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.HISTOIRE
DU


TOME 11.




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Les formalités prescritespar la.Ioi ayant été rempli~
les éditeurs poursulvront, COÚlme contrefacteur, tont d~ ,
hitant d'exemplaires qui ne seraient pas revetus de la
signature de M. Briere.




HISTOIRE
DES l\tVOLU'flONS POLITIQUES liT LITTtRAlllliS


DE L'EUROPE
AU


DIX-HUITIEME SIECLE,


PAR F. C. SCHLOSSER,
I'R01"llli&lH\ D'SISTOIRE A L'UIUVEl\SI'l'. D'SJ1IDJlLlIJi.RG ;


TRADUITE DX L'AL¡'EMAND


PAR W. SUCKAU,
PflOl'RSliHUR AlJ COLLÉGE ROYAL DE 5AINT-LOUI'.


PARIS,
J. L. J. BRIERE, aUB SAINT-,U'fDRX-DBS-Al\TS, l'{°68;
PONTHIEU, PALAIS ROYAL, GALERlE DE BOIS;
P. DUPONT, RUB DU-ROULOY, HOTEL DBS J'RRMES,:NI> 24.


] 8~5.






HISTOIRE
DU
, ,


DIX - HUITIEME SIECLE.


H. 11.






HIs~rOIRE
DU


, ,


DIX - HUITIE1\lE SIECLE.


LIVRE QUA.TRIEME.
RÉVOLUTION FRAN<;AISE.


CHAPITB.E PREMIER.


APER<;U DF. L'HISTOIRE DE FRANCE, DEPUIS LA GUERRE DE


SEPT ANS JUSQU'EN 1787.


l. Fin du regne de Louis XV.-I1. Commencement du
regne de Louis XVI.


I. Louis XV 1, gouverné par madame de
Pompadour, s'était rendu méprisableet od.ieux
au monde en-tier; abandonnant les affaires de
l'État pour la chasse, et abjurant toute pudeur


1 M. de Lacretelle et beaucoup d'autres écrivains, méme en
Allemagne, ont si bien caractérisé l'histoire de ce temps, que
nous nous croyons dispensés d'entrer dans les détails. Ic.i il
n'y a pas de partialité a craindre, puisque tous les partís s'eff-
tendent sur le point essentiel, c'est-a-dire sur la corruption
générale.


I.




4 HISTOIRE DH XVl11C S(ECLl~.
dans ses plaisirs, on vit bientot son regne
déplaire au peuplc, paree que les eréatu-
res de la eour avaient seules quelque erédit,
et que les ministres s'arrogeaient un pouvoir
arbitraire et despotique. Ceux qui ne jouis-
saient pas de la faveur de la cour, de quelque
condition qn'ils fussent, se virent assujétis a
une dépendance ignominieuse ; les familles les
plus considérées, surtont en province, montre-
rent au milieu du dix-huitieme siecle, dans les
différends avec le parlement, et dans toutes les
occasions ou ron voulut user de violenee, la
ferme volonté de ne pas souffrir le despotisme
nlilitaire; les habitants de Paris firent meme
paraitre leur mépris et ,leur lnécontentement
d'une maniere si visible, que Louis X V les prit
en haine l. Les impots multipliés et souvent
cxorbitants retombaient alors presque uni-


1 L'an °1750, le lieutenant de poli ce et ses agents exercerent
un pouvoir tellement arbitraire eontre les gens qu'ils appelaient
sans a"Veu , et se permirent tant el' exaetions , qu'il éclata une
révolte formelle.


La maison du lieutenant de poliee fut forcée; iI se réfugia
lui-meme ehez le président du parlement, qui parvint él apai-
ser les mutins. Les exécutions les plus erueUes suivirent eette
explosion du mécontentement publico Louis XV affecta d'é-
viter la capitale, et la nouvelle route qu'il fit faire par Saint-
Denis, pour ne pas ctre obligé de traverser Paris en alIant
de Compiegne a Versailles , fut nommée le chemill de la ré-
polte.




LIV RE IV, CHAP I'rRE I. 5
quement sur les classes inférieures, dépour-
vues de tout moyen de résistance.


Les biens-fonds étaient ou dans les mains
des classes privilégiées de la noblesse et du
clergé, ou ne pouvaient ~tre que difficilement
chargés de nouveaux impots parce qu'il fallait
que les parlements voulussent bien les en re-
gistrer. La cour, pour son malheur, fut penaant
la seconde moitié du dix-huitietne siecle jus-
qu'a la révolution toujours en guerre ouverte
avec le parlement, tantot a cause des jansé-
nistes, tantot a cause des impots. Les disputes
sur le jansénisme éclaterent de nouveau en
1752, lorsque le curé de Saint-Étienne refusa
les sacrements au duc d'Orléans, grand-pere de
Louis-Joseph-Philippe; le parlement dé clara
formellement que la bulle Unigenitus n'é-
tait point un article de foi , et le conseil
d'État révoqua cet édit. COlnme le clergé et
le parlement balan({aient alors a eux senls le
pouvoir des ministres, la conr et le ministere
voulurent profiter de cette occasion favorable,
ou ponr opprimer le clergé par la puissance
des parlelnents, ou pour porter a ceux- c'i un
coup funeste sans irriter le peuple. Le ministre
des ,finan ces , Machault, penchait pour la
premiere idée, legarde-des-sceaux, d' Argen ...




G HISTOIRE DU XVlIl(' Sd:CLE.
son, était pour la derniere. Tant que la cour
se mela des affaires religieuses, la querelle
entre les parleJllents et l~ parti jésuitique dn
haut clergé s'échauffa. de plus en plus.


Le parlerpent convoqua les pairs dans son
assemblée; le roi leur défendit de s'y rendre;
ils murmurerent, et le prince de Con ti s'éleva
hautement contre cet acte de la cour. Le par-
lement attaqua le ministere, parla de son
pouvoir usurpé, voulut examiner le droit que
s'arrogeaient les ministres de faire expédier
par le roi des leUres de cachet dont le minis-
tere et les courtisans faisaient alprs un fré-
quent emploi. Les orateurs de l'opposition se
prononc~rent ameremeht, dan s les assemblées
parle~entaires, contre madame de Pompadour
et ses indignes menéese Il n'en fallut pas da-
vantage pour provoquer les mesures les plus
violentes. Les rninistres, suivant l'usage, recou-
r.urent a laforce; quatre membres du parlement
furent relégués dans des forteresses ; on ban-
nit les conseillers de. toutes les chambres,
excepté de la grande x qu' on devait orga~iser
sur un nouveau plan; mais elle s' opposa el tous


1 La chambre d'enquéte et la chambre de requéte se com-
posaient presque entieremen¡ de jeunes gens. La grande cham-
bre, dont les membres étaient presque tous des hommes agés,
lI.'avait pas approuvé Ieur vivacité dans eette eirconstance.




LIVRE IV, CHA.PITRE I. 7
les ordres qu'elle put reeevoir desque eette
question fut agitée; eomme tous les moyens
employés pour la faÍre fléchir furent inutiles,
on l'exila a Pontoise; elle persévéra dans sa
résolution ,et le nlinistere , apres de longs. dé-
bats, se vit obligé, en 1754, de preter la main
a un aeeommodement. Maehault fut contraint
de céder. Le pa,rlement remporta la vietoire
la plus éclatante, et la cour. s' en servitcomme
d'un allié dans ses dtseussions avec le clergé.


La paix ne fut ras de Iongue durée ; deux
années a peine s'étaient écoulées, que le parle-
ment de Paris s'associa non-seulement les
princes et les pairs , mais aussi tous les parle-
ments du royaume, qu'il s.ubdivisa en diffé-
rentes classes, dont París devait etre regardé
eomme le point central. L'autorité royale
échoua contre l'opposition, dans les deux
séances solennelles de septembre et de dé-
eembre 1756 l. Ce ne fut qu'apres l'éloigne-
lnent définitif de Machault et de d'Argenson,


) C'étaient des lits de justice, qui devaient représenter ran-
cien champ de Mars ou les cours plénieres. Le roi était assis
sur un siége de cinq coussins (Lectus); l'un lui servait de
siége , un autre de marche-pied, UD troisieme de dossier, et
deux pour les bras.


On votait a voix basse; le chancclier recueillait les suf-
frages; qui done pouvait le démentir, quand méme il aurait
trahi la yérité?




8 HISTOIRE DU XVllI C SIECLE.
que les parlements reprirent leur ancienne
forme l. Il n'y eut aucun trouble, tant que
Bernis, créature de madarne de Pompadour ,
garda le timon des affaires. Mais le conseil
qu'il donna, en 1758, de terminer l'ignomi-
nieuse guerre d'Allemagne, fut cause de sa
disgrace 2. Choiseullui succéda, et l'administra-
tiondesfinancesdonnalieuad'autresdifférends
dont nous allons tracer en peu de mots l'his-
toire fatale jusqu'au ministere de Silhouette.


Depuis que les États n~étaient plusconsultés
sur les impots, et que la dépravation de la cour
et de ses créatures engloutissait des sornmes
iInmellses, le trésor public était abandonné a
celui qui inventait de nouveaux moyens d'é-
puiser le peuple. Machault succomba paree
que ses projets ne pouvaient s'accorder avec
ceux du parlement; apres lui, Moreau de
Sechelles, Moras et Boulogne tenterent aussi
inutilement d'opposer des ressources propor-
tionnées aux besoins toujours croissants. Le
choix de Silhouette seInbla enfin, pour la pre-


r Quelque répugIiance que nous ayons a citer Bezenval,
surnommé le suisse de Cythere, pour des choses sérieuses , iI
nous faut convenir qu'iI donne des détaiIs tres-exacts de cettl'!
affaire, dan s ses Mémoil.'es, tome 1, page 303 et suiv.


2 Apres une longue adulation, il f:rouva sa perte dans sa
trop grande franchise.




LIVRE IV, CfIAPITRJ.: J. 9
miere fois , combler les désirs du peuple et les
vreux de madame de Ponlpadour. Mais la po-
pularité que le nouveau ministre des finanees
avait affeetée, disparut eette année-Ia meme,
aussitot qu'il donna l'édit de subvention.
Pour prévenir l' opposition du parlement, on
le eonvoqua, le 22 septembre 1759, en au-
dience solennelle, V l{ ersailles. Il protesta eontre
tout ee qui s'était faít dans eette eireonstanee,
et personne ne voulut prendre a ferme le
nouvel ¡mpot. Le erédit était perdu ; les paie-
ments publies furent suspendus pour un an;
on retira l'argent des eaisses, et on envoya
l'argenterie royale a la monnaie. De~ ce mo-
ment, les eontroleurs-généraux véeurent en
mésintelligence avec les parlements, que Choi-
seul, de eoneert avee madame de Pompadour,
employa contre les jésuites ; nlais les deux


. partis garderent assez de modération pendant
la vie de l'aneienne maitresse du roi.


Apres sa mort , le duc de Choiseul, que les
horreurs du pare aux ceifs n'avaient pu bles-
ser, et qui avait toujours gouverné la Franee
selon les volontés de madame de Pompadour,
se scandalisa du ehoix de la nouvelle favorite
qu'on donnait a Louis xv. Il alla jusqu'a
refuser il-madame du Barry l'hommage que le




10 HISTOJRE DU X\'IUe SJECLE.


roi Ineme lui accordait a la revue et dan s
d'autres solennités publiques. Cependant elle
obtenait plus de crédit que madame de Ponl-
padour n'en avait jamais eu; elle rencontra
dan s le due d' AiguilJon plus de complaisanee
que dans le due de Choiseul. e' est pourquoi ,
ce dernier, par un motif de jaIousie, appuya
en secret les parlements, lorsqu'ils attaque'rent
le premier, tandis que, le roí meme le défen-
dait de tout son pouvoir. Le parlement de
Rennes, etson proeureur-général. La Chalotais,
le meme qui, dans l'affaire des jésuites, s'était
distingué par ses écrits, impliquerent le dne
d'Aiguillon, alors commandant de la Bretagne,
dans un proces infamant, sur la soustra~tion
des deniers publies; la cour prit sa défense.


Lors de la diseussion de eette affaire, les
États de Bretagne se joignirent au parlement,
mais le roi renvoya ave e dédain lcur députa-
tion, a la tete de laquelle se trouvaít La Cha-
lotais. Rejeté par la cour, iI ehereha des alliés,
et eonduisit adroitement une correspondance
avee les Inembres les plus. i'mportants des par-
lernents de Rouen, de Paris et de Toulouse.
Le due d'Aiguillon déclara que cette corres-
pondance était un crime de haute trahison.
Ji.Ja Chalotais, son fils, et trois e~mseillers




LIVRE 1 V, CIIAPITRE I. 1 [


parlelnentaires déposerent leur ehal'ge, et fu-
rent arretés du 10 au 1 1 novembre 1765 ;
une cornmission dll conseil d'État, la chambre
royale de Saint-Malo, devait les juger au préju-
dice de leur tribunal compétent.


Le parlernent de Paris crut alors devoir s'en
meler, il fit des représentations; aussitot Ren-
nes, Rouen , Toulouse suivirent son exemple.
Plu~ieurs troubles éclaterent et on en vint
a différentes mesures de part et d'autre ; apres
. de longs débats, toute l'affaire fut assoupie a
la fin de l'a~née 1766, mais la mésintelligenee
derneura toujours la meme.


Louis XV avait envain déclaré dans une
séance mémorable , qu'il ne tenait sa couronne
que de Dieu, et qu'il ne souffrirait pas d'in-
novations. Les parlemmÜs ne voulaient point
se désister des droits que le roi leur disputait.
La lutte se poursuivait encore lorsque les
écrits pour la cause des Américains, favorisée
et soutenue par la Franee, éveillerent ou ra-
nimerent le respeet pour la justice et les an-
ciennes eoutumes.


On conclut en 1770 la malheureuse union
du Dauphin avee Marie-Antoinette d'Autriehe,
et le eha~celier Maupeou eonc;~t le plan de
réformer la mauvaise juridiction dll royaume,




12 lIlSTOlRE DU XVIllc S-Ü:CLE.


et de mettre un terme a la résistance des par'-
lenlents contre les ordonnances royales, tou-
chant les finances que l'odieux contróleur-gé-
néral Terray se proposait de publier.


Le duc d'Aiguillon, attaqué par le parle-
ment deParis , conlme précédemment par ce-
lui de Rennes, et soutenu par la cour, fut la
cause d'un nouveau différend. Le parlement
avait déja disputé au roí le droit de faire
arreter un índividu quelconque arbitraire-
ment par lettres de cachet: il renouvela cette
discussion avec violence, et alla jusqu'a me-
nacer de citer devant son tribunal tous les
membres du conseil royal qui s'étaient pre-
tés el juger l'affaire de La Chalotais. Pour prou-
ver que le roi seul était le premier juge du
royaume, le proces intenté contre le due d'Ái-
guillon devait se poursuivre dans un lit de ,
justice, le 27 juin 1770. Le parlement, qui
prévoyait le coup, déclara, meme avant la
séanee, que « Tout aecusé absous dans un lit
« de justice serait regardé comme non justi-
c{ fié. )} Il prononc;¡a en outre la sen ten ce que le
due d'Aiguillon avait forfait a l'honneur, et ce
jugement fut répandu par toute la Franee.


Des que Louis en fut informé, iI opposa a
ce décret un décret dll conseil d'État, et fit




LIVIn~ IV, CHAPITRE I. 13
enlever des archives parlementaires tons l(>s
actes con<;ernan t l' affair'e du duc d' Aiguil-
Ion. Le parlement s'inquiéta fort peu de cette
démarche. de la conr; car il avait pour luí
tous les princes de la famille royale. La Iutte
ne discontinua pas; apres une nouvelle séance
solennelle, ou, par ordre du roí, le dne prit
place parmi les pairs, et ou Louis XV preseri-
vit les eonditions les plus dures au parlement,
ses membres déclarerent enfin que, dans la
douleur qui les accablait, ils ne se sentaient
plus la force d'exereer leurs fonetions de juges.


Rien ne pouvait etre plus favorable aux
projets de Maupeou. Il répandit alors dans le
peuple que le parlement, tout oeeupé de ses
querelles particulieres, négligeait d'adminis-
trer la justice du royaume. eette aeeusation
paraissait d'autant mieux fondée, que pendant
quinze jours le roi avait en vain eherehé a
rappeler le parlement a ses fonetions judiciai-
res, tan t par ses ordonnances verbales et
éerites, que par des leUres de son conseil,
munies du seean royal.


Madame du Barry venait de renverser Choi-
seul; le dnc d'Aiguillon régnait dans le conseil.
On commen<;a en 1771, au moís de janvier,
a employer la force armée eontre les eonseil-




1 L, H 1 S T O 1 RE lnr X V 1 11 e S 1 ~: e LE •.
lers du parlement, et on tl'availla toute l'an-
née suivante a donner a la France une nou-
velle juridiction qui fut constituée dans tout
le royaume a la fin. de l'an 1772. On fonda a
Paris un nouvean parleruent, en restreignant
son autoritéjudiciaire. Maisonne futpas heu-
reux dans le choix des membres de ce tribu-
nal. Le public l'appelait par ironÍe le parle-
lnent ~aupeou; Beaumarchais le tourna en ri-
dicule et le rendit méprisable I par les satires
mordantes qu'j! publia dans ·les actes de son
proceso Comme l'enregistrement des décrets
d'impots ne pouvait avoir líen, tout crédit dis-
parut, et l'abbé Terray, qui trouva un déficit
de trente millions lorsqu'il entra en charge,
ne put qu'avec peine obtenir cette année le
faible emprUlít de huit millions. Cependant iI


1 Pour donner une idée du mépris général qu'inspirait ce
parlement, nous citerons le trait suivant, qu'on lit dans le
Clzoix d' anecdotes anciennes et modernes, Paris, 1824.


On rapporte qu'un filou, condamné a etre marqué, se re-
tourna, un instant avant I'opération, vers l'exécuteur, et le
pria de lui accorder une petite grace; celui - ci réponuit
que son état le mettait peu dans le cas d'accorder des graces,
mais enfin qu'il n'avait qu'a di re de quoi il s'agissait. « e'est
(t une hagatelle, répondit le patient; faites - moi l'amitié de
" mar,quer sur mon épaule la date de l'année et du jour de
• mon exécution; j'espere que tout ceci changera, et que I'an-
~ cien parlement reviendra : alor8 je me flatte de me faire réha-
« hiliter; car les arréts de celui-ci n'ont pas le sens commun. »


( Note du 'radllcteur.)




L 1 V H. 1~ 1 V, e H A. P 1 T R E 1. 1 5
avai~ l'etranché ccrtaines rentes, suspendu
plusieurs paiements, ajouté aux deux vingtie-
mes un nouvel ¡mpot, augmenté la capitation,


"et SOlIvent meme donné huit édits bursaux
dans un seul jour.


En 1774,il se vit obligé de déclarer nette-
ment qu'il ne connaissait plus aucun moyen
de subvenir a des dépenses de quatre cents
millions, quand les revenus de l'État ne s'éle-
vaient qu'a trois cent soixante-quinze. Sur
ces entrefaites Louis XV mourut, le 10 mai
1774.


n. A peine Louis XVI fut-il Inonté sur le
troue, qu'on vit dispara'itre de la cour toute la
-turpitude qui sous le regne précédent avait
dégradé la personne royale ; mais la déprava-
tion des mreurs resta la meme; la frivolité prit
la place de la licence. Louis, qui aurait été un
citoyen aimable, et un homme de lettres
assez distingué, n'était pas né roi, il le sentit
lui-meme, el malheureusement il choisit pour
guide un vieux courtisan, le COlnte de Maure-
paso Toutes les affaires paraissaient dirigées par
ses conseils, tandisque la reine en secret gou-
vernait avec une incroyable, légereté la cour
et le royaume.


Louis reconnut qu'une réforme devenait




lO I1ISTOIRE DU XVlIIe Sri~CLE.
llécessaire , que la prodigalité de la conr,
qu'il n'autorisait point par son exemple, de-
mandait de nouvelles ressources. Il n'apprit
que trop tot que la bourgeoisie s'était élevée
au-dessus de la noblesse, et que, de concert
avec les meilleure( et les plus riches familles
de eette classe de citoyens, elle désirait voir
finir le systeme de l'arbitraire. Il annonc;a des
changements dont il concevait les meilleures
espérances; mais en le laissant agir, la cour
sut déjouer tons ses projets. Le peuple ainsi
abusé s'indigna, et son courroux fut encore
excité par les écrivains philosophes, politi-
ques, économistes, et par un grand nombre
de nobles, offensés de la légereté de la reine.
Des poli tiques tres - considérés, ennemis du
systeme de l' Autriche, prédominaient depuis
le fatal hyménée; leur patriotisme les porta a
travailler contre la cour. Turgot, Malesherbes,
Saint-Germain, insistaient sur les réformes que
demandait la nation. Si le ministre de la guerre
était imprudent, Turgot et Malesherbes étaient
guidés par des idées nobles et généreuses, et
si l' on eút exécuté leurs projets, les mouve-
ments dans l'intérieur ne seraientpas devenus
aussi redoutables qu~ils le furent par la suite.
J .. e parti de la cour, ayant a sa tete la reine et




I.IVRE IV, CHAPITRE 1.


le jeune conlte d'Artois, espérait empeeher
sans grandes diffieultés toute la réforIne dont
il était menaeé, ainsi que ses eréatures. Dans
cette vue il se servit du parlement, avee le-
quel en effet Turgot et Malesherbes se brouil-
lerent bientot a la grande satisfaetion de
Maurepas qui lui-meme les avait appelés au
nlinis tere.


Aussitót apres l'avénernent de Louis XVI
au trone, l'ancien parlelnent avait été rappelé,
pour imposer aux novateurs, malgré les avis
réi térés de ne ras ehanger le nouvel ordre
de juridiction auquel on eommen<;;ait a s'ha-
hituer. Des son rétablissement., iI s'opposa


• aux desseins de Turgot et a ses efforts pour
modérer le systeme féodal et celui des eorpo-
rations. Six édits, sur des abus moins impor-
tantsqui devaient préparer les réformes de
ce ministre, furent mal accueillis en 1776.
Comme ii ne dissimulait pas son mécontente-
ment, on lui envoya sa démission, et Males-
herbes donna spontanément la sienne. Toul
resta sur l'ancien pied , mais l'attention pu-
blique était excitée, et il fallait trouvcr de l'ar-
gent. Alors se présenta Necker, dont nous
n' examinerons pas iei les talen ts : ton t le monde
sait que madame de Staelle déifie, tandis que


H. 11. 2




lB lIrSTOIRE DU XVIIlc SIECL.E.
les fauteurs aveugles de l'ancien régimc le ca-
lomnient et l'outragent.


Ce qu'il y a de bien certain, c'est que ce
ministre dut son entrée dans le grand monde
a un homme suspect, et qu'il méconnut 5a
position et ses force s quand iI espéra sauver
la France. Connu depuis long-temps comIne
banquier habile et comme homme bienfai-
sant et éclairé, il déploya son talent comme
potitique dans l' Éloge de Colbert, lorsque le
fils d'un marchand de fer de Versailles, de-
venu, on ne sait par quel moyen, marquis
de Pezay, lui fit avoir acces aupres de Man-
repas et de Louis XVI.


L'abbé Vermont, qui avait donné une édu ...
cation fran~aise a la reine et qui la dirigeait
toujours 1, recommanda Necker a Marie-An-
toineUe. n fut mis a la tete des finances,
d'abord sons un titre peu important, ensuite
sous celui de directeur-général. N ecker, pro-
testant, de mreurs simples et irréprochables,
se faisait grandement iUusion, lorsque par ses
seules qualités il espérait réformer des désor-
dres si profondémeilt enracinés.


Depuis 1776 jnsqu'en 1781 , il suivit son
I J e ~'ose assurer si l' OH doit ajouter foi a tout ce que ma~


dame Campan dit de l'abbé Vermont dans ses Mémoires,.




I,IVRE J V, CHAPITRE I.


systcme d'Clnprunt; la confiance dont ii jouis-
sait, comme négociant, lui fit trouver l'argent
qu'il cherchait; mais iI se vit malheureusement
frustré dans son attente; illui Eallait COulpter
sur de grandes épargnes qu'il ne pouvait in-
troduire; et la guerre d'Amérique absorbait
toutes les sommes emptuntées dans un autre
but. Necker, au cOffilnencement, fit des éta-
blissements tres-utiles, c' est un faÍt incontesta-
ble 1 ; mais 'le ton doctoral qu'il avait apporté
de Geneve, mais ses fornles et sa vanité le
rendirent odieux a la reine. L'intégrité de ses
principes et de sa vie choquerent les coürti-


cependant il fant que son rapport ne manque pas de véracité,
puisque plusieurs personnes émettent sur son compte la m~me
opinion.


1 Sur l'Administration de M. Neckel',par lui.meme, Paris, 179 J.
(livre insignifiallt) page 16. " L'établissement des assemblées
provinciales, dont je posai les premieres hases en 1779 , de-
,,'ait associer toute la nation a la gestioIl de ses intérets et sou-
Jever le voile que tenaient depuis si long - temps dan~"'leurs
mains un petit nombre de commissaires nommés par le roi.
Cet établissement donnait des guides et des protecteurs pater-
neIs a toutes les provinces, attachait les citoyens au bien pu-
blic, y attirait leurs pensées, et faisait servir les lumieres gé-
nél'ales a l'avancement de la prospérité de rÉtat. »


Une seconde institution, non moins importante, fut la dé-
termination, prise par le roi, de donner la plus grande pu-
blicité a l'état des nnances; il fondait deeette maniere la
eonflance sur la base la plus solide; il appelait la nation a la
eonnaissance et a l'examen de l'administration publique, et
il faisait ainsi, pour la premiere foís, des affail'cs de l'État une
c~ose commune.


2.




20 HJSl'OlRE DU XVlllc SIi~CLE.


sans; ses prétentíons et sa religion l' éloigne-
rent du roi. Nous avouons que la famille de
N ecker était noble, généreuse, libéraIe et éclai-
rée, mais elle avaitla manie qu'elle a conservée
jusqu'á nos jours de se donner elle-meme,
ou de' se faire offrir par ses partisans, un
encens SOlIvent ridicuIe et toujours insuppor-
table. On pouvait en outre, avec queIque
droit, lui reprocher d'avoir nourri l'ambition
et les idées républicaines an sein de la mo-
narchie l.


Tout-a-fait apposé au systeme et aux usages
du gouvernement fran<;ais, Necker chercha du
crédit et un appui dan s la confiance du peu-
pIe; c'est pourquoi il 6t publier" en 1'].81,
ses comptes rendus, ou l'état des finances. Une
telle publication était, san s doute, inconsidé-
rée , l'appel a la nation hasardé; mais la cour
fut encore plus imprudente que Necker en le
destituallt, lameme année au mois de mai.


Les ministres des finan ces , Joly de Fleury
et d'Ormesson ne purent se soute'hir que peu
de temps. Calonne, leur successeur, fermait
les yeux a toutes les dépenses, et empruntait


I M. Schlosser nous parait aller trop loin dans les reproches
qu'il adresse a madame de Stael et a son pere , et ne pa~ rendre
assez de justice a la supériorité de leur esprit et a la pureté
de leurs intentiolls. (Note dll traducteur.)




J,IVRF. IV, CHAPITRE I. 21


de rargent pour sout(-'uir les profusions des
princ~s et de leur parti. D'apres son systeme,
le luxe favorisait l'industrie, et la prodigalité
était indispensable dans une rnonarchie, paree
qu'elle nourrissait, disait-il, beaucoup de gens
Jésreuvrés, et ne laissait pas la foule méprisée
des classes ouvrieres amasser des richesses qui
l'auraient entiereníent ,détournée du travail.
N ecker et Calonne eurent une vive altercation
relativement au vrai déficit du trésor; rancien
ministre, accusé de trahir la vérité, exposa
une seconde fois au grand jour, en 1785,
l'état des finances; son ouvrage parut a pen
pres au moment ou Calonne se trouvait en
opposition avec le parlement sur le troisieme
vingtieme qu'il demandait. La discussion de-
vint une des plus violentes qu'on eut jamais
vues. Le roi ordonna trois fois au parlement
de reconnaltre le nouvel impot, sur lequel
Calonne devait fonder un emprunt de quatre-
vingts millions. Le parlement protesta trois fois
et l' orüre du roi demeura sans eHet. On le
convoqua enfin a Versailles, pour rayer de-
vant lui sa protestation des registres. C'est
alors que les écrits sur la révolntion d' Améri-
que se multiplierent et que Marie-Antoinette
se brouilla ave e le comtt-' <1' Artois. Le duc




22 HJSTOIRE DU XVIllc SI:E:CLE.


d'Orléans et la famille de Rohan avaieut été
mortelleme.nt offensés. La force de l'aristocra-
tie fut paralysée jusque dans les membres qui
ne connurent point l'esprit bienfaisant de
la phiIantropie de Ieur siecle. Le duc d'Orléans
devint d'autant plus dangereux qu'il perdit son
crédit; car ses richesses immenses pouvaient
lui gagner une foule de gens qui devaient
l'emporter dans un temps orageux sur les
nombreux pensionnaires de la cour. Il ras-
sembla, en effet, autour de lui des hommes
pervertis, dont le talent el l'influence sur la
masse devinrent de jour en jour plus redou-


/ tables. La famille de Rohan se sentit outragée
dans la personne du cardinal de Rohan qui,
méprisable il est vrai sous tous les rapports,
croyait par son état etre au-dessus du mépris.
Grand-aumonier de FraIlce, éveque de Stras-
bourg, il vivait comme ambassadeur a Vienne
avec une magnificence toute royale. Il employa
tous les moyens pour rentrer dans les honnes
graces de la reine qui lui avait fait perdre
eette dignité; nlais, au moment meme ouil
croyait toucher au but de ses désirs, il se vÍt
humilié publiquement et arreté' par un ordre
expres dú roi.


CeUe arrestation méritée, mais imprudente,




LIVRE IV, CIIAPITRE 1.


cut lien le 15 avril 1785, et fit naltre un scan-
daleux proces qui mit au grand jour la lé-
gereté et l'impudeur des premiers personnages
de l'lhat. I .. c cardinal, quoique absous judi-
ciairement, fut néanmoins condamné par
lJouis XVI. Ce proces est connu sous le nom
de l'histoire du collier; cal' le cardinal avait
espéré de gagner la reine par un collier de
seize cent mille livres, et ~ait été trompé par
une misérable femme, a laquelle il avait donné
5a confiance l. L'animosité contre la famille
de Polignac, jouissant seule d'une grande
faveur, le dépit qu'on ressentait des préroga-
ti ves • accordées a quelques personnes de la
cour, étaient a leur combIe, lorsque Calonne
résolut de ne pas consulter les parlements,
pour étouffer la résistance qu'ils élevaient
contre le projet d'ohliger les états privilégiés a
contribu~r aux impots. Pour exécllter ce pro-
jet, Calonne voulait convoquer les notables,
ce qui était déclarer publiquement que l'admi-
nistration et le gouvernement ne pouvaient
plus subsister dans l' ordre étal:~li.


1 La violence avec laquelle l'abbé Georgel, défenseur pro-
noneé de l'ancien régime, client de la famille de Rohan, s'é-
leve en toutc occasion contre la reine et tons ceux qui sont en
l'apport avec elle, pro uve combien les Rohan haissaient la
reine, et combien de personnes partageaient leur npinion.




24 IIrSTOIRJ~ nu XVIIle SIECL ~E.


CHAPITRE 11.


l. Depuis la convocation des notables en 1787, jusqu'au nou-
vean ministere de Necker,en septembre 1788.-11. Depuis
la rentrée de Necker au ministere jusqu'au 20 juin 1789-.


l. Calonne, ne pouvant plus remplir par des
emprunts le trésor épuisé, proposa de consul-
ter la voix du peuplé, eorome Henri IV et Riche-
lieu l'avaient essayé avec sueces en 1626, e'est-
a-dire, de convoquer les notables qui , s'ils n' é-
taient sous l'influence de la cour et de CaIonne,
avaient du moins les memes intérets que lui;
mais ce ministre oublia que Louis XVI n'était
point Henri IV, ni lui Riehelieu .. Le clergé
craignait de voir diminuer ses revenus; les'
grands seigneurs n'attendaient qu'une oeca-
sion pour faire éclater leur haine contre le
ministere.


Le comité des privilégiés 1 , chargé de cher-


1 L'assemblée se composait de sept princes du sang, de
quinze éveques, de trente-six ducs, comtes et marquis, de douze
membres du conseil royal, de trente-huit députés nommés par
le parlement, et du lieutenant civil de Paris, de seize députés
des États, de vingt -cinq maires des villes et de cinq minis-
tres. Elle fut répartie en sept bureaux. On voit, par Bertrand
de Molleville, Histoire de la I'évolution franfaise, 14 vol. in-So,
premiere partie, page 76, quel f¡atal esprit animait tous ces
hommes. Bertrand indique tout sériensement les moyens que




,"'


LIVRE IV, CHAPITRF. II. 2:J


cher) presque a. titre d'alunone , les cen t douze
millions qui devaie.nt couvrir le déficit, était
assemblé a peine depuis un lnois, lorsque
Calonne reconnut que la majorité des voix
était contre lui, et que le comte d' Artois, a
qui il avait ouvert le trésor, ne pourrait le
sauver. En effet, il se vit obligé de quitter
son portefeuille, le 9 avril. Son éloignement
était en partie l'ouvrage de l'archeveque de
Sen s , Loménie de Brienne, qui briguait la
place de premier ministre 1 et vit, ponr quel-
que temps, ses désirs couronnés. n parut, le
27 avril, avec le roi, dans l'assemblée; mais
loin de demander au clergé aveuglé, et a la
noblesse endurcie de la cour, une réfor~e gé-
nérale, il n' osa pas meme leur proposer de
renoncer généreusement a l' exemption des
impots. Il ne fut question que de quelques
amendements, ainsi que d'une modique sub-
vention qu'on négocia du 27 avril au 23 mai.
Monsieur, frere du roi , montra dans ces dis-
cussions. sa bonne volonté a céder quelques


Calonne aurait df:t employer pour consulter les notables sans
les écouter.


1 M. de Fourqueux, d'abord nommé a la place de Calonne,
céda bientot le portefeuille a l'archeveque de Sens. Les conve-
nances assignerent a ce dernier le premier rang, et lui valu-
:rent le titre de premier ministre.




26 HISTOJR}: DU XVIIlC Sd:CLK
prérogatives. Le marquis de Lafayette se dé-
clara des-Iors, dans quatre discours violents,
pour une réforme complete: le résultat bril-
lant 1 qu'on avait annoncé se réduisit a fort
peu de chose. Trois nouveaux impóts, le
timbre et la subvention, proprement dite, fu-
rent les seuls poi~ts qu'on régla. e'est ainsi
qu'on éluda la taille réelle, qui devait se ré-
partir sur toutes les terres sans exception , et
une grande partie de ce nonveau' fardeau
retoluba encore sur le peup]e. On impute 01'-
dinairement a l'ar~eveque 'de Sens la fante
de ne pas avoir profité de ce résultat insigni-
fiant de l'assemblée des notables. Il est vrai
qu'il ne fit point parvenir leurs décrets au~
parlements dans leur ordre véritable, et qu'il
facilita ainsi l' opposition 2; mais toute person-
nalité nous parait hors de saison, lorsqu'il
s'agit d'une cause si importante pár elle-meme.
Des cas accidentels pouvaient tout au plus


J On devait abolir les corvées, réformer la gabelle, mettre
un terme aux entraves du commerce de l'intérieur, organiser
les haillages sur un nouveau pied, donner une meilleure ad-
ministration provinciale, et nommer des conseillers provin-
ciaux.


2 L'histoire ne semble demander un jugement sévere que
sur les personnages dont l'influence fut décisive. C'est ce que
DOUS remarquons bien dans Louis XVI, m3is nullement dans
ses ministres.




LIVRE IV, CIIAPITRE TI. '1.7
avaneer Oll retarder l'explosion dont on était
menacé, mais, tot ou tard, elle était inévitable.


Le parlement se trouva fort embarrassé par
le nouveau subside qu' 00 lui proposa; ses
lnembres en étaient le plus grévés; il n'osa
done le refuser direetemeot, dans la eraiote
de paraitre protester par égoisme. Il demanda
le budget, et, sans aucun droit, il s'arrogea
ainsi les prérogatives d'une assemb.lée des États.
Ces prétentions firent naitre une nouvelle dis-
eussion. L'enregistrement du subside fut re-
tardé, etle ministre adressa maladroitement an
parlement la taxe odieuse sur le timbre, qu'il
rejeta aussitot, a la grande satisfaetion de la
nation.


Dans les différents qui éclatt~rent alors, ee
fut san s eontredit l'arehevcque de Sens
qui, par sa eonduite, porta le peuple turbu-
lent a la plus haute fermentation; mais le
parlement a son tour oublia momentanément
qu'il appartenait"au moins d'un coté a la no-
blesse, et donna le signal d'une révolte réelle
du peuple eontre l' oppression aristocratique.
Il reeonnut plus tard que ses intérets en souf-
fraient; iI voulut apaiser les tl'oubles, mais il
n'était plus temps l.


1 11 déclar~ d'abord que le parlement n'avait point le droit




28 HISTOIRE DU XVIUe sJi.~CI,E.
Pendant les débats du parlement SUl' la laxe


dl! timbre, les mouvements du' peuple pre-
naient un aspect alarmant : on portait cornme
en triomphe1es conseillers qui s'étaient élevés
contre les ministres, tandis qu~on persiflait
les autres. Duport et d'Esprémenil, dont l'un
ne savait pas ce qu'il voulait, cornme jI 1'a
prouvé par la suite, se virent confirrnés et sou-
tenus dans leurs lnesures violentes par l'opi-
nion générale. Les pairs assistaient en grand
nombre aux séances; le duc d'Orléans se
chargea alors du role de défenseur des droi t5
du peuple.


En 1787, au mois d'aout, le parlemellt se
brouilla entierement avec la cour par rapport
a l' enregistrement des décrets d'impots dan s
son' protocole, et demanda que l'assemblée
des États fut convoquée. Le roi la manda a
Versailles et eut la faiblesse de s' en rapportel"
a son ministre, plutot que de suivre les in-
spirations de son caractere pacifique; il or-
donpa l'enregistrement des impots en maltre'
qui veut etre obéi; mais le parlement qui
connaissait sa douceur et sa condescelldance


d'ac.corder de nouveaux impots , qu'il fallait convoquer pour
cela les États-Généraux. 11 s'opposa ensuite á la double r~pré-
sentation du tiers-état. .




L 1 V R. J~ 1 V, e H A PI T R E 1 1.


protesta contrele décretroyal; et1 par un décret
contraire, dé clara nnl tont ce qu'on avait fait.
Des-Iors la scission fut formelle.' La cour apres
avoir tenté envain de faire céder le parleluent.
l'exila a Troyes; c'est iei qu'il triompha en
quelque sorte du ministere: cal' il célébrait
des {ctes tous les ,jours au lieu de rendre la jus-
tice. Au hout de deux IDois il capitula enfin,
avee le 111inistre, d'une maniere également
ignominieuse pour les deux partis l. Le parle-
ment néanmoins retourna en triomphe a Pa-
ris, et le peuple maltraita ses adversaires 2.
Le gouvernement se sentait trop faible contre
l' opiníon générale, pour arreter le peuple par
des luesures séveres; la eour meme crut ne
pouvoir plus refuser la convoeation des États,


1 Le roi abandonna la taille réelle, et le parlement s'enga-
gea a prolonger le terme du vingtieme levé et encore a lever ;
c'est-fl-dire, le roi ota le fardeall au parlement , et celui-ci en
rejeta une partie sur le peuple.


2 lntroduction aux révolutiolls de París, dédiéelda nation, 1790,
in-So, page 52. On trouvera le jugement que l'on porta
par la. suite ~ sur ces événemcnts, dans un passage de Prud-
homme ( Cet ouvrage ne fut point rédigé, dans le commen-
cement, par de~ démocrates acharnés). " 11 acheta son retour
"en enregistrant nne prorogation de vingtiemes, c'est-a-dire
"par une contradiction et tine Iacheté. Ceux <tui ne l'avaient
"pas pénétré auparavant, eurent une donnée de plus pour
« juger ~on héroisme grimacier et sa l'éelle bassesse. » - 11 est
vrai que c'est écrit dans un temps ou on cherchait a exciter
les esprits contre le parlement.




30 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.
et dans une séance solennelle, le 19 novelnbre
1787, le roi tit la promesse expresse et n1é-
lllorahle de les convoquer dans cinq ans.


Dans cette meme séance 1, ou les conseillers
du parlernent, Freteau et d'Esprétnenil dé-
ployaient leur vive éloquence, en présentant
les tristes vérités 2 qui agitaient alors le pu-
blic, le due d'Orléans déclara une guerre ou-
verte a Louis XVI3. Son exil le rendit ¡rnpor-
tant, et l'arrestation des deux conseillers jus-


J On ehoisit une séance ro.rale, 011 le l'oi parut sans les
marques de sa dignité, pour éviter l'odieux d'un lit de jus-
tice; puisqu'alors on ajoutait toujours la formule: .. Par
" ordre expres du roí. »
~ On avait proposé un nouvel emprunt considérable, et de-


mandé en outre qu'on donnát aux protestants tous les droits
civils. Le ministre crut avoir gagné la majoríté du parlement,
mais le partí libéral tint ses assemblées chez Duport, ou la
diseussion fut extrémement vive.


3 Le parlement voulut qu'on pronon~at le résultat eomme
décret de la majorité; les ministres prétendirellt, au contraire,
qu'on n'all~t aux voix que pour la forme, et que les ordres du
roi seul fussent intimés a l'assemhlée. Le duc d'Orléans, dé-
(~idé avec peine a eette démarche, demanda alors a haute voix :
.. Sire, j'ose demander a votre majesté si la séance présente
«est un lit de justice? » .. e'est une séance royale, répondit
«Louis XVI. » Le due proteste formellement; le roi ordonne
d'enregistrer, mais oe leve pas la séance ; il Jaisse ainsi au duc
d'Orléans le temps de retourner au parlement et de jouír de
son triomphe. Les eonseillers du parlement, qui avaíent voté,
retirerent lenr voix, et le parlement déclara , dans la m~me
séance , qu'il regardait les décrets antérieurs comme íllégaux.
et qu'il n'avait pl'is aueune part a l'enregistrement des em-
prllnts progressifs.




LIVR1~ IV, CHAPITRE JI.


tifia el! quelque sorte l'attitude mena<;ante que
le parlement de Paris et tous ceux du royaume
prirent contre le gouvernement; mais les ex-
pressions dont les conseillers se servirent dans
leurs remontrances, ne convenaient nulle-
ment a leurs rapports antérieurs avec le gou-
vernement l.


Il s'engagea des-Iors une lutte que ne pu-
rent soutenir ni Louis XVI ni son ministre.
L' organisation des grands baillages et d'une
chambrepour toutes les affaires extra-judiciai-
res des parlements 2, ne fnt pas seulement ri-
dicule et infructueuse, mais enfanta meme
des troubles en Bretagne et dans le Dauphiné.
C'est él la nouveUe discussion que Paris dut


t Il est dit : " Sire, si le duc d'Orléans est coupable, nous le
sommes tous! D On invite ensuite le roí d'effacer un exemple
qui finirait par opérer la destruction des lois, la dégradation
de la magistrature, et le triomphe des, ennemis du nom fran-
~ais.


2 On ne saurait guere imaginer rien de plus absurde que,
dans le moment m~me Otl il s'agissait des droits de la nation ,
de vouloir les meUre entre les mains d'une chambre compo-
sée du roí, du chancelier, du président du parlement, des
princes du sang, du grand-aumonier, des grands.officiers de la
couronne, des pairs ,de deux archev~ques , de deux évéques ,
de deux marechaux:, de deux commandants de province, de
deux lieutenauts-généraux , de quatre personnes qualifiées , de
conseillers d'État , de maitres des requetes. Chaque province
donnait en outre son député. Qui blamerait ensuite les hommes,
dans Prudhomme, introduction, page 33, lorsqu'ils disent :
" C'eut été vraiment une conr pléniaire du despotisme. »




32 HISTOIRE DU XVIUC SIECI.E.
ses premiers clubs OH sociétés poli tiques ,
ainsi que la Bretagne ses premiers cabinets
littéraires. Ces derniers fOluenterent dans leur
sein le club de Bretagne 1 qui s'éleva par la
suite.


S'il en faut cl'oire la renommée , le due d'Or-
léans aurait alors donné l'argent nécessaire,
pour répandre un grand nombre d'éerits pé-
riodiques, et pour payer la résistance de la
foule contre la police 2.


Le parlement enhardi par l'opinion publi-


1 Bertrand de Molleville, dans ses l~'lémoires, ainsi que dans
le premier volume de son Histoire de la répolution franr¡aise ,
s' étend heaucoup sur les trouhles de Bretagne, et se montre
tres-rigide dans le sens de ceux qui croient que les événements
dépendent des mesures qu'on prendo Il dit, dan s ses Annales
de la répolution franc¡aise, tome 1, p. II 8, noto 1 . " Il Y avait
alors a Rennes deux chambres de lecture; l'une n'était com-
posée que de gentilshommes, l'autre l'était principalement de
memhres du présidial, d'avocats, de procureurs, de hourgeois;
mais on y voyait aussi de temps en temps quelques gentils-
hommes. Ce fut dans la premiere que Moreau, alors prévot
des écoles de droit a Rennes, et depuis général fameux des
armées franc;¡aises, aUa offrir, au nom de ses camarades, leur
réunion en armes a la jeunesse de Rennes, pour attaquer le
régiment de Rohan; mais heureusement les gentilshommes,
qui se trouvaient alors dans la chambre, furent assez sages
pour rejeter la proposition. »


2 M. Schlosser, dans la pl'éface de son ouvl'age, avoue qu'il
n'a pas voulu s'élever ici contre une opinion généralement
accréditée en France. Il Cl'oit cependant pouvoir révoquer en
doute ces récits, comme exagérés et fahuleux, d'apres les ren-
ieignements que lui donnerent des personnes bien dignes de
foi. (Note d" lraducteur. )




LIVRE IV, eH Al)ITHE 1I. 33
que, protesta sur l'avis de d'Esprémenil, con-
tre.la suppression de son tribunal dont on
l'avaitmenacée. Cette protestation 1 ressernble
beaucoupa la fameuse réclamation des droits
nationaux (petition of rights ), que le parle-
ment anglais fit sous' Charles 1. Les faits prou-
vent quel parti avait raison. Le ministre par ..
sévéra dans son aveuglement el ordonna des
arrestations qui ne pouvaient pas changer
l'état des choses. Gn arreta cinquante - un
députés des États de Bretagne, chargés de
s'élever contre la suppression 9-es parlements.
On licencia un régiment entier pour s'etre in-
téressé a la cause de ses' compatriotes, et 011
envoya seize mille hommes en Bretagne, poUI'
apaiser la voix du peuple a coups de balon ..
nettes.


Le Dauphiné s'était soulevé, le clergé avait
méconnu l'esprit du sÍecle au point de pre ...
cher contre la tolérance; le ministre renon<;a
a tous ses projets : il ne lni restait plus d'autre


1 La cour .....•... déclare: que la Franee est une monar-
chie dans laqnelle le roí gouverne par des lois fixes et établies;
qu'au nombre de ces 10is iI en est de fonda mentales , ceHes
qui assurent la couronne a la maison réguante, a ses descen-
dants de maIe ~n maJe, par ordre de primogéniture ; eelle qui
conserve aux Etats - généraux seuls, con'Voqués légalement,
le dróit d'octroyer les impo~s; celle qui assure l'inamovibiJité·
des affaires demagistrature; ceHes qui maiútiennent la liberté
individuelle et la propriété des citoyens, etc ....


H. JI. ~1




34 HISTOIRE DU XVllltl SIECLE.
moyen pour prévenir une· banqueroute que
de réforrner entierelnent le systeme des finan-
ces. Les grands hailliages et la cour pléniere
périrent ainsi en naissant, et le roi se vit
obligé d'avancer de trois ans le tertne flxé
pour la convocation des États; l'archevet¡ue
de Sens céda aussi a la haine de la nation. Il
quitta le ministere, le 25 aout 1788, apres
avoir tenté en vain tons les moyens pOUI' dé-
cider Necker a partager avec lui la direction
des finances.


Le peuple qui, excité par des orateurs pu-
blics, se portait souvent a des voies de fait
contre le militaire, fit tomber tout son res-
sentiment sur l'archeveque. Necker, rappelé
aux fillances, réunit les suffrages de toute la
nation. La lJlalheureuse reine, qui avait fait en-
trer le cardinal au ministere, co'rnme tout le
monde le sait aujourd'hui I, ne pouvait souf-


1 La reine y fut portée par son funeste mentor de Vienne,
rahhé de Vermont, comme madame Campan le rapporte
dans ses Mémoires. On apprend cependant, dans le vol. 11.
page 65 ,que cette derniere était en mauvaise intelligence avec
rabLé de Vermont, et fachée de ce qu'elle et sa famille ne pou-
vaient seules influencer la reine. Elle ne le dépeint done pas
trop bien.


La nomination du cardinal se trouve dans le volume 1I,
page 28, apres l'hístoire du Collier, ou elle dit: • La reine
fut forcée, par le caractere du roí et par le peu de confiance
qu'il accorda a l'archevéque de Sens, de se méler des affaires.




LIVRE IV, CH¡\PITRE JI. 35
frir Necker. eomme elle gardait toujours son
ascendant sur son époux, le parlement meme
la présenta des-Iors au peuple eomme l'enne ..
mie ae toute réforme et la protectriee des
courtisans frivoles et de l'otguei1 des grands.


II. Privé du fruit de ses travaux par les pré-
rogatives de la nobles se , le moyen état con<;ut
une haine implacable contre elle; tous les
écrivains et les journalistes s'efforcerent de
r éclairer sur ses droits dans le Hen social,' ce
qu'ón avait négligé jusqu'alors. Les hommes
vraiment nobles de la c1asse privilégiée, firent
cause commune avec les opprimés, et, dans
leur enthousiasme, ils aimerent mieux devoir
leur rang au mérite qu'a la naissance; peut-
l~tre espéraient-ils, en cas de réforíne, se main-
tenir dans ce rang qu'ils oecupaient, tandis que
eeux d'entre eux qui s'étaient déclarés les en-
nemis des progres dll sit~cle se verraient dé-
chus de leur grandeur usurp ée.


En Bretagne, la disput~ entre la noblesse et
la rotUre venait de se transformer en guerre


Tant que M. de Maurepas vécut, elle évita ce dang'er; on le
voit par les reproclles que le baron de Bezenvallui fait dans
ses mémoires, sur ce qu'elle ne profita pas du rapprochement
qu'il avait préparé entre elle el ce ministre, qui cotnhattait
l'ascendant que la reine et ses intimes auraient pu prendl'e sut
l'esprit du roi .•


3.




'36 H [STOIRE DU XVIlle SIi:CLE.
ouverte; a Paris elle éclatait en invecti ves.
Quoique la noblesse ignorante de la cour ne
contest:lt point le mérite de Necker, elle le
méprisait paree qu'il était roturier et Géne-
vois l. Celui-ci reconnut faeilernent que les
nobles ne preteraient pas la main a ses ré-
formes, et que les États ne se rendraient uti-
les qu'en diminuant les prérogatives de l'aris-
tocratie et de la hiérarchie. Il fallait pour cela
que le tiers-état eut la majorité dans les déli-
bérations de l'assemblée. Necker chercha done
a doubler le nonlbre de ses députés, pour
augmenter son crédit, mais il s'attira ainsi
l'animadversion du parlement2 •


I On apprend , par les Mémoires de madame Campa1l, tomo 1,
page 339, dans la note,jusqu'ou la folie aBa encore dans les
derniers temps, et combien les Franr;ais doivent redouter avec
raison son retour.


2 Le meilleu~ jugement sur Neéker, se trouve dans Bail-
leul, Examen critique de l'ouvrage postltume de madame de Stael,
tome U, chapo 11; en prouvant que Necker n'était point faÍt
a la haute politique, iI dit, pages 19 et 20 : Aheurté a quelques
principes généraux de morale, tres-justes en eux-mémes~ (in
Platonis Republica), dont iI parlait sans cesse, iI en faisait
toujours l'application au plus pres (in Romuli frece); et eette
applicationse trouvait trop souvent en sens inverse de ce qu'au-
l'ait exigé l'état des cboses hien apprécié. C'est ainsi qu'il disait
un jour a Mirabeau : u Vous avez trop d'esprit, pour ne pas
«reconnaitre tot ou tard que la morale est dan s la uature
.. des choses. » Le caustique Mirabeau dot bien rire dans sa
barbe en entendant cette grave apostrophe, sur laquelle iI se




I,IV;RE IV, CHAPITRE JI. 37
Ce tribunal s' épouvanta de ce qu'il avait


d'abord demandé, et le meme d'Esprétnenil,
qui s'était montré le défenseur des droits du
peuple, proposa un déeret, en vertu duquel


. le parlement, demandait expressérnent a gar-
del' la forme de 1614, a conserver le nH~rne
non~bre de députés pour les trois États et a dé-
libérer séparérnent d'apres leurs sections.
N eeker désirait opposer d'autres ,autorités a
eelle du parlement, il en avait eherché et
tro~vé une dan s le public; les notables
devaient luí en fournir une autre: il les con-
voqua done une seconde fois, pour le 9 no-
vembre 1788, mais ils se cléclareren t formel-
lement contre ]a proposition de Necker. Il
aurait dille prévojr, si safernrne etuladarne de
Stael, sa filIe, par leurs adulations et celles de
leup cercle ne l'eussent abusé sur sa propre
position.


La faute de ce refus tomba sur les courti-
sans, et les homules les plus éclairés de la na-
tion dépeignirent alors sous les couleurs les
plus fortes, san s blesser la vérité·, la maniere
de vÍvre adoptée a la cour, et ceHe des parti~
sera,bien gardé d'élever le moindre doute. II y avait en outre
<lu vague dans ses idées, une sorte d'exagération romantique
dans sa sensibilité, de l'illuminisme dans son ame et ses opi,.
nions.




38 HISTOIRE DU XVlIIe SIECLE.
sans du comte d'Artois qui cherchaient de- ..
puis a se faire valoir comme défenseurs de
Dieu, de la- justice et de la religion.


On soumit a un examen sévere les. príncipes
des fau teurs de tous les abuso L' Essai sur les
priYiléges, par le comte d' Antraigues; Qu' est-
ce.que le tiers-état? par l'abbé Sieyes 1, furent
l'épandus partaut et fixerent presque exclusi-
vement l'opinion publique.


L'abbé Sieyes, dans la premiere moitié de
son ouvrage, détermine d'une maniere c1aire
et positive le rapport des états entre eux et la
Ilation, en assign~nt au clergé sa vraie place 2,
mais dans la seconde partie i1 se perd dans
des spéculations.


I Sieyes dit ~ page 5 , • Les places lucratives et honorifiqlie~
y sont occupées par des membres de rordre privilégié. Lui
en ferons-nous un mérite? Il faudrait pour cela, ou que le
tiers refusat, ou qu'il fut moins en état d'en exercer les fonc-
tions. On sait ce qu'il en est; cependant on a osé frapper
l'ordre du tiers d'interdiction. On lui a dit : .. Quels que sOlent
tes services, quels que soient tes talents, tu iras jusque la , tu
ne passeras pas ou're; ii Jl'est pas hon que tu sois honoré. D
De rares exceptions senties comme elles doivent l'étre, ne sont.,
qu'une dérislon, et le langage qu'on se permet dans ces oc-
ca,sions, une insulte de phl$.


( e'est la la véritahle cause de la révolution fran<;aise, ce
qu'on observe si rarement.)


Il poursuit, page 7, dans la note: .. On soutient d'un coté,
avec éclat, que la nation n'est pas faite po u!' son chef; quelIe
folie que de vouloir, d'un autre coté, qu'elle soit faite pour
qqelques-uns de ses memhres! 11


2 Sieyes, page 8, note 1 .•




LIVRE IV, CH4.PIT~:t: 11. 39
Sieyes, Mirabeau et Talleyrand sentajent


que sans un bouleversement la nation ne pou-
vait etre ramenée a un état raisonnable, tel
qu'il était énoncé dans eet ouvr~e. 00 y lit
done presque achaque page qu'une réforrne
complete et violente devenait nécessaire 1, et
iI fant avoner qu'un homme impartial ne s~Ul'"
rait ríen opposer aux raisolls, pleines d~ chuté,
de précision et de force qui s'y trouvent.


Sieyes pronan<;a d'avanee son jugement
sur l'assemblée- future des États, e,n cas q\le
la volonté du parlemen t infIuen<;at son ehoix:l,
et prédit avee assurance les ehang-ernents qui
allaient s' opérer dans l' opinian et d~ns l~~
idées 3.


Pendant que les écrivains cités illq~g~aie:qt
le public eontre les états privilégiés, les prin ..
ces, a l' exceptiQn de Monsieur" présenterell t


1 Sieyes , page 13: .. Pourquoi le peupte ne l'envel'rait,·il pas.
dans les foréts de la Franconie toutes ces familles qui c;onser-
vent la folle prétention d'étre issues de la race des c:onquérants.
et d'avoir succédé a leurs droits't JI


2 Sieyes, page 19 : • N~est-i1 pas certain que .la est une véri-
table aristocratie, ou les États-généraux De sont qu~uDe assem-
blée clerico.nobili·judicielle? JI


3 Sieyes, page 42: «Lorsque, dans quelques aDnées~ on "ien·
dra a se rílppeler toutes les difficultés que l'on fait essuyerau ..
jourq'llU,i a, ia trop modest~ demande du tiers, on s'étonnera
et qu P~q de valeur des prétextes qu'on y oppose, et encore
plus de l'intrépide iniquité qui a osé en chercher .•




40 HISTOIRE nu XVIIIC SJECLE.
aux notables un manifeste violent contre 1'0-
pinion du jour. Ce manifeste exaspéra d'au-
tant Vlus les esprits 1, que l'assemblée des no-
tables se sépará, le 9 décembre 1788, sans
s'etre pretée aux désirs de Necker ,concernant
la double représentation du tiers·état 2. Necker
exécuta alors ce qui aurait obtenu d'abord
pIuslde sucd~s. Il fit donner par le roi' au tiers-
éta t "le droi tde -doubler ses rep résen fan ts ,
mais nialheureusenlent avec le pédan tisme qui
lui était propre 3; cal' on ajouta au décret le
." r :Sieyes, pase 100: Ir On se plaint de la violence de queIques
écvivains~ du tiers·état¡ Qu'est-ce que la maniere de penser d'un
individu ~solé? rien."",",:","Qu'on les compare a la démarche éga-
lement aitthentique des' princes contre le peuple 9ui se gardait bien
de les attalJuer. D •
". t Sieye~, page 5!:1 : "M. Necker s'est abusé. Mais pouvait-il
'itnaginér; qüe ces mémes hommes ,qui avaient voté pour ad-
meltre le íiers ennqmbre égal dans les assemhlées provin-
ciales, rejetteraient cette égalité pour les États-généraux ? Quoí
qu'il en soit, le public ne s'y est point trompé. "


3 Le journal de Pa,.is, nO 2, du 2 janvier 1789, donne le
résultat d'un conseil d'État royal:
. l° Que les députés, aux proehains États-généraux , seront
au moi:ps: au nomhre- de mille;


2 0 Que ce nombre sera formé, autant qu'il sera possihle,
en ~aison composée de la population et des contributions de
chaque b~iHiage;


3 o Que le nombre des députés du tiers-état sera égal a celuí
des deux autres ordres réullis, et que cette proportion sera
établie par les lettres de convocation;


4° Qu~ ces décisions préliminaires serviront de base aux
travaux nécessaires pour préparer sans délai les lettres de con-
vocation ,ainsi que les autres dispositions qui doivent les ac-
"ompagner.




LIVRE IV, -CHAPITRE II. 4r
rapport de Necker au conseil-d'État, dans le-
quel on accorda a la voix publique une in-
fluence qu' elle ne peut pas avoir dan s des
monarchies absolues, ou qu' on ne peut re-
connaitre sans faire officiellernent entrer le
penple dan s tons les secrets de l'administr~­
tion l. Dans ce rapport, le ministre signala en
meme temps au roi et a ~on conseilcertaines
classes de la société COlllme contraires a l'in-
téret du tiers-état, ce qui occasionlla naturel-


1 Le JOllrnal de París consacre les numéros 2 , 3 et 4 a ce
rapport. Il y est dit. page 10 : « On compte, en faveur de
« l'opinion qui réduit le nombre du tiers-état a la moitié des
" représentants des deux autres ordres réunis :


" 1° La majorité décidée des notables;
• 2 ° Une grande partie du clergé et de la noblesse;
• 3 ° Le vren prononcé de la noblesse de Bretagne;
" 4° I;.e sentiment connude plusieurs magistrats, tant du


« conseil du roi que des cours souveraines;
.,5° Une sorte d'exemple, tiré des états de Bretagne, de


" Bourgogne et d' Artois ;
" 60 Plusieurs princes du sang, dont les sentiments se sont


" manifestés d'une maniere positive. D
On voit, d'un autre coté, en faveur de l'admission du tiers-


état, dans un nombre égal a celui des deux alitres ordres
réunis :


• 10 L' a vis de la mi.o.orité des notables, en tre lesquels, etc. ;
" 2°L'opinion de plusieurs gentilshommes qui n'étaientpas


" dans I'assemhlée des notables;
" 3 o Le vreu des trois ordres du Dauphiné.
Nous passons sous silence les trois articles insigninants qui


suivent.
• 70 Enlln , et par-dessus tout, les adres ses sans nombre des


"villes et des communes du roya:ume, et le vreu public de cette
"vaste partie de vos sujets, connue sous le nom de tiers-état. _




42 .HISTOIRE HU XVlIIe SIECLE.
lenlent une dissension violente a l'ouverture
de l'assemblée.


N ecker comme protestant et roturier avait
bien plus a craindre de l' oligarchie de la eour,
que des mouvements du peuple. Il ne fut done
pas faché qu'a l'élection des députég, on nom-
Inat les partisans les plus arden ts de la liberté po-
l¡tique, représentanls du tiers-état. Lorsqu' on
considere l' état des cñoses,on ne peut pas ah-
solumentdésapprouverlesentimentdeNecker,
lnais il faut blamer cette négligence qui per-
met aux électeurs de s'occuper de toute autre
chose que des élections. n en résulta que
ceux de Paris s'arrogerent aussitot apres une
autorité publique qui ne leuT.' convel,ait nul-
lement.L'intervatle qu'ily eut entre la convo-
cation et l'assemblée' des États lut employé,
par le parti du duc d'Orléans, a lui gagner des
amis 1, et a susciter des ennemi~ a la cou.r.
Un hiver rigoureux augmentá la misere de la
population immense et redoutable du fa~­
bourg Sajnt-Antoine 2 et'Qu-quartjer voisin,


1 On ber~a le duc d'Orléans de l'espoir- qu'il serait nommé
régent du royaume. Si Louis XVI avait hesoin d''Un· guille, ce
n'était sttrement pas le duc qu'illui fallait.


2 Journal de París, nO 2, du 2 janvier 1789 :
Le curé Laugier de Beaurecueil , en demandant des aumones


pour ses paroissiens , dépeint ce d~plorable état de la maniere
suivante: • V oici , messieurs, ce qu' est roa paroisse : elle com-




LIVRE IV, CHAPITRE II. 43
ce qui facilita aux hommes méprisables, ga-
gnés par le partí opposé a la cour, le moyen
de former une armée mercenaire avec la plus
vile populace.On l'exerc;a pour la premiere
foís aux manreuvres dans lesquelles elle de-
vint ensuite si habite, en lui permettant le
pilIage de la fabrique des papiers peints du
sieur Réveillon ,ce qui se passa peu de temps
avant l'ouverture de l'assemblée des États l.


Si nons voyons d'un coté un parti, égale-
ment contraire a Louis XVI et a la liberté,
rassembIer et exercer ses forces , employer la
populace comme levier 2 , et tenter jusqu'a
<t prend tout le faubourg Saint-Antoine, et contient la (Jixieme
"partie des habitants {le Paris. Ces habitants sont tpus ou-
<t vriers, a l'ex.Ceptio~ d~un nombre ~nilDeIlt pe~i~ d~ pEP'''
"sonnes riches et aisées; elle n'esl pas, il s'en faut beaucoup,
«dam la situation de ces paroisses heureuses, ou l'abondance
" des riches prévient et eombIe la mesure des besoins d~s pa"-
"vres qui les habitent; elle n'a que la misere en Pilrtage, Iors-
.. que la ressource du tl'avai,l vient a luí manquer : aJors le
« nombre de$ p;luvres, qu.i es~ ordinairem~pt de huit a d,i¡c
" mille, /accrott jusr¡u'a vingt et trente mil/e. » __


] 11 faut remarqner que la lettre dll roi, pou,~ la conyQqalio~
des États-gélléraux a VersailIes, De fut publiét;! qqe le :a 7 I¡I.v~i~
1789, daDs le Journal de Paris, 6 fé"rie.f 1789,:qo 37; etque
le tumulte ent lieu le :& 7 et le 28 , e' est-4-dire le jour fixé PQur
l'ouverture de I'assemblée ajournée.


2 Babeuf, dalls le famellx proces plaidé a l~ b~"\e COU.f (:le
Vendome, les mois de mars et avril 1797, dit , en, parlant de
la séance du premier germinal: .. On a attribué le 14 juille.t 4
la canaill~ pal'isienne; mais de bons citoyens el des patriotes.
éclairés ont préparé el dirigé ses mouvements; satis eux ja-




44 HlSTOIRE DU XVIIJe SIi~CLE.
quel point ses machinations le seconderaient ~
nous remarquons de l'autre coté dans toute
]a nation le plus bel enthousiasme s'allier a ux
plus nobles transports. L'A,,¿s sur le.r élec-
tions, imprimé et distribué aux dépens du due
d'Orléans 1, ne demeura pas sans fruit: OD
ehoisit presque exclusi vement les gens les
plus éclairés et les plus éloquents, ainsi que
les hornmes d'affaires les plus habiles de toute
la nation. Celui qui désire connaltre la vraie
cause du mécontentement général ,et la con-
fusion des affaire s dans l'ancienne France, dont
la génération actuelle n'a plus"- le moindre
souvenir, peut consulter le!.cahiers des dif-


férents bailliages, ou se troAvent exposés les
griefs et les abus qu'ils désiraient voir abolis;
on y trouve encore les réformes qu'ils deman ..
daient 2.


A vant la constitution des États, les députés
furent présentés au roi, mais l'observance de


mais le peuple n'aUJ:ait songé a s'insurger, et nous serions
encore sous la tyrannie. J>


Il s'en faít, avec raison, un titre justificatif.
1 Nous ne saurions décider si Sieyes fut l'auteur de cette bro-


chure. Bertrand de Molleville l'affirme ; Mallet du Pan le ré-
"Yo que en doute.


2 On a fuit, au' mois de juin 1789 , un résumé de tous les
Cahiers des différents hailtiages, 3 vol. in- 8° , OU on peur faci~
lem~nt s'orienter, moyennant la table raisonnée.




1.1 VRE 1 V, CHAPITRE 11. 45
l'ancienne étiquette de la cour, et le choix des
costumes dans cette circonstance, aigrirent les
esprits déja mal disposés de ces Fran~ais qui
s' étaient rassemblés ponr faire ces ser tous les
différents entre les États. Ces députés avaient
été choisis presque tous dans l'intéret du tiers-
état. lIs étaient d'ailleurs encouragés et sou-
tenus par les hommes les plus instruits et les·
plus considérés de la noblesse; ils renfermaient
parmi eux des curés 1 ,et comptaient trente-
sept voix de plus que les deux autres états
réunis 2, paree que la noblesse de Bretagne
n'envoyait pas de députés.


I.Je 27 avril, le héraut d'armes proclama
l'ouverture des États ajournés au 4 mai; le I el"
de ce mois eut lieu la présentation, dont nous
venons de parler; le 4, on vit a Versailles une


1 II Y avait, dans la chambre du c1ergé, quarante-huit arche-
'"~ques et év~ques, trente-cinq abbés ou dé can s , deux cent
hui! «urés. La chambre de la noblesse comprenait deux cent
quarante-deux gentilshommes, vingt-huit membres des parle-
ments. Dans la chambre des communes se trouvaient deux ee-
clésiastiques, douze nobles .. ·dix-huit membres des magistrats
de ville, cent deux membres des bailliages et autres tribunaux
inférieurs, deux cent douze avocats, seize médecius, deux
cent seize marchands et paysans.


2 Ilnous faudra souvent citer le Poínt du jon,., ou résultat de
ce qu¿ s'est passé aux États-généraux, etc.,. par Barrere, alors
digne libéral, et non pas encore le révolutionnaire de 1793.
Il donne, page 1 et 8, les notices sur la présentation et le
costume, cite ensuite les noms des députés, et dit : • Une
troisieme distinction entre les ordres a signalé eette singuliere




46 HISTOIRE DU XVIlIe SJECLE.
procession brillante, 0'11 parurent toute la COUl'
-et tons les États-généraux l. Le duc d'Orléans,
dans cette solennité, se sépara des princes et
prit sa place parmi les députés, auxquels iI
adhérait 2 : on ouvrit l'assemblée des-:Etats-gé ..
néraux le 5 maí; le roi dan s son discours s'ap-
pesantit trop sur la fermentatioll des esprits;
en jetant un coup-d'reil sur les choses qui ve-
naient de se passer 3, il avait annoncé , que des
joumée; les deux premiers ont été admis dans le cabinet du
roi, et le troisieme dans sa chambre. Le6 deux battants n' ont été
ouverts que pour le clergé. Un troupeau de moutons défile
ainsi, forcé de précipiter sa course par les aboiements des
chiens qui le pressent et I'épouvantellt. Les communes t tres~
aflectées de cette différence dans la présentation, plusieurs
gr()upes sé sont aussitot formés. On a pro posé , avec quelque
véhémence, tle porter a l'instant mén'le une réclamation au
pied du trone, etc. »


1 MadameCampan, tome tI, page 3-6 : .. Lors de la pro~
cession des États.généraux ,des femmes du peuple, en voyant
}laSSer la reine, crierent vive le due d'Orléans! avec des accents
si factieux, qu'elle pensa s'évanouir. On la soutint, et 'Ceux
qui l'environnaient craignirent un moment qu' on ne fut obligé
d'arr~ter la marche de la pro(:ession. »


2 Point du jour, page 38, l'ordre de la noblesse : tr M. le
duc d'Orléans y marchait dans son rang de député de Crépy
en Valois.» Page 39 : .. La reine, par les graces de sa figure, sa
taille avantagepsé, sadémarche noble et aisée, sa parure élé-
gante el riche, attirait tous les regards. Cómbien de sentiments
sa vue n'a·t~elle pas excités! Comme elle serait aimée, disait-
en ,si elle voulait! qu'elle est a plaindre, d'étre subjuguée par
des courtisans avides et corrompus! "


3 Point du jour, page 45 : ti Une inquiétude générale, un
.Jésir exagéré d'innovation, se sont emparés des esprits, et
finiraient par égarer totalement les opinions , si Pon ne se ha-
tait de les fixer par une réunion d'avis sages et modérés. "




LIVRE IV, CHAPITRE 11. 47
l~éformes devenaient néeessaires; mais Neeker


. ayant pris la parole apres le roi et le garde ...
des-seeaux; déclara positivemellt, dans un dis-
cours fort long r, que sans l'assistance des
États, une banqueroute ignominieuse était iné-
vitable. Il était done impossible de eongédier
ou d'ajourner l'assemblée. Tout dépendait des-
101's des démarehes qu'allaient faire les dépu-
tes des nobles et du clergé, désignés avec af-
fectation par le noin de privilégiés, et bien-
tot apres par eelui d'aristocrates. On croyait
qu'en séparant la délihération ou en organi-
sant trois chambres, le parti des arjstocrates
paralyserait la supériorité du tiers-état. Celui-
ei insista ave e ehaleur sur une délibération
générale., et l' emporta paree qu'il avait pour
lui le talent, l'opinion publique, le penehant
seeret de tous eeux des deux autres ordres ql1i
se distinguaient par la générosité de leur5
sentiments.


n paralt évident que Nec1\.er n'avait songé
1 Point du jour, page 59:" Le directeur-général des nnances


a commencé la lecture de son discours, mais son étendue, véri-
taólement indiscrete, ne lui ayant pas permis de l'achever, il
a chargé M. Broussonnet, secrétaire de la société-royale d'a-
griculture, de le suppléer; ce discours, de trois mortelles
heures, a dévelOppé, etc. »


On trouve ce discours dan s le nO 1 34 ~u JOllrnal de Paris,
du 14 mai 1789.




48 HISTOIRE DU XVllle Sd~CLE.
qu'a une seule chambre, car autrement sa
double représentation n'était que ridicule. Les
príncipes, qui guiderent le tiers-état, se trou-
vent indiqués dans l'écrit de I'abbé Sieyes, ainsi
que presque toute la marche que I'assemblée
adopta. On voit que tout était calculé et fixé
d'avance par Sieyes et son ami ~lirabeau,
quoiqu'il entr~h plus rarement en lice et qu'il
laissat a d'autres la gloire de l'éloquence.
La dispute sur l' examen des pouvoirs qu' en-
tamerent les deux premiers états, et que ron
continua pendant tou t le mois demai l , mit
d'ailleurs a découvert la faiblesse du gouver-
nement aristocratique et hiérarchique. Mira-
heáu irrité y trouva en meme temps l'oc-
casion de caractériser, avec une éloquence
irrésistible, devant l'assemblée, les gens aux-
quels on avait a faire. Les négociations entre les
États sur leur réunion furent infructueuses;
le tiers-état les rompit le 19 mai, les reprit
par égard poür le roi, mais déclara posi tive-
ment ,des le 10 juin , qu'il se constituerait seul,
et s'arrogea, dans la séance mémorable du
17 juin, le titre d'asselnblée nationale. Onap-


I Le Point du jour donne, dans le premier yolume, les dis-
cours des députés, et les particularités jusqu'au J 7 juin. On
trouve, dans Mirabeau, Lettre x e, a ses commettants, les dis-
cours et les motions du 17 juin.




I,IVRE IV, CIIAPITRE JI. 49
prend, dans l'ouvrage de Sieyes, ce que ce
titre signifiait. Ce ne fut cependant pas luí qui
proposa de l'appeler ainsi, mais Legrand,
député du Berry. La seission dans le clergé,
et la minorité visible de la noblesse faciliterent
beaucoup eette démarehe l.


Le tiers-état, pour s'assurer le pouvoir lé-
gislatif, jojgnit a son décret la, déclaratioli ..
que tous les imp6ts qu'on levait étaient contre
la loi, et qu'on ne les percevrait que jusqu'au
moment oiJ-l'assemblée actueIle serait dissoute
de que]que maniere que ce flit. On ne néglj-
gea pas de gagner les nombreux rentiers, en
déclarant que l'assenlblée nationale, apres la
régénération de 1'État, aurait soin de préve-
nir une banqueroute publique. Cette derniere


, démarche fut trop importante, et la conr trop
.irritée, pour que l'aristocratie n'en fut pas


I La eolleetion que Lallement publie depuis 1818, ehez
Eymery, commenee avecle 17 juin: Choix de rapports, opinions
et discours prononcés a la tribune nationale, depuis 1789 jus'lu' a
ce jour, tome 1; mais l'authenticité de plusieurs pieces nous
parait suspecte. Pru.dlwmme, Réllolutions de Paris, t. 1, p. 65, dit:
"Dans la ehambre de la noblesse, les apotres de la réunion
anient toujours été plus nombreux et plus puissants. Le due
d'Orléalls était a leur tete, et son Dom faisait déja UD grand
poids dans la balance; mais le due de La Rochefoucauld, et
quelques autres noms estimés et illustres, lUontraient plus de
zeIe encore, eallsaient moins d'enthousiasme, et méritaienl plus
d'estimc. JI


H. 11. 4




50 HI STO lR f: 'D U XV Jll e Sd':CLI<: ..
alarmée; N ecker meme commen<;a a s'inquié-
ter, et on résolut, lorsqu'il n'était déja plus
temps, de donller une constitution.


Le crédit de la cour avait disparu; le gou-
vernail avait échappé aux mains de ceux qui
l'avaientmal dirjgé; les soldats des gardes-fran-
<;aises s'étaient faits patriotes, paree que ]eurs
officiers étaiellt des nobles; la populaee était
excitée, et un nouveau pouvoir venait de s'or-
ganiser a Paris, sans que le cabinet, étourdi de
ce coup, eut pris les moindres mesures l. En con-
sidérant tout cela, la séance au Jeu-de-Paume,
a Versailles, s' explique facilement. Les députés
des comIllunes braverent, le 20 juin, l'ordon-


1 Les électeurs donnerent, des le 8 mai, un décret contre
un arret du conseil du roi, lequel avait été lancé contre le
journal de Mirabeau, États-généraux, nO l. On l'appelle ici
un éCl'it aussi condamnable au fond que répréhensible daos la
forme : le décret des éJecteurs y réplique : « L'assemblée du .
.. tiers - état de la ville de Paris réclame unanimement contre
.. l'acte du conseil du 17 mai. lO


Au mois de juin, les électeurs se déclarerent permanents et
s'ajol1i'nerent au 7 Ilans que personne y mit entrave.


Le J.l1oniteur, nO 2 , du ti au 14 mai, contient l'acte de
l'arret, et l'extrait d'une lettre de M. le comte de Mirabeau a
ses commettants, OU ce dernier termine en ces mots : " Je con-
«tinue le journal des Etats-généraux, dont les deux premieres
« séances sont peintes, quoique avec trop peu de détail, dans
« les deux premiers numél'Os quí viennent d'etre supprimés,
« et que je vous fais passer . .,


On voit, par lit, que le pouvoir royal n'avait plus de poids
pour Mirabeau.




LIVRE IV, CHAPITRE II. 5r
nance du roi, dans Iaquelle iI leur était en-
joint d'ajourner leurs délibérations a cause des
préparatifs pour la séance royaIe, ou N ecker
voulait faire adopter une espe~e de constitu-
tion. Ils se rendirent au Jeü-de-Paume, et ju-
rerent de ne pas se séparer avant qu'ils n'eus-
sent donné eux-memes une constitution a la
patrie l.


Par cette séance, on venait de déclarer en
quelque. sorte au public 2, qu'on devai t don-
ner une constitution a la Franee, sans con-
sulter le roi. Louis XVI dut alors se montrer
eomme médiateur entre les partisans de I'an-
cien réginw et ceux du nouveau, les pusilla-
nimes et les exaltés; s'il laissait passer ce
moment, il n'en avaít plus le pouvoir. Telle
était l'idée de Neeker; ee ministre supposait
d'ailleurs qu'il existait une tendance a détruire
toute institution ancienne, du lnoins chez ceux
qui se servaient avee tant d'habileté des cla-
meurs insensées des orateurs du Palais-Royal,


1 L'assemblée des communes se rendit ensuite a l'église de
Saint-Louis, ou uue partie du clergé se joignit a elle.


2 Plusieurs députés publierent les actes, puisque les jour-
naux ne l'oserefit pas encore a cette époque. Voili:t l'origine du
Point du Jour, ainsi que ceHe des Etats - généraux de Mira-
heau, qu'il Domma, lorsque son nUméro Ier avait été prohibé,
LeUres a ses eommettants, et plus tard, Cow'rier de Prol'ener.





,.


5:J. HISTOIRE DU XVIIle SIF:CLE.
parmi lesqueIs Saint-Huruge, a moitié fon ,
joua un grand role.


Necker devina alors l'intention de Mira-
beau, que celúi-ci énon<;a d'ailleurs assez c1ai-'
rement dans ses discours et surtout dans ses
États-généraux ou lettres a ses commettants. Le
ministre proposa au roi d'accorder toute chose
équitable, pour prévenir les demandes in-
justes. Louis XVI ayant approuvé le conseil de
Necker, une constitution ou déclaration royale
fut projetée. Le roi devait la faire publier ,
le 23 juin , luais cornme la reine prit malheu-
reusement part aux affaires 1, on ]a changea
tellement, par son avis, que -Necker ne la re-
connut plus pour son travail. Il est fadIe de
juger de la I1att\re de ces changements faits a
la constitution, en suivant le rapport qu'en


~ Nous voyons , par le protocole mémorable de l'inter-
rogatoire qu'on nt subir a Marie-Antoinette devant le tribunal
sanguinaire, qu'eUe avait pris part aux affaires ; on reconuait ici
combien des hommes vulgaires, méme en qualité de juges ,
et comme organes du pouvoir, cOlltrastimt avec la vraie 110-
blesse d'une ame bien élevée.


1Woniteur, nO 26 , an II, page 104:" V otre mari , lui de-
mande le président, ne vous a-t-il pas Iu le discours une demi-
heure avant d'entrer dans la salle des représentants du peuple,
et ne l'avez-vous pas engagé ti le prononcer avec fermeté?


• L' accusée.-Mon mari avait beaucoup de confiance en moi,
et c'est ce qui l'avait engagé a m' en ¡aire lecture, mais je ne
me suis permis aueune observation."




LIVRE IV, CHAPITRE 1I. 53
fait Bertl'and de Molleville, un des défenseurs
les lllus acharnés de toute forme ancienne 1:.


Les députés, parfaitement instruits de tout
ce qui se passait a la cour, eomptaient trop
sur lenr pouvoir, pour aeeepter les offres
adoucies, sur l'avis du eomte d'Artois, et expo-
sées dans la déclaration du roL La séanee
royale, au lieu de mettre un terme aux projets
des novateurs, ne servit qu'a montper- a la
nation qu'une puissanee plus grande que eeHe
du roi et de ses ministres, nourrie dans son
sein, venait de s.'élever en Franee. Dans eette
oecasion, comIne dans bien d'autres 2, Mira-


1 Bertrand de JI1vllp.ville, tome 1, page 197. apres avoir
rendu (~ompte de la séance du Jeu-de-Paume, hUme Necker,
qni était malad'e a Paris. . . . . . . . ., ou plutot tel fut le
prétextedont iI couvritl'humeur que lui avaient donnéc les cor-
rec'ions légeres faites a ses projets de déclaration pour la
séance l'oyale, quoique ces corrections n' eussent été adoptées par
le roi que sur l' avis de son conseil, ou MONSIEl1R, iJ'1. le comte
d' A rtois , el plusieurs conseillers d' É tar, out ét.! appelés . e/l cetie
occasion.


Necker, Sur la révolution de Frallce , 1797, in-So, ne donne
pas le plan dans sa premiere forme, ll'lais il rapporte que fe
couseil d'État avait été interrompu subitement, et le roi rap-
pelé; que Montmorin, assis a coté de luí, parla ainsi : « Il n'y
• a ríen de faít. la reine seuIe a pu se permettre d'interrompl'e
" le cOllseil d'État.; les princes apparemment l' ont circonve-
• nue t et 1'0n veut, par sa médiation, éloigner la décision du
lt roí. » Le conseil d'État, dont Bertra~d de MoHeville parle,
eut lieu deux jours apreso


2 U faut lire dans Jrlirabeau, leltre treizieme a ses commet-
(<luts, comment iI détruisit, dans eette séance, l'autorité royale,




54 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLl-:.
beau sut toucher la véritable corde et prendre
le ton convenable. Observant les temps et les
lieux, il fut jusqu'a modérer dans son journal
des expressjons qu'il n'avait point hésité
d'employer contre le roi dans l'assemblée.
Louis XVI avait ordonné aux députés de dé-
libérer séparément, état par état, et de quitter
la salle. Le grand-maitr.e des cérémonies rap-
pela cet ordre auquella plupart des membres
des autres états s'étaient soumis. Mirabeau
donna le signal de la résistance , et son éner-
gie yalut au tiers-état le champ de hataille l.


11 dit, entre autres, pago 5: «Apres cette déclaration de volonté
impérative, le roi a prononeé un discours dans lequel on a
remarqué eette phrase singuliere: a J' ai voulu aussi, .messieurs,
« vous faire remettre sous les yeux les difféfents bienfaits que
.. j'aecorde a mes peuples. » Gomme si les droits des peuples
étaient des bienfaits des rois! •


«Ensuite on a lu une déclaration des intentions du roí, dans
lesquelles il s'en trouve quelques-unes vraimeQ.t sag.es et po-
pu]aires : mais dcpuis quand ]a puissance exécutive a-t-elle
l'initiative des 10is? Voudrait-on nous assimiler a une assem-
blée de notables? ,.


1 Les expressions propl'es d~ Miraheau sont rapportées par
Beaulien, Essais historiques sur la réllolution-, tome 1, p. 236.
Mirabeau lui-meme, iettre XIII e a ses commettants, page 9,
dit qu'il répondit aiusi: " Oui , Dlonsieur, nous avons en-
tendn les intentions qu' on a suggérées au roí, et vous, qui ne
sauriez étrc son organc aupres des États.généraux, vous qui
n'avez ici ni place, ni voix. ni droit de parler, vous n'étes
pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour
éviter toute équivoque et tout délai, j~ vous déclare que, si
ron vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous deve7. de-




LIVRJ: IV, CH!.P1TRE [l. 55
Autant l'asselnblée nationale redoubla de con-
fiance en elle-meme, autant la cour flotta dans
l'indécision. On commen<;;a par Inontrer a
l'assemblée les gardes qui entouraient la salle,
san s en faire usage ; on décida ensuite le clergé
et la noblesse a suivre le décret des députés
du tiers-état 1 , au mépris de celui que la no-
blesse avait émis le 25 juin. On les engagea
Ineme a ne constituer qu'une chambre avec le
tiers-état. Cela n'empecha pas la cour de ras-
sembler une armée considérable pres de Paris.


mander des ordres pour empIoyer la force, car nous ne quit-
terons nos pIaces que par la puissance de la balonnette. »


e'est la derniere phrase qQ'on a changée. Le Choix de rap-
porls, etc. , tome 1, page 9 , la donne daos sa premiere dureté.
On voit d'ailleurs, par la, (:e que c'est <J.~e l'hi,itoire. Mir~;
heau en opposition avec lui-meme! Le Móniteur aussi n'a in ..
séré que la phrase modifiée.


La véritahle commence : Dites a votre maitre, etc.
• Mirabeau, XI/e leftre a ses commettants, caractérise la mal-


adresse que les ultras parmi les nobles montrerent en cette
occasion, et comment ils céderent.


Ou íls n'auraient pas dti se rendre a la sé~nce, ou ils de-
vaient consentir sans restrictÍon. La déclaratioll du roí, el
tout ce qui s'y rapporte, se tl'ouve dans le numéro JO du 1110-
Tllleur de 1789, du 20 au 24 juin.


-.




56 HISTOIRE DU XVHle SI:E:CLE.


CHAPITRE 111.


DU 23 JUIN 1789 JUSQU'A L'ORGAN1SATION DE LA
RÉPUBLIQUE.


l. Du 23 juin :1789 jusqtt'a la fuite du roi.-U. Depuis
, la fuite du roi jusqu'a l'organisation de la répuhlique.


l. Depuis la séance du Jeu-de-Paume et
r opposition du tiers-état, a la séance royale ,
la force magique du trÓne avait disparu, le
peuple et les troupes n'avaient plus ni crainte
ni confiance en un gouvernement composé de
tant d'éléments. Il dut s'écouler beaucoup de
temps avant qu'un autre mode de gQuverner fut
constitué; la pollee ne put se soutenir sur l'an-
cien pied, tous les scélérats qu'elIeavaitenchai-
nés ne connurent plus de frein. G'est ainsi que
s' explique une foule d'horreurs commises des
ce jour, daos. la capitale et dans les pro~
vinces.


D'autres atrocités furent le résultat de l'idée
adoptée par les deux partis, que la bonté de la
cause sanctifiait les mauvais moyens 1; car la


1 Il est dit, dans l' Adresse de l'assemblée nationate a ses com-
mettants , jointe a la quatorzieme lettre de Mirabeau el ses com-
mettants, page 2.3 : " e'est dans une classe vénale et corrompue




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ.


religion avait perdu depuis, long-temps son
influence, et les hommes les plus vils dans des
bouleversements, sont regardés comme les
plus utiles et les plus actifs. Ce n'est point a
l'armée commandée par Broglie 1, qu'il faut at-
tribuer les mouvements qui éclaterent a París,
au mois de juillet; l'exemple des gardes-fran-
~aises, qui avaient entierement ahandonné le
roi 2, prouve que le militaire n'est pas ~ re-
douter. La raison en fut plutot la victoire
que le partí aristocratique venaít de remporter
a la cour, et qui se fit connaltre par la dis-
grace de Necker et par le changement du mi-
nistere 3. On remercia Necker, le 11 juillet,
que nos ennemis chercheront a exciter des tumultes, des ré.
voltes, qui embanasseront et retarderont la chose publique ..
V oi la les frui ts de la liberté, voila la démocratie, affectent
de répéter tou~ ceux qui n' ont pas honte de représenter le
peuple eomme un troupeau furieux qu'il faut enchatner! 1;ous
ceux qui feignent d'ignorer que ce méme peuple, toujours
calme et mesuré lorsqu'il est vraiment libre, n'est violent et
fongueux que dans les constitutions oi! on l'avilit pour avoir
droít de le mépriser. "


1 Trois régiments étaient campés au Champ-de - Mars ;
d'autres a la Muette, a Passy, a Sevres, a Saint-Denis. Toute
l'artillerie se trouvait rangée a VersaiHes; mais iI n'y avait ni
ferme volonté, ni possibilité de l'employer.


:& Les patriotes du café de Foi, section des réunions popu-
laires du Palais-Royal, délivrerent, le 30 juin, les gardes-
fran<saises, mises aux arrets pour des délits de discipline, et
adresserent une députation a l'assemblée nationale qui alors
eneore la renvoya.


3 Le Maniteur, nO 17, annonce ce changemellt de ministres




58 HISTOIRE DU XVlIle Sd~CLE.
et iI quitta secretement la Franee, eomnle il
avait promis au roi, le 12 au matin. Camille
Desmoulins, jeune avocat, ensuite rédaeteur
du C,(Jurrt"er de Brabant, connu pour un des
ennemis ·lesplus acharnés de tout gouverne-
ment monarchique, excita le pellple par ses
disc'ours au Palais-Royal; et les patriotes,
dans des clubs organisés depuis quelque temps,
firent jouer leurs re.ssorts. S'il est vrai que
l'argent du due d'Orléans éblouit, gagna et
nourrit une foule de misérablfts 1, tels qu'on
en trouve dans toutes les grandes vi Hes, et que
cet argent servit aussi a corrompre les gardes-
fran~ises qui fir~nt feu ,sur les Suisses et les
troupes allemandes, il n'est pas moíns vrai
que pes hornmas excellents crurent l~ moment
déeisif arrivé, et que tout Paris prit les armes.
La capitale se tint sur un pied de révolte dans
la nuit du 13 au 14 juillet : les s~ldats furent
obligés de eéder, on ne reconnut plus ni ju-
ridiction ni police. A un signal secret, les
bourgeois de toutes les viHes de Franee, sui ..
d'une maniere malicieuse. Les non veaux. ministres étaient:
Breteuil, de La Gala:isi.ere, le maréchal de Broglie, de La
POJ'te et Folllon. "


I Voilit ce qu'on peut affirmer avec assurance, sur la foides
histoires du club de lUontrouge, et"de ses prétendus chefs,
Sieyes, Mirabeau, Laclos et Latouche. Les autres particulal'i.
tés se trouvent daos Bertrand de Mollcl'il/c, tome 11.




LIVRE IV, CHAPITRE IJI. 59
vant l'exemple de Paris e~ de Yersailles, s'é-
taient arnlés 1, sans attendre une déclaration
formelle de l'assemblée nationale. Des ce mo-
ment la confusion, le trollble, le carnage et
l'incendie furent les signes affreux de cette
allégresse, a laquelle on se livrait en voyant
s'établir enfln un gouvernement plus conforme
a la na ture des choses.


Les électeurs de Paris proflteren t de la
faiblesse \lu gouvernement pour se constituer
magistrats provisoires. Flesselles , jusqu'álors
prévót des marchands, flnit par accepter la
présidence de la nouvelle magistrature. Le
lieutenant de poli ce , apres lui avoir donné les


IOn lit, dans une note a l'íntroductíon du Moniteur, nO 10,
du 8 8.Jl JO juillet : ca Q~oíqu,e l'on ~()jt c9Pv~np qu'il pe se-
raít pas dit un mot dans l'adresse des gardes hourgeoises, iI
faut observer que ce q~'en a dit M. le comte de Mirabeau,
dans son discours, ne produisit pas moins son effet. Le lende-
main Paris .et Versailles étaient armés. Peu de jours apres
tout le royaume le fut ...


Quant a l'anecdote COnnue, que Dupont doit avoir donné
cent mille écus pour répandre prompternent, par des cour-
riers, le bruit que des milliers de brigands marchaient sur
Paris et sur les endroits qu'on voulait aruter, nous n'osonsni re-
connaitre sa véraci.1:é , ni la contester, quoique madame Cam-
pan l'afflrme , et que-des personnes bien informées, et qui se
trouvaient alors a París, nous l'aient assuré.


Celui qui désire avoir une idée dutalent qu'on déploya
pour armer le peuple, pour aínsi dire, ayec une vitesse élec-
trique, par le cri séditieux, guerre aux chelteaux, paix aux
chaumieres, n'a qu'a lirePAGANBL, Essais critiques sur fhistoil'l?
de la ,.élJ!)lution franfaise t tome 1, pages 149-150.




60 HISTOIRE DU X V lIle SIECLE.
instructions néces§aires, déposa sa charge.


" On divisa Paris en seize quartiers, et on em-
. ploJa d'une maniere prudente les soixante
districts électifs POU}' consolider la nouvelle
organisation. Toute la bourgeoisie fut divisée
en autant de légions armées qu'il y avait' de
quartiers.


Malheureusement, a ces délnarches pai'sibles
se joignit un arlnement violent de la nom-
breuse populaee. Une émeute réelle éclata,
et l'arsenal fut pillé; la populace prit d'assaut
la Bastille, prison d'État trop pen fortifiée,
cal' le gouverneur était lache, et ne pouvait
guere compter sur ses troupes. Les meurtres
se succédaient; et dan s le transport qu' exci-
taient le commencement d'une ere nouvelle
et le renverselnent de l'oligarchie, la rneil-
le~re partie des bourgeois, qui désirait balan-
cer les projets des fauteurs de l'ancien sys-
teme, fut obligée de souffrir tout ce que le
rehut du p~uple cornmit, ou par férocité natu-
relle, ou a l'instigation des Orleanistes, OH par
le désir du pillage. Le prernier rapport que
le Moniteur fait de ces troubles comprend
en peu de ruots tout ce qll'a d'efIrayant l'abo-
lition des lois et de l' ordre établi l.


1 On peut lui appliquer le ver s d'Homere : « Patrocle a




L 1 V R E [V, e HA. P 1 TR E JI r.


La nouvelle de ces désordres décontenan<;a
entierement le roi. Lors meme que l'assem-
blée nationale délibérait sur les troubles, lors-
que chaque jour édairait de nouvelles hor-
reurs, le faible Louis XVI annon<;a aux États
qu'il venait de retirer les troupes, et d'ap-
prouver l'organisation de la nouvelle nlilice
et de la nouvelle autorité. Cette pusillanime
condescendance augmenta la hardiesse de ses
adversaires, au point que le parti du duc
d'Orléans 6t proposer par SilJery une adresse
ou les ministres étaient appelés conseillers
perfides, et ou on demanda, en mena<;ant,


e succombé , Hector l'a désarmé, en agitant son casque: » ce
peu de paroles annoncent a Achilte la mort de Patrocle. .


lI1oniteur, nO 18, du 13 au 15 jllillet, page 79: .. La dit.
cussion s'engage, et lt:s débats devenaient tres-vifs, lorsqu'on
annonce M. le vlcomte {le Noailles qui arrive de Paris, por-
tant des llOuvelles désastreuses. Il entre dans l'assemblée, en-
touré d'autres députés. qui se pressent autour de luí. Des qu'il
parait , iI se fuit le plus grand silcnce. Il rend compte de ce
qll'il a vu; il dit que la hourgeoisie est sous les armes, et di-
rigée dans sa discipline par les gardeg.-fran<;aises et les Suisses ,
que l'hotel des "Invalides a été forcé; qu'on a enlevé les ca-
nons et les fusils ; que les familles nobles ont été obligées de
se renfermer dans leurs maisons ; que la Bastille a été enlevée
d'assaut; que M. Delaunay, qui en était le gouverneur, et
qui avait fail tirer sur les citoyens ,a été pris, conduit a la
Greve, massacré par le peuple, et sa tete portée au haut d'une
pique.


" Víent ensuite la députation de París, qui rejette toute la
faute sur un escadron de hussards, qui s'est présenté dans le
faubourg Saint-Antoine ,a répandu une alarme générale et ex-
cité la fureur du peuple. "




62 HISTOIRI~ DlJ xVlne Sd':CLE.
qu'ils fussent éloignés, comme une peste, de
I'État l.


Mais ce qui est encore plus horrible que
les scenes de Paris, ce sont les rapports dictés
par Prudhomme et ceux que CanIille Desmou-
lins 6t lui-meme, assez impudent pour pren-
dre le titre de procureur-gén:éral de la lan-
terne, énergumene qui alla jusqu'a van ter le
supplice sans arl'ets ni proces 2. Lorsqu' on
demanda enfin au roi qu'il éloignai effective-
ment l'arnlée qui se tenait pres de Paris, il
tint un long conseil pour savoir s'il devait
partir. La reine avait tout enlballé ; I-"Ollis XVI
allait prendre la fuite, lorsque la majorité de
son conseil s'étant prononcé~ contre son dé-,
part, iI préféra reprendre un ton populaire
et détourner pour un instant le mal, non par


1 Moniteur, nO 19, M. le comte de ft'lirabeau: "Je propose
d'ajouter a l'adresse la phrase suivante: Sire, Henri IV, IQrs-
qu'il assiégeait Paris, faisait passer secretement des blés a la
capital e ; et aujourd'hui, en temps de paix, on veut réduire
eette m~me ville aux horreurs de la famine 'sous le noro de
Louis XVI ...


2 Le Moniteu,. aussi sert la bonne cause par de mauvais
moyens. Il commence par faire un rapport affreux· des inten-
tions de la cour, et termine ainsi ; .. Tel est l'horl'ible tissu
de forfaits , de brigandages et d'assassinats qu'une troupe de
scélérats et de femmes perdues méditaient avec une joie bar-
bare dans le tumulte de leurs exécrables orgies, pour forcer
París a capitnler avec la tyrannie. lO


Le récit analogue de la prise de la Bastille et de ses causes
se tl'onve dan s le llfonileul' , nO :¡ o.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 63
les armes, luais par des concessions. Il se
rendit dans l'assemblée nationale a pied, sans
le moindre appareil, s'engagea a ne point
employer la force militaire, et loin d'aviser
lui-meme aux mayens de rétablir l'ordre dans
Paris, il chargea les États de ce soin et les
laissa maltres du choix des moyens.


L'assemhlée, en vertu de la commission
rayale, envoya trois députés a Paris. Deux
furent aussitot revetus de dignités nouvelle-
ment créées; Lafayette 1, nommé chef de la
garde nationale, et Bailly , maire de la vale. Le
rai annon<;a bientot a l'assemblée qu'illui sa-
crifiait son nouveau ,ministre 2, et finit meme


1 Lafayctte organisa alors systématiquement la garde natio-
nale de París. On laissa le choix des officiers aux hourgeois ;
cependant on pla<;¡a, auta1lt que possible, des officiers qui
avaient servi ; toute la garde formait six légions ,et chaque lé-
gion dix bataillons ; on ne pouvait l'ien faire de mieux, mai~
une erreur détruisit tout. Ces légions devaient avoir de l'artil-
lerie; chaque hataillon eut deux canons; le service devenait
trop pénihle aux autres hourgeois; des charrons , des for-
gerons, des serruriers et des houchers composaient a eux
seuls l'artillerie, et devinrent par la suite les plus puissallts :
les jacobins fonderent la-dessus leur influence ,et eurent tou-
jours, en dépi.t des hons citoyens, l'artillerie a leurs ordres.


2 Le sophiste B.'lrnave revendique ainsi a l'assernhlée natio-
nale le droit de voter dan s les affaires: " Quoiqu'en principe
il soit vrai que l'assemblée n'a pas le droit de demander ni le
renvoi d'un ministre, ni le rappei d'un autre, il n'est pas
moins vrai cependant que, lorsqu'un ministre n'a la confiance
ni de la nation, ni de ses représentants, l'assemblée natio-




64 HISTOIRE DU XVlIle SII~CLE.
par rappeler N ecker. Des-Iors la victoire de
la nation sur ]a cour fut décidée: les person-
nes 1, qui redoutaient surtout la haine du
peuple, commencerent a émigrer, et occasion-
nerent ainsi des maux dont nous plaignons
encoreaujourd'hui les résultats 2. Louis XVI
alla a Paris, le 17 juillet, et y fut re<;u, pour
ainsi dire, en triomphe 3. n prit la cocarde
nationale et reconnut les nouvelles antorités
de la ville, lnais il recourut en meme tenlpS
a des moyens indignes de son rang ponr ga-
gner des partisans. Il ne put cacher la douleur
qu'il ressentait de la nouvelle organisatlon et
nale peut et doit déclarer, qu'elle ne eo:rrespondra poillt avec
lui sur le¡:; affaires du royaume; 'et qu'alors le renvoi d'un te!
lllinistre devient néeessaire~ •


I I,e eorote d' Artois , le prince de Condé et ses enfants, le
due et la. duchesse de Polignac, leur filIe, la duchesse de
Guise, la eomtesse Diane de Polignae, sreur du duc de ce nom,
et l'abbé de Baliviere.


2 C' est ainsi que, dans les meilieures intentions , le gouver-
nement cherche de nos jours a remédier aux malheul's cau-
sés par la révolution; mais, loin de fermer les plaies encore
saiguantes, on ne fait que rappeler des souvenirs trop fuuestes;
et, au líeu de répartir les effets de la clémence royale sur toute
la nation, ce ne sont que certains individus qui en jouisser~t,
au détriment de la majorité des Fran<sais. (Note da traduc-
teur. )


3 Moniteur: « Le roi, arrívé a Paris vers trois heures, l'a tra-
versé en voiture san s gardes , entouré de la députation de l'as-
semblée nationale, entre deux haies de milice hourgeoise,
précédé et suivi de eette méme miliee, tant a pied qu'a
cheval; BaiUy lui dit « que le peuple avait rcconquis son roí. 8




T.IVRE IV, CIIAPITRE IlI. 65
'des 111aux qui en étaient inséparables; plus il
cédait, moins on lui donnait de confiance. La
mailvaise intelligence entre le roi et l'assem-
blée nationale cDntinua donc rnalheureuse-
ment, et augmenta beaucoup par l'aversion
que la reine et ses conseillers montraient pour
toute esptke de réfonne. La nation fondait
encore de grandes espérances sur Necker. D,es
sa rentrée au ministere, les assassinats, les
abolitions des anciens instituts et les destruc-
tions des chateaux et des fiefs se multiplierent
de jour en jour l. I~a discipline de l'armée
disparut, et le roi se vit obligé d'approuver
la défection de ses gardes )/comme iI l'avait
fait pour la désertion des soldats 2; et cepen-
dant on osa se flatter que N ecker rétabIirait
l'ordre des finances.


Tandis que les vrais auteurs de la révolutiol1
intimidaient les amis des anciennes formes


I L'AIsace, la Franche-Comté, le Dauphiné, furent le plus
saccagés; on compte, dans le Dauphiné seul, trente-six chá-
teaux détruits, dans le laps de trois mois.


"Journal de Paris, nO 204, page 916, le roi écrit a Lafayette :
" Je suis informé qu'nn nombre considérable de soldats de
divers de mes régiments en a quitté les drapeaux, pOUl' se
joindre aux troupes de París. Je vous autorise, etc ...• '
Quant aux gardes franc;¡aises, je les autorise a cntrel' dan s les
milices bourgeoises de rna capitale, et le u!' pret et nourriturc
sera continué jusqu'ú ce que ma ville dc Paris aÍt pris des
'll'rangements relatifs a leur suhsistance. »


H. 11. 5




ú6 HISTOIRE DU XVIUe Sd:CLE.
par la populace, l'assemblée nationale, parmi
tous les troubles, travaillait a une nouvelle
constitution. Elle en puisa adroitement les
matériaux dans les commissions des diverses
assemblées électorales, et il est hors de doute
que les points sur lesquels tous les cercles
électoraux étaient d'accord , comprenaient les
principes de tout gouvernement monarchique
modéré; et que les articles controversés pré-
sentaient des problemes qui ne pouvaient etre
résolus que par une assemblée des États l. On
mela malheureusement de pures spéculations
aux réformes de l' ordre établi, et on oublia


x Moniteul', nO 25, page 108 : Résultat du dépouillement
des cabiers; príncipes avoués :


1° Le gouvernement fran~ais est un gouvernement monar-
chique;


2 ° La personne du roi est inviolable et sacrée ;
3° L'l couronne est héréditaire de mll:le en mMe;
4° Le roi est dépositaire du pouvoir exécutif;
5° Les agents de l'autorité sont responsables;
6° La sanction royale est nécessaire pour la promulgatioll


des lois.
7° La natío n raít la loi avec la sanction du roi.
8° Le consentement national est nécessaire a l'emprunt ou


a l'impot;
9° L'impot ne peut etre accordé que d'une tenue d'États-


généraux a l'autre;
10° La propriété sera sacrée;
I 1° La liberté individuelle sera sacrée.
Suivent ensuite les articles a discuter, ou les cahiers ne


s'accordent paso




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 67
que l'histoire seule avait une voix décisive dans
la question présente. I


On passa du triste état dans lequelle gou-
vernement et l'administration avaient été
jusqu'alors en France,jusqu'aux:extrémités des
relations sociales. On voulut, a l'instar de l'A-
mérique, proclamer les droits primitifs de
l'homme et du citoyen, et on négligea d'exa-
miner préalablement si la théorie préférée
était exécutable l. Tandis que, dan s les nleil-
leures vues, on discutait avec talent et éloquen-
ce, sur les principes et sur les c011stitutioIlS,011
adopta de part et d'autre un systeme d'anar-
chie. Des voyageurs furent arre tés , des aris-
tocrates poursuivis; l'assemblée se vit obligée
de nommer une commission, qu' elle chargea
d'examiner les menéespolitiques.L'état des fi-
nances au lieu de s' améliorer, depuis le re tour de
Necker, devint de jour en jour plus misérable.


Pour ne pas voir des malheurs partout, avec
ceux auxquels ces changements tirent per-
dre des droits, il faut considérer que dans un
temps ou une sorte de fanatisme, jusqu'alors
inconnu, transportait meme des ames ordi-


x Mirabeau, avec un talent qui n'était propre qu'it luí,
proposa d'ajourner la discussion des droits, jusqu'it ce que la
constitution fut achevée, c'est-a-dire, il voulut 1'ajourner a un
temps illimité.


5.




68 UISTOIRE DU XVlIlC SIl~CLE.
naires, des réformes néeessitaient un boule~
versement el~tier, eomrne Mirabeau le remar-
que, avee sagaeité, et eornrne iI l' énonee dans
la définition qu'il donne du lllOt réCJolution. Il
est incontestable que l'enthousiasme, des
luembres vraiment généreux de l'assemblée
nationale facilita ce bouleversement. Ces me-
lues membres de la noblessc, qui donnaient
le ton dans l'assemblée 1, sacrifierent spon-
tanélnent, dans la nuit mémorable du 4 aout,
tous les priviléges du systeme féodal. Les dé-
putés du cIergé, entrainés par ce bel exemple,
renoncerent aux dimes ecclésiastiques; lual-
heureusement, eette affaire importante, qui
changeait l'état dll royaume et la fortune de
plusieurs milliers d'hornrnes, avait été dé-
eidée avec trop de précipitation et sans qu'on
eut examiné avant si son exécution était pos-
sible 2.


1 Un des Noailles, heau-frere de Lafayette, donna l'exemple;
le due d' Aiguillon, les deux Lameth, Víctor de Broglie, Mont-
morenéyet La Rochefoucauld le suivirent.


2 Point du Jour, tome IlI, nO 48, jeudi 6 aout: .. e'est
de la nuit, a ce qu'il parait, qu'il faudra dater, pendant ecHe .
révolution , les événements les plus remarquables. CeHe du 14
juillet fut affreuse par le complot qu'elle couvrit de son voilc.
CeHe du 4 aout sera a jamais mémorable, par les bienfaits
qu'elle a fait éclore. Aucun détail particulier, aucun débat m!-
nutieux, aueune discussion orageuse, ne l' ont profanée; le
patriotisme franctais a porté lui-mémc, au colosse féodal, des




T~ 1 V RE 1 V, e JI A PI T R E 11 I. 69
L)assemblée nationalc travailla des-Iors a


une nouvcllc constitution, avec une adlni-
rabIe activité; lllais les idées des 11leInbres
respectif:" étaient trop différentes, et les con-
'seillers du roi cxer<,;aient sur lui une trop fa-
tale influencc , pour que les gens raisonnables
pussent espérer dans les délibérations l'unité
si nécessaire et si ardemment désirée. Une
partie des députés s' opposait a toute réforme,
une autre demandait la constitution anglaise,
projet que Sieyes, dans son Tiers-état, hUme
déja comme un aristocratisnle insensé 1 ; d'au-
tres, comIne Lafayette et ses enthousiastes
ami s , voulaient créer'un ordre tout nouveau;
Barnave , AdrienDuport , les Lameth, s' effor-
~aient de faire disparalt~e de la constitution
presque tont principe monarchique, et fa~
cilitaienf ainsi les pl'ojets de Le Chapelier,
Pétion, Buzot, Robespierre et autres qui tra-
vaiIlaient a la destruction de la royauté. Ces
derlliers savaient alors se servir du llléconten-
tement de la fonle, exalté e par des affiches, des


coups plus terribles qu'it n'en avait rec,¡us de la politiquc fa-
l'ouche de Louis XI et de Richelieu. lO


IOn décréta done aussl qu'il n'y 'aurait qu'une chamhre
législative, quoique ce ne fUt pas l'opinion ue Mirabeau, de
Lameth et de Lafaycttc, et qu;ils ne cédasscllt ({ue par poli-
tique.




70 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
proclama tions, des feuilles périodiques, des
journaux, des chansons et par une foule de
broch;ures, pour por~er par la terreur la ma-
jorité de leurs collégues, mieux pensants et
plus habiles, él des décrets qu'ils n'auraient
jamais donnés spontanément l. Ce ne fut pas
sans raison que, lorsqu'il s'agit de confirmer
les décrets du 4 aout, le roi montra une
longue hésitation qui occasionna dans l'as-
semblée meme des débats violents, sur l' espece
de veto 2 qu'on accorderait au roL
Pour obtenir plus t6t la sanction de Louis XVI,


on eut recours él la mel~e tactique dont on se
sert toujours dans des cas pareils, et dont on-
était parfaitement maitre alors. On provoqua
des clameurs et du tumulte parmi la populace;
mais ce fut plutot le parti du Palais-Royal,
initié dans la politique 3, qu'on employa dans


1: Pour connattre l'état malheureux dans lequel la France se
tr6uvait alors, il faut lire les discours des denx ministres, de
l'archevéque de Bordeaux et de Necker, qui parurent le 7
aout a l' assemblée nationale. M oniteur , nO 36, page 1 5 I.


2 On discutait si on accordel'ait au roi un 'Veto suspensif ou
absolu : on se déclara enSn pour le premi~r.


3 Son élite était dan s l'assembléenationale. Monitellr, nO 48,
page 197: « Les habitués du coté droit s'attacherent a les
discréditer et a les entacher du titre de factieux; donnerent
le nom de coin du Palais-Rojal a la partie de la salle qu'ils
avaient adoptée , et comme les députés de Bretagne y parais-
saient les plus assidus, les mesures vigoureuses et les projets
républicains furent appelés arrétés bretons. Les partisans de




LIVRE IV, CHAPITRE,IIJ. 71
cette affaire d'État 1, que la masse des habi-
tants des faubourgs. Le roi eut encore la
faiblesse d'accorder, le 21 septembre, aux
demandes tumultueuses , ce qu'il avait refusé
aux instances pacifiques, et de confirmer a re-
gret les décrets qui pronon~aient l'abolition du
systeme féodal et des priviléges de la hiérar-
chie. Le peuple devenait d'ailleurs plus facile
a soulever. Mirabeau et Sieyes s'en étaient
rendus maltres ; l'un, spirituelet violent, avait
étudié tous les gouvernements ,depuis la
Prusse jusqu'aux Pays-Bas; l'autre, froíd, som-
bre, pensif et dur, le seconda admirablement
dans ses projets; et tous deux ensemble, par
le ministere de Danton, de 'Camille Desmou-
lins et dequelques autres, organiserent, pon!'


la liberté se répandaient de Ieur coté en reproches contre leurs
adversaires, et les accusaient d'aristocratie.


1 Prudhomme, Révolutions de París, nO 5,.page 33, dit : " La
défense de faire des motions au Palais-Royal n'a pasproduit
l'effet qu'on en attendait : les groupes n'ont pas été moins
nonIDl'eux. Ce foyer, qui a si heureusement fait éclore le dé-
sir de la liberté, ne s'éteindra pas tout-a-coup. Cinq a six cents
habitués du Palais-Royal ont dressé et signé des réclamatiol1s
qu'ils nous ont Cait rhonneur de calquersur les pages 20, 21
et 22 de notre numéro précédent. »


00 voit quelles idées de liberté ces gens avaíeot des-Iors,
page 37 : • Ce soir uo particulier, i'vre ou fou, s' est permis ,
daos le jardín du Palais - Royal, de parler contre J.\tI. le duc
d'Orléans et en faveur de M.le comte d'Artois. 11 a été arret~
et conduit au corps de garde. »




72 1llSTOIRE DU XVIIle SI ECLE.
ainsi dire , ~ne hiérarchie populaire; et, tout
en se moquant des enthousiastes et des noms
historiques ,ils surent en tirer l'argent qui
leur était nécessaire.


L'ancienne maréchaussée était dissoute ~ et
l'armée 1 n'était plus sous les ordres absolus
du roi. La disette de pain a Paris, qui fut ou
une disposition maligne, ou une suite des
circonstances et de la stérilité des préeédentes
années, attira la foule pres des boulangeries; il
n' étai t done pas difficile de la provoquer a toute
heure 2 : dans eette situation critique oú
tout ordre avait disparu, dans un temps ou
. Mirabeau seul avait assez de erédit et de fer-
meté pour indiquer les mesures qu'il fallait
opposer aux projets féroces des démagogues,
la reine s'avisa malheureusement de se mon-
trer 3 a un repas que les gardes - du - corps
demeurés fideles, donnerent, le I er. octobre,
aux officiers d'un régiment appe1é a Ver-
sailles. Elle prit Ineme part a la distribution


I L'armée jura fidélité au roi; a la nation el a la loi. Elle ne
put agir que sur la réquisition d'un fonctionnaire civil.


2 Dans un aper«;¡u des événements principaux, on ne doit
s'attendre ni a la peinture des désordres, ni a la critique des
mesures qu'on leur opposa; a plus forte raison, on y cherche-
raít en vain les efforts séparés de quelques individus.


3 Le duc de Luxembourg eut la malheureuse idée de don-
ner ce conseil au roí ainsi qu' a la reine, qui avait vouIu l' éviter.




LIVRE IV, CIIAPITRE LU. 73
des cocardes 1 qui devaient servir de mar-
que distinctive entre les amis de l'ancien Gou-
vernement et les partisans de la nouvelle
constitution. L'imprudence de la cour, la
lnaniere légere dont quelques officiers et sol-
dats se comporterent pendant le festin, et la
proposition ridicule faite, le 2 octobre an dé-
jeuner des gardes - du - corps, de marche!'
contre L'assemblée nationale, donnerent aux
démagogues effrénés pleine liberté d'agir 2.
On exagéra le dan gel' que l'assemblée natio-
nale courait; on répandit les bruits les plus
absurdes, et Mirabeau osa presque intenter
contre la reine une accusation formeHe devant
toute la nation ,ou illa désigna si clairement,
qu'íl était impossible de ne pas la reconnaitre 3.


I l\-Iadame Campan, qui nous parait bien informée, mais
suspecte, nie ce fait.


:z Gorsas surtout , dans le Courrier de Versailles, s"éleva
contre cette féte, et répandit le bruit qu'outre les soldats
fraternisés du régiment de Flandre, quatre mílle chevaliers de
Saint-LouÍs víendraient a París.


Prudhomme, tome 1, nO 13 : " Il faut un second acces de
révolution, disions-nous il y a peu de jours, et tout s'y pré-
pare; l'ame du partí aristocratique n'a point quitté la cour.


3 Mirabeau, dans la séance du 5 octobre, fit une motion
particuliere sur cette affaire, et y embrassa encore quelques
autres articles. M. de Monspey, pOUI' en prévenir les résultats,
demanda une accusation signée a Pétion, qui en avait été
le premier instigateur. Mirabeau s'engagea a la donner, si
on déclaraÍt que personne n'était inviolable, exccpté le roL




74 HISTOIRE DU X V lIJe SIi:CLE.
Un tu multe qui éclata alors a Paris, fut sans


doute le résultat de ce diseours. -n parut de-
vant l'hotel de ville une armée de femmes et
d'hornmes de la lie du peuple, qui se plaignit
de la disette, murmura eontre la reine et de-
manda d'aller a Versailles, disant que le roi
seul était en état de fairecesser tous leurs he-
soins. Les promoteurs de eette émeute avaient
surement l'intention d'empeeher la fuite du
roí I , et de profiter de sa faiblesse , pour trans-
porter a Paris le théatre des scenes qui de-
vaient suceéder. Les nouveaux magistrats de
la capitale tenterent en vain d'apaiser les mu-
tins. Lafayette vit son autorité nléconnqe et
sa popularité en danger 2; il déelara a l'assem-
blée des représentants de la commune qu'il


Cette interpellation soudaine, et si justement appliquée,
frapped'étonnement l'assemblée, et M. de Monspey se hate
de retirer une motion qu'il eut mieux. aimé n'avoir pas faite,
et qu'il eut été peut-étre plus avantageux de poursuivre.


Pétion s'offrit comme accusateur, mais le président Mou-
nier écarta cette affaire.


(Le MOlliteur, nO 64, du 28 au sg septembre, donne trois
longues colonnes sur eette fuite préméditée.


2 Les gardes..fran<¡¡aises m~mes, alors l'élite de la garde na-
tionale, ne répondirent aux exhortations de Lafayette que par
ces deux mots, a Persailles, a Pel'sailles! D'ailleurs Marat-,
dans son Ami du peuple. avait rendu suspects Bailly et La-


. fayette : dans les Rél'olutions de Paris, Prudhomme eoromen-
"ait a exciter des soup<¡¡ons sur ieur conduite.




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 75
ne savait plus réprimer le mal, et il se 6.t ex-
pédier l'ordre d'accompagner la populace,
pour, diminuer les désordres au moyen de la
garde nationale qu'il amenerait. Ces hordes
parisiennes arriverent vers les trois heures a
Versailles. Maillard, qui se donnait lui-meme
le titre de trancheur de tete, et qu'on mettait
toujours enavant, quand il s'agissait de pro-
voquer des horreurs, parut dans l'assemblée
nationale comme accusateur de la fete de
Versailles. L'assemblée et le chatean furent as-
siégés aIternativement. I.a foule traita les gar-
des-du-corps comlne des ennemis de l'État. Le
roi se vit obligé de recevoirune députation de
femmes du peuple. Le régiment de Flandre
qui l'aurait pu défendre fut gagné, et la fa-
meuse amazone Théroigne de Méricourt joua
ici pour la premiere fois le role brillant qu'elle
remplit ensuite dans toutes les émeutes.


Pendant plusieurs heures le roi avait ponr
ainsi dire snpporté un véritable $iége, et
craint plusieurs fois ponr sa vie, quand La-
fayette arriva enfin avec la garde nationale,
et occupa les portes du chateau. L'assemblée
pro6.ta de ce tumulte fatal, pour obtenir du
roi qu'il acceptat la constitution telle qu' elle
était alors, ainsi que la déclaration des droits,,~;'




"


...


76 JIISTOIRE DU XVIIlCsd:CLE.
de l'homlne, sans restrictioll, ce qu'il avait re-
fusé d'abord l.


Il est difficile de déterminer de quelle ma-
niere la populace effrenée entra au chatea u de
Versailles, le 6 octobre au matin, pendant que
Lafayette était allé se reposer un instant.
Tout parait prouver qu'on en voulait a la vi'e
de la reine; car a peine ces hordes furieuses
eurent-elles pénétré dans le chateau, et assas-
siné les gardes-du-corps de service, qu'elles
se précipiterent vers l'appartement de la reine.
l\Iarie Antoinette, a moitié habillée, n'eut que
le temps de se sauver dans le cabinet du roí 2.


I


J MOfliteur, nO 7 1 , page 29 0 :« Surles onze heures, M. Mou-
nier, président, arriva. La salle était remplie d'amazones et
de lanciers de Paris, au milieu desquels on distinguait a peine
quelques représentants que la curiosité semblait y rctenÍr. 11
lit rappelcr les autres a l'assemblée au son du tambour, et lut
au peuple, dans I'intervalle, l' acceptation faite par le roi de
divers articles de la constitution; elle était ainsi con~ue: «J'ac-
« cepte purement et simplement les articles de la constitution,
«et la déclaration des droits de l'homme, que ]'assemblée na-
u tionale m'a présentés. »


2 Madame Campan, tome III, page 107 : « Ma sreur enten-
dít la premiere ces mots terribles: Sau"ez la reine. Le garde-
du.,corps qui les pronon~a re~ut treize blessures, a la porte
meme d'ou ilnous avertit. Si'les femmes de la reine s'étaient
couchées , sa majesté était perdue; elles n' eurent que le temps
de se précipiter dans sa chamhre, de l'arrachcr de son lit, de
jeter une couvertnre sur son corps, de l'emporter dans l'ap-
partement du roi , et de fermer ~ le mieux qu' elles purent, ]a


.. porte du corridor qui y conduit. Elle tomba évanouie dans
les bras de S011 auguste époux. »




LIVRE IV, CHAPITRE lB. 77
Celui-ci vit assassiner devant ses yeux plu-
sieurs de ses fid~les défenseurs, et fut obligé
de consentir a aller habiter Paris, ou les appar-
teInents n'étaient pas encore préparés; il fut
forcé de suivre le meme jour une procession ,
dont la marche était ouverte par les callni-
bales qui portaient sur des piques les tetes de
ses dévoués serviteurs.


On' atteignit parfaitement le but qu'on
s'était proposé. Le roi, accompagné d'une dé-
putation de l'assemblée nationale, fut con-
duit en prisonnier a París. J} éclat de la ma-
jesté royale disparut, l'auréole de grandeur
qui brillait depuis bien des siecles autour du
front conronné des llourbons s'évanouit. Le
peuple cessa de respecter la royauté, et nc vit
plus des-lors dans le roi qu'un hOlnme ordi-
naire. Louis XVI, iI est vrai ~ ne se croyait
obligé a' rien de ce qu'il avait accordé á la
nation par la violence; iI n'avait cédé qu'aux
soUicitations de Lafayette, que lui et la reine
haissaient. Il n'y avait done aucune confiance
de part ni d1autre.


L'assembléc nationale décréta sa translation
de Versailles a París, le 12 octobre, et la 6t
exécuter le 19. Le dnc J'Orléans que le Moni-
teur, au moyen d'une accusation formidable




78 HISTOIRE DU XVIJle SlECLE.
- contre la reine chercha des ce lTIOment a jus-


tifier, d'avoir avec ses partisans provoqué le
tumulte 1, parut si dangereux au marquis de
Lafayette, qu'ille forc;a de quitter pour quel-
que temps le royaume, sans que cela mit en-
trave a la chute de l'autorité royale. L'organi-
sation de la nouvelle constitution, du pouvoir
judiciaire et législatif fut subordonnée a la sur-
veillance de la populace parisienne et de
ceux qui la faisaient agir. Des ce monlent,
les amis de la monarchie constitutionnelle
commenc;erent a désespérer de ]eurs ressour-
ces 2. Sortis de l'assemblée nationale, ils lais-
serent le champ libre aux démagogues. Un


1 Nous apprenons par les rapports du résident de Venise
a, sa république, que 1'0n regardait généralement le due
d'Orléans comme un des auteurs principaux de tous les exceso
l/oyez Raccolta cronologico-ragi~nata dei documenti inediti ,
che formano la storia diplomatica della rivoluzione e caduta
c1ella repub\ica di Vene7.Ía, tomo 'I.


On en trouve aussi l'essentiel dans Daru, Histoire de la ré-
públique de l/enise, deuxieme édition, tomo v, pago 339-61. ,


2 Moniteur du 12 au' I3 octobre, pago 297:« C' étaitM. Le Cha-
pelier qui remplissait alors les fonctions de chef du corps lé-
gislatif; car M. Mounier, désespérant de la tolérance des Pa-
risiens pour ses opinions politiques, ou UU salut d'un empire
dont iI n'aurait pas lui-m~me posé les bases de la législation,
avait déserté ce poste pour aller chercher en Dauphiné des
auxiliaires et des admirateurs, et étab\ir la liberté du peuple
sur ses deux príncipes favoris, le 'Veto absolu d'un sénat et
du roi ...


011 reconnait ici facilemtmt le ton de Mirabeau.




LIVRE JV, CHAPITRE IIJ. 79
manifeste du roí, ou il assurait ne pas etre
prisonnier; Ulle déclaration de Lally-Tolen-
dal qui avait cru devoir se retirer a Geneve 1 ;
un décret de l'assemblée de ne plus donner
dorénavant de passeport a auenn député, a
moins que les raisons de son voyage ne fus-
sent diseutées publiquement, augmenterent
les inquiétudes des fauteurs d'une liberté
modérée. Une joie malieieuse s'empara des
admirateurs aveugles de rancien gouverne-
ment; car ils voyaient avee plaisir que les
féroees démagogues prenaient le dessus; ils
travaillaient meme ave e ardeur pour obtenir
ee résultat, paree qu'ils pressentaient que la
lieenee détruirait la liberté et qu'elle frayerait
la route au d,espotisme.


L'existenee poli tique du clergé fut alors sa-
crifiée avee ses biens 2. L'éloquenee de l'abbé
Maury ne put ehanger les idées de l'assem-


1 Il suffit de comparer les Actes des apotres, tomo 1, p. 22.
D'ailleurs cette fine satire el cette saillie de· la honne société
étaienl hors de saison. Le brusque langage de L' Ami du peuple,
du Courrier de Brahant, du Pere Duchesne, était a l' ordre du
jour; et ceux qui entendaient la fine saillie, ou ne l'em-
ployerent pas, ou en rurent mortellement blessés.


2 Talleyrand de Périgord, alors éveque d' Autun, en :6t la
premiere proposition. On évalua les revenus du clergé a
cent cinquante millions par ano Talleyrand et Miraheau pour-
suivirent la méme route, et la proposition était concertée d'a-
vance entre eux.




80 HISTOIRE DU XVlIIe SIECLE.
blée, et Grégoir~, qui n'avait pu rénssir dans
la défense des ordres monastiques, échoua en-
core cctte fois dans la proposition qn'il fit
d'assigner au moins aux curés des biens-fonds
qui pussent subvenir a leurs premiers be-
soins. La majorité n'attacha pas une plus
grande importance aux établissements reli-
gieux que ne le 6t de nos jours la plupart des
États -généraux de l'Allemagne méridionale.
On rega"rda les biens du clergé comme hypo-
theque de la dette nationale, et on voulut que
tous les ecclésiastiques fussent salariés par
l'État. La juridiction pédantesque de l'aristo-
cratie fut renversée e,t tomba sans le rnoindre
bruit. La dissolution facile des parletnents ,
qui eut lieu bientot apres, prouve suffisam-
ment combien la révolution avait pris racine,
et combien les idées étaient généralelnent
changées.


Ce fut alors qu'on vit s'élever Robespierre,
secondé par Marat et sa propre furenr. :Mira-
beau, qui aspirait a un portefellille, sentit
qu'il était temps d'agir; il aurait peut-etre fini
par obtenir plus_ tard la direction du nlinis-
tere, si Robespierre et Lanjuinais, par des lno~
tifs opposés, ne lui eussent oté le pouvoir de
rester membre de l'asselublée ('11 deycnant




"


J~IVRE IV, eH A.PITRE IlI. SI
ministre; cela l'attacha encore pendant quel-
que temps a ses anciensamis. Robespierre
venait d'ailleurs d' opposer a la poli tique de
Mirabeau, son opinion de la préférence qu'o~
doit accorder a un ignorant sur les travers
d'un esprit trop cultivé r, et ses idées tonchant
son syste~e de poursuite 2.


OIl vit aussi le pouvoir du peuple, propre-
ment dit, s'augmenter de plus en plus; les
tentatives des membres de l'assemblée, qui
voulaient conserver la royauté et renverser
l'anarchie, resterent naturellement infruc-
tueuses. La loi pl'oposée contre les attrou-


I Il s'agissait des voix dan s les assemLlées électorales, ou
Mirabeau donnait déj~ la supériorité a la fouJe aveugle;
iI demandai~ néanmoins qu' on donnat une contribution de
trois journées pour voter dans les assemblées primaires, qu'on
payat dix francs pour etre électeur, qu'on eut un mare d'ar-
gent, et une propriété fonciere quelconque pour devenir
député.


Selon Robespierre, tout vagabond devait avoir le droit de
voter.


:! C'est ainsi que s'exprime Robespierre apres une longue
tirade. (Moniteur, nO 76.) " 11 fautentendre le comité des rap-
ports, iI faut entcndre le comité des recherches, découvrir la
conspiration, étouffer la conspiration.... Alors nous· ferons
une constitution digne de nous et de la nation qui l'attend .•
-1Jf. de Caza/es. « Je demande que le préopinant donne les
notions qu'il a sur la conspiration, sinon, iI est criminel en-
vers le public et l'assemblée. ..


U faut remarquer que Cazales défendait rancien systeme a vec
la plus grande éloquence, et que Robellpierre n'était nullement
orateur.


n. U. ti




8:'1 HISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
pements et le drapeau rouge a l'hotel de vine,
embleme de la loi martiale, ne put etre
maintenue faute de soldats et de police; un parti
puissant <iu conseil regardait au contraire
comme nécessaires les troubles et les émeutes
de la populace l.


C'est a cctte époque qu'eut lieu la scission
fatale d'un club, établi rue Saint-Honoré, dans
le local qui avait serví de bibliothéque aux
freres jacobins 2. Ce club avait organisé dans
toute la France des confréries avec lesquelles
il entretenait une correspondance. Dans son
origine, iI· comprit toutes les personnes qui
denlandaient une réforme. Les gen,s de qualité,
entre autres Crillon, Talley'rand, La Roche-
foucauld - Liancourt et un avocat, nommé
EmnlCry, le trouverent alors trop vulgaire et
trop turbulent; on forma de nouveaux clubs
a l'hotel Crillon 3, et dans deux autres en-


J Moniteur nO 78 : te Euzot, Robespierre et plusieurs autres
repoussaient avec chaleur l'idée d'une loi martiaIe; elle leur
paraissait portée contre la faim, plutot que contre lesémeutes. »


2 D'abord société des amis de la constitutioll; ensuite amis de
la lilJerté et de l' égalité.


3 Dumouriez, (Mémoires, tomo 1, pago 71) qui s'enten~aít
aux intrigues aussi bien qu'un autl'e 7 dit: .. Ce club, étant
.. devenu plus nombreux, engendra celui de 1789, et de son
• démembrement s' est formé celui des F euillallts. Alors les ja-
• cobins irrités ne garderent plus de mesure, et on finít par
.. vexer et détruire ton s ces clubs .•




LIVRF: IV, CHAPITRI~ IIJ. 83
droits; ainsi on renom;a entierement a la po-
pularité. Les Lametll, Barnave, Adrien Du-
port ,Laborde, d' Aiguillon , d'abord membres
principaux de la société des jacobins, s'en re-
tirerent; car ils voulaient bien abaisser les
grands, mais non élever le peuple. Ils espé-
raient en vain se maintenir seuls; ils virent
bientot leurs soeiétés se dissoudre. I.Jeur éloi ..
gnement rendit Robespierre, Danton, Sieyes,
alors membres du meme club, tout puissants
dans le royaume l. Chaque nouvelle institu-
tion, dan s la lllonarehie qu' on devait organi-
ser, re«¡;:ut une forme tout-a-fait démoeratique.
On fit une nouvelle division de la Franee; le
peuple, dans des a,ssembléesbruyantes, nomma
aux eharges de toutes les adrtlinistrations des
départements, des distdets eomnlunaux et des
munieipalités; les juges memes devaient etre
élus, quels que fussent rinutilité et le danger
de eette disposition, d'apres l'établissement des
jurys. Ce temps de eonfusion ne fit que dété-
riorer les finanees. On paya les biens d u
dergé avec le papier-monnaie 2, connu sons


1 Paganel Essais, tomo 1, chapo 18, parle de l'organisation
de ces sociétés qui donnaient a Jeurs membres des diplomes ,
atnsi que de l'influence de ces trois membres qui seuls avaient
la m~me opin¡on. Paganel aussi était autrefois jacobin, et ud.
versaire prononcé de tout royalisme.


# II Depllis le J 9 décembre J 786 , ce papier-monnaie passa
6.




84 llISTO[HE DU XVIII" Sd:CLE
le non1 d'assignats. On eut de plus la malheu-
reuse idéede vouloir se meler de la consti-
tution civile du c1ergé, qui, selon les principes
dela religion catholique, se trouve entierement
séparée de l'État. C'est alor5 que Mirabeau
commew;;a a changer lentement de parti 1; lui
seul conserva a Louis XVI le droit de décider
de la gllerre et de la paix; c' est pourquoi dans
toutes les places et les rues de la capitale, il
fut déclaré traltre a la bonne cause 2.


Quoique les admil1istrations des départe-
ments fussent ponr la plupart composées
d'hommes aisés,. arnÍs de la liberté et de la
royauté, le nornbreux conseiL d'État de Paris
a lui seul forma, d'apres la nouvelle constitu~
comme assignats pour l'argent des biens eeclésiastiques; iI
perdit d'abord 5 , ensuite 3 du cent. Depuis le mois d'avriI
1790 , iI eut pIeine cireulation.


I l\lirabeau cut alors I'entretien ave e la reine, non comme
M. de Lacretelle lerapporte, dans ses appartements, car on s'en
serait aper~u, mais dans le jardín de Saínt-Cloud. l\Iarie All-
toinettc commen~a ainsi son diseours : " Auprcs d'un ennemi
ordinaire, d'un homme qui aurait juré la perte de la monar-
chie, san s apprécier l'utilité dont elle est pour un grand peu-
pIe, je ferais en ce moment la démarche la plus déplaeée,
mais quand OIl parle a un Mirabeau .... Heu! quantllm mutata
ab illa?


2 Le diseours de Mirabeau se trouve dans le Monitellr de
1790, nO 142, pago 573. L'affaire fut traitée le 20 maí; on
répandit une brochure intitulée la Trahison de Miraheall, et
Maillard quí, le 5 octobre 1789, l'avait secondé dans ses pro-
jets, devait étre son bourreau le 2 o mai 1790.




L 1 V R.E 1 V, e H A P 1 T R}: 1 JI. 85
tion, une république turhulente l. Ces innova-
tions provoquerent de grands troubles a Tou-
Ion, Marseille, Montauban et Bordeaux; il
fallut done établir une haute eour de justiee
pour les erjmes de lese-nation. l .. e nouveau
tribunal devait détruire, a ee qu'on disait, les
aristocrates et les pretres qni preehaient la ré-
volte. Mais ponr nlettre la eour a découvert
devant la Franc~, 00 produisit le livre rouge 2 ,


1 Deux cent quatre-vingts personncs formaient le grand
conseil d'État; cent vingt, le corps administratif anquel on
.lccordait le droÍt d'inspection et de révision.


2 Bertrand de Molleville, Hist. de la révolutioTl, tOID. III,
consacl'e le chapo 26 a ce livre rouge; ii dit, pago 83 : « Le IÍvre
rouge était un registre in-folio, relié en maroquin rouge. Les
dix premiers feuillets contenaient des dépenses faites sons le
regne de Louis XV;·· ceHes qui avaient été ordonnées par
Lons XVI, étaient rapportées dans les trente - den x feuillets
suivants; le reste du registre était en blanc: chaque article de
dépense étaÍt écrit de la main du controleur-général, ou du'
ministre des nnances, et paraphé de la maín du roi; chaque
changement d'administrateur était marqué dan s ce registre par
un arreté de la main du ministre, avec la signature entiere du
roi ... Marat, Ami du peup!e, nO 126, avril 1790. Suite des
Réjlexions de l'Ami du peuple, sur la dénonciation de M. Nec-
ker, fait connaltre dans quelle intention on avait demandé le
livre rouge: " Combien de fois t'es-tu fait demand~r cette liste
d'anth~pophages a"'ant de la donller? Diras - tu que tu n'as
pas cpnseillé au souverain de la garder? diras-tu que, remis
en tes mains par le souverain lui-m~me, tu n'as pas dénié la
remise qu'il t'en avait faite? D


Nous voyons que Marat se trouva aussi avoir quelques
droits envers Louis XVI, en lisant ce mot de madame de Stact:
.. Le livre attestait les torts de LOllis XV, el la tl'Op grande bonté
de Louis Xrl .•




86 HISTOqlE DU XVIlle SI1~CLE.
et dans la tnalheureuse affaire de Favras, eon-
vaincu d'avoir conspiré eontre la nation,
l\Ionsieur n'éluda qu'avee peine un prod~s
formel. Le roi resta tout le temps passif,
et sanetionna, par faiblesse et non par convic-
tion, les articles d'une constitution qui lui
otait absolument tout pouvoir.


La postérité hénira les auteurs de cette
constitution, que la génération, actl1elle vou-
drait élever au rang des héros. e' est a elle en
effet que la France doit l'égalité de tous ses ci-
toyens devant la loi, et mille autresbienfaits
non moins signa.lés. Il faut cependant y re-
connaltre un défaut essentiel, c'est qu'elle
rendait les lois et les institutions tout-a-fait
démocratiques. Lorsque plus tard Buónaparte,
sans changer les lois, adapta les institutions a
son despotisrne, il en résulta le phénomene
sillgulier. d'un gouvernement absolu ave e
une loi républicaine.


1.es Etats d'Allemagne, qui avaient des pos-
sessions en France, et auxquels des traités de
paix assuraient la jouissanee de leurs droits
féodaux, devaient accepter la nouvelle orga-
nisation; car le droit prilnitif de l'hornme, di-
sait-on, renversait le droit des traités. Les
princes d'Allemagne se plaignirent et s'éleve-




LJ VR E 1 V, eH APITRE lIT. 87
rent enfin sérieusement contre leur dépouille-
mento Lorsqu'on présenta cette affaire a l'as-
semblée nationale, Miraheau ne fut nullement
embarrassé de répondre an conclusum du
cercle du Haut-Rhin l. Cependant l'assembIée,
admettant alors, d'apres le principe de l'équité
et du droit, tonte réclamation, ne se montra
pas éloignée de s'accommoder avec les étran-
gers. Heu reusemen t pour les provinces Rhé-
nanes, il n'en fut rien. Plus on poursuivit les
réformes, plus on y mit de violences, plus la
popularitéde l'assemblée diminna. Une partie
de la nation penchait encore vers rancien sys-


I teme, mais la majorité préférait l'énergie des
Marat, des Robespierre, des Camille Desmou-
lins, an caractere sentimental des constitution-
neIs, et a l'avenglement singulíer de Gré-
goire, qui espérait allier la religion chrétienne
anx principes des jacobins zélés ,on plutot
a la furellr contre toute majesté et tout éclat
dans la royauté.


1 Mirabeau dit, apres la lecture du conclusum, le 1 Ifévrier :
.. Il est nécessaire de connaitre les faits et les actes; et per-
sonlle, sans etre préparé, ne poul'rait l'épondre a l'érudit
cOllclusum des princes d' Allemagne. Comme le droit public ger-
manique se trouve parmi les choses inutiles que j'ai apprises
dans ma vie, jc demande a pl'duver que, meme d'apres les
principes germaniques, les réclamations ne sont pas fondées.
Je ne vois pas comment la nation pourrait etre tenue d'uDe.




88 HISTOIRE DU XVllle SIECLE.
Le parti eonstitutionnel perdit ainsi de jour


en jour dan s l'opinion publique. Les vrais
auteurs de la révolution, pour regagner les
suffrages, chercherent par une infinité de
Inoyens factices a ranimer l'enthousiasm@ et a
occuper le peuple de la capitale. Le 14 juillet
1790, conune élnniversaire de la prise de la
Bastille, fut désigné ponr effectuer une réuni0n
des troupes de ligne et des gardes nationales,
souvent en mauvaise intelligence, et pour ras,..
sembler a Paris, de toutes les parties de la
France, les fauteurs des idées nouvelles.
Soixante mille députés de l'armée, des gardes
nationales du royaume, des communes, et des
milliers de spectateurs devaient se placer de~
vant l'École militaire. Dans eette circonstance,
on ron présentait l'assemblée devant toute la
nation, le roi ne devait paraitre que comme
l' égal. du présiden t ,1:


Avant de pouvoir exécuter ce projet, les
enthousiastes de la monarchie modérée, exci-
tés par les railleries des partisans de l'ancien
régime, se rendirent, dans une seule séance,
méprisables aux yeux des hommes plus calmes
indemnité, pour avoir agi selon les príncipes du dro!t natu-
rel, qui doivent etre les príncipes de toutes les natíons, etc. »


I On trouve les discussions et le décret définitíf sur eette
~ffaire da-lls le Moniteur du 7 au 8 juin 1790, p. 649 et suiv.




LIV RE IV, eHA P ITRE 111. 89
et plus sensés, paree qu'ils toléraient une
seene ridieule, ressenlblant a une momerie,
et qu'ils terminaient dans un moment une af-
faire de la plus haute importanee. Dans la
séance du 19 juin , on assura d' abord des hon-
neurs et des récompenses 1 a tous ceux qui
avaient pris la Bastille, et dont le caractere
moral et politique n' était que trop connu.


On admit ensuite devant l'assemblée Clootz
du Val- de - Graee, baron prussien, ridicule
par son athéisme, ave e une quantité de gens
gagnés, qui se disaient défenseurs du genre
humain; et, a la proposition d'un député du
Rouergue, appuyé par Lameth et Lafayette,
la noblesse et tous ses ti tres furent abolis 2.


I :Mon'iteur,nO 17 2 , 179o,page 702 : Camus lepropose,et
termine ainsi: .. Un brevet honorable sera aussi délivré aux
'Veu'Ves de ceux qui ont pé1'i au siége de la Bastille, 101's de la.
fédération du 14 juillet; il leur sera désigné une place ou la
Frunce puisse contempler a loisir les p1'emiers conquérants de
la liberté. Leur nom sera inscrit dans les archives de la na-
tion. L'assemblée nationale se réserve de prendre en considé-
ration ceux a qui elle doit des gratifications pécuniaires. Ce
décret est adopté par acclamation ...


2 Moniteur, ídem, M. Lambel ,député de Fille/ranche de
Rouergue: " C'est aujourd'hui le tombeau de la vanité. Je de-
mande qu'il soit fait défense a toutes personnes de prendre les
quaiités de comte, baron, marquis, etc. - M. Charles de La-
meth. J'appuie la premiere proposition du préopinant; les titres
qu'il vous invite a détruire blessent l'égalité qui fait la base
de notre constitution; ils dérivent du régime féodal, que vous
avez anéanti; ils ne sauraient dOllC subsiste!" sans une absurde




90 H15T01RE DU XV/He S'¡ECLE.'.
Lors de la fete du 14 juillet, ou le roi et


l'assemblée nationale preterent un sel'nient
qu'iIs ne voulaient et ne pouvaient tenir ni
I'un ni l'autre , le peuple seul agit sincerement;
car l' éveque meme qui célébra la messe,
Talleyrand, a prouvé par la suite, et dit hau-
tement, qu'il ne croyait point au mystt~re qu'il
célébrait. Les écrivains de tous les partis con-
viennent que le sentiment de la régénération
du peuple animait et vivifiait tous les Fran<;ais
qui, des frontieres de la Flandre jusqu'a la
Méditerranée, se reconnaissaient membres
d'une seule famille. Ainsi le jour le plus nébu-
leux devillt un des plus heaux jours de l'his-
toire de France.


Malheureusement, le duc d'Orléans , le re-
fuge de tous les nléchants, I',evint bientot
apres d' Angleterre; les jacobins et les constitu-
tionnels se brouillerent san s retour; les roya-
listes, fauteurs de l'ancien régime, se réuni-
rent aux jacobins pour provoquerdes troubles,
ineonséquenee. 11 doit ~tre défendu a tous les citoyens de
prendre dans leurs Retes les titres de pair, dne, comte,
marquis, etc ... J'appuie également la seeonde proposition; la
noblesse héréditaire enoque la raison et blesse la véritable li-
herté. Apres Lameth, Lafayette prend la parole : Cette Dlotion
est tellement nécessaire que je ne erois pas qu'elle ait besoin
d'étre appuyée; mais si elle en a hesoin, je vous annonce que
je m'y joins de tout mon creur. •




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 91
mettre tout en désordre, et prouver ainsi
l'instabilité des nouvelles institutions. Les dis-
putes sanglantes qui éclaterent a Nancy nous
en donnent un exemple l. Bouillé, soutenu
par les constitutionnels, était parvenu a les
apaiser, ce qui n'irrita pas moins les déma-
gogues que les fauteurs de l'ancien systeme 2.
De meme que J\-Iarat, Danton 3 et leurs amis


• Les régiments Mestre-de-Camp, ChAteauvieux, les cara-
biniers du roí, /le révolterent formelIement; Bouillé, oncle de
Lafayette , chargé par l' assemhlée nationale, apaisa hientot
tous les trouhles, a la t¿te de la garde nationale et des hatail·
lons restés fideles.


2 Bertrand de Molleville, tome IlI, page 283, nous présente
ainsi l'opinion des royalístes : " Mais d'un autre coté, si les ré-
voltés de Nancy eussent triomphé, iln'est pas douteux que le
crédit de l' assemhlée nationale, déja tres-chancelant , n' eut été
entierement anéantí. L'efycacité de ses décrets pour tout hou-
leverser, leur impuissance poul' établir l'ordre et la sureté des
personnes et des propriétés , eussent été plus démolltrées que
jamais. La révolution eut été chercher ses législateurs dans la
populace , dont les clameurs n'étaient pas encore tout-a-fait
des lois, et le cl'édit de l'assemblée se serait perdu dan s I'a-
hime qu'elle avait ouvert elle - meme. Aussi les cOIlstitution-
neIs , qui connaissaient hien le danger quí les mena~it,
ne furent-ils pas moins satisfalts que le roí des sueces de
M. Bouillé. » •


Voilit la politique des hommes qui· ont fait plus de mal a
la France que tous les jacobin!!o Marat, d'ailleurs , ne donne
a Bouillé que l'épithete d'assassill.


3 Mirabeau reconnut dans Danton l'homme qu'.illui faUait,
aíDsi qu'a son siecle. Ce trait caractérise de nOllveau son grand
génie. Lorsque nous mettons Dallton ici ,ainsi qu'autre part,
dans la catégorie des partisans de Miraheau, iI faut se rappe ..
ler que Talleyrand était l' Ol'gane des constitutionnels , et Sieyes




9'1 H ISTOIRE DU XVIll 8 Sd~CLE.
s'entendaient dan s eette affaire avee les défen·
seurs de rancien régirne, de rnerne ils s'ae-
eordaient quand il s'agissait d'expulser N eeker,
que les trois partis rnaudissaient alors. Les
royalistes, pare~ que, d'apres leur opinion ,
tout le mal provenait de lui; les eonstitution-
neIs éclairés et plus impétueux,' paree qu'il
les genait depui,s qu'il leur avait rendu les
serviees qu'ils demandaient; les jaeobins, par-
ee que 5a délieatesse , son hurnanité et sa pro-
hité ne s'aceornmodaient nullement avec leur
systeme. Lafayette sentait déj:\ sa faiblesse 1 ,
celui des démocrates de la classe éclairée des philosophes;
Danton ne se tenait qu'au bas peuple des bouchers, des forge-
ron s et des serruriers, et Gamille Desmoulins agissait entic-
rement dans les vues de Danton. Le discours du sieur Arthur,
pronoueé au club des jaeobins, le 5 avril 1794, prouve eom-
bien il fut utile a Mirabeau. Moniteur, an !l, nO 200, p. 80g :
.. En 1790, Dantoll (alors avocat) fut porté, par le distriet de,s
cordelíers, a la place de notable de la commune de Pal'is;
iI fut rejeté par l'aristocratie; mais Mirabeau, qui influen<;¡ait
l'assemblée, le fit nommer au département. D


J Marat restait impuni. cependant sa feuilIe du 28 juin 1790
portait le titre: dénonciation contre M. de Lafayettc,. alar-
mant projet du sieur Bailly et de ses administrateurs munici-
paux. La feuille du 6 j.uillet avait pour titre, la conjuration du
sieur Bailly . ••.•. :, adrésse aux 'Vainqueurs de la Bastille
et aux défenseurs d& la patrie, les ei - ¿erant gardes -fi·anfaises.
Saisie d' écrits incendiaires faits a naifel Mirabeau . ........ .
L'Ami du peuple réclame eu faveur de l'opprimé Babeuf, pri-
sonnier a la conciergerie, ]a généreuse assistance que les,dis-
tricts ont donnée aux prétendus incendíaires des barrieres. Le
13 juillet, on porta une nouvelle dénonciation contre M. de
Lafayette.




LIVRF: 1 V, CHAPITRE Ilf. 93
111ais ne voulant point encore reconnaltre qu'il
n'agissait que d'apres la volonté des autres, il
ne put parvenir a réprimer la populace. N ecker
n'éluda l'attaque du peuple qu'en se retirant
aussitot a sa maison de campagne. Il passa en-
suite la frontiere; mais arreté a plusieurs re-
prises, iI ne dut son saIut qu'a un décret de
l'assemblée, qui lui facilita une retraite /a Ge-
neve. Les embarras 1 s'accumulerent, lnais les
nouvelles institutions prirent de profondes
raci:nes. Tont l' ordre des choses fut interverti ;
lanation s'empara des droits, biens etpriviléges
perdusdepuis dessiecles; il n'auraitfallu qu'une
mOl'ale pure et une bonne religion du creur
pour former un corps d'État sain dan s tous ses
membres 2. Au lieu de tenir séverement au
maintien des rnreurs, et de rendre inutiles
des céréJnonies superstitieuses, les hommes
qui donnaient alors le ton, chercherent a sub-


1 Les catholiques et protestants de Nismes et du département
du Gard avaient des différents sanglants ; les gardes nationales
de l' Ardeche, eb l'Hérault, de la Lozere, se liguerent au bourg
de Jales en fédération catholique, qui fut ensuite vivement
persécutée par des décrets de l'assemblée.


2 Tous les censeurs de la constitution. que j'ai vus, 50nt
injustes envers ce travail, par haine contre ses auteurs et ses
résultats. '


PagalJel, tome 1 de ses Essais historiqlles, chapitres XI-XII t
pages 1870"216, en montre le bon coté et consacre plusieurs
chapitres a l'analyse de ses dispositions.




94 HISTO [RE nU XVlIIe SIi~CLI::.
ordonner la morale a la politique, et la reli-
gion établie a la loi positive. eette derniere
institution choqua surtout, lorsque les législa-
teurs citoyens s'immiscerent dans la discipline
ecclésiastique, et qu'ils demanderent au clergé
un serment devenu inutile, si OIl voulait res-
ter conséquent. La dureté avec laquelle on
exigea que les pretres pretassent le serment a
la constitution civile du clergé 1, aurait détruit
en tout autre moment la popularité de l'as-
semblée nationale; mais le culte avait depuis
long-temps perdu son caractere imposant. La
résistance des ecclésiastiques ne fit qu'aug-
menter la haine que les nornbreux railleurs
de la religion chrétienne lui portaient; elle
occasionna dans les contrées, oú la super ..
stition prédominait, des troubles et des
guerres sanglantes contre les fauteurs de la
révQlution et exaspéra les deux partis. D'ail-


x La populace de la capitale cerna l'assemblée le 4 jan"
vier 1791. Cazales dit:. Voulez-vous entendre les cris qu'on
« pousse autoul' de l'assemblée ..... ? -lJlacon. Que M. le mail'e
« aille done fail'e cesser ce désol'dre.--- Plusieurs 'Voix. 11 y est
« alié .... lO •


Vient ensuite la ¡¡Cene des ecclésiastiques inassel'mcntés;
on présente enlin une adresse au roi, ponl' le pl'iel'de donnel'
ses ordres pour la prompte et entiere exécution uu décret du
':J.7 novembre del'llier envel's les membres <le l'assemblée na-
tionale ecclésiastiques, fonctionnaires publics, qui n'ont pas
pl'été le serment })l'escrit llar le dit décret, sanf, etc.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 95
leurs quatre éveques seulement 1 et un tres-
petit nombre de curés preterent le serment. Il
en résulta un schisme complet; l' assemhlée
nationale exerc;ait par des décrets sa fureur
t;ontre les pretres inasserrnentés; les antago-
nistes de toute religion et, de tout ordre
excitaient la populace; les ecclésiastiques par
leur violence firent éclater des scandales. Les
tan tes du roi quitterent alors le royaume, en
grande partie pour ne pas souffrir des pretres
assermentés, et le roi fut long-tenlps a se dé-
cider avant de confirmer le décret contraire
a S3 croyanee.


Les puissanees étrangeres s'alarmerent; une
quantité d'armes fut distribuée parmi les
gardes nationales; et les ennemis redoutables
de tout ordre, que les républieains regardaient
dans l'assemblée eomme utiles a leurs pro-
jets, ne se contenterent plus,ainsi qu'aupara-
vant, de fomenter des clameurs. Les membres
bourgeois, enthousiastes de l'assemblée, pous-
sés par leur haine contre la cour, et ceux
d'entre les constitutionnels, qui n'agissaient
que par ostentation , aigrirent le peuple et le


1 C' étaient l' odieux cardina 1 de Brienne, en sa qualité d' ar-
cheveque de Sens, Talleyrand de Périgord, comme éveque
d'Autun, Jarente, d'Orléans et Savines, de Viviers.




ti 9 HISTOIRE DU XVIII- s d':CLJ·:.
porterent a des voies de fait. Enfin il se con"
stitua, de sa propre autorité, surveillant du
rOl, et écouta naturellement Marat 'plus que
les prédicateurs de la vertu l. Miraheau, qui
défendait alors le maintien de l'ordre avec la
plus grande énergie '!, mOUl'ut 1 .. 2 avril 179 I.
Jamais mort ne fut plus intempestive. Le faible
I'oi preta de nouveau 1'oreille aux insinuations
de la reine et des partisans de l'ancien régime.
Rien ne put etre plus agréable aux amis de
la confusion que l'indécision de Louis XVI;
elle les excusait et les jllstifiait parfaitement.


1 C'est ainsi que Marat, Ami du peuple, nO 269, s'éuonce
le Jer novembre 1790: u Laissez·lit vos ridicules assernblées
" de section, ou des fl'ipons, vous étourdissant de leur crimi·
" nel bahil, glaceraient votre ardeur ; ne vous rassernblez que
" dan s les places publiques, et que ce soit pour vous nommer
.. un tribu n militaire : armez-le de la force publique pour trois
.. jours seulement, marchez sous ses Ol'dres, et qu'íl abatte
.. sans pitié les tetes criminel1es, qui depuis quinze moís eon-
e spirent eontre vos jours: mais, a,'ant tout, volez a Saínt-
.. Cloud, ramenez dans vos murs le roi et le dauphin, ren-
" fermez l' Autrichienne, renfermez son beau-frere, renfermez
" le maire et le général, jetez tous les ministres dans les fers ,
.. emparez-vous des porte-feuílles, connaissez toute la profon-
.. deur des machinations infernales préparées contre vous. lO


2 Le MOTliteuT', du 25 février 1791, nO 56, rapporte com-
ment Mirabeau soutint, contre tous les députés de París
et les poissardes "qu'on avait introduites dans l'assemblée.
les débats qui s'éleverent relativement au départ des tantes
du roi.


Pagunel, E ssais ltisto,.iques el critiques sur la l'évolution ¡ran-
r¡aise, 3 vol. in-8°, tome 1, chapo VIII, page 148 et suiv., ca·
ractérise et dépeint parfaitcment Mirabeau.




LIVRP. IV, CHA.PITHE JII. 97
I~ club des Jacobins venait d'organiser quatre
conlités 1, et d'établir une correspondan ce
ainsi que l' espionnage systématique des pro-
jets du parti contraire; on vil aussi le club
des Cordeliers prendre part aux affaires; iI
fut par la suíte présidé par Danton, dont
l'extérieur dévoHait l'ame rude et forte 2. Le
roi chercha du secours chez les peuples voi-
sins 3, s'unit au corpte d' Artois, et voulut se
jeter dans l'une de' ses propres forteresses.
Bouillé 4 lui indiquait Valenciennes et Be-
san<;on, cependant iI se décida pour Mont-


1 Comité de trésorerie, de correspondance, des recherches,
de présentation.


:l Danton, en parlant de lui-m~e, dit, dans un de ses dis-
cours: « La nature m'a donné en partage les formes athlé·
tiques et la physionomie apre de la liberté .•


3 L'Eropereur, le eorote d' Artois, Alphonse Durfort, le dé.
puté du roí et de la reine, s'assemblerent it Mantoue le 2 o
maí 179 lo Il suffit de lire Bertrand de Motleville, tome V, un
des intrigants qui y coopérerent, pour voir cette affaire dans
tout son jour; Dumouriez, 1JUmoires, et les pieces troufJées
dans l'armoire de fer, ne prouvent que trop quels misérables


. ressorts on mit en jeu; parmi tous les conrtisans qui se propo-
saient de sauver Louis XVI, il n'y en eut pas un seu't qui ait
su donner quelque heureux expédient. Ils prodiguaient des
soromes immenses pour payer des parophlets contre les hornmes
les mienx pensants oe l'assemblée, qu'ils irritel'ent; et ils se
Hattaient en vain de l'emporter sur le pel'e Duchesne, L'Ami dl'
peuple, le Courrier de Brabant, ou "Orateur du peuple, etc.


4 Bouillé dit, dans ses JI! émoires sur la révolutiolZ ¡ranfj1.ise :
.. Valenciertnes étant a quarantc lieues de Paris, Besan~on a
soixante - dix , Montmédi it quatre-vingts, le roí choisit eeHe
derniere ville, a cause de sa proximité de Luxembourg. •


H. JI. 7




98 HISTOIRE DU XVIJIO SIECLE.
mécli ; mais il prit de si fausses mesures que,
deux· mois avant, l'intention qu'il avait de
fuir n'était plus un secret l. Les préparatifs
de la fui te du roi, les négociations avec les
puissances étrangeres , ainsi que le voyage du
comte d'Artois, et tout ce qui se traita a Co-
blelltz 2 fOIlt connaitre l'esprit de cahale et
d'aveuglement des misérables courtisans, amis
de l'ancien régime. Dans les plans que pré-
senterent Calonne et Breteuil, ils ne s'en-
viaÍent pas moins la préférence que s'il eut
été question d'une place de miuistre. Le cmnte
de Fersen, confident détesté de la reine, fut
chargé de disposer tout pour la fuite. Cette
malheureuse ré~olution ne put d'ailleurs etre
prise dans un temps plus opportlln pour les
antagonistes de hi cour. Par la, les constitu-
tionnels s'emparerent du roi. Quantaux en-
nemis affreux de tous sentiments nobles et
généreux, COmIne Marat et Danton, leurs ac-


1 Les mémoires de Choiseul éclaircissent bien des choses
relatives a la fuite du roi, mais ne satisfont pas entierernent
l'esprit. Nous voyons, dans la Re/alíon du départ de Louis XI/J,
pages 53-54, que les courtisans regardaient jusqu'it la position
critique du roi cornme un moyen pour parvenir; que repro-
cheraient-ils de plus a Danton?


2 11 faut mettre dans eette catégorie les sourdes menées du
ministre Montmorin, et l'armée ridicule d'émigrés du prince
de Con dé contre la patrie.




LIVUE lV, CHAPITRE IIJ. 99
cusations injustes, leurs clameurs féroces pri-
rent une apparence de vérité. Les républicains
mieux pensants 1 pouvaient espérer qu'avec
la chute de la constitution monarchique, la
chimere d'une république se réaliserait; des
gens comme Dumouriez trouverent l'occasion
tres-favorah le ponr se renQre importants 2.
Les membres les plus a plaindre de l'assemblée
étaient ces hommes d'un c~ractere vraiment
élevé, qui voulaient transformer lenr patrie
en- république, d'apres les fausses idées qn'ils
s'étaient faites sur les anciens États grecs et
romains; ils avaient meme soulnis les élections,
a la masse ignorante du peuple. Ils oubliaient
clone que cette masse éloctive et dominante se
laisserait, ainsi que ses guides, entrainer par
l'éloqnence d'nn Marat et de ses partisans,
dont le style n'était pas moins énergique. Ces


I Madame Roland, Mémoires, dit « Que Rohespierre mar-
quait heaucoup d'anxiété a la llouvelle de la fuite du roí; mai!'
que Pétio~ et Brissot s'en réjouissai~nt, parce que cela leur
semblait nne preuve que Louis XVI ne tiendrait point la
constitutiQU qu'il avait jurée. Voila le moment, disaient·ils ,
de s'assurer une constitrition plus homogcne, et de préparer
les esprits a la répuhlique. Robespierre leur demande d'un ton
moqueur et en ronge:mt ses ongles : qu'est-ce que c'est qu'une
république? Cela ne les empecha pas d'éhal1cher le plan d'un
journal. J)


2 Dumouriez, Mémoires, tomo II, p. 1 1 l.





, \


100 HfS'fOlRE DU XVlIl e SIECLE.


hOlnmes 1 connaissaientd'ailleurs trop peu leur
oatioo et leur siec1e, pour croire faire un sa-
crificea I'État en adoptant l'opinion de Ro-
bespierre, dont les vues ne potlvaient pas etre


. équivoques 2 , et en décrétant qu'aucun Inem-
bre de l'assemblée constituante ne serait éli·
gible a la prochaine assemblée législative. De-
puis la mort ue ~I)rabeau, Cazales, l' orateur
le plus éloquent du coté dro~t, courait jour-
nellement les plus grands dangers; car, pen-


t San s nous arréter a la hrillante conversation de madame
de StaeI, nous la laissons parler pour montrer a nos lecteurs
ce qui lui parait digne d'éloges:


.. La légereté franc,:aise s'alliant aux questions les plus sé-
l'ieuses de la politique ... ; la force de la liberté se melant il
l'élégance de l'aristocratie. Les femmes ..•... adoucissant par
leurs graces la sévérité des sujets; les aristocrates se moquant
du partí contraire; les journaux faisant de spirítuels calem-


o hourgs sur les circonstances les plus importantes'; l'hístoÍre
du monde se changeant en commérage. "


Voy. Bailleul, t. 1 , p. 354; nous partageons son opinion.
:& Nous trouvons, dans le discours de Robcspierre, Acles


des Apótres, chapo V, tome ¡er, pages 59-65, Moniteur, nO 138,
du 18 maÍ 1791, une preuve de son éloquence. Il termine
ainsi son discours du 16 mai: " Je crois les raisons que j'ai
présentées tellement décisives, que l'assemhlée peut décréter,
des ce moment, que les me~lhres de l'assemblée nationale ac-
tuelle ne pourront etre élus a la premiere législature. " - Ap-
pLaudissemellts. L'assemblée ordonne, a la presque una,nimité,
l'impression du discours de M. Rohespierre. L'assemblée dé-
crete,il la presque unanimité, que ses membres ne pourront étre
élus a la premiere législature. L'assemblée s'applalldit enfin
elle-meme; les tribllnes sortent en silence.




LIVRJ:<: 1 V, eH AP ITRl! IIJ. JOI


dant qu'il restait sans appui, les émigrations
augmentaient. Pétion, Buzot, Robespierre,
Rewbell, faisaient la loi dans l'assemblée, et les
véritables constitutionnels disparaissaient peu
a peu J. Ce n' est done pas sans un motif vrai-
sem91able qu'on prétendit plus tard que La-
fayette avait été informé de la fui te du roi' et
qu'ille 6t arreter pour relever sa popularité.
Ce probleme est a pen pres résolu de nos
jours; quoi qn'il en soit, ill'a toujours nié, et
il s~utient encore aujourd'hui que la reine
avait témoigné la joie de ce que s'étant donné
en otage pour le roi, il serait probablement
assassiné par le peuple révolté 2.


1 A vígnon venait de se soustraire au pouvoir du pape; les
atrocités les plus horribles a vaient été· commises; pendant une
année enticre , le coté droít et les constitutionnels avnient em ...
peché qu'on remit cette ville ti la France; dans la séance du
17 maí ils furent obligés de céder. On ne décréta pas expres-
sément la réunion, mais on l'ílccorda avec quelque Festl'iction •.
Moniteul', n° 145, p. 603 ; ftf. Cazales: .. Entendez-voQs des
cris dans les Tuileries? » ( La populace gagnée criait bravo,
A "ignoll est a la France:) .


2 Le roi avait ,donué sa parole a Lafayette qu'il ne parti-
rait paso On apIlrend, par la Re/ation da Cliolselll, page .68,
que Lafayette, en parlant de, la reine, avait dit la vérité " Que.
" Marje Antoinette avait eu la fantaisie, avec une badine qn'elle
" tenait a la main, de chercher a toucher les roues de sa voiture ...


Les femmes de chambre de Marie·Antoinette disaient tout
haut, dans l'antichambre, lorsqu'elle accordait une audience
particulierc a Lafayette" qu'il était dangereux qu'un rebellEl
et chef d'e brigands restat seul avec la rein~.




"


IO~ HIST01RE D"U XV1I1e SIii:CLE.
Dans la nuit du 20 au 21 juin 179 J, le roi,


la reine et Monsieur avec son épouse quitte-
rent París, mais ils prirent de si fausses me-
sures, que c'eut été un mirac1e de yoir
Louis XVI exécuter le plan qu'il avait pro-
jeté. Le délai du voyage du 19 au 20 ne fut
pas aussi préjuuiciable que Bouillé le pré-_
tend 1 ; Monsieur se qirigea vers Valenciennes
et atteignit henreusement la frontiere; mais
le roi, aper~u el ChaIons, reéonnll a Sainte-
Menehould par le furieux jacobin Drouet et
son fils, et poursuivi jusqu'a Varennes, fut
arre té par le peuple de eette ville. Les propo-
sitions que llegnaud, Vernier et Camus im-
proviserent, dans la séance du 21 juin, et la
maniere dont un des députés parle du retonr
du pouvoir exécutif a sa source 2, font recon-
naltre facilernent que cet événement avait été
prévu. Les députations d'enfants, et d'autres
bouffonneries des émeutes populaires, dans les
derniers jours qui précéderent le, départ du


I Relation du dépal't de Louis XVi, page 43; ce qui détruit
entierement la fable, que ce retard de villgt-quatre heures
avait dérangé le plan convenu; il n'y a influé en aucune ma-
niere.


2 On demandait qu'on tirat le canon de dix en dix minutes.
Martineau déclare ceUe mesure contraire a la tranquillité pu-
blique. G oupil reprend : « Les canons, ils annoncent que le pou-
voir exécutif retourne naturellement a sa source. "




LIVRf: IV, CHAPITRE 11 l. 103


roí, avaient été sans doute préparées pour aug ...
mente!' la terreur, etpour presser sa fuite,
qui servit ensuite de base aux accusations les
plus atroces l. L'arrestation de.Louis a Varen-
nes, a dix lieues de ~Iontmédi, ou il avait
vouln se rendre sous la garde des troupes de
Bouillé, dura jusqu'a ce qu'il eút été joint
par l' aide-de-camp du général Lafayette qui le
suivait de pres 2. La cQnduite du peuple; .etle
peu de zele que montra l'escorte, devaient
prouver au roi combien l'opiníon était changée
et combien un retonr a l'ancien régirne de-
venait impossíble; Inais les Franc;ais qui émi-
graient ne youlurent jamais en convenir.


JI. L'assemblée nationale tenait depuislong- .
tempscette espece de pouvoir exécutif qu' on


1 Nous citerons les paroles suivantesde Marat, d'autant plus
qu'il est absolument impossible de les appliquer a Louis XVI.
Ami du peuple, 22 juin 1791, page 4 : « La nuit, Louis XVI en
soutane a pris la fuite avec le daupbin, Monsieur et le reste
oe sa famille. Ce roi parjure, san s foi , sans pudeur, sans re-
mords, ce monarque indigne du trone, n'a pas été retenu par
la crainte de passer pour un infame. La soif du pouvoir. ah-
solu qui dévore son ame le rendra bientot assassin féro~e;
bient(Jt il nagera dans le sang de ses concitoyens qui refuse-
ront de ~e soumettre a son joug tyrannique. En attendant, il
rit de la sottise des Parisiens qui se sont stupidement reposés
sur sa parole. »


2 S'il faut en croire la Retafion de CllOiseul, pages 93- 94'-
le roi se montra dans eette occasion aussi faible que plus.
tard, le 20 juill et le 10 aout 1792.




1'04 HISTOIRE DU XVIUe Sd~CLE.
voulait bien laisser a la France, et Louis XVI
ne gai'dait que le titre de roL Ainsi Oll ne re-
Jnarqua pas de changement essentiel, lorsque
la législation réunit aussi 1 quant a la forme, le
pou~oir exécutif; qu'el1e nomma et surveilIa
les ministres, et qu'elle envoya des commissai-
res dans les provinces pour y exerccr l'autorité
royale. Deux cent quatre-vingt-dix membres
de l'assemblée protesh~rent en vain contre tou-
tes ces mesures et contre la suspension de la
garde du roi. On députa IJatour-Maubourg,
Pétion, Barnave, pour ramener la famille
royale, et une commission de l'assemblée I re-
~ut la déclaration du roi et de la reine SUl~
lenr fuite. Cette derniere démarche n'était an
fond qU'ull interrogatoire f-ormel, puisqu,e le
roi, dans un manifes te 2, s' étai t expliqué sur
]es raisons de son départ, et que l'assemblée
nationale avait publié un contre-manifeste 3.
pan s l'instruction sur la (uite du roi, ~n
put remarquep la supériorité que les consti-
tutionnels, auxquels Barnav,e se . joignit des-


I D' André, AdrÍen Duport, Tronchet.
,. Mémoire du rOl, ou aéclaration de sa majesté ti tous les Fran-


cai.J ti sa so rIle de París.
• 21 A dresse de l'assemblée nationale aux Fram¡ais, ti l' occasion
du départ du roí el en réponse ti la déclaration de sa majesté.


Quant aux actes, on les trouve dans les Notes de Bertrand
de Molleville et les Mémoires de Choiseul.




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 105


\o~~ 1. , 'é:\'l'é:\\en\ d'é:\n~ \''é:\~~embl~e et d'é:\n~ la na-
tion; ce qui n'ernpecha pas les Jacobins et les
Orléanistes d'ameuter la lie du peuple et de
répandre la terreur dans la capitale ; malheu-
reusement aussi les amis de la constitution
jugerent a propos de tenir le glaive suspendu
sur la tete de Louis XVI, jusqu'a ce qu'il eut
enfierement approuvé leur travail; ils laisse-
rent ainsi a .la nation le temps d'oublier in-
sensihlement qu'elle' avait un roi, et s'attire-
rent la haine mortelle de tous les royalistes.


Le 12 juillet, la suspension fut prolongée,
quoiqu'on ent déclaré tacit~pIent 2 que le roi
ne pouvait pas etre jugé 3 ; on lui demanda
néanmoins de reconnaitre l'acle de constitu-
tion tout entier, pour etre réintégré dans ses
droits. e' est ainsi qu' on extorqua son con sen-
tement, et qu'on luí ota toute part dan s l'or-


1 Le plus éloquent et le plus adroit des royalistes, Cazales,
résigna le 9 juiBet. Pagauel, Es;;ais historiques et critiques sur
la rél'olution franfaise, tome 1, chapo VIII, page 152, en porte
un tres-hon jugement.


2 Pétion, Monitellr; nO 197, 14juillet 1791, page 806,
a parlé contre le projet des comités. 11 a conelu a ce que le
roi fUt mis en cause et jugé, ou par l'assemblée nationale,
ou par une convention.


3 Pétion, Ricard, Buzot, Prieur, Vadier, Grégoire, Pu-
trainck , Rohespierre seuls, se prononcerent fortement contre
le roi; l'avocat Éhrard d' Aurillon s'y joignit plus tardo D' An-
dré ,Adrien Duport, Lameth, Barnave, quoique violents ad-
versaires de la cour, défendirent la cause de Louis XVI.




106 HISTOIRE DU XVIIIO SIECLE.


ganisation du gouvernement, surtont depuis
que, le 'I5et le 16, on eut'ajbttté a: la constitu-
tion trols articles quide'Váient empechcr
toute réactión flíture l., Les républicains,
ayant a leur téte Buzot ,'Brissot et Pétion,
réunis átlx Orléanistes, ue pouvai~nt souffrir
qu'on conservata Louis XVI le titre de roí;
le club des jacobins, devenu autQritépublique,
puisque les"électioll's'des'députés aHaient dé-
pendre de luí" applaudrft tniutement a la pro-
positiol1 d'un de ses I\lem·bres, de ne plus re-
conllaiti'e l~alltorité roy~le 2. Dans les trouhles


, 10 Si le roi, apre:~'. \yoi~ prété serment a la constitution,
~\:r~tracteJil ,aeta p'~l)sé avoir abdiqué.


2,0 Si leroi se meJ. ~ la tete d'une armée pour en diriger la
force contt'e la nation', ou s'il' ordonne a ses généraux d'exé-
cuter un te! projet, ou enfin, s'il ne s' opp06e pas, par un
acte formel , a toute action de cette espece, qui s'exécuterait
en son nom, il serait censé avoir abdiqué.


3° Un roi qui aura abdiqué, ou qui sera censé l'avoir fait,
redevieudra simple citoyen, et il sera accusable, suivaut les
formes ordinaires ,pour tous les délits postérieurs a son abdi-
catiqn.


2 Il se forma le troisieme club dont nous avous parlé plus
haut, qui ne se composa, ainsi que tous les autres, que des
Jacobins; cepenclant les Jacobins et les Cordeliers, ou Orléa-
nistes, devaient alors en etre excluso Ce club manquait de toute
énergie; et 'Marat, Ami du peuple, -vendredi 5 aout 1791,
-page 3 , \'apo¡:,tl'0l)\,e ain¡:,i: ... Ao.ore'l. encore les opinions au
juif Barnave, des Lameth et de leurs complices ; ils ne s' étaient
introduits , ées sycophantes, nu milieu des sociétés patrioti-
ques, sous l'habit de berger, que pour dévorcr sUl'ement les
hrebis. Avec ce déguisement,ils sont parvenus a conna\tre les
franes patriotes : et vous enfel'mez les loups dans la bergerie!




LIVRE IV, CHAPITRE IIJ. 107
excités sous prétexte de présellter des péti-
tions contre les constitutionnels, la populace
des jacobins et les ci-devant gardes franc;aises,
alors élite des gardes nationales de Lafayette,
se livrerent un combat sanglant, le 17 juillet.
BailIy, en sa qualité de maire de Paris, avait,
d'apres la loi, donné l'ordre de faire feu sur
]a populace; on lui en fit plus tard un crime,
et Hlui en cOlIta la vie.


Lafayette, devenu l'objet de 1 a haine géné-
rale, eut l'esprit si fasciné, qu'il ne songea
pas aprofiter de sa victoire. La garde llatio-
nale aurait ·détruit volontiers tout le jacobi-
nisme, en détruisant leur club. Sur le point
d'exécuterce projet, Lafayette arreta lui-meme
les braves citoyells et soldats, paree qu'il avait
besoin des Jacobins contre la cour.


Au mois de septembre se termina enfin la
révision d'une constitution qui ne con~enta
personne, si ce n' est les hOmnle5 qui poursui-
vent encore aujourd'hui leurs chimeres l.
La re traite des conspirateurs qui vous engueusent est aux Feuil.
lants; c'est la le club des monarchiens qui vous préparent des
fers, lorsque les Pétion, les Robespierre, restent attachés aux
patriotes dans la société fraternelle des jacobins. J)


1 Les niais, comme on les appelle a París, auraient néan"
moins conservé la nobles se , si le coté droit ne les cut poussés.
entieremellt a bout. Paganel, to~. 1, chapo XI, page 187, dit:
"Le pouvoir royal fut recollstitué, saos doute, mais dénué de-
tout llrestige, mais en quelque sorte solitaire, mais ne ré·




J08 HISTOrRE DU XVIIICl SJECLE.


Presque en meme temps, LéopoId II venait de
s'accommoder avec la Prusse au con gres de
Pillnitz; l'Autriche et la Prusse promirent, il
est vrai d'une nlaniere bien évasive., au corote
d' Artois et aux émigrés qui se rendaient en
foule dans les provinces allemandes situées le
long du Rhin, et qui commenc;¡aient a former
d~s armées, de leur preter des secours en
troupes; car on ajoutait imprudelnment foi
a ce que les courtisans irrités et incorrigi-
bIes, inventerent sur l'opinion de la nation.
Le traité 'de Pillnitz fut tres-équivoque. Bar-
nave, Lameth et les ministres qu'ils avaient
donnés au roi, excepté Montmorin, Iui con ..
seillerent d' accepter purenlent et simplement
l' ouvrage 'précipité d'une constitution,' tout a:
la fois démocratique et monarchique. Ce fut
un conseil fatal: quelle confiance aurait in":
spiré,comment pouvait se maintenir une con ..


. _ fléehissant aueune splendeur, et ne payant l'adoration par au-
eune de ees brillantes faveurs qni luí soumeUent toute~ les
passions, qui lui attirent tons les hommages, qui eommandeIÍt
r",üm\y",\\()l). ~\ \~ Tes;pect a ceux m~mes auxquels 1'ambition
et la vanité sont interdits; en'un mot, le pouvoir royal repa-
rut aux regards du peuple comme un pouvoir populaire, et
le roi comme un dieu sans temple et sans adorateurs. yne
tellemonarehie ne pouvait ~tre qu'une eréation éphémere, etc."
Page 189: <l Les royalistes applaudirent a cet essai de constitu-
tion , bien persuadés que l' opinion publique, indignée, rede-
manderait bientot la noblesse el ses llOchets, la royauté Jéoda/e
et lous ses 'I'ieux mensonges. "




LIVR E 1 V, CHAPITRE 11 L 1°9
stitution, ou l' on voulait forcer le souverain et la
nation a se rapprocher, et qui ne fut acceptée
ge part et d'autre qu'avec l'intention de ne
pas la tenir? D'ailleurs, ne trouvait-elle pas des
antagonistes meme parmi ceux qui l'avaient
dictée; n'avait-elle pas été I'objet des sarcas-
Ines et des railleries de la populace révoltée
~vant meme qu'eUe fút terminée? I.Je roi, s:f
famille et les puissances étrangeres ne s'ar-
maient-ils pas pour la renverser?


Sur ces entrefaites, les Jacobins, propose-
rent une loi contre les émigrés, et une ordon-
nance sévere contre ceux qui n'avaient pas
voulu preter le serment a la constitution ci-
vile du clergé; mais Le Chapelier sut profiter
d'une maniere habile de l' enthousiasme géné-
ral, pour détourner une proposition que le roi
ne voulait et ne pouvait nuUement accepter.


Le 3 septembre, on rendit la liberté au roi
quijl1squ'alors avait été sous lasurveiUance de
Lafayette. A netif heures du soir, soixante dé-
putés lui présenterent l'acte constitutionnel; et
on ne s'occupa que de la législation jusqu'a la
fin du mois üU les anciens députés devaient
faire place a une nouveUe assemblée l.


I On rlisait qu'elle avait achevé la partie constituante , el
qu'elle ne travaillait qu'au plan de la législation.




1 10 HISTOIRE DU XVIIle Sd:Cr,I~.


Parmi les lois faites a eette époque, se
trouve malheurensernent aussi eeHe dé la réu-
nion définitive d'Avignon a la France. eette
loi était tout-a-fait contraire aux principes
purs auxquels les eonstitutionnels feignaient
de rendre hornmage. Le roi déclara le 13,
par écrit, qu'il acceptait la constitution; le 14,
il prit dans l'assemblée la place humiliante
qu'elÍe lui accordait, su·y la meme ligne que le
président, et pendant quelques moments de-
bout devant l'assemblée assise 1; néanmoins,
tous les députés l' accOlupagnerent a sa sortie
en. processioIl solennelle jusqu'a sa demeure.


1 La scime se trouve dans le jJ;[ oniteur, nO 2 5 8 et sui v. ,
page 1075 : « Un 'Illissie,.. - V Qilft le roi. Le roi entre dans
la salle, accompagné de tous ses ministres, n'ayant d'autre dé·
coration que la croix de Saint-Louis. L'assemblée se leve. Le
roi va se placer a coté du président .... Le rvi. - Messicurs ,
je viens consacrer ici solennellement l'acception que j'ai
donnée a l'acte constitutionnel; en conséquence, je jure .•.
(L'assemblée s'assied .... ) d'etre fidele a la nation et a la loi ;
d'employer tout le pouvoir qui m'est délégué a maintenir la
constitution décrétée par l'assemblée nationale constituante, et
a faire exécuter les lois. JI Le roi. s'apercevant qu'i! est seul de-
hout, s'assÍed. (La salle retentit d'applaudissements.) Puisse
cette grande et mémorable époque ~tre ceBe du rétablissement
de la paix, de l'union, et devenir le gage du bonheur du
peuple et de la prospérité de l'empire. (La salle retendit pen-
dant plnsieurs minutes d'applaudisscments et des cris de 'Viw~
le roi!) M. le président debout: De longs abus, qui avaient
long.temps triomphé des bonnes intcutions des meilleurs rois,
et qui avaient san s cesse bravé l'autorité du trone, opprimaient
la France. (Le roi reste assis; 1\1. le président s'assied.) •




LIVRE IV, CHAPJTRE 1lI. 111


Mais ce qu' on devait regarder cornme un pré-
sage funeste, e'est qúe le Moniteur, en pu-·
bljant l'acte de la constitution, donna aux
Fran<;ais dans le plus grand détail,x une dé-
claration des freres du roi, de l'empereur
Léopold et du roí de Prusse , ainsi que de tous
les princes émigrés, qui était entierement op-
posée aux paroles de Louis XVI. Le 30 sep-
tembre, le roi retourna a l'assemblée, promit,
dans. son discours, qu'il ne négligerait rien
ponr maintenir la eonstitution, mais il ajouta
qu'on lui avait laissé trop peu d'autorité 2 ; sur
quoi le président leva la séaneeo Il est a re-
marquer que les États, convoqués pour anlé-
liorer l'état des finan ces , ne firent que l'em-
pirer en créant le papier-monnaieo Le peuple
n'accueillit avec transport que Pétion, nornmé
plus tard m~ire de Paris, et Robespierre, alor5
accusa teur publico


En nommant Danton, député de la nou-
velle assemblée législative, ainsi qu'une foule
de jellnes gens exalté s 3, républicains bien


I Moniteul', nO 267 ~ pages 1003-4.
2 Il dit, MOlliteur, nO 271 , page 1047: « Apres avoir ac-


cepté la constitutioll que vous avez donnée au royaume, j'em-
pLoierai tout ce que j'ai I'efu par el/e defOlus el de moyells, poltr
assurer au,J; Lois le I'espect el [' obéissallce qui /eul' sont dus. »


3 LeIer octobre, la nouvelle assemblée fnt ouverte; chaque
député devait avoÍr vingt-cinq ans. Le doyen d'age dit, a 1'0u-




112 HISTOIRE 1>U XVJIle SIECLE.


pensants et habiles en théorie, mais fantas-
ques, on prouva évidemrnent que la nou-
velle constitution plaisait aussi peu a la masse
du peuple ,qu'aux politiques praticiens. Ce-
pendant la premie re assembl~e offrait une
réunion de talents et de lumieres, un mélange
de générosité, de théorie et de pratique, ou
1'on voyait confondus les principes anciens et
les nouveaux principes populaires. C'est ce
qu'on cherchait inutilementdans la seconde l.


De meme que précedernment Mirabeau s'é-
tait guidé sur la métaphysique de Sieyes, de
merne'celle de Condorcet servit de regle aux
républicains, parmi Iesquels Pétion et Brissot
jouaient un grand role. Quelque différence
qu'il y eut dans leurs iqées et leurs- pIans ,
ils montrerent, des les preluieres séances,
qu'ils agissaient dans les nlt~rnes intentions.
lIs abolirent les titres de majesté et de sire,
n'accorderent pas de siege particulier an roi,


verture : « Si, parmi MM. les députés, iI en est qui n'aient pas
commencé leurvingt-sixieme année, qu'ils se présentellt. " Un
grand nombre de députés s'approchent du bureau.


1 Il Y avait alors , dans cette ass~mblée, quatre cent quatre-
vingt-douze députés, dont trois cents avocats, quatre - vingts
prétres assermentés, dix-neuf nobles et protestants; le reste se
composait d'employés, de juges et de fonctionnaire~ pubIics.
Parmi eux siégeait 1e fameux Danton, comme substitut du
procureur-général de la cornmune.




LIVRE IV, CHAPITRE JI!. 113


et voulurent absolmnent le lnettre au ¡neme
rang que leur. président.


Le;; préparatifs ridicules des érnigrés; le
plan singulier du roi de SlH~de, que Brissot
dans un discours aux Jacobins appelle assez
justement le Don Quichotte du Nord; plan
qui consistait a conduire, avec l'assistance de la
Russie 1, trente-six mille hommes par mer a Pa-
rís; les troubles qui éclaterent dans l'intérieur,
lorsqu'on voulut forcer le peuple d'accepter
les pretres assermentés, donnerent l'occasion
si ardernment désirée, de présenter le roí en
opposition avec le peuple. Pour mieux la faire
ressortir, on donna du nenf au douze no-
vembre une loi contre les émigrés, et les
pretres inserlnentes'l.. LOllis_, COlnme OH l'avait
présumé, se servit de son droit constitution-
nel 3 , et refusa son approbation ; des-Iors il se


x Catherine II écrivit, en 1790, une lettre autographe a
la reine de France, ou elle indique la marche et la conduite
que Louis XVI avait a observer. Jfadame Campan, tomo II,
page 106, rapporte les conseils de l'impératrice en peu de
mots : « Les rois doivent suivre leur marche sal1S s'inquiétcr
a des cris dn peuple, comme la lune suit son cours san s etl'e
• arrctée par les aboiements des chiens. "


2 «Les pretres iusermentés seront déportt-s, lorsqu'nne d6-
nonciatiol1 de vil1gt cltoyel1s les présentera comme ennemis dn
nouvel ordre des choses. "


3 La cOl1stitution avait accordé a Louis XVI le droit ou
d'approuver une loi par la formule, le roi/era e.u!cuter, ou d . .!
la Tejeter par la formnle, le rOl e:r;uminerrl.


n. n. 8




114 IIISTOIltE DU XVIIIC' SIE3CLE.


vit sans cesse assailli des clameurs du peuple t.
En retardant l' exécution de ces décrets, en
procurant secretement queIque argent aux
émigrés, en poursuivant la correspondance
avec les puissances étrangeres, iI ne 6t que ser-
vir le parti républicain, qui formait la majo-
rité de l'assemblée. Marat, Fréron, et des
créatures de Prudhomme tirerent de sa fai-
blesse le prétexte de se jouer impunément de
tout sentiment noble et généreux. L'assem-
blée émit d'abord un décret contre les prin~es,
sans demander l'approbation royale, ensuite
un autre contre les partisans du roi, qui cspé-
raient des secours de l' étranger 2. Louis ne


1 Marie - Antoinette dit a Dumouríez, en présence du roí:
ti Vous me voyez désolée, je n' ose pas me mettre a la fenetre
du coté du jardin. Hier au soÍr, pour prendre l'air, je me
suis montrée a la fenétre de la cour; un callonnier de garde
m'a apostropbee d'une injure gr.ossiere, en ajoutant : Que
j'aurais de plaisir a voir ta té te au hout de ma halonllette! Dans
cet affreux jardin, d'un c()té on voit un homme monté sur
une chaise, lisant a haute voix des horreurs contre nous ; d'un
autre, c'est un abhé ou un militaire qu'on traine dans un ha5-
sin, en l'accahlant d'injures et de coups ; pendant ce temps-la,
d'autres jouent au hallon, ou se promenent tranquillement.
Quel séj our! quel l)eu pIe! "


2 Moniteur, nO 13; séance du 14 janvier 1792; il Y est dit,
page 60 : ti Les ministres ont été introduits et ont informé l'as-
semhlée que le roi a donné sa sanction au décret qui déclare
infame el traitre a la patrie tout législateur I tout agent du
pouvoir exécutif, tout Fran~ais, qui assisterait directement ou
indirectement a tout congres des puissances étrangeres, a toute
démarche ou entreprise tenJante a apporter des modifications




LIVRE IV, CHAPITRE 111. 115


put refuser son assentiment. Il se vit enfin
meme obligé de former son ministere de ré-
publicains 1, auxquels on joignit, pour les re-
lations extérieures, Dumouriez, hornme san s
principes et meme sans systeme.
a la constitution, a toute médiation avec les rehenes, et a
toute composition avec les princes ci-devant possessionnés en
France pour le maintien ou la conservation des droits féo-
daux, supprimés par l'assemblée constituante.


I Pétion était maire de París, quand les ehefs de la Gi.
ronde eurent avee Thiéry, valet de chambr.e du roi, cet en-
tretien auquel Bailleul, tome II, pages 44-45, ajoute tant
d'importance. n ne s'ell5uivit que la lettre imrJertinente que
Gensonné, Vergniaud, Guadet, écrivirent au roi, ou plutot
a Boze. On la trouve dans les pieces officieIles de la nenvelle
édition de Dumouriez, lJIIémoires, tome II, page 422, note e;
on y lit, page 423 : dI n' est done que trop constaq.t que l' état
actuel des choses doit amener une crise dont presque toutes
les chances seront contre la royauté. Page 426 : Parmi les
six conseils qu'ils dotinent au roi, le nO 6 est a remarquer:
11 serait bien important que le roi retirat des mains de M. La-
fayette le commandement de l'armée. 11 est aú moins évident
qu'il ne peut plus y servil' utilement ]a chose publique. "


On soutenait qu'il y avait a la cour un comité autrichien.
composé des ministres de Lessart, Montmolin et Bertrand de
Molleville. Les propres mémoires de ce derniel' en sont un
sur garanto Les Jacobins qu'il employa le trahirent. Koch, en
sa qualité de réfél'endaire du comité diploma tique , était chargé
de l'accusation contre de Lessart; il la remettait d'un jour a
l'autre lorsque Brissot la présenta, soutenu par Vergniaud et
annoncé par Guadet. Moniteur, 1791, nO 71 , page 293 et
suiv.: " Dnmouriez et Lacoste, ministre de la marine, étaient
membres du club des Jacobins; la femme de l'integre RolaDd
s'arrogeait, a proprernent parler, le porte-feuille de son époux.
Dumouriez seul avait peine á se laisser guider par elle, ce qui
explique l'opinion peu favorable qu'clle énonce surlui dan s
ses Mémoires. Dumonriez était trop hornme du monde pour
étre républicain ou jacobino •


8.




116 1IISTOIRE DU XVII{ Sd:CLE.


Dumouriez ne manquait pas de talents, car il
~vait été employé dans des affaires politiques;
ce fut lui qui, a la satisfaction de Marat, in-
troduisit dans la langue diplomatique le ton
rude, que les Franc;;ais out conservé jusqu'a
.la restauration.


Une partie de l'assemblée avait, depuis le
rnois d'octobre, désiré et demandé la guerre
contre I'Empereuret les princes allemands. Dif-
férents motifs portaient a l'entreprendre; d'un
coté les effQrts des Jacobins, de l'autl'e les
plans qu'on avait formés contre la cour et la
constitution; enfin on espérait que la révolu-
tion frallcaise servirait a soulever les Allemands , ,
qui habitent les bords du Rhin. Opprimés par
la fierté des nobles, ils gémissaient sons le
joug de la féodalité et de l'autorité arbitraire.
n serait done facile de les disposcr a des ré-
formes, en Ieur dévoilant h~s abus de leur gou-
vernement. Le nouveau ministere se pl'(~ta
sans répugnance aux vues de ses partisans;
on déc1ara la guerre tandis qu'iL venait d' en
éc1ater une Bien plus redoutable dan s l'inté-
rieur, dans les administrations, les États et
meme dans les familles l. La mort de Léopold


J Surtout depuis que le décret !lu 5 mars séquestrait les
biens des émigrés.




I.IVRE IV, CHAPITRE I1r. 117


hata l'accomplissement du vreu des républi-
cains, cal' Fran~ois II, qui, a l'age de vingt-
quatr'e ans, prit l'administration des pays hé-
réditaires, au luois de mars 1 79~2, n'avait pas
~ comme son pthe d'anciennes plaies a fernler,


et il penchait plut6t vers le systeme (le Jo-
seph, que vers celui de Léopold. Les puis-
san ces étrangeres auraient encore fardé, si
Dumouriez n' eut demandé une déclaration po-
sitive, si le ton des journaux fran~ais, et les
principes universellement énoncés par les
amis d'une liberté raisonnable 1, n'eussent ag-
gravé de jour en jOUí' les dangers qui lllena-
<;aient tous ces souverains. La réponse du ca-
binet autrichien a la demande de DUlnouriez
rendit enfin la guerre inévitable.


D'apres la constitution fran<;aise, le roi avait


1 Il est dit dans l'introductioll a la déc1aratÍon de guerre :
'" L'assernblée nationale déclare que la nation Fran<]aise fidele
aux principes de sa constitution, de n'entreprendre aucuno
guerre dans la vue de f,tire des conquetes, et de n'employer
jamais S8S force s contre la liberté d'aucun peuple, ne prend
les armes que pour la défense de sa liberté et de son indépen-
dance: que la guerre qu'elle est obligée de soutenir, n'est
point une guerre de natíon a natíon, mais la juste défense
d\m peuple libre contre l'injuste agressíoll d'un roí. Qu'elle
adopte d'avance tous les étrangeTs qui, abjurallt la cause de
ses ennemis, viendront se ranger sous ses drapeuux, et con-
saerer leurs efforts a la défense de sa liherté; qu'elle favorisera
m~me, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, leur éta~
blissement en Franee. "




118 HISTOIRE DU XVIlllt' SIECLE.


le droit de faire la guerre et la paix, mais il
ne pouvait la cléclarer san s un décret du Corps-
législatif. Loui~ parut don~ le 20 avril a 1'as-
seInblée et proposa la guerre contre l' Autriche;
on l'accepta avec allégresse, et on en fit aussitot
la déclaration formeHe, sans y etre préparé,
car la cour espérait que l)Empereur aurait la
victoire. Les différents partis, qu'un seul hut
unissait alors; les enthousiastes, qui, a Paris,
ainsi qu'aux rives de la Garonne et de la Loire,
ne revaient 1 que Rome et la Grece; les hom-
mes méprisables, comme Chabot, Bazire,
Merlín de Thionville, Collot-d'Herbois et au-
tres; les ennemis jurés de toute pensée ma-
gnanime, comme Marat, Rohespierre et les
partisans de Danton, tous voyaient enfin leurs
désirs accomplis 2. Lapopulace était en mou-
vernent, et le pouvoir qui aurait pu l'apaiser


t L'insensé Clootz était du n.ombre; se disant orateur du
genre humilin, le 22 avril il parut de nouveau a l'assemblée;
iI y parla de son dernier ouvrage, la Répuhlique unifJel'selle,
dont le titre seul fait frissonner les aristocrates, ou il se sert
de la belle tonrnure: .. Je serais trop henreux si la contagion
de mon exemple Con rit) accélere la chute des oppressions.»


2 P aganel , tomo 1, p. 35 1 : el De cerner, de miner le trone,
et d'ensevelir l'autorité royale sons ses débris; oui, teIle était
l'arriere-pensée des' Jacobins; de cette société a qni le calme
eut semblé le néant; qui, assise sur les bords enflammés du
volean, en agitait sans cesse les matieres, impatiente de jouir
de l'embrasement du monde. »




LIVRE IV, CHAPITRJ~ 111. 119


se trouvait paralysé. Les administrations des
départements, composées de bons cifoyens fi-
deles a la constitutjon, étaient en guerre ou-
verte avec les administrations municipales du
royaume. A Paris~ dans la haute magistrature,
Pétion et ses amis soldaient la popu-Iace ar-
mée, organisaient la révolte et appelaient dans
la garde nationale les farouches lancim's a la
place des citoyens honnetes. Depuis que la
guerre avait éclaté, Lafayette s'était rendu a
l'armée sur les frontieres, et la garde natio-
nale de Paris restait sans comrnandant. Les
six chefs des légions devaient en remplir al-
ternativement les fonctions. On prétexta d~a­
bord qu'un tel commandant avait trop de pou-
voir; mais on connut le véritable motif de
cette délnarche, le 10 aout 1792, lorsque
eette eharge, qu'on disait incompatible ave e la
liberté, fut rétablie par les républicains et con-
fiée a Santerre, chef redoutable du bataillon le
plus féroce du faubourg Saint-Antoine. On se
moqua alors de la constitution, et on dévoila
l'ünpuissance 1 de ses faibles défenseurs qui


( Je n'aime pas a répéter les invectives de Bailleul, dans son
ouvrage sur les considérations de madame de Stael; mais je re-
marque que Paganel m~me, comme membre de l'assemblée
législative, dit, tomo 1, chapo XVII, pago 327, «que les réso ..




J 20 UISTOIRE DU XVIIlc SIF.:CLE.


formaÍent le club des Feuill~nts. L'esprit na-
tlonal s'éveilla chez les Fran<;ais, et la crainte
de l'ennemi du dehors enchaina l'indignatioIl
qu'on éprouvait contre les démagogues.


Ainsi toutes les scenes suivantes s'expli-
quent sans peine. La guerre une fois déclarée,
les dépufations et les troubles se lnultiplierent.
Le roí se vit outragé et injurié dan s les pIaces
publiques, dans les rues, par les députés et
par la populace qu'on rassemhlait aux Tuile-
ries et dans les environs du chateau. Les tri-
bunes de l'assemblée nationale se remplirent
de crieurs achetés. eornme on craignait la ré-
sistance dcs gardes suisses et de la gardc" con-
stitutionnelle, fixée au nOlnbre . de dix-huit
cents hommes, mais quiétait bien plus forte
alors et cornmandée par Brlssac, tous les coups
se tournerent contre elles, avant qu'on en
vint a une attaque contre le roi lui-Ineme l.


lutions les plus extremes étaiellt déja prises, et que le coté
droit et le coté gauche sacrifieraient avec un úle égal la con-
stitutioll, l'un ponr rendre au trane S011. despotisme et S011.
éclat, í'autre poul' le renversel', et constituer la France en
répnblique. »


1 S'il faut en croire la Relafion de Dumouriez : que la garde
c~nstitutionelle avait été portée a six mille hommes ; que des
vieux officiocs y étaient appelés, et que les fils des citoyens
envoyés des provinces, faisaient place a des aventuriers et des
handits enrolé s , iI faudra convenir que les partisans de 1'an-




L IVRE IV, CHAPITRE 111. 121


Kersaint, un des partisans les plus nobles
de la liberté, présenta a l'assemblée UJle
plainte eontre eette garde et les suisses du
roi, mais elle fut rejetée, paree que le parti
eonstitutionnel avait eneore trop de supé-
riorité. Cette question ayant été agitée de
nouveau, au rnois de Inai, Pétion et ses in-
times poursuivirent avee le plus grand sued~s
la lutte eontre les constitutionnels ,ils surent
organiser la révolte de la populace de Paris,
avec adresse et habileté, et iIs répandirent gé-
nél'alement le faux b1'uit que le roi songeait a
une nouvelle fuite, et qu'un comité autrichien


"' devait siéger a la cour. Aussi l'indignation
qu'excita cette perfidie supposée, fut-elle a
son con1ble dan s toute la France, dans les
villes comme dans les campagnes.


Chabot 1 et Guadet profiterent de ces dis-
positions. lIs proposerent de déclarer la séance
de l'assemblée permanente; et malgré tous les
efforts des fauteurs les plus prononcés de la


cien régime ne travaillaient ici que pour les furieux démo-
crates.


1 Brissotdit, JJlonit., nO 152, pago 631 :« Quoique M. Jau-
court vienne de me menacer de cent coups de baton, je n'en
continuerai pas moins mon opinion, car ni ses hatons, ni ses
épées ne m'effraieront jamais. "




12.2. HISTOIRE DU XVIIle Sd?CLE.


liberté 1 , ils parvinrent 2 a faire congédier la
garde du roi, et a le livrer 3 aux gardes na-


x Girardin, Monit., nO 1 5 ~ , pago 629, apres avoir rap-
porté les mesures que les J acobins et la commune de Paris pri-
rent contre l'assemhlée législative, ajoute: .. Mais si ces faits
sont protivés, il n'est pas moins vrai que d'un autre coté l'on
chcrche a exciter les citoyens par des discours, par des écrits
calomnieux contre un pouvoir constitué, aussi respectahle que
le Corps-Iégislatir, puisqu'il sort de la meme source; je veux
dire l'autorité royale. Si d'un coté on preche l'assassinat du
Corps-Iégislatif, de l'autre on préche le régicide. D


2 Pendant la discussion, la minorité de l'assemblée céda a
la force. Monit., pago 629. '" C' est un heau talent, dit F ron diere,
que celui de tromper le peuple .... J'ai dit a M. Guadet: De-
puis six mois, j'ai entendu vous et vos pareils déclamer a la
tribune; faí vu les agitateurs du peuple .... lIs l'invectivent
ensuite, ellui otent la parole : Léopold .....• Je vous prie, M.le
p~ési~ent, de réprir::'cr les mouvements eles tribunes. II est
bien etonnant que Ion rappelle un memtre a l'otdre pour
avoir donné son opinion, et que ron n'y rappelle pas les
étrangers qué insultent journellement r assemblée. •


3 Monitelfr,no 182 ,pago 631. '" L'assembléenationale, con-
sidérant que l'admission, dans la garde du roi, d'un grand
nombre d'individus qni ne réunisselll point les conditions
exigées pour ce service par l'acte constitutionnel, que l'esprit
d'incivisme dont ce corps est généralement animé, et]a con-
duite de ses officiers supérieurs , excitent de justes alarmes, et
pourraient compromettre la súreté personnelle du roi et la tran-
quillité publique, décrete qu'il y a urgence :


10 La garde soldée actuelle du roí est licenciée, et sera
sans délai renouvelée conformément aux ]ois.


2° Jusqu'a la formation de la nouvelle garde du roi, la
garde nationale de Paris fera le service aupres de sa personlle,
aillsi et de la meme maniere qu'elle faisaitavant l'étab]issement
de la garde du roi.


A )a proposition de Merlill, le décret d'accusation contre
Brissac, chef de la garde, fut pl'écipité d'une maniere indigne
et sans désemparer. »




LIVRE IV, CHAPITUE lB. 12.3


tionales que Pétion, Manuel et leurs amis
espéraient influeneer par le erédit de Santerre.
Vergniaud , Guadet, Kersaint, Gensonné,
madame Roland et quelques autres person-
nages généreux, mais sans expérienee, avaient
la ferme résolu tion de fonder une république.
Les ennemis de rancien régime eroyaient ,l'a-
bolition de la royauté néeessaire; ils étaient
persuadés que, tot ou tard, les fauteurs des
abus viendraient réclamer leurs prérogatives
et trouveraient un appui dan s le roi. Malheu-
reusement on se servit, dans eette eonjonc-
ture , de la líe du peuple que Marat, Danton,
Robespierre, Chabot et d'autres seélérats
avaient a leurs ordres. L'arene fut ouverte a
la lieenee de eette masse effrénée, el e' est a
elle qu'on 1ivra le pouvoir exéeutíf. Ainsi se
prépara la sctme du 20 juin, qui, restera une
tache éternelle dans l'histoire de Franee.


Les orateul'S exalté s de la Gironde, eomme
Guadet, Vergniaud et Gensonné, ne vou-
laient et ne pouvaient prononeer les horreurs
qu'a l'instigation, ou plutot par l'ordre de
l'assemblée, on répandit avant ce jour dans le
peuple, pour perdre le roi et les partisans de
la eonstitution monarehique , et pour justifier
la révolte. Il faUut done reeourir au misérable




\
124 IUSTOIRE DU xv lIle 51.ECLE.
eapucin Chabot l. Cette premiere atta que
éehoua eependant, paree que Chabot mela a ses
invectives impudentes eontre Louis des men-
songes affreux eontre Lafayette, alors a la tete
de l'armée. Trois jours apres 2, on fit une
nouvelle proposition eontre le roi et la eonsti-
tution. Sous prétexte de renforcer l'armée et
de eélébrer la fcte du 14 juíllet, vingt mille
eannibales devaient etre rassemblés a Paris.
Cette demande fut agréée le soir meme ,Iet
réalisée aussÍtót; car les délibérations dure-
rent toute la nuit , et le décret passa lorsque
les députés du parti contraire, fatigués, eu-
rent laissé le ehamp libre 3. Des-Iors les amis
de la eonstitution et le parti dominant dans la


tLell1onit., 1792 ,no 158,donne le long et impudent rap-
pürt de Chabot, auquel Riblé réplique : «Que les vrais membres
du comité autrichien, auteurs de tOU5 nos malhenrs, étaient Du-
mouriez, Bonnecarrere et d·Orléans, t:t qu'illes dénon~ait. lO


2 On disait des 10rs hautement qu'ón avait le plan d'assas-
siner le roi. -lI1onit., nO 161, p. 668 : .. Des intrigants, des
fripons, impriment, publient, placardent qu' on veut attenter
aux jours du roi, qn'un granel complot est formé pour exécu-
ter cet horrible projet. "


3 « L'assemhlée décrete, 1° que la force armée'seraaugmentée
de vingt-mille homIlles, :& ° que tOU5 les cantons seront admis a
fournir des 'Volontaires natiollauJJ pou,. celfe lerée, 3° que ces
vingt-mille hommes seront réunis a París pour le 14 juiUet. J)


Les lI1émoires de Barba/'oux nons prouvent aujourd'hui
clairement que les scenes du 10 30l'¡t a vaient été amenées par
la Gironde; ses memhres, a l'exception de Lanjuinais et de
quelques autres qui avaient été re~us dans la Convention, s'en
glorifíaient encore apl'i~s.1e 9 thermidor, dans tous leurs discours.




LIVRF. IV, CIIAPITRE 111. 12.5


Convention agirent hostílement l'un contre
l'autre, et la municipalité de Paris se trouva
en gnerre ouverte avec l'administration des
départements. Rrederer, alors procureur-gé-
néral- syndic, et La Rochefoucauld, admi-
nistrateur du département de la Seine, mon-
trerent ici un caractere entierement opposé.
Le premier agit, comme tOl,ls ces gens qui
d'abord amis et serviteurs de Robespierre , se
sontfait républicains, et ont fini par accepter,
avec le titre de barons et de comtes, les
chaines dorées de l'empjre l. Le second montra
au contraire toute la générosíté et toute la
fenneté de son ame 2 ; malheureusement, le


Monit., 1795 et 1796. "Barbaroux dit en propres termes,
qu'il avait fait venir les assassins de 1\Iarseille, que Santerre
s'était montré moins décidé que luí; il indique ensuite le role
que Pétion y jouait, et rapporte qu'il les avait priés de lui
donner pour la forme une prison domestique .•


I L'auteur se trompe sur le caractere de 1\1. Rrederer; iI ser- •
vit la cause royal e avec tout le úle possibIe; ce zele fut pa-
ralysépar la force des circonstances, et si, dans la suite, M. Rrede-
rer accepta des titres et des distinctions, ces récompenses ét:1ient
cIues a ses talents. (Note de l'éditeur.)


2 Pag'anel, tomo ler, page 333. «Appelé fréquemment a la
harre, il Y fit plus d'une fois, avec toute la liberté dout un
grand fonctionnaire et un excellent citoyen pouvaient user sans
blesser les convenances et la hiérarchie des pouvoirs, pres-
sentir les déplorahles suites de cette agitation intestine, de ce
désir inquiet de nouveautés, qni travaillait l'assemblée, qui
tourmentait et égarait l'opinion publique. On l'écoutait dans
un respectueux silence, et s'il eut été possible a la vertil de
former un partí contre l'ambition, la cupidité et les haines,
le sage La Rochefollcauld eut ohtenu ce beau triomphe. »




126 HI5TOIRE DU XVllIe SJECLl1:.


parti de la cour compta trop sur le secours de
l'étranger, et resta en intelligence avec les en-
nemis déclarés de la nouvelle constitution.


Le roi, tourmenté par ses propres ministres,
fut sommé de donner son assentiment a des
mesures qui lui semblaient pernicieuses l. n
ne voulut jamais y consentir, et ils menac{~­
rent de l'abandonner dans un temps ou per-
sonne n' osait se charger du ministere.


Les ministres républicains étaient en grande
discussion avec le roi qui refusait de sane-
tionner deux de leurs déerets; ils se brouil-
!erent meme avec Dumouriez, par rapport au
mooe de délibération, et au placement de
certains hommes qu'ils haissaient. Celui-ci se
flatta de pouvoir former un ministere qui fut
plus favorable a lui-meme et a la cour. Il con-
firma Louis dans sa r'ésolution de ne pas cé-
del', ce qui fournit aux ennemis de la royauté
l'occasion de se livrer a des ilCcusations calom-
nieuses.


Madame Roland dicta a son mari une lettre
violente, ou iI dit au roí les vérités les plus
dures 2. Roland, ainsi que tout le ministere


I Il ne s'agissait que d' affirmer le décret de la déportation des
prctres illsermentés, et de reconnaitre le renvoi de la garde.


2 On trouve les torts de la cour, la forme tout·a.fait anti-




L1VRE IV, CHAPITRE 111. 12.7


donna sa démission. La lettre fut lue au milieu
des. bruyantes acclalnations de l'assemblée
nationale et envoyée 1 dan s tous les départe-
ments. Dunlouriez reconnut, en faisant son
premier rapport, qu'il ne pourrait se mainte-
ilir et bien moins ene ore former un ministere.
Il abandonna done le roi, sons prétexte qu'il
ne signait pas le décret de poursuite contre
les pretres insermentés. Lui .. meme ,. en in-
trigant consommé, se réfugia parmi les Ja-
cobins de la basse c1asse 2, et, par Ieur moyen,
conserva son crédit; de meme qu'il avait
échangé peu de temps avant le ministere des
affaires étrangeres contre celui de la guerre,
de meme il abandonna le dernier pour pren-
dl'e Le commandement de l'armée aux fron-
tieres des Pays-Bas, ou les an tagonistes des
constitutionnels, connus sons le nom de
Feuillants, travaillaient 3 a la perte de La-


constitutionneUe sous deux points devue différents dan s Paga-
nel, pago 340, et dans les mémoires de madame Campan.


1 Cette leure se trouve a la fin du volume de la nouvelle
édition des mémoil'es de madame Roland. Lettre A. Elle com-
menee ici tout autrement que Dumouriez la rapporte : « Sire,
cette lettre-ei restera éternellement ensevelie entre vous et moi. D


2 Quoique Dumouriez soutienne le contraire, ce fait n'en
est pas moins certain.


3 Quand Lafayette appelle Dumouriez a la fois, farc-bou-
tant des Jaeobins et des Girondins, cette contradiction, (¡ui
semble si ridicule a ce dernier, n'en est une qu'en apparence.




128 IIISTOIRE DU XVIUe 5IECLE.


fayette, paree qu'il mena~ait les Jacobins avec
la force aymée. Ce général, avec les meilleures
intentions, bata, par sa lettre mena<;ante du
16 jnina l'assemblée et par les exh~rtations
qn'il adressa an roi_ 1, l'explosion du complot
infame par lequel up parti voulait réintégrer
les ministres répllblicains, et l'autre extermi-
ner la famille royale. La composition d'llne
requete, et la cérénlonie ridicule d'élever un
arbre de liberté, donnerent le prétexte de
rassem91er la populace qui oevait assaillir le
chatean, mais la véritable raison n'était pas
inconnue;.on savait melue que la lutmicipalité
favorisait l'ent~eprise. Les ministres annonce-
rcnt qu'un projet d'assassinat était concerté:
ils engagerent radministration des départe-
ments a prendre des mesures; celle-ci ne né-
gligea pojnt de faire tOllt ce que la constitll-
tion lui prescrivait; mais la municipalité,


1 Les lettres de Lafayette au roi et a l'assemblée législative.
sont écrites dans un ton qui ne convient nullement a un par-
ticulier. ~!onitellr, nO 183, page769: "Persistez, sire, fort de
l'autorité que la volonté natiunale vous a déléguée, dans la
généreuse résolution de défendre les principes constitutionnels
contre tous ledrs €nnemis; qne eette résolution, soutenue par
tous les actes de votre vie privée, COlIlme par un exercice
ferme et complet du pouvoir royal, clevienne le gage de
l'harmonie qui, surtout dans les momeI,lts de (~rise, ne peut
manquer de s'établi'r entre les représentants élus du peuple et
flon représentant héréditaire. »




L.1VRF: IV, CllAPlTltE IlI. 12.9


présidée par Pétion, avai t de bonnes raisons
pour ne pas y preter l' oreille.


Rrederer parut en vain devant l'assemblée
législative p0ur obtenir une loi contre la con-
duite des démagogues. Les républicains cru-
rent cette fois que l'espoir d'un grand résultat
autorisait une actíon affreuse, et exeusait un
jour d'horreur. lIs empeeherent done toute
réaction. Le J 9, une troupe de eette populace,
convoquée sous le nom de fédérés, lors du
déeret donné pour réunir vingt mille hommes
pres de Paris, se présenta a l'assemblée na-
tionale. Ces gens et leurs orateurs blamerent
hautement l'inaetion des députés et déclare-
rentqu'Üs étaient résolus d'agir. Le lendemain,
les trois faubourgs, habi tés par les classes
ouvrieres, sonnerent l'alarme. Santerre, qui
n'était qu'un instrument entre les mains de
Pétion,. conduisit ces forcenés a travers la
salle de l'assemblée; on eut l'impudenee de de-
mander l'impression du discours de Gonchon,
le Cieéron de ces hordes 1 , lorsque le prési-


1 Dans l' Hist. de la Réllol. par deux amis de la liberté, t. VIII,
p. 25, il est ainsi dépeint: " Cet homme était d'une complexion
robuste; avait une voix forte, une éloquence barbare, mais éner-
gique, qui faít un effet bien plus décisif sur la multitude, que la
logique la plus démonstratí ve, et les discours les plus sublimes. J)


Au club des jacobins du temps de la poursuite des Giron-
dins, on dépeint ainsi Gonchon. (Monit., an 11, nO '.l70'


H. n. 9




130 HlST()IRI~ DU XVIlIC SIECLE.
dent leva la séance, guidé par la prudence
plutót que par la, Plldeur. La popula<ye , au
milieu des cris et des troubles, se porta
aux Tuileries. Le roi et toute sa famille reste-
rent depuis quatre jusqu'a huit heures du
soir dans des transes mortelles. Lou"is refusa
néanmoins, avec beaucoup de fermeté, de
confirmer les décrets, et de reprendre le minis-
tere républicain, mais il fut assez faíble pour
se laisser mettre le bonnet rouge des Jacobins
sur la tete 1; et, dans l' espoir de plaire a ce
pago 1142): « Un membre. Vous connaissez tous le ci - devant
patriote Gonchon, orateur Rolandisé et payé par le partí
Brissotin, pour 'désirer en SR faveur. Il a été arre té et mis en
prison, mais rel;\ché ensuite sur sa paro le, etc., etc. »


I Bistoire de la Répolution de France par deux amis de la li-
berté, t. VIII, 1797, p. 2-3, (pou;r la note et le texte.) Note:
.. Ce prétendu principe, (que les rois ne tenaient leur puissance
que de Dieu et de leur é-pée) que la superstition et la "poli-
tique avaient créé, s'était tellement enraciné, que, malgré les
écrits des philosophes et des publicistes modernes qui l'avaient
vivement réfuté, et surtout malgré les violentes secousses
que l'on avaitdepuis la révolution portées a l'oint du Seigneur,
il agissait encore seIlsibIement, involontairement sur les per-
scmnes meme les plus exemptes des préjugés religieux. »


1:l fa~t comparer avec cela le texte page 3 : " Mais quelque
faible que fUt le monarque , et malgré sa ridicule condescen-
dance a s'affubler du bonnet'rouge, iI persista dans ses pré-
cédentes résolutions. On n'osa pas pousser plus loin la vio-
lence, les ministres ne rurent pas rappelés, et Louis XVI
reprit encore pour quelque temps la fragíle couronne que
l'odicux bonnet rouge avait pour jamais flétrie .•


L'excuse que madame Campan met dan s la houche du
roi, que cet homme ivre lui aurait passé, en cas de refus, sa
pique par le corps, nous parait insuffisante.




LIVItE IV, CIlAPITRE I11. 131


lnisérable rebut du peuple, iI fit semblant de
boire a une bouteille qu'un hOlnme de la foule
lui présenta.


La députation, déléguée par l'assemblée
législative pour la défense du roi, parut enfin.
Vergniaud s'éleva sur les épaules de deux
hornmes et" chercha a calmer, par son élo-
quence, cette multitude ivre de sango BnBn
Pétion et "la véritable garde nationale arri-
verent; la populace se retira en· poussant
des vociférations et en vomissant des injures l.
Tous les partis tremb1erent pou!' eux-memes
et pour la France, lorsqu'ils apprirent qu'une
troupe de sans-culottes venait de déshoriorer
le roi et la nation. On fit des enquetes, on pu-
blia des proclamations; Lafayette quitta la
frontiere et se rendit dan s l'assemblée législa-
tive, pour faire, au nom de l'armée, des re-
présentation~ contre les exces des démago-
gues, et contre l'esprit de parti; rnais tout le


t Quant a San:terre, iI dit a la reine dé son propre chef,
heaucoup de grossieretés parmi lesquelles il y avait peut-étre
quelques vérités; il ajouté: « c'est le cri universel du peuple
fran~ais; .. elle repartit : le ne fais pas r injure au peuple fra1U¡ais
de le jugel' d'apres vous; En montraÍlt les gardes nationaIes
quí lui restaiettt fid~les : Je le reconnais dans ces Iwnnetes gehs
que voila, : ces derniel's étaient de la section des filles de Saint-
Thomas, la plupart des hanquiers de la me Vivienne avec
Ieur!! fil!! et leurs commis.





J32 I1ISTOIRE DU XVIllc SIECLE.


talent de la Gironde exalté e se tourna contre
lui ,et ses amis purent a peine faire agréer sa
,requete l.


La scene du 20 juin semblaít cependant
avoir été utile au roi, mais il manquait mal-
heureusement de l'énergie nécessaire pour
tirer aussitot parti de son avantage~ L'assem-
blée savait que'Louis comptait sur le secours
de l' étranger. Les démarches des princes,
malgré toutes les protestations et les mani-
festes du roi, lui nuisirent dans l'opinion
publique qui, des ce moment jusqu'a nos
jours, cherchait dans les é~igrés les amis des •
Jacobins, et les fauteurs de ladépravatjon en
les désignant tous deux a la haine, comme
ennemis de l'ordre établi. En outre, les senti-
ments 'connus de la reine firent naltre l'idée,
et non sans une espece de fondement, que


J La reine avait une aversion si forte contre Lafayette et la
constitution, qu'a son instigation, le roí lit répondre aux
gardes nationaux restés lideIes a sa personne, lorsqu'ils de-
manderent s'ils devaient répondre aux vues du gé~éral La-
fayette, ens'unissant a lui dans lesdémarches qu'il ferait pen-
dant son séjour a París: le leur enjoinsde ne le pas ¡aire.


La reine répondit a la proposition de Lafayette de la
conduire, elle et la famille royale a Rouen: qu'on Ieur of-
fraít Lafayette comme ressource; mais qu'iI valait ~ieux pé-
l-ir, que de devoir son salut a l'homme qui Ieur avait fait
le plus de mal, et de se mettre dans la nécessité de traiter
avec lui,




LIVRE IV, CHAPITRE lIT. r33
le roi partageait l'opinion des prinees émi-
grés l.


Pendant que Louis temporisait, ~t que les
constitutionnels demeuraient tran'quilles, les
démagogues se renfor<;aient des vagabonds
qu'ils rassemblaient dans tout le royaume,
sons prétexte de eélébrer la fédération du
14 juilIet 2. .


La Prusse déclara alors la 'guerre, et fa
Franee répond'it sur le meme ton. Le due de
Brunswick, eommandant de l'armée prus-
sienne, apposa sa signature a un manifeste,
favorable au roi et offensant pour la nation;


j 1 Les Mémoires de madame Campan, tomo 11, pago 228,
donnent la p:reuve que Louis XVI et Marie-Antoinette De
comptaient que surle secours des puissance6étrangeres .• Une
nuit d' été, entre le 20 juin et le 10, aout, la reine s',éveilla et
me dit, que dan s un mois elle ne verrait pas cette lune sans
etre dégagée de ses chaines, et sans voir le roí libre. Alors
elle me confia que tout marchait a la fois pour les délivrer,
mais que les opinions de leurs conseillers intimes étaient par-
tagées a un point alarmant;, que les uns garantis$aient le succes
le plus complet , tandís que les autres Ieur ta,isaient entrevoír
des obstacles insurmontables. Elle ajouta qu'eUe avaít l'itiné-
raire de la marche des prii1ces et du roí de Prqsse, que tel
jour ils seraient aV erdon, te! autre dans un llut-re endroit, que
le siége de Lille allait se faire.


Le roí, disait-elle, n'est pas poltron, iI a un tres-grand cou-
rage passif, mais iI est écrasé par une mauvaise honte, une
méfiance de lui-meme, qui vient de son éducatlon autant que
de son caractere. 11 a peur du commandement, et cralnt I,lus
que toute autre chose de parler aux hommes réunis. JI


2 On lit comme post-scriptum d'une des proclamations 'de




134 HISTOIRE DU XVII1C SlECLE.
l'Empereur l'avait approuvé dans toute sa ri-
gueur, IDais la Prusse le modifia dans quelques-
unes de ses formes. Ce manifeste, ouvrage
de M . .de Limon, ancien Orléaniste, outrageait
la nati,on fran~aise 1, et venait bien a propos
pour ceux qui voulaient détruire jusqu'él l'om-
bre de l'ancien régime. La Gironde, alors
tres-active, chargea Barbaroux de faire venir
les huit cents Marseillais él Paris pour se join-
dre aux hordes de Santerre. Marat, Hébert et
leurs partisans déclarerent, sans retenue ,
leurs intentions régicides et inconstitution-
nelles. Les républicains, abandonnés él leurs
chimeres, se joignirent él eux. Brissot, dans
un di~c()urs', éloquellt, :avait fait entrevoir au
mois de j-uiUet la possibilité de détroner'
le roi ~; un grand nombre de requetes ap-
puyaient cette mesure; deux jours avant la
Pétion: Monit.,n° 184, 1791, du:¡ juillet: -des soldats dela
eonstitution viennent a Paris peur eélébrer la féte de la li-
berté avee les vainqueurs de la Bastille. Les bons citoyens qui
seront jaloux de loger un frere, un ami, peuvent se faire in-
scrire chez te prQc~reur de la commune (Manuel.) JI


1 Moniteur, nO 216, pago 90 7.
2 Moniteur, nO 19 2 , pago 802: .. Je demande done au nom


du roí, que saeonduite soit examinée, et qu'apres avoir dé-
cIaré que la patrie est en danger, vous exarniniez l'article de
la constitution, qui veut que, dans le cas OU le roi ne s'op-
poserait pas formellement aux entreprises formées en son nom
~ontre la eOllstitution, il sera censé avoir abdiqué. "




LIVRI~ 1 V, CHAPITRE IIJ, 135
seconde aUaque de la populace contre les
Tuileries, eette meme question fut agitée dans
I'assemblée 1 , leS aout, a l'instigation des Gi-
rondins qui commen<;aient a reculer devant
l'ablnle qu'ils s'étaient creusé eux-memes.
Qui ne plaindrait pas avec nous l' esprit borné
de tous ces hornrnes élevés parmi des adula-
teurs, an milieu d'un luxe fastidieux, en lisant
Bertrand de Molleville, alors confident de la


. Jd · d' , , reIne, es prInces et es pUIssanees etrangeres,
et en eonsidérant Marie-Antoinette, au lno-
ment oú elle épanche son ereur dans le sein
de rnadame Campan, et qu'elle lui parle des
projets du roi et de ses amis : ou de fuir OH de
gagner un misérable comme Santerre ~? En


1 La Gironde montra combien elle méconnaissait son temps
et sa posítíon, en chal'geant les municipalités de la haute po-
lice , et en donnant une loi générale pour poursuivre un projet
secondaíre.lJtlonit., an v, llo 187, pago 748, col. b. Vaublanc,
au conseil des cinq cents, dit él cette occasíon : • Lorsque Gen-
sonné présenta dans l'assemblée législative son f.1tal projet de
police , qui dOllnait un si grand pouvoir a' la commune de
París, le coté droít le combattit de toute sa force; je m'y op-.
posai, et je déclarai qUé je souhaitaís de me tromper, maís
que je craignais bien que les auteurs de ce projet n'en fussent
eux-memes victimes.lls l'ont été, ajoute-t-il, (le 22 mars 1797)
et celte loi tyrannique a été la cause la plus féconde et la plus
cruelle de nos malheul's. »


:1 Bertrand de Molleville, Mémoires particuliel's, 1797, 8°;
surtout Histoire de la l'évolution, tomo IX, chapo XXVIII, p. 60
et sui v.; Histoire de la révolution de France -, par della; amis de
la liberté, tomo VIII, pago 1 - 142.




136 IIlSTOIR.E DU XVIJIe SIi~CLE.
consultant, d'un autre coté, Paganel, membre
libéral 1 de l'assernblée législative, et les mé ..
moires des arnis du systeme républicain sur
leurs négociations avec la cour, qui ne ver ...
raít qu'ils ne eonnaissaient ni leur position ~
ni ceux a qui ils avaient affaire? COlllment,
daos eette ,indécision de la cour et des républi-
cains, les chef s déhontés de la populace, les
homm~s qui ne respectaient et oe redoutaient
rien, eornme Danton, Chaumette et les ora ..
teurs des clubs des Jacobins et des Cordeliers,
ne seraient-ils pas restés seuls maitres du champ
de bataille 2 ? Ils se moquaient avec raison de


t Pagan el, tom .. 1, p. 394 ... lis traiterent av-ec le roí, méme
avec la reine, présente aux conférences le jour OU des déter-
minations ultériellres devaient étre définitivement prises. Pour
sauver le monarque et sa famille, la reine exigeait qu'une
fuite libre Ieur fut garantie. •


Page 395 ... Guadet, Gensonné et Vergniand venaient de
signer et d'adresser au roi une leUre qui fut lue a l'assemblée
le dernier jou!' du mois de juillet; c'était moins une lettre
qu'un traité entre ces députés et le trone. Cet écrit, hasardé
dans des circonstances aussi périlleuses, dévoila les moh'ts d~
patriotisme et .l'éloquence de ces trois orateurs. »


2 Pagana!, tomo 1, pago 343. " Le jour fatal est prét a luire.
A son approche, les hommes qui l'avaient le plus invoqué,.
en redouterent l'issue. Les Gensonné, les Guadet, les Ver-
gniaud, Brissot, Fauchet, Condorcet, ces ardents adversaires
de la cour et des ministres, frappés enfin des dangers de la
patrie, quel que dut étre le vainqueur, se mOlltrerent tont a
coup circonspects, modérés et conciliateurs. Mais le te~ps des
négociations était passé, et la lettre que trois chefs de la Gi.
ronde avaient écrite au roi, pOUI' l'amener a des stipulations




LIVRE IV, CHAPITRE 1I I. 137
ceux qui croyaient apaiser les troubles, et
empecher les crimes, par les idées de liberté
et de vertu. Pour comprendre Paganel , il faut
se rappeler que les républicains, effrayés de
la ferme1'itation populaire, de l'interruption
des débats de l'assemblée nationale, occasion-
née par le bruit horril;lle dans les tribunes,
et craignant que toute administration du
royaume ne tombat entre les mains de la com-
mune de Paris, avaiellt demandé a la cour
qu'on éloignat momentanément le roi des af-
faires.


Malheureusement, Louis XVI parut ici de
nouveau, comme sous tutelle, et Marie-An-
toinette assista en personne a ces conférences.
Guadet, il est vrai, comptant sur une issue
heureuse, venait de proposer une adresse
au roi 1, et Brissot s'était élevé contre les
partisans de l'anarchie '1; mais on vit bien-
conciIiatoires, atteste moins Ieur patriotisme que- leur la-
cheté, Ieur sagesse que Ieur ambition. Cette lettre ne pro-
duisit d'autre effet que de faire perdre, aux homIñes qui l'a-
vaient signée, la connance de Ieur propre partí, d'exciter la
jalousie du parti contraire, et d'allumer des haines inextin-
gui~les. "


1 Monit., nO 210, p. 883:« La nation seule saura sans doute
défendre et conserver sa liberté, mais elle vous demande, Sire,
une derniere fois de vous unir a elle pour défendre la consti-
tution el le treme. "


:l Monit., nO 2 10. Brissot développant ensuite la marche a




138 HISTOIRE DU XVJIIC Sd~CLE.
tot que des négociations, si contraires au hon
sens et a la nature des choses, ne pouvaient
avoir un résultat favorable. La Gironde s'a-
bandonna au torrentqui l'entralnait. Le 3 aout,
Pétion ,au nom de la commune de Paris, re- .
nouvela, dans les termes les plus révoltail ts 1, la
denlande de la déchéance du roi; plusieurs dé-
putations suivirent, quelques jours apres, son
exemple. On fit cependant des relnontrances,
mais les cris des trihunes ll'accorderent la pa-
role qu'aux ennemis du roi, et Brissot déclara
lui-meme que les sans-culottes seuls étaient
de vrais. patriotes.


Pour perdre et le roi et les constitutionnels,
Brissot employa, le 9, toute son éloquence,
afin d'obtenir de l'assemblée un décret d'accu-
sation contre le général Lafayette qui depuis


suÍvre pour obtenir ces mesures, ~ngage a se défendÍ'e de
l'opinion des patriotes exagérés, qui perdent tout par trop de
précipitation, a envirollner la discussion sur la déchéance, de
tant de précautions, que si elle était prononcée, la nation en-
tiere y donnat son assentiment.


[ Le 4 aout, iI parnt de nouvean deux députations· et un
des oratenrs dit : « Le mail'e de París vous a exposé hier a la
barre les crimes de Louis XVI. Les trente mille citoyenl de
la section de Gravilliers ont voté en connaissance di canse,
a u'ois reprises différentes, toujours a l'unanimité, la det:héance
du roi. » Un autre orateur parle des grelladiers de la garde na-
tíonale ..... u Quelqnes UllS se sont déshonorés pendant la révo-
lution, pour s'attacher au Pou/Joir exécutij, (dénomination que
le peuple donnait au roi) et baiser la main a sa femme. D




IJ j V lU~ IV, e H A P 1 T R E II 1. I 39
long-temps avait adressé des menaces, qu'il
ferait, disait-il, exécuter par son armée. La
motion échoua comme la pren1iere fois; iI
semblait, des-lors, que le roi et les constitu-
tionnels n'avaient plus qu'a se réunir pour'
se sauver mutuellement, ou qu'ils devaient '
s'attendre a périr- ensemble; mais il régnait
entre eux une inimitié quí seule les em-
pecha de réunir leurs forces. Chabot, Barere
et autres , meme Pétion, dans l'incertitude
d'une réconciliation, n'avaient que l'alterna-
tive, ou de res ter en inquiétude perpétuel1e
devant J..;afayette, son armée et ses nombreux


-partisans, ou de perdre sans délai le roí et
d' envelopper tous les constitutionnels dans sa
ruine l.


Us prirent naturellement le dernier parti.
On donna le signaI, la nuit du 9 au 10 2; les
hordes mercenaires, précédées des l\Iarseillais,
soldés par la municipalité, suivis de toute la
foule des habitants des faubourgs, curieux et
avides de pillag"e, assaillirent les Tuileries.


J Le Moniteur, nO :u3,2 2 4, en rapportant les infamies qu'on
exer~a en cette occasion, dit que les députés furent meme in-
sultés dans la salle.
~ Les députés se précipiterent dan s la salle, et a deux heu-


res du matin, ils furent en assez grand nombre pour délibé-
rer. Pétion, retenu par les gardes nationales, comme otageau~
Tuileries, fut aussitot délivré.




140 HISTOIRE DU XVIIlC SIECLE.


l.ouis ne montra ici, conlme dans toute autre
occasion , qu'un courage passif. 11 ne déploya
ni énergie, ni dignité, ni présence d'esprit,
ni meme la ferme résolution de braver la
mort, en se luettant a la tete des Suisses et des
gardes nationales, restés fideles a sa cause.
Rien ne put l'empecher de suivre les conseils
de Rrederer , donnés peut-etre a l'instigation
des auteurs de toutes les atrocités. Il se rendit
avec tout.e sa fan"liUe a l'assemb\ée nationa\e 1,
ou iI resta depuis neuf henres du soir jusqu'a
deux heures du matin, dans une petite cham-
bre destinée au tachygraphe, et ou il enten-
dit toutes les horreurs qu'on décréta contre
lui. Si le roi ent montré quelque fermeté, et
eut su se conduire en chef habile, avant qu'on
fit entrer les canonniers de la garde nationale
et qu' on l' enfermat dans les cours étroites ,
un moyen de salut aurait été possible; c'est ce
que les Suisses lui prouverent. lIs combatti-
rent ave e succes la populace jusqu'au IIJoment


1 On le reprocha hautement a Rrederer, des la chute de
Robespierre, en 1795. Ri{)her,;,Sérisy, dan! l'AcclIsateur pub/ic,
n° v, le met en scelle avec Merlín, ou celui - ci lui demande
pago 31: Mais toi! Conseiller Ju parlement de Metz, toi ex-
constituant, toi du club de 89, toi procureur syndic royal du
département de Paris, ne crains-tll pas qu'il ne t'accuse aussi
de royalisme? RfEderer, ah! c'est OU je t'attends, je n'ai qu'un
mot a luí dire, tu ro'entends .... Ego suro qui tradidit eum.




L I V lU~ 1 V, e H A P 1 T R E 11 lo 1 4 [
oú iI leur ordonna, pour leur maIheur etle
sien, de ne plus tirer sur les assailIants. La
résistance des Sllisses et le carnage qu' elle oc-
casionna couterent la vie a plllsieurs milliers
d'hornmes sans défense; les chefs d'émellte
resterent cependant au fond de la scene, et
laisseren t l'honneur du premier role el Danton 1,
Legendre, Santerre, Panis, Chaumette et
Chabot. Le mellrtre, le pillage et le feu déso-
laient les environs de l'assemblée nationale ;
avec eux dominaient l'hnpudence et les Mar-
seillais, lorsque les enthousiastes éloquents et
courageux des républiques anciennes crurent
devoir entrer en lice; mais ils s'étaient joints
el ces hommes qui ne songeaientqu'aux assassi-
nats et el leurs propres i~térets, et qui leur ren-
dirent bientot ce qu'ils avaient fait eux-memes
aux constitutionnels. Vergniaud et Guadet,
de concert avec Jean Debry, proposere~t, dans
la nuit affreuse du 10 au 1 1 aout, en' présence
du roi , des décrets sur la suspension provisoire
de la royauté, sur l'organisation d'un in ter-
regne, et la maniere de consulter la nation ,
relativement el l'entiere destruction de la mo-


1 Danton dirigeait tous les mouvements dans l'intérieur de
Paris; Chabot excitait, par son éloquence jésuitique , ]a popu-
lace du faubourg Saint-Antoine. Les Jacobins, cependant, ne
donnerent pas leur confiance a Pétion, et iI C8ssa d'etre maire.




142 HISTOIRJ.: DU XVllle SIJ.:CL"E.


narehie l. On devait convoquer une Con ven-
tion nationale, la revetir de tout le pouvoir
du peuple et faÍl'e une nouvelle constitution.
00 proclama une égalité générale. Le roi,
traité d'abord en simple particulier d'une ma-
niere indigne, fut bientot apres, le [3 aout,
conduit comme prisonnier dans la tour du
Temple. Les eonemis jurés de l'infortuoétr
]\'Iarie-Antoinette, le maire Pétioo et le pro-
eureur Manuel, homme du reste distingué
par ses talen.ts, eurent la cruauté d'aceompa-
gner, malgré elle, la famille royale a sa prison.
Des ce monlent 2, la Franee ne reconnut plus
~ On trouve dans l' Histoire de la Révolution par deux amis de


la liherté, tomo VIII, p. 191, un tres-hon jugement du décret
suspensif, et des considérants de Vergniaud. " On apercevait
dans ce décret la marche lente et mesurée des Girundins qui en
étaient les auteurs. Croyant encore it la possibilité d'effectuer
leur projet de régner sous le nom du prince royal, ils s'effor-
~aient d'étayer la constitution, et n'avaient rien laissé échap-
per, qui put inspirer l'idée de détruire la monarchie. JI


Barbaroux dit expressément dans ses mémoil'es, ce que les
autres font deviner, que tout était concerté et préparé d'a-
vanee; mais j'avoue que ces mémoires me paraissent tout-a-
fait sutpects.


2 Les particularités se trouvent dans Bertrand de Molleville,
Bist. de la Révolution franfaise, Pieces justificatives, vül. IX;
dans les mémoil'es de Barharoux, dans Poultier, Bis!. dll 10
aoút, in-8° , dans les mémoires de Ferrieres, et dan s les éclair-
cissements des nouveaux éditeurs.


Madame Campan, mémoires, tom. u, ch. XI, pago 228 éalair-
cissements, lettl'e K, présente ces changements sous un point
.de vue, et le Tém'Jin oculaire SOU!! un tlutre.




LIVRE IV, C~iAPITIU~ 111. 143
que la volonté de la commune de París',
qui venait de se constituer, dans la nuit dn
10 aoút, au nom de la nation. Pétion ne garda
pas la moindre infIuence dans cette nouvelle
commune, quoiqu'il la présidat qllelq~e
temps pour la forIne. Les exaltés ne conser-
verent aucun crédit, aussi bien dans les 'mi-
nisteres que dans la municipalité. La nlajorité
fut bien en apparence composée de Girondins
et de républicains; mais Danton , nommé mi-
nistre de la justice, se moqua secretement
des exaltés pédantesques, qui s'ímagínaient
pouvoir fonder, sur une base criminelle, une
vraie démocratie, la constitlltion de la plus
pure vertu, telleql1c Montesquieu meme au-
rait dil l' enselgller.


Tandis que la Gironde- s'abandonnait a ses
re ves , le jacohin Jean Debry qui, comme
tout le monde sait, aimait la liberté, autant
qu'elle pouvait lui etre utile, eut soin de pla-
cer les Jacobins et leurs amis au timon des
affaires, en proposant que tous les Fran<;ais,
a l'exception des vagabonus, fussent admis
a l'élection de la nouvelle assemblée con-
stituante, chargée de décider définitivement
du 80rt du roi et (lu royaume. Pour fo-
menter les exces dans toutes les administra-




1\


14LJ HISTOIRE DU XVIlle Sd;:CLE.
tions, la jeunesse violente eut aeees a toutes
les plaees lo Les statues des' rois, les mar-
ques, de l'autorité royale disparurent ~lors,
non devant la fureur aveugle des Marseillais
et de la populaee~ qui se plalt a détruire,
m~is devant la loi, eon<;ue de sang froid par
Thuriot, républieain n10déréo Tous eeux qui
semblaieut préférer une eonstitution monar-
ehique a,l'ombre d'une république, furent
bientot apres appelés devant un tribunal; ou
ils étaient eondamnés d'avaneeo On se trom-
perait d'ailleurs, si on ne voyait iei que l'ou-
vrage d'une faetion; e'étaít plutot l'enthou-
siasme d'un peuple enivré de joie, et sa fureu!'
eontre une espee"e d'hommes, nommés aris-
toerates, habitués a mépriser en Franee tous'
les roturiers et les gens sans fortune; eette
fureur éclata dalls la eapitale et meme dans
les provinceso La population d'une grande
ville, et bientot eeHe de tout le royaume, op-
primée et infeetéeen partie des vices de ses
oppresseurs, se sentit subitement dégagée de
,toutes ses ehaines Inorales et physiqueso Elle
rejeta loin d' elle la religion et ses ministres,
avee l'obéissanee ~t la erainte du roi; elle


IOn avait fixé partout a vingt-cinq ans l'année normale
pour étre député o




LIVRE IV, CIIAPITRE 111. 145
parut reconnaitre, pour la premíere foís, qu'a-
vilie pendant des siecles, elle avait été con-
damnée ou a porter le fardeau de l'État, ou
a ne goúter que les jouissances qu'on voulait
lui accorder. Aucune puissance humaine n'au-
rait alors arreté tout d'un coup la dissolution,
et aucune armée étrangere n'aurait obtenu
de force ·ce que le temps et l'oisiveté natu-
relle a la Inasse des perlples purent seuls effec-
tuer dans la suite. Heureusement pour les
souverains d'Europe, Robespierre et ses exé-
crables partisans ne connurent que l'abus
des armes qu'ils avaient a leur disposition, et
non leur usage redoutable l •.


J Paganel, tome II, page 57 : " On se proflosait d' établir une
cornmunication rapide de principes; et cependant on prétcn-
dait briser tous nos liens d'intéret, d'amitié et d'habitude avec
les autres nations. On provoquait Ieur indifférence et la haine
de leurs gouvernements. On rattachait les pcuples au joug en
leur montrant, non plus eette aimable liberté qui resserre les
liens des hornrnes entre eux, qui brise les liens tissus par la
tyrannie, rnais la licence prornenée sur un char dévastateur·,
mais l'insubordination prechée par de sales propagandistes,
mais la dérnagogie, ayant pour cortége le vandalisme et l'im-
piété ••


}1. 11. 10




J/.6 HISTOIRE DU XVlIlc SIECLE.


CHAPITRE IV.


DEPUIS LA SUSPENSION DU ·ROI JUSQU'AU ~8 FllUCTIDOlL


I. Depuis le 11 aout 179~, jusqu'au 31 mai 1793.-I1. De-
puis le 31 mai 1793, jusqu'au 27 juilIet 1794: histoire
de l'intérieur; marche de la guerreo - III. Depuis le 27
juillet 1794, jusqu'au 27 octobre 1795: histoire de l'inté-
rienr; marche de la guerreo - IV. Du 27 octobre 1795,
jusqu'au 4 septembre 1797 : événements de la guerre et rap-
ports extérieurs ; factions et mouvements intérieurs.


1. Si les membres de la . ligue républicaine '
ou les Girondins avaient pu revenir sur Iellrs
pas, ils l'auraient fait sans doute; car toute
la part qui leur revenait de la destruction de
la royauté, se réduisit a une petite place dans
le ministere ou Danton présidait. Il ne fut
nllllement question du dauphin, au nom du-
quel ils avaient voulu régner et préparer les
institutions, les lnreurs, les lois et l'éducation
d'une répuhlique future. On organisa un con-
seil exécutif provisoire, et on énlit une infi-
nité de décrets, con<;us dans le .meme esprit
que si la république eút été déjil constituée.
Le roi étant prisonnier, 5a condamnation de-
venait inévitable ; le triomphe du vice sur la
vertu était facile a prévoir, et Vergniaud,




LIVRE IV, CIIAPITRE IV. 147
Gellsonné s'associaient a ces hommes crimi-
neIs et sanguinaires 1 !


Qui aurait pu et qui aurait osé arreter les
progres de l'incendie, pret a embraser toute
la nation ,et a consumer entierement l'arbre
antique de la monarchie ? La masse dI} peuple
attendait avec impatience le nloment ou tous
les grands allaient tomber; les administFa-
tions des départements, composées d'aristo-
erates, firent done' place aux municipalités
démocratiques; la constitution parut dans sa
nullité; des exaltés et des ambitieux seuls pu-
rent espérer de la maintenir. Lafayette meme
et ses amis apprirent bientot qu'il était plus
faciJe de porter la parole et de briller dans les
cercles de femmes, et dans les ·salons, que de
fonder un État sur des bases factices dont la
chute entralnerait ceHe de l'édifice lui-meme.
Lafayette comptait sur ses troupes, mais Du-


• Sansparler de Marat, d' Armonville, et de leurs pareils,
nous dépeindrons senlement l'affreux prétre Joseph Lehono II
se caractérÍ5e ainsi dan s une lettre a Lecointre, qu'on trouve
dans les Crimes des sept membres des ancieTls comités du salat pu-
bl¡~ et de súreté générale, par Lecointre, page 147 : « Cal', en
vérité, les hommes sont de vilains h o o o o o o , et je ne vois pas
a qui me fiero J'ai le soin de discuter tout avec l'impartialité
la plus sévere et la plus grande réflexion, encore n'en trouvé-je
pas le tempso O dictateur ! o Fayétistes! o Brissotins ! comme
vous me f o . o •• l'ame a la renverse! sacré mille triples gueux ,
comme je suis en colere! • J OSEPH LERON o


10.




148 HISTOIRE DU XVIU6 SIECLE.
mouriez avait depuis long-temps organisé des
cabales dans l'armée 1; iI ne suivait plus les
ordres du vieux maréchal Luckner, et n'atten-
dait qu'une occasion favorable, pour s'élever
aux dépens de Lafayette 2. Celui-ci, en har-
monie avec la municipalité de Sédan et avec
l'administratioIl départemcntale, fit arre ter
les commissaires. que l'assemblée nationale


I Voila ce que nous apprenons par les Mc!moires de Dumou-
riez et par sa Biographie, écrite par lui-mime. Pour montrer qu'il
nous est facile de donner aussi des preuves pour d'autres points,
qu'on révoquerait en doute, nous ne cÍterons ici qu'hn seul
document,


Billaud-Varennes, le plus terrible des Jacobins, qui surpasse
m~me Robespierre en atrocité , vivait avec Dumouriez clans la
plus grande intimité, La lettre de Lecointre, dans les obsen'a-
tioTls apres la délation officielle des sept mcmbres, en est une
preuve. Il dit ( l'original de cette leUre est déposé au comité
de sureté générale; la leUre est du 20 septembre 1792, pages
243 - 244 ) : l( Arri vé delmis trois jours, lUon cher géné-
ral, achaque instant, a chaqueminute, j'aí en l'intention
de vous éCJ'ire, sallS pouvoir trouver cette satisfaction. Je vou-
lais d'ailleurs vous dOllller des nouvelles de la situation dans
Iaquelle j'ai trouvé Paris, tant pour les choses que pour les


\ personnes. C'est hier seulement que j'ai pu avoir la parolc
pour lui faire le rapport de ma conduite a l'armée, et des
faits dOllt j'ai été le témoin .... Le porteur de cette leUre est le
citoyen Laribeau, mOD ami intime; ce sera pour vous un
homme de confiance; c'est mon ami que je dónne a mon ami,
et cela seul allége le sacrifice que je fais de l'un a l'autre. Je
vous demande une grace, ceHe de m'écrire allssi daTlS les cir-
cOTlslances décisifJes, pOUl' me mettl'e en mesure d'agil'. Bon jour,
mon cher général; croyez-moi votre ami pour la vie ,


B. Varennes. »
2 Dumouriez écrit, des le 18 aoút, Moniteur, nO 236,


page 996, apres avoil' marqué l'intelltion qu'il avait de déli-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 14g
lui déléguait, et s'appreta a marcher sur Paris
avec vingt mille h01umes qu'il avaitrassemblés
a Sédall. Couthon, jacobin hoiteux, sons pré-
texte de prendre les bains de Saint-Amand ,
se concerta avec Dumonriez. Lafayette reCOIl-
nut bientot que l'ascendant des clubs démo-
cratiques était bien plus fort, meme a l'armée,
que l'autorité d'un général qui n'avait jamais
conduit ses soldats a la victoire, et j.l: ne vit
rien de plus sage que de quitter la France.
Le soir meme de son d.~part, l'assemblée lé ..
gislative agréa son accusation; le lendeluain
elle décréta son arrcstatíon I. Victor de Broglie,
Dietrich, maire de Strasbourg, et Desaix, de-
venu célebre sous Bonaparte , Brige et le cou-
rageux Cafaralli - Dufalga ne fürent pas plus
heureux, et les deux premiers payerent de
leur vie la tentative de maintenir la constitu-
tion par la force. Les chefs des.déma.gogues de
Paris s'empresserent d'autant plus de déve-
v:rer les députés arrétés a Sédan : .. La )lation et ses l'eprésen-
tants peuvent entieremel1t compter sur mon dévouement et
sur celui des braves chefs qui seront chargés de me seeonder :
aueun aristoerate nrosera venir se méler au mílieu de nos b~­
taíllons patriotiques, et je vous assure que les promotions,
que je vous proposcrai, etc.


1 Outre Lafayette, Bureaux - Puzy, Latour - Maubourg ,
Alexaudre Lameth furent les victimes de la haine des émi-
grés. Onles déporta d'ahord it Wesel, ensuite a Magdebourg,
et euSn a Olmutz, ce qui les déroba a la terreur. '




150 HlSTOIRE DU XVlIle SIiWLE.


lopper leur systeme, qu'ils rencontraient par-
tout des entraves. lIs décréterent d'abord le ~3
une déportation génerale de tous les pretres in-
sernlentés 1, ensuite, lorsque l' Augleterre sem-
hlait vouloir accédcr a la ligue des autres
puissances, que toute l'ltalie et l'Allemagne
prenaient une attitude menac;ante , et que des
Prussiens et des Autrichiens marchaient sur
Verdun , ils conc;urent le projet d'assassiner a
la fois to~s les hommes envoyés a Orléans pour
etre jugés sur le crime de lese-nation. Les
arrestations se succédaient a Paris; toutes les
prisons se remplissaient des hommes attacbés
a l'ancien systeme; le 28 , on décréta une ré-
volte en masse et une information générale
contre tous les conspirateurs 2, ponr avoir la
facilité de perdre sans proces lons les parti-
sans de la constitution, du roi et de l'ancien


1 Moniteur~ nO 238, page 1009, Un oratmr de ladéputation:
aIl est temps que les criminels d'Orléans sojent transférés a
Paris, pOUI' y subir le supplice du a leurs forfaits. Si vous
n'accordez cette demande, nous ne répondons plus de la ven-
geance du peuple. (11 s'éleve des murmures.) Vous nous aver.
entendus, et "Vous savez que l'insurrection est un delloir sacré. »-
Un des cit@yens de la sectioll da Finistere, .. envoyer au comité
des douze, c'est vouer a l'oubli : nous voulons une vengeance
prompte, non par les formes anciennes, mais par une cour
martiale ...


2 Le 27 aout Clootz reparut dans l'assemblée, fut applaudi,
et termina ainsi son discours: « Gallophile de tout temps ,
lnon creur est fram;ais, mOD ame est sans-culotte. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 151


régime. Le ministre de la justice Danton et ses
amis organiserent eux-memes les préparatifs
du carnage qui eut lieu au mois de septembre.
e'est dans le rebut desfaubourgs qu'on choisit
les bourreaux; les républicains, surnommés
Brissotins ou fedéralistes, recuIerení enfin de-
vant ces horreurs, sachant que tous ceux qu'on
avaít jetés dans les cachots étaient voués a
la mort. Ils voulurent établir une autre mu-
nicipalité 1 a la place de ceHe qui s'était con-
stitllée d'elle-meme; mais elle était déja bien
plus l)uissante que la majorité de l'assemblée
nationaIe. Chaumette en était le président, et
Tallien le greffier. L'impudence, le tal.ent dia-
lectique et l'art de faire des phrases, guidaient
l'aveugle fureur et la folle stupidité; qui aurait
pulutter contre ce projet médité par le crime!
Dans les premiers jours de septembre, 00
égorgeait indistinctement les prisoooiers, tant
a Paris que dans les villes oú 00 avait envoyé
des commissaires. La lnaio se refuse a dépeio-


1 Le 30 aont, au nom de la commission des vingt-
un, Grangeneuve dit : " Les circonstances ont fait établir a
París une municipalité provisoire ; ces circonstances sont
changées; peut-étre leur doit-on de la reconnaissance pour le
nouvel état des choses, mais peut-étre aussi conservent - ils
maintenant le méme esprit qu'ils avaient alors, quoique la
scenesoit bien différente. J e demande que l'assemblée déclare que
l'ancienne municipalité reprendra sesfonctions.-M. GuaJet:
L'opinion de M. Grangeneuve me dispense de tout rapport. »




152 HISTOIRE DU XVlIIe SLECLE.


dre l'horreur des scenes meurtrieres qui eurent
lieu a l' ombre de la nuit; les formes qu' on y
garda leur donnerent qn caractere encore plus
affreux. Les prisons se changerent en bouche-
ríes; on assassina pendant sept jours, a l'aide
de haches et de massues, et rien ne désigne
mieux 1'esprit de sophisme de ce temps que le
fait suivant: l'homme qui, avec le président de
la municipaHté Huguenin, en avait donné le si- ~
gnal, s'en lava entierement les mains, et vécut
ensuite dans la plus grande considération. Cet
homme était le greffier Tallien; et le signal
¿onvenu étai t un appel adressé aux Parísiens ,
signé par lui et le président. On y annon({ait
que l'ennelni se trouvait aux portes de la
ville.


Ces assassinats, ainsi que les nouvelles ar-
restations, donnerent toute la victoire aux
terroristes; leurs chefs montraient d'ailleurs
bien plus d'activité qu'on ne pouvait en at-
tendre du caractere de Guadet et de Gen-
sonné l.


~ Paganel, tome Il, pages 7-8 : « M~me avant les élections,
nous pumes prévoir de queIs éléments se composerait la roa ..
jorité de la Convention, et quelle minorité dangereuse y se-
rait introduite par la commune de Paris. Aux derniers jours
de la cession législative, Robespierre a la harre, Billaud de
Varennes dans sa correspondance, affectaient en son nom
u_ne insolente tyrannie. Les assemblées éIectorales s'acc,?rde-




I.IVRE IV, eH A PITRE IV. 153
La majorité des membres de la Conven-


tion, qu' on nomma alors, était, a l'honneur
de l'humanité et de la nation fran~aise, com-
posée des ames enthousiastes de la liberté,
mais ils étaient bien loin d'approuver le dé-
sordre, la confusion et l'homicide.


Il nous suffira de citer quelques noms de
la minorité, pour prouver que rien ne pouvait
les arreter, qu'aucun crime ne leur coutait,
et qu'ils devaient naturellement infIuencer les
membres faibles de l'assemblée, et perdre
ceux en qui ils remarquaient de l'énergie. Ma-
rat, lTIOnstre d'atrocité, Chabot, Robespierre
et Couthon, le l:lche et perfide Barere, Bil-
laud-Varennes , Collot-d'Herbois, le frere peu
important de Robespierre, Panis, Sergent,
David, Vadier, l'homme aux soixante ans de
vertu, Amar) Vouland, BazÍre, entrainerent
facilement les autres; car ils trouverent bientot
des compagnons supérieurs en talents, et qui
leur offraient volontiers leur expérience. Ces
hommes formerent la partie de l'assemblée,
surnommée quelque temps apres le ~[ont­
Sacré.
rent a refuser leurs suffrages a quieonque était soup~onné
d' ~tre attaché a la mOllarehie et a la personne du monarque ;
elles eomprirent dan s eette sorte de proscription les légisJa-
teurs qui avaient absous le généraI Lafayette.




154 llISTOIR.E DU XVIJle Sd:CL.E.
La majorité des députés se composait ou


de gens faibles d' esprit, ou d'hommes farou-
ches I, qui souvent ignoraient le rés~ltat que
pouvaient avoir leurs décrets. Sieyes, toujours
aux aguets, marchait en silence, et pOUl'
ainsi dire, a pas de loup, en attendant le dé-
nouement. Grégoire, malgré sa piété, se laissa
prendre par son faible, méconnut sa place,
et devint un instrument des Jacobins; c'était
lui qui., lorsque la Convention s'était consti-
tuée, sons la présidence de Pétion , proposa
d'abolir la royauté, sans autre discussion 2. Le
véhément Bazire s'éleva en vain contre la
prolllptitude avec laquelle on accueillit cette
proposition 3. Grégoire et Roger Ducos, par


1 Armonville, fileur de Reims, qui se nommait lui -m~me
Al'monville-Bonll(]t-Rouge, est parmi eux le plus eonnu. Assis
a coté de Marat, eelui-ei lui disait: Leve-toi; reste assis. Il
fut presque toujours ivre, ee qui ne l'emp~cha pas de jouer
son rOle. Il est mort a l'hopital.


2 Jloniteul', nO. 266, page 1130 : « Nous savons trop bien
que toutes les dynasties n' out jamais été que des races dévo-
rantes qui ne vivaient que de ehair humaine; mais ii faut plei-
uement rassurer les amis de la liberté. Il faut détruire ce ta-
lisman, dont la forme magique serait propre a stupéfier encore
bien des hommes: Je demande done que, par une loi solen-
nelle, vous eonsacriez l'abolition de la royauté. " L'assemblée
entiere se leve par un mouvement spolltané, et déerete, par
acclamation, la proposition de M. Grégoire.


3 Mon.iteur,nO 266:« Ou ne peut qu'applaudir acesentimeut
si concordant avec celui de l'universalité du peuple fran~ais;
mais iI serait d'un exemple effrayant pour le peuple, de voir


,




,


LIVRE IV, CIIAPITH.E IV. 155
de nouvelles attaques, le premier eontre tous
les rois, et le dernier eontre l'i nfortuné
Louis XVI, le réduisirent au silenee. Le dé-
cret de la Convention transforma aussitot la
France en république; l'ere de cette républi-
que éphémere fut datée du jour ou l'on émit
ee décret. Des-lors le pa~ti de Marat, de Ro-
bespierre et autres poursuivit toujours eomme -
par instinet la route qu'il s'était frayée. Les
Girondins, lnontrant une sagesse et une jus-
liee intempestive, voulurent suppléer a l'éner-
gie 1 par la finesse, et tomberent eux-meules
victimes de leurs propres rnse~ 2. Lanjllinais,
une assemhlée , chargée de ses plus chers intérets , délihérer
dans un moment d'enthonsiasme. Je demande que la question
soit discutée. lO


x Bailleul , tome 11, page 17 1 ¿: u En se reportant dans le
passé, ils voulaient arréter l'élan et comprimer une énergie
qui ne leur paraissait désormais propre qu'a produire des ra-
vages; ils étaient, a cet égard , approuvés par les gens raison-
nables et paisibles ; mais a quoi ces gens-la sont-ils bons dans
des temps de crise? JI


2 Paganel, tome II, page 1 1 : " Des ses premieres séances, la'
_ Convention se divisa en deux partis,également ardents a se'
combattre , également avides de domination; Robespierre for-
tifiait de l'opinion des JacobillS le parti dont iI s'était déclaré
le chef. Su cause était celle de la commune; et la commune
disposait a son gré de la force publique. Déja de sinistres symp·-
tomes présageaient l' époque quí devait frapper tous les peu--
pIes d'étonnement et d'horreur. Le courageux Louvet essaya
de hriser l'ídole au moment OU Marat, Hébert, etc. , l' of-
fraíent a l'adoration de la multitude égarée. D




J 56 HISTOIRE DU XVlne SIi:CLE.
Vergniaud et leurs ami s souffrirent qu'on
donnat toutes les charges publiques a des gens
imbus des principes de Marat. Ils eonsentirent
a ce qu'on décrétat partout des élections na-
tionales, et qu' on confiat les tribunaux a des
homlnes qui SOlivent meme n'avaient aueune
notion du droit.


Toute déviation du principe de ceux qui
voulaient toutbouleverser et faisaient regarder
leur opinion COTIune la volonté du peuple,
passa alors pour faction. La commune de Pa-
rís étendit de plus en plus son pouvoir. Que
pouvaient done appose!' ces hommes éloquents
a une puissance organisée surquarante lnille
clubs dans le royaume, et a la démagogie qui
régnait partout; puisque chaque village avait
son Robespierre? Les Girondins abusés n'a-
vaientplus d'autre ressourceque de se réconci-
lier avec le roi; la plupart en étaient persuadés,
et auraient volontiers sauvé Louis XVI, mais
fentreprise était difficile et dangereuse. Tous
leurs efforts ne servirent qu'a leur faire jouer
un role singulier dans le proces du roi. A vant
qu~ on parlat de condamnation , les deux partis
de la Conventíon avaient fait deux sorties vio-
lentes l'un contre l'autre. L'un eherchait a
prouver que Robespierre avait aspiré au rang


,




LIV RE IV, CHAPITRE IV.


de dictateur 1, et voulait enlever a la com-
mune de Paris l'autorité qu'elle'avait usqrpée.
Ces projets échouerent. L'autre, qui cher-
chait a renverser Brissot et ses partisans, en
aeeusant la commune .de Paris, ne fut pas
plus heureux.L'aete d'aceusation se fondait
sur les papiers trouvés au chateau, par les-
quels o~ se proposait de démontrer que Bris-
sot et ses intimes avaient entretenu une cor-
respondan ce perfide 2.


00 songeait alors en Franee a séparer pour
toujours l'aneien et le nouveau régime, en
faisant péTil' le. l'oi e.t sa fallli\\.e: on croyait
que le. gl'and norobl'e (le gens interesses a ce


x Sa réponse nous donne l'énigme de la durée de l'esprit
J acobin : • Que nous reproche-t-on? des arrestations illégales ?
estoce done le code criminel a la main qu'il faut apprécier les
précautions salutaires qu'exige le salut public, dans les temps
de crise, amenés par l'impuissance des lois? que ne nous re-
prochez-vous pas aussi d'avoir consigné les conspirateurs a la
porte de cette cité t d' avoir désarmé les citoyeus suspects? que
ne faites-vous le proces a la municipalité et an corps électo-
raI, et al1X sections de Paris, et aux assemblées primaires des
cantons, et a tous ceux qui nous ont imité s ? car toutes ces
eh oses étaient illégales, aussi illégales que la révolutiOn , que
la chute du treme et de la Bastille, etc.


Cependant quelques réflexions nousporteront a l'horrible
aveu qn'il y a pour le genre humain des erises OU la morale
doit étre ajournée et voilée. "


,2 C' était plutot le comité de surveillance de la' municipalité
qui agitacette question; on lui avait demandé coínpte des de-
niers publics, qu'il ne put donner, a moins de faire imprimer
les sommes employées a payer les Septembriseurs.




158 HISTOIRE DU XVIIlC SJECL.E.
meurtre judiciaire, serait un obstacle a toute
réconciliation: on se flattait de donner, par
une nouvelle distribution des biens, une tout
autre organisation aux deux premiers États ,
et d'inculquer de nQuveaux príncipes a la


. jeunesse, en abolissant l'ancien culte et le
systeme d'éducation.


Le feu qui consumait la France se porta
aussi en Allemagne et en Belgique; car les ar-
mées alliées d'Autriche et de Prusse, dont
les mouvements étaient toujours subordon-
nés au calcul fatal d'une politique cabalis-
tique, avaient dépassé Verdun , et marchaient
sur Paris; mais Luchesini, intrigant con-
sommé, avait entamé des négociations se·
cretes avec Thouvenot, confident de Dumou-
riez, et l'amitié de la Prusse pour l'Autriche
commenc¡ait a s'affaiblir. On trouvafacilement
un prétexte pour pallier la retraite; car les
provisions manquaient, les routes étaient
mauvaises. L' enthousiasme des gardes natio-
nales et de tous les Fraw;ais pour le nouveau
svsteme, se montra a découvert, démentit les


01


érrligrés, et Dumouriez prit de bonnes mesu-
res pour arreter les armées étrangeres.


Dans le moment meme qu'on s'attendait a
une bataille décisive, les tronpes alliées se




L 1 V R E 1 V, e H A PI T R E 1 v. 1 59
disposaient a se retirer; avant que les troupes
prussiennes et autrichiennes se fussent sépa-
rées en Champagne, Biron avait fait faire de
Strasbourg une diversion, dont le succes sur-
passa toute espérance. Custioe n'était pas
fort habile daos l'art de la guerre, mais son
caractere farouche et vraitnent militaire le
faisait regarder commebon républicain. Se-
condé au commencement par la fortune, il
occupa Spire, le 28 septembre, a la tt~te d'une
troupe de gens enrolés, que l'enthousiasme
ou la nécessité appelaient sous ses drapeaux.
Encouragé par B~hmer , Stamnl , et quelques
au tres généraux allemands, il avan<;a hardi-
ment, et prit, le 21 octobre, sans en faire le
siege, Mayence, forteresse importante de
I'Empire l. Dans cette ville, une grande partie


t Les Mémoires du génél'al Custine, par un de ses aide.r - de-
camp, Hambourg et Francfort, 1789, ne caractérisent pas seu-
lement Eickenmayer, que tous les partis blilment, mais rap-
portent aussi, tome 1, page 2:13 : " Nous avons déja dit que
les encouragements et les promesses que le général Custine
avait re~us de ses amis de l'intérieur de la ville, avaient pro-
duit l'effet de le rassurer; il ne fut pas trompé dans les espé-
rances qu' on lui avait données, et nous vimes bientot que les
intrigues 1}u'on avait fait jouer pendant le temps qui s'écoula
entre les deux sommations, avaient réussi a souhait ...... On
avait travaillé sur l'esprit du général Gimnich .... Aussitot que
la lettre du général fran~ais lui fut parvenue, iI demanda
l'assemhlée d'un conseil civil et militaire, pour y délihérer
sur les circonstance~ oúon se trouvait. Le commandant y




¡(lO HISTOIRE DU XVIlIe Sd:CLE.


de la classe éclairée, a laqllelle on donna en-
suite le nom de clubistes, espérait, a l'aide des
Franc;ais, renverser le régime aristocrati -hié-
rarchique. Le commandant de cette place était
un homine sans tete et sans énergie, et son
confident Eickenmayer, était vendu aux Fran-
~ais, OH a lenr systeme l. Custine, qui se Hat-
tait de trouver dans les Allemands au-dela du
Rhin la meme opinion qu'il avait trollvée en
de<;a, avan<;a trop loin 2.: et il s'abusa, car
peignit sa position telle qu'on la lui avait fait voir, et se mon-
tra, en conséquence, disposé a rendre la place; le baron de
Stein, .envoyé de la cour de Prusse, qui avait été ad.nis a
cette conférenee, appuya l' opinion du général Gimnieh, en
disant, qu'apres les nouvelles qui lui étaient parvenues, il n'y
avait pas la moindre espéranee de recevoir des secours exté-
rieurs; ainsi rendre la ville était une nécessité dont le retard
pourrait avoir des suites funestes. " ~


1 Mémoires da général Castine, tome 1, page 226 : " Ce fut
a peu pres a l'époque OU nous sommes parvenus, que le lieu-
tenallt - colonel Eickenmayer, que nons avons vu influer
d'une maniere si décisive sur la reddition de la viUe de
Mayenee, mit le dernier seeau a la bassesse de sa conduite pré-
cédente .•... ; plus impudent qu'aucun, l'illgénieur Eicken-
mayer, voulant recueillir le plus d'avantages possibles de sa
perfidie, osa entrer un service de la république fran<¡aise, ou
iI fut admis au grade de colone!. Il écrivit une leUre a son
aneien maitrc , l' éleeteur de Mayenee;· en lisant cet écrit iI est
diffl.eile de démeler s'il a cru excuser sa conduite a l'égard de
ce prince, OH bien s'il s'est permis l'insolence de le braver de
nouveau ...


:a L'espoir de Cusrine se fonclait d'a1.1tant plus sur l'arrivée
des troupes pr1.1ssiennes a Coblentz, qu'influencées par les dé-
putés de la Convelltion, dans l'armée de Dumouriez, elles
n'avaient pas poursuivi Kellermann.




LIVI\E IV, CHAPITRE IV. ] 61
les pays protestants, ou ron trouve une li-
berté modérée et un clergé qui ne rejette pas
les ,droits de la raison, ne se laissent pas aisé·
ment entrainer a une révolution. Francfort,
Friedberg, Nauheim, une partie de Nassau
étaient au mois de novembre occupés par les
Fran«;ais, qui tenaÍent tout le pays de Co-
blentz jusqu'aux frontieres de l'Alsace 1; mais .
des troupes de Hesse et de Prusse s'étant
montrées dans la Vetteravie, les Allemands
reprirent Francfort, le2 décembre.


Tandis que toute la force de Ieurs armées se
tournait vers Mayence, alors boulevard des
Fran<,;ais, ces derniers remportaient en ltalie .
plusieurs victoires consécutives. Les troupes
fran<,;aises avaient été rec;ues abras ouverts en
Savoie comme sur le Rhin. La Sa.voie était


1 Custiue sentait hien qu'il aurait da occuper Coblentz;
pour se disculper, il en jeta la faute sur Kellerma:nn, et écrivit
au président de la Convention en ces termes: • C'est dans ces
príncipes que je dénonce Kcllermann indigne du nom de gé-
néral, plus indigne encore de diriger les force s de la Répu-
blique. Je saurai prouver qu'il a fui lachement a Dauchheim,
et ma correspondance avec l~i prouve a la fois sa basse ja-
lousie, son orgueilleuse ivresse de commander une armée
( passioll toujours compagne de la nullité); et l'irréflexion de
ses pIans est démontrée par mes dernieres réponses ...


Kellermann répond a la Convention que Custine luí avait
communiqué ses p!aintes, mais que eelui qui en était l'auteur
ne pouvait avoir enfanté eette production que dans un acces
d~ démence, ou bi~n dans un moment d'ivresse.


lT. Ir. 1 I
/




162 HISTOIRli DU XVllIe SIECLE.


unie 11 la Franee eomme département du
MonttBlane. En Belgique, Durnouriez, ayant
battu les Autriehiens, le 6 novembre 1792, él
Jernmappes pres deMon~,fut él sonentrée pro-
clamé libérateur de la patrie; il travailla a
faire ineorporer la Belgique a la Franee. Ces
jonetions, une fois consolidé es , devenaient de
la plus grande importance pour l'Europe en-
tiere, puisque la masse d'hommes, rendant
hommage au nouveau principe, se trouvait
ainsi eonsidérablement augmentée, et que
tous le~ gouvernements monarehiques mena-
~aient alors de s'éerouler.


h'apres les principes énoneés par les pré-
dicateurs de la liberté fran~aise, l' obéissance ,
la dévotion et la piété étaient inutiles, lneme
méprisables, paree que quelques vils défen-
seursdel'anciensystemeenavaientabusé.J?uir
de la vie, et Illontrer de l'énergie, leur sem-
blaient le seul but de l'homme et de ses rela-
tions civiles. Ce principe qui changea toute la,
natjon s'est conservé jusqu'él nos jours, puis-
que pendan t vingt ans il anima leurs arrnées.
D'ailleurs le mérite militaire ne trouvait nulle
part une perspective plus brillante que dans
un gouvernement qui ne s'attachait qu'aux
résultats sans s'inquiéter de la dignité per-




LIVRE 1 V, CHAPITRE 1 V. 163
sonnelle. Aussi, un géuéral jacobin voyait-il
ses efforts piutot couronnés de succes que ce-
lui qui restait fidele a la lnonarchi~. Les ar-
~ées ouvraient une grande carriere au talent
des hommes le mieux intentionnf>~, a l'esprit
turbulent des ambitieux, a tous les gens
avides, a l'activité de ceux qui voulaient
échapper aux vices. Cette carriere était fer-
mée a tous les nobles. C'était en outre la
premiere lutte que les Franc;ais soutenaient
pour la patrie depuis l' origine de leur monar-
~chie; il n'est done pas étonnant que leur puis-
sanee militaire soit arrivée au plus haut degré
de grandeur.


Alors commen~a le prod~s de l'infortuné
monarque. L'accusation fut décrétée le 6 dé-
cembre 1, sans qu'elle trouvat beaucoup d'op-
position, et vingt et une personnes furent char-
gées d' en rédiger l' acte ..


Il est difficile de retracer les bassesses et
les outrages auxquels se porta la commune
qui surveillait le roi et sa famille dans leur
prison. On ne saurait dépeindre la patience


I L'accusatioll du I'oi avait été décidée le 16 septemhre a
l'assemblée législative, le 7 no~embre a la Convention; d'a-
pres le décret du 6 décembre, les commissaires, nommés a
cet eff~t, avaient fait, le 7 et le 10, les rapports des crimes
imputés a Louis XVI.


JI.




164 HISTOJRE DU XVIII4I Sd:CLE.
que Louis opposa a ses persécuteurs, mais
on en connaltra bientot tout 1'héroisme, en li--
sant le rapport de son valet de chambre,
Cléry 1 qui, dans ces scenes tragiques, nous
présente le caractere le plus noble a coté de
Lanjuinais et de Malesherbes. Si ce dernier,
ainsi que Cléry, suivait la voix de son cceur,
Lanjuinais Dlontrait bien plus la noblesse de
son ame: car il n'était ni ancien ami du roi ni
meme royaliste, et il ne combattait ni pour
une opinion humaine ni pour des coutume~
sanctionnées par l'usage, mais pour la vertu et
la justice, dont les lois sont immuables.


Le prenlier interrogatoire eut lieu le 11 dé-
cembre, et le second le 26. Les Jacobins em-
ployerent cet intervalle a faire réussir leurs
projets et a augmenter le nombre de leurs
complices, autant que possible 2.


1 Il faut d'ailleurs séparer la cause de la personne du roí.
·La cause était mauvaise, quand meme on n'eut pu le prouver.
Mais avait-on jamais tel1U parole a Louis XVI? s' était-il jamais
vu maitre du pouvoir que la constitution lui laissait? Com-
ment l'aurait-il aimée? qu'étaiel1t ces scenes du 20 juin et
du 10 aout? a quellejustice devait-on s'attendre, qual1d toute
justice cessait? N ous rappelons expres ces faits, paree qne tous
les mémoires, meme ceux de M. de CltOiseut et de madame
Campan, écrits dans un esprit royaliste, démontrent que la
cour était en conspiration perpétuelle contre la nation.
~ Bistoire de la rél'olutiofl, par deux amis de la liberté, t. IX,


page 221 :" On ne faisait pas deux pas da~s IC5 roes de Paris,




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 165
QQ.oique les membres de l'assemblée con-
~entionnelle fussent bien loinde croire lé-
gale l'illstructioll du proces du roi , ou ils lle
reconnaissaient qu'un probleme politique 1,
ils voulurent cependant observer les formes
judiciaires. On permlt donc aLouis de prendre
pour défenseurs l\tIalesherbes , agé de soixante
dix~huitans, qui s'était proposé lui-meme, ainsi
que Tronchet et Deseze. Du '25 décembre ~
jusqu'au 7 janvier 1793, ces dt>rniers déploye-
rent envain toute leur éloquence pour sauver
le roi; la Gironde, demandant du délai ou un
appel a la nation, ne fut pas plus heureuse ll.
sans trouver des baladins montés sur des tréteaux;, qui, quand
ils avaient attiré autour d' eux la lnultitude,. par le son de quel-
ques instruments, entamaient ensuite un dialogue, dans lequel
on traitait Louis XVI d'anthropophage, et dont la péroraison
était qu'il fallait que sa tete tombftt pour l'affermissement de
la liberté. Des furibonds , le sabre a la main, hurlaient le soir
dans le Palais-Royal : A la guillotille, Capet.' a la guillotine!
Des sociétés populaires écrivaiént des départements, qu'ilfal-
lait que le sang de Capet expiat ses crimes; des hommes, bles-
sés a l'affaire du 10 aout, défilaient, dans le sein de la Con-.
vention , sur des Lrancards, en criant vengeance. Des orateurs
des sections affluaient a la barre, et, demandant une sentence
contre Capet, déclaraient hautement que l'humanit~ ne regne-
rait sur la ter re que quand il n'y aurait plus de rois , et la
vertu que quand iI n'y aurait plus de prétres."


1 Barere l'exprime positivement: " La sureté d'une répu.
bliquc uaissante demande la punition du tyrau et du conspi-
rateur. L' expul.i.ion de Tarquín ne fut qu'une mesure de sureté
généraIe, et la république romaine fut fondée. Ne raisonnOlU
done plus SOllS le rapport des lois et des jugements. »


1 Tous les discours se trouvent rassemhlés dans le Pour H




166 HISTOIRI~ DU XVIl.Ie Sd:CLE.
Le talent oratoire de Vergniaud ne brilla ja-
mais d'un plus grand éclat que dans cette oc-
casion, ou il luttait en meme temps contre
Robespierre et ses créa tures aux tribunes. Gen-
sonné et Lanjuinais échouerent aussi contre
leurs adversaires qui avaient toute la popu-
laee él leurs ordres. Le 7 janvier, Kersaint et
Guadet, fauteurs de la république, jugerent
a propos de demander la cloture de la discus-
sion, et de fixer le 14 eorome le jour Otl. 1'ar-
ret devait etre prononeé. Les membr~s rusés


. de la Convention, ou se firent donner des
commissions avant ce jour, ou prétexterent
quelque maladie, ou retarderent leur retour.
Les chefs du par ti , qlli ne se croyaient d'autre
moyen de salut que de perdre entierement
leurs ennemis, accablerent ceux qlli restaient
de tous les effets de la terreur, qu'ils savaient
manier avee tant de sucees l.


le Contre, ou recueil complet des opinions prononcées el l'assemhlée
conl'elltwnnelle, dans le proces de Louis XrI, 7 vol. in-So, chez
Buisson.


1 'Buzot Jit, Jans le Uoniteur, janvier 1793, nO 13, p. 57 :
ct Il est vrai que les membres de la Convention ont été insul~
tés, par ces memes hommes, aux portes de ce sanctuaire; si
des provocations au meurtre frappent tous les jours nos oreilles,
et j'en atteste tous mes collegues (pres de deux cents memhres
se levent a la fois en criant : Oui, oui, e'est vrai. Quelques
memhres du cóté opposé-Allons, aehevez votre diatribe.)
Quand trente a quarante au plus, flétris ou ruinés, qui ont




LIVRE IV, CHAPITRE 1 v. 167
Le 14 jan vier, les questions sur lesquelles


devaient prononcerles membres de la Conven-
tion, en meme temps juges et jurés, furent
ainsi classées: l? Louis XVI est-il coupable?
2 0 la sanction de la sentence sera-t-elle réser-
vée ti la nation? 3° quelle punition faut-il infli-
ger? La position des questions seule suffit pour
fait'e tomber la Gironde dans le Dleme ablme
qu~elle avait auparavant creusé aux autres par
son zele pour la république et par sa haine
contre l'orgueil des aristocrates l. D'apres le
décret, qu'une seule voix de _plus constituait
la majorité, Lanjqinais échoua dan s sa der-
ni ere tentative en faveur du roi. Il demandait
les trois quartsdes voix po.ur constituer la
peine capitale.


Le 15 janvier, de sept cent soixante-une
hesoin de troubles pour vivre, qui se rassasient de crimes ,
composent ou dirigent dans chaque section les assemhlées
permanentes, quand ces assemblées sumsent pOW' remue.r tout
Paris, quand nous sommes environnés sans cesse de ces co-
quin s , peut-on croire a la liberté? Ganeler. - Vous calom-
niez. París ..•. ; vous préchez la guerre civile.


Cependant l'organisation d'une force al'mée, pour le lieu
des séances de la Conv~ntion, que Rabaut avait pro posé e , fut
ajournée ...


I Guadet et Lanjuinais, Moniteur, nO 17, page 76, cherchent
en vairi a faire poser autrement les questions, lorsque Cou-,
thon s' écrie: CI Voilit trois heures que nous perdons notre temps '
pour un roi! sommes - nous des républicains? Non, nous
sommes des esclaves. Un cri unanime.-Oui, oui, o.ui, etc. lt




í68 HISTOIRE DU XVllIc SIECLE.
voix, six cent quatre-vingt-treize déciderent
la premiere question affirmativement 1 , et né-
gativemellt la seconde a la majorité de quatre
cent vingt-une voix centre deux cent quatre-
vingt - trois. Les séances du 16 et 17 furent
employées a la discussion de la troisieme, et
les débats durerent pres de quarante lieures 2.


L'arret étant prononcé, les défenseurs de
Louis XVI, Tronchet, Deseze et Malesherbes
cherchaient en vain un "délai ou une tergiver-
sation dans le·droit et dans les lois. Ils avaient
raison, car la majorité absolue des voix n'é-
tait pas pour la sentence de mort; mais oú
regne la passion, la justice se tait. Ce fut en-
vain que Manuel, quoique ennemi déclaré
de la royauté, quitta brusquem-ent la salle,
avant que "l'arret fut prononeé 3; il reconnut


1 On trouve, dans les Fas tes de l' anarchie et dans d' autres
ouvrages, le nombre des membres présents el absents, ainsi
que de ceux qui voterent avee restriction.


2L'appel nominal commen«;¡a le 16 janvier a dix heures du
matin, et se prolongea jusqu' a huit heures du soir. Il n'y avait,
de sept cent soixante - une voix, que trois cent. soixante - si"
absolues pour la mort~


3 Les protestations publiques de Man.uel et de Kersaint, les
premiers auteurs de la force employée contre la cour, leur
font honneur. Manuel donna sa démission. Sa décIaration com-
menee ainsi ~ « Qu'avez - vous faít, citoyens représentants?
Tels que vous étes (la vérité m'échappe), oui, tels que vous
etes, vous ne pouvez plus sauver la France; l'homme de hien.
n'a plus qu'a s'envelopper dan s son mantean. lO




...


LIVRE IV, CHAPITRE IV. 169
trop tard son erreur, et cet acte de vébé-
mence n'ent que des suites facheuses pour lui-
meme et son parti. Les Danton, Iles Chau-
mette , les Robespierre et les Couthon avaient
déja trop de pouvoir 1 : l'arret sanguinaire fut
sanctionné, et le régicide consommé le ~ 1 jan-
vier [793.


Si d'un coté, des procédés révoltants, l'in-'
justice et la cruauté la plus crian te excitent
notre indignation , nous ne pouvons con tes ter
de l'autre, que ~cet assassinat judiciaire con-
solida la révolution et ses réformes, en établis-
sant une inimitié éternelle entre les partisans
des nouveaux et des anciens principes, et en.
élevant entre ces -deux systemes une digne qui
empecha leur réunion pendant un si long es-
pace de temps. Les auteurs de ce forfait au-
raient dli sentir que saos considérer cette ac-


I JJfoniteur, page 106 : .. Au commencement de la séance ,
Danton interrompt Garran de Coulon, et Lou vet s' écrie: Tu n' es
pas encore roi, Danton ; quel est done ce privilégc ? J e demande
que le premier qui interrompra soit rappelé a l' ordre. Dall-
ton. - Je demande que l'insolent, qui dit que je ne suis pas
encore roi, soit rappelé a l'ordre avec censure. Cambon dit
ensuite, je demande él rapporter un fait relatif a l'opinion de
Mailhe. Seconds.-Je demande aussi la parole pour un faite
PblSieurs 'Voix.- La parole est a Cambon. - Seconds. - La
parole ou la mort ( on rit). »


I1 fau~ remarquer que Cambon faisait partie des terroristes,.
dont le symbole ~tait des-Iors, la liberté ou la mort.,




170 HISTOIRE DU XVIIle Sd:CLE.


tion sous son rapport moral, la politique
meme s'opposait a la condamnation; que I'a-
nimosité de la nation se changerait bientot en
pitié, que le chef de I'État, auparavant en
butte a la haine, serait pleuré cornme martyr,
qu' enfin on confondrait la personne avec la
cause elle-me m e !


Pendant les débats du proces, une scission
se manifesta entre les deux partís principaux
de la Conventiol1, et la Gironde, irrité e du ré-
gicide, eut des-Iors a soutenir la lutte la plus
violente. L'issue de ce combat contre Danton
et Robespierre était facile a prévoir, si les Gi-
rondins ne parvenaient pas a rétablir la po-
lice et les tribunaux qu'ils avaient eux-memes
détruits, et a ramener ainsi la poplllace dans
les bornes de la vie ordinaire. Ils le tenterent,
mais inutilement. Ils désiraient faire condam-
ner judiciairement les Septembriseurs, mais
ils échouerent dans leur projet, quoiqu'ils
eussent obtenu de la Convention qu'une en-
quete formeHe fut décretée 1. Leur ministre,


1 Voilil la vraie cause de la chute de la Gironde. Bailleul,
tome 1I, page 167, dit : .. Je tiens d'un député de notre coté,
run de mes camarades d'infortune, qui avait cependant con-
servé des relations avec Danton , qu'il y avait des conférences
a Sceaux entre les chefs des deux partis, dont le but était un
rapprochement, s'il étaitpossible. JI Guadet, avec une énergie
qui lui était particuliere , ne voulut entendre a aucune trans-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 171
l'impassible Roland, secondé par les talents
de sa- femme ,voulait que la vertu servlt de
base. a l'administration de l'intérieur. Il apprit
avee douleur que ses amis n'avaient pu le
soutenir. Il se retira des affaires, le 23 janvier
1793, et les Jaeobins se virent obligés d'aban-
donner Pache leur ministre de la guerre; mais
Roland perdit t01~te influence eomme politi-
que, tandis que Paehe, lors de la chute de la
Gironde, fut nommé maire de Paris, le 14 fé-
vriel' l.


Le bruit se répandait quejes Girondins
eherehaient a faire de la France un État fédé-
ratif, sur le modele de .1' Amérique. Brissot
était le seul parmi eux qui se fut distingué
eomme écrivain. 11 joignait une éloquence fa-
ciIe a une imagihation féeonde; mais rarement
il savait garder les eonvenanees du temps et
du lieu ou il éerivait. Dans son ouvrage sur-
l'Amérique, il s'était rQontré grand admirateur·
de la constitution de ce pays. On le désigna.
méehamment eorome le meneur de ses aInis;:
action relativement aux poursuites. Danton lui adres se ces pa-
Toles: Guadet. tu ne sais point faire le sacrifice de ton opinion
a la patrie; tu ne sais point pardonner; tu seras 'IJictime de tOfl
opinídtreté.


I La commune du 10 aout avait été dissoute le ~ décem-
lIre 17 9 ~ , OU, a proprement parler, on avait expulsé les Gi ..
rondius.




17~ HISTOIRE DU XVIII' SIECLE.
et le nom de Brissotins ou de fédéralistes fut
donné él tous les républieains modérés l.


L'Angleterre, la Hollande, I'Espagne, se li-
guerent alors avee les autres puissftnees con-
tre la Franee; le parti colossal des J acobins
s'accrut él mesure que le norubre des enne-
rriis augmentait. 11 prouva, quelques mois
apres, él toute l'Europe étonnée, quelle éner-
gie formidable se trouvait dans une nation
portée tout d'un coup an plus hant degré d'ex-
altation. Les Jacobins eréerent COlnme par en-
chanternent douze arrnées, sans argent etsans
offieiers ; ils firent tete aux alliés du dehors,
ils résisterent aux sectateurs de l'aneienne re-
ligiori, quis;élevaient dans la Vendée, ainsi
qu'aux partisans de l'anCien gouvernement,
qui faisaient la guerre en Bretagne. Leur res-
sources s'accurnulerent avee le danger. Tant
que la victoire sourit él .Dumouriez, on Iui
laissa le cornmandement de l'armée, quoi-
qu'on soup<;onnat qu'il eherehait él mettre sur
le trone la famille d'Qrléans , dont le membre
le plus agé se trouvait dans ses troupes. On
le sonffr!t meme encore apres qu'il eút éerit


1 Les députés du Midi songeaient cependant a organiser
leur pays sur un autre pied. Voyez Barhal'oux, Mémoires,
pago 37-39, ou il négocie avec Roland, et pago 41-43, OU i}
s'agit de gagner le général Montesquiou.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 173
une lettre tres-violente el la Convention [ ;
mais la défaite qu'il éprouva, le 19 mars, a '
N eerwinden, fut le signal, le prétexte et l' é-
poque de sa disgrace.


Durnouriez n'était pas un homme qu'on put
facHernent abuser, aussi ne se livra-t-il pas a
ses ennemis ; i1 pouvait beaucoup plus que La-
fayette compter sur son armée; ou les habitu-
des militaires avaient remplacé les habitudes
civiles. Il n' était point gouverné par les égards
d'une conscience trop délicate, ou par le trans-
port d'un patriotisme exalté. Des qu'il ne put
plus douter que lui OH ses enneinis devaient
succomber, il s'assura un refuge, en cas que
son plan échouat , par deux conférences qu'il
eut, le 22 et le 27 mars, avec le prince de Co-
bourg, chef de l'armée autrichienne. Une seule


1 Lacroix et Danton, tous deux suspectés d'étre par-
tisans du duc d'Orléans, défendirent Dumouriez a la Conven-
tion. Quant a l'Orléanisme, nous remarquerons, qu'apres toutes
les recherches possibles, nous n'en avons pas pu trouver la
preuve , et que les initiés nous out affirmé la méme chose. Le
Girondin Bailleul, que les circonstances changerent en vio-
lent Jacobin, a fépoque OU il écrivit, dit, torne 1, page 307 :
" A l'ouvertUl'e de la Convention on parlait beaucoup du partí
d'Orléans; quelques députés en révaient; ils le voyaient par-
tout. J'y ai regardé, j'ai écouté, j'ai interrogé ; j'avoue que je
ne rai vu nulle parto »


Bailleul, nommé commissaire avec Laplaigne et Rulh, par
la Convention, pour examiner les papiers du duc d'Orléans,
est dans ce seul point parfaitement q'accord avec madame de
Stael.




174 Hl STOIRE DU XVIIle SIECLF..
faute déjoua tous ses projets. Plusieurs offi-
ciers étaient gagnés; un régiment de hussards,
composé la plupart de soldats allemands, lui
était tout-a-fait dévoué, l'armée le respectait,
lorsqu'il eut l'iInprudence de confier son plan
aux commissaires jacobins, Pereyra, Proly et
Dubuisson; de plus il temporisa deux jours,
quand il n'y avait pas un moment a perdre.
Pereyra et ses amis'~nstruisirentlesJacobinsdu
plan que Dumouriez avait formé, de marcher
sur Paris. Aussitot, un décret cita le générala
la barre de la Convention, et les députés Ca-
mus, Banca(et Quinette furent chargés de l'ar-
reter. Beurnonville, ministre de la guerre,
les accompagna pour prendre le commande-
mento Dumouriez fit les quatre députés pri-
sonniers, retourna sur ses pas , mais il recon-
nut bientot que les troupes lni obéiraient
3p,ssi peu qu'a Lafayette. Un bataillon, com-
mandé par Davoust, plus tard prince d'Eck-
mühl, fit feu sur lui et son es corte dans le
moment meme qu'ils espéraien t se rendre
maitres du fort Condé; alors Dumouriez
chercha son salut dan s la fuite comme avait
fait Lafayette. Pour échapper promptement
aux poursuites, il se fit conduire par les deux
amazones de la révolution, les demoiselles




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 175
Fernig qui avaient glorieusement combattu
ave e lui dans toutes les batáilles, au bac de
Boucaulde, et passa heureusement l'Escaut.
e'est a tort qu'on l'accuse d'avoir pillé la
caisse de l'armée, car les demoiselles Fernig et
leurs parents ne le laisserent pas manquer
d'argent. Elles abandonnerent la France avec
lui; mais n'ayant pas trahi leur patrie, elles ne
trouverent nulle part une retraite assurée.


Des qu'on n'eut plus a redouter Dumouriez
et son armée 1, et qu'on ne parut plus crain-
dre le rétablissement de la monarchie, la dis-
sension des deux partis acharnés, qui sem-
blaient tous les deux désirer une république,
éclata et devint une lutte sanglante 2.


i Les Gil'ondins ne se montrent pas moins craintifs que
les J acobills, et Pétion éerit a Miranda, ami de la Glronde
( Notes sur les JJfémoires da général Dumouriez, écrits par lui-
méme, et cOl'respondance al'ec le général Miranda, etc., pago 77,
nO LV, Paris, le I3 mars 1793 : Pétion au général Mi-
randa) :


• Mon ami, je crois qu'il y a trahison dans nos armées, et
que eette trahison est liée a un grand complot contre la répu-
blique. Dites - moi franchement ce que vous pensez des om-
ciers -généraux 'lui commandaient l'avant-garde de Valence.
Dites-moi ce que vous pensez de tout ce qui arrive; n'y met-
tez, je vous prie, aueune réserve; j'ai besoin de le savoir pour
la cause publique. »


2 Bail/eul, tome II, page 176 : • Nous avions des talents
brillants , et pas une té te en état de conduire une si vaste ma-
chine. Vergniaud, qui était un étre adorable, manquait d' é-
nergie, et n'avait aucun esprit de suite : apres un admirable




t 76 H lSTOIRE DU XVllle SI:ECLE.
La Gironde demandait un gouvernement


civil, mais sage et modéré, elle aurait sou-
haité etre débarrassée de Marat et de la popu-
lace dont elle s'était servie jusqu'alors. Mais
les démagogues les surpasserent en activité,
et en fines se 1. Danton , Tallien, Fouché et au-
tres dirigeaient absolument toutes les 'émeutes


discours, il retombait dans son apathie accoutumée; il mu-
sait, jouait avec les petits - enfants de Boyer-Fonfrede, et le
moins enfant des trois n' était pas celui qu' on pensait ...• Gen-
sonné était trop lent et trop fortement prévenu, Guadet trop
emporté. Buzat disait d'un tol1 solennel, en parlant des dé-
nonciations des seetions de París, qu'il enverrait sonmani-
feste a son département. BrÍssot manquait de justésse et de
force dans les idées; Valazé, avee un eourage imperturbable,
avait peu de talento Louvet, avee heaueoup d' esprit, ne voyait
que des fantomes; il était morose et soup~onneux; carae-
tere irréconciliable avee l'art qu'exige le mariiement des af-
faires. Pétion était un homme tout-a-fait ordinaire. Barba-
roux, Boyer-Fonfrede, Ducos, ne pouvaient; étre considérés
que comme jeunes gens a qui ii eut fallu plus d'expérience. lO


t Histoire de la l'éfJOlation. pa/' deux amis de la liberté, t. XI,
pago ~ 2 2 : « On a vu les Vergniaud, les Louvet, les Barharoux,
les Gensonné, démasquer les amhitieux, et prédire a la tri-
bune, etc. On a vu leurs heaux diseours prévenir ces désas-
tres, mais rien que des heaux diseours, et jamais, ou tres-
rarem~t, des effets; car un reproche a faire aux membres de
la Gironde , ou dllmoins a la majeure partie d'entre eux,
e'est qu'ils faisaient eonsister leur vanité, leur bonheur, dans
les phrases oratoires qu'ils ~hitaient au sénat , et , qll'une fois
applaudis, ils abandonnaient le ehamp de hataille pour aller
jouir de Ieur triomphe dans les eoteries partíeulieres, OU, au
líeu de suivre et de travaiLler un plan queIconque, pour s'op-
poser a une désorganisation générale, iI se dédommageaient
par des· plaisirs de la peine qu'ils avaient prise a polir ehez
eux une belle harangue. »




LIVRE IV, CI1APITRE IV. 177
popula'¡¡oes, et Robespierre fit proclamer, par
l'insensé Mara,t, ce que la populace apprit
avec allégresse, qu'on ne laisserait a la France
rnenacée par les ennemis du dehors et des ci-
toyens mécontents , que des cabanes, du pain,
<Iu fer et des soldats. La Gironde aurait alors
voulu une constitution pOUI' résister au tor-
rent qui l'entrainait. Le 15 février, Condorcet,
au nom d'une cornmission, ven~it d' én COlTI-
muniquer le projet. Elle avait été rédigée d'a-
pr-es toutes les regles de la logique; mais, daus
ces temps de licence et d'anarchie, cet Oll-
vrage chimériql1e ne convenait qu'aux répu-
blicains qui cherchaient a déployer leurs ta-
lents oratoires dans des discours briHants l.


Marat de ,son coté excitait le peltple a piller


'[ Bailleul, tome 11, page 172: .. Afin de douner aux opéra-
tioos de l' assemblée , et a leurs votes, plus d' ensemble, et ann
d'éviter les mal- entendus ou les dissidences, ils avaient, a
l'exemple des montagnards, formé une espece de club. Je fus
invité, a plusieurs reprises , a me trouver dans cette réunion,
ou 1'0n comptait de cinquante a soixante députés ...... Neuf ou
dix des principaux membres s'attribuaient exclusivement la
parole, et se distribuaient les roles dans l'assemblée. II pa-
rut aux autres qll'ils n'étaient appelés la que pour admirer
ces messieurs et leur servir d'instruments : eette observjlion
]11'oduisit le plus mauvaiseffet. J'en puis. parler avec certitude,
éar j'ai souvent re~u ces confidences et ces plaiufes. I,es mon-
tagnards se montrerent bien plus adroits; ils accueillaient, ils
employaiellt, n'importe commeut, tous ceux qui se montraient
dévoués dalls leur sens. »


1I. !J. 12




1 7 8 H 1 S T O 1 II K 1) U X V 111 e S Ii~ e l. J~.
les boulangcrs, a lnassacrer les lnarehands de
blé, et a persécuter les riehes. Quoiqu'il n'at-
teignit pas entierement son but ,la fonle effré-
née ne négligea pas ses conseils et pilla les mer-
ciers. Les Girondins firent enfin arreter 1\larat
et le traduisirent devant ]eur tribunal 1 ; roais
absous, eorome on aurait dú le prévoir, ee
misérable dut a eette eireonstanee plus de eré-
dit qn'il n'en avait jamais en 2, Son triomphe
était, a proprement parler, une vietoire de eette,
partie de l'assemblée, qui semontrait ennemie
~le tout ordre et de toute loi ,soit paree qu'CUe


I Le premier pillage des boutiques eut líeu le 25 févríer;
le 26, l'assemblée décréta l'accusation de Marat, mais la chose
en resta la jusqu'au 13 aVI'il que I'on instruisit son proceso
Le 24, la populace pilla de nouveau les boutiques; le 26, Ma-
Tat fut absous et conduit en tl'iomphe.


2 Paganel (~obin et membre de la Convention) torne II ,
page 170, dit: "L'ame de Mara~ était fermée a toute ambition.
Ce nohle selltiment est étranger a de tels monstres. Anthro.
})ophag'e avec une extr~me bassesse, il aurait préféré a Robes-
pierre un roi ql1i tui aurait livré plus de victimes. Il caressait
le tyran non par affection pour sa personne, mais pour ~tre
le ministre de la tyrannie. C'est pourquoi on ne peut attri-
huer aucun mérite a Marat, soit pOlll' a voir vécu désintéressé,
soit pour étre mort pauvre. Il n'était altéré que d'nne sorte
de soif, et ce n'était pas ceHe des richesses. Durant le cours de
la révolution, si féconde en hommes bizarres et en caricatures
de tout genre , iI ne p'arut pas de personnage plus ridicule que
Marat. Vit-on, dans aucun temps, de farces plus risibles que
son apothéose? Il était également indigne de périr comme chef
de parti , et de vivre dan s la mémoire des hommes .... Il n'v
a pas en de partí ~fl1l'alis[e, íI était m~me impossihle d'en ro;.
mer un .•




1,IVRE IV, CHAPITHE IY. 179
espérait, en détruisant la Gironde, ramener
l'nnité dans les lieux oú régnait la discorde,
soit parce qu'elle soutenait le principe cruel
que, pour consolider le nouvel ordre de cho- ,
. ses, il fallait auparavant extirper ce qui re-
stait de l'ancien systeme, par le fer et le fen,
par la violence et le meurtre: les Jacobins et
les Cordeliers parurent, pour lapremiere fois,
en eette occasion, maltres de la capitale; ilsse,
moquerent de la faiblesse des vrais :républi-
cains, dOllt la---vertu passa alors ponr exalta-
tion, et toutes les lois servirent a organiser
leur dominatíon. Kersaint, un des enthon-
siastes, avait proposé, au commencement de
l'année 1793 , de créer un comité de défense
généra\e l. Les partisans des Marat, des Ro-
bespierre, s'étant emparés de eette· idé-e, don-
nerent a ce comité un tel pouvoir, qne le gi-
rondin Buzot le dénoI.l~a des la fin de janvier
eorome le tribunal de la plus affreuse tyrannie,


l Bailleu/ , tome II, page 173 : « Afin de prévellir les d~­
chirements, on imagina de créer un comité sous le nom de
déjense génél'ale, composé de vingt-cinq memhres, pris parmi les
chefs des deux partis. On s'y entendait encore un peu moins
que dans la Convention. Ce ne fut pas le moyen d'y maintenir
le calme que d'autoriser tous les membres de l'assemblée a
assister a..,ces séances, el m~me a y prendre la parole. Cel
établillSement ne dura que dix jours. "


12.




180 I-1ISTOIRE DU XVIU C S!i;:CLE.


qu' on av~i t oh tenu par artifice dans une séance
du soir l.


Le 21 lnars, époque ou ron était occupé a
faire sortir peu a peu tous les bourgeois bien
mis des assemblées de sectioD et a remplacer
tous les honlmes armés de fusils par les lan.,
cier~ de la garde nationale, on organisa aussi
la police des fanatisés de tout le royaume, sur
les citoyens tranquilles etceux qu'on redoutait.
On nomma d'abord a París, ensuite dans tou-
tes les communes, parmi ces hommes farou-
ches, un comité de surveillance 2, qui en-
voyait ses rapports au comité de salut public,
cornme on l'appela par la suite. Celui-ci, muní
de la' puissance d'ul) dictateur, décrétait en ...
suite l'exécution de" ce qui avait été proposé 3.


1 Buzot, le Girondin, dépeint ce comité, des le 27 janvier,
sous les. cou)eurs les plus noires (Jfoniteur, 1793, nO 29,
page 1 I 2). 11 dit, entre autres : .. Si vous etes persuadés que la
liberté individuelle soit la base de la liberté publique ~ vous
devez rapporter ce décret funeste par íequel vous avez ordonné
que le comité de sureté générale serait composé de douze
membres, décret qui a été rendu dans une malheureuse cir-
constan ce , dont, on a bien su profiter, et qui a été exéduté
dan s une séance du soir, Ol! il ne se trouvait presque per-
sonne .•


2 Ilfut établi a laproposition<lelean Debry, faite le 20 mars,
d'abord seulement comme moyen de sureté contre les étran-
gers.


3 Pour donner une idée de la maniere dont ces rapports
étaient faits, nous transcrirons un acte de cette espece : " Picces




LIVRE lV, CHAPITRE IV. 181


Aussitot qu'on fut instruit de la fuite de
Dumouriez ,on profita de la terreur que eette
nouvelle répandit, pour réformer l'organisa-
tion du cOlnité de salut publico On dim.inlla le
nombre des Inembres, on n'y adrnit plus de
partisans de la Gironde , et on donna aux élus
un pouvoir si étendu qu'il ne tenait qu'a eux
d'exercer la tyrannie la plus révoltante sur la
Convention et le royaQ.me. Le Ilom qu'on ac~
corda a eette nouvelle institution exprimait
déja une influenee illimitée, mais l'intérieur
fut organisé de maniere a inspirer a la Franee
entiere l'horreur et l'effroi, eomme on l'avait
prémédité. Une telle institutioll detnandait
un tribunal analogue ,mais, avant de le con.,
stituer, o.n fit des lois d'apres lesquelles on


almexées au rapport des Pingt - un, SUl' faccusation, etc"
nO 1 29, page. 94. Le comité de surveiUance de la commum;
de Pamiers au montagnard VaJier, r~présentant du peuple,
préiiident du comité de sllreté générale : "Nous faisons passer
au comité de sureté générale 1:) déposition a charge contre les
détenus de notre commune aux prisons de París et autres qui
méritent le m~me sort. S'il n'y a point ass,ez de preuves, nous
travaillerons a un supplément; les patriotes ne taisent point
la vérité. Tu trouveras, page 195, témoin soixante-si,xieme,
un. fait contre MOllsirbent, apothieaire t. a raison du rassem-
hIement a la Boulbenne; iI serait instant qu'Oll le flt ouir sur
ce fait, Nous avoQs eru devoir envoyel' la piece originale. Nous
espérons, citoyen représentant, que le peuple de Pamiers sera
bíE'ntot vengé des forfaits eommis par les monstres t et que la
patrie, délivrée de ee.s seélérats, sera totaJement purgée de
tous ses ennemis. »




J8:l HJSTOJRE DU XVIlle SJl:CL}:.


devait égorger lesvictim~s. On comprit dans
la condamnation des émigrés tous leuI's pa-
rents, et ceux qui leur étaient attachés. On
désigna anjuge comme émigrés tous ceux qui,
pourquelque motif et en quelque temps que
ce fut ,s' étaient soustraits au nouvel ordre de
choses., ,Póur donner une idée des moyens que
les. parti,sans des, Robespierre, des Danton,
alors, encore conjurés contre la Gironde, em-
ployaient .dans ces occasions , nous rapporte-
rons l'organisation de l'affreux tribunal,
l10rnmé d'abord extraordinaire, ensuite révo-
Zutionnaire. Le 9 mars, Prieur, Perrin, Rulh,
Lamarque, Bentabolle, Mailhe, effrayerent les
laches, nornmés dans ila Convention le marazs,
en leur citant nn grand nombre de sections
sous les arnles, a ce qu'ils prétendaient. Jean
Bon de Saint-André déclara en fin que la section
du Louvre demandait absolument un tribunal
criminel l. Carrier changea cette demande en


1 Le tartufe ex-pr~tre préfet de Mayence, qu~ me ~jt un jour,
a WiesLaden, qu'il n' avait pas répandu une gout,te de sang,
rapporte, dans le lIfolliteur, 1793 ,no 70, page 32I ; « David
et moi nous nous soromes relldus a la section du Louvre. Le
concours était considérableo o o o • o . lIs nous ont dit ; Tandis
que nous allons combattre les ennemis du dehors, nous de-


; mandons que la Convention punisse les traitres et anéantisse
les intrigans de dedanso C'est l'intrigue qui a étouffé et cor-
~orupu l'esprit publico Ces citoyens pensent aussi que les in:-




L 1 V R E IV, e H A P 11' R E IV. 1 83
une motion. Les Jacobjns ~pplaudirent haute-
ment; la majorité des llWlllbres' tremblant de-
vant le peuple garda le silence. Guadet se leva
envain; on ne luí accorda pas meme la pa~
role, et ilue put .obtenir que le principe fut
discuté. Lanjuinais I s'eff?fCa inu.tilemel1t de
restreindre le trjbunal a la seute vjlle de P.a-
rjs; OH n'admit aucune. tpodificati~n ~on n'ap·
prouva que la partie la pl~lS dure. de la loi 2.
Robespierre, dans un dis.c.Qurs pieio de fiel,
désigna .clairenlent les constitutíonnels et les
vrais républicains corome les hommes contre
qui ce tribunal devait procéder.


Les Jacobins s'arrogere~lt .. ledroit e-xclusif
de le former.,. et ~CharJi.er pn)p.~saq~. rem~Hre
la nomination des cinq juges et des douze


..


dividus que, la, Conventiq~ a portés au ministere sont peu dig~e$
de la confiance dont ¡ls on.t besoín pour bien remplir Jeurs
f~nctions. :~


,1 L:mjuhla~s, Monite,ur, p;tge 321 : .. Je propos~nám~n~
dtllUe.lt;' ce~l::rf!t, affr;eux par les circonstancesq~i naus en-
virouneut, affrellx parla violatiou de tOllS lespfinc,ipes des
dl'oits .. de l'llOmme, affreux par l'abominable irrégularité de
11:\ aUpPfes¡¡iQn d'app~l en matiere criminelle. Je demande que
ce· SQit au seul dépafte~ent de París que s'étende cette c~la­
mité. "
. - ~ Lovasseur: .. Je propose la rédaction suivante: La Conven-
üon déq'ete l'établissement d'uu tribunal crimine! extraordi.
naire ,sa~s appel et sans recours au tribuual de cassation, pour
le jl1gement de tous les tf¿litreset conspiratellrs .... Est adopté. JI


On trouve le plan des réglements du tribunal el ses puni-
tions dans le Moniteur, nO 71 , page 3~6.




184 HISTOIRE DU XVIUC SIi~CLK
j urés a une séance du soir ; mais elle n' eut pas
eette fois le résultat que ces foreenés s'en
étaient prOInis. Tant que persista le partí de la
Gironde, le nouveall tribunal sanguinaire ne
put éluder toutes les formes, d'autant plus
que depuisson organisation les Girondtns ve-
naient de ..reprendre plus d'influence. lIs par-
vinrent a déjouer le plan infame des Jacobins
et des Cordeliers, qui voulaientfaireassassiner
tous les hommes éclairés et modérés de la Con-
vention par les lanciers des sections. Le mi-
nistre de la guerre, Beurnon viUe, empeeha,
l'épée a la main, l'exéclltion de ce forfait;
Vergniaud dévoila plus tard, dans un discours
éloquellt, les artifices de ses adversaires 1 ; mais


:t JI oniteur , nO 75, page 336, Vergniaud dit, entre autres :
" La seetion des Quatre-Nations fait porter dans les· autres
sections une adresse· ainsi con<tue : lO (f!ls ne·s'arréteront pas a
vous peindre les menées odieuses des Roland, des Brissot, des
G'ensonné, des G'uadet, des Pétion, des Barbaroux, des
Louvet, etc. Aux yeux de tous les Fl'an~ai8 lihres, ces trai-
tres sont plus que démasqués, car ils ont la conviction intime
de toutes leurs trahisons, etc. Qui a pu· en arreter le- sucees?
1-0 La surveillance du conseil exécutif, qui, enveloppé dans


·la proscription, pressait de toute son influence la commune.
Beurnonville a erré une grande partie de la nuit dans les rues
a snivre de l'reil et de son sabre les manreuvres des eonjurés;
2 o la surveitlance de la- commune, qui a empéehé de fermer
les barrieres, de sonner le toes in , et que vous avezo justement
décrétée avoir bien mérité de la patrie; 30 l'assurance donnée
aux conjnrés, par quelques espions, que plusieurs des mem-
bres, dont ils désiraient le plus de hoire le sang, n'éta.Íent pas




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 185
bientot les circonstances seconderent les Ja-
cobins et les partisans de Danton. Les maúx
toujours croissants de l'ana~chie consoliderent
leur systeme de la terreur, qui devait rame-
ner l'nnité et l'énergie. I ... a publication impru-
dente des décrets de l'assemblée nationale
enfanta une guerre sanglante él Saint·Domin-
gue, entre les blancs', les negres et les colons.
La France perdit une de ses possessions les
plus importantes', et avec elle, une grande
partie de son commerce. Les départements de
l'Ouest prirent les armes, lorsqu'on Ieur dis-
puta de force leur religion et leurs pretres :
alors éclata la guerre horrible de la Vendée
qui dura jusqu'au temps des consuls.


Apres la, trahison de Dumouriez, l'activité
seule des J acobins ,. et non l'insouciance des
Girondins, put défendre contre l'ennemi du
dehors un. État bouleversé au-dedans.


Les Jacornns ne laisserent pas échapper cette
occasion, dans la séance permanen te du 3
au Ioavril, lorsque'Dumouriez-mena({ait Paris,


présents a la séance de la nuit; 4° l'as8urance qui lenl' fut
donnée que le bata ilIon des fédérés de· Brest, SOl' le départ
duquel vous avez eu une discussion si chaleureuse , était sur
pied, prch a ~archer au secours deja Convention au premier
mouvement <pI'on ferait pour l'attaquer. »


Le dernier article ne nous parait pas digne d'attention.




186 HISTOIRE DU XVJII C Sd:CLE.
el la h~te de l'arlnée. lIs donn~rent au nouveau
tribunal la juridiction la plus étendue 1, mi-
rent le COluité de sureté en r~pport intime
avec le comité de salllt public, et, en le com-
posant de dix membre~,. coÍnme ce derniel' ,
ils le,r~vetirent d'un pouvoir apsólu. TOU5 les
de~xservirent des-IOl'~S d'in~trtiments aux Ja-
cobi~s et aux partisa.ns ,de Dan ton 2. Robes ..


I Moniteuf', ~o 98, page 437:'" IOLaConventionnationalerap-
porte l'article ..•••. ,de son décrel duo .•••. , qui o,rdon~ait ¡,
que le tribunal extraordinaire ne pourrait juger les crimes de
conspiration et délits' nationátix que sur 'le décretd' accusa-
tion porté par la Convention; 2 o l'accusateur public, pres du-
dit tribunal, est autorisé a faire arréter, poursnivre et juger
tous prévenus desdits crimes, sur l'accusationdes autorité$
constitpées ou des citoyens ••.


Nous' passo~s soussilence les deux autres ar~icIes.
2 Le comité·· d~ súret~ se' composa' . d"allOr:a aJ' Bárer~ •


Delmas , Bréart ~. Cambon, Jean Debiy, I)~nton " ~ac¡ioix,
Gniton - Morvaux, et de Treilhard. Jean Debr'y lit en-
suite place a Roberl Lindet. lIfoniteul', 1793, n° 99; p. 441:


" 10 Il sera formé, par appel .nominal, un comité de salut lit;!.-
bli.c , composé de .neuf membres de la Conv.ention nationale;
2 o ce comité délibérera en secret; il sera chargé de surveiller et
d'accélérer l'action de l'administration con6ée au conseil exé.
cutif pr~visoire ~ dont il pourra meme suspendre les ~rretés ,
lorsqu'il les croira contraires a l'intéret natipnal, a la chai'ge
d'en informer sans délai )~ Convention; 30 ~l est alltorisé a
prendre, dans les circonstanc~súrgent'es, des mesures de dé-
fense générale extérieure et illtérieure, et les arnhés, signés
de la majorité de se!/: menibres rlélibérants, qui_.ne pourront
etre au-'dessous de deux tiers, seront exécutés sans délai par
le cOllseil exécutif provisoíre; il ne pourra, en aUCun '~as ,
décerner des m¡mdats d'amener ou d'arrét, si ce n'est cOlltte
des agents d'exécution, a la charge d1en rendre compte sans
délai a la Conventioll. »




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 187
pierre aurait voulu ilupliquer Brissot et ses
amis dans l'affaire de Dumouriez; máis iI ne
put y parvenir, malgré les députations qu'il
fit admettre a la Convention, ponr les accuser.
Il sut cependant pousser jusqu'au dernier
point la tyrannie que les classes indigentés
exer«;aient sur les citoyens les plus disti~gués
et les plus riches.


On donna aux députations du faubourg
Saint-Antoine une marche et une tactique ré-
-gulieres; les prostituées de la caeitale, connlles
sous le nom de./édérées, s'einparerent: des tri-
bUlles de la Convention. On accorda aux dé-
putés de cette chambre une autorité illirnitée
dans les armées; on favorísa' ··UD assaut sur
les Tuileries contre les' girondins, :ét on .mit
une taxe sur le blé. n fant néanmoins conve-
nir,que la démagogie répandit dan s les basses
classes ce sentiment de fbrce et de résistance, .


. qui put seulconsolider dans la nation .entiere
une révolution émanée c!es hautes dasses, au
point de chang~r en dix ans le fond du carac-
tere national ~ e't de rendre la France entÍere
ennemie de l'ancien régime. On ne manqnait
pas non plus de troupes, car la COllvention avait
décrété que tous les célibataires et les veufs
seraient toujours en état de réquisition ponr ,




188 H ISTOIRE DU xv II l~ SI~:CLI~.
l'armée l. Pour peu que les Girondins eussent
partagé l'actiyité et l'énergie de leurs adver-
saires, ils auraient profité de la scission qui
éclata entre les amis de Robespierre ~ et les
partisans de Danton 3, maltres du local des
Cordeliers. Pour humilier leurs antagonistes,
les amis de Robespierre les appelerent Orléa-
nistes, ·et décréterent l'arrestation de fous les
Inembres de la famille de Bourbon et la dépor-
tation de rancien dnc d'Orléans, a Marseille.
Robespierre dominait dans le club des Jaco-
bins qui n'entraient jamais dans celui des
Cordeliers, tandis que ces derniers se voyaient
obligés de se réunir a eux. Celui qui faisait la
loi dans le club des Jacobins, devait naturel-
leroent l' enlporter sur Danton , quoique celui-
ci surpassat tous ses adversaires en esprit, en
force, en courage et en intrépidité. Robes-
pierre se servit en outre des journaux de Ma-
rato Le pouvoir principal de ce tyran dissimulé


J On nt, da~s toutes les grandes villes, des listes des riches;
ilsn'eurentd'autrealternative que de fournir l'argent nécessaire
a l'équipement de l'armée ou de monrir; il Y eut aussitot trois
cent mille hommes sur pied, onie armées; et Carnot, qui, dans
l'assemblée législative, avait dirigé la guerre, dressa les plans
et donna aux généraux leur direction.


:1 Couthon , Saint-Jllst, Collot d'Herbois, Barere, Devieu-
sac , Dubois-Crancé , etc.


3 Fabre d'Églantine, eamille - Desmoulins, Legendre et
autres.




LIV RE, 1 V, CHAPITR E IV. 189
reposait eependant sur la eommune et les
assernhlées de seetions. Le magistrat infame,
qui influen<;ait "alors la Convention , avait de-
lnandé plusieurs fois la mort des vingt-deux
députés que Robespierre par jalousie, et Ma-
rat par hassesse, halssaient, eomme les
bommes les mieux pensants et les plus élo-
quents de l'assemblée. eeHe demande fut
plusieurs fois réitérée par les femmes, sur-
llommées plus tard les furies de guillotine de
Robespierre, paree qu'elles assistaient a toules


I
lesexéeutions, etqu'elles injuriaiel1t meme les
vietimes.


Les Girondins sortirent enfin de leur léthar-
gie. Le, 18 rnai, Guadet dévoil~ le despotisme
de la eommune de París avee tant d'élo-
quenee que tous les membres de la Con ven-
tion se sentirent épollvantés, et que meme
les laehcs qui donnaient par erainte leur as-
sentiment a Robespierre demanderent la dis-
solution de la munieipalité. On aurait pu alors
publier un déeret de salut ponr la Gironde,
et de terreur ponr les démagogues 1, si Barere,


I iJ'[oniteur, nO 141, page 606 : "Je propose a la Conveo-
tioll les trois mesures suivantes :


10 Les autorités de Paris sont cassées ;
:10 La municipalité sera provisoirement, et dans les vingt-


quatre heures, l'emplacée par les présidents des sections.




190 H ISTOIRE DU X VIlle SI ~:CL}:.
par ses paroles hypocrites et artificieuses, qlli
le relldaient si utile a ces hornmes av id es de
sang, n'eÍlt fejnt de l'amitié pour la Gironde
et détourné le coup fiortel qni menac;ait la
tete des Jacobins. Pour opposer une digue a
la municipaIité et a la popuIace, pour défen-
dre les députés, iI conseilla de nom,mer une
eommission de douze membres que ron r-e-
vetirait d'une grande autorité l •. Des qu'eIle
fut organisée, eHe fixa ses regards sur deux
hommes infames, le, procureur de la cOlnmune
Chaumette, et son substitut Hébert; ce der-
nier, ainsi que Marat, était odieux a tont le
monde; mais Hébert ilevenait absolument né-
cessaire a tous ceux qui ne trouvaient ancun
moyen trop vil pour atteindre leur but.Per-
sonne n~ sut mieux que lui ameuter ¡es fau-
b~Hlrgs et l:llie du peuple, eomme le prouve
son Pere Duchesne, journal abhorré de tous
les partís, m·ais dévoré par la populace. n


30 Les suppléans de l'assemblé'e se réuniront a Bou;ges,
dans le plus court ,lélai, sans cependant qu'ils puissent entrer
en fonctioIl autrement que sur la nouvelle certaine de la dis-
solution de la Convention. D


I lJfoniteur, nO 141, page E 10 : « De créer une commission de
douze' membres , dans laquelle les ministres de l'intérieur et
des affaires étrangeres et le comité de sureté générale seront
entenuus, et OU ron prendra les mesures nécessaires ponr la
tranquillité publique. "




LIVRE IV, CIlAPITRF: IV. Igf


connut lnieux que Marat le lallgage et les
passions abjectes du rebut de la capitale, et
sut avec plus d'habileté suscit~r les troubles
populaires.


Le journal d'Hébert apprit a la Convention,
par deux sections de la vil1e, que les employés,
chargés de la police de Paris, osaient dire en
propres termes: «Que le salut de l'Étatdeman-
dait qu'on assassinat, le 23 mai, sept a huit
mille citoyens, et au moins vingt-deux députés
de la Convention, qui poursuivaient toujours
le reve d'une répub tique idéale I.)) Qudque
positive et affreuse que Hit cette déc1aration ,
les partisans de Danton et de Robespierre
travaillant de concert a la perte d'un troisieme
parti, empecherent qu'on n'y donnat quel-
que attention. La populace soldée aurait done
inf~lilliblement exécuté C~ que Hébert avait
annoocé et 00 áUl'ait vu se renouveler, le
23 mai, la scene meurtriere du 2 septembre, si
les vingt-dellx membres proscrits n'eussent pré-
féré ne pas se rendre a la Convention,jusqu'a


1 Les meilleurs. éclaircissements de l'histoire des"jours sui-
vants se trouvent dan s le MOlliteur, nO 184-190. Débats de la
Convention Ilatiollale da Jer au 8 germinal an Uf, a l'occasion
de l'accusation et de la défense de ceux qu'on appelait la queue
de Rohespierre, car les restes de la Gironde ct ses soixante·treize
amis venaient d'~tre re~us dans le sein de la Convention.




192 HISTOIRE DU XVJIle SIECL¡'~.
ce que la commission des douze, nommée a
l'instance de 'Guadet, put prendre des me-
sures de su reté ; elles consistaient a faire arre-
ter Héhert et a priver ainsi le has peuple de
son chef.


Ce proj et eut a peine transpiré que Chau-
mette, en meme telups député de la Conven-
tion, prit le parti de son substitut; que la
commune, dont il était l'organe 1, demanda
avec son impudence ordinaire la liberté de ce
misérable, ef que les Jacohins firent jouer
toutes leurs I'essources. Des sections détachées,
composées d'unc populace a laquelle on
communiquait tont ce qu'elle devait entre-
prendre, et enSn toute la commune, parurent
etredemanderentHébert. LaConvention mon-
tra enfin du caractere en renvoyant ces hom-
mes atroces e.t leur président. I.Je Girondin
Isnard, le meme qui avait créé le comité de
salut public, opposa aux demandes arrogan-
tes la fermeté et la dignité, quoique ~a ré-
ponse luí fút, ainsi qu'a son parti, tresipréjudi-
ciable 2. Il est vrai que les Marat, les Danton,


I Chaumette était dans la commune ce que RohespielTe
i-tait dans le comité de salut publico Tous les deux rivalisaient
a qui l'emporterait en atrocités, jusqu'a ce qu'il s'engageat
ootre eUK une lutte ou Chaumette succomba.


:1 La premiere répome d'Isnard Hnit ainsi : tl Si, par des




LIVIlE IV, CHAPIT.RE IV. 193
les Couthon, les Thureau ses collegues lui
dirent, en présence de la scandaleuse députa-
tion, les plus grandes inj\lreS l. La députation
ayant InanqU€ son hut, les femmes terribles
de la confrérie traverserent Paris, et assailli-
rent, avec leurs camarades, la prison, pour
délivrer de force I'exécrable Hébert. Toute la
capitale était en mouvement, ce qui n'empe ...
eha pas le ministr.e de l'intérieur ,au lien de
proposer des mesuresgénérales , de déclarer,
n1algré l'évidence, que le calme était rétabli.
La Gironde, s'apercevant ql\e ses adversaires
se proposaient de porter la Convelltion pusil-
lanime a un décret precipité, voulut lever la
séance ; 11lais ses ennemis surent la prolonger
jusqu'á minuit; on nomma pl'ésident Hérault
insurrections toujours renaissantes, il arrivait qu'on portat
atteinte a la représentation nationaJe, je vous déclare, au nom
de la France entiere, que Pari~ serait anéanti; Gui,.ltt France
entiere tirerait une vengeance éclatante de cet attentat, et
bientot 011 chercherait sur la rivede la Seine si Paris a existé. »
Sa seconde réponse se termine par ces mots : « La Convention
est occupée a discuter la constitution, elle s'occupera de votl'e
pétition dans un autre momento " .


1 L' un s' écrie : u Vous etes un tyran, un infame tyran. lO Un
(.wtl'e dit : « Vous ne parlez pas de constitution, lorsque vous '
admettez a la barre des aristocrates qui viennent déclamer
contre les patriotes. JI Un tr;o¡sÍl~me : .« Nous ue voulons plus de
votre commission des douze, de votre comité autrichien.» Dan-
ton en fin termine: IX Je vous déclare que tant d'impudence
commence a nons pesel' ; nous vous résisterons. lO


H. 11.
')


L)




194 HISTOIRE DU XVlIl C Sd~CLE.
de Séchelles, homme du meme caractere que
Barere, mais doué de plus de courage, rené-
gat de I'ancien syst~me, et, comme celui-ci ,
sans confiance dan s le nouveau régime.


Héraúlt 6t entrer cinq a six cents hommes
armés dans la salle que les amis de l' ordre
quitterent insensiblement; il souffrit que la
populace se melat parmi les députés et qu'elle
donnat sa voix, comme si elle constituait la
Convention. Leprésidentproclalua les décrets
ainsi donnés, comme actes de la chambre. La
commission des douze fut dissoute et Hébert
mis en liberté. Aussitot qu'on apprit cette
violence envers la Gironde, cet attentat a la
nation et a ses députés, une section de Paris ,
la butte des Moulins, -enslllite la ville de Bor-
deaux proposerent de soutenir la juste cause
les armes a la maill. L'une voulut se' charger
de défendre les amis de l'ordre contre les fau-
teurs de l'anarchie, fautre s'engagea a en-
voyer une puissance départementale pour gar-
del' et pour maintenir ses députés. La Gironde
refusa l'un et l'autre , se montra, au mo-
ment décisif , faible et chance-Iante comme
Louis X VI, et bientot éprouva le meme
sort.


Elle cassa, le 28, le décret que Hérault




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 195
avait fait donner par le rebut du peuple 1 ;
mais Fonfrede, un de ses merobres, appuya
la mise en libt:1rté d'Hébert; un' autre, Rabaut-
Saint-Étienne, sortit, par crainte, spontané-
ment de la commission des douze. Les Jaco-
bins agirent tout autrement; sans cesse actifs,
ils organiserent une révolte permanente a
París, qui dura jusqu'a ce que, le 29 mai a
dix heures du soir, ils donnassent le grand si ...
gnal' par le bruit du tocsin. La populace se
réunit bientot, et on forma dans la nuit, ainsi
qúe les deux jours suivants, une assernblée
souveraine du peuple, connue sous le noro
de l'assemblée de l'archevéclzé, dont les dé-
crets devaient et~e exécutés par les comités
révolutionnaires de toutes les sections.


La rnunicipalité dll 10 aout, réformée au
mois de décembre par les Giroudins, fut dis-
soute le 31 mai; avec elle disparurellt tontes
les charges inférieures et tous les bureaux
cOllstitués par la Gironde. On conserva, íl est
vrai, la rnunicipalité, rnais on lui fit preter
un nouveauserment., et on confia le comrnan-
<lernent général de tonte la force année de


x Ce fut encore Lanjuinais qui s'éleva ave e éloquence contre
le pouvoir révolutionnaire, contre les arrestations et le regne
3rbitraire des démagogues de París.


13.




196 HISTOIRE DU XVllle S(]~CLE.
Paris a un anden douanier, espion de police ,
flétri encore commecontrebandier, nororoé
Henriot. On prit ces dispositions sans consul-
ter la Convention. Le conlmandement général
était d'autant plus important que, depuis
Lafayette, jaroais un seul individu n'en avait
été revetu, et qu'il devenait dangereux ponr
tont homme bien mis de se mon trer dans les
rangs.de la garde nationale. Des-lors les reve-
nus de l'Étatservirent a solder le criroe, puis-
qu' on promit a tout vagabond, a tout indigent
quarante sous par jonr, s'il voulait servir,
c'est-a-dire faire tont ce qu'on lui demandait.
On organisa ainsi une armée salariée de ter-
roristes, -qu' on entretint pendant long-temps
aux dépens de l'État.


Tandisqu' on décrétait ces hOl'reurs dans
l'assemblée de l'archeveché, et qu'on faisait
faire la liste ·de proscription, la Convention
était toujours assiégée, et ne pOllvait pas meme
deviner ou l'on en voulait venir r. Ni Robes-
pierre, ni ses partisans ne savaient alors queI
but on se proposait, paree. qu'ils laissaient
l\1arat, Chaumette et le rehut de l'humanité


J Plusieurs personnes soutiennent que Chaumette et son ad-
ministration municipale nourrissaient des-lors l'idée de détruire
toute la Convention.




LIVRJ~ IV, CHAPITRE IV. 197
rnaltres <le la comluune de Paris, dans l'inten-
tíon seule de perdre la Gironde. Le 31 mai, les
chefs d'émeute, accompagnés de Ieurs hordes,
parurenta laConvention et menacerentdemort
tons ceux qui nc reconnaltraient pas aussitót
les quatre déc~ets qu'ils lui présentaient l. Ver-
gniaud,ordinairemcntfaible etirrésolu, montra
alors une ¡ronie intempestive que Bertrand de
Molleville interprete faussement comme la-
cheté. Il voulut qn'on décrétat que les sans-
culottes avaient rendu d'éclatants services a la
patrie, et qu'on envoyat ce ~écret dans les dé-
partements.


Le comité de salut public ne se présenta
pas directemen L COlume allié de la populace;
pour sauver l'apparence et faire croire que
c'était la Convention et non le peuple qui don.
nait des Iois dans le royaume, iI affecta de


J Dans les propositions on avait su allier ,d'une maniere
adroite, l'intérét sordide de la plus vile populace a l'intérét
de Robespierre et de Danton. On demanda:


l° Qu'il ftit organisé une al'mée révolutionnaire, composée
d'indigents, qui restat a Paris, et dont chaque individu ellt
quarante sons par jour, que les riches paieraient.


2° Qu'on publiat un décret d'accusation contre la commis,:,
sion des douze et contre vingt-un autres députés.


3° Qu'on arrétat les ministres Lebrun et C!aviere.
4° Qu'on renvoyat de l'armée tous les officiers nobles.
5 ° Que le prix. du pain a ~.iiis et dans les départements fU t .


.fixé a tr.ojs souS. ,.




Ig8 HISTOIRE DU XVlIle Sl.ECLE.
proposer de son propre chef, au milieu des
troubles et des clameurs, quelques-unes des
lois que Henriot et son parti demandaient. Ce
fut encore Barere qui, ici comme partout
ailleurs, se chargea par bassesse d'un role
avilissant, celui d'appuyer ce projet par son
talent oratoire. Le décret que Barere proposa
couronnait l'reuvre; car, apres avoir dissous
la commission des douze, l'armée des sans-
culottes se trouvait payée par l'État, mais on
réclamait la mort des députés odieux. L'élo-
quence des Vergniaud et des Lanjuinais était
rlangereuse ; l'insurrection continua toujours.


11. Le 31 Mai n'ayallt pas eu les résultats que
fY' étaient promis et les implacables adversaires
de toute civilisation, et les amis de l'ancien
régime, qui exécutaient et fomentaient les
exces des Jacobins, Henriot reprit, le )er juin,
le cours de ses entreprises. La Convention
résista aussi tout ce jour avec fermeté. Le 2 ,
un dernier assaut décisif devait avoir lieu
eontre elle .. et, dans la nuit du ¡er au 2 juin,
on commen<;a a sonner le tocsin, a trois heures
du nlatin. Le comité de sureté demanda a
Henriot compte de ses actions, lnais celui-ci
savait de qui ii était l'instrument, et dans
quelle intention les membres énergiques de la




LI VUE 1 V, CHAPITR E IV. '99
Convention agissaient; il répondit done que le
peuple souverain s'était levé de llli-meme et
qu'íl ne s'apaiserait pas avant que les traltJ'es
ne fussent arretés l.


Toute l'entreprise était d'ailleurs eoncertée
avec les députés du parti contrair,e aux Gi-
rondins; ceux-ci súrent mener si bien les af ...
faires, que la séance de la Convention,ouverte
le I er a neuf heur~s du soir, etait levée a mi-
nnit. Lorsqu'on s'y rendit de nouveau, le len-
delnain matin , on trouva les portes de la salle
oecupées, et, au eommeneement des débats,


I Fonfrede rapporte bien ce fait; il l'éfute le l'écit menson-
gel' du misél'able Roux qui traite les députés de conspirateurs.
Fonfrede ne fut pas du nombre des vingt-deux proscrits, mais
de leurs soixante-treize amis qu' on arreta a cause de leurs
protestations. Il écrivit a aordeaux une leure quEi le comité
révolutionnaire intercepta: " Ce mouvement rapide, dit ~ il ,
que la Convention anit imprim~ depuis deux jours a ses tra-
vaux, son examen des registres d'une commune qui avait déja
vingt fois usurpé la puissance souveraine, présageait qu'il y
aurait un combat a outrance entre la nation et eette commune.
Le combat eut lieu. et ce fut la Convention qui succomba.
Hébert, dans une feuille du pe,'e Duclleslle , signée de lui,
osa, a ceHe époque, invite!' -le peup]e a égorger trois cents
de ses représentants. Le comité des douze le fit arreter; alors.
la commune arma tous les assassins qui lui étaient dévoués; ,
les trihunes furent remplies de ces satellites qui accablerent
les bons dépl1tés de mena ces et d' outrages. Guadet demande
justice, et Legendre le prend f: la gorge; le comité des douze
veut répondre , et 00 lui refuse la parole. Il n'y cut jamais de
Conyention ni dans la séallce du 31 mui, ni dans ceHe du,
:1 juin. Tout est perdu si on ne prend des mesures, ll}ais s.i
nous périssons , du moins soyez libres. ,.




:lOO: HISTOJRE DU XVlIle Sd~CLE.
OIl se vit au pouvoir de Henriot., Lanjuinais
s'éleva inutilement avec force contre les dé-
luagogues; il ne put obtenir de l'assemblée
qu' elle prit des mesures séveres contre la com~
mune, ~ontre Henriot et ses désordres. Les
conspirateul's hypocrites ehercherent alors,
d'une maniere infalne, a déeider les proscrits
a un dévouement généreux 1, et toute la Con-
vention quiua en vain solennellement la salle
ou on la tenait enferrnée. Les Girondins ref'u-
serent ave e lnépris ce qu'on Ieur demandait;
Iaderniere scene surtout outragea tous les
Fran~ais, paree que le eorps législatif et le
gouvernement d'une grande nation yavaient
été insulté s par la populace et ses chefs atroces.
Il ne fut permis a la Convention de se séparer


t Barere le pl'oposa au nom du comité de salut puhlic. Isnard
et Fouché l'approuverent, par~e que, disaient-ils, quand on
met dans la balance un homme et la patrie, c'est a la patrie que
l'homme pur doit se dévouer.


Barbaroux déclare que, comme interprete de la volonté du
peuple , il n'avait point de droits sur lui-meme.


Lanjuinais dit: o: N'attendez dC,moi llidémission, ui suspen-
sion (on murmure). J'ai vu des victimes ornées de fleurs qu' on
conduisait a l'autel ; le pretre les immolait, mais il ne les in-
sultait pas.» Alors Marat, qui était avee Legendre et Robes-
pierre a la tete des sections et dénonciateul' des vingt-deux ,
s'écrie: « Je désapprouve la mesure proposée par le comité,
paree q,u'il donne a des conspirateurs les honneurs du dévoue-
ment; il faut etre pur pour offrir des sacrifices a la patrie,
(~est a moi, martyr de la liberté, et j' offre ma suspension ...




LIVRE IV, CHAPITRE 1 V. 201


que lorsqu' elle eut agréé les demandes de la
lie du peuple, et qu'elle eut décrété une prison
domestique contre vingt-deux de ses membres,
et contre les ministres Lebrun et Claviere l.
Couthon, qui fut par la suite un des trilUU-
virs, avait proposé ce décret; la Convention ne
put se retirer qu'a dix heures du ~oir, lors-
qu'il eut été adopté.


Quelques-uns des hommes persécutés, aux-
quels on joignit les douze inspecteurs de la
salle, chercherent du secours et un refuge
dans leurs départements; d'autres trouverent,
parmi les. constitutionnels, une assistance qui
fournit a leurs ennemis le prétexte de les dé-
clarer hors la toi 2# Dans le département de


1 On demandait d'abord ~ingt-cinq victimes, mais Marat fit
excepter Lanthenas', qu'il appelait bon-homme, et sauva Dus-
sault; on excepta ensuite Saint-Martin, Ducos , Fonfrcde. Les
autres étaient: Gensonné, Vergniaud, Brissot, Guadet, Gor-
sas, Pétion, Salles, Chamhon, Barharoux, Buzot, Biroteau,
RaLaud, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lesage, Louvet,
Vallazé, Valady, Fonfrede, Doulcet de Pontécoulant. Les
douze inspecteurs de la salle étaient Kervélégau, Gardien, Lo"
monte, Boileau, Rabaut, Saínt - Étienne, Bertraud, Vigée,
Mollevaut, HenrÍ-Lariviere, Bergoíng, Dussault.


2 Des le 28 ,juillet, ceux des hommes poursuivis qui avaíent
pris la fuite, furent déclarés hors la loi ; on n'intenta le proces
aux autres qu'au mois d'oct()bre; la liste en avait été augmen-
tée de Carra, de Fauchet, de Sillery, de d'Orléans. On trouve
le proces ou ces républicains se lIlontrent tres-faibles, dans le
1I1oniteul', an II, nO 36, du 3 brumaire, supplément.


Un député du parti contraire comparait devallt le tribu--




202 HISTOIRE DU XV lIJe SIJ.;CL.E.


l'Eure, on se leva en leur faveur, et les consti-
tutionnels, cornrnandés par Wimpfen , mar-
cherent sur Paris. On les dispersa sans peine,
car person,!ed'entre euxne savaitpositivement
pour quelle cause il combattait. Lorsque
Charlotte Corday, animée par Barbaroux, et
exaltée p~r le fanatisme politique, eut assas-
siné Marat qui aurait mérité une toute autre
mort, les Danton, les Fouché, les Barere
surent en tirer un tres-grand partí. L"approche
des armées ennemies leur servit meme a ren-
dre suspect tout homme riche ou considéré , a
exciter ou a bouleverser toute la nation.


On organisa partout des sociétés nationales,
ou le plus hardi prit la parole, ainsi que. des
comités révolutionnaires qui, réunis au club
des Jacobins, firent bientot la loi a la Con-
vention. La municipalité de Paris, l'organe
de Robespierre, se constitua premiere magis-
tratnre de l'État. Elle avait pris, le 4 juillet,
le titre imposant de Conseil d'État révolution-
naire. Ori avait formé de ses membres un
comité chargé de tyranniser la Convention. Il
était done tont naturel que soixante-treize
amis des Girondins proscrits, attachés a leurs


nal sanguinaire eomme témoCn prétendu , mais a proprernent
parler , eorome accusateur.




LIVRE 1 V, eH API TRE IV. 203


prillcipes, déposassent secretement une pro-
testation contre tous les décrets futurs de la
Convention, puisqu'elle n'était plus libre.On
ne peut guere nier qu'un tel acte ne soit un
crime d'État. C'est ainsi que les Jacobins le ju-
gerent des qu'ils en furent informés; ils sai-
sirent cette occasion pour se débarrasser de
ces colIegues irnportuns et en firent arre ter
soixante-onze l.


La commune de Paris, ou plutot les hom-
mes qui connaissaient et qui dirigeaient les
ressorts des émeutes populaires, devinrent
a]ors tont puissants, et le club des Jacobins
adressa des décrets tout faits a ]a Convention
qui n'eut qu'a les approuver 2 • Le comité révo-
lutionnaire de la cornmune s' était chargé de
toutes les affaires secretes 3, surtout de l' es-


I Cela eut lieu le 3 octobre 1793; deux des soixante-treize
avaient péri; on voulait tous les voir mourÍr, lorsque Robes-
pi erre les sauva. On trouve la protestation des soixante-
onze dans le Moniteur, an IlI, 12 brumaire (2 novembre 1794),
nO 42, page 183. On y lit la note suivante : • Les trente-deux
proscrits, mis en arestation, partagent sans doute les m~me9
sentiments, mais aucun J'eux n'a souscrit la présente décla~
ration. "


2 Le Moniteul' rapporte, dans l'intér~t de l'histoire , les actes
de la comrnune de París et les débats des Jacohins a coté des
débats de la Convention.


3 Bailleul: • Au líeu de lois, ils prononcerent des arrets qui
déciderent qn'une partie de la population était patriote, et




204 HISTOIRE DU XVIIIC Sd~CLE.
pionnage des gens suspects ; il arretait '. pour-
suivait devant le tribunal, faisait les per-
quisitions et prenait des mesures inouies
jusqu'alors pour découvrir des opinions et des
discours imprudents.


De meme que la Convention renvoyait les
cauf,e,f, au comité de f,a\ut pUb\lc, de meme
la municipalité les adressait au comité révo-
lutionnaire, qui donna incollsidérément un
ordre par lequel la dignité de la nation fut
encore outragée dans ses représenta.nts. D'a-
pres ce décret, on arreta tout député qui
voulait s'éloigner de Paris. Ponr con soler la
nation de l'exclusion des soixante-treize et des
persé~utions qu'on faisait endurer a quarante-
quatre~e ses représentants, on accusa la Gi-
l'autre contre-révolutionnaire; la premiere fut chargée de' re-
couuaItre et de poursuivre la secollde; cette mesure n'attei-
gllait pas seulemellt les cOlltre-révolutiollnaires; elle mettait
tous les hommes paisibles a la disposition de tous les in-
trigans. La mesure de la sureté de chactlIl était dans les opi-
nions, les dispositions d'esprít ou les caJculs de son voisin. »


Tous les membres des comités odministratifs nous appren-
nent le mieux jusqu'a quel point cela alla. Réponsedes membres
des deux anciens comités de salut public el de súreté générale aux
imputations l'enollvelées contre eux par Laurent Lecointl'e . •... , a
París, I'an III de la république, page 86:« C'est au comité
qu'il faut imputerl'les pl'évarications qui peuvent avoir été
cOffimises p!lr vingt mille comités révolutionnaires qui étaient en
activité, c' est-a-dire par deux cellt cinquantc mille jOflctionnaires
publics! ..




J.IVRE IV, CHA.PITRE IV. 205 •


, ronde d)avoir empeché l'établissement d'une
constitution. On présenta ensuite, au bout de
quinze jours, le projet d'une constitution dé-
mocratique tout-a-fait singuliere l. La nation
l'accepta; et on la proclalna avec beaucoup
de pomp'e, le 10 aoút. On luí preta serm·ent,
mais elle ne fut pas mise a exécution; car elle
dépendait, ainsi que le choix des employés
publics, de la cOllvoeation des assemblées pri-
maires, qll' on ne eonvoqua jamais. On déclara


. positivement, et par llne loi formelle, le 28 ,
qu'on ne voulait pas de eonstitution en Franee,
pendant quelque temps, qu'elle resterait,
comme la loi s'exprime, ajournée et voilée. La
Franee, disait-op, restera dans l'etat de révo-
lution et soumise a pn gouvernement révolu-
tionnaire; jusqn'a ee,que toutes les puissanees
l'aient reeonnue eornme république indépen-
dante. Le farouche Saint-Just, qui voulait tont
rapporter a des principes phílosophiques,


IN ous allons-relever an hasard quelques articles de cette con-
stitution." Le corps législatifne constitue qn'une chambre, ré-
élue chaque année par les assemblées primaires : la commune
fait bien les lois, mais iI faut que les communes les acceptent.
Le pouvoir exécutif doit étre confié a un collége, dont les
membres représentent les départements; le corps législatif
choisit les membres, et la moitié est renouvelée tous les ans.
Il n'y a ni tribunaux ni procédures ; des juges-de-paix et des
arbitres décident de toutes les affaires. »




206 HISTOIRE DU XVIlle SLECLE.


donna ensuite un certain ordre a cette anar-
chie ':


Tant que le club des Cordeliers, présidé
par Danton, resta en harmonie parfaite avec
celui des Jacobins, et qu'ils reconnurent Ro-
besp~erre corome chef, rien de plus formida-
ble et, de plus analogue au temps ne pouvait
etre inventé que ce nouveau gouvernement,
pour mettre Ulle tout autre nation a la place
de l'ancienne. Mais pendant que ron arretait
partout l'instrnction, et qu'on ponrsuivait lés
hommes instruits, aussi bien que les riches,
on concentra, ponr ainsi dire, tout le gonver-
nement en deux comités, et tous les membres
de la Convention ne furent plus que de simples
instruments; on employa tous les hommes
qui, a la haine de l'ancien régime ou a un
amour ardent de la liberté, réunissaient la
perversité, la lacheté, l'amhition , ou la vanité.
Carnot, dans l'administration de la guerre;
Danton, partout ou iI s'agissait d'exterminer
des ancienspréjugés ou principes; Barere avec


x SaÍnt-J ust proposa, le 10 octobl'e ¡ 793 , le décret sur le
mode de gouvernement provÍsoire et révolutionnaire.


Moniteul', a11 11, nO 23, page 93 : le premier article est:
" Le gouvernement provisoire. de la France sera révolution- \
naire jusqu'a la paix.« Son organisation formelle ne fut termi.
llée que le 4 décembre 1793.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 207


sa rhétorique et ses phrases, eomme rappor-
tcur et organe du comité de salut public ;
Fouquier-Tainville, cOlnme aeeusateur public
da.~s un tribunal 1 tel quel'histoire ne nous
en a jamais présenté un semblable; et le mar-
quis d' Antonelle, comme président des jurés de
ce tribunal; tous étaient sortis des classes
élevées de l'ancien régime ! Ces derniers, aux-
que]s on en peut encore assimiler un grand
nombre d'autres, comme Fouché 2, soule-
verent la populace et les hommes cOl'roro-
pus de toute espece , impuissants et igno-
ran ts sans eux, con tre les riches , les nobles et
les gens éclaÍrés, pour réaliser la définition
que Mirabeau et Sieyes avaient dpnnée d'une
révolution. Il se forma alors une nouvelle gé-
nération; ce sont les Fraw;ais d'aujoud'hui ,
qui ne ressemblent nullement a ceux de la fin
du dix-huitielne siecle 3.


[ Les noms des juges et jurés des quatre sections du tribu-
nal criminel extraordinaire, séallt a París, se troDvent dans le
JIIlolliteur du 28 septell1bre 1793, page 1 157.


2 De ce nombre est l'affreux comte et marquis de Marihond.
Montaut , astre brillant dans la queuedc Rohespierre, qui, ac-
cusateur de sa swur et de sa propre mere j. les fit arréter, et
concluisit toute la COllvention a la guillotine, l'anniversaire de
l'exécution de Louis XVI. Parmi eux figurent encore ChOD-
dieu, Hérault-Séchelles, Souhrany, Peissard, etc.


3 Les principes en étaient a peu pres les suivants : Dix
hOll1mes, nOll1més par la Convention au nom dD peuple, dé-




:~o8 lUSTOlRE BU XV lIle SJ-ECLl~.
Cependant a Orléans et en Bretagne , OH S~


portait a toutes les horreurs, depuis que Léo-
nard Bourdon avait été blessé dans cette ville,
et que les Chouans s'étaient montrés chez les
Bretons. L'intéret qu'on prit a la Gironde, fit
naitre, a Lyon, une guerre civile entre les
riches et les pauvres. Dans la Vendée et dans
le département de la Loire-Inférieure, Car-
rier se livra a nlille atrocités. A Paris, l'assas-
sinat que décrétait le tribunal, obtint une
-forme légale l. Il y' avait des clubs dans tous
les quartiers; vingt milIe cOlnités révolution-
naires étaient organisés dans le royaume , et
Yenvie que les basses classes portaient aux
'classes supérieures fut fomentée partout avec


cident, sans restriction , de la vie, de la liberté et de la pro~
priété. Il Jeur est suhordonné un tribunal, sans formes, sans
procédures, sans défense de l'accusé et sans appe!. Des que les
dix ont parlé, tous partent pour l'armée, tous payent a l'État
ou a..l'armée les rétributions demandées; le refus est suivi de
la mort.


Aycc l'apparition des plénipotentiaires de la Convention,
toute autorité locale, toute loi cesse; l'ordre du commissaire
devient loi • et tous sont obligés de s'y conformer. Tout délit
est puni de mort; celui qu'onne peut exécuter par la loi, Tous
les ennemis du peuple méritent la mort, périt d'apres une autre
loi qui ordonne que tous les .suspects subissent la morf.


1 Il ya, dans la proposition des suspects du t 7 septembre,
les classes suivantes : l1obles, faljatiques , incl'édules, aventllriers,
étrangers, opulents, paUl'res, citadins, habitants des campagnes,
politiques, marchallds, banquiers I éloquents, indifférents, écri·
..,ains politiques, lcttré.\".




L 1 V R E 1 V , e Ii A P 1 T R E 1 V • 2°9
une ruse infernale l. Le gouvernement ne sem-
blait pas présenter de point central, ce qui
dura tant que l'insolent Danton partagea l'au-
torité; mais, des que Robespien'e régna seul,
iI développa clans le comité de salut public
une force révolutionnaire a laquelle tout céda,
paree que lui et Saint-Just ne respectaient et
ne redoutaient rien.


On ne recula ni devant la violence, ni de-
vant le meurtre.Cent députés de la Con-
vention ,envoyés en nlission, p'0rterent les
troubles de Paris dans toute la France, extir-
perent rancien régime, et inculquerentaux ar-
mées et au pe1,lple l'esprit des faubourgs de la
capitale; mais l' envieux Robespier.re était l'UIne
de toutes les entreprises 2. 00 estsurpris de


1 Réponse des membres de l' ancien comité de salut public dénon-
cés etc., page 91 : ti Mais le reproche qu'on leur faít est d"au-
tant plus injuste, que la rédaction de l'arreté des 4 et 6 ther-
midor ne permet pas de douter que ce n'était qn'une préeaution
prise, au moment de la erise qui allait éclater, pour entrer t!It
fulte avec les dictateurs sans qu'ils eussent sur nous d'Qlltres apall-
tages que l' excessive injluence que leul" dOllnait leul popula·rité. »


2 Bailleul, vol. Il, pages 2 20-~ 1 : «Robespierre, plein de
l'idée de sesperfeetions et de la hautimr de ses coneeptions ,
ne devait ressembler en rien aux autres révolutionnaires; ceux-
ci sentaient qu'ils faisaieut t~te a un orage, mais que la fievre
qui les agitait devait cesser avec sa cause; lui était calme et se
trouvait dans son élément; il voyait déja la vertu dans le
peuple; et tout ce qu'on abattait a droite, agauche, ne faisait
que conduire les eh oses a l'établissement de sa rvertu. Le sen~


1I. IJ. 14




~lO HlSTOIRF. DU XVIIlCl SIf:CLE.
·voir que cethomme, qui domina sur la France
e~ tyran, ne fut doué que d'un espr.it et d'une
capacité ordinaires; mais, si l' on ne peut lui ac-
cordel' ungFand talent, on ne peut non plus
lui trouver de grands vices. Il eut, sans doilte,
quelqu.e chose du caractere de Marat, mais
jamais on ne pourra lui reprocher tant de
eruauté. Désintéressé, dans un temps ou, par
le pillage et le meurtre, 011 rassemblait I des
biens pour les eomtes et les barons de l'em-
pire de Bonaparte, il était dévoré d'ambition,
et rien ne pouvait l'arreter dan s l'exécu~ion
de ses :projets. L'envie, eeHe furie qui le tour-


timent qui le dirigeait était done d'une nature bien autrement
fnneste que n'eut été l'hypocrisie; il se regardait comme un
étre privilégié , mis au monde pour étre le régenérateur, l'in-
stituteur des nations: de la cette séeurité, eette tenue dé-
eente,et ee quelque chose de -rnystérieux, que lui reeonnait
maaame de Stael. En regardant eomme ennemis de la révo-
lution non seulement les ennemis des príncipes consaerés, mais
les ennemis de la vertu, eorome il l'entendait, il donnait a
l'aetion révolutionnaire une .etendue indéunie , qui frappait
indistinetement sur toutes les classes de la soeiété; de la eette ter-
reur qu'il avait eréée dans la terreur ... Ce quiy ajoutait encore
était l'ardeur avee laquelle il poursuivait ce qu'il appelait les
ennemis du peuple, les bypoerites, les fri.pons, etc ...... Et
comme. tout ee monde-la attaquait la vertu, ils attaquaient
done le príncipe du gouvernement : e'étaient done des con-
spirateurs : par ce biais il se trouvait que. les trois quarts des
Fran'iais étnient en état de eonspiration .•


I Pendant la terreur le meurtre était a l'ordre du jour ,tan~
dis que sous le direetoire on _ se livrait au vol et a la rapine.




LIVIU~ IV, CHAPITRE IV. 211


mentait Sal1S cesse, ne lui laissa pas un instant
de repos jusqu'a ce qu'il eut renversé Danton
et son parti, ponr faire seulla loi. Danton ,
¡ndolent et entieremellt adonné a ses plaisirs,
sentant sa supériorité, le méprisa trop pour
organiser contre lui un systerne de résistance,
et iI tomba; ponr le honheur des Fran<;ais,
son sang justement répandll 6t entrevoir la
perte de Robespierre qui, sans cela, aurait
encore pu régller long-temps.


On ne saurait nier que le gouvern.enlellt
sanguinaire effectua de grandes choses dans
l'intérie!1r et contre I'ennemi du dehors; un
siecle ou le talent parvenait facilement aux
hOllueurs, ou tout était enthousiasme, ou la
carriere militaire paraissai t moins dangereuse
qlle la carriere politique, oú 1'0n voulait ra-
Inener le genre humain a l'état primitif de la
nature, devait naturellement etre plus riche
que tout autre en grandes actions; cependant
les vices et les crünes étaient hien plus com-
muns que les vertns. Nous parlerons dans un
autre endroit de la marche de la guerre; nous
remarquerons seulement ici que Toulon, ar-
raché de nouveau aux Anglais, fut saccagé
d'une maniere affreuse; que Maignet extermi-'
llait les hornmes en masse dans les départe-


11·




212 HlSTOIRE DU XVIll e SIECLE


ments des Bouches-dll-Rhone etde Vaucluse r;
que, pour rédllire Marseille sous le joug du
parti dominant, on seporta anxinemes cruautés
qu'on avait exercées a Lyon. La garnison de
Mayence, qui s'était retirée conformément a
une capitulation avec les Prussiens, fut em-
ployée avec succes depuis le nlois de juin dans
la Vendée ; et, lorsque la cruauté et la barbarie
du go{¡vernement étaient portées au plus haut
degré, les armées de la République rempor-
taient partout d'éclatantes victoires.


Rousseau, dont les écrits ne respiraient
que l'amour et le sentiment, devint alors la
cause de bien des crimes. Saint-Just et Robes-
pierre voulaient ramener de force la religion
et la civilisation a l' étatprimitif que ce phi-


I Maignet écrit a Couthon (Rap. des vingt - lln, pieces nO 41) .
• S'ilfallait exécuter,dans ces contrées, votredécretqui ordonne
la translation a Paris de tous les conspirateurs , il faudrait une
armée pour les conduire; des vivres sur ]a route en forme d'é-
tapes; car il faut vous di re que, dans ces deux départements, je
porte de douze a quinze mille hommes ceux qui out été arretés.


Il faudra faire une revue et prendre tous ceux qui uoivent
payer de leur tete leurs crimes, et comme ce choix ne peut se
faire que par jugement, iI faudrait tout amener a Paris. Tu
vois l' impossibilité, les dangers, les dépenses d'un tel voyage,
d'ailleurs il faut épouvanter, et lecoup n'est vraiment effrayant
qu'autant qu'il est porté sous les yeux de ceux qui ont vécu
avec les coupables ...


Le tribunal fut organisé, et on exécuta, dans la petite ville
d'Orange seule, trois cent quatre-vingts victimes, comme le dit
le bourreau dans son interrogatoire apl'es le 9 thermidor.




I.IVRE IV, CHAPIT,RE IV. 213


losophe avait imaginé dans ses reveries. La
science devait disparaitre avec la religion, le
luxe avec les richesses. Le monde trop eivilisé· .
étant une fois anéanti, un monde sans civi-
lisation devait renaitre sur ses ruines. C'était
la certainement l'opinion de Robespierre et
de Saint-Just; et le brigand Couthon, le der-
njer de ce beau triumvirat, s'appelait, en fai-
sant allusion a eette théorie, Aristide-Couthon.
L~s partisans de Dallton, ainsi que leur chef,
connaissaient trop bien le monde pour s'aban-
donner a des chimeres; iIs se moquaien t au con-
traire de ces idées qui Ieur facilitaientle crimc ..
J..,' exces de ces horreurs brouilla Robespierre
avec les compagnons des bacchallales de Dan-
ton. Celui-ci sentit ou allait la tyrannie, il erut
que l' audace avait été poussée assez loin, il aban-
donna ses arnis criminels, et employa la plume
deCamille contre l'horrible triumviraP. Robes-
pierre prévint l'attaque. Les royalistes, plus
outragés par les blasphemes, et les vices atroces
des ChaUlnette, des Hébert et autres, que par
un despotisme qui devait se détruire lui ..
meme, se joignirent a lui. Des hommes cornme


J Camille écrivit le Yieux CorJeliel'. Il eut la hardiesse de
dire qu'il était bien vrai qu'il avait vou)u une république,
mais une république de Cocagne.




:1 14 HISTOIRE DU XVI1Ie Sd:CLE.
Grégoire, amis de la religion et de l' ordre, se
l'éjouirent de ee qu'on allait mettre en fin un
t~rrne au seandale. Avant que Robespierre
s'engageat dans la lutte eontre Danton, tous
deux, eornme jadis les triurnvirs de Rome, se
saerifierent mutuellernent des institutions an-
eiennes, des établissements et des antagonistes.
I..les Dantonistes ~ la plupart partisans de Phi-
lippe d'Orléans, ennemis jurés de la reine, la
conduisirent., apres de longues souffranees.,
de la prison a l'éehafaud. Enfin, ils furent
obligés de sacrífier le duc d'Orléans a Robes-
pierre 1. L'affreux Hébert fut le premier du
partj,pllissaJlt de Danton qui se vit alors forcé
de céderaux véritables Jacobins 2 • Momoro et
Chaumette le suivi¡:ent' de preso Conjointe-
ment avec Clootz et autres de la meme espeee '.
ils avaient attaqué et injurié la religion, pen-
dant la terreur, saos que Robespierre et
Saint-Just, malgré leur dépit secret, eussent pu


1 Comme les Fastes de l'anarchie, tome I, page 311, citent,
dans cette occasion, leurs sources, les dernieres paroles du
duc d'Orléans rapportées dans la note sont, par différentes
raisons, toures dignes d'aUention.


2 Barere, toujours l'organe du parti dominant, alors l'in-
strument des Rohespierre, des Couthon et Saint-Just, dit, le
20 mars 1794 a la Convention, en parlant du journal de
Héhcrt : • Ce pere Ducltesne, qui, avec un langage brutal et
ordurier, corrompait l'opinion et la morale publique .•


Cependant deux mois avant il avait réuni tous ses suffrages.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. ~15
s'y opposer. On persécntait et OH assassinait
les pretres , on ferrnait les anciennes écolcs,
on abolissait le dimanchc; on pillait, on pro:-
fanai t les églises et les vases sacrés, enfin on
étejgnait dan s les eDfants les principes les plus
simples de la morale.


On vjt bientot él la Convention des pretres
laehes ou infamesdésavouer publiqllement
Dieu et leur foi; l'évequede Paris, OU plutot
l'homme 'qui en prenait le.titre, Gobel enfin,
gagné par l'appat d'un vil rilétal ~ leur en avait
donné l'exemple I, et venait de scandaliser,
par son athéisme, meme eeux qui 'se penmet-
taient toutes les horreurs. 'Apres- 'cessceiies
révoltantes, on ·travailblit encore a déraci.ne.r
systémat.iquement la morale el: "la religion.
Clootz precha devant les vi Ilageois !l., on eé-


J La misérable scene entre la Convention et Gobel, provo-
quée par les menées de Clootz, se trouve dans le Moniteur,
an II, nO 49, pages 198-199. Pour se faire une id,ée cOlllrnent
les hornmes, qui sont censé s avoir de bons sentiments. traitent
l'histoirt>, nous conseillons de. compar.er les Fastes de L.' allar-
chie, page 312, avec le ~loniteur, page 200. .


2 L'auteur de }' Bistoire de la conjllratio"r de llfaximilieTl Rn-
heo!pierre, 2 8 édition., a Paris, 1796, dit, page 129: 0:. An.a~
charsis Clootz était l'apotre de la secte qu'avait fondée Hébel't.
(J'ai vu des personnes qui ont entendu l~s paroles que nous
aUons citer). J'ai entendu ce Clootz, dans les villagt's voisins
de Paris , mettre tout en reuvre pour faire entrer dans les
creurs des habitants de campagne la doctrine homicide que
préchait Hébert dans ses feuilles .•




216 HISTOIRE DU XVllIe SJ.:ECLE.


lébra les fetes ridicules de la raison, et le li-
braire Momoro, parmi les autres atrocités
dont il se rendit coupable dans ses rnissions,
fit adorer 5a femme dans les égli.ses eorome
déesse de la raison.


Au milieu des exces de Clootz et de Chau-
mette, Robespierre ne put faire agréer clai-
J'emenfses principes de vertu I; Saint-Just 2 de-
vintinndele a Montesquieu et a Rousseau;
Vadier passa ses soixante °ans de vertu , eomme
iI les appelait lui-meme, parmi les hom-
mes les plus perverso Enfin, l'hypocrisie de
Couthon échoua contre le vice que l'impudent
Hébert affichait hautement 3. Aussi Danton,
ayant<pénétré la folie de ses partisans, se
vit-il contraitlt, ponr plaire aux Jacobins, de
seconder Robespierredans son aUaque contre
la civilisation. D'apres la théorie que Saint-Just
avait présentée d'une démocratie, les denrées
furent mises au plus hant prix : ce fut un
crime pour tout homme honnete de possé-


1 Le príncipe de Robespíerre était alors : .. Le ressort du
gouvernement populaire, daus la paix , est la vertu; le ressort
du gouvernement populaire, en révolution • est la vertu et la
terreur; la vertu san s laquelle la terreur est fnneste ; la terreur
sans laquelle la ver tu est impuissante .•


2 A1oniteur , an 11, nO 176, page 711, col. C.
3 Moniteur, an lI, nO 68" page 273.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 217


der de l'or et de l'argent; on abolít les acadé-
mies, oh changea le calendr!er, les noms des
mois et des jours, on éleva la guillotine dans
toute la Franct( , et Paris devint un cachot, un
tribunal sanguinaire et un théatre d'assassi-
nats l. En exécutant les accusés l'un apreso
l'autre, on affaiblissait trop lentement la po-
pulation; toute la Convention autorisa donc
les Carrier, les Lebon, les Couthon, les Fouché·
et leurs partisans, a traiter de l'extermination
du peuple par masses, et successivement sur
tous les points de la France. Les ordres furent
exécutés avec la derniere rigueur. La démence
de Clootz2 , le vandalisme de ChauIgette contre
les arts, les discours de l'agent national Hé-
bert qui reconnaissait le vice et le pillage
comme garants du patriotisme, et la barbarie
de Chaumette a la tete de la commune, ex-
dterent enfin l'envie de Robespierre, que SOlI-
vent meme ils ne consultaient pas, et leur
perte fut résolue.


Le but du tyran était de préparer la ruine
1 Lecointre : Les crimes de sept memores, etc., page 7 3 ,


.Pieces annexées au Rapport des 'Vingt-un, nO 1, page 106;
Bulletin des prisons présenté le 20 mai 1794 au conseil-géné-
ral de la commune.


2 Les ~thées Chaumette et Héhert, étaient des scélérats;
Clootz et ses partisans n' étaient que fanatisés pour les erreUl'S
qu'ils défendaient. Clootz avait l'éuni en un livre son maté.




2.8 I-IlSTOIRE nu XVIlle SIECLE.
de Danton et des autres Cordeliers; de ren"
verser Hébert 1 et Chaumette, pour mettre la
municipalité de Paris entierement au pouvoir
des Jacobins, enfin de regagner les hommes
integres mais craintifs, c'est-a-dire, la majo-
rité de la Convention.


Rohespierre changea de ton, il commen<;a
a precher contre les atrocités, et laissa suCcom-
ber les Bazire, les Chabot, les Carrier et au-
tres. Saint-Just 2 et lui furent les seuls qui ose-
rent défendre hautement la cause de la vertu
et de la divinité. I,es Clootz, les Chaumette ,
les Ronsin, les Momoro, les Maillard ,les Hé-'
hert, les Pache, par leurs bassesses et leurs
importunités 3, étaient trop dignes du, mépris


rialisme insensé, ,intitulé, Certitudfl des preuI'es du malwm4-,
ti·sme.


I Marat, Hébert, Fréron , ne durent leur importance qu'a
leurs feuilles périodiques. Mais le POUVOif d'Héhert était si
grand, que les deux comités réunis ne pouvaient le balancer,
et que Robespierre commell~ait a redouter la fin. Réponse des
membres des deu:6 allciens comités, etc., page 62.


:a Rohespierre dit, daos son discours contre Hébert, Clootz,
Momoro, JJfoniteur, an II, nO 66, page 66 : • Si la philoso-
phie peut attacher sa moralité a d'autres bases qu'a la reli-
gion , gardons-nous néanmoins de blesser cet instinct sacré et
ce sentiment universel des peuples. Quel est le génie qui puisse
en un instant remplacer,pal' ses inventions, 'celte grande idée
protectrice de l'onlre social et de toutes les vertus privées? lO


3 On ne put se débarrasser des iniportunltés de Clootz que
par la guillotine; il troublait meme , dans lescotllités diplotlla-
tiques, comme nous l'avons appris de Grégoire, les négocia,-




LIVR.E IV, CIIAPITRE IV. 219


et de la haine publique, pour que Danton s'at-
tachat a leur cause. Il les abandonna donc a
leur mauvaise fortune, et perdit avec eux son
soutien. Les royalistes se lignerent avec Ro-
bespierre contre Hébert et ses atroces corn-
pagnons avec d'autant plus de plaisir qu'en
attaquant Danton et Philippeaux, il ne faisait
que miner sa propre autorité. Westermann
offrit alors envaiu a l'indoIent Danton de le
défendre les armes a la main; ceJui-ci se
croyait tropau-dessus des Robespierre et des
Couthon pour les redouter.


Danton souffrit que Robespierre réfo¡rmat
a son gré la municipalité qui, jointe aux réu-
nions populaires des scélérats payés dans; les
sections .. et unie aux comités révolutionnaires ,
gouvernait la ville et la Convention, depuis
qu'il avait impliqué tous les chefs des CordeHers
dans la conspiration prétendue des étrangers.
Le 15 mars OH arreta Claatz, Mamara, Vince nt
et Ronsin; le lendemain l'affreux capucin
Chabot, et ses collegues Bazire, Fabre - d'E-
gIantine, Delaunay et Julien. Les premiers,
auxqueIs on ajouta encore dix-neuf victimes,.
tions les plus sérieuses, par ses réves d'une république univer-
selle. Comparez l'adresse, Anacltarsis Clootz au:¡; 6ans-cu/,Qttes
Batalles. Monit., an II, nO. 40, pago r63.




~20 HISTOIRE DU XVIII· SlECLE.
monterent le 24 sur l'échafaud, les autres
furent réservés jusqu'au jour ou tomba le re-
doutable Danton. Depuis long-temps on\avait
su l'éloigner, ainsi que ses partisans, du comité
de sureté, composé, depuis ce Inoment jus- ,
qu'au 9 thermidor, du meme décernvirat l.
Robespierre fonda ainsi son pouvoir absolu
sur la terreur générale 2. Le parti de Dantan
s'éleva alors inutilement, les Jacobills étaient
nombreux, et tellement considérés que per-
sonne d'entre eux, comnle nous l'avons remar-
qué plus haut, ne se 6.t recevoir au nombre des
Cordeliers, tandis que ceux-ci se rangerent
parmi les Jacobins.


Aussitot la scission découverte,. tous les


1 Depuis le 23 décembre 1793 jusqu'au 27 juillet 1794,
e'est- a -dire de frimaire jusqu'en thermidor de l'an II, les
membres principaux du comité étaient Maximilien Robes-
pierre. Barere, BilIaud-Varennes, Carnot, Collot-d'Herbois,
Prjeur, Lindet, Couthon, Saint-Just, Jean-Bon-Saint-André
et Vadier.


l Briex. dans une remontrance, avait appelé l'attention de
la Convention sur la tyrannie du comité de sureté: BiUaud-
Varennes, Barere, Robespierre se levent , et le dernier dit:
"Je pense done que la patrie est perdue, si le gou vernement ne
jouit pas d'une confiance illimitée, et s'íl n'est composé
d'hommes qui la méritent. J e demande que le comité de salut
public soit renouvelé .• (Non, non, s'écrie-t-on de nouveau
dans l'assemblée entiere.) Briex, épouvanté, révoque tout ce
qu'il a proposé, et ajoute : .. Je.déclare en outre que je ne me
erois pas assez de talents pour étre membre du comité de salut
public, ainsi je n'accepte point. »




/


LIVRE IV, CHAPITRE IV. 221


l'oyalistes et les lnembres de la Convention
qui étaient amis de la vraie liberté et de la
vraie religion, s'attacherent a Robespierre.
Tous les adversaires de l'athéisme et du mé-
pris des hommes 1, de Danton enfin, sorti-
rellt de leur léthargie et donnerent aux Jaco-
bins la supériorité. Le gendre meme, d'abord
ma telot, ensui te houcher, et alors un des mem-
bres principaux de la Convention, chercha en-
vain a élever la voix 2; son parti succomba, et
Danton, Camille Desmoulins, Lacroix, Philip-
peaux, furent conduits a I'échafaud dix jours
apres I'exécu6on de leurs alnis 3.


1 Camille De.~moul¡lls, questionné devant le tribunal révo-
lutionnaire sur son age et sa demeure, répond : J'ai l'Age du
sans ~ culotte Jésus , trente - trois ans. Danton. - 1\1a demeure
sera bientot le néant; quant a mon nom, vous le trouverez
écrit dans le panthéon de l'histoire. Hérault-Séchelles, ex-eon-
seiller du parlement. - J e m'appelle Marie-J ean, noms peu
saillants, meme parmi les saints. Je siégeais dans eette salle,
ou j'érais détesté des parIementaires.


:. V oyez le rapport de SaÍnt-J ust, dans le Moniteur, nO J 9 2 ,
an lI, ou il dit, page 777 : • I1 ya queIque chose de terrible
dans l'amour sacré de la patrie; il est tellement exclusif, qu'il
immole tout, sans pitié, sallS frayeur, sans re"spect bumain , a
l'intéret publico II Précipite ManIius, iI immole ses affections
privées, jI entraine Régulus a Carthage, j"ette un Romain dans
un abime , et met Marat au Panthéon victime de son dévoue-
mente


Dans un autre endroit il s'écrie : " Une révoIution est une
elltreprise héroique, dont les auteurs marchent entre la roue
et l'immortalité. »


3 Le décret d' arrestation qu' on nt servir ensuite comme acte




222 HISTOIRE DU XVlIle SIi~CLE.
On ne peut contester a ces hommes une


certaine espece de grandeur d'ame et un sen-
timent de supériorité sur les esprits serviles;
persuadés qu'ils avaient voulu affermir par les
maux du présent le bonheur de l'avenir, ils
croyaient que leurs crimes et leurs vices
étaient d'autre nature que les crimes cornmis
en des temps paisibles par des hommes peu
marquants, d'un esprit peu élevé et poul' un
hut ordinaire. Le sentiment de leur générosité
et la conviction que leurs persécuteurs et
leurs juges ne valaient pas mieux qu'eux,
remplirent Ieur ame de dépit contre Chabot
et Barere, qu' on leur avai t associés 1. lIs em-
harrasserent leurs juges sanguinaires pendant
I'interrogatoire, e~ citerent devant le tribunal,
-eomme témoins Oil plutot conlme amis et al-
liés, tous les luembres de la Convention aux-


J


d'accusation des membres des comités, est sans date et n'in-
dique pas le motif. Rapport des rvingt-un, pieces anllexées,
nO 70, page,224 : "Les comités de salut public et de su-
reté générale arretent que Danton, Lacroix, du départe-
'ment d'Eure-et- Loire, Camille - Desmoulins et Philippeaux,
tous membres de la Convention nationale, seront arretés et
conduits dans la maison d'arret du Luxembourg, pour y etre
gardés séparément et au secreto Charge au maire de Paris -de
remettre sur-le-champ le présent arreté a exécution. Suivent les
signatures.


1 Monit., an II, nO 195, p. 792. «Lacroix, eamille Dés-
moulins et autres ont témoigné·leur étonnement de se voir,
-di$aient-ils, ~ccolt>s ave e des fripons. "




LIVRE 1 V, CHAPITRE IV. 223


quels ils étaient étroitement liés et qui les on~
veugés dans la suite l. Pour abréger le proces
critique, Saint-Justse vitd'abordobligé deme-
nacer le redoutable Fouqu.ier-Tainvine, et de
lui donner ensuite, par une loi de la Conven-
tion, un pIein pouvoirdans ce nouveau meurtre
judiciaire 2. Les dernieres paroles de Danton


1 Rapport au nom de la commission des Vingt- un, etc. Pie~p:s
indiquées dans le rapport, ou servant a l' appui des faits qui
y sont développés; nO 71, page 245, leUre du président et de
l'accusateur public du tribunal révolutionnaire au sujet de la
demande faite par Danton el autres d'entendre des députés en
témoignage. Paris, ce 15 germinal de l'an deuxieme de la Ré-
publique fran~aise une et indivisible.


" Citoyens représentants, un orage horrible gronde depuis
que la séance est comn1encée; les accusés en forcenés récla-
ment l'audition a décharge des citoyens députés Simon, Cour-.
tois, Laignelot, F,réron, Panís, Ludot; Calon, Merlih de
Douay, Gossuio, Legelldre, Robert-Lindet, Robin , Goupil-
leau de Montaigu, Lecointre de Versailles, Brivat el Merlín
de Thionville. lis en appellent au peuple du refus qu'ils pré-
lendent éprouver; malgré la fermeté du président et du trihu-
nalentier, lellrs réclamations multipliée-s tr¿ublent la séance,
et ils annoneent hautement qu'ils ne se tairont puint que
Jeurs témoins ne soient elltendus. Sans un décret, nous ne
savons que faire; nous vous invitolls a nous tracer définitive-
ment notre regle de conduite sur cette réclamation , l'ordre
judiciaire ne nous fournissant aucun moyen de motiver c¡
refus. A. V. Fouquier et Herman, pl'ésident. J)


2 Ils furent exécutés le lendemain, le 5 avril 1794; cal'
Saint~Just avait obtenu l~ décret demandé par Fouquier, de
les mettre hors des déhats, par l'illfamie qu'il eut de présen-
ter a la Com'ention une fausse lettre, qu'ils s'étaient opposés
a la jnstice. Pieces indilJuées, etc., nO 72, page 246, Rapport
fait au nom des comités de sa/ut pulJlic et de szireté générale: .. L'ac-
cusateur public du tribunal révolutionnaire nous a mandé que




224 HISTOIRE DU XVIll e SlF.:CLE.


sur I'échafaud, son discours au peuple, et la
maniere dont jI mourut, montrent une grande
force de ·caractere, une connaissance pro-
fonde des hornrnes 1, et justifient entierernent
le choix de Mirabeau qui l'avait lancé dans la
vie publique. Il prédit aussi positivement a ses
assassins leur chute. Couthon, Saint-Just, Ro-
bespierre, formerent d'ailleurs, des ce moment,
un comité dans le comité meme , et dirigerent
seuls, avec la cruauté la plus révoltante, l'ad-
ministratjon intérieure. La commission de la
police générale qn'ils avaient inventée, plai-


la révolte des coupables avait fait suspendre les débats de la
justice, jusqu'il ce que la Convention nationale ait statué. Vous
avez échappé; etc. . • . . ',' vos comités estiment peu la vie ;
ils font cas de l'honneur. Peuple, tu triompheras; mais puiss~
cette expérience te faire aimer la révolution par le péril au-
quel elle expose tes amis! 11 était sans exemple que la justic~
ait été insultée ... Les malheureux, ils avouaient leurs crimes
en résistant aux Ioís; iI n'y a que des criminels que l'équité
terrible épouvante. Combien étaient-ils dangereux tous ceux
qui , sons des formes simples, cachaient leurs complots et
Ieur audace! En ce moment on compire dans les prisons en
le~r faveur, en ce moment l'aristocratie se remue; les lettres
qu'on va vous lire vous démontreront vos dangers .... »


C'était toujours un moyen efficace •.
1 Tais-toi, cria-t-il aux crieurs payés; il avait dit aupara-


vant: " Peuple ingrat, tu vois un vrai républicain; que mon
nom soit flétri, pourvu que la république s'établisse. » Un de
ses camarades de supplice youlait l'embrasser, Danton dit :
" Va, nos tetess'embrasseront dans le paniel'. Voyant deux
décapités :devant lui, en voilit déjit deux qui dorment le som-
meil du juste ...




LIVRE IV, CHAPITRE 1 v. ~25
sait d'autant plus él leurs collegues I qu'elle
leur donnait les moyens de se disculper. lIs I
prétendirent qu'ils signaient aveuglément l'un
pour l'autre, tandis que Robespierre., Couthon
et Saint-Just pouvaient seuls etre regardés
cornme lesauteurs du Ineurtre 2.


Les exécutions se muItipliaient tous les
jours; car iI fallait sacrifier comIne Dantonistes
un nouveau parti républicain et une foule de
brigands, de voleurs, d'assassins et de scélé-
rats audacieux de toute espece, qui aupara-
vant avaient rendu de tres-grands services. Le
nombre en montait a Paris seul a trente et
meme soixante par jour 3, et si les meurtres
et les désordres_cesserent él Lyon précisélnent
10rs de l' exécution de Danton, il ne faut pas
croire que ces deux circonstances dépendis-
sent l'une de l'autre 4. Dans ces condamnations


I Réponse des membres des deux anciens comités de salut public
et de sureté générale, a París, l'an JI!, pages 64-65.


2 C'est ainsi que les autres membres du comité eherchent
a se diseulper : Prieur, Moniteur, an In, nO 14, page 71 ,
col. e: • Je termine par un fait, c'est que toutes les délihéra-
tions du comité, autres que eelles cfui avaient rapport a la po-
lice générale, étaient prises a l'unanimité, et que les arrétés
n'en étaient signés que de Robespierre, Couthon et Saint-Just.
En dernier lieu, Saint-Just voulait nous les faire approuver,
mais nous refusames de le faire. »


3 On devait en massacrer un jour cent cinquante-huit,
lorsque Fouquier les divisa et les ut égorger en trois foís.


4 Le meurtre et la destructíon, sous ¡"ouché, Collot-d'Her-
H. Ir. 15




226 HISTOIRE DU XVlIlCl Sl:ECLE%


con ti n u elles , une exécution en nécessitait
toujours dix autres; il aurait fallu changer
toute la France en désert, pour réaliser l'état
de vertu que revait Robespierre, et l'état de
nature que Saint-Just empruntait a Rousseau.
~ant~n avait donc fU préd~re avec raison ~ue
bIentot ses enneOllS et meme la ConventIoIl
seraient écrasés. Robespierre, pour trouver
quelque appui pármi les honnetes gens, con-
tre les terroristes, qu'il avait mortellement of-
hois, Couthon, Laporte et vingt-quatre députés du club des
Jacobills, durerent du mois d'octobre 1793 jusqu'au 6 avril
'1794. Collot-d'Herbois dit, dans le Rapport des 'Vingl-un,
pieces anllexées, nO 46, page 214 : « Nous avons ranimé l'ac-
lion d'une justice républjcainc, c'est-a-dire prompte et terrible
comme la volonté du peuple : elle doit frapper les traittes
comme la foudre, et ne Jaisser que des cendres. En détruisant
une cité infame et rebelle, on consolide tontes les autres; en
faisant périr les scélérats, on assure ton tes les générations des
hommes libres: voila nos principes ! N ous démolissons a coups
de canon et avec explosion de la mine, autant qu'il est pos-
sible; mais tu sens bien qu'au mílieu d'une population de
cent cinquante milIe individus, ces moyens trouvent beaucoup
d'obstacles. La hache populaire faisait tomber vingt tétes de
conspirateurs chaque jour, et iJs n'en étaient pas effrayés ......
Soixante - quatre de ces conspil'ateurs ont été fusilIés hier au
méme eridroit 00. ils faisaient feu sur les patriotes; deux cent
trente vont tomber aujo"rd'hui, etc .• Numéro 49, Acllard
a Gravier: .. Encore des tétes, et chaque jour des tetes tom-
bent. Quel délice tu aurais gouté, si tu eusses vu avant- hier
cette justice nationale de deux cent neuf scélérats! Quelle ma-
jesté, quel ton imposant! tout édifiait. Combien de grands
coquins ont ce jour-Ia mordu la poussiere dans l'arene des
Brotteaux! Quel '2.iment pour la république! En voil:i cepen-
dant' déj:i plus de cinq cents; encore dcux fois autant y pas-
seront sims doute, et puis cta ira. 10




LIVRE IV, CHAPJTnE IV. '1.27


fensés en faisant exécuter Chaumette, Hébei·t,
Danton, et contre les républicains ardents,
qu'il avait irrités par la lnort dC1. Philippeadl
et de CamilleDesmoulins, chercha a rnettre en
avant la croyance en Dieu; rnais bien loin
d'y réussir, il creusa par la meme, son propre
tombeau. Rien dé plus apsurde que le décret
de l'existence de Dieu, .et surtout la série de
fetes qu'on voulait instituer. Rohespierre pa-
rut a la fete de l'Étre-supreme environné de
la pompe la plus ridicule x ; son discours ne
pouvait qu'exciter la pitié. Il n'était plus alors
en bonne intelligence avec les hornmes im-
portants de son parti. Tallien, l' orateur le
plus habile de la Convention ,avait été l'ami
du tyran jusqu'au moment ou on l'envoya
comme commissaire du meurtre a Bordeaux;
il sépara sa cause de ceHe de Robespierre de-
puis qu'il fut re~u dans l'intimité de la veuve
de Fontenay, fille du directeur d~ la banque
de Madrid 2. Fréron, qui se vantait toujours
~ llistoire de la conjuration de Robespierre, page 194: • Ro-


bespierre, vétu d'un habit bIeu, parut dans le Champ-d'e-
M.ars ,sur le sommet d'uDe espece de petit rocher, bAti avec
du pIatre. C'est de la, qu'agitaDt d'uDe main un bouquet, de
l'autre son chapeau, il iDvoqua l'Etre-Supreme.«


2 Le jacobin Duhem dit, IOl'sque le reg~e de madame Ca-
barrus était passé et qu'on. avait fermé le club, le 21 bru·
maire an IV : .. Tout cela a été combiné dans les houdoir"


1 5.




228 I1ISTOIRE DU XVIIle SIECLE.


de l'amitié de Marat, et qui avait travaillé
souvent pour lui a l'Ami du peuple, mais
~i devait bientot prendre un tout autre ton,
était rassasil de carnage. Legendre, ami de
Danton, que diverses raisons mettai~nt a l'abri
de toute attaque, n'attendait qu'une occasion
pour éclater. Fouché, Carnot, Bourdon, Mer-
lin, étaient exaspérés du role que jouait un
hOlnme qui leur était bien inférieur l. Barere,
de madame Cabarrus, dont le pere a établí la banque de Saint-
Charles, et voudrait régir nos finances; c'est ce quí fait atta-
quer'les meilleurs patriotes par Tallien. " .


1 Carnot, iI est vrai, présente l'affaire sous un autre point
de vue. mais en otant a ses paroles son ton d'apologie, on
retrouve le faít tel que nous le rapportons : Exposé de la con-
dúitepolitique de M. le lieutenant-généraICal'fWt, depuis le pre·
miel' j uilletI 8 J 4, Paris, 1 8 1 5 , pages 32 -33 , dans la note .....
• Tout cela n'aunonce pas qu'on meregard~t en France comme
complice de Robespierre. Toute la Convention savait au con-
traire que c'était mon plus .rnortel ennemí, et que la cause
de cette haine profonde était précisément que je ne voulaís
pas partager ses fureurs. On savait qu'il avait promis de faire
tomber ma tete aussitot qu'il n'aurait plus besoin de moí ;
tnais il se pressa trop de demander l'acte d'accusation de ses
ennemis, et ce fut la sienne qui tomba avec celle de Saint-
Just et de Couthon, que j'avais hautement désignés sous le
nom de triumvirat. Je dil'ai meme, a cette occasion, que Saint-
Just proposa un jour en ma présence, au comité, roon ex-
pulsion, corome on avait proposé, quelque temps auparavant,
ceHe de Hérault de Séchelles, ce qui I'avait aussitót mené a
l'échafaud. Je répondis froidemeut a Saint-Just qu'il sortirait
du comité avant moi, ainsÍ que tout le triumvirat, et le co-
mité frappé de stupeur garda le silence. D'autres personnes
auxquelles iI faut absolumen~ des coupables , ont dit que cette
inimitié personnelle de Robespierre contre moi n' étnit que
i'effet d'une rivalité oe doroination qu'il craignait de roa p!U'tj




LI V IU: 1 V, CIIA.P ITRE 1 v. 229


Collot d'Herbois, Billaud - Varennes ¡ ex ami ..
naient avec inquiétu<;le d'ou venait le vent
pour tendre lellrs voiles d'un autre coté. Rien
n'échappa aux triumvirs; car ils 4lvaient en-
touré d'espions tons ceux qui jouissaient de
quelque considération; ils résolurent de vouer
encore plnsieurs de leurs colleg~es a la mort"
et de n' épargner que les hommes lfiches et
faibles. Ils reconnurent hientot qu~ilsavaient
cette fois affaire a des ge~s qui Ieur étaiE~Q.t
égaux en hardiesse et en crime, et supérieurs
en ruse et en éloquence.


Fouché fit un signe a Tallien I , ils s'enten-


mais si Robespierre avait quelque rival a eraindre sous cerap~
port, ce n' étaít certainement pas moi. Chacun sait que, dans
ces temps orageux, il fallait, pour se mettre a latéte d'une
faction, ne pas quitter. les tribunes. des sociétés populaires ; or
je n'ai jamais mis le pied, a Paris au moins, dans. aucune so-
ciété populair.e; je n'ai jamais oc cupé les tribunes des assertl-
blées nationales que quand je n'ai pu faire autrement; et les
discours séveres que j'y ai toujours tenus étaient loin de ten-
dre él démoraliser le peuple. lO


1 Tallíen dit, Moniteur du 22 thermidor an 111, (9 aout.
1795), nO 32 7, page 1317: " Fouché était proscrit par Ro·
bespierre, paree qu'il avait contrarié a Lyon les mesureS
prises par Collot; Fouché démasqua Robespierre avec cou-
rage, et déclara que, dut sa té te tomber, il ferait conn,aitre
ce dictateur au peuple. Chaque jour Fouché venait nOus ren-
dre compte de ce <Juí se passait au comité de salut public , et
la veille du 9 thermidor, il nous dít : La division, dans le
comité, est complete, dernaÍn il faut trapper. Le {endemaln
le tyran n'était plus. Fouché, dans le méme temps, écrivit a.
5a sreur : Dans peu le tyran sera puuí; Robes:pierre n'a "plu~




230 HISTOIRE DU XVIlle SIECLE.


dirent avec Carnot et Barere, et bientot les
Jacobins' s'éleverent contre les Jacobins. Le
comité. de salut public était divisé depuis
long-temps. en trois partis. A la tete du pre-
mier se trouvait Robespierre maitrisé par la
passion de dominer; a la tete de l'autre Carnot,
guidé p~r une aversion profonde contrel' ancien
désordr~, par l'orgueil et l'ambition; Barere,
Collot d'Herbois et :aillaud-Varennes , hornmes
craintifs ou avides, adonnés aux débauches I,
formaient le dernier parti. Ce qui n'était d'a-


que quelques jOÍlrs a régner. Cette leure a été interceptée par
Bó, qui l'envoya a Robespierre .•


I Le Dantoniste Fréron, collegue de Barere, trace le ta-
bleau du rOle qu'il Joua pendant ~ terreur. Quoique l'article
s.uivant soittiré d'un journal partial, il porte néanmoins telle-
ment le cachet de la vérité, qu'on ne· saurait méconnaitre
Pbomme daos ce portrait. Orateur du peuple, du 15 bru-
maire, nO 26, page 205 : • Barere avait cédé cette virtuose a
Dupin, et Dupin a Barere la Demahy, courtisanne logée dans
un superbe hotel, rue de Richelieu. Ces deux belles, avec une
autre belle encore et plus jeune, étaieut les trois graces qui
embellissaient de leurs attraits les charmilles délicieuses a
l'ombre desquelles les premiers législateurs dressaient leurs
listes de prosCription .... Page 206 : Tous les matins l'autí.
chambre de Barere était remplie de solliciteurs avec des péti ..
tions a lamain, attendant l'heure de son heureux réveil. 11 se
présentait envelol)pé ·de la robe d'un sibarite, recueillait avec
les manieres et les graces d'un ministre petit .. maitre les placets
qu'on lui présentait, co·mmen~ant par les femmes, et distri.
Luant des galanteries aux plus jolies; iI prodiguait des pro-
messes et des protestations; iI rentr¡pt gaiement dans son cabi.
net, et, a l'exemple du honteux cardinal Dubois, il jetai~ au feu
la poignée de papiers qu"il venait de recueillir. "




L IVRE IV, eH--\. PITRE IV. ~31
bord que division devint hientot scission gé-
nérale. Fouché et Tal1ien s'allierent avec Le-
gendre et quelques autres intimes de Danton
ou admirateurs de l\iarat. Des qu'ils furent
certains qlle le décemvirat ne soutiendrait
pas leur attaque 1, ils donne~ent par de pe-
tites escarmouches le signal de la lutte géné-
raleo Fouché, alors président du club des Ja-
co bins, eut le 1 1 juin une tres-vive altercation
avec Robespierre; le lendemain Bourdon,
Lacroix et Tallien, autrefois les terroristes les
plus violents, en eurent une autre dan s la
Convention avec le comité de salllt public,


1 le ne saurais mieux dépeindre cette s"Cime qu'en citant les
paroles du proscrit Girondin Henri-Lariviere, quand iI rentra a la
Convention : '" L'anden comité de salut public a été composé
de trois partis. Dans le premier étaient Robespierre, Couthon
et Saint-Just; dans le second, Barere, Collot et Billaud; dans le
troisieme, Prieur de la Marne. (Plusieurs 'Voix.-Et Jean·Bon-
Saint-André!) a.qu'il ne s'est agi que d'aller au but qu ils
aspiraicnt tous Z'Jf' massacre des citoyens et l' envahissement
des fortunes., ijs,.ont été d'accord; mais lorsqu'il a .fallu par-
tuger la proie ~'Robespierre, le plus ambiti~ux d'entre eux, a
voulu se réserver le supréme pouvoir et les dominer tous; la
division s'est étahlie; ils ont lllutuellement chel'ché a se per-
dre pour s'attrihuer la part de celui qui succomberait. Ceux
qui restent (il le dit le aS mai 1795) ont été les plus heu-
reux; ils ont survécu , mais ils n' en sont pas moins coupables.
II n' est pas un endroit sur la terre ou ils puissent se retirer en
paix; partout ils seront sans cesse effrayés par les cris ter-
ribles de la vengeance, qui retentissent au fond de leurs ames,
partout ils seront déchirés par les remords, partout ils seront
inondés du sang des victimes qu'ils ont impitoyablement égor-
gées , el des larmes de ceux qui les pleurent. JI




232 HISTOJ RE DU X VJ n e Sdi:CLE.


lorsqu'on y proposa la nouvelle organisation
d'un tribunal criminel plus imposant. Celui
qui examine les discours prononcés a cette
occasion, prévoit sans peine quJun des deux
partis devait succomber l.


Le lacheRobespierre comptaencoretrop sur
le club qui venait d'expulser tous ses adversai-
res, sur les sections, sur la populace et sur la
municipalité. Le meme jour (23 prairial) qu'il
attaqua Fouché dans le club des Jacobins, il
quitta formellement le comité de salut public,
on plutot il cessa d'y travailler conjointement
avec ses collegues. La cause en fut une dis-
pute avec Carnot; celui-ci, extremement ja-
loux de son autorité absolue dan s le nlinis-
tere de la guerre, eut une discussion violente
avec Saint-Just, au sujet de l'administration nü-


1 C'est ce que nous voyons a l'évideneeAs la séance des
Jaeobins, du 23 prairial, et ceHe de la Convll!on du 24. Dans
la derniere (du 12 juin 1794), Moniteu1' ~ 1I, nO 266,
p. 1084, Bourdon dit : «Est-ce etre eontre-révolutionnaire? Le
comité de salut publie me reproche mon discoUl's d'hier , et,
en me donnallt eette mercuriale, iI me dit que je parle comme
Pitt et Cobourg. Si, en lui répondant, j'usais de la méme
liberté, ou en serions-nous ? »


Lorsque Tallien a rapporté, page 1085, eombien on était
entouré d'espiolls, Robespiel'l'e prend la parole: " Le fait est
faux; mais un fait vrai, e' est que Tallien est un de ceux quí
parlent sans cesse de la guillotineavec effroi et publiquement,
comme d'une chost qui le regarde, puur avilir et troubler la
€onvention nationale. TaUien. - Il ne fut ras du tout questiou
des yin-~t mille espions. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 233
litaire. Les autres membres tenterent en vain
de rappeler a la modération le dernier qui se
brouilla entierement avec eux l. Le lendemain
Saint-Just, tenant Robespierre par la main 2,
parut dan s le comité, mais il trouva tpus les
membres mal disposés contre lui et son défen-
seur. Il en résulta une scission. Robespierre se
déclara contre ses collegues 3 , contre les rap-
ports de victoire qu'avait composés Barere 4, et
contre les partisans de Carnot, placés comme
comrnissaires de Ja Convention aux armées.
Robespierre dirigea des-Iors les exécutions de


t Réponse dr.s membres, page 103 et suiv. : « Dans le com-
mencement du mois de floréal, dans une séance du soir, iI
s'éleva brusquement une querelle tres-vive eiltre Saint-Just et
Carnot, au sujet de l'administration des armes portatives ;dont ,
Carnot n'etait pas chargé ... Dans eette querelle, faite inopiné-
ment par Saint - Just , on vit clairement son imt qui était d'at-
taquer les memhres du comité qui s'occupaient des armes,
et de perdre leurs coopérateurs ..•. Au milieu desinculpations
les plus vagues et des expressions les plus atroces, proférées
par Saint-Just, Carnot fut ohligé de les repousser en le trai-
tant lui et ses amis d'aspirer it la dictature et d'attaquer suc-
cessivement tous les patrio tes ,pour rester seul et s' emparer du
pou'voir supreme avec ses partisans. .. .


:1 Tiens, les voilit, mes amis; voilil ceux que tu as attaqués
hiero (Notes, page 105.)


3 Ses expréssions favorites étaiént : • Tout est perdu, il n'y
a plus de ressources : je ne vois plus personne po u!' la sauver ,
s'écriait-il toujours. lO (Notes, ¡bid.)


4 Il nous paraissait poursuivi par ses victoires comme par
des furies, et souvent il a reproché au rapporteur du comité
la longueur et l'exaltationde ses rapports sur les triomphes
des armées. ( Notes, ¡hid.)




~34 HISTOIItE DU XVIUG Sd:CLE.
chez lui, ou il se faisait porter les actes 1 , et
bientot il eut recours a ses mesures ordinaires.
Dans le courant des quatre déc~des, ou il ne
visita le comité que quelques ~~stants, il dé-
clara positivement au club des Jacobins qu'il
y avait une mésintelli,en~e entre l~s m~mbres
des ~omités, parla d'une conspiration 2, et son
a~i Henriot n'atteq~it qu'un signal pour re-
nouveler la scene du 31 ~uai 1793, clans la
Convention et aux environs.


On n'a qu'ft nommer quelques-uns de ces


s Dans la Réponse des membres des deux ancleTu comités, etc. ,
page 94, ceux-ci répondent au reproche que, pendant l'ab-
senee de Robespierre du comité, il Y a un plus grand nombre
d'exécutions,: • C'étai, le pro,duít inévitable de la loi du 23
prairial, qui n'était pas ~ouvrage d~sc(mlités;.e'était le but
effroyable que se· pr<>posaient sans doute les au,teul"s de ce
décret de multiplier les exécutions depuis cette époque; maís
cela doit beaucoup moins étonner, paree que Robespierre t
fuyant les séances du comité pendant les quatre décades t il
avait plus de temps pour se livrer, avec les juges du tribunal
ses complices, a son naturel féroce, ombrageux et sanguinaire:
Robespierre, s'étant constitué pendant le mois de messidor en
état de 'guerre constante avec les comités, ne s'occupait que
des moyens d'accélérer le sncces de la conspiration, de vio-
lenter l' opinion publique, d' exaspérer les esprits , de terrifier
les citoyens, et amener une erise si forte, que, pendant r ol'age
de la fermentation, il pul parvenir a concerter avee la com-
mune et la force armée un 3 1 mai ...


2 Le 1 3 thermidor, Robespierre termine ainsi u~ de. sea
discours au club des Jacobins: • Si ron me for'iait de r~~on­
cer a lUle part.ie des foneti<n1s dont je me &uis chargé , il me
resterait encore !Da qualité de représe.o.tant du peuple, el jo
ferais une gu~rre a mort aux tyrans et. aux conspirateurs. •


.




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 235
gens, auxquels Rohespierre et son parti
avaient a faire, p9ur prévoir qu'une tOtlt~


. autre lutte que celle d~ 31; mai les attendai,t.
lIs avaient contre eux Legendre, homme ro-
bus te , souteriu par un parti puissant, éller-
gique dans son éloquence vulgaire, arrqg~nt
comrne Danton; Merlin, entierement-dév~~~
aux Jacobins, d'une force remarquaple et en
intimité avec ¡alIien; ce dernie~ étai,t élbquent,
Thuriot intrépi~e, et Fouché astucieux. On
en vc;>ulait d'ailleurs cette. fois a Carnot, a Du-


. -


bois-Crancé et a Fouché, qui s'étaient plus
que personne élevés avec la révolution. On
triornpha facHernent au club des Jacobins, ou
ron fit d'é\bord le pro~~~ a F~~~lté. qU~':f~t
exclu avaIlt {l'elre cité devant la Conveútion.
Ici on t~urna l~ premier~Jl~t3:que s~ l'ivrogne
Duboís-Crancé; iI fut aecusé au Dom des jaco-
bins, le 7 thermidor (25 jllillet 1794), par un
orateur qui annonc;ait une nouvelle cODspira-
tio~ l. Les adversaires de Rohespierre 0ppo-


1 Réponse des memhres des de1,l~ 'f1l.cicns comitis , etc., p. 45 :
.. La conjuration, <l:écouverte ~e9, tb~JP,.d.Qr, npus prouve la·
distribution des róles d~ cette scene moce et contre-révolu'l'
tionnaire, préparée par tant de ie~reure~ d' artifice. L~ maire
et les officiers mumcipaux cherchaient a égarer les se~tions ,.
Dumas et Coffh¡hal s'occ~paien~;4 ~sanglantel'larobe sac,ée:
d~ la justice; Henriot, Dufresn~ et La~allette auraie~t ét~
chargés q.'entourer la ConventWn nationale; Le~as, ~aipt~
Just, Coutlion et Robespierre áuraient dénoncé les Dl.embr;es




236 HJSTOIRE DU xv JIJe SlECLE.
seren t Ieur tactique a la sienne. Dubois ob-
tintde la Convention qu'on renverrait sa
cause aux co~ités chargés de fair-e 'un, rap-
port, en trois jours, ce 'qui montra évidem-
ment combien Dubois - Crancé était persuadé
que l~ niajorité des comités u' obéissait pIusau
triumvir~t) 'auteur de ~on accnsátion.


'Robespierre devina l'intention de ses enne-
mis. Pour les prévenir, il compqsa un de ces
disconrs adroits, danS lesquels il avait l'habi-
tude de se van ter lui-memeet de préparer les
espritsade nouveaux assassinats. Saint-Just de-
vait tire un rapport au nom de la commission
de p.olice.'Tous les' deux échquerent. Robes-
pie~¡'e ne put: l'emporter par so~ discpurs , il
eu't ponr la premiere fo'is, le 8: therrilidor, la
majorité des voix coatre lu~. J..es colIegues de
Saint-Júst dans le comité de salut public de-
vaie~t le, forcer de ·leur co~muniquer son
de l'a!Ís~mblée qui i~ur auraient fait ombrage , et auraient as-
sassiné ainsi la représentation nationale et la liherté publique
avec le secours de cette commune , dont la conspiration perma-
nente avait massacre les détenus le s septembre, avait porté
la teÍ'teur dans tous les départements pat des arre tés imprimés
et4es commissaires factÍeux, avai~ rivalisé cent foÍs l'autorité
de 1aConvention nationale, avait réveillé le fanatisme par les
temples de la raison, avait fait centupler les détentions arbi-
traires " avait tenté en vain de rallier les comités révolution-
naires a son conseil- général ,et qui méditait sans cesse l' en-


'vahissement des pouvoirs nationaux e\ la dissolution de la
représentation du peuple. .. .




LIVRE IV, CHAPITRE IV. j,37
rapport avant de le lire a la Co'nvention. On
vit, le 26 juillet, combien ces affreux trium-
virs étaient encore a redouterpeu d'jnstants
avant ]eur chute, puisqu'on décréta, sur la
proposit~n de Couthon, l'impression du dis-
cours' calomniateur de llobespierre, , et que le
lache Barere y donna son assentiment l. Cette
proposition adoptée, les adversaires des trium-
virs reconnurentqu'il s'agissáit dé vaincre ou
de mo~rir. Cambon, BHlaud-Varennes, Pan,is,
Charlier, Fouché, s'éleverent et avec eux toute
la troupeinfáme des sophistes.Deleurnom:br~
fut Amar, autre Barere pour faire des phra-:-
ses pompeuses et des périodes arrontlies,
possédant plus _ que celui-ci. J}ne dialectique
pour ainsi dire infernale.


Barere, remarquant que bientot les affaires'
allaient changer de face, vota contr'e Conthon,
dont ilavait appuyé le premie.,rapport. On
proposa d'envoyer dans les départements le
discours dont l'impression avait été résoiu~.


1 Barere possédait le style qui persuade la multitude , paree
qu'il n'est pas náturel; il ne se montre sous sa propre forme,
comme paisible bomme d'affaires, que depuis 1789 jusqu'en
1790, et ensuite en 1815, ou iI Cut nommé député pen-
dant les cent jours; partout ailleurs iI rot l'organe du parti
dominant : accusé ensuite, un des soixante-treize dit avee rai-
son qu'il fallait l'envoyer a,ux enfers pour y tailler sesear-
magnoles.




:138 BISTOIRE Dl1 XVlllt SltCLE.
Cette demande fut rejetée, et le diseours mema
adresséaux comités pour etre examiné. C'était
trop pour R0bespierre, il sorti t éeuman t de rage
de la Convention " et se rendit en toute hate
ati club des Jacobins. Les comités dq. gouver-
nemeilt avaient droit de redouter les décrets
des jacobins , ils envoyerent done deux de
leurs inembres, Collot et BilJaud, pour épier


. leuts démarches 1; ils apprir"ent que le lende-
main on ferait jouer contre eux toutes les me-
sures de la demagogie 2. Saint-Just venait de
mettre son ~apport en sureté, il passa cepen-
dant toute la nuit dans les comités pour arre-
ter les mesures qu'on aurait 'pu (prendre, et
ne se déroba aux poursuites qúe le 9 thermi-
dor a cinq heures du matin. Depuis six heures
jusqu'a midi les comités chercherent a pré-
par~r une réaction pour conjurer l'orage qui
les meÍla<;ai~, lorsqu'ils re<;urent a midi un


E 7l.éponse des memhres des deux anciens comités de sa/ut pub/ie
-etde súreté générale. (Notes, page 107,)


2 'Ún trouve mieux ces particularités dans Toulonceon, t.lV,
páges 3,6-77, que dans les Deux amis de la liherté; et Pages,
tomé il, page 200. Beaulieu, Essais historiqueJ tome V, ellt
partial ainsi que Bertran-d ,de Molleville.


3 Réponse,. idem, page 100: • On arr~ta le projet de fáire
destituer par la Convention les chefs 6e la force publique, et
de les faire mettre en état d'arrestation; de dénoncer les faits
l'eprochés a Saint-Just, Robespierre et Couthon, et de pré-
parer une proc1amation pour prévenir les événements qui




LIVRE IV, CHAPITRl!: IV. ~39
billet de Saint-Jti st, qui leur apprit qu'il avait
profité d'un moment ou la Convention était
peu nombreuse pour monter a la tribune ~
pour lire le rapport d'une nouvélle conspira-
tioD x. Mais Saint-J ust avait a peine commencé
sous de funestes auspices la lectura de la rela-
tion de mort, qu'il vit, meme avant que les co-
mités parussent dans la salle, la Conventi'onen


pourraient survenir dans de telles circonstances; a six heures
du matin le 9, le rapportellt prépara le travail pour rorga-
nisation dé la gai'de riationale, pour l'arrestation des chefs, et
ñt le projet de proclamation. Vers les dix heures, époque in-
diquée par Saint-Just pour lire ses rapports, les divers mem-
hres des deux comités se réunissent et déliberent en raUen-
dant, sur la proclamation, sur Benriot et ses complices. La
discussion se faisait lorsque Couthon entre et demande, d'un
air assez troublé, El connaitre le sujet de la délibération; lors-
qu'on le luí expose, il- dit qoe noUS anons fáire la contre-ré-


-volution et que e'est lit le moyeri dé PN5duire u'n: mouvement
terrible dans Paris: qu'Henriot lui a paro un horí patriote; le
comité entier se Jeve contre Couthon, et délibere l'accusation
des chefs de la garde nationale et la proclamatiqn. Couthon
attaque alors Carnot personnellement et lui dit des. paroles
outrageantes. Je savais bien, lui dit-il, que tu étais le plus
méchant des hommes - .. Et toi 1 le plus traitre, lui répond
Carnot ••


I Réponse, ídem. 11 était midi, un buissier de la Convention -
vient noos avertir que Saint-Just esl a la tribu ne. 11 porte en
méme temps une lettre de ce député-, con'sue en ces termes:
«L'injustice a fermé mon creur, je vais l'ouvrir tout entier i
la Convention nationale.» On veut garder la leure, Couthonla
déchire. Rhul, indigné, se leve, et dit : • alIons démasquer ces
scélérats, 011 presenter nos tétes a la ConventioD .• No,us nous
rendons aussitot a l'ássemblée, oil chacun de nous remplii SOQ
devoir civique, lorsque la Convention terrasse le triumvirat.




240 HISTOIRE I>U XVIIIe SI:ECLE.


guerre ouverte avec les Jacobins. L'impudence
du club alla jusqu'au point d'envoyer ,,"ses
horribles émissaires dans la Convention et au
milieu dés députés. Billaud-Varennes saisit de
sa propre main un de ces espions 'et le ,mit a
la porte aux accIamations de tous les dépu-
té~ 1, il se tournaensuite vers la tribune, in-
terrompit Saint-Just 2 ; Lebas, Robespierre et
Couthon s' efforcerent en vain d' obtenir de nou-
veau la parole pour leur rapporteur ou de la
prendre eux-memes. Le président agita conti-
nuellement la sonnette contre les tyrans, et
le mot, si souvent employé par leurs créatures:
« Tu n'as pas'la parole? »joint aux cris perpé-


.. i Hier, eommence Billaud-Varennes, lasociétéde$ Jacobins
était remplie d'homll1es apostés, puisqu'aucún n'avait decarte.
Hieron a développé, dans cette société, le plan d' égorger la Con-
vention nationale (il s'éleve un mouvement d'horreur); bier
j'y ai vu des hommes qui vomissai~nt ouvertement les infamies
les plus atroces contre ceux qui n'ont jamais dévié de, la ré-
volution. Je vois sur la montagne un de ces hommes qui me-
na<;ait les- représentants du peuple. Le voilit (de toutes parts
on s'écrie, arretez, al'l'etez!) » L'individu est saisi et entrainé
hors de la salle au mílieu des plus vifs applaudissements .


.. 2 Je m'étonne, s'écrie-t-il, de voir Saint.Just a la tríhune,
apres ce qui s'est passé,: il avait promis aux deux comités de
Icur soumettre son discours ,avant de le lire a la Convention,
et m~me de le supprímer, s'illeur semhlait danger~ux. L'as-
semblée jugerait mal ~es événements si elle se dissimulait
qu'elle est entre deux égorgem.ents. Elle périra si elle est
faible~ (Non, non, s'écrient tous les membres·, .en se levaut
a la fois et agitant leurs chapeaux.) JI




t


LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 241


tuels : « A bas le tyran » étoufferent la voix de
Rohespierre. Tallien s'éleva alors avec une élo-
quence triomphante contre les tyrans: Barere,
jusque la n'avait fait que par l'ordre des
triumvirs des rapp~rts de mort et des procla-
mations de victoires 1, mais enfln il présentá
un rapport :in llom du comité de sala': publico
11 proposa de réforlner l'Qrganisation de lapo-
pulace armée,. qti' on avait I silbstituée aüx
vérjtables gardesnatjonales de PaHs, et de dé,;,
trúire ainsi le pouvoir d'Henriot, comman-
dant-général de ce rehut salarié, sur lequel
comptait Robespierre 2. AussitO:t la proposi-
tion adoptée, Barere présente Une proclama-
tion violente da.us, laqqeUE}' oh 'instruisait ·le
peuple ,du danger qúe laJpátrl~ etJnrait , e.t~oú
ún le provoquait a lá veilgeance contre la' die.:.
tature qu'on voulait lui imposer 3.


y Conformément au plan concel,té, que1qucs voix appelaient
tou j ours Barere, Barere, en. tre les eí'is; a ¿iiS le Íjlán. '


;a 10 Tous grades supérieurs a celui de chef de légio~, son~
$uppriniés. La garde nationale repreiulra sa p1'!!miere orga~i­
sation ; ~ conséquence , chaque chef dé ]~gi.il cOrrím-andéra i
son tour; ~o lemIlÍl:e,d • .l~aris e~ ~ag6Ilt¡~3:tÍQnal, qui Sera!!ll
tOlJr de éórrimandbr 'ía ~r(1e rialÍo"nale ~ véiHci'ont :l' la "sureté
de la repl'ésentation nationale; ils,répondmnt Sur leur té.te de
tous· les troubles qui pourraient sUl'venir a Paris; le présent
déeret sera el1voyé sur-Ie-champ" au) maire 'deP'áris~ j .. '
. 3'MoniteuI',an,U,uo 3 Io,'páge fl .7°, col. a;ia pí'oclalÍlatidÁ
.eommence aUis¡ :. ... Le.tl'á\1'án.,¿ a8'lá Coíiveótiort-' SOnts'téíln:~!I,
le courage des arrnéea deviem nu), si le~ cit.oyens· 'fran~ilis


H. 11. J6




\


242 HISTOIRE DU XVIlle Slj.~CLE.
CeUe proclamation ayant été approuvée, il


s'éleva dans la Conventiondu bruitet du hl~
multe, imoge6dele de l'anarchie. Toutle Inonde
crjait contre R?bespierl'e et s.es partisans , et
on ne Iaissa pas menle les injuriés et accusés
se déf~ndre. Le président ne leur accorda pas la
parole, les Dantonistes exhalerent leurfureur;
Robespierre prononc;a les plus grands blasphe-
mes, et, a11 milieu du trouble, son arrestation
ainsi que celle de son frere , de Couthon, de Le-
bas,de Saint-Just,etla permanencedelaséance
furent décrétées et exécutées sur~le,..chalnp.


Le savonnier Wilstrich, plus attaché 'a la
comD)U~~ ~t. aux Jacobins qu'á la Convention,
était comnü~saire ·t!e.P9lice dans la prison ou
ron condtlisit les triuinvirscontre le vceu des
comités. n refusa d'admettre Robespierre, l'en-


o voy a a la commune , ou ses amis et la muni~
cipalité raccueillirent avec allégresse. Celle-ci,
comptant sur Robespierre et ~es Jacobins, se
déclara dégagée dn devoir d' obéir a la Conven-
tion. Henriot rassembla ses cohorte& patriotes
de 1789, -les fédérés- de la sodété fra térn elle des
Septembriseurs prirent les armes, et Dleme le


. ,


mettent en' Palance ,quelques hommes et la patrie. Des pas-
Si9B:Spersonnelles ont usurpé:la place dubien.public, quelques
ch~ de -la force armée semblaient meoacer l'autorité natío-
nale, etc. ~




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 243
département offrit son seconrs. Si on l1~vait.·
en affaire qu'a de bons citoyens comme a&-
trefois , Robespierre aurait sans doute encore
triomphé; mais les partisans de DaQton et de
Marat étaient ~Qntre lui; les 'premiers, paree
qu'ils voulaient venger la mort de leur chef;,
les autres, paree que les anciens con~deDts de:
Marat travailIaient el· renverset' Robespierre r,:
pour s'élever sur ses r1.iines~ Les qua~tíersile
laville habités par d'honnetes gens oftri'"
rent leurs services 'a la Convention. Les som..,
mes qu'il faIlait a Rohespierre el" a Saint-Just,
pour gagn'er les faubourgs, les etDpechaien~
de s'enrichir; ils manqu.aient en ;outre .de
courage et de talent, ils s1JccOmbe~eIit,dooé
des qu'ilfurent abandonnés de leur~' vQH4'~nts
défenseurs. .. .


La Convention avait fait arreter fe maire;
le président du comité révolutionnaire el' son
représentant, ainsi que Henriot;· inals' ¡es


ro Collot-d'Herbois dit : • A la féte funilbre de Marat'\ Ro-
bespl~rre par~a long-temps. a latribune, que ron 8"fait dI'~s$ée
devant lé Luxembourg, et lenom de Manit -iu~ 'sartit paS';1i~
seule foÍs de sa houche~ Le pe1lplepe1lt .. ireroi~qu'dIÍaiftle .
Marat, lorsqu' on déclare avec hllmeur qu'on neYedtpá,,'hn
~re assimilé. Non, ils avaient he8:U~- ces hy'pO'crites ,'parler
sans cesse de Marat, de Charlicr; i1.s n'aimaient ni Chal'Uer ,ni
Marat. (Charliet est comme Milr:it tme de~ apparitions les- plus
affreuses de la révolution.) Charlier, dont j'aí vu la condlÚté',
dont j'ai chéri, admiré,. i"esl'ecté les vertus! .. . .


16.




~44 HISTOIRE DU XVIII! SIEOLJ.~.
hgnlmes chargés d'exécuter ces ~rdres i ne sa"
chant qui rester~it enfin mattre de la vilie,
laisserent ,échapp~r Henriot 1 qui parcourut
toute la c;lpitale pour rassembler ses- parti-
san$. Les }acobins se leverent~n masse, en-
tourereJlt le comité: de su reté, marcherent con-
tre la,Colfyenti.on; et avaient déja fait braquer
les ~anons. coutre les Tuileries, lorsque les
aQversaires tIn triurnvirat parvinrent a armer
~s habitants des faubourgs, leurs anciens amis,
pour abattre la municipalité. D'ailleurs, les
Jacobins h'éraient pas e~ bonne ~ntelligence,
puisque'~acoste annon~~ a la CoIiventioIl le
-s,ecours ,du; faubourg Sain t -An toine. ~a Con-
v.elltion-"p9ssurée par cesa:uxHiaires, proscri-
vito Henriot; et Barras, qneRobespierre avait
vainement taché de gagner, se chargea des
mesures lllilitaires contre les Jacobins.'
.. )3a-rras, alors un des membres les'- plus COIl-
sidérés <le la Convention, devait, en sa qualité


I lJi,st. de la conjurati91l de Maximilien Ro¡'espierl'e, p. 214 :
« L~6:g~ndarmes de la Gonvention se laissereBt désarm,er sans
QPposer la plU4 lége.rel'éfistance. Henriot ét ses aides-de-camp
furtJll dé\iés.et em~eBés par Coffinhal et Lumiere.ll eS,t in con-
t(!'table que si ceu~~ci 1 apres eette expédition, se fussent por-
t~s, dans ,la. -cour du chateau des Tuileries i et de la dans la
salle oil les députés étaient assemblés, la journé~ était déci-
dée, et la Convention vaincue ;.mais au lieu de faire cette ma-
nreune si .simple, ils s'éloign~rent en grande hAte d~ chAteau
des Tuileries et de la coutdu Carrousel. •




LIVllE IV, CHAPITRE IV. !145
de noble et d'ancicn officier, ou se déclarer
ouvertement pour la revolution, , ou la COIn-
battre de tout son pouvoir. 11 avait embrassé
le premier parti : on l'envoya, cornme com-
missairede la Convention, a Mal"seiUe et
dans les contrées voisines, ainsi qu'?t la prise
de Toulon , ou il s'abandonna aux plus atroces
crua·utés, commandant lui-tneme le meurtre
et ,le pillage. Mais sa paresse et ses <téba:uches
rempecherent 'de se livrer comme 'dépúté ~
des travaux poli tiques de quelque importan ce ;
ilne manqúa cependant pas d'ériergie au roo-
ment du danger.


Tandis que Robespierre" Saint-Just el ia
municipalité p~rda~ent a la, commune leur
temps en pourpaflers, Barras;sec~ndé par Un
grand nombre d'hommes révolutionnaires i
de la ·Convention; fit ses préparatifs militaires;
hi municipalité fut cernéé a trois heures du


J /rloniteur, an II, nO 3 I2 , page 127l>, ·col. ·h. r oulaná;
• Citoyens, il faut Un chef a la garde nationale, mais il fau't
que ce chef soit a ,·ous, el, pour cela, il faut le prendre dans
votre sein. Les deux comités vous proposent ]e citoyen Barras,
qui aura le courage d'accepter ... (L'assemhlé~, au mil~eu d'ap ..
plaudissements, nomme le citoyen Barras pour diriger la forc~
armée. )


Sur sa demande, la Convention lui adjoint les membres
qu'elle investit des pouvoirs attribués aux représentants d tl
peuple pres des armées. Ces six membre's sont"Ferrand ,'Fré-
ron Roverei Debnas, BoUett, Léonard Boul·don et BdIlrdon
de l'Oise. • ..




~46 HISTOIRE DU X VIne SIECLE.
matin; on demanda irnpérieusementqu'on li-
vrat les accusés ~ . et Bourdon pénétra merne •
dans les appartements du fond pour y arre ter .
toutes les personnes assemblées. Aucun de
ces assa~ins n'eut le courage de vendre che-
rement sa víe, ou de se dérober par une mort
volonta\re a la. vengeance de ses adversaires.
Lebas seul se tua d'un coup de pistolet 1 ~ Les
autres furent arretés, et ~a Convention ne leva
la séance que le 10 thermidor ( ~8 juillet) . a
six heures du matin.


Le tribunal révolutionnaire et Fouqui~r­
Tainyille prouverent que Robespierre savait
:p~en. cho~ir son monde. Des que la nouvelle
de son arrestation ~e futrépandue, quoique
toutes les attaques fussent dirigées principa-
lernent contre le président et le défenseur de
ce tribunal, tous ses membres parurent néan-
m(}ins devant la ,Convention, pour y offrir
leurs services; mais olÍ n'était guere disposé
a les agréer. F0w:J;uíer-Tainville ehercha a re-
tarder l' exécutíon , en aUéguan t qu'il étai t diffi-
elle de fixer légalement l'identité des proscrits
avec les victimes qu' on voulait condamner, ~


IOn t4'aHen:riotd'Une Í¡)a¡~ d'ai¡;ance;Robespierre futblessé
;\la michoire ;par un coup de pistolet; son frere se précipita
du h\Ut d'une croisée et· se cassa les bras et les jambes.


2 La l()i <lerilandait que l'identité des personnes {lit consta-




LIVRE IV,',CHAPITRE IV. ~47
ce qu'il ll'avait jamajs .imaginé jusqu'alorS.


On devina incontinent ses desseins a 'la
Convention, et Tallien trouva facilement les
llloyens d'ijplanir la diffieulté J ; H annon<;a , le
28 juillet, peu de teUlps avant la clóture de
l~ séance, a neuf heures du soir, l' exécution
de Saillt-Just, de R.Qbespierl'e· et ,d~ nenf au ...
tres coupables principaux¡>;' ' , , '


Le l~ndeJ.Ilain, toutela :Uluniei,alité 1 ~Qíl
chef ettputefo le~ pafaónnes qui loor .étaient
attac.hé.es, au nóm.bré desoi~an te-onze, motI-
terellta l'échafaud. La: Convention décréta
el)~\lite: qlH~ laquatrieme partie des meIPl)re~
des cQI1}ités de gouvern~ment·s~ait d9'J;'~Da ..
vant ch~Dgée chaquemois, et qÍl~ ceux quj't!Q
sº.rt\r~~t ·\le potJ",fiieIlt ~tre: réélWl' :qu~u'1
I1).ej~ apres~ On resserra aus,Si leUrautortté,
et, l~ 14 ther1l1idor, 011 f(}AvQya a ol)~e CQn;tHé,s
tée par deux officiers de la municipa'lité, et ils étaient' tous
pFo~rits.


1 Tallien: .. La Convention doit prendre des mesures .pour
que les conspirateurJ> soient frappés sans délai; toutaélai sera
préju~~iable a la Rép~9]~q~. l~ {IHlt qp, r éch~faJl~ s~i~ cJr~s.s~
sur-Ie-champ; qu'avec les tétes d~ ses complices tombe 311-
jourd'hui la téte de cet infame Rohespietre quinous IlI1DOn-
'1aitqu'il croyait a l'Etre-Supréme ,et .qui ne croyait qu'~ la
force, du crime. Il faut que le sol q.e la Rép~blique soit purgé
d'un monstre qui ét~it en mesure' pourse faire proclamer t~i.
J e de~~de <¡ue le Jrib~~al .. se \'etire p~r-~e~'a~!t le comité ~e
sureté génér~le pour prendre ses ordres et qu'il retourne a
son poste ...




248 HISTOIRE DU"VIIIC SIECLE.
l'inspec~ion des différentes branches de l'ad..,¡
ministration pour laquelle on nomma des
commissions.


La nation fran~aise, par la vivacité~e son
esprit et son amour pour la gloire, excelle sur-
tout dan s ,les négociatíons et l'art de la guerreo
C'estce que l'oll;rec;onnut de nouveau dan s
ces temps de'troubles. D'ailleurs ,. si la France
vit sa ~enolPmée militaire s' élever au pl~~ hau t
degré pendant Ja révolution ;si elle créa plu-
sieurs armées et forma plusieurs généraux ,
qui pinel~ent et épuiserent bientot l'Europe
entÍere; si elle forc;a presque toutes les puis ..
san~'e&,eur,opéenDes', et- surtput le/saínt em ...
pire 'romain; d~ penOncer ~ ~oyen age, et de
prt.clamer la nouvelle ere ; elle . ne,le "dt1t 'pas
séülement a son habileté et aux cabales qui ré ...
gnaientdans lesgouvernements et parmi les mi ...
l1istres~ C'ét~it un combat pqur la patrie; la li-
bei'té,célébrée dansles chants nationaux, exalta
~e& ereurs des sold.ats bien plus que ceux des au-
tres citoyel)s, puisql1~ils n'avaienf,' pour ainsi
<ljr~., aueune conllaissance des horreurs qui se
commettaient chez eux. L'officier De voyait
qu'upemortincertaipe,tandisqu'ilavaitdevant
lui la perspeetive de parv'enir promptement
~llX :pl~JS hauts grades. Dans sa liaison av~c




LIVRE IV, CHAPITRE IV. ~49
Robespierre, Carnot n'avait eu d'autre hut que


, d'affermir la gloire nationale par des victoires.
Illaissa done a Rohespierre le pIein pouvoir
de tyranniser l'1ntérieur, pour qu'illui ahan~
donnat la direction des armées et toute la
marche de la guerreo On prenait de force les
hommes, les mnnitions, lesvivres. Celui qui
faisait la mOlndre résistance encourai~ la pei~e
de mort. La .. sagesse· des capitaines ·qu'on op-
posa /l ces légions rassemblées, échoua contre
leur hrav()ure féroce; d'aillellrs, la discorde
régnait parmi lescours et les généraux alliés,
et les voisins de la France, surtout les hahi ..
tants de Liége, de la rive gauche du Rhin et
de quelques pa~ties de la Belgique, se ser~ient
imposé volontiers "les' plus -grands fardeaux ,
póur sedélivrer' de l'oppression du régime
féodal.


En. 1793, la mauvaise intelligence entre le
duc de Brunswick, alors a la tete des Prussiens,
et W urmser, chef des A u trichiens, devin t la
cause de bien des désastres. Le duc ayant dé-
posé le commandement, au. mois de janvier
1794, l'armée pl'ussienne, soudoyée par l' An-
gleterre, s'avan<;a, sons la conduite de Mrel-
leqd()rf; mais il ne régna pas plus d'accord
entre eux. Les Anglais et les Belges, qui leur




250 HISTOIRE DU XVJlIc fd:CLE.


étaient entierc.qlent vendus j depuis 1747,
avaientdéclal'é la guerre, en 1793, au mois de
février. Les- Autriehlens, eomm3¡lldés par le
prince de Cohourg, avaient pris des renforts,
et Dumouriez, meme avant sa fuite, ne soIt-
geait qu'a la retraite; mais les succes des alliés
ne servi~nt qu'a les désunir.


Dampierre, Lamar~he et Custine succéde ...
rent a DUlnouriez dans le co~mandement
des armées, mais 'ils ne furent pas pll.lsheu ...
reux. Apres la prise de Condé, Valencienne~
se rendit aux alliés le 28 juil!et 1793, cinq
jours apres que les Prus~jens eurent occupé
May~c6 ; ~ai~ des ce ¡IIlomen.t , les Prussien~
et les Autrichiens, postés su.r le Rhiu, ne
consultaient ql;t61eurs intérets pal'ticuliers,et
oubliaient la cause commune. Les Anglais et
les Autrichiens n'agissaient pas mieu~ dan s la
BeIg~que; au .. lieu de potlrswvre ensemble
Jeurs ava,ntages ; .le due d'Y o,rket le prince de
Cobourg s'arreterent au long siége des pInces
frontieres, puis chacun voulait .s'appreprier
sapart; le ductira enfin sur Dunkerque et le
prince sur Mé\ubeuge. .


Trois arroées fran«;aises, de la Mosen~, des
Ardennes et du'Nord mena«;aient la Belgique.
Houchard battit, le 8 aoút 17~3, le dllC d'Y.or]i,




LIVRE IV, ClIAPITRE IV. 251
pres de Hondscote , et Jourdan chercha a ser-
rer le prince de Cobourg ,pour qu'il passat
la Sambre. Jourdan resta maltre du champ
de bataille, pres de Wattignies, le 16 octobre,
trois jours apres que les Prussiens, alors en-
core commandés par le duc de Brunswick,
ayant passé les lignes de Wissembourg, se
furent portés de nouveau sur le ·.so} fraD~aiS.
Le prince de Cobourg se vit obligé de se re-
tirer. Oh ne tira pas· parti de la prise· des
lignes; ear des dissensions eontinuelles entre
le due de 13runswick et W urmser, ainsi qu' en-
tre les officiers prussiens et autrichiens les em··
pechaient d'agir de concert dans leurs entre-
prises. Les Fran~ais mirent jU6tementalorsdes
hommes, commeH~ehe. etPichegm, nés gé-
néraux et sachant gagner et transporter leurs
soldats, a la tete des (roúpes. L'arinée du
Rhin et de la l\Ioselle reprit les lignes perdues,
et quoique le tyran Sáint-Just éloignat et
poursuivit, COlnme commissaire a l'armée , le
violent Hoche" Miehaud occupa toute la rive
gauche du Rhin jusqu'a Mayence, depuis le
24 décembre I793 jusqu'au 17 juillet 1794;
lorsque les Prussiens abandonnerenf peua pen
la c~use eommune, et que le duc de BruIiswick
déposa le commandmnent.




252 llISTOIRE DU X'\TIUe SIECLE.


Le vieux Moollendorf n'était guere en état
de tenir tete aux Franc;;ais. La mauvaise volonté
s' en mela; les. Prussiens resterent dans une
inaction complete'; l'Empereur était dénué de
ressources, l'Angleterre ne voulait et ne pou-
vait fournir que des subsides. Les tyransde
la Franc~, 'au ~ontraire, mirent, par la terreur,
par la requisition etla loi des suspects l , un
million d'hommes sur pied, et ils virent hien-
tot la victoire s'attacher a leurs paso P~chegru
chassa l'ennemi des cotes de la Flandl'e, et
remporta un avantage sur les Anglais, pres de
Turcoiug, le 18 rnai J 794.
- Quinz~ jburs apres, les trois armées du
NOrd ~ jusque+-laséparées, frirent réunies sous
l~s ordres. de Jourdan. Ce général, sous 1equel
Kléber, Marceau et .. BernadoÜe se distin-
guaient alors, se vit a peine a la tete de l'armée
coalisée, nOlumée depuis l'armée de Sambre-
et-Meuse, qu'jl chercha a engager les trou-
pes autrichiennes et belges dans une ba,;.
taille .décisive. U y parvint le 26juin, pres de
Fleurus. L'archiduc Charles, :commandant


1 Le .~ot suspect était dénni d'unc maniere si vague, que
toot le monde pouvait y étrecompris. Tous les riches, tous
le~ nobles, tous ceux qui ne partageaient point le vertige gé.
né~al, voyaient chez enx leur perte assurée, tandis qu'a l'ar.,.
m,ée ils n'étaient exposés qu'aux dangers des combats.




Ll VRE IV; CllAPITRE IV. 2;53
une division, sous le prince de Cobourg, s'y
battit honorablement , et pour la premiere fois
contre l~ général Jourdan.


La perte de cette bataille, la séparation des
Autrichiens et des Belges, l'éloignement du I
prince de Cobourg, eurer~t pour les ,alliés les
suites les plus facheuses.IIsneprófiterentpasdu
secours prussien, payé de l'arge.nt des,Anglais~
puisque la Prusse se laissa séduire parles pro-
messes que lui fir~nt les Fran<;ais, de les en~
richir en Allemagne au détriment des autres
~tats. Malheureusement pour l' Allemagne et
la Prusse, ]a cour de cette derniere puissance
était alors le jouet de différentes passions et des
cabales .. Des ge9s enmme Haugwitz et Luche-
sini; qui ne perisaient. qll'a eux et a la poli-
tiqlie cabalistique des temps passés; lorsque
l'armée oe connaissait que l'ancienne maniere
de faire la guerre, ne ponvaieitt et ne von ..
laient pas reconnaitre qu'a de llouveaux prin ..
cipes il fallait opposer des moyens nouveaux.
lIs humilierent leur souverain par un traité, en
vertlldllquel il s'engag~a a faire, pour de l'a~­
gent, ce qu'il avait d'abord promis spontané ..
ment, et le déciderent a ahandonner s~s alliés,
pour n~ veiller qu'a son intéret propre. Le 19
.avril 1794, laPrusses'engagea: envers les puis-




~54 flISTOIRE DU X'71Ile SIECLE.
sances maritimes., a fúurnir contre les Fran-
~ais, moyennantune sommed'argent, soixante-
deux mille hommes, sous le c?mlnandement
du feld-maréchal de Mrellendorf. Ces troupes
et surtout leur chef garderent contre l' Autri-
che lameme jalousie et la meme méfiance
qui, l'année précédente, avait occasionné la
retraite des Allemands jusqu'~u Rhin, et qui,
dans cette nouvelle expédition , eut des résul-
tats aussi funestes.


Les alliés, depuis la bataille de Fleurus ,
serrés de toutes parts par les Fran~ajs, dési-
raiént que lesPrussiens, postés jusqu'auHunds-
rnck, se joignissent a eux au-dessus de Treves.
Les Prussiens négligeant d' occuper cette ville,
Moreáu les prévint. On les en accusa haute-
ment; les généraux se défendirent avec aigreur,
le roi partagea leur dépit, et la cause publi-
que en souffrit, a la grande satisfaction des
eIlnemis.


Le prince de Cobourg ayant pris de l'hu-.
meur, avait quitté le commandement. Clair-
fajt,. qui lui succéda', ne put tenir tete a Jour-
dan, et repassa le Rhin a la fin de l'année
1 794. Jo~rdan eut bientot occupé tout le
pays , depuis le Waal jusqu'a lV[ayence, et Pi-
chegl'u avanc;a jusque sur le territoire hollan-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 2.55
dais; alors toute la Belgique se trouvait au
pouvoir des Fran<;ais.


111. Apres la chuté -des triumvirs, le gou ..
vernement prit, en apparence, une direction
plus douce; mais les hommes qui avaient
triomphé dáns cette grande lutte ne purent
consentir a l'adoption d'un nouveau régime ;
car dans ce cas ils rentraient dans le néant,
tandis que le royalisme se relevait~ lIs ne pOll"o
vaient non plus voir d'un reil indifférent le
parti si puissant des homlnes qdon avait im-
molés, r"eprendre de l'inf]uence; car ils avaient


\


tont a craindre de son ressentiment. Tallien,
Fréron et autres, qui désiraient terminer la
révolution, pourvu 'qu'ils restassent a la tete
des affaires, sevirent donc, presque malgré
eux, portés d'abord a la modération, ensuite
au rappel des Girondins qui avaient survécu
et de lenrs, soixante-treize partisans. Pendant
cette indécision, le robuste Legendre ferma ,
le 9 thermidor, le club des Jacobins I ; bien-


1 Hist, de l~ conjuration de Maximilien Ropespierre, p. 216:
.. Legendre; arme d'un pistolet, et suivi seulement de dix:
hommes, se transporte dans l'assemblée des Jacobins. Il marche
droit a Vihiers Ieur président, avec l'intention de lui bruler
la cerveIle. Vihiers s'échappe de sonfauteuil, s'élance dans la
fonle et dispara!t; les spectateurs, tes ~embres de l'assemblée
prennent l'épouvante. _ Ils se jettent les UDS sur le,s autres , se
11ressent nux portes, se dispersent dans les rues, el fuient




~56 IIISTOIltE DU XVIllu SIF:CLE.
tot apres, il permit qu'on 1'0UVrlt de nouvealC.
On arreta les juges criminels, le président des
jurés et l'accusateur public, mais on les ren-
dit a la liberté. Catrier et Lebon 1, ayant
exercé, au nom de la Convention, des atroc~·
tés Ínouies dans les départements, devaient
s;enjustifier; mais, secondés par plusieurs ter-
roristes, ils surent décider la majorité de la
Con ven tion en leur faveur 2. Commentd' ailleurs


eomme si une armée nombreuse les pressait l'épée dans les
reJns. lO


Legendre, en saisissant cette occasion de se venger 1 si ar-
eemment désirée depuis la mort de Danton, se ca:tactérise
parfaitement dans son discours : Moniteur, an II, n° 312 ,
page 121..7, col. c. et J 278 , col. a. L'histoire meme de ces évé-
nements se trouve dans les déhats del'an II, du 12 vende-
~iaire. Ce <¡ui est le p~us a remar,que" e'est la déc1aration
de Legendre. Monltcul', an 1I, n° i 4, page 70, col. b. , au
milieu.'


I Quant 11 Lebon, nous y reyiendrons plus tardo On trouve
les horrenrs des noyades et des fusillades sons Carrier et son
comité, rassemblées dans le Proces criminel des membres du co-
mité réJlolutionnllire· de Nantes, el du ci-devant repr¿senlant du
peuple Carric,., instruít par le tribunal l'évollltionnaire. étaMí ti
París par la lvi da j{j mars 1793. A París, chez la ~¡toJenne
Toubon, sous les galeries du théátre de la RipuNique, ti t;óté dit
pasiage vitJ:é " l'an III de la Républiqu(',


3 LecointJ'e, le m~me chez lequel Fouquier.oTainville , les
jl,lges et les principaux jurés du tribunal rév.olutionnaire se
rasscmblaient, et faisaient les listes de leurs victimes, proposa,
des le. 12 fructidor ( 29 aout), que BaJ'ere, Eilland-Varenues,
CoUot - d'Herbois, Vo~land, ~adier, Amar et David fus-
scnt cxpulsés de la: Convention. Apre~ de violel)ts débats, la
méme ~tssemb]ée, qui, ¡'enfqrcée par 'des Girondins, déclara
fllsuite ces hommes emlcmis ct brig:mds, l'ecollntlt, a la pro"-




LIVRE IV, CHAPITR.E IV. 257
ajouter foi a l'accusation de Lecointre, mar-
chand de toile de Veriailles, qui défendait,
comme les meilleurs citoyens , les memes per-
sonnes que la veille il avait présenJées sous les
traits les plus hideux?Quelle confiance pouvait-
on avoir en Tallien qui cherchait a fonder sa
fortune sur la ruine de ses compatriotes?'Com-
ment un Barere aurait-il permis que le parti,
qu'il avait lui-menle suivi, et avec lequel il
s'était ensuite brouillé ajamais; reprit son as-
cendant?


C'est ce que Barere et autres exprimerent
clairement devant la Convention 1; leurs par ..


position de Thuriot, que ces memhres n'avaient cessé de dé-
fendre la cause du peQple et de combattre pour la République.
On obtint ce décret pour ainsidire de force, car Vadier avait
a la tribune un pistolet a la main; le déeret étant révoqué , il
fut bientot apres confirmé de nouveau, et Lecointre déclaré
calomniateur. Moniteur, an IJI, nOS 345-46.


1 Buere, d'abord avocat auparlement de Toulouse, et en-
suite conseiller a la sénéchaussée de Bigorre, dit, a l' oceasion
de la proposition de Tallien, d'employer ladouceur (Moniteur
an 11, na 328, le 24 thermidor, page 1342, eol. b.) : .. Il faut
aborder franchement la question; on a demandé beaueoup de
lumieres pour avoir, quoi? •. un gouvetnement.juste; mais,
est - ce juste a la maniere des aristoerates? Non, sans doute
(on applaudit) ; nous avons été sauvés par le gouvernement
révolutionnaire; les intrigants, les fripons, ne eraignent que
le gouvernement révolutionnaire; e'est done a cette base
unique , a ee gouvernement aceélérateur des mouvements des
armées, conservateurdes vietoires, qu'il faut tout rapporter. »


Mais le 2 fructidor, Bouehet, apres un long préambule,
dit: " Je demande que la justice la plus sévere comprime la plus


H. n. 17




258' IIlSTOJRE DU ,XVIllc SIECLE.
tisans étaient si nDmbreux, que Tallien et
FrérDn firent usage de tDUt leur art pour mo-
dérer l'influence de la pDpu)aee et de ses'.
chefs pa~ ceHe du mDyen-état qu'ils s'attaehe-
rent l. On cessa de dDnner les deux franes
que J' Dn payait auparavant a la He du peuple
et aux indigents, pDur qu'ils assistassent aux
assemblées des sectiDns, et en éloignassent,
par leurs c1ameurs, tDUS les'citDyens honnetes.
Des ce mDment ils ne reparurent plus. Les
assemblées interdites aux Duvriers, pDur cer-
tains jDurs, furent fixées aux décades. On
serna ensuite la divisiDn entre les JacDbins et
la jeunesse de Paris qui cDmment;;ait a se dé-
gouter de l' égíllité des sans:'eulDttes, et qui ne
pDuvait souffrir ces femmes déhontées qui
servaient d'instruments ~ux JacDbins. Le parti
d'entre eux qui dominaitalorsa laConvention,
parce qu'il était soutenu par ceux qui vou-
laient rétablir, l' Drdre, cherchait a transférer
de nouveau les bases du gouvernement, du
club ·des Jaeobins a la Convention, pour s'em-
parer ainsi de toute autorité. Leur intention
n'échappa pDint a leurs adversaires, aux Col-


infame aristocratie et le lache modérantisme, qui partout re-
levent leur t~te insolente ...


• Toul~"'Keon, vol. V, pages 99-135.




LIVRE IV, CHAPIT.RE IV. 259
lot-4'Herbois et aux Billaud - Varennes qui,
depuis le mois d'aout jusqu'au mois de no-
vembre, empl~yerenr vainement tous les
rnoyens pour conserver a Ieur club un pon-
voir pret a passer en d'autres mains l.


Paris présentaít a eette époque l'image de
l'anarehie la plus affreuse. Les hordes de Fré-
ron, excitées par rOrate.ur du peuple écrit
dans le style de Marat, pénétrerent jusqu'aux
tribunes des Jaeobins el les injurierent jus-
qu'au milieu de leur assemblée. lei les jeunes
gens faisaient un tapage effroyable, quand
on parlait de la Convention et de tout ce
qui y avait rapport; les Jaeobins, de Ieur
coté, envoyere~t les femmes de guillotine de
RQhespierre, ainsi que tous les patrio tes irn-
pudents a leur solde, daos les tribunes de
la Convention, pour y exciter des clameurs .
e't proYoquer des troubles 2. 11 s' éleva rncme
un violent eombat entre les députés qui sou-
tenaient les Jacobins, paree qu'il, en avaient
besoin, et eeux qui voulaient les anéantir,


1 Orateur du peuplc nO 26, du 15 brumaire, page 204 :
« Le calcul des victiines, san s jugement quelconque, du seul
ordre de Carrier, se monte, hommes, femmes, enfants, vieil-
lards de tout 1ge (sic), de tout sexe, de dix a onze mille fusiUéi
011 noyés; les officiers de san té peuvent attester ce faít .•


2 Orateur du peltple nO '19, du '11 Lrumaire, llage 226.
17·




260 HISTOIRE DU XVlI le SIECLE.


paree qu'ils n'en espéraient rien. eette lutte
dura depuis le 6 jusquJau 11 novembre. Pour
donner aux autorités publiques et a la poli'ee
un prétexte plausible de poursuivre le parti
eontraire, les élégants ,qui 6.guraient dans les
salons de madame Cabarrus, ou q~i étaient l' or-
gane des sociétés du bon ton, eomme Fréron 1
et Tallien, firent insulter publiquement les
J aeobins, par des gens dévoués a leur cause;
des qu'ils quittaient la salle des eonférenees,
on leur jetait de la boue et des pierres; les fenl-
mes memes étaient inveetivées et souffletées.
Ces hOl1unes, autrefois si orgueilleux, mon-
trerent toute leur faiblesse el leur Iacheté,
en laissant impunies ces scenes scandaleuses ,
que fomentaient secretement les comités du
gouvernement pour dévoiler l'impuissance des
Jacohins. Le 19 brumaire, les élégants, qui
jouaient cette fois le role de la populace, 6.-
rent du Palais-Royal un siege en regle contre
la salle du club de la rue Sain t-Honoré 2; on
y entra de force, on en chassa les Jacobins,
on fustigea les femmes, entr~ autres celle


1 Fréron avait a peine víngt-six ans , ce qui ttt que la jeu-
nesse dorée l'entourait; iI est mort en 1803, a l'age de trente-
cinq ans.


2 Beaulieu, E ssais ltistori'lues sur la ré¡Iolution de France,
vol. VI, page 117 et suiv., en fait une peinture tres-vive.




LIVRE IV, CHAPITIlE IV. ~61
d'l1n député, nommé Crassous, eton joignit,
au chatiment de ces femmes orateurs patriotes,
le sage conseil de rester dorénavant dans leur
ménage l.


La poli ce laissa nlaltraiter impunément les
Jacobins. Les comités de sureté générale, de
législation et de salut public, ainsi que- le co-
luité militaire se réunirent en fin le meme
j<?ur, a 8 heures du soil', pour prendre des
mesures contre les désordres qui régnaient
dans la ville. Lenr intention ne put échapper
aux Jacobins 2. Les troubles continuerent . .sur


1 Fréron, Orateur da peaple, nO 30, du 23 hrumaire,
page 238 : «Les clefs de ce paradis des intrigants ont été dé-
posées aux archives du comité de sur~té gé~érale, qui a pro-
mis de prendre toutes Jes précautiont pour les empécher de
se rouiller. Le méme comité ayant cru, par mesure de police
générale, devoir suspendre provisoirement les séances de ladite
société, a fait part a la Convention_ dans la séance du 22, de
cette mesure. C'était vraiment une pitié de voir la face contris-
tée du lion Billaud, et la mine affligée de Collot de Lyon , et
la grimace du marquis de Montaut, et la tristes se du pretre
Chales, et la désolation du prétre Bassal, et le désespoir du
diacre Audouin , et les lar mes du haron de Vieusac (Barere) ,
et les convulsion.s du grand trésorier de France Aucas, et la
syncope du chevalier de Ruamps, et les contosions du derriere
de madame Crassous, peintes en traits de douleur sur la large
face de monsieur son époux. "


.2 Le J acobin Duhem raconte a la Convention, ]I-[oniteur,
nO 53,page ~128,col.b.:« Enentendantcesexpressionsetl'agi-
tation sourde qui régnait autour de moi , je me retournais du
coté de celui qui avait tenu ce propos, et je lui disais a voix
hasse-: Me voila, que me veux-tu.? tiens, me voilit, huveur de
sang, en voila, bois-en; il me mettait le poing sous le nez. J'e




!lth HISTOIRE DU XVIIp! Sd~CLJ.:.
la proposítion de Rewbell et au nom .des co-
mités, le club fut d'abord suspendu provisoi-
rement 1 dans la nuit du 20 au 21, et Jermé
définitivement le 22 brumaire. Le 24, une
loi positive changea totalement le systerne des
clubs en Franee, de meme que le rapport qui
existait entre les sociétés partieulieres et l'État;
le rendez-vous des Jaeobins devint une salle
d'armes. lis se brouilIerent a jamais avee tous
les gens modérés; et Tallien et F'réron, anciens
amis de Marat, qui alors rédigeaient les jour-
naux, déclamaient sans cesse contre le sys-
teme de meurtre qu'on avait adopté. Les
membres les plus puissants de la Convention
étaient cependa. partisans de Robespierre ,
ou au moins de ces Jacobins qui lu~ étaient
entierement dévoués. Pour leur opposer une


le saisis; un de mes collegues, un député de la Convention,
me le demanda. Je ne voulus le remettre qu'a la force armée;
je ne voulus de méme remettre un assassÍn , que j'avais pris
a la porte de notre salle, qu'a la force armée, quoique mon
collegue Carnot me le demandAt; car il faut que vous sachiez
qu'on a hrisé nos portes, et qu'on est venu contre nous avec
des pistolets et de~ poignards .•
~ Le 20 hrumaire, Rewhell, comme président des quatre co-


mités réunis, lit les propositions suivantes :
1° Les séances des Jacobins seront suspendues jusqu'a ce


qu'il en ait été autrement ordonné.
~ o Les comités de salut public, de législation et de smeté


générale, présenteront illcessamment une loi contre les calom-
niateurs. .




LIVRE IV, CHAPITRE 1 V. ~63
résistance qui fut durable, il faUut s'attacher
tous lesennemis du club et de son systeme.


On proposa dOllc, le 8 décembre 1794,
d'admettre de nouveau les soixante-onze dé-
putés, arretés el suspendus a cause de lenr
protestation contre les scenes du 2 juin 1793,
ce qui passa presque sans la moindre opposi-
tion. Des-Iors commen«;a une réaction d'une
toute autre espece ; les royalistes redoutaient
les répuhlic~ins, dont le parti s'était renforcé.
Craignant une constitntion, ils soutenaient
les fauteurs de l'anarchie ; ils leur semblaient
bien moins dangereux que les amis de la li-'
berté et que la classe élevée de la hoilrgeoi ..
sie ,qu'ils ne p~uvaient espérer' decorrom-
pre. lis se flattaient degagner ;¡isément les
misérables démagogues f:t' force d'argent et
de vains honneurs, ou d'appeler la haine pu-
blique sur leurs atrocités. Le& répnblicains ,
ponr en imposer aux Jacobins et aux roya:-
listes 1, firent décréter l'instruction des com-
plices du tyran qu'on avait renversé, et ad-


1 Lecointre renouvela l'accusation, Merlin fit le rapport et
n' excepta, des sept accusés Vadier, Collot, Billaud, Barere ,
David, Amar, Vouland, que les quatre premiers; il proposa
\lile cQmmission de vingt - un membres qui feraient le rap-
port. Saladin lit ce rapport, connu SOl1S le nom de Rapport des
'Vingt-14n.




264 1IISTOI1,tE DU ~VIJle Sd::CLE.
fllettre a la COllyention ceux des Girondins
proscrits qui s'étaient soustraits a la mort. On
vit alors a l:assemblée et dans toute la viUe
combien le JacobinislI,le était enraciné, et
quelle infl~ence le parti déchu du tyran avait
encore sur le peuple.


La commission des vingt - un, nom.mée 1
poul" faire les rapports sur Vadier, Barere ,
Billaud-Varennes et Collot-d'Herbois, différa
long-temps de publier ses délibérations; l'ac-
cusation étant décrétée, le peuple s'ameuta et
se porta aux dernieres extrémités, avant meme
que le rapport fut présenté. Les Jacobins se-
merent de faux bruits qui répandirent par-
tou~ la terreur; ils employerent la violenceet
toutes sortes, d'artifices, pour provoquer une
augmentation subite dans le prix des denrées.
I.Ja disette commen«;:ait a se faire sentir a Paris,
et les cris : du pain, du pain! devinrent le si-
gnal de ralliemel1t des hordes infames qu'ils
avaient a leurs ordres. Une impudente di-
lapidation des deniers publics, la création de
nouvelles places, données a des parents et a


1 Rapport des '/}ingt- un, du 2 mars 1795 = tII La commis-
sion des vingt - un, pendant l'instruction de cette grande
affaire, a communiqué toutes les pieces aux prévenus ; elle les
a entendus dans tous leurs moyens de défense : c'est ce qui a
dñ nécessairement retarder un rapport si long-temps attendu ...




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 2.65
des amis, la négligence a suivre les débats sur
l'établissement d'une nouvelle constitution,
afin de prolonger son pouvoir, avaient attiré
sur la Convention le mécontentement général.
Les Jacobins, pour profiter de cette disposi-
tion du .peuple et l'intéresser a leur cause, se
plaignirent de l'état des finan ces et demau-
derent avec acharnement la constitution de
1793.


:La Convention avait été des Ion g-temps ~e
théatre scandaleux d'une lutte publique, ou
l' on se portait aux invecti ves les plus gros-
sieres l. Malgré toutes les clameurs des Jac.o-
bins, qui poul'suivaient le proces des quatre
accusés, on ré~olut d'opposer l~ journée dn
10 aout au gouvernement républicain, co~me


J .lJloniteur an 111, n° 99, page 410, col. c. Duhem .•••• " Si
Clauzel, que je regarde comme un infame calomniateur (vio-
lent murmure), Clauzel. - Je demande a répondre a Duhem.
- Si Clauzel, qui a eu l'audace de me dire en face que j'étais
en correspondance avec les émigrés. en Suisse, pe me prou\'e
pas ce fait, je déclare que je l'assassinerai moi-méme. :t'assem-
blée et tous les citoyens des tribunes manifestent la plus vive
indignation. Duhem .ote Sft cravate. N .... Je demande que l'as-
sassin Dnhem soít l'appelé a l' orgre (vifs applaudissements).
Plusieurs 'Voi.1:.-A l'Abbaye, a l'Abbaye! ..


Le 4 germinal, Moniteur an 111" nO 187: ". Deux députés
et Jacobins, Gaston et Ruamps, se déclarerent publiquement
champions des femmes déhontées de la populace , et cepen-
dant il est dit :.l1s menacent Legendre en l'appelant vil bou-
cher. Legend1:e.- Oui, j'ái été bouch;er, et ie m'en frus hon-
neur. )J




266 HÚTOIRE DU XVIII C SIECLE.
on l'avait faÍt eOlltre le roi en 1792, et de
perdre la Convention, eomme auparavant
I.Jouis XVI. On eut bientot rassemblé la p()pu-
laee, oeeupé les entrées de eette ehambre, et,
le 1 er germinal (21 mars 1795), on vit en-
trer dans la salle une troupe d'hommes et de
femmes, a,laquelle on n'opposa aueune rési-
stanee. Ils poussaient des el'is épouvantables
et demandaient du pain et la cvnstitution de
1793! Ce bruit affreux . étouffa toutes les voix
qui eherehaient a se faire entendre. Reureu-
sement, les eonlités savalent ~ <les la nuit pré-
eédente, ee qui devait arriver le.lendemain.
Fréron avait conv.oqué les royalistes, qui comp-
tarent sur lui eorome· chef, et ils avaneerent


. sous les armes eomme garoes nationales.
Des qu'ilseurent délivré la Convention de


la populaee qui la tenait assiégée, on décréta ,
sur la proposition de Sii~yes , une loi luartiale,
et une commission' fut ehargée de s'oceuper
du plan d'une nouvelleconstitution l. De cette


1 Dans le rappol't que Sieyes met a la t~te de son plan de
lois, Moniteur, an HI, nO 185, pago 753, col. b. c., et 754,
col. a. et b.; il montre parfaitement l'état des dloses, et ca-
ractérise les partis avec cette sagacité qui luí est propre, La loi
m~me contient 2 chapitres : le premier a 6, le second 19 ar-
tieles. Le dix-huitieme artiele donne quatre dispositioIlS en cas
que la Convention nationale fut dissoute :


10 Les membreg se rassembleront alors a Chalons , ou dans




LIVI-tE IV, CHAPITRI<: IV. 267
manIere, les trolJ.bles furent apaisés pon!"
quelques temps, mais la disette devint bientot
extreme, par le peu de valeur des assignats,
par les entraves qn'épronvaient les transports
des vivres et le soin que certains particuliers
prenaient de les accaparer. Le pain était I~are,
les premiers besoins de la vie s'achetaient en
sacrifIant les effets les plus précieux. On
ponrsuivit néanmoins le proces des quatre qui
avaient suscité toutes ces menées, et durant
leur défense, Barere lit briller le sbphisme
infernal "de l'éloquence révolutionnaire. Car-
not 1, Lindet, Foussedoire, Montant, l'ami de
Fouqnier, et Lecointre, deux fois accusa-
teur des assassins, cherchaient maintenant a
les défendre avec tons les raisonnements d'une


un autre endroit; ou la majorité des membres se trouvera, la
Convention sera constituée.


2 o Les députés demeurant dans la colnmune OU la Cónven-
tion nationale a été levée, ne peuvent pas rrésider a des
fonctions publiques; plusieurs d'entre eux n'áuront pas de
voix délibérative; on mandera de toutes les armées des divi,..
sions de troupes a la défense de la Convention.


1 Carnot dit:. Je pourrais me tenir a l'écart en ces cir-"
constances, puisque je fus constarilment opposé aux mesures
'v'Íolentes; puisque depuis long-temps j'avais atta qué Robes-
pierre et Saint-Just dans le sein du comité de salut public;
puisque je n'avais cessé de m'y élever contre Henriot et la
municipalité conspirattice; j'ai combattu souvent les prévenu.
eux-mémes, lorsque tout Héchisflait devant eux, je les défen-
drai maintenant que chacun les accable. "




268 HISTOIRJ<2 DU XVIJlC Sd~CL.E.
logique serrée, en altérant les faits, et en exci-
tant des passions assoupies, par la véhémence
la plus farouche. Cependant les assignats pero.
daient de jour en jour de leur valeur, et la
disette augmentait, dans la ville ainsi que les
difficultés d'amener des vivres, dont l'entrée
était souvent meme elnpechée de force par la
popul,ace, ou figuraient surtout les felnmes. De
son coté, le parti opposé 6t venir a Paris, des
armé es et meme des départements, un grand
nombre d'homn1es qui lui étaient dévoués. Au
grand avantage des royalistes, Pichegru se
trouvait dans la capitale. Ce général, depuis
quelque temps, penchait vers le royalisme,
et, a ~on re tour a l'armée, al!- mois d'avril, il
se mit ineme en correspondance avec Condé
et les émigrés. L'orage du Jacobinisme se pré-
para pendant cinq jours et on s'attendait d'un
moment a l'autre, qu'il allait éc1ater de nou-
vean sur la Convention, ce qui arriva enfin, le
7 germinal (27 mars 1795).


Des troupes de femmes déhontées com-
posaient l'avant-garde; venaient ensuite des
hommes tout-a-fait dignes d'elles. Les tri-
bunes de la Convention étaient reníplies de la
He du peuple qui par ses clameurs otait la
parole a tout député: «. Du pain el la constitu-




L 1 V RE 1 V, e HA P I T R E 1 V. 269
tion de 1793, » furent encore le cri de ral~
liement; ce.,s lnots se trouvaient sur les dra-"-
peaux et les inscriptions qu'on avait attachées
aux chapeaux. TOldes ces femmes impudentes
voulaient pénétrer dans la salle, ou forcer les
portes; on en fit enfin entrer une députation
de vingt; elles apostropherent le president par
des injures, mais manquerentcette fois le but
qu'on s'était promis de leur assistance. Au mi-
lieu de ces désordres, un des députés 1 con-
seilla d'ajour;ner l'accusation des quatre; mais la
Convention lapoursuivit néanmoins avec fer-
meté. Des ce jour, le, tumulte allait t()ujours
croissant 2 ,jusqu'ace'qu'enfin la populaceTem-
portat unevictoi~e complete. Les Jacobins ne
pI'ofiterent pas long-temps de ces avantages ;
. car les auteurs de ces troubles n' eurent ni as-


,


1 Isaheau rapporte ce jour au nom du comité de sureté:
.. 11 existait une correspondan ce suivie entre les sections et les
faubourgs; l'agent national du département vient de nou&
écrire qu'il avait entendu dire a un citoyen des fauhourgs;
nous sa¡¡ons qu'il y a tous les joul's des che¡¡aux sellés et hridés
pbur porter des représefltants dans nos quartiers s?il y a¡¡alt, da
trouhle; nous en avons autant, et nous avons aussi nos repré-
sentants. lO


2 Il parut le 1 1 germinal une députation des fauhourgs
dont l'orateur dit : « Nous sommes debout pour sontenir la
liberté. lO Le reste était si gl'ossier et si impudent, que Tallien
proposa de faire imprimer et afficher cette adresse et la ré-
ponse du président, paree que cela devait produire plus d'effet,
sur lell hODn~tes citoyens, que tonte proclamation.




2.70 HISTOIRJ~ DU XVIlle SIJ~CLF:.
sez de force, ni assez d'adresse puur tirer
parti de leur victoire.


Le 1 2 g~rminal ( ler avril) , ils entourerent
le lieu ou se. tenaient les séances de la Con-
ventioll, . prirent la salle d'assaut, insulterent
les deux députés qui occuperent alter,native-
ment le fauteuil' du président, et interrompi-
ren! toutes les délibérations.


Vatec, le meme orateur qui ~vajt parlé le
31 mai 1793 lors de l'attaque confrela Gi-
ronde, se présenta devant la barre 1 ; lnais il
aurait fallu, un Danton pour diriger l'action ;
car Fouché , Carnot et autres, qui en auraient
eu le talent, ne voulaient pas se prononcer
définitivementpourlesJacobins,puisqu'ilscon-
naissaient la haine que toute la nation avait
vouée a ces hommes sanguinaires, et qu'ils
étaient surs de jouir, de quelque maniere que
ce fut, des fruits de la victoire.l/ancien éveque
Huguet, Amar, Foussedoire~ Duhem, Chales,


x Vatee dit: .. Il est temps que la classe indigente ne soit
plus victime de l' égoisme des rich~, et de la cupidité des
marchands. (La foule: oui, oui, les membres de la gauebe
applaudissent vivement.) Faites-nous done justice de l'armée
de Fréron, de ees messieurs a baton. (La fonIe: oui, oui, vifs
applaudissements des membres de Pextrémité ganche.) Et toi ,
montagne sainte, qni as tant combattn ponr la République, les
hommes du 14 juillet , du 10 aout , et du 3 I mai te réclament
en ce moment de crise; tu les trouveras toujours pr~ts a les
-soutenir, préts a verser Ieur sang }lour ]a République. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 271


Léonard Bourdon, se chargerent de conduire
les mouvements de la populace dans la salle;
et ne rougirent pas ·d'injurier leur propre pré-
sident, conjointement avec le rebut du peuple l.
lIs ne surent pas indiquer des mesures éne~gi­
ques, laisserent a la Convention le temps de
revenir a elle, et aux honnetes citoyens la faculté
de lui porter secours. L'assemblée prolongea
la séance jusqu'au matin du '13 germinal, et
donna, dans la nuit, une foule de décrets qui
semblaient nécessités Piar les circonstances. Il
fallut, pour affermir son courage dan s cette
conjoncture pressante, que la disposition de
plusieurs quartiers, prets a commencer \lncom-
bat contre l'armée des J acobins, hli ftit com-
muniquée par des députations, tandis que les
citoyens prenaient les armes.


Les comités du gouvernement ne néglige-
rent pas non plus de prendre des mesures mi-
litaires contre la multitude furieuse; c'est a


1 Le président répond a une des députations qui promet-
tent a la Convention l'assistanee des honnetes citoyens : " La
Convention aura le eourage de dire la vérité. Les royalistes et
les assassins cherehellt a exeiter un mouvement. Choudieu:
le royalisme est la : (montrant le fauteuil du président.) Le
président: ils conjurent l'orage; ils ignorent que la foudre
tombera sur leur tete. Ruamps: la foudre, e'est ton armée du
Palais -Royal. Le président : la Convention connait le dé-
vouement et la force des bons citoyens de Paris"et c'est avec
les armes de la vertu qu'elIe frappera les restes du crime .•




272 HISTOIR E nu XVII le SIi~CLE.
cette fin que Barras et Auguis 7 deux députés,
anciens militaires, parcouraient la ville et di-
rigeaient la force armée. Barras retourna en-
fin a la Convention, et la garde nationale en-
toura la populace; a un signe des députés, qui
la faisaient agir, elle se retira. On résolut
alors de faire cesser tous les déhats sur les
accusés et de hannir par un décret, sans au-
tres formalités, , les trois compagnons de Ro-
bespierre, auxquels on avait adjoint Vadier. On
confia le commandement de toute la milice
de Paris au général Pichegru l. Legendre ce-
pendant n'ayant pas trop de confiance en lui~
ohtint qu' on lui assocÍélt Barras et Merlin de
Thionvllle. Pichegru fitdésarmer toute la sec-
tion des Gravilliers qui avait été employée
par les J acobins, et la Convention décréta que
tous les membres, qui avaient pris une part
active au tunlulte dans la salle, seraient arre-


1 Barra.s termine ainsi son rapport: el Je demande que la
Convention déclare"{ue la ville de Paris est en état de siege ;
eette mesure donnera au .commandant de la force-armée, le
moyen de maintenir l'ordre, et fera aeeé~érer l'arrivage des
subsistances; car alors elles seront destiné es pour une ville
assiégée. Je demande ensuite que la Convention nomme, eom-
mandant-général de la force - armée, le gélléral Piebegru.
Peuple • ressouviens - toi que les colonDes des tyrans coalisés
n'ont jamais teDu devant S011 armée, et erois qu'une poignée
de misérables ne tiendra pas elevaut lujo ..




LJVRE 1"', eH APITRE IV. 273
tés 1, mais on épal"gna ceux qu'on a-vait dé-
clarés rehelles dans le premier rnouvement
d'indignation; Choudieu , Amar ,Ruamps, Du-
hem, furent les seuls envers qui on usa de .. i-
gueur, ils devaient etre transférés au fort
de Ham.


Le lendemain un nouveau tumulte éclata;
car le peuple chercha a empecher la déporta-
tion des condamnés Vadier, Collot, Billalld
et Barere ; mais Pichegru, faisant usage du
pouvoir qu'on lui avait délivré, rétablit 1'01'-
dre; la Convention élle-meme ne voulut pas
couper le mal dans sa racine. Les aut1'es, ar-
retés, conduits 3U fo1't de HalTI, lorsqu'on les
déporta, se moquerent de leurs adversaires,
en lenr reprochant qu'ils ne s'entendaient
nullement en révolution. Tallien meme 2 ne
put jamais décide1' la Convention a p1'endre
des dispositions décisives contre les véritables
auteurs et les provoc~teurs secrets des trou-


1 Ruamps, Thuriot, Cambon, Maribon~Montant, Dllhem,
Amar, Choudieu, Maignet, lIenzo


2 Tallicns'écrie: • Je me décharge de la responsabilité des
-maux que vos lenteuts peuvent entrainer. JI Il avait dit d'abord :
• Oui, l' on conspire contre vous, on conspire sous vos yeux. Oil
est Thuriot, l'ami de Dopsent, l'ame de la conspiration? ou est
Fouché qui écrivait les feuiUes de Babeuf? OU est Cambon? OU est
Lecointre, qui seme ici sans - cesse la division? J e demande
que ces quatre membi'és soient arr~és, et que ceux qui n"ont
pas obéi au décret de l~ Convention, soient mis hors la loi. •


H. n. 18




274 HI5TOIRB DlJ XVIII· 5Ji~CLE.
bles.On décréta, le 16 germinal (5 avril) , l'ar-
restation de neuf aufI:,es députés jacobins 1;
mais par la. on montra au peuple que la dis-
pute n'était que personnelle; car; tandis que
1'0n exécutait Fouquier-Tainville et son tri-
bunal, on conserva les hornmes dont ils n'a-
vaient été que les instruments, pour effectller,
par lellr moyen, de nouveaux changements \l.


Les hommes qui avaient une influence
réelle dans l'assemblée , ne voulaient ou ne
pouvaient permettre qu'on ravlt a la popu-
lace toutes les personnes qui possédaient
l'art de la mettre tont d'un coup en mouve-
mento Personne n'était content du gouverne-
ment 3 de la Convention '1 et la valellr des as-
signats diminuait de jour en jour. De nouveaux
troubles éclaterent au mois de mai. Dans cet in-


t Moise-Bayl~, Chales, Foussedoire, Huguet, Léonard-
Bourdon, Granet, Levasseur, Crassous. Lecointre de Ver-
saiUes. '


2 N ous verrons les J acobins, prisonniers et menaeés de la
mort, jouer un grand r6le sous le Directoire. Fouché aussi
fut arrété eorome terroriste.


3 Tallien dit a la Convention , le 25 germinal an III, ( 1 4
avril 1795,) nO 208: .. 11 n'y aura pas de centre de gouvcr-
nement tant qu'il sera divisé en tant de mains, tant qu'il y
aura une bureaucratie qui suffirait a l'Europe elltiere. Je de-
mande que ron présente sans délai un rapport sur l'organi-
sation du gouverneroent. Montrez un gouvernement au peuple,
et bientot les malveillants, les fanatiques et les terroristes
.eront détruits .•




LIV RE IV, eH A PITR.E 1 v. 27 5
tervalle, entre le tu multe précédent et les nou.:.
velles menées populaires, les Jacobins surent,
tant par leurs discours dans l'asselnblée que par
leurscabales dans les comités, entra ver les teu-
tatives que faisaient les amis de l'ordre pour
réformer la police de la capitale. Chénier, au
contraire, obtint qu'on prh de nouvelles me-
sures violentes contre les émigrés. La consti ..
tution occupait alors la Convention, et Lan-
juinais avait déclaré hautement que lui et ses
amisseraient obligés d'insister sur une con-
stitution avec deux chambres législatives. Cela
déplut entierement aux Jacobins, ce qui leur
lit hater la nouvelle attaque contre la Conven-
tion; tres-bien ~nformée des sctmes qu' on tra-
mait, . elle attendit traoquillement l' explosion
puisqu'elle avait, daos les comités du gouver-
nemeot, des Jacobins qui paraIysaient la force
des autres.


Le 19 mai, les provocateurs porterent l'im-
pudence ju~qu'a faire imprimer Ieur plan qui
fut distribué le lendemain 1 er prairial l. On
avait fixé l'exécution a minuit; les femmes·
étaient encore en avant. On battit, a cinq heures
du sOlr, la générale aux faubourgs Saint-An- ,


J Ontrouvo ce plan dans le Moniteur, an IlI, nO 244,
pago 985. "-


18.




276 HIS'l'OlRE DU XVIIl" SIF.CLE.
toine et Saint-Marceau; a huit heures, le co-
mité de síueté fit rassembIer, an son du tam-
bour, les citoyens des autres quartiers de la
ville; ils ne se réunirent que lentenlent, paree
que peu d'entre eux s'intéressaient a la Con-
vention. A onze heures la séance fut'ouverte.
Environ deux heures apres, les députés jaco-
bins donnerent le signal convenu .. Aussitot
les fernmes firent un bruit si épouvantable
dans les tribunes, qu'oneut peine a s'entendre,
et le tumuIte horrible qui avait Heu dans la
sall«, p-;'oduisit le plus profond. silence dan s
l'assemblée. Tandis que Jes furies respiraient
un moment, et q~'elles accordaient aux dépu-
tés quelques minutes de repos, un général
de brigade, arrivé par hasard, se présenta a
la barre. La COIlvention le chargea oe chasser
des tribunes les femmes qui excitaient tous
ces désordres. Accompagné de quelques gré-
nadiers et de plusieurs gens armés de crava-
ches, iI parvint a les faire sortir. Les tribunes
se désemplírent; mais , dans le meme instant,
tonte la populace parut devant les portes. Les
femmes retournent aux tribunes, la porte est
enfoncée, tonte la foule se précipite dan s la
salle, les députés se retirent sur les ha.ncs él e-
vés, et les gendarme~ formentnne haie entre




LIVRE tv, CI{A..J>JTllE IV. ').77
eux et la multitude effrénée. Le vieux Vernier,
Dumont, Boissy-d'Anglas, se succedent alors
alternativement au fauteuil de président. Les
dameurs, les injures, les mena ces et les ris
bruyants de la foule étouffent la voix des
députés; enL1n arriva le secours qu'envoye-
rent quelques sectiollS. Un combat s'engage
dans la salle, la populace succombe, on lui
fait évacuer l'enceinte de l'assemblée, on re-
ferme la porte qu'elle avait enfoncée, et les dé.
bats reprennent leurs cours. A peine a-t-on
joui d'un quart-d'heure de tranquillité, que le
vacarme et le bruit recommencent a la porte,
elle est brisée de nouveau, la garde fléchit et
la foule reIuplit la salle. Un. jeune député,
plein d'intrépidité, nommé Férand, apres
avoir commandé dans les derniers tcmps une
troupe armée et défendu, contre les terroris-
tes, le libre acces des provísions, a París cou-
vre alors inutilement l'entrée, la populace
pas~e sur son corps; a trois heures trente trois
minutes. du matin l'anarchie avait triomphé;
mais ses fauteurs ne sureot point en profiter;
car des gens, comIne Sieyes et Fouché, ai-
maient mieux récolter plus tard les fruits se-
més par le peuple que de se luettre avec luf
dans les memes rangs.




~78 HISTOIRE DU XVIII- SIiwLE .
. Boissy-d'Anglas acquit, dan s eette occasion,


une gloire immortelle par la dignité impertW'ba·
ble qu'il montra lor'sque, pendant le tu multe, il
occupaitleJauteuil de pr_ésident; tandis que l'un
le nlenace d'une pique, que l'autre ajuste son fu·
sil, et que cent balonnettes sont tournées vers
sa poitrine. Dans ce péril imminent Férand vole
a sa défense, un coup de pistolet le blesse et
le renverse 1; aussitot une des furies le frappe
avec son sabot sur la figure, on l' entraine, on
lui coupe la tete, on la met sur une pique, et
on la présente deux foís au président. Boissy-
d' Anglas ne céda point et garda toujours la
meme contenance, mais ]a p]upart des autres
membres de l'assembléese disperserent, quoi-
qu'ils se fussent vantés souvent de mourir a
leur poste. Les Jacobins prirenl alors la parole,
ils donnerent un grand nombre de décrets ré-
volutionnaires, etchargerent de leur exécution
une comnlission qui se composa de Duques-
Jloy, Prieur et Duroy. Carnot, qui joue id le
Ineme role qu'autrefois dans les temps de la
terreur, refusa la quatrieme place qu' on luí
réservait, et en laissa l'honneur a Bourbotte.
Tandis que Romme faisait des propositions in-
sensées, pour remédier incontinent a la di-


1 MOlliteur, an III, nO 245, pago 988.




LIVRE IV, CH.A.PITRE IV. ~79


,sette de pain, et tandis que Duroy, Gonehon,
Garnier, Albitte, Forestier, Thuriot, par-
laient de la nouvelle organisation, les trois co-
mités déc1arerent qu'ils ne reeonnaitr.aient
aueun décret de )a Convention, tant qu'eUe'
resterait assiégée, et confierent a Delmas 1 -le
commandement de la force armée de Paris.


Legendre parut a la tete de ses anciens
a mis, des Septembriseurs, des Cordeliers ; mais
Auguis et Barras firent sonner le tocsin dans les
quartiers habité s par les honnetes eitoyens; ils
sevirent, vershuit heures du soir, entourés de
troupes assez eonsidérables. Les gardes natio-
nales eernerent peu a peu lesTuileries, empe-
cherent l'aftluence, et a onze heures Legendre
se ren4it dans l'assemblée, pour inviter, an
nom des comités, la populace de se séparer.
Ayant en vain essayé d'obtenir la parole, il pa-
rut aceompagné de Chénier, Auguis, Kervé-
legan, Bergouin et de gens armés, comman-
dés par Raffet , et entra de force dans la saUe.
A minuit préeis le combat corn¡nenc;a, et un
coup de sabre étendit presque aussitot Kervé"'\,
legan aux pieds du président. La foule céda


) Delmas avait commandé, le 9 thennidor, SOU!! les ordres de
Barras; d'abord offi,cier de la milice, il aw.it ensuite l)assé
Cornrne aide-rnajor a la garde nationale de Toulouse.




280 HISToIRE DU XVIlICl SIE:CLJ::.


enfin. Les membl'ps qui avaient pris la fuite
reparurent; les débats reprirent Jeurs cours,
et on arreta les instigateurs de ces troubles l.
La Convention se sépara le 2. prairial; mais
00 reconnut le meme jour qu'on avait en-
core a craindre des hostilités formelles entre les
quartiers de la ville habi tés par les classes
ouvrieres et les autres sections. Vers les huit
heures du soÍr, les deux partis s'étaient poul'
ainsi dire rangés en ordre de bataille, pres des
Tuileries, et une Convention nationale, consti-
tuée a l'hotel de ville par les terroristes, bra-
vait l'assemhlée qui siégeait au chateau.
Quelque~'d~putés $urent prévenir une guerra
ci.ile.La ConventiQn leva sa séan~e a quatre
heures. Les rehelles réunÍs a l'hotel de
ville furent faits prisonniers, ainsi que l'as-
sassin de Férand, cependant le combat re-
commen~a le IendemaÍn 3 prairial.


L'assemblée de l'hotel de vilIe, sans égard
ponr les décrets de la Convention, continua
ses séances, arrllcha des maips de la justice le


1 Ceux qui , dans I~s sé'nces des 1 2 et 1 6 germinal, étaient
décrétés d'arrestation, le furcnt de nouveau dans la séance
suivante. On déclara ensuite en état d'accusation, et on arréta
Duquesnoy, Duroy, Romme, Bourbotte, Prieur, Soubrany,
Gonchon, Albitte l'ainé, Paynard, Le Carpentier, Pinet l'ainé,
Bori l' amé.




LIVRE IV, CHAPITRE JV. 281


lneurtrier de Féraud que l'onconduisait au
supplice, et insulta meme au trib\lnal supreme
qui l'avait condamné. Les jeunes gens des au-
tres quartiers venaient de prendre les armes
par ordre des cornités; arrivés á la rue Saint-
Antoine, ils s'étaient emparés des canons des
habitants des faubourgs; mais ne s'étant pas
assez assurés des rues par 00. ils s'étaient
avancés, on leur coupa la re traite et on les
forc;a de rendre les <;anons.


Enfin, la Convention prit des Inesures sé-
rieuses; Delmas, Aubry anden capitaine d'ar-
tillerie, et Gillet qui avait servi comnle com-
missaire aux armées, réunirent vingt mille
hommes, que ron ut passer pour .gardes, na,.
tionales, mais qui n' étaient réeUement que l'é-
lite des soldats convoqués secret6ment, et de-
puis long··temps a París l. Cette circonstance
est d'autant plus él remarquer, que des-Iors les
troupes jOlH~rent toujours le principal role
dans les différents civils.


"1 Doulcet de Pontécoulant, dans le Monitellr,an IlI9 nO 249,..
pago 1006, dit: • Nous devons consaerer eette vietoire d'une
maniere solennelle: ceux qui 1'0nt remportée étaient pour la
plupart a Fleurus, et dans les combats fameux qui ont illustrá
les armées républicaines. Aujourd'hui ils n'ont point démenti
leur courage, et n'ont pas moins bien mérité de la patrie. Je
demande que la Convention nationale nomme une commission
qui se rende aupres des colonnes qui défilent en ce rooment
sous les murs du Palais national. .




~8~ HlSTOIRE DU X VIII- SfECLE.
Le général Menou., autrefois membre de


l'assemblée constitúante, et qui penchait
beaucoup pour l'aristocratie, obUnt le com-
mandement. 'Les faubourgs, qui avaient sous-
trait l'assassin de Férand a l'exécution, et qui
prenaient sa défense, furent cernés, ét si
~I~nou n'eut interposé son autorité, les dé-
putés qui le suivaient auraient fait mettre le
feu aux maisons. Menacés d'un siége formel,
les habitants des faubourgs prirent enfin le
parti de livrer l'assassin qlÚ, a cette nouvelle,
se donna lui-meme la mort, en se p'récipitallt
par une croisée. Cette condescendance en né-
cessita bientot une autre; interpellés de nou-
veau, ils se virent obligés de livrer .Ieurs ca-
nons et de rendre leurs armes.


Apres ces scenes, la Convention dé clara que
la constitution de 1793 ne pouvait etre rétablie;
les officiers qui avaient soutenu les Jacobins
furent licenciés par Aubry; plusieurs meme,
comme Bonaparte qui chercha envain pen-
dant long-temps a se concilier la faveur de
ce général, se virent humiliés dans leurs rap-
ports ou arrachés a leur carriere, de sorte
qu'ils furent obligés de demander eux-memes
leur démission., et de vivre dans la position
la plus facheuse.




LIVRE IV, CllAPITR:E: IV. -
I
~83


On interdit ensuite aux femmes les tribunes
de la Convention, on n'y admit les hOlnmes
qu'avec des cartes d'entrée. Lagarnison de la
vilIe fut composée de troupes régulieres ou
d'une légion de police générale, et on prit
d'autres mesures, confornles aux besoins du
jour l.


La conyictión ou ron était de la nécess~té
de la royauté, l'aurait peut-etre emporté alors'
iúr la haine ,qu'on lui avait vouée et a tous
ses partisans, si les émigrés et les Anglais
n'eusseht tourné, dans le moment melne,
contre les fauteurs de l'ancien régime tout le
ressentiment que la nation portait aux Jaco-
bins , et s'ils n' ~ussent approuvé plusieurs dé-


I Au nombre des mesures qu'on prit, il faut citer le décre'
qui devait assoupir les troubles récents, tendant a la délivrance
des terroristes : '


1° Le décret du 12 germinal, qui , par mesure de sureté
générale, ordonne la déportation de ColIot, Billaud, Barere
et Vadier, est rapporté. .


2° La Convention nationale décrete d'accusation Barere,
ColIot, Billaud el Vadier; el ordonne qu'ils seront traduits
au tribunal criminel de la Charente-Inféricure, pour y ~tr.
jugés~


3° Le comité de législation présentera demain la rédaction
de l'acte d'accusation. I


4° Pache, Audouin son gendre, Bouchotte ex-ministre, d' Au-
bigny son adjoint, Clémence ci - devant employé au comité
de sureté générale, Héron ci-devant commis du comité de su-
reté générale ,Marchand, idem, Hassenfratz, seront traduits
au tribunal criminel du département de l'Eure et Loire, pour
y étre incessamment jugés.




~84 HISTOiRE l>U XVIl.le SllLCl-E.
nlarches des terroristes lorsqu'on travaillait a
les exterminer l.


Les troubles de la Vendée, las bdgandages
des Chouans dan s l'ancienne Bretagne, recom-
mencereot avec la guerra civile. Les Anglais les
fOluentaient, pour prendre, daos l'iotervalle,
les colonies hollandaises et fran<;aises, pour
détruire les tIoUes, et pour affermir leur au-
to~ité sur l'Océan. Daos la crainte que la
tranquillité ne se rétablit en France, ils con-
duisirent dans la baie de Quiberon tous les
Fran<;ais qui étaient a Ieur solde. Charette avait
repris les arnles depuis le 24 juin 1795. Ainsi,
guidés par une poli tique infernale , les Anglais
parvinrent, le ~6 et le 27 juin, a perdre les
trois vaisseaux de guerre fran<;ais, qui étaient
dalls ces parages; en outre ils attiserent une
haine implacable entre les royalistes et les
constitutionnels. Le nlauvaÍs succes de leur
entreprise devint nH~me avantageux a la
Grande-Bretagne, puisqu'il détruisit les meil-
leurs marins de leurs rivaux, et l'élite de Ieur
armée, en leur épargnant des sommes Ílnmen-
ses, qu'il aurait faUu employer a leur eotretien.


1 Le 9 prairial, (le 28 mai) on décréta l'arrestaliQn de
tous les anciens membres des comitésadIQinistratifs, a l'ex-
ception de Louis de Niederrhein ,de Prieur et de Carnot; car
ce dernier disait-on, a organisé la victoire !




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 285
Pendant Qn mois entier, le général Hoche,


et Tallien commissaire de la Convention, ...
s'opposerent ~ la descente dans la baie de Qui-
beron. Les Anglais trahirent et abandonnererit
alors les pauvres abusés qu'ils livrerent a la
discrétion de l' ennemi, pour se sauver eux-
memes. Les Franc;ais abordés furent tués par
l'artillerie de leurs cOlnpatriotes , ou condam-
nés a mort par trois commissions de guerre ,
malgré la capitulation. Ce fut précisément .' le
jour de l'anniversaire de la chute de Robes-
pierre que Tallien fit a la Convcntion son
rapport sur cette expédition et ses exploits
sanglants l.


La commissiol) des onze lui présenta enfin
aussi son projet de constitution; mais on y
adapta encore eette fóis trop d'élénÍents pui-
sés dan s les reyeS de ces hommes entierement
adonnés a la théorie, et qui connaissaien t peu
l'histoire; l'élection de tons les magistrats
resta au peuple, et les autorités furent divi-
sées. On chargea le Conseil des Cinq-cents,
d'ébaucher la législation et d'établir les loís.,
dont la discussion fut confié e au Conseil des
Anciens, composé de deux cent cinquantedé-


1 On trouvera le complément de ces événements plus has)
dan!! l'histoire de la guerre de '795 jusqll'en 1797.




286 HISTOIRE Dtr XVIlJO 51ECLE.
putés agés de quarante ans. olÍ remit le gou-
vernement des affaires entre les mains de cinq
directeurs a qui l'on adjoignit six ministres.
Mais comment latranquillité pouvait-elle re-
naltre dans un royaume d'une si grande éten-
due lorsque, d'apres le texte de la cOllstitu-
tion, tout corps public renouvelait tous les
ans le tiers de ses membres, et qu'un direc-
tcur résignait chaque année , et ne pouvait etre
réélu que cinq ans apreso Nous passons sous
silence les autres ordonnances de cette con-
stitntion éphémere; mais nous dirons quel-
ques mots sur les pleces annexées, puisqu'elles
devinrent la source de tous les maux. Elles
furent produites "le 2 fructidor (19 aout), com-
mentées le 13; et, le 3 brumaire (25 octobre),
on y ajouta un nouveau supplément qui eut
des résultats bien plus fnnestes que les ordon-
nances dont nous venons de parler.


Les décrets du 3 brumaire durent le jour a
des événements plus récents; ceux du 2 fructi-
dor furent surtout occasionnés par le désir
qu'avait la Convention Ilationale de se main-
tenir elle-meme dans la possession du gouver-
nement. Les deux tiers du nouveau Corps-Ié-
gislatif devaient etrc composés de membrés
qui avaient déja siégé dans l'assemblée, et




LIVRE IV, CIJAPITRE IV. ~87
le reste, de gens qui n'avaient pas encore été
élus. Les prenli~rs craignaient avec raison
que personne ne Ieur donnat de hon gré SOl'!
suffrage, puisque les différents du terrorisme
avaientfait connaitre les atrocités qu'ils avaient
exercées ou tolérées; aussi a peine trente a
quarante parmi eux conserverent une ré-
putation intacte. D'un autre coté, il pouvait
seII1hler nécessaire que les derniers députés
républicains eussent droit de siéger a la nou-
velle assemblée , car si on les excluait, un
granel nombre de députés du coté droit, ad-
mis dans les salons de madame de Stael 1,
faisaient assez entendre qu'ils rameneraient
avec le grand ~onde: les noros historiques,
l'afféterie et la faiblesse de la constitution de
1789- Pour contrebalancer leur influence
iI fallut, d'apres la malheureuse politique de
la révolution, relever les Jacobins et dispo-


I


I Tallien, qui grossissait alors de nouveau le nombre des
Jacobins, dit, en parlant de la députation re~ue a la Conven-
tion: • Tous ces hommes sont les mdmes qui, a la fin de ]'as-
semhlée constituante, ont sollicité la révision, qui formerent
la majorité de l'assemblée législative, qui voulureut maintenir
la royauté, et qui aujourd'hui dirigent certains journaux. lIs
se réunissent dans les coteries particuliercs .•


Quant aux assemblées des journalistes, et a leur fabrique
de constitution , voyez les notices dans Beaulieu , Essais, etc.
tomo 'VI: • C'est la qu'ils disaient, il Y a deux jours, qu'il n'é-
tait pas encore ternps de juger les événements du 10 aout, et
que Lafayctte avait bien fait d'abandonner son armée ••




288 HISTOIRE DT.1 XVIIIC SJl.~CL}:.
ser des soldats dans la ville et aux environs.
Les patriotes de 1793 arretés furent relachés,
et on ]eur rendit leurs armes. Quand on crut
avoir répandu par la une terreur suffisante,
on convoqua les assemblées primaires pour
qu'elles acceptassent ou rejetassent la con-
stitution et ses pieces annexées l. Aucun article
supplémentaire ne parut plus préjudiciable
que l'ordonnance qu'on avait ajoutée le
13 fructidor; le peuple devait avoir le droit
d'élire les membres de la Convention qui en~
treraient ,dan s la nouvelle assemblée; mais en
éas que les élections dans plusieurs colléges
électoraux tonlbassent sur les memes 1l1em-
bres , la Conve!1tion aurait le pOl1voir de com-


, pléter le nombre par une électíon faite dan~
son sein. L'intentioll infame qu'on avait eue
en faisant ce supplément était trap évidente


1 Le discours du député de la section du Mail prouve que
les Parisiens sa:vaient bien quel but la Convention se pro-
posait. Car iI dit, de COl1cert avec M. LacreteIle jeune qui
parait apres lui eomme orateur rle la seetion des Champs-
Élysées : • Poul'quoi ces troupes autour de París? sommes-
nous assiégés ou a la veille de l'etre? voudrait-on traiter le peu-
pIe eorome un Lama, qll'on adore en dieu, et qu'on enferme
en esclave? Depuis le premier prairial, la nation est rentré~
dans ses droits, elle a juré de ne pas souffrir d'usurpation ... 1.a
garde parisíenne a-t-elle démérité pour qu'on l'envirollne de
troupes? Lá Vendée se grossit dit - OD. Eh bien! laissez nos
freres d'armes a11er ceindre leurs fr.ont~ de Douvenux lauriers,
~lOUS v('illerons dans l'intérieur:




L I V R f: IV, e H A PI T RE J V • ~ 89
pour qu'op espérat que les citoyens indépen-
dants lui donnassent ja~ais leurs suffrages.
On eommenc;a done par recueillir les voix de
l'armée et on donna ainsi aux généraux un té-
nloignage seeretque, eelui parmi eux qui se
sentait assez puissant pOUI' régner sur les sol-
dats pouvait bientot devenir le maitre de
l'État l. Des que les troupes eurent voté, Tal-
lien , Fréron , Barras, Legendreet les aneiens
a,mis de Danton, se servirent des memes
moyens que Danton et ,Garat avaient enl-
ployés préeédemment, pour faire agréer la
eonsti tution de 1793 2.


Legendre s'éleva dans la Convention eontre
madame de Stael et ses eercles avee toute la


1 Le président du méme Corps-Législatif, qui venait de dé-
clarer que l'armée était essentiellement un corps ohéissant, dit ,
le 11 fructidor, ainsi bien avant qu'on ne songeat a consulter
le peuple: • Déja IflS braves soldats du camp so'us París ont
accepté la constitutíon républicaine.»


:1 Garat, instrument de Danton, raconte dans ses Mémoires
sur la Révolution, pago 163:. Danton, couvrant ce qu'il y
avait de sauvage dallS sa voix. ce qu'il y avait de sensible
dans son coour : eh bien! me dit-il, Garat, si vous voulez que
cela ait líeu, laíssez done la votre ennuyeuse modération,
heltez-vous de prendre loutes les mesures pour envoyer par-
tout eette eonstitution, pour la faire partout accepter; faites-
vous donner de l' argellt , et ne l' épargnez pas; la République
len aura toujours assez. S'iI ne tíent qu'a cela, lui répliquai-je.
l'eposez-vous sur moi; je sais que penser de la constitution
qu' on nous donne. mais son acceptation me paralt l'unique
moyeo de sauver la République, et je vous garantis sur ma
tete qu'elle sera acceptée. "


H. JI. I ~)




290 HISTOln E DU XVlIle sli~CLE.
force d~une éloquence grossicre, qui sentait
son ancien état. On fit entrer dans les sections~
malgré totItes- les protestations 1, les hordes
des sans- culottes. On rassembla meme, dans
une salle de l'hotel des invalides, tous les 801-
dats et officiers répandus dans Paris pour vo-
ter; néanmoins la constitution fut acceptée
dans la capitale, et les suppléments rejetés;
on vit la memechose dans la plupart des as-
semblées primaires de la Franee, mais la
Convention s'en i~quiéta fort peu, et publia ,
le 1 er vendemiaire' (23 aout) , que la eonstitu-
tion était adoptée avec ses pieces annexées.


Les Parisiens, y ajoutant peu de foi, de-
manderent conlpte de la maniere dont on avait
recueilli les voix, ce qui n'était 'nullement
dans la volonté, ni dans le pouvoir de hl Con-
vention. Les députés des sections formerent
une assemblée générale des éleeteurs, a 1'0-
déon. La Convention l'annula, et, a l'aide de la
force-armée, la dispersa le 10 vendémiaire. Le
peuple en murmurait hautement, ¡nais il n'en


1 Mémorial lle Sainte -Ilé/ene par le comte de Las - Cases,
Paris 1823, tomo II, pago 206 .• Lesquarante-huit sections dePa.
ris se réunirent, ce furent quarante-huit tribuues daus lesquelles
accoururent les orateurs les plus virulents : La Harpe , Sérizi,
Lacretelle jeune, Vaublanc, Regnault, etc. Il fallait peu de
talents pour exciter tous les esprits contre la Convention , et
plusieurs de ces orateurs en montrerent beaucoup .•




LIVr.E IV, CHAPITHF: IV. 291
villt pas a une révolte. Les sections et leurs
électeurs, s'appuyant sur le mécontentemellt
général, se mailltinrent dans une espece de
permanence; les électeurs de lasection Lepel-
letier, résidence, du royalisme, semblerent
surtout, comme en 1789, vouloir s'ériger en
corps constituant et se meUre en état d'insur-
rection. Des émigrés, des anciens officiers et
des jeunes gens de bonne famille se mon-
traient disposés a vider le différent contre la
Convention, les armes a la main l.


1 En lisant les Lettl'es sur quelques pUl'ticulal'ités St'cl'lj(es de
tHistoire pendant l'intcl'reglle des Bourbons, 3 volumes in_So,
París 1 S 1 5 , on eonviendra que les hommes a la Convention
qui criaient alors eontre les nobles et Ieur influence, n' étaient
pas dans leur tort. Cet éerivain qui regarde tout roturier eomme
eanaille, l'homme de leUres eomme plumiste, et qui dit, tomo 1,
pago 38: • Je n'ai d'ailleurs jamais aimé la province, paree
que les provineiaux sont, en général, envieux, jaloux, médi-
sants, d'un commérage et d'un ennuí mortels; paree que Ieur
oisiveté, qui ue eesse presque jamais, les lasse et les fatigue
eux-mémes; paree que Ieur esprit bégaye ;Jlarce qu' enfin leurs
mreurs aussi. corrompues que celles de la capitale n' ont pas tUl
si beau vernis. " Le meme homme, a peine éehappé a la terreur,
devint électeur aMantes. et Réal et Prudhomme l'aecuserent
publiquement de fomenter la eontre-révolution. Il dit, tomo 1,
pago 302 : • Il existait bien quelque chose de vrai dans les dé-
llonciations de MM. Réal et Prudhomme.


«A la bU d'un souper d'élec~eurs, j'avúis remis a chaeun une
eocarde blauehe, et nous avions dit entre nous, a huis-dos,
mais de hon creur;" Vive Louis XVIII!


.. J'avais fait rassembler une cinquantaine de royalistes,
lesquels, dnns une campagne isolée, pendallt la nuit, préterent
serment entre mes mains sur les saints évnngiles d't~tre fideIes


19-




292 HlSTO[HJ~ DU XVlII c SIECLf:.
Lorsque la Convention se vit ainsi en mau-


o vaise inteHigence avec la ville, ceux de ses
Inembres qlli étaient initiés dans le secret de
la démagogie recoururent aux anciens artí-
fices. On commen<;a par Jire des lettres a
l'assemblée, ou ron disait que Charette et la
Vendée s'étaientjoints aux Parisiens;on ren-
voya les adresses et pétitions des ho~netes ci.
toyens, des qu'ils seprésentaient en masse;
on accueillait ceHes des patriotes et des sans- .
culottes avec allégresse, et on fixa la pre-
nliere séance du nouveau Corps-Législatif au
5 brumaire (27 octobre): l'opposition des Pa-
risiens et lenr lutte contre les défenseurs de
la Convention continuaient toujours J. Elle
a Louis XVIII, et de m' obéir en tout ce que je leur com-
manderais ou ferais ordonner pour la cause du trone et de
l'autel. I1s jurerent aussi de recruter des ho~mes dont ils se-
raient surs, dans les pays environnants, pour aller renforcer
les sections de Paris, ou l'armée des Chouans, ( contmandée
par le jeune comte de Frotté en N ormandie) si je le trouvais
plus a propos. Des Ja~objns nous épierent malgré ma surveil-
lance personnelle, et ceHe de quelques braves gens qui m'é-
taient affidés et tres-dévoués: mais ces Jacobins n'oserent nous
dénoncer qu'au moment OU nous perdimes notre proces .....
Bien des personnes se rappellent encore l'enthousiasme que
j'excite dans les sections de Paris , lorsque j'y arrive en qua-
lité d'éleetcur et député aupres d'elles. ..


7 Il Y cut, le 3 vendémiaire, au Palais-Hoyal, un combat
entre les eitoyens et les gendarmes de la Convention, suseités
par les députés; le 6 ,des généraux, des officiers et des ter-
roristes de l'aneien régime en vinrent aux mains, ce qui occa-
síonna un nouveau combato




LIVRE 1 V, CHAPITR E IV. 293
avait appelé secretement a París un grand
nOlnbre d'officiers et tle soldats; elle venait
d'interuire les assemblées de sections comme
illégales,et d'ordonner, par une loi expresse, a
toutes les réunions de se dissoudre dans les
vingt-quatre heures. On vit bientot que le
différent ne pourrait etre terminé que par la
force. C'est pourquoi on avait envoyé quel-
ques députés dans les faubourgs, pou~ ras-
sembler les ouvriers et les cohortes ordinaires
'des Jacobins; mais ils n'y trouverent pas un
accueil favorable, car le peuple se rappelait
encore comment il avait été abusé au mois
de prairial. On recourut done aux patriotesde
1793, auxSeptembriseurs, aux héros de la Bas.-
tille.On en organisa au jardín des Tuileries une
légion, surnOffilnée la légion sacrée, contre les
troupes du Palais-royal, composées de han-
quiers . et de leurs commis, de négociants
royalistes de I'ancien régime, de savants et
d'artistes distingués. Cette légion, comprenant
el peu pres trois mille hommes 1, fut appelée
l'armée de la Convention 2. ,


1 D'apres le Mérnorial dl~ Sainte- Hélene, c'est quatre mille
cinq cents hommes qu'on divisa en trois hataillons, et qU'Oll
mit soos les ordres du général Berruyel'.


;¿ Le 12 vendémiaire, ilsprésenterent une adre!!lse a la Con ..
vention. Le redoutahle Dubois-Crancé proposa de la faire




29[1 ,IIISTOIR.E DU XVIlle SIECL1~.
Les hostilités commen~erent le 1 I vendé-


miaire lorsque l'assemhlée nationale siffIa au
théatre fran~ais le décret qui lui ordonnait de
se séparer en vingt-quatre heures. On s'atten-
daitau combat péndant la nuit,et laConvention
resta assemblée jusqu'a trois heures..du matin;
mais lelendemain l'affaire oevint plus sérieuse.
Depuis la pointe du jou!' jusqu'au coucher du
soleil, la section Lepelletier resta sous les ar-
mes. A huit heures du, soir, lorsque le péril
s'approchait, ]a Convention 6.t une proclama-
tion, et le général Menou, depuis quelque
moisa la tete de la force-armée 1 ,rec;ut I'ordre
d'intercepter les munitioÍls- et d' en tourer de
soldats et de terroristes la section qui n'avait
pas d'artillerie. Elle était cernée 2, on était en
présence, ]orsque les autres sections rassem-
hIerent toutes les forces qu' elles avaient dans
les différents quartiers de la ville, et, -deux
heures apres , trente mille citoyens étaient sous
les armes. Menou n'aimait pas a répandre le
sang, malgré l' ordre qu'iJ en avait re~u, puis-


imprimer et afficher en y joignant la réponse polie et encou-
rageante du président. La proposition fut acceptée.


1 Le général Menou faít partie des officiers bien désignés'
par le sobl'iquet de Talons rouges.


2 Nons nons permettous de révoqner en doute la déclaration
de M. le eomte de Las-Cases, vol. 11, pago 208.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 295
que on pOllvait le lui imputer, comme autre-
fois a Bailly; et la Convention apprit a minuit,
a son granel dépit, qu'on s'était séparé en paix.
Qui pourrait décrire la rage a laquelle se li-
vrerent les hornrnes de ce telnps, qui ne res-


• piraient que la violen ce et les combats les
plus sanglants I? lIs choisirent parmi eux des
cannibales pour exécuter leur décret. On
donna le commandement de la force-armée a
narvas que les ruines de Toulon rendaient vé-
ritablement digne de }pur confiance, et qui
avait sous ses ordres Delmas, Laporte et Gou-
pillean. Barras trouva en Bonaparte un homme
a qui tout moyen était hon pourv!l qu'il le
conduis!t a son but. Il le fit done sortir de
cette inaction a laquelle Aubry et le parti roo-


. dére l'avaient condamné. Bonaparte, mainte-
nant chargé de diriger te canon, n'était pas a
vjngt-cinq ans l'homme qui, secondé par la
populace, aurait h.ésité de faire jouer la mi-


1 Poultier s'écrie: " A la téte de la force-armée est un an-
cien b~on. 11 est im}lossible d'imaginer le langage de bassesse
du ci-4evant baron de Menou a la sectioIl Lepelletier. Un gé-
néral n'est pas ellvoyé pour délibérer. Je demande que les
comités examinent la:conduite de Meñou .• Apres de violents
débats, Loupet dit enfin : • Une négligence extrémement cou-
pable, si ce n' est pas la plus cri minelle , a paralysé les mesures
de vos comités du gouvernement. Les comités ont su, des la
matinée, qu'une poiguée de L'lctieux battait la générate , bat-
taít des appels, fuisait des proclamations .•




296 HISTOIRE DU XVIIle SI~:CL}=.
traille sur d'honnetes citoyens. lis avaien t, il
est .vrai, á leur tete des officiers aguerris et
pour chef un général; mais Danícan, él qui
ron avait confié la direction principale des
mouvements, 6.t preuve dans toutes les 'cir-
constances d'autant d'ineptie, que Bonaparte ~
lnontra d'habileté. J.Je combat <levait commen-
cer a six heures 1, mais chaque partí craignait
d'attaquer le premier. Enfin Bonaparte provo-
qua deux coups de fusil de la part des section-
naires, il Y lit a11ssitot répondre par le canOD.


L'action n'était sérieuse qu'en peu d'en-
droits; elle dura cependant jusqu'él sept heu-
res du soir, et Barras ne put annoncer la vic ..
toire' a la Convention qu'a neuf heures. Le
rapport qu' en fait le Moniteur prouve meme
qu~il avait faUu acheter la "ictoire au prix du
sang d'un grand nombre de citoyens 2.


"Mémorial de Sainte-Hélene, tome lI, pages 216-17: <1 A
chaque instant les affaires empiraient. A trois heures, Danican,
général des sectiolls , envoya un parlementaire somm~r la Con-
vention d'éloigner les troupes qui mena~aient le peuple, et
de désarmer les Terroristes. Ce parlementaire traversa les postes,
les yeux handés , avec toutes les formes de la guerreo JI fut
intl'oduit ainsi au mi\ieu du comité des QU81'ante, qu'il émut
beaucou{> par ses mellaces; on le renvoya vers les quatre
lIeures. La nuit approcha, et il n'est pas douteux qu'elle Ile dut
ctre favorable aux sectionnaires, vu le grand nombre. Ils pou-
vaient se faufller de maison en maison dans toutes les avenues
des Tuileries déja étroitement bloquées. »


2 Callclaux (noMe comme Barras et Bonapa¡'te, et roa-




LIVRE IV, CHAPIT RE IV. 297
Comme on ne pouvait guere étab1ir un tri·


bunal révolutionnaire, on recourut aux com·
missions militaires. On en institua trois pour
écarter tous ceux qui sen1blaien t gener le
parti dominant.


On eut alors tont le loisir de donner, le
3 brumaire, la loi affreuse qui exclut plus d'un
tiers de la nation franc;aise de la législation
et de toutes les charges, puisqu' on dé clara
morts civilement les parents des émigrés,
ainsi que tons ceux qni avaient en quelque
part au rejet des pieces annexées a la con-
stitution, jusqn'a la paix générale. •


Ces derniers événements angmenterent dans
la nation entiere l'aversion -que l'assemblée
avait contre les Jacobins 1. Les nonvelles élec-
tions en furent une preuve. On élut presque
jor avant la révolution) et autres y furent employés; Bo-
naparte seul nt jouer la mitraille; il balayait les quais ou les
seetions défilaient. Fréron dit done dan s un autre endroit:


(Molliteur an IV, nO 22, page 88) : e N'oubliez pas que
Bonaparte, nommé dans la nuit du 12 pour remplaeer Me-
nou , et qui n' a eu que la matinée du 1 3 pour faire les dispo-
sitions savantes dont vous avez vu les heureux effets, avait été
retiré de son armée pour le faire entrer dans l'ínf.1nterie .•


I Le décret de déportation contre Billaud. Collot, Bal'ere
et Vadier, avait été changé en décret d'aceusation, mais Col-
10t et Billaud avaient disparu.; le dernier est encore aujonr-
d'hui journaliste de la COUl' et de l'État a Saint - Domingue ;
Vadier s'était rendu invisible: il ne restait que Barere. Ayant
alors retiré le décret d'aceusation, on voulut qu'il fUt déporté,
rnais il s'échappa de sa prison et se réfugia a Saintes.




298 HISTOIRE HU XV J I fe SI .l~CLE.
partou t, pour le nouveau tiers, des hommes qlli
n'étaient nullement les admirateurs pronon-
cés de la révolution; on choisit dan s la Con-
vention ceux a qui l'on s.upposait des inten-
tions modérées; majs ceux qui Il'avaient pas
été élus furent secondés par leurs fideles sec ..
tateurs. eomme il n'y avait a la Convention
que peu d'hommes dignes d'etre réélus, ils
avaient ~té nommés en menle temps dans p]u-
sieurs col1éges; ainsi cent quatre places res-
taient vacantes. Ce cas avait été prévu. dans
les suppléments.


La Convention ne laissa point, aux députés
élus en deux endroits, le ehoix entre la mis-
sion des aeux département~, pou.' qu' on put
procéder a de nouvelles éleetions dans ehaeun
des départements qui se trouvaient'ainsi sans
députés, mais elle se eonstitua elle-Incme en
eoIlége électoral de Franee, s' en donna le
titre etilisposa ainsi de toutes les éleetions.


La nouvelle législature se eomposai t de trois
parties eontraires, dont chaeune avait un rap-
port tout différent avee la nation : 10 I .. es dé-
pt~tés nouvellement élus, qui se regardaient
eomme les seuls représentants du peuple.
2° Les trois eent soixante-dix-lleuf memhres 1


I Le nombre en devait ~tre de trois cent quatre-vingt-




LIVRE IV, CIIAPITItE ¡IV. 299
qui étaient odieux a tous les hommes éclairés
et dont les sentiments n'étaient pas assez ré-
volutionnaires pour ces gens qui ne voulaient
entendre parler, ni d'ordre, ni de· Dieu;
30 enfin les cent quatre élus par eux-memes
qui se trouvaient toujours en opposition avec
le nouveau tiers.


La confusion fut portée a son eomble; car
la connexion des deux Corps-Iégislatifs était
contre nature, tant par rapport a eux-memes
que par rapport au directoire. La proposition
des lois ne venait ni du conseil exécutif ni de ce-
lui des' Anciens, et, a l'élection meme de ce
dernier conseil, on ne s'était, pas exaetement
conformé aux réglements de la, constitution l.


A la fin de l'année 1794, les Fran~ais oc-
eupaient d'un coté tout le Rhin; Mayence
et Manheim seuls les arretaient; de l'mItre
coté Piehegru, arrivé a la frontiere de la Hol-
lande, songeait a envahir les sept provinces,
comme on l'avait fait de la Belgique-Autri-
chienne. Les ennemis se voyaient en outre


seize, mais le mauvais état 'des colonies empécha qu'on fit
venir leurs députés a Paris.


I Pour eBtrer au Conseil des Anciens, il falIait etre marié ou
veuf, et avoir passé quarante ans. On tira d'abord cent soixante-
neuf noms des membres de la Conventioo, ensuite soixante-
trois du nouveau tiers pour compléter le nombre.




300 HISl'OIRE DU XVIlle Sd~CLE.
obligés de faire de nouveaux efforts en Italie
pour seconder leurs alliés.


Aux frontieres d'Espag~e, la fortune sourit
aussi aux :Fran<;ais; les Espagnols cherchaient
la paix, tandis que depuis long-temps la PrU$se
la négociait pour elle-meme. Quant a la Hol-
lande, le comité de salut public avait réuni
tous les mécontents et les patriotes I. Le gé-
néral DreudeIs, passé au service de la France,
s'avanca avec des proc\amations et des troupes
hollandaises 2, et un froid rigoureux facilita le
passage des fleuves et des marais. Depuis le
mois de décembre 1794, jusqu'au J 6 janvier
J 795, 00 vit se répandre dans tout le pays avec
les Franr;ais la révolte contre les anciens magis-
trats. Ceux-ci furent partont cootraiots de se
désisterdeleursemplois,etlestathoudermeme,
dont la charge était héréditaire, apres avoir


I


I Les patriotes avaient formé un comité révolutionnaire a
Allvers; Herzogenbusch étant occupé , le comité y fut traus-
féré, d'ou il entretiut une corresponoanee avee toutes les villes
et les partieuliers qui étaient opposés au parti d'Orallge.


Z La circulaire. du général Drendels, qui occasion~a une
révolte a Amsterdam et a Leyde, était con~ue en ces termes:
" Les représeutants de la uation fran~aise demandent de ]a
Hollande qu'elle se délivre elle - méme. lIs ne veul~nt pas la
traite:z; en vainqueurs, ni la foreer de prendre des assignats
pour de l'argent; ils désirent s'unir it elle comme a une nation
lihre. Les villes de Dordrecht, Harlem, Leyde, Amsterdam,
effeetueront done a elles seu)es la révolution , et en avertiront,
par des députés, les représentants de Herzogenbuseh. »




L IV R E 1 V, e H A P 1 T RE 1 v. 301


tenté inutilenlent d'acheter la paix au prix de
plusieurs millions, abdiqua le 18, et passa
ave.c son fils en Angleterre.


Les Anglais une fois chassés de toutes les
provinces, les Hollanuais, dont le gouverne-
ment semblait épuré par l'expulsion du stat-
houder, chercherent a négocier avec les Fran-
<;ais. Paulus, comnle plénipotentiaire des
États-Généraux, dirigeait leurs affaires avec
beaucoup d'habileté. Les Fran<;ais envoyerent
en Hollande Síeyes et Rewbell, les hommes les
plus astucieux, les plus froids, qui ne se lais-
saient point enthousiasmer, et qui s'enten-
daient parfaitement avec Carnot, chargé d'af-
faires du comité _de salut publico


Plusieurs membres de la Convention s'éle-
verent envain contre la générosité prétendue
de leurs commissaires'. Ceux-ci ne conclurent
pas mOlOS, avec les Hbllandais, une paix quileur
valut une somme irnmense d'argent comptant,
et qui mit ce peuple dans une/position plus
facheuse que s'il eút été traité eomme con-
quete fran<;aise, par la raison meme qu'on lni
laissa, sous les dehors d'une existenee indépen-
dante, tous les fardeaux qui s'y attachaient l.


1 Le traité f¡e trouve dans le Reclleil de Martens : les Hol-
landais dOllnerent cent millions, et toutes les places fortes




302 llISTO IR E HU xv 1 I1e S 11~:CLE.
L'histoire des deux années suivantes dé-


voile quels faibles avantages furent assurés aux
Hollandais. On signa le traité le 16 mai 1795.
Piehegru prit le eommandement des troupes
du Rhin et entama aussitót, eomme on le
sait ,positivement aujourd'hui 1, des Ilégoeia-
tions avec les émigrés qu'on détestait en
Franee 2. Elles ne puren t res ter secretes, de-
vinrent une souree de méfianee et causerent
tons les lnaux qui éclaterent dans la suite,
puisque Pichegru fonnait, a lui seul, une puis-
sanee contre le gouvernement alors établi.


Ce général, de concert avec Condé 3 , ne vou-
resterent au pouvoir des Fran~ais. Les HoIlandais devaient
conserver Ieur. constitution, mais abolir le stathoudérat.


I Fastes de l"anarcltie, tome 1, page 426.
:1 Piclu'gru et Moreau, GU 18 fructidor an 17, suivi de la conju-


ralion de ce dernier, pendallt tes allnées 111, Ir el 1"', et de la
correspondance deS nommés Drake et Spencer Smith, ambassa-
deurs ang/ais, pendant le mois de mars dernier, tendaut a rellouer
les trames contre la France et la perSOnTle du premier consul; it
Paris, de l'imprimerie de Bertrand.Pottier, germinal, an XII,
in-SO.


3 Pichegru et Moreau, pages 8-19; dan. les Pieces trow'ées
a Offenbourg, voIume 1) Page 122, un des négoeiateurs
fait le rapport suivant d'un entretien qu'il eut avee Piehegru


lau mois de février 1796 : ti On ne peut croire que je ne fasse
pas ce que l' on désire de moi, quand méme mon opinion ne
m'y porterait pas en pIein. Vous savez que le gouvernement
me déteste sans oser me le montrer , et me eraint. Vous savez
comme je me suis prononeé et me pronouee tous les jours,
méme trop, cOlltre les gueux qui au fond sont les seuIs qui
soutiennent opiniatrémellt la guerrc, et qui seuls ticndront




LIVIU: 1 V, eH Al1 l TUI<: IV. 303
lait point passer le Rhin , mais il se vit obligé
d'avancer lorsque Jourdan, a la tete de l'ar-
mée deSambre etl\leuse, alla a larencontrede
Clairfait. Jonrdan, accompagné de Kléb~r, di-
rigca uans le N ord, et Pichegru, dans le Sud,
l'attaque eontre l'Allemagne; l'un, depuis les
frontieres de la Belgique jusqu'a Manheim,
'et l'autre, depuis Huningue jusqu'a eette melUe
ville. Au commencement du mois de septem-
bre, Kléber traversa le territoire de Prusse
malgré la neutralité, et Championet passa le
Rhin pres de Dusseldorf. Pkhegru prit Man-
heim le 21 septembre. Il s'élevait déja alors
tant de clameurs contre lui que Moreau, et
tous les générau~ qui avaient 'commandé en
lIollande sons ses ordres, lui envoyerent un
témoignage public de son patriotisme et de ses
talen ts mili taires, signé de leurs noms, et le
firent insérer dans les gazettes officielles. Le
parti républicain favorisa Jourdan; cal' il avait
pénétré 'les motifs qui portaient Pichegru


toujoUl'S les rimes. Que dois-je espérer par la suite, si ce n'est
d'abord des inculpations, puis des perséeutÍons, et a la suite
pis peut-etre cncore? Vous voy€z done que. je suis personnel-
lement intéressé a une chose que mon opinion prescrit, et que
mon ereur désÍre qu'on soÍt bien persuadé qu'ayant concluit
la ehose aussi loin qu'elle rest ,je saurai sans doute anssÍ saisir
le momellt favorable, tel qu' il le faut pour ne pas manquer le
coup. »




304 HISTOIRE DU XVIlIe SIi~CLE.
a temporiser.Cesdeux généraux n'étaientdollC
pas en parfaite intelligence, ce qui facilita aux
Au trichiens les moyens de délivrer l' Allemagne
a la fin de l'année, lorsque Clairfait et Wurm-
ser se mirent de nouveau en mouvement, l'un
contre Jourdan. et l'autre contre Pichegru. La
meme désunion, la meme inimitié, régnait
entre les défenseurs des émigrés et ceux des
patrio tes , mais on ne les "it jamais perfides
comme Pichegru, dont les relations avec
Condé ne resterent pas entierement secretes
pour Wurmser qui sul adroitenlent en pro-
fiter.


Quosdapowich battit, le 10 octobre 1795,
la division qui s' était avancée de Manheim
a Heidelberg. Clairfait, s'appuyant sur la vio-


I lation de la neutralité du territoÍre prussien
par les Fran<;ais, lors de leur passage du Rhin
pres d'Eichelkamp, la rompit a11ssi de son
coté et tourna l'aile gauche de Jourdan. Les
Fran<;ais, chargés du butin qu'ils avaient fait
sur les paysans et de feurhaine, voyant la
victoire leur échapper des mains, prirent la
fuite. Clairfait les poursuivit avec habileté et
sansperdre de temps. Il les atteiguit pres de
Nidda,ou Jourdan risqua une attaque; il fut
chassé du village le J 2 octobre, et de la il se




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 305
retira en toute hate dans les ligues qu' 00 avait
tirées devant Mayeoce et autour de cette vUle.
Quelques jours apres, Clairfait Ieur doona un
assaut général et les emporta. Les troupes
fran~aises furent ~bligées de lever le siége de
Mayence, le 29 octobre, tandis que W urmser
bloquait Manheim et mena<;ait de le bom-
barder.


L' électeur du Palatinat de Baviel'e, ainsi que
les autres princes, ne songeant qu'a leurs pro-
pres"iotérets, v~naieot d'abandonner la cause
commune, et d' entamer des négociations ~vec
le comité de salut publico Manheinl fut oc-
cupé le 22, novembre; Pichegru, voyant tous
ses efforts inut_iles, . s'était retiré -.derriere
le Queich. Dans cette retraite, il avait fait
preuve du plus grand talent l11ilitaire. Une
treve termina l'expédition d'une maniere
tres-a vantageuse pour les Fran<;;ais; Clairfai t,
qui étaitallé a Vienne, se brouilla avec le
conseil aulique de la guerre et le ministre
Tbugut, ce qui le décida a déposer son cpm-
mandement.


D'ailleurs, des le milieu de l'année, toute
l'Allemagne septentrionale avait abandonné


. a le,ur malheureux sort l'Empereur, la partie
111éridionale et les freres du Rhin.


n. JI.




306 HISTOIIl:! DU XVUle SI:ECLE.
lA Prusse avait fait la paix, et réglé avec


les .Fran~ais la ligne de démarcation des hos ..
tilités et plusieut's artides· qui ne furent pas
mis au jour.Depuis la fin de l'année l"794 ,
cette puissance avait traité avec la F'rance une
paix entre elles, qui futetlfin signée par leurs
plénipútentiaires, le 5 avril 1795.


Ces pléllipotentiaires, qui déciderent d'a·
vanee dusort de l' AUemagne , et qui invente-
rent la sécularisation, furent Hardenher-g et le
ci-devant marquis de Barthélemy. Ce derniel"
avait déja été mnployé sous l'ancien régime,
et Dumouriez l'avait envoyé en Suisse, lors ..
qu'jl était au ministere des affaires étrangeres.
Les . conditions partitulieresde ce traité ne
transpirerent pas, mais, d'apres les ·articles
connus, il est facite de prouver que l'empire
allemand et 5a cons ti tu tion , ainsi que la rive
gauche du Rhin furent abandonnés. Cette
paix enleva a l'Empereur et aux Étatsqui étaient
en guerre, le secours de tous les compatriotes
et de tous les membres ·de l'Empire, compris
dans la ligne de démarcation fixée, le 17 mai,
a Bate. Comment, apres cela, parler encore
d'un empire allemand ?


La Hesse suivit, au mois d'aout, l'exemple .
de la Prusse; le Hanovre merne préférala paix,




í LIVl\E IV, CHA.PITRE IV. 307
et l' Allemagne, abandonnée de ses propres
enfants, se 'Vit aussi trahie par la fortune. La
paix d'Espagne livra ce pays a Don Manuel
Godoy, créé, plus tard, duc d' Alcudia et
prince de la Paix., ce qu' on peut regarder
corome la prerniere cause de tous les change-
ments opérés depuis dans ce royaume. AussÍtot
apres la révolution ,le comte d' Aranda , nom-
mé de nouve.aU au ministere, employa tons
les moyens pour empecher la guerre que la
reinevoyait avec plaisiréclatercontre la France.
Don Manuel, qui n'avait d'alltre rnérite que
de se faire remarquer par sa beauté et ses
talents dans la nlusique, gagna la faveur de la
reine. Celle-ci le recommanda art faible. Char-
les IV , le fitpasser successivernent par toutes
les dignités, le nornma seerétaire d'É,tat, et
ensuite premier ministre. Apres avoir renversé
d' Aranda ; ce fut lui qui détermina a la guerre
contre la France. Les Espagnols ·obtinrent
d'abord quelques sueces, ils s'avan.;;erent sur
le territoire frau<;ais et s'y soutinrent, en 1794,
meme apres la victoire décisive, que Dugom-
mier, a la tete des Fran~ais, avait remportée
pres de Bagnols. lIs tenaient alors quatre
places fortes dans ce paYi" Dugommier périt
sur le champ de bataille, le 17 octobre 1794;


20.




-308 HISTOIRE DU XVIII- SIEC¡'E.
Pérignon se chargea alors du commandemtmt,
entra en Catalogne, mena~a Girone et Tor-
tose ~ prit Bilbao et occupa la Biscaye et Gui-
puscoa.


Les F~an9ais éprouvereni le sort ordinaire
~es troupes étrangeres, dans les provinces
brulantes de l'Europe méridionale. vi. grand
nombre succombaauxépidémies eta ladisette.
Une partie tomba sous le poignard., Lorsque
la fortune des Francais COlnlnencait a chance ...


!) !) i


ler, le patriotisme se réveilla dans le erenr des
Espagnols, avec de nouvelles espéranees. Le
duc'd'Alcudia, généralement détesté du peu-
pIe, chercha tout-a-coup en France un appui
eontre les nombreuxennemis qu'il avait meme
a la cour. '


Bourgoing, qui connut l'Espagne mieux que
tout autre, fut en voyé a Madrid, par les
hornmes qui faisaient alors la loi en Ftanee. Il
arreta d'abord avec Godoy les articles partí-
culiers qui regardaient le favori et non le
royaume. La paix terminée a Bale ftit enfin
ratifiée le 14 juillet 1795. Le faible roi, pour
réeompenser don Manuel, lui accorda le titre
de prince de la Paix, sous Iequel il aequit en-
suite une triste célébrité .


..


,En Italie, le grand due de Toseane' avait




LI VRE IV, CHAPITRE IV. 309
fait la paix, au mois de février; le roi de Sar-
daigne avait perdu la Savoie et presque_ tont
le Piémont. L'anuée fran<;aise était entrée sur
le territoil'e de Gimes, pendant qu'on établis-
sait en Franee le nouveau gouvernemeut et la
llouvelle eonstitution.


IV. A eette époque, la Franee, asservie a un
pouvoir militaire, vil, le 18 fruetidor, la ré-
volution s'aehever par la force des armes. TI
est done utile et néeessaire de donner leré-
sumé des événements qui remplirent toute la
nation d'enthousiasme pour les exploits mili-
taires. On ne se·laissait alors entrainet que
par l'ivresse d'une gloire aequise au ehamp.
de bataille et les armes a la main.On ne re ...
eonnaissait que la violenee et le erime eonduits
avee adresse; mais bientót l'armée d'Italie et
son général attirerent tons les yeux et fixerent-
toutes les pensées; quant a la guerre inté-
rieure, elle ~vait dli disparaitre, lorsque le
gouvernement prit des formes plu~ modérées.


Les deux ehefs prineipaux de l'insurreetion
de la Vendée, Charette et Stofflet, avaient mis.
bas les armes le 19 février 1795., des qu'o.n
eut promis a leurs compatriotes de ne .plus
troubler leur eulte et leurs pretres. Quand les
Anglais conduisi·rent ensuite les malheureux




3 (O HISTOIRE DU XVlIIt SI"ECLE.
émigrés sur la cote de Bretagne et occasiou ...
nerent le carnage de Quiberon, Charette et
Stofflet se leverent de nouveau, le 24 juin ;
mais ce dernier se vit trahi et livré par
son prgpre parti. Charette; Georges Cadoudal
et autres trouverent dans Hoche un adver-
saire supérieur, ferme, éloigné cependant de
toute cruauté.Ce généraI tira parti des avan-
tages de son extérieur, pour apprendre et dé ..
jouer par des femmes les pIans des royalistes;
iI employa en meme te~ps les colonnes IDO-
hiles, appeIées, p~ndant la terreur, Colonnes
inflrnales, ponr empecher OH prévenir les atoo
troupements. Comme Hoche possédait la con-
fiallce des directoors ., et que la prompte


1 Réponse de Camol au rapp0l't fait sur la conspiration da
1,8 fructidor, de r an r, par J. C. Bailleul, au nom du comité
choisi. Londres I Hambourg, Altona, t. VIII p. l6 ~. Il rap-
porte ici de quelle maniere iI sauva Hoche, et comment ille
mit a la tete des trois armées de l'Ouest.


11 poursuit, page 164: .. C' était un homme a grands moyens
que Hoche, et qui ne pouvait manquer d'étre tres-danSereux
en prenant un parti quelconque dan s les affaires politiqlles. Il
affectait un grand mépris pour Pichegru SOlJ.S le rapport des
talents militaires. LNlr rivalité avait commencé a la levée du
siége de Landau, ou Pichegru, protégé par Saint-Just et Le-
Las, alors représeJ¡laQts du peuple pres l'armée du Rhin, et
tres - pl'épondérants, avait pourtant cédé le commandement
en chef des armées réunies a Hoche, soutenu par Lacos~e et
Baudot, représentants du peuple pres l'armée de Moselle. Au
commencement de la guerre, Hoche, étant encore peu connu,
envoya au comité de salut public un mémoire sur les moyens




LIVllE IV, CHAPITRE IV. 311


destruction de QuiberQn luí donnait des titres
a une récompense, le nouveau gouverne~ent
le nOluma général en chef des trois arrnées de
l'Occident ou des cotes de l'Océan, et lui ac-
corda un renfort de quarante milIe hommes.
Au mois de mars. 1796, Charette tomba dans
ses mains; il fut fusillé, le ~9, a Nantes. Serant,
d'Autichamp, Georges CadQudal excitaient
néanmoins, de temps eu temps" en clifférents
endroits, des ins.urrectiollS qui ~e prolongerent
jusqu'au regne consulaire; cependant le di-
rectoire instruisit, le 16 juillet (28 messidor
de l'an VI) le Corps~lpgislatif, par un message
qirect, que la tranquillité étai,t entieremeut .,4-
tablie d(lns les départemeuts d~ l'O\l~st.


Quaud lIoche eut apaisé la guerre civile"
il voulut attaquer les Anglais en Irlande; il
équipa une floUe avec beaucoup de peine, fit
toutes les provisions nécessaires pour une oe$-
cente, et quitta le port de Brest, avec un vent
favorable, le 14 décelubre. La flotte entra dans


de pénétrer en Belgique. Qu~nd j'eus In ce mémoire, je dis,
par f~mne de conversation, 3U comité: Voila un sergent d'in-
fanterie qui fera bien du ehemin. Mes collegues me deman.,
derent de qui je parlais : amusez - vous, leur dis - je, a par-
courir ce mémoire; san!! ~tre militaires, iI vous intéressera.
Robespierre le prit; quand !l l'eut achevé, il dit: Volla un,
homme excessivement dangereux; et je erois que c'est de ~
moment meme qu'il résolut de le faire périr. "


/




3I~ 1IISTOIRE DU XVIII- Sd:CLE.
la baie de Bantry, mais son vaisseau ayant été
séparé des autres, son armée n'osa rien entre-
prendre sans lui. Il échappa presque miracu-
leusementaux ennemisa son retour,etatteignit
un port de la cote franc;aise. Dans le Haut et
le Bas-Rhin, Jourdan, général en chef de l'ar-
mée deSambre-et-Meuse, et Moreau, qui avait
succédé a Pichegrll, dirigeaient, au coromen-
cement de l'année 1796, tous les mouvelnents
militaires de Huningue jusqu'a Manheiro. Les
relations de Pichegru n'étaient plus un sccret
pour person:ne. Le directoire ne put guere le
souffrir'a l'armée 1, et voulut lui donner l'am-
hassacle de Suede, mais i1 la refusa. Les trou-
pes autrichiennes perdirent aussi Clairfait qui
avait concluít l'expédition glorieuse, a la fin de
l'année I795. Il flvait condu une treve ponr
aller a Vienne, et ponr faire des représenta-
tions contre les fraudes et les friponneries


I Montgaillard,entrahissantd'unemaniereaussiin(amequ'im-
prudente la cause qu'il servait, avait livré les plans et les papiers.
Le directoire n'osa ni ébruiter l'affaire, ni attaquer Pichegru.
Ce dernier s'était retiré dans l'abbaye de Bellevaux ,qu'il avait
achetée; il Y resta jusqu'au ler mars 1797, ou il entra au
Corps - Législatif. Bonaparte • voul;mt se disculper de l'odieux
assassinat dont iI s'était rendn coupable envers Pichegru , 6t
publier'. en 1804. les actes contre Pich,egrn; ouvrage connu
sons le titre de jforeau et Pichegl'u, que nous citerons souvent t
puisque tous les royaIistes, et m~me Fauché-Borel, en re-
connaissellt aujourd'hui l'authenticité, contestée en 1796 et
en 1804. .




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 313
des fournisseurs; il trouva que l' entrepreneur
avait plus d'amis parmi les grands, que les
soldats nlourant de {aim, et que le mi.nistre
Thugut etquelques autres savaientmieux,dans
le cabinet, que Iui-meme dans le eamp, ce que
le général vainqueur aura!t dli faire. Offensé
de eette injustice, il déposa le commandement
en chef. L'archiduc Charles, agé de 24 ans,
fu t mis, en Allemagne, a la tete de l' armée autri-
chienne, qui renfermait en outre les troupes
de Saxe, de Souabe et de Franconie, ainsi que
les contingents de quelques États de l'Empire,
demeurés fideles a la cause cornmune.


Charles déclara, le 21 mai 1796, par le
lieutenant-général Kray, que l'armistice était
expiré. Barras et'Carnot projeterent contre lui
l'immense plan d'opérations, d'apres lequel
farrnée d'Italie et ceIle du Rhin devaient, de
l'Italie jusqu'él Cologne, marcher conjointe-
ment sur l'Autriche, en traversant, l'une la
Lombardie, et l'autre toute l'Allemagne. Bo-
naparte attaqua le Piémont; Moreau mena«;a
Wurrnser, posté s.ur la rive gauche du Rhin.
Jourdan avan«;a au-dela du fleuve Lahll., pour
rOlnpre, aupres de Wetzlar., les lignes des
Autrichiens él la Dill. Son attaque échoua, les
Alltriehiens le repol1sserent, le 15 juin , jus-




314 HISTOIRE :pu XVJlle ~IF:CLE.
qu'a Cologne, tandis que Moreau se préparait
a passer le Rhin. W urmser, obligé d' envoyer
une partie considérable de son armée en Ita-
lie, repassa le Rhin, car i1 ne put tenir tete
a J ourdan et a Moreau qui faisait faire quel-
ques mouvements contre Manheinl. Wurmser,
s'étallt retiré de la rivegauche dn Rhin, Mo-
reau le pass a pres de StrasbQurg et de Gams-
heim, le 24 juin , et forc;a ainsi l'archiduc d'a-
b~ndonner la poursuite de Jourdan, et de se
tourner vers la Souabe. Moreau pénétra en ~
suite dan s le cceur de I'Allemagne méridionale
apres etre resté maitre du chalup de bataille,
dans de\l~ combats opiniatres_pres de Rastadt
et d'Ettlingen. I-,es A\ltrichiens s'étaient retirés
en Baviere, tandis que Moreau inondait la
Souabe et marchait sur la Baviere. Jourdan'
s'était de nouveau avancé sur le fleuve de Lahn
et avait occupé, ari lnilieu du mois de juil-
let, tout le pays au~dela de WlU'zbourg.


La prudence et la rnodération défendent ici
a I'Allemand qui veut écrire l'histoire de cette
année, sans blesser sa conscience, d'entl'er
dalls les détails. Comment rapporterait-il, sans
une amere et triste indignation, que la pauvre
Allemagne, par sa propre fante et son défaut
d'unioQ, se sentit opprimée par l'ennemi , et




LIVRE IV, CHJ\..PITRE IV. 3 .. 5
que chacun, oubliant ses compatriotes, ne
songeait qu'a soi-meme ? eomment raconter ,
saos dépit, qu'on désarma l'enneI!li a force
d'argent, et que la moitié des sommes que ron
saerifia aurait été plus que suffisante, si on
avait su l'employer pour sauver les alliés, et, ce
qui vaut mieux encore, l'honneur de la nation,
dans toute son intégrité -? eomment dire, avec
calme, a queIle instigation et dans quelle vue le
roi de Prusse donna ses conseils aux prinees as-
semblés a Pyrmont? Qui décrirait eornment
de mauvais conseillers déciderent Frédérie-
Guillaume I1, prinee pieux et magnanime mal-
gré ses faiblesses, a profiter des besoins des
États inférieurs. de ia Franconie, pour les for ..
cer de renoneer au droit héréditaire etan lien
saeré, qui les attachait a l'Empereur et a l'Em-
pire? eomment rapporter de sang froid que,
dans le moment meme ou Jourdan entra en
Franconie b la Prusse occupa tout le territoire
de Nuremberg, soumit les faubourgs et incor-
pora deux autres villes impériales a ses États ?
Il nous para!t plus sage et plus sensé de nous
condamner au silence; nous remarquerons
seulement que tous les princes furent obligés
de renoneer a leurs possessio~1S le long de la
rive gauche dn Rhin, quoiqu'ils se fissent pro-




3.6 HlSTOIRE DU XVIIle SIECLE ..
m'eUre des dédommagements 1 par l'ennemi,
aux dépens de leurs aIliés et ~les États de la fé ..
dération-. Ndus ajollterons, qll'a l'exception
de la Saxe, tous payerent des contributións
immenses sans etre délivrés des garnisons et
de lons les fardeaux qui en sont inséparables.


Le 29 juiUet, en faisapt désarmer les trou ..
pes de SOllabe, le magnanime Charles ma ...
,nifesta ~n milieu de la guerre l'indignation que
luí causait la défection générale. Les Autri ..


1 COl'respondance inédite, tome VII, page 123. Le ministre
Dclacroix écrit le 26 mai 1797, a Clarke et a Bonaparte: "J'ai
l'honneur de vous envoyer, citoyens généraux, les extraits
de la correspondance, qui peuvent vous intéresser relative-
ment a la ~égociation dont vous é~s cliargés. Vous y verrez
que tontes les grandes maisons d' Allemagne désirent qu'il soit
pris des arrangements convenables a la République, sur les
,frontieres vers le Rhin; que la cession de la rlve gauche n'é-
prouvera pas d'obstacles sérieux de leur part pourvu qu'ils
soient dédommagés sur l'autre rive par des sécularisations
équivalentes. Quant a la Prusse, elle paralt un peu confuse
du role qu' elle a joué en réclamallt l'intégrité de l'Empire ger·
manique, tandis qu'elle est liée avec nous par une convention
secrete, qui suppose la ces~ion a la Répuhlique de toute la
partie gauche, moyennant un dédornmugement pour eHe et
pour le stathouder également pris sur la rive droite du Rhin .•


Le 19 ao"t, le ministre Talleyrand écrit, page 22 : • C'est
dans ce systeme de sécularisation , auquel iI faut en veI)ir tot
ou tard, et qui est déja consenti par la Prusse, la Hesse,
W urtemberg et Bade, que l'Ernpereur trpuvera a la fois un
dédommagement plus ample et un arrondissement plus conve-
nable a ses États héréditaires, que dans ses provinces italiennes
agitées par les principes de la démocratie, et qui d'ailleurs
seraient pour sa maison des sujets perpétllels de guerreo •




tlVRE IV, CHAPITRE IV. 317
chiens, abandonnés de tous les Allemands ,


r pressés par deux armées fran<;aises, furent
forcés de reculer jusqu'a ce qu'un renfort de
quinze mille grenadiers hongrois se joignlt a
Ieurs étendards, ce qui eut líeu a la fin du moÍs
d'aout, lorsque les avant-gardes de Moreau
étaient postées a deux lieues d'Il1golstadt, et'
que .les troqpes de Jourdan se trouvaient a
trois lieues de Ratisbonne.


L'armée fran<;aise allait atteindre son hut;'
Bonaparte occupait la Lombardie, Wurmser,
envoyé contre lui avec des renforts, se vit,
comme son prédécesseur, contra¡nt de fléchir
devant le génie supérieur de ce jeune général
qui le repoussa . jusque dans les défilés du
Tyrol. Moreau songeait a se réunir aBona;":
parte, lorsque l'archiduc Charles releva pour
quelques temps, par une attaque intrépide,
le courage abattu des Autrichiens, leur con-
fiance en eux-memes, et délivra l' Allemagne.
n tourna la droite de farmée de Jourdan ,
culbuta .Bernadotte, a peu de distance de
Teining, le poursuivit 'de pres jusqu'a ce que
Jourdan lui offrit, le 3 septembre, dan s les en-
virons de W urzbourg, une bataille qu'il perdit.
Alors la confusion se répa.o.dit parmi les Fran-
~~is, suite ordinaire des 'défaites qu'ils éprou-




318 H ISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
vent sur un sol étranger t. Les paysans alle-
mands vengerent en meme temps les violen ces
que les vainqueurs avalent d'abord exercées
sur les vaincus. L'armée de Sambre-et-Meuse
recaunut :1101's combien il était dangereux de
laisser des pIaces .. fortes derriere soi, puis.
que lesgarnisons de Manheim, de Mayence,
d'Ehreilbreistein et meme du petit Krenig-
stein lui rendaient sa retraite bien plus difficile.
Les Fran<;ais, atteints dans leut' ret'taite; pres
de Lirnbourg, essnyerent un nouvel échec le
16 septembre ; l'armée fut mise presque enth~ ..
rement en déroute, et la France ne cónserva
de $es conquefes sur la rive droite du Rhin,
que la h~te du pOÍlt pre~ de N eUwied ~t Dussel-
dorf. Imnlédiatement apres; Beurnonville, <¡ui
jusqu'alors avait commandé l'armée du Nord,
se chátgea de la direction des troupes du Rhin
jusqu'a l'arrivée de Hoche.


Tandis que le due Chal'les se précipitait sut
l'ar-mée de Jourdafi, Moreau feignit de vou-
loÍr prendre WUrmser par derriere; et se réu-
nir ensuite a l'armée de Bonaparte en Italie ,
par le Tyrol. Il passa le Lech, le 21 aout,


I Pichegru et Moreáu se sont surtout immortalisés par Por-
dre qu'ils ·surent maintenir dans leur retraite. Bonaparte,
dan s la Correspondance inédite, s' en moque; mais il ne serait
pasmort a rile Sainte·Hélenes'il en avait eu quelque idée.




LIVRE IV, CllAPITRH IV. 319
chassa les Autt'ichiens des collines de Fried-
bourg, et, par une mal'che forcée en Baviere,
obligea l'électeur du Palatin:U de signel' un
traité aussi ignominieux que celui des autres
princesa Morean obtint alors et sur.le champ,
de la Baviere; dü Wurtemberg et de Bade,
plus d'argent, de munitions, de vivres et de
chevaux, qu'ils n'en avaient donné debon
gré ,pendant tout le teolPs de la guerre a l'ar-
mée de la pati'ie.


\


Moreau hésita! quelques jout's ; il nesavait
s'il avancerait vers I'Autriche, ou le Tyrol,
lorsqu'il apprít subitement qu'il était menacé
par derriere. L~archidnc meme cessa de poui'-
suivre Jourdan ,póur se to~tner 'vers le Da-
nube. Mais déja les Atltrichiens avaient cérné
Morean qu'on crut perdn pour la France.
Ce général acquit, dan s eette occasion, par la
retraite la plus extraordinaire, ptesque la
meme gloire que Bonaparte s'était acquise en
Italie par des succt$ prodigieux; maís le pre-
mier n'immola ,jamais personne a 5a gloire ,
tandis que l'autre lui sncrinait tout. Moreao ,
pour pl'évenir Charles, attaqua le général La-
tour pre~ de Biberach , le repoussá et occupa
les vallées 'par ou l'archiduc aurait pu fondre


. sur tui; ensuite iL passa dans le plus grand




~~o IIISTOIRE DU XYfneSIE eLE.
ordre par la Spuabe avec $on armée, son ar~
tillerie et tous ses bagages.


La Suisse accorda aux Fran~ais ce qu'elJe
refusa aux Allemands. Moreau pla~a une par-
tie de son artillerie -dans les ~rsenaux suisses,
et traversa les cantons pour rentrer en Fra!lce.


L'issue d~ l'expédition de Bonaparte en
Italie fut tout autre, ainsi qlle sa position
vis-a-vis du directoire et de la nation fran-
~aise. Il devint, dan s la meme année, maitre
de ses arméés et de ses généraux, protecteur
de l'Italie, comme il le fut plus tard de la
confédération du Rhin, l'idole d.e la nation et
la tet:reur du gouve~nement _1.


Ni Scherer, ni Ke.llermann D,e. paraissaient
en état d'exécuter le proj~t hardi de" vainGre
l'Autriche en Italie. Pendant que le gé'1éral
Aubry refusait d'employer Bonaparte, celui-ci
fit connaltre ses talents pour la tactique mi-
litaire a Carnot qui, dan s la suite, obtint pour
lui le commandement de l'armée d'ltalie ~ ;


1 Daru, Histoire de renise, tome V, p. 440, rapporte que
Bonaparte lui avait dit en partant : ti Dans trois mOls je serai
a Milan 011 a Paris. »


2 Réponse de Carnot, pages 40-42: " 11 f3ut ici dévoiler
l'atroce perfidie de ces trois brigands (Barras, Rewbell, Re-
veillere). Bonaparte leur fut toujours odieux, et ¡la ne per-
dirent jamais de vue le projet qu'ils eurent de le faire périr.
J e n' en excepte point Barras; ses grincemellts de dents, loraque




LIVRE IV, CHAPITRE IV.


car, étant pour ainsi direltalien, il connais-
sajt parfaitement ce pays.


Il parut, le 20 mars 1796, a l'arlnée qui man-
quait de tout 1, et qui, outre l'Autriche, avait
]a Sardaigne, Parme, Plaisance, Modene, le
pape et N aples a combattre. Les ,troupes enne-
mies formaient deux divisions, l'armée de Sar-


j,:;


le général envoya Sahuguet a M~rséil1e, ~es ~oriies c~ntre 'les
prélirninaires de Leoben, !4es grossiers et calbtntlieU:x sartasmes
c!lntre une per80nne qui doit etre chere a Bonap~ftc, décelent
la noirceur de son arriere-pensée. Cethomme, s'ous l'ecorce
d'une feillte étdurderie, cache la férocité d'un Caligula. 11 u'est
point vrai que ee sojt lui qui ait proposé Bonaparte pour le
commanclement de rármée d'ltalie, e1éstiuoi-írieme; inais pour
cela on a laissé filer le témps pour ¡¡avoir eotument il réussirait,
et ce n'est que parmi les intimes de Barras, qu'il se va!lta d'a-
voir été l'auteur de lá proposition faite ati dire'ct'oire. Si' "Bona-
parte eut échoué, c,' e~t moi q1,li étaj~ ~~p¡~Ne; j' avais proposé
un jeune homme sans éxpériepce, un intrigant; favais évidem-
ment trahila patrie; les autres ne se melaient point de la guerre;
c'était sur moi que devait tombér toute la responsahilité: Bo-
uaparte est triomphant, alors e'est Barras qui I'a faít uommer ,
e'est a lui seul qu'on en a l'obligation : il est son fléfenseur, son
protecteur contl'e mes attaques; moi, je suis ja]oux de Bona-
naparte; je le traverse dans tOU5 ses desseins ,je le persécl,lte ,
je le dénigre , je lui refuse tout secours, je veux évidemment
le perdre. Telles sont les ordures dont on remplit dans le
temps les_ joui'naux vendus a Barras .•


• Correspondance inédite, offitielle el conjidentielle de Napoléoll
avec /escours étrangeres, les pr;llces, les ministres et les générallx
franfais,. Paris, Panckoueke, 1819, in-SO. tome J, p. 10: .. L'ar-
mée est dan s un dénuement a (¡tire peur; j'ai de grands obstades
a surmollter; mais ils sont surmontables: la mÍsere ya autorisé
l'indiscipline, et saos discipline point de victoire »


Use plairit ensuite dé ce qu'on lui proteste"les lettres de
change.


H. lI. 21




312 HISTOIRE DU XVIII- SIECLE.


d'aigne, commandéé 'Par Colli et Pro vera , et
ceHe d'Autriche, sous les ordres de B~aulien
et d'Argenteau.


La derniere couvrait Turin €t faisait tete a
la partie de l'armée qui était postée an Saint-
'Bernard; an mont Cenis, au Illont Genevre "
dans· les vallées de Stura et de Maira. Elle
eut jusqu'au 1 4 ~vril quelqnes succes, lorsque
Bonaparte changea tout-a-cóup la scene. Beau-
lien, voülant force: le i"rH~me jotir le centre
de l'armée fran~aise, pres de Montenotte,
'avait emporté toutes les redoutes, quand ses
efforts échouerent contre le dévouement de
quiri~ .~e.nts ,gr~nadiers, que le général Rarn-
ponenthousiásma tellementpar ses discours,
qu'lls tinrent ferme jusqu'a ce qué Ma~séria e:t
Laharpe tournerent l'ennemi sur la droite.
Lorsque Beanlieu se disposait, le lendemain, a
renouveler l'attaque, Laharpe menac;ait de le"
prendre en queue , Masséna pressait sa droite,
et Merci-Argenteau, qui avait le commande-
ment de cette aile, retollrllait imprudemment
a Dego. Argenteall tenait un rang tres-élevé
dans la noblesse d'Autrlche, mais il ne jouis-
sait pas d'une grande renommée lnilitaire ; il
se retira. 'malgré les ordres expres q~'il avait
rec;us, et il fut cause que les Franc;ais ohtin,rent




:.>


T"IVRE IV, CHAPITRE IV. 323
des avantages bTillants, le 13, pres de M~lle­
simo, et le 15, pres de Degó. 'B'eanlieú Se ~it
'alors obligé de pli)er; il mit le gériéia:l ilé-
gligent aux arrets;' niais lá tour le nomma
feld-maréchal de 1'Empire.


Les Autrichiens' ayant éié vaincusirnmé-
diatement apres dans plusieurs'coinhats,' Ser-
rurier avait fr·anchi les Apennins, et les Fran-
<;ais; inaitres 'dEis' vallées "dé' Tanaro et de
Bormida, 'avái'ent coupé l~s Autrichiens de
l'armée de Sard'aigne; éelle-ci a)T3nt été bat-
tue le ~ 2 a Mondóvi, ProveI'a, l'un de ses
chefs, fut fait prisonnier pres de Cosseria. Les
Franc;ais menac;ant alors Turiri sJ:rp'procne-
rent de eette ville"~ a' rá'dlsHítict ltie :¿'euf
tienes.


Il yavait en melne temps 'a,es' escarrnou~hes
continuelles entre les Autrichiens, qui se re ti-
raient lentement et les Fran<;a~s, qui avanc;aient
avec rapidité. Des éornbats plus sérieux se li-
vrerent,'depuis le 22 jusqu'au 25 avri!. Le ~3,
le& chefs de l'armé~, de Sardaigne dernande-
rent une treve, et 'bientot la poli tique insi-
dieuse de Bonaparte, parfaitement en harmo,-
nie avec le rnisérable systeme, des cours
italiennes, devillt plus pernicieuse aux Autri-
chiens que 'ses turnes.


21.




3:A4 HISTOIRE DU XVIlle SlECLE.
, ¡


. Il fit craindre au roi de Sardaigne de favo-
riser les troubles , inévitables dans le pays si la
guerre contiouait, et lui fit espérer de le main-
tenir dans la po~session du Piémonts'il consen-
tait a la paix. Cela eut le résultat désiré. Le roí
de Sardaigne fut trompé plus indignement que
les princes allemands qui, au moins, n'avaient
pas de places-fortes a livrer a l'ennemi. Bona-
pal'te ne pouvant pas conclure depaix accorda
des t~eves .. Salicetti, Corse et commissaire du
· gouvernement,y joua un role secondaire, et le
général ne laissa meme rien autre chose a faire


· au directoire que de reconnaitre ses armistices,
· comm~ ¡~es ~raités form~ls depaix. \
... ~u.co~mencement, Barras n'était pas tre~­
content de / tout cela. )30napal'te entl'etenait
une cOl'respondance particuliere ave e Carnot 1
qui le pl'otégeait surtont et savaitapprécier
ses talents. Mais Carnot aussi reconnut bien-
tot que ce général s'élevait trop aux dépens
des autres 2, et il con<;{ut alors le projetde


, Bonaparte écrit a Carnot le 9 mai 179 o: • J e vous dois
des remerciements particuliers pour les attentions que vous
voulez bien avoir pour ma femme; je vous la recommande ; elle
est patriote sinc~re, et je l'aime a la folie. J'espere que les
choses vont bien, pouvant vous envoyer une. douzaine de
millions a París; cela ne vous. fera pas mal pour l;armée du
Rhin.. .


2 CorreJpondance, t. 1, page J 59 : u Au reste, vous me trou-




LIVR.E IV, ClIAPITiu: IV. 325
diviser l'armée. Ce plan fut communiqué a Bo-
naparte; celui-ci n'hésitait pas un instantá exé-
euter toute mesure immorale que· lui ordon-
nait le gonvernement, él dépouiller toutes les
collections, les galeries et les trésors de l'ltalie"
a piller Genes et él suivre ensuite dans le pil-
lage de Lorette le plan tracé par'le ditectoire.
Il se pretait a tout,. soit qu'il fallut envahir
Rome et le pays napolitain ~soit qu'il s'agit de
s'emparer par perfidie de Livourne, po.rt ap-
partenant au dnc de Toscane qui avait fait la
paix depuis long-temps 1; mais servir a coté de
Kellermann, voilá ce qu'il refusa po~itive­
Iuent 2.


verez toujo,urs dans la ligne· droite ; je dois a la Republique le
sacrifice de toutes mes idees. Si l' on cherche a me mettre mal
daos votre e~prit, ma reponse es! dans mon cmur et daos ma
conscience ...


1 Cql'respondailce, t. 1, page 161: « L'expedition sor Li-
vo~roe, Rome et Naples ,est tres-peu de chose : elle doit etre
faite par des divisions en échelons, de sorte que ron puisse,
par une marche rétrograd~, se tfouver e~ force «()nt:r;e les
Autrichiens, etc., etc. •


2 COl'respondance, t. 1, page 160 : "Kellermano eomman-
dera ~ussi bien. quemoi, ear personne n' ~st plus eonvai~cu
que· je le suis qqe les victoÍres sont dues au courage et a
l'audace de l'armee; mais je erois que réunir Kellermann et
moi en Italie, c'e~t· vouloÍr tOllt perure. Je ne puis pas servir
volontiers avec un homme qui se crúit le premier général de
l'Europe, et d'aiUeurs je crois qu;il fiwt plutot un mauvais
gé~éral que deux bO~lS. La guel're est com~e le gouvernement,
c'est une affaire de tacto »




326 HISTOIRE DU XVIlIG SIi:CLE.
D~ns la crainte de l' off enser , on fut obligé


de re~on:cer ~ie pl~~¡ ilafrach;~ ~~ attendant
des millions au roi de Sardaigne qui en outre
fut cont~ai,p.~· de hü céder toutes les places
fortes, C?ni, Exjlles, Suse, CI~at~au-paupbin,
T!<?rto~e, A:lexa~drje ainsi que la Savoie, pen-
d;I,Pt 1ft tr~Y~,.<;on),me apres la paix. Le roi ne
g~g}l.ápa~ ce- tr:;titéqu~ l'a.vantage f~_c~ice de
~jg~~r ~ d~n's ~~. "résjd~q~e, les ¿rdre~ donnés
par" un c¿lJseÜ "exéc~tif ~ irifl~eri~é par le~ in-
strúction~ du qU:,l_~tier-gén,~r<l:l des Franc;ais.
. A pres lé;l d'éfection de la Sardaigne , les Au-
trj~hie~s plierent partout, et Beaulieu lit en
vain de grands préparatifs pour empecher
Bonaparte de traverser le Po a Valen ce , puis-
que les.Franc;ais passerent ensuite,san~aucun
o~stayI~, pres.de.Plajs~.l1ce. Une f~Pte com-
mise par ses artilleurs le fit échouer dans sa
tentative d'emptkher au moins l'armée fran-
<;ais~ depasser le Tésin, pres de Pavie.
Bonaparte avanc;a incontinent jusqu'au fleuv~
Adda.


Des-Iors, ilfitvoiret reconnut luj-meme toute
sa supériorité sur son siede malheureux et sa
gé~ération, pour laquelle il avait autant de
~épris que frédéric pour l~ sienpe ; car t.o.us
les deux n'avaient jamais connn et bien moins




LI V n E 1 V, e HA.r 1 T R t.: 1 v. ~~ 7.
enco:re senti le bo~heur d'~ne vert?- paisible,
d'une douce ami~ié et d'~n vé.dtabI~ ~m~ur.
Le style de se~ bu~letins 1, ses proclamati.Q~s
aux soldats 2, sa corresppndance avec les
pirinces, le~ minist~es et les gouvernen?ent~
républicains de Ge;n,es et de V en~se, ~ommen­
cerent des-Iors ~ déyoiler son ca~actere jIl1pé-
rieux; et, si la politiq~~ du .~irectoiFe ~~em­
pechait de provoq~~~ les peuple~ . d~ l'Italie
o~vert~me~t ~.la révolte ~ ,il I.~ lit cep~n~~nt
d'pn~ ~aniere indjrecte, par ses ,discqur& aux
s()lq~ts' 3 .' . . . . ' .


I Berthier semble l'avoir sénti; chef de l'état-major, il dit,
en faisant alIusion a Pichegru el aux royalis.tes siégeant dans
le Corps-Iégislatif, qu'il nomme Chollans: • Si qúelqlles Chouans
doutent du compte que nous présentons des prisohniers faits
par les Répuhlicains, répondez-Ieur, etc., etc .•


2 "Soldats, dit Bonaparte dans une de ses procIamations,
Vous avez, en quinze jours, remporté s~x yictoires, pris vingt-
~n drapeaux, cinquante pieces de canon, plusieQrs places.
forte~ ~ cooquis la partie la plus riche du Piéroont, etc. Tous
veulent humilier ces rois orgueilleux qui oserent méditer de
~ousdonner des f~rs, tous veulent dicter 'une paix glorleuse.,
et qui indemnise la patrie de tous les sacrifices qu'elle a faits:
tous vetilent, en rentrant dáns leurs villages, pouvoiJ; dire avec
6.eft~ : J'~tais· d~ l'a:rmée conquérallte d~ l'Italie!' •


3. Peuples d~.l'Italie t l'armée fran~ise vient pour rompre
yos .chaines; le peuple frap~ais .est l'ami de tous les peuples;
venez ·au.devant d'elle; vos propriétés, vos usages, votre re-
l¡~ion seront respectés. N qus ferons la guerre en ennemis g~
né~eu~, et nous n'en voulons qu'aux tyrans qui vous asser"!'
vissent. »


'On apprend, par le rapport suivant, combien on remplit
ces promesscs. Nous ne oous arrétons pas aux réquisition$l




32& HISTOIRE DU XVIIJ C s J:l.:CLE.
Pres de Lodi " Beaulieu cherchait a défendre


le passage de l'Ádda, et il raurait pu facile-
Inent~ puisque un pont d'environ sojxante
toises de longueur, bordé de trente canons,
ne peut griete etre pris' d'assalit; mais' les Au-
trichiens se laisserent intirnider par la pre-
iniere attaqueimpétueuse des Fran~ais. Avec
la prisede Lodi, le' sort de la Lombardie était
fixé. Les Frant;ais disaient, en parlant de ce
fait : ies troupes n'osaient avancer, le canon
ravageait les rangs des assaillants, lorsque
Bertnier, Masséna, Cervoni, Dallemagne,
IJannes et Dupas se mirent a la tete des colon-
~es: le¡PQnt' fut emp.or~é; mais Berthier, en
parlantld'~n'événement pareil, indique. la vé-
ritable raison du succes '). '
aux ~xactions en vivres, et aux cinquallte - un lingots d'ar-
genterie qU'Oll prit aq Milanais, a Lodi et a Bologue. La L«;>m-
hardie dOIllla vingt-cinq milliollS de francs; Mantoue huít cent
roille, les nefs del'Empi~'6 qe~lx cent ~ille, Modene dix mil-
lions" Masse et Carrare six c;ent mille, P~rme et Plaisance. Viligt
mlIlions, le pape trente millions, Bologne et Ferrare trois
miUiolls sept ceht mille ~ les magasins auglais huit millions.
C'est ainsi que Bonaparte PQt dir~, el} 1797, a ses sl;)ldats;
qu~ les cOIltributi~llS imposées aux pay& conquis luí avaient
fait entretenir son armée pendant onze mois, et luí avaiellt
per~is, en outre, d'envayel' tr~llte millions en France.


I Monite~,., an V, nO 73, page ~90: .. Nos troupes, a plu-
sieurs reprises, se porterent, au p'as de charge, pour el1l~ver ce
pOllt, mais n'ayant pa!. la premÍere fois déployé la me me au-
dace qu'ilU pont de Lodi, elles furent repoussees uans leul's
tentatives réitérées ...




LIVRE IV, CHAPITllE IV. 3:19
Long-temps avant eette époque, lé diree-


toii'e avait engagé Bonaparte a envoyer, d'I-
talie a Paris, tous les ehefs-d'reuvre de ee pays.
A cet effet, le générallui avait demandé deux
experts, pOUI' servir de commissaires dans ce
vol qu10n devait faire aux arts. Les cinq,
üdieux et n1éprisés, espér:aient sansdoute
par~Ia gagner l'estime des Parisiens. Bona-
parte, voulant attirer tous les yeux sur lui ,
ne pouvait trouver une occa~ion plus favora-
ble, eut done soin d'~outer 'él tons les trai-
tés une clause concernant les productions des
beaux-arts. 011 le vit surtout, 10rs de .rarmis-
tice, qu'il accord~ avec une doueeur apparente
aux ducs de' Parme et de Modene, et 'qu'iI ot
ensuite changer par le directoire en un traité
formel de pajx l. Pármi les conditions, on
énuméra, COlllme article principal, cehú de
livrer des tableanx.


1 Le 5 uovembre ]a France, n.t la paix avec Parme, par
l'intervention de l'Espague. Le traité avec Modene peut ser-
vir de modele des conditions ql,l'pn ~tipnlait ordinairement.


l° Le ducde~odene donne~a ida Ré,publique franqaise sept
millions cinq cent mille livres, payables ~ans un mois.


2 0 Le duc de Modelle fournira en outre deux millions cinq
~ent mille livres en clellrée-s, poudre et autreS' munitions de
guerre que le généra! en chef désignera.


30 Le duc de Modene sera tenu ,de liuer vingt tableal\x a
pr~ndre dalls 6a galerie ou ~alls ses Etats~ au choix des citoyen~
qm seront a cet effet comIDlS.




~3o HISTOIRE DU XYUlo SIECLE.
l~ prit alors Vérone de force aux Vénitiens,


traita ~omme ~es yalets les patriciens qu'on
lui délégua 1, et fit connaltre ses dessein~.
D':lilIeur~, depuis que les Autrichiens avaient
tout perdu en' Italie, a l'exception de Man-
toue; qepuis que f"lilan ~t le fort de eette vill~
~Yfl~ent ~apitulé, la guer!,e nefayait pas seu-
leme~t ~es frais de l~ guerfe, mais on envoyait
aussi des millio~s ~ Paris , OU une misérable
;¡dfPinistrat~on avait épuisé toutes les res-
sourCe$ du. plus' riche p~ys 2. Par les réquisi-
tions, J30naparte donna au directoire le$
l~~y~n~ de faire face aux dépenses les plus
llé«~l?s~ir~s; ~ais il s'en réserva l'emploi, et
lit p3:sser de temps ~n lemps de fort~s sommes
a M,oreau et a KellermanD , qui command~ien\
rarmé~ des Alpes. Tandis qu'on feignait de
protéger en It:die les arts et les sciences, et
qu'on promettait aux Italiens de les déliv~er
de l'ignorance dans laquelle était plongée
l'Aut,riche 3, on dépouillait le pays, les princes,


y paru', tome V, page 453 etsuÍv.'
:a Correspondance inédite ~ tome 1, page 461., r .. e dir~cto~re


dit eIltre autres : " Les secóurs que l'armée d'Italie fournit au
tréso~ national, sont d'autant plus précieux , que la crise est
plus forte. lIs onl aidé a qéjouer les trames de nos enuemis
jntérieurs. JI


3 Bonaparte écrit a l'astronome Oriani : • Les sciences qui
honorent l'esprit humain , les art! qui embellissent la vie, et




~IVRE IV, CHAPITRE IV. 331,
les universités, les jardins, les bibliot~éque~,
pour .faire de la eapit~le de la FraJ}.ee le centr~
de tous les trésors de l'éruditiqI~, des arts' et'
des sciences l.


La Toscane était en paix avec la Franee ;mais
le eomlnerce de Livourne tenta l'avidité du dj·
reetoire qui ordonna d'occuper le por~ dty c~tt~
ville; aussitot Bonaparte en voy a une divisiori
de l'arnlée fran<;aise el} Toseane, ét 6t eontl.&-
quer a Livourne tous les bien~ dC$ étranger~:
le buti,q fut, bien moins eonsjqérable qu' on n~
l'avait espéré; en effet, Bonaparte et sop eom-
missaire se plaignirent alnerement que les
gens qu'il fallut empJO)7er ,pour eet~~, e,~p~~i­
tion, eussent , par leurs wal vers:)~~QJlS ~t le:y¡r~
ra)?~n~~' ?' di:lp'i~~é" de cinq ~,six 'Jllill\9ns 1~
gain auquel on s'était attendu,-


Le duc de Toscane s'éleva mojns contre ee~
transmettent les .grandes actions a la postérité, doivent étre
spécialement honorés dans les gouvernemcnts libres. Toas les
hornmes de' gé'nie ,tous ceux qui ont obtetiú mi rang distingtié
d~ns la république des lettres sont fran~ais, quel que soitle pays.
qui les ait :v~s naitre. Les sav~nJs, dans l\1!la~ , n'y jo~i!isaieJ;l~
pas de 'la' considération qu'ils devaient avoir; retirés dans le
fond de leurs laboratoires, ils s' estimaient ,heureux que les rois
et les pretres lle vouhissent point Ieur faire de mal. lO ,


1 Bonaparte écrit dans le lI1onit., ~n ¡V, nO :1 8 4, p. II 310-
le 19 juin J 796 : u Les vinnt tableaux que doit nous fournir
Parme,~ont l?llr,t,is; l,c ~~Ie~r~ tableau de $~ipt-Jérome est
tellement estimé dans ce pays, qu'on offrait un million ppur
le racheter. Les tahleaux de Modene sont également parti,s. "




332 HISTOIRE DU XVl11e SIECLE.
acte de violen ce que contre les trQubles
qu'on cherchait a lui susciter dans son propre
pays pendant la paix l. On luí fit les réponses
les plus dures, et on l'assaillit de nonvelles de-
mandes. Quoique eette conduite ne pút guere
disposer les esprits en faveur des Fran«;;~is, et
que l'indignation contre eux se pronoiH;at
hautement dans l'ltaliesupérieul'e, ou le Mi-
lanais avait acheté vingt millions la perspec-
tived'un gouvernement républieain, le pape
etNaples se virent cependant obligés de eon-
dure la paix.


Le pape eut trop tard recours a l'interven-
tion de l'Espagne,lors'{u'il signa, au moís de
jo.in, u~e trev~ ql1'on né transforma qu'au mois
d' octobre en une paix formelle. Il ·paya une
sornme irnmense d'argent, livra les plus beBes
productions des arts, laissa l~s Fran<;áis en
possession des légations de Ferrare et de Bo-
logne) re<;ut une garnison a Ancone, sans
parler des autres conditions auxquelles il
souserivit~ ~e roi de Naples ne perdít r¡eI~,


1 Le Juc de Toscane envoya le marquis Manfrédini a Bo-
nap;ll'te. S. A. R. se p}¡ünt de ce que le ministre fran<,¡ais chercbe
a former ·un parti contre le gouvernement en donnant des es-
pérance!> alJX IÍlécontents, conduite contraire a la bonne har-
]~onieet a l'amitié <¡ui subsistent entre la République fran'iaise
et la Toscane. Le général a re~u assez froidemcnt le mentor
du gralld-duc, etc.




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 333
• il fut seulement obligé de séparer ses vaisseaux


de la flotte anglaise, ainsi que, ses troupes de
farmée autrichienne.


I '


Pour apaiser les révoltes qui éclaterent
daus les villes de l'Italie supérieure, Augereau
et Bonaparte tirent tuer et fusiller plusieurs
centaines d'hommes , et désarmer des vil1es et
des contrées entieres. Lncques, république
fort pauvre, qui n'avait trempé dans ancune
sédition, el défaut de tont autre contri~ution,
donna six mille fusils et cela, comme Bona-
parte le rapporte d'un ton railleur, de gréa
gré.


Au mois d'aoilt, l' Autriche préparait aux
Fran<;ais de nouyeaux combats. Bonaparte se
mit en marche, le 1 eÍ' de ce lTIois, pour aller
art-devant de la nouvelle armée impériale
commandée par Wurmser. Un pro~pt départ
lui assurait la victoire, il lui sacrifia done les
cent trente - quatre canon s el mortiers. avec
leurs munitions qu'il avait employés au siege
de Mantoue; certain de _ les reprendre, il les
abandonna aux assiégés. .


Sa méthode ordinaire de diviser farmée
. ~.


ennemie, et d' écrase~ sépar,é¡IPent les, ,eorps
détachés av~ toutes ses fon~es, lui fut,ene:ore
facilitée par les Autrichiens ,'puisque Quosda-




334 HISTOIRl! DU XVIIlo SJi.:CLE.
¿owüih et W utmser cond.uisil'ent leurs trou-
pes par des clletnins différents. 11 repoussa
d'abord Q~osdanowich et remporta une vié-
toire SlIr Wtirmser pres de Castiglione. Bona-
parte attribua cet avantage a Augereau qui
lui était entiere:ment dévoné, dont il n'avait
pas a redouter la politique, et a qui il donna
meme plus tard le titre de due de Casti-
glione.


Wurmser1 qui, dans cette expédition, 6.t
jouer tons les ressorts de la force et de la
ruse, recruta son armée, tandis que Bonaparte
entrait dans le Tyrol, et chercha a se frayer
derriere lui un chemifi vers Mantoue, en des-
cendant la Brent~, ce qui favOI'isa les succes
des Fran<;ais. Bon~parú~ renversa, le 4 sep-
tembre, Jes lignes des Autrichiens destinées
a couvrir le Tyrolpre~ de Roveredo, prit des
cárioos, des drapeaux et fit des prisonniers
'aVant 'de marchet directement contre Wurm-
ser. Ce dernier, poursuivi par toute la puis-


. sanee franc;aise, perditl dan s plusieurs com-
bats la plus grande partie de ses troupes; m<1is
~tin il se lit jOltr atravers l'arínée enncnlie,
'el 'aftei'gnit, ~Ú grand étonnement de son ~d-
~<:ria:kt-:, la ph.cede Mantocte, a la t-ete de 'dix
ilinlehbriún~s. Avant que les Autriehieils fis-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 335
sent une nouvelle tentative pour secourir
cette ville, Bonaparte avait enlevé la Corse aux
Anglais; Salicetti, par son ordre, partit pour
ce pays. Les demandes continuelles qu'il faisait
aux républiques de Genes et de Venise, gou-
vernées par les aristocrates, et les querelles
qu'il leur cherchait a tout moment ne lais-
saient que trop entrevoir la chute prochaine
de ces États. Il encouragea les habitant~ du
duché de Modene a la défection, transforma le
pays en république d'apres leurs instances, et
rompít la paíx que le duc avait si cherement
achetée. On incorpora Bologne ainsi que Fer-
rare a cette république fac~ice ,jusqu'a.~e qUé
la politique .permit de rédu~re Milan :sous le
joug des Ftan<;ais, en luí promettant la li-
berté. Les Girondins et les royalistes du Corps-
législatif sentirent que Bonaparte réunissait a.
toutes les qualités d'un grand homme le sys-
teme de la terreur et de la perfidie. lIs le dé-
c1araient hautement, mais ils donnaient par la
meme a la partie perverse da directoire un
appui dans l'armée d'Italie et un ami en Bo,,:,
naparte.


Carnot comprit alors, aussi bien que les
royalistes, quel était l'homme qu'il avait élevé;
~t, lorsque cenx-ci le faisaient attaquer par'les




336 HI STO IRF. DU X VI Ile SI ECL ,,~.
journaux 1" il envoyaen Italie, pour observer
ce général alnhitieux 2, Clarke, a qui .iI avait
confié jusqu'alors la direction de son bureau
topograp~ique. C~arke reconnut bientót que


- 1 Reveillere-Lepeaux, dan!; la longilEi lettre qu'il aaresse a
Bonaparte, le 15 thermidor, au nom du directoire, dit : " Le
directoire voit avec indignation la perlidie avec laquelle ces
follituláires coalisés se, sont permÍs d'attaquer la loyuúté, la
constante fidélité de vos services, et il se doit a lui-méme le
démenti formel qu'il dou'ne aux abs~rdes calomnies que leur
a fait hasarder le besoin d'entretenir la mangnité, par quelques
récits qui puissent l'aiguillonner el faire lire leurs produc-
tions. Les uns, ouvertemenl royalistes, répandellt crument
une fausseté, les autres, se disant patriotes par excellellce, mai!;
marchant au méme hut, la commentent, etc., etc.


C' est ce qui fait dire a Bonaparte, le J 7 novembre J 796 :
II,Wurmser n'est heureux que dans lei journaux que les en-
t< nemis de la Répuhlique soldent a París. D
, Cela explique le 'ton qui regne dans ~a lettre de consolatÍon
qu'il écrivit a Clarke, lorsqu'Éliot, le neveu de. ce dernier,
venait de tomber dans la bataille d' ArcoIe a coté de 'lui : • Il
~st mort, dit-ji, avec gloire, et en face de l'enllemi; il rí'a pas
'souffert lÍn instant. Quel est l'homme raiSOllnable qui n'en-
vierait pas une telle mort? quel est celui qui, dans les vicissi-


. tudes de ]a vie, ne s'abollnerait pas pour sorti¡', de cette
maniere, d'un monde. si souvent méprisable? quel est celui
d'entre nous qui n'a pas regretté cellt fois de ne pas ~fre ainsi
'soustrait aux effets puissaÍlts de la calomriie, de l'envie et de
toutes les .passions haineúses qui semhlent presque exclusive-
mentdiriger les actions des homrnes? ..


;¿ ftfolliléul': "V~ 29 brumaite 3n VI (19 novetnhre 179ñ);
le général. Clarke, chef· du bureau topogrllphique des re-
lations extérieures. est ellvoyé par le directoire it la cour de
Vienne. Il est muni du ponvoir nécessaire pour ouvrir (fes né~
goCiations de paix. Il a dú, prendre la route d'ltalie, afin de
conférer avec le général Bonaparte, avant d'arriver a sa desti-
nation. Les horribles instructions qu'il re<;ut, se trouvent dans
~a r;:orrl'spondance inédite, tome II, pages 393.4 2 1 • .,




LIVREIV,CHAPITREIV. 337
eelui, qui le nomma par la, suite duc de Feltre,
pouvait lui etre plus utile que le directoire et
tous les législateurs. Il se lia avec lui, se mon·
tra toujours disposé a exéeuter ses projets,
lui fit part de tous ses rapports, les coneerta
avec lui, et trompa Carnot et Barthélemy. Les
négociatjons qu'il entama avec l'Empereur
n'enrent d'abord aueun résultat, paree que ce
dernier comptait sur l'issue de la conjuration
dé Piehegru et de ses ami s avec les émigrés;
et plus une partie du direetoire et le Corps-Ié-
gislatif désiraient la paix, plus Bonaparte et
Barras eherehaient aja retarder.


Tandis que Bonaparte faisait sentir a son
~rmée et a l'ltalie son bras de fer, qu'il vou-
lait en apparence entrer en négociations, et
qu' on dépouillait tou tes les armées et tout
l'intérieur de la Franee, pour le renforeer de
soldats et de munitions de guerre, l'Autriehe
venait d'organiser une nouvelle armée, sous
le commandement d'Alvinzi. Ce général de-
vait seeourjr Wurmser qui se soutenait avee
beaueoup d'habileté et de fermeté a Mantoue;
mais la séparation de l'armée, déja deux fois
fatale aux Autriehiens, fournit de nouveau a
Bonaparte 'l'oeeasion d'employer les memes
Inesures dont il s' était servi auparavant.


H. H. 22




338 1IISTOIRE DU XVIJle sd~cLJ::.
Alvinzi alla a Bassano en descendant la


Brenta; Davidovich, lnarchant vers Trente le
long de l'Adige, remporta quelques avantages
sur les Franc;ais, paree que Bonaparte s'était
dirigé avec toutes ses forces contre Alvinzi.
Du 13 au 16 novembre 1796, les Autrichiens
et les Franc;ais se disputerent dans un combat
opiniatre la possession du village et du pont
d'Arcole. Bonaparte et ses générallx eurent id
en vain recours au Inoyen qu'ils avaient em-
ployé a Lodi l. Ce qu'ils ne purent emporter
par la force ,~ls l'obtinrent, le 16 janvier, par


I Dans son rapport au directoire (Afoniteur, an V, nO 7:1 ,
page :.. 8 5 ), Bonaparte dit: " ~e fut en vaÍn que tous les
généraux, sentant l'importance du temps, se mirent a la tete,
pour obliger nos colonnes a passer le petit pOllt d' Arcole; trop
de courage llulsit, ils furent presque tous blessés: les généraux
Verclier , Bon, Verlles, Lannes, furent mis hors de combato
Augereau, empoignant un drapean, le PQrta jusqu'a l'extré-
mité du pont, ilresta la plusieurs minutes sans produire au-
cun effet ...... Je m'y portai moi-meme. Je demandai aux soldats
s'ils étaient encore les vainqueurs de Lodi, etc., etc .• Batllier
rapporte, UO 73, page 2!)0, la !mite: ti Il se jette a has de
son cheval , saisit un drapeau, et s'élance a la tete des grena-
diel's ,et court sur le pont en criant:. Suivez votre général !
La co]onlle s'éhranle un instant, et on était a trente pas du
pOllt, lorsque le fen terrible de l'elluemi frappa la colonne ,
la fit reculer un moment méme ou l'ennemi allait prelldre
la fuite. C'est dans cet instant que les généraux Vignole et
Lannes sont blessés, el que l'aide-de-camp du g~néral en chef,
Muiron, fut tué. Le général en chef et son état major sont cul-
hntés; le général en chef 111i-méme est renversé ayec son che-
val dans Ull mar<!is sous le fen de l'ennemi; iI est reti¡é avec
peine, etc. ~





L I V n E 1 V, e H A PI T R t~ 1 v. 3 :~9
la jonction d'une division qui descendait de
l'Adige. Alvinzi essuya le soir meme une
grallde défaite. Aussitot apres la victoire, Bo-
naparte se désista dt! sa poursuite, et s'avan~a
contre Davidovich qui venait de battre, pour
la secollde fois, pres de Rivoli, les divisions de
l'armée fr'an<;aise envoyées eontTe tui. Le gé':'
néral autrichien lui échappa \as~ez heureuse-
ment, quoique Bonaparte, dans son bulletin,
s'arrogeat eles avantages qu'il n'avait réelle-
ment pas eus sur le champ de bataille. D'ail-
leurs, l'affaire était assez brillante en elle-
meme, puisqu'il avait chassé de l'ltalie, pour
la seeonde fois, l'armée impéríale qui, dans
ces combats, comptait au tnoins vingt mille
hommes de plus que lui.


La supériorité d'esprit et le génie militaire
que Bonaparte avait déployés pendant toute
laguerre ~'Italie, meme contre Wurmser; une
infiiúté de fautes, et la lenteur d' Alvinzi et
·de Davidovich auraient du décider le gouver-
nmnent autrichien a lui opposer un autre gé-
néral. N éanmoins, on se .con tenta d' envoyer, au
mois de décembre, des renforts considérables
a l'arlnée du Tyrol.
Wurms(~r ne put tenir a Mantoue que jus-


qu'a la fin du mois de janvier. Alvinzi, qui en
2? .




340 . HISl'OIRE DU XVIlle SIF:CLE.
était instruit, chercha a pénétrer jusqu'a cette
ville. Il fut d'abord assez heureux; mais, dans
la bataille de Rivoli et de Corona, livrée le
13 et le 14 janvier, Bon~arte remporta une
victoire décisive. Le 2.7, il jojgnit a ce succes
la défaite de Provera pres de la Favorita. Pro-
vera fut faít prisonnier pour la deuxieme fois
dan~ cette guerre, et six mille sept cents
hornmes tomberent au pouvoir des Franc;ais.
Des que les Autrichiens vaincus eurent quitté
l'ltalie, Mantoue capitula, et Bonaparte put
alors étendre de plus en plus le systeme de
pillage que lui et le directoire avaient adopté
publiquement l •.


Pendant tont ce temps, le p-llpe avait donné
sujet a des plaintes bien fondées; mais sa con-
duite para!t excusable quand on considere ce


1 Correspondance, tome 1, page 392, Bonaparte écrit le
28 décembre 1796, au directoire exécutif: • Vous trouverez
ci - jointe la lettre écrite par le général Alvinzi, et la réponse
du général Berthier ~ en conséquence, le baron V incent el
Clarke se réunissent a Vicence, le 13 de ce mois. Mon opi-
nion est que, quelque chose que l'on puisse stipuler pour le
status quo de ~antoue, l'exécution en sera toujours impos-
sible. Si l'Empereur conclut l'armistice sans le pape, l'avantage
de pouvoir retirer trente millions, cet hiver, d'Italie, et de pou-
voir en donner quinze aux armées de Sambre-et-Meuse et du
Rhin, est une considération telle qu'elle nous permet d'ouvrir
la campagne prochaine avec avantage; mais si l' Empereul' veut
y comprendre le pape, rarmistice nous fera perdre Mantoue,
l'argent de Rome, et donnera le temps au pape d' organiser
une force militaire avec des officiers autrichiens. "







LIVRE IV, CHAPITRE IV. 341
qu'il avait perdu, ee qti'on se proposait en-
core de lui enlever, et eomment Bonapar,te,
malgré toutes ses promesses séduisantes, se
vantait cependant d'etre un des principaux
soutiens du parti anti-monarchique et anti-
religieux.


Le pape, eomptant sur l'assistance de l'Au-
triche, prit enfin les armes, ce qui fourriit au
général fran~ais le pl'étexte de livrer LoréUe
au pillage, eomme iI l'avait prémédité de-
puis long-temps, et de menaeer Rome elle-
meme. Il ne voulait point aller jusqu'a eette
ville, puisque les menaces seules étaient le
moyen le plus sur d'en extorquer de l'argent
et les chefs-d'reuvre des beaux - arts.I. Rome
était d'ailleurs trop éloignée; on entama des
négociations. Bonaparte s'arreta pres de To-
lenti.no et entra en une correspondanee polie
et ami cale avec le pape, qui s.e termina par
une paix dont tous les avantages furent pour
le gouvernement Ínsatiable de la Franee. En
vertu de ee traité, signé le 19 février, mais


1 Moniteur, an V, nO 165, page 657 : -La commissio~ des
savants a fait une honne récolte a Ravenne, Rimini, Pesare,
AneGne , Lorette et Perugia; cela sera incessamment expédié
a Paris. Cela joint a ce qui sera envoyé de Rome. nous aurons
tout ce qu'il y aura de heau en ltalie, excepté un petit nombre
d'objets qui se trouvent a Turin et a Naples. JI




342 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
devenu officiel seulement depuis le 30 avril,
le pape paya des sornmes énormes 1 et livra
aux Fran«;ais tout ce qu'il leur plut de de-
mander. n renon<,:a SPQntanément a ses pré-
tentions sur Avignon et le Ven:,lissin, céda les
légations de Bo]ogne, de Ferrare el de la
Romagne,. qui formaient une partie de la ré-
publiqu~ Cispadane, et qu'on devait ensuite'
réunir a la république Cisalpille que, des ce
moment, Bonaparte s'occupait a établir. n ne
manquait que deux ch()ses pour accomplir ses
plans: la destruction des Qeux républiques de
Venise ~t de Genes, et une paix avec I'Au-
tri che , pour ~ssurer toqs ~es triomphes, et


1 La paix avee le pape comprend vingt - six al'ticles, dont
nous citerons les dixieme , onzieme et douzieme:


« X. S. S. s'engage a payer et a livrer a Foligno aux
trésoriel's de l'armée fran~aise, avant le 15 du mois de ven-
tose courant (mars 1797, v. st.) , la SOlv-me de quiD7& mil-
lions de livres tournois de FTanee, dont dix millio~s en, nu-
meraire , et cinq en diarnants et autres effets préeieux, sur
ceHe d'environ sei~e;! Illillions qui restent dus suivant l'~r­
ticle XI de l'armistice signé a Bologne.
• XI.Pour acquitter définitivemeut ce qui restera a payer pour


l'entiere exécution de l'.armist¡ce signé a Bologne, S. S. fera
fournir a l'armee hl,út cents chevaux de trait, des breufs, des
humes et autres produits du territoire de l'Église.


XII. ~ndépendamme~t de la somme énoncée dans les deux
artides, le pape paiera a la Répuhlique fran~aise , en numé-
l'aire et diamants ou autres valéurs, la somme de quinze mil-
lions de livres tournoÍs de Franee , dont dix dOlns le courant
du moÍs de mal'S , et cinq millions dans le courant du mois
d'avril prochain. »




LJVRE IV, CHAPITRE IV. 343
pour consolider toutes les dispositions qu'il
voudrait prendre. La perte de Genes et de Ve-
nise était toute préparée ; une nouvelle ex-
pédition devait. amener la paix, Iorsque Bo-
naparte envoya ses généraux en Tyrol, 3U
mois de mars 1797, et qu'il se mit lui-meme
~n marche vers )a Carinthie et la Carniole.
L'Autriche eut a lutter contre l'ennemi et
contre des traitres de toute espece.


On appela en vain l'archiduc Charles a la
défensedes pays héréditaires; car, quand meme


/Bonaparte ne l'eút point surpassé en talents,
qu'aurait pu fajre Charles, lorsqu'il avait les
lllains liées?


Mack et Thugut gouvernaient a Vienne; l'un
était aussi fécond en pIans que malheureux
dans lenr exécution; l'autre se Iaissait alors in-
fluencer par l' Angleterre, comme autrefois iI
s'était vendu aux Fran<;ais a Constantinople.
Dans ces conjonctures, personoe n'aurait pu
douter de l'issue de la guerre, si le directoire
n'eut porté toute son attention sur l'armée de
Sambre-et-Meuse commandée par Hoche, et
s'il n' cut eu quelques lllotifs de suspecter la


. fidélité de Morean, a cause de son intimité avec
Pichegru. L'arrnée du Rhin resta sans aucune
assistance, ce qui lui fournissait un prétexte




344 HISTOIRE DU XVIIJe SIECLE.
pOUI' se dispenser -de régIer ses mouvements
conformément aux entreprises de Bonaparte.


Nous verrons, plus tard, que le directoire
fondait des projets particuliers sur Hoche et
ses troupes.


Ce généraI, peu de temps avant 5a mort,
était posté au sein de I'Al1emagne, lorsque
Bonaparte, a dix-hnit lieues de Vienne, dé-
termina l'Empereur ou-plutot Mack et Gallo
a ce que les préliminaires de la paix de Campo-
Formio fussent signés a Leoben. eette paix
est hors de la tache qúe nous nous sommes
imposée; nous passerons done sous silence ses
articles, d'autant plus que IeurJéveloppement
ne peut etre que douloureux et ame!' ponr
tout honnete homme et surtout ponr l'alle-
mand impartial.


Bonaparte méditait le plan d'abuser l'Alle-
magne et de lui ravir un jour son unité na-
tionale l. Car iI s'expliqne icid'une nlaniere
alarmante sur les droits que, dans le commerce
politique, l~ puissant acquiert sur le plus fai-


1 Correspondance inédite, tome 1I, page 565 : « Je n'ai pas
en 'Allemagne levé une seute contribution ; il n'y a pas une
seule plainte contre nons. J'agirai de meme en évacuant ; et,
sans ~trc pr'ophete, je sens que le temps viendra ou nous tire-
rons parti de cette sage conduite; elle germera dans t~ut~ la
Hongrie, et sera plus fatale au treme de Vienne que les vlctOlres
qni ont illustré la guerre de la liberté. •




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 345,
ble l. Pour achever le triomphe de la Franee,
iI faUnt qu'on appelat au ministel'e des affaires
étrangeres Talleyrand qui, el l'expérience, la
connaissance et la finesse de l'ancien régime ,
r~unissait toute l'immoralité des temps nlO-
dernes, et qui regaruait tonte pudeur comme
un préjugé de l'jgnorance.


N ous avons exposé comment la Convention
nationale garda son illfluence dans la nouvelle
assemblée, apresavoir concentré, pendanttrois
ans un mois et quatre jours, tout le pouvoir,
le gouvernernent, la jllstice et la législation.
On· comprendra, sans doute, toute l'impor-
tance de cette relnarque, si 1'0n considere que
cette redoutabl~ Co~vention avait porté onze
nlille deux cent dix décrets, découvert trois
cent soixante conspirations, ou par une dé-
claration formeHe de toute l'assembIée, ou
par ses membres et ses comités, et déclaré offi-
ciellement cent cinquante insurrections. Il n'y


1 Bonaparte écrit, le 26 mai 1797, au directoire ( Corres-
pondance inédite, tome llI, page 3): Ir Venise Vil en déca-
dence depuis la découverte du cap de Bonne-Espérallce; et
la naissance de Trieste el d'Ancone peut difficilement survivre
aux coups que nous venons de luí porter : population inepte,
Iache , et nullement f.1.ite pour la liberté. Sans terre , sans eau ,
il parait naturel qu'elle soit laissée a ceux a qui naus dannons
le continente Nous prendrons les vaisseaux, nous dépauilIe-
rans l' arsenal, nous enleverons tous les callons, nous détruirolls
)a hanque, et nons garderons Corfou et Ancone, etc. "




346 HISTOIRE DU XVII le SI1~CI.E
avait pas seulement dans le nouveau Corps·
législatif la rnajorité des Jacobins odieux de
la Convention; rnais une amnistíe généraIe
avaitaussi rendn a la liberté tous lesTerroristes,
tous les hommes sanguinaires qu'on avait au-
paravant jetésdans les prisons. En observant en
outre que les lois séveres contre les émigrés
et leurs parents, ainsi que la loi dn 3 brumail'e,
excluaient presque le tiers des citoyens deschar-
ges puhliques, on concevra facHernent quels
pouvaient etr'e les gens a qui ces emplois fllrent
confiés. Pendant que des brigands, des assas-
sins et Ienr parti se partageaient les places, l'irn-
luoralité établissait partont son regne. Le gou-
vernement facilitait la di.lapidation des biens
nationaux et la distribution dn butin fait sur
les émigrés et les proscrits. Les finances se
trouvaient dan s le plus triste état; madame
de Stael dit qu'il y avait cent mille fl'ancs dans
le trésor; elle se trompe; il n'y avait pas un
sou. Les assignats n'avaient plus de valeur; el'
pour combIe de maux , iI n'existait point de
systenle d'impot de recettes, ni de revenus.
Dans cet embarra~, 0:1 emprnnta des capitaux
quand on pOllvait en trouver, rnalgré le cré-
dit perdu. Le cornmerce des assignats et les
spéculations sur les rescriptions de l'État dé-




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 347
trnisirent le reste de la moralité. Les armées
étaient dépourvues de tout, et les institutions
publiques tombaient l. Pour remédier a ces
désordres, iI aurait falln choisir cinq hommes,
d'une actívité et d'nne intégrité prouvées.
L'esprit de parti en décida encare autrement.


La majorité du conseil des Cinq .. Cents de-
mandait -des membres de la Convention, mais .
elle craignait que le conseil des Anciens ne les
rejetat. Elle présenta done, conformément a
la lettre de la loí, une liste de ci.nquante dé-
putés, parmi lesquels on devait en choisir
cinq; mais quarante-cinq, excepté Cambacéres,
étaient des hommes entierement inconnus et
qui n'avaient jamais été employés dans des
affaires importan tes 2. Le choix tomba sur


J Baitleul, tome II, page 335 : 11 e'est pendant cet intervalIe
que la disette fut affreuse, que la dépréciatinn des assignats
porta au combIe le désordre dans toutes les transactions, et
1aissa le gouvernement sans ressources; nos soldats étaient sans
hahits, et quelqnefois san s armes; j'en ai vn portant des sabres
sans fourreau, d'autres qui avaient des pistolets OU iI n'y avait
pas de batterie, d'autres qui n'avaient d'armes d'aucune es-
pece; les cbevaux crevaient faute de nourriture; tous les ser-
vices publics étaient en souffrance, et les chemins elevenaient
impraticahlesfaute de réparations. D


2 Dupont de Nemours dit au cOllseil des Anciens, a I'occa-
~ion de la liste: .. Loin de nons la 'pensée qu'en rapprochant
de qnelques législateurs célehres un granel nOlllbre d'hommes
¡gnorés, on ait voulu forcer le choix du conseil, et donner a
la pa trie des rurecteurs qui n' aUl1~ient pas subi la double épreuve
que récJame la constitution, et réunir {'assentiment libre des




348 HI STOIRE DU X V Il Le S IECLE.
Rewhell, Barra~, Letourneur, Reveillere-Le-
peaux et Sieyes. Rewhell ne manquait pas d' ex-
périence et de talents, mais il se laissait do-
miner par la cupidité et l'ambition; ilne
croyait ni a la liberté ni a la vertu, et préférait
le despotisme le plus tyrannique a une mo-
narchie légitime et constitutionnelle. Barras,
rempli d'un orgueil aristocratique, esclave du
vice et entierement dévoué aux femmes de
l'ancien régime', a vait cependant sauvé deux
fois la Convention. Brouillé a jamais avec les
partisans de la maison de Bourbon parmi les
royalistes, il ne songeait qu'a ses plaisirs.


Letourneur, autrefois capitaine du génie,
était unhomme tout-a-fait singulier.


Reveillere - Lepeaux, auparavant avocat a
Angers, fut, dans cette nouvelle position,
trop sentimental et: trop doux, etdevintbientót
l'objet de la risée publique, par son théophi-
lantropisme l.


deux conseils. Robespierre avait conquis la France par la force,
ce serait, la conquérir par la ruse. •


1 Réponse dt L. N. lrl. Camo!, clto.ren frant¡ais, ll11 des !Oll-
dateurs de la ¡lépublique, et melllbre constitationnel du diree/oire
eIécutij, aa rapport fait sur la cOlISpíration du 1 S fractidor de
l' an r, par J. C. Ba!l/eul, au nom da comité cltoisi: Londres,
Hambourg, Altona, in-So, pago 170: • Parmi les triumvirs,
Rewbell est le seul qui ait un plan suivi et des connaissances
positives; mais il croit la liberté impossible, et De voit de




LlVRJ:<: IV, CHA.PITR.E IV. :149
Le ru~é Sie!es ne jugea pas a propos d'ac-


cepter un emploi aussi pénible que dangereux.
Il re fusa done le directoire ainsi que la place
au conseil des Anciens, et préféra siéger parmi
les Cinq-Cents. ComIne il falIait nornlner un
autre membre a sa place et présenter une liste
de dix députés, Duplantier recommanda en
vain au conseil des Cinq-Cents ce que DUpOIlt
avait proposé a l'assemblée des Anciens, de
choisir des hommes connus. On eut soin de
faire la liste, de sorte qu'il n'y eut de choix
qu'entre Carnot et Cambacéres; le premier
l'emporta.


Nous aimons a croire que les cinq direc-


gouvernement que dans le despotísme le plus absolu ; e'est
ce qui regle sa marche.


Barras ne s'en faít point accroire; iI sait qu'il ne peut
marquer qu'en révolutionnant, et iI est touiours pret a révo-


. lutionner, n'importe daus quel sen s ; d'abord profondément
8l'istocrate, ¿ est-a-dire ennemi de tout ce qui tend a rappro-
cher les bommes de l' égalité. Reveillere, tourmenté par le
désir d'etre fameux et se démenant de toute maniere pour y
parvenir, s'est fait théophílantrope .... Mais voyant que cela
ne lui réussissait pas, iI a préféré devenir tyran que de se
borner a conserver la réputation d'homme de bien, avec la-
quelle iI était arrivé au directoire. Je ne sais, au surpIus,
sur quoi pouvait étre fondée cette réputation •.. ; mais il n'y a
certainement pas d'etre plus hypocrite ni plus immora! que
Reveillere. La nature, en le rendant puant et difforme, sem-
ble avoir eu pour objet de mettre en garde ceux qui en ap-
pr-ochent eontre la fausseté de son caractere et la profonde
corruption de son creur ...




350 HISTOlRE DU X V IUe SIECLE.
teurs montrerent d'abord de l'aetivité, eomme
le rapporte le violent défenseur du systeme
anti-monarchiqlle 1, qui, du reste, est tres-
prévenn en lenr favenr. n y avait une scission
dangereuse dans le Corps-Iégislatif; les roya-
listes étaient plvs entreprenants que jamais.
Des meurtres avaient été commis dans le midi
de la France, et on avait él redouter des dé-
marches pernicieuses contre les aneiens au;.
teurs des seenes violentes de la terreUf. Le
fatal moyen choisi par le directoire pour ne
succolnber, ni son s le royalislne, ni sous le
Jaeobinisme, fut un systeme de bascule, d'a-
pres leque~jllaissa les uns l'emporter sur les
autres, en leur opposant ainsi alternativement
leurs forces respectives. Les directeurs étant
restés quelques mois dans leurs charges, les
femmes de la société rouvraient leurs salons,
et les damesTallien, Recamier et plus tard
madame de Stael regagnerent une grande in-
fluence dans lesaffaires politiques ~, ce qui


1 Bailleul, tome JI, page 264 : • Six mois ne s'étaient pas
écóulés, que l'ordre régnait partout : les subsistances étaient
abondantes, et le numéraire· effectif avait remplacé les assi-
gnats, mais aussi les directeurs s'asseroblaient le matin a huít
heures précises jusqu'a quatrc et cinq du soir, et a huit heures
du so ir jusqu'a quatre et cinq du roatill~ •


2 Il Y avait aussí assez de femmes patrio tes qui ~ au líen
de s'occuper de Ieur ménage, répandaient la confusioll dans




Ll VRI~ IV, CHAPITR,E IV. 35,
fit naturellelnent renaitre les clubs l. Les roya-
listes s'assemblaieilt a Clichy; el l'hotel de
Salm, il Y avait un club qui travaillait contre
eux. Il y eut plusieurs réunions poli tiques
jusqu'au moment ou les Jacobins se consti-
tuerent de nouveau au Panthéon, sous la pré-
sidellce du Florentill Buonarotti, démocrate
acharné.


La majorité du directoire et des conseillers
se composait d'hommes qui avaient plus ou
lnoins figuré dans les troubles du tenlps


l'État. Carnot méme eut reeours él ces femmes; il dit qu'avant
le 18 fructj.dor an V, la citoyenne Éblé, sreur du célebre gé-
néral d'artillerie de ce nom ~ était venue le voir: .. Est-il done
décidé , citoyen Carnot, me dit-elle, que Pichegru abandonne
les patriotes? Je n'en sais ríen, lui dis - je, mais sa conduite
n'est rien moins que rassurante. Je veux, me dit-elle; aller le
voir; je veux enon lire dan s son ame et connultre sa pensée.


J'approuvai sa démarche. Elle revint deux ou troÍs jours
apres, et me dit : Non, Pichegru ne nous abandonne pas ;
il demande ce qu'il doit faire pour nous prouver qu'il n'aban-
donne pas les patriotes. " Carnot l'instruit ensuite de ce que
Pichegru a él faire.


I Lorsqu'en 1797, au moís de jnillet, les clubs jacobins se
constituerent de nouveau sous le nom de cercles constitution-
neIs, et que le Corps-Iégislatiflan~a un décrct formel contre
eux, un des défenseurs des Jacobins dit expressément:


MOlliteur, an V, nO 310, p. 1239, col. c. (;ommaire: .. Mon
amendement est essentiel; car ie déclare au peuple fran~ais ,
s'il y a en une réuuion de Clichy ... , JourdOll des Bouches-du-
Rhóne, moi je déclare que,si laréunion de Clichy s'est formée,
c'est qu'a notre arrivée ici, ii ya dix-huit mois, n011S avons
trouvé l' associatjon de ¡'hotel de Noailles. Une joule de 'Vol.1: • ..-
Cela est vrai! D'autres.-Noailles n'est plus, fermezCiichy! ..,




HISTOIR E lJU XVIlie srA'eLE.
passé. Sachant combien tous les esprits étaient
exaspérés contre eux, ils prirent toutes les me-
sures possibles pour se mettre en silreté. Ils
commencerent par exclure quelques membres
du Corps-législatif, qui ne selnblaient point
parvenus a la hauteur de la révolution. Jean-
Jacques Aylné fut le premier qu'ils repousse-
'rent de leur sein, et que, par dérision, les
Jacobins surnommerent Job, malgré toutes
ses protestations. Ferrand-Vailland n'eut ja-
mais la parole. lIs étendirent cette nlesure sur
Mersan, Polissart, Lecerf, Fontenay et Palhier.
La"njuinais succomba, lorsqu'il chercha a dé-
cider ses collegues a nomUlcr au moins une
commission et a suivre la constitlltion l. Le
directoire, de son coté, suivit la meme marche .


. Il organisa un ministere de poli ce , le 10
déc~mbre 1795, et en chargea le violent
M"erlin de Douay qui plac;a des Jacobins
dans les différents elnplois de la police, et se
mit en rapport intinle avec Fouché. Celui-ci,
ayant échappé a l'arrestation et au ressenti-
ment public, habitait la vallée de Montmo-
rency, ou il épiait l' occasion de se rendre


J .. Vous me rappelleriez, s' écrie Lanjuinais , cent mille fois a
l'ordre, que cela ne prouverait qu'une seule, que vous avez
attenté a la constitution. Au surplus, je demande qu'il Boit
nommé une commission .•




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 353
nécessaire. Comme ii craignait de paraitre
partout oú il Y avait du danger, iI entra en né-
gociation avec Babeuf. Cet homme bizarre,
exalté et pIein de vanité, s'était déclaré dé-
fensenr d'une égalité absurde, et lui sacrifiait
son sang et son bien, sans qu'il en ait jalnais
retiré aucun avantage. Fouché et Barras, au
contraire, enrichis par ce systeme, ne voyaient
en Babeuf que l'instrument qui devait faire
réussir leurs projets. Déja, dans les derniers
temps de la Convention, iI avait été inculpé
par Fouché qui inséra dans son journal, des
articles remplis des principes de la terreur,
sans les signer de son nomo Il devint alors la
victime de la poli tique infernale des gens qui
remployaient. 11 nomma son journal, dont le
style ressemblait beaucoup él celui de Marat,
et qui accusait et condarnnait tOllt le monde,
le Trwun du peuple. Il se crut lui-meme
l'homme le plus important du royaume, le li-
hérateur de la nation, changea de Dom de
bapteme, s'appela, au lieu de Fran<;ois-Noel,
Caius-Gracchus, et bientot tous les fauteurs
de l'égalité se servirent de son journaI, comme
auparavant de celui de Marat l. AntoneIle re- .


l. Réponse de e amot, etc., pa ge 1 94 : .. Ceci me rappelle
une anecdote assez remarquable. Un de ces hommes, que l'on


H. Ir. 23




354 HISTOIRE DU XVIl¡e SltCLE.
parut sur la scene; et les anciens temps senl~
bla{ent vouloir revenir avec ce marquis in-
sensé. Il avait autrefois acquis une triste
célébrité comme président des jurés du tri-
bunal rév¿lutionnaire; sans etre méchant, H'
avait puisé dans ses reveries politiques une
espece de philosophie qu'il débitait dans son
journal, surnommé le Journal des lwmmes
libres. Ledirectoire essaya de le faire servir a
ses desseins, mais les patrio tes gardaient trop
peu de réserve, et sans le différent de Rewbell
et de .Barras avec Carnot, .on leur aurait depuis .
long-temps imposé silence l. J~es partisans


cherche a égarer dans tous les projets qui se succedent pour
la destruction du 'gou'Verneinellt, vint chez ll10i, un matin,
apres l'arrestation de Babeuf. C'était un cordonnier; il m'ex-
pliqua comment on travaillait la classe des ouvriers. Je lui fis
apporter a déjeuner et le 6s causer sur tont ce qu'il savait.
Entre autres propos curieux, il me dit : Mon Dieu, citoyen
Carnot, combien j'ai été surpris de ce que vous ayez fait contre
Babeuf; je vous croyais un Brutus. -Quand il le faut, luí
dís-je. Je vis que l'on entretenait les citoyens de cette partie
de la société dans des idées tellement exaltées, que toute con~
stitution, toute loi, tont gouvernement quelconque, leur pa~
raissait un attentat contrc la liberté, tous les hommes en place
des tyrans, et ceux qui proposent de les tuer, surtout cenx
qui se chargent de l'exécution, comme autant de Brutus. »


I Picllegru et Moreau, etc., page 86 : " A cette époque la
nation gémissait d'une fonle de lois révolutionnaires; mais
elle craignaít de voir entrainer des loís salutaires par des abo-
litíons précipitées. La séparatíon du bien et du mal de la ré·,
volution n'avait pu etrc faite par des hommes sensés, les pas·
sions seules étaÍeI1t aux prises. Tout conserver était le langagc




LlVRE IV, CHAPITR:E IV. 355
qll'ils avaient dans les conseils ne connurent
plus de bornes. lIs intenterent une accusation
contre les anciens Girondins et leurs adrni-
rateurs, et contre les hornmes qui se réu-
nissaient a Clichy, pour y discuter préalable-
nlent leurs délibérations; mais ils échouerent
dans leurs tentatives le 30 mars 1796.


Des-Iors le directoire pencha de nouveau
vers le par ti opposé. Les patriotes venaient
Je rouvrir leurs clubs; ils annoncerent hau-
teInent leurs 'opinions, et on ferma aussitot
les clubs 1; les orateurs furent condarnnés au.


(l'une faetíon; tout détruire était le langage de l'autre. La masse
du peuple souffrait, ~'inquiétaít, attendait. NuUe regle, nuI
príncipe sur quoi un esprit raisonnable put s'appu:yer. Chacun
sentait que tout allait "mal; personne de raisonnable ne savait
encore distinctement, on n'osnit dire eomment tobt irait bien.
Le Corps-Iégislatif était partagé eomme la nation ; le direetoire,
composé de einq membres, était et devait ~tre divisé de me me
Dans ce.s eorps, composés d'éléments hétérogimes, ehaque
membre s'étonnait, s'indignait d'en voir quelque autre a cOté
de lui : les haines, les préventions personnelles aigrissaient
les esprits plus encore que la différence des opinions. La presse,
que l'on croyait libre et que ron regardait eomme le palla-
dium de la liberté publique, était un instrumeut entre les
l'1ains des étrangers, et ue servait qu'a envenimer les hames. "


1 Carnot dit, en parlant du directoire : <t Il ne nous restait
qu'une inquiétude :r:éelle; c'était eeHe que nous donnaient les
anarchistes, conspirant hautement au cluh du Panthéon , pro-
voquallt chaque jour l'égorgement du Corps-législatif, du di-
rectoire, et voulant, par toutes sortes de forfaits , rétablir la
constitution de 93 .... ;. Quoi qu'il en soit, le directoire ne
yit alors de moyen de salut que dans la fenneture du club du


23.




356 HISTOIRE DU XVIII' SIECLE.
silence, et le fameux Drouet ne put faire
agréer dans le Corps-législatif sa proposition
de tolérer ce5 réunions pour animer l' esprit
populaire.


IJe jacobin Merlin, éloigné de la police, fut
nommé ministre de la justice; a la fin du mois
d'avril, le directoire obtint d'envoyer a l'armée
la légion de police, composée de patriotes. Ces
derniers, s' opposerent ~ il est vrai, dans le pre-


. mier moment, a leur séparation; mais on les
désarma et on les enrola de force le 1 er mai.
]\lIerlin fut remplacé par Cochon qui, eomme
député de la Convention, comnle juge de
Lol1is XVI et eomme membre du comité de
salut public, avait reoou hommage a la révo-
lution; on croyait cependant alors qu'il com-'
lnen~ait a se tourner vers le systeme royalis\e.
On alIa jusqu'a l'accuser d'avoir nommé chef
de burean a la nouvelle police le baron de
Batz 'qui, 1'anl 794, s'était soustrait, par la fuite,
:tu comité de sÍlreté et a la mort, et qui avait
trouvé son salut dans la derniere amnistíe;
maisCochonleniaconstamlnentl. Les Jacobins,


Panthéon. Bonaparte, commandant la dix - septieme division
militaire, fut .:hargé de l'exécution qui eut lieu le soir m~me .•


1 Cochon déclare au contraire formellement au directoire ,
qu'il uvait fait chercher le baron de Batz~ ponr le faire arl'~fer;
et Carnot, dans sa Réponse, p. 198, s'explique ainsi:" Co-




Ll VRE IV, ,CHAPITRE IV. 357
irrités de ce que le directoire les avait abusés,
préparerent a Paris un coup décisif, pendant
que des royalistes et des fanatiques s'armaiel..lt
dans le midicon tre leurs anciens ennemis,
pour en tirer une vengeance sanglante. Les
royalistes proprement dits, c'est-a-dire ceux
qui n'étaient pas vendus aux émigrés , comIne
Willot et Pichegru, formaient des partis tont-
a-fait opposés et sentaient .combien il ,était
difficile de concilier l'ancien régime ave e le
nouveau l. La majorité des conseillersétait
chon et Malo contribuerent autant que moi a déjouer les agents
de Louis XVIII; mais Lonis XVIII a été vengé par les direc-
teurs républicains: ils ont proscrit Cochon et Malo. L'esti.
mable, le tres-estimable ministre Cochon)- plus actif mille fois,
plus courageux ,plus J'épuhlieaiD ~ tOllS nos, directeurs ré-
publicains, fut celui qui dévoila au directoire cette histoire
des fils légitimes, dont BaiUenl orne son rapport. Tons les dé-
tails qu'il donue sont tirés des mémoires que Cochon avait
saisis par le moyen de ses agents .•


Quel affreux dédal~ de trahisops et d'astuce!
1 Démougé, Rappor-t áu :1 mai 1796 sur le 'Voyage de Pi-


eltegru a Paris, Pieces trou."ées a Offenhourg. tome 1, 1: 8 6e
piece, page 480 et suiv. : .. Pichegru, pendant spnséjour,
s'est ¡¡ppliqué.a connaitre a fond l'esprit public : iI yest pal'-
venu,mais il avouequ'il ne,s'attendait pas a le voir si erroné;
généralement, tout ce qu' n'est pas Jacobin demande le gpu-
vernement d'un seul; les grosses tétes mémes. et le dire«;:toire
en voi~nt le besoin et le désjrent; mais on est bien divisé sur
le, choix a faire. La tres-grande pluralité ( ce qui a étonné ·:Pi-
chegru) est pouql'Orléans. Carnot, dudirectoire méme, enest
le plus zélé .partisan. La mere d'Orléans, qui est a Paris, et
que ,Pichegru a refusé de voir, a l'air de s'y refuser, disant·
que son fiIs serait assassiné le lenclemain de sa promotion.




358 HISTOIIlE DU XVIlle SIECL"E.
pour la modération; mais les Jacobins comp-
taient d'autant plus sur leur parti, dans la ca-
pitale , q~'ils étaient soutenus par tous les
anciens députés de la Convention qui ne
siégeaientpoint au Corps-Iégislatif. Afin d'exé-
cuter les desseins des Jacobins, Babeuf, An-
tonelle J le député Drouet et ses amis con-
~urent le projet atroce d'un meurtre général.
Leur prétexte était de rétablir la constitution
et le gouvernement de 1793; mais avant de
s' etre accordés sur l' exécution de ce plan.
lIs eurent l'iInprudenée de faire insérer les
plus terribles menaces dans l'Ami du peuple de
Babeuf~


Ces intentions ne demeurerent pas long-
temps secretes; cependant le directoire n' en in-
forma pas moins le Corps-législatif I avec beau-


Ellfin les gens sensés que Pichegru a vus en grand nombre,
conviennent tous qu'il y aurait une guerre civil e interminable,
si d'Orléans ou le Prétendant étaient d'abord iustallés, etc., etc.,.


1 Cette déclaration au conseil des Cinq-Cents est con~ue en
ces termes : .. Citoyens législateurs , un horrible complot de-
mit éclater demain des la pointe ~u jour; son objet était de
renverser la constitutíon fran«,¡aisc 1 d'égorger le Corps-Iégis-
latif, tous les membres du gouverllcment, l'état-major de l'ar-
mée de l'illtérieur, toutes les autorités constituécs de Pal'is ,
et livrer eette grande eommUlle Ú un pilIage général et au plus
affreux massacrc. Le directoire exécutif, informé du lieu ou
les chefs de cette affreuse conspiration étaient l'assemblés, et
tellaient lenr comité de révolte, a donné des ordres pour les
faite arn~ter; plusieun. d'entrc cux 1'0nt hé en effet, et e'est




L1VRf; IV, CHA.PITRE IV. 359
coup d'éclat et d'emphase. On voit, par les fai-
bies ressources des conjurés, cOlubien cette
conspiration était peu a craindre; iI Y avaitd'ail-
leurs, depuis le dernier mois, des trollpes pos-
tées a l'entour de Paris. Ce seul fait démontre
combien la morale de la révolution avait déja
été fatale jusqu'alors, combien le gouverne-
ment et les représentants de la nation avaient
ouhlié toute dignité et toute pudeur, pnisque
Babeuf, l'anteur du plan homicide", était cet
homme avec qui Fouché avait traité,. trois
mois auparavant, au Dom du directoire , a qui
iI offrit le ministere des finances, et dont il
disait encore, 1ue1ques mois avant ~ que s:al ...
lier avec lui était f.ormer une alliance avec la
vertu mernc. D'ailleurs iI est incontestable que
plus de soixanlc membres des dcux conseils
étaient instruits dn projet insensé des conspi-
rateurs. Vadier, Amar, Cholldier, Ricard et
quelques au1res luembres redoutables de la
Convention épierel1t le moment de regagner
dtl crédito


Parmi tous les actes qu' on publia en six
voIumes, l'année sllivante, apres que le pro ces
fut terminé, la lettre' .que Babeuf écrivit daos


"avec douleur que nous vous apprenons que parmi eux se tr.ouv.e
un de vos collcgucs , le citoyen Drouet, pris en flagrant délit. J)




360 HI'STOIRE DU XVIIle SIECLEo
sa prison au direetoire, est sans contredit le
document le plus remarquable pour celui qui
désire connaitre l'état de la Franee a eette
époque. Nous y voyons de quel aveuglement
était dominé Babeuf, quelle confiance ii avait
en lui-meme, et eomment le gouvernement
d'une nation de vingt-huit millions de eitoyens
se trouvait mis en paralleIe avee un exalté l.
A jugel', d'apres le début, on se serait attendu
a une ju~tiee prompte et sévere; lnais il paralt
constant qu' on ne vonlait faire qll'une grande
sensation et attirer l'attention de toute ]a na-
tion sur la scene qu'on préparait. Elle se passa
a Vendome,ouelle:6t la plus vive impression;
elle cauta meme dessommes immenses, en-
fin rien ne fut épargné poul' que la révolution


% Toulongeon et le Moniteur, an V, nO 243, donnent
cet acte. Baheaf y écrit entre autres aux directeurs : el Regar-
deriez-vo1ls au-dessous de vous de traiter avec moi comme de
puissance a puissance? Vous avez vu a présent de quelle vaste
confiance jesuis le centre. (I1 écrit de la prison) : Vous avez
VD que IDon parti peut hien balancer le votre; vous avez vu
quelles immensesramifications y tiennent : j' en suis presque con-
vainc1l; cet aper'Su vous a fait trembler. Est-il de votre inté-
r~t, est - il de l'intéret de la patrie de donner de l' éclat a la
conjuration que vous aTez décou'Verte? Je ne le pense paso
Je motiverai comment mon opinion ne peut elre suspecte.
Qu'aniverait-il si cette affaire paraissait au grand jour? que
j'y jouel'ais le plus glorieux des roles. J'y montrerais toute la
grandeur d'ame avec l'énergie que vous me conllaissez, la
saintcté de la conspiration, dont je n'ai jamais nié d'étre
membre .•




LIVRE IV, CHA.PITUE IV. 361
poursuivit toujours samatche. Conformément
a la cons-titution, un député, impliqué dans
un crime d'État, devait d'abord etre interrogé
et accusé par les conseillers ,ensuite jllgé avec
tous ses compiices par un tribunal expres;
-c'est ce qu'on fit á l'égard de Drouet. Mais
personne ne croyait vér1tablement a la conspi-
ration, et cette affaire auraité~é'assoupie, si les
royalistes n'cussent occasionné dans la police,
aUIDoyen des Jacobins, un autre mouvement
sérieux qu'on ne pouvait, ni révoquer en
doute, ni laisser impuni. Les plaintes de Tal-
lien 1 prouvent que la police penchait alors
vers le royalisme ; ce que semblent encore con-
firmer et le. róle_ que Dossonville joua pendant
toute sa '\Tie, et le titre qU'Oll accorda a Batz,
apres le retour des Bourbons 2 • Drouet s'était


t Talliell dit, MOllitellr, 3n IV, nO 267, page 1067; « Com-
ment les patriotes, les républicains, ne seraient-ils pas parti-
culierement en butte aux poursuites de la police, lorsque c'est
un baron de Batz qui est a la téte de la police de París; Batz,
enllemi juré detout ce qui fut patriote, Batz, compromis dam.
toutes les affaires ou iI y a des contre-révolutionnail'es a pu-
nir ; Batz , correspondant avec les émigrés , avec les étrangers;
Batz, poursuivi a juste titre, échappé par miracle, et agent
des princes. Comment, dis-je, de tels outrages ne seraient-ils
pas répétés contre la représentatión nationale, quand un autre
chef de la police est Dossonví1le, chef de la poli ce d' AUlar •
assassin des républicaills, et l'un des premiers agents du -sys-
teme de telTeur qui a précédé le 9 thermidor. J)


:! Batz e~t dans ce moment maréchal-de-camp en retraite.




362 HISTOIRE DU XVIllC Sd:CLE.
échappé; les anciens députés de la Convellt1on,
quoique bannis de Paris, resterent en rapport
avec le peuple qui les avait servis pendant des
années entieres, et qui étai~ guidé par des
gens dont l'impudence surpasse toute idée.
Il y avait p_armi ces hommes plusieurs géné-
raux et officiers supérieurs du temps de l~
terreur qu'on avait employés dans la Vendée;
mais qui tomberent ensuite dans leur néant,
conlme les Rossignol, les Fion et autres.
Germain, officier de chasseurs en 1798, un
des premiers orateurs dn club ~es Jacobins au
Panthéol1, se distingua le plus parmi eux;
il poursuivit sa marched'un pas d'autant plus
assuré, que Fouché et Barras avaient toujours
soin de ne jamais se mettre en avant 1 , et que
d'ailleurs les autres directeurs ne jouissaient
Dossonville était, pendant la présence de l'auteur a Paris, en
[ 8 2 2, commissaire de police de l'ile de Saint-Louis. Il est cer-
tain qu'il servait les comités cornme royaliste, puisque lOU5 les
actes parlent de lui ...


1 L'affaire ayant éclaté, Barras :Gt appeler Gennain , et luí
dit: " Si on m'eut laissé faire avant le 13 vendémiaire, j'au-
rais encore travaillé la marchandise avec vous ...


On vil. le 17 fructidor, que Barras le prit sérieusement;
car ce Germain, qui, devant la haute-cour, se conduit comme
un fou, ote son habit pour gesticuler. n'y est pas seulement
absous, mais , le 17, iI est dit, dans le Moniteur, 110 348 , dans
une déclaration du directoire : " Germain est nommé commis-
saire du directoire, l'res l'administration centrale de Seine-
ct·Oise. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 363
pas de l'estime publique. La police savait bien
que les amis· de Babeuf avaient un appui dans
le directoire et dans les conseillers ; mais elle
n'ignorait pas non plus que les prolnoteurs
avaient aussi peu de prudence et de crédit
qu'ils étaient arrogants. Elle savait, en outre,
que les Jacobins tendaient a corrolnpre les
soldats postés pres de Paris, et qu'ils en·
avaient déja gagné une partie l. C'est la-dessus
qu' ehe/onda le plan de les prendre dan s leurs
propres filets. .


Les conspirateurs devaient'séduire les troUr
pes qui' se trouvaient pres de Vaugirard,
dans la plaine de Grenelle, délivrer Babeuf
de force, et rétablir la constitution de 1793.
La police, illformée J'avance de tout ce qui se
tramait, avait chargé Hatry, le général de
I'intériem', d'observer les démarches des révo-
lutionnaires qui comptaient particulieremellt
sur l'ancienne légion ele police , composéc
alors d'un régiment de dragons; mais les ad-
versaires des Jacobins n'avaient den négligé
pour oter a ce régiment les moyens de nuire.
A la maniere maladroite dont on cherchait a
exciter les soldats, par des femmes prosti-
tuées? de l'argent et du vin, OH reconna!t fa·


1 I1 fallut remoyer des légions et des batai~lons cntiers,




.,


364 HISTOIRE DU XVIlle SlECLE.
cilement que la populace qui se chargeait seule
cette fois de l'exécution, n'avait point été in-
fluencée par les anciens fauteurs de la déma~
gogie, et ceux qui autrefüis gouvernaient ]a
Convention; mais tout au plus par ses députés
Huguet et Javoques. On se proposait de pé-
nétrer dans le camp, d'entralner les soldats,
et d'assaillir le Luxembourg ou siégeait le di-
rectoire. La multitude quise porta sur le
palais fut bientot repoussée par sa garde, le
sabre a la J:llain, tandis qu'a Vaugirard, une
autre troupe échauffée par le vin s'abandon-
nait a toute sa fureur, le soir meme de l'exé-
culion dU2.3 au 24 fructidor (9 et 10 sep-
tembre ).


Hatry y envoya, pour la forme, un aidede
campo Quoique la populace nt feu sur lui, on
se garda bien d'agir contre les assaillants; au
contraire, on leur laissa toute sécurité, jus-
qu'a ce qu'ils eussent pénétré dans le camp
avec la fonle, les felnmes et les soldat~
ivres. L'in vasion nocturne de ces hordes af-
freuses,leurs cris et leurs clameurs servirent
a effrayer les troupes que ron ne put gagner
ni par le vin et les femmes, ni par la pers-
pective ,du .pillage et la fraternité. Elles ren-
contrerent un chef de légioll, qui n'était pas




LI "RE 1 V, CHAPITUE 1 Vo 365
de leut' parti : on repoussa done, sans auenne
peine, la force par la force, et le gouverne-
ment et ses eonfidents atteignirent parfaite-
ment, en eette occasion, leur but de se débar-
rasser incontinent de plusieurs importuns lo
Cornme c'était une émeute publique, les con-
seillers autoriserent, a la demande des diree-
teurs, les visites domiciliaires, et le lieu de
l' exécution renclit légales les commissions
militaires, nommées pour la condamnation de
ceux qu'on avait voués a la mort.


Cent quarante de ces Jacobins insensés fu-
rent faits prisonniers OH dans le camp, ou en
fuyant, ou plus tardo Les commissaires eon-
damnerent a mort, et firent exécuter par in-
tervalle les prisonniers, en~re autres Hugu~t


(Rapport du minjstre de police, il1oniteur, an IV, nO 356,
page 414 : • Je ne sais encore les noms que d'un petit nom-
bre d'individus arr~tés ; ceux dont les noms me sont paI'venus
jusqu'a présent, sont tous membres des anciens comités et
armées révolutionnaires, ou connus par leur attachement a
la constitution de 1793. Cependant on en a entendu crier
quelques-un~, qu'on n'aurait pas de repos qu'en nous donnant
un roi. Ce qui prouve que tous les ennemis de la cause pu-
blique s'entendent, parce qu'ils ont un but commun, le ren-
versement du gouvernement actuel... Les factieux, en entrant
au camp, ont crié d'ahord Vive la République! et ensuite Vive
la Constitution de 1793! A has les conseils! a bas les nonveaux
tyrans! •


II parait cependant que la police n'avait pas tout-a-fait tort,
que les ultra-roya listes jouaient ici comme ailleurs leur rOle,
ce que Barruel-Beauvert indique assez clairement.




366 HISTOIR E DU XVlIIe SIECLE.
et J avoq ues. On sauva,/de différentes mani(~res,
les plus coupables et ceux qui savaient faire
lllouvoir tous les leviers des émeutes popu-
laires. Drouet avait pris la fuite depuis long-
tempsI. Rossignol, Fion 2, Germain et autres
furent renvoyés au tribunal de Vendome,
comme impliqués dans la conspiration précé-
dente. Avant l'ouverture meme de la haute
cour de justice, il éclata, dans d'autres con-
trées, de nouveaux troubles cOlncidents avec
les desseins d'nn autre parti. Les désordres
prirent un caractere redoutable, dans les pro-
vinces méridionales, dan s les districts, 011 le
fanatisme est enraciné, et on n'avait pas été
heureux dans le choix du généra~ que ron
envoya pour les apaiser, ou par la douceur, OH
par la force. Il 6t au contraire tont ce qui dé-
pendait de lui , ponr provoquer pne sanglante
guerre civile 3. Vendu aux émigrés, il parut


I Dl'ouet s'était réfugié en Suisse; il, se proposait d'aller aux
lndes, lorsqu'il apprit, a son étonnement, qu'il avait é~é ah-
sous par la haute-cour de Vendome.


:l La sentence contre Fion est concue en ces termes: «Jean-
Joseph Fion, agé de quarante-huit a;1s ,général de hrigade ... :
a été renvoyé a la haute-cour de justiee, eomme complice de
la conspiration de Baheuf. n a refusé de dOllner le nom et la
Jemeure des personlles chez qui ii s 'étnit réfugié apres le dé-
CI'et <i'accusation lancé contre lui. "


3 Le directoire écrit, le 1 er aout 1796, a Bonaparte ( COI'-
l'cspondance inéditc, tome 1, page 405): « Les troubles qui




Ll V RE 1 V, e II A. P J T R E 1 v. 367
plus tard uans toutes les séditions, comme
leur instrument, et, revellu en Europe apres
la déport~tion, iI montra encore son amitié
pour les Anglais et les émigrés l.


Depuis le mois d'aoút jusqu'au mois d'octo-
bre, Willot avait si bien cOllduit les affaires,
qu'une arluée entiere semblait nécessaire ponr
rétablir le calme. Il avait réuni un grand
nombre de soldats, lorsque Bonaparte, a qui'
on enlevait ses troupes, entra clans une. vio-
lente eolere, et le désigna an direetoire eomme
un homme entierementdévoué aux royalistes 2.
Il lui reproche d'avoir déc1aré l\farseille eH
état de siége, les habitants de plusieurs dé~
partements indignes dn titre de eitoyens#t de


viennent de se manifester dans le département des Bouchesw
du-Rhbne, et notammcnt a l\farseilIe et Aix, nous ont pOl'tés
a y envoyer sur-le-champ le général WilIot qni a notre con-
Ganee. -,Nous l'invitons a sUl'veiller ee département avee un
soin partieulier, et empceher, autant qu,'il sera en son ptlU-
voír, que la guerre civilc n'éc1ate. D


1 On en trouve la preuve dans les Papiers saisis a Bareutlt
el a lrlende, départcmcnt de la Lozere, publiés par ordrc du {fOU.
I'Cl'nement, an .. K ( 1801 ) ..


:& COl'respolldancc inMite, tome JI, page 86: " Le général
Willot a servi, au commencement de la révolution, a l'armée
d'Italie ; il jouit de la l'éputation d'un hrave homme et d'un
hon militaire, mais d'un royaliste enragé. Ne le connaissant
pas, et n'ayant pas en le temps de peser ses opérations, je suis
bien loin de conurmcl' ce jugement; mais ce qui me parait
bien avoué, c'est qu'il agit dan s le Midi comme dan s la Vcn1
dée, ce qui est un hon moyen pour la faire naitre. »




368 HISTOIRE nu XVlIIe SIECLE.
n'elnployer que la force contre eux. Quoique
Bonaparte eut l'aír de ne parler d'affaires
d'État, qu'autant qu'il avait besoin des trou-
pes que Willot lui retenait, on reconnait
cependant, a la maniere énergique dont iI sou-
tenait ses assertions, qu'il regardait des-]ors
le directoire COlnme un tribunal subordonné
asa volonté r. Les directeurs qui avaient bien
pénétré ses desseins, arreterent son despo-
tisme, et le royalisme leur fut encore tres-
utile.


Bonaparte avait appelé en Italie les colon-
nes mobiles du département du Var, qu'on
avaitlevées pour apaiser les troubles intérieurs.
Le département l'avait refusé avec l'approba-
tion des directenrs. Bonaparte voulut sus-
pendre le général Willot de ses fonctiQns, le


1 Correspondance inédlte, tome Il, pages 86-87 : .. Je vous
pl'ie d'oter de dessous mes ordres la huitieme divisioll, paree
que les principes et la conduite du général Willot ne sont pas
ceux qu'il doit avoir a sa place, et que je me croirais rlésho-
noré de voir, dans un endroit OU je commande. se former un
ferment de troubles, et de souffrir qu'un général sous mes
ordres ne soit qu'un instrument de factíons. Par sa désobéis-
sanee et son insubordination, iI est la cause des horreurs qui
se commettent dans ce moment dans le département des Alpes-
Maritimes. Le convor des tahleaux, chefs-d'amvre d'lialie , a
été obligé de rentrer a Coní : 11 eut été pris par les barbets.
Si le général Willot n'obéit pas sUl'-le~chamI) a l'ordre que je
lui ai donné, de faire partir la quatre-vingt-troisieme demi-
brigade, mon projet est de le suspendre de ses fonctioDS. »




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 369
directoire retrancha de son cornmandement
la huitieIl)e division militaire , que Willot avait
s011S ses ordres. On voit, par l' explication qui
fut donnée a Bonaparte relativement a Willot,
quelle était la faiblesse du gouverllement, et
la puissance du général en chef de l'armée
d'ltalie l.


Mais bientot les idées et la position du di-
rectoire changerent tout-a-fait; on découvrit
a Paris !lne nouvelle cabale des prince~ émi-
grés, on en désigna comme les auteurs trois
esprits faibles, l'abbé Brotier ~ impliqué I'an-
née précéclente dans une pareille affaire, }' ex-
maitre des requetes, Berthelet de Lavilheur-
nois, et Duverne-Dupresle; mais ces hommes
n'étaient réellement que des lnachines, que
I'on faisait mouvoir tandis que le point de réu-
nion de la ligue était tout différent.


La, redoutable propagation du royalisme,
que la découverte de certains papiers mit dans


I Correspondance ;nédiú, tome II, page 167. Le directoire
écrit a Bonaparte :.c Le général Willot n'a cessé de donner
des preuves de són patriotisme a l'armée des Pyrénées, ou il
s'est beaucoup distingué : c'est lui qui a préparé en partie la
pacification réelle de la Vendée , si glorieusement achevée par
le général en chef Hoche ; et sa conduite, dans cette circon-
stance, est une preuve de ses sentiments républicains, et dé-
truit toute sorte de SOUp~OIl d'attachement de sa part a la
royauté et a ses partisans. "


H. 11.




370 HISTOIRE DU XVlIIC SIECLE.
tout son jour, et les élections dont nous au'"
rons bientot a nous occuper, forcerent le gOl1-
vernement de lacher de nouveau la bt'ide
aux sanguinaires Jacobins l. On avait differé
long-temps d'établir a Vendóme un tribunal ~
devenu inutile, puisque Drouets'étaitéchappé;
organisé enfin avec beaucoup de peine et de
frais", l' enquete se p"rolongea pendan t les mois
de mars et d'avril 1797. On donna a dessein
a ce proces un éclat scandaleuxet indécent,
et ilsemble que le directoire lui-memese ré-
jouissait de voir que 1'autorité des tribunaux
n'était plus respectée; le nombre des accusés
s'éleva a soixante-quatre, dont dix-sept étaient
absents; parmi les quarante-sept autres, Va-
dier, Amar, Babeuf, Germain, Rossigno1 2 ,


1 Réponse de Carnof., etc., page 172 ; " Les 17 et 18 fructidor
répondent précisément au 3 et 4 septembre, époque des fa-
meux massacres de 93. Plusieurs de ceux qui s'étaient signa-
lés a la premiere septembrisation, ont étéles directeurs secrets
de la seconde, et ont fait adroitement coincider les dates pour
mieux identifier les deux événements. Ils ont voulu se faire
heaucoup de complices, diviser, par la similitude des circon-
stances, sur un grand nombre d'individus, l'horreur qui était
concentrée sur eux, et faire que l'opinion publique, qui les
harcelle toujollrs, cessat de les poursuivre isolément. Il est
certain que les nouveaux Septembriseurs ont fait cause eom-
mune avec les premiers, que ceux - ci leur ont fermé la
bouche .... J)


:a Rossignol était eomme Baheuf, a ce qu'il parait, tres-at-
t3-ché a son parti. Échappé a la condamnation, il demeura un
des soutiens du partí anarehique, jusqu'a ce qu'il fUt impliqué,




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 37 1
qui n'avait jamais su rougir, prirent un lan-
gag e tout-a-fait inoui. lIs raillaient lellrs juges,
outrageaient le gouvernement, célébraient,
aux acc1an1ations du peuple présent, le Terro-
risme et toutes ses mesures; a la fin de chaque
séance, ils chantaient les chansons les plus hor-
ribles, otaient meme leurs habits, pour gesti-
culer avec plus de liberté, et demeuraient
sourds a toutes les remontrances. Une femnle
patrio te commen~ait des chants révolutionnai-
res, auxquels répondait toute la populace. Il
afflnait a Vendome une telle foule de monde,
parmi laquelle on remarquait surtout les par-
en 1800, dans la conspiration de la machine infernale contre
Bonaparte, et déporté avec les autres. Bis/oire de la double
conspiration de 1800 eo.ntre le couvernement consulaire, et de la dé-
portation qui eut lieu dans la deuxieme année du consulat, etc., etc.;
par "M. Fescourt, Paris, 1 S I 9, in-SO p. 15 '1-5 3 : "Rossignol fut
une des premieres victimes de l'épidémie (a l'ile d' Anjouan,
dans lamer d'Afrique). Jusqu'a son dernier moment ses paroles
ne démentirent poi'nt son caractere impétueux et son courage
intrépide. Un quart d'heure a vant d' expirer ir s' écria, ·dans les
moments couvulsifs, et en se tordant les bras: • Je meurs
accablé des plus horribles douleurs; mais je mourrais content
si je pouvais apprendre que l'oppresseur de ma patrie, auteur
de tous mes maux, endurat les mémes peines et les mimes
souffrances! • Il fut vivement regretté de tous ses compagnons
d'infortune, qui, malgré leurs propres maux , trouverent en-
core des Jarmes pour pleurer son trépas. Du reste, un homme
de ce caractere devait étre essentiellement utile a ses compa-
gnons. Fallait·il agir avec vigneur, il était le premier, et son
activité paraissait infatigable: fallait-il souffrir avec résigna-
tion, il donnait l'exemple d'une ame stoique et il encourageait
tous les autres a supporter la rigueur de lenr sort. "


24·




372 HISTOIRE DU XVIIle Sd~CLE.
tisans des aceusés, que la législation se vit
obligée de eréer une poliee partieuliere pour
eette conjoncture. Il falhit cependant changer
souvent les troupes, parce que les enquetes
les fanatisaient, et abréger le proees ,paree
qu'une révolte formelle était a craindre, et
que Babeuf et ses compagnons d'infortune
se portaient tous les jours a de nouvelles cla-
meurs et a de nouvelles in!ures. Les débats du
proces n'avaient été qu'une fade bouffonnerie,
dont on rendít toute la France témoin; iI ne
se termina pas d'une maniere plus imposante.


Babeuf seul fut vietime des principes in-
sensés dQut il se montra opiniatrement le
défens~t1r. On lui associa Darthé qui lui res-
semblait sous bien des rapports. Avant la révo-
lution on l'avait vu membre de la Bazoehe, en-
suite il av~itété l'undes assaillants de la Bastille ,
et enfin secrétaire et confident du terrible Jo-
seph Lebon. Darthé , cómplice de ce dernier,
avait, dans les temps précédents, nlérité la
mort a différents titres; mais il n'avait été, et
n' était, a proprement parler, qu'un instrument
entre les mains de plus grands criminels.


Les vrais coupables furent épa~gnés; ,on
voulut les conserver pour s' en servir dans
l'occasion; d'ailleurs on craignait trop d'ir-




LIVRl\ IV, CHAPITlU~ IV. 373
riter leurs partisans. Amar, Vadier ,. Ross'ignol
et d'autres,. furent aussitot relachés; Buona-
roui, ex-président du club des Jacobins au
P~nthéon , devait etre déporté a~nsi/ que Ger-
main, Maroy ,. Cazin , Blondeau, Bouin et Mé-
nessier; mais bien loin que cette sentence fut
exécutée, ils obtinrent au contraire des char-
ges importan tes, des que le différent entre le
directoire et le Corps-législatif éclata.


La mésintelligence entre les deux corps d'É-
tat n' étflit plus un secret; m,ais elle De devint
pernicieuse qu'au moment ou, d'apres la con-
stitution, le tiers du Corps-Iégislatif et un di-
recteur durent etre remplacés. On o.e se con-
tenta plus alors ,de simples discussions. On vit
Lyon , Marseille et tout le Midi, dans leur fu-
reur, assassiner ceux qui, ,dans les jours de la
terreur, avaient montré un patriotisme outré,.
ain~i que les républicains proprement dits et
les protestants. Tous les jourllaux étaient a la .
disposition des royalistes ; la luéchanceté et la
calomnie présenterent, S011S les co~leurs les
plus noires, les travers qu'avait enfantés la triste
perversité de ce temps. L'exaspération des
esprits parvint a son combie. Les élections tom-
herent presque toutes sur des hOlumes con-
traires au systeme de prodigalité et de dilapi-




374 IIISTOIRE DU XVIlle SIECLE.
dation 1 , qu'on avait suivi jusqu'alors. Mais
eomme parmi eux se trouvaient Pichegru,
Willot et quelques autres ambitieux, vendus
aux émigrés, l'aversion de tous les nouveaux
lnembres eontre les aneiens, favorisa le plan
de renverser la nouvelle eonstitution qui
d'ailleurs ne pouvait se soutenir long-temps
d' elle-meme.


Carnot crut voir alors, en Chénier et Louvet
ses anciens amis, des hommes sur lesquels
on ne pouvait nullement compter, mais dont
l' éloquence et le talent sophistique amime.
raient tot ou tard une nouvelle révolution.
La direction qu'on donna aux affaires mili-


1 Hardy, Girondin persécuté, alors en faveur, dit : " U
n'en était pas ainsi dans les beaux jours de 1789, au temps de la
liberté naissante; alors toutes les places , toutes les fOllctions
étaient confiées a la partie éclairée et hOllnéte de la classe que
ron désignait sous le nom de tiers-état; tout était bien alors:
les usurpateurs ont tout déshonoré; les hommes de biell ont
été chassés des emplois publics, et ces emplois ont été livrés a
la sottise , a l'immoralité , au fanatisme, au brigandage . .,


Dupont de Nemours, dans une délibération de finances,
raconte l'anecdote du ,jeu de mots, que l'officier fait en parlant
a un ministre des 6nances. et continue ainsi : «Tout le monde
aujourd'hui veut étre du camp /Jolant, parce que trop de gens,
dans la révolution, ont perdu l'habitude du travail, et iI y a
peu de gouvernants assez grands pour n'étre pas tentés de
gouverner un camp volant. Les subalternes donnent des voix
dont on dispose dans les élections, et les places supérieures
sont des amies utiles parmi ceux qui pourront ayoir a les de-
mander un jout. JI




LIVRE 1 V, CHAPJTUE IV. 375
taires l'avait brouillé avec Barras. L'exécution
des projets des royalistes lui parut tout-a-fait
impossible. 11. n'hésita point de s'attacher aux
partisans des Bourbons, jusqu'a ce que le
temps lui eut tracé la route qu'il avaii: a
prendl'e. Le 1 er prairial de l'an V (20mai 1797),
la nouvelle assemblée législative fut ouverte.
On re<;ut tous les députés exclus l'anllée pré-
cédente cornme royalistes,parents des émigrés,
ou comme intéressés aux trQubles,de vendé-
miaire. On rejeta Barere, représentant de la
terreur, qu'avait élu le département des Hau-
tes-Pyrénées. La majorité du conseil des
Cinq-Cents leva aussitot le masque et déclara
la guerre.a ses adversaires. Leconseil nomm'~
le général Pichegru premier président, a l'é-
poque ou le directeur sortant fut remplacé
par Barthélemy. Celui-Gi, ancien marquis et
ambassadeuren Suisse, était, par sa naissance,
ses mceurs et ses liaisons, entierement adonné
a rancien systeme. Toutes les démarches des
législateurs, qui n'étaient que trop adroite ...
ment cOlnbinées, senlblerent bientot tendre
vers le IYH~me but. Barthélemy et Carnot for-
merent une opposition contre Favidité et l'im-
pudence de leurs collegues. Les Jacobins et
les royalistes se réjouissaient d'une scission




376 HISTOIRE D,u XVIIIe SIECI,:E.
qui devait occasionner une lutte sanglante;
cependant ces derniers ne pouvaient guere y
gagner, selon toute apparence, puisque les
troupes étaient toutes contre la royauté.


Des les premie res sessions, on aholit les
lois du 3 brumaire contre l'expulsion des pa..;
rents des émigrés, et de ceux qui avaient pro-
testécontre les pieces annexées de la constitu-
tioo; bientot apres, la religion chrétienne et
ses sectateurs furent soustraits aux persécu-
tions.


eette derniere mesure aigrit a la fois un
petit nombre d'insensés qui avaient un di-
rooteur a Ieur tete; des gens honnetes et rai-
sonnables, tels que les Jacomns, et presque
tous les soldats. Le premier parti , nommé des.
théophilantropes, effrayé par le nom de reli-
gion chrétienne, resta peu important 1; mais
lesdeux autres méritent plus d'attention.
-Les gens honnetes s'irriterent de ce que le
clergé répandai t parmi le peuple une foule de
pretres exaspérés et fanatiques, qui se rappro-


I Réponse de Carnot, page 50 : " Le petit Reveillere avait ell
effet tellement peur du pape, qu'il le voyait san s cesse a su
poursuite, étendant ses doigts pour lui douner su hénédiction.
Le vicaire de Jésus était un dangereux rival pour luí qui.
voulait aussi étre chef de secte. Reveillere imagina de se feter
parmi les théophilantropes. ,. "




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 377
chaient plutot des fauteurs de la superstition
que des prédicateurs de la doctrine charitable
et sage de Jésus-Christ.


Les Jacobins et les soldats se parterent a
tous les exces ,parce que la licence et l'irr;e-
ligion leur semblaient de l'énergie, la vio-
lence et le droit dO' plus fort de la liberté; ils
regardaient le piIlage comme une récompense
due aux peines du combat, une aveugle
obéissance au général qui ohtenait le plus de
succes comme le premier des devoirs. Rien
n'était plus odieux a l~r orgueil que le retour
de la tranquillité et de I'ardre, qu'une vie de
paix, et que le regne de la 10i éternelle des
hornmes. auxq~el~ on Be pouvait affrir qu'une
profonde estime et qu'une pure vénération r.
Les Jacobins, dans les conseils et dans les ar-


I lci Carnot a saIlS doute raison, lorsqu'il dit ,dans la Rd-
l'0nse, page 68, ou il apostropbe le rapporteur el le défenseur
des trois direct~urs victorieux le 18 fructidor: el Mais vous-
méme, Bailleul , vous, leur fideIe i:qterpl'ete , ne faites - vous
pas leur profession de foi et la votre, lorsque vous dites au
Corps~législatif: .. Ballnissons, je le répete , ces absurdes théo-
ríes de prétendus príncipes, ces invocations stupides de la
constitution. » Tout votre systeme, tont celui de vos héros,
est dans ce peu de paroles : Les príncipes ne sont que pour
les sots; la constitutíon n' est que pour les sots, la honne foi,
la fidélité aux engagements, ne sont que pour les sots; il n'y
a de hon d,roit que ponr les plus forts; toutes les autres
théories de prétendus principes sont absurdes; celui qui les.
invoque est un stupide ...


/




378 'HISTOIRE DU XVlIle SIECLE.
mées, s'éleverent done hautement et avee ira-
nie dans les journaux et a la tribune contre
la piété de leurs antagonistes; et la question :
« SuiíJez-vous la religiolZ de ?JOS peres? ») était
une railleri,e tres-ordinaire. Si, a la premiere
vue, on est porté a croire que, par les boulever-
sements de la révolution, 'les Fran<;ais étaient
alors parvenus a établir un gouvernement,
basé sur des principes, des lois et la politique,
un exanlen plus scrupuleux dévoile bientot le
contraire.


Des femmes et des ~oteries de salons in-
fluencerent l'État a eette époque, eomme de
tout temps; cal', nH~me dans cette position
critique, Talleyrand ne dut son retour en
Franee, et plus tard son entrée au ministere,
qu'aux relations de madame de Stael avee
Chénier. Elle dit elle-meme, dans ses Considé-
ratiolZs, qu'elle l'avait fait ministre, dans l'es-
poir de prévenir par la les malheureux résul-
tats de la scissionr


Les adversaires les lnieux pensants du di-
rectoire tomberent d'aillellrs dans la melne
faute que les Girondins. Par leurs diseours et
leurs sentiments généreux, ils gagnaient l'es-
time publique" tandjs que le directoire n'em-
ployait que la force des armes. On ne saurait




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 379
contester que Pichegru, Willot et d' autres ,
vendus ou dévoués aux Bourbons, poursui-
vaient constamment leur but 1; mais le reste
de leur parti ne secondait pas leurs efforts,
parse qu'il eherehait a se tenir dans les bornes
de la eonstitution. Le eonseil des Cinq-Cents
rétablit, pour la su reté de l'assemblée, la eom-
mission des inspeeteurs de la salle; mais lors-
que la dispute devint sérieuse, Aubry ne put
obtenir, ni qu'on augmentat la garde du
Corps-législatif, d'une eompagnie d'artillerie
et d'un eseadron de eavalerie, ni meme qu'on
les mIt sous I'ordre direet des inspeet.eurs. Il
ne manqua pas d'ailleurs de seenes sean da-
leuses entre les_ députés des deux partis 2. On
remarquait vers la fin du mois de juillet les


1 Pichegru, Wi1lot, et autres, sont a Carnot les meneurs
dont il parle, lorsqu'il dit : " Mais combien étaient-ils ces me-
lleurs? pas quinze. Il s'agissait de les exclure des eommissions,
et e'était le parti qu'avaient enSn pris les hommes sages et
éclairés. On eommencsait m~me a exéeuter ce projet : le diree-
toire tremblait qu'on ne parvint a un arrangement qui aurait
tranquillisé les eitoyens : ear alors il aurait peut-~tre manqué
d~ prétextes et de moyens pour l' exéeution de ses grands des-
selns. »


2 Le 2 8 juin, Delahaye, sur la tribune, saisit Males par la
gorge; eelui-ci le repousse et lui fait descendre les esealiers :
daos la séanee suivante, Madier, en faisant allusion a eette
scene , dit : 11 Tant que nous pourrons entrer ici vétw;
eomme des jokeys, iI est peu étonnant que nous en consel'-
vions les manieres .. "




380 HlSTOlRE DU xv HlC SIECLE.
sympt6mes toujours plus visibles d'une ac-
tion et d'une réaction; cal' le directoire
permit au club des Jacobins, de se réorga-
niser sous le 110m de Cereles eonstitutionnels,
et a leurs journalistes, de reprendre le lan-
gage qu'ils avaient déj<\ tenu auparavant.


A la meme époque, le Conseil exécutif ou
plutot sa majorité fit déclarer, pOUl' ainsi dire
officiellement, p,ar Lenoir-Laroche, nornmé
ensuite pour quelque temps ministre de la po-
lice 1, qu'une menée en nécessitait une autre, et
qu'on devait opposer aux royalistes les Jaco-
bins, comme au club de Clichy les cercles
constitutionnels2 • Le melue luanjfeste pronon~a


1 Lenoir Laroche et M. Trouvé, qui imprime mainte-
nant le Drapeau hlane, étaient les ames damnées du directoire,
et rédigeaient les articles officiels du Mordteur; cependant
Carnot rappoJ'te l'origine du plan qu'on poursuivait alors, a
un temps bien antériellr.ll dit, Réponse, p. 126 : .. Le projet
de mutiler la représentation nationale fut formé des le temps


,des éleeteurs de l'ap. V. Ce futRewbell qui le con~ut; les autres
ont acqui~scé ~ ce projet, quand on leur a montré les détaiJs
et qu'on leur en a assuré le sueees. "


:1 Moniteur, 29 messidor an V (7.7 juin 1797), nO 279,
page 1114 : " Mais un club cOlltre appelle toujours un club
pour; e'est la loi inévitable des réactions. Cette lai mesure 1:1
résistance a la compression , la défense' a l' attaque; il est méme
natur~l que plus on eroit la canstitution et le gouvernement
menacés, plus ceux qui veulellt les mainte~ir redoublent de
zele et d'énergie. Qu'Qn ne demande (lone plus pourquoi le
eercle constil1itionnel existe; e' est paree que le club de Cliehy
n'est pas tlissous. »





LIVllE IV, CHAPITRE IV. 381
aussi positivement que les patriotes devaient
sauver la patrie menaeée l.


00 s'éleva ave e une extreme violeoce eon-
tre la mention qu'on tit de la religion ehré-
tienne. Grégoire était alors au eonseil des
Cinq-Cents une apparition tout-a-fait parti-
euliere; puisque les royalistes le détestaient
eomme impie, et ses eollegues les libéraux ~ se
moquaieot de lui, eomme ehrétien orthodoxe.
Les nobles et les fideles partisans des émi-
grés et des pretres organiserent les soeiétés
de Jésus, du soleil, des Verdets 3; mais elles ne
virent, a proprement parler, jamais le jour. Les
femmes qui dominaient dans la capitale, dési-
raient le retourdes temps brillants de la pre-


I Moniteur, ídem: « Tant que la majorité du COl'ps.législatif
a lutté contre ceHe odieuse corruption, les amis de la Répu-
blique ont mis en lui leur espérance, et se sont reposés, sur sa
fermeté, du soin de la défendre. Mais depuis le premier prai-
rial, quel est le citoyen qui, sans etre jacobin ni terroriste,
n'est frappé de crainte a l'aspect de cet esprit de vertige qui
semble précipiter une partie du conseil de Cinq-Cents dan s les
mesures les plus alarmantes, et les moins compatibles avec la
dúrée du gouvernement? »


2 Eschasseriaux, l'ainé, ft!/oniteur, an V, nO 299, page 1196,
col. b. : .. La philosophie nous a arrachés a des siecles d' esclavage:
non, elle ne périra paso Vous qui parlez sans cesse de la religion
de vos peres, non, vous lle DOUS ramenerez pas a d'ahsul'des
croyances, a d'ahsurdes préjugés, a lllle déliranfe superstition. lO


3 On en trou,,-c toutes les notices uans la déclaration du
directoire, le 16 messidor an V, dans celle de Willot, et dans
le discours de Camille-Jollrdan, etc. Monit. , p. 1174-1195."




382 HISTOJ RE DU XVJ I1e SIE:CLE.
miere constitution. Elles agirent done de leur
coté, enthousiasmerent les jeunes gens de leur
cercle, partous leurs noms historiques,au point
de faire adopter un collet noir comnle marque
de parti.;La mode, le désir d'appartenir aux élé-
gants du jour, le mécontentement qu'on sen-
tait contre les Terroristes sales, impudents et
rassasiés de carnage, assurerent la vogue de ces
collets. Le directoire ne crut point déroger a
sa dignité en y faisant attention; a un signal
du gouvernenlent, les porteurs de la marque
distinctive se virent grievement insultés par
les soldats et les patriotes: toutes les place s
publiques, surtont le Palaís-Royal, furent
journellement témoins de rixes sanglantes.


Long-temps avant,les troisdirecteurs avaient
retenu a Paris Augereau quí y vint déposer
les drapeaux que Bonaparte avait pris a Man-
tone, pour le mettre a la tete de I'armée de
l'intérieur. Ensuite, nul moyen ne leur avait
conté, pour brouiller le chef de l'armée d'lta-
líe avec la majorité des conseillers l. Celui-ci,


I La plupart des journaux étaient royalistes; ils dévoilaient
les projets de Bonaparte. Il est dit, dan s le Rédac,'eul' du
13 jlol'éal: «Apres avoir vu le général Augereau déposer entre
les mains du directoire exécutif les trophées de la prise de
Mantoue, il ne sera pas moins intéressant de voir arriver le
général Masséna qui doit apporter les préliminaires de la




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 383
des qu' OH eut signé les préliminaires de Leo-
ben, avait lancé une proclamation contre Ve-
nise, pour etre en état de dédommager l'Em ...
pereur; cette proclamation était a peu pres
rédigée dans le meme ton qu'il prit plus tard
ponr déclarer que tel prince ou tel État avaient
cessé de régner ou d' exister 1.


La constitution de Genes étant renversée ,
une dérrlOcratie franc;aise avait remplacé l'an-
cienne aristocratie de l'ltalie.


Ces démarches de Bonaparte, ainsi que
l'acte arbitraire qu'il venait de se permettre,


paix, ratifiés par l'Empereur. L'intérét sera encore plus grand
lorsque Bonaparte rentrera en France, et que la conclusion
dé6nitive du traité de paix .et les circonstances permettront
au direc:foire de lui -accorder le congé qu'il réelame. Je de-
mande, dit-il, du repos, apres avoir justifié la cOllfiance du
gouvernement et acquis plus de gloire qu'il n'en fant pent-
etre pour etre heureux. La calomnie s'efforcera en vain de me
preter des íntentions pedides; ma carriere civile sera, comme
ma carriere mili/aire. conforme aux príncipes républicains. »


r _ V u les griefs ci-dessus, et autorisé par le titre XII, ar-
tiele 328 de la cOllstitution de la République, et vu l'urgence


I des circonstances, le général en chef requiert le ministre
de France pres la république de Venise de sortir de ladite
ville : ordonne aux différents agents de la république de Ve-
nise, dan s la Lombardie et dans la Terre-Ferme vénitienne,
de l'évacuer sous vingt-quatre heutes; ordonne aux différents·
généraux de division de traiter en ennemies les troupes de la
république de Venise, de faire abattre , dans la Terre-Ferme,
le lion de Saint-Marc. Chacun recevra, a l' ordre du jour de
demain, une instruction particulíere pour les opérations mili-
taires ultérietues. :.




· .


384 HISTOIRE nu XVIlle SIECLE.
en organisant la république Cisalpine, com-
posée des pays transpadans, de l'ancien Mila-
nais, de Mantou~ et de quelques parties du
Vénitien; en y nommant einq directeurs, en
fixant leurs appointements, et en mettant un
général fran<{ais a Ieur tete, donnerent Iieu a
de grands débats dans le Corps-Iégislatif. Du-
molard, royaliste eonstitutionnel , auparavant
luembre de l'assembIée législative, ami de La-
fayette et son défenseur lorsqu'on vot;tlut l'ac-
euser avant sa fuite, s'éleva tout particuliere-
ment eontre cette nouvelle puissance luilitaire.
Mais le direetoire s'inquiéta peude la résistanee,
sanetionna et justifia toutes les aetions de Bona-
parte, 'et Carnot meme, a son grand dépit, fut
obligé de signer eette pieee 1 , ce qui r~sserra
les nceuds du général et du gouvernemellt. Le
Conseil exéeutif et Bonaparte émirent a l'envi
des manifestes violents contre les eonseillers
eonstituants. La fete dll ) ti juillet fournit le
prétexte auN. plus vives déclamations des di-


1 MOfliteur, an V, nO 301, Paris, le 30 messidor: " Le di-
l'ectoire exécutif au général en chef Bonaparte : Le d.irectoire
exécutif a pensé, citoyen général, qu'il devait aux importants
services que vous avez rendus a la Répu11ique depuis votre
entree en Italie, de vous en manifester hautement sa satisfac-
tion. Il vous déclare, en conséquence, qu'il approuve pleine-
ment la conduite politique et militaire que vous avez tenue,
notamment a l'égard de Venise et oe Genes. •




LIVIlE IV, CHAPITRE 1 v. 385
tecteurs I, et. a une espece de déclaration de
guerre de la part de l' armée d'ltalie 2.


Le directoire tendait des-Iors a vider le dif-
férent les armes a la nlain, et le général Hoche,
avec une partie de l'armée de Sambre-et-
Meuse; en devait etre l'instrument. Hoche se
trouvait alors avec ses troupes dans le creur de
l' Alle'magne 3; car Moreau et lui venaient de pas-


I Cet acte est con~u dans le ton le plus mordant. Il y est
dit : fl Mais que peuvellt ces efforts cO,nvulsifs contre la volonté
nationale, qui demande un terme a la révolution? En vain
l'allíance est faite entre l'anarchie et le despotisme, entre la
fureur etl'hypocrisie, entre Louis'XVIlI et l'ombre de Ma-
rat, pour anéantir le pacte social de 95; ils ne réussiront
pas plus a le détruire par une explosion subite qu'a exécuter
le projet de le démolir píece a píece ...


2 Bonaparte harangue aínsi~' troupes: « Soldats, je sais
que vous etes profondément affectés des maux qui rnenacent
la patrie; mais la patrie ne peut courir des dangers réels. Les
memes hommes qui l'ont fait triompher de l'Europe coalisée
50nt la. Des montagnes nous séparent de la France, vous les
franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'ille falIait; pour main-
tenir la constitution et les républicains. Soldats, le gouver-
nement veille sur le dépot des lois qui lui est cO:t;l.fié. Les
royaUstes, des l'instant qu'ils se montreront, auront vécu.
Soyez san s inquiétude, et jurons , par les manes des héros
qui sont morts a coté de nous pour la liberté, jurons, sur nos
nouveaux drapeaux, guerre implacable aux ennemís de la Ré-
publique et de la constitution. "


3 Dans le M¿mor;al de Sainte-Hélene, tome III, page :37 5 ;
M. le comte de Las Cases fait dire a Bonaparte ; '" Hoche cher-
chait toujours a se faire un partí et n'obtenait que des créa-
tures; moi, je m'étais créé une imrnensité de partísans sans
recherchel' nuUement la popularité. De plus, Hoche était d'une
ambition hostile, provoquante; il était homme a venir de


H. IJ.




386 HlSTOl1\,E DU XVIllC SlECL.E.
ser le Rhin pour épuiser le pays, au moment
ou Bonaparte entrait dans l'intérieur des États
d'Autriche. Avant de se rendre a son poste,
Hoche avait imposé des contributions immen-
ses au district de l' Allemagne , qui s' étend de
Dusseldorf jusqu'au Mein, et iJ les faisait per-
cevoir avec une sévérité inexorable. Il quitta
le quartier-gén éral , pos té alors a Friedberg
dans la Vetteravie, le 31 mai; arri vé a Paris, il
prit desmesures conjointement avec les.diree:-
teurs, donna les ordres nécessaires a ses offi-
ciers, et consentit a se charger du ministere
de la guerreo


Hoche conduisit l'affaire sur un pied mili-
taire l. Le ministt~re entier fut obligé de céder ,
et l'armée de Samhre - et - Meuse seule fut


Strasbourg, avec vingt. cinq mille hommes, saisir le gouver-
nement par force, tandis que moi je n'avais jamais en qu'une
politique patiente, condoite toujours par l'esprit do temps et
les cireonstances dn moment. »


1 Réponse de Carnol, page 162 : • J' avais sauvé la vie a
Hoche avec beaueoup· de peine du temps de Robespierre;
je l'avais fait mettre en liberté immédiatement apres le 9 ther-
midor, et j'avais fait réunir les trois armées de rOuest en une
seule ,pour lui en donner le cornmandemcnt; paree que je
De voyais que lui qui put terminer la guerre de la Vendée et
rles Chouans. JI savait cela, et iI paraissait se reprocher son
iDjustice envers moí, et sa faiblesse pour le partí dans lequel
iI se Iaissait entrainer. Il me donnait ¡\ entendre qu'il y étnit
retenu comtne malgl'é lui par des femmes: il est certaiD qll'elles
ont joué un role tres-actif dans la révolution de fructidor .•




LIVRE IV, CHA.PITRE IV. 387
investie du pouvoir d'opirer la nouveHe ré-
volution.


Laphilosophiede Talleyrand, qui luí fit voir
10rs de l'assemblée constituante que le plus
prudent n'avait qu'a s'attaeber aux novateurs,
lui -app.rit alors que le direetoire lui présen-
tait le plus grand avantage, comme plus tard
Bonapal'te; et, lorsqu'il reoonllut que eelui-ci
avait joué son role, les Bourbons obtinrent
ses suffmges. Il eut done le ministere des af-
faires étraDgeres avec l'assentiment des deux
partis, puisque l'un espérait heaucoup delui,
et que l'autre savait ce qu'il devait en at-
tendre.


Cochon était tropéfroitement lié avait Car-
not, et s'était montré, dans les derniers temps,
trop favorable aux royalistes pour garder le
Ininistere de la poliee 1.. On l'éloigna, et
Hoche fut nornmé ministre de la guerreo Mer-
lin seul oonserva la justice; Fran~ois-de-Neuf­
chateas rempla<;a bientot apres Bénézech dans
le miuistere de 'l'intérieur. '


Boche, jeune , vif et ardent, voulut , meme
avant d'etre reconnu ministre, déraciner La
royauté , la baionnette a la main, ,et conserver


y Lenoir-Laroche 5uccéda a Cochon dans le ministere de
la police; mais il De Testa que peu de jours en Sl'ctivíté.


, 25.




388 HISTOIRE DU XVIIle SIECLE.
l'anarchie : iI 6t done avancer pIusieurs de ses
régirnents. Le district de douze lieues de poste,
dans lequel le directoire ne put faire entrer
de troupes nileur donner de logement, sans
l'approbation des conseillers, fut franchi.
Quatre régiments se lTIOntrerent a onze lieues
de Paris, a la Ferté-AIlais, et d'autres troupes
de l'armée de' Sambre-et-Meuse entrerent a
Soissons.


Carnot et rancien ministre de la guerre
encore en place, n'en savaient rien; on se
plaignit formellement au Corps-Iégislatif de ce
que la constitution avait été violée. 00: fut
jusqu'a demander si Hoche avait l'age con-
stitutionnel pour etre ministre. I.Jes trois di-
recteurs se montrerent craintifs; ayant l'air
d'ignorer la marche des troupes, ils' s' excuse-
rent et 6rent tomber toute la faute sur Hoche.
Celui-ci, irrité de cette lacheté, se livra aux
derniers emportements, et refusa'le ministere.
Scherer.fut nommé ministre de la guerre, et
Hoche partít pour l'armée. Quoique les trois
directeurs fussent en mésintelligence avec lui,
ils ne suivirent pas moins les memes plans
dans le commencement. De nouvelles troupes
se mirent en marche et Hoche vint a Reims;
mais l'inquiétude et l'indécision du directoire




LIVRE tv, CHAPITRE IV. 389
rindisposérent enfin sérieusement. Il voulait·
agir ouverternent; le directoire eut recours a
la ruse, c'est, ce ·qui acheva leur désunion.
Hoche retourna a l'armée, et les directeurs
chercherent a arriver a leur but par d'autres
moyens; ils les trouverent en partie dan s les
patriotes qui, ici comme dans tout autre
bouleversement, affluaient a Paris, et présen-
taient l'attitude la plus mena<;ante a Ieurs ad-
versaires 1, et en partie dans le grand nombre
de troupes postées aux environs de Paris. lIs.
comptaient eu outre sur le secours de l'ar ...
mée d'ltaIie et sur Augereau qu'on avait re ...
tenu dans cette vue.


Carnot etBarthélemy avaient, il est vrai,
protesté contre toutes ces démarches de la '
majorité du directoire. lIs avaient fait enregis-
trer Ieur protestation dans le protocole des
actes directoriaux; mais les triumvirs sen-


1 Boissy-d'Anglas dit : u Il y a quillze jours, on distribuait
des armes, et le ministre le savait; iI est destitué. On fabrÍ-
quait des lances capab'les de résister a la canlerie : le ministre
le savait, et il est renvoyé! Une foule de brigands étrangers
affluent a Paris; le ministre le savait, les surve.illait, il Ieur
donnait la chasse, et il est renvoyé. Vous avez chaque jou!' la
preuve de la présence. a Paris des principaux agents de la ter-
reur; faites-vous un pas a París sans étre effrayé de l'appari-
tíon d'un assassin révolutionnaire? n'avez-vous pas vu Four-
'llier l' Américain, qui commundait le massacre des prisons
d'Orléans? n'avez -v01}S pas vu Léonard Bourdon, et tant
d'autres? Que -firt-ils a Paris? "




390 HISTOIRH DU XVIU C SIECLE.
taient trop Ieur supériorité sur leurs adver ...
saires, composés des restes de la Gironde , des
constitutionnels et ultra-royalistes.


Laréaction des conseillers constituants était
lente et pusiHanime. Les généraux Pichegrll
et WiHot furent adjoints aux inspecreurs de
la sane; on interdit les clubs des Jacobins, on
proposa une nouvelle organisation des gardes
nationales. C'étaient au moins des précautions
qui pouvaient etre utiles; lnais Ij lieu de dé-
clarer la patrie en danger, au lieu de proscrire
les trois directeurs, le Corps-Iégislatif com-
menc;a une enquete puérile, pour savoir si
Barras, a son entrée au directoire, avait J'age
de quarante ans, Dxé par la loi l. Lorsqu'on
aurait dú faire agir la garde nationale, on se
borna a faire marquer la distance de douze
licues, que les troupes ne devaient point fran-
chir, par des pO,teaux , et on y 6t graver la pu-


I Notre jugement est ici parfaitement en harmonie avee ce-
lnide Tallien; et quelque fallacieuse que soit sa proposition
du 6 thermidor, il a cependant raison lorsqu'il dit: .. Pour-
qlloi, 3n lieu de déc1amations aussi stériles que lH1isihles, ne
pas dénoncer h~utement, légalement le direetoir~, et ne pas
remplacer les accusés par des magistrats plus dignes de la
confiance du'peuple fran~ais? La Constitution ne conuait que
ceHe marche généreuse, ~lutaire; et tant que j'y venal sub-
stituer des sarcasmes, des personnalités toujours dangereus~s,
et pOUI' le parti qui atta que , et pour celui qui se défend,
certes, il me sera alors permis de reconnaitre les pass ion s ell-
tourées de leurs armes meurtrieres. »




LI VRE IV, CHA.PIT RE IV. 391
nition infligée par la loi aux généraux qui dé-
passeraient cette limite. Quels impuissants
moyens con tre,des hommes qui pouvaient énon-
cer leurs opinions dans le journal de'Poultier,


, collegue de Pichegru 1 ! Les trois directeurs ob-
serverent une toute autre marche. Hatry, jus-
qu'alors général de l'intérieur, était trop étroi-
tement lié avec Hoche pour etre employé sans
lui. N ommé inspecteur-général de l'infanterie
de l'armée de Sambre-et-Meuse, Augereau lui
succéda dans la place qu'il venait de quitter.
Le role qu'on donna a ce dernier, s'accordait
parfaitement a"ec son caractere. Ambitieux,
jntrépide, sans le moindre crédit politique,
et sans talents pour aspirer a une dictature,
dans les relations les plus intimes avec Bona-
parte et l'armée d'Italie, il surpassait Pichegru
et Willot en force COlnme en hardiesse. A
peine A ug@teau fut-il général dans l'intérieur,
que les divisions de l'armée d'ltalie l'assailli-
rent d'adresses, tOlltes dans un style mena-
<;ant, toutes publiées par les trois directeurs
dans leur feuille officielle.' Il re<;llt d'abord


,


1 Poultier rédigeal' Ami deslois.- Leclercdes rO.5geJ s'écrie,
dans cette feuille : u O thermidor, ton soleil nous quittera-t-il
sans avoir éclairé le supplice de nos !yrans L.. Ces pr~tres ,
ces soi-(1isant législateurs, ces émigrés, ces égorgeurs, ces mi-
nistres royaux, ce directeur ivre de sang, etc. »




39~ HISTOIRF. DU XVlIIo SIECLE.
cel1e de la premiere division qu'avait com-
mandée Masséna, vint ensuite la deuxieme
qui avait été sous les ordres d'Augereau, la
troisieme sous Bernadotte, la quatrieme son s
Serrurier, bientot toutes les autres divisions ,
et Berthier a la h~te de l'état-major. Bonaparte,
quelque irrité qu'il fút contre les chefs du partí
opposé 1, ne se déclara pas ouvertement dans
l'espoir de s'approprier les avantages que le
direetoire s'était préparés pour lui-meme. Au
contraire jusqu'au derniermoment ilabusa Car-
not, par sa conduite astucieuse et par ses assu-
ranees d'amitié 2. Le eommandant, de la ville
de París, Dartubi~, ainsi que le généraI en chef
de l' artiUerie Chanez, eurent Ieur démission 3,


1 On lit, dans toutes ces adresses : .. Tl'emblez, vos iniqui-
tés sont comptées, ~t le prix en est au hout de nos baion-
nettes. Remarquez qu'une partie des 80ldats ~esse ces pa-
roles au Corps-Iégislatif de toute la nation. " Ioniteur, an V,
nOs 325-26.


2 Dumolard, qui bIama tous les actes de violence contre
G~nes et Venise, entra, apres le 18 brumaire, au Corps-Iégis-
latif; mais Bonaparte ne le nomma jamais chevaIier d'hon-
neur, queIs que fussent les services qu'il rendit au comite de
finan ces. Aubry ne put obteni~ qu'on le rappelat de son exil,
comme on l'avait fait a l'égard des autres victimes du 18 fruc-
tidor. Nous aVOllS parlé plus ,haut de la haine de Bonaparte
contre WilIot et Pichegru. Au conseil des Cinq - Cents, Talot
)'eproche, avec beaucoup de finesse et d'amertume, a Aubry,
le 21 thermidor, d'avoir l'évor¡ué Bonaparte et Masséua de leurl
¡onetions.


3 Répol/se de Camol, page 176: " Quelqne temps apres, et




LJ VRE 1 V, eH AP ITRE IV. 393
et deux généraux de l'arméed'ltalie furent nom-
més a leur place. On éloigna ensuite Malo qui
avait déjoué lesattaques des patriotes sur les
troupes campées dans la plaine de Grenelle, et
l'entreprise insensée de l'abbé Brotier et de ses
amis royalistes. COlllme on ·ne pouvait ni cor-
rompre ni éloigner Ramel, commandant de
la garde du Corps-Iégislatif, on gagna les offi-
ciers et les soldats séparément l. Depuis long-
temps tout était pret pour porter un coup dé-
cisif; mais Carnot, qui pendant trois nlois
présidait l/e directoire, en empecha l'explo-


c'était, je erois, six jours avant le 18 fruetidor, Lavalette
vient, et me dit: Vous devez ftre bien rassuré sur les nuages
que vous avez cru s'etre élevés dans l'esprit de Bonaparte a
votre égard. 11 m'annonce qu'il vient de vous éerire, par le
meme courrier, que vous pouviez compter sur toute son es-
time et toute son affeetion; qu'il voyait les événements poli-
tiques absolument de la meme maniere que vous. Je marquai
a Lavalette toute ma sensibilité; mais, lui dis-je, la lettre ne
m'a point été remise. »


1 En lisant le jugement que l'aristocrate Barruel-Beauvert
porte sur les deux hommes poursuivis comme complices des
eonspirations royalistes, par le directoire, on reconnaitra
combien il y avait peu d'amitié parmi les adversaires du direc-
toire. Barruel-Beauvert, tome 1, page 330, dit : .. La conspi-
ratian de MM. de Lavilheurnois, ex-maitre des requetes,
l'abbé Brotier, Duverne-Depresle et un certain Orléaniste,
nommé Prosny, avait étédénoncée par Malo, ci-devant frere-
lai des Cordeliers et apostat, mais devenu général , et par le
nommé Ramel, ancien laquais, chef de la garde du directoire
( il veut dire Corps-législatif). Je plaidai chaudement, dans ma
feuille périodique, en faveur des royalistes. Tout le monde
eriait, mais en vain : Lihera nos a malo. ,.




394 HISTOIRE DU XVlIl e SIE:CLE.
sion. Apres lni, la présidence aurait dñ passer
a Barthélemy, comme directeur nouvellement
re~u, mais on l' obligea, le 7 fructidor, de
céder la place a Reveillere - Lepeaux. Alors
Bernadotte reviut de l'armée d'Italie, sous
prétexte de présenter quelques drapeaux ou-
bIiés 1; mais, a proprement parler, pour faire
élever, dans le discoul's qu'il adressa anx di-
recteurs, et dans la réponse du directoire
tons deux imprimés, les plus grandes in-
vectives contre Pichegru et Willot, ainsi que
contre tous leurs partisans dans les cham-
bres. \Ces deux discours furent prononcés
ave e une énergie digne de l'ancien telnps du
Jacobinisme~. Au moment ou les hostilités


1 C' est ee que Bonaparte mande au directoil'e.
2 Le gopvernement rougit si peu de ee ton, que le diree-


toire publia offieiellement une eonversation dudirecteur-pré-
sident avee le ~hef de division Malo. Ce del'nier se plaint
d'avoil' été destitué; les raisons alléguées par le directeur ne
le contentent pas; iI menaee , met la main a son épée-, et dit:
.. Un pareil triumvirat ..• ! son l'egne ne tardera pas a finir ...


Le gouve~nement doit y avoil' l'épondu, a ce que la· pre-
:.niere personne de l'État l'apporte: « Allez dire a tous ceux
qui vous ressembleut, et qui veulent renve.fsel' la République,
allez dire surtout el vos génél'aux, et vous savez oe qui je
veux parler, que je me f. . d'eux. " Jlloniteur, an V, nO 343,
page 1371, il répond ainsi a Bernadotte : " Bl'ave général, e'est
en vain que les ét~rnels ennemis de la liberté fran~aise redou-
blellt d'efforts poul' la rellverser, e'est en vain que, ponl' les
seconder, des li\ches déserteurs de la cause républicaine ont,
par un pacte honteux I vendu .l'étranger et a la race des
Bourbons et leur honneur et leuI' patrie, que chaque jour Jetll's




LIVRE IV, CHAPITRE IV. 395
allaient éclater, 101'sque les trois directeurs, de
concert avee Marbot, Roger-Dumas, Poultier
et autres, au eonseil des Anciens; avec Pou-
lain - Grandpré, Boulay, Chazal, Villers,
Sieyes au conseil des Cinq-Cents, résolurent,
dans la nuit du ] 7 au 18 fructidor , de purger
le Corps-Iégislatif él leur maniere; les coalisés
lnontrerent la plus grande faiblesse. Tont le
lnonde savait que des soldats de Vincennes
et de Mendon étaient entrés él Paris; des es-
pions en informerent les inspecteurs de la
salle, rássernblés par Pichegru et Willot. On
convoqua les conseillers, mais on lalssa a Au-
gereau assez de temps pour occuper les por-
tes avant que les députés fussent tous pré-
sents. Le parti contraire s'était en attendant
constitué a l'école de médecine, eomme con-
seil des Anciens, et comme conseil des Cinq-
Cents au théfltre Fr3n~ais. Augereau lit cerner
de "troupes les Tuileries, ou les Cinq-Cerits te-
uaient leurs séances, et le Palais Eourbon ou
siégeait le conseil des AIiciens. Il occupa les
bords de la Seine, depuis le Pont-:au-Change
jusqu'au pont Louis XVI, 6t braquer des ca·,
mains criminelles _sapent l'édince de nos lois, et que leur
bonche impure essaie de ternir l' éclat des plus bcal1x.,., des plus
étol'mants, des plus nobles, des plns touchants résultats de la
forme du gouvernement et du triomphe de nos armées. lO




396 HISTo.IRE DU XVIllC SIECLE.
no.ns parto.ut, et se chargea lui-meme de la tache
la plus difficile. Ce fut Augereau qui entraina
les grenadicrs du Co.rps-Iégislatif, qui élo.igna
leur chef Ramel, en ldi arrachant ses épau-
lettes, et qui ,acco.mpagné de so.Idats, péné-
tra dans la salle de co.nférence, o.ú iI arreta
Pichegru avec les illspecteurs de la salle l.


Tous les députés, désignés par les tro.is di-
recteurs, se cacherent o.U furent arretés; d'au-
tres qui se précipitaient dans leur salle d'as-
semblée, re~urent l'o.rdre de se rendre dans
l'endroit o.u les membres attachés aux tro.is
directeurs s'étaient réunis depuis long-temps.
Le conseil des Cinq-Cents au th~atre fran-
~ais s'inquiéta fort peu de ne point siéger
dans un lieu co.nwmable, de ne pas etre' en
nombre co.mpétent, et de n'avo.ir pas co.m-
meneé légalement les débats. Il ne chereha
meme pas a co.nfirmer suffisamment, o.u seu-
len1ent a fixer en quelque so.rte l'accusatio.n
co.ntre tant de perso.nnages aussi respectables.


J Les détails du 18 fructidor se trouvent mieux présentés
Jans Beaulieu, Essais historiques sur la ré"olution fram¡aise,
tome VI, pages 350-418, que dans Toulongeon t tome VI •
pages 200 - 227, quoique tous ¡les deux écrivissent sous le
regne de Bonaparte.


Beaulieu entre aussi dans les motifs qui déciderent le direc-,
toire de t~ire déporter les hommes de principes les plus op-
posés, comme Cochon, Vaublanc, Boissy-d'Anglas, etc.




Ll VRE 1 V, CHAPITRE IV. 397
Le collége passa par dessus toutes ces consí-
dérations. Il porta les décrets que lui demandai t
l'avide et tout a la fois prodigue triumvirat.
De meme que le conseil des Anciens s'était
prere lentement et apres beaucoup de rési-
stance aux démarches violentes du conseil des
Cinq-Cents contre la révolutioIl et ses héros,
de meme il voulait alors lui opposer des res-
trictions 1 ; mais il manquait de toutes les res'"
sources qu'il fallait pour donner du poids
a ses refus. Lorsque. les conseillers avaient
pu consentir a ce que le directoire appe-
lat dans la ville autant de troupes qu'il
voudrait, l' orsqu'un homme comme Auge-
reau était á leut' tete, quels résultats pou-
vaient avoir les délibérations et les mesures
des conseillers pacifiques. La premiere suite
de la victoire des triumvirs fut le renvoi de
leurs deux collt~gues. On déporta Barthélerny,
et Carnot n'évita l,e meme sort qu'en se ca ..
chant. On suspendit ensuite l'administration
centrale du départelnent de la Seine et les
douze mairies de la ville de Paris; le seul bu-


T Du conseil des Anciens, ou déporta Batbé-Marbois, Ma-
thieu-Dumas, Ferrand-Vailland, Lafond-Ladebat, Laumont,
Muraire, Paradis , Murinais, Portalis, Rovere, Tronr,¡on-Du-
coudray; les autres, quarante - un déportés étaient tous du
conseiÍ des Cinq-Cents.




398 HlSTOJR E DU X VIIle Sd:CL.E •.
reau central de la police demeura en activité [.
Cinquante-troisdes députés proscrits devaient
etre déportés , ainsi qu'un grand nombre d'au-
tres persolll~es de partis tout-a-fait différents
et souvent opposés. On proscrivit aussi les
gazettes et leurs l'édacteurs; quaran te .. trois
journaux et feuilles périodiques furent décla ..
rés contre-révolutionnaires. On arreta vingt-
deux folliculaires, ponr qu'ils défendisscll t
leurs opinions d-evant le tribunal, et QD hu-
milia toute la nation, en déclarant nuBes
les é]ections de quarante-huit départements.
On devait faire la recherche des émigrés re-
venus dans leur patrie, pour les poursuivre,
etopprimer de nouveau le clergé; on devai t
'arreter le culte religieux des chrétiens et dé-


I Richer-Serizy au ¿il'ectoire, Rouen , floréal an VI, p. 41 :
" Apres les comités revolutionnatres et les commissions mili-
taires, un des actes les plus monstrueux du despotisme dans
eette révolution ,est l'établissement des Dureaux centraux sur
toos les points de la France; les hommes qui les oomposent,
la plupart des petits Busiris a livrée, joigllent au plus lourd,
comme au plus effroyable brigandage , le plus odieux despo-
tisme, d'autant plus intolérahle, qu'il l1'est exercé que par
des b~tes féroces. Le pouvoir des ad'millistrations municipales,
départementales , de la constitution méme, est nul devant
le pou'Voir de ces petits tyranneaux ; j'ai entre les mains plu-
sieurs arrétés de ces bureaux centrlll1X; je les rendrai bientOt
publics: ce sont des monuments de stupidité , de démence,
J'immoralité, de servitude et d'ignorance. O !m,inte liberté! tu
ue de8cendras jamais parmi nous! )j




LI V R"~ 1 V, CHAPITRE 1 v. 399
por ter les membl'es de la famille des Bour-
bonsqui, échappésau Terrorisme,demeuraient
en France l. Le triumvirat sangúinaire de la
constitution de 1793 respecta done encore
plus la ver tu de la noble veuve du duc d'Or-
léans, que le triurnvil'at de ] 795. Une COln-
rnission de cinq, présidée par Sieyes, adressa
trente-neufordonnanees, toutesfaites auCorps-
législatif. On les décréta en masse le soir du
18 fructidor, presque tOlltes mirent entrave
a la liberté; la plupart, surtout les condamna-
tions, étaient cruelles et injustes 2. Envain quel-
ques membres modérés, observaien t qu' 011


I Le prinee de Con ti ~ les duehesses de Bourbon et d'Or-
léans.


2 Au conseil des Aneiens, (;¡rod-Puzot dit : .. La commis-
sion n'a pu se proeurer les pieees originales qui servent de
preuves contre les eonspirateurs; elle n'en a re<,¡u d'autres que
eeHes qui vous ont été lues leÍ.. .. La commission a pensé que,
pour prononcer sur l'une et l'autre de ces dispositions (la dé-
portation des hommes désignés eomme royalistes et l'abolition
de tont ee qui avait été fait dans les quarante-hnit assemblées
électorales), iI fallait avoir des connaissances des lieQ.x et des
personnes, que ces membres ne possedent paso JI •


Lecoulleux, qui prend apres lui la parole, s'exprime en-
core dtune maniere plulI positive : • On sollieite notre opio¡on
sur les individus que ron propose de déporter. Il me semble
que pour que nous puissions nous en former une, i-1 faut
examiner s'iJ y a des pieces, et j'avoue que je n'el'1 vois 31lCUne
qui puisse faire comprendre heaucoup de ces individus dan!'
la mesure de déportation. Devrons-nous leur infliger cette
peine a cause des opinions que nous Ieur avons entendu
émettl'e? Mais la déportation est une peine terrihle. "




400 HISTOIRE DU XVIJle SIECLE.


ne reprochait a plusieurs accusés que Ieur
opinion et non des crimes; que 1'0rléanisme
.des uns ainsi que le royalisme des autres, et
meme celui de Pichegru n'étaient conflrmés
que par des actes surannés. lIs ne purent ni
empecher, ni arreter la marche de la violence.
On recourut encore a toute la tactique des
Jacobins, et Tallien, au conseil des Cinq-Cents,
prit le détour qui lui était si farnilier, avant
que madame Cabarrus-Fontenay l'eut co.n-
verti r.


Au reste, la sentence de déportation ne fut
exécutée que con tre Barthélemy, Barbé-Mar-
bois, Pichegru, Willot, Ramel, Delarue, Ro-
vere, Bourdon, Lafond-Ladebat, Murinais,
Tronc;on-Ducoudray, Aubry, Dossonville, La-
vilheurnois, Letellier, Brotier. Les autres se
sauverent facilement, puisque toute la France
leur offrait un asile, et que plus tard OH con}-
mua la peine contre une détention libre dans


I Tallien dít : « On a faít la proposítion de faÍre de cette
résolution (c' est - a'· di re de ces trente-neuf theses affreuses.
dont chacune est une loi importante; et dans lesquelles on
traite les choses les plus hétérogenes) des résolutions particu-
lieres : .le m'y oppose. Si vous laissez a l'opinioll, le temps de
divaguer et de s'éloigner du but, la tranquillité publique peut
étre compl'omise, et·vous seriez vous-memes responsables des
événements. Je demande que la résolution soit a l'illstant
envoyée au conseil des Anciens. Jean Dehr.r. - J'appuie la
proposition. JO




LIVRE IV, eH APITR]~ IV. 401
l'He d'Oleron, pour tous les autres, a l'excep-
tion d'Ayrné, Gilbert, Desrnoulieres et Perlet.
On avait eu la prudence de ne point employer
les horribles patrio tes , cal' on avait assez des
soldats. Lorsqu'on considere que, par suite ,de
l'entreprise du 18 fructidor, le jacobin lVIerlin
de Doua, remplac;a Carnot qui avait dirigé
toutes les guerres de la révolution, préparé
toutes les victoires; lorsqu' on observe ensuite
que le versificateur Fran~ois-de-Neufchateau
'déposséda: le sage et l' expérimenté politiqne
Barthélerny, on reconnalt facilement que, par
cette révolution, et par ces deux hornmes, pro ..
pres plutot a toute autre chosequ'a gouver-
ner un royaume ,on n'avait rien gagllé, mais
beallcoup perdu. Cela n'épuisait pas encare
tout le mal de la France, dont les baionnettes
étaient dans les mains de grands prodigues,
d'administrateurs ineptes, de régents méprisa·
bIes 'et méprisés 1, de Iégislat~urs impi~s et
vaniteux, de généraux durs et farouches. Qui
aurait pu sauver l'État d'entre leurs mains?
quel autre que cet honune, qui aux talents


t Réponse de Ca I'IlO t , page 200: .. Rewbell était coJistam~
menl le patron de gens accusés de vol et de dilapidatioDS;
Banas celui des nobles tarés et des pourfendeurs; Reveillere
celui des pr~tres scandaleux ••


H. n.




4o~ HISTOIRE DU XVIII6 Sd:CLE.
et a11 caractere de Danton réunissait la finesse
et l'astuce de Fouché 1, qui, comme poli tique
et soldat, alliait a la science et a l'expérience
de Carnot, le génie qui eré e , I'audace qui
exécute, la vio]ence qui détruit, pille et
ravage, et enfin cette qualité plus étonnante
que toutes les autres, cette intelligence
forte, eette sagesse hardie et mesurée, qui
n~agit jamais qu'a propos' 'et rétablit tout
commepar enchantement?Quel autre que cet
homme devant qui tous les Franc;ais se pros-
ternerent comme devant leor idole, cet
hQmme qui avaít a sesordres Augereau' et
l"armée' d'ltalie, , cet homme que déifient en-
, ¡ 1 Ceux qui mettent Bonaparié, stt'r la foi de'Chaboulon et
de Las Cases t au rang des dieux, liront avec plaisir ·le passage
suivant, oú Bonaparte, meme avant son élévation, énon4ia
des 'idées (''llcore plus généreuses qu'apres sa chute a Sainte·
Hélene.


Il dit, dans la Correspondance inédite, tome VII, p. 286,
,a l'occasion de la paix de Campo.Formio : .. Je crois avoir faít
ce quechaque ~embredu directoire eut fail. a ma place. J'ai
mérité, par mes services, l'approbation du gouvernement et
de la nation; j'ai re4ill des marques réitérées de son estime.
n ne me reste plus que de rentrer dans la foule, reprendre
le soc de Cincinnatus, et de donner l' exemple du respect pour
lefmagistrats et de l'aversion pour le régime militaire, qui a
détruit tant de républiques et perdu plusieurs États ... Cette re-
marque nous est insinuée par la considération dont jouissent
en Allemagne les productions de Chaboulon, de Las Cases, et
l'écrit de la faction, pub lié par l'organe d'Omeara. Quant a la
critique de' ce dernier ouvrage, voyez Qual'fBI'ly-Review, 1823,
february, nO 60, p. 219.




LIVRE IY, CHA.PITRE IV. 403
eo.re aujo~rd'hui ,~eux qui s,e lai~~ent éblouir
par l' éclat brillant des qualités extérieures"
paree que la nature Ieur a refusé le 4o~d~
reeonnaltre et de priser la, grandeur, d'une
vertu paisible et d'une arne vraiment reli-
gieuse I?


Il faut done avouer, que la providenee a en-
voyé Bonaparte dans 'la France ;sauveur d'un
parti de¡ pygmées et d' égoistes ,ila été pour
d'autres l'ange du jugement, pour son glorieux
mais infortuné siecle, le restaurateur de l'or;.
dre, le réformateur de tous les pays , qui sem-
blaient n'attendre qu'une révolution.


1 Réponse de Camot, page 144 : • Le directoire, au lien
d'employer les haionnettes, aurait du demander l'expulsion
des quinze ou seize roya listes au Corps-Iégislatif; cet acte eut
été incontestahlement adopté par la grande majorité des COll-
seils, par tous ceux au moios que le 'directoire a jugés dignes
d'y res ter le 18 fructidor. Des-lors il n'y avait plus de disso-
lution du Corps-législatif; ce n'était plus le dírectoire qui opé-
rait, qui écartait de son autorité privée, par les canons et les
baionnettes, ceux qui lui déplaisaient. JI


Page 146." Alors il n'y avait pas besoin de faire faire des
adres ses par l'armée d'Italie; iI n'y avait pas hesoin de faire
cerner Paris par l'armée de Sambre-et-Meuse ; il n'y avait pas
besoin d'óter le commandement de la dix-septieme division
( armée de l'intérieur) au brave Hatry ,pour ]a mettre entre
les majns d'un brigand. Quand 011 11'a que des vues droites,
on n'a besoin que d'instruments purs. " I


On lit, page 1;66: CI Rewhelllui-meme, en voyant Augereau
cntrer la premiere foís a París, pour déposer les soixante dra-
peaux remportés par l'armée d'Italie, s'écrie : Il a bien l'air
d'un factieux, quel ner brigand! •




404 HISTOIR.E DU XVIlle SIECLE.
Il avait déja lui-meme tellement reconnu


eette destination, que l'empreinte de ce senti-
lnent semanifesta dans toute sa conduite lors
de son retour a Paris l.


1 M. Schlosse~ interrompt ici le cours de sa narration, sans
aller précisément jusqu'a la fin du siecle; car il se propose, ir
ce que nous pouvons assurer ave e quelque certitude, d'écrire
en outre l'histoire de Bonaparte , et de rapporter tous les évé-
nements qui, depuis la chute du directoire jusqu' a la restau-
ration ,ont consolidé au dix-neuvieme siecle les institutíons
de la révolution fran«taise, anéanti le regue du pouvoir arbi-
traire, et donné a la France et a quelques autres pays une eer-
mille garantíe co~tre ~es prétentions despotiquei des ministres,


(Note du traducteur.)


fIN DU iEOONDET DEI\NIER VOLUME.




T ABLE DES MA TIERES
CONTENUES DAl'fS CE VOLUME.


LIVRE QUATRIEME.
R:iVOLUTIOlf PIU.N~USE.


CHAPITRE PREMIER.


Aper~u de l'histoire de France depuis la guerre de sept ans
jusqu'en 1787.


l. Fin dll regue de Louis XV. Page 3
n. Commencement -cln regne d4! Lopis·XVI. 15


." . CHAPITR~ tlEU.XIEME.
. . .


.. . t', • l. Depuis la cOIlvocation efes n.ot~eS'·.en 178í, jusqu'au
nouveau ministere de Necker ep septemb.re Í7SB. 24


n. Depuis la rentrée de Ne~ke .... a~l ministhe, jusqu'au 20
juin 1789.. 35


.. - ,


CHAPITRE TRG·l~IEME.
Du 23 juin 1789 jusqu'a l'organisation de la Répuhlique.


l. Du 23 juin J 789 jUl!lqu'lt la fuite du roi. 56
U. Depuis la fuite du roi jusqu'a l'organisation de la Répuhli-


que. 103


CHAPITRE QUATRIEME.
Depuis la suspension du roi jusqu'au 18 fructidor.


I. Depuis le II aout 1792 jusqu'au 31 mai 1793. 146




406 TABLE DES MATIERES.
n. Depuis le 31 mai 1793 jusqu'au 27 juillet 1794.-His-


toÍre de l'iIitérieur. - Marche de la guerreo Page 198
111. Depuis le 27 juillet 1794 jusqu'au 27 octobre 1795.


- Histoire de l'intérieur. - Marche de la guerreo 255
IV. Du 27 octobre 1795 jusqu'au 4 septembre 1797.-Évé-


nements de la guerre et rapports extérieurs. - Factions
et mouvements intérieurs. 309


PI. D.R L ... T A B L B,


, PARI&, IlllPRIMaRIK na GAULTl&R-LAGUIOlUa, IIÓ1'aL n¡¡s FaRlIlEI.