelle ensuite; on sup-
posa qll'elle avait voulu laisser le peuple s'en-
gager, pour faire un exemple et exercer ses
troupes. L'argent trouvé sur les dévastateurs
de la maison de RéveilIon, les mots échappés
a quelques-uns d'entre eux, firent soup<;on-
ner qu'iIs étaient suscités et conduits par une
main cachée; et les ennemis du partí popu-
laire accuserent le dnc d'Orléans d'avoir voulu
essayer ces bandes révolutionnaires.


Ce prince était né avec des qualités heu-
reuses; iI avait hérité de richesses immenses;
mais, livré aux mauvaises momrs, iI avait
abusé de tous ces dons de la nature et de la
fortune. Sans aucnne suite 1!ans le caractere,
tour a tour insouciant de l'opiníon ou avicIe
de popularité, il était hardi et ambitieux un
jour, docile et distrait le lendemain. Brouillé
ave e la reine, il s' était fai t ennemi de la cour.
Les partís commen<;ant a se former, iI avait
laissé prendre son nom, et meme, dit-on,
jusqu'a ses richesses. Flatté d'un ayenir con-
fus, iI agissait assez pour se faire accuser, pas
assez pour réussir, et il devait, si ses parti-
sans avaient réellement des projets, les déses-
pérer de son inconstante ambition.




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ÉT A TS-GÉNÉRAUX (1789). 45


CIIAPITRE 11.


1#
Convoeati~n et ouverture des états-généraux. - Discus--


sions sur la vérification des pouvoirs et sur le vote par
ordr(~ et par tc\te. _ L'ordre du tiers-état se déclare
a%emblée lIationalc. - La salle des états ('st fermée,
les deputés se rendent dans un autre local. - Serment
du .Teu de Paume. - Séánce royale du 23 juin. - Vas-
semblée continue ses délibérations malgré les ordres du
roí. - Réuníon définítive des trois oreJres. - Premiers
.avalJ.X de I'assemblée. - Agitations populaíres a Pa-
riso _ Le peuplc délivre des gardes frall<,aisps enfer-
mees a I'ALhaye. - Complots de la eOllr; des Lroupes
s'approchent de Paris. - Renvoí de Neeker. - .Tour-
nees des 12, 13 et 14 juíllet. Prise de la Rastille. -
Le roí se rend á l'assemblée, et de la a Paris. - Rappel
de Neeker.


LE moment de la convocation des états-gé-
néraux arrivait ellfin; dans ce commnn danger,
les premiers ordres, se rapprochant de la cour,
s'étaieJlt groupés. autonr des princes du sang
et de la reine. Ils tachaient de gagner par des




46 RÉVOLUTION FRAN~t\ISE.
flatterics les gentilshommes campagnards, el
en leur absence ils raillaient leur rusticité. Le
clergé tachait de cap ter les plébéiens de son
ordre, la noblesse militaire ceux du sien. Les
parlements, qui avaient cru occuper le pre-
mier rÓle dan s les états-généraux, commen-
<;aient a craindre que Jeur ambition ne fUt
trompée. Les députés dn tiers-état, fort5 de la
supériorité de lcurs talents, de l'énergique ex-
pression de leurs cahiers, soutenus 'par des
rapprochements continuels, stimulés meme
par les doutes que beaucoup de gens mani-
festaient sur le succes de Ieurs efforts, avaient
pris la ferme résolution de ne pas céder.


Le roi seul, qui n'avait pas goúté un mo-
ment de repos depuis lecommencement de
son regne, entrevoyait les états - généranx
comme le termc de ses embarras. Jaloux de
son autorité, plutot pour ses enfants, aux-
quels iI croyait devoir laisser ce' patrimoi~
intact, que pour lui-meme, iI n'était pas raché
d'en remettre une partie ala natÍon, el. de se
décharger sur elle des difficultés du gouver-
nement. Aussi faisait-il avec joie les apprcts de
cette grande réunion. Une salle avait été pré-
parée a la hateo On avait meme détermiqé le~
costumes, et imposé au tiers-état une éti-
quette humiliante. Les hommes ne sont pas




ÉTATS-GÉNÉRAUX (1789). 47
moins j aloux de leur dignité que de leurs
droit, : par une fierté bien juste, les cahiers
défendaient aux députés de condescendre a
tout cérémonial outrageant. Cette nouvelle
faute de la cour tenait, comme toutes les
autres, au désir de maintenir au moins le signe
quand les choses n'étaient plus. Elle dut cau-
ser une profonde irritation dans un moment
ou af'ant de s'attaquer on commen«;ait par se
mesurer des yeux.


Le 4 mai, veille de l'ouverture, une pro-
cession solennelle eut lieu. Le rOÍ, les trois
ordres, tous les dignitaires de l'état, se rendi-
rent a l'église de Notre-Dame. La cour avait
déployé une magnificellce extraordinaire. Les
deux premiers ordres étaientvetnsavec pompeo
Princes, dues et pairs, gentilshommes, pré-
lats, étaient parés de pourpre, et avaient la
tete couverte de chapeaux a plumes. Les dé-
putés du tiers, vetus de simples manteaux
noirs, venaient ensuite, et, malgré leur exté-
rienr modeste, semblaient forts de leHr nom-
bre et de leur avenir. On observa que le duc
d'Orléans, placé a la queue de la noblesse, ai-
mait a demenrer en arrÍere et a se confondre
avec les premiers députés du tiers.


eette pompe nationale, militaire et reli-
glcuse, ces chants pieux, ces instruments




48 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
guerriers, et surtout la grandeur de l'événe·
ment, émurent profondément les cceurs. Le
discours de l'éveque de Nancy, pIein de sen-
timents généreux, fut applauJi avec entholl-
siasme, maIgré la sainteté du lieu et la présence
du roi. Les grandes réunions élevent l'ame,
elles HOUS détachent de llous-memes, et nous
rattachent aux autres; une i vresse générale
se répandit, et tout-a-coup plus d'un cceur
sentit défaillir ses haines, et se remplit pour
un moment d'humanité et de patriotisme ".


L'ouverture des états-généraux eut lieu le
lendemain, 5 mai 1789' Le roi était placé sur
un treme élevé, la reine aupres de lui, la cour
dans des tribunes, les deux premiers ordres
sur les deux cotés, le tiers-état dans le fond
de ]a salle et sur des siéges inférieurs. Un
mouvement s'éleva a la vue du comte de Mi-
rabeau; mais son regard, sa démarche impo-
serent a l'assemblée. Le tiers-état se couvrit
ave e les autres ordres) malgré l'usage établi.
I.e roí pronon<;a un discours dans JequeI il
conseillait le désintéressement aux uns, la sa·
gesse aux autres, et parlait a tous de son amouI'
pour le peuple.Le gardedes sceaux Barentin prit
ensuite la paroJe, et fut suivi de Necker, qui


* Voyez la note 1 a la fin du volumc.




ÉTATS-GÉNÉRA UX (17 89). 49
lut un mémoire sur l'élat du royaume, OU il
parla longuement de finances, accusa un dé-
ficit de 56 millions, et fatigua de ses longueurs
ceux qll'il n'offensa pas de ses le({ons.


Des le lendemain iI fut prescrit aux députés
de chaque ordre de se relldre dans le local qui
lcur était destiné. Outre la salle eommune,
assez vaste pour contenir les trois ordres ré-
unís, deux autres salles avaient été construites
pour la nobIesse et le clergé. La salle com-
mUlle é taít destinée au tiers, et iI avait ainsi
l'avantagc, en étant dans son proprc local, de
se trouver dans celui des états. La premic~re
opération a faire était eeHe de la vérification
des pouvoirs; i1 s'agissait de savoir si elle au-
rait lieu en commun ou par ordre. Les dé-
putés du tiers, prétendant qu'il importait a
chaque partie des états-généraux de s'assurer
de la légitimité des deux autres, demandaient
la vérification en eommun. La noblesse et le
clcrgé, voulaut maintcnir la division des or-
dres, soutenaient qu'ils devaient se constituer
chacun a part. ectte question n'était pas en-
core celle du vote par tete, cal' on pouvait
vérifier les pouvoirs en commUll et voter cn-
suite séparément, mais elle lui ressemblait
beaucoup; et des le premier jour, elle tit écla-
ter une division qu'il eut été facile de pré-


lo 4




50 nliVOLUTION FRAN~AISE.
VOil', et de prévenir en terminant le différend
d'avance. M3is la cour n'avait jamais la force
ni de refusAr ni d'accordel' ce qui était juste.
et d'aillellrs elle espérait régner en divisant.


Les députés dll tiers-état demeurerent as-
semblés dans la salle commune, s'abstenant de
prendre ancune mesure, et attendant, dis3ient-
ils, la réunion de leurs colIegues. La noblesse
et le clergé, retirés dans leur salle respective,
se mirent a délibérer sur la vérification. I,e
clel'gé vota la vérification séparée a la majo-
rité de J 3:1 sur 1 I!~, et la noblesse a la ma-
jorité de 188 sur 114. Le tiers-état, persistant
dans son immobilité, continua le lendemain
sa conduite de la veille. IL tenait a éviter toute
mesure qui pút le faire considérer comme
constltué en ordre sépal'é. e' est pourquoi, en
adressant quelques-uns de ses membres aux
denx autres chambres, il eut soin de ne leur
donner aucnne mission expresse. Ces membres
étaient envoyés a la noblesse et au clergé pour
leur elire qu'on lesattendait dans la salle com-
mnne. La noblesse n'était pas en séance dans
le moment; le clergé était réuni, et il offrit de
nommer des commissaires ponr concilier les
différenels qui venaient de s'élever. Il les
nornma en effet, et fit inviter la noblesse a
\'H faire alltant. Le clerg<'- (hns cette lutte




ÉTATS-GÉNJ~RAUX (1789). 51
montrait un caractere bien différent de celui
de la nobIesse. Entre toutes les classes privi-
légiées iI avait le plus souffert des attaques
du dix-huitieme siecle; son existen ce politique
avait été contf'stée; iI étaít partagé a cause du
grand nombre de s'es curés; d'ailleurs son role
obligé était eelui de la modération et de l'es-
prit de paix; aussi, eomme on vient de le
voÍr, iI offrit une espeee de médiation.


La noblesse, au contraire, s'y refusa en ue
voulant pas nommer des commissaires. MoÍns
prudente que le c1ergé, doutant moins de ses
droits, ne se croyant point oblÍgée a la modé-
ration, mais a la vaillance , elle se répaudait
en refus et en menaces. Ces hommes qui n'ont
excusé aucune passion, se livraient a toutes
les leurs, et ils subissaient, comme toutes les
assemblées, la domination des esprits les plus
violents. Casales, d'Espréménil, récemment
anoblis, faisaient adopter les motions les plus
fougueuses, qu'ils préparaient d'abord dans
des réunions particulieres. En vain une mino-
rité composée d'hommes ou plus sages ou plus
prndemment ambitieux, s'effor<;ait d'éclairer
eeUe noblesse; elle ne voulait ríen entendre,
elle parlait de eombattre et de mourÍr, et,
ajoutait-elle, pour les 10is et la justice. Le
tiers-état, immobile, dévorait avee calme ton s


4.




nlÍvoLuTION }'RANt;:AISE.


les outrages; il s'irritait en silence, se condui-
sait avec la prudence et la fermeté de toutes
les puissauces qui commencent, et recueillait
les applaudissements des tribunes, destinées
d'abord a la COllr et envahies bientot par le
publico


Plusieurs jours s'étaient déja éCOlllés. Le
clergé avait tendu des piéges au tiers-état en
cherchant a l'entrainer a certains actes, qnj
le fissent qualifier d'ordre constitué. Mais le
tiers-état s'y était refusé constamment; et,
l1e prenant que des mesures indispensables de
políce intérieure, il s'était borné a choisir un
doyen et des adjoints pour recueillir les avis.
Il refusait d'ouvrir les leUres qui luí étaient
adressées, et il déclarait former non un ordre,
mais une assemblée de citoycns réunis par
une autorité légitime pour attendre d' autres
citoyens.


La noblesse, apres avoir refusé de nommer
des commissaires conciliateurs, consentít enfin
a en envoyer pour se concerter avec les autres
ordres ; mais la mission qu'elle leur donl'lait
devenait inutile, puisqu'elJe les chargeait en
meme temps de Mclarer qu' elle persistait dans
sa décision du 6 mai, laquelle enjoignait la
vérification séparée. Le clergé , t011t au con-
traire, fidele a son role, avaít suspendu la vé-




ETATS-GENERAUX (1789)' 53
rificatioll déja commencée dans sa propre
chambre, et il s'était déclaré non constitué,
en attendant les conférences des commissaires
conciliateurs. Les conférences étaient Oliver-
tes: le clergé se taisait, les députés des com-
munes faisaient valoir leurs raisons avec calme,
cellX de la noblesse avec emportement. On se
séparaít aigri par la dispute, et le tiers-état,
résolu a ne ríen céder, n'était sans doute pas
taché d'apprendre que toute transaction deve-
nait impossiblc. La noblesse elltendait tous les
jours ses commissaires assurer qu'ils avalent eu
l'avantage, et son exaltation s'en augmelltait
encore. Par une lueur passagere de prudence,
les deux premiers ordres déclarerent qu'ils re-
nOIl<;aient a lellrs prlviléges pécuniaires. Le:
ticrs-état accepta la cOIlcession, mais il per-
sista dans son inaction, exigeant toujollrs la
vérification commune. Les cOllférences se
continuaient encol'e, lorsqn'on propósa enfin,
eomme accommodement, de faire vél'ifier les
pOllvoirs par des commissaires pris dans les
trois ordres. Les envoyés de la noblesse dé-
clareI'ent en son nom qll'elle ne voulait pas de
cet arrangement, et se retirerent sans fixer de
jour pour une nouvelle conférence. La trans-
action fut ainsi rompue. Le memc jour, la
lloblesse prit un arrcté par lequel elle déclarait


-




54 RÉVOLUTION I'RAN«AISE.
de nou vean que, pour eette session, on verl-
fierait séparément, ~n laissant aux états le soin
de déterminer un autre moue pOLIr l'avenir.
Cetarreté fut eommuniqué aux communes le
27 mai. On était réuni depuis le 5 ; vingt-deux
jours s'étaient done écoulés, pendant lesquels
on n'avait rien fait; iI était temps de prendre
une détermination. Mirabeau, qui' donnait
l'impulsion au parti populaire, tit ob~erver
qu'il était urgent de se décider, et de com-
meneer le bien public trop long-tempsretardé.
Il proposa done, d'apres la résolution connue
de la noblesse, de faire une sommation au
clergé pour qu'il s'expliquat sur-le-champ, et
déclarat s'il voulait ou non se réunir aux com-
munes. La proposition fut aussitót adoptée. Le
député Target se mit en marche a la tete d'une
députation Hombre use , et se rendít dans la
salle du clergé: « Mcssieurs des communes
« invitent, dit-il, messieurs du clergé, AU NOM
« DU DlEU DE P AIX, et daos l'intéret national,
« a se réunir avec eux dans ]a salle de l'assem-
« blée, pour aviser aux moyens d'opérer la
« concorde, si nécessairc en ce moment au
« salut de la chose publique. ») Le clergé fut
frappé de ces paroles solennelles; un grand
nombre de ses membres répondirent par des
acclamations, et vonlurent se remIre de suitc




ÉTATS-GÉNERAUX (1789)' 55
a eette invitation; mais OH les en empecha, et
011 répondit aux députés des coininunes qu'il
en serait délibéré. Au retoor de la députation ,
le tiers-état, inexorable, se détermina a atten-
dre, séance tenante, la réponse du clergé~
eette réponse n'arrivant point, on lui envoya
dire qu'on l'attel1dait. Le clergé se plaignit
d'étre trop vivement pressé, et iI demanda
qu'on luí laissat le temps nécessaire. On lui
répondit avee modération qu'il en pouvait
prendre, et qu' on attendrait, s'ji le fallait,
tout le jour et toute la nuit.


La situation était difficile; le clergé savait
qu' apres sa réponse les comniunes se mettraient
a l'reuvre, el prendraient un partí décisif. Il
voulait temporiser pour se coneerter avec la
cour; iI demanda done jusqu'au lendemain,
ce qui fut aeeordé a regret. Le lendemain en
effet, le roi, si désiré des premiers ordres , se
décida· a intervenir. Dans ce moment toutes
les inimitiés de la eour et des premiers ordres
commelll;aient a s'oublier , a l'aspeet de cette
puissanee populaire qui s'élevait avec tant de
rapidité. Le roí, se montralit enGll, invita les
trois ordres a reprendre les confércnees, en
présence de son garde des sceaux. Le tiers-
état, quoi qu'on ait dit de ses projets, qu'on
a jugés d'apres l'événement, ne púüssait pas




56 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ses vreux au-deHt de la monarchie tempérée.
Connaissant les intentions de Louís XVI, il
était plein de respect pour lui ; d'ailleurs, ne
voulant nuire a sa propre cause par aucun
tort, iI répondít que, par déférence pour le
roí, il consentait a la reprise des conférences,
quoique, d'apres les décIarations de la no-
blesse, 011 put les croire inutiles. n joignit á
eette réponse une adresse qu'il chargea son
doyen de remettre au prince. Ce doyen était
BailIy, homme simple et vertueux, savant
iJIustre et modeste, qui avait été transporté
subitemellt des études silencieuses de son ca-
binet au milieu des discordes civiles. Choisi
pour présider une grande assemblée, il s' était
effrayé oe sa tache nouvelle, s'était cra indi-
gne de la remplir, et ne l'avait subie que par
devoir. Mais élevé tout a coup á la liberté, il
trouva en lui une présence el'esprit et une fer-
meté inattendues; au milieu de tant de conflits,
il fit respecter la majesté de l'assemblée, et
représenta pour elle avec toute la dignité de
la vertu et de la raison.


Bail1y eut la plus grande peine a parvenir
jusqu'au roi. Comme iI insistait afin d't~tre in- .
troduit, les courtisans répandirent qu'il n'av¡lit
pas meme respecté la douleur du monarque,
affligé de la mort du dauphin. Il fut entln pré-




ÉTATS-GÉNÉRAUX ([789)' 57
senté, sut écarter tout cérémonial humiliant,
et montra autant de fermeté que de respecto
Le roi l'accueillit avec bonté, mais san s s'ex-
pliquer Sur ses intentions.


Le gouvernement, rlécidé a quelques sacri-
fices pour avoir des fonds, voulait en opposant
les ordres devenir leur arbitre, arracher a la
Iloblesse ses priviléges pécuniaires ave e le se-
cours du tiers-état, et arrther I'ambition du
tiers-état au moyen de la noblesse. Quant a la
noblesse, n'ayant point a s'inquiéter des em-
harras de l'administration, ne songeant qu'aux
sacrifices qu'il allait lui en couter, elle voulait
amener la dissolution des états-généraux, et
rendre ainsi leur convocation ¡nutile. Les com-
munes, que la cour et les premiers ordres ne
voulaient pas reconnaitre sous ce titre , et ap-
pelaienli toujours du nom de tiers-état, acqué-
raient sans cesse des forces nouvelles, el,
résolues a braver tous les dangers, ne vou-
Jaient pas laisser échapper une occasion qui
pouvait ne plus s'offrir.


Les conférences demandées par le roi eurent
lieu. Les commissaires de la noblesse éleverent
des difficultés de tout genre, sur le titre de
communes que le tiers-état avait pris, sur la
forme et la signature du proces-verbal. Enfin
ils entrerent en discussion, et i1s étaien t pre&-




58 RÉVOLUTJON FRAN(jAJSE.
que I'éduits au silence par les raisons qu'on
leur opposait, lorsque N ecker, au llom du roi,
proposa un llouveau moyen de conciliation.
Chaque ordre devait examiner séparément les
pouvoirs, et en donner communication aux
autres : dans le cas ou des difficultés s'éleve-
raient, des commissaires en feraient rapport a
chaque chambre, et si la décisioll des divérs
ordres n'était pas conforme, le roi devait juger
en dernier ressort. Ainsi la cour vidait le dif-
férend a son profit. Les conférences furent aus-
sitot suspendues pour obtenir l'adhésÍon des
ordres. Le clergé accepta le projet purement
et simplement.La no.blesse l'accueillit d'abord
avec faveur; mais, poussée par ses instigateurs
ordinaires, elle écarta l'avis des plus sages de
ses membres, et modifia le projet de con-
ciliation. De ce jour datent tous ses mal-
heurs. .


Les communes, instruites de eette résolu-
tíon, attendaient; pour s'expliquer a leur tour,
qu'elle leur fUt communiquée; inais le clergé,
avec son astuce ordinnire, voutant les mettre
en demeure aiIx yeux de la natiOtl, leur envoya
tine députation pour les engager a s'occuper
avec lui de la misere du peuple , tous les jours
plus grande, et a se hater de pourvoir ensemble
a la rareté et a la cherté des subsistan ces. Les




ÉTATS-GÉNÉRAUX (J 789)' 59
communes, exposées a la défaveur populaire si
elles paraissaient indifférentes a une telle pl'O-
position, rendirent ruse pour ruse, et répon-
dirent que, pénétrées des memes devoirs, elles
attendaient le c1ergé dans la grande salle pour
s'occuper avec lui de cet objet important. Alors
la noblesse arriva et commllniqlla solennelle-
ment son arreté allX communes; elle adoptait,
disait-elle, le plan de conciliatíon, mais en
persistant dan s la vérification séparée, et en ne
déférant aux ordres réunis et a la jllridiction
supreme du rOÍ, que les difficultés qui pour":
raient s'élever sur les députations entieres de
toute une province.


Cet arreté mit fin a tous les embarras des
cornmunes. Obligées bu de céder, DU de se
déclarer seuIes en guerre contre les premiers
ordres et le trone, si le plan de conciliation
avait été adopté, elles furent dispensées de
s'expliquer, le plan n'étant accepté qu'avec
de graves changements. Le moment était dé-
cisif. Céder sur la vérification séparée n' était
pas, iI est vrai, céder Sur le vote par ordre;
mais faiblir une foís, c'était faiblir toujours. Il
fallait ou se soumettre a un role a peu pres nul,
donne!' de l'argent au pouvoir, et se contenter
de détruire quelques abus lorsqu'on voyait la
possibilité de régénérer l'état, ou prendre une




60 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
résolution forte et se saisir violemment d'UllC
portion du pouvoir législatif. C' était la le pre-
mier acte révolutionnaire, mais l'assemblée
n'hésita paso En cOllséquence , lOlls les proces-
verbaux signés, les conférences finies, Mirabeau
se leve : « Tout projet de conciliation rejeté
« par une partie, dit-il, ne peut plus etre
« examiné par l'autre. Un mois s'est écoulé, il
« faut prendre un par ti décisif; un député de
ce Paris a une motion importante a faire, qu'on
« l'écoute. » Mirabeau , ayant ouvert la déli-
hération par son audace, introduit a la triLune
Sieyes, esprit vaste, systématique, el rigou-
reux dans ses déductions. Sieyes rappelle et
motive en peu de mots la conduite· des com-
munes. Elles ont attendu el se sont pretées a
toules les conciliations proposées; leur Ionglle
condescendance est devenue inutile; elles ne
peuvent différer pluslong.temps sans manquer
a lellr mission; en conséquence elles doivent
faire une derniere invitation aux deux autres
ordres, afin qu'ils se réunissent a elles pour
commencer la vérification. Cette proposition
rigoureusement motivée '" est.acclleillie avec
enthousiasme; Oll veut meme sommer les deux
ordres de se réunir dans une heure "-*. Cepen-


* Voyez la note 2 a la fin du volumc.
** Séance du 10 juiu.




ASSlc'tlBLÉE CONSTI'l'UANTE (J789)' 61
dant le terme est prorogé. Le lendemain jeudi
étant un jour consacré aux solennités reli-
gieuses, on remet au vendredi. Le vendredi, la
derniere invitation est communiquée ; les deux
ordres répondent qu'ils vont délibérer; le roi,
qu'il fera connaltre ses intentions. L'appel des
bailliages commence : le premier jour, trois
curés se rendent, et sont couverts d'applau-
dissements; le second, il en arrive six; le troÍ-
sieme et le qllatrieme, dix, au nombre dcsquels
se trouvait l'ahbé Grégoire.


Pendant l'appel des bailliagcs et la vérifi-
cation des pouvoirs, une dispute grave s'éleva
sur le titre que devait prendre I'assemblée. Mi-
rabean proposá celui de représentants du peuple


./rallt¡ais; Mounier celui de la majol'ité délibé-
rant en l'absence de la minorité; le député
Legrand cellli d' assemblée nationale. Ce dernier
fut adopté apres une discussion assez longue,
qui se prolongea jusqu'au 16 jl1in dalls la nuit.
Il était une heure du matin, et il s'agissait de
savoir si on se constituerait séance tenante, ou
si on remettrait au lendemain. Une partie des
députés voulait qu'on ne perdlt pas un instant,
afin d'acquérir un caractere légal qui imposat
a ]a cour. Un petit nombre, désirant arreter
les travaux de l'assemblée, s'emportait et
poussait des cris furieux. J.es deux partis, ran-




RÉVOLUTION FRAN<;:AIS:E.


gés des deux cotés d'une longue table, se
mena<;aient réciproquement; Railly, placé an
centre, était sommé par les uns de séparer
l'assemblée, par les autres de mettre aux voix
le projet de se constituer. Impassible au milien
des cris et des outrages, il resta pendant plqs
d'une heme immobile et silencieux. Le ciel
était orageux, le vent souHIait avec violence
au milieu de la salle, et ajoutait au tu multe.
Enfin les furieux se retirerent; a10rs Bailly,
s'adressant a l'assemblée devenue calme par la
re traite de ceux qui la troublaient, l'engagea
a renvoyer an jour l'acte important qui était
proposé. Elle adopta son avis, et se retira en
applaudissant a sa fermeté et a sa sagesse.


Le lendem~in 17 juin, la proposition fut
mise en délibél'ation, et, a la majorité de 491
voix contre 90, les eommunes se eonstitnerent
en assemblée nationate. Sieyes, chargé encore
de motiver cette décision, le 6t av:ec sa rigueur
aecoutumée.


ce L'assemblée, délibérant apres la vérifica-
<e tion des pouvoirs, reconnait qu'elle est déja
(( composée de représentants envoyés di recte-
e( ment par les quatre-vingt-seize eentiemes
« au moins de la nation. Une telle masse de
« députation ne saurait rester in active par l'ab-
«( senee des dépntés de quelques bailJiages OH




ASSFlIlBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 63
« de quelques classes de eitoyens; ear les ab-
« sents qui ontété appelés ne peuvent empeeher
( les présents d'exereer la plénitude de leurs
({ droits, surtout lorsque l'exereiee de ees droits
« est un devoir impérieux et pressant.


« De plus, puiSqll'il n'appartient qu'aux re-
(c présentants vérifiés de eoneourir au vreu na-
({ tional, et que tous les représentants vérifiés
(( doivent etre dans eette assemblée, il est encore
c( indispensable de conclure qu'illui appartient
« et qu'il n'appartient qu'a elle d'interpréter et
« de représenter la volonté générale de la
« nation.


« 11 ne peut exister entre le treme et l'as-
« semblée aucun veto, aucun pouvoir né-
c( gatif.


« L'assembléedécIare done que l'reuvrecom-
« mune de la restauration nationale peut et
« doit etre commencée sans retard par les dé-
« putés présents, et qu'ils doivent la suivre
« sans interruption comme sans obstacle.


« La dénornination d'assemblée nationale est
« la seule qui eonvienne a l'assemblée dans
« l'état actuel des ehoses, soit paree que les
ce membres qui la composent sont les seuls re-
e( présentants légitimement et publiquement
« connus et vérifiés, soit paree qu'ils sont en-
I( voyés par la presque totalité de la nation,




64 RltVOLUTION Fll AN~AISE.
« soit enfin paree que la représentation étant
« une et indivisible, aucun des députés, dans
« quelque ordre ou classe qu'il 'soit choisi,
« n'a le droit d'exercer ces fonctions séparé-
« ment de eette assemblée.


« L'assemblée ne perdra jamais l'espoir de
« réunir dans son sein tous les députés au-
« jourd'hui absents; elle ne cessera de les ap-
« peler a remplir l'obligation qui leur est im-
« posée de concourir a la tenue des états-géné-
« raux. A quelque moment que' les députés
(e absents se présentent dallS la session qui va
« s'ouvrir, elle déclare d'avanee qu'elle s'em-
n pressera de les recevoir, et de partager avec
« eux, apres la vérifieation des pOllvoirs, la
« suite des grallds tI'avaux qui doivent pl'oeu-
« rer' la régénération de la l"ranee. ))


Aussitót apres cet arreté, l'assemblée, von-
lant tOllt a la fois faire un aete de sa puissance,
et prouver qu'elle n'entendait point arre ter la
marche de l'administration, légalisa la percep-
tion des impots, quoique établis san s le con-
sentement national; prévenant sa séparation,
elle ajouta qu'ils cesscraient d'etre perc,;us le
jour ou elle serait séparée ; prévoyant en outre
la banqueroute, moyen qui restait au pouvojr
pour terminer les embarras financiers, et se
passer du cOllcours national, elle satÍsfit a la




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 65
prudence et a l'honneur en mettant les créan-
ciers de l'état sous la sauvegarde de la loyauté
fran'taise. Enfin elle annonl{a qu'elle allait s'oe-
cuper incessamment des causes de la disette
et de la misere publique.


Ces mesures, qui montraient autant de cou-
rage que d'habileté, produisirent une impres-
sion profonde. La cour et les premiers ordres
étaiellt épouvantés de tant d'audace et d'éner-
gie. Pendant ce temps le clergé délibérait en
tumulte s'il fallait se réunir aux communes.
La foule attendait au dehors le résultat de sa
délibération; les curés l'emporterent enfin, et
on apprit que la réunion avait été votée a la
majorité de 149 voix sur 1 15. Ceux qui avaient
voté pour la réunion furent accueillis avec des
transports; le~ alltres furent outragés et pour-
suivis par le peuple.


Ce moment devait amener la réeonciliation
de la cour et de l'aristocratie. Le danger était
égal pour tOlltes deux. La dernierc révolution
nuisait autant au roí qu'aux premíers ordres
eux-memes dont les communes déclaraient
pouvoir se passer. Aussit6t on se jeta aux pieds
du roí; le duc de Luxembourg , le cardinal de
Larochefoucauld, l'archeveqne de Paris, le sup-
plierent de réprimer l'audace du tiers-état, et
de soutelJir leurs droits attaqués. Le parlement


L 5




66 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
luí 6t offrir de se passer des états, en promet-
tant de consentir tous les impOts. Le roí fut
entouré par les princes et par la reine; c'était
plus qu'il ne faUait pour sa faiblesse; enfin on
l'entraina a Marly, pour luí arracher une
mesure vlgoureuse.


Le ministre N ecker, attaché a la cause popu-
laire, se contentait de représentations inutiJes,
que le roí trouvait justes quand il avait l'esprit
libre, mais dont la cour avait soin de détruire
hientot l'effet. Des qu'il vit !'jntervention de
l'autorité royal e nécessaire, iI forma un projet
qui parut tres-hardi a son courage : il voulait
que le monarque, dan s une séance royale, 01'-
donnat la réunion des ordres, mais seulement
ponr toutes les mesures d'intéret général; qu'il
s'attribuat la sanction de toutes les résolutions
prises par les états-généraux; qu'il improuvat
d'avance tont étabIissement contre la monar-
chie tempérée, tel que celní d'une assemblée
unique; qu'il promit en6n l'abolition des pri-
viIéges, l'égale admission de tous les FranQais
aux emplois civils et militaires, etc. Necker,
qlli n'avait pas en la force de devancer le
temps ponr un plan pareil, n'avait pas miellx
celle d'en aSSllrer l'exécution.


Le conseil avait suivi l~ roí a Marly. La, le
plan de Necker, approuvé d'abord, est remis




ASSE1UBLÉE CONSTITUANTF. (1789)' 67
en discussion : tout-a-coup un billet est trans-
mis un roi; le conseil est suspendu, repris et
renvoyé au lendemain, malgré le besoin d'nne
grande célérité. Le lendemain, de nonveaux
~membres sont ajoutés au conseil; les freres da


roi sont du nombre. Le projet de Necker est
modifié; le ministre résiste, fait quelques con-
cessions, mais jI se voit vaincu et retourne a
Versail1es. Un pagevient trois fois luí remettre
des billets, portant de nouvelles modifications;
son plan est tont-a-fait défignré, et la séance
royal e est fixée pour le 22 juin.


On n'était encore qn'an 20, et déja on ferme
la salle des états, sous le prétexte des prépara-
tifs qu' exige la présence dn roí. Ces préparatifs
pouvaient se faire en une demi-journée, mais
le clergé avait résolu la veille de se réunir aux
communes, et on voulait emptkher cette réu-
nion. Un ordre du roi suspend aussitot les séan-
ces jusqu'nu 22. Bailly, se croyant obligé d'o-
héir a l'assemblée, qlli, le vendredi 19, s'était
ajollrnée au lendemain samedi, se rend a la
porte de la salle. Des gardes frafl(,;aises l'en-
tonraient avec ordre d'en défendre l'entrée;
l'officier de service re<{oit Bailly avec respect,
et lui permet de pénétrer dans une conr pour
y rédiger une protestation. Quelques députés
jeunes et ardents venlent forcer la consigne;


5.




68 RÉVOLUTlON .FRAN~AIS:E.
Bailly aceourt, les apaise, et les emmene avec
lui, pour ne pas compromettre le généreux
officier qui exécutaÍt avec tant de lllodél'ation
les ordres de l'autorité. On s'attroupe en tu-
multe, on persiste a se réullir; quelques-uns
parlent de tenir séanee sons les fenetres memes
du roi, d'auLres proposent la salle du jeu de
paume; 00 s'y reod aussitót; le mallre la cede
avec JOle.


Cette salle était vaste, mais les murs en
étaient sombres el dépouillés; iI n'y avait
point de siéges. On offre un fauteuil an prési-
dent, qui le refuse, et veut demeurer debout
avee l'assemblée; un bane sert de bureau ; denx
députés sont placés a la porte pour la garder,
et sont bientot relevés par la prévüté de l'hó-
tel, qui vient offrir ses services. Le peupIe
accourt en foule, et la délibération commenee.
On s'éleve de toutes parts contre cette suspen-
S10n des séances, et on propose divers moyeIls
pour l'empecher a l'avenir. L'agitation aug-
mente, et les partís extremes commencent a
s'offrir aux imaginations. On propose de se
rendre a París: cet avis, accueilli avec chaleur,
est agité vivement; déja meme on parle de s'y
transporter en COl'PS et a pied. Bailly est épou-
vanté des violences que pourrait essuyer l'as-
semblée pendant la route; redoutant d'ailleurs




ASSE1'tIBLÉE CONSTITUANTE (1789). 69
une scission, iI s'oppose a ce projet. AIors Mou-
nier propose aux oéputés oe s'engager par ser-
ment a ne pas se séparer avant l'établissement
d'une constitution. Cette proposition est ac-
cueillie avec transport, et on rédige aussitót
la formule du serment. Bailly demande l'hon-
nellr de s'engager le premier, et lit la formule
ainsi con~ue : « Vous pretez le serment solen-
« nel de ne jamais vous séparer, de vous ras-
« sembler partout ou les circonstances l'exi-
« gel'Ont , .. jusqu'i:t ce que la constitution dll
« royaume soit étabIie, et affermie sur des fon-
« dements solides. » Cette formule, prononcée a
haute et intelligible voix, retentit jusqu'an
dehors. Aussit6t toutes les bouches proferent
le serment; tous les bras sont tendus vers BailIy,
qui, deLuut et immobile, re¡;oit cet engage-
ment, soIeunel d'assurer par des lois l'exercice
des droits nationaux. La foule pousse aussitót
des cris de vive l' assemblée ! vive le roi! comme
pour prouver que, sans col ere et sans haine,
mais par devoir, elle recouvrc ce qui lui est duo
Les députés se disposent ensuite a signer la dé-
claration qU'ils viennent de faire. Un seul,
Martín d'Auch, ajoute a son nom le mot d'op-
posant. Il se forme autour de lui un grand tu-
multe. Bailly, P9ur etre entendu, monte sur
ulle taLle, s'adresse avec modération au député,




70 RÉVOLUTION FRAN«;;AISE.
et lui représente qu'il a le droit de refuser sa
signature, mais non celui de former opposition.
Le député persiste; et l'assemblée, par respect
poursaliberté, souffre le mot, etle laisse exister
sur le proces-verbal.


Ce nouvel acte d'énergie excita l'épouvante
de la noblesse, qui le lendemain vint porter ses
doléances aux pieds du roi, s'excuser en quclque
sorte des restrictions qu'elle avait apportées au
plan de conciliation, et lui demander son as-
sistancc. La minorité noble protesta contre
cette démarche, soutenant ave e raison qu'il
n'était plus temps de demander l'interventioll
royale, apres l'avoir si mal a propos refusée.
Cette minorité, trop pea écoutée, se compo-
sait de quarante-sept membres; on y comptaít
des militaires, des magistrats éclairés; le duc
de Liancourt, généreux ami de son roí et de la
liberté; le duc de Larochefoucauld, dístingué
par une constante vertu et de grandes lumie-
res; Lally-Tolendal, célebre déjil par les mal-
heurs de son pere et ses éloquentes réclama-
tions ; Clermont-Tollnerre, remarquable par le
talent de la parole; les [reres Lameth, jeunes co-
loneIs, connus par leur esprit et leur bravoure;
Duport, déja cité pour sa vaste capacité et la
fermeté de son caractere; enfin le manluis de
Lafayette, défenseur de ]a liberté américaine,




AssnIBLÉE CONSTJTUA~TE ('789)' 71
et unissant a la vivacité frant;aise la constance
et la simplicité de Washington.


L'intrigue ralentissait toutes les opérations
de la cour. Laséance, fixée d'abord au lundí 22,
fut remise au 23. Un billet, écrít fort tard a
Bailly et a l'issue du grand conseíl, lui arll1on-
.,;:ait ce renvoi, et prouvait l'agitation qui régnait
dans les idées. Necker était résolu a ne pas se
remIre a la séance, pour ne pas autoriser de
sa pl'ésence des projets qu'íl désapprouvait.


Les petits moyens, ressource ordinaire d'une
autorité faíble, furent employés pour empe-
cher la séance du lundí 21; les princes firent
retenír la salle du jeu de paume pour y jouer ce
jour-Ia. L'assemblée se rendít a l'église de
Saint-Louis,ou elle re<}ut la majorité du clergé,
a la tete de Iaquelle se trouvait l'archeveque de
Vienne. eette réunion, opérée avec la plus
grande dígníté, excita la joie la plus vive. Le
clergé venait s'y soumettre, disait-il, a la véri-
fication commune.


Le lendemain 23 était le jour fixé pour la
séance royale. Les députés des communes de-
vaient entrer par une porte détournée, et dif-
férente de ceHe quí était réservée a la noblesse
et au clergé. A défaut de la víolellce on ne leur
épargnait pas les humiliations. Exposés a la
pIuie, ils attenoirent long-temps : le président ,




RÉVOLUTION FllAN«:;;AISE.


réduit a frapper a cette porte, qui ne s'ouvrait
pas, frappa plusieurs foís; on lui répondit qu'il
n'était pas temps. Déja les députés allaient se
retirer, Bailly frappa encore; la porte s'ouvrit
enfin, les députés entrerent et trouverent les
deux premiers ordres en possession de leurs
siéges, qu'ils avaient VOUlll s'assurer en les oc-
cupant d'avance. La séance n'était point eomme
celle du 5 mai, majestueuse et touchante a la foís,
par une certaine effusion de sentiments et d' es-
pérances. Une milice nombreuse, un silence
morne, la distinguaient de cette premiere so-
lennité. Les députés des communes avaient
résolll de garder le plus profond silence. Le
roí prit la parole, et trahit sa faiblesse en em-
ployant des expressions beaucoup trop éner-
giques ponr son caractere. On luí faisait
proférer des reproches, et donner des com-
mandements. Il enjoignait la séparation par
ordre, cassait les précédents arretés du tiers-
état, en promettant de sanctionner l'abdication
des priviléges pécuniaires qnand les posses-
seurs l'auraient donnée. Il maintenaít tous les
droits féodaux, tant utiles qll'honorifiques,
eomme pr'opriétés inviolables; il n'ordonnait
pas la réunion po Uf les matieres d'intéret gé-
lIéral, mais illa faisait espérer de la nlOdérat'ion
tles premiers ordres. Ainsi il for<;ait l'obéissance




ASSHlBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 73
des commun.es, et se contentait de présumer
ceHe de l'aristocratie. Illaissait la noblesse et
le clergé jllges de ce qlli les concernait spécia-
lement, et finíssait par díre que, s'il reneon-
trait de nouveaux obstacles, iI ferait tout seul
le bien de son peuple, et se regarderait comme
son unique représentant. Ce ton, ce langage,
irriterent profondément les esprits, non contre
le roí, qui venait de représenter avec faiblesse
des passions qllí n'étaient pas les siennes,
mais contre l'aristocratie dont il était l'instru-
mento


Aussitot apres son diseours, il ordonne a l'as-
semblée de se séparer sur-Ie-ehamp. La noblesse
le suit, avec une partie du clergé. Le plus grand
nombre des députés eeclésiastiques demeurent;
les déplltés des communes, immobiles, gardent
un profand silence. Mirabeau, qui toujours
s'avan<iait le premier, se leve : c( Messieurs,
dit-il, j'avoue que ce que vous venez d' en-
tendre pourraít etre le salut de la patrie, si les
présents du despotisme n'étaient pas toujours
dangereux .... L'appareil des armes, la viola-
tíon du temple natiollal, pour vous comman-
der d'etre heureux .... ! Ou sont les ennemis
de la nation? Catilina est-il a HOS portes ... .? Je
demande qu'en vous couvrant de votre dignité,
de votre puissanee législative, vous vous ren-




74 RÉVOLUTION FRANt;:AJSE.
fcrmiez dans la rehgion de votre serment; il
ne vous permet de vous séparer qu'apres avoir
fait la constitution.»


Le marquis de Brézé, grand-maitre des cé-
rémonies, rentre alors et s'adresse a Bail1y :
(e Vous avez entendu, lui dit-il, les ordres du
roi; ))- et Bailly lui répond : e( Je vais prendre
ceux de l'assemblée.)) Mirabeau s'avance :
(e Oui, Monsieur, s'écrie-t-il, nous avons en-
tendu les intentions qu'on a suggérées au roi;
mais vous n'avez ici ni voix, ni place, ni
droit de parlero Cependant, pour éviter tont
délai ,allez dire a votre maltre que nous sommes
ici par la puissance du peuple, et qu' on ne
nous en arrachera que par la puissance des
ba'ionnettes. )) M. de Brézé se retire. Sieyes
prononce ces mots : (e Nous sommes aujour-
d'hui ce que nous étions hier; délibérons. )
L'assemblée se recueille pour délibérer sur le
maintien de ses précédents arretés. c( Le pre-
mier de ces arretés, dit Barnave, a déclaré ce
que vous etes; le second statue sur les im-
póts, que vous seuls avez droit de consentir;
le troisieme est le serment de faire votre de-
voir. Al1cune de ces mesures n'a besoin de
sanction royale. Le roi ne peut empecher ce
qu'il n'a pas a consentir. » Dans ce moment,
des onvriers viennent pour enlever les han-




ASSE~IBLÉE CONSTITUANTE (r789)' 75
quettes, des troupes armées traversent la salle,
d'autres l'entourent au dehors; les gardes du
corps s'avancent meme jusqu'él la porte. L'as-
semblée, san s s'interrompre, demeure sur les
bancs et recueille les voix : il y a unanimité
pour le maintien de tous les arretés précédents.
Ce n' est pas tout : au sein de la ville royale,
au mi/ieu des serviteurs de la cour, et privée
du seconrs de ce peuple depuis si redoutable,
l'assemblée pouvait etre menacée. Miraheau
reparait a la tribune et propose de décréter
J'inviolabilité de chaque député. Aussitót l'as-
semblée, n'opposant a la force qu'une majes-
tueuse volonté, déclare inviolable chacun de
ses membres, proclame traitre, infame et cou-
pabIe de crime capital, quicenque attenterait
él Ieur personne.


Pendant ce temps la noblesse, qui croyait
l' état sauvé par ce lit de justice, présentait ses
félicitations au prince qui en avait donné l'idée,
et les portait elu prince a la reine. La reine, te-
nant son fils dans ses bras, le montrant él ces
serviteurs si empressés, recevait leurs ser-
ments,et s'abandonnait malhenreusementa une
aveugle confiance. Dans ce meme instant 00
entendit des cris : chacuo accourut, et on ap-
prit que le peuple, réuni en foule, félicitait
N ecker de u'avoir pas assisté él la séance royale.




76 RÉVOLUTION FRANf;AJSE.
L'épouvante suceéda aussitot a la joie; le roi et
la reine firent appeler N eeker, et ces augustes
personnages furent obligés de le supplier de
eonserver son portefeuille. Le ministre y con-
sentít, et rendít a la cour une partíe de la popu-
larité qu'il avait eónservée, en n'assistant pas a
eette funeste séance.


Aínsi venait de s'opérer la premiere révolu-
tíon. Le tiers-état avaít reeouvré le pouvoir
législatif, et sesadversaíres l'avaientperdu pour
avoir voulule garder tout entier. En quelques
jours, cette révolution législative fut entiere-
mentconsommée. On employa encore quelques
petits moyens, tels que de gener les eommuni-
eations intérieures dans les salles des états; mais
ils furent sans sueces. Le 2!¡, la majorité du
c1ergé se rendit a l'assemblée, et demanda la
vérification en eommnn ponr délibérer ensuite
sur les propositíons faítes par le roi, dans la
séance du 23 jllin. La minorité du clergé con-
tinuait a délibérer dans sa chambl'e particn-
liere. L'archeveque de París, J uigné, prélat
vertlleux, bienfaiteur uu peupIe, mais priviIé-
gié opiniatre, fut ponrsllivi, et eontraint de
promettre sa réunion; iI se rendit en effet a
l'assemblée nationale, accompagné de l'arche-
veque de Bordeaux, prélat popuIaire et quí
devait plus tard devenir ministre.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789), 77
Le plus grand trouble se manifesta dans les


rangs de la lloblesse. Ses agitateurs ordinaires
enflammaíeut ses passions; d'Espréménil pro-
posa de décréter le tiers-état, et de le faire
poursuivre par le procureur-général; la mí-
norité proposa la réunion. Celte motion fut
rejetée aH milieu du tumulte. Le dué d'Or-
léans appuya la proposition, apres avoir, la
yeiIJe, promis le contraire aux Polignacs *.
Quarante-sept membl'es, résolus de se réunir
a l'assemblée générale malgré la décision de la
majOl'ité, s'y rendirent en eorps. et furent
re<;us áu mítieu de la joie publique. Cepen-
dant, malgré eette allégresse eausée par leur
présenee, leurs visages étaient tristes. « N ous
eédons a llotre conseieuce, dit Clermont-Ton-
nerre, mais e' est ayee douleur que nous nous
séparons de nos freres. Nons venons coneou-
rir a la régénération publique; chaeun de
Hons vous fera eonnaltre le degré d'aetivité
que luí permet son mandat. »


Chaque jour amenait de nouvelles réunions,
el l'assemblée yoyait s'accroltre le nombre de
ses membres. Des adresses arrivaient de toutes
parts, exprimant le vren et l'approbation des
v¡Hes et des provinces. Mounier suscita ceHes


* Voyez Ferrieres.




RÉVOLUTJON FRANfAISE.
du Dauphiné. Paris fit la síenne; et le Palaís-
Royal lui-meme envoya une députation, que
l'assemblée, entourée encore de dangers, re-
.,;ut pour ne pas aliéner la multitude. Alors
elle n' en prévoyait pas les exces; elle avait
besoin au contraire de présumer son énergie
et d'en espérer un appui; beaucoup d'esprits
en doutaíent, et le courage dll peuple n'était
encare qu'un reve heureux. Ainsi les applau-
dissements des tríbunes, importuns souvent a
l'assemblée, l'avaient pourtant soutenue, et
on n'osa pas les empecher. BaiUy voulut ré-
clamer, on étouffa 5a voix et sa motion par
de bruyants applaudis5ements.


La majorité de la noblesse continuait ses
séances au mílieu du tumulte et du plus vio-
lent déchainement. L'épouvante se répandit
chez ceux quí la dirigeaient, et le signal de
la réuníon partít de ceux memes qui lui per-
suadaient naguere la résistance. Mais ses pas-
sions, déja trop excitées, n' étaient point fa-
ciles a conduire. Le roí fut obligé d'écrire une
lettre; la cour, les grands, furent réduits a
supplier; la réunion sera passagere, disait-on
aux plus obstinés; des troupes s'approchent,
cédez pour sauver le roi. Le consentement fut
arraché au milieu du désordre, et la majorité
de la noblesse, accompagnée de la minoríté du




ASSRMnLÉE CONSTITUANTE (1789)' 79
c1ergé, se rendit le 27 juin a l'assembJée gé-
néraJe. Le due de Luxembourg, y parlant au
nom de tous, dit qu'ils venaient pour donner
au roi une marque de respect, et a la nation
une preuve de patriotisme. « La famille est
complete, » répondit Bailly. Supposant que la
réunÍon était entier'e, et qu'il s'agissait non de
vérifier, maÍs de délibérer en commun,. ii
ajouta: c( Nous pourrons nous oeeuper, sans
relache et sans distraction, de la régénération
du royaume et du bonheur publico ))


Plus d'un petit moyen fut encore employé
pour paraitre n'avoir pas fait ce que la néces-
sité avait obligé de faire. Les nouveaux arri-
vés se rendaient toujours apres l'ouverture des
spances, tOliS en corps, et de maniere a figu-
rer un ordre. Ils affeetaient de se tenir debout
derriere le président, et de maniere a paraitre
ne pas siéger. Bailly, avec heaucoup de me-
sure et de fermeté, finit par "ainere toutes
les résistances , et parvint a les faire asseoir.
On voulut aussi lui disputer la présidence,
non de vive force, mais tantót par une négo-
ciation secrete, tantót par une supercherie.
I~ailly la retint, non par ambition, mais par
devoir; et on vit un simple citoyen, connu
seulement par ses vertus et ses talents, prési-
del' tous les gl'ands du royaume et de I'église.




80 RIÍVOLUTION FRAN9AISE.
Il était trop évident que la révolution légis-


lative était aehevée. Quoique le premier diffé-
rend n'eút d'autre objet que le mode de véri-
fication et non la maniere de voter, quoique
les uns eussent (Iéelaré ne se réunir que pour
la vérification eommune, el les autres, pour
obéir aux intentions royales exprimées le 23
juin, iI était certain que le vote par tete deve-
nait inévitable; toute réelamatioll était done
inutile et impolitique. Pourtant le cardinal de
Larochefoucauld protesta, au llom de la mi-
norité, et assura qu'il ne s'était réuni que pour
délibérer sur les objets généraux, et en con-
servant toujours le droit de former un ordre.
L'archeveque de Vienne répliqua avec vivacité
que la minorité n'avait rien pu décidér en
l'absellce de la majorité du clergé, et qu'elle
n'avait pas le droit de parler au nom de l'or-
dre. Mirabeau s'éleva avec foree eontre eette
prétention, dit qu'il était étrange qu'on pro-
testat dans l'assemblée contre l'assemblée ; qu'i!
fallait en reconnaltre la souveraineté, ou se
retirer.


Alors s'éleva la question des mandats impé-
ratifs. La plupart des cahiers exprimaient le
vreu des électeurs a l' égard des réformcs a
opérer, et rendaient ee vreu obligatoire pour
les députés. Avant d'agir, il fallait f!xer jus-




ASSEl\JBLÉE CONSTITU!\NTI, (1789)' 81
qu'a quel point on le pouvait; eette question
devait done étre la premiere. Elle fut prise et
reprise plusieurs fois. Les uns voulaient qu'on
retournat ailx commettants; les autres pen-
saient qu'on ne pouvait reeevoir des eommet-
tants que la mission de voter ponr cux, apres
que les objets auraient été diseutés et éclaireis
par les envoyés de toute la nation, mais ils
ne croyaient pas qu'on put recevoir d'avanee
un avis tout fait. Si on eroit en effct ne pou-
voir faire la loi que dans un conseil général,
soit paree qu'on trollve plus de lumieres en
s'l·levant, soit paree qu'on ne peut avoir un
avis que lorsqlle toutes les parties de la nation
se sont réciproquement entendues, il s'ensuit
qu'alors les députés doivent (hre libres et sans
mandat obligatoire. lHiraheau, aeérant la rai-
son par l'ironie, s'écria que ceux qni croyaient
les mandats impératifs avaient eu tort de ve-
nir, et n'avaient qu'a laisser leurs cahiers sur
leurs banes , et que ces cahiers siégeraient tout
aussi bien qu'eux. Sieyes, avee sa sagacité 01'-
dinaire, prévoyant que, malgré la déeision
tres-juste de l'assemblée, un granel nombre ele
membl'cs se repliel'aient sur leurs serments, et
qu'en se réfllgiant dans leur conscience ils se
rendraient inattaquables, proposa l'ordl'e du
Jour, sur le motif que chaeun était juge de la


I. G




RÉVOLUTION FRAN9AISE.


valear du serment qu'il avait preté. (( CellX qlli
se eroient obligés par leurs cahiers, dit-il, se-
ront regardés eomme absents, tout eomme
ceux qui avaient refusé de faire vérifier leurs
pouvoirs en assemblée générale.» Cette sage
opinion fut adoptée. l.,'assemblée, en contrai-
gnant les opposants, lenr eut fourni des pré-
textes, tandis qll'en les laissapt libres, elle
était sure de les amener a elle, cal' sa victoire
{~tait désormais eertaine.


L'objet de la nouvelle convoeation était la
I'éforme de l'état, c'est-a-dire, l'établissement
d'nne constitntion, dont la France manquait,
malgré tont ce qu'on a pu dire. Si on appelle
ainsi toute espece de rapports entre les gou-
vernés et le gouvernement, sans doute la
France possédait une constÍtlltion; un roi avait
eornmandé et des sujets· obéi; des ministres
avaient emprisonné arbitrairement; des trai-
tants avaient per¡;u jusqu'aux derniers deniers
du peuple; des parlements av:aient eondamné
des malheurellx a la roue. Les peuples les plus
barbares Ollt de ces especes de constitution.
Il y avait en en France des états - généraux,
mais sans attributions préeises, sans retours
assurés, et toujours sallS résultats. n y avaÍt
eu une autorité royale, tour a tour nulle ou
absolue. Il y avait en des tribnnaux ou cours




I\SSE:\JBLÉE CONSTITt:ANTE (1789). 83
souveraines qui souvent joignaient au pouvoir
jwliciaire le pouvoir législatif; mais iI n'y avait
allcune loi qui assurat la responsabilité des
agents dll pouvoir, la liberté de la presse, la
1iberté individuelle, toutes les garanties enfin,
qui, dans l'état social, remplacent la fiction de
la liberté naturelle ".


Le beso in d'une eonstitution était avoué, et
généraIemcnt .senti; tons les cahiers l'avaient
énergiqucment exprimé, et s'étaient meme ex-
pliqllés formellement sur les principes fonda-
mentaux de eette constitution. Tls avaient una-
nimement prescrit le gouvernement monarehi-
que, l'hérédité de male en male, l'attribution
exclusive du pouvoir exécutif au roi, la res-
pons:llúlité dn tons les agents,.le coneours de
la natíon et du roi pour la eonfection des 10is,
le vote de l'impot, et la liberté individuelle.
Mais iIs étaient divisés sur la eréation d'llne ou
de deux ehambres législatives; sur la perma-
nenee, la périodicite: la dissolution du eorps
légisIatif; sur l'existence potitique du clergé et
des parlements; sur l'étendue de la liberté de
la presse. Tant de questions OH résolues ou
proposées par les cahiers, annancent assez
cambien l'esprit publie était alors éveilIé dan s


.. Voycz la note 3 a la fin du volume.
6.




84 R:ÉVOLUTION FRAN~AISE.
toute5 les parties du royanme, el combien
était général et pronoueé le vreu de la France
pour la liberté"'. Mais une constitution en-
tiere a fonder au milieu des décombres d'une
antique législation, malgré toutes les résis-
tances, et avec l'élau désordonné des esprits,
était une reuvre grande et difficile. Outre les
dissentiments que devait produire la diversit<'~ ,
des intércts, ii y avait encore a redouter la di-
vergence naturelle des opinions. Une' législa-
tion tout entiere a donner a un grand pellple
excite si fort.ement les esprits, lenr inspire des
projets si vastes, des espérances si chiméri-
ques, qu'on devait s'attendre a des mesures ou
vagues OH exagérées, et sonvent hostiles. Pour
mettre de la súite dans les traval1X, OJ] nOllUUa
l/n comité chargé d'en mesurer l'éteIldue et
<l'en ordonner la distribntion. Ce comité était
composé des membres les plus modérés de
l'assembJée. Mounicr, esprit sage, quoique .opi-
ni<1tre, en était le membre le plus laboricux
et le plus inflllcnt; ce fut lui qlli prépara 1'01'-
dre du travail.


La difficulté de donller une constitution
n'était pas la seule qu'eút a vaincre cette assem-
blée. Entre un gouvernement mal disposé et


* Note 4 il la fin du volume.




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 85
un peuple affamé qui exigeait de prompts sou-
lagements, il était difficile qu'elle ne se melat
pasde l'administration. Se défiant de l'autorité,
pressée de secourir le peuple, elle devait,
memc sans ambition, empiéter peu a peu sur
le pouvoir exécutif. Déja le clergé lui en avait
donné l'exemple, en faisant au tiers-état la pro-
position insidie.use de s'occuper immédiate-
ment dessubsistances. L'assemblée a peine
formée nomIlÍa un comité des subsistances,
demanda au ministere des renseignements sur
cette maticre, proposa de favoriser la circula-
tion des denrées de province a province, de
les transporter d'office sur les lieux OU elles
manquaient, de taire des aumones, et d'y pour-
voir par des emprullts. Le ministcre fit con-
naitre les mesures efficaces qll'il avait prises,
et (ple Louis XVI, administrateur soigneux,
avait tworisées de tOllt iSon pouvoir. LalIy-
Tolendal proposa de faire des décrets Slu' la
libre circnlatiüIl; a quoi Mounier übjecta que
de tels décrets exigeraient la sanction royale,
et que cette sanction, n'étant pas réglée, ex-
poserait a des difficllltés graves. A insi tüus les
obstacles se réunissaicnt. II fJllait faire des lois
sans que les formes législativcs fusscllt fixées,
surveillcr l'administration sans empiétcr sur
l'autorité CXéCll!ivc, et suffire a tant d'cmbar··




86 .RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
ras, malgré la mauvaise volonté du pouvoir,
l'opposition des intérets, la divergence des es-
prits, et l'exigence d'un peuple récemment
éveillé, et s'agitant a quelques lieues de l'as-
semblée dans le sein d'une immense capitale.


Un tres-petit espace sépare Paris de Ver-
sailles, et on peut le franchir plusieurs foÍs en
un jour. Toutes les agitations de París se fai-
saient donc ressentir ímmédíatement a Ver-
sailles, a la cour et dans l' assemhlée. París of-
fraít alors un spectacle nouveau et extraordí-
naire. Les électeurs, réunis en soixante dis-
tricts, n'avaíent pas voulu se séparer apres les
élections, et ils étaient demeurés assemblés,
soít pour donner des instructions a leurs dé-
putés, soit par ce bcsoill de se réunir, de s'a-
giter, qui est toujours dan s le c~ur dcs hom-
mes, et qui éclate avec d'autant plus de vio-
lence qu'il a été plus long-temps cúmprimé.
Ils avaienl eu le meme sort que l'assemblée
natíonale : le lieu de Ieur séallce ayant été
fermé, íls s'étaient rcnclus dans un .autre; en-
fin ils avaient obtenu l'úuvcrture '(te I'Hütel-
de-Ville, et la ils cOlltinllaient de se réullir et
de correspondre avec leurs dépntés. Il n'exis-
taít point encore de fcnilles publiques, ren-
dant compte des séances de l'assembléc na-
tionale; on avait besoin de se raplH'ocher pour




ASSElIIBLÉE CONSTITllANTE (1789)' 87
s'entretenÍl' et s'instruire des événcments. Le
jardin du Palais-Royal était le lieu des plus
fréquents rassemblements. Ce magnifique jar-
dín, entouré des plus riches magasins de l'Eu-
rope, et formant une dépendance du palais
du duc d'Orléans, était le rendez-vous des
étrangers, des débauchés, des ois1Es, et surtout
des plus granas agÍtateurs. Les discours les
plus hardis étaient proférés dan s les cafés ou
dans le jardin meme. On voyait un orateur
monter sur une tabIe, et, réunissant la foule
autour de luí, l'exeiter par les paroles les plus
violentes, paroles toujours impunies, ear la
multitude régnait la en souveraine. Des hom-
mes qu'on supposait dévoués au due d'Orléans
s'y montraient des plus ardents. Les riehesses
de ce prince, ses prodigalités eonnues, ses em-
prunts énormes, son voisinage , son ambition,
quoique vague, tout a dú le faire accuser.
L'histoire, sans désigncr aucun nom, peut as-
mrer du moins que l'OI' a été répandu. Si la
partie saine de la natíon voulait ardcmment
la liberté, si la multitude inquiete et souf-
frante vonlait s'agiter et faire son sort meil-
lenr, il Y a eu allssi des instigatellrs 'qui ont
quelquefois excité eette multitmle et dirigé
peut-etre quelques-uns de ses coups. Du reste,
cette illflucnce ll'est poiut a compter parmi




88 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
les causes de la révolution, cal' ce n'est pas
avec un peu d'or et des manocuvres secretes
qu'on ébranle une nation de vingt-cinq mil-
lions d'hommes.


Une occasion de troubles se présenta bien-
tot. Les gardes-fraw:;aises, troupes d'élite des-
tinées a composer la garde du roí, étaient a
Paris. Quatre compagnies se détachaient al-
ternativement, et venaient faire leur service a
Versailles. Outre la sévérité barbare de la nou-
velle discipline, ces troupes avajent encore a
se plaindre de ceHe de leur nouveau coloue!.
Dans le pillage de la maisoll Réveillon, elles
avaient bienmontré quelque acharnement con-


'tre le peuple, mais plus tard elles en avaient
éprouvé du regret, et, melées tous les jours a
lui, elles avaient cédé a ses séductiollS. D'ail-
lenrs,soldats et sous-officierssentaient que toute
carriere leur était fermée; ils étaiellt blessés
de voir leurs jeunes officiers ne faire presqnc
aucun service, ne figurer qué les jOllrs de pa-
rade, et, apres les revues, nepas meme ac-
compagner le régiment dans les casernes. Il y
avait la cormne ailJeurs un tiers-état <{uí suHi-
sait a tont et Be profitait de rien. L'indisciplinc
se manifesta , et qllelques soldats furent eufer-
més a l'Ahbaye.


011 se f(~unit al! Palais-.Hu) al 1'11 criaut ; á:




ASSEilTnLÉE CONSTlTUANTE (J 789). 89
I'Abbaye! La multitude y courut aussitot. Les
portes en furent enfoneées, et on conduisit
en triomphe les soldats qu'on vcnait ¿'en ar-
racher ". Tandis que le peuple les gardait au
Palais-Royal, une leUre fut écrite a l'assemblée
pour demander leur liberté. Placée entre le
peuple d'unc part, et le gouvernement de
l'autre, qui était suspeet puisqu'il allait agir
dans sa propre cause, l'assemblée ne pouvait
m~nquer d'intervenir, et de commettre un
empiétement en semelant de la poliee publique.
Prenant une résolution tout a la foís adroite
et sage, elle exprima aux Parisiens ses vceux
pour le maintien du bon ordre, leur reCOffi-
manda de ne pas le tronbler, et en meme
temps elle envoya une députation au roi ponr
implorer sa clémcnce, COImne un moyen in-
faillible de rétablir la concorde et la paix. Le
roi, tonché de la modération ele l'assemblée,
promit sa clémence quand l'ordre serait réta-
bli. Les ganles-fran¡;aises furent snr-le-champ
replacés dans les prisons, et une grike du roi
les en fit aussitot sortir.


Tont a1lait bien jusque-la, mais la lloblesse,
en se réunissant aux deux ordres, avait cédé
ave e regret, et sur la pl'omesse que sa réuniou


, 3u jUJll.




90 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
seraít de courte durée. Elle s'assemblait tOllS
les jours encore, et protestait contre les tra-
vaux de l'assemblée natíonale; ses réunions
étaient progressívement moíns nombreuses; le
3 juillet on avait compté 138 membres présents ;
le JO ils n'étaient plus que 93, et le 11, 80.
Cependant les plus obstinés avaient persisté,
et le 11 ils avaient résoln une protestation que
les événements postérieurs les empecherent de
rédiger. La cour, de son coté, n'avait pas cédé
sans regret et sans projet. Revenue de son ef-
froí apres la séance du 23 jUíll , elle avait voulu
la réunion générale pour entraver la marche de
l'assemblée au moyen des nobles, et clans
l'espérance de la dissoudre bientot de vive
force. Neckel' n'avait été conservé que pour
couvrir par sa présence les trames secretes
qu'on ourdissait. A une certaine agitation, a
la réserve dont OH llsaít envers lui, il se dOll-
taít d'une grande machination. Le roi meme
n' était pas instruit ele tont, et on se proposait
sans doute d'aller plus loin qu'il !le voubit.
Necker, qui croyait que toutc l'action d'ull
homme d'é!at devait se borner a raisonncr, et
qui avait tOllt jnste la force nécessaire pour
bire des repn~sentations, en faisait illutile-
mcnt. Uuí avcc Mounier, Lally -Tolendal et
Clcrmont-TOlmerre, ils mt~ditaient tOllS en-




ASSEMllLÉE CONSTITUANTE (17 89)' 91
semble l'établissement de la constítution an-
glaise. Pendant ce temps la cour poursulvait
des préparatifs secrets; et les députés nobles
ayant voulu se retirer, on les retínt en lenr
parlant d'un événement prochain.


Des troupes s'approchaíent; le víeux maré-
chal de Broglie en avaít ref,;u le commande-
ment général, et le baroa de Besenval avaít
re<,;u le commandement particulier de ceHes
quí environnaient París. Quinze régíments, la
plupart étrangers, étaient aux environs de la
capitale. La jactance des courtísans révélaít le
danger, et ces conspirateurs, trop prompts a
menacer, compromettaient ainsi leurs proj ets.
Les députés populaires, instrllits, non pas de
tous les détaíls d'un plan qlli n'était pas connu
encore en entier, et que le roi lui-meme n'a
connu qn'en partie, mais qui certainement
faisait craindre l'emploi de la violence, les dé-
putés populaires étaient irrttés et songeaient
aux lIloycns de résistance. On ignore et on
ignorera probablemcnt toujours qncHe a été
la part des moyens secrets dans l'insurrectíon
du 1 {~ jllillet; mais pen importe. L'aristocratie
con&pirait, le parti populaire pouvait bien
conspirer aussi. Les moyens employés étant
les nú~mes, reste la justice de la cause, et la
justice n'était pas pour ceux qui voulaiellt re-




R};VOLUTION FRAN~AISE.


venir sur la réunion des trois ordres, dissou-
dre la représentation nationale, et sévir contre
ses plus courageux députés.


Mirabeau pensa que le plus sur moyen d'in-
timider le pouvoir, c'était de le réduire a dis-
cuter publíquement les mesures qu'on lui
voyait prendre. Il [al/ait pour cela le dénoncer
ouvertement. S'iI hésitait a répondre, s'iI élu-
dait, iI était jugé; la nation était avertie et
soulevée.


Mirabeau fait suspendre les travaux de la
eonstitutíon, et propose de demander au roi
1 e renvoi des troupes. Il mele dans ses paroles
le respect ponr le monarque aux reproches
les plus séveres ponr le gouvernement. Il dit
que tous les jours des troupes nouvelles s'a-
vaneent; que tons les passages sont interceptés;
que les ponts, les promenades sont changés
en postes militail'es; que des faits publics et
cachés, des ordres et des eontre-ordres préci-
pités frappent tOllS les yeux, et allnOllccllt la
guerreo Ajoutant a ces faits des reproches
amers : (( On montre, dil-il, plus d(~ soldats mc-
na<;ants a la natíon, qu'nne invasion de l'cn-
nemi n'en rcncontrerait pellt-etre, et mille fois
pllls du moins qn'on n'en a pu rénnir pour
secourir des ami::; martyrs de ¡em fidélité, et
surtont ponr COllserver cettp alliance des 1101-




ASSL:lfULÉE CONSTITU ANTE (1789)' 93
landais, si précieuse, si eherement eonquise,
et si honteusement perdue.))


Son diseours est aussitót convert d'applau-
Jissements; l'adresse qu'il propose est adoptée.
Seulement, eomme en invoquant le renvoi des
troupes il avait demandé qu'on les remplac;at
par des gardes hourgeoises, cet article est sup-
primé; l'adresse est votée a I'unanimité moins
quatrc voix. Dans cette adresse, demeurée cé-
lebre, qu'il n'a, dit-on , point éerite, mais dont
il avait fourni toutes les idées a un de ses
amis, Mi¡'abeau prévoyait presque tout ce qui
allait arriver : l' explosion de la multitude, et
la défection des tronpes par leur rapproche-
ment ave e les citoyens, Aussi adroit qu'auda-
ciellx, il osait assurer au roi que ses promesses
ne seraient pointvaines : ( Vous Hons avez ap·
pelés, lui disait-il, pour régénérer le royaume;
vos vccux scront accomplis, malgré les piéges,
les difficultés, les périls ... , etc.))


L'adresse fut présentée par une députatioll
de vingt-quatre membres. Le roi, ne vOlllant
pas s'expliquer, répondit que ce rassemble-
ment de tronpes n'avait d'autre objet que
le maintien de la tranquillité publique, et
la proteetion due a l'assemblée; qu'au sur-
plus, si celle - ci avait encore des craintes,
il la transférerait a Soissons ou a Noyon,




94 nÉVOLUTION FRAN/{AISE.
et que lui-meme se rendrait a Compiegne.


L'assemblée ne pouvait se contenter d'une
pareille réponse, surtout de l' offre de l' éloi-
gner de la capital e pour la placer entre dellx
camps. Le comte de Crillon proposa de s'en
fiel' a la parole d'un roi honnete homme. « La pa-
role d'un roí homH~te homme, reprit Mirabeau j
est un mauvais garant de la cOIHJuite de son
ministere; notre confiance aveugle dans nos
rois nous a perdus; 110US avons demandé la
retraite des troupes et non a fuir devant elles;
iI faut insister encore, et saos relache.»


Cette opinion ne fut point appuyée.Mirabeau
insistait assez sur les moyens ouverts, ponr
qn'on lui pardoonat les machinations secretes,
s'il est vrai qu'elles aíent été employées.


C'était le JI juillet; Necker avait dit plu-
sieurs fois au roi que si ses services lui dé-
plaisaient, iI se retirerait avec soumission. « Je
prends votre parole,)) avait répondu le roí.
Le 11 au soir, Necker rec,;ut un Lillet oú
Louis XVI le sommait de tenir sa paraJe, le
pressait de partir, et ajoutait qu'il comptait
assez sur luí pour espérer qu'il cacherait son
départ a tout le monde. N ecker, justifiant alors
l'honorable confiance du monarque, part sans
en avertir sa société, ni meme sa fille, et se
trouve en quelques heures fort 10Íll de Vel'-




.-\SSE'IIBLÜ CONSTITUANTE (1789). 95
sailles. Le lendemaill 12 juillet était un di-
manche. Le bruit se répandit a Paris que
N ecker avait été renvoyé, ainsi que MM. de
Montmorin, de La Luzerne, de Puységnr et de
Saint-Priest. On annon<;ait, pOllr les remplacer,
MM. de Breteuil, de La Vallguyon, de Broglie,
FouIon et Damécort, presque lous connus par
lenr opposition a la cause populaire. L'alarme
se répand dan s Paris. On se rencl au Palais-
R.Pyal. Un jeune homme, connu depuis par
son exaltation républicaine, né avec une ame
tendrc, mais houillante, Camille Desmoulins,
monte sur une table, moutre des pistolets en
criant aux armes, arrache une feuille d'arbre
dont iI fait unp, cocardc, et engage tont le
monde a l'imiter. Les arbres sont aussitot dé-
pouilIés, et on se rcnd dans un mnsée renler-
mant des bustes en cire. On s'empare oe ceux
de Neeker et du dne d'Orléans, menaeé, disait-
on, de l'exil, et on se répand ensuite dans les
quartiers de París. Cette foule parcourait la
rue Saillt-Honoré, 10rsqu'eIle rencontre, vers
la place Vendóme, un détachement de Royal-
AUemand qui fond sur elle, blesse pIusieurs
personnes, et entre autres un soldat des garcles-
fran<,;aises. Ces derniers, tout disposés pour
le peuple et contre le Royal-Allemand, avec
lequel ils avaient eu une rixe les jours pré-




6 9 RÉVOLUTION FRAN(:AlSE.
cé(knts, étaient casernés pres de la place
Louis XV; ils font feu sur Royal-AlIemand. Le
prince de Lambesc, qui commandait ce régi-
ment, se replie aussitót sur le jarclia des Tllile-
ríes, charge la foule paisiblc qui s'y promenait,
tue nn vieillard an mílien de la confusion, et
fait évacner le jardín. Pendant ce temps, les
troupes qni envÍronnaient París se concentrent
sur le Champ-de-Mars et la place Louis xv.
La terren!' alors n'a plus de bornes et se
change en fureu!'. On se répand dans la ville
en criant aux armes. La multitude court a
I'Hutel-de-Ville pour en demander. Les élec-
teurs composant l'assembléc générale y étaient
réuIIis. Ils livrent les armes qu'ils ne pou-
vaient plus refllser, et fIn' on pillait déja a l'ills-
tant oú ils se décidaient a les accorder. Ces
élcctenrs composaient en ce moment la senle
autorité établie. P.t;'ivés de tont pouvoir actif,
ils prcnnent ceux que la circonstance exigeait,
et ordonnent la convocation des districts.
Tous les citoyens s'y rendent pour aviser aux
moycns de se préserver a la fois de la furenr
de la mllltitude et de l'attaque des troupes
royales. Pendant la nuit, le peuple) qui court
toujours a ce qni l'intéresse, force et brúle les
harrieres, disperse les commis et rend toutes
les entrées lihres. Les boutiques des armuriers




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789). 97
sont pillées. Ces brigands, déja signalés chez
Réveillon, et qu'on vit, dans ton tes les occa-
sions, sortir comme de dessous terre, repa-
raisscnt armés de piques et de b:hons, et ré-
pandent l'épouvante. Ces évéllements avaient
eu lieu pendant la journée du dimanche 12
juillet, et dans la nuit du dimanche au lundi
13. Dans la matinée du IUlldi, les électeurs,
toujonrs réunis a I'Hotel·de-Ville, croient de-
voir donner une forme plus légale a leur au-
torité; ils appellcnt, en conséquence, le pré-
vot des marchands, administrateur ol'dinaire
de la cité. Celui-ci ne consent a céder que sur
une réquisition en forme. On le requiert en
cffet, et on lui adjoint un certain nombre d'é-
lccteurs; on compose ainsi une municipalité
rcvetue de tous les pouvoirs. Cette municipa-
lité mande aupres d'elle le lieutenant de po-
lice, et rédige en quelques heures un plan
d'armement pour la milice bourgeoise.


eette milice devait etre composée de qua-
rante·huit millc hommes , fournis par les dis-
tricts. Le signe dístinetif devait etre, an líen
de la cocarde verte, la eoeardc parisienne,
rouge et bleue. Tont hommc surprís en armes
el avec eette cocarde, sans avoir été enrolé par
son district dans la garde bourgeoíse, devait
etrc arrcté, clésarmé et puni. Telle fut la prc-


J. 7




98 nÉVOLUTION FRANc,;:AtSE.
miere origine des gardes nationales. Ce plan
fut adopté par tous les districts, qui se hate-
rent de le mettre a exécution. Dans le courant
de la meme matinée, le peuple avait dévasté
la maison de Saint-Lazare pour y chercher des
grains; il avait forcé le garde-meuble pour y
prendre des armes, et en avait exhumé des
armures antiques dont il s'était revetu. 00
voyait la foule, portant des casques et des pi-
ques, inonder la ville. Le peuple se mOIltrait
maintenant ennemi du pillage; avec sa mobí-
lité ordinaire, il affectait le désintéressement,
il respectait l'or, ne prenait que les armes, et
arretait lui-meme les brigands. Les gardes-
fran(,(aises et les milíces du guet avaient offert
leurs services, et on les avait enrolés dans la
garde bourgeoise.


On demandait toujours des armes a grands
cris. Le prévot Flesselles, ql1i d'abord avait
résisté a ses concitoyens, se montrait zélé main-
tenant, et promettait 12,000 fusils pour le
jour meme, davantage pour les jours suivants.
Il prétendait avoir fait un marché avec un ar-
murier inconnu. La chose paraissait difficile
en songeant au pea de temps qui s'était écoulé.
Cependant le soir étant arrivé, les caisses d'ar-
tillerie annoncées par Flesselles sont conduites
1\ l'Tlótel· de - Ville; on les ouvre, et OH les




ASSEMBLÉE CONSTITUANn: (17 89). 99
trouve pleines de vieux linge. A cette vue, la
multitude s'indigne contre le prév6t, qui dit
avoir été trompé. Pour l'apaiser, iI la dirige
vers les Chartreux, en assurant qu' elle y trou-
vera des armes. Les Chartreux étonnés re<,;oi-
vent cette foule furieuse, l'introduisent dans
leur retraite, et parviennent a la convaincre
qu'ils ne possédaíent rien de ce qu'avait an-
llpncé le prév6t.


Le peuple, plus irrité qne jamais, revient en
criant a la trahison. Ponr le satisfaire, on or-
donne la fabrication de cinqnante mille pi-
ques. Des poudres destinées ponr Versailles
descendaient la Seine sur des bateaux; on s'en
empare, et un électcur en fait la distribution
au milieu des plus grands dangers.


Une horrible confusion régnait a cet H6tel-
de-Ville, siége des autorités, quartier-général de
la miliee, et centre ele toutes les opérations. Il
fallait a la foís y pourvoir It la sureté extérieure
menacée par la eour, a la sureté intérieure me-
nacée par les brigands; ii fallait achaque ins-
tant calmer les soup<;ons du peuple, qui se
croyait trahi, et sanver de sa furenr cenx qui
excitaient sa défiance. On voyait la des voitures
arretées, des convois interceptés, des voya-
geurs attendant la permission de continner
leur route. Pendant la nuit, l'H6tel-de-Ville





100 RÉVOLUTION FRAN~AISE
fut encore une foís menacé par les brigands;
un électeur, le courageux Moreau de Saint-
Méry, chargé d'y veiller, fit apporter des barils
de poudre , et mena«;:a de le faire sauter. Les
hrjgands s'éloignerent a cette vue. Pendant ce
temps, les citoyens retirés chez eux se teBaient
prets a tous les genres d'attaque; jls avaient
dépavé les mes, ouvert des tranchées, et pris
tous les moyens de résister a un siége.


Pendant ces troubles de la capitale, la cons-
ternation régnait dans l'assemblée. Elle s'était
formée le 13 au matin, alarmée des événe-
ments qui se préparaient, et ignorant encore
ce qui s'était passé a Paris. Le député Mounier
s'éleve le premier contre le renvoi des minis-
tres. Lally-Tolendal lui succedc a la tribune,
fait un magnifique éloge de N ecker, et tous
deux s'unissent pour proposer une adresse
dans laquelle on demandera au roí le rappel
des ministres disgraciés. Un député de la no-
blesse, M. de Virieu, propose meme de con-
firmer les arretés du J 7 juin par un nouveau
serment. M. de Clermont-Tonnerre s'oppose
a cette proposition, comme inutile; et , rappe-
lant les engagements déja pris par l'assemblée.,
s'écrie : l( La constitution sera, ou nous ne
« serons plus. » La discussion s'était déja pro_
longée, lorsqu'on apprend les troubles de París




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789). 10 J
pendant la matinée du 13, et les malheurs dont
la eapitale était menaeée, entre des Fran<;ais
indiseiplinés qui , selon l'expression du due de
Laroehefoueault, n' étaíent dans la main de
personne, et des étrangers diseiplinés, qui
étaient dans la main du despotisme. On arrete
aussitot d'envoyer une députation au roí, pour
luí peíndrc la désolation de la capitale, et le
supplier d'ordonner le renvoi des troupes et
l'établissement des gardes bourgeoises. Le roi
faít une réponse froide et tranquille qui ne
s'aeeordait pas avec son c~ur, et répete que
París ne pouvait pas se garder. L'assemblée
alors, s'élevant au plus noble courage, rend
un arrc'hé mémorable dans lequel elle insiste
sur le rcnvoi des troupes, et sur l'établissement
des gardes bourgeoises, déclare les ministres
et tous les agents <Iu pouvoir responsables, fait
peser sur les conseils du roi, de quelque rang
qu'ils puissent etre , la responsabilité des mal-
heurs qui se préparent; consolide la dette
publique, défend de prononcer le nom infame
de banqueroute , persiste dans ses préeédents
arretés, et ordonne au président d'exprimer
ses regrets a M. Neeker, aíllsi qu'aux autres
ministres. Apres ces mesures pleines d'énergie
et de prudence, l'assemblée, pOUl' préserver
ses membres de tOllte violence persollnelle,




J 02 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.


se décIare en permanence, et nomme 1\1. de
Lafayette vice - président, pour soulager le
respectable archeveque de Vienne, a qui son
age ne permettait pas de siéger jour et nuit.


La nuit du 13 au 14 s'écoula ainsi au milieu
du trouble et des alarmes. Achaque instant,
des nouvelles funestes étaient données et con-
tredites; on ne connaissait pas tous les projets
de la cour, mais on savait que plusieurs dé-
putés étaient menacés, que la violence allait
etre employée contre París et les membres les
plus signalés de l'assemblée. Suspendue un ins-
tant, la séance fut reprise a cinq heures du
matio, 14 juillet. L'assemblée, avec un calme
imposant, reprit les travaux de la constitution,
discuta avec beaucoup de justesse les moyens
d'en accélérer l'exécution , et de la conduire
avec prudeoce. Un comité fut nommé ponr
préparer les questions; il se composait de
MM. l'éveque d'Autun, l'archeveque de Bor-
deaux , Lally, Clermont-Tonnerre, Mounier,
Sieyes, Chapelier et Bergasse. La matinée s'é-
coula; on apprel1ait des nonveIles toujours
plus sinistres; le roi, disait-on, devait partir
dalls la nnit, et l'assemblée rester livrée a plu-
sieurs régiments étral1gers. Dans ce mament,
on venait de voir les princes, la ducltesse de
Polignac et la reine, se promeuant ~t l'Ural}-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 103
geríe, flattant les officiers et les soldats, et
leur faisant distribuer des rafra:ichissements. 11
paralt qU'UIl grand dessein était con<,;u pour la
nuit du 14 au 15, que París devait etre attaqué
sur sept points, le Palais-Royal enveloppé, I'as-
semblée dissoute, et la déclaration du 23 juin
portée au parlement; qu'enfin il devait etre
pourvu aux besoins du trésor par la banque-
route et les billets d'état. Il est certain que les
commandants des troupes avaient re<,;u l'ordre
de s'avancer du 14 au 15, que les billets d'état
avaient élé fabriqués, que les casernes des
Suisses étaient pleines de munitions , et que le
gouverneurde la Bastille avait déménagé, ne
laissant dans la place que quelques meubles
indispensables. Dans l'apres-midi, les terreurs
de l'assemblée redoublerent; on venalt de voir
passel' le prince de Lambesc a toute bl'ide ; on
entendait le bl'uit du canon, et on appliquait
l'oreille aterre poul' saisil' les moindres brl1its.
Mirabeau propasa alors de suspendre toute
discussion, et d'envoyer une seconde députa-
tíon au roi. La députation partít aussÍtot pour
faire de nouvelles instances. Dans ce moment,
deux membres de l'assemblée, venus de Paris
en toute hate, assurerent qu' on s'y égorgeait;
l'un d'eux attesta qu'il avait vu un cadavre dé-
capité et revetu de noir. La nuit commen<,;ait


---




104 ItÉVOLUTION FRANyAISl'.


a se faire; on annon<;a l'arrivée de deux élec-
teurs. Le plus profond silence régnait dans la
salle; on entendait le bruit de Ieurs pas dans
l' obscurité; et on apprit de leur bouche que
la Bastille était attaquée, que le canon avait
tiré, que le sang coulait. et qu' on était me-
nacé des plus affreux malheurs. Aussitot une
nouvelle députation fut envoyée avant le re-
tour de la précédente. Tandis qu'eIle partait,
la premiere arrivait et rapportait la réponse
du roí. Le roi avait ordonné, disait-il, l'éloi-
gnement des troupes campées au Champ-de-
Mars, et, ayant appris la formation de la garue
bourgeoise, il avait nommé des officiers pom
la commander.


A l'arrivée de ]a seeonde députation, le roí,
toujours plus troublé, luí dit : « Messieurs ,
« vous déchirez mon creur de plus en plus par
« le récít que vous me faites des malheurs de
ce París. Il n'est pas possible que les ordres
ce donnés aux troup.es en soient la cause. )J On
n'avait obten u encore que l'éloignement de
l'armée. 11 était deux hcures apres minuit. On
répondít a la ville de París {( que deux dépu-
tatioIls avaient été envoyées, et que les instan-
ces seraient rellollvelées le Iendemain ,jusqu'a
ce qu'elles cussent obtenu le sueces qu'or¡ avait
droit d'attendre du creur du roi, IOl'sque des




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (J 789)' 105
impressjons étrangeres n'en arreteraient plus
les mouvements. » La séanee fut un moment
suspenclue, el on apprit le soir les événemenls
de la journée du 14.


Le peuple, des la nuit du 13, s'était porté
vers la Bastille; quelques eou ps de fusil avaient
été tirés, et jI paralt que des instiga teurs avaient
proféré plusieurs fois le eri : A la BastilJe! Le
vreu de sa destruetion se trouvait dans quel-
ques eahiers; ainsi, les idées. avaient pris d'a-
vanee eette direction. On demandaít toujours
des armes. Le bruit s'était répandu que l'Hotel
des Invalides en contenait un dépot considé-
rabIe. On s'y rend aussitot. Le eommanrtant,
M. de Sombreuil, en faít défendre l'entr6e ,
disant qu'il doit demander des ordres a Ver-
sailIes. Le peuple ne veut ríen entendre, se
préeipite dans l'Hotel, enlcve les canon s et
une grande quantité de fusils. Déja dans ce
moment une fonle considérable assiégeait la
Bastille. Les assiégeants disaient que le canon
de la place était dirigé sur la ville, et qu'i! fal-
lait empecher qu'on ne tirat sur elle. Le député
d'un distriet demande a etre introduit dans la
forteresse, et l'obtient du commandant. En
faisant la visite, iI trouve trente-deux Suisses
el quatre -vingt - deux invalides, et re~ojt la
parole de la garuison de ne pas faire fen si




106 RÉVOLUl'ION FRAN~AISE.
elle n'est attaquée. Pendant ces pOUl'parlers,
le peuple , ne voyant pas paraitre son député,
commence a s'irriter, et celui-ci est obligé de
se montrer pour apaiser la multitude. Il se
retire enfin vers onze heures du matin. Une
demi-heure s'était a peine écoulée, qu'une
Ilouvelle troupe arrive en armes, en criant:
(e N ous voulons la Bastille.» La garnison somme
les assaillants de se retirer, mais ils s' obstinent .


. Deux hommes montent avec intrépidité sur le
toit du corps-de-garde, et brisent a coups de
hache les chaines du pont, qui retomhe. La
foule s'y précipite, et comt a un second pont
pour le franchir de meme. En ce moment une
décharge de mousqueterie l'arrete: elle recule,
mais en faisant feu. Le combat dure.quelques
instants. Les électeurs réunis a l'Hotel·de·Ville,
entemlant le hruit de la mousqueterie, s'alar-
ment toujours davantage, et envoient deux
députations, l'ulle sur l'autre, pour sommer
le commandant de Jaisser introduire. dans la
place un détachement de milicc parisienne,
sur le motif que toute force militaire dans
Paris doit etre sous la main de la vil/e. Ces deux
députations arrivellt successivement. Au milieu
de ce siége populaire, iI était tres-difficile de
se faire entendre. Le hruit du tamboul', la vue
o'un drapean suspendent quelqlle temps le




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789). 107
feu. Les députés s'avancent; la garnison les at-
tend, mais il est impossible de s'expliquer. Des
coups de fusil50nt tirés, on ne sait d'ou. Le
peuple, persuadé qu'il est trahi, se précipite pour
mettre le feu a la place; la garnison tire alors
a mitraille. Les gardes fran<;aises arrivent avec
du canon et cornmellcent une attaque en forme.


,Sur ces e!ltrefa,ites, un billet adressé par le
baron de Besenval a Delaunay, commandant
de la Rastille, est intercepté et lu a l'Hotel-de-
Ville. Besenval engageait Delaunay a résister,
lui assurant qu'il serait bientot secouru. C'était
en effet dan s la soirée de ce jour que devaient
s'exécuter les projets de la cour. Cependant
DeJaunay, n'étant point secouru, voyant l'a-
charnement du peuple, se saisit d'une meche
allumée et veut Eüre sauter la place. La gar-
nisons'y oppose" et l'oblige a se rendre : les
signaux sont donnés, un pont est baissé. Les
assiégeants s'approchent en promettant de ne
commettre aucun mal; mais la foule se préci-
pite et envahit les cours. Les Suisses parvien-
nent a se sauver. Les invalides assaillis ne sont
arrachés a la fureur du peuple que par le dé·
vouement des gardes fralH;:aises. En ce moment,
une fille, belle , jeune et tremblante , se pré-
sente : on la suppose fiHe de Delallnay; on la
saisit, et elle aUait etre lmilée, lorsqu'uIJ




108 RÉVOLUTION FRANyAISE.


brave soldat se précipite, l'arrache aux fu-
rieux, court la mettre en sureté, et retourne á
la melée.


Il était cinq heures et demie. Les électeurs
étaient dan s la plus cruelle anxiété, lorsqu'ils
entendent un murmure sourd et prolongé. Une
fonle se précipite en criant victoire. La salle
est envahie; un garde-franc;aise, couvert de
blessures, couronné de lauriers, est porté en
triomphe par le peuple. Le réglement et les
clefs de la Rastille sont au bout d'une ba'ion-
nette; une main sanglan te, s' élevant au-dessus
de la foule, montre une boude de col: c'était
celIe du gouverneur Delaunay qui venait d'etre
décapité. Deux gardes - fran<;;aises, Elie, et
Hullin, l'avaient défendu jusqu'á la derniere
extrémité. D'autres victimes avaient succombé,
quoique défendues avec hérolsme contre la
férocité de la populace. Une espece de fureur
commenc;ait a éclater contre Flesselles, le pré-
vot des marchands, qu' on accusait de trahison.
On prétendait qu'il avait trompé le peuple en
luí promettant plusieu!'s foís des armes qu'il
ne voulait pas luí donner. La salle était pleine
d'hommes tout bouillants d'un long comba!',
et pressés par cent mille autres, qui, ~est.és au
dehors, voulaient entrer a len!' tour. Les élec-
teurs s'effor<;aiellt de justifier FlesscIles aux




ASSt:~JJlLÉt: CONSTITUANTE (1789). 109
yeux de la multitude. Il commenc;ait a perdre
sdn assurance, et déja tout pale il s'écrie:
«Pllisque je suis suspeet, je me retirerai.»-
« Non, lui dit-on, venez au Palais-Royal, pour
y etre jugé.» Il descend alors pour s'y rendre.
La multitud e s'ébranle, l'entoure, le presse. Ar-
rivé au quai PelIetier, un jnconnu le renverse
d'lln eoup de pistolet. On prétend qu'on avait
saisi une leUre sur Delaunay, dan s laquellc
Flesselles lui disait : ({ Tenez bon, tandis que
j'amuse les Parisiens avec des cocardes. »)


Tels avaient été les malheureux événements
de cctte journée. Un mouvement de terrcur
succéda bientot a l'ivresse de la victoire. Les
vainqueurs de la Bastille, étonnés de l~ur au-
dace, et eroyant retrouver le lcndemain.l'au-
torité formidable, n'osaient plus se nornmer.
Achaque instant on répandait que les troupes
s'avan<;aient pour saccager París. Moreau de
Saint-Méry, le meme qui la veilIe avait menacé
les brigands de faire sauter I'Hotel-de-Ville,
demeura inébranlable, et don na plus de trois
mille ordres en quelques heures. Des que la
prise de la Bastille avait été connue a l'H6tel-
de-Ville , les électeurs en avaient fait informer
I'assemblée, qui l'avait apprise vers le milieu
de la nuit. La séance était suspendue, mais la
nonvclle se rt'>pandit avec rapidité. La cour




110 RÉVOLUTION FRAN<,::AISE.


jllsque-la, ne eroyant point a l'énergie da
peuple, se riant des efforts d'une rnultitude
aveugle qui voulait prendre une place vaine-


. ment assiégée autrefois par le grand Condé, la
cour était paisible et se répandait en railleries.
Cependant le roi comrnen<;ait a etre inqniet;
ses dernieres réponses avaient meme décelé sa
douleur. Il s'était couché. Le cluc de Liancowt,
si connu par ses sentiments généreux, était
I'ami partículier de Louis XVI, et, en sa qua-
lité de grand-maitre de la garde-robe, il avait
tOlljours acces aupres de lui. Instruit des évé-
nements de París, il se rendit en toute ha te
aupres dn monarquc, l'éveilla malgré les mi-
nistres, et lui apprit ce qui s' était passé. Qllelle
révolte! s'écria le prince.-Sire, reprit le duc
de Liaflcourt, di tes révolution. Le roi, éclairé
par ses représentations, consentit a se remIre
des le matin a l'assembIée. La cour céda aussi,
et cet acte de confiance fut résolu. Dans cet
intervalle , l'assemblée avait repris séance. On
ignorait les nouvelles dispositions inspirées an
roi , et il s'agissait de lui envoyer une derniere
déplltatioll, pour essayer de le toucher, et
obtenir de lui tout ce qui restait encore a ac-
corder. Cette députatioll était la cinquieme
depuis ces funestes événements. Elle se COIl1-
posait de vingt-quatre rnembres, et alIait se




AssE~rBLÉE CONSTITUANTE (17 89)' 1 1 1
mettre en marche, lorsque Mirabeau, plus vé-
hément que jamais, l'arrete: ce Dites au roí,
cc s' écrie-t-il, dites-Iui bien que les hordes étran-
c( geres dont non s sommes investis out re«;u
(c hier la visite des prinees , des princesses, des
« favoris, des favorites , et leurs caresses, et
ce leurs exhortations, et leurs présents. Dites-Iui
« que toute la nuÍt ees satellites étrangers,
( gorgés d' or et de vin, ont prédit, dans leurs
ce chants impies, l'asservissement de la Franee,
ce et que leurs vreux brutaux invoquaient la
ce destruetion de l'assemblée nationale. Dites-
« lui que dans son palais meme, les eourtisans
ce ont melé leurs danses au son de eette mu-
{( siqne barbare, et que telle fut l'avant-Sctme
ce de la Saint-Barthélemi!


ce Dites-lui que ee Henri dont l'univers bénit
c( la mémoire, eelui de ses aleux qu'il voulait
ee prendre pour modele, faisait passer des vi-
ce vres dans París révolté, qu'il assiégeait en
ce personne; et que ses eonseillers féroees font
ce rebrousser les farines que le eommeree ap-
ce porte dans Paris fidele et affamé. J)


La députation allait se rendre aupres du rOÍ,
lorsqu'on apprend qu'il arrive de son propre
mouvement, sans gardes et sans escorte. Des
applaudissements retentissent : « Attendez, re-
c( pre!HI Mirahean avec gravité, que le roí




1 J 2 nÉVOLUTION FRANgAISE.


(' nous ait faít connaltre ses bonnes disposi-
« tions. Qu'un morne respect soit le premier
« accueil fait au monarque dans ce moment de
( douleur. Le silence des peuples est la le<,;on
« des rois. )J


Louis XVI se présente alors accompagné de
ses deux freres. Son discours simple et tou-
chant excite le plus vif enthousiasme. JI rassure
l'assemblée, qn'il nomme ponr la premiere [ois
assemblée nationale; se plaint avec doncenr
des méfiances qu'on a con<,;ues : ( Vous avez
craint, lenr dit-il, eh bien! c'est moí qui me
fie a vous. » Ces mots sont couverts d'applau-
dissements. Aussitot les dépntés se levent, en-
tourent le monarque, et le reconduisellt a
pied jusqu'au chateau. La foule se presse alltour
de lui , les larmes coulent de tous les yeux, et
íl peut a peine s'ouvrir un passage a travers
ce nombreux cortége. La reine, en ce moment,
placée avec la cour sur un balcon , contem-
plait de lo in cette scene tOllchante. Son fils
était dans ses bra5 ; sa filie, debont a ses cotés ,
jonait nalvement avec les cheveux de son frere.
La princesse , vivement émne, semblait se
complaire dans cet amou!' des Franc,;ais. Hélas!
combien de fois un attendrissement réciproque
n'a-t-il pas réconcílié les creurs pClldant ces
fllnestes discordes! Ponr un iustant tout sem-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTJ<: (1789)' 113
blait oublié; mais le lendemain, le jour meme,
la cour était rendue a son orgueiJ , le peuple a
ses méfiances, et l'implacable hai.ne recom-
menc,;ait son cours.


La paix était faite avec l'assemblée, mais iI
restait a la faire avec Paris. L'assemblée envoya
d'abord une députatiou a I'Hótel-oe-Ville, pour
porter la nouvelle de l'heurense réconciliation
opérée avec le roí. Bailly, Lafayette, LaUy-
Tolendal ,étaícut du Hombre dps envoyés. Leur
présence répandit la plus vive allégresse. Le
discours de Lally fit 11aitre oes transports si
vifs, qu'on le porta en triomphe a une fenetre
de l'Hotel-de-ViUe pour le montrer au peuple.
Une COllronne de flenrs fut placée sur sa tete,
et il rel,{ut ces llOmmages vis-a-vis la place nH~me
ou avait expiré son pere avec un báil/on sur
la bOlIche. La ITJOrt de I'infortuné Flcsselles ,
chef de ]a municipalité, et le reflls du OUC
d'Aumont d'accepter le commandement de la
milice bourgeoise, laissaient un prévot et un
commandant-général a nommer. Bail/y fut dé-
signé, et au milieu des plus vi ves acdamatiollS,
il fut nommé Sllcccssellr de FlesseUes, sous le
titre de maire ele Paris. La eouronne qui avait
été sur la tete de Lally passa sur celle du
nouveall maire; il vonlut l'en arraeher, mais
J'archcveqlw de Paris l'y retínt malgré lui. Le


1 R




,


I 14 RÉVOLUTION Fll.AN9AISE.
vertueux vieillard laissa alors échapper des
larmes, et iI se résigna 11 ses nouvelles fonc-
tions. Digne représentant d'une grande assem-
blée, en présence de la majesté dll treme, il
était moins capable de résister allX orages d'une
commllne, ou la mllltitude lllttait tumultueu-
sement contre ses magistrats. Faisant néan-
moins abnégation de lui-meme, il allait se livrer
au soin si difficile des subsistances, et nourrir
un peuple qui devait ren payer par tant d'in-
gratitude. Il restait 11 nommer un commandant
de la milice. Il y avait dans la salle un buste
envoyé par l' Amérique affranchie a la ville de
Paris. Morcau de Saint-Méry le montra de la
main, tous les yeux s'y porterent, c'était celui
<Iu marquis de Lafayette. Un cri général le
proclama cornmandant. On vota aussitot un
Te Deum, et on se transporta en foule a N otre-
Dame. Les nouveaux magistrats, l'archeveque
<le París, les électellrs, melés a des gardes-
fran~aises,. a des soldats de la milice, marchant
sous le b1'as les uns des alltres, se rendirent.
a l'antique cathédrale, dans une espece d'i-
vresse. Sur la route, des enfants-trouvés tom-
berent aux pieds de Railly, qui avait beaucoup
travaiHé pour les hopitaux; ils l'appelerent
leur pere. Bailly les serra dans ses bras, en les
nommant ses enfants. On arriva a l'église, on




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 115
eélébrala eérémonie, et chaclln se répandit en-
suite d~s la Cité, ou une joie délirante avait
suecédé a la terreur de la veille. Dans ce mo-
ment, le peuple venait visiter l'antre, si long-
temps redouté, dont l'entrée était maintenant
ouverte. On pareourait la Bastille avec une
avide curio si té et une sorte de terreur. On y
eherehait des instruments de supp1iee, des ca-
ehots profonds. On y venait voir surtont une
énorme pi erre placée au milieu d'une prison
obscure et maréeageuse, et au centre de la-
quelle était fixée une pesante ehaine.


Lacour,aussiaveugle dans ses craintes qu'elle
l'avait été dans 5a confiance, redolltait si fort
le peu pIe, qu'a chaqlle instant elle s'imaginait
qu'une armée parisienne marehait sur VersaiI-
les. Le eomte d' Artois, la famille de Polign3e ,
si ehere a la reine, quitterent alors la Franee,
et furent les premiers émigrés. BaiPy vint ras-
surer le roi, et l' engagea au voyage de París,
qui fut résolu malgré la résistance de la reine
et de la cour.


Le roí se dísposaa partir. Deux cents députés
furent ehargés de l'accompagner. La reine luí
fit ses adieux avec une profonde douleur. I .. es
gardes-du-eorps l'escorterent jusqu'a Sevres,
ou ils s'arrcterent pour l'attendre. Bailly, a la
tete de la munieipalité, le re<:;ut aux portes de


S.




1 1 ti HÉVOLUTlON FHAN<;:AISIl.
Paris, et luí présenta les clefs, offertes jadis a
Henri IV. « Ce hon roí, lui dit BailIy, avait
conquis son peuple, c'est aujourd'hui le peuple
qui a reconquis son roi. » La nation ,législatrice
a Versailles , était armée a París. Louis XVI, en
entrant, se v-it entouré d'une multitud e sileu-
cieuse et enrégimentée. 11. arriva a l'Hotel-de-
Ville ~, en passant sous une voute d'épées
croisées sur sa tete, en signe d'honneur. Son
discours fut simple et touchant. Le peuplc,
qui ue pouvait plus se contenil', éclata enfin ,
et prodigua au roí ses applaudissements ac-
contumés. Ces acclamations soulagerent un peu
le CCeur du prince; il ne pat néanmoins dis-
simuler un mouvement de joie en apereevant
les gardes-du-eorps, placés sur les"hauteul'S de
Sevres; et a son retour la reiJle, se jetant a
son con, l' embrassa eomme si elle avait craint
de ne plus le revoir.


Louis XVI, pour satisfaire en entier le va;u
puhlic, ordonna le retour de N ecker et le ren-
voi des nouveaux ministres. M. de Liancourt ,
ami du roí, et son conseillcr si utilc, fut élu
président par l'assemblée. Les députés nobles,
qui, tout en assistant aux délibérations, refH-
saient encore d'y prendre part, céderent enfin ~


.. 17 juillet.




ASSFIUBLÉJ; CONST1TIJANTE (1 78DJ' , '7
et donnerent lcur vote. Ainsi s'acheva la COll-
fusion des ordres. Des cet instant on pouvait
cOllsidérer la révolution comme accomplie. La
natÍon, maltresse du pouvoir législatif par
l'assemblée, de ]a force publique par elle-
meme, pouvait désormais réaliser tout ce qui
était utile a ses intérets. e'est en refusant l'é-
galité de I'impót, qu' on avait rendu les états-
généraux nécessaÍres; e'est en refu~ant un juste
partage d'autorÍté dans ces états, qu'on y avait
perdu toute influenee; e'est enfin en voutant
rccouvrcr cette influence, qu'on avait soulevé
llarÍs, el provoqué la nation tout entiere a
s'emparer de la force publique.







A.SSE:VIllL.ÉJo: CONSTITUANTE (1789). I 19


CHAPITRE 111.


Travaux de la municipalité de Paris. - Lafayette com-
mandant de la garde nationale; son caractcre et son
róle dans la révolution. - Massacres dc-Foulon et de
Berthier. - Retour de Necker. - Situation et division
des partis et de leurs chefs. - Mirabeau; son caractere,
ses projets et son génie. - Les brigands. - Troubles
dans les provinces et les campagnes. - Nuit du 4 aout.
Abolition des droits féodaux et de tous les priviléges.
- Déclaration des droits de l'homme. - Discussions
sur la constitution et sur le veto. - Agitation a Paris.
Rassemblement tumultucux au Palais-Royal.


CEPENDANT tout s'agitait dans le sein de la
capitale, 00. une nouvelle autorité vcnait de
s'établir. Le meme mouvement qui avait porté
les électeurs a se mettre en action, poussait
toutes les classes a en faire autant. L'assemblée
avait été imité e par l'Hotel-de-Ville, l'Hotel-
de-Ville par les districts, et les districts par
toutes les corporatiolls. Tailleurs, cordonniers,
boulangers, domestiques, réunis au Louvre, a
la place Louis XV, aux Champs-Élysées, déli-




120 nÉVOLUTION FnA.N~AlSE.
béraient en forme, malgré les défenses réité-
rées de la municipalité. Au miliea de ces mou-
vements contraires, I'Hotel-de-Ville, combattu
par les districts, inquiété par le Palais-Royal,
était entomé d'obstacles, et pouvait a peine
suffire aux soins de son immensc administra-
tíon.11 réunissait a lui seull'autorité civil e ,ju-
diciaire et militaire. Le quartier-général de la
mili ce y était fi:J¡:é. Les juges, clan s le premier
moment, incertains sur leurs attributions, lui
adressaient les accnsés. Il avait meme la puis-
sanee légíslative, cal' il était chargé de se faire
une constitution. Bailly avait pour cet objet de-
mandé achaque distríct deux cornmissaires
qui, sons le nom de représentants de la com-
mune, devaient en réglcr la constitutioll. Ponr
suffire a tant de soins, les élcctClJfS s' étaient
partagés en divers comités; l'un, nommé co-
mité des recherches, s'occupait de la police;
l'autre, nommé comité des subsistan ces , s'oc-
cupait des approvisionnements, tache la plus
difficile et la plus dangereuse de toutes. Bailly
fut obligé de s'en occuper jour et nnit. Il fal-
lait opérer des achats continuels de blé, le faire
moudre ensuite, et puis le porter a París a
travers les campagnes aff;unées. Les convois
étaient souvent arretés, et on avait besoin de
détachements nom breux pour cmpecher les pil,




ASSElUBL.ÉE CONSTITU ANTE (1 7H\»). J 2 J
lages sur la route et dans les marchés. Quoique
l'état vendit les blés a perte, afin que les bou-
langers pussent rabaisser le prix du pain, la
multitude n'était pas satisfaite : il fallait tou-
jours diminuer ee prix, et la disette de Paris
augmentait par cette diminution meme, paree
que les campagnes couraient s'y approvision-
nel'. La crainte du lendemain portait chacun
a se pourvoir abondamment, et ce qui s'aeeu-
mulait dans les mains des uns manquait aux
autres. C'est la confiance qui hate les travaux
du eommerce, quí fait arriver les denrées, et
quí l'eml leur distribution égale et faciJe; mais
quand la eonfiance disparah, l'actívité com-
mereiale eesse; les objets n'arrivant' plus au-
devant des besoins, ces besoins s'irritent,
ajoutent la eonfusion a la disette, et cmpe-
ehent la bonne distributíon du reu qui reste.
Le soin des sllhsistances était done le plus
pénible de tous. De crueIs soucis dévoraif'nt
Bailly et le comité. Tont le travail dn jour snffi-
sait a peine an besoin du jonr, et il fallait re-
commeneer le lendemain avec les memes in-
quiétudes.


Lafayette, commandant de la mili ce bour-
geoise ", n'avait pas moins de peines. n avait


* 11 avait été nommé 11 ce poste le 1& juillet, a l'HOtel
ue-Villc,




J 22 RÉVOLUTION l'llAN~AISE.
incorporé dans cette milice les gardes-fran-
«;aises dévoués a la révoJution, un certain
nombre de Suisses, et une grande quantité
de soldats qui désertaient les régiments dans
l'espoir d'une solde plus forte. Le roi en avait
luÍ-meme donné l'autorisation. Ces troupes
réunies composerent ce qu'on appela les com-
pagnies du centre. La milice prit le nom de
garde nationale, revetit l'uniforme, et ajouta
aux deux couleurs rouge et hIeue de la cocarde
parisienne la couleur blanche qui était ceHe
du roí. C'est la cette cocarde tricolore dont
Lafayette prédit les destinées, en annollf,;ant
qu'elle ferait le tour du monde.


C'est a la tete de cette troupe que Lafayette
s'effor<;a pendant deux années consécutives de
maintenir la tranquillité publique, et de faire
exécuter les lois que l'assemblée décrétait
chaque jour. Lafayette, issu d'une famille an-
cienne et demeurée pure au milieu de la cor-
ruption des grands; doué d'un esprit droit ,
d'une ame ferme, amoureux de la vraie gloire ,
s'était ennuyé des frivolités de la cour et de la
discipline pédantesque de nos armées. Sa pa-
trie ne lui offrant rien de noble a ten ter , il se
décida pour l'entreprise la plus généreuse du
siecle, et il partít pour l' Amérique le leude-
maill du jour ou l'on répandait en Europe




ASS.El\JBLlÍE CONSTlTUANTE (1789). 123
qu'elle était soumise. Il y combattit a coté de
Washington, et décida l'affranchissement du
Nouveau-Monde par l'alliance de la France.
:Revenu dans son pays avec un nom europécn,
accueilli a la cour eomme une nouveauté, iI
s'y montra simple et libre eomme un Améri-
cain. Lorsque la philosophie, qui n'avait été
pour des nobles oisifs qu'un jeu d'esprit, exi-
gea de lcur part des sacrifices, Lafayettc pres-
que seul persista dans ses opinions, demanda
les états-généraux, eontribua puissamment a
la réunion des ordres, et fut nommé, en ré-
compense, commandant général de la garde
nationale. Lafayette n'avait pas les passions et
le génie qui font souvent abuser de la puis-
sanee: avec unc ame égale, un esprit fin, un
systeme de désintéressement invariable, il était
surtout propre au role que les circonstances
lui avaient assigné, celui de faire exécuter les
lois. Adoré de ses troupes sans les avoir capti-
vées par la victoire, pIe in de calme et de res-
sources au milieu des fureurs de la muItitude,
il maintenait l'ordre avec une vigilance infati-
gable. Les partis , quí l'avaient trouvé incor-
ruptible, accusaient son habileté, paree qu'ils
ne pouvaient accuser son caractere. Cependant
iI ne sc trompait pas sur les événements et sur
les hommes, n'appréciait la cour et les chefs




124 RÉVOLUTION FRA.N<1AJSE.
de parti que ce qu'ils valaient, les protégeait
au péril de sa vie sans les estimer, et luttait
souvent san s espoir contre les factions, mais
avec la constance d'un homme qui ue doit ja-
mais abandonner la chose publique) alors
me me qu'il n'espere plus pour elle.


Lafayette, malgré toute sa vigilance, oe
réussit pas toujours a arreter les fureurs po-
pulaires. Car quelque active que soit la force,
elle ne peut se montrer partout, contre un
peuple partout soulevé, qui voit dans chaque
homme un ennemi. Achaque instant les bruits
les plus ridicules étaient répandus et accrédi-
tés. Tantot on disait que les soldats des gardes-
fran<;aises avaient été empoisol1oés, tantot que
les farines avaient été volontairemellt avariées,
ou qu'on détournait leuT' arr!vée; et ceux qui
se donnaient les plus grandes peines pom les
amenerdans la capitale', étaient obligés de com-
paraitre devant un peuple aveug]e qui les acca-
blait d'o~trages ou les couvrait d'applaudissc-
ments, selon les dispositions du momento Ce-
pendant il est certain que la fureur du peuple
qui, en général, ne sait ni choisir ni chercher
long-temps ses victimes, paraissait souvent di-
rigée soit par des misérables payés, COlllllle on
l'a dit, pour rendrc les troubles plus graves cn
les ensanglantant, 50it sculcrnent par des




ASSFMBLltE CONSTITUANTE (1789). 1 '1.5
hommes plus profondément haineux. Fouloll
et Berthier furent poursuivis et arretés )oin
de París, avec une intention évidente. 11 n'y
eut de spontané a leur égard que la fureur de
la mn\titude qui les égorgea. Foulon, ancien
intendant , homme dur et avide, avait cornmis
d'horribles exactions, et avait été un des mi-
nistres désignés pour succéder a Necker et a
ses collegllcs. n fut arreté a Viry, quoiqu'il
eut répandil le bruit de sa mort. On le condui-
sit a París, en lui reprochant d'avoir dit qu'il
fallait faire manger <Iu foin au peuplc. On luí
mit des orties an cou, un bouquct de chardons
a la main, et une botte de foin derriere le dos.
e'est en cet {·tat qu'il fut tralné a I'Hotel-de-
ViIle. Au meme instant, Berthicr de Sauvigny,
son gcudre, était arreté a Compicgne, sur de
prétendus ordres de la commllne de París,
qui n'avaicnt pas été donnés. La communc
écrivit aussitot pOtir le faire rel:kher, ce quí
ne fut pas exécuté. 011 l'achemi1l3 vers Paris,
dans le moment Ol! Foulon était a l'IIotel-de-
Ville, ex posé a la rage des furieux. La popu-
lace voulait I'égorger; les représentations de
Lafayette l'avaient un peu calmée , et elle COIl-
sentait a ce que Foulon füt jugé; mais elle
demandait que le jugement fUt rendu a l'ins-
tant meme, pOllr jouir sur-]e-champ de l'exé-




126 RÉVOLUTION FRAN(:,\.ISE.


cution. Quelques électeurs avaient été choisis
pour servir de juges; mais, sous divers pré-
textes, ils avaient refusé cette terrible magis-
tratllre. Enfin, on avait désigné Bailly et La-
fayette, qui se trouvaient réduits a la cruelle
extrémité de se dévouer a la rage de la popu-
lace, ou de sacrifier une victime. Cependant
Lafayette, avec beaucoup d'art et de fermeté,
temporisait encore; il avait plusieurs füis
adressé la parole a la multitude avec succes. Le
malhenreux Foulon, placé sur un siége a ses
cOtés, eut l'imprudence d'applaudir a ses der-
nieres paroles. « Voyez-vous, dit un témoin,
ils s'entendent. » A ce mot, la foule s'ébranle
et se précipite sur Foulon. Lafayette fait des
efforts incroyables ponr le spnstraire aux as-
sassins; on le lui arra che de nouveau, et l'ill-
fortuné vieillard est pendu a un réverbere. Sa
tete est coupée, mise au hout d'une pique, et
promenée dans Paris. Dans ce moment , Ber-
thier arrivait dans un ca~riolet conduit par des
gardes, et poursuiyi par la multitude. On luí
montre la tete sanglante, sans qu'il se doute
que c'est la tete de son beau-pere. On le con-
duital'Hotel-de-Ville, ou iI prononee quelques
mots pleins de cOllrage et d'indigllation. Saisi
de nouveau par la multitude I iI se dégage un
moment, s'empare d'une arme, se défend avee




As!:;};]\mLÉE CONSTITUANTl: (J 789)' 1'27
fureur, et succombe bientot comme le malheu-
reux Foulon 'f.. Ces meurtres avaient été con-
duits par des ennemis ou de Foulon, ou de la
chose publique; ear, si la fureur du peuple a
Ieur aspect avait été spontanée , eomme la plu-
part de ses mouvements, leur arrestation avait
été eombinée. Lafayette, rempli de douleur et
d'indignation, résolut de donner sa démission.
BailIy et la municipahté, effrayés de ee projet ,
s'empresserellt de l'en détourner. Il fut alors
convenu qu'illa donnerait pour faire sentir son
mécontentement an peuple, mais qu'il se lais-
serait gagner par les instanees qu'on ne man-
querait pas de lui faire. En effet, le peuple et
la milice l'entourerent, et lui promirent la
plus grande obéissance. Il reprit le comman-
dement a ces conditions; et, depuis, il eut la
satisfaction d'empecher la plupart des troubles,
grace a son énergie et au dévouement de sa
troupe. .


Pendant ce temps, Neeker avait re¡;u a Baje
les ordres <Iu roi et les instanees de l'assemblée.
Ce furent les Polignae qu'il avait laissés triom-
phants a Versailles, et qn'il rencontra fllgitifs
a Bale, qui, les premiers, lui apprirent les
malheurs du trone, et le retour subit de fa-


* Ces scenes rurcnt líeu le 22 jllillet.




128 R]~VOLUTION FR AN~AISE.
veur qui I'attendait. Il se mit en route, et tra-
versa la France , tralné eu triomphe par le peu-
pIe, auquel, selon son usage, il rccominanda
la paix et le hon ordre. Le roi le rec;ut avcc
embarras, l'assemblée avee empressement; et
il résolut de se rendre a París, ou il dcvait
aussi avoír son jOllr de triomphc. Le projet
de Necker était de demander anx électcurs la
graee et l'élargisscment du bareHl de Besenval,
quoiqu'il fút son ennemi. En vain Bailly , non
moins ennemi que lui des mesures de rigueur,
mais plus juste appréeiateur des eireonstanees,
luí représenta le danger d'une telle mesure, et
luí fit sentir que cette faveur, obtenue par
!'entralIlement, serait révoquée le lendemain
comme illégale, paree qll'un eorps administra-
tíf ne pouvait ui condamner ni faire gdce;
N ecker s' obstina, et fit l' essai de son inflllence
sur la capitale. 1I se rendít a l'Hotel-de-Ville
le 30 juillet. Ses espéranees furent outre-pas-
sées, et il dllt se croíre tout-puíssant, en voyallt
les transports de la multitude. Tont émll, les
yeux pleins de larmes, il demanda une am-
nistíe générale, q ui fut aussitot accordée par
acclamation. Lesueux assemblées des électeurs
et des représentants se montrerent égalcment
empressées; le!'> élccteurs décr(ótcrent l'amlli!'>-
tie générale, le!'> repr<,scntants de la commllnc




ASSEMBLÉE CONSTITUA NTE. (1789)' 1 2~
ordonnerent la liberté de Besenval. Necker se
retira eni vré, prenantt ponr lui les applaudís-
sements qui s'adressaient asa disgrace. Mais,
des ce jour , il allait etre détrompé : Mirabean
luí préparait un cruel réveil. Dans l'assemblée,
dan s les distriets, un eri général s'éleva eon-
tre la sensibilíté du ministre, excusable, disait-
OH, mais égarée. I.e dístrict de l'Oratoirc, ex-
cité, a ce qU'Oll assure, par Mirabeau, fut le
premier a réclamer. On soutint de toutes parls
qu'un corps admillistratif ne pouvait ni COIl-
danmer ni absomlre. La mesure illégale de
l'Hotel-de-Ville fut révoquée, et la détenlÍon
du baron de Besenval mainlenue. Ainsi se vé-
rifiaít l'avis du sage Bailly, que Neckern'avait
pas voulu suivre. .


Dans ce JIlOmclIt, les partís commcllc;aient
a se pronoueer davantage. Les parlemcnts, la
noblesse, le clcrgé, la cour, menacés tons de
la meme ruine, avaient confondn leurs inté-
rets et agissaient de concert. II n'y avait plus
a la cour ni le eomtc d'Artois ni les Polignac.
Une sorte de consternation melée de désespoir
régnait dan s l'aristocratie. N'ayant pu empecher
ce qu'elle appelait le mal, elle désirait mainte-
nant que le peuple en commlt le plus possi-
ble, pour amener le bien par l' exces rneme de
ce mal. Ce systeme mélé de dépit et de per-


J. 9




130 RÉVOLUTION FRAN(.;US]·~.
fidie, qu'on appelle le pesslllllsme politique,
commence chez les p~tis des qu'ils ont fait
assez de pertes pour renoncer a ce qui leur
reste, dans l'espoir de tout recouvrer. L'aris-
tocratie se mit des-Iors a l'employer, et sou-
vent on la vit voter avec les membres les plus
violents du parti populaire.


Les circonstances font surgir les hommes.
Le péril de la noblesse avait fait naitre un dé-
fenseur pour elle. Le jeune Cazales, capitaine
dans.les dragons de la reine, avait trouvé en
lui une force d'esprit et une facilité d'expres-
sion inattendues. Précis et simple, il disait
promptement et convenablement ce qu'il fal-
lait dire; et OH doit regretter que son esprit
si juste ait été consacré a une cause qui n'a en
quelques raisons a faire- valoir qn'apres avoir
été persécntée. Le clergé avait trouvé son dé-
fensenr dans l'abbé Maury. Cet abbé, sophiste
exercé et inépuisable, avait des saillies heu-
reuses et beaucoup de sang-froid; il savait ré-
sister courageusement au tumulte, et audacieu-
sement a l'évidence. Tels étaicnt les moyens et .
les dispositions de l'aristocratie.


Le ministere était sans vues et sans projets.
Necker, ha! de la cour, qui le souffrait par
obligation, N ecker seul avait non un plan, mais
un voou. Il avait toujours désiré la constitu-




ASSl<~l\[nLÉE CONSTITUANTE (I7R~)), 13.
t iOH :mglaise, la meillellre saos Joute qll' on
piJt adopter, comme accommodement entl'f~
le trone, l'aristocratie et le peuple; mais ectte
constitution, proposée par l'éveque de .Lan-
gres avant l'établissement d'ime seul~ .assem-
blée, et refllsée par les premiers ordres~ était
uevenue impossible. La haute noblesse ne vou-
lait pas des denx ehambres, paree que e'était
une traosaetion; la' petite Iloblesse, paree
qu'elle ne pouvait entrer dans la chambre-
haute; le parti populaire, paree que, tout ef-
frayé encore de l'aristocl'atíe, il ne voulait lui
laisser . aUCU'ile inflnence. Ql1elques députés
senlement, les unsparmodération, lesautres
paree que cette idée lem était prúpre ,dési-
raient: les institutions anglaiscs, et formaient
tout le partí dll ministre, partí faible, paree
qu'il n'ofTrait que des'vucs coneilíatoires a des
passions irritécs, et qu'il n'opposaita ses adver-
saires que des raisonnements ét aueun moyen
d'action.


Le partí popn!aire commen<;ait a se diviser,
paree qu'iJ e()mmen~~áit a vainere, Lally-Tolen-
dal, Moun1cr, Mallouet et les autres partisans
de Necker approuvaient tont ee qui s'était fait
jusquc ·la, paree que tout ce q ili s' était fait
avait amené le gouvernement· a leurs idées,
c'<'st-:1-dirc a la eousÜtutiuu angbise. Maillte-
~) ,




132 RÉVOLUTION FRAN(,jAISJ.:.


nant ils jugeaient que c'était assez; réconciliés
avec le pouvoir, ils voulaient s'arreter. Le
parti populaire ne croyait pas au contraire de-
voir s'arreter encore. C'était dans le club Bre-
ton .... qu'il s'agitait avec le plus de véhémence.
Une co~viction sincere était le mobile GU plus
grand nombre de ses..me.mbrcs; des préten-
tions personnelles commen<;aient néanmoins
a s'y montrer, et déjil les mOllvements de I'in-
téret individuel succédaient aux premiers élans
dl] patriotisme. Barnave, jenne avocat de Gre-
noble, doué d'un esprit clair, facile, et possé-
dant au plus hallt degré le talent de bien dire,
formalt avec les deux Lameth un triumvirat
qui intéressait par sa jeunesse, et qui bientot
¡nflua par son activité eL ses talents. Duport,
ce jeune conseiJier au parleme~t, qu'on a déja
vu figurer, faisait partie de leur association. 011
disait alors que Duport pensait tont ce qn'il
fallait faire, que Barnave le disait, et qne les
Lameth l'exécutaiellt. Cepelldant ces jeunes dé-
putés étaient amis entre eux, sans etre encore
ennemis prononcés dt~ personne.


Le plus audaciellx des chefs populaires,
celui qui, toujollrs en avant, ouvrait les déli-


.. Ce club s'était formé dans les derniers jours de juin.
Il s'appela plus tard Société des arnis de la Constitution.




ASSElIIBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 133
bérations les plus hardies, était Mirabeau. Les
absurdes institutions de la vieille monarehie
avaient blessé des esprits justes et indigné des
cceurs droits; mais illl'éta1t pas possible qu'elles
n'eussent froissé quelque ame ardente et irrité
de grandes passions. Cette ame fut eeHe de
Mirabeau, qui, rencontrallt des sa naissance
tous les despotismes, celui de son pere, du
gouvernement et des tribunaux, employa sa
jeullesse a les combattre et a les hall'. II était
né sous le soleil de la Provence, et issu d'une
famille noble. De bonne heure il s'était fait
eonnaltre par ses désordres, ses querelles et
une éloquenee emportée. Ses voyages, ses ob-
servations, ses immenses leetures lui avaient
tout appris, et il avait tOllt retenu. Mais outré,
bizarre, sophiste meme quand il n'était pas
soutenu par la passion, il dcvenait tont autre
par elle. Promptement excité par la tribulle et
la présence de ses contradieteurs, son esprit
s'enflammait : d'abord ses prenneres vues
étaient cOllfuses, ses paro les entrecoupées, ses
ehairs palpitantes, mais bientot venait la lu-
miere; alors son esprit faisait en un jllst~nt le
travail des années; et á la tribllue meme, tout
était pour lui déeouverte, expression vive et
souuaille. Contrarié de llonveau, il revenait
plus pressallt et plus c1air, et présentait la




134 RÉVOLUTlON FRAN~AIS]"
vérité en images frappantes ou terribles. Les
circonstances étaient-elles difficiles, les esprits
fatigués d'une ¡ongue discussion, ou intimidés
par le danger, un cri, un mot décisif s'échap-
paít de sa bouche, sa tete se montrait ef-
frayante de laideur et de génie, et l'assemblée
éclairée ou raffermie rcndait des lois, ou pre-
nait des résolutions magnanimes.


Fiel' de ses hautes qualités, s'égayant de ses
vices, tour a tour altíer ou ,souple, iI sédnisait
les uns par ses flatteries, intimidait les antres
par ses sareasmes, et les conduisait tOllS a sa
suite par uue singulíerc puissance d'cntraine-
mento Son parti était partout, dans le pCl!ple,
dans l'assemblée, dans la cour meme ~ dans
tons ceux enfín auxqllcls il s'adressa[t e!aus le
momento Se nielant 1:1milierement avec les
hommes, juste quand iI fallait l'etre, iL avait
applaudi au talent naissant de Barnave, quoi-
qu'il n'aimat pas ses jeunes amis; iI appréciait
l'esprit profone! de Sieyes, et caressait son hu-
meur sauvage; iI redoutait dans Lafayette une
vie trop pure ; ii détestait dans Necker un rigo-
risme extréme, une raison ol'guellleuse, et la
prétention de gouverncr une révolution qu'il
savait luí appartcnir. Il aimait pea le .dllc
d'Orléans et son alllbition incertaine; (~t,
comme on le verra bientüt, il 11'('ut jamais




ASSElUBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 135
avec lui aucun intérth commun. Seul ainsi avec
son génie , il attaquait le despotis~e qu'il avait
juré de détruire. Cependant, s'il ne voulait pas
les vanités de la monarchie, íl voulait encore
moins de l' ostracisme des répubIiques; mais
n'étant pas assez vengé des grands et du pou-
voir, iI continuait de détruire. D'ailleurs, dé-
voré de besoins, mécontent du présent, il s'a-
vanc;;ai,t vers un avenir inconnu, faisant tout
supposer de ses talents, de son ambition , de
ses vices, du mauvais état de sa fortune, el
autorisant, par le cynisme de ses propos, tous
les soupc;;ons et toutes les calomnies.


Ainsi se divisaient la Franee et les partis. Les
premiers différends entre les députés popu-
laires eurent líeu á l'occasion des exces de la
muItitude. Mounier et Lally-Tolendal voulaient
une proclamation solenuelle au peuple, pour
improuver ses exceso L'assemblée, sentant l'inu-
tilité de ce moyen et la nécessité de ne pas in-
disposer la multitude qui l'avait soutenue, s'y
refusa d'abord; mais, cédant ensuite aux ins-
tances de quclques-uns de ses membres, elle
flnít par faire ulle proclamation qui, comme
elle l'avait prévu, fnt tOllt-a-faíl inutile, car
on ne calme pas avec des paro les un peuple
soulevé.


L'agitatioll était universelle. Une terreur




136 RlÍVOLUTION FRANQAlSE.
subíte s' était répandue. Le Ilom de ces brigands
qn'on avait vus apparaitre dans les di verses
émeutes était dans tontes les bouches, leur
image dans tous les esprits. La conr repro-
chait leurs ravages an parti populaire, le parti
populaire a la cour. Tout-a-coup des courriers
se répandent, et, tl'aversant la France en tous
sens, annoncent que les brigands arriventet
qu'ils coupent les moissons avant leur matu-
rité. On se réllnit de toutes parts, et en quel-
ques jours la Fmnce entiere est en armes,
attendant les brigands qui n'arrivent pas. Ce
stratageme ~ qui rendit universelle la révolu-
tion dll 14 juillet, en provoquant l'armement
de la natioll, fut attribué alors a lous les partís,
et depuis il a été snrtollt imputé au partí po-
pulaire qui en a recueilli les résllltats. II est
étonnant qu'on se soit ainsi rejeté la respon-
sabilité d'lln stratageme plus illgénieux que
coupable. On l'a mis sur le compte de Mirabeau,
qlli se fUt applalldi d'en etre l'allteur, et qui
l'a pomtant désavoué. Il était assez dans le
caractere de l'esprit de Sieyes, et quelques-ulls
ont crll que ce dernÍer l'avait suggéré an cluc
d'Odéans. D'autres enfin en ont accusé la COlll'
Jls Ollt peusé que ces courriers eusseut ét{·
arrelés a chaqlle pas, sans l'aveu du gOUV(T-
llement; que la cour, n'ayant jamais crll la




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789). 137
révolution générale, et la regardant comme
une simple émeute des Parisiens, avait vOllln
armer les provinces pomo les opposer a París.
Quoi qu'il en soit, ce moyen tonrna au profit
de la nation , qu'il mit en armes et en état de
veiller a sa sureté et a ses droits.


Le peuple des villes avait sccoué ses entra-
ves, le peuple des campagnes voulait aussi
s.ecouer les siennes. Il refusait de payer les
droits féodaux; iI poursuivit ceux des seigneul's
qui l'avaient opprimé; il incendiait les cha-
teaux, brulait les titres de propriété, et se Ji-
vrait dans quelques pays a des vengeances
atroces. Un accident déplorable avait snrtout
excité eette effervescence universelle. Un sieur
de Mesmai, seigneur de Quincey, donnait une
fete autour de son chateau. Tout le peuple
des campagnes y était rassemblé, et se livrait
a la joie, lorsqu'nn baril de pOlldre s'enflam-
mant tont - a- eoup produísit une explosion
meurtriere. Cet accident, reCOUllU depuis pOllr
un effet de l'imprutlence, et non de la trahi-
son, fut imputé a crime au sienr de Mesmai. Le
bruit s'en répalldit bientot, et provoqua par-
tout les cruautés de ces paysans, endurcis par
une vie misérable, et rendus féroces par de
longues souffrallces. Les ministres vinrent eu
corps faire it l'assemblée un tablean de l'état




138 nÉVOLUTION FRAN9AISE.
déplol'able de la Franee, et lui demander 1('5
moyens de rétablir l'ordre. Ces désastres de
tout genre s'étaient manifestés depuis le 14 juil-
let. Le mois d'aoút eommew:;ait, et il devenait
indispensable de rétablir l'action du gouverne-
ment et des lois. Mais pour le ten ter avee suc-
ces, il fallait commencer la régénération de
l'état par la réforme des institutions qui bies-
saient le plus vivement le peuple, et le dispo-
s.ent davantage a se soulever. Une partie de
la nation, soumise a l'autre, supportait une
foule de droits appelés féodaux. Les uns, qua-
lifiés utiles, obligeaient les paysans a des rede-
vanees ruineuses; les autres, qualifiés honori-
fiques, les soumettaient envers leurs seigneurs
h des respects et a .des serviees humiliants.
C'étaient la des restes de la barbarie féodale,
dont l'abolition était due a l'humanité. Ces
priviléges, regardés eomme des propriétés,
appelés meme de ee nom par le roí, dans la
déclaration du 23 juin , ne pouvaient etre abolís
par une discussion. Il fallait, par un mau ve-
ment subit et inspiré, exciter les possesseurs
a s'en dépouiller eux-mcmes.


L'assemblée discutait alors la fameuse décla-·
ralÍon des droits de J'homme. On avait d'abanl
agité s'il en serait fait une, et on avait décidé,
le 4 (tOttt au matin, qu' elle sel'ait faite el placée




ASSEMBLJ.:E CONSTITUANTE (10;89). 139
en tete de la constitution. Dans la soirée <Iu
meme jour, le comité fit son rapport sur les
troubles et les moyens de les faire cesser. Le
vicomte de N oailles et le duc d' Aiguillon, tous
deux membres de la noblesse, montent alors
a la tribune, et représentent que c'est peu
d'employer la force pour ramener le peuple,
qn'il faut détruire la cause de ses manx, et que
l'agitation qlli en est la suite sera aussitot cal-
mée. S'expliquant cnfin plus clairement, ils pro-
posent d'abolir tous les droits vexatoires qui,
sous le titre de droits féodaux, écrasent les
campagnes. M. Leguen de Kerengal, proprié-
taire dans la Bretagne, se présente a la tribune,
en habit de cultivateur, et fait un tablean ef-
frayant dn r(~gime féodal. Aussitot la généro-
sité excitée chcz les UIlS, l'orgueil engagé chez
les autres, amenent un désintéressement subit;
chacun s'élance a la tribllne pour abdiquer ses
priviléges. La noblesse dorme le premier exem-
pIe; le clergé, non moins empre~sé, se hate de
le suivre. Une es pece d'ivresse s'empare de
l'assembIée; mettant de coté une discussjon
superflue, et qui n'était ccrtainement pas né-
cessaire pour démontrer la justice de pareils
sacrifices, tous les ordres, toutes les c1asses ~
tous les possesseurs de prérogatives quelcon-
qlles, se I!clLCllt de faire aussi leurs renoncia-




Il~o RÉVOLUTION FRAN<,;AIS¡':.
tions. Apres les députés des premiers ordres,
ceux des communes viennent a leur tour faire
leurs offrandes. Ne pouvant immoler des pri-
viléges personnels, ils offrent ceux des pro-
vinces et des viII es. L'égalité des droits, réta-
blie entre les indívidus, ¡'est ainsi entr6 toutes
les parties du territoil"e. Ql1elques-uns appor-
tent des pcnsions, et un membl"c du parlement,
n'ayaIlt rien a donner, promet son dévoue-
ment a la chose publique. Les marches du
bureau sont cOllvertes de députés qui vien-
ncnt déposer l'acte de leur renonciation; OH
se contellte pour le moment d'énumérer les
sacrifices, et on remet an jour suivant la ré-
daction des articles. L'entralnement était géné-
ral, mais au milieu de cet enthousias~e il était
facile d'apercevoir que certains privilégiés peu
sinceres voulaient pousser les dIOses au pire.
Tout était a craindre de l'effet de la nuit et
de l'impulsion dOllnée, lorsque Lally-Tolendal,
apercevant le danger, fait passer un billet au
président. « Il faut tout redouter, lui dit-il, de
l'entralnement de l'assemblée: levez la séance.»
Au mcme instant, un député s'élance vers lui,
et, lui serrant la main avec émotion, luí dit :
« Livrez-nous la sanctíon royal e , et nous som-
mes amis. J) Lally -Tolendal ,sentant alor5 le
besoin de rattacher la révolution au roi, pro-




ASS:EMl!LÉ.E CONSTITUANTE (I7S9). 141
pose de le proclamer restaurateur de la liberté
franc;aise. La proposition est accueillie ave e
enthousiasme; un Te Deum est décrété, et 00
se sépare enfin vers le milieu de la nuit.


On avait arreté pendant cette nuit mémo-
rabie:


L'abolition de la qualité de serf;
J~a faculté de rcmbourser les droits seigneu-


rIaux;
L'abolition Qes juridictions seigoeuriales ;
La suppression des droits excluslfs de chasse,


de colombiers, de garenne, etc.;
Le rachat de la dime;
L'égalité des impots;
L'admission de tous les citoyens aux emplois


civils et militaires ;
Vabolition de la vénalíté des offices ;
La destructioll de tous les priviléges de vil/es


et de provinces ;
L¡t réfo,mation des jurandes;


, Et la suppression des pensions obtenues sallS
litres.


Ces résolutions avaient été arretées sous
forme générale, mais il restait a les rédiger
en décrets; et e' est alors que, le premier élan
de générosité étant passé, chacun étaut rendu
a ses penchants, les uns devaient chercher a
étendl'e, les auires a resserrer les concessions




142. RÉVOLUTION FHAN«AISE.


obtenues. La discussÍon devint vive, et lIne
résistance tardive et mal entendue fit évanouir
toute reconnaissance.


L'abolition des droits féodaux avait été con-
venue, mais il fallait distínguer, entre ces droits,
lesquels seraient abolís ou rache tés. En abor-
dant jadis le territoire, les conquérants, pre-
miers auteurs de la noblesse, avaient imposé
aux hommes des services, et aux tenes des
tributs. lIs avaient meme occupé une paitie
<Iu sol, el ne l'avaient que successivement res-
titué aux cultivateurs, moyenllant des rentes,
perpétuelles. Une longue possession, suivic de
transmissions nombreuses, constituant la pro-
priété, toutes les charges imposées aux hommes
et aux terres en avaient acquis le cal'actcre.
L'assemblée constitllante était done rédllite ;t
attaquer les propriétés. Dans cette situation,
ce n'était pas comme plus un moins bie'Mac-
quises, mais comme plus ou moins· ónéreuses
a la société, qu'elle avait a les jllger. Elle abo-
lit les services persQnnels; et plusienrs de ces
services ayant été changés en redevances, elle
abolit ces redevances. Parmi les tributs impo-
sés aux ten'es, elle supprima ceux qllí étaient
évidemment le reste de la servitude, comme
le droit imposé sur les transmissions; ct ene
déclara rachetaoles tOlltes les rentes perpé-




ASSElIlBLÉE CONSTITlJ ANTE (1789)' 143
tuelles, qui étaient le prix auquel la noblesse
avait jadis cédé aux cultivateurs une partie du
territoire. Rien n'est done plus absurde que
d'accuser l'assemblée constituante d'avoir violé
les propriétés, puisque tont l'était devenn; et
il est étrange que la noblesse, les ayant si
long-temps violées, soit en exigeant des tri-
buts, soit en ne payant pas les impots, se mon-
trat tout-a-coup si rigoureuse sur les prin-
cípes, quand iI s'agissait de ses prérogatives.
Les justices seigneuriales furent aussi appelées
-propriétés, puisque depnis des siecles elles
étaient transmises en héritage; mais 1'assem-
blée ne s'en laissa pas imposer par ce titre, et
les abolit, en ordonnant cependant qu'elles
fussent maintenues jusqu'a ce qu'on eút pourvn
a leur remplacement.


Le droit exclusif de chasse fut aussi un ob-
,jet de vives disputes. Malgré la vaine objec-
tion que bientot toute la population serait en
armes, si le droit de chasse était aecordé,
il fut rendu a chacun dans l'étendue de ses
champs. Les colombiers privilégiés furent éga-
lement défendus. L'assemblée déeida que cha-,
cun pourrait en avoir, mais qu'a l'époque des
moissons les pigeons pourraient etre tués,
eomme le gibier ordinaire, sur le territoire
qu'ils iraient parcourir. Toutes les capitaineries




) ti tI RÉVOLUTION FRAN~.\lSJ'.
furent abolies, et OH ajouta cependant qu'il
serait pourvu aux plaisirs persannels rtu roi,
par des moyens compatibles avec la liberté et
la propriété.


Un article excita surtaut de violents débats,
a cause des questions ,plus importantes dont iI
était le prélude, et des intéréts qu'iI attaquait;
e'est celui des dimes. Dans la Huit du 4 aoUt,
l'assemblée avait déclaré les dimes rachetables.
An moment de la rédaction, elle voulut les
abolir sans rachat, en ayant soin d'ajollter qll'il
serait pOllrvu par l'état a l'entretien du clergé.
Sans doute iI y avait un défallt de forme dans
eette décision, cal' c'était revenir sur une ré-
solution déja prise. Mais Garat répolldit a cette
objectioll, que c'était la un véritable rachat,
puisqll'au líeu dil conttibuablc e'était l'état qui
rachetait la dime, en se chargeant de pourvoir
aux hesoins du clergé. L'abbé Sieyes, qu'on
fut étonné de voir parmi les défenseurs de la
dime, et qu'on He jllgea pas défenseur désin-
téressé de cet impot, convint, en effet, que
l'état rachetait véritablement la dime, mais
qu'il faisait un vol a la masse de la nation, en
lui faisant supporter une elette qui ne devait
peser que sur les propriétaires fonciers. Cette
objection, présentée d'une maniere tranchaIlte,
fut accompagnée de ce mot si amer et depuis




ASSR!\IBLÉE CONSTITlTANTE (1789)' 145
SOlIvent ,'épété : « Vous voulez etre libres,
et vous ne savez pas etre justes. )) Quoique
Sieyes ne crut pas qu'il fut possible de répondre
a cette objection, ]a réponse était facile. La
<lette du culte est celle de tous; convient-i] de
la faire supporter aux propriétaires fonciel's,
plutot qu'h l'universalité des contribuables,
e'est a l'état a en juger. IlBe vole personne
en [aisant de l'impot la répartition qll'il juge
la pllls eonvenable. La dime, en écrasant les
pctits propl'iétail'es, détruisait l'agriclllture;
l'état devait done déplacer eet impot; c'est ee
que Mirabean prouva ave e la c1erniere évi-
denee. l .. e clergé, qni préférait la dIme, paree
qll'il prévoyait bien que le salaire acljugé par
l'état serait mesuré sur ses vrais besoins, se
prétendit propriétaire de ]a dime par des con-
eessions immémorialcs; il renouvela cette rai-
son si répétée de la longue possession qui ne
pronve rien, cal' tOllt, jusqu'a la tyrannie,
serait légitimó par la possession. On lui répon-
dit que la dime n'était qu'un usufruit, qu'elle
n'était point transmissible, et n'avait pas les
principaux earaetéres ele ]a propriété; qu'elle
était évidemment un impot établi en sa favenr,
et que cet impot, l'état se ehargeait de le
changer en un atltre. L'orgueil du c1ergé fut
I'évoll<~ de ¡'idée de recevoir un salaire, il s'eu


l. 10




146 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
plaignit avcc violen ce ; et Mirabeau, qui ex-
cellait a lancer des traíts décisifs de raison et
d'ironie, répondit aux interrupteurs qu'il n~'
conllaissait que trois moyens d'exister dans la ~
société : etre ou voleur, Oll mendiant, on sa-
larié. Le clcrgé sentit qn'il lui convenait dJa_
bandonner ce qu'il ne pouvait plus défendre.
Les curés surtont, sachan t qu'ils avaient tout
a gagner de l'esprit de justice qui régnait dan s
l'assemblée, et que c'était l'opulence des pré-
lats qu'on voulait particulieremcnt attaqner,
furent des premiers a se désister. L'abolition
entiere des dimes fut done décrétée, S011S la
condition que l'état se chargerait des frais du
culte, mais qu'en attendant la dime contiuue-
rait d'etre peI'<;iue. Cetle derniere clause pleine
<1' égards devint, il est vrai, inutile. Le peuple
ne voulut plus payer, mais il ne le voulait déjil.
plus, meme avant le décret; et qlland l'assem-
blée abolít le régime féodal, il était déjil ren-
versé de fait. Le 13 aout, tous les articles
furent présentés an monarque, qui accepta le
titre de restaurateUl' de la liberté fran<;aise, et
assista an Te Deum, ayant a sa droite le pré-
sident, et a sa suite tous les députés.


Ainsi fut consommée la pllls importante ré-
forme de la révolution. L'assemblée avait mon-
tré autallt de force que de mesure. Malheureu-




ASSElHBL':;E CONSTITUANTE (1789). 1/17
sement uu peuple ne sait jamais rentrer avec
modératioll dans l'exercÍce de ses droits. Des
violcnces atroces furent commises dans tont le
royaume. Les chateaux continuerent el' etre in~
cendiés, les campagnes furent inondées par
des chassenrs, qui s'empressaicnt el'exercer des
droits si nouveanx ponr eux. Ils se répandirent
dans les champs naguere réservés aux plaisírs
de ]eurs sellls oppresseurs, et commirent d'af.
freuses dévastations. Toute usurpatíon a un
cruel retour, et celui qni usurpe devrait y son~
ger, du moins pour ses enfants, qui presque
toujours portent sa peine. De nombreux acci-
dents eurent lieu. Des le 7 du moÍs d'aout, les
ministres s'étaient de llouveau présentés a l'as~
semhlée pour luí faire un rapport sur l'état do
royaume. Le garde des sceaux avait dénoncé les
désordres alarmants qui avaient éclaté; N ecker
avait révélé le déplorable état des finan ces .


• L'assemblée re<{ut ce double message avec tris-
tesse, mais sans décollragement. Le 10, elle
rendit un décret sur la tranquillité publique,
par Jequel les municipalités étaient chargées
de veiller au maintien de l' ordre, en dissipant
tous les attroupemellts séditieux. Elles de-
vaiellt livrer les simples perturbateurs aux tri~
b.unal1x, mais emprisonner ceux qui avaient
répaudll des aJar'mes, allégné de Ümx ordres,


10.




148 REVOLUTION FRANt;:AISE.
ou excité des violences, et envoyer la procé-
dure a l'assemblée nationale, pour qu'on ptlt
remonter a la cause des troubles. Les milÍces
nationales et les troupes réglées étaient mises
a la disposition des lllunicipalités, et elles de_
vaient preter sermellt d't~trefideIes a la na-
tÍon, au roí et a la loi, etc. C' est ce serment
qui fut appelp depuis le serment civique.


Le rapport ele Neckel' sur les finallces fut
extremement alarmant. C'était le bespin des
sUDsides qui avait fait recollrÍr a une assemblée
llatiollale; cette assemblée a peine réunie était
entrée en lutte avec le pouvoir; et, ne songeant
qu'au Desoill pressant d'établir des gal'anties,
eHe avait négligé cdlli d'assurer les revenus de
l'état. Necker seul avait tout le soucí des finan-
ces. Tandis que Bailly , chargé des subsistaIlccs
de la ca pítale, était dans les plus crnelles au-
goÍsses, Necker, tourmcnté de besoins moins
pressants, mais bien plus étencllls, Necker, en-
fermé dans ses pénibles calculs, dévoré de
mille peines, s' efforc;ait de pourvoir a la dé-
tres se publique; et, tandis qu'il lle songeait
qu'a des questions financieres, il ne comprenait
pas que l'assemblée He songei'tt qu'a des ques-
tions politiqlles. Ncckel' et l'assemblée, préoc-
cupés chaclln de leur objet, n'en voyaient ÍJas
d'autres. Cepclldant, si les alarmes de Necker




,\SSEUBLÉE CONSTITUANTE (1780)' 1 ~9
étaient jllstifiées par la détresse actuelle, la
confiance de l'assemblée l'était par l'élévation
de ses vues. eette assemblée', embrassant la
Franee et son avenir, ne pouvait pas croire que
ce beau royaume, obéré un instant, fut a ja-
mais frappé d'indigence.


Necker, en entrant au ministere, en aoút
1788, ne trouva que 400 mille franes an trésor.
JI avait, a force de soins , pourvu an plus pres-
sant; et depnis, les circonstanees avaient aeeru
les besoins en diminuant les ressources. Il
avait faUn acheter des blés, les revendre au-
dessons dn prix caútant, faire des anmones
considérables, établir des travaux publies ponr
occuper les ouvriers. 11 était sorti dn trésor
ponr ce dcrnier objet, jusqn'a douze mille
franes par jour. En meme temps que les dé-
penses s'étaient augmentées, les reeettes avaient
baissé. La réduction dn prix du sel, le retard
des paiements, et SOllvent le reflls absolu d'ac-
qllitter des imp()ts, la eontrebande a force
armée, la destruction des barrieres, le pillage
meme des ·registres et le rnenrtre des eommis,
avaient anéanti une partic des rcvcnus. En
eonséqnence, Neeker demanda un cmprunt de
trente millions. La premiere impression fut si
vive, qu'on voulut vater l'empl'Uut par aeda-
matian; mais ce premier mouvement se calma




150 RÉVOLUTION FRAN~USE.
hientót. On témoigna de la répugnance pour
de nouveaux emprunts, et on commit une es-
pece de contradiction en invoquant les cahiers
auxquels on avait déja renoncé, et qui défen-
daient de consentir l'impót avant d'avoir fait
la constitution; on alla meme jusqu'a faire le
caleul des sommes re¡;;ues depuis l'année pré-
cédente, comme si on s'était défié du ministre.
Cependant la nécessité de pourvoir aux besoins
de l'état, fit adopter l'emprunt; rnais on chan-
gea le plan du ministre, et on réduisit l'intéret
a quatre et demi pour cent, par la fausse espé-
rance d'un patriotisme qui était dans la nation,
mais quí ne pouvait se trouver chez les pre-
teurs de profession, les seuls qui se livrent
ordinairement a ces sor tes de spéculations fi-
nancieres. Cette prerniere fante fut une de ceHes
que comrnettent ordinairernent les assemblées,
quand elles remplacent les vues immédiates
du ministre qui agit, par les vues générales de
douze cents esprits qui spéculent. Il fut facile
d'apercevoir aussi que l'esprit de la nation
cornmen¡;;ait déja a ne plus s'accommoder de
la timidité du ministre.


Apres ces soins indispensables donnés a la
tranquillité publique et aux fillances, on s'oc-
cupa de la déclaration des drolts. La premiere
idée en avait été fourníe par Lafayette, qui




ASSIDIllLÉE CUNSTlTlJANTE (171;9)' 15r
lui - meme l'avait empruntée aux Américains.
eette discussión, interrompue par la révolution
du 14 juillet; renouvelée au 1 er aout, inter-
rompue de nouveau par l'abolition dn régime
féodal, fut reprise et définitivement arretée
le 12 aoút. Cette idée avait quelque chose
d'imposant quí saisit l'assemblée. L' élan des
esprits les portait a tout ce quí avait de la
gralldeur; cet élari produísait 1em bonne foi,
leur courage, leurs bonnes et leurs mauvaises
résolutions. I1s saisirent done eette idée, et
voulurent la mettre a exécutioIL S'il de s'était
agi que d'énoncer quelql1es príncipes particu-
W~rement méconnús par l'autorité dont on ve-
nait de secoller le jOl1g, comme le vote de
I'impot, la liberté religieuse, la liberté de la
pr'esse, la responsabilité ministérielle, ríen
n'eút été plus facile. Ainsi avaient fait jadís
l' Amérique et l'Angleterre. La France aurait
pu exprimer eh qllelques maxímes nettes et
positíves les nOllveallx príncipes qu'elle Íin-
posait a son gOllvernement; mais la Franee,
rompaut avec le passé, et voulant remonter a
l'état de nature, dut aspirer a donner mie
déClaration complete de tous les droits de
l'homme et du citoyen. On parla d'abord de
la nécessíté et du danger d'une pareílle décla-
ratioll. On discuta beaucollp et inutileinellt




152 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
sur ce sujet, car il n'y avait ni utilité ni danger
a faire une déclaration composée de formules
auxquelles le peuple ne comprenait rien; elle
n'était quelque ehose que pour un certain
nombre d'esprits philosophiques, qui ne pren-
nent pas une grande part aux séditions popu-
laires. Il fut enfin déeidé qu'elle serait faite et
plaeée en tete de l'aete constitutionnel. Mais
iI fallait la rédiger, et e'était la le plus difficile.
Qu' est-ee qu'un droít? e' est ce qui est dli aux
hommes. Or, tout le bien qu'on peut leur faire
leur est du; toute mesure sage de gouverne-
ment est done un droit. Aussi tous les projets
proposés renfermaicnt la définition de la loi,
la maniere dont elle doit se faire, le principe
de la souveraineté, etc. 011. objectait t¡ue ce
n'était pas la des droits, mais des maximes
générales. Cependant il importait d'exprime,'
ces maximes. Mjrabeau, impatienté, s'écria
enfin: « N'employez pas le mot de droits, mais
dités : Dans l'intéret de tous, iI a été déelaré ... ))
Néanmoins on préféra le titre plus Ím1)OS:lllt
de déclaration des droits, sous lequcl on eon-
fondít des maximes, des principes, des défi-
nitions. Du toul 011 composa la déclaratioll
célebre placée en tete de la eonstitutioll de 9I.
Au reste iI n'y avait la qU'Ull mal, celui de
perdre quelques séanccs a un licll COllllllUll




A~SEJ\lnLÜ CONSTITU ANTE (1789). 153
philosophique. Mais qui peut reprocher aux
esprits de s'enivrer de leur objet? Qui a le droit
de mépriser l!inévítable préoccupation des pre-
miers instants?


Il était temps de commencer enfin les tra-
vaux de la constitlltion. La fatigue des préli-
minaires était générale, et déja on agitait hors
de l'assembléc les qllestions fondamentales. La
eonstitütion anglaise était le modele qui s'offrait
naturellement a beaucoup d'esprits, puisqu'elle
étaít la transaetion intervenue en Angleterrc,
a la suite d'un débat semblable, entre le roi,
l'arístocratie et le peuple. eette constítution
consistait essentiellement dans l'établissement
de dellx chambres et dans la sanction royale.
Les esprits dans leur premicr élan vont aux
jdées les plus simples: un peuple qui déclarc
sa volonté, un roí qui l'exécute, l~llr parais-
sait la seulc forme légitimc de gouvernement.
Donner a l'aristocratie une part égale a eeHe
de la nation , au moyen d'une chamhre haute;
conférer au roi le droit d'alll1uler la volont(~
natiollale, au moyen de la sé\nction , leur sem-
blait une absurdité. La nation veltl, le l'Oijáit:
les esprits ne sortaient pas de ces éléments
simples, et ils croyaient vonloir la monarchie,
paree qu'ils laissaient un roi commc exécuteur
des volontés nationalcs. La monarehie réelle,




154 ltÉVOLUTION FltAN9AISE.
telle qu'elle existe meme dans les états réputés
libres, est la domillatioll d'lln seul, a laquelle
on met des bornes au moyen <Iu 'concours na-
tional. La volonté dll prince y faít réellement
presque tont, et ceHe de la nation est rédüite
a empecher le mal, soit en disputant sur l'im-
pót, soit en conconrant pour un tiers a la loi.
Mais des l'instant que la natíon peut ordonner
tout ce qu'elle veut, sans que le roí puisse s·y
opposer par le velo, le roi n'est plus qu'un
magistrat. e'est alors la république lavec un
seul consul au lieti de plusieurs. Le gouverne-
ment de Pologne, quoiqu'il y eut un roi, ne
fut jamais nommé une monarchie, mais une
république; iI Y avait aussi un roi. a Lacédé-
moneo


La monarchie bien entendue exige done de
. grandes coneessions de la part des esprits. Mais
ce n'est pas apres une longue nullité, et dans
leur premíer enthollsiasme qu'ils sont disposés
a les faire. Aussi la république était dans les
opinions sans y etre Ilommée , et on était repu-
blicain sáns le croire.


On ne s'expliqua point nettement dans la
discussion : aussÍ, malgré le génie et le savoir
répandus dans l'assemblée, la question fut mal
traitée et peu entendue. Les partisans de la
constitution anglaise, Necker, ~I.ollnier, Lally,




A.SSElI'1BLÉE CONSTITUANTE (I 789)'
ne surcnt pas voir en qnoi devait eonsister la
monarehie; et quand ils l'auraient va, ils n'au-
raient pas osé dire nettement a l'assemblée que
la volonté nationale ne devait point etre tOllte-
puissante, et qll'elle devait ernpeeher plutot
qu'agir. Ils s'épuiserent a dire qu'il fallait que
le roi pilt arre ter les usurpations d'une assem-
hléc; que pour bien exéeuter la 10i, et l'exé-
euter volontiers, iI fallait qu'iI y eút coopéré;
et qu'erifin il devait exister des rapports entre
les pouvoirs exéeutif et législatif. Ces raisons
étaient mauvaises on tout au moins faibles. Il
était ridieule en effet, en reeonnaissant la sou-
veraineté nationale, de vouloir lui opposer la
volonté unique du roí ".


I1s défendaient mieux les deux chambres,
paree qu'en effet, meme dans une république,
iI y a de hautes classes qui doivent s'opposer
an monvement trop rapide des classes qui s'é-
levent, en défendant les institutions anciennes
contre les institutions nouvelles. Mais eette
chambre haute, plus indispensable encore que
la prérogative royal e , puisqu'il n'y a pas
d' exemple de république sans un sénat, était
plus repoussée que la sanction, paree qu'on
était plus irrité contre l'aristoeratie que contre


• Voyez la note 5 a la !in dll volume.




156 ntvoLUTION FRAN~AISE.
la royauté. La ehambre haute était impossible
alors, paree que personne n'en voulait : la
petite noblesse s'y opposait, parce qu'elle n'y
pouvait trouver place; les privilégiés désespé-
rés, paree qu'ils désiraicnt le pire en loutes
cllOses; le parti populaire, paree qu'il ne vou-
lait pas laisser a l'aristocratie un poste d'ou
elle dominerait la volonté nationale. Mounier-,
LalIy, Necker étaient presque sCllls a désirer
eette ehambre haute. Sieyes, par l'erreur d'un
esprit absolu, ne voulait ni des dcux cham-
bres ni de la sanction royale. II concevait la
société tout unie : selon lui la masse, san s
distinetioIl de c1asses, devait etre chargée de
vouloÍr, et le roi, eomme magistrat unique,
chargé d'exécutcr. Aussi était-il de bonne foÍ
quand iI disait que la mOllarchie OH la répu-
blique étaient la meme chose, puisque la dif-
férence n'était ponr lui que dans le nombre
des magistrats chargés de l'exécution. Le ca-
ractere cl'esprit de Sieyes était l'enchalllemellt,
c'est-a-dire, la liaison l'igoureuse de ses pro-
pres idées. Il s'entendait avec lui-n](~llle, mais
nc s'entendait ni avcc la nature des choses ni
avec les esprits cliffércnts du sien. Il les sub-
juguait par l' empire de ses maximcs absolucs,
mais les persuadait rarement; allssi, neO POll-
vant ni morceler ses systemes, ni les fúre




ASSKl\IBLIÍE tONSTl'rU ANTE (1789). 157
adopter en entier, iI devait bientót conccvoir
de l'bumeur. Mirabeau, esprit juste, prompt,
souple, n'était pas plus avancé en fait de science
politique que l'assemblée elle-meme; il re-
ponssait les cleux chambres, non point par
conviction, mais par la eonnaissance de leur
impossibilité aetuelle, et par haine de l'aristo-
eratíc. Il défendait la sanction par un penchant
monarchique; et iI s'y était engagé des l'OIL-
verture des états, en disant que, sans la sane-
tion, il aimerait mieux vivre a Constantinople
qu';j París. Barnave, Duport et Lameth ne pon-
vaient vouloir la meme ehose que Mirabeau.
I1s n'arlmettaient ni la chambre haute, ni la
sanctioIl royale; mais ils n'étaient pas aw;si
obstinés que Sieyes, et consentaient a modi-
fiel' leur opinion, en aceorclant an roi et a la
chambre haute un simple veto sllspensif, c'est-
a-dire, le pouvoir de s'opposer temporairemellt
a la volonté nationale, exprimée dans la cham-
bre basse.


Les premieres discussions s'engagerent le ·28
et le 29 aout. Le parti Barnave voulut traiter
avec Mounier, que son opinÍatreté faisait chef
du partí de la eonstitutíon auglaise. C'était le
plus inflexible qu'il fallait gagncr, et c'est a lui
qu'on s'adressa. Des conférences eurent lieu.
Quand on vit qu'il était impossible de challger




I 58 RÉVOLUTION FnAN~AISE.
un!') opinion devcnue en luí une habitud e d'es-
prit, on consentit alors a ces formes anglaises
qu'il chérissait tant, mais a cOIldition qu' en
opposant a la chambre populaire une chambre
haute et le roi, on ne donnerait allx deux
qU'llll veto suspensif, et qu'en Olltre le roi ne
pourraít pas dissolldre l'assemblée. Mounier fit
la réponse d'un homme convainCll : il dít que la
vérité ne lui appartenait pas, et qu'íl ne pouvait
en sacrifier une partíe pour sauver l'autre. 11
perdit ainsi les deux institlltions, en ne vou-
lant pas les modifier. Et s'il était vrai, ce qu'on
verra n't~tre pas, que la constitution de 9 T ,
par la suppression de la chambre haute, ruina
le trane, Mounier aurait de grands reproches
a se fairc. Mounier n'était pas passionné, mais
obstiné; il était aussi absolu dans son systcme
que Sieyes dans le sien, et préférait tOllt per-
dre pIutót que de céder quelque chose. Les
négociations furent rom pues avec humenr. On
avait menacé Mounier de París, de l'opinion
publique, et on partit, dit-il, pour allcr exer-
cer l'inflllence dont 011 l'avait menacé~.


Ces qllestions divisaient le peuplc comme
les représentants, et, sans les comprclldre, il
ne se passionnait pas rnoins pour elles. Ou les


• Voyez la note 6 ¡, la IIn du volllme.




ASSEJUllLíE CONSTlTUANn: (1789)' 159
avait toutes résumées sous le mot si court et
si expéditif de veto. On voulait, OH on ne VOll-
lait pas le veto, et cela signifiait qu' on vou-
lait ou qu'on ne voulait pas la tyrannie. Le
pcuple, sans meme entendre cela, prenait le
veto pour un ill1pot qll'il falIait abolir, Oll
pour un ennemi qu'il fallait pendre, et il VOll-
lait le mettre a la lanterne".
J~e Pdlais-Royal était surtout dans la plus


grande fermentation. La, se réllnissaient des
hOll1ll1es ardents, qui, ne pouvant pas mell1e
supporter les formes imposóes dans les districts,
montaient sur une chaise, prenaient la paroJe
sans la demander, étaient sifflés ou portés en
triomphe par un peuple immense, qui allait
exécuter ce qu'ils avaient pro posé. Camille
Desllloulius, déja nommé dans cette histoire,
s'y distinguait par la verve, l' originalité et le
cynisme de son esprit; et, sans etre cruel, iI
demandait des cruautés. OU y voyait encore
Saint-Hurllgue, ancien marquis, Jétenu long-
temps a la Bastille pour des différends de fa-
mille, et irrité contre l'autorité jusqu'a 1'alié-
natíon. La, chaque jour, ils répétaient tous


* Deux habitantstle la campagoe parlaient du veto.
« --Sais-tu ce que c'cst quc Icveto? dit hm.-Noo.-Eh
ce bicn, tu as too écucllc ramplie de soupe; le roí te dit:
" Rl~paods fa SOllpC, et il fant que tu la répandes. "




) 60 I1ÉVOL UTION Fl\AN~AJSE.
qll'il falluit aIler ~t Versailles, pOllr y demander
compte au roi et a l'assemblée de leur hési-
tation a faire le bien dll peuple. Lafayette avait
la plus grande peine a les contenir par des pa-
tl'ouilles continuelles. La garde llationale était
déja accusée d'ari5tocratie. « Il n'y avait pas,
disaít Desmoulins, de patrouille all Cérami-
que.» Déja meme le nom de Cromwell avait
été pronollcé a coté de celui de Lafayettc. Un
jour, le dímanche 30 aout, une motíon est
faite au Palais - Royal; Mounier y est accnsé,
Mirabeau y est présenté camme en dangcr, et
l'on propase d'aller a Versailles veiller sur les
jaurs de ce dernier. Mirabeau cependallt dé-
fendait la sanction, mais san s cesscr son r<'.tIc
de trihun populaire, sans le paraitrc moins
aux yCllx de la mllltitude. Sn.illt-lTlIl'lIgue, ú la
tete de q llelqlles exal tés, se porte sur la roule
de Vcrsaílles. Ils veulellt, disen1-iI5, engager
l'assemhlée ú cassel' ses iníideles représellt:mts
pOllr en normner d'autres, et supplier le roi
et le daupbin de venir a Paris se mett['f~ en
si'treté au milieu <lu peuple. Lafayette aCCollrt,
les arrete et les oblige de rebrousser chernin.
Le lendemaill ¡unlli 3" ils se réllnissent de
nouveau. lIs fout une adresse a la commUIlC,
dans laquel1e ils demandent la convocation des
districts pour impl'OlIVE'r le veto et les députés




ASSEJ\IBL.Él<: CONSTlTUANTE (1789). 1 () 1
qui le soutiennent, pour les révoquer el en
nommcr d'autres a Ieur place. La comrnllne
les repousse ueux foís avec la plus grande
fermeté.


Pendant ce temps l'agitatíon régnait dans
l'assemblée. Les mécontents avaient écrit aux
prillcipaux députés -des leUres pleines de me-
naces el d'jnvectives; l'une d' elles était sigriée
du llom de Saínt -Hurugue. Le lundí 31, ;l1'OU-
verture de la séance, Lally dénon<;a une dépu-
tation qn'il avait re<;ue du Palais-Royal. CeHe
députation l'avait engagé a se séparer des mau-
vais citoyens qui défendaient le veto, et elle
avait ajouté qu'une armée de vingt mille hom-
mes était prete a marcher. Mounier lut aussi
des ¡ettres qu'il avait re<;ues de son coté, pro-
posa de poursuivre les alltellrs secrets de ces
machinations, et pressa l'assemblée <1'offrj[·
cinq cent mille franes a celui qlli les dénonce-
rait. La lutte fut tumultueuse. Duport soutillt
qu'il n'était pas de la dignité de l'assemblée
de S'occllper de pareils détails. Mirabeau lut
des lettres qui luí étaient aussi adressées, el
dans lesqnelles les eunemis de la cause popu-
laire ne le traitaient pas mieux que Mounier.
L'assemblée passa a l'ordre d11 jour, et Saínt-
TI urugue, signataire de l'une des leUres dé-
lloncées, [ut enfermé var (irdre de la commune.


I


1. I r




162 RÉVOLUTION FRAN 9AISE.


On discutait a la fois les trois questions de
la permanenee des assemblées, des deux cham-
bres, et du veto. La permanenee fut votée a
la presque unanimité. On avait trop souffert
de la longue interruption des assemblées na-
tionales, pour ue pas les remIre permanentes.
On passa ensuite a la grande question de l'u-
nité du corps législatif. Les tribunes étaient
occupées par un publie nombreux et bruyant.
Beaucoup de députés se retiraient. Le prési-
dent, qui était alors l'éveque de Langres, s'ef-
force en vain de les retenir; ils sortent en
grand nombre. De toutes parts on demande a
grands cris d'aller aux voix. Lally réclame
encore une fois la parole : on la lui refuse,
en aecusant le présidcnt de l'avoir envoyé a la
tribune; un membre va meme jusqu'a deman-
der au président s'il n'est pas las de fatiguer
l'assemblée. Offensé de ces paroles, le prési-
dent quiUe le fauteuil, et la discussion est eu-
core remise. Le lendemain JO septembre, on
lit une adresse de la ville de Rennes, décla-
rant le veto inadmissible, et traltres a la pa-
trie ceux qui le voteraient. Mounier et les
siens s'irritent, et propasent de gourmander
la municipalité. Mirabeau répond que l'assem·
blée n'est pas chargée de donner des l~.t;ons a
des officiers municipaux, et qu'il faut passer


,




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1789). 163
a l'ordre du jour. La question des denx cham-
bres est enfin mise anx voix., et, au brnit des
applaudissements, l'unité -de l'assemblée est
décrétée. Qnatre cent quatre-vingt-dix-neuf
voix se déclarent ponr une chambre, quatre-
vingt-neuf ponr deux, cent vingt-deux voix
sont perdnes, par I'effet de la crainte inspirée
a beaucoup dcdéputés.


Enfin arrive la question dn veto. On avait
trouvé un terme moyen, celui du veto sus-
pensif, qui n'arretait que temporairement la
loi, pendant une on plusieurs législatures. On
considérait cela comme un appel au peuple,
paree que le roi, recourant a de nouvelles as-
semblées, et leur cédant si elles persistaient,
semblait en appeler réellement a I'autorité na-
tionale. l\follnier et les siens s'y opposerent;
ils avaient raison dans le systeme de la 1110-
narchie anglaise, on le roi consulte la repré-
sentation nationale, et n'obéit jamais; mais ils
avaient tort dan s la situation on ils s'étaient
placés. lis n'avaient voutu, disaient-ils , qu'em-
pecher une résolution précipitée. Or le veto
suspensif produisait cet eHet aussi bien que le
'veto absolu. Si la représentation persistait, la
volonté natiollale devenait manifeste; et, en
admcttant sa souveraineté, iI était ridicule de
lui résister indéfiniment.


JI.




164 ltÉVOLUTION FltANI}AISE.
Le ministere sentit en effet que le veto SIlS-


pensif proollisait matériellement l'effet du veto
absolll, et N ecker conseilla au roí de se don-
ner les avantages d'un sacrifice volontaire, en
adressant un mémoire a l'assembJée, dans le-
quel il demandait le veto suspensif. Le bruit
s'en répandit, et on connut d'avance le but et
l'esprit du mémoire. Il fut préserité le 11 sep-
tembre; chacun en connaissait le contcnll. I1
semble que MOllnier, soutenant l'intéret du
treme, aurait dli n'avoir pas d'autres VHes que
le treme lui-meme; mais les partis ont bientot
un intéret oistinct oe ceux qu'ils servent.
Moullier repoussa cette commnnication, en
disant que, si le roi renont,;ait a une préroga-
tive utile a la nation, on devait la lui dOIlner
malgré lui et dans l'intéret publico Les roles
furent renversés, et les adversaires du roi son-
tinrent ici son illtervention; mais leur effort
fut inutile, et le mémoire fut durement re-
poussé. On s'expliqna de nouveau sur le mol
sanction, 011 agita la questio11 de savoir si elle
serait nécessaire pour la constitution. Apres
avoir spécifié que le ponvoir constitnant était
supérieur aux pouvoirs constitnés, iI fut éta-
bli que la sanctioll ne pourrait s'exercer que
sur les actes législatifs, mais point du tont sur
les actes COIlstitlltifs, f't que les derniers nc sc-




ASSEl\lBLÉE CONSTlTUANT]; (1789). 165
raient que promulgués. Six cent soixante-treize
voix se déclarerent pour le veto suspensif,
trois cent vingt-cinq ponr le veto abso]u.
Ainsi furent résolus les articles fondamen-
taux de la IJouvelle eonstitution. Mouníer et
Lally-Tolendal donnerent aussítót leur démis-
sion de membres du comité de constitution.


On avait porté jusqu'ici une fonle de dé-
crets sans jamais en offrir aucun a l'accepta-
tíon royale. Il fut résolu de présenter au roi
les articles du 4 aout. La question était de sa-
voir si on demanderait la sanctíuII ou la sim-
ple promulgation, en les considérant eomme
législatifs ou constitutifs. Maury et meme Lally-
Tolendal eurent la maladresse de soutenir
qu'ils élaient législatifs, et de requérir la sanc-
tíon, commc s'jls eussent attendu quclque ohs-
tade de la puissance royale. Mirabeau, avec
une rare justesse, soutint que les uns aholis-
saietlt le régime féodal et étaient éminemment
constitutifs; que les autres étaient une pure
munificence de la noblesse et Ju clergé, et
que sans doute le c1ergé et la noblesse Be
voulaient pas que le roi put révoquer lenrs
libéralités. Chapelier ajuuta qu'illle fallait pas
meme supposer le consentement du roi néces-
saire, puisqu'il les avait approuvés déja, eH
acceptant le titre de restaurateur de la liher'té




.66 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
fran~aise, et en assistant au Te Deum. En
conséquence on pria le roi de faire une sim-
ple promulgation ....


Un membre proposa tout-a-coup l'hérédité
de la couronne et l'inviolahilité de la per-
SOllne royale. L'assemblée, qui voulait since-
rement du roi comme son premier magistrat
héréditaire, vota ces deux articles par accla-
mation. On proposa l'inviolabilité de l'héritier
présomptif; mais le duc de Mortemart remar-
qua aussÍtót que les fils avaient quelquefois
essayé de détróner leur pere, et qu'iL fallait se
laisser le moyen de les frapper. Sur ce motif ,
la proposition fut rejetée. Le député Amoult,
a propos de l'article sur l'hérédité de maIe en
maje et de branche en branche, proposa de
confirmer les renonciations de la branche
d'Espagne, faítes dans le traité d'Utrecht. On
soutint qu'il n'y avait pas lieu a délibérer,
paree qu'il ne fallait pas s'aliéner un -allié
fidele; Mirabeau se rallgea de cet avis) et 1'as-
semblée passa a l'ordre du jour. Tout-a-coup
Mirabeau, pour faire une expérience qui a
été mal jugée, voulut ramener la question
qu'il avait contribué lui-meme a éloigner. La
maison d'Orléans se trouvait en concurrence


* Ces articles lui fUl'ent présentés le 20 septemhl'c.




ASSEl\IBLÉE CONSTITU A.NTE (J 789)' 167
avec la maison d'Espagne, oans le cas d'ex-
tinction de la branche régnante. Mirabeau
avait vú un grand acharnement a passer a
l'ordre du jour. Étranger ,au duc d'Orléans
quoique familier avec !tú, eomme il savait
l' etre avec tout le monde, iI voulait néanmoÍns
connaitre l' état des partis, et voÍr quels étaient.
les amis et les ennemis du dnc. La question
de la régence se présentait : en cas de mÍno-
rité, les freres du roi ne pouvaient pas etre
tuteurs de leur neveu, puisqu'ils étaient héri-
tiers du pupille royal, et par conséquent peu
intéressés a sa eonservation. La régence ap-
partenait done au plus proehe parent; e'était
ou la reine, ou le dne d'Orléans, ou la fa-
mille d'Espagne. Mirabeau propose done de
ne donner la régence qu'a un homme né en
Franee. (( La eonnaissanee, dit-il, que j'ai de
la géographie de l'assemblée, le point d' ou
sont partís les eris d'ordre du jour, me prou-
vent qu'il ne s'agit de rien moÍns ici que d'une
domination étrangere, et que la proposition
de ne pas délibérer, en apparence espagnole ,
est peut-etre une proposition autrichienne. »
Des cris s' élevent a ces mots; la discussion· re-
commence avec une violence extraordinaire;
tons les opposants demandent encore l'ordre
du jour. En vain Mirabeau leur répete-t-il a




168 RÉVOLUTION FRANC:AIS1,.
chaque instant qu'ils ne peuvent avoir qu'ulI
motif, celui d'amener en France une domÍna-
tion étrangere; ils ne répondent point, parce
qu'en effet ils préféreraient l'étranger au duc
d'Orléans. Enfin, apres une discussion de deux
jours, on déclara de nOllveau qn'il n'y avait
pas litm a délibérer. Mais Mirabean avait ob-
ten n ce qu'il vonlait, en voyant se dessiner
les partís. ectte tentative ne pouvait manquer
de le faire accuser, et il passa des-lors pOUI'
1In agent du parti c1'Orléans *.


Tout agitée encore de cette discussion,
l'assemblée re<{ut la réponse du roi aux ar-
tieles du 4 aout. Le roí en approllvait I'esprit,
!le donnait a quelques-uns qu'une' adhésion
conditionnelle, dan s l'espoir qu~on les modi-
fierait en les faisant exécuter; il renouvelait
sur la plupart les objectíons faite s dans la
discussion, et repollssées par l'assembIée. Mi-
rabeau reparllt encore a la tribune : ({ Nous
n'avons pas, dit-iI, examiné la supériorité dll
pouvoir constituant sur le pouvoir exéclltif;
nons avons en quelque sorte jeté un voile sur
ces questions (l'assemblée en effet avait expli-
qué en sa faveur la maniere dont elles de-
vaient etre entendues, sans rien décréter a cet


> Vo,vez la note 7 a la fin dll volume,




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1789). 169
égard); mais si ron combat notre puissancc
constituante, on lIOUS obligera a la déclarer.
Qu'on en agisse franchement et san s mau-
vaise foi. Nous convenons des difficultés de
l'exécution, mais nous ne l'exigeons pas. Ainsi
nous demandons l'abolition des offices, mais
en indiquant pour l'avenir le remboursement
et l'hypotheque du remboursement; nous dé-
clarons l'impot qui sert de salaire au clergé
destructif de l'.agriculture, mais en attendant
son remplacement nous ordonnons la percep-
tion de la dIme; nons abolissons les justices
seígneuriales, mais en les laíssant exister jus-
qu'a ce que d'autres tribunaux soient établis.
Il en est de meme des autres articles; ils ne
renferment tous que des principes qu'il faut
remIre irrévocables en les promulguant. D'ail-
leurs, fussent-ils mauvais, les imaginations
sont en possession de ces arretés, OIl ne peut
plus les leur refuser. Répétons ingénument
au roí ce que le fon de Philippe II disait a ce
prince si absolu : « Que ferais-tu, Philippe, si
« tont le monde disait oui quand tu dis non?))


L'assemblée ordonna de nouveau a son pré-
sident de retourner vers le roi, pour lui de-
mander sa promulgation. Le roi l'accorda, De
SOl} coté, l'assemblée délibérant sur la durée
du veto suspensif, l' étendit a deux législatures;




170 RÉVOLUTJON FIiAN9AISE.


mais elle eut le tort de laisser voir que c'était
en quelque sorte une récompense donnée a
Louis XVI, pour les concessions qu'il venait
de faire a l'opinion.


Tandis qu'au milieu des obstacles suscités
par la mauvaise volonté des privilégiés et par
les emportements populaires, l' assemblée pour-
suivait son but, d'autres embarras s'accumu-
]aient devant elle, et ses ennemis en triom-
phaient. Ils espéraient qu'elle serait arretée
par la détresse des finan ces , cQmme l'avait été
la cour elle-meme. Le premier emprunt de
trente millions n'avait pas réussi : un second
de quatre-vingts, ordonné sur une nouvelle
proposition de Necker *, n'avait pas eu un
résultat plus heureux. - Discutez, dit un jour
M. Degouy d'Arcy, laissez s'écouler les délais,
et a l' expiration des délais, nous ne serons
plus. . . .. Je vais vous apprendre des vérités
terribles. - A l'ordre, a l'ordre, s'écrient les
uns. - Non, non, parlez, répondent les au-
tres. - Un député se leve: Continuez, dit-¡I
a M. Degouy, répandez l'alarme et la terrellr 1
Eh bien! qu'en arrivera-t-il? nous donuerons
une partie de notre fortune, et tout sera fini.
- M. Degouy continue : Les eIllprunts que


,. Dét'l'et <.Iu 27 aout.




ASSE1UllLÉE CONSTITU ANTE (J 789). J 7 1
vous avez votés n'ont ríen fourni; il n'y a pas
dix millions au trésor. - A ces mots, on l' eu-
toure de nouveau, on le bhlme, on lui impose
silence. Le duc d'Aiguillon, président du co-
mité des finances, le dément en prouvant qu'il
devait y avoir vingt-deux millions dans les
caisses de l'état. Cependant on décrete que les
samedis et vendredis seront spécialement con-
sacrés aux finan ces.


Necker arrive enfin. Tout souffrant de ces
efforts continuels, il renouvelle ses éternelles
plaintes; il reproche a l'assemblée de n'avoir
rien fait pour les finances, apres cinq mois de
travail. Les deux cmprunts n'avaient pas réus-
si, paree que les troubles avaient détruit le
crédito Les capitaux se cachaient; c<:ux de l' é-
tranger n'avaient point paru dan s les emprunts
proposés. L'émigration, l'éloignement des voya-
geurs, avaient encore dimínué le numéraire;
et il n'en restait pas meme assez pour les besoins
journaliers. Le roi et la reine avaÍent été obli-
gés d'envoyer leur vaisselle a la monnaie. En
conséquence N ecker demande une contribution
du quart du revenu , assurant que ces moyens
lui paraissent suffisants. Un comité emploie
trois jours a examiner ce plan, et l'approuve
entierement. Mirabeau, ennemi connu du mi-
nistre, prend le premier la parole, pOUf en-




172 nÉvoLUTION FRAN~~AISE.
gager l'assemblée a consentir ce plan sans le
discuter. «N'ayant pas, dit-il, le temps de l'ap .
précier, elle ne doit pas se charger de la res-
ponsabilité de l'événement, en approuvant ou
en improuvant les moyens proposés. » D'apres
ce motif il cOllseille de voter de suite et de con-
fiance. L'assemblée entrainée adhere a cette
proposition, et ordonne a l\1irabeau de se re-
tirer pour rédiger le décret. Cependant I'en-
thousiasme se calme, les ennemis du ministre
prétendent trouver des ressources ou iI n'en a
pas vu. Ses amis au contraire attaquent M.ira-
beau, et se plaignent de ce qu'il a voulu l'écraser
de la responsabilité des événements. l\1irabeall
rentre et lit son décret. - Vous poignardez le
plan dn ministre, s'écrie M.. de Virieu. -Mira-
beau, qni ne savait jamais reculer sans répon-
dre, avoue fl'anchement ses motifs; il convient
qu'on le devine quand on a dit qu'il voulait
faire peser sur M.. Necker seulla responsabilité
des événements; il dit qu'il n'a point l'honnenr
d'etre son ami; mais que fUt-il son ami le plus
tendre, citoyen avant tont, il n'hésiterait pas
a le compromettre lui plutot que l'assemblée;
qu'il ne croit pas que le royaume fUt en péril
quand M. Necker se serait trompé, et qu'au
contraire le salut public serait tI'(~~s-compromís,
si l'assemblée avait peruu son crédit et manqué




ASSEiHJlLÉE CONSTJ1'UANTE (1789)'
ulle opération décisive. II propase ensuite une
adresse pour exciter le patriotisme national et
appuyer le projet du ministre.


On l'applaudit, mais an discute encore. On
faít mille propositions, et le temps s'écoule en
vaines subtilités. Fatigué de tant de contradic-
tious, frappé de l'urgence des besoins, il re-
monte UIle derniere foís a la tribune, s'en em-
pare, fixe de nouveau lá questian avec une ad-
mirable netteté, et montre l'impossibilité de se
soustraire a la nécessité du momento Son génie
s'enflammant alors, iI peint les horreurs de la
banqueroute; iI la présente comme un impot
désastreux qui, au lieu de peser légeremcnt sur
tous, ne pese que sur quelqlles-uns qu'elle
écrase; ¡Ila montre comme un gouffre OU l'on
précipite des victimes vivantes, et qui ne se re-
ferme pas meme apres les avoir dévorées, cal'
on n'en doit pas moins, meme apres avoir re-
fusé de payer. Remplissant enfinl'assemblée de
terreur: « L'autre jour, dit-il, a propos d'une
ridicule motion du Palais-Royal, OH s'est écrié;
Catilina est aux portes de Rome, et vous déli-
bérez! et certcs, il n'y avait ni Catiliua, ni péril,
ni Rome; et aujourd'hui la hideuse hanqueroute
est la, elle menace de consumer, vous, votre
11Onneur, vos fortunes, et vous délibérez *! »


* Sc.',:mc('s des 2/1 ct 2(, septembrc.




174 RÉVOLUTION FRANC,iAISE.
A ces mots, l'assemblée transporté e se leve


en poussant des cris d'enthousiasme. Undéputé
veut répondre; il s'avance, mais, effrayé de sa
tache, il demenre immobilc et sans voix. Alors
l'assemblée déclareqne,onl le rapport du comité,
elle adopte de confiance le plan du ministre des
finan ces. C'était la un bonhenr d'éloquence;
mais iI ne pouvait arriver qu'a celui qui avait
tout a la fois la raison et les passions oe
Mirabeau.




ASSJ<:MBLÉE CONSTlTUANTE (J 789)' 175


CHAPITRE IV.


Intrigues de la cour. - Repas des gardes-du-corps el des
officíers dll régiment de Flandre a Versaílles. - J our-
llées des 4, 5 et 6 octobre; seenes tumnltueuses et
sanglantes. Attaque du chatean de Versailles par la
multitude. - Le roí vient demeurer a París. - État
des partís. - Le duc d'Orléans quitte la Franee. -
Négociations de Mírabeau avec la cour. - L'assemblée
se transporte a París. - Loi sur les biens du c1ergé. -
Serment civique. - Traíté de Mirabeau avec la cour.
- Bonillé. - Affaire Favras. - Plans. contre-)'évoln-
tionllaires. - Clubs des Jacobins et des Feuillants.


T ANDIS que l'assemblée portait ainsi les mains
sur toutes les parties de l'édifice, de grands
événements se préparaient. Par la réunion des
ordres, la nation avait recouvré la toute-puis-
sanee législative et eonstituante. Par le 14juillet,
elle s'était armée pour soutenir ses représen-
tants. Ainsi le roi et l'aristocratie restaient isolés




176 RÉVOLUTION FRAN<,:AISE.
et désarmés, n'ayant plus pour eux que le sen-
timent de lenrs droits, que personne ne parta-
geait, et placés en présence d'une nation prete
a tout concevoir et a tout exécuter. La cour
cependant, retirée dans une petite ville uni-
quement peuplée de ses serviteurs, était en
quelque sorte hors de l'infJucnce poplllaire,
et pouvait meme ten ter un coup de maÍn sur
l'asscmblée. Il était naturel que París, situé a
quelques lieues de Versailles, Paris, capital e
du royaume, et séjour d'une immense mnlti-
tude, tendit a ramener le roi dan s son sein,
ponr le sonstraire a toute influence aristocra-
tique, et ponr recouvrer les avantages que la
présence de la cour et du gouveruement pro-
cure a une ville. Apres avoir réduit 1'auto-
rité du roi, iI ne restait plus qu'a s'assurer de
sa personne. Ainsi le vonlait le cours des évé-
nements, et de toutes parts OIl entendait ce
cri : Le roí a Paris! L'aristocratie ne songeait
plus a se défendre contre de nouvelles pertes.
Elle détlaignait trop ce qui lui restait pou~ s'oc-
cuper de le conserver; elle désirait done un
violent changement, tont eomme le parti popu-
laire. Une révolution est infaillible, quand deux
partís se rénnisscnt ponr la vouloir. Tous deux
contribnent a l'événement, et le plus fort pro-
fite dn résultat. Tandis qne les patriotps dési-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (17 89)' 177
raient conduire le roi a Paris, la cour méditait
de le conduire a Metz. La, dan s une place forte,
il eut ordonné ce qu'il eut voulu, ou, pour
mienx dire, tout ce qu'on aurait vouln pour
lui. Les courtisans formaient des plans, faisaient
courir des projets, cherchaient a enroler dn
monde, et, se livrant a de vaines espérances,
se trahissaient par d'imprudentes menaces.
D'Estaing, naguere si célebre a la tete de nos
escadres, commandait la garde nationale de
Versaillcs. 11 voulait etre fidele a la nation et a
la cour, role difficile, toujours calomnié, et
qu'une grande fermeté peut senle rendre hono-
rable. Il apprit les mené es des courtisans. Les
plus grands personnages étaient au nombre des
machinateurs; les témoins les plus dignes de
foi lui avaient été cités, et iI écrivit a la reine
une lettre tres-connue, ou iI lui parlait avec une
fermeté respectuense de l'inconvenance et du
danger de telles menées. Il ne déguisa rien et
nomma tout le monde 'f.. La Iettre fut sans
effet. En essayant de pareilIes entreprises, la
reine devait s'attendre a des remontrances, et
ne pas s'en étonner.


A la meme époque, une foule d'hommes
nouveaux parurent a Versailles ; on y vitmeme


• Voyez la note 8 it la fin du volnme.
I. 12




J 78 lU~VOLUTION FRA.N~,AIS:E.
des uniformes inconnus. On retint la compagnie
des gardes-du-corps, dont le service venait
d'etre achevé; quelques dragons et chasseurs
des Trois-Évechés furent appelés. Les gardes-
fran<,;aises, qui avaient quitté le service du roi,
irrités qu'on le confiat a d'autres, voulurent
se rend[>e a Versailles pour le reprendre. San s
doute ils n'avaient aucune raison de se plaindre,
puisqu'ils avaient eux-memes abandollné ce ser-
vice; mais ils fl1rent, dit-on, excitésa ceprojet.
OIl a préteudu, dans le temps, que c'était la
eour qui avait voulu par ce moyen effrayer le
roí, et l' entrainer a Metz. Un fait prouve assez
cette intention : depuis les émeutes du Palais-
Royal, Lafayette, pour défendre le passage de
París á Versailles, avait p!acé un poste a Sevres.
Il fut obligé de l'en retirer, sur la demande des
députés de la droite. Lafayette parvint a arre ter
les gardes-fran<,;aises, et a les détourner de leur
projet. Jl écrivit confidentiellement au ministre
Saint-Priest, pour luí apprelldre ce qui s'c~tait
passé, et le rassurer entierement. Saint-Príest,
abusant de la lettre, la montra a d'Estaing; ce-
lui-ci la communiqua aux officiers de la garde
nationale de Versailles et a la municipalité, pour
les instruire des daugers qui avaient rnenacé la
ville, et de ceux qui pourraieut la menacer efl-
coreo On proposa d'appeler le r(~giment lit>




ASSEl\IBLÉE CONSTITU ANTE (1789). 179
Flandre; grand nombre de bataillons de la
gal'de de Versailles s'y opposerent, mais la
munieipalité n'en fit pas moins sa réquisition,
et le régiment fut appelé. C' était peu qu'un
régiment contre l'assemblée, mais c'était assez
pour enlever le roi et protéger son évasion.
D'Estaing instruisit l'assemblée nationale des
mesures qui avaient été prises, et obtint son
approbation. Le régiment arriva : l'appareil
mililail'e qui le suivait, quoique peu considé-
rabIe, ne laissa pas que d'exciter des murmures.
Les gardes·du-corps, les_courtisans s'empare-
rent des offieiers, les comblerent de caresses,
et, eomme avant le 14 juillet, on parut s'e
coaliser, s'entendre et coneevoir de grandes
espprances.


La confianee de la COUl' augmentaít la mé-
fianee de Paris, et bientot des fe tes írriterent la
misere du peuple. Le 2 octobre, les gardes-du-
corps imaginent de donner un repas aux offi-
ciers de la garnison. Ce repas est serví dans la
salle dll théatre. Les loges sont remplíes de
spectaleurs de la cour. Les officiers de la garde
nationale sont au nombre des convives; une
gaieté tres-vive regne pendant le festín, et
hientot les vins la changent en exaltation. On
introduit alors les soldats des régiments. Les
convives, l'épée nue, portent la santé de la fa-


12.




180 RÉVOLUTION FRA.N~:AIS¡':.
mille royale; eeHe de la nation est refusée, OL!
elu moins omise; les trompettes sonnent la
charge, on escalad e les loges en poussant des
cris; on entonne ce chant si expressif et si
connu : ó Richard! ó mon roi! l'unillers t'a-
bandonne! on se promet de mourir pour le
roi, eomme s'il eut été dans le plus grand dan-
ger; enfin le délire n'a plus de bornes. Des
eocardes blanches OH noires, mais toutes d'une
seu te couleur, sont partout distribuées. Les
jeunes femmes, les jeunes hommes, s'animent
de souvenirs chevaleresques. C'est dans ce mo-
ment que la cocarde nationale est, dit-oH,
foulée aux pieds. Ce fait a été nié depuis, mais
le vin ne rend .. il pas tout croyable et tout ex-
cusable? Et d'ailleurs, pourquoi ces réunions
qui ne produisent d'une part qU'Ull dévoue-
ment trompeur, et qui excitent de l'autre une
irritation réelle et terrible? Dans ce mom.ent
on conrt chez la reine; elle consent a venir
au repaso On entoure le rOl qui revenait de la
chasse, et iI est entrainé aussi; on se précipite
auxpieds de tous deuk, et 011 les reconduit
eomme en triomphe jusqu'il leur appartement.
Sans doute, il est doux, quand on se croit dé-
ponillé, menacé, de retrouver des amis; mais
pourquoi faut-il qn'on se trompe ainsi sur ses
droits, sur sa force et sur ses moyens?




ASSE1ITBLÉE CONSTlTU ANTJ, (1789)' 18 [
I,e bruit de cette fete se répandit bientot,


et sans doute l'imagination populaire, en rap-
portant les faits, ajouta. sa propre exagération
a ceHe qu'avait produite le festin. Les pro-
messes faítes au roí furent prises pour des me-
naces faítes a la nation, cette prodigalíté fut
regardée comme une insulte a la mise re pu-
blique, et les cris el Persailles recommencerent
plus violents que jamais. Ainsi les petites cau-
ses se réunissaient pour aider l'effet des causes
générales. De~ jeunes gens se montrerent a
París avee des eoeardes noires, ils furent pour-
suivis; l'un d'eux fut trainé par le peuple, et
la commune se vit obligée de défendre les eo-
cardes d'une seule couleur.


Le lendemain du funeste repas, une nou-
ve1/e scenc a peu pres pareilIe eut líeu dans
un déjeuner donné par les gardes - du -corps,
dans la salle du manége. On se présenta de
nouveau a la reine, qui dit qu'elle avait été
satisfaite de la journée du jeudi ; olll'écoutaít
volontier.s, paree que, moins réservée que le
roi, on attendait de sa bouche l'aveu des sen-
timents de la cour; et toutcs ses parolesé~aiellt
répétées. L'irritation fut au combIe, 61, on dut
s'attendre aux plus sinistlles événements. Un
mouvement cOllvenait au peuple et a la cour:
au peuple, pour s'emparer du roí; a la conr,




182 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
pour que l'effroi l'entrainat a Metz. Il conve-
nait aussi au duc d'Orléans, qUÍ espérait obte-
nir la lieutenance du royaume, si le roí venait
a s'éloigner; on a meme dit que ce prince al-
lait jusqu'a espérer la couronne, ce qui n'est
guere croyable, car il n'avait pas assez d'au-
dacé d'esprit pour une si grande ambition. Les
avantages qu'il avait lieu d'attendre de cette
110uvelle insurrectíon 1'0nt faít accuser d'y avoir
participé; cependant iI n'en est ríen. Il n,e peut
avoir déterminé l'impulsíon, car elle résultait
de la force des choses; il parait tout au plus
l'avoir secondée; et, meme a cet égard, une
procédure immense, et le temps, qui apprend
tout, n'ont manifesté aucune trace d'un plan
concerté. Sans doute le duc d'Orléans n'a été
la, comme pendant toute la révolution, qu'a
la suite du mouvement populaire, répandant
peut-etre un peu d'or, donnant líeu a des pro-
pos, et n'ayant que de vagues espérances.


Le peuple, ému par les discussions sur le
veto, irrité par les cocardes noires, vexé par
des patrouilles continuelles, et souffrant de la
fairo, était soulevé. Baillyet Necker n'avaient
ríen oublié pour faire abonder les subsistan-
ces; mais, soit la difficulté des transports, soit
les pillages qui avaient líe u sur la route, soit
surtout l'impossibilíté de suppléer au mouve-




ASSEMDLÉE CONSTlTUANTE (1789)' 183
ment spontané du commerce, les farines man-
quaient. Le 4 octobre, l'agitation fut plus grande
que jamais. On parlait du départ du roi pour
Metz, et de la nécessité d'aller le chercher a
Versailles; on épiait les cocardes naires, on
demandait du pain. De nombreuses patrouilles
réussirent a contenir le peuple. La nuit tut as-
sez calme. Le lendernain 5, les attrouppments
recornmencerent des le malino Les femmes se
porterent chez les boulangers; le pain man-
quait, el elles coururent a l'Hotel .. de-Ville pour
s'en plaindre aux représentants de la com-
mune. Ceux-ci n'étaient pas encore en séance,
et un bataillon de la garde nationale était
rangé sur la~ place. Des hommes se joignirent
a ces fcmmes, mais elles n'en voulurent pas,
disant que les hommes ne savaient pas agir.
Elles se précipiterent alors sur le hataillon, et
le firent reculer a coups de pierres_ Dans ce
moment, une porte ayant été enfoncée, l'Ho-
tel· de-Ville fut envahi, les brigands a piques
s'y précipiterent avec les femmes, et voulurent
y mettre le feu. On parvint a les écarter, mais
ils s'emparerent de la porte qui conduisait a
la grande cloche, et sonnerent le tocsin. Les
faubourgs alors se mirent en mouvement. Un
citGyen nommé Maillard, 1'un de ceux qui s'é-
tawmt signalés a la prise de la Bastille, con-




184 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
s\}lta l'officier qui commandait le hataillon de
la garde qationale, poul' chercher un moyen
de délivl'el' l'Hotel-de-Ville de ces"femmes fu-
r¡euses. L'officier n'osa approuver le moyen
qu'il proposait; c'était de les réunir, sous pré-
texte d'aller a Versailles, mais sans cependant
les y conduire. Néanmoins Maillard se décida;
prit un tambour, et les entraina bientot a sa
suite. Elles portaient des batons, des manches
a balai, des fusils et des coutelas. A vec cette
singuliere armée, iI desceQdit le quai, traversa
le Louvre, fut forcé malgré lui de conduire
ces femmes a travers les Tuileries, et arriv~
aux Champs-Élysées. La, il parvint a les dé-
sarmer, en leur faisant entendre qu'il valait
mieux se présenter a l'assembIée comme des
suppliantes que eomme des furies en armes.
Elles y consentirent, et Maillard fut obligé d~
les conduire a VersaiHes, car il n'était ,plus
possible de les en détollrner. Tout en ce mo-
ment tendait vers ce but. Des hordes partaient
en trainant des canoos; d'autres entouraient
la garde nationale, qui elle-meme entollrait
son chef pour l' entrainer a Versailles, but de
tous les vreux.


Pendant ce temps, la cour était tranquille;
mais l'assemblée reeevait eu tumulte un mes-
sage du roi. Elle avait pl'ésenté a son accepta-




ASSEMBLÉE CONSTITUANT]~ (] 789)' 185
tion les articles constitutiouneIs et la déclara-
tion des droits. La réponse devait etre une ac-
ceptation pure et simple, avec la promesse de
promulguer. Pour la secoude fois, le roi, san s
trop s' expliquer, adressait des observations a
l'assemblée; il donnait son accession aux arti-
eles constitutionllels, sans cependant les ap-
prouver; jI trouvait de bonnes maximes dans la
déclaration des droits, mais elles avaient be-
soin d'explicatiolls; le tout enfin ne pouvait
etre jugé, disait-il, que lorsque l'ensemble de la
constitution serait achevé. C'était la sans doule
une opinion soutenable; beaucoup de publi-
cis tes la partageaient; mais convenait-il de
l'exprimer dans le moment? A peine .cette ré-
ponse est-elle lue, que des plaintes s'élevent.
Robespierre dit que le roi n'a pas a critiquer
l'assemblée; Duport, que cette réponse devait
etre contre-signée d'un ministre responsable.
Pétion en prend occasion de rappeler le repas
des gardes-du-corps, et il 9énonce les impréca-
tions proférées cont're l'assemblée. Grégoire
parle de la disette, et demande pourquoi une
lettre a été adressée a un meunier avec pro-
messe de deux cents livres par semaine, s'jl ue
voulait pas moudre. La lettre ne prouvait rien,
car tous les partis pouvaient l'avoir écrite; ce-
pendant elle excite un grand tu multe , et M. de




186 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
Monspey somme Pétion de signer sa dénoncia-
tion. Alors Mirabeau, qui avait désapprouvé a
la tribune meme la démarche de Pétion et de
Grégoire , se présente pour répondre a M. de
Monspey. (e J'ai désapprouvé tout le premier,
dit-il, ces dénonciations impolitiques; mais,
puisqu'on insiste, je dénoncerai moi-meme, et
je sigllerai, quand on aura déclaré qu 'íl n'y a
d'inviolable en France que le roi. )) A cette ter-
rible apostrophe, on se tait, et OIl revieut a la
réponse du roi. Il était onze heures du matin;
on apprend les mouvements de Paris. Mirabeau
s'avance vers le président Moullier, qlli, ré-
cemment élu malgré.le Palais-Royal, et menacé
d'une chute glorieuse, allait déployer dans cette
triste journée une inoomptable fermeté; Mira-
beau s'approche de lui : - Paris, lui dit-iI ,
marche sur nous; trouvez-vous mal, allez au
chateau dire au roi d'accepter purement et
simplement. - Paris marche, tant mieux, ré-
ponel ~ounier; qu'Olil nous tuetous, mais tous;
l'état y gagnera. - Le m'ot est vraiment joli,
reprend Mirabeau, et iI retourne a sa place.
La discussion continue jusqu'a trois henres, et
on décide que le président se rendra aupres du
roi , ponr lui demander son acceptation pnre
et simple. Dans le moment ou Mounier allait
sortir pour aller au chatean, on a~lllouce une




ASSEMBLÉE CONSTITUANT.E (1789). 187
députation; c'était Maillard et les femmes qui
l'avaient sujvi. Maillard demande a entrer et a
parler; iI est introdnit, les femmes se précipí-
tent a sa suite et pénetrent dans la salle. Il ex-
pose alors ce qui s'est passé, le défaut de pain
et le désespoir du peuple; iI parle de la IeUre
adressée au meunier, et prétend qu'une per-
sonne rencontrée en route leur a dít qu'un curé
était chargé de la dénoncer. Ce curé était Gré-
goire, ef, comme on vient de le voir, il avait
faít la dénonciation. Une voix accuse alors l'é-
veque de París, Juígné, d'etre l'auteur de la
lettre. Des cris d'indignation s'élevent pour re-
pousser l'imputation faite au vertueux prélat.
On rappelle a }'ordre Maillard et sa députation.
On luí dit que des moyens ont été pris pour
approvisíonner París, que le roi n'a rien ou-
blié, qu'on va le supplíer de prendre de nou-
velles mesures, qu'il faut se retirer, et que le
troubIe n'est pas le moyen de faire cesser la
disette. Mounier sort alors pour se rendre au
chateau; mais les femmes l'entourent, et veu-
lent l'accompagner; iI s'y refuse d'abord) mais
iI est obligé d'en admettre six. Il traverse les
hordes arrivées deParis, qui étaient armé es de
piques, de haches, de batons ferrés. n pleuvait
abondamment. Un détachement de gardes-du-
corps fond sU!' l'attroupement qui entourait le




188 RÉVOL UTION FRAN~AISE.
président, et le disperse; mais les femmes re-
joignent bientat Mounier, et iI arrive au cha-
teau, ou le régiment de Flandre, les dragons,
les Suisses et la milice nationale de Versailles
étaient rangés en bataille. Au lieu de six
femmes , il est obligé d' en introduire douze;
le roi les accueille avec bonté, et déplore Ieur
détresse; elles sont émnes. L'une d'elles,
jeune et beIJe, est interdite a la vue du mo-
narque, et pent a peine prononcerce mot:
du pain. Le roi, touché, l' embrasse, et les
{emmes s'en retournent attendries par cet ac-
cueil. Leurs compagnes les re<;oivent a la porte
du chateau; elles ne veulent pas croire leur
rapport, disent qu'elles se sont ]aissé séduire,
et se préparent a les déchirer. Les gardes-du-
cocps, commandés par le comte de Guiche,
accourent pour les dégager; des coups de fusil
partent de divers catés , deux gardes tombent,
et plusieurs femmes son! blessées. Non lo in de
la, un hOUlme du peuple a. la tete de quelques
femmes, pénetre a travers les rangs des batail-
lons, et s'avance jusqu'a ]a grille du chatean.
M. de Savonnieres le poursuit, mais iI re<;oit
un coup de felJ qui lui casse le bras. Ces escar-
mouches proctuisent de part et d'autre une
plus grande irritation. Le roi, instruit du
danger, fuit ordonner a ses. gardes de ne pas




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' I ~9
faire feu, et de se retirer dans leur hotel.
Tandis qu'ils se retirent, quelques coups de
fusil sont échangés entre eux et la garde na-
tionale de Versailles, san s qu' on puisse savoir
-de quelle part ont été tiré s les premiers coups.


Pendan t ce désordre, le roi teI,lait conseil,
et Mounier attendait impatiemment sa réponse.
Cl'! dernier luí faísait répéter achaque instant
que ses fonctions l'appelaient a l'assemblée,
que la nouvelle de la sanction calmerait tous
les esprits, et qu'il allait se retirer, si Oll ne
lui répondaít point, cal' il ne voulait pas s'ab-
senter plus long-temps de son poste. On agi ..
taít au conseil si le roí pártiraít; le conseil
dura de six a dix heures du soir, et le roi,
dit-on, ne vonlut pas laisser la place vacante
au duc d'Orléans. On voulait faire partir la
reine et les enfants, mais la fonJe arreta les
voitures a l'instant ou elles parurent, el d'ail-
leurs la reine était courageusement résolue a
ne pas se séparer de son époux. Enfin, vers les
dix heures, Mounier re~ut l'acceptation pure
et simple, et retourna a l'assemblée: Les dé-
putés s'étaient séparés, et les femmes occu-
paient la salle. Illeur annon~a l'acceptation du
roi, ce qu'elles ref,¡urent a merveille, en lui
demandant si leur sort en serait meilleur, et
surtont si elles auraient du pain. Mounier leur




190 RÉVOLUTION fRAN9A.JSE.


répondit le mieux qu'il put, et leur fit distri-
buer tout le pain qu'il fut possible de se pro-
curer. Dans cette nuit, 011 les torts' sont si
difficiles a fixer, la munieipalité eut eelui de
ne pas pourvoir aux besoins de eette foule
affamée, que le défaut de pain avait fait sortir
de París, et qui depuis n'avait pas dli en trou-
ver sur les routes.


Dans ce moment, on apprit l'arrivée de La-
fayette. Il avait lutté pendant huit heures con-
tre lamilice nationale de Paris, qui vOlllait se
porter a Versailles. Un de ses grenadiers lui
avait dit.: « Gélléral, vous ne nous trompez
pas, mais on vous trompe. Au lieu de tourner
nos armes contre des fe~mes, allons a Ver-
sailles ehercher le rOl, et nous assurer de ses
dispositions en le plac;ant au milieu de nons. »
I .. afayette avait résisté aux instanees de son
armée et aux flots de la multitude. Ses soldats
n'étaient point a luí par la vietoire, rnais par
l'opinioll; et, leur opinion l'abandonnant, illle
pouvait plus les eQndllire. Malgré cela, il était
parvenn 11 les arreter jnsqu'au soir; mais sa
voix ne s'étendait qu'a une petite distanee, et
au-dela rien n'arretait la fureur populaire. Sa
tete avait été pIusienrs fois menacée, et néan-
moins iI résistait encore. Cependant iI savait
que des hordes partaient continuellement de




ASSEl\lllLÉJ.: CONSTITUANTE (1789)' '9'
París; l'insurrection se transportant a VersaiI-
les, son devoir était de l'y suivre. La communc
luí ordollna de s'y remire, et il partit. Sur la
route, il arreta son armée, lui 6t preter ser-
ment d' etre fidele au roi, et arriva a Versaílles
vers minuit. Il annon¡;a a Mounier que l'armée
avait promis de remplir son devoir, et que rien
ne serait faít de contraire a la loi. Il courot au
chatean, il Y parut plein de respect et de dOIl-
leur, fit connaitre au roí les précautions qui
avaient été prises, et l'assura de son dévoue-
ment et de celui de l'armée. Le roi parot tran-
quillisé, et se retira pour se li vrer au reposo La
garde du chateau avait été refusée a Lafayette,
OIl ne lui avait donné que les postes extérieurs.
Les autres postes étaient destinés au régiment
de Flandrc, dont les dispositions n' étaieut pas
sures, aux Spisses et anx gardes - dn -corps.
Ceux-ci d'abord avaient re~u ordre de se re-
tirer. 11s avaient été rappelés ensuite, et n'ayant
pu se réunir, iIs ne se trouvaient qn'en petit
nombre a lenr poste. Dans le trouble qui ré-
gnait, tons les points accessibles n'avaient pas
été défendus; Ulle grille meme était demeurée
ouverte. Lafayette 6t occnper les postes exté-
rieurs qui lui avaient été confiés, et aucuo
(l'eux ne fut forcé ni meme attaqué .


. J,'assemblée, inalgré le tu multe , avait repris




J 92 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
sa séance, et elle poursuivait une discussion
sur les lois pénales avec l'attitude la plus im-
posante. De temps en temps, le peu pIe inter-
rompait la discussion en demandant du pain.
Mirabeau, fatigué, s'écria d'une voix forte que
l'assemblée n'avaita recevoir]a loi de personne,
et qu'elle ferait vider les tribunes. Le peuple
couvrit son apostrophe d'applaudissements;
néanmoins iI ne convenait pas a l'assemblée de
résister davantage. Lafayette, ayant faít díre a
Mounier que tout lui paraissait tranquille, et
qu'íl pouvait renvoyer les députés, l'assemblée
se sépara vers le milieu de la nuit, en s'ajour-
nant au lendemain 6, a onze heures.


Le peuple s'était répandu <;3. et ]a, et parais-
sait calmé. Lafayette avait lieu d'etre rassuré
par le dévouement de son armée, qui en effet
ne se démentit point, et par le calme qui sem-
blait régner partout. Il avait assuré l'hotel des
gardes-du-corps, et répandu de nombreuses
patrouilles. A cinq heures dn matin iI était en-
core debont. eroyant alors tont apaisé, il prit
un brenvage, et se jeta sur un lit, pour prendre
un re pos dont iI était privé dermis vingt-quatrc
heures ".


Daos cet instant, le peuple commenc;ait a


~ Voir la note 9 11 la fin du volume.




ASSEIHBLÉE CONSTlTUANTE (1789)' 193
se l'éveiller, et pell'euurait déja les CUVil'OIlS du
chateau. Une rixe s'engelge avec un garde-du-
eol'ps qlli faít feu des fenetres; les brigands
s'élaneent aussítot, traversent la grille qlli était
restée ouverte, montent un escalier qu'ils tron-
vent libre, et sont enfín arretés par deux gar-
des-du-eorps qui se défendent héroiquement,
et ne cedent le tcrrain que pied a pied, en se
retirant de porte en porte. L'un de ces géné-
reux serviteurs était Miomandre. Sallvez la
reine! s'écrie-t-il. Ce cri est entendu, et la
reine se sauve tremblante aupres du roi. Tandis
qu'elle s'enfuit, les briganos se précipitent,
trouvent la couche royale abandonnée, et ven-
lent pénétrer an-dela; ma~s íIs sont arretés de
nouveall par les gelrdes-du-corps retranchés en
grand nombre sur ce point. DallS ce moment,
les gardes-fraIH;:aises appartenaut a Lafayette,
et postés pres du c!ulteau, enteudent le tumulte,
aceourent, et dispersent les brigands. IJs se
présentent a la porte derriere laquelle étaient
retrallchés les gardes-du-corps : « Ouvrez, leur
crient-ils, les gardes.fran<;aises n'ont pas oublié
qu'a Fontenoi vous avez sauvé leur régiment!»
On ouvre el on s'embrasse.


J ,e tumuIte régnait au dehors. Lafayette, qlli
reposaít a peine depuis quelques instants, et
qm ne s'était pas meme endormi, entend ou


J.




194 nÉVOI,UTlON FRAN~AISF:.
bruit, s'élance sur le premier cheval, se pré-
cipite au mílieu de la melée, et y trouve plu-
sieurs gardes-du-corps qui allaient etre égorgés.
Tandis qll'illes dégage, il ordonne asa troupe
de courir au chatean, et demeure presque seul
au mílieu des brigands. L'un d'eux le couche
en joue; Lafayette, sallS se troubler, eommaude
au peuple de le lui amener; le peuple saisít
aussitot le coupable, et, sous les yeux de La-
fayette, brise sa tete eontre les pa vés. Lafayette,
apres avoir sauvé les gardes-du-corps, vole au
chateau avec eux, et y trouve ses grenadiers
qui s'y étaíent déja reudus. Tous l'entourent
et lui promeUent de mourir pour le roí. En
ce moment, les gardes-du~eorps arrachés a la
mort, criaíent vive Lafayette! La cour entiere,
qui se voyait sauvée par lui et sa troupe, re-
connaissait lui devoir la vie; les témoignages
de reconnaissance étaient universels. Madame
Adélalde, tante du roi, aeeourt, le serre dans
ses bras en lui disant : Général, vous nous
avez sauvés.


Le peuple en ce moment demandait a grands
cris que Louis XVI se rendit a París. On tíent
conseil. Lafayette, invité a y prendrc part,
s'y refuse pour n'en pas gener la liberté. Il est
en fin décidé que la cour se rendra au vreu du
peuple. Des billets portant eette nouvelIe sont




ASSE~IBLÉE CONSTITUANTE (1789). 195
jetés par les fenelres. LOllis XVI se présente
alors au baleon, aeeompagné du général, et
les eris de vive le rOl l'accueillent. Mais iI n'en
est pas ainsi pour la reine; des voix mena<;antes
s'éIevent contre elle. Lafayette l'aborde : Ma-
dame, lui dit-il , que voulez-vous faire? - Ac-
compagner le roi, répond la reine avec courage.
- Suivez-moi done, reprcnd le général, et il
la concluit tout étonnée sur le balcon. Quelques
menaces sont faites par des hommes du peuple.
Un coup funeste pouvait partir; les paroles ne
pouvaient etre entendues, il fallait frapper les
yeux. S'inclinant alors, et prenant la main de
la reine, le généralla baise respectueusement_
Ce peuple de Fran<;ais est transporté a cette
Vl1e, et il confirme la réconciliation par les
cris de vive la reine! vive Lajayette! La paix
n'était pas encore faite avec les gardes-dl1-corps.
Ne ferez - vous rien pOllr mes gardes? dit le
roi a Lafayette. Celui-ci en prend un, le con-
duit sur le baleo n , et l' embrasse en lui met-
tant sa bandouliere. Le peuple approuve de
nouveau, et ratifie par ses applaudissement!!
ceHe nouveIle réconciliation.


L'assemblée n'avait pas cm de sa dignité de
se rendre aupres du monarque, quoiqu'ill'eut
demandé. Elle s'était contentée d'envoycr au-
pres de lui une députation de trente - sil(


13.




J 96 Rt;VOLUTION FR AN<]A I SI':'
membres. Des qu'elle apprit son départ, elle
fit un décret portant qu' elle était inséparable
de la personne du monarqne, et désigna cent
députés pOllr l'accompagner a Paris. Le roí
re<;ut le décret et se mit en route.


Les principales bandes étaient déja parties.
Lafayette les avait {ait suivre par un détache-
ment de l'armée pour les empecher de revenir
sur leurs pas. Il avait donné ordre qu'on dé-
sarmat les brigal'lds qui portaient au bout de
leul's piques les tetes de deux gardes-dn-eorps.
Cet horrible trophée leur fut arracbé, et il
n'est point vrai qu'il ait préeédé la voiture du
roi.


Louis XVI revint enfin an milieu d'une af-
fluenee eonsidérable, et fl1t re<;u par Bailly a
J'Hotel-de-Ville.-Je reviens avec confiance, dit
le roí, au milieu de mon pcuple de Paris.-Bailly
rapporte ees paroles a eeux qui ne pouvaient
les entendre, mais iI oubIie le mot confiance.
-Ajoutezayec confiance, dit Iareine.-Vous
etes plus heureux, reprend Bailly, que si je
l'avais prononeé moi-meme.


La famille royale se rendit au palais des Tni-
leries, qui n'avait pas été habité depuis un
siecle, et dalls lequel on n'avait eu le temps
de faire aueun des préparatifs nécessaires. La
garcle en fut confiée aux milices parisiennes,




ASSEIUBLÉE CONST1TUA.NTE (1789)' 197
et Lafayette se trouva aillsí chargé de répondre
envers la nation de la personne uu roí, que
tous les partís se disputaient. Les nobles VOll-
laient le conduire dans Ulle place forte pour
user en son nom du despotisme;' le partí po-
pulaire, qui ne songeait point encore a s'ell
passer, voulait le garder pOllr compléter la cons-
titution, et oter un chef a la gUf>ITe civile. Aussi
la malveillance des pri vilégiés appela - t - elle
Lafayette un geolier; et pourtant sa vigilance
ne prouvaít qu'une chose, le désir sincere d'a-


. .


vOlr un rOl.
Des ce moment la marche des partís se pro-


nonce d'une maniere nouvelle. L'aristocratie,
éloignée de Louis XVI, et ne pouvallt exécu-
ter aucune entreprise a ses cotés, se répand a
l'étrauger et dans les provinces. C'est depuis
lors que l'émigration commence a devenir con-
sidérable. Un grarHI nombre de nobles s'en-
fuient a TUl"in, aupres du comte d'Artois, qui
avait trouvé un asile chez son beau-pere. La,
leur politique consiste a exciter les départe-
ments du ::\IíJi el a supposer que le roí n'est
pas libre. La reine, qui est autrichienne, et de
plus ennemie de la nouvelle cour formée a
Turin, tourne ses espérances vers l' Autriche.
Le roi, :tu mílieu de ces menées, voit tout,
n'emp(khe rien, et attend son salut de qllelque




198 RÉVOLIJTION l!·RAN~AIS":.
part qu'il vienne. Par intervalle, iI fait les désa-
veux exigés par l'assembIée, et n'est réelle-
ment pas libre, pas plus qu'il ne l'eut été a
Turin ou a Coblentz, pas plus qu'il ne l'avait
été sons Maurepas, car le sort de la faiblesse
est d'etre partont dépendante.


Le parti populaire triomphant désormais,
se trouve partagé entre le due d'Orléans, La-
fayette, Mirabeau, Barnave et les Lameth. La
voix publique aeeusait le due d'Orléans et Mi-
rabeau d'etre autenrs de la derniere insurrec-
tion. Des témoins, qui n'étaient pas indignes
de contianee, assuraient avoir vu le duc et Mi-
rabean sur le déplorable champ de bataille
du 6 octobre. Ces faits furent démentis plus
tard; mais, dan s le moment, on y croyait. Les
conjurés avaient voulu éloigner le roi, et meme
le tuer, disaient les plus hardis calomniateurs.
Le due d'Orléans, ajoutait-on, avait voulu etre
lieutenant du róyaume, et Mirabeau ministre.
Aucun de ces projets n'ayant réussi, Lafayette
paraissant les avoir déjoués par sa présence,
passait pour sauveur du roi et pour yainqueur
du duc d'Orléans et de Mirabeau. La cour, qui
n'avait pas encore eu le temps de devenir in-
grate, avollait Lafayette comme son sauvellr, eL
dans eet instant la puissance du général sem-
blait immense. Les patriotes exaltés ('11 étaient




ASSEIUllLÉE CONSTITU ANTE (1789). 199
effal'Ouehés, et murmuraient déja le llom de
CromweU. Mirabeau, qui, eorome on le verra
bientot, n'avait rien de eommun avee le duc
d'Orléans, était jaloux de Lafayette, et l'ap-
pelait Cromwell-Grandissoll. L'aristoeratie se-
condait ses méfiances, et y ajoutait ses propres
calomnies. Mais Lafayette était déterminé,
malgré tous les obstacles, a soutenir le roi et
la eonstitution. Pour cela, il résolut d'abord
d'écarter le cluc d'Orléans, dont la présenee
donnait lieu a beaucoup de bruits, et pouvait
fournir, sinon les moyens, du moins le pré-
texte des troubles. Il eut une entrevue avec
le prinee, ¡'intimida par sa fermeté, et l'obli-
gea a s'éloigner. Le roi, qui était dans ce pro-
jet, feignit, avec sa faibles,>e ordinaire, d'etre
contraint a eette mesure; et en écrivant au
due d'Orléans, il lui dit qu'il fallait que lui
ou M. de Lafayette se retirassent; que dan s
l'état des opinions le choix u'était pas douteux,
et qu'en conséquence iI lui donuait une com-
mission pour l'Angleterre. On a su depuis que
M. de Montmorin, ministre des affaires étran-
geres, pour se délivrer de l'ambition du due
d'OrIéans, l'avait dirigée surles Pays-Bas, alol"s
illsurgés contre l'Autriche, et qu'il lui avait
fait espérer le titre de duc de Braban t.y:. Ses
~ Voyez les Mémoircs de Dnmouri(':!:.




200 lLÉVOLTJTION FRAN0AISJ'.


amis, enapprenant eette résolution, s'irrilerelll
de sa faiblesse. Plus ambitieux que luí, ils ne
vonlaient pas qu'il eédat; ils se porterent ehez
Mirabeau, et l'engagerent a dénoneer a la tri-
bune les violenees que Lafayette exen;;ait en-
vers le prince. Mirabeau, jaloux déja de la
popularité du général, fit dire au due et a lui
qu'il allait les dénoncer tOllS deux a la tribune,
si le départ pour l'Angletrrre avait liell. Le
dne d'Orléans fut ébranlé; une nouvelle som-
mation de Lafayette le déeida; et Mirabeau ,
reeevant a l'assemblée un billet qui luí annon-
~ait la retraite du prinee, s'écria avee dépit : 1l
ne mérite pas la peine qu' on se donne pour
lui". Ce mot et beaucoup d'autres anssi in-
considérés l'ont fait accuser souvent d'etre un
des agents du duc d'Orléans; cependant jI ne
le fut jamais. Sa détresse, l'imprudence de ses
pro pos , sa familiar'ité avee le dne d'Orléans,
qui était d'aillellrs la meme avee tout le monde,
sa proposition pour la suceession d'Espagne,
enfin son opposition au départ du duc, de-
vaient excÍter les soup<:;ons; mais il u'en ht
ras moins vrai que Mirabeau était sans parti,
sans meme aUCIIIl autre but que de détruire
l'aristocratie et le pouvoir al'bitraire.


* Vovez la /Jotl' loa la fin du VOllllllC.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 20 J
Les auteurs de ces suppositions auraient da


savoir que Mirabeau était réduit alors a em-
prunter les sornmes les plus modiques, ce qlli
n'aurait pas eu lieu s'il eút été l'agent d'Ull
prince immensément riche, et qu'on disail
presque ruiné par ses partisans. Mirabe:m avait
déja pressenti la dissollltion prochaine de l'é-
tato Une conversation avee un ami intime, qui
dura llne Huit tout entiere, dan s le pare dt'
Versailles, détel'mina chez luí un plan tout
lI011veau; et iI se promit pour S3 gloil'e, pour
le salllt de l'état, pOllr sa pl'opre fortune en-
fin ( cal' Mirabeau était homme a conduire tous
ces intérets ensemble), de demeurer inébl'all-
lable entre les désol'ganisateurs et le trone, el
de consolider la monarchie en s'y faisant une
p!élce. La COLlr avait tenté de le gagner, mais
on s'y ét;¡Ít pris gauchement et saIlS les mé·
nagements convenables avec un homme d'unc
grande fierté, et qui voulait COllserver sa po-
pularité, a défaut de l'estime qu 'il u'avait pas
encore. MaIouet, ami de N ecker et lié avec
Mirabeau, voulait les mettre tous deux en com-
munication. Mil'aheau s'y était SOlIvent refusé *,
persuadé qu'il ne pourrait jamais s'accorder


• MM. Malouet et Bertrand de Molleville n'onl pas
et'aint ¡J'écrire le contraire, mais le falt que nous avan-
(:ons est ;1 tteslé par les lémoins les plus di¡;;lleS de Coi,




202 RJÍVOLUTION FRANYAISE.


avec le ministre. Il y consentit cependant.
Malouet l'introduisit, et l'incompatibilité des
deux caracteres fut mieux sentie encore apres
cet entretien, ou, de l'aven de tous ceux qui
étaient présents, Mirabeau déploya la supé-
riorité qu'il avait dans la vie privé e aussi bien
qu'a la tribune. On répandit qu'íl avait voulu
se faire acheter, et que, N ec]{er ne lui ayant
fait aucune ouverture, il avait dit en sortant :
Le ministre aura de mes nOlJ.velles. e'est en-
core la une interprétation des partís, mais elle
est fausse. Malouet avait proposé a Mirabeau,
qu'on savait satisfait de la liberté acquise, de
s'entendre avec le ministre, et rien de plus.
D'ailleurs, c'est a cette meme époque qu'une
Ilégociation directe s'entamait avec la cour. Un
prince étranger, lié avec les hommes de tous
les partis, fit les premieres ouvertures. Un
ami, qui servit d'intermédiaire, fit sentir qu'on
n'obtiendrait de Mirabeau ancun sacrifice de
ses páncipes; mais que si on voulait s'en tenir
a la constitution, on trouverait en lui un ap-
pui inébranlable; que quant aux conditions
elles étaient dietées par sa situation; qu'il fal-
lait, dans l'intéret meme de ceux qui voulaient
l' employer, remIre eeHe situation honorable
et iudépendante, c'~st-a-dire aequitter ses det-
tes; qu'enfin on devait l'attacher au UOllVeI




ASSE1UBLÉE CONSTITUANTE (1789). :103
ordre social, et, sans luí donner actuellement
le ministere, le lui faire espérer dans l'avenir-\'.
Les négociations 'Oe furent entierement ter-
minées que deux ou trois mois apres, c'est-a-
dire dan s les premiers mois de 1790. Les his-
toriens, peu instruits de ces détails, et trom-
pés par la persévérance de Mirabeau a com-
battre le pouvoir, ont placé l'instant de ce
traité plus tan!. Cependant il fut a peu pres
conclu des le commencement de 1790. N ous
le ferons connaitre en son lieu.


Barnave et les Lameth ne pouvaient rivali-
ser avec Mirabeau que par un plus grand ri-
gorisme patriotique. Instruits des négociations
qui avaient líeu, ils accréditerent le bruit déja
répandu qu'on allait lui donner le ministere,
pour lui oter par la la faculté de I'accepter.
Une occasion de l'en empecher se présenta
bi~ntót. Les ministres n'avaient pas le droit
de parler dans l'assemblée. Mirabeau ne vou-
lait pas, en arri vant au millistere, perdre la
paro le , qui était son plus grand moyen d'ill-
fluence; il désirait d'aílleurs amener N ecker a
la tribune pour I'y écraser. Il proposa done
de donner voix consultative aux ministres. Le
partí populaire alarmé s'y opposa saos motíf


• Voye1. la lIole 11 a la fin dI! volume.




:.w4 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
plausible, et parut redouter les séductiollS
ministérielles. Mais ses craintes n'étaient pas
raisonnables, car ce n'est point par leurs com-
mUllications publiques avec les chambres que
les ministres corrompent ordinairement la
représentation nationale. La proposition de
Mirabeau fut rejetée, et Lanjllinais, poussant
le rigorisme encore plus loin, proposa d'inter-
dire aux députés acLuels d'accepter le minis-
tere. La discussion fut violente. Quoique le
motif de ces propositions fút connu, il n'était
pas avoué; et Mirabeau, a qui la dissimulation
n'était pas possible, s'écria enfin qu'il ne fallait
pas pour un seul homme prendre une mesure
funeste a I'état; qu'il adhérait au décret, a
condition qu'on interdirait le ministere, non
a tous les députés actuels, mais sClllement a
M. de Mirabeau, député de la sénéchaussée
d' Aix. Tant de fl'anchise et d'audace resterent
saIls efret, et le décret fut adopté a l'u;1a-
nimité.


OIl voit eomment se divisait l'état entre les
émigrés, la reine, le roi, et les divers chef.,
populaires, tels que Lafayette ~ Mirabeau,
Barnave et Lametl1. AUCUll événement décisif
comme celui du 14 juillet ou du 50ctobre,
n'était plus possible de long-temps. 1l falhit
que de nouvelles contrariétés irritassellt la




,~SSEl\fBLÉj<: CONSTITU ANn: (1789)' 205
eOllr et le peuple, et amenassent une rupture
éclatante.


L'assemblée s'était transportée a Paris"',
apres avoir re~u des assurances réitérées de
tranquillité de la part de la commune, et la
promesse d'une entiere liberté dans les suf-
frages. Mounier et LalIy-Tolendal, indignés
des événements des 5 et 6 octobl'e, avaient
donné leur démission, disant qu'ils ne vou-
¡aient etre ni spectateurs ni complices des cri-
mes des factieux. Ils durent regretter certe
désertion du bien pubJic, surtont en voyant
l\'Iaury et Cazales, qni s'étaient éloignés de
I'assemblée, y rentrer bientot pour soutenir
eourageusement et jusqu'au bout la canse
qll'i!s avaient embrassée. Mounier, retiré en
Dauphiné, assembla les états de la province,
mais bientot un décret les nt dissoudre, san s
aucune résistance. Ainsi Mounier et Lally, qui
a l'époque de la réunion des ordres et du ser-
ment <Iu jeu de paume étaient les héros dll
peuple, ne valaient maintenant plus rien a ses
yeux. Les parlements avaient été dépassés les
premiers par la puissance populaire; Monnier,
Lally et Necker l'avaíent été apres eux, et
beaucoup d'autres allaient bientot l'etre.


* Elle tint sa premiere séance al'Archevéché, le I9 oc-
tohre.




:w6 RÉVOLtJTJON FRAN<,;AISE.
La disette, cause exagérée, mais pourtant


réelle des agitations, donna encore lieu a un
Cl'ime. Le boulangel' Fram;ois fut égorgé par
quelques brigands ". Lafayette parvint a saisir
les coupables, et les livra au Chatelet, tribunal
investi d'une jUl'idiction extraordinaire sur
tous les,délits relatifs a la révolution. La étaient
en jugement Besenval, et tous ceux qui étaient
accusés d'avoir pris part a la conspiration al'is-
tocratique déjouée le 14 j uillet. Le Chatelet
devait juger suivant des formes nouvelles. En
attendant l'emploi du jury qui n'était pas en-
core illStitué, l'assemblée avait ordónné la pu-
blicité, la défense contradictoire, et toutes
les mesures préservatrices de l'innocence. Les ..
assassins de Fraru;ois furent eondamnés, et 1ft
tranquillité, rétablie. Lafayette et Bail1y pro-
poserent a eette oceasÍon la ]oi martiale. Vive-
roent eombattue par Robespierre, qui des-
]ors se montrait chaud partisan du peuple et
des pauvres, elle fut eependant adopté e par la
majorité ( décret du 2 J octobre). En vertu de
<:ette loi , les municipalités répondaient de la
tranquillité publique; en cas de troubles, eHes
étaient chargées de requérir les troupes ou les
milices ; et, apres trois sommations, elles de-


* 20 octobre.




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTR (1789). 207
vaient ordonner l'emploi de la force eontre
les rassemblements séditieux. Un comité des
reeherehes fut établi a la commune de Paris,
et dans l'assemblée nationale, pour surveiller
les nombreux ennemis dont les menées se
ctoisaient en tout sens. Ce n'était pas trop de
tous ces moyeos pOllr déjouer les projets· de
tant d'adversaires conjurés eontre la nouvelle
revolution.


Les travaux constitutionneIs se poursui-
vaient avee aetivité. On avait abolí la féodalité,
mais il restait encore a prendre une derniere
mesure pour détruire ces grands corps, qui
avaient été des ennemis cORStitués dans 1'état
eontre l'état. Le clergé possédait d'immenses
propriétés. Illes avait re({ues des prinees a titre
de gratifications féodales, ou des fideles a titre
de legs. Si les propriétés des individus, fruit
el but du travail, devaient etre respecté es ,
celles qui avaient été données a des corps ponr
un certain objet, ponvaient recevoir de la loi
une alltre destinatíon. C'était ponr le service
de la religion qn'elles avaient été données, ou
dn moíns sous ce prétexte; 01' la religion étant
un serviee publie; la loi pouvait régler le moyen
d'y subvenir d'nne maniere tonte différente.
L'abbé Maury déploya ¡eí sa faeonde imper-
turbable; il sonna l'alarme chez les proprié-




208 RÉVOLUTION FRAN~AISJ<:.
taires, les mena~a d'un envahissement prochain,
et prétendit qu'on sacri6ait les provinces aux
agioteurs de la capitale. Son sophisme est assez
singulier pour etre rapporté. C'était pour payer
la dette qu'on disposait des biells du clergé;
les créanciers de ce He dette étaient les grands
capitalistes de Paris; les biens.qu'on leur sacri-
6ait se trouvaient dans les proviilces: de la,
l'intrépide raisonneur concluait que c'était im-
moler la province a la capitale; comme si la
province ne gagnait pas au contraire a une
nouvelle division de ces immenses terres, ré-
servées jusqu'alors au luxe de quelques ecclé-
siastiques oisifs. Tous ces efforts furent inutiles.
L'éveque d'Autun, auteur de la proposition, et
le député Thouret, détruislrent ces vains so-
phismes. Deja on a11ait décrétel' que les hiens
du dergé appartenaie.nt a l'état; néanmoins les
opposants insistaient encore sur la question
de propriété. On leur répondait que, fussent-
ils propriétaires, on pOllvait se servir de leurs
hiens, puisque souvent ces bien s avaient été
employés dan s des cas urgents au service de
rétat. lIs ne le nialent point. Profitant alors
de leur aveu, Mirabeau proposa de changer
ce mo~ appartiennent en cet autre : sout ti la
disposition de l'état, et la discussÍon fut ter-
minée sur-Ie-champ a une gl'an<Je majorité




'\SSEMllLÉE CONSTITUANTE (1789)' 209
(]oi du 2 novembre). L'assemblée détruisit
ainsi Ja redoutable puissanee du clergé, le


\ luxe des grands de l'orore, et se ménagea ces
immenses ressources financieres qui firent si
long-temps subsister la révoJution. En meme
temps elle assurait l'existence des curés en dé ..
crétant que leurs appointemellts ne pourraient
pas etre mo-indres de douze cents francs, et
elle y ajoutait en outre la jonissance d'une
maison curiale et d'un jardín. Elle déclarait ne
plus reconnaltre les vreux religieux, et J'endait
la liberté a tons les cloitrés, en laissant toute·
foís a ceux ,qui le voudraient la faculté de eon~
tinuer la vie monastiqu.e; et comme leurs biens
étaient supprimés, elle y suppléait p.a'l'" , des
pensions. Pou~sant meme la prévoyance plus
loin encore, elle établissait une différcnce entre
les ordres riches et les ordres mendiants, el
proportionnait le, traitement des uns el des au·
tres a leur anejen état. Elle 6t de meme pour
les pensions; el ~ lorsque le janséniste Camus,
vouJant revenir a la sÍmplicité évangélique,
proposa de réduire toutes les pensions a un
meme taux infiniment modique, l'assemblée,
sur l'avis de Mirabeau , les réduisit proportion-
ndJement a lenr valeur actuelle, et con vena.-
blement al'ancien état des pensionnaires. On
ne pouvait done pousser plus loin le ménage'


L 14






:l1O lltVOL\JTION FRAN<;:AIS.E.


men t des habitudes, et c' est en cela que eOIl siste
le véritablerespelJt ,de la propl'iété. De meme,
quand les protestants expatriés depuis la révo-
eation de l'édit 'de Nantes réclamerellt leurs
bieDs, l'assemblée ne leur rendit que ceuxqui
n'étaient pas vendus.


Prudente et pleine de ménagements pOUI'
les personnes, elle traitait audaeieusement les
choses, et se montraÍt beaucoup plus hardie
dan s les matieres de cOllstilution. On avait fixé
les prérogatives des grands pouvoirs : il s'agÍs-
sait de diviser le telll'ité>ire du royanme. 1l
avait toujours été pantagá en provinces ,suc-
eessivement unies a l'ancÍenne France. Ces
provinees, différant entre elles de IOÍs, de pri-
viléges, de mOOllrs, formaiént. l'ensemble le
plus hétéuogime. Sieyes eüt ridée de les con-
fondre par une nouvelle division, qui anéantit
les démarcatiolls anciennes, et ramenat toptes
les parties du royaume aux memes "lois et au
meme esprit. C'e!'t ce qui fut fait par la divÍ-
sien en, J;léparteru.en~. Les dépaJ'temen ts fu rent
divisés en distrlots, et les districts en munici-.
palités. A tous c~s degrés, le principe de la
représentation fut admis. L'administration dé-
partementale, celIe de district el ecHe des
communes étaient confiées a un eonseil déli-
béran't et a un eonseil exécutif, également




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ([789). 211
électifs .... Ces diverses autorités relevaient les
unes des autres, el' a1TaieIÍltdansl'étendue d~
leur ressort les memesaUributions. Le dépar-
tement faisait la répartitíon del'impot entre
les districts, le di&tciQt entre les cOÚlm~mes,
el la cornmune entre les individua. .


L'assemblée fixa ensuite la quaJité de citoyen
jouissant. des droits politiques. Elle exigea
vingt-cinq ans et la contribution du mare d'a:r:.:
gent. Chaque indiv:idu réunissant cescondi-
tions avait le ti~re de 'citoyen actif, et ceux qui
ne l'avaient pas se nornmaient citoyens pasaifs.
Ces dén<>wnations· assez simples furent 1:0011-
nées en ridicule.¡-parqeqrte é1elt:auK dénomi-
nations qu'olls'attache: quand 00 veut dé}»'é-.
cier les chosea; mais elles étaient natureHes et
exprimaient bien leur objeto IJe citoyen actif
concourait aux élections pour la formation
des administrations et de l'assemblée. Les élec-
tions des députés avaient deux degrés. A ueune
condition n'était exigée pour etre éligi~le; ca ... ,
comme on l'av.ait dit a ·l'assemblée, on est
érectellr pav son exisfence dans la société, et
on doitetre. éligible par la seuIe confiance des .
électeurs. . ,


Ces travauJi, interrompus par mille disous;.
sions de ciroonstance, étaient cependant pou&-
sés ave e une grande ardellr. Le coté droit n'y


\ [4·




~ r 2 R'ÉVOI.lTTION FRAN<;:A1Slt
contribuait 'que. par son obstinatiou a les ern~
pecher, des qu'ils1agissait de disputer quelque
portion d'influence a la nation. Les députés
populaires, au contraire, quoique formant di-
vers partis, se confondaient ou se séparaient
sans choc. suivant Ieur opinion personnelle.
Ilétait facile d'apercevoir que chez eux la
convictÍon dorninaít les alliances. On voyait
Thouret, Mirabeau, Duport, Sieyes, Carnus,
Chapelier, tour a tour se réunir ou se diviser,
suivant leur opinion dans chaque discussion.
Quaut aux membres:, de lanohlesse et dl1
clergé, ils ne'se:montraient que daos les dis-
CUSSiOllS de partí. Lesparlements avaient-iJs
rendu des arre tés contre l'assernblée, des dé-
putés ou des écrivains l'avaient-ils offensée, ils
se montraient prets a les appuyer. Ils soute-
naient les commandants militaires contre .le
peuple, les marchands négriers contre les
negres; ils opinaient contre l'admission des
juifs et pes protestantsá la jouissance des droits
comml1ns. Enfin,qtÍaod Genes;s'éIeva coutreJa
France~ a cause de l'affranchissement de la
Corse-et de laTéunion de cette He au royaume,
ils furent pour Genes contre la France. En un
mot, étrangers, indifférellts -dans toutes les
discussions utiles, n'écoutallt pas, s'entrete-
nant entre eux, ils ne se levaient qlle lors-




ASSEMBLJÍE CONSTITUAJSTE (J 790). 2 I 3
qu'il y avait des droits ou de la liberté a re';'
fuser -1'.


Nous l'avons déja (tit, il n'était plus possible
de ten ter une grande conspiration a éOté <lu
roí, puisque l'aristocratie était mise en fnite,
et que la cour était environnée de l'assemblée,
du pellple et de la milice nationale. Des mou-
vements partiels étaÍent done tout ce que les
mécontents pouvaient essayer. lis fomentaíent
les mauvaises dispositions des officiers qui te-
naient a l'ancien ordre (le choses, tandis que
les soldats, ayant tout, a gagner, penchaient
poQr le noU'vootJ. Des I'ixes:· violentes avaient
lien· entre ·l'armée 'et; 1 a):popmaceJtJ sonvem les
soldats livraient leurs chefs illá: ¡'nttlt~rode:; qui
les égorgeait; d'autres fois, les méfián:ces ét~ient
heureuscment calmées, el tonlrenfrait en paix
quand les commandants des villes avaient su
se conduire avec un pen d'adresse, et avaient
preté serment de fitlélité a la nouvelle eonsti-
tution. Le c1ergé avait inondé la Bretagne rle
protestations eontre l'aliénation de ses hiens.
On tachait d' exciter un reste de fanatisme reli-
gieux dans les provinces ou l'anciellne supers-
titionrégnait . encore. Les parlements furent


* Sur la maniere d'elre des députés de la droite, voyez
Ull extt"ait des Mémoires de Ferriere, note I2.:3. la fin du
·volllme.




!A14 RÉVOLUTION FR;\NQAISE.
aussi eropl()y~8, el ,on tenta un dernier essai
de Ieur autorité. Leurs vaeanees avaient été
prorQgé~l>ar l'assemblée. paree qu'en atten-
dant 4e' les dissoudre, elle ne voulait pas avoir
a rlis(!uter ávec eux. Les eharnbres des vaca-
tio»s rendaient la j ustice en Icur absence. A
Rouen, a Nantes, a Rennes, elles prirent des
alTetés, ou elles déploraient la ruine de I'an-
eienne rnonarchie, la violation de ses 10is; et,
sans nommér l'asseroblée, semblaient l'indi-
quer eorome la cause de taus les maux. Elles
furellt appeIéesil la ban-e e' ;.c~sur.é.es avec
métlagemef\t,.(i;eU~h.dlJ.ll..tklnt'$', 'oomme· pros
.cou~bl~,,,·· ftI.\ .. déclal'ée, imcapable de remplir
ses foncti(}hs. CéU'e de Mel:a ávait insÍnué que
le roin'étút pas libre; et c'était la!, eomme
.JlOUS l';lvons dit, la politique des mécontents.
Ne-pouvant se servir du roi, ¡ls cherchaient a
le représenter eomme en état d'oppression, et
voulaient·annuler ainsí toutes 16& 10is qu'il
paraissait conl\entir. Lui·meme semblait secon-
der ¡~tte ~lit¡qQe. Iln'avait pas voulu rappe-
l~r ses gardes-du-corps renvoyés aux 5 el 6
oetQbre, ,et se faísait garder par la miliee na-
tio,nale, aU ,ruilien de laquelle il se savait en
sureté. Son intention était de paraitre captif.
La eommune de Paris déjoua cette trop petite
ruse, en priant ]e roi de rappeler ses garde~




ASSEMELÉE CONSTlTUANTJ¡ (J7~)()!, 21f:)
ce qu'il refusa sous de vains prétextes, et par
l'intermédiaire de la reine ....


L'allnée i 790 venait de cornmencer, et une
agitation générale se faisait sentir. Trois mois
assez calmes s'étaient écoulés depuis les 5 et 6
octobre, et l'inquiétude semblaít se renouve-
ler. Les grandes agitations sont suivies de
repos, et ces repos de petites erises. jusqu'é
des crises plns grandes. On aecusait de ces
troubles, le clergé, la Iloblesse, la cour, l' An-
gleterre meme, qui chargea son ambassadeur
de la justifier. Les compagnies, soldées de )a
ganle nationale furent elles - memes atteintes
de cette inquiétude générale. Quelques soldats
réunís aux Champs-Élysées demanderent une
augmentation de paie. Lafayette; présent par-
tont, accourut, les dispersa, les punít, el ré-
tablit le calme dans sa ,troupe toujours fidele.
malgré ces légeres interruptions de discipline.


00 parlait surtout d'un complot contre I'as-
semblée et la municipalité, dont le chef sup-
posé était le marquis de Favras. 11 fut arreté
avec éc1at, et livré au Chátelet. On répandit
aussitót que Bailly et Lafayette avaient dñ etre
assassinés; que douze cents chevaux étaient
prets a. Versailles pour ehlever le roi; qu'une


• Voyet, la note 1'1 a la fin <lu volume.




2. .6 RÉVOLUTION FRAN~AlS1L
armée, composée de Suisses et de Piémontais,
devait le recevoir, et marcher sur París. L'a-
Jarme se répandit; on ajouta que Favras était
l'agent secrét des personI1ages les plus élevés.
Les soupc;ons se dirigerent sur MOI1sieur, frere
du roi. Favras avait été dans ses gardes, et avait
de plus négocié un emprunt pour son compte.
Monsieur, effrayé de l'agitation des esprits, se
présenta a l'Ho_tel-de-Ville, prote~ta contre les
insilluations dont il était l' objet, expliqua ses
rapports avec Favras, rappela ses dispositions
populaires, manifestées autrefois dans l'assem-
blée des notables, et demanda a etre jugé, non
sur les hruits publics, mais sur son patriotisme
connu et point démenti *. Des applaUdisse-
ments universels couvrirent son discours, et
il fut reconduit par la foule jusqu'a sa de-
mellre.


Le proces de Favras fut continué. Ce Favras
avait couru l'Europe, épousé une princesse
étrangere, el faisait des projets pour rétablir
sa fortune. II en avaít faít au 14 juillet, aux 5
et 6 octobre, et dans les derniers mois de 1790.
Les témoins qui l'accusaient précisaient son
dernier plan. L'assassinat ele Baillyet de La-
fayette, l'enlevement du roi paraissaient faire


• Voyez la note 14 a la fin du vu!ume.




ASSEMBLÉE COl'iSTITUANTE (1790), 217
partíe de ce plan; mais on n'avait aucune
preuve que les douze cents chevaux fussent
préparés, jli que l'armée &uisse ou piémontaise
fut en mouvement. Les circonstances étaient
pell favorables a Favras. Le Chatelet venait
d'élargir Resenval et autres impliqués dans le
complot du J 4 juillet; l'opinion était méCOIl-
ten te. Néanmoins Lafayette rassura les mes-
sÍeurs du Chatelet, lenr demanda d'etre justes,
et'lenr promit que lelJr jllgement, q uel qu'il
fut. serait exécuté.


Ce proces fit renaltre les soup~ons contre la
cour. Cesnouveaux projets la faisaient paraitre J
incorrigihle; car, au milieu meme de París, on
la voyait conspirer encore. On conseilla donc
au roí une démarche éclatante qui put satís-
faire J'opinion publique.


Le 4 fpvrier 1790, I'assemblée fut étonnée
de voir quelques changements dans la dispo-
sition de la salle. Un tapis a fleurs de lis re-
-couvrait les marches du bureau. Le fauteuil
des secrétaires étail rabaissé; le présidellt était
dehollt a coté du siége ou iI était ordinaire-
ment assis. Voici le roi, s' écrient tont-a-coup
les huissiers; et Louis XVI entre aussitot dans
la salle. L'assemblée se 1i~ve a son aspect, et il
est re~u au milieu des appla~Jdissements. Une
fonJe de spectateurs rapidemellt accourus oc~




218 RJ.;VOLUTION FRANt;;AISE.


cupent les tribunes, envahissent toutes les pal'-
ties de la salle, et attendent avec la plus grande
impatience les paroles royales. Louís XVI
parle debout a l'assemblée assise: il rappeHe
d'abord les troubles auxquels la Frall'Ce s'est
trouvée en proie, les efforts qu'íl a faíts pOUI'
les calmer, et ponr assurer la subsistance du
peuple; jI récapitule les travaux des représen-
tants, en déclarant qu'il avait tenté les memes
dlOses dans les assemblées provinciales; iI
montre enfin qu'il avait jadis manifesté lui-
meme les vreux qui vierinent d'etre réalísés.
U ajoute qu'il croit devoír plus spécialement
s'unir aux représentants de la nation , dans un
1ll0meÍlt ou on lui a soumís les décrets desti-
nés a établir dan s le royaume une organisa-
tion llouvelle. 11 favorisera, dit-il, de tout son
pouvoir, le sucees de cette vaste organisation;
toute tentative contraire serait coupable et
poursuívie par tous les moyens. A ces mots,
des applaudissements retentissent. Le roi pour-
sujt; et, rappelant ses propres sacrifices, iI
engage tous ceux qui ont perdu quelque chose
a imiter sa résignation, et a se dédommager
de leurs pertes par les biens que la constitu-
tíon nouveile promet a la France. Mais, lol's-
qu'apres avoir promis de défendre cette cons-
titutíon, il ajoute qu'il fera davantage encore,




ASSEIIUILÉE CONSTITU ANTE (1790). 219
et que, de conce~t avec la reine, il préparera
de honne heure l'esprit et le creur de son fils
au nouvel ordre de choses, et l'habituera a
etre heureux du bonheur des Franc,;ais, des
cris . d'amour s'échapp. de toutes parts,
toutes les mains sont tendues vers le monarque,
tous les yeux cherchent la mere et l'enfant,
toutes les voix les demandent; les transports
sont universels. Enfin le roi termine son dis-
cours en recommandant la concorde et la paix
a ce bon peuple dont on l'assure qu'il est aiméy
quand on veut le consolel' de ses peines *.
A ces derniers mots, tous les assistants écla-
tent en témoignages de reconnaissance. Le
président fait une courte réponse o.n i1 ex-
prime le désordre de sentiment qui regne
dan s tous les creurs. Le prince est reconduit
aux TuilerÍes par la multitude. L'assemblée luí
vote des remerclments a lui et a la reÍne. Une
nouvelle idée se présente : Louis XVI venait
de s'engager a maintenir la constitution; c'é-
tait le cas pour les députés de prendre cet
engagement a leur tour. On propose done le
serment civique , et chaque député vient jurel'
d' etre fidele ti la nalion, ti la toi el au roí;
el de maintenir de tout son pouvoil' la consti~


.. Voyez la note 15 a la /in du volume.




220 HÉVOLllTION FHAN<;:AISE.


tulian décrétée par l' assemblée nationale et
acceptée par le roí. Les sllppléa'nts, les dépu-
tés du commerce, demandent a preter le ser-
ment a leur tour; les tribnnes, les amphi-
théatres les imitent"r et de toutes parts on
n'entend plus que ces mots : -le le jure.


Le serment fut répété a l'Hotel-de-Ville, et de
communes en communes par tOllte la France.
Des réjouissances furent ordonnées; l'effusÍon
parut génórale et sincere. C'était le cas san s
doute de recommencer une nouvelle conduite,
-et de ne pas rendre cette réconciliation inutile
eomme toutes les autres j mais le sóir meme,
tandjs que Paris brillait des feux allurnés pour
célébrer cet heureux événement, la conr était
tléja revenue a son humeur, el les députés po-
pulaires y recevaient un accueil tont différent
de cellli qlli était réservé aux députés nobles.
En vain Lafayette, dont les avis pleins de sens
et de úle n'étajent pas suivis, répétait a la
cour, que le roi ne pouvait plus balancer, et
qu'il devait s'attacher entierement au parti po-
pulaire, et s'efforcer de gagner sil confiance;
que pour cela jI fallait que ses intenlions ne
fussent pas seulement proclamées a l'assem-
blée, mais qu'elles fussent manifestées par ses
moÍndrrs actions; qu'il devait s'offenser du
moindre propos équivoque tellu elevant lui,




· ASSEl\IBLÉF. CONSTITUANTE (J790)' 22l
et repousser le moindre doute exprimé sur sa
volonté réelle; qu'il ne devaít montrer ni eon~
trainte, ni mécontentement, ne laisser auenne
espérance secrete aux aristocrates; et enfin
que les ministres devaient etre unís, ne se
permettre aucune rivalité avec l'assemblée, et
ne pas l'obJiger a recourir sallS ces se a l'opi-
nion publique. En vain Lafayette répétait - il
ces sages cOllseils avee des instauces respec-
tnellses; le roí recevait ses lettres, le trouvait
honnete homme; la reine les repollssait avec
humeur, et semblait meme s'irriter des res-
pects du général. Elle accueillait bien mieux
Mirabeau, plus influent, mais eertainement
moins irréprochable que Lafayette.


Les communications de Mirabeau avec la
cour avaient continué. Il avait meme entre-
tenu des rapports avec Monsicur, que ses opi-
nious rendaient plus accessible au partí POPII-
laire, el jI lui avait répété ce qu'il ne cessait
d'exprimer a la reine et a M. de Montmorin,
c'est que la monarehie ne pouvait etre sallvée
que par la liberté. Mirabeau fit enfin des con-
ventions avec la cour, par le secours d'un in-
termédíaire. Il énolu;a ses príncipes dans une
espece de profession de foi, il s'ellgagea a lIe
pas s'en écarter. et a soutenir la cour tant
qu'elIe demf'lIrerait sur la meme ligne. On lui




,


222 RÉVOLUTlON FRANC;:AISE.


llonnaít en retour un traitement assez con si-
dérable. La morale sans doute condamne de
pareils traités, et on veut que le devoir soit
fait pour le devoir seul. Mais était-ce la se ven-
dre? Un homme faible se fUt vendu sans doute,
en sacrifiant ses principes, mais le puissant
Mirabeau,loin de sacrifier les siens, yamenait
le pouvoir, et recevait en échange les secours
que ses grands besoÍns et ses passions désor-
données lui rendaient indispensables. Diffé-
rent de ceux qui ]ivrent fort cher de faibles
talents et une lache conscience, Mirabeau,
inébranlable dalls ses príncipes -, combattait
alternatívement son par ti Oll la COllr, comme
s'il n'avait pas attendu du premier ]a poptIla-
rité, et de la seconde ses moyens d'existenee.


/ '


Ce fut a tel point que les historiens, ne pou-
vant pas le eroire allié de la cour qu'íl com-
battait, n'ont placé que dans I'année 1791 son
traité, qui a été faít cependant des les pre-
miers mois de 1790. Mirabeau vit la reine, la
charma par sa supériorité, et en re<{ut un ac-
cueil qui le flalta beaucoup. Cet homme ex-
traordinaire était sensible a tous les plaisirs, a
ceux de la vanité comme a eeux des passions.
Il fallait le prendre avee sa force et ses faí-
blesses, et l'employer au pr06t de la cause
commnne. Outre Lafayette et Mirabeau, la




ASSJ-:MUÉE GONSTJTUANTE (1790)' 2:d
COUl' avait eneore Bouillé, qu'il est temps de
faire connaltre.


Bouillé, plein de eourage, de droiture et de
talents, avait tous les penehants de l'aristo-
eratie, et ne se distinguait d'elle que par
moins d'aveuglement et une plus grande habí-
tude des affaíres. Retiré a Melz, commandant
la une vaste étendue de frontieres, et lIne
grande partíe de l'armée, il taehait d'entrete-
nir la méfiance entre ses troupes el les gal'de~
nationaIes, afin de eonserver ses soldats a la
cour". Placé la en expeetative, il' effrayait le
partí populaire, el semblait le général de la
monarehie, eomme Lafayette eelui de la cons-
titutÍon. Cependant l'aristoeralie lui déplai-
sait, la faiblesse du roí le dégoutait du service ~
et il l'eut quitté s'il n'avait été pressé par
Loúis XVI d'y demeurer. Bouillé était plein
d'honneur. Son serment preté, il ne songea
plus qll'a servir le roi et Ja cOllstitution. La
cour devait done réunir Lafayette, Mirabeau
et BOllillé ; et par eux elle aurait eu les g~rdes
na~iouales, l' assemblée el l' armée, e' est-a.-dire,
les tmis pllissances du jour.Quelques motifs,
iI est vrai, divisaiellt ces trois personnage~.
Lafayette, pIein de bonue volonté. étail prp{


* C'est fui qui le clit oans ses Mémnift~s,




2~4 RÉVOLU'l'ION FRAN~AISJ.:.
a s'unir avec tous ceux qui voudraient servil'
le roi et la constitutioll; mais Mirabeau jalou-
sait la puissance de Lafayette, redoutait sa
pureté si vantée, et semblait y voir un repro-
che. Bouillé halssait en Lafayette une convic-
tion exaltée, et peut-etre un ennemi irrépro-
chable; il préférait Mirabeau, qu'il croyait plus
maniable, et moins rigoureux dans sa foi po-
litique. C'était a la coura unir ces trois hom-
mes, en détruisant leurs motifs particuliers
d'éloignement. Mais il n'y avait qu'un moyen
d'union, la monarchie libre. Il fallait done s'y
résignel' franchement, et y tendre de toutes ses
forces. Mais la conr toujours incertaine, sans
repousser Lafayette, l'aecueillait froidement,
payait Mirabeau qui la gourmandait par ínter-
valles, elltretenait l'humeur de Bouillé contre
la révolution, regardait l'Autriche avec espé-
raBee, et laissait agir l'émigrat ion de Turin.
Ainsi fail la faiblesse : eHe eherche a se don-
ner des espérances plutot qu'a s'assurer le
sueees, el elle ne parvient de eette maniere
qu'a se perdre, en inspirant des soup(,;ons qui
irritent autant les partís que la réalité meme,
car il vaut mieux les frapper que les me nacer.


\1 En vain Lafayette, qui voulait faire ce que
la cour ne fatsait pas, écrivait-Íl a Bouilté, son
parent, pour l'engager a servir le trone en




ASSEl\fllLiE CONSTlTUANTE (1790).
commun, et par les seuls moyens possibles,
ceux de la franchise et de la liberté; Bouillé,
mal inspiré par la eour, répondait froidemcnt
et d'une maniere évasive, et, sa'ns ríen ten ter
eontre la eonstitution, continuait a se rendre
imposant par le seeret de ses intentions et la
force de son armée.


Cette réconciliation du [~ février, qnÍ. aurait
pu avoir de si grands résultats, fut done vaine
et inutile. Le proecs de Favras' fut achevé, et
soit erainte, soit eonvietion, le Chatelet le
condamna a etre pendu. Favras montra, dans
ses derlliers moments, une fermeté dig~le d'un
martyr, et non d'nn intrigant. Il protesta de
son innocence, et demanda a faire une décla-
ratlon avant de monrÍr. i}échafaud était dressé
sur la place de Grcve. On le condnisit a I'Hotel-
de - Ville, oú il de'meura jusqn'a la nuit. Le
peuple voulait voir pendre un marquis, et at-
tendait avee impatience eet exemple de l'éga-
lité dans les supplices. Favras rapporta qtúl
avait eu des commullieations avec un grand de
l'état, qni l'avait engagé a disposer les esprits
en favenr du roí. Comme il fallait faire g uelques
dépenses, ce seigneur lui avait donné cent
louis qn'il avait acceptés. II assura que son
(Time se bornait la, et il ne nomma personne.
Cependant il demanda si I'aven des noms


J. 11)




226 RÉVOLUTlON l'RANt;:AISE.


pourrait le sauver. La réponse qu'on luí fit ne
I'ayant pas satísfait, en ce cas, dit-iI, je mour-
raí avec mon secret; et íI s'achemina vers le
líeu du supplice avec une grancle fermeté. La
nuit régnaít sur la place de I'exéclltion, et on
avait éclairé jusqu'a h potence. Le peuple se
réjouit de ce spectacle, content de trollver de
l'égalité meme a l'échafaud; il Y mela.d'atl'oces
railleries, et parodia de diverses manieres le
supplice de cet infortllné. Le corps de Favras
fut rendu a sa famille, et de nouveaux événe-
ments firent bientot oublier sa mort a ceux
qui l'av.aient puni, et a ceux qui s'en étaient
servis.


Le clergé désespéré continnait d'exciter de
petites agitations sur"'tonte la surface de la
France. La noblesse comptait heaucoup sur
son influence parmi le peuple. Tant que l'as-
semblée s'était contentée, par un décret, de
mettre les biens ecclésiastiques a la disposítion
de la nation, le clergé avaitespéré que l'exé~
cution du décret n'aurait pas líen; et, pour la
rendre inutilc, iI suggérait milIe moyens de
subvenir aux besoins da trésor. L'abbé Manry
avait proposé un impot sur le luxe, et l'abbé
de Salsede lui avait répondu en proposant, a
son tour, qn'atlcun ecclésíastique ne put avoir
plus de mille ¡'-cus de reveOllS. Le riche ~bhé





ASSEJ\JBLf:E CONSTITUANTE (1790)' ~27
se tut a une motion pareille. Une autre foís,
en discutant sur la <lelte de l'état. Cazales avait
conseillé d'examiner, Ilon pas la validité des
titres de chaqne créauce • mais la créance elle-
me me , son origine et son motif; ce qui était
renouveler la banquerollte par le moyen si
odieux et si usé des chambres ardentes. Le
clergé, ennemi des créanciers de l' état aux-
queIs il se croyait sacrifié, avait soutenu la pro-
position malgré le rigorisme de ses principes
en fait de propriété. Maury s'était emporté
ave e violen ce et avait manqué a l'assemblée,
en disant a une partie de ses membres, qu'ils
n'avaient que le courage de la honte. L'assem-
blée en avait été offensée, et voulait l'exclure
de son sein. Mais Mirabeau, qui pouvait se
croire attaqué, représenta a ses collegues que
chaque député appartenait a ses commettants,
et qu'on n'avait pas le droit d'en exclure un
seul. Cette modération convenait a la véritable
supériorité; elle réllssit, et Maury fut plus puni
par une censure qn'il ne l'cut été par l'exclu-
sion. Tous ces moyens inventés par le clergé,
pour mettre les créanciers de l'état a sa place,
ne lui servirent de rien, et l'assemblée décréta
la vente de 400 millions de biens dll domaine
et de l'Église. Désespéré alors, le c1ergé fit
cOllrir des pcrits parmi le penple, et répandit


I5.




228 RÉVOLUTION i'RAN<,jA.ISE.


que le projet des révolutionnaires éfait d'atta-
quer la religion catholique. C'est dan s les pro-
vinces du Midi qll'il espérait obtenir le plus
oe slIcces. On a Vil que la premie re émigration
's'était dirigée vers Turin. C'est avec le Lan-
guedoc et la Provence qu'elle entretenait ses
principales communications. Calonne, si céle-
bre sous les notables, était le ministre oe la
cour fugitive. Deux partis la divisaient : la
haute noblesse youlait maintenir son empire,
et redoutait l'iutervention de la nobles&e de
province, et surtout de la bourgeoisie. Aussi nc
'Voulait-elle recourir qu'a l'étranger ponr réta-
hlir le trone. D'ailleurs, user de la religion,
comme le proposaient les émissaires des pro-
vinces, lui semblait ridieule ¿¡' elle quí s'était
égayée pendant un siccle des plaisanteries de
Voltaire. L'autre partí, eomposé de petits no-
hles, de bonrgeois expatriés, voulaít combattre
]a passion de la liberté par une autre plus forte,
eelle du fanatisme, et vainere avec ses seules
forces, sans se mettre a la meró de l' étranger.
Les premien. allégllaient les vengeanees per-
sonnelles de la guerre eivile, pour excuser
l'intervention de l'étranger; les seconds soute-
naient que la guerre civile comportait l'effusion
fin sang, mais qu'il ne fallait pas se souiIler
d'une trahison. Ces derniers, plus conragellx,




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1790)' 2..2.9
plus patriotes, mais plus féroces, ne devaient
pas réussir dan s une eour ou régnait Calonne.
Cependant, eorome OH avait besoin de tont 'le
moade, les eommullications furent contilluées
entre Turin et les provinces méridionales. On
se décida a attaquer la révolution par la guerre
étrangere et par la guerre ci vi le, et pour cela,
on tenta de réveiller l'ancien f~natisme de ces
contrées ".


Le clergé ne négligea rien pour seconder ce
plan. Les protestants excitaient dans ces pays
l'envie des catholiques. Le clergé profita de
ces dispositions, et surtout des solennités da
paques. A MOlltpellier, aNimes, a Montauban,
l'antique fanatisme fut réveillé par tons le.s
moyens.


Charles Lameth se plaignita la tribnne de
ce qu'on avait abusé de la quinzaine de Paques
pour égarer le peuple et l'exciter eontre les
Iois nouvelIes. A ces mots, le clergé se souleva,
et voulut quitter l'assemblée. L'éveque de Cler-
mont en fit la menace, et une fouJe d'ecclé-
siastiques déja debout allaiellt sortir, mais o.n
rappela Charles Lameth·:'I. l'ordre, et le tU'7
multe úpai.sa. Cependant la vente des biens
du clergé était mise a exécution; il en était.


* Voycz la note 1611 la lin du voluJllc.




~3o RÉVOLUrrION FRA.N~AlSE.
aigri, et ne négligeait alleune occasion de faire
éclater son ressentiment. Dom Gerle, ehartreux
plein de bonne foi dans ses sentiments religieux
etpat.riotiques, demande un jour la parole, et
propose de déclarer la religion catholique, la.
seule religion de l'état '1-. Une foule de députés
se levent aussitot, et se disposent a voter par
aeclamation, en disant que e' est le eas pour
l'assemblée de se justifier du reproche qU'OIl
lui a faít d'attaquer la religion eatholique. Ce-
pendant que signifiait une proposition pareille?
Ou le décret avait pour but de donner Un pri-
vilége a la religion eatholique, et aueune ne
doit en avoir; ou iI était la déclaration d'un
fait, e'est que la majorité fran<;aise était eatho-
lique; et le fait n'avait pas besoin d'etre dé-
ciaré. Une telle proposítion ne pouvait done
etre accu eillie. A ussi, malgré les efforts de la
noblesse et du clergé, la diseussion fut ren-
voyée au lendemain. Une foule immense était
aeeourue; Lafayette, averti que des malveil-
lants se disposaient a exciter du trouble, avait
doublé la garde. La díseussion s'ouvre : un
ecclésiastique mena'ce l'assemblée de malé-
diction; Maury pousse ses eris accoutumés;
Menon répond avee calme a tons lesreproehes


~. Séancc dll 12 avril.




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1790). ~dl·
faits a l' assemblée, et dit qu' on ne peut raÍ-
sonnablernent ras l'accl1ser de vouloir abolir
la religion catholique, a ¡'instant ou elle va
mettre les dé penses de son culte au rang des
. dépenses publiques; il propose donc de passer
a l'ordre du jour. Dom Gerle , persuadé, retire
a10rs sa motion, et s'excuse d'avoir excité un
pareil tumulte. M. de Larochefoucault pré-
sente une rédaction nouvelle, et sa proposition
succede a ceHe de Menou. Tout-a-coup un
membre du coté tIroit se plaint de Iú~ITe pas
libre, interpelIe Lafayette, et luí demande
pourquo!)l a doublé la garde. Le motif n'était
pas suspect, car ce n' était pas le coté gauche
qui pouvait I'edouter le peuple, et ce n'était
pas ses amis que Lafayette cherchait a proté-
gel'. Cette interpellation allgmellte le tumulte;
néanmoins la discussion continue. Dans ces
débats, on cite Louis X+V:- (eJe ne suis pas
étonné, s'écrie alors l\1irabeau, qu'on rappelle
le regne ou a été révoqué l'édit de Nantes;
mais songez que de ceUe tribune ou je parle,
j'apen,;ois la fenetre fatale d'ou un roí, assassill
de ses sujets, melant les intérets de la. tene a
cellX de la religioIl , donna le signal ele la Saint-
Bal'thélemy. » CeHe terrible apostrophe ne ter-
mine pas la disCllssioll qui se prolonge encore.
La proposition du dIJe de Laroehefoucault




2:h RÉVOLUTlON FRAN<,iAISE.
est en fin adoptée. L'assemblée déclare que ses
sentimentssont COlinus, mais que, par respect
pour la liberté des consciences, elle ne peut
ni ne doit délibérer sur la proposition qui lui
est soumise.


Quelqlles jours étaient a peine écoulés, qu'un
autre moyen fnt encore employé pour mena-
cer l'assemblée et ]a dissoudre. La nouvelle
organisation du royanme était achevée, le
peuple allait etre convoqué pour é]ire ses roa-
gistrats, et on imagina de luí faire nommer en
meme temps de nouveaux députés, pour rem-
placer ceux qui composaient l'assemblée ac-
tueHe. Ce moyen, proposé et discuté une au-
tre fois, avait déja été repollssé. Il fut renon-
velé en avril 1790. Quelques cahiers bornaient
les pouvoirs a un an; il Y avait en effet pres
d'une année que l'assemblée était réunie. Ou-
verte en mai 1789, elle touchait au moís
d'avril J 790. Quoique les cahiers eussent été
annulés, quoiqu'on eut pris l'engagement de
ne ras se séparer avant l'achevement de la
constitution; ces hommes pour Icsquels iI n'y
avait lIi décret rendu, ni serment preté, quand
il s'agissaitd'allcr a leur but, proposent de
faire élire d'mltres députés et de leur céder la
place. Maury, chargé de cette journée, s'ác-
quitte de son role avec autant d'assllrance




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE ([ 790). 233
que jamais, mais avec plus d'adresse qu'a son
ordinaire. Il en appelle lui-meme a la souve-
raineté du peuple, et dit qu'on ne peut pas
plus long-temps se mettre a la place de la na-
lian, et prolonger des pouvoirs qui ne sont
que temporaires. n demande aquel titre on
s'estrevetu d'attributions souveraines; il sou-
tient que eette distinction entre le pouvoir
législatif et constituant est une distinction chi-
mérique, qll'une convention souveraine ne
peut exister qu'en l'absenee de tout gouverne-
roent; 'et que si l'assemblée est eette conven-
lion, elle n'a qu'a détroner le roi et déclat'er
le treme vacant. Des cris l'interrompent a ces
mots, et manifestent l'indignation générale.
Mirabeau se leve alors avec dignité : « On
« demande, dit-il, depuis quand les députés
l( du peuple sont devenus convention natio-
e( nale? Je réponds : e'est le jour ou, trou-
« vant l'entrée de leurs séances environnée de
« soldats, ils allerent se réulIir dans le premier
« endroit ou ils purent se rassembler, pour
« jurer de plutot périr que de trahir et d'aban-
« donner les droits de la nation. Nos pouvoirs,
({ qneIs qu'ils fussent, ont changé Ge jour de
,( nature. Quels que soient les pouvoirs que
(e nous avons exercés, nos efforts, nos tra-
c( vaux les out légitimés : l'adhé&ion de toute




234 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
{( la nation les a sanctifiés. Vous vous rappelez
« tous le mot de ce grand homme de l'antiqui-
{( té, qui avait négligé les formes légales pour
( sauver la patrie. Sommé par un tribun fac-
« tieux de dire s'iI avait observé les lois, il
1( répondit : Je jure que fai sauvé la patrie.
« Messieurs (s'écrie alors Mirabeau en s'adres-
« sant aux députés des communes), je jure
« que vous avez sauvé la France! »


A ce magnifique serment, dit FerrÍeres, ras-
semblée tout entiere, eomme entrainée par
une inspiration suhite, ferme la discussion, et
décrete que les réunions électorales ne s'occu.-
peront point de l'élection des llouveaux dé-
pUlés.


Ainsi ce nouveau moyen fut encore inutile,
et l'assemhlée put continuer ses travaux. Mais
les trollhles n'en continuerent pas rnoÍns par
toute la Fr.ance. Le commandant De Voisin fut
massacré par le peuple; les forts de Marseille
furent envahis par la garde nationale. Des
mouvements en sens contraires eurent líeu a
Nimes et a Montauhan. Les envoyés de Turin
avaient excité les catholiques; ils avaient fait
des adresses, dan s lesquelles ils déclaraient la
monarchie en danger, et demandaient que la
religion catholique fut déclarée religion de J'é-
tato Une proclamation royale avait en vaÍn ré-




ASSEMBLiE COl'lS'l'lTUANTE (1790)' 235
pondu; ils avaient répliqué. Les protestants en
étaient venus aux prises avec les catholiques;
et ces derniers, attendan t vainement les se-
cours promis par Turiu, avaient été enfin re-
poussés. Diverses gardes nationales s' étaient
mises en mouvement, pour secourir les pa-
triotes contre les révoltés; la lutte s'était ainsi
engagée, et le vicomte de Mirabeau, advel'-
saire déclal'é de son illustre frere, annoulfant
lui-meme la guerre civile du haut de la tribune,
sembla, par son mouvemellt, son geste, ses
paroles, la jeter dan s l'assemblée.


Ainsi, tandis que la partie la plus modérée
des députés tachait d'apaiser l'ardeur révolu-
tíonnaire, une opposition Índiscrete excitait
une fievre que le repos aurait pu calmer, et
fournissait des prétextes aux orateurs populai-
res les plus violents. Les clubs en devenaíenf
plus exagérés. Celui des Jacobins, Íssu du club
Breton, et d'abord établi a Versailles, puis a
París, l'emportaít sur les mItres, par le nom-
bre ~ les talents et la violence. * Ses séances.
étaient suivies comme ceHes de I'assemblée
elle-memc. Il devant:;ait toules les questio.lls


,. Ce club, dit des A mis de la constitution, fu t trans-
féré a Paris en octobre ) 789, et fut connu alors sous le
nom de club des J acobins, parce qu'il se réunissait dans
une ~alle du couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré.




236 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
que celle-ci devait traiter, et émettaít des dé-
cisions, qui étaient déja une prévention pour
les législateurs eux-memes. La, se réuBissaient
les principaux députés populaires, et les plus
obstinés y trouvaient des forces et des excita-
tions. Lafayette, pour combáttre cette terrible
influence, s'était concerté avec Bailly et les
hommes les plus éclairés, et avait formé un .au-
tre club, dit de 89, et plus taru des :Feuillants "..
Mais le moyen était impuissant; une réu ...
nion de cent hommes calmes et instruits ne
pouvait appeler la foule coÍnme le club d~s
Jacobins, ou onse livraít a toute la véhémence
des passions populaires. Fermer les clubs eut
eté le seul moyen, mais la cour avait trop peu
de franchise et inspirait trop de défiance, pour
que le partí populllire songeat a employer une
·ressource pareille. Les Lameth dominaient au
club des Jacobins. Mirabeau se montrait égale-
ment dans l'un et dans l'autre; iI était évident
a tous les yeux que sa place était entre tous
les partís. Une occasion se présenta bientot ou
son role fut encore mieux prononcé, et o u il
remporta pour la monarchie un avantage mé~
morable, comme nous le verrons ci-apres .


.. FOniJé le 12 mai.




ASSE1\flíLÉE CONSTITUANTE ('790). 237


CHAPITRE V.


'liiil'GIiiiI'


Étatpolitique et dispositions des puissances étrangeres
en 1790. - Discussions sur le droit de la paix et de la
guerreo _ Premiere institution du papier-monnaie ou
des assignats. - Organisation judiciaire. - Constitu-
tion civile du clergé.- Abolition des titres de noblesse.
- Anniversaire du 14 juillet. Féte de la premiere fédé-
ration. - Révolte des troupes a Nancy. - Retraite de
Necker. - Projets de la cour el de Mirabeau. -F'or·-
malion du camp de Jales. - Serment civique imposé
aux ecclésj¡istiqlles.


A. L'ÉPOQUE ou nous sommes arrivés,· la
révolution fraDl;;aise commen~ait d'attirer les
regards des souverains étrangers; son langage
était si élevé, si ferme; il avait un cal'actere
de généralité qui semblait si bien le rendre
propre a plus d'un peuple, que les princes
étrangers durent s'en effrayer. On avait pu
croire ,Ínsqnc-Ia a une agitation passagerc.




238 RÉVOLUTION FRANpISE.
mais les sueees de l'assemblée, sa fermeté, sá
eonstanee inattendue, et surtaut l'avenir qu'eIle
se propasaít et qu'elle proposaít a toutes les
nations, durent lui attirer plus de considéra-
tion et de haine, et lui mériter l'honneur d'ac-
cuper les eabinets. L'Europealors était divisée
en deux grandes ligues ennemies: la ligue
anglo-prussienne d'une part, et les cours im-
périales de l'antre.


Frédérie-GuilIaume avait succédé au grand
Frédéric sur le trane de la Prusse. Ce prince
mobile et faible, renollc;ant a la politique de
san illustre prédécesseur, avait abandonné l'al-
liance de la Franee pour ce He de l'Angleterre.
Uní a cette puissance, il avait formé cctte fa-
meuse ligue anglo-prussienne, qui tenta de si
grandes ehases et n'en exécuta allcnne; qui
souleva la Suede, la Pologne, la Parte, contre
la Russie et l'Autriche; abandonna tons ceux
qu'elle avait soulevés, et contribua meme a
les dépouillcr, en partageant la Pologne.


Le prajet de I'Angleterre -et de la Prusse
réunies avait été de ruíner la Russie et l'Au-
triche, en suscitant contre elles la Suede ou
régnait le chevaleresque Gustave, la Polagne
gémissant d'un premier partage, et la Porte
courroucéc des invasions russes. L'intention
particnliere de l' Angleterre, dans cette ¡igne.




A.SSEAlBLÉE CONSTITUANTE (J 790). 239
était de se venger des secours fournis aux
colonies américaines par la ·France, sans lui
déclarer la guerreo Elle en avait trouvé le
mo)<er'I en mettant aux prises les Turcs et les
Russes. La France ne pouvait demeurer neu-
tre entre ces deux peuples san S s'aliéner les
Turcs, qui cOJlllltaient sur elle, et sans per- .
dre ainsi sa domination commerciale dans le
J~evant. D'autre part, en participant a la
guerre, elle perdait l'alliance de la Russie,
ave e laquelle elle venait de conclure un traité
infiniment avantageux, qní lui assurait les bois
de construction, et tous les objets que le Nord
fournit abondamrnent a la marine. Ainsi dans
les deux cas, la France essuyait un dornmage.
En atteodant, I'Angleterre disposait ses forces
et se préparait a les déployer an besoio. D'ail-
lenrs, voyant le désordre des finances sons
les notables, le désordre popuIaire sons la cons-
tituante, elle croyait n'avoir pas besoin de la
guerre, et on a pensé qu'el1e airnait encore
mieux détruire la France par les tronbles inté-
rieurs que par les armes. Aussi I'a-t-on accusée
toujours de favoriser nos discordes.


eette ligue anglo-prussienne avait fait livrer
quelques batailles, dont le sllcces fut balancé.
Gustave s'était tiré en héros d'une position ou
iI s'était engagé en aventnrier. La Hollanrle in-




240 RÉVOLUTION FRAN¡;:AISF:.
surgée avait été soumise au stathouder par les
i~triglles angIais<.'s et les armées prllssiennes.
L'habHe AngIeterre avait ainsi privé la France
d'une puissante alliance mari time; et fe mo-
narque prussien, qui.ne cherchait que des
succes de vanité, avait vengé un outrage fait
par les états de Hollande a)'épouse du stat-
houder, qui était sa propre sreur. La PoLogne
achevait de se constituer, et allait prene/re les
armes. La Turquie avait été battlle par la Rus-
sie. Cepelldant la mort de l'empereur d'Au-
tri che , Joseph Il, survenue en janvier 1790,
changea la fa ce des événements. Léopold, ce
prince éclairé et pacifique, dont la Toscane
avait béni l'heureux regne, lui succéda. Léo-
poId, adroit autant que sage, voulait mettre
fin a la guerre, et pour y rénssir iI employa
les ressources de la séduction, si puissantes
sur la mobile imagination de Frédéric-Guil-
laume. On fit valoir a ce prince les douceurs
du repos, les maux de la guerre qui depuis si
long-temps pesaient sur son peuple, en fin les
dangers de la révolution fran<;:aise qui procla-
mait de si fnnestes principes. On réveilla en
lui les idées de pouvoir absolu, OH lui fit
meme concevoir l'espérance de chatier les ré-
volutionnaires fran~ais, eorome il avait chatié
ceux de Hollande; et il se laissa entraIIlf'r, a




ASSEMllLÉE CONSTITUANTE (1790). 241
l'instant ou il allait retirer les avantages de
cette ligue si hardiment con~ue par son mi-
nistre Hertzberg. Ce fut en juillet 1790 que
la paix fut signée a Reichenbach. En aout, la
Russie fit la sienne avec Gustave, et n'eut plus
affaire qu'a ]a Pologne peu redoutable, et aux
Tures battus de toutes parts. Nous ferons con-
naitre plus tard ces divers événements. Vat-
tention des puissallces finissait donc par se di-
riger presque tout entiere sur la révolution
de France. Quelque temps avant la conclusion
de la paix entre la. Prnsse et Léopold, lors-
que la ligue anglo-prussienne menat;ait les denx
cours impériales, et poursuivait secretement
la France, ainsi que l'Espagne, notre cons-
tante et fidele alliée , quelques navires anglais
[urent saÍsis dans la baie de Notka par les Es-
pagnols. Des réclamations tres -vives furent
élevées, et snivies d'un armement général dans
les ports de l'Angleterre. Aussitót l'Espagne,
il1voquant les traités, demanda le secours de
la Franee, et Louis XVI ordonna l'équipement
de quinze vaisseaux. On aceusa l' Angleterre
de vouloir, dan s cette occasion, augmenter nos
embarras. Les clubs de Londres, il est vrai,
avaient plusieurs fois complimenté l'assemblée
nationale, mais le cabínet laissait quelques
philantropes se livrer a ces épanchements


l. 1 (i




~4'l RÉVOLUTION FRAN~AISE.
philosophiques, et pendant ce temps payait,
dit-on, ces étonnants agitateurs qui reparais-
saient partout, et donnaient tant de peine
aux gardes nationales du royaume. Les trou-
bIes intérieurs furent plus grands encore au
moment de l'armement général, et on ne put
s'empecher de voir une liaison entre les mena-
ces de l' Angleterre et la renaissance du dé-
sordre. Lafayette surtout, qui ne prenait guere
la parole dans l'assemblée que pour les objets
qui intéressaient la tranquillité publique, La-
fayette dénon<;;a a la tribune upe influence se-
crete. « Je ne puis, dit-il, m'empecher de faire
remarquer a l'ássemblée cette fermentation
nouvelle et combinée, qtlÍ se manifeste de
Strasbourg aNimes, et de Brest a Toulon, et
qu'en vain les ennemis du peuple voudraient
lui attribuer, lorsqu'elJe porte tous les carac-
teres d'une influence secrete. S'agit-il d'établir
les départements, on dévaste les campagnes;
les puissances voisines arment-elles, aussitot
le désordre est dans nos ports et dans nos ar-
senaux. » On avait en effet égorgé plusieurs
commandants, et par hasard ou par choix nos
meilleurs officiers de marine avaient été immo-
lés. L'ambassadeur anglais avait été chargé
par sa cour de repollsser ces imputations. Mais
on sait quelle confiance méritent de pareils




ASSEMRLÉE CONSTITUANTE (1790). 243
messages. Calonne avait aussi écrit au roi *
pour justifier l' Angleterre, mais Calonne, en
parlant pour l'étranger, était suspect. Il disait
vainement que toute dépense est connue dans
un gouvernemellt représentatif, que meme les
dépenses secretes sont du moins avouées eornme
telles, el qu'il n'y avait daos les budgets an-
glais aucune attribution de ce genre. L'expé-
rience a prouvé que l'argent ne manque ja-
mais a des. ministres meme responsables. Ce
qu'on peut dire de mieux, e'est que le temps,
qui dévoile tout, n'a rien découvert a cet
égard, et que Necker, qui était placé pour en
bien juger, n'a jamais eru a cette secrete. ¡n-
fluenee n .


Le roí, comme on vient de le voir, avait fait
notifier a l'assemblée l'équipement de quinze
vaisseaux de ligne , pensant, disait-il, qu'elle
approuverait cette mesure, et qu' elle voterait
les dépenses nécessaires. L'assemblée accueillit
parfaitement le message, mais elle y vit une
question constitutionnelle, qu' elle crut devoir
résoudre avant de répondre au roi. « Les me-
sures sont prises, dit Alexandre Lameth, notre


.. Voyez 11 l'armoil'c ,le fer, piece nO 25, lettre de Ca-
lonne au roi, dll 9 avr\l 1790.


*" Voyez ce que dit Mme de StaCl dan s ses Considéra-
tions sur la révolution fr:m<:aisc.




244 RÉVOLUTION FRAN<;;AlSE.
discussion ne peut les retarder; il faut done
fixer auparavant a qui du roí ou de l'assemblée
on attribuera le droít de faire la paix ou la
guerreo » En effet, c'était presque la derniere
attribution importante a fixer, etl'une deeeHes
qui devaient exciter le plus d'intéret. Les ima-
ginatiolls étaient toutes pleines des fautes des
eours, de leurs alternatives d'ambition ou de
faiblesse , et on ne voulait pas laisser au trane
le pouvoir ou d'entrainer ]a nation dans des
guerres dangereuses , ou de la déshonorer par
des lachetés. Cependant, de tous les actes du
gouvernement, le soin de la guerre et de la
paix est celui ou iI entre le plus d'action, et
ou le pouvoir exécutif doit exercer le plus
d'influence; c'est celui on iI faut lui laisser le
plus de liberté pour qu'il agisse volontiers et
bien. L'opínion de Mirabeau, qu'on disait gagné
par ]a cour, était annoncée d'avance. L'ocea-
sion était favorable pour ravir a l'orateur eette
popularité si enviée. Les Lameth l'avaient
senti, et avaient chargé Barnave d'accabler
Mirabeau. Le coté droit se retira pour ainsi
dire, el ]aissa le champ libre a ces deux
rlvauX.


La discussion était impatiernment attendue;
elle s' ouvre *. Apres quelques orateurs qui ne ré-


.. Séances du 14 au 2.2. mai.




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTJ<~ (1790). ~45
pandent que des idées préliminaires, Mirabeau
est entendu et pose la question d'nne maniere
toute nouvelle. La gnerre, suivant lUÍ, est
presque toujours imprévue; les hostilités eom-
meneent avant les menaces; le roí ehargé du
salut public, doit les repousser, et la guerre se
trouve ainsi commencée avant que l'assemblée
ait pu interve nir. Il en est de meme pour les
traités : le roí peut seul saisir le moment de
négoeier, de eonférer, de disputer avee les
puissanees i l'assemblée ne peut que ratífier
les eonditi~s obtenues. Dans les deux eas, le
roí peut seul agir, et l'assemblée approuver ou
improuver. Mirabeau veut done que le pouvoir
exécutif soít lenu de soutenir les hostilítés
eommeneées, et que le pouvoir législatif, sui-
vant les eas, souffre la eontinuation de la
guerre, ou bien requiere la paix. Cette opinion
est applaudie, paree que la voix de Mirabeau
l'était toujours. Cependant Barnave prend la
parole, et, négligeant les autres orateurs, ne
répond qu'a Mirabeau. Il eonvient que souvent
le fer est tiré avant que la nation puisse etre
consultée , mais il soutient que les hostilités ne
sont pas la guerre, que le roi doit les repousser
et avertir aussitot l'assemblée, qui alors dé-
cIare en souveraine ses propres illtentions.
Ainsi toute la différence est dans les mots,




246 lIÉVOLUTION FRA.N~A.lSE.
car Mirabeau donne a l'assemblée le droit
d'improuver la guerre et de requérir la paix,
Barnave celui de déclarer l'une ou l'autre;
mais, dans les deux cas, le vreu de l'assemblée
était obligatoire, et Barnave ne lui donnait pas
plus que Mirabeau. Néanmoins Barnave est
applaudi et porté en triomphe par le peuple,
et on répand que son adversaire est vendu.
On eolporte par les rues et 11 grands eris un
pamphlet intitulé: Grande trahison du comte
de M irabeau. L' oeeasion était déei?,ive, chacun
attendait un effort du terrible afblete. Il de-
mande la réplique , l'obtient, monte a la tri-
bune en présence d'nne {oule immense réunie
pour l'entendre, et déclare, en y montant,
qu'il n'en descendra que mort ou victorienx.
« Moi aussi, dit-il en commeIH;ant, on m'a
porté en triomphe, et pOlIrtant on crie aujour-
d'huilagrande trahison ducomte deMirabeau.
Je n'avais pas besoin de cet exemple ponr
savoir qu'il n'y a qu'un pas du Capitole a la
roche Tarpéienne. Cependant ces coups de bas
en haut ne m'arreteront pas dans ma carriere. »
Apres cet imposant début, il annonce qu'il ne
répondra qu'a Barnave, et des le commence-
ment: -Expliquez-vous, lui dit-il, vous avez
dans votre opinion réduit le roi a notifier les
hostilités commencées, et vous avez dOllné a




ASSE~IBLÉE CONSTITUANTE (1790)' 247
l'assemblée toute seule le droit de déclarer a
cet égard la volonté nationale. Sur cela je vous
arrete et vous rappelle a nos príncipes, qui
partagent l'expression de la volonté nationale
entr.e l'assemblée et le roi ... En ne l'attribuallt
qu'a l'assemblée seule, vous avez forfait a la
constitution; je vous rappelle a l'ordre ... Vous
ne répondez pas ... ; je continue ...


I1 n'y avait en effet ríen a répondre. Barnave
demeure 'exposé pendant une longue réplique
a ces foudroyantes apostrophes. Mirabeau luí
répond article par article, et montre que son
adversaire n'a rien donné de plus a l'assemblée
que ce qu'il lui avait donné Iui-meme; mais
que seulement, en réduisant le roi a une simple
notifIcation, iI l'avait privé de son concours
nécessaire a l'expression de la volonté natio-
nale; iI termine enfIn en reprochant a Barnave
ces coupables rivalités entre des hommes qui
devraient, dit-il, vivre en vrais compagnons
d'armes. Barnave avait énuméré les partisans
de son opinion, Mirabeau énumere les siens a
son tour; iI Y montre ces hommes modérés ,
premiers fondateurs de la constitution, et qui
entretenaient les Fraru;;ais de liberté, lorsque
ses vils calonmiateurs su~aient le lait des cours
(il désignait les Lameth, qui avaient re~u des
bienfaits de la reine); ce des hommes, ajoute-t-il,




248 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
quí s'honoreront jusqu'au tombeau de leul's
amis et de leurs ennemis. »


Des applaudissements unanimes eouvrent la
voix de Mirabeau. Il y avait dans l'assemblée
une portio n eonsidérable de députés qui n'ap-
partenaient ni a la droite ni a la gauche, mais
qui, sans anenn partí pris, se déeidaient sur
l'impression du momento C'était par eux que
le génie et la raison régnaient, paree qu'ils
faisaient la majorité en se portant vers un coté
OH vers l'autl'e. Barnave veut répondre, l'as-
semblée s'y oppose et demande a aller aux
voix. Le décret de Mirabeau, supéneurement
amendé par Chapelier, a -la príorité , et iI est
eofin adopté (~~ mai), a la satisfaction géné-,.
rale; cal' ces rivaHtés ne s'étendaient pas au-
dela du cercle 00. elles étaient nées, et le partí
populaire croyait vraincre aussi bien avec
Mirabeau qu'avec les Lameth.


Le décret conférait au roi et a la oation le
droit de faire la paix et la guerreo Le roí était
chargé de la disposition des forces, il notifiait
les hostilités commencées, réunissait l'assem-
blée si elle ne l'était pas, et proposait le décret
de paix ou de gil erre ; l'assemblée délibérait
sur sa proposition expresse, et le roi sanction-
nait ensuite sa délibération. C'est Chapelier
qui, par un amendement tres-raisonnabJe,




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790 ). 249
avalt exlgé la proposition expresse et la sanc-
tion définitive. Ce décret, conforme a la raison
et aux príncipes déja établis, excita une joie
sincere chez les constitutionnels, et des espé-
rances folles chez les contre-révolutionnaires,
qui crurent que l'esprit public allait changer,
et que cette victoire de Mirabeau allait devenir
la leur. Lafayette, qui dans cette circonstance
s'était uni a Mirabeau, en écrivit a Bouillé,
luí fit entrevoír des espérances de calme et de
modératíon, et tacha, comme iI le falsait tou-
jours, de le concilier a l'ordre nouveau.


L'assemblée continuait ses travaux de finan-
ces. Ils consistaient adisposer lemieux possible
des biens du clergé, dont la vente) depuis long-
lemps décrétée, ne pouvait etre empechée ni
par les protestations, ni par les mandements,
ni par les intrigues. Dépouiller un corps trop
puissant d'une grande partie dn territoire, la
répartir le mieux possible, et de maniere a la
fertiliser par sa division; rendre .. insi proprié-
taire une portion considérable du peuple qui
ne l'était pas; enfin éteindre par la meme
opération les dettes de l'état, et rétablir l'ordre
dans les finan ces , tel était le hut de l'assem-
hlée, et elle en sentait trop l'utilité, pour
s'effrayer des obstacles. L'assemhlée avait déjá
ordonné la vente de 400 mil1ions de biens du




250 RÉVOLUTION FRANctAISE.
domaine et de l'Église, mais il fallait trouver
les moyens de vendre ces biens sans les dis-
créditer par la concurrence, en les offrant
lous a la fois. Bailly proposa, au nom de la
municipalité de Paris, un projet parfaitement
conc;u, c'était de transmettre ces bien s aux
municipalités, qui les acheteraient en masse
pour les revendre ensuite peu a peu, de ma-
niere que la mise en vente n'eut pas líeu tout a
la fois. Les municipalités Il'ayant pas des fonds
pour payel' sur-Ie-champ, prendraient des en-
gagements a temps, et on paierait les créan-
ciers de l' état avec des bons sur les communes,
qu'elles ser~ient chargées d'acquitter successi-
vement. Ces bons , qu' on appela dans la discus-
sion papier municipal, donnerent la premiere
idée des assignats. En suivant le projet de
Bailly, on mettait la main sur les biens ecclé-
siastiques : ils étaient déplacés, divisés entre les
communes, et les créallciers se rapprochaient
de leur gage, en acquérant un titre sur les
municipalités, au lieu de l'avoir sur rétat. Les
suretés étaient donc augmentées, puisque le
paiement était rapproché; iI dépendait meme
des créanciers de l'effectuer eux-memes, puis-
que avec ces bons ou assignats ils pouvaient ac·
quérir une valeur proportioIlnelle des biensmis
en vente. On avait ainsi beaucoup fait pour eux,




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1790). 2.5 J
mais ce n'était pas tout encore. Ils pouvaient
ne pas vouloir convertir leurs bons en terres,
par scrupule ou par tout autre motif, et, dans
ce cas, ces bons, qu'il leur fallait garder , ne
pouvant pas circuler eomme de la monnaie,
n'étaient pour eux que de simples titres non
acquittés. Il ne restait plus qu'une derniere
mesure a prendre, c'était de donner a ces hons
ou titres la faculté de cireulation; alors ils
devenaient une véri table monnaie, et les créan·
ciers, pouvant les donner en paiement, étaient
véritablement remboursés. Urre autre considéra·
tion était décisive. Le numéraire manquait; on
attribuait eette disette a.l'émigration quí empor-
tait beaueoup d'espeees, aux paieme~ts qu'on
était obligé de faire a l'étranger, et enfin a la
malveillanee. La véritable cause était le défaut
de eonfiance produit par les troubles. C'est
par la circulation que le numéraire devient
apparent; quand la eonfiance regne , l'activité
deséchanges est extreme, le numéraire marche
rapidement. se montre partout, et on le eroit
plus considérable, paree qu'il sert davantage;
mais quand les troubles poli tiques répandent
l'effroi, les capitaux languissent , le numéraire
marche Ientement; iI s'enfouit souvent, et on
accuse a tort son absenee.


Le désir de suppléer aux espeees métalli-




252 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ques, que l'assemblée croyait épuisées, celui
de donner aux. créanciers autre chose qu'un
titre mort dans leurs mains, la nécessité de
pourvoir en 'Olltre a une foule de besoins pres-
sants, fit donner a ces bons ou assignats le
cours forcé de monnaie. Le créancier était
payé par la, puisqu'il pouvait faire accepter
le papier qu'il avait re.,;.u, et suffire ainsi a tous
ses engagements. S'il n'avait pas voulu acheter
des terres, ceux qui avaient re¡;;u de lui le pa-
pier circulant devaient finir par les acheter
eux-memes. Les assignats qui rentraient par
cette voie étaient destinés a etre brulés; ainsi
les terres du clergé devaient bient~t se trou-
ver distribuées et le papier supprimé. Les as-
signats portaient un intéret a tant le jour, et
acquéraient une valeur en séjournant dans les
mains des détenteurs.


Le clergé, qui voyait la un moyen d'exécu-
tion pour l'aliénation de ses biens, le repoussa
fortement. Ses alliés nobles et autres, contrai-
res a tout ce qui facilitait 'la marche de la ré-
volution, s'y opposerent aussi et crierent au
papier-monnaie. Le nom de Law devait tout
naturellement retentir, et le souvenir de sa
banqueroute etre ré..-eillé. Cependant la com-
paraison n'était pas juste, paree que le papier
de Law n'était hypothéqué que sur les sllcces




ASSEJ\IBLÉE CONSTITUANTE (1790). 253
a venir de la compagnie des Indes, tandis que
les assignats reposaient sur un capital territo-
rial, réel et facilement occupable. 'Law avait
fait pour la cour des faux considérables, et
avait excédé de beaucoup la valeur présumée
du capital de la compagnie; l'assemblée au
contraire ne pouvait pas croire, avec les for-
mes nouvelles qu'elle venait d'établir, que des
exactions pareilles pussent avoir lieu. Enfln la
somme des assignats créés ne représentait
qu'une tres-petite partie du capital qui Ieur
était affecté. Mais, ce qui était vrai, c' est que
le papier, quelque sur qu'il soit-, n'est pas,
comme l'argent, une réalité, et. suivant l'ex-
pression de Bailly, une actualité physique. Le
numéraire porte avee lui sa propre valeur; le
papier, au contraire, exige encore une opéra-
tion, un achat de terre, une réalisation. Il doit
done etre au-dessous dll numéraire, et des qu'il
est au-dessous, le nllméraire, que personne ne
veut donner pour du papier, se cache et fluit
par disparaitre. Si, de plus, des désordres dans
l'administration des ~iens, des émissions im-
modérées de papier, détruisent la proportion
entre les effets circulant etle capital, la con-
flance s'évanouit; la valeur nominale est con-
servée, mais la valeur réelle n'est plus; celui
qui ·donne cette monnaie conventioonelle vol e




254 RÉVOLUTION FRAN<;;AJSH.
eelui qui la re«;;oit, et une grande crise a líeu.
Tout cela était possible , et avec plus d'expé-
rience anrait paru eertain. Comme mesure fi-
nanciere, l' émission des assignats était done
tres - critiquable, mais elle était nécessaire
comme mesure politique, car elle fournissait
a des besoins pressa'nts, et divisait la pro-
priété sans le secours d'nne loi agraire. L'as-
semblée ne devait done pas hésiter; et, malgré
Maury et les siens, elle décréta quatre cent
millions d'assignats forcés avec intéret"'.


Necker depuis long-temps avait perdu la
confiance du roi, l'ancienne déférence de ses
collegues, et l'enthousiasme de la nation. Ren-
fermé dans ses calculs, il discutait quelquefois
ave e l'assemblée. Sa réserve a l'égard des dé-
penses extraordinaires avaít fait demander le
livre rouge, registre fameux ou 1'0n trouvait,
disait - on, la liste de toutes les dépenses
secretes. Louis XVI céda avec peine, et fit
eacheter les feuillets ÜU étaient portées les
dépenses de son prédécesseur Louis XV. L'as-
sembléerespecta sa délicatesse, et se borna
aux dépenses de ce regne. On n'y trouva rien
de personmil au roi; les prodigalités étaient
toutes relatives aux courtisans. Les Lameth s'y


~ Avril.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 255
trouverent portés pOllr un bienfaít de soixante
mille francs, consacrés par la reine a leur édu-
cation_ Ils firent reporter cette somme au tré-
sor publico On réduisit les pensions sur la
double proport ion des services et de l'ancien
état des personnes. L'assemblée montra par- .
tout la plus graQde modération; elle supplia
le roí de fixer lui-meme la liste civile, et elle
vota par acclamation les vingt-cinq millions
qu'il avait demandés.


eette assemblée, forte de son nombre, de
ses lumieres, de sa puissance, de ses résolu-
tions, avait con<;u l'immense projet de régé-
nérer toutes les parties de l'état, et elle venait
de régler le nouvel ordre judiciaire. Elle avait
distribué les tribunaux de la meme maniere
que les administrations, par distrÍcts et dépar-
tements_ Les juges étaient laissés a l'élection
populaire_ Cette derniere mesure avait été
fortement combattue_ La métaphysique politi-
que avait été encore déployée ici pour prouver
que le pouvoir jndiciaire relevait du pouvoir
exécutif, et que le roi devait nommer les ju-
ges. On avait trouvé des raiSOllS de part et
d'autre; mais la seule a donller a l'assemblée,
qui était dans l'intention de faire une monar-
chie, c'est que la royauté, successivement
dépouillée de ses attrihutions, devenait une




256 RÉVOLUTION FRA.N~A.JSE.
simple magistrature, et l'état une rép'ublique.
Mais dire ce qu'était la monarchie était trop
hardi; elle exige des concessrons qu'un peu-
pIe ne consent jamais a faire, dans le premier
moment du réveil. Le sort des nations est de
demanoer ou trop, ou rien. L'assemblée vou-
!ait sincerement le roi, elle était pleine de dé-
férence pour luí, et le prouvait achaque ins-
tant; mais elle chérissait la personne, et,
sans s'en douter, détruisait la chose.


Apres cette uniformité introduite dans la
justice et l'administration, il restait a régula-
riser le service de la religion, et a le consti-
tuer comme tous les autres. Ainsi, quand on
avait établi un tribunal d'appel et une admi-
nistration supérieure dans chaque départe-
ment, il était natnrel d'y placer aussi un éve-
ché. Comment, en effet, souffrir que certains
évechés embrassassent quinze cents lieues car-
rées, tandis que d'autres n'en embrassaient
que vingt; que certaines cures eussent dix
lieues de circonférence, et que d'autres comp-
tassent a peine quinze feux; que beaucoup de
curés eussent an plus sept cents livres, tandis
que pres d'eux iI existait des bénéficiers qui
comptaient dix et quinze mille livres de reve·
nlls? L'assemblée, en réformant les abus,
n'empiétait pas sur les doctrines ecclésiasli-




ASSEIUBLÉE CONSTlTUANTE (1790). 257
ques, ni sur l'autorité papale, puisque les cÍr-
conscriptions avaient toujours appartenu au
pouvoir temporel. Elle vonlait done former
une nouvelle divÍsion, soumettre eomme jadis
les curés et les éveques a l' élection populaire;
et en ceja encore elle n'empiétait que sur le
pouvoir temporel, puisque les dignitaires ec-
clésiastiques étaient choisÍs par le roi et Ínsti-
tués par le pape. Ce projet, qui fut nommé
constitution civile du clergé, et <lui 11t calom-
níer l'assemblée plus que tout ce qu'elle avait
faít, était pourtant l' ouvrage des députés les
plus pieux. C'étaít Camus et autres jausénistes
quí, voulant raffermir la religion dans l'état,
eherchaient a la mettre en harmonie avecles
101s nouvelles. Il est eertain que la justice
étant rétablie partont, iI était étrange qu'elle
ne le fUt pas dans 1'administration eedésiastí-
que anssi bien qu'aillenrs. Sans Camus et quel-
ques autres, les membres de l'assembléc, éle-
vés a l'école des philosophes, auraient traité
le chrÍstianisme eomme toutes les autres reli-
gÍons admises dans l'état, et ne s'cn seraient
pas oeeupés. Ils se preterent a des sentiments
que dans nos mreurs nouvelles il est d'usage
de ue pas eombattre, meme quand on ne les
partage pas. Ils soutinrent done le projet relÍ-
giellx et sincerement chrétien de Camns. Le


J. 17




258 nÉvoLuTION FRAN9AISE.
c1ergé se souleva, prétendit qu'on empiétait
sur l'autorité spirituelle du pape, et en appela
a Rome. Les principales bases du projet rurent
néanmoins adoptées"', et aUl5sitot présentées au
roi, qui demanda du temps pour en référer
au grand pontife. Le roi, dont la religion éclai-
rée reconnaissait la sagesse de ce plan, écrivit
au pape avec le désir sincere d'avoir son con-
sentemen't, et de rcnverser par la toutes les
objcctions du clergé. On yerra bientot queIles
intrigues empecherent le sllcces de ses vreux.


Le mois de juillet approchait; it Y avait bien-
tot un an que la BastiUe étalt prise, que la
nation s'était emparée de tous les pouvoirs, et
qu'clle prononc;ait ses volontés par l'assemblée,
et les exécutait eUe-meme, ou les faisait exé-
cuter sous sa surveillance. Le 14 juiJlet était
considéré comme le jour qui avait commencé
une ere nouvelIe, et on résolut d'en célébrer
l'anniversaire par une grande fete. Déja les
provinces, les villes, avaient donné l'exemple
de se fédérer, pour résisrer en commun aux
ennemis de la révollltion. La munieipalité de
Paris proposa pour le 14 juillet une fédération
générale de toute la Franee, qui serait célé-
brée au milieu de la capitale par les députés


• DÚTl't du 1'1 jllillet..


...




ASSEMBLÉF. CONSTITUANTE (1790). 259
de tOlltes les gardes nationales et de ton s les
corps de l'armée. -Ce projet fut accueilli avec
enthousiasme, et des préparatifs immenses
furent faits pour rendre la fete digne de son
objeto


Les nations, ainsi qu'on l'a vu, avaient de-
puis long-temps les yeux sur la France; les
souverains commen<;aient a nous hair et a
nous craindre, les peuples a nons estimer. Un
certain nombre d'étrangers enthousiastes se
présenterent a l'assemblée, chacun avec le
costume de sa nation. Leur orateur, Anacharsis
Clootz, Prussien de naissance, doué d'une
imagination folle, demanda au nom du g¡enre
humain a faire partie de la fédération. Ces
s ct'm es , qui paraissent ridicules a ceux qui
ne les out pas vues, émeuvent profondément
ceux quí y- assistent. L'assemblée accorda la
demande, et le président répondit a ces étran-
g€rs qu'ils seraient admis, pour qu'íls pussent
raconter a leurs compatriotes ce qu'ils avaient
vu, et leur faire connaltre les joies et les
bienfaits de la liberté.


L'émotion causée par eette scene en amena
une autre. Une statlle équestre de Louis XIV
le représentait foulant aux pieds l'image de
plusieurs provinces vaincues : « Il ne faut pas
souffrir, s'écría l'un des Lameth, ces monu-


17·




200 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
ments d'esclavage dans les jours de liberté. Il
ne faut pas que les Francs-Comtois, en arri-
vant a París, voient leur image ainsi enchai-
née.) Maury combattit une mesure qui était
peu importante, et qu'il fa1lait accorder a l'en-
thousiasme p"blic. Au nH~me instant une vojx
proposa d'ab01ir les titres de comte, marquis,
baron, etc., de défendre les livrées, en fin de
détruire tous les ti tres héréditaires. I..Je jellne
Montmorency soutint la proposition. Un noble
demanda ce qu'on substituerait a ces mots:
Un te! a été faitcomte pour avoir servi l'état?-
OQ. dira simplement, répondit Lafayette, qu'un
tel a sauvé l'état un te1 jour. Le décl'et fut
adopté"', malgré 1'irritation extraordinaire de
la noblesse, qui fut plus courroucée de la
suppression de ses titres que des pertes plus
réelles qu'elle avait faites depuis le commen-
cement de la révolutiol1. La partie la plus mo-
dérée de I'assemblée aurait voulu qu'en abolis-
sant les litres, on Jaissat la liberté de les
porter a ceux qui le voudraient. I..Jafayette
s'empressa d'avertir la cour, avant que le dé-
cret fUt sauctionné, et l'engagea de le ren-
voyer a l'assemblée qui conseutait a l'amender.
Mais le roí se hata de le sanctionner, et OH


• Décret et si-alu'e du 19 jnin.




ASSEMBLJ.:E CONSTITUANTE (1790). 201
crllt y voir l'iutention peu franche de pousser
les choses au pire.


L'objet de la fédération fut le serment civi-
que. On demanda, si les fédérés et l'assemblée
le preteraient dan s les mains du roi, on si le
roi, considéré comme le premier fonctionnaire
public, jurerait avec tous les autres sur l'antel
de la patrie. On préféra le dernier moyen. L'as-
semblée acheva aussi de meUre l'étiquette en
harmonie avec ses lois, et le roi ne fut dans
la cérémonie que ce qu'il était duns la consti-
tution. La cour, a qui Lafayette inspirait des
défiances continuelles, s'effraya d'une nouvelle
qu'on répandait, et d'apres laquelle il devait
etre nommé commandant de toutes les gardes
nalionales du royaume. Ces défiances, pour qui
ne connaissait pas Lafayette, étaient l1aturel1es,
et ses ennemis de tous les catés s'attachaient
a les augmenter. Comment se persuader en
effet qu'un homme jouissant d'une telle popu-
larité, chef d'une force aussi cOIlsidérable, ne
voulut pas en abuser? Cependant il ne le vou-
laitpas; il était résolu a n' etre que citoyen; et,
soit vertu, soit ambition bien entendue, le
mérite est le meme. 11 faut que l'orgueil hu-
main soit placé quelque part; la vertu consiste
a le placer dans le bien. Lafayette, prév.enant
les craintes de la conr, proposa qu'un nH~me




262 RÉVOLUTION FRANyAlSE.


individu ne put cornrnander plus d'une garde
de département. Le décret fut accueilli avec
acclamation, et le désilltéressement du général
couvert d'applaudissements. Lafayette fnt ce-
pendant chargé de tout le soin de la fete, et
nommé chef de la fédérationen sa qualité de
commandant de la garde parisienne.


Le jour approchait, et les préparatifs se fai.-
saient avec la plus grande activité. La fete de-
vait avoir lieu au Champ-de~Mars, vaste terrain
qui s'étend entre l'École-Militaire et le cours
de la Seine. On avait projeté de transporter la
terre du milieu sur les cotés, de maniere el
former un amphithé;hre qui put contenir la
masse des spectatettrs. Douze mille ouvriers y
travaillaient sans relache ; et cependant il était
el craindre que les travaux ne fussent pas ache-
vés le 14. Les habitants veulent alors se joindre
eux-memes aux travailleurs. En un instant toute
la population est transformée en ouvriers. Des
religieux, des militaires, des hommes de toutes
les classes, saisissent la pelle et la beche; des
femmes élégantes contribuent elles-memes aux
travaux. Bientot l'entralnement est général; on
s'y rend par sections , avec des bannieres de di-
verses couleurs, et au son du tambour. Arrivé,
OH se mele et on travaille en commun. La nuít
venue et le signal donné, chacun se rejoint




ASSDIBLÉE COl'lSTJTUAl'ITE ~ 1790)' 263
aux siens et retourne a ses foyers. Cette douce
union l'égna jusqu'a la fin des travaux. Pen-
dant ce temps les fédérés arrivaient continuel-
lement, et étaient re<;us a;ec le plus grand
empressement et la plus aimable hospitalité.
L'effusion était générale, et la joie sincere,
malgré les alarmes que le tres-petit nombre
d'hommes restés inaccessibles a ces émotions,
s'efforc;aient de répandre. On disait que des
brigands profiteraient du moment ou le peuple
serait a la fédération pour piller la ville. On
supposait au due d'Orléaus, revenu de Lon-
dres, des projets sinistres; cependant la gaité
nationale fut inaltérable, et on ne crut a aucune
de ces méehantes prophéties.


Le 14 arrive enfin : tous les fédérés députés
des provinces et de l'armée, rangés sous leurs
chefs et leurs hannieres, partent de la place
de la Bastille et se rendellt aux Tuilel'ies. Les
députés du Béarn, en passant clans la fue de la
Ferronnerie, ou avait été assassiné Henri IV,
lui rendent un hommage, quí, dans cet instant
d'émotion, se manifeste par des larmes. Les
fédérés, arrivés au jardin des Tuileries, rec;oi-
vent dans leurs rangs la municipalité et l'assem-
blée. Un hataillon de jeunes enfants, armés
comme leurs peres, devau(!ait l'assemblée : un
groupe de vieillards la suivait, et rappclait




264 RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
ainsi les antiques souvenirs de Sparte. Le cor-
tége s'avance au milieu des cris et des applau-
dissements du peuple. Les quais étaient cou-
verts de spectateurs, les maisons en étaient
chargées. Un pont jeté en quelques jours sur
la Seine, conduisait, par"un chemin jonché de
fleurs, d'une rive a l'autre, et aboutissait en
face du champ de la fédération. Le cortége le
traverse, et chacun prend sa place. Un amphi-
théatre magnifique, disposé dans le fond , était
destiné aux autorités nationales. Le roi et le
président étaient assis a coté l'un de l'autre sur
des siéges pareils, semés de fleurs de lis d'or.
Un balcon élevé derriere le roi portait la reine
et la cour. Les ministres étaient a quelque dis-
tance du roi, et les députés rangés des deux
cotés. Quatre cent mille spectateurs remplis-
saient les amphithéatres latéraux; soixante
miHe fédérés armés faisaient leuis évolutions
dans le champ intermédiaire; et au centre s' é-
levait, sur une base de vingt-cinq pieds, le
magnifique autel de la patrie. Trois cents
pretres revetus d'aubes blanches et d'écharpes
tricolores en couvraient les marches, et de-
vaient servir la messe.


L'arrivée des fédérés dura trois heures. Pen-
dant ce temps le cíel était couvert de sombres
nuages, et la pIoie tombaít par torrcnts. Ce




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1790)' 265
cíel, dant l'éclat se marie si bien a la joie des
hommes, leur refusait en ce moment la séré-
Hité et la lumiere. Un des bataillons arrivés
dépose ses armes, et a l'idée de former une
danse; taus l'imitent aussitat, et en un seul
instant le champ intermédiaire est encombré
par soixante mille hommes, soldatset citoyens,
qui opposent la gaité a l'orage. Enfin la cérémo-
nie commence; le ciel, par un hasard heureux, se
découvre et illumine de son édat cette scene 50-
lennelIe. L'éveque el' Autun commellce la messe;
des chreurs accompagnent la voix du pontife;
le canon y .mele ses bruits soleunels. Le saint
sacrifice achevé, Lafayette descend. de cheval,
monte les marches du trane, et vient recevoir
les ordres du roí, quí luí confie la formule du
serment. Lafayette la porte a l'autel, et dans
ce moment toutes les bannieres s'agitellt, tous
les'sabres étinceIent. Le général, J'arrnée, le
président, les députés crient: Je le jure! Le
roi debout, la main étendue vers l'antel, dit:
Moi, roi des Fram;ais, je jure d' employer le
pOUl'oir que m' a délégué l'acle conslitutionnel
de l'état, ti mainfenir la constitution décrétée
par l'assemblée nationale el acceplée par mOl.
Dans ce mament la reine, entraluée par le
mouvement général, saisit dans ses bras l'au-
guste enfant, héritier du trane, et du haut du




266 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
balcon ou elle est placée le montre a la·nation
assemblée. A cette vue, des cris extraordinaires
de joie, d'amour, d'enthousiasme, se dirigent
vers la mere et 1'enfant, et tous les cceurs sont
a elle. C'est dan s ce meme instant que la France
tout entiere ,réunie clans les quatre-vingt-trois
chefs-lieux des départements, faisait le meme
serment d'aimer le roi qui les aimerait. Hélas!
dans ces moments, la haine meme s'attenclrit,
l' orgneil cede, tous sont heureux du bonheur
commun, et fiers de la dignité de tous. Pour-
quoi ces plaisirs si profonds de la concorde
sont-ils sitot oubliés !


Cette auguste cérémonie achevée, le cortége
reprit sa marche, et le peuple se li vra a toutes
les inspirations de la joie. Les réjouissances
durerent plusieurs jours. Une revue générale
des fédérés eut lieu ensuite. Soixante mille
hommes étaient sous les armes, et présentaient
un magnifique spectacle, tout a la foismili-
taire et national. Le soir, París offrit une fete
charmante. Le principal lieu de réunion était
aux Champs-Élysées et a la Bastille. On lisait
sur le terrain de cette ancienne prison, changé
en une place: leí ron danse. Des feux bril-
lant8, rangés en guirlandes, rempla<;aient l'éclat
du jour. Il avait été défendu a l'opulence de
troubler cette paisible féte par le mouvemcnt




ASSEIUBLÉE CONSTlTU ANTE (1790). 267
des voitures. Tout le monde devait se faire
peuple, et se trouver heureux de l'etre. Les
Champs-Élysées présentaient une scene tou-
chante. Chacun y circulait san s ,bruit, sans tu-
multe, sans rivalité, san s haine. Toutes les
classes confondues s'y promenaíent au doux
éclat des lumieres, et paraissaient satÍsfaites
d'etre ensemble. Ainsi, meme au sein de la
vieille civilisation, on semblait avoir retrouvé
les temps de la fraternité primitive,


Les fédérés, apres avoir assisté aux im posan-
tes díscussions de l'assemblée nationale, aux
pompes de la cour, aux magnificences de París,
apres avoir été témoins de la bonté du roí,
qu'ils visiterent tous, et dont ils re~urent de
touchantes expressions de bonté, retournerent
chez eux, transportés d'ivresse, pleins de bons
scntiments et d'illusions. Apres tant de scenes
déchirantes, et pret a en raconter de plus ter-
ribles encore, l'historien s'arrete avec plaisir
sur ces heures si fugitives, ou tous les creurs
ll'eurent qu'un sentíment, l'amour du bien
public "",


La fe te si touchante de la fédération ne fut
encore qu'une émotion passagere. Le lendc-
main, les creursvoulaient encore tout ce qu'ils


.. VoyclI la note 17 a la fin du volumc.




268 RÉVOLUTJON FRAN(jAISE.
avaient voulu la veille, et la guerre était recom-
mencée. Les petites querelles avec le ministere
s'engagerent de nouveau. On se plaignit de ce
qu'on avait donné passage aux troupes autrí-
chiennes qui se rendaient dans le pays de Liége.
On accusa Saint-Priest J'avoir favorisé l' évasion
de plllsieurs accusés suspects de machinations
contre-révolutionnaires. La cour, en revanche,
avait remis a l'ordre du jour la procédure com-
mencée all Chatelet contre les auteurs des 5 et
6 octobre. Le duc d'Orléans et Mirabeau s'y
trouvaient impliqués. eette procédure singu-
liere, plusieurs fois abandonnée et reprise, se
ressentait des diverses illfluences sous lesquelles
elle avait été instruite. Elle était pIe in e de con-
tradictions, et n' offrait aucune charge suffisante
contre les deux accusés principaux. La COllr, ell
se conciliant Mjrabeau, n'avait cependant au-
cun plan suivj a son égard. Elle s'en appro-
chait, s'en écartait tour a tour, et cherchait
plutót a l'apaiser qt1'a suivre ses conseils. En
renouvelant la procédure des 5 et 6 octobre,
ce n'était pas lui qu'elle poursuivait, mais le
duc d'Orléans, qui avait été fOl't applaudi a son
re tour de Londres, et qll'elle avait duremcnt
repoussé lorsqu'il demandait a rentrer en grace
aupres du roi *. Chabroud devait faire le rap-


.. Voyez les Mé~lOires de Bouillé.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 269
port a l'assemblée, pour qu'elle jugeat s'il y
avait líeu ou Hon a aecusation. La cour dési-
rait que Mirabeau gardat le silence, et qu'iI
abandonoat le due d'Orléans, le seul a qui elle
en voulait. Cependaut iI prit la parole, et
montra combien étaient ridicules les imputa-
tions dirigées cootre lui. 00 l'aecusait en effet
d'avoir averti Mounier que París marchait sur
Versailles, et d'avoir ajouté ces lOots : « Nous
voulOIis un roi, mais qu'importe que ce soit
Louis XVI ou Louis XVII;) d'avoir parcourll
le régiment de Flandre, le sabre a la main , et
·de s'etre écrié, a l'instant du départ du duc
d'Orléans: « Ce j ... L ... ne mérite pas la peine
qu'on se donoe pour lui. )) Rien n'était plus
Eutile que de pareils griefs. Mirabeau en mon-
tra la faiblesse et le ridicule, ne dit que peu
de mots sur le duc d'Orléans, et s'écria en fi-
nissant: « Oui, le secret de cette infernale pro-
cédure est enfin découvert; iI est la toul entier
( en montrant le coté droit); il est clans l'inté-
ret de ceux dont les témoignages et les calo m-
nies en ont formé le tissu; il-est dans les res-
sources <,¡n'elle a fournies aux ennemis de la
révolntion; iI est ..... il est dans le ccenr des
juges, tel qn'il sera. bientot buriné dans l'his-
toire par la plus juste et la plus implacable
vengeance. 11




270 nÉvoLuTION FRAN«;;AISE.
Les applaudissements accompagnerent Mi-


rabeau jusqu'a sa plaee; les denx incuIpés fn-
rent mis hors d'accusation par l'assemblée, et
la cour eut la honte d'une tentative inutile.


La revolution devait s'accomplir partout,
dans l'armée comme dans le peuple. L'armée,
dernier appui du pouvoir, était aussi la del'-
niere craillte du parti popuIaire. Tous les chefs
militaires étaient ennemis de la révolution,
paree que, possesseurs exclusifs des grades et
des faveurs, ils voyaient le mérite admis a les
partager avec eux. Pat' le motif contraire, les
soldats penchaient pour l'ordre de ehoses nou-
veau; et sans doute la haine de la discipline,
le désir d'une plus forte paie, agissaient aussi
puissamment sur eux que l'esprit de liberté.
Une dangereuse insubordination se manifes-
tait dans presque toute l'armée. L'infanterie
surtout, peut-etre paree qu'elle se mele da-
vantage un peuple, e.t qu'elle a moins d'orgueil
militaire que la cavalerie, était daos un état
complet d'insurrection. Bouillé, GJ.ui voyait avec
peine son armée lui échapper, employait tous
les moyens possibles pour arre ter cette conta-
gion de l'esprit révolutionnaire, Il avait re«;;u
de Latour-du-Pin, ministre de la -guerre, les
pouvotrs les plus étendus; iI en profitait en
dépla<;ant continuellement ses troll,pes, et en




ASSKMBLÉE CONSTITUANTE (T 790 ). 27 [
les empechant de se familiariser avec le peuple
par leur séjour sur les memes lieux. II leur
défendait surtout de se rendre aux clubs, et ne
négligeait rien en fin pour maintenir la subor-
dination militaire. Bouillé, apres une longlle
résistanee, avait enfin preté serment a la cons-
titution; et eomme il était plein d'honneur,
des cet instant íl parut avoir pris la résolu-
tion d'etre fidele au roí et a la constitution.
5a répugnance pour Lafayette, dont il ne pou-
vait méconnaltre ledésintéressement, était vain-
eue, et iI était plus disposéa s' entendre avec
lui. Les gal'des nationales de la vaste con-
trée ou il commandait avaient voulu le nom-
mer leur général; il s'y était refusé dan s sa
premiere humeur, et il en avait du regl'et en
songeant au bien qu'il aurait pu faire. Néan-
moins, malgré quelques dénonciations des clubs,
il se maintenait daus les faveurs popu-
laires.


La révolte éclata d'abord a Metz. Les sol-
dats enfermerent leurs officiers, s'emparerent
des drapeaux et des caisses, et voulurent meme
faire contribuer la municipalité. Bouillé cou-
rut le plus grand danger, et parvint a répri-
mer la sédition.Bientót apres, une révolte
semblable se manifesta a Nancy. Des régiments
suisses y prirent part, et on eut lieu de crain-




27'1. m:voLuTION FRA.N~ArsE.
dre, si cet exemple était suivi, que hient6t
tout le royaume ne se trouvat livré aux exces
réunis de la soldatesque el de la populace.
L'assemhlée elle-meme en trembla. Un officier
fut chargé de porter le décret reudu contre
les rehenes. Il ne put le faire exécuter, et
Bouillé re({ut ordre de marcher sur Nancy,
pour que force restat a la loi. Il n'avait que
pell de soldats sur lesquels iI put compter.
Heureusement les troupes, naguere révoltées
a Metz, humiliées de ee qu'il n'osait pas se
fiel' a elles, offrirent de marcher contre les
rehelles. Les gardes nationales firent la meme
offre, et il s'avanc;a avec' ces forces réunies et
une eavalerie assez nomhreuse sur Nancy. Sa
position était emharrassante, paree qu'il ne
pouvait faire agir sa cavaIerie ,et que son in-
fanterie n'était pas sllffisante pour attaquer
les rehelles secondés de la populace. Néan-
moins il parla a ccux-ci ave e la plus grande
fermeté, et parvint a Ieur imposer. lIs allaient
meme céder et so1'tir de la ville conformément
a ses ord1'es, 101'sque des conps de fusil furent
tirés, on ne sait de quel cOté. Des-Iors l'enga-
gementdevint inévitable. Les trollpes de Bouillé,
se croyanl trahies, comhattirent avec la plus
grande ardeur; mais l'action fut opilliatre, et
elles ne pénétrerent qllf' pas a' pas, a travers




ASSEllfBLÉE CONSTJTUANTE ('790). 273
un feu meurtrier *. Maitre enfin .des principa-
les places, Bouillé ohtint la soumission des ré-
giments, et les fit sortir de la ville. Il délivra
les officiers et les autorités emprisonnés, fit
choisir les principaux coupahles, et les livra a
l'assemhlée nationale.


Cette victoire répandit une joie générale, et
calma les craintes qu'on avait eon(,;ues pour la
tranquillité du royaume. Bouillé re(,;ut du roi
et de l'assemhlée des félicitations et des élo-
ges. Plus tard on le calomnia, et on aceusa sa
conduite de cruauté. Cependant elle était ir-
réprochahle, et dan s le moment elle fut ap-
plaudie comme telle. Le roi augmenta son
commandement qui devint fort considérahle,
car il s'étendait depuis la Suisse jusqu'a la
Samhre, et comprenait la plus grande partie
de la frontiere. Bouillé, comptant plus sur la
cavalerie que sur l'infanterie, choisit pour se
cantonner les hords de la SeilIe, qui tomhe
dans la MoseIle; iI avait la des plaines pour
faire agir sa cavalerie, des fourrages pour la
nourrir, des places assez fortes pour se re-
trancher, et surtout peu de population a crain-
dre. Bouillé était décidé a ne rien faire contre
la constitution; mais il se défiait des patrio-


.. 31 aout.
I. l~




:l74 1I.EVOLUTION I"RAN9AISt:.
tes, et il pr~nait des pl'écautions pour venir
au secours du roi, si les circonstances le ren-
daient néeessaire.


L'assemblée avait aboli les parlements,. ins-
titué les jurés, détrnit les jurandes, et allait
ordonner une nouvelle émíssion d'assignats.
Les bien s du clergé offrant un capital im-
mense, et les assignats le rendant continuel-
tement disponible, iI était naturel qu'elle en
usat. Toutes les objections déja faites fment
renouvelées avec plus de violence; l' éveque
d'Autun lui-meme se pronont;a contre eette
émission nouvelle, et prévit avee saga cité tous
les résultats financiers de cette mesure *. Mi-
rabeau, envisageant surtout les résultats po-
litiques, insista avee opiniatreté, et réussit.
Huit cents millions d'assignats furent décrétés;
et eette fois il fut décidé qu'ils ne porteraient
pas intéret. Il était inutile en efTet d'ajonter un
intéret a une monnaie. Qu'on fasse cela pom
un titre qui ne peut eirculer et demeure oisif
dans les maius de eelui quí le possede, rien
n'est plus juste; mais pom une valeur qui de-
vient actuelle par son cours forcé, c'est une
erreur que l'assemblée ne comroit pas une se-
conde fois. Neeker s'opposa a eette nOllvelle


~ VOYC7. \a note 15 11 \01 fin du volumc.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ([ 79o).27!J
émission, et envoya un mémoire qu'on n e-
couta point. Les temps étaient bien changés
pour lui, et il n'était plus ce ministre a la
conservation duquel le peuple attachait son
bonheur, un an auparavant. Privé de la con-
fiance du roi, bl'ouillé avec ses collegnes, ex-
cepté Montmorin, il était négligé par l'as-
semblée, et n'en obtenait pas tous les égards
qu'il eut pu en attendre. L'erreurde Necker
consistait a croire que la raison suffisait a
tout, et que, manifestée avec un mélange de
sentiment et de logique, elle devait triompher
de l'entetement des aristocrates et de l'irrita-
tion des patriotes. N ecker possédait cette rai-
son un peu fiere qui juge les écarls des pas-
sions et les blame; mais il manquait de cette
autre raison plus élevée et moins orgueilleuse,
qui ne se borne pas a les blamer, mais qui
sait aussi les condnire. Aussi, placé au miliea
d'elles, iI ne fut pour toutes qu'une gene el
point un frein. Demeuré san s amis depuis le
départ de Mounier et de Lal1y, i1 n'avait con-
servé que l'inutile MaIouet. Il avait blessé I'as-
semblée, en lui rappelant sans ces se et avec
des reproches le soin le plus difficile de tous,
celui des finances : il 5' était attiré en outre le
ridicule par la mani.ere dont il parlait de lui-
meme. Sa démission fut acceptée avec plaisir


18.




~76 RÉVOLUTION FRAN'1A1SE•
par tous les partís"'. Sa voiture fut arretée a la
sortie du royaume par le meme peuple qui I'a-
vait naguere tratnée en triomphe; íl faUut un
ord¡'e de l'assemblée pour que la liberté d'al-
ler en Suisse lui fUt accordée. Ill'obtint bien-
tot, et se retira á Coppet pour y contempler de
loin une révolution qu'il était plus propre a
observer qu'a conduire.


Le millistere s'était réduit a la nuIlité du roí
lui-meme, et se lívraít fout au plus a quelqlles
intrigues ou inutíles ou coupables. Saínt-Priest
communiquait avec les émigrés; Latoul' - du-
Pin se pretait a toutes les volontés des chefs
militaires; Montmorin avait l'estÍme de la cour,
mais non sa confiance, et íl était employé dans
des intrigues aupres des chefs populaires, avec
lesquels sa modération le mettait en rapport.
Les ministres fm'ent tous dénoncés a l'occasion
de nouveaux complots, «( Moi aussi, s'écria Ca-
zales, je les dénoncerais, s'il était généreux
de poursuivre des hommes aussi faibles; j'ac-
cuserais le ministre des finances de n'avoir pas
éclairé l'assemblée sur les véritables ressources
de l'état,et de n'avoir pas dirigé une révolu-
tion qu'il avait provoquée; j'accuserais le mi-
nistre de la guel're d'avoir laissé désorganiser


* Necker se démit le 4 septembl'e.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790 ). '1.77
l'armée; le ministre des provinces de n'avoir
pas faít respecter les ordres du roí; tous enfin
de leur nullíté, et des laches eonseíls donnés
él leur maltre.») L'inaetion est un crime aux
yeux des partís qui veutent aller a leur but :
aussi le coté droit condamnait-il les ministres,
non pour ce qu'ils avaient faít, mais pour ce
qu'ils n'avaient pas faít. Cependant Cazales et
les siens, tout en -les condamnant, s'opposaient
a ce qu'on demandat au roi leur éloignement,
paree qu'ils regardaient cette demande eomme
une atteinte a la prérogative royale. Ce renvoi
ne fut pas réclamé, mais ils dounerent sucees-
sivement leur démission ) excepté Montmo:rin,
qni fut seul conservé. Duport-du-Tertre, simple
avocat, fut Ilommé garde des sceaux. Dupor-
tail, désigné au roi par Lafayette, rempla<;a
Latour-du-Pin ;t la guerre, et se mOlltra mieux
disposé en faveur du partí populaire. l/une
des mesures qu'it prit, fut de príver Bouillé
de tOllte la liberté dont il usait dalls son com-
mandemeut, et particulierement dll POUVOil'
de déplaeer les troupes él sa volonté, pouvoir
dont Bouillé se servait, eomme on l'a vu , pour
empecher tes soldats de fraterniser avec te
peuple.


Le roi avait fait une étude par~iculiere de
l'histoire de la révolutíon angtaise. Le 50rt de




278 RtvOI.tJTION FRAN~AISE.
Charles Ier l'avait toujours singulierement
frappé, et il ne pouvait pas se défendre de
pressentiments sinÍstres. TI avait surtout re-
marqué le motif de la condamnation de Char-
les Ier ; ce motif était la guerre civile. Il en
avait contracté une horreur invincible pour
toute mesure qui pouvait faire couler le sang;
et il s'était constamment opposé a tous les
projets de fuite, proposés par la reine et la
cour.


Pendant l'été passé a Saint-Cloud, en 1790,
il aurait pu s'enfuir; mais iI n'avait jamais voulu
en entendre parlero Les amis de la eonstitution
redoutaient eomme lui ce moyen, qui sem-
blait devoir amener la guerre civile. Les. aris-
tOCl'ates seu ls le désiraiellt, parce que, maltres
du roi en l'éloignant de l'assemblée, ils se
promettaient de gouverner en son uom, et de
rentrer avec lui a la tete des étrangers, igno-
rant cncore qu'on ne va jamais qu'a leur suite.
Aux aristocrates se joignaient peut-etre queJ-
ques imaginations précoces, qui déja com-
menc;aient a rever la république, a laquelle
persoune ne songeait encore, dont on n'avait
jamais pr.ononcé le uom, si ce n'est la reine
dans ses emportements contre Lafayette et
contre l'assemblée, qu'elle accusait d'y telldre
,le tous leun vreux. Lafayette, chef de l'armée




~SSEMBLÉE CONSTlTllANTE (1790)' 270
constitutionnelle, et de tous les amis sinceres
de la liberté, veillait constamment sur la per-
sonne du monarqlle. Ces deux idées, éloi-
gnement du roí et guerre civile, étaient si
fortement associées dan s les esprits depuis le
commencement de la révollltion, qu'on regar-
dait ee départ comme le plus grand malheur
a craindre.


Cependant l'expulsion du ministere, qui, s'il
n'avait la confiance de Louis XVI, était du
moins de son choix, l'indisposa contre l'assem.
blée, et lui fit crailldre la perle entiere OU
ponvoir exécutif. Les nouveaux débats reli.
gieux, que la mauvaise foi du clergé tit naltre
a propos de la constitulion civile , effrayerent
.'la conscience timorée, el des-Iors il songea an
départ. Cest vers la fin de 1790, qu'il en écrivit
a Boui lIé, qui résista d'abord, et ({ui céda en-
suite, ponr ne point rendre son úle suspect a
l'infortuné monarque. Mirabeau, de son coté,
avait fait un plan pOIl!' soutenir la canse de
la monarchie. En communication continuel1e
avec Montmorin , il n'avait jusqlle-Ia rien en-
treprig de sérieux, paree que la cour, hésitant
entre l'étranger,l'émigration et le parti natio-
nal, ne voulait ríen frallchement, et de tous
les moyens redoutait surtout celui qui la
sournettrait a un maltre aussi sincerernent




280 nÉvoLUTlON FRAN<fAISE.


constitntionnel que Mirabeau. Cependant elle
s'entendit entierement avec lui, vers cette épo-
que. On lui promit tout s'il réussissait, et ton-
tes les ressources possible~ furent mises a sa
disposition. Talon, lieutenant civil au Chatelet,
et Laporte, appelé récemment aupres du roi
pour administrer la liste civile, eurent ordre
de le voir et de se preter a l'exécution de ses
plans. Mirabeau condamnait ]a constitution
llouvelle. Pour une monarchie elle était, selon
lui, trop démocratique, et pour une république
il y avait un roi de tropo En voyant surtout
le débordement populaire qui allait toujours
croissant, il résolut de 1'arreter. A Paris, sous
l'empire de la multitude et d'une assemblée
toute-puissante, auenne tentative n'était pos-
sible. Il !le vit qu'une ressource, c'était d'éloi-
gner le roi de Paris, et de le placer-a Lyon. La,
le roi se fUt expliqué; il auraít énergiquement
exprimé les raisons qui lui faisaient condamner
la constitution nouvelle, et en aurait donné
une autre qui était toute préparée. Au meme
instant, on eut convoqué une premiere légis-
lature. Mirabeau, en conférarit par écrit avec
les membres les plus populaires, avait en 1'art
de leur arracher a tous l'improbation d'un ar-
tícle de la constitution actuelle. En réunissant
ces divers avis, la cOllstitntion tout entiere




ASSJnUBLÉE CONSTI'l'lTANTll (1790)' 281
se Itrouvait condamnée par ses autenrs eux-
memes ". n voulait les joindre an manifeste du
roi, pour en assurer l'effet, et faire mieux sen-
tir la nécessité d'llne nouvelle constitutiOll. On
ne connalt pas tous ses moyens d'exécution;
on sait seulement, que par la police de Talon,
lieutenant-civil,il s'était ménagé des pamphlé-
taires, des orateurs de club et de groupe; que
par son immense correspondance, il devaít
s'assurer trente-six départements duo midí. Sans
doute il songeait a s'aider de Bouillé, mais il
ne voulait pas se mettre a la merci de ce gé-
néral. Tandís que Bouillé campait a Montmédy,
il voulait que le roí se tint a Lyon; et lui-meme
devait, suivant les circonstances, se porter a
Lyon ou a Paris. Un prince étranger, ami de
lVlirabeau, vit Bouillé de la part du roí, et lui
fit part de ce projet, mais a l'insu de Mirabeau*\
qui ne ~ollgeajt pas a Montmédy, ou le roí
s'achemina plus tard.Bouillé, frappé. du géllie
de Mírabeau, dit qu'il fallait tout faire pour
s'assurer un homme pareil, et que pour lui iI


* Voyez la note 19 a la fin du volume.
** Bouillé semble croire, dans ses Mémoires, que c'est


de la part de Mirabeau et du roi qu'on lui 6t des ouver-
tllres. Mais e'est lá une erreur. Mirabeau ignorait ectte
double menée. et ne pensait pas a se mettre dans les
mains de Bouillé.




?82 RÉVOI,UTION FRANc,;AISE.


était pret a le séconder de tous ses moyens.
M. de Lafayette était étranger a ce projet.


Quoiqu'il fut sillcerement dévoué a la personne
rtu roí, iI n'avait point la confiance de la cour,
et d'ailleurs iI excitait l' envíe de Mirabean,
qni ne voulait pas se donner un compagnon
pareil. En OtItre, M. de Lafayette était connu
pour ne suivre que le droit chemin, et ce plan
était trap hardi, trop détourné des voies lé-
gales , pour lui convenir. Quoi qu'il en soit,
Mirabeau voulut etre le seul exécuteur de son
plan, et en effet, iIle conduisit tont seul pen-
dant l'hiver de 1790 a 1791. On ne sait s'il eut
réussi; mais il est certain que, san s faire re-
brousser le torrent révolutionnaire , il eut dll
moíns influé sur sa direction, et sans changer
sans doute le résultat inévitable d'une révo-
Iution telle que la natre·, iI en eut modifié les
événements par sa puissante opposition. On
se demande encore si, meme en parvenant a
dompter le parti popuIaire, iI eut pu se ren-
dre maitrede l'aristocratie et de la cour. Un
de ses amis lui faisait cette oerniere objection.
«( lis m' ont tout promis, disait .Mirabeau. -
Et s'ils ne vous tiennent point parole? - S'iIs
ne me tiennent point parole, je les f ... en ré-
publique. » .


Les principaux articles de la cOllstitution




ASSEIIIBLÑE CONSTITUANTE (1790). 283
eivile, tels que la cireonseription nOllvelle des
évechés, et l'élection de tous les fonctionnaires
ecclésiastiques, avaicnt été décrétés. Le roi en
avait référé au pape, qui, apres lui avoir ré-
pondu avec un ton moitié sévere et moitié
paternel, en avait appelé a son tour au clergé
de Franee. Le elergé profita de l'occasion, et
prétendit que le spirituel était eompromis par
les mesures de l'assemblée. En meme temps,
il "répandit des mandements, Melara que les
éveques déchus ne se retireraient de leurs
siéges que contraints et forcés; qu'ils loue-
raient des maÍsotls, et continueraient leurs
fonctions ecclésiastiques; que les fidCles de-
meurés tels ne devraient s'adresser qu'a eux.
Le clergé intriguait surtout dans la Vendée et
dans certains départements dn Midi, ou il se
concertait avec les émigrés. Un camp fédératif
s'était formé a Jallez ", ou, sons le prétexte
apparent des fédérations, les prétendus fédérés
voulaient établir un centre d'opposition aux
mesures de l'assemblée. Le parti populaire s'ir-
rita de ces menées; et, fort de sa puissance,
fatigué de sa modération, iI résolut d'employer
un moyen décisif On a déja vu les motifs qui


* Ce camp s'était formé dans les premiers jours de sep-
tcmbre.




'.184 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
avaient inflné sur l'adoption de la COIlstitll tion
civile. Cette constitution avait pour allteurs
les chrétiens les plus sinceres de l'assemblée;
eeux-ci, irrités d'une injuste résistanee, réso-
lurent de la vaincre.


On sait qu'un décret obligeait tous les fonc-
tionnaires pllblics a preter serment a la consti-
tution nouvelle. Lorsqu'il avait été questíon
de ce serment eivique, le c1ergé avait toujours
voulu distinguer la eonstitution politiqlle de
la constitution eccIésiastique; on avait passé
outre. Cette fois l'assemblée résolut d'exiger
des eeclésiastiques un serment rígoureux qui
les mit dans la nécessité de se retirer s'ils ne
le pretaient pas, ou de remplir fideIement
leurs fonctions s'ils le pretaient. Elle eut soin
de déclarer qu'elle n'entendait pas violenter
les eonseiences, qu'elle respecterait le reflls
(le eellX qui, eroyant la religion compromise
par les lois nouvelles, ne voudraient pas pre-
ter le serment; mais qu'elle voulait les con-
l!aitre pOlIr ne pas leur eonfier les nonveaux
épiscopats. En cela ses prétentions étaient jus-
tes et franches. Elle ajoutaít a son décret, que
eeux qui refuseraient de jurel' seraient privés
de fonctions et de traitements; en outre, ponr
donner l' exelllple, tons les ecclésiastiques qui
étaient dépatés devaient preter le serment dans




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 285
l'assemblée meme , huil jours apres la sanction
du nouveau décret.


Le coté droi t s'y opposa; Maury se livra a
toute sa violence, flt tout ce qu'il put pour se
faire interrompre, et avoir lieu de se plaindre.
Alexandre Lameth, qui occupait le fauteuil,
luí maintint la parole, et le priva du plaisir
d'etre chassé de la tribune. Mirabeau, plus élo-
quent que jamais, défendit l'assemblée. « Vous,
« s'écria-t-il, les persécuteurs de la religion!
« Vous qui lui avez rendu un si noble et si tou-
« chant hommage, d:ms le plus beau de vos
({ décrets! Vous qui consacrez a son culte une
« dépense publique, dont votre prudence et
« votre justice vous eussent rendus si écono-
(( mes! Vous qui avez faÍt intervenir la religion
«( dans la divisioIl du royaume, et qui avez
« planté le signe de la croix sur toutes les li-
« mites des départemellts! Vous, enfln, qui
« savez que Dieu est aussi hécessaire aux
« hommes que la liberté 1 »)


L'assemblée dé creta le serment ,.. Le roí en
référa tout de suite aRome. L'archeveque d' Aix,
qui avait d'abord combattu la constitution cÍ-
vile, sentant la nécessité d'une pacification,
s'unit au roi et· a quelques-uns de ses colle-


* Décret du '1.7 lIo\'cmbn'.




:186 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
gues plus modérés, pour solliciter le con sen -
tement du pape. Les émigrés de Turin, et les
éveques opposants de France, écrivirellt ~~
Rome, en sens tout contraire, et le pape,
sous divers prétextes, différa sa réponse. Vas-
semblée, irritée de ces délais, insista ponr
avoir la sanction du roí, qui, décidé a céder,
usait des ruses ordinaires de la faiblesse. Il
voulait se laisser contraindre pour paraitre ne
pas agir librement. En effet, il attendit une
émeute, et se hata alors de donner sa sanction.
Le décret sanctionné, l'assemblée voulut le
faire exécuter, et elle obligea ses membres ec-
clésiastiques a preter le serment dan s son sein.
Des hommes et des femmes, qui jusque-Ia s'é-
taient montrés fort peu attachés a la reli~ion,
se mirent tOllt-a-coup en mouvement 'pour
provoquer le refus des ecclésiastiques ". Quel-
ques éveques et quelqucs curés preterent le
serment. Le plus grand nombre résista avec
une feinte modération, et un attachement
apparent a ses principes. L'assemblée n'en pero
sista pas moins dans la nomination des nou-
veaux éveques et curés, et fut parfaitement
secondée par les administralions. Les anciens
fonctionnaires ecclésiastiques eurent la liberté


* Voyez la note 20 ;1 la fin dlt yolul1l1',




ASSEMBLÉE CONSTITUANTJ.: (1790)' ~87
d'exercer' lenr cuIte a part, et ceux qui étaient
reconnus par l'état prirent place dans les égli-
ses. Les dissidents louerent a París l'église des
Théatins pour s'y livrer a Ieurs exercices.l:as-
semblée le permit, et la garde nationaIe les
protégea autant qu'elle put contre la ·fureur
du peuple, qui ne leur laissa ras tOUjOlm';
exercer en repos leur ministere particnlier.


On a condamné l'assemblée d'avoir occa-
sionnc ce schisme, et d'avoir ajouté une cause
nouvelle de division a ceHes qui existaient
déja. D'abord, quant a ses droits, iI est évi-
dent a tout esprit juste que l'assemblée ne
les excédait pas en s'occupant du temporel de
rÉglise. Qllant aux considérations de pruden-
ce, on peut dire qu'elle ajoutait peu aux dif-
ficultés de sa position. Et en efTet, la conr,
la Iloblessc et le clergé avaient assez per-
du, le penple assez acquis, pour etre des en-
nemis irréconciliables, et pour que la révolutioIl
eUt son issue inévitable, meme sans les effets
dn nouveau schisme. D'ailleurs, quand on
détruisait tous les abns, l'assemblée pouvait-
elle souffrir ceux de l'ancienne organisation
eccIésiastique? Ponvait-elle souffrir que des
oisifs vécussent daos l'aboodance, tandis que
les pasteurs, seuls utiles, avaient a peine 1('
JJécessaire?







ASSEl\IBLÉE CONSTI'l'U A.NTE (1790-91). 2.8~


CHAPITRE VI.


Progres de l'émigratíon. - Le peuple sou!(wé attaque le
donjon de Vincennes. Conspiration des Chevaliers da
poignard. -: Discussion sur la loi contre les émigrés.-
Mort de Mirabeau. - Intrigues contre-révolution-
naires .. Fuite du roi et de sa Camille; il est arrété a
Varennes et ramené a Paris. - Dispositions des puis-
sanees étrangercs; préparatifs des émigrés. - Déclara-
tion de Pilnitz. - Proclamation de la loi martiale au
Champ-de-Mars. - Le roi accepte la constitution.-
·Clóture de l'assemblée constituante.


LA longue et derniere lutte entre le parti
national et l'ordre privilégié du clergé, dont
nous venons de raconter les principales cir-
constances, acheva de tout diviser. Tandi~ que
le clergé. travaillait les provinces de l'Ouest
et du Midi, Les réfugiés de Turin faisaient di-
verses tentatives, que leur faiblesse et leur
anarchie rendaient inutiles. Une conspira-


J. 19




2.90 RÉVOLUTION }'R,~N~AJSE.
tíon fut tentée a Lyon. On y annont;ait J'arrí-
vée des princes, et une abondante distrihution
de graces; on promettait meme a cette ville
de devenir la capitale du royaume, a la place
de Paris, qui avait démél'ité de la cour. Le roí
était averti de ces menées, et n'en prévoyant
pas le succes, ne le désirant peut-etre pas, cal'
iI désespérait de gouverner l'aristocratie victo-
rieuse, il fit tout ce qu'il put pour l'empecher.
Cette conspiration fut découverte a la fin de
1790, et ses principaux agents livrés aux tribu-
naux. Ce dernier:, revers décida l'émigration a
se transporter dé Turin a Coblentz, ou elle
s'établit dans le territoire de l'électeur de Tre-
ves, et aux dépens de son autorité, qu'elle
envahit tout entiere. On a déja vu que les
membres de cette noblesse échappée de Franee
étaient divisés en deux partís: les uns, vieu:x.
serviteurs, nourris de faveurs et composant
ce qu'on appelait la COllr, ne voulaieut pas, en
s'appuyant sur la noblesse de province, elltrer
en partage d'influence avec elle, et pour cela
ils n'entenclaient reeourír qn'a l'étranger; les
autres, comptant davantage sur leur épée,
voulaient soulever les provinces du Midi, en
y réveillant le fanatisme. Les premiers l'em-
porterent, et on se rendít a Coblentz, sur la
frontiere du Nonl, pour y attendre les puis-.




ASSt:~IBLÜ CONSTITUA NTE (1 7~)l). 291
sances. En vain ceux qui voulaient combattre
dans le Midi insisterent-ils pour qu'on s'aidat
du Piémont, de la Suisse et de l'Espagne,
alliés fideles et désintéressés, et pour qu'on
laissat daus leur voisinage un chef considéra-
ble. L'aristocratie que dirigeait Calolme ne le
voulut paso eette aristocratie n'avait pas changé
en quittant la France : frivole, hautaine, in-
capable, et prodigue a Coblentz comme a Ver-
sailIes, elle fit encore mieux éclater ses vices
au milieu des difficultés de l'exil et de la guerre
civile. Il faut du bourgeois dans votre brevet.',
disait-elle.a ces hommes intrépides qui offraient
de se battre dans le Midi, et qui demandaient
sous quel titre ils serviraient '1'. On ne laissa a
Turin que des agents subalternes, qui, jaloux
les UllS eles autres, se elesserv1!.ient réciproque-
ment, et empechaienttoute tentative de réussir.
Le prince de Condé, qui semblait avoir conser-
vé toute l'énergie de sa branche, n'était point
en faveur aupres d'unc partie de la noblesse;
il se pla~a pres du Rhin, ayec tous ceux qui,
comme lui, ne voulaient pas intriguer,. mais se
battre.


L'émigration devenait chaque jour plus
considérable, et les routes étaient couvertes


• Voyez la note 21 a la fin du "oJume.




292 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
d'une noblesse qui semblait remplir un devoj('
sacré, en courant prendre les armes contre sa
patrie. Des femmes meme croyaient devoir
attester Ieur horreur eontre la révolution, en
abandonnant le sol de la Franee. Chez une
nation ou tout se fait par entrainement, on
émigrait par vogue; on faisait a peine des
adiellx, tant OH croyait que le vOy3ge serait
eourt et le retour proehain. Les révolution-
naires de Hollande, trahis par leur général,
abandoHnés par Ieurs alliés, avaient cédé en
quelques jours; cellX de Brabant n'avaient
gu ere tenu plus long-temps; ainsi done, slli-
vant ces imprudents émigrés, la révolution
frane;;aise devait etre soumise en une courte
campagne,' et le pou voir absolu refleurir sur
la France asservie.


L'assemblée, irritée plus qu'effrayée de leur
présomptjon, avait proposé des meslires, et
elles avaient toujours été différées. Les tantes
du roi, trouvant Ieur conscience compro mise
a París, erutent devo!r aller chercher lellr sa-
lut aupres dü pape. Ellés partireutpour Rome*,
et furent arretées en route par la municipalité
d' Arnay ~ le - Duc. Le peuple se porta aussitot
ehez Monsieur, qu'on disait pret a s'enfuir .


• Elles partirent le 19 février 1791.




ASSEilIBLI;E CONSTITUANTJ<: (1791). 2~)3
Monsienr parllt , et promit de ue pas aban-
donner le roi. Le peuple se calma; et 1'as-
semblée prit en délibératioIl le dép~rt de
Mesdames. La délibération se prolongeait, lors-
que Menou la termina par ce mot plaisant:
« L'Europe, dit-il, sera bien étonnée, quand
elle saura qu'une grande assemblée a mis plu.-
sieurs jours a décider si deux vieilles femmes
entendraient la messe aRome ou a Paris. » Le
comité de constitution n'en fut pas moins
chargé de présenter une loi sur la résidence
des fonctionnaires publics et sur l'émigration.
Ce décret, adopté apres d~ "iolentes discus-
s10n8, obJigeait les fonetionnaires publics a la
résidence dans ~e lieu de leurs fonetions. Le
roi, comme premier de tous, était tenu de ne
pas s' éloigner du corps législatif pendant cha-
que session , et en tout autre temps de ne pas
aller au-dela du royaume. En cas de violation
de cette loi, la peine pour tons les fonetion-
naires était la déchéance. Un antre déeret sur
l'émigration fut demandé au comité.


Pendant ce temps, le roí, ne pouvant plus
souffrir la contrainte qui lui était imposée, et
les réduetions de pouvoir que l'assemblée luí
faisait subir, n'ayant surtout aucun repos de
cOllscienee depuis les nouveaux déerets sur
les pretres, le roi était décidé a s'enfuír. Tout




294 RÉVOLUTION FRA.N9USF..
l'hiver avait été eonsaeré en préparatifs; on
excitait le úle de Mirabeau, on le eomblait
de promesses s'il réussissait a mettre la famille
royale en liberté, et, de son coté, il poursui-
vait son plan avec la plus grande activité.
I.afayette venait de rompre ave e les Lameth.
Ceux-ci le trouvaient trop dévoué a la eour; et
ne pouvant suspeeter son intégrité, eomme eeHe
de Mirabeau, íls aecusaÍent son esprit, et lui
reproehaient de se laisser abuser. Les ennemis
des Lameth les aceuserent de jalouser la puis-
sanee militaire de Lafayette, comme íls avaient
envié la puissanee oratoire de Mirabeau. lIs
s'unirent ou parurent s'nnir aux amis du duc
d'Orléans, et on prétendit qu'ils voulaient mé-
nager a l'lln d'eux le commandement de la
garde nationale; c'était Charles Lameth qui,
disait-on, avait l'ambition de l'obtenir, et on
attribua a ce motif les difficllltés sans cesse
renaissantes qui furent suscitées depuis a
Lafayette.


Le 28 février, le pellple, excité, dit-on, par
le dne d'Orléans, se porta an donjon de Vin-
eennes, que la municipalité avait destiné a
recevoir le~ prisonniers trop accumulés dans
les prisons de Paris. On attaqua ce donjon
eomme une nouvelle Bastille. Lafayette y ac-
courut a temps, et dispersa le faubourg Saint-






ASSEMnLÉE CONSTlTUANTE (J 79 T). 295
Antaine, concluit par Santerre a cette expédi-
tíon. Tandis qu'iL rétablissait l'ordre dans cette
partie de Paris, d'autres difficultés se prépa-
raient pour lui aux Tnileries. Sur le bruit
d'une émeute, une grande quantité des habi-
tués du chatean s'y étaient rendus au nombre
de plusieurs centaines. lIs portaient des armes
cachées, telIes que des couteaux de chasse et
des poignards. La garde natíonale, étonnée
de cette affluence, en COll~ut des cl'aintes,
désarma et maItraíta queIques-uns de ces hom-
mes. Lafayette survint, fit évacuer' le chatean
et s'empara des armes. Le bruit s'en répandít
aussit6t; on dit qll'ils avaient été trouvés por-
teurs de poignards, d'ou iIs furent nornmés
depuis chevaliers du poignard. lIs soutinrent
qu'ils n'étaient venns que pour défencIre la
personne du roí menacée. On leur reprocha
d'avoir vouIu l'enlever; et, comme d'usage,
l'événement se termina par des calomnies ré-
eiproques. Cette scene détermina la véritable
situation de Lafayette. On vit mieux encore
eette fois que, plaeé entre les partis les plus
prononeés, il était la pour protéger la per-
sonue du roi el la constitution. Sa double
victoire augmenta sa popularité, sa puissance,
et la haine de ses ennemis. Mirabeau, qui avaiL
le tort d'augmenter les défiances de la eour a




296 HÉVOJ.UTION FR AN<;AlSE.
son égard, présenta cette conduite comme
profondément hypocrite. Sous les apparences
de la modération et de la guerre a tous les
partis, elle tendait, seIon lui, a l'usurpation.
Dans son humeur, iI signalait les Lameth
comme des méchants et desinsensés, unis a
d'Orléans, et n'ayant dans l'assemblée qu'une
trentaine de partisan s. Quant au coté droit,
il déclarait n'en pouvoir rien faire, et se re-
pliait sur les trois ou quatre cents membres,
libres de tout engagement, et toujours dispo-
sés a se décider par l'impression de raison et
d'éloquence qu'il opérait dans le momento


II n'y avait de vrai dans ce tablean que son
évaluation de la force respective des partis, et
son opinion sur les moyens de diriger l'assem-
blée. 11 la gouvernait en effet, en dominant
tont ce qui n'avait pas d'engagement pris. Ce
meme jovr, 28 février, il exer/{ait, presqne
pour la derniere fois, son empire, sígnalait
sa haine contre les Lameth, et déployait con-
tre eux sa redoutable puissance.


La loi sur l'émigration allait etre discutée.
Chapelier la présenta au nom du comité. Il
partageait, disait-il, l'indignation générale con-
tre ces Fran<;ais qui abandonnaient leur patrie,
mais iI déclarait qu'apres pIusieurs jours de
r~flexions, le comité avait reconnu l'impossi-




ASSHIBLÉE CONSTITUANTE (179 1 ). 297
bilité de faire une loí sur l'émigration. Il était
difficile en effet d'en faire une. II fallait se de-
mancler d'ahord si on avait le droit de llxer
l'homme au sol. On l'avait san s doute, si le
salut de la patrie l'exigeait; mais iI fallait dis-
tínguer les motifs des voyageurs, ce qui de-
venait inquisitorial; il fallait distinguer leur
qualité de Frall(;ais ou d'étrangers, d'émi-
grants ou de simples commer«;ants. La loi était
done tres-difficile, sí elle n'était pas impossí-
hle. Chapelier ajouta que le comité, pour obéir
a l'assemhlée, en avait rédigé une; que, si on
le voulait, il allait la lire; mais qu'il avertissait
d'avance qu'elle violait lous les príncipes.-
l .. isez ... N e lisez pas. .. s' écrie-t-on de toutes
parts. -Une foule de députés veulent prendre
la parole. Mirabeau la demande a son tour,
l'obt¡ent, et, ce qui est mieux, commancle le
silence. Il lit une lettre fort éloquente, adres-
sée autrefois a Frédéric-Guillaume, dans la-
quelle il réclamait la liberté d' émigration,
comme un des droits les plus sacrés de
l'homme, qui, n'étant point attaché par des
racines a la terre, n'y devait rester attaché
que par le bonheur. Mirabeau, peut-etre pour
satisfaíre la cour; mais surtout par conviction,
repoussait comme tyrannique toute mesure
contre la liberté d'aller et de venir. San s doute




:298 IlÉVOLUTION FRAN~AISE.
on abusait de cette liberté dans le moment,
mais l'assemblée, s'appuyant sur sa force, avait
toléré tant d'exces de la presse commis contre
elle-meme, elle avait souffert tant de vaines
tentatives, et les avait si victorieusement re-
poussées par le mépris, qu'on pouvait lui con-
seiller de persister dans le me me systeme.
Mirabeau est applaudi dans son opinion, mais
on s'obstine a demander la lecture dn projet
de loi. Chapelier le lit en fin : ce projet pro-
pose, pour les eas de troubles, d'instituer une
commission dictatoríale, composée de trois
membres, qui désigneront nommément et a
leur gré ceux qui auront la liberté de circuler
hors du royaume. A cette ironíe sanglante, qui
dénont;ait l'impossibilité ({'une loi , des mur-
mures s'élevent. - Vos murmures m'ont sou-
lagé, s'écrie Mirabeau; vos ereurs répondent au
míen, et repoussent cette absurde tyrannie.
Pour moi, je me erois délié de tout serment
envers ceux qui auront l'infamie d'admettre
une commission dictatoriale. - Des cris s'éle-
vent au coté gauche. - Oui, répete-t-il, je
jure ... - Il est interrompu de nouveau ...
- Cette popularité, reprend-il avec une voix
tonnante, que j'ai ambitionnée, et dont j'aí
joui comme un autre, n'esl pas un faible ro-
seau; je l'enfoncerai profondément en terre ... ,




ASSKMBLÉE CONSTtTUANTE (l'79 1). 299
et je le ferai germer sur le terrain de la justice
et de la raison ... - Les applaudissements écla-
tent de toutes parts. - Je jure, ajoute l'ora-
teur, si une loi d'émigration est votée, je jure
de vous désobéir.


Il descend de la tribune apres avoir étonné
l'assembIée et imposé a ses ennemis. Cepen-
dant ]a discussion se prolonge encore; les uns
veulent I'ajournement, pour avoir le temps de
faÍre une loi meilleure; les autres exigent qu'il
soit déclaré de suite qu'on n'en fera pas, afin
de catmer le peuple et de terminer ses agita ..
tions. On murmure, on crie, on applaudit. Mi-
rabeau demande encore la paróIe, et semble
l'exiger ..... - Quel est, s'écl'ie M. Goupil, le
titre de la dictature qu'exerce ici M. de Mira-
beau? - Mirabeau, sans l'écouter, s'élance a
]a tribune. - Je n'ai pas accordé la parole,
dit leprésident; que l'assemblée décide.-Mais,
sans rien décider,l'assemblée écoute. -Je prie
les interrupteurs, dit Mirabeau, de se souve-
nir que j'ai toute ma vie combattu la tyrannie,
et que je la combattrai partont ou elle sera
assise; - et en prononc;ant ces mots , iI pro-
mime ses regards de droite a gauche. Des ap-
plaudissements nombreux accompagnent sa
voix; il reprend : - Je prie M. Goupil de se
souvenir qu'il s'est mépris jadis sur un Cati-




300 RÉVOLUTION FRAN~A]SE.
lina dont iI repousse aujollrd'hui la dictature *;
je prie l'assemblée de remarquer que la ques-
tíon de l'ajournement, simple en apparence,
en renferme d'autres, et, par exemple, qu'elle
suppose qu'une loi est a faire. - De nouveaux
murmures s'élevent agauche. - Silence aux
trente voix 1 s'écrie l'orateur en fixant de ses
regards la place de Barnave et des Lameth.
- Enfin, ajoute-t-il, si ron veut, je vote aussi
l'ajournement, mais a condition qu'il sOlt dé-
crété que d'ici a l'expiration de l'ajournement
il n'y aura pas de sédition. - Des acc1ama-
tions unanimes eouvrent ces derniers mots.
Néanmoins l'ajournement l'emporte, mais a
une si petite majorité, que l'on conteste le ré-
suItat, et qu'une seconde épreuve est exígée.


Mirabeau dans eette occasion frappa surtout
par son audace; jamais peut-etre il n'avait plus
impérieusement subjugué l'assemblée. Mais sa
fin approchait, et c'étaient la ses derniers
triomphes. Des pressentiments de mort se me-
laient a ses vastes projets, et quelquefois en
arretaientl'essor. Cependant sa conscienceétait
satisf.1ite; l' estime publique s'unissai t a la sienne,
et l'assurait que, s'il n'avait pas encore assez


.. M. Goupil, poursuivant autrefois Mirabeau, s'était
écrié avec le coté droit : « Catilina est a nos portes!.




ASSEMBLÉE CONSTlTUANn: (r 79 r)' 301
fait pour le salut de l'état, iI avait du moins
assez fait pour sa propre gloire. Pftle et les
yeux profondément creusés, ii paraissait tout
changé a la tribune, et souvent iI était saisi
de défaillanees subites. Les exees de plaisir et
de travail, les émotions de la tribune, avaient
usé en peu de teinps eette existence si forte.
Des bains qui renfermaient une dissolutÍon de
sublimé avaient produit eette teinte verclatre
qu'on a'ttribuait au poison. La cour était alar-
mée, tous les partis étonués; et, avallt sa
mort, on s'en demandait la cause. Une der-
ni ere fois, il prit la parole a cinq reprises dif-
férentes, sortit épuisé, et ne reparut plus. Le
lit de mort le re~ut et ne le rendit qu'au
Panthéon. Il avait exigé de Cabanis qu'on
u'appe]at pas 9.e médecins; néanmoins on luí
désobéit, et ils trouverent la mort qui s'ap-
prochait, et quí déja s'était emparée des pieds.
La tete fut atteinte la derniere, eomme si la
nature avait voulu laisser briller son génie
jusqu'au dernier instant. Un peupIe immense
se pressait autour de sa demeure, et eneom-
brait toutes les issues dans le plus profond si-
lence. La cour envoyait émissaires sur émis-
saÍTes; les bulletÍns de sa santé se transmettaient
de bOlIche en bouche, et aHaient répandre
partout la douleur achaque progres du mal.




302 RÉVOLUTION FRAN~;AISE.
Lui, entouré de ses amis, exprimait qllelqlles
regrets sur ses travaux interrompus, qllelque
orgueil sur ses travaux passés: -Soutiens, di-
sait-il a son domestique, soutiens eette tete,
la plus forte de Frallce. L'empressement du
peuple le toucha; la visite de Barnave, son en-
Ilcmi, qui se présenta chez Iui au nom des Ja-
cobins, lui causa une douce émotion. Il don na
encore quelques pensées a la chose publique.
L'assemblée devait s'occuper du droit de tes-
ter; iI appela l\f. de Talleyrand, et lui remit
un discours qn'íl venait d'écrire. - Il sera plai-
sant, luí dit-il~ d' entendre parler contre les
testaments un homme qui n'est plus et qui
vient de faire le sien. La cour avait voulu en
effet qu'il le fit, promettant d'acquitter tous
les legs. Reportant ses vues sur l'Europe, et de-
vi~ant les projets de l'Angleterre: « Ce Pitt, dit-
il, est le ministre des préparatifs; il gouverne
avec des menaces : je lui donnerais de la peine
si je vivais.» Le curé de sa paroisse venant lui
offrir ses soins, il le remercia avec politesse,
et lui dit, en souríant, qu'il les accepterait vo-
lontiers s'il n'avait dans· sa maison son supé-
riem ecclésiastique, l\f. l'éveque d' Antnn. Il
fit ouvrir ses fenetres: -l\fon ami, di~il a Ca-
banis, je mourrai anjourd'hui : il ne reste plus
qll'a s'envelopper de parfums, qn'a se eou-




ASSElHBLEE CONSTITUANTE (179')' 303
ronne!' de fleurs, qu'a s'enviroIlner de musi-
que, afin d' entrer paisiblement dans le som-
meil éternel. Des douleurs poignantes inter-
rompaient de temps en temps ces discours si
nobles et si calmes. Vous aviez promis, dit-il a
ses amis, de m' épargner des souffrances illU-
tiles. En disant ces mots, il demande de 1'0-
pium avec instan ce. Comme 011 le luí refusait,
iI I'exige avec sa violen ce accontumée. Pour
le satisfaire, on le trompe, et OH lui pré-
sente une coupe, en lui persuadant qu'elle
contenait de l'opillm. Il la saisit avec calme,
avale le breuvage qu'il croyait mortel, et parait
satisfait. Un instant apres iI expire. C'était le
2 avril 1791. Cette nouvelle se répand aussitot
a la cour, a la ville, a l'assemblée. Tous les
partís espéraient en lui, et tous, excepté les
envieux, sont frappés de douleur. L'assemblée
interrompl ses travaux, un deuil général est
ordonné, des funérailJes magnifiques sont pré-
parées. On demande quelques députés : N ous
irons tous, s'écrient-ils. L'église de Sainte-Ge-
nevieve est érigée en Panthéon, avec cette
inscription, qui n'est plus a l'instant 00 je ra-
conte ces faits :


AUX GRANDS HOMI\iES LA PATRIE RECONNAISSANTE",


* La révolution de 1830 a rétabli ceUe inscription, et
rendu ce monument 11 la dcstillatioll décrétée par l'assem-
blée nationale.




304 ltÉVOLUTION FRAN~AISE.
Mirabeau y fut le premier admis a coté de


Descartes. Le lendemain, ses funérailles eurent
lieu. Toutes les autorités, le départemcllt, les
municipalités, les sociétés populaires, l'assem-
blée, l'armée, accompagnaient le convoi. Ce
simple orateur obtenait plus d'honneurs que
jamais n'en avaient re~u les pompeux cer-
cueils qui allaient jadis a Saint-Denis. Ainsi
finit cet homme extraordinaire, qui, apres
avoir audacieusement attaqué et vaincu les
vieilles races, osa retourner ses efforts contre
les nouvelles qui l'avaient aidé a vaincre, les
arreter de sa voix, et la leur faire aimer en
l'employant contre elles; cet homme enfin qui
fit son devoir par raison, par génie, mais non
pour quelque peu d'or jeté a ses passions, et
qui eut le singulier honneur, lorsque toutes
les popularités finjrent par le dégout du peu-
pIe, de voir la sienne ne céder qu':'t la mort.
Mais eut-iI fait entrer la résignation dans le
creur de la cour, la modération dans le creur
des ambitieux? cut-iI dit a ces tribuns popu-
laires qui voulaient briller a leur tour : De-
meurez dans ces faubourgs obscurs? eUt-il dit
a Danton, cet autre Mirabeau de la populace :
Arretez-vous dans cette section, el ne montez
pas plus haut? On l'ignore; mais, 3U mament
de sa mort, tous les intérets incertains s'étaíent




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1 '7() 11. l. , 305
remis en ses mains, el comptaieUl sur lui.
Long-tcmps on regretta sa présence. Dans la
confuslon des disputes, on portait les regards
sur ceHe place q u'jl avait occupée, et on sem-
blait invoque!' celui qui les terminait d'un mot
victorieux. Mirabe~ n'est plus ici, s'écria un
jour Maury en montant a la tribune; on ne
m'empechera pas de parlero


La mort de Mirabeau en leva tout courage a
la COUI'. De nou veaux événements vinrent pré-
cipiter sa résolution de fuil'. Le 18 aVl'il, le roi
voulut. se rendre a SaiIlt~lolld. On répandit
le brnit que, ne voulant pas user d'un pretre
assermellté ponr le~ devoi~s de la Paque, il
avait résolu de s'éloigner pendant la semaine
sainte; d'autres prételldirent qn'il voulait fuir.
Le peuple s'assemble aussitót et arrfhe les


. chevaux. Lafayette accourt, supplie le roi de
demeurer en voiture, en l'assurant qn'il va lui
ouvrir un passage. Le roj néanmoins descend
et ne veut permettre ancune tentative; c'était
son ancienne politique de Qe paraitre pas libre.
D'apres l'avis de ses ministres, il se rend a
l'assemblée pour se plaindre de l'ontrage qu'il
venait de recevoir. L'assemblée l'accueille avec
son empressement ordinaire, en promettant
de faire tont ce qui dépendra .~'elle popr as-
surer sa liberté. Louis XVI sort applaudi de


l. 20




306 RÉVOLUTJON FRAN«;:AIS":
tous les cOtés, excepté uu coté droit. Le 23
avril, sur le eonseil qu' on lui donne, il fait
écrire par M. de Montmorin une lettre aux
ambassadeurs étrangers, dans laquelle iI dé-
ment les intentions qu'on luí suppose au de-
hors de la France, déclare aux puissanees qu'il
apreté serment a la eonstitution, et qu'il est
disposé a le tenir, et proclame comme ses en-
nemis tous ceux quí insinueront le contraire.
Les expressions de cette lettre étaient voIon-
tairement exagérées pour qu'elle partit arra-
chée par la viole,~ce; e' est ce que le roi
déclara lui-meme a l'envoyé de Léopold. Ce
prince parcourait alors l'ltalie et se tronvait
dans ce moment a Mantoue. Calonne négo-
ciait aupres de lui. Un envoyé, M. Alexandre
de Durfort, vint de Mantoue aupres du roi et
de la reine s'informer de leurs dispositions. n
les interrogea d'abord sur la lettre écrite aux
ambassadeurs, et ¡ls répondirent qu'au lan-
-gage on devait voir qu.'eUe était arrachée; il
les questionna en~ite sur leurs espél'ances,
et ¡ls répondirent qu'ils n'en avaient plus de-
puis la mort de Mirabeau; enfin sur leurs dis-
positions envers le eomte d'Artois, et ils assu-
rerent qu'elles étaient excel1entes.


Pour eomprendre le motif de ces questions,
iI faut savoir que le baron de Breteuil était




ASSUlBLÉE CONSTITU ANTE (1791). 307
l'ennemi déclaré de Calonne; que son inimitié
n'avait pas fini dans l' émigratioIl; et que, ehargé
aupres de la eour de Vienne des pleius pou-
voirs de!I~ouis XVI.., íl eontrariait toutes les
démarches des princes. Il assurait a Léopold
que le roí ne voulait pas etre sauvé par les
émigrés, paree qu'il redoutait leur exigenee, et
que la reine personnellement était brouillée
avee le eomte d'Artois. Il proposait toujours
pour le sal.ut du treme le eontraire de ce que
proposait Calonne; et il n' oublia rien pour dé-
truÍre l'effet de eette nouvelle négoeiation. Le
eomte de Durfort retourna a Mantoue ; et, le 20
maí 1791, Léopold promit de faire marcher.
trente-einq mille hommes en Flandre, et quínze
mille en AIsaee. Il annonc;a qu'un nombre égal
de Suisses devaie~t se porter vers Lyon, autant
de Piémontais sur le Dauphiné, et que l'Es-
pagne rassemblerait vingt mille hommes. Vem-
pereur promettait la eoopération dll roi de
Prusse et la nelltralité de l'Ang]eterte. Une
protestation fai te au nOID de la maíson de Bour-
hon, devait etre signée par le roí de Naples,
le roí d'Espagne, par !'infant de Parme, et par
les prinees expatriés. Jusque-la le plus grand
seeret était exigé. II était aussí reeommandé a


* Voye:l ¡\ cet égard Berrrand de Molleville.
20.




:>08 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
Louis XVI de ne pas songer a s'éloigner, quoi-
qu'il en eút témoigné le désir; tandis que Bre-
teuil, au contraire, conseillait au roí de partÍl·.
Il est possible que de part et d'autre les con-
seils fussellt donnés de bonlle foi; mais il faut
remarquer cepel1dant qu'ils étaient donnés
dans le sens des intérets de chacun. Breteuil,
qui vou lait combattre la négociation de Ca-
10nne a Mantoue, conseillait le départ; et Ca-
lonne, qui n'aurait plus régné si Louis XVI
s'était transporté a la frontiere, lui faisait insi-
nuer de rester. Quoí qu'il en soit, le roi se dé-
cida a partir, et il a dit souvent, avec humeur :
«e'est Breteuil qui 1'a voulu 'f.» Il écrivit donc a
Bouillé qu'il étaít résolu a ne pas différer da-
vantage. Son intention n'était ras de sortir du
royaume, mais de se retirer a Montmédy , d'ou
il pouvait, au besoin, s'appuyer sur Luxem-
bourg, et recevoir les secours étrangers. La
route de Chalons par (;;lermont et Varennes
fut préférée malgré l'avis de BOl1iHé. Tous les
préparatifs furent faits pour partir le 20 juin.
Le général rassembla les troupes sur lesql1elles
il coinptait le plus, prépara un camp a Mont-
médy, y amassa des fourrages, et donna pour
prétexte de toutes ces dispositions, des mouve-


~ Voyez Bertrand de Molleville.




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1 '79 J). 309
ments qu'il apercevait sur la frontiere. La reine
s'était chargée des préparatifs depuis Paris jus-
qn'aChatons; et Bouillé de Ch3Jons jusqu'aMont-
médy. Des corps de cavalerie pen nombreux
devaient, sons prétexte cl'escorter un trésor,
se porter sur divers points, et recevoir le roi
a son passage. Bouillé llli-meme se proposait
de s'avancer a quelque distan ce de Montmédy.
La reine Is'était assuréc une porte dérobée
pour sortir du chateau. La famille royal e devait
voyager sous un 1I0m étranger et avec un passe-
port supposé. Tout était pret pOlIr le 20; ce-
pendant une crainte 6t retarder le voyage
jusqu'au 2 J , délai qui fut fatal a cette famille
infortunée. M. de Lafayette était dans une com-
plete ignorance du voyage; M. de Montmorin
Jui-meme, malgré la confiance de la cour, l'i-
gnorait absolument; il n'y avait dans la confi-
den ce de ce projet que les personlles indispen-
sables a son exécution. Qnelques bruits de
fuite avaient cependant couru, soit que le
projet eut transpiré, soit que ce fUt une de ces
alarmes si communes alors. Quoi qu'il en soit,
le comité de recherches en avait été averti, et
la vigilan ce de la garde nationalc en était aug-
mentée.


Le 20 juin, vcrs minuit, le roi, la reine,
madame Élisabeth, madame de Tourzel, gou-




3 I o RÉVOLUTION FRAN<;jAISE.
vernante des enfants de France, se déguisent ,
et sortent successivement du chatean. Madame
de Tourzel avec les enfants se rend au petit
Carrousel, et monte dans une voiture conduite
par M. de Fersen, jeune seigneur étranger,
déguisé en cochero Le roi les joint bientot.
Mais la reine, qui était sortie avec un garde-
du-corps, lenr donne a tous les plus grandes
inquiétudes. Ni elle ni son guide ne connais-
saient les quartiers de Paris; elle s' égare et ne
retrouve le petit Carrousel qu'une heure apres;
en s'y rendant, elle rencontre la voiture de
M. de Lafayette, dont les gens rnarchaient avec
des torches. Elle se cache sous les guichets du
I.Jouvre. et, sauvée de ce danger, parvient a
la voiture oú elle était si impatiemment atten-
due. Apres s'etre ainsi réunie; to~ la familIe
se met en route; elle al'rive, apres un long trajet
et une seconde erreur de route, a la porte
Saint-MartÍn, et monte dans une berline atte-
Jée de six chevaux, placée la pour l'attendre.
Madame de Tourzel, sous le nom de madame de
Korff, devait passel' pour une mere voyageant
avec ses enfants; le roi était supposé son valet
de chambre; trois gardes-du-corps déguisés
devaient précéder la voiture en courriers, OH
la suivre comme domestiques. Ils partent enfin,
accompagnés des vreux de M. de Fersen, qui




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (179')' 3, 1
rentra dans Paris pour prendre le chemin de
Bruxelles. Pendant ce tempi, Monsieur se diri-
geait vers la Flandre avec son épouse, et suivait
une autre route pour ne point exciter les
soupc;ons et ne pas faire manquer les chevaux
dans les relais.


Le roi et sa famille voyagerent tOllte la nuit
sans que Paris fUt averti. M. de Fersen courut
a la municipalité pour voir ce qll'on en savait :
a huit heures du matin on l'ignorait encore.
Mais bientot le bruit s'en répandit et circula
avec rapidité. Lafayette réunit ses aides-de-
camp, Ieur ordonna de partir sur-Ie-champ, en
leur disant qu'ils n'atteindraient sans doute
pas les fugitifs, mais qu'il fallait faire quelque
chose; il prit sur lui la responsabilité de l'ordre
qu'il donnait, et supposa, dans la rédaction de
cet ordre, que la famille royale avait été en-
levée par les ennemis de la chose publique.
Cette suppositiou respectueuse fut admise par
l'assemblée, etconstamment adoptée par toutes
les autorités. Dans ce moment, le peuple ameuté
reprochait a Lafayette d'avoir favorisé l'éva-
sion du roi, et plus tard le partí aristocrate
J'a accusé d'avoir laissé fuir le roí pOllr l'arre-
ter ensuite, et pour 'le perdre par cette vaine
tentative. Cepcndant, si Lafayette avait voulu
laisser fuir Loui., XVI, amait-il envoyé, sans




3 J:l nÉVOLnTION Fl1.AN<:;A IS}:.
auelln ordre de l'assemblée, deux aides·de-
eamp a sa suite? Et si, eomme 1'0nt supposé
les aristocrates, il ne l'avait laissé fuir que
pour le reprend¡'e, aUl'ait-il donné toute une
nuit d'avanee a la voiture? Le peuple fllt bientot
détrompé, et Lafayette rétabli. dans ses bonnes
graees.


L'assemblée se réunit a nenf heures du ma-
tin. Elle montra une attitude aussi imposante
qu'aux premiers jours de la révolution. La
supposition convenllC fut que Louís XVI avait
été enlevé. Le plus grand calme, la plus par-
faite uníon régnerent pendant toute eette
séanee. Les mesures prises spontanément par
Lafayette furent approuvées. Le peuple avait
arreté ses aides-de-camp aux barrieres; l'as-
semblée, partout obéie, leur en fit ouvrir les
portes. L'un d'eux, le jeune Romeuf, emporta
3vec lui le déeret qui eonfirmait les ordres
déja donnés par le général , et enjoignait a tous
les fonctionnaires publies d'arréter, par tous
les moyens possibles, les miles dudit enlere-
ment, et rl'empécher que la route fÚl continuée.
Sur le vreu et les indications du peuple, Ro-
menf prit la ronte de Chalons, qui était la
véritable, et que la vue d'une voitllre a six
ehevanx avait illdiquée eomme telle. L'assem-
bléC:' 6t ensuite appeler les ministres, et décréta




ASSElIlELÉE CONSTITU ANTE (179 [ ). 313
qu'ils lIe reeevraient d'ordre que d'elle seule.
En partant, Louis XVI avait ordonné au mi-
nistre de la justice de lui envoyer le seeau de
l'état; l'assemblée déeida que le seeau serait
conservé pom etre apposé a ses décrets; elle
décréta en meme temps que les frontieres se-
raient mises en état de défense, et chargea le
ministre des relations extérieures d'assurer aux
puissances, que les dispositions de la natioll
fraIH;aise n'étaient point changées a Ieur égard.


M. de Laporte, intendant de la liste civile,
fut ensuite elltendu. Il avait re~u divers mes-
sages du roi, entre autres un hillet, qu'il pria
l'assemblée de ne pas ollvrir, et un mémoire
eontenant les motiEs du départ. L'assemblée,
prete a respecter tous les droits, restitua, san s
l'ouvrir, le bilIet que M. de Laporte ne voulait
pas remire public, 'et ordonna la lecture du
mémoire. Cette Iecture fut écoutée ave e le plus
grand calme, et ne produisit presque aUCllllC
impression. Le roi s'y plaignait de ses pertes
de pouvoir sans assez de dignité, et s'y mon-
trait aussi blessé d'etre réduit a trente millions
de liste civile, que d'avoir perdll toutes ses
prérogatives. On écollta toutes les doléances
du monarque, on plaigllit sa faiblesse, et on
passa outre.


Dans ce moment, pell de personnes dési-




314 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
raient l'arrestation de Louis XVI. Les aristo-
era tes voyaient dans sa fuite le plus ancien de
leurs vomx réalisé, et se flattaient d'une guerre
civile tres - prochaine. I,es membres les plus
prononcés du parti populaire, qui déja com-
men<;aient a se fatiguer du roi, trouvaient dan s
son absence l'occasion de s'en passer, et con-
cevaient l'idée et l'espérance d'uue république.
Toute la partie modérée, qlli gouvernait en ce
moment l'assemblée, désirait que le roi se re-
tirat saín et sauf a Montmédy; et, comptant
sur son équité, elle se flattait qu'un accommo-
dement en deviendrait plus facile entre le trone
et la nation. On s'effrayait beaucoup moins a
présent qu'autrefois, de voir le monarque me-
na<;ant la constitution du mílieu d'une armé.e.
Le peuple seul, auquel on n'avait pas cessé
d'inspirer ceUe crainte, la conservait encore
lorsque l'assemblée ne la partageait plus, et il
faísait des vreux ardents pour l'arrestation de
la famílle royale. Tel était l'état des choses a
Paris.


La voiture, partie dans la uuit du 20 au 21,
avait franchi heurellsement une grande partie
(le la rOllte, et était parvenlle sans obstacle a
Chalons, le 2 [ , vers les cinq heures de l'apres-
midi. La, le roi, qui avalt le tort de mettre
salivent 5a tete a la portiere, fut reconnu;




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1791). 3.5
celui qui fit cette découverte voulait d'abord
révéler le secret, mais il en fut empeché par
le maire, qui était un royaliste fidele. Arrivée
a Pont - de - Sommeville, la famille royal e ne
trouva pas les détachements qui devaient l'y
recevoir; ces clétachements avaient attendu
plusieurs heures; mais le soulevement du peu-
pie, qui s'alarmait de ce mouvement de trou-
pes, les avait obligés de se retirer. Cependant
le mi arriva a Sainte-Menehould. La, montrant
toujours la tete a la portiere, il fut aper~u par
Drouet , fils du maitre de poste, et chaud révo-
lutionnaire. Aussitot ce jeune homme, n'ayant
pas le temps de faire arreter la voiture a Sainte-
Menehould, court a Varennes. Un brave ma-
réchal-des-Iogis, qui avait aper~u son empres-
sement et qui soup~onnait ses motifs, vol e a
sa suite pour l'arreter, mais ne peut l'atteindre.
Dronet fait tant de diligence qu'il arrive a Va-
rennes avant la famille infortunée; sur-Ie-champ
il avertit la municipalité , et fait prendre sans
délai toutes les mesures nécessaires pOllr l'ar-
restation. Varennes est batie sur le hord d'une
riviere étroite, mais profonde; un détachement
de hussards y était de garde; mais l'officier,
ne voyant pas arriver le trésor qu'on lui avait
annoncé, avait laissé sa troupe dans les quar-
tiers. La voiture arrive enfin et passe le ponto




316 RÉVOLUTION FRANyAISE.
A peine est-elle engagée sous une voute qu'il
fallait traverser, que Drouet, aidé d'un autre
indi vidu, ar"te les cheva ux: l/atre passe-part!
s'écrie-t-il, et avec un fusil, il menace les voya-
geurs s'ils s'ohstinent a avancer. On ohéit a cet
ordre, et on livre le passe - port. Drouet s'en
saisit, et dit que c'est au procureur de la com-
mune a l' examiner; et la famille royal e est
conduite chez ce procureur, nommé Sausse·
Celui-ci, apres avoir examiné ce passe - port,
feintde le trouver en regle, el, avec heaucoup
d'égards, prie le roi d'attendre. On attend en
effet assez long - temps. Lorsque Sausse est
enfin assuré qll'un nombre suffisant de gardes
nationaux ont été réunis, il cesse de dissinllller,
et déclare an prince qu'il est reconnll et arreté.
Une contestation s'engage; Louis prétend n'e-
tre pas ce qu'on suppose, et la dispute deve-
nant trop vive: -« Puisque vous le reconnaissez
pour votre roi, s'écrie la reine impatientée,
parlez -lui done avec le respect que vous lui
deve·z. »)


Le roí, voyant que toute dénégation était
inutile, renonee a se déguiser plus long-temps.
La petite salle était pleine de monde; il prend
la parole et s'exprime avec une chaleur qui
ne lui était pas ordinaire. 11 proteste de ses
honnes intentions, il assure qu'il n'allait a




ASSUl11LÉE CONSTITUANTE (1791). 317
Montmédy que pour écouter plus librement
les vreux des peuples, en s'arrachant a la ty-
rannie de París; il demande enfin a continuer
sa route, et a etre conduít au but de son
voyage. Le malhéureux prince, tont attendri,
embrasse Sansse, et lui demande le salut de son
épouse et de ses enfants; la reine se jaint a
luí, et, prenant le dauphin dans ses bras,
conjure Sausse de les sauver. Sausse est tou-
ché, mais il résiste, et les engage a retourner
a Paris pour éviter une guerre civile. Le roi,
au contraire, effrayé de ce "retonr, persiste a
vouloir marcher vers Montmédy. Dans ce mo-
ment, :MM. de Damas et de Gognelas étaient
arrivés avec les détachements placés sur divers
points. La famille royal e se croyait délivrée,
mais on ne pouvait compter sur les hussards.
Les officiers les réunissent, leur anlloncent
que le roi et sa famille sont arretés, et qu'il
faut les sauver; mais ceux-ci répondent qu'ils
sont pour la nation. Dans le meme instant, 'les
gardes nationales, convoqllées dans tons les
environs, affluent et rempliss'llt Varennes.
Toute la Huit se passe dan s cet état; a six
heures dn matin, le jeulle Romeuf arrive, por-
tant le décret de l'aisemblée; il trouve la voi-
ture attelée de six chevaux et dirigée vers
París. Il monte et remet le décret avec dou-




3 J 8 RÉVOLUTION FRANf:AISJ.:.
leur. Un cri de toute la famille s'éleve contre
l\I. de Lafayette qui la fait arreter. La reine
meme parait étonnéc de ce qu'íl n'a pas péri de
la main du peuple; le jeune Romeuf répond
que luí et son général ont fait leur devoir en
les poursuivant , mais qu'íls out espéré ne pas
les atteindre. La reine se saisit du décret, le
jette sur le lit de ses enfants, puis l' en arra che,
en disant qu'il les souíllerait. - j\'Iadame, lui
dit Romeuf, ql1i luí était dévoué, aimeriez-
vous mieux qu'un autI'e que moí fut témoin
de ces emporteme'-:lts? - La reine alors revient
a elle et recouvre toute sa dignité. On annon-
~ait au meme instant l'anivée des divers corps
placés aux environs par Bouillé. l\Iais la mu-
nicipalité ordonna alors le départ, et la famille
royal e fut obligée de reman ter sllr-Ie-champ
en voiture, et de reprendre la route de París,
cette route fataJe el si I'edoutée.


Bouillé, aveI'ti au milien de la uuit, avait
fait monter un régiment a che val , et il était
parti au cri de vive le roi! Ce brave généraI,
dévoré d'inqáétude, marcha en tou te hate,
et fit nenf lieues en quatI'e heures; il arriva
a Varennes, ou iI trouva déja divers corps
réunis, mais le roí en était partí depuis une
heure et demie. Varennes était barricadée et
~Jéfendue par d'assez bonnes dispositions; cal'




ASSElIlBLÉE CONSTITUANTE ([79J). 3J9
00 avait hrisé le p~)Ot, et la riviere n'était pas
guéable. Ainsi, pour sallver le roí. Bouil1é de-
vait d'abord livrer un combat pour enlever les
barricades, puis traverser la riviere, et apres
cette grande perte de temps, pouvoir attein-
dre la voiture qui avait déja une avance d'une
heure et demie. Ces obstacles rendaient toute
tentative impossible; et íl ne fallait pas moins
qu'une telle impossibilité pour arreter un
homme aussi dévoué et aussi entreprenant que
Bouillé. Il se retira done déchiré de regrets et
de doulellr.


Lorsqu'on apprit a Paris l'arrestation <lu
roi, on le croyaít déjit hors.d'atfeinte. Le peu-
pIe en ressentit une joie extraordinaire. L'as~
semblée députa trois commissaires, choisis
dans les trois sections du coté gauche, pour ac-
compagner le monarque et le reconduire a Pa-
ris, Ces commissaires étaient Barnave, Latour-
Maubourg et Pétion. Ils se rendírent a Ch<1lons,
et, des qu'ils eurent joint la cour, tous les
ordres émanerent d'eux sellls. Madame de
Tourzel passa dans une voiture de suite avec
Latour-Maubourg. Barnave et Pétioll monte-
rent dans la voiture de la famille royale. Latoul'-
Maubourg, homme distingué, était ami de
Lafayette, et comme lui dévoué autant au roi
qu'a la constitution. En cédant a ses deux col-




3:w RÉVOLUTION FHAN~AISE.
legues l'houneur d' etre avec la famille royale,
son intention était de les intéresser a la gran-
deur malheureuse. Baruave s'assit dans le fond,
entre le roi et la reine; Pétion sur le devant,
entre madame Élisabeth et madame Roya]e.
Le jeune dauphiu reposait alternativement sur
les genoux des uns et des autres. Tel avait été
le cours rapide des événements! Un jeulle
avocat de vingt et quelques anllées, remar-
qllable seulement par ses talents; un autre,
distingué par ses lumieres, mais surtout par le
rigorisme de ses principes, étaient assis a coté
du prince naguere le plus absolu de l'Europe,
et commandaient.jt tous ses mouvements! Le
voyage était lent, paree que la voiture suivait
le pas des gardes nationales. Il dura huit jours
de Varennes a Paris. La chaleur était extreme,
et une poussiere brillante, soulevée par ].a
fouJe, suffoquait les voyageurs. Les premiers
instants furent silencieux; la reine ne pou-
vait déguiser son humeur. Le roi flnít par en-
gager la conver~ation avec Barnave. r':entre-
tien se porta sur tous les objets, et enfln sur
la fuite a Montmédy. Les uns et les autres s'é-
tormerent de se trouver tels. La reine fut 8ur-
prise de la raison supérieure et de la politesse
délicate du jeune Barnave; bientot elle releva
son voile et prit part a l'e~Jtretien. Barnave fut




ASSFMBLÉ.E CONSTITUANTE (1791). 321
touché de la bonté du roi et de la gracieuse
dignité de la reine. Pétion montra plus de ru-
desse; il témoigna et il obtínt moins d'égards.
En arrivant, Barnave était dévoué a cette fa-
mille malheureuse, et la reine, charmée du
mérite et du sen s du jeune tribun, lui avait
clonné toute son estime. Aussi, dans les rela-
tions qu'elle eut depuis avec les députés cons-
titutionnels, ce fut a lui qu'elle accorcla le
plus de confiance. Les partis se pardonne-
raient, s'ils pouvaient se voir et s'entendre".


A Paris, on avait préparé la réception qu' on
devait faire a la famille royale. Un avis était
répandu et affiché partout : Quiconque ap-
plaudira le roí sera battu; quíconque l'ínsul-
lera sera pendu. L'ordre fut ponctuellement
exécuté, et ron n'entendit ni applaudisse-
ments ni insultes. La voiture prit un détour
pour ne pas traverser París. On la fit entrer
par les Champs-Élysées , qui conduisent di-
rectement au chateau. Une foule immense la
rec.;ut en silence et le chapeau sur la tete.
Lafayette, suivi d'une garde nombreuse , avait
pris les plus grandes précautions. Les trois
gardes-du-corps qui avaient aidé la fuite étaient
sur le siége, exposés a la vue et a la coIere


• Voyez la note 22 a la fin du volume.
l. 21




32.2 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
du peuple; néanmoins ils n' essuyerent aucune
violence. A peine arrivée au chateau, la voi-
ture fut entourée. La famílle royale descendít
précipitamment, et marcha au mílieu d'une
double haie de gardes nationaux, destínés a
la protéger. La reine, demeurée la derniere,
se vit presque enlevée dans les bras de MM. de
Noailles et d'Aiguillon, ennemis de la cour ';
1'nais généreux amis du maIheur. En les voyant
s'approcher, elle eut d'abord quelques doutes
sur leurs intentioIls, mais elle s'abandonna a
eux, et arriva saine et sauve au palais.


Tel fut ce voyage, dont la funeste issue ne
peut etre justement attribuée a aucun de ceux
qui l'avaient préparé. Un accident le 6t man-
quer, un accident pouvait le faire réussir. Si,
par exemple, Drouet,avait été joint et arre té
par celui qui le poursuivait, la voiture était
sauvée. Peut-etre aussí le roí manqua+íl d'é-
nergie Iorsqu'il fut reconnu. Quoi qu'iI en soit,
ce voyage ne doit etre reproché a personne,
ni a ceux qui ront conseillé, ni a ceux qui
1'ont exécuté; iI était le résultat de ceUe fata·
lité qui poursuit la faiblesse au milieu des
crises révolutionnaires.


L'effet du voyage de Varennes fut de dé·
truire tont respect ponr le roi, d'habituer les
~sprits a se passer de lui, et de faire nallre le




ASSEMBLÉE COWSTITUAWTE (179')' 323
vreu de la républíque. Des le matin de son
arrívée,l'assemblée avaít pourvu a tout par un
décret 'f-. Louís XVI était suspendu de ses fonc-
tions; une garde était donnée a sa personne,
a celle de la reine et du dauphin. Cette garde
était chargée d'en répondre. Trois députés,
d'André, Tronchet, Duport, étaient commis
pour recevoir les déclarations du roi et de la
reine. La plus grande mesure était observée
dans les expressions, car jamais cette assem-
blée ne manqua aux convenances; mais le ré-
sultat était évid.nt, et le roi était provisoir.e-
ment détroné.


La responsabilité imposée a la garde natio-
nale la rendit sévere et souvent importune
dans sonservice aupres des personnes royales.
Des sentinelles veillaient continuellement a
Ieur porte, et ne les perdaient jamais de vue.
Le. roi, voulant un jour s'assurer s'il était
réellement prisonnier, se présente a une porte;
la sentinelle s'oppose a son passage: - Me
reconnaissezo-vous? lui dit LouÍs XVI. - Oui,
sire, répond la sentinelle. -. Il ne restait au
roi que la faculté de se promener le matin
dans les Tllileries, avant que le jardin fUt OU-
vert au pub lic.


• Séance dll samedi 25 juin.
:H.




, y


324 ItÉVOLUTION FRAN~AISE.
Barnave et les Lameth firent alors ce qu'ils


avaient tant reproché a Mirabeau, ils prete-
rent secours au trane et s'entendirent avec la
cour. Il est vrai qu'ils ne re«;:urent aucun ar-
gent; mais c'était moins le prix de l'alliance
que l'alliance elle-meme qu'ils avaient repro-
chée a Mirabeau; et apres avoir été autrefoís
si séveres, ils subissaient maintenant la loi
commuue a tous les chefs populaíres, qui les
force a s'alIíer successivement au pouvoir, a
mesure qu'ils y arrivent. Néanmoins, rien n'é-
tait plus louable, en l'état des choses, que le
serviee rendu au roi par Barnave et les Lameth,
et jamais ils ne montrerent plus d'adresse, de
force et de talento Bal'llave dicta la réponse du
roi aux commissaires nomrnés par l'assernblée.
Dans cette iéponse, Louís X VI motivait sa
fuite sur le désir de mieux connaltre l'opinion
publique; íl assurait l'avoir mieux étudiée daos
son voyage, et il prouvait par lous les faits
qu'il n'avait pas voulu sortir de Franee. Quant
a ses protestations eontenues dans le mérnoire
rernÍs a l'assemblée, il dísait avee raison qu' elles
portaient, non sur les príncipes fondarnen-
taux de la constitution, mais sur les moyens
d'exécution qui lui étaient laÍssés. Maintenant,
ajoutait-il, que la volonté générale lni était
manifestée, il n'hésitait pas a s'y soumcttre et




A SSElUBLÉE CONSTITUANTE (1791). 325
a {aire tous les saerifiees néeessaires pour le
bien de tous"'.


Bouillé, pour attirer sur sa personne la co-
tere de l'assemblée, lui adressa une lettre
qu'on pourrait dire insensée, sans le motif
généreux qui la dicta. Il s'avouait seul :uiteur
du voyage du roi, tandís qu'au eonttaire iI
s'y était opposé; il déclarait au nom des souve-
rains que París répondr·ait de la súreté de la
famille royale, et que le moindre mal commis
eontre elle serait vengé d'nne maniere écla-
tanteo 11 ajoutait, ee qu'il savait n'ctre pas,
que les moyens militaires de la: Franee étaient
nuls; qu'il connaissait d'ailleurs les voies d'in-
vasion, et qu'il eonduirait lui-meme les armées
ennemies au sein de sa patrie. L'assembIée se
preta elle-meme a eette généreuse bravade, et
jeta tout sur Bouillé, qui n'avait rien a erain-
dre, ear il était déj?:t a l'étranger.


La eour d'Espagne , appréhendant que la
moindre démonstration n'ÍrrÍtat les esprits et
n'exposat la famille royale a de plus grands
dangers, empeeha une tentative préparée sur
la frontiere dll Midi, et a laquelle les cheva-
liers de Malte devaíent eoncourir avec deux
frégates. Elle déelara ensuite au gouvernement


• Voyez la note 23 a la fin du voluooe.




3~6 RÉVOLUTION FRAN~A.lSE.
fran~ais que ses bonnes dispositions n'étaient
pas changées a son égard. Le Nord se conduisit
avee beaucoup moins de mesure. De ce coté,
les puissances excitées par les émigrés étaient
mena~antes. Des envoyés furent dépechés par
le roí a Bruxelles et a Coblentz. Ils devaient
tacher de s'entendre avec l'émigration, lui faire
connaltre les bonnes dispositions de l'assem-
hlée, et l'espérallce qu'on avait con«{ue d'un
arrangement avantageux. Mais a peine arrivés,
ils furent indignement traités, et revinrent
anssitot a París. Les émigrés leverent des corps
an nom du roí, et l'obligerent ainsi a leur
donner un désaven forme!. lIs prétendirent
que Monsieur, alors réuní a eux, était régent
du royanme; que le roí, étant prisonníer,
n'avait plus de volonté lit lui, et que ceHe qu'il
exprimait n'était que eeHe de ses oppresseurs.
La paix de Catherine avec les Turcs, quí se
conclut dans le mois d'aout, excita encare
davantage leur joie insensée, et ils crurent
avoil' a leur disposition toutes les puissances
de l'Europe. En considérant le désarmement
des places fortes, la désorganisation de l'armée
abandonnée par tous les officiers, ils ne pou-
vaient douter que l'invasion n'eut lien tres-
prochainement et ne réussit. Et cependant iI
y avait déja pres de deux ans qu'iIs avaÍent




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1791). 327
quitté la France, et, malgré leurs belles espé-
rances de chaque jour, ils n'étaient point encore
rentrés en vainquellrs, eomme ils s'enflattaient!
Les puissanees semblaient promettre beau-
coup, mais Pitt attendait; Léopold, épuisé par
la guerre, et mécontent des émigrés, désirait
la paix; le roi de Prusse promettait beaucoup
et n'avait aucun intéret a tenir; Gustave était
jaloux de commander une expédition eontre
la Franee, mais il se trouvait fort éloigné; et
Catherine, qui devait le seeonder, a peine dé-
livrée des Turcs, avait encore la Pologne a
comprimer. D'ailleurs, pour opérer eette coa-
lition, il faUait mettre tant d'intérets d'accord,
qu'on ne pouvait. guel'e se flatter d'y parvenir.


La décIaration de Pilnitz aurait dÍ! surtout
écIairer les émigrés sur le úle des sOllverains -1'.
Cette déclaration, faite en eommun par le roi
de Prusse et l'empereur Léopold, portait que
la situation du roi de France était d'un in-
téret eommun a tous les souverains, et que
sans doute ils se réuniraient pour donner a
Louis XVI les moyens d'établir un gouverne-
ment convenable aux intérets du trone et du
peuple; que dans ce eas, le roi de Prusse et
l'empereur se réuniraient au:x autres princes,


* Elle est du 27 aotlt.




32'8 RÉVOLUTION FRANG,AISE.
pour parvenir au meme but. En attendant,
leurs tl'oupes devaient etre mises en état d'agir.
On a su depuis que cette déc1aration renfer-
mait des articles secrets. lis portaient que
l' Autriche ne mettrait allclln obstacle aux
prétentions de la Prusse sur une partie de la
Pologne. Il fallait cela ponr engager la Prusse
a négliger ses plus anciens intérets, en se liant
ave e l'Autriche contre la France. Que devait-on
attendre d'lln úle qll'il fallait exciter par de
pareils moyens? Et s'il était si réservé dan s ses
expressions , que devait-il etre dan s ses actes?
La France, iI est vrai, était en désarmement,
mais tout un peuple debout est bientot armé:
et, comme le dít plus tard le célebre Carnot,
qu'y a-t-il d'impossible a vingt-cinq millions
d'hommes? A la vérité, les officíers se re tÍ-
raient; maís pour la plupart jeunes et placés
par faveur, ils étaient sans expédence et déplai-
saíent a l'arméc. D'ailleurs, l'essor donné a
tous les moyens allaii: bíentot produire des
officiers et des généraux. Cependant, il faut
en convenir, on ponvait, meme san s avoir la
présomption de Coblentz, douter de la résis-
tan ce que la France apposa plus tard a l'in-
Vaston.


En attendant, l'assemblée envoya des cam-
missaires a la frontiere, et ordonna de grands




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1791). 329
préparatifs. Toutes les gardes nationales de-
mandaient a marcher; plusíeurs généraux of·
fraient leurs serviees, et entre autres Dumou-
riez, quí plus tard sauva la Franee dans les
défilés de l' Argonne.


Tout en donnant ses soins a la sureté exté-
rieure de l'état, l'assemblée se hatait d'achever
son ceuvre eonstitutíonnelle, de rendre au roi
ses fonctions, et, s'il était possible, quelques-
unes de ses prérogatives.


Toutes .les sllbdivísions du eOté gauche,
excepté les hommes qui venaient de prendre
le nom tout nouveau de répubHcains, s'étaient
ralliés a un meme systeme de modération.
Barnave et Malouet marchaient ensemble et
travaillaient de concert. Pétion, Robespíerre,
Buzot, et ql1elques autres encore, avaient
adopté la républíque ; mais ils étaient en petit
nombre. Le coté droit eontinuait ses impru-
dences et protestait, au líeu de s'unir a la ma-
jorité modérée. Cette majorité n'en dominait
pas moins l'assemblée. Ses ennemis , quí l'au-
raient aceusée si elle eut détroné le roí, lui ont
eependant reproché de l'avoir ramené a Paris ,
et replacé sur un trone chaneelant. Mais que
pouvait-elle faire? Remplacer le roi par la ré-
publique était trop hasardeux. Changer la
dynastie était inutíle, car a se donner un roi,


/




330 RÉVOLUTION l'RANC(AISE.
autant valait garder celui qu'on avait; d'ail-
leurs le due q'Orléans ne méritait pas d'etre
préféré a Louis XVI. Dans l'un et l'autl'e cas,
déposséder le roi actuel, c'était manquer a des
droits reconnus, et envoyer a l'émigration un
chef précieux pour elle, cal' iI lui aurait ap-
porté des titres qu'elle n'avait paso <Au con-
traire, rendre a Louis XVI son autorité, lui
restituer le plus de prérogatives qu'on le
pourrait, c'était remplir sa tache constitution-
neHe, et Oter tout prétexte a la guerre civile;
en un mot. c'était faire son devoir, car le
devoir de l'assemblée, d'apres tous les engage-
ments qu'elle avait pris, était d'établir le gau-
vernement libre. mais monarchique.


L'assemblée n'hésita pas, mais elle eut de
grands obstacles a vaincre. Le mot nouveau de
république avait piqué les esprils déjit un peu
blasés sur ceux de monarchie et de constitu.
tion. L'absence et la suspellsion du roi avaient,
Cornme on 1'a vu, appris a se passer de lui. I.es
journaux et les clubs dépouillerent aussitot le
respect dont sa personne avait toujours été
l' obj et. Son départ, qui, aux termes du décret
sur la résidence des fonctionnaires publics,
rendait la déchéance imminente, 6t dire qu'il
était déchu. Cependant, d'apres ce IDeme dé-
cret, iI fallait pour la déchéance la sortie du




ASSEMBLÉE CONSTITU A.NTE (1791). 331
royaume et la résistance aux sommations du
eorps législatif; mais ces conditions importaient
peu aux esprits exaltés, et ils déclaraient le
roí coupable et démissiounaire. Les Jacobins,
les Cordeliers, s'agitaient violemment, et ne
pouvaient comprendre qu'apres s'etre délivrés
du roí, on se l'imposat de nouveau et volon~
tairement. Si le duc d'Orléans avait eu des
espérances ,c'est alors qu'elles purent se ré-
veiller. Maís iI dut voir combien son nom avait
peu d'influence, et combien surtout un nou-
veau soy.verain , quelque populaire qu'il fUt,
convenait peu a l'état des esprits. Quelques
pamphlétaires qui luí étaient dévoués, peut.
ctre a son insu , essayerent, eomme Antoine
tit pOllr César, de mettre la courolllle sur sa
tete; ils pl'oposerent de luí donner la régence,
mais il se vit obligé de la l'epousser par une
déclaratíon qui fut aussi peu consídérée que
sa personne. Plus de roi, était le cri général,
aux Jacobins, aux Cordeliers, dans les lieux
et les papiers publics.


Les adresses se multipliaient : il y en eut
une aftichée stlr tons les murs de París, et
meme sur ceux del'assemblée. Elle était signée
du llom d'Achille Duchatelet, jellne colonel.
Il s'adressait aux Fran<;ais; il leur rappelait le
calme dont on avait jouí pendant le voyage du




332 nÉvoLuTION FRANQAISE.
monarque, et il concluait que l'absence du
prince valait mieux que sa présence; il ajou-
tait quesa désertion était une abdication, que
la nation et Louis XV 1 étaieilt dégagés de tont
lien l'un envers l'autre; qti'enfin l'histoire était
pleine des crimes des rois, et qu'il fallait re-
noncer a s'ell donner encore un.


eette adresse, attribuée au jeune Achille Du-
chatelet, était de Thomas Payne, Anglais, et
acteur principal daos la révolutiou amérÍcaÍne.
Elle fut dénoncée a l'assemblée, qui, apres de
vifs débats, pensa qu'il t'allait passer a L'ordre
du jour, et répondre par l'indifférenceaux
avis et aux injures, ainsi qu'on avait toujours
fait.


Enfin les commissaires chargés de faire leur
rapport sur l'affaire de Varennes, le rrésente-
rent le 16 juillet. Le voyage, dil'ent-iIs, n'avait
ríen de coupable; d'ailIeurs, le fut-il, .le-roi
était inviolable. Enfin la déchéance ne pouvait
en résulter, puisque le roí n'était point de-
meuré assez long-temps éloigné, et n'avaít pas
résisté aux sommations du corps législatif.


Robespierre, Buzot, "Pétion, répéterent tous
les arguments connus contre l'invíolabilité. Du-
port, Barnave et Salles, Ieur répondirent, et il
fut en1.in décrété que le roí ne pouvait etre mis
en cause pour le fait de son évasion. Deux ar-




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTI<: (1791). 333
lieles furent seulement ajoutés au décret d'in-
violabilité. A peine cctte décision fut-elle ren-
due, que Robespierre se leva et protesta han ..
tement au Ilom de l'humallité.


Il y eut dans la soirée qui précéda cette déci ..
sion un grand tumulte aux Jacobins. On y ré-
digea une pétition adressée a l'assemblée, pour
qu'elle déclarat le roí déchu comme perfide et
traitre a ses serments, et qu'elle pourvut a son
remplacement par tous les moycns constitu-
tionnels. Il fut résolu que cette pétition serait
portée le lendemain au Champ.dc.Mars, ou chao
cun pourrait la signer sur l'autel de la patrie.
Le lendemain, en effet, elle fut portée au líeu
convenu, et a la foule des séditieux se joignit
ceHe des curieux quí voulaient etre témoins
de I'événement. Dans ce moment, le décret
était rendu, et il n'y avait plus lieu a une pé-
tition. Lafayette arriva, brisa les barricades
déja élevées, fut menacé, et rc«,;ut meme un
coup de feu qui, quoique tiré a bout portant,
ne l'atteignit paso Les officicrs municipaux s'é-
tant réunis a lui, obtinrent enfin de la popu-
lace qu'elle se retirat. Des gardes nationaux
furent placés pour veilIer a sa retraite, et on
espéra un instant qu'elle se dissiperait; mais
bientot le tumulte recommen«,;a. Denx Invalides
qui se trollvaient, 011 ne sait pourquoi, son s




334 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
J'autel de la .patI'ie, furent égorgés, et alors le
u~sordre n'eut plus de bornes. Vassemblée fit
appeler la munid palité, et la chargea de veiller
á l'ordre publico BailIy se rendit au Champ-de-
Mars, fit déployer le drapeau rouge en vertll
de La loi martiale. L'emploi de la force, quoi
qu'on ait dit, était juste. On voulait, ou on
ne voulait pas les lois nouvelles; si OIl les vou-
lait, il faUait qu'elles fussent exécutées, qu'il
y eut quelque chose de fixe , que l'insurrectioll
ne fut pas perpétuel1e, et qlle la voJonté de
l'assemblée ne put etre réformée par lles plé-
biscites de la multitude. BailIy devait done faire
exécuter la loi. n s'avan<,;a avec ce courage im-
passible quí'l avait toujours muntré, re¡;ut S<lHS
etre atteint plusicurs coups de feu, et au milieu
du tumulte ne put faire toutes les somma-
tions voulues. D'abord Lafayette ordOIlua ue
tirer quelques COllpS en l'air; la fouleabandon-
lla l'autel de la patrie, mais se rallía hientot.
lléduit alors a l' extréJt.\ité, il comllllanda le fcu.
La premiere décharge renversa quelques-ulls
des factieux. Le nombre en fut exagéré. Les
uns l'ont réduít a trente, d'autres I'ont élcvé a
quatl'ccents, et les furieux a quelques miHe.
Ces derniers fUl'cut erus dans le prcmier mu-
ment, et la terreur devint générale. Cet ex~mple
sévere apaisa pour quelques instants les agita-




ASSEMllLÉE CONSTl'fU ANTE (1791). 335
teurs *. Comme d'usage, on accnsa ton s les
partís d'avoir excité ce mouvement; et iI est
probable que plnsieurs y avaient concouru, car
le désordre convenait a pIusieurs. Le roi, la
majorité de l'assemblée, la garde nationale,
les autorités municipales et départementales,
étaient d'accord alors pour établir l'ordre cons-
titutionnel; et ils avaient a combattre la démo-
cratie au dedans, l'aristocratie au dehors. L'as-
semblée et la garde nationale composaient cette
nation moyenne, riche, éclairée et sage, qui
voulait l'ordre et les lois; et elles devaient dans
ces CÍrconstances s'allier naturellement an roi~
qui de son coté semblait se résigner a une au-
torité limitée. Máis s'il leur convenait de s'ar-
reteÍ' an point ou elles en étaient arrivées, cela
ne convenait pas a I'aristocratie, qui désirait
un bouleversement, ni au peuple , qui voulait
acquérir et s' élever davantage. Barnave , comme
autrefois Mirabeau, était l'orateur de cette
bourgeoisie sage et modérée;, Lafayette en
était le chef militaire. Danton, Camille Des-
moulins étaient les orateul"S, et Santerre le
général de cette multitude qui vonlait régner
a son tour. Quelques esprils ardents on fana-


* Cet événement eut lieu dans la soirée du dimanche
I í jl1illet.




336 RivOLUTION FRAN(fAISE.
tiques la représentaient, soit a l'assemblée,
soit dans les administrations nouvelles , et ha-
taient son regne par leurs_ déclamations.


L'exécutioll du Champ-de-Mars fut fort re-
prochée a Lafayette et a Bailly. Mais tous deux,
pla<;ant leur devoir dans l'observation de ]a loi,
et sacrifiant IJur popularité et ]eur vie a son
exécution, n'eurent aucun regret, aucune
crainte de ce qu'ils avaient fait. L'énergie qu'ils
montrerent impasa aux factieux. Les plus con·
nus songeaient déja a se soustraire aux coups
qu'ils eroyaient dirigés contre eux. Robes-
pierre, qu'on a vu jusqu'a présent soutenir les
propositions les plus exagérées, tremblait dans
sOlí obscure demeure; el, malgré son inviola-
bilité de député, demandait asile a tous ses
amis. Ainsi l' exemple eut son effet, et, ponr
un instant, toutes les imaginations turbulelltes
furent calmées par la crainte.


L'assemblée prit a eette époque unedéter-
mination qui a été eritiquée depuis, et dont le
résultat n'a pas .été allssi funesJe qu'on l'a
pensé. Elle décrétaqu'aucun de ses membres
ne serait réélu. Robespierre fut l'auteur de la
proposition, et on l'attribua chez lui a l'envie
qu'il éprouvait contre des collegues parmi les-
quels il n'avait pas brillé. 11 était au mojos
naturel qu'il leur en voulut, ayant toujours




ASSEMBLl\E CONSTITUANTE (1791). 337
lutté avec eux; et dans ses sentiments iI put y
avoir tout a la fois de la cOllviction, de l'envie
et de la haine. L'assemblée, qu'on accusait de
vouloir perpét!ler ses pOllvoirs, et qui d'aillenrs
déplaisait déjaa la mllltitude par sa modération,
s'empressa de répondre a toutes les attaques par
un désintéressement peut-etre exagéré, en dé-
cidant que ses membres seraient exclus de la
prochaine Iégislature. La nouvelle assemblée se
trouva ainsi privée d'hammes dont l'exaltation
était un peu amartie, et dont la science Iégis-
lative avait muri par une expérience de tr01S
ans. Cependant, en voyant plus tard la cause
des révolutions qui suivirent, on jllgera mieux
quelle a pu etre l'importance de eette mesure
si sauvent eondamnée.


C'était le mament d'achever les travaux eons-
titutionnels, et de terminer dans le calme une
si orageuse carriere. Les membres du coté
gauche avaient le projet de s'entendre paur
retoueher eertaines parties de la canstitution.
Il avait été résolu qu'on la lirait tout entiere
pour jllger de l'ensemble, et qu'on mettrait en
harmonie ses di verses parties; e' est la ce qu' OH
nomma la révisian, et ee qlli fut plus tard,
dan s les jours de la ferveur républicaine, re-
gardé e0l'9me une mesure de calamité. Bar-
llave et les Lameth s'étaiellt entendus ave e


l. 22




338 RÉVOLUTlON I"RAN~AlSJ-:.
Malouet pour réformer certains articles qui
portaient atteinte a la prérogative royal e , et a
ce qu'on nommait la stabilité du treme. On dit
meme qu'ils avaient le projet de rétablir les
deux chambres. Il était convenu qu'a l'instant
oú la lecture serait achevée, M:ilouet ferait son
attaque; que Barnave ensuite lui répondrait
avec véhémence pour mieux couvrir ses inten-
tions, mais qll'en défendant la plupart des ar-
tieles, il en abandonnerait certains comme
évidemrnent dangereux et condamnés par une
expérience reconnue. Telles étaient les condi.
tions arretées, lorsqu'on apprit les ridicules et
dangereuses protestations du coté droit qui
avait résolu de ne plus voter. Il n'y eut plus
alors aucun accommodement possible. Le coté
gauche ne voulut plus rien entendre; et
lorsque la tentative convenue eut Jieu, les cris
qui s'éleverent de toutes parts emptkherent
Malouet et les siens de poursuivre 'f.. La eons-
titution fut done achevée avee quelque hate,
et présentée au roi".:pour qu'il l'acceptat. Des
cet instant, sa liberté lui fut rendue, ou, si
l' on vent, la consigne sévére du chateau fut
levée , et iI eut la faculté de se retirer ou iI
voudrait, pour examiner l'acte eonstitutionnel,


* Voyez la note 24 a la fin du volumc.




ASSEMHLÜ CONSTITUANTE (1791). 339
et l'accepter librement. Que pouvait faire ici
Louis XVI? Refuser la constitution, c'était ab-
diquer en faveur de la république. Le plus sur,
meme dans son systeme, était d'accepter et
d'attendre du temps les restitutions de pou-
voirqu'íl croyait lui etre dues. En conséquence,
apres un certain nombre de jours, il déclara
qu'il acceptait la constitution (r3 septembre).
DIle joie extraordinaire éclataa cette nouvelle,
commc si en effet on avaít redouté quelque
obstacle de la part du rOl, comme si son con-
sentement eut été une concession inespérée.
11 se rendít a l'assemblée, ou íi fut accueilli
comme dans les plus beaux jours. Lafayette,
qui n'oubliait jamais de réparer l.es maux in-
évitables des troubles politiql1es, proposa une
amnistíe générale pour tous les faits relatifs a
la révolution. eette amnistíe fut prodamée au
milieu des cris de joie, et les prisons furent
aussitot ouvertes. Enfin, le 30 septembre, Thou-
ret, dernier président, déclara que l'assemblée
constituante avait terminé ses séances.


FIN DU TOME PREMIER.


2?.




,; ..





NOTES
ET


PIECES JUSTIFICA TIVES


. DU PREMIER TOME.


NOTE 1, PAGE 48.


JE ne citerais pas le passage suivant des Mémoires de Fer-
rieres, si de bas détracteurs n'avaient taché de tout rapetisser
dans les sclmes de la révolution franqaise. Le passage que je
vais extraire fera juger de I'effe! que produisirent sur les
creurs les moins plébéiens les solenuités nationales de ceHe
grande époque.


" Je cede au plaisir de retraeer ici l'impression que fit sur
moi ceUe auguste et touehante cérémonie; je vais copier la
relation que j'écrivis alors, encure plein de ee que j'avais
sentí. Si ce moreeau n'est pas hístorique, i\ aura peut-etre
pour quelques lecteurs un intéret plus viro


« La noblesse eu habit uoir, veste et parements de drap
d' or, manteau de soie, eravate de dentelle, le chapeau a
plumes retroussé a la Henri IV; le dergé en soutane, grand
manteau, bounet carré; les év¡1ques avee lel11'5 robes violettes




NO'l'ES


et leurs rochets ; le liers v~tu de noir, manteau de soie, cra-
vate de batiste. Le roi se plasa sur une estrade richement dé-
eOl'ée; Monsieur, Monsicur eomte d' Artois, les prinees, les
ministres, les grands-officiers de la e~uronne élaient assi"
au-dessous du roi : la reine se mit vis-a-vis du roi j l\JaJame,
Madame cnmlesse d'Artois, les prineesses, les dames de la
cour, supcrbcment-parées et eouvertes de diamants, lui eom-
posaient un magnifique eortége. Les rues étaient tendues de
tapisseries de la eouronne ; les régiments des gardes-franc;aises
eL des gardes-suísses formaient une ligne depuis Nolre-Dame
jusqu'a Saint-Louis; un pCllple immense nOllS regardait passer
dans un silence respeetueux; les balcons étaient ornés d'é-
toffes préciellses, les fen~tres remplies de speetateurs de tout
age, de tout sexe, de femmes charmantes, ve1 ues avee élé-
gance : la variété des ehapeal1x, des plumes, des habil's;
l'aimable attendrissement peínt sur tous les "isages; la joic
brillant dans tous les yeux ; les batlements de mains, les
expressions du plus tendre intéret; les regards qui nOlJs de-
vanc;aient, quí nous suivaient encore apres nOlJs avoÍl' perdus
de "ue _ .. Tableau ravissant, enchantellr, que je m'effor-
eerais vainement de I'endre. Des cha!urs de musique, díspo-
sés de distanee en distanee, faisaient retentir l'air de sons mé-
lodieux; les marches militaires , le bruit des tambours, le son
des trompettes, le chant noble d~s pretres, tour a tour en-
tendus sans diseordance, sans confusion, animaient eette
marche triomphante de l'Éternel.


« Bientot plongé dan s la plus douce extase, des pensées
sublimes, rnais mélaneoliques, "inrenl s'offrir a moi. eette
Fra:lee ma patrie, je la voyais, appuyée sur la religion,
nous dire : Étouffez vos pllérile~ querelles; voilit l'instant




ET PLECES lUSTIFICATIVES. 343
décisif qui va me donner une nouvelle vie, Oll m'anéantir a
jamais ...•. Amour de la patrie, tu parlas a mon creur ....
Quoi! des brouil\ons, d'insensés ambitieux, de vils intri-
gants, chercheront par des voies torlueuses a désunir ma
patrie; ils fonderont leurs systemcs destrucleurs sur J'insi-
dieux avantages; ils te Jiro!!t : Tu as deux intérets; el toute
ta gloire, et toute ta puissance si jalousée de tes voisins, se
dissipera comme une légere fumée chassée par le vent du
midi .... Non, j'en prononce devant toi le serment; que ma
langue desséchée s'attache a mon palais, si jamais j'oublie tes
grandeurs et tes solennités .


• Que cet appareil religieux répandait d'éclat sur ceUe
pompe tout humaine! Sans toi, ,'eligion vénérahle, ce n'cut
été qu'un vain étalage d'orgueilj mais tu épures et sanctilies,
tu agrandis la gr:mdeur meme; les mis, les puissants du
siecle, rendent aussi eux, par des respects au moills simulés,
hommage au Roi des rois ..... 0ui, a Diell seul appartient
honneur, empire, gloire. . . .. Ces cérémonies saintes, ces
chants, ces pretres revetns de l'habit du sacrifice, ces
parfums, ce dais, ce soleil rayonnant d'or el de pierreries ...
Je me rappelais les paroles du prophete: ... Filies de Jéru-
salem, votre roi s'avance; prenez vos robes llllptiales el
COllrez au-devant de lui. Des larmes de joie coulaient de
mes yeux. Mon Dieu, ma patrie, mes concitoyens étaient
devenus moi .••


« Arrivés a Saint-Louis, les trois ordres s'assirent sm' des
banquettes placées dans.la nef. Le roi et la reine se mirent
sous un dais de Hlours violet. semé de f1ellrs de lis d'or;
les princes, les princesses, les grands-officiers de la cou-
mnne> les dames du palais, occupaient l'enceinte résenée il




344 NOTES
leurs majestés. Le saint-sacrement fut porté sur I'autel all son
de la plus expressive musique. C'était un ó salutaris hostia.
Ce chant naturel, mais vrai, mélodieux, dégagé du fatra~
d'inslruments qui étouffent I'expt"ession ; cet accord ménagé
de voix, qui s'élevaient vers le ciel, me confirma que le
simple est toujours beau, toujours grand, tOlljours su-
blime •.• Les hommes sont fous, dans leur vaine sagesse, de
traiter de puéril le culte que I'on offre a l'Éternel : comment
voient-i1s avt'c indifférence eetle ehaine de morale qui unit
l'homme a Dieu, qui le rend visible a I'reil, sensible au
taet. .. ? M. de La Fare,éveque de Naney, prononc,;a le dis-
cours ... La religion fait la force des empires; la religion fait
le bonheur des peuples. Celte vérité, dont jamais homme
sage ne douta un seul moment, n'était pas la question im-
portante a traiter dans I'auguste assemblée; le lieu, la eir-
constance, ouvraient un champ plus vaste : I'éveque de Nancy
n'osa ou no pUl le pareourir.


« Le jour suivanl, les députés se réunirent a la salle des
Menus. L'assemblée ne fut ni moins imposante, ni le spectaclc
moins magnifique que la veille. »


( Mémoires dlt margui.\" de FerrirJres. Tom. ]er ,
pago 18 el saiv.)




ET PIE CES JUSTIFICATIVES.


----------------"-------


NOTE 2, PAGE 60.


Je erois devoir rapporter ici les motifs sur lesquels 1'as-
semblée dcs comrnunes fonda la déterrnination qu'elle allait
prendre. Ce premier aCle, qui commen"a la révolution,
étant d'une hautc importan ce , il est esscntiel d'en justifier
la nécessité, et je erois qu'on ne peut mieux le faire que par
les considérants qui préeédaient I'arrelé des communes. Ces
considérants, ainsi que I'arreté, appartiennent a l'abbé Sieyes.


« L'assemblée des communes, délibérant sur 1'ouverture
"de conciliabon proposée par MM. les eommissaires du roi,
« a eru devoir prendre en meme temps en considération
« l'alTcté que MM. de la uoblesse se sont luités de faire sur la
C( "meme ourerture.


« Elle a vu que MM. de la noblesse, malgré l'acquiescement
« annoncé d'abOl'd, établissent bienlot une modifieation qui le
«rétracte presque entierement, et qu'aínsi leUl' arre té a cet
« égard ne peut etre regardé que eomme un refus positif.


« Par eette eonsidération, et attendu que MM. de la no-
« blesse ne se sont pas meme désistés de leurs préeédentes
« délibérations, eontraires a tout projet de réunion, les dé-
« puté~ des communes pensent qu'il devient absolument inu-
« tile de s'occuper davantage d'un moyen qui ne peut plus
« etre dit conciliatoire des qu'il a élé rejelé par une des par-
« ties it eoneilier.




346 NOTES
"Dans cet état des cho5es, qui l'eplace les députés des


« communes dans leur premiere position, l'assemblée jugc
« qu'elle ne peut plus atlendre dan s l'inaction les c1asses pri-
« vilégiées, sans se rendre conpable envers la nation, qui a
« droit sans doute d'exigcl' d'elle un meilleur emploi de son
« temps.


« Elle juge que c'est un devoir pressant pOlll' les représen-
« tants de la nation, quelle que soit la classe de citoyens
« a laqlleH·~ ils appartiennent, de se former, sam autre délai ,
« en assemblée active capable de commencer el de remplil'
« l'objet de leur mission .


• L'assemblée cbarge MM. les commissaires qui ont suivi
« les conférences diverses, dites conciliatoires, d'écrire le ré--
« cit des longs et vains efforts des députés des communes
<, pOUI' tacher d'amener les c1asses deg privilégiés aux vrais
« principes; elle se charge d'exposer les motifs qui la forcent
« de passer de ¡'état d'attente a celui d'actioIl; enfin elle ar-
« rete que ce récit et ces motifs semnt imprimé, a la rete de
« la préliente délibération.
~ Mais putsqu'il n'es! pas possible de se former en assem-


« blée active sans reconnaitre au préalable ceux qui ont le
« droit de la composer, c'est-a-dire ceux qui ont la qllalité
« pour voter comme représentants de la nation, les memes
« députés des communes croient devoir faire une derniere
« tentative aupres de MM. du clergé et de la noblesse, qui
« néanmoins ont refusé jusqu'a présent de se faire recon-
o naitre.


« Au surplus, l'assemblée ayant intéret a constater le refus
" de ces deux classes de députés, dans le cas ou ils persiste-
" raient a vouloir rester inconnus, elle juge indispensable de




ET PIlICES JUSTIFICATlYE~.
« faire une derniere invitatíon qui lem sera portée par des
« députés chargés de leur en faire ledure, el de leur en
« laisser copie dans les termes sllívants :


« Messieurs, nous snmmes chargés par les députés des
« communcs de France de vous prévenir qu'ils nc peuvent
« différer davantage de satisfaire a I'ohligation imposée a tous
« les représentants de la nation. 11 pst temps assurément que
« ceux qui annOllcent eeUe qualité se reconuaissellt par une
"vérífication commune de leurs pouvoirs, et commeucent
« enfin a s'oecurer de l'intéret national, qui seul, el a I'ex-
" c111sion de tous les intérets partículiers, se présente comme
« le grand buI auqllcl tous les députés doivent tendre d'un
" commun effort. En conséquerice, et dans la néeessité Ol!
« sont les représentants de la nation de se mettre en activité,
« les députés des eommunes vous prient de nOUVl'au, Mes-
« sieurs , et leur clevoir leur prescrit de vous faire, tant ¡n-
« dividnellement que collectivement, une dernihe somma-
« tion de venir dan s la salle des étals pour assister, concourir
«et vous soumettre comme eux a la vérification commune
« des pouvoirs. Nous sommes en meme temps chargés de vous
« avertir que I'appel général de tOU5 les bailliages convoqués
« se fera dans une heure, que de suite il sera procédé a la
« vérification , et donné défaut contre les non-comparanls .•




NOTES


NOTE 3, PAGE S:l.


Je ll'appuie de citations et de notes que ee qui est suscep-
tible d'etre contesté. CeHe question de savoil' si nous avions
une eonstitution me semble une des plus importantes de la
révolution, cal' c'est l'absence d'une loi fOlldamentale qui
nous justi/ie d'avoü· voulu nous en donner une. Je erois
qn'on ne peut a cet égard ciler une autorité qlli soil plus
respectable et moins suspeele que ceHe de M. LaHy-Tolendal.
Cet excellent citoyen pronon<¡a le 15 juin 1789, dans la
chambre de la noblesse, un diseours dont voiei la plus grande
partie:


" On a fait, Messieurs, de longs reproches, melés me me de
" quelque amertume, aux membres de ectte assemblée, qlli,
« avec aulant de douleul' que de réserve, ont manifesté quel-
« ques doutes sur ce qu'on appelle notre constitution. Cet
" objct n'avait peut-ctre pas un rapport tres-direet avee celui
« que nous traitons; mais puisqu'il a été le prétexte de rae-
n eusation, qu'il devienne aussi celui de la défense, et qu'il
« me soit permis d'adresser q.uelques mots aux auteurs de ces
« reproches.


« Vous n'avez eertainement pas de loi qui établisse que les
« états-généraux sont partie intégrante de la souveraineté,
« cal' vous en demandez une, et jllsqu'id tantot un arret dLl
n conseilleur défendait de délibérer, tantot l'arret d'un par-
" lement eassait leurs délibératiom.




ET PIÉ CES JUSTIFICATIVES. 349
"VOUS n'avcz pas de loi qui nécessite le retonr périodique


({ de vos états-génél'aux, cal' vous en demandez une, el il y a
({ cent soixanle-quinze ans qu'ils n'avaienl élé assemblés.


({ Vous n'avez pas de loi qui melte voll'e sureté, YOlre
({ liberté individuelle a l'abri des atteintes arbitraires, cal' YOUS
« en demandez une, el sous le regne d'un roi dont l'Europc
« entiere connait la justice el respecte la prohité, des mi-
« nistres ont fail arrachel' YOS magistrats du sanctuaire des
« lois par des salellites armés. Sous le l'cgne précédent,
« tous les magistrats du royaume ont encore été arl'achés a
« Icurs séances, a leurs foyer s , el dispersés par \'exil, les
« uns sur la cime des montagnes, les autres dans la filllge
« des marais, tons dans des enrll'oits plus affreux que la plus
« horrible des prisons. En remontant plus haut, vous trou-
({ vel'ez une profusion de cent mille leUt'es de cachet, pOut'
({ de misél'ahles querelles théologiques. En vous éloignant da-
« vantage encore, vous Yoyez autant de commissions san-
« guinaires que d' empl'isonnements arbitraires, et vous ne
« trouvez a vous reposer qu'au regne de votl'e hon Henri.


({ Vous n'avez pas de loi qui étahlisse la liberté de la
« presse, cal' vous en dcmanrlez une, et j usqu'ici vos pén-
« sées ont été asservies, yos vceux enchainés, le cri de vos
« cceurs dans l'oppression a été étouffé, tantot pa~ le des-
"potisme des pat'liculiel's, tantot par le despotisme plus ter-
• rible des corps .


• Vous n'avez pas ou vons n'avez plus de loi qui nécessite
" ,'olre consentement pOut' les impots, cal' veus en demandez
" une, et depuis deux siecles YOUS avez été chargés de plus
« de trois ou quatre cents millions d'impOts, sans en avoir
" consenti un seu\.




350 NOTES
'( VOUS n'avez pas de loi qui rende responsables tous les


" ministres du pouvoir exécutif, cal' vous en demandez une,
" el les eréatures de ces commissions sanguinaires, les distri-
"huteurs de ces ord,'es arbitrai,'es , les dilapidateurs du
" trésor puhlic, les violaleurs du sanduaire de la justiee,
" ceux qui ont trompé les vertus d'un roí, (,eux qui ont flaué
" les passions d'un autre, ceux qui ont causé le désastre de
"la nation, n'ont ,'endu alleun compte, n'ont subi aucllne
" peine,


n Enfin, vous n'avez pas une loi générale, positive, écrite,
« un diplome national et royal loul a la fois, une grande
"charle, sur laquelle repose un ordre fixe et invariable,
" ou chacun apprenne ce qu'il doit sacrifier de sa liberté
" et de sa propriété pour conserver le reste, qui assure
"tous les droits, qui définisse tous les pouvoirs, Au con-
" traire, le régime de volt-e gouvel'Oement a varié dc rcgne en
" regne, souvent de millislere en mini5tere; il a dépendu de
« l'age, du caractere d' un homme, Dans les minorités , 50U5
« un prinee faíblc, I'autorilé royale, qui importe au bonhelll'
" el a la dignité de la nation, a élé indécemment avilie, soil
" par des grands qlli d'nne main ébl'anlaient le trone et de
"l'autrc foulaient le peuple, ~oit par des COI'pS qui dans un
" temps envahissaient avec témél'Íté ce que dans un autre ils
" avaient défendu avec eourage, Sous des prinees ol'gueilleux
" qu'on a flattés, sous des prinees vertueux qll'on a trompés,
« eette meme autorité a été poussée au-dela de toutes les
« bornes, Vos pouvoirs seeondaires, vos pouvoirs intermé-
" diaires> comme vous les appelez, n'ont été ni mieux définis
" ni plus fixés. Tantot les parlements onl mis en principe
" qu'ils ne pouvaient ras se meler des affaires d'état, tantót




E'f PIECES JUSTIFICATIVES • 351
• ils ont soutenu qu'il leur appartenait de les traiter eomme
(' représentants de la nation. On a vu d'un coté des procla-
" mations annonc;,mnt tes volonlés du roi, de I'autre des arrels
" dans lesquels les officiers du roi défendaient au nom du roi
« l'exécution des ordres du roi. Les cours ne s'accordent pas
" mieux entre elles; elles se disputent leur origine, leurs
« fonetions ; elles se foudroient mutuellement par des anets.


" Je borné ces détails, que je poulTais étendre jusqu'a
" l'infini; mais si tous ces faits sont constants , si vous n'avcz
" aueune de ees lois que vous demandez, et que je viens de
" pareollrir, ou si, en les ayant ( et faites bien attentioll a
« eeci ), ou si, en les ayant, vous n 'avez pas eeHe qui force
« a les exéeuter, ce He qui en garantit I'accomplissement
« et qui en malntient la stabilité, définissez-nous done ce que
« vous entendez par le mot de eonstitntion> et convenez au
« moins qu'on peut accorder quelque indulgence a eeux qui
« ne peuvent se préserver de quelques doutes sur l'existence
« de la notre. On parle sans eesse de se rallier a cette eons-
" titution; ah! plutot perdons de vue ce fantome pour y
« substitner une réalité, Et quant a eette expression d'inno-
« vations, quant a cette qualifieation de nova!eurs dont on
{( ne cesse de nous accablel', eonvenons encore que les pre-
« miers novateurs sont dans nos mains, que les premiers
« novateurs sont nos cabiers; respectons, bénissons cette
"heureuse innovation qui doit tout mettTe a sa place, qui
« doit rendre tous les droits inviolables, toutes les auto-
« rités bienfaisantes , et tons les sujets heureux.


« e'est pour cette oonstitmion, Messieurs, que je forme
" des vreux ; e' est eette constitutÍon· qui est l' objet de tons
"no~ mandats, el r¡ui doit etre le but de tous nos tra-




NOTES


« vaux; e'est cette constitution qui répugne a la seulc idée de
" l'adressc qu'on nous propose, adresse qui compromettl'ait
"le rOl autant que la nation, adresse enlin qui me paralt
« si dangerellse, que non-seulement je m'y opp05erai jus-
" qu'au dernier instant, mais que, 5'il était possihle qu'elle
«fUt adpptée, je me eroirais réduita la douloureu5e né-
« eessité de protester solennellement contre elle. »




ET PIIICES lUSTlFICATIVES. 353


----""'--_ ... -----_ .... _-----


NOTE 4, PAGE 84.


Je erois utile de rapporte~ iei le résumé des cahiers fait a
l'assemblée nationale par M. de Clermont·Tonnerre. C'est une
bonne slatistiqlle de I'état des opinions a cette époque dans
loute l'étendlle de la France. Sous ce rapport, le résumé
est exll'emement important; et quoique Paris eút influé sur
la rédaetion de ces' cahiers, il n'en est pas moins vrai
que les provinces y eurent la plus grande parto


Rapport du comité de constuution contenant le résumé del
callÍen relatifs a cet objer, lu a l'assemblée nationale
par M. le comte de Clermont- Tonnerre, séance da
27 juillet 1789-


« Messieurs, vous etes appelés a régénérer l'empire fran-
¡¡ais; vous apportez a ce grand reuvre et votre propre sagcsse
el la sagesse de vos commettants.


« Nous avons cm devoir d'abord rassembler et vous pré-
senter les lumieres éparses dan s le plus grand nombre de VOIi
cahiers; nous vous présenterons ensuite et les vues particu-
¡ieres de votre comité, et ceHes qu'i1 a pu ou pourra recueiUir
encore dans les divers plans, dans les di verses observations
quí ont été ou quí lui seront communiquées ou remises pu
les membres de cette auguste assemblée.


J.




354 NOTES
« C'est de la premiere partie de ce travail, Messieurs, que


nOlJs alloDli vous remire compte.
« Nos commettants, Messieurs, sont tous d'accord SUl' un


point: ils veulcnt la régenératiofi de ¡'état; mais les uns I'ont
attendue de la simple réforme des aLus et du rétablissement
d'une constitution existant depuisquatorze siecles, el qui
leur a paru pouvoir revivre encore si I'on réparait les outrages
que lui ont faits le temps et les nomhreuses insurrections de
l'intéret personnel contrc I'inléret puhlic.


« D'autres ont regarde le régime social existant comme tel-
lement vicié, qll'i(s ont demandé une constitution nouvclle,
et qu'a I'exception du gouvernement et des formes monar-
chiques, qu'il est dans le crem' de tout Fram,¡ais de chérir et
de respecter, et qu'ils vous ont ordonné de maintenit" ils
vous ont donné lons les pouvoirs nécessaires pour créer une
constitution et asseoir sur des principes certains, el sur la
distinction et constitution réguliere de tous les pouvoirs,
la prospérité de l'empire franc;ais; ceux-lit, Messieurs, ont
cru que le premier chapitre de la constitution devrait conte-
nir la déclaration des droils de l'homme, de ces droits im-
prescriptibles poúr le maintien desqúels la. société fút établie,


« La demarlde de cette déclal'ation des droit$ de I'homme,
si constamment méconnue, éSt pour aÍusi dire la simle diffé-
réflte qu.1 existe ~ntre les ~h¡ers qui dé~irent une oonstitu-
tren i1óü,elle ~t ceult flUÍ ne demandent que le rétablissemenl
de ce qu'i1s regarrlcrtt coiímle la constítutión eltÍstante.


« Les UDS et les autres ont égaletnent fixé leurs idées sur
Ií!s priucipes du gouvernement monarchique, sur l'existence
du pou\'oir et sur l'orgó.nísátion du corps législulif, sur la
néeessité du consentement national a t'impOt, sur l' or¡:anisa-




$


ET prECES JUSTrFICATIVES. 355
tion des corps administratifs, et sur les dl'Oits des citoyens.


" Nous alIons, Messieurs, parcourir ces divers objets, et
vous offrir sur chacun d'eux, comme décision, les résultats
uniformes, et, comme qllestions, les résult,ats différents ou
contradictoíl'es que nous ont présentés ceux de vos cahiers
dont il nous a été possible de faire ou de nous procurer le
dépouillement.


« 1'1 Le gouvernement monarchique, l'inviolabilité de la
pefsonne sacrée du roí, et l'hérédité de la couronne de miUe
en maJe, sont également reconnus et consacrés par le plus
grand nombre des cahiers, et ne sont mis en question dans
aucun.


o. ,.'1 1,e roi est également reCODnu comme dépositail'e de
toute la plénitude du pouvoir exécutif.


" 3<1 La responsahilíté de fous les agents de l'autorité est
demandée généralement,


« 4 '1 Quelque~ c;¡.hiers reconnaissent au l'Oi le pouvoir lé-
gislatif, limité pal'les lois conslitutionnelles et fondamentales
du royaume; d'autres reconnaissent que le roi , dan s l'inter-
valle d'une assemblée d'états-généraux a l'autre, peut faire
seull~ lois de police et d'administration qui ne seront que
provisoires ~ et pour lesquelles ils exigent l' enregistrement
Jibre dans les cours 5O~v~raines; un bailliage a mcme exigé
qij.e l'em'egistrement ue pl\t avoir lieu qu'avec le conBente-
ment des deux tiers des commissions intermédiaires des assem-
J'l1Rf'.8 d.e distrÍl:ts. Le plus grand nombre des cabiers reconnalt
l~ ntÍcessité de la sancd,on royale pour la promulgation des
16i6 .


• Q"ant an pouvoir Ugislal,if, la pluralité des ,c.ahiers le
l'econnalt comme résidant dau6 la représentation lIationale,


23.




356 NOTJlS
sous la c1ause de la sanction royale; et il paralt que cette
maxime ancieulle des Capitulaires : Lex fit consensu populi
el constitutione regis, es! presque généralement consacrée
par vos commettantso


" Quant a l' organisation de la représentation nationale, les
queslions sur lesquelles vous avez a prononcer se rappo.otent
a la convocation, ou a la durée, ou a la composition de la
.oeprésentation nationale, ou au modc de délibération que lui
proposaient vos commeltantso


oc Quant a la convocation, les uns ont déclaré que les
élats-géné.oaux ne pOll\oaient etre dissolls que pa.o eux-memes;.
les autres, que le droit de convoquer, proroger et dissoudre,
appartenait au roi, sous la seule condition, en cas de disso-
lution, de faire sur-Ie-champ une nouvelle convocationo


« Quant a la durée, les uns ont demandé la périodicilé des
états-généloaux, el ils ont voulu que le relour périodique ne
dépendit ni des volontés ni de l'intéret des dépositaires de
l'aulorité; d'autres, mais en plus petit nombre, ont demandé
la permanence des élals-généraux, de maniere que la sépara-
lion des membres n'entralnat }las la dissolution des étatso


" Le systerne de la périodicité a fait naitre une seconde
question: y aura-t-il ou n'y aura-t-iI pas de commission in-
termédiaire pendant l'intervalle des séances? La majorité de
vos cornmettants a regardé l'établissement d'une comrnission
interrnédiaire comme un établissement dangereuxo


« Quant a la composition, les uns ont tenu it la séparation
des trois ordres; mais o a cet égard I'extension des pouvoirs
qu'ont déjit obtenus plusieurs représentants laisse sans donte
une plus grande latitude pour la solution de cetle questiono


" Quelques bailliagcs out demandé la réunion des deux




ET PIECES JUSTIFICATIV¡':S.


premiers ordres dan~ une meme chambre; d'autres, la supprei-
sion du c1ergé et la division de ses membres dans les deux
autres ordres; d'autres, que la représentalion de la noblesse
fut double de ce He du c1ergé, el que toutes deux réunies
fussent égales a ceHe des communes.


"Un hailliage, en demandant la réunion des deux pre-
miers ordres, a demandé l'élablissement d'un troisieme, sous
le titre d'ordre des campagnes. 11 a été également demandé
que toute personne exer~ant charge, emploi ou place a la
eour, ne pul elre dépulé aux états-généraux. Enfin, I'inviola-
bilité de la personne des députés est reconnue par le plus
grand nombre des bailliages, el n'est conlestée par aueun.
Quant au mode de délibération , la qllestion de I'opinion pal'
tete et de l'opinion par ordre est résolue : qllelqlles hailliages
demandent les deux tiers des opillions pour former une ré-
solution.


" La nécessité dll consentement national a l'impot est géné-
ralement reconnue par vos commettants, étabJie par tous vos
cahiers; lous hornent la durée de l'impot au terme que vous
lui aurez fixé, terme qui ne pourra jamais s'étendre au-dela
d'une tenue a l'autre; el cetle clíluse impérative a paru 11 tous
vos commettants le garant le plus sur de la perpétuité de vos
assemblées nationales.


" L'emprunt, n'étant qu'un ímpot indirect, leur a paru
devoir etre assujetti aux memes principes .


• Quelques bailliages ont excepté des impots a terme ceux
qui auraient ponr objctIa liquidatíon de la dette nationale,
el ont era qu'ils devraient etre perc¡us jusqu'a son entiere
extinclion.


e, Quant aux eorps administratifs ou élats provinciaux,




358 NOTES
tous les cahiers demandent leur établissement, et la plupart
s'en rapportent a votre sagesse sur leur organisatioD.


" Enlin, les droils des citoyens, la liberté, la propriété,
sont réclamés avec force par loute la nation fran~ise. Elle
réclame pour chacun de ses memhres I'inviolabilité des pro-
priélés parliculieres, comme elle reclame pour elle-meme
l'inviolabilité de la propriété publique; elle réclame dans
toute son étendue la liberté individuelle, comme elle vient
d'établir a jamais la liberté nationale; elle réclame la liberté
de la presse, ou la libre communication des pensées; elle
s'éleve avec indignation conlre les lcttres de cachet, qui dis-
posaient arbitrairerilent des personnes, et conlre la violatioll
du secret de la poste, rune des plus absurdes et des plus in·
fames inventions du despotisme.


« Au milieu de ce coneours de réclamations nous avons
remarqué, l\Iessieurs, quelques modifications particulieres
relatives aux leUres de cacbet et a la liberté de la presse.
Vous les peserez dans votre sagesse; vous raSSUl;f'rez san s
doute ce sentiment de l'bonneur fran<;ais, qui , par son hor-
reur pour la bonte, a quelquefois méconnu lajustice, et qui
mettra sans doute autanl d'empressement a se soumettre a 111
loi lorsqu'elle commandera aux forts, qu'il en mettait a s'y
soustraire lorsqu' elle ne pesait que sur le faible; vous cal-
merez les inquiétudes de la religion, si souvent outragée par
des Jibelles dans le temps du régime probibitif, et le clergé,
se rappelant que la licence fut long-temps la compagne de
resclavage, reconnaih'a lui-meme que le premier et le naturel
effet de la liberté est le retour de l' ordrc, de la décence et
du I'espect pour les objets de la vénératioll publique.


« Tel est, Messieurs, le compte que votre comité a cru devoil'




ET PIECES JU~'J:lFICATIVES. 359
Voij~ l'ellt!r~ de la partie de ,os cl¡.i)ie~ q»i traite de la cons-
titution, Vous y trouverez sans doute toutes les pierre~ fonda-
ment.a'es dI! l'~djlice qU!! VOijS Heschargés 11' élevel' i¡. toute 53 hau-
tem' ; mais vous y désit'erez peut-etre cet ordNl, "e~ eJ,'lsemble
de combinaisolls politiques, sans lesquelle~ le rég¡m~ social
présentera toujours de nQmbrel,lses défect!losi~~~: lejl ll.OU-
voi .. s y sont indiqué., mais ne sont pas encore distingués
avec la précision nécessaire; I'orgallisation de la représen-
tation nalionale n'y est pas sllffisamment établie; les prin-
cipes de I'éligibilité n'y sont pas posé. : .e'est de votre travail
que naitront ces résultals. La nation a vanlu etre libre, el
c'est vous qu'elle a chargés de son affranchissement; le génie
d~ I;a Frapce a précipüé, p0l,lr !lin.si tiire, l!i marche de l' espril
public. l\ a aceumulé pour vous en peu d'heures l'expé-
ri(luce qu'OD pouVllil a peintlatlelJdre de pluaieurs s¡ccles.
Vous pouvez, Messieurs, donner une constitution a la France;
le roi el le peuple la demandent; !'lUl el J'autre 1'oot merité.»


Résltltat dlt dépouillement des cahiers.


PRINCIPES AVOUÉS.


{( Art. 1". Le gouvernement franlflis est un gouvernement
monarchique.


« 2. La personne du roi est inviolable et sacrée.
{( 3. Sa couronne est hér~dita~re de ~;üe 1111 ,m;1l~.
{( 4. Le roí est dépositaire du JI~"v~ir el'~<l\llif.
" 5. Les a;gents de l'autorité sont responSjl91e~.
{( 6. La sanction royale est nécessaire pour la p.ro/1!\ll~~ion


des ¡ois.
{( 7. La nation fait la loi avee la 5anction royale.




360 NOT'ES
« 8. Le consentement national est nécessaire a I'emprunt


et a I'impot.
« 9. L'impot De peut ~tre accordé que d'une, tenue d'états-


généraux a I'autre.
« 10. La propriété sera sacrée.
« 11. La liberté individuelle sera sacrée. »


Questions sur lesquelles funiversalité des calders ne s'est
point expliquée d'une maniere uniforme.


« Art. 1 ero Le roi a-t-i1 le pouvoir législatif limité par les
lois constitutionnelles du royaume?


« 2. Le roi peut-il faire seul des lois provisoires de police
et d'adminislration, dans l'intervaUe des tenues des états
généraux?


u 3. Ces lois seront-elles soumises a l'enregistrementlihredes
cours sou verai nes ?


« 4. Les étals-généraux De peuvent.ils etre dissous que par
eux-memes?


« 5. Le roi peut-il seul convoquer, proroger et dissoudre
les états.généraux?


« 6. En cas de dissolution, le roí n'est-il pas obligé de faire
sur-Ie-champ une nouvelle convocation?


« 7. Les états-généraux seront-i1s permilnents ou pério-
diques?


« 8. S'i1s sont périodiques, y aura-t-il on D'y aura-t-il pas
une commission illtermédiaire?


• 9. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une
meme chambre?


" 10. Les deux chambres seronL - elles formées sans dis-
tinction d'ordres?




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 3th
« II. Les membl'es de I'ordre du c1ergé seront-i1s répal'lis


dans les deux autres ordres?
" 12. La représentation du c1ergé, de la noblesse et des


communes, sera -t-eIle dans la proportion d'une, deux et
trois?


« 13. Sera-t-il établi un troisieme ordre sous le titre d'or-
dre des campagnes?


n 14, Les personnes possédant des charges, emplojs on
places a la cour, peuvent-elles etre députés aux états-géné-
raux?


« ] 5. Les deux tiers des voix seront-ils nécessaires pour
former une résolution?


" 16. Les impots ayant pour objet la liquidation de la dette
nationale seront-ils per<,¡us jusqn'a son entiere extinction?


q 17. Les ¡eures de cachet seront-elles abolies ou modi-
fiées?


« 18. La liberté de la presse sera-t-eIle indéfinie ou mo,-
difiée?




36~ NOTES


---,,----------""' ......... _-........ """""'"


NOTE 5, PAGE 155.


On trouvera au commencement du second volume, et au
début de l'histoire de l'assemblée législative, un jugement
qui me semble juste, sur les fautes imputées a la conslitution
de 91. Je n'ai ici qu'un mot a dire sur le projet d'él.ablir en
France, a cette époque, le gouvernement anglais. Cette fOl'me
de gouvernement est une transaetion entre les trois intérets
qui divisent les états modernes, la royauté, I'aristoeratie et
la monarchie, 01', eeLte transaction n'est possible qu'apres
l' épuisement des forces, c'est.a-dire apres le combat, e' est-
a-dire encore apres la l'évolution. En Angleterre, en effet,
elle ne s'est opél'ée qu'apres une longue luue, apres la démo-
cratie et I'usurpation. Vouloir opérer la transaction avant I~
combat, e' est vouloir faire la paix avant la guerreo Cette vé-
rité est triste, mais elle est incontestable; les hommes ne
traitent que quaud ils out épuisé leurs forees. La coustitution
anglaise n'était done possible en France qu'apres la révoln-
lion. On faisait bien sans doute de la precher, mais on s'y prit
mal; et s'y serait-on mieux pris, on n'aurait pas plus réussi.
J'ajouterai, pour diminuer les regrets, que qualld meme on
eut écrit sur notre table de la loi la eonstitution anglaise tout
entiere, ee traité n'eut pas apaisé les passions, qn' on en serait
venu aux mains tout de meme, et que la bataille aurait été
donnée malgré ce traité préliminaire. Je le répctc done, il
fallait la guerre , c'est-a-dil'e la révolution. Dieu n'a donné la
justiee aux hommes qu'au prix des combats.




ET PIECES :iUSTIFICATIVES. 363


_ .......... -------------_ .. _---


NOTE 6, P¡\GE 158.


Je suis loin de blamer l'obstination du dépnté Monnier ~
car rien n'est plus respeetable que la convietion, mais e'es'
un fait assez enrien x la constater. Voiei a cet égard nn passage
extrait de son Rapport a ses commettants :


" Plusienrs dépurés, dit-il, résolurent d'obtenir de moÍ le
sacrifice de ce principe (la sanetion royale). on, en le sacri-
fiant enx-memes, de m'engager, par reconnaissance, a lenr
accorder quelqne compensation; ¡Is me conduisirent chez un
zélé partisan de la liberté, qni désirait une coalition entre
enx et moi, afin que la liherté épronvat moins d' obstacles,
et qui voulait seulement etre présent a nos conférences, sans
prendre part a la décision. Ponr ten ter de les convaincl'e, ou
ponr m'éclairer moi-meme, j'acceptai ces conférences. 00
déclama fortement contre les prétendus inconvénients du
droit iIlimité qn'aurait le roi d'empécher une loi nouvelle, el
ron m'assura que, si ce droit était reconnu par I'assemblée 7
il Y aurait guerre civile. Ces conférences, deux fois renou-
velées, n'eurent aucun suect~s; elles furent recommencées
chez un Américain, connu par ses lumieres et ses vertus,
qui avait tout a la fois I'expérienee el la théorie des ínstitn-
tions propres a maintenir la liberté. II porta, en faveur de
mes príncipes, un jugement favorable. Lorsqu'ils euren!
éprouvé que touts les efforts ponr me faire abandoOllel' mon
OpillioIl étaient inutilcs, íls me déclarerent eofin qu'i1s met-




364 NOTES
taient peu d'importance a la question de la sanction roya/e,
quoiqu'ils I'eussent présentée quelques jours auparavant
comme un sujet de guerre civile; ils offrirent de voter pour
la sanction illimitée, el de voter également ponr deux cha,m-
bres, mais sous la condition que je ne soutiendrais pas, en
faveur du roi, le droit de dissoudre l'asscmblée des repré-
senlants; que je ne réclamerais, pour la premie re chambre,
qu'un veto suspensif, eL qne je ne m'opposerais pas a une
loi fondamenlale qui établirait des conventions nationa!es
a des époques fixes, ou sur la réquisition de I'assemblée
des représentants, ou sur ceHe des provinces, ponr revoir la
constitution et y fait'e tous les changements qui seraient ju-
gés nécessaires. lis entendaient, par conventions nationales,
des assemblées dans lesqueIles on aurait transporté tous les
droits de la nation; qui auraient réuni lous les pouvoirs,
et conséquemment auraient anéanti pat' leur seu le présence
l'autorité du monarque et de la législature ordinaire; qui
auraient pu disposer arbitrairement de tous les genres d'au-
tOl'Ítés, bouleverser a leur gré la constitution, rétablir le
despotisme ou ]'anarchie, Enfin, on voulait en quelque sorte
laisser a une seu le assemblée, qui aUl'ait porté le Dom de
convention nationale, la dictature su preme, et ex poser le
royaume a un re tour périodique de factions et de tumulte.


« Je témoignai ma sl1rprise de ce ql1'on voulait m'engaget'
a traiter sur les intérets du royaume comme si nOl1S en étions
les maitres absolus ;j'observai qu'en ne laissant que le veto
suspensif a une premiere chambn:, si elle était composée
de membres éligibles, il serait difficile de pouvoir la former
de personnes dignes de la confiance publiqne; alors tous les
citoyens préféret'aient d'eh·e nommés rcprésentants; et que la




ET prECES JUSTIFICATIVES. 365
chambre, juge des crimes d'état, devait avoir une tres-grande
digllíté, et conséquernrnent que son autorité ne devait pas
elre rnoindre que celle de I'autre chambre. Enfin j'ajoutai
que, lorsque je croyais un príncipe vrai, j' étais obligé de le
défeudre, et que je ne pouvais pas en disposer, puisq ue la
vérité apparlt'nait a tous les citoyells. "




366 NOTES


NOTE 7, PAGE 168.


Les partieularités de la eonduite de Mirabeau a l'égard de
tous les partis ne sont pas encore bien conoues, et. sont des-
tinéesa I'ctre bientol. J'ai oblenu de eeux memes qui doivent
les publier, des renseignements positifs; j'ai tetiu dan s les
mains plusieurs pieces importantes, et notamment la piece
écrite en forme de profession de foi, qui cOllstituait son
traité secret ave e la cour. II ne m'es! permis de donnel' au
public aueun de ces docllments, ni d'en citer les déposi-
taires. Je ne puis qu'affirmer ce que I'avenir démontrera suf-
fisamment, 100'sque lous les renseignements auront été publiés.
Ce que j'ai pu dil'e avee sincérité, e'esl que Mil'abeau n'avait
jamais été dan s les complots supposés du duc d'Orléans. Mi-
rabean partit de Provellce avec un seul projet, celui de com-
battre le pouvoir arbitraire dont iI avait souffert, et que sa
raison autant que ses sentiments lui f.tisaient regarder comme
détestable. Al'l'ivé a Paris, il fl'équenta beaueoup un ban-
quier alors tres-connu, et homme d'un grand mérite. "La on
s' enlretenait beaucoup de politiql1e, de finances et d' écono-
mie publique. II y puisa beal1coup de connaissances sur ces
malieres, el il s'y Jia avec ce qu'on appelait la colonie ge-
nevoise exilée, dont Claviere, depuis ministre des finances,
était membl'e. Cependaut Mirabeau ne forma aucune liaison
intime. 1I avait dans ses manieres beaucoup de familiarité,




ET PIECES JUSTIFICA TI VES.


et illa devaít au sentíment de sa force, sentiment qu'i1 pOI'-
taít souvent jusqu'a I'imprudence. Grace a ceUe familíaríté,
il abordait tout le monde, el semblah lié avec tous ceux
auxquels iI s'ad,·essait. C'est aínsi qu'on le crut souvent I'ami
et le compliee de bcaucoup d'hommes avee lesquels il n'a-
vait aucun intéret commun. J'ai dit, el je répete qu'i! était
saDS parti. L'aristocratie ne pouvait songer a Mil'abeau; le
parlí Neeker el Mouuier ne sut pas l'entendre. Le due d'Or-
léans a pu seul paraitre s'unir a luí. On I'a eru ainsi , paree
que Mirabeall traitait familierement ave e le due, et que tous
deux, étant supposés avoir une grande ambition, I'un eomme
prinee, l'autre eomme tribun, paraissaient devoil' s'allier.
La détresse de Mirabeall et la forlune du duc d'Orléans sem-
blaient aussi un motif d'aUiance. Néanmoins Mirabeau resta
pauvre jusqu'a ses liaisons ave e la com·. Alors il observait
tous les partis, tachait de les faire expliquer, et sentait
trop son importanee pour s'engagel' trop légerement. Une
seule fois, iI eut un eommeneement de rapports ave e un des
agents supposés du due d'Orléans. Il fut invité a diner par
cet agent prétendu , et lui, qui oe eraignait jílmais de s'a-
venturer, aecepta plulot par cnriosité qne par tout autre
motir. Avant de s'y rendre, il en fit part a son contident in-
time, et pal'ut fort satisfait de cette eotrevue, qui luí faisait
espérer de grandes révélations. Le repas eut lieu, et Mirabeau
vint rapporter ce qui s'était passé: il n'avait été tenu que des
P"opos vagues sur le duc d'Orléans, sur l'estime qu'il avait
pOUl' les talents de Mil'aheau, et snr l'aptitude qu'il luí suppo-
sait pour gouverner un état. CeUe entrevue fut done tres-
insignifiante, et elle put indiquer tout au plus qu'on ferail
volontiers un ministre de Mirab!'au. Aussi ne llIamjua-t-il pas




368 NOTES
de dire a son ami, avec sa gaieté accoutumée : « Je ne puis
pas manquer d'etre ministre, cal' le due d'Orléans et le roi


'veulent également me nornmer. » Ce n'étaient la que des plai-
santeries, el Mirabeau lui-meme n'a jamais eru aux projets
du due. J'expliquerai dans une note suivante quelques autres
particularités.




ET PI1WES JUSTIFICATIVES. 369


NOTE 8, PAGE 177.


La leUre du comte d'Estaing a la reine est un monument
curieux, et qui devra toujours etre consulté relativement aux
journées des 5 et 6 octobre. Ce brave marin, plein de fidé-
lité et d'indépendallce (deux qualités qui semblent cOlltt'a-
díctoires, mais qu'on tmuve souvellt réunies chez les hommes
de mer), avait conservé l'babitude de tout dire a ses princes
qu'il aimait. Son témoignage ne sauraitetre révoqué en doute,
lorsque, dans une leure confidentielle, il expose a la reine
les intrigues qu'il a découvertes et qui 1'0nt alarmé. On y
yerra si en effet la cour était sans projet a celte époque.


«Mon devoir et ma fidélité l'exigent, il faut que je melte
« aux pieds de la reine le compte du voyage que j'ai fait a
«París. On me loue de bien dormir la veille d'nn assaut ou
« d'un combat naval. J'ose assurer que je ne suis point timide
« en affaires. Élevé aupres de M. le dauphin qui me distin-
" guait, accoutumé a dire la véríté a Versailles des mon en-
«fance, soldat et marin, instruít des formes, je les respecte
• san s qu'elles puissent altél'er ma franchise ni ma fermeté.


"Eh bien! il faut qne je l'avone a votre majesté, je n'ai
"pu fermer freíl de la nuit. On m'a dit dan s la bonne société,
"dans la bonne compagnie (et que serait-ce, juste del, si
"cela se répandait dans le peuple!), ron m'a répété que ron
• prend des signatures dans le clergé et dans la noblesse. Les


T.




NOTES


• uns prétendent que e'est d'aeeord avee le roi; d'autres
• eroient que e'est a son insu. On assure qu'il y a un plan de
• formé; que c'est par la Champagne ou par Verdun que le
" roi se retirera ou sera enlevé; qu'il ira a Metz. M. de
• Bouillé est nommé, et palo qui? par M. de Lafayette, qui me
"l'a dit tout bas chez M. Jauge, atable. J'ai frémi qu'un seul
« domestique ne l'entendít; je lui ai' observé qu'un seul mot
• de 5a houche pouvait devenir un signal de mort. Il est froi-
" dement J¡>ositif M. de Lafayette: il m'a répondu qu'a Metz
« comme ailleurs les patriotes étaient les plus forts, et qu'il
" valait mieux qu'un seul mourut pour le salut de tous .


• M. le baron de Breteuil, qui tarde it s'éloigner, conduit le
• projet. 00 accapare l'argent, et 1'00 promet de fouroi .. un
• million et demi par mois. M. le eomte de Merey est mal-
f{ heure\lsement cité eomme agissant de concert. Voilit les
« propos; s'ils se répaodent dans le peuple, leurs effets sont
" incalculables: cela se dit encare tout has. Les hons esprits
• m'ont paru épouvantés des suites : le seul doute de la réa-
• lité peut en produire de terribles. J'ai été chez M. I'ambas-
• sadeur d'Espagne, el certes je ne le cache point a la reine,
• ou mon effroi a redoublé. M. Fernand-Nunes a causé aYec
« moi de ces faux hruits, de l'horrclll' qu'il y avait a supposer
" un plan impossible, qui entrainerait la plus désastreuse el
.Ia plus humiliante des guerres civiles, qui oceasionnerait la
« séparation ou la perte totale de la monarchie, devenue la
«proie de la rage intérieure et de l'ambition étrangere, qui
.. fel'ait le malheur il'féparable des personnes les plus ehel'es a
«la France. Apres avoir parlé de la cour errante, poursui-
~ vie, trompée par ceux qui ne I'ont pas soutenue lorsqu'ils
" le ponvaient, qui veulent actnellement l'entl'ainer dans lenr




ET prECES J1JSTIFICATIVES.


• chute. " . , amigée d;une banqueroute générale, devenue
«des lors indispensable, et tout épouvantable .... ,je me suis
• ecrié que du moins iI n'y aurait d'autre mal que eelui que
" produirait eelte fausse nouvelle, si elle se répandait, paree
« qu'elle était une idée sans aueun fondement. M. l'ambassa-
« deur d'Espagne a baissé les yeux a eelte derniere phrase. Je
• suis dcvcnu pressant: il est enfin eonvenu que quelqu'un
• de cotlSidérable et de cr&yable lui avait appris qu'on lui
• avait proposé de signer uIIe assoeiation. 11 n'a jamais 'VOUhl
• me le nommer; mais, soíl par inattentioll, soíl pour le bim
«de la chose, il n'a poínt heureusement exigé ma parole
• d'honneur, qu'i! m'aurait faIlu tellir. Je n'ai point pro mis de
" ne dire 11 personne ce fait. 11 m'inspire une grande terreUl'
• que je n'ai jamais conuue. Ce n' est pll5 pour moi que je l' é-
« )rouve. Je supplie la reine de ealculer dana Sil sagesse rout
• ce qui po1:lrrait arriver d'une fauase démarebe: la premiere
• eOlite assez cher. J'ai vu le oon creur de la reine donoer
• des Jarmes au sort des victimes immolées; actuelJeRlent ce
• serait des f10ts de sang versé il'mtilement qu'Qfl aurai.t a ro-
• ¡;reuer. Une simple indécision peul elre S3·ns remede. Ce
• n'est qu'en allant au-clevant du torrent, ce n'esa qn'eo le
• caressant, qu'on peut parvenir a le diriger en partie. Rien
« n'est perdu. La reiDe peut reeonquéril' au roi son royaume.
« La nature lui en 3 prodigué les moyeus; ib SOIIt seuls pos·
• sibles. Elle peut imiter son aapte mere: sinon je me
f( tais ..... Je supplie Votre Majffité de m'acca/:der une au-
• dienee pour un des jours de eeUe se.nainl!. "




NOTES


--~-------------.......----
NOTE 9, PAGE 192.


--


L'histoire ne peut pas s'étendre assez pour justifier jus-
qu'aux individus, surtout dans une révolution ou les roles,
meme les premiers, sont extremement nombreux. M. de La-
fayette a été si calomnié, et son caractere est si pur, si sou-
tenu, que c'est un devoir de lui consacrer au moins une
note. Sa conduite pendant les 5 et 6 octobre est un dévoue-
ment continuel, et cependant elle a été présentée eomme un
attentat par des hommes qui lui devaient la vie. On lui a re-
proché d'abord jusqu'a la violen ce de la garde nationale qui
l'entralna malgré lui a Versailles. Rien n'est plus injuste, car
si on peut maltriser avec de la fermeté des soldats qu'on a
~onduits long-temps a la victoire, des citoyens réeemment et
volontairement enrolés, et qui ne vous sont dévoués que par
l'exaltation de leurs opinions, sont ÍlTésistibles quand ces
opinions les emportent. M. de Lafayette lutta contre eux
pendant loute une journée, et certainement on ne pouvait
désirer davantage. D'ailleurs rien n'était plus utile que son
départ, car sans la garde nationale le cháteau était pris
d'assaut, et on ne peu! prévoir quel cut été le sort de la fa-
mille royale au milieu du déchainement populaire. Cornme
()n l'a vu, sans les grenadiers nationaux les gardes-du-corps
étaient foreés. La présence de M. de Lafayette et de ses tron-
pes a Versailles él~il done indispensahle.


..




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


Apres lui avoir reproché de s'y ctre rendu, on lui a re-
proché surtout de s'y etre livré au sommeil; et ce sommeil a
été l'objet du plus cruel et du plus réitéré de lous les repro-
ches. M. de Lafayette resta debout jusqu'a cinq heul'es du
matin, employa toute la uuít a répandre des patrouilles, a
rétablir l' ordre et la tranquillité; et ee qui prouve combien
ses préeautions étaient bien prises, e'est qu'aucun des postes
eonfiés a ses soins ue fut attaqué. Tout paraissait ealme, el
il fit une chose que personne n'eftt manqué de faire a sa
place, iI se jeta sur un lit poul' repl'endl'e quelques forees
dont iI avait beso in , cal' il luttait. depuis vingt-quatre heures
contre la populace. Son repos ne dUl'a pas une demi-heul'e;
il arriva aux premiers cris, et assez tot poul' sauver les gardes-
du-corps qu'on allait égorgel'. Qu'est-il done possible de lui
reprocher. " .. ? de n'avoir pas été présent a la premiere mi-
nute? mais la meme ehose pouvait avoil' líeu de toute autre
maniere; un ol'dl'e a donner oa ua postc a visiter pouvait
l'éloigner pour une demi-heure da point oil aurait lieu la
premiere attaque; et son absence, dans le premier instant de
l'action, était le plus inévitable de tous les aceidents. Mais
arriva-t-il assez tot pOUl' délivrer presque toutes les victimes,
pour sauver le chaleau et les augllstes personnes qu'il conle-
nait? se dévoua-t-il généreusement aux plus gl'ands dangers?
voila ce qu'on ne peul nier, et ce qui lui valut a eette époque
des acti~ns de gnices universelles. Il n'y eut qu'une voíx
alors parmi tous ceux qu'i1 avait sauvés. Madame de Stael,
qui n'est pas suspecle de pal,tialité en faveur de M. de La-
fayelte, rapporte qu' elle entendít les gardes-du-corps críer
rifle Lafayctte! Mounier, qui n' était pas suspect davantage,
loue son dévouement; et M. de Lally-Tolendal regrette qu'on




NOTBS


ne lui ait pas aUribué dans ce moment une el!pece de dicta-
ture (voy el: son Rapport a ses commettants); ces deux dé-
putés se sont assez prononcés contre les 5 et 6 octobre, pour
que leur témoignage soit accueilli avec toute confiance. Pel'·
sonDe, au reste, n'osa nier dans les premiers moments un dé-
vouement qui était universellement reconnu. Plus tard, I'es-
prit de parti, sentant le danger d'accorder des vertus a un
constitutionnel, nia les services de M. de Lafayette; el alors
commeno;¡a cette longue calomnie dont iI n'a depuis cessé
d'ctre I'objet.




ET PIIwEs .JUSTIFICATIVES.


NOTE 10, PAGE 200.


J'ai déja exposé quels avaient été les rapports a peu pres
nuls de Mirabeau avec le duc d'Orléans. Void quel est le
sen s de ce mol fameux: Ce} ... f. .... ne mérite pas la pelize
qu'on se donne pour lui. La contraillte exercée par Lafayette
envers le duc d'Orléans indisposa le partí populaire, mais
irrita surtout les amis du prince condamné a l'exil. Ceux-ci
songeaient a détacher Mirabeau contre Lafayette, en profi-
tant de la jalousie de l'orateur contre le général. Un ami
du duc, Lauzun, vinl un soir cbez Mirabeau pOOl' le presser
de prendre la parole des le lendemain matin. Mirabeau, qui
souvent se laissait entralner, allait céder, lorsque ses ami5,
plu~ soigneux que lui de 5a propre conduite, le presserent
de n'en rien fait·e. Il fut done résolu qu'il se tairait. Le
lendemain, a l'ouvertllre de la séance, on apprit le départ
du duc d'Orléans; et Mirabeau, qui lui en voulait de sa
condescendance envers Lafayette, et qui songeait aux efforts
in utiles de ses amis, s' écria: Ce j ... f. .... ne mérite pas la
peine qu'on se donne pour lui.




NOTES


.... _---------------~~--


NOTE 11, PAGE 2.03.


11 Y avait che? Mirabeau, eomme chez tou~ les hommes
supérieurs, beaucoup ue petitesses a coté ue beaucoup de
grandeUl'. 11 avait une imag'ination vive qu'i! fallait occuper
par des espérances. 11 était impossible de lui uonner le minis-
tere sans détruire son influence, et par eonséquent sans le
perdre IlIi-méme, et le secou!'s qu'on en pouvait retirer.
D'autre part, il fallait eette amoree a son imagination. Ceux
done qni s'étaient placés entre lui el la cour conseillerent ue
lui laisser au moins I'espérance d'un portereuille. Cependant
les intérets personnels ue Mirabeau n'étaienl jamais I'objet
d'une mention particuliere dans les di verses communications
qui avaient lieu; on n'y parlait jamais eu effet ni d'argent
ni de faveurs, et il devenait diffieile de faire entcndre a
Mirabeau ce qu'on voulait lui apprendre. POUt' cela, on indi-
qna au roi un moyen fort adroit, Mirabeau avait une répu-
tation si mauvaise, quepen de personnes auraient voulu lui
servir de collegues. Le roi , s'adressant a M. de Lianeourt,
pour Jequel il avait une estime particuliere, lui demanda si,
ponr lui elre utile, il accepterait un portefeuille en eompa-
gnie de Mirabeau. M. de Liancourt, dévoué au monarque,
répondit qu'i! était déciué a faire tout ce qu'exigerait le bien
de son service. Cette question, bientot rapportée a I'orateur,
le remplit de satisfaction, et il ne douta plus que, des que
les circonstances le pf'rmeUraient, on ne le nommat ministre.




ET PIECES JUSTIPICATIVES.


NOTE 12, PAGE 213.


II ne sera pas sans inléret de connaitre l'opinion de
Fen'ieres sur la maniere dont les députés de son propre
parti se conduisaient dans l'assem,blée.


"Il n'y avait a l'assemblée nationa[e, dit Ferrieres, qn'a
" peu pres trois cents membres véritablement hommes pro-
a bes, exempls d'esprit de parti, étrangers a l'nn et a l'autre
• club, voulant le bien, le voulant pour lui-meme, indé-·
" pendamment d'intérets d'ordres, de corps, toujours prets
" a embrasser la proposition la plus juste et [a plus utile,
« n'importe de qui elle vint et par qui elle fut appuyée. Ce
«sont des hommes dignes de J'honorab[e fanetion a laquelle
« ils avaient été appelés, qui ont fait le pell de bonnes loís
"sorties de l'assemblée constituante; ce sont eux qlli ont
« empeehé toutle mal qu'elle n'a pas fait. Adoptanl loujours
• ce qui élait bon, el tHoignant toujours ce qlli était inauvais,
« ils ont souvent donné la majorité a des dé[ibératio ns qui,
« san s eux, enssent été rejetées pal' un esprit de faclion; i[s
a ont souvent repoussé des motions qui, sans eux, eussent
• été adoptées par un esprit d'intérel.


« Je ne saurais m'empecher a ce sujet de remarquer la
"conduite impo[itique des nobles et des éveq;,es. eomme
• ils ne tendaient qn'a dissoudre l'assemblée, qu'a jeter de
« la défaveur sur ses opérations; loin de s'opposer aux mau-
• vais décrets, ils étaient d'une indifférence a cet égard que
" I'on ne saumit concevnir. lis sortaient de [a salle loraque




JiOTES


« le président posait la question, invitant les députés de leur
« parti a les suivre; ou hien, s'ils demeul'aient, i1s leur
" criaient de ne poiot délihérer. Les clnbistes, par abandon,
" devenus la majorité de I'assemblée, décrétaient tout ce
« qu'i1s voulaient. Les éveques et les nobles, croyant ferme-
« ment que le nouvel ol'dl'e de choses ne suhsisterait pas,
«hataient, avec une sorte d'impatience, dans l'espoir d'ell
u avancer la chute, et la ruine de la monarchie, et leur pro-
• pre ruine, A eette" eonduite insensée ils joignaient une in-
• souciance insultante, et poul' l'assemblée, el pour le peuple
« qui assistait aux séances. I1s n'écoutaient poin!, riaient,
« parlaient haut, confirmant ainsi le peuple daos l'opinion
« peu favorable qu'il avait com,¡ue d'eux; et au lieu de tra-
• vailler a regagner sa confiance et son estime, i1s ne lravail-
« laient qu'a acquérir sa haine et son rnépris. Toutes ces
" sottises venaient de ce que les éveques et les nobles oe
« pouvaient se persuader que la révolution était faite depllig
« long-temps dans l'opinion et dan s le ereul' de tous les Fran-
" c;ais. lIs s'imaginaient, a l'aide de ces digues, contenir un
• torren! qui grossissait chaque jour. lis ne faisaient qu'amon.
• celer ses eaux, qu'occasione¡' plus de ravage, s'entetant
« avec opiniatreté a rancien l'égime, base de toutes leurs ac-
« tions, de toutes leurs oppositions, mais dont personne lIe
«voulait. lIs forc;:aient, par cetle obstination maladruite, les
« révolutionnaires.a étendre leur systeme de l'évolution all-
\( dela meme du but qu'ils s' étaient pro posé. Les nobles et les
« éveques criaient alors a I'injustice, a la tyrannie. lis par-
« laient de l'ancienneté et de la légitimité de leurs droits a
« des hommes qui avaient sapé la base de tons les droits. »


( Ferrieres, tome 2. ,p. 122.)




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


NOTE 13, PAGE 215.


Le rappel des gardes-du-corps donna Heu 11 une anecdote
qui mérite d'¡)tre rapportée. La reine se plaígnaít 11 M. de
Lafayette de ce que le roí n' était pas libre, I't elle en don-
nait pour preuve que le service du chateau était fait par la
garde nationale et non .par les gardes-du-corps. M. de Lafayette
lui demanda aussitot si elle verrait avec plaisir le rappel de
ces derniers. La reine hésita d'abord 11 répondre, mais n'osa
pas refuser roffre que lui fit le général de provoquer ce rap-
pe\. Aussitot il se rendit 11 la munieipalité, qui, 11 son insti-
gation, tit la demande officielle au roi de rappeler ses gardes-
du-corps, en offrant de partager avee ellx le service du
chateau. Le roi et la reine De virent pas eette demande ave e
peine; mais on leur en fit bientot sentir les eonséquenees, et
eeux qui De voulaient pas qu'i1s parussent libres les engage-
reot a répondre par un refus. Cependant le refus était em-
barrassaot a motiver, et la reine, a laquelle on eonfiait sou-
vent des eommissions diffieiles, fut chargée de dire a M. de
Lafayctte qu'on n'aeceptait pas la proposition de la mllniei-
palité. Le molif qu'elle en donna, e'est qu'on ne voulait pas
exposer les gardes-du-cOI'ps a ctre massaerés. Cepeudant M. de
Lafayette venait d'en rencontrel' un qui se promenait en uni-
forme au Palais-Royal. II rapporta ce fait a la reine, qui fuL
encore plus embarrassée, mai~ qni persista dan s I'intention
(ju'elle était chargée d'exprimer.




380 NOTES


---------------------


NOTE 14, PAGE 216.


---


Le discours de Monsieur, a l'Hotel.de·VilIe , renfel'me un
passage trop important pOllr n'etre pas l'8ppelé id.


« Quant a mes opinions pcrsonnelles, dit ce personnage
« auguste , j'cn parlerai avec confiance a m¡l's concitoyens.
« Depuis le jour ou, dans la seconde assemblée des notables,
« je me déclarai sur la question fondamentale qui divisait les
• esprits, je n'ai cessé de cl'oire qu'une grande révolution
« était prete; que le roi , par ses intentions, ses vertus et son
.. rang supreme, devait en etre le chef, puisqu'elle ne pou-
« vait etre avantageusc a la nation san s l'ctre également au
« monarque; en fin , que l'autorité royale devait etre le rem-
« part de la liberté nalionale, el la liberté nationale la basc
« de l'autorité royale. Que I'on cite une seule de mes actions,
« un seul de mes discours qui ait démenti ces principes, qui
« ait montré que, dans quelque circoll5tance ou j'aie été
« placé, le bonheur du roi, celui du peuple, aient ce5sé d' e·
• tre l'unique objet de mes pensées et de mes.vues : jusque-
« la, j'ai le droit d'elre cru sur ma paroJe, je n'ai jamais
« changé de sentiments el de principes, et je n'en changerai
« jamais .•




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


----~~-.------_ ......... -----
NOTE 15, PAGE 219.


Le discours prononcé par le roi dans cette circonstanee
est trop remarquable pour n'etre pas cité avec quelques
observations. Ce prince, excellent et trop malheureux, était
ualls une continuelle hésitation, et, pendant certaios iostaots,
il voyait avec heaucoup de justesse ses propres devoirs et
les torts de la cour. Le too qui regne dans le discours pro-
noueé le 4 février prouve suffisamment que dans cette cir-
constance ses paroles n'étaient pas imposées, et qu'i! s'exprimait
avec un véritable sentiment de sa situation présente.


« Messieurs, la gravité des circonstances on se trouve la
(( France m'attire au milieu de vous. Le reláchement pro-
c< gressif de tous les liens de l'ordre et de la subnrdination;
« la suspension ou I'inaetivité de la justiee, les mécontente-
« ments qui naissent des privations particulieres, les oppo-
" sitions, les haines malheureuses qui sont la suite inévitable
« des longues dissensions, la situation critique des finances
" et les ineertitudes sur la fortune publique, enfin I'agitation
" générale des esprits, tout semble se réunir pour entretenir
« I'inquiétude des véritables amis de la prospérité et du bon-
.. heur du royaume.


« Un grand hut se présente a vos regards; mais il faut y
« atteindre sans accroissement de trouble et sans nouvelles
" convulsions. C'était, je dois le dire, d'une maniere plus
" douce et plus tranquille que j'espérais vous y eonduire lors-




38:. NOTES
« que je formai le dessein de vous rassembler, et de réunil'
" pour la félicité publique les lnmieres et les volontés des
« représentants de la nation; mais mon bonbem' et ma gloire
" ne sont pas moins étroitement liés anx succes de vos
« travaux,


« Je les ai garantis, par une eontinuelle vigilance, de !'in-
a fluence funeste que pouvaient avoir sur eux les circonstan-
• ces malheureuses au milieu desquelles vous vous trouviez
« placés. Les horreurs de la disette que la Franee avait 11 re-
" douter l'année del'niere out été éloignées par de~ soins mul-
« tipliés et des approvisionllements immenses. Le désordre
" que I'état ancien des finances, le discrédit, !'excessive ra-
• reté du numéraire et le dépérissement graduel des revenus,
• devaient naturellement amener; ce désordre, au moios
« dans son éclat et dans ses exces, a été jusqu'lI présent écarté.
• J'ai adouci partout, et principalement daos-la capi tale,
" les dangereuses conséquences du défaut de travail; et, non-
a obstant l'afTaiblissement de tous les moyens d'autorité,
u j'ai maintenu le royaume , non pas, il s'en faut hien, dans
u lecalme que j'ensse dfsiré, mais dans uu état de tranquillilé
« suffisant ponr recevoir le hienfait d'une liberté sage el bien
« ordonnée; en fin , malgré lIoUe situation intérieure généra-
« lement connue, et malgré les OI.'ages poli tiques qui agitent
« d'autres nations, j'ai conservé la paix au dehors, et j'ai en-
« tretenu avec toutes les puissances de J'Europe les rapports
« d'égard. et d'amitié qui peuvent rendre cette pai" durable.


« Apres vous avoir ainsi préservés des Sl'andes contrariétés
" qui pouvaient aisément tra versel: vos soins et vos t..avaux,
.. je crois le moment arrivé ou il importe 11 l'intéret de l'étal,
" que je m'associe d'une maniere encore plus expresse el




ET PIlICES JUSTIFICATIVES. 383
« plus manifeste a l'exécution et a la réussite de tout ce que
« vous avez coocerté pour I'avantage de la France. Je ne puis
« saisir une plus grande occasion que ceHe ou vous présentez
• a mon acceptation des décrets destinés a établir dans le
• royaume une organisation nouvelle, qni doit avoir une io-
« fluence si importante el si propice ponr le bonheur de mes
« sujets et ponr la prospérité de cel empire.


« Vous savez, messieurs, qu'il y a plus de dix aos, el
« daos un temps ou le vceu de la nation oe s'était pas eocore
« expliqué sur les assemblées provinciales, j'avais commencé
« a substituer ce genre d'adminÍstration a celui qu'une an-
o cienne et longue habitude avait consacré. L'expérience
u m'ayaot faít connaitre que je ne m'ét;¡.is point trompé dans
e l'opinion que j'avais con~ue de l'utilité de ces établisse-
« ments, j'ai cherché a faire jouir du meme bienfait toutes
« Jes provinces de mon royaume; et, pour assnrer aux 0011-
« velles administrations la confiance générale, j'ai vouJu que
« les membres dont elles devaient etre composées fussent
« nommés librement par tous les citoyens. Vous avez amélioré
« ces yues de plusieurs manieres, et la plus esseotielle, sans
« doute, est cette subdivision égale et sagement motivée, qui,
« en affaiblissallt les anciennes séparations de province a
{( province, et en établissant un systeme général et complet
« d' équilibre, réunit davantage a un meme esprit et a un
« meme intéret toutes les parties du royaume. Celte grande
« idée, ce salutaire dessein vous sont. entierement dus: il ne
« fa\Jait pas moins qu'une I'éunion des volontés de la part des
« représentants de la nation; il ne fallait pas moins que leur
« juste ascendant sur l'opinioIl générale, pour entrepl'endre
« avec confiance un changement d'une si grande importance,




384 NOTES
« et pour vainere au nom de la raison les résistanees de
« l'habitude et des iutérets particuliers .•


Tout ce que dit iei le roi est parfaitement juste et tres-
hien senti. Il est vrai que toutes les améliorations, illes avait
autretois tentées de son propre mouvement, et qll'iI avait
donné un rare exemple ehez les princes, eelui de prévenir
les besoins de lellrs sujets. Les éloges qu'il dlllllle a la nouvelle
division territoriale portent encore le caractere d'une entiere
honne foi, cal' elle était eertainement utile au gouvernt'ment,
en détruisant les résistanees que lui avaient souvent opposées
les loealités. Tout porte done a eroire que le roi pade iei avec
une parfaite sincérité. 11 continue :


" Je favoriserai, je seconderai par tous les moyens qui
« sont en mon pouvoir le succes de celte vaste organisation
« d'ou dépend le salut de la Franee; et, je erois néeessaire
« de le dire, je suis trop occupé de la situation intériellre du
« royaume,j'ai les yeux trop ouverts sur les dangers de tout
« genre dont nous so mm es environnés, pour ne pas sentir
« fortement que, dans la disposition présente des espl'Íts, et
« en eonsidérant I'état on se trouvellt les affaires publiques, iI
« faut qu'un nOllvel ordrc de choses s'établisse avec ealme et
« avec h'anquillité, ou que le royaume soít ex posé a toutes
" les calamítés de l'anarehie.


« Que les vrais citoyens y réfléehissent, ainsi que je I'ai
« fait, en fixant uniquement leur attention su¡-le bien de
« I'état, et ils vermnt que, meme avec des opinions différen-
« tes, un intéret éminent doit les réunir tous aujourd'hui.
« Le temps réformera ee qui pourra rester de défeetueux
« dan. la eollection des lois qui auront éte l'ouvrage de cette
" assemblée» ( cette critique indirccte el ménagée ¡Jrouf'e




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 385
que le rOl' ne voulail pas flatter, mais dire la vérité, tout en
employanl la mesure nér.essaire); « rnais toute entreprise
« qui tendrait a ébranler les príncipes de la constitution
« merne, tout concer! qui aurait pom' hu! de les r-enversel' ou
« d'en affaiblir I'heureuse influenee, ne serviraient qu'a in-
f< troduire au milieu de nous les maux effrayanls de la di s-
« ,corde; et, en supposant le succes d'une semhlahle tentative
« contre mon peuple et moi, le résultat nous priverait, sans
« remplaeement, des divers hiens dont un nouvel ordre de
« eh oses nous offre la perspeetive.


« Livrolls-nous done de bonne foi aux espéranees que nous
« pouvons conccvoir, et ne songeons qu'a les réaliser par un
« accord unanime, Que partout on sache que'le monarque et
« les représentants de la nation sont unis d'un meme inténlt
«et d'un rncme vreu, afin que celte opinion, cette ferme
« croyance, répandent dans les provinces un esprit de paix
« et de bonne volollté, et que tous les eitoyens recomman-
« dahles par leur honneteté, tous eeux qui peuvent servir
" I'état essentiellement par leur zele et par Ieurs lumieres,
« s'empressent de prendre part aux différentes subdivisions
"de l'administration générale, dont I'enehalnement et l'en-
« semble doiveut eoneourir efficacement au rétahlissement de
" J'ordre et a la prospérité du royaume.


" Nous ne devons poillt nous le dissimlller; iI Y a bealleoup
« a faire pour arriver a ce but. Une volonté suivie, un effort
f( général et commun, sont absolllment nécessaires pOUt' ohte-
«nir un sucees véritable. Continuez done vos travaux sans
«d'autre passion que celle dll bien; fixez toujours votre
" premiere attention sur le SOl't dll peuple et sur la liberté
« publique; mais océupez-vous allssi d'adollcir, de calmer


I. 2.1)




38G NOTES
" lontes les défiances. el mettez fin , le plus tot possibJe, aux
« dilférentes inquiétudes qui éloignent de la Franee un si
" grand nombre de ses citoyens, el dont I'effet contraste avec
" les lois de sureté el de liberté que vous voulez établil' : la
« prospérité ne reviendl'a qu'avec le conlelltement général.
« Nous apercevons partout des espél'3nces; soyons impatients
« de voir aussi partout le bonheUl'.


"Un jour,j'aime a le croil'e, tous les Fran~ais ¡ndistinc-
« tement, reconnaitront I'avantage de l'entit~re suppressioll
« des différences d'ordre el d'état, lorsqu'i! est question de
« travailler en commun au bien public, aceite prospérité de
"la patrie qui intéresse également les citoyens; el chacun
« doit voir sans peine que, pour etre appelé dorénavant a
" servir l'état de quelque maniere, il suffira de s'etre rendu
.. remarquable par ses lalents et par ses verlus.


el En meme temps, néanmoins, tout ce qui rappelle a une
« nation l'ancienneté el la continuité des services d'une race
« honorée est une distinction que rien De peut détruire, et,
« cornme elle s'unit aux devoirs de la reconnaissance, ceux
« q ui, dans toutes les c1asscs, de la société aspirent a servir
« efficacement leur patrie, et ceux qui ont eu déja le bonheur
« d'y réussir, onl un intéret a respecter ceUe transmission de
« titres ou de souvenirs, le plus beau de tons les héritages
« qu'on puisse faire passer a ses enCanta.


" Le respect dli aux ministres de la religion ne poulTa non
« plus s' effacer; et lorsque lenr considération sera principa-
« lement unie aux saintes vél'Ítés qui sont sous la sauvegarde
" de l'ol'dl'e et de la morale, lous les citoyens honnetes el
" éclairés auront un égal intér.et a la mainlenir el a la dé-
" fendrl'.




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


« Sb;ns doute ceux qui ont abandonné leurs pnriléges
« pécu niaires, ceux guí ne formeront plus eomme autrefoís
« un ordre politique dans l'état, se trourent soumis ti des
« sacrifiees dont je connais toute l'importance; mais ,j'en
« ai la persuasion, ds auront assez de générosité poar cher-
• cher un dédommagement dan s tous les avanlages pu~lics
« dont l'établissement des assemblées nationales présente
« l'espérance. "


Le roi continue, comme on le voit, a exposet' a tous les
partis les avantages des nouvclles lois, el en meme temps
la nécessité de conserver quelque chose des anciennes. Ce
qu'il adresse aux privilégiés pro uve son opinion réelle sur la
nécessité el la j ustice des sacrifices q u' on leur avait imposés,
et leur résistance sera éternellement condamnée par les pa-
mIes que ¡,enferme ce discours. Vainement dira-t-on que le
roi n'était pas libre: le soin qu'il prend ici de balancer les
concessions, les conseils et meme les reproches, prouve qu'il
parlait sincerement. n s'exprima bien autrement lorsque plus
tard iI voulut faire éclater l'étal de contrainte dans lequel il
croyait étre. Sa lettre aux ambassadeurs, rapportée plus bas,
le prouvera suflisamment. L'exagération !oute popuJaire qui
y regne démontre l'intention de ne plus paraitre libre. Mais
ici la mesure ne laisse aucun doute, et ce qui suit en es! si
touchant, si délicat, qu'il n'est pas possible de ne l'avoir
pas senti, qualld 011 a consenti a l'écrire et 11 "le pronon-
cero


" J'aurais bien aussi des perles a compfer, si , au milieu
" des plus grands inténlls de I'état, je m'arretais a des calculs
" personnels; mais je trouve une compensation qui me suffit ,
« unp. ('ompen~afion pleine el enl¡e~ dans l'a(~croissement du


25.




388 NOTES
" bonheur de la nalion, et e'esl du fond de mon ereur que
« j'exprime ici ce sentiment.


« Je défendrai done, je maintiendrai la liberté constitu-
" tionnelle, dont le vreu général, d'accord avec le mien, a
« eonsaeré les principes. Je feraz' davantage; el, de concerl
« avec la reine qlli partage tous mes sentiments, je pré-
« parerai de bonne hcure l'esprit et le cceur de mon jils au
« nOllPel ordre de choses que les circonstances ont amené.
« Je l'habituerai des ses premias ans t'l étre heurel/x du
" bonheur des Franr¡ais, et a reconnaitre toujours, malgré
" le langage des flattcurs, qu'une sage constitlltion le préser-
« vera des dangcrs de I'inexpérience, et qu'une juste liberté
« ajonte un nouveau prix aux sentiments d'amonr et de fidé-
« lité dont la nation, depuis tant de siecles, donne a ses
« rois des preuvcs si touehantes.


"Je ne dois point le mettre en doute : en aehevant volre
« ouvrage, vous "ous occuperez surement avec sagesse el aveC'
« candeur de l'affermissemellt dll pouvoil' exéelltif, eelte
" condition sans laquelle il ne sallrait exister alleun DI·dre
"durable an dedans, ni aueune considération au dehórs.
" Nulle défiance ne peut raisonnahlement vous rester: ainsi,
" il est de votre devoir, comme citoyens et comme fideles
{( représentants de la nation, d'assurer au hien de l'état et
« a la liberté publique cette stabilité qui ne peut dériver que
« d'une autorité active et tutélaire. Vous allrez slirement pré-
" sent a l'esPI'it que, sans une teIle autorité, toutesles parties
« de votre systeme de conslitlltionresteraient a la fois sans
"Iien et sans correspondan ce ; et, en vous occupant de la
" liberté, que vous aimpz et que j'aime aussi, vous ne penlrez
., pas de vue qll(' le désordre en administl'3tion, en amenant




ET PLECES JUSTIPICATIVES • 389
• la confusion des pouvoil's, dégénere souvent, par d'aveugles
" violences, dan s la plus dangereuse et la plus, alarmante de
" toutes les tyrann ies.


« Ainsi, non pas pour moi, messieul's, qui ne compte
« point ce qui m'est personnel pres des lois el des institutiollS
« qui doivent régler le deslin dans l'empire, mais pour le
« honheur meme de notre patrie, pour sa prospérité, pour sa
« puissance, je veus invite a vous affranchir de toutes les im-
" pressions du moment qui pourraient vous détourner de
« considérer dans son ensemble ce qu'exige un royaume tel
« que la Franee, et par sa vaste étendue, et par son immense
« population, el par ses relalions inévitablcs au dehors.


« Vous ne négligerez non plus de fixer \'Gtre attention sur
« ce qu'exigent encare des législateurs les mreurs, le caractihe
« el les habitudes d'une nalion devenue trop célebre en Eu-
(' rope par la nature de son esprit et de son génie, pour qu'il
« puisse paraitre indifférent d'entretenir ou d'altél'er en elle
" les sentiments de donceur, de confiance el de honté qui lui
« Ollt valu tant de renommée.


« Donnez-Iui l'exemple allssí de cet esprit de justice qui
« serl de sauvegal'de a la propriété, a ce droit respecté de
• tontes les nations, qui n'est pas I'ounage du hasal'd, qui
" ne dérive point des priviléges d'opinion, mais qui se líe
« étroitement aux rapports les plus essenliels de l'ordre pu-
« blic et aux premieres conditions de l'harmonie socíale.


" Par quelle falalilé, 101'sque le calme eommen~ait a renai=
« tre, de nouvelles inquiétudes se sont-elles répandues dans
« les provinces! Par quelle fatalilé s'y livre-t-on a de no u-
" veaux exces! Joignez-vous a moí pour lesarreter, et empe-
" cbolls de tous nos efforts que des violences criminelles ue




NOTES


« viennent souiller ces jours ou le bonheur de la nation se
" prépare. Vous qui pouvez infIuer par tal'lt de moyens sur
« la confiance publique, éclairez sur ses véritables intéréts
« le peuple qu'on tfgare, ce ban peuple qui m'est si cher,
« el dont on m'assure queje suis aimé quand on veut me
« consoler de mes peines. Ah 1 s'il savait á quel point je suis
« malheurellx a la nouvelle d'un altentat contre les fortunes,
« ou d'un acte de violence conlre les personnes, peut-etre
• il m' épargnerait cette douloureuse amerlume.


« Je ne puis vous entretenir des grands intérets de I'élat,
« sans vous presser de vous OCCllper, d'une maniere instante
« et définitive, de tout ce qui tient au l'établissement de
" l'ordre dans les finan('es, et a la tranquiUité de la multitude
" innombrable de citoyens qui sonl nnis par quelque lien a
" la fartune publique.


« Il esl temps d'apaiser toutes les inquiétudes; il est temps
" de rendre a ce royaume la force de crédit a laquelle iI a
" droit de prétendre. Vous ne pouvez pas toul entreprendre
" a la fois : aussi je vous invite a réserver pour d'autres temps
• une partie des bieos dont la réuoion de vos lumieres vous
« présente le tablean; mais quand vons aurez ajouté a ce que
" vous avez déja fait, un plan sage el raisonnable pour l'exer·
« cice de la jnstice; quand vous aurez assuré les hases d'un
" équilibre parfait entre les revenus el les dépenses de l'état;
« eofin, quand vous aurez achevé l'ouvrage de la constitution,
« vous aurez acquis de grands dl'oits a la reconnaissance publi.
« que; el, dalls la continuation snccessive des assemblées na-
« tionales, continuation fondée dorénavant snr cette consti-
" tution ffieme, il n'y aura plus qu'il ajonter d'année en année
" de nonveaux moyens de prospérité. Puisse celle journée,




ET PIECES lUSTIFICATIYES. 391
" 011 votre monarque vient s'unil' a vous de la maniere la plus
• Iranche el la plus intime, eh'e une époque mémorable dans
« j'histoire de cet empire! Elle le sera, je l'espere, si mes
" vceux ardents, si mes instantes exhortations peuvent etre
« un signal de paix et de rapprochement enlt'c vous. Que
« ceux qui s'éloigneraient encare d'lln esprit de concorde
(( devenu Ii nécessaire, me Illssenl le sacrijice de tous les
" sou"cnirs qui les alfligent; fe les paierai par ma rCCon-
« naissllnce el 1110'1 allection.


fe Ne prolessons tous, a compter de ce jour, De professons
« tOU5, le vous en donne I'exemple, qu'une seule opiuion,
" qu'un seul intéret, qu'une seule volonté, l'attachement a la
« constitutiQn no~velle, et le dé~ir ardent de la paix, du bon-
'1 heur el de la prospérité de la France! "




NOTES


NOTE 16, PAGE 229.


Je ne puis mieux faire que de citer les mémoires de
M. Froment lui-meme, pour donner une juste idée de l'é-
migration et des opinions qui la divisaient : dans un volume
intitulé Recudt de dipers écrits relatifs a la Répolution,
M. Froment s'exprime comme il suit, pago 4 el suivantes :


" Jeme rendis secretement a Turin (janvier 17.90) aupres
des princes franc,;ais, pour solliciter leur approhation el leur
appui. Dans un conseil, qui ftrt tenu a mon arrivée, je leur
démontrai que, s'ils voulaient arma !ps partisans de fau-
tel et du tr6ne, et faire marcher de palr les intéréts de la
religion avee eellX de la royauté, it serait aisé de .raurer
l'un eel'autre. Quoique fortement attaché a la foi de mes
peres, ce n'était pas aux non-catholiques que je vou/ais faire
]a guerre, mais aux ennemis déclarés du catholicisme et de la
royauté, a ceux qui disaient hautement que depuis trop long-
temps on parlait de Jésus-ebriat et des Bourbons, a ceux qui
prétendaient étrangler le dernier des rois avec les boyaux du
dernier des prétres. Les non-catholiques restés fi(leles a la
monarchie ont toujours trouvé en moi le citoyen le plus ten-
dre, les catholiques rebelles le plus implacable ennemi.


" Mon plan lendait uniquement a lier un parti, et a lui
donner, aulant qu'i! serait en moi, de l'extension et de la
consistance. Le véritable argument des révolutiunnaires étant
la force, je sentais que la véritable réponse était la force:




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 393
alors, comme a présent, j'étais eonvaineu de ceHe grande
vérité, 'iU'OIl ne peut étouffer une Jorte passioll que par
une plus forte encore, et que le zele religieux poufJait
seul étouffer le délire ripublicain. Les mirades que le zek
de la religion a opérés depuis 101'5 dans la Vendée et en Espa-
gne, prouvent que les philosopheurs el les révolutionrraires
de tous les partis ne seraient jamais venus a bout d'établir
leur systeme antireligieux et antisocial, pendant quelques
années, sur la majeure pal'tie de l'Enrope, si les ministres
de Louis XVI avaient com,;u un projet tel que le mien, ou si'
les eonseiJle¡'s des princes émigrés l' avaient sincerement adopté
el réellement soutenu .


• Mais malheureusement la plupart des peTsonnages qui
dirigeaient Louis XVI et les princes de sa maison ne rai-
sonnaient et n'agissaient que sur des principes philosophi-
ques, quoique les philosophes et leurs disciples fusseflt J.a
cause des agents de la l'évolution. lis auraiellt eru se eouvr;I'
de ridicule et de t1éshonneur, s'as avaient pranoneé ·Ie seul
mot de religion, s'i1s avaient employé les puissants moyens
qu'elle présente, el dont les plus grands politiques se sont
servis dan s tous les temps avee succes. Pendan! que I'assem-
hlée nalionale cherchait a égarer le peuple et a se J'attaeher
par la sllppression des droits féodaux, de la dime, de la ga-
belle, etc., etc., ils youlaient le ramener a la soumission el it
I'obéissance par I'exposé de I'incohérence des nouvelles lois,
par le tableau des malheurs dn roi, par des écrits au-dessus
de son intelligence. AV.ec ces moyens ¡Is croyaient faire re-
naltre dans le creur de tous les Fran~ais un amomo flur eL
désintéressé pour leur souverain; ils croyaient que les c1a-
meurs des mécontents arreteraient les entreprises des factieux,




394 NOTES
et permeLtraient au roi de marcher droil au bu! qu'i¡ vou-
lai! atteindre. La valeur de mes conseils fut taxée vraisem-
blablement au poids de mon existence, et l'opinion des grands
de la cour sur leurs titres et sur leur fortune .•


Monsieur Froment poursuit son récit, et caractérise ail.
leurs les partís qui divisaient la cour fugitive, de la maniere
6uivante, page 33 :


« Ces titres honorables et les égards qu'on avait générale-
ment pOUl' moi a Turin, m'auraient fait oublier le passé et
concevoir les plus f1atteuses espérances pOUl' l'avenir, si j'a-
vais aper«¡u de grands moyens aux conseillers des princes, el
un parfait accord parmi les hommes les plus influents daDs
nos affaires; mais je voyais avec douleur l'émigration di"isée
en deux partis. dont l'un ne voulait lenter la contre-révolu-
tioa que par le secours des puissanees étrangeres, et l'au-
tre par les royalistes de ['intérieur.


« Le premier parti prétendait qu'en cédant quelques pro-
vinces aux puissances, elles fourniraient aux princes fraDl,ais
des armées assez nombreuses pour réduire les factieux; qu'a-
vec le temps on reconquerrait aisément les cpncessions qu'on
aurait été forcé de fait'e; et que la cour, en ne conlractant d'o~
bJigation enfJers aueun des corps de l'état, pourrait dicter


. des lois a lous les Franqais •.... Les courtisans tremblaient
que la noblesse des proviDces et les l'oyalistes du tiers-état
n'eusseot l'honneur de remettre sur son séant la monarchie
défaillante. lIs senlaient qu'ils ne seraient plus les dispensa-
leurs des graces el des faveurs, et que leur regne finirait
des que la noblesse des provinces aurait rélabli, au prix de
son sang, l'autorité royaJe, et mérité par la les bienfails et la
confiance de son 50uverain. La crainte de ce nouvel ordre dt'




ET PI:ECES JUSTIFICATlVES.


choses les portait a se réunir, sinon pour détoumer les prin-
ces d'employer en aucune maniere les royalistes de l'intérieur,
du moins pour fixer principalement leur altention sur les ca-
hinets de rEurope, et les porler a fonder ¡eurs plus grandes
espérances sur les aeeoura étrangers. Par une snite de eette
erainte, ils mettraient secretement en reune les moyens les
plus effieaces poor ruiner les ressources intérieures, faire
échouer les plans proposé!!, entre lesquels plusieurs pou-
valent amener le rétahlissement de l'ordre, s'ils eussent été
sagement dirigés et réellement soutenus. e'esl ce dont fai été
moi-meme le témoin : c'est ce que je démontrerai un jomo par
des faits et des témoignages aulhentiqoes; mais ,le momenl
n' est pas encore venu. Dans une couféreuce qlli eut lieu a pell
pres ~ celte époqne, au sujet dll puti qu'on pouvait tirer des
disposilions favorahles des Lyonnais et des Francs-Comtois,
j'exposai san s détour les moyens qu'on devait employer, ell
méme temps, pour assurer le triomphe des royalistes du Gé-
vaudan, des Cévennes, du Vivarais, du Comtat-Venaissin, du
LanguE'doc el de la Provence. Pendant la chaleur de la dis-
cussion, M. le marquis d' Autiehamp, maréchal-de-camp,
grand partisan des puis.rances, me dit: {( Mais les opprimés
{( et les parents des viclimes ne chercheront·ils pas a se ven-
«ger? ... Eh, qu'importe? lui dis-je, pourvu que nous ar-
«l'ivions a notre hut. - Voyez-vous, s'écria-t-il, comme je
~ lui ai fait avouer qu' on exercerait des vengeances particu-
« lieres! » Plus qu'étonné de cette observation, je dis a M. le
marquis de La Rouzih'e, mon "Voisín : • Je ne croyais pas
"qu'une guerre civile dut ressembler a une mission de capu-
«cins!» C'est ainsi qu'en inspirant aux princes la crainte de
se rendre odieu,," a leurs plus cruels ennemis, les courlisall~




:196 NO'l'ÉS
les portaient a n'employer que des demi-mesures, suffisantes
sans doute pour provoquer le úle dps royalistes de l'inté-
rieur, mais tres-insuffisantes pour, apres les avoir compromis,
les garantir de la fureur des factieux. Depuis lors il m'est re-
venu que, pendant le séjour de l'armée des prinees en Cham-
pagne, M. de La Porte, aide-dc-camp du mal'quis d'Auti-
champ, ayant fait prisonnier un républicain, cru!, d'apres le
sysleme de son général, qu'il le ramimerait 11 son devoir par
llne exhortation pathétique, el en lui rendant ses armes et 'Ja
liberté; mais a peine le républicain eut fait quelques' pas,
qu'il étendit par terre son vainqueur. M. le marquis t!'Auti-
champ, oubliant alol's la modération qu'il avait manifestée a
Turin, incendia plusieurs villages, pour venger la mort de
son missionnaire imprudent.


«Le second partí soutenait que, puisque les puissances
avaient pris plusieurs fois les armes ponl' bumilier les Bour-
bons, et surtout pour empecher Louís XIV d'aSSUl'el'la cou-
l'onne d'Espaglle a son petit-fils, bien I¡¡in de les rappeler a
notre aide, il fallait au eontraire ranimer le úle du clergé,
le dévollement de la noblesse, I'amour dll pCllple ponr le
mi, et se /¡dter d'etouffcr une querelle dcfamille, dont les
étrangers suaient peut-etre tentés de profiter ..... C'est a
eeHe funeste division parmi les ehefs de I'émigratiün, et a
l'impéritie ou a la perfidie des ministres de Louís XVI, que
les révolutionnail'es doivent leurs premiers sucd~s. le vais plus
loin, et je soutiens que ce n'est point I'assemblée nationale
qui a fait la révolulion, mais bien les eutours du roi et des
princes; je soutiens que les ministres ont livré Louis XVI aux
ennemis de la royauté, comme certains faíseurs ont livré les
prinees et LOllis XVIII aux ennemis de la France; je souticns




ET PI:ECES JUSTJFIC.~TIVE5o 397
que la plupart des courtisans qui entouraient les !"Ois
Louis XVI, Louis XVIII et les princes de Icurs maisons,
étaient et sont des c/wrlatans, de vrais cunufjlles. politi-
'lues, que éest a leUlo inertie, a leUlo lacheté ou a lenr trahi-
son que I'on doil impute .. lous les maux que la Franee a souf-
ferts, el eeux qui menacent encore le monde entiero Si je
porlais un grand nom et que j'eusse élé du cOllseil des Bour-
bons, je ne survivrais pas a I'idée qu'une horde de vils et de
\aches brigands, dont pas un n'a montré dans aucun genre ni
génie, ni talent supérieur, soít parvenue ¡, renverser le trone,
a élablir sa dominalion daos les plus puissants états de ¡'En-
rope, a fai.oe trembler I'univers; et lorsque celte idée me
poursuit, je m'ensevelis dan s I'obscurité de mon exi~lence,
pour me mettre a I'ahri du hlame, eomme elle m'a mis dans
l'impuissance c1'arrl!ter les progre s de la révolutiono »




398 NOTES


............................... _ ....... ,,---"""'---_ .... __ ... _..-.- ........... --


NOTE 17, PAGE 267.


J'ai déja cité quelques passages des mémoires de Fenieres,
relativement a la premiere séance des états-généraux. Comme
rien n'est plus important que de constater les Vl'ais sen ti-
ments que la révolution excitait dans les crellrs, je erais de-
voir donner la description de la féderation par ce meme Fe¡'-
rieres. On y verra si I'enthousiasme était vrai, s'i1 était
communicatif, el si cette révulution était aussi hideuse qu'on
a vOlllu la faire.


« Cependant les fédérés arrivaient de toutes les parties de
l'empire. On les Iogeait chez des partieuliers, qui s'empres-
saient de fournir lits, draps, bois, et tout ce qui pouvait
contribuer a rendre le séjour de la capitale agréable et com-
mode. La municipalité prit des meS\lt'es pour qu'une si
grande ailluence d'étran¡.;ers ne Il'oubliit pas la tmnquillité
publique. Douze mille ouvriers travaillaient sans rel:k-he a
prépal'er le CLamp-de-Marso Quelque aclivité que I'on mil a
ce travail, il avaol,¡ait lentement. On craignait qu'il ne pIit
etre achevé le 14 juillet,jourirrévocablement fixé pour la cé·
rémonie, paree que c'était l'époque fameuse de I'insurrection
de Paris et de la prise de la Bastille. Daos cet embanas, les
districts invitent, au 110m de la patrie, les hans citoyens a se
joindre aux ouvl'iel's. Cetl~ iovitation civique éleetrise toutes
les tetes; les femmes partagent l'eothousiasme et le prapagent;
on voit des séminaristes, des éeoliers, des sreurs dll pol, des




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 399
chartreux vieillis dans la soJitude, quitter lems cloitres et
.conrir au Champ-de-Mars, unt' pelle sur le dos, portant des
Lannieres ornées d'emblemes patriotiques. La, tous les ei-


"' toyens, melés, confondus, forment un atelier immense el
mobile dont chaque point présente un groupe varié: la cour-
tisane échevelée se Irouve a colé de la citoyenne pudibonde,
le capucin traine le baquet avec le chevalier de Saint-~ouis,
le porte-faix avec le pel.it-maitre du Palais-Royal, la robuste
harengere pousse la brouette remplie par la femme élégante el
a vapeurs; le peuple aisé, le peu pie indigent, le peuple vetu,
le penple en haillons, vieillards, enfants, comédiens, cenl-
suisses, commis, travailIant et reposan!, acleurs et specta-
teurs, offrent a ¡'reil élonné une sdme pleine de vie el de
mouvement; des tavernes ambulantes, des boutiques p'orta-
tives, angmentent le charme et la gaité de ce vaste et ravis-
sant tableau; les chants, les crís de joíe, le hruit des tam-
bours, des instruments miJitaires, celui des he ches , des
brouettes, les voix des travailleurs qui s'appelIent, qui s'en-
couragent ..... L'ame se senlait affaissée sous le poíds d'une
délicieuse ivresse a la vue de tout un peuple redescendu aux
doux sentÍments d'une fraternité primitive. Neuf heures son-
nées, les groupes se démélent. Chaque ciloyen regagne l'en-
droit ou s'est placée sa seclion, se rejoint a sa famille, a ses
connaissances. Les bandes se meUent en marche au son des
tambours, reviennent a París, précédées de flambeaux, hi-
chant de temps en temps des sarcasmes contre les aristocrates.
et chantant le fameux air (:a ira.


« Enfin le 14 juillet i jour de la fédération, arrive parmi
les espér.anccs des uns, les alarmes et les terreurs des autres.
Si cetle grande cérémonie n'eut pas le, caractere sél'ieux el




400 NOTES


augustc d'une fete a-Ia-fois nationale et religieuse, caracte,'e
presque inconciliable avec I'esprit fram;ais, elle offrit cetre
douce el vive image de la joie et de l'enthousiasme mille fois.
plus touchante. Les fédérés, rangés par' dél'artements sous
quatre-vingt-trois bannieres, partircot de I'emplacement de
la Bastille; les députés des troupes de ligoe, des tmupes de
mer, I~ garde na tionale pa,'isienne , des tambours , des chreurs
de musique, les drapeaux des seclions, oUVl'aieot et fer-
maient la marche,


"Les fédérés traverserent les rues Saint-~farlin, Saint-
Denis, Saint·Honoré, et se rendirent pal' le Coul's-Ia-Reine
a un pent de bateaux construít sur la ríviere. lis re\iurent a
leur passage les acclamations d'un peuple immense répandu
daos les mes, aux fenetres des maisons, sur les quais, La
pluie qui tombait a flots ne dérangea ni ne ralenlit la mar-
che. Les fédé"és, dégouttant d'eau et de sueur, dansaient des
farandoles, criaient : Viven! nos freres les Parisiens! 00
leur descendait pal' les feoetres du vin, des jambons, des
fruits, des cervetas; on les comblait de béoédictions. L'as-
semblée nationale joignit le cortége a la place Louis XV, el
maa'cha entre le bataillon des vétérans et celui des jeunes
éleves de la patrie; ¡mage expressive qui sllmblait l'éunir a
eHe seule tous les ages et tous les iotérets.


« Le chemin qui conduít au Champ-de-Mars était couvert de
peuple qui hatlait des maios, qui chantait : 9a ira. Le quai
de Chaillot el les hauteurs de Passy présentaient un loog
amphithéatre, ou l'élégance de I'ajustemenl, les charmes. les
graces des femmes, enchal1t<Jient l'ccil, et ne lui laissaient
pas meme la faculté d'asseoir une préférence. La pIure conti-
nuait de lombel'; personne ne paraissait s'en apercevoir : la




4$


ET PIEC.ES JUSTIFICA TlVES. 401


gaité fran\,aise triomphait et du mauvais temps, el des mau-
vais ehemins, el de la longueur de la marche.


« M. de Lafayette, montant un superbe eheval el entoUl'é
de ses aides-de-eamp, dOliOait des ordl'es el reeevait les
hommages dll peuple el des fédérés. La sueur lui eoulait sur
le visage. Un hom me que per50nlle ne connait, peree la foule,
s'avance, tenant une houteille d'une main , un ven'c de l'au-
tre : Mon général, vous ac'ez chaud, buvez un coup, Cet
homme leve 5a houteille, emplit un grand vert'e, le présente
a M. de Lafayette. M. de Lafayette re<¡oit le verTe, regarde
un moment l'inconnu , avale le vin d'un seul trait, Le peuple
applaudit. Lafayette promene un souril'e de complaisanee et
un regard hénévole et eoufiant sur la multitude; el ce reganl
semhle dire : • Je ne concevrai jama,is aucun SOUp<¡OIl, je
n'aurai jamais aucune inquiétude, tant que je serai au mi-
lieu de vous.»


• Cependant plus de trois cent mille hommes et femmes de
París et des envírons, rasscmblés des les six heures du matio
au Champ-de-Mal's, assis sur des gradins de gazon qui fOI'-
maient un cil'que immense, mouillés, croués, s'armant de
pal'asols eontre les tm'rents d'eau qui les iuondaiellt, s'es-
suyant le visage, au moindre rayon du soleil, rajustant leurs
coiffures, attendaient<,ell riant et en causant les fédérés de
I'assemblée nationale. On avait élevé un vaste amphithéatl'e
pour le roí, la famille royale, les ambassadeurs et les dépu-
tés. Les fédérés les premiers arrivés eommencent a danser
des farandoles; eeux qui suivent se joignent a eux , en for-
mant un,e ronde qui embl'3sse bientot une partie du Champ"
de-Marso C'était un speelade digne de l'obsel'Vateur philoso.
phe, que cette foule d'hommes, venus des parties I"s plus


L . 26




'l02 ~OTES


upposées de la France, entrainés par I'impulsion du carllctere
national, bannissant tout souvenir du passé, toute idée du
présent", toute crainte de I'avenir, se livrant a une délicieuse
insouciance, et trois cent mille spectateurs de tout age, de
tout sexe, suivant leUl's monvements, battant la mesure avec
les mains, oubliant la pluíe, la faim'et I'ennuí d'uiJe Jongue
aUente. Enfin tout le cortégeétant entréau Champ-de-Mars, la
danse cesse; chaque fédél'é va rejoindre sa banuiere. L'éveque
d'Autun se prépare a célébrer la messe a un autel a I'antique
dressé au milieu du Champ-de-Mars.'Trois cents pretres vell1s
d'aubes blanehes, eoupées de larges ('cinturcs t.-icolores, se
rangent au" quatre coins de rautel. L'éveque d'Autun bénjt
I'oriflamme et les quatre-vingt-trois bannieres : iI entonne le
Te Deum. Douze c~ts mllsiciens exé!:utent ce cantique.
Lafayctte, a la téte de l'étal-major de la miliee pal'isienne el.
des députés des armées de terre el de mer, monte a I'autel,
et jure, au nom des tI'oupes et des fédérés, d'etre fidele a la
nation, a la loi , au roí. Une décharge de quatre piecl's de ca-
non annonee a la Francece serment solennel. Le~ donze ceHls
musiciens font relentir rair de chants militaires; les úra-
peaux, les hannieres s'agitent; les sabres tirés élincellent. Le
présiúent de I'assemblée nationaJe répete le meme serment.
Le peuple el les députés y répondeQt:'par des cris de je fe
jure. Alors le roí se leve, et prononce d'une voix forle : .l'doi,
roí ,des Franr¡ais, fe jure d'employer le poltvoir que m'a
délégué {'acle constitutionnel de l'etal> a maintenir la
constitution decrétét' par ¡'assemblée nationale el accepté{'
par mot. La reine prenJ le dauphin dans ses bras, le pré-
sente au peuple, et dit : ralla mon .fi/s; ii se réllnit> otn,!'i
'lile moí, dans ces memes sentiments, Ce mouvel1lcnt i/lal-




El' PIJ.;CRS JUSTIF1CATIV1(S. 403
tendu futpayé pn mille cri~ !le Vive le roi, Vive la reine,
Vive M. le Dauphin ! Les caoons continuaieot de meler leurs
sons majestueux. aux ~ons gl,lerriers des iJ;lstruments mi li-
taires et aux aeclamaliolls du peuple; le temps S:était éclairci :
le soleil se montrait dans tout son éclat; il semJ::¡lait que l'Éter-
nel meme voul"'t etre témoin de ce mutuel epgagement, et le
ratifier par sa présence .... Olli, il le vit, il l'entendit; et le5
maux affreux qui depuis ce jour n'ont cessé de désolljr la
France, (, Providence toujours active et toujours fidcle! sont
le juste chlitiment d'un parjure. Tu as frappé et le monarque
el les sujets qui ont violé leur serment!


« L'enthousiasme el les fetes ne se bornerent pas au jour
de la fédération. Ce fut, pendant le séjour d'es fédérés a París,
une suite continuelle de repas, de dan ses el de joie. 00 alla
encare au Champ-de-Mars; on y but, on y chanta, on y dausa.
M. de Lafayette pasSa en revue une partie de la garde nalio-
nale des déparlemenls et de l'al'mée de ligne. Le roi, la reine
et M. le dauphin se trouverent a eeHe revuc. lis y furf,Pl.
accueillis avec acclamations. La reine donoa, d'unair gracieux,
sa majn a bajser aux fédérés ,leur montra M. le dauphio. Les
fédérés, avanl de quitter la eapitale, allcrent reodre le~rs
homruages au roí; tous lui témoigllcrent le plus profond res-
peet, le plus eutier dévouement. Le ehef des B"etons mit un
genou en terre , et présentant sou épée 11 Louis ~VI : « Sire ,
je vous remets, pure .et sacrée, l' épée des fidilles Breto.ns :
elle ne se teindra que du sang de vos ennemis. --.Cette épée
ne peut etre en de meilleures majns que<' dalls les majns de
mes chers Bretons, répondit Loujs XVI en relevant le ehef
des Bretons et en lui rendant son épée; je n'ai jamais dOUlé
de leur tendresse et de leur fidélité : assurez-Ies que je suis 1 ..


:),6.




NOTES


pere, le fl'ere, I'ami de tous les Franc¡ais. » Le roi, vivement
ému, sen'e la maio du chef des Bretoos et !'embrasse. Un
attendrissement mutuel prolon¡;e quelques instants cette sdme
touchante. Le chef des Bretoos reprend le premier la paroJe :
" Sire, tous les Fraoc¡ais, si j'en juge par nos creurs, vous
chérissent et vous chériront, parce que vous etes un roí ci-
toyen .•


«La municipalité de Paris voulut aussi dO,nner une rete
, aux fédérés. 11 y eut JOUle sur la rivierz, feu d'arlifice, iIlu-
mination, hal el rafraichissement a la halle au hlé, bal sur
I'emplacement de la Bastille. On lisait a I'entrée de I'enceintc
ces mots en gl'OS caracteres: Id ,'on danse; rapprochement
heureux qui contrastait. d'uoe m!lniere fl'appanle avec 1'ao-
tique ¡mage d"horreur el de désespoir que retra"aít le sou-
veoir de cette odieuse prison. Le peuple allaít el venaí! dc
l'on a I'alltre endroit, sans trouble, sans embarras. La poliee,
en défendant la circulation des voitures, avait prévenll les
M:cidents si communs dans les feles, et anéanti le brllit Lu-
lIlullueux des chevaux, des 'roues, des cris de Gare; hruit
qui fatigue, étoUl'dít les citoyens, leur laisse a chaqlle inslant
la cninte d'elre écrasés., el donne a la rete la plus brillante
el la mienx ordonnée I'appal'ence el'une fuite. Les fetes pu-
bliques sont essentiellement ponr le peuple. Cest lui seul
qu'on doit l;Ilvisage\'. Si. les riches venlent en parlage!' les
plaisirs, qu'ils~ se fassent peuple ce jou\' -la; ¡Is y gaO'neront
des sensations ¡nconnues, et ne lroubleront pas la joie de
leurs concitoyens.


« Ce rut anx Champs - Élysées que les hommes sensibles
jonirent avec plus de satisfaclion de celte charmanle fete po-
pnlaire. Des corrlolls de lumieres pendaient a IOll~ les arhr('s,




ET PIIlCES JUSTIFICATIVES. 405
des guirlanc:les de lampions les enlac;aient les UIlS aux autres;
des pyramides de feu, placées de distance en distallce , l'épan-
daient un jour pUl' que l'énOl'me masse des ténebres environ-
nantes rendait cncore plus éclatant par son contraste. Le
peuple remplissait les allée~ et les gazons. Le bourgeois, assis
avec 5a femme au milieu de ses enfants, mangeait, t~ausait,
se promenait, et sentait doucement son existence. lei, des
jeunes filies et des jeunes gar\ions dansaient au son de
plusieurs orcheslres disposés dans les clairieres qu' on avait
ménagées. Plus loin, quelques mariniel's en gilet el en calec;on,
entoul'és de groupes nomhreux qui les regardaient ave e inté-
ret, s'effor.,;aient de grimper le long de grands mats frottés de
savon, et de gagner un' prix résel'vé a celui qui parviendrait
a enlever un drapeau tricolore attaché a leur sommet.ll fal-
lait voir les ril'es prodigués a cellX qui Re voyaient contraints
d'abandonnel' l'entreprise, les encouragements donnés a ceux
qui plus heureux ou plus adroits, paraissaient devoÍl' attein-
dre le hut .... , Une joie douce, sentimentale, répandu'e sur
tous les visages, brillant da'lls tOIlS les yellx, l'etrac;ait les
paisibles jouissances des ombres heureuses dan s les Champs
Élysées desanciens, Les robes hlanches d'une multitude de
femmes, el'l'ant sous les arbres de ces belles allées, augmen-
taient eucore l'i\Iusion .•


( Ferrieres, tome 2 ,p. 89. )




NOTES


NOTE 18, PAGE 274.


M. de TalJeyrand avait prédit d'une maniere tres-remar-
quable les résultats financierl! du papier-monnaie. Dans son
discours il mohtre d'abord la natUl'e de cette' inonnaie, la
cal'3ctérise avec la plus grande justesse, el démontre les rai-
sons de 5a prochaine infériorité.


" L'assemblée nationale, dit~i1, ordonnera-t-elle une émis-
SiOll de denx milliards d'assignats - monnaie? On préj uge de
CeUe seconde émission par le succes de la premiere, mais 01'1
ne veut pas VOil' que les besoins du commeree, ralenti par la
révolution , ont du faire aeelleillir avee avidité nolre premier
numéraire eonvehtionnel; et ces besoins étaient"tels, que dans
mon opinion, il eut élé adopté ce numéraÍt'e meme quand il
n'eut 'pas été forcé: faire militer ce premier succes, quimeme
n'a JXls été éomptet, puisque les assignats perdent, en fave"U\"
d'nDe seconde et plus ample émisliioh, e'est tI'exposer a de
grands dangers; ear I'empire de la lo¡- 11 sil mesure, et eette
mesure e'est l'ibtéret que les hornmes ont a la respecter ou
a I'enfreiudre,


• Sans doute le~ assiguats auront des cal'aeteres de sureté
ql1e n'ajamais eus aucun papiel'-monnaie; nul n'aura été créé
sur un gage aussi précieux, revelu d'une hypolbeque aussi
solide: je suis loin de le nicr. L'assignal considéré comme
titre de créance, a une valeur positive et matérielIe; cette




Jél' PIECES JU5TlFICATIV 1-:~,


valeul' de I'assignat est précisémenl la meUlt: que celle du
domaine qu'il représente; mais cependant il fau! convenir
avant tout, que jamais auelln papier nalional ne marchera de
pail' avec les métaux; jamais le signe supplémentail'e du pre-
miel' signe rcprésentalif de la richesse, n'aura la valeur exacte
de son modele: le litre meme constate le bcsoin, et le besoin
porte erainte el défianee autour de lui,


• Pourquoi I'assignat-monnaie sera-t-il toujours au-dessou5
de l'argent? C'est d'abord parce qu'on doutera toujours de
I'application exacte de ses rapports entre la masse des assi-
gnats el ce He des hiens nationaux; c'est qu'on sera long-temps
incertain sur la consommation des ventes; c'est qll'on ne
COD(,oit pas a (¡u elle époque deux milliards d'assignats. repré-
sentant a pen pres la valeur des domaines, se trouveront
éteints; c'est paree que, l'argent étant mis en concurrence
avec le papier, I'un et l'autre deviennent marchandise; et plus
une marchandise est ahondante, plus elle doit perdre de son
prix; c'est qu'avec de l'argeut un pourra toujours se passer
<l'assignats, taudis qll'il est impossi/lle avec des assignats de
se passer dJargent; et heu.'eusement le besoin absolu d'argent
conservera dans la circlllation qllelque espece, cal' le plu5
g.'and de lous les maux serait d'en et.'e absoluffieot privé, ,


Plus loin l'orateur ajoute :
• Créer un assignat-monnaie, ce n 'est pas assurément repré-


senter un métal-marchandise, c'est uniquement représenter
un métal-monnaie : 01' un métal silllplement monnaie De peut,
qllelque idée qu'on y attache, rep,'ésenter celui qui est e/l
meme temps mOllnaie et marehundise.L'assignat-monnaiE',
{Iuélque sur, quelque solide qu'i1 puissc et."c, est done une
abstraction d., la monnaie métallique; il n'esl done que 1,




408 NOTllS
signe libreou foreé, non pas de la richesse, mais simplement
du crédito JI suÍl de la que donner au papier les fonetions de
monnaie, en le rendant, eomme I'autre monnaie, intermé-
diaire entre tous les objets d'échange, e'est changer la quautité
reeounue pour unité, autrement appe1ée dans eette matiere
f halan de la monnaie; e'est opére"r en un moment ce que
les siecles opereñt a peine dans uu état qui s'eurichit; et si,
ponr empruliter l'cxpression d'uu savant étranger, la monnaie
fait a l'égard du prix des cboses la meme fonction que les de-
grés, minutes el secondes a )'égard des angles , ou les échelles
a I'égard des cartes géógraphiques ou plans que/conques. je
demande ce qui doit résu/ter de cette altération dans la me~
surc commune. »


Apl'es avoir montré ce qu'élait la monnaie nouvelle, M. de
Talleyrand prédit avee une singuliere préeision la confusion
qui en résulterait dans les transaelions privées :


" Mais enfin ~uivons les assignats dan s leUl' marche, et
voyons quelle route ils auront a parcouril'.1I faudra done que
le eréaneier remboursé aehete des domaines avee des assi·
gnats, on qu'il les garde, ou qu'illes emploie a d'autres ae-
quisit!)ns. S'jl aehete des domaines, alors votre but sera
rempli :je m'applaudil'ai avec vous de la eréation des assignats,
paree qu'ils De serom pas disséminés dans la eireulation,
paree qu'enfin ¡ls n'~uronl" fait qué ce que je vous propose
de donner aux créanees publiques, la faculté d'etre échangées
eontre les domaines publics. Maí~ si ce créaneier défiant pré-
Jere de perdre des intérets en conservant un litre inaetif; mais
s'il eonvertit des assignats en métaux pour les enfouir, ou en
effets sur l'étranger pour les ll'ausporter; mais si ces demieres
classei sont beaueoup plus nombreuses que la premicre; si,




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 4°9
en un mol, les assigoats s'arretent long-temps daos la circu-
latioo avaot de venir s'anéantir dans la caisse de l'extmordi-
naire; s'ils parvieooeot forcemenl el séjourneot dans les maios
d'hommes obligés de les recevoir au pair, et qui, ne devaot
rieo, oe pourront s'eo servir qu'avec perte; s'ils soot I'occa-
sioo d'uoe grande iojustice commise par tous les déhiteurs
vis-a-vis les créanciers antérieurs, a recevoir les assignals au
pair de I'argent, taodis qu'elle sera démeotie dans l'efret
qu'elle ordonne, puisqu'il sera impossihle d'obliger les ven-
deurs a les prendre au pair des especes, e'est-a-dire sans
augmenter le prix de leurs marehandises en raison de la perte
des assignats j alors eombien eette opération ingénieuse aurait-
elle trompé le patriotismede ceux dont la sagacité 1'a présentée,
et dont la bonne foi la defend j el a quels regrets in('.Ollsola-
bIes oe serioos-oouspas eondamnés!»


On oe peut done pas dire que I'assemblée constituallle ait
complétement ignoré le résultat possible de sa détermina-
tioo; mais a ces prévisions 00 pouvait opposer une de ees
réponses qu'ou n'ose jamais faire sur le momept, mais qui
seraient péremptoires, el qui le devieonent daos la suile:
cette réponse élait la nécessité; la néeessité de pourvoir aux
finaoces, et de diviser les propriétés.


r




410 NOTES


....... ~._------'------_ .......... ~--_ .... ,,-


NOTE 19, PAGE 281.


11 n'est pas possible que sur un ouvrage composé collecti-
vement, et par un grand nombre d'hommes, il n'y ait divel'-
sité d'avis. L'unanimité n'ayant jamais lieu, excepté sur
certains poiots tres- raees, il faut que chaque paetie soít
improuvée par ceux qui ont voté cootre. Ainsi chaque a.'¡iclc
de la constitutioo de 91 devait trouvel' des improhateurs
dans les auteurs meme de celte constitutionj mais néanmoins
l'ensemble était leuI' ouvrage eéel et incontestable. Ce qui ar-
.'ivait ici était inévitable dans tout corps délibérant, el le
moyen de Mirabeau ll'était qu'une supercherie. 00 peut
meme dire qu'il yavait peu de délicatesse dans son procédé;
mais il faut heaucoup excuser chez un eh'e puissaot, désor-
donoé, que la moralité dn but reud tres-facile sur celle des
moyens; je dis moralité du but, cal' Mirabeau croyait síuce-
rement a la nécessité d'lIne constitution modifiée; et bien
que son ambition, ses pet.it~5 rivalités personllelles contri-
buassent a J'éloigller du parti populaire, il était sincere daos
5a crainte de l'anarchie. D'autres que lui redoutaient la COUl'
et J'aristocratie plus que le peuple. Aiosi partout il y avait
selou les positions des craiutes différentes, e! partoo! v.'aies,
La conviction change avec les points Je vue, et la moralité,
c'est-a-dire la sincé .. ité, se trouve également dans les cotés
les plus opposés.




ET 1'1iCllS JUSTIFICATIVES.


NOTE 20, PAGE 286.


Ferrieres, témoin oculaire des intrigues de eeUe époque,
rapporte lui-meme celles (¡ui furent employées pour empechet·
lil ~erniént de~ pretres. Celte page me semble tt·op caractéris-
tique pour n'etre pas cit{e:


.. Les éveques el les révolutionnaíres s'agiterent et intri-
guerent, les uns pour faire preter le serment, les autres pour
empecher qu'on ne le pretat. Les deux partis sentaient I'in-
fluence qu'aul'aít dans les provinces la conduite que tien-
draíent les ecclésiastiques de I'assemblée. Les éveques se
rapprocherent de leurs curés; les dévols et les dévotes se
mirent en mouvement. Toutes les conversations ne roulerent
plus que sur le serment du dergé. Ou eut dit que le destín
de la France et le sort de tous les Fran<,¡ais dépendai~nt
de sa prestation ou de sa non-prestalion. Les hommes les
plus libres dans leurs opinions religieuses, les fernmes les
plus décriées par leurs mreurs, devínrent tOlll-a-coup de sé-
yereS théologiens, d'ardent5 missionnaires de la pureté et de
l'íntégl"Ílé de la foi romaine .


• Le J oumal de Fontenay, l' A mi du roi> la Gazette de
Durosoir, employerentleurs armes ordinaires, l'exagération,
le mensonge, la calomnie. On répandit une foule d'écrits
dans lesquels la constitution civile du c1ergé était traitée de
schismatique, d'hérétique, Je destructive de la religion. Les
dévotes colporterent des écrils de maison en maíson; elle~




NOTES


priaient, cOlljuraient, menac;aiellt, selon les penchallls et les
caracteres. On montrait aux uns le clergé triomphant, I'IIS-
scmblée dissoute, les ecclésiastiques prévaricateurs dépouillés
de lellrs bénéfices, enfermés dans leurs maisolls de correc-
tioos; les ecclésiastiques fideles couverls de gloire, comblés
de richesses. Le pape allait lancer ses foudres sur uue as-
semblée sacrilége et sur des pretres apostats. Les peuples
dépourvus de sacremeots se souleveraient, les puissances
étrangeres entreraient en France, et cet édifice d'iniquité
el de scélémtesse s'écroulerait sur ses propres fondements. »


( Ferrieres, tome 2, page 198. )




()


ET PIECES JUSTIPICATIVES. 413


NOTE 21, PAGE 291.


M, Fromont rapporte le rait suivant dans son écrÍI déjil:
cité:


« Dans ces circol1stances, les princes projetaient de former
dan s l'intérÍeur du royaume, aussitot qu'ils le pourraient,
des légions de tous les fideles sujels du roi, pour s'en servil'
jusqu'au moment on les troupes de ligne seraien! entierement
réorganisées. Désireux d' etre 11 la tete des royaJistes q ~e
j'a"ais dirigés et commandés en 1789 et 1790, j'écrivrs a
Monsieur, lomte d' Artob, pour supplier son altesse royale
de m'accorder un brevet de colonel-commandant, cone;;u de
maniere que tout royalisle qui, comme moi, I'éunirait sons
ses ordres un nombre suffisant de vrais citoyens pour for-
mel' une légion; pul se flatter d'oblenir la meme fayeur,


Monsieur, eomte d' Artois, applaudit a mon idée, et ac-
cueiUit favorablement ma demande; mais les membres du
conseil ne furent pas de son avis: i1s trouvaient si étrange
qu'un hourgeois prétendlt a un brevet militaire, que I'un
d'enx me dil avec humeur: Pou~u(/i ne dcrrcrmdez-vOIlS
pas un évéché? J e nc répondis a l' observateur que par des
éclats de rire qui déconcerlerent un peu sa gravité, Ce-
pendant la queslion fuI débattue de nouveau chez M, de
Flaschlandcn; les délibéranls furent d'avis de qualifier ces
nouveaux l'orps de ltigions bourgeoises. Jc Icur ohsenai :
• Que sous ceUe dénomination ils recl'éel'aient simplement les




NOTES


"gardes nationales; que les princes ne pourraient les faire
" marcher partout ou besoin serait, paree qu'elles pl'éten-
,< draient n'etre tenues de défendre que leurs propres foyers;
" qll'il était a craindre que les factieux ne parvinssent a les
"mettre aux prises avec les trollpes de Iigne; qu'avee de
" v~ mots ils avaient armé le peuple contre les dépositaires
« da'autorité publique; qu'il serait done plus. politique de
~ suivre leur exemple, et de donner 11 ces nouveaux corpa la
« dénomination de milices royales; que, •. »


"M. l'éveque d'Arras m'interrompant brusquement, me
dit : « Non, non, Monsieur, iI faut qu'jl y ai! du bourgeoú
« dan s votre brevet; " el le baron de Flachslanden, qui le
rédigea, y mit du bourgeoi¡. »
(Recueil de dil'ers écrits relotift a la rél'olution, pClg. ,62, )




...... ,$ .......... Z4~ .... --~~u .. ~-------------------~


Kl' prECES lUS'l'lFICATIVES.


NOTE 22, PAGE 321.


Voici des détails sur le retour de Varennes, que madame
Campan tenait de la bOliche de la reine meme :


« Des le jour de mon anivée, la reine me lit entrel' dan»
son cabinet, pour me dire qu'elle auraitgl'and besoin de moÍ
pOlJl' des reJations qu'elIe avait établies avec MM. l\arnave,
Duport et Alexandre Lameth.Elle m'appril que M, J" ••
était son intermédiaire avec ces débris du partí constÍtution-
nel, qui avaient de bonnes intentions malheureusement trop
tardives; el me dit que Barnave étaÍt un homme digne d'ins-
pirer de I'estime. Je rus étonnée d'entendre prononeer ce
nom de Barñave avec tant de bienveillance, Quand j'avais
quitté París, un grand nombre de personnes n'en parlaient
qu'avec horreur. le luí lis cette remarque; elle ne s'en
étonna point, maÍs elle me dit qu'il était hien changé; que
ce jeune homme, plein d'esprit el de sentÍments nobles, était
de ceUe c1asse distinguée par l' éJucation, et seulement égarée
par I'ambition que fait naltre un mérite réel. "Un sentiment
" d'orgueil que je ne sauraÍs trap blamer dans un jeune
« homme du tiers-état, disait la reine en parlant de Barnave,
" lui a fait applaudir a tout ce qui aplanissait la route des
" honneurs et de la gloire pour la c1asse dans Jaquelle il est
« né : si jamais la puissance revient dans nos maios, le par-
o don de Bal'Uave est d' avance él'rit dans nos creul'S. " La
reine ajoutait 'lu'il n'en était pas de meme a I'égard des 110-




NOTES


bies qui s'élaientjetés dans le parti de la révolution, eux qui
oblenaient toules les faveurs, et souvent au détrimenl des
gens d'un ordre inférieur, parmi lesquels se trouvaient les
plus grands talents; enlin que les nobles, ués pour etre le
rempart de la mouarchie, étaienl trop coupables d'avoil'
trahi sa cause pour eu mériter leur pardon. La reine m'e-
tonnait de plus en plus par la chaleur avec laquelle elle jus-
tiliait I'opinion favorable qu'clle avait con<¡ue de Barnave.
Alors elle me dit que sa conduite en route avait été parfaile,
tandis que la rudesse répuhlicaine de Pétion avait éte ontra-
geante; qu'il mangeait, buvait dans la herline Ju roi ayec
malpropl'ete, jetant les os Je volaille par la POI'liere, au ris-
que de les euvoyel' j.usque sur le visage du roi; haussant son
velTe, sans dire un mot, quand madame Élisahelh Ini versait
du vin, pour indiquer qu'il en avait assez; que ce ton of-
fensant était calculé, puisque cet homme avait re<¡u de I'e-
ducation ; que Barnave en avait été révolté. Pressé par la
reine de prendre quelque chose : « Madame, répondit
Barnave, lea dépntés de I'assemhlée nationale, dans une cir-
constanee aussi solennelle, ne doivent oecuper Vos lUajcstés
que de leur mission, el nuHement Je Icurs hesoios.» Eofin
ses respectueux égards, ses attenlions délicates el toute. ses
paroles avaient gagné non-seulement sa bienveillancc, mais
ceHe de madame Élisabeth.


« Le roi avait commencé a parler a Pétion sur la situation
de la Ft'ance el sm' les molifs de sa conduite, qui étaient
fondés sur la nécessité de dono el' an pouvoir exécutif une
force nécessaire a son action pour le bien meme de I'acle
coostitutionoel, puisque la Yrance ne pouvait elre répuhli,-
qne .... " Pas encare, a la vérité, lui répollftit Pélioll , paree




e •


ET PIECES JUSTIFICATIVES.


u que les Fran4?ais ne sont pas assez mius pOut· Cf>la. " Cette
audacicusc et cruelle réponse imposa silence au mi, 'luí le
garda jllsqu'il son arrivée a París. Pétion tenait dans ses ge-
noux le petit dallphin ; il se plaisait il roulel' dan s ses doigt,
les beaux cheveux hlonds de l'intéressant enfant; et, par-
lant avec action, il tiraít ses boudes assez fort pOllr le faire
crier .... "Donnez-moi mon fils, lui dit la reine; il est aeeoll-
" turné 1\ des soins, a des égard5 qui le disposent peu a tant
" de familiarités."


" Le chevalier de Dampierre avait été tué pres de la voi-
ture du roi, eu sortant de Varennes. Un pauvre curé de vil-
lage, a quelques lieues de l'cndroit ou ce crime venait d'etre
commis. eut l'imprudence de s'approeher pour parler au roí;
les can ni hales qui environnaíent la voiture se jettent mI"
lui. « Tigres, leur cria Barnavc, avez-volls cessé d'elre Fran-
" 4?ais? Nation de braves, etes-vous devenus un peuple d'as-
" sassíns? . .• " Ces seules paroles sauv€rent. d'une mort
certaine le curé déjit terrassé. Barnave, en les pronon~.mt,
s'était jeté presque hon de la portiere, et madame Élísabeth,
touchée de ce nohle élan, le retenait par son hahit. La reine
disait, en parlant de cet événement, que dans les moments
des plus grandes erises, les contrastes bizarree la frappaient
toujours; el que, dans ceUe cireonstanee, la pieuse Élisa-
beth, retenallt Barnave par le pan de son habit, lui avaít
par u la chose la plus sUl·prenante. Ce député avait épl'OuvP
UIl autre genre d'étonnement. Les dissertatiolls de mactame
Élísabeth sur la situatian de la Frallce, son éloquencc douce
et persuasive, la noble sirnplieité avee laquclle elle entrete-
nait Barnave, sans s'écarter en rien de sa dignité, tout. luí
I'arnt céle,te dans cette divine princesse, el son creur dispos,'


1.




NOTES


~ans Joute it de nobles sentiments, ~'il n'ellt pas su,vi le che-
min de ['cITeur, fut soumis par la plus tOllchante adllliration,
La conduite des deux déplltés fit connailre a la reine la sé-
pal'alion tolale entre le parti républicain el le parti coustitu-
t.ionnel. Dans les auberges ou elle descendait, elle eut qllelqnes
entretiens particllliers avec Bamave,· Celui-ci parla beaucollp
des fautes des royalistes dans la I'évolution, et dit qu'i! avait
tmuvé les intérets de la cour si faiblement, si mal défendus,
qu'il avait été tenté plusieurs fois d'aller lui offr;r un athlete
courageux qui eonmil l'esprit du siecle et celui de la nalion,
La reine lui demanda quels anraient élé les lIloyens qn'il lui
am'ait eonseillé d'employer. - « La populal'ité, Madame. - Et
• comment pouvais-je en avoir? repartit sa majt'sté ; elle
" m'était enle-ree. - Ah! Madame, il vous était bien plus fa-
« cile a vous de la conquél'ir qu'a moi de I'obteni ... )) Cette
assertion fournirait matiere a commentaire; je me home a
rapporter ce curieux entrelien. ))
( Memoires de madmne Campan, tome 2, pages 150 el
suil'antes.)




ET PÚ:CES .TUSTIFrCATIVES.


NOTE 23, PAGE 325.


Voic~ la l'éponse elle.meme, oUVl'agc de Barnave, et modele
de raison, d'adresse et de dignité.


(( Je vois, Messieurs, dit Louis XVI aux commissaires, je
" vois par l'objet de la mission qui vous est donnée, qu'il ne
(( s'agit point ici d'un interrogatoire; ainsi je veux bien ré-
(( pondre allx désil's de l'assemblée . .Te ne craindrai jamais de
(( remIre publics les motifs de ma conduite. Ce sont les ou-
(( trages et les menaces qlli m'ont été faits a ma famille et a
(( moi, le r8 avril, qui sont la cause de ma sortie de París.
(( Plusieul's éCI'its ont cherché a provoquer les violellces con-
(( tre ma personne et contre ma famille . .rai crll tjll'il n'y
(( avait plus de sureté ni meme de décence pour moi de reste¡'
« plus long-temps dans celte ville. Jamais mon intention n'a
(( été de quirter le royaume¡ je n'ai eu aucun concer! sur cet
« objet, ni avec les puissauces étrangeres, ni avec mes parents,
« ni avec,aucun des Fran'5ais émigrés. Je puis donne¡' (n
(( preuve de mes intentions que des logements étaient prépal'és
" a Montmédy pour me recevoir. J'ayais choisi ceUe place par·
« ce qu'étant forli6ée, ma famille y serait plus en sureté;
« qu'étant pres de la frontiere, j'aurais été plus a portée de
" m'opposer a toute espece d'invasion en France, si on avait
" VOUlll en tenter quelqu'nne. Un de mes principallx motifs,
(( en quittant Paris, était de faire tomber l'argnment de ma
., non-liberté: ce qui pouvait fOl1rnir une occasion de 11'011-




NOTES


" bies. Si j'avais eu l'intention de sortir du royaume, je n'au-
« rais pas publié mon mémoire le jour meme de moo départ;
« j'aurais aUendu d' etre hol's des fl'ontieres; mais je conser-
" vais toujours le désir de retourner a Paris. C'est dans ce
" sen s que ron doi! entendre la derniere phrase de mon mé-
" moire, daos laquelle il est dit ; Fran~ais, et vous surtout,
" Parisiens, quel plaisir n'aurai-je pas a me retrouver au mi-
• lieu de vous! ... Je n'avais dans ma voiture que trois mille
« louis en 01' et einquante-six mille livres en assignats. Je
« n'ai prévenu Monsieur de mon départ que peu de temps au-
« paravant. Monsieur n'est passé dans le pays étranger que
« paree qu'il était convenu avec moi que nous ne suivrions
« pas la meme l'Oute ; il devait revenir en France apres moí.
" Le passe-port était nécessaire ponr faciliter mon voyage; il
« J;l'avait été indiqué POut· le pays étranger que paree qu'on
" n'en 8.onne pas au bureau des affaires étrangeres pour rin-
« térieur dll royaume. La route de Francfort n'a pas me me
« été suivie. Je n'ai fait aueune protestation que dan s le mé-
" moire que j' ai laissé avant mon départ. Cette protestation ne
" pOl'le pas, ainsi que son eontenu l'atteste, sur le fond des
" prindpes de la eonstitution, mais sur la forme ,des sane-
e' tions, c'est-a-dire, sur le peu de liberté dont je paraissais
" jouir. el su\, ce que les décrets, Il'~y;¡pt pas été présentés en
" masse, je ne P!U1Vaia jl,lger dlll'ensemble de la i;ollstitution.
" Le principal reproche eontenu daus le mémoire se I'ílpporte
« aux difficultés dan s les moyens d'admillistration et d'exé-
" cution. J'ai reconnu dans mon voyage que l'opinion pubJi-
" que était décidée en faveur de la eonstitlltion; je ne eroyais
" pas pouvoir juger pleinement eette opinion publique a
~ Paris; mai~ dans les nolions que j'ai l'ecueillies personnel-




ET prECES JUSTIFICATIYES.


« lement pendant ma route, je me suis convaincu combien il
" e&t nécessaire au soutien de la constÍtution de donne!' de la
" force aux pouvoi!'s établis pou!' maintenir l'ordre public.
« Aussitót que j'ai reconnu la volonté générale, je n'ai point
" hésité, comme je n'ai jamais hésité it faire le sacrifice de
« tout ce qui m'est personnel. Le bonheur du peuple a tou-
" jours été I'objet de mes désirs. J'oublieraí volontíers tous
" les désagrémenti que j'ai essuyés, sí je país llssurer la pail(
« et la félicíté de la natíon. "




4:12 NOTES


NOTE 24, PAGE 338.


----~.-


Boujllé avajt un ami intime dans le eOlule de Gouvernel;
et, quoique leur opinion ne fut pas a beaucoup pres la memc,
ils a\'aient beaucoup d'estime l'nn pour I'autre. Bouillé, qlli
ménage peu les constitutionnels, s'exprime de la maniere la
plus honorable a I'égard ue M. de Gouveroet, et semble lui
accorder toute confiance. Pour donner dan s ses mémoires une
idée de ce qui se passait dans ¡'assemblée 11 celte époque, ji
cite la leUre suivante, écrite a lui-meme par le comte de Gou-
veroet, le' 26 aout 1791 :


" J e vous avais donné des espérances que je n'ai plus.eette
" fatale constitution, qui devait etre revisée, améliorée, ne
« le sera pas. Elle restera ce qu'elle est, un code u'anarehie,
• une source de calamités; et notre malheureuse étoile fait
" qu'au moment oa les uémocrates eux-memes sentaient une
" partie de leurs torts, ce sont les aristocrates qui, en leur
• refusant leur appui, s'opposeut a la réparation. POllr vous
« éclairer, pour me justifier vis-a-vis de vous, de vous avoir
" peut-étre uonné un iaux espoir, iI faut reprendre Ie~
" cboses de plus haut, et vous dire tout' ce qui s'est passé,
« puisque j'ai aujourd'bui une occasion sure pour vous écrire.


« Le jour et le lendemain du départ du roi, les deux
., cótés de l'assemblée resterent en obscrvation sur leurs
" lUouvemenls respcctifs. Le parti populairc était fOl't COIlS-




ts EL se 44


ET PIEf:ES JUSTIFICATn-ES.


" lerné; le partí royaliste fort inquieL La moindre illdiscrétion
" pouvait réveiller la [urenr du pellple. Tous les membres
" du coté droil se turent, el ceux du colé gauche laisserent
" a leurs chefs la propo~ition des mesures qu'ils appelercnt
" de úlrelé, el '1ui ne fureul contredites par personne_ Le
• second jour du départ, les jacobins devinrenl mena~ans,
" el les constitutionnels modérés. Ils élaicnt alors el ils 30nt
" encore bien plus nombreux que les jacobins. lis parlerent
" d'aceommodement, de dépu~alion au roi. Deux d'entre eux
" pl'Oposercnt a M. 1\lalouet des conférences 'luí devaient
" s'ouvrir le lendemain; mais no apprit I'arrestation du roi,
" et il n'en fut plus questioo. Cependant, leurs opinions s'é-
" tant manifestées, ils se virent par la mcme séparés plus
/( que jamais des enragés. Le retour de Barnave, le respeet
" qu'il avait témoigné au roi el a la reine, tundis que le féroce
" Pélioo insultait a leurs malheurs, la recoonaissance que
" leurs majestés rnarquerenl a Barnave, ont changé en quel-
/( que sorte le ereur de ce jeune homrne, jusqu'alors impi-
" toyable. e'est, cornme vous savez, le plus capable el un des
/( plus influenls de son parti. 11 avait done rallié a lui les qua-
" tre cinquiemes du coté gauche, non-senlement pour sauvet'
« le roi de la furenr des jacobins, mais pOUi' lui reudrc une
" parlie de Son autorité, et lui donner aussi les moyens de se
" défendre a l'aveoir, en se tenant dans la ligue constitution-
« nelle. Quaot a eeHe derniere partie du plan de Barnave, il
« n'y avait dan s le secrt't que Lamelh et Duport; c¡¡r la
« tourbe coostitutiormelle leur iospirait encore assez d'in-
" quiétude pOUI' qu'ils ne fussent slirs de la majorité de
« l'assemblée qu'en comptant sur le cotédroit; et ils croyaient
., pouvoir y compter, IOl'sque, dans la révision de leUJ.'





NOTES


" conslilution, ¡Is donneraient plus de lalilude il l'autol'illÍ
• roya le.


" Tel était l'état des choses, 10l'squeje vous ai écril. Mais,
« tout cunvaincu que je suis de la maladresse des aristocra-
" tes et de leurs contre-sens continuels, je ne prévoyais pas
« encOJ'e jusqu'ou ils pouvaient allel'.


" Lorsqu'on apprit la nouvelle de I'arreslation 1u roi a
« Varennes, le coté droit, dans les comités secrets, arreta de
" ne plus voter, de ne plus prendre aueune part au" délibé-
" rations ni aux discussions de I'assemblée. Malouet ne fut
" pas de cet avis. 11 leur représenla que tanl que la session
« durerait et qu'ils y assisteraient, ils avaient l'obJigation des'op-
« poser activement aux mesures attentatoires a l'ordre publie
« et aux principes fondamentaux de la monarchie. Toutes ces
n instances Cm'ent inutiles; ils persisterent dans leur résolu-
« tion, et rédigerent secretcment un acle de protestation COIl-
n tre tout ce qui s'était fail. Malouet protesta qu'il continuerait
« a pl"Otester a la tribune, el a faire ostensiblement tOU5 ses
" effol'ls pour empecher le mal. 11 m'a dit qu'il n'avait pu ra-
« mener a son avis que trente-cinq a quaranle membres du
" cOlé droit, et qn'il craignait bien que cette fausse mesure
" des plus zélés myalistes n'eut les plus flmestes consé-
" quences.


" Les dispositions générales de l'assemblée étaient alors si
« favorables au roi, que, pendant qu'on le condllisait a Paris,
" Thouret étant monté a la tribllne pOlIr déterminer la lila-
" niere dont le roi serait gardé (j'étais a la séance), le plus
" gl'and silellce régnait tlans la salle et dans les galeries. Pres-
« fIue tous les députés, meme du cóté gauche, avaient I'ail'
• clJllslernés pn (>nlendallt Jire ce l(llal tléerct; mais persollnc




• •


ET pliuES JUSTU'U;ATIVES.


" ne disait rien. Le président alluit le metlre ¡¡UX voix; tout·
" a-coup Malouet se leva, et, d'un air de dignité, s'écria: -
" Qu'allez-vous faire, Messieurs? Apres avoir arre té le roi, on
« YOUS propose de le constituer prisonnier par un décret!
« Ou vous conduit cette démarche? Y pensez-vous bien? Vous
" ordonneriez d'emprisonn~r le roi! - Non! Non! s'écrie-
« rent plusieurs membl'es du coté gauche, en se levant en
" tumulte; NOlls n' entendons pas que le roi soit prisonnier;
•. el le décret allait ~tre rejeté a la presque unanimité, lors-
" que Thouret s'empressa d'ajoutel' :


• L'opinant a mal saisi les termes et I'objet du décrel.
"Nous n'avons pas plus que lui le projet d'emprisonner
" le roi; c'est pour sa surelé et celle de la famille royale que
" nous proposons des mesures. )J Et ee ne fut que d'apres ceUe
• explication, que le décret rassa, quoique I'emprisonnement
« soit dcvenu tres-réel, el se prolonge aujourd'hui sans }ludeur.


" A la fin de juillet, les eonstitntionnels, qui soup'S0n-
., 'Iaicnt la protestation du coté droit, sans cependant en
«avoir la certitude, poursuivaient mollement leur plan de
" révisfon. lIs redoutaient plus que jamais les jaeobins et les
« aristocrates. Malouet se rendít a leur comité de révision. Il
« leur parla d'abord eomme a des hommes a qui il n'y ayait
« ríen a apprendre sur les diUlgers et les vices de leur consti-
« tulion; mais illes vil moíns disposés a de grandes réformes.
« lis craignaient de perdre leur popularilé. Tárget el Duport
«argumenterent contre lui pour défendre leur ouvrage. 11
" rencontra le lendemain Chapelier et Barnave J qui refuserent
« d'abord dédaigoeusement de répondre a ses provocátíons,
" et se preterent enlio au plan d'attaque dont il allait courir
el lous les risllues. 11 proposa de discutel', dans la séance du H,


...




NOTES


« lous les point. principaux de l'acte eonstitutionnel, el d'eu
« démolltrer tous les vices. « Vous, Mcssieurs, leur dil-il,
" répondez-moi; accablez-moi d'abord de mIre indignalion;
« dé/endez votre ouvl'age avec avanlage sur les articles les
" rnoins dangel'eux, meme sur la pluralilé des points aux-
« quels s'adresscra rna censure, el, quant 11 ceux que j'aurai
" signalés eomme antimollal'chiques, comme empéchant I'acle
• du gouvernement, diles alol's que ni l'assemblée ni le
« comité n'avaient besoin de mes ohservalions 11 cet égard;
" que vous entcndiez bien en proposer la réforme, el sur-le-
C< champ proposez-Ia. Cl'oyez que c'est peut-etre notre seule
« ressource pour maintenil' la monal'chie et revenir avec le
« lemps 11 lui donner tous les appuis qui lui sont néces-
« saires .• Cela fut ainsi convenu; rnais, la protestation du
« c!llé droit ayant été connue, et sa pCl'sévérance a ne plus
" voter otant toute espél'ance aux constitulionnels de réussir
'( dans leur projet de révision , que les jacobins conlral'Íaient
« de toutes leurs forces, ils y renoncerer,L l\'~ouet, qlli
,( n'avait pas avec eux de commuuications réglllieres, n'en fit
" pas moins son attaque. Il rejela solennellement l'aete cons-
« tillltiounel eomme antimonal'chiquc, el d'une exécutíon ¡m-
" pratieable su!' plusicllrs points_ Le développement de ses
« motifs ctlrnmen<,¡aient 11 fail'e une grande impression, lors-
"que Chapelier, qui n'espérait plus rien de l'exécution de la
« convention, la rompit et eria au blaspheme, en interrom-
« paut l'orateur, et demandant qll'on le fit descendre de la
" tl'Íbllne; ce qlli fut ordollué. Lc Icndcmain il aVOlla qu'il
"avait lort; mais iI dit que luí et les sicns avaient perdu
« tonte espéranee, du moment Oll il n'y avait plus aueun se-
• cours a attendl'e du colé uroit_




.liT PIECES JUSTIFICATIV.ES.


" 11 fallait bien vous fail'c cette longuc histoire, pour que
"VOUS ue perdissiez pas toute confiance en mes pl'onostics.
" lis sont tristes maintenant; le mal est extreme; et, pour le
" répal'er, je ne vois ni au dedans ni au dehors qu'un senl
" remede, qui es! la réunion de la force a la raison. "


(Mémoires de Bouillé,pag. 282 et sall'.)


FIN U.ES NOTES DU TOl\m PREMIER.


-- l'i




••




•• ¡¡, ••••• I .......... I.Q.O ......... oa.~ ... O ... ~."' .... ".C ........... 4jII".


DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME PREMIER.


CHAPITRE l.
}:tat potitique et mOl'al de la Franee a la fin dn 1 se sil~cle.


- Avénement {le Louis XVI. -Maurepas, Tuq;ot et
Neeker ministres. - Calonne. Assemblée des notables.
- De Brienne ministre. - Opposition du parlement,
son exil el son rappel. - Le dnc d'Orléans exilé. -
Arrestation du eonseiller d'Espréménil. _ Neeker est
rappelé et remplace de Brienne.- Nouvelle asscmblée
des notables. - I)iscussions relatives ault états-géné-
raux. - Formation des clubs. - Causes de la révoln-
\ion. - Premiércs éleclion!> des déplItés aux états-gé-
nér·aux. - Incendie de la maison Réveillon. - J"e Iluc
d'Orléans; !>oJlParactere. . . • • . • . . . . • . . . . . . • . .• 3


CHAPITRE 11.
ConvocatioJl et ouverture des états-généraux. - Disclls-


sions st¡.r la vérification des pouvoirs et sur le vote par
ordreet par tete, _ L'or~re (iu ticrs-état se déelare
assemblée nationale. - La salle des états ('st fermée,
les dép"tés se rendent dans un autre local. - Serment




TAlILE DES CHAPITnES.


Ju Jeu de Paume. - Séanec royalc dll 23 juiu. - L'as-
scmblée contiuue ses ddibérations malgré les ordres du
roi. - Réllnion définitive des trois ordres. - Premiers
travaux de I'assemblée. - Agitations populaires a Pa-
riso _ Le pCllple Jélivre des gardes franpiscs eufer-
mées a J'Abbaye. - Complots Je la cour; des lrollpes
s'approchent de Paris. - Renvoi de Necker. - Jour-
nécs des 12, 13 et 14 jllillet. Prise de la Rastille. -
Le roi se rend a I'assemblée, et de la a Paris. - Rappel
de Neckcr. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ... 45


CIIAPITRE 111.
Travaux de la municipalité de Paris. - Lafayette eom-


mandant de la garde nationale; son caractcre et son
róle dan s la révolution. - Massaeres de Foulon et de
Berthier. - Retour de Necker. - Situatioll et division
des partis et de lellrs che[5. -l\'lirabeau; son caractere,
ses projets et son génie. - Les brigands. - Troubles
dans les pmvinces et les campagnes.-Nuit du 4 aoUt.
Abolition des clroits féodaux et de tous les priviléges ..
- Déclaration des uroits de I'homme. - Discllssions
sur la constitution el sur le veto. - Agitation a Paris.
Rassemblement tumultucux au Palais-Royal.. . •. 119


CHAPITRE IV.
Intrigues de la cour. - Repas des gardes-du-corps eL des


officiers du régiment de Flandre a Versailles. - JOl,lr-
nées des 4, 5 et 6 octobre; scenes f.umultueuses et
sanglantes. Attaque du chateau de Versailles par la
multitude. - Le roi vient demeurer a Paris. - État
des partis. - Le dne d'Orléans quitte la Franee. -
Négociatiolls de Mil'abe3n avec la cour. - L'assemblér


rrcrc--




~~.~-------------.--------------------------~.


TAIlLE DES CIIAI'iTHES.


se transporte il Paris. - Loi sur les hicns du elergl!. -
Serment civique. - TI'aité de Mirabeau avec la COUt·.
- BOllillé. - Affaire Favras. - Plans contre-révolu-
tioonaires.-Clubs des Jacl'bins et des Feuillants. 175


CHAPITRE V.


}~tat poJitique et dispositioos des puissances étraogeres
en 1790. - Disellssioos sur le droit de la paix et de la
guerreo _ Premicre institlltion dn papier-mollnaie ou
des assigoats. - Organisation j udiciaire. - Constitu~
tioo civile dn elergi" - ~bolition des titres de noblesse.
- Anoivet"saire dn 14 juillet. F(\te de la premicre féd{!·
ralion. - R(~volle des troures 1l Nancy. - Retraite de
Nerker. - Projets de la cour el de Mirabeau. - -For--
matioo dn c:Jmp de Jalles. - Sermeol civique imposé
aux ecclésiastiqllcS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 237


CHAPITRE VI.
Progres de l'émigration. - Le peuple soulevé attaque le


donjon de Vincennes. Conspiration des Chel1aliers da
poignard. ~ Discllssion sur la loi cnntre les émigrés. -
Mort de Mirabean. - Intrigues contre-révolution-
naires. Fuile dn roi et de sa familIe; il est alTeté ;\
Varennes et ramené a Paris. - Dispositions des })\lis-
sanees étrangeres; préparatifs des émigrés. - Déclara-
tion de Pilnilz. - Proclamatíon de la loi martiale au
Champ-de-Mars. - Le roo acccpte la constitlllion. -
CI6tnre de l'assPlllhlée constitnante .......... '. ~H9


FIN DE J._~ TABU·;.