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LES ETATS-UNIS
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L' AMERIQUE SEPTENTRIONALE




SAr:OO¡T-l)E,\lS. - D1P. 1.\1. LUIBERT.




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l'ARlS
LmnAJHIE DE GUILLAlnHN El' elE
J;~,li:eill's ¡fu ,JuIJrn,il rles Econ!lmiste~, de la Collec!ion des principaux Économisles,


du !hlilil!II;lil'c de Ilrllllornir \I(~lilil[lllj, ~ll Ilicliol¡naire univeml du Commerce el de la \avi~ntion,elc.
g '-l·: í\ICilELIUi,






AVANT-PROPOS.


Il Y aura l)ientót (pwrante ans qu'un voyagelll' fi'anq:tis
parcourait l'Union américaine : il aelmirait la prodigieuse
acti\rjté qui rcgne clans ectte ruche d'holllmes libres et
1'es:-;o1' jllS(111'lCi sans exemple d'une pnissance qu'un siecle
it peine sépare de son hel'eeau; mais il ne pouvait s 'empé-
cher de penser a\rec donleur qn':'t un mOlllent) la domination
de ces vastes contrées sembla p1'01ni8e á son p1'opre pays.
« Alors notre langue pouyait prétenelre á devenir la
« langue lllliverselle; le nom franqais avait alors ele
« Le11es chances pour devenir le premie!') non-seulement)
« COlllllle cehú des Urecs, dans le monde eles idées) par
« la littérature et les arts, mais anssi, comme le nom
« rornain, dans ce monde matériel et politique) par le
« nombre eles 11omme8 ,qui ellssent été fiers de le por-
« ter) par l'immensité des ter1'itoires que sa domination
« eft! couverte. » A une (>poqne oú l'Anglete1're n'avait
encore planté qne de chétives colonles sur les plages arieles
de l' .. A.Jll<;rique septentrionale) la France explorait l'im-
mense vallée ele l\fississipi et occupait le bassin du Saint-
Laurent. Nous conronnions de forts le rocher de Quebec;
nous b:'Hissions :Montréal et nous fondions la NouveUe-
Orléans; nons défrichions les plaines de 1111inois. Et,
réflexion hien amere! qu'a-t-il faUu ponr que cet empire
colonial croulilt sans nous laisser sur les bords du Saint-




[[


Laurent ou du 2\lississipi un acre:<le ten'e) an fortin) un
comptoir? Il a suffi) pour se servir des expressions de ce
meme voyageur) qu'il se trouvat) sous notre monarchie
absolue) un prince comme Louis XV) et que la France
servlt pendant cinquante ans de páture a son égo'isme
infame t.


Que füt-il advenu si les événements) affectant un autre
cours) les vaincus des plaines (rA1)raham en eussent été les
vainqueurs '? On répond qu'a juger par les has Canadiens et
les créoles de la Louisiane de ce qu'eftt été le peup1e de la
Nouvelle-France) le mouvement civilisateur au1'ait pe1'<1n
en rapidité et en audace. Cette opinion paralt plausible, et
sachons gré aux hommes d'État de l'ancienne mona1'chie
d'avoir regardé la perte du Canada comme irl'óparable.
Certes) les intéréts de la liberté n'entrcrent pcmr rien dans
les calculs et dans les vues qni pOl'terrnt ~f. de Yergennes a
secourir les colonies insurgées; il n'en est pas moins vrai
qu~ la liberté doit á cet habile ministre l'établissement au
dela de l'Atlantique uu self-goveJ'llement) systeme qui déj~'t
régit une moitié du Nouveau-}Ionde) et qui l'(;gira rancien
dans un avenir plus ou moins proche) mais certain. Les
nations finissent par se servir de 1en1's yeux pour voil'
et de leurs oreilles pour entendre. Ce qu'elles voient) par-
dessus les mers) c'est le regne de la loi) c'est l'épanouisse-
ment) que tout favorise) de ces droits sans l'usage desquels
la nature humaine n'apparaít qu'avilie et mutilée : d1'oit de
croire selon les regles de sa conscience) d1'oit de penser
tout haut) droit de se réunir et de s'associcr) droit de s'ins-
trllire chez qui ron veut et comme on veut. Ce que ces
nations entendent) ce sont les mille échos d'une vie publi-
que aussi active et aussi intelligente dtms le moindre
ToU'nship que dans la plus populeuse cité; ce sont les mille


t jlidwl r.hevalief. LPttres sur CA n)(:rir¡li~ du /\Tnrd. LHtt:r UIl\.




lil


hruits d "un immense atelier tonjonrs ú l"a'uvre pour multl-
pIier les mel'veilles du tra vaiI et les audaces cle rindustrie.
Spectacle hien fait ponr snrprenclre pent-étre) mais aussi
pour cclairer les vieilles sociétés européennes qlli se tiennent
encare un pied cluns le pas:5é et rautre clans l'avenir. En
Amél'i(llle) l'antiqne nlOuk a été brisé clc's le premier jour)
tandis qne l'Europe cOlltinue de s 'al)riter sons rédifice
lézarcló cln droit 1110narchi(l1lr OH) pOlli' miCllX (1il'e; (le ce
qnc", par Ull reste cl'lwhitucle) dIe appel~e cncorc (1(' ce n0111.
POUi' s 'en tenir il la France) elle a en. S~lllS donte) clans ces
soixal1te-dix clel'llle.'eS HUlH:l';': le f~pe('tadp (~e restnnrations
eL (te tra \'estis~emonts monnl'chiqlle", ele eonps (l"l::tat et de
pl(:hi¡..;cites; {'lle a nl passer ot repasser des l'ois et des Cll1-
pel'C'lU's ~ lllais elle n'a point revn la momu'chic et ne la
revena p()int.
J)an~~ ('('s mmlH'lit~; oü la p~¡tri(' fatigl,;l, a (lit Lacol'(laire)


on tOll1'1H' les ye:L''': H'l'S la n~plLh:i(l[le de 'Ynshinótul!) et,
l'un Yuud.rait s'asse;¡ir ;¡ romhrc d('si~)r~·ts et de:-. luis <le
LAmól'lqnc. Senlemellt la patrie 11e s 'emporte pas ~l la
semelle de ses sonliers) sehn nn mot cdóhr2; et il est moins
faciJe de la (püUel' (llle de se fig1Ll'cl' pOlir elle des lllccurs
plns viriles et des a(hnjration~, lillC1tx placée:~, (pe (le lni
s~JUlmiteI' it son tonr des iustitutions capaLles de satis-
faire ;'t la .i iistice et de 1'en1'<:'1'111e1' la liberté. l/esprit, une
fois ]lIaeó dans cet onll'e d"iclc'l's et conntincll qne la liberté
est flutre ch()se (l1l'une (Flcstlon de latitwle OH de race)
l'espl'it se plait dans rancIe de la dómocl'utie amél'icaine;
il SCl'ute son histoire et intel'roge la pensée de ses fonc1ateurs;
il reeherehe les canses (lui ront -+'ait3 grande et qui l'ont
ren(lllC prospere. Qn'une pareille étucle soit fructucm;l') on
u"en saurait <Ianter, et au besoin on en tronverait la preuve
dans les sentimcnt8 si contraires clOllt se lllontl'ent animés
V1S-;\ -,'i8 de ]' Amél'iqne les h0111me8 qui) :'t un titre ou il un
au11'(" se pi({11cut ('hez nOllS (l'aimel' la liberté et les hOl1UlleS




/ '. -, [~\t'~~7:Wi
" ",


IV AVANT-PROPOS.


que son nom seul a le privilége d'irriter, et de transformer
en énergumEmes. Ceux-ci, iI est vrai, connaissent peu ou
point ces institutions qu'ils détestent et vilipendent; ils
manient mieux l'invective que la science, et e' est l'invec-
tive qu'~ls prodiguent a l'Amérique et aux Américains, de
meme qu'ils en couvrent tous les Franqais qui sont réfrac-
taires a leur idéal de soumission muette et d'obéissance
servile. Par bonheur leur nombre est assez petit, leur crédit
plus petit encore, et franchement, il n' est guere a craindre


, que le dernier mot de la' révolution frauqaise soit jamais
un retour au droit divin, et en philosophie la résurrection de
la censure ecclésiastique.


Notre fatuité et notre ignorance, notre routine invé-
térée et nos réminiscences classiques constituent un tout
autre danger pour cette liberté politique que nous ne
cessons de pqursuivre quoiqu~elle nous échappe tou-
jours. Ce n'est plus ni a Rome, ni a Sparte qu'il nous
faut chercher les formules du droit moderne, et si nous
voulons devenir experts dan s les choses de la liberté, c'est
l'expérience -des· peuples qui nous ont précédés dan s ces
voies qu'il nous faut recueillir. L9rsqu'en 1835, M. Michel
Chevalier se rendit en Amérique, son éducation et son
passage par l'école saint-simonienne l'avaient peu préparé
a comprendre u¿ société dans laquelle l'autorité, telle
que rEurope l'a longtemps conque, ne jouait qu'un role
bien effacé et ne jouissait que d'une initiative tres-res-
treinte; mais il sut rompre le charme et sentir, tout en gar-
dant des défiances significatives, ce qu'il y avait de puis-.
sa,nt et d'original dans le spectacle qui se déroulait devant
son esprit étonné. Riches d'observations le plus souvent
judicieuses et parfois tres-pénétrantes , écrites dans un style
qui, en passant l'Atlantique, s'était fort a propos débar-
rassé des allures guindées de la prose académique, les
Lettres sur l' Amér.ique du Nord furent pour la grande masse




A VANT- PRO POS • v


des lecteurs fran~ais comme la révélation d'un pays que
leurs peres avaient bien voulu aider a s'afIranchir, mais
qu'eux-memes n'avaient pas consEmti encore a étudier et a
apprendre. !Depuis, Alexis de Tocqueville leur a livré l'es-
prit de sa démocratie et dévoilé le mécanisme de ses fortes
institutions, dans un livre ou la beauté de la forme releve
encore l'ampleur du fond, tandis que M. Guizot consacrait
au plus grand des peres de la liberté américaine le mor-
ceau le plus achevé, peut-etre, qui soit sorti de son esprit
~


robuste et de sa plum e magistrale. Enfin, M. Edouard
Laboulaye, dan s son Histoire politique, a démeIé avec un soin
scrupuleux et une sagacité remarquabIe, les origines de
cette liberté; iI en a fixé le véritable caractere, ou triomphe
l'esprit individuel, en meme temps qu'il avertissait la
France qu'il ne suffisait pas d'un nom et d'une étiquette
pour fonder des institutions républicaines, mais qu'il y
fi:tllait encore un peu de cette sagesse politique dont les
Washington, les Madison, les Hamilton # donnerent de si
beaux exemples, lors de la convention de Philadelphie 1.


On ne saurait omettre dans les livres capables de nous
faire connaitre l' Amérique l' History of the united States de
M. George Bancroft, puisqu'une traduction a fait passer ce
livre dans notre langue. Bien que le nom de son auteur
soit assez populaire, nous doutons un peu que l' ouvrage
lui-meme ait été beaucoup lu, et il y a plusieurs raisons •
qui expliquent cette circonstance. D'abord l'édition qui
est sous nos yeux et qui est celle du libraire Routledge de
Londres, comprend sept volumes formant un ensemble
de 2,659 pages d'un caractere tres-compacte, et de pareilles
dimensions effrayent le lecteur fran~ais. M. Bancroft a pro-
digué des détails qui ont un grand intéret sans doute pour


f V. dans la préface de l' Histoire politique des Etats-Unis, la lettre de
, .


M. Lahoulaye au général Ca'vaignac, et les pages qui la précedent ou la
suivent. M. Lahoulaye ne fut alors que trop hon prophete.


,






.. ".; I{:_~\.::~, .. -.~~~


IV AVANT-PH.UPUS.


ses compatriotes, rnais beaucoup moins pour un étranger;


enfin cette reuvre, si elle renferme des parties tres-remar-
quables, contient aussi d'assez nombreux hors-d'reuvre,
dont un ton déclarnatoire et plus .1yrique qu'historique gate
parfois la valeur intrinseque et qui ont le tort, dans tous les
cas, de divertir rattention dn lecteur; enfin il y a des che- .
vauchements, des redites, et 1 'écrivain ne se montre pas
aussi maítre de son récit que de sa matiere meme. L'édifice
est imposant et vaste ; mais toutes ses parties ne sont pas
bien agencées. Dans ses péristyles et sous ses colonnades,
il ne souffle pas assez d'air, il ne circule point assez de
lumiere. En d'autres termes, le grand mérite de rhistoire
de M. Bancroft, mérite que nous sommes loin d'ailleurs de
contester ou de vouloir diminuer, réside surtout dans
rimmensité des lectures et 1 'abondance des matériaux mis
en reuvre, dans la sureté des informations et leur rigoureux
contróle. Qu'on ait le goút ou le devoir de s'instruire a
fond des choses et des hommes de rancienne Amérique, car
l'ouvrage, malgré son étendue, s'arréte a rannée 1776, il
faut recourir a ce travail. l\lais un homme qui a peu de
temps, ou qui n'a besoin de cette connaissance que dans
certaines limites, désirera quelque chose de plus concret et
de mieux approprié a ses loisirs et méme, si ron veut, a sa


• paresse l.
i Aueun souvenir de la leUre odieuse que M. Baneroft a éerite a M. de Bismark


."


au sujet de la Franee vaineue n'entre dans eette appréeiation. 11 semble toutefois .
que M. Baneroft aurait dü se rappeler qu'il avait recu de trois de nos ministres,
MM. Guizot, Drouyn de Lhuis et Lamartine, le meilleur aeeueil, el qu'ils s'étaient
empressés LOus les trois de lui fournir des moyens d'information pour son Iivre,
Nous sommes aiusi faits en Franee que nous réservons nos meilleures attentions
aux étrangers, et parfois ils nous en réeompensent d'une facon singul~ere. Ainsi a faíl
M. Baneroft et aussi l' AlIemand Mommsen. Ce euistre universitaire s'étaít vu ouvrir
ehez nous toules les eolleetions et tous les dépóIs seientifiques, on luí avait eommu-
niqué toutes nos riehesses intelleetuelles. Or, il est I'allteur de deux leltres célebres:
l'une, qui est adressée a I'historien eouronné de César, est tout simplement un mo-
dele aehevé dc platilude teutonique. L'autre a été envoyée a Guillaume de Hohen-
zollern, ce singe de Charlemagne entre les fumées du ehampagne et eelles des villes
qu'incendient ses soudards, et celle-ci renl'erme a l'aclresse de la France d'ignoLles
injures éerites dans un slyle ignoble.




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"


..


AVANT-PROPOS. VII


J~imagine que ces considérations ne laissent pas d'avoir
quelque poids meme en Amérique: du moins l'Histoire de
M. Hildreth, qui est plus restreinte quoique plus com-
plete, y a-t-elle eu ges succes. Dans ce pays, l'instruc-
tion primaire est beaucoup plus étendue et beaucoup plus
répandue qu~en France, le gout de la lecture est plus vif;
mais on y fait du temps un cas particulier. Time is money,
Je te¡nps est de l'argent, dit-on, et on agit en consé-
quence. L'Yankee, c'est-a-dire l'Américain du Nord ou du
Nord-Onest, celui dont la nature domine aujourd'hui dan s
l'Union, est, nous dit ~l. Chevalier, « toujours affairé, tou-
« jours pressé, excessivement pressé; il est propre a tous
« les travaux, excepté a ceux qui exigent une minutieuse
« lenteur. » L'homme qu'on vient de décrire ~rendra sans
doute un livre, aux heures qu'il dé robe aux affaire s, ou,
ponr mieux dire, aux heures pendant lesquelles les affaires
se dérobent a lui; il le lira parce que l'oisiveté complete
répugne a ses habitudes et a son tempérament meme, mais
est-il probable que ce livre sera une amvre de bien longue
haleine? En France, si les loisirs manquent moins, le gout
de lire fait trop défaut, et le susciter est un effort qui s'im-
pose a tous les esprits doilt la préoccupation, a un titre
quelconque, est tournée vers les moyens de régénérer l'es-
prit national. Mais cette besogne incombe naturellement


I aux ouvrages d'une étendue médiocre, quoiquesubstantiels,
bien pl~s qu~aux gros livres, quel que puisse etre le mérite
de ceux-ci; car ces gros livres, les uns n'ont pas réellement
le temps de les aborder, les autres ne peuvent les acheter,
et les paresseux se trou vent une excuse dan s leurs vastes
dimensions memes.


Grouper dans un cadre condensé les grandes annales des
anciennes colonies et celles de l'Union actuelle, représenter
le tableau en hloc de la civilisation et des lois d~un peuple,
dont il paraitrait qu'on parle plus chez nOUR qu'on ne le






VIII AVANT-PROPUS.


I connait encore, voila ce qu'on s'est proposé de faire dans le
présent travail. Ce n'est d'ailleurs, ni une compilation, ni
un abrégé des livres de M. H. Bancroft ou de M. Hildreth;
c'est, bonne ou mauvaise, une ffiuvre sui generis. La nature
des choses en a tracé le plan et déterminé l'ordre. Les ori-
gines des colonies et leur fon~ation, leur croissance, 'leur
émancipation, les développements politiques, moraux, éco-
nomiques de rUnion, voila ses quatre divisions naturelles.
Pour l'une ou pour l'autre de ces parties, les sOllrces
directes et indirectes d'informations n'ont pas manqué, et
l'auteur a trouvé a la bibliotheque du Luxembourg, au-
jourd'hui ouverte au public, et ,sur.tout a l'hotel de ville, des
renseignements qu'il aurait vainement cherchés ailleurs et
qu'un bibliothécaire, M. l'abbé Dufour, a mis a sa disposi-
tion avec une complaisance qui lui donnait droit a des
remerciments dont on est satisfait de consigner ici l'expres-
sion publique. Une circonstance heureuse en somme, quoi-
que d'une explication assez difficile, a sauvé les livres
concernant l'Amérique que renfermait ce dépot du désastre
dan s lequel les autres ont disparu a l'époque de la Com-
mune. Ils avaient été transférés a Passy, quelques mois
avant la révolution du 4 septembre. Ce fut dans cette col-
lection que nous rencontrames la Correspondance diploma-
tique de la révolution américaine, d01l:ze volumes ou les dé-
peches de Vergennes, de Rayneval, de Barbé-Marbois, de
La Luzerne, coudoient celles des agents américains, et qui
nous 'ont permis de faire en toute fidélité et avec un
détail sur rhistorique des négociations dont sortirent les
traités de 1778.


An. F. DE FONTPERTUI~.




..


PREMIERE PARTIE.


LES ORIGINES DES COLONIES.






LIVRE PREMIER.


La Virginia at le Maryland.




Sommaire: LES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS EUROPÉENS : Ponce de Léon,
Soto et la Floride; Ribaut, Laudonniére, Mélendez, Dominique de
Gourgues et la Caroline.


PREMIERES TENTATIVES DES ANGLAIS: Frobisher, Walter Raleigh, Hum-
phrey Gilbert, Amydas et Barlow.


LA VIRGINIE : Hakluyt, Gosnold et Newport; Pocahontas ~t le capi-
trine Smith; premié re charte et débuts de la colonisation; lord
Delaware, Dale, Yeardley; premiers progrés de la culture et de
la vie civile; la colonie devient province royaIe; Harvey, Ber-
keley et leur administration; protectorat de Cromwell; premier
acte de navigation.


LE MARYLAND : Cecilius Calvert, lord Baltimore; institutions civiles;
liberté religieuse; les puritains, les catholiques et Cromwell.


Quoique la race anglaise remplisse aujourd'hui de sa domina-
tion et de sa langue presque toute la vaste éfendue qu'occupe
l'Amérique du Nord, elle ne peut revendiquer l'honneur d'avoir
porté l~s premiers germes de la civilisation européenne sur les
rivages du Nouveau-Monde) et bien avant que de petits bour-
geois et des artisans de Londres eussent pénétré dalls la baie de
laChesapeake et d' enthousiastes sectaires débarqué au cap Cod,
les Espagnols s'étaient établis sur les bords du golfe du Mexique
et les Franc;ais dan s la vallée du Saint-Laurent.


Juan Ponce de Léon, qui découvrit la Floride, offrait le vrai
type du cavalier espagnol du xve siecle, aventureux, cupide et
crérlule. Apres avoir pris part aux diverses expéditions qui ame-
nerent la prise de Grenade et terminerent la - longue domina-
tion des Mores, il suivit Colomb, lors de son second voyage, et


. I




4 LES ÉTATS-UNIS DE L'.UIÉRIQUE SEPTENTnIONALE.
il gouvernait a Hispaniola la province de Higuey lorsque son
esprit, qui s'accommodait mal d'une occupati,on paisible, le
poussa a descéndre sur les cOtes de l'ile voisine, que les Indiens
appelaient Boriquen el que depuis on a nommée Porto-Rico. Les
indigenes de Boriquen étaient plus belliqueux que leurs freres
d'Hispaniola, et laisserent néanmoins Ponce et ses compagnons
s'inslaller paisiblement parmi eux : il faUut une longue suite de
mauvais traitements que les nouveaux venus leur infligerent pour
secouer leur indolence et leur mettre les armes a la main. Ils les
prirent enfin, et tombant a l'improviste sur les villages qu'occu-
paient les Espagnols, les incendierent, en massacrant tous ceux
de leurs habitants qu'une prompte fuite ne vint pas soustraire a
leur vengeance. Le cacique Agueybana, leur chef, attira ensuite
Ponce de Léon dans un piége et l'aurait fait prisonnier, sans •
doute, s'il n'eut été frappé d'une baIle au moment me me ou il
menait ses Indiens a un dernier assaut. Cette mort sans ter-
miner l'insurrection, lui óta de son élan, et Ponce se flattait de .
l'éteindre, quand un ordre de sa cour vint lui enlever le comman-
dement de s~ conquete.


Le vieux soldat accepta cette disgraee sans trop de mauvaise
humeur. n avait aequis de grandes richesses, et son imagination,
qui n'avait pas subi l'effet de l'age, se repaissait d'idées étranges
et agitait, depuis quelque temps, les plus vastes projets : il se'
figurait qu'il restait un troisieme monde a découvrir et se pro-
mettait d'en devenir le Christophe Colombo Vers eette époque et
comme pour ajouter ti. son exaltation inteUectueUe, il vint a ren-
contrer quelques vieux Indiens, qui lui parlerent d'une He
nommée Barimi et située dan s le groupe des Bahama, He magni-
fique, abondante en richesses minérales et baignée par une
riviere dont les eaux possédaient la vertu de rendre a la jeunesse
tous ceux qui pouvaient s'y plonger. Le crédule Espagllol ajouta
une telle foi a ce conte qu'il fit sur-Ie-champ équiper trois vais-
seaux, avec lesquels il quitta B~riquen, le 3 mars 1512, faisant
route pOUl' les Hes Bahama. IlIes visita l'une apres l'autre, s'en-
quérant partout de sa riviere magique, et finit par jeter l'anore,
afin de ra vitailler sa flotille" a Guanahaui ou San-Salvador, la
premiere terre américaine que les pieds de Colomb fouIerent. JI




PREl\UEllE PARTlE. - LES ORIGINES DES COLONIES. ;)


reprit bientót la mer, en se dirigeant vers le nord-est, etse
trouva, le 27 mars, en vue d'une terre qu'i1 prit pour une tIe .et a
laquelle le mauvais temps l' empecha d'aeeoster pendant quelques
jours. Enfin, dan s la nuit du 2 avril, il réussit a jeter l'anere pres
de la cOte et s'émerveilla, au point dujour, de la splendide appa-


. renee des eampagnes qui s'offraient a sa vue. On était au
. dimanche des Rameaux, que les Espagnols appellent Paque
Fleurie, Pascua Florida, et eette eireonstanee, joi~te a l'aspeet
riant et fleuri du paysage, déeida du nom que Ponee de Léon
donna a sa découverte, en place du nom indigene de Cantio t.


Ponce, rentré dans sa patrie pour annoncer a Ferdinand eette
nouvelle addition a sacouronne, ne revit la Floride que pour
Lomber en 1521 sous les coups des Indiens, au moment rneme OU
il s'appretait a prendre une possession réelle de cette terre, et,
pendant quelques années, la cour d'Rspagne parut la délaisser.
Un personnage d'une réputation et d'une vertu médiocres, qui
avait essayé de ravir le Mexique a Cortes, Pamphilo de Narvaez
obtint a10rs la permission de l'enváhir, et, a la tete de trois eents
hommes, débarqua sur un point mal connu, peut-etre pres de la
baie d'Apallachee. Quoi qu'il en soit, son entreprise ne fut qu'une
suite de désastres, provoqués par la eupidité crédule qui le fit
s' égarer dans des contrées désertes et que -les indigenes du littoral,
peu soucieux de conserver de pal'eils hótes, leur avaient dépeintes
eornme riches en gisements auriferes. Narvaez périt dans un
orage, pres de l'embouchure du Mississipi, et de tous les compa-
gnons qu'il avait amenés avec lui, quatre seulement parvinrent a
Mexico par la voie de terre, huit ans apres leur départ d'Espagne.
Ils persistaient a croire que la contrée renfermait de grandes
riC?hesses métalliques, et personne ne partagea leur erreur a un
plus haut degré que Ferdinand de Soto, ancien compagnon de
Pizatre, devenu eourtisan. Il obtint de Charles-Quint le.. gouver-
nement de Cuba, avec l'illvestiture des immenses territ,oires qui
s'étendent a l'ouest et a l'est du Mississipi et que l'on continuait de
désigner sous la vague appellation de Floride. Dans la foule de


f W. Irvill~ : Tite voyagl! ((nd di~cot'eries o{ the compa'¡ions o{ Colon,úus,
éd. BolliI, 777-7UO. .




6 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉaIQUE SEPTENTRIONALE.
volontaires qui s'étaient empressés d'accoul'ir a SOlí appel, Soto
choisit six cents hommes jeunes, vigoureux, hardis, dont quel-
ques-uns avaient vendu leurs biens pour le suivre, et ses équi-
pages quitterent le port de San-Lucar de.Barameda, en l'année
1538, aussi gais et aussi allegres que s'ils eussent marché a une
partie de plaisir. A Cuba, ou elle atterrit d'abord, l'expédition fit
de nouvelles recrues, et quand elle reprit la mer, apres une suc-
cession de fe&tins et de réjouissances, la confiance générale s' était
encore accrue, deux Indiens captifs ayant semblé confirmer, par
leurs gestes et par leurs signes, la richesse aurifere dont les ima-
ginations s' étaient plu a doter leur pays.


'Une traversée de quinze jours la conduisit dan s la baie de Spi-
ritu-Santo, ou elle jeta l'ancre. Les bommes et les cbevaux débar-
qués, l'on se mit en mar<?be, trainant derriere soi des vivres en
abondance, un troupeau de porcs destinés, croyait on, a pulluler
dans le pays, et une meute de chiens avec lesquels on se propo-
sait de donner la chasse aux natifs, dont on espérait bien ramener
un grand nombre esclaves. Douze pretres accompagnaient aussi
la colonne et, pendant les haltes, célébraient les saints mysteres .
. Une marche monotone et fatigante l'amena sur le territoire des
Apalaches, et la commencerent ses premieres épreuves : des
bandes d'lndiens la harcelaient, ses guides la jetaient dans des
marécages, et quand elle eut atteint le havre de Pensacola,
l'Ocbus des indígenes, le découragement s'était glissé dans ses
rangs. Les Espagnols y pa~serent la mauvaise saison, et reprirent
leur marche dans les premiers jours du printemps de 1540,
guidés par un Indien qui, simulant la folie, les égara souvent
dans les solitudes, ou le manque de viande et de selles fit beau-
coup souffrir. Au mois d'avril, ils avaient laissé a droite les riches
vallé es de la Géorgie et appuyaient au nord vel'S le territoire des
Cberokees qui, timides et doux, leur firent un bon accueil. Mais
quand, r~venant 'au sud, ils eurent atteint le village de Mavila ou
Mobile, il leur fallut combattre les indigenes, et, quoique victo-
rieux, faire retraite au nord et chercher des quartiers d'hiver


. dans le pays des Cbickasas. Soto, au commencernent du prin-
temps suivant, ayant demandé aux Indiens deux cents hornrnes
pour transporter ses bagages, se les vit refuser, et eut la mortifi-




PRE}IIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 7
cation de perdre un grand nombre de ses chevaux, qui s' échap-
perent, ou furent brulés dan s un incendie corumuniqué par les
Chickasas a leur propre vilIage ou les Espagnols étaient
campés.


Dans cette troupe harassée et déja bien diminuée d'effectif, il
n'y avait qu'un homme, peut-e,tre, qui ne fut pas découragé;
mais cet homme était Soto lui-meme, le promoteur et l'ame de
l'expédition. Sa volonté se roidissait contre les obstacles; de plus
en plus acharné a la poursuite de cet or qüi le fuyait, il donna
l'ordre qu'on s'enfon.;at vers l'ouest, et l'on parvint, au bout
d'une marche de sept jours, dans des forets et des fondrieres sur
les bordsd'un grand cours d'eau : c'était le Mesehachebé', ou
mere" des eaux des Peaux-Rouges, qui est devenu le Mississipi des
colons anglais. Le fleuve, qu'un mil européen contemplait pour
la premiere fois, coulait a pleins bords, impétueux et rapide,
dans un lit profond, roulant, il y a trois siecles, dans ses eaux
jaumUres, ces souches et ces arbres entiers qu'il roule encore
aujourd'hui. Soto le traversa et, remontant sa rive occidentale,
entra, croit-on, sur les terres hautes et desséchées qui s'étendent
autour de New-Madrid. Un parti d'éclaireurs, qui s'avan.;a "ers
le nord, rapporta que de ce coté le pays était absolument stérile,
et la troupe prit la direction de l'ouest et du nord-ouest. Les hau-
teurs qui enceignent la riviere Blanche bornerent sans doute sa
course dan s ce sens et la firent tourner au sud, direction qu'elIe
suivit jusqu'au terrítoire des Tunicas, situé non loin des eaux
chaudes et salées que re.;oit la Washita, sur lequel elle prit ses
quartiers d'hiver. Les tribus que les Espagnols rencontrerent
dan~ cette partie de leur parcours n'étaient point entierement
nomades; elles possédaient des résidences fixes et vivaient moins
de la chasse que de l'agriculture. Trop mal armées pour résister
et d'ailleurs' d'un caractere assez paisible, elles supporterent avec
patience les vexatiolls et meme les cruautés de leurs hotes, dont .
elles haterent le départ en leur indiquant des contrées lointaines
et prétendues plus riches. Le projet de Soto était alors de des-
cendre la Washita jusqu'a sa jonction avec la riviere Rouge, et,
au printemps de 1542, ~l atteignit non-seulement ce point, mais
eucore le confiuent de la riviere Rouge et du Mississipi. Il s'in-




8 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉlUQUE SEPTENTRlONALE.
forma de la distance qui le séparait de la mer; les Indiens ne
purent ou ne youlurent la lui apprendre et il n'en tira aucun
renseignement, si ce n'est que les terrains qui bordaient le flem'e
jusqu'a son embouchure étaient de vrais déserts.


Soto ne demandait qu'a croire le renseignement inexact ; mais
illui parut trop véridique quand une reconnaissance de ses pro-
pres gens eut trouvé le pays si encombré de canaux dérivés du
fleuve, de bois épais et d'impraticables fourrés de roseaux qu'en
huit jours, elle n'avait pu fl'anchir trente milles. l'l essaya d'ef-
frayer une tribu d'Indiens et en re<;ut une fiere réponse qu'il ne
put punir. Son esprit, jusque-la indomptable, avait enfin subí le


. contre-coup d'un tel, nombre de déboires, de meme que les pri-
vations et les fatigues avaient débilité son corps. Une fievre ma-
ligne le retenait sur sa couche; elle fit promptement assez de
progres pour l'avertir de sa fin prochaine, qu'il envisagea en
soldat et en catholique. Afin de cacher sa mort aux indigenes)
son cadavre, enveloppé d'un manteau, fut jeté pendant la nuit
dan s les eaux du Mississipi, et l'aventureux cavalier qui avait
parcouru une large partie du continent américain, en y cherchallt
de 1'or, n'y a rencontré rien de plus remarquable que sa tombe,
suivant le mot d'un historien 1.


Le gouvernement espagnol parut alors abanuonner toute idée
de coloniser la Floride, pour neTevenir que vingt-quatre ans plus
tard a ses projets primitifs. Dans l'intervalle, les Frall<;ais avaient
pris pied sur la scene du Nouveau-Monde. Des 1504, les hardis
marins de la Flandre et de la Bretagne pechaient sur le banc de
Terre-Neuve, et deux ans plus tard, Denys, de Honfleur, dressait
une premiere carte du vaste golfe 2 qui s'enfonce entre les extré-
mités du Canada et du Labrador d'une part, les cotes du Nou-
veau-Brunswick et ceHes de la Nouvelle-Écosse de l'autre, et qui
a re<;u du Malouin Jacques Cartier le nom de Saint-Laurent,
étendu ensuite au grand fleuve qu'il re<;oit. Dans son premier
voyage, qui se.place au mois d'avril1531, Cartier entra dans une
baie qu'il appela d'un 110m significatif, baie des chaleurs; ne trou-


t Bancroft: History o/, the united states, éd. Houtledge, 1, 32-44.
2 P. de Chal'levoix : lfistoil'c et descrirJtion gl!l'térale de la Nottvelle-~'ranrc,


éJ. 1714., ir.-18, J, 3--1.




",:- .1).~/
/', :. ,"'~


PREMrERE PARTIE.":" LES ORIGINES DES COLONIES. 9
varit pas de passage a l'ouest, il suivit la cote, jusqu'a la baie plus
petite de Gaspé, y dressa, sur une petite pointe, une croix sup'-
portant un écusson aux armes de France, et poursuivit saroute
jusqu'a ce qu'il eut apergu les deux rives du fíeuve. Ces décou-
vertes causerent une vive émotion en France : elles flattaient
l'amour-propre de la nation, s'on gout décidé pour les aventures,
et la jeune noblesse voulut concourir a la nouvelle expéditíon
que les amis du navigateur breton suggérerent a Fran<¡ois lar,
tandis que la religion, alors melée d'une fa(ion si intime et trop
souvent abusive ou tyrannique aux manifestations de la vie civile,
appelait sur 'elle les faveurs célestes. Cette fois, Cartier prit a
l'ouest de Terre-Ne~ve et remonta le Saint--Laurent jusqu'a l'ile
d'Hophelaga, devant laquelle il jeta l'ancre. D'apres son langage,
la tribu qui y campait devait appartenir a la famille huronne, et
son village était situé au pied d'une colline que Cartier gra vito
Parvenu au sommet, « l'admiration le saisit en voyant le splen-
« dide panorama de bois, d'eaux, de hauteurs qui se déroulait.
« devant lui, et 'son irnagination lui présenta la colline comme un
« futur entrepót commercial et la métropole d'une province
!( prospere. Sous l'empíre de ces pressentiments, il l'appela
« Mont-Réal, et le tefnps, qui a étendu le nom a l'ile entiere', est
«( en voie de réaliser les prévisions de Cartier l. » Celui· ci passa
l'hiver de ,1535 a son mouillage, malgré le scorbut quí régnait
parmi ses équipages, et ce fut seulement au printemps suivant
qu'il reprit la route de Saint-Malo, non sans avoir dressé, comme
a Gaspé, une croix et les armes de France su r la coHiue d'Ho-
chelaga 2.


La paix faU~cieuse que Charles IX fit ave e ses sujets huguenots,
~qu'un affréúx guet-apens vint interrompre, raviva chez nous le


, go'Ut des entreprises coloniales, a peu pres abandonnées pendant
la fureur des guerres civiles et religieuses. Déja Coligny, dési-
reux d'ouvrir a ses coreligionnaires un asile dans le Nouyeau-
Monde, avait chargé Villegagnon d'en conduire un petit groupe
sur les rivages' Ol! s'éleve aUjourd'hui I'opulente capital e du
Brésil. L'infidélité de cet agent et son apostasie tromperent


i Hist, of the unit, stal, 1, 17.
2 Hist. NOUll. France, 1, ~-2U.







10 LES ÉTATS-~NIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
l'espoir de l'amiral, sans suspendre toutefois ses desseins; ear
sept ans apres le départ de Villegagnon, e' est-a-dire en 1562, iI
dirigea sur la Floride, a laquelle il songeait mail1tenant, Jean
Ribaut, de Dieppe, marin hardi et protestant énergique. L'expé-
dition ayant découvert la riviere Saint-John, le San-Mathéo des
Espagnols, rencontra, en suivant la eóte, la profonde baie de
Port-Royal'; c'est la, sur les confins orientaux de la Floride, que
Ribaut éleva une pyramide aux armes de Franee et batít un fort
appelé la Caroline, en l'honneur de Charles IX: rnunitionern
Carolinarn, de regis nornine dictam, eomme l'écrit l'historien de
Thou, et dont le nom était prédestiné pour le pays, puisqu'ill'a
reou trois fois : « d'abord des Fran<;ais, puis, lors d'uneeoncession
« sans résultats, faite sous le roi d' Angleterre Charles Ier, puis,
«( enfin, lors de la eoneession faite par Charles 11 et qui fut suivie
(( d'une véritable eolonisalion 2. » Les naturels se montraient
amis et les débuts de la eolonie furent heureux, mais l'indisci-
.pline se glissa bientót dans la pe tite garnison que Rihaut avait
laissée au fort Caroline et qui comprenait en toul vingt-six
hommes. Le gouverneur, homme violent, voulut la réprimer par
des actes tantOt arbitraires, tantót crucIs, et fut égorgé. Les eolons
s'embarquerent alors pour la Franee dans ~n brigantin construít
par eux-memes; la faim et les erimes qui l'accompagnent les
attendaient dans la traversée, et les quelques survivants se trou-
verent fort heureux d'etre recueillis par un petit batiment anglais
qui débarqua les plus exténués sur les cótes fran<;aises, en eon-
duisant les autres en Angleterre, OU ils furent présentés a. la
reine Élisabeth.


Coligny ne fut pas encore découragé, el mitle marin Laudon-
niere, qui avait déja fréquenté le littoral amérie~in, a la tete
d'une deuxieme expéditi,on. Laudonniere -choisit pour s'établir
les bords du San-Matheo. Les nouveaux venus, apres le chant
d'un psaume, poserent la premiere pierre d'un fort qui re<;ut
uussi le nom de Gúoline; mais ils n'étaient guere moins tur-


t· Voyage de Jean Ribaut, apud colJection Ternaux.-Compans, t. XX, p. 24.9
et suiv.
~ Laboulaye : Histoire politique des Etats-Unis, 1, 25" le{:on.




PREM[EllE PARTIE. - LES ORIGINES DES COt:.()NIES. t 1
bulents et moins índisicplinés que leurs devanciers, et quoíque
bien accueillis par les indigfmes, ils ne tarderent poínt par leurs
exactions a s'en faire halr, en meme temps que leur folle impré-
voyance les mena.;ait de la famine. Quelques· uns, sous prétexte
d'y échapper, arracherent a leur chef une permission de se


·rendre a la Nouvelle-Espagne, comme on appelait alors le
Mexique, et se firent pirates al1 líeu d'y accoster. lIs tomberent
pour la plupart aux maíns des Espagnols, quí les vendirent
comme esclaves, et Laudonniere traita les autres en écumeurs de
mer, quand ils revinrent au fort Caroline. La dísette commen.;ait
a y devenir extreme, et les colons parlaient de se rembarquer a
tout hasard au moment OU Ribaut apparut, amenant des provi-
SiOIlS de toute espece, des graines potageres, des instruments de
labour, des émigrants avec leurs familles él diverses es peces
d'animaux domestiques. La colonie se crut sauvée, et quelques
ruoÍs apres elle était ariéantie 1.


On avait appris en Espagne, et par le canal de la cour de
France, s'íl faut en croire les protestants fraw;ais, la nouvelle
d'une installation de huguenots dans la Floride, a une époque ou
Phílippe II songeait précisément a faire dans ce pays de nouvelles
tentatives el avait Illeme désigné la personne qui devait y pré-
sider. C'était Pedro Aviles de Melendez, qui ne s'était pas moins
distingué dansune carriere militaire déja longue et dans ses
courses contre les pira tes par sa· grande bravoure que par sa
froide cruauté. Si la pensée de chAtier des hérétiques était bien
faite pour pIaire au sombre et . fanatique monarque, celle d'une
pareílle exécution' ne pouvait répugner a son instrumento Melen-


. ded'-accueillit au contraire ave e bonheur, et, faisant toute la dili-
gen~' possible, réussit, a la faveur d'uJ.l orage qui avait jeté a la


". cÓteles vai~seaux de Ribaut, a surprendre le fort CaroliiIe, dont
tous les défenseurs périrent dan s un ruassacre, a part quelques-
uns, tels que le peintre Le Moyne, dit de Morgues, et Laudon-
niere l~i·meme, assez heureux pour s'etre échappés dans les bois.
Les na~'fragés furent découverts a leur tOU1', et 'sur l'invitation de


f C. F. Hist. Nouv.-France, J, 24-106; L'Escal'bot: La Nouvetle-France, 1, 41.
129; Basanier : Histoire notable de la Floride, Paris, 1586.




12 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTIUONALE.
Melendez de se fier a sa miséricorde, se constituerent prison-
niers. Cette miséricorde devait etre la mod pour eu"X. tous, si ce
n'est pour quelques catholiques et pour quelques ouvriers pro-
testa11ts dont on fit des esclaves. Le reste fut massacré, non
comme Fran9ais, mais comme hérétiques 1, suivant les paroles de
Melendez, et ils étaient neuf eents, d'apres le compte de de Bry,
dans sa Breve ReLation 'l. Cet acte atroce -pa.'6'6a. ina.-per~u a la. cour
de Catherine de Médicis et de son fils; mais un cadet de Gaseo-
gne, qui avait été tour a tour soldat, prísonnier et galérien chez
les Espagnols, des mains desquels l'avait retiré le grand maUre
de Malte, en tira une vengeanee exemplaire. Dominique de
Gourgués l'ayant appris vendit ses biens et, joignant au produit
de cette vente les cotisations de quelques amis, équjpa trois vais-
seaux que montaient cení cinquante hommes et fit voile pour la
Floride. n surprit deux des forts qui défendaient l'embouchure
du San-Matheo, saceagea le principal établissement des Espa-


, gnols et· pendit- ses prisonniers, en pla~ant au-dessus, de leurs
tetes l'inscription suivante, gravé e au fer rouge : Je ne fais cecy
comme a Bspagnols, ny comme a mariniers, mais cOmme ti trattres,
voleurs et meu1'triers (1567-1568)3.


Des vaisseaux anglais, conduits par lesdeux Cabot, Jean et Sé-
hastien, son illustre fHs, avaient touché les premiers dans les
parages du détroit de Belle-Ile, ce continent meme de l'Améri-
quejauquel Cqlomb ne devait aUerrir que quatorze moís plus
tard sur la cóte de Paria. La deuxieme expédition du pere et du
fils, qui eut lieu en 1498, ne parait pas avoir eu pour seul but de
nouvelles découvertes et se liait dans la pensée d'Henri vIi,
comme ceHes de Rut et de Hore devaient se líer plus tard dans
la pensée de W olsey et d'Henri VIII, a un projet d' établíss~IIient
colonial. A ceUe époque, toutefois, le gouvernement e,t, la ¡íation
britanniqJle regardaient toujours l'Inde comme la souree des plus


f El que fuera herego morira, voila ce qu'on lit dans l'Ensayo chronologi~o
(75-76), dOllt l'auleur, suivant la remarque de M. Bancroft, s;est faít l'admirateur et
l'apologiste de Melendez.


2 Brevis narratio eorum qure in Florida Americm acciderunt, Franefort, 1591.
3 Reprise de la Floride par fe co.pt"tainp Gourgues, apnd eoll. Ternallx-


Compans, t. XX, p. 249 el suiv.




.\ "


PREl\Ii~mE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 13
gra.ndes richesses, el. trouver un moyen de s'y rendre plus court
que la voie du cap de B~nne-Espérance dem~urait aussi le
grand but proposé a leu1's navigateurs. Apres avoir cherché trois
fois, rpais en vain, ce passage par le nord-ouest de l'Amérique,
on résolut de l' essayer par le nord¡est, et Willoughby et Chan-
cellor re<;urent mission d'arriver au Cathay en doublant les pro-
montoires septentrionaux de la Laponie. Des deux marins, l'un,
Willoughby, périt de {'roid dans un havre lapon, tandis que son
compagnon gagnait le port d'Arkangel, décol1vrant pour ainsi
dire la Moscovie (1554). Le gout des aventures maritimes et des
possessions lointaines propre a une nation insulaire, Tatos divisos
orbe Britannos, trouva dans Élisabeth une protectrice intelligente
et zélée. Les particuliers s'en melerent, et l'un des plus audacieux
marins connus, dont le capitaine américain Hall a retrouvé les
traces, en recherchant celles de l'infortuné Sir .John Franklin, Fro-
bisher, osa s' aventurer, sur une frele pinasse, dans les dangereux
parages du détroit de Davis et de la mer de Baffin. Une pi erre qu'il
en avait rapportée et que les joailliers de Londres déclarerent rem-
fermer de 1'01' éveilla dans les esprits cette singuliere iUusion que
les glaces des régions arctiques abondaient en gisements a~Jriferes,
et l' on vit des marchands, des bourgeois, des cadets de famille
s'embarquer a la recherche de ce nouvel Eldorado. Élisabeth, peu
prodigue de son naturel, voulut toutefois défl'ayer en partie l'ex-
pédition nouvelle, qui fut placée sous la conduite de Frobisher
et composée de quinze navires. Douze devaient immédiatement re-
'venir chargés du précieux métal, et les trois autres rester af-
fectés au service de la ruture colonie. On devine trop facile-
ment l'issue d'une entreprise aussi chimérique. Au lieu des ri-
ches giles d'or qu'ils avaient revés, les aventuriers ne rencontre-
tent que des brouillards, qui égarerent les pilotes, et d'irnme'nses
blocs de gláces flottantes, qui faillirent plus d'une fois broyer les
navires. 11s avaient donné dans le délroit qui a pris plus tard le
nom d'Hudson, et Frobisher, convaincu qu'il était sur la voie
du passage, aurait volontiers poussé en avant, s'd ne lui avait
fallu sacrifierses inclinations de marin a sa besogne mercan-
tile, et s'efforcer de gagner la latitude ou se trouvaient les p~é­
tendues mines d'or. Apres mille périls que lui firent courir des




14 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
courants inconnus, des roches a fleur d'eau des cOtes bas"es
et presque toujours noyées dans les brumes, il atteignit enfin le
détroit de la comtesse de Warwick. Les volontaires étaient décou ...
ragés et les matelots prets a se mutiner. Le projet de colonisation
fut abandonné, et l' on ne songea plus qu'a retourner en Angle-
terre, plus modestement qu'o'n n'en était parti (1578).


Tandis que la cupidité d'Élisabeth et des citadins de Londres
recevait cette sévere le(ion, sir Humphrey Gilbert s'occupait d,es
pecheriesdeTerre-Neuve et formait le plan d'llne col'onie nouvelle.
Tour a tour soldat et membre du parlement, auteur d'un livre ju-
dicieux sur l'art nautique, on l'estimait encore pour son esprit
ferme etsa piété vraiequoique intolérante. Gilbertobtintsanspeine
des leUres patentes, basées sur les idées commerciales du temps
et qui lui concédaient a perpétuité les terres qu'il se proposait
de coloniser, pourvu que l'entreprise fut achevée daus un délai
de six années. Ces lettres reconnaissaient aux futurs colons les
droits des regnicoles et conféraient a Gilbert l'autorité tant exé-
cutive que législative, avec haute et basse juridi,ction dans les
plus vastes limites territoriales. Il se mit aussitót a réunir un
noyau de volontaires, subvenant avec libéralité a tous leurs be-
soins. Mais le voyage n'était pas commencé que des broúilles et
des divisions en avaient déja compromisl'issue, et quand, en 1579,
ilfallutprendre la mer, il n'y eutguere as'embarquerque lui-meme
et quelques-uns de ses plus fermes amis parmi lesquels on a cru,
mais sans certitude, que se trouvait son beaú-frere, le fameux
Walter Raleigb, rancien éleve de Coligny dans la carriere des ar-
mes et le brillant courtisaÍl d'Élisabeth. Des deux vaisseaux équi-
pés par Gilbert, l'un se perdit et l'autre regagna l' Angleterre. En
vain essaya-t-il, afin de prévenir la péremption de ses dro~ts,
d'accorder des concessions territoriales: aucun concessionnaire
ne réussit a fonder un établissement durable, et lui-meme s'é-
tait trop appauvri pour renouveler son effort.


Dans ces circonstances, le génie actif et aventureux de Raleigh .
viot au secoursde son beau-frere, et celui-ci, quatre ans apres son
irnmcces primitif, put équiper une petite flottille qui appareilla
sous les meilleurs auspices. Le voyage ne constitua néanmoins
qu'une série interrompue de contre-temps et de malheurs.





.' ./.~:.~." .. :~ , .


"1


PREMII1:RE PARTlE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 15
D'abord )e capitaine du navire le plus fort qu'avait équipé Ra-
leigh, resté lui-meme en Angleterre, prétexta de maladie a son
bord pour rentrer a Plymouth, deux jours apres l'avoir quitté. A
Terre-Neuve, ou Gilbert rendit les Espagnols et les Portugais té-
moins de sa prise de possession, l'indiscipline gagna ses équi-
pages, composés en grande partie d'hommes qui avaient tous les


. vices alors habituels a leur profession et cherchaient a piller tout
ce qui tombait sous leurs mains. L'expédition, en reprenant la
mer, mit le cap au sud; mais parvenue a la hauteur de Wiscas-
set, un des navires toucha par la négligence de son pilote et fit
naufrage. Une centaine d'hommes périrent, et dans le nombre un
minéralogiste allemand dont on aUendait de grands services,
ainsi qu'un Hongrois qui devait étre l'historiographe de l'entre-
prise. Il parut alors nécessaire de retüurner en Angleterre. 'Gil-
bert avait pris passage st1"r le Squirrel, chétive barque de dix ton-
neau~, mais tres-commode pour s'approcher des cotes et entrer
dans tous les havres. Il ne voulut pas 9éparer son sort de celui de
ses compagnons de péril et suivit la Hind, son autre navire. Le
temps était des plus rudes, et de vieux marins confessaient n'avoir
jamais vu une mer plus vilaine. La nuit vint, sombre et tempe-
tueuse, et tout a coup, a bord de sa conserve, on cessa d' aperce-
voir les fanaux du Squirrel. Personne n'en a jamais eu de nou-
velles; quant a la Hind, elle gagna heureusement Falmouth.


Lutter contref la résistance des choses et les caprices de la for-
tune est l'honneur et souvent le devoir de la volonté humaine,
quoiqu'un succes final ne soit nullement le prix assuré de son
énergie et de sa constance. Raleigh en a fait l'expérience. Pen-
dant vingt années d'une vie tres-active, d'une vie melée a la po·
litique et aux intrigues de cour, il n'oublia pas un instant s'a pen-
sion favorite : il ne cessa d' envoyer en Amérique des vaisseaux,
des hommes, de l'argent 1, ~t, lorsqu'en 1603, il fut jeté en prison
par le roi Jacques Ier, qui vengeait ainsi la ruine et la mort du
comte d'Essex, son ami, il n'y avait pas un seul village anglais
sur les rivages de la Caroline; suivant la vive expression de


t On a évalué a 40,000 livres sterling1 soit un million de nutre monnaie, les
sommes consacrées par Raleigh a ses diverses expéditions américaines. Cettesomme
représenterait aujourd'hui une valeur huit fois plus grande. _ ....-.~


O
.. ~~




1G LES ÉTATS-UNIS DE L'.HIÉnIQU(j¡ SEPTENTRIONALE .
• Dancroft, il n'y avait que des tombeaux. Singulier jeu de la


destinée 1 Ce fut surtout a la Tour de Londres que, par sa plume,
Raleigh servit le mieux les intérets dé ceUe colonisation nais-
sante, et les écrits qu'il pubJia alors, entre autres son Histoire du
monde,. forment, a tout prendre, ses titres les plus éclatants, les
plus purs a l'admiration d'une postérité moins partiale que les
contemporains, et qui a trouvé dans la carriere publique de ce
personnage des taches assez nombreuses a cOté d'un grand
éclat. Raleigh demeura: douze ans a la Tour, et n'obtint d'un roi
rancuneux et besoigneux qu'une liber.té provisoire et une grace .
comme subordonnée a la découverte de mines d' or 011 d' argent a
la Guyane. Il ne les trouva point, et, dans sa traversée de retour,
il se vengea de sa mauvaise fortune en pillant l' établissement es-
pagnol de Saint-Thomas. Jacques avait assurément le droit de
punir une conduite qui le compromet(ait av~c J..!Espagne, bien
que dans les idées relachées du temps la piraterie trouvat faci1~­
ment grace, et qu'aujourd'hui nieme on se souvienne plus volon-
tiers chez nos voisins des prouesses nautiques de Drake que de ses
effrontés pillages. Mais ce monarque aux dispositions peu géné-
reuses, et dont les quelques qualités memes découvraient un fond
peu royal!, préféra ressusciter l'accusation et la sentence portées
contre Raleigh quinze ans auparavant. En vain Raleigh plaida-
t-ille pardon au moins implícite qu'il.avait reeu; la sentence'itit
maintenue, et le lendemain, agé de soixante-dix ans, souffrant
des .suites d'une attaque qu'il avait éprouvée avant son départ
pour la Guyane, il porta sa tete sur le billot, mourant avec une
fermeté et un courage dignes de lui-meme et laissant « l'exemple
« d'un des plus effroyables abus de justice que se soit jamais per-
« mis la tyrannie 2. »


Ccpendant, l'expédition que prépara Raleigh apres le naufrage
de Humpprey Gilbert, si elle n'aboutit a aucun résnltat durable,
eut du moins ce bon effet qu'elle agit beaucoup sur les esprits et
les disposa de plus en plus a de nouveaux efforts. Elle était pla-


;}\
I « Even in bis vil'tues and accomplissements, there was something eminently


unkingly, » a dit lord Macaulay. (The history o( England, J, 73" éditi¡fn Tau-
chnitz.) .


:.: Laboulaye : llisloire politique, J, 4" lecon.
~ .




" 1, r .~~'. ., _ .
, ~ .


pUEl\nimE pARTIE. - LES OnIGINES DES .COLON1ES. 17
cée sous les orures ue sir Arthur Barlow et de' s,ir Philip Arnydas,
et quitta les ports de l' Angleterre au printemps ge1584. Apres un "
court séjour aux Antilles, elle longea les eMes de la-Caroline sep-
tentrionale, et pénétra dans le premier havre qui s'offrit a elle.
C'était la profonde échancrure d'Ocracock, que barre un groupe
de petites Hes, dont la plus méridionale est ceUe de Wocoeken,
'Sur laquelle Arnydas et Barlow accomplirent la eérémonie de leur
prise de possession. La beauté d'un paysage que recouvrait une
végétation puissante, que bordaient de hautes forefs el qu'illumi-
nait un soleil radieux, eette beauté ravit les Anglais, non moins
que la douceur des naturels, qui paraissait en harmonie avec le ,
ton général de la scenc, et dont ils re~urent un tres- bon accueil.
Il y parut bien aux récits qu' Amydas et Barlow, de retour en An-


, gleterre, firent de leur court et superfieiel voyage, qui se borna
. en somme a l'exploration de l'ile Roanoke et des lagunes d' Albe-
marle et de PamIíco. « Ils assurerent que les Indi€ns étaient si
(\. affables et d'un si bon naturel, si éloignés de toute sorte de po-
(\. litique et de ruse CJu'ils ressemblaient pIutót a de la eire moHe
«( qu'a des gens capab1es de s'opposer a l'établissement des An-
« glais dans leur roisinage. Ils représenterent que c'était un beau
«( champ ouyerl a la bonne reine Elisabeth poul' y planter I'Evan-
« gile et y étendre sa domination, et que la Providence, qui avait
« fait échouer toutes les tentatives précédentes, semblait avoir ré-
« servé le succes de cette enlreprise a Sa Majesté. Pour s'attirer .


/,1' « d'ailleurs plus oe créance, ils amenerent deux Indiens, dont
~(,~. «'l'un s'appelait Wanchese et l'autre Manteo 1.»
-.~, La « bonne reine» preta une oreille complaisante a ces récits;


• ¡-


,,' elle permit volontiers qu'en souvenír de sa virgil)!té suspecte, on
,\ :" ~onnat le nom de Virginie a la contrée nouvellement découverte ;


'mais elle n'encouragea point de la moindre libéralité les entre-
prises auxquelles se livrerent, de 1585 a 1606, sir Richard Gran-
vil le; Cavendish, plus tard célebre par un voyage autour du
tnonde; Harriot, l'inventeur du systeme de notation de l'aJgebre


" moderne; le peilltre Witb, dont les esquisses virginiennes ornent
l' ,tdmiranda relatio 2 de de Bry, et tinalement J olm White. Quand ,"~5~\~- ,1 Ueverley: llisloire de la Virginie, París, 1707, p. 4.


," " , • '," 2 Frar.cfol't-sur-Mein, 1590.
2





1 ~ LES ÉTATS- UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ce dernier toucha, en juillet 1587, a l'ile de Roanoke, quelques os-
sements épars sur le sol et des pi~rres dispersées lui indiquerent
seuls ee qu'étaient devenus le fort qu'avait bati Granville et la
faible garnison qu'il avait laissée pour le défendre. Ces Indiens,
si paisibles dans les relations de Barlow et d' Amydas, avaient
massaeré l'une et démoli l'autre. FideIe aux instructions de Ra-
leigh, White eut désiré transporter dans la baie de la Chesapeake,
dont les avantages étaient déja visibles, la plantation détruite de
Roanoke, mais la mauvaise volonté de son pilote le eontraignit
a la rétablír. Le nouvel établi'sement languit eomme l'aneien, et
bientót les eolons, aigris et déeouragés, insisterent pour que leur
chef allat en personne quérir dans la mélropole les seeours dont
ils avaient un extreme besoin. Quand White revint, apres une
absenee prolongée pendant une longue année, l'ile de Roanoke
était de nouveau déserte: une inscription gravée sur l'écorce d'un
arbre indiquait eomme le líeu ou les eolons s'étaient transportés
l'ile de Croatan, résidenee du fideIe Manteo, quí s'était fait ehré-
tien el que Raleigh avait élevé au rang de baron féodal, sous le
titre de lord de Roanoke. La saison et la crainte des orages cm..,..
peeherent de s'y rendre, et le sort des eolons est resté un mys-
tere. Une tradition, qui s' est eonservée longtemps parmi les indi-
genes, veut que les fugitifs aient été adoptés par une tribu des
Indiens Hatteras, et explique de la sorte le mélange de raees que
semblait dénoter l'apparen<;.e physique de eette tribu j.


Jaeques Ier, loin d'etre un prinee belliqueux, tressaillait et dé-
tournait la tete a l'aspeet d'une épée nue, faiblesse que les phy-
siologistes out expliquée par l'impression qu'avait re«;ue sa mere
dans une oeeasion terrible, alors qu' elle en était enceinte. Mais
I'agrandissemeilt de ses États par des voies pacifiques souriait
beaucoup a son orgueil et a son sentiment excessif de l'autorité
royale ; i1 écouta done avee eomplaisanee les offres de eoloniser
l' Amérique septentrional e que lui soumirent d~s hommes tels qne
sir Ferdinand Gorges, sir John Popham, Gosnold et Hakluyt.
Gorges était un particulier riche et titré a qui la vue d'Indiens
amenés par le navigateur George Weymouth et leurs dires avaient


f Bist. o{ unit stat, 1, 79-83.




:~:: - ". ~. \ ..
. ,


PREMI~~RE PARTIE. - LES OnIGINES DES COLONIES. 19
inspiré un vif désir de posséd~r des terres au deJa de l' Atlantique.,
Popham exerfiait la premiere charge judieiaire de l' Angleterre.
Quant a Gosnold et Hakluyt, l'un venait de pénétrer dans lá baie '1;
de MassachuseUs et d'atterrir au cap Cod, tandis que l'autre, géo-
graphe éminent et correspondant de tous les navigateurs contem-
porains, prenaif un iI1téret aussi passionné qu'intelligent a tous
les efforts que ses concitoyens pouvaient tenter pour agrandir la
connaissance de l'Amérique ou s'y établir. D'accord avec les
nouvelles idées commerciales et coloniales qui tendaient a pré- .
valoir, ef que la Holland.e avait déja appliquées, ce fut a deux com-
pagnies de Londres, dont les chefs étaient sir Thomas Gates, sir
Georges Summers et Hakluyt lui-meme, que la concession de la
Virginie fut aceordée, et eette circonstance, en apparence assez
insignifiante, peut néanmoins fournir une explication prélimi-
naire et générale de bien des faits et de bien des choses que ce
récit déroulera. Ce n'était pas un gouvernement que la eh arte de


, Jaeques établissait dans la colonie, mais seulement une as socia-
tion eommerciale, avec son direeteur, son conseil d'actionnaires
et sa gérance en pays lointain. On confioit áinsi comment un
esprit de liberté et d'indépendance ait pu s'implanter en Amé-
rique avant que le métropole songeat a en prendre ombrage;
on comprend aussi comment ces colonies, qui étaient des fonda-
tions particulieres, qui s' étaient formées et qui avaient grandi a .
l' aide de leurs seules forces, ne se crurent pas tenues a de la recon-
naissance ,envers leur mere patrie, su'rtoutquand celle-ci ne crai-
gnait ni de léser leurs intérCts, nLd'attenter a leurs franchises 1.


La <lirection supremc de la colonie était dévolue a un conseil
supérieur dont le siége restait en Angleterre et dont la nomi~ation
appartenait au roi, tandis qU'UIl conseillocal et résidant en Amé-
rique dirigeait les affaires particulieres de chaque plantation. 14
con,cession du territoire était faite sons la charge d'hommage
féodal, et moyennant une rente évaluée au cinquieme du produit
'net de I'or et de l'argent et au cinquieme du cuivre que l'on dé-
couvrirait, tant l'idée que l'Amérique méridionale étan un nou-
vel Eldorado hantait encore les esprits. La compagnie ~tait au- .' /


• t Laboul3ye : Hút. po!., 1, 4" lecon.




20 . , . LES ETATS-UZ'US DE L AMElUQUE SEPTENTRIONALE,_
torisée a engager comme colons tous les sujets britanniques dis-


,


posés a passer dans le Nouveau-Monde, et a leur distribuer des
terres, suivant le mode et pour la durée que le consf'il colonial
fixerait. On leur garantissait ainsi qu'it leurs enfants les droits
civils appartenant aux regnieoles, mais on se taisait sur leurs fran-
chises politiques. Jaeques Icr les avait en horreur, et il s'était
donné la peine de tracer de sa main royale les statuts de la co]o-
liie naissante l. Tres:attaché a eette haute Église d' Angleterre, qui


. pretait allX prétentions du pouvoir absolu un appui si intéressé
et si servile, íl voulut en transplanter au dela des mers l'organi-
sation, la discipline et les rites batards 2, Il n'osa priver les émi-
gl'ants du jury criminel, dont l'institution tient aux plus vieilles
origines et aux plus solides aUaches des libertés britanniques ;
mais illaissa toutes les causes civiles a la discrétion du conseil el
de son président, investis également d'un pouvoir réglementaire
apeu pres sans limites.


Le 19 décembre 1606, les émigrants, au nombre de cent-cinq et
répartis sur trois btttiments d'un tres-faible tonnage, mirent a la
voile sous la conduite du capitaine Newport, commandant en
chef de l'expédition, et ceHe du capilaine John Smith, qui fut
la providence de l' établissement naissant et en a écrit l'histoire 3.
Newport fit route par les Antilles ;' au moment ou il tournait au
nord, un ouragan le jeta dans la magnifique baie de la Chesapeake.
Il entra ensuite dans une belle riviere, a laquelle on donna le
nom de riviere James, en l'lionneur du souverain de l' Anglete~re,
~t vint camper a cinquante milles environ de son embouchure, au


j
/-


f Story : Cornmentaries on the american constitution, éd. 1833, I. 22-23,
- ,2 « On soutenait gravement que I'étre supréme regardait d'un mil particulierement
favorable la monarchie héréditaire par rapport aux autres formes de gouvernement;
;que ,la loi de succession par ordre de primogéniture était une institution divine,
antérieure au chrislianisme et meme au mosai'sme ... ; que l'autorité royale était de
son essence, despotique, et qu'aucun pacte entre le sOllverain et le peuple ne cons-
iítuait autre chose qu'une ~éclaration des intentions actuelles du premier, sans POll-
voir atteindre la force et l'efficacité d'un contrato )} (Macaulay : History 01 En-
gland, J, 70), .


3 Sous le litre de General historie of Virgl:nia, New England and the summer
isles etc f'l'om, their {irst beginriing, anno 1584, bothe present day, 1632, in-4.°.


" 'lJ en a ét6 publié, en 1825, une autre édition, el c'est celle-ci que nous avons eue
~~us les 3'eux.




P.RE1\HERE PARTIE. -' LES OHIGINES DES COLONIES. 21
lieu, ou J amestown s' éleve aujol.Ird'hUi l. Lorsque., vers le milieu
de jain, Newport reprit la route de l' Angleterre, il laissait les co ...
lons dans un état pitoyable. On ne comptait parmi eux que douze
laboureurs, et ils étaient qllatre charpentiers contre quarante-
huit gentilshommes. Le climat, quí leur avait paru délicieux d'a-
bord, n'avait pas laissé ensuite, par ses chaleurs et son humidité
alternati ves, d'éprouver leurs santés. Leurs maigres provisions
s'étaient gatées pendant la traversée, et ils se voya.ient menacés
de la famine. La désunion, en outre, s'était glissée parmi eux : il
avait faUu déposer Wingfield, le présidentdu conseil, que son.
avarice avait porté, parait-i1, a s'attribuer les meilleures provisions
el qui méditait de fuir aux lndes occidentales. Rateliffe, son
suceesseur, manqua de ju~ement comme de savoir-faire, et la
tache de rel8\:'er la eo]onie échut au capitaine Smith.


Il semblait que celui-ci eút été prédestiné aux aventures les
plus romancsqucs. A pres avoir combattu pour l'indépendance
des Provinees-Unies, iI s'en fut guerroyer en Hongrie contre le
Croissant, devint l'ami de l'infortuné Sigismond Bathori et flnit
par tomber dans les mains des Turcs, qui l'envoyerent au marché
des esclaves a Constantinople. Aeheté par une dame compatis-
sante qui se proposait de lui renJre plus tard sa libert~, et envoyé
sur un de ses domaincs en Crimée, Smith y éprouva de la part
d'un inlendanl barbare les plus durs traitements. Il le tua, et,
montant a cheval, gagna les' frontieres russes, puis la Transyl-
vanie, et ii se préparait a rcyoir « sa douce patric, ») quand un
bruit de guerres intestines dans l' Afrique septentrionale I'attira
chez les Marocains. De retour enfin dans la Grande~Bretagne,
Smith y entendit de toutes parts parler avec enthousiasme ,des
Éta.fs qU'OIl se proposait de ronder sur les rivages du Nouveau-
Monde, et se joignit, comme onra VU, aux passagers de Newport.
rrandis que ceux-ei coupaient du bois ponr leurs futures cabanes,
il remonta la riviere James jusqu'a ses chutes, et s'aboucha avec
Powhattan, chef d'un village de vingt wigrams, situé sur l'empla-
cement meme qu'occupent aujourd'hui Riehmond, son eapitole,
ses larges rues et ses vastes magasins de tabae et de farine. Plus


t Smith : General hi-story, J, [50-153.




22 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉIUQUE SEPTENTIUONALE.
tard, dans les premiers mois de 1607, Smith reprit cette rout~, et
s'avan«;a meme dans l'intérieur des terres. Ses compagnons s'étant
écartés, furent surpris par un patti d'Indiens qui les mirent a
mort, et lui-méme retenu prisonnier. Les Indiens qu'il avait amu·
sés et quelquepeu terrifiés, en se servant devant euxd'une boussole
de poche, le traiterent avec de grands égards et finirent, apres bien
des incantations et des sortiJéges, par rendre Powhattan arbitre
de son sort. Ce chef campait alors sur les bords de la riviere
York; on lui amena Smith, dont il mit a son tour la vie ou la
mort a la disposition de ses guerriers, et e' est la mort qu'il eÍlt
subie san s l'intervention de Pocahontas, la jeune fille. du chef.
Smith avait su facilement gagner son enfantine tendresse: eHe
persuada si bien les Peaux-Rouges que non- seulement ils épar-
gnerent l'homme blanc, « qui devait faire des hachettes pour
« son pere et des colliers pour el1e-meme, » mais qu'ils ne tarde-
rent point a l'associer a leurs conseils et se mirent eux-memes en
relations habituelles avec les colons de J a mestown 1.


Ceux-ci .n'étaient plus que qual'ante, dont les plus valides
s'appretaient a prendre la mf:r, lorsque Smith reparut. Le retour
de Newport, qui amenait des secours, avec cent vingt émigrants,
causa rlans la colonie un contentement et une joie, par malheur
momentanés, cal' il n'y avait presque que des gentilhommes rui-
nés et des orfévres, et ces derniers « uniquement appuyés, a
« l'exemple du roi Midas, sur la puissance de 1'01', » comme
parle Beverley, jeterent l'activité de leurs compagnons dans une
mauvaise voie. Les travaux agricoles furent désertés, et de toutes
parts on lÍe vit plus que gens qui creusaient la terre et lavaieI1~
les couches de poussiere aurifere que leur offraient les environs de
J amestown. Dégouté de ces folies qu'il ne put empecher, et de nou-
veau sollicité par ses instincts aventureux, Smith entreprit la tache
périlleuse d'explorer la baie de la Chesapeake et les nombreux
cours d'eau qui en sont tributaires. Il en suivit le pourtourjusqu'a
la Susquehannah, visita les Mohawks} entra dan s le Potomac et
peut-etre dans le havre de Baltímore. A son reto nI' a Jamestown,
on l'investit des fonctions de président du conseil et il re<;ut un


f General history, etc., J, 158-6'2; lJ I :W-33




PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLON1ES. 23
nouveau convoi d' émigrants, parmi lesquels se trouvaient deux
femmes. Ce renforl n'ajoutait rien, d'ailleurs, a la force réelle de
la colonie, et Smith, perdanl patíence, écrivit aux directeurs . de
Londres « qu'il valait mieux lui envoyer une trenlaine de char-
« pentiers, de bucherons, de jardiniers, de ma<;ons et de forge-
« rons qu'un millier de colon s pareils a ceux qu'il avail déju· 1 • »


On ne l'écouta guere, quoique la Compagnie de Londres eut
éprouvé une sorte de révolution inlérieure, qui avait mis a sa
tete Cecil, l'implacable et heureux rival de Raleigh, et fait passer
dans ses mains les pouyoirs que le roí s'était réservés tout
d'abord. Les nouve.aux directeurs en userent pour nommer gou-
verneur général de la Virginie un homme vertueux et capable,
lord Delaware, et se haterent d'envoyer une nouvelIe expédition
en Amérique. Elle était composée de neuf navires, dont sept
seulement entrerent sans encombre dans la Chesapeake, l'un
ayant sombré a la hauleur des Bermudes, et un autre, qui por~
tait sir Thomas Gales, substitut de lord Delaware, resté provisoi~
rement en Angleterre, ayant échoué sur les cOtes de ce meme
archip~l. Les nouveaux venus formaient un rassemblement de
la pire espece : commer<;ants malheureux, libertins ruinés, gen-
tilshommes déchus, coquins vulgaires, et renfermait de tout, si
ce n'était de ces artisans vigoureux et honnetes que Smith avait
réclamés. Il eut besoin, pour maintenir parmi eux quelque dis-
cipline, d'y employer toute sa volonté, toute son énergie, et
réussit, toutefois, a ce point qu'il médilait de IlOUyeaUX établis-
sements, lorsqu'un accident dont il fut victirnc1 el qui mil en
défaut tout l'al't des médecins du líeu, le for<;3 d'invoquer la
science supérieure des praticiens de la métroI;>ole. Ce. départ
laissa une libre carriere a toutes les passions mauvaises qui fer-
mentaient au sein de la communáulé. Les vivres furent dilapidés,
'et les Indiens, qui ne subissaient plus le prestige de Smith, refu-
~erent de nouveaux approvisionnements; ils en vinrent meme au
propos délibéré de ,bloquer el d'affamer les colons. La famine
qui s'ensuivit décida une trentaine d'entre eux a se saisir d'un
biHiment et a se faire pirates. Des qualre cent quatre-vingt-dix


I General history, etc., J, Li3-202.




24 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉHIQUE SEPTE~THIONALE.
personnes que Smith avait laissées en bonne s::mté, il nten 1'estait
plus que soixante six mois apres son départ, encore étaicnt-elles
si exténuées qu'une mort prochaine devait étre leur partage iné-
"itable, s'jl ne surgissait pas de quelque part un secours aussi
prompt qu'inespéré.


Sur ces enlrefaites et le 25 mai 1610, sir Thomas Gates, qui
avait pu gagner le rivage ayec son ~quipage d 'ses passagers et
s'était construit deux batiments, au moyen tant des débris de son
propre vaisseau que des cedres des Bermudes, sir Thomas Gates
prit terre sur la péninsule de J amestown, Il s'attendait a un
joyeux accueil, et ce fut au milieu d'une sccne de deuil qu'il
tomba. QlIatre pinasses étaient mouillées dans la riviere, et les
colons, rédults au dé~espoir, se préparaient a y prendre place et
a faire voile pour rrerre-Neuve. Dans leur exaspération enfantine,
ils voulaient auparavant incendier leurs cabanes, ce que Gates
eut bien de la peine a empecher. Il quitta le dcrnier la planta-
tion, et l'on se mit a descendre la riviere. Le lendemain, on
ayait presque atteint son embouchure J lorsqu'on rencontra une
em barcation portant a sa poupe le pavillon anglais : c'était la
grande chalonpe du vaisseau qui transportait lord Delaware. Les
p;nasses virerent de bord, et dans la nuit meme les fugitifs,
fayorisés par la brisc, se retrouyaient dans leurs abris dé-
ser tés 1.


Des actions de graces publiques solenniserent cette heureuse
délivrance, et les cceurs, en se rouvrant a la joie, embrassercnt
aycc confiance la perspective d'un meilleur avenir. Les gran 'es
épreuves de la colonie avaient, en effet, attcint leur terme, et les
douze années qui suivirent, s:ms étre cxemptes de traycrses, la
"Virent marcher d'uD pas un peu lent mais inintHrompu dans la
double yoie de la yie chile et des franc1lÍse5 poli tiques. Lord De-
laware, que sa mauvaise santé for()a de la quitter en 1611, n'y
avait pas laissé plus de deux cents personnes, et quoique 'Shaks-'
peare aIl110n()ttt a son pays, en vers pompeux, la possession d'nn
hémispbere


Wherever the bright sun of heaven shall shine


i Ilistoire de la rirginie, '28-33; lJist o{ tmit. stat., 1, 109,




pUE~lljmE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONlES. 2;1
Bis honour and the greatness of hi¡¡ llame
ShalI be, and make new nations f.


el qu'une pélition eut avisé le parlement que ce pays n'avait
plus besoin que de « quelques lIonnCtes laboureurs, bi!3n pour-
vus d'enfants, » les Anglais ne se hRtaient pas de prendre le
chemin de la Virginie; et les colons se plaignaient meme d'etre
I'objet, sur la scene anglaise, de calomnies grossieres ou de plai-
santeries indécenfes. Peu de femmes jusqn'alors s'étaient risquées
a franchir I'Atlantique et ce n'étaient pas des femmes d'une mo-
ralité bien austere. De 161 9 a 1021, ceUe situation changea :
sir Edwin Sandys, qui dirigeait alors la Cbmpagnie de Londres,
décida quatre-vingt-dix jeunes filIes de bonnes mamrs et de tenue
décente a se joindre an convoi de donze cents et quelques per-
sonnes qu'il fit partir pour l' Amérique. On ]~s unit a des tenan-
ciers de la compagnie ou bien a des colons qui avaient sollicité
lenr venue, et qui acqu'itterent les frais de leur passage. Ce pre-
mier convoi fut suivi assez promptement d'un second qui en
comprenait soixante autres. L'impulsion était donnée, et, dans
un espace de trois ans, la Virginie revut trois mille cinq cents
p3rsonnes, parmi lesquelles U se tro11vait un petit nombre de ces
puritains que la persécution religieuse dirigeait en ce temps
meme vers un antre point du Nouveau-Monde .


.cet empressement reconnaissait sa cause 'dans la suppression
de l'obstacle meme ql1i l'avait prévenu ou retardé. On a vu que
Jaeques, dans sa charte, avait passé sous silence les droits poli-
tiques des colons, et ces droits, aueun aete nouveau n'était vcnn
les leur conférer. lls avaíent me me aecepté saTIS trop de répu.,
gnance le régime militáire son s lequel ils furent placés par
sir Thomas Dale, qui rempla<;a lórd Delaware. Tant que ce
régime ne dépassa point cerlaines bornes, les Virginiens conli-


f « Partout ou brille le radieux soleil du cíel, partout hrilleront aus!>i J'honneur el
la grandeurde son nem et elle fera des nations nouvell~s. » J'emprunte la citation
a M. Bancroft. La prophétie s'est accomplie; mais le nom de l' Angleterre est-i1 béni'
des peuples? Un autl'e grand poete, Byron, a dit de nos jours : « Tu !le sais pas com-
bien ton grand nom est ha! de~ peuples : »


How thy great lJ~mc
Is abhorred througout rhe "orId,




LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉUIQUE SEPTENTRIONALE •


• ~ ......... Hl~l'eJDt de l' endurer; mais il leur parut tout a fait intolérable
quand a Thomas Dale, qui savait, quoique ancien soldat, y


r·, mettre de la mesure, eut succédé un jeune officier de marine,
\ Samuel Argall, homme auxpassions violentes et au tempérament


arbitraire. Les planteurs ne travaillaient plus pour eux-memes ;
la mise en servitude durant un temps donné était devenue une
pénalité vulgaire et qui chtttiait les plus légeres offenses; enfin,
la vie des colons était a la merci des caprices de leur fantasque
gouverneur. Ce fut précisément a la suite d'une condamnation il
mort sans motifs qu'ils porterent leurs doléances non devant le
roi, mais devant la Compagnie. Celle-ci, apres des tiraillements
tres-vifs, car les moyens violents comptaient assez de partisans
dan s son sein, finít par destituer Argall, en le rempla«;ant par
Yeardley, dont le caractere était dOllx et les disposilions bien-
veillantes. Pour ses débuts, il remit les planteurs en pleine pos-
session des fruits de lenr travail, consolida leur possessíon terri-
toriale, et peu a peu substitua le régime civil a l'empjre de la loi
martiale. 11 couronna ces bienfaits en raisant participer ses admi-
nistrés a la puissance législative, et le moís de juin 1619 vit la
premiere réunion dJune assemblée coloniale, qui fut composée
du gOllverneur, du conseil, et de deux bourgeQis pour chacun des
onze bourgs alors existant dans la Virginie. Ses actes n'ont pas
été recueillis, et il ne parait pas qu'ils re«;urent l'appl'obatiQn
de la Compagnie, sans laquelle ils restaient privés de force légale;
mais la tradition s'accorde a leur attrilmer, en général, un ca-
ractere judicieux, et, des ce moment, les idées que nous appelons
aujourd'hui libérales avaient trouvé de l'autre cóté de l' Atlanti-
que un terrain solide et qu'elles ne devaient pas laisser sans
extension ou sans culture 1.


Peut-etre un de ces actes consacl'a-t-il d'une fa.;on formelle
un autre changement tres-heureux, et qui avait commencé de
s'introduire dans l'administration de sir Thomas Dale: on veut
dire l'appropriation individuelle du sol. Dans les premiers temps,
les terres étaienl demeurées indivises; on avait labouré el récol-
té en commun. Dépouillé de l'intéret personnel, son stimulantle


i Story: Commentaries, etc., J,2G. - llist. afHnit. stat., 1, 115-119.


r




PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONlES. 27
plus énergique et le seul de ses mobiles qui ne dépende ni du
lieu, ni de la race, le travaillanguitet l'amvredu défrichement res-
ta stationnaire. Thomas Dale accorda des concessions individuel-
les, fixées a cinquante acres par chaque nouvel émigrailt, distri-
bua des terres a titre de récompense, et disposa que personne ne
pourrait s'approprier plus de deux mille acres. Quelque imparfaite
que cette législation fut encore, elle favorisa la division du sol et
facilita l'accession de la propriété terrienne a bon nombre de co-
lons. En 1620, on procéda au partage des terrains resté s dans
l'indivision. « Chacun alors, instruit de ce luí qui lui appartenait
(e en propre » dit le vieil historien Beverley, dans son langage
naIf, « et persuadé que son travail tournerait a son profit, plu-
(e sieurs devinrent fort industrieux,et l'on tacha de se surpasser
«. les uns les autres. On résolut de ne donner des terres qü'a ceux
« qui apporteraient des effets ou qui am{meraienl un certain nom-
« de personnes pour augmenter la colonie; et nos gens com-
« mencerent alors a s'imaginer qu'ils étaient le plus heureux
« peuple du monde 1. » L'induslrie coloniale prit en meme temps
unedireclioIl meilleure. Elle s'était épuisée jusque-Ia a produire
du verre, du goudron, du savon, produits dans lesquels elle ne
pouvait rivaliser avec les pays scandinaves : elle les abandonna
pour embrasser en grand la culture du tabac, a laquelIe on s'é-
tait aper'iu, en 1615, que le sol convenait a merveilIe. Cette cul-
ture prit vite le plus grand développement, et le tabac devjnt la
monnaie courante du pays'et la mesure commune de sesvaleurs.
La plupart des taxes publiques se payerent en tabac, ainsi que
les émoluments des fonctionnaires publics, et le biographe de
Palrick Henri nous apprend que meme en 1758, c'est de la sorte
que le clergé anglican était payé 2.


Ce fut a ce moment meme et a la veille d'un autre événement dé-
cisif que la colonie faillit disparaitre dans une catastrophe. Le chef
Powhaftan était mort en 1618, cinq ans apres avoir uni sa filIe a


f lIistoire de la Virginie, 55-56.
2 Le budget du clergé anglican était arrété, en 1748, a 60,000 livres de tabaco


Le prix de la livre était fixé a déux pences, ou a seizc schillings et huit pences le
quintal, (Wirt : Life o{ Patrick llenry, 24, cité par Laboulaye.)C'était a peu pres


/ quatre sous et douze livres huit sous de notre ancienne rnonnaie. .




28 LES ÉTATS· UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
John Rolfe, jeune Anglais aimable et enthousiaste, qui venaitel'arri-
ver en Virginie. Son plus jeune frere hérita ele son influence, mais
non ele sa bienveillance a l'égard eles colons et prépara contre
eux, elans le plus granel mystere, en gardant jusqu'a laderniere
heure les apparences d'une amitié complete, une agression for-
midable et destinée a les anéantir jusqu'au dernier, si une cir-
constance ne l'eút en partie déjouée. Dans la nuit meme OU elle
devait éclater, un Indien convertí vint a Jamestown et prévint des
clesseins de FOn chef un Anglais auquelil était aUaché, de
sorte que les sauvages, trouvant la ville el les plantations les plus
voisines dans un bon état défensif, s'enfuirent a la hate sans
avoir rien tenté. Mais, dans les plantations éloignées, les Peaux-
Houges menerent a bonne fii!- leal' ~uvre sanguinaire, et tom-
bant de-nuit, a la meme heure et ele toutes parts, sur une popula-
tion dépourvue de la moindre défiance, massacrerent les enfants, .
les femmes, les hommes et les missiannaires, avec une barbarie
impitoyable et les raftlnements les plus cruels. II n'y eut pas
moins ele trois cent quarante-sept personnes mises a mor!
dans l'espace d'une heure, et la premiere impression de terreur
et de découragement fut telle parmi les colons qu'ils laisserent
penelant quelques mois leurs cbamps incultes et que ele quatre-
vingts le nombre eles plantations tomba a huit. Par bonheur, il
leur arriva d'Angleterre eles encouragements, et le roi Jacques
leur envoya, avec des armes rebutées qu'il prít dans la 'rour de
Londres, de généreuses promesses qu'iI se garda bicn de tenír,
et des commissaires dont les rapports amenerent la díssolution de ,
la Compagnie (1 G?-i).


Quanel cette mesure la frappa, iI y avait trois ans a peine
qu'elle avait doté la Virginie d'une constitution écrite, qui consa-
crait la réunion annuelle d'une assemblée annuelle, composée
comme l'avait été ceHe de 1619, et lui remettait l'exercice com-
plet du pouvoir législatit", sous la réserve de sa propre sanction.
On peut aisément croire que ce libéralisme ne lui valut pas l'ap-
probation d'un prince aussi hostile a toute liberté que l'était Jac-
ques et auquel Gondemar, l'ambassaeleur espagnol, elépeignait les
assemblées yirginiennes comme « le séminaire d'un parlement
séditieux.)) La Compagnie, d'ailleurs, s'en était fait un cnnemi




PREMIERE PAHTIE. - LES ORIGI~ES DES COLONIES. ~y
pOUl' ainsi di re personnel en refusant de prendre son trésol'ier sur
une liste de courtisans que Sa Majesté lui désignait. Sa' perte fut
des lors certaine : Jacques envoya des commissaires en Virginie,
et ceux-ci, n'ayant pu obten ir des colol1s qu'ils renol1¡;assent a
leurs franchises, prirent le parti d'exagérer les torts de la Com-
pagllie et de conclure a la restauratjon de la charte primitive. Ce
fut ce qui arriva, et des juges a la discrétion do la couronne n'hési·
terent pas a priver la Compagnie de son privilége. Sa chute n'ins-
pira en Virginie qu'une sympathie médiocre: 011 s'y souvint moins
de ses derniers bienfaits que de son long égOlSillC et de ses mes-


- quins calculs, el la chose ne doit guere surprendre, car une com-
pagnie, comme on l'a dit, de tous les souverains est le pire. « Quand
« c'est un individu qui commande, on peut espérer en son génie,
« en son amour de la gloire, en sa bonté; SOtiS un libre gouverne·
« ment, il est évident qu'un intéret comffiun et permanent fi-
« nira par triompher de toutes les difficultés; mais une compa-
« gnie, sourde a la pitié,insensible a la honte, sans responsabilité
« meme devant l'opinion, sacrifie tout a son avarice : témoin la
« Compagnie des lndes servie par des hommes tels que Warren
« Hastings, des hommes qu'un roi me me ne maintiendrait pas
« devant le soulevement de l'opinion publique \. »


La Virginie dovi11t ainsi une province royale, un des trois types
d'organisation intérieure que la révolution de 1776 trouva sur le
sol américain ; en d'autres termes, une province administrée par
,un gouverneur a la nomination royale et représentée par un con-
seU d'administration ou d'État, faisant office de ehambre haute,
et une chambre de députés élus par les hornmes libres et les
francs-tenanciers, {reemen and {reeholders 2. Voila ce que fut plus


t Laboulaye: llist. poL. des Etats-Unis, J, 5" le~on.
2 Story : Commentaries, elc., J, 143 et suivantes. Ce type s'appliquait, lors de la


révoJulion, au New- Hamvshire, au New-York, au New-Jersey, 11 la Virginie, a!1x
Carolines et a la Georgie. Les deux autres lypes que I'on verra successivement
paraitre, étaient le gouvernement de propriétaire et Le gouvernement de charte.
Le premier ne différait de la province royale qu'en ce que le propriétaire était
substitué a la couronne : le Maryl:md, la Virginie, le Delaware lui appartenaie)¡t. -
Le second s'en dislinguait, en ce sens que l'assemblée él~e désignait le conseil d'Eta!.
Un autre trait dislinctif, c'cst que u:'tns lcs gonvernements de charte, 'les lois voté es
par l'assemblée générale valaient u'elles-memes et par el!es-·meme¡:, tandis que dan s




30 LES ÉTATS-UNIS m~ L' AMÉRlQUE SEPTENTRIONALE.
tard une province dite royale, quand les principes et les idées
dont nous avons vu l'éclosion dan s la colonie la plus ancienne
(urent devenus le partage de toutes et leur patrimoine commun,
si l'on peut ainsi dire:; et voila ce que n'ent pas été la Virginie, de
quelques années encore, si la mort n'ent surpris le premier des
Stuarts dans l'élaboration des lois qu'il se proposait pour la
seconde fois de lui tracer. Charles ler, son successeur, n'était ni
moins infatué de sa prétendue prérogative, ni moins impatient
des restrictions qui la limitaient; mais, tandis que dans ses États
héréditaires il engageait une lutte de prépotence dont sa couronne,
puis sa vie devinrent l'enjeu, il ne molesta point les colons et ne
les gena poi:n,t dans la gestion de leurs liberté s civiles. Peut-etre
ne savait-il pas bien que ces libertés si hales en Angleterre
avaient déja jeté de vives racines sur les lointains rivages de la
Chesapeake, et certainement le monopole 4u marché métl'opoli-
tain dont il gratifia le tabac virginien trahissait une pensée de
lucre. Quoi qu'il en soit, sous son regne]a colonie prospéra, et,
pendant l'administration d'Harvey, qui dura de 1630 a 1639, le
régíme représentatif fonctionna de la favon la plus réguliere 1.
C'est un fait que Robertson, Marshall et me me Story, d'ordinaire
si exact, avaient nié d'une favon formelle sur la foi des annalistes
Oldmixon et Chambers, mais que M. Bancroft a établi d'une favon
qui ne laisse plus place au moindre doute. Il est vrai que l'admi-
nistration d'Harvey fut orageuse, mais par des motifs qui ne tou-
chaient en rien au libéralisme du gouverneur, comme l'aUeste le
journal historique du Hollandais de Vries. Les colons avaient
supporté, sans trop se plaindre, les amendes que l'esprit fiscal
de Harvey multipliait et la sévérité excessive qu'i! mettait a les
faire rentrer; ils s'indignerent quand leur territoire fut démem-
bré au profit de lord Baltimore et surtoutquand leur gouverneur,


les provinces royales, la couronne gardait le droit de les abroger ou de les réserver.
Tel était le l'égime sous lequel se trouvaient, en 1776, le Conneclicut et le Rhode-
Island, et sous Jequel avait vécu le Massachusetts jusqu'a la rcstauration des
Sluarts.


i Hist. of unit. stat, J, 151, tl'apres le premter volume des Statutes at large
de Héning. 11 y ent de lGíO a 1620, onze réunions, dont deux en 1632 et deux
l'année suivante.




/


PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 31
loin de partager ce sentiment, prit parti contre Clayborne, ancien
membre du conseil, qui avait passé au Maryland, les armes a la
main, et qu'on avait chassé de cette colonie comme meurtrier.


Harvey quitta le gouvernement en 1639 et fut remplacé par
sir Francis Wyatt, dont l'administration ne dura que trois années
et fit place a ceBe de sir William Berkeley. Celui-ci n'eut point a
restaurer, comme certains historiells lui en ont fait un grand
rnérite, les libertés de la Virginie, qu'il trouva en plein exercice,
rnais il aida beaucoup a les consolider et a les étendre. Les con-
damnations a la servitude temporaire rurent abolies et la législa-
tion terrienne revisée. La législation civile se rapprocha des lois
anglaises, de rneme que l'organisation judiciaire rappelait déja,
par sa cour générale, ses cours d~ comté, son jury et son grand
jury, se-s justices de paix, le systeme de la rnétropole. Le systerne
fiscal cessa rl'etre incertain et arbitraire-: il se basa sur les facultés
contributives et puisa aux deux grandes sources des impots appe-
lés directs et des impóts indirects, auxquels s'ajoutaient le droit
d'aubaíne, les amendes et la confiscation des betes trouvées
errantes. L'impot direct portait sur les terres, taxées a quinze
sehillings par cent arpents, sur les esclaves et les serviteurs
venus du dehors; l'impOt indirect sur les liqueurs importées,
sur le cidre, la hiere, le tabac, respectivement taxés a deux pence
eta un pence par gallon, a deux shillings par barrique plus un
droit de tonnage fixé a sept pence et demi l. En sornme,.les Vir-
giniensjou issaient des droits civils ou politiques que possédaienl les
regnicoles, et ils n'avaient point comme ceux-ci a les défendre
contre les tentatives du pouyoir absolu, car Berkeley ne montra
jamais de disposition a les restreindre. Par malheur, l'intolé-
rance anglicane avait aussi passé les rners, et l'on vit, en 1643, le
législateur bannir les dissidents et proclamer que la prédication et
l'enseignement religieux, ou public, ou privé, devraient se con-
former aux constitutions de l'Église d' Angleterre. Si de pareils
faits nous par~issent tres-regrettables a nous, ho'mmes du XJXC sie-
ele, que l'expérience a convaincm: de l'inutilité autant que de
l'horr~ur des persécutions religieuses, et qui avons con<;u de nos


4 llist. de la Vitginie, 317 et suivantes.




32 LES ÉT.\TS-UNIS DE I':AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE .
.


rapports ayec la Divinité une opinion plus correcte et moiIls humi-
liante pour celle-ci, n'oublions pas qu'il ya deux siecles ce qu'on
décorait déja du nom de liberté de conscience ne signifiait autre
chose, sinon, pour quelques esprits su.périeurs a leur temps, que
le droit d'adorer Dieu suivant les observan ces d'une secte, el n'ex-
cluait nullement la faculté de proscrire el meme de mettre a mort
'ceux qui avaient choisi d'autres rites, d'autres pratiques, d'autres
prieres.


Berkeley eut encore l'honneur de sceller ayec les Indiens Hne
paix qui assura la sécurité des colon s et accrut leurs territoires.
Deux années avant ce traité, qui fut signé en 1645, l'assemblée
générale avait décidé de leur faire une guel'fe implacable, au
moment meme oil, bien avisés de ce qui se passait en Angle-
terre, ils se préparaient d~ leur cóté a tenter un secondmassacre
général. Le 18 avr111644, les Peaux-Rorrges tomberent a l'im-
proviste sur les défrichements de la frontiere, et, en un clin
d'ooil, ils eurent mis trois cents personnes a mort. Mais ils s'ar-
reterent sur-l'e-champ, effráyés de leur faiblesse, et s'enfon-
d~rent précipitamment dans 'leurs solitudes. A la prcmiere nou-
velle de cette agression, les colons avaient pris de vigoureuses
mesures de protection et de représailles : ils envahirent, a leur
tour, le territoire indien, et s'emparerent du vieux. chef Opechan-
canough, l'instigateur de cette prise d'armes, qui mourut des
suites d'pne blessure re<;ue dans une escarmouche, et la tranquil-
lité se rétilblit si bien sur les frontieres que Berkeley n'hésita
point a s'embarquer pour l'Europe.
, "La chute du trone trouva la Virginie dan s une situation tres-
prospere: sa population; déja forte de vingt mille personnes,
s'augmentait a l'arrivéc de chaque navire anglais, et son trafic
extérieur, libre encore de toute entrave~ ne s'arretait pas a la
Grande-Bretagne et a11ait jusqu'enHol1ande. Aussi accueilJit-elle
aree une défaveur marquée l'avénement de la République, et
offrit-elle aux roya listes fugitifs une hospitalité coreliale. Les gen-
tilshommes et les ecclésiastiques du parti vaincu trouverent un
asile dans la maison de chaque planteUl'; le gouverneur Berke-
ley les soutint ele ses secours pécuniaires, et le fils du roi déca-
pité cOlltinúa, au milieu de sa vie errante et de ses guerres en




.,:


.,


PRRMIERE PARTIE. - tES ORIGINES DES COLO,'ílES. ;j;j


Écosse, de pourvoir aux emplois publics vacants dans la Virginie.
Mais le nouveau parlement britannique n'était pas d'humeur a
endurer cette attitude rebelle : il le fit bien voir en rendant un
acte qui autorisait le conseil d'État a réduire la colonie, en meme
temps qu'il interdisait aux navires étrangers de trafiquer dans
aucun de ses ports (1651). La Virginie n'était pas en mesure de
braver les fIottes de la République, et il suffit d'une frégate an-
glaise, mouillée dan s les eaux de la Chesapeake, pour bannir
toute velléité d'une vaine résistance. Les colons, toutefois, ne
voulurent pas paraitre ne céder (¡u'a la force : ils stipulerent,
dans l'accord qui survint entre eux et l'un des commissaires de
Cromwell, qu'aucun fort ne serait bati, aucune garnison étaLlie
sans leur assentiment; qu'ils conserveraient leul's assemblées,
leur droit de 'se taxer eux-memes, leur liberté commerciale.
Cette derniere clause semblait difficilement conciliable avec le
fameux acte de navigation, rendu en 1651, et qui stipulait qu'a
l'avenir le commerce de l' Angleterre avec les colonies n'aurait
Heu que sur des vaísseaux construits, possédés, montés par des
Anglais. Néanmoins, le but de Cl'omwell était ici surtout poli-
tique: Grotius et Selden avaient plaidé, quelques années aupa-
ravant, la cause, l'un d.u MaTe libeTum, l'autre du MaTe clausum,
et so,n épée victorieuse tranchait le litige en cherchant a faire de
son pays l'entrepót commercial de l'univers. Quant aux colonies,
le Protecteurn'entendait point entraver leur trafic, et, de fait, pen-
dant toute la durée de son pouvoir, la Virginiecontinua de commer-
cer librement avec les peuples qui avaient appris le chemin de ses
ports. Il était réservé au premier parlement des Stuarts restaurés
de lui appliquer le bienfait du pacte colonial, cet étrange méca-
nisme dont c'est aux colonies et a la métropole de subir tour a
tour les charges d l'injustice, par un jeu du systeme des com-
pens~tjons qui paraitJ:ait plein d'esprit si on pouvait ne pas se
souvenir qu'il est aussi odieux et aussi abusif '.


I « Dire aux Francais: Vous ne consornrnel'ez Q.ue du sucre de nos eolonies, e'est
leur dire: Vous pa~erez le sucre plus cher que si vous pou\'lez consornlller du suere
du Brél,;i\ ou des l(lde·s. lndépendamrnent des droits de douane, on leve ainsi pu le
rnonopole un impót sur chaque kilogramme de suere au profit du produeteur colo-
nial.


« De meme, dire en revanche aux colons : Vous ne pourrez porter que des étolfes
3




:H LES ÉTATS-UNTS DE L' Al\1ÉRIQUE SEPTENTRIONALÉ.
« Une bonne- fortune particuliere aux États-Unis, » a dit


M. Bancroft, « a été d'etre colonisés par des hommes d'origine,
-« de religion et desseins aussi variés que les climats compris dans
« leurs limites 1.») Avant que la Virginie eut pu compléter ses
défrichements et valider ses titres a une juridiction sur les con-
trées qui s'étendent au nord du Potomac, comprises dans la con-
cession du roi Jacques, une nouvelle colonie s'était implantée sur
ces memes territoires. Sir George Calvert, qui con~ut la premiere
idée de sa fondation, appartenait a une famille d' origine fla-
mande, fixée dans le Yorkshh,e. Entré dans la vie politique sous
les auspices de Robert Cecil, il devint' rapidement secrétaire
d'État, et sacrifia cette position a sa conscience, cal' il s'était con-
verti au catholicisme et trouvait honteux d'en faire mystere.
Jacques, qui ne baH jamais les catholiques, peu disposés a COffi-
battre ses préventions arbitraires et ses velléités despotiques, le
garda néanmoins daI1s son conseil privé, en l'élevant, sous le titre
de lord Baltimore, a une pairie irlandaise. Déja, dans sa pre-
miere jeunesse, Calvert avait partagé l'enthousiasme général que
la colonisation de l'Amérique suscitait parmi ses compatriotes, et
depuis il avait obten u la concession des terrains formant la
pointe méridionale de Terre-Neuve. Lord Baltimore ayant échoué
sur ces rives désolées, se tourna du cóté de la Virginie; mais sa
religion lui devint un nouvel obstacle. A peine était-il débarqué
que le conseil lui faisait tenir les serments de suprématie et
d'allégeance, dont il avait eu soin, en' outre, de choisir la for-
mule la plus étroite, celle des statuts du royaume, COlH¡Ue en des
termes tels qu'un catbolique ne pouvait absolument y souscrire.
n fut donc beureux, pour les projets de lord Baltimore, que les
territoires au nord du Potomac ne fussent encore occllpés que
par quelques bordes de Peaux-Rouges nomades, et qu'a Londres
on souPlionnat fort les Franliais, les HoHalldais ou les Suédciis
de songer a s'y installer. Lord Baltimore obtint ainsi san s peine


francaises, ni consommer que tellcs ou telles autres denrées produites en France 01]
par des Francais, c'est leur dire : Nous prélevons sur les consommateurs de la
colonie un impót au profit de certains producteurs métropoJitains. » (Rossi: Caurs
d'économie patitique, éd. 1841, 1, 366-3t,7).


f Hist. a{unit. stat., 1, 180.




,


tJREMIf~RE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLO~IES. ~jG
la concession de ces territoirés t; il prépara de ses mains la
charte qui la contenait; mais elle n'était pas encore scellée quand
il mourut, laissant son fils ainé, Cécil, héritier de ses biens et de
son titre 2.


L'Océan, le quarantieme paraUele de latitude septentrionale,
le cours du Potomac, de son embouchure a sa source, une ligne
tirée a I'est, de la pointe Watkin a l' Atlantique, teUes furent les
limites du futur établissement, qui re\"ut le nom de Marylan'd,
en l'honneur d'Henriette-Marie, fille de Henri IV et femme de
Charles Ier. A la fin de novembre 1633, Léonard Calvert, second
fils du feu lord Baltimore, quitta l' Angleterre pour aller en pren dre
possession au nom de son frere: il emmenait avec lui, _répartis
sur une pinasse et un navire de fort tonnage, the Ark and the Dove,
environ deux cents personnes pour la plupart cathbliques, parmi
lesquelles se trouvaient deux ecclésiastiques, le P. Athan et le
P. White. La traversée fut longue et semée de traverses nom~
breuses, que le P. White a racontées dans un style attrayant et
naif a, de sorte que les émigrants n'arriverent qu'en février sui-
vant a' Comfort-Point, dans la Virginie, ou Harvey, se conformant
aux ordres du roi, les rec;ut d'une fac;on tres-amicale. De la Cal-
vert e~tra dans le Potornac, qu'il remonta jusqu'a quarante-sept
lieues de son embouchure, et prit terre au village indien de Pisca-
taqua, presqu'en face de Mount-Vernon, la future résidence de
Washington. Le chef de cette tribu n'engagea les Anglais nia
rester, ni a partir: «( Faites cornme il vous plaira, » leur dit-il ;
mais ils ne jugerent pas qu'il flit prudent d'établir leur premier
défrichement aussi haut dans la riviére, et Calvert la descendant,
explora les CI'iques et les estuaires plus voisins de la Chesa-
peake*


Il pénétra, en dernier ~ieu, dans la riviere Sainte-Marie et
s'arreta devant le village d'Yacomoco, situé a quatre lieues du


t 20 juin 1632.
2 Tom Pusey : Léonard Calver, 9 et sqq. Ce tres-bon morceau forme le tome IX,


de fAmérican biography, clJllection publiée SOtiS ia direction de M. Jarcd
Sparus.


:1 Elle est restée manuscrite. Les extraits qll'on en trouve dans le livre de
M. Pusey ont ajouté a la valeur et [\ l'importance de ce trayail.




30 LES ~~TATS-UN'JS DE L 'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
,


confIuent de eette riviere et du Potomac. Le village était a moitié
désert, et les Indiens qui y restaient encore avaient résolu de
s'enfoncer plus avant dan s l'intérieur des terres, afin de fuir l'op-
pression des Susquehannahs, dont les tribus étaient répandues
entre la Chesapeake et" la baie de MassachuseUs. Ce fut sans
peine qu'ils céderent aux nouveaux venus la moitié de leur vil-
lage et prirent l'engagement de l'abandonner tout a fait leur
moisson faite. Des présents et de bonnes paroles valurent aux
émigrants l'amitié des chefs du voisinage; les squaws apprirent
a leurs femmes comment on faisait le pain de ma'is, et les guer-
riers les accompagnerent dans leurs chasses. La sáison était favo-
rable aux travaux agricoles : les Anglais se mirent a l' mu vre et
posséderent bjentot des jardins et des champs ensemencés; la
Virginie pouvant fournir toute sorte de bétail, et au besoin un
supplément de subsistances, personne n'endura de soutfrances,
nul ne conQut d'inquiétudes. Au bout de six mois, la colonie se
trouva aussi prospere que la Virginie apres le. meme nombre
d'années. Lord Baltimore He se lassait point, d'ailleurs, de pour-
voir avec une grande liberalité a ses besoins de toute espece, et lui
consacra, pendant ses deux premieres années, des sommes qui
dépasserent quarante mille li \Tes sterling 1.


Néanmoins, cette rapide prospérité matérielle n'est pas ce qui
frappe le plus l'historien, et dans les débuts du Maryland, ce
qu'il admire le plus volontiers, c'est le développement encore
plus rapide des libertés civiles; ce qui l'étonne davantage, c'est
la preuve qui en ressort que dan s l' Amérique septentrionale, la
société a du sa forme actuelle aux circonstances plutót qu'a drs
plans préconvus2. La charle obtenue par lord Baltimore renfermait
sans doute des germes de libre gouvernement qui avaient manqué
a la premie re charte virginienne : ainsi Charles Ier y prenait l'en-
gagement formel, pour lui et ses successeurs, de ne jamais éta-
blir de taxes sur les habitants de la province, et on y lisait en
terme? précis qu'aueune loi ne serait établie, aucun subside levé
sans l'aveu de la majorité des colons ou de leurs députés. Mais,


I lJist. o[ unit. siat., 1, l86-l87.
:.: T. Pusey : J.éonanl Calrerl, 6.




· .~-,<\.-~\ : .. -, ·.~'r. 3-: ':.r • ,~.
~, .. '.')


','


PREMI~~HE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONtES. :n
enméme temps, elle conférait au lord propriétaiÍ'e leprívilége de
distribuer des ti tres nobiliaire~ et lui attribuait le patronage des
Églises, ce qui trahit assez chez le roi le dessein de reproduire au
dela de§ mers le type social et le type politique de la mere patrie.
11 est vraisemblable que lord Baltimore luí-meme n'allait point.
au dela de cet idéal politique, et, dans ce cas, iI n'a eu qu'un plus
grand mérite en laissant les colons suivre en toute liberté les im-
pulsions de leur esprit démocratique. Douze mois ne s'étaient pas
écoulés depuis lenr arrivée sur les bords de la riviere Sainte-
Marie qu'ils se réunissaient en une assemblée populaire, El laquelle
il est vraisemblable que tous les hommes libres furent convo-
qués. A deux ans de distance, on les voit repousser les statuts
que le lord propriétaire leur propose, dans la crainte de paraitre
en les acceptant lui reeonnaltre un droit excIusif a l'initiative
législative, et offrir a leur tour d'autres statuts a sa sanetion.
Cette sanction ayant manqué, OH ne sait pas ce que pouvaient
valoir ces 10is, dont il n'est pas resté de trace dan s les annales de
la province; mais on sait que la troisieme assemblée, qui eut líeu
ep 1639, et qui se composait partie des délégués des citoyens,
partie des mandataires de lord Baltimore, confirma les habítants
dans la jouissance de toutes les libertés du sujet anglais et reven-
diqua pour la législature coloniale tous les pouvoirs qu'exer<;aient
les communes d' Angleterre. Cette constitution dura jusqu'a la
restauration, san s autre changement que la séparation de l'assem-
blée législative en deux branches, séparation aecomplie vers,
l'année 1649 t.


Un des traits les plus earactéristiques et les plus honorables du
gouvernement de lord Baltimore fut son respect constant de la
liberté religieuse, te11e du moins qu'on l:entendait dans un temps
oil personne n'imaginait qu'on put impunément nier la révéla-
tion et ne comprenait Roger Williams, réclamant la liberté
meme pour le juif, meme pour le gentil 2. Le gouverneur du
Maryland s'interdisait sous serment de molester aucun chrétien,
et cette garantie parut aux' colons tres-suffisante aussi longtemps


t Story: Commentaries, J, 92-95. - Rist. r¡{ ¡¿nito sfat., 1. 189, HJO et
2 Laboulaye : Hist. pol., I, 12" le~on. '


'. '








38 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTRIONALE.
que Charles Ie l occupa le treme d'Angleterre. ·Ce prince avait un
secret penchant pour le catholicisme 1, et si les souvenirs de Marie
la Sanglante, ceux de l' Armada ct du complot des Poudres, de
meme que l'entente qui s'établissait, des qu'il était question de
papisme, entre les puritains et les anglicans, anirnés par ailleurs
d'une haine implacable et réciproque, ne lui permettaient guere
de les protéger en Angleterre, nul doute que l'idée ne lui vien-
drait jamais de les persécuter en Amérique. Mais la mort et le
triomphe des sectaires les plus exaltés du protestantisme, en
changeant la face des choses, inspiraient aux catholiques du
Maryland des craintes aussi naturelles que sérieuses, et. ils son-
gerent a placer leur foi sous la sauvegarde d'un acte solennel.
Le préambule de cet acte rappelait « que la violence faite aux
« consciences ») avait souvent troublé les communautés qui
en avaient été lethéatre, et annon'iait « ,qu'afin de cimenter la
( concorde et la fraternité parmi les habitants de la province et
( en rendre l'administration plus facile, » personne ({ faisant
« profession de croire CIl Jésus-Christ n'y serait ni recherché
« pour sa religion, ni inquiété dans son exercice.») Quelques
lignes plus bas, ce meme statut prononí;a la peine capitale contre
les blasphémateurs: c' était assurément un tort grave et une
intrusion du domaine temporel dans un domaine qui n'est pas le
sien; mais cela n'atténuait guere en pratique la portée dll prin-
cipe, et l'acte, s'il eut franchi les mers, ou seulement les fron-
tieres du Massachusetts, meme avec cette triste restriction, eut
épargné de nombreuses tribulations el: de cruelles épreuves tant
aux catholiques anglais qu'aux dissidents protestants des deux
mondes.


L'événement,prouva que le~ catholiques arnéricains n'avaient
point con.;u une crainte chirnérique, cornme il faillit prou-
ver encore qu'ils n'avaient pris qu'une précautipIl insuffisante •


.


i « II niait en public qu'il employat des papistes, et en meme temps il enjoignait 11 -
ses généraux de se servir de tous ceux qui se présenteraient. Il pl'enait publique-
ment le sacrement a Oxfo rd, comme gage qll'il ne tolérerait jamais leur religion,
et en particulier, il assu rait sa femme que son intention était de la tolérer, et au-
torisait lord Glamorgan a promettre qu'il l'établirait en Irlande. (Macalllay : Hist.
oí' England, I, 124.)




PllEMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES GOLONIES. 39
Les puritains du Maryland, devenus ses maUres, ne se souvinrent
plus qu'ils ne devaient leur admission qu'a la tolérance des pa-
pistes et les exclurent ainsi « que le prélatisme et l'impiété» de
leur code rétréci de tolérance (1654). Par bonheur, Cromwell, qui
revait de réunir les différentes sect~s, «( de meme que le cerlre, le
myrte et j'olivier devraient se marier dans les solitudes, » refusa


\


constamment de sanctionner l'ingrat décret, en écrivant a ses
commissaires « de ne pas se préoccuper de la religion, mais bien
«( de régler le gouvernement civil'.» Peut-etre cette invitation
peu remarquée place-t-elle sa conduite en Irlande sous son vrai


. jour. Loin d'en diminuer la cruauté, elle tend au contraire a l'a-
grandir; mais elle absout le fanatisme protestant qui, au surplus,
n'a rien a envier au fanatisme catholique, du reproche qu'on lui a
souvent adressé d'avoir le premier inspiré et suscité les atrocités
de cette seconde conquete.


t Bist, ofunit. stat., /, t!17.




LIVRE n.


La Nouvelle-Angleterre.


Sommaire: L'ÉGLISE ANGLICANE: Henri' VIII, Elisabeth, les puri-
tains et les récusants; Les brownistes et leur émigration.


LES PILGRIM FATHERS : leur arrivée en Hollande; leur embarquement
pour l' Amérique et leur débarquement au cap Cod; leur ~ontrat
civil; fondation de New-Plymouth.


LE MASSACHUSETTS : ses premiers émigrants et sa premiere charte;
Boston fondé; institutions civiles de la colonie; liberté politique
et intolérance religieuse.


RHODE-IsLAND : Roger Williams, banni du Massachusetts pour ses
opinions religieuses, fonde Providence; la colonie devient le
refuge de tous les persécutés et développe ses institutions démo-
cratiques. .


LE CONNECTICUT : Davenport, Eaton et New-Haven; les Blue Laws,
leur action et leur caractere.


LA NOUVELLE-ANGLETERRE : les colonies se conféderent; progres de
la colonisation; persécution~ religieuses. ~


La Virginie et,la Nouvelle-Angleterre, noyau de l'Union actuelle .


.


Si la réformation ne s'est pas arretée en Angleterre a un pla-
giat écourté et mesquin de la liturgie et de la discipline romaines,
le fait n'a pas dépendu d'Henri VIII, le Tibere de son pays. Ce
prince, un des plus exécrables tyrans qui se soient jamais assis
sur le velours d'un trone, comrnenQa par faire montre d'une 01'-
thodoxie rigoureuse. Il enferrnait au chateau de Windsor le
cornte de Surrey accusé d'avoir fait gras en careme; il écrivait une
défense des sept sacrements : Assertio septcm sacramentort¿m, qui
lui mérita du pape Léon X le titre de défense1¿r de la {oi, que les
rois protestants de la Grande-Bretagne OIlt continué de por ter
pl'esque jnsqn'a nos jours, et, dans la péroraison de ce livre, in-




PRE~l1EHE PAHTlE. - LES OHlGINEf' DES COLONIES. 41
vitait tous les chrétiens a se réunir contre Luther, comme ils se
réuniraienl contre les Turcs, les Sarrasins et tous les infideles :
Advers'Us Turcos, adversus Saracenos, adversus quicquid est uspiam
infidelium consisterent 1. Un jour la luxure souffla sur cette belle
flamme chrétienne. Henri devint amoureux de la charmante
Anne de Boleyn, et comme le pape refusait de rompre son ma-
riage avec Catherine d' Aragon, sa femme, il répudia celle-ci et
quitta du meme coup la catholicité. Mais, en la quittant, il n'en-
tendit aballoonner qu'un point, la suprématie papale, et conser-
ver tout le reste des doctrines cathohques : c' est l' aveu de Mac-
kintosh, d'Hallam, de Macaulay, en un mot, de tous les histo-
riens anglais qui ont su échapper a l' esprit de secte et n' ont pas
pris un mol d'ordre, comme M. Froude ou M. Burton, chez les
membres de la haute Église, ou les zealots de la conformité.


Jamais Église, a pa~ t peut-etre l'Église russe, n'a été unie d'un
lien plus étroit il la puissance séculiere et placée sous sa dépen-
dance plus immédiate. Le roí est son chef, et un chef dont les
pouvoirs n'ont jamais été tracé s d'une fa.;on précise, dont la su-
prématie a ét~ définie dans des termes tels que, la servilité y ai-
dant, elle reste a peu pres sans limites: en un mot, le souverain
de l' Angleterre est, pOUl' se servir des fortes expressioIls de lord
Macaulay, « le pape de son royaume, le vicaire de Dieu, le pro-
a fesseur de la vérité, le canal des graces sacramentelles 2.» A
tous ces titres, le roi avait besoin d'~uxiliaires, etde meme qu'il
nommait des officiers pour recueillir ses taxes, il pouvait insti-
tuer des pretres pour administrer les sacrements et precher
l'Évangile.Voila les opinions que confessait l'al'cheveque eran:"
mer et qu'il poussa jusqu'il leurs déductions extremes, sans
causer Je moindre scandale, sans éveiller le moindre scrupule
chez un dergé apostato Ce clergé se consola facilement de sa su-
jétion spirituelIe en prenant une large part dans les dépouilles
des riches monasteres de l'Église détruite, et de nos jours encore
de bOllS bénéfices, de grasses prébendes forment a la fois le gage
et le prix de son royalisme invétéré. On a vu les calvinistes ré-


f Chateaubriand : Essai sur la littérature anglaise. Ed. Pourrat, 118.
2 Hist. of Eng¿and, 1, 54.


',"j, ,




42 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIO:'IALE.
sister aux empiétements de la puissance temporelle et revendi-
quer pour les peuples le droit de résister a la tyrannie; on a vu
encore l'Église catholique s'asservir aux doctrines du pouvoir
absolu, perdre dans l'alliance monstrueuse des deux glaives son
ascendant moral, et tomber, peu a peu, dans un état d'affais~e­
ment et de débilité qui réjouit moins ses ennemis ql1'il ne con-
triste au fond du creur ses amis véritables, mais maintenir en
meme temps sa liberté spirituelle et se trouver meme assez forte
pour imposer ses volontés a la couronne, en lui arrachant des
actes néfastes, la révocation de l'édit de Nantes, par exemple, ou
des actes arbitraires, comme la suppression de l' Encyclopédie t.
Quant a l'Église anglicane, elle n'a cessé de blamer a la fois les
calvinistes et les catholiques, tandís qu'elle se vantait de n'avoir
jamais inculqué aucun devoir avec plus de zele el plus de cons-
tance que le devoir de l' obéissance servile du sujet a son so uve-
rain; et c' est touj ours un de ses fils, c' est Macanlay qui le dit.


Croire que les basses doctrines de Cranmer étaient partagées
par tous les réformés anglais', ce serait, toutefois, calomnier
ceux-ci et commettre une grave méprise. L'éveque Hooper, qui
mourut pour ses, croyances, sons le regne de Marie Tudor, avait
refusé longtemps de porter les vetements épiscopaux, et l' éveque
Ponet était d'avis que le nom me me d'éveque ne convenait pas
aux chefs de la communion nouvelle. Il n'était pas possible, en
outre, que, dans la patrie, de Wicliffe, qui avait précédé Jean
Huss et traduit, avant Luther, la Bible en langue vulgaire, la ré-
formation se bornat a quelques réformes dans les anciens rites et
dans l'ancienne discipline, sans frapper les esprits d'une forte
commotion et sans leur imprimer une impulsion générale. Knox
et Buchanan, les peres du presbytérianisme écossais, ne se con-
tenterent point de ramener dans leur communauté leculte a des


I Les uns et les autres achetés a prix d'argent.«Sire,» disait en 17481'archeveque
de Tours, orateur de l'assemblée générale du clergé, « en vous portant tous les tré-
« sors de nos églises, que désirons-nous? Que l'impiété, qui marche té te levée, soit
« forcée d'aller tremblante et confuse. » M. Lanfrey a rait I'historiqüe-6es dons
gratuits du clergé flui avaient produiL la démolition, piece a piere, assemblée par ,
assemblée, de l'édit de Nanfes, avant sa révoration officielle. (V.l'Eglisc et les phi--
losophes áu XVIlI e siecle, chapo 1 et chal'. IX.)




'PREMI:ERE PARTIE. - LES ORIGlNES DES COLONIES. 43
mreurs plus austeres et d'y faire régner une discipline qu'ils
croyaient calquée sur ceHe de l'Église primitive; ils proclameren t
l'un et l'autre le dogme de la souveraineté populaire, non-seule-
ment en matiere religieuse, mais encore en matiere politique, et
cette derniere partie de leur doctrine parut a Richelieu,'qui
n'était pas encore ministre, assez dangereuse pour mériter ses
réfutations. Les puritains, dont le nom apparait pour la pre-
miere fois sous le regne d'Edouard VI, baserent uniquement
leur foi religieuse sur l'interprétation des saintes Ecritures : ils
repoussaient tout ce qui leur semblait un reste de l'ancienne
communion, l'autorité épiscopale, aussi bien que le surplis et le
bonnet carré qu'ils avaient en aversion particuliere, et donnaient
a leur organisation ecclésiastique une origine toute démocra-
tique, avec des formes toutes populaires.


Il 'ne parait pas bien certain que tou!' d'abord leurs sen-
timents politiques aient été frappés a la meme empreinte,
quoi qu'en aient pensé beaucoup d'historiens qui n'ont pas
assez distingué peut-etre entre leur attitude sous la reine
Elisabeth tt leur conduite sous son successeur. n y a du
moins la tragique aventure de Stubbs, qui suggere quelques
doutes a cet égard. Cet homme, qui était un puritain tres-
exalté, avait publié un livre violent contre le mariage pro-
jeté d'Elisabeth avec le duc d'Alenc;on, le qualifiant « d'union
« d'une filIe de Dieu avec un fils de l' Antechrist. » Elisabeth, vi-
vement irritée, fit juger Stubbs, d'apres un acte rendu par Phi-
lippe et Marie contre les auteurs de libelIes séditieux, et lui fit
couper le poing, en dépit de l' opinion assez générale chez les lé-
giste s que cet acte avait cessé d'étre valable a la mort de Marie.
L'annaliste Camden assistait a l' exécution : il a raconté que
Stubbs, quand sa main droite fut coupée, prit son chapeau de
la main gauche, en criant : Vive la Reine! cri qui n'eut aucun
écho dans la foule, ajoute-t-il, « soit horreur inspirée par un
« chatiment nouveau et inaccoutumé, soit commisération pour
(J l'homme dont la réputation était excellente, soit encore haine
« d'un mariage que bien des gens regardaient comme un présage
« du renversement de la religion.» Et ce n'était pas un senti-
ment isolé qu'exprimait Stubbs: persécutés sans treve ti sans






14 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
miséricorde par Elisabeth, ses coreligionnaires ne cesserent de
prier pour la conservation des jours de la reine el pour le
triomphe de ses armes 1.


Divers témoignages établissent que la fine d'Henri VIII avait
'.


conservé, du moins dans sa jeunesse, quelque inclination pour
l'Église catholique, que plus tard elle traita de la fa~on la plus
rude. Elle en áimait les pompes, l'éclat, et se fit longtemps prier
avant d'enlever de sa propre chapelle particulifwe les candéla-
bres, les images et le crucifix qui l'ornaient. Mais, a la fac;on des
anciens et de son pere, ce qu'elle voyait surtout dan s la religion,
c'était un moyen de regne : Relig'iointerinstrumenta regni, et avait
garde de briser dans ses mains cet instrument si docile et si sou-
pIe qui s'appelait le clergé anglicano En 1571, le parlement rendit
un acte qui lui conférait la suprématie spirituelle et prescrivait
l'uniformité liturgique. Les recusants de toute sorte furent envoyés
aux potences de Tyburn, et les plus exaltés commencerent de
chercher un refuge sur le continent. Ceux-ci avaient rompu toute
attache avec l'Église établie que les premier., puritains désiraient
amender plutót que détruire, et, cherchant dans la Bible une dis-
cipline, ils avaient conc;u une Église tout a fait indépendante daÍls
sa juridiction et ne relevant d'aucune autorité soít laique, soit
ecclésiastique. C'étaient les brownistes, comme OIl les appelait, de
James Brown, leur premier apótre, ou les indépendants et les,
séparatistes, ainsi qu'on les nornmait ClIlcore a raison de leur dou-
ble tendaIlce. La Hollande leur offrit un asile, et ils y fOlldérent
une associationqui dura plus d'un siecle, tandis qu'a Londres on
pendait Barrow et Greenwood, deux hommes dont tout le crime
était leur qualité de récusants, car leur royalisme ne pouvait etre
suspect. On aurait pu croire que sous Jacques ler, l'éUwe de Bu-
chanan, cessévérités se seraient adoucies: il n'en fut ríen; Jac-
ques, quí répétait volontiers que san s éveque iI n'y avait pas de
roi : No bishop, no king, et qui regardait comme préférable de
« vivre ermite dans un bOls qu~ de régner avec un parlement
« que dominait cette horde de puritaills 2; )) Jacques les abandon-
~


t AnnaLes pour l'allnée 1581.
2 Hallam : Cnnstitutionnal historiq. n( EngLand, l. 419.




PREMII~nE 'pARTIR. - LES ORIGINES DES COLDNIES.45
nant au zele de tribunaux surexcités par les digni taires de l'Église 1,
les indépendants se lasserent d'habiter leur patrie intolérante.


Vers la fin du regned'Élisabeth, la secte $' était répandue dans
quelques villes et dans quelques villages des comtés de Lincoln
et de Nottingham, limitrophes du Yorkshire. Touchés, comme
ils disaient, d'un zele divin pour la vérité, « ces pauvres gens
« avaient décidé de secouer, quoi qu'il pút leur en couter, le joug
« de l'antichristianisme, et de se réunir par un engagement réci-
« pro que (Covenant) dans la confraternité évangélique.» Ils
s'étaient choisi pour pasteur John Robinson, « un homme dont il
« n' était pas facile de trouver le pareil, » et, rejetan~, sans aucun
souci 4es actes parlementaires, l'autorité épiscopale, affirrÍlaient
leur droit illimité et perpétuel « de marcher, a leur guise, dans
« toutes les voies que Dieu leur avait déja révélées ou qu'il lui
« plaírait de leur révéler encore.» Surveillés de jour et de nuít
par les agents du prélatisme, ils tinrent, pendant une année envi-
ron, des réunions hebdomadaires, tantót dan s un endroit, tantót
dans un autre, jusqu'a ce qv'en butíe a toutes les vexations et
désespérant d'échapper plus longtemps « a la vigilance et a la ma-
« lice de leurs ennemis,» ils prissent le partí d'émigrer en
Hollande. Leur premie re tentative de fuite ne fut pas heureuse :
on les arreta et on les jeta en prison. L'année suivante, ils repri-
rent leur projet, et pour l'exécuter avec le plus de secret possible,
ce fut sur une lande du comté de Lincoln, voisine de l'embou-
chure du Humber, qu'ils se donnerent rendez-vous. Déja une
chaloupe s'était rlétachée du rivag~ et transportait une partíe des
émigrants au navire qui les attendait, lorsqu'une troupe de cava-
liers parut sur le lieu de la scene et enveloppa les femmes et les
enfants qu'on avait réservés pour le second tour d'embarquement.
Mais que faire de ces pauvres gens? Les emprisonner paree qu'ils
avaient voulu suivre leurs peres et leurs maris paraissait cruel, et
les ramener chez eux impossible, puisqu'ils n'avaient plus de chez


f Le plus implacable était Bancroft, archeveque de Cantorbéry et primat d' Angle-
terreo En meme temps qu'il persécutait les puritains, le clergé anglican faisait pro-
hiber l'importation des livres étrangers, exercait la censure sur les journaux et ne
perdait pas une occasion de próner l'obéissance passive et de placer l'autorité royale
au-dessus du parlement.




46 LES ETATS-UNIS DE L'U1ÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
eux, et les magistrats, qui accompagnaient les ca valiers, se trou-
veren! heureux; en fin de compte, de les laisser faire ce qu'ils
désiraient 1.


Leur arrivée a Amsterdam n'était que leprélude de leurs péré-
grinations; mais ils savaient « qu'ils étaient pelerins (pilgrims), et
« sans s'en inquiéter, levaient les yeux au ciel, leur plus chere
« patrie, et rassuraient leurs ~sprits.» D' Amsterdam, les émi-
grants se rendirent bientót a Leyde, ou leur bonne tenue et leur
bonne conduite mériterent l' éloge des magistrats et leur auraient·
valu la fave~r publique n' eftt été la crainte qu' on yavait d' ofl'enser
le roi d' Angleterre. Un trait qui peint au vif le caractere de la
secte est la controverse qu'au milieu d'une vie précaire, Ro)Jinson
trouva le moyen d' engager avec les arminiens sur le libre arbi-
tre. Cependant, les raisons ne manquaient pas aux émigrauts pour
changer de demeure ; la plupart d'entre eux étaient laboureurs et
il fallait qu'ils se tissent artisans; de plus, ni la langue, ni les
habitudes du pays ne leur étaient devenues sympathiques, quoi-
qu'il y eftt déja huit années qu'ils y vivaient. Quand ils parlerent
de le quitter, on leur tit bien des offres tres-avantageuses, ~'íls
voulaient s'embarquer pour les colonics néerlandaises; mais un
aUachement que les persécutions n'avaient pu vaincre vivait dan s
leurs cmurs et les poussait au généreux dessein de se replacer
,sous les lois de la Grande-Bretagne, en agrandissant ses posses-
sions. La difficulté était d'exécuter ce dessein.Les exilés songerent
d'abord a la Guyane, que Walter Raleigh avait dépeinte sous de
si brillantes couleurs ; mais ils prirent frayeur de son climat tro-
pical comme du voisinage des Portugais, el se déciderent a solli-
citer une concession de terres dans les parties de la Virginie les
plus septe.ntrionales. Apres des négociations tralnéesen longueur,
et durant lesquelles les éveques de Cantorbéry et de Londres
trouverent le moyen de témoigner leur mauvais vouloir aux péti-
tionnaires, la concession fut enfin aeco~dée (1619) ; il ne resta plus
aux purítains qu'a réunir des moyens pécuniaires dont ils étaient
absolúment dépourvus.'Des marchands de Londres les fournirent.
Il fut stipulé que tous les profits des futurs colon s seraient tota-


t Hist. o{ unit. stal.) 1, 2'26-:H8.




PREMlimE PARTlE. - LES ORIGlNES DES COLONIES. 4i
lisés et mis en réserve pendant une période de sept ans et qu' alors
l'argent, les maisons et les terres seraient répartis entre les colons
et les bailleurs de fonds, au prorata de leurs apports respectifs, le
travail de chacun des premiers étant évalué a un capital de dix
livres sterling. Les conditions du contrat étaient si léonines que le
marchand qui risquait une centaine de livres recevait une rému-
nération décuple de celle du pauvre laboureur qui n'apporlait que
ses bras ; mais elles ne touchaient en rien a la religion ou aux
droits civils, et les émigrants ne les discuterent pas.


Le moment du départ arriva : les peres-pelerins (Pilgrim
Fathers), pour leur donner le nom qu'íls se donnaient eux-memes
et que la reconnaissance de l'Amérique leur a conservé, les
peres-pelerins s'y étaient préparés, selon la coutume de leur


, secte, par des prieres et un jeune solennel. Les deux llavires
qu'ils avaient pu équiper, le Speedwetl, de soixa~te tonneaux, et
la May-Flower, qui en jaugeait cent quatre-vingt.s, n'étant pas
assez vastes pour recevoir la congrégation entiere, il n'y avait de
partants pour cette fois que les plus jeunes et les plus robustes,
qu'accompagnait Brewster, l'ami et le collaborateur de Robin-


- son. Ce dernier, qui restait encore a Leyde, appela sur leur
voyage la protection céleste, en les exhortant . a persévérer dans
leu:r foi, religieus6 en des termes ou respirait une hardiesse de
pensée jusqu'alors sans égale peut-etre : « Luther et Calvin,
« leur dit-il, ont été de grandes et de resplendissantes lumieres
« dans leur temp~; et cependant, ils n' ont point pénétré tout le
« dessein de Dieu. Rappalez-vous, je vous en supplie, cet article
« du Covenant de notre Église, que vous devez vous tenir tou-



« jours prets a recevoir toute vérité que vous révélera la parole
« écrite du Seigneur. » Les deux navires quitterent le port de
Delft, au bruit de leur artillerie, auquel se melaient le chant des
psaumes et les pleurs de ceux qui étaient demeurés sur le rivage,
faisant voile pour Southampton et de la pour l' Amérique. Une
série de contre-temps y retarda leur arrivée : ce furent d'abord
des avaries a bord du Speedwell, dont on ne s'aperQut qu'une fois
au large, et qui forcerent de rentrer a Dartmouth, ou l'on perdit
huit jours; puis des inquiétudes duo capltaine de ce meme navire,
qui entrainerent un second atterrissement a Plymouth. La on se ................. __ _
~~CA


O ,~
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4~ LEg krATS-UNI~ DE L'.UI~:RIQUE i'EPTENTRJONALE.
résolut a se séparer du Speedwell et a congédier toutes les per-
sonnes qui le désirerent, et ce fut seulement le 16 septembre
1620 que la petite colonie flottante, réduite a une centaine de
membres, parmi lesquels des remmes et des enfants, se remit en


.mer, pour atteindre cette fois sans autre encombre les plages du
Nouveau-Monde 1.


Les pelerins s'étaient proposé d'atterrir pres l'embouchure de
l'Hudson, c'est-a-dire au meilleur emplacement de toute la cOte:
les vents les pousserent sur la partie la plus stérile et la plus
inhospitaliere du Massachusetts. A la suite d'une traversée de
soixante-lrois jours, ils aper<;urent la terre, rnais avant d'y des-
cenare, i\s "Vou\urent se lier par un contrat écrit dan s lequel ils
déclaraient se réunir en un corps politique, afin de « rnaintenir
«( parmi eux le bon ordre et poursuivre l'exécution de leurs
« futurs desseins, en annon<;ant l'intention formelle d'établir
« a cet effet tenes lois et constitutions, de rendre telles ordon-
«( nances et tels aetes équitables et justes que le bien cornmun
'(e leur paraitrait requérir 2.» Cet acte est resté justement
célebre dans les fastes de l' Améríque, sans justifier toutefois
l' en thousiasme de M. Baneroft, ou l' appréciation de Story. On
croira difficilement avec l'un « que l'humanité ait reeouvré ses
« droits dan s la cabine de la May-Flower, » et. non moins diffici-
lement avee l'autre que les pelerins aient fourni ce jour-Ia 3 le
véritable exemplaire du contrat s,ocial imaginé par Rousseau,
d'apres Platon, Hobbes et Spinosa. Pour nous, d'accord avee un
de nos plus éminents publicistes, nous ne voyons pas autre chose
dan s le coutrat rédigé a bord de la jJfay-Flower qu'une de ees
chartes tres-nombreuses, par lesquelles une' eompagnie
d'hommes, déja soumis a une loi et a des regles eornmunes, eon-
vient d'instituer une autorité assez forte pour les faire res-


1 Hist o{unit. stat., VII, 229-232.
:1 Ce compact tout a fait court se trouve a l'appcndice du tome II de l'History o{


Massachusetls d'Hutchinson. 11 a été reproduit par Story, dans son tome 1", et par
~J. Bancroft; traduit enfin par M. Labuulaye (1, 7" lecon).


3 11 novembre 1620, vieux style. Nuus saisissons eette occasion pour prévenir nos
lecfeurs qu'iei les dates eourantes sont converties en Ilouveau style, tantlis que les
doeuments anglais gardellt leur d·ate, qui est du vieux stylt', celui-ci ayant été con-
servé, en Angleterre et en Amérique, jusqu'en 1752.




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,'"


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PRF::\IIhrm P:\RT¡¡;:. - LES OUIG!~ES DES COLONlES. 49
pecter tant qu'ils c-olltinueront de vivre sons elles, et ce que les
puritains établissaient, en débarquant au cap Cod~ ~e n'était pas


I une société, mais un gouvernement t.
Les p~lerins entreprirent l'exploration de la cOte, des que leur


chaloupe, qui était en mauvais état, eut été réparée, et prirent
terre le 21 décembre sur une pointe qu'ils bap!i~erent du nom
.,:,,-u>~e Plyrnouth. La saison était tres·rigourcuse, et autour d'eux le


pays semblait désert et désolé : quelques feux, brillant dans le
lointain, accusaient seuls la présence des indigenes et l'on ne
sarait pas s'ils seraieut amis ou ennemis. La rnaladie ne tarda
point d'apparaitre et enleva plusieurs personnes, au nombre des-
quelles John Curver, qui avait été choisi pour gouverneur, le
jou,r mcme du premier débarquement, et qui fut remplacé par.
William Bmdford, le rutur historien de la colonie. A la maladie,
qui disparut avec le beau temps, succéda une diseUe causée par
l'adjonction a la petite communanté de nonveaux émigrants
arrivés sans sl,bsistances. D'ailleurs, le systeme de la culture en
commun, qu'on avait pratiqué tout d'abord, ne donnait que des
récoltes insuffisantes, et ce fut seulement quand on y eut
renoncé, apres deux ans d'expérience, que l'on ne craignit plus
le retour de la famine, et que l'on put meme, au bout de quel-
que s années, fail'e: du pIé un article de commerce fort apprécié


, ,~ des Indiens, qui, préférant la chasse au travail des champs,
dépendirent désormais des colons pour leur nourriture. Ces di-
'~ verses épreuves De furent pas néanmoins aussi nuisibles a l'essor
v", de la colonie que la conduite (les marchands de Londres. lIs
""'S",avaient refusé d'embarquer Hobinson, qui mourut a Leyde, et
~~;:.; "con«;u meme l'idée de dépossérler les colons; ils leur vendaient
'~-~ .. ;< a.soixante-dix pour cent au-dessus du cours les marchandises
;':qu~ils 'expédiaient. Enfin, les co10ns réussirent a racheter les
" 'droits de ces associés cupides et a libérer le sol qu'ils cultivaient.


011 con«;oit qu'un pareil concours de CÍrconstances facheuses ne
,favori'sa point les progres de la population : aussi, apres dix
années, ne dépassait-elle point trois cents personnes. Muis ces
trois cents personnes avaient pris racine SUr leur coín de terre :


-;' 1 Laboulayc: lfist. pol., I,'7e le¡;on.
4




50 LES ÉTATS·UNIS DE L'AM~mIQUE SEPTENTRIONALE.
elles l'aimaient a cause de la liberté religi~use qu'elles y avaient
trouvée et de,s libertés civiles qu'elles s'y étaient données. ées
libertés revetaient des formes aussi simples que républicaines:
un gouverneur élu par le suffrage universel et assisté d'un con-
seil électif; tout ]e corps des habitants m~les décidant des ques-
tions administratives, comme des questions judiciaires. Ce régime
subsista pendant plus de dix-huit années; ce ftIt seulement en
1639 qu'il prit fin, alors que l' accroissement de la population et
sa diffusion sur un plus vaste territoire forc;a de lui substituer le
systeme représentatif.


A cette époque il y avait déja une dizaine d'années qu'une se-
conde colonie puritaine s'était fondée sur les bords de la baie de
Massachusetts. La premiere tentative faite dans cette direction
datait Qe 1623 et fut l'oouvre d'un nommé Weyton, actionnaire de
la Compagnie de Plyrnouth, qui obtint une concession pres du
lieu appelé aujourd'hui Weymouth, dans le voisinage de Boston.
Elle échoua complétement, et les nouveaux colons avaient te11e-
ment irrité les Indiens qu'ils auraient été massacrés tous si le
projet n'eut été éventé par le sachem Massassoit, qui reconnut
de la sorte les bons offices de ses anciens voisins, les pélerins de
New-Plymo~th. Ni Lyford et John Oldharn, qui s'établirent en-
suite a Nantasket, .ni Roger Conant, qui fit choix de Salem 1, ne
réussirent guere rnieux, et il était réservé a une association de
cornmerc;ants et de gentilshommes de mener a 'bonne fin une
entreprise dont les résultats devaient etre d'un poios si considé-
rabIe dans les destinées de l' Amérique anglaise. Cette association
acquit de la Compagnie de New-Plymouth, tout a fait incapable
elle-meme d'une initiative sérieuse, la bande de terre comprise
entre la riviere Charles et la baie de Massachusetts, d'une part, et
le Merrimac de l'autre (1628). Elle se mit sur-le-champ en devoir
d'occuper ces territoires, et confia cette rnission a John Endicot,
puritain énergique et enthousiaste, qui pal'tit accompagné de sa
famille et que Conant rec;ut a Salern. La nouvelle de son arrivée
eut une heureuse influence sur le f>ort de l' reuvre commencée, en
lui suscitant de nombreux adhérents et en suggérant a la Compa-


i Hutchinson : History o( Massachusetts (3 vol. in-SO), r, 13-16 ..




I


"


PREM1~~RE PARTIE - LES ORIGINES DES COLONIES. :Ji
gnie l'idée de solliciter sa reconnaissance officielle, qu'elle obtint
peu dejours avant l'apparition du message dans lequel Charles Ier
dénon~ait son infention de gouverner désormais en dehors du par-
lement. La charte obtenue constituait la compagnie en corporation
commerciale; elle lui accordait de grandes facilités pour la coloni-
sation ; elle lui conférait le pouvoir tant de nommer les officiers
de la plantatíon que de pourvoír a sa police intérieure par des re-
glements rendus en toute liberté, sous réserve de l'approbation
royal e et sous la sellle condition de les conformer aux lois du
royallme ; mais elle négligeait les droits politiques des colons, et
loin de leur accorder, comme on l'a cru quelquefois, la liberté
religiellse, elle permettait au gouverneur de soumettre les colons
ail double serment de suprématie et d'allégéance 1.


La charte porte la date du moís de mars 1629, et des le mois
suivant, on pressait les préparatifs de départ. Avant d'embal'quer
011 fit une épul'atioIl des partants : ( Nous ne voulons point de fai-
néants parmi nous, » disaient ces hommes dont l'indomptable
énergie et les vaillants labeurs allaient transformer le sol améri-
cain. Ils arriverent dans les derniers jours de juin a Salem, OU
ils ne tt'ouverent ni une ville, ni une église, mais seulement une
dizaine de misérab1es cabanes et quelques champs de blé. An-
ciens et nouveaux, les émigrants formaient un groupe d'enviroIl


..


t1'ois cents personnes dont le premier so in fut de se constituer
en congrégation, sur les bases du puritanisme le plus austere et
le plus dépourvu de formes externes. Mais il y avait parmi eux
quelques hommes a qui la liturgie anglicane était restée chere et
qui refuserent de joindre lenrs prieres a ceHes de l'assemblée
commune. Les puritains n'avaient pas franchi les mers pour re-
trouver les cérémonies d'une Église si abhorrée que pour la fuir
ils avaient abandoIlJ)é une patrie passionnément aimée, et dont ils
gardaient encore le regret au fond du creur. Leur premier sym-


f «( lt empowered, but it did not require the governor; elle autorisait, mais elle
ne forcait pas le gouverneur,» dit Bancroft (J, 258) et aussi Story. M. Laboulaye
dit «( chargeait» (1, 7' lecon). 1I me semble que Bancroft et Story doivent avoir
raison. sans quoi il est difficile de comprendre corr.m~nt les puritains montrerent
tant d'empressement a se rendre au Massachusetts. lis avaiellt des raisons
de croire que la-has leur gouverneur Il'userait pas de la faculté qui lui était


. laissée.




,', ':'" '.":J'- . :,)\
t ,..:, ~.\.,~ I


52 . tES É1'ATS-UNIS DE L'.UIÉRIQUE SEPTENTnIONUE .•.
bole excluait toute tolérance et leurs oreilles résonnaient encore
'des terribles· pal'oles de Carlwrigbt, cond~mnant a mort les béré-
tiques me me repentants et imposant au magistrat civil le droit
strict de punir les infractions volontaires a la loi de MOIse t. Les·
anglicans de Salem furellt donc traités en criminels et jetés a
bord du premier btttiment qui fit voile pour la Grande-Bretagne.
Comme pour prouver que l'homme, dans son grand orgueil et sa
faible cbarité, ne cesse d'etre persécuté que pour devenir persé-
teur, au Nouveau-Monde, le puritanisme vengeait sur l'Église
établie les injustices que cette Église lui avait prodiguées dans
l'ancien.


L'intention au moins implicite de la charte avait été de lais-
ser en Angleterre le siége de la corporation : c'était de Londres


,


que son conseil d'administration, qui était composé d'un gouver-
neur, d'un député et de dix-buit assistants, devait régler les des-
tins de la plantation. Mais a p'ine y avait-il un an qUl.:l les pre-
miers émigrants étaient arrivés a Salem qu'il était décidé, sur la
proposition de Mathew Craddock, que la corporatíon se trans-
porterait en Amérique et que les priviléges de ses actionnaires
s'étendraient a tous les {reemen de la colonie. Cette grave mesure,
la Compagnie ne l'avait pas prise san s bésiter beaucoup : elle
doutait de sa légalité, et le plus grand jurisconsuIte de l'Union ac-
tuelle a de nos jours partagé ses scrupules 2. Ql10i qu'il en soit,
les offres' d'émigrer que lui faisaient alors John Winthrop et une
foule d'hommes respectables, que l'arbitraire croissant du second
des Stuarts dégoutait déja. de l' Angleterre et poussait vers l' Amé-
rique, la déciderent, etce fut a peu pres d'unevoix unanime que
la motion de Craddock fút votée. eette seconde émigration ne
pouvait se comparer a la premif:lfe, ni pour le nombre, ni pour
la qualité meme des personnes qui la composaient, car parmi ces
quinze cents émigrants qui se préparaifmt a suivre Winthrop, 11 y
avait plus d'un homme riche et tres-bien élevé; il Y avait des


f The magistrates that punish múrder and are ~ose in punishing the breachl's
to the first Table, page 38 de sa secollue réplique a Whitgift, l'archevéque persé-
cuteur de Cantorbéry, citée par Bancroft, J, '203.


:! Opinion rnanuscrite de Story, cornrnuniquée a M. Bancroft et cijée par lui,
1, ~G5.


..




'PRELUJERE PARTIE. - LES ORIGINES D-ES COLONIES. 53
lettrés et des ecclésiastíques fuyant la tyrannie de l'archeveque
Laud, et ce n'étaient pas les moins pieux ou les moinséloquentsdl1
royaume. Ils arriverent au Massachusetfs pendan! les mois de
juin et de juillet 1630, et le tableau qu'ils eurent sous les yeux
aurait bien pu refroidir des e-sprits moins fermes et déconcerter
des caracteres moins bien trempés. Les premiers colons, loin de
pouvoir leur offrir la bienvenue, vinrent a eux pour leur deman-
der des vivres, el te11e était la pénurie générale, qu'il fa11ut con-
gédier pres de deux cents serviteurs, qu'on avait introduits a
grands frais, mais dont le travail maintenant ne valait pas l'entre-
tiene


Les nouveaux venus se mirent sans aucun délai a chercher
l'emplacement de plantations nouve11es. Ils sonderent la baie et
les rivieres qui s'y jettent, el bientót a cOlé de Charlestown, fondée
par les émigrants de 1629, des demeures s'éleverent a Boston. Ce
qu'il leur en couta de labeurs et de souffrances, Winthrop lui-
meme l'a raconté, a son -éternel honneur et a l'honneur de ses
com'pagnons. Les émigrants les mieux logés occupaient des ten-
tes.. en drap ou de méchantes cabanes: ils voyaient leurs amis,
leurs fils, leurs femmes s'atraiblir de jour en jour, et périr finale-
ment faute d'eau potable dans un pays aussi abondant en sources.
Une centaine, incapables de supporter plus longtemps la vue de
ces scenes de deuil et redoutant la famine, déserterent le Massa-
chuseUs pour retourner en Angleterre, et au mois de décembre,
plus de deux cents avaient succombé. Dans les écrits qu'ils ont
laissé's, on ne rencontre pas, néanmoins, la moindre trace de fai-
ble~se : au milieu de tribulations sans nombre, leur pensée quitte
la terre; la prÍl~re les console et les réunit chaqu~ jour, soit dans
le,8 cqamps, soit sous les feuilles d~un arbre séculaire. La conduite
de Winthrop fut particulierement admirable. La douceur et la
bienveillance se melaient a l'austérité dans ceUe ame a la fois
sensible et fort~; il avait lui-meme perdu un fils, mais cette perte,
quoique vivement ressentie, le laissa inébranlable dans la satis-
faction qu'il éprouvait d'avoir émigré. « Nous jouissons lci de
« Dieu et de Jésus-Christ,]) écrivait-il a 5a femme qu'une gros-
8esse retenait en Angleterre. « Et n'est-ce point assez? Je remer-
« cíe Dieu de m'y trouver si bien, et je n'ai aucun repentir de




54 LES ÉTATS-UNIS DE L'AM¡;;UiQUE SEPTENTRIONALE.
« ma venue. Mon dessein ne se serait point changé, eusse· Je
« prévu toutes ces épreuves. Jamais mon esprit ne fut plus sa-
« tisfait t. ») ,


La premiere assemblée des francs-tenanciersrégl~, par une pré-
férence caractéristique, la situation des ministres du culte et s'oc-
cupa des Églises; les autres fixerent les formes du gouvernement,
dans l'idée bien arretée d' opposer une digue aux usurpatioIls pos-
sibles de ses chefs; car, disait-on, <eles vagues de la mer n'envahis-
« sent pas plus súretnent ses rivages que les esprits ambitieux


. « n'empietent sur les libertés de leurs freres. ») Ce qui n'empecha
poiut le gouvernement de constituer, :;ous sa forme primitive,
une aristocratie élective, les magistrats conservant 1eurs fonc-
tiúns pour un temps illimité, choisissant parmi cux-memes le
gouverneur et le député, exer\\ant en fin le pouvoir politique dans
sa plénitude. Mais on ne tarrla point a se raviser, et dans l'assem-
blée( COUTt) la plus prochaine, les francs-tenanciers se réserverent la
faculté de nornmer chaque année de nouveaux chefs. Trois ans
plus tard, la puissance législati ve passait tout enW~l'e aux mains d u
peuple, quil'exerca sans intermédiaires, et l'amovibilité desmagis-
trats fut de nouveau confirmée. Ce ne fut pas toutefois sans quel-
ques débats orageux. Parmi les émigrants du Gri{fin, petit navire
qui a droit a une mention dans eette histoire, se lrouvaient non-
seulement Haynes et Hooker, le premier législe habile, le second
ministre éloquent, tous les deux sociables et tolérants, mais a ussi,
par malheur, le célebre John Cotton, seetaire fanatique et earac-
tere hargneux 2. Cotton était né, le 4 décembre 1585, a Derby-
sur-&rwent, et appartenait a une bLlnne famille; élevé au
collége de la Tl'inité a Cambridge et plus tard {ellow du collége
Emmanuel, il avait aequis dans eette unirersité fameuse une
érudition vaste, quoique toute seolastique, et pris de l'aversion
pour la démoeratie. l( Je ne erois 'pas que Dieu aitjamais institué
« la clémocratie eomme un gouvernement fait soit poul' l'Église,


t Hist. orunit. stat., I, 269.
2 M. Clure : The Lire o{ Jo/m Cotton, Boston, 1846, 13-16. C'est un panégyrique


de Cotton, et ce qui est clJrieux et significatif comme indice de l'esprit religieux au
Ma5sachusetts, c'est que ce petit livre rait partíe d'une collection publiée par l'Asso-
ciation des écoles du dimanche, sous le titre de : Vies des l'rincipau:c Peres de la
N ol~relle-A. ngleterre.




PREMlimE PARTIE. - LES ORIG1NES DES COLONIES, 55
« soit pour le bien publico Si le peuple gouverne, qui sera gou-
a verné? Quant a la monarchie etXaristocratie, l'écriture les dé-
« signe et les approuve clairement, mais elle indique encore
« mieux la théocratie comme la meilleure forme de gouv~rne­
« ment dans l'Étataussi bien que dans l'Église 1. » Ces théories,
Cotton essaya de les faire prévaloir, lorsqu'on débattit, au Mas- .
sachusetts, le principe de l'éIection des dignitaires publics, et sou-
tint dans un sermon qu'il pronon«;a devant le peuple « que le droi t
« d'un honnete'magistrat asa charge valait celuid'un propriétaire
« a son domaine. » Mais les électeurs, dont le nombre était aIors
de trois cent quatre-vingts, ne l'écouterent point, et choisirent
sur-le-champ un nouveau gouverneur et un nouveau député,
JIs décidercllt en meme temps que le vote au scrutin secret serait
substitué au vote a main levée, et qu'aux seuls représentants du
peuple appartenait le droit d'établir ou de lever des taxes. On voit
que des lors les progres de la population avaient fait abandonner
l'exercice direct de la souveraineté qui maintenant résidait dans
la cour gén,éraIe : a dix ans de distance, cette cour se divisa en
deux branches distinctes, avec droit de veto l'une sur l'autre, et ce
systeme se maintint (ant que la premiere charte du Massachusetts
snbsista elle-meme.


JI ne fauurait pas se méprendre sur le vrai caractere de ces
institutions : elles offraient un mélange singulier et tres-intime
de liberté républieaine et d'ascendant théocratique. Divers pay=,
ont subordonné la capacité civique au rang ou a la fortune : la
France, entre autres, a vécu, pendant trente-trois ans, sous un
régime électoral qui concentrait toute la vie poli tique dans un
corps de deux a trois cent mille propriétaires, bourgeois ou Jer-
miers, payant trois cents ou deux cents franes d'impOtg annuels,
et le retour a eeUe oligarchie forme intus et cute le reve de quel-
ques vieillards, aussi caducs d'esprit que de corps, qui repré-
sentent a Versailles les aspirations d'une bourgeoisie dégénérée
et infideIe aux traditions dont elle tirait jadis son honneur et sa
force. Au Massachusetts, on n'était pas électeur si on n'était
pas membre de l'Eglise : ainsi l'avait voulu et décidé la cour gé-


I Leltre a loro Say et Sea!, apud, History of j}[assachusetts, 1, ~37.




56 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
nérale de 1631. Et ce n' était pas chose facile que de devenir ce
membre. En Angleterre, daps la boutique aux scrupules d'Ox-
ford, la grande difficulté consistait a préciser l'heure de la re-
Jlaissance, de la régénération, c'est-a-dire le moment meme oil
Dieu avait montré aux fideles leur nom inscrit parmi les prédes-


. tinés. Quiconque manquait d'indiquer ce moment ne devait plus
prétendre au titre de saínt. En Amérique, c'était le meme genre
de preuve qu'il fallait fournir aux réunions dujeudi, qui s'étaient
établies des l'arrivée des premiers émigrants : pour devenir un
saint, e' €st-a-dire un citoyen, il était nécessail'e d'indiquer le
moment exact de la justification et prononcer, en outre, un dis-
cours d'une heure devant la congrégation. «lci, » disait un contem-
porain, Lechford, l'auteur des Plain deaUngs or newes {rom New
England, «. ici on exige de telles professions et confessions pri-
« vées et publiques des hommes el des femmes avanl de les ad-
«( mettre dans l'Eglise que les trois quarts du pays restent en de-
«( hors, si bien qu'en peu de temps, si l'on continue, la plupart
« du peuple restera san s bapteme 1. » Il a été tres-heureux pour
l'Amérique que la masse de ces confreres de eotton, auxquels
la domination des ames communiquait un pouvoir sans rival,


. n'ait pas partagé ses répugnances poli tiques ; plus heureux
encore que de bonne heure, la société civile se soit appliquée
dans ce pays a secouer la formidable étreinle de la société reH-
gieuse, sans abdiquer pourtant ces croyances et ces pratiques qui
consolent l'homme et l'honorent quand son libre choix y préside
et que sa libre raison les sanctionne. A la veille de la révolution
elle y avait déja réussi, ainsi qu'en témoignc Jolm Adams dans'
la leUre qu'il envoya a l'abbé de Mably, pour dissuader ce so-
phiste, infatué de lui~meme, de Sparte et de Borne, d' écrire
l'histoire de cette meme révolutioIl a laquelle ses habitudes d'es-
prit et son éruditioIl classique le condam naien l a ne rien com-
prendre. Mais la lutte avait été longue et vive: les pages de
l'Histoire d'Hutchinson en fournissent des preuves surabondantes,
dont une seule nous suffira, paree qu'elle est a la fois curieuse et
bien instructive. En 1662, la cour générale décida qu'a }'avenir


, .. vorth American Revie¡¡;, ánnée 184.\), citée par Laboulaye, 1, 7· leron.




pnE~lIERE PARTIE. - LES ORIGlr\ES DES COLONIES. 5i
on admeltrait au bapteme les enfants des personnes qui feraient
profession publique de christianisme, sans adhérer a loutle sym-
bole de la congrégation. Eh bien! ceux qui avaient opiniatrément
combattu cette innovation modeste se la rappelaient encore huit
ans plus tard avec beaucoup d'ame.rtume, et la rangeaient aü
nombre « de ces déviations de la fondation primitive; de. ces
« nouveautés de doctrine et de culte, d'opinions et de pratiques;
« de cette invasion des droits et des priviléges ecclésiastiques »
au~quelles ils imputaient « la gangrene et la pestilence des temps,
« et les premieres marques de ce courroux divin qui mena'iait la
« eolonle d'une destruction totale 1, ») Le fanatisme puritain était
loin pourtant d'etre aussi déchu qu'on pourrait aisément le sup-
poser a un pareil langage : il eut eneore de beaux jours, comme
on ]'avait vu CJuelques années auparavant, quand les anabap-
tistes devinrent l'objet d'une persécution violente, et comme on
le vit encore lorsque la cour générale retira le privilége d'im-
primer donné a l' Imitation de Jésus-Chrisl par les censeurs, « at-
« tendu que ce livre était l' renvre d'un pretre papiste et renfer-
« mait certaines choses qu'il n'était pas sur de répandre dans le


+ « peuple 2, »
Mais l'h0m.me s'agite el Dieu le mime,' dans son alchimie rnysté-


rieuse, pour parler comme Villemain, la Providence utilise les
passions de l'llOmme meme les plus farouches et les fait concou-
rir a sa fin supreme, qui est de l'acheminer vers une somme tou-
jours croissante de liberté, de moralité et de bien-etre. De meme
que l'intolérance anglicane avait peuplé le Maryland et le Massa-
chusetts, de meme l'intoléJ'ance puritaine allait peupler le Rhode-
Islund et le New-Hampshil'e. Le fOI~dateur de la premiel'e de ces
colonies fut Roger WilJiams, jeune puritain qui était arrivé a
Nantasket, quelques ruoís apres l'arl'ivée de Winthrop et peu de
moili avant celle de Hooker et de Uotton. On ne sait rien de bien


..


précis sur son extraction et sur sa naissance : seulement la tradi-
i History of Massachusetts, J, 205 et 249. C'est la substance de la réponse que


les ministres firent au comité chargé d'examiner les causes de ce courroux. « To
enquire into the prevaiUng evils which had procured the displeasure of God
against the land, » pour s'enquérir des maux régnants qui avaient attiré la colere
Ihvine sur le Vays. .~. '0..;\ ,


2 Ilistory of Jfassachusetts, J, 236. . ~;»~::::::..:c, ~ \\1 J "l • .,.;':'
V 'i".


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'1 .. i~ . ,'~;:-) ~'.
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~. l~ ~. ' \\ .,;. '.... e




~8 . ,
v LES ETATS-UNIS DE L AMÉRIQUE SEPTEN'I'RIONALE.
tion le fait naitre, en ,1599, dans le pays de Galles, et le eompte
parmi les éleves d'Oxford, Oll plutOt de Cambridge, ear sir
Edward Coke, son proteeteur, était gradué dans eette derniere
université, et son propre 110m ne figure pOillt sur les listes de la
premiere. Ce qui est plus eertain, e'est qu'il re~ut une exeellente
édueation elassique, qu'il manifesta de bonne heure un vif senti-
ment religieux et qu'il vint sur le Lion en Amérique, OU il dé-
barqua le 5 février 1631, au havre de Boston '. Ce qui n'es1 pas
plus douteux, e'est qu'a son arrivée, .¡¡ se trouva parmi les Eglises
de la Nouvelle-Angleterre, mais sans leur app;utenir, suivarlt le
mot de M. Baneroft. La doctrine de la eoaction y restait en hon-
neur, tandis que Williams, préeurseur des idées modernes, re-
fusait au magistrat civil un pouvoir queleonque sur la conscience
et n'atlmeUait pas que l'erreur dogmatique, l'impiété meme, put
relever d'un tribunal autre que celui de Dieu. Sur presqlle tous
les points, les anciens de la eongrégation (elders) et Williams
étaient en désaecord. Lt's premiers rendaient-ils l'assistance au
preche obligatoire: « Vous dépassez· vos pouvoirs, ) objectait le
second; « personne ne peut etre tenu de suivre ou de salarier un
« euIte qui n'est pas le sien. - Quoi! s'écriaient ses antagonistes
étonnés, le travailleur n'a-t-il pas droit a son salaire? - Sans
doute, il y a droit, répliquait Williams; mais de la part seu le de
« eeux qui l'emploient. ) Il raillait l'exclusion des charges pu-
bliques donnée a toutes les personnes qui n'étaient pas membres
de l'Eglise : « Autant vaudrait, » disait-il, « choisírun médecinou
« un pilote paree qu'il serait bon théologien et tres-assidu au
« sermon .. » La lutte engagée dans ces termes se termina, eomme
elle devait naturellement finir, .par la condamnation et le hannis-
sement de Roger Williams : i1 y eut lutte toutefois, et sans l'élo-
quence fanatique de Cotton, l'issue du proces aurait pu etre dif-
férente (1635). Il faut remarquer, en outre, qu'i~ ne fut pas con-
damné pour ses opinions sur la liberté religieuse eonsidérées en
elle-me mes, mais a raison du trouble et de la subversion qu'elles
étaient jugées eapables de produire dans la eonstitution, funda-
mental state, du pays. C'est l'histoire de la "ieille et eaptieuse eon-


f Grarnrnell : Roger Williams (tome IX, 2" série de l'American biography) ,
p. 6 et 7 .




PRE~lIERE PARTIE. - LES ORIGiNES DES COLONIES. 59
fusion des deux domaines, et la tactique des théocrates l1'a guere
varié dan~ le cours des siecles. Mélitus accusa Socrate de cor-
rompre la jeunesse athénienne, et les princes des pretres ont cru-
cifié Jésus parce qu'il troublait l'ordre établi.


Roger Williams trouva un asile sur les domaines de Canonicus,
le grand sachem des Narragansetts, dont il avait gagné l'amitié
pendant un séjour a Plymouth, et qui lui fit don d'ulle vaste
étendue de terres. Ce fut au mois de j uin 1676 que, monté sur un
frele canot indien, il aborda la cóte derriere le cap Cod, et
donna le nom de Providence, si touchant dans la bouche d'un
exilé, au líen meme ou iI avait pris pied. Son désir était d'en faire,
comme i1l'a dit lui-meme, un refuge pour la liberté de conscience,
,et il n'attendit pas longtemps avant de l"ouvrir a de nouvelles vi c-
times du fanatisme plIritain, Anne Hutchinson et ses adhérents.
Anne était unecalvinisteenthousiaste: encouragée parJohn Wheel-
wright, son beau-frere, et soutenue par Henry Vane, alors gou-
verneur de la colonie, elle affirmait la présence du Saint-Esprit
dans le for intérieur de chaque croyant et maintenait la supério-
rité de ce He rérélation interne sur la parole du ministre. Son
éloquence naturelle, jointe a du savoiI:-faire, groupa aut,?ur
d'elle les hommes les plus instruits, des ministres du culte et des
offlciers publics; la majorité de la cour générale inclinait ver s
ses opinions, et l'autorité spiritnelle se yoyait menacée d'nne ré-
volte, lorsque Cotton sentit que le m.oment était venu d'inter-
venir. Le départ de Vane, qui se rendait en Angleterre, et quel-
ques imprudences de langage commises par Wheelwright et ses
amis luí rendirent la tache assez facile. Il réunit en synode tous
ses confreres, et les ramena dan s les termes stricts de l'ortho-
doxie puritaine, telle qu'illa concevait et la prechait lui-meme.
La concorde rétablie dans les rangs du clergé, le magistrat civil
s'empara d'Anne Hutchinson, de Wheelwright et de quelques-
uns de leurs plus opiniatres adhérents, qu'il frappa de bannisse-
ment, comme « impropres a vivre dans la société civile 1. »
Wheel wright gagna la vallée de la 'Piscataqua, ou il fonda la ville
d'Exeter, noyau du futur"État de New-Hampshire, tandis que sa


I Li{e o( John Cotton, 225-249. On trollve dans I'appendice dll premier volume
d'Hutchillson, pafrc 448 el sll¡vanlt's, J'intcrrogatoire d'Anne lIutchinson.




60 LES É'fATS UNIS DE L' AMÉRIQEU SEPTENTRIONALE.
belle-sceur, qui avai t d' abord songé a s' établir sur les bords de la
baie de Delaware, acceptait l'hospitalité. de Roger Williams
(1638) .


Un don du sachem Miantonimoh permit au~ nouveaux venus
de s'éÍablir dan s la belle He de Rhode et d'y vivre sous des loís
faites par eux-memes, dont ils jeterent les bases dans un contrat
analogue a celui des pelerins de Plymouth. Tout en empruntant
ses qualifications et ses form~s extérieures a la Bible, ce gouver-
nement reposa gur la double base du suffrage universel et de la
liberté intellectuelle. On déclara que le pouvoir législatif réside-
rait dan s l'assemblée des habitants ou de leurs déJégués, et OH
stipula de la fa<;on la plus nette qu'aucune opiníon religieuse ne
pourrait etre ni recherchée ni inquiétée. Les émigrants avaient
si bien la conscience d'instituer une démocratie, qu'ils employe-
rent le mot lui-meme, et ce sera ·leur éternel honneur dans l'his-
toire d'en avoir banni l'esprit de haine dogmatique et de persé-
cution religieuse, qui prévalait alors de tous les cOtés. A l'époque
0\1 parurent Roger Williams et John Clark, son ami et collabo-
rateur, a dit tres-bien John Callender, le premier historien ue
Rh9de-Island, ({ les vrais príncipes. de la liberté de conscience
« n' étaient ni connus ni adoptés par aucune secte chrétienne.
« Tous les partis pensaient qu'étant seuls en possessioIl de la
el vérité, ils avaient seuls le droit, des qu'ils étaient les plus
({ forts, d'étouffer ce qu'ils appelaient l'erreur ou l'hérésie, c'est-
« a-dire toute opinion qui n'était pas la leur; c'est seulement
« quand ils étaient les plus faibles qu'ils demandaient la liberté
« de conscÍence 1.») Ces lignes peignent a merveille la disposi-
tion intime des sectes, il y a deux si'ecles. Le mal et la honte c'est
qu'elles n'aient pas perdu toute vérité meme de nos jours, et
convenons que les arrIÍs de la liberté ont bien quelque mérite,
lorsque, sans re~ret et san s hésitation, ils la laissent entiere a
des adversaires qui ne semblent la rechercher et la choyer que
pour mieux la détruire a leur heure.


Ce furent encore des migrations venues du Massachusetts,
mais celles-ci volontaires, qui peuplerent la vallée du Connecti-


f Laboulaye : Hist. pol., 1, 12" lecon.




PREMIERE PARTIR. - LES oRtmNES DES COLONIES. 61
cut. Quoique le comtA de Warwick en eut obtenu la conc~ssion,
en l'année 1630, il n'avait encore rien fait pour la coloniser,
quand des pelerins de Plymouth s'éHlblirent a Windsor, des
Hollandais de Manhattan a Hartford, sur la rive droite de la ri-
viere, el que Hooker se transporta sur le territoire des Pequods,
a cause de sa rivalité avec Cotton, s'il faut en croire Robertson,
~t seulement attiré par la richesse du pays, selon M. Bancroft.
Ces Indiens n'étaient pas des voisins paisibles : ils venaient de
comploter un massacre général des colon s de Ja baie, qui n'a-
vaient du leur salut qu'a Roger Williams, dont l'intervention,
quelque peu périlleuse, avait seule empeché les Narragansetts,
chancelants dans leur bon vouloir habituel, de s'associer au coup
de main projeté. Les Pequods, laissés seuls et ne se sentant point
assez forts pour l'exécuter, se contenterent de harceler les com-
.pagnolls de Hooker et de raNager leurs cultures. Les Anglais
perdirent enfin patience; ils réunirent environ quatre.vingt~
hommes, dont une vingtaine venus du Massachusetts, et entre:-
'rent dans la riviere Mystic. Les Peaux-Rouges avaient élevé quel-
ques grossiers ouvrages sur ses rives, et,' confiants dans leur
nombre, ils passerent en réjouissances la nuit qui précéda l'at-
taque des colons. Ceux-ci, de leur coté, ressentaient toute l'ar-
deur d'hommes' qui combattent pour la sécurité de leurs
demeures et qui savent que, s'ils sont vaincus, le scalp et le toma-
hawk n'épargneront pas plus leurs femmes et leurs enfants
qu'eux-memes. Au bout d'une heure, ils avaient emporté les dé-
fensesdes Pequods et fait périr pres de six cents d'entre eux,
guerriers, femmes et enfants, sans avoir perdu eux-memes plus
de deux hommes. Quelques jours plus tard des renforts, que le
pasteur Wilson. amena de Boston, permirent d'achever la ruine-
des Indiens. On les poursuivit dans les bois; on bru.la leurs wig-
wams; on ravagea leurs champs. Environ deux cents Pequods
avaient survécu au désastre: ils furent réduits en esclavage ou
bien melé s aux Mohegans et aux Narragansetts (1637).


L'année suivante, une autre colonne ~'émigrallls, que guidaient
Davenport, son pasteur, et Theophilus Eaton, alla jeter les fon-
dements de New-Haven. Ils tinrent ,leur premiere réunion sous
un arbl'c que le printemps n'avait pas encore regarni de ses




LES ~~TATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTR!()NALE.
fe uilles , et Davenport leur rappela que, semblables au Fils de
l'Homme, il avaient été conduits dans le désert pour y etre ten-
tés; puis un jour de jeime et de prieres précéda la rédaction du
covenant de la nouvelle société. On y lisait que (t tout serait or-
« donné dans son sein suivant le modele offert par les Écritures, »
et cet engagement fut tenu a la leUre. Eaton, Davenport et cinq
autres devinrent les sept piliers de la nouvelle maison dans le dé-
sert; ils posséderent d'abord un pouvoir absolu, mais ils ne tar-
derent pas d'eux-memes a conférer les droits politiques a tous
les membres rle lenr Eglise. Les élections des officiers publics
suivirent, et Davenport, choisissant pour texte le verset : «( La
( cause qui est trop difficile pour vous, apportez-la-moi, et je
« vous écouterai, » définit les devoirs du magistrat, en l'invitant
a les remplir suivant la justice. A mesure qu'il se fondait une
ville dans le voisinage de New-Haven, elle devenait rgalement
une maison de sagesse, reposant sur ses sept piliers, aspirant a l'il-
lumination de l'éternelle lumiere, el les colons se préparaient a
une seconde venue du Christ qu'ils attendaient en toute con-
fiance l.


M. Bancroft a fait particulierement ressortir le caractere libé ..
ral des premieres constitutions du Connecticut; il a signalé l'ab-
sence complete de toute distinction artificielle par mi les colons,
la part qu'ils prenaie:ót tous, par voie indirecte, au pouvoir légis-
latif, les éleclions faites au scrutin secret et le nombre des dé-
putés mis en rapport avec la population. ( Plus de deux siecles, )
ajoute-t-il, ( se sont écoulés, les expériences les plus variées ont
( assailli le monde; les institutions politiques sont devenues un
( theme qui a exercé la sagacité des esprits les plus éclairés et les


. ( plus puissants; tant de constitutions ont été fa.ites et rléfaites,
( pronées et renversées, que la mémoire désespere d'en reten ir la
( liste entiere, et le peuple du Connecticut n'a pas trouvé de


. « raison pour s' écarter essentiellement de la forme de gouverne-
« ment établie par ses peres. » L'éloge est mérité, mais l'obser-
vation n'est pas tout a fait exaéte : il est un point, en effet, sur
lequel les habitant du Connecticut ont modifié leurs premieres


t llist o{ unit. sta.t., J, 303.




l>R~MJRRE PARTIE. -- LES OtUGlNES DES COLON1ES. , 63
institutions d'une fa~on essentieBe et fort sage. Ce fut quand ils
en bannirent les dernieres traces du fanatisme puritain, en resti.
tuant a la conscience ses droits mutilés et au foyer domestique
ses immunités protectrices; quand ils briserent le moule théo-
eratique de leurs premieres lois, en rejetant ceBes qui gardaient
la marque d'un rigorisme outré et d'une sévérité excessíve.


Partout dans la Nouvelle-Angleterre, mais nuBe part autant
qu'au Connecticut, la législation a subí l'empreinte d'une aus-
térité dont la sincérité n'a pas toujours sauvé les cótés grotesques,
el d'un zele religieux dont la pureté n'a justifié ni les exces in-
trinseques, ni les formes oppressives; nuBe part autant que dans
ses célebres Blue-Laws n' a pparait le des~eill arreté d' emprunter au
Mosa'isme son plan général et la plupart de ses lois particulieres.
Ouvrez les deux volumes d'Hammond 1, et vous verrez le législa-
teur suivre a la piste, .si 1'on peut ainsí dire, le texte biblique;
puiser sa nomenclature pénale et ses chMiments dans l' Exode,
dans le Deutéronóme, dans le Lévitique; citer meme leurs versets
dans ses propres dispositifs. S'il punít de mort l'idolatrie, la sor-
cellerie, le blaspheme, l'adultere, le viol 2, la rébellion de l'en-
fant et les coups qu'il porte a ses parents 3, c' est qu' en pareilles
circonstances, le législateur hébreu a prononcé eette peine meme ;
s'il admet le divorce et s'il gratifie l'alné des fils d'une double
part dans le partage des terres paternelles, e'est. pour obéir a ]a
loi juive, et s'il omet de réprimer le vol, que les lois anglaises pu-
nissaient alors de la peine capitale, c'est qu'on lit autrement dans
les saintes Écritures 4. Ce puritain prévoit tout, pénetre partout, cha-
tie tout. Il inflige l'amende au cabaretier qui sert au consom-
mateur plus d'une demi-pinte en une foís, ou qui le laisse s'attabler


I The public records ofthe colony of Connecticut prior to the union with New-
Haven colony et the public recurds, etc., from 1665 lo 1675, par J. Hammond-
Trumblllt, Hartford, 1850.


2 Lois établies par la Cour générale, le l er décembl'e 1642. V. The public re-
cords, J, p. 77 et suiv.


3 Lois établies par la Cour générale de 1660. V. The public records, J, 509 et
599. L'enfant doit étre agé de plus de 16 ans dans le premier cas, et dans le second
la loi lui reconnait une excuse s'a n'a point refu d'éducation, ou si quel-
que correction extréme et cruelle"I'a constitué en état de défense.


<4 Lois du Massachusetts. Au Connecticut, le vol simple est puni des fers et du
fouet ; le vol de grand chemin de la marque au front.




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plus d'une demi-heure; l'amende a l'ivrogne, l'amende au joueurr;'-~
l'amende encore au menteur, avec le fouet en cas de récidive.lk:.;
fait réprimander en public la personne qui interrompt grossiere·:
ment le ministre dans sa ehaire, et le rait asseoir pendant deux
heures sur l'escabeau de repentance avec un éeriteau en grosses
lettres sur sa poitrine, si la réprimande n'a point suffi.ll inter-
dit le tabac a quiconque n'a pas vingt ans, défend de fumer
dans les rues, et rl~legue au magistrat un pouvoir arbitraire
sur les fornicateurs et les paresseux. Il recommande aux mi-
nistres de signaler aux autorités les familles ou les enfants ne
sont pas catéchisés, l'Ecriture lue, les prieres quotidiennement
raites; aux selectmen, de veiller a ce qu'on n'y re~oive que de
bons pensionnaires, et que ceux-ci suivent avec régularité les
exercices pieux de la maison. Il enjoint aux constables de prendre
note des personnes qui fréquentent les lieux publics, et de les en
empecher, sous peine pour eux-memes d'une forte amende. En-
fin, il prohibe les boutons d'or, la dentelle, les rubans de soie,
et, en général, tout exces dans la toilette, ( paree qu'il messied a
« la situation des émigrants dans le désert comme a l'esprit évan-
« gélique et menace de corruption les générations nou velles 1. »


Qu' on ne s'y trompe pas : ces lois exprimaient le sentiment
général et recevaient une application réguliere et facile. Per-
sonne ne plaignait Nieholas Olmsteed puni d'une amende de
vingt livres et d'une demi-heure de pilori, pour avoir touché Ma-
ríe Brownson d'une maniere indécente : (01' his lascivous carriage
and (owle misdetneanour at Sundry times; ou Robert Shorthose,
dont la langue restait prise dans un baton fendu, pendant une
demi-heure, paree qu'il avait juré le nom du Seigneur 2. Per-
sonne ne trouvait excessif que les magistrats missent en prison
un jeune homme et une jeune femme quí avaient eu des rela-
tions amoureuses pendant la vie d'un premier époux, máh qui
les avaient régularisées, en s'unissant eux-memes a la mort de cet
époux 3. On ne s'étonnait pas a Boston de voir une vénérable


t Lois rendues dan s la Cour d'élection du 11 mai 1679. V. The public records,
11,273-281.


2 The public 1'ecords, 1, 50. - Hist. of Massaclmsetts. r, 381¡.
s Fait cité par Tocqueville et M. Laboulaye, d'apres Hutchinson.




PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DhS COLONlES. 05
matrone, qui s'était abandonnée a quelque intempérance de
langue, baillonnée et attachée a sa por le, afin de luí apprendre a
elle-meme ainsi qu'il ses concitoyennes l'utilité- de réfréner leur
bavardage. Dans cette meme ville, l'assemblée générale, tenue
en 1634, défendait de mettre plus d'un crevé a une manche de
pourpoint; elle prohibait les ceintures doré es ou argentées et
les chapeaux de castor; cinq ans plus tard, c'était le tour des
manches trop courtes ou trop larges et des toasts de tomber
sous ses coups, tandis qu'elle déplorait la longueur immodérée
des hauts-de-chausses, l'usage des manchettes, des collerettes,
des nmuds d'épaule, et qu'il se formait une association de purs
pour prévenir le port des cheveux longs 1.


Dans une leUre datée de 1660 et qu'Hutchinson eut sous les
yeux, un gentleman anglais, qui avait habité la Nouvelle-Angle-
terre pendant plusieurs années, a communiqué a l'un de ses ami s
de Londres l'impression que cet ensemble de mmurs et de lois
également au¡;,teres lui avait laissée.Il constate que durantson long
séjour, il n'a eu occasion nide voir un hommeivre, ni d'entendre
un juron profane; mais i1 s'étonne beaucoup du caractere exc1u-
sivement civil qu'on y attribuait au mariage, et ne croit pas que,
pendant toute la durée de sa premiere charte~ il y ait eu au Mas-
sacllUsetts un seul exemple d'union cOl1jugale, célébrée par un
ecclésiastique, quand ces émigl'ants sont tous de souche anglaise,
et qu'il l'époque ou ils quittaient l' Angleterre, il eut été dificil e
de citer un seul cas matrimonial ou le pretre ne fut pas intervenu 2.
Pour nous, hommes du XIXe siecle, a qui une étude plus aUentive
de l'histoire et un sentiment plus profond de la dignité et de la
responsabilité humaines ont enseigné le respect de la liberté,
révélé sa grandeur et sa vertu bie~faisante, de telles genes, de
telles restrictions, de tels empiétements nous révoltf)nt, et les rudes
ordonnances des puritains de la Nouvelle-Angleterre ne trouvent
pas a nos yeux une faveur beaucoup plus grande que les regle-
ments puérils de la république catholique, ou ponr mieux di re


t llist. of Massachusetts, J, 384-389. - North American review, octolJre
1849.


2 Bist. o{ Jlass. J, 3a-!.




66 LESÉTATS-UNIS DE L'.UIÉRIQUE SEPTENTRIONALE
socialiste, que les jésuites fonderent an Para:guay 1. n y a, néan-
moins, une différence essentielle a faire entre les deux disciplines:
celle des jésuites otait aux Indiens toute volonté et toute initiative j
elle en faisait des machines vivantes et ambulantes, des cadavres
moraux : Perinde ac cadaveri. La discipline puritaine a fortement
trempé les caracteres qui lui donnaient une soumission volontaire-;
elle a crée des citoyens et des hommes; elle a inspiré quelques-
uns des foudateurs les plus illustres de la liberté américaine, les
-Franklin, les John Adams, les Hancock. L'efficacité des loís somp-
tuaíres n'est pas plus prouvée au moraliste qu'a l'économiste, et
ce dernier sourit aussi bien en parcourant les vieilles ordonnances
du Massachusetts sur les cheveux longs ou sur les perruques qu'en
lis~nt lesédits d'Élisabeth sur les fraises bouffantes, 1 es longues
rapieres, les longs manÚmux, ou .les édits de nos rois qui impo-
sent des limites a la. gourmandise des bons bourgeois et a la va-
nité de leurs dignes compagnes. Seulement, ce n'est la, corome
on l'a tres-bien fait remarquer, que l'apparence du puritanisme,
son enveloppe, son vetement, et ce vetement, a la forme suran-
née ou grotesque, recouvrait une séve puissante et une ardeur
virile. Ces favons formalistes ont en leur contre-coup dans les
ma=mrs; « en donnant aux habitudes de la vie une austérité par-
« ticuliere, en proscrivant le relachement et le luxe, en désar-
« mant en quelque sorte l'ambition, elles ont permis tous les
« exces de la vie politique, cal' les mmurs faisaient un perpétuel
« contre-poids qui empechait la balance de perdre l'équili-
«( bre 2. »)


L'accroissement a leurs portes des colonies franc;aises ou des
colonies hollandaises , l'attitude souvent menavante des Peaux-
Rouges, et plus que tout le res~e, peut-étre, l'inimitié du gouver-


i M. Laboulaye dit a ce propos (( qu'au dernier siecle, les philosophes ne pouva¿ent
assez tourner ces prescriptions en ridicule. (1, 8e lecon). Pas tous cependant; Mon-
tesquieu dans l'Esprit des lois et Raynal dans l'Histoire des deux lndes, crurent
voir dans ce régíme un hommage rendu a leurs idées et en cbanterent les louanges.
Chaleaubriand aussi a tracé dans son Génie du christianisme un tableau bucolique
de la république du Paraguay. Mais son tableau, « qui est faux au point de vue bis-
« torique, porte beureusement le cachet des eh oses fausses : il est d'un gúut faux. »
(L:mfrey. L'Eglise et les philosophes au XVIII e siecle, '244.)
~ Hist ]Jol., 1, Se le.;on.




, /.' ,'~ 1
> '\,'"


PREMIEHE PARTlE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 67
. · ment royal suggérerent, de bonne heure, aux colonies puritaines,
l'idé~ de se réunir en confédération. Elle leur vint pour la pre-
miere fois en 1637, apres l'extermination des Pequods, et au mo-
ment meme OU Burdett signalait a Laud « le détestable esprit )
qui régnaiten Amérique, et poussait, selon lui, les colons non-seu-
lement a innover en matiere de discipline religieuse, mais encore
a rejeter la souveraineté de la· couronne. Un historien illustre a
tracé de ce prélat un portrait peu flatteur, mais véridique, quand
il a parlé de son esprit étroit et tracassier, de sa nature irritable
et susceptible, de son zeIe superstitieux et de sa charité faible.
11 avait établi, d:ms tout le royaume, un systeme d'inquisitioll et
d'espionnage, qui s'étendait jusqu'aux dévotions du foyer uomesti-
que, el tene était la terreur illspirée par son impitoyable rigueur
qu'a la veille de ces troubles, dont l'issue devait etre si fatale a
son ordre et a lui-meme, les éveques de p~usieul's vastes dioceses
pouvaient tirer gloire pres de lui de ce qu'il n'y avait plus un seul
dissident dans leurs juridictions respectives 1. Un tel homme de-
vait ressentir pour les puritains en particulier une lmine impla-
cable: il la manifesta, en les livrant a la vindicte de l'infame
chamlJl'e étoilée, star-chamber, et en apportant a leur émigration
tous les obstacles qui dépendaient de lui. Ni le roi, ni son conseil
privé n'étaient rnieux disposés a leur égard, et ce conseil prit sur
lui, en 1638, d'arreter huit Látim~nts, ancrés dan s la Tamise, qm
s'appretaient a faire voile pour l' Amérique. On a prétendu sou-
vent que Cl'Omwcll et Hampden se trouverent empechés de la
sorte de quitter l' Angleterre, et les partisans d'une mesquine
théorie philosophique, celle qui explique les gl'8nds effets par
les petites causes, ne se sont pas fait faute de déplorer la fatalilé
qui aurait ainsi reten u en Angleterre,. par un acte signé de
Charles Ier, deux de ses implacables adversaires. La vérité est que
si Cromwell et Hampden eussent fait partie des passagers de ces
huit navires, ils auraient passé en Amérique, puisque le départ
de ces navires subit seulement un retard de quelques jours, et
qu'il n'y eut pas dans ce meme été moins de vingt navires qui
appareillerent emportant trois mille personnes, toutes ou a peu pres


I ~Leaulay. lJisl. uf Ellylallrl, 1, 8i.




68 LES ÉTATS-UNIS DE L'Al\iÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
toutes de la communion persécutée. Il faut ajouter qu'aueun de
ces personnages ne parait avoir eu meme l'idée d'émigrer t, et
enfin que leur départ n'aurait pas empeehé la résistance vieto-
rieuse du peuple anglais a la double tyranie qui menaQait de
l'envelopper. Tót ou tard, l'orgueil despotique de Charles ler, la
eorruption égoi'ste de Charles I1, la morgue imbécile ~e Jaeques II
et ses penehants, tour a tour cruels ou perfides, auraient trouvé,
a coup sur, leur écueil et reQu leur chatiment.


L'union dont je parlais tout a l'heure n'eut lieu qu'en 16~3;
elle embrassa les gouvernements du Massaehusetts, de New-Ply-
mouth, du Conneetieut et de New-Haven, tandis qu'elle excluait
la plantation de Providenee et ceBe de l'ile de Rhode, paree
qu'elles refusaient de reconnaitre la juridietion de New-Plymouth.
Abandonnées a elles-memes, illeur été díffieile de préserver leur
indépendanee, et elles prirent le parti de solliciter la protection
de la mere patrie. Roger Williams se ehargea de l'obtenir, et
l'obtint, en effet, grace a l'appui d'Henri Vane, grAce surtout a


• ses travaux sur la gl'ammaire indienne et a son apostolat en Amé-
fique. La eh arte qtIe les deux chambres lui :lceorderent oc-
troyait aux colonies riveraines de la baie de Nárragansetts le
plein gouvernement d'elles-memes (1644). L'union ne s'étendit
point davantage aux colonies établies sur les bords de la Pisca- .
taqua; ou a celles que Ferdinand Gorges avait fondées sur les
rivages et aux environs de la baie de Casco, et qui furent le noyau
de la future province du Maine. Le motif de l'exclusion était eette
foís tout politique : « Elles suivent, )) disaient les puritains, « une
« yoie toute différente de la natre aussi bien dans le ministere que
( dans l'administration' civile. » Gorges était, en effet, un fervent
royaliste et un vrai gentilhomme campagnard de lá vieille An-


• gleterre qui prit, déja septuagénaire, les armes pour la défense de
Charles, et qui avait transporté, du moins sur le papier, le maire
et les aldermen de Londres, la cour de la chancellerie avec ses
huissiers et ses sergents, a des bourgades telles que Saco et Geor-
giana, nommée depuis York, dont l'une comptait alors c~nt cin-
quante et l'autre trois cents habitants I L'union respecta d'ailleurs


I lJist. of unít. stal, r, 309,




PItEl\UERE PATITIE. - LES ORIGINES DES COL'ONIES. 69
la juridiction local e des plantations qui yentrerent, et le directoire
qu'on. mit a sa tete pouvait bien décréter une guerre et la levée
de troupes; mais ilappartenait a chamlIl des confédérés de ~endre
ces mesures illusoires ou effectives, selon qu'il allouait ou refu-
sait les subsides qu'elles rendaient nécessaires. Les' débuts de ce
directoire furent, au surplus, tres-heureux, puisqu'il conclut un
traité avec le gouverneur fran<;ais de l'Acadie et for<;a les Narra-
gansetts a maintenir une paix qu'ils brulaient du d~sir de
rompre.


Il y eut alors comme un courant de tolérance qui parcourut les
colonies. On révoqua la sentEnee d'exil qui avait frappé Wheel-
wright; 011 laissa dormir la loi de bannissement qui venait d'etre
portée eontre les anabaptistes, et il fut meme question d'étendre
la franehise eivique a ceux qui n'étaient pas membres de la con-
grégation. Ce ne fut d'ailleurs qu'une eourte haltB et une sorte
d'éelair; on ne put s'entendre sur l'extension projetée, et moitié
levain du vieux fanatisme, moitié col ere des procédés des nova-
teurs, qui avaient porté la question en Angleterre et obtenu du
long parlement un ordre tres-mena<;ant pour l'indépendance
locale des colonies, la cour générale du Massaehusetts renfor<;a,
lo in de l'affaiblir, l'union intime de la congrégation et de la cité
('1646-4.7). Il s'ensuivit, apres le triomphe des puritains dans la
métropole, une reerudescenee de bigotisme et de persécution en
Amérique, dont les anabaptistes et les quakers eurent plus par-
tieulierement a souffrir. Lorsqu'nn homme eorome Jérémie 'ray-
lor, qui se piquait d'une vaste tolérance, comparait l'anabaptisme •
a la plus grande peste qu'eut a redouter l'esprit public, n'était-il
pas naturel qu'un Cotton ressentit tous les frémissements d'un
zele sans charité et sans ·mesure, qu'il entrainftt le vulgaire a des
actes ou l'odieux le disputait souvent au ridicule? e'est ainsi que .; ..
Clarke, l'honnete baptiste de Rhode-Island, que l'on for<;a d'as:-
8ister a une réunion eongréganiste, paya d'une forte amende quel-
ques marques de répulsion ou de dédain, et qu'un de ses eore-
ligionnaires, Holmes, subit une flagellation vigoureuse, sur son
refus de se soumettre a une sentenee an~iogue. Nier que tous les
1ivres de l' Ancien et du Nouveau Testament fwsseut indifferem-
ment des témoignages infaillibles de la parole dh'ine devint..:;,UI;¡¡l __ -'-k




r ,


70 LES ÉTATS UNIS DE L'A~IÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
cas péna1 et passible de l'amende ou des verges, et, peu a peu, la
.oour générale en arriva a revendiquer pour elle-meme, pour le
conseil exécutif et deux ou trois Églises p.rivilégiées, m'ganic chur-
ches, le droit d'imposer silence a quiconque ,n'était pas ordonné.


Quant aux quakers, ils étaient l'objet d'une aversion encore
plus forte, s'íl est possible, et de yexations plus intolérables. ~ la
vérité, les premiers qui parurent au Massachusetts ne ressem-
blaient, ni par l'éducation, ni par la douceur a William Penn et a
ses discfples ; ils insultaient volontiers de leurs fenctres les magis-
trats ou les ministres, interrompaient l'omee publie par des cIa- .
meurs indécentes, et ron voyait. parfois leurs femmes se prome-
ner dans les rues, le visage barbouillé et meme le corps nu. Il ,
n'y.avait point encore de statut spécial a la secte, lorsque Marie
Fisher et Anne. Austin débarquerent a Boston, au moís de juin
1656; mais, en ver tu de la 10i généra1e contre les bérétiques, on
se crut le droit de fouiller leurs malles, de bruler leurs Uvres, de
rechercher sur Ieurs personnes des traces de sorcellerie et finale-
ment de les bannir du pays. L'année 3uivante, une lofparticuliere


, était rendue, et tout membre de la secte maudite condamné au
bannissement et a l'amende ; ceux qui revenaient étaient empri-
sonnés, fouettés, et une seconde fois chassés. On ne tarda point a
1rouver ces peines insuffisantes, et l'on décida que tout quaker
avéré perdrait d'abord une oreille, puis l'autre s'il n'abjurait pas,
et qu'il aurait la langue percée d'un fer rouge a sa troisieme
comparution devant le juge. Disons vite, a l'honneur des colons,
que cet horrible code resta leHre morte, mais, a leur honte,
qu'ils le remplacerent par la peine capital e portée contre tout
quaker qui rentrerait dans la colonie apres en avoir été banni,
et que cette fois la menace ne fut pas vaine. Mary Dyar, Marma-
duke Stephenson, William Robinson, William Leddra allcrent
successi\"ement a la potence, et W cnlock Christison fut bien pres de
partager leur sort. Un singulier dialogue s'établit eutre ce dernier
et ses juges. « En yertu de quelle loi, leur de manda-t-il , voulez-
vous me mettre a mort? - Nous avons une loi, lui répondit-on,
et e' est en vertu de eeHe 10i que vous de vez mourir. - C' est ainsi
que les juifs répondaient a Jésus-Christ; mais qui vousa donné le
pouvoir de la rendre? - Nous avons une charte et pouvons faire




',',,/,


'- .


PRE~lIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 7'1
nos lois. - Pouvez-vous en faire de cQntrail'es aux lois anglaises?
- Non. - Alors vous avez dépassé vos limites et votre ereur est
aussi rebelle a votre roi qu'a votre Dieu. Je demande a etre jugé
d'apres les lois de l'Angleterre, et elle n'en a point qui eondamne
les quakers au gibet. - Les Anglais bannissent les jésuites sous
peine de mort, et nous pouvons avec la me me justice bannir les
quakers t. » C'est avec ( la meme injustice ») qu'il eut faUu (lire;
mais les jurés du MassachuseUs, qui ne partageaient pas cette opi-
nion, rcndirent un verdict de culpabilité, non sans qllelque hési-
tation toutefois. La grande masse du peuple avait toujours eu de
l'aversion .pour ces supplices, et les magistrats commeD<;aient a
douter de leur efficacité, peut-etre meme de leur droit a les infli-
gel'; Wenloek et vingt-sept autres de ses coreligionnaires furent
mis en liberté.


En somme, le protectorat d'Olivier Cromwell fut pour la Nou-
velle-Angleterre une heureuse époque ; quoilJue la conduite des


• eolons ait souvent contrarié ses vues, il ne troubla jamais leurs
libértés civiles, eommerciales ou religieuses, et tit voir par ses
actes qu'il était, ainsi qu'íl l'écrivait lui-meme, « vraiment dis-
posé a servir les freres et les Églises d' Amérique 2. Deux fois, .
il eut l'idée singuliere de leur faire quitter la colonie, en leur
offrant de les transporter d'abord en Irlande, dont il voulait ex-
pulser toute la population celtique, puis dans la Jama'ique, dont
sa marine avait fait la conque·te. Les colons refuserent estimant
qu'ils jouissaient du gouvernement le plus sage et le plus heureux
qui fút au monde 3; a coup súr ils n'avaiení pas a envier le sort
de la France, qui préludait alors, dans le trouble des guerres
civiles, a l'enfóntement du pouvoir absolu, ou meme le sort de
la Gral~de-Bretagne destinée a ne recueillir que quarante ans plus
tard les premiers effets de son émancipatíon politiqueo Il n'était
pas a,lors de pays en Europe oil le législateur veillAt avec un soin
jaloux aux progres de l'instruction publique,' forQat les parents
ou les patronsa enseigner a leurs enfants, ou a leurs apprentis


f Hist. of Jlfass., J, 180-189. - H1'st. ofunit. siat., J, 339-343.
2 His'. or Mass., J, appendice, n° IX.
3 lIist. (Ir unit. stat., 1,354. Eyeret. Orations and speeches, n, p. 12.2, ciié par


Laboulaye.




72 LES -ÉTATS-UNIS DE L'Al\lÉRIQUE SEPTENTnIONALE.
l'écriture, la lecture, les lois principales, et obligeat les com-
munes a ouvrir des écoles de grammaire, quand elles renfermaient


/


une centaine de familles t. A cette époque la noblesse fran~aise ne
savait pas l'orthographe, et si elle la sait aujourd'hui, ce n'est
ni son avis, ni celui du clergé catholique que le menu peuple
l'apprenne a son tour. Ces puritains, qui n'étaient pas des lettrés
dans le sens vulgaire du terme, ne négligeaient point pour cela
les intérets d'une in~truction plus haute. Neuf ans apres l'arrivée
de Winthrop, une presse typographique fonctionnait a Boston,
qui n' était encore que la réunion d'un petit nombre de cabanes,
et trois années auparavant la cour générale ayait voté l'établisse-
ment d'un collége, en consacrant a ceUe fondation une somme
égale aux impositions annuelles de toute la colonie. En 1638,
John Harvard, qui ne parut dans le pays que pour y mourir, lui
Jégua sa bibliotheque et la moitié de ses biens, Le collége Harvard
de Cambridgp, devint bientOt le favori dp, {out le monde, des riches
particuliers comme deslégislatures; on vit unjour chaque famille •
se cotiser en sa faveur pour une somme de douze pence ou une
mesure de blé, et peut-etre cette libéralité hit-elle renonvelée


. a diverses reprises. Cette dette, le colJége l'a depuis largement
acquittée; parmi qes hommes dont la Nouvelle-Angleterre est
fiere, il en est peu qui n'aient compté parmi ses éleves, et quelques-
uns ont été au nombre de ses maltres. Quant aux écoles primaires,
leur nombre et la direction qui leur fut imprimée des leur nais-
sanee expliquent dans une large mesure les traits les mieux ca-
ractérisés de eette population forte et originale.


La Virginie et la Nouvelle-Angleterre ont été le noyau des
États-Unis : leur histoire, selon la remarque de M. Laboulaye,
est le fond de I'histoire de l' A mériq ue elle-meme et forme les
deux points ou tout converge dans celle-ci : e' est pourquoi on a
donné au récit 4e leurs débuts un développement spécial, et
pourquoi on est entré dans des détails qui, eu égard au cadre de
ce travail, peuvent, a premiere vue, sembler aceessoires, mais


i Lois du Massachusetts de 1637. du Connecticut de mai 1650, de New-Haven de
1665. Celles-ci allaient jusqu'¡¡ retirer aux parents, tuteurs, patrons, la direction
des enfants et apprentis qu'ils négligeraient d'assez instruire « pour qu'ils pus'
sent lire les saintes Ecritures et antres lirres tttiles publiés en anglais. ))




PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 73
qui avaient le grand mérite de projeter une pénétrante lumiere
sur des mobiles et des actes dont les effets devinrent. visibles a
plus d'un siec1e de distance. Quand la révolution éclata, la part
que les deux pays y prirent se trouva conforme aux traditions
et au caractere de leur génie particu lier. Les hommes de la Nou-
velle-Angleterre lui communiquerent Ieur élan et leur ardeur;
les bourgeois de la Virginie lui apporterent leur prudence et
Ieur habileté politiqueo Les John Adams et les Hancock rencon-
trerent dans les Washington et les Jeffersonun contre-poids utile
et salutaire. Le patriotisme s'inspira de la tactique, et la tactique
a son tour s' enflamma au contact du patriotisme. n y a quelque
quarante ans, a une époque ou le fond de la nationalité améri-
caine n'était pas encore menacé de disparaitre sous les couches
superposées des brutales races teutoniques, il était encore bien
facile de distinguel' dans l'Union deux types tranchés, le type
virginien, plus léger et plus sympathique, et le type yankee,
plus solide et plus morose. Ce qui frappait surtout le voyageur,
c'était la faible altération que le temps avait apportée aux gran~s
traits du second : il retrouvait presque intactes chez l'habitant du
MassachuseUs actuel les qualités des Pilgrim Fathers, mais
aussi leurs passions et leurs préjugés. Ainsi, la loi permettait
maintenant d'y étre catholique, maJs l'opinion le défendait en-
core : témoin l'incendie du couvent des Ursulines, qui eut lieu
en 1834, et les scenes scandaleuses auxquelles le pro ces des in-
cendiaires donna lieu. Il n'y était pas plus sur de se montrer in-
croyant, comme le prouva l'action de blaspheme intentée a
M. Abner Kneeland, pour avoir écrit en faveur du panthéisme,
proces qui ne put heureusement aboutir, paree que, a deux re-
prises différentes, il ne se trouva que onze jurés sur douze pour
le condamner, et que la 10i américaine, semblable a la loi an-
glaise, exige leur unanimité". Au Connecticut, les El'ue Laws
avaient été abrogées l'une apres l'autre-, et de cette antique lé-
gislation il ne restait plus guere que sa forte organisation muní-
cipale. Mais, au Massachusetts, la communauté continuait d'in- ':'.,
tervenir dans la vie privée, et dépouillait parfois l'individu dé
certains droits qui semblent, en Europe, aussi naturelsqu'impres-
criptibles, et l'on voyait a Trenton, en 1836, deux juges de paix


. .




, ,'",-,




74 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
interdire la publication des bans d'un mariage, paree que les fu-
turs conjoints n'étaient pas en état de se su/jire a eux-memes, et
qu'ils n'avaient point assez de discernement pour contracter un
acte de cet importan ce '.


t Michel ChevaJier. Lettres sur l'Amérique du Nord, 1I, lett. XXVII el note 36.




LIVRE III.


La Resfaurafion et les Colonies; la conquete de New-York
et la fondation des Carolines et de la Pennsylvanie.


Sommaire. - LA PRÉROGATIVE PARLE:\<IENTAIRE: Les nouveaux actes
de navigation renforcent le systeme restrictif et rendent plus
dur le pacte colonial; tentatives de résistance de la Virginie.


LEs CHARTES COLONIALES: 'Winthrop obtient la contirmation de la
charte du Connectitut et Royer Williams la confirmation de celIe
de Rhode-Island; le Mas8achusetts perd la sienne.


LA VIRGINIE : Proteste contre les mesures restrictives du com-
merce; réaction royaliste; restrictiond a la liberté civil e et a la
liberté religieuse; Berkeley et la révolte de Bacon.


LE MARYLAND: Persécution des. quakers. .
LES CAROLINES: Constitution donnée par Locke et Shaftesbnry; les


colons la repoussent; l'émigration des hugnenots frangais.
~EW-YORK : L'ile de Manhattan peuplée par les HolIandais; lutte


des co,lons ponr .la liberté civile; l' Angleterre dépossede la Hol-
lande.


LA PENNSYLVANIE : William Penn et les quakers; Penn vient en
Amérique; lois qu'il donne a sa colonie; sa conduite envers les
Indiens; jugement sur sa personne et son caractéle.


Charles II montait sur le trone dans des circonstances excep-
tionnellement favorables. Les malheurs qu'avait essuyés sa race,
les siens propres et la mort héro'ique de son pe re l'avaient rendu
un objet de pitié et d'intéret; il succédait a un des plus grands
politiques qui aient figuré sur la scene de l'histoire, mais dont la
nation avait fini par trouver le joug intolérable, et n'avait, par
conséquent, que"peu d'efforts a faire pour opérer entre elle et sa
dynastie une réconciliation sincere. Élevé a l'école de l'infortune,
a un Age OU l'esprit et le corps ont aUeint toute leur maturité et
ayant éprouvé tour a tour, dans les péripéties de sa vie errante,





i6 LES ETA.TS-U.\'lS DE L'AMÉHIQUE SEPTENTUION.\LE.
la bassesse des grands et la loyauté des petits, ii semblait meme
qu'une pareille tache lui serait facile, et d'autant plus faeile qu'U
ne nourrissait pas sur la nature de son pouvoir et l'étendue de sa
prérogative les idées abusives de son pere et de son aleul. Par
malheur, s'il avait pris a eette 'école des habitudes sociables et
des manieres polies et aimables, il y avait aussi puisé un grand
fonds de scepticisme et des gouts de galanterie voluptueuse, qui
devaient rendre sa vie frivole et souvent honteuse. Charles II ne
croyait ni a l'amitié, ni a l'honneur, ni au patriotisme. La recon-
naissance, pas plus que le ressentiment, ne possédait de prise sur
son ame égolste, et pour lui, il n'y avait point de personne,
homme ou femme, qui ne fut achetable : la seule question était
ceHe du prix. Ses opinions religieuses floUerent longtemps entre
l'incrédulité et le catholicisme : a la fin, celui-ci l'emporta, el'
ce fut dans son sein que Charles rendit le dernie~ soupir 1.
Cette hésitation le laissa for.1 indifférent aux questions dogma-
tiques qui s'agitaient entre les presbytériens et les épiscopaux;
mais un gout délicat lui rendait sensibles les bizarrerie des pre-
miers, et il ne se souvenait pas, sans rancune, des sermons, des
prieres sans finqu'ils lui avaient fait endurer pendant son séjour
en Ecosse et des allusions grossieres a la tyrannie de son pere ou
a l'idolAtrie de sa mere dont ces discours étaient remplis.
Charles 1I, en recherchant a son tour un pouvoir arbitraire, ne
céda point, comme tant d'autres princes, aux suggestions de
l'orgueil princier, ou bien aux piéges d'une dévotion étroite : iI
ne fit qu' obéir a des mobiles plus personnels et plus vulgair:es,
le désir de disposer librement des trésors publics, au gré de ses
galanteries et de ses plaisirs.


La restauration des Stuarts avait causé,dans la mere patrie une
joie irréfléchie et a peu pres universelle; en Amérique, surtout
dans la Nouvelle-Angleterre, on montra moins d'abandon, et les
premiers actes du nouveau pouvoir semblerent donner raison a


f C'est un point a peine sOUPCOnllé jadis, mais bien établi aujourd'huí. Charles sur
son lit de mort s'ouvrit de sa religíon a l'ambassadeur Barillon, et celui-ci, ainsique


• le duc d'York, luí amenerent pour le confesser le jésuite Huddleston. (V. Macau-
lay, tome 11, puges 8-11, el le lívre oü M. "abbé Destombes a plaidé, avee science et
modération, une cause impossible 11 gagner, eeHe uu uerlller des Stuarts.


'.




PREMIERE PAUTIE. -. LES ORIGINES DES COLONIES.
.., ...
I í


eette réserve. Les eours supremes qui siégeaient a Westminster-
Hall affirmerent l'autorité illimitée du parlement sur les colonies,
tandis que le parlernent lui-meme frappait leur libre commerce
d'un coup formidable. Le premier acte de navigation s'était
borné a monopoliser le trafic des ports anglais,au profit des na-
vires anglais, et, par le fait des circonstances, les colons n'en
avaient nullement souffert; ceux qui se préparaient a eette heure
allaient leur ra\'ir les avantages de la concurrence et réserver
leur marché intérieur a l'industrie de la métropole. Des produits
industriels de l' Arnéríque, on fit deux classes : les uns, tels que
le sucre, le tabac, l'índigo, les bois de teinture, qu'elle produi-
sait seule, furent énumérés, et "il fut défendu, sous peine de for-
faiture, de les exporter ailleurs qu' en Angleterre ou dans ses
possessions; les autres, tels que les grains, les planches, les
vi andes salées, les poissons secs, dont les marchands anglais ne
jugeaientpas utile d'accaparer le trailc ou redoutaient la con-
currence, ne furent pas énurnérés, et il resta possible de les trans-
porter ou ron voudrait, sous la condition toutefois que ce fut sur
des navires de provenance anglaise et ayant les trois quarts de
leur équipage anglais (1660). Deux ans ne s'étaient pas écoulés
que eeUe législation fut encore aggravée. « Le parlement ne
« croyait pas sans doute, ») pour employer les expressions de
Beverley, «qu'il eut assez fait pour resserrer leuT' commerce,
« de sorte qu'il ordonna par son dernier acte que les plantatiops
« ne Tecevraient aucune denrée ou marchandise ~qu'on Re les y
« transportat en droiture 1. ») Enfin, le tonnage actif et grandis-
slrnt de la Nouvelle-Angleterre, excitant la jalousie des arma-
teurs de la métropole, on en vint a restreindre la liberté· du
commerce des colonies entre elles, et a frapper les marchan-
dises énumérées. qui se transportaient d'une colonie a l'autre
d'un droit égal a celui don! elles étaient grevées a l'importation
en Angleterre (1672), et on feignit de croire que la défense de
planter du tabac, dans la Grande-Bretagne et, dans l'Irlande, for-
mait pour les colons une compensation suffisante 2. En un mot,


1 Histoire de la Virginie, 89-90.
2 Adam Smith. Recherches sur la nature et les causes


nations, livre IV, chapo V.


, .





78 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTE~TRIO:'iALE.
c· était le systeme appliqué déja dan s tou te sa rigueur par les Es-
pagno ls a leurs possession's d' outre-mer, et l' Angleterre semblait
traiter ses colonies transatlantiques comme Scipion traitait ces
{aux fis dle l'Italie, auxquels il adressait un jour cette apostrophe
resté e célebr:e Non efficietis ut solutos verear quos alligatos adduxi.


Les nouveaux actes rencontrerent quelque résistance : la Vir-
ginie mena«;a de ne plus exporter ses tabacs, mais s'en tint a la
menace, sur le refus du Maryland de s'associer a la mesure.
Quant aux colonies de la Nouvelle-Angleterre, leur grande af-
faire était, pour le moment, de faire consacrer leurexistence el
leurs franchises par le nouvel ordre de cllOses. Le Connecticut
choisit Winthrop le jeune pour son ambasseur ,et n'eut pas lieu
de s'en repentir. Winthrop s'était approprié a Cambridge et a
Dublin tout le savoir qu'on y distribuait a1ors, en le complétant
par des voyages qui l'avaient successivement rendu l'hóte, non-
seulement de la France et de la Hollande, mais dB Venise et de
la Turquie. Son nom était entouré, dans la Nouvelle-Angleterre,
d'une estime universelle, tandis qu'en Europe, il correspondait
avec Clarendon, Milton, Robert Boyle et Newton. Charles II se
souvenant, peut-etre, que son propre pere avait aimé l'aleul de
Winthrop, re«;ut ce dernier avec bicnveillance et luí accorda,
san s marchander, tout ce qu'il \'enait solliciter. La charte royal e
réunit au Connecticut la plantation de New-Haven, qui 11e s'en
souciait guere, et aussi dédaigneuse des droits de la Hollande que
des prt!tentions de I'Espagne, étendit, d'un trait de plume, les
limites de són territoire de la baie de Narragansetts aux riva~es
du Pacifique (1662). Ce qui valait mieux pour ,les colons, c' est
que le roí renonc;ait a toute ingérence dans leurs affaires et. leur
reconnaissait un droit absolu a les conduire comme ils le vou-
draient et l'entendraient. Roger Williams ne trouva pas pour sa
plantation un accueil moins favorable : Clarke, qui était son
agent a Londres, obtint l'appui du chancelier Clarendon, et
Charles JI, usant en faveur des colonies d'une prp.rogative qui
lui était refusée en Angleterre, con sacra l'entiere liberté reli-
gieuse de Rhode-Island 1 a coté de ses libertés civiles (1663). La


1 On a prétendu que cette liberté ne s'étendait pas aux catholiques. 11 est vrai que
I'on trouve une disposition 'lui les en exclut dans le plus aneien reeueil des Records




PREMriwE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONms. 79
colonie, ainsi assurée de s.on avenir, mit la,derniere main a ses ins-
tituti.ons: il fut établi que chaque électeur signerait s.on bulletin de
vote, que les députés recevraient trois schillings par j.our, enfin
que l'assemblée générale se scinderait en deux branches (1665).


Quant au Massachusetts, son sort devait etre tout différent.
L.orsque les régicides Whalley et G.offe y app.orterent la noüvelle
que la république était t.ombée, cette nouvelle tr.ouva d'abord
peu de créance. Quand elle fut devenue certaine, la c.our géné-
rale v.ota une adresse a Charles II pour le prier de maintenir
« les libertés civiles et religieuses de la colonie.» Cette adresse
n'ayant re<,;u d'autre rép.onse que quelques vagues expressions
de bienveillance sorties de la b.ouche de ce prince, et plus qu'at.
téuuées par le mauvais vouloir manifeste du bureau colonial,
la cour s'al'reta a un d.ouble parti, c'est-a-dire une déclarati.on de
principes et l'env.oi en Angleterre de deux délégués, Sim.on
Bradstreet et John N.orton, puritain rigide, qu.oique assez modéré
(1662). Charles ]es re<,;ut d'une fa<,;.on c.ourt.oise, c.onfirma la
charte primitive, et .offrit une amnistie, mais c.onditi.onnelle,
ponr t.ous les délits et .offenses c.ommis pendant les tr.oubles. Ce
qu'il v.oulait, c'était le rappel des l.ois qui avaient dér.ogé a s.on
aut.orité; c'étaít enc.ore la prestati.on du serment de fidélité et la
reddition en s.on n.om; c'était enfin la t.olérance c.omplete de
I'Église anglicane et la concessi.on du dr.oit élect.oral a t.out c.ol.on
possédant une certaine quantité de pr.opriétés. Ces exigences ne
semblaient pas tres-déraisonnables en elles-memes: par :1nal-
heur, .on était m.oins enclin au Massachusetts a les examine!'


·d'apres lenr mérite intrinseque qu'eu égard a la puissance qui
les ',avait f.ormulés; et les représentants du pays, au líeu de les
accueillir, ne s.ongere~t qu'a prendre des mesures pr.opres a sau-
"vegarder « lagl.oire de Dieu et la félicité de s.on peuple, » .oU,
'P.our parler un langage m.oins mystique, la durée du culte puri-
tain et de la liberté p.opulaire.


de cet État, qui De remonte pas plus haut que 1744, Mail! M, Bancroft établit que ce
fut l'oouvre subreptice 'd'un comité de révision, et prouve par les déclarations des
assemblées de 1664 et 1665, llar I'attestation des commissaires aDfilais qui visiterent
le Rhode ·Island plUi tard, qu'aucune C'ommunioD ne fut exceptée de.la tolérance
générale. (lIist. o{unit , stat., r, 308-309.)






~u LES BTATS-UNIS DE L'Ai\iÉRIQUE SEPTEN1'RIONALE.
Ce refus était bien faH pour irriter la cour de Saint-James,


d'autant qu'il y courait des rumeurs plus fausses, qui se melaient
a des informations véridiques. On y parlait d'une armée a la tete
de laquelle se trouv~ient Whalley et Goffe; on rattachait a
l'union des quatre colonies un dessein arre té de secouer le joug
anglais. Clarendon n'en rassurait pas moins les colons sur le sort
de leur gouvernement et de leur discipline ecclésiastique, dEms
les termes les plus explicites; mais, au meme moment, le bruit
se répandait en Amérique du proehain envoi de commissaires
royaux et de la prompte arrivée de vaisseaux de guerre dans le
havre de Boston. L'inquiétude et l'irritation régnaient a la foís
dans cette ville : les marins et les soldats embarqués étaient con-
signés a bord; les magistrats avaient preserit un jour de jeune et
de prieres. Ce fut dans ces círeonstances que l'escadre chargée
de réduire les établissements hollandais des bords de l'Hudson,
vint jeter l'ancre' devant Boston (juillet 1664) et débarquer les
commissaires 1 qui avaient rec;u de Charles la mission diserétion-
naire d'appréeier l'exerciee des libertés coloniales et de pacifier
le pays. Aucune diftieulté ne surgit tout d'abord : la Cour géné-
rale vota meme une levée de deux cents hommes, qui prirent
part a l' expédition eontre les Hollandais, bien que les commís-
saires n'eussent pas requis leurs services; maís, en meme
temps, elle fit défense aux habitants de porter a eeux-ci aueune
plainte, et préparer~nt une seconde adresse a Charles II, dans


. laquelle ils ne se plaignaíent pas de torts subis, mais de la me-
nace meme de ees torts.


Deux ans plus tard, elle refusait péremptoirement d' obéir a
une sommation que les commissaires, lassés de díseussions et de
résistances qui semblaient renaltre l'une de l'autre, lancerent
sous la forme d'une proclamatíon qU'Ull héraut d'armes lut, au
son de la trompette, aux endroits les plus fréquentés de Boston.
Venu au moment OU Louis XIV, uni a la Hollande afin de dé-
membrer la Belgique, déclaraitla guerre a l' Angleterre, cet acte


t Les commissaires étaient le colonel Richard Nichols, George Cartewright, Ro·
bert Carr, Samuel Haverick. Leur commission est insérée dans l'appendice du
tome le. de l'Hist. of Mass., p. 459, aipsi que l'adresse (1160-64), dont il sera
parlé tout a I'heure.




Pl1EJllEHE PABTIE. - Ll!:S omhli.'ms DES COLONlES. 81
hardL ne fut pas suivi d'unc répression immédiate : plus tard,
Clarendon, quittant le ministere pour faire place a cette adminis-
tration honteuse qui a gardédans l'histoire ce noro de cabinet de
la _cabale, qu'elle dut d'abord a une circonstance fortuite et assez
singuliere·, on ne s'occupa plus de la Nouvelle-Angleterre au
palais de Saint-James. CeUe heureuse négligence servit les inté-
rets de la colonie : elle s'étendait alors jusqu'aux Lords du Ken-
nebec; elle était l'entrepOt et l'intermédiaire du commerce des
autres plantations; iI Y avait dans ses ports des navires de
France, d'Espagne, d'Italie, et le célebre Joshua Child, en louant
la bonté de ses lois et de ses institutions, lui promettait des 1670
un merveilleuxavenir de population, de richesses et de puis-
sance ~. La'colonie dut enfin un troisieme répit au complot catho-
lique inventé par le trop célebre Titus Dates, qui fit couler le
sang innocent pendant plusieurs semaines et mit dans une fré-
nésie véritable le peuple anghiis et ses cours de justice. Enfin,
en 1683, un bill de qtW warranto fut rendu, et le Massachusetts
assigné devant la Cour du King' s Bench, tandis qu'une proc1a-
mation royale l'invitait pour la derniere fois a l'obéissance, lui
promettant en retour qu'il ne serait apporté a sa charte d'autres


. modifications que ceUes qui étaient exigées d'une fat;on impé-
ríeuse pour le maintien de l'autorité souveraine. « Les libertés
« civiles de la NouveUe-Angleterre font partie de l'héritage de
« nQS peres. Abandonnerons-nous cet héritage? On nous me-
( nace, il est vrai, de grandes souffrances. Ne vaut-il pas mieux
« souffrir que pécher ..... En souffrant, parce que nous n'oson8
« obéir a la volonté des hommcs, en oppositiún avec ceUe de Dieu,
« nous souffrons dans une juste cause, et nous passerons pour des
« martyrs devant la postérité et aU.grand jour.» Voila ce que les
colons répondirent, et ces paroles ne manquaient pas de dignité et
de grandeur; mais pourquoi la colonie les avait-elle un peu gatées
d'avance, en acceptant l'acte denavigation, a la vérité, non comme


f 011 sait que les initiales des noms des personnages qui la composaient , Clif.
ford, Arlington, Buckingham, Ashley, Lauderdale, formaient par leur réunion le
mot de cabal.


:1 Dansson ouvrage : Considérations sur le commerce et l'intéret de l'argent,
tl'aduit dans Ilotre langue en 174.2.




82 ~, ~ LES ÉTATS-UNIS DE L AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
une loi anglaise, mais comme une libre décision de sa propre cour;
eu offrant d'abandonner le territoire du Maine, qui était enlitige,
et surtout en tentant d'acheter par des présents la faveur ele
Charles? Tentatives de corruption, protestations, remontrances,
prieres, tout devait Ctre"inutile : le roi ~'était piqué au jeu, et les
cupides marchands de Londres excitaient son amour-propre,
oublieux de leur propre charte confisquée dans des circon- I
stances analogues et n'ayant de mémoire que ponI' les infractions
des colons américains aux actes de navigation. En 1684, il Y eut
un arret de Scire facir;¿s,- confirmé l'année suivante a la Saint-
Michel. Tout ce que les représentants du MassachuseUs purent
faire alors, ce fut d'écrire sur ses registres « qu'ils ne consen-
« taie nt pas et s' en tenaient a leurs ;résolutions précédentes '. »


Dans la Virginie, le meme enthousia~ne que dans la métropole
avait salué le retour des Stuarts .. Pendant la période des guerr~s
civiles, elle s'était peuplée d'une foule de cavaliers qui yappor-
taient, avec leur bruyant loyalisme, le souvenir des habitudes
sociales de l' Angleterre et de ses mreurs politiques. Mais ces ca-
valiers n'en étaient pas moins d~s planteurs, et les actes de navi-
gatioIl les émuren,t. Grace a la counivence des marins de la Nou-
velle-Angleterre et des marchands de la Nouvclle-Amsterdam, '
ils p.urent l'éluder pendant quelque temps; il fut memc ques-
tion, on l'a vu, de restreindre la culture du tabac, projet que la
résistance du Maryland rendit illusoire. Au fond, tous ces


. moyens étaient précaires et transitoires : les planteurs songererlt
a en appeler du parlement au roi; et lui envoyerent sir William
Berkeley, leur gouverneur. Il ne put rien obtenir; mais une leUre
qu'il écrivait a Charles II, en 1671, prouve du moins sa persévé-
rance, en meme temps qu'elle dément l'opinion de M. Bancroft
sur l'incapacité du vieux gentilhornme, qui, dit-il, « n'ente~dait
« pas le premier mot de la question qu'il aUait exposer. », Ber:-
keley la possédait tres-bien au contl'aire, et caractérise les actes
de 1660 et 1663, ainsi que pourrait le faire un économiste mo..;
derne. BIes présente « comme un obslacle si puissant et si dan-
«. gereux a la navigation et au commerce de la colonie qu'elle ne


t llist. uf Jlass./ 1,210-234; 291 ct 599. -llist. o{unit. st'at, J, chap. XII.
I




, .' PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. ,83
« peut établir dans ses plantations les eultures qui y iviennent
« naturellement, l'olivier, le coton, la vjgne; qu~ene ne peut se
« prociIrer un seul homme pour son industrie de la!soie qui
« donne tant d'espérunces. » Si cela était « pour le service du
roi et de ses sujets, » on ne se plaindrait pas, « mais e'est tout la
« contraire, et c'est la cause pourquoi on ne construít ieí ni
« grands ni petits vaisseaux; e' est qu' en Virginie on obéit a la loi,
« tandis que la Nouvélle-Angleterre s'en dispense.)) « Je ne vois
«( pas, » eoncluait Berkeley, « d'amélioration possible dans' nos
« affaires, si on ne nous laisse la liberté de transporter autre
( part que. dans les domaines du roi nos bois et nos grains 1 • »
Il faut que le mal flit profondément senti, puisqu'a tr.ente ans


..


d'intervalle les me mes doléances se retrouvent sous la plume de
l'historien 'Beverley. Tout ce qui sert a s'habi~ler, dit-il" vient
de l' Angleterre, toiles, étoffes de laine, étoffes de soie, chapeaux
et cuir. Cependant y a-t-il un endroit au monde OU le lin et le
chanvre soient meilleurs et ou les vers a soie prosperent mieux?
Les brebis donnent des toisons magnifiques, mais « OH ne les
tond que pour les rafraichir,» et on laisse pourrir une infinité
de peaux. Il y a de magnífiques forets dans le pays, et c'est de
l' Angleterre qu'arrivent les chaises, les tables, les coffres, les ta ..
bourets, les roues de charrette et jusqu'a des balais de bouleau,
« ehose qu'on aura peine a croire 2. ))


Au surplus, la marche générale des ellOses ne tarda point a
montl'er que ces résistances s'inspiraient des intérets et non d~5
principes. La législature qui se réunit en 1661 implanta en Vir-
ginie une partie des ardeurs que manifestait a la merpe époqu~
le parlement anglais, plus royaliste que le roi, pour se servil'
d!J:1ne expr"ession célebre, et dont la vérité, parait-il, est de tous
<;~ :
1.L~lIP.laye : H~s,~~ polo (1 1 pe le{;on~) ~~s ~ois, du mQins caux de teinture,


étaient é71umérés et partant ne pouv¡¡ie~t e~n~ P9fté§ qq'~q Apgl~terre. M¡lis les
grains ne l'étaient pas, et des lors pouval~nt etre transportés partout. On voulait
meme; pour m~nager l'intéret des Lanfl,lords, que ce' CUt dans les ports' les plus
éloignés deJa- f!rande,Bretagne. La source de la citation n'est pas indiquée.


2 Hist de la Virg., 38a~ M. Laboulaye, qui cit~ égaJement ce passage, ajQute que
Beverley faisait sans s'en douter la plus sanglan!e satire 4u systelIle colonial (1, le";;
/,ion 5"). Les paroles citées a notre page 77 non8 feraient croire qu'!1 y meHait plus
ue malice que llera supposé J'éminent publicistc.


I




"


84 LES ÉTATS-Ul'i'IS DE L'Al\IÉHlIJUE SEPTEl'ITnIONALE'.
les temps, a en juger par ce qui se passe sous nos yeux memes.
Elle commen~a par rendre permanent le salaire des officiers
royaux soumis jusque-Ia á des votes périodiques, et l'imputa sur
lesproduits d'une base également permanente, qui porta sur l'ex-
portation des tabacs; puis elle remania la constitution afin d'y
introduire un esprit oligarchique. Jusque-la le mandat des
députés n'avait comporté qu'une durée biennale : 011 la rendit
indéfinie, et de meme qu'en Angleterre, le premier parlement
convoqué apres la restauration vécut dix-huit ans, l'assemblée
virginienne attendit pour se dissoudre une insurrection qui n'eut
lieu qu'au bout de seize années. L'indemnité des bour,geois était
payée et fixée par les comtés qui les envoyaient a leur chambre
et qui déterminaient achaque élection leur nombre: indemnité
et nombre devinrent fixes. Le suffrage attribué a tous les
hommes libres inspirait naturellement peu de sympathies a une
réunion nobiliaire et bigote : on découvrit qu'il causait « des
« ,désordres et' des troubles; qu'il était incapable de désigner
« des gens propres a une mission pareille, » et 011 le limita aux
seuls francs-tenamciers ou propriétaires de maisons (1670). L'or-
ganisation de la j ustice et celIe de l'Église correspondirent a cet
idéal politiqueo Les juges de paix qui tenaient les cours men-
suelles de comté, ne re~urent point de traitement et furent
essentiellement révocables. Le gouverneur et son conseil ~'État
constituerent la qo~r supreme, connurent de tous les appels, et
il se passa quelques années avant qu'on put déférer leurs arréts
a l' Assemblée législative. Quant a l'Église, le culte anglican fút
érigé p,n institution publique: on punít l'absence du service divin
d'une tres-lourde amende; on fit défense aux non-conformiste~
de precher ou d' enseigner; on ressuscita contre les quakers les
éo.its surannés et odieux de la reine Élisabeth. Un membre de la
secte, du nom d'Owen, osa di re devant le tribunal « que les
« consciences délicates devaient obéir aux prescriptions divines,
« quoi qu' elles dussent en souffr~r, ») et n' obtint du j uge d' autre
réponse que ceHe-cí': c( La tolérance n'est pas due' aux con-
« sciences perverties.» Tandís que la Réformation déclarait le
mariage un contrat civil, le législateur vírginien obligeait de le
célébl'er a l'Église. Il fermait les portes du pays aux baptistes el




PnE:\fIEm: PA RTIE. - LRS OTlTr.INE~ DE;;: GOLONIEf;. 85
punissait le patron de navire qui recevait des récusants pal'mi ses
passagers 1.


Cet excellent accord entre la Virginie et la couronne, il était
réservé a l'intéret personnel de le trouhler une deuxieme fois.
En 1673; Charles II, toujours prodigue ViS-a1vis de ses courtisans
de biens qui ne lui appartenaient pas, accorda, pour trerte-trois
années, le domaine éminent ele la colonie tant a lord Culpepper,
un des hommes les plus cupieles ele l' Angleterre, qu'au comte
d'Arlington, qui était couvert de deUes et qui avait des titres spé-
ciaux a une telle faveur, sa HIle ayant épousé uI! bfttard que le
roi avaít eu de lady Castlernaine. Les opulents propriétaires de
la Virginie s'émurent alors, et firent parvenir a Saint-James des
l'eprésentations qui trainerent en longueur, et, en fin de compte,
resterent inutiles. On a souvent rapporté cet insucces aux nou-
velles facheuses de la colonie arrivées a Londres, tandis que les
commissaires virginiens s'y trouvaient encore; mais il y a des
raisons de croire que des influences secretes avaient déja para-
lysé leurs efforts, qui, dépassant la leUre des instructions qu'ils
avaient re'iues, visajent a l'obtention d'une charte susceptible de
garantir les colon s d'un arbitraire dont le roi et le parlement ne
se faisaient faute ni l'un ni l'autre. Quoi qu'il en soit, le vieil État,
old dominion, comme on disait avant la révolution, était a la
veille el' événements graves. Le peuple y était devenu bien las de
l'assembléé élue en 1661; il réclamait la diminutitm des dé-
penses publiques, une assiette de l'impOt rnoins arbitraire, le
retour a l'ancien systeme électoral, et avait rencontré pour faire
valoir ses griefs un hornme énergique et capable: c'était Natha-
niel Bacon, un enfant- de la Nouvelle-Angleterre, qui était venu
se fixer sur les bords de la riviere James et y avait fait fortune.
Sous cette pression, qui mena'iait de cesser d'etre légale, le vieux
et hautain Berkeley dut céder - el dissoudre l'assemblée
(1676).


CeHe qui prít sa place exaut¡a les vooux populaires et nornma
Bacon cornmandant général des milices. C'était plus que Ber-
keley n'en pouvait sl!Pporter; il avait sanctionné, quoique de


1 IJist. o{ unit. stat., r, 497-503.




86 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
tres-mauvaise grace, les actes qui jetaient aterre I'édifice aristo-
cratique et, clérical, qu'il avait conti'ibué pour son compte a
dresser; il regarda la nomination comme une insulte person-
nelle, et, malgré une premiere promesse, refusa de la signer.
L'attitude de Bacon, qui se mit aussitOt a la tete de oinq cents
homm~s; le for~a néanmoins de céder; mais il céda dan s l'arriere-
pensée de manquer a sa parole, et bientót il déclarait Bacon
traltre et rebelle', tan di s qu'il s'enfermait a Jamestown. La
guerre civile était allumée : Bacon emporta d'assaut les retran-
chements de Jamestown, qui furent mal défendus, et, de l'aven
de ses habitants, incendiant la ville pour óter aux royalistes le
seul refuge fermé du pays, se porta sur le Rappahannock, ou
l'un des lieutenants de Berkeley l'attendait. La, il n'y eut point
d'engagement : les soldats de Brent l'abandonnerent pour se
joindre a cenx. de Bacon; mais ce fut le dernier 'sucees de
celuí-ei : atteint d'une fievre paludéenne, il mourut le 1 er sep-
tembre 1676. Sa mort dispersa ses, adhérents; encore quelques.
escarmouches, et Berkeley touehait a un eomplet triomphe. Il
en usa sans la moindre générosité et sans la moindre justice :
parler IÍlál de lui devint un crime passible du fouet et de
l'amende; parler bien de Bacon et des insurgés un acte de haute
trahison. Des jurys serviles ou terrifiés rivaliserent avec les cours
martiales dans l'expédition des "ictimes, et Charles II, dont le
creur naturellement n' était pas dur, put dire avee rais'tm: « que
« dans son pays désert, le vieux fou avait versé plus de sang que
(E loi-meme pour le meurtre de son pere'l. » n est inutile
d'ajouter que la réforme politique réalisée par Bacon dispárut
avec lui : «. Vous aurez soin, écrivit le roi a Berkeley, de ne réunir
« l'assemblée qu'une fois tous les deux ans, et pour quatorze
« jours seulement, si ce n'est pour des raisbns spéciales, comme
« de n'admeUre a I'élire que des francs-tenanciers. ») De tous les
actes passés par I'assemblée de 1676, on. ne laissa subsister,- en
le renforc;ant, que l'-acte seul qu'il eftt été précisément honorable
(fabolir, ,c'est-a-dire celui qui permettait de réduire en servitude
·les lndiens pris a la guerre ou en maráude:


t Beverley : Hist. de la Virg:, 118-119. - Hist'. ofunit. stat., 1, 511-?'l1.




PREMrERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 87
Tandis que 'ces sdmes de carnage et de guerre civile trou-


blaient la Virginie, le Maryland poursuivait le cours de ses des-
tinées paisibles. C' est une douce et heureuse contrée que la
nature a comblée de ses dons et de ses graces. Des bois oil le
sapin et le chene se melent au cedre et au magnolier col1ron-
nent les cimes des hauteurs qui la' traversent, en courant sur,
plusieurs lignes paralleles, et dont les teib.tes azurées justifient
le nom de montagnes bleues1 blue ridges, qu'elles ont re~u. La
vigne rustique enroule ses festons aux troncs de ces arbres, et,
sous lenr ombrage, parmi les mousses et fes fougeres, croit le
fraisier de Virginie. Dans la p]aine, une multitude de sources et
d'eaux courantes entretiennent la fralcheur et produisent la fer-
tilité. Les azalées, ,le datura, 'le rhododendron parfument les
jardins; le pecher fleurit dans les haies. D'innombrables essaims
d' oiseaux, au plumage les plus divers, voltigent dans les airs ; un
monde d'insectes bruit dans les herbes. Mais; au xvnB siecle, ce
n' était ni ces belles collines, ni ces eaux pures, ni ces bois splen-
dides qui attiraient au Maryland de nouveaux hótes; chassés de
leurs foyers par la persécution, ils y venaient' du Piémont, de la
Hollande, de la Finlande, de l' Allemagne, jusque de la Boheme,
la patrie de Jean Huss; ils y transportaient leurs autels divers
sous la protection d'un catholique bienveillant. Les quakers
meme bannis de l:univers pour ainsi dire :


Questuque cruentus
Atque implorallti similis:


pouvaient y pratiquer lib1'ement leur culte, et s'ils éprouvaient
quelques vexations et quelques avanies, . elles étaient seulement
la suit~ de leurs faQons un peu étranges et de leurs refus soit
d'acquitter 'le service militaire, soit de preter serment devant les
tribunaux.


Ces genes ne disparurent tout a fait qu' en 1688, six ans
.-(


apres l'arrivée de Penn en Amérique; mais a cette époque, il y
avait déja treize aDS que Oecilius1 lord, Baltimore, n' existait
plus. Qu'il n'ait jamais renié, pendant une sorte de regne, qui ne
dura pas moins de quarante-trois ans, ce respeet des droits de la
conscience auquel i1 sacrifia ses dignités et ses honneurs, ce sera




88 LES ÉTATS-UNIS DE r:.HfI~RTQUE SEPTENTRIONALE.
l'éternel hormeur de' sa mémoire; c'esí, en meme temps, un
exemple donné trop rarement par les hommes politiques pour
qu'il n'ait pas droit de provoquer une admiration sincere. On a
fait remarquer, en romparant lord Baltimore a Roger Williams,
que le second de ces hommes illustres avait extrait la liberté de
pensée des sympathies memes du troupeau qu'H gouvernait,
alors que les catholiques marylandais n'avaient pas la notion de
cette liberté. La réflexion n'est vraie qu'a moitié : en vertu du
principe exclusif qui préside a leur théologie, les catholíques
étaient enclins, saTIS doute, a nier que les autres communions
~ussent un droit moral a l'exIstence; mais ils ne contestaient
pas leur droit matériel a vivre, leur droit civil a pratiquer le culte
de leurs préférences : c'est un faít irrécusable et dont il n'est
pas besoin de chercher les preuves ailleurs que chez M. Ban-
croft lui-meme. En Amérique, une liberté guí ne connait pas
d'entraves, une liberté quí s'épanche pleínement dans toules les
directions et s' empare de tous les faits et de toutes les idées a
nivelé des aspérites nombreuses ; elle a rapproché des intérets
tres-divergents et commenc;ait déja du temps des Williams, des
Baltimore, des Penn, a enseigner aux sectes ce qu'elles ont
encore dans le vieux monde le plus besoin d'apprendre : une
charité mutuelle et un respect réciproque.


Cinq ans 'avant la mort de lord Baltimore, deux hommes di- -
versement célebres avaient signé a Londres une constitution .
qu'ils destinaient a régir les lmmbles plantations qui commen-
c;aient a naitre sur les bords de la lagune d' Albemarle et de la
rivíere Chowan. L'un était Ashley, coIhte de Shaftesbury, íncré-
dule au christianisme, mais crédule a l'astrologie; homme
d'État versatile, non par légereté de caractere, mais. par calcul
d'égolsme 1, et qui avaít tour a tour serví et trahi tous les gou-


I e'est le mot meme de Macaulay (Hist. of Engl., 1, 210). JI est justifié par toute
la carriere du personnage, et il a fallu a M. Bancroft un cerlain courage, ou plutót
la pression de certains préjugés pour louer ce personllage de sa consislance politique.
Au surplus, dans les longs portraits que M. Bancroft aime a tracer, iI lui arri"c
souvent sinon d'oublier tout a fait, du moins d'atténuer et de modifier a la fin ce
qu'i1 a dit au commencement. La preuve s'en trollve dans son portrait de Shaftes-
bury lui-meme (1, 453-456). Trop parler nuit, dit notre proverbe. .




pnR:\m~:fl.E PATInE. - LES OnTGlNRS DES COLONIRS. • 89
vernements de son pays, ~vee le süin, touterois, de faire profiter
eette suite de trahisons a sa fortune et a sa riehesse. L'autre était
John Loeke, honnete homme et bon eitoyen, attaehé aux prin-
cipes de la liberté eivile, quoique sous les formes étroites qu'elle
revetait alors dans sa patrie; mais philosophe médioere, pour
ne pas dire détestable, et qui avee son systeme ineohérent, in-
digeste. qu'il renouvelait d'Oceam et de Duns Seott, en passant
par Hobbes, a fait déehoir la seience pour tout un sieele de la
haute sibation ou l'avait plaeée notre Descartes. Tous deux pa-
raissent avoir eon(iu du législateur l'idée que Rousseau formulait
plus t~rd, quand il demandait a ce législateur de renoneer a son
róle « s'iI ne se sentait p~s en état de ehanger pour ainsi dire
« la nature humaine ..... d'altérer la eonstitution de l'homme
« pour la renforcer; de substituer une existence partielle et mo-
« rale a l'existence physique et indépendante que nous avons
« tous, re(iue de la nature 1. » Autrement, il seralt diflicile de
COIlcevor comment deux hommes aussi intelligents, deux
hommes dont l'un était un politique infiniment plus roué que
naIf et dont l'autre avait médité.les problemes variés que souleve
l'ordre social, purent s'arreter a ce projet bizarre et revetu d'une
érudition puérile d'accoupler les landgraves et les comtes pala-
tíns de la vieille Europe aux caciques de la jeune Amérique, et
de transplanter, parmi des Indiens nomades, ou des émigrants
clair-semés, aux prises avec les besoins quotidiens de l'existence,
avec tous les périls du dé3ert, forcés de ne faire fond que sur
lenr industrie Ou leur courage personnel, les· classes de la
Grande-Bretagne, sa hiérarchie politique et religieuse, son savant
mécanisme politique et ses bizarreries sociales.


On ne donnera ici qu'un court aper(iU de cette reuvre : le lee-
teur désireux de la mieux connaitre la trouvera dans les OEuvres
de Locke, au tome dixieme, s'il ne lui suffit pas de lire la sa-
vante et spiritu.el1e analyse que M. Laboulaye en :;J. donnée. Le
pouvoir exécutif était remis a une diete formée des concession-


t Contrat social, chapo VII. L'indépendance de I'homme de la nature! Si Rons-
seau vivait encare, je le canduirais a une des cavernes de ¡'age de la piel're, el je luí
~1IIN1Ili!/ii¡~ demanderais ce qu'iI pense « de cette existence indépen¡}ante, » •


.....


:>
O




90


LES ÉTATS-UNIS DE L'Al\lÉRIQUE SEPTENTRIONALE •


naires' de la colonie, dont le nombre, fixé a huit personnes, ne
devait jamais augmenter ní diminuer; leur dignité et leur puis-
sanee étaient inaliénables et se substituaient dans leur famille
comme s'il se fUt agi de la couronne anglaise. Le plus agé pre-
nait le 'nom de palatin et était le chef de l'État; venaient ensuite
l'amiral, le chambellan, le chancelier, le connétable, le grand
juge, le grand maitre, le chancelier'i dont l' office et les pré-
séances n'étaient pas réglées avec moins de scrupule que dans


,


les constitutions de l'empire germanique. Le parlement se com-
posait de quatre États; les lords propriétaires; les landgraves,
les caciques et les communes se réunissant en une seule ~ham~
bre, de meme que rancien parlemen.t écossais.Les landgraves
représentaient lescomtes, et les caciques les barons ~ il devait y
avoir un des premiers et deux des seconds :par comté; Les repré-
sentants des cités formaient les communes: il y en avait quatre
par comté; mais personne n'était électeur s'il ne posséqait pas
cinquante acres de terre; éligible s'il ne disposait pas de cinq
cents •. L'initiative des lois n'appartenait qu'au parlement. Les
lords propriétaires exer(!aient le veto sur chaque acte du parle-
ment, et au grand conseil seul appartenait l'initiative et la pré-
paration des lois. Ce grand conseil comprenait sept cours, pré-
sidées chacune par un lord propriétaire, auxquelles ressortis-
saient toutes les affaires administratives ou }udiciaires. Quant au
menu peuple, c' est-a-dire aux fermiers, les landgraves, les ca-
ciques, les lords de manoir possédaient sur eux la pleine justice
civile et criminel1e, san s appel; ils formaient une race de tenan-
ciers héréditaires, teotmen, attachés a perpétuité a la glebe et,
payant comme rente un huitienie du produit des terres. V oila
toul ce que Shaftesbury et Locke avaient trouvé de plus propre
a diriger vers les Carolines l'afflux des émigrants. Quailt a la
religion, la charte plus libérale promettait ¡la liberté a tous les
disúdents, juifs ou pa~ens, mais sous ~forme de t~lérance seu Ie-
ment, car l'Église établie était déclarée seule nationale et ortho-
doxe, 'seule aussi susceptible d' etre entretenue allx frais de la
colonie. Mais, sur ce point, la responsabilité de Locke~ qui était
un ami sincere de la liberté de conscience et qui aimait a répéter
« qu'aú jour du jugement, Dieu ne lui demanderait pas s'il avait




PREMlERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 91


« suivi Luther ou. Calvin, mais s'il avait aimé et cherché la
« vérité, )} la responsabilité de Locke est a couvert, la disposi;,
tion qui consacre le privilége de l'Église I anglicane ayant été
l' reuvre de l'un des propriétaires, contre le gré du philó:.
sophe.


TeIfe était, dans ses traits essentiels, la constitution que l'en-
thousiasme des AngIais saIua du titre de GRAND MODELE, et a -
laquelle un admirateur de Shaftesbury promettait le destin et la
gloire de régir tous les empires empressés de s'y soumettre. Elle
ne réussit pas me me a se faire accepter des colons pour qui ses
auteurs avaient pris tant de peine. Quoiqu'en 1665, la couronne
eut concédé a Clarendon tous les territoires comprls entre le
vingt-neuvieme et le trente-sixieme paralleIe, territoires renfer-
maní aujourd'hui les deux Carolines, la Géorgie, Je Tennessee,
l' Alabama, le Mississipi, la Louisiane, l' Arkansas, presque tout
le Texas, avec une grande partie du Missouri et de la Floride,
il n'y avait encore que quelques groupes d'Européens sur les
bords d' Albemarle-Soúnd; et peut-etre dans l'intérieur quelques
familles errantes. Celles-ci auraient été alors les restes de l'émi-
gration conduite, en 1652, par Robert Green dans la vallée du
Hoanokeet celle du Chowan; les autres étaient venues des Bar-
bades treize ans plus tard; avec sir John Yeamans, et s'étaient


. grossies la me me année d'un groupe de charpentiers provemtnt
des Bermudes. lIs vivaient heureux sous un gouvernement de
leur invention et dont les formes étaient tout a fait simples: un
conseil comprenant douze membres; dont six au choix des pro-
priétaires de la concession et six. élus par eux-memes; une
assemblée composée du gouverneur d'u conseil et de douze délé-
gu~s des francs-tenanciers. I1s jouissaient d'une entiiwe liberté
de culte et se taxaient eux-meII1es. Lorsque le présent de Shaf-
tesburyet de Locke parvint a Albemarle, les propriétaires ten-
terent vainement de l'imposer a~ x colons. lIs purent bien les
priver de leurs franchises municipal8s, mais non les contraindre
a prendre ce qu'ils leur offraiellt a la place. 1I fallut revenir aux
premiers errements de la plantation : codifiés en 1715, ils ont
régi encore la Caroline du Nord pendant plus d'un demi-
siecle.




9'2 LES I~TAT~-lí.\"rS DE L·A~límJQlTE SEPTENTTIIONALE.
Le ( grand modele ) ne tl'ouva point un sort meilleur dans la


Caroline méridÍonale. Un peu plus d'un mois avant sa signature,
un assez grand nombre d'émigrants, conduits par Joseph West ét
William Sayle, étaient entrés dans la riviere Ashley et avaient
fondé un établissement, sur une hauteur, a l'entrée de la riviere.
Du village, qu'ils édifierent, il n'est pas resté de vestige, si ce n'est
le fossé qUÍ l'entourait pour le défendre des Indiens. Mais OH
possede une copie restée incomplete des institutÍons que les émi-
grants se donnerellt a peine débarqués. Un conseil mi-partí
électif, mi-partí choisi par les propríétaíres, et une chambre des
députés composaient la législature, et'réunis possédaient le veto
sur l'exécutif. Ce fut en vain que les propriétaires voulurent in-
troduire l'reuvre de l'homme d'État et au philosophe anglais et
qu'ils créerent ineme trois landgraves, Locke luí-meme, James
Carteret et Yeamans, qui s' était transporté sur les bords de
l' Ashley : tous leurs efforts n'eurent d'autre effet que de forti-
fier les ten dances démocratiques dans la communauté. Elle avait
langui sous le gouvernement du cupide Yeamans; elle se releva
sous l'administration sage et modérée de West, qui dura neuf
années (1674-1683). Elle recut a cette époque des Irlandais con-
duits par Ferguson et des récusants du comté de Somerset, qu'a-
mena Joseph Blake, frere du célebre amiral, et l'acte le plus
odieux, et en meme temps le plus impolitique, qu'aít commis
l'ancienne monarchie frun<;aise luí apporta bientót d'autres élé-
men.ts de population et de prospérité.


Larévocationde l'édit de Nantes jetaenAm(kique un grand nom-
bre de huguenots qui avaient, comrne l'a ditM. Bancroft, les vértus
des puritains anglais sans etre infectés de leu!' bigotísme. Il en vint
du Languedoc, de la Biscaye, de la GiIyenne, de la SaintoI1ge, de la
rrouraÍne, de la Normandie, et les viUes du Massachusetts ou au
New-York s'empresserent de leur offrir un refuge. Un se rappelle
encore a Boston que l'enceinte fameuse OU retentirent les premiers
cris de l'indépendance américaine a été bAtie aux frais du fils de l'un
de ces proscrits; et on n'a pas oublié dans lesCarolines que le fi1~
de Judith Manigault, lors de la révolution, mit sa large fortune au
service du pays adopté par sa mere. Judith a laissé un journal de
ses épreuves et de ses souffrances. On y lit qu'clle et son mari




PllEl\uium PAltTIE -. LES OlUGINES DES COLONIES. 93
du'i'ent faire un long cjrcuit, par l' Allemagne ~t la Hollande, afin
de gagner l' AIigleterre; que dan s la traversée d' Amérique, ils
perdirent leur vjeille mere; qu'arrivés dan s la Caroline méridio-
nale,.lleuf- fallut travailler comme des esclaves, sans gouter au
pain pendant six mois entiers et sans en avoir a leur discrétion
pendant trois ou quatre années J. La plupart de ces proscrits
appartenaient a nos provinces méridionales; c'est pourquoi la
Caroline du Sud, arec son heureux et beau cíel, les attira de pré-
férence : ils eurent lenr principale Église a Charleston, et se ré-
panrlirent dans la vallée du Coopel' ou sur les rives méridionales
du Santee.


Depuis quelqlles années déja, la conquete avait superposé des
éléments germaniques et scandinaves au fond de cette popula-
tion, restée exclusivement anglaise durant tout un grand demi-
siecle. En 1608, un illustre navigateur anglais au service de la
Hollande, Henry Hudson, avait remonté le beau fleuve qui porte
son nom plus haut que la ville actuelle d' Albany, et deux ans
plus tard, c'est-a-dire l'année meme ou il trúuvait dans les mers
arctiques un destin fatal, dont les détails' restent couverts
d'un impénétrable mystere, des marchands d' Amsterdam trafi-
quaient ave e les naturels de l'ne de Manhattan. Retardé~ par les
luties politiques qui amenerent le triomphe du prince Maurice
d'Orange, l' exécution de Barnevelt et l' emprisonnement de
Grotius, la eolonisation des Nouveaux-Pays-Bas (Nieuw Neder-
land) ne prit quelque essor que dans les mains de la Compagnie
des Indes occidentales; mais, des 1629, elle avait assez pris d'im-
portanee pour que les états généraux s' occupassent de régler la
situation des eolons. De meme que les Franvais transporterent au
Canada<les institutiollS féodales et la coutume de París, les Hol-
landais '~on<;urent leur colonie d' Amérique a l'image de la mé-·
tropole, et s'inspiren.'llt pour ses institutions d'un plan entiere-
ment .national. Les paysans, les Boor$, comme on les appelle
.~ ... encore au cap de Bonne·Espérance, ne re<;urent aucun droit


politique, et si la charte regarda la présence de l'instituteur et 'du
pretrc eomme une chose désirable, elle ne prit aueune 4isposi-


f Hist. of unit. stal., J, ·'182-83.




94 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SlEPTENTRIONALE.
tion pour assurer leur subsistance. La constitutioll de la propriété
terrienne revetít la forme féodale: on devenait propriétaire de
manoir et on possédait l'absolue propriété, ou du moins le do-
maine éminent des terres mises en culture, en installant stt'r ces
terres, dan s l'espace de quatre ans, une communauté de cinquant~
émigrants. Le patron, en concédant des terres aux cultivateurs,
exigeait d'eux quelques services personnels, avec un droit de
lods et vente) et leur imposait, en outre, une redevance assez mi-
nime, mais qui fut déclarée perpétuelle et non rachetable sui-
v,ant les idées .du temps. Sous le rapport commercial, ces memes
idées prévalurent : la Compagnie se réserva le monopole du sel,
des céré'ales, du poisson salé et de toutes les matieres premieres;
elle défendit aux colons, sous peine de ,bannissement ou de puni-
tion arbitraire, de fabriquer aucun tissu de chanvre, de lin ou de
sOle; enfin elle s'eugagea a pourvoir les plantations de negres,
pourvu toutefois que « leur trafic se montrat lucratif 1») et s?ap-
propria l'He de Manhattan comme siége de ses opérations.


La colonisation ne laissa pas de prospérer sous ce régime, au
détriment de la Compagnie, il est vrai, et au grand avantage de
ses directeurs et de ses agents, qui ne se firent aucun scrupule de
s'emparer pour leur compte des terraillS les meilleurs. Elle se
mouvait, d'ailleurs, daos des limites devenues étroites depuis




l'arrivée de nouveaux émigrants dans le bassin de la Delaware.
Gustave-Adolphe avait eu sur ces memes régions de grands pro-
jets, que, sa mort prématurée l'empecha de réaliser lui-rneme,
mais que le grand chancelier Oxenstiern reprit en 1637, et six 'ans
plus tard, il y avait dans la vallée de florissants villages peuplés
de paysans suédois ou finlandais. Leurs voisins de Manhattan ne
}'essentaient pas a leur endroit des dispositions tres-bienveillantes;
mais le prestige des armes suédoises restait intact, et les Hollan-
dais surent, pour le moment, contenir leur mauvaise humeur. Elle
éclata en 1655, alor8 qu'Oxenstiern n'était plus et ,que la Suede,
déja épuisée par une longue suíte de guerres, avait ach~vé de
s'affaiblir sous le sceptre d'une jeune femme trop galante et trop


I Artieles XVI, XIX, XXXI de la charle. Elle est insérée a l':mncxe H dn tome II de
l'he hislory o{ .Yew-lrclhcrlanJs de DunlaJl, tres-lwn morCC¿¡lj d'bi"toi1\:,


I




PREMIERE PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 95
lettrée. Les Hollandais ayant batí, pour des motífs de sécurité
commerciale, un fort pres de l' embouchure de la Brandy'yine,
Rising, le gouverneursuédois, yit dans ce fait un empiétement
sur son territoire, attaqua le fort et s'en rendít maltre. Ce fut le
signal de la chute de la Nouvelle-Suede: Stuyvesant, qui gouver-
nait depuis neuf ans les établissements néerlandais, entra dan s la
Delaware avec plus de six cents hommes, et Rising, apres une
résistance honorable, fut contraint de capítuler. On garantit aux


I , '


Suédois la tranquille possession de leurs propriétés personnelles ;
mais, en dépit de leurs protestations et de leur résistancB, on
incorpora leurs territoires aux possessions hollandaises:


Celles-ci étaient en pleine voie de prospérité, lorsque le roí
~'Angleterre en fit don au duc d'York, son frere, sous le double
prétexte que les Cabot les avaient découvertes et qu'elles étaient


-comprises dans les vagues limités de la charte accordée en 1620 a
la compagnie de Plymouth. Leur capitale s'appelait la Nouvelle-
Amsterdam et rivalisait presque avec Bost~n. « Ce pays, si bi.en
« situé,» disaient les colons, « peut devenir le grenier d'abondance
« de notre ,patrie; si elle venait a subir les ravages de la guerre,
( il offrirait a nos compatriotes un asile sur. Grace a la bénédic-
« lion céleste, nous deviendrons dans peu d'années un puissant
« peuple. » Ce que le gouverneUr et les directeurs demandaient
a la métropole, avec une entente parfaite des besoins d'une colo-
nie naissante, c'étaient. des fermiers, des laboureurs, des étran-
gers, des proscr~ts, des hommes habitués a la pauvreté et au tra-
vai~ ',. et la métropole, docile a leurs conseils, envoyait dans les
NÓuveaux-Pays-Bas des troupes d~ouvriers ou d'enfants orphe ..
,Hns, en meme temps qu'elle facilitait le passage au~ protestants
franc;ais, aux hussites de la Boheme, áux vaudois piémontais.
Les colons, aleur tour, expédiaient des bois en France; ils pe-
chaiéllt la baleine sur leurs cotes et plantaient des vignes et des
muriers: lIs avaient néanmoins leurs' griefs contre la Compagnie
et sts directeurs-fermiers l·;ils réclámaient les libertés nécessaires
a la prospérité aflt!pole et 'commerciale ; i~~ se plaignaient des
énormes tarifs de lá dtmane'. En 1652, 1e& ll~~fíllllts d~ la Nouvelle"


I lJi:;l; ofunit. stal., 11, ;)7:1,





96 LES ÉTATS-UNlS DE L'.\:\lÉlUQUE SEPTEl'\THlONALE.
Amsterdarn obtinrent une cour de justice et des pri\'iléges muni-
cipaux sernblables a ceux de la métropole ; ils eurent un shériff,
deux bourgrnestres, cinq échevins ; rnais. ce shériff était nOll1mé
par le gouverneur; ces échevins et ces bourgmestres n' étaient pas
élus par les citoyens. Il y avait loin de ce systeme a la large
liberté du lownship de la Nouvelle-Angleterre, et les puritains, qui
étaient nOll1breux dans la colouie, poussaient les Hollandais a
s'approprier une part dans le vote des lois et dans celui des ll1agis-
trats. Ce fut sur ce terrain qu'ils engagerent une lutte avec Stuy-
yesant, Hollandais de vieilIe souche qui ne comprenait rien a ces
« visions et a ces extragances» et que la Compagnie soutint de
toutes ses forces. « Si le peuple r » dit-il aux délégués de chacun des
villages, « nommaitses magistrats, chacun voterait pour quelqu'un
« de sa trempe. Le coquin donnerait sa voix ~ un coquin, le con-
« trebandier a un contrebandier. Nos vieilles lois sont bonnes, et
« les directeurs ne se déclarerontjall1ais responsables vis-A-vis de
« leurs sujets l. » Stuyvesant l' emporta ; mais les impóts cesse-
rent de rentrer: et l'idée qu'en devenant sujet anglais on oLtien-
drait les libertés anglaises fit un sur chernin (1653-58).


Le gouverneur s' en apef(;ut lorsque, sans avis préaIable, une
escadre anglaise se présenta, en septernbre 1664, devant Manhat-
an. Il ne fallait pas cOll1pter sur les Anglais: « Autant vaudrait »
disait Stuyvesant lui-mell1e, « faire entrer dans nos rnllrs le
« cheval de Troie ; » quant aux Hollandais, il connaissait trop la
haine dont ils poursuivaient la Cornpagnie pour en aUendre quel-
que grand effort, et le conseil municipal de la Nouvelle-Amster-
darn venant, des l'arrivée de l'escadre anglaise, conseiller une
reddition imrnédiate, aurait au besoin levé tous ses doutes. Ce mot
réveilla toute la fierté du vieux. soldat: « Une reddition 1 » s' écria-
t-iI; « rnais la Hollande m'en ferait une honte. » Que faire néan-
rnoins? La situation n'offrait pas d'aulre issue. La capitulation
qui intervint garantissait aux colons hollandais leurs biens per-
son neIs, le respect de leur religion~t de leurs coutumes 2,' l~


t Hist. o{ unit. stat., 11, 576.
2 Sur ces coutumes il faut lire L'Histoire de Ñew-fork de Diedrich Kuicker-


buckcr, pseudonyme de, Washington Irving. Lorsqu'un traduit des fadaises comme




l'RKMllÚt¡'; l'AH'l'lK. - U;S OHlülNES DES COLONIES. 97
continuation pendant un semestre du libre commerce avec leur
patrie. Un tres-petit nombre y rentra. Quelque~ jours plus tard, le
fort Orange, qui prit le nom de fort Albany, du second titre du
duc d'York, s'e rendit ; au mois d'octobre, les Suédois de la Dela-
ware firent également leur sou mission, et l' Angleterre resta ~ai­
tresse de toute la cóte entre les Alleghanys et la mero La paix de
Bréda, concllIe en 1667, confirma ses titres, et si le New-York
redevint un instant hollandais, dansla guerre qui se ralluma bien-
tot, la paix de 167 '1: le rendít définitivement au frere de Charles II.


La luUe commcIlcée <lyec Stuyves;mt fut continuée avec le duc
d'York. (Juand Edmolld Andl'os lui présenta la demande que
faisaient les colons de voter les lois provinciales et les taxes, il
fit une répollse bien caractéristique. « Je ne puis m'empecher de
« croire,» dit-il, « que ces assemblées serontde conséquence dan-
« gereuse, rien n'étant micux connu que leur penchant a s'ar-


«( roger beaucoup de priviléges qui tendent au trouble du gou-
({ vernement ou a sa ruine. 1) Sept ans plus tard il faHut céder,
et le duc d'York ayant pris l'avis de William Peull, envoya un
nouveau gouverneur, Thomas Dongan., lequel,d'apres les ordres
du prince, convoqua une assemblée législative. Elle s'ourrit le
7 octobre 1f383 et formula ce qu'elle nomma sa Charle de liberlés.
« Le pouvoir légisIatif - déclarerent les députés - résidera
« dans ]e gouverneur, le conseil et le peuple réunis en assemblée
« générale. Tout franc-tenancier et tout homme libre votera ponr
(( la l'eprésentation sans distinctiou; aucun homme libre ne sera
« puní que par jugement de ses pairs, et ce jug~ment sera rendu
,( par un jury de douze personnes. Aucune taxe ne sera établie,
(t sous aucun prétexte, que du consentement de l'assemblée. Au-
« cun matelot, aucun soldat, nesera logé chez'les habitants que de
« leur consentement. Il n'y aura point de loi martiale. NuBe
(t personne, faisant prafession de croire en Dieu, p'arJésus-Christ,
« ne sera en aucun temps et d'aucune fa<;on recherchée OH in-
«( quiété pour dift'érence d'opínions l. ); Traduisez ce langage en


les romalls de miss Aurora Braddon, on a le droil de s'étonner qu'on ne fasse pas
cel honneur au Iivre si jJittores'lue él si inslruclif d'll'ving.


I llist uf' unit. sta tes , 11, 648 el (jj(j.




gd LES ÉTATS-UNIS DE L'A;¡IÉlUQUE SEPTEN'.\'lUONALE.
style moderne, la liberté relígieuse, la liberté personnelle, le
droit, le libre vote des lo~s et de l'i~pót, voila ce que les COlOIlS
réclamaient de Jacques 1I, et réclamaient, suivant la remarque
de M. Laboulaye, non comme des priviléges, mais comme les
droits naturels des sujets anglais 1. Voila, aurait pu ajouter l'é-
mintmt publiciste, ce que la France n' a pas toujours possédé
me me depuis sa grande secousse, et ce qu'elle ne possede encore
que .d'une fayon imparfaite, apres quatre vingts ans de révolu-
tions accomplies pour la plup~rt au nom du droit 'et de la liberté.


William Penn, d~nt le nom est venu sous notre plume, dtscen-
dait d' officiers de marine quí avaient exercé de grands comman.-
dements, et son pere était le conquérant de la Jamalque. Élevé
d'une fayon libérale et destiné d'abord au métier des armes, les
leyQns d'un prédicateur quaker qu'íl entendít, étant encore a l'u-
niversité d'Oxford, le porterent a embrasser les opinions de cette
secte. Ce n'était point peut-etre un acte prudent, comme l'a fait
rema¡'quer Macaulay, avec quelque dédaín, mais c'était un acte
dé courage, car les quakers ü ceHe époque n'avaient pas seule-
ment encouru la haine des pouvoirs publics, ils é.taient encore
pour la bonne compagnie un objet de raillerie et pour la multi-
tude un but permanent de brutalités et d'injures. Leurs prínci-
pes religieux et politiques explíquaient l'animadversion des uns ,
leurs manieres les dérisiolls des autres; mais, a vrai dire, leurs
1"ayons découlaient de leurs principes et leurs principes entrai-
naient leurs manieres. Si le quaker supprimait toute appellation
nobiliaire et tutoyait tout le monde, c'est qu'il n'y avait dan s
l'Écriture « ni de Monseigneur Pierre, ni de Monseigneur Paul,»
pas plus que dans l'histoire grecque ou dans l'histoi!e latine « de
Monseigneur Solon ou de Monseigneur Scipion. » S'il conservait
toujours son chapean sur la tete, ce n'était point de sa part sin-
gularité seule, et affectation grossil're:. c'étaIt qu'il regardait
le chapeau comme un signe d'affranchissement et d'égalité,
puis(1ue les pairs du royaume le portaient en la présence royale.
Sa simplicité de vetements et de parole tenait également a des
idées morales fortement arretées et liées a l'esprit meme de la


t lJist. polo I,! 3" let;on.




PREMIERE ·PARTIE. - LES ORIGINES DES COLONIES. 99
secte: « La vérité est assez belle dans son simple appareil, »
disait-il, en ajoutant qu'il ne fallait la chercher, ni dans les
livres, ni chez les'gens instruits, mais en soi-meme, a la lu~iere
de son seul entendement, au flambeau de sa seule consCience.
En d'autre~ termes, le quakerisme tirait le dernier mot et dé-
duisait la derniere conséquence du libre examen en matiere reli-
gieuse; l'inspiration que le puritain puisait dans la Bible, le
quaker la transférait a la lumiere intér\eure, inner light. La ré-
vélation ~st immédiate, et ne découle, ni de la tradition, ni de~
sens, mais de l'espl'it seul, voila ce qu'il pensait; « chacun con-
({ naH Dieu par une démonstration il,lterne qui est infaillible, et
« non d'apres les maigres interprétations des uns et des autres, »
voila ce qu'écI:ivait William Penn. Quant aux saintes écritures,
ajoutait Barclay, « elles indiquent la fontaine; mais elles ne sont
pas la fontaine elle-meme. » Les quakers ne croyaient pas d'ail-
leurs, en s'exprimant de la sorte, rejeter le christianisme > mais
le ramener seulement a sa simplicité primitive. Liberté et chris-
tianisme étaient pour eux des termes synonymes, et ce qui re ...
muait le plus leut' esprit et touchait davantage leur Cffiur dans
la religion chrétierme e' étaient ses origines populaires; e' était l~
ereefle de Betllléem, le ioit du eharpentier, fl1abít en poíl de
chameau de Jean-Baptiste. Aujourd'hui les diseiples de George
Fox et de William Penn vivent non-seulement paisibles et honQ-
rés dans rUnion amérieaine, mais leurs idées y ont obten u uq
mémorable triomphe. e'est en effet a ees idées qu'il convient
selon nous de rattaeher l'unitarisme, e' est-a·dire la doctrine de
Channing, ce grand homme de bien et eette ,intelligenee géné~
reuse qui lui aussi n'a pas voulu reconnaitre en matiere de foi
d'autorité supérieure a la raison, sans croire qu'il se soit sépar~
ainsi; P?ur se servir de ses expressions memes, « du grand corps
« du Christ » et d'hommes tels que Féllelon, Pascfll, Borromée,
l'archeveque Leighton, Jérémie Taylor1 John l{owarc:L t.·


A l' époque ou notre récit a conduit cette histoire 2 'le~ quakers


t fEuvres sociales de W. E. Channing, introduction p. XXXIII. M. Laboulaye,
qui a traduit les reuvres et écril cette introduction, rattache I'unitarisme au Chris-
tianisme raisonnable de Locke. Les doctrines de Channing nous semblent sortir
d'aiJIeurs el porter plus haul.




100 LES ÉTATS-UNlS DE L' AMÉRIQLJE SEPTENTRlUNALE.
étaient encore l' objet d'incessantes vexations en Anglf.tel're el. 11e
jouissaienten Amérique que d'une tolél'ance précaire. Mais Wil-
liam ·Penn, qui connaissait de longue date le duc d'York, était
a10rs en grand crédit pres de ce prince et meme a la cour. Ces
relations offusquaient sa propre secte; elle l'accusait tout haut
(l'etre devenu papiste, jésuite meme; d'a~tres ajoutaient qu'il
avait été élevé au co11ége de Saint-Omer, ou ordonné pretre a
Rome. L'histoire n'a pas accueilli ces calomnies ridicuJes et ces
fables grossieres; mais elle a du juger ,d'une fa~on séviwe
l'étrange intervention de Penn en favenr de ces filIes d'honneur
de Marie de Modene qui extorquaient de grosses sommes aux
familles des victimes que fit la prise d'armes du duc de Mon-
mouth l. Peut-etre la conscience de Penn trouva-t-elle une
excuse a ces complaisances dans la pensée qu'elles accroltraient
un pouvoir déja grand et dont il s'était déja serví au bénéfice de
ses coreligionnaires. n avait acquis, en -effet, la part appartenant
a lord Berkeley dans la concession que la couronne .avait faite
en 1664 a ce seigneur, ainsi qu'a Carteret, des terrains compris
entre I'Hudson et la Delaware, qui forment aujourd'hui l'État
de New-Jersey, et y avait installé une colonie de quakers. Plus
tard, en 1681, il obtini une charte qui lui~oncédait directement
un territoire embrassant trois degrés en latitude au nord et cinq
degrés en longitude a l'ouest de la Dela\yare, a d8S conditions
tres-favorables pour lui-meme, mais qui ne l'étaient pas au
'meme degré pour les colons, sans qu'en cela, d'ailleurs, il y eut
eu de la part de Penn la moindre négligence ou le moindre
égolsme, la chaNe de concession, te11e qu'ill'avait rédigée lui-
meme, établissant une forme de gouvernement semblabl~ a celle
du Maryland. Mais le garde des sceaux North l'amenda, de
fa~on a réserver au roi la faculté d'annuler les actes de la future
assem~lée colonia.le, s'ils violaíent la loi anglaise, et au par~e,.
ment le droit d'établir des taxes douanieres.


Penn se fit précéder en Améríque par une lettre qu'y porta
Markham, nommé son agent, et dans laquelle iI pro~ettait aux
GOIOllS de les gouverner selon les lois qu'ilsrendraicIJtcux-mellles,


. I Macaulay. Hist. o{ Engl., 11, ~~O·(~~3.






PHEMI~:RJ~ PARTIR. - LES nRH~INES DES COLOXIR:-.IO I .
commc de leur t'ournir les mOy2ns de vivre en gens libres et s'ils
le voulaient bien « sohres et indu,strieux. » Quand il eut refusé,
malgré l'insuffisance de ses ressonrces per~onnenes, l'offre de six
mille livres sterling et d'un revenu annuel qui lui était faite par
une compagnie s'il consentilit a lui lívrer le monopole du trafic
avec les Indiens entre la Susquehannah .et la Delaware; organisé
une autre compagnie sur les bases d'un commerce libre t;
passé avec le duc d'York un arrangement qui rectifiait les fron-
tieres de la plantation et y faisait rentrer les deux rives de la
Delaware, du 43° parallele a l' Atlantique; concerté, en un mot,
toutes les mesures capables d'intéresser le bien-etre et la prospé-
rité des colons, Penn prit a son tour le chemín du Nouveau-
Monde. 4


A pres une longue traversée, assombrie par la mort d'un grand
nombre de passagers, il y débarquait, a Newcastle, le 27 octo-
bre 1682 2. Le bruit que le Quaker Roi était arrivé s'étant ré-
pandu avec une extreme promptitude, Penn se trouva, le lende-,
main meme de son débarquement, en face d'une foule de Suédois,
de Hollandais, d' Anglais, auxquels il adressa un discours dans
lequel il recommandait la sobriété et la paix, tan dí s qu'il pro-
mettait de son cóté la liberté de conscience et la liberté
civile. Les semaines suivantes, iI visita ses propres domaipes,
le' New-Jersey occidenta1 et oriental, ainsi que la viUe dE; New-
York. Mais l'acte le plus important de Penn alors fut le traité
de paix qu'il conclut avec les Indiens. eette scene, dont la pein-
ture a flxé le souvenir, mais sans un grand souci, parait-il, de la
couleur locale et de lél couleur historique, cette scene eut líeu a
Shakamaxon, dans le voisinage de Philadelphie. La, sous l'abrí
d'un large hetre dénudé par les froids, le quaker s'aboucha
avec les chefs des Leni-Lenappe, accourus des deux rives de In


, 1
i « C'est une association d'un genre tout nouveau, »disait le programme, « cal' ellt>


« est entierement"Ubre et agira dans un p'ays libre; et 'nous informons un ch3wn
(( qu'i1 peut trafiquer dans ce pays, comme s'iI n'y avait pas d'association du toul.
« (Hist o{ unit. stat., II, 621). »


2 C'e~t la date donnée par Bancroft, d'apres les Records de Watson. Une Jeltre
de Penn, vieux style, donne la datedu 24, adoptée par Chalmers el Proud; mais
M, Bancroftcroit ;\ une el'felll' de copiste ou bien a une allusion el I'entrée de Penn
dans la baje.






102 LES. ÉTATS-UNIS DE r:AMI<:RIQUE ~EPTENTRIONALE.
Delaware, du bassin supérieur de la Sehuykhill et peut-etre de
la Susquehannah. ({ Nous nous reneontrons ») leur dit Penn, « sur
« le large sentier de la·bonne foi et de la bonne volonté ..... Je ne
« vous appellerai ni mes enfants, paree que parfois les parents
« traitent trop séverement leurs enfants, ni mes freres, paree
« que les freres ne sont pas toujours d'aeeord. L'amitié qui
« doit nous unir vous et moí, je ne la eomparerai pas a une
« ehaine, ear ·les ehaines peuvent se rouiller; nous sommes
« comtne si le corps d'un meme homme avait été divisé·en deux
CL parts; nous formons tous une meme chair et un meme sango »)
Les Peaux-Rouges rurent touehés d'un pareillangage; ils échan-
gerent des présents avee Penn, et jurerent de vivle en paix avec
lui et ses enfants « aussi longtemps que dureraient le soleil et la
lune. » Ce serment, ils le tinrent, sans l'avoir ni seellé ni signé,
et tandis que le Nouvelle-Angleterre sortait a peine d'une guerre
d'extermination avee les Indiells; que les ineursions de eeux-ci
s'étendaient jusqu'au creur de la Virginie, et que les Algonquins
n'avaient presque jamais été en paix avee les Hollandais de la
Nouvelle-Amsterdam, le quaker penllsylvanien véeut~ sans erainte
du tomahawk et du scalp. Penn a partagé avee un tres-petit
nombre de ses compatriotes, les Williams, les Mayhew, les


• ElIiot, l'honneur d'avoit traité les Indierts non comme des betes
fauves que l'on pourchasse de repaire en repairejusqu'a ce qu'elles
80tent tombées, sons la balle ou l'épieu du chasseur, mais en mem-
bres de la grande espece humaine, en eréatures raisonnabJes et
sensibles. Il aimait a parcourir leurs villages, a entrer dans leurs
wigwams, a prendre part a teurs rustiques banquets.. « Ces
« pau'Vres saúvages, ») écrivait-il, « croient en Dieu, a l'ame, et
« ri' ont pas besoin pour cela des secours de la métaphysique 1. »


Penn quitta la Pennsylvélnie en 1684. L'année préeédente, les
. délégués des neuf eomtés qu'elle renfermait, réunis dans la cité
naissante de Philadelphie, avaient arreté ses institutions. Il y eut


t ]>enn a raconté ses h)\1tn~s dans sa province et ses visites chez les Indiens dans
plüsieurs \ettres : a. lord North., U juillet 1683; a Sunderland, 28 juiHet ; au duc
d'Yorlt, 1·3 av:rH ; fI. la libre société des négociants de Londres, 16 aotlt Hi83, iusé-
rées dans les Memoirs of the historical society of Pensylvania, 11, 2e part.,
p. 24l-'247 et 411.




/


rREMIERE PARTIE. - LES ORlfHNES DES COLONIEs.l 03
un 'conscillégislatif élu pour trois ans el renouvelable par tiers,
avec une assemblée plus nombreuse et annuellement renouvelée.
L'initiati ve des lois appartenait au gouvernéur et au conseil; ellej
étaient soumises au peuple, qui les discutait dans ses assemblées
primaires et faisait connaltre sa décision par le canal de l'as-
semblée annuelle. C' était un role bien passif pour celle-ci; mais
il s~agrandit, dix-sept ans plus tard, lorsque Penn eut prévenu
les colons, qui discutaient sans pouvoir s'entendre sur d,es ques-
tions constitutionnelles, que le Parlement entendait les trancher
a sa maniere en abrogeant toutes les chartes coloniales. A cehe
époque, l'assemblée annuelle devint le seul pouvoir législatif et
l'exerva dans toute sa plénitude, sauf l'assentiment du gouver-
neur, tan di s q'ue le conseil devenait, de son coté, une partie du
pouvoir exécutif qui était institué par ce meme gouverneuI'. Pour
le reste, la constitution de 1701 respecta les prélimin~úres de 1683,
en les développant: les shériffs et les constables furent nommés
par le peuple', les juges par la Iégislature; tout proces concer-
nant la propriétó ren royé aux tribunaux ordinaires, décision qui
ne manquait pas d'importance dans une colonie ou l'intéret du
lord propriétaire se trouvait engagé dans tous les litiges relatifs an
sol. On confirma la liberté religieuse, et les offices pubIics dem-eu-


. rerent accessibles a tout le monde. Il va sans di re qu' on nc con-
nÍlt en Pennsylvanie ni les titres et les distinctions nobiliaires, ni
les priviléges de primogéniture; on n'y connut pas 'davantage les
spectacles, les bals, les mascarades, les combats ele coqs ou de
taureaux. Mais, par uné compensation plus que suffisante, on n'y
entretenait pas la misere sous prétexte dé la secourir; on n'y
donnait pas la question aux prévenus; on n'ypendait meme per-
sonne, si ce n'est en cas de meurtre volontaire.


Penn fit aux colons de touchants adieux : « Vous etes venus, »
leur dit-il,» qans' un pays paisible ; la l~beríé et l'autorité sont
« sous votre main. » Heureux les peuples dont les chefs se rap-
pellent toujóurs que l'autorité n'est, selon le mot de Winthrop,
que le moyen et la fin de la liberté! Heureux les peuples qui
n'oublient jamais eux-memes qu'ils dé~honorent et affaiblissent
la, liberté quand ils en font, au lieu d'une compagne austere de
l'austere justice, une com~lice de leurs fureurs ou un instrnment




1 (V! LE~ Í~TATS- T'~IS DE r:.\:\II~HIQUE SEPTENTnrnNALE.
de leurs convoitises! Voltail'e a dit que WiHiam Penn avait
apporté Sl1l' terre « cet ~lge d'or dont on parle tant. ») On peut le
~oupc;onner, dans cet éloge, d'avoir un peu imit& Tacite, qui ne
louait tant les farouches vertus des Germains que pour mettre
dans un plus vif contraste les vices amollis de ses concitoyens, et
ce prince des élégances fran~aises n'aurait pas, sans doute, passé
volontiers r Atlantique ponr affronter le contact des rudesses amé-
ricaines. Volta~re disait vrainéanmoinsen ce sens qu'il n'y a poiQt
de société réguliere et paisible la ou la liberté est absente, et il
a -eu raison, lui dont radmiration n'était pas banale, . quanrl elle
était sincere, d'admirer Penn et les quakers. Quelques faiblesses
déparent une beBe vie et ne la détruisent paso Penn a beaucoup
aimé la liberté, la vérité, l'humanité ; il leur a donrié des gages
de sa personne et de sa fortune : c'est assez pour qu'il ait pris sa
place au rang des hommes que la postérité honore et bénit.


...






DEUXIEME PARTIE.


LES DEVELOPPEMENTS DES COLONIES.








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LIVRE PREMIER.


La prérogative parlementaire et les premiares luttes
avec la France. .


Sommaire. - LES DERNIERS ACTES DE LA RESTAURATION : Les monnaies
altérées en Virginie et les libel'tés municipales détruites; les
réunions électorales supprimées au Massachusetts; la charte
ue Rhode-Islantl et celle uu Connecticut confiS'quées.


LA RÉVOLUTION DE 1688: Guillaume d'Orange rend sa charte, mais
mutilée, au Massachusetts; rétablissement des chartes dú Coúnec-
ticut et de Rhode-Island; le Maryland devient province royale,
ainsi que les Carolines; l'Église établie en Virginíe; nouvelles ag-
gravations du pacte colonial. . .


LA SORCELLERIE DANS LA NOUVELLE ANGLETERRE: Le démoI1 ti, Newbury
et ti, Portsmouth ~ les ehfaI1ts Goodwin; frénesie des ministres;
exécutions ti, Salern.


LES PREMIERES LUTTES AVE~ LA FRANCE : Coupd'reil sur la colonisation
de la Nouvelle-France; Champlain, Marquette, Joliet, la Salle et la
vallée du Mis.3issipi; premiéres hostilités; les Anglais s'e:rb.parel'lt
de l' Acadie et la perdent; ils échouent devant Quebec; le New-
York ravagé; paix de Ryswick; seconde conquéte de l' Acadie ;
nouvelle expédition contre Quebec, elle avorte ; paix d'Utrecht.


Le 28 décembra 1688, Guillaume, prince d'Orange, faisait son
entrée a Londres. Quoique la matinée fut froide et venteuse. une
grande foule entourait les abords du palais de Saint-James; les


. cIoches résonnaient dans tous les clochers; il Y avait des lam-
pions préparés a toutes les fenetres et des amas de fagots dans
toutes les rues. GuiJlaume, cependant, qui n'aimait ni les foules,
ni les cris, prit une avenue a travers le pare et entra discretement
au palais, monté sur un léger véhicule. A quatre jours de dis-




I OK LE~ J~TAT~-!íNr~ nE L'Al\f~:RIQHR ~EPTRNTnrONALE ..
tance, une sdme bien différ~lIte se passait dans la petite "ille df'
Rocheste.l' : .Jacques JI, apres a\'oir pris congé des gentilhommes
qui luí étaient restés 'fideles, sans les prévenir de son dessein,
sortait par une porte de derriere et, suivi du seul duc de Berwick,
gagnait les bords de la 'Medway, ou l'attendait un p~tit lougre. II
n'entre pas dans le cadre de ce travail de déroulef les causes qui
préparerent ce double événement. Qu'il nous suffise de dire que
si un prince mérite un sort funeste, quand il est foncierement
fourbe et cruel, cruel jusque dans ses velléités de merci; quand
il est dévot dans la mauvaise acception du terme; despote au
poillt de lasser la pqtience d'hommes aussi servilcment dévoués
a la prérogative que l'étaient l'archeveque Sancroft et l'éveque


_ Sprat, aueun homme candide ne niera la j ustice du clüUiment
qui frappa le dernier des Stuarts.


Jacques II avait aidé Penn a fonder la Pennsylvanie : c'est la
son seul titre a la reconnaissance de l' Am'éríque. Dans les autres
colonies, les gouverneurs, dociles aux instrurtions de leur
maUre, porterent la main sur toutes les libertés et tous les droits.
Le Maryland devint province royal e, malgré le royalisme de lord
Baltimore. Dans la Virginie, Culpepper le dernier gouverneur
nommé par Charles lI, avait rendu l'exercice des actes de
navigation plus rigoureux, transformé en sub~ides permanents
les subsides annuels et porté de cinq a six shillín gs la valeur de
la demi-livre sterling 1. Effingham, sqn successeur, établit une
cour de chancellerie, et s'en constitua le président, cour dont les
membres donnaient des avis mais n'émeUaient point de votes;
il n'y eut plus de meetings, plus d'institutions municipales. A Ne\\'-
York, aucune des promesses. de la charte de libertés ne fut
tenue: les impots continuerent de se percevoir par ordonnanee,


'-


et l'on jeta en prison les citoyens qui ne voulurent pas les payel'.
Dans la Nouvelle-Angleterre, Andros, qui eut le tort grave de se
taire l'apre exécuteur de mesures qu'iI n'approuvait pas toujours, .
Andros laissa tomber les écoles en décadence et ordonna de
célébrer le service épiscopal. « Il est drole,» disait-il, « de voír dl~
« méchallls artisans, qui n'ont ni maison, ni terre) t'aire bOll1H'


• Reverley. F/i.~t. de la Virg., 113-119.




DEUXIEME PAR'!'!E. - LES UÉVELUPl'EMEl'."TS DES COLONl:ES. 109
..


«figure dans les_ élections, tandis que les plus riches marchands
« et propriétaires ne sont pas plus considérés que des zéros dans
« les chiffres 1, » el il abolít le scrutin secret, en restreignant les
l'éunions électorales, en falsi'flant les listes du jury. Sa juridictioq
eomprenant toute la nouvelle Angletf~rre, Andros exigea de
Rhode-Island la reddition de sa charte, contre laquelle un bin de
fjtW warranlo avaít été lancé en Angleterre (1687). Dans l'au-
tomne de cette memc année, il se rendít au Connecticut afin d'y
prendre le gouvernement. L'assemblée se trouvait précisement
en sessioll : Andros y vint un soir, et demanda d'un ton péremp-
toire qu' on lui remit la charle coloniale. Elle était sur la table;
mais on ne la lui tendit pas : a un certai~ moment, les lumieres
s'éteignirent, et, quand OH les ralluma, le pré.cieux document
avait disparu, enlevé par l'un des nombreux fermiers qui garnis-
saient la salle. Cepelldant Andros avait la force: il se ti! apporter
la charte, ainsi que le livre des records, et au bas de la derniere
page écrivit de sa propre main le mot Finis.


La nouvelle de la révolution survenue en Angleterre parvint a
Boston le 9 avril 1689. Les milices prirent aussitót les armes, et
l'un des magistrats de l'année 1630, Bradstrect, qui avait alors
quatre-víngt-sept ans, se rendít a la maison de ville. La foule
l'acclama et réinstalla l'ancien conseil. La campagne, de son
coté, avait pris les armes, et un mil1ier de mili cien s accouraient
du cóté de Charlestown : Andros, qui avait essayé, mais en vain
de gagner la frégate la Rose, alors en rade, n'eut plus que la
ressource de se rendre, et fut mené en prison avec ses principaux
officiers. Dans quelques jours, l'insurrection gagna les au~res
colonies et s'étendit jusqu'a New-York.


Cette révolution que les Américains accueillaient avec tant
d'enthousiasme ne devait pas cependant satisfaire tous leurs
vreux ¿ les colonies ne recouvrerent pas leurs anciennes libertés,
et rencontrerent dans leurs revendications la double résistance
du parlemen~et d'une aristocratie commerc;ante. Leur insurrection
de 1689 excita l'alarme en Angleterre; on y trouva l'indice d'un
esprit trop eutreprenant et trop cHclín ü l'indépendallceJerrito-


f Hist. u/, unt/t. stat., JI, G(A




t 10 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉ1U(JUE SEPTENTHWNALE.
riale. Dans un doeument offieiel, lJUblié en 1701, les lords du
bureau de eommeree déclaraient « que les colonies avaient une


. soif d'indépendance notoire, » et quelques almées plus tard, les
feuilles publiques, interpretes d'un sentiment devenu assez géné-
ra], prédisaient que les Américains, « si on ne savait les dompter
« a temps, rejetteraient le joug de la métropole et se formeraient
« en un État indépendant, des qu'ils auraient aequis assez de
« population et d' aisance l.» Le liberalisme trop vanté de Guil-
laume·d'Orange tenait au moins autant a son ambition qu'a ses
principes, et il était peu probable que S8 conscienee, qui avait
été assez {arge pour profiter de la ruine d'un beau-pere et la
comploter meme 2, éprouverait des scrupules quand il s'agirait
seulement de ne pas contrarie!' les vues cupid~s d'une haute
bourgeoisie et d'pne noblesse auxquelles il était tedevable d'un
trone. Le Connecticut et Rhode-lslan'd reeouvrerent leurs an-
ciennes libertés dans leur plénitude, mais le Massaehusetts, plus
puissant et plus redouté, vit les siennes mutilées, quoique le
nO!lveau primat d' Angleterre, le sage et tolérant Tillotson, eúl
représenté a Guillaume « qu'il ne fallait lui retirer. aueun de~
priviléges qu'il tenait de Charles n, » et que Burnet, qui vivai1
dan s son intimité, eút parlé d'un contrat synallagmatique entrE
les colons et la couronne. Les eharges publiques et les offiem
judiciaires cesserent d' etre électifs; les arrets des cours qui étaienl
définitifs, ressortirent en appel au conseil privé; le gouvernem
re<;ut un droit de veto absolu, et le roi s'adjugea la faculté d'an-
nuler tout acte de la législature coloniale, dans les trois ans qui
suivraient sa promulgation. En un mot, le régime pblitique e1
administratif du Massachusetts devint celui d'une province royale;
avec cette différence que dans celIe-ei le conseil était a la nomi·
nation royale, tandis que dan s celui-la il sortait d'une élection a
laquelle l'assemblée légtslative et lui-ineme prenaient part,


4 Hist; ofunit. stat., n., 773.
2 V. Macaulay, m, p. 252 et suivantes. Guillaume faisait, en 1688, des prépara-


tifs assez ostensibles pour que d'Avaux en avertit Louis XIV, qui 11 son tour en pré·
viot J acques. Le prince d'ürange était, en,outre, en correspondan ce ayee I'artifi
tieuse comtesse de Sunderland, femme du ministre, par le canal d'Henry Sydney
son amant. .




DEUXIEME PARTIE. - LES DHYELOPPEMENTS DES COLONIES. 111
Cornme les conseillers étaient au nom~re de vingt-huit, ils assu-¡
raient généralement leur réélection a l'aide . de leurs propres
votes, et, pendant de longues années, ils ne s'ayenturerent point
a rien faire qui put, selon le mot de M. Bancroft, froisser la
royauté ou le peuple 1. Sur un seul point la nouvelle charte cons-
tituait un progres. Toute cornmunion chrétienne, excepté la
communion catholique, put librement pratiquer son cuIte, et
la capacité électorale, limitée jusque.-la a la condition sine qua
non d'étre membre de la congrégation, s'étendit de fa<;on a etre,
dans la pratique, quasi-universelle .
. En revanche, une Église d'État fut introduite dans la Virginie


et au Maryland "l. Dans la premiere de ces colonies', ene pros-
crivit tous les dissidents, et dan s la seconde, 'elle les toléra tous.
Nous nous trornpons : dans ce pays ou il avait introduit, le pre-
mier, la liberté religieuse, le catholique romain resta livré a tous
les exces du bigotisrne anglican et aux injustices de la législature
locale. Les agents de lord BRltirnore, qui était alors absent,
avaient hésité a reconnaltre le nouveau gouvernement: la colonie,
dénoncée ~omme un repaire de jésuites et de papistes, en fut
punle par le retrait de sa charte. Le conseil privé était d'avis que
cette affaire suivit un cours légal, et lord BaItimore, dont le seul
crime était sa croyance, réclamait des juges. Guillaume III aima
mieux procéder par.un acte d'autorité pure) auquel d'ailleurs ne
manqua point, suivant la cóutume, l'avis conforme d'un légiste 3,
et le Maryland devint province royale. La Virginie l'était depuis
10llstemps : ses maux lui vinrent de la concentration de pouvoirs
eXQrbitants entre les mains de ses gouverneurs qui étalent a
la fois lieutenants généraux et arniraux, lords chanceliers et lords
t~ésoriers, présidents .des cours de justice. Il y avait bian, coínme
frein a ces pouvoirs, les instructions royales et l'assemblée géné-


., rale; mais les unes, quanQ. elles ne confirrnaient pas les préro-
gatives du gouverneur, étaient tenues secretes; tandis que le veto


f Hist. of unit., stat. 11, 753.
2 En 1692 et en 1694.
3 Sir John Holt, ehie{ justice du·bane du roL Macaulay loue cepend~nt <t son.


l< savoir, son intégrité, son courage; » maÍl. quand il s'agissait des coldrlÍes, y :Jvait.;, .
'il de la justicc en Angletcl'rc? '




112 LES ÉTATS-UN1S 01'; L'AMÉHlI.lUE SEP'l'EN'l'RlU;'lALE.
et la menace toujours pelldante d'une dissolution tenaient 1'aut1'
dans le respect et dans la dépendance. Le seul contre-poids véri
table de cette autorité résidait dans l'e.sprit indépendant des pr<
priétaires terriens, qui vivaient dans'un complet isolement su
leurs plantations a une époque on la Virl6inie n'avait ni une vill
de marché ni une ville de commerce. Les COIOIlS s'étaiellt déj
aper~us sous l'administratioIl de Culpepper que « les actes d
l'assemblée générale n'avaient pas plus de force que duns Uf
province ottomane, ») pour parler comme Beverl6Y. Andros lel
imposa tous les statuts de l' Angleterre, et Nicholson, tout e
reconnaissant que le tabac, la grande richesse du pays, éta
tombé a si bas prix que souvent sa culture cessait d'etre rénn
llératrice, conseilla au parlement de rendre une loi qui détend
uux Virginiens de confectionner les simples habits dont ils
vetaient 1.


Quand on passe des provinces du Nord a ceHes du Sud, .
spectacle ne change point: c'est toujours la lutte de l'esprit cole
níal et des défiances de la métropole, 1& lutte de l'Église établ.
el des sectes dissidentes.-La premie re assemblée qui se réunit
New-York (1691) revendiqua pour elle-meme le plein exercie
du poU\:oir législatif et s'attribua le droit exclusif de taxer I1
habitants du pays. Le roi Guillaume annula ces délibération
mais l'esprit qui les avait dictées animait tout le monde, et pr(
voqua un jour cette s.ortie d'un gouverneur royal: « Il n'y a p~
« un de vous, en vérité, ») s' écria-t-il devant la législature, « qui r
« soit infatué des priviléges des Anglais et de la grande charte.
Dans la Caroline du Norc1, la charte de Locke et de Shaftesbm
re~mt le coup de grtlCe, de la main meme des p!,opriétaires inc~
pables de la faire accépter' aux colons. « Cette cdlonie n'a presql
« pas de for.me de gouvernement, » écrivait vers 1730 un voy:
geur anglais, Spottswood, qui ét~it tory et attaché aux principl
de la haute Église,. et il était passé en dicton de dire, sans tr(]
d'exagération, « que chacun y faisait ce' que bon lui semblai
(l sans payer tribut ni a César ni a Dieu 2~ »


I W)8. llist. de la Virg.-t 122 et 129-143.
:l Hist. o( unit. stat., 11, 735 el 7U~.




UEUXII!;ME llABTIE. - LES DÉVELOPHEMENTS DES COLONIES. 113
Ce fut néanmoins dans un pareil pays ou accouraient tous


les fugitifs, ou se croisaient toutes les sectes, luthériens, pres-
bytériens, indépendants, quakers, que le pieux zele des pro-
priétaires trouva moyen d'acclimater pour un moment l'an-
glicanisme : cela se passaít en 1470 et six années plus tard,
« ce· peuple montrait une telle absence de religioIl qu'il n'y
« avait dans toulle pays qu'un seul ccclésiastique.» Les quakers


, "-


déployerent un zele particulier dans ectte résistance, et le
gouverneur de l'old dominion les accusa l( de souffler ces memes
« et détestables príncipes dans l'esprit des sujets de Sa Majesté
« en Virginie, et de justifiel' les folles actions de la populace par
« des maximes destructives de tout gouvernement l. » Dans la
Caroline du Sud, l~s dissidents furent moins heureux. La légis-
lature apres quatre ans de débals minutieux repoussa les lois
que les propriétaires lui avaient pl'oposées, en 1698, et qui étaient
fondées sur l'aphorisme II que tout pouyoir el toute influence
«( politiques dérivaient naturellement de la propriété; » mais,
en l'année me me ou l'Église établie obtenait dans la Caroline du
Nord un triomphe éphémere, elle exclut les dissidents de son
propre sein. Ceux-ci appelerent de cette mesure tant a la reine
qu'a la chambre des Lords, dans laquelle prévalait l'esprit bien-
veillant et libéral de John Somers, illustre comme orateur,
comme hornrne d'État, comme juriscensulte. Les actes de .l'assem-
blée de 1704 furent annulés et les dissidents rentrerent dans tous
leurs droits poli tiques par décision royale et du conselltement
rneme du législateur carolinien, revenu de son acces de bigo-
tisme; mais l'Église anglicane n'en garda pas moins sa position
officielle (t 706).


Un des traits les plus caractéristiques de la révolutioll de
1688 consiste dans l'aggravation du systerne connu en économie
politique sous le nom de systerne mercantile ou exclusif. Les
affaires ·des colonies américames, des plantatiolls, cornme on


. disait alors, furent remises, en 1696, aux mains d"un comité p~r­
mallent appelé le bureau du commercc, Board o{ T¡'ade, qui les
trancha toutes au point de vue des intérets du commcrce an-


• Hút. o{ unit. sta!., 11, 709.
8




11 '1 I:F.;; ÉTATS r:;'ns DR L'A~IÉRIQUE SEPTENTRTONA LF,
glais, ou pour mieux dire de quelques riches particuliers et de
quelques corporations puissantes. L'Irlande et l' Amérique
l'éprouverent en meme temps. L'UIster et le Leinster possédaie~t
quelques manufactures de tissus de laine qui, meme dans leur
état de langueur, excitaient la jalousie' des fabricants de Norwich
et d'Halifax: un acfe du parlement, rendu en 1698, autorisa le
roí a renforcer les droits d'importation en Angleterrequi pesaient
sur les ti,ssus irlandais et qui déja équivalaient presque a une
prohibition véritable t. La conséquence se devine: il y eut un
peu plus de misere d'un c,óté dll canal de Saint-Georges et quel-
ques grosses fortunes en plus de l'autre. La Grande-Bretagne
étant alor~ l'entrépót de la laine en Europe et le centre de ses
emplois industriels, elle eut bien voulu qu'il n'y eut pas dans
le reste du monde un troupeau de moutons ou un métier a tisser.
II était du moins en son pouvoir que ses colonies ne devinssentpas
des concurrentes, et elle s'y appliqua avec un soin constant et ja-
loux. Il n' était pas j usqu' al' agriculture, que les-Iois sur les céréales,
Corn laws, avaient rattachée au systeme protecteur, qui ne re-
gardat comme une menace la prospérité des colonies, car tout
se tient et tout s'enchaine dans les erreurs ou dans les vérités de
l'ordre économique. e'est dans la crainte, nettement formulée
par lui·meme, que eette prospérité n'amenAt une dépréciation de
la propriété terrienne que' le législateur anglais défendit aux
colons d'exporter, a partir du ter décembre 1699, par quelque
voie que ce fut, maritime, fluviale ou terrestre, leurs laines ou les
produits industriels de ces laines, non-seulement en Angleterre,
mai~ meme d'une colonie a une autre. De sorte que les fabri-
ques du Connecticut ne pouyaient plus chercher un débouché au
Massachusetts, ou trafiquer avec les Indiens a Albany, et qu'un
matelot anglais ne pouvait acheter a Boston une quantité de
tissus de laine d'un prix supérieur a quarante shillings2.


Ces énormes,injustices, les colons ne parurent pas les resseutir
trop vivement a cette époque; mais, en s'aggravant encol'e, le


j Voir sur eette affaire, ou la passion politique s'unit a la cupillitr mercanlile,.
quelqlles pages cllriellses de Macaulay¡ tome IX, 65-ib .


., H' r 'C t rr 7-1 ""-')
- 1St. n tlTll. sta, J' I - I I ~,




DEuxnbIE PAHTIE. - LE~ DÉVELOprE~fE~TS DES COLONIES. t 1;)
systeme amena' des froissements et des plaintes que la swle de
ce récit fera paraitre, en sígnalant leurs dernieres conséquence~.
Son cours actuel nous conduít aux premieres luttes de la Franee
et de l' Angleterre sur le coutinent américain, et auparuvant aux
scenes dignes des tempsles plus sombres du moyen age qui,
semblables aux dernieres explosions d'ul! foyer volcanique pres
de s'éteindre, signalerent, de 1688 a 1692, l'étreinte de la
superstition expirante.


Les puritains ne croyaient pas seulement aux manifestations
surnaturelles, parce que de leur temps, le voile qui continue de
couvrir certaines lois de la nature était a peine sOlllevé par quel·
ques coins; aux terreurs qu'excitent les phénomfmes physiques,
quand leurs cau,ses restent inconnues, se joignaient dans leHl'
esprit les réminiscences des anges et des démons, des pytho-
nisses de la Bible, dont ils avaient fait leur lecture a peu pres •
exclusive, et un effroi perpétuel de l'esprit malin, auquel ils
n'étaient pas loin d'accorder autant de puissance qu'a Dieu lui-
meme. Au fond de leur sombre théologie, on retrouvait comme
une trace de l'antique Mazdelsme, de l'antagonisme que Zo-
roastre personnifia dans Ormuzd et Ahriman, deux principes
semblables en nature, egaux en pouvúir, toujours en lutte, et
eette impression a laquelle le génie de Milton ne s"est pas sous-
trait explique l'orgueil dans la chute et la grandeur dans le
crime qui ont marqué son personnage de l'ange rebelle d'une
empreínte si oríginale 'et sí forte. Le purítain était bien persuadé
que l' esprit du mal, l'ennemi du genre humain, prenait toutes les
formes, et entrait en communication réguliere avec certaines
personnes auxqueUes il communíquait une partie de sa malfai--
sante puissance. Des 1645, il Y avait eu a Springfield des gens
soupc;onnés de sorcellerie, et en 1648 ou en 1650, Margaret
Jones fut pendue comme conv~üncue dd me me crime. La me me
peine atteignait en 1655 miss Hibbins, de Boston, et sept ans ,
plus tard, Ann Cole, jeune femmede Hartford, qui confessa
avoir eu avec Satan «( un commerce charnel, etre'toujours pr.ete


, « a répondre a son appel et ayoir festiné ave¿ luí pendant la
« nuit de Noel. » Les démolls avaient fait des apparitions it
Newbury (,1l 1(j7~), :J POl'tslllouth en 16Hi~, et l'année suivantc, un






11 G LES ~~TATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIO;'~ALE.
rícheJ bourgeois du Connecticut, membre de sa législature,
s~ étant imaginé qu'il était sous le coup de la mauvaise main,
evil hand, et suspectant une de ses voisines, pauvre femme hy-
pocondre, une troupe d' enfants saisirent celle- ci, la pendirent a
un arbre et l'y laisserent dans cette posture jusqu'a ce qu'eile
eut a peu pres perdu l'haleine, pour la dépouiller ensuite de ses
"ete.me.nts e.t la roul,er dans la neige.


Mais )e cas le plus extraordinaire devait étre celui des enfants
de John Goodwin, citoyen aisé de Baston. A eette époque, le
proces des sorcieres de Suffolk, en Angleterre, ,'enait d'etre
publié, et les livres démonologiques de Glanvil, de Parkins et
autres non-conformistes, ceux surtout de sir Mathew Hale,
légiste célebre, s'étaient répandus en Amérique. Le eas des el1-
fants de Goodwin, qui rappelait beaucoup l'affaire des sorcieres



. de Suffolk, aurait du éveiller les soupc;ons, tandis que cette con-


formité ne fit qu'accroitre, au contraire, la créance que les colons
accordaient déja si facilement aux prétendues regles posées dans
la métropole par les Keble et les Dalton. La filIe de John Good-
win, t::nfant agée de treize ans, avait accusé une blanchisseuse
du nom de Glover d'avoir dérobé du Unge a son pe re ; la mere
de cette blanchisseuse repoussa l'accusátion en termes' des plus
vifs, et l' enfanf, pour se venger d' elle, prit le parti de se déclarer
en possession démoniaque. Contagion ou entente, ses petits


, freres se dirent tels a leur tour: ils tombaient en eonvulsions;
ils étaient tantot muets, tantot sourds, tantot aveugles; ils
criaient qu' on les brulait, qu' on les frappait avec des batons,
qu'on les coupait avec des couteaux. Les quatre ministres de
Boston et celui de Charlestown vinrent chez Goodwin et y pas-
serent toute une journée en prieres et en jeunes. Les magistrats
leur succéderent; den n'y fit : les enfants continuaient de rester
ensorcelés. On emprisonna la femme Glover. Elle était d'origine


. irlandaise, tout a fait illettrée et parlait a peine assez d'anglais
pour se faire comprendre; on lui fit des questions captieuses


, auxquelles elles fit des réponses que ses interrogateurs préven~s
ne manquerent pas de trouver étranges; Oll la confronta avec un
nommé Hughes, lequel dé clara tenil' d'un nommé Howen qu'un
JOUl' elle était entré e uans la chambre de celui-ci par la che-


,




DEUXIEME PARTlE. - LE::; DÉVELOPPE:lIENTS DES COLONIES. 117
minée. c"en fut assez pour convaincre seJ juges qu'ils avaient
devant eux une soreiere, et il~ eondamnerent au gibet la malheu-
reuse, avec d'autant moins de scrupuJes qu'el1e appartenait a la
religion catholique (1688).
• (¡hose triste a dire : les ministres, au lien d'apaiser eette fréné-


sie, lui donnaient des aliments. « Il n'y a pas de crime plus abo-
minable,» s'éeriait l'un d'eux, Cotton Mather, du haut de la
ehaire, a. pas de pire trahison envers le Tres-Hau!,» et il publiait,
a la suite de son discours, une relation du eas des enfants de
Goodwill, qui faisait le tour du Massaehusetts, sans presque ren-
eontrer d'inerédules. n s'en était trouvé quelques-uns:3 Boston,
des Saddueée¡¡s, eomme disait Cotton-Mather : iI n'y en eut point
au y.illage de Salem, aujourd'hui Danvers. Samuel Parris, son
ministre, avait pres de 1 ui une fille agée de neuf uns et une nieee,


• qui n'en avait pas eneore douze, et qu'on vit tont 3 eoup se livrer
3 d'étranges eaprices. Parris crut aussitót 3 un eh arme et en char-
gea une vieille Indienne nommée TituLa, S3 domestique, qui,
sous le fouet de son maitl'e, eonfessa son prétendu crime. On vit
alors un double et affligeant spectacle: des femmes avides de
nofol'iété se déclarer possédées et Parris rangel' des ennemis p8r-
son neIs, tels que son pl'édéeesseur, Samuel Burroughs, parmi les
soreiers et les sol'cieres. De ces dernieres, la premiel'e pendue fut
Deliveranee Hobbs que son démon, disait-elle, avait l'habitude
de battre avec des verges de fel' ; ce fut €Ilsuite le tour de cinq
autres femmes dont une, Rebecea Nurse, partieulierement hale de
Parris, fut exeommuniée dans les regles avant d'aller au gibet.
L'excitation, disons mieux, le délire était si grand que les senti-
ments les plus saerés de la nature n'arretaient pas plus les
témoinsque les formes de la loi n'inquiétaient les juges, et l'on
torturait des enfants pour les faire déposer eontre leurs auteu~s.
Pendre un ministre pour cause de soreellerie était une ehose
nouvelle; mais Samuel Burroughs niait absolument l' existenee
de la sorcellerie, et cette opinion froissant l'amour-propre de ses
juges, dont elle faisait des meurtriers judieiaires, lil luí fallut
monter la fatal e éehelle. En un seul jour, le 22 septembre 1692,
il Y eut huit vietimes: « La, pendent huit tisons d'enfer, » s'écria
le ministre Noyes, en étendant la main vers les potences. Déjli




118 LES ÉTATS-UNIS DE -L':UIÉRIQUE ~EPTENTRIONALE •
. vingt personnes avaient souffert la mort i cinquante-cinq avaient
été torturées ou forcées par la peur de se déclarer coupables d'ull
crime imaginaire, et le zele des juges, encore moins celui de
CoUon Mather, n'avaient pas fléchi. Ce fanatique, qui était peut-
etre un fourbe, meltait en ce moment meme la derniere main 'fl
un pamphlet: Les merveilles dt¿ monde invisible, (e par lequel iI se
« proposait d'exciter la rcconnaissance envers l)ieu pour les
« grandes justices qui vena¡e,nt d'avoir lieu, » et qu'il tenait a flnir
avant la réunion de la cour générale, enfin saisie des procédés de
la cour spéciale de Salem. Celle-ci fut supprimée, et le jugement
des sorciers et des sorcieres faisant retour au jury, les acquittc-
ments remplacerent les pendaisons (1693). Cotton l\1ath~ et ses.
semblables n'eurent pas meme la satisfaction d'obtenir ceUe de
Sarah Daston, vieille femme octogénaire, qui possédait la réputa-
tion incont~stée d'etre, depuis vingt annees, en commerce
intime el quotidien avec le diable t.


Tandis que ces scenes se passaient dans l'intérieur de la Nou-
vclle-Angleterre, ses frontieres étaient le théatre d'une guerre
impitoyable. Guillaume IlI, €n montant sur le trone, avait donné
une ame et un centre a la coalition européenne que les fautes de
Louis XIV et son ambition excessive avaient de leur part pré-
parée. L'Espagne meme, notre alli8e constante depllis qu'il n'y
avait plus de Pyrénées, comme ayait dit le roi de France, s'était
jointe ceUe fois aux Pays-Bas, a l' Angleterre, au Piémont, a l'em-
pire d' Allemagne. Nons al1ions etre attaqués dans les deux mOll-
des, et ce n' était pas, enAmérique, en conséquence seulement du
droit de la guerre, qui permet aux belligérants de porter les hosti-
lités sur toutes les parties ele territoire qu'occupe l'ennemi, conti-
nentales ou maritimes, c'était encore en vertu d'un prétendll droit
oe premiere découverte que les Anglais allaient assaillir le Canada
et l' Acadie. L' Angleterre, dont le morale politique a toujours été
fort élastique, a tour a tour abandonné ou repris ce principe:
apres l'avoiropposé aux Hollandais, quand il s'agissait de s'ap-
proprier IClll'S possessions amél'icaines, elle opposa plus tal'd a


I Hutchinson. lJistory of Jlassac/llIsetts, If, ;~'2-()3. Qllarantc I'ages POU!' UII tel
sujet '! C'cst une hunte pOllr l'espl'ít humain.





DEUXIKME PARTlE. ~ LES DÉVELUl'PL:MENTS DES COLONIES. 11 9
l'Espagne le principe de l'occupation réelle, utile et permanente.
Celui-ci est le Hai, et nos anciens jurisconsultes n'en connais-
saíent pas d'autre. C'est « au fond, » a dit M. Laboulaye, « la
« glorification du travail, le titre le plus légitime de la propriété,


·(e 113 seul qui réponde a la peusée du Créateur et pl'ofite au genre
(e humaín tout entier 1. }) Dans l'espece, qu'invoquait l' Angle-
terre ? La charte de la Virginie, qui lui donnait, prétendait-elle,
des droits a la vallée de l'Ohio et la découverte des Cabot. Mais
cette charte ne constituait rien moins qu'une concession de terri-
toire limité et connu ; c'était une aftribution vague et aussi mal
fondée que la fameuse dévolution faite en 1495, par le pape
'Alexandre VI, a la courOIlne d'Espagne et a la couronne de Por-
tugal de toutes les terres découvertes et a décoLlvrir, a l'ouest et
a l'est d'une ligne imaginaire, tracée d'un pole a l'autre, cent
lieues a l'ouest de l'archip~~ des A<;.ores. Quant aux. Cauot, peut-
etre meme n'avaient-ils pas seulement atterri au littoral reven-
diqué. M. de Vergennes, quand il écrivit a propos de laLouisiane,
qui allait etre cédée aux Etats-U nis, un patriotique mérnoire n' cut
pas de peine a établir d'une fa<;.on rétrospective l'illanité des pré-
tentions anglaises, au point de vue de la r,aison et du droit. « n y
« avait pres de cinquant6 ans,» disaít-il en substance, « que
(e Jacques Cartíer avait pris solennellement possession du Canada,
« quand, sous le regne de la reine Élisabetb, on songea, pOllr la
« premie re fois, a tirer parti de la découverte de Cabot; et quand
« les érnigrants de la Nouvelle-Angleterre débarquerent pour la
« premiere fois au cap Cod, il y avait déja quinze ans que Cham-
« plaín et Demonts avaient bati Port-Royal au nOl'd de la cóte
« occidentale de l' Acadie ..... Et les Fran<;.aisn'auraient pas en
« de droits sur ce pays sur lequel, avant leur occupation, pas un
« Européen n'avait mis le pied 1 Et cela sous prétexte que Cabol
« avait suivi cette cOte en 1496 2 1 })


Jacques Cartier, dont parlait Fancien ministre de Louis XVI,
ll'avait fait que voir le Canada, pour ainsi dire, et le "rai fonda-
teur de la Nouvel1e-Franee, eomme on a dit pendant plus d'un


t H ist. pol., 1, 3" le~olI.
:! JIémoire histuri'll,e el p:Jlitique SlU kt L')!úsiane. Ptiris, 1802, p. G!-G0.




E~O LES ÉTATS-UNIS DE L'A~IÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
siecle, a été Samuel Champlain, du Brouage en Saintonge. Habile
offieier de marine et homme de seience, Champlain avait une
intelligen~e élevée, un esprit a la fois ferme et mobile, une persé-
véranee et une aetivité a toute épreuve, enfin eette eonfiance
raisonnée en soi et eet entbousiasme pour son reuvre sans les-·
quels il n'est point de sueces, et la Franee peut hardiment oppo-
ser son nom, avec eeux des La Bourdonnais et des Dupléix, a eeux
qui lui contestent d'une fa.;on absolue le génie colonisateur. La
vérité est que ce génie semble avoir toujours fai,t défaut au gouver-
nement de la France, bien plus qu'a ses enfants, et Champlain
en cut la preuve, de meme qu'a une époque plus récente, eette
preuve ne 6t pas défaut aux deux hommes illustres, quoique'
rivaux par malheur, dont nous avons rapproché les noms du sien.
Lorsqu'il mourut, en 1635, ses vastes plans, mal secondés par la
métropole, n'avaient qu'imparfaitement réussi. A la vérité, notre
autorité était assise sur les bords du Saint-Laurent et les Peaux-
Rouges avaient appris a nous aimer et a nous craindre ; mais notre
établissement matériel restait bien chétif. « Le fort de Quebee,
« environné de quelques maisons et de quelques méchantes
« baraques, ») dit le P. de Charlevoix, dont l'attachante histoir'e
mériterait bien l'honneur d'une réimpression trop souvent faite
a des amvres plus rares qu'utiles; c( deux ou trois eabanes dans
« l'ile de Montréal, autant peut-etre a Tadoussae et en quelques
« autres endroits sur le fleuve Saint-Laurent pour la eommodité
(e de la peche et de la traite; un commencement d'habitation aux
« Trois-Rivieres et les ruines du Fort-de-Franee, voila _en quoi
« eonsistaient la Nouvelle-France et tout le fruit des découvertes
« de Verrazzani, de Jacques Cartier, de M. de Roberval, de
« Champlain, des grandes dépenses du marquis de La Roehe et
« (le M. de Monts et de l'industrie d'un grand nombre de Fran.;ais
« qui auraient pu y faire un grand éfablissement, s'ils eussent
« été mieux conduits 1. l)


Trente huit ans apres la mod de Champlain, la France prenait
p~ssession du bassin du Mississipi, c'est-a-dire d'une surface de
3 rnillions de kilomctres ca l'I-és , soit un septieme environ de la


f Hist. et df'sc. gén. de la Nouvelle-France, J, '272-273.




/


DEUXIEME PARTlE. - LES DÉVELOPPEMENTS DE::; COLONlES. 121
superficie totale de l' Amérique septenlrionale. Le jésuite Mar-
quctte avait entendu dire par les Indiens Potawatomies que le
grand fleuve était rempli de monstres qui dévoraieJ~t les canots
et les ho ll1mes, que le climat était mortel et que les tribus IÍve- .
raines n'épargnaient personne. n résolut de perce:r ces mysteres
et se mit en route, accompagn'é de cinq cr~oles et de Joliet, dont
le nom ne saurait etre séparé du sien. Arrivés au dernier village
connu des Franc;ais sur la riviere du Renard, nos explorateurs
rurent admis dans I'assemblée des anciens : « Mon compagnon, »
dit Marquette, « est un envoyé de France; moi, je suis un
« arnbassadeur de Dieu, chargé d'illurniner les habitants de ces
(e pays des clarlés de l'Évangile. » lIs rec;urent des Indiens, en
retour de leurs présents, une natte pour leur servir de couche
pendant ]e Yoyage et dcux guides algonquins. Le 10 juin 1673,
leurs canots sur le dos, ils traversaient )'étroit portage 1 qui sé-
pare la riviere Renard du Wisconsin, s'embarquaient sur cette
derniere rivicre, sans leurs guides qui les avaient abandonnés, et
huit jours plus tard, « le ca:mr plein d'une joie inexprimable, »
entrajent dans le lVlississipi~ a soixante licues environ au-dessous
du lieu ou iI rcgoit le Wisconsin. La rive occidentale du fleuve
portajt des traces d'hommes et un petít sentier,se montrait, con-
duisant a une belle prairie. Le P. Marquette et Joliets'y risquerent;
apres une marche d'envÍt'on six milles 2, ils aperQurent trois
villages, l'un sur une riviere, les autres sur une éminenee; la
riviere était le Mou-in-gou-e-na, ou Moingoua, qu'on appelle
aujourd'hui par corruption la riviere des Moin~s. Les dtmx
Franc;ais recornmandant leur ame a Dieu, poussent un cri : les In-
diens l'entendent, et quatre vieillards, parés de plmúes brillantes
et porterirs du calumet de paix, s'avancenf. « Nous sommes Illi-
Dois,» disent-ils, ce qui voulait di re nous sommes des hornmes,
et, leur offrant le calumet, ils condrlisirent Marquette et Joliet
dans leurs cabanes. Marquette, admis au grand conseil, proclama
le Dieu unique et créateur du monde; il parla du grand capi-


- t On appelle portage ces bandes de terre qui séparent' ueux rivieres l'une de
l'autre, ou qui courent le long des parties de rivieres obstruées pal' des rapi(it s, que
les Indiens franchissaient en portant leurs canots sur le dos. ......_~'-~,


-,>"t,
2 Le milfe anglais 011 américain répond a 1609 metres: (.~~v,r; - ,


o
I




122 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉUIQUE SEPTENTRlONALE.
taine des Fran<¡ais, le gouverneur du Canada, qui avait chAtié
les guet:riers des cinq nations; il questionna ses hotes sur le
Mississipi et 1es tribus maitresses de ses riyese


Un banquet composé de poissons, de gAteaux de miel et des
meilleures viandes de la prairie fut offert a ces messagers de la
défaite des Iroquois. Quand Marquette et Joliet quitterent leurs
hOtes, le chef de la tribu les suivit jusqu'a leurs canots el sus-
pendít aux vetements du missionnaire le calumet sacré, embleme
mystérieux de la paix et de la guerre, et, poursuivant sa route,
la petite troupe dépassa l'embouchure du Missouri et celle de
l'Ohio dans le Mississipi. La sCfme changeait ici: des roseaux
impénétrables aux buffles memes par leur force et par leur
épaisseur, des foréts immenses s'étendant jusqu'aux greves du
tleuve rempla.;aient les prairies j la chaleur était intolrrable et
les moustiques acharnés. Les dispositions des naturels ne sem-
blaient pas non plus ceHes des Illinois hospitaliers du Wisconsin
et des Sawnees paisibles de l'Ohio : au village de Mitchigamea,
ils vinrent armés de fleches, de massues, de haches eL de bou-
cliers au-devant de Marquette; mais, a la vue de son calumet
sJmbolique, ils se calmerent et firen! a leurs visiteurs une ré-
ception cordiale. Un de leurs canots les escorta meme jusqu'au
village d'Akansea. Ce fut le terme de l'exploration: sans inter-
pretes au rnílieu des Sioux et des' Chickasas, ayant acquis


. la certitude que le Mississippi ne se jetait ni dans l' Atlantique,
sur la cote est de la Floride, ni dans le golfe de Californie,
mais bien dans le golfe du Mexique, Marquette et Joliet remonte-
rent le fleuve. Ils entrerent, chemin faisant, dans l'Illinois; un
eles chefs des tribus riveraines les reconduisit au lac Michigan,
el, avant la fin de septembre, ils se trouvaient en sureté dan s la
baie Verte.


Joliet apporta ces nouvelles 11 Québec, d'ou elles parvinrent a
la connaissance d'un jeune hornme qui cornmandait alors le fort
Frontenac, dans ]e voisinage du lac Ontario, et ava:it réussi a
grouper sur ce point quelques é]érnents de colonisation. Robert
Cavelier de La Salle (c'est ainsi qu'on le nornrnait) était né a
Rouen; entré de bonne heure chez les jésuites, contre le gré de
sa famille, ílles avait quittés, sans contracter de vceux, et était




DEUXlhm PAUTIE. - LES DÉVELUPl'EMEi'TS DES COLONIES. 123 '
venu chercher au Nouveau-Monde une vie plusen rapportavecdes
penchants aventureux, des gouts militaires, de vifs désirs de for-·
tune et de gloire. Les découvertes d~ Marquette enflammerent
son imagination : il rentra en France et obtint de L<Juis XIV, par
le canal de Colbert, des lettres patentes, en date du 12 mai 1678,
qui l'autorisaient a parfaire l'exploration occidentale de la Nou-
velle-France et lui accordaient le monopole du commerce des peaux
de buffle '. La riviere Niagara fut le centre de l'expédition nou-
velle; ce fut sur ses eaux qu'au grand étonnement des Indiens,
au bruit du canon et au chant du Te Deum, on lanc;a un petit
batiment de soixanle tonneaux, le Griffon, sur lequel La Salle .
s' embarqua, le 7 aout 1679, avec le ehevalier de Tonti et le P. HeIl-
nepin, religieux franciseain. Apres avoir traversé heureusem€nt
le ]ae Érié, la riviere Détroit, le lae et la rivi.ere Saint-Clair, le
Griffon jeta l'anere dans la baie Verte, el l'expédition, eontinuant
sa route par la voie terrestre, pénéLra vers la fin de déeembre
dans le bassin de l'lllinois, et prit se's quartiers d'hi ver dans
un village situé san s doute pres du líeu oil s'éleve aujourd'hui
Ottawa. Suivant leur eoutume pendant eette saison, les naturels,
qui appartenaient a la nation des Illinois, étaient a la ehasse : ils
présenterent a leurs visiteurs le ealumet de paix, demandant en


. échange des armes a feu et des haches et revendiquant la protee-
tion de la Franee eontl'e les Iroquois. Cependant le Griffon n'ap-
paraissait point e~ les hommes dé La Salle se désespéraient; en
vain leur montrait-il dans l'union la seule ehance de salut qui
fUt possible; en va in leur rendait-il la liberté pou!' le printemps :
rien n'était capable de réveil1er leur coura~e, de susciter leur


,


énergie. Plus heureux que Colomb dans sa vice-royauté de Saint-
Domingue ou sur les rivages de la Jamai'que, il n'eut pas a eom-
baUre de mutinerie ouverte; mais le· nom de Crevecreur donné
par lui au fort qu'il bfttit alors sur les bords de I'Illinois trahit -
trop éloquemmen~ les sentiments d'amertume qui remplissaient
son ame.


Ce que la volonté a de puissance, quand elle est surexeitée,
La Salle le lit voir dans eette erise. Perdu dans le désert a quillze


4 Ces Jeltres patentes sont reproduites au tome 1 des Historial coUections o(
Luuisiana (Ncw-Ytlrk, 18í6), p. 3i> el 36 •.




t


12,í LES ÉTATS-UNIS DE r/AMÉIUQUE ~EPTENTRIONALE.
cents milles de l'établissement frall(;ais le plus proche, entouré de
tribus d'une roi équivoque, il sut encore inspirer a ses hommes la
résolution de construire un bateau, et accompagné de trois d'entre
eux, armés comme lui d'un mousquet et chaussés de mocassins,
il fut chercher a Frontenac les agres et les cordages qu'il fallait
pour gréer ce bateau. Revenu de Frontenac avec de grands moyens
en hommes et en approvisionnements, La Salle passa une année a
trafiquer avec les Indiens, a explorer les env~rons de la baie Verte,
a construire une grande barqueo Il descendít alors le Mississipi
jusqu'a la mer, et, le 9 avri11682, il prenait possession, au nom


. de Louis XIV et aux chants de l'&au,diat, du Te Deum, du Do-
mine salvurn, de la Loulsiane et du bassin du Mississipi 1. Pen-
dant son absence de Crevecceur, le P. Hennepin, accompagné de
du Gay et de Michel d' Acault, avait descendu l'Illinois j usqu'a sa
jonction avec le Mississipi, remonté celui-ci jusqu'a ses grandes
chutes, auxquelles il donna le nom de chutes Saint-Antoíne, et
gravé sur un arbre dans leur voisinage une croix et les armes de
France. Tonti, de son cOté, avait bati un fort sur un rocher domi-
nant l'Illinois et tout ce beau et riche pays, couvert de prairies
verdoyantes e1 des plus beBes essences de l' Amérique; mais les
Iroquoís vinrent troubler l'entreprise, qu'íl faUut abandonner, et
Tonti, avec ses quelques hommes, s'estima heureux d'etre
recueilli par les Indiens Potawatomies 2.


Colbert n'étaitplus; maisSeignelay, qui avait héritédes plans
et des idées de son illustre pere, preta une oreille favorable aux
projets de colonisation que La Salle vint lui-meme lui soumettre.
Le 24 juillet 168'1, il repartait pour sa découverte' avec quatre
hatiments, portant deux cent quatre-vingts personnes, y compris
les -équipages, pretres, soldats, volontaires, ouvriers, femmes


t V. dans les Hístoriat coUections of' Louisiana le proces-verbal de possession,
p. 45-50. II porte les signatures sllivantes : De La Salle, P. Zenobe (Membré), mis-
sionnail'e récollet, Henry de Tonty, }'rancois de Boisrondet, Jean Bourdon, le sieur
tI' Autray, Jacques Cauchois, Pierre You, Gilles l\leucret, Jean Michel, chirurgien,
lean M,IS, Jean Dulignon, Nicolas de La Salle


2 Voir le ~fémoire de Touty, p. 50-64, et la relation de Hennepin. 1 D5-21,'l,
apud. {list. coll. of Louisiana. La relation est extraite du livre qu'Hennepin a pu-
blié en 168Jsous le titre de Description de la Louisiane nouvellement décou1Jerte
au sud-ouest de la Nouvelle-France. .




DEUXIEME PARTIR. -- I.ES DÉ\'ELOPPEMENT~ DES COLOi'HE". 125
JIlariées. Par malheur, ces ouvriers étaient peu habiles; ces vo-
lontaires nourrissaient les plus folles espérances, et ces soldats
étaient de cette race indisciplinée et turbulente qui fournissait
alors leurs garnisons aux pays d'outre-mer, comme auparavant
elle avait fourni aux cités et aux p~inces leurs troupes merce-
naires, leurs condottieri et leurs reitres. Enfin, si Joutel qui les
commandait était brave, instruit, dévoué a ses devoirs, Beaujeu,
qui commandait les marins, était plein d'orgueil et manquait de
capacité et de jugement. Le 10 janvier 1685, l'escadrille était en
vue des bouches du fleuve, qu'elle dépassait par suite d'une
erreur de La Salle. Beaujeu ne youlut pas la réparer et aUa
mouiller plus a l'ouest dans la baie de Matagorda. La le bttti-
ment qui portait les approvisionnements de La Salle fit cote, par
la négligence de son pilote. n vit la mer emporter ses muni-
tions, ses marchandises, ses outils, son argento Bientot l'esca-
drille remit a la yoile, laissant sur les greves de Matagorda en-
viron deux cents personnes réunies dans un mauvais fort·
construit avec les débris du vaisseau naufragé, et dont la seu]e
ressource consistait dans le génie et la persévérance de leur chef.
En remontant un de ces cours d'eau qu'il avait pris pour l'une
des bouches du Mississipi, et qui étaient la cause de son fatal
débarquement, La Salle rencontra un lieu propice a l'établisse-
ment d'un poste fortifié. L'endroit ofIrait l'aspect le plus riant et
le plus fertile : des gazons verdoyants, des bosquets d'arbres en
formaient l'horizon d'un cOté; de l'autre s'étalaient les rivages
de la baie bordé s de prairies. Les forets regorgeaient de gibier
et les eaux de poissons; le daim, le bison, le dindon sauvage, et
malheureusement aussi le terrible serpent a sonnetles, habitaienf
la plaine. e'est la qu'avec les bois du pays et quelques pieces de
fer, échappées' au naufrage, les émigl'ants se construisirent un
asile, dont leur chef fut l'architecte, et que la France se trouva
prendre possession du Texas qu' elle a toujours considéré comme
une annexe de la Louisiane, sans y avoir pourtant jamais exercé
de droits utiles.


Retrouver le Mississipi était la pensée fixe de La Salle. Au
commencement de 1686, il s'embr;trqua dans un canot, pour re-
venir, apres quatre mois d'absence, en haillons, ayant perdu




1 ;¡~ , , , \ .:v LE:'. ETATS-TTNIS DE L AMl<~RTQTTE SEPTRNTRlON, LF..
quatorze de ses compagnons et n'ayant pas entrevu la « falale »
riviere. Il repartit au mois d'avril, avec une vingtaille d'hommes
qu'attirait surtout le mirage des mines de Sainte-Barbe, daus le
Mexique septentrional, et apprit a son retour la perte du seul
canot qui restat a la petite colonie. Mais les désastres, en se suc-
cédant, semblaient glisser sur cette ame indomptable;1 ce fut en
ce moment meme qu'il conc;ut le projet de regagner a pied le
Canada et de revenir par la meme voie au Texas. Des trente-si x
hommes auxquels la colonie était réduite, il en laissa vingt a la
garde du fort Saint-Louis, et, prenant le reste avec ~uj, il se mit
en marche. La petite caravane pal'vint a travers des obstacles,
des fatigues et des dangers sans nombre, a une branche de la


• riviere de la Trinité, au-dessus du bassin du Colorado, le grand
fleuve californien. Ce devait etré le terme des courses et de la
vie de l'intrépide explorateur. Le 20 février 1687, il tombait
mortellement atteint d'un coup de pistolet que .lui tira un des


. hommes de sa troupe, nommé Duhaut, qui nourrissait contre lui
une haine féroce. Le frere de La Salle, un de ses neveux, Joutel
et cinq de leurs hommes réussirent a gagner une branche du
Mississipi : ils apervurent une croix et pres de la croix une
cabane batie' a la mode franvaise. Qu'on s'imagine leurs trans-
ports de joie, lorsque étant entrés dans cette cabane, ils y ser-
rerent la main de compatriotes 1.


Tels furent les événeinents qui, en conférant a la France des
droits suzerains sur la grande vallée, devaient un jour ou l'autl'e
la mettre en face de l' Angleterre, a mesure que les colonies de


eelIe-ci, se sentant pressées dans leurs premieres limites, s'épan-
cheraient vers les régions de l'ouest. Les conflits de la politique
européenne ne firent que rapprocher ce. moment, qui ne vint
pas d'aiHeurs dans des conditions bien favOl'ables pour notre
co\oDle. A. CB\\B époque, grace au régime tout féodal et tout mi-
litaire sous lequel, des son origine, elle avait vécu, sa population
européenne ne dépassait pas le chiffre de onze mille deux cent


j POUf l'expédition de 168!! et la mort de Cavelier de La Salle. ef. . le Journal
hisloriljue de Joulel, inséré dan s les Hist. eoll. \ etc., 85· t 95; le récit rl'Hennppin
21 !!-·'2! 2, le Mémnire Mja cité de Touty, 6G-80. '






, , 12", nEUXIE:\fF. PARTIR. - LES nEVELOPPEMEN'I'S DES COLONJE~.
quarante-neuf persoDnes, le vingtieme a peine de ceHe des colo-
nies anglaises 1: L'année 1688 'avait été particulierement calami-
teuse : « Il n'y a que Dieu qui ait ¡iu garantir cette année le
« Canada, » écrivait Denouville, son gouverneur intérimaire,
el et je n'y ai aucun mérite 2. » Ces paroles peignaient au vif la
situation de ]a Nouvelle-France : les Indiens, qui, a part la puis-
sante confédération des Iroquois ou des Cinq-Nations, s'étaient
presque constamment montrés ses aHiés braves el fideIes, les
Indiens hésitaient maintenant; les Illinois avaient été battus et
les missions de l'ouest protégaient seules le bassin de l'Illinois et
]e fOl't de Mackinaw contre l!n soulevement général des tribus.
Les cornmencements de 1689, loin d'améliorer la face des
choses, l'empirerent. Le comte de Frontenac, qui venait d'Ctre
nommé gouverneur général, s'appretait, selon ses instruc,tions,
a protégel' l' Acadie et a porter la guerre sur le territoire de New-
York lorsqu'il apprit la prise de Montréal. Dans la nuit du
25 aout, les Iroquois, débarquant dans l'ile au nombre de
quinze cents, aváient massacré la population endormie et in-
cendié ses demeures. Comme Denouville, dans un moment d'ir-
réflexion, avait fait raser le fort Frontenac, qui commandait
rOntario, c'est a peine si des Trois-Rivieres a Mackinaw la
France possédait encore un poste. Deux freres canadiens de
Saint-Hélene et d'Yberville, sans beaucoup rétablir les affaires,
vengerent du moins la prise de Montréal, en détruisant les éta-
blissements anglais de la baie d'Hudson.


Dans l'ouest, le sang coula d'abord a Cocheco, viUage ou
treize ans plutót les Anglais avaient capturé trois cent cinquante
lndjens sans défense qu'ils envoyerent a Boston, pour etre


. vel1dus a l' étranger comme esclaves. Les souvenirs de cette
trahison étaient indélébiles : les émissaires indígfmes du baron de
Castin, officier du régiment de Carignan, n'eUl'ent aucune peine a


t Un peu plus de '.WO,OOO habitants selon M. Bancroft, qui les répartit de la fa.;on
suivante :


Massachusetts avec Plymouth et Maine: 44,000. - New~Hampshire : 6,000. -
Rhode-Island et Providence': 6,000. - Connecticut : de 17 11 20,000. - New-
Yorll.: 20,000. - New-lersey : 10,000. - Pensylvanie el Delaware : '.W,OOO. -


,'Maryland: 25,000. - Virginie : 50,000. - Caroline ct Virginie : 8,000.
2 Bist. Nouv .• Fmnce, J, 375.




-:l2~ LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
exciter les sentiments de vengeance de la tribu de Penacook. Le
soir du 27 juin, . deux squaws 1, entraient dans la maison de
Richard Waldron, vieillard octogénaire, et lui demandaient asile.
Dans la nuít, elles se levent, ouvrent les portes et appellent les
Indiens qui sur-le-champ envahissent la maison. Qu'est ·ce ?
qu'est·ce? crie Waldron, réveillé par le tumulte, et saisissant son
épée, il en défend sa vie jusqu'au moment OU il tombe étourdi
par un coup de hache. Les lndiens le p1acent alors sur une
chaiseJ dans sa propre salle~d'audience. « Eh bien!» luí crient-ils,
« juge-nous donc mai'ntenant, » et ils lui arrachaient des lambeaux
de chair, en vociférant ces paroles: « e'est ainsi que chacun de
HOUS efface sa dette. » Ils acheverent de le faire mourir dan s les
tort.ures, et., en se retirant, incendierellt sa maison. Ce n'était
pas le moindre malheur de ce5 guerres que l'intervelltion des
tribu~ indiennes'2 et que- fes actes de froíde cruauté auxquels ces
tribus s'abandonnaient. Au commencement de 1690, Bertel avait
détruit l'étalJlissement des chutes de Salmon sur la Piscataqua.
On se mit en marche, les prisonniers chargés des dépouilles
de leurs propres maisons. Robert Rogers, qui avait rejeté son
fardeau, est attaché par les Peaux-Rouges a un arbre et brulé a
petit feu; ils scalpent Marie Ferguson, jeune fille de quinze ans, a
qui la fatigue arrachait des pleurs. De peur que les cris deBon enfant
n'irritent ses vainqueurs, Mehatebel Goodwin s'arrete un instant
dan s la neige pour le bercer; un Peau-Rouge·brise la tete de
l'enfant contre un arbre et le pend a un arbre; pouJ.-aÍlége'r la
marche de Marie Plaistud, un autre jette son enfant a l'eau. Une
mere néanmoins tira une éclatante vengeance du meurtre de
son nouveau-né. Emmenée dans une He du Merrimac, ave e la
nourrice de son enfant et un jeune garc;un de W orcester, Hannah
Dustin massaCl'a, a l'aide de ses compagnons de captivité, les
Indiens qui la retenaient prisonniere, et regagna les plantations,
emportant comme trophée de son actioll les armes du meur-
trie!' de son enfant, avec un sac l'empli de scalps.


Des efforts plus sérieux se préparaient des deux parts, et


I Femmes indiennes.
~ Quoi qu'on en ait dil, les Anglai~ ne la recherchaienl pas avec moins d'empres-


sement que nOus-memes.




DEUXIE~lE PAHTIE. - LE::; DÉVELUl'PE~1ENTS DES 'COLONIES. 129
Fl'ontenae, qui espérait bien s'assurer le eoneours des Hurons et
des Ottawas, méditait contre les plantations une triple attaque.
Sous la menace du danger commun et a l'instigation du Mas-
sachusetts, ecHe province qu'on a nornmée a juste titre la mere
de l'uBian américaine~ les colonies oublierent toutefois leurs
petites querelles intérieures et s'assemblerent en eongl'es a New-
York. On'y résolut de tenter la conque te du Canada, une armée
marellant d'un coté, par le lac Champlain, sur l\1ontréal, tandis /
qu'une fIotte attaquel'ait Quebec, et, en attendant, les eonfédérés
s'cmparerent de l' Aeadie presque sans eoup ferir. L'expédition
sur Montréal n'eut pas lieu; d'ailleurs Frontenae ne la redoutait
guere: il avait renoué ses allianees avee les Peaux-Rouges et il
s'appl'etait a regagner Quebee, lorsqu'un ludien abenaki, accouru
en toute hate des bords de la Piscataqua, lui annonca qu'une
fIotte enncmie venait de quitter Boston. C'était 1'armement
du MassacTlUsetts, composé de trente-quatre batiments, sous les
ordrcs orle Phipps. Le commandant valait ses équipages : tous
manquaient d'expérience et faisaient d'assez tristes matelots.
Faute de pilotes, iIs perc1irent sur le Saint-Laurent un temps
précicux, et lorsque, arrirés en' vue de Quebec, iIs jeterent
l'ancre devant Beauport, Frontenac était dans la place et re~ut
aree ironie leurs sornmations de se l'endre. La ville était forte',
bien munie de rnullitions et d'hornmes: iI ne resta plus «( aux
urarcs citoyens du MassaehuseUs») qu'á se rembarquer, et, au
retour, la tempete brisa ou dispersa leul's raisseaux (1690).


Deux ans plus tard,·le drapeau blanc flottait de nouveau sur les
murs de Port-Royal; l'Acadie était redevenue fran~aise, et la ville
d'York était enlevée d'assaut. On résolut bien en Angleterre une'
Ilouvelle cntreprise contre le Canada ;,mais l'expérlition,apres une
attaque infructueuse de la Marti~ique, ayant fait yoile pour Bos-


,,, ton, y apporta la fievre jal!ne, qui ~ut bientót détruit les deux
ticrs des équipages,et des soldats (1694). Enfin, en 1696, Fronte-
nat se mettant lui-meme, rnalgré ses soixantc-quatorze ans, a la
tele de l'armée, envahit le New-York occidental ;' mais, faute du
concours général des Indiens de l'ouest qu'il"avait espéré un ins-
tant, son expédition n'aboutit qu'a des ravages, et la paix de Rys-
wick yint, l'année suivante, terminer les hostilités. .


\)




130 LES í~TATS-UNIS DE L',HIÉl1lQUE SEPTENTRIONALE.
CeUe paix ne fut qu'une halte dans la lutte de l'Europe contre


la France; et la guerre de la succession d'Espagne allait prompte-
ment rallumer la guerre dans les deux mondes. Du fond de sa
re traite de Saint-Loo, Guillaume d'Orange, impotent et atteint
d'une maladie morteHe, Guillaume, qui ne semblait plus que son
ombre, nouait des alliances, réchauffait de vieilles haines et en
fomentait de nouvelles. Un acte que Louis XIV crut Q.evoir peut-
etre a sa propre dlgnité et au principe meme de son pouvoir,
mais que les circonstances rendaient au plus haut -point imlloli-
tique et dangereux, la reconnaissance du fils de Jacques II ¡en
qualité d'héritier légitime du trone d'Angleterre, poussa Guil-
laume a précipiter des événements auxquels une chute de cheval,
qui devint funeste, l' empecha de prendre part ]ui~meme. Cette
lutte supreme, la France ne l'affrontait pas dans des conditions
heureuses. Un trésor vide, une agriculture ruinée, des populations
épuisées, une armée mal commandée, les hommes qui avaient
fait la grandeur et la fortune du regne disparus, voila les condi-
tions dans lesquelles ¡'insolent despotisme du prince, ses folles
prodigalités, Ees reyeS de monarchie universelle la for<;aient de
lutter. L'adulation a gran di la figure de Louis XIV jusqu'a des
proportions presqu~ surhumaines ; elle a épuisé pour sa person'ne
et ses actes les formules de l'hyperbole bassement louangeuse ;
c'est done une satisfaction de voir qu'avec le temps, cette figure a
perdu son prestige et combien, en s'enfon~ant dans les lointains
de l'histoire, elle s'affaisse et se rapetisse. Tout ce qu'il y avait
d' essentiellement médiocre dans cet homme parut bien lorsqu'il
n' eut plus Colbert et Seignelay dan s ses conseils; Lamoignon clans
sa magistrature'; Turenne, Condé, Luxembourg a la tMe de ses
armées; quand, par peur des peines éterneUes et pour expier une
vie libertine t il se fut rangé de lui-meme sous le double joug d'une
coquette artificieuse et de confesseurs rancuneux. L'histoire déga-
géédesescomplicitésmonarchiquesdira'queLouisXIV, par l'exern M
pIe de ses scandales juvénils, corrompit la noblesse, qui était
alors la natíon presqu'entiere ; elle dira comment sa conversíon
tardive et 'Son rigorisme de néophyte imprimerent le stygmate de
l'hypocrisie a la cour et a la ville ; commentil détoul'na la France
des vQies pacifiques, en jetant les huguenot~ sur toutes les routes




DEUXIEM~ 1'.\HTm, - LE:' D!~\'ELüPPEMENTS DES COLONIES. '131
de l' exil ou sur les galeres, et lui communi<}ua cette ardeur in-
quiete qui en a faít tour tl tour la terreur de ses voisins ou l'ob-
jet de leurs vengeances. Elle dira encore comment il raviva le feu
des querelles théologiques et persécuta ou dédaigna tous les
esprits in<;lépendants ou virils; comment enfin il pressura ses
peuples 1 et, dans son égolsme aussi inintelligent que féroce, creusa
le gouffl'e ou, moins (l'un siecle apres sa mort, s'engloutirent sa
postérité et sa race. Ce prince cut néanmoins un moment de véri-
table grandeur et de majesté ,incontestable: ce fut a l' époque de
ses humiliations et de ses revcrs; de eette ame gatée par le sucees,
mais pUl'ifiée par le malheur, jaillirent alor5 des accen ts et des
résolutions magnanimes.


Les hostilités commencerent en Amérique, comme elles como
men<;aient toujours, par des escarmQuches et des dévastations.
Le mal'quis de Vaudreuil, alors gouverneur du Canada, s'était
halé de se concilier la neutralité (les 11'0quois; les Anglais ne réus-
sirent pas aussi bien pres des Abenakis, ~t six semaines apres
avoir déclaré « que le soleil n'était pas plus éloigné de la terre que
leurs pensées ne l'étaient de la guerre,») et avoir ajouté 'de nou-
velles pierres aux tas déja formés, comme gages et comme preuves
de leur amitié, ces sauvages portaient le fer et la flamme dan s les
paisibles demeures du MassachuseUs, du New-Hampshire et du
Maine. Le 1 cr mars '1701¡ deux cents Canadíens et quarante 1n-
diens, conduits par Hertel, attaquerent au matin le charmantvil-
lage de Deerfield, le brúlerent et emmenerent en captívité ses
habitants. « Une heure apres le lever du soleil, la troupe se mit
« en route ponr le Canada. Qui pourrait dire les 1101'1'eurs oe cette
« marche hibernale dans les solitudes! Deux hommes périrent
« de failU: un jeune enfant venait-il a pleurer de fatigue, une
« pauvre femme a chanceler sous le fardeau de son nourrisson, la
« hache coupait court a la plainte, ou bien l'innocente créature
« était jetée dans les neiges. Eugénie WiUiams, la femme du mi-


I Sur la mlsere générale du peuple pendant les dernieres années de ce regne, il
faut voir la Dime roya~e de Vauban, etsur l'hiver de 1709, quila mit a son 3pogée, ,
les Mémoires de Saint-Simon, tomes VI et VII; les Mémoires de Villars; les Let-
tres de Mme de Maintenón, t. JII; les Lellrcs de Madame, tome le\'; le Journal
de Dangeau.




132 LES BTATS-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTRlO¡'{ALE.
« ~istre, l,l'avalt point oublié sa Bible; le jour pendant les haltes,
« ou le solr a l'heur'e du repos, les sauvages luí en permettaient
« la lecture. Elle relevait a peine de cOl1cbes, et ses forces céde-
« rent bientót: son marUui rappelait la maison éternelle que les
« mains des hommes n'ont point balie; elle lui répondait en bénis-
« sant le Seigneur. Preso'exhalerle dernier soupir, la mere laissa
« monter son camr jusqu'a ses levres pour recommander ses CiIH[
« enfants captífs a Dieu et a leur pere, puís un coup de tomahawk
« mit fin a ses souffrances 1. » L'Ílistoire de la plus jeune filIe
d'Eugénie Williams fut singuliere. Elle n'avait que sept ans 101'5
de l'incendie de Deerfield : amenée au Canada, ni supplications,
ni offres de ran<;on ne purent amener sa elélivrance. Des Ineliens,
convertis et fixés pres oe Montréal, l'aelopterent; elle deviut entIlo·
lique a son tour et épousa un chef des Cahnewagas. Lorsque, long-
temps apres, elle visita ses anciens amis de Deerfield, elle resta
insensible a leurs prieres et au jeúne qu'ils s'étaient imposé clans le
but de la retenir ; elle revint au feu de son wigwam et a l'amouI'
de ses enfants Mohawks.


Pendanl les six années qui suivirent, les hostilités se trainerent
dalls le n~eme cel'cle: les colon s tenterent contre Port-Royal en
Acaelie, que défelldait le baron de Castin, deux attaques infruc-
tueuses (1703 et 1707) ; Hertel et des Chaillons, avec ]eurs AIgon-
qnins, détruisirent l'étab]issement d'Haverhill, aujoul'el'hui viIle
florissante sur le Merrimac, alors hameau d'une trentaine de
lllaisons (li08). Ce fut tout; mais le 6 avríl ti10, il se passa dans
la chambre de la reine d' Angleterre une sdme étrange, et qui
finit par la disgrace de- l.'altiere duchesse de Marlboroug, aiI\~l
que par le transfert au parti tory elu pouvoir que les whigs avaient
gardé depuis l'avénement de la maison el'Orange. La duchesse, que
son orgueil avait déja renelue insupportable a sa royale maltresse,
poussa ce jour l'impertinence jusqu'a la menacer el'une punition


\ clivine. Anne répliqua sechement « que ]a chose ne regarelait
qu'elle seu le, » et l'amítié qui avait régné trente ans entre ces
deux femmes se trouva dénouée 2, Quelques jours apres la scene


t Ilist. of unit slat., 11, 850.
~ La scime est racontée dans les Lircli uf' t/w Ijueens uf England, XII, '283, ct la


Private correspundence de la duches:;e, T, 301.




DEUXIEME PARTIE. - LE~ DÉVELOPPEMENTS DES COLONIES. 133
de Kensington, la reine renvoyait de ses eonseils Russell, Boyle,
Godolphin; Walpole; elle leur donnait pour sueeesseu'rs Boling-
broke, Harley, le eornte de Jersey, le cIue d'Ormond, le due de
Shr~sbury, et l'Europe, ensanglantée depuis neuf années par la
guerre, vil ave e bonheur poindre une perspeetive de eoneiliatioll


. et lje reposo
Dans le cabinet nouveau, Henri Saint-Jolm, vieomfe de Boling-


broke, oceu pait la eharge de secrétaire des colonies. Son éloquence,
son esprit "ir et soupIe, ses eonnaissanees étendues et variées, l'a-
gróment de sa personne et le ehal'me de ses maniere~ en avaie]lt
fait de bonne heure un des hommes les plus considérables de son
pays. A ces grandes qualités se melaiellt chez Bolingbroke des
défauts et meme des vices; son brillant esprit "ersait volontiers
dalJS l'inconséquence, son génie politique dans l'intrigue, el s'il
pouvait 81re, suivant un mot de M. Baneroft, sévere, mais trop
justifié , (C fidelc a une femme ou a un ami, iI ne savait pas l'etl'e
« it un principe OH a un peuple. ») Plus qu'indifférent a toutes les
formes extérieures de la religion, il se fit le ehampion de eeHe
High Church quí a, de tous les temps, abrité l'hypoerisie et l'in-
toléranee anglieanes ; ,vhig d'origine, iI se fit tory un bon instant;
en 1713, il imposa la paix a ses adversaires, mais deux ans pIutót,
il avait projeté.de eonquél'ir le Canada et de ehasser les Fra}1(;ais
de l' Amérique. e( Ce dessein est une idée a moi,)) écl'ivait-il en
1711, ce et je prencls a son sueces un intéret tout paternel t. ») La
conquete de l'Acadie, que Nicholson avait enfin effeetuée en 1710,
. grace ~\ la faiblesse numériql}e de la garnison de POl't-Royal, a son
épuisemcnt et it son manque de munitiolls, eette cor](IUt'~tc achenl
de décidei' Bolingbroke, et jamuis le Canada nc s'était trou\'é a 13
veille d'un danger plus sérieux. L'expéd~tion était COl1<,iue en effet
sur un plan formidable: elle comprenait quinzebfltiments de
guerre, quarante transports, un bataillon de soldats de marine
et sept régirnents qui avaientservi sons les ordres de Marlborough.
En meme temps, les volontaires du Conneeticut, du New-Jcrscyet
du New-York, etsix eents Iroquois s'assemblaient a Albanyprets
a fondre sur Quebee. Tous ces préparatifs, dont la lenteul' et les


1 Tli,~f. (){ nnit .. ~t(/t., 11, 85ü.




134 LES ÉTATS-UNIS DE L' Al\IÉRlQUE SEPTENTRIONALE.
frais avaient mécontenté la reine, inspiraient au contraire aux co-
lons et a Bolingbroke une confiance entiere, et ce dernier, en ap-
prenant l'arrivée de la flotte dans le port de Boston, ne put s'em-
pecher d' écrire au duc d'Orrery que cette fois, enfin, l' Angleterre
allait devenir la maltresse de toute l' Amérique du Nord.


Ces paroles étaient présomptueuses, et la campagne qui a1lait
s'ouvrir n'ajouta rien a la puissance de la Grande~Bretagne, en-
core moins a sa gloire mllitaire. Vaudreui\ 'dvait pris 6'efficaces
mesures: iI était sur de la neutralité des Qnondagas et des Se-
nécas; huit cents Peaux-Rouges rassemblés a Montréal avaient
entonné le chent de guerre, et, a la voix des missionnaires, les
Chippewas s'ébranlaient, tandis que les Abenakis s'enfermaient
dans Quebec. On avait réparé ses fortifications; les femmes elles-
memes'se tenaient pl'etes a concouril' a la défense, et la popula-
tion tout entiere attendait dans le calme et la contiance l'arrivée
des Anglais. Ceux-ci, partis de Boston le 30 juillet 1711, en-
trerent enfin dans le Saint-Laurent. A mesure 'qu'il remontait le
fleuve, sir Hovenden Walker, leur chef, se sentait pris des appré-
hensions les plus comiques : il réfléchissait que bientót une
épaisse couche de glace recouvrirait ces eaux si profondes, et :Q.e
voyait d'autre parti a prendre que de décharger ses navires, en
les mettant en carene jusqu'au printemps prochain. Le 22 aoút au
soir, un épais brouillard su1'vint avec une fq1'te brise d' est, et, sur
1'avis des pilotes, on l'nit en panne, san s pouvoir empecher la flotte
de détiver. Au moment OU Walker se mettait au lit, son capi-.
taine de pavi1lon vint l'averti1' que des terres étaient e~ vue; sans
se déranger, L'amirallui donna l'ordre 4e gouverner au nord. En
vain, un capitaine du service de terre, Goddal'd, le supplia-t-il
de montel' au moins sur le pont, WaLker le congédia en se mo-
quant deses craintes. Goddard revinL « Au nom du CÍel! » lui cria-
t-jl, « venez ou nous sommes. tous p~rdus, j'aper.;ois des brisants
« tout autour des vaisseaux.» Cette fois, l'amiraL céda et monta
sur le pont en robe de chambre et en pantoufles. Seulement il
continuait de ne ríen voir sous le vent. Li lune, per.;ant le brouil-
lard, luí démontra bientót son erreur : la flotte était tont pres du
rivage septentrional, au milieu des Hes d'Eggs. Il fallut bien alors
que Walker en Cl'út les pilotes, et il flt immédiatement mettre le




])EUXIEME PARTlE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONlES. 135
eap sur le large; mais, uu matin, on s'aperc;ut du naufrage de
huit vaisseaux et de la perte de neuf cents hommes. Un conseil de
guerre décida qu'il était impossible d'aller plus loin, et l'expédi-
tion regagna honteusemellt son point de départ t.


La paix signée a Utrecht tit gagner a I'Angleterre l'entiere pos-
session de la baie d'Hudson, l' Acadie, qui prit le nom de Nouvelle-
Éeosse, et l'ile avec le banc de Terre-Neuve. La Franee conserva
néanmoins le droit dé pecher et séeher la morue sur les cótes de ,
ceHe-ci. Toutehumbleque fut la eoncession, Ménager, notre pléni-
poteptiaire a Utrecht, dut lutter opiniatrément pour l'obtenir: e'est
qu' 011 n'ignorait pas dans les eonseils de la reine Anne que eette
peclÍe employait annuellr,ment huit cents batiments et quarante
mille matelots, pour la plupart normands ou bretons 2. William
Penn, 'consulté sur les conditions de la paix, avait été d'avis de ré-
duire la Nouvelle-Franee a la limite du Saint-Laurent et de ren-
fermer la vallée du Mississipi dans les possessions britanniques.
La Lo uisiane a ussi avai t exci té les eonvoi tises de Bolinghroke. L'une
et l'autré nous rester6nt toutefois ; mais les termes du traité lais-
saíent a dessein, peut-etre, nos nouvelles délimitations territo-·
riales de l'autre cóté de l' Atlantique dans un vague que la eaute-
leuse et envahissante politique de la Grande-Bretagne ,ne pouvait
qu'exploiter a son profit tót ou tardo


t Hist. ofunit. stat., 11, 857-858.
2 Sainte-Croix. Observations sur le traité de 1763.




LIVRE ll.


Les Peaux-Rouges j l'Esclavage et le Monopole commercial.


Sommaire: LES ORIGINES AMÉRICAINES. L' Atlanticle; foysWmes <fe de
Guignes et de José Perez; divers; owniolL; (le Humboldt et ori-
gines mongoles; les Azteques ot la race in cacique ; les lIfounds de
l'Ohio et du Mississipi; l' Amérique peuplée de divers cótés et a
diverses époques; langues, mamrs, coutumes et religion des In-
dicns; empiétements sur leurs territoirm;.


L'ESCLAVAGE : Oglethorpe et la Géo1'gie; les émigrants de Saltzbou1'g
et les ::\101'ave8.


Le riz et l'esclavage dans les Carolines; esclaves clans les antres co-
lonies .


. ' Le l\IO~OPOLE COMMERCIAL. L' Anglete1're s'oppose a l'affranchissement
des noirs et s'attribue le monopol(' de la traite; elle tenel a la des-
trnction des manufactures américaines; irritation des c010ns;
opinion d'nn voyagenr suédois.


Quoique le probleme du premier peuplemcnt de l' Amérique
reste en de<;a des limites de I'histoire, semblable a ces questions
sur l' origine des animaux et des plantes et sur la distribntion des
germes organiques qui ne rentrent pas dans le ressort des sciences
naturelles 1, il est peu de sujets qui aient davantage exercé l'ima-
gination et enfanté de plus nombreux systemes. Non-seulement
les Phéniciens et les Carthaginois, qui _ du moins étaient des
peuples navigateurs, mais encore les Égyptiens et les Hébreux se
sont trouvés etre les devanciers du Génois Colombo Les peuples
modernes out eu leur tour, et, sous des plumes tres doctes, on a


t A. de Humholdt. Essai sur la Nourelle-Bspagne, J, 3/.9; Vues des Cordil-
leres el des lIlonUlIll'llts eles ancicns peu]!les de l'Amérique, J, ~O-~1.




DEUXIEME PARTIE. - LES DÍ,VELOPPEl\IENTS DES COLON1ES. 'lin
. .


vu les Scandinavcs, les ee1tes, lcs Gaulois, les Fl'isons, dcvenir
la source des Peaux-Rouges, des Araucans et des Patagons. No'us
ne parlons que pour mémoire de l'identification de l' Amérique
avec la terre contenant le paradis terrestre que Cosmas Indico-
pleustes a placée en face de l'ile de forme carrée qui figurait, a ses
yeux tout l'ancien continent 1, et nous ne nous arretons guere ni
a l'hypothese célebre de de Guignes le pere,'ni au systeme d'a-
pres lequelle Nouveau-Monde ne serait autre chose que l' Atlan-
tide submergée de PIaton, ou aurait re~u du peuple de Dieu sa
population primitive. Déja Klaproth avait établi que le Fou-Sang
vers lequeI se dirigeait l'émigration chinoise du ve siecle était le
Japon., et M. Vivien de Saint-Martin, reprenant les textes invo-
qués par de Guignes, a détruit l'interprétation qu'il leur donnait
et que M. G. d'Eichtal et M. Paravey leur ont donnée apres lui 2.
Quant a l' Atlantide. nous restons fermement convaincu avec Le-
tronne, avec M. Renouvier et M. Th.-H. Martin, du caractere
puremelltphilosophique ou mythique qu'offre le récitencadré duns
le TirrU3e par le fils d' Ariston. Pour justifier l'hypothese, il ne sut:.
fit pas d'invoquer le témoignage de certaines faunes disparues, ou
de quelques autres faits paléontologiques ; el pour faire revenir a
l'opinion de José Perez que les Américains, avant de tomber dans
la barbarie, avaient été les initiateurs de la civilisation, il faudra
d'autres livres que celui que publiait, il y a trois années, M.l'abbé
Brasseur de Bourbourg, qui semble en vérité y avoir pris a tache
de faire oublier a tout le monde qu'il est un tres-savant homme
et ,qu'il a rendu aux études américaines d'éminents services 3~


Toutefois, de cet amas de systemes contradictoires, d'hypotheses
aventureuses et de divagations réel1es, la critique moderne a fait
émerger des résultats moins problématiques. Elle a circonscrit le
probleme, en le dégageant de données arbitraires, el, des a pré-
sent, il n'y a point de témérité dans l'affirmation d'antiques rap-
ports entre les deux hémispheres. Un premier point acquis, c'est


f Humboldt. Examen ~ritiquede l'histoire de la géographie dn nout'eau confi-
nent, J, 42.


2 Année géographique, 3e année, 252-268.
3 Quatre letlres sur le Mexique, exposition ,!lbsolue du systeme hiéroglyphique


mexieain; la fin de 1':1g-e de pierl'e, épor¡ne glnriaire temporail'e, etc., etc.




138 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
la facilité des migrations d'un continent a l'autre. Un illustre géo-
logue a supposé l'espece humaine tout erntiere réduíte a une
seule famille, cantonnée dans une He polynésienne, et s'est senti
assuré que ces insulaires finiraient, dans le cours des ages, par se
1'épandre sur toute la te1're, dispersés en partie par la tenaance
naturelle des populations a épuiser les ressources d'une région
limitée, en partie par l'accident de canots que les marées et les
courants entrainent vel'S de lointains rivages i. Le p euple:ment du
Nouveau-Monde n'a point offert des difficultés pareilles : il existe
entre leSud-Est de l'Asie et le Nord-Ouest de l'Amérique des
points de contact si. voisins l'un de l'autre que l'on s'est parfois
demandé ou commen<;aient et finissaient ces deux parties du
monde. Il est alljourd'hui certain que des tribus asJatiques « ont
« pu parvenir, d'ilot en ilo!, d'un continent a l'autre, sans s'élever
(e sur le continent de l' Asie au del a du 55e paraHele, sans tourner
« la mer d'Oskoshk it l'ouest, sans faire au large plus de vingt-
« quatre ou de trente-six lieues 2. ) Par la latitude de 65° 50'
une ligne tirée a travers le détroit de Béring, du cap du Prince de
Galles au cap Tschowkostkoy, ne mesurerait pas tout a fait quarante
milles, et trois petites Hes partagent cette distance. De la Mant-
chourie au promontoire d'Alacza, le Japon, les Kouriles, puis les
Alentiennes forment une chaine presque continue, de sortc que la
plus longue navigation en mer n'excéderait pas deux cents mil1es,
sans que la route s'écarte jamais des cotes de plus de quarante
lieues; enfin Ulle chaine d'iles tres - rapprochées s'étend de la
Corée au sud du Kamschatka 3.


La possibilité des migl'ations reste done parfaitement établie :
le difficile est ele fixer leur point de départ et Ieur direction. Au
début de ses immenses investigations, A. de Humboldt avan(,;a
que les Tolteques et les Azteques du plateau mexicain pourraient
bien provenir de ces Hiongnoux qui, mélés aux Huns et a d'au-
tres peu ples d' origine finnoise et aralienne, .ont désolé les plus
belles parties de l'Europe civilisée, et, sous la conduite de Ieur


f Lyell. Principes de géologie, Ed.1832, JI, 1'?\
2 Humboldt. NouveUe Espagne, 1,322.
'¡ /1' 'f r' JI (J'H' 9')(j , IS,. o untt. stat., ",.;)- ~ .




DEUXI]'.;ME PARTIE. - LES DÉVELOPPE)1ENTS DES COLONTES. 139
chef Punou, se perdirent, d'apres les histoires chinoises, dans les
déserts de la Sibérie 1. Il rechercha les rapports qu'un examen
attentif pouvait révélerentre la civilisation mexicaine et les ~ivi­
lisations asiatiques, et en signala, en effet, de tres-remarquables
entre le Mexique et le Thibet, dans la hiérarchie ecclésiastique,
dan s les processions et les pénite?ces, dans les zodiaques et l'as-
trologie. Ce qui frappa surtout Humboldt, ce fut la fiction cos-
mogonique des destructions et des renouvellements périodiques
de l'univers qu'il retrouvait dans la mythologie mexicaine, apres
l'avoir constatée, des la plus haute antiquité, dan s les livl'es sacrés


. de l'Inde, dans le Bhagava-Pouzana surtout. De cet ensemble d'a-
nalogies, il déduisait « d'une maniere indubitable» la cornmu-
nauté d' origine des Américains et des peuples asiatiques 2. Plus
tard, l'illustre savant a manifesté le désir que ]'étude des langues
asiatiques et des idiomes américains vint confirmer ces déduc-
tions, et l'anthropologie lui a. laissé quelques doutes : Assuré-
ment, disait-il, iI est impossible de trouver des races plus voisi-
nes que le sont ceBes des Américains, des Mongols, des Mand-
choux, dBs Malais; mais la resscmblance de quelques traits ne
constituait pas une identité de cette espece, et l' ostéologie nous
apprenait que le crtme de l' Américain, son angle facial et son os
frontal différaient assez de ceux de la race mongole 3. Les anti-
quité s de Mexico, les monuments qui couvrent la plaine du Mi-
caoti, ces pyt:.amides tronquées et divisées par assises, comme le


. temple de Bélus a Babylone, reportent également vers l' Asie cen-
trale la pensée de"l'historien du Mexique avant la conquete espa-


-. gnole 4. M.l'abbé Brasseurde Bourbourg ne contredit donc point a
l'origine mongote, sous la condition toutefois que l'on considere
alors la race américaine comme une race séparée de son tronc
pendant une assez longue suite de siecles, et cette opinion, qui
est celle d'Hervaz, de Clavigéro, de Gallatin et de Humboldt lui-
meme, peut s'appuyer de la grande division des tribus et de la
multiplicité dés langues américaines.


I 7'ableau de la nature, 1, 53~
2 Vues des Cordilleres, etc., JI, 33, 07 et 99.
~ )Vouvelle Espagne, 1,367-369.
4 lhs(oire des peuples dvilisés du JJexique, etc .. J, lG.




140 LES ÉTATS-U~HS DE L' AMÉnIQUF. SEPTENTnIONALE.
Quoi qn'il en soit, ce savant a rejeté l'hypothese el'un peuple-


Jllent unique, et l'ethnologie lui a donné raison, en montrant
chez les peuples aborigen es du Nouveau-Monde la présence de
l'élément jaune, de l'élément lJlanc et meme de l'élément noir.
Le type jaune domine chez les peuplades arctiques, ainsi que
dans les familles mexicaine, athabascane, orégonienne, pué-
bléenne, etc., et s'accuse d'une faQan non moins caractérisée chez
plusieurs familles méridionales, les Guaranies, par exemple, dont
un groupe, celui des Botucudos, rappeHe presque complétement
les populations chinoises et indo-chinoises 1. Maltebrun a indi-
qué des migrations d'Aínos, de Kouriliens, de Japonais, quí au-
raient suivi les rÍvages du Pacifique, au moins jusqu'au Mexique,.
et s'il faut en croire Síebold, l'immigration japonaise am'ait at-
teint le Rio Gila 2. Le type blanc presque pUl' se montre clans
une grande partie de la famille des Peaux-Rouges, ct, au sud,
clans la famille antisienne, quoiqu'a un clegré moins prononcé.
Quant [1 l'élément noir, il n'a été ~rouyé dans l'Amérique a l'état
pur que par Balboa lorsqu'il traversa l'isthme de Darien, et le
petit nombre de populatiolls se raUachant ü ce type, s'est tou-
jours fait voir uans le yoisinage des points ou les courants marins
rencontr~nt les rivages américains et y apportent les corps fiot-
taIlts 3. En un mot, ce granel continent que les polygénistes, Glid-
don, Nott, Knox et M. Samuel Hayen 4, nous représentent dans
un isolement absolu, a été entnmé de diverses paHs par la voie
de disséminatioú iovolontaire et surtont des migrations rolon-
taires. Ces migrations, autant que l'histoire a pu en saisir ]a trace.
sont parties principalement de l' Asie et se sont dirigées du n01'(l
au sud vers le plateau de l'Anahuac, qu'on a justement nommé
le grand chemin des peuples américains. C'est par la péninsule
du Norq que la pénil1sule du Sud s'est principalement peupléc;
les ressemblances frappantes qui existent entre les popHlations


I A. Maury. La terre et rhomme, 373.
2 Géographie univereUe, 1812. V. 21 L.-Le Nippon ou matériaux pOHr serdr


a l'histoire des royages au .Tapon (en allemand ; quelques liVl'aisons tl'aduites en
fra u(;ais.) •


3 De Quatrefage3. Rapport sur les progres de l' anthropologie, 5~5 et 591.
4 Dans son Archénlogie des Eiats-Cnis íen an~d:li,).




DEUXlE~lE l)AUnE. - LES DÉVELOPPEMENT& DES COLONIES. 141
puébléennes et les portraits des vieux Íncas avaient suggéré a
Humboldt cette conjecture, et l'étude des antiquités péruvi.eunes,
faite par un archéologc:e perspicace, est venue la confirmer. Ce
n'e.5t pas évidemrnent dans les régions désolées des Andes boli-
viennes qu'est née eeUe civilisatíon aymara, qui précéda la civi-
lisation incacique, et dont les Espagnols ne trouverent plus que


,


les débris attestés par une série de ruines, parmi lesquelles le
temple fameux de Tiguanaco. Les COllstructellrs de ces monu-
ments, s'ils étaient venus du Chili ou du Brésil, auraient laissé
des traces de leur migmtion. C'est done chez,Ies Nahuatls du
Mexique qu'il faut aller les découvrir, d'antant que les monu- ,
ments en question se continuent bien au dela de l'isthme, jusque


'sur l'Anahuac lui·mernc. Pour la civilisation incacique, ¡l'enjuger
par ses Illonuments, elle se raUacherait plutót au Yuca tan qu'aux
Nahuatls l.


Les peuples qui habitent l' Auahuac, les platcaux péruviens et
l'isthme central ont laissé de leur civilisation des monument lapi-
daires ou des monuments graphiques; ceux qui occupaient la ré-
gion des grands lacs et la vallée du haut Mississipi n'ont laissé
que des cOllstructions en terre, d'ailleurs en si grand nombre
qu'on commen<;a par les attribuer a des causes naturelles, a des ac-
tions diluviennes que l'homme avait modiflées, peut-etre, mais
auxquelles il n'avait jamais mis la premiere main. Cette idée,
M. Bancroft la professe encore et se raille, avec plus d'esprit que
de raison, de ceux qui "oient dans les Jrfounds des vestiges de l'in-
dustrie humaine et des témoirrs d'une civilisation primitive. Il n'a
pas ten u compte des bas-reliefs qui caractérisent ces constructions
dans la région des lacs, et qui représentent, d'une fa<;on ~rossiere,
des oiseaux, des reptiles, des mammiferes et meme des hommes
d'une taille gigantesque. A mesure qu'elles s'avancent vers le sudo,
les enceintes en forme de parallélogramII\es, d'ellipses, de poly-
gO,nes réguliers ou irtéguliers font, en nartie, place a des montí-
culcs coniques ou pyramidaux de tres-grandes dimensions. Le som-
met de ces pyramides est toujours tronqué, et, dans les États qui


I AngraLd. Lettre sur les antiquités de Tiguanaco et l'origine présumable de
la plus ancienne civilisatiun du haut Pérou. Paris, 1867.




14'2 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEP'1'ENTRIONALE.
bordent le golfe du Mexíque, des g~'adins eonduisent a ce sommet.
Les fouilles pratiquées dans ces singuliers monuments n'ont abso-
lument livré que del:1 instruments en pierre, en bois, en os et en
euivre 1, et eette circonstance semblerait les rapporter a l'époque
des Kneykkenmwdingsdu Danemark et des habitations lacustres de
la 8uisse. lis auraient ainsi ~me antiquité de quarante siecles, si on
pouvait avoir une entiere confianee dans les bases el'apres ]es-
quelles lVL 8teenstrup a calculé le temps qu'il a fallu aux tourbes
pour combIer les marais de son pays. Maisce géo1ogue. a~ant eu le.
bOll got'lt d'avouer lui-meme qu'en "Qareille évaluation, )'erreur
pouvait a11er de l'unité au quadruple, le champ des conjectures
reste ouvert aussi bien sur l'antiquité des rnounds que sur leur
origine.


Un systeme en assigne la eonstruction aux Phéniciens et Chateau-
briand en a fait justice. Les Phénieiens, disait-il, avant de péné-
trer dans l' ouest, ont dil s'arreler sur les cOtes; ils ont du dépo~e.f
des traces de leur passage dans la Virginie, dans les Florides, dans
la Géorgie, el ces traces on ne les .trouve nulle part; il ajoutait
?ette remarque qui a bieI) sa valeu!', c'est que ni les Phéniciens,
ni les '~arthaginois n'enterraient leurs morts comme sont enterrés
le·s eadavres des tumttli de 1'Ohi0 2 • Il est vrai qu'on a trouvé a
Taunton, sur les bords d'un p~tit cours d'eau, une inscription tail-
lée dans un bloc de granit gris et qui rappellerait, clit-on, les mo-
numents épigraphiques de l'Atlas ou du Fezzan ; . mais pour
M. Rafn, le savant antiquaire danois, elle est runique, et d'autres
n'y aper<.;oivent que des caracteres grossiers ayant une grande ana-
logie avec l' écriture algonquine 3. Il faut se résigner a ne pas
seruter d'insondables problemes et a ignorer comment s'est fon-
dée cette demi-civilisation, comment elle a disparu. 8'H fallait en
croire la tradition des Delawares, . confirmée par certains indices
positifs, elle se serait déplacée d'abord, les tribus de la famille
algonquJne et de la famille iroquoise expulsant du bassin de J'O-


f Squier. Ancient monuments of the llfississipi Valley. - Schoofcraft. Obser-
tions on the aboriginalllJonuments of the Mississipi. Ces dcux;,travaux font partie
des Transactions de la société elhnolog1'que américaine.


!! Voyage en Amérique (reuvres comp. Ed. Pourrat), Vil, 60.
3 Rist. of unit. stat., II, 923.




DEUXIEME PARTIE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES' COLONIES. 143
hio ses ánciens occllpants, qui auraient descendu le Mississipi et
cherché un refuge sous des climats plus doux.


Les Uchees avaient conservé le souvenir de ces invasions et les
Natchez montraient un degré de civilisation un peu supérieur.
Enfin;le~ Mandans, ou Faisans, comme ils s'appellent eux-memes,
riverains du Missouri, fabriquent encore a cette heure des poteries
semblables a celles que l' on a trouvées dan s les lttmuli des bo/rds
de rOhio et qui existent en grand nombre au musée de Cincinnati t.
Mais alors la parenté des idiomes eonduirait a admettre une simi-
litude d' origine entre les premiers occupants et les seconds enva-
hisseurs. Si nombreux que, en effet, soient ces idiomes 'l, quelques
différences qui se manifestent dan s leurs vocabulaires, quelqu e
inégalité qu'ils présentent dans leur richesse et dans leur dévelop-
pement, un caractere commun les reHe. Ce caractere e'est le po-
lysynthétisme; e'est la persistance de l'agglutination qui enleve
toute flexibilité meme au plus élaboré et en rend l'usage ineom-
mode; c'est la eomplieation des formes grammatieales;.ce sont
les modifieations quesubit le verbe selon]a nature de son régime;
e'est la multiplieité des partieules addictives, afflxes et suffixes 3.


Ce caractere eornmun a permis de grouper ces idiomes autour de
deux centres principaux, l'algonquin et l'iroquois; un second pas
sera d'établir lenr parenté avec les langues de l'ancien continent.
Cette parenté, M. de Bunsen l'a recherchée d~ns les idiomes toura-
niens du Nord, mais iI hésite a la déduire directement de ]a philo-
logie; quanta M. Max Muller, il parait assez ene]in a partager l'opi-
nion de Rask, de f:astren et de ScllOtt dont les travaux ont étendu , .
la famille turque sur toute l' Asie septentrion a le et sur le nord de
l'Amérique et de l'Europe. On voit, dit lesavant et regrettable ahbé
Le Hir, « que la seience n'a pas dit enCOfe son dernier mot, » et
pour son eompte il signale quelques affinités remarquables que
l'algonquin, a travers les dissemblances les plus profondes, offre


- .


t Georges Cattlin. Lelters and notes on the manners, customs and condition
of the North-Ameriéan Indians, 11, 259. Cilé par ~l. G. d'Eichtal dans son mé-
moire sur les origines bouddhiques de la civilisation américaine. M: d'Eichtal s'ap-
puie beaucoup sur certaines contumes des Malldans pour prononcer sa these.


2 M. l'aLbé de Bourbourg en compte plus de200.
3 A. Maury. La terre et l'homme, 41G·417. ~ Humboldt: Vues des Cordilleres'


1, 27. ~ Hist. of unit. stat., 88t-889 .





1 !i1 LES ÉTATS- UNIS DE L' Al\1ÉlUUUE ~EPTENTRIONALE.
avec les langues indo-européennes, soit dans ses racines, soit sur-
tout dans quelques-unes ele ses formes grammaticales. eomme ces
rapprochements ne regardent pas exclusivement les langues aryen-
nes, et que plusieurs intéressent le domaine touranien, il semblerait
naturel, si l'analogie était générale, de rechel'cher dans les races
de ce domaine l'origine des formes en question. Mais M. l'abbé
Le Hit' doute fort qu'il en soit ainsi ; il croit qu'a une époque tres-
reculée, bien avallt la colonisation du Groenland par les Scandi-
llaves, des émigrants européens ont abordé en Amérique, et, se
melant ad'autres races, 'ont laissé, malgré leur petit nombre, dans
les langues ultra-atlantiques une trace vivante de leur passa~e. Et
ce serait « dans la race de Gomer, elans la postérité de ses trois
ce f1ls Ascenez, Riphath et Togorma, c'est-a-dire parmi les Ger-
« mains, les eeHes et les Arméniens, qu'il faudrait chercher la
c( souche de cette émigration lointaine et si complétement ou-
l( bliée 1. »)


Les peuples de l'Anahuac,du Yucatall P-t du Pérou ont laissé
de "astes et superbes temples; les Peaux-Rouges 2, a part les Nat-
chez, n'en avaient pas, pour bien dire, et les temples des Natchez
n'élaient que eles cabanes 3. Ils étaient chacun son propl'e pretre et
offraient des sacrifices a leurs génies et a leurs dieux., Leurs .Mani-


I Eludes religieuses, par des peres de la Compagnie de Jésus, juiJIet 1867.
2 Je continue a me servir de cette appellation, plus large en histoire qu'en elhno-


logie en opposant I'Anahllac au re"te de l'Amérique septentrionale.
3.Charlevoix et Adair ont fail justice a cet égard des inventions de certains con-


teurs. Voici comment le premier dúerit un temple visité par d'Yberville en 1716,
au village des I3ayagoulas : .


« Le toil était orné de plusieurs figures ll'animaux, parmi lesquels on distinguait
un coq peint en rouge. 11 y avait a l'entrée, en guise de portique, un nppentis de
8 pieds de lnrge sur 11 lle long, sOlltenu de deux gros piliers, par le moyen d'une
püutre de traverse. Aux deux cotés de la porte, on voyait encore d'nutres figures
tl'animaux, commc d'ours, de loups, el de divers oiseaux, et a la tete de toutes était
celle (j'un chouchouacha (sorte de sarigue).


« Le chef des sauvages qui conduisait M. d'Ybenille fit ollvrir la porte, el entra
le premiel', Ce temple était une cahane faite comllJe toutes les autl'es du villaae en


. o ,


forme de dome un peu écrasé et de trente pieds de diametre. Il y avail all milieu
dellx bUches de hois sec posées baut El buut et qui faisaient beaucoup de fumée, On
voyait dans le fonll une espece d'éch2faud sur lequel étaient plusieurs pnqiIets de
pcaux de chc\Tcu;ls, d'ollrs et de bccufs, qui avai¡;nt été oll'erts au chouchouacha
\Hlst. NOUt\. Franc., lH, 1/6). »





DEUXIEME PAHTIE. - LES UÉVELOPPEMENTS DES COLO~IES. 145
lous, semblables aux lares ct aux pénates de l'ancienlle Romc,
présidaient au foyer domestique; ils veillaient au berceau de l' en-
fant, au chev6t du malade ct fermaient la paupiere du guerrier.
Une chasse heureuse, une moisson abondante, les accidents ordi-
dinaires de la vie s'aUribuaient a l'aetion du Manitou. Canonicus,
ie grand sáehem des Narragansetts, enterre le fils qu'il vient de
perdre et brúle sa rnaison, it titre d'expiation aupres du dieuqui le
luí a ravi. Les lroquois, pendant le séjourparmi eux du P. Jogues,
sacrifient une fernme ü Areskoui, le dieu de la guerre, en le priant
de se nourrir de la chair de la vietime et de leur aecorder de nou-
yclles victoires. Hennepin trouve une peau de castor suspendue a
un arbre; e'est une offrande a l'esprit des chutes Saint-An-
toine, et les guides de J outel, en traversant 1'Ohio, se lendent pro-
pice le génie du heau fleuve, en lui faisant des don s de tabae et
de viande séchée. D'autres pratiques revetaient un earaetere plus
élevé : le ehasseur s'imposait un jeune sévere, afin de gagner la
faveur des génies tutélaires des betes fauves, et tous admettaicnt
l'cxistencc d'un grand esprit supérieur aux homrnes eornme ;mx
manitous. Tous croyaient sinon a lrt résurrec!ion générale, du
moins a une vie eontinuée apres la mort et a des to1'ritoires abondants
en gibier, qui attendaient les guerriers d'élite. Dans l'éclat des
aurores boréales, il s'imaginaÍfmt voir la danse des morts, et dans
la région du sud-ouest, l'empire des ombres, la eour du grand
esprit. C' était meme ehez eux une tradition eourante que des
homrnes vivants avaient traversé eette région et qu'un lndien, a la
recherehe de sa sceur, l'aurait enlevée au séjour des morts sans
ga curiosité intempestive.


Ces tribus étaient polygames, et les femmes réduites a un grand
état d'abjection matérielle, qu'el1es savaient néanmoins relever
par une tidélité conjugale rarernent oúbliée et une tendresse rna-
ternelle,llarfois poussée a l'exces. Tandis que le Peau-Rouge, plus
dédaigneux du travail servil e que ne le fut jamais un citoyen
el' Atheues ou de Rome, passait des journées entieres a fumer, a
manger et a dormir, sa squaw allait chercher l'eau et le bois; elle
lui préparait, lui servait ses repaso Elle faisait séehel' les peaux et
les viandes ; elle ensemenl,iait el récoltait; elle portait l'attirail de
chasse ou de peche de son maitre et rapportait Son gibier ou 5011


10




HU LES ÉTATS-UNlS DE L' Al\IJÚUQUE SEPTEN1'lUUNALE.
poisson. J;.e respect des morts était profond: les Choctas, les
AIgonqins, les Wyandots, les Cherokees enveloppaient le cadavre
dans les fourrures les plus précieuses; les Hurons réunissaient
les os de leurs guerriers et les déposaient, en grande pompe, dans
Ulle fosse commune. La coutume générale était d'ensevelir le
guerrier avec sa pipe, son fétiche, ses armes et ses plus beatlX'
habits; on plagait a ses cótés son écuelle, son mals~ sa venaison ;' .
de grands repas avaient líeu en l'honneur' du mort} et on jetait
dans les flammes des plats du festin pour le nourrir pendant son
grand ·voyage. La cruauté ne laissait pas parfois de se meler a ces
hommages. Quand So~o mourut, le chef de la tribu dont il était
l'hóte sacrifia pour luí servir de guides dans la région des ombres
deux jeunes hommes, grands et bíen faits 1. On peut bien croire
que toutes ces cérémonies n'avaient pas seulement pour but,
d'hollorer les morts et qu'elles tendai~nt encore a entretenir chez
les vivants une ardeu!' militante, car la base et la fin de cette
société c'était la guerreo Dans toutes les tribus sans exception~ le
chef militaire était électif, et chaque bande ne comprenait que
des volontaires, qui se roonissaient pour une expédition et se dis-
persaient ensuite. Des dan ses el des fetes précédaiellt le départ
des guerriers; en partant ils s'adressaient aux femmes: « Ne pleu-
«( rez pas, si HOUS venons a mourir, ) leur disaienl-ils. « Pleurez
« seulement pour vous-memes. Nous allons venger nos amis et
~( nos parents; nous coucherons comme eux nos ennemis sur la
(e terre.» Dans cette apostrophe digne des héros des Niúelungen,
éclate, impétueuse et puissante, la triple passion de l'ame d'airain
du Peau-Rouge, l'orgueil, l'amour des dangers, la soif de la ven-
geance. Le mot de pitié ne doit pas appartenir aux idiomes in-
diens, tan! le sentiment qu'il exprime paraissait étranger aux.
guerriers qui les parlaient. Vainqueurs, ils ne faisaient jamais


Que I'un range a l'entour mes plus riches tentures,
Des boucliers de fer, des tapis, des armures,
Et des g-lierriers choisis entre tous nos g-uerriers.
A coté du héros, qu'on me brule moi-meme,
Et de l'autre coté, les esclaves que j'aime;
Ses chiens dressés et ses bons épel'viers :
Que deux soient a sa lete el deux soicnt ü se~ pieds.


(.J.-J. Ampére. Litteralure, cuyages el puésies, 11, Scandinavie).




HEUXIEME l'AHTlE. - LES D~VELUPPEi\'lENTS' DES COLONlES. 147
grace; vaincus, ils n' en demandaient point :' leur orgueil se
complaisait a braver les tortures et a narguer les bourreaul. 1.


Jusqu'a l'époque OU nous sommes parvenus, les tribus indi-
genes et les Européens avaient vécu dans une paix au moins
relati ve et que troublaient seulement quelques incursions de part
et d'autre provoquées soit par l'humeur inquiete des Indiens, soil
par le besoin de s'étendre ou d'assurer leurs frontieres qu'éprou-
vaient les eolons. Une seu le fois les Peaux-Rouges avaient pris les
armes avec quelque ensemble et dan s l'espoir de seeouer le
joug des peaux blanches : ce fut en 1674, lorsque Philip, le chef
hautaill des Pokanokets, refusa de rendre les armes a feu qu'il
possé,dait et de payer un tribut onéreux. Pendant deux années, le
Conneetieut, le Massaehusetts et le Maine devinrent le théiltre de
dévastations horribles: les villes de Laneaster, de Medfield, de
Weymouth, de Groton, de Marlborough, de Warwiek et de Pro-
videnee furent réduites en erndres, et des eentaines de eolons
furent eonduits en eaptivité ou tomberent sous le tomahawk. La
paix ne s'était rétablie qu'en 1678, et a des eonditions qui humi-
lierent l' orgueil anglais, cal', en stipulant la reddition des prison·
niers qu'avaient faits les Indiens et en donnant des suretés aux
villes des plantations ravagées, elle obligeait les' colons de payer
aux aneiens possesseurs du sol une rente foneiere fixée a une
mesure de blé par ehaque famille d'émigrants. La paix d'Utreeht
signée, les eolons eoncurent des projets d'empiétement systéma-
tiques 1 et ee n' est pas les ealomnier que de croire qu'ils firent tous
leurs efforts pour y assoeier le gouvernement britannique. Ils n'i·
gnoraient pas, en effet, l'amitié qui existait entre la Franee et la
plupart des tribus indigenes, et leur politíque constante était déja
de mettre eette puissanee et la Grande-Bretagne aux prises, dans
la pensée au moins entrevue, sinon q.éja mure, que l'indépendance


. amérieaine sortir,ait un jour ou l'autre des complications de cette
nature. Gn avait vu, en 1710, lecongres réuni a New-York re-


t Les admirables récits de Fenimore Cooper sur les tortures que les guerriers in-
diens subissaient et faisaient subir sont conformes a l'histoire. 11 faut Jire dans les
Leitres édifiantes et dans la Relation de ce qui s'est passé en la rnission des peres
de Jésus, de Raguenea'u (Paris, 1651); les atroces supplices infligés aux PP. Bré-
hmuf, Lallem and, Dreuillettes et au llov.Ícé Goupil.




1 !Ú~ LES É'l'ATS-UNlS DE L' Ai\IÉIUQUE SEPTENTHlONALE.
présellter énergiquement a la rein~ les dangers des envahissemcilts
de la Nouvelle·-Franee ainsi que des allianees que ses gouvernt;urs
avaient su se ménager parmi les Peaux-Rouges, et apres t 713, on
ne négligea, en Amérique, aueune oceasion de fomenter des eon-
flits que le vieieux reglement des fronti(~res permettait de faire
naltre á chaque instant, pour ainsi dire.


Ce fut ainsi qu'en 1716, la cour générale du Massachusctts
ayant manifesté son intention d'étendre sa juridietion jusqu'aux
extremes limites de la provincé, les Abenakís, qui étaient répan-
dus sur les territoires compris entre le Merrimae et le Penobseot,
et prétenrlaient aux terrains situés entre le Kennebee et la .riviére
Sainte-Croix, s'alarmérent et dépeeherenl au marquis de 'Vau-
dreuil des envoyés pour s'assurer si son gouvernement avait v.endu
ces terrains aux Anglais. Sur sa réponse q.ue le traité d'Utreeht
ne les eoncernait Ilullement : « J'ai ma' terre, » s'écria le chef
indien, « OU le grand Esprit m'a pIacé, et aussi longtemps que TIla
«( tribu vivra, je combaHrai pour la défendre. )) Le gouverneur
du Canada, quí ne pouvaít soutenir les Abenakis d'une fa<;on
direete, se servit du moins du pouvoir de nos missionnaires pour
les soutenir dans leur résistanee. A Norridgewoc~, sur les bords
du Kennebec, le vénél~able Sébastien Rasles, apotre et compa-
gnon des Indiens pendant plus d'un quart de sieelc, avait groupé
un florissant village autour d'une église .qui pouvajt avoir, dans le
désert, quelques prétentions a la magnifieenee. Tres-aseétiquc et
rigoureux observateur du jeíme, il n'usait jamais de vin et ne se
llourrissait que de mai's pilé ; il avait.bati lui-meme sa eabane,
labouré son jardín, et les peintures qui ornaient les murs de son
église étaíent l'reuvre de sa maín. Il y prechait ehaque jour, f',t
puis, dans les wigwams, tempérant l' esprit de dévotion par des
eonversations familieres et une gaieté innoeentc, il aehevait, par
la persuatíon, de gagner les ames. Tel était l'homme que les An-
glais, apres lui avoir vainement opposé un ministre de leur cl,llte,
se déciderent a ehasser de force de sa mission. Les Abenakis étaient
a la ehasse,lorsqu'une troupe de miliciens du Massachusetts,
eOllduits par \Vestbrooke, tenta de surprendre Norrdgewock, au
milíeu de l'hiver ; mais Rasles, averti a temps, avait pu fuir, 11011
salls laisser toutefois derriere luí des papiers ímportants, sa COl'-




DEUXl1hm PARTIE. - LE~ DÉVELOPPEl\IENTS DES COLONIES. 14D
respondance avec Vaudl'euil et un yocabulaire de la langue abenak
. (1722). Les Indiens ayant, en guise de l'eprésailles, détruitle bourg
de Brunswick, la législature du Massachusetts dirigea contre eux
une expédition nouvelle; elle réussit a incendier lelir camp, mais
Rasles eette fois encore lui échappa (1723). Enfin, au mois d'aoút
1724, une troupe nombreuse de colon s réussit a surprendre Nor-
ridgewock. T~ndis qu'ils pillaient les cabanes et l'église, les cin-
quante sauvagcs qui défendaient le village, ayant donné a leurs
squaws et a Ieurs enfants le temps de prendre la fuite, traver-
serent eux-memes le Kennebec. Quand ils revinrent pour secourir
leurs blessés et ensevelir leurs morts, ils trouverent Rasles scalpé
et percé de coups, la bouche et les yeux remplis de boue. On l'en-
terra a l'endt'oít meme ou il avait l'habitude de céléurer les saints
mysteres 1.


Les i\benakis n'étaient pas en mesure de continuer]a lutte : un
traité, qui intervint -en 1726, fit entrer les territoires contestés


,


dans les limites de la Nouvelle-Angleterre. D'autre part, les titres
de premiere découverte et de premiere occupation étant pOUI' les
Fran~ais d'une maniere bien rnanifeste, les Anglais raviverent,
en les exagérant, lesdroits desCinq-Nations sur la partie des États
actuels de New-York et de Verm ont qui appartient a la vallée
du Saint-Laurent. Cette confédération, composée, aussi loín que
les traditions nous reportent, des Mohawks, des Onondagas et des
Cayugas. s'était rellforcée plus tard des Oneidas et des Senecas.
Ses territoires, iucessamment accrus par la conquete, s'étendaient
des grands ]acs aux sources de l'Ohio, de la Susquehannah et de
la Delaware; elle avait envahi, jusqu'a celles de l'Illinois, les terres
des tribus de rOuest, et touchait aux frontieres de la· Virginie oc-
cidentale. Elle présentait dans son organisation intérieure rles
particularités remarquables. Chaque nation formait une républi-


,que souveraine, composée de clans qui avaient des demeures
fixes qu'entouraient des champs de haricots et de ma'is, et entre
lesquels une faible subordination s'apercevait a peine. Il n'yavait
point d'csclavage, point decaste; la loi résidait dalls les traditions
orales et le con gres des Sacherns, sorte de witternagenot des Anglo-


t l/ist. n{ 1l1lil. stat., 11. 938-~41.




1:)0 LE~ ~~TATS-UN¡S. DE r:Ai\IÉlllQUE SEPTE:,,{TmO~ALE.
Saxons, qui se réunissait a Onondaga, décidait a la majorité de
toutes les affaires·publiques. Les Iroquois, comme on les appelait
d'un terme générique, avaient de bonne heure cultivé l'amitié
des Anglais et marché avec eux rlans les sentiers de la guerreo A
l'ouverture de la guerre de la succession d'Espagne, les chefs des
Móhawks et des Onéidas se rendirent a Albany pour placer leurs
territoires de chasse sous la protection des Anglais, et ceux-ci,
sur leur déclaration, établirent que ces territoires aHaient jus-
qu'au lac de Nipissing, de sorte que sur les cartes du temps
cette vaste étendue de terres figure parmi les possessions britan-
nique~, en vertu, disait-on, d'une cession faite par les Iroquois.
Toutefois, on sentait bien en Amérique qu'un pareil trait~, dont
il n'existait aucune trace écrite, avait besoin d'une confirmation
ultérieure. Burnet, gouvel'neur de New-York, tenta de se la pro-
curer en 1726, et obtint des Iroquois la cession de leurs territoires
situés a l'ouest des lacs Érié et Ontarío, avec une bande de terre
large de soixante milles et comprise entre Oswego et la riviere
Cuyahoga. Burnet ne s'était nullement mis en peine de savoir si
les Iroquois avaient le droit de 'souscrire ce traité, ou meme s'ils
avaient d'autre intention que cellede s'assurer, dans des cas don-
nés et faeile;; a prévoir, l'aide du roi George contre un ennemi
cómmun. Mais le gouvernement fran~ais ne fut pas d'humeur de
tolérer un acte d'usurpation aussi notoire : il ne fit pas seule-
ment entendre des remontrances, il bAtit sur les bords du lae
Champlain la forteresse de la Couronne, dont les batteries défen-
daient les approehes du Canada par eau et donnaient de la sécu-
rité a MontrBal (173'1).


Vers la meme époque, les propriétaires ayant abandonné tous
leurs droits a la couronne, moyennant la somme de 17,500 livres
'sterling) la Caroline devenait provinee royale (1729), et était offi-
ciellement divisée en deux États, pour la commodité uu gouver-
neur et celle des habitants.


Une des premieres entl'eprises du nouveau gouvernement fut
de changer en alliés ou en sujets les Indiens de la frontiere, qui
s'étaÍent montrés a diverses reprises fort inquiétants. Sir Alexan-
der Cumming re~ut eette mission, et, aumois d'avril1730, il s'a-
bouchait avec les chefs des Cherokees, réunis au líeu de Noquas-




DRUXIl~ME PARTIE. - LE~ DI~VELOPPEi\lENTS DES GOLONms. 151
see, dans ta vallée du Tennessee. Hleur dít qu'ils avaient poul'
souverain le roí George, et quand ils lui curent offert, de leur
cOté, quatre scalps et cinq plumes d'aigle comme gages de fldélité,
Cumming les engagea a envoyer des députés en Angleterre. Sept
chefs cherokees partirent, en effet, pour Londres: on leur fit visi-
ter en détail cette immense capitale; on leur tit voir les vais-
seaux et passer en revue les régiments; enfin on les introduisit a
la cour. CoIÍlme George JI leur parlait de leurs territoires qui
étaient devenus siens, disait.il, l'inadvertance et la surprise arra-
cherent a l'un d'eux l'irrévocable To-cu-hah, c'est·a-dire « la chose
est certaine,» et la délivrance de nouvelles plumes d'aigle vint
confirmer ces paroles. L'accord passé entre les Cherokees et les
Anglai~ortait que c( l'amour des deux peuples l'un poul' l'antre
« durerait aussi longtemps que les rivieres ne cesseraient pas de
c( coulel'; que la paix entre eux serait aussi inébranlable que les
« montagnes 1, ») et, de fait, cet accord fut fidelement maintenu,
du moins pendant une génération entiere.


Déja les Tuscaroras, alliés des Cinq-Nations et riverains
de la Neuse ou de la Tar, avaient abandonné leurs demenres,
inclignés de ce que les propriétaires de la Caroline n'avaient
pas craint de concéder leurs territoires aux familles alle-
mandes du Palatinat que les fureurs de Louvois laissaient
sans asile, cal' il était dans les destinées de l' Amérique qn'ancune
catastrophe n'eút lien en Enrope sans qu'elle en ressentit le
contre~coup, mais le contre-conp henreux. De GrafJ'enried, qói
avait entrepris d'y établir les exilés, remonta en scptembre 1711
la Neuse, afin de voir jusqu'a quel point elle était navigable et de
reconnaltre la nature du pays que cette riviere traversait. Il était
accompagné de Lawson, surveillant général pour la partie sep-
tentrionale de la province, qui était renommé ponl' sa sé'lérité ct.
que les Indiens accusaient d'avoir Jui-memc divisé lenrs terres
entre les nouveaux émigrants. Hs tomberent dans les mains d'un
parti qui battait la campagne, et furent condnits au principal vil-
lage des Tuscaroras. La, OH délibéra sur leur sort : Lawson fut
attaché au fatal poteau, et Graffenried laissé libre de regagner les


t Ilist. o{unit. stat., Il, 937-938.





'15:? LE':' f~TATS-¡¡XIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
plantations. Il les trouva dans la désolation la plus comp H~te; de-
puis les bords du Roanoke jusqu'it Pamlico Sound, toutes les ca-
banes étaient en ruines, et a Bath, les Tusearoras, aidés des Co-
rees, s'étaient donné le sauvage plaisir, une torche dans une main
et le tomahawk dans l'autre, de ehasser les c01ons, comme s'ils
€ussent été des betes fauves (1711). Un faible détachernent de
milice qu'íls dirigerent sur la Neuse ne put déloger les Indiens
qui s'étaient retrauchés sur ses rives, et Barnwell, son comman-
dant, se tl'ouva heureux de pouvoir négoeier. Mais les miliciens,
loin de respecter l' accord, ayan t, a leur retour, ra vagé les villages
qu'íls traversaient et fait leurs habitants captifs, les massacres
avaient recommencé, et toute la partie du pays qui avoisine Pam-


.Jico Sound semblait destinée a devenir une solilude, l¡rsque la
Virginie vint au secours de la Caroline. Les Tuscaroras se divise-
rent: la pariie hostile aux colons se transporta sur les bords du
lac Oncida, OU les Iroquois les accueillirent et leur donnerent une
place dans la confédération, qu' on appela depuis les Six-Nations.


Une charte, signée de George II et datée du 9 juin 1732, érigea
en province distincte, sous le nom de Géorgie, la contrée com-
prise entre la Savannah et l' Alatamaha, et en confia, pour vingt-
un ans, l' administratíoI1 a une compagnie qui s' était créée dans UJl
but philanthropique, comme OH le (lira tout a l'heure. Son sceau
meme exprimait la pensée désintéressée des patrons de l'entre-
prise, qui s'étaient interdit de reeevoir personnellemellt aueuns
honoraires, aucune eoncession territoriale: sur une de ses faces,
on voyait un groupe de vers a soie a l' ccuvre, avec la devise:
Non sibi, sed aliis, et de l'autre deux figures accoudées sur des ur-
nes et repl'ésentant les deux rivieres limitrophes. Entre elles se
dressait de toute sa hauteur le génie de la Géorgie, tenant d'une
main la lance, de l'autre la corne d'ahondance et coiffé d'Ull von-
net de la liberté. Mais ce bOllnct, eomlllC dit M. Baneroft, ne
devait etre, pour un temps du moins, qu'une enseigne mente use ,
puisque le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et l'administra-
tion de la justice resterent coneentrés, pendant toute la durée de
la charte, dans les mains dela compagnie. 00 distinguait parmi ses
mell1bres le comte de Shaftesbury, le célebre divine Stephen
Hales el surtout James Oglethorpp. Né en Hj~9, élevé a OxfOl'd,




DEUXTEME PARTTE. - LES. TII::VELOPPEMENTS DES COLONIES. 1 S8
.


Oglethorpe était entré dalls l'arlll('~c; britatlllique SOllS le ministere
de Bolingbroke; il avait rait partie, eomme volontaire, de l'état-
major du prinee Eugime, guerroyé eontre les Turcs et assisté au
siége de BeIgratlc. De retour en Angleterre, il dm'int membre du
parlement, et le saisit en 1728 d'un pl'ojet el' enqUt~tc sur l'état des
prisons du royaume et la situation des prisollniers. La premiere
i(Jée de ectte ell(lllt~te étaít verme ü Ogletllorpe, á la suite d'une '
visite qu'il avait faite a l'un de ses amis, sir AntllOny Rich, qui
était détCllU pour elettes dans la fameuse prison de Fleet-Stl'eet et
qu'il trouva dans le dénúment le plus ~ntier. CeUe idée lui en
suggéra bientOt une autre: e'était d'ouvrir aux pauvres gens
qüe la misero faisait emprisonner en Angletcl'l'c un asile en
Amérique, ou ils pourraient relever a la fois leur fortune et leur
rnoralité 1.


OgIeth.orpe s'embarqua en novembre 1732, aceompagné de
trente-einq familles d' ouvl'iers et de fermiers, formant un
groupe o.'environ eent-vingt émigrants, et apres une traversée dé
einquante-sept jours, 11 arrivait devant la barre de Charlestowt1. Il
ne prit terre qu'un instant et remít a la voile pour Beanl'ort, víIle
frontiere de la Caroline méridionale, située a l'embouehure de .la
Coosawatchie. Tandis que ses eompagnons débarquaient a Beau-
fort, lui-meme explora le pays et fixa le 8ite de son établissement
principal sur les bords de la Savannah, dan s un endroit sain et
situé a dix milles de la mer, écrivit-il aux émigrants, « ou la ri-
« viere forme une uemi-lune dont les berges méridionales s'éle-
« vent a quarante pieds 2. » L'emplacement était bien ehoisi, an
centre d'une plaine, pres d'un tleuve aux belles eaux, dans le yoi-
sinage de beaux bois. Les émigrants y arriverent au moís de fé-
vrier t 733, et des le moís de mai suivant, Oglethorpe reeevait a Sa-
vannah les chefs des Muskgogees, avee lesquels il signait un traité
qui mettait les colon s en possession du bassin ínférieur de la Sa-
vannah ainsi que de tout le littoral eompris eiltrtl eette riviere et


I Raynal et Graharne ont prétendu que eette idée avait déja été eeHe d'Adderly,
riche hourgeois de Londres. LAmerican B1'ographya diseuté ce point et fait voir
Ijll'ils ont eornrnis une crrcllr (:¿' sé¡'ie, I1,225-2'26),


:.! Cnllpctions o( ,he (;eorgia hi.~'orical sor¡'Ply, JI, '2S/L


',l




1;:'1 LES I~TATS-TT:-;IS DE r:AMÍ~RTQUE SEPTENTnION.\LE .
.


l' Alatamaha l. La bonne foi d'Oglethorpe et ses manieres a la fois
nobles et engageantes avaient aisément gagné le creur des Indiens,
et l'année suivante les Choctas, qui habitaient entre le Mississipi
et le Tombecbee, lui faisaient l'offre de rapports commerciaux.
De son coté, il se promit de les traiter avec justice et douceur, et
de les amener, s'il le pouvait, ü gouter les bienfaits du christia-
msme.


Les sectaires connus sous le nom de Moraves, persécutés chez
eux, désiraient trouver un asile en Amérique, et des 17.27, l' exeel-
lent eomte Zinzendorf avait ouvert a ee 8ujet une eorrespondanee
avec Oglethorpe. Un certain nombre d'entre eux devaienl me;.nc
faire partie du convoi conduit par Oglethorpe lui-meme; mais
quand ils arriverent en Hollande, le convoi avait mis a la voile, et
ils se déeiderent alors a prendre la route de la Pensylvanie 2. Les
Moraves vinrent toutefois en Géorgie plus tard, ainsi qu'une émi-
gration d'habitants de Saltzbourg ; eeux-ei, chassés de leurs foyers
par la persécution religieuse, s'étaient réfugiés, les unsen Prusse,
les autres en Angleterre, OU ils s'embarquel'ent a Douvres, au mois
de janvier 1734, et partirent pour l' Amérique sous la direetion du
baron de Reek et de leurs pasteurs Bolzius et Gronau. Le 17 mars,
ils touehaient a Charlestown ; Oglethorpe s'y trouvait par hasard :
il leur souhaita la bienvenue, et quelques jours plus tard, ils se
rendaient a Savannah, et, eonduits par Oglethorpe lui-meme, ils
s' établissaient sur le bord d'un petit eours d' eau auquel ils don-
nerent, ainsi qu'lt l'établissement lui-meme, le nom bibli~ue d'E-
Lenezer 3.


Apres un séjour d'une quinzaine de mois, Oglethorpe quitta la
colonie, au mois d'avriI1734, la laissant h son propre eS80r. En
fait de libertés civiles, elle en était réduite alol's a l'institution du
jury, et sa constitution territoriale, inspirée par les idées féodales,
établissait le partage des terres entre les habitants' males, sous la


t .Tuin 1733. Coll. of Georgia hist. soc., 11, 61 et sqq.
!! l1merican bioyraphy, 2e série, JI, :2!10.
:1 11 nOlls semble que M. B'aneroft a confondu dalls son récit I'émigration des Mo-


I':lves et celle des halJitallts de Salzbourg. Il y en eut certainement deux distinctes,
r,ellcdes Moraves et eelle des habitants de Salzbourg, que I'autellr de la Vie d'Ogle-
tl/Orpe se borne il appeler (les « protestauts de Buvierc pcrsécutvs. »




DEUXI~~ME PAUTm, - LE~ nÉ"ET.nPPE:\TENTS DES COLONTES. 155
charge du service militaire, en exeluant les filIes du droit ü l'hé-
ritage. Une troisiéme disposition défendait l'introduction des es-
claves: « L'esclavage est eontre l'Evangile, » avaít dit Oglethorpe,
« et nous avons refusé, nous propriétaires, de rendre une loi qui
« permit cet horrible tralie. » Trois années ne s' éeoulerent point ee-
pendant sans qu'il y eut des esclaves sur les bords de la Savannah.
Les émigrants anglais, la plupart usés par l'inconduite, n'avaient
point tardé a trouver le travail des ehamps trop dur pour leurs
forees ou leur paresse, et a réelamer des eselaves avee tant d'ins-
tanees, que les eommissaires durent eéder. Tout ce que eeux-ei pu-
rent faire, ce fut d'obliger les maUres, sous peine d'une amende
de einq livres, a donner aux negres l'instruetion religieuse, au
jour du Seigneur, et telle est l'origine du earaetere religieux que
l'on remarquait ehez la population servile de la Géorgie. Les émi-
grants de Saltzbourg s'étaient d'abord opposés a la mesure, mal-
gré l'assuranee qui leur était donnée par un pieux missionnaire
« que les pauvres esclaves de l' Amérique étaient devenus de
« libres eitoy'ens de la eéleste Jérusalem. ») Ils avaient des seru-
pules et eonsulterent en Allemagne. Voici la réponse qui leur par-
vint et qui parut les satisfaire: e' est « que s'ils prenaient des es-
« claves selon la foi et avee l'intention de les eonduire au Cbrist,
« l'aetion ne serait point un péehé, mais pourrait meme devenir
« une bénédiction 1. » Le génie pharisalque de l' Allemagne éclate
dans eeUe réponse : pour peu que les soldats de l'empereur Guil-
laume, qui réeemment enlevaient nos pendules, aient eu la précau~,
tion d'en réserver un eertain nombre pour les temples, il a du se
trouver dan s leur pays quelque piétiste eafard, ou quelque euistre
universitaire, pour sanetifier des vQls opérés a si bonne intention.


Les eolons géorgiens n'eurent pas, il est vrai, le triste honneur
d'implanter l'esclavage dans l~s eolonies amérieaines. Depuis
qu'un vaisseau hollandais, entré en 1620 dans la riviere James,
avait débarqué une vingtaine de noirs, iI y avajt eu des esclaves
dans la Virginie ; il Y en avait au Maryland et dans les aneiennes
possessions hollandaises, OU la eompagnie fondatriee s'était ré-
servé, on se le rappelle, le monopole de leur introduetion, et il


t Hist. polo de.~ Etats-,unú, J, (6" lecon.




156 LES ÉTAT~-UNIS DE L'AMÉntQUE SEPTENTRIONALE.
y en aur;-tit eu au MassachuseUs, si la législature n'avait l'tIl\'o)'é
dans Jcur pays les negres amenés, ({n 1645, par un nommé Tho-
mas Keyser et un nommé James Smith, celui-cí congrégationnaliste
de Boston. Toutefois, dan s la Virginie, l'usage el' employer des
engagés avait longtemps prévalu, et nul ~limat n'étant plus favo-
rable a l' ouvrier blanc, le travail servile s' était maintenu dans des
liÍnites assez étroites. De meme, a New-York, le climat ayait peu
favorisé .les ignobles calculs des traitants de negres ; mais, dans
les Carolines et dans la Géorgie, ce fut tout autre chose. Des
['arrivée des premiers colon s a Clarendon, qui fut le noyau de 1&
Caroline méridionale, sir .Jolm Yeamans s'y était rendu avec ses
negres, et chacun, s'apercevant bientót que ceclim~t chaud et
humide, qui était funeste au travailleur blanc,épargnait le travail-
leur noir, se procura des Africains, apres avoir essaJé, mais vai,..
nement, des aborígenes, q~'aucune l'igueur n'était capable de
ploJer a la servitude, ce qui avait jadis causé leur extermination
a Saint-Domingue. Un navire ycnant de Madagascar mouilla dans
l'un des ports de la colonie et y abandonna un sac de riz par 11a-
sard : on le distribua, et le riz, cultivé d'abord par fantaisie plu-
t()t que par calcul, deyint promptement, ayec {'índigo, la culture
la plus considérable des planteurs. Les conditions de chaleur et
d'humidité réunies qu'elle réclame la rendent, OIl le sait, f01't
malsaine, et cependant la san té des noirs n'ajamais paru en souf-
frir; aussi Je nombre des esclaves s'accrut-il dans une proportion
telle qu'au bout de quelques aimées iIs étaien t deux fois plus Ilom-
·breux que leurs maUres. La culture du coton, qui n'a commencé
de prendre un grand dfyeloppement qlw vers 1790 1, est venue en
aide a son tour a l'abominable il1stitution, tandis que l'annexion
de la Louisiane et du Texas lui a permis de s'étendre et que l'é-
rection en États des territoires d' Alabama, du Tennessee,du Mis-
sissipi, du Kentucky, de l' Arkansas, lui apportaient une nouvelle
force politiqueo


L'esclavage ne s'est manifesté chez aUClln peuple sans en-


f La premiere filalure remonte, dit-o[l, a eeHe annt~e. Elle fut conslrllite a
Pawluc'ket (Rhode-Islantl), par 1'11. Samuel Sia(er. (Engt'1. I'lnduslríf! cotonniere
al/X Etatg--Unis,lG.)




DEUX1ÉME l'AUTlE. - LES UÉVELOPPEMENTS DES COLON1ES. 157
tacho' le caractere de ce peuple et ses meeurs; mais nulle part
antant que dans les colonies de souche anglo-saxonne, le trai-
tement des esclayes n'a été barbare et les lois sur la servitude
inhumaines: c'est une question d'esprit politique et d'esprit rcli-
gieux. Chez les bommes de cette race, l'un est altier et l'nutre, qui
est si propice aux impulsions éncl'giques, ne dispose point, au
meme degré, les ceeurs aux entrainements de la charité et aux
suggestions de la miséricorde. Quoi qu'il en soit de la cause, l'effet
est avéré, et le cocle no ir de Louis XIV parait presque doux com-
paré aux lois serviles des deux Carolines. Le planteur des Antilles
franl)aises et l'implacable patricien de Home, qui cruciflait ses
esclaves ou les jeta it au vi vier pour engraisser ses murenes, per-
mettaient a l'esclave de réunir un petit pécule et lui laissaient la
porte de la liberté ent!,'ouverte. Le colon carol1nien lui avait in-
te1'dit toute p1'opriété et tont t1'a\'ail personnels: il ne pouvait
pour son compte ni plantel' des pois, ni posséder du bétail ou un
cheval. Il y a plus: un acte de 1740 avait déclaré les noirs et leur
descendance en état de servitude perpétuelle, et jusqu'aux der-
nie1's moments de l'esclavage, les affranchissements ont dépendu
du magistrat. Un autre statat vouait ces malheureux a l'ignorance,
et ce qu'il y a de profondément triste, c'est que la logique des
choses avoue toutes ces figueurs dont l'humanité s'indigne et
gémit. Permett1'e a l'esclave d'etre maltre de'quelque chose n'est-
ce-pas, comme M. Laboulaye le dit tres-bien, lui donner l'idée
de la propriété et le pousser au vol, deux dangers dont le second
n'est point le plus terrible? Lui montrer a lire et a écrire, ri'est-
ce pas exciter le mécontentement dans son ceeur et y souffler un
esprit de révolte? C'est ce que le statut de la Caroline avoue nal-
vernent dans son préambule. Les États-Unis ont fini par effacer la
tache que l'esclavage ayail irnprimée a leur civilisation et a leur
caractere. ~alional, tache qui constituait en meme temps une
grande errenr économíque, car on pe saít point assez, pour parler
comme l'UIl des maltres de la science, "« tout ce que la puissance
« productive perd d'énergie et d'habileté par )'insouciance ou le
« mal/vais vouloir de tous ces homrnes abrutis ou irrités, par le
(( sOII~meil de toutes ces intelligences que la liberté et l'intél'ct




'15~ LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
« auraient puexciter et rendre actives 1. » Ce qu'a été le rachat
de cette iniquité, nous le diroIls plus tard, nous bornant a cons-
tater en cet endroit qu'il a été lourd, selon cette loi de l'histoire
qui montre que, pour les peuples non moins que pour les per-
80nnes, l' expiation se proportionne' a la faute ou au crime.


Quelques historiens que l' on a crus sur parole, Robertson entre
autres, ont porté contre la mémoire de Las Casas une accusation
aussi grave qu'injurieuse, ceHe d'avoir été le premier inspirateur
de l'esclavage et du trafic des noi~s.La vérité est que, quand il
vint, en 1517, plaider en Espagne la cause des lndiens, victime~
de la cruauté et de l'avarice de ses concitoyens, Las Casas rencon-
tra chez plusieurs grands personriages, et notamment chez l'éveqUE
Fonseca, Popiniatre persécuteur de Colomb, une résistance invin-
cible a ses plaintes et a ses VffiUX. Ce fut alor::; qu'en l'absence d{
tout autre moyen, il eut l'idée de remplacer les lndiens par de:
negres sur les plantatio.ns du Nouveau-Monde. J. .. es negres, disait-
on, supportaient mieux que les Indiens les rudes labeurs des con
trécs intertropicales; la ou les seconds succombaient par ceno
taines, les autres prospéraient. On ajoutaitque, pour eux, l'esela·
vage n'était pas chose nouvelle, puisque dans leur pays natal 01
le pratiquait sur une va'ste échelle, et que c'était faire meme Ul
acte charitable que de les soustraire, en les achetant, aux mas
sacres presque journaliers dont ils étaient l' objet, quand le nombrj
des captifs exédait lesdébouchés du marchéservile. EJlfin, n'appar
tenaient·ils point a une race doublement inférieure, a une raCj
oondamnée, dans les idées du temps, a une dégradation irrémis
sible? Ces considérations et surtout~ nous le répétons d' apres Herre
fa, l'historien consciencieuxdes lndes occidentalel'l, lemanqued'u'
autre remede déterminerent Las Casas. C'était sans doute failli
a lajustice, qui ne veut pas que le proucfict de l'un soit le douloi
de l' autre, comme dit Montaigne dans une remarque que la cupi
di té et l'égo'isme ont transformée en adage. Mais cette erreur TI
prove,nait point chez La~Casas d'un calcul, et sa vie entiere re
pousse la supposition qu'il eut pu jamais condamner a la servi


i Hossi. Cours d'économie politique, 1, 15c lc\;on.




DEUX1EÍI'lE PAHTlE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONlES. 159
tude toute une large portion de ses semblables. En fait, son
premier voyage en Amérique remonte a. l'année 1502, el une
ordonnance royale avait permis, l'année pl'écédente, d'y intro-
duire des esclaves noirs. A di verses époques, toutes antérieures a
l'année 1517, Ferdinand et Charles-Quint avaient, a cause de la
(aiblesse des Indiens, envoyé des negres traV'ailler dan s les mines 1;
en fin les Portugais, les Espagnols eux-memes, s'il, faut en c;roire
Zuniga, l'annaliste de Séville, n'avaient nuUement attendu la
naissance de Las Casas, c'est-a.-dire l'année 1474, pour se livrer a
la capture et au trafrc des noirs 2 •


Le gout des établissements d'outre-mer, si vif chez les nations
européennes pendant plus de deux siecles, donna bientot un puis-
sant essor a ce commerce d'une nouvelle espece. La traite des
noirs prit les allures du négoce civilisé; les armateurs de bati-
ments négriers ouvrirent des factoreries et des comptoirs, et les
navjgateurs sonderent tous les replis du littoral· africain, non plus
dans l'espoir, comme au temps glorieux des Henri de Portugal, des
Colomb et des Gama, d'ajouter des conlinentsa la carte du monde ,
mais bien de trouver des marchés de bétail humain mieux appro-
visionnés. On ne sait pas bien au juste eombien d'hommes ont été
ainsi enlevés ,de leur pays natal pour étre soumis a la plus dl.lre
servitude ; au calcul de Raynal, ce chiffre, depuis le cominence~
ment de la traite, ne s' éleverait pas a moins de neuf millions, el un
éCl'ivain allemand, M. Albert Hüne, l'a jugé au .. d~ssous de la
vérité. Ce chiffre nous parait exagéré comme HI'a paru'aM. Ban-
croft; quel qu'il soit, il restel'a toujOUI'S trop fort pour l'honneur
de l'humanité, et pour l'honneur particulier de l' Angleterre, dont
les navires, dans une période de cent années, n'ont pas exporté
moins de trois millions de noirs, et dont les marchands n' ont pas
encaissé moins de deux milliards de francs a l'aide de cet infame


/


trafico Par une des clauses du trai té d'Utrecht, clause hon-
teuse surtout pour la .puissance qui l'imposait, la Grande-Bre-
tagne avait obtenu le monopole de l'introduction des noil's dans
les possessions américaines de Philippe V 3. D'apres ses termes;


i W. Irving. The lire uf Culumbus, annexe XVIII.
2 Ilist. of unit. stat., 1, 126.




;j L'Espagne n'avait déja plus assez de marine pour ce transport. Quand il passa






160 LE~ ETATS-UNIS DE L' AMEnl(JuE SEPTENTUIONALE.
Sa Majesté Britannique s'engageait a faire transporter, duns l'es-
pace de trente ans; cent quarante mille lloirs dans les possessiOlls
de Sa Majesté Catholique, a raison de 4.800 par année et de :33 1/3
dollars par tete. 'routes les précautions furent prises pour s'assurer
ce monopole.- Aucun FrarH;ais, aueun Espagllol, en un mot per-
sonne ne put introduire des negres dans l' Amérique dn Sud; des
bords de }' Atlantique a ceux du Pacifique, Sa Majesté Britannique
et les agents de son ChOlX devenaient les seuls marchands d'es-
claves. Aussi bien la reine Anne pouvait-elle invoquer des précé--
dents royaux, puisqu'on avait vu, en 1567, Élisabeth non-seule-
ment protéger les opérations du marchand de noirs Hawkins, mais
encore en partager les bénéfices \. Anne elle-meme s'était réservé
un quart des actions de la compagnie de la mer du Sud, a quí le
monopole fut remis, et ne céda en abandonnant sa part qu'aux
avis de son ministre Harley; mais Philippe V, qui n'avait pas
d'aussi bons conseillers pres de lui, garda persounellement un
autre quart de ces memes actions 2.


A une époque ou la papauté fut souvent l'interprete, quoique
dan s des vues directes ou indirectes de domination c1éricale, des
principes du droit et de la justice ouvertement mépl'isés par h~s
barons, les rois et les empereurs, elle avait pronollcé sur l'escla-
vage Ulle paro]e mémoraule : Cum autem orl1nes liberas natura
creasset, nullus conditione naturce {uit subditus servituti, roila ce
qu'Alexand1'e lIT, un pape du Xlle siec1e, écrivait h un roi de Va-
lence. De meme, l' Améríque protesta~te et puritaine éprouvait
des dout~s et ressentait des scrupules en face de l'esc1avage et de
ses menavants progreso On a vu le Massachusetts malmener les p1'e-
miers im portatcurs d' escla "es noirs, et ne pas et1'e plus favorable a
C(i.S planteurs qui, a l'origine, s'étaient cru le droit de traiter « les
« Indiens comme s'ils étaient des Chananéens ou des Amalécites. »
Cette colonie se montra toujours fidele aux memes répulsions, et


Cll des mains anglaises, le monopo)e dont il s'agit était affermé, depuis huit ans, a
une cornpagnie francaise flui en tirait de gros bénétices. Ménager, notre négociateur,
fit des efforts pour le retellir.


1 Ilist. 01' nnit. sta.t., 1, 131, d'apres Hakluyt, Hewat dans sa Ca.rolina, Keilh
dans sa rÚylnW, .\ndcrson dans son Illstorlj o{ commerce.


2 Hist. al' unit. sta! , 11, 86 f1 l'l 99(j.




DEUX1EME l'AUTIE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONlES. 161


jusque dans la Virginie et meme dans la Caroline méridionale,
on trouvait des colon s tres-disposés a regarder l'esclavage et le
bapteme comme incompatibles, ce qui était le sentiment géné-
ral dans la Nouvelle-Angleterre. Les légistes ¿tnglais intervin-
rent pour combattre une opinion aussi dé favorable aux progres
d'un commerce dont la métropole savait retirer d'aussi beaux l'e-
venus. Yorke, l'attorney général, eL Talbot, le solliciteur général
de la couronne, signcrrnt de leurs mains une consultation des
plus rassurantes pour les consciences timides, qui fut imprimée
a Rhode-Island et répandue partout dans les plantations .. L'Église
anglicane prit le me me soin, et l'un de ses premiers dignitaíres,
Gibson, éveque de Londres, tout en recommandant de traiter les
esclaves « comme des gens qui avaient la meme forme et les
« memes facultés que leurs maitres, » décida nettement que
le christianisme des noirs « n'entamait nullement les droits
« de la propriété civile » (1727). Quant a la philosophie, dévoyée
par Locke, conduite par Mandeville a regarder les vices comme
indispensahles dans la so cié té actuelle 1, ou engagée par Hume
dans le grand com bat du siecle contte la théologie, un pareil
débat la laissait indifférente, et 1'opinion publique enfin n'éprou-
vait aucune impression pénible quand les légistes de la couronne
déclarerent, contrairement a un axiome de notre propre droit
d'alors, que le sol anglais n'avait pas le pouvoir d'affranchir l'es-
clave qui venait a le fouler (1729).


A peu pres au meme moment, il surgissait dans la tete d'un
gouverneur de la Pensylvanie une idée qui, abandonnée alors,
puis reprise et mise en amvre a une qual'antaine d'années
de distance, devait entrainer entre l' Angleterre et ses colonies
américaines un conflit décisif. En 1728, sir William Keith sou-
mit an roi la question de savoir si les droits de timbre né pour-
raieni pas etre imposés utilement aux plantations. Robert Wal-
pole, qui était alors premier ministre, n' était guere arreté par des
scrupules de moralité politique; mais il avait du tact et de la pru-


f Pable o{ the bees or privacte evices made publicbenefits. London, 1714. (Fable
des abeilles ou les vices privés tournés en bénéfices publics.) Une presse éhontée
renouvellc Mandeville en réclamanl, dans l'intéret du trésor et des mreurs, la résur-
rection de la loterie et UtS jelJx.


11




16:¿ LES É'l'ATS-Ul'ilS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTHlONALE.
dence, il n'inclinait point par nature aux mesures violentes, et il
cherchait meme a satisfaire les colonies. Il repoussa done la sug-
gestion, et voici comment il la caractérisait, vers la fin de son
miuistere, dans des termes qui ne sont peut-etre pas exactement
les siens, mais qui a coup sur rendaient ses sentiments réels:
(e J e laisserai le soin de taxer les colonies a d' autres ministres plus
« courageux que moi et moins amis du commerce. J'ai toujours
« eu pour max.ime d'encourager le commerce de ces colonies de
« toutes 'mes forces, en passant volontiers sur certaines de ses ir-
« régularités, en les poussant meme dans la voie d'un trafic
« extérieur de plus en plus florissant. Je me sen s assuré, d'aH-
« leurs, que sí dans une année elles gagnent cinq cent mille
« li"Tes sterling, la bonne moitié de ceHe somme sera entré e
« deux ans plus tard dans l'échiquier de Sa Majesté, grace au
« travail de ee royaume et a l'immense quantité d'objets manu-
« faeturés de tO'1te sorte qu'il exporte. Plus le eornmerce exté·
(e ríeur de l' Amérique s'étendra, plus nos produits y sel'Ont dési-
« l'és, et eette maniere de taxer les colons sera plus d'accordavec
« leur eonstitution et leurs lois j. » Si le systeme suivi par l' An ...
gleterre dans ses rapports avee les eolonies américaines avait res-
pecté la liberté commerciale, de telles paroles auraient mérité
une approbation san s réserve, tant elles expriment avec vérité les
rapports respeetifs de l' échange et du fise, quand la fraude ou la
violence ne les a point dénaturés.


Les gouvernements, comme le disait plus tard Huskisson dans
le parlement britannique 2, ne sont pas édifiés sur leurs vér!ta-
bIes intérets : ils ignorent comment la politique qui accroit le 1'e-
ven u publie en diminuant les tax.es est a la fois savante et com-
mode, et ce qu'ils gagneraient en laissant aux peuples toute
latitude pour commereer avec leqrs voisins. Par malheur, de
telles idée~ n'avaie"!lt aucun cours au xvme siécle dan s le monde
officiel, etl'on connalt déja la série de mesures, aussi répulsives a
la scief!ce qu'odieuses a la morale, qui présidaient aux relations
commerciales de l' Angleterre avec ses poss06slOns transatlanti-


I l/1St. al' !lllit., stnt., 1I, 975.
:l ~L:alH.:e uu :.le; lIlars lb:!,;).




DEUXIEME PARTIE. - LES UÉVELOPPEMENTS DES COLONIES. 163


ques et .qui pouvaient se résumer ainsi : monopole pour la mere
patrie de toutes les matieres premieres que ees eolonies produi-
saient seuI.es ou presque seules, et obligation ponr eeHes-ei de se .
pourvoir exelusivement ehez la métropole de tous les objets ma-
nufaeturés meme les plus vulgaires, meme les plus indispensa-
bles. En d'autres termes, e'était l'enriehissement de l'une et la
spoliation des autres, déerétés tous les deux par voie de regle-
ments et de tarifs, e'est-a-dire de toutes les formes que peut re-
vetir la doetrine eommuniste la plus insidieuse, la plus ha-
bile a mieux masquer son vrai earaetere sous ees mots pom-
peux de patriotisme, de pondération des intérets, de protection
du travail national, dont eeux qui s'en servent ne sont pas dupes,
mais qui exeellent a tromper les ignorants ou les nalfs 1.


L'attention jalouse des monopoleurs était toujours en éveil : en
1719, défense fut faite aux eolons de transporter d'une plantation
11 l'autre leurs ehapeaux de eastor; la chambre des eommunes
porta eelle de forger les fers, et la ehambre des lord s y ajouta la
prohibition d'établir aueune usine hydraulique pour le fer en




barres. L'opposition des eolonies septentrionales fut assez puis-
san te pour entraver le bill¡ mais l'idée ne .mourut point. Neu!'
ans plus tard, il était question d'y revenir, et en 1750, un nou-
vel aete proposait d'interdire aux colon s d'ayoir aueune forge,
aueun fourneau a traiter l'aeier, aueune usine a fendre le fer.
Le parlement se contenta pour eette fois d' exiger un état des
usines de eette derniere sorte qui existaient en Amérique, et de
décider qu'il ne s'en créérait plus de nouyelles, et l'on yerra
qu'ultérieurement eette mesure parut insuffisante. eette mauvaise
volonté se manifestait dans tous les actes du gouvernement et de
la legislature britanniques. Aceordait-on a toute8 les eolonies an-
glaise&, en imitation de ee qu'avait rait la France, le droit de
porter directement leur sucres sur les marehés étrangers, OIl ex-
eeptait de cette fayeur les na vires construits par des Américains ou
possédés par des Américains~ Permettait-on aux planteurs de la
Caroline et plus tard a eeux de la Géorgie d'exporter lenr riz dans


f V. Pro{eclionnisme e! communisme deF. Bastiat. Dans ce pamphlet acéré et
spil'ltucl, comme il savait les faire, la démonslration esl irrésistible.




104 LES ÉT¡\.TS-UNIS DI!: L' AMÉRIQUE SEP'l'ENTlUUNALE.
tous les ports européens situés au sud du cap Finistere, c'était
pour favoriser les colonies du Sud au détriment de ceBes du Nord
(1731), etrien «ne paraissant plusessentielaucommerceanglais
« que les colonies a sucre, » le parlement frappa, en 1733, d'un
droit de neuf pences, de síx pences, ou de cinq shillings, par
gallon ou quinta], les rhums, \es mé\{ll:>l:>el:>, \eB Bucrcs de prove-
nance étrangere importés dans les plantafions 1.


Ignorait·on en Angleterre qu'on excitait aillsi les esprits de
l'autre coté de l' Altlantique, el qu'il était diffcile d'imaginer un
moyen plus sur d'aviver ces idées de séparation et d'indépendance
qu'on commen<;ait a discerner en eux? Il semble plus naturel
de croire qu'avec cet aplomb insolent qui caractérise la force
ignorante, on se tlaUait de déprimer cet esprit et de le tenir en
bride. Toujours esl-il que les progres du 'systeme et la désatfec-
tíon des co]ons marchaient d'un pas parallele.: ou a. ~ur ce point
un témoignage désintéressé, celui d'un voyageur suédois, qui vi-
sita New-York en l'année 1748. « Ces oppressions,») écrivait Peter
Kalm, « ont attiédi l'amaur des habitants pour leur mere patrie ...
(l Il 'm'a été dit, IJon-seulement par des natifs, mais encore des
« émigrants anglais, que dans trente ou cinquante ans les posses-
l( sions britanniques de I'Amérique dU Nord se seront érigées en
« État tout a fait indépendant. Mais, comme le pays tont entier
« est sans défenses du coté des cotes et que les FranQais rendent
«( ses frontieres pen sures, ce dangeretix voisinage est la seule
« cause qui a jusqu'ici empeehé l'attaehement pour la métropole
« de tomber tout a fait. Le gouvernement anglais a done raison
« de regarder la présenee des Fl'an.;ais comme la garantie de la
« soumission forcée des eolons 2. » Pour un homme dont le mé-
tier n'était pas d'en avoir, ce Suédois ne manquait pas de sens po-
litique: il en avait plus que le grand Pitt n'en montra plus tard et
autant que Pelham et le duc de Neweastle, s'il est vrai que ces
hommes d'État, comme on les en aceusait publiquement a New-
York, aienta dessein conduit sans vigueur les opérationsmilitaires
qui précéderent la paix d'Aix-la-Cbapelle.


1 Adam Smith. Richesse des na'tivns, livre IV, chapo v.
:¿ Hist. 8{unit. stat., 1I, 1035.




LIVRE 111.


La Conquete du Canada.


Sommaire : I~TAT MORAL ET :\IATÉRIEL DES COLO~IES EN 1740: Population:
instl'llction publique; le" tlébuts de la prE's~,e et de Benjamin
Frankliú.


LA m¡PTlJRE DE LA PAIX: \Valpole et Fleury également désireux de la
maintenir; l'histoire du matelot .Jenkins; prise de Louii'bourg;
échecs maritimes de la France; paix d'Aix-la-Chapelle.


LES PRÉLl;DES DE LA (}lJERRE DE SEPT AXS : Questions de ierritoire;
Puysieux et La Galissonlliére; Dinwidclie, Jurnonville, George \Va-
shillgton et de Villiers; défaite de Bracldock a la ::\lonongahe1a et
de Dieskau au fort Edward; capitu1ation des Gaspareaux et trans-
portation en masso de;~ Aca(lions; attitucle uu cabinet anglais.


LA GGERRE: Capture du Lys ct de l'Alcid(' et sabie de,~ hátiments (le
commerce frallqais avallt déclaration de guorre; protestatioll de
Louis XV; Loneloull, Abercrombie ct :;\lo11tcalm; victoire tles
Franqais a Chagouen; défaite ti' Abercrombie a Carillon; \Villiam
Pitt aux affair(~s; Amherst et \Vo1fe; prisa de Louishourg; in ves-
tissernent de Quebec; bataille eles plaines el' ADralml11; mort ele
\Volfe et de Montca1m; chute elu Canada.


Vingt-six années d'une paix ininterrompue avaient produit. leurs
bienfaits ordinaires. La population des colonies s'élevait mainte-
nant a,Q37.000 habitants, dont 181.000 noirs t ; leurs libertés s'af ..
firmaient dans les luttes que soulevaient tour a tour les tendances
arbitraires des gouverneurs royaux et la prérogative royale ou
parlementaire, et la culture intellectuelle commen~ait de se ré-


t D'apres les estirnatiollS du burean de eornrneree, en 1727 et en 1754, la pre-
rniere donnant, pour 1727 : 50'2,000 bla¡¡es el 78,000 noirs; pour 1754:
J, HJ'2,89G hfanes et '29'2, 738 noir~.




166 LES ÉTATS-UNIS DI<: r:AMÉRIQUE SEPTENTRIO~ALE.
pandre. Un généreux enfant de l'Irlande, l'évequc catholiqne
Berkeley, augmenta les ressources du coBége d'Harvard, encou-
ragea la fondation a New-York d'un établissement analogue, et
fournit les fonds d'une bibliotheque a Rhode-Island. Aux écoles
et aux coBéges, la presse périodique était venue se joindre, et on
comptait en 1740 onze feuilles publiques dans l' étendue des co-
lonies 1 : l'une paraissait dans la Caroline du Sud, une áutre en
Virginie, trois en Pennsylvanie, une a New-York, et le's cinq autres
dans la capital e du Mássachusetts. Il est vrai que ces feuilles n'a-
vaient pas une rédaction bien variée ou bien hardie; elles racon-
taient seulement les nouvelles du jour, et dépasser ce modeste
cadre n'eut pas toujours été sans danger pour leurs rédacteurs.
John Peter Zenger et James Franklin en firent tous les deux l'ex-
périence. Zenger avait blamé, dans sa feuille, les changements
que le gouverneur Cosby apportait, de son autorité propre, dans
le personnel des tríbunaux de New-York: on l' emprisonna comme
autenr d'un séditieux libeBe, et il compar,ut devant le jury, Au
jour du proces, l'avocat de Zenger, Andrew Hamilton, justifia son
client en affirmant qu'il n'avait ríen dit qui ne fUt la vérité pure;
le juge tui refusant le droit d'administrer cette preuve en favenr
d'un écrit diffamatoire, Hamilton répliqua que les jurés étaient
les appréciateurs souverains du fait et de la loi quí lui étaít appli-
cable. « La cause qui se débat devant vous, )} ajouta-t-il, « n'est
(e point celle d'un pauvl'e imprimeur, ou meme celle de la ville
( de New-York; c'est la meilleure de toutes, la cause de la liberté.
(e I~ s'agit de savoir si tout homme libre a le droit ou ne l'a point
« de combattre l'arbitraire, par la voie de la parole ou de l'écrit.
( J' attends votre verdict en toute confiance 2. )) Elle n' était point
mal placée, comme, en effet, le verdict le fit bien voír (1724).


James Franklin n'eut pas tout a fait le me me bonheur. Il pu-
bliait a Boston le New England Courant et avait pour apprenti


f La premiere de ces feuilles,The Boston News'-Letter, parut le Z4 avril 1704. La
Boston Gazette commenca le ~1 décembre 1719; The American Weekly mercury
(a Philadelphie), le 2'2 décembre de la meme annre; The New England Courant, le
21 aoot 1721 (The Life of Franklin, Ed. 1848, page 23). Cette vie contient I'auto-
biographie de Franklin, contilluée par Jared Sparks.


2 Hist. ofunit. stat" Ir, 983.




DEUXIEME PARTIE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONIES. un
ainsi que pour collaborateur Benjamin, son. jeune frere t qui,
agé de quinze ans alors, débutait ainsi dans la longue et illustr.J
carriere qu'il devait fournir (1721). Un numéro du journal, paru
au mois de janvier 1723, contenait un essai sur l'hypocrisie qui
ne ménageait pas les dures vérités aux pharisiens de toutes le~
sortes, sans application foutefois soit aux personnes, soit' aux
classe~. « La religion est en vérité la principale chose, » lisait-
on dans ¡'un de ses paragraphes; « mais il est pire d'en avoir trop
( que de ne pas du tout eu avoir. Le monde regorge de coquins
« et de vilains ; mais de tous les coquins, le coquin religieux est
« le plus détestable, et les vilenies commises sous le couvert de
« la religion sont de toutes les plus exécrables. Si l'honneteté mo-
« rale ne suffit pas a elle seule pour conduire un homme au ciel,
( il n'en est pas moins certain que san s elle personne n'y saurait
« entrer.» L'assemblée générale, ínspirée peut-etre par quelques-
uns de ces puritains de la vieille souche quí se souvenaient du
temps oil le magistrat aurait su trouver les moyens de supprimer
«, d'aussi affreux libelles,») l'assemblée générale jugea l' Essai rligne
d'une rigoureuse censure et fit défense a son éditeur de rien pu-
bIier désormais, livre ou journal, qui n'eitt re<.;u au préalable le
visa du secrétaire provincial l.


L'histoire a le droit de juger séverement dans Robert Walpole
un homme de mreurs relachées et un ministre moins scrllpuleux
encore dans le choix de ses moyens d'action ou de patronage ;
mais elle lui rendra cette justíce qu'il n'avait pas d'inclinations
beUiqueuses, et que s'H n' eut pas le courage de sacrifler son por-
tefeuille a 'Ses convictions, il fit du moins tout son possible pour
retarder la guerreo (. Il ne faut pas beaucoup d'habileté a un
« homme d'État pour prendre de ces mesures qui rendent une
« guerre inévitable,») répliquait-il au duc de Newcastle; «mais
« combien y a-t-il eu de ministres qui aient connu l'art d'éviter la
« guerre en faisant une paix honorable? ) Walpole avait trouvé
dans le vieux cardinal Fleury un auxiliaire de ses vues pacifiques)
et ce fut a leur disposition cornmune que les deux pays dont ils
dirigeaient la poli tique durent les quar~nte années de paix dont


f lite n{ FrankUn, 27-28 . .James F1'3nklin cessa son journal.




168 LES ÉTATS-UNTS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ils avaient joui depuis le traité d'Utrecht. Aussi, l'une des raisons
qui faisaient le plus désirer au ministre anglaisde ne point rompre
avec rEspagne était-eIle sa quasí-certítude que la Franee serait,
un jour ou l'autre, conduite a prendre part a la lutte. L'événe-
ment prouva la justesse de ces prévisions et de ces craintes. Fleury
n'avait pasapprouvé la promesse d'un secours de cinquante vais-
seaux de ligne que le roi d'Espagne, par la menace d'un~ abdi-
cation, avait arrachée a Louis xv (1740). Quoique douloureuse-
ment ému en apprenant que, malgré la paix qui subsistait entre
les deux peuples, un capitaine anglais avait osé poursuivre et
incendier cinq galeres espagnolt"ls réfugiées dans le port de Saint-
Tropez, le cardinal avait imposé silence a ses impressions per-
sOllnelles et résisté aux excitations du cabinet espagnol t. Mais
Fleury, chef de la politique fran<;aise, avait le droit de surveiller
les agissements d'une puissance peu scrupuleuse, et pouvait diffi-
cilement permettre qu'elle accaparat tout le commerce des lndes
occidentales, en s'emparant des possessions el'un pays qui était
assurément un ami de la France, s'il n'était pas encore son allié
dans le sens strict du terme. Or, chaque jour, la force des choses
tendait a effacer la nuance et a sortir le cabillet de Versailles de
son attitude expectante.


Chacun connait les vraies causes de cette guerre et ]a mise en
scene qui la précérla. Les Anglais avaient le droit d'introduire


. chaque année a Porto-Bello un nayire de cinq cents tOllneaux
affranchi de. tous droits; le navire devint bientót de mille; puis,
on le fit suivre d'une patache qui était censée porter des vivres, et
portait en réalité de la contrebande; enfin 011 finít pél'I' faire faire
a cette patache de si fréquents voyages qu'elle ne cessait d'aller
de la Jamalque a Porto-Bello. Ce n'est pas tout: on voyait les na-
vires contrebandiers de la Grande-Bretagne entrer habituelle-
ment, sous prétexle de détresse, dans les ports du golfe du


f Lord Mahon. History of England from the treaty of Utrecht to the treaty of
Versailles, éd. Tauchnitz,,I/I, 4'24. Daos \lne dépeche du 19 jllillet 1742 adressée au
rlucde Newcastle, Arthur ViIlette raconte que Flcury, en apprenant le fait de Sainl-
Tropez, se couvrit les yeux de ses mains et répéta ces mols a diverses repriscs:
S'i mea credita me trahunt. Villette ajoute que les efforts de Campo-Florida pOUl'
exeiter Fleury resterent inuliles.




DEuxrEME PARTm. - LER DÉVELOPPEMEl'trR DES COLONIES. 169
Mexiqne, et les inonder de lenl's marchandises. Il arriva enfin
qu'un jour les Espagnols, las de ces brigandages, captnrerent un
petit navire <fans les parages du Mexique, et couperent les oreilles
a son patron qui s'appelait Jenkins. « Cet homII1e présenté au par-
« lement britannique ('aconta les détails de sa mutilation avec la
« nalveté de sa profe~sion d de son caraetere : « Messieurs, quand
« les Espagnob m'euren! ainsi mutilé~ » dit-il a l'assemblée, « je
« recammandai mon ame a Dieu et ma vengeance a ma patrie. »
« Ces paroles, prononeées naturellement, exciterent dans toute la
« ehambre un eri de pitié et d'indignation 1. » Ainsi parle Voltaire,
dont le sens historique était tres-su.r quand il resútit livré a lui-
meme, et qlli parait pourtant n'avoir soup'lonné dans eette his-
toire ni exagération, ni invention. « C'était un bien grand orateul'
que ce matelot, » a dit a son tour Villemain, !ton san s ¡ronie a l'a-
d resse de Pulteney el des au tres meneurs de l' ópposition qui com-
uaUait Walpole, et M. Baneroft n'hésite pas a qualifier Jenkins
du titre de eontrebandier, de pirate, peut-etre, eomme a traiter son
histoire de fable, et son mot fameux de réponse qui lui avait été
dictée. Il est eertain que ce ne furent ni les prétentions de la
Grande-Bretagne dans la baie de Honduras, ni le reglement des
frontieres entre la Caroline et la Floride, ni eelui des indemnités
pendantes entre le roí d'Espagne et la compagnie anglaise du Sud,
ni les prétendues eruautés exereées surJenkinsqui déterminere~t
la rupture de 1739. Elle n'eút pas éclaté si les marehands anglais
n'avaient voulu a tout prix foreer l'Espagne a subir la ·vaste con-
tr~bande dont la Jamalque était devenue le refuge eL l'entrepot;
si, non contente du monopole de la traite des noirs qu'elle tenait
du traité d'Utreeht, la Grande-Bretagne n'avait résolu de confis-
quer a son profit tout le négoce espagnol, en ne négligeant,
depuis 1707, aueun moyen d'arriver a eette fin.


Nous n'avons pas a raeonter iei les premiers faits d'armes de
eette guerre qui ne se rapportent a notre réeit que d'une mani4re
incidente: la dévastation des cotes du Pérou par l'amiral Anson,
la prise de Porto-Bello et de Carthagen~ par Vernoú et Went-
worth, et leur attaque infructueuse de Cuba (174'1). De l'aveu des


f Sif}cle de Louú X T V, eha p. VIII.




1'"',0 . • . LES ETATS-U~IS DE L AMERrQUE SEPTENTlIIONALE.
úerivains anglais eux-memes, il en rejaillit peu de gloire sur le
nom britallnique ,el l' expédition de Carthagfme n' aboutitqu' a la des-
truetion des forts de eette place, apres avoi1' couté des sommes
énormes et fami précipiter la rupture avec la France 1. Elle n' eut
lieu toutefois que trois ans plus tard, quand Louis XV, dédai-
gnant l' opiníon de ses ministres et cédant a une haine héréditai1'e
pour la maison d' Autriche, eut déserté la cause de Marie-Thé1'ese
que la Grande-Bretagne avait épousée au contrai1'e, fidele a ses
traditions d'alliance av~c la seconde puissance continentale. Au
mois de février 1744, la fiotte anglaise, rencontrant au large de
Toulon les flottes combinées de la France eL de l'Espagne, leur
livra bataille, et le moís suivant la guerre était décla:r:ée d'une faQon
ofiicielle. A cette date, les hostiHtés éhúent déja commencées en
Amérique: un détachement franc;ais du cap Breton avait. surpris
la garnison de Canseau, détruit la pecherie et le fort, et nos auxi-
liaires indiens avaient faiUi s'emparer d' Annapolis, l'ancien Port-
Royal. Les prisonniers faits a Canseau avaient passé l'été a Louis-
bou1'g ; renvoyés a Boston sur parole, ils y firept connaitre le
mauvais état de cette forte1'esse, ce qui donna l'idée au gouver-
neur de Massachusetts, William Shirley, d'essayer de la réduire.
La législatllre, apres quelques hésitations, souscrivit a ce projet-:
New-York envoya de l'artilleríe, la Pensylvanie des provísions;
le Massachusetts, le Connecticut et le New-Hampshire fourni1'ent
les hommes. Ils étaient au nombre d'environquatre mille, et se
réunirent a Canseau, sous le commandement supérieur de Gpil-
laume Pepperell, marchand du Maine.


M. Bancrofta tracé de cette petite armée une peinture piquante
et pittoresque 2. Dans sa masse, elle se composait d'ouvriers, de
búcherons, de laboureurs, gens familiers d'ailleurs avec les armes
a feu et aguerrís par les surprises nocturnes des Indiens; de pe-
cheurs qui, dans le but d'utiliser les loisirs du siége, avaient ap-
p@rté avec eux 1eurs ustensiles professionnels; d'hommes d'Église


I Lord Mahon. History of England, 111, 67. De dépeches trouvées snr des C:l-
davres cspagnols, il résulterait, selon l'amiral Vernon, que le duc d'Antin, qui
rommanda.it ]'escadre francaise en station dans ces mers, avait recu l'ordr de se
j oindre aux Espagnols, s'i1 croyait la chose opportune.


2 Hist. of unit. stat., 11, 1033-1035.




DRl1XTRME PARTIE. - LES nÉVRLOPPEMENTS DES COLONIE~. '1, t
qu' acéom pagnaientgénéra lemell t leurs femmes et leurs enfants. Les
eonnaissanees militaires n'y étaiént pas bien répandues, et pendant
que les glaces du cap Breton, qui charriaient par grandes masses,
retenaient la flotille de transport a Canseau, les langues se don-
naient libre carriere et les imaginations galopaient. L'un propo-
sait un équipage de ponts volants, pour l'escaladedes murailles
sans le secours d'aucune breche; un autre avait trouvé un moyen
d'annuler les mines; un troisieme, -un ministre, offrait a son gé-
néral, aussi peu expert que lui dans les choses de la guerre, des
plans infaillibles pour l'ouverture des tranchées et le placement
des batteries. Tout a coup, par un brillant soleil~ on vitapparaitre
une eseadre anglaise: c'était celle du commodore Warren, qui
avait récemment décliné de se joindre a l'entreprise, paree qu'il
était san s ordres, mais qui venait d'en reeevoir et se hfttait de les
cxéeuter. On mit a la voile, et le 31 avril 1745 l' expédition arrÍ-
vait devant Louisbourg. La place était ceinte de hautes muraillos,
bastionnées et pourvues d'ouvrages. avancés ; mais la garnison ne
comptait pas plus de t,400 hommes, dont moins de la moitié en
réguliers 1. Néanmoins, l'inexpéríence des assiégeants était telle
que le siége traina beaucoup en longueur, et rien n' eut indiqué
qu'il devait avoir une issue fatale si le commandant Du C\lambon
avait bien connu ses devoirs, et si les troupes n'avaient point été
démoralisées de longue date par l'adminis,tration véreuse de l'in-
tendant Bigot. Le iG juin, la place capitula 2. Les milieiens de la
NouvelJe-Angleterre furent tout surpris de leur sueees: une fois
dans la ville, ils se disaient entre eux que la Providenee avait assu-
rément pris soin de leur en ouvrir elle-meme les portes, et les
Cloches sonnerent a Boston quand arriva le courrier qui portait
l'heureuse et inespérée nouvelle.


Ce futle plusgrand succes des armes anglaises pendant toute la
guerreo L'annéesuivante, le ducd' Anville, qui étaita la tete de gran-
des forees, se proposait de prendre une beBe revanche; mais les


f Dussieux. Le Ganada sous la domination fran~aise, éd. in-8°, p. 56-57.
2 C'est la date de M. Dusssieux, qUl a puisé allx sources orticielles. Baneroft


dorme le 17,mais une petite phrase attestc qll'il a eu en vue l'entrée de I'assiégeant.
Lord Mahon indique le 15, dale qui est pellt-etre eelle des pourparlers de eapitula-
líon.




17'2 LES ÉTATS-UNTS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
íiE~Vl'eS et les tempetes ravagerent son eseadre. n vint a mourir,
et son successeur s'étant suicidédans un acees de fievre chauele,
on n'entreprit rien, si ce n'est une aUaque sur Annapolis, pres-
que aussit«jt abandonnée que commencée (17/17). Enfin, cette
meme année, Anson et Warren entourerent le convoi qui portait
des troupes a Quebec, et le forcerent, malgré une intrépide ré-
sístance, d'amener ses couleurs 1.Au Massachusetts, on. agitait des
desseins d'une bien autre import~nee : on padait d'envahir le Ca-
nada, et les colonies réunies de la Nouvelle-Angleterre votaient
dans ce but un eonting~nt de plus de huit mille hommes. Shirley
avait transmis le projet a'u due de Neweastle, auqueI iI sembIa
sourire : il promit me me une fiotte; mais elle ne vint pas, et .
vers la fin de l'année 1747, les milices provinciales rcc;urent l'ordre
de se disperser. On était alors a la veille du congres d'Aix-la-
Chapelle et du tralté qui porte le meme nom, dont les prélimí-
naires furent signés le 30 avril1748, par le comte Bentinck "p0ur
la Hollande, lord Sandwich ponr l' Angleterre, le cornte de Saint-
Sév~in pour la France. Ce tráité, presque aussi célebre que celui
d'Utrecht, laissait néanmoins bien des questions en litige. En Eu-
rope, apres une grande effusion de sang, apres Lawfeld, Rau-
coux, Fontenoy, les choses se retrouvaient, la paix signée, dans
le slatu qua ante bellum. Seule, la Prusse, qui commenc;ait, sous
un des plus granels princes, mais en meme temps un de~ ÍlOm-
mes les plus pervers q~i aient existé, su carriere ele rapines, ga-
gnait la Silésie et le duché de Glatz, enlevés a l' Autriche. En
Amerique, la France reprenait le cap Breton, et cette restitution
était garantie par une clause, la remise d'otages, tres-dure a 1'0r-
gueil britannique. l\Iais la possession des bassins du Penobscot et
de rOhio reslait contentieuse, et les frontieres de la Floride n'é-
taient pas tracées. Quant a l'Espagne, elle ne renonc;ait point au
droit de visiter les navires anglaís suspectés de contrebande, et
consentait pour quatre années a la prolongation du monopole de
la traite. Toutefois l'Angleterre abandonna bientót ce monopole,
moyennant une inelemnité sans importance.


Cette paix boiteuse était ü peine signée, qu'il devint v.isible


t 3 mai 1747.




DEUXIEME PARTm. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONIES. ' '173
qu'elle n'aurait dans les colonies qu'une durée bien précaire. Une
compagnie virginienne avait obtenu, sur la rive droite de 1'Ohio,
cinq cent mille acres de terre, et l'on se flattait a Londres de s'etre
ainsi assuré l'ascendant dans les vastes contrées qui s'étendent a
l'ouest des Alléghanies, et qui formaient « le centre des posses-
sions bl'itanniques, » comme l'écrivait le comte d'Halifax, pre-
mier commissaire des plantations. Ce dessein, de La Galisson-
niere, qui gouvernait alors a Quebec, s'appliqua a le prévenir. Il
envoya de Coloron de Bienville délimiter la vallée de l'Ohio, et
expulser les trafiquants anglais des territoires miamis, tandis que
lui-meme iI sommait le gouvernenr de la Pennsylvanie de cesser
ses empiétements dans cette direction. Il profitait en meme
temps des bienvei11antes dispositions des Acadiens et du vague
des traités p()ur prétendre que la seule partie cédée de la pénin-
sule était comprise entre le cap Fourches et le cap Canso 1, et
concevait la pensée de transporter ¡;;a population sur ceHe fron-
W~re, comme une barriere opposée aux Anglais. Mais sur ce ter-
rain Shirley avait devaneé La Galissonniere : . il ne s'agissait de
rien moins ponr lui que detransporter les habitants de la pres-
qu'ile dan s quelque partie lointaine des possessions anglaises et
de les remplacer par des colon s protestants. Ce plan avait plu a
New~astle par sa brutalité meme; le duc de Bedford, son suc-
cesseur aux affaires américaines, jugea qu'il suffirait de mélan-
gel' les religions et les races. Ce so in échut a Halifax: il fit appel
a tous les protestants de l'Europe, et l'on vit arriver au havre de
Chebuctoo des MOl'aves allemands qu'attirait l'exemption du ser-
vice militaire; des baleiniers de la Nouvelle-Angleterre que sé-
. .


dui.sait la perspective de larges profits; des matelots et des sol-
dats de marine licenciés que cOllduisait le colon el Edwarrl
Co~nwallis. La cité Ilouvelle prit le nom de son fondateur, et elle
compte aujourd'hui parmi les plus florissantes de l'Amérique an-
glaise (1740).


Ces questions de limites divisaient le cabinet de Saint-James :
Halifax et Newcastle penchaient ouvertement pour les opinions


f r. son llIémoire, fait en compagnie de Silhouette, au 1. J, 97-321, de la collection
des llJ¡;//wires des commissaires du roí et de ceux de Sa JIajesté Britannique, etc.,
br. in- J '2 ; Pal'is, 175G.




174 ~ES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
violentes, mais Bedford contenait a la fois la témérité de l'un et
la pétulance de l'autre, et Pelliam suppliait pm:fois son frere
de ne pas prendre feu a la moindre occasion. A Versailles, le
marquisó de Puysieux, qui dirigeait alors nos affaires étrangeres,
inelinait aussi du cOté des voies accommodantes, el il n'était pas
éloigné de regarder le Canada comme un embarras plutót qu'un .
avantage, tandis que La Galissonniere s'aUachait a, démontl'er
que l'honneur de la France, ses intérets religieux, cornmerciaux,
luí fais.aient un impérieux devoir de conserver et de défendre ses
établissements d' Amérique 1. Il n'avait rien négligé rour leur
protection, et il s'indignait a la seule pensée u'un abandon qu'il
qualifiait de lacheté dans son fol' intériem'. n avait barré l'isthme
de l' Acadie par les forts des Gaspareaux et de Beauséjour; relié
Québec uu Mississipi par une grande ligne de postes militaires
qu i protégeaient le commerce et assuraient les communications
eutre le Canada et la Louisiane ; dressé en avant de cette ligne et
le long de l'Ohio une seconde série de forts destinés a empecher
les Anglais de s'établir au dela des Alleghanies. Un incident vint
fournir aux partisansde la guerre un nouvel argument : un navire
de guerre anglais, l'Albany, captura un brigantin fran<;ais dans
les eaux du cap Sable, et la cour maritime d'Halifax déclara la
prise valable (1750). C'était une contre-partie de la surprise du
fort Lawrence par le capitaine de partisans La Corne, qui avait
eu lieu quelques mois plus tót. Les colons anglais en avaient
accueilli la nouvelle avec une grande froideur, quoiqu'on l'eut
exploitée a merveille, en leur parlant des trahisons incessantes
de la France et d'une illvasion des Peaux-Rouges en perspective;


.


chez nous, au ,contraire, la capture du brigantin excita l'indigna-
tion, ·et l'on n'y parla plus guere de terminer a l'amiable le litige
des lirilites.


qe n'est pas qu'il manquat dans les plantations d'esprits belli-
queux, et de c~ nombre était Dinwiddie, le gouverneur de la Vir-
ginie. Pendant deux années consécutives (1750-1751), l'aventu-
reux ChrIstophe Gist, au nom d'une compagnie virginienne 1 avait
e~ ploré le bassin supérieur de 1'0hio et obtenu des Miamis la


! jUmut're sur les culonics de la, Frunce, dércndJre lijU.




DEUXIEME PARTIE. - LES DÉVELOPPEMENTS DES COLONIF.S. 175
permission de batir un fort au eontluent des deux riviiwes, la Mo-
nongahela et l' Alleghany, dont la réunion forme l'Ohio lui-meme.
Au mois de septembre 1752, des Indiens, BU serviee de la Franee,
a)1ant assailli ce fort, le détruisirent, ainsi que le village qui était a
ses pieds, el firent prisonnier le grand chef des Pienkeshaws, qu'ils
sacrifiiwent et dévorerent ensuite. Sa yeuve confia sa vengeance
aux Anglais, et les Miamis envoyerent a Dinwiddie une charge
de wampum, un erane scalpé et une pipe ornée de plumes, avec
des lettres des riverains de la Maumec et de la Wabash. « Bons
« freres de Virginie,)) disaient ces lettres, « jetez les yeux sur
« nous; ayez pitíé de nous, car nous sommes dans une grande
« détresse. Nos ehefs ont pris la hache de guerreo Nous avons
« tué dix FranGais et deux de leurs negres. Nous sommes vos


, f


« frere~, et ne pensez pas que ce soít seulement en paro les; e' est
« du plus ,profond de notre camr. » L'appel trouva de l'écho
chez Dinwiddie, et l'attaque de Picqua lui fournit l'oceasion d'en-
voyer en Angleterre un mémoire détaillé sur nos envahisse-
ments prétendus (1752). George I1, un des plus tristes princes
qui, aíent régné,. était trop oceupé de lady Yarmouth pour luí
preter une attrntion suffisante; ses ministres ne songeaient qu'il
vivre ou a se supplanter l'un l'autre, quand ils en trouvaient l'oc-
easíon et le temps. Ils auraient bien voulu l'alliance des Anglais
avec les Indiens, mais en laissant les dépenses a la charge des
colonies, et ils parlaient en outre d' établir un systeme de postes~
d'aggraver le régime restrictif et de créer des droits de timbre.
Cependant les Indiens de l'Ohio se fatiguaient de toutes ces indé-
eisions dont ils . s'étaient déja plaints, lors du eopgres ten u a
Albany, l'année préeédente, et dans lequel avaient figuré non-
seulement les ehefs des six nations, mais encore de tribus jusque-
la fort hostiles a eette eonfédération. Dillwiddie réitéra ses ~(}m"
munieations, et le bureau dueommeree, ausein duquell'éloquent
et spirituel Charle's Townshend faisait alors ses débuts politiques;
y ayant cette fois attaché de l'importance, l' Angleterre reven-
diqua la souveraineté de l'Ohio et de toute sa vallée, tout en aban ..
donnant a la Virginie le soin de rendre cette revendication efl'ective.


Diuwiddie accepta la mission. Averti que les FranQais avaient
dabli de nouveaux postes a Waterford ~t ü Venango, et qu'ils se




176 LES ÉTATS-UNlS DE L' AMÉHlQUE SEPTENTRIUNALE.
préparaient a occuper les deux rives de la MOllongahela, il résolut
de se renseígner sur leur situation véritable, et confia cette mis-
sion a un jeune major des milices virginiennes. Il s'appelait
GEORGE WASHINGTON, un nom bien inconnu aIOl:s, un nom que
l' Amérique bénit aujourd'hui el que les deux mondes réverent.
Washington se mit en rout.e, au moís de novembre 1753, accom-
pagné de Gist, d'un guide et de quatre colons. Parvenu á Water-
ford, oil s'élevait le fort Lebmuf, il se mit en rapport avec le Gar-
deur de Saint-Pierre qui le commandait. C'était un officier tres-
brave et tres-integre que les Peaux-Rouges aimaient el craignaient
a la fois ; il refusa de discuter avec ,Washington: « Je suis icí, »
dit-il, « par les ordres de mon général, et ces ordres je m'y con-
(e formerai strictement et de point en point. » Washington repar-
tit emportant la conviction, qui faisait honneur a son coup d'mil
militaire, que la clef du pays contesté était le confiuent de la Mo-
nongahéla ei de l'Alléghany, la fourche de l'Ohio, comme on dít
dans le pays (1753). Quelques mois plus tard, les Anglais cons-
truisaient un fort sur cet emplacement meme, mais il n'était pas
achevé lorsque les Fran<;ais, conduits par M. de Contreco:mr, s'en
emparerent, en luí donnant le nom de fort Duquesne, qui était le
nom du gouverneur du Canada. En ce moment meme, Washiflg-
ton, devenu líeutenant-colonel, mar~hait sur le fort, avec des
ordres qlli lui enjoignaient, selon les termes memes dont se ser-
vait M. Bancroft, « d'en finir, et de faire prisonniers, tu el' ou dé·,
« truire tous ceux qui troublaienl les établíssements britan-
ee niques. » De son coté, de Contrecmur, avisé de son approche,
lui envoya le lieutenant-colonel de Jumonville en parlernentaire.


Le 27 mai 1754, Washington était campé aux Grandes-
Prairies, et y apprenait que les Frall(;ais se rendaient dans
son voisinage. Par une nuit obscure et pluvieuse, avec qua-
rante hommes seulement qui suivai~nt a la file un étroit
sentier, Washington se dirigea vers le campement du chef
¡ndien, quí lui avait le premier signalé leur approche. « Apres
(e délibération, il fut résolu el'aUaquer les envahisscurs. Deux •
« Indiens, suivant la trace des Francais, découvrirent leur
« campement, cachés dans des rocher~. De concert avec les
« chefs M illgO, \Vashiugtou pl'it ses mesures pOUl' les surpl'endl'c.




DEUX.IE:\lE P.\HTlj~. - LES lJÉVELUPPEl\'lENTS DES COLONIES. 177
« Voyant les Anglais s'approcher, les Fran<;ais coururent a leurs
« armes. Feu ! commanoa Washington, et, dormant l'exemple,
« il tira lui-meme sur l'ennemi ..... Une action d'~n quart d'heure
« s' eIisuivita la fin de laquélle dix Fran<;ais étaient tués, et parmi '
« eux Jumonville ; vingt-nn furent faits prisonniers 1. » .


Tel est. raconté par M. Bancroft, cet épisode, qui eut alors un
si grand écho en Europe, autant et plus peut-etre qu'en Améri-
que, et qui a iaissé une ombre sur le grand nom de Washing-
ton. L'historien ne l'a point qlJ.alifié; mais, en omettant le titre
de parlementaire qui n'a point été contesté a J umonville, en di-
sant que « dans les regles de la guerre du désert, un parti caché
est un partí eunemi, )) il a laissé suffisamment comprendre qu'a
ses yeux la conduite de Washington fut irréprochable; et ce coup
de feu « mettant le monde en flamme, » corrimen<;ant « une luUe
fatale aux boulevard~ de la légitimit~ catholique, » le ravit et le
tram;porte. M. Jared Sparks, qui a gardé plus de calme, a été en
me me temps plus explicite: sans contester que Jumonville fút un .
parlementaire, il allegue qu'il s'acquiUa de sa mission en termes
presque insolents, et conclut en somme que Washington fit son
devoir, et le fit de fa<;on a m)3riter les louanges qu'il re'iut plus
tard du gouverneur et de la chambre des bourgeois de la Virgi-
nie 2. En Europe, le mot de guet-apens fut prononcé, et le lourd
Thomas fit, sous le titre de Jumonville, une sorte de p8eme épi-
que que le nom meme de Washington n'a pu empecher de tom-
ber dans les catacombes de la littérature. Au Canada, l'impression
avait été ,si vive, que Duquesne écrivit au ministre de la marine,
el qu'il avait infiniment pris sur lui de ne pas tout mettre a feu
« et a sang apres l'acte d'hostilité indigne commis sur le sieur de
« Jumonville 3.» L'écrivain fran<;ais ·a qui nous empruntons ce
d~taiI convÍent qu'a la distance ou I'on est de eévénement, il est
difficile de discerner la vérité et de s'assurer s'il y eut seulement
entrainement juvénil de la part de l'officier virginien; ou bien
un calcul fait parles colons anglais de frapper un de ces coups
qui rendent tout recul imp'ossible. Il rappelle que Contrecamr,


iRist o{ unit. sta.t., m, 83:84.
:.! Vie, correspondance et écrits de' Washington (éd. franc.), J, 57-58.
3 12 octohre 1754 (Archives de la marine).


12





178 , , , LES ET/lTS-UNlS DE L AMElUQUE SEP'l'ENTlUONALE.
dans sa dépeche du 2 juin '1754, parle d'une interruption du .fcu
~ur l'observation des Franc;ais « qui demandaient a dire quelque
« chose, » et de Jumonville, tué pendant qu'ils lisaient les som-
mations dont celuÍ-cí étaÍt porteur. Il cite une lettre de l'abbé
de Lisle-Dieu, vicaire général de la Nouvelle-France, qui confirme
ces faits, et le témoignage également conforme des Canadiens
Jean-Baptiste Berger et Joachim Parent, faits prisonnie's dans la
reneontre et envoyés plllS tard en Franee t. Quant a Washington,
iI a répondu que, pour lui, la guerre existait, puisque les Fran-
c;ais s'étaient emparés de son enseigne Ward; qu'ils étaient ac-
courus en armes, et que Jumonville ne fit point de sommation.
Dans sa lettre a Dinwiddie, il prévoit « l'audace qu'auront ces
« gens-la de réclamer les priviléges dus aux ambassadeurs, lors-


- « qu'en bonne justice ils devraient étre pendus comme des espions
«- de la pire espece.)) De cet ensemble de faits et de témoignages,
iI nous semble résulter qu'il n'y eut pas guet-apens dans cette
malheureuse affaire, mais seulement une de ces violations du
droit des gens qui étaient, on doit le reeonnaitre, fréquentes sur
les frontieres, et qui d'habitude y passaient inaperc;ues. Dans tous
les cas, les lignes que nous citions tout a 1'heure paraissent bien
dur~s quand on se souvient que Washington avait aceepté, l'an-
née préeédente, une mission d'un caractere au moins aussi équi-
voque qu~ eeHe de Jumonville 2.


Au surplus, l'acte de Washington, quelque nom qu'il mérite,.
ne resta point sans représailles. Il s'était retiré aux Grandes-Prai-


. ríes, dans les grossiers retranchements du fort Nécessity, que dé-:-
fendaient dix pieces d'artillerie ; le 3 juillet, il s'y vit assailli par
six cents Fran~a~s 3 ,que cemduisait le capitaine de Villiers, frere
de l'infortuné Jumonville. Apres un combat de dix heures, Vil-
liers, qui eraignait de manquer de munitions, prit lui-meme l'ini-
tiative des pourparlers, et, le lendemai.D; Washington quittait 18
fort Nécessity ave e armes et bagages 4.


t Dussieux. Le Canada sous ~a domination franfaise, 61·63.
2 C. de Witt. llistoire de Washington, 25.
3 C'est le chiffre de M. Dussieux. BanclOft y ajuute 100 Indiens; lU. de Witt,


plus libéral, parle d~ 1,500 .hommes.
" M. Uussieux a uonné le tcxte ficme tic la capilulation (p. üf¡); Washinpton y




DEUXIEME PAHTlE, - LES DEVELOPPEMENTS DES COLONlES, 17~
Il Y avait a peine quelques jours que t01,ltes les colonies situées


au nord du Potornac s' étaient rassemblées en con gres a Albany.
La guerre avec la France était devenue imrninente, et l'objet de
cette réunion était de cóncerter une mesure de défense. Elle fit de
nouveaux efforts pour se concilier l'amitié des Six-Nations et les
entrainer dans une ~lliance. Les Peaux-Rouges n'y répugnaient -
pas, mais ils trouvaient les colons trop tirnides: « V oyez les
« Fran.;ais, » leur disait Hendrick, 113 grand chef des, Mohawks,
« ce sont des hornmes, ils De fortifient partout; mais vous autres,
« j'ai honte a le dire, vous etes comme des femmes, sans aucune
« défense. Il n'y a qu'un pas d'ici au Canada, et les Fran.;ais
« peuvent aisérnent venir et vous chasser, ») Au fond, les Six-Na-
tions étaient irritées de l'usurpation de leurs territoires, et, maUres
pour maitres, elles préféraient les Fran.;ais. On s'occupa concur-
remmentd'un plan d'union des colonies dont Franklin était l'au-
teur: il s'y agissait de remettre leur administration a un président
général qui serait choisi par la couronne, et leur législation a un
grand conseil qu'éliraient les législatures des diverses coIonies.
Ce plan donna líeu a de Iongs débats; a la fin le COIIgres l'accepta
et en transmit deux copies, l'une a~ bureau du cornmerce, l'aufre
aux législatures locales. Des deux catés, iI rencontra son écueil:
les législatures furent unanirnes a le rejeter parce qu'elles y trou-
vaient trop de prerogative, tandis qu'en Angleterre, on le jugeait
beaucoup trop démócratique. Le bureau du commerce en retint
néanmoins quelque chose: ce hit la pensée de réunir les gouver-
netlrs de provinces et quelques membres de leurs conseils res-
pectifs en un comité dont les attributions seraient de poul'voir a
toutes les dépenses militaires qui seraient directement payées par
l~ tnétropole, sauf a les rejeter ensuite sur les colQnies, au moyen
d'une taxe votée par le parlement britannique 1. On se flaUait


. '


" est appeté Le major Wachemston, et dlns deux articles, 1 et VII, la mort de Ju-
monvllle est qualifiée d'3ssassinat: pour venger t'assassin (sic) de M, de Jum~n"
ville, dil I'art. le,', Wasbin~ton ne savait pas le francais; on, lui interpréta, dit
l\IJ, Bancroft,.les terme, de ea,itul aUOIl, et d'apreiJ' l'interprótatiQD, as in,terpreted;
illes accep.ta (III, 86), I1 est pel,l prpbable que l'instrument lui .ait été traduit dans
toute S3 teneu!'. ,


, fl'anklill, Autobiography, 179'. Le plan lui·meme se trouve au t. 111, p. 22"-
55 de scs écrits, dans I'cdition donnée par Jared Sparks.




1 t)O LES ÉTATS-U.'HS DE L'.L\lI~jWJlJE SEPTENTBlUi'lALE.
ainsi d'assurer· aussi bien ces ser vices et de n~ pas ouvrir une
nouvelle issue a l'esprit d'indépendance qui ne cessait de souffler
sur l' Amérique ..


Les premiers mois de l'année 1755 y virent un singulier spec-
tacle: les deux nations étaient encore en paix, et elles échangeaient
des coups de canon sur lTIer comme ~ur ter;'e: La 'France avait
envoyé des renforts au Canada, sous la conduite d.u vieux baron
de Dieskau : le 7 jUi~l au soíl' deux des vaisseaux qui les portaient,
l'Alcideet le Lys tomberent dans l'escadre de Boscawen, au large,


'- ,


du cap Race, a la poínte méridionale de Terre-Neuve.Le g au matin,
. , , ~.


l'Alcide se trouvant a po.rtée de voix du Dunkcrq'tte, que comman-
dait Howe, le héla, en lui demandant si l'on était toujours en paix.
Ouí, nous, y sommes; telle fut la réponse de Howe·, et quelques
heures apres l' Alcide el le Lys se trouverent néanmoin's amarinés,
tandis que .Ie reste du eonvoi entrait dans le Saint-Laurent et y
déposait le marquis de Vaudreuil, qui remplaliait Duquesne a
Quebec. Il y avait plus de deux mois déja que (le son coté, Brad-
dock s'était mis en marche, par la voie de Ü'rrc. Draddock était
un vieux soMat, gourmé et plein de sUffiSa1~!e, qui ánnon~ait a
Londres des succes certains e!1 aUant j usqu' ¿t leal' assigner une
d~té. Il avaitservi dans les Flandres sous les ordres du duc de
Cm¡nberland, le duc Boucher, comme OIl l'appelait depuis les
massac!'rs juridiqUfS qui avaient suivi la balaille de Culloden, et
ne manqllait pas cie cOllnaissances techniques; mais ríen ne l'avait
prép~ré a la. guerre d'omlmscades et de surpriscs, telle qu'on la
pratiquait en Amérique. « Lorsque j'aul'ai p\'í~ le fort Duquesne, »
disait-il a Franklin,qui était aBé le voir ü Freder.ickstown, afin
de dissiper quelques préjugés qu'il avait con~us corrtre les co-
lons, « j'irai a Frontenac, car j~ nesuppose pas que ce f~rt puisse


,« me retenir plus de trois ou quatre jours, et de la je ne prévois
« ríen qui puisse ~rréter ma mar~he jusqu'a Niagara.» Franklin
ne conteslaít 'pas qu'avec une' a~ssi llelle armée on n'eut facHe-


. t C'est la versi9n francaise, quiestconfirmée. pái/l«orace Walpole uaos ses Me-
moirs o{ the reign o( George JI, puhliés en 1~46 par lord Holland, Ir, 189. Ban-
Ct'uft y joint l'opinionconforme de Barrovi",le biographe de Howc. Lord Mahon dit
que Howe avertit les Francais de se préparer a combattl'c (IV, 4~), mais n'indique
point de sources.




nEnXll~MIi: PATITIE, -- LES j)J::VEL()PPEMENT~ nES r.OLONTE:;;. 181
ment raison du fort lJUqllCStW, :;¡ on arrivait dt'yrtnt lui ; mais ii
s~ souvenait de l'invasiol1 des Ft'an<)ais chez 1t~s Cl1id.asas, de la
mort de d'Artaguette, et cl'aigIHlit Sur la mute l~s embtlChes des
Indiens, forf experts a les fendre. Le général souriait de l'ignorance
de Fl'anklin, et lui répliquait « que les sauvages pouvaient etre
« redoutables pour des miliciens sans expérience, mais qu'ils


,« étaient bien incapables de faire la inoindre impression sur les
« troupes régulieres et disciplinées du roi 1. » Avec tout cela, il
n' en mit pas moins de vingt-sept jours a faire le trajet el' Alexandrie
a Cumberland, et plus de lenteur encore dans sa marche de Cum-
berland a la fourche de 1'0hio, En Angleterre, on ne le trouvait
guere « impatient de se faire scalper, » tandis que son insolence
l'évoltait les milices amél'icaines et que vVashington portait sur
ses talenJs militaires un arret séver~, mais mérité.


- Enfin, le 9 juin au matin, Braddock se trouva a douze milles du
fort Duquesne; deux avant-gal'des et düs flanqueurs ouvrant sa
'marche; le gros de l'armée suivait avec l'artillerie et les bagages.
On entendit tout a coup .un feu de mousqueterie vif et bien nourri :
la tete de colonne de Braddock était tombée dans une embuscade
franc;aise, commandée par Beaujeu, Dumas et Lignery. Culbutée
bientót, elle se replia sur le corps d'armée, en abandonnant deux
oe ses pieces. Braddock se portant alors en avant de sa personne,
ouvrit un feu d'artillerie assez inoffensif, mais qui intimida ce-
pendant les Peaux-Rouges. Beaujeu venait d'etre tué, el déja les
Anglais poussaient des hourras de triómphe, lorsque Dumas,
ramenant les Indiens, les repoussa, et le combél-t devint une bou-
cherie affreuse. Sur quatre-vingts officiers anglais pu américains,
vingt-six furent tués et trente-sept blesssés. Braddock,atteint
mortellement, avait eu cinq chevaux tués sous lui et Washington
échappa, comme par miracle, ayant rec;u quatre balles dans ses
habits. Quinze caIlons, la caisse de ,l'armée,tous les. papiers de .
son général, parrili lesquels son plan de cay;npagL(" tl,'ouyé sllr
son cadavre, resterent aux mains des vainqueurs1 • ~(NOl¡.-¡ : \'nns
étébatt.us, honteusement battns,» écrivait Washington, et ii aya::
raison. Si les milíces virginiennes, en eft'et, avaieñt montré un


1 A u{o/¡inr/rnphy. 190-1 q 1.




182 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTHWNALE.
grand courage et s'étaient fait massacrer presque jusqu'au der-
nier homme, les troupes réguljeres, terrifiées par les hurlemenls
des sauvages et déconcertées par leur mode de combattre, ne
firent preuve ni de sang-froid ni de constance, et loin d'obéir a
leurs offipiers qui voulaient lel' rassurer, par Ieur parole et ieur
exemple, elles finirent par leur tirer des coups de fusil par der-
riere 1 !


Ni la dé faite dans laquelle Dieskau, imprudent malgré son age,
trouva la mort, quelques semaines plus tard, frappé par la baIle
d'un transfuge canadien, ni la prise des fofts des Gaspareaux et
de Beauséjour, ne compenserent bien le dé sastre de la Monon-
hagela, si peu attendu des colons qu'ils préparaient des réjouis-
sanees publiques en l'honneur de la chute du fort Duquesne
quand ils l'apprirent 2 • Aux capitulations des Gaspareaux et de
Beauséjour se rattache un des plus mauvais souvenirs, disons le
mot vrai, une des infamies de la politique anglaise. L'une el.
l'a~tre portaient amnistie en faveur des Acadiens que la France
aUl'ait enrólés de force a son service; mais le cabinet de Saint-
James, trouvant que le moment était propice pour punir ces
populations de 1eur attachement invétéré a leur ancienne métro-
poI e et a leurs anciennes croyances, décida qu'elles seraient
transportées en masse sur un autre point des possessions britan-


\


niques. A gir de force semblait impossible : on reCOUl'ut a la ruse
et une proclamation, qui fut publiée partout le meme jour, invita
les Acadiens a se réunir, a un moment donné, dans leurs divers
villages. Ils obéirent, et quand ils furent réunis les officiers an-
glais les informerent que leurs terres, leur bétail, leurs provi-
sions devenaient la propriété de la couronne; qu'ils allaient
quitter leur pays et qu'ils devaient a la seule houté du roi d'em-
por ter avec eux leur argent et leurs méubles, de fa<;on toutefois
a ne pas encombrer les batiments de transport. Le 10 septembre,


f Du~sieux. Le Cana da, etc., liS-6\;!. - .J. Sparks. Vie, correspondance et
écrits, 1,76-83. -Hist". o{unil. stat.,'I1I, 13'2-134.- Hist o{Engl., XV, 48-49


2 L'échec de Dieskau e~t du 7 :;;eptembre 1755; la capitulation des Gaspareaux,
mal défendus par le eomrnandant de Vergor, remonte au 12 juiu. Sur It:s réjouis-
sanees projclées, voir les eurieux détaifs donnés par Franklin (Autn/Jioyraphy, 194-
HJ5).




D1wxubIE PAfiT1E. - LES OÉVELOPPK"IENTS DES COLONIES.l~3
fut le jour 1lxé pou!' l'embarquement, el s~pt mille perso~nes se
trouverent ainsi bannies de leurs foyers et de leur sol natal.
« Je ne s'ilis, » a dit M. Bancroft, « si les annales de l'humanité
« conservent le souvenir d'une peine aussi cruelle, aussi injuste,
« aussi durable, que ceHe qui fut infligée aux habitants franc,;ais
« de l' Acadie. C!.. Nous avom;; été fideles a notre religion, c1isaient-
«( Hs, et fideles a nous-memes; et pourtant la nature semblc nous
« considérer comme des objets de vengeance publique 1. >.1


De nos jours, la poésie, qui tantót devanee les arrets de l'his-
toire, tantót les consacre, a flétri, a son tour, cet acte abominatle
e1'un gouvernement cruel a force d'impéritie et d'impuissance.
Par un bel effet de l'art, par malheur trop conforme ici a la réa-
lité, Henry Longfellow a placé les tableaux riants qui OU\Tellt
son Évangeline, dan s le village acadien de Grand-Pré, a la veillo
des scenes éplorées qui suivirent l'ordre de confiscation et
d'exil.


Les actes militaires que l' on vient de raconter pouvaient tetre
présentés a la grande rigueur, les uns comme des mesures défen-
sives, les autres comme la conséquence d'un état de chpses tres-
incertain et tres-troilble; mais que dire de l'ordre donné aux
capitaines de Sa Majesté Britannique de courir sus aux bfttiments
d~ commerce franc,;ais, la dénonciation des hostilités n'ayant pas
encore eu lieu par voie officielle ? Ces instructions furent tracées
a sir Edward Hawke, au moment ou il allait prendre la mer a la
tete d'une flotte puissante : di son s de suite qll'elles donnerellt
Heu a des divisiofis au sein du conseil de régence, car Georges II
n'était point alors en Angleterre, mais des divisions qui trahis'-
saient moins le scrupule que l'hésitation ehez les .uns, la versati-
1i~é. chez les autres. Chacun des membres qui formaient le conseil
y resta fidele a son propre caractere ou a ses habitudes profes-
sionneUes.Le duc de Cumberland, toujours disposé aux mesures


, violentes, fut d'avis de déclal'er la guerre sur-le-champ el de,
frapper le premier ' coup; le chancelier Hardwicke, quoique
homme d'nbe grande fermeté, Opil1a en légiste qui n'aime point
a conduire une canse asa solution immédiate, et le duc de New-'


,1 Hist. o{ullit., stdt., 1Il, 145.




184 LES Í~TATS-lJ"'IS DE r:AMí~RIQT1E SEPTENTRIONALE.
eastle, ondoyant et pusillanime eomme de eoutume 1, ne ehercha '
qu'a éearter l'orage jusqu'au dernier instant et it dégager sa res-.
ponsabilité p·ersonnelle. Aussi les premiers ordres' donnés
portaient-ils que Hawke, attaquerait la fiotte fran~~aise si elle
venait a tomber rlans la sienne, mais san s poursuivre les vais-
'seaux isolés et sans donner la chasse aux navires de commerce,
tandis que les derniers lUf ordonnuient de eourir SllS a tout bAti-. ,
ment fran~ais, de guerre ou de commeree, qu'i! reneontrerait
entre le cap Ortegal et le cap Clear 2.


L'opinion de l'historien auquel on emprunte ces détails, e'est
qu' en Angleterre, la bonne volonté de maintenir la paix ne fut
pas tres-grande, et M. Balleroft a pense que dans tout le cours de
ses négociations Newcastle amusa la Pompadour, 'et ql,le Louis XV
seul montra de la sincérité. Le due de Mirepoix avait été jusqu'a
proposer l'abandon du pays situé entre 1'Ohio et les Alleghanies;
mais l' Angleterre exigeait la 'destruetion de tous nos forts jusqu'a
la Wabash, avee la reddítion de toute la péninsule aeadienne et
une large bande de terre le long de la baie de Fundy et de


,l'Atlanti(1!Ie. Meme apres l'exéeution des ordres donnés a l'a-
miral Hawke, qui avait fait essuyer a notre eommerce des


\


pertes supérienres a trente millions, Louis XV tenta un dernier
effort. Le 21 décembre 1755, Rouillé, son ministre des affaires
étrangeres, demanda « la restitution prompte et entiere de tous
« les vaisseaux fran9ais tant de guerre que marchands qui, eontre
« toutes les lois et toutes les bienséanees, avaient été pris par la
« marine anglaise. » La réponse du eabinet de Saint-James par-
vint a Versailles le 13 janvier 1756 : elle était COIl9ue en termes
modérés, mais positifs, desqucls il résllltait q1:1'aUeUne restitutioll
n'aurait lieu tant que la' ehaine des fOl'ts 'établis au nord-ouest
des Alleghanies existerait3. Cette répollse, e' étai t la guerrc en


J
i Voici des vers satiriques tle sir Charles Hanbury Williams sur ce persunnage :


« 11 ne promet quelque chose que puur mentir ü sa promesse ; infidele a tout si ce
« n'est a ses propres fins, c'est pour ses amis l'ennemi le plus cruel; mais, pOul' un
f( ellnemi déclaré el irréconciliable, il se montre obséquiel1x, souple, rampant et
« baso La fourberie remplace chez lui le talent; la trahisoll et le mensonpe, voilil le
« meilleur de son habileté. )) (Hist. of unit. stat., JJI, 113.)


2 Hist. of EngL, IV, 49-50.
:.J De Montcalmlen Canada,war un aneien missionairc. Bon OUVl':1pC oil il ya <le




"


DRl1XI~;MR PARTIE. - LE~ n~;VELOPPE?lmNE5 DR~ COLONIES. 1 ~j
droit qui allait suceéder h I~ guel'l'C en raít; elle fut proclamée
en Angleterre lc lH mai, el cn France le 1G juin seulement.
. Elle allait mettre en sdme de nouveaux acteurs, Abercrombie,
Bradstreet, le eomte de Loudoun, pour l' Angleterre ; Bourla-
maque, Levis, et le roarquis de Montcalm, pour la Franee. Aber-
crombie n'avait aueune vigueur ; l'indécision était le trait domi-
nant du caracü3re de Londoun,que le Pensylvanien Innis comparaít
plaisamment au Saint-Georges des enseignes de poste, « toujo.urs
a ·cheval et jamais en route 1 ; » Bradstreet seul avait, avec de
sérieuses connaissances techniques, de 1'entrain et de l'audace.
Bourlamaque était un excellent officier d'infanterie; M. de Lévis,
depuis duc et maréchal de France, était courageux et infatigable,
et il y avait dans Montcalm l'étoffe d'un vél'itable homme de
guerreo Loui5-Joseph·, marquis de Montcalm-Gozon, était né le
28 févl'ier 1712, au chuteau de Candiac, pres de Nimes, et 8ppar-
tenait a une ancienne famille du Rouergue. Admis dans l'armée
a l'uge de quatorze ans, il servit d'abord dans le régiment de
Hainaut-infanterie, et .y acquit le grade de capitaine, qu'il avait
encore lorsque la glierre de la Succession s'ouvrit. Il suivit son
régiment et prit a la belle retraite d~ Prague une par! active qui
lui valut le grade de colonel du régiment d' Auxerrois-infanterie.
On était alors en 1742, et quatre aos plus tard, Montcalm rece-
vaH trois blessures sous les murs de Plaisance. Au col de l' As,:,
siette, il re~ut deux nouvelles blessures, et obtint a la paix le
rang de mcst1'c de camp, en récompense de sa beBe conduite pen-
dant la campagne qui aboutit, sous la direction du maréchal de
Belle-lsle,. a l'expulsion des Autrichiens et des Piémontais enva-
hisseurs de la Provence. En 1755, toutes les correspondan ces qui
venaient 'clu Canada s'accordant a depeindre sa situation comme
tres-critiq,ue et a réclamer un général qui n'eút pas seulement
de l'expérience militair~, mais encore de Ta pl'obité, de la fermeté
et du tact, la cour jeta.les yeux sur le marquis de Montcalm 2. On


1I0nnes informations. Il a été publié en nelgique ~t s'est égaré dans une de ces biblio-
tlu!ques historiques el nutres oil les cléricaux ne ménagent pas plus, en général,
la vérité que le bon sens ou la grammaire,


1 Franklin : Autobiography, 219.
, .


:1 ~fercure de France, janv. 17CO. On a des raisons de croire que la notice Sllr::........l __ ~_
a..\.' ~-) r l! C'
~'v ',1 ~


.


I




1 ~~() LES J~TATS-UNIS DE L'A~n::flIQ[JE SEPTENTRJONALE.
le nomma a ceUe occasioll maréchal de camp et on lui dOllna
ponr premier aide de camp J3ougainville, qui était alors capitaine
de dragons et qui devait devenir quelques années plus tard une
des gloires maritimes de la France.·


Montcalm prit terre a Quebec le 13 mai 1756. Abercrombie
occupait en ce moment ave e 10 ou 12,000 hommes l'abord sep-
tentrional du lac du Saint-Sacrement, aujourd'hui le lac George,
un peu en avant du fort' Edward ou Lydius, et·semblait ne pas sa-
voir ~'il prendrait l'offensive, ou s'il attendrait dans c~tte position
le choc de l' eunemi. ·Montcalm mit a profit cette hésitation pour
porter un coup vigoureux dans 'une ~utre partie,et prit pour ob-
jectifle poste de Chouagbuen ou d'Oswego, dans le hassin du lac
Ontario. Il comprenait, trois' ouvrages, le fort de Chouagouén,
sur la rive gauche de la riviere dll meme nom, pres de son em-
bouchure dans le lac, le fort Ontario en face et le fort George en
avant de Chouagouen. 11 datait de 1728, et les Anglais, en l'éta-
blissant, s'étaient proposé un double but : accaparer le commerce
des lacs et couper la colonie par le centre, en isolant la Loui-
siane du haut pays. Montcalm réunit un petit corps d'envi'ron
3,000 homIlles, soldats du roi, miliciens et Peaux-Rouges, avec
22 pie ces de canon, et Je 14 aoút, apres deux jours seulement de
tranchée ouyerte, les deux forts de Chouagouen et George capi-
tulaieút. On y trou va 123 canons, d'immenses approvisionnements
en munitions de guerre ou de bouche, et des drapeaux qui al-
lerent décorer lr,s églises de Montréal, de Quebec et des Trois-
Rivieres, tandis que Webb, au lieu de secourir la place, regagnait
piteusement Atbany 1. Le grand résultatde cet audacieux coup de
main fut de déjouer le plan de campagne que s' étaient proposé les


- Anglais et d'arreter brusquement leurs entreprises offensives. La
llécessité ou se trouvaiellt les Canadiens de reprendre la charrue,
apres avoir manié le fusil, ne pei'mit pas a Montcalm d'en ten ter
davantage; mais il passa l'hiver a préparer .I'expédition qu'il mé-
ditait- pour l'année suivanie, et qui avait pour objectifle fort Wil-


Montcalm, qui est imérée dans ce numéro, est de Doreil, cornmissaire général des
gllerl'es dll C:mada.


f JJontcalm en Canada, 32-41.




DEUXLEME PARTIE. - LE:-'- DJ~VELOPPK\mNT~ DES COLO.'ilES. 187
liam-Henry, dont la possession rendait les Anglais maUres uu
lac George. Au mois de juillet, Montcalm réunit ses auxiliaires
sur les bords de ce lac : .. toutes les tribus riveraines du Michigan
et du lae Supérieur étaient représentées a cette réunion, ou le
don d'un chapelet de six milles coquilles, le plus solennel de
tous, seellá l'allianee franco-indienne 1. Le 1 er aout, le corps
expéditionnaire s'embarqua sur le lac George, avec une qua·
rantaine de canons ou mortiers; le 3 il débarquait, et le lende-
main le fort William-Henry recevait sommatipn de se rendre. Le
lieutenanl-colonel Monro, qui le commandait, fit une belle ré-
ponse, et les opérations commencerent, pour seterminer le 9
par la capitulation. du fort. Le général Webb, qui se trouvait au
fort Edward avec un corps de 4,000 hommes, sans parler des
milices du voisinage qu'il pouvait facilem:ent convoque1', n'avait
rien fait pour secou1'ir les assiégés : iL s'était contenté d'écrire a
Monro une lettre dans laq uelle illui conseillait de capituler 2, con-
seil qu'a son honne~1', Monro ne suivit qu' apres la mise hors de
se1'vice de son a1'ti11e1'ie p1'esque entiere.


La capitulation accordait aux assiégés la libre sortie avee les
honneurs de la guerre : pour la leu1' 1'end1'e inviolable, Montcalm
la communiqua aux chefs indiens qui la consentirent, et con-
naissant le terrible effet de l'ivresse sur ces natures sauvages, il
eut soin de leur souslraire les boissons fortes trouvées dans le
fort. Dans l'espoir sans doute d'adoucir les Indiens, quelques offi-
ci~rs anglais eurent moins de prudence : ils leur dist1'ibuerent du
rhum, elles sáuvages passerent la !luit dans une orgie bruyante.
Leur _exaltation inspirant aux Anglais de l'inquiétude, ils prévin-
rent l'heure qui aV1;\it été fixée pour leur propre départ, et se mi-
rent en route vers -les six heures du matin. Ils connaissaient mal
l'esprit cruel et vindicatif d!] Peall-Rouge; les Abenakis de Pe-
naouské, en Acadie, leurs ennemis invétérés, avaient déja pris
les devants et les atlendaient embusqués sur la route. Le convoi
anglais formait une 10ngue ligne, et sa marche, qu' entravait un




f V. dan s Montcalrn en Canlfda, 65 et sqq., ou daos les Lettres édifiantes, une
leltre tres-eurieuse flui doit elre du P. Roubaud, missionnaire des Abenakis.


21JoYf,!calm, rte.; 81-91. - Ih'.'it. o{unit. stat.; 186-87.




I x8 l.ES ]::nTS-ni'íIS DE J:Ai\TI~RJ()T:E SEPT.ENTRJOi'í.\LE.
grana nombre de femmes eL d'cnfants, était lente. Tout a coup
les sauvages se' montrent; ils commencent par demander, mais
d'un ton péremptoire,....-des provisions et des vetements, puis ils
font entendre leur lugubre cri . de guerre .-Les Angtais, au lieu de
Jaire oonne contenance, s' effraient, jettent Ieurs armes et s'en-
fuient a la débandade dans toutes les directions. Les soldats de
l'escorte, disséminés sur un long espace, se trouvent réduits a
l'impuissance, et le massacre comm~nce.Quelques fuyards ap-
porterent au camp fran<;ais la nouvelle de ce désastre. Montcalm,
le chevalier de Lévis et un grand nombre d'officiers accoururent,
et parles menaces ét les pTomesses, au Tl~que meme de leurs pro- ,
pres vies, réussiren~ a calmer.les Peaux-Roug~s. Déja ills avaient.
massacré cinquante Anglais, et tous auraient eu le meme sort
sans le secours Qes Pran<;ais. Ceux-9i parvinrent a réunir environ
deux mille fuyards qu'ils tirent conduire sous bonne escorte au
fort Edward ou bi~n a Albany, et Montcalm fit connaitre les faits
sous leur Hui jour tant a Webb qu'au cornte de Loudoun lui-
meme 1.


o


Pendant tout le cours de 'ces deux campagnes, Abercrombie,
Web,b, Loudoun, avaient lutté de mollesse et d'impéritie. Mont:-
calm en avait eu tout l'honn(}ur et tous les avantages : il avait
humilié l' Angleterre et fait trembler les colons. « Pour l'amonr
« du ciel!» écrivait l'officier qui commandait a Albany au gou-
verneur du Massachusetts, « sau \'ez la pl'ovince; New-York meme
« va tombel'; sauvez le pays, et empechez la ruine de la puissanr.e
« anglaise sur ce continent2.» Par malheur, Montcalm h'était pas
en mesure de continuer les succes : il avait dli renvoyer les Ca-
nadiens chez eux pour les travaux de la récolte, et les Indiens
s'étaient débandés d'eux-memes, suivant leur coutume, apres une
expédition bien ou mal terminée. D'ailleurs la situation, a la


I Jfontcalm en Ganada, 94-100. Ce qui n'a pas empcché Cooper, dans son Der-
nier des .'Iolticans, de t¡'avestir entierement le f:lÍt; Smith, dans son lIistory of
New-rork, et Ca;'vcr, dalls ses Voyages, parlent de 1,500 Anglais tombés sons les
coups des Abenakis. M. Bancroft, plus équilable; rend justice a la noble attilude de
?ilontcalm et ne porte meme qu'a vingt olllrente le nombre des victimes (1Il, 188.)
Le chiffre de SO est donné tI'apres le Journal de n. de Malartic.


:! 10 aout 1757.




DEUXlf;~u; PAHTlE - LES DÉVELOPPE:\I]<;NT~ DES CULU~IES. 18!)
prcndre d'une fa~~oll gél1él'alc, ne laissait pas d'étre fort inquié-
tanteo Manque de vi"res, - le peuph~ réduit a un quarteron de
pain, -. il faudra peut-etre réduire encore la ration du ~oldat, -
peu de poudre,- pas de' souli'ers : voila le tableau sommaire que
Montcalm en tra<;ait a la date du 18 septembre 1757, au bas
d'une de ses dépéches. Des lettres du commissaire général des
guerres, Doreil, entraient dans de plus grands détaíls; elles lais-
saient entrevoir un véritable désarroi administratíf, qui était sur-
tout l'muvre d'un intendant~ Bigot, homme corrompu et, vénal;
elles ne cachaient pas que les secours devaient etre prompts et


,


puissants, « cal' si malheureusement Ulle escadre anglaise barrait
« l' entrée du Saint-Laurent an petit printemps, tout périrait de
« faim et de misere t. ») Et l'on savait fort bien a Quebec qn'nn
nouveau ministre venait d'entrer dans les conseils de l' Angle-
tcrre, et qu'il ~rrivait aux affaires avec la volonté bien arrétée de
conquérir pour son pays la suprématie dans le monde. Les talents
de William Pitt étaient a la hauteur de son ambition, et il en e
donna bientM la preuve. La maison de Bourbon et la maison
d'Hapsbourg, oubliant leurs "ieilles rivalités~ venaient de s'unir;
Pitt resserra l'alliancp, des Anglais et de Frédéric de Prusse, le' _
vainqueur de Leuthen et de Rosbach. Quant aux Américains,
Bedford, Townshend, Halifax~ les avaient traités en vassaux plutot
qu'en citoyens. Pitt, (¡ui avait un sentiment tres-vif de la liberté
politique, entendit la respecter d'un coté de l' Atlantique comme
de l'autre. Il fIaita l'amour-propre des colon s en pla<;ant. leurs
officiers sur un pied d'égalité parfaite avec ¡es officiers du roi, et
sollicita de leur seul patriotisme les moy~ns pécuniaires de la
g.u~rre. L' Angleterre fou1'nirait des arme~, des munitions, des
vaisseaux, des regiments; les colollies, de leur coté, armeraient
l~urs valeureuses milices, et d'un effo1't commun on chasserait la
Franee du sol américain. .


On ade bonnes raisons pour croire que ce derníer projei fut
surtont l'reuvre de Benjamín ~ranklin. Il était alo1'8 en Angleterre


I ])u 22 et du 25 octobre 1757. Tandis qu'il afTamait la colonie, Bigot donnait des
rele,; el jOlluit un jeu efTréné; « 11 a perdu plus de 200,000 livres au quinze, au
« passe-tlix; uu trente el quarantc, » éCl'ivait Doreil, en février 1758 (Múntcalm., ele .•
Wi). ,




190 LES ÉTATS-UNISDl<: L' AMÉRl(JUE SEPTENTRIO¡"{ALE.
comme agent de la Pennsylvanie, et sans négliger les devoirs spé-
ciaux de cette charge, il se tenait fort attentif a tous les événe~
ments qui intéressaient son pays natal. 11 n'approuvait pas la po-
litique qui avait fait de l' Allemagne le principal théatre de la
lutte, et partout, dans toutes les oeeasions, il indiquait le Canada
eomm~ le 'point ,essentiellement vulnérable. A la vérité' Fran-
klin ne put alors voir Pitt; pendant longtemps il le prit meme,
suivant ses expressions, pour un personnage inaccessible qu'il se
contentait d'adrriil'el' a distanee. Mais, par l'entremise de ses se-
erét?ires Wood et Potter, il entretenait le puissant ministre de
diverses mesures intéressantes pour son pays, et expressément de
l'urgence de conquértr le Canada 1, Toujours est-il qu'au com~
meneement de 1758, Pitt avait réuni des force s tres-considérables
de terre et demer, dont l' action eombinée rendait cette conquete
certaine, selon la stratégie et lesprévisions humaines.Parlant de
Loudoun aux communes avec ce ton Apre qu'il savait si bien


• . prendre, Pitt avait dit : « Il n' a rien fai t, rien essayé; nous avons
«( perdu tout empire sur les laes, nous n'y"avons plus un bateau;
( toutes les portes sont ouvertes' a la Franee. » Loudoun fut rap-


.. pelé et traduit devant un eonseil de guerreo On luí donna pour
sueeesseurs Forbes et Amherst, ce dernier homme d'un jugement
solide et d'unp- habileté suffisante dans le maniement des trou-
pes, et 1'011 déeida que le Canada serait attaqué sur trois points a
la fois. Amherst, aidé par Boseawen et son eseadre, devait fairé le
siége de Louisbourg, Forbes envahir la vallée de l'Ohio, et Aber-
crombie marcher sur Montréal par le bassin des lacs George et
Champlain. '


De ceeóté, illl'y a~ait d'autre ob¡;¡tacle pour arréter l'envahis-
seur que le fort Carillon ou de Ticonderoga, bAti par les Fran«;ais
a une lieue environ du lac George, a l' extrémité. du petit cours
d'eau nomnié la riviere de, la chute, par lequel il se déversé dans
le Ghamplain. Montealm s'y était rendu de' sa personne, et le
6 juillet au m'atin, il put apercevoit l'armée d' Abercrombie qui
s'avan«;ait sur le lae George, par un temps magnifique, ses dra-
paux déployés et ses musiques fa.isant retentir la solitudc d'airs


I Tite lire or Fl'anhlin, 'l47-248.




DEUXIEME PAUlE. - LES DEVELOP~EMl!:N'fS DES COLONlES. 1 al
belliqueux. Elle opéra son débarquement le meme jour : « Ces
l( gens m~rchent lentement, ) dit Montclam j « qu'ils me laissent
« seulement le temps de gagner les hauteurs qui sont derriere
« Carillon, et je réponds de les battre. » Non~seulement Aber-
crombie lui laissa ce temps, mais quand, le 8, il se porta sur
ces memes hauteurs, il les trouva garnies d'abatis d'arbres qui
arreterent ses colonnes et de retrancheJIlents dont le feu les fit
reculer. D'une heure de rapres-midi jusqu~a cinq, elles revin-
rent six fois a la chargOe, avec une ténacité et une intrépidité tou~


'jours égales. A six heures du soir, apres un dernier assaut, plus
meul'trier encore que les autres, Abercrombie fit sonner la re-
traite: il laissait· sur le champ de bataille plus de trois mille
hommes 1, c'est-a-dire a peu pres autant qu'en comptait la gar-
llison franc;aise. « L'armée et trop pe tite armée du roi vient de
« battre ses ennemis, » écrivait Montcalm, le soir meme du
combat, a son ami Doreil ... ,. « Ah I quelles troupes, mon cher
« ami que les nótres I Je n'en ai jamais vu de pareilles. Que
« n'étaient-elles a Louisbourg ! 2»


Ces paroles, dans la bouche d'un aussi bon juge de l'honneur
et du devoir militaires que l'étaitMontclam, doivent certainement
s'entendre des tristes pressentiments sur le sort de. ceUe place et
non d'un jugement sévere sur la conduite de ses .défenseurs qui,
d'ailleurs, a cette date, n'avilient pas encore succombé. M. de
Drucourt, qui commandait a Louisbourg, ne pouvait, en' effet,
opposer que 6,600 hommes, dont plus de la moitié étaient des


. miliciens ou des sauvages, aux12 ou 15,000 hommes qu'Am-
.herst avait débarqués, le 8 juin, dans file Royale et qu'appuyaient
2,~ vaisseaux et 15 frégates. De plus, les fortifications de la place
se trouvaient dans un fort mauvais état; elle n'en résista pas '
JUoins a vingt-trois jours de tranchée ouverte. Quand elle ouvrit
ses portes, le 28 juillet 1758, la ville n'était plus qu'un amas de


• Lord Mahon dit 2,000 seulement; les rapports francais parlent de 5,000. On
peut; je crois, couper par moitié la différence, M ontcalm trouva a Carillon 2,970 sol-
dats réguliers, 16 sauvages; 85 canadiens et·87 hommes de la marine, et y l'ecut en-
viron 500 hommes. . ' ,


'2 "fontcalm en'Canada, '131-136. - Le Canada, etc" 85-86. - Ílist of unit.
stat., 216-217. - Hisl. of Engl., lV, 140,14l. Lord l\Iahon dit qu'Abercl'oml.Jie
quilla New-York avcc 6,000, ré~uliers et 10,000 miliciens.







192 LES ÉTATS-UNIS DE" L'A"IEH.l~JLJE SEPTENTRIONALE.
ruines, et ses remparts ne comptaicnt plus flu'une douzaine de
canonsen état de servir sur les cinquante-cinq qui avaÍent riposté
aux batteries anglaises armées, ceHes de terre seulement, de qnatre-
vingt-dix canons et de quarante-sept mortiers. Dans la vallée de
l'Ohio, Forbes avait obtenllle meme succes qu' Amherst a Louis-


, bourg, et Bradstreet s'était emparé, dn fort Frontenac, qui ne fut
pas défendu. De Ligneris qui occupait le fort Duquesne n'avait
pa~ plus de einq cents hommes pour le défendre. A l'approche de
Forbes et dans l'impossibilité de lui résiste-r, il se retira en faisant.
sauter le fort (23 novembre 1758). Washington, qui commandait
sous Forbes, et ~qui le rempla<;a quand il mourut peu apres,
prit possession de ses ruines encore fumantes :' en l'honneur de
Pilt, illeur donna le nom de Pittsburg, viHe aujourd'hui riche et
tlorissante. En somme,l'avantage de la campagne restait aux
Anglais. Leur attaque par l'extreme droite et lenr attaque par
l'extreme gauche avaient également réussi; ils étaient maUres du
bassin d~ l'Ohio et de l'enlrée du Saint-Laurent,'et la vido\l'\', de
Cm'illon, si glorjeuse qu'elle fut, avait seulement suspendu au
centre le mouvement des forces anglaises.


« Que la paix se fasse cet hiver, sans quoi le Canada est perdu
(( sans ressource, » écrivait le commissaire général des guerres.
« Outre l'extérieur, son intérieur est une machine mal montée,
« qui est touj ours prele . a crouIer. Mais iI n'y a pI liS a espérel'.
« Malgré tous les soins et les talents de M. de Montcalm: je ne
« serais pas surpris si l' ennemi était maUre de la colonie avant
(( l'arrivée des premiers secouis du príntemps l. » Au mois de
mai 1759, Bougainville, qui était alIé dépeindre en Franee l'extré-
mjté ou elle était réduite 2, revint, mais avec des secours insigni-
flants, 32G recrues, 17 batiments chargés de munitions et de
vivres,et ce fut avec environ 4,000 hornmes de troupes régu-
lieres, 6,000. miliciens et quelques sauvages que Montcalrn dut
faire face aux 60,000 Anglais OH Américains campés sur les fron-


t Lettre de septembre 1758.
2 011 connntt sa réponse au mini~tre de la marine, l'ineapable Berryer. « Monsieur,


lui di~ait celui-ci, quand le feu e,t ü la maison, on ne 's'occupe pas des éClIries. _
On ne dil'a I'as UlI 1lI0illS « tille vous parlez cornme un cheval, répliqua Bougain-
ville.




. 19') DEUXI~:ME PARTIR. - LES DEVELOPPE;¡fE:-ITS DES r.OLONIES. ..>
tieres ou prets a les franchir. Cette année, eomme l'année précé-
dente, leurplan consistait dans une triple aUaque dirigée l'une
agauche, parlebassin du lac Él'ié, l'autre au centre, par le Cham- _
plain et la riviere Riehelieu, la troisieme a droit~, par la Nallée du
bas Saint-Laurent. Le corps de Prideaux, qui formait l'attaque
de gauche, s'engagea le premier et marcha sur le fort Niagara
situé pres de l'embouchure de la riviere du meme nom; il se
rendit apres une résistance hérolque et dix-huit jours de tranchée
ouverte (24 juiUet), et tous nos postes entre l'Ohio et le lae Érié
tomberent l'un apres l'autre entre les mains de l'envahissenr.
Amherst, de son coté, avait I'éuni le gros de ses forces et s'était
porté vers le lac Outarío, sur la rive occidental e duquel iI débal'-


.quait 11,000 hommes, le 22 juillet. A son approche, les Fl'an-
~ais évacuerent Tíconderoga, Crown-Point et se I'etrancherent
dans l'ile aux Noix. On s'attendait achaque instant a une aUaque
sur Montréal. Mais Amherst D'avan~a point : il passa les mois


.


d'aout, de septembre et une partie d'octobre a construire une
flottille ainsi qu'a faire a Crown-Point des tt'avaux de fortification
inutiles, et assurément le Canada n'eut pas succombé ehcore, si
le général qui dirigeait l'attaque de droite n'eut pas mantré plus
de diligence et d'initiative.


Ce généralll'était autre que le célebre James Wolfe. Fils d'un
général qui avait fait les campagnes de Marlborough, il était né
en 1726 et entré a quatorze ans an service militaire. Il avait
assisté aux batailles de Drettingen, de Fontenoy, de Lawfeld, et
ses précoces talents" non moins que sa bravoure, lui avaitnt val u
a vingt-deux ans le- grade de líeu tenant-colonel. C' est a vec ce
grade que Wolfe pritpart a l'aUaque de Louisbourg et sut s'y
distinguer d'une fa~on si particuliere qu'elle attira l'attention de
Pitt. L'homme d'État était las de ces généraux qui eonduisaient
la guerre avee une €xtreme )enteur ou qui se faisaient battre
selon toutes les regles. Il vit Wolfe, que sa ma~vaise saIlté avait
ramené en Angleterl'e apres la prise de Louisbourg, et lui conna,
quand il fut a peu pres rétabli, le commandement de l'expédi-
tion dirigée eontre Quebec. On peut dire que le jeune général ne
dut eette marque de faveur excelJtionnelle qu'a son mérite seuI,
cal' la nature l'a\'uit traité cn marfttre, sa constitntion étant frele,


- 13


,,/ ~
;:-._~~--


-, -
.,.




'194 ' LES ]~TAT:;;-U~I~ DE 1:A\II~ruQlJE SEPTEl'\TnJONALE,
ses traits peu agréables et ses cheveux d'un rouge ardent. Ses
manieres et son premier abord 11 'avaient rien lIon plus de fort
engageant : « Ma nature a besoin d' événements extraordinaires
« pour se rnanifester,» écrivait-illui-ll1eme, « et je reconnais
« que dans les circonstances ordinaires de la vie, on nc me voit
( poillt a mon avantage.» L'anecdote sui\'ante peut établil' d'une
fa<;on originale et piquante que Wolfe se connaissait bien. La
veille du jour de son ernbarquement, Pítt, qui désirait lui don-
ner ses dernieres instructions verbales, l'invita a diner en com-
pagnic du seul lord Temple, rnembre du cabinet. A la fin du
rrpas, W olfe dégaina son épée et se mit a la braúdir a travers la
,chambre, en parlant d'nn ton exalté des grands services que
eette épée était appelée a rendre. On devine l'étonnement, la
stupéfaction des deux hornmes d'ÉtaL Comme le général n'avait
que tres-peu usé de la bouteille, Pitt erut a quelque dérangemcnt
d'csprit de son convive eine put s'empecher, quand il se fut re-
tiré, de dire a lord Temple: ( Bon Dieu 1 que j'aie pu confier. a
de telles rnains le sort du pays et celui du ministere 1 1 »


Des ]a déb:icle des glaces, \-Volfe avait rassemb]é a Lonis-
bourg les éléments de son expédition. Les rorces de te1're s'éle-
vaient a 8,000 hommes, et la fIotte, sous les ordres de Saunders,
eomptait 22 valsseaux de ]igne, avee autant de frégates ou bMi-
ments légers. Parmi ses oft1cicrs, iI y avait deux hommes qui
clcvaienf devenir, eux aussi, célebres: Jervis, depuis comte de
Saint-Vincent, et James Cook, le granel explorateur des me1'S
australes et du pole Nord, Les brjgades avaient a leur tete George
Townshend, James MurrDy et Hobert Monckton, le futur con-
quérant de la Martinique; parmi les chefs de corps, on remar-
quait earleton et William Howe, qui ont joué tous les deux un
rule saillant dan s la guerre de l'Indépendance. Le 26 juin, l'ex-
pédition arrivait heureusement devallt l'ile d'Orléans, ou elle
débarquait le lendemain meme, et cinq jours plus tard,
Monckton prenaii possession, apres une escarmouche, de la
pointe Lüvis, en face de Quebec. Wolfe s'avanQa de sa pel'sonne
jllsqu'a l'extl'émité occidental e de la pointe, d'ou l'on aper()oit,
f'n pleine "ue, la "ille, son port et ses remparts, et put reconnai-


f Anecdole racontée par Temple lui-meme. (Hist. al Enyl., Ir, 159.)




DEUXllblR PAfirm. - LES DÉVRLOPPE~IENTS DES COLONIRs.195
tre que Montcalm, qui u'avait sous la main qu'un petit nombre
de soldats éprouvés, avait surtout compté sur la force des lieux,
en l'augmentant de tout. son pouvoir. La plaine ou se perd, par
des pentes abruptes, le promontoire Diamant~ 'sur lequel se
dresse la vme, avait été couverte d' ouvrages, et le fauhourg 8aint-
Roch, qui est en dehors de l'enceinte fortifiée, entouré d'un.e
forte palissade avec redans. Quant a ses forces actives, le général
fran~ais les avait groupées l~ long du seul point de Quebec que ron
jugeAt accessible. Leur-.centrc était au camp retranché de Beaufort,
et elles s'appuyaient d'un cóté aux rapides du Montmorency, de
l'autre a la riviere 8aint-Charles et aux marais \'oisins, couvertes
de toutes parts d'une série de retranchements et de reuoutes.


Une proclamation que lan~a Wolfe, le jour meme de son dé-
barquement, et qui, pour le fond ou pour la forme, lui fait peu
d'honneur, excita la colere des Canadíens, loín de leur faire dé-
serter les drapeaux de la France t. ( Depuis' qu'elle a été publiée, »
écrivait-il lui-meme, « les escarmouches sont continuelles; des
« vieillards de soixante-dix ans et des enfants de quinze tirent
« sur nos détachements, et de la lisiere des bois tuent ou bles-
« sent nos hommes. » Lorsque Wolfe tra~ait ces lignes, qui font
partie de la derniere dépeche qu'il ait écrite et portent la date
du 9 septembre, il y avait déja soixante-douze jours qu'il avait
débarqué sur I'He d'Orléans et cinquante -sept qu'il avait ouvert
le feu sur Quebec. Des le 12 juillet, en effet, des batteries de ca-
n~ns et de mortiers, établies sur I'He et a la pointe Levis, avaient
commencé de foudroyer la viHe, et l'effet de ce feu ininter-
rompu, auquel les remparts, faute de munitions, répondaient
avec mollesse, avait été de détruire sa partie basse et d'endom-
mager sa partie haute, mais non d'attirer Montcalm hors des
positions défensives qu'il s'était choisies. Une tentative pour 1'en
débusquer de vive force n'avait pas été plus heureuse. Le Mont-
morency, apres sa chute, coule pa:siblement pendant quelques
centaines de metres au milieu de vertes prairies; au refrait du


t Elle cst reproduite dans Montcalm,.etc., 173-175. Pour se venger des attaques
des Canadieus,. Woll'e ordonna d'emmener les troupeaux, de brtiler les granges, les
étaLles, les récoltes SUI' pied, ou du moins laissa faire (Ordre du 25 juillet, signé par
par le major Dalling).




H)ti LE-- ÉT.\TS·(TNI~ DE L'AMÉRIQ(iE ~EPTEXTRIOXALE.
flot, il est possible de le passer agué, pres de son cmbouchul'e
dans le Saint-Laurent. Le 31 juillet, Wolfe donna l'ordre aux




brigades Townshend .et Murray de le traverser sur ce point,
tandis que, de son coté, Monckton franchirait le Saint·Laurent,
en partant de la pointe Lévis. Au signal donné, le mouvement
commen~a; mais une partie des bateaux de Monckton alla don-
ner contre des roches a fleur d'eau, et les Fran~ais en profiterent
pour ouvrir sur ses troupes un feu de mousqueterie et d'artilleri~
des plus meurtriers. Cependant, treize compagnies de grenadiers
et deux cents hommes du Royal-Américain a vaient pu débar-
quer : ils coururent auxrelranchements, sans s'inquiéter d'étre
ou non soutenus, et parvinrent a leur pied; mais il fallait gravit'
le coteau qui les portait sous des décharges presque a bout por-
tallt, et tous les efforts de ces braves gens resterl'nt inutiles. La
Iluit s'approchait et la marée montante aUaít eauvrir la plage.
Wolfe eut la prudence d'ordonner la relraite. n avait perdu
environ quatre cents hommes et tiré trois mille coups de canon
presque sans utilité.


Cet échec ne découragea point Wolfe, qui consulta jusqu'a trois
fois ses brigadiers sur de nouveaux plans pour déloger Monlcalm.
de Beaufort. lIs les repou5serent d'une voix unanime, el l'on s'a1'-
reta A l'idée de l'en fairesortil' par surprise. Les 5 et Gseptcmbre~


. ,
Wolfe leva son camp de Montmorency et transporta le gros de
ses troupes a la pointe Le'vis, tandís que les jours suivants, l'e,s-
cadre de l'amiral Holmes remonta le fleuve cornme si elle voulut
menacer quelque point au-dessous de la viile. Montcalm ne bou-
gea point toutefois et se contenta d'cnvoyer Bougainville, avec
quinze cents hommes, surveiller les mouvements de l'enuemi.
Dans la nuít du 12 au 13, \Volfe, tomo ses préparatifs achevés,
visita toús ses postes el passa de vaisseau en vaisseau. La tradition
rapporte qu'ii parla de Gray aux persollncs quí étaient sur SOIl
bateau et de son élégie sur un cimetierc de campagne, en ajoutaut
qu'il pl'éférerait )a gloire de I',avoir faite a celle de battre les
Fl'an<;ais le lendemain, et en récitant ces vers du poete:


lIJe !w¡]sL of Heralul'Y, tIJe pamp af POWéC',
Anu aH tltal B,'aury, al! that W¡,ah" evrr gave,




DEUXl~:.\IE P.\RTlE. - LES DÉVELOPPE:\IE~TS DES COLO~IE~.lQ7
Await alike the inexorable hour.
he paths of Glory lead but to grave l.


A une heure du matin, l'opération commenc;ait: les bateaux
portant la moitié des troupes oJJVraient la marche; puis venaient
les vaisseaux avec l'autre moitié. Sous Ieur protection le débar-
quement se fit sans encombre. Les bateaux qui portaient l'avant-
garde ahorderent un peu au-dessus de la redoute de l' Anse-au-
Foulon ou cornman'dait de V ergor. Les sentinelles n' étaiellt pas
a leur poste; la redoute fut cernée sans brllit, et son commandant
surpris au lit ét faít prisonnier. Un étroit sentier, garni d'épaisses
broussailles, conduisait a une hauteur qui domine la crique et
que couronnaient deux petites redoutes. Leul's défenseurs prireut
la fuite apres avoir tiré quelques coups de fusil; et toutes ses
trotJpes n'étaient pas encore débarquées que \Vúlfe se déployait
sur les collines pielTeUses qui s'étendent derriere Quebec et por-
tent le llom de hauteurs d' Abraham.


Montcalm, en les apercevant, ne crut d'abord qu'a une tentativo
de partisans; mieux informé: ( Ils ont enfin trouvé, » s'écria-t-
iJ, « le cóté raible de cette malheureuse garnison. Il faut livrer
« bataille! ») A dix heures, les deux armées se trouvaient en pré·
sence, les Anglais s'avanc;ant en bon ordre, protégés par les bois
et les plis du terrain, les Franc;ais les attendant sur un monticule'.
L'action venait de s'engager a distance, quand tout a coup, apres
a\'oir en toute hate appelé ason aide Bougainville et les quinze cents
hornmes que le gouverneur de Vaudreuil avait retenus a Beauport,
Montcalrn prit le parti d~attaquer l'ennemi en flanc, afin de le re-
jeter sur la rive escarpé e du tleuve. Townshend tit avorter ce
mouvement. Alors, sans aUendre plus longtemps ses renforts,
Montcalm dirigea une irnpétueuse attaque sur le front des An-


o glais. Ceux-ci ne bougerent pas, et quand les Franoais furent
arrivés a quarante pas environ de leurs rangs, ils riposterent a
leurs feux de peloton irréguliers par une fusillade rapide, nour-
rie, bien dirigée. Cette décharge mit a mort les brigadiers de
Senezergues et de Fontbrune, et jeta dans nos rangs un tel dé~ar-


f L'orgueil des titres, la pompe du pouvoir, tout ce que la beauté, tout ce que la
l'ichesse peuvent procurer sont également soumis a I'heUl e inexorable. Les sentiers
de la gloire ne conduisen t (IU'a une tOIIJbe.


\




198 LE-S ÉT.\TS-üNIS DE L'AMÉHlQUE :'El'TE-"THIUNALE.
roi qu' 11 ne fut plus bientót possible de régulariser la résistance.
C'était le moment qu'épiait WoIfe, resté avec Murray au centre;
il se place a la tete du 28e régiment et des grenadiers de Louis-


, bourg, et charge les Canadiens a la balonnetle: ils fléchissent et
lAchent pied <Je toute part. La victoire était aux Anglais, mais elle
leur coútait cher : WoIfe, déja atteint d'une halle au poignet des
le début de l'action, en re~ut une seconde en pleine poitrine dans
ceHe charge. On le transporta hors du champ de bataiJIe, et on
lui donna de l'eau pour étancher sa soif. Ayant appris que les
Fran~ais étaient en fuite: « Je meurs content, ») s'écria-t-il, et il
rendit le dernier soupir. Montcalm aussi avait été rapporté a
Quebec, frappé d'une baIle morteHe. Il vit approcher sa derniere
heure avec le plus grand calme et dans les sentiments pieux qui
avaient été ceux de sa vie entiere. De Rarnezay, qui cornmandalt
la place, lui ayant demandé son avis sur la résistance qu'on pou-
vait faire, il répondit: « Je confie a votre garde l'honneur de la
France, ») et I'Ul1 de ses derniers actes fut d'écrire a Townshend
une leUre qui recomrnandait a ~a générosité nos blessés et nos
prisonniers l.


Le jour meme de la retraite de l'armée, le marquís de Vau-
dl'euil, dont l'incapacité, la jalousie a l'égard de Montcalm, les
complaisances pour l'indigne Bigot, avaient tant nui a la défense,
invi~a de Ramezay a ne pas attendre ( que l'ennemi l'emportat
d'assaut. » Ramezay réunit, le 15 septembre, un conseil de
guerre, ou iI n'y eut qu'un capitaine d'artillerie, M. de Fiedmont,
a opiner pour une prolongation de résistanee. La capitulation de
Quebec fut done signée le 18 septembre!l. La lutte se continua
encore jusqu'au rnois de septembre de l'année suivante, ou eJJe
se termina par la reddition de Montréal et de la eolonie entiere,
qui porte la signature de Vaudreuil et ceHe d'Amherst 3• Dans
l'intervalle, le chevalier de Lévis avait essayé de reprendre Que-
beco Le 28 avril1760, il battait complétement Murray, venu a
sa reucontre, sur ces memes plaines d' Abraham qui avaient vu


I Dussieux. Le Ganada, elc., 02. et sqq. - Hist. uf unit. stat., IV, '~·29·239. -
Ilist. o{ Engl., IV, lGl-173.


2 On en trouve le texte dans l'~ppendiee de Mnntcalm, etc.
3 e sel'tembl"c 1700.




DEUXIEME P"\HTIE. - LE:" DÉVELOPl'E~IENTS DES COLONtES. 19\}
• • la eléfaite de Montcallll, et investissait la place. l\Iais, a la daté du


16 mai, illui fallait se retirer elevant l'arrivée de deux vaisseaux,
avant-garde d'une forte escadre. Il ne lui reslait plus qu'a se ren-
fermer elans Montréal. Le 8 septembre, les Anglais parurent de-
vant les murs de cette ville, au nombre de 20,000 ; elle n'avait
qu'une simple ch~mise militaire, et de Lévis dut se résigner a
capituler. Amherst, qui se souvenait sans doute de la honteuse
capitulation de Closter-Seven dans laq~elle ii s'était trouvé com-
pris, se vengea en refusant aux troupes fran<;aises les honneurs
de la guerre, et Lévis fut sur le point el'aller l'affronter en rase
campagne. Il s'arreta néanmoins devant l'écrasante supériorité
des Anglais et un ordre formel el u marquis ele Vauureuil l •


I Le Can((cla SOHS /(( dmllin((tio!t (rrllll:a/:se, 00·101.


,




~' .




\







TROISIE~fE PARTIE.


L'ÉMANCIPATION ET LA GUERRE
DE L'INDÉPENDANCE.







LIVRE PREMIER.


La politique anglaise et les préludes de l'émancipation.


Sommaü'e. LA CAPITULATION DE QUEBEC: Enthousiasme qu'elle pro-
duit en Amérique; ses suites appréciées par Choiseul, William
Burke et Franklin; mot de Turgot.


LES COLü:''IES E~ 1763: Population, richesse, esprit publico
PLAN DE TAXATION POUR L'AMÉRIQUE: Projets de Townshencl; l'acte


du timbre; Gl'enville, l'opposition et Franklin; apostrophe de
Barré; pamphlet d'otis; congrés eles clix colonies; Pitt, l'intor-
rogatoire de Franklin et rappeI de L/acte.


PLAN DE TOWNSHEND : Le sloop Liberty; le massacre de Boston.
LORD NORTH, premier minist:re : Remontrances elu Massacltusettí':


le Dartmouth a Boston et ses caisses de thé jetées a la mer; Fran-
klin et le Massacltusetts clevant le conseil privé; fermeture du port
de Boston et préparatifs militaires dans cette ville.


L\1 ~R\1~\\1R (',<J~~RY.~ (',<J~'n~%~'\:hL'" ~<Jn. ~:(\\'a~t~\''ó 'ót ~'ó"" Y{\~'';~\.W'ó'''' •
. REJET DES MESURES CONCILIATOIRES: n détermine la résistance des


Américains et les ponsse a l'indépendance; vues do Turgot, de .
Smith, de Hume; l'indépendance derniére ressource ; non désirée
jusqu'au derniermoment par les Washington, le.s Hamilton, le3
Adams, les Jefferson ..


Une explosion d'enthousiasme accueillit en Amérique la capi-
tulation de Quebec; les villes s'illuminerent; des feux de joie
couvrirent les collines; les législatures, la chaire, la presse firent
écho a la joie publique, et dans l'intérieur des familles on remer-
cia le ciel. L'impression fut la me me en Angleterre: a un moment
une lettre de \YoUe y Hv.ait faít appréhender un échec, et la for-
tune, la Provldence, pour employer l'hypoclite langage de Pitt,
accordait aux armes anglaises nn triomphe éclatant. Aussi le
contentement fut-il universel et se lisait-il sur chaque visage, au




204 LES ÉTATS-UNlS DE L'A:\lÉIWJUE SEPTENTHlON.\LE.
témoignage.d'un témoin oculaire 1• Le pays que la perte du Ca-
nada intéressait davantage s'y mbntra insensible. Il n'y avait point
a lors de peuple fran~ais, dans le sen s politique du terme, el
Louis XV, abimé dans ses crapuleux plaisirs, avait d'avance fait
son deuil d'un événement qu'il avait pris si peu de mesures pour
conjurer. Quant a la littérature, qui était le vrai pouvoir de l'é-
poque, elle se souciait médiocrement « de quelques arpents de
terre, couverts de neige,» comme disait Voltaire, et celui-ci se
plut a voir dans noire défaite « le triomphe de la liberté sur le
despotisme. »


La joie des Américains était bi~n naturelle: s'ns ne songeaient
pas encore a se séparer de leur métropole, ils avaient déja le pres-
sentimeni de cet avenir que le voisinage des Frangais ne tendait
nullement a favoriser. Moins aveuglés par la haine nationale el
moins infatués de leurs succes militaires, les conseillers de
Georges 111 n'auraient pas voulu renverser la seule barriere l qui
confint encore l' expansion des treize colonies et Ieur flt endurer,
avec quelque patience, le monopole commercial de la Grande-
Bretagne, ses prétentions fiscales et son arbítraire administratif.
Ce manque de pnspicaeHé étonnait le duc de Choiseu1. Pendant
les négociatiolls qui préparerent le traité de Paris, la France
avait parlé de reprendre le Canada, en échange de ses conquetes
en Allemagne, et l' Angleterre avait répondu par un refus péremp-
toire. « Je suis surpris, ) dit alors Choiseul a un des plénipotcn-
tiaires anglais, « que l'acquisition du Cana da tienne tant au creul'.
« de votre grand Pitt. Sa faible population ne le rendra jamais
« redoutable. Dans les mains de la France, il aide a maintenir
« ,;os colonies dans une dépendance qu' elles secoueront certainc-


\


« ment, le Canada cédé 2. » Cette. émancipation de l' Amérique,
iI y avait déja douze ans que Turgot l'avait prédite, en ajoutant,
avec une véritable prescience, qu'un jour l'Europe trouverait de
l'autre cóté de l'Atlantique « la perfection de ses sociétés poli-
tiques et le plus ferme appui de sa félicité 3. » Au surplus,


I Lord Orford. Bist. of Eng¿., IV, 183.
2 Hist. of unit. stat., m, 281. '
3 Discours prononcé a la SOl'bonne. le 3 juil!rt 17~O. (a:;uvreli completes,


éd. 1808, Il, fA et 8uiv.).




TR;)lSIEME PAnTIE. - LA GURRRE DE T:nmÉPENDANGE. 205
meme en A'ngleterre, l'orgueil du triomphe ne dérobait point les
menaces de l'avenir a quelques esprits clairvoyants.. William
Burke, parent, ami. et parfois collaboratt3ur du célébre commoner,
écrivit un pamphlet pour indiquer a ses concitoyens le danger
de garder leur conquete, et l'éloquencc, quelque peu suspecte et
sophistique, il faut en convenir, de Benjamin Frank1in ne suffi-
sait point a rassurer tous les Anglais sur les projets des Amé-
ricains l.


« Le Canada entre nos mains, » disait Franklin, c( c'est un accrois-
« sementénorme de population en Amérique. Déjaelle double a peu
« pres tous les vingt-cinq ans, sans parler de l'émigration que cet ac-
a croissement constitue, et il y aura bientot plus de citoyens britan-
« niques du coté américain de l'eau qu'il n'y en a actuellement de
« l'autl'e.») Trois ans apresqu'il écrivait ces lignes, la population des
treizecoloniespouvaits'évaluer a 1,880,100 personnes, dont335,600
de race negre 2, et cette population, en s'enrichissant, avait pris le
gout du comfort, pour employer une expression britannique qui
a récemment obtenu le droit de cité dans notre langue. Du moins
John Adama a-t-il décrít dans son Journal les beaux tapis, les
bell~s tentures, les taLles de marbre, les riches couchetles, les
spacieux jardins d'un habitant dé Boston chez lequel il avait
diné 3. Si,Ia vieme bigoterie puritaine se trahissait encore dans
quelques détails de forme, au fond elle avait beaucoup perdu de
ses allures ren frognées et cédé de son maintien maussade ; mais
ce qui subsistait toujours, c'était l'énergique esprit !lu purita-
nisme, c'était son attachement inflexible aux libertés publiques,
c'était sa volonté de les défendre contre toute usurpation et au


t Works, VIII, 210, éd. J. Sparks.1I est vrai qu'en suivant ses eonseils, les mi-
nistresde George 1II pouvaient retarder la sépardtion pour de bien longues an-
nées peut-etre. 11 leur suffisait de respecter les franehises des colon s et de leur ae·
corder fa liberté eompterciale. Ce dernier point fait I'objet principal de la lettre de
Franklin, qui est adressée a David Hume et datée du 27 septembre 1760.


2 D'apres les chitTres donnés par Bancroft pour l/60 (l,385,000 b. el 310,000 n.),
et pour 1770 (1,850,000 b. et 46,200 n.). Au múmeut ou les troubles éclaterent,
Burke, fI'apres les docllments qu'iI avait, dísait-il, mis p(usÍeurs années a contro/ee
et recueillil', parlait de deux millions d'Europécns et d'environ cinq cent mille noirs.
(Diseours <lu 22 mars 1775.) Ces chirrres 80nt en concordance avee eeux de 1780,
donnés par Bancroft, 2,383,000 hl1tncs el 5fJ'2,OOO noirs.


3 Worlis, l',l. 18'-)0, JI, 179.




206 LE~ l~TAT~- UN1S DE L'AMÉnTQUE SEPTENTRIONALE.
peix de tous les risques. De cette double disposition, il y en avait
une que l' on connaissait bien en Angleterre et qui y excitait des
alarmes et de la colere. <t Le Connecticut n' est guere autre eh ose
« qu'une pure démocratie, et chacun s'y croit un ministre capable
( ainsi qu'un ministre habile,» écrivait un ecclésiastique roya-
liste a l'archeveque de Cantorbéry, Secker, au moís de juillet
1760. Mais ce défenseur trop zélé de la double prérogative don-
nait a Pitt et a Halifax un conseil qui sentait la témérité et l'igno-
rance, quand il les invitait a détruire les chartes de la Nouvelle·
Angleterre, et a introduire dans ce pays au moins deux ou troi8
éveques, « puisqu'il existait le líen le plus étroit entre la crainte
de Dieu et le respect du prince. »)


Déja Sherlock, qui était alors éveque de Londres, s'était pIaint
au bureau du commerce de la liberté qu'avaient prise les Virgi-
niens de modérer les émoluments de leurs ministres. « Il est
« grand temps a ~oup sur de regarder autour de nous, » disait-il,
« et de pr~n~re garde aux diverses mesures pour diminuer la
( prérogative royale qui ont été tentées la-baso Les droits du
« clergé et l'autorité du roi doivent subsister ensemble ou tom-
( ber ensemble t. ») De toutes les colonies, l'old dominión était
celle qui gardait le plus de ressemblance avec la mere patrie, soi1
dans sa constitution civile, soi1 dans ses ins1itutions publiques.
Néanmoins, la prérogative y comptait peu d'adhérents; son as-
semblée se montrait indépendante, et l'on discernait chez ses
habitants un orgueil individuel capabIe de les soustraire aux ten-
tations serviles. Les plus riches vivaient sur Ieurs plantations,
avides du spectacle des courses de chevaux, et tenant table ou-
yerte pour tous les voisins et tous les visíteurs. Les plus pauvres,
pour la plupart Écossais, Irlandais ou Allemands, menaient
une existence un peu nomade, toujours en querelle avec les offi-
ciers royaux, et, pour tout dire, ave e toule police trop réguliere.
De l'autre coté des montagnes Bleues, au nord du Potomac et
sur les bords de la Delaware, le gouvernement était resté dans les
familles des propriétaires fondateurs 2; la le roí n'avait point d'of-


f lIist. of unit. stat., IJI, 2CO-261
2 Benedict Calvert ayant renoncé en l715 a la communJOn romaine, on lui rendit


le dl'oit de ses a'ieux pour prix de son apostasie.




,TROISIEME PAn'fm. - LA GURRRE DE I:INDÉPENDANCE. t07


ficiers si cen'était dans les douanes ou dans les cours d'amirauté,
et son nom était a peine mentionné dans les actes administratifs,
tandis que dans les provinces plus méridionales, et surtout dans
celle de New-York, d'autres causes concouraient a rendre son
autorité ou raíble ou odieuse.


Graee a sa position géographique et a son magnifique port, la
province de New-York était déja le grand entrepot eommercial
des, plantations. L'Angleterre n'avait pas su gagner l'affection des
colons qu'elIe avait conquis, et nuBe part sa police commerciale
n'avait excité plus de mécontentement et rencontré plus de ré-
sistance. Ces enfants de Hollandais s'indignaient de ne pouvoir
plus commercer avec la patrie de leurs peres, et, marchands avant
tout, se plaignaient d'etre exclus des bénéfices de la traite des
noirs. Ils entretenaient avec la petite He de Saint-Eustache un
vaste commerce de contrebande, que les croiseurs britanniques
étaient impuissants a prévenir, quoique les frais de leur entre-
tien et ceux des cours d'amirauté ou des bureaux de doualle fus-
sent assez considéraLles pour mettre, selon certains calculs, les
profits que l' Angleterre tirait de son négoce avec New-York au-
dessous des profits de la Hollande et des villes hanséatiques.
Nulle part non plus les conflits entre le gouverneur royal et la
législature n'étaient plus fréquents et plus opiniatres, et les idées
que l'on se faisait respectivement en Angleterre et en Amérique
du role des assemblées coloniales plus différentes et plus tran-
chées. Les questions religiemes venaient ene ore aigrir les dis-
sentiments politiques, car dans un pays peuplé presque unique-
roent de calvinistes, on avait eu le tort de favoriser l'Eglise an-
glicane, d'une fa<;on meme assez directe. En un mot, a peu pres
tout le monde a. New-York avait pris une attitude défiante, sinon
hostile, vis-a.-vis de la couronne ou du parlemenl: les grands pro-
pl'iétaires, paree qu'ils craignaient de voir taxer leurs terres ou
reviser leurs titres, dont l' origine était irréguliere; les légistes,
parcequ'ils favorisaient l'aecroissement du pouvoir colonial, et
la masse du peuple paree qu' elle souffrait du monopole commer··
cial, ou redoutait les empiétements de l'Eglise établie.


Dans la métropole, on n'ignol'ait point eet état de ehoses; on
avait rncme résolu de lü dél1'Uirr, et en meme temps qu'on retire-




20¡"; LR~ í~T\T~-UNI~ DE J:,UIÉ~r(jn: SEPTE~TR!O~.\LE,
rait un revenu pcrmanent des colonies américaines, d'y faire
régner une subordination plus complete a la double autorité du
parlement et de la couronne. Vidée de taxer les Américains n'é-
tait pas nouvelle: on se rappellequ'elle avait été suggéréea Wal-
pole et repoussée par ce ministre!; Pelham s'y était, arreté, el
l'opinion publique était en 1755 qu'elle allait etre mise a exéeu-
tion. Quoi qu'il eu soit, les dépenses de la derniere guerre avaient
été énormes, et comme les hommes d'État de l'Angleterre la re-
gardaient comme entreprise, du moins dans UJle certaine mesure,
pour la défense des colonies, ils jugerent, apres la paix de Paris,
que les colonies devaient prendre leur part dans le fardeau de ces
dépenses. L'exécution de leur plan commenva d'ailleurs par sa
partie morale, pour ainsi dire, et ce fut l'esprit illdépendant des
Américains que 1'0n tenta d'abord de uompter. Le bureau du
commerce 'avait alors a sa téte Charles Towúshend, orateur ha-
bile el travailleur infatigable, mais politique léger et aussi prompt
a s'engager dans des difficultés que pe.u serupuleux sur les
moyens d'en sortir. Aueun membre des communes ne connaissait
mieux l' Amérique, mais aucun non plus n'était mieux disposé a
bouleverser ses institutions : «( Que va-t-il faire ? » éerivait le pro-
priétaire de la Pennsylvanie a son ami James Hamilton; « nous
allons bientót le savoir 2» Les projets de Townshend ne tarderent
poiut, en effet, a devenir publies, et les colons fur'ent avertis que
le cabinet « résolu a en finir avee la vieille désobéissance aux
volontés royales, » ne tolérerait plus l'ingérence de leurs assem-
blées dans le vote des subsides que fixel'ait a l'avenir un vote direct
de la législature bl'itannique. Sur les subsides ainsi obtenus, on se
proposait d'imputer les émoluments des gouverneurs, des juges et
généralemellt de tous les fonctionnaires qui , cessant de dépendre
des colonies pour leur Itomination, leur avancement, leur sub-
sistance, deviendraient, suivait une expression heureuse, « une


1 ~ous avons donné ses motif:;, selon M. Bancroft. lis furent, d'apres lord Mahon,
plus personnels, quoique non Ifloins perspicaces. « Quoi I j'ai tOllte l'Angleterre
contre moi, et j'irais me mettre enrore a dos toute l'Amérique : » telle aurait été
la réponse de Walpole a lord Chesterfiehl, qui lui pur!ait rles pr'ojets de Keith, (Hist.
uf' Engl., V, 81.)


:.1 11·' r 't \' e l IS., O 1/111, stat., .) ,d.




TROlSIÉ!ME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCK. 209
garnison civil e el maintiendraient les eolons dans une slriete
obéissanee. La premiere vietime du nouveau systeme fut la
eour de New-York, qui eumulait en Amérique les hautes fone-
tions partagées en Angleterre entre la eour du bane du roi et
eeHe des barons de l'échiquier. En vain la l~gislature fit-elle en-
tendre au roi de respectueuses remontranees; en vain invoqua-
t-elle les précédents de 1688 et le diseours réeent dans lequel
George JII avait déclaré que l'inamovibilité du juge était la meil-
leure garantie du justiciable, le bureau de la trésorerie rendit le
chie{-justice de New-York révoeable et .tit savoir que le ehange-
ment s'étendrait par la suite a toutes les magistratures colonia-
les. En meme temps, le ministre de la guerre, Wel lbore Ellis, pro-
posait de eantonner vingt régiments en Amérique, et eomme les
gentilshommes eampagnards, country gentlemen, des Communes
s' effrayaient de ce sureroit de déperrses, Townshend se hata de
les rassurer en déclarant que l'entretien de ces forces retom-
berait sur les colons, des l'exercice prochain. Enfin, deux jours
plus tard, c'est-a-rlire le 9 mars 1763, Trownshend encore dé-
roula une par ti e de son plan pour la taxation de l' Amérique par
l~ voie parlementaire. Les droits établis sur le trafic des planta-
tions avec les Hes frall(,;,aises ou espagnoles étaient si énormes
qu'ils équivalaient a une prohibition véritable, et qu'a la suite
d'une connivence tacite enfre les douaniers et les marchands, ils
n'avaient jamais été per(jus d'une fa<;on réguliere. rrownshend
proposait d' en réduire le taux et d' en exiger la perception stricte;
des droits de timbre et d'autres taxes devaient plus tard eouron-
ner l' ceuvre l.


Une erise ministérielle ravit toutefois a Townshend le problé ...
matique honneur d'établir l'impótdu timbre. Le 7 avril 1763, le
eomte de Bute, prétextant sa mauvaise santé, mais pIutót ennuyé
des libelles el des attaques de toute sorte dont il était l' objet, lassé


f Horace Walpole fait remonter a 1760 la pensée de fortifier la prérogative en
Amérique (Memoirs of the reign of George HI; London, 1845, 1, 16). 11 attribue
au cabinet de lord Bute, mais non a Bute lui -meme expressémellt, la premie re idée
des actes de timbre, qui appartiendrait a son secrétaire Jenkinson. (Memoirs, etc_,
m, 32.) 1\1. Bancroft a discuté la question dans une note de la page 63 de son
vol. IV, et arrive a la conclusion que Gl'cn viTIe ne fut pas le premier inspirateur de
cet acte néfaste.


14




2'10 LES ÉTATS-UNIS DE r:AM~;H1QTJR SEPTENTRIONALE.
surtout du peu d'appui qu'il trouvait dans les deux chambres et
au sein de son cabinet meme t, le comte de Bute ayant donné sa
démission, Charles Gre9-ville devint premier ministre. Grenville
était un légiste qui se croyait libéral parce qu'il professait, ave e
tous les whigs, le dogme de l'omnipotence parlementaire, comme
si une assemblée, ainsi qu'on l'a dit avec raison, ne pouvait pas
etre plus tyrannique qu'un homme, souvent retenu par la crainte
de l'opinion, et qui tout au moins redoute l'incorruptible avenir.
C' était, d'ailleurs, un esprit san s imagination et sans originalité,
un esprit dépourvu de cette saga cité qui creuse le';:, n.1.~t\f'5 d'une
action et du premier coup d'reil en sonde les conséquences. n se
complaisait, a la fa~on de tant d'administrateurs, dans les détails


I ,
et dans les écritures, el confondait la minutieuse obstination qui
lui était naturelle avec la fermeté souple qui caractérise les cer~
veaux vraiment politiques. On a dit de lui assez plaisamment
« qu'il perdit l' Amérique pour avoir lu les--dépeches d' Amérique,
( ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait fait, ») mot injuste tout
aumoins a l'égard de Robert Walpole, mais exact en ce sens que
les colonies, suivant la remarque de lord Mahon, prospérerent
t(\nt qu'on ne s'occupa point d'elles dan s la métropole. Charles
Grenville ne jouissait pas de la raveur royale; mais cadet de fa-
mille et tres-attaché aux emplois, surtout aux emplois lucratifs,
iI paraissait dépelldre de la cour et lui avait donné, en effet, quel-
ques gages de complaisance. Elle attendaitmaintenant de luí' une
vigoureuse initiative, dan s le sens de cette politique a la fois vio-
lente et téméraire dont Charles 110wnshend venait de poser les
jalons et que lord North devait, á dix ans de distance, pousser
jusqu'a ses dernieres conséquences.·


Rendons néallmoins eette justice a Grenville qu'il y mit de la
mesure et qu'il consentít, dans la session de 1764, a différer d'une
année la présentation de l'acte du timbre, Stamp Act. Dans l'in-
tervalle, il eut une entrevue avec les agents de plusieurs des
colonies septentrionales, leur expliqua ses proje~s el les invita a


I liist. of Engl., v, 27. Horace Walpole nous a laissé un échantillon de ces at-
taques: no petticoat government, no scottish favourites epas de gouvernemellt de
cotillon, pas de favoris écossais), voilu les placards qu' on affichait a la Bourse et sur
les murs de W9stminster.




l'ROlStEME PAllTIE. - LA GUERllE DE L'INDÉPENDANCE. 21'1
faire connaitre a leurs commettants que s'ils trouvaientune autre
sorte de 'droits plus a leur convenance, pour son compte, il s'y
rallierait volontiers. Mais la question ainsi posé e roulait d,ans un
cercle vicieux; car, dans toute hypothese, c'était au parlement,
selon Grenville, d'édicter la taxe, tandis que les assemblées
coloniales refusaient absolument le droit de taxer l' Amérique a
un corps OU l' Amérique n'était pas représentée. Elles rejeterent
l'expédient tout en offrant volontiers de veuir en aide a la cou-
ronne, si elles en étaient requises d'une favon constitutionnelle.
D'autre part, le siége de Grenville était fait. « Dans les circons-
(( tances ou se trouvent placées la mere patrie et ses colonies, il
« m'a paru incontestable que celles-ci devaient contribuer aux
« dépenses communes, » dit-il a Franklin, a Ingersoll, a Jackson
et a Garth, agents de la Pennsyl vanie, du Connecticut et de la
Carolíne méridionale, qui furent le voir quatre jours avant la
présentation du Stamp Act. « Je ne connaís pas a cet égard de
« moyen préférable a la taxe projetée ; si vous en avez un meil-
« leur, illdiquez-Ie-moi et je l'adopterai, ne trouvant aucun
« plaisir a m'attirer des inimitiés. » Jackson 'ayant manifesté la
crainte qu'une armée permanente ne devint fatale aux libertés
américaines, Grenville se récria et parla de ses intentions conci-
liantes. Peut-etre ce langage ne manquait-il pas de franchise
dans la bouche du premier ministre, qui n'approuva jamais"au
fond du erenr, tout le systeme dont l'ambition l'avait rendu le
porte-voíx et l'instrument. Toutefois Franklin et ses collegues,


., ainsi que leurs compatriotes, pouvaient bien le tenir pour suspect,
quand ils voyaient Soame Jemyns, le doyen du bureau du com-
merce, révéler les vues de son patron Halifax et ceBes de la ma-
jorité des ministres dan s un pamphlet dirigé, contre oc l'insolence »
des assemblées de New-York et du Massachusetts, pamphlet qui
offre un précieux échantillon de l'insolence officiel1e, comme de
l'aveuglement habituel aux gens en place t.


Ce fut le 6 février 1765 que le Stamp Act vint devant les com-
munes: ii ne comprenait pas moins de ci~quante-cinq articles,


t, Life of Fmnklin, 29[-293. - lIist. o{ unit. stat" IV, 163-167.




212 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONAU:.
dont l'un déférait aux cours d'amirauté toutes les contraventions
auxquelles l'acte pourrait donner lieu. Grenville, naturellement,
essaya de le justifier par des considératio'ns financieres et des con-
sidérations pólitiques. L'assemblée était nombreuse et chacun
paraissait acquiescer en silence, lorsque Beckford, député de
Londres et grand propriétaire en Amérique, con testa l' ópportunilé
de la meRure, sans d'ailleurs mettre en doute la souveraineté par-
lementaire. Jackson parla de meme conlre le bill, « paree que le
:~x;~;i~ment, bien qu~il possédat le dro~t íncontest.abi~ de légiférer
( pour toutes les posses~ions britanmques, feraIt bte~ de pose.r
(\ de lui-meme des bornes a 1'exercice de son pouvOlr, et qu'll
« devrait admettre dans son sein des représentants de l' Amé-
( fique. sans quoi ce pays pourrait voir ses libertés en péril, et
« ell~s ~e pourraient courir un tel risque sans qU'i,1 s'éte~dit a~,x
« libertés de la métropole elle-meme. » Jusque-Ia) le debat s e-
tait maintenu tres-calme; mais un memore ayant a10rs répliqué
que les colonies étaient virttlellement représentées au sein des
Communes, le colonel Isaac Barré, ami el eompagnon d'armcs de
Wolfe, se leva et, trouvant la prétention étrange, se mit a railler
l'assemblée de son ignoran ce des choses américaines. Grenville,
en ripostant, rappela que la derniere guerre avait procuré aux colo-
Bies d'immenses avantages sans qu' elles eussent pris une part équi-
yalente dans les frais exorbitants de cette meme guerreo « Et, »
s'écria-t-il en terminant sa riposte, « les Américains, nos en-
a. fants que nous avons élevés avee tant de soins, que nos bontés
( ont portés a un si haut point de force et d'opulenee, nous mar:
( ehandent leur obole, maintenant qu'il s'agit d'alléger le fardeau
« qui nous 'fait ployer. » Le premier ministre s'était a peine ras-
sis que Barré se levait de nouveau, et, l'mil étince1ant, les bras
étendus, luí lan~ait eette foudroyante apostrophe: ( Les Améri-
el eains élevés par vos soins! Mais ce fut v,otre tyrannie quí les
« fit fuir en Amérique, une terre alors inhospitaliere et stérile,
« ou ils endurerent longtemps toutes 80rtes de maux. Eux élevés
« par votre bonté ! ~ais ce fu~ par yotre négligence qu'ils grau-
« dirent, el quand vous commem;ates a vous occuper d'eux, ce
« fut pour surveiller leurs libertés. et froisser leurs intérets. Eux





TROIsrEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 213
« . protégés par vos armes! Mais ee sont eux qui ont pris les armes
« pour votre défense f. » Mais que pouvaient l'éloquence et la rai-
son eontre un parti pris, un flot irrésistible? et eomme Franklin
l'éerivait a son ami Charles Thompson : « On aurait aussi bien
pu empecher le lever du soleil que le vote du bill. » Les Com-
munes voterent done le Stamp Act, le 27 février, a: une majorité
des quatre einquiemes, et le 8 mars suivant, les lords l'adop-
taient san s débats, sans protestatiou, sans division.


L'apostrophe de Barré. transmise en Amérique, par les soins
d'Ingersoll, s'y répandit dans toutes les villes, dans les hameaux
memes, et, traduite en fran<;ais, fit le tour du Canada. La seule
annonce de l'acte avaif excité dans les colonies des appréhensions
a peu pres universelles et une irritation tres-vive. Un avocat du
Massachusetts, William Otis, prit la plume et, sous ce titre : Les
droits des colonies anglaises, lan<;a un petit traité de philosopbie
politiqueo Selon lui, le gouvernement ne reposait ni sur la force,
comme le youlait Hobbes, ni sur un contrat, eomme le prétendait
Locke, ni sur la propriété, eomme l'enseignait Harrington, mais
il découlait des besoins memes de notre nature ; iI étaitentré dans
la société au moment qu'y apparaissait I'homme, et sa fin essen-
tielle n' était autre que le bonheur de tous ainsi que le respect de
la volonté divine qui leur avait donné le droit d'étre libres. Quant
aux eolons, ils étaient hommes, sans doute, et, des lors, leurs
droits ne dépendaient ni de la Jla{flZa Charla, que}que vieiJJe qll'eJJe
fut, ni d'une eoneession royale queleonque, et, ces droits le par-
lement y portait atteinte en voulant taxer, de son autorité seu le,


I


t eeHe riposte de Barré ne figure pas dans I'History Parliamentary. Lord Ma-
hon la regarde néanmoins comme authentique, les doutes a cet égard ayant été levés,
dit-il, par M. Adolphus, dans une note du tome le.- de son ouvrage sur George IV.
Malgré tout, dit-il, il Y a quelque chose d'extraordinaire dans ce fait qu'Ingersoll,
qui reclleillit l'apostrophe de Barré et la fit circuler en AmérÍllue, nomme Town-
shend comme la personne a qui il répliquait, tandis que I'History parliamentary
attribue a Grenville les mots : pLanted by our cure and nourished by OUT indul-
gence. 11 y a encore deux autres circonstances obscures : pourquoi Burke, dans son
discours du 19 avriI1774, a-t-il parlé du débat sur le timbre comme (( du débat le
« plus languissaut qu'il ait jamais entendu? J) Pourquoi Horace Walpole en a-t-il
parlé comme d'une petite journée sur les taxes américaines? CHist. o{ Engl., V,
89-90.) M. Bancroft nomme Townshend comme l'orateur a qui Barré répliqua, et
croit a une erreur de l' Histoire parlementaire.




214 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEP'rENTRIONALE.
leurs personnes et leurs biens. Les Américains, ajoutait Otis, n'i·
gnoraient pas ce que l'indépendance pourrait leur couter de sang
et d'or, et ils ne songeraient jamais a la revendiquer, a moins
qu'elle ne finit par leur paraitre comme la derniere ressource qui
leur restat contre l'oppression des mínistres, « oppression capable
de rendre fous les plus sages et forts les plus faíbles. »


Le vote de l'acte lui-meme fut re~u avec des démonstrations qui
révélaientbeaucoupplusla colere quelacrainte: onl'imprimaclan.
destinement, avec une tete de mort a la place des armes royales, et
on le colporta dans les rues de New-Yorksous le titre de: La folie
de l' A ngleterre et la ruine de l' A mérique. Les assemblées coloniales
s'émurent, et la chambre des bOUf'6eois de la Virginie, qUÍ était
alors en sessioll, donna le signaI des résístanccs. Elle comptaÍt dans son sein, depuis quelques mois seulement, un jeune homme
qui n'avait réussi qu'a se ruiner en essayant par deux fois du
commerce et une fois de l'agriculture, el qui s'était improvisé
avocat en fin de compte. Patrick Henry n'était pourvu, en abor-
dant le barreau, que d'une faible instruction premiere, et toutes
ses notions en jurisprudence se bornaient a ce qu'une lecture de
Coke et de LittIeton, pendant six semaines, avait pu lui fournir 1,
Mais il sentait avec force, et son 'éloquence, qui jaillissait de
source, communiquait rapidement a son auditoire l'émotion dont
lui-meme était rempli. Nouveau venu dans cette enceinte et dans
la province meme, qu'il habitait depuis un an a peine, Henry ne
craignit pas de proposer cinq résolutions qui embrassaient l'en-
semble des franchises coloniales, et dont la derniere déniait har-
diment au parlement britannique le droit de taxer les Améri-
cains. Elles ne passerent point sans un orageux débat et furent
enlevées de haute lutteo « Tarquin et César, » s'écria Henry,
« ont eu chacun son Brutus, et Georges III. .. o .. o») Trahison ! tra-
hison! interrompit le président ; trahison ! trahison! répéta l'as-
sembléeo Mais l' orateur ,reprenant sans s' émouvoir : « Et George III
peut profiter de Ieur exemple, ») finit no Ces paroles entrai-
nerent les jeunes membres, parmi lesquels Waslrington siégeait,
croit-on, et les cinq résolutions furent votées, quoique a une ma-


f Wilham Wirt. Sketches o{ the lite of Patrick lIenry, éd. 1815,1, 16.




TROlSIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 215
jorité tres-raible, surtout la derniere, quí ne réunit que vingt vuix
contre dix-neuf. « J'aurais donné cinq cents guinées pour un seul
« de ces votes,» dit tout haut l'attorney général, a la sortie de
la salle, et en passant devant le jeune Jefferson quí" attendait im-
patiemment dan s la rue la fin de la séance, et qui garda toujours
dans son esprit l'impression qu' elle lui ayait laissée. Il est vrai
que le lendemain, Patrick Henry étant absent, l'assemblée e ffac;a ,
la cinquieme résolution de ses registres. Le lieutenant-gouverneur
n'en crut pas moins utile de la dissoudre; mais il ne put empe-
cher les feuilles publiques de reproduire ses derniers actes, que
son collegue de Massachusetts appelait une cloche d'alarme, dan s
sa correspondance avec les ministres t.


Le jour meJlle ou la législature virginienne prenait ces résú-
lutions, le gouverneur Bernard représentait a' celle du Massachu-
setts que l'intéret des colons s'accordait avec leur devoir pour
recommander la soumission aux volontés supremes du parle-
ment anglais. L'assemblée, contrairement a ses usages, ne répon-
dit point a ce rnessage; rnais, le 6 juin 1765, Otis lui proposa la
réunion d'un congres américain. Traitée de ridicule et chimé-
rique par les tories, l'idée fit un rapide chemin dans la presse et
dans les populations, quoiqu'elle ne re~ut d'abord des législa-
tures qu'un accueil incertain,· et que celle du MassachuseUs se
rnontrat timide en nornrnant a coté d'Otis deux loyalistes pour la
représenter au futur congreso Les dispositions de la Virginie
étaient excellentes, mais Fauquier, son gouverneur, n'avait pas
permís a sa nouvelle chambre de se réunir. Quant au Connec-
tícut, il rejeta l'invitation d'un vote unanime, et le New-Hamps-
hire, sans la décliner d'une fac;on formelle, n'y souscrivit pus
davantage. Le grand projet d'Otis paraissait donc en péril, et déja
Bernard avisaít le Board of Trade qu'il n'y avait rien a craindre,
et insistait pour la suppression de l' éIément électif dans la charte
du MassachuseUs. Ce fut la Caroline du Sud qui sauva le projet
et jeta de la sorte le premier fondernent de l'Union américaine.
Ses représentants étaient assemblés quand la circulaire du Mas-
sachusetts y parvint; le 25 juillet, iIs en débat~irent l'objet, et le


I Rist. o{unit. stat., IV, 193-195.




216 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTElNTRIONALE.
voterent, quoiquea une assez faíble majorit~, ,entralnés pa~ l:élo-
quence du jeune John Rutledge et l'autorIte de lenr presIdent
Christopher Gadsden, homme de convictio~s p~?fonde~, d'~n.e
volonté inflexible et d'uDe honneteté exemplalre.L ImpulslOuetaIt
donnée : la Georgie y obéit la premiere, des le 2 septembre, ~t,
dans le cours du meme mois, ce fut le tour de la Pennsylvame,
du Rhode-Island, du Delaware, du Conneetieut et. d~ MarY,l~n?:
Le parti que prendrait la ville de New-York devaIt etre deeIsIt.
II y avait la des vaisseaux de guerre dans le ~ort, ~es ~roupes
royales et un général. Gage. qui ne cacnal\ "p<a~"'l ~"i?t~y,~;y·j..t\{)n que
la marche récente des événements lUÍ faÍsaÍt ressentir. La presse
brava toutes ces menaees, et, le 21 septembre, unjournal, le Cons-
titutionnal courant, publia son premier numéro avec ces mots :
« Se réunir ou mourír)) pour devise, qui allaient trouver de l' éeho
d'un bout des eolonies a l'autre 1.


Le 7 octobre 1765, des délégués de dix colonies 2 se réunirent
dans la ville de New-York : « n ne devrait plus y avoir parmi
« nous d'hommes de la Nouvelle-Angleterre ou de New-York,
« mais des Amérieains seulement, ) dit Gadsden, et ces paroles
devinrent le programme de la réunion. Dans deux mémoires
adressés l'un aux Communes, l'autre aux Lords, elle retra()a les
griefs des eolons, nía formellement qU'OIl eut a Londres le droit
de les taxer san s leur aveu, et repoussa eomme impratieable
l'idée d'une représentation spéeiale des colonies au sein du par-
lement britannique. Le eongres tint sa derniere séánee le 24 octo-
bre, anniversaire de l'avénement de George 111; ses membres
étaientbien convaincus, quand ils se séparerent, d'avoir signé
des aetes formant un faisceau qu'il n'était au pouvoir de personne
( de rompre.)) Pendant lenr réunion, un incident vint mani-
fester dans toute sa force la répulsion que l'acte du timbre inspi-
rait aux Amérieains. Le bruit s'étant répandu qu'un navire
porteur de timbres venait de jeter l'anere dans la baie, tous les ba- .
timentsstationnés dans le port amenerent aussitót leurs pavillons


t Ramsay. Histoire dela ré~olution américaine par rapport ti la Caroline du
Sud, éd. franc., I, 16. - Hist. of untt. stat., IV, 206-209.


:1 Le New-Hampshire n'était pas représenté; mais il avait adhéré. La Géorgie en-
voya prendre copie des délibérations. La Caroline septentrionale seule s'abstint.


"




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 217
en signe de deuil, et la nuit suivante les murs des édifices publics
se couvrirent d'affiches menac;ant de mort quiconque se servi-
rait de papier timbré ou en distribuerait. Dans les groupes qui se
formaient sur la voie publique, on parlait, avec une sorte de
prescience,des ,futurs événements, d'éluder le Stamp Act jusqu'a
l'intervention de la France ou de l'Espagne, et dans presque
toutes les colonies on vit surgir des associations dirigées contrtl
l!usage ou l'importation des marchandises anglaises a partir du
l er janvier de l'ann~e suivante.


Ces nouvelles trouverent dans la mere-patrie l'opinion irré-
solue et flottante. Le commerce, satisfait de son monopole,
appréhendait des troubles plus graves; l'aristocratie terrienne
aurait bien accuelli un dégrevement de l'impot foncier, fUt-ce
aux dépens de l' Amérique, et, dans le monde politique, la con-
duite de Grenville trouvait des approbateurs et des censeurs éga-
lement prompts a exciper du respect de la constitution. Gren-
ville, d'ailleurs, n'était plus premier ministre: le roi, qu'il ayait
offensé dans l'affaire du bill de régence, l'avait remplacé par
le marquis de Rockingham, et dans le nouveau cabinet, les deux
opinions comptaient des partisans. Quant au marquis lui-meme,
il se déclarait pret a sacrifier mille actes du timbre plutot que de
courir les risques qui s'attachaient a l'exécution du premier.
Le 14 janvier 1766, le roi informa officiellement les chambres
des événements survenus en Amérique et des ordres donnés afin
d'y maintenir le bon ordre; pour le reste, ajoutait le message
royal, il était confié a la sagesse du parlement. Les Lords, dans
leur réponseJ annoncerent une adhésion san s réserve a toutes les
mesures qui seraient prises afin d'assurer le respect dli a la cou-
ronne et a l'autorité législative; mais aux Communes le débat fut
tres-animé. Pitt y joua le premier role, et par son éloquence et
par l'attente inquiete de ses paroles, car il yavait bientot un an
qu'il ne prenait plus part aux travaux de la chambre, et l' on ne sa-
vait ni quels sentlments il nourrissait vis-a-vis de l'adrninistration
nouvelle, ni quelle marche il conseillerait dans l'affaire du tim-
bre. On ne resta pas longtemps dansl'incertitude sur ce premier
point: «Je n'ai ríen a objecter a la personne des ministres,» dit-il.
« Ce sontd'honnetes gens, etcependantje nesaurais leuraccorder




218 Ll~S ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« ma confiance ; qu'ils me le pardonnent : la confiance est une
« plante lente a germer dans un esprit vieilli, et la jeunesse
« seule est eftge de la crédulité.» Quant au Stamp Aet, Pitt dé-
clara nettement que dans son opinion la mélropole n'avait nul
droit de taxer les colon s sans leur aveu, et jeta un sarcasme amer
aux personnes qui parlaient de leur représentation virtuelle au
sein des Communes. Grenville se leva ensuite, et, dans un discours
long et habile, essaya de justifier sa poli tique; en terminan! il
tlt allusíon a l' esprit séditieux des colons, et ne craignit pas de
l'attribuer aux factions qui divisaient la chambr.e et qui s'inquié-
taient peu des conséquences deleurs paroles, quand elles répon-
daient aux vues de l'opposition. Grenville avait a peine acheyé
ces mots que Pitt se trouva debou,t pour la seconde fois. « On
« nous dit,» s'écria-t-il, « que l' Amérique s'obstine; qu'ellc est en
« pleine rébellion. Moi je me félicite de ce qu'elle a résisté : trois
« millions d'hommes assez rétifs aux impulsions de la liberté
« pour se soumettre yolontairement a la servitude auraient été
« de bons instruments pour y réduire tous les autres ..... L' Amé-
« rique peut succomber; mais alors elle succomhera a la fa<;on
« de l'homme fort; elle tiendra embrassés en tombant les piHers
« de l'État, et entrainera la constitution dan s sa chute. »


Comme conclusion, le grand eommonel' indiqua deux mesu-
res: rapporter l'acte du timbre, et affirmer en termes solennels
le droit qu'avait la législature britannique de régler le commerce
des colonies, de restreindre leurs manufactures, en un mot,
d'exercer a leur endroit tout pouvoir, c( si ce n'est celui de tirer
« de l'argent de leurs poches, en dehors de leur propre consen-
« tement. » Ce sentiment fixa l'írrésolution des ministres, qui
résolurent de suivre absolumellt les indications de Pitt. Le bill
qui déclarait les droits du parlement, Declatorery Bill, ne rencontra
qu'une faible opposition : i1 passa, dans la forme meme que lui
avaient donnée les ministres, si ce n'est qu'ils ne purent faire
accepter la distinction faite par Pitt entre le gouvernement et la
taxation. A la chambre des communes, elle n'était agréable a
aucun des partis, et son auteur lui-meme, désireux d'un vote
unanime, s'ahstint de la soutenir. A la chambre haute, lord,Cam-
den n'obtint en la défendant que l'adhésion et le vote de quatre




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE; 219
pairs, Paulet, Cornwallis, Torrington et Shelburne. Le rappel
du Stamp Act subit de plus grandes vicissitudes. Grenville, aux
Communes, le duc de Bedford et lord Sandwich, dans la cham-
bre haute, s'y montrerent tres-hostiles, de meme que lord Bute,.
ses amis, ses concitoyens et un certain nombre de fonctionnaires
anciens ou actuels, qui formaient ce qu'on appelait alors les amis
dtf¡ roí. On a induit de ces circonstances et de quelques autres


I


que George nI inclinait au maintien du bin du timbre, a quel-
ques risques que ce fut. Mais la vérité parait etre qu'il désirait seu-
lement le retenir d'une fa<;on nominative, tout en renon<;ant a la
majeure partie du revenu qu'il était susceptible de produire, et
en réformant cenes de ses dispositions qui paraitraient les plus
dures. Du moins dit-il un jour a lord Strange, en présence du
marquis de Rockingham, les paroles suivantes: « Mes ministres
« m'ont demandé si j'étais pour le maintien de l'acte du timbre
« par la force des armes, ou pour son rappeI. De ces deux ex-
(( tremes, j'ai choisi le rappel; mais j'aurais préféré de simples
« modifications a cet acte j. »)


Pendant les pr~liminaires du rappel, Franklin avait été appelé
a la barre des Communes et questionné sur les dispositions de
ses compatriotes. On lui demanda d'abord si les Américains
paieraient les droits de timbre, en supposant qu'on les modérat,
et il répondit qu'ils ne le feraient pas a moins d'y etre contraints
par la force des armes, en ajoutant, sur une nouvelle interroga-
tion, qu'ils ne paieraient pas mieux toute autre taxe fondée sur
les memes príncipes. Franklin déclara ensuite qu'il ne pensait
pas que ses concitoyens, obstinés commc il les connaissait, se
lassassent vite de ne plus commercer avec l' Angleterre, et cette
sorte d'enquete se termina par deux questions et deux réponses
quí pourraieut bien avoir été concertées entre le bonhomme Ri-
chard et son questionneur : « En quoi les Américains meUaient-ils
d'habitude leur orgueil? - A se servir des modes et des ·manu-
factures anglaises. - En quoi le mettront-ils maintenant? - A
porter leurs vieux habits jusqu'a ce qu'ils aient trouvé le moyen
de s'en faire de.neufs 2.» Le 4 mars1766, le bill de rappel fut voté


f Hist. of Enql., v, 146.
2 The life of Franklin, 299-300. L'Examination se trouve dans les Works,


vol. IV, t 99.




220 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTRIONALE .
.


en troisieme lecture par les Communes, a une majorité de
350 voix contre 122, mais apres des débats dans lesquels Gren-
ville et Pítt échangerent plus d'un sarcasme et plus d'une per-
sonnalité. Les pairs le voterent également, quoique avec répu-
gnance, et parmi les opposants nguraient le duc d'York, frfwe du
roi, ainsi que plusieurs éveques. Comme complément de ces me-
sures, les plus lourds des droits établis en 1764 sur le commeree
américain furent modifiés et supprimés, et certains ports de la
Jama'iqlJe et de la Dominique décIarés ports franes.


De l'autre eOté de l' Atlantique, une grande joie accueillit ees
nouvelles : la Caroline du Sud vota une statue a Pitt; la ville de
Boston fixa un jour pour des réjouissances publiques, tandís que
la Virginie inscrivait sur un obélisque les noms des Anglais qui
avaient défendu les franchises américaines et, toujours royaliste,
décernait . a George III le meme honneur que la Caroline avait
fait au grand commoner. A New-York, on se montra toutefois
moins reeonnaissant des dernieres concessions qu'irrité d'une
disposition nouvelle, mais temporaire, qui obligeait les eolonies a
fournir du sel, du vinaigre et autres menues fournitures am:
troupes royales cantonnées sur leurterritoire. En somme, l'impres-
sion générale avait été satisfaisante i c'était a unepolitique modéréE
et prudente de faire le reste, et les colonies avaient le droit d'en ato
tendre une pareille de Pitt, qui venaít, sous le titre de lort:)
Chatham, d'entrer dans les conseils de George III. Malheureuse-
ment Pitt, en acceptant une pairie, avait perdu de sa popula-
rité 1 et s'était affaibli vis-a-vis de la couronne, en meme temp~
que sa santé, de plus en plus chancelante, le for<;ait de prendr(
une part de moins en moins active aux affaires. A peine parais·
sait-il au conseH de temps a autre, et c'était en réalité le chanee·
celier de l'échiquier Townshend qui dirigeait le ministere. Plu
sieurs fois, on avait fait allusion dans la chambre des commune
a la néeessité de combler de quelque maniere le vide causé dan
le trésor public par la réduetion de l'impOt foncier. Dans un di


i Comme on compai'ait devant le docteur Johnson la conduite de Pitt et ceBe d
. Walpole : « C'es! bien, répondit le célebre auteul' de RasseLas; mais Walpole étai
« un ministre donné par le roi au peuple l et M, Pitt était un ministre donné au f<
« par le pellple. })




TROIS1EME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 221
ces acces de précipitation et de pétulance qui lui étaient habi-
tuels, Townshend s'imposa l'obligation de trouver des moyens
inoffensifs de tirer un revenu de l' Amérique t. Cet engagement,
ill'avl;lit pris en dehors de ses collegues, en dépit memede leurs
opinions déclarées, et pour l'accomplir, il propos;l divers droits a
l'importation sur le papier) le verre, les couleurs a peinture, le
thé, le vin, l'huile, les fruits, qui devaient, selon lui, produire "une
somme annuelle de 35 a 40,000 lines sterling affectables aux émo-
luments des gouverneurs et autres officiers royaux. Ces taxes pas-
serent presque san s opposition au sein des Communes : Grenville,
cependant, qui prenaitunmalin plaisir a voir l'un des partisans du
rappel du Stamp A tclse contredire, Grenville leur reprocha d' etre;
insignifiantes, et Burke s'écria d'un ton prophétique « que jamais
on ne tirerait un shilling des colons, » en "ajoutant qu'il n'y avait
qu'un moyen de les ramener : c'était d'user envers eux de dou-
ceur el. de prudence. Ce nouvel essai fiscal, l'annulation par un
ordre du roi en conseil du pardon que la législature du Massa-
chusetts avait accordé a des émeutiers,et surtout la défense faite a
ceBe de New-York de rendre aucun acte jusqu'a ce qu'elle eftt
accepté la clause sur les fournitures récemment ajoutée áU bill
de mutinerie en Amérique, y réveillerent une irrítation qui ne
commenvait qu'a s'assoupir. « Le Rubicon est franchi,») dÍt-on
a Boston, et la législature communiqua un plan de résistance lé-
gale aux autres colonies, tandis qu'a New-York, un des membres
ducélebre triumvirat invitait tous les Américains a redoubler
de vigilance et a prendre courage 2.


Le 10 juin 1768, les commis de la douane saisirent, sous le mo-
tif d'une fausse entrée remontant a quelques semaines, le petit
sloop Liberty, qui appartenait a John Hancock, ar~ent patriote
et l'un des adversaires les plus décidés des actes de revenu.
Pendant que les commis s' occu paient de meUre leur saisie sous
la protection du vaisseau de guerre le ll.omney, des ·groupes de
gamins et de negres s'étaient formés sur les quais. Ils poursui-


, Bis!. of Engl., V. 188-189.
2 Hist. of unit. stat., V. 69-70. Ce triumvirat était composé de William Li-


vingstofi, de William Smith, de John Morin Scott, ct publiait un journal intitulé:
Tite whig.




'2'2'2 LES ÉTATS-tJNrS DE LIAMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
virent les commis en leur jetant de la boue, des pierres, des ~ri­
ques, et une autre bande, composée de populace, s'en fut briser
les vitres du contróleur et de l'inspecteur des douanes, et, s'em-
parant du canot de plaisance dn premier de ces fonctionnaires, y
mit le feu, apres l'avoir promené en triomphe dans les rues. Ces
troubles étaient sans gravité et avaient causé plus de peur que de
mal aux officiers de la douane; mais ils prirent sous leur plume
des proportions agrandies, et ce fut comme l'indice « d'un plan
« et d'un concerÚres-étendus de résistance a l'autorité de la mé-
« tropole » qu'ils f~rent dépeints aux lords de la trésorerie 1.


De leur cóté, le gouverneur Bernard et le chief justice Hutchin.-
son, dans leurs leUres l'un au ministre des colonies Hillsborough,
l'autre a ses nombreux correspondants, confirmaient ce langage
et chargeaient Hallowell, ce me me contróleur qui avait été la
cause premiere, par ses procédés arrogants, des troubles du 10
juin,de porter leurs rapports en Angleterre ét de les commenter.
Lorsqu'il y débarqua, les gens de Boston, people of Boston,étaienl
en pleine défaveur; on venait de dissoudre leur assemblée, ~
raison de sa circulaire aux colonies,et Rockingham lui-meme, ~
bout de patience, disait que les Américains paraissaient bien dé-
cidés a ne point Jaisser a leurs amis de ce cóté de l'eau un pré·
texte pour les défendre. On pressent I'impression que les rapporh
dont Hallowell était porteur durent produire au sein du cabinet.
On leur aeeorda toute créanee, en traitant d'une faí;on fort légere
les explications foumies par le conseil de ville de Boston. Les
adhérents du due de Bedford et le due lui-meme parlerent sans
détour de la néeessité ou l'on était de réduire ce centre de rébel·
lion, et .de faire des plus séditieux un exemple eapable d'inspirer
la terreur auxautres colonies. Le eomte de Shelburne, au contraire,
traita d'absurdité le projet d'envoyer en Amérique eles vaisseaux
et des troupes, pensant que l'affeetion et l'intéret des colon s les
rameneraient d' eux.-memes des que l'irritante question des taxes
aurait été tranchée a l'amiable. Mais son opinion n'eut d'autre
effet que de rendre George III, qui le détestait, plus impatient de


1 Ce n'était pas ¡'avis du général Gage : « 11 n'y a point de trouLles sérieux a
craindre, » éerivait-il a HiIlsborough, sous la date du 17 juin.




TROISl:EME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDEPENDANCE. 223
son éloignement, et, le 27 juillet, le cabinet, en arretant ses der-
nieres résolutions dans les affaires d' Amérique, s'inspira d'une
double pensée: partir des principes de l'acte déclaratoire et pro-
céder contre la ville de Boston seule, afin de diviser les colons.
Par suite de la retraÍte de Chatham, qui n'était plus que l'ombre
d~ lui-meme, la tache de l'exécuter échut toutefois a un nou-
veau ministere, dont le chef fut le duc de Grafton (octobre 1768),
mais dans lequel l'action prépondérante appartenait a lord
North, chancelier de l'échiquier, destiné a devenir lui-meme pre-
mier ministre au commencement de l'année 1770.


Le 28 septembre 1768, une escadre venant d'Halifax et portant
a bord trois régiments d'infanterie et de l'artillerie, mouilla dans
la baie de Nantasket. Ce n'était pas en vertu des résolutions prises
le 27 juillet que ces troupes étaient envoyées en Amérique: de-
puis quelque temps déja, Bernard avait manifesté des craintes
sur le maintien de la paix publique, ce qui avait décidé lord
Hillsborough a prendre quelques mesures militaires, et, par une
cOInciden ce assez étrange, il avait signé l'ordre de départ pour les
régiments expédiés d'Halifax le jour meme oú le sloop Liberty
mouillait a Boston t. Dans tous les cas, les Bostonniens étaient
peu disposés a les.bien recevoir, et la fac;on dont ils firent leur
entrée, drapeaux déployés et cartouches dans la giberne, comme
en pays ennemi, n'était point faite pour dissiper ces préventions.
Le soir, il y eut parade sur le commun, et un officier anglais,
voyant le calme de la population, s'écria « que toutes ses brava de s
avaient fini comme elles devaient finir.» Les apparences trom-
paient cet officier, comme ellestrompaient Hutchinson lui-meme
qu~ aurait du, ce semble, mieux connaltre l'esprit de ses con-
citoyens, si fertile en ressources, voire en subterfuges légaux. Ce
fut sur ce ter rain que la lutle s' établit, des le premier jour, entre
les. habitants et leur garnison. Dalrymple, qui.la commandait,
aurait vouIu la loger en ville, et le général en chef Gage vint de
sa personne appuyer sa prétention ; mais le conseil de ville refusa
nettement d'y souscrire, tant que les casernes du chateau conti-
nueraient d' offrir de la place. Dalrymple fit alors camper l'un de


f llút. of Engl., V. 247.




22:1 LES ÉTATS-UNIS DE I':AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ses régiments, qui avait son attírail de campagne, tandis que le
gouverneur s'effor.;ait de louer un batiment ruiné dont la pro-
vince était propriétaire. Forts de l'opinion des meilleurs légistes,
les occupants refuserent ~e vider les lieux. L'hiver devenant tres-
rigoureux, les soldats ne purent plus habiter sous la tente, et
Dalrymple se vit contraint d'acquérir des maisons qu'on lui ven-
dit fort cher, cornme de seprocurer, aux frais de la couronne,
toutes les fournitures que le Mutiny Act mettait a la charge de la
colonie.


eeHe sourde Jutte durait depuis treize moís, et les esprits étaient
exaspérés de part et d'autre, lorsqu'on re.;ut a Boston la nouvelle
d'un conflit qui avait écláté a New-York. Il y avait trois ans que
les habitants avaient planté un arbre de la liberté que les soldats,
apres trois tentatives inutiles, parvinrent a couper. Le 17 février
1770, trois rnille citoyens se réullissaient pour flétrir cet acte;
les soldats répliquaient par des placards insultants, et pendant
deux jours, les rues devenaient le théatre de rixes dans lesquelles
l'avantage resta en somme aux habitants. Les jourllaux le célé-
breren t bruyamment et l' assoclation des Fils de la liuerté,50ns o{
Liberty, se donna la satisfaction de plantel' un nouvel arure sur un
terrain acheté de ses deniers. La conduite .des Yorkais re.;ut a
Boston une approbation cordiale. La volonté d'échapper aux
nouvelles taxes s'y accusait de jour en jour ; le peuple, sachant
bien que les soldats ne pou.vaient faire feu sans un ordre expres
du magistrat civil, se moquait de leurs incessantes prornenades
dans les rues, le fusil chargé ; la presse accusait Hutchinson, qui
venait de remplacer Bernard, de conspirer la destruction de ces
réunions populaires qui avaient jadis servi de marchepied a sa
fortune naíssante, et lui rappelaitamerernent que le fisc l'avait
compté parmi ses fraudeurs avant de l'avoir pour champíon et
pOlIr auxiliaire. L'article de la Boston Gazette qui maltraitait Hut-
chinson de la sorte a·vait paru dans son numéro du 17 février
1770 ; quelques jours plus tard, un négociant, qui continuait de
vendre du thé; trouva devant sa porte un poteau que surmontait
une main dirigée vers sa demeure. Un homrne de la police,
noIIlmé Richardson, voulut falre enlever le poteau; des citoyens
intervinrent, et une troupe de gamins ramena l'agent chez luí a




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 225
coups de pierres. Dans sa colere, il tira su'r le groupe et tua un
enfant dé'onze ans, d'origine allemande. On fit a la jeune victime
de belles funérailles: einq cents enfants précédaient sa biere;
cinq de ses condisciples tenaient ]e poele, et une foule de citoyens
accompagnerent le cadavre jusqu'au cimetiere.


Cette démonstration avait irrité les soldats, et ils avaient fait
déja entendre des paroles ínjurieuses et menaQantes, lorsque le
2 mars, ils en vinrent aux mains avec les habitants, a la suite d'une
querelle survenue entre l'un d'entre euxet un cordier qui lui avait
refusé de l'ouvrage d'une fa<.;on grossiere. Le lendemain, qui était
un samedi, et le jonr suivant se passerent sans incident; mais
dans la soírée du lundí, il y eut une nouvelle rixe dans la rue de
Brattle,oiI se trouvait la caserne Murray. Larue, cependant, s'é-
tait peu a peu vidée, quand une troupe de soldats fit irruption de
la caserlle, en vociférant et en poussant des cris de défi. Le bruit
qu'ils faisaient attira quelques habitants sur le seuil de leurs mai-
sons ou dans la rue meme, et l'un d'eux courut mettre en branle
la cloche qui se trouvait dans le voisinage. L'alarme ainsi donnée,
des groupes de citoyens, armés de batons et de cannes, commen-
cerent a paraHre et a entourer la sentinelle devant les armes, qui
se mit a crier: Hors la garde 1,hors la garde 1 Le capitaine Preston
qui la commandait, s'adressant aux citoyens d'un ton brusque,
leur enjoignit de vider les abords de la caserne, et sans attendre
ce qu'ils feraient, les fit refouler sur les trottoirs, puis il donna
l'ordre a ses soldats de charger leurs armes. Une douzaine d'ha-
bitants, restés jusque-la immobiles, se porterent alors sur le front
d~ la garde dont ils heurterent les fusils: « Vous etes de laches
'ij; coquins, » criaie~t- ils, « de prendre ainsi vos armes contre
« des gens qui n'en ont pas .... Déposcz-les et vous trouverez
« a qui parler ... Allons 1 coquins, faites feu, si vous l'osez, mais
« vous ne l'oserez point. » A cet instant, un soldat dont le -fusil
ayait été atteint par une canne visa le mulatre Crispus Attucks,
zélé. patrio te , et, faisant feu, le coucha sur le c:;arreau blessé a.
mort. « Ne tirez pas 1 ne tirez pas 1 J) criait-on dans les groupes;
mais déja les. autres hommes, de ,garde avaien! épaulé leurs
armes; elles partirent e~ firent dix autres victimes, dont deux
tuées. Les soldats étaient tellement exaspérés qu'ils auraient


15




226 . . . LES ETATS-UNIS DE L AMERIQUE SEPTENTiHONALE.
fait une seconde décharge sans l'intervention de leur capitaine.,


A ce moment meme le 2ge régiment en armes parut 'dans une
"'-


rue adjacente. Les cloches résonnaient dans toutes les églises, les
tambours de ville battaient dans toutes les' rues, et les citoyens
aec;ouraient de toutes parts dans un état de haute excitation.
L'habitude de ne recourir qu'aux voies légales fut néanmoins la
plus forte; mais il fallut pour apaiser le peuple consigner les
troupes dans leurs casernes, emprisonner les soldats qui avaient
faitfeuettraduire Preston deva~t unjury d'enquete. Cejury recon~
nut que la conduite du capitaine avait été parfaitement honorable,
et deux soldats seulement furent condamnés, encore fut-ce pour
simple homicide. Le calme ne revint, .. d'ailleurs, dans les esprits
qu'apres ia relégation des troupesau chAteau, mesure qui froissa
beaucoup Dalrymple dans son amour-propre, mais a laquelle il
dut COl1sentir sur la demande du conseil de ville et l'avis d'Hut-
chinson lui-meme l.


Tandis q:ue ces scenes se passaient dans les rues de Boston,
les Communes d' Angleterre délibéraient sur un rappel partiel de
l'acte de revenu. ( J'aurais été encliu, » dit lord North, en pré-
sentant le bill, ~( a une mesure tout a fait radicale si les Améri-
« cains méritaienl quelque indulgence; mais ils v,ennent de
( mettre le comble a leur conduite impertinente et illégale en
« cherchant a interrompre leurs relations commerciales avec la
« mere patrie 2. )} Lord North se propósait done de retenir le
préambule de l'acte, paree qu'il affirmait I'autocratie du parle-
menl, et de maintenir les droits sur le thé, paree que le thé était
un objet d'origine exotique. L'intention du premier ministre
paraissait bonne, mais elle trahissait peu de perspicacité,. car
Planklin questionné, l'année précédente, par un membre du par-
lement, M. Strahan, n'avait pas caché que ce n'étaient point les
droits sur le thé eux-memes qui étaient odieux a ses compatriotes,


t Hist. o(unit. stat., V, 232-236; er. Bist. of Engt., V, 278-281. Le récit de
M. Baneroft est un peu emphatique; celui de lord Mahon tend trop a jeter tous les
torts sur les Bostoniens. JI est évident qu'ils furent réciproques, et somme toute, si
cette journée n'avait pas eu de grandes eonséquenees ultérieures, Oll trouverait qu'elle
a un pcu trop oceupé les historiens.


:! [) mars I i70.




, , , ,;')97 TROlSm~1E PARTm. - LA GUERHE DE L I~DEPENDANCE. ,,_
mais bien 'leur pri ncipe et la maniere dont ils avaient été voté s t:
Quoi qu'il en soit, lord Norlh se montrait plein de confiance, et
menac;ait les Américains, s'ils persistaient a ne plus commercer
avec l' Angleterre, d'user de représailles contre leurs manufac-
tures : ( e'est une méthode que j'essaierai, » dit-il, « avant de
renoncer a mon droit. » Ces paroles urr peu hautaines cachaient
une perplexité intime: lord North entrevoyait des périls SUI: sa
route et penchait au fond pour une poli tique accommodanle.
Lorsque la nouvelle du conflit ou, pour parler comme les Amé-
ricains, du massacre .de Boston parvint a Londres, el alors
qu'Hillsborough, qui était resté a son poste lors des derniers
changements ministériels, préconisait le systéme des derniere~
rigueurs, lui cOllseillait de temporiser, convaincu que le mou ve-
ment dirigé contre l'imporlation tomberait de lui-meme, pour
peu que de nouvellcs sévérités ne vinssent pas accroitre l'exci-
latíon des colons. De fait, la province de New-York avait seule
rempli ses engagements sur ce point, et n'eut été le thé qui restait
pt'oscrit, on aurait pu dire que le trafic entre les deux pays était
redevenu ce qu'il était avant les troubles. Lord North eut done
fait volontiers de nouvelles concessions, si l'attitude du roi, de
plus en plus irrité contre les colons, et le sentiment de ses col-
legues, qui regardaient le cas du Massachusetts « comme plus
désespéré que jamais,» ne s'étaient mis en travers de ses idées CO~l­
ciliantes. Loin de prévaloir, elles ne purent empecher la coneen-
tration dans .le port de Boston des batiments de guerre stationnés
aux colonies et le transfert a l'autorité militaire, au lieu du
gouverneur, du cornmandement des forts, qu'un ordre du roi en
conseil prescrivit a la date du 6 juillet.


Au mois d'aout 1772, lord Dartmouth remplaca Hillsborough :
c'était un homme de mffiurs douces et de dispositions ajmables,
qui s'était jadis opposé á l' acte du timbre. Il rec;ut des mains de


, Fl:anklin et transrnit a George III les doléances ~u Massachusetts
sur la mesure qui avait enlevé a son assefIlblée le vote annuel des
émoluments du gouverneur, et qu'on le menac;ait d'étendre aux


.


honoraires des juges. Pour s'etre fait assez longtemps attendre, la


t Life of Franklin, 324.




,
,


"


228 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
l'éponse du roi n'en fut que plus significative. Elle portait en
somme « que le droit du parlement de légiférer pour l' Amérique
« était iIlimité, indiscutable, essentiel aux prérogatives de la
« couronne, et qu'en conséquence, le roi n'avait pu voir ·sans un
« extreme déplaisir des pétitions et des remontrances qui ten-
« rlaient a mettre ce drolt en question 1.» En meme temps lord
North, selon la volonté expresse de George III, s'occupait des,
moyens de mettre la fidélité des Américains a l'épreuve qu'il
avait annoncée lors du rappel partiel des actes de revenu. On a
vu qu'en dépit de quelques ardents patriotes, ils avaient repris
leur trafic avec la métropole et que le thé seul restait banni de
léurs marchés; mais de,s denrées inscrites au nouveau tarif c'é-
tait la plus productive, et son exclusion lésalt la compagnie des
Indes occidentales, qui avait le monopole de son transport. Le
prix du thé avait baissé de moitié ; la compagnie ne servait plus
de dh idendes; elle ne payait plus ses dettes, et du meme eoup,
le fisc perdait un revenu annuel de dix millions. eette situation
n'avait pas laissé d'ébranler le crédit eommercial et d'amener de
nombreuses faillites. Pour l'améliorer et saHS toucher aux prin-
eipes des derniers actes, lord North offrit a la compagnie la re-
mise de tous les droits a l'importation en Angleterre pour lous
les thés qu'elle transporterait en Amérique, droits dont déja elle
ne supportait depuis 1767 que les trois cinquiemes, en vertu
d'une décision parlementaire. ( On va- toujours au bon marché, )
disait-il, en se flattant qu'un tel arrangement vaincrait la mau-
vaise volonté des colons. Quelques difficultés étant survenues
dans le détail, et la eompagnie hésitant sur l'avis qui lui avait été
donné par ses eOl'respondants américains qu'elle allait se lancer
dans une aventure ruineuse: el 11 ne sert de rien d'hésiter, »
lui fit di re le premier ministre; « le roi le veut ainsi; sa résolu-
« tion est prise, et e'est ~ur ce terrain qu'il tAtera l'Amérique 2. l)


La compagni~ se pourvut done des licenees néeessaires, etle


t 2 juin 1773.
2 Fra-nklin Works, vIiI .. 33 et 75. Lord Mahon prétend néanmoins que la com-


pagnie accepta avec un grand empressement les offres de lord North (V. 233), quoi-
qu'il rcconnaisse que d'apres l' Annual register de 1774, elle avait rait entendre des
oDservations. '




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANGE. 229
samedi 28 novembre 1773, un de ses navires~ le Dartmouth, mouil-
lait dans .Je port' de Boston. Les habitants l'aftendaient dans la
résolution bien arretée de ne permettre ni le o débarquement ni
la vent~ du thé' qu'il apportait. La gtricte observation du Sabbat
était une des pratiques religieuses du pays; mai s le temps pres-
sait et le dimanche 29, cinq mille Bostonniens, rassemblés dans
Fancueil-Hall, décidaient, sur la proposition de Samuel Adams,
de renvoyer le thé « la d'ou il venait. » Le vrai moyen de s'en
débarrasser, exclama l'un des assistants, est de le jeter par-dessus
le bord ! Ces mots n'eurent pas d'écho; on donna meme 'une
garde de vingt-cinq hornrnes au malencontreux navire, tout en
ex)geant de son capitaine et de son consignataire la promesse
qu'ils ne débarqueraieut point les thés. On leur laissa vingt jO!lrs
pour se défaire de leurs autres marchandises et remettre a la
voile, sous peine de saisie s'ils dépassaient ce terme. .


Le 11 décembre le navire était encore a l'ancre; on fit souve-
nir son consignataire de la fin prochaine du délai intimé, et
comme íl alléguait son manque de pouvoirs, on lui signifia de
nouveau la néces$ité de le faire repartir. Une vive agitation ré-
gnait daos Boston et s'était déja communiquée aux villes
voisines de Charlestown, de o Roxbury, de Lexington, de Wor-
cestero Le 16, le bruit se répand que le collecteur des douanes
a refusé son acquit et que faute de cette piece, le gouverneur se
refusait a son tour a délivrer une passe de partance. Les citoyens
s'assemblent dans une église et agitent le parti a :prendre. « Des
harangues et des acclamations ne suffisent pas, » s'écrie Quincy
le jeune. «( La main est a la charrue, » ajoutent les plus ardents,
et la réunion, a l'unanimité de ses sept mille yoix, décide que le
thé ne sera certainement point débarqué. La nuit était venue sur
ces entrefaites, et il était pres de six heures quand le consigna-
tafre, introduit dans l'assemblée, déclara que le gouverneur con·


o tinuait de refuser la passe de partan ce paree que le Dartmouth
n'était pas déchargé. «( C'est bien» s'écrie SamuelAdams, «( il ne
reste plus a cette réunion qu'a sauver le pays.» C'était le mot
d'ordre: le War- Whoop se fait immédiatement i:mtendre, et qua-
ran~e ou cinquan~e hornmes, aeguisés en lndiens, se por\en~ sur
le quai .ou se trouvait amarré le Dartmouth, avec deux antres




230 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
navires de la compagnie arrivés pO,stérieurement. Ils montent a
bord et vident les trois cent quarante caisses de thé qu'ils y trou-
vent, puis ils se retirent sans ioucher aux autres l~archandises 1.


Frank\in s'occupait dan s ce meme temps de provoquer le rap-
pel d'Hutchinson et d'Olivier, son lieutenallt-gouverneur. Au
;mois de décembre 1772, il s'était procuré les originaux d'une sé-
rie de lettres écrites par l'un et par l'autre de ces personnages a


• M. Whately, membre du parlement, et les avait transmis a
M. Cushing, président du comité de correspondance de Boston. Ces
lettres, sans etre officielIes, se référaient uniquement aux affaires
publiques; il Y respirait' beaucoup d'animosité vis-a-vis du Mas-
sachusetts, dont l' état troublé était rapporté a l' esprit de factüm
seul,et on ~ insiIl:uaitd'une fa\,-on claire qu'a moins d'employer la
force, on ne dompterait pas cet esprit. M. Cushing communiqua
ces lettres a diverses personnes de sa connaissance, et J olm
Adams les emporta dan s une tournée judiciaire, de sorte que
leur teneu,r se répandant dans le public, les membres de la légis-
lature, 'quand ils se réunirent, montrerent un vif désir de les con-
naltre a leur tour. Il résulta de cet examen Ulle censure des let-
tres, ainsi qu'une pétition au roi lendant au rappel d'Hutchinson
et ~'Olivier, qui « ayant voulu nuire au peupJe, avaient tout a
fait perdu sa confiance. »)


Renvoyée au conseil privé, apresde longs délais, elle fut lue, le
19 janvier 1774, en présencede Franklin, de son conseil et de ceux
de la province. Franklin a décrit lui-meme la scene extraordi-
naire qui eut lieu alors. « Malgré certains avis, 1) dit-il, « je
« ne pouvais croire que le sollicíteur général oserait transformer
('( la question en une accusation nouvelle, portant sur un point
(f qui échappait complétement a la compétence du conseil, el
« dirigée contre une personne qui ne s'attendant point a une pa-
«reille aHa'que, n'avait rien préparé pour s'en défendre. Tout
(e cela néanmoins est arrivé, et avec préméditation, sans doute,
« car tous les courtisans avaient été invités, comme pour une par-
« tie de plaisir, etjamais il n'yavait eu pareille affluence de con-
« ~eillers (35 au moins), san~ parler d'une foule d'auditeurs :l. j)


I John AJam~. Works, n, 333, -- Hist, nf ¡mito 8tat,) V. JJ3-3iO.
2 U{e 01' Ftanklin, 367-369.




TROlSIE;\,IE PARTIE, - LA GUEHRE DE L'INDÉPENDANCI<:. 231
Quand le conseil de la province eut exposé la cause, l~ solli-
citeurgénéral Wedderburn prit la parole et, au líen de la dis-
culer, s'emporta en récriminations contre le MassachuseUs et en
invectivescontre Franklin lui-meme. Le résultat d'une telle raree
juridique, pour employer l'.expression de M. Sparks, ne pouvait
étre douteux; I'avis du conseil privé fut que la pétition reposait
« sur des allégations erronées, qu'elle était vexatoire, scandaleuse,
« et mise en avant dans le seul but d' entretenir l' esprit séditieux
« dans les provinces. » George III adopta cet avis, et Franklin
perdit la place de directeur généraI des postes en Amérique
(Post-master-general), qu'il exerQait depuis IOllgues années.


VOiHl dan s quelles circonstances les dépeches de Bostan qui
racontaient.la mésaventure survenue au Dartm'iulh parvinrent
en Angleterre. Elles irriterent non-seulement le cabinet, mais la
nation, et le 14 mars, lord North proposa un bill qui fermait le
port de Boston « jusqu'au rétablissement de l'ordre dans cette
«. ville et au paiement d'une juste indemnítéa la compagnie des
« Indes occidentales. l) A la chambre des lords, la mesure pass a
comme sans discussion, malgré les dforts de Camden, de Shel-
burne, de Rockingham, et ne rencontra qu'une tres-faíble oppo-
sition aux Communes. Burke fit allusion,néanmoins, a une in-
teryention étrangere qu'une telle politique était bien faite pour
provoquer, et Johnstone, I'ancien gouverneur de la Floride occi-
dentale, parla de confédération et de révolte générale. Mais
lord North eut réponse a tout. S'il fallait employer la force,' il
était résolu a le faire; quant a la France, la puissance a laquelle
se référait évidemment l'allusion de Burke. on affectait au palais
de Saint-James la plus entiere tranquillité de ce coté, et le secré-
taire d'Étal Rochford al'lait jusqu'a di re a Pignatelli, l'ellvoyé
d'Espagne, « que jamais il n'y avait eu d'unioIl aussi complete,
« et, selon toutes les apparences, aussi inébranlable entre Lon-
( dres, Paris et Madrid t. l)


, .


Des écrivains anglais ont pf'msé que 'si le Boston Port Bill était
resté seuI, les autres colonies auraient pu sinon I'approuver
tout a fait, du moins y acquiescer dans une certaine mesure, eu
égard aux formes violentes que la résistance des Bostonitiens


1 Garniel' au ilue (fAignillon, 4 fév. 177~ (Hist. o( unit. SL!t., V. 350).
. " ,;:\ "t 1\ R r."
'/ ~~~




232 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉIUQUE SEPTEN'l'RIONALE.
avait revétues et au dommage qui en était résulté pour des tiers.
Mais elles' s' effrayerent pour le sort de toutes leurs franchises
quand elles eurent vu lord North, sans me me attendre le vote
par les lord s de ce premler bill, en proposer un second qui re-
tirait aux habitants du MassachuseUs.]e droit d' élire leurs légis-
Iateurs et Ieurs magistrats '. Les hommes les plus calmes et les
plus modérés du parti populaire commenQaient a se sentir a
bout de patience et pouvaient d'autant mieux se croire dans la
vérité, qu'en Angleterre meme, des voix éloquentes p,rotestaient
contre les agissements de la couronne et du ministere. Mais le
dé était jeté, et il ne restait plus aux A méricains que le choix
entre la soumission ou Le triomphe, suivanl les expressions
memes de George III, écrivant a ~on premier ministre,·et le roi ,
espérait bien qu'elles se soumettraient. Le cas contraire le laís-
sait, d'ailleurs, san s la moindre inquiétude : Hutchinson, rappelé
par lord North, qui sentait bien qu'en cas de conflit armé il ne
serait point a sa 'place, Hutchinson lui avait garanti la soumis-
sion .du Massachusetts, ainsi que l'indifférence des autres pro-
vinces, et le général Gage, mandé expres de Boston, lui avait dit
que les Américains 'ne seraient plus (( Hons,» des que les An-
glais cesseraient de se montrer « agneaux, » en l'assurant qu'av~c
quatre régiments il répondait du bon ordre 2.


Tandis qu'un Américain dégénéré flattait ainsi l'entetement
royal, ces colonies déclarées indifférentes, la Virginie, toute la
Nouvelle-Angleterre, New -York et les Carolines ouvraient des
souscriptions et venaient en aide a ce meme MassachuseUs dont
le parlement mutilait la charle, faisait occuper militairement la
capitale et bloquer les ·ports. On parlait de réunir un congres
général 3 ; la convention du comté de Suffolk, sous l'inspiration


f llist. of EngL, VI, 5 et sqq. Une circonstance remarquable, relevée par lord
Mahon, est que Chatham el Washington, sans aucnn concert, ont exprimé sur le
Port BiIl la meme opinion : c'est qu'une pal'eille mesure n'eut été juste qu'autant
que la ville de Boston se serait refusée préalablement a payer des dommages et illté-


, rets a la compagnie dss lndes occidentales.
2 Lett. de George 111 a lord North, du 4 et du 16 février, du ter juillet .1774, ci·


tées dans l'appendice du tome VI de lord Mahon. Ces mots : ( le dé est Jeté,» the die
is casto se trouvent au commencement de l'extrait du 11 septembre.


3 L'idée premiere du con gres général parait revenir au docteur Cushing, mais




,


TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 233
de Samuel Adams et de Warren, déclarait rompus les liens de
l' Amérique avec sa métropole, et le colonel Washington~ sans
vi ser encore a l'indépendance, qu'il ne croyait ni dan s les désirs"
ni dans l'intéret d'aucune des provinces, offrait toutefois de lever
a ses frais un régiment de mille hommes et de marcher a leur
tete au seeours de Boston.


Le mot de congres ne fut pas jeté en vain: recueilli par les fils
dela liberté, Sons o{ Liber·ty, de New-York, iI devint de leur part,
au mois de mai 1774, l'objet d'une motíon formelle '. Quelques
mois néanmoins devaient encore se passer avant que l'idée fut
entierement mÍlre, et certains faits qui eurent lieu dans l'inter-
valle concoururent a la fortifier. Des trente-si x personnes que la
couronne avait désignées pour former le conseil provincial du
Massachusetts, vingt-quatre seulement preterent les serments,
et la moitié donnerent leur démission sous la crainte des ven-.
geances populaires. La cour supreme de justice s'était réguliere-
mént rassemblée a Boston, mais elle ne trouva point un seul juré
pour l'assister. Le sentiment pubIie était excité a un tel point
que les hommes les plus graves, et les ministres de l'Évangile
eux-memes, ne recula.ient pas devant les procédés les plus vexa-
toires etles plus illégaux quand il s'agissait de vexer un officier
,royal ou d'intimider l'un des nouveaux conseillers 2. Dans ces
circonstances, le général Gage, qui disposait maintenant de six
régiments et d'un parc d'artillerie respe?table, crut utile de


Franllin en fut le premier promoteur directo (V. une note, p. 35Q de la Vie' de
FrankUn.)


t Dans son Histoire de Washington, etc., M. C. de Witt attribue eeUe initiative
a 1a Virginie. Ce fut la provinee de New-York quí proposa le con gres général, af-
firme 14. Bancroft, et e'est me me le titre du chapo 11 de son Vle volume. 11 ne donne
pas la date précise de la résolution; mais il fait eonnaitre que sa eommunication a la
Pennsylvanie et h la Virginie fut antérieure au 16 mai 1774, et la résolution de la
Virginie,dcmt parle M. de Witt, est du '24 maL Elle fut rendlle a I'instigation de
Jefferson, d'accord avec Washington, Patrick Henry, ~eorges Mason, et sur la mo-
tion de Robert Carter Nicholas, et portait «que le jour ou le port de Boston serait
(( fermé, serait un jour de jeunes et de prieres, afin d'implorer l'intervention divine
« pour qu'elle écartat les maux de la guerre civile et donnat aux Américains une
(C seule ame et- un seul esprit dan s leur résistance aux attaques dont leurs droits
« étaient }' objet:» (Hist. of unít. stat., VI, '25.)


2 Lord Mahon (VI, 13) en donne un cmrieux exemple, et les chapo VIII et IX dll
vol. VJ de M. Bancroft abondent en dé~ails caractéristiques sur ce point. .






234 LES ÉTATS-UN1S DE L'U[ERIQUE SEPTENTRIONA-LE.
prendre quelques dispositions militaires. Comme ces troupes
étaient presque toutes campées sur le commun attenant a Boston


-et que la désertion s'ét~it mise dans leurs rangs, il pla~a une
forte garde sur le B~ston Neck, c'est-a-dire sur l'isthme étroit qui
réunissait alors au continent la ville et le commun. Quelque
temps apres, i1 fit fortifier l'isthme et .dresser des baraques. Le
l'~'Ssemb'ement amwe} aes milices étant prochain, Gage jugea
essentiel de ne point leur laisser de munitions ; il les fit prendre
a l'arsenal provincial de Cambridge et, transporter a Boston. A
considérer le role que ses instructions lui assignaient, ces me-
sUl'es avaient leur cóté plausible, mais elles ne pouvaient évi-
demment qu'ajouter a l'exaspération publique. Un cri général
accusa Gage de vouloir affamer la ville; OIl combIa ses tran-
chées a mesure qu'elles se creusaient; 011 incendia ses approví-


·sionnements de foin et de paille; on submergea les ba1eaux qui
transportaient ses briques et les charreUes qui étaient chargées
de ses bois.


Dans l'intervalle, l'idée d'un congres général s'était répandue
dans toutes les provinces et y avait fait un chemin rapide par le
canal des comités de correspondancc. Au mois de juillet, New-
York choisit ses cinq délégués a cette assemblée: dans le nom-
bre, figuraient Philip Livingston et Jolln Jay, jeune légiste, qui
descendait de hugllenots réfugiés. Ce fut aussi dans les débats
auxquels cette élection donna líeu, que se rtSvélerent pour la pre-
miere fois les talents orato~res d' Alexander Hamilton, créole des
Antilles, qui au début du conflit avait d'abord pris part~ pour la
métropole, mais sans tarder a embrasser - celui des colonie~.
Dans le cours du méme mois, les autres provinces, a part la
Géorgie, imiterent l'exemple de New-York. Il y eut bien des
différences notables dans le mode d'élection : au Massachusetts,
ce fut l'ass~mblée dissoute qui la ~lt, tandis qu'en Virginie, elle
fut l'amvre d'une chambrenouvclle, et qu'ailleurs l'acclamation
populaire parut suffisante; mais partout, les choix, quel qu'en
fut le mode, se porterent sur des hommes connus par leurs ta-
lents, leurs lumieres ou leur patriotisme. Ainsi, la Yirginie ayai1
cboisi Peyton RaniJolpb, Patrick Henry, Washington; le Mary-
Jano leg rleux Adams, John et Samuel; la Carolille méridionalc




TllOlSIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE, 235
Christopher Gadsden, John Rutledge, Edward Rutledge. Celui-ci
se montra le premier oratenr de la réunion, apres Patrick Henry ;
mais «parl~-ton de connaissances solides et d'un jugement
sain, Washington est le premier ¡J'entre IlOUS, » disait Hem:y
lui-merne.


Le congres, compos(\ des députés de onze ccilonies 1, se réunit,
le 5 septembre, a Philadelphie, et se donna pour président Pe)'ton
Randolph, l'ancien speaker de l'assemblée virginienne. Son pre-
mier acte fut de fixer son mode de votation ; apres de vifs débats,
le vote par province, défendu par Gadsden et John Adams,
l'emporta sur le vote par membre que défendait Patrlck Henry.
On dé cid a ensuite que la séance s'ounirait le lefldemain par des
prieres. Comme Jay et Rutledge objectaient la diversité des
croyances dans une rénnion qui comptait des puritains, des épis-
copaliens, des méthodistes, des quakers : « Je ne suis pas bigot,»
s'écria le congI'égationnaliste Sarnuel Adams. « Je puis entendre
« la priere de tout hornme 'pieux et en meme temps ami de son
« pays, " et il désigna Duché, qui était épiscopalien, pour pro-
nancer les prieres. On aborda ensuite les que~tion,s politiques, et
il devint visible qU'UIl double courant d'id'ées et de sentiments
l'égnait dans l'assemblée. Un petit Hombre de membres, a la tete
desquels Patrick Henry, avaient déja faít leur deuil d'une sépara-
lion qu'ils regardaient comme désorrnais inévitable et volontiers
y auraient poussé . sur l'hl~ure; le plus grand nombre, et de
ceux·ci étaiellt Washington, Dickinson, John Adams, restaient
encore tres-attachés.a la métropole. l1s n'aspiraient qu'a obte-
nir la réparation de ses tort5, et loin de tendre a une rupture'
violente, leur dessein bien ferme étaít de tenter tout ce que lenr
conscience elleur dignité patriotique leur permeUraient de faire
pour écarter une extrémité qui leur paraissait tres-périlleuse.


Le congres résolut done de formuler) dans une adresse a
George IlI, les doléances. et les vreux des colons, et la discus-
sion qui s'ouvrit sur les bases de cette adresse manifesta une cir-
constnnce bIen caractéristique de l'esprit anglais. Lee et Jay
étaient d'avis de fonder ces réclamations sur les principes du


1 Ceux. de liI Caruline du Nord ne parurent que le l4. Journals ú{ the american
congress, from. 1774 to 1781; Philadelphia, 1787, I, 12.




23G LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE..
droit naturel qui, dans leur opinion, consacraient a la fois et le
droit d'émigrer et le droit des émigrants de choisir, a leur gré,
leur forme de gouvernement; Rutledge, Duane et Sherman leur
trouverent une base plus solide dans les chartes provincialés, et
ce fut leur sentiment qui prévalut. "Ce point de théorie réglé, il
restaita saT'oir jusqu'a quel point en fait ces réclamations se-
raient étendues. Les Virginiens y auraient volonti~rs compris
tous les actes de navigation, et les députés de la Caroline méri-
dionale l'ensemble de ces mesures restrictives dont la Grande-
Bretagne s'était montrée si prodigue vis-a.-vis du commerce amé-
ricain. Il y eut des membres qui refuserent au parlement britan-
nique tout droit de légiférer pour les colonies; il Y en eut qui lui
refuserent le moindre droit de taxer cel~es-ci, tandis que d'autres
se bornaient a limiter ce droit aux affaires extérieures. En résumé,
le débat, qui fut long et vif, aboutit a une transaction. Le congre~
se décida a ne pas prendre en considération, du moins pour le
moment, des droits autres que ceux' qui avaient été violés, de-
puis 1763, par des actes parlementaires t, et vota, sur la proposi-
tion de John Adams, la résolution suivante : « Eu égard a la né-
« cessité et dans l'interet des rapports réciproques des deux pays,
« nous con sen ton s bien. volontiers a l'application des reglements
(( rendus bona fide pour assurer a la mere patrie les avantages du
« trafic extérieur' des colonies, mais en excluant toute idée de
(~ taxes internes ou externes, établies dans le but de tirer de
(( l'Amérique un revenu qu'elle n'aurait pas consenti. » CeUe
résolution contrariait assurément les préc~dents du congres de
1765 qui avait repoussé une motion analogue, dont l'auteur était
Philip Livingston; mais elle témoignait d'un désÍl: de réconciliation
tres-sincere, el son promoteur a dit plus tard qu'il eut donné tout
au monde pour amener le retour des choses a leur état primitiP.


Le rejet des plans de conciliation présentés successivement par
Chatam et par Burk.e 3 ainsi que le nouveau bill, qui restreignait


, (( The congress confines at present for the consideration of such rights liS have
«( been infringed by acts of britisb pal'liament since the year 1/63. » (Journ. o{ the
Ame.r. cong., 1, 21.)


2 llist. ofunit. stat., VI, 81-82.
3 Séance des Lords du 1 er février et séance des Cornrnunes du 20 rnars 1775.




TROlSIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 237
J e commerce des Américains avec la métropole ou les lndes
orientales et leur interdisait la peche sur le banc de Terre-Neuve
tcndirent la situation a 1 'extreme. Des deux cótés de l' Atlantique,
on voyait s'approcher l'heure finale de cette séparation que tant
d'esprits clairvoyants; Turgot, Camden, Hume, Adam Smith,
Choiseul, avaient annoncée ou pressentie, depuis la conquete du
Canada et le développement des. projets de Grenville et de ses
successeurs 1. Dans la lutte qui se préparait, les colonies amé-
ricaines avaient pour elles, comme on l'a si bien dit, le droít
historique et le droit rationnel, des faits et des idées : leur résis-
tance précéda leur insurrection, et I'Angleterre commettait une
agression insolente, quand elle tentait de disposer, sans leur aveu,
de leur destinée et de leur fortune 2. Au fond de ce débat, il y
eut des l' origine une questioIl d' orgueil royal d'une part, une
quesfion de point d'honneur de l'autre. D'apres un calcul fait
par lord North en 1775, l'habitant de la Grande-Bretagne payait
des taxes annuelles qui ne s'élevaient pas a moins de vingt-cinq
shellings, tandis que ceBes de l'habitant des colonies ne dépas-
.saíent pas six pence 3. « Qu'il est donc ridicule d' affirmer ~ » s' é-
criait Hamilton, « que nous sornmes en querelle pour le misé-
« rabIe droit de trois pence par livre de thé I Non, ce que nous
« contestons, c'est le principe. Il s'agit de savoir si nous garde-
« rons, pour nos vies et nos fortunes, la sécurité que nous recon-
« naissent la loi de la nature, la constitution anglaise, nos propres
« chartes, ou si nous livrerons ces biens a une chambre des Com-
« munes, qui n'a pas plus le droit d'en disposer que ne l'aurait le
«grand Mogol 4. ) n s'en fallait, d'ailleurs, que des hommes


t Par Turgot, des 1750. Le 12. septembre 1770, il écrivit au Dr 1'ucke~ qu'il
voyait approcher avec joie le moment de cette séparation, paree qu'alors seulement,
l'Europe retirerait le fruit de sa découverte et qu'un coup mortel serait porté a la
vieille politique commerciale ((Euvres, IX, 368·369). Quant a Adam Smith, le
chapo VII de son livre IV est rempli d'avertissements et de pressentiments sur les
efTets de la taxation de l'Amérique, quoiqu'i1 regard:H le principe comme juste, eu
égard aux dépenses de la derniere guerre.


2 Guizot. Washington, étude historique.
3 ¡Iist. o{ Engt., VI, 31.
4 The· o({tcial and other papers o{ mayor general Hamilton, London~
104~, 1, 13-14. Ces lignes se tl'ouYent dans sa réponse (New-York, 1774)


,




:!3~ LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
comme Hamilton fussent des révolutionnaires dans la mauvaise
aeeeption de ee terme; ils avaient été longtemps des sujets
tres-loyaux, des eolons tout a fait affectionnés a la métro-
pole, et ce ne fut pas sans tristesse qu'ils se virent aeeulés a
l'alternative de rompre avec l' Angleterre ou de trahir leur~
devoirs d' Amérieains. M~me apres le sang versé a Lexington el
a Bunker-Hill, Jefferson déclar~it que personne au monde « n€
«ehérissaii plus eordialement la Grande~Bretagne, quoiqu'il
« aimat miéux eesser d'exister que d'aceepter eeUe union aux
( termes que le parlement proposait 1 ; ) et Washington, deu'lí
mois avant la déclaration d'indépendanee, ne eaehait point en
pubIie qu'au moment ou il prenait la direetion de l'armée, l'idée
d'une séparation lui était encore en horreu.r 2. Pendant toute
la durée de la guerre, jJ y eut des complots loyalistes, des Amé-
ricains ~ans les rangs de l'ármée anglaise, et le congres qui pro-
clama l'indépendance comptait une minori1é royaliste qui s€
serait facilement résigllée a une soumission quelle qu'el1e fUt. 11
parait également certain qu'aux débuts de ectte guerre, iI partil
de Boston meme des lettres qni invitaient le prinee Charles-
Édouard a se rendre en Amérique et qu'en 1778, quelques per-
sonnes lui offrirent encore de lever son étendard 3. Entin, et pour
tout dire d'un mot, la mere de Washington, qu'il aimait et vé-
nérait, n'approuva point sa conduite, et William, le fils de Ben-
jamin Franklin, gouvernait encore les Jerseys pour George JII
au mois de juin 1776.
a deux pampiJlets, ¡'un du doctenr Seabllry, I'autre de M. Wilkinsj OU I'on blamait
la marche du premier congres continental.


i Lettre a R~fillolph, du 2.9 septembre 1775.
2 Hist. of unit. stat., VII, 244.
3 Hist. of EngZ., VI. Le premier de ces fa\ts repose sur le tém-oignage de l'ahhé


Fabroni, recteur de l'Université de Pise, qui assura a I'un de nos eompatriotes qu'il
avait lu les lettrcs (Dutens. Mémoires d'un voyageur, IlI, 3.0). Quant au second,
Walter Scott le raeonta a Washington 11'ving, quand celui-ci vint le visiter a Abbot~­
ford. Mais lord Mahon n'a pu retl'Ouver aux archives de Windsor le mérrwir
qu'avait vu Seott.




LIVRE 11.


La déclaration d'indépendallce et Saratoga',


LES PREMIERES HOSTILITÉS: Concord Lexington et Ticonderoga; l'ar-
mée américaide; Washington, général,en chef; ses lieutenants et
ses soldats; affaire de Bunker-Hill ..


L'INVASION DU CANADA : Prise de Saint-Jean; reddition de Montréal;
siége de Quebec; combat des Trois-Riviéres et retraite désas-
treuse des Américains.


SIÉGE DE BosTON : \Vashington s'empare des hauteur de Dorchester;
les Anglais évacuent Boston. , .


LA DÉCLARATION D'INDÉPENDANCE : Etat· des esprits; d~bats au sein
du congrés; Jefferson, rédacteur de la déclaration; accueil
qu'elle trouve dans l'armée et le pays; mission conciliatrice d~
lord Howe; Jl est trop tardo


CAMPAGNE DE 1777: Bataille de Brooklyn; les Américains éva-
cuent New-York; Washington passe l'Hudson; combats de
Trenton et de Princeton; bataille de la Brandywine; le mar-
quis de La Fayette; les- Anglais a Philadelphie; bataille de
Germantown; camp de Valley-Forge.


CAMPAGNE DU NORD : Burgoyne s'empare des forts Ticonderoga et
Edwards; combat ,de Bennington; le fort Stanvix; les· hau-
teui's de Bémis; Burgoyne a Saratoga; il capitule ..


Le 15 avril1775, des lettres ministérielles enjoignirent a Gage
de prendre poS'Session de tous les forts coloniaux, de ~aisir les
muriitions des Américains et de substituer des mesures militaires
au cours ordinaire de la justice et des loÍs. Trois jours plus tard,
huit cents hommess'emharquaient nuitamment a Boston et se
dirigeaient sur Concord, afin d'y détruire un magasin de muni-
tions et s'emparerde Samuel Adams et de John Hancock. - « lis
manqueront leur coup, dit quelqu'nn au moment de l'embarque-




240 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
mente - Quel coup? demanda l'un des officiers, lord Percy, que
cette remarque frappa. - Eh bien! l'enlevement des canons de
Concord, » telle fut la réponse. Lord Percy COUl'ut chez le
général Gage qui donna l'ordre sur-Ie-champ de fermel' les portes
de la viUe. Mais il était trop tard; déja le zélé Warren avait
dépéché deux émissaires a Lexington, petit bourg de 700 ames,
placé sur la route de Concord, OU se trouvaient Adams et Han-
cock. Apres les avoir avertis, ils prirent le chemin de Concord
et tomberent dans une troupe d'officiers anglais; mais un homme
de Lexington qui. les avait jOillts poursuivit sa route, donnant
partout l'alarme sur son passage. L'aube blanchissait quand la
tete de colonne des Anglais, sous les ordres du major Pitcairn,
atte~gnit Lexington. Qlloiqu'elle marchaten silence, elle fut aper-
c;ue par les vedettes du bourg q ui la signalerent par des coups de
fusil et des roulements de tambour. Soixante ou soixante·dix
habitants vinrent alors se ranger a quelques metres en avant de
la maison commune. L'avant-garde anglaise, au bruit du tambour
et des coups de feu, avait fait halte et chargé ses armes; rejointe
par le reste du détachement, elle se lan"a en avant au pas de
charge. Pitcairn s'avan"a ver s les Amérícains. Les traita-t-íl de
rebelles, comme ils l'ont prétendu? Le faít est controversé, mais
illes somma certainement de déposer les armes, etsur leur refas
donna l'ordre a sa troupe de faire reu. Une premLere décharge
mal dirigée, a dessein peut-etre, répond a cet ordre'; une seconde
suit, bien nourrie cette fois et meurtriere. Les hommes de Lexing-
ton se dispersent, en tirant quelques coups de feu, dont l'un
occasionne une contusion au cheval de Pitcairn, tan di s oqu'un
autre blesse légerement un soldat a la jambe.


Le colon el Smith, continuant sa route vers Concord, y arriva a
sept heures du matin environ et y pénétra sans coup férir. Trois
de ses compagnies fouillerent, sans y trouver autre chose que
quelques caissons, la demeure du colon el de milices o Ba;rett;
mais Pitcairn, plus heureux, flnit par découvrir dan s la cour
d'une taverne deux pie ces de vingt-quatre, °quelques caissons et
cinq cents livres de baIles. I1 flt enclouer les pieces, brÍller les
caissOIls, jeter dans un étang les balles, et ce furent la, avec
l'arhre de la liberté de la yille, ious les trophécs de l'expédition.




TROISIEME PAHTIE. '- LA GURHHI<: DE L·lNDÉPENDANCE. 241


La nouvelle des événcments de Lexington s'était répandue dans
toute la contrée, et les paysans avaient échangé des coups de feu
avec les compagnies qui s'étaient pottées dans la campagne. Le
colon el Smith ordonna la retraite qui s' effectua d' abord en bon
ordre, quoique inquiétée par le feu des tirailleurs américains que
recélaient tous les buissons et qu'abritaient tous les accidents du
terrain. Les Anglais firent meme une fois volte-face; mais, vive-
ment repoussés, ils durent continuer leur mouvement rétrogade.
Aux approches de Lexington, il se changea en une vraie déroute;
attaqués de front, harceléssur les flanes et les derrieres, les sol-
dats jetaient leurs armes et abandonuaient les blessés. I1s s'étaient
a peine reformés que lord Percy, que la prévoyance de Gage avaÍt
fait sortirde Boston lematin, parut surle lieu du combat t • Ilavait
avecluidouzecents hommes, deux piecesdecampagne, et marchait
en toute confiance, n'ayant rien aper<;u d'insolite sur sa route, si
ce n'est la fermeture des maisons. D'un coup d'reillord Percy
jugea la situation : de Denham, de Rochester, de Roxbury, de
Brooklyn, fermiers et millCes accouraient en toute hate, et la re·
traite était le seul parti possible. Anctant les insurgés par quel-
ques boulets et se formant en carré, les blessés au centre, lord
Percy reprit le chemin de Boston. Les mílices le harcelerent et ]e
poursuivirent jusque sous les murs de la ville, en le for<;ant deux
fois de s'arreter pour combattre.


On a prétendu que lord Percy, qui marchait le matin aux sons
de l'Yankee doodle, effectua sa re traite aux sons de la Chevy Chace
dont le poursuivirent les Américains, irrités de son insolence.
Quoi qu'il en soit, l'affaire de Lexington, tout a fait insignifiante
sous le rapport militaire, eut un immense eifet moral: elle humi-
lia les soldats anglais, qui jusque-la avaient traité « la canaille»
américaine avec un mépris sans égal, et exalta le patriotisme des
colons. Des bords du Penobscot et des Alleghanies aux plages de
la Caroline, on vit les volontaires ·affluer au camp qui se formait
sous Boston et y tenait bloquées les forces de Gage. A vrai dire, ce


f M. Bancroft (VI, 180) prétend que le colonel Smith, au bruit du tocsin qu'il
enlendít a quelques milles de Boston, fit halte et envoya demander uu renfort. n
n'y 3 nulle trace de cette circonstance dans le rapport de Smith a Gage, qui porte la
date du :U avri11775, et qui est reprorluit a I'I1ppendice du vol. vr dI' lord Mahon.


tU




242 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉlUQuE SEPTENTRIONALE.
camp avaitt plutO! }'aird'un rassemblement qued'une armée: trOls
pieces de huit, une de six, seize de di vers calibres, dont quelques-
unes hors de service, formment toute l'artillerie ; les fusils étaient
de tous les temps et de toutes les formes; la poudre manquait, et
c'est tout au plus s'il avaitété possilJle; en fouillant tout le Massa-
chusetts) d'en réunir soixante-huit barils. L'argent n'était pas
moins rare, et il n'y avait ni ordre ni équipements. Les Anglais,
au contraire, avaient tout en abondance dans Boston et leur dis-
cipline était excellente; par compensation, il régnait dans le
camp américain une ardeur et une confiance qu' entretenaient
d'incessantes relations avec les citoyens, les exhortations des
chefs, les discours des ministres de la religion, et qu'un heureux
coup de main vint beaucoup fortifier, quelques jours apres
Lexington. Le 8 maí, une centaíne de jeunes gens des Montagnes-
Vertes, réunis a une cinquantaine de miliciens du Massachusetls,
se dirigerent, sous les ordres d'Ethan Allen, sur le fort Ticonde-
roga. Les rayons du soleil levant illuminaient les hauteurs quí
servent de ceinture au lac George, quand, le 10, ils arriverentsur
les glacis du fort. La poterne en était fermée, et la sentinelle quí
la gardait leur envoya par le guichet une grenade. Elle ne blessa
personne, et les assaillants, la poterne forcée, se pI'écipitere~t
dan s l'intérieur en poussant le War Whoop des Indiens, qui n'y
avait pas reten ti depuis les jours de Montcalm. La garnison,
composée d'une cinquantaine d'hommes, se rendit presque sans
coup férir, linant a Ethan Allen une centaine de canons, de
nombreux approvisionnements et une position tres-importante,
puisqu'elle était la clef des cornmunications entre le haut Canada
et le bassin supérieur de l'Hudson t.


Quelques heures apres la prise de Ticonderoga, le deuxieme
congres continental se réunissait a Philadelphie. eette assemblée
ne formait pas un véritable corps délibératif; elle avait été élue,
en partie du moins, par des réunions tumultuaires, ou des corps
électoraux qui n'avaient pas d'existence légale; elle ne disposait
ni d'un shilling, ni d'un soldat; un grand nombre de ses mem-
tres étaient liés par des mandats impératifs j en un mot, suivant


t A ltistorical collection, etc., of the part sustained by Connecticut dUl'ing lhe
I est New Harlfol't, 1842,30-31.




TROISIEME PARTIE, - LA GUERRE DE L'lNDÉPENDANCE. 243
l' énergique expression de M. Bancroft, elle ne représentait que
« l'opinion non formée d'un peuple non formé.» D'une part,
le mouvement populaire la poussait dans les voies d'une résis-
tance énergique; de l'autre, l'insuffisance, ou pour mieux dire le
manque de moyens d'action, la retenait dans l'inaction et la pru-
dence. D'ailleurs, i1 y avait beaucoup de ses membres qui se
flattaient encore de l' espoir qu'une réconciliation était possible.
Dickinson, de la Virginie, était du nombre, et tant par ses talents
que par le fait des circonstances qui semblaient rendre la tem-
porisation nécessaire, iI exerc;ait sur la réunion une action pré-


. pondérante. n fut l' auteur ou le soutien de toutes les mesures
qui tendaient a laisser une porte de rapprochement ouverte,
tandis qu'il ne put ou ne voulut pas me me, par patriotisme, em-
pecher d'autres résolutions dont le caractere était loin d'etre pa-
cifique. Ainsi ron vit le con gres refuser d'occuper Ticonderoga,
et solliciter en meme temps le concours des Canadiens ainsi que
la neutralité des Peaux-Rouges; décreter la formation d'une ar-
mée continentale, et envoyer a George III une seconde pétition
dans laquelle les signataires se déclaraient « ses dévoués sujets)) et
exprimaient le VffiU d'une transaction qui pUt sceller a nouveau
l'ancienne union de la métropole et des colonies, OU l'on n'ayait
pas encore perdu Iesouvenir d'une commune origine.


Washington fut l'homme que le congres mit a la tete de l'ar-
mée continentale; si ses premiers services militaires l'avaient dé-
signé pour ce poste difficile, son caractere a la fois prudent et
~nergique, sa raison calme et son jugement sur, sa connaissance
des hommes, son désintéressement et sa bienveillance, si exquise


. sous de froids dehors, n'étaient pas de moindres recommanda-
,tions aux yeux de ses concitoyens a la veille d'affronter une for-
midable épreuve. Washington était trop modeste pour désirer
cet insigne honneur, et le jour meme de sa nomination 1, il expri-
mait a Patrick Henry la crainte qu'il ne marquat le déclin de sa
réputation ; mais le patriotisme lui faisaitiIn devoir d'accepter,
et il ne savait pas éluder un devoir. « Je l'accepterai, quoiqu'il
soit redoutable, » dit-il au con gres, « 'et je ferai de mon mieux


t 15 juill 1775.




i44 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMERIQlJE SEPTE!NTRIONALÉ.
c( pour le bien remplir; mais j e le dis en toute franch ise, en prenant
« a témoin de cette déclaration tous ceux qui m'entourent, je ne
« me crois pas a la hauteur du commandement dont on vient de
c( m'honorer'.» Il es! vrai que la tache de Washington allait etre
immense et qu'il prévoyait, sans doute, qu'il tirerait peu de
sccours d'une assemblée assurément tres-éclairée et tres-patrio-
tique, mais a laquelle l'autorité et les moyens manquaient a la
fois pour lever une armée réguliere, l'approvisionner et la solder.


Cette armée, on a vu ce qu' elle était au début des hostilités; elle
avait peu changé depuis cette époque, et restait toujours dépour-
vue d'instruction, de fixité, d'esprit militaire. Les services admi-
nistratifs n'existaient pas, pour ainsi dire ; les roles d'effectifs
étaient mensongers; il Y avait encore pénurie demunitions et
d'ingénieurs; les officiers étaient trop souvent sans expérience et
meme sans esprit professionnel. Les majors généraux qu'on avait
donnés a Washington pour collaborateurs n'étaient pas faits non
plus pour lui inspirer une confiance sans réserve. Ward était
d'une san té faible et possédait les qualités d'un magistrat plutót
que d'un militaire. Putnam, qui avait fait avec honneur la guerre
uu Canada, s'était a ]a paixretiré a la campagne ,et cumulait les
occupations d'un fermier avec ceHes d'un aubergiste. Il était en-
tierement illettré, et l'Age de cinquante-sept ans qu'il venait d'at-
teíndre, en diminuant son énergie physiquc, avait affaibli la
seule qualité, avec un ardent patriotisme, qui le distinguat récl-
lement. Schuyler était également agé et infirme: sa position
sociale, son caracterc honorable et sa considération personnelle
expliquaient mieux sa nomination que ses capacités milítaires.
Fils d'un officier anglais, élevé ltú-meme dan s le métier des armes
et ayant tour a tour ser vi en Amérique, en Portugal, en Pologne,
en Turquie, Charles Lee devait paraitre aux insurgés une acqui-
sition pr~cieuse, et ils attribuaient son entrée dans leurs rangs
aux motifs les plus purs. On en jugeait tres-différemmellt en An-
gleterre:c(d'apres ce queje sais de lui» écrivait sir Joseph Yorke,
minístre plénipotentiaire a la Haye, « c' est le plus triste cadeau
« que l'on puisse faire a une armée 2 »). rrres-ambitieux, avide,


I llist. o{ unit. stat" VT, 213.
2 l' 't r 't r . r {, ,¡s .. o um. stat., 1 J , u.




TROISTIhm PAH'I'IE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 245
léger, dissolu et resté secreternent attaché a l'Angleterre, tel était
l'homme que le refus probable de Ward plac;ait immédiatement
apres Washington. Qnant a Horatio Gates, a qUl furent eonfiées
les fonetions d'arljudant général, il sortait aussi de l'armée an-
glaise : il avait du eoup d'mil et de l'expérienee, mais beaueoup
d'ambition et peu de scrupules.


Washington prit congé du cOIIgres le 23 juin. « Vous pouvez
« m'en croire, ma ehere Petsy, » éerivait-il a sa femme, qu'il
aimait tendrement et dont il porta jusqu'a sa mort une miniature
sur luí, « vous pouvez m'en croire, j'ai fait tout ce qui dépen-
« rlrait de moi pour me soustraire a eet honneur, non-seulement
« paree qu'il m'en eoutait de me séparer de vous, mais eneore
« paree que je sentais que eette tache est au-dessus de mes forces.
« Un mois passé pres de vous me donnerait eent fois plus de
« bonheur que sept fois sept 'années de eommandement. Mais,
« puisque la destinée m'entraine, j'espere que nos efforts amene·
« ront de bons résultats pour le pays. ») Il arriva sous les murs
de Boston dans les premiers jours de juillet, et il venait de s'y
passer. des événements d'une grande importan ce, par leurs effets,
sinon par eux-memes. L'isthme étroit et long qui joignait alor8
la péninsule de Boston au continent se terminait par un pro-
montoire nommé le cou de Dorchester, Dorchest~r's neck, et trois
eo1lines dominant la ville. Au nord, s'étend la péninsule de
Charlestown, que terminait au nord-est le mamelon dit Bunker
Hill, élevé d'une ccntaine de pieds. A partir de ce mamelon, le
terrain descendait en pente douce pour se relever ensuite, au
nord-est de Charlestown, en une autre éminence appelée Breed's
Hill haute de soixante-dix pieds. Ce double systeme de hauteurs
était la ele!' de Boston : aussi Gage avait-il résolu, des le moís de-
mai, deplanter une forte redoute sur Bunker Hill. L'exécution
de ee dessein avait été fixée au 18 juin; mais dans l'interva He les
Amérieains en eurent eonnaissanee et, prenant 'les devants, le
eolonel Preseott, dans la nuit du 16 au 17, jeta des retranehe-
ments sur Breed's Hm. 11 ne fallut pas m()ins de trois assauts su e-
cessifs pourles en déloger, et les pertes des Angla!s furent rela-
tivement énormes t. Le général Gage en fut tres-affecté, et il ne


• 2'2.0 tllés et 820 blessés, d'apres les rapports de Gage.




246 LES É'l'A'l'S-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEP'l'ENTlUONALE.
cacha point les impressions pénibles que l'ensemble de la journée
lui avait laissées. « Le.s Américains savent maintenant se retran-
« cher et construire des batteries, » écrivait-il a lord Darmouth.
« La conquete de ce pays ne sera point facile ..... Dans toutes
« leurs guerres 'avec les Franc;ais, les colon s n'on! jamais fait
« preuve d'autant d'attention, de conduite, de persévérance 1. »
Et M. de Vergennes, en apprenant a Versailles le résultat de la
bataillé de Breed's Hill, ou de Bunker Hill, pour lui garder le
nom que l'usage lui a imposé, s'écriait « qu'avec deux autres
« victoires 'comme celle·la, les Anglais n'auraient plus d'armée
« en Amérique. »


Gage ne connaissait pas les miseres intérieures du c~mp amé-
ricain, dont Washington put juger au premier coup d'reil. Les
états d'effectifs annonc;aient 17,000 hommes: il n'y en eut jamais
plus de 14,500 propres au service, qui n'avaient point d1unifor-
mes et presque pas de tentes, qui campaient un pell partout.
L'égalité civique nuisait a la discipline, et la principale faiblesse
de l'armée consistait dans le corps des officiérs. Washington
l'épura; il réprima la familiarité excessive qui existait entre les
soldats et leurs chefs, el rétablit la hiérarchie des rapports et des
grades. Il informait en me me temps le congres de ses besoins
pressants en artillerie, en ten tes, en munitions, en ambulances j
mais le congres ne prenait a son gré que des mesures insuffi-


I . .


santes; il n'ouvrait pas 4'enrolements permanmds et n'étendait
pas la durée des engagements, fixée d'abord a un an, ce qui me-
nac;ait l'armée d'une dissolution apeu pres totale vers le mois de
rlecembre. Washingtondut se procurer lui-meme de la poudre,
dont il ne lui restait qu'un seul tonneau, en recourant aux comi-
tés de résistance de New-York, de New-Jersey, de laPennsyl-
vanie, aux marchands ~ de Providence et aux insulaires des Ber-
mudes. Toutefois, il '¡:ec;ut au 18 octobre la visite de trois


i llist. of unit. stat., VI, :n5. Les Américains, qui s'attribuerent alors la vietuire,
exagérerent aussi les forees dílS Anglais en diminuant les leurs. Aujourrl'hui encore,
il est difficile de savoir la vérité a cet égard. Bancroft parle de 1,500 Américains
seulement, et Marshall, le biographe de Washington, ue 4,000, tandis que Gage
évaluait leur nombre a plus de 7,000, chiffre évidemment exagéré en plus, comme
celui de 1,500 parait I'étre en moins. D'apres lord Mahon, les Anglais auraient at-
taqué ave e 2,200 ou 2,500:¡,hommes (VI, 61-62).




TROISIEl\IE PAUTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 247 '
membres du congres, Franklin, Thomas Lynch et Benjámin
Harrison, et d'un délégué de chacun des gouvernements de la
Nouvelle-Angleterre, qui venaient concerter avec lui les moyens
de lever une armée de 33,000 hommes. En attendaJolt, il resserra
le blocus de Boston, déconseilla d'attaquer la Nouvelle-Écosse et
tra9a le plan d'une invasion du Canada.


On a vu qu'au mois de juin dernier, le con gres avait désavoué
tout projet de cette espece; mais, a la nouvelle de la surprise de
Ticonderoga, le gouverneur du Canada, Carleton, ayant pro-
clamé la loi martiale et appelé les paysans aux armes, tandis
qu'il invitait les Peaux-Rouges 11 saisir la hache de guerre, pour
ravager la Nouvelle-Angleterre et New-York, cette série d'actes
modifia les intentions du congreso Il mit Schuyler a la tete de
ce qu'on appelait pompeusement l'armée du No~d, c'est-a-dire
d'environ 2~200 hommes réunis a Ticonderoga. Schuyler débar-
qua, le 18 juillet, a l' extrémité septentrionale du lac George, et
put apprécier immédiatement la discipline de ses futurs soldats,
en trouvant plongés dans un profond sommeil deux. postes
avancés qui étaient établis sur ce point. Ce n'était la qU'UlI
aper9u, un avant-gout, pour ainsi dire, des déboires qui l'atten-
daient, quand il put entrer dans le premier détail de la situatioIl
de ses troupes : i1 reconnut alors que l'artillerie manquait com-
plétement d'attelages et que les hommes vivaient dans d'igno-
bIes baraques ou la maladie, jointe a la malpropreté, exervait de
cruels ravages j. Schuyler ne se découragea point : il réussit a
introduire quelque ordre et quelque discipline parmi ses trou-
pes, réunit des bateaux et des vivres, recruta environ 500 1ro-
quois et dépecha le major BrowII au Canada, avec mission de le
renseigner sur les dispositions du pays. Le major était de retour a
Crown Point, le 14 aout. Son voyage avait été des plus dan¡;ereux
et des plus pénibles, mais il avaittrouvé, disait-il, les Canadiens
dans les sentiments les meilleurs. Ils De voulaient pas, il est
vrai, prendre les premiers les armes, mais les troupes améri-
caines pouvaient compter sur un hon accueil et sur tous les


f Schuyler a Washington, 18 juillet et 6 aoÍlt 1775; ap. Correspondence uf ame-
rican revolution, beiog lettcrs of eminent men to Washington, Boston, 1853,
J,6 et 15.




248 LES ÉTATS-U~IS DE L' AMÉRIQUE SEPTENT'RIONALE.
secours possibles; quant aux Indiens, ils manifestaient des dis-
positions analogues. Ces informations, dont il n'y avait pas
moyen de vérifier l'exactitude, donnerent de la confiance a
Schuyler, tandis que l'arrivée a Ticonderoga OU brigadier géné-
ral Montgomery, qui passait pour n'etre inférieur qu'a Was-
hington seul comme talents militaires, relevait le moral de ses.
troupes.


Le 26 aout, Schuyler re.9ut a Albany le plan de campagne tracé
par Washington: « Il n'y a pas un instant a perdre » écrivait
celui-ci; « faítes-moi connaitre par le rctour ae mon messager le
« parti que vous aurez pris. » Ce parti fut celui dc, se mettre sur-
le-champ en marche, et le 4 septembre, les forces américaines se
trouvaient a l'Ile-aux-Noix, a douze milles au-dessus de Saint-
Jean. Schuyler ayant lancé le lendemain une proclamation aux
Canadiens et chargé le major Brown et le colonel Ethan Allen de


Ila disfribuer parmi eux, Allen s'aboucha a Chambly ave e plu-
sicurs capitaines de milices. Ils témoignerent de la bonne volonté,
tout en se plaignant du petit nombre des envahisseurs. La vérité
était .que la noblesse et le clergé canadiens avaient accepté la domi-
llation anglaise, qUl avait f<lit a la premiere sa place dan s leconseil
colonia 1 et sa part oes emplois pubIics, en laissant au secon(} ses
r(~Yenus et ses dimes. Quant aux fermiers et aux paysans, ils
supportaient bien avec quelque impatience le joug de leurs sei-
gneurs; mais leur courage n'allait pas jusqu'a une révolte ouverte,
el tout ce que les Américains pouvaient en attendre, c'était un
bon accueil, a la condition de respecter lenrs propriétés et leurs
pcrsonnes. Voila ce que Schuyler apprit bientót d'un gentilhomme
canadien, quí luí donna en meme temps des détails sur la force
de la place Saint-Jean. Ils étaíent tels qu'il crut prudent de ne
pas l'attaquer avant d'avoir re~u toute son artillerie. Une fievre
Lilieuse minait depuis longtemps ses torces; elle avaít redoublé
de violence et le tenait au lit presqne continuellement. Le 16 sep-
tembre, il dut résigner son commandement aux mains de Mont-
gomery 1.


Celui-ci s'empara'de Saint-Jean, mais l'échec que ~;ubit Allen,


f Corresp. o{ american r:J'/iolut1"on, J, 39-46,




TROISLEME PARTlE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 249
en tentant sur Montréal un coup de main _téméraire, eut des suites
graves 1. Il ne priva pas seulement Montgomery d'un intrépide


. .


frere d'armes et d'une centaine d'hommes qui furent faits prison-
niers; il fit encore rentrer dan s l'obéissance la plupart des
Canadiens insurgés. Montgomery avait encore d'autrcs soucis:
l'insubordination était au comble dans sa petite armée :
« Si Job avait été un général, dans ypa position, » avait écrit
Schuyler, « iI n'aurait pas aussi grand renom de patience 2, » et
son successeur trouvait maintenant « que ses troupes étaieni les
pires du monde.» n faut di re a leur décharge qu'ellesmanquaient
de tout; que le temps était affreux; qu'elles campaient dans
les boues et ne prévoyaient pas de terme a leurs fatigues. La red-
dition du fort de Chambly vint un peu modifier la face des
choses. Les Américains y trouverent le drapeau du 47e anglais,
qui fut envoyé au con gres comme premier trophée de la guerre,
et, ce qui était plus précieux dans leur situation, dix-sept canons
et six tonneaux de poudre. Ils purent alors ~ousser avec plus
d'activité les travaux du siége de Saint-Jean, qui capitula, le
:3 novembre, apres cinquante jours de résistance, et une vaine
tentative du général Carleton pour le secourir.


Montgomery marcha ensuite sur Montréal, qui ouvrit ses
portes sans résistance, la garnison et C!lrleton l'ayant évacué.
Quelques jours plus tard, la flottille qui transportait cette garni-
son fut capturée a la fourche du Sorel: le brigadier générar
Prescott, les soldats, les matelots, 1'artillerie et les munitions,
tout tomba dans les mains des troupes continentales; il n'y eu~
que Carleton qui réussit a s'évader dans un canot dont les avi-
rons avaient été garnis de toile. Le 19, il arrivait a Quebec, OU
Montgomery a11ait le suivre. Le 26 .novembre, celui-cÍ s'embar-
qua sur le Saint-Laurent, avec les trois cents hommes auxquels
l'avaient réduit les maladies, la désertion et les détachements
hissés en arriere. Huitjours plus tard, il opérait a la Pointe-aux-


t 2 septembre. Al/en fut traité d'une faeon indi!we par le brigadier général Pres~
cott, qui ne lui pardonnait point la prise de Ticonderoga. IIl'insulta grossierenient '




el le fit conduire a Quebec chargé de fers pesants. Allen fut ensuite transporté en ......... - ....... .
Angleterre et enfermé au chateau de Pendennis. e:o~


2 Corro o{ am~r. rev., J, 53-54. /' I'.J 1:f1-10~
~


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250 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Trembles sa jonction avec une colonne de onze cents bommes,
que luí amenait le colon el Benedict Arnold, et qui étaient venus,
au prix de mille fatigues, par les bassins du Kennebee, de la
riviere Morte et de la rivifwe de la Chaudiere. Enfln, le 5 dé-
cembre, il campait sous les murs de Quebec.


Le siége commem;a, si on peut appeler de ce nom l'établisse-
ment de deux batteries, l'une de quatre ou cinq mortiers, l'autre
de cinq canons et de deux obusiers. A d'antres égards, la situa-
tion de l'assiégeant n'était guere tenable, cal' un froid rigoureux
rendait ses travaux de terrassement a peu pres impossibles et la
pe tite vérole décimait ses troupes. Montgomery, apres av~ir en
vain sommé Carleton de se rendre et essayé aussi inutilement
d'ouvrir des intelligences avec la place, Montgomery résolut de
brusquer un dénoúment. Dans la nuit du 30 au 31 décembre, a
de,ux heures du matin, il fit une fausse attaque sur la haute ville,
tandis que, formé sur deux colonnes, l'une aux ordres d' Arnold,
l'autre dirigée par lui-meme, il abordait la basse ville par deux
points a la fois, le faubourg Saint-Rocb et le cap Diamant: ni l'une
ni l'autre attaque ne réussit. Montgomery, avec une soixantaine
d'hommes, essayait d' enlever une batterie avancée, lorsque sa
premiere décharge l'étendit mort. Apres avoir traversé le fau-
bourg et enlevé un petit ouvrage, ilrevut un coup ele feu a lajambe


..


qui obligea de le transporter a l'ambulance, et sa colonne, fou-
droyée de flane, attaquée de face par Carleton Iui-meme, fut mise
en pieces ou faite prisonniere.


La mort de Montgomery Iaissait le commandement a Arnold.
Celui-ci n' était nullement découragé, comme l'attestait sa leUre du
11 janvier 1776, dan s laquelle il disait au congres « que, les disposi-
« tionsdesCanadiens étantfav?rables, Quebec étaitle seul obstacle
« a la conquete du pays, mais qu'avec cinq mille hommes, un parc
« d'artillerie et un général expérimenté, la prise de la viHe serait
« faciIe. » Le congres envoya quinze cents hommes mal armés,
mal équipés, sans artillerie et sans munitions, qui arriverent a
Monlréal vers le milieu de mars, et un général en chef, Wooster,
calviniste du Connecticut, qui avait de la bravoure, mais que ses
habitudes austeres rendaient peu propre a gagner ]a noblesse
canadienne tres-amie du luxe et des plaisirs. Woo~ter, au sur-




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE J/ INDÉPENDANCE. 251
plus, n'exerc;a son commandement que pendant quelques semai-
nes : arrivé sous Quebec le 1 er avril, il cédait la place le 1 er mai •
au major général Thomas que le congres, sur le refus de Schuyler
et l'insuffisance avérée de Putnam, investit de ce poste difficile.
En meme temps, cette assemblée détachait de l'armée de Was-
hington plusieurs bataillons, quoique cette armée eut eu plutót
besoin elle-meme de renforts et envoyait trois de ses membres,
Charles CarrolI, Samuel Chase et Franklin, auxquels s'adjoignit
John Carroll, qui devait etre plus tard l' archeveque vénéré de
Baltimore, promettre aux Canadiens la liberté de la presse et le
libre échange, en retour de leur insurrection. Mais il était trop
tard: le clergé canadien était unanime dans sa répulsion pour les
envahisseurs, et la masse du peuple lassée de leur présence et de
leurs réquisitions incessantes ; quant a la noblesse, elle combat-
tait dans les rangs des Anglais. Dans ces conditions, il n'y avait
plus qu'a faire retraite, et les commissaires le direntnettement
au congres, tandis que le général Thomas arrivait a la meme
conclusion en inspectant ses moyens militaires. Les bataillons ve-
nus du Massachusetts, mal équipés et mal approvisionnés, avaient
fondu pour ainsi dire en route; la petite vérole regnait parmi le
reste, de sorte qu'il se trouvait en tout, sous Québec, 1,900 hom-
mes, y compris les officiers, dont neuf cents étaient malades
et trois cents autres, sur le point d'atteindre le terme de leur
engagement, ne faisaient leur service qu'avec répugnance
Les magasins ne contenaient plus que cent cinquante livres de
.}loudre et six joursde vivres. Un conseil de guerre, que Thomas
réunit a la date du!) mai, décida done la 1'etraite. Elle fut une vé-
ritable déroute : la garnison anglaise, qui venait, malgré la dé-
bacle des glaces, de recevoir du renfort, fit une sortie générale,
et les Américains s' éparpillerent dan s toutes les directions, lais-
sant derriere eux leurs canons, cinq cents fusils et deux cents
malades. Les Canadiens recueillirent une partie de ces malheu-
reux et les autres furent admis a l'hópital général de Quebec.
Moins miséricordieux a l'égard des quelques colons qui avaient
trahi leur cause, les Anglais incendierent leurs l)laisons et rava-
gerent leurs propriétés.


Les fugitifs s'arreterent a Deschambeau, a quarante-huit milles





LES ÉTATS UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.


au -dessus de Québec, et de la ga'gnerent 80re1. La, on trouva
quatre ,bataillons de renfort qu'amenait le brigadier général
Thompson, et quelques jours plus tard, on se' grossit encore de
six autres bataillons commandés par 8ullivan. Arnold et les com-
missaires, qui avaient été d'avis de reten ir ces bataillons au fort
George, ne voyaient dans cette circonstance qu'un moyen de faÍre
une bonne retraite; mais 8ullivan, auquel la mort de Thomas,
enlevé par la petite vérole, avait transféré le commandement su-
périeur, nourrissait l'~spoir, comme ill'écrivait a Washington,
de donner aux affaires une meilleure tournure. Plein de cette
confiance¡ il donna l'ordre a Thompson de déloger le général
anglais Fraser de la position qu'il occllpait auxTrois-Rivieres, et
le 7 juin au soir, cet officier général franchissait. en effet, le
8aint-Laurent pour essuyer une déroute complete, et tomber
dans les mains des Anglais 1. La présomption de Sullivan ne ré-
sista point a cet échec : son armée, réduite a 3,500 hommes,
était, au physique et au moral, dans une situation déplorabIe, et
el'autre part, une nombreuse flottiJIe anglaise remontait le 8aint-
Laul'ent. Sullivan abandonna ses retranchements de 80rel, tan-
dis qu' Arnold, de son coté, évacuait Montréal, pour se porter d'a-
bord sur Saint-Jean, puis sur' l'Ile-aux-Noix, OU iI atfendit les
ordres de Schuyler. Dans les prenrif'rs jours de juillet, malades
et valides, ou soi-disant tels, au nombre d'environ 5,000 hommes,
se trouverent réunis a Crown Point. Il n'avait pas été possible de
leur procurer d'autres abris que des tentes ou des hangars gros-
sierement construits, et l'on ne pouvait, au di re du gouverneur
du Connecticut Trumbull, qui visita le camp de Crown . Point aux
premiers jours de son installation, jeter un coup d'ooil dans une
tente ou une hutte saI!s découvrir un caclavre ou un homme
mourant '2.


La fortune, tandis que s'accomplissait cette désastreuse re-
traite, avait ménagé aux Américains quelques compensations an
centre meme de leur résistance. Nous avons laissé Washington
sous les murs de Boston, au mom'ent me me OU il venait de s'y
rendre, et sa position y était tres-délicate. « Il est plus aisé de


f Sullivan a Washington, 1'2 .¡uin 1776; Corro ofamer. rev., T, 218-2~O.
2 Corro ofamer. rev., 1, 531 et suivantes.




TROlSIEME PARTIE. - LA GUERRE DE r/lNDEPENDANCE. 25J
« eoneevoir que de dépeindre ma situation d'esprit depuís quel-
« que temps et les sensations que j'éprouve, » éerivait-il a l'ad-
judant général Reed dans les premiers jours de janvier 17J6.
« Je doute fort que vous trouviez une posiüon semblable a la
« mienne: résister depuis plus de six mois aux meilleures trou-
« pes de la Grande-Bretagne, sans poudre, lorsque notre armée
« est désorganisée et que nous avons a en lever une autre, en
«( faee d'un ennemí qui a re<;u des renforts, e' est vraiment une
« entreprise trop hardie 1. » Washington n' éfait homme ni a
ressentir des craintes puériles, ni a grossir sa part de responsa-
bilité, et ces quelques lignes, écrites dans une heure d'abandon,
affaiblissaient la vérité. Ses troupes, composées en majeure partie
de miliciens, genre de soldats dont il redoutait plus qu'il n'esti-
mait les services, étaient mal vetues, mal armées, mal discipli-
nées, et le eOllgreS, toujours a court d' argent et dont la création
d'une marine avait épuisé les ressources, le laissait sans appro-
visionnements et sans numéraire. Enfin, des espions dénbn<;aient
la faiblesse numérique de l'armée et son état moral au général
Howe qui venait de remplacer Gage '1, C' est pourquoi Washing-
ton s' étonnait parfois de l'inactíon de son adversaire et l'attri-
buait a des ordres de ne rien laisser au hasarrt, tandis qu'en
réaIité, cette inaction s'expliquait, d'une part, par la sítuation de
la place bloquée et, de l'autre, par la faculté qui avait été laissée
a Howe de quitter Boston s'il le jugeait utile. L'évacuation était
meme une mesure déja décidée dans l'esprit du généraI Howe :
iI sentait tres-bien qu'une place bloquée et environnée de popu-
lations hostiles ne pouvait fournir une base aux opérations en
rase campagne qu'il méditait pour le printemps, tandis qu'a
New-York, les moyens de transport abondaient et les loyalistes
étaient noro.breux.. n'aüleur~, a Bo~ton, la -petlte vérole décimait
ses troupes; les blessés et les malades manquaient de vivres
ti'ais, et le bois était devenu si rare que, pour s'en procurer, il
avait fallu démolir plusieurs maisons.


trie, correspondance et écrits, IIl,93.
2 '« Nous avons appris qu'un misérable a porté [iU général Howe des détails exacts


sur I'esprit et les dispositions de la nouvelJe levée et qu'illui a parlé de la possibilité
dc se rendre promptcment maitre dc nos ligncs, vu la répugnance de nos soldals a
servÍ!'. J'espere le faire mentir. l\lais commcnt'? C'cst ce que le temps seul pourra
décider. » (Yie, corro et écrits, IIl, 81.)




254 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Le mois de mars éÜlit vellu et la rigueur du froid avait un


peu cédé : Washington résolut de couronner les hauteurs de
Dorchester, et fixa l'opération au 4 mars, veille de l'anniversaire
du mas sacre de Boston. Pendant les deux nuits qui précéderent,
l' artillerie des assiégeants ne cessa de tirer sur la place, afin de
harasser ses défenseurs et de déguiser leur véritable objectit.
Dans la nuít du 3 au 4, Washington se mit lui-meme a la tete
d'une colonne de 800 hommes, que suivait immédiatement une
seconde de 1,200, et fit occuper tant la hauteur la plus rappro-
chée de la ville que ceHe qui faisait face au chAteau. La nuit était
froide, mais sans exces; la lune brillait de toute sa splendeur
dans un ciel sans nuages, et la brise, qui soufflait de rest, n'ap-
portait a l'assiégé aucun bruit révélateur. Les troupes continen-
tales arriverent sans encombre sur les hauteurs, et se mirent a
l'reuvre avec une telle ardeur, qu'a la pointe du jour chacune
d'elles était couronnée d'une forte redoute; des abatis d'arbres
en protégeaient la base, et des barils remplis de pierres. se mon-
traient a la crete, prets a rouler sur un assaillant. L'amiral
Schu1dam ayant déc1aré que, dans son opinion, n n'était pas pos-
sible a un seu1 vaisseau de res ter dans le fort, si les Américains
gardaient les hauteurs, il ne restait plus a Howe qüe deux partís
a prendre, les en chasser cm évacuer la place. Ce fut le premier
qu'il choisit, et 2,400 hommes s'apprelerent, sous les ordres de
lord Percy, a l'enlevement des redoutes. «Souvenez-vous, » cria
Washington aux siens, quand il vit les Anglais prets a entrer
dans 1curs bateaux, «. souvenez-vous que c'est aujourd'hui le
« 5 mars, et vengez le sang de vos freres; » mais, lord Percy pré-
férant attaquer de nuít, sa colonne prit terre au chateau. Dans
l'apres-midi, un violent orage dispersa ou fracassa les bateaux,
et l'altaque fut ainsi différée de quelques jours; dans l'inter-
valle, de nouveaux travaux faits aux redoutes la rendirent tout
a fait hasardeuse, et Howe estima que le moment d'évacuer
Boston était arrivé. Le 17 mars, il n'y avait plus un seul Anglais
dan s la ville, et le me me jour, Putnam y entrait avec l'avant-
garde américaine. Washington n'y vint que le lendemain, et y
re«;ut le plus chaleureux accueil.


La veille meme de cette entrée, incertain des futurs mouve ...




TROlSIÍ!:ME PARTIE. - LA GUERRE DE L'lNDÉPENDANCE. 255
ments de Howe et redoutant quelque tentative sur les provinces
méridionales, iI avait envoyé a New-York cinq de ses meilleurs
bataillons. Howe se tenait encore a Halifax, attendant les renforts
qui lui étaient annoncé~, et ses projets étaient, quand illes aurait
re<;us, de diriger, selon les indications de George III lui-meme,
une expédition contre les Carolines, et surtout contre la Caroline
septentrionale, que Martin, son ancien gouverneur, s' efforvait de
séparer de la cause commune. Mais les renforts, qui étaient par-
tis de Cork le ter février, n'étant arrivés an cap Fear qu'aux
premiers jours de mai, et dans l'intervalle le mouvement contre-
révolutionnaire de Martin ayant échoué, Howe se rabattit sur
l'autre Caroline, et dans les premiers jours de juin, une expédi-
tion anglaise jeta l'ancre a vingt milles de lapointe de terre que
laissent entre elles la riviere Ashley et la riviere Cooper et sur la-
quelle s'étend la ville de Charleston. eeHe ville n'avait alors
d'autre défense que le fort Sullivan, bati sur 1'110t du meme nom
et qui n'était pas meme achevé, et personne ne dOlltait chez les
Anglais de l'impossibilité ou il serait de résister a la double at-
taque des six vaisseaux du commodore Peter Parker et des trois
mille hommes du major général Clinton. Mais le colonel Moul-
trie, qui commandait au fort Sullivan, fit de ses trente-une piéces
un si bon usage qu'il désempara tout a fait deux des vaisseaux de
Parker et contraignit les autres a la retraite. De son coté, Clinton,
qui s'était logé sur Long Island, banc de sable situé en face du
fort Sullivan dont un étroit chenal le séparait, et qui y attendait
le momeut propice pour agir, Clinton eut la mortification de re-
connaitre que lechenal, qu'on lui avait dépeint comme partout
guéable, n'offrait pas, meme a marée basse, une profondeur
moindre de sept pieds, et de rester ainsi, avec ses trois milI e
hommes, spectateur immobile du combat hérolque, mais mal-
heureux, de Parker. Tout ce qu'il put faire dans la journée du 28,
ce fut de diriger sur le fort Sullivan le tir inoffensif de ses pi~ces
de campagne. Les dames de la Caroline du Sud offrirent au
42e régiment, qui était celui de Moultrie, deux drapeaux en soie
brodés de leurs propres mains, et le président de la province dé-
cicla qu' a l'avenir, le fort Sullivan' porterait le nom de son brave
défenseur. Clinton et Parker échangerent, au contraire, d'aigres




i5ti LES E'l'ATS-UNIS DE L 'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
récriminations, quoique le droit de se plaindre n'appartint qu'au
seul commodore, puisqu'il était bien difficile de comprendre
comment le général n'avait pas pris la précaution, avant de dé-
barquer ses troupes sur Long Island, de s'assurer qu'il n'y trou-
verait pas une sorte de prison.


Un grand événement, LA DÉCLARATION D'INDÉPENDANCE DES ÉTATS-
UNIS, suivit de bien pres l'heureuse résistance du fort Moultrie.
Bien des causes, en dehors des faits memes que l'on vient de
décrire, avaient concouru a préparer cet événement et a le ren-
dre eomme inévitable. Au début du conflit, il ne s'agissait pour
les Américains, de l'aveu des écrivains anglais les plus recom-
mandables, que de retourner a l'état de choses qui avait précédé
l'administration de Grenville. Quand une lutte déja prolongée et
transportée du terrain de la loi sur le terrain de la force eut peu
a peu aigri les esprits et fait naitre l'idée d'une séparation com-
plete, eette eonclusion laissa bien du monde dans le regret ou
dans le doute) et J ohn Adams avait, a son point de vue, raison


. d' éerire a son ami Gates « que la so urce de tout le mal se trou-
« vait dans la répugnance nes colonies méridionales pour un
« gouvernement républicain 1. » Il est singulier qu'en Angleterre
l' opposition parlementaire parid seule soup.;onner ces sentiments,
tandis que la masse du pays semblait rivaliser avec l'adminis-
tration et la cour dan s son animosité contre les rebelles; et l'on


'* avait vu, apres les événements de Lexington et le combat de
Bunker-Hill, non-seulemellt les grands centres manufacturiers,
tels que Liverpool el Manchester, mais encore les dislricts ru-
raux, réprouver tres-vivement dans de nombreuses· adresses
la conduite des colonies insurgées. Quant a Georges IlI, il n'a-
vait jamais eu de doutes ni sur son droit, ni sur la fa.;on de
l'exercer, et, vers la fin de 1775, ses ministres ef son conseil privé
paraissaient entierement dévoués a ses plans et a sa polifique 2.


t En mars 1776, Hist. of EngL, VI, 96, d'aples les American archives, V. 472.
2 Le due de Grafton, qui ne les partageait pas, donna, vers la fin d'oetobre, sa dé-


mission de conseiller privé. Dans "audience qu'j\ eut de Georgc III a ectte occasion,
il se risqua a montrer ses appréhensioos. Le roi éluda une discussion approfondie et
l'informa que des auxiliaires allemands allaíent entrer a sa solde et parut lres-étonllé
quand le due luí répliqua d'un ton ,'if : « Que deux fois plus de ces auxiliaircs ne




TROISIEME PARTIR. - LA GUERRF. DE L'IXDÉPENDANCE. 237
Lorsque, le 1 er septembre de cette anllée, Richard Penn remit a
lord Dartmouth la pétition votée par le Con gres au mois de
juillet, Sa Seigneurie la prit en silence et lui fit savoir, a trois jours
de distance, qu'elle n'était pas de nature a mériter une réponse.
Elle vint toutefois, mais sous une autre forme, ceHe de me-
suoos de plus en plus agressives, le rappel du général Gage, accusé
de faiblesse, et l' American Prohibitory Bill, qui abolit tout com-
merce avec les treize colonies, en ordonnant la capture de leurs
navires et des marchandises que porteraient ces navires. Quel-
que dures que fussent ces mesures, les orateurs du gouverne-
ment trouverent moyen de les soutenir d'une fa~on plus dure
encore, et lord Mansfield se permit de rappeler a ses confreres
ce mot d'un général suédois qui s' écriait, en montrant l' ennemi a
ses soldats : « Mes enfants, vous voyez ces gens la-bas : eh b~en !
« il faut les tuer si vous ne voulez pas qu'ils vous tuent eux-
« memes 1"


Le congres, dans sa séance du 23 mars 1776, tit une premiere
réplique a l' American Prohibitory Bill, en permettant aux cor-
saires américains de COllrir sus aux navires anglais 1. La seconde
vint de la Virginie et fut l'mu\Te de la convention de Williams-
burg, laquelle vota, le 12 juill, cette célebre déclaration de
droits que la révolution fran~aise devait reproduire, mais sans
avoir autant de bonheur que l' A méríque, quand elle voulnt eH
faire passcr les príncipes de la théorie dans les actes. Entin, la
derniere et la plus décisive fut la déclarationen droit d'une
scission qui existait déja en faIt, déclaration dont la Virginie prit
encore l'initiative. Le 7 juin, Henry proposa la rupture de tout
lien entre l' Angleterre et les treize colonies et la réunion de
celles-ci en confédération sons le llom des États-Unis. Cette pro-
position n'obtint pas un assentiment. nnanime : combattue par
Dickinson, Robert Livillgston, Wilson, Edward Rutledge, elle
aboutit a un ajournement de trois semaines du vote qu'e~le com-
portait. L'assemblée néanmoins, désireuse de ne pas perdre du
temps et préjugeant a peu pres ce vote, chargea Robert Livingston,
ti feraient qu'augmenter les embarras et que Sa Majesté l'apprendrait plus tardo »
(Rist. of Engl, VI, 64..)


I Journals 01 american congress, n, lOG-lOS.
1i




2jt) LES BTATS-ll:'HS DE L'AMBlllQUE SEPTE~tnIONALE:.
Franklin, John Adans, Sherman et Jefferson de préparer un
projet, et ce fut a Jefferson, tres-partisan des mesures les plus
radicales, que la rédaction en échut. Le 1 er juillet était le jour
fixé pour la discussion : a l'heure ordinaire, les membres du
congres, au nombre de cinquante-un, croit-on, prirent leurs
places, et quand· on eut entendu'lalecture de diverses lettPes,
dont l'une émanait de Washington et donnait l' effectif de son
armée, la réunion se forma en comité général « afIn de consi-
« dérer la résolution touchant l'indépendance. » Un graud silence
s'établit et dura quelques minutes, a l'expiration desquelles
.John Adams,.en l'absence d'Henry Lee, prit la parole. Dans un
discours improvisé et dont ii n'existe-pas de trace, l' orateur vanta
les avantages d'une rupture complete; il en établit la nécessité
et la justice, en s' étendant sur les dédains que les supplíques colo-
niales avaient rencontrés chez le roí d' Angleterre et sur l'csprit
vindicatif qu'attestait l'envoi en Amérique de mercenaires alle-
mands 1. Dickinson se leva ensuite, et combattit résolument la
séparation. « Elle ne donnerait, ») dit-il, « ni un hornme de plus,
« ni un écu de plus a l' Amérique, tout en exposant ses soldats a
« de nouvelles cruautés et a de nouveaux outrages. La constitu-
« tion des gou vcrnements aurait dú la précéder, et cette marche
« serait trouvée plus logique et moilJs présomptueuse par les
« puissances étrangeres, par la France lJotamment, envers qui
« ce serait agir d'une fa<;on peu séante que de proclamer l'indé-
« pelldance avant de l'avoir pressentie sur une résolution aussi
« grave 'l. )) Wilson parla le troisieme, mais pour déserter son an-
ciennc opinion et déclarer maintenant, sur de l'opinion générale
de ses commettants, qu'il n'hésitait pas a voter la déclaration. On
entendit encore ql1elques autres orateurs, parmi lesquels proba-
blernent Paca, du Maryland, Mac-Kean, de Delaware, et certai-
nement Edward Rutledge, de la Caroline méridionale. Puis on


t «( Quelques historiens ont rapporté que je commen~ai mon discours par une invo-
catiuil au dieu de l'éloquence ... Je ne fis rien d'aussi lJUéril. Je commen~ai par dire
que je souhaitais, pour la premiere fois de ma vie, les talents u'un oratellr de la
Grece ou de Rome, car j'étais sur qu'aucun d'eux n'avait jarnais eu devant lui une
question plus importante pour son pays et pour lui-méme.» (Works, IlI, 55.)


2 00 trouve une analyse du discoul's de Dickinson dans le torne I d~ l'llislllire de
la nJl)olution américainc, ctc_, ue llamsrly.




TROISIEME PAnT\1<~. - L.\ GlJERRE rm r:li"Dl~PENDANCE. 2G~1
pass a au vote sur le rapport du comité : nenf colonies en adop-
terent les eonclusions; trois, a savoir la Cilfoline du Sud, la
Pennsylvanie, Delaware, les repousserent, et New-York.s'abstint.
Sur la demande d'Edward Rutledge, le vote définitif fut renvoyé
au lendemain 1 •
• Le temps porte conseil, selon l'adage populaire; le lendemain,
quand l'assemblée émit ce vote, les coloÍlies se trouverent Ulla-
ni mes. Malheureusement, les Mémoires de Jefferson nous appren·
nent que eette unanimité fut quelque peu factice : la Caroline du
Sud fit acte de déférence envers la majorité, sans au fond aban-
donner son opinion propre; l'abstention de Dickinson et de
Morris détermina seuIe le vote affirmatif de la Pennsylvanie;
quallt a Ne\Y-York, il s'abstint, comme la veille, mais, par la
meme raison, le besoin qu'exprimerent ses représentants d~ sol-
liciter de leurs commettants 'un pouvoir spécia1 2 • La déclaration
d'indépendance elle-meme fut voté e le 11 juillet. Chacun connait
ce document fameux : iI est sorti de la plume de J efferson et
affecte, du moins au début, Ulle forme abstraite gui 1'entre peu
dans les habitudes américaines, et qui étonne 'davantage chez un
hornme apte a tout comp1'end1'e et a tout s'assimiler hormis la
métaphysique. Dans son p1'éambule, la déclaration établit que
l'homme a re<;u de son créateur certains dons inaliénables, entre
autres la vie, la liberté, le goút du bOllheur, et réclame pour
tout peuple le droit de modifier ou d'abolir toute forme de gou-
vernement qui attente a ces dons. Puis, elle énumere, en termes
amers, les griefs que l' Angleterre avait donnés a ses colonies
transatlantiques: suspensiOll OH dissolution de leurs législatures;
abrogation du jury ct. cl'éation d'une magistraturc amovible;
suprématie du pouvoir militaire; entraves a la navigation, a l'in-
dustrie et au cornmerce; taxation arbitraire; enrólernent de


f M. Bancroft s'est plaínt (VIII, 293) de la pénurie des détails qu'il a pu rénnir
sur ce mémoralJle débat. 11 est remarquable, en effet, qu'il n'existe rten 011 pnsque
rien d'officlel sur cetle grande affair,), a part les seches menlions des Journals of
american congress, et le morceau qu'a rédigé Jefferson el qu'jJ remit 11. Madison. 11
figure aux pages 9-27 du tome 1 de la collection intitulé e : The papers of John Ma-
dison, achetés et pulJliés par le congreg en 1840.


2 On sait aussi par John Adams que la l'épugnance du New-Jersey dura jUílqu'au
dernier momento (JVorks, 1lI, 2G.)




260 LES ETATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE!.
mercenair~s étrangers. « e'est pourquoi,» conclut l'acte, « les re-
« présentants des États-Unis d' Amérique, réunis en congres.
« général, et prenant le juge supreme du monde a témoin de
« leurs intentions pures, déclarent d'une fac;on solennelle, tant
« en leur nom qu'au nom du peuple des colonies, dont ils sont
« autorisés, que les colonies unies sont et rlevraient etre des.
« ÉTATS INDÉPENDANTS ET LIBRES. Ils renoneent a toute allégeance
« envers la couronne d' Angleterre, et brisent totalement tout
~( líen entre ces colonies et la Granrle-Bretagne ..... Et ces memes


\


« représentants, pleins de confiance dans la divine Providence
« et sa protection, s'engagent réci~roquement a soutenir cette
« déclaration de leur fortune, de leur vie, de leur hon-
(/. neur. J)


Washington tit lire la déclaration devant ses troupes rassem-
blées, qui l'accueiUirent avec enthousiasme. A New-York, elle
provoqua quelques incartades ; des soldats fédéraux arracherent
de son piédestal la statue de George III et la décapiterent, acte
dont Washington, loín de leur savoir gré, leur tit de séveres
reproches. Ailleurs, etdans la masse du pays, la rléclaration ne
parut pas produire une impression bien grande '. Les Anglais
n'en avaient connaissance que depuis quelques heures, lorsque,
le 12 juillet, l'amiral Howe mouilla a Sandy-Hook, oil son frere
avait son quartíer général, depuis deux moís environ. L'amiral
amenait avec lu1, outre des troupes anglaises, un premier déta-
chement de ces soldats de la Hesse et du Brunswick que
George III et ses ministres ne craignaient pas rle recruter chez
leurs princes, et que 'ceux-ci s'empressaient de fournir a prix
d' or ~. En vertu de la derniere clause que contint l' _4merican Pro-


t The Ufe and correspondence of president Reed, par son petit-fils Willia'rn
Reed, 1, 175.


2 Lord Mahon a flétri, cornrne il convenait, ce rnarchandage, en rappelant le sar-
casrne de Frédéric n. (( J'ai envie de réclarner, d~t-il un jour, pour chacun de ces
« soldats qui traverseront mes Etats, le droit habituellernent percu pour ehaque te~e
« de bétail, Pe'squ'on les vend cornrne s'ils étaient du bétail eux-memes. » Lord
Mahon a égalernent blamé le eabinet anglais au sujet de cette transaetion, et fait
remarquer que l'envQi en Amérique de ces mercenaü'es irrita les insurgés plus que
tous le reste (lJist. of EngL, VJ, 90-91). Nous avons rencontré ici rneme des preuves
que ectte assertion esL vraie.




TROlSIEME PARTIE. - LA. GUERRE DE L'll'mÉPENDANCE. 26 t
hibitory Bill, lord Howe était égalenient chargé d:lllle· mission


,


concilia trice. Le choix du conciliateur était excellent : son frere
ainé avai t glorieusemenf succombé dans la derniere guerre et sa
mémoire était c1\érie des Américains. Mais la travérsée de
lord Howe avait subi des retards, et maintenant les choses en
étaient a ce point qu'elles paraissaient irrévocables.


L'étroite limitation de ses pouvoirs, qu'il avait vainement com-
battue, formait un autre obstacle ; ils ne dépassaient guere le droit
de recevoir des soumissions, et ensuite, mais seulement ensuite,
d'accorder des pardons et de s'enquérir des griefs. Pour qu'elle
rentrat dans la faveur du roi, Kings's peace, exiger d'une province
qu'elle commelll;at par dissoudre sa conventioll, son assemblée,
son association, c'était faire preuve d'une grande fatuité ou d'une
grande ignorance de ce qui se passait depuis plus d'un an en
Amérique 1 • Lord Howe ne s'en mit pas moins résolument a
l'amvre, et, a peine débarqué, adressa une circulaire aux gou-
verneurs fédéraux, avec une déclaration qui faisait connaltre
l'objet de sa mission et l'étendue de ses pouvoirs. n n'avait'pas
qualité pour traiter avec aucun ·corps public, y disait-il;
« mais il offrait une a~nistie complete aux provinces, aux villes,
«aux assemblées, aux individus qui renLreraient dans le de-


. .


« voir. » Lord Howe écrivit ensuite a Franklin une leltre privée
et amicale dan s laquelle illui exprimait une haute estime pour
son caractere, et témoignait le plus vil' désir de devenir l'instru-
ment de la réconciliation entre les deux peuples. Dans sa réponse,
Franklin s'inspira des memes sentiments personnels; mais pour
la communication en elle-meme, il la trouvait tardive et regret-
tait «que Sa Seigneurie eut été envoyée aussi loín pour une
«besogne aussi désespérée. Souvenez-vou~, ajoutait-il, sou-
« venez-vous des larmes de joie qui mouillerent mes juues
« quand, chez votre bonne sceur, vous me donnates un jour
« l'espoir ti'une réconciliation immédiate. Cet espoir s'est, par
G. malheur, évanoui, et j'ai meme eu la mortification ,de me voir
«( traiter comme l'auteur du mal que je m'effor.;ais de préve-
« nir. ) Lord Howe n'eut pas plus de sucd~s pres de Washing-


I Inst. manusc., Hist. o( Engl., vr, 95.




LES ÉTATS-U~aS DE L'AMÉHIQUE SEPTENTl!lONALE.
ton: le message qu'illui ádressa portait en suscription : A George
Washington, esquire, et le général en chef re~usa de le recevoir,
paree que cette suscription semblait contester so.n titre officiel.
Quant au congres, il fit publier la déclaration de lord Howe, afin
que le petit nombre de personnes « qui garderaient encore quel-
« que espoir, soit dans la justice, soit dans la modération de
« leur ancien roi, pussent se convaincre que le salut du pays
« ne résidait plus que dans sa valeur 1. »


La négociation ainsi brisée a son début meme, c'était au canon
de prononcer, et des deux cótés OIl s'appretait a lui donDer la
parole. Les renforts récemment arrivés portaient a 25,000 homm€s
le chiffre des forces britanniques, eL le généralHowe était des
lors en mesure oe porter la guerre soit dans la Nouvelle-Angle-
terre, soit dans le New-York, et de couper les communications
entre les États du Nord et ceux du Sud, ponr peu que le lieute-
nant général Burgoyne réussit dans la diversion qu'il allait entrc-
prendre par l'Hudson supérieur. A ces forces, Washington pou-
"út opposer sur le papier 27,000 h.ommes; mais il y en avait un
quart dans les hópitaux ou dans les al11bulances, et en tenant
eompte de ses divers détachements, un ne saurait évaluer a plus
de 15,000 llOmmes le nomln'c des balollnettes el des sabres actifs
dont il pouvait disposer. Il avait transporté son quartier général
a New-York, au milieu des populations que Tryon, leur aneien
gouverneur, travaillait dans le sens royaliste, et c'étaít le moment
oll ce me me Tryon et les loyalistes de New-York complotaient de
l'enlever et meme de l'assassiner. Le complot avaít des ramifica-
tions jusque dan~ le camp américain, et Washington en tit al're-
tor les principaux chefs et fusiller un de ses soldats qui s'était
laissé séduire ; il éloigna également de la ville les personnes les
plus suspeetes. Ce . fut dans ces circollstallces critiques et avec
J'aussi faíbles ressources qu'il résolut de défendre t\e\,v-Yol'k,.
objectif désormais certain de son auversaire.


La ville de New-York s'étend sur l'ile de ManhaUao, que
flanquent, pour aillsi oire, Staten Island a l'ouest, et Long Island
a l' est. Un 1>ras de mer, appelé la rhiere de l'Est, sépare Man-
.~


t Life uf Franklin, 413.




TROISIE~H~ PAHTlE. LA GUEHRE DE L'¡NDÉPENDANCE. 263
haUan de Long Island et fait communiquer le port avec, l~ sound
ou détroit, qui s'étend au nord et a 1'est de Long Island. La ville
de Brooldyn est située a 1'extrémité occidentale de celle-ci; elle
renferme aujourd'hni plus de 300,000 habitants; mais ce n'était
en t 776 qu'un centre de popnlation des plus modestes. A l'ouest,
}'Hudson, ou l'iviere du Nord, isole Manhattan des rivages du New-
Jeresy, tandís que la riviere d'Harlem la sépare 3 l'est des cótes
du comté de West-Chester . Washington s' était établi a New-York
meme, aree le gros de son armée, et avait placé des camps vo-
lants sur divers points du W est-Chester, au cas OU l' ennemi ten-
terait une descente de ce coté, ainsi qu'il avait fait fortement oc-
cuper l'angle méridional de Long Island.Ces dernieres troupes
étaient protégées par une série de lignes qui s' étendaient en avant
de Drooklyn, depuis la riviere de l'Est jusqu'a la petite anse de
Go'wan a 1'onest, et (Iue couvrait ellewmeme une rangée de
hauteurs, boisées, courant de 1'ouest a l'est et partageant Long
Island en deux parties a peu pre'l égales. Washington avait d'a-
bord confié leur défense au général Greene, dont les talents,
suivant un mot de La Fayette, n'étaient encore connus que d~ ses
amis seuls; mais Greene tomba malade, et ce fut Putnam qui
eut a subir le clIoc des Anglais dalls la bataille de Brooklyn ou
de Long Island, comme on l'appelle parfois.


Le 22 aout, la flotte anglaise débarqua sur l'extrémité mérjdio-
nale de Long Island, sans opposition des Arnéricains, 8,000
hommes, cornposés partie d' Anglais, aux ordres de Clinton et de
lord Cornwallis, partie rl'Hessois, c?mmandés par le général Reis-
ter et le comte Donop. Les jours suivants se passerent en escar-
mouches, et le 26 au soir seulement, les AI1glais se préparel'ent a
l'attaque du camp de Br(loklyI~. Ils la firent sur trois coloIlIles,
qui s'engagerent chacune dans l'une des trois routes traversant
a101'8 cette partie de· Long Island, pou!' aboutir aux retrallche-
ments américai~ls, et le succes de la 'journée fut assuré par un
mouvemellt tonrnant de Clinton. Vers les huit heures !iu matin,
il. avait entÍEwement débordé la gauche des Américains, et com-
men~ait a attaquer leurs derrieres. tandis qu'Heister et le major
général Grant, avertis par son canon, les auordaient de front.
A midi, la déroute de~ Américains était complete, et ils qUitta¡er:t ~


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264 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
le chal}1p de bataille, y laissant 3 pieces de canon, un millier de
tués ou blessés, 1,100 prisonniers, parmi lesquels Sullivan et le
colonel eomte de Stirling, ancien membre du eonseil royal du
New-Jersey, qui avait embrassé la cause des insurgents. Aux pre-
miers bruits de la eanonnade, Washington s'était transporté a
Long Island, mais pour assister, dévoré d'angoisses, a la fuite de
ses troupes et les voir poursuivies jusqu'au pied de leurs retran-
chemtmts. Ceux-ei n'étaient pas tenables, la fiotte anglaise pou-
vant, si elle for<;ait les passes de l' est, les prendre a revers et cou-
per toute retraite aux Américains. Washington ordonna done
d'évacuer immédiatement l'ile, opération qui eut lieu, sous ses
yeux memes, dans la nuit du 29 et qui se fit avec beaucoup d'ha-
bileté et de secret 1.


Ce retour de fortune ne fit pas oublier a lord Hewe son rOle de
conciliateur, et il chargea Sullivan,'qui était on se le rappelle pri-
sonnier de son frere, de p'orter un message au congreso Dans
l'impossibilité de traiter pour le moment avec le eongres lui-
meme, Lord Howe aimerait néanmoins a s'aboueher, quoique
d'une fa<;on non offieielle, avec quelques-uns de ses membres,
voila ce que le message portait en substance. Apres de longues
hésitations et de vifs débats, l'assemblée consentít a eette entre-
\,ue et désigna l/ranklm, Edward Rutledge et Jolm Adams pour
l'y représenter. Ils se mirent en route, et rencontrerent chemin
faisant une quantité d' officiers ou de soldats débandés, dont la
tenue et le langage n'étaient pas faits pour inspirer une haute
idée de l'al'mée fédérale et d~ sa discipline. Un officier de lord
Howe les joignit en avant de New-Brunswick : il se rendait dans
cette ville pour leur servir d'otage ; mais Franklin et ses eollegues
luí firent rebrousser ehemin, et tous ensemble entrerent dans la
ehaloupe meme de l'amiral qui devait les transporter a Staten
Island, lieu fixé pour l' entrevue. Lord Howe attendait les C01l1-
missaires du eongres sur lé rivage ; iI s'approcha d'eux, leur sou-
haita la biellvenue, et s'éeria, en apel'cevant son offieier: « e'est
« bien, messieurs, e'est tres-bien; mais vous avez eu raison de


1 Jared Sparks. Vie de Washington, 1,231-235. - V,e, cor~. et écrits, 111,
176-180.




TROlSIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE~265
« croire a mon honneur, rien ne me sera plus sa</ré que vos per-
« sonnes;» puis illes conduisit a son logement, a travers upe dou-
bIe baie de grenadiers qui présentaient les armes. Il appartenait
naturellement a Lord Howe de commencer l' entretien '; ilI' ouvrit
par une allu&ion gracieuse au monument que le Massachusetts avait
élevé, dans l'abbaye meme de Westminster, a son frere tombé
devant le fort de Carillon. « J'aime l' Amérique en frere, ajouta-
t-il, et c'est en frere que je déplorerais sa chute, si elle arrivait.
- C'est un ennui, répliqua Franklin, avec une inclination, un
sourire, et cette naiveté maligne qu'il montrait parfois dans sa
conversation et qui respire dans ses écrits ; c'est un ennui que
nous ferons tout au monde pour vous épargner. » Une seconde
observation de lord Howe proYoqua de la part de John Adams
une riposte moillS courtoise. « Jene puis, avait dit l'amiral,
vous rec6voir comme membres du congres, inais seulement a
titre d'individus et de sujets britanniques. - Considérez-nous
comme vous voudrez, répliqua Adams, et, pou!' mon eompte, je
consens a etre traité eomme il plaira, si ce n'est enmme sujet an-
glais. » .. Lord Howe détailla ensuite les conditíons que George III
metlait a une réeonciliation et moyennant l'accomplissement des-
quelles il promettait le rappel des actes qui a vaient le plus offensé
l' Amérique. Sur ce terrain, il était difficile de s' entendre, et les
commissaires du congres déclarerent sans détour que les États
eonfédérés ne traiteraient jamais avec l' Angleterre, si ce n'était
sur le pied de puissance indépendante. Alors l'amiral rompít,
quoiqu'a regret; la conférenee qui s'était prolongée pendant plu-
sieul's heures, et John Adams, Rutledge et Franklin reprirent la
route de Philadelphie 1.


La défaite de Brooklyn avait complétement démoralisé les
troupes fédérales : les milices, devenues intraitables quittaient le
camp, par compagnie, par bataillon, par régiment entier; les
troupes régulieres elles-memes, voisines du terme de leur enga-
gement, ne montraient plus ni courage, ni esprit militaire. « Je
« n'ai plus confiance dans la grande majoritéde l'armée,» écrivait


t Pour les détails de cette entrevue, cr. John Adams: Works, m, 79-80; Franklin:
Works, r, 412., el V, 97; Icttre de Rutledge a Washington, Corro o{amer.rev., r,
287-38.




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266 LES ÉTAT5-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTLUONALE .
.


Washington au président du congres, « et je me vois réduit a
« une guerre purement défensive 1 » Dans la HUi! du 14 au 15, il
s'était rendu au "illage d'Harlem, afin de surveiller les mouve-
rnents de la fIoUe anglaise qui devenaient tres-menac;ants; au
matin, il apprit que Clinton avait jeté quatre mille hommes entre
Harlem et New-York et que quatre vaisseaux s'étaient embossés
dans l'anse de Kipp. Il détacha sur-le-champ les deux brigades
Pearsons 'et Fellows au secours des lignes rnénacées, et des le5
premiers coups de canon, se porta de sa persoIllle sur le lieu de
l'action. Il trouva en pleille déroute les troupes de ligne aussi
bien que- ceHes qui étaient venues a leur secours; leurs chefs
faisaient de vains efforts pou!' les rallier, et lui-meme n'y réussit
pas davantage. L'apparition d'un nouvcau détachement anglais,
de cinquunte a soixaIlte hOlumes au plus, acheva de leur fail'e
perdre la tete, et ·elles se débanderent tout a fait sans tirer un
seul coup de fusil. A ce honteux spectacle, Washington perdít
pour la premiere fois son calme stolque, et ses aides de camp
le virent, dans un paroxysme de douleuI' et de désespoir, tourner
801~ cheval vers les rangs ennemis. Ils en saisírent les brides et
paninrent non sans peine a l'éloigner du fUJleste champ de ba-
taille. Ce, meme jour, les Allglais firelit leur entrée dan s New-
York, ou ils trouverel1t les gros lJagages' et la grosse artillerie des
Américains, que Putnam avait Jaíssés dans sa l'etraite précipitée,
et rec;urent l'accueil le plus empressé des loyalistes, qui étaient
restés fort,nombreux dans ceHe ville.


Washington était néanmoins décidé a disputer dans sa retraite
le terrain pied a pied. Il alta d'abol'd camper sur les }lauteurs
d'Harlem, ou le général Howe le laissa tranqui))e jusqu' au mi.lleu
d' octobre, et se transporta a101's aux Plaines-Blanehes, White-
Plains. La Clinton l'attaqua, le 28, et apres un combat dans le-
quel les rnilices lachereut pied, comme d'habitude, maí::; les
tl'oupes régulieres tinrent f0rme, il disparut, et Howe lui-meme
se porta, le 5 novembre, avec toutes ses t'orcesdans la di;'ection de
Kiugsbrioge, laissallt Washington dans lIne grande incertitude de,
ses opérations futures. Il finit par croire qu'elles avaient les


,


f Víe, corr., écrits, 111, 81.




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDEPENDANCE. 267
Jerseys pour objectif, et traversa en conséquence l'Hudson, pour
s'établir a Haekinsac. Washington avait conjecturé juste: apres
s'étre emparés du fort Washington, qui apres l'évacuation de
New-York n'était pas tenable, les Anglais traverserent l'Hudsona
leur tour, au nombre de 6,000. La garnison du fort Lee l'évacuaa
leur approche, abandonnant derriere elle ses approvisionnements


'et son artillerie. Washington, dans l'impossibilité de combattre,
dut se rep1ier successivement d'Hackinsac sur" Brunswick, de




Brunswick sur Princeton, de Princeton sur Trenton, et eufin sur
la rive droite de la Delaware.


Jamais sa position n'avait été aussi critique: ille con fessait dan s
l'intimité a son 1'rere Augustin" mais en public, iI gardait tOllt
son calme, et aux personnes qui le pressentaient sur ses desseins,
iI. répondait q nc Philaclel pllie prise, iI se retirerait sur la Susque-
hnnnah! au besoin derriere les Alleghanies. QueIques renforts
qu'iI re<)ut de l'armée du Nord et quelques détaehements qui le
lejoignirent n'amélioraient guere sa situation, et l'on a peine a
comprendre comment Hmve s'arreta sur la Delaware, en un tel
moment, quancl illui était si faeile d' envahir la Pennsylvanie et
peut-etre d'un seul coup de terminer la guerreo Mais Howe n'eut


1 jamais l'intention de franchir immécliatement la Delaware : au
lieu de faire construire des báteaux, iI YOU lut attenclre que les eaux
de la riviere fussent prises par la glaee; jusque-la il resta lui-
meme a New-York, tamlis qu'iI ]aissait lord Cornwallis qui oc-
cupait les Jerseys y disperser ses troupes a sa COIlvenance. Ce1les
de ces troupes qui bordaient la Delaware s'étendaÍent de Treuton
a Burlington. Dans la nuit oe Noel, 'Vashington réunit 2,400
hornmes et leur fi! passer la riviere. Il espérait atteindre Tren ton
avant la pointe du jour; mais, grace aux glaces floUantes et a un
ouragan de neige qui rendirent la traversée siugulierement pé-
nible, il était quatre heures du matin lorsqu'il se trouva sur
l'autre rive. Divisant alor8 sa pehte armée en deux coloIllles, il
les lan~a sur Trenton par deux routes différentes, et a huit heures
du matin elles arriv~ient oevant la ville. Les Hessois du comte
Donop et du colonel RahI qui l' occupaient, détestés des habitants,
n'en avaient re~u aucun éveil, et n'avaient pas encore secoué
tont a faít la fumée de leurs libations nocturncs lorsque les pre-




268 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
miers coups de feu des Américains retentirent a leurs oreilles.
Leur cavalerie prit immédiatement la fuite; le reste du détache-
ment, composé d'environ 1,000 hornrnes, fut entouré et mit bas
les armes 1. Satisfait de son succes, Washington repassa immé-
diatement la Delaware; il était heureux d'avoir ainsi· relevé le
moral de ses troupes· et rassuré les républicains de Philadel phie
qui se savaient exposés aux vengeances des troupes royales et
quele départdu c0I1gres pour Baltimoreavaitentierementeffrayés;
mais il regretta que le général Cadwallader, quí disposait a Bristól
de1,800 hommes, n'eút puou n'eút osé, dans la nuitdu 24 au 25,
se porter lui-merne sur la rive gauche du fleuve et coopérer a
l'exécution d'un plan plus généra1 2 •


Il n'a pas été donné a Washington d'exercer ses talents mili-
taires sur une grande échelle : toutes les actions auxquelles il
s'est trouvé et que ses compatriotes appellent, avec emphase, des
batailles recevraient a peine le nom dé combats dans l'histoire
des tuttes gigantesques de la révolution fran<.;aise. Mais faut-il
donc juger des résllltats par les moyens, et la faiblesse des uns ne
fait-elle pas, au contraire, ressortir la grandeur des autres. Tandis .
que chacun de ses éclatanfs faits d'armes a coúté une dure
ran<.;on a la Frunce, chacun des exploits de Washington a été
pour l'Amérique une étape vers sa liberté et son indépendance.
Le succes de Trenton et celui de Princeton, qui le suivit a quel-
ques jours de distan ce 3, sauverent Philadelphie et rendirent aux
troupes fédérales de l'ardeur, aux citoyens de la confiance, au
con gres de la volonté et dll ressort. Il faut lire les premiers his-
toriens de ]a révolution améri?aine et la correspondance du
comité secret si l'on veut bien comprendre l'état des esprits apres
la bataille de Brooklyn. Le peuple était bien pres de maudire
l'heure oú il avait saisi les armes; l'armée, on sait ce qu'elle
était, et le congres cachait sons des apparences sto'iques une in-
quiétude des plus vives. Il suivait une politique vacillante, tantót


, .


t Vie, corro écrils, III, 234-238.
:& Cadwallader et ses officiers jllgerent a J'lInanimité que le mallvai, temps et les


glaces floUantes rendaient trop dangerellx le passage du flellvc (Cadwallader a
Washington, 26 décembre 1776; Corro 01' omer. rev., 1,309.


3 3 janvier 1777.




'l'ROlSlEMF; PARTIE. - LA GUERRE DE L)INDEPENDANCE. 26~
inerte, tantot présomptueuse, et témoignaít trop souvent une
défiance insultante au seul homme dont il put attendre son
propresalul et le salut de l' Amérique. A pres Trenton, le spec-
tacle changea, et e'est une remarque sagaee d'un éminent histo-
rien anglais q~e nuBe part le ehangement ne fut plus visible et
plus caractéristique que sur les bancs du congres 1. Le sentiment
du péril commun l'emporta sur l'aversion pour les armées per-
manentes et la erainte des chefs militaires. Le lendemain de
l'affaire de Trenton et avant meme d'en eonnaitre l'issue, le
con gres conférait a Washington le pouvoir de lever seize nou-
veaux bataillon~, de requérir les inilices locales, de nommer ou •
révoquer tous les officiers supérieurs et subalternes, de s'appro-
visionner partout et d'arreter les malintentionnés ou les per-
sonnes qui refuseraient les bons du trésor. On sait eomment il
répondit a ces marques de eonfianee extraordinaire. « Loin de
« me croire dégagé par elles de toute obligation civile, )j éerivit il
au eongres, « j'aurai toujours e€ci présent a l'esprit : de meme
« que l'épée a été la derniere ressouree pour la eonservation de
« nos libertés, ainsi doit-elle etre déposée des que ~es libertés au-
« ront une assiette solide '2, )) et l'histoire atteste que Washington
a tenu sa parole.


Dans eeHe meme lettre, Washington prornettait de mettre une
main prompte a la réorganisation de l'armée, et eet engagement
ne fut pas illusoire. On assura la solde el les services du eampe-
ment, de l'habillernent et des vivres; on forma trois régiments
d'artillerie et un régiment du génie; on porta les eadres de l'in-
t'anterie et de la cavalerie a 110 bataillons ou escadrons 3. La rlis-
cipline fut rétablie ~t le corps des offieiers subit des épurations
néeessaires. Washington appréciait fort chez eeux-ci l'édueation
et meme la naissanee qui fait présllmer l'autre, et savait faire une
large part au mérite personne1. « Les cornmissíons devraient etre
« données toujours au mérite el non a l'ftge, » écrivait-il au


i Rist. o{ EngL., VI, 142.
2 tujanvier 1777.
a 11 ne faut pas oublier que les bataillons, escadrons, régimenls étaient alors et.


sont encore, si je ne me trompe, dans l'armée angiaise, d'ulI elfectif tres-~infér..i.'''''_-1I:i!ro....
aux effectifs des armées continentales. , BIR/


, -Ir)
:. C' ;.


, /1 ~~ ..,.. ~ t/ ;:>.,' ~
.'; ", ' ;~Si~\: ~
\\~~.'\ ,,:~'~~,":"0',. J
\, ~ ~''IL.. 1.; ~ ... -A -o. /.:




270 LES ÉTATS-U:-lrS DE L' AMÉHlQUE SEPTENTRIONALE.
major général Spencer; « c'est un principe dont je ne me dépar-
« tirai jamais lorsqu'il s'agira de récompenser un officier brave
« et actif 1. ») Déja la solde avail été augmentée et des concessions
de terre promises aux soldats qui s'enróleraient pour tout le temps
de la guerreo Maintenant on fixa a trois années la moindre durée
des engagements. Cette mesure si nécessaire était l'une de ceHes
que Washington avait mis le plus d'insistance a réclamer et le
congres ]e plus de répugnance a consentir. Elle ne produisit
point de résultats irnmédiats, paree que les soldats tenaient beau-
coup a 1'ancien systeme: « Les gratifications, la haute solde, le
c( court service, ) écrivait un membre du congres, « les ont tous
« viciés, el ils sont de\'enus les étres les plus mercenaires qui
« existent 2. )


Ce mouvement et ces préparatifs laisserent Howe impassible
dans ses quartiers d'hiver; il se borna, en janvier et en février
1777, a ordonuer deux ex péditions dont l' une, sous les ordres de
Clinton, s'empara de Rhode-Island, tandis que l'autre détruisait
les magasins fédéraux établis a Peekshil1 sur le haut Hudson. Au
mois d'avril) les troupes royales ravagerent la ville de Danbury



et son territoire, et les A méricains brulerent, il Ieur tour, quel-
ques petits navires a Saggs'Harbour, dans Long ISland. En
somme, 0n.. ne fit rien d'important de part ou d'autre avant les
premiers jours de l'été Dans l'intervalle, Washington avait trans-
porté son campo a Middlebrook, a dix milles environ des postes
anglais de Bnmswick, position excellente, ou il s'était fortement
retranché et d'oll il surveillait les mouvements de son anta-
goniste, soit que celui eut Philadelphie pour objectif, soit qu'il
méditat une jonction avec Burgoyne, qui s'apprétail a envahir
les Etats:.Unis par le haut Canarla. '


En réalité, Howe songeait a Philadelphie. Dans la seconde
quinzaine de juin, il quitta New-York et prit a Brunswick le
commandement de ses lroupes. Ses premieres manreuvres sem-
bierent indiquer une marche sur la Delaware et n'avaient toute-
fois d'autre bul que d'attirer Washington dans la plaine. Apl'es


t Vie, corr., écrits, IlI, 277.
2 Hobert Morris a Washington, () mars 177i; Corro of amero re!) , J, 34t;.




'tROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L·INDÉPEND.ütcE. 271
avoir déjoué par deux fois cette ruse, Washington s'y laissa pren~
dre une troisieme et quitta leE! hau teurs de Middlebroock j mais
averti a temps qu'il allait avoir sur le dos toutes les forces an-
glaises, il put les regagner, sans que Howe, qui connaissait la
force de la position, se souciat de l'y suivre. Ce fut alors que le
général anglais, changeant tout a coup son plan de campagne,
sans en abandonner l'objectif, évacua complétement les Jerseys . , .
et fut s'embarquer a Sandy-Hook, a destination de la baie, de
Delaware. Sa disparition lai8sait Washington dans une grande
perplexité; une mure réflexion le convainquit que Howe restait
fidele a ses desseins contre Philadelphie, et des qu'il eut su l'ar-
rivée de l'escadre anglaise en vue des capsde la Delaware, levant
son camp, il se transporta a Germantown, en avant de philadel-
phie, bien dééidé a risquer une bataille plutót que u'abandonner
sans coup férir la capitale de la Pennsylvanie.


Howe,"en touchant a l'embouchure de la Delaware, revut sur les
défenses dont les Américains a vaíent garni ses ri 'fes des rapports
exagérés qui l'inviterent a changer une fois de plus ses plans et a
débarquer sur les bords de la Chesapeake. Le 29 aoút, il s'éta-
blissait ayec ses 11i,000 hommes sur les bords de la ríviere Chris-
tine, tandis que Washington venaít se porter sur la rive gauche
de la Brandywine, petit affluent de la Delawarc. Le 11 septembre,
a la pointe dujour, l'armée anglaise s'approcha formée sur deux
colonnes, aux ordres de lord Cornwallis et de l' Allemand Kny-
phausen, et détacha (Iuelques bataillons sur Chadsforu, OU la
Brandywine ~st guéable. Les batteries amérícaines battaient ce


, ~int, qui n'inquiétait point Washington; mais quand il vit que
Jes bataillons anglais restaient immobiles, sans chercher a fran-
chir la riviere en laissant leur artillerie seule ouvrir un feu vif et
prolongé, ilcommenva de soupvonner que l'ennemi masquait de
la sorte un mouvement tournant, souPQon que les rapports de ses
éclaireurs changerent bientOt en certitude : la gauche des An-
glais, conduite par Cornwallis, remontaít en effet la Brandywine.
Washington ordonna aussitót a un ofticier d'ordonnance de pas~
ser la riviere et de reconnaitre les mouvements ue l'ennemi; cet
officier revint, mais, jouet d'une i llusion étrange, ilorapporte que


o Cornwallis se dirige sur Chadsfordo Un second officier, dépeché




"272 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMERlQUE SEPTENTRlONALE.
sur-le-champ, rectifie la bévue du premier et annonce que le gé-
néral anglais s'avance a grands pas sur le gué de Jefferies. Sulli:
van re<;oit alors l'ordre d'aller avec toutes ses forces a sa rencon-
tre; mais les chemins étaient mauvais, et les bois qu'il fallait
traverser retarderent longtemps sa marche. Il en sortit enfin, et
gagna une petite hauteur pres du village de Birmingham; les .
Anglais la gravissaient déja par le versant opposé, et les troupes •
fédérales n'avaient pas eu le temps de prendre position que les
bataillons de CornwaIlis avaient couronné l'éminence.


11s poussent Sullivan sur le derriere des bois et achevent de
le mettre en déroute, puis íls abordent, avec beaucoup de sang-
froid et de vigueur, le centre américain qui bientót lAche pied a
son tour. 1 .. a gauche restait intacte; mais vers les cinq heures du
soir, Knyphausen, estimant le succes de Cornwallis complet, se


I


porta sur Chadsford, et s'empara en la tournant de la batterie qui
en défendait les abords. Le général Wayne et sa brigade purent
néanmoins se repHer en bon ordre 1.


Les Américains venaient encore d'étre battus, mais du moins
sans hopte; leurs troupes' avaient bravement soutenu le feu, et
ne se débanderentpoint apres la défaite. Les officiers fran<;ais et
polonais, qui combattaient depuis quelque temps avec eux,leur
donnerent a la Brandywine de bons exemples. Le comte Pu-
lawski, l'héro'ique champion de la ligne de Bar, conduisit la
cavalerie de la fa<;on la plus brillante; le baron de Saint-Ouary
y fut fait prisonnier, et le capitaine de Fleury eut un che val ttÍ~
sous lui. Un tout jeune homme, qui appartenait a la haute no-'
blesse fran<;aise et voyait le feu pour la premiere.fois, ne cessa;
quoique blessé a la jambe, de soutenir la relraite et de relever,
par son exemple et sa paroJe, le courage des soldats. Ce jeune
homme était le marquis Marie-Paul-Josepb-Roch-Yves-Gilbert
Mottié de La Fayette. .


Il était né le 6 septembre 1757, au chAteau de Chavagnac, en
Auvergne 1 , et ne COIlIlut pas son pere, tué avant sa naissance et


t Vie de Washington, 11, 20-24. - Marquis de Chatellux. Voyages dans l'A-
rnérique úptentrionale durant les années 1780, 1781 et 1782, éd. 17S6, 1, 198-
207.


2 Le village de Chavagnac fait aujourd'hui partie du département de la Haute_
Loire, arrond issement de Brioude.




'l'ROISllhlE- PAI:{TIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDA~CE. 2i~~
a l'Age de vingt-cinq ans, sur le champ de bataille de Minden., OU
il commandait u~ corps de grenadiers. Le jeune Gilbert n'avait
encore que dix ans quand il perdit sa mere, et seize seulement
quand il épousa une fine du duc d'Ayen, alliance illustre qui,
jointe a sa propre naissanee et a sa large fortune, lui donna ses
grandes entrées a Versailles. Officier des son enfance, suivant
l'usage.d'alors, La Fayette se trouvait a Metz, lorsque le maré-
chal comte de Broglie, gouverneur de eette ville et son tuteur,
y re«;ut" en 1776, le due de Gloucester, frere de George III. Dans
un banquet que le maréehal offrit a son visiteur, la conversation
tomba sur l' Amérique, et le due, alors en froid avec la eour de
Saint-James, qui ne témoignait pas a sa femme assez d'égards,
le duc laissa voir du penehant pour la cause des eolonies. La
Fayétte, qui était un des convives, preta une oreille fort attentive
a des détails tout llouveaux pour luí; il prit la liberté de ques-
tionner le duc el en olJtint quelques éclaircissements. A partir de
eette heure, « son cwur fut enrolé pour eette querelle, d il ne
songea plus qu'a joilldre ses drapeaux, » comme il s'exprime
lui-meme, et, de retour a Paris, il fut trouver S'ilas Deane, l'en-
voyé américain. La Fayette lui parla « plus de son zele que de
son ex~érience, mais il flt valoir le petit éclat de son départ, )
et Silas Deane signa l' engagement t. Le difficile maintenant était
de partir, cal' le jeune enthousiaste n' attendaít que des obstacles
de la part de la famille ou il était entré 2. Mais il se sentait fort
de l'engouement pour l' Amérique et les Américains qui s'était



. , Mérnoires, correspondances et manuscrits dll général Lafayette, Paris, 1838,
J, 6-9. Le nom est ici orthographié a la fa¡;on du générallui-meme quand il l'eut
démocratisé. Mais sa remme et Mm. de Lasteyrie, sa filie, écriveot le nom en deux
mots, et cette orthographe nouiliaire est ici d'accord avec l'origine probable du
Dom et du titre, Fayette signifiant un petit bois, súrtout un Dois de hetre, dalls le
patois du pays.


2 Mm. de La Fayette nous apprend que son pere et toute la farnille « furent t0l18
«( dans une violente colere, » a part la duchesse d' Ayen qui sellle apprOllva le projet
de son gendre (Vie de Mm. la duchesse d'Ayen, Paris, 1868, p. 56). Mme de Las-
teyrie parle également lÍe la grande eolere de son aleul (Vie de Jfme de La F ayette,
177), On voit par la ce qu'il faut "enser du roman inventé par John Adams (Works,
III, 149) sur le conseil de famille tenu par les Noailles, et qui, écartant le prince de
Poix cornme héritier probable, le due de Mouchy comme trop important, désigne
La Fayctte pour aller en Amérique, sur le refus du vicomte de Koailles.


18




:27 '1 LES i;TATS-FNIS DE L'A~JÉIUQtTE SEl'TENTRWi\ALE.
emparé du grand monde" et lord Storroont, qui représentait
alors l'Angleterre a Versailles, nous a appris:qu~ les plus grandes
dames blamaient fort ses parents de leur résistance, au point que
l'une d'entre elles disait « que si le duc d'Ayen traversait un tel
«( gendre dans une telle entreprise, il ne devrait plus espérer de
«( marier ses filIes 1. »)


La Fayette envoya secretement un agent a Bordeaux, a.fin d'y
affréter un navire, et fit, en attendant, un Yoyage a Londres. Le
marquis de Noailles, son allié, qui était alors notre ambassadeur
a Londres, le présenta a George lB, dont il re~ut un gracieux
accueil. Dans un théi:ltre, i1 rencontra le général Clinton qui
était en congé, et ils échangerent quelques politesses, bientóf
changées en coups de canon sur les champs de bataille de l' Amé-.
rique. On lui offrÍt aussi de visiter l'arsenal de Plymouth et les
armements qui s'y préparaient; mais il eut la délicatesse de dé-
cliner cette offre 2. A son retonr, La Fayette fit ses adieux a sa
jeune femme qu'il laissait enceinte de plusieurs mois, et se rendit
a Bordp.aux. Une lettre de cachet, provoquée par lord Stormont,
l'y attendait. Dáns cette extrémité, il se déguise en courrier,
franchit ]a frontiere espagnole et va s'embarquer au Passage.
Vers le milieu de juin 1777, iI touchait"aux cotes de la Caroline
méridiona]e et prenait sur-Ie-cllilmp la route de Philadelpllie. Ce
fut pendant un diner donné par \Vashington que le jcune volon-
taire lui fut présenté et en re~u( l'accueil le plus cordial. « ln-
«( vité a s'établir dans sa maison, il la regarda, des ce jour,
«( coro me la sienne, et c'est avec cctte simplicité que s'unirent
« deux amis dont les plus grands intél'ets cimehterent l'attache-
«( ment et la confiance 3.» L'accueil du congres fut plus froid :
nu début, cette assemblée avait accordé, presque sans contróle;
des honneurs et des grades aux nornbreux volontaires que lui
envoyait Sil as Deane, et Washington, toujours aUentif aux be-
soins de son armée el encore imbu de certaines répugnances de
race, s' était plaint d'une facilité pareille et de ses suites fa-


f Yie de l/me de La Fayette, 19i-198.
2 HisL o{ Engl., VJ, 1Gl-6'2.
3 La Fayetle : jfhnoi/'cs, 1, ?().




TROISlbfE PAllTIE. - LA GURRRE DE L'lNDÉPENDANCE. 2i7>
cheuses poúr ]e service l. Les corps délibérants sont susceptibles,
et La Fayette l'apprit a ses dépens : il faUut que Washington
arrachat au congres plutót qu'il n'en obtint le grade de major
général qui lui avait été promis en France 2 • Encore, pour le con-
gres, ne s'agissait-il en réalité que d'une distinction honorifique,
et La Fayette ne dut un cornmandement actif qu'a l'amitié de
son hóte illustre.


Placé entre l'armée anglaise et Philadelphie, Washington re-
tardait par d'habiles manreuvres la prise de cette viHe. Il avait
jeté un rideau de tro.upes sur la SchuykhiU et observait aUenti-
vement les gués de cette riviere; trompé néanmoins par une
démonstration de Howe contre Reading ou les fédéraux avaient
leurs principaux magasius de vivres, il se porta de ce cOté, et les
Anglais traverserent la Schuykhill. Le 26 septembre, Cornwallis
entrai~ dans Philadelphie et y étaít tres-bien rel¡ll non-seulement
des loyalistes, ce qui était tres-naturel, mais encore des quakers,
ce qui semble .d'une explication moins facile. Le général Howe ne
lais$a dans la ville qu'une assez faíble portion de ses forces, déta-
chant plusieurs bataillons sur la· Delaware, afin de concourir a


.l'attaque que l'amiral, son frere, s'appretait a diriger contre les
ouvrages éleves par les Américains sur les deux rives de la
riviere, et installa le reste de ses troupes a Germantown, gros


. bourg situé a treize milles de Philadelphie, sur la route qui court
, de cette ville au sud. eette dissémination n'était pas prudente
.avec un général aussi vigilant et aussi actif que l' était Washing-


ton, el faillit ~outer cher aux Anglais. Le 4 octobre, un peu
avanl la pointe du jour, les troupes fédérales pénétraient dans
Germantown, qui n'était a10rs qu'une rangée' de maisons courant
le long de l~ route, sur une étendue de trois kilometres, el au-
tour de laquelle se dressaient a droiteet a gauche les tentes des
Allglais. Ceux-ci, surpris par l'attaque inopinée des Américains,
eurenl a peine le temps de prendre leurs armes el se replierent
en désordre sur le bourg. Les Américains les y s,uivent, mais ils
sont arretés par un feu tres-vif de mousqueterie partant d'une
maiwn, et un épais brouillard survient qui contrarie leur déploic-


, Sur cepoint voyez de curieux détails dans les Hamilton, Papers, 1, p. '254-257.
2 V p. 2:39, 250,'288, 'l9d du tome 1II de Vi!', corro et perits.




2j() LES ÉTATS·UNIS DE L 'A:\Ih:RIQUE SEPTENTRION~LE.
ment et leurs manreuvres. La confusion commence a se mettre
dans les rangs; plusieurs régiments de milices, se prenant mutuel·
lement pour des colonnes anglaises, se fusillent presque a bout
portant; la panique finalement les saisit et ils se mettent a fuir.
Attiré par le bruit du .canon et de la fusillade, Cornwallis
paraissait en ce moment sur le champ de bataille : Washington
ugea ]a partie trop inégale, et apres avoir raBié les fuyards, il
ordonna la retraite t. Il ]aissait sur le lieu du combat un millier
d'hommes tués, blessés, disparus, et cette perte était des plus
lourdes dalls l'étal si réduit de ses effectifs; mais elle fut ample-
ment compensée par l'effet moral qu'eut le combat de German-
town. Il fournit la preuve que les" troupes fédérales n'avaient
perdu, par suite de ]eurs ét:hecs successifs, ni leurcourage, ni leur
force, el qu'elles ne savaient pas seulement résister derriere des
retranchements ou des murailles. M. de Vergennes dit quelques
mois plus tard aux commissaires américains qu'assúrément les
troupes fédérales s'étaient bien comportées en diverses occa-
sions, mais que rien ne l'avait autant frappé que cette affaire e
surtout l'audace qui l'avait inspiré.e 2.


La prise des forts Mifflin et Merc~r, sur la Delaware, marqua
la fin de la campagne de 1777 dan s les provinces centrales. Vers
le 10 décembre, le froid ne permeftant plus d'opérations, Howe
se renferma dans Philadelphie el Washington pl'it ses quartiers
d'hiver a Valley·Forge, sur les bords de la Schuykhill et a vingt
milles au nord de Philadelphie. Lé lieu était alors sauvage et
couvert de bois épais : les so]~ats américains y ffi\rent la hache,
au milieu des neiges et des glaces, el pa~vinrent a se construire
(les abris grossiers. « Habits, chapeaux, chemises, tout manquait
« aux malheureux. Leurs pieds, lenrs jambes noircissaient en
( gelanl, et souvent il fallut les couper. Faute d'argent, on n'a-
« vait ni vivres, ni moyens de les transporter. Les provisions de
« l'armée manquaient des jours entiers, et la patiente vertu des
« officiers et des soldats fut un miracle continuel,' achaque
c( instant renouvelé. » La Fayette qui décrit ainsi des souffrances


trie, corro éC1'its, 111, 282-285. - Ch:Hellul. Voyages, etc, 1, 170-171. -
J, Sp:aks. Yie de Washington. n. 27 -31.


:! Rút. ofErtu!., VI, 17!.




TlW1S1EME PAHTlE. - LA tiUEHHE DE L'lNDÉPENDANCE. 277
qu'il partagea, n'exagérait point ces souffranc.es 1. Dans aucune
circonstance de sa vie militaire, Washington n'eut plus besoin de
tout l'ascendant qu'il exel'~ait sur ses troupes; jamais aussi cet
aS.cendant ne parut plus complet. L' Amérique et l'Eúrope eurent
les yeux fixés sur ce coin de terre, et la derniere, qui jusque-la
avait assisté assez froidement au duel de l' Angleterre et de ses
anciennes coloni\es, commenGa de s'inquiéter davantage des suites
de cette lutte etde son issue probable. Les hommes d'Etat n'ont pas
l'habitude de tendre la main aux faíbles, et les cabinets européens
croyaient a la force de l' Angleterre. Néanmoins, la constance d~
Washington et son habileté stratégique pendant la derniere cam-
pagne n'avaiellt pas laissé de leur cornmuniquer une impressiou
plus favorable aux insurgents, el la capitulation de Burgoyne
acheva leur conversion.


Drpuis la désastreuse retraite de Sullivall, le gouvernem€lit
anglais avait médité d'envahir les États-Unis par la vallée de
l'Hudson, et iI aUachait beaucoup d'importance a cette expédition
dont la réussite aurait ¡solé des provinces centrales et méridio-
nales la Nouvelle-Angleterrt, berceau et foyer de l'insurrectioll.
Sil' Jolm Burgoyl1e, qu'il.choisit pOUl' la dirige~, était un fils' illé-
gitime de lord Billgley et un m'embre desCornmuncs. Tres-bravc
de sa personne, Burgoyne avait servi avec dis.tinction en Portugal;
iI parlait bien, avait des talents littéraires, et sa cOlllédie de
fHériliere recueil1e encore des bra\'os sur la sdme anglaise. A en
juger par l'événement, OH peut etre tenté néanmoins de lui appli-
quer ces mots d'un autre écrivain dramatique, qui fut soldat
aussi, et qui s'est dépeint « comrne ayant fait peu de chose pen-
dant sa jeunesse et moins encore dans son age múr 2.» Cependant,
on avait mis a sa dispositioIl des moyens assez considéral>les, du
moins pOUI' ce temps et pour cette guerre : des chefs experi-


t Mémoires, 1, 36.
2 Hist. o( Engl., VI, 57. Lord Mahon cite les vers de Lope de Vega (dans sa pé-


tition a Philippe IV), auxquels il a raít allusion :
Lope dice, senor, que a vestro abuelo,
Sirvio in Ynglaterra con la espada
y aunque con elJa entonces no hizo nada .


. Venos despues, mas fue valiente el zelo (Obras, vol • .xvn, p. 101.)




LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEl'TENTRIONALl~.
mentés, tels que l' Allemand Riedesel, les Anglais Philipps et Fra·~
ser, plus de 7,000 hommes de troupes réguliers et 2,000 Cana-
diens, sans parler de quelques centaines d'Indiens auxiliaires. Le
pare d'artillerie était tres-nombreux, et l'on s'était procuré le
concours de 700 pionniers ou éclaireurs, choisis parmi les batteurs
d'est~ade, les, trappeurs, les bucherons, les terrassiers du pays,
tous gens dont les services étaient précieux dans les contrées
incultes et boisées que l'on aurait a traverser. Enfin, un corps
spécial de ffi<l:riniers était chargé des transports sur les lacs et sur
I'Hudson, et l'on s'attendait a. une. adi.~e. coopératÍQn des régi-
ments que Howe avait laissés dans New~York, a]a djsposition du
major général Clinton 1. Par contre, ce que le congres appelait
son armée du Nord n'existait que de nom, et voici ce que le vieux
Schuyler, qui se trouvait de nouveau a sa tete, écrivait a Was-
hington, en apprenant que les colonnes anglaises venaient de
prendre position sur le rivage occidental du lac Champlain :
« Envoyez-moi sur-Ie-cllamp des renforts. Que le ~énéral Bur-
« goyne marche sur Ticonderoga ct s'avance versle sud du Jac;
« je ne vois point d'obstacle qui puisse l'arl'éter. Parlant par com-
« paraison, je n' ai pas un homme a lui opposer; les garnisons de


.


« Skenesborough et du fort George n'excedent pas 700 llOmmcs,
« et je ne saurais les.rappeler 2 .»


La premie re opération de Burgoyn.e eut, en effet, Ticonderoga
pouÍ' objet. Le~ Américains avaiellt beaucoup agrandi le systeme
défensif de cetteplace, et ils y avaient une garllisofl de 3,400 hornmes
que commandait le brigadier général Saint- Clair; mais cette
garnison, décimée par les maladies et les privations, n'otIrait
guere plus de deux mille combattants, et ils avaient a défendre
des lignes inachevées sur les flancs et développées sur un terrain
d'une lieue. Saint-Clair) de l'avis unanime de ses officiers, éva-
eua le fort dans la nuit uu 6 juillet 1777, et opéra sans encombre
sa jonction avee Schuyler au fort Edward. Ce surcroit de garni-


1 Charles Neilson. An original, compiled and corrected accourtt of Burgoyne's
campaign, Alhany, 1844, 17-20. Le pere de M. Ncilson avait faít cette campagne
dans les rangs des Américains, el c'est d'alJres ses souvenirs lJersonllels qu'il a lui-
ll1eme composé ce Iivre. La to¡,ographie des lieux y est partieuliercment ~oignéc.


'.1 )Q .. 1~7- e f T" .,íI'l ·~<J.II¡1Il '1, orr.o amer.rev., ,.liJA..




TllOISIE~IE PARTIE. - LA GUERI1E DE L'INDÉPENDANCE. 279
son ne laissa pas que d' embarrasser Schuyler : c'était a grand'.
peine qu'il nourrissait la sienne, ayant peu de munitions de bou-
che et les habitants effrayés se cachant avec leurs provisions et
leur bétail, au lieu.de le secourir. Eu égard a la supériorité des
forces ennemies, il ne jugeait pas la position tenable et avait
peur que s'il s'attardait a la défendre, les Anglais ne lui coupassent
toute retraite en descendant le Mohawk, apres s'etre empar~ du
fort Stanwix sur lequel s'était déja dirigé le colonel canadien de
partísans Saint-Léger. Schuyler, en conséquence, résolut d'éva-
cuer le fort Edward; mais il prit aupal'avant le temps d'ajouter
toutes sortes d' obstacles artificiels. a ceux qu' un site inégal et


I


sauvage, de vas tes marais et de nombreux cours d'eau oppo-
saient déja a la marche de son adversaire. Il fit ouvrir des
trauchées sur les routes, obstruer Jes sentiers, jeter de gros arbres
dan s tous les défilés praticables. CeUe besogne achevée, Schuyler



se. mit en marche, vers la fin de juillet, et descendít l'Hudson jus-
qu'a Stillwater d'abord, puis jusqu'a l'ile Van Schaik pres de Wa-
terford. Il s'établit solidement sur cotte He, son aile 'gauche, que
commandait Al'llold, étant stationnée a Lonclon's Ferry sur le bord
méridional du Mohawk, a cinq milles en avant du confluent de
ceUe ríviere et de I'Hudson, afia d'empecher Burgoyne, dahs sa
marche'sur Albany, de t1'averser la I'Íüére en cet endroit.


Schuyler iguorait la déconfiture de Saint-Léger. Celui-ci, a la
date du 3 aout I était appal'U sous 18s murs du fort Stauwix, qu' oc-
cupait une garnison fédérale aux ordres du colonel Gansevoort.
Quoique secouru par le général Herkimer et les milices du comté
de Tryon, qui percerent les ligne~s anglaises apres une lutte
acharnée, le fort ne tarda point a se trouver dans une situation
tres-critique: alor8 deux hommes dévoués, le colonel Willet et le
major Stockwell, s'offrirent a tl'averser le camp anglais et, son8
divers déguisements, au prix. de mille p'érils, parvinrent pl'eS de
Schuyler. Celui-ci détacha sur-le-champ Al'llold, avec quelques
compagnies de la ligne el des volontaires, au secours du fort
Stanwjx. Chemin faisant, Arnold mit la main sur un vieux tory
nommé Hon Yost Schuyler, qu'il reconnut pour un espion et gu'i 1
s'appretait a faire pendre, lorsque, se rappelant que cet homme




\. -
;'."


, "


"'", ' ...


'280 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉHIQUE SEPTENTRlONALE.
était lié ave e beaucoup de Peaux-Rouges, il se ravisa et eut l'idée
de lui offrir la vie s'il voulait se rendre pres des lndiens de Saint-
Léger et leur faire croire qu'une grande armée américaine mar-
chait sur le fort Stanwix. Hon Yost accepta facilement le marché
et, aidé d'un lndien onéida de ses amis qu'il s'associa, joua si bien
son role que ces Indiens, entierement effrayés et déjil fatigués du
service anglais, se préparerent a' quitter Saint-Léger. En vain
celui-ci leur prodigua-t-il les flatteries et les promesses sédui-
santes: ils restcrent inflexibles. Il voulut les enivrer: ils refu-
serent de boire. Il les suppIia de couvrir du mOlns sa retraite :
ils lui reprocherent de vouloir les sacrifier a sa propre sureté.
Furieux, Saint-Léger leva le siége, abandonnant sur la place ses
tentes et son canon 1.


Cette désertion mortifia beaucoup Burgoyne : elle lui apprit, ce
qu'il aurait déja pu sRvoir, que les Indiens ressemblaient, suivant
ses propres expre~siol1s, aux enfants gatés qui deviennent d'au-
tant plus exigeants. et indociles qu'on satisfait davantage leurs ca-
prices 2. C'étaient des auxiJiaires d'une utiUté assez douteuse,
quoique tour il tour les Anglais et les Américains s' en servissent,
tout en se renvoyant a cet égard la réerimination et le blAmeo
Quant a leur eruauté, elle était trop manifeste, et iI ne fut pas plus
donné a Burgoyne qlle jadis a Montealm de dompter leut naturel
farouehe. Toujours a l'avant-garde ou sur les flanes de son ar-
mée, ils pillaient les habitations et sealpaient les habitants. Les
riverains de I'Hudson et du Mohawk fuyaient préeipitamment a
leur approehe, et on apercevait de toutes parts des files de cha-
riot8 trainés par des breufs ou les meubles, les ustensiles aratoires,
les enfants s'entassaient pele-mele. Le bruit des cruautés des In-
diens~ que la terreur ét le patriotisme amplifiaient encore, précé-
dait les colonnes de Burgoyne et excitait les sentiments les plus
hostiles chez les énergiques populations de la NouvéÍle-Angle-
terreo Le fermier, prenait son fusil et courait grossir les forces de
Schuyler; les familles qui n'avaient pas de jeunes gens a fournir
envoyaient de l'argent, du drap, des vivres, et 8'il y avait deux
~ An account o{ Burgoyne's campaign, :16-37.
2 11 juin 1777, letlre au seerétaire d'Etat pour la guerreo


. '




TROlSIEME PAHTIE. - LA GUEHHE DE L'INOÉPENDANCE. 28t
couvertures sous un pauvre toit, c'était la meilleure qui preñait
la route du camp américain 1.
~es volontaires avaient beaucoup de bravoure et pour la plu-


part étaient d'incomparables tireurs: il ne leur manquait que de
l'expérience et de la discipline, qualités qui s'acquierent sous de
bons chefs. Le c~ngres, ému des évacuations successives de Ti-
conderoga et du fort Edward, ne trouvait d'autre explication de
ce mouvement rétr9grade que l'impéritie, la lacheté ou la trahi-
son. Un conseil de guerre déchargea le brigadier général Saint-
Clair de la derniére de ces imputations, et elle ne pouvait évi-
demment atteindre Schuyler, qui réun,issait en sa personne les
qualités d'un homme bien élevé et d'un ardent patriote. Mais le
congres doutait un peu de sa capacité: iI lui donna Horatio Gates
pour successeur, et ce choix, il faut le dire, n'obtint pas d'abord
l'assentiment du public quí ne connaissait encore cet officier
général que par son esprit remnant et par sa jalousie de Was-
hington, dont iI s'effor~ait déja de ravaler les mérites et de miner
la popularité. L'événement donna raison au choix du cOIlgreS ;
mais il appartient a l'impartiale histoire d'att1'ibuer une bonne
partie des succes de cette campagne aux lieutenants de Gates, a
Stark et su1'tout a Arnold, que ses compatriotes avaient encore le
d1'oit d'appeler l'habile, l'ent1'eprenant, le fidele Arnold : The
bold, skil{ul, gallant Arnold.


Schuyler commandait encore 10l's du coup de main de Ben-
nington, qui cotita si cher aux Anglais. Du 28 juillet au 15 aoM,
'leur occupation incessante avait été de transporter des bateaux,
des vivres et des munitions du lac George aux eaux navigables
de l'Hudson. La distance était faible, mais a cette époque, les ar-
mées européennes trainaient encore avec elles une foule d'impe-


, dime'(Lta, de sorte que Burgoyne, encombré de bagages et de
bouches inutiles, avait peine a assurer sa subsistance quotidienne
et qu'apres quinze jours d'efforts, il ne possédait encore sur l'Hud-
son que dix bateaux, et dans ses magasins qu'une huitaine de
jours de vivres. L'avis lui parvint sur ces entrefaites que les Amé-


. .


f C'est ce qu'écrivait un officier anglais prisonnier, 'luí passait par le l\Iassarhu-
se"" (1H~t. o{ Engl., VI, 181).




2~i LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEl'TENTRlONALE.
rie~ins réunissaient a Bennington des masscs de farines et de bé-
tail. Dans sa situation, l'idée de s'en saisir était bien tentante,
d'autant plus tentante qu'il savait ee dépót gardé par des rnili-
ciens seuls. Il donna done 500 hommes au colonel allernand Baum
et les fit marcher sur Bennington, Le 15 aoilt, le colonel, en s'ap-
pr'oehant du village, reconnut ave e peine et s.urprÍse qu'il était
occupé par la brigade du général Stark, qu'une eirconstanee for-
tuite avait averti de son rnouvernent. BauID battit en reti'aite et
s'établit du rnieux qu'il pul sur un terrain avantageux, en dépe-
chan,t au quartier général un expres pour réelarner des renforts.
lis ne lui.parvinrent que le lendemain, et ee fut seulemeIit pour
assister a sa défaite. La journée du 16 avait été tres-pluvü~use et
s' était passée en escarrQ.-ouches ; mais le 17 au matin, Starks avai t
attaqué Baurh et l'avait mis en pleine déroute, rnalgré sa 'beBe
résistance. Lorsque le lieutenant-calonel Brcyman, ven u .a son
secours, parut sur le champ de bataille, l'action reeornrnen.;a et
tourna de meme a l'avantage des Amérieains. Dans les deux en,-
gagernents, la perte. de ceux-ei fut insignifiante, tandis que eeHe
des Anglais fut de deux eerits tués ou blessés et de sept cents pri-
sonniers 1. Les Amérieains s'étaient aussi emparés de quatre ca-
nons dont l'histoire est siuguliere. 11s étaiellt de fabriq ue fl'an.;aise
et venaient de Quebee; les Arnéricains placel'ent sur leurs culasscs
l'inseription suirante: Pris a Bennington, le 16 aoút 1777. Trente-
trois ans plus tard, jaur pour jour, ces pieces retomberent aux
mains des Anglais qui firent ajouter a l'inscription ces mots : Re-
prises a Dét'l'oit, le 16 aoút 1812. Enfin, transportées au fort George,
au confiuent du Niagara et de l'Ontario, elle~ revinrent aux Arné-
ricains lors de la prise de ce 1'ort par le général Dearborn. Apres
tant. de vieissitudes, ces canons ornent aujourd'hui une des salles
du musée de Washington.


Le combat de Bcnnington eut de grandes eOllséquences : il em-
pecha les loyalistes du pays de se déclarer eL altél'a les plaus de
Burgogne. lnquiet pour la súreté de ses derrieres, il dut laisser
Ull~ forte garnison tl Tieomleroga, rappeler a lui divers détache'


I Schuyler a Washington, 19 aoút ti 77 , Corro o{ all1er. rt1'., f, !¡~5. -.in :1('-
u!1mt; ctc., Rfl-9R.




THOlSIEJ\lE PAHTIE. - LA GUERHE DE L'INDÉPENDANCE. 283
,


ments qu'il avait poussés en avant et renoncerpour ses appro-
yisionnements aux incursions latérales. Cinquante milles seule-.
ment le séparaient a la "érité d' Albany, ou cesseraient toutes
ses.inquiétudes; mais il entrevoyait bien des obstacles accumulés
sur ceUe route : le Mohawk a franchir et des chemins difficiles;
une bataille a livrer et la levée en masse des paysans. « L'aspect
u de la campagne est bien moins favorable que précédemment, )
écrivait-if a lord Germaine dans une leUre confidentielle. « Par-
« tout ou les troupes royales se montrent, trois ou quatre miHe
« miliciens accourent; ils apportent avec eux lep.rs vivres et, l'a-
« lerte dissipée, ils retournent a leurs fermes ..... De toutes parts
({ on s'ingénie a éloigner le bétail et les grains, et il m'est impos-
« sible de me transporter nulle part sans me faire suivre d'appro-
« visionnements 1. »


Le 22 tlOlH, Gat~s prit la d.irection de son armée, qu'un de ses
premiers soins fut de transférer de l'ile van Schaik au village de
Stillwater d'abord, puis sur les hauteul'S de Behmus ou Bémis.
Sur la rive droite de l'Hudson, s'étendent des terrains élevés de
formation alluviale qui, larges d'un filille "ers leur centre, vont
en se rétréeissant vers leurs extrémités, de maniere a former des
talus, ou, si l'on veut, des terrasses que des défilé5 étroits termi-
nent entre l'Hudson et la rangée de collines dont il est bm'dé
,depuis le Mohawk jUSqU'~l Sar.atoga. En arricre de ces terra~ns
et me me sur-leurs bords, s'élevaient, en 1777, d'épaisses forets
coupées va et la par des clairieres abruptes, et le sol présentait de
nombreuses ravines. Une sellle route, tres-fréquentée alors, cou-
raít le long du fleuve en traversant lt~ défilé plaeé a l' extrémité


. . .


méridionale de ees terrains, et une armée venant du nord, sur-
tout si elle trainait du canoIl, devait nécessaÍrement s'engager
dans cette route. Gates résolut done de fortifier tant le défilé que
les hauteurs de eeinture et trom,'a un tres""utile directeur de cette
ruuvre dans le Polonais Thadeus Koseiusko, qui servait depuis
quelque temps, a titre de volontaire, sous le drapeau fédéral et
a q,ui l'on avait du déja les lignes de Tieonderoga. Koseiusko cou-
vrit de redoutes, de batteries, de retranchements, le camp amé-


J


~~ .... ,;¡;># ~ ... -"""!~ \()~~:'.4 ~
~. ~
~


f ~o aoút 1777, /listo o{ Engl.) \'1, 1~í..




,/


284: LES ÉTATs-mns OE L'A~IÉHlQUE ~El'TENTlUONALE.
'.


ricain. Une premierc ligne couronna le front des hauteurs de
. Bémis; une secondc ligüe traversa ces terrains perpendiculaire-
ment a la premierc, courant du pied des hauteurs au pied des
coUines, et une troisieme, placée en potence sur la seconde,
garnissait l' espacc entre l'Hudson et le défilé de la route 1.


Burgoyne, ayant enfin réuni trente jours de vivreos, passa l'Huel-
son, les 13 et 14septembre, et;vintcamper, le 18, a deux milles'
du camp américain. Les troupes fédérales étaient disposées ele ]a
favon suivante : leur droite, aux ordres directs de Gates, occu-
paít le défilé et .les co1lines de l'Hudson; leur centre garnissait
l'intervalle entre les coUines et les hauteurs; leur gauche, que
commandait Arnold, était postée sur les hauteurs elles-memes.
Le 19, vers les dix heures du matin, les colonnes anglaises s'é-
branlerent : ]a colonlle du centre, dont Burgoyne s'était réscrvé
la direction, et ce11e de droite, qui obéissait aux ordres de Fraser,
rlevaient tourner l'ailn gauche ,des Américains et les prendre a
revers, tandis que Riedesel, avec l'aile gauche des Anglais et leur
artillerie, les aborderait de front. Arnold, a la premiere vue
des mana:uvres de Burgoyne, comprit que le seul moyen de dé-
concerter son plan de baiaille était de le devancer: il sollicita
et obtint l'autorisation de quitter ses lignes et de se jeter sur les
cmonnes de Burgoyne et de Fraser. Son but était de les isoler
d'abord l'une de l'autre, et Fraser, que les bois empechaient de
discerner les mouvements de son adversaire, cherchait de son
cóté a le couper de ses retranchements. Une clairiere de forme
oblongue, large d'environ soixante verges et d'une conteÍlance de
quillze a seize acres, séparait les combattants: ce fut la q~' Arnold
et Fraser se rencontrerent et se livrel'ent un combat long,
'acharné et qui restait indécis lorsque l'arrivée des tirailleurs de
Breyman et dedeux régiments détachés de, la colonne de Bur-
goyne vint forcer le général américain a la retraite. Cet engage-
Illent n'était au surplus que le pl'élude d'une autre action plus
gónérale dont cette clairiere allait devenir le théatre : a trois
heures'de l'apres-midi, cinq régiments anglais' et quatre améri-
cains se heurtaient sur cet étroit espace. Des deux cótés, Oll dé-


, A n A rcount, etc.) J 1.)-117. - ChátcJJllx. VIi!/oyes) etc., J, 110 el sq'l.




TROISI1bm PARTIE. - LA ,GImHHE DE L'INDÉPENDANCE. 28j
ployait la meme bravoure, la meme ardeur, la meme rage, peut
on dire. Vers les quat~e heures, toutefois, la ligne anglaise com-
m~nc;aít a fléchir : l'arrivée du général Philipps et de son artil-
leríe lui rendit l'avantage, quoique, de son cóté, la brigade
Learned fUt venue rcnforcer les fédéraux. Le champ de bataiHe
resta done aux Anglais : ce fuf la tout leur avantage, et ils l'a-
vaient cherement acheté l.


Enlever de vive force les, positíons américaines, semblait un
espoir interdit a Burgoyne j rnais il attendait de jour en jour une
diversion du coté de New-York, et cette dh'ersion, une lettre de
Clinton, en 'date du 20 septembre, la 1ui donnait meme comme
tres-prochaine. Cependant, les jours s'écoulaient, et Burgoyne
restait sans nouvelles du mouvement annoncé; ses vívres s'épui-
saient, et a partir du 4 octobre, les rations furen! diminuées.
Dans cette extrémité, il ne luí restait qu'une alternative : forcer
les retranchements américains ou repasser l'Hudson. Ce dernier.
parti était le plus sage, mais il paraissait humiliant, et Burgoyne
résolut de ten ter une seconde fois le sort des armes. Le 7' oc-
tobre, il se mit a la tete de 1,500 hommes et se porta sur la
gauche des ouvrages américains. L'attaque, vigoureusement con-
duite, fut repoussée d'une fac;on non moins vigoureuse, et 1'ar-
rivée du colon el Morgan, avec ses tirailleurs, devint le signal de
la déroute des Anglais. Burgoyne se replia en désordre sur sa
ligne dé bataille qui commenc;ait a se former. Les grenadiers et
l'artillerie occupaient a gauche un accident de terrain; des ba-
taillons anglais et des bataillons allemands entremelés c~mposaient
le centre; l'infanterie légere formait l'aiIe droite, et en a'vant de


/


celle-ci se tenait, avec un millier de tiraiHeurs, le généraI Fra-
ser, son rOle étant de tomber sur le fl~nc et les derrieres des
Américains, tandís que l'attaque de front aurait líeu par le cen-
treet par les ailes. Mais Gates avait deviné les intentions de son
antagoniste. n donna l'ordre au colon el Mo~gan de s'avancer,
sous le .couvert des bois, et de prendre position sur la droite des
Anglais, avec mission de n'agir que lorsqu'il entelldrait ,le feu
des brigac1e.s Poor et Learned, chargées d'attaquer leur gauche.


tAn ACCOltlit, lTj-[/:7. - Voyages, J, 3\0-342.




Ces brigades aborc1erent résolument les grenadiers, et, apres
une lutte aeharnée, les débusquer~nt de .leur position. Des les
premiers coups de canon, Morgan, fidele exécuteur de ses ins-
tructions, était sorti des bois et, culbutant les tirailleurs de Fra-
ser, s'était porté, par un brusque mouyement de conyersion a


. gauche, sur l'infanterie légere que, soutenu par deux régiments
de milices de New-York, iI avait également mise en déroute.


En ce moment, Arnold parut sur le líeu de l'action. Privé depuis
quelques jours de son commandement, a la' suite d'une querelle
avec Gates, et reten u dan s les lignes, e'était avec une impatience
ft'brile qu'il assistait en simple spectateur au drame sang]ant qui
se rléroulait devant lui. A mesure que les bruits de la fusillade
et du canon lui parvenaient plus distincts et plus intenses, cette
impatience ne se contenait plus. Tout a coup, on le vit sortir
a cheval des retrallchements et prendre au grand galop la
dir-ection du champ de bataille. Quand il y arriva, l'aile droite
el l'aile gauche des Anglais étaient en plein tourbillon : il
eut bientot rénni trois régiments et les lall<¡a sur leur centre.
Les Hessois, qui en formaient la premiere ligne, re<;urent d'a-
bord le clioe avec #vigueur; mais une seconde attaque les fit
fléchir, et de toute la ligne anglaise il ne restait plus d'intacte
que la colonne de Fraser, qui s'était reformée et grossie de débris
eles eleux ailes. Monté sur un cheval gris de fer, ce brave soldat
allait ele rang en rang, animant chacun de son propre esprit et
relevant tous les courages au niveau elu sien. Morgan, a l'instiga-
fion d' Arnold, posta rlans les buissons quelques-uns de ses meil-
leurs tireurs et leur dit : « Vous voyez ce brave officier (getllant
« officier) : e'est le général Fraser. Je l'admire el je le respeete_;
« mais il faut qu'il meure. Prenez place dans ees buissons et faites



« votre devoÍi' 1. » Peu de minutes apres, le général tombait de
cheval et ses grenarliers l'emportaient hors du champ de bataille,
q u'une henre plus tard, Burgoyne ab~mdonnait lui-meme, en y
laissant 8 canons et 200 prisonn iers 'l.


A peine les Anglais avaient-ils regagné leurs ligues, que les


j An Account, 170.
2 Six canolls seulement d'apres les rappoft~ auglais.




TROISIEME PARTIE. -LA GUERRE DE L'IN])ÉPENDANCE. 2S7
Américajns, conduits par Arnold, leur 'y livraient un furie~x
assaut., Ac~ueillis par Ul) feu terrible de mousqueterie et de mi-
traille, ils furent repoussés du cOté qu' occupaient les troupes
royales, mais ils emporterent l'extreme droite du camp que dé-
fendaient les Hessois de Breyman; ceux-ci prirent la fuite, aban-
donnant leur artillerie, leurs tentes et leurs bagages. Un coup de
feu a la jambe qui 'mit Arnold hors de combat et la venue de la
nuit sauverent Burgoyne d'nn désastre entier. Par bonheur pour
lui, cette nuit fut tres-obscure et lui permit de décamper pour
aller s'établir a quelque distance sur un terrain élevé, OU d'abord
iI avait installé ses ambulances. Il y passa la journée du 8, et,
eomme les Américains menac;aient de déborder sa droite, il
décampa de nouveau dans la nuit et gagna les hauteurs de Sa-
ratoga, laissant" faute de moyens de transport, ses blessés' et
ses maJados a la générosité du vainqueur. Quoique ]a distance a
franchir ne fUt que de dix milles, i1 n'aHeignit Saratoga que dan s
la nuit du 9 au 10, et tel était l'état de fatigue de ses soldats,
forcés de trainer abras leurs canons et Ieurs chariots de vivres,
que la plupart n'eurent ni la force ni le dé sir de couper du bois
et d'allumer du feu, et, seulement avides de sommeil, s'étendi-
rent sur I un sol détrempé par une pluie baltante 1.


Dans sa nouveJle position, Burgoyne pouvait se regarder
comme prisonnier, et il n'y avait pas, a vrai dire, une seule
partie de son camp qui ne . fut exposée .aux baIles et aux boulets
américains. Le 13 octobre, il réunit en conseil de guer!e non-
seulement ses officiers généraux et ses officiers supérieurs, mais
les simples commandants de compagnie, et leur exposa l'état des
choses: ilétait réduit a six jours de vivres et a 3,500 hommes,
dont 2,000 a peine Anglais;' néanmoins, il ne consentirait a de-
mander des conditions qu'avec l'approbation du conseil. La pers-
pective d'une négociation trouva' celui-ci unanjme, po~rvu
qu'elle aboutit a un arrangement honorable. En conséquence,
l~ capitaine Williams se rendit le lendemain pres de Gates et lui
demanda une suspension d'armes jusqu'a ce qu'on fut arrivé a


1 tlist. of Engl., VI, 188, e'est Burgoyne rui-meme qui a consigné ce détail dans
sa Nano/ltion.




, .


':>8H LES krATs-U:-HS DE L'AlIKRIQUK SEPTENTRIO;'oíAU~.
S ·entendre. Le général américain était préparé a cette ouverture,
et ne tit pas attendre sa réponse. Dans sa pensée, l'armée an-
glaise, n'ayant plus de vivres, de chevaux, de tentes, ses com-
munications étant coupées et son camp investi, elle ne pouvait
que se constituer prisonnier~ de guerre et déposer ses armes
dans l'enceinte meme des lignes américaines. De tels termes
parurent inacceptables, et Burgoyne tit savoir a Gates, de l'aveu
de son conseil de guerre, « que l'armée, plutót que de les subir,
« prendrait une derniere fois les armes et se 1era'ú exterminel'
« jusqu'au dernier hornme t.» Gates tit alors preuve de di~posi­
tions plus concilian tes, et les termes de. la capitulation furent
facilement dressés. On convint que l'armée anglaise déposerait
ses armes dans' un lieu dé signé sur les bords de l'Hudson;
qu'on ne fouillerait pas ses bagages et qu'elle serait rapatriée.
Burgoyne insista pour que l'arraugement prit le nom de conven-
tion, et Gates, qui t~nait moins au mot qu'a la cllOse, se preta
complaisamment a ce désir. Quant a Burgoyne, il jouait sur les
termes, involontairement peut-etre, et a l'instar du due de Cum-
berland qui avait toujours soutenu que la convention de Clostér-
Seven n'impliquait nuUement l'idée d'nne capitulation.


Le 17 a neuf heures du matin, la capitulation restée jusque- la
verbale et a laquelle des nouvelles de Clinton, qui avait enfin
quitté New-York et dont l'avant-garde avait poussé jusqu'a qua-
rante milles d'Albany, dqnnerellt un instant á Burgoyne l'idée de
se soustraire, la capitulation re<;mt la signature des deux généraux
en chef, et le meme jour le eolonel Wilkinson, adjudant général
des Amérieains, désigna le lieu oules Anglais auraient a déposer
leurs armes. Cette triste eérémonie aceomplie, Burgoyne, suivi
de son état-major, prit le eliemin des lignes 'américaines. Gates
en étaít sorti pour le recevoir et luí tit un accueil cordial. « Je
suis tres-heureux de vous voir,») luí dit-il. (cJe le erois,») répondit
Bur'goyne, « toute la forfune de eette guerre est pour vous 2 ».'


f flist. of. Engl., VI, 19'2..
2ChiHellux. Voyages, T, 361. M. Neilson place d'autres paroJes dans la bouche


de Gates el de .Burgoyne. « La fortune de la guerre, général Gates, m'a rendu
votre pl'isonnicr. - Je serai toujollrs.prel a témoigner que ce ll'est pas par la (aufe
de Votrr ExcelJence. » Lof'il Mahon a fppl'oduit les paroJes fournies par Je mar-




irUOlSIEME PATITIE. - LA GlJi.:lWE DE L'INDÉPENDANCE, 289
Gates ne f!10ntra pas moins de délicatesse envers les troupes


qu'envers leurs chefs. Tandis qu'elles déposaient leurs armes,
elles n'aperc;mrcnt pas un Américain, et quand, apres les avoir dé-
posées, elles traverserent le camp fédéral, elles n' entondirent pas
une parole, elles ne virent pas un geste offensant. Les' Hessoís
eux-memes, qu'aucun líen de langage et d'ancienne confraternité
l}e rapprochait du vainqueur; les Hessois que les Américains
hai'ssaíent d'une fac;on particulicre, ot auxquels ils reprochaient
des habitudes brutales et pillardes, ne subirent aucune insulte.
Les soldats de Gates s'étonneront seulement de leurs hauts et
pesants bonnets a poil et s'amusEm:mt des ours gris, des daims,
des j eunes renards qu'ils trainaient avec eux.Quant aux Indiens et
a leurs Squaws, on leur donna une forte garde, précaution sans
laquolle les milicos exaspérées leur auraien t fait assurément un
mauvais parti.


Par une sorte de compensation facheuse, le congres éluda la
capitulation, en élevant des chicanes ou la puerilité se mela a
l'odieux, jusqu'a ce qu'il en vint a reten ir comme prisonniers de
guerre des gens qu'il eut dú renvoyer dans leurs foyers, et les
vaÍllcus de Saratoga trouverent au Massachusets des outrages
et de mauvais traitements de tonte sorte, au lieu des égards
auxquels, selon la loi des nations vrai ment civilisées, ils pouvaient
prétendre 1.


En Angleterre, l'opposition n'avait cessé de prédire qu'on ne
quis de Chfltellux, en faisant remarquer qu'elles étaient mal choisies, peut-etre,
mais dictées par une bonne intention.


1 Voil' les pages 198-207 du lome VI de I'Histoire, etc., de lord Mahon, qui s'ap-
puie, pour la violation de la capitulation, sur les acles officieIs du con gres et, pour
lesmauvais traitem'ents, sur le témoignage de Mm. la baronne d'e Riedesel, femme du
major général, dans son Dienst Reise, petit Iivre traduit en Amérique et fort loué
par)ared Sparks dans une note du tome VI de ses Washington's Writings. Mm. de
Riedesel af'firme que partout 0\1 elle passait dans les rues de Boston, les femmes la
regardaient d'un mil colere et crachaient, en signe de dédain, sllr le payé devant
t:lIe. Elle raconte encore que le capitaine Fenton de cette ville, qui servait dans les
troupes royales lors de l'insurrection, ayant continué d'y servir plus tard, des femmes,
a la vérité de la plus basse classe, saisirent sa femme et sa filie, belle enrant de
quinze ans, leur arracherent leurs vetements, et, apres les avoir couvertes de gou-
tlron et emplumées, les promenerent a travers Boston. Ajoutons que chez le général
Schuyler et dans tout le New-York, les prisonniers trouverent l'accueil le plus hos-
¡JitaJier.


19




290 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALB.
pourrait réduire l' Amérique, meme au prix des plus grands sa-
crifices pécuniaire.s, meme avec l'aide des hordes mercenaires de
l' Allemagne et le concours des féroces Peaux-Rouges. Mais leE'
faits jusque-Ht avaient donné tort a ces prophéties, qui ne po u-
vaient rien sur les majorités compactes dont lord North dispo-
sait dans les deux chambres, et l'amendement pacifique qu'a-
vait pré6enté Chatham a la derniere adresse n' avait obtenu que les
voixde 28pairs contre 97,tandisqu'aux Communes 243 voixcontre
80 repoussaient, en dépit des effor\s d'Henri Fox et de Eurke, une
motion analogue, dont les auteurs étaient le "'jeune marquis de
Granby et lord John Cavendish. Tels étaient l'état des partis et
leur force lorsque, dans la nuit du 2 décembre, on rec;ut a Lon-
dres la nouvelle de la reddition de Burgoyne. EUe y fit, selon
l'expression de lord Mahon, l'effet d'un coup de foudre soudain,
et, quoique circulant d'abord sous la forme d'un bruit apporté a
TicOl~deroga par des déserteurs et transmis de la a Quebec, elle
donna lieu sur-Ie-champ a de vifs débats parIementaires, qu'in-
terrompirent les vacances habitueUes de Noel, mais qui reprirent
le 20 janvier 1778, a la rentrée des chambres. Le ministére put
s'apercevoir, des ce jour meme, que l'opposition, enhardie par
la déplorable issue de la dernif;re campagne, allait redoubler de
vigueur et vit coup sur coup Burke demander qu'on cessat d'em-
ployer les Peaux-Rouges; Fox réclamer, pour la seconde fois, la
communication des instructions données a Burgoyne et la ces-
sation des envois de renfort; sir Philip Jenning Clerke, faisant
allusion aux sornrnes récemrnent offertes par les négociants de
Manchester ou de Liverpool et les highlands d'Écosse,et qui avaient
permis de lever quinze autres mille hornrnes; sir Philip Jennings
Clerke proposer qu'aucun en rolement nouveau de troupes ne p.ú,t
avoir lieu sans l'intervention du parlernent.


\


Le premier ministre se trouvait placé dans une situation délicate
et peu commune: il n'ignorait pas, d.'un coté, qu'un désir croissant
de voir Chatham reprendre la direction des affaires,. soit pour écar-
ter une lutte avec la France, soit pour rendre cette guerre heu-
reuse, si elle était ucvenue inévitable, prévalait dans les esprit s ;
d'autre part, ii se sentait, pour son compte, tres-dégouté du pou-
voir et n'avait pas caché a George III cette disposition secrete.




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INJ>ÉPENDANCE. 291
Dans. un sentiment qui l'honore, il ne voulut pas y céder néan-
moins avant d'avoir divulgué son plan conciliatoire, ta,nt pour jQS-
tifier ses intentionsa lui-meme que pour déblayer les voie.s de son
successeur. En conséquence, le 17 février, lord Northdéposadeux
bilis sur le bureau des Communes. L'un rapportait expressément
le droitsur lethéetstipulait qu'a l'avenir, le parlem~nt renon~ait
a taxer les Américains, si ce n'était de leur consentement meme,
sous la réserve des taxes que la police commerciale pourrait
rendre nécessaires et dont le produit net serait exclusivement con-
sacré auxbesoins des colonies ou elles seraient per~ues. Le second
investissait des commissaires de pouvoirs tres-étendus, quant aux •
personnes et meme quant aux actes parlementaires passés depuis
le 10 février 1763 et q~i avaient provoqué l'irritation des Améri-
cains. On peut di re que, dans l'enceinte du parlElment, ce plan ue
satisfit entierement personne. CeUe désertion manifeste d'une po-
litique qu'ils avaient toujours soutenue de leurs votes, et pas tou-
jours sans quelque répugnance, déconcerta ou courrou<;a les mi-
nistériels. Quant a l'opposition, s'illui était impossible de rejeter
des propositions aussi conformes aux sentiments qu'elle avait pro-
fessés sallS cesse, illui restait la ressource de rendre son acquies-
cement aussi désagréable que possible : elle ne manqua point d'en
user, et Fox, au début de son discours, félicita ironiquement le
premier ministre de son heureuse conversion et ses propres
amis de l'auxiliaire qui venait de leur venir. Malgré tout, les
bills passerent aux Communes sans opposition réelle. A la cham-
bre haute, lord Hillsborough et lord Temple,' beau-frere de
Chatham, lan~erent contre eux quelques phrases désagréables et
parIerent d'une honteuse capitulation de la prérogative royale.
D'un autre coté, les ministres re<;urent l;acrimonieux appui du
duc de Richmond et celui de lord Rockingham; enfin lord Shel-
burne désapprouva hautement toute idée qui tendrait a recon-
naltre l'indépendance américaine. Mais il n'-y eut pas de division,
et, le 11 mars) George lB, séant sur son trone, sanctionna les
bills.


Deux jours plus tard, notre ambassadeur a Lon(hes délivrait
au secrétaire d'État lord Weymouth une note annOIH)ant la COll-




292 LES ÉTATS-UNIS DE .L' A!\1É1UQUE SEPTENT1UONALE.
clusion d'un traité entre la Franee et les États-Unis. A Versailles,
la nouvelle du désastre de Saratoga avait également produit son effet
et un effet immédiat, en eoupant eourt a toute hésitation et en
raisant aboutir des négociations depuis longtemps pendantes entre
les eolonies insurgées et les ministres de Louis XVI.




LIVRE IJI.


LJalliance fran9aise et York .. Town.


Sommaire: LA DIPLOMATIE FRANgAISE ET L'AMÉRIQUE : Vergennes, mi-
nistre des affaires étrangéres, sympathique tout d'abord a la
cause américaine; missions de Bonvouloir en Amérique et de
Beaumarchais aLondres.


L'IlS"DÉPElS"DAlS"CE AMÉRICAIKE DEVANT LES COlS"SEILS DE Loms XVI : Rap-
port de Bonvouloir; mémoire de Vergennes; mómoire de Turgot.


FRANKLIN A PARIS : Sa populal'ité, sa finesse; appui latent du cabinet
de Versailles.


LES TRAITÉS DU 6 FÉVRIER : La capitulation de Saratoga déciele Ver-
gennes; traités d'amitié et de commerce avec les États-Unis; ils
sont l'ceuvre de Franklin et de Vergennes; scrupules et résis-
tances de Louis XVI.


La DÉCLARATJON DE GUERRE: Discours de Chatllam; la Belle-Poule;
la bataille d'Ouessant.


CAMPAGNES DE 1778, 1779 ET 1780 : Insuccés des commissaires anglais
chargés d'une mission conciliatrice; évacuation de PhiladeI-
phie, combat de Monmouth et concentration des Anglais a New-
York; d'Estaing a Rhode-Island et a Boston; projet d'envahir
le Canada et résistance de Washington; la guerre dans les
Carolines : prise ele Savannah et échec des alliés devant cette
ville; prise de Charleston; bataille de Cambden : sévérités de
lord Cornwallis.


SITUATION DES ÉTATS-UNIS : Arrivée des troupes fran(faises; trahison
d' Arnold; exécution du major André; révoltes de troupes; crise
financiere; préts de la France et de la Hollande; banque fédé-
rale; réformes financieres. '.


CAMPAGNE DE 1781 : Les hostilités dan s les Carolines; Arnold et
La Fayette en Virginie; concentration des Fran(fais et des
Américains a \Villiamsburg; siége et capitulation d'York-Town.


LA PAIX : E:trets de la chute d'York-Town en' Amérique et en An-
gleterre; bataille des Saintes; préliminaires de paix; conduite
des plénipotentiaires américains ; Jay, Franklin et Vergennes.




204 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Par une sínguliere rencontre, les trois actes du parlement qui


fermaient le port de Bostonet transféraient le bureau des douanes
avec le siége du gouvernement a Salem, ces actes, qui rendaient
la cOIlciliation désormais impossible, parvinrent dans la capi-
tale du Massachusetts le jour meme ou Louis XVI montait sur
le treme. Personne, il- part la Dubarry, peut-étre, ne pleura son
honteux prédécesseur; mais George III ressentit vivement sinon
la mort de LouisXV elle-meme, du moins le changement qu'elle
était susceptible d'entrainer dans la politique extérieure de la
France. On songea sérieuserrieIit, de i'autre coté de la Manche,
aux moyens de flatter et peut-etre de circonvenir le jeune mo-
narque, que son aleul avait soigneusement tenu en dehors des
affaires, et dont les inspiratiOlls dépendraient en g'fanae parne
des personnes auxque.lles il accorderait sa contlance. Par une
galanterie de George IU, la Court Gazette, eh annon.;ant son avé-
nement, donna a Louis XVI le titre de roi de France, taridis que
jusqu'alors le langage offieiel de nos voisins n'avait désigllé le
prince qui régnait a Versailles que comme le roi fran9ais, {rench
hing, et que pour le héraut d'armes, il n'y avait d'autre l'oi de
France que le roi d' Angleterre. Lord North et ses collegues Íie
négligerent pas, de leur coté, d'autres moyens des plus usÜés
alors quand la dipIomatie vouIait surprendre les desseins présu-
més el'une puissance rivale, et entretinrent en Franee des agents
seerets dont la mission fut de leur révéIer l'état de nos arsenaux
rnaritimes et d' éeouter aux portes des ministres, ou meme du ca-
binet' royal .


. On sait que LouisXVI, par un scrupuIe filial, ne voulut point rap-
peler le d uc de Choiseul, qui 1 ui étai t désigné par Marie-A ntoinette,
et que, sur les conseiIs de ses tarites, il choisit le eomte de Mau-
repas pour son premier ministre. Celui-ci, en refusant pour lui-
meme un portefeuille spéciál, appela Turgot aux finances, Sartine
a la marine et le cofile de Vergennes al1x affaires étrangeres. A
part Turgot, qui ne s' était pas encore révélé au public, Vergennes
ftIt assurément le meilleur choix du vieil homme d'État. M. de
Vergennes, issu d'une famille de robe, était entré de bonne heure
dans la carriere diplomatique et l'avait parcourue avec un sueees
véritable. Il n'apportait point dans les conseils de la couronne




TR()JSIl~:'\JE P.\UTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. :!D5
l'esprit entreprenant de Choiseul, mais il n'avait non plus ni sa
légereté; ni sa versatiIité, et connaissait aussi bien les cours étran-
geres. Son esprit était cla-ir, correct, sagac~ ; son maintien grave
et circonspect; son .ardeur au travail infatigable. 11 aimait les
hommes capables et savait les utiliser. M. de Vergennes occupait .
le poste d'ambassadeur a Constantinople 10rs de la signature du
traité de París. Quant il en connut les clauses, iI dit nettement a
un voyageur anglais, Lind, l'ami et le correspondant de Price :
« Les conséquences de la cession du Canada sautent al1X yeux, et
« l' Angleterre, j' en suis convaincu, ne tardera point a se repentir
« d'avoir détruit le seul frein qui tlnt ses colonies en bride. Elles
« n'ont plus besoin de la mere patrie, et celle-ci leur demandera,
« sans doute, de prendre une part dans les dépenses qu'elles lui
« ont causées. Leur réponse sera de rompre tous ]eurs liens de
« dépendance l. » Paroles prophétiques que l'ancien ambassa-
deur eut l' occasion de rappeler a lord Stormont, et dont il se
chargea pour son compte de prouver la vérité entiere.


n est permis de pense!', sans calomnier sa memoire, que M. de
Vergennes vit toujours d'un mil favorable l'insurrection améri-
caine et qu'il songea, des son entrée au pouvoir, a lui ménager la
protection et les secours de la France. Les sentiments personnels
du roi et ses principes faisaient d'ailleurs obstacle a une action
irnmédiate, et d'autres motifs conseillaient l'ajournement.
Louis XVI, chef d'une monarchie de droit divin, élevé dans les
maximes de l'absolutisme, ne pouvait éprouver une sympathie
bien vive pourdes sujets révoltés contre leur souverain légitime,
et George lB, dont il estimait, en outre, la piété et les qualités
morales, possédait bien a ses yeux ce titre. Puis, en 1774, on igno-
rait encore si les Américains auraient ou la constance ou les
moyens matériels de résister, et il était meme a craindre qu'ils
n'accueillissent pas ~vec faveur les offres d'une puissance a la-
quelle ils supposaient, peut-etre, des \'ues tres-peu désintéres-
sées 2. L'expectative était done prudente, mais une expectative


f [listo of unit. stat., 111, 325.
2 Du moins, fut-ce l'impression que le lieutenant-colonel de Kalb, envoyé en Amé-


rique en liG7, transmit ii. Choiseul. Entre autres objets, de Kalb avait pour mission
de sonder la {orce et la nature de leurs d¿sirs ou de leurs projets quant a l'indé-


..
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" O .
J.




296 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIO~ALE.
vigilante et prete a changer de caractere des que les événements
s'y preteraient. Cette attitude rentrait bien dans le caractere et
dans les aptitudes de M. de Vergennes; moitié choix, moitié né-
cessité, ill'accepta vite et résolument. Des la fin de 1774, il fai-
sait sentir a Louis XVI la presque certitude d'une rupture ouverte
entre l' Angleterre et ses possessions transatlantiques, et se servait
de l'aide que nos voisins avaient pretée a la Corse comme d'un
argument capable de justitler ]'intervention de la France dans le
conflit anglo-américain. Il surveillait tres-atlentivement ce qui se
passait en Angleterre, l'état de l'opinion, les actes et les paroles
de George III P,Í de ses ministres. « Continuez de me faire partde


• ( tout ce que vous apprendrez sur l' Amérique, » écrivait-il au
comte de Guines, alors notre ambassadeur a Londres, « c'est sur
« ce point-la que se porte aujourd'hui toute l'attention 1, ») et il
entretenait des intelligences secretes jusque dans le bureau des
plantations 2 •


Vergennes tenait a recevoir sur ce sujet la vél'ité de toutes les
sources, et, se rappelant les missions que Choiseul avait successi-
vement confiées a de Pontleroy et a de Kalb 3, il prit le partí
d' employer le meme moyen a .son tDW>~ V» !igeRt tl'eS-{?f{lpre a.
une pareille besogne s'offrit a lui dans la personne de M. de Bon-
vouloir, ancien volontaire au régiment du Cap, que la fievl'e
jaune avait chassé de Saint-Domingue et qui avalt visité alors
Boston, Providence, Rhode-Island, New-York el Philadelphie,
ou il était entré en relations avec les principaux insttrgents. Bon-
,~ouloir végétait a Londres, quand le comte de Guines lui offrit
de retonrner en Amérique an service du cabinet fran'iais. Il ac-
cepta sur-Ie-champ; mais iI y avait a vaincr~ les scrupules de


pendance. « La miss ion que je vous confie, » lui écrivait Choiseul, « est difficile.
(e Demandez-moi le;; moyells de la remplir; aUCIl'l ne vous sera refusé. » ('20 avril
1767, Hist. of unit. stat., V, 49.)
~ ~2 juillet 1775. (C. de Witt. Jefferson, ducuments histori(lues, 4G5.)
2 En allouant 200 luuis a Bonvouloir, le roi n'entend vas que vous supprimicz celle


que vous avez proposée Jlour vous procurer des intelligences dan s le hureau des
Plantations Cyergennes a de Guines. Doc. hist., 471).


3 La mission de Pontleroy lui fut donnée an mois d'avril l'iG4. Sous le psclIdo-
nymC:de Beaulieu el l'apparence d'un voyageur acadien, iI parcourut le Tllíll'yland,
le New-York el la Pennsylvanie, el constata le mécontentement des colons.




, , 29-', TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L INDEPENDANCE.
Louis XVI, et Vergennes y parvint en lui rapportant certains
propos que le secrétaire d'État lord Rochford venait de tenir. Bon-
vonloir partit done avec l'agrément du roi : ses instructions, qui
resterent verbales, lui prescrivaient de se rendre un compte
fidele des événements et de la disposition des esprits et de bien
rassurer les Américains sur les craintes qu'on cherchait, sans
doute, a leur inspirer quant a la France. Leur pi erre d'achoppe-
ment était. le Canada; il fallait leur faire comprendre qu'a Ver-
sailles personne ne sOllgeait a le reprendre; qu'on n'avait aucun
jntéreta leur nuire; qu'on admirait leurs efforts et qu'on y applau-


. dissait; qu'enfin on verrait avec plaisir « que des circonstances
« heureuscs les missent ü meme de fréquenter ses ports. Les faci-
« lités qu'ils y trouveraient pour leur commerce leur prouve-
« raient bientot toute l'estime que la France avait pour eux 1. »


Une lettre de Franklin fixe l'époque oh les Américains, de leur
cOté, songerent officiellement:a s'assurerdes appuisen Europe: elle
porte la date du 9 décembre 1775,et ayait pour destinataire Charles
Dumas, éditeur de Vattel et agent du comité de correspondance
secrete pres les Provinces-Unies 2.«Nous sommes heureux, y lit-on,
« d'apprendre par yotre canal que toute l'Knrope 1WU¡S souhaite le
« plt¿s heureux succcs pour le maintien de nos libertes 3. Mais nOllS
« aimerions a savoir aussi s'il est un des pouvoirs européens
« qui soit enclin a prendre notre défense, ou du moins a con-
« t1'acter avec nous une alliance commerciale, au cas désormais
« probable d'une ruptu1'e ouverte avec la Granue Bretague et de
« notre érection en nation indépendante. )) Franklin engage son
ami a conférer avec les ministres des diverses puissances en rési-
dence a la Haye, et a leur dire que les colouies sont unanimes
dans larésistance et qu'elles ont sur pied une armée de vingt-
einq mille hommes qui a hloqué Boston et lancé sur le Canada de
forts détachements~. D'ailleurs pas un mot spécial a la Franee :


t Docurnents historiques, 47l.
2 Instítué, le 29 novembre 1775, dans le but de correspondre avec les personncs


que ron croyaít sym¡¡athíques a la cause américaine sur le continent européen. 11
.4.lIIP-~ prít, en aHíl 1777, ,le títre de cómité des alTaires étrangeres.


;¡ En Ir::m(iuis et sOlllignés dans le tcxte.
4 Worlis, IX, 162-1G7.




:?g~ LES ÉTAT:HJNIS DE L' AMÉR!QUE SRPTENTRIONALE.
Franklin gardait ene ore quelques défiances envers ce pays, et il
ignol'ait qu'en ce moment meme, un Franc;ais s'occupait de sa
patrie pour lui rendre d'éminents services. Celui-ci n'éta:it autre
que Franc;ois Caron de Beaumarchais, une des figures les plus
originales du xvme siecle. Déja célebre par ses démelés avec le
conseiller Goezmann, qu'il a voué a l'immortalité de l'odieux et
du ridicule, par une piece qui ináugurait un nou veau genre sur
la sdme illustrée par Moliere, Beaumarchais recherchait mainte-
IlUIlt dans le champ ~iplomatique des succes qu'un esprit tres-vif,
tl'es-perspicace et nullement ennemi de l'intrigue semblait lui
garantir. Les renseignements que M. de Vergennes recevait de
son ambassadeur a Londres, trop grand seigneur peut-etre pour
bien entrer dans certains détails et recevoir certaines informa-
tions, ~es renseignements pouvaient paraitre insuftisants. Beau-
marchais s'offrit a seconde'r M. de Guines. Oh se souvintque dans
l'affaire du pamphlétaire Morande etcelle de l'énigmatique cheva-
liere d'Eon, il avait su rendre des services etqu'il avait été dix ans
auparavant le favori de lord Rochford, alors ambassadeur a Ma-
drid, avec lequel il faisait de la musique et chantait des duos 1.
01', cette liaison avait continué, et lord Hochford ne passait pas
pour un modele de díscrétion. On se souvint encore que Beall-
marchais connaissait Wilkes, en ce moment lord maire de Lon-
dres et partisan zélé des colonies, qui avait tenu tete dans díverses
occasions aux ministres et a George III lui-meme, avec une fer-
meté et une liberté de langage voisines de l'invective.


Ces diverses raisons firent accepter l'offre de Beaumarchais :
il partít pour Londres et y eut bientot lié connaissance avec Arthur
Lee, qui fut plus tard l'un des cornmissaires américains a Paris, et
recueillit des colons récemment arrivés dans la capitale de l' An-
gleterre d'intéressants détails qu'il réunit dans un eompendieux
mémoire. Alors, quittant brusquement Londres, il revint a Paris
et remit son travail a M. de Sartine, qui, a son tour, le porta ca-
chete a Louis XVI. Ce mémoire était sagaee, habile, chaleureux.
Il exagérait, mais a des5ein, les premiers efforts des Américains,
et grossissait dan s la meme intention Jes périls que le conflit fai-


f DeLoménie. Beaumarchais et son temps, IJ, 9G-I0G.




TROISIEMR PAUTIE. - LA GFEnUE DE L'INDÉPEr\OANCE. :>99
sai\ cour1r a \a monal'clüe ang\aise '. Il envisageait la possibilité
que l' opposition ressaisit le'pouvoir et qu' apres avoir réconcilié les
deux pays, elle cherchAt des moyens de popularité et de résislance
ü la cour dans une guerre contre la F rance, guerre toujours assurée
a cette époque d'un bon accueil chez le peuple anglais. Si l' opposi-
tion triomphe, assurait Beaumarchais, « c'est la guerr~, que ce
soit Chatham ou Rockingham qui remplace lord North. »
Louis XVI lut le mémoire, mais sans prendre de décision, et, le
23 septembre, Beaumarchais repartait pour Londres « bien
illstruit des intentions du roi et de M. de Vergennes 2,»


II y élabora sur-le-champ un s6condmémoire intitulé La paixou
la guerre qui fut remis a M. Vergennes le 29 février 1776, et dont
le theme était qu'il fallait secourir les Américains. n n'y avait
selonBeaumarchaisquetrois hypotheses possibles: ou l' Angleterre
triompherait et, pour se dédommager des frais de la lutte, elle
mettrait la main sur les possessions intertropicales de la France ;
ou elle serait battue et, dans ce cas, il était probable que le dépit
lui inspirerait la meme conduite; ou enfin elle se réconcilierait
avec l'Amérique, et le meme résultat paraissait encore probable.
Car cette réconciliation ne pouvait etre l' amvre que de nouveaux
ministres, et on connaissait bien les sentiments qu'avaient pour
la France les Chatham, les Shelburne, les Rockingham, Quel-
que serrée et spécieuse que parut cette logique, Vergennes ne s'y
rendít pas sur I'heure, tout en retenant I'ídée qu'émettait Beau-
marchais en terminant son mémoire, e'est-a-dire l'envoi immé-
diat de secours seerets en Amérique, et en proposant meme a
Louis XVI de fournir un premier million aux insurgés 3, Notre
ministre des affaire s étrangeres s'irritait de I'insolence des Anglais


t Beaumarchais rappelait a ce pro pos le mot de Wilkes: (( Le roi d' Angleterre me
hait; moi je l'ai toujours méprisé. Le temps est venu de décider lequel de nous deux
a le mieux eompris l' autre. »


:i Beaumarchais et son temps, n, 95.
a La proposition est 'du 9 mai 1776. Vergennes envoyait en méme temps a


Louis XVI un pl'oiet de réponse a Beaumarcha\s. (( le ¡;\l~\l\ie V otre Male;;té,)) di¡;ait-
d, « de vouloir bien me la renvoyer tout de sllite. EUe ne partira point écrite de
ma main ni de celle d'aucun de mes commis ou sec'rétaires. Je n'y emploierai que
celle de mon fits, qui ne peut e¡re conntu/. )) (()e Flassan. Histuire de la diplo-
1nabie (ranf-aise, vr, 143-144.)




300 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQlTE SEPTENTRIONALE.
qui poul'suivaient les navires américains jusque sous le canon de
nos forts et voulaient visiter nos propres navires revenant d' Amé-
rique. Le ton habituel de lord Rochford « semblant argumenter
« d'un pacte qui assujettirait la France a faire de l'intéret anglais
« le sien meme, » ne lui paraissait pas moins insupportable.
Mais Vergennes savait, par son collegue a la marine, entiere-
ment dévoué a ses vues, que nos floltes n'étaient pas pretes; il ne
se sentait pas encore assez maUre de l'esprit passif et timoré de
son roi et se savait enfravé al!- sein du conseil; entin il manquait
toujours de données précises sur l'esprit des Américains, leurs
éléments de résistance, leurs chances de succes, quand le rapport
de M. de Bonvouloir, qu'il re<;ut dans les premiers jours de mars,
vint lui permettre d'aborder la question avec plus d'ampleur et
de solennité qu'il ne lui avait éte donné de le faire jusqu'alors.


De Bonvouloir était arrrivé a Philadelphie le 28 décembre 1775;
un Fran<;ais nommé Daymon, qui était établi comme libraire
dans cette ville, le mit en rapport ave e Franklin, Johnston, Har-
rison, Dickinson et Jay, qui composaient encore le comité de
correspondance. Entreprenant et spirituel, de Bonvouloir sut
gagner leur contiance san s leur ríen promettre de positif, en les
avertissant meme qll'il agissait d'une maniere toute bénévole, a
titre de simple particulier. 011 lui posa diverses questions : La
France était-elle bien disposée pour l' Amérique et quel moyen
authentique de s'assurer de ses dispositions véritables? Fourni-
rait-elle des ingénieurs? Enverrait-elle des armes de guerre en
échange de denrées coloniales et accorderait-elle aux Américains
la libre pratique de -ses ports? Sur la premiere, Bonvouloir ré-
pondit qu'il ne croyait pas trop s'engager en répondant de la
bonne volonté de son pays; quant aux moyens de s' en assurer, il
n'en connaissait pas d'autre que celui de s'adresser au cabínet de
Versailles. Mais le cas était scabreux et demandait bien des
ménagements, et il ne conseillait pas d'envoyer un plénipoten-
tiaíre a París, tout ce qui se passait dans cette ville parvenant a
la connaissance de Londres. Cependant, ajouta-t-il, « si l'on veut
« me charger de sonder le terrain a cet égard, je pounai peut-
(( etre transmettre une réponse qui puisse servir de guide, quoi-
« que je ne puisse rien garantir si ce n'est que cette confiance




· , , 3· 01 THOlSlEME l'AHTIE. - LA Ut:EIUE DE L 11'DEPEND.\:'i'CE.
« ne sera point trahie.» Pour les ingénieurs, la chose parais-
sait assez facile; lui-memeavait devancé ce désir, et il espérait
réussir. L'envoi d'armes et de rnunitions de guerre en échange
de marchandises coloniales lui semblait une simple affaire de
commerce; mais la liberté d'entrer dans nos ports el d'en sortir
lui semblait sujette ~t des difficultés. « Au surplus, » dit Bonvou-
loir, en terminant, « je ne réponds de rien. Je suis bien peu de
chose : j'ai de bonnes connaissanees,,,. voiHl. tout. )) Cette feinte
et cette réserve, qui montraient combien l'agent de M. de Ver-
gennes s' était pénétré de son zele, ne tromperent ni Franklin
ni ses eollegues. Ils tinrent pour certain que Bonvouloir était
venu pour les seconder, et M. Bancroft assure que ses eommu-
nications ne resterent pas sans effet sur les actes futurs du con-
gres. De sa part, le Fran<;ais jugea que les Américains « étaient
résolus, depuis longtemps peut-etre, » a solliciter l'appui de
Louis XVI J.


Dans son rapport, Bonvouloir constatait le s dernieres hésita-
tions des Améríeains; iI parlait de leurs premiers succes et ex a-
gérait leurs ressourees militaires d'une fa<;on qui eut bien étonné
Washington. Malgré ees inexactitudes, son travail était vrai en
substance et pouvait servir les vues de M. de Vergennes, satis-
fait d'apprendre que les Amérieains, une fois le dé bien jeté, 11e
reculeraient pas, et bien convaineu que l' entetement de
George III leur ménageait de nouveaux et sanglants griefs. Il
mit done entre les mains de Louis XVI un mémoire qu'il avait
préparé s:ur la erise amérieaine. Il y développait un des points
de vue présentés . par Beaumarehais, a savoir la possibilité, la
grande probabilité meme que les Anglais, ou réconciliés avec
les Américains ou battus par eux, chercheraient, dans un cas
cornme dans l'autre, a s'indemniser aux dépens de la France et
de I'Espa'gne, dont les intérets étaient ici inséparables. Donc,
continuait M. de Vergennes, si les souverains de ces deux pays
n'écotitaient que l'impulsion de ces intérets et la justice de leur
cause; si leurs forces navales et mili~aires se trouvaient a la
hauteur de leurs moyens réels, il semblerait nécessaire de leur


, Documents historiques, ·178-487.






302 LES ÉTATS-UNTS DE L' Al\lÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
dire que la Providence venait de marquer le moment d'humilier
l' Angleterre et de tirer une éclatante vengeance des maux qu'el1e
n'avait cessé, depuis le commencement du siecle, d'infliger aux
nations assez malheureuses pour etre ses victimes ou ses rivales.
Mais tel n'était pas le point de vue adopté par les deux monar-
ques, et il semblait qu'ils dussent, momentanément du moins,
se réduire a une attitude circoIlspecte, mais prévoyante; main-
tenir les ministres angl~is dans la confiélnce de leurs intentions
pacifiques, pour qu'ils ne craignissent point de 3' engager dans
mw campagne longue et coftteu·se; encourager en meme temp~
les Américains par des faveurs secrétes et des espérances vagueE
qui préviendraient l'idée d'UIl accommodement et le~ fortifieraien1
dalls leurs pensées d'indépen.dan.ce. Ces faveurs, Vergennes }e~
faisait consister dans l'eIlYoi caché d'argent et de munitions de
guerre, et il conseillait, en tout état de cause, de développer les
forces des deux nations, puisque de toutes les hypotheses, la
moins probable était le maintien de la paix '.


Louis XVI invita Vergennes a communiquer son mémoire a
Turgot, dont il désirait l'opinion écrite. Vergennes obéit en re-
commandant la discrétion et de la célérité a son collégue, "pa\'~~
que a l'Escurial, on aUendait impatiemment la décision de VQr-
sailles. Turgot n'en prit pas m0ins trois semaines pour rédiger ses
observations, qui ne furent remises au roí que le 6 avril et dont
voici la substance. Il regardait le triomphe des Américains corome
probable, et cet événement comme « destiné a marquer I'époque
« de la plus gran;de des révolutions dans le systeme comme:fcial
« et le systeme poli tique non-seulement de l' Anglet~~re, mais
« de toute l'~urope. ») Il traitait légerement \a crainte que l' An-
glete~re cher.;1;lat alo~>s des compensations aux dépens de la
France et de l'Esp<\~e, et, P9ur la jeune république transatlan-
tique, que\ ~W~oi:Q aurait-elle donc de faire des con,quétes afi,n
d'écouler ses produits, comme M. de Vergennes paraissait le
redoute~? Elle n'aurait qu'a ouvrir ses ports au commerce du
moude entier, et tout serait dit. Turgot prévoyai~ la ruine du


f V. le mémoire de Vergennes; il est reproduit in extenso dans les annexes du
Je{ferson, de M. de Witt, p. 490-494 .




~


TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 303
systeme restrietif et du paete colonial, ainsi que l' emancipation
successive de toutes les eolonies 1, el en vue de eette éventualité,
« jadis traitée comme un paradoxe insoutenable, et maintenant
( faite pour moins révo lter, ») il conseillait « de se. préparer
« d'avance des consolations. Ces consolations, Turgot les trouvait
précisément dans la liberté générale de la navigation et du eom-
meree, dan s le libre échange, comme nous disons aujourel'hui.
Abordant ensuite la question des secours secrets, il jugeait le
procédé illégitime et dangereux. Quant a l'envoi d'escadres ar-
mées en Amérique, il le repoussait absolument, puisque la
France et l' Angleterre étaient en pleine paix, et qu'en outre les
finances de la France étaient loin el' etre prosperes, les dépenses
dépassant annuellement de trente millions les recettes. Pour une
guerre néeessaire, on trouverait des ressource.s; mais voulait-on
ne pas rendre impossible, pour toujours peut-etre, les réformes
que. la prospérité de l'État et le soulagement des peuples appe-
laient d'une fa.;on impérieuse, il fallait éviter toute guerre inutile
eomme le plus grand . des maux. Turgot, toutefois, était lo in de
décon~eiller la vigilan ce : il recommandait, au eontraire, de
garnir nos arsenaux et d' équiper nos fiottes; d' entretenir des
intelligences a Londres et d'avoir en Amérique des eorrespon-
dances sures et fidéles 2.


Dans le eonseil, Maurepas el Malesherbes partagerent les ten-
dances pacifiques de Turgot, tandis que Sartine soutint énergi-
quement la politique plus belliqueuse de Vergennes. Louis XVI
écouta passivement tous les avis; mais deux mois ~'étaient a peine
éeoulés qu'il saerifiait Turgot a la jalo.usie de Maurepas, aux ran-
erunes bureaueratiques, a l'inintelligent égolsme des ordres p:ri-
vilégiés. Sa retraite laissa Vergennes plus libre d~. son action di-
plomatique et secrete, la seule qu'il erut encore utile et prudent
d'exercerpour l'heure. n eommen~a parintéresser l'Espagneases
vues, et obtint d'elle qu'elle ferait passer. des subsides en Amé-
rique: au mois de juin 1776, on re~ut en effet a Versailles une


t Turgot indiquait expre3sément comme inévitable l'émancipation des colonics es~
pagnoles de I'Amérique du Sud, et engageait « le roi d'Espagne et ses conseils » a
lui préparer des moyens pacifiques, par l'abandon d'un odieux monopole.


2 Le mémoire de Turgot figure au tome VIII de ses (Euvres, p. 434-504.




:)0 '1 LES ÉTATS-U~IS DE L'A:\lf:I:!QlJE SEPTENTHIONALE.
lettre de ehange d'un million, envoyée avee le plus gr1md mys-
tere, et qui fut jointe a un autre million expédié par la cour de
Versailles. Un lI10is plus tard, les subsides de eelle-ci étaient
portés a 2DO,OOO louis d'or, et la maison Hortalez et Ü C en reyut
l'assurance. Ce nom eaehait eelui de Beaumarehais, qui, dan s 1'es-
pace de dix-huit mois, n'avait pas fait moins de huit voyages de
Paris a Londres et de Londres a Paris dans l'intérCt de la cause
amérieaine. Il avait espéré mieux des le début; eomme il s' en
expliquait avee M. de Vergennes et manifestait quelque inquié-
tude: « Ne eraignez pas le rejet de vos avis paree qu'ils n'ont pas
« été adoptés sur l'heure,») lui réplíqua le ministre. « Tout som-
« meil n' est pas léthargique 1. ))


Déja les Amérieains avaient dans la personne de Silas Deane
un agent a París, mais un agent sans earaetere officiel et aquí
ses instruetions, qui portaient la date du 12 mai 1776, preserí-
"aient de ne paraitre dans eette viHe que eomme un simple. cu-
rieux « attiré, eomme des milliers d'autres, par le seul désir de
« voir une cité si fameuse. ») Illui était reeommandé, d' ailleurs, de
chereher une entrevue avee M. de Vergennes et de lui exposer les
besoins et les vceux de ses eompatriotes, mais d'une fayon eireons-
peeteet dans la mesure qu'autoriserait l'attitude de l'homme d'État
franyais. Arrivé a Paris au mois de juin, Silas Deane vit en effet,
quelques jours plus tard, M. de Vergennes, grace aux bons offices
de M. Dubourg, et lui parla de l'important eommerce des eolo-
nies, de leurs besoins, du ehoix qu~elles avaient fait de la France
pour nouer des relations avec l'Europe et de leur prochaine dé-
claration d'indépendanee. M. de Vergennes répondit que sa cour


. venait d' admeUre dans nos ports les colons sur le meme pied que
les Anglais et que la douane frall(;aistl fermerait les yeux sur l'ex-
portation des munitions de guerre. Quant a l'indépendanee,
ajouta-t-il, e'était un événement encore embryonnaire (in the
'womb o{ time), et dont illui serait messéant de parler, tant qu'il
ne serait pas accompli. Il assura Deane de sa protection Ílnmé-
diate et l'informa qu'il pourrait toujours le rencontrer sans op-
position de la police, « dont peut-etre iI ne connaissait. pas les


1 lIist. of unit. ,~tat., VII, '217.




TROISIEME PAHTlE. - LA GUERUE DE L'INDÉPENDANCE. 305
usages» ou de tout aulre cóté. M. de Vergennes termina l'entre-
tíen par diverses questions sur les pecheries et l'interruption du
commerce américain, sur les chances d'une rupture complete et
celles du maintien de l'uníon entre les colonies, sí elles venaient
a se déclarer indépendantes. Il parut aUacher a ce ~lernier point
un intéret tout spécial, et son interlocuteur s'effor~a de dissiper
chez lui toute crainte de discorde 1.


Lorsque la France et l'Espagne se furent décidées, eomme on
l'a vu, a secourir les insurgés sous main, Silas Deane s'effor~a
d'obtenir directement du ministere franQaís les draps et les mu-
nitioIls de guerre dont il avait besoin ; mais Vergennes le renvoya
a Beaumarchais et a Leray de Chaumont, fournisseur de l'armée.
Beaumarchais se mit aussitót a l' muvre, et dans une lettre du
18 aoClt t 776, écrite sous la signature de Roderique HorLaIez el CL"
il annonyait au comité de correspondance qu'iI s'était déju/pro-
curé 200 pieces de campagne, 100 tonneaux de poudre, 20,000
fusils, quelques mortiers, des balles, du pIomb, des draps, et des
toiles 2. n aidait en meme temps Deane a recruter des officiers
pour I'armée fédérale et luí désignait le comte Pulawski, réfugié
polonais, le marquis de La Rouarie, célebre depuis dan s les
guerres vendéennes, et le baron de Steuben, compagnon d'armes
du grand Frédéric, tandis que l'agent américain enrólait pou!' son
compte le marquis de La Fayette, le baron de Kalb et Du Cou-
dray. Ce dernier s'embarqua sur l'Amphitrite, qui mit a la voile
le 14 décembre, emportant un premiee envoi d'armes et de mu-
nitions de guerreo Mais a peine l' Amphitrite avait-elle pris la mer
qu'elle reyut l'ordre de rentrer au port. Deane attribua ce contre-
temps a Du Coudray préoccupé uniquement, disait-il « de ses
« aises, de~a sureté, de ses émoIuments. » Mais il se trompait,
et le rappel de l' Amphitrite ne tenait q u'a des considél'ations poli-
tiques: Franklin venait d'~lrriver a Nantes; OIl parlait de la pré-
sence de Beaumarchais au Havre, et la réunion de ces deux cir-
constances avait fait du bruit.


\ Tne diplomatic correspondence·of the american revolution, 1, 5-9. Cette eol-
¡eetion forme 12 vol. in-8°. Elle a été publiée, eonformément a une résolution du
eongres, en 'date du 27 mars 1818, d'apres les originaux du déparlement d'Etat.
1\1. Jared Sparks en a été l'éditeur.


2 DipLom. corresp., J, 35-39.
;20




LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.


Le congres s' était, en effet, décidé a accréditer des commissai-
res pres la cour de Versailles, en désignant pour ce poste Silas
Deane, Franklin et Jefferson, qu'Arthur Lee rempla9a sur le
refus de celui-ci. Franklin entra dans Paris le 21 décembre et fut
se loger dans la rue de l'Université 1, qu'il quitta bientot pour
s'établir a Passy. Ce n'était pas la premiere fois qu'il visitait la
capitale ; il Y était déja venu en 1767, avait été présenté a
Louis XV et avait contracté des relations qui devaient lui etre
fort utiles dan s son second séjour. Ses démelés personnels avec
George III, la haute place qu'il occupait, a coté de Washington,
dans l'estime et les espérances de ses concitoyens," l'engouement
enfin de la cour et de la viLle pour l' Amérique et les Américains,
tout concourait d'ailleurs a lui assurer le meilleur aeeueil et a
faciliter le sucees de sa mission. Son portrait. se voyait a tous les
étalages avec le fameux vers :


Eripuit crulo fulmen, sceptrumque tyrannis.
Vo ltaire mourant reehercha une entrevue a vee 1 ui, et Turgot,
Bufl'on, Dalembert, Condorcet, Vicq d' Azyr, Cabanis, Raynal,
Mably, devinrent ses visiteurs et ses hotes habituels. Sa modeste
demeure a Paris était comme en état de siége, et y pénétrait-on,
on revenait enehanté de sa belle figure, de ses manieres nobles
et simples; on comparait sa eonduite a celle de Phocion et son
earaetere a eelui de Soerate. Toute eette faveur avait néanmoins
ses périls; l' Angleterre pouvait facilement en prenclre ombrage,
et le bruit eourut meme, a tort ou a raison, qu'elle avait demandé
son déparP. Mais, sous une apparente bonhomie et des dehors
rustiques, Franklin caehait un diplomate de premier ordre: iI
sut éviter les pié~es, tourner les écueils et sembla fuir l' éclat de
son noro et l'entllOusiasme publie, tandis que réellement ít les
faisait concourir au sucees de son reuvre délicate.


t Mm. du Detfand; Lettres d Horace Walpole, III, 343.
2 II est certain du. moins que lord Stormont, ayant entendu di re que la France


s'appretait a reconnaitre comme plénipotentiaires Franklin et ses collegues, s'écria
devant M. de Vergennes qu'i/ ne pensait pa~ u qu'on se permit de lui faire un pareil
«aflront. » A quoi Vergennes répondit froidement : « 11 est vrai qu'i1 en est Corte-
« ment question; si cela avait Iíeu. la France et l'Angleterre en seraient grande-
« ment étonnées. » (FJassan. Hist. de la dipl. franf., VI, 151.)




· , , 30"", THOISlEME PARTlE. - LA GUERH~ DE L INDEPENDANDE.
Le 28 décembre 1776, Franklin et ses collegues re'iurent au-


dience de M. de Vel'gennes et lui remirent"avec leurs lettres
de créance; un mémoire sur la situation des États-Unis, les arti-
des de eonfédération et une demande de vaisseaux de guerreo
M. de Vergennes .les assura de la protection de sa cour et de l' at-
tention qu' elle donnerait a teurs propositions, en ajoutant qu'il les
communiquerait au comte d' Aranda, ambassadeur du roi Tres-
Catholique a Paris, dont la réponse leur serait transmise, car la
France se proposait d'agir dans toute cette affaire en conformité
complete de vues avec l'Espagne. Quant aux vaisseaux de guerre,
Vergennes ne crut pas devoir en céder,· mais il informa les co.rp-
missaires que les ports franc;ais seraient ouverts aux navires amé-
ricains et qu'ils recevraient eux-memes, a titre d'emprunt, deux
rnillions de livres payables par trimestre, pour lesquels on ll'exi-
geait aucune sureté, on ne réclamait aueun intéret. C'était, leur
dit-on, un bon office de I'Íches particuliers; en réalité, ces deux
millions sortaient dll trésor royal et le premier paiernent ne s'en
fit pas attendre. Enfin, les fermiers généraux devaient leur
avancer une autre somme de un miliion a valoir sur la fourniture
de einq mille barriques de tabaco En somrne, les· commissaires se
retirerent assez satisfaits de leur début. « Les Franc;ais sont géné-
« ralement pour nous, » écrivirent-ils a Philadelphie, «( et ils de;.
« mandent hautement des hostilités immédiates avec l' Angle-
« terrea Tout tend en vérité vers cette fin; rnais la cour a ses
l<. raisons pour la différer encore. En attendant, elle s'y pré-
({ pare 1. )


D'apres le conseil de M. de Vergennes, les cornmissaires s'a-
boucherent avec le cornte d' Aranda. Ce diplomate se chargea de
transmettre leurs offres asa cour, et les assura de son cóté que
l'Espagne modeIerait sa conduite sur ceBe de la France. Quel-
ques sernaines plus tard, Arthur Lee prenait la route de l'Espagne,
usant de la latitude que les instructions du congres lui laissaient
sur ce point, mais contre le gré de Franklin qui savait, par le
comte d'Aranda, qu'il l'Escurial on était peu disposé a recevoir
un plénipotentiaire américain, et qui se contenta de transmettre


f Diplom. corresp., etc., 1, 251.




:308 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEl'TENTlUONALE.


a cet ambassadeur les propositions adoptées par le congres, le 16
décembre 1776, touchant une allianee défensive et offensive entre
les États-Unis et l'Espagne. Lee trouva, en effet, sa mission volon-
taire plus difficile a remplir qu'il 11e se l'était imaginé dans sa pré-
somption et son étourderie habituelles. Il ne put dépasser Burgos,


,


ou le marquis de Grimaldi consentit toutefois a le yoir et a lire le
mémoire qu'il avait préparé; mais il prit sur lui-meme d'y faire
sur-le-champ une réponse verbale que voici : « Vous avez consi-
« déré votre situation et non la nótre; le moment n'est pas encore
« venu pour nous, la France n'étant pas prete et notre trésor
« d' Amérique n'étant pas encore arrivé ..... Dans un an, eette
« situation ne sera probablement plus la meme; on avisera
es. alors 1.» Grimaldi se porta fort néanmoins de la bonne volonté
de sa cour, et avertit Lee que ses compatriotes recevraient de
temps a autre des secours, par l'entremise de la maison Gardoqui,
de Bilbao; qu'ils trouveraient quelques draps et quelques muni-
tions a la Nouvelle-Orléans et seraient traites, a la Havane, sur
le meme pied que dan s les ports fran~ais.


Avec les trois !llillions qu'ils avaient re~us du trésor royal et
des fermiers généraux, Franklin et ses collegues continuerent les
achats commencés par Deane et Beaumarchais; iIs firent cons-
truire une frégate a Nantes et approvisionnerent les croiseurs
américains quí relachaient sur notre littol'al. Quelque secret qui
entourftt ces opérations, elles ne pouvaient échapper entierement
ü la vigilance des espions nombreux que lord Stormont entrete-
llait dans nos principaux ports, et plusieurs fois cet ambassadeur
a vait fait entendre des plaintes. Le ministre de la guerre rappelait
alors dans leurs garnisons ceux de nos officiers qui avaient ma-
nifesté l'intention de passer en Amérique; alors aussi le ministre
dt~ la marine arrelait le départ des navires chargés d'approvision-
nements militaires et donnait des 'ordres stricts pour empecher
la vente dan s nos ports des prises faítes par les eorsaires améri-


f ¡jiplom. corresp., ll, 44. Le mémoire de Lee est du 8 mars 1777 et porte pour
suscription: A la cour d'Espagne. Mais M. Jare~ Sparks ne doute pas qu'il fut seu-
lement remis a Grimaldi, et c'est ce qui résuIte des l.lfcmiers mots de la leUre de Lee
au comte de Florida-Blanca du 17 mars 177i.




TIlOlSIEME PAnTm. - L,\ mmnm: DE J:JNDÉPENDANCE. 309
cains. Dans une occasion, M. de Vergennes tint un langage tres-
sévere aux commissaires américains et se pIaignit de la présence
prolongÁe a Lorlent de ce meme Reprisal qui avait transporté
Franklin en France et qui allait et venait dans nos ports, ave e
Ses prises, c~mmle si ces ports avaient été américains 1. eeUe fois
la dépeche ministériclle affectait un aspect tout a fait rigide.
Mais son derniel' paragl'aphe renouvelait les assurunces données
dans l'enfrevue du 28 décembre, et d'ailleurs Franklin avait trop
de finesse pour ne pas savoil' lire, comme le disait l'abbé Galiani,
de spirituelle mémoil'e, sur le blane d'tme page. Quand les minis-
tres avaient pris une mesure d'apparence rigoul'euse, iI se trou-
vait toujours des personnes attachées a la cour pour faire com-
prendre aux commissaires qu'elle était nécessaire, la France
n'étant pas encore prCte, et pour leur murmurer a l'oreille que
son bon vouIoir n'avait pas varié 2.


La nouvelle du désastre de Burgoyne parvint aux commissaires
le 4 décembl'e 1777 : « Elle a été accueillie des FrauQais comme s'il
« se fut agi d'un triomphe de leurs propres armes, ») écrivirent-ils
en Amérique, en saisissant, avec un empressement bien naturel,
cette excellente occasion de pousser le gouvernement.de Louis XVI
a un parti décisif. A la date du 8, il solliciterent de M. de Ver-
gennes une prompte audience, et l'obtinrent pour le 12. Dans
celte conférence, on débattit quelques points de forme, qui furenl
réglés a la sati~faction commune, et deux jours plus tard,
Franklin et ses eollegues reQurent la visite de M. Gérard de
Rayneval, premier secrétaire des affaires étrangeres. Le roi, leur
dit-il, « apres une longue et mure délibération en conseil, avait '
<crésolu de reconnaitre l'indépendance des États-Unis et de faire
« avec eux un traité d'amitié et de commerce ..... Sa Majesté,
« d'ailleurs, ne se boruerait prs a une simple formalité; elle sou-
« tiendrait eeUe indépendance, meme au prix d'une guerre .....
«. La seu\e chos.e que \el'o\ e~\geat des A.méricains, c'était de ne
» jamais traiter avee l' Angleterre que so~s la reconnaissance ex-


f V. sur les faits relatifs au Reprisal, ninsi qu'aux capilaines Hodge et Cunnin-
gliam. le tome JI!' de la Diplom. corresp., po' 109,311--3170


:J lJip!/J?ll. f}On':8Sp" Ir 270,




3' O LES ÉTATS-UNIS DE J:AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« presse de leur indépendance l. ) M. de Rayneval ajouta qll'un
courrier avait été expédié en Espagne, afin de s'assurer le con-
cours de cette puissance, et que, des son retour, des arrange-
ments détinitifs seraient pris.


La France n'attendit pas la décision de l'Espagne, trop lente
a la prendre a son gré, et, le 6 février 1778, elle signait avec la
confédération américaine un double traité 2. Par le premier, dit
d'amitié et de commerce, les del.lx nations s'accordaient des
avantages réciproques, que les États-Unis restaient d'ailleurs
libres d'étendre aux autres nations. Ce traité déterminait les mar-
chandises de contrebande de guerre et celles que les neutres pou-
vaient transporter, ;lftirmant ainsi le principe que le pavillon
couvre la marchandi~e~ adopté p~r tQutes les nations européennes
et Illeme les Ztats barbaresqties, ma~s nié et violé l d'Qne fa<;pll
outrageuse, jusqu'a ces derniers temps, par la seule Angleterre 3.
Le second traité, dit d'alliance, reconnaissait l'indépendance des
États-Unis; la France lui pretait le concours de ses armes, et les
deux nations s'engageaient a ne point les déposer jusqu'a ce que
la Grande-Bretagne la reconnut a son tour. Les conquetes que
la confédération pourrait faire sur le continent américain lui res-
teraient acquises, et les Francais conserveraient de meme les Hes
anglaises du golfe du Mexique dont ils auraient pu se rendre
maltres. Dans sa générosité, la France renoncait expressément
a tQllte prétention sur le Canada; elle ne laissait a l' Amérique,
selop un mot tres - juste et sOlivent répété, d'autre charge
que la reconnaissance. En échange de tous ces av~ntages,
une seule condition ~tait imposée a la confédération : c'était de


f Diplom. Gorresp., 1, 355-357.
2 Lord StQfq¡pnt avait llne bonnepolice. Le jpur rnelIle de cette signature, il en


informait lord Weymouth, secrétaire d'Etat. Seulement son in{ormer croyait que
Franklin n'ayait signé que sub spe ratio A la date du 18, Stormont conseille de de-
vaneer I'attaque de la France, « don! il a en mains d'innombl'ubles preuves de per-
« fidie. » (Hist. of EngL, VI, 386-387.)


3 De 1646, a 1856 la Franee a stipulé ce principe dans 24 traités; les Provinces-
Unies (1646-1792), dans 17; I'Espagne (1650-1819), dans 7; les Etats-Unis (l778-
1839), dans 16.11 faut ajouter a ces puissanees, le Portugal, la Suede, le Danemark,
la Russie, la Pl'usse, les Deux-Sieiles, I'Autriche, la Porte ottomane, le Mal'oc, Tri-
poli. (Cussy. Ph1S88 et causes célebres du droit maritime des nations, 1, 199.)




TROISIEME PARTU:. - LA GUERRE DE L'nmÉPENDANC~. 311
ne pas traiter seuIe avec l'ennemi comrllun ., et l'on yerra qqe
ses plénipotentiaires surent l' éluder, tandis qQ6 la Franca, pour
employer les el.pressions de M. Jared Sparks, Ilemplit religieuse-
ment toutes ses promesses et racheta tous ses gages ; Every p'NJ-
mise was fulfilled, every ple'dge was redeemecl.


Un billet de M. de Rayneval, daté du 1 er mars, avertit les pIé.-
nipotentiaires que ]e roí les recevrait le 20 suivant et que, ee
memejour, M. de Vergennes les attendait a sa tableo Ce jour venu,
un grand nombre de Fran<;ais, d' Américains et d'étrangers de
divers pays les accompagnerent jusqu'a Versailles. Franklin fut
le héros dr, la cérémonie : dans les rues, le peuple le saluait de
vivat chaleureux et battait des mains sur son passage; dans les
salons ~l palais, les courtisans s'inclinaient et s'écartaíent devant


\ lui. Sa chevelure coupée court et san s poudre, son chapeau
rond, son habit de drap brun formaien~ un piquant et singulier
contraste avec leurs vestes galonnées d'or et couvertes de dentelles,
avec 1eurs tetes parfumées et poudrées. Voílace qui attirait l'mil
dans ce spectacle, et son enseignement moral étaít la présence
dans le plus splenclicle palais de la premiere monarchie du monde
d'un ancíen artisan, d'un pbilosopbe aussi simplement vetu qu'un
fermier aisé du MassachuseUs. A l'issue de l'audience, Franklin
se rendit chez le ministre des affaires étrangeres et, de retour a
París, y troUV<1 le meme accueil enthousiaste qu'h son départ.


Vergennes et Franklin, tels sont les vrais auteurs des traités
de 1778 : Louis XVI se les laissa imposer. Ce malheureux prince
manquait de caractere et de franchise, 111ai5 nullement de patrio-
tisme, et on. l'avait entendu dire au duc de Lauzun, qui se mo-
quait a Versaillos des' modes fran<;aises, en vantant celles de
Londres: « Monsieur 1 quanrl on aime autant les Anglais, on doit
« alier s'établir chez eux et les servir 2 • » Mais sur le terrain des


1 11 convient de remarquer que eette eondition n'aurait pas été imposée tout
d'abord, du moins si le récit des commissaires de leur entrevue avec M. de Rayne-
val est correcto « Le roi n'insiste pas, y lit-on, en cas que la France s'engage dans
« la lutte, pour que les Américains ne fassent pas une paix séparée. 1I les laisse en-
« lierement libres de f.lire la paix pour eux-memes. » He should moreover no~ so
much as insist, that ir engaged in a war wüh England @n our account we should
not make a separate peace. He w~uld hat'e us at (ull liberty to make peace for
oursel1ies. IDipl. corr., J, 356-357.)


,2 Soulavie. Mémoires historiques et politiques du regne de ILouis XVI, París,




312 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTHIONALE.
affaire s d' Amérique, ce patriotisme se trouvait aux prises avec
les défiances du prince, avec sa consbience meme, qui le portait
a douter qu'il eút le droit de rompre avec I'Angleterre, tant que
cette puissance n'aurait pas violé elle-meme les derniers traités.
L'ouverture des hostilités ne tit pas taire ces scrupules : « Quelle
« situation! » écrivait Louis XVI en marge des mémoires de
M. de Castries, son ministre de la guerre, et de M. de Sartine,
son ministre de la marine, « quelle situation! Faut-il que des
« raisons d'État et une grande opération guerriére commencée,
« m'obligent a signer des ordres contraires a mon creur et a mes
« opinions 1! » M. de Vergennes, lui aussi, était profondément
monarchique; disons rnieux, iI était absolutiste, et l' on connalt
les paroles qu'il écrivait a Louis XVI: En France, le r¡wnarque
lJarle,. tout est peuple et obeit. Paroles par malheur trop vraies
pour l'honneur de. la nation et pour la sécurité de ses rois eux-
memes. C'est pourquoi plus d'un écrivain roya liste ou plus d'un
écrivain révolutlonnaire ont-ils eu de la peine a s'expliquer sa
condulte si persévérante et si soutenue dans la crise américaine,
que les premiers lui reprochent presque a l'égal d'un crime,
tan di s que les autres ne l'approuvent qu'en y dénon.;ant beau-
coup d'inconséquence et une sorte de vertige. La vérité parait
etre que Vergennes n'envisagea la question que sous son cóté
national, ou bien que le cóté révolutionnaire s'étant offert a son
esprit, ille jugea subalterne. Dans cette hypothese, il eut d'ail-
leurs raison de passer outre, puisque les événements qui se pas-
serent sur l'autre rive de l' Atlantique n' eurent pas de contre-
coup sur eelle-ci, et qtle la monarchie franc;aise a croulé sous
le poids accumulé exclusivement de ses propres abus, entrainée
aux abimes par l'égolsme des ordres privilégiés et par l'aveu-
glement de la cour ou sa déloyauté.


Le 13 mars 1778, notre ambassadeur a Londres communiqua
le traité d'amitié et de commerce au secrétaire d'État Wey-
IDouth, en y joignant une note de ~on cabinet conQue en termes
ironiques et meme dérisoires, tant ies préparatifs miliÜüres de la
1801, I1I, 347. Soulavie doit etre Iu avec précaution; mais iI était en demeure de
connaitre bien des choses qu'on chercherait vainement ailleurs que chez Ini.


1 Mémoires historiques, etc., JTJ, 403.




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'IND.ÉPENDANCE. 313
France démentaient les assul'ances pacifiques qu'elle renfermait.
A ces pauvres artífices diplomatiques, George III répondit par
le rappe1 immédiat de lord Stormont et en rejetant sur la cour
de Versailles l' elltiere responsabilité « de cette violation du droit
« des gens. » Chatharn venait de tenter un effoJ;'t supreme pour
réconcilier les deux peuples; il se mourait lentement; mais cette
« insolence» du cabinet de Versailles lui rendit des forces
poar quelques heures et toute sa hautaine éloquence. n se


. rendit,le 7 avril, a la chambre des Lords, appuyé d'une main sur
son fils William, de I'autre sur lord Mahon, son gendre. « Nous
« prosternerons-nous devant la maison de Bourbon? » s'écria-
t-i1. « Alors cette nation n'est plus assurément ce qu'elle a
« été. Quoi! un peuple qui était, il y a sept ans, la terreur du
« monde serait tombé assez bas pour dire a son vieil ennemi :
« Prenez, . prenez tout ce que je possede; seulement faissez-moi
« la paix. ») Non! cela est impossible ....... Mais, au nom du cíel,
« s'il est devenu absolument nécessaire de choisir entre la paix
« et la guerre, el que la paix ne puisse etre conservée avec hon-
« neur, cornment se fait-il que la guerre ne soit pas commencée
« déja? Je ne suis pas tres au courant, il est vrai, des ressources
(l de ce royaume; mais fose croire, sans les connaitre, qu'elles
« suffisent au maintien de ses droits. Milords, tout vaut
« mieux que le désespoir; faisons du moins un effort, et s'il
« faut tomber, tombons du moins comme· des hommes tom-
« bent. » Le duc de Richmond prit alors la parole. Personne
l)lus que lui, dit-¡I, ne désirait que les Américains conti~LUassent
de vivre sous les lois de l' Angleterre; mais la chose lui parais-
sait impossi1Jle, et, dans l'état actuel de leurs al1ianees, la lutte
lui sem1Jlait trop inégale. Cette conclusion fit le ver de nouveau
Chatham; mais a peine était-il sur ses pieds qu'il roulait sur le
parquet de la Chambre, pret, en apparence, a rendre le dernier
souffle. Tous les pairs, a l' exception de lord MansfJeld, couru-
rent a son aide, et SeS amis le transporterent dans un apparte-
ment du palais et de la dans une maison voisine, ou il re.;ut le~
premiers secours de la médecine. Il expira le 11 mai, dans la'
soixante-sixiéme année de son age t.


I Hist. o{Engl., VI, 241-243.


...... ,.




31 í LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONAL"R.
Des aeeents comme eeux de Chatham émeuvent les assemblées


délibérantes et les subjuguent quelquefois.La ehambre des Lords
n'en avait pas besoin pour approuver la politique royale, el le mi-
nistere disposait aux Communes d'une majorité puissante. L' AH-
gleterre se prépara done a la lutte. En attendant, lord North fit
sonder Franklin sur les dispositions de son pays par un membre
du parlement qui votait avee l'opposition; si ee n'est dans les
affaires amérieaines, et qui avait de la eonsidération pour la per-
sonne du premier ministre.M. Hartley voulut savoir si l' Amé-
rique n'acheterait pas son indépendance au prix de grands avan-
tages eonférés a l' Angleterre et d'un traité d'allianee offensive et
défensive entre les deux pays. La réponse de Franklin fut caté-
gorique : se Ion lui, l' Angleterre devrait s'estimer ~ort heureuse si
l'Amérique, oubliant ses griefs, lui faisait un jour des avantages
égaux a eéux des autr~s nations. Quant a une alliance défensive
et offensive, il n'y avait point lieu d'y songer, tant on connaissait
les griefs belliqueux de l' Angleterre et sa facilité a les satisfaire
sous les prétextes les plus frivoles 1.


Les premiers coups de canon furent tirés en Europe. Le 17 juin,
la fioUe anglaise de la Manche gouvernait au nord du cap Lizard
quand ses vigies signalerent deux voiles fran~'aises: la Belle-Poule
et la Licorne. L'Arethusa, s'en détachant, vint accoster la Belle
Poule et la sommer de se rendre pres de son amiral. Sur le refus
réitéré du eommandant franc;ais, Chadeau de La Cloeheterie, la
frégate anglaise lui lacha sa bordée, et le combat fut engagé. Il
ne dura pas moins de cinq heures, et se flnit par la retraite de
l'Arethusa 2. On l'a dit éloquemment : ce prélude réveillait les
plus males souvenirs de la France et ravivait d'immortels res sen-
timents 3. L' opinion publique hata la sortie de la flotte de Brest :
elle prit la mel' le 8 juillet, et, le 27, reneontra la flotte anglaise,
par le travers d'Ouessant. Militairement parlant, ceBe rencontre
resta indécise; mais, sous le rapport moral, elle eut de l'impor-
tance. Les Anglais s'étonnerent des manreuvres habiles ef promp-


f Franklin a Vergennes, 24 avril 17'78; Vergennes a Fr:mklin, 25 avril 1778
(Works, VIII, 268-271).


2 Gazetle de France, 26 juin 1778. - Mercure de France, 5 juillet 1778.
3 L Blanc. Histoire de la Révolution {rangaige, 1, p. 28. (éd. in-It°.)




TROIsrEME PARTIE. - LA. GUERRE DE L'INDÉPF,,~DANCE. 315
tes d'une marine si récernment restaul'ée, el de SOll tir tres -juste
et tres-efficace, quoique mal a propos dirigé a la mature. Le cabi-
net anglais s'était assurément attendu a un résultat tout alltre et,
dans son dépit, iI traduisit le brave amiral Keppel devant u~e
cour martiale qui l'acquitta quelques mois plus tardo En France, le
nom de d'Orvillier.'l devint tout d'un coup célebre, et a Paris la
nouvelle de son sucees excita des transports. Le duc de Chartres
qui l'y apporta.avait bien fait son devoir dan s la bataille : on le
courotma de Jauriers a l'Opéra, et toute une nuit le Palais-Royal
retentit des acclamations populaires 1 ; le roi le récompensa. Tou-
tefois des relations apocryphes ne tarderent point a paraitre,
des pamphlets et des épigrarnmes a circuler : on y traitait le
prince de lache; on l'y faisait descendre, pendant le comhat,
dans la cale de son vaisseau. Le coup partait de l'entourage de la
reine, avec laquelle le duc de Chartres n'entretenait plus que
des rapports tres-aigres : « Irrité a jamais, il dit tout haut et fil
« dire a Marie-Antoinette : L'enfant de Coigny ne sera jamais mon
« roi 2. »


Ce fut Simon Deane, le frere de l'envoyé, qui porta en Amé·
rique la nouveUe des traités du 6 février. Débargué, le 2 mai, dans
la baie de Casco, il prit irnmédialement la route d'York ou
siégeait maintenant le congres, répandant partout l'heureuse
nouvelle sur tou! son itinéraire. L'alliance fraIH;aise, a dit un des
historien s de la révolut~on américaine « inspira une grande con-
« fiance aux colons et leur rendít les maux de la guerre plus sup-
« portables 3, ») et Washington la célébra, dans son camp de
Valley-:Forge, par des prieres solennelles, un preche et une revue
des troupes. Elle rendit tout a fait illusoire la mission confiée a
lord Carlisle, a Johnstone et a William Eden, en vertu des nou-
veaux bilis .dits de conciliation. Washington, qui avait d'abord
redouté leur arrivée, n'éprouvait plus maintenant la moindre
appréhension a leur égard et mit les premiers obstacles a fac-
complissement de Ieur umvre, en leur refusant un passe-port jus~
qu'a ce que le congres l'eut autorisé a le leur délivrer. Lord Car-


1 « Prix de sa valeur insigne, » dit la Gazette du 20 novembre 1778.
2 Hist. rev. franf., 1, p, 28. '
:1 D. Hamsay. Histoire de la révolutior¡ arnéric~ine, etc., 1, 167.




!Z\
::J16 LRS ÉTATS-UNIS DE l:AMÉRIQUE SEPTENTRIONALR.
liste et ses collegues prirent alors le parti de transmettre 1eurs
leUres de créance a Henry Laurens, président de cette assemblée.
Cette démarche n'obtint aucun succes: le cQngres leur fit con-
naitre que les États-Unis ne traiteraient avec leur ancienne mé-
tropole que sur la base d'une reconllaissance préalable de leur
indépendance et du rappel immédiat des troupes royales, et se
renferma dans un dédaigneux silence apres cette premiere com-
munication. Johnstone connaissait de longue date Robert Morris
et le général Reed : il leur écrivit quelques lettres, et soit ímpru-
dence grqssiere, soit pensée corruptrice, iI fit allusion dans ces
lettres aux droits que les promoteurs d'une pacification acquer-
raient inévitablement aux honneurs et aux récompenses dont dis-
posait la couronne. Morris et Reed, pour toute réponse, mirent
ces épitres sous les yeux du con gres qu'elles irriterent beaucoup.
Les commissaires ne trouverent un certain accueil que dans les
populations, en répandant de petits écrits OU l'obstination du
congres était dépeinte comme le seul obstacle a une réconcilia.-
tion sincere et comme une trahi$On qui livraít l' Amérique a son
ennemie séculaire. Pour se défendre, le congres eut recours aux
memes armes : il suscita une foule d' écrivains, parmi lesquels
Drayton, de la Caroline du Sud, afin de prémunir les masses
contre la tactique des commissaires et de leurs partisans.


Une autre conséquece de l'alliance fraw;aise fut l'évacuation de
Philadelphie. La science militaire ou le bonheur des généraux qu'il
employait en Amérique n'inspirait a lord North qu'une confiance
tres-médiocre. « Je ne sais pas 8'ils font peur a l'ennemi, ») disait-
il; « mais ce que'je sai~,c'estqu'ils me font tremblermoi, chaque
« fois que je pense a eux 1. » Sir William Howe ne lui paraissait
plus suffire a une guerre qui semblait renaltre de ses cendres
memes et, froissé de sa longue inaction dans ses quartiers d'hiver,
OU il passait son temps en bals, en fetes, en représentations de
tournois, ilIui avait donné sir Henry Clinton pour successeur. Ce
général possédait des manieres aussi affables que Howe, et le
dépassait grandement en activité et en savoir militaire. A Saint-
James on faisait un grand fond sur son entrée en campagne, et
le 8 mars 1778, le secrétaire d'État pOUl' la guerre lui communi-


f C. de Witt. Bist. de Washington, 142.




TllU18IEME l'AHTIE, - LA liUEHUE DE L'UÜlÉl'ENDANGE. 317
quait de vastes plans. Mais, quinze jours plus tard, lord Germaine,
qui n'ignorait plus l'exisfence du traité d'alliancé, avait changé
subitement de langage: .loin de songer a une hal'die initiative, il
prescrivait a Clinton d'aller se renfermer dans New-York, d'expé-
dier cinq mille hommes au secours des Antilles, de se tenir par-
tout sur une striete défensive, et de se préparer meme a quitter
les États-Unis pour eouvrir le Canada, si les événements venaient
a prendre une tournure trop fAcheuse. Clinton avait du obéir,
quoiqu'il regret; le 17 juin, il avait quitté Philadelphie ave e dix-
neuf mille hommes, et, traversant la Delaware, était venu débar-
quer a la pointe de Gloueester, dans le New-Jersey,


Washington oecupait encare son camp de Valley-Forge. Vers le
milieu de maí, il avait ouvert leshostilités en détachant La Fayette,
~vec 2,400 hommes, sur Barren-Hill, ~ tl'eize milles de Phila-
delphie.Enveloppé de trois cótés,LaFayette aIlait etre fait prison-
nier avec sa troupe, lorsqu'un habile changement de front lui
permit d'opérer une heureuse retraite. Howe s'était cru tellement
assuré du succes qu'il avait invité pour le lendemain plusieurs
dames a sa table, afin de les faire diner avec le marquis. Mais ( les
« Anglais revinrent a Philadelphie accablés de fatigue; les
~ ( dames ne virent pas M. de La Fayette, et M. Howe lui-meme


« arriva trop tard pour souper1 .» Des qu'il eut appris que Philadel-
phie était évacuée, le général américain se lan<;a sur les traces
de Clinton, et l'atteignit, le 28 juin, a Monmouth-Court-House.
Le combat qu'ils se livrerent resta indécis, grace a la mauvaise
conduite du major général Lee, qui abandonna sans ordres le
champ de bataille 2. Clinton décampa pendant la nuit et fit une
te11e diligence qu'il devint inutíleaux.Américains de le poursúivre.
Washington leur accorda quelques jours de repos; puis, traver-
sant l'Hudson, il vint camper aux Plaines-Blancltes, a trente milles
an nord de New-York, en y attendan't le début des opérations du
comte d'Estaing, qui, parti de Toulon au moisd'avril dernier,
venait d'arriver et le lui avait fuit savoir par une leUre auto-
graphe. Le 12 juillet, l'escadre franc;aise, forte de 12 vaisseaux et


i Chateilux. Voyages, etc., J, ~52.
2 Vie, corr., écrits, llI, 377. - Dr A. Bancroft. The life o{ G. washin~t ..:';~, "


1 I (j i" ".. . \-, I • I v. . r 1-·'
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-¡ ! ~




318 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
de 4 frégates; jeta l'anere a Sandy-Hook a l'entrée de la baie de
New-York. L'eseadre' anglaise, qui était mouillée dans la baie;
ne eomptait que 10 vaisseaux de 74, avee quelques frégates, et
tous ces batiments étaient mal équipés el fatigués par un long
s~rviee. Si d'Estaillg eut forcé l' entrée, il est fort probable qu'il
l'eut amarinée; mais de Sandy-Hook a Long-Island, ii s'étend
un bane de sable qui ne laisse entre la pointe et l'ile qu'une passe
étroite. Les pilotes eraignirent qu'elle ne fut point aceessible aux
plus gros vaisseaux franc;ais, au Languedo e et au Tonnant entre
autres, qui portaient 80 canon s 1; le projet fut done abandonné
et eonverti en uÍle attaque sur Newport dans Rhode-Island, de
coneert avec les troupes fédérales.


Ces troupes, ati nombre de neuf mille hommes, dont t1'Oi5
mille obéissaient a La Fayette, étaient placées sous le comman-
dernent supérieur de Sullivan. Elles bloquaient déja la ville quand
d'Estaing parut, le 11 juillet, dans les eaux de Rhode-lsland. Le
8 aout; on allait donner l'assaut a la place, lúrsqu'on signala en
haute mer les yoiles de l'amiral Howe. AussitUt d'Estaing réem-
barque les matelots et les troupes qu'il avait jetés aterre et dorme
le signal d'appareiller en toute hateo Un combat allait s'ellgager
quand une violente tempete sépara les deux escadres. La franyaise
en fut partieulierement endommagée, et revint a Rhode-Island.
Sullivan songeait a reprendre l'attaque abandonnée et sollieita
d'Estaing d'y eoncourir. Mais celui-ci opposa le délabrement de
ses vaisseaux, la répugríance unanime de ses ofticiers, enfin les
ordres formels de sa cour qui lui prescrivaient en cas de sinistre,
ou s'il survenait des forees .supérieures, de se mettre en lieu sÍlr.
01', l'amiral Byron venait de ~araitre dans ces parages et d'Estaing
signifia sa résolution Q'aller se radouber a Boston. Elle tint bon
devant toutes les"instánces de Sullivan, auquel se joignirent
Greene et La Fayette lui-meme, qui représenterent en vain que
l'entreprise commencée avait beaucoup d'importance et que


f C'est égalell1ent l'avis de la plupart des écrivains améri~ains. Marshall dit néan-
moins qu'au moment OU d'Estaing appareilla pour Rhode-Island, le vent et la ma-
rée favorisaient beaucoup son entré e dans la baie, tout en convenant qu'eu égard aux
Jispositions défensives des Anglais, une attaque de la viII e aurait constitué une im-
prudence militair~. (Víe de Washington, éd. 1'1'., IV, 7-8.)




TROISIEME PARTIE. - LA UUEHRE DE L'INDÉPENDANCE. 31!J
l'escadre courait en quittant New-Port deux dangers au líeu d'un,
le danger d'etre attaquée en route, et celui d'etre bloquée dans le
port de Boston, dont les défenses ne valaient pas ceBes de
Newport.


Sullivan et ses généraux, La' Fayette excepté, sígnerent une
protestation injurieuse; les vieilles ha in es de race se réveillElrent
et le mot trahison fut prononcé. Il y eut une sorte d;émeute a
l'arrivée de d'Estaing a Boston, OU le chevalier de Saint-Sauveur
perdít la vie, et a Charleston, il s;engagea une vraie bataille entre
les matelots américains et les matelots fran<;ais. Ces tristes scenes
tirent souffrir. Washington comme gentleman, comme génél'al,
eomme patriote. Le ton qu'avaient pris les journaux dans ce COIl-
flit lui déplaisait beaucoup; mais· « sous un gou~rnement répu-
blicain et libre, comment arreter la voix de la multitude? » disait-
il, et, d'ail1eurs, il était trop homme d'État pour y songer meme
quand les plaintes se trouvaien t injustes et les récriminations
abusives. Mais il avait action sur ses généraux et il ne leur rnéna-
gea point le blame. Il calma d'Estaing par de nobles paroles, et
d'Estaing, pour prouver qu'il ne conservait aucune rancune,offrit
de se mettre a la tete d'un régiment « comme iI l'avait fail jadis,
sous le maréchal de Saxe, dans la guerre terminée en 1748. )
Mais c'est dans une leUre a La Fayette que se trahissent surtout
les ennuis et le chagrín de Washington: « Jedirai en un mot,»
lui écrivit-il, « que je sen s vivement tout ce qui blesse la suscep-
« tibilité d'un gentilhomme, et, par conséquent, dans l'occasion
oc actuelle, je suis tres-peiné pour vous, pour nos bons et grands
«alllés les Fran<;ais. Je me sens aussi blessé de toutes les
« reflexions imprudentes ou 1egeres qu' on peut avoir faites sur le
oc comte d'Estaing et sur la fiotte qu'il commande; enfin, je soufl're
« pour mon pays 1. »


Cependant, le congres, désormais cerlain du renoncement de
la France, caressait toujours pour son compte le projet d' envahir
le Canada. Déja, l'on avait pressenti notre ministre plénipoten ...
taire sur le concours que ce projet pouvait attendre de son gouver-
nement, et M. de Rayneval, fidele interprete de Vergennes et de
la constante politique du cabinet fran<;ais depuis les traités de


t Vie, corr" écrits, I1I, 401-405.




1763, avait nettement déclaré qu'a Versailles, on n'avait le dessein
ni de reprendre le Canada pour soi-meme, ni d'aider les Améri-
cains a le reprendre, tout en ajoutant que les États-Unis, s'ils se
chargeaient seuls de cetteentreprise, ne rencontreraient de la
part de la France aueune mauvaise votonté, allcun obstacle. « Les
« Fran<;ais, » dit a ce propos M. Jared Sparks, « avaÍent toujours
« redouté l'amour des Américains pour les conquetes. lis avaient
« promis de défendre l'indépendanee des États-Unis, mais non de
« courir au Nord, a l'Ouest, au Midi, pour chercher des aventures
« et étendre la domination de leurs alliés. » Mais en 1778, le
congres eut volontiers exigé davantage, et illui fallu.t peu d'efforts
pour revenir a un espoir qu'a vrai dire il n'avait jamais perdu, et
que raviverent ~e zele enthousiaste et la confianee juvénile de
La Fayette, de meme que les sentiments personnels du comte
d'Estaing. Le 28 octobre 1778, ee dernier lan<;ait une proclama-
tion aux Canadiens, tandis que La Fayette s'appretait a retourner
en France pour y solliciter une interveÍltion directe. Ce plan était
déja arreté dans tous ses détails que Washington ignorait tout
encore; OH ne lui en fit part qu'a la derniere heure, et il s'y montra
résolument hostile. « Y songe-t-on? » écrivait-il au président du
congres Laurens, peu sympathique lui-meme au dessein; « laisse-
«( rons-nous un corps considérable de troupes franyaises entrer
« dan s le Canada et prendre possession d'une provinee qui est
« attachée a la Franee par tous les liens du sang, des mamrs, de
« ia religion? J e crajns que ce ne soit exposer cette puissance a
« une tentation trop forte pOUl' tout gouvernement dirigé par les
« maximes ordinaires de la politique.» A la fa<;on dont La Fayette
lui avait présenté les détails de son plan, Washington avait cru
tout d'abord qu'il en était le seul auteur; maintenant il craignait
qu'il ne fut inspiré par la cour de France, et il croyait lire « sur
« le visage de certaines personnes autre chose que le zele désin-
« téressé de simples alliés. » Par-dessus tout, il Tépugnait « a aug-
menter le nombre des obligation~ nationales '.» Ces derniers
mots peignent a merveille la politique de son pays : les États-
Unis n'aiment ni ne recherchent les oecasions de s'obliger. Ont-


I JIémo;ia 1 de G, ¡no ncur JIut'!'i,,') ¡ 1', fl'" J, leG.




TROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 321
ils done si grand tort, et les· nations sur qui pesent le moins
d' obligations extérieures ne restent-elles pas, en fin de eompte, les
plus libres de se conduire, quand elles le veulent, selon les lois
de l'honneteté et de la justice?
~a Fayette n'en passa pas moins, en Eurbpe, sans mission


officielle, mais non tout a fait et uniquement, eomme 00 l'adit,
« pour jouir de la popularité dont son nom eommell{;ait a etre
« couvert 1. » n avait consulté Washington, et compris que des
troupes fran~aises ne seraient pas les malvenues en Amérique.
Les préjugés que le général avait longtemps nourris a l'égard de
]a France avaient peu a peu cédé dans le commerce de La Fayette
et devant Jes nécessités de la luUe. Le sentiment pénible que
Washington éprouva en se séparant de son jeune ami fut tempéré
par l'espoir du succes de ses démarches} car La Fayette s'était
promis d'éclairer complétement l'opinion de ses eompatriotes et
d'obtenir de Louis XVI de nouveaux secours et une action plus
énergique.


L'hiver avait entierement suspendu les opérations militaires,
et quand la saison devint plus favorable, Washington se vit dans
l'impossibilité,de les reprendre. Le trésor public était vide d' especes
et lepapier-monnaie, auquel le eongres avait de bonne heure
recouru, subissait une depréeiation telle que Washington lui-
meme se refusait a le recevoir a son taux normal. CeUe ame si
droite et si rebelle aux sophismes de la raison d'État aurait craint,
en aeceptant ce papier, de donner un mauvais exemple et de fa-
voriser le su cee s de l'improblté, puisqu'en'fin un honnete homme,
eomme iI le disait, « ne pouvait vouloir payer ce qui valait ,'ingt
sllillings avec un seul, et peut-etre la moitié d'un seul.» L'armée,
sur qui pesait particulierement ce discrédit des valeurs publiques,
murmurait et mena<;ai,t de se débander. Wa$hington prit le parti
de la réduire avec la pensée, qui lui rendit eette mesure moins
pénible, de donner aux effectifs restants plus de eohésion et phYs
de force. Seulement, eette résolution lui imposait des allures
prudentes et une sorte d'immobilité meme dont iI avait perdu
l'habitude. Mais avee les sacrifiees néeessaires, Washington ne


, C. de WiU.1iist. de Wash., 150.
21






!, \


322 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
~avait pas composer. n cantonna donc ses troupes dans les dis-
tricts montagneux qui entourent au nord New-York, et quoi que
fit son adversaire pour l'attirer en plaine, il ne bougea point de
ses quartiers, assistant impassible aux ravages des Anglais dans
le Connecticut et les provinces septentrionales. Peut-etre un dé-
couragement trop naturel aida-t-il Washington a mieux suppor-
ter cette nouvelle attitude. En ce moment meme, la passion du
lucre, la spéeulation, l'entrainement des plaisirs faeiles avaient
envahI la République, et des seandales éelataient parmi les fone-
tionnflires. Washington se sentait humilié, eontristé, inquiet; de
noirs pressentiments se faisaient jour sous sa plume et des appré-
hensions sinistres troublaient son esprit. Toutefois, lorsque les
Indiens de l'Ouest devinrent trop ineommodes, il envoya Sullivan
les chatier, et dirigea une expédition eontre les ouvrages de
Stony-Point et de Verplank-Neek, a cinquante milles en amont
de I'Hlldson, dont Clinton et sir George ColIier s'étaient emparés.
Le major général Wayne, qui la dirigeait, réussit a reprendre ces
ouvrages, et s'il ne put s'y maintenir, ii eut du moins la satis-
faetion de les détruire avant de les laisser aux Anglais.


Le vrai théatre de la guerre, pendant les six premiers mois de
l'apnée 1779, fut les Carolines. Vers la fin de déeembre de l'an-
née préeédente, la ville de Savannah avait ouvert ses portes aux
Anglais, et eeux-ci avaier .• t lancé des proelamations qui appelaient
les loyalistes du pays aux armes et reeruté parmi eux un régi-
ment de cavalerie et des milices. Le général Prévost, qui com-
mandait dans les Florides, vint alors se mettre a la tete de toutes
les troupes royales stationnées dans les provinces du Sud, et le
congrés, a la demande des Caroliniens, lui opposa le général Lin-
coln dont les services avaient été fort appréciés dan s la campagne
du Nord. Lincoln occupait avec seize cents réguliers et quelques
milliers de miliciens une assez bonne position a Blaek Swamp,
sur les bords de la Savannah; mais ces miliciens, mal équipés et
mal disciplinés, se débanderent pour la plupart, et ne tinrent
pas une meilleure conduite a Briar-Creek ou, sans attendre le
premier choc, ils prirent la fuite avec une telle hate et dans un
tel désordre qu'H s' en noya . un grand nombre dans la riviere.
Le général Prévost entra dans la Carolinc méridionale, et




THOISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 323
vint camper sous les murs de Charleston. Le gouverneur
Rutledge s'y trouvait ayec le comte Pulawski, et les habi-
tants s'étaient préparés de leur míeux a la défense. Prévost
comprit que san s artillerie et ayant Lincoln sur ses derrieres, il
s' était trop aventuré: il fit. retraite sur Savannah, non par la voie
de terre, selon lui trop dangereuse; mais par celle des Hes qui se
succedent sans interruption le long de la cote, depuis Charleston
jusqu'a Sayannah. .


« Cette incursion et la retraite dont elle fut suivie avancerent
({ fort peu la cause royale, mais eontribuerent bcaucoup a enri-
({ chir les officiers, les soldats et ceux qui suivaient l'armée bri-
« tanique, et encore plus a accroitre les calamités des habitants
« du pays 1. ») Les troupes royales s'en allaient chargées, en effet,


. de dépouilles de toute sorteo Elles trainaient derriere elles des
barils a ríz qu'on avait remplis de riche vaisselle, des troupeaux
de bétail et un butin sí considérable qu'il fallut en abandonner
une bonne partie. On a raít décousu et yidé les matelas , fouillé
jusque dans l'asile des morts; ce qu'il n'était pas possible d'e~por­
ter, olÍ l'avait détruit; on aya¡t brisé les glaces, les porcelaines,
les cristaux , fusillé par plaisir des bceufs et des chevaux; incen-
dié les maisons et les.champs de cannes a sucre. Les negres, allé-
ehés par l'espoir de la liberté, s'étaient rendus par' troupes au
camp royaliste ; ils. aidaient les Anglais dan s leurs fouilles et leur
faísaient découvrir l'argent et les bijoux que les planteurs avaient
pu cacher. Ce gen re de services n'empecha point trois mille de
ces malheureux d' Ctre dépaysés et vendus aux Antilles. Le reste,
iI est vrai, re<;utsa liberté; mais quand l'armée se retira, elle dut
en laisier un grand nombre en arriere. Comme on leur avalt ins-
pi~é a dessein un~ grande crainte des traitements quí les atten-
daient chez ]eurs anciens maitres, beaucoup d'entre eux suivirent
a la nage les bateaux qui transportaient les troupes, suppliant
qu'on les y re<;ut et se cramponnant aux bordages. On leur coupa
les mains a coups de sabre; on les assomma a coups d'avirons et
de gaffes. Quant a ceux qui échapperent a ce massacre, ils furent
réunis et parqués dans rile Oter, OU ils périrentpresque tous de
maladie ou do faim 2.


1 Ralllsay. llist. de la nr. amér., off, 38.
:! llisl. de la re'!:. all/á., 11, :JD-41.




324 L~S ÉTATS-UNIS DE L'Al\lÉBIQUE SJWfENTHlONALE.
Au mois de septembre, d'Estaing, qui avait quitté Boston pour


.a11er guerroyer aux Antilles, reparut dans les parages de la Géor-
gie. Il avait re~u l'ordre de laisser a la Martinique ses bfltiments
inférieurs et de rentrer en France avec ses gros vaisseaux. Mai::; il
lui était revenu des rumeurs défavoral;>les a l'alliance franliaise
qui, disait-on sur le continent, n'avait encore rien amené d'utile,
et a la loyauté du gouvernement franliais qu'on accusait de laisser
la Géol'gie en péril, tandi~ qu'il s'appropriait les riches posses-
síons anglaises du golfe du Mexique. Voila pourquoi d'Estaing
était revenu malgré ses instructions sur les cótes d' Amérique,
désireux a la foís de faire taire ces clameurs et de prendre part a
quelque action d'éclat qui relevat la cause de nos aUiés. Il débar-
qua donc les trois mille hommes environ qu'il avait de troupes, et
opérant sa jonction avec le général Lincoln qui en avait autant
sons ses ordres, ii vint mettre le siége d~vant Savannah. Le géné-
ral Provost qui s'y étalt renfermé était un brave militaire: il
l'efusa de rendre sa place et se mit meme en mesure d'y faire u,ne
vigol1reuse résistance. Le 4 octobre, ses travaux d'approche étant
terminés, l'assiégeant ouvrit son fen et le continua pendant cinq
jours, sans autre résl1ltat que quelques degats an corps de place
et la destruction d'une bonñB partie de la ville. Le temps s'é-
coulait et la saison devenait de plus en plus orageuse; une tIotte
anglaise pouvait apparaitl'e d'un moment a l'antre, et d'Estaing
déclara que, dominé par ces considérations et lié par des ordres
dont il s'était écarté déja, il ne pouvai(demeurer plus d'une dizaine
de jours encore. On résolut donc de donner l'assaut, et l'on fixa
la date de l'opéraiion au 9 octobre. Elle ne réussit pas et fut pour
l'assiégeant des plus meurtrieres: les Américains y pe\'dirent
Cjuatre cents des leurs, tués ou blessés, et les Francais environ
sept cents. Le 18, d'Estaing appareilla, tandis que Lincoln, aban~
donné de ses mili ces, fl'anchit la Savannah el se réfugia dan s la
Caroline du Sud, OU les Anglais ne le laisserent pas longtemps en
paix l.


Le départ des vaisseaux fran~ais laissait cette pl'ovince sans
défense. Aussi Clinton s'embal'qua-t-il ayec 7,000 a 8,000 110m mes


f JIercurc de France, féniel' 1780 J l'lippul'L de d'Estaing, - Ga;, de Franee,
7 janvicr 1780.




-,


TROIStEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 325
pour les CaroliIie~, le 20 novembre 1779. Dispersée par la
tempete, l'expédition n'arriva sur leu1's cótesque le 2 fév1'ier 1780,
et Clinton établit sestroupes a trente milles de Charleston. La
place en ce moment ne possédait que 1 ,500 hommes mal aguerris,
et un coup de main pouvait aisément réussir; mais Clinton' aima
miebx sattarde1' dans les opérations préliminaires d'un siége en
regle, et pendant le temps qu'il perdait ainsi, les assiégés ne res-
terent pas inactifs et, grace au concours de deux ingénieurs fran-
cais d'un vrai mérite, M. de Cambray et M. de Laumoy, organi-
serent leur défense súr un pied assez respectable, malgré l'exi-
guHé de leurs ressources. Le 12 avril, l'assiég~ant ouvrit son feu,
el le 11 mai, de larges breches étant ouvertes a ses murailles et
les vivres tirant a leur fin, la place ouvrit ses portes. La garnison
en sortit avec les honneurs de laguerre etdéposa sur les glacis ses
armes et ses drapeaux. Les troupes régulieres et les matelots de-
meurerent prisonníers de guerre, tandís que les milices purent
rentrer dans leurs foyers sous ]a cOI?dition de ne plus servir pen·
dant la du1'ée de la guerree Quatre cents bouches a feu, une grande
quantité de munitions, trois frégates américaínes et une frégate
t'ran<;aise, tels furent les trophées du siége. On a bltllué le
général Lincoln de s'etre renfermé dan s les murs de ChaI:'leston;
mais ce blame parait injuste sí l'on songe qu'en rase campagnc,
ilIle pouvaít ríen contre les Anglais, tandis que dans Charleston,
il retarda de trois mois leur marche envahissante i.


Le pillage cette fois fut méthodique, et l'on forma un dépot
général du butín faít, auquel on préposa des commissaires. Le
but principal des Anglais étant d'obtenir la soumission du pays,
Clinton promulgua une amnistíe, dont il n'excepta que les per-
sonnes qui, « sous la protection des formes judiciaires, avaient
trempé leurs mains dans le sang des loyalistes. » Des colonnes
mobiles parcourureut en meme temps la Caroline méridíonale et
détruisírent les partis américains qui s'y étaient aventurés dans
l'espoir de secourir Charleston. Puis, Clinton regagna New-York.
L'hiver avait été si rude que l'Hudson et les canaux voisins
s'étaient gelés au point de pouvoir snpportel' la plus grosse artil-




326 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTRlONALE.
lerie, et les généraux angIais, qui connaissaient bien la vigilance
et l'audace de Washington, avaient multiplié les défenses autour
de New-York. Il campait toujours sur les hauteurs de Morris-
town. Par malheur, ses troupes étaient réduites a un effectif si
faible qu'il n'osa rien entreprendre, et qu'avec la reprise de New-
York asa portée, iI se trouva réduit a souffrir les insultantes in-
cursions de l' ennemi 1. Les souffrances de son armée, que le
congres négIigeait ou dans l'administration de 13;quelle il s'ingé-
rait d'une fa~on malhabile, étaient devenues intolérables et com-
men~aient a en ébranler la constance et 'la discipline. Déja en
1779, les officiers d'un régiment du New-Jersey, qui ne recev.aient
depuis longtemps qu'une solde insuffisante et précaire, avaiellt
menacé de donner leur démission en masse 2 .Au mois d'avril
de l'année suivante, on vit deux régiments du Connect\cl\t, l'éunis
sous les armes, déclarer qu'ils allaient rentrer chez eux ou bien
s'assurer des moyens d'existence a la pointe de la baionnette, et
cette mutinerie ne céder qUf devant l' emploi de mesures tres-
énergiques. Mais l'ennemi avait eu déja des pratiques avec ces
tro,upes, et dans l' espoir d' attirer Washington dans un piége, un gros
détachement s'était porté du cOté de Springfield, petite ville si-
tuée sur les pentes des hauteurs qui bordent la riviere Morrison.
Washington se contenta d'envoyer a Springfield une faible co-
lonne; elle fit si bonne contenance qu'elle forca les Anglais a une
honteuse ret~aite, dont ils se vengerent en ravageant le riche ter-
ritoire de Springtield.


Ce fut dans ces circonstances que La Fayette reparut en Amé-
rique et y annon~a qu'il précédait seulement une division de


. .


l'armée frangaise et le comte de Rochambeau, l'un des rarestac-
ticiensque la guerre de Sept·ans eut"formés dans son sein 3. Dans
les premiers jours de juillet 1780, la nouvelle parvint, en effet,


f The life of Alexander Hamilton, 1,255.
2 l\'Iarshall. Vie de Washington, IV, 136.
3 Les Américains comprirent bien qu'i1s devaient en grande partie a La Fayelte


ce nouveau service. « Les Etats-Unis lui ont des obligations infinies, » a dit Hamil-
ton, « non-seulement a cause de sa bonne conduite et de son courage comme major
« général, mais encore de ses bons offices et de son inOuence" pres de la COllr de
« France. » (Life, 1,230.) Il est remarquablc qu'Hamilton, parfois injuste et soup-
gonneux a notre égard, se vante ici d'avoir sug{!éré a La Fayette J'irMe du projet.




TROIsrEME PARTIE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 327
au quartier général qu'on avait aper~u entre les cap s de la Dela-
ware et ceux de la Virginie une grande fiotte fran~aise. Washin-
\~n e.n lit part sur-le-champ au congres, en l'invitant 11 multiplier
ses efforts : « Apres tout ce qui a été concerté déja, » lui écrivit-
il, « si nos alliés nous trouvaient sans préparation et devaient eux'"
« memes rester plusieurs semaines dans l'inaction, on devine
« aisémentquelIes seraient leurs premieres impressions .... L'enjeu
« est si grand, nous avons tant a espérer; que nous serions inex-
ce cusables de ne pas mettre en am vre tout notre zele et tous nos
« efforts 1. » L' effort auquel Washington faisait ainsi allusion
n'était autre que la reprise de New-York, projet qu'il nourrissait
depuis longtemps et que l'arrivée des troupes fran~aises lui dou-
nait l'espoir d'accomplir. Les vaisseaux qui les portaient venaient
a peine de mouiller devant le cap Henry, qu'il envoyait des de-
peches a Rochambeau et au chevalierde Ternay, commandant de
l'escadre, pour les renseigner 6ur les forces navales de l'ennemi,
leur indiquer Sandy-Hook, comrp.e un point d'ou illeur serait
facile de couper la route aux troupes anglaises qui revenaient de
Charleston a New-York, enfin, leur proposer une attaque sur
la derniere de ces places. L'approche de l'amiral Graves, qui fut
signalée sur ces entrefaites, ne changea rien aux d_ispos'ltions GU
général américain et, dans une seconde missive, il pressait tou-
jours les généraux fran<;ais d'occuper Sandy~Hook, si leurs forces
-navales se trouvaient etre supérieures, « car le port de New-York
« était plus accessible qu' on ne le supposait, et la gloire n' en se-
« rait que plus grande d' avoir vaincu un surcrolt de difficultés.»
Mais Rochamheau quí ne connaissait pas les lieux et quí s' exa-
gérait peut-etre los difficultés de l'entreprise avec l'armée arné-
ricaine réduite a quelques milliers d'hornmes, Rochambeau ne
partagea point cette confianqe. Ses objections furent lJOmbreuses,
et Washington fini! par s'y reudre 2. «( ~otre position n' est pas
« aRsez brillante» écrivait-il a La Fayette « pour justifier les lu-
(e stimces que nous ferions pres -du comre de Rochambeau; je


I The lite of Hamilton, J, 160.
2 Rochambeau dit que Washington se rendit a ses seules raisons. « Pendant la


« longue correspondauce qui eut Iieu entre nous a ce sujet, je ne pus trop louer la
« solidité de sonjugement et I'aménité de son style. » (Mémoires, éd. 1809, 1,248.)




328 LE~, ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTRlONALE. .
« continuerai cependant mes dispos~tions dans l'espoir de circon-
( stances plus heureuses. »


Les troupes frall(;aises' allerent débarquer a Newport et occu-
perent, conjointement avec les milices américaines, les forts et
les batteries de rile. Le premier aspect de ces milices causa
quelque étonnement et quelque inquiétude parmi nos vieux sol-
dats. « Les Américains gagnent a etre connus,» écrivait le colo-
nel de Royal-Deux-Ponts a l'un de ses amis de Versailles. « J'ai
( trouvé chez eux de la droiture, de l'honnMeté, de l'hospitalité.
« Leurs milices nous ont joints. Elles ne sont pas habillées,
« manquent de souliers, meme des aisances ies plus eommunes
« qui, manquant dans une armée européenne, feraient déserter
« tout le m(;mde. Mais les troupes américaines out de bonnes
« armes, une patienee incroyable et beaucoup de sobriété 1. » On
s'attendait a Rhode-Island a une attaque prochaine des Anglais"
et on s'était préparé a la bien recevoir. Clinton, en effet, avait
quitté New-York a la tete de 6,000 hommes, que soutenait l'es-
cadre de l'amiral Graves. Déja, il avait atteint Huntingdon-Bay)
quand Washington, deseendant, a marches forcées, les rivés de
I'Hudson, vint se poster a Kingsbridge. Les habitants des cam-
pagnes s'étaient levés en masse et marchaient sur Providenee;
Clinton ne j1Jgea point a propos de poursuivre son dessein, et,
repassant I'Hudson, relltra dan s New-York, tandis que les Amé-
ricains, de leur coté, reprenaient leurs cantonnements.


Les hostilités avaient repris dans les Carolines, et bien qu'on
ne fUt pas tres-éloigné de la chute de Savannah. et moins encore
de celle de Charleston, qui avaient produit parmi les loyalistes
du pays un si grand enthousiasme, il ne restait plus guere, en
rase campagne, d'autre position aux Anglais que ceHe de Camb-
den, ou lord Rawdon s'était retranché. Les républicains en in-
festaient les approches et rien n'eut été plus faeile a Gates, que
l~ confiance du con gres venait d'investir du commandement en
chef dan s ees provinces, que de la tourner et de s'emparer de la
ville. Gates en laissa échapper l' oceasion, et Cornwalis vint lui-
meme oecuper Cambden, le jour meme et a la meme heure que,


f Mercure de ¡"rance, 21 octohre t 780.




TROISIEME PARTIE. - LA (mERRE DE L'INDÉPENDANCE. 329
par une étl'ange co'incidence, les Américains s'y portaient. Les
deux troupes marchaient dans le plus profond silenee; a deux
heures du matin, dans la nuit du 15 au 16 aotlt, leurs avant-
gardes SA heurterent, et il s'ensuivit une escarmouche tres-vive.
Mais ni Cornwalis, ni Gates n'étaient désireux de combattre dans
les ténebres, et ils rappelerent les combattants pour recommen-
eer au point du jour.Les milices virginiennes, qui formaient
l'aile gauche de Gates, jeterent leurs armes' sans attendre le
ehoc des Anglais, et s'enfuirent pl'écipitamment. Les Caroliniens
ne tinrent pas mieux au centre; il n'y eut que l'aile droite, com-
posé e de troupes continentales et commandée par le major gé-
néral de Kalb, a faire uné belle résistance. Elle ramena meme un
instant les Anglais: seulemfmt la bataille était déja perdue et
coútait aux Américains 2,000 hommes tués, blessés ou prison-
lliers, huit canons,- deux mille fusils, un grand nombre de muni-
tions el de bagages, enfin le brave de Kalq, mortellement
frappé 1.


Gates fit connaitre au congres sa déconfiture san s paraitre s'in-
quiéter le moins du monde de ce que son armée allait devenir .


. Il montra, comme dit Hamilton, « que ni l'age, ni les longs tra-
« vaux, ni les fatigues de la vie militaire n'avaient diminué son
« activité. Dans trois jours et demi, en effet~ il atteignit Hillsbo-
« rough, distant de cent quatre-vingts milles du champ de ba-
«( taille, laissant ses tl'oupes prendre soin d'elles-memes et se
u. tirer d' embarras comme elles le pourraient 2 •. ) Le colonel
Tarleton compléta le succes de son chef en surprenant le chef de
partisans républicains Sumpter a Fishing-Creek, en s'emparant
de son artillerie et en délivrant les prisonniers qu'iJ luí avait
précédemment faits. Toutefois Cornwalis ne put tirer de sa vic-
toire tout le fruit qu' elle comportait : la tem pérature était deve-
nue tres-malsaine; ses ambulances regorgeaient de blessés et de
malades; ses troupes manquaient d'effets de campement et de
vivres. Il reprit le chemin de Charleston, laissant quelques cava-


f Henry Lee. Campaign or 1779 in the Carolines, éd. 1824, 393 et sqq. -
Hist. rev. amer., H,.t81-183.


2 The lire of Hamilton, 1, 307. Hamilton ajoute que « Gates confirma dans ceUe
« circonstance l'opinion f¡u'il avait toujours eue de I~i. »




,


330 LES ~~TATS-nNIS DE L' AMÉIÚQUE SEPTENTRlONALE.
liers et un millier de volontaires sur les confins de la Caroline du
Nord. Avant de partir, il· ordonna la mise a mort des déserteurs
loyalistes qui avaient pris du service dans les rangs des Améri-
cains, et l' emprisonnement, avec confisc~tion de leurs biens: de
ceux qui, apres une premiere soumission a l'autorité royale,
étaient revenus a la République. Ces rigueurs, sur lesquelles ren-
chérirent encore les officiers subalternes et surtout Tarleton,
contribuerent bien plus que les futurs succes des armes républi-
caines a détacher de l' Angleterre les provinces méridionales 1.


Chateaubriand a supposé un voyageur visitant les États-Unis
apres l'insurrection des régiments de la Pennsylvanie apres la sou-
mission de la Caroline du Sud, apres l'atte du congres qui donna
cours forcé a ses billets, suivant leur valcur nominale et non leur
valeur réelle, et s'est demandéquelle impression il aurait rec;ue;
quel récit, une fois rentré chez lui, il eftt pu faire de la situatíon
des choses et dU,caractere des chefs dan s les États-Unis. « N'au-
({ rait-il pas représenté l'insurrection d' outre-m~r comme une
( honteuse anarehie, comme un mouvement prét a finir'l N'au-
« rait-il pas peint les Américains comme une race d'hommes
( divisés entre eux, incapables de la liberté a laquelle ils préten-'
« daient? D'hommes avides, sans foi, sans loi, et au moment de
( succomber sons les armes vietorieuses de la Grande-Bretagne2 ? »)
Ce voyageur, néanmoins, aurait commis une grande erreur. C'est
que le dernier mot des événements reste toujours a la liberté et a
la justice ; c'est que les peuples, pas plus que les individus, n'é-
chappent a cette loi de l'humanité qui rend le succes d'autant
plus difficile qu'il doit étre plus fécond et plus durable. L'histoire
de cette guerre n'a été, suivant un mot de Washington lui-rnéme,
qu'une histoire d' espéranc~s déc;ues, et a l' époque ou elle est par-
venue, les épreuves de la liberté américaine ne touchaient pas
encore a leur terme. Qn peut méme dire que la fin de l'année
1780 et les premiers mois de J'année suivante lui réseI'vaient les
plus cruelles et les plus menac;antes: une trahison, une crise


f Les écrivains anglais en ont fait l'aven. Lord Mahon blame d'une raeon spéciale
lord Rawdon « qui promit dix puinées par tete de désertellr amené mort et eillq
« guinées par tete de déserteur vivart. » CHist. o[ Engl., VIr, 53.)


2 Itinéraire de Paris a Jérusalem, éd. Didot, 1, '27.




TROlí;lEME rARTlE. - LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE. 331
monétaire, [une insurrection militaire. Mais cette meme année
1781 n'était pas entierement achevée qu'il n'y avait plus de doute
possible sur le triomphe des colonies révoltées.


, Une des positions fédérales les plus importantes était la forte-
resse de West-Point : elle commandait le cours supérieur de
l'Hudson, et de récents tra vaux aV!lient tellement augmenté ses
défenses qu'on la surnommalt le Gibraltar américain. ArnoId en
était le commandant supérieur. Gouverneur de Philadelphie apres
l'évacuation de cette ville, il s'y était livré a des désordres et a des
malversations qui l'avaient conduít devant une cour martiale sous
I'accusation de péculat. Les juges, se souvenant de ses services
plutót que de ses vices,ne le condamnerentqu'a une simple répri-
mande du général en chef. La peine était tres-indulgente; mais,
jointe au rejet partiel des créances qu'H prétendait sur le trésor
public a raison de son commandement au Canada, elle exaspéra
ArnoId et lui suggéra le dessein de trahir. Repoussé par M. de
La Luzerne, notre mínistre en Amérique, auquel il s'adressa d'a-
bord, il se tourna vers les Anglais et entra en correspondan ce
secrete avec Clinton, par l'intermédiaire d'un de ses aides de
camp, l'adjudant général, depuis major André. Arnold déguisait
son éeriture et signait du pseudonyme de Gustavus, tandis qu' An-
dré lui répondait également sous un pseudonyme, celui de major
Anderson; mais ]e général anglais, . en pesant el en combinant
diverses circonstances, s'était vite aper.;m de la qualité réelle d,e
son correspondant caché. Vers le mois de juin 1780, Arnold fit
un voyage dans le Connectitut et, a son retour, passant par Phila-
delphie, sollicita le commandement de West-Point, sous le pré-
texte que ses blessures ne lui permettaient plus de service actif.
Au ruoís d'aout, il vint a l'armée; Washington lui offrit le com-
mandement de son aile gauche" et comme l'armée s'appretait a
l'attaque de New-York, personne ne doutait qu'il n'accueillit
avec bonheur une offre aussi conforme a son naturel entrepre-
nant. Mais Arnold réitéra sa demande du poste de West-Point,
craignant de perdre une occasion aussi favorable, et ayant re<,;u de
Clinton l'assurance qu'en livrant cette fOFteresse, il,obtiendrait
une indemnité de 125,000 franes, avec le grade de colonel dans




:332 LE~ ÉTATS-UNIS DE J:AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
les troupes royales et de major général dans le service local t.
~es qu' Arnold se fut installé a West-Point, sa correspondan ce


avec Clinton devint plus réguliere et plus précise; elle continuait
d'ailleurs d'affecter les memes formes et ne traitait, en apparence,
que d'objets commerciaux. Dans une de ses lettres que le hasard
fit tomber plus tard en des maios américaines, on le yoit proposer
une entrevue pour régler « les risq:ues et profits de l'association »
et signaler, dans le meme style, une a~gmentation de la garnison
« susceptible de leur fournir des moyens d' étendre lenr trafic 2. »
Retardée par di verses circonstances, eette entrevue fut tentée
pour le 20 aout; ce 'jour-la, le colonel Robinson et le major
André prirent place sur le sloop Vulture et dépecherent a ArnoId
un parlementaire porteur de.deux lettres renfermées sous la meme
enveloppe et dout l'une, destinée au général Putnam, était faite
uniquement póur servir, au besoin, de passe-port a la seconde,
dont le commandant de West-Point était le destinataire directo On
sollicitait dan s celle-ci une entrevue avec Putnam, ou, a son
défaut, avec Arnold, afin d'arranger quelques affaires illtéressant
Putnam et Robinson. Mais iI advint que le jour meme ou ces
lettres furent remises a V\T est-Point, Washington traversait l'Hud-
son en compagnie d'Hamilton et de La Fayette, se rendant a
Hartford pour y conférer avec Rochambeau. Arnold craignit
qu'il n'eut entendu parler d~ parlementaire et crut prudent, pour
sauver les apparences, de lui montrer les leltres et de lui deman-
del' son opinion sur la convenance qu'il y aurait a accueillir la
requete qui en faisait l'objet. Washington, bien éloigné de rien
soup<;onner de ce qui se tramait, mai::; fidele a sa prudence ordi-
;naire, dissuada Arnold de consentir a l'entrevue prójetée, et lui


i Hamilton, dans la lettre au colonel Laurens, ou i\ raconte l'événement (Papers,
J, 458 et sqq.), semble croire que les premiers rapports entre Arnold et Clinton ne
remontaient qu'au mois de juin 1780. Mais i1 ressort d'un extrait des Mémoires ma-
nuscrits de sir Henry Clinton qll'au mois de septembre 1780, ces rapports da taient
de dix-huit mois déja. Dans sa premie re communication a Clinton, Arnold parlait
« des récents actes du congres et surtout de son alliance at'ec la France, )) qui
)'avaient mécontenté, et d'une indemnité pécuniaire a lui allouer s'il désertait la cause
américaine (Hist. of Engl., VII, 369-373).


2 The papers o{Hamilton, J, 460.




. . . 333 THOISlEME PAllTIE. - LA GUERHE DE L INDEPENDANCE.
donna le conseil de répondre a Robinson que tout ce q ui concer-
nait les affaires privées ne pouvait étre que d'une nature civile et
relevait conséquemment de la seule autorité civile. Ce contre-
temps ne changea point les intentions <1' Arnold; mais il le forva
de prendre des voies plus secretes pour s'entendre avec les émis~
saires de Clinton, et ce fut lui qui amena, en définitive, la décou-
verte du complot:


Dans la nuit du 21 au 22, le Vulture reparut dans les eaux du
fort. Cette fois le major André était seul et se fit conduire aux


-postes avancés. Arnold vint I'y rejoindre, et tous deux passerent
la nuit ensemble, enfermés dans la maison d'un nommé Smyth,


. .


le meme qui avait conduít André aterre. Au point du jour, le
major voulut regagner le Vulture; mais l'officier qui comman-
dait a King's-Ferry ayait tiré sur le sloop qui avait pris un mouil-
lage plus éloigné. eette circonstance, ou peut-etre quelque chose
de suspect dans les mouvements d' André, excita la défiance des
bateliers américains, et ils refuserent de le reconduire a bordo
Arnold insista pour qu'il quitUtL son uniforme et revetit un vete-
ment civil. André, en pénétrant dans les lignes américaines, avait
déja désobéi a des ordres formels et réitérés de Clinton; mainte-
nant, il sentait tout le danger de l'expédient que lui suggérait son
complice et se débattit longtemps. Il céda enfin et, revetant les
habits que Smyth lui fournit, prit ave e lui le chemin ~de New·York.
Il était déja tard quand ils arriverent a Crompond ou, sur les ins·
tances d'un omcier de milices ,dont ils craignirent d' éveiller les
soup<;ons. ils passerent la nuit. Le lendemain, ils se remirent en
1'oute, pour se quitter au dela de Pine's-Bridge, et André avait
atteint le territoire de Tarrytown, voisin des avant-postes anglais,
lorsque trois miliciens, qui se trouvaient la par hasard, lui récla ..
merent son sauf·conduit. André eut pu présenter celui qu'il tenait
d' Arnold; il préféra parlementer avec les miliciens, eC, tout en
cachant son vrai. Dom, leur avouer qu'il appartenait a l'armée
anglaise~ Deux de ces bommes inclinaient a le laisser partir; l~
troisierne, au contraire, insista pOllr le retenir et fit prévaloir son
avís. On le· fouilla, et qn décollvrit dans ses bottes des notes
écrites de la main d'Arnold et contenantde copieux détails surla
positioll des lieux, les munitions, les moyens d'attaque et de


I




334 'LES ÉTATS-UNIS DE L'MIÉRIQUE SEPTENTlUONALE.
défense de la forteresse. En vain alors André exhiba-t-il son sauf-
conduit; en vain offrit-il aux miliciens sa montre, de l'or, un
grade dans l'armée anglais~: ils le conduisirent devant le colonel
Jameson, chef du poste américain le plus proche. La, le major
continua de taire son nom véritable:et joua le róle du prétendu
Andersoll; il Y réussit assez bien pour jeter J ameson dans Ull€
grande perplexité, ou plutOt pour lui faire perdre entÍerement la
tete, selon le motde Washington. Il lut les papiers trouvés
sur André et connaissait, dit-on, l'écriture d' ArnoId. Il s'arreta
néanmoins au triple partí de retenir André, de transmettre
les pieces a Washington et de rendre' compte de tout l'incident
au commandant de West-Point lui-meme. . •


Arnold n'habitait pas la 1'orteresse, mais une maison située ü
deux ou trois miHes en aval, sur-la rive orientale du fleuve. Il
attendait ce jour-la Washington a son retour d'Hartford; mais
celui-ci ayant été arre té en route par l'examen de quelques ou-
vrages, s'était fait précéder chez lui par ses aides de campo Gn se
mit atable, et le déjeuner durait encorc, lorsqu'un expres entra,
et remit a Arnold la missive de Jameson. Ill'ouvrit et, san s trahir
la moindre émotion, informa ses convives qu'une affaire d'un€
extreme urgence l'appelait a West-Point, en priant Hamilton d'a-
viser Washington de son départ ; puis il ordonna de lui seller
un cheval et quitta précipitammenf la salle a manger, pour entrer
dans la chambre de sa femme. Arnold l'avait épousée a Philadel-
phie; elle ~tait jeune, riche, belle et il l'aimait tendl'ement. En
quelques paroles breves, il lui fit part de sa situatión, du péril
imminent qu'elle lui faisait courir, de la nécessité ou iI se trou-
vait de la quitter a l'instant. Mistress Arnold s' évanouit et n' avaif
pas encoré repris ses sens que lui-meme sautait a cheval et ga-
nait a toutes brides les rives de l'Hudson. La, ii entra dans sa
barge, et déployant un mouchoir blanc, en guise de drapeau
parlementaire,se fit conduire a bord du Vulture, ou son nom el
ses explications lui assuraient un bon accueil 1 •


, Le eolonel Livingstone vit Arnold entrer précipitamment dans sa barge eomme
elle descendait le fleuve; il en con cut un tel soup~~on que, s'il avait ,en des emharca-
tions sous la main, il l'eút rejoint et lui eut demandé ou il allait (Chatellux.
royages, etc., 1, 86·87).




TROISIEME PARTIE. - LA GUEHHE DE L'INDÉPENDANCE. 335
Arnold n'avait euqu~ le temps de fuir quand Washington entra


chez \\1\, on annon',{a au général qu'i! venaít de se rendre a vVest-
Point, et i1 aima mieux le rejoíndre que l'attendre. Accompagné
de ~a Fayette et de toute sa suite, a part Hamilton, qui resta dans
l~ maison~ il prit le chemin du fort. eomme iI en approchait, il se
montra surpris de ce que son canon ne lui rendait pas les hon-
neurs militaires, et cette surprise s'accrut en apprenant que non-
seulement Arnold n' était pas a West-Point, mais qu' encore on ne
l'y avait pas vu de deux jours. « e'est fort extraordinaire,» dit-il,
et apres un coup d'miI donné aux fortifications, il revint sur ses
paso Washington aper.;ut tout a coup Hamilton qui accourait a sa
rencontre en toute hate, et lui tendait de loin une liasse de pa-
piers: c'étaient les pieces saisies sur André et qui étaient arrivées
chez Arnold, pendant la visite du général en chef a West-Point.
Washington les lut, et son visage resta impassible : « A qui donc
« peut-on se fiel' maintenant ?» ce fut tout ce qu'll dit a La Fayette,
la seule personne de sa suite, avec le général Knox, a laquelle iI
confia ce meme jour l'effrayante révélation. Ajoutons qu'ü mon-
tra les plus grands égards a mistress Arnold, qu'il voulut voir le
lendemain meme et qu'il trouva dans un état impossible a décrire.
Tantót elle fondait en Iarmes; tantót elle accusait Washington
de comploter la mort de son jeune enfant; tantót encore elle
pressait ce petit etre sur son sein et déplorait, dan s les termes les
plus touchants, le sor~ que lui avait'fait le crime de son pere.« La
<dendresse de la mere et de l'épouse, le charme de la beauté, la
« force del'ihnocence respiraient dans toute sa personne,) a dit plus
tard Hamilton qui assistait a cette scelle extraordinaire. Ell~ dé-


. termina sans doute, dan s l' esprit de vVashington, une conviction
que les assurances d' Arnold lui-meme auraient été peut-etre im-
puissantes a produire, et l'année n'était pas achevée que MmeAr_
nold put rejoindre son mari a New-York, OU le Vultt¿re l'avait
transporté. Ce fut dans ce quartier général de l'armée anglaise
qu'il toucha le prix auquel il avait estimé son honneur; ce fut de '
la encore qu;illan.;a un adresse a ses anciens freres d'armes, dans
laquelle il essayaÍt de justífier sa conduite et les invihút ~ {'imiter l.


1 Pour la trahison d'Arnold, on a consulté Hamilton, dont le récit a le grand mé-
rite d'avoir été écrit par un homme que ses fonctions meUaiellt ~ meme d'étre bien







336 LES ÉTATS-Ul.\"lS DE L'AMÉlU\JUE SEl'TENTUlUNALE.
André fut traduit devant un conseil de . guerre composé d' offi-


ciers généraux, parmi lesquels La Fayette et le baron de Stenben.
Il parut devant eux san s forfanterie et sans faiblesse, résigné au
sacl'ificc de sa vie, mais non moins décidé a défendre son .hon-
neul'. Chacun, et surt.out Hamilto~, s'intéressait a cet officier si
jeune et dont \'~~~l\\'l "}la'l'a\'b'b'a).\ ~~ \~iÚ.\\Ctil~,; 'Ses juges 1ui \témoi-
gnerent de grands égards, et ce ne fut pas sans émotion qu'ils ren-
dirent la fataIe sentence. Elle condamnait André a la 'peine des
espions, c'est-a-dire au gibet. Il avait espéré que du moins on
voudrait bien le fusiller et, la veille meme de son exécution, il
exprima directement a Washington le vreu d'un changement dans
son genre de mort. « Si quelque chose dans mon--caractere, »
écrivait-il, « vous a inspiré de l'estime, si quelque chose dans
« mon malheur indique en moi une victime de la politique et non
« de la haine,j'éprouverai l'effet de ces sentiments chez vous, en
({ apprenant que je ne dois point mourir sur un gibet. » Tout fut
inutile et, le 2 octobre, André fut conduít au supplice. Il y mar-
cha d'un pas ferme et avec un visage qui indiquait la sérénité de
son ame. A la vue du gibet, il ne fut pas maUre d'un frissonne ..


I


ment; mais, reprenant tout son calme: « Ce n'est ríen qu'une
angoisse passagere,») dit-il. Puis il sauta sur la plate-forme et
fit lui-meme les apprets de la derniere toilette, avec un sang-
froid qui arracha des larmes aux assistants. Ils étaient rares, et il
n'y avait guere autour du gibet, a part le peIoton de service, que
quelques officiers désireux d'adoucir les derniers moments du
major. Ils lui demanderent s'iI n'avait pas quelque rlerníere


. recommandation a leur faire: «. Non, » répondit-il, « seulement
je ,vous prends a. témoin que je meurs en braveo »)


Clinton n'avait rien négligé pour soustraire a la mort un offi ...
cier qu'iI traitait en ami et qu'il aimait plus poul' lui-meme que
poul' ses services. Il commen<)a par réclamer instamment sa mise
l'enseigné et qui a joué un róle dans l'événement. On a mis également a profit The
1i{e and treason o{ Arnold (192-242) de M. Jared Sparks, qui a pu lire en Angle-'
lerre les dépeches officielles de Clinton et sa Vie de Washington (H, 213 et suiv,).
011 a encore puisé des détails dans la Vie de Washington, de Mar\hall (IV, 290~
298), enfin dans un ouvrage publié en Amérique el traduit en francais par Barbé-
Marbois (Didot, 1816), sous le titre de Complot d'Arnold et de sir llenry Clinton
contre les Etats-Unis d'Amériqne





TROISIEME PAHTm. - LA GUElUtE DE L'INDÉPENDANCE. 337
en liberté de Washington lui meme, en alléguant qu'André avait
quit!é le Vttlture sous l'abri du pavillon parlementaire et qu'au
moment de son arrestation, il était encore pourvu d'un sauf-
conduit en bonne forme. Quand le conseil de guerre eut pr~oncé,
Clinton tenta un Ilouvel effort; le général Robertson eut Une en-
trevue avec le général Greene, et lui fit remarquer que souvent son
général en chef avait obtenu du sien la grtlCe d'espions avérés.
JI n'y a point en Europe, ajouta Robertson, de tribunal militaire
,capable de déclarer qu' André est lui-meme un espion; son cas
est spécial, et il faudrait le déférer au jugement du général alle-
mand Knyphausen et du général fran<;ais Rochambeau. Washing·
ton ne voulut entendre a rien : une seuIe offre, parait-il, aurait eu
ht puissance de l'émouvoir, ceBe de lui remettre Arnold en
échange d' André. Le capitaine Aaron Ogrlen, qui transmettait
aux avant-postes angIais les lettres d' André et celles de Washing-
ton, répandit l'idée de cet échange parmi les officiers de Paulus-
Hook, et c'est de Hl qu'elle parvint aux oreilles de. Clinton. n
rcpoussa naturellement cette suggestión, de meme que Robertson


,


rejeta plus tard, non sans s' en indigner, une proposition formelle
dp; Greene 1. Lord Mahon, qui fournit ces détails,s'étonne qu'une
pensée pareill~ ait pu traverser l' esprit d'un pareil homme: « mais
toute la eonduite de Washington ,») ajoute-t-il, « ne fut-elle pas sur":
prenan te dans eeHe affaire?») L' éminent historien ne pense pas non
plus que.La Fayette, qui était fort jeune el dont l'éducation pre-
miere, de son aveu meme, avait été peu soignée ; que Greene,
qui avait été forgeron, eussent bien eompétence pour décider ,
d.'un ~oint de droit international des plus délicats. Il y avait ~ien .
le baron' de Steuben, et eeluí-cí joigllait a des eonnaissances éten- '
dues une grande expérieneé', des choses militaires; mais il··
ignorait, ou a peu pres, la langue del'.aecusé et de ses j uges 2. Ces'
considérations ne manquent p~s de force et, sans entrer icí dans


, ~ . ,..
, ~. '


f « On m'a propÓsé de lui,~1:lgg~J'efc -(aAÍldré) ridée d'un éehanlZe avee Arnold;
(e mais je sávais que j'.¡mrais·pé"¡·du s'Ón 'estime en agissant ainsi, et je déclinai ~.!l4é:"
« marele: .. \e vous avou&.que j'ai ~u la faiblesse d,'appréeier I'estime d'un moribori<t~" '
« paree qu.e j e respectais ses mérites» (Hamilt0!l a ,~iss Sehuyler, 2 oetobre 1780;
l'aper$, 1), 484'; Ce quelqu'un qu'H amilton lIe nomtne pas De g'erait-ce pas WalilJin g;¡
ton lui~méme ? . ' ,


:l llist. o{ Enyl., VJJ, 70-74.




338 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
une discussion juridique qui ne serait point a sa vraie place, on
regrettera que \Vashington, dans cette triste occurrenee, ait eédé
aux suggestions de la raison d'État, au líeu d'éeouter les inspira-
t¡ons di son ereur.


L'année 1781 s'ouvrit par une révolte militaire. Les troupes de
la Peut1sylvanie, qui campaient a Morristown, n'avaient pas re~u
leur solde depuis quelques mois ; elles décalllperent dan s la nuit
du 1 er janvier, emmenant leur artillerie et leurs bagages, e,l
aHerent passer la nuit a Middlebrook, OU elles se retranehaient
eornme en pays ennemi. De la, elles gagnaient Princetown, dont
elles ehassaient La Fayette, le général' Saint-Clair et le eolonel
Laurens, qui étaient aecourus pour leur faire ellfendre la voix de
l'honnenr et du devoir méconnus, et continuaient leur route sdr
Philadelphie afin d'obtenir, disaient-elles, justice par eUes-
memes. Les révoltés re~urent en route la visite de deux émissaires
de sir Henry Clinton, qui leur offrirent une amnistie pleille et en-
tiere, avec le payement intégral de leurs arriérés de solde, sous
la seule eondition de dé po ser leurs armes et de se débander, Mais
ces Amérieains égarés n'étaient pas pour cela des traltres; ils
n'avaient aueune envie, cornrne ils le disent, « d'étre des Al'-
« nolds.» Des cornmissaires du congres, qui les attendaient a
Trenton, les firent rel1trer dans le devoir, et i]s leur livrerent les
érnissaires anglais, qui furent' pendus. Washington ne pouvait
quitter son quartier général, qui était alors a New -\Vinosor, sans
dégarnir les ri ves de l'Hudson et offrir a Clinton une occasion
qu'il guettait; iI craignait meme de yoir la contagion s'étendre a
ses propres troupes, et force luí fut d'assister irnpassible a cette
'réb~llion, Mais, quand, les troupes du New-Jersey voulurent se


" ~utiner.a leur tour,Washingtontfit ~areher contre elles un
fuillier de ses so]dats l6s"nhfs su.r$:qui les eernerent, et les fau-
teurs d~, .. la telltati~e la paYflrenl ~~Jeurs '.iftés 1, _
Re~tart, toujours la détr.esse finllri'cier~, Dans une leHre au pré-


sid.ent du congres et qui devait étf~niise sous les yeux de
t6q.is"XVI, Wa8hington trace de sa situation une peinture la~
rhehtablé : les forees du pays sont. épuisées ; la patience- de l'ar-


/ .


i The lir! of llamiZtnn. L :3~:1, - The "/i: nI' lil'l'd. JI. 31'2-:3:\'2.




. 'J'ltOISIEME PARTlE. - LA GUEltRE DE L' INDÉPENDANCE. 33U
mée est a bout; le peuple est mécontent ; l'argent manque, et il
n'y a plus lieu ct'.attendre de l'Union qu'un faíble effort, proba-
blement le deruier. Jamais le pays n'avait eu autant besoin d'une
main secourable: et aquí s'adresser? A l'Espagne? Mais, en
échange des subsides nécessaires, elle exigeait que l'Union re-
nom;at sur-le-champ a la navigation du Mississipi. A la Hol-.
lande ? Mais c~ peuple, marchand et calculateur, ríe croyait pas
assez a l'avenir des États-Unis pour y aventurer ses finances. Ce
fut de la France, et de la France seule, qu'ils rec;urent cette fo~s
encore une aide bien urgente. Elle leur fit don de sept miUions .
de livres tournois et servit d'intermédíaire, comme de caution, a
un pret de dix autres millions que la Hollande consentit a raire.
Ce n' est point la le moindre des sen'ices que Washington a ren-
dus a sa patrie, car c'était a luí.surtout que s'adressait la bien-
veillance de Louis XVI, et la seule condition imposée audon des
sept millions, comme au pret des di1\, fut que ces sommes reste-
raient a la disposition exclusive du général. AjoutoI1S, en passant,
que le con gres sut tres-bien l'éluder 1.


Ces subsides et cet emprunt, aillsi que d'utiles réformes intro-
duites dans la perception etle maniement des recettes publiques,
pcrmirent d'imprimer a la guerre plus de suite et de vigueur 2.
Elle avait recommencé dans les provinces méridionales et
pris urie tournure moins défavorable aux troupes fédérales,
grace a leur nouveau commandant en chef, le général Greeue,
dont les talents, non moins que le patriotisme, inspiraient a
Washington beaucoup de conflance. Greene commenc;a par
rétablir la discipline, par vetil'· les soldats et les installer dans
des cantonnements moins arides et moins ruillés par la guerre
que ceux OU il les avait trouvés. Ces préliminaires accomplís,
il entra en campagne, et ses débuts furent tres-heureux. Morgan


1 nolta. Storia aeUa guerra deU' independan",a, IV, U5.
2 Humillon aurait vouhl qu'on rt!comut a une Lanque fédérale : il avait tOlljours


soutenu l'alternative ou de ~~cler un emprunt ou de céder a l'Angletene. Il ex·
posa d'abor~ son plan d:ms tiile·leUre a Robert Morris, OU il fail preuve de con-
naissances économiques qui n'étaient pas bien communes a cette époque, SGit




u'un cóté de l'Atlantil¡Ue, soit de l'autre (V. Papers, 8~-I, 388-413; V. e,l1W'cur ~.",..IIC~~.~~
une autl'e lettre uu :3 septembre 1.180 a James Duane (4:28-458). c:," ?'. '; !,~ ~~


.. ~J '\
.: .:-. i :::-. .~ ..
~ . •.•. ':.1.
/--, .,"'~,'


';.\'- ~ \ .~x.~~
;.t'é .~"'t.r-'\\i.(~ .'.'.' .(:
~8IS. ~:..:;.






:3 10 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEl'TENTIUONALE.
mit Tarleton en pleine déroute a Cow' pens, en luí raisant cinq
cents prisonniers et en lui pr.enant deux canO~lS, avec un dra-
peau. Cornwallis, dont des renforts avaient porté les rorces a
15,000 hommes, s'avall(;ait entre la riviere Broad et la Cata'wba
quand il apprit cette déroute: elle le surprit et le mortifia sans le
décourager. Doué d'une volonté tres-énergique, il résolut de
rendre son armée a la fois plus compacte et plus mobile ~n fai-
sant disparaitre tous les bagages et tous les vhTes, le vin meme,
qui n' étaient pas strictement nécessaires, et franchit alors la Ca-
t~wba. Il s'ensuivit de part et d"autre une série de manamvres,
de marches et de contre-rnarches qui aboutirent, le 15 mars, a la
bataille de Guilford-Court-House, oil les Américains se battirent
bien, mais sans succes. Toutefois Cornwallis, qui sernblait voué
aux victoires stériles, ne put retirer aucun fruit de, celle de Guilcl-
ford, et bi-entot il passa dans la Virginie, oil l'on va le trouver
tout a l'heure aux prises avec Washintgon et Rochambeau.


Arnold exer~ait dans cette province de cruels ravages. Il inspí-
raít dep'uis sa trahison une haine universelle, et l'on, raconte
qu'ayant un jour demandé a un trompette, qui lui étaít envbyé
par le congres en parlementaíre, ce . que ses camarades auraient
fait de lui s'il étaít tombé dans leurs rnains, ce soldat lui l'épon-
dit : « Nous aurions enseveli avec les plus grands honneurs ceBe
« de tes jambes qui a été estropiée au service de la patrie; quant
(( qU reste du corps~ Ilous·l'aurions pendu.» Vraie ou non, la
réponse de ce trompette exprimait un sentiment unanime et que
partageait Washington lui-meme, quelque étranger qu'il fút,
d'ailleurs, a toute inirnitié, personnel1e. Profondément irrité et
indigné des succes d'Arnold, il donna l'ordre a La Fayette de


• réuni~ 3,000 hornrnes et d'aller chMier le traitre; il vint lui-
meme a New-Port pour concerter avec Rochambeau les moyens
de rendre cette expédition,plus effi9ace. On convint que le baron
de Vioménil, avec 1,200 Franc;ais et 800A:.méricains, traverserait
la Chesapeake et placerait ainsi Arnold.~~e deux feux. L' embar-
quement des Franc;ais eut líeu, en e~tine 9 mar~; mais Des-
touches, qui comrnandait notre escad're depuis la mort de
Ternay, rencontra le cornmodore Arb!lthnot en face des cotes de
la Virginie et luí livra un beau combat, a la suite duquel íl l'ega·




TROI~TEMR PARTIR. - LA rrTTRRRE DE r:INDÉPENDANCE. ~ll1
gna New-Port, sans avoir débal'qué les troupes de Vioménil. Ainsi
laissé a lui-meme, La Fayett~ ne pouvait rien contre Arnold, qui
continua librement le cours de ses ravages et de ses déprédations,
massacrant les. républicains, mettant en liberté leurs esclaves,
incendiant leurs plantations. L'arrívée de Cornwallis rendít lneme
la position de La Fayette tres critique: « Je n'ai pas meme assez
« de monde pour me faire battre, ») écrivait-il a Washington, et
Cornwallis disait, de son coté, que l'enfant ne pouvait lui échap-
pero L'enfant lui échappa néanmoins et de la fa~on dont 'il avait
échappé a sil' William Howe, par la promlJiitude et l'habileté de
ses manreuvres.


Déja Washington avait eu a Weathersfield une entrevue im-
portante avec Rochambeau, dont il était résulté le départ de nos
troupes pour Philipsburg, petite ville du Connecticut, et la levée
du camp de Peekshill. Autour de New-York, tout parut prendre
alors les apparences d'un siége : Washington et Rochambeau
faisaient en ~ersoune des reconnaissances, en s'approchant par-
fois assez de la place pOUI' qu'un jou!' un boulet vint frapper le
cheval de M. de Damas, aide de camp du général fran~ais. Nos
régiments battaient l'est.rade, depuis la riviere de l'Est jusqu'au
Sound; les ingénieurs levaient des plans et creusaient des tran-
chées ; -l'artillerie se rapproehait des remparts. Au fond, Was-
hington connaissait trop bien les difficullés d'un pareil siége pour
y songer sérieusement et, le 17 aout,il faisait savoir aú comte de
Grasse, en l'invitant a y concourir avec sa fiotte, la nouvelle di-
rection qu'il a1lait donner a cette campagne de 1781, dont la
réussite lui paraissait bien due a tant de travaux, de courage et·
de persévérance. Quant a Clinton, il se laissa tout a fait prendre
aux apparences q~i l'entouraient et prescrivit a Cornwallis de le
rejoindre avec une partie de ses forces. Celui-ci obéit sur-le-
champ, et·illongeait les bords de la riviere James, pour se rendre
a Portsmouth ou il devait s'embarquer, lorsqu'une démonstra-
tion de La Fayette le forca de faire un coude. Attaqué par l'avant-
garue américaine aux ordres.de Wayne, Co~nwallis la repoussa,
sans tirer d'ailleurs le moindre protit de ce succes, qui mel1acait
le corps de La Fayette d'une destruction totaJe, tant i1 avait hate
d'atteindl'e Portsmouth. Il avait déja commencé d'embarquer 8€S




J


:142 LF.!' ~~'q T!'-U:-\J!' nR L' AM~.mJQuR SEPTENTRIONALE.
troupes, quand il re~t de New-York un contre-orclre : Clinton,
que 3,000 Hessois venaient de grossir, ordonnait a sor. lieu-
tenant de rebrousser chemin et d'occuper fortement une position
qui commandat la riche contrée qu'enfp,rment les rivieres James
el York el qui le laissat en libre communication avec la mero
Clinton avait désigné soit Old-Comfort-Point, soit Portsmouth
meme; mais ces deux points paraissaient insuffisants, et Corn-
wallis se décida pour York-Town.Cette ville elle-meme était dans
un assez pauvre état de défense, et on a blamé Cornwallis de s'y
etre jeté. Ce bIame n'~st pas injuste, si les instructions de Clinton
avaient, comme l'a cru lord Mahon, un caractel'e facultatif. Mais
l' esprit entreprenant de Cornwallis ferait pI utót croire qu' elles
étaient impératives, et le fait devient a peu pres certain s'il ~st
vrai que le cabinet de Saint-J ames nourrit depuis longtemps
l'idée de posséder sur ces cOtes un poste permanent et maritime,
qui pút favoriser ses entreprises navales. Or, York-Town seu-
lement réunissait ces conditions 1.


Le 15 aout, on connut a Newport la réponse du comte de
Grasse : il annongalt son prochain départ de Saint-Domingue et
son arrivée dans la Chesapeake pour coopérer aux desseins des
alliés. Rien ne fqisant plus obstacle a la marche sur York-Town,
le 19 aoút, le camp de Philipsburg fut levé. Pour masquer ce
mouvement, une division américaine resta seule sur la rive
gauche de l'Hudson, tandis que, pour faire croire a une attaque
sur Staten Islalld, le commissaire des guerres, Villemanzy, 'éta-
blissait des fours de campagne a Chatham, a trois lieues en face
de l'ile. Dans l'interva1le, les alliés avaient commencé leur ~ar­
che et, le 4 septembre, les Fra~c;ais atteignirent Philadelphie.
Leur entrée dan s ceUe viUe ressembla moins a un passage qu'a un
triomphe. « Ils traverserent la ville précédés de leur musique,
«. spectacle toujours nouveau pour des Américains; ses rues étaient
(e inondées de peuple, et la parure des dames était des plus bril-
e( lantes. Tou,t Philadelphie fut étonné de voir des voyagel1rs sí
« frais, si propres, des Franc;ais de si bonne mine 2.)} Les troupes


t life o( lIamiUon, J, 379-380.
2 L'abbé Robin, Nouveau Voyage dans l'Amériqlle septentrionale en l'année


1781, etc, Philadelphie 1782. La fondation de Providencp. inspire au hon abbé la




l'ROISIEME PARTIE. - LA GUERRE DE I:INDÉPENDANCE.343


. détllerent devant le congres, 'el le lendemain, le régiment de
Soissonnais donna le spectacle d'un exercice a feu auquel plus
de 20,000 personnes assistaient 1. Enfin, le soir, M~ de La
Luzerne réunit en un banque! les sommités du congres et de la
ville, ainsi que tous les ofticiers franGais~ et 1'on était encore a
table lorsqu'un courrier vint annoncer l'arrivée de M. de Grasse
dans la Chesapeake et le débarquement de 3,300 hommes com-
mandés par le marquis de Saint: .. Simon, maréchal de campo


Le 24 septembre, la concentratioÍl des troupes fren<;aises et des
troupes fédérales au camp de Williamsburg se trouva complete.
Quatl'e jours auparavant, Washington et Rochambean s'étaient
rendus a bord de [eL Ville de Paris et s'y étaient abouchés avec
de Grasse, qui avaitlivré, a la date du 5, un brillant combat a
l'amiral Graves. De Grasse montrait quelque hésitation a rester
dans la Chesapeake et parut meme décidé un instant a en partir.
Washington, aidé par La Fayette, comhattit avec forceeette réso-
Iutíon tout a faít intempestive, et I'amiral, cédant a leurs raisons,
consenht non-seulement a rester, mais meme a débarquer quel-
ques centaines d'hommes ponr prendre part· a l'investissement
d'York-Town. Ce n'était aloI's qn'nn petit village sur la rive droite •
de l'York, dans la belle et riche péuinsule que forment ceUe riviere
et la riviere James en sejetant dans la Chesapeake. A 1'ouest et au


. nord-ouest. une crique, un marais et un ravin profond couvraient
la position; au nord, des baUeries se dressaient sur les hautes
berges de I'York, et, croisant leurs feux avec les batteries de
Gloucester, qui est en face sur un promontoire s'avaw;ant assez
dans I'éstuaire pour en rétrécir la largeur a un mille, dominaient
la passe. Gn avait 'eoulé des batiments dans le chenal et des vais-
seaux se trouvaient embossés vers le large. Enfin, au sud et au


..


sud-ouest, les deux points accessibles, s'étendait une longue
suite de retrancheme~lts ~t d'ouvrages auxqueIs OH travaillait
encore quand le8 ~llliés parurent. '


réflexiou"1iHvante : « Les annales du N~uve~-Monde auront;iI retracer des exemples
« d'intolérance parmi les peuples mémes qui s'en montrellt le plus ennemis ) (p. 3~).;­


fRíen ne peut surpasser, écrivaiLMadison, témoin oculaire, I'aspect de cespéci-
men de son armée que 1I0U~ a envóyé I1utre allié, .que ¡'on cbnsidere soít la figure
des hommes, soit leur exacte discipline (Papers, J, 97). ~' _!aiii~


r: .. -.... . t, '.< ()rl...:~~ '.' '~. ~' *.' ~O
. I J...:¡¡~;;\ , ¡/~ ~ l' ~+' ,;A




344 LES ÉTATS'UNISDE L'AMÉRIQUE SEPTENTRInNALE.
Le 28, ils avaient quitté vVilliamsburg, et, dan s la nuit du 29


au 30, l'ennemi ayant éracué ses ouvrages avancés, l'investisse-
ment se trouva completo Des le 3 octobre, il en f~t de meme'de
Gloncester que la légioÍl de Lauzun et les milices américaines de
Wep,don, placées ense,mble sous les ordres du brigadier général
de Choisy, tinrent bloqué d'une fa~on fort étroite. Les troupes
américaines, aux ordres de La Fayette, -prirent les attaqnes de
droite, tandis que les régiments fran~ais prenaient celles de
ganche. Knox et d' Aboville commandaient l'artillerie; du Por-
tail el de Quesnet dírigeaient le génie. La tranchée s'ouvrit dan s
la nuit du 6 an 7 octobre, et les travaux furent si vigoureusement
menés que, le 8, la premiere parallele était terminée et que le
101'assiégeant avait quarante pieces en batterie. Dans la nuit du
11 an 12, la deuxieme parallele fut ouverte et poussée a
cent cinquante toises de la place; elle était achevée le 14, et il
parut alors nécessaire d'enlever deux redoutes, a la gauche des
retranchements ennemis, lesquelles enfilaient toutes les attaques
américaines et paraissaient commander les communications entre
York-Town et Gloucester. Les Américains, eOllduits par Hamil-
ton, enleverent l'une en dix minutes, sans tirer un eoup de feu,
sans que les sapeurs eussent rien eu a faire. Le comte GuilIaume
des Deux-Ponts et le eomte Charles de Damas, emporterent la
seconde d'une fa<;on non moins brillante, mais un peu plus eou-
teuse et qui valut une blessure au eomte Guillaume, ainsi qu'au
chevalier de Lameth, aide-maréchal général des logis, et a M. ue
Gimat, aide tie eamp de La Fayette, tous les deux volontaires
dans l'action. Jusque-Ia, l'assiégé n'avait pas bougé : dans la nuit
'du 15 au 16, une eolonne, forte de 600 horp.mes et eomman·
dée par le colonel Abererombie, se jeta résolument dans le5
tranehées, et ne réussit qu'a enclouer a la hate quelques canons,
qui six heures plus tard recommenQait leur feu t.


La place n'était plus tenable, et Cornwallis, abandonnant se~
bagages, son artillerie el ses malades, qu'il recommandait a la


~r' \ S,!r les opérations du siége. V. le Journa~ de RochamLeau, au ,tome ler, page,
289 et suiv. de_ ses Mémoires, aillSi que les Sou'I'enirs de 1770 a 1834 du général
Mathieu Duma&' (Parifl, 183G, J,19-88).




TROlSIEME PARTIE. - LA r.UERRE DE T;'INDÉPENDANCE. 345
générosité de Washington, 'essaya de gagner nuitamment Glou-
cestero Une violente bourrasque dispersa ses chalands et les re-
jeta en amont de la riviere. Au point du jour, la bourrasque s'é-
tait calmée; mais l'opération avait été découverte, et les batteries.
de l'assiégeant firent pleuvoir sur la riviere une grele de bombes,
d'obus et de boulets. Il n'y avait plus qu'a se rendre et, le 18, les
colonels Ross et Dundas d'un coté, le colonel Laurens de l'autre,
arreterent les bases d'une capitulatio,1 qui devint le lendemain
définitive. Les forces de terre anglaises demeurerent prisonniéres
des Américains; celles de mer prisonnieres des Fran<;ais. Le total
des unes et des autres s'éle~'ait a environ 8,000 hommes; on tro11va
dans le port vingt vai:;seaux, deux frégates, et dan s la place cent
soixante ou, suivanl les autres, deux cent quatorze canons.


Dans l'apres-midi du meme jour, la garnison' captive défila
devant les troupes fran<;aises et les troupes américaines réunies .


• Elle avait vingt-deux drapeaux que le général O' Hara, qui rem-
pla<;ait Cornwallis malade, présenta volontairement, sans doute,
au comte de Rochambeau. Celui-ci fit un geste de refus, et dé-
signant ~ ashington du doigt : « C'est au général,» dit-il, « qu'il
« faut les remettr~' nous 31Itres Fran<;ais, nous ne sommes ici
« que ses auxiliaires. }) On ajoutera que Washington, dans un
sentiment délícat, avait écarté tous les simples curieux du líeu de
!a scene. Quant aux officiers fran<;ais, ils prodiguerent a Corn-
wallis et aux siens les bons procédés et les égards : « Ce qu'ils ont
fait,»écrivait-il a Clinton, «dépasse tout ce que je pourrais écrire l.»
Ces marques d'estime et ces poli!esses réciproques, les Anglais
et les Fran<;ais se les étaient constamment accordées. Elles étaient


.lJeaucoup plus rare~ entre Anglais et Américains, et le chape~
lainde Rochafi.1beau, qui assistait au défilé de York-Town, r~p­
porte que les officiers anglais eurent le soin quand il fut terminé
de saIuer jusqu'au moindre officier fran<;ais, tandis qu'ils s'abs-
tinr~mt de saluer aucun Américain, sans faire d'exception meme
ponr les généraux. Aussi bi~n l' antipathi~ était-elle mutuelle. Le
lendemain de la capitulation, les Qt'ficiers angl~is étaient venus


.,. ..


visiter nos tranchées ou on leur fit un ex accü~il, et lJ>rs-


f Hist. of Engl., VIl, 127.




34fi LES ÉTATS-UNIS -DE L' AMÉRIQUE SEPTEN'rRlONALE.
qu'ils se présenterent aux tranchées amérieaines, ils s'en virent
repoussés. Le souvenir des mesures rigoureuses que Cornwallis
avait ordonnées dans les Carolines était e:ricore tout frais parmi
os~s vainqueurs·: « Ils voulaient se venger des o brigandages com-·
« mis sur leur habitations, » dit encore l'abbé Robin, « et j'ai vu
« la femme d'un colonel anglais venir, éplorée, supplier nos offi-
(( ciers de lui donner une garde pour la défendre elle et ses en-
« fants de la: violence du soldat américain 1. »


Le 24, la flotte anglaise, 1'orte au moins de trente voiles et
portant un renfort de 1,000 hommes, fut signalée a l'entrée de le
Chesapeake, et reprit immédiatement la haute mer a la vue des
couleurs alliées flottant sur York-Town. Jusqu'au dernier mo-
ment, COfIlwal1is avait espél'é ce secours, et cet espoír explique
en grande partie l'obstination qu'il mit a défendre, jllsqu'au der-
nier instant, une place mal fortifiée et que ses propres officiers


• luí conseillaient avec instances de laisser livrée a elle-meme. Au
surplus, la prise d'York-Town ne paraissait pas devoir terminer
la lutte : les Anglais, en effet, disposaient encore sur le continent
d'une trentaine de mille hommes; ils conservaient enc0I:e New-
York, dans les provinces du centre; Savannah et Charleston,
dans ceHes du Sud. Le combat d'Entaw-Springs, livré le 8 sep-
tembre et resté indécis, bien que les Anglais eussent eouché sur
le champ de bataille, le combat d'Entaw-Sp¡'ings avait réelle-


. ment mis fin aux hostilités dans les Carolines, et Washington
était persuadé que la pl'ise de Charleston en marquerait le terme
definitif. Seulement il ne se croyait pas en mesure de la mener
seul a une honne fin, et, non content d'en avoir écrit au eomte
de Grasse, il alla en personne a bord de la Ville de Paris 'pour
solliciter son concours. Mais de Grasse était lié par des instruc-
Hons qui ne lui permettaient guere de rester plus longtemps éloi-
gné des Antilles, théatre de ses opérations fotures. Washington
alors suggéra une attaque combinée contre Wilmington; de
Grasse consentit d'abord a transporter lp-sAméricains devant cette
place; plus tard, il se ravisa °et ne promit plus qu'une escorte 2.


-:


• Nouveau Ynyage, l,4!0
2 Yie, corro, écrits, ,!X~' 320-328.




TROISIEME PARTIR. - LA GUERRE DE L'lNDÉPENDANCE. :~47
Finalement, il remit a la voile, en ramenant les troupes du mar-
guis de Saint-Simon.


En Arnél'ique, la capitulatíon d'York-Town avait été saluée
d'un cri de joie universel et d'un élan de gratitude profonde en-
vers la France. Le con gres prescrivit des actions de gl'aces sole11-
nelles et l' érection d'une culonne de marbre sur laquelle on lirait
une description détaillée de ce grand événement; il con sacra un
jour pour sa comrnémoration annuelle, et fit présent a vVashing-
ton de deux drapeaux, a Rochambeau et a de Grasse de deux
canons ennernis. A Londres, la'nouvelle parvint le 25 novembre.
Lord Gerrnaine, qui la re¡;ut le premier en sa qualité de secré- i
taire d'État pour la guerre, se hata de la comrnuJliquer au roi
par lettre, et en personne a lord North. « Comment lord North
l'a-t-il prise? luí demanda quelqu'un le soir. - Cornme il aurait
pris un houlet en pleine poitrine. 11 a ouvert les bras et s'est
écrié, en parcourant la chambre pendant quelques minutes:
Mon Dieu 1 mon Dieu 1 tout est fini ! » George III montra beau-
coup plus de calme. n répondit le soir me me a lord Germaine,
et si sa lettre ex primait de "ifs regrets, elle ne dénotait pas la
moíndre irrésolution. La main du roi n'avait nuUement tremblé
en l'écrivant, et une seule circonstance trahit a l'reil exercé
de lord Germaine l'émotion momentanée de son souverain:
Georges III avait oublié, contraírernent a son habitude invariable,
de noter sur son billet l'heure el la minute oil il l'avait écrit 1. En
ouvrant a deux jours de distance ]a session législative, ii parla.
d'un nouvel effort a faire, vigoureux et cornmun; seulement
cette inflexibilité n'était plus que la sienne, et lord North, son
ami et son confident le plus intime, n'aUendait _plus qu'une oc-
casion favorable pour résigner un pouvoir dont iI n'avait en
grande partie aecepté la responsabilité et les souc~s que par dé-
vouement personnel. Le 20 mars. J 782, un vote de défiance ayant
été soumis aux Communes, il annon~a sa retraite et ceBe de ses
col1egues, et le diflff1is de Roekingham, qui devint son succes-
seu!', fit entrer avec luí aux affaires le inarquis de Richmond,'
Henri Fox et lord Shelburne. Tot1s élaieIÍt des amis des Améri-


,
• Hist. o{ Engl., VlI, 1'29-130 .









"


348 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
cains, et leur désir sincer'e, d'accord avec l'opinion publique,
était devoir la fin de la lutte. Aussi, quoiqu'on ne fUt guere d'ac-
cord au se in du cabinet sur la marche a suivre et les concessions a
faire en vue de ce résultat, envoya-t-on M. Oswald et M. Gren-
ville tater le terrain a Versailles et s'aboucher avec M. de Ver-
gennes '.


George 111 « cette tete W bois (blockhead),» comme 1'appelait
Fox, n'aidait guere', on le conc;oit, a réparer ses fautes. « Les dif-
«( ficultés des négociations lui paraissaient la juste punition des
«( négociateurs, et il'n'était pas raché que la paix humilült ceux
«( qui 1'avaient voulue 2. }) En attendant, en 1782, comme de nos
jours, les gouvernements obéissaient a l'adage: Si vis pacem, para
bellum, plus impertinent encore qu'il n'est ancien. Les be1ligé-
rants redoublaient leurs armements: la France songeait a un
puissant effort du cOté de l'Inde; l'Espagne a reprendre Gibral-
tar et a conquérir la Jama'ique ; la Hollande elle-meme joignait
les restes de sa puissante marine a la fiotte francaise el a la fioUe '
espagnole, afin de parcourir les mers de I'Europe el de menacer
les cótes de l' Angleterre. Tous ces desseins restel'ent stériles.
L'amiral Barington captura le convoi de Brest destiné a 1'Inde ; le
comlé de Guicllen et don Luis de Cordova parurent, iI est vrai,
sur le littoral britannique et s'emparerent d'un convoi qui allait
a Quebec; mais ils ne surent pas empecher Howe de ravitailler
Gibraltar. Quant aux projets sur la Jamalque, la défaite du comte
~e Grasse aux Saintes 3 les anéantit, en compromettant en'partie
les derniers résultats de la guerreo


Peut-etre la victoire des Saintes chatouilla-t-elle plus que de
raison l'amour-propre de certains membres du cabinet de Saint-
James, mais elle. n'altéra point, en somme, leurs inclinations pa-


. cifiques. Ce <pI'avait conté la guerre, on le savait maintenant: la
,'dette angl~is~'était accrue de 2milliards et demi; la France avait


i Roekingham et Shelburne, par exemple, n'auraientPfo~ é.~é tout a rait éloignés
de lapensée.de restituer le Cariada aux Francais. Fox, 'au' eontaire, en parut tout
~ouleversé (Franklin). Works, IX, 316.


2 Ch. da Rémusat. L'Angleterre au xvme sÍI!cle, 11, 187.
'3"12 avril1782. L'adversail'e de ds Grasse était le célebre Rodney, qui était en


priso'fll"Paris pOllr ~ett~s quanu la guerre avait éclaté, et que I'intempestive gé-
nérosité du duc de BirolÍ rendit 11 la liberté pour nou!' battre .





THUl~IEl\'m PAHTIE. - LA GUERRE DE L'lNDÉPENDANCE. ::H!J
dél-'ensé 1,750 millions ; la Hollande 250 ; les États-Unis 850, et
l'Espagne en était a peine quitte pour un milliard 1.11 Y ayait bien
de quoi réfléchir, et lord Shelburne, qui venait de remplacer
Rockingham enleyé par une mort prématurée, songeait tres-sé-
rieusement a clore la lutte. En France, comme il arrive d'ordi-
naire, les esprits avaient passé de l' engouement a Ja .fatigue, et
l'on était las d'une guerre plus glorieuse qu'utile et dont le but
semblait atteint, puisque, de faít, les États-Unis avaient conquis
leur indépendance. L'Espagne et surtout la Hollando n'avaieIlt
joué dans la guerre qu'un róle 'subalterne, et la premiere, en
s'emparant de la Floride et de Minorque, avait revu d'avance le.
prix de son concours. Enfin, en Amérique, le ~riomphe d'York- J'
Town n'avait aveuglé personne : l'épuisement était général, I'ar-
mée fatiguée, le trésor vide, et au besoin, le rappel de Rocham-
beau aurait prouvé aux plus récalcitrants qu'a Versailles la me-
·sure des sacrifices était jugée combIe 2.


Quand nos troupes rentrerent, déja les plénipotentiaires des
trois puissances et ceux de l' Amérique étaient réunis a Paris et,
le 20 janvier 1783, ils signaient a Versaílles les préliminaires de
la paix. On sait que les Américains les avaient négociés a part et
d'avance, en ayant sóin d'écrire en tete la reconnaissance formeHe
de l'indépendance des t~tats-Unis. En communiquant au parle-
nient cet acte mémorable, Geol'g~ 111 sut tenir un noble langage
dans lequel a des regrets bien naturels se melait le gage d'une
réconciliation tardive, mais sincere. « J'ai sacrifié toute con si dé-
« ration personnelle, ») dit-il, « aux désirs et a l'opinion de mon
« peuple, et c'est mon humble et fel'vente priere au Tout-Puissant
« que les maux capables de résulter d'un pareil dé~embrement


f ChifTl'es donnés par lord Mahon d'apres les Annals of commerce de Mac-,
pherson, vol. m, p. 4.08, et vol. IV, p. 93 (éd. de 1805).


2 Le jour meme de l'embarquement de Rochambeau vit un trait piquant de mreurs
américaines. Un de ses régiments laissait derriere lui une dette pour fourniture de


-' ,!.~.
bois. Un attorney, qui ,était en meme temps un officierlle milices, s'approcha de
Rochambeau, qui était au milieu de son camp, et hif dit, en le touchant de sa ba-
guette : « Au nom de la loi, je vous arrete. - Arre~ez-moi, si vous le llouvez, dit
en riant le comte. - Non, répondit l'Américain; consta tez seulement que j'ai rem-
pli mon devoir. » La somme fut plus tard régl~e, par ar-bitrage, a 3,000 franes
(Soules. llisfoire des trou'Jles de l'.4mérique, IY, 30,~). ......._-........




350 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTlUONALE.
« soient épargnés a la Gran(le-Bretagne et que, de son cOté, \' A..-
«( mériq~e évite ceu"X. qui ont d'abord prouvé dans 1a mere patrie
<!-le. \.\e.""Q."-~ "-~~~~''''~~ ~~~~ ~~\~~ ~'e \"(\ l:\)1"U\).'\-e 'e\ b~ la linel~'e
« constitutionnelle. La ~d~~~(m, la langue, \es in'téTe'ts peuvent
« encore servir de trait d'union constant entre les deux pays ;
« j'espere qu'il en sera ainsi, et a ce but ni mabonne volonté, ni
« mes soins ne feront défaut. » Mais quel langage loyal, quel
langage décent pouvaient tenir les signataires du traité furtif,
Franklin; Adams, Jay, Laurens ? Ils avaient oublié les bons offices
multiplié~ de la France; ils avaient méconnu les instructions du
con·gres t el s'étaient dOllné un démenti a eux-memes, car Fran-
klin et Adams avaient trouvé ces instructions aussi raisonnables
qu'avantageuses a l' Amérique. A cette époque, J ay, il est vrai, les
avait blamées, ne voyant pas, disait-¡l, ce que son pays pouvait
gagner en intéret ou en réputation a .se jeter « dans les bras du
roí de France 2; » mais l'on s'était souvenu a Philadelphie de cette
attitude, en lui refusant de venir a Paris quand il avait demandé
de quitter Madrid, sous prétexte de santé, a. l'époque ou l'entrée
de Fox aux affaires faisait présager des négociations sérieuses.


Toutefois, lorsqu'elles s'ouvrirent, Jay vint y prendre part sur
l'invitation de Franklin. n arrivait a Paris, avec les préjugés les plus
violents contre la France et les Fran<;ais, et John Adains, a qui íi
en tit part, n'était pas l'homme qu'il eftt faHu pour le dét.romper,
si du llloins sa bonne roi était entiere, puisque Adams lui-meme
accusait le cabinet de Versailles de duplicité et de tiédeur 3. Des
]e début des négociations, l'esprit difficile de Jay se fIt jour. {}s-
wald avait cru que la reconnaissance {ormelle des États-Unis
comme nation independante devait venir apres le traité, et que
l'échange des pouvoirs entre les plénipotentiaires éq,uivalait par


t 15 juin 1781. V. au sujet de ces instructions les Madisons's papers, J, 66 87.
On y lit ce paragraphe : « Vous devez faire les cornqlUnications les plus sinceres et
« les plus confidentielles,;,aux ministres du roí de France, notre généreux allié; ne
« rien entreprendre quant a~!!i négociations pour La paix ou une treve en dehors
« de leur connaíssance ou de Leur concours; finalement vous gouverner o'apres
« lellr avis et leur opinion. » Le Massachusetts, ·Rhooe-Jsland, le Conneclicut, la
l'ennsyiyanie et la VlI'ginie volerent contl'e.


:.l Diplom. corresp, m, 236; VI, 160-16:2; VH, 451.
3 Wurl:s, f!l. 303 et 317.




TB.OISIEME l'ARTIE. - LA GUERHE DE L'INDÉPENDANCE. 351
lui seul a une reconnaissance tacite. Franklin, s'inquiétant plus
des conditions memes de la paix future que d'une formalité dont
il ue s'exagérait -pas la valeur intrinseque, Fl'anklin ne se' mOIl-
trait pas sur ce point intraitable, et des 101's M. de Vergennes avait
assez facilement accédé 1 • Mais eette facilité meme effaroucha
Jay, et soup~onnant le cabinet de Versailles de complaisances
intéressées vis-a-vis de George III, dont l' orgueil se révoltait au
mot seuI d'indépendance 2, iI en vint a exiger ou une proclama-
tion, ou un acte sépa1'é et pubIic qui affirmerait l'indépendance
des anciennes coJonies 1 Il fallut demander a Londres des ins-
tructions complémentaires. On' n'y songeait certainement plus a
un projet dont Shelbur.ne, au mois de juillet précédent, gardait
eucore l'espoir, mais que Franklin avait t,raité de chimérique,
c'est-a-dire a maintenir la suzeraineté de la métropole, avec un
parlement indépendant d' outre-mer. Mais, résigné en fait a une
sépa1'atiou, on craignait toujours d'en confesser le principe. On out
céder·néanmoins, et saIlS accorder a Jay l'cxtravagante satisfac-
tion qu'il réclamait, le secrétaire d'État Townshend autorisa
Oswald a reconnaltre de la maniere laplus explicite, dans un article
du trailé, l'indépendance complete et non conditionnelle de.o: États-
Unis 3•


Jay trouva. encore cette concession insuftisa\)te. Selon Oswald,
elle épuisait le droit de la couronne, et aller plus loin n'apparte-
nait qu'au parlcment seu!. Or. le parlement se trouvait en va-
canees et ne devait pas s'assembler d'un 'assez long temps. Ces
considératiolls et la hate d'en fiuir qu'avaient les Américains.


,1 Oswald a Th. Townshend, 13 aoút 178:2; Franklin's, Works, IX, 387. ecHe
letlre et unt) autre du 15 aoüt renfcrment des détails tres-intéressants et tres-ci!;-
constanciés sur les exigen ces de J ay.


2 « J'espere nepas voir le jour ou ce mot sera prononcé, » avait di\. George III, le
7 mars 1780, dans t:ne lettre a lord .l\ortiJ. Quelques mois plus tard, Necker, dans
une lettre' confidentielle el transmise secrelemenl (l,r décembre 1780), ayanl fait
part a lord Norlh de ses désirs pacifi4ues, voici ce que George III écrivait il son
premier ministre: « A.vec la France, \'anangement sera facile, si elle veut cesser
« d 'encourager la rébellion, ou ne pas ajouter a ses autres insultes celle de vouloir
« {aire l'indépendance, ce qui, sous son vrai nom, ou sous cefui d'une tréve, est
« toujours en réalité 111 meme chose. » (Hist. of Engl., vn, 301 )


;¡ DiplolH. corresp., VIII, 143. - Jay's lile, 1, l4.4.- Franlilm's Wurlis, IX,
362, 30J, 391 el 402. ~>




352 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTUlONALE.
rendirent Jay plus traitable. Dans les premiers jours de septembre,
la négociation s'engagea sur 1e fond sans prendre toutefois, par
suite de quelques lacunes dans les pouvoirs d'Oswald, beaucoup
d'activité avant la fin d'octobre. Les difficultés principales por-
taient sur le droit de peche a Terre-Neuve, la délimitat!on des
frontieres et le rétablíssement des loyalistts dan s leurs biens con-
fisqués. Quant an Canada, il n'y avait eu que des pourparlers
confidentiels, des insinuations pour mienx dire, et ]a question
s'était trouvée de suite bors de cause. Mais sur les pecheries, le
débat fut animé et tenace. Les Anglais répugnaient a ríen concé-
der, quoiqu'i]s sentissent ]a nécessité de le faire, et les Améri-
cains élevaient des prétentions excessives, invoquant tour a
tour le traité d'Utrecht, la situation des pecheries et le droit
naturel. « Quand le Tout-Puissant a pJacé le bane de Terre-Neuve
« atrois cents lieues des cOtes américaines, tandis qu'il se trouve
« a six cents des cotes de France et d' Angleterre, n'a-t-il pus
« donné aux Américains le meme droit qu'aux deux autres peu-
« pIes 1 ? ») s' écriait Adams; et ii proposait que le traité reconnÍlt
a son pays le droit de pecher non-seulement sur tous les bancs
de Terre-Neuve, mais encore dans le golfe du Saint-Laurent et
sur les cótes de la NoureJJe-Écosse et 011 Labrador, amc la faculté
d'établir des sécheries et des laboratoires. Le débat finit par une
transaction, et l'art. 2 des préliminaires porta que les Américains
pourraient librement pecher sur tous les bancs de Terre-Neuve,
mais sans pouvoir préparer ou sécher leur poisson sur aucun


. des établissements fhes de Sa Majesté Britannique 2.
Sur la question des biens confisqués des lnyalistes, le cabínet


de Saint-James ne montra pas moins d'énergie et. de persistance,
,mais ne fut pas aussi heureux. Elle lui parnt digne d'efforts par-
ticuliers, et pour la résoudre, le secrétaire d'État rrownshend tit
partir pour París M. Strachey, son sous-secrétaire. Déja l~s com-
missaires américains avaient laissé pressentir sur se pumt une


t Works, tII, 333-334. . ' ..
2 Le débat durajusqu'a la derniere heure. Le 29 octobre, les plempotent\31reS an-


glais voulaient encore en référer a Londres. Mais, les Américains ayant fait des
concessions, i1s virent que « tout menacait d'étre remis ii vau-l'eau » et sig~lerent


. (1Ji.~t. of Enal., VIl, 385).




, . , . 3"-3 THUiSlE~I~ l'M\T.lE. - LA GUEllllE DE L lNDEPENDANCE. u
résistance invincible, etFranklin, plus accommodánt sur la peche
qu' Adams et Jay, élevait icí objections sur objections, difficultés
sur difficultés. La confiscation, disait-il, avait été l'amvre des États
particulie.rs) et le congrés était' saIlS pOUl'oir pour la défaire.
Voulait-on sincerement une réconciliation: le traité ne devait pas
mentionner les loyalistes, leurs déprédations et leurs cruautés
llombreuses ne pouvant qu'évoquer des souvenirs irritants et plus
propres a maintenir l'jnimitié des deux peuples qu'a l'éteindre 1.
n ne fut pas donné a M. Strachey de ramener Franklin, et vraiment
ni sa premiere attitude, ni son langage ne furent conciliants ou
habiles. M. de Vergennes, avec plus de douceur, soutenait la
these du cabinet britannique; mais les Américains n'étaient pas
d'humeur a riün entendre, et, I~ bout d'arguments, mais point de
ressources, Fl'anklin s'en tira par une sorte de demande recon-
vcntionnelle. n consentít a tenir compte des pertes de loyalistes,
pourvu que l' Angleterre s'engagettt a son tour a compenser les
pertes subies par les insul'gés, et ceUe proposition formidable,
grosse de discussiollS et de chicanes éternelles, fU céder les négo-
ciateurs anglais 2.


lIs avalent déja cédé sur l'établissement des loyalistes dans
l'Illinois 3 et sur la délimitation des frontieres américaines qu'ils
aUl'aient voulu arrMer á l'Ohio. « Et maintenant, ») écrivait
Sfrachcy a l'un de ses amis, « serons-nous pendus, sel'ons-nous
« approlivés pour vous avoir délivrés de la guerre avec l'Amé-
« ríque? .... Je suis dans des transes perpétuelles et a de mi mort


. « d'anxiété ... Si la paix n'est pas aussi ávantageuse qu'on l'atten-
« dait, j'ai la conviction qu'elle l'est autant que possible 4. » Voila


• ce qne Pitt eut la bonne foi de reconnaitre, tandis que Fox et lord
North, étrangement coalisés poul' la cil'constance, manquerent
tout a fait de justice. Avec 3,000 hommes au plus que l:on pouvait


I Works, IX, 4Z:2-423.
2 Works, IX, /126-433. - lIist. o(Engl., vII, 208.
a « Nous n'avons ll[lS vouIu de pareils voisins, » écrivait Franklin a Livingstone


(.1 décembre 178'2; lVorks, IX, 44'2).
4 29 novembre t 782. DallS une nutre Ictlre de Strachey adl'essée ~1 Townshend,


pOl'taHt la ¡neme date et écrite ü onz\~ hf'Ul'es dll süir, un lit ces mots : « 1I ya encore
« bien peu d'heures (lue HOUS He pensilllls pas uhoutir a un lr~lilé. » (liist. o{ Engl.,
V!J, :38!1-3~G.)




;134 LES ÉTATf'-UNIS DE L'Al\lÉHI(.!UE SEPTENTRlONALE.
envoyer en Amérique, apres les désaslres de Saratoga et d'York-
Town, daos l'épuisement du trésor et la lassitude du pays, quel
ministre, fút-ce Fox lui-meme, aurait pu se flatter d'nn traite-
ment plus avantageux ? .


Le 29 novembre, dans un billet de quelques lignes, Franklin
avisa Vergennes de la signature des préliminaires. Franklin, ce
semble, aurait pu user d'une reserve moins grande, puisqu'il ne
partageait pas les soup<;ons qui remplissaient l'esprit de son col-
legue et réduisait a sa juste valeur cette letlre intet'ceptée de
Barbé-Marbois dont Jay et les négociateurs anglais tirent tant
d'état et un usage si perfide 1. Au fond, que contenait cette lettre?
Quelques expressions mortifiantes sur les prétentions améri-
caines quant aux pecheries, et il n'y avait pas líeu d'édifier sur
cette frele base, comme J ay ne manqua de le faire, tout un sys-
teme de connivence entre la France et l'Espagne el d'hostilité
vis-a-vis des États-Unis 2. A u surplus, longtemps avant que cette
leUre parvint a Paris, les commissaires américains n'avaient pas
dissimulé leu'r désir de traiter et de terminer a part avec les
Ang]ai,s 3. Vergennes, ql\i ne soup<;onnait rien et a qui la négocia-
tion avait été soigneusement dérobée, re<;ut le billet de Franklill
avec une surprise extreme, quoiqu'en gardant son sang-froid et
une grande mesure, et ce ne fut que p]usieurs jours apres la dé-
peche du 29, et 101'S d'une vÍ-site de Franklin, qu'il manifesta son
impression facheuse. Il est vrai qu'a un mois de djstance son lan-
gage s'accelltuait. « Je ne comprends pas "\'otre conduite ni ceBe
( de vos collegues, ») écrlvait-il alors. « Vous avez conclu les ar-
« ticles préliminaires san s aucune communication avec nous, au
« mépris des instructions du congreso Maintenant vous vous ap-
« preteza transmettre en Améríque la certitude de la paix sans
( meme vous informer ou en est la négociation de notre cóté.
« Vous etes sage et prudent, Monsieur, et toute vot re vie vous


• Elle est reproduite au tome X, p. lB7, de la Diploln. corresp.
:1 Jay transmit la lettre de Barbé-Marbois au congres¡ et I'on peut voir dans les


Jfadison's papers (1, 236-238) la rnauvaise impression qu'elle y produisit, grace
surtout aux cornrnentaires de I'expéditeur.


a Djs le rnois de juillet 1782. Détail tiré d'une lettre privée d'Oswald a lord
Shelburne (Hist. of Engl., VII, 206).




TROISBI E PAH'l'lE. - LA GUEB.RE DE L'lNDÉPENDANCE. 355
« ayez rempli vos deyoirs : soyez assez bon pour réfléchil' aux
« moyens que vous comptez employer pour remplir ceux que vous
« ave~ vis-u-vis du roi. Ces reflexions, je les soumets a \'otre hon-
« neteté. » e'est que Franklin ayait promis de ne point lüHer 1'en-
voi des préliminaires en Amérique et qu'il venalt néanmoins de
les y transmettre par le Washington, muni 3 cet effet d'un sauf-
conduit anglais; le bonhornrne 'Richard se tira de ce mauvais pas
avec sa souplesse ordinaire. Ce sauf-conduit, dit-il, les Anglais
l'avaient envoyé sans qu'illeur eut été demande. II n'y avait été
joint aucune depeche angaise, et ceHes des envoyés américains pré-
viendraien t l'inconvénient redouté. Enfin, personne ne sentait
mieux que lui ce que tout Américain devait uu roi de France pOUl'
les bienfaits qu'il avait prodigués a son pays 1. M. de Vergennes se
tint pour satisfait en apparence; mais sa depeche du 19 décem-
bre 1782 a M. de La Luzerne, son chargé d'afIaires en Amé-
rique, montre assez qu'il ayait gardé une juste rancune des pro-
cédés ele Franklin et de ses collegues 2.


i Works, IX, 449-/153.
2 Cette dépéche figure au 1. XIf de la Diplom, corrcsp


/






QUATRIEME PARTIE.


LES 'PROGRES ET LES DÉVELOPPEMENTS
DES ÉTATS-UNIS.




,




)


LIVRE PREMIER.


La Constitution et les deux présidences de Washington.


Sommaire.- ÉTAT DE L' AMÉRIQUE EN 1"783: L' armée pousse Washington
a prendre la couronne; il repousse ces offres et rentre dans la
vie privée.


LA CONVENTION DE PHILADELPHIE : Sa réunion; di3cllssion et vote de
la constitution; son caractél'e et son mécanisme; sa ratification
par les États.


PREMIE RE ET DEUXIEME PRÉSlDENCES DE WASHINGTO~ : Son cabinet;
Jefferson et Hamilton; consolidation de·a dette; répartition
de la représentation nationale; l'esclavage; troubles de la
Pennsylvanie; déchainement de l'opinion et de la presse contre
vVu:3hington; dífticultés et traíté avec l'Angleterre; difticultés
avec la France; le citoyen Genet et le Petit Démocrate,


PRf:SIDE:\'CE DE .1omí ADAMS : Les difficultés avec la France s'ac-
croissent; préparatifs de défense; Washington général en
chef; sa mort; (louíl qu'elle cause en Amérique; démons-
trations en Anglcterre et ('11 France; \Vashington et Bona-
parte


La paix était devenue fort nécessaire a la jeune république, et
Washington ne cacha point sa satisfaction de la voir signée. Elle
ne tl'anchait pas a la vérité l'avenir, et laissait meme le pays en
face d'une situation diffiéile et· a certains ,égards alarmante.
« Les armées permanentes absorbent si bien lessoldats qu'ils
« cessent d' etre des citoyens, tandís que les grands commande-
« ments enivrent si vi te les généraux qu'ils deviennent des pré-
« tendants 1.» Cette assertion que son auteur tire des annales de la


1 Beulé. Etudes et portraits du temps d'Auguste (Revue des Dettx-Mondes,
15 juillet 1869).




!
360 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONÁLE.
Rome impériale s'es! vérifiée dans notre hísloire et ~e serait véri-
fiée au berceau me me de la libert~ américaine, s'il eut plu a
Washington de le vouloir. Déja, en 1782, plusieurs de ses officiers
lui avaient fait une ouverture qui tendait a le créer chef de l'État,
meme a lui conférer la couronne, et ill'avait rejetée avec hor-
reur. Le mécontentement de l'armée lui offrit l'année suivante
une occasion qu'un ambitieux vulgaire n' eút trouvée que trop fa-
cHe a exploiter. Ce n'était qu'a grand' peine qu'il avait pu obte-
nir, en 1780, que les officiers jouiraient, une fois licenciés, d'une
demi-so1de, et cette promesse, le congres ne se hatait point de la
tenir. L'armée, encore réunie, inspirait a l'esprit public de grandes
défiances, et, oubliant ses services pour se souvenir seulement'
de sa force et des dangers qu'elle pouvait faire courir a des insti-
tutions a peine nées, on se préparait a la renvoyer dans ses foyers
san s lui avoir meme payé l'arriéré de sa solde, ce qui était a la
fois une ingratitude et une faute.


Les troupes en con¡¡urent un mécontentement tres-vif, et
les intrigants de toute sorte agirent de fa¡¡on a le pousser a l'ex-
treme. Le camp de Newbury, qu'elles occupaient alors, présen-
tait l'aspect le plus désordonné: généraux eL soldats tenaient le
meme langage, et s'unissaient dan s un concert de pIaintes, de
récriminations et de menaces. Ce' fut dans ce milieu inflammable
que retentit enfin la voix provocatrice d'un aide de camp du gé-
néral Gates, écho peut-etre de Gates lui-meme « La paix renait, »
s'écriait le major Arrnstrong dans une proclamation anonyme
qui a gardé en Arnérique le nom d' Adresse de Newbury. « La paix
« renalt, et vous serez les seuls a ne pas profHer de ses bienfaits ...
ce Martyrs de la révolution, vous irez vieillir dans la pauvreté, la
« misere et le mépris ... Réveillez-vous done; redressez-vous, et
« faites appel non a la justice, ~nais aux terreurs du congreso Po:
« sez-lui cette alternative: Si la paix s'établit, la mort seuIe
« pourra vous séparer de vos armes; si la guerre continue, vous
« vous retirerez dans les déserts, sous la conduite de votre il-
« lustre chef, et la vom: raillerez a \'otre tour les peurs de ceux
« qui, aujourd'hui, foulent aux pieds vos réclamations et vos
« droits t. » Les soldals fran¡¡ais qui entendirent, dix-sept ans


f 10 mars 1783.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRER F.T nÉVELOPPEMENTS. 361
plus tal'd, un langage pareil chasserent la représentation natio-
nale e( mir~nt sur leurs pavois le général criminel qui osait le
tenir. Les soldats de Washington rentrerent, au contraire, dans
le devoir aux accents graves et patriotiqlles qu'illeur tit entendre.
( Je vous en prie, ») leur dit-il, « n'écoutez pas des conseils que
oc la saine raison réprouve, des conseils contraires a votre di-
« gnité, préjudiciables a la gloire que vous avez ¡acquise el con-
( servée jusqu'á présent intacte. Ayez une confiance entiere
« dan s la parole de votre pays et dans les intentions bien connues
« du congreso » A ce cOfps politique, iI parla le langage de la re-



connaissance et de la bonne po litiqüe ; il fit valoir tour a tour les
motifs d' équité qui imposaient le payement réclamé par les
troupes, les raisons de prudenee qui le recommandaient, et déclara
que si elles restaient san s etre soldées, « il aurait ainsi appris ce
« que e'est que l'ingratitude et assisté a un spectacle fait pour
« remplir d'amertume le reste de sa vie. ») Le congres eut la sa-
gesse de ne pas commettre cette iniquité ; il accorda einq années
de solde cntiere a ehaque officier, et vota ponr l'armée des re-
merciments publies. CelIe-ci licenciée, Washington déposa ses
pouvoirs aux mains du con gres 1.


Ce fut une scene vraimenf solennelle : les galeries regorgeaient
de spectateurs, parmi lesquels on remarquait le ministre de
France, des négociants, un grand nombre d'officiBrs et de magis-
trats ; un huissier introduisit vVashington: c( Les États-U nis ,
« réunis en cOIIgreS, sont prets a vous entendre, ») lui dit le
speaher, et il s' établit un profond silence. « Les grands événe-
( ments ,dont dépendait ma ret1'aite se sont accomplis enfin, »)
dit-il. « Je remets aux mams du congrés les pouvoirs qu'il m'a-
« vait confiés, et je lui' demande la permission de quitter son
« service. e'est avec plaisir que j'abandonne une positiou que .le
« n' avais pas acceptée sans défiance de ma capacité a la remplir,
« défiance dont seule a pu triompher ma confiance dans l' appui
« du congres, dans la bonté de notre cause, dans la protection
« céleste. Mon (Buyre est finie: j'offre done mes adieux affec-
L( tueux a ce corps auguste, et je me soustrais a tous les em~ar-


ID" A. Bancroft. U{e n{ l!'asl¡ingtoll, 11, 5G-58.




362 LES ÉTATS-UNIS DE 1: AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« ras comme a tous les honneurs de la vie publique t.») 'N a-
shington se retira, en effet, a Mount-Vernon, cette belle propriété
qui avait abrité si longtemps son bonheur domestique. Les
marques de la reconnaissance publique l'y accompagnerent, et il
yemportait un témoignage plus precieux eI,lcore: le témoignage
du devoir accompli et du désintére~sement civique a l'heure du
succes, si pérílleuse pour les petites ames et les faíbles carac-
teres.



A Mount-Vernon, Washington reprit les premieres occupa-


tions de sa vie : il améliorait ses cultures, son outillage, son bé-
tail; il faisait des expériences et les' divulguait dans son voisi-
nage, quand elles avaient réussi. Aucun étranger ne visitait les
États-Unis sans frapper a sa porte largement hospitaliere ; aucun
Américain ne se rendait en Europe sans solliciter sa lettre de re-:
commandation. En meme temps, les intérets publics ne cessaient
pas d'occuper sa pensée et d'attirer sa sollieitude. Il eomeillait
aux divers Etats de se eréer des liens eommereiaux avec l' Angle-
ter1'e et l'Espagne pou!' l'époque, c( plus proehaine que bien des
c( gens ne le eroyaient, ou, ayant grandi, des relations de eette
« espeee aequerraient une importanee partieuliere. ») Il projetait
de rendre le Potomae et la riviere James navigables, et trac;;ait
tout un vaste plan de navigation entre la vallée du Mississipi e,t
les grands laes. La législature de Virginie, ayant pris sous son pa-
tronage l'amélioration du régime de la riviere James et du Poto-
mac, exprima le vmu qu'elle devint pour son auteur « un témoi-
gnage de la gratitude de son pays natal,» de meme qu'elle
devait etre « un monument de sa gloil'e, » et offrit a Washington
cent cinquante aetions des compagnies qui s'{Haient f01'mées pour
la canalisation de ces,deux cours d' eau. Il se sentit fort embar-
rassé, plus embarrassé, a-t-il dit lui-meme, que dans aueune autre
conjoncture de sa vie publique. D'un coté, cet offre lui paraissait,
avec raison, une marque d'estime, et il craignait par un refus de
blesser les donateurs ; de l'autre, il redoutait d'aliénercette indé-
pendanee qu'il mettait tous ses soins a préserver intaete, et son
ame assez altiel'e répugnait a l'idée que les malveillants ou les




1 Lzfe of Washington, JI, 60-01.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 363


sots pussent dire « que Washington avait re(,:u quarante mille
dollars ponr s'intéresser a deux entroprises. » Enfln, pressé d'une
maniere aussi ferme que délicate, il Hnit par accepter les cent
cinquante actions, mais sous la condition expresse qu'il serait
libre d'employer les quarante mille dollars qu'elles représen-
taient a la fondation de deux colléges 1.


Washington quitta néanmoins sa retraite, non par gout ou par
ambition, mais avec des inquiétudes et de sombres pressenti-
ments. Il la quitta pour rendre a son pays de nouveaux et grands
services, a une époque oil la jeune république dérivait vers le
désordre et la banqueroute, déconcertait les espérance" de ses
ami s et semblait justifier les prévisions de ses détracteurs; a une
époque oil des mena ces de guerre sociale retentissaient dans le
Massachusetts et oil l' Angleterre, loin'd' exécuter le traité de paix,
fermait ses ports aux navires américains et négligeait systémati-
quement d'entretenir des rapports diplomatiques avec ses an-,
ciennes colonies.


Le mal qui affligeait les États-U nis venait súrtout de la fai-
blesse du gouvernement généra], tol que les Articles de confede- \
ration et ele perpétuclle 'unían l'avaient constitué. La' gestation de
ces articles avait été Jaborieuse, Un premier projet qu'avait pré-
senté,desle 11 juin'1776, un comitéspécial fit place, le 12juillet,
a un autro projet dont Dickinson était l'auteur, et qui lui-meme,
débattu a deux reprises différentes '2, fut remplacé, le 20. aout, par
un troísieme plan. Le congres, du 8 avril au 15 novembre 1777,
discuta ce plan en plusieurs fois, en finissant par l'adopter, mais
non sans y introduire des modifications importantes et en ]e sou-
mettant, par une décision du 26 juin 1778, a la ratification popu-
laire 3. eette opération, commencée le 1 9 juillet de cette meme
année, nefutcomplete qu'au 1 er mars 1781 4, et ce fut cettedatequ~
le eOIlgres adopta pour eeHe des articles et qu'il anIlon~a jo)euse-


i Life o{ Washington, 11, 63-64.
2 Du ~2 au 31 juiJlet et du 5 au 20 aout.
3 Story. Commentaries on the american constitution, l, 2l1-213.
4 Grace aux résistllDces du DeJuwule el du Marylaud. Le pl'emicr de ces Elats


De ratifia les articJes qu'en 1779, et le Maryland qu'a la dale pl'éeitée du l el mars
1781.




064 LES ÉTATS-UNIS DE L AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ment au peuple. Ce qui avait retardé et entravé l'opération, au
point de menacer la confédération de se dissoudre, c'étaient les
controverses relatives aux limites des Etats, et l'on se souvient que
pour quelques-uns, ces hmites s'étendaient, d'apres leurs chartes
de fondation, jusqu'aux rivages du Pacifique ou al1aient se perdre
duns les solitudes du Far- West. Les grands Étatsprétendaient des
droits exclusifs sur les anc.iennes lerres de la couronnc enfermees
dansces limites, tandisque les petits États soutenaient, au contraire,
«( qu'arrachées a l'ennemi commun par le sang et les trésors des
treize colonies » et cédées al' Angleterre par le traité de 1703, ces
tenes formaient un domaine commUD a la disposition du COIIgreS,
pour etre distribuées suivant les exigences du bien publico Au mois
de février 1780, le New-York ayant abandonné une partie du
territoite occidental qu'il réclamait, le congres saisit eette oeca-
sion de recommand'er aux États la prise en considération d'un


,sujet si important pour le crédit public, la paix intérieure, l'in-
dépendance meme du pays. Ses exhortations ne resterent pas
vaines, pi la Vírginie, le Massachusetts, le Connecticut, la Caro-
line du Sud et la Géorgie consentant successivement a des ces-
sions de meme nature, le grand obstacle a l'adoption du pacte
fédéral disparut.


A ux termes de son artiele 2, chaque Étilt garda sa souve-
raineté et son indépendance propres, avec tous ses pouyoirs ou
droits juridictionnels, en tout ce qui n'était pas délégué au
congres d'une fa~~on expresse, et pou!' prévenir des velleités
usurpatrices, les Articles prirent quelques précautions. Ainsi, iI
ne fut loisiblo a aucun État de traiter avec une nation étrangere,
de son autorité pl'opre ; de s'allier avcc un autre État ; d'établir
des droits d'importa tion autres que ceux reconnus par les traités
extérieurs; de conférer des ti tres de noblesse, d'entretenir des
vaisseaux en temps de paix. et de guerroyer, si, ce n'était avec les
Indiens. Mais les restrictions imposées au congres lui-meme
étaient autrement multipliées et minútieuses, et, suivant la re-
marque de. Story, ce qui fl'appe le plus dans les A-tlicles, c'est
leur soin jaloux de l'éduirc á l'expression la plus striclc l'acHon
et les droits du pouvoir central. Ainsi, le congresne pouvait,
par lui-memo, assurcl'.l' exécution d'aucunc loi, l'égler aucun




. QlíATHlEME PAHTIE. PROGHES ET DEVELOPPEl\lENTs . 365
commel'ce, level' aucune taxe, payel' ses propres employés, pro-
téger les propriétés ou les personnes. Il pouvait, a la v¿rité,
contracter des dettes, mais il restait sans les moyens de les ac-
'quitter; passer des traités, mais ehaque État restait libre de ne
point s'y conformer ; établir des cours de justice, mais sans pou-
YO ir procurer des émoluments a leurs titulaires. En un mot,
cornrne le disait alors un rédacteur de l' American .Museun1, il
pouvait « tout décréter, mais iI n'avait le droit de rien faire, ))
ou, pour employel' l'cxpression de Washington, plus énergique
encore, la confédération « n'était qu'une ombresans substance: »
A shadow without substancc t.


Les faits et la théorie avaient marché d'accord. En 1784, le con-
gres eút voulu qu'on lui accordat, pour quinze ans, la faculté de
prohiber les importations ou les exportations par navires apparte-
nant a des nations qui n'avaient point avec les États-Unis de traités
commerciaux, et avait vu les États lui opposer des refus constants.
Par suite de cette impuissance a faire exécuter les clauses du traité
de 1783, l' Angleterre n'avait pas voulu évacuer a son tour les postes
militaires de l'Ouest~ et toute la frontiere de eette vaste région
restait exposée aux insultes des Peaux-Rouges et ouverte a leurs
incursions. Le congres avait bien songé a y envoyer quelques
troupes ; .mais il aurait fallu les lever d'abord, et c'était ce que
l'attitude, dans son sein meme, d(; certains États lui avait rendu
impossible, liés qu'étaient sur ce point leul's députés par des
mandats impératifs. Cherchait-il a régler entre deux États quelque
question de limite, i1 était sur d'en etre empeché par la résistance
de l'une ou de l'autre des parties contendantes, et il ne parvenait
pas meme a régler la quotité de la deUe du pays ou la position
de ses créanciers. De ces attributions mal défiuies ou dépourvues
de sanction , de ce partage mal fait de la puissance politique , de
ces conflits entre le congrei:\) et les États particuliers, qui cher-
chaient d'un cOté comme de l'autre a violer leur droits récipro-


f Comrnent. on Amer. rev., J, 222-227. C'étrllt aussll'opinion de Jay, exprimée
dalls unc leltre qu'il adressait au peuple de Nc\v-York.


2 On y délibél'uit par Etat et nOn par tete, et, comme le suffrage d'un petit Etat
\'a!ait cclui (rUn grand, la majorité numerique était exposéc b subir la loi dc la mi-
norité.




~


366 LES ÉTATS-UNIS DE L'A~lÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
ques, a franchir ou a restreindre leurs limites respectives, il était
né un état de choses a la fois violent et confus, régulier et
arbitraire, qui énervait les forces vives du pays et ne menaQait
pas seulement sa paix intérieure, mais encore SOl~ indépendance
nationale, et le grand sens politique de Washington ne s' était
pas trouvé en faute, quand il avait invité ses ofticiers et ses sol-
dats, dont il prenait con$é, a répandre dans leurs foyer s l'opinion \
'que développer l'autorité du congres et fOl'tifier les pouvoirs
de l'U nion était une besogne vraiment urgente.


Le signal de cette réforme partít de son Etat natal. Au moís de
mars 1785) des commissaires nommés llar la Virl6lni.e et le Mary-
land, pour régler la navigation de la baie de Chesapeake, du Po-
tomac et du PocomocKe, s' étaient réunis et avaient senti le besoin
de pouvoirs plus étendus, qui leur' auraient permis d' établir des
tarifs d'importation et d'en assurer la pereeption an moyen d'une
force naval e stationnée dans ces eanx. Ils s'adresserent a la légis-
lature virginienne, qui fit a len1' demande ·un bon accueil) avec
la réserve qu' elle serait mise sous les yeux des autres 'États inté-
ressés. Ces memes commissaires s'étant de nouveau réunis, en
janvier 1786, et ayant examiné la question de 'sayoir s'íl ne serait
pas utile de soumettre a des regles uniformes le comm eree extérieur
des États-Unis, une convention de cinq États, Virginie, Pennsyl-
vanie, New-York, New-Jersey et Delaware, s'assembla queJques
mois plus tard a Annapolis 1. La convention était trop pal,tielle
'pour arriver a un résultat définitif; elle se contenta, dans un rap-
port destiné a passer sous les yeux de toutes les législatures
d'États, de conc1ure a la réunion d'une convention générale, qui
~'ocpuperait de la situation des État-Unis et de la révision du pacte
fédéral, dans un sen s favorable a plus d'unité dans la direction
et a moins de frottements dans les ressorts du gouvernement
général.


La nouvelle convention se réunit a Philadelphie, le 21 février
1787, et tous les Etats, a part Rhode-Island, yenvoyerent leurs
délégués 2. Elle comptaitcinquante;.cinq membres, parmi lesquels


t Septembre 1786.
2 Ceux du New-Hampshire ne parilrent pas avant le 23 juillet.




QUATRIEME PARTIE. - PHOGHES ET DÉVELOPPEl\'m;-":TS. 3G7
Hamilton pour le New-York; Franklin, Gouverneur. Morris 1,
Wilson pour la Pennsylvanie; Rufus King pour le Massachu-
setts; Washington, Madison, Randolph pour la Virginie; Rut-
ledge pour la Caroline méridionale; Dickinson pour le Delaware.
Quant a sa mission, Washington la définissait ainsi : « Je désire
«( qu'elle n'adopte aucun expédient '-lui tende a temporiser, mais
« qu' elle examine a fond les défauts de la constitution et qu' elle
« opere une cure radical e, sans s'inquiéter de savoir si ces défauts
« sont généralement reconnus '2. ») Il n'avait pa& réfléchi, peut-etre,
en traQant ce programmé, que la division des esprits, teUe qu'elle
régnait dans le pays, se reproduirait au sein de la convention et
rendrait bien difficile l'adoption de mesures trop radicales. Il le
comprit mieux quand il en eut, contre son ine1ination, accepté la
présiden~e 3, et se fut aperQu qu' au milieu d' opinions tres-di verses
sur tous les points de détail, dominait eeUe impression générale
qu'il y avait un antagonisme réel entre l'intéret du pouvoir cen-
tral et les intérets des Etats particuliers, de meme qu'entre les
intérets des grands et eeux des petits Etats.


Le premier projet de eonstitution qui vint devant l'assemblée
était dÍl a Randolph, et affectait le earaetel'e de eette faussr unité,
a laquelle s'appJique si bien le mot de Pascal, que l'unité sans la
variété, c'est le despotisme: une chambre de., représentants élue
directement par le peuple ; une eommission exéeutive, un sénat,
une magistra ture nationale, émanant de eette .,eule source; un con-
seil de révision composé des membres de la haute cour de justice
et des eommissaires e-xécutifs, telles en etaient les bases. Un autre
plan, connu sous le nom de plan de New-Jersey, paree qu'il fut
présenté par William Paterson, député de cet Etát, consacrait,
au contraire, une organisation toute fédérale ou plutót locale, et ,
ne dérogeait que 'sur deux pOilltS aux articles de confédération,
dont OIl cOlluait les tendances, en ne reconnaissant le droit d' éta-


i Gouverneur était son préllolTl, et ille tenait de eeUe eirconstance qu'en Amérique
Oll a I'habitude de prendre des prénoms qui rappellent des souvenirs historiques.
IVI. Laboulaye a rencontré de charmantes misses qui s'appelaient La Fayette, et le
prénom d'Irving, le gracieux écrivain, était Washington.


2 J. Sparks. Vie, corr., écrits, Il, 241.
3 V. sa Jettre a Henry Lee du 22 septemhr'e 1787; Vie de Washington, V,223..:.


'l'n.




, ,


368 . , . LES ETATS-UNIS DE L AMEBIQUI!: SEPTENTIUONALE.
bEr des impots et celui de fairc des traités de commercc qu'au
eOIIgres seul; du reste, une chambre unique, mais nommée par
les ·législatures locales, une commission exécutive et une haute
cour j lldiciaire chargées de vejUer et de pourvoir a l' exécution ,
des actes du congreso Pour Hamilton, il avait un autrp idéal: il
eftt souhaité pour l'Améríque, a peu d'exceptions pres, la trans-
plantation des lois anglaises. Son systeme remettait l'autorité
exécutive a un président viager et le pouvoir législatif a deux
chambres, 1'une élue pOUl' trois ans par le suffrage universel et
direct, l'autre nommée a vie, par des électeurs choisis eux-·
memes par le corps des francs-tenancieI's. Le président jouis-
sait du droit absolu de veto sur les actes du congres, de meme que
les gouverneurs des Etats, nornmés par le président, l'avaient
sur les actes des législatures locales. . •


Voila les opinions et les projets bien tranchés sur lesquels les
débats de la convention s'ouvrirent. Tout instructif qu'en soit
le détaiI, iI ne faut pas s'aUendre a le rencontrer ici. Quelques in-
dications doivent nous suffire, et nous renvoyons le lecteur curieux
d'approfondir cette phase si intéressante de la vie politique en
Amérique aux Papiers de Madison, OU il a conservé, d'apres ses
notes journalieres, les proces-verbaux de 1'assemblée; a la corres-
pondance de ¡Washington et au recueil intitulé le Fédéraliste,
amvre commune de Madison, de Jay et d'Hamilton. Bien que par
une disposition qui offrit pellt-etre certains ayantages, eu égard
a la situation profondément troublée que les Etats-Unis traversaient
alors, mais malheureuse en soi et tout a faíL répugnante a la no-
tion meme des rapports d'un commettant et d'un mandataire, la
convention délibérat a huis clos et dans un absolu secretl, ses


i M. de Witt trouve « eette regle fort sage » (Vie de Washington, 237-238).
Avec elle, dit-il, « point de ménagements a garder pour ¡'oreille du public; point
« de place pour les déclamations et les banalités révolutionnaires; nulle prcssion dll
« dehors; nuBe arriere-pensée ambitieuse ou lache dan s la poursuite de la vérité. »
Sans trop chercher, on trouverait peut-etre dans le livre meme de ce doctrinaire la
preuve que les banalités et hr phraséologie vaine ne sont pas un monopole des écri~
vains révolutionnaires. Quant aux pensées « ambitieuses ou luches, » ¡¡uant aux in-
trigues surtout, il reste a prouver que le huis-clos leur est avalltagcux plutót que
nuisible. L'asscmblée de Versailles, dont M. de Witt fait partie, a fait de' bien
pietre besogne; elle en eút [ait d'exécrable, si la publicité ne lui eut pas llarfois im-
posé son frein.




QlJATlUEME PART lE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 369
débats ne laisserent pas d'étre ardents, poussés parfois júsqu'a
l'exaspération departetd'autre, et l'on fut adiverses reprises sur
le point de se séparer sans avoir rien fait. Qu'a la place des
hommes moins lettrés, mais plus pratiques, que renfermait l'as-·
semblée de Philadel phie, il Y eut eu des rhéteurs ou des hommes
entichés d'idées purement philosophiques dont ils ne veulent ou
ne savent rien céder, et le despotisme démagogique, la gllerre
civile, peut-étre, pouvait sortir d'une sitllation aussi complexe et
aussi tendue. L'ascendant de Washington et la prudence de Dic-
kinson, le patriotisme d'Hamilton, le bon sens profond et incisit
de Franklin, la paro le active, souple'et forte de Madison sauverent
a leurs concitoyens l'une et l'autre de ces redoutables épreuves.
La constitution qui régit, depuis quatre-vingts ans, les Etats-Unis
est née d'une discussion libre, d'une transaction librement con-
sentie, et c'est a cette condition seule qu'en politique on fonde les
choses durables, ceBes que la discussion prépare et auxqueBes
des compromis honnetes impriment de la vigueur et commu-
niquent de la durée.


Il n' est personne se piquant de quelque instruction qui ne con-
naisse aujourd'hui ses caracteres fondamentaux et qui ne sache
qu'elle fonctionne a l'aide d'un président, de deux chambl'es et
d'une haute cour de justice. Le président est élu pour quatre an-
nées, suivant un mode de votation tout particulier et dont il sera
question tout a l'heure; il commande en chefles armées de terre
et de mer, conclut les traités, nomme les ambassadeurs, les juges
de la cour supreme et les hauts fonctionnaires, mais avec l'avis
et du consentement du Sénat ; iI est personnellement responsable
et toujours rééligibIe. La Chambre des représentants est élue pour
deux ans par la voie du suffrage popuIaire et direct; le Sénat l'est
pour six anset par le vote des législatures locales: iI a le mono-
pole des affaires extérieul'es, et c'est lui qui juge le président que
la Chambre des représentants a decrété d'accusation. Le pouvoir
judiciaire, dans sa plus haute expression, est dévolu a une Cour'
supreme, laquelle connait de to'Us les cas de dToit QLf, d' éqttité sou-
levés par]a constitution, et cette prérogative, trop peu remarquée I
et trop peu connue en Europe, lui assigne une importance tout
autre que ceHe de notre Cour de cassation. Elle devient ainsi l'in-


24




370 LES ÉTATS-UNlS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTlUONALE.
tel'prete supl'eme, le gardien de ia iOl, la modératrice des feoisse-
ments et des eonflits qui peuvent survenir entre le gouvernement
fédéral et les gouvernements loeaux. Le jugement par le jury est
appliqué a tous les erimes; la presse jouit d'une liberté sallS limi-
tes, et il n'existe point entre l'État et l'Église un de ees eontrats
néfastes et adulteres, par lesquels l'Église met au serviee de l'État
son ascendant moral, tandis qu'a s011 tour, l'État prete a l'Église,
pour dominer et foreer les eonseienees, l'aide de ses satellites et
l'appui de ses tribunaux. Cette eonstitution sans doute n'éehappe
point au sort eommun a tout~s les ehoses humaines, qui sont im-
parfaites; et ce n'est ni un fétiehe qu'il faille adorer, ni une
panacée dont on a1t le droit d'attendre la suppression des maux
nombreux de l' organisme soeiaL Mais, en s'inspirant de tous les
principes essentiels au gouvernement libre, du Sel{ government,
pour employer l'expression meme des deux peuples qui en reven-
diquent la paternité; en s'attaehant a en adolieir les frottements
et a en éviter les éeueils, elle a beaueoup fait pour l'avenir de la
-soeiété anglo-américaine. C' est a l' exereiee viril et ineessant de
toils les droits politiques et personnels qu'il faut attribuer la erois-
sanee presque prodigieuse de eeHe soeiété, bien plus qu'a ees
instinets de raee dont le systeme fataliste abuse, et qui fournissent
un moyen vraiment trop faeile de ranger la liberté parmi les
questions géographiques, en la déelarant, suivant les latitudes,
exeellente en Amérique eL pernieieuse en Franee.


Chaeune des bases de cette eonstitution fut a Philadelphie
l'objet de discussions animées, approfondies. Un dessujets les plus
brulants étaít eelui de la représentation nationale: serait-elle
direete ou indireete; formée d'une ehambre unique ou de deux
chambres, et dans eette derniere hypothese, ces deux corps sor-
tiraient-ils d'une meme source? Ceux qui craígnaient une union
trop "forte et l'affaiblissement de l'esprit local opinaient pour que
les députés fussent les mandataires immécliats des États, ehoisis
par leurs législatures, et on a~rait eu ainsi c( quelque ehose
eomme la diete germanique, e'est-a-dire l'impuissance or-
g anisee 1. ») Madison, Hamilton et surtout Wilson insistaient,


i Laboulaye llist. ]Jol. des E'tats-Unis, Ill, 13" lecon.




QUA.TRIEME 1)A.HTlE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 371
au contraire pour la représentation directe du peuple. On s'en
tira par Ulle transaction, et, quand on se fut prononcé ponr le sys-
teme des deux Chambres, on décida que la Chambre des repré-
sentants seraIt élue directement par les colléges électoraux et le
Sénat par les législatures localés. Restait la question de savoir si
la capacité électorale serait universel1e ou limitée, et sur ce point
les idées different sensiblement en Amérique de ce qu' elles sont ,
en France. Sous l'inspiration de Mably et de Rousseau, la théorie
qui a prévalu chez nous a fait de l'électorat un droit naturel, et
au fond, sous le bénétice de certaines réserves, elle nous parait
acceptable; dans tous les cas, les faits lui ont donné aujourd'hui
une assiette a laquelle il sel'ait dangereux de toucher. Les Amé-
ricains, de meme que les Anglais, considerent plutót le droit de
suffrage comme une fonction dont il faut etre digne, comme un
droit acquis et acquis aux seules personnes qui possedent assez
d'intelligence' et de courage civil pon!' etre capables de l'exercer
avec un certain degré de convenance et dans l'intéret commun 1.
La convention de Philadelphie ne voulut pas faíre une loi électo-
,rale universelle, clans la double craintc d'inclisposcl' les Etats dé-
mocratiques, au cas ou ses conditions auraient été trop séveres,
et de mécontenter les États ou la propriété reposait sur de
larges bases, dans le cas contraire. Elle cut recours tl un biais et
décida que la chambre des représentants serait nornmée suí vant
les regles qui présidaient dans chaque État a la formation de la
chambre la plus nombreuse, c'est-~l-dire, en d'autres termes
qu' elle adopta pour chaque État le syst~me électol'a lle plus large.


LOl'squ'en 1776, les Etats procéderent a la refollte de leurs con-
stitutions particulieres, onze d' entre eux COllSerVerent le systeme
des deux chambres, et iI n'y eut que la Géorgie et la Penusyl-
vanie '3, tenter l'expérience d'une assemblée unique. On croit que
dans la cOllvention de la Pennsylvanie, ce fut l' ascrndant de
Franklin, son président, qui décida de la mesure, et qu'il l'em-
porta en se servantd'une 50rte d'apologue ou il compal'ait une lé-
gisIature ayant deux branches a un chariot pourvu de deux timoIlS


1 Ce sont les terme~ memes dont se sert M. Ezra Sea1lJ3U, uans un livre intitulé
le Systeme du gouvernement allláicain, ql1i a été traduit par 1\1. Hippert et édilé
par la maisQn Guillaurnin (Paris, jtl72).




372 LES ÉTAl'S-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.


tOUl'nant chacun da,ns un sen s opposé 1. Mais, ni dans la Pennsyl-
vanie ou la Géorgie, ni dans le gouvernement de la confédération
elle-meme, l'expérience n'avait été heureuse, et John Adams avait
depuis plaidé la cause des deux chambres, avec. un appareil de
logique et d' érudition qui entrainait la conviction e~ épuisant la
matiere 2. Toujours est-il que dans la convention de 1757, le sys-
teme d'une chambre unique trouva trés-peu de partisants, et la
seu]e ql,lestíon qu' on y posa fut ceHe de déterminer l' origine du
Sénat et son caractere.


Gouverneur Morrís exprima san s hésister l'opinion qu'il
devait etre riche et viager, c'est-a-dire aristocratique, et ne s'et'-
fraya nuUement du mal qu'ainsi constitué, il pourrait faire
dans une société démocratique. « Cette assemblée fera du
« mal ») dit-il, « soit. Je le crois et je l'espere. Les riches s'éver-
« tueront a dominer et a mettre le reste de la nation sous le joug.
« C'est ce qu'ils ont toujours fait, et ce qu'ils feront toujours. La
« vraie garantie a leur endroit est d' en faire une classe séparée avec
« des intérets séparés. De la sorte, les deux forces parviendront a
« s' équilibrer. 3. ) Madison cherchai t aussi a faire du sénat le
représentant cornme le défenseur spécial des intérets de la grande
propriété, et Dickinson le souhaitait, autant que possible, a
l'image de la pairie britanique, et composé d'hommes auquels
leur rang ou leur fortune assignerait dans le monde une }3osition
é~inente. Il croyait que le mode d'élection par les législatures
10Gales remplirait mieux ce hut et le recommandait en consé-
quence 4 • Ce fut le partí, comme on l'a déja dit, auquella conven-
tion s'arreta; mais il restait a trancher une question épineuse et
qui allait remettre en jeu la rivalité des grands et des petits Etats.
Ceux-ci n'avaient pas souscrit san s répugnance a ia base pro~
portionnelle au nombre des habitants qu' on avait adopté e pour la


t Life of Franklin, 410.
2 :Dan s son livre, publié en 1787, et intitulé: Defence of the constitutions o r


government of the unUed states of America, avec cette épigraphe significative :
« L'opposition de toute la nature tient toute la nature en paix. » 11 a été fraduit en
frallf;ais, en 1792, par M. de Sainte-Croix, sous le litre de: Dé(ense des consfÚu-
tions américaines et de la nécessité d'une balance dans les pouvoirs d'un État
libre.


a Madisons's papers, JI, 1043.
¡ Madisons's papers, 11,813-816 el 964.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMF.NTS. ~73
chambre des représel1tants 1 ; ils ne voulaient a aucun prix con-
sentir a ce qu'on l'appliquat encore au sénat futur, et comme le
disait Dickinson a Madison, ils préféraiellt reprendre le joug de
l'étranger que d'étre jetés sous celui des grands Etats, par l'iné-
galité de représentation dans les deux chambres. Un premier
vote l'ayant consacrée, les députés des petits Etats témoignerent
une irritation extreme, et il parut un moment certain que l' As-
semblée se séparerait sans avoir fait autre chose que jeter dans le
pays de nou \'eaux terments de discorde et de nouvelles causes de
troublcs. Par bonheur, une nouvelle transaction intervint, et sur
le rapport de Franklin, l'on décida que chaque Etat, quelle que
fut sa populatíon, nommerait deux sénateurs, mais que l'inítiative
des lois de finances appartiendrait a la seule chambre des repré-
sentants, oú l'élément numérique avait la prépondérance.


« Pour qu'un Etat soit stable, » disait au dernier siecle un com-
mentateur des institutions anglaises,« il faut que le pouvoir légis-
« latif soit divisé; pour qu'il soít tranquille, il faut que le
« pouvoir exécutif y soit unique 2. » La constitution américaine a
constitué le pouvoir selon cette maxime, dont la sagesse est peu
contestable, et l'a fait électif et temporaire. Le président est
d'ailIeurs rééligible, et ce ne sont ni les législatures locales, ni le
suffrage direct qui l'investissent de son pouvoir. Washington, d'a-
bord hostile au principe de sa réégibilité, s'y laissa convertir par
J efferson, et plus tarel il l' a défendu contre le duc de La Rochefou-
cauld-Liancourt, par des raisons solides, mais don tIa derniere n' est
acceptable que sous quelques réserves. « Il ne pouvait» disait-il,
« tlécouvrir quel avantage iI pourrait y avoir a se priver des ser-



(e '\tices d'un homme qui, dans quelque gl'ande crise, serait peut-
{( étre universellement regardé comme le plus capable de servir
« le public .... Il n'y avait pas, selon lui, le moindre danger que
«( le président put jamais, par aucune inh'igue praticable, se
« maintenir un seuI instantdans ses fonctious, et encore moins
« s'y perpétuer, a moins que ce ne tút au dernier degré de la cor-


f Il Y a aussi des conditions d'éligibilité particulieres : áinsi il ne faut, pOllr etre
représentant, que vingt-cinq ans d'age et sept ans de nationalité; tandis que pOllr
Úr'e sénateur il faut trente de I'un et nenf de l'anlre.


2 Delolme. Constitution d'Angleterre .





374 LES ÉTATS-UNIS DE L'Al\IÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« ruption morale et de la dépravation politiqueo Et alor8 toute
( autre sorte de domination aurait autant de chances de triomphe.
« Quand un peuple est devenu incapable· de se gouverner et pret
( ponr un maUre, il n'importe d' ou le maltre vient 1. »


C'est en d'autres termes le fameux mot du comte Joseph de
Maistre, sur Iys peuplet; qui ont touiours le ~ouvernement ~u'il;s
méritcnt, et, de meme que tous les mots.3. effet, il n'est que d'une
vérité relative. Il y a eu, il y a, ify aura encore des peuples qni
n'ont pas mérité le gouvernement qu'ils subissent, et nul doute
aussi que le pouvoir ne puisse etre le principal agent de la corrup-
tion meme dont il nait et s'entretient. Ce qui rend la monarchie
un gouvernement mauvais dans son essence, e'est le besoin inces-
sant qu'elle a pour vivre de faire appel aux sentiments les moins
énergiques ou aux instinets les plus bas de l'ame humaine; ce qui
lui rend 3. cet égard la tache facile, e' est la perpétuité des offieos
et des fonetionnaires. Aussi les Américains qui sont des gens fort
pratiques, tout en inserivant la réégibilité du président dans leurs
lois, semblent-ils moins yvoir un objet d'application usuellequ'une
faculté, une ressource éventuelle, une marque de reconnaissance
partieuliere. Tel~e est la signification qui s'attache aux doubles
présidences des Washington, des JohnAdams, des Jefferson, des
Monroe, des Jackson, des Lincoln; la réélection du général Grant,
si elle doit avoir lieu, n'en aura point d'autre, et l'on peut etre
eertain que pas plus que ses prédécesseurs les plus illustres, iI n'oe-
cupera pas une troisieme fois le fa utenil présidentieI .. Cette tradition
parait un correctif au mode qui régit l'élection du président,
et qui est vicieux, cal' il assigne au chef du pouvoir exécutif une
origine plus populaire .que celle des sénatcurs, et, en définitive,
la meme que celle des représentants, avec ce ,désavantage pour
ceux-ci d'étre les mandataires d'une portion restreinte dll pays
seulement 2. Nousajouterons que, .s'il peut suffire dans un pays


i ·Hist. de Washington, 1, 253.
2 L'élection a lien au dellxieme degré, et chaque Etat nomme, suivant le mode


prescrit par sa législature, un nombre d'électeurs égal au nombre total des séna-
teurs et des représenlants qu'iI a le droit d'envoyer au congreso Les électeurs votent
au scrutin et par bulletins séparés, pour deux personnes un président et un vice-
président. Le dépouillemen't des votes a lieu, par les soins du président du sénat,
devant les deux chamhres réuoies. Au cas OU personllc n'allrait ohtenu de majorité,





QUA'l'RI~iME PAn'rIE. - Pnor.n¡'~" 1':1' DEVELOPP;~\íE:'ITS. 375
ou les armées perm¡mentcs sont illconnues et fort impopulairrs,
dans un pays de fonctions électives et d'administrations localisées,
iI n'y a que la nornination du présidcnt par le corps législatif qui
puisse valoir dans une répuJ:lique centraliste, et chez un peuple
trop sensible a la gloire des armes, ou forcé par sa position topo-
graphique et les ambitions de ses voisins de se tenir sur le pied
d'une large défensive militaire.


Madison lui-meme a pris soin de prémunir les esprits contre
une erreur qui n' était pas rare, disait-il, et qui consistait a
regarder la constitution des États-Unis a travers le milieu d'un
État centralisé ou celui rl'un État purement fédéral. Le gouver-
nement américain, ajoutait-il, n' est ni centraliste, ni fédéral, mais
bien un mélange de ces deux formes, et sa vraie caractéristique
se trouve tant dan s son mode d'organisation territoria1e que dans
la division des pouvoirs entre les États considérés dans lenr c~pa­
cité collective et ces memes États envisagés dans leur" capacité
individuelle 1. En définissant dans l' enceinte du sénat le pou-
voir judiciaire fédéral, 1'éloquent Daniel Webster ne tenait
pas un autre langage. « La constitution, disait-il, a conféré cer-
« tains rlroits au congres et elle a mis certaines restrictions a ces
( dl'oits; elle a investi les États de certains pouvoirs et leur a im-
« posé certaines prohibitions. D' ou la nécessité d'une autorité pos-
« sédant juridiction pour déterminer, fixer, interpyéter en dernier
«( ressort la nature et les limites des uns et des autres. » Cette
autorité, la constitution elle-meme a pris le soin de la désigner et
de l' établir. Et comment a-t-elle atteint ce granel « but si essen-
« tiel? En déclafant qu'il appartenait a la Cour supreme des
« États-Unis de régler tous les cas qui naissent de leur constitu-
« tíon ou de leurs lois 'l. » Cette Cour n'a pas le droit sans
doute d'annuler d'une fac;on généra1e te1 acte ou te1 autre qui
émane du congres, et l'axiome romain: Ejus est abrogare, cujus


est la chambre des représentants qui cboisit le président par voie de scrutin. Mais
:ll1S ce cas, les votes 80nt comptés par Etat, la représentation de chaque Eta t


n'ay:mt qu'un vote. (Art. 11, sect. 1r • et 12" amendement de la constitution.)
i Lettre a Edward Everett, du mois d'aout 1830; North American Rev'iew, oc-


tobre 1830.
2 North Amencan' Remetv, 11" d'octobre 1830.




376 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
est condere legem, lui reste applicable; mais dans toules les
causes ou un texte constitutionnel se trouve engagé, elle retient
le fond et prononce dans l'espece; elle juge la légalité de ce texte
et statue suivant cette appréciation. Elle maintient les lois fédé-
rales contre les lois particulieres des États et protége les droils
de ceux-ci contre les entrepl'ises du congreso C'est ainsi qu'en
matiere d'impOts, par exemple, la Cour supreme a décidé que la
constitution interdisait aux Etats, d'une maniere implicite, de
taxer les valeurs et les billets fédéraux, de meme que, par contre,
elle a trouvé que le fisc fédéral dépassait son droit en soumettant
a l'income-tax les émoluments d'un fonctionnaire d'État. Pour
assurer aux membres de celte magistrature supreme toute l'in-
dépendance que leur mandat requiert, la consti~ution les a décla-
rés inamovibles, et cette disposition a non-seulement survécu aux
attaques de Jefferson, mais elle.a encore rallié le suffrage public
dan s un pays pourtant ou une regle presque sans exception laisse le
juge amovible, quelle que soít d'ailleurs l'origine de son titre 1.


Quand cette constitutíon eut été votée, il se trouva qu'elle ne
satisfaisait a peu pres personne, et trois membres de la conven-
tion, Gerry, du Massachusetts, Mason et Randolph, de la Vir-
ginie, refuserent d'y apposer leur signature 2. ~( J'y consens,»
dit Franklin, « parce que je n'en espere pas de meilleure et que
« je ne suis pas sur qu'elle n'est pas la meilleure: Je sacrifie au
{( bien public les opinions que j'ai exprimées sur ses erreul's. »
Quant a Washington, s'íl y reconnaíssait des défauts réels, ces
défauts n'avaient, a son sens, rien qui fUt radi~al. A u surplus, la
constitution avait a traverser une derniere épreuve : Randolph
ayant proposé de la renvoyer a l' examen du peuple, Charles
.Pinckney montra sans peine que tout alol's 'était a refaire, et
l'on se contenta de la faire ratifier par les conventions d'État, en
stipulant qu'il suffirait de neuf adhésions pour lu i donnervigueur.


t Jefferson voulait limiter a six ans la durée des fonctions des juges de la Cour
supréme, et son idée a inspiré a la North American Review les réflexions suivantes :
« L'amovibilité ferait dégénérer le juge en partisan politique, et les décisions de
« notre Cour, en matiere constitutionnelle, n'inspireraient bientot pas plus de res-
« pect qu'on n'en accorde a cette heure aux arréts politiques d'un Wright ou d'un
( Jefferies. )) (Numéro d'octobre 1830.)


2 Elle fut votée, le 17 septemure 1787, du consentement de tous les Etats pré-
sents. Sa rédaction est due a Gouverneur Morris.




QUATIUEME PARTlE. - PR()GR~~S ET Dl~VELOPPEMENTS. ,377
Au 28 juin1788, ces neuf adhésions étaient acquises 1 ; mais ni la
Virginie, ni le New-York ne s'étaient encore prononcés, et sans
ees deux grands Etats eomment faire l'union fédérale? Dans la
eonvention de Virginie, l'adhésion avait pour partisans Madison,
John Marshall, le premier biographe de Washington et le seeond
ch'ie¡:justice des Etats-Unis, et Randolph, quin'avaít refusé sa signa-
ture a la constitution qu'a cause de quelques détails de rédaction
et de forme; et pou!' adversaires G. Mason, Monroe et Patrick Henry.
Celui-ci meUait a n'en pas vouloir une animation extreme, et
les événements' n'ont pas laissé de rendre singuliers les motifs de
ses refus. La constitution détruisait, disJlÍt-il, l'indépendance
des Etats, et 1'0n devait voir, a 73 ans 'de distance, le Sud' se
sépal'er du Nord, en prétendant que le partí fédéral n'était autre
chose qu'une alliance entre Etats souverains, et qu'un Etat,
quand il trouvait le líen trop serré, avait le riroit de le rompre 2.
Enfin, le 26 juin 1788, apres ele longs et orageux elébats, la rati-
fication fut prononcée. Ce vote de la Virginie ne laissait plus
a l'Etat de New-York qu'une alternative : quitter I'Union ou bien
adhérer a son tour. Faut-il se séparer? demanderellt Hamiltoll et
Jay, en répondant par une négative énergique, et leur sentlment
reQut, le 26 juillet, une consécration oft1cielle. Plus récalci-
trants, la Caroline du Nord etRhode-Island firent attendre leur
adhésion, la premiere jusqu'au 21 novembre 1789, et l'autre,
jusqu'au 29 maí 1790.


« Il faut adopter la constítutíon, ») avait dit Wythe, au' sein
de la convention de Virginie, !( mais dédarer en meme temps
ce que lespouvoirs accordés au congres sont ceux du peuple, et


i C'étaient celles du Delaware (7 décembre 1787); Pennsylvanie (15 décembre 1787);
~ew-Jersey (18 décembre 1787); Géorgie (2' janv ier 1788); Conneclicut (9 jan-
vier 1788); Massachusetts (6 février 1788); Maryland (28 avril 1788); Caroline S.
('23 mai 1788); New-Hampshire (28 juin 1788). Stury nous apprend que l'adoption
eut lieu 11 l'unanimité dans la Géorgie, le New-Jersey, le Delaware; a de grandes
majorités dans la Pensylvanie, le Connecticut, le Maryland et la Caroline du Sud
(Commentaries, J, '259). Au Massachusetts, J'adhésion, due surtout a Hancock, fut
votée par 187 voix contre 168. Les dates qui précedent sont celles que donne
M. Laboulaye qui a consulté les Debates d' Elliot. M, de Witt indique le 12 décembre
pour la Pennsylvanie el le21jum pour le New-Hampshirr.. J'ai cherché, mais vaine-
ment, a m'édilier sur ces difrércnces. Peul-etl'e tiennent-elles a ce que M. de Wilt
aurait pris la date de la proposition pom' celle dI) vote.


:! Lahoulnye. liist. pol., 111, lOe le~on,




:i7S LE~ ÉTATS-UNIS DE r:AMÉRIQUE SET'TENTBW.NALE.
«( f(ur tont ce qui ne lui a pas été accordé reste expressémBnt
« réservé. » A l'immense avantage des libertés américaines, eette
these a passé dans la eonstitution elle-meme, dont elle forme le
dixieme amendement. Il pose a la souveraineté du eongres des
limites que dans un pays profondément imbu de l'esprit légal,
il ne lui serait pas faeile de franchir, en supposant que la vel1éité
lui en vint jamais. Combinée avec le premier amendement, dé-
fendant a ce corps Qolitique de fai.re a.ucuue lGt ~~i. étaGt\~~~ \\\\~
religion ou qui en interdisse le libre exercice, qui restreigne la
liberté de la parole ou de la presse; qui portie atteinte au droit


. du peuple de s'assembler paisiblement, ou d'adresser au gouver·
nement des pétitions pour le redressement de ses griefs, cette
disposition a placé la liberté amérieaine dans une forteresse inex-
pugnable, si l' on peut ainsi dire, a ses gardiens eux-memes.
Ailleurs, OH n'a fait preuve ni d'une telle perspicacité, ni d'une
telle pr:ldence : en professant l'absurde dogme d'une souverai-
neté parlementaire sans conditions et sans frontieres, on a mis
la liberté de la parole et la liberté de la conscíence, le droit de
s'associer ou de se réunir a la meró de majorités de hasard, de
maj orités intolérantes et rétrogrades, dont les passions et les
capl'ices font ressembler la besogne a la célebre toile de Pénélope,
incessamment tramée le jour et défaite la nuit 1.


L' élection du pÍ'ésident avait été fixée au premier mercredi du
mois de février 17~9, et ce fut Washington que le pays nomma
d'une voix unanime. Il ne se souciait guere de. quitter une se-
conde fois sa belle et paisible retraite, oú il venait de rentrer a
peine, et il fallut qll'on lui fit voir que HuI autre n'était en état
d' aussi bien dom iner les factions et de tirer un aussi bon parti
des ressources de l'Union'2. Le con gres s'était réuni le 4 mars, qui


1 Les conventions proposerent 12 amendements : i1 y en eut 10 d'adoptés dans la
premiere session du premier con gres (25 septembre 1789), et qui furent ratifiés par
le nombre d'Etats nécessaires (les trois quarts), le 15 décembre 1791. lis concer-
nent la milice, le domicile, les poursuites criminelles, le jury. Deux autres amen-
dements, relatifs I'un 11 l'interprétation de la constitution, I'autre a I'élection du vi.ce-
président, furent votés, le premier le 5 mars 1794 et ratifié le 8 janvier 1798; le se-
cond le 12 octobre 1803 et ratifié en 1804. La guerre de la sécession en a fait adop-
ter deux autres, dont il sera parlé en temps et lieu.


2 e'est ce que luí écrivait Gouverncllr IUorris. Vie de Washington, V, 60.





QUATRTEME PARTIE. - PROGRE:;; ET DÉVELOPPEMENTS. 379


était le jour oil la constitution devait etre mise en vigueur; mais
un moi,s s'étant passé san s qu'il fút en nombre pour dépouiller le
scrutin présidentiel, il ne put donner a Washington l'avis omciel
de son élection avant le 14 avril. n quitta Mount-Vernon, le sur-
lelldemain, pour se rendre a New-York. Ce voyage fut triomphal:
dans les campagnes, comme dans les villes, le peuple aceourait
sur son passage, et iI entra dans le port de New-York sur une
barque qui avait pour rameurs treize pilotes, pCl'sonnifiant les
treize Etats, au son du canon et des musiques, au bruit d'aeclama-
tions immenses. « Pres d'un siecle et demi auparavant, sur les
« bords de la Tamise, une meme fonle, des démonstrations sem-
« blables avaient accompagné a Westminster Cromwell nommé
« protecteur de la Républiqne .d' Angleterre. Quel coneours!
« quelles acclamations! disaient ses flatteurs; et Cromwell ré-
« pondait: n y en aurait bien davantage si on me menait pen-
« dre f. ) Washington, a New-York, ne laissa point d'éprouver
un sentiment analogue, mais qu'il se garda bien d'exprimer tout


,


haut, avec le cynisme du Protecteur. « Pendant que je longeais
« les quais,» lit-on dans son )'mwnal, c( ces acclamations ont
«( rempli mon ame d'émotions pénibles autant que douces, cal'
« je songeais aux scenes tout opposées qui se passeraient
a peut-etre un jour, malgré les efforts que j'aurais pu faire pour
« opérer le bien. » Et Washington, en écrivant ces lignes, était
on ne peut .plus sincere : jama~s homme, en effet, n'a moins
goúté que lui les satisfactions vulgaires du pouvoir, el ne s'est fait
moins d'illusions sur les capríces de la popula1'ité et sur ses 1'e-
tou1's, tantOt burlesques, tantót terribles.


Le temps et la modération sont deux grands maitres des choses
humaines: Washington, qui en était bien persuadé, s'en souvint
dans l'exercice de son pouvoir. Donner aux Etats-Unis le loisir


I


d'asseoir lenrs institutions etde s'élever sans secousse a ceeegré de
force qui pouvait seul, humainement parlant,leur asservir leurs
propres destins, tel fut le principe dominant de sa conduite et le but
constant de ses efforts. 11 l'atteignit; seulement il ne faudrait pas
croire que ce fut sans peine. Ü ent besQln, au contraire, de lutter


t Guizot. Etlld,c histnrique, etc., LVr.




380 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.


contre des entrainements divers; de modérer tour a tour le parti
démocratique, qui penchait vers l'indépendance presque absolue
des législatures locales, comme vers la tyrannie du nombre, et le
partí fédéraliste, qui montrait du gout pour l'aristocratie des classes
supérieures etl'exagération du-pouvoir central; de compter, en les
dominant, avec des intérets qui affectaient déja un caractere géo-
graphique et menac;aient déja l'Union d'une rupture.


La formation de son cabinet fut la premiere· marque, mais
une marque décisive, dece systeme d'équilibre, tranchons le mot,
quoiqu'il soit lié chez nous a des souvenirs peu populaires, de
juste milieu, auquel Washington resta fidele, autant par convic-
tion raisonnée que par tempérament. Il y réunit deux hommes
également habiles et honnetes, mais qui personnifiaient l'un le
parti fédéraliste 1, l'autre le partí démocratique dan s ce que cha-
cun de ces partis presentait d'excessif et de p\us caractéristique:
Hamilton, imbu de souvenirs et de préférences aristocratiques,
quoique serviteur loyal d'une république, et plus touché des exi-
gences du pouvoir que des conditions de la liberté; Jefferson,
ardent ami de l'humanité, de la liberté, de la science, aussi con-
fiant dan s leur vertu que dans le.ur droit et enclin a renfermer le
pouvoil' dan s les plus étroites limites, le regardant comme un
mal nécessaire 2. Ramener une entente cordiale entre deüx
hommes aussi di.ssemblables en tout et sur tout , . deux hommes
qui ressemblaient dans le conseil. a deux coqs dans l'arene,
selon le mot pittoresque d'un écrivain 3, eút été un miracle
que Washigton n'essaya point; mais l'ascendant qu'il possédait
sur ces deux personnages, pour lesquels il avait a la fois de l'atta-
chement et de l'estime 4, iI s'en servit de fa<.;on a les maintenir
dans une harmonie superficielle, au moins dans les questions les
plus majeures, telles que la deUe nationale et la répartition par


ti •


Etat des représentants.
t Devenu le parti whig, puis le parti républicain.
:1 Etude historilfue, LXXI.
3 They were dai./y pitted in the cabined Iike two Cocks. (North american Review,


octobre 1830.)
4 « J'ai I'estime et l'attachement les plus sinceres pour vous deux, et je souhaite ar-


« demment que I'on puisse tracer quelque ligue que vous puissiez suivre l'un comme
¡'autre. » (Vie, corr., écrits, V, 354.)




QUATRIEME PAHTIE. - PHOGHES ET DÉVELOPPEMEN:rS. 381
CeUe dette reconnaissait trois sources : les emprunts faits a la


France et a la Hollande, qui représentaient 12 rnillions de dol-
lars, desquels l'Espagne se trouvait aussi créanciere, rnais ponr
une sornrne insignifiante; la solde et l'entretien des troupes, éva-
Iués a 42 millions; enfin les sommes dépensées, pendant la
guerre, par les Etats particuliers, pour construction d' ou vrages
détensifs sur leurs terriloires, pour avances de fonds a l'armée ou
fournitures de munitions de guerre et de vivres. Hamilton, qui
était secrétaire du trésor, proposa de concentrer a la charge de
l'Union et d'acquitter intégralement toutes les clettes, étrangeres
ou domestiques, contractées pour la cause commune; d'établir
des impóts snffisants pour couvrir cette dette pnblique et l'amor-
tir; de fonder enfin une banque nationale, qui seconderait le
gouvernement dan s les opérations financieres et soutiendrait le
crédit pub lic. Un grand historien l'a dit avec toute raison: ce
systeme était seul moral, seul sincere, seul conforme a la probité
et a \a vérité, seul capable de consolider l'Union, en unissant les
Etats par les tinances, comme ils l'étaient déjil par la politique, et
de fortifier le crédit des Américains par un grand exemple de
fidélité aux engagements publics et par les garanties assurées a
leur exécution 1.


Washington était étranger aux études financieres, et on l'obsé-
dait d'objections dont quelques-unes ou troublaient son esprit, ou
inquiétaient sa conscience, cal' le parti démocratique combattait
avec ardeur, avec violen ce les plans d'Hamilton. La concentration
d~ dettes lui paraissait contraire au principe de l'indépendance
locale; l'établissement d'un systeme régulier d'impóts lui répu-
guait, et par-dessus tout, iI signalait chez le secrétaire clu trésor
des illusions économiques, ou, ce qui était pire encore, le projet
de créer une aristocratie d'argent, la plus égoIste et la moins ma-
niable de toutes. En définitive, Washington ne s'arreta point a
scruter le fond des idées fiscales d'Hamilton, ou bien a con-
sidérer de trop pres les abus qui pouvaient se meler a leur IÍlÍse
en pratique : il puisa son inspiration dans la seule conscience, et
comme elle luí disait que rien n'était plus juste que de déclarer


• Guizot Etude histonque, LXXVII




382 LES ÉTATS-U:'HS DE L' AMÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
¡


communes des obligatiom;- eontractées dan s un but commun, il
soutint énergiquement les plans de son ministre. !ls ne triomphe-
rent pas néanmoins san s une vive résistance, et rejetés d'abord
par la chambre des représentants, ils ne durent d'y passer enfin,
a une tres-faible majorité, qu'a l'intervention de Jefferson lui-
meme, qúe le secrétaire du trésor convertit et entraina.


La répartition des représentants par États ne donna point lieu
a des débats moins vifs. La -premie re ollération a. faire était de
déterminer le nombre total des représentants, d'apres les chiffres
fournis par le recensement de 1790 et la base d'un représentallt
pour 30,000 habitants fournie par la constitutioll. Seulement ce
total était susceptible d' etre donné par deux méthodcs : on pou-
vait appliquer direetement la base de 30,000 ames a la population
des divers États ou bien a la populatioll de l'Union prise dans son
ensemble, et c'était ce moyen que le bill présenté avait mis,
en reuvre. Le nombre total des membres de la ehambre ainsi ob-
tenu, on avait procédé a la répartition par Etats, et eomme eette
deuxieme opération, en faisant négliger une sél'ie de fraetions
figurant dan s la premiere, présentait un nombre de représentants
inferieur au premier, on partagea l'exeédant entre les Etats dont
les fractions non représentées étaient les plus fortes. Cet arl'an-
gement s'était trouvé plus favorable aux Etats du Nord qu'a ceux
du Sud, et, traité d'inconstítutionnel par les députés du Sud, il
ne passa qu'a la majorité de deux voix parmi les représentants et
d'uIie seule au Sénat. L'attorney général Randolph et Jefferson
donnerent a Washington le conseil d'opposer son veto au bill,
tandis qu'Hamilton et Knox, leurs collegues, l'engageaient a ne
point s'immiscer dans une affaire dont il devait, selon eux, laisser
toute la responsabilité au corps législatif2. Washington hésita


f 11 est vrai qu'i1 ne le pal'donna point a Hamilton. Il a abusé de mon « inno-
« cence et de mon ignorance, )) Iit-on dans ses Mémoires, « pour me faire tenir
« la chandelle dans cet ignoble tripotage. » Le mot est bien grossier, appliqué sur-
tout'1l. un homllle d'/¡onneur tel qu'Hamilton. Quant a l'innocence et a l'ignorance
de Jefferson, il est permis d'en rire.


2 Une loi de 1789 avait créé quatre départements ministériels : le secrétariat
d'Etat, pour les affaires étrangeres et intérieures; le département de la g~Te et
de la marine, le département du trésor et celui de la justice. Jefferson était le secré-
tairc d'Etat; le général Knox avait la guerre, et Randolph la justice .


.




QUATRIWE PARTIE. - PROllRES ET DÉVELOPPEi\IENT::;. 383
que~que temps, et se rendit finalement a l'opinion de Randolph et
de Jefferson, qui liú assurer.ent également que lemaintien du bill
mena<;ait l'union derupture 1. Le 6 mars 1791, il le renvoyait aux
chambres, frappé de son veto, et quelques jours ápres, elles le mo-
difiaient de maniere a donner a chacun des Etats une représen.:..
tation calculé e sur le pied de 33,000 habitants, les esclaves s'ajou-
tant a la population libre pour les trois cinquiemes de leur
nombre, ce qui donnait un total de 105 membres et faisait gagner
aux Etats du Sud seize représentants, tandis que ceux du Nord
n'en gagnaient que onze, et le Centre seulement dix .
. A en juger par les événements qui se sont déroulés sous nos


yeux, on trouvera regrettable que ce grand homme n'ait pas
montré dans la question de l'esc]avage la décision dont il tit
preuve dans les deux questions de la dette et de la représentation
nationale. Saisi, en 1789, de ce redoutable probleme par les
quakers pennsylvaniens qui demandaient la suppression de la
traite, le congres avaít fini, apres de longs débats ou la passion
des hommes du Sud s'était fait largemen t jour, par ajourner la
solution jusqu'en 1808; en déclarant du meme coup qll'il était
sans autorité pour intervenir dans l'émancipation des esclayes, et
en laissant aux législatures locales le süin de pourvoir « par de
« sages reglements aux exigences de la j llstice et de la politique 2.)
Ce que la justice peut avoir de commun avec cette monstruosité
économique et morale qui s'appelle l'esclavage n'est point chose
facHe adémeler, et c'était la poli ti que seule, c'est a di re la crainte
d'une séparation des Etats du Sud, qui expliquait la résolution'
du congreso Cette meme crainte enchaina la liberté d'action du
président et 18,' porta a se féliciter de ce qu' on en t enterTé le
mémoire des quakers, pour se servir de son expression meme, et
conservé une institution que personnellemellt il jugeait comme
ell~ doit l'etre par tout homme de sens et de creur.


Parvenu au terme de son mandat légal, Washington manifesta
l'intention bien arretée de rentret' dans sa retraite, et elle ne céda
que devant les instances, les prieres pour ainsi dire, de Jeffersoll,


i .TeffersoJl. Memows and Correspondence, éd, 1829, IV, 476, 4í7.
2 J. Sparks. Vie de Washington, V, 289-2,90 (note).





384 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
d'Hamilton et de Randolph. « La confiance de toute l'union se
« concentre en vous, ») lui écrivaient-i1s, « et vous voir au gou-
« vernail sera plus qu'une réponse a tous les arguments que l'on
« voudra employer pour alarmer le peuple et le pousser, dans
«. quelque partie du pays que ce soit, a la séparation ou a la vio-
« lence 1. » Réélu président, il preta serment, le 4 mars 1793,
et se trouva bientot aux prises avec une opposition formidable,
dont le principal organe était le journal de Freneau, commis aux
traductions dans les bureaux de Jefferson, etque celui-ci, quiavait
donné sa démission le 31 décembre 1793, encourageait s'il ne la
dirigeait. Des ferments de désordre agitaient le pays, et l'on vit,
au mois de juillet 1794, les Pennsylvaniens s'ameuter pour préve-
nir la perception des droits d'assise; dévaliser lés courriers pu-
blics et menacer de mort les officicrs de police judiciaire. Dans
ces circonstances, qui menayaient de s'étendre a la Virginie et au
Maryland, Washington fit voir que sa modération habituelle
n' excluait pas a l' occasion une fermeté nécessaire. Il convoqua
les mili ces de ces Etats, et vint, par sa présence, les encourager


• , a bien remplir leur devoir. Des colonnes mobiles parcoururent
les t~rritoires mutinés, et, sanstirer un seul coup de fusil, a l'aide
seulement de cent cinquante arrestations, rétablirent la tranquil-
lité publique 2. Deux des personnes arretées, convaincues de
haute trahison, avaient été condamnées a mort: Washington
leur fit grace, car les sophismes de ce gu'on appelle brutalement
la vindicte sociale ne le touchaient guere. Le· souUwement n'a-
. vait affecté qu'un caractere spécial, et la réprobation qu'il tit
naitre pouvait bien rassurer le premier magistrat de la Républi-
que. Les hommes les plus considél'ables de la Pennsylvanie étaient
venus grossir les rangs des mílices, et les jeunes quakers eux-
memes, malgré la profonde aversion de leur secte pour le mé·
tier des armes, avaient pris le mousquet et le saco


Un des arguments que leurs détracteurs tournent a satiété
contre les institutions librea réside dans les facilités qu' elles
offrent au mensonge et l'impunité qu' elles leur assurent. Ces faci-


j Leurs lettres 80nt insérées a l'appendice du tome VI de Vie, corr., écrits.
2 Fin de novembre 1794. .




QUATRIEME PARTIE. PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. • 385
lités, il ne faut pas les nier: elles tiennent a l'essence de ces ins-
titutions, de meme que l'hypocrisie et la bassesse sont insépa-
rabIes des gouvernements absolus. Quant a l'impunité, c'est une
erl'eur : dan s toute société vraiment libre, si la calomnie ne
manque pas de rencontrer des échos complaisants, elle est égale-
ment certaine d'avoir unjonr ou l'autre a compter avec l'équité
et la droiture. En dernier lieu, c'est a ceIle-ci que le succes
reste, et les instruments qui ont fait la blessure deviennent les
instruments qui la guérissent. Vers le milieu de sa deuxieme
présidence, Washington éprouva toute l'amertume de l'injustice
et tout le fiel de la calomnie. La presse tortura ses actes de la
fagon la plus insidieuse et les qualifia de la fa~on]a plus gros-
siere, en termes si excessifs et si indécents, a-t-il dit lui-meme,
qu'ils auraient été a peine applicables a un Néron, a un malfai-
teur notoire, a un coqnin vulgaire. C'était le moment ou chaque
courrier lui apportait des lettres anonymes remplies d'iújures et
de menaces; ou Hamilton était assailli a New-York par des coups
de pierres ; ou ron brulait a Philadelphie une image qui repré-
sentait John Ja)' vendant son pays a poids d'or; ou l'une des so-
ciétés démocratiques de la Caroline du Sud se prenait a regretter
«( l'absence de la guillotine 1. » Quoique jnquiet de ce déchaine-
ment populaire, Washington lui opposa un front intrépide et,
fort de ses intentions comme de ses services, il attendit avec
patience un retour de l'opinion publique, et ce retour ne lui fit
pas défaut, quand l'acte qui lui avait valu tant d'attaques eut été
examiné an point de vue d'une froide politique.


Cet acte étaitle traité d'amitié, de commerce et de navigation
que lord Grenvill~ et Jay avaient signé le 19 novembre 1794 et qui,
dans la pensée de ses auteurs, devait mettre un terme aux rapports
toujours tendus de la Grande Bretagne et de ses aneienlles colo-
nies. Ríen ne s'était trouvé moins vrai que les bonnes paroles de
George 111 a John Adams, et non-seutement l' Angleterre n'avait
pas exécuté, on s'en souvient, les principalesclauses du traité de


f M. C. de- Witt a tracé de ce déchainement un tableau exact et animé (llist. de
Washington, 350-355). On compara Wa!ihington au grand lama, et un misérable
qui signait le Calme Observateur alla jusqu'a l'accuser d'avoir pillé le trésor pu-
blic. .




• 386 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
1783, mais elle n'avait eessé depuis 101's de prodiguer a l' Amé-
fique les avanies et les mauvais procédés. Ainsi que le disait
Washington lui-meme, dans une dépeehe adressée an ministre
des Etats-Unis a Londres et destinée a'étre mise sous les yeux de
lord Grenville, les officiers anglais se conduisaient d'une fa.;on
indécente dans les ports américains; ils visitaient les vaisseaux
marchandsde l'Union et les capturaient; ils pl'essaient ses mate-
lots, et le gouverneur du Canada, no:q. content d'entretenir d'une
facon ostensible et quasi-officielle des espions sur son tcrritoire,


, ,', '


.trayaplait les Peaux-~ouges et les exeitait 1.
Un pareil état de choses que les E,lats-Unis paraissaicnt ineapa-
ble~ d'améliorer par force, préjudiciait beaucoup a leurs intérets,
et vy ash ington n' avait cessé d'y chercher un remede. Des 1789,
la guerre mena.;ant d'éclater entre l'Angleterre et l'Espagne, a
pro pos du port de Nootka que eelle-ci s' était approprié, tandis que
ceHe-Ia s'en prétendait souveraine, il avait chargé Morris de son-
del' les intentions du cabinet de Saint-James sur le triple point
de la restitution des postes militaires de l'Ouest, l'établissement
de relations diplomatiques régulieres, la conclusion d'un traité de
commerce. Le traité du 28 octobre 1700, dit de l'Eseurial,réta-
blit l' accord, etl' org¡ueil britannique eut la satisfaction de prolon-
gel' sa résistance. Washington convut alors l'idée d'un acte de
navigation, que l~ France, l'Espagne, le Portugal et les Etats-
Unis rendraient d'un commun accord et qui porterait nécessaire-
ment un eoup mortel a la poliee commel'eiale de l' Angleterre. A
Londres, on eut vent de ce projet, et les difficultés de sa politique
extérieure y aidant, on put eroire que Pitt trahirait des disposi-
tions plus aecommodantes. Il paraissai t soucieux, en é"(fet, d'en-
trer avec l'Unionen relations officielles; mais, . sous main, illui
suscitait des embarras et des ennemis, faisant exciter les Peaux-
Rouges et renouveler l'ordre du conseil du 8 juin 1793 qui assu-


., ' ~ , .


jettissait a la visite et exposait a la saisie les navires américains
chargés de secours pour les colonies· frafi(;aises 2. Ce nouvel acte
de flagrant mauvais vouloir et d'arrogance blessa les Américains


f Dep. a G. Morris, 22 llécemb¡'e 1795; . Vie, corr., écrits, VI, 23-:W.
2 6 novembrc 1793.




QUATRIEME PARTlE. - PROGRE S ET nÉVELOPPEMENTS. 387
au vif et les poussa hors des voies de la prudence; ils leverent
80,000 hommes de milice et mirent l'embargo sur les navires
an~lais en partapce. Les représentants voterent l'interruption des


, ' ,


,relations commerciales entre les deux pays ainsi que la mise sous
leséquestr~ des créances anglaises, et dans le sénat, iI se trouva
i ~ , , ¡ , :


une n'lin~ritéimposante pour approuver ces mesures.
Tel était en mars 1i94 l'aspect menac;ant des choses, et il sem-


blait rendre la guerre inévitable, lorsq ue Washington reQut, de
diverses parts, l'avis ,que le cabinet de Saint-James paraissait,
enfin dísposé a nouer avec son p~ys de meilleures rélations. Ce fut
alors aussi <Iu'il envoya Jay en Angleterre, et que celui-ci signa ce
traité qui avait val u au président lui-meme un débol'dement inoul
de récriminations et d'insultes 40nt Jay, comme on l'a vu, avait
reQu les éclaboussures. En stipulant la reddition des postes mili-
taires de rOuest. un plein dédommagement pOllr les Américains
qui avaient souffert de la saisie de leurs navires et l'-admission au
libre commerce avec les Antilles anglaises des navires d'une capa-
cité ne dépassant point 70 tonneaux, ce traité consacrait des con-
cessions qui n'étaient pas sans importance. Mais il maintenait
expressémeut le droit que s'arrogeaient les Anglais de saisir la
marchandise en'nemie a bord des bAtiments neutres; nulle de ses
c1auses n'indiquait qu'ils renon<;assent a rechercher sur les na-
vires aínéricains leurs matelots désertenrs, et iI prohibait l'expor-
ta,tíon par navires américains des produits du sol autres que le
coton. Plus tard, les ministres anglais consentirent a révoquer
l~ordre en conseil du 8 juin 1793, et le traité ainsi modifié et ra-
itl.~é revint en Amérique, dans le courant de février 1796. A la
'chambre des représentants, les démocrates, qui étaient en majo-
r~;'dein~nderent qll'on leur communiquat la eorrespondance
concernani la mission de J ay. La constitution ne soumettant le
,'ttaité qu'a l'approbation du sénat, Washington répondit par un
refus formel, et 1'on put cl'oire un instant que la Chambre ne vo·
ter'ait pas les mesures d' exéeution que le traité rendait nécessaires.
Mais le pays était revenu de sop impression hAtive et désordon-
née : il voulait, a eette heure, le maintien de la paix, et, le
29 avril 1796, treize membres du parti démoeratique faisant




388 LES ÉTATS-UNIS DE ~: AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
défection, le pacte de réconciliation avec l' Angleterre se trouva
scellé d'une fa<;on déflnltive.


Six mois plus tard, presque jour pour jour, Washington eut
encore la satisfaction de' signer avec l'Espagne une convention,
longtemps éludée, qui ouvrait aux Etats-Unis la libre navigation
du Mississipiet leur donnait un entrepót a la Nouvelle Orléans.
N'eussent été les mauvais rapports de la République américaine
et de la République fran~aise, Washington eút donc été en droit
de dire qu'il avait a la fois procuré a ses concitoyens et la paix du
dedans et la paix du de11Ors. Ce qui se passait en France depuis
1789 avait, des le commencement, attiré ses regards, et a propos
eles condoléances de notre Assemblée nationale sur la mort ele
Franklin, survenue le 17 avril1790, il avait transmis a son pré-
sident ses propres va.mx«. pour l'établissement en France d'une
« constitution qui concilierait les principes indispensables a l'ordre
« public avec l' exercice des droits essentiels de l'homme t » Plus
tard, le cours déja tumultueux de la révolution l'avait encore
trouvé sympathique, et il rassurait La Fayette en luí faisant re··
m arquer « que les premieres vibrations aBaient toujours d'une
«extrémité él l'autre, et que l'on pouvait aussi peu s'attendre a
(( trouver la froide raison, qui pouvait seule établir un gouverne-
« ment permanent et équitable, dans le tumulte des commotions
« populaires que dan s le sombre diva n d'un tyran despotique 2• »
Il n'entendait pas d'ail1eurs que ses sympathies luí fissent perdre
la mesure, et il espérait bien ne jamais oublier « l'intéret et le
« bonheur de ses concitoyens, au point d'intervenir sans néces-
« sité dans l' abime des querelles européennes 3.» Enfin, quand la
guerre avait éclaté entre la France et l' Angleterre, W pshington
avait senti le besoin d'une réserve et d'une circonspection plus
gr,andes 4, en proclamant d'une fa~on solennelle la neutra lité de
son pays 5.


CeUe attitude ne faisait pas le compte du citoyen ,Genet, mi-


t Vie, corr., crits, V, 305.
210juin 1792; Vie, corr.,écrits, V, 339.
3 A G. Morris, 28 juillet 1791; Vie, corr., écrits, V, 319.
4A Jefferson, 18 avril1793 ; fie, corr., écrits, V, 365.
:; 22 avril 1793.




QUATflIlbm PARTlE. - PROGREH E'T nÉVELOPPEMENTS. 389
nistre de France, débarqué a Charleston, le 6 avril1793, avec des
instructions qui lui prescrivaient d'arracher les Etats-Unis a leur
neutralité, en leur promettant en retour l'affranchissement de
l' Amérique espagnole et meme la réunion du Canada a la Con-
fédération « étoilée t.») Genet, des son arrivée, fréquenta les clubs
les plus ardents, caressa les passions populaires et se mit en rap~
ports avec les principaux meneurs du partí démocratique. Il crut
tout d'abord s'etre concilié Jefferson 2; mais célui-ci, malgré une
exagération dont il se défit plus tard, n'en était pas moins un vé~
rítable homme poli tique, et il ne lui faUut pas bien longtemps
pour comprendre que s'associer aux agissements sans-culottes de
l'envoyé de France, c'était jouer le róle a la foís d'un casse-cou et
d'une dupe. Ce fut lui précisément que Washington chargea de
régler l'affaire de la Little-Sarah, petit bAtiment que les Fram;ais
avaient capturé et conduít a Chester, et que Genet transformait
en corsaire sous le nom de Petit-Démocrate. Jefferson se rendit
cbez Genet, qui le prit de tres-haut, et apres «( avoirparcouru tout
un champ de déclamations et de plaintes, ») lui donna néallmoins
l'assurance que le navire n'était pas pret a partir et .qu'il n'appa~
reillerait point, dans aucun cas, avant le retour a Philadelphie
du président, que ses affaires retenaient pour le moment a
Mount-Vernon 3. Or, trois jours apres cet entretien, Washington,
revem~ a Philadelphie, apprenait que le Petit-Démocrate avait pris
la mero Qn'on juge de son indignation et de sa col ere 1 (( Quelle
« conduite tenir? » écrivait-il a Jefferson. « Le ministre de la
<1. République fran<;aise peut-il impunément braver les actes du


'« gouvernement et nous menacer de faire appel an peuple 4 ?» Et iI
demanda a Paris le rappel de Genet. Mais la Convention ne se pl'essa
point d'y consentir, et pendant les sept mois qu'il passa encore
en Amérique, le citoyen Genet garda si peu de décorum dans son
attitude et sonlaugage, que Washington l'aurait expulsé, si cette


j V. ses instructions aux pap;cs 510-515 du Jefl'erson de l\f. de Witt.
2 Dans les commencements, iI m'a paru plus disposé a seconder mes vues (Genét,


3U ministre des affaires étrangcres ; Je{feTson, 585).
3 Rapport de Jeffel'son dll 10 juillet 1793; Yie, corTo el écrits, VI, 3G6 et sqq.


L'entrelieu eut lieu le 7 .
.. Vie, corTo écrits, V, :171.




390 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
mesure, appuyée par Hamiltou et Knox, n'avait été fortement dé-
sapprouvée de Jefferson et de Randolpli.


L'arrivée de Fauchet, le nouvel envoyé de France, termiIia ce!
incident étrange, mais sans rétablir le bon accord entre Paris.et
Philadelphie, et quand Washington quitta définitivement la pré-
sidence, une rupture ouverte paraissait imminente. L'opinion
publique, uninstant égarée, rendait maintenant une ample justice
a ses actes commla son caractere, etde toutes parts, la meme ou
l'opposition semblaH la maitresse, des voix nombreuses s'éleve-
rent pour luí offrir une troisieme candidature. L'hommage était
on ne peut mieux merité et la réparation des plus completes;
seulement Washington regardait son amvre comme reinplie, et,
en face du succes désormais certaIh de ces institutions républi-
caines qu'il avait mis son honneur a fonder, en les garantissant
des ardeurs inexpérimentées de la jeunesse, il se croyait des
droits au repos et aspirait ardemment a rentrer dans la vie privée
que tou! contribuait a lui rendre douce et enviable.


n reprit done a Mount-Vernon le cours d'occupations régulieres
et partagées entre le travail et les joies intérieures, auxquelIes ve-
naient se meter les visites de quelques amis ou d'étrangers, te1s que
le jeune duc d'Orléans, par exernple.11 n'y avait pas encore passé
trois mois qu'il apprenait la réunion extraordinairc du congees et
s'enquérait pres de Wolcott, le secrétaire du trésor, des motifs de
cette mesure 1, quoiqu'il dllt bien les soup90nner et conjecturer
meme qu'un de ses propres actes était devenu la source ou PIutót
.e prétexte de Ilouvelles difficultés avec le Directoire de France.
Le grand grief du Directoire contre les États~Unis était leur
récent traité avec !l'Angleterre et l'abandon qu'ils y avaient fait
du droit des neutres, inscrit comme regle de conduite réciproque
entre eux et la France dans les stipulations de 1778. Ou feignait a
Paris de ne pas voír que cet abandon n'était nullemeut voiontaire;
toutes les occasions qui s' offraient d' etre désagréable ou hostile au
gouvernemeut américain y étaient les bienvenues, et le Directoire
étai't allé jusqu'a déclarer de bonne pris(~ les marchandises enne-
mies trouvées a bord des navires américains ~. Monroe représen-


1 15 mai 1797.
2 Arrcté du 2 juillet 1796.




QUATRlEME PARTm. - PROGRi~S ET Dl~VELOPPEMENTS. 391
tait alors les Etats-Unis en. France : lié comme ill'était ave e téius
les chefs de ceUe opposition qúi s' é'tait montree si hostile' au


\ traité de 1794, il n'avait plus paru ~ Washiriglon un agent sur.de
sa propre politique, et H luí avait don'né pOlir successeur le génera1
Charles Cotesworth Pinckney, anden délégúé de la Caroline mé:'
rídionale et l'un des hommes les plus influents des Etáts da Sud.
C' était cet acte qui a vait achevé d'indisposer le Direcfoire:
Barras, en donnant a Monroe son audience de congé, avait affecte
de séparer grossierement Washington du peuple dont il était le
chef, et quelques jours plus tard, ses collegues et lui donna:ient
l' ordre a Pinckney de q uitter le territoire fran<;ais.


Voila pourquoi John Adams, le nouveau président, avait
convoqué extraordínáirement le con gres, en meme temps qu'il
envoyait a Paris des commissaires, Ellbridge Gerry, Charles
Cot.ésworth Pinckney et John Marshall, pour préparer les voies
d'un accord. lIs n'arrivei'ent a rien, pas meme a obteIiir du direc-
teur une audience, et la législature fran<;aise rendit; le 18 juílIet
1798, comme par forme de bravade, une loi qui excluait de's ports
fran<;ais tout navire americain ayant relaché en Ailgleterre. C'en
était plus que la fierté des Aniéricains n' en pouvait supporter, et
la plupart des chefs du p.arti déinocratique joignirent leurs voix
au concert d'indignation que cette bruta:le pb1itique souleva:it
parmi le peuple et atÍx appréhensions qu'elle y faisait naitr~.·
Quant 1\ Washiúgton, il gardá son calme: « La conduite deS'
« Fran<;ais est insultante, » écrivait-il a Hamilton, « mais est..:H
« probable, malgré tout le mal nont je les sais tapables, qu'ils
« ferónt ciiIjourd'hui ce que jilsqu'i!: présent ils n'ont jam~lis os'é
« entrepreIidre 1? » Et quelques sernaines plus tard, il se bornáit
encore a regarder « la folie du Directoire comme plus :tnanifest~
« que sa méchanceté 2. » Cependa:nt le con gres, par un acte du
28 maí 1798, ayallt autorisé le président a enróler 10,000 hornrnes,
les yeux OU pays se tournerent de 110uveau vers Wasl1ingron, et
la 3 juillet suivant, le sénat l'appelaít aux fonctions de « lieute-
« nant général et de commanrlant en chef des armées levées ou a


1 27 mai t7B8; Vie, corr., écrits, yr, 7(j-77.
'. 2 A John AlIams, 4 juíllet 17\.l~.




392 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« lever des Etats-Unis.») Loin d'avoir sollicité cet honneur, il
fut sur le point de le refuser. Il 'se trouvait bien vieux, disait-iI,
et les Fran~ais avaient adopté une méthode qui leur avait bien
réussi, celle de n'employer que des généraux tres-jeunes 1. Il
céda néanmoins aux instances de Mac-Henry, le secrétaire pour
la guerre, et il s'occupait de constituer' son armée, lorsque la
nouvelle parvint en Amérique et fut officiellement communiquée
\\\\ ~é.\\\\t <l\\~ l~ ~<m~t~\\~m~l\.t {~\\l\.~ü\.~ ~t\\\.t ~~~~n.1J t\ d~ meU-
leurs sentiments vjs-a-vis de l' Amérique, et manifestait le désir
de s'entendre.


Cette communication est a la date du 18 février 1799, et l'année
ne s'était pas écoulée que Washington n'était plus.Il mourut le
14 décembre, vers les 10 heures du soir, emporté par un rhume
qu'il avait pris en visitant ses fermes et négligé selon sa coutume.
Neuf jours plus tard, le congres décrétait qu'un monument en
marbre serait érigé a sa mémoire, que les citoyens garderaient
le deuil pendant un mois et qu'il yaurait, dans chaque Etat, un
jour consacré aux larmes et a la priere. En Angleterre, l'on vit
lord Bridport, le commandant en chef de la fIotte de la Manche,
lh"e"h"'t"e"ell~"el'lie"'SlJhll1t-tt\\l)!l -e'l -c-e-u-x. be ses OLJ valsseaux, quana
H apprit la funeste nouvelle. En France, le buste de Washington
fut placé aux Tuileries et son éloge prononcé dans le temple de
Mars, par M. de Fontanes, qui proposa son exemple a l'imitation
du premier consul. Quelle couleur profondément ironique la
carriere de Bonaparte n'a-t-elle point imprimée a ce conseil !
Lorsque, dans son ordre du jouT du 18 pluviose an VIII, il ordon-
nait qu'a l'occasion de cette mort des crepes noirs fussent suspen-
dus aux drapeaux et guidons de la République, ces insignes
funebres auraient aussi bien pu figurer le deuil que la France
allai~ faire bientot des conquetes les plus cherement achetées de
sa révolution. Au surplus, si Washington et Bonaparte ont agi
d'une fa~on toute différente, l'un et l'aulre OIlt rencontré, pendant
leur vie et apres leur morí, le traitement qui convenait a leurs
mérites. Bonaparte trouvait le monde a peine assez grand pour le
contenir, et il est allé mourir sur un Hot volcanique, perdu au


t A Mac-Henry, 4 juillet 1798.




QUATRlEME PARTlE. - PROGUES ET nÍwELoPPEMENTS. :~9:1
milieu des solitudesde l'Oeéan. Bonapal'te méprisait les hommes;
eomme l'a dit le poete :


Rien d'humain ne battait sous son épaisse armure,


et sa mémoire, au líeu de grandir avee le lointain, se eharge tous
les jours d'une teinle plus sombre et tombe en poussiere. Avee le
temps, la figure de Washington acquiert des proportions plus
augustes, et les institutions qui lui servent de piédestalont tra-
versé, sans y péri r, une épreu ve que les ennemis de la liberté
prophétisaient fatale. Pour dispenser souvent sao justice d'une
main tardive, la Providence ne se dérobe point a ses devoirs et
ne permet pas ·que les peuples payent a toujours le meme tribut
d'admiration ou de reeoimaissanee au grand homme de bien et
au gtand homme pervers, a un César eomme a un Caton, a un
Bonaparte eomme a un Washington.




LIVRE 11.


L'histoire et la politiqüe de I'Union de l'année iSOo' jusqu'a
nos Jours.


ti


Sommaire: PRÉSIDENCES DE JEFFERSON :, La France cede la Louisiane;
I équipée du colonel Aaron Burr; le blocus continental et la situa-


tion qu'il crée a l'Amérique; premiére exploration du Far-West et
le premier' Steamboat sur l'Hudson.


PRÉSIDENCE DE MADISON : Fin des démelós avec la France; mauvais
procédés de l'Angleterre; guerre de 1812; les Anglaís s'empa-
rent de Washington et l'incendiellt; ils échouent devant la Nou.,.
velle-Orléans; fin de la guerreo


PRÉSIDENCE DE MONRO~ : Cession de la Florido; compromis du Mis-
souri; la doctrine de Monr08 ; traité avec la Russie; visite de La
Fayette.


PRÉSIDENCE DE J .-Q. ADAMS : Congrés de Panama.
PRÉSIDENCE DU GÉ~ÉRAL JACKSON : La banquo félh~rale; la nullifica-


tion; attitude du général vis-ü-vis de la Franco.'
PRÉSIDEl'iCE DE M. VAN-BUREN : Confiits territoriaux avec l'Angle-


terre; affaire Mac-Léod ; questions de tarir.
PRÉSIDENCE DE ::VI. TYLER : AfIaire de la Créolc; droit de visite; traité


Ashburton-\Vebster.
PRÉSIDENCE DE M. POLK :


question de l'Orégon.
Annexion du Tex~s; guerre du Mexique;


PRÉSlDENCE DU GÉKÉRAL TAYLOR ET DE M. FILLMORE : Compromis
Clay; The Fugitive Slaves acto


PRÉSlDENCE DU GÉNÉRAL PlERCE : P'olitique esclavagiste; conflit avec
l'Autriche; bombardement de Greytown; le Nicaragua et Walker;
Lopez, Cuba et la con1erence d'Ostende ; le traité Clayton-Bulwer
et les difficultés auxquelles il donna lieu.


PRÉSlDENCE DE :l\!. BUCHAKAN: Symptómes sécessionnistes; arrét
Dred Scott; l'esclavage et la guerre civil e au Kamas; eutrc-
prise de John Brown ; élection de M. Abraham Lincoln; fureur
des séparatistes et connivenc(' de M. Buchanan.


LA SÉCESSION: Les séparatL:tes s'emparent du Jort Sumter;




QUATRIEME PARTIE. - PROGRE S ET DÉVELOPPEMENTS. 395
M. Jeiferson Davis et la Confédération du Suelo ; la guerre eivile;
ses péripéties et ses phases; Mae Clellan, Sherman, Grant, Beau-
regard et Lee; tin de la guerre ; assassinat. de f\11. Linyoln. "
PRÉSlDENC~ DE M. AI\'DREW .JOHNSON; Sa ,lutte avee le congres;


abolition eonstitutionríelle de l' esela~age':
PRÉSlDENCE DU GÉNÉRAL GRANT: Aeeession des ilOirs a la: vÍe politi-


que; l'affaire de l'Alabama.


Présidence de Jeffersoii'~
mars i 80i -4 mars i 809


': ¡. ¡ti ' ._


Jefferson, qui avait oeeupé la viee-présidenee sous l'adminis-
tration de John Adams, devint, en 1801, so~ sueeesseur. Son éle'~.:.
tion présenta eette partieularité qu'elle fut l'ceuvre des représen-


, ' .; ~ \ ¡ j •


tants, le eolonel Aaron Burr, que les éleeteurs avaient bien
entendu ne porter qu'a la viee-présidenee,ayant réuni exaetemeI)t
le meme nombre de suffrages que jefferson lui-meme dans le'
serutin présidentiel 1 • Jamais vole d'une assemblée ne fut plu~
disputé peut-etre et plus longte~ps incertain, puisqu'il ne fut
aequis qu'apres trente-six tours de serutin. Le parti fédéraliste
était toujours en majorité dans la Chambre ~t se monlrait tres-
animé eontre Jefferson : iI fut sur le point de lui préférer le eolo-
nel Aaron Burr, et peut-étre ses rancunes auraieut été les plus
fortes si Hamilton, qui eounaissait bien cet homme aussi vi~lent
qu'immoral, n'avait pas énergiquement combattu son éÍection,
en déclarant qu'elle serait grosse d'Ull Bonaparte américain.


Le diseours par Iequel Jefferson inaugura'son pouvoir fut rem-
pli d'idées eonciliantes, qui méeontenterent les démoerates sans
}';})Jier les fédéralistes. il eut bien désiré accomplir de grandes
réformes; mais arrivé au fauteull présidentiel, 11 trouvait « la
« machine du gouveruement bien dífficile a mettre en branle, »)
, t Les huIletins de vote portaient deux noms, maissans distin¡mer entre le candí-
!Iata \a présidence et le candidat a la vice-présidence: Sera président, disait la sec-
lioll pl'emH:~re uu titre U de la constitution, celui qu i aura obtenu le plus grand
nombre de voix. On n'avait pas prévu le cas ou les deux personnes désignée;; réu-
nir'aient le meme nombrre de ces voix. Le 12" anH'ndement, en prescrivanl. le vote
par buJletins distíncts, a prévenu toute méprise sur ¡es vreux des électeurs ~t clIlevé
a la Chambre des représentants une norriínation qui ne lui revient, dans I'esjwit de
la constitution, qu'au seul cas ou le scrutiÍl n'a pas donne de majorité.




396 LES ÉTATS-UNIS DE L 'AMÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
et il confessait a l'un de ses amis, le docteur Jones, que tout se
bornerait probable~ent a refréner le gaspillage des deniers pu-
blics et a troubler «( les vautours qui en faisaient leur proie 1. » Il
réduisit néanmoins et simplifia le régime des taxes intérieures ; il
mit I'armée sur un pied touJ a fait économique, et les affaires exté-
rieur'es vinrent tout a coup' solliciter son attention la plus sérieuse.


Par un traité destiné a rester secret jusqu'a la conclusion
de la paix qui se ménageait alors entre la France et l' AngletBrre,
la Louisiane venait d' etre cédée aux Frall(;ais. IJ n'y avait sur le
globe, selon Jefferson, qu'un seul point dont le possesseur fUt
l'ennemi naturel de l'Union, et ce point était la Nouvelle-Orléans,
par oil s'écoulaientles trois quarts des produits de la République.
Tant que sa possession restait aux Espagnols, qui étaient un
peuph:; d'humeur pacifique, il n'y avait aucune appréhension a
coneevoir; maisc'était tout autre chose du moment qu'il s'agissait
d'une race aussi remuante et aussi belliqueuse que l'étaient les
Frall(;ais 2 • Livingston, qui était alors l'envoyé des Etats-Unis en
France, Livingston rassura quelque peu Jefferson: iI n'était queso
tion en somme, lui écrivait-il, que d'une fantaisie de Bonaparte,
et chez cet aventureux politique une nouvelle fantaisie chassait
vi te la premiere. Bo~aparte eependant paraissait avoir pris celle-
ei a creur et la comprendre dans ce plan de restauration de notre
ancien systeme colonial qu'il avait inauguré, d'une favon si mal-
heureuse et si immorale, par l'expédition contre HaHi. Désireux
d'introduire dans toutes ses acquisitions pacifiques ou militaires
le mécanisme centraljste dont il était l'inventeur, il avait désigné
pour la Louisiane un préfet; Laussat, un grand juge, H. Aimé, et
un gouverneur général, Bernadotte. Le premier consul eut été
bien aise d'éloigner ce dernier personnage qu'il n'aimait pas et
qui l'offusquait; mais Bel'nadotte, tout en acceptant un exil.pom-
peusement déguisé, demanda 3,000 hommes de troupes franvaises,
avec pareil nombre de cultivateurs, ouvriers, artisans. « Je n'en fe-
rais pas autant pour l'un de mes freres, » répondit le premier consul,
et il ne parla plus du général 3• Jefferson crut prudent d'envoyer a


f 31 mars 1801 ; the Works, m, 437.
2 A Livingston, 18 avril 180'2; Works, IV, 431-432
3 Barbé-Marbois. Ristoire de la Louisiane, 1829, ~22-223.




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QUATHlEME PAHTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS.·; . 397
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París unnégociafeur spécíal, qui fut Monro~, en melne temps qúe
dans son message dn22 décembre 1802, iI qualifiait le traité deces~
sion « d'atfeinfe aux droits de la nation amérlcaine») et manifest~it
son infention de garantir c~ droíts 1. Monroe vit le premier con-
sul, par l'intermédiaire Jc~ Joseph Bonaparte, et s'efforQa de lui
faire comprendre combien cette possession serait peu avantageuse
et précaire. Bonaparte ne eomptait déjü plus sur le maintien de
l'éphémiwe paix d' Amiens : il céda, et par le traité du 30 avril
1803, la Louisiane se trouva incorporée aux Etats-Unis, moyen-
nant une somme de 80 millions, dont 60 furent versé s dans le
trésor fraIH;ais, tandis que les 20 autres aBerent indemniser les
Américains qui avaient eu sous le Directoire des navires illégale-
ment capturés par notre marine.


Cette meme année 1803 vit les débuts de la marine fédérale.
Les Barbaresques ayant accumulé les insultes au pavillon étoilé,
le commodore Preeble parut au mois d'aout devant Trípoli,
ave e 2 frégates et 5 corvettes. Une de ces fl'égates échoua dans
la rade et t~mba aux mains des Tripolitains; mais elle fut reprise
a l'abordage par l'enseigne Decatur, monté sur le schooner I'In-
trepid qui n'avait que 70 lJOmmes d'équipage. Cette démonstra-
tion ne suffisant point, les États-Unís concerterent une expédí-
tion par la voie de terre ave e Hamet-Pacha, frere ainé du dey de
Tripoli, qui I'avait dépossédé. Parti d' Alexandrie, le 6 mars 1805,
avec un corps de cavalerie arabe et quelques centaines de fan-
tassins, le général Eaton traversa la Cyréna'ique €t vint mettre le
siége devant Derné. Il elI~portait cette ville le 18 mai, et l'année
suivante un traité terminait la querelle.


Dans l'intervalle, rUnion avait perdu l'un de ses meilleurs et de
ses plus illuslres citoyens, et J efferson avait été renommé a la prési-
dence. Pendant l'hiver de 1804, Aaron Burr brigua le poste de gou-
verneur de New-York : Hamilton combattit cette candidature avec
véhémence, et ne cacha nullement qu'il considérait le colonel
comme indigne d'un pareil honneur. Apres l'issue de l' élection qui
toul'nacolltreBurr, celui-ci envoya un cartel a son antagoniste, car-
tel que pour le malheur de son pays, Hamilton crut devoir accepter.


I La nomination de Monroe fut ratifiée par le sénat le 10 janvier 1803.




3,98 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉllIUUE SEPTENTRIONALE.
< ¡',


Li,a re~eontre eut lieu ~e 12 juillet et lui tut fatale t. Hamilton était
~ <. \
s;nee!ement ehrétien et le dnel répugnait asa conscienee; mais il
é,tait aussi général et vivait dans un pays ou l' on attaehe une note
, . ~ l ~ ' ..


d'infamie au nom de eeux qui refusent un duelo p se remém~ra
pien tous les arguments que ~a religion et la philosophie éIevent
contre eette pratique tres-peu eivilisée; il se les. dit, et finit par
se battre, eomme on fait toujours en pareil eas, selon la re-
marque trop fondée de M. Labou~aye. Le misérable adversaire
(;l';Harrtilton réunit, deux ans plus tard, un tas d'aventurÍers sous
le prétexte d'une expédition eontre ~e Mexique, mais, en réalité
'selon toutes les apparenees, en "ue de soulever le Sud-Ouest et
de piller la banque de la Nonvelle-Orléans. Jefferson erut le eas


" , .


assez grave pour motiver une suspension de l'Habeas Corpus: elle
fut YO,tée, en effet, par le sénat, mais r,ejetée par la ehambre des
représerltants, le 26 janvier 1807, a l,a majorité de 119 voix eontre
11'3. Le président fut tres-sensible a' eet écht'e et surtout a l'aeqult'-
tement de Burr, eontre lequelle jury ne trouva point de preuves
de eonvietion suffisantes. Le président du jury était John M~rs.
haH, et il fit preuvedans ces débats de eette irnpartialité ferme


\


et sereine qui ne refuse aueune cpanee de salut a 1'aeeusé meme
le moins intéressant et préfere, suivant le mot des Ecritures,


,,1 " ,


l'absolution de eent eoupables a la perte d'uninnoeent. L'attitude
j ",,' . 1


de Marshall ne fut point eertainement étrangere a l'issue du
1 ',' " ", .


proees, tandis qu'elle suggérait a Jefferson de nouveaux griefs
eontre l'inamovibilité de la magistrature qu'il avait toujours
détestée. " , '" , '


, ,


Le présídent avait toutefois en ce m,oment meme des sujets de
lyé,o.eeup~ti<?,~ plus 19r~:ves et surtout mieux fondés. On était, en
effet, a la fin de 1807, e' est a dire dans le plus fort de la lutfe
... ,~ . l. " i I \ 1 ' ' '.: ~
.~igai1tesque qui ~s~ p~olo.n,eait d~puis 1793, entre ~a. ~~ande-
Bretagne et la Franee. Des la réouverture des hosbhtes, les
Amérieains avaient 'e'ssaye" de' 'se 'prémll'nir 'eontre' des eonsé-
quenées trop faeiles a prévoir et' qú'i ¡ les ~ena<;aient d;~ne fa<;on
'tóute particuÜ~re, puisqu;ils avaien,t pour ainsi dire le monopole


t E. Vail. De la littérature et des hammes de lettres des Etats-Unis d'Amé-
rique, p. 98. Hamilton était né a Nevis; le 1 t j¡lnvier 1757, et fils d'un pere écos-
sais et de MIlo Faucette, filie eUe-mem~ d'un huguenot francais réfugié .





QUATRlEME PARTIE. - PROGHES ET DÉVELOPPl!;,MENTS. 399
du commerce des neutres. Ainsi, le 4 noYemb!~e 1804, un acte dú
congres avait autorisé le gouvernement fédéral ~ permettre ou ii
refuser, selon qu'ille jugerait convenablé, l'entrée d~s ports amé-
ricains a tout navire ar,mé. Plus tard, un autre acte avait interdit
a tout batiment américain soit de se remIre aux Antilles, soit
d'atterrir sur le littoral du continent meme, depuis Cayenne jus-
qu'~ux limites ~e la Louisiane, ~ moins qu'il ne s'engageat sous
caution [1 ne point se servir des armes qu'il pouvait avoir a bord
sinon pour sa propre défense, et dans tous les cas a ne les vendre
nulle part. Mais, avec deux ad versaires dont l'un maíntenaitleilfare
clausurn avec la meme arrogance qu'au temps oú écrivaít Selden et
dontl'autre invoquait la liberté des neutres, sans montrer le moin-
dre respect de leurs pl'érogatives, de telles précautionsdevaientres-
ter bien précaíres et bien insuffisantes. Quand les Anglais eurent
mis en état'de blocus idéal, abus contre lequel avait été principa-
lement dirigée la ligue, en 1780, des puissances du Nord, toute la
partie des cotes européennes comprises entre l' embouchure <le
~'E,lbe et le port de Brest 1, ils en vinrent, pour assurer leurs pré-
tcntions, a exiger que tout batiment a destination du continent
- ' .


commen<;at par toucher chez eux, pour y faire constate!' cette
destination et payer un droit d'entrepot 2. En riposte a ces me-
sures, Napoléon lan<;a le décret de Berlin qui pla<;ait les Hes Bri-
tanniques sons un blocus encore plus fictif, et le décret de Milan
qui privait de sa nationalité tout navire obéissant aux ordres de
l'amirauté anglaise ou se laissant visiter par les croiseurs anglais 3.


Le gouvernement fédéral ayait feínt d'abord de lle voir q,ans
le décret de Berlín rien d'attentatoire a la liberté des neutres. La
H>
rép,obse que tlt M. de Champagny, notre ministre des affaires
étrangeres, au général Armstrong, son ehvo~é a Paris, dut le faire
réfléchir et luí imposer la lumiere. Le général ayant posé la ques-
tion de s~voir si la France entendait déroger aux traités existant -
entre elle et les Etats-Unis, le ministre s'était Gontenté de repro-
che~ ~ux Améri~ains leur sou~i¿sion aU:~ 'i~solentes volontés de


r. " , ) .') ¡ \ '.
l ' Angleterre, en les sommant, pour ainsi dire, de se Joindre a la


- e' , I


f 16 mai 1806.
2 Ordre en conseil du 11 novembre 1806.
;} 21 décembre 1806 ct 17 décembre 1807.





• 400 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ligue universelle, selon lui, qui se préparai.t contre ces Jyrans des
mers. De leur coté, les Anglais, pour les punir d'avoir acquiescé
au décret de Berlin, saisissaient leurs riavires de commel'ce, et la
frégate la Chesapeake ayant rencontré le Léopard a sept ou huit
milles de la rade d'Hampton-Roeds qu' elle venait de quitter, re.;ut
duo vaisseau anglais une bordée qui bIessa trois hommes et en tua
dix-huit autres, parce que Berkeley, son capitaine, avait éner-
giquement refusé de la laisser visiter. Entre deux belligé-
rants aussi implacables dans leurs desseins récíproques et
aussi peu scrupuleux sur les moyens de les faire réussir, la
marine américaine ressemblait littéralement a une tete placée
entre l'enclume et le marteau. Le nombre de ses batiments saisis
par les croiseurs de Sa Majesté Britannique, ou par les cor-
saires de Napoléon, était immense, et quand Jefferson adressait,
dcs l'éclamations au palais de Saint-James ou au palais des Tui-
lcries, il ne recevait de part et d'autre que des répollses aux-
quelles l'impuissance de son pays donnait mi caractere tout a
fait ironique. «'Faites que la France re.;oive nos produits manu-
« facturiers quand vous les lui portez, et nous laisserons vos na-


I .


« vires circuler en paix, ») voila ce que l'on répliquait en Angle-
terre, (( Obtenez des Anglais qu'ils révoquent leur blo?us sur le
« papier, et sans renoncer a la prohibition de leurs marchandises,
(( qui est essentielle a notre systeme, sur tout le reste, nous res-
«pecterons votre neutralité, » tel était le langage de la France.


Comme réplique a l' acte brutal commis sur le Léopard, J efferson,
par une proclamation du 2 juillet 1807, prescrivit a tous les navires
anglais de vider les eaux américaines ; mais cet acte, dépourvu de


. sanction, resta une lettre morte et provoqua meme de la part de
Canning, alors chef du Foreign office, des rétlexions mortifiantes .


. Le président recourut a]ors a une mesure qui avait le mérite de
soustraire le pavillon américain a de nouvelles insultes, mais
aussi le tort de supprimer entierement le cotnmerce mari time, et
le bill dit d' embargo, rendu le 22 décembre 1807, confina les na~
vires de I'Union dans ses ports. Ce moyen n'ayant pas tardé·A
paraitre excessif, deux bills appelés de non-intercourse, qui furent


, rendus~ l'un le 9 mars 1808, l'autre le 1 er mars 1809, défendirent
tout commerce avec la France et l' Angleterre et íprohiberent




QUATRIEME PARTIE. - PROGRE S ET DÉVELOPPEMENTS. 401 ..
toute impor!ation de ces deux pays ainsi que l' entrée de leurs na-
vires de commerce dans les ports. américains.


Le second bill de non-ir/;tercourse forme le dernier acte de la
doubleprésidence de Jefferson. Les faits politiques que l'on a rap-
portés ne sont pas les seuls souvenirs qui s'y rattachent. Il y a
encore la premiere pensée d'unir, par une grande ligne de navi-
gation fluvial e, la région de l'Est a la région de l'Ouest et l'appa-
rition du premier bateau a vapeur capable d'une navigation régu-
liere. Des l'année 1763, le capitaine Jonathan Carver avait eu
l'idée d'un voyage entre le 43e et le 46e paralletes nord, et il s'ap-
pretait a l'effectuer, dans la compagnie de Richard Whitworth,
membre du parlement, lorsque la révolution écIata. La célebre
expédition d' Alexander Mackensie, qui eut lieu en 1793 et qui
atteignit le 52° 20' 48" de latitude septentrionale, confirma la pos-
sibilité de joindl'e commercialement les ri vages des deux Océans ;
mais ce fut seulement en 1804 que l'attention du gouvernement
fédéral se fixa sur ce point. Alol's MM. Lewis et Clarke remon-
terent le Missouri, franchirent les passesdes Montagnes Rocheuses
et explorerent les sources de la Columbia, qu'ils suivirent jus-
qu'a son embouchure dans le Pacifique, ou ils arriverent le
14 novembre 1805 t. Le premier steamboat parut sur les eaux de
l'Hudson, nu mois d'aoút 1807. Fulton, son inventeur, s'était
rencontré, en 1802, a P¡aris avec Livingston, qui désirait depuis
longtemps contribuer de sa fortune a l'établissement de ces ba-
teaux a vapeur dont les essais du cornte d' Auxiron, de Périer,
du marquis de Jouffroy, de Desblancs, en France; de Stanhope,
de Baldwin, de Symington, en Angleterre; de Rarnsay, de Fish,
et ses propres essais, en Amérique, avaient révélé la possibilité,
sans en fournir l'appareil utile. Au commencement de 1803,
Fultonconstruisit sur la Seine un bateau qui s'avan«;ait ave e une
vitesse de 1 ID,6 par seconde. Fort des résultats ainsi obtenus,
il chargea Watt et Bolton de faire passer une de leurs machines
en Amérique; elle fut mise en place au mois d'aoú~ 1807, et le
batean qui en étaít muní fit le voyage de New-York a Albany,
meHant trente-deux heures pour remonter le fleuve et trente pour


f W. Irving. Astoria, éd. Baudry, p 16-17.




• 402 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUB SEPTENTRlONALE.
le desceudre, n avait parcouru environ 55 lieues de poste 1.


Présidence de Madison.


(4 mars 1809-4 mars t817.)


Mauison fut le successeur de Jeffersoll. Il prenait le pouvoir
dans des circQJlstances critiques, la presque totalité des États, et
surtout ceux du Sud, réclamant l'abroªation des bills de non-
intercourse, par suite desquels d'immenses quantités de riz, de
tabac, de coto n restaient entassées dans leurs magasins. Le Con-
gres les renouvela toutefois pour un an : seulement i1 déclara
que si la France ou l'Angleterre venait dans I'Íntervalle a modi.
fiel' ses pratiques, l'effet des bills cesserait instantanément a son
égard. L'année ,expirée, aucun changement n'avait eu lieu : le
congres a10rs suspenditles bills jusqu'au 3 mars1811, en statuant
que si l'un des belligérants abdiquait auparavant ses prétentions
vexatoires, il recueillerait sUl'-le'champ le bénéfice de cet acte,
et que le bill revivrait pour la puissance qui, dans les trois mois,
n'aurait pas suivi cet exemple 2. Cette résolution parut émouvoir
l'empereur, et il fit remettre au général Armstrong, le 5 aout
1810, une note ou il promettait l'abandon vis-a-vis de l'Amé-
rique des décrets de Berlín et de Milap, a partir du 1 cr novembre
suivant. Le Congres, fidele a sa promesse, déclara la reprise des
bilIs de non-intercourse en ce qui concernait la Grande-Bretagne.
Napoléon fut moins exact a remplir la sienne : ce joueur effrené,
qui n'abandonllait jamais qu'a regret l'une de ses chances pré-
tendues ou réelles, attendit pour la dégager la derniere heul'e, au
risque de placer les Américains daus une position fausse. On le
sut, lorsque Madison sollicita du gouvernement fran<;ais une
piece officielle afin de se disculper vis-a-vis du cabinet de Sainl-
James, qlii prétendait que la France n'avait rien abandonné et
qu'il s'agissait seulement d'une feinte concertée entre Paris et


t HacheUe. Histoire des machines a vapeur, etc., 1830, p. 126. ({ Fulton, » dít ce
savant, « est pour l'invention du bateau a vapeur ce que Savery est pour la machíne {( a vapeur. Cet ingéníeur avait raít, en France et en Angleterre, beallcoup d'essais
« infructueux. 11 réunit le premier tous les éléments d'un sllcces durable. ))


2 1er mai 1810.




QUATRIEME PARTlE. PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. 403
Washington. Le décret impérial portait, en effet, la date du
25 avriI1811 1 •


A son tour, le gonvernement anglais parut désirer un rappro-
chement et offrit de désavouer le commandant du Léopard, en
meme temps qu'il rendrait les trois matelots enlevés a bord de la
Chesapeake, qui avaient été le prétexte de la brutale agression com-
mise sur ce navire, et ferait des pensions a ses victimes ou a leurs
familles. Il promit encore de ne plus visiter les batiments de
guerre américains; mais il fut inflexible sur son prétendu' droit
de rechercher a bord des batiments de commerce ses nationaux
déserteurs, et la négociation fut brusquement rompue. Cet essai
avorté de conciliation ne servit en somme qu'a aigrir davan-
tage les rapports de part et d'autre : les croiseurs britanniques
mirent la main sur neuf cents navires américains, et un nouvel
incident vint porter á son combIe l'irritation au delá de l' Atlan-
tique. Le gouverneul' du Canada, sir James Craig, avait envoyé,
des 1809, un nommé Jolm Henry parcourir secretement le Maine,
le Vermont et le Massachusetts. Cet espion politique était perspi-
cace, et dans tous ses rapports il conseillait de fomente!' des divi-
sions entre les provinces septentrionales de l'U n'ion et ses pro-
vinces mérjdionales, sans dissimulel' d'ailleurs que dans le pays
entier l'impression dominante n' était rien llloins que favorable a
ses anciens possesseurs. Sa besogne achevée, Henry en réclama
la solde, qu'il évaluait a la grosse somme de 32,000 livres sterling.
Sir James Craig le renvoya devant les ministres, et ceux-ci, a leur
tour, devant le gouverneur du Canada. Celui-ci n'était plus Cl'aig,
et son successeur refusa net de couvrir des dépenses dont il n' é-
tait pas l'ordonnateur et dont la nature lui paraissait peut-etre un
peu honteuse. Henry, exaspéré, fit alo1's tout savoir au gouverne-
ment fédéral, et Madison, apres avoir informé le Sénat et le publíc
de ce qui s'était passé, interrompit toute communication officielle
avec l'envoyé de la Grande-Bretagne 2.


La guerre paraissait désormais inévitable. Le partí démocra-
tique était a bout de patience et y poussait énergiquement; les


I Pelel, de la Lozere. Précis de l'histoire des Etats-Unis, 1845, p. 246-248.
2 t e•o et 6 juin 1812. llist. de la Louis" 401-405.


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404 L1<JS ÉTATS-UNIS DE L' Al\IÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
fédéralistes hésitaient, objectant que le pays n'était pas préparé,
n'avait pas d'alliances, et se souvenant des difficuHés qni avaient
accompagné son émancipation, meme avec l'aide vigoureuse de la
France. Les démocrates l'emporterent : les représentants voterent
la guerre par 79 voix contre 49, le Sénat par 19 contre 13, et
Madison la proclama t. « L' Amérique, » dit Napoléon en ouvrant
la session de son Corps législatif, (e. l' Amérique a recouru aux
« armes ponr faire respecter la souveraineté de son pays. Les.
« vamx du monde l'accompagnent dans cette lulle glorieuse ....
( Si elle la termine heureusement, la postérité dira que l'ancien
( monde avait perdu ses droits et que le nouveau les a recon~
« quis 2. » 5 a 6,000 hommes de troupes fédérales, formant la
garnison des forts de l'Ouest; dix frégates, quelques batiments
légers, quelques canonnieres et pas un vaisseau de haut bord,
c'était peu de chose pour réalisel' ces vmux. Le Congres ordonna
de lever 100,000 hommes de milices, d'équiper tous les batiments
disponibles, et se rassura tout a fait en songeant aux énormes
etforts que sa lutte avec Napoléon imposait a l'ennemie de l' Amé-
l'lque.


I


Le général Hull et le général Van-Ranslaer, chacun avec 2,000
hommes, envahirent le Canada sur deux points, l'un par le
bassin de l'Erié, agauche, l'autre par la vallée du Niagara, a
dl'oite, mais tous les deux avec un insucces égal. Hull fut forcé
de se retirer sur Détroit; il Y capitula, et les Indiens massacrerent
500 de ses 'llOmmes qu'on avait internés a Frenchtown. Van-
Ranslael' avait traversé le Niagara et pris Queenstown lorsque les
milices de New-York l'abandonnerent, sous le prétexte qu'on
n'avait pas le droit de les faire sortir'de leur territoire. Sur mer,
les Américains furent plus heureux: la frégate les Etats-Unis, que
commaildait Décatur, prit la Macédonienne et la Constitulion, qui
était aux ordres du capitaine Hull, frere du général, fon,;a la
Guc1'riere d'amener son paviUon dans les eaux de Boston, et plus
tard captura le Java dans ceUes du Bl'ésil.


Les Américains ouvrirent la campagne de 1813 avec 35,000


1 18 juin 18t~.
214févricI'1813.




QllATRlEME PAnTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 405
hommes. Le général Dearborn attaqua el prit la ville d'York sur
la rive canadienne de l'Ontario; mais il échoua devant Newark,
située a l'endroit ou le Niagara sort du lac. Le général Harrison,
dans le Michigan, s'empara du fort Malden, battit les Indiens et
tua Tecumseh, leur célebre chef, tandis que le commodore
Perry, chargé de seconder ses opérations, dispersait compléte~
ment sur l'Erié une flottille anglaise. D'autre part, l'amiral Cock ...
burn, avec des Hessois, des Wurtembergeois, des Hanovriens, dé-
serteurs des armées de NapoJéon, brúla Hampton et dévasta le
littoral de la Chesapeake, el la frégate fédérale du meme nom
fut obligée de se rendre au Shannon. La campagne de 1814
s'ouvrit par une atta que combinée des Anglais contre Plattsburg,
dans le bassin du Champlain, et la ville de Washington. 14,000
hommes s'emparerent de Plattsburg, mais une nouvelle défaite
de la flottille anglaise sur 1'Erié rendít ce sueces stérile. 5,000
hommes, venus par la voie de la Chesapeake, marcherent sur
Washington, s'en emparerent et l'évacuerent pour se por ter sur
Baltimore apres avoir iucendié la viHe et dévasté tous les alen-
tours. I1s éehouerent devant Baltimol'e, et les armes anglaises
n'obtinrent point l'année suivante un meilleur succes devant la
Nouvelle-Orléans. Le général Jackson l'avait entourée de lignes
solides qu'íl défendait avee 4,000 hommes et contre lesquelles la
froide bravoure des troupes anglaises vint se briser. Le 8 janvier
1815, le général Paekenham les aborda avec 8,000 hommes : au
bout d'une heure d'aetion, ses troupes étaient l'epoussées avec
d'énormes pertes et lni-meme restait parmi les morts.


Cependant, sur l'une et l'autre rive de l' Atlantique, on était
également fatigué d'une luUe stérile. Les Etats du Nord et eeux
du Sud en soufl'raient: les premiers, paree qu'ils manquaient de
bras pour leurs manufactures; les seeonds, paree que leur3 pro-
duits agricoles n'avaient plus de débouchés, et une convention
d~s Etats septentrionaux réunie a Hartford avait pour ainsi dire
sommé le congres de faire la paix. On ne" pouvait se dissimuler
en Angleterre que l'on avait été, en somme, plutót battu que bal-
tant, et la rancune nationale, qui n'était pas encore tout a faít
éteinte, ne se dissimulait pas néanmoins que les dévastatiol1s de
la Chesapeake et l'incendie de \Vashington n'étaient point des




406 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
actes glorieux. Aussi les ministres, avant meme de connaltre'
quelle serait l'issue de l'attaque contre la Nouvelle-Orléans,
avaient-ils signé 3,Gand, le 24 décembre 1814, un traité qui mit
fin aux hostilités, et dont les dispositions ma~érielles rec;urent
lenr complément dans des conventions arretées, le 24 novembre
1817, par des commissaires nornmés en vertu de l'article 4 du
traité primitif.


Présidence de Monroé.


(4 mars ~8t7-4 mars 1825.)


Monroe était secrétaire d'Etat quand le suffrage populaire le
désigna pour la présidence. Son premier acte important fut l'ac-
quisition des Florides, qui étaient restées soumises a l'Espagne,
malgré le mouvement général d'émancipation dont le curé
Hidalgo et le général Miranda avaient donné en 1811 le signal au
Mexique et dans la province de Venezuela. Un nommé Mac-
Gregor, qui se disait au service de Venezuela et envoyé pour sous-
traire les Florides au joúg espagnol, mais qui avait toutes les
allures d'un pirate, s'étant illstallé dans l'ile d' Amalia, le gouver-
nement fédéral profita de cette occasion pour océuper 1'1Ie. La
cour de l'Escurial ayant fait entendre des réclamations, le cabinet
de Washington répliqua que dan s sa pensée l'occupation d' Ama-
lia devait etre seulement témporaire, mais qu'il la prolongerait
toutefois tant que I'Espagne n'aurait pas pris des mesures suffi-
santes pour empecher l'établissement d'un repaire de pirates sur
les cótes t1oridiennes. Un deuxieme incident vint, en me me temps,
servir les vues secretes de la République. Des Indiens Creeks
avaient envahi la Géorgie, et J ackson les en avait chassés. 11s se
réfugiel'ent a Pensacola, dont le général américain forc;a les portes
sur le refus 'du gouverneur de les lui ouvrir. Les choses se pas-
serent alors comme elles s'étaient passées a propos de l'ile Ama-
lia : l'Espagne protesta et les Etats-Unis lui répondirent qu'ils
étaient tout disposés a évacuer Pensacola, si de son coté elle était
prete a garantir la Géorgie de nouvelles incursions indiennes. Le
gouvernement espagnol restant le débiteur du gouvernement




QUATRIEME PARTfE, - PRofmEs ET nÉVELOPPEMENTS 407
fédéral pour une sornrne de 5 lllillions de dollars, a raison de
sai~ies illégales de hatiments du eommeree, Monroe demanda la
eession des Florides eomme aequit de eette dette. L'Espaglle
aequies~a et, par un traité du 4 septembre 1818, que le Sénat
ratifia le 20 oetobre 1820, ces territoires furent ineorporés a
l'Union amérieaine.


Le Congres rendit en eette meme année 1820 un aete de la plus
haute importanee, connu sous le llom de compromis du Missouri,
paree que l'érection en État du territoire de ee nom en fut l'oeca-
sion déterminante. Tout Etat qui se forme doit, avant de prendre
définitivement sa place dansla Confé dération, soumettre au Con-
gres sa constítution partieuliere. Or, celle du Missouri eonsaerait
le príncipe de l'esc1ayage, et les membres du Congres qui lui
étaient hostiles proposerent de supprimer eette c1ause odieuse.
Les représentants des Etats du Sud défenrlirent leur institution
locale par les raisons qui leur étaient familieres. L'esclavage,
dirent-i1s, était une conditioll malheureuse, mais nécessaire, de la
culture sous un elimat brulant et fatal au travailleur de raee
blanehe. Les Etats du Sud ne l'avaient point inventé, d'ailleurs.
puisque l'antiquité tout entiere l'avait pratiqué et qu'il y avait
eu des escIa ves noirs dans toutes les eolonies européennes, des la
déeouverte meme de l' Amérique. La chose existant, la supprimer
a I'égard du Missouri, quand le Kentucky et le Tennessee, ou
l'esclavage existait également, avaient été admis au nombre des
Etats sans diffieulté aueune, n'était-ce pas atteindre non-seule-
ment les droits de ce territoire, mais ceux du Sud tout entier, et
les att~ipdre au mépris de la constitution, au risque d'une rupture
de l'Uníon elle-merne ? Ni ces sophismes, ni cette menace assez
peu déguisée n'arreterent la Chambre desreprésentants qui vota
léJ. &uppression de la clause en 1itige, mais le Sénqt la. maintillt
touí en statuant qu'a l'avenir, l'esclavage ne pourril.it etre intro-
dpit dans aueun des Etats ou des territoires situés 'au dela du 30e
degré 30'. 4e latitude septentrionale, et cette transaetion rallia le
suffrage des représentants.


Les Etats-Unis reeonnurent en 1.822"indp.pendanee des eolo-
nies espagnoles insurgées eontre leur métropole. Un pareil aete
était bien naturel de leur part; mais la portée que lui donnerent




108 LES ÉTATS-UNIS DE J: AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
peu apres les commentaires du président Monroe étaient beau-
coup micux faits pour attirer l' attention des politiques eUl'opéens
que cette reconnaissance elle-meme. A l'occasion des projds de
chercher des alliés pour reprtmdre ces colonies' que ron pretait a
l'E"'pagne, Monl'oe ne craignit pas de formuler une doctrine céle-
bre et qui a gardé son nom, quoique Madison l'eut déjil professée.
Elle proclame que le continent américain appartient aux Améri-
cains seuls, et que conséquemment nuBe puissance européenne
n'a le droit d'y mettl'e le pied, soit pour y établir une colonie,
soit pour y maintenir l'équilibre politiqueo Ainsi que M. Labou-
laye en faít la remarque, ce principe « s'il est reconnu par 1'.Eu-
« rope, assure la domination de~ Etats-Unis sur tout le continent
« américaín, car iI n'y a point un seul des Etats de l' Amérique
a. central e ou de l'Amérique du Sud qui soit capable d'arreter
« cette toute-puissante expansion,et il ya la le germe d'un empire
«( dont la grandeur effraye l'imagination 1.»


Grandeur, croyons-nous, plus.apparente que réelle, el s'il ne
manque pas aux Etats-Unis d'aventureux politiciens qui leur indi-
quent tout le Mexique, Cuba, Porto-Rico, Saint-Domingue, peut-
étre meme les républiques centrales, comme des proies faciles a
saísir, il Y a également des esprits sensés qu'une telle perspective
effraye 10Ín de les séduire. De ce nombre est l'auteur du Systeme
dn gouver'nement amér'icain : illui parait on ne peut plus difficile
d'assÍmiler a l' Amérique du Nord une population d'environ 8 mil-
lions d'hommes parlant un autre langage, et pour la plnpart oisifs,
ignorants, superstitieux. Ah! s'jl s'agissait du Canada, ce serait
autre chose ! La, on parle le me me idiome, on a partiellement la
meme histoire; on a presque les memes usages; on a les memes
habitudes industrieuses, la me me énergie, le meme respect des lois,
le meme gout des institutions représentatives. lci M. Ezra Seaman
ne voit pas la doctrine de Monroe d'un aussi mauvais ceil, et san s
qu'il conseille au président Grant de partir sur-le-champ en
guerre, on sent a ses paroIes, a son accent surtout, que l'annexion
des pr~)Vinces britanniqu~s, si elle venait a s'accomplir, le lais-
serait sans appréhensions et sans scrupules.


I Tlist. po!., etc., 1. ;¡e1e~on.




QUATnIlhlE pARTIE. - PItOGItES ET Df~VELOPPEMENTS. 409
Jefferson s'était bien aper<;u que son pays et la Russie étaient


susceptibles, malgré d'énormes différences dans les~nstitutions el
dans les mmurs, de nouer des relations réciproquemenl profitables,
n'ayant rien a redouter l'up de 1'autre, et la Russie servant, dans
la balance de l'équilibre européen, de contre-poids a la France ou
a l' Apgleterre. Il avait donc entamé une correspondan ce person-
neHe avec l'empereur Alexandre, en accréditant pres de lui un
ministre plénipotentiaire, et il avait eu la morLification de voir le
Sénat ne pas ratifier cette mesure, le 8 mars 1809, c'est-a-dire
quatre jours apres l' expiration légale de ses propres pouvoirs. La
meme poiitique inspira Monroe dans les négociations auxquelles
donna lieu un ukase impérial qui semblait confisquer le com-
merce et la navigation du littoral que baigne le Pacifique, dans
l'angle nord-ouest du continent américain, et que les cartes ont
désigné jusqu'a ces derniers temps sous le nom d' Amérique russe.
Conduites dans un grand esprit de conciliation, elles aboutirent
a un traité qui réservajt a la Russie la navigation et la peche au-
dessus du 54°34' de latitude septentrionale et les abandonnait aux
Etats-Unis au-dessous de ce meme parallele. Monroe réussit moins
bien dan s le projet qu'il eut de consacrer aux travaux publics de
l'Union entiere les excédants de recettes que présentait le budget
fédéral. Il fut repoussé par le r..tOngres comme contraire a l'esprit
de la constitution qui lim1tait, disait-on, le pouvoir du gouverne-
roent fédéral a l'exécution des ciloses que les Etats étaient inca-
pabies, en leur particulier, de faire. On Íl'ouva qu'i1 serait im-
prudent de donner au président, par la création el'un nombrelix
personnel a son choix et a ses ordres, un acces dan s l'adminis-
tration intérieure des Etats et une influence qu'il pourrait tour-
ner contre les libertés publiques.


Dans la aerniere année de sa présidence, Monroe re<;ut un hóte
illustre : c'était La Fayette, qui venait revoir, a trente ans d'inter-
valle, les champs de bataille sur lesquels il avait combattu et
assister au noble spectacle d'un peuple élevé dans la liberté et
gralldi par elle. La Fayette, débal'qué a New-York, visita d'abord
Philadelphie et Boston; puis il fit, en compagllie du Président.
un pelerinage a MouI1t-Vernon; enfin, iI s'embarqua POUl- la
Nouvelle-Orléans eí parcourut les nouveau x Etats de l'Ouest,






410 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQU~ SEPTENTRIONALE.
témoins irréeusabJes des progres de la jeune République. Parmi
les souvenirs si divers de sa longue carriere, il n'en est point
qu'il rappelat avec plus de prédílection, dans les dernieres années
de sa vieillesse, que ceux de eette troisieme visite a l' Amérique
et de l'aecueil enthousiaste que lui fit alors une population re~
connaissante 1. La Fayette a commis des fautes, celIe surtout de
favoriser, pour ne pas dire de créer la double usurpation des
d'Orléans; mais il était, dans la force du terme, ce que les An-
glais et les Américains appeHent un caraetere. Je ne sais quel
personnage offieiel lui ayant un jour demandé ce qu'iL avait faít
sous l'empire : « Je me suis tenu debout, )) répondit-il, et ils n'é-
taient pas uombreux, s'ils étaient les plus illush'es,Chénier, Cha-
teaúbríaud, Benjamín de Constant, Mme de Stael, Daunou, CaruQt
et Lecourbe, les eontemporains de La Fayette, qui eussent le droit
de se rendre unpareil témoígnage.


Présidence de John Quincy Adams.


(4 mars ~825 - 4 mars ~829.)


Avec Monroe, qui quittait le pouvoir, ave e John Adams et
Jofferson, qui aHaient monrir 2, disparaissait de la seene politique
la forte genération des peres de l'indépendance américaine. 1'an-
cien parti fédéralisle s'était dissous; il n'y avait plus que des
whigs ou républicains et des démocrates, en d'autres termes, des


I La Fayctte se trouvait a Cambridge lor'sque Everett, le plus littéraire des or:¡.teurs
américains, prononlia un de ses plus beaux discours. E\'erett l'apostropha en ces
termes: {( Sois le bienvenu sur nos rivages, ami de nos peres l. .. Jouis d'un triomphe
« tel qu'il ne futjamaís le partage Il'allcun mon¡¡rque 011 conquérant sur la tene.
{( Ce triompl¡e est dans I'assurance qu'iI n'est ras dans toute I'Amérj(Jue une poitrine
{( qui ne batte de joic et de reconnaissance a la seule mentíon de ton nomo (Vail. De
la littérature des Elats-Unis, p. 464).


2 Adams et .Jefferson mOllrurent tous deux le 4 juillet 1826. Ce dernier avait
toujours dit qu'il souhaiterait de mourir a la date de cet anniversaire si mémo-
rabIe dans sa vie et dans celle du peuple américain. Mais, quelques semaincs
avant qu'il n'arriv:H en 1826, ses amis avaient perdu tout espoir de le conserver
aussi longtemps, tant il paraissait affaibli et usé. Contre toute attente, il atteignit
néanmoins, ce jour. 11 était alors dans sa 84" année. (De la littérature des Etats-
únis, etc., 155-156.)




, :-'; ~. ,.'


QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 411
hommes également imlms de la foi républicaine, mais divisés
sur quelques nuances de son credo et ne professant pas les
memes id(~es sur la souveraineté particuliere des Etats, a qui les
uns imposaient certaines limites, tandis que les autres l'exagé-
raient de fa<;on a énerver le pouvoir central et a compromettre
meme le pacte d'union. L'élection qui eut lieu pour remplacer
Monroe attesta que les (leux partis se balan<;aient a peu pres
dans le pays. John Quincy Adams, le fils de l'ancien président~
qui était le candidat des républicains, ayant réuni 84 suffrages, et
le général Jackson, candidat des démocrates, 99 seulement, des
voix s'étant égarées sur d'autres candidats, Jackson ne réunissait
pas la majorité absolue des suffrages, et des lors c'était a la
Chambre des représentants qu'échéait la nomination du prési-
dent. La Chambre préféra John Quincy Adams: elle était en ma-
jorité républicaine et, connaissant le caract~re impérieux de
Jackson, redoutait de sa part des ten dances usurpatrices. Les
démocrates cricrent a la constitution violée, du moins dans son
esprit, et présenterent un amendement qui avait pour but de faire
recommencer l' opération dans les circonstances analogues, mais
que le Congres ne jugea point utile d'adopter.


/Erndit, écrivain, oratenr et diplomate, John Quincy Adams
continua dignement sa tradition de famille et celle des hommes
illustres qui l'avaient précédé dans sa haute fonction. Deux sou-
venirs principaux se rattachent a sa présidence: le cantonnement
des Indiens et la tenue a Pan ama d'un congres des nouveaux
Etats de l' Amérique centrale. Les Indiens étaient répandus au
nombre d'environ 100,000 sur la frontiere de l'Ouest, d'ou ils
faisaient des incursions perpétuelles : onles décida a passer sur la
rive droite du Mississipi, et on leur fournit des se menees et des
instruments aratoires, en meme temps qu' on leur batissait des
cabanes et meme eles maisons d'école, dans l'espoir fort aléatoire
de les attacher a la vie civilisée et séelentaire. Le congres, qui se
réunit en 1825 a Panama, se proposait de discuter, en dehors des
intérets communs aux nouveaux Etats qui en avaient pris l'ini·
tiatíve, quelqlles questions d'un intéret plus général, telles que la
traite des noirs et le percement de l'isthme. Il avait invité les
Etats-Unis a s'y faire représenter, et le Président avait bien




412 LES ÉTATS-UNIS DE l..'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
aeeueilli eette démarehe. Mais au Sénat, quand il s'agit de rati-
fier le ehoix des eommissaires qu'íl avait désignés pour aller a
Panama, il y eut une 'diseussion fort. vive. En princípe, y dit-on,
la politique extérieure des Etats-Unis devait garder toute son ind~­
pendanee, et il fallait eraindre de eontraeter des liaisons trop
intimes avee des peuples dont les mreurs, les habitudes et la reli-
gion différaient si sensiblement de eelles du peuple de l'Union.
L'envoi de eommissaires au eongres de Panama ne fut ratifié que
par 24 voix eontre 19.


Présidence du général Jackson.


(4 mars t829 - .\ mar" t837.)
I


Le sueeesseur a peu pres eertain de Quiney Adams était son an-
eien eompétiteur, le général J aekson, dont la popularité n'avait fait
que grandir pendant ees quatre dernieres années. Aux nouvelles
élections présidentielles, son nom sortit en effet des urnes avee
une majorité de 178 suffrages eontre 83. L'origine de eette popü-
larité remontait a la défense de la Nouvelle-Orléans et aux sucees
remportés par le général eontre les Creeks et les Séminoles. Elle
s'expliquait autant et plus peut-etre par les défauts que par les
qualités de sa nature et de son earaetere. eette nature était loyale
et me me ehevaleresque., mais ardente a l'extreme, et ce carac-
tere était inflexible, ennemi de toute eontradiction, aussi dévoné
en amitié qu'apre en inimitié. On avait vu Jackson, apres son
triomphe a la Nouvelle-Orléans, faire arreter un mcmbre de la
législature louisianaise, alors en session, paree qu'il avait écrit
dans un journal un article hostile, et eonduire hors de la ville un
juge fédéral qui avait voulu s'interposer dan s l'affaire. Ajoutons
aussitót, a l'honneur des magistrats américaius, que ce double
abus d'autorité valut a son auteur une amen de de 5,000 dollars 1.
Aussi le parti républieain eon<;ut-il de vives alarmes en voyant
Jackson entrer a la Maison-Blanehe, et ne se rassura-t-il un peu
qu'en pensant a son ehaleureux patriotisme et surtout a l'absence


t Plu¡; {le 25,000 francf;.




QUATRlEME l'AHTIE. - PROGRES ET DEV.I!:LOPPEMENTS. 413
dans le pays de ces éléments de corruption, qui aiHeurs servent
si bien tous les projets liberticides.


Jackson, qui ne devait pas ignorer ces défiances, s'était promis
a lui-meme et avait promis au public de suivre une politique con-
forme a ceHe des Washington et des Jefferson. Il fut d'abord
fidele a ce programme, et sa conduite fut calme, patiente, réservée.
Dans le conflit de la Caroline du Sud avec le pouvoir fédéral, on
ne peut, en effet, lui faire un crime de s'etre assuré, le cas
échéant, de vigoureux moyens répressifs quand tout semblait
indique.r qu'on aurait besoin d'y recourir, et il faut lui savoir gré
de n'avoir pas poussé jusqu'au bont son triomphe. Ce contlit, resté
célebre dans les annales amérieaines, sous le titre d'affaire de la
nullification, fut un premier et menayant índice de l'antagonisme
du Nord et du Sud, l'un presque exclusivement manufacturier,
l'autre presque e~clusivement agricole. Afin de faire face aux
dépenses de la derniere guerre, le Congres avait établi, en 1816,
des droits de douanes qui n'avaient pas tardé, dans lls actes sub-
séquents de 1818, de 1824, de 1828, a revetir un caractere pro-
tecteur et atteignaient 40 p. 100 a l' égard de quelques articles
principaux, tels que les laines et les fers. En 1832, sous l'em-
pire des ineessantes réclamations du :Sud, ces tarifs avaient été
adoucis, mais d'une fayon vraiment insignifiante. Voila dans
quelles circonstanees la Caroline du Sud forma une convention


, pour prendre un partí sur les lt>is de douanes passées et futures.
Assemblée le 3 novembre 1832, elle passait le 19 un aete qui
déelarait nulles et non avenues, nullified, si elles n'avaient pas
été abrogées, ou tout au moins atténuées par le. Con gres avant
le 1 cr février 1833, les diverses lois de douanes, notamment ceHes
du 19 mars 1828 et du 14juillet 1832, comme contraires aussi bien
a l' esprit qu'a la lettre du pacte fédéral. La convention, en me me
temps, convoquait les mili ces de la province, et)a situation devint .
grave: la Virginie, la Géorgie sui vaíen t les résolutions de la Caroline
d'un mil attentif et sympathique; dans tout le Sud, on parlait d'une
alliance défensive et l'Union ne semblait plus tenir qu'il. un fil.


Le Con gres se réunit le 2 décembre, mais sans rien faire d'a-
bord pour arriver a une solution quf satisfit tout le monde,
et il fut heurcux pour la paix publique que la Carolinc eút




414 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
résolu, sur l'avis des autres Étáts du Sud, de patienter encore
et de ne pas interrompre violemment la perception des droits d'e
douanes, cal' le président Jackson avait obtenu du Congres, son s
le titre d' Enforcing BilZ, des pouvoirs suffisants pour contenir la
rébellion, et dans le dernier appel qu'il adressait au patriotisme
du Sud, il ne cachait nuUement son intention de s'en servir 1.
Enfin, sur L'initiative d'un zélé défenseurdes manufactures, d'Henry
Clay lui-meme, le Congres vota une nouvelle loi douaniere que le
président sanctionna le 1 er mars 1833. Clay étant sénateur et la loi
étant de finances, l'initiative apparente n'en pouvait venir du Sé-
nat; mais sa proposition passa dans un amendement au bill pro-
posé par le gouvernement, en décembre 1832, et qui, tout en
consacrant de larges réductions sur les tissus de laine, les cotons,
les fers, n'avait eu nuUement le privilége de désarmer la Caroline.
Cet amendement stipulait une réduction par dixiemes' et de deux
ans en deux ans des tarifs en vigueur, de maniere qu'U n'y eut


..


plus, au 30 juin 1842, de droits excédant 20 p. 100. Quelques
jours plus tard, la convention de la Caroline du Sud rapportait
son acte du moÍs de novembre; mais elle conservait celui qui avait
ordonné l' armemen t des milices etnullifiait meme l' Enforcing Bill2.


Mais, comme l'a dit le fabuliste :
Chass~z le naturel, il revient au galop,


et ce n' est pas quand on a dépassé la soixantaine qu' on peut se
refaire. Sous ses cheveux blanchis, le général Jackson était tou-
jours l'homme « qui devait avoir la bosse de la combativité, si la
« phrénologie était une science certaine 3 ; » l'homme que ses
ami s eux-memes et le peuple appelaient le vieil hickory, oZd
hickory, en lui conservant un surnom qu'il tenait des Indiens, qui


f Cette proclamation est insérée in extenso au n° VII des pü]ces justificatives du
précis, etc., de Pelet, de la Lozere, eL le message du président porte le n° VIII.
« La doctrine du veto des Etats, » lit-on dans cette derniere piece, « porte en elle-
« meme la preuve de son impraticable absurdité; mais toute notre histoire consti-
« tutionnelle atteste que si on eut osé proposer de la consacrer dans la constitution,
«( cette pensée eut été rejetée avec indignation. )) Jackson annoncait en terminant
«( qu'il était bien déterminé a remplir ses devoirs; que les lois et la constitution
« resteraient souveraines, ainsi que I'union indissoluble. »


2 Lettres sur l'Amérique du Nord, 1, note 9 .
• Mot de Clay en 1833.




QUATRlEME PARTIE. - PROGRE s ET DÉVELOPPEMENTS. 415
"


l'avaient emprunté a une sorte de noyer dont l'espece est parti-
culiere a l'Améríque et dont le bois est tres-duro On s'en áperc;ut
bien a l'ardeur, disons mieux, a la passion qu'il mit a terrasser
la banque fédérale, lorsqu'il s'agit de renouveler son privilége
qui expirait le 3 mai 1846, et qu'un bill, introduit pendant la
session de 1831-1832, proposáit de proroger pour un nouveau
laps de vingt années.


Cet établissement datait de 1791 et n'avaít pas vu son privilége
renotIvelé en 1811, paree que les mechanics et les farmers l'avaient
englobé, des cette époque) dans la haine qu'ils portaient au Ban-
king System en général, a la suite des nombreux méfaits des ban·
ques libres. C'était aux IégisIatures locales de tracer a celles-ci
leul's conditions d'existence, et elles les avaient tracées d'une maín
si libérale que certaines banques s'étaient permis d'émettre des
quantités de billets quintuples et mem8 sextuples de leurs réser-
ves métalliques. Ailleurs, iI régnait des abus administratifs de l'es-
pece la plus grave, et l'on avait découvert qu'a Baltimore, le cais-
sier de lacity bank s'était preté a lui-meme unesomme de 166,000
dollars et qu'il avait ouvert a l'un de ses amis un crédit de 185,000.
Il s'en était suivi un agiotage scandaleux et de nombreux désastres
financiers qui avaient rejflÍlli sur tout le systeme des banques. Ces
établissements, a la fin de la guerre, ne s'étaient pas trouvés en
mesure de reprendre leurs payements en especes, de sorte que le
régime du papier - monnaie inéchange<!ple avait continué de
florir. Or, il n'existait pas moins de 246 banques d'émission, et
par conséquent 246 sortes de papier, d'une valeur fort inégale,
et perdant 20, 30, 40, 50 pour cent, suivant le degré de confiance
acquise a la banque émissionnaire. C'était une vraie Babel finan-
ciere, et pour en sortir, le Congres imagina, en 1816, de ressus-
citer la banque fédérale. Elle commen~a de nouveau a fonctioll-
ner le 1 er j anvier 1817, avec un capital de 35 milliolls de dollars.
La reprise despayements en especes devint le signal d'une liqui-
dation qui dura trois ans, et fut assez désastreuse pour laísser au


,


ereur des masses et des spéculateurs la plus vive amertume a
l'endroit des banqnes et du Banking System 1.


t De 1811 a 1830, on a calculé que 165 banques firent faillite. V. dans les let ...




416 , , , LES ETATS-UNIS DE L AMERIQUE SJ<:PTENTRIONALE,
Les souvenirs de cette époque désastreuse furent le grand auxi·


liaire du général Jackson dans sa.lutte contre la banque fédérale.
L'accuser, comme il le fit dans son message du 18 septembre
1833, <[avoir intrigué pour que' le renouvellement de sa charte
vint dan s la session de 1831--1832, afin de le placer dans I'alter-
native ou d'approuver ce renouvellement, ou bien, s'il luí oppo-
sait son veto présidentiel, de voir ce veto retourné contre sa réelec-
tion ; lui reprocher d'avoir a cette époque fait de la politique en
augmentant la quantité de ses escomptes et en corrompant la .
presse, ce n'était pas raisonner sérieusement, et il eút fallu d'au-
tres arguments que ceux-Ia pour justifier le veto dont le président
frappa le bill qui renouvelait pour vingt ans le privilége de la
banque. C'était trop peu surtont pour faire accepter des gens
impartiaux la mesure brutale qui retira peu apres a la banque
les excédants de recettes du trésor fédéral, qu'aux termes de
sa charte de fondation, el movennant la somme de 1 million
~


500,000 dol. Elle avait acquis le droit de conserver dan s ses caisses
et d'employer a ses opérations dont ils augmentaient singuliere-
ment l'importance. Cette fois le Sénat s'émut : il avait au préa-
lable demandé communication au président des ordres qu'elle
entendait donner a cet égard, et Jacksori l'avait refusée; le Sénat
a son tour qualifia la mesure d'inconstitutionnelle quand il I'eut
rendue. J ackson repoussa tres-énergiquement le reproche: selon
lui, il avait agi dans les limites de son pouvoir présidentiel, et s'il
reconnaissait au Sénat le droit de le frapper d'impeachment, illui
contestait celui d'appliquer a ses aetes des termes abusifs. Le
Congres avait la ressource d'annuler le veto qui avait atteint le bill
sur la banque en votant une seconde fois ce bill a la majorité des
deux tiers de ses voix; mais la Chambre des représentants, ne
voulant pas se séparer de J ackson, prit le parti de le rejeter quand
illui revint, sans se soucier des suites tres-graves que cette com-
plaisance allait avoir pour la sécurité commerciale du pays.


Ce suéces enivra Jackson, et dans ses démelés ave e la France,
il se montra plus qu'impétueux, il fut étourdi et arrogant. 11 avait


tres 111 et IV elu tome premier des Lettres sur l'Amérique du Nord, de M. Michel
Ghevalier, de tres-intéressants details sur le Banking Systeln et la lutte de Jackson
contre la banque fédérale.




..


./


QUATRIEME PARtIE. - PROGR~S ET DEVELOPPEMENTS. 417
été stipulé, apres le rétablissement des bonnes relations entre les
États-Unis et l'empire, que les armateurs des navires américains
saisis en vertu des décrets de Milan et de Berlin seraient indem-
niSés. La fixation de ces indemnités, ajournée pendant l'époque de
nos désastres, fut introduite pres du gouvernement de Louis XV¡n
qui commen9a par répondre qu'il « n'était pas responsable des
dettes de l'usurpateur, » mais E{ui, sentant bien lui-meIíle tout ce
qu'une pareille réponse avait d'insoutenable, finit par admettre
en principe, quoique de mauvaise grace, la liquidation de ces
indemnités. Elle traina si bien en longueur que la Révolution
de juillet éclata sans qu'ellp, fUt achevée. Le chef du gouverne-
ment nouveau avait reGu l'hospitalité en Amérique pendant la
révolution fran9aise : monté sur le tróne, il s'en souvint, et l'an-
née 1831 n'était pas écoulée que eette question en apparence
interminable était réglée. L'indemnité fut fixée a 25 millions
payables par sixiemes, d'année en année : seulement 011 omit de
stipuler dans le traité qui la consacra que le d~lai du premier
payement co'urrait seulement a partir de la ratification des Cham-
bres fran9aises. Présentée tardivement dans la session de 1832,
la loi des 25 millions ne fut pas votée, et quand 'elle revint l'an-
née suivante devant la Chambre des députés, elle y ,tl'ouva un
tres-mauvais accueil. On la qualifia d'acte personnel de complai-
sanee envers le cabinet de Washington; on dit que, la Restaura-
tionayant refusé de traiter au chiffre de 12 et meme de 10 millions,
celui de 25 était évidemtnent abusif; on alla jusqu'il prétendre
que le commerce américain se trouvait assez dédommagé par


. les gros bénéfices que lui avaient procurés les navires qui avaient'
eu la chance d' échapper aux conséquences du blocus continental.


Bref, la 10i que le ducde Broglie, alors ministre des af-
faires, étrangeres, fut a peu pres seul a défendre, la loi échoua. Ce-
pendant dans l'intervalle le presidentJackson avait lancé sa pre-
miere traite : quand elle lui retourna im~ayée, il manifesla une
irritation extreme et qui se fitjour dans un message ou il annon-
9ait l'intention de se paye!' de ses propres mains, en saisissant les
navires fran9ais en transit dans les ports américains, si le cabinet
des Tuileries ne représentait pas la loi rejetée des la session pro-
chaine. En Amériquc 1 le tun leste et tranchant d'unc portion de


27




418 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
la presse avait préparé les esprits a quelque démonstration éner-
gique; d'apres un témoin oculaire, le message présidentiel
dépassa aussi bien les espérances de ceux qui désiraient une
attitude hautaine vis-a-vis de la France -que les appréhensions de
ceux qui la redoutaient 1. En France, on fut tres-étonné et tres-


,-


irrité, et dans les conseils du gouvernement ii y e11t de l'hésita-
tion sur la marche a suivre. Les ministres reconnurent qu'une
pareille piece aurait du passer pour l'expression des sentiments
publics en Amérique, si elle eut porté la signature -de l'un ou de
l'autre des présidents qui s'étaient succédé depuis Washington
jusqu'a Quincy A,dams, gens prudents et habitués a ne rien faire
dan s les circonstances graves sans s'etre entourés de toutes les
lumieres et sans avoir sondé l' opiniou a toutes ses sources. Mais
ils penserent en meme temps que le général Jackson avait change
tout cela et substitué les coups de tete-aux inspirations de la froide
politique 2: ils le séparerent done du peuple américain, et toul en
rappelant leur envoyé a Washington, en faisant tenir ses passe-
ports a l'envoyé américain a Paris, ils redemandérent les 25 mil-
lions, et ne les obtinrent pas san s peine, aux Chambres, quoiqu'un
des articles de la loi eut stipulé que les payements seraient sus-
pendus si un commencement d'exécution avait déja suivi les
menaces du message_ La sagesse du Sénat, qu~ refusa de s'as-
socier a cette aventureuse politique, forc;a Jackson Iui-meme a
reculer: iI déc1ara publiquement qu'il n'avait jamais eu ni
doutes sur la loyauté du gouvernement franc;ais, ni intention
de l'intimider, et ce triste incídent se trouva clos (1835).


Présidence de Van Buren.


(4 mars.1837-4 mars 1841.)


Au moment OU expiraient ses pouvoirs, tel1e était encore la
popularité du général- Jackson qu'il eut été vraisemblablement
réélu président, si les Américains ne s'étaient pas faít une loi
morale, beaucoup mieux observée que bien des lois écrites, de


.


t Lettres sur ¿'Amérique duNord, J, XVII.
2 Lettres sur ¿'Amérique du Nord, 1, XVIl




Q UATRIEME- PARTIE. - PROGRES - ET DÉVELOPPEMENTS. 419
Ilé jamais investir de ces hautes fonctions trois fois de suite la
meme personne. Son successeur fut M. Van-Buren, de New-
York, qui avait été vice-président sous se[5 deux administrations
successives, et qui, aux élections présidentielles de 1836, l'em-


..


porta de 24 voix sur le général Harrison, Henry Clay et Daniel
Webster, ses concurrents. Van Buren prenait le pOllvoir dans un
moment difficile et dont les mesures financicres de son prédé-
cesseur étaient la cause unique: a New-York, deux cent cinquante
maisons avaient suspendu leurs payements; les banques decette
ville ne payaient plus en especes, et celles d' Albany, de Balti-
more, de Bastan, de Philadelphie avaient suivi cet exemp]e. A
peine installé a la M aison-Blanche, il réunit le Con gres er\ session
extraordinaire, et, fidele aux tlJéories de Jackson, il lui proposa
de séparer d'une favon complete l'administration du trésor de
ceHe des banques. Dans le nouveau systeme, il y aurait eu á
Washington un comptoir central du trésor et des sous-comptoirs
dans chacun des Etats particuliers. En d'autres termes, c'était
centraliser, comme on dit en Europe, le ser vice des deniers pu-
blies, tendance a laquelle le parti démocratique, dont Van Burell
était l'élu, avait déja cédé dans diverses circonstances, quoique
dan s une mesure qui en Europe aurait paru timide. C'est ainsi
qu'on l'avait vu prendre a l'égard des compagnies tlnancieres des
mesures restrictives et instituer meme certains monopoles qu'il
avait vendus au profit de l'Etat, le chemin de ter, par exemple,
d' Amboy á Camden t. Mais il s'agissait cette fois de constituer
une nouvelle classe de fonctionnaires fédéraux, et le COfJgres ne
voulut pas davantage des projets de Van Buren qu'il n'avait
voulu dix-sept ans plus tM du projet de Monroé sur les travaux
publics. .


M. Van Buren était un homme de talent, et son aptitude aux
affaires diplomatiques l'a fait quelquefois SUl'nommer le Talley-
rand américain. 11 eut occasion de l'utiliser dans les conflits avec
l' A ngleterre, au sujet des fl'ontleres de 1'0uest, qui remplirent
<J'une favon assez stérile la duré e de sa présidence. Le reglement
de ees frontieres était resté indécis depuis 1789 : le traité de Gand


t Lettres sur Z'Amérique du Nord, 11, lett. XXXIlI.




4'20 LES -lÍlTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ne l'avait pas tranché, et le roi de Hollande, auquel il fut déféré
en-t828, n'avait point réussi a l'établir. Cet état de choses-n'offrit
pas de grands inconvénients tant que les contrées de l'Ouest res-
terent désertes; mais a mesure que la culture s'avaIH;ait dans
cette direction, iI devait, un jour ou l'autre, mettre aux prises les
sujets de rUnion et 'ceux de la Grande-Bretagne. Au mois de
janvier '1839, une bande de maraudeurs anglais ayant envahi le
territoire contesté que baigne la riviere Al'oostook, sur les con-
fins du Maine et du New-Brunswick, le gouverneur américain
Fairfield envoya l'agent territorial (land-agent) Mac-Intyre s'op-
poser par la force a leur séjour sur ce territoire. Les autorités
anglaises ílrent arreter Mac-Intyre, et M. Fairfield, a son tour, tit
appliquer le meme traitement a Mac-Leuchlin, le warden (gar-
dien) anglais, et m,archer un millier d'hommes sur l' Aroostook,
en annon~ant son intention de les appuyer au besoin de toutes
les milices du Maine. Dans un message spécial et rempli d'inten-
tions conciliantes, le président se déclara pret a soumettre la
question h un arbitrage, sans cacher toutefois que si le gouver-
neur du New-Brunswick mainfenait ses prétentions a la juridic-
tion exclusive sur le territoire contesté, l'Etat du Maine se trou-
verait, selon Jui, dans l'un de ces cas de légitime défense prévus
par la constitution. Déja la mise en liberté de lUac-Intyre et de
Ñ1ac-Leuchlin avait rcndu un arrangement plus facile; il fut
définitivcment conclu par l'intermédiaire du général 8cott, et
tandis que le gonverneur du New-Brunswick renonc;ait a occu-
per militairement le territoire contesté, le gouverneur du Maine
retirait, de son coté, les forces qu'il y avait envoyées. Mais la
question de possession restait intacte, et les correspondances
qu'eurent :l ce sujet M. Fox, ministre anglais a 'Vashington, et
le secrétaire d'Etat Forsyth. pendant toute l'annee '1840, ne
suffirent point a sa solution définitive.


A cet incident en succéda un autre. Pendant l'hiver de 1837, a
l'époque des troubles civils du Canada, un petit navire américain
appelé la Caroline s'était employé au transport de munitians e~
d'armes clans Navy-Island qu'occupait un partí d'ÍI~sllrgés. Des
loyalistes l'aborderent tandís qu'il était encare dans la juridictioll '
de.New-York, et, apres l'avoír incendié, l'abalHlonnerent au cou-




QUATurEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 421
ranf du Niagara, qui l' entraina sur les chutes ou il fut brisé en
mille pieces. Dans la bagarre, un matelot de la Caroline avait été
tué et quelques autres blessés l. Au mois de janvier litiO, un
officier anglais, du nom de Mac-Leod, voyageant dans le New-
York, y fut arrété sous le soup<;on d'étre rauteur de la des~ruc­
tion de la Caroline. eette. arrestation donna lieu a une correspon~
dance entre M. Fax et M. Forsytb, correspondance dont le
comité des affaires étrangeres se saisit, le 13 février 1841,


. et fit l'objet d'un rapport. Ce document refusait de reconnaltre a
Mac-Leod le caractere d'un officier couvert par les ordres de son
gouvernement, que M. Fox lui avait donné en demandant la mise
en liberté, et le considérait seulement comme ayant participé a un
crime de droit commun commis au préjudice d'un citoyen amé-
ricain. Il s'ensuivait qu'il n'y avait líeu ni de l'élargir, ni de le
soustraire a la juridiction de l'État théAtre de son action présu-
mée, puisque cette action ne regardait que la loi du líeu et n'eu!
pu dépendre de la juridiction fédérale qu'autant qu'elle l'eut con-
stitué en hostis httmani generis, tel qu'un piratp., par exemple.


Loin d'adhérer a ce point de vue déjil développé par M. For-
syth, le gouvernement anglais réclama d'une fa<;on formelle
l'élargissement de Mac-Leod, mais sans obtenir de M. Webster,
devenu secrétaire d'E~at, d'autre réponse que le maintien des
principes posés dan s le rapport du comité des affaires étrangeres.
Tout ce que M. Webster promit fut que l'iIJculpé comparaitrait
devant un jury libre et ne serait privé d'aucune des larges garan-
ties que lui offrait la 10i américaine. M~lC-Leod fut,' en effet, jugé
le 4 octobre par un jury que le juge Gridley sut présider avec
.une grande impartialité et qui, par son verdict de Not Gttilty,
mit fiu a une affaire tres-susceptible, si elle eút auteement tourné,
d'entrainer de tres-graves conséquences.


Présidence de M. Tyler .
. (4 avril t841-4 mar.s -1845.)


A cette époque, le fauteuil présidentiel était occupé par
M. Tyler, bien qu'aux élections de 1840, le général Harrisson eut


f 29 décembrtl 1837.
2 Note de M. Fox du 12 rnars 1841.




422 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEP'PENTRIONALE:
remplacé M. Van Buren, ~t que M. Tyler lui-meme n'eth été
porté qu'a la vice-présidence. Mais le vainqueur de Tecumseh
était agj de soixante-neuf ans; il mourut un mois, jour pour
jour, apres s'étre mis en possession du pouvoir, et, aux termes de
la constitution, M. Tyler s'était vu investi de la présidence, malgré


'la mauvaise humeur etles réclamations des démocrates qni, battus
dans l'élection du gélléral Harrison, n'auraient pas été fachés
de prendre une revanche immédiate, et déposerent a cet effet un
amendement a la constitution dont leCongres ne tint pas compte.


Gn a justement· faH la remarque que cette présidence
accidentdle n'en a pas moins été \'une des plus fécondes en
événemenfs d'importance. A peine l'incident Mac-Leod était-il
clos que l'affaire de la Créole remettait aux prises ,le cabinet de ,
Washington et celui de Saint-James. Ce navire, qui appartenait
a un armateur de R~chmond, avait faít voile, le 27 octobre 1841,
d'HaI!lpton Roads avec 135 noirs qu'il transportait a la Nouvelle-
Orléans. Le 7 novembre, ces noirs se révolterent, et ayant tué le
premier maitre, blessé le capitaine de la Créole, s'emparerent du
navire et le conduisirent a Port-Nassau, dans l'ile de New-Provi-
dence, rune des Bahama. Les autorités anglaises tirent juger les
escl.aves les plus coupables et remirent les autres, au nombre de
114, en liberté.Le consul améf'icain demanda qu'ils lui fussent Ji-
vrés, et, essuya un refos basé sur ce fait que la loi anglaise procla-
mait homme libre tout esclave touchant le sol anglais. Transpor-
tées sur le terrain diplomatique, les réclamations du cabinet amé-
ricain allerent 'se briser contre une résistance invincible. En vain


. insistait-on a Washington sur cette circonslance que les Bahama se
trouvaient sur la route forcée des batiments'de l'Union qui trans-
portaient des esclaves des Etats riverains de r Atlantique aux
Etats riverains du Mexique, et que, dans ces conditions, mettre en
liberté les passagers de la Créole, c'était encourager au meurtre
et a la révolte d'autres cargaisons humaines. On répondait a
Londres que d'Ull coté les assassins de la Créole avaient été punis,
et que de l'autre, la 10i anglaise sur les esclaves fugitifs était
aussi absolue que formelle. Le cabinet britannique se sentait, en
outre, tres-fort d'un précédent qu'on luí avait fourní aux Etats-
UIl is meme en refusant de remIre a I'Espagne les negl'es de l'Arnis-




QUATRI1hIE PARTIE. - PROGRE S ET DÉVELOPPEMENTS. 423
tad, dont le cas et celui de la Créole'étaient identiques. n fállut
done que M. Tylei' cédat et se contentat de la promesse qui lui
fut faite d'exflminer ~ltérieurement ce qu'on pourrait faire pour
parer aux éventualités qu'il avait signalées.


Une autre question également relative a l'esclavage, mais
beaucoup ph,ls générale, divisait depuis longtemps les deux pays.
Tout en accédant au principe des traités répressifs de la traite des
nOlrs, les Etats-Unis avaient constamment refusé de suivre
l'exemple d'autres puissances qui permettaient aux croiseurs bri-
tanniques de visiter leurs navires suspects de se livrer a cet odieux
commerce. Il en était résulté que les trafiquants de chair hu- .
maine empruntaient souvent le pavillon américain, et, pour parer
a cet abus, un ordre de l'amirauté anglaise avait prescrit a ses
croiseurs. de vérifier la nationalité de tous les batiments navi-
guant dans les parages infestés par la traite. Les Américains pro-
testerent, et M. Stevenson, leur ministre a Londres, écbangea,
sur ce point spécial et sur la question dans son ensemble, une
série de dépeches avec lord Palmerston d'abord P,t lord Aber-
deen ensuite. Les ministres anglais assimilaient la traite a la pi-
raterie, et M. Stevenson leur tenait tete en arguant de l'opinion
contraire de lord Sto)Vell, un des Law Lords de'hmr pays. On ris-
quaitfOI:t de disserter bien longtemps san s parvenir a s'entendre,
lorsque . sir Robert Peel eut l'idée d'envoyer lord Ashburton en
Amérique, ponr y régler la série de difficultés qui avaient. surgí'
entre les deux peuples ~ans ces dernieres années. Cet éminent
diplomate y mit fin par son esprit conciliateur, et le 30 sep-
tembre 1842,il était de retour en Angleterre, porteur d'un traité
qui réglait la double question des frontieres et du droitde visite 1.
Sur ce .dernier point, iI est vrai, la ténacité britannique avait dti
battre en retraite et se contenter de la stipulation contenue dan s


,


l'article 8 du traité, en vertu de laquelle la Grande-Bretagne et
es Etats-Unis s'epgageaient réciproquement a entretenir dans les
parages. de la' traite une force na vale qui, de part et d' autre, ne
resterait pas inférieure a quatre-vingts canons.
/ Cette·meme année 1842, M. Tyler opposa, par deux fois, son


f Sous la date du 9 aout 1842.




424 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
veto aux tarifs de douanes élaborés par la Chambre des représen- ,
tants, et excita de ]a sorte dans les Etats du Nord une irritation
dont Quincy Adams se fit le véhément interprete. En fait, ces
Etats visaient a détruire le systeme de tempérament el de com-.
promis qui avait prévalu dix ans plus tot et qu'ils cherchaient
maintenant, sans y mettre de mystere, a transformer en instru-
ment protecteur. Devant des obsíacles divers, auxquels la diplo-
matie ne resta point étrangere, ce plan n'obtillt qu'un succes re-
latir. Tel quel, il était trop grand encore: le nouveau tarif, en
substituant parfois le droit au poids au droit a la valeur, et en
englobant des articles nouveaux, était fait pour encourager de
nouvelles tentatives dan s 'le sens de cette absurde théQrie des
échanges san s équivalents qui, des deux coiés de l' Atlantique,
constitue le dernier mot du protectionnisme.


Vannexion du Texas ne fut entierement consommée que sous
la présidence de M. Polk 1 ; mais les actes qui la préparerent
appartiennent a celle de M. Tyler. Ce pays était las de "ivre
sous la loi du Mexique; celui-ci refusant, malgl'é la médiation
de la France et de l' AngIeterre, de consentir a son indépendance,
les Texiens s'étaient tournés vers leurs puissants voisins du Nord-
Est, et un traité, .conclu le 13 avril 1844, avait me me fait entrer le
Texas dans l'Union, moyennant la prise en charge d'une partie de
sa dette, c'est-a-dire de 10 millons de dollars. Le Sénat n'avait
pas, iI est vrai, ratifié ce traité; mais M. Tyler le représenta dans
les premiers jours de 1845, fort de nouvelles manifestations qui
ne paraissaient plus laisser de doute sur la volonté du peuple
te·Hen. Le 20 janvier, les représentants adopterent, a la majorité
de 120 contre 98" une proposition de M. Brown qui admettait le
Texas au nombre des États de l'Union, sous la réserve du con sen-
tement de sa propre législature. Cette résolution fut portée sept
jours apres devant le Sénat, lue deux fois et renvoyée au comité
des affaires étrangeres, en attendant la décision de la législature
texienne. Le nouveau président du Texas, M. Anson Jones, n'était
pas favorable a l'annexion : il eut préféré l'indépendance et
n'avait pas caché qu'il était pret a faire la guerre au Mexique




f 15 février 1846.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 425
dans le cas ou les nouveaux effods des puissances médi!ltrices
rcsteraient stériles. Néanmoins, M. Anson Jonesn'ignorait pas que
la majorité qui l'avalt élu en septembre 1844 avait subi un com-
pIet revirement, et, en présentant au Congres l'alternativc de
l'annexion ou de l'indépendance, il se déclara pret, pour ce qui
dépendait de lui, a se soumettre au VeBU national. Les deux Cham-
bres rivalisaient 11 qui prononcerait l'annexion la premie re ; le
Sénat la vota le 18 juin, la Chambre des représentants le Iende-
main meme, et aussitot M. Anson Jones fit demander au com-
mandant des forces américaines a Port-Jessur deux régiments
qui r~t;urent l'ordre immédiat de se mettre en marche.


Présidence de M. Polk.


(4 mars -1845 - 4 mars "849.)


M. Tyler s'appretait a quiter la Maison-Blanche, lorsque les
représentants voterent, a la majorité de 150 ,voix contre 54, le bill


• qui organisait dans l'Orégon un gouvernement territorial 1;
c' était nettement trancher une question de propriété que les
traités de 1783 avaient laissée intacte, et qu'a diversesreprises la
diplomatie n'avait pu ultérieurement résoudre. Une convention,
passée le 20 octobre 1818 et ratifiée enjanvier de l'année suivante,
avait stipulé,dans son article troisieme que toutes les portions du
territDire situées sur la cote nord-est de l' Amérique, a l'ouest des
Montagnes-Rocheuses, resteraient avec leurs havres, leurs ports,
leurs baies, leurs cours d'eau, ouvertes aux sujets et aux vais-


_ seaux, soit de l' Angleterre, soit des États-Unis, durant l'espace
de dix ans, a partir de ladite convention, Prorogée pour une durée
illimitée, sous la réserve qu'a dater du 20 octobre 1'828, chacune
des parties contractantes pourrait en annuler les stipulations en
dénon(iant sa renonciation un an a l'avance, cette convention
constituait encore en 1845 le modus vivendi des deux pays. D:ms
l'intervalle, diverses propositions de partage avaient été rejetées
de part et d'autre, et la derniere de ces tentatives était vieille a


f '2.7 fév'rier 1845. Déja un bill d'occupation, presenté par M. Linn, avait passé au
Sénat avec 24 voix contre 22. Mais on l'avait laissé tomber.




426 LES ÉTATS-UNlS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
peine oe quelques mois: A cette époque, en effet, des négociations
s'étaienL ouvertes a Washington meme 1, et le plénipotentiaire
anglais avait offert de tracer a travers l'Orégon une ligne fictive,
suivant l~ 4ge parallele, depuis les Montagnes-Rocheüses jusqu'a
leur intersection avec la branche la plus septentriona le de la
Columbia, les territoires' situés au sud de cette ligne devant appar-
tenir aux États-Unis, tandis que les territoires situés au nord for-
meraient le lot de la Grande-Bretagne. La libre navigation de la
Columbia serait restée commune aux deux pays, et tous les ports
placés au sud du 490 parallele, soit sur le continent, soit sur l'ile de
Quadra-Vancouver;auraient.été ouverts au cornmerce américa,in.
A part l'ouverture de ces ports, la proposition actuelle reprodui-
sait exactement les offres que ie cabinet de Saint-J ames avait
faites, des 1826, au cabinet de Washington et qu'il avait dédinées
a cette époque. Au fond, ce que les Etats-Unis convoitaient dans
la posse:'!sion de l'Orégon, ce n' était pas un sol désert ~t impro-
ductif; ce n'était pas son grand cours d'eau dont une barre dange-
reuse resserre l'embouchure; ce n'était pas meme le littoral du
Pacifique dont les ports sont tous médiocres. Se rapprocher des
baies magnifiques de San-Francisco et de San-Carlos de Mon-
terey, dont ils négociaient déja la cession en attendant que le sort
des armes les fit tomber dans leurs mains, voilá quel était leur
but véritable; voila poul'quoi ils avaient rejeté les offres qui leur
avaient été faites iI y a vingt-huit ans, comme ils rejeterent ceHes
qu'on leur faisait a cette heure.
. Dans ces circonstances, le bill du 3 février prenait toutes les
apparences d'un acte provocateur dont un article quí parut dan s
l'Union, journal officiel de Washington, n'était pas fait pour atté-
lluer le caractere. Cette attitude de, M. Polk, le nouveaü prési-
dent, trouva un adversaire énergique dans Daniel Webster, qui
avait négocié avec lord Ahsburton le traité des frontieres occi-
dentales et qui professait une rép~lgnance décidée pour la poli-
tique belliqueuse. Il la manifesta dans un meeting tenu a Boston
en rappelant les paroles que l' orateur romain pretait au génie
de sa ville natale, quand illui enjoignait d'étouffer la conjuration


i 26 aout 1844.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 4'27
de Catilina : fin, c-um bello vastabit'lj¡r Italia, vexabuntnr v,rbes, tecta
ardebunt, tum te non existimas hoc incendio ca nflagratururn ? En
Angleterre également, on ne voulait pas désespérer encore .d'un
arrangement amiable; on ne se croyait pas encore obligé de
recourir a une guerre légerement entreprise, e' est-a-dire a la
plus grande des folies, si elle n'est pas le plus grand des crimes,
ainsi que lord Aberdeen le disaita la Chambre des lords a l'occa-
sion meme du territoire en litige. Toutefois, dans l'opinion des
ministres, que partageait lord John Russell, les droits de l'An-
gleterre'a sa possession étaient aussi clairs qu'incontestables, et
ils se déclaraient décidés et préparés a les soutenir s'ils étaient
méconnus. Par malheur, M. Polk ne croyait pas les droits de
son pays moins certains; il affirmait meme, en terminant son
message annuel, qu'il n'y en avait pas' au monde de meilleurs.
Appliquant la doctrine dite de Monroe dans son sens le plus
énergique, le président affirmait « que, désireux de vivre en bonne
« intelligence avec tous les peuples, les États-Unis ne pouvaient
« néanmoins tolérer aucune intervention européenne sur le
« cQntinent de l' Amérique septentrionale, et qu'ils étaient prets ~l
({ repousser une pareille intervention a tous risques si elle était
« tentée : wilt be ready to resise it at any and all hasards.» On voit
que M. Polk faisait bon marché, et ne le cachait pas, de cette
théorie d' éq'uilibre de puissance que M. Guizot avait précollisée a
la tribune franyaise dans cette belle langue oratoire dont il avait le
don, et qu'on admirerait bien davantage si la pratique n'avait été
presque toujours chez cet homme d'État un démenti infligé aux
doctrines. Pour luí, ii n'y avait d'arbitre des choses américaines
que les Américains eux-memes, et dans la question spéchlle qui
pendait entre eu.x et l' Angleterre, illeur était impossible de rien
céder de leurs prétentions exclusives, sans manquer a leurs inté-
réts, a leur dignité et a leur hOllneur.


Les actes furent d'accord avec les parolés. A la vérité, les
énergiques représentations de M. Packenham, l'envoyé anglais, et
l'opposition de M. Calhoun firent ajourner la rliscussioIl de deux
motions, l'une dú sénateur Atchison, l'autre du représentant
Douglas t qui tendaient la premiere a la création de postes mili-
taires, l'autre a la concession de terres sur le territoire contestéó




428 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Mais le 9 février 1846, la Chambre des représentants vota, par
163 voix contre 67, la dénonciation du traité du 6 aout 1827, et
le secrétaire d'État Buchanan repoussait a deux fois la proposi-
tion faite au cabinet don! il faisait partie de soumettre le diffé-
rerld a l'arbitrage de quelque puissance en ban accord avec chacun
des litigants 1. Ce double. rejet équivalait a un ultimatum, et
l' Angleterre faisait d'immenses.préparatifs- militaires, lorsque, le
15 avril, le S~nat émit un vote qui rouvrit la perspective d'une
solution pacifique. 11 autorisait M. PoI k a dénoncer quand il
voudrait la fin de l'occupation commune; mais iI émettait en
meme temps le vreu que les deux gouvernements fissent de leur
mieux pour en -arriver a un accord amiable. Ce vam, sous la
pression dt's circonstances que l'on va dire, était devenu celui du
pay's entier, et les ministres de la Grande-Bretagne eurent le bon
esprit de s'y rendre, quoique les embarras présents des Etats-
Unis eussentpu leur paraitre une bonne occasion de se roidir a
leur tour. Le 15 juin 1846, M. Packenham, au nom de la reine
Victoria, et M. Buehanan, au nom du président Polk, signerent
a Washington un traité quí mettait fin a cette question irritante.
Il fhait la limite territoriale entre les deux puissances . au 4ge
parallele. jusqu'au détroit de la Reine-Charlotte, et de la cette
ligne courait par le détroit de Fuca au Pacifique, en laissant ~ux
Anglais l'ile de Vancouver. Les fleuves, havres et ports au nord
du 4ge parallele restaient ouverts au commerce des deux nations,
ainsi que le détI:oit de Fuca, et la Grande-Bretagne conservait la
libre navigation de la Columbia jusqu'en 1863, époque ou le pri-
vilége de la compagnie de la baie d'Hudson expirait.


A cette époque, les États-Unis étaient en gúerre avec le Mexique.
L'annexion du Texas n'était pas encore un fait 9ccompli que le


t La premiere proposition fut remise par M. Packenham, le 27 déc~mbre 1845,
et la réponse négative de M. Buchanan est du 3 jallvier suivant. Le 16 janvier, nou-
velle dépeche de M. Packenham et nouveau refus de M. Buchanan. eette fois
M. Packenham proposait de faire porter I'arbitrage sur la question meme de pro-
priété entiere, tandis (Iue d'abord iI n'avait été queslion que de partage. Le prési-
dent, répondit M. Buchanan, avait déja fait connaitre SOl! opinion sur I'arbitragc,
qu'il jugeait plus propre a créer de nouvelles diflicullés qu'a résoudre les anciennes.
M. Buchanan développait ensuite I'idée que la possession de I'Orégon, tres-impor-
tante pou!' les Etats-Unis, était insignifiante pour l' Angleterre.




QUATRIKME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 429
cabinet de Washington avait désiré )'extension des frontieres du
nouvelEtat,a l'ouest, jusqu'au Rio-Bravo del Norte, etaunordjus-
qu'au 36e parallele, ce qui était augmenter le Texas propre~ent
dit d'un territoire plus grand que lui-meme, mais sans diminuer,
disaiton aWashington, la forceréelle duMexique, en l'accroissaht-.


I


meme, puisqu'au dela du 36e parallele l'autorité de son .gouver-
nement etait tout a fait nominale. Lorsque le Texas fut entré
dans rUnion, cet événement avait paru laisser le cabinet mexi-
cain dans une résignation complete; mais une note remise, le
12 mars 1846, a M. Slidell, ministre plénipotentiaire des Etats-
Unis a Mexico, le traita d'usurpation, et i1 devint manifeste que le
général Parédes, qui venait d'accomplir une révolution, se pré-
parait a demander aux armes la solntion de différends dont le
fait du Texas n'étaít ni le premier ni peut-etre le plus grave 1.
n y avait déja sur les frontieres des troupes fédérales que com-
mandait le général Taylor : elles les franchirent et, rencontrant
les forces mexicaines sur la route de Resaca de la Palma, a trois
milles de Matamoros, les mirent en déroute complete, quoique
plus fortes environ du double 2. Leur fuite précipitée jeta la ville
de Mexico dans une épouvante indicible, et l' on put croire un
instant que la guerre allaít finir, les Etats-Unis, inspirés par l' An-
gleterre peut-etre, 'prenant eux-memes l'initiative de démarches
pacifiques, et le général Bravo, vice-président du Mexique, ex-
primant son peu d'espoir dans une heureuse issue de la lutte.


La chute de Parédes et le rappel de Santa-Anna, qui en fut la
suite, ne permirent pas aux événements de suivre ce cours.
Santa-Anna fit une réponse dilatoire aux propositions de paix
qui avaient été apportées a la Vera-Cruz, le 26 aout, et adressa
une proclamation aux troupes rassemblées a San-Juan d'Ulloa.
Aux bandes· quí avaient fui d'un pied si leste a Resaca de la
Palma, leur général avait parlé du tombeau des Américains
qu'elles creusaient ; Santa-Anna assura les siennes que la Provi-
dence combattait 'avec elles et tenait prete la récompense de leur


I Les griefs que les Etats-Unis, dc leur coté, croyaient avoir contre le Mexique
remontaient' p1'esqu'a l'époquc tic la conquete de son indépendancc. I1s sont soi-
.gncuserncI)t relevés dan s le messagc du 8 décembre 1846, de M. Polk.


:! Les Mcxicains avaient 6,000 hornmcs el 7 pieces d'al'lilf.cde, Taylo1' 2,500.




430 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTIÜONALE.
\


bravoure, de lenr patience et de leur discipline habituelles. Sa
position était loin de répondre a son assurance et a ses promesses.
Il était dans l'intéret des troupes fédérales de prendre une prornpte
initiative, et elles l'avaiellt prise. Ainsi, le brigadier général
Kearney, a la tete de l'armée dite de l'Ouest, était entré sans
coup férir 1l Santa-Fé, capital e du Nouveau-Mexique, bien que
pl'otégée par le général Armijo, avec 4 ou 5,000 hornrnes, et une
foís installé dans la ville, iI avait, de son autorité propre, mais
sans doute selon des instructions secretes, incorporé a l'Union
toute cette immense province 1. Le Nouveau-Mexique sépare géo-
graphiquement le Texas de la Californie, et déja le cornrnodore
Sloat, en prenant po~session de San-Carlos de Monterey, avait
annexé la Californie a la grande république 2. Ainsi entamé a ses
extrémités, le Mexique l'était également vers son centre par le
général Tay )or, qui entra dans Monterey, capitale du Nouveau-
Léon. Enfin, le général Scott se préparait a pénétrer par Tam-
pico, qui était tornbé au pouvoir du commodore Connor, dont
l' escadre mena<;ait maintenant la Vera-Cruz.


Le général Taylor marchant sur Mexico, Santa-Anna quitta la
Vera-Cruz et transporta son quartier général a San-Luis de .Po-
tosi. n rencontra Taylor a Buena-Vista, et lui livra, les 22 et 23 fé-
vrier 1847, des eombats ou les Mexicains, beaucoup plus norn-
breux ,d'ailleurs que leurs adversaires, firent bonne contenance,
mais durent en fin de compte opérer leur re traite avec de grosses
pertes. Taylor ne profita point de son sucees, et son i'mmobilité
prolongée laissa a son collegue Scott l'honneur de terminer la
guerreo Le 7 aout, Scott ~tait entré dans Puebla sans coup férir
et s'était irnmédiatement mis en marche pour Mexico. Santa-Anna
l'attendait dans les positions d'EI-Penon et de Mexicalcingo, qu'il .
avait entourées de retranchements formidables. Scott les rendit
nutLcs, en contournant le lae de Chalco et en prenant la route


du Sud, au líe u de suivre la grande route de Puebla a Mexico. Le
combat des Charbusses lui lívra les avenues de Mexico, ou il en-
trait, le 14 septembre, apres avoír enlevé Chapoltepec et la cita-
delle. Il y eut bien encore dans les derniers mois de l'anI?-ée queJ-


t 2'2 aoClt 1846, proclamation du brigadier général Kearney.
:.1 6 juillet 1846 vroclamation du commodore JOhll D. Sloat.




QUATRIÉME PAltTlE. - PUOGHES ET DEVELOPPEMENTS. -i31
qucscombats; mais l'occupation de Mexico mettait bien fin a la
guerreo Le rétablissement officiel de la paix se fit néanmoins
attendre : les négociations trainerent en longueur, et ce fut" seu-
lemen! le 6 juillet 1848 que M. Polk put annoncer la conclusion
d'un traité de paix, don t les clauses principales consistaient dans
la cession aux Etats-Unis de la Californie et dn Nouveau-Mexique
et da:os le transfert au trp.sor fédéral des dettes mexicaines vis-a-
vis des sujets ainéricains.


- ,


Présidence du général Taylor et de M. FilImore.
(4 mars 1849 - 4 mars 1853.)


Aux élections présidentielles de 1848, trois candidats se trou-
verent nominalement en lutte: le général Cass, ancien ministre
en Franee, et adversaire décidé de la Grande-Bretagne ; M. Van
Buren et le général Taylor. La véritable lutte s'engagea entre ces
deux derniers compétiteurs, et ce fut le général Taylor qui l'em-
porta par 163 voix contre 1 37. Le nouveau président était Ull
protectio.nniste, et il dit au Congres, dans son message du 24 dé-
cembre 18/19, en lui recommandant la révision du tarif, ( qu'il _
« n'avait jamais mis eIl'doute que ce ne fut son droit comme son
( devoir d'encourager l'industrie nationale. » Emporté, le 8 juil-
~et 1850, par une mort imprévue, ce message serait le seul sou-
venir qui se rattache a sa présidence n' étaii la premiere tentative
de Narcisso Lopez contre Cuba. Lopez était né dans le Venezuela
et avait obtenu, en 1833, le droit de cité a Cuba. Ce fut a la
Nouvelle;Orléansqu'il rél1:nit, presque ostensiblement et sans le
moi.D.dre tro1,lble de la part des autorités locales, 5,000 aventuriers
qui prenaient le titre de fils de la liberté et qu'il organisa en
quatre régiments. Le 17 mai, Lopez quittait la Nouvelle-Orléans;
le 19, il prenait terre h Cuba, et s'emparait de la ville de
Cardenas. Mais les Espagnols accoururent en forees tout a fait
supérieures, et Lopez dut chercher son salut dans la fui te. n
réussit a gagner Sav&Illlah, ou il fut arreté. Seulement, OIl le
reIacha bientót, sous leprétexte qu'il n'y avait p-oint assez de
preuves contre luí, cornme s'il n'avait pas violé la loi municipale
des Etats-Unis et audacieusement bravé l'acte du Con gres




í32 LES ÉTATS-UNIS DE L'AaIÉBlQUE SBPTBNTRlONALE,
de 1818 qui punissaitla piraterie. Lopeznesetint pas longtemps
tranquille, Le 12 avril 1851, il s'embarqua de nouveau a la Nou-
velle':Orléans sur le Pampero, et prit terre sur la cote de Cuba, a
Cabanos, pres de Bahia-Honda. De faux avis luí avaient fait
croire qne sa présence deviendrait le signal d'une vaste insurrec-
tion. Il ne vint persollne asa rencontl'e: s~s cinq cents compa-
gnons furent dispersés et lui-meme, traqué par l'un de ces chiens
que l'on dressait a la'chasse des noirs, a Cuba et dans les Etatsdu ,
Sud, fut fait prisonnier. Le capihüne général de l'ile fit grtlCe a un
certain nombre des aventurier$; 160 furent condamnés a dix ans
de présides, 50 enfin furent fusillés. Parmi ceux-ci se trouvait
le colonel Críttenden, frere de l'attorney genéral des Etats-Unis.
Quallt a Lopez, il fJJt garrotte et mourut avec un courage qui, joínt
ü certains actes de sa vie, prouve qu'il y avait en lui plus que
l'étoffe d'un bandít vulgaire t. Quand on connut ces exécutions
á la Nouvelle-Orléans, des bandes populaires se porteren! sur la
maison du consul d'Espague, dont elles casserent les vitres, dé-
truisirent les meubles et lacérerent le drapeau. Ce consul dut
lui-meme prendre la fuite. '


Un voyageur franvais quíparcourait l'Union en 1835 y enten-
dait sans cesse parler de voyageurs venus des Etats du Nord que
les Virpiniens goudronnaient, emplumaient, parce qu'ils les
soupvormaient, le plus souvent sur les plus vagues in dices, d'avoir
tenu des propos hostiles a l'esclavage. Il avait vu une émeute
chasser de Bostan me me un joul'naliste pour cause d'abolition-
nisme, l'autorité desarmée devant les mena ces et les violen ces
des hommes du Sud, et les bons citoy~ns abdique!', dans la crainte
de provoquer la guerre civile s'ils se formaient en associations
patriotiques 'ou en compagnies de milices. En un mot, et pour se
servir de ses expressions memes, il y avait alol's aux Etats-Unis
un commencement de terrcur 2. Cette terreur, les abolitionníste$


1 er septembre 1851.
~ Lettres sur L'Amdr. du Nm'd, IJ, lett. XXXI. M. Michel Che\'alier nous'apprend


que les Etats du Sud avaient me me récIamé officiellement ou officieusement des
Etats du Nord qu'ils empechassent la publication chez eux d'écrits ou l'esclavagc
serait attaqué, et que plusieurs gouverneurs du Nord avaicnt eu la faiblesse de re-
connaItre la nécessité de ces lois répressives, aucas ou les abolitionnistes persiste-
raient a écrire (11, note 63),






QUATRI:EME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 433
l'avaient secouée depuis; mais ils rittvaient pu ni convaincre
de leur iniquité les planteurs, ni désarmer leurs rancunes,
et il devenai( de jour en jour plus visible qu'a' un moment
donné, il y aurait entre ces adversaires implacables quelque
choc effrayant. C'était pour le conjurer, ou tout au moins le
retarder, que le compromis appelé du Missouri avait été ima-
giné. Mais le principe meme de ceHe restriction pesait lour-
dement aux esclavagistes, et quand il s' était agi d' organiser
les territoi1'es récemment annexés, on avait entendu le pré-
sident Polk, désireux de ménager leur susceptibilité, émettre
l'opinion que le Congres n'avait rien a statuer sur la question de


• l'esclavagc, son pouvoir a cet endroit étant mis en doute, formel-
lement nié meme, par les meilleurs interpretes de la constitution 1.
Dans les discussions qui précéderent, en 1850, l'organisation
de ces territoil'es ce fut cette doctrine qui triompha; la Californie
resta done libre d'etre, a son choix, un Etat libre ou un Etat a escla-
ves, et il faut dire a la louange de sa premiere légi~lature qu'elle
voulut lui épargner la souillure de l'institution domest'ique du Sud.


La disposition touchant la Californie n' était pas isolee ; elle se
rattachait a un ensemble de mesures qui s'appellent en Amérique
le compl'omis Clay, du nom de leur promoteur, l'illustre Henry
Clay, que la mort n'allait plus épargner bien longtemps enc.ore 1.
Le sort de ce compromis fut assez singulier : le Sénat le rejeta, le
31 juillet 1850, et se mit aussitót, comme effrayé de son vote, a
reprendre un par un les arlicles qu'il renfermait. Dans le nombre,
il y ~vait un bill sur les esclaves fugitifs, The Frugitive Slaves Act.,
qui autorisait leurs maUres a les reprendre dans l'Etat ou ils au-
raient' trouvé un refuge, sur la simple constatation de leur iden-


o tité. Le soin d'appliquer la loi nouvelle était retiré aux magistra-
tureslocales et commis aux autorités judiciaires fédérales : 3,000
dollars d'amende et la prison punissaient ceux qui tenteraient
d'entraver son exécution. Le bill n'en provoqua pas moins d'arden-


I Message du 5 <técembre 1848.
2 ~I mourut le 29 juin 1852, el le 24 oclobre suivant s' éteignait aussi Daniel


Webster. Ni l'un ni I'autre ne fut président de la République; mais t<1l.IS les deux
lui rendirent les plus grands services et COml,tcnt ussurémcnt, pu¡'l'éclat de leur pa-
role et leurs talenls poltlil¡ue.i, uu nombre de ses ¡¡Is les plus ¡Ilustres.




434 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTIlIONALE.
tes et opinifttres résistance' Des liasses de pétitions, qui lui étaient
hostiles, vinrent du Massachusetts, de New-York, du Delaware,
de la Pennsylvanie. A Boston, une foule furieusearracha l'esclave
fugitif Shadrach des mains du- magistrat fédéral. A Philadelphie,
un agent fédéral fut tué et il se forma des associations pour favo-
riser la fuite des esclaves au Canada. Et ce n' était Ul que le pré-
lude d'une lutte que l'on Yerra, sous la présidence du général
Pierce et celle de M. Buchanan, se poursuivre sur le terrain de la
légalité et sur le terrain de la place publique, amener de véri-
tables batailles rangées et ensanglanter le Kansas f •


Présidence du général Franklin Pierce.


(lt mars 1853 - 4 ma;s 1857.)
/


Les élections de 1852 pour la présidence avaient mis beaucoup
d'ambitions en jeu et beaucoup de compétiteurs en présence. De
guerre lasse, paraitrait-il, les partis .finirentpar porter la grande


. .
majorité de leurs suffrages sur un nom neutre et sur un person-
nage, le général Franklin Pierce, que le scrutin faisait sortir de
son obscurité. Quand on examine les. actes de cette présidence,
tres-stérile en meme temps que tres-accidentée, on arrive a cette
conclusion que les compromis, quand ils ne sont pas assujettis a
la loi d'une moralité supérieure, servent a augmenter les embar-
ras qui leur ont donllé naissallce plutót qu'a les diminuer et .
surtout a les éteindre. Par la sanction qu'il ne refusa point au bill
de Nebraska et Kansas, M. Pierce fit pencher la balance du .coté
des esclavagistes, et, par sa poli tique extérieure, tres-contradic-
toire et tres-turbulente, il déserta la grande tradition des pre-
mieres années d6 la République. Il abusa des complications
survenues en Europe pour s'abandonner, a la vérité beaucoup
plus par faiblesse que par systeme, ~our a tour a des escápades
et a des agissements peu scrupuleux.


Le premier conflit du gouvernement de M. Pierce fut avee


f Bleeding Kansas, le Kansas saignant, tel est le titre du second chapitre de
New America de M. Hepworth Dixon, reuvre spirituelle et .orig~nale a laquelle nous
aurons bienlót un fréqueut recours. Elle yenge l'AmérÍllue des 'sarcasmes et des dé-
dains célebres de miss Trollope.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 435
l' Autriche. Le Hongrois Martin Kossta, compromis dans l'insur-
rection de son pays natal, était. "enu, en 1850, se fixer aux Etats-
Unis. Il l~s quitta, environ deux ans apres, pour se rendre en' •
Orient, et recoÍmu a Smyrne, il avait été arreté et mis a bord
d'un brick de guerre par les soins du consul autrichien. Ni le
consul des Etats-Vnis en cette vil1e, ni la légation américaine a
Constantinople ne purent obtenir son élargissement. Alors le
commodore Ingraham parut, avec le Saint-Lot/;is, dans la ~ade de
Smyrne et, par son attitude énergique, réussit la OU la diplomatie
avait échoué. En vain le cabinet autrichien réclama-t-il Martin
Kossta, comme l'un de ses sujets: M. Pierce soutint qu'il avaif
acquis la nationalité américaine, approuva les procédés du com-
modore Ingraham et tout fut dit. Peut-etre cet acquet de natio-


• nalité n'était-il p~s fort authentique; máis, en cetteoccurrence, les
. Etats-Unis bl'avaient du moins une grande puissance et sous-
trayaient un proscrit politique a d'orlieuses vengeances: Dans I'af-
faire de Greytown, ils violerent ouvertement le droit des gens et
s'attaquaient a une méchante bourgade, de 2,000 habitants ~
peine, Américains, Anglais, Allemands, negres fugitifs, Indiens


\


métis, qui s' était appelée jadis San-Juan del Norte et que lord
Palmerston avait débaptisée. Il était arrívé un jour qu'un stea-
mer américain, rasant la cóte de Nicaragua, s'était vu crier par
un pecheur de passer au large afin dé ne pas couJer bas son ba-
teau .. Le capitaine du steamer (un Portugais, dit-on) avait alors
pris un pistolet et tué le pecheu)', méfai t pour lequelles autorités
de Greytown l'avaient appréhendé au corps et emprisonné. Le
consul américain Borland, non content de le faire enlever, récla-
~ des dommages-intér~ts et, c0!llme les autorit~s l'efusaient de
Jes allou~r, le capitaine Hollins parut avec le C'Yane devant la
ville, la bombarda et la mit en cendres, en presence et malgré
les protestations du capitaine de la Ber-rnuda, navire de S. M. Bri-
lamftque 1 '


Nous ne parlerolls que pour mémoire des projets qu'eurent
·M. Pie re e et ses'ministres 2 d'annexer Saint-Domingue et les Hes


t 12 juillet 1854.
2 Ce cabinet se composait de M. Marcy, aux affaires étraogeres; ~1. James (;u-


thrie, aux finalices; M. Jefferson Davis, a la gUeJ'l'e; M. James Dobbin, a la ma""'
~~.~~" .~


O" ..
'J .1,1-
!~:
'.




436 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEP'fENTRIONALE.
S~ndw1.ch, ou de placer les Gallopagos sous le patronage améri-
cain. Les deux premiers de cesprojets resterent en l'air, pour
ainsi dire, et le troisifmle échomi devant le refqs du Sénat de
ratifier le traité du 30 novembre 1854 qui, sous couleur d'un pret
de 3 millions. de piastres, faisait passer les Gallopagos, ou pOUI'
mieux dire.la République de l'Équateur elle-meme, sous la dé-
pendance directe des États-Unis., Les projets sur Cuba eurent plus
de consistance et de malignité. Apres la secOI1de expédition de
Lopez, lord Malmesbury, d'aecord avec le cabinet des Tuileries,
avait proposé au président Polk une eonvention par laquelle les
trois puissances s'interdiraient réciproquement tout projet d'an-
nexion sur Cuba, et 1'0'ffre avait été absolument déclinée cornme
inconstitutionnelle et imltile, unavailing and incónstitutionnal 1,
mais a~ec l'assurance que les Etats-Unis ne machinaient rien •
contre cette possessi~n espagnole. La suite fit voir que eette assu-'
rance était assez peu sincere, cal', en 1854, les autorités cubaines
saisirent a bord du Black lVarriol' des armes et des munitions qui
étaient parties de la Nouvelle-Orléans, sans le moindre I,TIystere, et
qui étaient destinées aux mécontents de I'He. Dans cette affaire,
le gouvernement fédéral pouvait, a la rigueur, prétendre que sa
responsabilité incombait exclusivement aux autorités de la Nou-
velle-Orléans; mais ce fut bien avec son consentement expl'es que
trois de ses agents, M. Soulé, ministre a- Madrid, M. Mason,
ministre en France, et M. Buchanan, ministre en Angleterre, se
réunirent a Os ten de et discuterent sérieusementl'acquisition d'une
colonie que sa métropole n'avait jamais manifesté la moindl'e
velléité de vendre. Les cabinets européens, étonnés et indignés,
purtnt lire dans les proces-verbaux de ces singulieres confé-
rences : « que la Providence avait destiné Cuba a l'Union améri-
({ caine et que les lois divines aussi bien· que les lois humaines
«( l'autorisaient a s'en emparer 2.» Devant la réprobatioJl générale'
que ces singulieres doctrines souleverent quand elles devinrent


tine; M. Robert Mac-Clelland, a l'intérieur; M. James Campbell, d1recteur géuéra1
des po:,tes, et M. Caleb Cushing, attorney-generat.


I l\1essage du 6 décembre 1852. La proposition de lord Malmesbury est du 4 ani!.
:! Ces pl'oces-vtrbaux ont été rédigés a Aix-la-Chapellc, sous ia date du lS oc-


túbrc 18~4. .




QUATRIEME PARTlE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 43i
publiques, le cabinet de Washington recula, et celui de Madrid,
eh payan! une in?emnité aux armateurs du Black Warrior, gagna
quelques moments de répit.


M. Pierce mena toutefois a bonne fin les difficultés .auxquelles
. donnait líeu l'inte~prétation du traité Clayton-Bulwer, quoiqu'en


vérité iI ne semblAt négliger aucune occasion de rendre son gou-
vernement désagréable ou hostile a la Grande-Bretag~e. On
l'avait VII, apres des pourparlers trainés en longueur, refusernet-
tement toute indemnité aux bom bardés de Greytown, qu'ils
fussent Américains ou Anglais; reconnaitre au Niagara 1'autorité
du flibustier Walker 1 et dans l'affaire dite des enrólements, OU
d'ailleurs le cabinet de Saint-James avait bien réellement violé
le droit des neutres, exiger le renvoi de son 'représentant a
W ashing~~n ainsi que celui des consuIs Mathew, Rowcroft et
Darclay. Quant au traité dit Clayton-BuIwer du nom des deux
diplomates ses négociateurs, il avait éré conclu en 1850 2 , en
apparence pour la protection d'une compagnie qui s'était formée
pour ouvrir sur 1'isthme de Nicaragua une communication inter-
océanique, en l'éalité dans un sentiment de défiance réciproque.
D'apres ses termes, les deux puissances contractantes s'interdi-
saíent réciproquement de fortifier aucune position ayant des
vues sur le canal projeté et de s'·arroger aucun pouvoir sur les
Étatsde Nicaragua ou de Costa-Ri~a sur la cóte des Mosquitos,
ou aucune autre partie de l' Amérique centrale. Quand la con-
vention eut été mise en vigueur, l' Allgleterre ne se maintint pas
moins en possession de l'ile de Roatan, des autres Hes de la
baie de Honduras et du territoire situé entre le Siboun et le
SarstOlJll, en continuant d'exercer son protectorat sur la cOte des
Mosquitos. Il s'en était suivi, des ie moís de janvíer 1853, un
échange actif de dépeches entre M. Marcy, le secrétaire~d'Etat


t William Walker était né dans le Tennessee, croit-on, et avait fait tous les mé-
tillrs, tour a tour médecin, journaliste, avocal. chel'cheur d'or e'1 Calil'orllie. Au
mois de mai 1855, il quilta le port de San-Francisco, et le 22 juin, il débarquait a
RealeJo dans I!Amérique centraleavec 70 avenluriers ramassés en Calirornie. Le
130ctobre, i1 s'était empal'é de la ville de Grenade eL instiLué général en chef des
forces du Nicaragua.
~ 19 auíl, ratifié le 23 maí, échangé le 4 juillet el 'promulgué aux Etats-Unis le


5 dn méme mois.





438 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
américain et lord Clarendon, par 1'intermédiaire de M. Bucha-
nan. Aux yeux de lord Clarendon, la cortventión n'était que
prospective, tandis qu'a Washington OH lui' donnait un caractere


\
rétroactif, sans cacher que jamais on n'acqniescerait a l'interpré-
lation britannique l. Le cabinet de Saint-Jameseut alors l'idée de
soumettre le différend a un ar1?itrage, et quand, le 31 jan vier 1856,
lord Clate~don annOll(;a dans la Chambre des lords que l' Amé-
rique rejelait ce moyen, il ajouta que dans son espoir ce refus
n'était pas définitif. La vérité était qu'a Washington on n'avait eu .
connaissance de rien de pareil et que M. Cl'ampton, l'envoyé
anglais, avait adiré ousnpprimé la dépeche concel'nant 1'arbi-
trage. La proposition fut renouvelée 2, et n'obtint d'aulre réponse
qu'une mesure que le cabinet de Washington avait annoncéé
depuis longtemps et qu'il basait sur le role compromettant joué
par M. Crampton dans 1'affaire des enrolemenls, c'est-a-dire la
remise a ce diplomate de ses passe-ports. On craignait aux Etats-
Unís que· cette Ipesure n'irritat a Londres; mais M. Crampton
avait commis des 1'autes et des maladresses; il devint tont a
coup le bouc émissaire du Parlement, de la presse, du cabi.net,
et pour régler le différend sur l' Amérique centrale, on fit inter-
venir le Honduras qui réclama l'ile de Roatan et les autres Bay-
Islands. L' Angleterre les lui l~mit, et comme compensation eette
République prit l'engagement de n'autoriser aucun établissement
étranger et de ne jamais introd uire l' esclavage dans les territoires
restitués 3.


A cette meme époque, la guerre civile ensanglantait le Kansas.
Lorsqu'il s'étaít agi d'organiser ce territoire et celúi de Nebraska,
les membres du .Sud obtinrent que ce flit d'apres le principe du
compromis Clay,et des lors c'était aux populations intéressées
de trailcher elles-me mes le redoutable probleme de l'esclavage.
Sous les excitations des Missouriens et leur violences, elles se
partagerent en deux camps,. el les esclavagistes firent largement


i 12 juin 1854, Marcy a Buchanan.
2 28 mai 1856.
3 V. sur le Lraité Clayton·Bulwer et ses suites un opuscule intitulé: Question


anglo-américaine; documents écbangés entre les Etats-Unis et l' Angleterre au iujet
de I'Amérique centl'ale et du traité Clayton-Bulwer. Paris, 185G .





QUATRIEME PARTIE. - PROGBI~S ET nÉVELOPPEMENTS: 439
pl'euve de leur mépris habituel de la légalité, comme de leur
brutalité ordinaire. Le 17 juin 1856, avait eu lieu dans úne maison
située a douze milles de Leavenworth, un des principaux centres
du Kansas, un serutin pour la nomination des divers fonction-
naires du territoire. Les eselavagistes, n"ayant pu réussir dans
lellr projet d'enlever les urnes, assaillirent, pendant la nuit, plu-
sieurs candidafs abolitionnistes et tuerent M. Brown, l'un des
hommes les plus considérables du pays 1. Ces faits déciderent
M. Pieree a agir: il annOll(;a que toute tentative dirigée contre ce
territoire serait énergiquement réprimée, et réclama du Congres
le pouvoir d'employer ;t eette répression les troupes fédérales.
Les doeuments qui virent le jour a eette occasion révélerent un
faít signiticatif: c'est que le président avait penché en secret du
eóté des Missouriens, car il avait, de son autorité propre, permis
au gouverneur Shannon d'appeler a son aide, en. cas de grande
urgenee, les troupes qui oeeupaient les forts Riley et Lea-
venworth, et, dans le public, . OH donna le meme sens a son der-
nier message que I'on crut inspiré par M. Caleb Cushing,
l'attorney-génér~l, esclavagiste tres-prononcé.


Présidence de M. Duchanan.


(4 mars 1857 -4 mars 1861.)


Les élections présidentielles de 1856 donnerent 174 voix a
M. Buehanan, canelidat du partí démocrate, contre 126 attribuées
au colonel Frémont, l'un des personnages les plus considérables
de la CaJifornie, free soiler eles plus énergiqucs qu'appuyait le
parti républcain 2. L'historien, en reneontrant le nom de M. Bu-


. t 11 fant lire le chapltre de M. Hepworth-Dixon, Bleeding Kansas pour se faire
une idée des prouesses des esclavagistes. Voici la déclarat~on que mit, en tete de ses
colonnes, dans I'un de ses premiers numéros, le journal The Squatter sovereign,
baJÍtisé et fundé par le sénateur David Atchison, du Missouri : « Nous continuerons
«( de lyncher et pendre, goudronner, emplumer et noyer tout abolitionniste, 11 la \i-
« vrée blanche, qu'¡ osera souiller notre sol. » (New A merica, J, 2.8.)


2 La décomposítion du partí des Whigs date de l'électiun de M. Pierce, alors que
sur la question de resclavage, il se scinda en Whigs du Nord et Wighs. du Sud. En
méme temps, il s'était formé UII nonveau partí, celui des Know Nothing, ainsi nom-
més paree qu'ils faisaient profession de ne connaUre que \' Amérique et les Améri-





41:0 . LES ÉTATS· UNIS DE L' AMÉRIQTJE S-EPTENTRIONAJ.E.
chanan sous sa plume ne peut se défendre d'une véritable émo-
tíon. Sa présidence est comme le prologue d'un drame terrible,
drame que M. Buchanan sans doute n'a pas préparé de sa propre
main, mais qu'illaissa préparer sons ses yeux avec une indiffé-
rence, une impassibilité qui pourraient passer pour sto'iques, si
elles ne méritaient pas une tout autre épithete ..


Des son premier message, M. Buchanan pla<;a sous la protection
de la souveraneté populaire la doctrine selon laquelle l'esclavage
n'était qu'une question,locale, livrée a l'arbitraire souvera,in de
chaque État nouveau, et ce fut cette doctrine qui plus tard arma
les hommes du Sud. C'esten vain qu'on a voulu parfois rapetisser
cette grande crise aux proportions d'une question de tarifs, en
oubliant que le tarif de 1857 consacrait précisément de grandes
réductions, et fut regardé en Ellrope comme un pas considérable
dans les voies de la liberté commerciale l. On a dit encore que
l'esclavage n'avait été qu'un prétexte a la rage de ces deux peu-
pIes composés, l'un de marchands avisés, d'artisans habiles, de
professeurs et de théologiens; l'autre d'aristocrates a la fa<;on des
sociétés antiques, dédaigneux du travail et avides de somptueux
plaisirs 2. Il Y a du vrai dans cette assertion, en ce sens que la
lutte entre le Nord et le Sud a été au fond ceBe de deux États
sociaux fort dissemblables, pnisque l'un reposait sur l'égalité et
l'autl'e sur le privilége. Mais affirmer que l'esclavage était seule-
ment le signe de la constitution politique et morale des Etats du
Sud, c~est rester en deQa de la vérité. L'esclavage avait été encore
l'instrument qui avait creusé un abime entre les orgueilleux


cains. Ce parti avait triomphé en 1855, dalls les élections du Massachusetts, du Ver-
mont, de l'Indiana, de I'Ohio, du Keutucky, de la Californie; mais battu ailleurs, iJ
comprirt qu'il lui fallait des alliances et rechercha ceHe dQS vieux Whigs et des
abolitionniste~. De ce mélange est né le parti républica'in.


I M. Baudrillart, Journal des Economistes, avril 1857. Ce tarif, préparé par
M. Pierce et présenté par M. Walker, réduisit de 100 11 30 pour cent les droits sur
les eaux·de· vie et liqueurs ; de 30 a 24 ceux sur les fHS, les laines, le sucre ; de 25 ,
a 19 ceux SU!' les fers bruts ou manufaeturés, etc., etc. Un grand nombre de mar-
chandises soumises au tarif furent affranehies, parmi lesquelles il faut eiter les laines
inférieures, 1<: euivre brut et la plupart des produits chimiques. Ce tarif fut 11 coup
sur le meilleur acle de M. Pierce.


2 V. le chapitre xxx de New America, ou eette idée est développée.




QIIATRIEME PAnTlE. - PH():~m~S ET DF:\·ELOPPE~IENT~. 441
maUres du sol et leurs misérables serviteurs réduits a la condi-
tion des betes de somme.


Cette terrible question de l'esclavage se melait a tout et entra-
vait tout; id'extérieur, elle fut cause que le Sénat refusa d'abord
de ratifier le traité Dallas-Clarendon sur l' Amédque centrale, et
ne l'accepta ensuite qu'avec des amendements qui en changeaient
singuW~rement l'éeonomie et qui remirent en litige les points
memes qu'il avait entendu régler. A l'intérieur, les noirs n'étaient
plus retenus par la crainte des chtttiments ordinaires : ils se sen-
taient l'objet de sympathies puissantes que la presse entretenait, el
qu'avivaient des ffiuvres d'imagination remplies d'ironie ou de
pathétique 1, et n'ighoraient pas, d'apres les propres rliscours de
leurs ;maUres, que l'esclavage recélait pour l'Union un cas de vie
ou de mort. On saisit des dépóts d'armes et de munitions; on
découvrit dans le Tennessee un co.mplot, qui avait des ramifica-
tioos dans le Kentucky et dans la Louisiane, et quí tendait a un
soulevement général a l'aide duquel les eselaves espéraient
gagner en masse les possessions bl'itanniques 2. Peu de temps
apres, un arret ménlorable fut rendu par la cou!' suprcme, ü la
requete de l'esclave Dred Scott, a qui ses maUres refusaiblt la
liberté, quoiqu'il offrit de l'acheter. Dred avait été acheté en der-
nier líeu par un chirurgien qui l'amena successivement dans
diverses localités ou iln'y avait· pas d' esclavage, (l'apres le com-
pro mis du Missouri, et c'était sur cette circonstance qu'il basait
sa réclamation. La Cour supreme, apres des délais qui remon-
taien~ a des années, l'en débouta par le seul motif que les négres
n'étaient pas des eitoyens selon la loi fédérale; qu'ils étaient une
propriété'a la discrétion du propriétaire, comme toute. autre, et
que le raít d'avoir résidé dans un territoire libre ne signifiait rien,
le Congres n'ayant pas plu~ le droit rl'interdire quelque part l'in-
troduction de l'esclavage qu'il n'avait celui de l'abolif la ou ii
existait déja. On put juger par cet arret de la toute-puissance des.
esclavagistes: ils occupaient toutes les avenues du ·pouvoir ; iIs


t En 1857, parut le Iivre intilulé les Garies et leurs amis, par M. Webb, homme
de couIeur, a qui le célebre auteur de Uncle Tom's Cabin adl'essa une ¡eUre rcpro-
duite en tete du volume.


2 Déeembre .856 a mars-1857.




442 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE~
avaient triomphé dans les élections présidentielles ainsi qu'au
Kansas'; iÍs avaient' la majorité dans les Chambres et maintenant
l'autorité judiciaire sanctionn~it leurs prétentions et donnait droit
a leurs doctrines.


Le vrai point était de savoir dans quelle mesure fadministra-
tíon nouvelle seconderait leurs desseins et se ferait,leur complice ;
~ mais, quand on vit M. Buchanan associer dans son cabinet a


M. Thompson, qui eut le département de l'intérieur et qui était
déja d'intention un s~paratiste, le vieux général Cass et M. Ho,,"ell
Cobb de la Géorgie, on put bien croire q~e son intention n'était
pas de se livrer tout entier au parti de l'esclavage t. Les premicrs
actes de ce cabinet furen! le 'rachát du péage du Sund et le l'efus
de meIer directement les Etats-Unis a l'intervention armée de la
France et de l' Angleterre dan s le CélesteEmpire. Lorsque le Con-
gres se réunit, selon son usage, le premier lundi de décembre, le
pays se débattait sous le coup d'une effroyable crise financiero
qu'avaíent provoquée d'immenses importations de céréales par
les négociants de Philadelphie et de New-Yol'k qui, fournisseurs
de l'Europe pendant IUne série de mauvaises récoltes, n'eurent pas
la pensée que ceHe de 1857 pourrait ctre bonne et rendrait ainsi
leurs approvisionnements inutiles. Elle fut bonne, en effet, et il y
eut dans les Etats de l'Ouest, du Centre et du Nord, une(lmmense
débacle qui emporta l~s banques, avec les compagnies d'assu-
rances, ceHes de chemins de fer, et, dans toute la NouvcHe-
Angleterre ou le New-York, suspendít le travaíl des manufac-
tures. Le Président, dans son messagc: rejeta la responsabilité
presque f'ntiere de la crise sur les banques, qu'il accusa de hLYoir
rendue inévitable par l'exces de leurs émissions, tandis qu'elles
n'étaient réellement coupables que de facilités excessives accol'-
dées au commerce. Il invitait donc le COIlgreS a soumettre ces
établisse~ents a une législation sévere, en méme tcmps qu'il lui
déniaít le droit d'9rganiser une banque fédérale.


Sur la quéstion du Kansas, M. Buchanan Hnt un langage aussi


1 M. Cobb eut les finances; le général Cass le secrétariat d'Etat. Les autres mi-
nistres fureni MM, Floyd, de la Virginie, pour la guerre; Toucey pour la marine;
Aaron Brown, du Tennessee, post-mas ter-general; Black, de la Pennsylvanie, at-
torney-general ' •




QUATRrEME PARTIR. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. It43
. net que possible. Une convention y avait été réúnie a Lecornptqn, ,.
dans le courant de décembre, par une minorité intime d' esclava gis-
tes el a l'aide des manreuvres les plus frauduleuses. M. Buchanan
estimait qu'elle avait tout pouvoir et que son reuvre, quellequ'elle
fut, devait étre la constitution définitive du Kansas, suivant ce que
le peuple en déciderait dans ses eomices du 21 déeembre. Seu-


'lement, iI n'avait pas prévu ce qui aBait arriver. Le scrutin du
21 déccmbre donna) en effet, 6,143 voix eontre 569 en faveur de
la cIause qui établissait l'esclavage ; mais une enquete établit que
ee nouveau scrutiu n'avait été qu'un audacieux escamotage. Plu-
sieurslPerson nes avaient voté jusqu'a quatorze foís; tel district
ne comptait que 400 électeurs qui avait donné un millier de voix
pour l'esclavage, et les listes d'émargement contenaient les noms
de tous les hommes marquants du pays, depuis M. Buchanan
et ses ministres jusqu'an colon el Frémont, au sénateur Seward,
au journaliste Horaee Greeley.


Un second scrutin, qui eut lieu le 4 janvier 1858, défit l'reuvre
frauduleuse du premirr. Cett~ fois, les fl'ee-soilers déposerent plus
de 11,000 votes, et les esclavagistes s'abstinrent, ~e sentant en
grande minorité. La nomination des magistrats et des sénateul's
ou députés du futur Etat compléta le triomphe des free-soilers, el
le premier acte de tous les élus fut de réclamer du Con gres le
rejet de la constitution sous l' empire de .laquelle ils avaienl été
élus. Les hommes clairvoyants, meme les plus favorables a l'es-
clavage, jugeaient la partie perdue et conseillaient áu président
de céder de bonne grace. Il préféra dépeindre les esclavagistes
cómme les seuls bons citoyens du Kansas, et recommander l'adop-
tion de'la constitution de Lecompton comme le plus court moyen
de trancher la difficulté. De longs et tumultuel1x débats suivirent
la proposition : le Sénat s'obstina a rejeter et la Chambre' des re-
'présentants a voter I'.amendement du sénateur ,Crittehden, qui
admettait le Kansas au nombre des Etats avec la constilution de


I


Lecompton, mais sous la réserve qu'elle serait soumise a une
épreuve nouvelle et que, si elle était rejetée, le Kansas ferait de
plein droít partie de l'UnÍon. Le terme de la session s'approch~nt,
on· recourut a une conférence du Sénat et de la Chambre, et la
un ami particuljer du Président, M. English, del'lndiana, ofrrit




444 LES ÉTATS-UNIS DE I:AMÉRlQUE" SEPTENTUIONALE .


. un compromiso Si le Kansas acceptait la constitution de Lecomp-
ton, de territoire il deviendrait Etat sur-le-ehamp et reeevrait
3 millions d'acres de terres publiques pour 1'entretien' de ses
éeoles et la construction de chemins de fer ; s'iIla rejetait, il reste-
rait maitre de se donner une constitution nouvelle, mais il ne
serait rcvu dans l'Union qu'apres le eroit de sa -population jus-
qu'au chiffre de 95,000 habitants nécessaire pour élire un dépufé'
au congreso Ce n'était en réaIit~ qu'un marché, et un marché
simoniaque : tel quel, le Sénat le ratifia par 30 voix eontre 22, et


, grtlCe aux manreuvres du cabinet, a ses promesses et a l'absten-
tion de quelques membres, il finit par passer aussi· a la Chambre
avee 112 voix contre 103 j. ,


Le Kansas tint bon : il voulait entrer dan s 1'Union sans le stig-
mate de l'esclavage, et il y réussit.Le 28 février 1860, M. Seward,"
sénateur pour New-York et l'homme le plus considérable du
partí républicain, proposa un bill portant admission immédiate
et sans conditions de cet Etat, et il put justement s'écrier: ({ Main-
« tenant la lutte est finie! » quand iI vit ce bill, voté par les re-
présentants, a la.majorité de 134 voix contre 73, retourner chez
les sénateurs: Elle était finie sur le terrain légal : seulement elle
allait tout a l'heure se transporter ailleurs et aboutir a la guerre
civile. L'entreprise insensée du {ree-soiler John Brown, lequel,
a la tete de 16 blancs et de 5 rnétis, attaqua rarsenal d'Harper's
Ferry et s' en réndit un installt maitre 2, cette entreprise, en pa-
raissailt justifler cel;taÍnes prévisions sinistres, avait donné 1'as-
cendant dans le Sud aux pal'tisans les plus exaltés de l'esclavage,
ü ceux que les républicains appelaient les mangeurs de Yeu, Fire
ealers, et que l' on commengait également a nomnier lessépara-
tistes, tant le but" vers lequel les poussait leur passion violente
était visible, et tant ils p.renaient déja peu de peine pour le dissi-
mulero rrant que M. Buclu~nan resterait au pouvoir, ils ne pou-
vaient croiro la yartie tout a fait perdue, car cet" homrne d'Etat
avait abdiqué ses prerniers scrupules, et il était rnaintenant a
l'entiere discrétion des hornrnes du Sud. Ceux -ci d'ailleurs


I


1 30 avril 1858.
2 17 octobre 1859. John Brown était un mulalre que ses exploits cornme {rer.-


swiler dans le Kansas avaient rendu célelJl'e.




QUATRIEME PAUTLE. - PHOGRE~ ET DÉV~LOPPEMENTS. 445
av~ient la chance, dans les prochaines élections, de remplacer
~. Buchanan, qui était vieux et restait suspect aux plus ardents
d'entre eux, par un président sinon mieux disposé, du moins plus
entreprenant et plus énergique. Ils Cl'urent l'avoir rencontré dans


,


M. Breckinridge, du Kentucky, et mirent a la disposition de sa
candidature toutes les ressources d'une organisation fornridable,
opposant aux comités électoraux que le Nord avait formés. sous
le nom de bien éveillés (wide awakes), leurs homnles a la minute
(min~te jJ[en), dont la mission était de protéger les Etats du Sud
contre le danger chimérique d'une invasion des Etats du ,Nord, et
surtout, ce qui était tres-significatif et ce qui s'organisa dans le
secl'et, lenr8 volontaires des droits du Sud (Soulhern Rights Volun-
teers), qui s'engageaient a défendre l'esclavage par les armes et a
empecher de force 1'installation d'un président républicain. .


Ce fut toutefois un républicaiu et un homme du Nord qui l' em-
porta: M. Abrah.am Lincoln, de l'Illinois, l'élu de la convention
de Chicago, obtint 28 suffrages de plus que ses concurrents réu-
nis, M. Breekinridge, M. Douglas, M. Bel!. A peine eette nou-
velle était-elle parvenue a Charleston, capitale de la Caroline
méridionale, cité en décadence et qui jalousait la suprématie
commerciale aequise par Philadelphie, Boston, New-York, que
la population abattit le drapeau fédéral·et que le Sénat, qui était
alors en session, décida qu'une convention serait élue le 6 dé-
cembre et se réunirait le 17, afin de délibérer sur la question ele
savoir si l'État resterait dans l'U nion ou bien la quitterait 1. En
attendant, les Chambres voterent la levée de dix mille volon-
taires, avee un' crédit de 100,000 dollars et un emprunt de
400,000, destinés tous les deux a l'aclIat d'armes et de munitions,
plus un autre cr~dit d'un million pour la mise en défense du port
de Charleston et de ses cótes. Les séparatistes se mirent alors fran-
chement al' reuvre : ils n'ignoraient pas la confiance imprévoyante
du Nord et se.savaient·:des complices au sein me~e du cabinet.
M. Toucey, le secrétaire pour la marine, ávait sans motifs plflUsi-
~les dispersé la marine fédérale sur toutes les mers,et, de son


t On remarquera qu'antér'icurernent le Sénat avait fixé au 6 janvier 18611'élee-
tion de eette eonvention. Uyavait done pal'ti pris de scparation, dans un e3S pr4vu,
et, ce cas échéant, 011 devancait J'époque ue la séparation.





446 I LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE. •


coté, le ministre de la guerre Floyd aTait fait transporter, pen-
dant l'automne, dan s les arsenaux du Sud toutes les armes et
toutes les munitions que contenaient a ce moment les magasits
du Nord. En meme temps, ilavait éparpillé les petites forces mili-
taires des États-Vnis le long de l'ancienne frontiere de rOuest,
quoiqu'il n'y eut de ce cOté aucun danger en perspective, puisque
les Indiens se tenaient tranquilles et que les Mormons de l'Utah
avaient été, l'année précédente, ramenés au devoir.


La conduite de M. Buchanan lui-meme ne laissait pas d~etre
fort étrange. Le Congres s'était réuni le 4 décembre, et le prési-
dent s'était plu dans son message a rejeter sur le Nord toute la
responsabilité de la erise, en meme temps qu'il proclamait cette
doctrine extraordinaire « que ni le pouvoir exécutif, ni le COÍlgen;
¿( ne tenaient de la constitution le pouvoir de reten ir dans l'Union
«( un État qui tenterait d' en sortir. » Plus tard, il refusa de ren-
forcer les garnisons du Sud et consentit a re.cevoir, a la vérité
comme simples particuliers, les commissaires que lui députait la
cOllvention de la Carolille méridionale. Elle s'était,réunie au jour
indiqué; deux jours apres elle votait la sécession} a l'unanimité
moius une voix, et ce vote était accueilli par le peuple de Char-
leston. avec une gl'ande allégresse. On tira le canon, on iIlumina
la viIle, et partout on ne voyait que des inscriptions dans le gen re
de celles-ci: le coton est rai; le Nord ré"q,uit a la rnisere; cornmerce
direct avec le monde: triple express ion des rancunes implacables
du Sud, de ses apres convoitises et de ses espéranees ambitieuses.
Disons néanmoins, non pour justifier sa conduite, mais pour atté-
nuer un peu ses torts, que M. Buchanan se ravisa dans les der-
niers jours de sa présidence, n'admit plus dans ses conseils que
des hommes entierement dévoués au maintien de l'Union, et mit
Washington a l'abrí d'un coup de main. Mais il était trop tard :
les séeessionnistes s'étaient déjil saisis du fortMoultrie et des
forleresses fédérales a Savannah, a Key-West, a Pensacola, a
Mobile. Six Etats avaient déja suivi l'exemple de la Caroline du
Sud 1, et une eonvention réunie a Montgomery, la ville princi-


t Voici les noms et les dates de leur séparation : Mississipi, 9 janvier 1861 ; Ala-
. bama, 11 janvier; Flobde, 12; Georgie, 19; Louisiane, 21 ; Texas, 1 el" février.
phis tard vinrent la Virginie, 7 avril; l' Arkansa::;, le 6, et le TeIlnessee, le 8 mai.




QUATRIEME PAR'flE. - PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. 447
pale de l' Alabama, avait voté dans quarante-huit heures la cons-
titution des Etats confédérés 1 et appelé M. Jefferson Davis a leur
présidence 2. Enfin, diverse~ propositions conciliatrices tendant a
rétablir d'une part le compromis du Missouri, et de l'autre a ins-
crire dans la constitutioIl le principe forme] .de la non -irnrnixtion
absolue du congres dans les lois régissant l'esclavage et l'économie
intérieure des États, ces .propositions avaient été repoussées. Et,
chose remarquable ! leur insucd~s était l'ceuvre de quelques-uns
des sénaleurs du Sud, qui semblaient n'avoir conservé leurs
siéges que pour faire avorter tout projet conciliateur ..


Présidence de M. Lincoln .
.


(4 mars 1861 - avril1865.)


M. Lincoln avait attendu dans la Pennsylvanie le jour oil il
prendrait possession de son pouvoir. Son intention était de .ras ser
par Baltimore pour se rendre a Washington; hlais des intorm.a-
tions recueillies par la police f-édérale pouvaient faire craindre
qu'entr'ant sans escorte.dans cette viIle populeuse, il n'y fut l'ob-
jet d'un attentat sur sa personne ou sa liberté. Le général Scott
et M. Seward lui en transmirent l'avis secret et, changeant tout
a coup son itinéraire, M. Lincoln traversa de nuit et incognito
Baltimore et fut a Washington deux jours plus tot qu'on ne l'y
attendait.


Quand il eut preté le serment ordinaire, M. Lincoln lut un
discours qui était son ceuvre personnelle, et fit connaitre, sans dé-
clamations et sans phrases, la politique qu'il entendait suivre.


. .


Pour lui l'Union était indissoluble, parce qu'elle reposait sur un
contrat librement débattu et que pour rompre un contrat, la vo-
lonté d'un seul des contractants n'était pas suffisante. Quant a
l' esclavage, il ne se croyait pas le droit et ne se sentait pas la dis-


t 9 février. Sauf quelques changements de rédaction et I'emploi ¡ranc du mot
esclave, ladite constitution ne fut pas autre chose que la constitution meme des
Etats-Unis. ':1


:2 Sénateur pour le Mississipi et chef' des Fire-Eaters de cet Etat, M. Jefferson
Davis n'avalt pas encore quarante ans. Actif, énergique, éloquent, ilavait été 1\lme
du mouvement séparatiste et atteignit ainsi le but de toutes ses ambitions.




'118 LES ÉTATS-UNIS DE L' Al\IÉRlQUll: SEPTENTlUONALE.
position d'y toucher dans tes Etats ou il existait. Dans la compo-
sition de son cábinet, M. Lincoln ne fit pas preuve de disposi-
tions moins conciliantes, en n'y appelant que des hommes tels
que M. Seward, M. Chase et M. Welles, aussi distingués par
leur modératioll que par leurs talents politiques et leur noble
caractere 1 .• Ce discours et ces actes firent une impression favo--
rabIe, et M. DougIas, l'ancien concurrent de M. Lincoln, fut le
premier a s'en montl'er satisfait. Par malheur les hommes du Sud
étaient sourds a toute idée de retour, et le sénateur Wigfall, du
Texas, expl'irnait leur dernier mot quand il annoll<)ait qu'on tire-
raít sur le drapeau aux trente-quatre étoiles, s'iJ essayait de sé
montrer dans le Sud., et sommait le président de rappeler. ses
troupes des forts Sumter et Pickens, s'il ne voulait pas les en voir
expulsées. Ce n'étaient point Hl des bravades et de vaines me-
naces. A peine MM. Forsyth, de l' Alabama, Crawford, de la
Géorgie, et Rom~n, de la Louisiane, qui avaient été députés par
les coftfédérés la Washington, avaient-ils quitté cette ville, que
M. Jefferson Davis donnait l'ordre au général Beauregard, par le
télégraphe, d'attaquer le fort Sumter, et q~e le général, apres une
inutile sornmation au major fédéral Anderson qui le comman-
dait ouvl'it le feu contre cette forteresse 2. Une escadre de secours


. avait bien appareillé pour Charleston ; mais retardée par un coup
de vent, elle ue parut devallt le fOl't que quand iI était déja dans
les mains des confédérés, et repartit sans avoir rien tenté contre la
place.


La guerre civile était commencée et, quoique le Nord eut pou!'
lui la grande supériorité duo nombre et des richesses, com-
mencée dans des conditions qui iu i étaient des moins favorables
et susceptibles de faire appréhender qu'avec de la promptitude
et de l'audace, le Sud ne réussit dans sa factieuse et criminelle
entreprise. Le Sud y avait songé, en effet, de longue date 3 et s'y


i l.\'I. Sewar.d eut les relations extérieures; M. Chase, les finances; M. Welles, la
guerreo Les autres ministres furent M. Caméron, a la marine; M. Edward Bates,
savant jurisconsulte-,du Missouri, a la justic~, et M. B1air, dp Maryland, aux postes.
M. Caleo Smith, qui eut l'intérieur, était ramt personnel ue M. Lincoln.


212 ayrll 1861.
:¡ En 1832, le professcUI' Tucker lmolia un livre fort curieux, qu'il antidata, en


lui uounanL le millésime de 1861, époque présumée, d'apres lui, dé la sécession. Le




QUATRIEME PARTIE. - PROGR~:S ET DEVELOPPEMKNTS. 449
était préparé a loisir, alors qu'elle prenait le Nord a l'improviste
et le trouvait, comme on l'a dit, entierement désarmé, moitié
effet d'une confiance trop robuste, moit.ié résultat de connivences
coupables. Quand le président appela 75,000 hommes de milices
sous les armes, il ne trouva pour mettre a leur tete que des chefs
inexpérimentés ou suspects, a part le vainqueur du Mexique, le
vÍeux général Scott, qui, agé de soixante-quinze ans, dut assumer
la formidable tache de créer une armée et son admínistration.
Dans le Sud, tous les planteurs étaient fami.iiers des leur enfance
avec l'usage des armes, la chasse étant leur délassement favori,
et leurs mílices, toujours dans la craint~ d'une insurrection ser-
vile, se trouvaient fa<;onnées a la discipline et aux manreuvres
militaires. Elles étaient commandées par de jeunes et brillants
officiers qui sortaient, ponr la plupart, des écoles fédérales de
West-Point et d'Annapolis. Enfin les arsenaux du Sud regor-
geaient de ressources, et tandis que les reCl'ues qui accouraient
a Washington y venaient san s armes, les volontaires du Sud
avaient été armés, équipés, disciplinés a l'aise pendant les
mois qui avaient suivi l' ouverture du con gres de Montgomery l.


Néanmoins, apres quatre ans d'une lutte acharnée, terrible,
parfois atroce, les hommes du Sud étaient vaincus et le mot
célebre de M. Douglas a M. Sumner : « Nous vous subjuguerons, )}
We want lo subdue you, prononcé ~n 1856, était retourné dans sa
plénitude contre les champions de l'odieux esclavage. Décrire
cette lutte dans ses détails et ses péripéties, ce serait dépasser les
bornes de notre travail, et c'est a peine s'il nous est loisiole d'en
retracer en quelques mots les grandes lignes et d'eH fixer l'aspect
général. Elle a oifert, ce nous semble, quatre principales phases
stratégiqu'es et politiques. Dans la premiere, qui va de l'ouverture
des hostilités en rase campagne a la premiere journée de BuU's-
général Jackson fit saisir et détruire I'édition. Quelques rares exemplaires échap-
perent alors, el ont servi en 1861 a une réimpression.


I e'est pourquoi les hommes du métier, fort déUaigneux en général de tout effort
qui n'est pas régulier, prophétisaient le triomphe du Sud, et le Iieulenant-colonel
Ferri Pisani, qui en 1862 accompagna le prince Napoléon en Amérique el visita, en
sa compagnie, les deux armétls belligérantes, nous apprend que tous ses compagnons
étaient fermement pel'suadés que le Nordsuccomberait: seul, le prince montra une
cOllfiance inébraniable dans son SIICCCS. (V. Letlres sur les États-Unis d'Amér.)


29




450 LES ÉTATS-UNlS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
Run, les troupes fédérales s'organisent et s'essayent ; elles se tien-
nent sur la défensive et ne la quittent, malgré la répugnanee et
les eonseils du général Seott, que pour essuyer une sanglante
déroute, aeeompagnée d'une panique partielle en attaquant les
lignes eonfédérées 1. C'était une véritable imprudenee que d'as- .
saillir Beauregard dans la forte position qu'il avait prise, appuyé
aux Montagnes-Bleues et couvert par un eours d'eau, qui est si
rapide et dont les bords sont si esearpés qu'on l'appelle le Torrent
du Taureau, surtout quan,d on manquait soi-meme de eanons, de
cavalerie, d'équipages militaires et qu'un succes meme ne con-
duisait a rien, puisque le généraI confédéré forcé aurait eu sa
retraite assurée par les chemins de la Virginie occidentale, et
eftt tPOUvé de nouvelles lignes de défense successives dans le


'_ :t>lif


Rappeannock, le Rapidan, l'York, le Chickahominy, rivieres
larges et profondes. Au surplus, faute de cavalerie, les confé-
dérés ne purent tirer parti de leur avantage, et I'armée fédérale
en fut quitte pour reprendre les positions qu'elle occupait un
mois plus t6t.


Au début de la seconde période, Mac-Clellan, un jeune
général, organise l'armée du Potomac, l'exerce et la soumet a
une discipline sévere 1 puis,prenant Richmond pour objeetif, iI
marche sur York-Town, que les eonfédérés évacuent apres l'y
avoir relenu un long mois. Illes joint et les bat a Williamsburg2;
mais un combat de cinq joul's sur les rives du Chickahominy lui
ferme le chemin de Richmond, que le gOllvernement ne lui
permet pas de reprendre 3, et la seconde bataille de Bull's Run,
perdue par le général Pope contre le général confédéré Lee 4,
remit les choses a peu pres dans l' état ou elles étaient dix-huit
mois auparavant, a part les succcs maritimes des fédérés, qui leur
avaient donné la Nouvelle-Orléans, le littoral de la Caroline du
Nord et l'arehipel de Port-Royal. Dans cette troisieme phase, les
confédérés semblent vouloir prendre une offensive résolue: éta-


t 21 juillet 1861. Le général Mac-Dowell commandait les fédéraux.
25 mai 1862.
:J 24-29 juin 1862.
¡ 30 aotlt 1862.'Pendant les deux jours précédents, Pope avait lutté salls désavan-


tage contre le général Jackson.




QUATRIEME PAHTm. - PRUGRES ET DÉVELUPPE~lENTS. 451
bli dans le haut Maryland, Lee menace a la fois Washington,
Baltimore, et les villes irrdustrielles de la Pennsylvanie méridio-
nale. En meme temps, les rebelles envahissent le M issouri et les
Indiens ravagent le Minnesota. Mais la bataille d' Antietam, ga-
gnée par Mac-Clellan contre Lee, dégage le Maryland 1, et ceHe
de Corinth laisse les fédéraux maltres du réseau des lignes ferrées
du Sud-Ouesf2. Ce n'était que le prélude d'opérations plus impor-
tantes dans lesqueBes les fédéraux, prenant a leur tour l' offensive,
perdent la bataille de Chancellorsville 3; mais ils gagnent ceBe de
Gettyburg4, tandis que Vicksburg, l'immense forteresse qui avait
si longtemps barré le cours du Mississipi, tombait devant les
habiles mauU:'uvres du général Grant et lui ouvrait ses portes, le
jour meme du quatre-vingt-quatriemeanniversaire de la déclaRation
de l'indépendance. Maintenant, les fédéraux dominaient eIiti~re­
ment le co~rs du Mississipi; leur bateaux cuirassés coupaierit en
deux la confédération des Etats rebelles et leurs armées, ainsi
que leurs flottes, entouraient ces Etats d'un cordon militaire, que
le gouvernement installé a Richmond comparait lui-meme a
l'étreinte d'un boa gigantesque.


Ce fut alors que le vieil amiral Farragut for.;a de la fa<.;on la
plus hérolque l'entrée de la baie de Mobile 5 et rendit au gou-


1 17 septembre 186'2. La bataille:commenca des 5 heures du matin, et continua
pendant 14 heures avec furie.


2 3 octobre 1861. Corinth est un petit village qui n'a point d'importance par lui-
meme; mais le chemin de fer parallele au Mississipi, qui va de Columbus a ViCKS-
burg et a Baton-Rouge, y coupe verticalement le railway de Memphis a Charleston,
dont une branche ahoutit a Mobile.


3 Journées des 2, 3 et 4 mai 1863. Le 3 mai, le général fédéral Hooker avaIt été
complétement victorieux. Mais, le lendemain, le général Lee le placa entre deux
feux et le forca de repasser le Rappahannock, dans la nuit du 5 au 6. Ce fut la tout
'avantage qu'il obtint de sa victoire, car les fédéraux emmenerent avec ellx les quel-


ques milliers de prisonniers qu'i1s avaient faits, et les confédérés laissaient sur le
champ de bataille qui leur restait 15 ou 18,000 des leurs, plll'mi lesquels Jackson,
e héros du Sud, surnommé Mur de pierre, Stonewalt.


4 101', 2 et 3 juillet 1863. Lee laisse 10,000 prisonniers aux mains de son adver-
saire, le général M.eade, et 7,450 de ses blessés sur le champ debataille.


5 5 aotH 1864. Quatre navires cuirassés ouvraient la marche de la flotle fédérále ,
venait ensuite le gros de cette flotte, el) tete le Brooklyn; muni d'lln appareil a reo.
lever les torpilles, dont on savait la baie garnie, pllis, le vaisseau amiral le Hart-
ord, de la hune duquel, ou iI s'était faitattacher, Farragut conduisait I'aclion. Le


lICombat était· a peine commencé que le bé1iel' l'ecumseh s'abima, frappéd'une tor"'
.f pill~. Alors, l'¡¡mira! tit prc'ndre la tete au Tlartford, et toute la flot,te, criblant de




'lO:'> LES Él'Al'S-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPl'ENTRlONALE.
yernement fédéralle libre usage de sa, fiotte de blocus, et que le
général Sherman, par une suite de victoires et de mouvements
aussi hardis que bien exécutés, amena l'évacuation d' Atlanta,
vaste place d'armes qui n'avait pas un développement moindre
de 20 kilometres, et qui pouvait défier les assauts de forees trois
fois supérieures a ceBes dont Sherman disposait 1. De la, Sherman
poussait dans la Géorgie, et se retournait vel'S le Nord pour coopé-
rer avec les rorces de Grant en faisant fuir a son approche les
défenseurs de Charleston, qui se retiraiellt en incendiant les en-
trepóts de coton, les magasins, les arsenaux, les chantiers, la
fiotte fédérée 2. Grant resserrait pendant ce temps ses lignes d'in-
vestissement autour de Richmond et de Petersburg. Le 2 avril
1865, il emportait Petersburg, et Lee envoyait a M. Jefferson
Davis un expres pour l'inviter a prendre la fuite en toute hate,
avant que les cavaliers de Shéridan lui eussent coupé toute re-
traite. Le 7, Lee qui venait de parcourir pres de 200 kilometres a
travers un pays coupé de ravins" de bois et de torrents, Lee, qui
n'avait plus de canons, plus de "ivres, presqlle pas d'armes, se
heurta contre les' troupes du général Ord placées en travers de
sa ro~te, au village d' Appatamox-Court-House. Sa situation était
san s espoir, et décidément la fortune avait· trahi sa cause: Lee
preta l'oreille aux offres de reddition que lui fit le général Grant,
dans des termes aussi modestes que généreux, cal' tous les offi-
ciers fédérés purent se retirer chez eux en gardant leurs armes,
de meme que les soldats en livrant leurs fusils, sous la seu le con-
dition de promettre obéíssance a la constitution et aux lois des
Etats-Unis.


La guerre civil e était terminée, mais au príx de quels sacri-
fices 1 On a calculé que plus de 2,600,000 volontaires ont fait


milraille et d'oLus les forts ennemis, franchit la barre inlérieure et gagna le milieu
de la baie, ou elle engagea contre les navires confédérés une action tres-meurtriere
mais finalement victol'Íeuse.


t septembre 1864.
~ 17 février 1865. Deux ans plus tOl., I'arniral Dupont avait échoué devant le cé-


lebre fort Sumter, avec ses trois étages de batteries. On I'avait laissé s'avancer jus-
qu'il quelques encablures des remparts, Jorsque ses vaisseaux vinrent se heurter
contre une chaine tendue du fort a l'i1e Sullivan. Alors les batteries confédérée
lirent pleuvoir plus de 3,500 projectiles SU1' l' t'scadre fédérale, dont 5 navires sur 12
se trouve¡'ent, bien 'Iue cuirassés, réduits, au bou t d'une demi-heurc.a un.




QllATnlRME PARTIE. - PROrrRRS ET DÉVELOPPEMF.~TS. '1:"):1
partie de l'armée fédérale pendant ses quatre années, et que
sur ce nombre 95,000 sont morts sur les champs de batail1e,
184,000 autres succombant dans les hópitaux. Si a ces nom-
bres on ajoute ceux des hommes dont les cadavres n'ont pas
été retrouvés, ou qui stlnt morts depuis par suite de leurs bles-
sures, on arrive a 330,000 morts, saIls parler d'un million de
blessés '. Quant aux frais, les chiffres suivants peuvent en donner
une idée : les dépensp-s qui pendant l'administration de M. Bu-
chanan n'avaient pas dépassé une moyenne annuelle de 74,000,000
de dollars, s'élevel'ent ponr l'année fiscale finissant au 30 juin
1865 a 1 milliard 157,000,000, et la dette fédérale, qui étaít a la
fin de 1860 de 61,000,000 dollars, avait grossi jusqu'a pres de
3 milliards au 3 t aout 1865, jour OU elle atteignit son apogée 2.


Cherche-t-on maintenant a savoir combien la guerre a coú1é
directement au Trésol' des Etats-Unis, on arrive a un chiffre qui
dépasse 3 milliards, sans compter les ruines accumulées dan s tou-
tes les partiesde la République tl'aversées par les armées belligé-
rantes, sans tenir compte des eharges immenses que la lutte a lais-
sées apres elle, sous forme d'intére1s a servir, de pensions, de frais
d'armement. eomme a la fin de la guerre les Etats rebelles n'a-
vaient plus de finaneeset vivaient de banqueroutes, de dons patrio-
tiques, de réquisitions, il est diffieile d'évaluer ce que lenr a couté
leur immense effort. Il n' est pas cependant téméraire de eroire
qu'ils ont dépensé une somme a peu pres égale a eeHe qu' ont
sacrifiée leurs vainqueurs; des lors, ce serait une. somme d'envi-
ron 6 miilions de dollars, soit une trentaine en monnaie fran-
<;aise, qu'auront eofrté la reeonstruction de la patrie américaine
et l'abolition de l'esc!avage, tandís qu'un tiers de cette sornme eÍlt
lal'gement suffi pOl~r une émancipation pacitlque si d'indomp-
tables passions n'y avaient fait obstacle 3.


f Dans ces chitTres sont cornprises les victirnf's des atrocités cornrnises par les con-
fMérés a l'égard des prisonniers fédéraux, entassés dans les rnarécages de Salisbury,
et d'Ander!;onville ou dans les Hes de la riviere James. Un espace de 10 hec-
tares traversé par une eau stagnante a contenu parfois jusqu'a 3'!,OOO prisonniers.
Des canons étaient braqués sur ('ette rnultitude grouillante, prets a la rnitrailler au
premier signal, et des Iirniers de chasse étaient drcssés ala poursuite des fugitifs.


2 En chiffres ronrls et 2,846,021,742 dollars, selon the Journal o{ Ihe statistical
society o{ London, n° de juin 1868.


:l C'('st l'/:'stirnation donnée par I'Arlnlla¡'re des Deux·J[ondes (t. XIII), :luflnd on




'154 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉnIQUE SEPTENTRIONALE,
Quand la guerre finit, il y avait déja quelque temps que sa


cause premiere avait disparu. Des le 1 er janvier 1863, le prési-
dent avait déclaré « libres a toujours )) les esclaves de l' Arkansas,
du Texas, de la Louisiane, du Mississippi, de la Floride, de la
Géorgie et des deux Carolines. Quant aux esclaves des provinces
centrales et a ceux du Tennessee ou des parties de la Louisiane et
de la Virginie qui, bon gré mal gré, étaient demeurées loyales,
M. Lincoln, par un dernier scrupule constitl1tionnel, laissait aux
législatures locales le soin de leur émancipation future. Mais le
sentiment public, surexcité par la lutte et les audacieuses théo-
ries qui avaient proclamé l'esclavage un bienfaitt ou le meilleur
régime du travail, en lui cherchant une base légitime dans la
Bible ou dan s la volonté divine elle-meme, le sentiment public
n'admettait plus ni d'atermoiement, ni de demi-mesures, et il
paraissait d'ailleurs bien difficile de faire subsister sur le meme
sol, a cóté les uns des autres, des noirs affranchis paree qu'ils
étaient nés dans le Sud, et des noirs maintenus dans la servitude
paree qu'ils étaient originaires du Centre ou de l'Ouest.


Le treizieme amendement a la constitution, qui abolít formel-
lement l'esclavage, vint bientOt lui donner satisfaction et com-
bleI' la lacune qu'on remarquait dans la proclamation présiden-
tielle. Voté par le Sénat, le 8 a'Til 1864, ill'a été par la Chambre
des représentants, le 31 janvier 1865, et depuis la ratiticatíon des
Etats lui a donné sa consécration définitive 2. Ce fut un jour tres-
solennel que ce jour du 31 janvier: des membres du Sénat, les
hornmes les pl~s émiuents de Washington, des dames remplis-
a emprunté la plupart des ehiffrcs éerits dans ce paragraphe; on la qualifie de large,
paree qu'il. raison de 3,950,000 environ que I'A lmanach de Gotha indique pour
1860, I'indemnité aurait été d'un pell plus de 2,500 franes par tete d'eselave.


1 Le 8 novembre 1864, lejour ~eme ou le Nord réélisait Abraham Lineoln, M. Jef-
ferson Davis reeommanda a son Congl'ils l'armement de 40,000 noirs, auxquels on
ferait entrevoir la perspeetive de leur liberté future. Quoique présentée avee une
grande timidité et tous les ménagements de parole possibles, eette proposition elTa-
roueha les partisans de I'esclavagisme, et l'Examiner de Richmond s'éeria : que
l'émancipation était une punitwn et point une récompeme!


2 L'oppositiún ~st venue, comme on le savait d'avanee, de t¡uelques Etats fideles,
tels que le Kentucky, Delaware, New-Jersey, et, ehose remarquaLle, ce sont le~
Etats du Sud, désil'eux de rentrer dans I'Union apres avoir libéré leurs eselaves, qu1
ont fait I'appoint des trois qnarts néeessaires a la ratifieation. '




QUATRIEME PARTIE. - PROr.Rl~S ET DÉVELOPPEMENTS. 1f)f)
saient les tribunes de l' Assemblée, et quand le président Colfax
annon.;a le résultat du scrutin, des applaudissements éclaterent.
de toutes parts; les dames agiterent leurs mouchoirs. Cette joie
et cet enthousiasme étaient naturels et légitimes chez des hommés
dont les idées et la persévérance avaient fait le succes de la me-
sure qu'ils acclamaient a cette heure, a la fois comme une reuvre
de haute réparation et comrne une récompense de leurs efforts
personnels. Mais ne leur restait-il point pour la rendre complete
a sacrifier des impressions d'autant plus tenaces qu'elles étaient
plus absurdes? « Habitants du Massachusetts, » s'écria un jour
Daniel Webster, « vous avez conquis cet Océan et ces rivages;
« vous avez conquis votre sol impitoyable ; vous avez vaincu les
« préjugés du monde entie~; mais les vótres, saurez-vous bien
« les vaincre et les dominer 1 ? » Le préjugé dont parlait le grand
orateur n'était autre que le préjugé de la peau, et il avait eu
la puissance de creuser un abime entre le noir et le blanco Pour
l'Américain dn Nord, qui voulait abolir l'esclavage, comme pour
l' Américain du Sud, décidé a le perpétuer; pour l'Yankee, cornme
pour le Virginien, le noir ne cessaít pas d'etre le fils de Cham,
le descendant d'une race maudite. Libre ou esclave, bien OH mal
vetu, le negreo 1'homme de couleur, restait un paria auquel les
hótels fermaient leurs portes, qu'on excluait de la bourse et des
banques) et qu'on reléguait dan s un coin a part, au théatre et
sur les bateaux a vapeur 2.


L'honnete Abraham ne fut pas témoin du grand acte qui couron-
naH l'reuvre dont sa froide énergie et sa foi indomptable dans le
bon droit de l'Uníon et son triomphe définitif lui permetiaient
de se dire le principal auteur. Réélu par 22 Etats .sur les 25 qui
prirent part a l'élection et par 213 voix contre 21 accordées au
général Mac-Clellan, le « jeune Napoléon, » cornme l'appelaient
ses flatteurs, M. Lincoln fut assassiné, le 14 avril 1865, tandis
qu'il assistait a Ullf; représentation extraordinaire que donnait le
théfttre de Ford, aWashington. Son assassin s'appelait John Wilkes
Booth; fils d'un célebre tragédien anglais qui avait passé plu-


1 Dans un meetmg tenu a Boston en 1850.
2 V. la Jett. du XXIX tome 11 des Lettres sur l'Amérique du Nord, de M. Michel


Chevalier.


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456 LES ÉTATS UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
sieurs années en Amérique, et bon acteur lui-meme, il avait plu-
sieurs fois rrcueilli les applaudissements du public sur ce meme
théatre de Ford qu'il rlevait un jour ensanglanter. Booth n'était
d'ailleurs que le complice et l'instrument des esclavagistes vain-
cus, et l'on sut plus tard, a n'en pas douter, que les conjurés
s'étaient promis de tuer aussi le vice-président Andrew Johnson,
M. Seward, le secrétaire de la guerre Stanton et le général Grant.
Seul, Abraham Lincoln fut frappé. I1 a emporté dans sa tombe
la rec{)nnaissance d'un grand peuple, et l'admiration de la posté-
rité est acquise a sa mémoire. Aux temps du moyen age, quand
iI fallait, pour etre quelque chose en ce monde, porter la robe du
moine ou l'armure du chevalier, Lincoln aurait vraisemblable-
ment continué pendant toute sa vi~ entiere de garder les trou-
peaux, comme il les gárdait dans sa premiere jeunesse, ou de
conduire les bateaux, comme il le fit ensuite. Il est me me pro-
bable que, 8'il flit né dans la libre Angleterre et qu'il eut encore
a vingt et un ans conduit des trains, posé des rails, fendu du
bois dans une ferme, il serait mort pauvre et obscur ainsi qu'il
avait vécu. Dans l' Amérique républicaine, cet ancien batelier, cet
ancien conducteur de trains, cet ancien bucheron, s'est assis sur
le fauteuil de:; Wa~hington, des Jefferson, des Madison; il a eu,
comme eux, les honneurs de la réélection, et son étonnante for-
tune est un démenti énergique infligé a ces tristes docteurs qui
associent d'une favon inséparable la capacité de l'esprit ou la
noblesse du cceur a une naissance illustre et a une situation pri-
vilégiée.


Présidence de M. Johnson.


(t5 avril1865 -4 mars 1869.)


Les paroles et les actes antérieurs de M. Johnsori, qui aux
termes de la constitution remplavait M. Lincoln, semblaient pro-
rncttre qu'il en serait le digne successeur, cal' il avait donné
comme gouverneur militaire du Tennessee des gages de patrio-
tisme, et n'avait pas craint d'affranchir les esclaves de cet Etat,
quoiqu'H fu! en dchors de la proclamation du 1 (r janvier 1863.
Par lllalheur, 1\1. Johnson était fl'un tcmpérament fOl1gueux;




Ql:ATRIE~m PARTIE. - pnO(jRE~ ET DÉ\'ELOPPE~IENTS.'tj7
son excessive violence de langage avait fait appréhender qu'il ne
se liYI'át a des habitudes peu tempérantes, et il entretenalt de son
propre mérite, de sa propre importance, une opinion qui ne lais-
sait pas d'etre exagérée. L'autorité supreme, loin de tempérer
ces défauis, leu!' donna de la force, et bientót le président se
vit aux prise:s avec la majorité radical e qui sortit des scrutins
du mois d'octobre 1866 ~ et qui parfois, trop violente et trop
susceptible elle-metne, n'en était pas mOlns, au lendemain de la
grande crise, l'expression fidele des VCBUX et des besoins du pays.
Toutes les personnes sensées étaient aussi fermement persuadées
du droit de punir la rébellion qu'elles l'avaient été du droit de la
combattre, et ne croyaient pas imposer aux Etats sécessionnistes
des conditions de rentrée trop rudes en exigeant d' eux l'accepta-
tion de l'amflndement sur l'esc1avage, la répudiation des dettes
locales ou générales contractées par le gouvernement fédéré, la
modification des législations particulieres dans le sens de l'éga-
lité civile, enfin la garantie aux noirs affranchis, de quelques
droits judiciaíres.


Un amendement constitutionnel avait été rédigé pour 8ati8-
faire a ces légitimes exigences. SOJl premier article conférait
le titre de citoyen a tou~e .personne née ou naturalisée aux
Etats-Unis, et défendait aux Etats sécessionnistes de rendre
chez eux aucune loi qui priva! ces personnes de leurs liber-
tés civiles. La deuxieme c1ause réglait la représentation des
États, en stipulant que le nombre des députés serait désormais
réglé sur le nombre des cito yen s males investís du dl'oit de vote.
La troisieme retirait ce droit a tous ceux qui avaien! pris a la
rébellion une part volontaire, et la quatrieme enfin concernait
la répudiation expresse de la dette du Sud. Encore la troisieme
condition parut-elle au Con gres trop sévere : il se contenta de
déclarer les rebelles inadmissibles aux emplois publícs, en se
réservant a lui-meme le droit de les relever de eette déchéance
par un vote des deux tiers de ses voix, et aínsi modifié, le qua-
torzieme amendement fut voté par 33 voix contre 1 t au Sénat et
par 120 contre 32 a la Chambre. Voila sur quelterrain le président


j Les républicains radicaux I'emporterent partout, si ce n'est dan;; le Delaw;lre,
le ~Iaryl¡lnd et le Kcntucky. Dans I'Ohio, !'Indiana, I'Jllinois,l'Iowa, les majoritp,:
radienles allrrent a 15, ~(), 50.,000 voix




458 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQlIE SEPTENTRIO~ALE.
Johnson se pla<;a pour lutter contre la représentation nationale,
et tout son effort tendit a empecher la ratification des États. Il y
réussit dans la Louisiane, grace a une émeute favorisée par le
maire de la Nouvelle-Orléans, Monroe, enragé sécessionniste, et
dont les policemen eux-memes furent les auteurs, en se ruant le
revolver au poing sur les membres de la convention réunie pour
une nouvelle constitution de l'État, qui siégeait alors, et en dis-
persant l'assemblée que la foule les aidait a poursuivre et a lapi-
der. Ni cet acte abominable, ni le voyage de M. Johnson dans le
New-York, le Tennessee, le Missouri et l'Indiana, ou jI recueillit,
a cóté d'ovations éphémeres, beaucoup d'avanjes, de mots san-


. glanfs et d'apostrophes terribles, n'empech~rent l'amendement
d'etre ratifié. Des le 21 janvier 1865, M. Seward annon<;ait qu'il
avait réuni dans les Etats la majorité légale, et avant }' époque
fixée pour l'élection présidentielle, tous les Etats rebelles, a part
la Virginie, le Mississipi, le Texas, avaient fait leur soumission.
Dans l'intervalle, M. Johnson avait fourni au Congres de nou-
yeaux griefs ; la Chambre lui ota d'abord le droit d'amnistie pour
se le, transférer a elle-meme, puis, comme il tenait tout particu-
lierement a écarter les noirs du scrutin, elle imposa Jeur suffrage
au district fédéral de Columbia, et en fin de compte elIp, com-
men<;a contre lui une 'proeédure d'impeachment. Un instant aban-
donnée, mais tenue sur la tete du président comme l'épée de
Damocles, eette proeédure fut reprise le 24 février 1865. Les
débats du Sénat s'ouvrirent le 23 mars et se terminerent,le 26mai,
par l'acquiUement de M. Jolmsún, que 19 voix contre 35 se refu-
serent a déposer 1.


Présidence du général Grant.
(4 mal's t869.)


34 Etats concoururent a cette élection : 9 Etats et 88 voix se
prononcerent pour M. Seymour; 25 et 206 voix pour le général
Grant, candidat des républicains modérés. Deux mots que le


f AIlX termes de,la seetion 3 de I'artiele ter de la eonstitution, e'est au Sénat de
juger les personnes que la Chambre des représentants déerete d'aeeusation, et la dé-
clat'ation de culpabilité exige I'adhésion des deux tiers des votants.




QllATRrEl\1E PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 459
présitlent actuel a prononcés peuvent donner une idée de son
noble caractere.Un jour qu'a Cincinnati, OU il avait accompagné
M. Johnson pendant son fameux voyage, la populatíon deman ..
dait a le voir : « Congédiez ces braves gens, » dít-il. « Je ne suis
« pas un homme politiqueo Le président est mon commandant en
« chef, et je regarde ceUe démonstration comme hostile a sa
« personne.» En prenant la présidence, il déclara « qu'il aurait
« sur tous les sujets une politique a recommander, mais qu'il
« n'en aurait jamais une a faire prévaloir contre la vo]onté popu-
« laire. » De telles paro]es honorent a la fois ceux qui les tien-
nent et ceux a qui elles sont adressées. Heureux pays en vérité
que ce pays ou les généraux, meme a la tete de troupes victo-
rieuses, résignent ~eHr commandement au premier mot du pou-
voír civil, sans chercher ou trouver des prétoríens qui leur pro-
curent la dictature OH la couronne. 1 Heureuse l' Amérique de voir
ses soldats Jes plus illustres se déclarer, quand elle leur confie le
pouvoir supreme, les premiers serviteurs de la l~i civile et les
premiers exécuteurs de la volonté publique 1 1


Dans les trois premiers mois de l'année 18iO, la Virginie, le
Mississipi ei le Texas sont successivement rentrés, a leur tour,
dans le sein de l'Union et, le 30 mars, M. Grant a déféré au con-
gres un 15e amendement constitutionnel en ve'rte duquella ca-
pacité électorale ne peut etre ni refusée, ni restreinte « pour cause
de race, de couleur, de condition servile. » Les représentants
l'ont voté par 143 voix contre 43, le Sénat par 39 contre 13, et le
suffrage de 30 Etats lui a donné sa consécration définitive 2. On a
dit avec raison que, depuis sa déclaration d'indépendance, l' Amé-
rique du Nord n'avait pas pris une détermination plus grave et
accompli une réforme civile aussi importante. 11 est bien difficile,
surtout a distance, d'en rnesurer les suites, quoiqu'il paraisse cer-
tain qu'elles seront diverses et intéressantes. Elles ont effrayé
par .anticipation un sérieux observateur : M. Egra Seamall a beau-


i « Le jeune Napoléon » a été destitué, et Sherman, le vainqueur d'Atlanta, de
Savannah et de Charleston, blamé pour avoir eonelu ave e le général eonfédéré
Johnston Me eonvention qui excédait ses pouvoirs pllrement militaires.


2 Les Etats réfractaires ont été la Californie, l'Orél5on, le Delaware, le New-
Jersey, le Maryland, le Tennessee, le Kentueky. Oro remarquera qu'i1 n'y a parmi
eux que le Tenne~see qui ait fait partie de la confédération du Sud.




4GO LRS ÉTATS-UNIS DE r..' AMÉRIQUE SEPTE~TRIONALE.
COUp redouté cette brusque invasioIl du domaine politique par
une masse d'hommes que rien ne semble avoir préparés a l'exer-
cice de droits d'une nature souvent délicate, d'une race a peine
délivrée dll stygmate de la servitude, dégradée par les lois et re-
poussée par les mamrs, d'une race enfin qui n'a contre les blancs
que trop de griefs et a qui la tentation de les venger peut aisé-
ment venir. n est assez naturel que de telles appréhensions se
soient faitjour; mais elles perdent de leur gravité devant l'impul-
sion cÍvilisatrice a laquelle les anciens esc1alles se laissent a1Jer,
s'il faut en croire un témoignage que nous aurons a relever tout
a l'heure et qui n'est pas resté solitaire.


En ce moment meme, un tribunal arbitral, qui s'est réuni a
Geneve, regle les indemnités dues aux Etats-Unis pour les dépré-
dations commises par l'A.labama et les autres corsaires confédérés
que la Grande-Bretagne laissa. s'armer dan s ses ports 1. Cette
affaire de l' A labama semble sur le point de se finir ; mais ce ne sera
point sans avoi.r été l'occasioIl pour le cabinet de Saint-James de
nombreux soucis et de cuisants sacrifices d'amour-propre, qui
n'ont été apres tout qu'une juste compensation de sa conduite,
aussí impolitique que peu généreuse, pendant tout le conflit des
Etats du Nord et des Etats du Sud. Des son début, et sans meme
aUendre les communications que le ministre des États-Unis,
M. Adams, pouvait avoir a lui faire de la part de M. Lincoln.¡ il
s'empressa de reconnaltre la qualité de belligerants aux confé-
dérés du Sud 2, et plus tard, en laissant a leurs corsaires toute
latitude pour préparer leurs brigandages dan s ses ports, il viola
les lois de la neutralité et les principes memes qu'il aidait a faire
prévaloir dans les mémorables traités de 1856. S'il faut bien recon-
naitre que l' Amérique elle-meme n'a pas toujours fait pl'euve
d'un grand respect du droit des gens, il est vrai aussi que ce
respect n'est pas entré de bien vieille date dan s les pratiques an-


f La Florida, bati a Liverpool; la Georgia et I'Alexandre, construits aussi a Li-
verpool. Ce dernier fut saisi le 5 avril 1863, et ce fut un commencement de satisfac-
tion donnée au gouvernement américain, puisque I'attorney general soutint que la
saisie était valable devant la Cour de l'échiquier, et plus tard devant la Chambre des
lords, qui lui ont donné tort.


2 Proclamation royale du 13 mai 1861.




QUATlUEME l'ARTIE. - PHUGHES ET DÉVELOPPEMENTS. 461
glaises, et que, sur le point spécialement en question, les Améri-
coins n'ont pas donné de mauvais exemples : témoin le cas du
Petit-Démocrate, sous la présidence de Washington, ceux du Gran-
Para et du Bolivar, pendant la guerre de l'indépendance dés colo-
nies espagnoles, et de la Santissima- Trinidad, apres la guerre
de 1812. Le Gran-Para et le Bolivar avaient été armés a Baltimore,
et la Cour supreme des Etats-Unis décida que ce seul fait, indé-
pendamment de ses conséquences, constituait une violation de
l'acte de neutralité. Il re8sort non moins clairement du pro ces
délicat auquel la Santissima-Trinidad donna lieu en 1820 que,
selon le juge américain, to~ü navire employé comme engin de
guerre est suscptible d'étre confisqué par le belligérant, et qu'en
outre, la puissance neutre a le droit de le retenir dans ses ports,
ou, s'il en sort, de 11ier la validité de ses captures 1.


La France avaít agi d'une favon plus correcte en proclamant
sur-Ie-champ sa neutralité 2. Au fond, cet acte de Napoléon III
ne partait d'aucune bienveillance pour la grande république, et
il est probable que, des ce momfmt, l'inepte souverain songeait
a cette expéclition ~u Mexique, ou il sut meler les conceptions
d'un esprit halluciné au désir de satisfaire des cupidités placées
presque sur les marches de son trone. Aucune entreprise n'étaH
mieux faite pour froisser les susceptibités et les sentiments bien
connus des Etats-Unis, et a peine M. Seward était-il sorti des
embarras de la guerl'e civile, qu'il faisait entendre aux Tuileries
des paroles impérieuses. A la lettre, il signifiait 3, a Napoléon IJI
qu'il faHait déserter au plus víte cette ceuvre insensée, que ses
flatteurs se plaísaient a donner pour un dessein grandiose et sus-
ceptib}ede rénover les destins de l' Amérique du Sud. M. Seward a
été obéi, et nos troupes expéditionnaires sont rentrées en France.
Seulement, elles avaient achevé de perdre dans la guerre de


i V. a ce sujet un tres-bon article de M. Auguste Laugel dans la Revue des Deux-
Mondes, année 1864.


210juinl861.
a Le mol ne paraitra pas inexact aux personnes qui allront seulement lu les dé- .


!Jcches de M. Bigelowa M. DrouYII de Lhuys, en date des 10 et 29 mai 1865; la dé-
pcche de M. de Moustier a 1\1. de Montholon en date du 16 octobre 1866; la déveche
de lll. Bige1aw.1 M. Seward sur le rapatriement de nos troupes (8 novembre 1866),
et la l'épOll~C tic 1\1. Scward (23 novembre 1866).




462 LES ÉTATS-UNlS DE L' AIUÉIUQUE SEPTENTRlONALE.
guérillas les grandes traditions tactiques que l' Algéri~ avait déja
largement entamées, et toutes les ressources de nos arsenaux ,
avaient été gaspillées pour aboutir a une humiliante re traite et a
la fusillade d'un malheureux archiduc. Au Mexique aussi, devait
atteindre le sommet des honneurs militaires I'homme qui a
capitulé a Metz, et dont I'un de ses compagnons d'armes, celui-
la meme qui devait recueillir les charges de son héritage amé·
ricain, signalait des lors le gout pour les intrigues occultes et
les desseins ténébreux.




LIVRE III.


Le territoire et la population des États-Unis; leur organisation
publique; leurs rorces morales et productives.


SOínmaire. 1. TERRITOIRE.: Les États en 1783 et en 1872; superficie et
dimensions.


n. POPULATION: Statistique et émigration ; AIlemands et Irlandais; le
Far-\Vest; les Indiens, les Chinois et les Noirs.


III. ORGANISATION PUBLIQUE: La justice fédérale; la justice locale; le
jury.


IV. ADMINISTRATION GÉNÉRALE: Fonctionnaires fédéraux; armée et
marine; finan ces ; les droits protecteurs.


V. ADMINISTRATION LOCALE: Le gouvernement ; la législature; sys-
teme fiscal; les travaux publics et l'assistance.


VI. LE SYSTEME COMMUNAL: Cities et Townships; cour des se.:i:'Íons; le
comté du Sud,


VII. RELIGION: Le catholicisme et son caractere aux États-Unis;
l'État et l'Église; sectes extraordinaire.,,; les revivals; caractere
du selltiment religieux.


VIII. INSTRUCTION PUBLIQUE: L'obligation, príncipe ancien mais non
universel; grands sacrifices pour l'instruction primaire; instruc-
tion secondaire et supéríeure.


IX. LITTÉRATURE ET SCIENCES: Théologiens; historiens, biographes,
archéologues; publicistes et jurisconsultes; romanciers et poetes ;
essayists, critiques et polygraphes; Franklin, Rittenhouse, Bow-
ditch et Rumford; naturalistes et anthropologistes.


X. INDUSTRIES DIVERSES : Division du travail et systeme des pa-
tentes; le coton; statistique et situation morale de ses ouvriers;
importations et exportations; navigation; sy~teme des banques.


XI. LES MINES: Production aurifere, argentifere, houillere et du
minerai de fer.


XII. VOIES DE COMMUNICATION; Canaux et chemins de fer; le rail-
way du Pacifique; importance qu'attache la démocratie a ces voies


Lorsque Franklin apprit que York-Town avait capitulé, il écri-
vit a John Adams ces paroles : « e'est de tout ruon creur que
« je vous felicite de ces glorieus.es nouvelles. Dans son ber-




46'1 . , . LES ETATS-UNlS DE L AMEBll.!UE SEl'TENTlllUNALE.
« ceau, l'enfant Hercule a étouffé son deuxieme serpent. 1 »


Les Etats-Unis ont eu en efl'et une meryeilleuse croissance, et
ce n'est plus a Hercule, c'est au géant Briarée que les amateurs
de comparaisons élassiques doivent aujourd'hui les comparer.
I1s conflnent aux régions glacées du pole arctique; ils ont franchj
les Montagnes· Rocheuses et sont assis sur les deux grands Océam
qui enceignent l'hémisphere occidental. Parmi les compagnom
du capitaine John Smith, parmi les pelerins de la May-Flower
qui aurait pu croire qu'ils allaient jeter, sur des cótes battue~
par la tempete et dans des déserfs ou erraiel1t quelques bordes dE
sauvages, les fondements d'une puissance dont les premien
progres ont fait l' étonnement du monde? I1s ne con~uren1
point assurément d'aussi hautes espérances;satisfaits d'avoil
trouvé un théatre moins étroit pour leur activHé aventureuse ou
un asile pour leur croyal1ces persécutées, ils entamerent la fore
vierge d\m bras robuste, et leut' vie s' écoula dans d'apres eL in·
cessants labeurs sans que le ,"oile d'un splendide avenir se dé·
chirat devant eux. Vers la fin du dernier siecle, quand l' Amé·
rique du Nord offrait déja les signes d'une société nouvelle
pUl'e de tout élément féodal, d'une société laborieuse et libre
Franklin, avec son esprit éminemment observateur, était en fac,
de persptctives moins lointaines et plus faciles a discerner
Toutefois, il est bien a croire que, mrme dans toute sa clair
voyance et dans toute l'excitation de son patriotisme, la vision de
destinées américaines ne lui apparut point dans son grandios l
éclat.


Al' époque ou elles s'insurgerent, les colonies ou les plantation
comme on disait alors, étaient au nombre de treize :Virginie, Ma
ryland, Massachusetts, Rhode-Island, eonnecticut, New-Hamp
,shire, New-Jersey, Ne.w-York, Pennsylvanie, Delaware, Caroliu,
du Nord, earoline du Sud, Géorgie. Aujourd'hui l'Union embrassl
37 états dont 24 se sont donc forrnés depuis l'émancipation. e,
sont ceux de Vermont(1791, détaché du New-York); Kcni¿w;lq
(1792, de la Virginie); Tennessee (1796, de la earoline N.); Ohi,


I Lord Mahon. lfist. of Engl' J VIII, 130. Le premier serpent était évidemmeTl
Gurgoync,




"'.:'. .. ~ I
QUA'fRIEME PARTlE. - !)ROGRES ET. DEVELOPPEMENTS. 465


(1802); Louisiane (1812); Indiana (fS16); Mississipi (1817, Géor:.
gie); Alabama (1817, Géorgie); Illinois (1818); Maine (1820) ;
Missouri (1821); krkansas (1836) ; Michigan (1837); Floride (1845);
Iowa (1846); Texas (1846); Wisconsin (1848); Cali{ornie (1850) ;
Minnesota (1858); Orégon (1859); Kansas (1861); Virginie occiden-
tale (1863); Nevada (1864) ; Nebraska (1867). Il faut y ajouter le dis-
trict férléral de Columbia el 8 territoires; New-Mexico (1850);
Ulah (1850); Colorado (1861); Arizona (1863); Montana (1863) ;
ldaho (1868); Dakota (1868); Wyoming (1868); Aliaska (1869), qui
n'ont pas de législature propre et vivent sous l'autorité des loís
que le Con gres leur donne.


Ces 37 Etats, ce district et ces neuf territoires couvrent une su-
perficie qui n'est pas moindre de 3,578,892 milles carrés. Ce chiffre
a lui seul ne dit pas grand'chose a l'imagination ; elle est frappée
davantage quand elle songe que le seul Etat d'Orégon l'emporte en
étendue sur l' Angleterre, le Texas sur la France, la Californie sur
I'Espagne, et qu'en découpant les Etats-Unis en portions égales, ils
formeraient cinquante-deux royaumes comme l' Angleterre et qua-
torze républiques comme la France. Qu'on s'imagine encore une
ligne tirée de Bruxelles a Kars, ou de París a Bagdad, et elle restera
inférieure a la distance qui sépare Washington d'Astoria, ou bien
New-York de San-Francisco. Nos plu¡:, grands flem"es 'sont de
minces rivieres a cOtó des cours d'eau qui sillonnent eette super-
ficie immense, et nos lacs les plus vastes de simples mares a coté
des mers intérieures qu'on appelle la-bas les GTeat Lakes. Le Mis-
sissipi est cinq fois plus long que le Rhin; le Missouri trois foís
plus que le Danube; la Columbia quatre foís plus que I'Escaut.
Réunissez ensemble les lacs de Garde, de Coniston, de Killarney,
le Léman,. le Loch Lomond, ils n'occuperont pas la dixieme
partie de l'espace couvert par le plus petit des cinq grands lacs
américains, et l'on jetterait dans.le gouffre du lac Supérieur la
Saxe, la principauté de Parme, ceBe de Cobourg,qu'elles n'y for-
meraient pas des Hes plus remarquables, eu égard a son immense
ñappe, que ne le sont ceBes qui embellissent les lochs écossais.
Enfin, bien que leur systeme orographique ne soit pas en général
considéré comme l'un des traits saillants de leur structure, les
Etafs-Unis possedent des chaiues telles que la Wasatch, dont le


30




466 LES ÉTATS-UNIS 'DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRWNALE.
L


nom est a peine connu en Europe et dont la masse, de meme
que la hauteur, est supérieure a celles des Alpes Juliennes, et la
Sierra Madre, plus connue sous le nom dé Montagnes-Rocheuses,
dont le plus petit pie reste inférieur au Snowoon et le plus haut
dépasse légfwement le mont Blanc, et qui court de M exico a r Amé-
rique anglaise, sur une distance égale a une ligne tirée de Lon-
dres a Delhi 1.


11
POPULATION.


l. - Statistique et Émigratio~.
La population double da,ns une période inférieure a vingt-cinq


ans, ainsi que l'attestent les recensements auxquels elle est sou-
mise tous les dix ans ~ :


Elle n'était, en 1790, que de. 3,929,827 habitants.
Et ce meme chiffre s'éleve pour1870, a 38,650,000 "
Cet accroissement tiendrait en quelque sorte du prodige s'il n'y


avait pour l'expliquer qu'une fécondité extraordinaire des ma-
riages et l' excédant des naissances sur les déces, quelque consi-
dérable que l'on puisse les supposer dans un pays ou jusqu'ici le
paupérisme n'a pas eu de prise et qui n'avait pas connu, avant
une époque toute récente, ces mi~es en coupe de l'lmrnanité qui
il'appellent les grandes guerres. Mais le vieux monde a envoyé au
nouveau une partie de ses déshérités, et depuis t 81 g, époque ou
pour la premiere fois on a commencé d'en tenir registre, les
Etats-Unis ont donné asile a un nombre d'émigrants qui n'est
pas inférieur a 7 rnillions et derni 3. Il s'en faut d'ailleurs que


t Hepworth Dixon : New America, 1, 10-13.
2 1800.' •


1810.
1820.
1830.
1840.


5.305.925
7.239.914
9;638.131


12.866.020
17.069.453


1850. 23.191.876
1860. 31. 443.221


3 7,753,865, d'apres l' Almanach de Gotha de 1871, qui a puisé aux sources de
l'American Year Book et des rapports publiés a Washington et qui a recu, en outre,
d'autres inf'ormations officielles. TI fau!. remarquel', d'ailleurs, que ce u'est que tout
récemment que les statisticiens de ""asi;ingt.on out commencé a distinguer entre les
émigrants véritables et les visiteUl's passngel's.




QUATRlEME PAllTlk':. - PIWGRES ET DEVELOPP.KMENTS. 467
toutes les nations qui ont concouru a former ce total y soient
représentées par des chiffres a peu pres égaux : tanrlis que la part
afférénte a la France n'est que de 245,000 hommes, et ceHe des
pa)"s scandinaves de 153,000, le cOlltingcnt de l'Allemagnes'éHwe
~. 2,368,000, et celui des iles Britanniques a 3,860,000, dont
2,700,000 Irlandais, et me me pres de 3 millions, si l' on tient
compte des enfants d'Eri11 qui commencent par s'installer au
Canada et se sentent ensuite attirés par la grande république f.


Cet énorme afflux d'Irlandais et d' Allemands n'a pas eu pour
l'Union que des conséquenc!es matérielles : ila produit encore
des effets moraux déja sensibles et destinés, avec le temps, a le
devenir davantage peut-etre. Lorsqu'il y a quelque quarante ans,
A. de Tocqueville et M. Michel Chevalier visitaient l'Amérique,
¡ls y retrouvaient tres-vivants les deux types, le Virginien et
l'Yankee, le marchand et le planteur, le puritaiu et le countl'y-
gentleman, dont les qualités et meme les travers, en s'unissant
et se juxtaposant, avaient imprimé au génie américain un cachet si
puissant et si original. Aujourd~hui, ces types sont obscurcis : ils
deviennent rares et menacent de disparaitre. L'imprévoyant et
tapageur Paddy, le brutal et cupide Allemand ont fait souche, et
les générations .qui s'éHwent connaissent des indisciplines, des
intempérances, des appétits étrangers a leurs peres. Encare
}'Irlandais est-il,lui aussi, de la famille anglo-saxonne, et c' est une
longue misere qui l'a surtout dépravé: il flnit par subir le double
ascendant des habitudes qui l'entourent et de son pl'opre sort
devenu moins précaire, tandis. que l' Allemand re~oit rnoins, parait-
il, de son nouveau rnilieu qu'il ne lui communique. Il est ven u
faméHque dans un pays qui ne refuse jamais au travail un large
bien.,.e.re, et il se gorge; iI était chez lui la proie des oppressions
féodales, et dans ce pays d~ vaste liberté, il se cabreo Des tyrans,
petits ou grands, de son sol natal, dont il n'ose se défaire et qu'il


f L'Alma1\ach Qe G:etha évalue le nombre de ce~X-0¡ a 284,491. Quant aux AUe-
wands, ~IH~lgré le~ cinq milliards qu;i1s, nous on~ yolés et la gloire dont Guillaume de
Hohenzollern est « tut guvert n, comme disait, en France meme, un général prussien
in ter '(Iocula, ils continuent d'émigrer en masse vers I'Amérique, et I'on dit qu'a "
Berlil!l on cofnmence a s'en émouvoir. Chose rem'arquable Ile plus faible contingent,
apres la Pologne et la Russie (8,023), est celui de I'Autricbe (9,398).




468 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTlUONALE.
aime mieux suivre docil~meIit a la guerre et au pillage, il a
gardé un souvenir amer. Ces miseres et ces íniquités lui out laissé
au crenr d'implacables rancunes, et dans les luttes journalieres
de la démocratie américaine, il a faít retentir des menaces et des
mots d' ordre, mutuellisme, greves, haine aux riches, guerre au
capital, qu'on n'avait pas encore entendus de ce cOté de l' Atlan-
tique. Sur plusieurs autres points, il a encore entamé la forte
armure de sa patrie nouvelle_ La sorte d'orgueil tumétlé qui est
propre au Teuton, et qui s'allie si bien a la bassesse, s'est greffée
sur la fierté anglaise, et le pédantisme allemand s'est marié a la
roideur puritaine. Le disciple d'Hégel a implanté la-bas son culte
de la force, son bete et grossier matérialisme, a la place de ces
nobles croyances dont les premiers Américains étaient heureux et
fiers, parce qu'el1es jaillissaient d'eux-memes et qu'aucune COIl-
trainte ne les ,avait forcés de les prendre ou de les garder 1.


2. - Le Far-west.


L'expansion des États-Unis vers le Fm'- West,qui s'est précipitée
dans ces derniers temps, avait déja fait surgir un nouveau type,
cebú du pionnier, de l'homme de l'Ouest. Un voyageur fram;ais,
qui est en meme temps un géologue instruit et un écrivain spiri-
tuel, M. Simonin, a rencontré, il y a quatre ans, dans le Colo-
rado des convois d'immigrants. Hommes, femmes, enfants, en-
combraient les routes, entassés, avec tous les meubles et tous les
outils du colon, dans des fourgons que trainait le breuf pesant ou


I
la mule aux longues oreilles. Le convoi marchait lentement,
souvent suivi d'une charrette chargée de planches, embryonde la
future log du pionnier. I1s étaient bien rudes et avalent un aspect
bien grossier ces hommes coiffés d'un feutre a large bord, a la
chevelure flottante, a la barbe inculte, aux grosses bottes de cuir
ou s'engouffre un large pantalon. Mais, en revanche, quels cal'ac-
teres virils, t1ers, indomptables! Quelle patience et quelle réso-


t Cabanis avait dit : « Le cerveau secrete la pensée;» l' Alleman!) a. ajouté : « De
me me que les reins sécretent l'urine. }) Voila le dernier mot de la philosophie hégé-
Henne, aussi proprement que complétement exprimé.




QUATm~~ME PARTIE. - PROGItES ET Dl~VELOPPEMENTS. 469
lution ! Personne ne se plaignaít: on De se trouvait pas bien, mais
on savait aussi qu'il était impossible de se trouver mieux. Oil
aHaient ces' hommes, ces femmes, ces enfallts, ces outils, ces
maisons ambulantes? Le plus grand f:ombre allaient peupler les
prairies du Colorado, planter leur bache dans ses forets vierges,
établir des usines sur ses cours d'eau. On se figure aisément les
conditions d'existence qui les attendent : il faudra qu'ils bravent
tour a tour un froid qui descend parfois aux degrés de la Sibérie,
une chaleur qui monte par moments a ceux du Sénégal; iI faudra
qu'ils s'exposent aux miasmes qui s'échappent des défrichements
et conquierent, par un labeur opiniatre~ incessant, non pas les
dou8curs, mais les simples nécessités de l'existence. Les autres
se rendaient a Cheyenne, locaJité ou quelques mois aupal'avant
les Peaux-Rouges campaient encore et scalpaient les blancs; oil
se dresse aujourd'hui une ville qui comptait déja trois mille ha-


" bitanfs, quand nofre compatriote la visita, et qui voyait sa popu-
hüion s'accroltre mensuellement d'un milliel' d'autres. Partout
l'etentissait le bruit de la scie et du marteau, partout s'élevaient
des maisons de bois, partout s'alignaient des rues coupées en
équerre. Ces rues, on n'avait pas le temps de leur chercher un
nom : c'étment les rues numéros 1, '2, 3, 4, ou bien les' rues A,
B, C, D; mais la ville avait possédé, des le premier jour, un
maire et un conseil municipal, deux imprimcl'ies, deux joul'nuux,
des boutiques de librairie, des banques, un Dureau de poste et
un télégraphe 1.


On a dit que ce flot d'émigrants, descendns des Alléghanies,
chassant, devant eux l'lndien, le bu.ffalo et 1'01l1'S, était pour la
civilisation ce qu'avaient é!é pou!' la barbarie les hordes d'Attila
et de Tcheúghis-Khan, c'est-tt-dire une armée d'jllvasion OU la
masse était tont et l'individu rien ou pen de chose 2. La vérité
est que dans le Far- West, chacun est habitué it se fairejustice a
soi-meme et qu'au début de ses villes, l'autorité puhlique se voít
clle-meme contrainte d'user de procédés sommaires, en vertu
de l'antÍque adage: Saltls populi sttprema lex esto. Un Anglais,


t Le F'ar- West américain, dans le Tour du Jlfonae ele 1868.
:1 l.ett. sur l'Arner. du Nord, 11, l. XXI.


..




470 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
qui a résidé quelque temps a Deuver, la cité des plaines, M. Hept-
worth Dixon, IlOUS apprend qu'a l;origine ce n'~tait qu'un
affreux repaire ou, sur dix .. maisons, on pouvait compter deux
débits de liqueurs et un mauvais lieu. Il n'a fallu rien moins
que l'indomptáble énergie de deux hommes, William Gilpín,
le fondateur du Colorado, et le shériff Robert Wilson pour
introduire a Denver quelque ordre et quelque sécurité. Sous
leut impulsio~, des comité~ dits de vigilance se sont mis a l'mu-
vre, et ces tribunaux occultes et irresponsables ont délivré le
pays des malfaiteurs les plus notoires et les plus dangereux: L'as-
pect de Denver a déjil bien changé; il ehange tous les jours, et
l'arrivée d'une douzaine de dames anglaises ou atnéricaines parait
avoi1' plus fait pour eette amélioration que toute la sévérité du
shél'iff Wilson et meme le génie administratif du gouverneur
Gilpin. Ce n'est pOillt a dire que Denver soit soudainement devenu
une cité bien policée et bien paisible; mais du moins les jeunes
dieux Norses, a~nsique M. Dixon appell~ ses premiers habitants,
commencent a ressentir de la honte quand il leur arriv~encore
de jurer devant une dame, ou de tirer leu1's coutelas en sa pré-
sence '.


3. - Les Indiens.


Les Indiens Sioux, Pawnees, Cheyennes, infestent les plaines
qui entourent Denver, toujours prets a fondre sur les ranchos
isolés et a massacrer leurs aventureux occupants. A u commen-
cement de ce siecle, on évaluait eneore a 650,000 le nombre des
aborígenes répandus dalls toute l'Union américaine 2 et, en 1863,
ce nombre était presque réduit des deáx tiers 3. Evidemment, ces
premiers occupants du sol américain disparaissent, a mesure que
les blancs s'avancent et que le gros gibier fuit a leur approche 4,


f New America,I, ch. Xl et XII.
2 Volney. Tableau du climat et du sol des Etats-Unis de l'Amérique du Nord,


. n,484. .
3 Les statistiques d'alors évaluent a '268,079 les Indiens non cornvris dans les re-


censements.officiels. Le chiffre indiqué dans le recensement de 1860 était de 294,331.
4 L'émigration du bison devant les progres de la culture est un fait bien des fois


signalé, notamment par Volney (1,370) et par le général Cllss, dans son célebre
rapport sur les tribus indiennes, du 24 février 18'29.




QUA.TRI:EME PA.RTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 471


et nl111e part plus que dans l' Amérique septentrionale, on n'a eu
la preuve irrécusable que les peuples de souche anglo-saxonne,
tres-habiles a créer, au se in des sociétés barbares, des sociétés
a leur propre image ne sont, pas capables de s'assimiler les races
vaincues et préferent les exterminer l.


Des traités solennels, conclus en 1799, avaient reconnu aux
Creeks et aux Cherokees de la Géorgie et de l' Alabama la posses-
sion paisible de leurs anciens territoires, et on les avait vus se
fixer, devenir cultivafeurs. Les C»erokees étaient mellle al1és plus
loin: ils avaient créé une langue écrite, établi une forme de gou-
vernement assez stable, fondé enfin un journal dont Tocqueville
apporta des exempIaires en France 2-. La mauvaise volonté' des
États, surtout des États du Sud,. que le Congres n'a pu contenir
alors meme qu'il l'a voulu, a rendu ces traités illusoires. Ainsi
en 1830, la législature du Missíssipi assimilait aux. bIancs les
restes des Choctaws et des Chickasas qui habitaient encore son
territoire, et punissait d'une amen de de mille dollars le fait de
revetir le titre de chef. Déja celle de la,Géorgie avait dépossédé
les Cherokees, et qtiand ceux-ci tirent entendre au Sénat leurs
i'éclamations et leurs doléances, il se trouva un membre de cette
assemblée pour soutenir que ni l'ancienne possession, ni les
traités écrits ne conféraient aux Indiens le 11l0indre <1roit sur les
terrains compris dans les limites actuelles de l'Union américaine 3•
Cette meme législature avait interdit aux blanes de se fixer sur
le territoire des Indiens : les missionnaires qui enfreignirent cette
défense se virent arretés en 1831 et condamnés a quatre ans de
travaux forcé s (hard labottr) _ Il est vrai que, l'année suivante, la
Cour supreme cassa ce jugement; mais le général Jackson ne
rendit pour protéger les Indiens aucune mesure effective, et ils
prirent le parti d'émigrer au deHt du Mississipi. Les Creeks de


i Nous trouvolls ce point de vue eL celni qui lui est 'corrélatif, 11 savoir le génie
con<¡uérant et assimilateur des races latines, tres-bien développés dalls un livre sur
les républiqlles de I'Amérique mérldionale, publié en 1861 11 París et qui aurait bien
mérité I'honneur d'une traduction. II a pour 3uleur M. José Semper rt. pour titre :
Ensayo sobre tas revotuciones politicas y La condicion social de las republícas
Colombinas. .


:.l La démocratie en Amérique, éd. Pagnerre, J, 400.
3 Rapport de M. BeH au eomité des aITaires indiennes, 24 février 1830~, ,~~~;..;:::"~.
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472 LES ÉT.US·U;\IS DE L'.HIÉfUQUE SEPTENTnIO:'{ALE,
l' Alabama ont s.uivi cet exemple a la suite de la guerre de 1836,
dont les motifs ont fait peu 'd'honncur aux blal1cs et qui provo-
qua l'indignation de Washington Irving, comme eeHe de John
Quincy Adams, l'ancien président. Aujourd'hui, ce qui reste
d'lndiens sédentaires est presque exclusivement concentré dans
la Californie, l'Orégoll, l' Arkansas, le Minnesota, et leur nombre, •
qui était encore en 1836 de 82,000, est tombé á 25,000, selon
le recensement de 1870,


Les ethnographes ont signalé entre les Américains modernes
et les Allglais leurs ancetres des distinctions qui se produisent .
au bout d'un petit nombre d'années, et les voyageurs ont retrollvé
l'angle facial de l'Iroquois bhez certaines familles de New-York
ou du Kentucky dont le sang e~t toutefois resté pur uepllis un
siecle ou deux, et dont l'établissement, sur les bords de l'Ohio,
est fort ancien l. M. l'abbé Brasseur de Bourbourg, qui a fait
cette remarque, en ajoute UIle seeonde : e'est que de ces familles,
les unes semblent avoir emprunté la fierté et l'esprit rusé du
guel'rier des Six-Nations, les mItres, la rudesse, la franchise,
l'indépendance de l'Illinoís et du Cherokee, Que ceux qui s'ima-
ginent que l'action du blanc sur l'Indien a été prépondérante, dit
a son tour l'auteur de la lVot/;velle-Amérique, viennent dan s ces
plaines, ou ils vivent cóte a cóte en fort mauvaise harmonie, et
il s'assurera que chacun d'eux a pris les vices de l'autre, et que
si l' lndien surpasse aujourd'hui son frere pale en débauche, le
blanc est devenu a son tour l'égal de son frere rouge en férocité
et en fourberie. L'Yankee a enseigné a l'Indien a boire le whisky,
et l'lndien a enseigné la polyga mie a l'Yankee. Presque tous les
trappeurs et les yoituriers qui ont longtemps vécu chez les
Peaux-Rouges ont plusieurs femmes, et eomme un chef indien
le disait au colonel Marcy: « Dans la plaine, le premier besoin
d'un Yankee est l'abondance de femmes. »Quelques-uns de ces
hommes, tels que le vieux Doríon, dont Irving a tracé une si
pittoresque peinture, ont perdu dans ce commerce intime et


f Histoire des nations el des peuples civilisés du Mexique, etc., 1, 8. M. Ra-
meau, "M. Elisée Reclus, M. Desor confirment C~ témoignage. A ces traits d'em-
prunt, Smith et Carpenter ajoutent l'allang¡e.ment du cou, Edwards l'augmentation
de taille.




QÚATIUEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 473
prolongé avec les' sauvages toutes les habitudes de la vie ciyilisée,
et l'on a montré a M. Dixon un nommé Jack Dunkier, de. Cen-
tral City, qui avait scalpé cinq Sioux. Ces faits et d'autres de
me me sorte ne sont ni nouveaux, ni discutables; mais permet-
tent-ils d'en induirc, comme le fait ce voyageur, qui ne se défie
point assez d'un certain penchant au paradoxe et aux généralités
hatives, par cela meme, peut-etre, qu'il a un esprit tres-réel et
tres-original, «qu'a la lettre, dans l' AmériqueblanclJe, l'influence
« des Peaux-Rouges se fait largement sentir, et dans la sphere des
( institutions el dans ceHe de la pensée. )) n nous pal'ait surtout
difficile de croire que le gouvernement fédéral des États-Unis et
la théorie des droits d'États soient des emprunts faits a la ligue
des Six-Nations, s'il nous est a la rigueur possible d'admettre que
l'exemple des lndiens et de leurs nombreuses squaws n'a pas été
sans influence sur les habitudes polygames de certaines sectes f.


4. - Les Chinois.


Depuis que la Californie fait partie de l'Union, celle-ci a re<;u
un afflux de rae e jaune, et les fils du Céleste Empire y comptent
aujourd'hui pour environ 100,000 hommes dans le chiffre de la po-
pulation totale. Ces hommes sont des bouddhistes, des polygames
et pratiquent I'infanticide, dit M. Dixon, et déja il voit. en perspec-
tive un temple de Bouddha s'élever en Californie, dans l'Orégon,
le Nevada et l'une de ces guerres du travail ou la victoire n' est
pas toujours le privilége du fort surgir entre les deux faces, l'une
qui se nourritde bceuf, l'autre qui s'alimente de rizo n ~'imagine
ces hommes a lorigue queue et aux yeux obliques, choisissant les
juges, formant les jurys, interprétant les lois, tenant la balance


. -


des partis. C'est a11er vite en besogne. Il est vrai qu'adorer
Bouddha ne serait 'pas, aux termes de la constitution, sinon dans
son esprit, un obstacIe a ce qu'il se forma! en Amérique des Etats
chinois; mais il reste la polygamie, et la fa<;on dont l'autorité fé-
dérale regarde le mormonisme ne donne pas lieu de cruire qu'elle
soit bien disposée a la favoriser et a l'étendre. On peut d'ailleurs


f Neto /m~rica, 1, chnp. n.




474 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
aisément se rassuret quant aux suites de cette invasion de la race
jaune que notre voyageur prévoit et redoute peut-etre. Le Chinoi8
n'émigre jamais sans une arriere-pensée de retour, et quand il é
fait sa fortune, métier, pour le dire en passant, que personne n'en-
tend mieux que lui, il faut que t mort ou vivant, il revoie les tours
de porcelaine dú pays natal et ses houris aux pieds comprimés.


Eil attendant, il remplit aux États-Unis une foule d'offlces
qui restent généralement dan s d'autres pays le lot des remmes,
lavant le linge, faisant les lits, promenant les enfants, et ren-
dant ainsi service aux blancs riches, assez empechés de trouver
des serviteurs femelles de leur couleur dans un pays ou le recen-
sement de 1860 accusait pour la rae e blanche un exces de
730,000 males. n n'y aurait la en somme qu'un inconvénient
assez minime, si ce fait, qui n'avait son pareil en Europe que dans
les anciens Etats pontificaux, n'entrainait pas nécessairement de
graves perturbations dans les rapports sociaux et l'économie
meme de la société 1. La grande loi économique de l' offre et de la
demande a trouvé une vérification sur ce terrain comme sur les
autres : elle a rendu les jeunes misses américaines arrogantes
et vaines, et il ne répugne nullement d'expliquer, en grande partíe,
par cette circonstance l'inquiétude d' esprit dont elles semblent
tourmentées, et qui les pousse a débattre tour a tour la mission
de la femme dans la socitété, son role dans l'histoire, sa place
dansia création, comme a s'éprendre des plus choquantes théo-
ries sur l'amour libre, la promiscuité, le mariage naturel et la
maternité artistique. Une jeune et charmante femme de Provi-
den ce, cet asile ouvert par Rogel' Williams a la libBrté de cons-
cience et cette ville qui est un modele sous bien des rapports,
n'a pas médiocrement scandalisé M. Hepworth Dixon, en lui décla-


- .


t Selon ~l. Dixon, iI n'-y anrait que le MaryIand, le Massachusetts, le New-Hamp-
shire, le Ne\v-Jersey, le New-York, la Caroline du Nord, Rhode-ls\and et le district
de Columbia, tous vieux établissements, OU les males l'emporteraieut sur les remmes.
Dans quelques-uns des territoires de l'Ouest, la disproportion peut bien effrayer le
moraliste: en Californie, on compte trois hommes pour une remme; dans le Nevada,
huit horomes contre une femme, et dans le Colorado vingt contre une. Ce qu'il y a
de plus singulier, c'est qu'il se trouve aussi plus de Chinois que de Chinoises,
plus de guerriers indiens que de squaws. Seuls les negres oflrent un léger exces
dans la population féminine (New America, 11, chapo m).




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES 'ET DÉVELOPPEMENTS. 475 ,
. ,


tant «que le premier devoir d'une femme était d~ paraitre
« belle aux yeux de son mari, et que, la gestation et la lactation
« étant faítes pour la rendre désagréable et laide, le mieux potir
« elle, c'était de n'ayoir point de nourrissons et d'enfanis 1. »


5. - Les Moirs.


On ne compte pas moins aux États-Unís d' environ 5 millions
de noirs ou de métis '2, soit presque un huítieme de la population
tot&le. Livrée a elle-meme a Liberia, sur ,la cote d' Afrique Oil
dans rancien ~aínt-Domingue, cette tace n'a pas faít preuve, il
faut l'avouer, d'aptitude pour la civiUsation et la liberté; il s'agit
maintenant de savoir ce qu'elle saura faire dans ce milieu de
l' Amérique, dífférent a tant d' égards de tous les autres, environ-
née de races énergiques et capables de rélever et de l'instrulre,
surtout sí elles voulaient abjurer les dernieres répugnances qui
les éloígnaifmt des fils de Sem. Placé nous-merne pendant quatre
années en contact avec les noirs des Antilles, avant et apres ~ur
émancipation, nous n'avons jamais reconnu chez eux les signes
d'une déchéance irrémédiable et cette S01'te d'idiotisme incurable


,


auquel certains ethnologues ont vOlllu les condamner san s appel.
Chez ces malheureux, il y avait selon nous de l'engourdissement
mais non de l'impuissance; un abétIssement trop fa cHe a con ce-
voir apres tant d'années de dégradation et de servitude, mais non
une stupidité organique, et ce qui se passe actuellement aux
Etats-Unis est de nature a fortifier ces impressions, loin de les
cont"redire. Rien ne vaut sur un pareil sujet le témoignage
d'hommes imparliallx, quí ont vu de leurs propres yeux et enten-
du de lflurs propres oreilles: eh bien 1 on nous montre en Amé ..
rique des noirs déja riches et instruits, des noirs avocats et des
noirs prédicateurs ; on nous introduit dans ces écoles d'anciens
esclaves ou le vieillard de soixante aIis s'essaye a l'écriture, tan-
dis qu'ases cótés legamin de dix ans épeIe son A B C. Il y a
dan s un des hótels de Richmond un gar<;on de sfille nommé Elie


f New America, Ir, chapo xxv.
24,859,193 selon le dernier recensement,




47G LE~ Í~TATS-U~[S DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIO~ALE.
Brown : tandis qu'il était encore esclave, il apprenait a lire secre-
tement et sous la crainte quotidienne du fouet, et des qu'il a été
libre, il s'est mis a l'écriture. On lui demandait un jour s'il ne
désirait point devenir électeur : « Pas pour le moment, » répon-
dit-il. « Je ne sais pas encore assez de choses; dans Vidgt ou
« vingt-cinq ans, nous verr~ns. » Par malbeur, rien n'a la vie
plus dure qu'un abus, si ce n'est un préjugé peut-etre. Depuis la
fin de la guerre, tout negre peut prendre place pour son argent
dans les voitures publiques, mais sur les chemins de fer de l'Obio,
on lui réserve des compartiments séparés. En Virginie, les regle-
ments de police stipulent que le noirpeut entrer dan s tel wagon
qu'il luí plait. Mais quel negre ose se meler a la compagnie des
blancs? « Sam aime sa liberté, et par moments il ne lui déplait
« pas d'en faire parade au nez et a la barbe de son ancien maUre.
« Mais il aime aussi sa peau, et dans un pays oa chacun porteun
« revolver et s' en sert au'ssi librement qu'un Allglais de son porte-
« cigares, Sam sait jusqu'ou il peut alIer et le point ou il convient
« de s'arreter. Un bout de papier ne change pas les habitudes, et
« le jour d'un cornmerce parfaitement libre et amical entre leR
« blancs et les negres, ,ce jour est encore lointain l. »


III


ORGA~ISATIO~ PCDLIQlJE.


l. - Autorité judiciaire fédérale.


On a déja dit que le pouvoir judiciaire était représenté, dans sa
plus haute expression, par une Cour fedérale supreme que ses
attributions rendent gardiellne du pacte fédéral et interprete de
la constitution et des lois. Cette cour se compose d'un premier
juge qu' on appellechie{-jusliceetde buitassesscurs, qui re<;oivent un
traitement l'un de 6,500, les autres de 6,000 dollars, et qui sont
nommés par le président de la République, sous l'approbation
du Sénat. Ces magistrat.s· gardent leur titre tant qu'ils se eon-
duisent bien: Dttring good behaviour, pour employer l'expression


I New America, lf, XXVI.




QUATRIEME PATITIE. - PHOGHES ET DÉVELOPPEMENTS. 477
anglaise. Le Sénat' a seul qualité pour les révoquer I et depuis
1789 il n'a encóre usé de ce droit que dans trois circonstances.
eette cour tíent chaque année, aú siége rneme du gouvernement,
une session qui court a partir du prernier lundi de décemure.
Elle envoíe, deux fois par an, 1'un de ses magistrats présider des
cours de circuit, devant lesquelles se portent les affaires crimi-
nelles et qui ont la connaissance des délits cornmis en pleine mer
et de ]a validité des prises. Le magistrat qui préside la cour de
circuit est assisté par le juge de la cour du distr'ict, et cette der-
niere tíent habituellement ses sessions quatre fois par an J.


2. - Autorité judiciaire Iocale.


Chaque État a ses cours de justice propres, quí forment deux
degrés de juridiction et qui s'appellent, l'une la Cour supfcme ou
supérieure de l'Etat, l' autre la Cour dL¿ cornté, ou du district, dans
les États. peu nombreux OU cette derniere dénomination a pré-
valu 2 • Le New-York et le New-Jersey ollt en outre leur Cour d'er-
reu1', au civil et au criminel. Dans le dernier de ces Etats, e.11e
~xerce le droit de grace et s'appelle Cour d'erretW' et de pardon. Dans
quelques circonstances, ces tribunaux connaissent des cas relevant
en príncipe de la juridiction fédérale. e'est ainsi que les cours du
comté du New-York, de la Pennsylvanie et de rOhio exercent des
poursuites en matiere- fiscale et prononcent des amendes. Au 8ur-
plus, il y a pres de chaque circonscription fudiciaire un officier
public qui est chargé de suivre les causes ou le gouvernernent
fédéral pourrait etre intéresse 3. Les Arnéricains ont d'ailleurs
emprunt~ a?x Anglais l'institution des juges de paix, en lui lais-


i On cornptait, en 1863, cinquante cours de district.
2 Quam.l M: Michel Chevalier visitait les États-Unis, elle n'était en usage que dan s


la CaroJine du Sud. Dans la Louisiane, on appelait paroisses c~ qu'ailleurs 00 nOffi-
mait comtés ou districls.


3 D: Thomas W. Evans. Lettres d'un oncle a son neveu sur le gouvernement
des Elats-Unis. Paris 1861. On remarquera que les cas de délégatioo sont sans irn-
portance. La Cour sllpreme a décidé qu'aucune part de la juridiction crirninelle n' en
est ~lIsceptible et que la juridiction concurrente o'est adrnissible que dans le seul
cas ou les COllrs d'ul1 Etat en aurait joui avant la constitulion (Story. Commenta-
ries, m, 615-6(9). ' .




478 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTl\10NALE.
sant toute l'importance qu'elle possede Cnez ceux-ci et en les me-
lant, en outre, d'u~e fa~on intime a l'administration proprement
dite. Ce sont les gouverneurs d'Etats qui nomment les juges de
paix et désignent trQis d'entre ellX pour former, dans chaque
CO.p1té, ce qu'on apPelle la Cour des sessions, tribunal dont le role
apparaitra quandil sera question de l'organü;ation municipale.


L'institution dll juge varie d'~tat ~ État. Elle a lieu tantót par
les assemblées électorales, tantót par les pranches réunies de la
législature~ AiHeR\'~) c'est le gouvernement qui nomme les juges,
sous l'autorHé du Sénat, o~ de la 'sienll6 se~le, comme dans le
Vermont. Un seul État leur a conféré l'inamovibilité d'une fa~on
expresse: c'est le Delaware; mais dans les autres, ils jouissent
toutefois d'une inamovibilité réelle, grace a la disposition qui les
maintient en fonctions tant qu'ils se conduisent bien, et il fa.ut de
grands méfaits, semble-t· il, pOl.lr que cette borme conduite paraisse
avoir cessé. Ce peuple, en effet, professe pour la loi un culte vé-
ritable, et ce culte il en transporte une partie aux instruments ~t
aux organes de la loi. Les juges de la Cour supreme $ont traités a
Washington avec un respect extraordinaire qu'on a comparé a
celui qu'obtenait jadis un cardinal aRome: il n'est pas jusqu'au
plus petit magistrat électif qui ne soit l'objet pendant les 3, les
5, les 7, les 10 ans de son investiture d'une déférence universelle
et trop souvent peu méritée. Tous les vices inhérents a l'élection
directe de la magistrature par le peuple se sont manifestés, sur
une large échelle, en Amérique t. Un ignoble chief-jt¿stice a terri~
fié la ville de New-York, et s'est fail le complice d'un homme que
son épouvantable audace et son irnmense fortune avaient mis au-
dessus de toutes les lois comme de tous les devoirs, et il y a peu
d'années seulement qu'un jury acquittait a Pottsville, dans la
Pennsylvanie, l'auteur d'un assassinat commis en plein jour et·
en pleine rue. Jamais crime ne fut plus patent; mais le coupable
était Irlandais et membre de la société secrete qui s' appelle les
Jfolly i1Iaguires; 01', il existe dans le bassin houiller dont Potts~


f Ajoutons que les meilleurs esprits, Story. Kent, le Dr Paley, M. Ezra Seaman
s'accordent ii la condamner. Story est (res-explicite, el dit en touies leUres qu'il me-
sure que la liberté s'éter.dra, le systeme ~~ l'inamovibilité s'étendra également
(Commentaries, etc., m, 467).




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPE}l.lNTS. 479
ville est le centre soixante milles mineurs qui étaient Irlandais
corome l~i, Molly Maguires comme lui. Ils avaient élu le magis-
trat qui présidait le jury devant 'lequel parut William Dunn et ce
jury lui-meme. Les témoins, Irlandais et Molly Maguires, jure-
rent que leur compagnon se trouvait le jour du crime a soixante
milles de l'endroit ou iI avait été commis. Le défenseur ex-
posa qu'il s'agissait d'un de ces cas de fauss€ identité si nombreux
dans les annales judiciaires; le président résuma les débats dans
ce *,ens, et bientot le jury rapporta' un verdict de non coupable :
noe guilty 1.


3. - Le Jury.


Les Américain.s, plus encore que les Anglais peut-etre, régar-
dent le jury comme la pierre angulaire de leur édifice juridique,
et Story n'a pas omis de mentionner ce mot de Blackstone « que
«(Montesquieu, en rappelantque Sparte,Rorne et Carthage avaient
« perdu leurs libertés et que l' Angleterre pourrait aussi perdre la
«( sienne, ne s'était pas souvenu que ces républiques n'aváient pas
« connu le jury 2 »). La constitution l'a formellernent décrété dans
tous les cas de poursuites crirninelles-et l'a rnaintenu, p1'eserved,
pour les actions de droit cornrnun 3. Parlez aux légistes pennsyl-
vaniens du cas de Pottsville, iIs le déploreront, mais sans y trou-
ver une raison suffisante d'ébranler la moindre des garanties dont
la!loi arnéricaine entoure un accusé. « Ces rnineurs de Pottsville, »
disait le brillant rnaire de Philadelphie d'alors, «sont des horn-
« mes qui chez eux payaient leurs rentes avec un gourdin ; chez
., BQ,Us, e' est avec un pistolet qu'ils sollicitent un cholUage,. et une


rO. ,


« tórche a la main qu'ils réclarnent une avance de salaire. Mais,
« leurs enfants, élevés dans nos écoles et fa~onnés a notre appren-


• New-America, 11, 246.
2 Commentaries on 'he ameriéan constitution, 111, 654.
3 Amendements VI el VII. L'illustre criminaliste Edward Livingston reprochait


précisément a la législation premiere de la Louisiane de I'~voir laissé a l'option des
parties en matiere civile, et meme en matiere criminelle, sanf les -cas capitaux
(Exposé d'un systeme de législation criminelle pour l'Etat de la Louisiane et
pour les Etats-Unis d'Amérique, n, 77). 11 faut remcrcier Milo Guillaumin, qui au
~urplus est coutumiere du fait et continue si bien les tradilions de son regrcttable
pere, d'avoir tout récemment recueilli les précieux travaux de Livingston.




480 LES ÉTATS' UNI!,; DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« tissage, seront un jour de bons et riches Américains qui sauront
« a peine qu'il existait jadis des Molly Maguires auxqu.els appar-
(e tenaient leurs peres l.» . Sans contredire a ces espérances de
M. Michael Norton, on conc;oit cependant que les législatures,
dan s le silence de la consti~ution qui n'a établi pour le jury aucune
regle générale 2, aient cherché des moyens d'app'roprier l'institu-
fíon aux exigences de la morale publique et aux convenances
d'nne bonne justice. Elles sont parties, i1 est vrai, du principeque
tout électeur est également juré; mais l'on sait qu'en Amérique,
la capacité électorale est le plus souvent assujettie a des condi-
tions restrictives et qui en France ne laisseraient pas de paraitre
bien rigoureuses. Partout on exige un domiciJe dant la durée va-
rie de trois mois a deux ans. Dans quelques Étáts, la Virginie par
exemple, il faut avoir un Freehold d'un revenu de 25 dollars ou
bien un bien de valeur équivalente en bail pour cinq ans. Dans le
Rhode-Island, l'électeurdoit payer un dollar de taxes, et ce chiffre
allait jusq u'a quinze dans le Caroline du Nord. Enfin a New-York,
pour étre juré, il ne sumt pas d'étreélecteur; on doit encore rem-
plir certaines conditions qui sont censées correspondre a plus de
capacité et de moralité. D'ailleurs ce n'est point, comme en An-
gieterre, un ofticier du pouvoir exécutif 3 qui dresse la liste des
jurés. Ce soin est confié a des magistrats électifs : les selectmen,
dans la Nouvelle-Angleterre, les supervisors, dans )e New-York,
les trllstees dans l'Ohio, les 'shéri(fs de paroisse dans la Loui-
Slane.


I New America, 11, XXVII.
2 V. les Commentaries de Story, m, G28·648, 652·659, et les lois fédérales de


1789, 1800, 1802.
3 Tout en blamant ce systeme, Livingstone s'est plu a énumérer les correctifs qui


le rendent peu dangereux en Angleterre, la désignation par le sort de chaque jury;
la faculté de récusation, qui est exercée avec une telle latitude qu'elle déconcerte et
neutralise toutes les pratiques de la corruption; enfin et surtout la force de l'opinion
publique (Exposé d'un systell'~e de législation criminelle, etc., 11, 7\)-80).




QUA'rmErtlG PARTlE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 4tH


IV


ADMINISTRATION GÉN}1~RALE.


1: - Fonctionnaires fédéraux.


Les Américains aiment grandement a faite leurs affaires par
eux-memes, et se gardent d'abandonner a leurs gouvernants
une liberté d'allures qu'il est si racile de retourner contre eeux
memes qui vous la donnent. I1s ignorent les « bienfaits» de la
centralisation, ce moyen chanceux de faire par occasion de
grandes choses, ce 1l10yen assuré d'userles ressorts habituelsde
ces choses et d'en tarir les sources permanentes. 11 est vrai qu'a son
aide, on parvient facilement, ainsi que l'a si bien dit Tocqueville,
« a soumettre les actions extérieures de l'homme a une certaine
« uniformité extérieure qu'on finit par aimer pour elle-meme
« indépendamment'des eh oses auxquelles elle s'applique, comme
« ces dévots qui adorent la statue, oubliant la Divinité qu'elle
« représente. » Il est vrai encore que la centralisation « réussit
« sans peine a imprime! une allul'e réguliere aux afi'aires cou-
« rantes, a régenter savammcr,lt les détails de la police sociale, a
« répl'imer les légers désordres et les petits délits ; a maintenir la
« société dans un statu quo, qui n'est a proprement parler ni une
« décadence ni un progres ; a entretenil' le corps social dans une
« sorte de somno.lence que les administrateurs ont la coutume
« d'appeler le bon ordre et la tranquillité publique. En un mot,
« elle excelle a empecher et non a faire J, ») et vienne l'une de ces
circonstances ou l'immense machine a besoin du concours uni-


, verse], on est tout surpris ue la faiblesse de ses rouages; on la
voit rester' inerte et se détraquer morceau par morceau.


1l faut bien se convaincre, dit encore l'illush:e publiciste, qu~il
n'y a'rien de plus difficile a con ten ir et a diriger qu'un pcuple de
solliciteurs, qu'un peuple ou regne la manie du galon ofticiel, et
cette manie ne figure point parmi les moindres des causes qui


t De la démocratie en .I1mérique, J,' 109-110.




482 LES ÉTATS-UNI~ DB L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
entretiennent en France l'incertitude des esprits et l'instabilité
des institutions. Le gouvernement. quoi qu'iI fasse, ne parvient
jamais a rassasier les appétits exeités par lui-meme, et chaque
fois qu'il jette a de Ilouveaux fonctionnaires quelques miettes
mesquines de son large budget, iI crée de nouveaux embarras a
l' ordre social, en se ménageant a lu~-meme des frondeurs et des
ennemis secrets. De l'autre cóté de l' Atlantique, cette vérité n'est
pas mise en doute, et a 'une époque ou le roí Louis-Philippe áis-
posaü d'en\'iro~1140,000 places, ou l'humble garde champetreet
le facteur rural, plus humble encore, tenaient leur cornmission
d'un ministre, les emplois auxquels le président des- Etats-Unis
pOllvait pourvoir n'atteignaient pas le chifl're de 40,000, dont 16
pour l'armée, la marine, les affaire s indiennes, et les autres répar-
tis entre les trois grands services fédéraux, les douanes, les
po~tes, les monnaies 1. Tandis que ch,acun de nos ministeres
comptait les employés par centaines, il suffisait a Washington
d'employer 14 hommes pour assurer l'important service des
afI'aires étrangeres, et dans tous les départements ministériels, la
meme concentration de besogne se faisait remarquer.


Sur le chapitre des traitements, la différence entre les deux pays
n'était pas moins sensible: chez nous on gorge le haut fonction-
naire, le ministre, l'ambassadeur, le conseiller d'Etat, le préfet,
l'éveque, et au petit commis, a l'humble scribe, on donne une obole
toutjuste suffisante pour qu'il puisse manger du pain et nepas cou-
rir les rues en pantalon rapiécé. En Amérique, leprésident touche
25,000 dollars, et le mieux rétribué des ag~nts diplomatiques ou
consulaires seulement9,000. Parcompensation, les emploislesplus
infimes vont a 600 dollars, et les emplois intermédiaires varient de
800 a 2,100 2 • En un mot, les Américains emploient peu de monele
a leur besogne publique, qu'ils ont simplifiée el ramenée a ses
termes .les plus concr~ts; mais ils rémunerent leurs fOIlction-


f Ce sont les chiffres donnés par M. Miche\ Chevalier. 11 comptait, il est vrai¡
31,917 employés des postes, mais en faisant remarquer qu'U n'y en avait qu'un tiers
qui fussent Post-Masters, et que les autres n'étaient que des agents nommés par les
Post-Masters, tout service postal étant assuré par la yoie de I'enireprise.


2 Ce sont les chiffres donnés par Tocqueville pour le ministre des affaires étran-
geres. Au département dr. l'intérieul', le maximum des emplois intermédiaires était
de 1,500 dolIal's et celui des emlliois supérieurs de 3,000.




QUATRI:EME PARTIE. - PROGRES ET VÉVELOPPEl\1ENTS. 483
naires d'une fa<;on cOIlvenable, en évitant avec soin ce scandale
que tous les gouvernements jusqu'ici ont donné en France d'une
hiérarchie opulente en haut, besoiglleuse en bas 1.


2. - Armée et Marine.


L' A mérique n'a pas h propl'cment parler d'armée permanente,
,


car OIl ne peut dOIlIler ce nom aux 8 ou 9,000 hommes de troupes
régulieresqu'ell~ alongtemps entI'etenus; pas meme, eu égard a
&ª population et a l'immensité de son territoire, aux 32,000 qu'elle
ti!=llldra désormais sur pied, d'apres sa nouvelle loí milítaire 2.
A la place de cet établissement quí a coÍlté a ]a vieille Europe et
lui cOllte encare des milliards et des milliards consommés dans
la plus improductive des dépenses, la constitution a institué un
systeme de milices provinciales, en chargeant le Congres de les
organiser et de les discipliner. Il ne paraissait guere y avoir réussi
a la veille de la grande guerre civile. Quoique la loi eut réduit a


. <;les proportions tout a fait dérisoires le chiffre des jours d'exerci-
ces, il y avait unanimité pour se plaindre, et l'on voyait dans les
campagnes les citoyens braver l'amende infligée aux réfractaires,
et dans les viHes, se rendre aux manreuvres, pour les ridiculiser,
avec d.es costumes grotesques et armés de sabres de bois ou de
manches a balais. Les négociants, les boutiquiers, les ouvrier.s
s'él~vaient contre la loi, au nom du travail qu'elle leur faisait pel'-
dr~, et les pretres, de meme que les apotres des soriétés de tem:-
p~rance, l'accusaient de favoriser la paresse et l'ivrognerie.


Le service de mer est plus honoré et plus gouté que le service
de terreo Les officiers de la marine fédérale ne le cedent a per-
sqnne ni en haQileté nautique, ni dans ce courage a la fois aventu-
reux et calme qui caractérise le véritable homnle d~ mer, et sans


t Nous avons vu sous l'empire, dans une préfecture de 2e elasse, le préfet toucher
30,000 f~ancs et ltls expéditionnaires de 700 a 1,000. Le traitement d'un chef de
division n'allait pas a 3,000 francs.


2 Pendant la période de 1789 a 1809, les dépenses de ce budget n'ont pasdépass~
une moyenne annuelle de 1,300,000 dollars. Pendant la guerre avec l'Angleterre /
(181Z-1816), cette muyenne est allée a 16,000,000; el lors de la guerre du Mexique
(1847), a 41,000,000. Sous la présidence de M. Buchanan, le budget de la guerre
fut d'environ 16 millions et demi. !#ba." ....... c,¡.ir¡'


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484 LES KTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SE~TENTRIONALE.
atteindre aux effeetifs grandioses de la Grande-Bretagne ou de la
Franee, eette marine a pris, depuis l'année 1849, des développe-
ments eonsidérables. Les États-Unis ont des stations navales sur
les cotes d' Afrique, dans le Pacifique, dans les mers du Japon et
de la Chine, et ~e pavillon aux trente-sept étoiles se montre main-
tenant en ese adre dans la Méditerranée l.


3. - Finances.


Durant de lOIlgues années~ Jes Amérieains, apres avojr payé
leurs taxes a l'Union, a leur État, a lenr cité OH a leur township,
se trouvaient eneore les eitoyens les moins cbargés d'impOts
du monde, et le budget fédéral surtout i;'était maintenu dans des
limites si exigues que e' était matiere a pitié pour les politiques
de la bonne vieille école. Il avait débuté par des dépenses
annuelles de 900,000 doBars sous la premiere présidence de
Washington, pour arriver a 28 millions sous ceBe de M. Van
Buren et retamber a 20 du temps de M. Tyler, avec des chiffres
íntermédiaires de 15 son s la seconde administration de Monroe'
et de 16 sous ceBe de Jahn Quincy Adams. Sous la présidenee
de M. Polk, la moyenne armuelle s'accentue pour ne plus dé-
eroitre : 36 a 37 millions d'abord, pnis 72, et enfin des cel1taines
a la clOtare de l'année financiere qui a finí le 30 juin 1871 2. Si
les Américains sont persuadés, eomme l'est le baran Charles
Dupin, de facétieux souvenir, que l'impot « est le thermometre
de la fortune publique, ) nul doute donc qu'ils ne se sentent tres-
heureux et tres-prosperes. C'est qu'ils ont d'abord eédé a la manie
conquérante des peuples de l'ancien-monde et qu'ensuite le Sud,
las de' n'étre qu'une ferme 3 de la grande république, a voulu


f Au 1 er décembre 1865, la flotte américaine comprenait 71 navires cuirassés;
262 vapeurs 11 hélice dont 113 consLruits spéclalement pour la gllerre; 226 a roues
dont 52 construits pour la guerre; 112 navires a voiles de toute sorte, le tout porlant
4,610 canons et jaugeant 510,396 tonneaux. 11 y avait, en outre, 719 batiments de
transporto La guerre linie, «<ette immense flotte a été mise en vepte, et l'effecLif ra-
mené a des proportions plus raisonnables, quoique supérieures a ceHes ·d'avant la
guerreo


2 Pres de 423 millions, dont 125 pour les intérets de la dette et 130 pour son
amortissement. L'excédant des recettes sur les dépenses a été de prés de 110 mil-
lions.


3 C'est le moL de M. l\lichel Che\"alicr (Idtl'e XVJlI).




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 485
devenir landlord a son tour, atin de conserver a tout prix le bétail
humain qui' faisait fructifier ses rizieres, ses champs de tabac, ses
cultures de coton. eette folle et criminelle entreprise a eu, sans
doute, le sort dont elle était digne; mais qu'il faudra d'années de
lourds impots et de J'udes sacrifices pour éteindre la dette qu'elle
a fait naitre et ramener les budgets fédéraux a leur médiocrité
heureuse!


Ce Ímdget, lorsque éClata la guerre civile, s'alimentait presque
exclusivement par les douanes, ses deux autres sources, la vente
des terres domaniales et le service des postes, ne ·donnant l'un
qu'un revenu inférieur, et l'autre se soldant par un exces de dé-
penses 1. Il devint fout a fait évident, des le premier jour, que la
lutte qui s'ouvrait nécessiterait, quelle que flit sa durée, la créa- .
tion de ressources exfraordinaires et, comme la-bas on n'était
nullemept persuadé, avec Melon, que les dettes d'un État ne
l'affaiblissent pas, « paree que les intérets sont payés de la main
droite a la main gauche, )) ou, avec Voltaire, « qu'elles sont pour
l'iridustrie un nouvel encouragement,» ce fut a l'impot que l'on
s'adressa toutd'abord. « Nousn'a,'onspas le droit, »ditM.Chase,
en présentant ses projets financiel's, « de mettre une delte perpé-
« tuelle a la charge des générations futures. Ce n' est point la une
c( idée d'origine américaine, il ne faut qu'elle se naturalise chez
« nous. » Et il proposait d'augmentcr les droits sur les sucrcs bruts
OH raftinés'2; d'imposer les cafés et les thés 3 ; enfin rl'établir
une taxe sur la propriéte réelle et personnelle ou, a défaut un '
systeme de taxes intérieures moins cher a percevoil' et portant
de préférence sur les objets de luxe. Le 5 aoút 1 S61, les droits
furent votés, tal1dis que des scrupules constitutionnels 'faisaiellt
rejeter les 'taxes directes qu'offrait M. Chase ; mais en revanchc
OH vota une imposition directe de 20,000,000 de dollars arépartir
entre les États resté s fideles, et OH établit, a partir du 1 er janvier,


1 Pentlant l'exercice 1855·1856, les douanes ont rapporté 6/1 millions de dollars,
et la vente des lerl'es 8;8'20,000 seulement. Les postes avaient eoüté 10,417,0<JO dol·
lars, et rf'u¡]u 7,620,000.


2 Le tarif dit Morrill, du non;¡ de son auteur, venait déjil de les aeel'oitre (2 mars
1861).11 avait aussi scnsiblement augmenlé les droits sur les Iiqueurs, les esprits et
les fers.


;¡ Ces a rticles étaient franes depuis le tarir du 14 juillet 1832.




486 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
une taxe sur tous les revenús excédant 800 dollars, taxe fixée a
trois ou a cinq pOllr cent, suivant ql.}'elle frappait sur des revenus
provenant des États-Unís ou bien du dehors, et limitée a un et
demi pour centa l'égard des valeurs issues du gouvel'uement
fédéral. Au surplus, ce n'était la que le prélude d'une série
d'actes légíslatifs; quí portent la date des 1 er juillet 1862, 3 mars
1863, 1 er juillet 1864, 1 er avril 1865, et qui ont engendré le sys-
teme fiscal le plus vaste et le plus cOrriplexe qu'un peuple, semble-
t-il, ait jamais eu a subir. On pourrait, en toute sécurité de cons-
cien ce et a l'aide du changement d'un mot, lui appliquer le vers
célebre du poete :


e'est l'impót tout entier asa proie attaché.


Tout a été attein t, la fortune iinmobiliere comme la fortune mo-
bibiere, les compagnies d'assurance comme celles de navigation
ou de voies ferrées, les banquiers comme les avocats, les pharma-
cien s eomme Íes arehitectes, les débitants de boissons comme les
marchands de chevaux ou les entrepreneurs de eirques; les
voitures, les yachts, les billareis privés, eomme les pianos; la
vaisselle d'or et d'argent, les montres, les loteries comme les
théatres. Dans les tarifs d'importation ou d'exportation, on a eu
garde de rien omettre: la chandelle y coudoie le café, le suere
y rencontre le sel; le coton, les ombrelles et les manchons -y sont
pele-mele, de meme que le bétail abattu, le charbon et les
esprit s !


Les Américains ont la sagesse ou le bon goút de convenir que
ce systeme a été souvent une « injure a la prudence et a une saine
économie, » pour parler comme M. David A. Wells, aneien com-
missaire de l' Internal Revenue. 11s confessent (e'est toujours
M. Wells quí parle) « qu'il a souvent violé tous les prineipes
« reconnus en matiere d'impót, et par des duplications et des
« majorations de bénéfice, retir-é bien plus de' l'épargne nutio-
« nale que le trésor n'en a re<;u ») '. Te! quel, n servait les projets
de M. Chase el de ses successeurs, qui ne voulaient pas perpétuer
la dette, en leur offrant les moyens d'assurer le remboursement


i V. Journal des Economistes du 15 février 1872. M. Wo\owski y a reproduit de
longs extrails du rapport de M. WeJls : les Impóts aux Etats-Unis.




QUATRIEME PARTJE. - PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. 487
des emprunts que la force des choses allait coup sur coup leut faire
contracter,Des le 17 júillet 1861, le Congres autorisait le ministre
des finances a emprunter 250 millions de dollars, a l'aide d'obli-
gations non rachetables pendant vingt aIlS ou de billets racheta-
bIes apres trois ans, et portan! intérét les uns de 7, les autres de .
7.30 p. 100 par an; a émettre contre especes des bons du trésor
inférieurs a cinquante dollars, remboursables a un an de date,
ou meme, sur demande, jusqu'a concurren ce de 50 milliobs; enfin
a négocier 100 millions en Europe, au taux qu'il jugerait oppor-
tun, Quelques jours plus tard, le secrétaire de la trésorerie rece-
vait la faculté de convertir les bons du trésor en obligations
remboursables a vingt ans de date et de réaliser, a l'aide d'obli- •
gations semblables, portant un intéret maximum de 6 p. 100,
te11e portion de l'emprunt qu'il croirait convenable 1. Ce furent
les derniers actes financiers du COIlgres dans su session1860-186 t;
mais, lorsqu'il se réunit de nouveau, au .2 décembre, la situation
devint a cet égard l' objet de toutes ses préoccupations; car,
depuis le 1 er juillet, la dette s'était accrue d'environ 168 milhons,
et ni les recettes douaniéres, ni l'impot direct des 20 millions
n'avaient produit ce qu'on s'était cru fondé a en attendre. Il fallait
prendre de nouvelles mesures, et la premiere fut la créatlOn
pour 150 millions de billets des États-Unis, divisés en autant de
sortes de coupures qu'il serait utile, pourvu que la moindre ne
fut pas inférieure a cinq dollars, et que le 1iers de cette émission
rempla<;ftt les 50 millions de Demand-Notes crées par l'ac¡e du
17 juillet précédent. On dé clara les nouveaux billets monnaie
courante d'une part pour l'acquit de tous les impots; les di'oits
a l'importation exceptés, et de l'autre pour le payemcnt de
toutes les detles fédérales, a part l'intéret des obIigations et des
bons émis par le trésor, q ui continueraient toujours d' etre
soldés en especes.


Le meme 'acte, atin de consolider la dette tlotta.nte, autorisa
M. Chase a émettre, pour un maximum de 500,000, des cOllpons
des rente ti p. 100 de cinquante dollars au moins, remboursa-
bIes a cinq ans de lem' émission au plus tot et vingt ans au plus


f 5 aoÍlt 1861.





438 LES I~T.\TS-UXrS DE L'AMÉnIOUE SEPTE:-;-TmO~ALE.
tard, et on stipula que toutes les valeurs fédérales aux mains
d'individus ou de corporations resteraient exemptes de toute
taxation. Cet expédient, qui faisait un étalon légal d'un papier-
monnaie ayant cours forcé, fut la plus grave des mesures qu'en-
traina la crise. Son caractere constitutionnel fut révoqué en
doute 1, et elle suscita de vives appréhensions dans la finance
européenne 2. Quoi qu'il en soit, elle ne devait pas etre ]a derniere,
et six. móis ne s' étaient pas écoulés, qu'une nou velle émissíon de
ces memes billets, dans les memes co~ditions, était autorisée jus-
qu'a concurren ce de 150 millions, et que]a faculté de recevoir
a 5 p. 100 des dépóts de fonds temporaires était portée de 50 a


• 100 millions. Tout ,cela attestait des besoins el'argent de-plus en
plu~ pressants, et le 3 mars 1863, M. Chase réclama les moyens
de contracter deux nouveaux emprunts, l'un de 300 millions
destinés aux découverts de l'exercice qui allait finir, l'autre de
600 a consacrer aux né&ssités de l'exercice qui allait commen-
cero On les vota l'un etl'autre, et on les réalisa par des coupons
6 p. 100 remboursables en dix ans au plus t6t, quarante ans au
plus tard, a la vo]onté du gouvernement, et on autorisa en outre
la mise en circulation, pour une somme de 400 millions, de bons
du trésor et de 150 millions de billets des États-Unis, mais ceux-
cí éventuellement et pour le payement de l'armée, de la marine
et autres créanciers de l'Union.


Le 30 juin 1864: jour de la clóture de l'exercice, M. Chase rési-
gna ~es fonctions et fut remplacé par M. Fe~senden, du Maine. Le
nOllveau secrétaire de la trésorerie allait se trouver en face d'une
situation des plus embarrassantes .. Bien que, depuis]e commence-
ment de l'année, il yeut eu encore deux. emprunts, l'un de 200 et
l'autre de 400 millions de dollars' 3 ¡ le trésor ne renfermáit
que 19 millíons pour faire face a 233 de fournitures ou de


1 Devant les cours du New-York et devant la District Court de Philadelpbie, qui
ont réso:u la question par l'affirmative, t:t devant la" Court of Appea~s du Kentucky,
qui s'est prononcée, en 1865, pour la négativ.e. ,


2 Dépeche du 17 décembre 1862 de M. Pike, ministre des Etats-Unis a la Haye ..
!l Acte dll 3 mars 1864 : coupons de rente 6 pour 100 rachetables upres 5011


40 ans. Acle du 30 juin 1864 : moitié coupons rachetables arres 5-30-40 3ns, moitié
hons du trésor ren;boursables, au gré du gouvernement ou des porteurs, trois <lns
apl'es émiiision et porlant un intéret de 7,3 pour 100.




QUATRlE;'tIE PAllTlE. - rnOUllRS RT DÉVELOPPEMENTR.. 489
croonces en souffrance. La perspective de négocier un nouvel
emprunt dans de pareilles conditions n'était pas engageante, en
songeant surtout que la derniere émÍssion n'avait pas été couverte.
La nécessité toutefois était pressante et M. Fessenden, apres s'étre
vainement abouehé avec les banquiers de New-York auxquels il
demandait 50 millions, résolut d'imiter l'exemple que lui avait
donné Pitt dans des conjonctures analogues et qu'avait suivi le
second empire fran<;ais dans ses emprunts successifs. Il fit appel
au pays; mais cet appel n'eut pas le succes qu'on en avait auguré,
et il fut heureux pour M. Fessenden que l'armée aéceptat pour
20 millions de valeurs fédérales et qu'un nouvel emprunt du
double, rachetable apres cinq ou vingt ans, vint mettre de
l'argent dans ses caisses. Quand le Con gres s'assembla, le 6 dé-
cembre, il lui fit connaitre que, la guerre continuant, la dette
atteindrait vraisembablement, au 1 er janvier 1806, l'effrayant
chiffre de 2 milliards 220 millions de dollars, et ceUe communi-
cation eut pour résultat naturel I'autorisation de contracter un
dernier emprunt de 600 millions, dont la premiere émission eut
lieu le 30 juillet 1865, en obligations remboursables en 7-30 allS,
par les soins de M. Mac-Culloch qui avait remplacé M. Fessenden
au mois de mars précédent l.


Une detíe approchant de 15 milliards de notre monnaie fran-
Guise ~\ tels étaient les fruits de la guerre civile. Cet éCl'asant
fal'deau n'etfraya pas toutefois les hommes du Nord que leur
victoire avait excités, et, quelque jactance américaine aidant, ils
en parIerent comme d'une chose qu'une souscription publique
anéantirait d'un coup et sur l'heure. La réflexioIl venue, 011 se


f On a dú. s'en tenir ici aux traits saillants de eette immense expérience flnan-
ciere, et on renvoie le l~cteur curieux de détails plus approfondis a un article de
M. Léonard Courtney, qui n'a pas moins de 45 pages et qui sous le titre : The fi-
nances ofthe united states of America (1861-67), a été inséré dans le numéro de
juin 1868 du Journa¿ de la Société statistique de Londres. On Jira égalellJent :1vec
¡¡rofit ies deux notes sur ce meme suj€t qui se trouvent dans la 3e édition du Traité
de finances de 1\'1. Joseph Garnier, livre aussi substantiel que remarquablc par son
inspiration large et vr:aiment économiquc.


2 La delte, au 3 L aOtit 1865, époque de son maximuIll, était de 2,846,02 L, 742.
QU'OH cn retl'anche 68,482,686, c'est-a-dire son chiffre au 4 mars 18Gl, on al'rivera
a 2,777,539,05G, soit en monnaie fran~aise 14,888,6 IO,80~ fUHlcs.




490 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQU~ SEPTENTRIONALE.
contenta d'efforts moins immédiats et plus modestes, et l'on fit
briller avec complaisance devant l'Europe une premiere libéra-


. tion d'environ un quinzieme de la dette totale, obtenue en douze
mois 1. En réalité, elle était due au licenciement de l'armée et de
la fiotte qui, au lendemain meme de la victoire, avait supprimé
les charges les plus lourdes, tout en laissant le pays aux prises
avec des perturbations économiqées tres-graves, l'exces du papier-
monnaie, la prime exorbitante de ·1'01' 2, le renchérissement des
denrées et de~ marchandises, la situation obérée des États parti-
culiers 3. La liquidation, en ~omme, a marché d'un pas régulíer
et rapide, la dette créée par la guerre ayant été réduite de 421 mil-
lions, dll1 er aoút 1865 au 1er juillet 1871, ce qui donneune jolie
moyenne de 70 millons par année 4. Dans lecours de ces six
années, le législateur, par voie d' éliminations successives, a fait
également disparaitre de l' Internal Revenue les taxes les plus cho-
quantes, celles sur les livres, le papíer, 1'impression, l'instruc-
tion, les réparations, la spéculation, l'impot différentiel sur les
revenus, les droits sur les transports par eau et par roulage, et
depuis M. Boutwell, secrétaire de la trésorerie, a parlé de ne
conserver qne les seules taxes sur les spiritueux, la biere, les
vins, le tabac, et de renoncer bientot a l' Income- Tax 5.


On a encore supprimé les droits sur quelques matieres pre-
mieres, telles que le charbon, le fer en saumons, le coton; mais
cela ne pouvait suffire pour enlever á l' Internal Revenue le carac-


1170,000,000 de dollars.
2 31 pour 1,000 en décembre 1862; 155 en aout 1864; 40 en déeembre 1867.
3 La dette eolleetive des Etats est évaluée a 353,000,000 de dollars. La dette la


plus élevée est eeHe de la Virginie, 47,2000,000, et la plus basse celle de I'Orégon,
10,600. Le Tennessee et le~ew-York doivent ehaeun 38 millinns; la Pennsylvanie
et la Caroline du Nord, 29; le l\1assachusetts, 28; la Louisiane, :25; le Missouri, 17;
le Maryland, 13. Au bas de I'échclle sont le Vermoni, 792,000 dollars; le Nevada,
660; le Minnesota, 350; l'Iowa, 300; le Mississipi, 200,000. (Almanach de Gotha,
1872. )


4 2,356,000,000 a la derniere date, y eompris 64 millions d'obligations émises en
faveur du Pacifique dont les intérets sont payables en papier-monnaie.


)) Paree qu'il n'en aurait plus besoin et non paree qu'il trouvait a eet impot des
vices partieuliers, eomme I'a dit 1\'1. Pouyer-Quertier a Versailles, le jour oil il en-
leva un vote eontraire a son établissement en Franee, par un audacieux stratageme
et en profanant le nom de la Providenee.






QUATRIEME PARTIE. _. PROGRES ET DÉVELOPPE~IENTS. 491
tere proteeteur qu'il a revetu des le tarif de 1861, el qui s'est
aeeentué dan s eeluí du 2 mars 1867. L' Allemand List et M. Carey,
de Philadelphie, dont la seienee et le talent éeonomique seraient
moins eontestés, s'ii n'avait pas trop saerifié a la manie do. para-
doxe et a la reeherehe d'une fausse originalité, ont infecté l' Amé-
rique de leurs doetrirtes. Elles avaient gaté meme de tres-bons
esprits, M. Wells, par exemple; mais il s'est guéri, et, ave e l'au-
torité qu'il s'est aequise en lI1atieres financieres, i1 déelare aujour-
d'hui que le systeme proteetionniste a frappé la population d'im-
póts ruineux et beaueoup nui a la produetion industrielle. La
eonsommation s'est retréeie, et les produits manufaeturés, qui
jadis formaient le dixieme du chiffre total des exportations, n'y
comptaient plus en 1870-71 que pour un seizieme. Le tonnage
de la marine marchande a baissé de pres d'un quart, el tandis
qu'en 1860, 924 navires américains eontte 613 aútres entraient
dans les ports anglais, on ne lrouve plus en 1869 que 365 améri-
cains contre 1,391 autres. Il ya des industries qui, avant la guerre
eivile, étaient des plus pwsperes et que le protectionnisme a
presque ruinées. Ainsi en est-il de la ehapellerie, de la eoutelle ....
rie, et la plupart des industries textiles sont en souffranee, grace
aux droits excessifs qui continuent de grever les matif~res pre-
mieres qu'elles ernploient.


Devant ces faits évidents, palpables,la rnasse du peupleaméricain . •
reste néanmoins indiffél'ünte, paree que, selon M. Wells, ils se per-
dent dans l' étendue du rnouvementindustriel que les proteetionnis-
tes sont fort habiles a rapporter a leu!' systeme 1. Hélas 1 nous ne
sommes que trop payés en Franee pour eonnaltre leur ténaeité, la
sub!ilité de leurs soplüsmes, l'audaee de leurs stratagemes, et
nous n';gnorons pas que tel manufadul'ier qui, pour employer le
mot de Bastiat, se laisserait mourir plutOt que de dérober une
obole, ne se fait pas le moindre serupule de sollieitel' de la légis-
lature des lois qui élevent le prix de ses draps, de ses fers, de
SeS houilles, et luí permettent de l'an<;onner ses naifs acheteurs 2.


i V. La North American Review du mois de juillet 1871 et la seconde série des
Essays, publiés par le Cobden Club, 1871-72.


2 Protectionnisme et communisme, 23.




't0? LES ÉTATS-UNIS DE L AMÉHlQflE ·~EPTENTRTONALE.


4. - Admin!stration locale.
,


M. Ezra Seaman a tres-bien marqué le caractere dualiste du
systeme américain. Dans chaque État, le peuple est soumis a
del,l.x. pouvoirs, a deux ordres de lois distin.ctes, et souverains
cbacun dans sa sphere propre; l'un fédéral, national et le plus
souvent externe quant a sa juridiction, l'autre interne et Jocal. A
l'exception d'un petit nombre de cas et d'objets, la plupart de ju-
ridiction concurrente, les pouvoirs des divers États sont absolus'
et exclusifs dan s les matieres de leut' compétence, et le Congres
des États-Unis n'a pas plus qualité pour intervenir dans les insti-
tutions domestiques d'un État particulier que ne l'aurait le gou-
vernement russe ou le gouvernement fran~ais.


Cbaque État possede son gouvernement, sa législation, son ad-
minisfration propres. Il place a sa tete un gouverneur, nommé di-
rectement par le peuple ou cboisi par la législature 1, qu'on qualifie
d'Excellence et auquel on donne le titre pompeux de commandant
en chef des armées de terre et de mer, mais dont ~m a renfermé le
pouvoir réel dans les plus étroites limites. La plupart des emplois
son t, en effet, électifs ; les fonds de 1 'État se dépensent rarement par
l'intermédiaire du gouverneur, placés qu'ils sont d'habitude sous
la surveillance de commissaires· spéciaux, et ce hant fonction-
naire n' a pas meme la pleine et entierc djspo~ition de la force
publique qui, d'ailleul's, se réduit a peu de chose, dans un pays ou
le shériff, en cas de besoin, contraint, par son posse comilalus,
tout passant a lui preter main-forte et iransforme en gendarme
quiconque traverse la rue. {( En le dépouillant, » dit M. Michel
Chevalier, « on n'a pas meme pris garde de sauver les appa-
« rences. Plus de gardes, plus de palais, plus d'argent. Les gOll-
ce verneurs des États d'Ohio, d'Indiana, d'Illinois ont! ,000 dollars
« (5,400 fr.) d'appointements, sans maison, sans un centime de
« frais accessoires. Il n'y a pas de négociant de Cincinnati qui ne
« dorme davantage a son premier comrnis, et les gar~ons de
« bureau a Washington OIlt 700 dollars'2.


f Dans le New-Jerse~, le Mar'lland, la Virginie, les deux Carolines.
2 Ll'tt'res sur rAmh·ique du Nord, n, XXVII.




, ,. 49.') QUATRlEME PAHT1E. - PHOGRES El' DEVELOl'PEMEl'iTS. )
Ce gouverneur, si peu payé et si entravé, ne rend pas meme


ees<reglements qu'on appelle en France de police générale dont
le titre indique suffisamment l'objet: c'est un droit que s'est ré-
servé la législature, c'est-a-dire la Chambre des représentants et
le Sénat qu' elle comprend dan s chaque province. Quand le sys-
teme franyais concentre, le systeme américain divise; quand le
premier resserre et accumule les rcsponsabilités de fayon a les
rendre illusoires, le second les éparpille, et ce n'est pas dans ce
pays qu'on aurait jamais eu l'idée de ,ce fameux article 75 de la
constitution du 22 frimaire an VIII qui abritait derriere le gou-
vernement ses instruments ou ses complices.


Veut-on retrouver en Amérique quelques traces de l' Esprit cen-
tralisateur, il faut les chercher dans le scrvice de l'instructioll pu-
blique, dont il sera question tout a l'heure ; dans la direction des
travaux publics, dans le régime d61'assistance. Par exemple, dans
le New-York, l'État qui rappelle le plus l'Europe, la législature ne
s'est point bOl'née a l'ouverture d'un réseau de canaux; elle insere
encoredans toutes leschartesdéli vrées aux compagnies de chemins
de' fer la faculté de racheter les cheniins apres dix ans de jouis-
sance. Quant al'assistancepublique, on sait que les Américains ont
emprunté aux Anglais leurs lois des pauvres, Poor Laws, et l' on ne
sera point surpris de ce qu'en changeant de pays la charité léga]e
n'a pas changé de caractere. Elle coute cher en Amérique commc


,1


ailleurs, etquand Tocqueville visita les Etats-Unis, iilui parut que
les dernieres classes du peuple, certaines d' etre a l' occasion se-
courues, s'abandonnaient aux mauvaises habitudes, et que l'Irlan-
dais des' grandes villes passait l'été dans la dissipation et 1'hi\'el' a
la maison des.pauvres. Leservice de ces établissements, Poor Hou-
ses ou .4.lms HOl¿ses, est eentralisé au eomté, et les surintendants
des pabvres, sans cesser d'etre des fonctionnaires électifs, doivent
au gouverneur de 1'État un rapport annuel sur la gestioIl des
fonds dont ils disposent. Il parait, d'ailleurs, qu'ils se dispensent
assez volontiers de cette obligation, et que l'opiñion publique est
topjours inquiete des envahissements réels ou présumés de 1'au-
torité centrale. Parfois aussi, la législature fail don aUJ indigents
de quelques milliers d'ares de bonnes teI'ressur lesquels on les
emploie an genre de travaux auxquels ils paraissent le rnoins




494 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTRIONALE.
impropres. Ce moyen, qui a peu réussi aux Hollandais et aux Bel-
ges quand ils ont voulu en u~er sur une large échelle, a du mbins
le mérite d',etre peu couteux dans un pays on les terres a bon
marché ne sont pas pres de faire défaut. Aussi bien est-on per-
suadé la-bas que l'État, ou la eommune, qui pourvoit aux besoins
des pauvres, fait seulement une avance dont il se récupérera par
leur travail. Mais de meme qu'en Arigleterre, on le régime du
lVork-House n'a Ulle ombre d'efficacité qu'en devenant inhumain,
on a bien vite senti le vice d'une prétention pareille, lorsqu'il
s'agit d'individus dont une moitié aperdu le gout du travail et
dont l'autl'e en est physiquement ineapable. Déeider, cornme on
I'a fait au Maryland, que tout pauvre restera' dans la maison de
eharité jusqu'au payement intégral des frais qu'il lui a eausés,
e'est indireetement le eondamner aúne prison perpétuelle. On 1'a
si bien sentí que la disposition reste a l'état de simple menaee, et
si on en retire quelque avantage, e'est eelui de rendre effrayante
la perspective d'entrer dans les établissements de cette sorteo


n n'est point jusqu'a la perception des imptHs de l'État qui ne
soit un service local; ils sont perc;us par les collecte'L¿rs de la eom-
mune, contrairement a ce qui se passe en France, on le percep-
teur de l'État est aussi ]e percepteur des municipalités. L'étude
du systeme fiscal des États suggere une premiere remarque: c'est
que leurs budgets ont, aillsi qu' en Angleterre, une assiette et des
moyens propres, tandís que chez nous le budget départemental
n'est qu'une annexe du budget général et puise aux memes sour-
ces. Le gouvernement fédéral s'est réservé les ressourcesque l'on
a indiquées; il a soustrajt a la taxation les valeurs ériüses par
lui-meme, et la jurisprudence, , interprétant la eonstitution,
a couvert de la me me immunité les:gúlrchandises importées,
pourvu qu' elles soíent vendues sous leur forme originelle' et par
le marchand importateur. D'autre part, i1 s'est iníerdit de perce-
voir l'impót foncier, ~t avant les actes d' Internal Revenue, ilne
touchait pas aux impots IlÍobiliers. Dans les limites respectives
ainsi tracées, les États restent libres d' organiser la matiere fiscale
a leur gui~e ; mais, dans la pratique, tous les systemes de taxation
. .


particuliers se rapportent aux errements usités soit dan s le New-
York, soit dans t.e Massachusetts, soit dans la Pennsylvanie, et




QUA.TRIEME PA.RTIE. - PROGRE S ET DÉVELOPPEMENTS. 495 ,
les procédés du Massachusetts ne différant de ceux de New-Yor~
que par des détails qui n'entament point Ieur principe commun,
on ne reste en face que de deux modeles. Apres «eux essais pour
aUeindre les ameublements domestiques, les obligations des dé-
biteurs solvables, les montres, les bijoux et les voitures de luxe,
essais tentés en 1844 et en 1864 et qui ne réussirent guere, le
fise pennsylvanien s' en est tenu aux seules ressources que lui pro-
curent les successions en ligne collatérale, les licences des dé- '
bitants de boissons, les coupons d'emprunt, les primes pour le


, renouvelIement ou la concession des chartes financieres et quel-
ques autres taxes analogues; iI a méme abandonné l'impOt foncier
aux comtés et aux communes. A Ncw-York, le légíslateur a sta-
tué que l'impOt serait établi et calculé de telIe sorte qu'il atteigne
a la foís la propriété réelle, réal propetty, e,t la propriété person-
nelle, personal property, et il a rangé d'une fa<;on nominative et
expresse parmi les objets impasables de la seconde espece les
meubles, l'argent, les marchandises, les leg~, les dettes, les capi-
taux engagés dans les compagnies financieres j •
. Encare,a New-York, quelques restrictions, parfois logiques et
parfois contradictoires, témoignent-eIles que la {ibre fiscal e n'est
pas absolument endurcie. Au Massachusetts, on n'admet aucun
tempérament, on ne tolere aucune échappatoire. La on proclam~
que tout habitant de l'État doit la taxe pour toute propriété per-,
sonneHe qu'il possé'de meme hors de son territoire, qu' e lle consiste
en bétail paissant les plaines de l' lllinois ou du Texas, en navires
enregistrés au port de N~w-York, ou bien encore en fonds déposés
a la bánque d'Angleterre. Dans quelques villes, la liste des asses-
seurs compre!ld jusqu'c't la vache et au porc de la famille, jusqu'a
la basse-cour et aux grelots des chevaux; la enfin, les doubles et
meme les triples taxations sont fréquentes, et l' on a me me vu un
cas ou le modeste capital d'un contribuable supportait une taxe
sextuple. Une tendance assez commune a New-York, et surtout
dans la Nouvelle-Angleterre, consiste a faire retomber sur l'in-
dustrie le plus possible du poids total des taxes. C'est ainsi que
des marécages dont la valeur n'était pas auparavant appréciable


I Aote du 3 décembre 1827, titre ler.




496 LES ÉTATS-UNlS DE L'A~lÉlU\JUE SEPTENTHlUNALE.
deviennent pour le fisc des terres de premiere c1asse, du moment
qu'on ya ménagé un filet d'eau capable de mouvoir une usine, et
qu'au Connecticut, le législateur, par statut spécial, a privé les
usines et les batiments employés a usages iI.ldustriels du privilége
qu'ont les autres édifices de n'etre taxés qu'au-dessous de leur
valeur réelle. Il en est résulté la ruine d' entreprises de cette
espece qui avaient débuté et promettaient de grandir, tandis que


. le Vermont et le Maine, trop longtemps fideles a des errements
analogue~, s'efforcent aujourd'hui d'attirer chez eux les capi-
taux; en les dispenSal}t de toute taxatioll, et que l'écemment la
législature de Pennsylvanie a supprimé les patentes commer-
ciales ou autres 1.


5. - Systeme municipal.


Variable dans son type, d'apres certaines circonstances et l'im-
portan ce des localités auxquelles iI s'applique, le systeme muni-
cipal est un dans son esprit et dans son príncipe. La commune est
considérée comme un individu, et les Amérieai~s tiennent ponr
une vérité indiscutable que chacun forme le meilleur juge de ce
qui n'a rapport qu'a lui-meme, et se trouve en état plus que per-
sonne de pourvoir a ses intérets particuliers. Dans les cilies, dont
'les prérogatives sont refusées d'habitude aux communautés qui ne
comptent pas de 12 a 15,000 citoyens, la gestion des affaires muni-
cipales est remise a un conseil élu par quartiers, et généralement
pour un an, mais qu'assistent une foule'de tl'uslecs, ou commis-
saires) dont les principaux sont les surveillants des pauvres, les
visiteurs des écoles, les inspecteurs des routes, ceux des poids et
mesures, les commissaires des paroisses ponr les dépenses du
culte. Dans quelques grandes vitles, le conseil municipal, par
analogie avec la division du pouvoir législatif de la République,


, ~ V. le travail que nous avons publié dans le Journa~ des Econom'ÍStes, n° d'aout
187~, sur un rapport de MM. Wells, Dodge et Cuyler, tOllchant la réforme du sys-
teme d'impóts du New-York. Ces messieurs le regal'dent eomme « plus vicieux en
« théoriecl plus imparfait en pratique llu'atieun systeme qui ait.i<Jmais, existé,» et
proposent de réduire toute la matiere imposaLJle ¡¡ trois grandes catégories : les ter-


'res, les éJiliccs. les actiolls des Lanl¡UeS et des compagnies financiercs.




QUATRIEME PAUTIE. PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. ·497
se divise en deux branches. Ainsi, la ville de New-York a ses
aldermen, ainsi que ses assistents-aldermen,. et ceHe de Philadel-
phie son conseil choisi, Select-Council, avec son conseil commun,
Common Council. Boston est dans le meme cas; mais une loi est
nécessaire pour sanetionner cette órganisation particuliere. Ql1ant
fiU maire, Mayor, son autorité est petite, relativement a celle du
conseil municipal, et illa partage avec le Recorrder, dont les fonc-
tions offrent un mélange de parties administratives et de parties
judiciaires. Il est élu tantót par le conseil municipal, tantót par
l'assemblée des citoyens, et ses fonctions sont salariées, du
1))oins dans les grands centres, tels que New-York, Philadelphie,
Baltimore, la Nouvelle-Orléans, Boston.


La commune rurale, ou le Township, est universelle dans les
Etats du Maine, du Vermont, du New-Hampshire, du Massa-
chusets, du Connecticut et de Rhode-Island, dont la réul1ion
constitue la Nouvelle-Angleterre, et se montre dans le New-
Jersey, rOhio, le New-York et la Pennsylvanie. Le Townshi1J tient
le milieu entre le canton et la petite commune fl'an<;.ais. Il comptc
de 2 a 3,000 habitants, et son étendue territoriale a été calculée
<le telle sorte qu'il ne renferme pas des intérets divergents d'unc
part, et que, de l'autre, il dispose de tous les éléments nécessaires
il une sage administration. lei point de conseil municipal: la
communauté s'administre. direetement pal' ses select-men, qui
sont élus, chaque année, par l'assemblée du peuple, au mois de
maí ou d'avril habituellement. A la me me époque, ceUe assem·-
blée institue les autres magistrats munieipaux, telsque le caissier,
Clerk, qui tient le registre de l'état civil et celui des délibéra·
tions communales;le Constable, chargé de la police et de la sur ..
veillance des biens publics; les Assessors, qui établissent l'impót,
et les Colleclors, qui le levent ,; les commissaires des pauvres
(Overseers o{ the Poors); ceux des paroisses et des écoles ; les ins-
pecteurs (Supervisors) de la petite voirie, ceux des récoltes et des
poids et mesures. En un mot, on ne compte pas moins, dan s un
township, de dix-neuf fonctions principales, qui sont toutes obli-
gatoires, mais dont la plupart sont rétribuées. .


Nous voila bien lo in des idées qui OIlt présidé, en France, a la loi
du 28 pluviose an VIlI,etque le conseillerd'Etat Rrederer résumait
32~
.r4'?' - o; l __ \'" Q
~ ~ ~.~


".... ¡;"-J fo'j' 4fft
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; I :."(, ~{'::J,~ .....
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498 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ainsi : Délibérer est le (ait de plusieurs, administrer le fait d'un settl.
Daos le Township américain, délibération, gestion, exéeution, tout
est collectif, et collectif a ce point que les selectmen ont besoin d'un
recours perpétuel a leurs constituants. S'agit-il, dans le courant de
l'année, de prendre quelque importante mesure, de fonder, par
exemple, une école publique, les habitants se rassemblent; ils
déliberent et votent une taxe destinée a la fondation et a l'entre-
tien de cette école. Aux selectmen seuls appartient le droit de les
convoquer; mais, quand la réunion est réclamée par dix proprié-
taires, ils ne sauraient la refuser. Nous ne sommes pas moins
loin de la tuteHe de l'autorité supérieure : le Township vend,
achete, trans~ge, plaide, emprunte, sans que l'Etat dont iI fait
partie s' en mele le moins du monde; il est majeur, maUre de
ses droits, responsable de ses actions. Qu'il s'enrichisse et pros-
pere, e' est a merveille; mais qu'il se ruine ou qu'il languisse,
c'est de me me affaire a luí seul, et il sait d'avance que l'Etat
ne le sortira point de peine et ne remédierá point a ses em-
barras.


On sait combien est étroit le pouvoir confié a nos maires en
matiere de police municipale, et la nécessité ou ils se trouvent
de retarder pendant un mois l' exécution de leurs arretés perma-
nents, jusqu'a ce que le préfet du département les ait ou annulés
ou sanctionnés par son silence. En Amérique, le pouvoir régle-
mentaire des selectmen rencontre aussi une barriere, mais a plus
juste titre, c'est celle de l'autorité judiciaire : leurs arretés de cette
nature ont besoin d'etre sanctionnés par la Cour des sessions du
comté, dont iI sera parlé tout a l'heure. Il arrive assez souvent,
comme OH l'a dit, que la législature pl'ovinciale regle d'une fa<;on
générale certains objets relevant de la police et intéressant soit le
bon ordre, soít la santé publique, soít la moralité des citoyens.
Alors encore les selectmen intervienncnt dan s l'application de ces
reglements; par exemple, ils indiquent l'emplacement des abat-
toirs, et autorisent la construction des égouts ou la création des
établissements dangereux ou incommodcs; en6n, ils pourvoient
d'eux-memes a!1x bessins imprévus que vient révéler quelque
catastrophe ou quelque maladie. En un mot, dans toutes les cir-
COllstances ou l'autorité provinciale ét l'autorité municipale se




QUATRIEME PARTa;. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 499
trouvent en contact, la premiere semble tres-jalouse de ne pas
froisser la seconde, et quand l'une empiete, dans un intéret géné-
ra1, sur le domaine de l'autre, c'est avec précaution et sans
calcul.


On, demandera peut-etre comment, au s~in de eette large indé-
pendanee, se maintient l'obéissanee aux lois de l'Etat ou a celles
de la République, et la réponse sera qu'il n'y faut ni grand éclat,
ni grand appareil. Que les selectmen, a qui la loi a dévolu, par
voie géuérale, eertaínes attributions, telles que la formation des
listes électoral .. es, viennent a en négliger quelqu'une ; que les
Coltectors, qui pervoivent a la fois l'impat afférent a l'Etat et
l'impót afférent a la commune, tandis que chez nous le percep-
teur, agent du Trésor, pervoit ensemble les contributions locales
et les contributions générales; que les Collectors manquent a
leur devoir, et ils y sont rappelés par l'amende, dans la per-
sonne de la commubauté. Cette amende, que prononee la Cour
des sessioI!s, porte sur tous les habitants pris en corps et est
levée par les soins du shérif du comté, quí est un officier de
justiee. Dans ce pays, le commandement administratif se voile
presque toujours sous le mandat judieiaire, suivant le mot tres-
juste d'A. de Toequeville, « et n'en est que plus puissant, ayant
alors cette force presque irrésistible que les hornmes accordent a
la puissance légale.) On ignore ces procédés d'administration
menavants et hautains qui simulent la vraie force beaucoup plus
qu'ils ne l'attestent, et l'on redoute ces conflits ouverts entre des
autorités aux fonctions diverses dans lesquels il est si facile, de
part et d'autre, de froisser l'équité ou de manquer a la mesure.


Les hommes de la Nouvelle-Angleterre, qui représentent encore
dan s I'Union ÚIl type d'une couleur et d'une trempe particuJieres,
se montrent tres-fiers de ces institutions municipales auxqueIles
John Adams se plaisait a rapporter l'habileté « et la bravoure
milítaire» des insurgents, ,en espél'ant que ces qualités « seraient
« saintement préservées comme les fondements de la liberté, du
« bonheur et de la prospérité des Amérieains.» Elles out paru a
Tocqueville et a M. Laboulaye un grand élément d'ordre et de
tranquillité publique, et pouren caractériser l'efret, une meme
expression, ceBe d'éeole primaire de la liberté politique, s'est






500 LE:;> ÉTATS-mllS DE L'AMÉBlUllE SEl'TENTlUUNALE.
rcncontrée sous la plume de ces deux éminents puulicistes.
M. Laboulaye trouve qu'il serait tres-difficile el'imaginer un sys-
teme qui fut au me me degré le contre-pied du nótre, et croit mal-
aisé de supposer que deux régi mes aussi différents puissent etre
également favorables a la liberté. Quelque différent que soit le
génie des deux peuples, ajoute-t-il, se peut-il que le goúf de la
libe¡:té soit aussi vivace chez une nation oil le pouvoir central,
faisant tout ou faisant tout faire, condanme les citoyens a l'inac-
tion et les habitue a l'índifférence que chez un peuple oil chacun
se sent a la fois responsable de ses propres affaires et de celles du
pays? Tocqueville loue f01't cel éparpillement, comme il dit, de
la puissance publique et cette multiplication /des devoirs commu-
naux qui impriment au patriotisme un cachet plus énergique,
par cela meme qu'ils le concentrent sur un plus ~petit théatre
et les líent a des affections plus restreintes. Cal' ce mot de patrio-
tisme recele une idée double, l'une métaphysique et l'autre popu o
laire. Les esprit~ cultivés s'élevcnt aisément de la seconde a la
premiere, el pour eux l'amou!' de la commune ou de la province
va se fondre dans l'amour plus large de la patrie entiere; mais
pour les esprits na'ifs, ce qui représente la patrie; c'est surtout le
hameau natal; c'est le cüin de terre oil ils ont grandi, vécu, aimé,
souffert; c'est un fleuve, une montagne, une plaine, une foret,
un flvage.


A mesure que l'on descend vers le Sud,on s'apervoit que la
vie communale devient moins active; qu'il y a moins de magis-
trats et d'of'tlces municipaux, moins de réunions d'habitants,
moins de droits et de devoirs mis en commun. Ce changement,
déja visible dans le New-York, l'est davantage en Pennsylvanie et
s'accentue dans les Carülints, la Ploride, la Louisiane, le Texas.
lCÍ, un petit nombre de' propriétaires isolés, des habitations
éparses et couvrant de vas tes superficies ne permettent pas de
eonstituer le groupe communal dans ces circonstances de ntéclio-
ere étendue et de population dense qu'il réunit a la Nouvelle·
Angleterre,et que l'expérience proclame les plus favorables a son
homogénéité et a sa prospérité. Le comté, dont'a force des
cllOses et les aceidents du sol déterminent moins la circonscrip-
ríon que des convenancf.s pUl'emellt administl'atives1 le comtó se




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 501
trouve mieux répondre aux besoins de demeures éparpillées et
de colons que leur genre de vie rendait. indépendants les uns des
autres. Des faits analogues se sont passés a la Jamalque et dans
les autres Hes anglaises OU le comté s'est subordonné le bourg
qui, dans les campagnes de la mere patrie, est le centre de la vie
municipale. Dans la Nouvelle-Angleterre, le comté ressemble
fort a l'arrondissement fran<;ais; il ne forme qu'une unité admi-
nistrative, et son vrai caractere est d' etre le premier degré de la
hiérarchie judiciaire. Dans les t:tats du Centre et du Sud, il
possede une assemblée, et celle-ci vote des impots, dirige en
beancoup de cas l'administration communale et prend le role
d'un pouvoir intermédiaire entre le gouvernement et les simples
citoyens. ( n demande a le faire ponr rien : ce sera cher, ) disait un jour
Talleyrand, de je ne sais quel solliciteur. On pense en Amérique
que la besogne non rétrihnée est leplus souvent mal faite, etqu'il
faut laisser les fonctions gratuites aux aristocraties ou elles sont
a la fois, pour les privilégiés, une ran<;on et un moyen d'in-
tluence. Rien de mieux pensé, de plus logiqne, et Tocqueville, né
aristocrate, mais devenu républicain par réflexion et par la vue
des grandes choses qu'il avait vues chez des républicains, Tocque-
ville a pu dire en toute confiance qu'une monarchie marche vers
la république quand elle déserte les fonctions gratuites, et qu'á
son tour, une république dérive vers la monarchie quand elle
abandonne les fonctions rétribuées.


6. - Religion.


Le recensement de 1870 constate que sur trente-huit millions
d'habitants, il y en a cinq miHions qui professent la religior.
catholique. « La plllpart d'entre eux, » fait remarquer Tocqueville,·
« sont pauvres; et its ont besoin que tous les citoyens gouver-
« nent pour arriver eux-memes au gouvernement. Ils sont en
« minorité, el ils ont besoin qu'on respecte tous les droÍts pour
« etre assurés du libre exercice des leurs, Ces deux causes les
« poussent, a leur insu meme, vers des doctrines politiques qu'ils
« adopteraient peut-etre avec moins d'ardeur s'ils étaient riches




502 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« et pl'édominants 1. » A en juger par ce qui se passe en France,
il parait certain que les catholiques des Etats-Unis n'auraient pas
pour les libertés publiques un goUt bien vif si leurs pasteurs, loin
d'essayer de lutter contre ces tendances politiques, n'avaient pas
eu la sagJesse, comme le dit encore l'illustre publiciste, de cher-
cher plutót a les justifier. Il paraltrait que ces pretres « ont divisé
« le monqe intellectuel en deux parts,» laissant dans l'une les
do'gmes révélés auxquels ils se soumettent sans les discuter; pla-
~ant dans l'autre la vérité politique et pensant « que Dien 1'a
abandonnée aux libres recherches de l'homme. » On peut eroire
que la vieille théologie l'entendait de la sorte quand elle écrivait :
In certis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas. Mais on sait
al.1ssi ce que les nouveaux docteurs ont fait de cette devise. !ls ont
chassé la chal'ité du temple, et, agrandissant de plus en plus le
cercle des questions dogmatiques, ils ne laissent plus ~ux hommes
que l'alternative ou de mettre leurs ames en péril, ou de s'asservir
dans leur esprit et dans leur volopié.


On a dit que le monopole est aussi funeste aux religions qu'aux
industries, et qu'elles seront incapables de reprendre leur splen-
deur primitive tant qu'elles resteront privées de la libre concur-
rence. Pour etre d'un poete et d'un railleur, l'assertion n'en est
pas moins d'une vérité incontestable, et malheureusement
Renri Reine ne se trompait pas davalltage quancl il supposait
qu'un grand nombre de leurs serviteurs c( sacrifieraient plus vo-
« lontiers l'autel que la moindre partie des choses qui se sacrifient
« sur cet autel, de meme que la noblesse abandonnerait a une
« perte certaine le tróne, etl'auguste personnage assis dessus, plu-
« tót que d'abandonner sincerement ses droits les plus injustes 2.»
Tocqueville affirme cependant que les choses ne vont pas de ce
train sur l'autre bord de l'Atlantique, et qu'il n'y a pas rencon-
tré un seul pl'etre, ou un seulla'ique, qui n'admit les heureux
effets de la sépa.ration complete de 1 'État et de l' Église 3. Le pretre
américain, quelle que soit sa secte, ne remplit aucune charge


i De la démocratie en Amérique, 1, 350.
2 Reisebilder, ltalie, XIV.
3 De la démocratie, etc., J, 358




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 503


publique,et l' opinion lui ferme l' acces de ces charges quand ce n' est
pas la loi elle-meme 1. Les catholiques inclinent peu aux petites
dévotions, aux dévotions enfantines, par lesquelles on émiette le
christianisme sous nos yeux et on lui ote toute dignité, toute sa-
veur. Dans le vaste domaine de la religion, ils exploitent plutót
~ la partie morale que la partie dogmatique et, s'inspirant d'un


conseil que Lacordaire a vainement donné en Europe, ils recher-
chent moins les points qui séparen t les diverses Églises que les
poínts qui les rapprochent. Les protestants font de meme:
Channing, dan s ses nombreux écrits théologiques, a négligé la
discussion des dogmes et de leurs mérites respectífs , pour s'at-
tacher aux applications pratiques des croyances religieuses et a
leur action salutaire sur les destinées de l'homme ou la marche
des so cié tés 2.


Les trente-trois autres millions se répartissent entre les sectes
protestantes, qui forment la-bas une multitude et dont les plus
·répandues, les baptistes régu liers (regular Baptists) et les mé-
thodistes épiscopaux (Methodist Episcopal Ch1trch) ne comptent
l'une que 1,1-00,000 et l'autre 1,250,000 adhérents 3. Ces sectes
sont nées de l'intr.rprétation bibliquc, telle que les calvinistes et
les luthériens la pratiquaient a l'origine, ou bien de l'inspiration
intérieure, inner light, que le quakcr consultait de préférence.
Daos cette voie de gloses toutes personnelles et de révélations
toutes spontanées, l'exces est tres-facile, et ilIle faut pas s'étonner
que l' Amériqne en offre de surprenants et de monstrueux. Elle
a ses Shakers, sur les bords de l'Hudson, ses Spirilualists a Pough-


1 e'est le cas dans le New-York, la Virginie, les ueux Carolines, le Kentucky. le
Tennessee, la Louisiane.


2 M. Eugene Vail a fail. remarquer qu'un seul de ses ouvrages: Des objections
offertes Q" christianisme, aillsi qu'ill'st entendu par les unitaires, renferme des
uiseussionsthéologiques proprement dites et que la défense de sa propre doctrine en
réclamait I'emploi. M. Vail signale les memes tendanceg rhez M Palfrey, de
Boston, M. Furness, de Phlladelphie, M. Skinner, de New-York, auteurs de tra-
vaux exégétiques sur l'Ancien et le Nouveau Tt'stament (De la littérature de~
Etats-Um's, 190-204).


3 Les anciens puritains congregationalists ne sont au nombre que de 196, et les
presbytériens de 65 mille. Les Moraves comptent pour 25; les Quakers pour 100 ;
les Unitaires pour 50,000. Les Memnonites sont au nombre de 700 et les Luthériens
!le 350,000 (Á.lmanach de Gotha, 1872).






504 LES ÉTATS-UNIS DE I:Al\IÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
keapsie, ses voyantes (Femate Seers) a Boston, ses Per{ectionnists
ou communistes bibliques a Oneida Creek et a New-York, ses
Mormons sur les bords 4u grand lac Salé. Le genre de vie qu'ont
adopté les Shakers fait souvenir a la fois des esséniens de la J udée
et des pythagoriciens de la Grande-Grece. Ils vivent en commun,
hommes etfemmes, suivent un régime végétal, se livrent a l'agri-
culture, et restent célibataires 1• Les Spü'itualists prétendent que les
vieux Évangiles sont épuisés, que les Églises qui s'appuient s~r eux
sont mortes, et que des phénomenes d'un ordre surnaturel seront
les prochains précul'seurs d'une révélation nouvelle. Les voyantes
qu'on appelle aussi Elizabethans, d'Elisabeth Denton, fonda-
trice et pretresse de la secte, lisent l'avenir dans leecenr me me
des pierres meulieres ; elles vivent d'aille.urs dans le monde,
dont elles goutent fort bien tous les plaisirs et recherchent tous
les avantages. Les communistes bibliques ont réduit l'état de
grace a son expression la plus simple: il n'est pas besoin pour y
accéder de prier ou de faire de bonnes ceuvres; il suffit de vou-
loir et la grace survient. Ces sectaires pratiquent la pantagamie,
pour employer l'expressi'on de M. Hepwj)rth Dixon, tandis que
les Mormons se contentent d'etre polygames et de meler dans
leur étrangl)credo les reminiscences du Coran a ceHes de la Bible
et les coutumes du chrétil3n a ceHes du Tartare, de I'Rindou et du
Peau-Rouge.


Ces immoralités et ces folies trouvent leur aliment principal
dans ces réunions religieuses qu' on appelle revivals ou spiritt¿al
cycles, et qui se tiennent dans les solitudes de l'Indiana et de
l'Ohio. Le voyageur que nous citions tout a l'heure a déerit ces
sct'mes, auxquelles il a deux fois assisté en personne.


Qu'on s'imagine la soirée d'un jour d'octobre, un sol tout cou-
vert de fleurs jaunes et de mousses rougeatres, tout p'lanté de
chenes, d'hickorys et de platanes dont les feuilles ont revetli les
teintes brunissantes et rlorées de l'automne. A u mílieu de souches
d'arbres s'éHwe une multitude de tentes et de baraques a l'aspect


f Cette secte singuliere parait prospérel'. Le reeensement de 1860 l'inscrivait pOUl'
plus de 600,000 personnes, et IOl'sque M. Hepworth Dixon visitait les Etats-Unis,
elle comptait 18 communautés éparses dans le New-York, le Massachusetts, le New-
Hampshire, le Maine, le Connecticut, ¡'Ohio, le Kentucky.




-,


QUATRIEME PAUTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS 505
étrange, et d'ou s'échappent des sons et des éc1ats de rirequi rap-
pellent les foires de J' Angleterre et lés veillées de l'Irlande. Les
chariots sont dételés et les animaux broutent l'herbe. Les hommes
prient, boivent, fument; ¡ls allument du feu et font leur cuisine;
les jeunes gar<¡ons coupent rtu bois et les pe tites filIes vont rem-
plir leurs cruches au ruisseau voisin. Au centre du campement,
un pale sectaire, monté sur un tronc d'arbre, harangue un groupe
d'auditeursou se heurtent des fermiers, des negres aux vetements
bigarrés et quelques Indiens avecleurs plumes a la tete et
leur corps peinturluré. Des exc1amations et des soupirs interrom-
pent ses périodes; a ses gestes, des hurlements répondent ; san s
s'arreter, sans respirer, il précipite "son disconrs et répand un fIot
de paroles, tandis que son auditoire, les joues pales, les levres
serrées, les mains jointes, donne tous les signes de la frayeur et
du désespoir religieux. Les femmes courent a travers le camp,
et se roulent SUl' le sol, la bouche écumante, en versant des
larmes et en s'accusant tout haut de leurs péchés. tes negres
gémiEsent et poussent des cris frénétiques de Gloire! Gloire t AI-
leluia t seuls les Peaux-Rouges se tiennent immobiles et jeUent
un rcgard de pitié sur ces délires des blancs l.


BeaucQup de revivalists tombent malades et il y en a qui
meurent. Seulement, il ne faudrait pas croire que dans ces réu-
nions extraordinaires, la passion religieuse trouve seu le un
exutoire: toutes se mettent la bride sur le oou; les hommcs
mariés se querellent et-se battent ; les jeunes gens font l'amour
aux femmes de leur prochain. Si le christianisme a beaucoup
gardé dan s le Nouveau-Monde de l'immense ascendant qu'il a
jadis exercé dans l'ancien, et qu'il y a perdu par une suite de dé-
viations, de fautes, de trahisons envers lui-meme, cette situation .
est due a un concours de tout autres causes que ces hystériques
cffervescences. Tout le monde ne croit pas en Amérique; mais,
en général, on n'affiche pas son incrédulité, et les hornrnes sen-
sés, ne redoutant pas dans la religion une ennemie de leurs pré-
rogatives les plus cheres, ne troublent pas des sentiments qu'ils
ne partagent pas eux-memes, mais dont ils savent qu'un gl'and


i New Amcrica, II, XI\'.




506 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
nombre de leurs semblables tirent tour a tour des stimulants et
des consolations. Le fameux livre du docteur Strauss n'a point
trouvé de traducteur au,x États-Unis, tandis que MM. Me Clintock
et Blumenthal, professeurs au collége Dickinson, ont traduit le
livre de son antagoniste Neander, et malgré son vaste talent,
quoique l'on sut qu'il mitigeait beau~óup la doctrine de ses
maitres, M. Parker n'a pu faire accepter qu'avec défiance a ses
conCltoyens quelques-unes des données de l'exégese allemande 1.


7. - Instruction publique.


On a vu que le principe de l'instruction obligatoire, contesté
chez nous par des raisons qui seraient simplement risibles si
elles ne cachaient des arriere-pensées redoutables 2, existe de
vieille date en Amérique, et que les Blue Laws du Connecticut
inflígeaient de fortes amendes aux parents qui négligeaient leur
devoir a cet égard et leur enlevaient meme la tutelle de l'enfant
négligé. Ce principe, inscrit des l'année 1647 dans la législation
du Massachusetts, domine encore dans les États qui for-
ment la Nouvelle-Angleterre et tend a devenir universel, tant
1'opinion publique y ponsse. Quant aux frais des écoles publiques,
deux systemes sont en présence qui comptent l'un et l'autre des
partisans el re~oiveílt des applications. Dans l'un, c'est l'État qui
donrie tout, dans l'autre, ce sont les communes. Dans les townships
de la Nouvelle-Angleterre, une seule écol~ primaire est subven-
tionnée, et c'est celle qui re~oit a la fois 1'enfant du riche et 1'en-
fant du pauvre ; en Pennsylvanie, les écoles de cette sorte sont
réservées aux seuls pauvres, qu'on y instruit gratuitement. Au
reste, la liberté la plus complete regne en dehors de ce systeme
d'instruction publique; chacun est libre d'ouvrir une .école, sous


f M. Parker est le traducteur de de Wette.
2 M. John-Stuart MiIl se plaínt d'une dísposition semblable, qnoique tirée d'alltres


motifs, en Angleterre. « 11 n'est pas encore reconnu, » dit-i1, « que mettre au monde
ce un enrant sans etre sur de pouvoir non-seulement le non rrir, mais enCOre instruire
« et former son esprit, est un crime moral et envers la société et envers le malheu-
« reux rejeton, et que, si le parent ne remplit pas cette obJigation, l'Etat devrait
« veiller a la faire remplir, autant que possible, a la charge du parent. » (La Liberté,
éd. franc., 1860, p. 193.)




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. e 507
la seule condition d' exhiber un certificat de bonne vie et mamrs
que lui délivrent les autorités locales et le pasteur de sa paroisse ;
encore ce certificat est-il loín d'etre universellement exigé, et
partout on laisse aux chefs de famille le soin de choisir ce qui
leur coovient le mieux des écoles privées ou des écoles publiq ues.


VEtat de New-York pratique un systeme mixte eL trahissant
en outre des vues unitaires auxquelles un Fran~ais est trop habi-
tué pour s'en étonner, mais qui causent une certaine surprise
dans un pays oil le Hdp yourself Sir (Aidez-vous vous meme,
monsieur) du Squatter de l'Ouest traduit bien le sentiment géné-
ral d'individualisme. La législature a consacré un fonds spécial
aux études primaires, The Common School Fund, et in1ervient d'une
fa~on permanente et directe dans le gouvernement des écoles.
Un surintendant est placé a la tete du service; il distribue entre les
divers comtés les secours annuels de l'État, et des fonctionnaires,
qu'on nomme commissaires des écoles, répartissent a leur tour
ces secours dans chaque commune entre lts diverses écoles que
la circonscription renferme. Ce sont eux qui nommentles maitres,
qui les inspectent, qui les révoquent; mais les intéressés peuvent
en appeler de leurs déci~ions au surintendant. Celui-ci re~oit les
rapports des commissaires, les coordonne et les place, avec ses
obs'ervations propres, sous les yeux du législateur. Aussi bien, cet
État, the EmpireState, comme on dit auxÉtats-Unis, s'est-il tou-
jours distingué par son zele a propager qnstruction. A une
époque oil l'instruction primaire n'était guere florissante si ce
n'était daos les États de la Nouvelle-Angleterre; oil dans le
Sud, elle était tres-négligée, me me pour les blancs; oil enfin,
dans la Pennsylvanie, les élections de fin d'année se faisaient au
cri de no Bank, no School (pas de banque, pas d'école), tout le
monde dans le New-York savait lire et écrire. Lorsqu'en 1834, il
n'yavait encore en France que 2,450,000 enfants, c'est-a-dire le
treiziemede la population, a fréquenter les écoles et que le budget
total de l'instruction primaire ne dépmisait pas 12 millions 1, cet


. État, seize fois moins peupléque le nótre, avait plus de dix milI e
.


• Encore M. Guizot venait-il de le tripler, car, en 1830, iI n'était que de
.& millionst




'508 - -LES l~TATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
écoles, pour Jesquelles il dépensait 7 millions 1 et que fréquen-
taient541,000éHlVes 2• Trente et un ansplus fard, c'étaient 970,000
éHwes, 14 millions de franes, 12 mille écolAS, représentant un
capital d'environ 50 millioris et possédant ensemble pres de
1,300,000 volumes de bibliotheques.


Indépendamment des éeoles primaires proprement dites, les
Etats-Unis possedent des éeoles du dimanehe, Sabbath Schools,
ainsi nommées du seul jour OU elles soient ouvertes. Elles sont
fréquentées par les enfants pauvres, se tiennent habituellement
dans des salles qui dépendent des églises, et l'enseignement y est
surtout religieux. Elles relevent d'une assoeiation qui s'appelle
l' Union mnéricaine des écoles du dimanche, dont l' objet est de
généraliser ees écoles et de répandre les éerits qui les eoncernent.
Cela n'empeehe point les Etats d'avoir pour eux-rnemes des ,socié-
tés analogues, et ceHe du Massaehusetts se distingue par son zele
et ses nombreuses publications. Quelques-uns de ses volumes,
qui font partie d'une eollection intitulée: Vies des ptincipaux peres
de la NOllvelle-Angleterre, trahissent des préoecupations un peu
étroites et par trop théologiques, mais l' ensemble respire un
souffle austere et fortifiant. e'est aussi l"éloge que méritent beau-
eoup d'éerits destinés aux enfants, qui son~ uus a l'initiative indí-
vidueHe, et, comme Frall(;ais, l'on ressent une humiliation pro-
fonde quand on compare la Legende d' Ox{ord, le Patriarche, le
Pere de famüle de Mille Sigourney, Roland et l'enfant chez lui de
MM. Abott, les Lettres sur l' Evangile et l' Histoire de la Nouvelle-
Angleterre de miss Hannah Adams, a eette masse de productions
informes et niaises, quand elles ne sont pas décidément rnalsaines,
que des dames ou des demoiselles désamvrées et des écrivains
faméliques font pleuvoir sur nos foyers et nos écoles 3. En vérité,


i Dont 4. pour le salaire des maUres.
2 Lettres sur l'Amérique du Nord, 1. XXX et notes 59 et 60.
3 On excepte natnrellement de cette triste Jittérature les livres de M. Jean M_acé et


de MM. Erckmann-Chatrian « qui ont su réussir dans I'art si difficilc de se faire
« entendre. du peuple et des enfants,» comme disait récemment un éminent pro-
« fesseur au Collége de France. Mais ces livres!le sont pas cncore asscz lus, (t
ne finirait-on point par ne plus les Jire du tont, si notre instrllction primaire lombait
dans le vaste traquenard tendu par les amis de l'ignorance sous les pieds de la li-
hCl>té, au nom de la Iihel'té meme?




QUATRlEME PAHTIE. - PHOGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 509
e'est au peuple amérieain que reviendrait eet éloge d'avoir réalisé
ce mélange de lumieres et de force, qui est, eomme 011 l'~ dit,
l'essence de la civilisation, et non au peuple prussie'n, auquelle
déeernait en 1844 un éminent éeonomiste trompé par les appa-
renees J. Ce que la Prusse représente vraiment dan s le monde
moderne, e' est l' exces de l' orgneil prineier ou nobiliaire, ce sont
toutes les conque tes de la civilisation et de la scienee mises au
service de la "ieille barbarie teutoniqne, de ses appétits sangui-
naires et eupides.


M. Miehel Chevalier n'était pas éloigné de eroire que si la Franee
était inférieure a l' Amérique sous le rapport de l'instruetion pri-
maire, elle la dépassait sous celui de l'instruction seeondaire. A
yoir la direction que eet enseignement a rec;ue dans nos lycées et
dans nos eolléges et le nombre de déclassés, avoeats san s cause,
médeeins sans malades, littérateurs sans idées et sans style, que
le latinisme, ponr parler comme Bastiat, inflige ehaque année a
la soeiété franc;aise, l'avantage dont il s'agi t ne parait pas peut-
etre tres-évident. Les établissements d'instl'uction seeondaire et
memesupérieure ne font pas défaut a l'Amérique. Elle peut eiter
parmi les derniers l'nniversité d'Harvard a Cambridge, l'nniver-
sité de New -York, organisée et meme eentralisée a la fac;on fran.,
c;ais.e, et eeHe d'Ithaea, due a la munifieence de M. Ezra Coruell, qui
lui a donné 2,600,000 franes, ,80 hectares de terre et un musée
paléontologique, tandís que la législature lui eoneédait d'autres
terres évaluées a einq millions el que différentes libéralités per-
sonneHes élevaient sa dotation 11 une somme triple. L' Institution
smithsonienne, doút la pensée rappeHe la soeiété royale de
Londres; l'Institut de Franklin a Philadelphie, la Société philoso-
phique de eette ville, l' Academie des arts et des sciences de Boston,
enfin les soeiétés historiques du Massaehusetts, du Rhode-Island,
de la Pennsylvanie, de la Géorgie, de la Louisiane, témoignent
assez que la démoeratie amérieaine ne s'est pas aussi ren1ermée
qu'on aime trop a le dire dans le seul souei des intérets matériels
et qu'elle ne refuse point un légitime tribut aux aspiratioIls plus
désintéressées de l'esprit. Enfin pres de 37,000 éleves fréquentant


I Michel Chevalier. Cuurs d' economie politiqt~e, He année, 1G" lecon.






510 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE .
.les colléges supérieurs et les Académies de l'Etat de New-York
attesteraient seuls un état florissant de l'enseignement secondaire,
et ce fait, que le Lexicon grec de M. Pickering et le Dictionnaire
latin de M. Levei'ett trouverellt place dans les écoles de la
Grande-Bretagne, est une preuve que )'érudition classique elle-
meme n' est pas entierement négligée. Seulemfmt, les Américains
ne subordonnen t pas, comme on le fait dans nos lycées depuis
deux siecles, l'instruction au seul art d'écrire 'et de traduire des
idées convenues dan s un style convenu. Ils ne commettent pas la
sottise de jeter tous les jeunes esprits dan s un meme moule et
d'imposer huit années d'études classiques a tous les jeunes gens
indifféremment, a ceux qui les rccherchent comme a ceux qui
les dédaignent, a ceux qui en ont besoin comme a ceux qui n' en
savent que faire.


Quelques indications, empruntées a l'excellerít et remarquable
travail d'un ancien professeur de faculté, compléteront heureuse- "
ment eet aper~u sornmaire 1.


Les écoles primaires dépassent le nombre de 300,000, ce qui
fait une éeole pour 180 habitants ; elles sont fréquentées par plus
de 7 millions d'éleves et eofitent plus de qualre cent cinqttante
'rnillions de fTancs. Le rapport annuel sur l'éducation constate
néanmoins que, dans la population au-dessus de dix ans, iI se
trouve encore 5,060,000 personnesillettrées; mais sur ce chiffre,
il y a pres de 2,700,000 qui appartiennent aux races de couleur,
et 700,000 étrangers" ce qui réduit, dans des proportions tres-
notables, la masse des illettrés de race blanche et de nationalité
américaine '2. Au surplus, les noirs étaient a peine appelés a lá
liberté que de tous les cótés on s'effor<;ait de venir en aide a
leurs besoins physiques, qu'on s'ingéniait a leur ouvrir des écoles
eomme des hópitaux. Le comité d' éducation de Boston et les
sociétés d'éducation de Philadelphie, de Cincinnati, de Chicago
remontent a l'année 1862, et des l'année suivante, on comptait
1,000 écoles exelusivement destinées aux affranchis. A mesure
qtle l'armée du Nord prenait possession' de quelque ville rebelle,


t L'instruction jJUbliqtw aux Etats-Unis, par M. Ilippeau, 2e édition, 1872.
:! A.nnuaire de ['éconornie politique, p. 400.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRE S ET DEVELOPPEME~TS. 511
une phalange dévouée d'instituteurs et d'institutrices entrait a sa
suite. M. Peabody, dont le souvenir est attaché a toutes les
reuvres bienfaisantes de son pays, donnait 5 millions pour se-
conder ce mouvement, et le Congres en allouait 45 au bureau
des affranchis, dont une bonne part devait revenir aux écoles.
Aussi, au commencement de 1868, étaient-elles arrivées au chiffre
de 4,000; des écoles normales avaient été créées pour former des
instituteurs noirs, et des cette époque, on comptait 300,000 an-
ciens esclaves qui participaient aux bienfaits de l'instruction,
tundís qu'au commencement de la guerre, il y en avait a peine
9,000 qui sussent Jire et écrire.


Il faut ajouter que les citoyens des États-Unis don'nent a 1'ensei-
gnement primaire une étendue qu'on ne lui accorde point ailleurs.
Chez eux, 1'école primaire n'est pas destinée seulement a l'ins-
truction du pre'mier age; elle est instituée de fa.;on a ce que, de
cinq adix-huit ans, tous les enfants des deux sexes puissent recevoir
une éducation complete. Dans les écolés du degré le plus infé-
rieur, a l'écriture et a la lecture, au calcul, on joint des llotions
de dessin et de musique, des le.;ons d'histoire et de géographie.
Les écoles du degré supérieur : Grammar schools, High Schools,
Academies continuent cet enseignement et le développent. Ainsi
dans les classes les plus avancé es des écoles de gl'arnmaire, on
peut apprcndre le franyais, 1'allemand, meme le latin ; ces der-
nieres études, avec le grec, la physique, la chimie, font partie du
programme courant des écoles supérieures. Les mathématiques
élémentaires, de meme que les sciences naturelles, les sciences
morales et politiques s'ajoutent au programme des académies.·Au
surplus, dans les académics comme dans les écoles supérieures,
personne n' est forcé d' embrasser ces vastes programmes dans
toute leur éténdue, et chacuIl gardc la liberté de choisir ceux
des cours qu'il se propose de suivre dans l'ordre scientifique ou
dans l' ordre moral.


Ce que les Américains appellent Colléges 'n'offre aucune analo-
gie avec nos lycées : ces établissements sont excIusivement des-
tinés aux. jeunes gens agés au moins de seize et dix-sept ans
qui, n'ayant pas été soumis a l'internat dans le cours de leurs pre-
mieres études, participent encore comme externes 1ibres a un




512 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
enseignement supérieur. Ces colléges, qu' on appelle aussi univer-
sités, s'élevent d'habitude a la campagne dans le voisinage des
viHes popul(mses, et se composent d'une série d'édifices ayant
chacun sa destination spéciale et groupés autour de ]a maison
habité e par le directeur. De renseignernents partiels que M. Hip-
peau a pu recueillir, il résulte qu'il y en avait en 1869 environ
290 qni réunissaient de 70 a 80,000 étudiants des deux sexes,
agés de dix-sept a vingt-quatre ans, enseignés par 3,000 pro-
fesseurs 1. Outre ces établissements, les États-Unis comptent
encore 83 séminaires théologiques, dont 15 catholiques, 51 écoles
de médecine, 22 de droit, san s parler des 22 écoles spéciales
d'agriculture, d'arts mécaniques et de sciences appliquées qui
ont été fondées en vertu de l' Agrict¿lture CollégeAct leur attribuant
9,500,000 acres de terres 2.


Une derniere remarque. Les Etats-Unis, habitués a donner
l'expérience pour base a toutes les théories, ont résolu par l'ex-
périence la question de l'émancipation intellectuelle de la femme
si controversée dans le vieux monde. Au Parker Collegiate InstittMe
de Brooklyn, au Rutger Fernale College de New-York, au Vassar
College de Poughkeepsie, des jeunes filles de quatorze a víngt ans
étudient les langues mortes, la géométrie et l'algebre, voire la
géométrie analytique et le caleul différentiel, la géologie et les
scienees naturelles, les littératures étrangeres et l'économie poli-
tique. Comme eonséquenee de eeHe éducation supérieure, les
femmes américaines ont prétendu a l'acees de eertaines earrieres
dont les hommes se sont faít un monopole, et l'opinion publique
leur. a été généralement favorable. Déja plus de trois cents femmes
exercent, dans les diverses parties de I'Union, la médeeine et la
chirurgie avcc un talent et un sueces réels. L' enseignement pri-
maire, a ses dívers degrés, offre d'ailleurs un débouché perma-



I Les plus célebres ou les plus frequentés sont les colléges d'Yale a New-Haven,


de Harvard a Cambridge ~ de Cornell a lthaca; de Michigan a Ann-Arbor
(l,125 élcves); d'Oberlin, Ohio (1l36 éleves); de Manhattan et de Saint-Francois-
Xavier a New-York; les universités Wesleyienne et de Washington a Saint-Louis ;
de Kentucky a Lexington.


2 Ce sont les colléges ou uni versités qui confcrcnt les grades de bachelier, de
IIlaitre el de docteur, diplómes qui sont la condition requise pour l'exercicc de
(1 uelque,s fonctions.




QUÁ.TUlE~IE PAirJ'lE. - PROGRE S El' DEVELOPPEMENTS. 513
nent a ces jeunes femmes inslruites. En Amérique, en effet, il y
a plus de femmes que d'hommes a se consacrer a cet honorable
mais rude labeur. On leur trouve a, la fois plus de ferrneté et plus
de douceur, une aptitude a cornmuniquer l'éducation plus grande,
et dans un pays ou, entra inés par le courant m0bile des intérets
qui déplacent incessamment les situations, les hommes changent
vo1ontiers d'occupations et de carriere, on est heureux d'avoil'
trouvé dans les femrnes des auxiliaires non moins dévoués et plus
fixes de l'enseignement publico


VIII


LITTÉRATURE.


l~n(; statistique a établi que le nombre des ouvrages sortis
en 1834 des presses américaines a été de 251, et que sur ce nom-
bre 216 ouvrages traitaient de la jurisprudence, de la religion,
de l'éducation, de matieres historiques, tandís que le roman et la
nouvelle n'en comptaient que 1 9 et que la poésie n'avait inspiré
que 8 yolumes senlement l.


1. - Théologieils.


Cette statistique est instructive et curieuse : elle atteste que la
littéralure des États-Unis restait eneore fidele, il y a une tren-
íaine d'années, a l'esprit grave, austere melle qui l'animait a ses
débuls et lui donna naissance. Les premiers scholars des planta-
tions ont été en effet des ministres du culte puritain, et le pre-
miel' essor de cette littérature fut entierement théologique. Ses
représentants les plus anciens furent les John Cotton, les Wilson,
premier pasteur de Boston ; les Hooker, les Noyes, les Sheppard,
les John Éliot, les Cotton Mather, les Buckley. Sheppard, qui
mourut a l'~\ge de quarante et un ans, a laissé une explication de
la parabole des Dix Vierges et des Lamentat{ons de la NotLvelle-
Anglete1Te StW les erreu1'S de l'ancienne. Il se renferma exclusive-


1 E.-A.-V. Vail. De la liftérature el des Etats-Unis d'Amérique, introduc-
tion XVX\"I.


33




514 LES ÉTATS·UNIS DE L' AMÉlUQUE SEPTENTRIONALE.
ment dans ]e cercle de ses travaux professionnels; maü; Buckley
cultiva les lettres classiques 1, et J ohn Eliot fut a la fois un sa-
vant et un philanthrope, Il se rendít assez maitre des idiomes des
Peaux-Rouges pour pouvoir les precher dans leur propre langage,
et on a de lui une Gl'ammaire indienne 2 ainsi qu'une Bible tra-
duite en indien. Enfln, eouon Mather,1'ardent persécuteur des
prétendlles sorcieres du Massachusetts, a laissé, sous le titre de
J.Jfagnalia 3, un recueil .qui fait peu d'honneul' a son esprit et a
l'esprit hllmaíll luí-meme.
Matl)(~r s'estdépeint, de sa propre plnme, comme un llOrnme


d'une crédulité sans limites et dont ]e cerveau était COllsta:ilment
hauté par les visions les plus fantastiques, Il n' est donc nullClllent
étolluunt qu'il aH donné asile dans ses .Uagnalia a toutes les ma-
uifestations démonologiqufs que la superstitioll re\'ait, ou que la
fourberie illventait tout autoul' de lui. OIl a dit de Mather qu'íl
avait été en fait l'un des rnembres les plus tolérants du clergé de
son temps, et) pour excuser son fanatisllle sangllinail'e, OH a pré-
tendu que non-st:ulement sa qualité d'lmmble croyant, mais
eucore l'état de la science ou de la philosophie contemporaine
11e lui permettaiem pas de ré\"oquel' ell doute l'arret de mort que
l'Ecriture pOl'tait contre les sorcieres. Que penser alors des con-
freres de Mathel', et puisque la philosophie et la science sont trop
souvent incapables de prévenir le fanatisme, n'est-ce point la
une raison puissante de renfermer le pretre dans le sanctuaire,
et de lui <">ter tout moyen de satisfaire ses f;¡iblesses ou ses ran-
cunes, SOtiS couleur de servir les íntérets du cíeI et de venger ses
droits?


2. - Histoire.


A cM!:) des théolfofgiens, iI y-ent un groupe llombl'eux el'anna-
listes. Winthrop, Bt'adfol'd, Hubbard, Tl'uml>ull, vVoolbridge
retracerent les commencelllellts de la NOllvelle-Angleterl'e, et


j Il versifiait tres-bier~en lalin.
2 L'lndian grarnmar a été insérée dans les lflass. Hist. coll., 2e ~érie, tome IX,


p. 243 et sqq.
3 Ou Evénements extraordinaires de la Providencp- mrvenus dans la N{)uvelle-


Angleterre.







QUATRLEME PARTIE. - PUOGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 515
Hutchinson a lais'3é une Hlsto:re (LL¿ Jlassachusetts qui se distingue
par un véritable mérite littérairo. Le capitaine Smith, qui fut le
v~ai fondateur de la Vit'ginie. en a eté aussi le prernier historien.
Il eut pour successeurs.Oldmixon, Stowe, Buckley; B~l'keley,
ave e beaucoup d'autres, tandis qu'Ira Allen se faisait l'annaliste
du Vermont; Langford el Strollg du Maryland; Clay, Smith,
Gordon de la Péllnsyhanit.~, du New-York et clu New-Jersey;
Hewat, Wilson, ArchdaJe, Mae-Call des Carolines et de la Géor-
gie. Leur Iangue ctéja formée et ]enr~ habitudes d'esprit généra-
lement réfléchies, sinon exemptes de certaÍlls préjugés, leur ont
conservé des lecteurs, melLe de nos jours, et i1s préparaiellt aüx
futurs historiens de I'Unio11 entiere, ou de ses provinces, des
docurnents mieux disposés et généralement dignes d'une créance
que les historiens de l'Europe sont loill de pouvoir accdrder aux


. '


annaliste~ de l'époque barbare et aux chrolliqueurs du moyen
age.


Quand les treize plantatIOns eurent rompu leur dépendance
de l' Angleterre et pris place parmi les nations indépendantes, on y
éprouva bient6t le double besnln de mieux se faire COllnaitre dll
vieux monde et de COl1sacrer spécialement la mémoire soit des
fondateurs des eolonies, soit des peL'es de I'Union aciuelle. Deux
hommes illustres, .John Adarns et Jefferson, entrerent daus eette
nouvelle earriere, l'un par la Défensc des cOllslitulio1?s amcricaines,
dont il a déjá été question iei meme, l'autre par sa Notice sur [' Etat
de Yirginie, a laquelle douna nais¿mnee eette étonnaute supposi-
fion de Butron et ele l'abLJé Raynal, qu'en Amérique les espeees


\' animales, et meme l'especc humaine, se montraient amoindries
et rapetissées. La lVotice porte la date de 1787, et il yavait déja
deux aas 'que David Rarnsay avait fait paraitre son lIistoirc de la
Révólution dans la Caroline du Su,d, que devajent suivre, a cinq et
a vingt-trois aus de distance, son Histoire de la Révolution amé-
ricaine et l' Histoire· de la Caroline du Su.d. Ecrivain grave et clas-
sique, historien judicieux et'impal'tial 1; Ramsay était en outre un


i 11 était l'ami intime de Frallklin et de Witherspoon, dont i\ recut de pr~cieux
matériaux. 11 tit alissi de fréquentes visites 11 Mount-Vernon pour obtenir de Wa-
shington des rtlnSeigllements que cclui-ci ne refusait a personne, 11 plus forte ralSOIl


,


a Ramsay, qu.'il connaissait comme membre du Congres eL littérateur •


. ,


I


f'




516 LES ÉTATS-UNlS DE J:AMÉIUQUE SEPTENTRIONALE.
travailleur infatigable, et quarante ans de labeurs lui avalent
permis de réunir les matériaux d'une Histoil'e des Etats-Unis et
d'une Histoire tmiverselle, eonsidérées par rapport a l' Amérique.
La mort qu'il réc;ut, le 6 maí 1815, d'un malheureux nommé
Linnen, qu'il avait contrilJUé, eomme médeein, a faire renfermer
dans un asile d'aliénés et quí, pour se venger, lui tira dans la rue
un coup de pistolet a bout portant; la mort l'empéeha de voir
leur publication. M. Carey, de Philadelphie, a fait paraitre plus
tard les deux.ouvrages 1 •
. On doit a M. Robert Proud une Histoil'e de la Pennsylvanie fart


estimée; a M. Dunlap une Histoire des NouveatLx- Pays-Bas dont
nous avons plus baut fait l'éloge et M. Braekenridge a raeonté la
guerre qe 1812-1815 2 • Gordon et Paul Allen ont pris pour sujet
deleurs.ouvl'agesla révolution amérieaine, tandis que M. Warden
a déerit son pays natal, sous le triple rapport de l'histoire propre-
ment dite, de la politique et de la statistique 3. Dans son Histoire
politique et civile des Elats· Unis d' A márique, Pitkin ll'a embrassé
que la période qui s'étend depuis j 763 jusqu'a 1797, année qui ,
vit flnir la seeonde présidenee de Washington. Mais William
Grimsha,v a pris eette meme histoire ~l ses débuts et l'a eonduite
jusqu'a la paix de Gand 4. C'est égalemerit a l'ensemble des an-
uales amérieaines que se rapportent les travaux de Gl'ahame, de
M. George Tueker, de M. Hildreth et de M. Baneroft. L'ouvrage
de M. Hildreth s'arrete au XVlC Congres 5. Celui de M. Tueker 6
va jusqu'au XXVlC ~ et l' Histor'Y of The United Stales de M. Baneroft
ne dépasse pas l'année 1776: HabentstLa (ala libelli, Ce livre a eu


t Le premier sous le titre de Ilistoire universelle ou vue historique. du monde
tlepuis les temps les plus reculés jusqu'au XIX· siecle, prise surtout au point de
vue de la société, de la littératll,re, de la religion el du gouvemement des Etats-
Unís d'Amérique.


Ramsay était né dans la Pennsylvanie en avril1749.
2 En 2 vol. in-8°, qui ont été traduits en fran(;ais par M. de Dalmas (1820).
3 En 5 vol. in-8°, écrits par l'auteur a la fois dan s sa langue el dans la nólre .•


L'éditlOn anglaise est de 1820. .
.\ Histoire des Etats-Unis, in-8°, 1820.
;) History o{ the Unitcd States prom the discovery o{ the continent to the sir-


teenth congress; 6 vol., New-York (184\:)-1852).
(j I/istory of the United States (rom their colunisatiun lo the twqnty-sixth cun-


gress;'1 vol. Philadelphie (1857).




QUATRIEME rARTIE. - PHOGRi~S ET Df~VELOPPEl\lENTS. 517
tous les succes et tous les bonheurs. A peine paru, il recevait du
savant Heeren des éloges qui le pla~aient, sous le double rapport
de la pensé e et du style, a cóté des plus grands modeles, et peut-
étre M. Baneroft s'est-il souvenu de ses éloges, qt:land lui, citoyen
de la libre Arnérique, s'est mis a plat ventre devant un brutal des- .
pote aHernand, en insultant d'une fa<.;on grossiere un peuple au-
quelle sien doit son indépendance. Ensuite l' History a été tradnite
en fran<.;ais, el. chez nous, on ne la citait guere sans la qualifierd'ad-
rnirable, san s appelel' son auteur UI~ gl'and, un iIlnstre historien.
H est possible que l'odieuse escapade de M. Bancron ait beau-
COilp refroidi cet enthougjasme. Pour nous, nous n'avons rien a '
ajouter, rien a retrancher ni a~ jugernent que eette reuvre nous a"


. inspiré plus haut, ni aux reflexions dont la conduile récente de
M. Bancroft nous a paru justiciable.


Les Arnéricains' ont la mérnoire, presque le culte de leurs
grands hornrnes, et les biographies tiennent une large place dans
leur littérature historique. CeHe de \Y ashington a successive-
ment tenté la plurne de Ramsay, du Chic[ Justice Marshall, de
W eem, de Custis, du Dr A. Bancroft, de J ared Sparks et de Was-
hington-Irving. Ces divers ouvrages ont leurs mérites propres.
Marshall avait été l'ami el l'aide de carnp du granel hornrne dont
il" a éccit la vie; il avait été acteur dans un ~rand nombre des
événemenls qu'il raconte , et il a laissé le renorn d'un hornrne
integre, comrne d'Ull narrateur véridique, quoiqu'il n'ait pas su
toujours se défendre, dans le jugernent des hornrnes et des choses,
des ardeurs de parti. La partie rnilitaire est tres-bien traitée chez
le docteur A. Bancroft. Gustis, qui était fils adoptifde Washing-
ton, a serné daus son ffiuvre une foule de curiellses anecdotes, et
le volumineux travail d'Irving a souvent éclairé d'un nouveaujoul'
les premie res années du génél'al. Quant aux deux volurnes de
Jared Sparks, ils forment une introduction aux douze tomes de
leUres privées, de ·depeches officielles et autres pieces que leu!'
auteur a tirées des deux cents et qúelques registres in-folio sur
lesquels Washington avait transcrit son irnrnense correspon-
dance •. Ces volurnes sont ~bien ordonnés, bien écrits, riches de


f Sous le titre de Tite Wril'ings o( George \ Washington; being his correspon-




518 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
faits et détails, et ron peutdire qu'en somme, apres Jared Sparks,
la biographie du grand Américain n'est plus a écrire .


• On en pourrait dire aut:lllt de Franklin, apres ]e travail dans
lequel Jared Sparks a complété son autobiographie, si par lá
naiure et la variété de ses aspects, la vie du bonhornme Richard
n'était faite pour susciter longtemps de nOllveaux travaux et de
nouveaux aper<;,us. Dans la vie de Gouverneur Morris, dans ceHe
d' Arnold el le récit de sa trahisou, le point de vue purement
historique domine, et nofre biographe a faíl preuve, dans le
double travail qu'il a consacré a ces hommes diversement cé-
lebres, de ses qualités ordinaireg de·· diction, de scrupuleuse
exactitude et de jugement solide. 'Elltln cet écrivaín. a fourni les
Vies d'Ethan AUen, de John Ledyard, du c0l!lte Pulawski, de
Ribaut, de Marquette et de La Salle a l'Arnérican Biography 1, col-
lection qu'il dirigeait et qui forme une 50rte ue musée oú figu-
rent les premiers explorateurs de ce contincnt, les Cabot et Hud-
son, les fondateurs des plantations, Roger Williams, E;üon, Valle,
Penn, Oglethorpe, les gélléraux de la guerre de l'indépendance,
Montgomery, Greene, Wayne, Sullivan) Stark, les savants Ritten-.
house et Rtimford, le célebre pionnier du Kentucky Daniel Boone.


La Vie de Patrick Henry fait partie de ce recueil; mais déja
Henry avait trouvé dans M. \Virt un consciencíeux et brillant
historiographe, qui avait étroitement uní la víe de son héros au
cadre de cette vie, et qu'une mort prématurée a seule empech
d'écrire sur le rnerne plan l'histoire de chacun de.s grands fouda-
teurs de la République. Les fils de John J ay et d' Alexander
Hamiltou se sont chargés de ce soin pour leurs iilustl'es peres,
et M. Wi lliam Reed a fait df~ meme ü l' égard de J oseph Reed,
son grand-pere. Quant a Jetferson, il a eu tour a tour M. George
Tucker, M. Samuel Smucker, M. Henry Randall pOUl' biogra-


dance, adresses, messages and other papers orfieial and 'fJ'ivate, seleeted and pu-
blished rrom the original mana ser/pis, lOith a Lire or the A uthor, Notes and
lllustrations by Jared Sparks. 80stoll !i)37. .


.


t La collectioll se compose Je 2;) vul umes ill-18 publiés en deux séries, a Boston
(1.84.!1.) et a New-York (1&45). Les' collaborateurs de 1\'1. J,HelÍ Spal'ks ont été
l\Hl. Alex. H. Everett, fri)fe du célebre of'ateur; Peabody, Hillard, Armstt'onp:, EI-
lis, Bowen, Kingsley, Gammell, Hemy \VheaLOn, Con'vers, Renwick, etc. 011 ne peut
s'empecher de regrelter que cette collectio,} n'ait pas truuvé un traducteur fraIH:,ais.




QlIATRlEME PARTlE. - PIWGRRS ET DÉVELOPPEMENTS. 519
phes 1 ; M. Henry Lee, l'historien de Napoléon, a apprécié ses
écrits et M. Théodore Dwight, son caractí.'re 2. Entln, M. Kirkland,
l'un des collaborateurs de l' American Biography, s'est occupé de
Fisher Ames qui ne joua point \l11 role prééminel1t dans les luttes
de l'Indépendance ou dans la politique de l'Union, mais dont
l'ame était belle et patriotique, l'éloquel1ce a la fois forte et
persuasiyc ayer, une teinte de mélancolie et de tristesse religieuse,
due peut-etl'e a une vive imagination et un tempérament mala-
diP, tandis que M. Belknap, remontant aux temps de la décou-
verte, retl'aQait les voyages et les explorations des Cabot, des
Verrazzani, des Cartier et des Roberval, des Frobisher 4.


Irring en racontant la yie et les décollvertes du grand Colomb,
dans un livre qui est un modele a la fois de narration et de pré-
clsion scientifiqué, et William Prescott dans ses belles Histoires
de la corHI'H~te du Mexique et de eelle du Pérou, ne quittaient
pas encore le Nouveau-Monde. Plus tal'd, Irvingtit des exeursions
en Arabie et ell Espagne, et sut eute/', dans sa COíl(ju(;te de Grenade,
les libres allures de la chrouique SUl' le fOlld sérere d,e l'histoil'e~
Quant a son Jlahonwt, apres la critique <lpprofondie a laquelle
l' Allellland Sprenger a soumis les SOíu'ces de l'histoire de l' Islam,
apres les travaux de M. Willíalll MUÍI', en Angleterre, et de
M. Barthélemy Saint-Hilaire chez 110US 5, íl ne luí reste guere
d'autre mérite que celui du style, (lui rappelie HpbertsoIl 9 et
cel~i d'une telltative hal'die pour l'époque, et quí déja tendait a
placer la Hgul'e du Pl'Ophete sous ull,jour plus vraí. 1\1ais le
Philippe Ji, l' H istoirc d(~ Ferdillaml et d 'Isabelle de Prescott et
ceHe de l'illsufl'ectiol1 des Pays-Bas de M. Lothrop Motley sont
des amvres bien viv<lntes, des iliunes auxlfuelles on peut prédü'e
le suffrage et la !:lallctioll de la postél'ité. Prescott jOlllt a la con-
naissanCeal)profondie el a la cntül ue sévére des textes une dic-


i The hf'e uf Je/fersan, 2. vol. (1837). - l'he ¿¡fe and limes, etc.; Pllllutielphie
(lS57). - The)U/e, etc., 3 vol; New-York (1858). -


2 Ubservations on the w~itiny:> u{ Je¡rer:>on; Hoston ( 1839). - The character o{
'l'homa:> Je/f'er:>un; Boslon (HB g) ..


a De la littérature aux Elats-Unis, 437.
4 En dellx volumes, sous le titre d'American biography.
¡; The lile of Mahumed and history of ]fllans; Londres 1858. - Mahomet et le


Coran.




,


520 LE!' ÉTATS-UNTS DE L'.UIÉnIQU'E SEPTENTRTONALE.
tion grave, une narration a la fois ample et concrete, et c'osi
lui et non M. Bancroft que les Américains ont le droit de meltre
a coté des grands historiens contemporains de la France et de
l' Angleterre; a cóté des Thicrry, des Guizot, des Michelet, ou
des Mahon et des Macaulay. En racontant l'épisode le plus san-
glant d'un regne sanglant, M. Lothrop Motley a produit un livre
consciencíeux, bien développé et d'une belle ordollnance 1. Des
livres tels que celui-ci et le Philippe II devraient etre dans toutes
l~s mains, a une époque ou le· catholicisme ultramontain, a qui
la Hoble Espagnedoit son effroyable décadence, ose relever la tete
et, par la pl ume de ses prélats ou de ses moínes, jeter un auda-
cieux défi aux petíts-fils de Descartes, de Mirabeau et de Voltaire,
en revant de restauTer, a défaut de l'inquisition, peut-etre, les
momeries hypocrites de la restauration et toutes les pratiqlles
ridicules, quand elles ne sont pas odieuses, d'un culte idola-
trique.


3. - Archéologie.


Quelque ,préoccupés que les citoyens de' l'Union puissent etre
d'eux-memes, la présence sur leur sol des restes des tl'ibus in-
diennes et l'existence pres d'eux des ruines qui attestent une demi-
civilisation chez les peuples disparus de l' Anahuac, de I'Yucatan,
du plateau péruvien et celle des constructions plus primitives
qui se dressent partout dans les bassins du Mississipi ou de 1'0hio,
étaient bien faites pour stimuler leur esprit et y éveiller une .cu-
riosité ~ laquelle i 1 était d~tlcile de se soustraire. MM. Thomas Mac-
Kenney et James Hal1.par leur Hisloire des tribus indiennes de l' A-
mérique du Nord 2; Mac-Culloch et Bradford par leurs Recherches;
George Catlin par ses Lettres 3, ont ouvert dans ceUe voie immense


i The rising of Dutch Republic, traduit en frauliais sous le titre de la Révolution
des Pays-Bas, au XVi" siecle, avec une tres-beBe introduction de M. Guizot.


2 L!ouvrage est accompagné d'anecdotes, d'esquisses biographiques concernant les
principaux chef8 indiens, et orné de cent vingt portraits coloriés el dessinés d'apres
la galerie du. département de la guerreo L'un des auteurs, M. Hlll.l, a en outre
publié un Iivre sur les États de l'Ollest (Sketches of history. Ufe and m~nners in
tite lVest).


:3 Researches. phiLosophical and antiquarian concerning the aborigenal hislory
uf America; Baltimore.1839.-American Antiquities and researches; New-York,
1841. On a déja donné plus haut le titré du livrt" de G. Catlin.




QUATRIf~ME PARTIE. - PHOGRES ET DÉVELOPPE~1ENT:'. 52t
de larges et profonds sillons. Catherwood, Squier, Albert Galla-
tin ont explor~ et décrit les monuments du Mexique, du Yuea-
tan, de l' Amérique eentrale 1 ; Squier ]es mounds du Mississipi 2,
Duponceau et Gallatin ont été les vrais peres de la philologie
amérieaine 3. Le second est qrrivé a eette eonc1usion que quatre-
vingt-une tribus habitaient, 10rs de l'arrivée de Cvlomb a Guana-
hani, la superficie actuellement représenté~ par les Etats-Unis,
les possessions ang1aises et les anciennes possessions russes, et
que ces quatre-vingt-une tribus devaient, d'apres l'analogie de
Jeurs idiomes respectifs, sortir originairement de vingt-sept
familles. Gallatin a restitué a ces idiomes les pronoms, les pré-
positions, l'accentuation que les premiers philologues américains
leur avaient refusés, tandis que Dllponeeau dégageait de tout
doute le caractere général qui les relie dans leur dOiversité, c'est-
a-dire le polysynthétisme. La question future sera ceHe de savoir
si les langues amérieaines forment un groupe sui generis, ou bien
si) par leurs vocabulaires ou leurs formes grammatic-ales, elles se
ratlachent soit aux groupes fortement constitués et tranchés des
langues aryennes et des langues sémitiques, soit a celui des
langues touraniennes que M. Max Muller s'efforce d'établir.


4. - Droit et Jurisprudence.


Jusqu'a la ré-volution de 1776, la science du droit ne fut guere
eultivée en Amérique. Les premiers juges des plantations pas-
saíent des champs a leurs prétoires. lls consultaient le bon sens
et la raison bien plus que les Pandectes, puisaient dans la Eible les
motifs de leurs arrets criminels et s'en rapportaient pour les


f lncidents o( traveL in Central America, Chiapas and Yucatan, 2 vol. in,8°;
New-York, 1841.-lncidents o( Tra'rel in Yucatan, 2 vol. in-So; New-YOl'k, 1843.
- Notes on the semi civilized nations o( Mexico, Yucatan and Central A merica
(dans le tome ler des 7'ransactions de la Société d'ethnologie américaine)o


2 Ancient monument o( the Mississ~pi Valley, in-40 ; New-York, 1848.
,3 Le principal ouvrage de Gallatin est sa Synopsis des tribus indiennes 3 l'oues


des Montagnes-Roc~euses et dans les possessions anglaises et russes de l' Amérique du
Nord. Les travaux de Duponceau se trouvent reproduits dans les Transactions de la
Société philosophique de Philadelphie (1816-1819), et son Mémoire sur le systeme
grammalical de quelques nations indiennes de l'A mérique du Nord, qui a obtenu,
e1l1838, le prix Volney de notre In Q! ih1 t ... ,í té imprimé ti Paris, celte meme année ...... _-.... "'-


~.\¡>.. °o'~ \'-.~ ~~"
.. ~ .lA. ~ t,.~ ~ ,


.. '; ,r, ~~ O ~,,~~~~~~




52.2 LES I~TAT~'-U.NIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
causes civiles a la Common Law de la métropole. Plus tard, on
vit régner un penchallt général a déférer les causes d'importance
secondaire a l'auforité ecclésiastique, et on s'expliqu6 facilement
le fait quand on songe que les ministres du culte étaient les plus
instruits des colon s 1. La révolution, en faisant des treize colo-
ni es une nation illdépendante, vint modifier les rapports des
colons entre eux, avec leur ancienne mere patrie et le reste du
monde. Le Con gres dut élaborer des lois qui réglassent les droits
particuliers des Etats sous le líen fédéral, en meme temps que
leurs devoirs communs et leurs obligatioIls communes. Mais la
~ .


législation fédérale, en excluant de son domaine la loi munici-
pale et les 10is concernant la propriété ou la liberté individuelle,
avait beaucoup restreint son champ propre. Chacun des trente':'
sept Etats qui composent la Confédération dans son état actuel a
done gardé sa propre législation civile et meme sa législation cri-
miuelle, son corps de lois, de }'eglements et de statuts spéciuux.


Ellumérer les truV311X juridiques auxquels ces divers corps de
loi ont donné lieu serait une táche au-dessus de HOS moyens d'in-
formation et, en outre, assez dépourvue d'intéret pour nos lec-
teurs. Il nous suffira de leu!' sígnaler le grand oU\'I'élge de James
Kent, ancien Chie! Justice de l'Etat de Ne\v-York, e1- qui a pour
titre : Commentaires st¿r le droit arnéricain. Le premie!' de ces vo-
lumes parut en 18~6, et compl'elluit le droit iIltemational, la
jurisprudence fédéraie et l'histol'ique des principales loís muni-
cipales des Etats-Unis. Les trois autres, quí virent le jour en
1827, en 1828 et en lHJQ,embrasserent les droits illdividuels et


. .


ceux de la propriété fonciere ou mobiliere. Kent, dont l'érudition
était fort étendue, a tres-Líen vu .que le droit de Rome, la ¡oi
civíle de Rome, a réglé souveraiilement les rapports internatio-
naux, depuis l'époque de sa l'ellaissance scielltitique jusqu'au sei-
zieme sieGle. Peut-etl'e son admiration pour cette loi n' est-elle pas
exempte d'une certaine exagéralioIl, et a-t-il trop subí l'illtluence
de Vico quand íi y rattache quelques-uns des prillcipes les
plus libél'aux de la. loi éluglaise ou américaiue, l'iuviolabilité
du domicile et ceHe de la personue, par exemple. Du moins, Kent


I Delalitt rature aux Elats·Unis, 3~8·399.




QUATRIEME PAUTlE. - PHOGRE~ ET DÉVELOPPEMENTS. 523
," '\ . ; . '


n'attribue ces mérites qu'au droit de la Rome républicaine, et il
partage l'indignation de Gravina accusant Tribonien dc l'avoir
corrompu et avíli par la Lex Regia qui dépossede le peuple au
profit de l'empereur.


Kent a commenté son sujet avec plus de largeul' et de c1arté
que Biacksíone quí était, ü la vérité, un esprit timide, pon élevé
et ne sortaIlt guere du cercle des autorités et des préjugés natio-
naux. L'écrivain qui juge ainsi Blackstone reconllait que si les An-
glais OIlt eu dalls Morus, Hobbes, Harringtoll, Alge1'llon Syd ney et
Locke des philosophes politiques, eÍ! fait de jurisconsultes quiaient
bien sentí et professé le droit, on ne leur connalt guere que ~acon
et SelrJen 1. Refuser a Kent ce meme sentiment serait, seulement
d'apres ce qu'on vient de dire, une véritable ínjustice; toutefois
cherche-t-on Ifl vrai philosoplte juridique des Américains, c'est
Edward Li\'ingston qu'il faut nommer. Il a soutenu, a l'encontre
dn sophismes tour a tou!' brutaux et puérils, l'inviolabilité abso-
lue de la vie humaine : Homicide point ne seras, de {ait ni de con- .
sentement; il a puissamment aidé a la réforme pénitentiail'e; iI a
vouiu doter l'État. de Louisiane, son pays natal, d'un nouveau
code ~t rUnion elle-meme d'un recueil de lt>is et de regles fédé-
rales.


On sait qu'en Amérique~ c'est la Common Law d' Angletel'l'e qui
domine; on saít aussi de quel respect presque supel'stitieux nos
voisins d'outre-Manche l'entourent, et c'est une maxime parmi
leurs légistes qu'elle est la perfection de la raison humaiue. 01', il
ya quatre siecles, alors que ia COlnnwn Law était encore dans sa
simplicité primitive, il ne fallait pas moins, comme l'avoue For-



tescue, de vingt ans de labeur, viginli annorum lucubrationes, pour
s'en reildre maUre. Aujourd'hui, ¡llJO serait pas déraisonnable -de
prétendre qu'il y faudrait un temps quadruple, tant les commen- .
tail'es, les rapports, les traités, les abrégés, les introductions se sont
nmltipliés et accumulés. J.i"'aut-il, en uutr'e insister sur les lacunes


, '


de la. (;ommon Law, ses imperfectioIls et ses incohérences? Les
orades vivants de cette 10i, comme disait F~rtescue, c'est-a-dire les
juges qui l'appliquentet les jUl'Ísconsultesqui l'élucident, SOllt loin


t Lerminier. lntroduction yénérale J, l'étud; du droit,274-275,




524 LES Í~TATS-UNIS DE J.o AMÉRIQUE SEPTENTllIONAI.E.
de s'entendre sur la fa<;!on pratique d'en tirer parti. D'un cOté, i1
y a BIackstone établissant qu' ~,n "pl'atique, la regle est de se con~
former aux décisions antérieures, si ce n'est toutefois quand
elles sont manifestement contraires ida loi diviJle, ou manifeste-
ment injustes ou ab3urdes. De 1'autre, iI y a Christian, habile
commentateur du 'livre de Blackstone, quí exige la reproduction
servile des regles et décisions de cette espece, pourvnqu'elles soient
conformes CE ü d'anciens príncipes.» Par exemple, dit-il pour
expliquer sa pensée, qu'un statut passé le dernier jour d'une


_ session él'ige en offense capital e un acle ju~que-H\ réputé inno-
cent, la personne qui aurait commis un teZ acle entre le premier
et le dernier jour de la session, c' est-a-dire six mois peut-etre
avant qu'il eut été déclaré offense, serait, en vertu du nouvel
acte, condamnée et exécutée. Cela serait manifestement inique et
absurde; aucun juge ne pourrait !léanmoins se l'efuser a ]e Íl'ouver
légal, et eette iniquité, cette absurdité, dignes d'un NéroJl ou
d'un Caligula, firent partie jusqu'en l'année 1793 de cette per{ec-
tion de la Taison humaine t.


Si on songe maintenant qu'au grand corps informe de la Com-
mon Law anglaise semt venus se souder en Amérique une .foule
d'usages locaux et de statuts particuliers, qui ajoutent a son ca-
ractere incertain ou contl'adictoire, on s:8xplique tres-bién l'im-
mense effort d'Edward Livingston. Il n'est pas súr que son systeme
pénal ait.réalisé sa pensée entiere, c'est-a-dire que ce systeme soit
dan s toutes ses partiesjuste, doux, efficace, et, a dire vrai, ce n'est
point de l'isolement absolu de la Pennsylvanie que nous serions
enclins a attendre la so]ution intégrale du probleme pénitentiaire.
Quand l'illustre criminaliste, dans son besoin de rechercher et de
découvrir la vérité, admet la femme a déposer dans la cause de
son mari et le fils dan~ ceBe de son pere, ii parait manquer de
prudence, en plac;ant l'homme dans ceU~ situation délicate ou
cruelle, d'opter entre la nature et. la 10i, entre ses affectiolls el
un parjure. Un juge d'une compétence exceptionnelle a signalé




f Livingston. Exposé d'un systeme de législation criminelle, etc, 1, 201 et 599.
Ces pages contiennent une critique faite avec autant de raison que de vcrve de la
loi non éMite. ' • .




QUATurEME PARTIE. - 1?UOGRES ET DÉVELOPPEME~TS. 525
ces imperfections et quelques autres dans l'reuvre de Llvingston,
ce qui ne l'a pas empeché de dil'e que ses quatre Codes, Code des
crimes et des peines, Code de procédure, Code de réforme
et de discipline pénitentiaire, forment « un vaste et superb~
ensemble 1. ») Reprendre apres J érémie Bentham la théorie
des preuves judiGiaires pouvait notamment paraitre une reuvre
iIiutile ou témél'aire; mais Livingston a pl'ouvé en ce He occa-
sion qu'avec de la science, un esprit droít, un ardent amour de
la vérité, iI n'est pas de sQjet qu'on ne puisse rajenuir.


Deux j ul'isconsultes américaif.ls, également anim és de l' esprit
philosophique, Stol'yet M. Wheaton ont consacré 1'un un yoIu-'
mineux t1'avail, l'autre un écrit substantiel, aux contradictions qui
existent entre les législations des divers peuples et aux prog1'es
de la jurisprudence en Europe, pendant la seconde moitié du der-
nier siecle '2. Sans se montrer injuste envers Grotius et Leibniz,
M. Wheaton a su 10uer Montesquieu d'avoir porté le flambeau
de la philosophie et de l'histoire dan s le champ de la science et
d'avoir ouvert la voie a ses réformateul's conteÍnporains, bien
que l'état alors imparfait des connaissances historiques et celui
de l'économie politique, plus imparfait encore, aient introduit
dans l' Esprit des Lois plusieurs vues erronées et des apeq;us trop
superficiels. Cette appréciation de Montesquieu est la vraie : elle
prévaudra ce1'tainement contre les brutalités jalouses des cuistres .
d'outre-Rhin ou les injustices de Bentham et de· Macaulay. Ces
de1'nieres, a moins d'y voir un effet de cei'tains préjugés natio-
naux et tres-vivaces ,chez les anciens Whigs, sont d'ime explica-
tion assez difficile. Mais l'antipathie que Montesquieu a inspirée a
Bentham tenait au fond meme des 'choses. Le publicisteanglais,
dont les titres a divers égards sont, d'ailleurs, impérissables, avait
le tort d'appartenir, en philosophie, a l' école sensualiste,et ceHe
école est condamnée a ne rien comprendre en dehors de ses'pro-
pres doctrines et de son propr~ systeme. e'est de la meilleure foi
du monde qu'ellecalomnie Montesquieu et son gl'and monument:


, Mignet. Notice sur Livingston., 1. LXVIII.
:! Cómrnentariss on the conflict of law foreign and domes tic : Boston et Edim-


hourg, 1183-1834.- Discours destiné á l'Institut du droít.




526 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉlUQUE SEPTEN1;RIONALE.
« Elle ne voit pas et ne ptut pas voir qu'il est un historien de
« l'humanité, qu'il ne erée rien, mais qu'iI veut tout expliquer~
« et que sous ses formes si vives et si dogmatiques, iI n'y a eu réa-
« lité que des faits observés et une histoire merveilleusement
{( éerite 1. »


Toutefois e'est a d'autres livres que Story et M.vVheaton doivent
la réputation qu'ils Ollt aequise en Europe. A vee une sagaeité ~gale,
plus d'haleine et d'ampleur, Story est le Delolme de l'Amérique,
et veut-on bien s'instruire de la eonstitution des États-Unis, OIl
doit lire et relire ses Commenlaires 2. M. Wheatoll quí était entré
dans la earriere diplornatique 3, a surtollt cultivé le droit des gens,
ses Elements o{internatioilal Law out passé dan~ notre langue 4 et
l'histol'ique qu'il a rait dans un autre ouvrage duprogres de ectte
selenee a été qualifié « du meiVeur abrégé de eette espeee qui
existe 5. »


5. - Économie politiqueo


Dans les llOmbreux éerits de Franklin 6, on a pu rattaeher a
l'éeonomie politique lesRéflexions sur l'¿wgmentatiun des salaires


t Lerminier. Inti'od. gén. a l'hist. du droit, 279.
2 Traduit en fran~als par M. Pald UJent ca deux volumes.
3 ~1. Wheaton débuta par des t¡'avaux historiqul's, une Jlisloire de Scandinavie


et une lJistoire des hommes dll Nord (Nol'tIlfnen), et M. Ballcroft range cette der-
niére,avec le lYew-lork, de Moulton, l'American biography, de Belkililp, lc Colllrn-
bus, d'Irving, et un article d'E. Everett, inséré au tome XLVI de la Norlh Ameri-
can Rewiew, au nombre des ouvrages américains a cOlls~lter sur les origines de la
découverte. Ces deux lívres ont été écrits tandis que M. Wheaton était ministre des
Etats-Ullis a Copenhague.


4 Sous le titre de : Éléments de droit internationaL. L'ouvrage original a été
publié, en 1836, 11 Londres .


. ;; P'ir M. Vergé, dans la bibliograplJie qu'il a jointe a11 Précis de G.·F. de 1\1ar-
tens (Guillaumin, 1858). L'ouvrage a pOllr titre : Histoire dll ¡ll'ognJs dll droit des
gens en Europeet en A.mérique d~puis la pai'X de Westphaliejusqu'ú nos jours.


6 La résurreetion, sous couleur de liberté religieuse, du \ieux fanatisme nous
engage a donner place ici a un conte de Franklin, plus hardi, mais molns connu ljue
sa farneuse Parabole. Nous en empruntons la traductioll a M. E. Vail :


« 11 yavait un oflicier, homme de bien, appelé Montrésór, qui était trés·malade.
Son curé, eroyant qu'i1 aIlait mour'ir, lui conseilIa de faire sa paix avec Dieu, afín




QUATRlEME PARTIE. - PROGRE S ET J)EVELOPPEMENTS. 527
et la SC1:enCf, du Bonhommf Richard, petit chef-d'amvre, dont le
fond est aussisolide que la forme attnlyante 8t gracieuse 1. Mais
les Am~ricains ne l'ont abordée qu'assez tard, puisque le 1ivre
du profcsseur Thomas Cooper ne date que de 1826~, de meme
que le travail de M. A ~verett sur la population 3. Nous ne con-
naissons point le livre de M. Cocper; mais il est rédigé dans un
excellent esprit, si l'auteur, comme le dit un de ses compatriotes,
professe que l'intéret personnel est mieux servi par lui-meme
que par ~a main du gouYernement; que toute espece d'industrie
qui ajoute a la somme des jouissances avouables estun bienfait
national; que chaque nation est in téressée ú la prospérité des aü-
tees, el qu'en important plus qu'elle n'exporte unenution ~e s'ap-
pauuit pas nécessair:ement 4. M. Everett s;est emparé d€s idées de
Godwin pour combattre ceHes de Malthus, et il a fait preuve,
en matiere de population, d'un optimisme completo


Adire vrai, tous les .économistes deceux qu'on appelle, non san s
quelque emphase, l' école américaine pensent a cet égard' de la


d'étre recu en paradis. « Je n'ai pas heallcoup d'inc¡uiétllde a ce sujet, dit Montrésor,
car j'ai eu, la nuit derniere, une visioll qui m'a tout a fait tJ'anquillisé, -
Quelle vision avez-vous eue '? dit le bon pretre. - J' étais, répondit Montrésor a la
pode du paradis avec une fotile de gens qui vou\aienl entrer, et saint Pierre de-
mand¡¡it a chacull de quelle reli¡riún il était. L'un répondalt : Je ~uis catholique
romain. Eh bien! disait saint Pierre : entl'ez et prenez votre place parrni les ca-
tholi(IUes. Un antre dit qu'Ji était de l'Église anglicane. Eh bien! dit saint Plerre;
entrez et placez-vous la parmi les anglicans. Un autre dit qu'i! était quaker. Entrez,
dit saint Pierre, et prenez place parmi les quakers. Enlln mon tour étant anivé,
saint Pierre me demanda de quelle religion j'étais. - Hélas! répondis-je, le mal-
heureux Jacques Montrésor n'en a paso - C'est dommage, dit le saint; je ne sais
oil vous placer. Mais, entrez toujours, 1'OUS vous rnettrez Oll, vous pourrez. »
(Littémture aux États-Unis, '2'22.) .


f Cet opuscule ¡1al'lít pour la premiere fois, en 1757, en tete de I'almanach que
. Francklin publiait, depllis 173'2, sous le titre d'Almanach de Richard Saunders, el
vulgairement appeié I'almanach du Bonhomme Richard. I~. Joseph Garniel' a eu
l'exce\lellte idée de le joindre, avec Ce qu'on voit el ce qu'on ne voit pas et la
Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat, a ses Prernieres Notions
d'économie politique, dont la 4· édition vient de paraitre chez Gujllaumin et
Garniel'.


2 Lectures on the elernents of political ECQnomy.
;¡ Nouvelles idées sur la population, avec des remarques sur les théories de


Malthus et de Godwin, 1826, Renouard et Sautelet.
-% Littérature aux Etats-Unis, 149-168.






528 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉlUQUE SEPTENTRlONALE.
meme fac;on. Le coryphée de cette école est M. Carey, qui a tenté
de faire muvre de novateur par son livre Le Passé, le Présent et
l' Avenir, et surtout par son yolumLneux ouvrage des Principes de
la science sociala, 1. Dans ce derniel' livre, l'auteur s'aUache sur-
tout a combattre Ricardo sur la rente, Malthus sur la population
et tous les économistes dignes de ce nom sur le _ libre échange.
On connait la théorie de Ricardo sur la mise en culture du sol et
le classement de la rente fonciere qui a dú y correspondre. Selon
ceUe these, la culture s'est emparée d'abord des terres 'de pre~
miel' choix pour se rabattre ensuite sur les terres inférieures e1
meme mauvaises, et la rente a son tour a suivi, selon la nature
des terres, un cours descendaut. Nous croyons volontiers, avec un
ingénienx économiste, que, dans cette these,l'imagination s'est
melée a l'étude et qn'elle allait trop a l'adresse de la classe pour-
vne en Angleterre d'un privilége territorial 2 • Mais si l' économiste
anglais a eu tort de conclure une loi générale des faits particulir,rs
qui s'étaient passés dans son He, l'économiste amóricain n'est-il
point,a son tour, tombé dans une erreu1' analogue en assignant un
ordre tout ü fait inv81;se a la marche des cultures? Oil a-t-on
trouvé les éléments de ces tbéories fantaisistes, demanderons-
nous avec l'écrivain que nous citions touta l'heure 1. ~( Nulle part
« les populations, pour mettre le sol en valeur, n'ont ohéi a des
« consignes, a une échelle croissante ou décroissante de fertilité ...
« II n'y a eu ni pOUl' les terres fortes, ni pou'!' les terres légeres
( de choix faits d'apres des principes tixes; il Y a eu presque
« autant de motifs de préférence que ele sites,et, dans les groupes
« compactes, que ele champs... Pourquoi se fixait-on ici piutOt
« que la? Par l'etret d'ac~idents on de calculs tres-variables:
« un rideau de foret, une source vive, quelques madriel's servant
« ele pont sur un cours d'eau, la sécurité du séjour, le voisinage .
« d'une route, d'une ville, d'un marché, tout ce qui ajoúte du


i Pu~liés l'un en 1838, l'autre dix ans plus tardo Les Principles o{ social Science
ont été traduits en f¡'ancais par MM. Saint-Germain-Leduc et Planche (Guillaumin,
1861). M. Careyavuit débuté, en 1827, par des Prindp'es d'Economie politique,
¡iyre auqllel Mac-Culloch a reconnu le mérite de nombreuses rccherches, mais
mal digél'ées et dépourvues de critique et de critere.


:.! L. Reyhaud. llerue des Deux-J'londes, 15 avril 1868.




QUATRlEME PARTIE. - PROGRE S ET DEVELOPPEMEMTS. 529
t( prix au fruits de la terre et permet d'en écouler les pro-
« duits 1. »)


Pour Malthus, il est vrai qu'iI s' est trompé en croyant que la
population croissait en proportion géornétrique, tandis que les
subsistances ne s'augmentaient qu'en progression arithmétique.
Mais tout le systerne de cet homme de bien et de cet éminent
économiste ne git pas dans cette proposition inexacte, et Proudhon,
qui se l'imaginait ainsi, s'attira un jour de Bastiat une rude apos-
trophe 2. Malthus a émis sur le róle de la prévoyance dans toutes
les eh oses humaines, merne dans la perpétration de l'espece, des
vues qui s'appuyaiellt sur l'histoire et sur la physiologie. Il est
permis aux économistes américains, vivant dans une eontrée qui
connaít a peine les grandes agglomérations industrielles, et dont
l'immense territoire est capable de sustenter une populatioll
décuple peut-etre de sa population actuelle, il leur est permis
d'envisager pour longtemps le probleme sous son aspect favora-
ble, de solliciter un grand afflux d'émigrants et de conseiller a
Ieurs concitoyens de multiplier sans crainte. Malthus était placé
dans des eonditions toutes différentes: il voyait les souffrances et
entendait les plaintes de populatiolls industrielles trop pressées,
dont les enfants faisaient coneurrence a Ieurs peres et qu' enva-
hissait le fiot montant du hideux paupérisme. A la vérité, comme
ilI'a dit lui-meme, ayant trauvé l'are trap tendu d'un cóté, il a
pu, ason tour, le tendre trop de l'autre. 11 n'a pas tenu C'ompte de la
p~rt qui revenait au régime restrictif, a une mauvaise eonstitu-
tion fonciere dans la création de la misere dont le spectac1e
s'étalait sous sesyeux. Mais enfin, tant que ce régime et eette
constitution subsistaient, en troublant l'équi~ibre entre la popu-


-1 Revue des Deux-Mondes, 15 avril1868.
2 Bastiat, causant avec Proudhon, crut s'apercevoir que celui-ci, qui avait écrit


tout un chapitre sur Malthus, n'avait nl111ement Iu son livre célebre. 11 luí en fit la
remarque, el Proudhon avoua qu'il ne I'avait pas Iú du tout. Tout le systeme consis-
tait dans les deux fameuses progressions, et cela lui suffisait. « Apparemment,»
s'écria Bastiat, (( vous vous moquez du public, de Malthus, de la vérité, de la cons~
cien ce el de vous-meme. » Et voila, ajoute-t-il en racontant cette anecdole, com-
ment une absurde méchanceté, que répetent cinquante ignares, d'apres un plus ignare
qui I'a mise en circulation, a toutes les chances de passer a l'état d'axiome dans
notre belle France, pour peu qu'elle fiaUe la vogue ou les passions du jour
(Harmonies Économiques, 424, ed. in-18).


34


/




530 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRlQUE SEPTENTRIONALE.
lation et ses moyens d'existence, quel mauvais conseil Malthus
donnait-il done a ses concitoyens pauvres?


L' économiste anglais était trop instruit d' ailleurs pour craindre
que les faits historiques vinssent démentir sa these de l':obstacle
répressi{, c'est-a-díre 1.a guerre, la maladiel la famine, se subti-
tHant de force a l'obstacle préventi{, quand celui·ci abdiquaít sa
fonction prévoyante. Le duc d'Orléans, apportant a son souve-
rain un pain de {ougére-s, pour lui faireconnaltre la condition de
son peup1e ; le marquis d' Argenson éerivant, au mois de février
i 739, que, « malgré les apparences d'une réeolte sinon abon-
« dante, du moins passable, les hommes mouraient autour de
«lui eornme des moucbes et étaient réduits pat.' la pauvreté a
« brouter l'herbe 1,) voiUt descireonstances qui n'étaient pas bien
vieille_s quand l' Essai sur le principe de population parut. Elles
étaient bien faítes pour justifier la phrase que l'on lisait, dans la
premie re édition de ce livre, sur ces convives qui viennent.pren-
dre part a un banquet dont toutes les places sont prises, et qui
sont contraints de s'en retourner sur Jeur faim 2. Et pour ces
tristes victimes des profusions princieres et du privilége eeclé-
siastique ou nobiliaire, dont parlait d' Argensonet dont Boisguil- .
lebert, Vauban, La Bruyere, avaient parlé avant lui, n'eut·iI pas
mieux val u rester dans le néant de l'etre que de vivre en farnéli-
que et de mourir de la meme fal;on?


Quant au systeme proteeteur, M. Carey a essayé son apologie,
en cherchant á imprimer a ses formules une rigueur et une pré-
eision scientifique plus grandes. Tache bien vaine, eifort bien
superfluo La cause est désormais entenclue et la sentence rendue
sans appel : les sophismes protectionnistes ont -eu tort au double
tribunal de l'équité et de la science. Ce systeme va cOnll'e l'inté-
ret général et les vues de la Providence, qui, en dispensant .ses
dons partout san s les c,oncentrer nuBe part, n'a pas entendu, sans
~ l\'Ioreau de Jonnes. Annuaire de l'économie politique pOllr 1851, 368-385.
2 Cette phrase, Malthus, apprenant qu'elle pouvait étre mal interprétée, la fit dis-


paraitre de ses éditions subséquentes ; mais Godwin l'avait recueillie, et Sismondi
la reprodui:o:it 11 son tour; Sismondi run des hommes qui, avec les meIlleures in ten-
tions,ont faH le plus de mal, comme dit Bastiat. C'est chez lui que les socialistes sont
atlés la prendre, et dans un tout petii pamphlet, Pierre Leroux l'a répétée au moills
une quarantaine de fois.




QUATRIEME PARTIE. -- PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. 531
doute, que la paix et le bon accord auxquels elle conviait ainsi
tous les pel)ples fussent, a défaut des armes, compromis par
des guerres de tarif et des riyalités. de douanes. Vraiment, sain t
Germai:o, éve,que de París et abbé de Saint-Germain des Prés,
concevait :mieux la fonction de l'échange que les Saint-Chamans,
les Sa.i.nt-Cricq, les Car.ey et consorts. e( Un jour » rapporte la lé-
ge;nde bretonne d'Albért le Grand, « l'abbé de Dol et l'éveque de
« Pílris de·visaient ,ensemble de leurs monasteres. Saint Samson
« ,dit que ses religieux étaient si hons ménagers et soigneux de
,~( conserver des mouches de miel qu'outre le miel qu'.ils recueil-
« laient en abondance, elles leur fournissaient plus de cire qu'ils
« n'en employaient ~l l'église le long de l'année: mais que le pays
« n'étant pas prOpl'e pour le vi,gnoble, ils enduraient grande di-
« sette de viI~. Et HOUS au contraire, » dit Sajnt-Germain, « nous
e( avons des vigues en abondance et du vin plus de beaucoup
« qu'il n'est besoin pour la provision du monastere; mais il nous
« faut acheter toute la cire pour l'église. S'il vous plaist, nous
« vous donnerons tous les aus la dixieme partie du vin qui se
« cueillera dans nos vignes, et vous HOUS fournirez de cire pour le
« luminaire de notre église. » L'abbé Samson~ ajoute la légende,
accepta l'on're, ce et s'accomoderent ces deux monasteres ainsi
« pendant la vie des deux saints 1. ») Qu'on suppose saint Samson
et saint Germain vivant de nos jours et imbus des saines doctri-
nes: l'une:ut continué de garder sa cire et l'autre de se passer de
VJll.


Le Ma~LUel de M. Peshine Smith 2 a paru avant le grand ouvrage
de M . .carey; UIais il est postérieur au Present, Past and Future,
dont il repr,odujt les doctrines. Passons donc et louons l'auteur
d'un autre manuel, M. A.m,as,a' Walker" d'y avoir franchement
rom,pu avec une triste école et consacré un vigoureuxehapitre a
ce qu'il appelle les erreurs et sophismes, Fallacies, du protection-'
nisme~. Un Vil'ginien, M. StephenColwell, s~estrenfermé dan s
le coté financier de la sciencé et a fait un exposé complet du syfo.-


t 'Montalembert. Les Moines d'Occident, livre Vtl.
2 .Manuel d'économie poli tique, paru en 1853 et trauuit en francais, J'aunée sui-


vante, pa)' M •. Gustave Baquet, de Ne,,,·York (chez Guillallmin).
3 The science of wealth, a manual of practical economy; Boston 1857.




LES ÉTATS-UN1S DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.


teme de crédit 1 ,du moins au point de vue pratique, car il semble
s'etre séverement interdit les théories générales, et apres lecture
du li"re,on ne sait pas bien 'si l'auteur accepte ou repousse la
libre émission du papier-monnaie, s'il est partisan du billet de
banque unique ou du billet de banque multiple. En revanche, ce
volume, qui ne compte pas moins de 644 .pages d'un grand in-8°
au caractere tres-compacte, abonde en faits et en rellseignements
pratiques et l'histoire ya revendiqué une large part. M. Colwell
re trace ave e ampleur l'origine et le fonctionnement des banques
de dépót d' Amsterdam et d'Hambourg, des banques d'État de
Venise et de Genes, de la banque d' Angleterre et des banques
écossaises, et naturellement il n'oublie pas le Ranking System
amérícain. Il parle des grandes foires qui se tenaient au moyen
age a Lyon et en Italie, comme ceHes de Nijni-Novogorod, de
Kiatcha, de Kief, sur les confins orientaux de l' Asie et de l'Eu-
rope. Il rappelle en les discutant.les opinions divergentes ou con-
tradictoires de Montesquieu, de Hume, de Locke) d'Harris, d'une
part; de James Stewart, d'Adam Smith, de lord Lauderdale, de
Malthus, de Ricardo, de Torrens, de Mac-Culloch, de James
MilI, de l'autre sur le rapport des prix et du numéraire.


Une notice nécrologiqúe 2, due a M. Carey, nous apprend que
M. 8tephen Colwell a beaucoup écrit, cependant, sur des points
généraux de la science, et certaines de ses opinions, citées dans
cette notice, le rangent dans cette catégorie d' économistes qui
s'intitulent chrétiens, et qui paraissent mal entendre le christia-
nisme, sans rien entendre a l' économie politique 3. En réalité, ces
braves gens sont des socialistes, et qui pis est des socialistes san s
le savoir ou le vouloir. Il semble néanmoins qu'en Amérique on
y met plus de perspicacité ou de franchise, puisque M~ Colwell a


1 The ways and means of p(),yment, a full analysis of tite credit system;
Philadelphie, 1859.


2 M. ColweIl est mort 11 Philadelphie. le 15 janvier 1871, pres d'entrer dans sa
.7'le année.


3 Nous aurions cru cette école, pour mieux di re cette petite Église, étrangere a
I'Amérique protestante, et nous nous serions trompé. M. Colwell, que M. Carey dé-
peint comme son chef, avait fait des prosélytes, entre autres M. Matile, a qui il sug-
géra I'idée de traduire l'ouvrage de M. Chastel sur la charité aux temps de la primi-
tive Église et de donner une édition américaine oc la Hace for Riches, de M. Wil-
liam Arnott de Glascow CA memoir of' Sto Colwell, p. 15).




QUA'l'RIEME PARTIE. - pnorrRES ET DÉVELOPPEM,ENTS. 533
écrit la phrase que voici: « L' économie politique, proprement di te,
ce est aussi opposée a l' esprit chrétien qu'hostile au socialisme; en
« d'autres termes, il y a bien plus de points co~muns entre ]e
( socialisme et le christianisme qu'entre celui-ci et l'économie
« politique '. » Apres cette déclaration, ce n'est pas merveille
qlle son auteur répete les lieux communs ordinaires sur l'égolsme
des économistes et l'immora lité du laisser-faire et du 1 aisser-passer;
qu'íl leur reproche de ne point attribuer a l'État de fonction plus
haute que eeHe de protéger les droits indivicluels; qu'il leur
reproche de méconnaltre la loi divine en assimilant le travail aux
autres marchandises, en négligeant l'effet qu'il peut et doit avoir
sur le bien-etrc des humains 2. Il va sans dire que M. Colwell
était protectionniste : il a fait traduire en anglais le systeme na-
tional d' économie politique de l' Allemand List, et a mis en' tete de
cette traduction un essai préliminaire que M. Josse, c'est-a-dire
M. Carey, qualifie « d'inappréciable. »


6. - Littérature imaginative.


M. E. Vail a tres-bien signalé les causes qui ont rendu tardive
en Amérique l'apparition de la littérature d'imagination. Trop
d'intérets vitaux y sollicitaient l'attention des esprits pour qu'elle
se portat tout d'abord sur des sujets en apparences futiles, et qu'on
s'-engageat du premier coup dans le vaste champ de la fiction.
En outre, les colons me me émancipés garderent assez longtemps
l'opinioIl que leur mere patrie jouissait d'une sorte de privilége
intellectuel, et ce ne fut pas sans UIlA grande témérité et une dé-
fiance extreme que les littérateurs américains entrerent dans


fMémoir, etc., 24.
2 Voici la sentence : « La philosophie qui enseigne que c'est toujours a l'homme


a prendre soin de lui'meme el que le travail est une marchandise semlJlable a toutes,
et qu'elle est destinée parlant ü chercher clle-meme son plac.ement et son prix, lIe
tient pas compte du bonheur des humme's. Elle peut paraitre plausible a ceux qui
oublient la paternité divine e,t la fraternité des hommes. Mais elle est tout a fait
eontraire allx préeeptes de celui <¡ui a ordonné de traiter ces Guvricrs qui élaient
restés oisifs sur la place dll mal'e1lé, paree que personnen'avait loué leul's bras,
ahsolnment a la falion des ouvriers qui avaicnt porté le fardeau un jOUl' et S3 cha-
¡elll'. (A memoir, etn., p. n.)




534 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
une carriere au bout de laquelle ils pouvaient bien n' entrevoir
que de l'indifférence chez un public trop enclin a reconnaitre a
l'Europe.le monopole des délassements littéraires.


Charles Brockden Brown, né en 1771 et fils d'un {armer penn-
sylvanien qui était :quaker, Brown rompit le charme. II vint au
monde avec un tempérament délicat et une constitution frele,
ayee un esprit reyeUr et des dispositions mélaneoliques, avec des
goúts studieux et un Íínmense besoin de lecture. Conduire la
charrue et battre le blé, eomme on le faisait dan s la maison pa-
ternelle, n'étaient pas des ocetlpations qui allassent a sa nature et
il aimait mieux, selon ses expressions me mes, « errer dans les
« foréts, s'attarder sur les eollines, changer a ehaque instant de
«( spectacle, comparer entre éux les eailloux et les feuilles, en se
« livrant aux vagues pensées qu'éveiI1aient en lui leurs diversités
« ou leurs ressemblances, en cherchant le secret de leurs formes,
« de leur structure, de leurs couleurs, de la place qu'i!s oeeU'-
« paient. » Son pere envoya Brown étudier les lois et le destínait
au barreau, earriere qui ne laisse point la-bas, de meme qu'en
Angleterre ou en Franee, de conduire part'ois a la fortune et sou-
vent aux honneurs. Maisle jeune homme trouva cette étude fastí-
dieuse et stérile. Ríen ne pouvait l'arraeher aux séduetions de
l'existenee eontemplative, aux reyes de l'esprit, et 8'il ne glissa
point, corome tant d'autres jeunes gens soumis a eeUe délicate
épreuve, sur la pente du désordre, e'est que la bienveillante na-
ture, pour parler comme lui-meme, « l'avait isolé, quels que
« fussent ses entralnements, des piéges ordinaires de la jeunesse,
'« et avait élevé entre lui et les plaisirs faeiles de cet age une sorte
« de barriere infranehissable. »)


Charles Brockden Brown avait vingt-trois ans lorsque la lee-
ture de Caleb Williams, le célebre roman de Godwin, lui inspira
l'idée d'un ouvrage d'une étendue égale, et il se mit a l'rnuvre
aVl3e une te11e ardeur qu'il en écrivit d'abord jusqu'a vingt pages
par jour. Mais, au bout de quelques semaines, sa santé s'étant
ressentie de eet exces de travail et s' étant aperc;u en outre « gu'une
« grande rapidité de composition n'était pBS chose désirab\e), et
qu'il fallait ereuser son sujet, si on voulait réussir, il laissa le
manuscrit de Wieland pour élaborer un nouveau livre. Celui·ci




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 535
s'appela Aleuin; il faisait partie, dans la pensée de l'auteur,
d'une série d'ouvrages sous le titre de Sky Walks, et parut en
1793.


Wieland ne fut imprimé que cinq ans plus tardo L' effroyable
puissance, le pouvoir illimité d'un profond fanatisme sur une ame
vigoureuse,. te11e est la donnée de ce livre célebre. Son héros est
un planteur pennsylvanien, enivré de l'inspiration religieuse, quí
s'imagine un jour entendre une voix intérieure lui réclamant la
mort de la mere de ses enfants, comme un sacrifice, comme une
offrande qu'exige le Tres-Haut. Cette femme est jeune, belle, et
Wieland l'adore. La pensée d'un tel meurtre le torture pendant ses
nuits et ses jours; il la chasse, et elle revient avec une énergie
nouvelle; la nature proteste, et le souvenir du sanglant sacrifice
que Dieu imposa an patriarche Abraham envahit son esprit.
Brown a mis un art terrible dans la description de ces péripéties
et de ces angoisses; jI a fait circuler une indicible terreur dans 1,a
scene de meurtre qui les termine. La voix l'a enfin emporté, et
Wieland attire dans une chambre isolée la malhcureuse créature
qu'il va mettre 11 mort. A la lueur confuse d'une chandelle qu'elle
vient d'allumer elle-meme, Catherine voit les fraits égarés de son
mari et son tremblement convulsif; elle le croit souffrant de
COl'pS ou d'esprit¡ l'interroge <J.'une voix douce et le couvre d'un
regard ou respire la double tendresse de la mere et de l'é-
pouse. « Qu'as-tu ? » lui dit-elle, « ami de mon cmur. Qu'est-ce
« qui cause ta peine? Dis-Ie-moi ; tes chagrins ne sont-ils pas les
« chagrins de ta femme chérie?») C'en était trop, et pour un ins-
tant WieJand sent sa résolution chancelel' : iI se dé robe a l'étreinte
de Catherine et se retire dans un coÍn de la chambre. Puis, ]a
voix repl'enant le dessus, il court a sa femme el la saisit a ]a
gorge. A ce moment du récit, le "lecteur frissonne ; iI haIete, en
croyant entendre la victime crier grace et secours, aussi long-
temps que sa voix p~ut trouver un passage; iI maudit a haute
voix le meurtrier.


La victime immolée, Wieland ressent un instanl de triomphe
indicible. Il avait done anéanti la résistance de la nature et
accompli la volonté divine I L'offrande soulHlitée, iI venaít done de
l'offrir I L'acíe saint était done consommé sans re tour I Maís tout




536 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
a coup son' regard se porte sur la couche ou gisait le cadavre de sa
femme, et il ne peut croire que ce soit Hl. tout ce qui reste de la
mere de ses enfants chéris, de la femme qui, pendant de longues
années, a dormi dans ses bra~ et habité son creur. Sous ces taches
livides, comment reconnaHre les joues blanches de Catherine
et ses levres pures; sous ces paupieres gonflées et sanglantes, son
regard caressant et son reil azuré ? A cede vue, Wicland se sent
redevenir homme. Apres s' etre roulé aterre, « dévoré d'une
« étrange soif de souffrance, » avoir heurté sa tete contre les
murailles et poussé des ciameurs inarticulées, enduré des tour-
ments pres desquels « le tumulte des enfers et ses supplices éter-
« neIs auraient été comme une douce harmonie et un lit de
« roses, » il sent que le pere doit survivre a l' époux. Le calme
renalt daus l' esprit de Wielant et il se complaisait a l'idée de
pouvoir goúter en ce monde quelques douces jouissances, lors-
que, un rayon de lumiere pénétrant tout a coup dans la chambre)
il croit entendre de nouveau la terrible voix. Elle lui crie que le
sacrifice n'est pas complet, que les enfants doivent suivre la mere,
et peut-etre eut-il commis ce nouveau crime, si la justice hu-
maine n' était venue le prévenir 1.


Paulding, Irving et Cooper ont été les premiers successeurs
de l'aute~r de Wieland. Dans ses. Con tes d'une bonne {emme, et
surtout son Coin du {eu d'1¿n Hollandais, Paulding a melé un vif
sentiment de la náture a mille traits de cette ver ve particuliere
qu' en Angleterre et ~n Amérique on appelle humour et qu'il est
moins facile de définir que de sentir et de gouter. Le début
d'Irvin~ fut la part qu'j] prit a Salmagundi, en compagnie préci-
sément de Paulding et de M. Verplank 2. Plus tard, il publia seul
une Histoire de New-York au temps de la domination hollandaise,


i Brown mourut en 1810; mais depuis quelques années, il avait déserté la littéra-
ture pour la politiqueo Son dernier roman, Jeanne Talbot, porte la date de 1804,
II avait publié, en 1801, Clara Howard; en 18QO, la seeonde partie d'Arthur Mer-
wyn, dont la premiere remontait a 1799, de rnerne qu'Edgar Huntley.
, Outre les pages intéressantes que lui a consacrées M. Vail, Brown a été J'objet


dans l' American biography d'une notice que le norn seul de son auteur, Preseott,
suffirait a recomrnander.


2 Publié en 1807 a New-York, sous le pseudollyrnes de Wizard, Evergreen,
Langstaff.




QUATRIEME PARTIE. -- PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 537
le Livre d' esquisses, Bracebridge Hall, ses Contes d'un voyageur.
et ses Contes de l' Alhambra. Ces deux derniers volumes étaient le
fruit des voyages de l'auteur et de son séjour en Espagne, de
meme qu'il avait profité de sa longue résidenceenAngleterre pour
dépeindre dans le Sketch Book et dan s Bracebridge Hall, soit les
mreurs de Londres et de la province, BOit les us et les coutumes
antiques qui se sont conservés dans certaines parties de la Grande-
Bl'etagne. L' Histoire de New- York appartient au meme ordre
d'inspiration et d'idées. Irving s'y était déguisé sous le pseudo-
nyme de Diedrich Knickerbocker, qu'il a supposé étre un descen-
dant des premiers colon,s de Manhattan. Il a mis dans sa bOliche
le naif regret et la peinture vivante de ces bons vieux temps de
dominatioIl hollandaise, QU une propreté minutieuse était le lot
et le riec-pl'us-ultra des ambitions de chaque ménagere, ou chaque
maison était sous la discipline tyrannique du torchon, du balai,
de la brosse et dans un état d'inondation perpétuelle; ou sa
grande porte, ornée d'un marteau de fer travaillé en forme. de tete
de loup ou de líon, ne s'olivrait qu'au premier jour de l'an, a la'
Saint-Nicolas, aux jours de mort ou de mariage; ou chaque
famille bien ordonnée se levait invariablement avec l'aurore,
dinait a onze heures, se couchait en été avec]e soleil, et veil-
lait en hiver sous le couvert du manteau de l'immense chemi-
née.


La, maUres et domestiques, vieux et jeunes, blancs et noirs,
chiens et chats meme jouissaient des memes priviléges et des
memesimmunités.La, le maUre du logis restait accroupi pendant
des heures entieres, fumant en silence sa grosse pipe, regardant
le feu avec des 'yenx a demi fermés et ne pensant a rien du tout,
tandis qu'en face de lui, sa diligente ménagere filait de lalaine ou
tricotait des bas, et que les enfants .pretaient une oreille avide
au vieux negre, oracle de fa famille, qui faisait circuler le frisson
dans leurs membres en coassant, d'une voix lugubre, des his-
toires de sorcieres de la Nouvelle-Angleterre, de spectres hideux,
de chevaux sans tete, de cures merveilleuses et de combats san-
glants avec les Peaux-Rouges. L'écrivain du XIXB siecle avait telle-
ment donné a K~ickerbocker les habitudes, les idées et les pré-
jugés du temps ou il le faisait vivre; iI avait. répandu sur ses




5g8 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
récits tant de vérité, de relief, et, comme on a dit depuis, de cou-
leur locale que, pendant des années, bien des personnes reste-
rent convaincues de I'existence du bon Diedrich et erurent lire
ses mémoires authentiques, au lieu de l' originale fantaisie d'Ir-
wmg.


James Fenimore Cooper nuquit, le 15 septe~bre 1789, d'une
famille fixée. dans le New-Jersey et l'une des plus aneiennes des
plantations. Son pere, qui était juge de cet État, s'étant retiré
dans le New-York, le jeune Fenimol'e fut plaeé a Albany sous la
tutelle du révérend Allison, et apres quelques mois passés au
collége, entra dans la marine fédérale avec le titre de Tnidship-
mano Ce fut en cette qualité qu'il parcourut les grands la es et
l'Océan; mais bien qu'il aimat c~tte carriere aventureuse et qu'il
y eut faH preuve d'une activité et d'un courage qui promettaient
de la rendre féeonde, Cooper, poussé par une force intérieure et
irrésistible, brisa son épée. Ii" vint alors s' établir a Cooperstown,
propriété de son pere, et ce fut la qu' entouré de forets vierges
et en contact continuel avee les aneiens possesseurs du sol,
il fit paraitre ses premiers romans: Precaution. l'Espion, la
Prairie. .


On peut bien croire que le génie de Seott a éveillé eelui de
Cooper, et que la premiere ambition de eelui-ci a été de eonti-
nuer l'auteur des Waverley Novels. Elle a été a10rs fort heureuse-
ment trompée, ear la vie ordinaire, pas plus que l'histoire, n'est
le vrai terrain de Cooper. A part l' Espion et le Bravo, les excur-
sions qu'il y a faites n'ont gnere réussi, et ce n'est point l'auteur
de l' Heidenmauer ou de }[ercedes d. C"stille, mais bien l'auteur du
Pilote et du Corsaire, de la Prairie, du Dernier des "!J'[ohicans et de
Satanstoe que ses contemporains ont placé pres de Seott. Leta1ent
deCooper, moius varié el moins souple, mais plus subjectif etdoué
d'un sentiment de ]a nature plus profond et plus intime, ne se
trouve bien a son aise que dans la foré! vierge, que sur l'Océan et
la savane. Mais sa plume alors enfante des figures énergiques et
originales, les lndiens Uncas, Chingagcook, Conanchet et le vieux
trappeur Nathaniel Bummpo, blanc qui est devenu lndien de son
plein gré, chasseur qui connait tous les sentiers des eaux et des
bois, homme simple et tres-posHif, mais dont le langage et les




QUATlttEME- PARTIE. - PROGRE S ET nÉVELOPPEMENTS. 539
sentiments se sont empreints, a son insu rneme, de la grandeur
des sdmes ou s'est éeoulée 5a vie errante.Ailleurs, dans le Colon
d' Amérique, on touehe du doigt les fatigues et les périls des pre-
rniers planteurs; l'imagination est éveillée et la pensée stimulée
a la vue de eette vie dans le désert, grande par sa símplieité et .
son austérité rneme, pIeine de eette poésie des faits, qui est eneore
plus puissante que la poésie des ídées. Le eapítaine Mark Heath-
cote, vieux puritain ergoteur et rígide; sa tille Ruth, si résignée
aux desseins de la Providenee, épouse si tendre et mere si dé-
vouée, si laborieuse et si vaillante .;levant le danger, n' étaient-ils
pas au nombre des passagers de la May Flower? N' ont-ils pas dé-
barqué aU cap Cod, le 1 i novembre 1620? lei le roman, la poésie
allions-nous dire, víent en aide a l'histoire. Peut-etre rneme,
plus libre dans ses allures et moins astreint au joug de la vérité
historique qui n'est pas toujours sinon la vérité, du moins toute
la vérité vraie, le romaneier éelaire-t;.il d'un jour plus vif les ori-
gines de ]a soeiété anglo-amérieaine, origines auxquelles, on ne
saurait trop le répéter, íl faut demander le seeret des premieres
rnffiurs de l'uníon aduelle et de sa vaste liberté po~itique.


Aueien offieier de marine, Cooper s'est plu a peindre le marin
dans ses habitudes et son langage, dans les aetes d'héro'isme donl
l'étroit espaee des ponls de son navire est le théfttre journalier,
dans sa luUe de toutes les heures, de tous les instants eontre les
flots et les vents. Cette peinture, ill'a faite avee une grande exae-
titude : il n' a voulu ni entourer ses personnages d'une fausse
auréole poétique, ni dissimuler, pas plus qu'il ne les exagere, leur
rudesse d'abord et de manieres, la licenee de leur langage et de
leurs plaisirs, que rachetent tant de solides et vaillantes qualités.
Cette fois encore, la poésie tient au fond des ehoses. Cooper.a su
faire eornprendre et surtout sentir, dans sa rnonotonie cornme
dans sespérils, le charme etla grandeur de la vie uu marin, dont
l'empire, pour parler avec le poete, s'étcnd sur l'irnmensité de
l'Océan, dont la maison est partout mi la brise peut le porter, ou
la vague écumante frappe eontre les rochers du rirage et roule
sous la proue du vaisseau :


O'er the glad waters of the dark bIlle sea,
Our thoughts as boundless and souls as freo,




540· LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRlQUE SEPTENTRIONALE.
Far as tIlo breeze can bear, the billo\vs foarn,
Survey oul' ernpire, behold our horneo
These are our realrns ... o •• '. o i


Sur l'autre coté de la Manche et sur l'autre rive de l' Atlan-
tique, on lit toujours Walter Scott et Fenimore Cooper; on con-
tinuera meme de les lire tant que dans ces deux pays il existera
des esprits accessibles aux nobles sentiments et aux impressions
pures, capables de sentir la poésie des solitudes et la grandeur
de la mer. Il faut convenir néanmoins que leur popularité y a'
baissé et que le roman historique et le roman maritime sont
tombés dans un discrédit général. Est-ce la faute des successeurs
de ces deux grands maitres, ou bien celle des deux. genres qu'ils
avalent mis en honneur et crées, on peut le dire, bien que
la Princesse de eleves, Télémaque et les Martyrs aient précédé
Waverley, et que dans les A ventures de Roderick Randorn, Smolett
eut déja tracé de la vie marítime des esquisses animées 2 o La ques-
tion nous parait tranchée par le vers de Boileau :


Tous les genres sont hons hors le genre ennuyeux.


Que le roman maritime se meure dans un cercle un peu étroit, on
.n' en disconviendra point; mais les marins n' en son t pas moins des


i Byron. The Corsair, ch. le,· : vers que J.-J. Ampere a si bien traduits ainsi :
Quand nous fendons gaiement la mer bien e et profonde,
Nos ames sont sans lois, sans frein comme son onde,
Notre empire est partout OU mugissent les eaux,
Partout OU la tempete emporte nos vaisseaux.
Le vent roule au hasard nos tentes incertaines,
Et notre pavillon est roi des mers lointaines.
Nous volons, pleins de joie, au travail, au plaisir,
Du repos au péril, du péril au loisir.
Ah I qui les comprendra ces voluptés du brave?


(Littérature et Voyages, no)
2 Smolett avait servi comme chirurgien dans la marine anglaise et fait en cette


qualité la campagne de Carthagene. 11 quitta vite ce service, dégoüté par la bruta lité
de ses supérieurs; mais il avait en le temps, dit Walter Scott, « d'acquéril' une con-
« naissance du monde nautique assez intime pour lui permettre de peindre les ma-
« rins avec une telle vérité et un tel pinceau que depuis tous ceux qui ont entrepris
« la meme tache ront copié lui-meme plutót que la nature, » (Biograpnical me-
moirs of eminent novelists, éd. Baudry, p. 66.) Cela était vrai avant le Pilote, le
Corsaire rouge et la Sorciere des eauili, mais cela ne l'est plus aujourd'hui.




QUATRIEME PARTlE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 541
c.réatures humaines tout comme les banquiers, les industriels, les
paysans et les ouvriers, les lorettes, voire les filous et les bandits,
qui. font l'objet quotidien des études de nos romanciers prétendus
physchologues, éleves attardés et dégénérés d'Honoré deBalzac.
Quanf au roman historique, notre illustre Thierry admirait fort les
créations de Walter Seott, et les Promessi Sposi de Manzoni, de
meme que la Notre-Dame de Hugo, sont tout simplement des
chefs-d'muvre. Enfin le Cinq-j}[ars d'Alfred de Vignyest aussi
une beau livre. Nous ne pensons pas qu'il y eÍlt paradoxe a
soutenir que le romancier jouit, comme nous l'indiquions tout a
I'heure, d'une liberté d'allure supérieure a celle de l'historien,
et que cette liberté peut etre, sous des plumes consciencieuses el
habiles, tres-favorable a la peinture rl'une foule de détails carac-
téristiques des lieux ou des personnes qui appartiennent bien a
l'histoire, mais qu' elle est souvent forcée de taire ou de relé-
guer dans sa pénombre. Vienne la Jassitude de ces tableaux
de la vie contemporaine, auxquels nous ne demandons plus que
le mérite d'une fidélité frappante, fut-elle brutale ou ignoble;
vienne un romancier de génie, et peut-etre reprendrons-nous
quelque gout a des restitutions du passé. Elles ne peuvent etre
dangereuses pour une société bien décidée a ne pas rebrousser
chemin, mais qui conserve le droit de trouver parmi les débris
du passé quelques-uns curieux a fouiller ou beaux a contempler,
cornme disait Armand Carrel.


En attendant, les romanciers anglais ou américains se sont cru le
. droit et meme le devoir d'intervenir dans l' étude des questions


sociales. Ainsi ont fait M. Disraéli dan s Sybil, miss Gaskell dans
Nord et S",d et j}[arie Barton, Mme Beecher-Stowe, dans la Case de
l'oncle Tom, au mépris de la devise jadis célebre de l' art pour l' arto
Mais, de bonne foi, connalt-on mots plus creux, formule plus vide,
niaiserie plus solennelle? « Vraiment,» et c' est une grande artiste,
c'est Mme Sand, qui parle ainsi: « Vraiment, jamais pédantisme
« ne fut poussé aussi loin dans l' absurde que cette théorie, qui
« ne répond a rien, ne repose sur rien, et que personne au m~nde,
« pas plus ceux qui l'ont affichée que ceux qui l'ont combattue, •
« n'a pu mettre sérieusement en pratique 1. » 011 ne saurait


f (Euvres générales, préface.






5í2 LE$ ~TA.'l'S"'UNIS D,E I,.'A.MÉRIQU,E SEPTENTRIONALE.
p¡ieux dke, et de cette ,sentenc.e iI n'y a point une syllab~ a
effacer. Travailler des mots, des rimes et des images; pétrir de
l'argil~ ~t tailler le marbl'e; couvrir une toile de couleurs pour le
simple b.onnelll'et le 8.eu1 plaisir dela.chose, aut.antremplir le ton-
neau des Danaldes, ,et ee :0.' est pas ainsi que les anciens tailleurs de
pierre et len i'l714giers.du moyen age, les grands peintres du xveet
du XVle siecle comprenaient-la m.~sion de l'art. Les uns invente-
rent le mythe de Prométhée, el si 1esautres n'avaient pas eu une
pensée, UD pld, une foi, ils n'auraient pas édifié tant de beBes
cath.édral.es, laissé tantd'ceuvres immol'tell-es.Jamais on ne pourra
nous faire .croir.e que Dante et Camoens, Shakspeare et Milton,
CornmIe el Moliere, Byron, Lamartineet Hugo n'ontvoulu qu'as-
semblet des :rimes; Mozart .el Rossini qlie combiner des notes;
GécicauH, Ingr(}-s, De.~acroixJ .Gr08,qui se jette au tleuve, et
R-ooort, qm. s'asphyxie, <fu.e broyer des .couleurs.


DaJ}t3 la lutte de l'esprit nouveau cootre l'esprit ancien, il n'est
point d'arme, .pourvu qu'elle soit loyale, qui n'ait son prix et son
effet; pamphlets, poem.es, romans, Jout sert a la me me fin, el les
petits projectiles valent autant, plus parfois, que les gros. La
Case de l' oncle Tom n' est ,qu'un petit livre, mais ce petit livre a
fa.it le tour du. monde,et a ,plus contribué que les belles prédica-
tion·s lie Channing lui-meme a préparer l'émancipation des
esclaves .anglo-.américains. Ce roman a fait vibrertoutes les fibres
du Cffiur; il a profondément apitoyé sur le sort des victimes, sou-
levé la coUwe etl'indignation contl'e les b@ü.rr.eaux. Dans un second
roman, Dred, Mme Beecher Stowe est revenu.e sur l'odieux escla- .
vage ; mais bien que ce livre révélat aussi des qualitésde premier
ordre, il avaitle tortde venir.a.pres la Case, et il n'ae.u qu'unsucces
restreint. Plus tard notre .autenr, sous le titre de Souvenirs des
jours heureux, a publié J~s imp:ressions.de ses voyages en Europe,
et-on ·n'a pas trouv!é "que ce Il(.Hl·veauvolllme dépassat beaucoup
la lin(i}lyeI1Ue .desQuvr~es .de ;cettesortequand ils s<,mt agréables
a lire. Nous ;ne saNons si ravenir réserve a Mme Beecher-Stowe
queJ.q,ue succe,s au~sLédataut>et .d'aussi bon aloi que celui de
l'nnck Tom's cabi'lít. :S'il nevient pas, elle restera pour la posté-
rilé l'auteur,de ce li'VJ'e, :dememe qu'elle ne connalt dans l'abbé
Prévost que l'auteur qui a écrit les pages si tristement vraies de




QUATRI:EME PA.B'flE. - PBOGRES ET DÉVEL.OPPE~;Nrs. 543
Manon Lesc.aut et non celuiqui revendique la paternité de Dleve-
land .et du Doyen de KUlerine, deux reuvres intéressantes ,et dra-
matiques toutefois, etque des diverses compositions de Fie1ding
et de Smolett, elle se solivient seulement de Tom Jones et de Rode-
rick Bandom. Apres tout, ne faH pas qui vent unchef-d'ceuvre,
et, comme le chantre de Namouna le dH ... d'autre .chose:


C'est déja bien joli que d'en avoir fait un .
. Les miseres et les houtes de l' I1lstitution domestique du Sud ont


enfanté bien d'autres récits romanesques. Nousne citerons ici que
l'Eselave blanede M.HildoFeth, les Gariesetleursamis deM. Webb,
Ida May de miss Langdoll. M. Hildreth a mis en relief un des
cótés les plus sombres de cette sombre question, c'est-a-dire le
sort de ces enfants natureIs que le capri,ce ou la négligence d'un
pere dénaturé laissait, quoique blancs eux-memes, parmi les
esclaves de race noire. Homme de coulem', M. Webb a combaUu
pro aris et {oeis, pOUJ' ainsi ,dire, et ill'a fait avec une sensibilité
qui ne tourne point a l'.afféterie et une ironie qui ne dépasse pas
la mesure. Enfin, les récits de miss Langdon sont tres-voisins,
en vif intérét et en forcedramatique, ·du chef-d'CBuvre de
Mme Beeche.r-Stowe.


Parmi les romanciers américains, qui j ouissent chez eux de la fa-
veur publique etdont lenom. etlesCBuvresoatfranchi l' Atlantique,
signalons encore lV1. Hawthorne, miss G\HJ'.lmins et miss Wethe-
re11 (miss Werner). La Lettre Rouge (Scarlet Letter), du premier
est une CBuvre d'une touche vigoureuse, touchant al'un des pro-
blemes les plus délicats et les .plus complexes de l'ordre social,
la rénovation et la réhabilitation du condamné. Dan s l' A Uumeur


.


de réverberes (Lamplighter) el Mabel Vatlghan, il y a de l'ine'Xpé~
rience littéraire, mais les seniiments snnt moraux etdélicats.
L"auteur du Grand, Grand Monde (Wide, Wide World), et de
Queeehy miss Wetherel'l est quakeresse, et ron s'en aper~oit a
l'inspiration élevée, rigide meme qui regne dans ses, CBuvres. Hans
une autre production, due a la meme plume, les Collines de
Shatemue (The Hills of Shatemuc), cette inspiration tourne a
l'homélie. e'est sans doute iun tort au point de vue littéraire,
mais un tort qu'on,est enclin a trouver tres-léger quand on songe




~44 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlO.NALE.
a l'immense dévergondage qui a envahi le roman actuel. Si on
ne peut de la sorte se promettre de beaucoup intéresser ou beau-
coup amuser le lecteur, on ne court pas non plus le risque de le
corrompre. On aurait le droit d'ajouter qu'il ne suffit pas heu-
l'eusement, pour faire naltre chez lui cet intéret et lui procurer
ce déla5sement, de le cDnduire chez les phrynés du demi-monde
et de le promener dans les tapis francs ou dans les lupanars.


Il nous reste un mot a dire d'Edgar Poe et de ses Contes extraor-·
dinaires, que le malheureux Charles Beaudelaire a fait passer
dans notre langue. L' épithete est bien choisie; encore caractérise-
t-elle d'une fa~on insuffisante les élucubrations de cet esprit
halluciné et malsain, qui allait sans cesse de l'ivresse a la folie et
de la folie a l'ivresse. Ces Contes ne sont pas un fruit ',naturel de
l'esprit anglais. Ils ne re1iwent point de Gulliver ou du Voyage sen-
timental; leur filiation est germanique, et Hoffmann ainsi
qu' Achim d' Arnim out passé par la. Chez chaque peuple, l'ima-


. gination dérive de certaines de ses qualités les plus saillantes, en
meme temps qu' elle révele ces qualités.· Ainsi l'imagination des
Fran~ais est alerte, spirituelle et malicieuse; ceBe des Anglais
est forte et volontiers fantasqué ; celle des Allemands, lo urde et
brutale comme eux. Grnthe a vainement tenté de fixer la muse
allemande dans les bosquets du Paruasse et sur les bords de la
fontaine Castalie; elle est vi te retournée au corps de garde et a
la tabagie. Ce n'est point la bacchante de la Grece :


Qui danse les pieds nus et qui tient a la fois
La joie pour la douleur, pour la joie un sourire.
L'amour en sa mamelle et le pampre en ses doigts f.


C' est tour a tour une walkyrie féroce, une nixe qui entraine le
nageur au fond de son palais de cristal pour l'y poignarder, un
kobold qui égare le mineur du Hartz et le plonge dan s les
abimes. Le génie malfaisant des races teutoniques n' éclate pas
moins dan s leurs mythologies que dans leul' action social e et
leur róle politiqueo


t Vers que nous avons Jus, avec les initiales T. G. (Théophile Gautier), sur le
socJe d'une statue du pare de. FontaineLleau.




QUATUlEME PARTIE. - PROGRES I~T DEvELOPPEMENTS. 545


7. - Poétes.


Des élégies et des ballades, destinées ü consacrer le souvenir
des combats avec les Peaux-Rouges, auxquelles succéderent,
pendant la guerre de l'Indépendance, les chansons patriotiques
011 satiriques des Hopkinson, des Hopkins, des Humphreys et des
Trumbull, voila quelIes ont été les premieres effusions de la muse
américaine. Dwight, dont Campbell, son célebre confrere anglais,
a loué la versificatíon élégante, Dwight lui imprima un plus haut
es sor, en écrivant la conquete de Chanaan, composition épique, et
le J1!artyl' de Greenfield, qui a gardé longtemps de la popularité.
Ce fut aussi a la poésie épique que Joel Barlow consacra son
talent. Il prit Christophe Colomb pour héros et intitula son
poeme la Colombiade. Le morceau capital de ce poeme, qui ne
compte pas moins de sept mille trois cent cinquante vers, est une
vision du grand navigateur. Le poete nous le représente gisant,
comme un vil criminel, sur la paille des cachots de Valladolid,
repassant dans son esprit l'ingratitude des hommes, maudissant
ses ennemis et implorant de la mort l'oubli de ses souffrances et
de ses amertumes. C'est alors que Hesper, le génie tutélaire du
monde occidental, pénetre dans le cachot, tend la main au captif,
en signed' alliance, et lui crie de se lever pour courir a de nouvelles
fatigues et a de nouveaux triomphes 1. Joel Barlow était un excél-
lent citoyen et un ami ardent de l'humanité ; comme poete, il ne
manquait ni de vigueur, ni d'habileté, et cependant, pasplus que
Voltaire en France, il n'a doté sa patrie d'un vrai poeme épique.
Nous pensons meme qu'un pareil poete ne viéndra plus. La poé-
sie épique est le roman des peuples a leur age hérolque ; le
roman, a son tour, est le poeme épique des peuples parvenus a la
maturité. Genre de décadence, disent l~s obstinés louangeurs du
temps passé, laudatores temporis acti. Le roman, en effet, n'a pas
brillé au xvnC sH~cle, tandis qu'il a jeté un vif éclat au siecle sui-
vant, et quels griefs n'ont-ils pas contre ce dernier siecle I Si ces
pessimistes voulaient bien prendre une peine, celle de scruter les


f 0/1 11'OllVC dans la Litl. au:¡: Etats-Vnis (563-566) une trarluction de ce mo/'-
ccall el! VCl'S /'ran!;ais.


I ~ , '




546 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
origines du roman, ils reconnaitraient vite, avec le plus instruit et
le plus pénétrant des critiques de ce temps, que ces origines sont
toutes chrétiennes. Comm~ l'a dit M. Philarele Chasles: « Le
« roman est chrétien, et le meme art délicat de reproduire les pas~
« sions, les mceurs, les caracteres, appartient a la fois aux ascetes
« catholiques et aux satiriques modernes, a saint Fran<;ois de
« Sales et a Nicole, a Shakspeare et a l'abbé Prévostl.


Avec Perceval et William Cul1en Bryant, la poésie américaine
a mis le pied clans le vaste champ da lyrisme, qui semble étre la
vocatioll poétique de notre siecle. L'un et l'autre ont su sortir des
rangs épais qui obstruent la route du Parnasse; mais les Etats-
Unis ne peuvent ene ore a eette heure se vanter que d'un seul vrai
et grand poete : nous avons nommé Henry Longfellow. Il débuta
par des morceaux d'un lyrisme ardent, quoique concentré, et qui
trahissaient un vif sentiment de la nature. Il va sans dire que ce
sentiment était en grande partie subjectif, large ét profond comme
la nature el1e-meme, sans rappcler en rien la puérilité et l'affec-
tation de ces rimeurs a nacelle dont Musset s'est si bien raillé 2.
« Si tes cruel s chagrins te tourmentent et te harassent, ) s'écriait-
il dans l'une de ses plus belles pieces, « et ql1e tu en cherches
« l'oubli, cours au bois et parcours la montagne: il n'est point de
« larme que le regard enchanteur de la nature nesache séeher3.»
Ses poemes ultérieurs Ollt trahi certain penehant métaphysique,
qui fait songer a Shelley. Mais entre le chantre d' Alasto'r et le
poete d' Excelsior, d' Evangéline, et d' Hiawatha, il y a cette diffé-
renee essentielle que l'un était erument panthéiste, en d'autres
termes athée, tandis que Longfellow est spiritualiste.


Longfellow n'a pas eu de rivaux; en aura-t-il a l'avenir? A une


f Etudes sur les premiers temps du christianisme, etc., 342.
2 Mais je hais, dit-il:


Les reveurs a nacelle,
Les amants de la nuit, des lacs, des cascatelles.
Cette engeance mandite qui ne peut faire un pas
Sans s'inonder de vers, de pleurs et d'agendas.
Je le sais, la nature est comme on veut la prendre.
11 se peut, apres tout, qu'ils sachent la compren (Ir r.;
Mais moi, certainement, je ne les comprends pal,


3 Le lerer du saleil sur la mantagne.


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QUATR1EME P.\llTIE. - PROGRE s ET nÉVELOPPEMENTS. 5.17
~elle question, ces pessimistes, qui crient a tous les vents que l'art
s' en va et que la poésie est morte, répondraient sans doute d'une
fa<;on négative. Mais comment croire que la poésie puisse périr,
quand elle tient au camr meme de la nature et constitue l'une des
formes de l'esprit :humain! Celui-ci ressemble a un flambleau,
qui vacille et se voile parfois, mais qui ne s'éteint jamais. C'est au
milieu des plus épaisses ténebres du moyen age, alors que les
esprits sont mal remis encore des terreurs de l'an mil, qu'avec
Abailard, la pensée humaine reprend ses droits. L'heure de l'art
est prochaine : Dante et Pétrarque sont aux portes, et bientót Ja
renaissance éclate; bientol paraissent Raphael et Michel-Ange, l' A-
rioste, Cervantes et Skakspeare. Corneille burinera tout a l'heure
les hérolques figures du Cid, de Chimene et de Pauline; et apres lui
viendront Milton, Moliere et Racine. Il est vrai que le XVIlle siecle
ne donna point de successeurs a ces grands artistes; r Angleterrc
étai t toute alors a l' enfantement de sa liberté, et la France, peuchée
sur le creuset ou bouillonnait sa philosophie sociale, n'avait pas
l'oreille aux chants. Mais au XIXe siecle, la muse a reparu avec
Byron, Coleridge et Shelley en Angleterre, avec .Hugo, Lamar-
tine et Musset en France, Leopardien Italie. Elle a doriné un
coup d'aile vers les rives de la Vistule et ceHes GU Dnieper. Pour-
quoi craindrait-elle de franchir l' Atlantique et de faire prcsser
son se in fécond par les fils d'une terre si poétique dans ses grands
traits et dans sa premiere histoire ?


8. - Essagists, critiques, polygraphes.


L'excellent biographe de Patrick Henry, M. Wirt, ouvrit en
1803 ll:lliste des Essagists américains par un livre auquel il donna
le nom de l'Espion anglais (Theenglish Spy) , d'apres sa donnée qui
suppose le voyage en Virginie d'un noble Angl~is désireux de se
renseigner, de visu, sur l' Amérique. Ce livre renfermait de pré-
cieuses notices biographiques sur les principaux personnages de
la Virginie qui avait, acette époque, l'avantage d'en compter un si
grand nombre d'éminents. Il re<;ut un tres-bon accueil dH
public américain, de meme que les Lettl'es d'Inchinquin, pseu-
donyme qui cachait M. Ingraham de Philadolphie, ct le Jo/m


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L.ES É'l'A'l'S-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTHIONALE.


Bult en Amdrique de Paulding. Il était parvenu dans ce pays plus
d'un écho de la malveillance que les Anglais d'alors aftichaienf
dans leurs j ugements sur les anciens colons. L'humoristique
Paulding s' en vengea, en promenant d'un bout a l'autre de l'Union
un Anglais tres-grave, mais tres-jobard, a qui il fait commettre
les plus étranges et les plus facétieuses erreurs d'appréciation.
Jonathan fit aux larmes en voyant John Bull raconter dans ce
livre son effroi, un jour qu'il avait retiré de son assiette des bouts
de doigts et d'oreilles ayant appartenu a de petits negres et qu'on
lui avait servis en guise de potage Mock Turtle. Le bon John Bull
ajoutait que c'était dans le pays un usage général d'utiliser ainsi
ces pauvres pe tites créatures.


On a vu Irving étudier le caractere anglais sous quelques-
unes de ses faces particulieres et les plus anciennes; Emerson,
lui, s'est proposé de juger ce merne caractere sous un aspect gé-
neral et plus philosophique. Il le tit dans ses English Traits, pu-
bliés en 1856; c'est une ceuvre de maturité, et qui restera. Né a
Boston en 1803~ el fils d'un ministre unitairien, Emerson (Ralph
Waldo) a com~encé par etre ministre lui-meme. Mais son large
et vigoureux esprit dé serta la théologie pour se livrer aux études
de la haute l~ttérature, dans laquelle il débuta en 1837, par son
livre de l'Hornme pensant (Thinking man), que suivirent l'Elhiqtte,
l'année suivante, et en 1839, le livre ~elebre de la Natltre. 1'an-
née 1841 vit paraitre ses Lectures on the Times, et le premier vo-
lume de ses Essags, dont le dernier a été publié trois ans plus tard
a Boston, de me me que les Lectures on the reformers of New-En-
glanú. Enfin, Emerson est l'auteur des Representative Men, la plus
populaire de ses ceuvres et non la moins remarquable. Il a pris
comme types de l'humanité quelques-uns des grands hommes,
en recherchant ce qui a manqué a leur vertu ou a leur caractere
pour réaliser un type idéal, et en offrant a ses compatriotes l'am-
bition d'accomplir eux-memes, par leurs institutions et leurs
mreurs, la tache resté e incomplete dans les autres pays.


Ernerson a été l'un des rédacteurs de la North Américan Review,
celebre recueil qui, fondé en 1815, sous le patronage de William
Tudor, passa successivement, de cette époque ü 1823, dans les
mains de Sparks, de Dana, de Channing, d'Edward Everett. Ce




QUATRIEME PARTlE. -PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 5H)
dernier est sorti également de l'unitarisme, et le premier de ses ou-
vrages a été consacré, sous le titre de De{ence o{ Clwistianity, a une
exposition du dogrne chrétien, tel que cette secte l' entend. Ce fut le
fondement d'une réputation qui aujourd'hui repose surtout sur
les grands talents oratoires dont son auteur a fait preuve dans le
Congres, dans les réunions et dans les chaires publiques. Edward
Everett est un orateur d'une grande culture intellectuelle; son
goút súr et sa belle diction feraiellt qualifier en France son élo-
quence du titre d'académique, s'il ne s'attachait a cette épithetc
un sens défavorable, si elle ne cornmuniquait l'impression d'unc
éloquence de mots plutót que de choses, d'une éloquence qui
manque a la fois de vie et de franchise. Or, les discours d'Edward
Everett vivent et sont marqués au coin de la sincérité; ce citoyen
libre d'une république dit tout haut ce qu'il pense sur la religion,
la philosophie, l'éducation, la politiqueo 11 ne se pique ni de
fausses délicatesses, ni de fanx scrupules, s'il ne tient pas un lan-
gage violent, s'il ne se croit pas obligé de tirer des coups de pistolet
dans la rue, pour attirer le pubIic, comme fit Proudhon, de son
aveu meme, quand iI écrivit son fameux mérnoire. Il ne sépare
jamais le devoir du droit et ne méconnait jarnais les conditions
de la liberté quand ii s'adresse a un auditoire populaire. Qu'on
lise l' Elage de La Fayette, dont il a déja été question ici-meme, la
LectuTe sur la vie et la jeunesse de Franklin, le discours sur les
Pilgrim Fathers, ou ceux encore sur l'instruction populaire et
supérieure, sur l'importance de l'éducation dans une république,
et ron sera remué, si on est sensible aux accents de l'éloquence
virile, satisfait si OIl n'est pas rétif aux données du bon sens et aux
lec;ons de l'expérience l.


Nous prononc;ions tout a l'heure le nom de Channing: au dela
de l' Atlantique, il n'en est pas de plus pUl' et il n'en est guere de
plus glorieux. Son travail sur le caractere et les écríts de Milton
lui assigne un tres-haut rang dans la critique littéraire, telle que
nous la concevons aujourd'hui et que l'ont faite en Angleterre les
Landor, les Leigh Hunt, les Hazlitt, et en France les Villemain,


t Les Orations et Speeches ont été réunis en volumcs grnnd in-8°, dont les deux
premiers ont paru a Bostoll en 1850.




550 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE ~EPTENTRIONALE.
les Philarete Chasles, les Sainte-Beuve. Tandis que la figure de
Napoléon Bonaparte restait encore chez nous enveloppée dans
les plis d'une légende ídolatrique, Channing la mettait a nu, et ce
n'était pas sa faute si elle paraissait ainsi a la fois farouche et
grimac;ante t. A u double titre de philosophe et de ministre d'une
eommunion chrétienne, Channing détestait la guerre et les guer-
riers. « Les souffranees qui ne naissent pas de la méehaneeté des
« hommcs, » disait-il, « ne restent pas sans quelque compensa-
« tion ; elles entretiennent les sentiment5 fraternels, et l'adversité
~( est le eiment des ames. Mais le sang versé sur le champ de ba-
« taille ne proclame ni la paix, ni le ciel, et i1 s' en échappe un
« cri de fureur qui exaspere les survivants et les excite a de nou-
« veaux massaeres.» Le meme camr tendre qui éloignait de
BOIlaparte l'illustre Américain devait l'attirer vers Fénelon,
auquel OIl l'a souvent comparé. Le pasteur unitairien aimait
et vénérait la mémoire de l'archeveque catholique. Dans l'écrit
qu'il lui a consacré 2, Channing ferait volontiers de Fénelon
un unitarien, comme on a voulu en faire un quaker; « et il est
« remarquable que ce sont les deux Églises les plus éloignées du
« catholícisme par le dogme, l'une donnant tout a l'illumination
« intérieure, l'autre soumettant tout a la raison, qui toutes deux
« OIlt tendu aux eatholiques une main amie et que le calvinisme
(t leur a toujours dédaigneusement refusée 3. )}


Voila la part directe que la littérature peut réclamer dan s les
travaux de Channing. Les autres appartiennent a la théologie ou
affectent un caractere social. Nou"s ne dirons rien ici des premiers,
par la double raison que nous y avons déja fait allusion a leur
earactere dans. deux endroits différcnts, et qu'une discussion
quelque peu approfondic des doctrines unitairiennes ne serait pas a
sa place dans notre cadre. Les autres, tels que l'EdL~cation person-
nelle, l' Elévation des classes laborieuses, le Discours suda tempérance,
l'Obliga/ion pour les r¡nl¿nicipalités de vcillcr a la sanlé morale de
leursmembres, disent, par leurs titres memes, le but qlle s'cst pro-


f Observations sur la vie et le caractere de Napoléon Bonapal'le.
2 Observations &ur le carac!ere et leg écrits de Fénelon.
3 Lahoulaye. Introducl.ion aux (Eunes sociales, de Channing.




QUATUIEl\IE PARTIE. - PROGRES ET OÉVELOPPEMENTS. 551
posé leur auteur. Channing était fort éloignéd'etre un aristocrate;
mais il redoutait b8aucoup, ponr ia démocratie, les passions vio-
lentes et les habitudes désordonnées d'une portion de cette classe
ouvriere qui en' fait la premiere et la plus puissante assise. Il
'souhaitait tres ardemment l'amélioration des mreurs des ouvriers,
de leur tenue et de leur langage, l'accroissement de leur culture
intellectueIle et de leur bien-etre physiq~e. Peut-etre meme atten-
dait-il trop sous ce dernier rapport de l'autorité publique, et 011 a
pu, non sans vérité, le qualifier de socialiste chrétien, quoique la
qualification ne doive pas se prendre dans une acception trop
rigoureuse. Au sUl'plus, Channing a eu la preuve qu'on' peut
tenir aux classes ouvriel'es un langage austere, quand ce langage
dépouille tout esprit de caste et respire une bienveillancc évi-
dente. Ses Leclures n'ont pas eu moins de succes en Angleterre
que dans sa patrie meme: on les y a lues avec avidité, avec en-
tllOusiasme. Channing a son tour se montra tont a fait sensible a
cet accueil. « Un jour, » dit son biographe américain, ( qu'il avait
« re<;u une adresse de l'institut ouvrier de Slaithwaite, dans le
« Yorkshire, on le vit s'écrier la figure ulrirnée et les yeux bril-
« lunts : e' est de l' honneur ceci! e' est de l' honneu1' ! Il Y avait, en ce
( moment, sur sa table une lettre écrite par l'ordre d'un des plus
« grands monarques de l'Europe qui le remerciait de son livre;
« mais la reconnaissallce profondément sentie et úmplernent
« exprirnée par la rude main d'un mineur le touchait bien davan-
« tage que les éloges des grands, l'admiration des sages, ou meme
( la chaleur de ses amis 1. »


i (Euvres sociales. Introd., LIX.
Toute la vie de Channing (Williams ElIery) est dans ses reuvres. Né le 7 avril


1780 a Newport (Rhode-Island), il fit de brillantes études a l'Université de Cambridge
et avait a peine vingt-trois ans quand il fut choisi pour ministre par la Société
de la rue de la Fédération,de Boston, OU dominaient les doctrines unitairiennes.
Depuis 1803 jusqu'a sa mort, arrivée en 1842, il est resté a la tete de eette Église,
sans eonnaitre d'autres événements que l'émotion causée par ses écrits, par eeux
surtout qui eombattaient et flétrissaient l' esclavage.


Channing était a peu pres illconnu en Franee, lorsque M. Laboulaye publia dans
le Journal des Débats (nO' des 24 juillet et 7 aoút 1852) UlJ essai sur sa vie et ses
ouvrages, essai qui sert d'introduction a la lraduction francaise des Lectures préci-
tées. M. de Rémusat a égalemcnt éerit une belle pl"éfaee pour le livre intitulé Chan-
ning, sa vie et ses Qluvres, qu'a ¡mblié l'étlileur IJldier




LE~ ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.


9. - Sciences.


On a faít parfois la remarque que le génie seientifique des
Américains se tournait plutot vers les solutions pratiques que
vers les découvertes théoriques, et on a cité comme preuve
de cette assertion l'invention du paratonnerre par Franklin,
l'application de la vapeur a l'art nautique par Fulton, et ceBe de
l'éIectricité a la téIégraphie par M. Morse, a une époque encore
récente. Il faudrait inscrire dans eette liste le nom de Tom God-
frey, s'il fallait bien voir en luí le premier inventeur du cadran a
réflecteur, généralement plaeée en l'année 1731 et attribuée a
Edmond Halley, alors vice-président de la Société Royale de Lon:
dres. Or, une lettre du célebre quaker James Logan, letlre
adressée a Halley hli-meme, tend a établír que ce cadran fut
inventé des 1730 par Godfrey, essayé en mer pendant cette meme
année et rapporté a Philadelphie au mois de février 1730. Les
éléments nous manquent pour éclairer cette question de priorité;
mais les termes précis dont se sert Logan nous inclinent fort a
eroire que le vice-président de la SociétéRoyale et 1'humble artisan
pennsylvanien ont fait chacun de son coté et simultanément la
meme découverte, car Thomas Godfrey était un ouvrier vitrier,
qui vivait du travail de ses mains. II n'avait appris que la lecture,
l'écriture et les premiers éléments de l'arithmétique, lorsque le
hasard lui fit tomber dans les mains un livre de mathématiques.
11 prit gout a cette étude, et pour mieux s'en rendre maitre, iI se
mit a apprendre le latin, afin de pouvoir comprendre les nom-
bi'eux auteurs qui avaient traité des mathématiques en cette lan-
gue. Quand Godfrcy la connut, iI fut trouver Logan et le pria de
lui preter les Principie!; de .Newton. Le bienveillant quaker
s'étonna d'abord de cette demande; mais, ayant questiormé le
jeune homme, il mit a sa disposition toute sa bibliotheque. On
trouve d'ailleurs dans la lettre de Logan une autre preuvede la
grande aptitude aux sciences de son protégé. Godfrey avait com-
meneé a faire des tables lunaires, et ne les abandonna qu'aprés
qu'on lui eut procuré celles d'Halley t.


I De la littérature, etc., aux Etat.~-Uni.~, 3::l7-3H).




QUATRIÉME PARTIE. - PROGRES ET nÉVELOPPEMENTS. 553
Un trait eommun aux premiers savants amérieains, a Franklin


eomme a Rittenhouse, a Rittenhouse eomme a Bowditeh', e'est
que, nés dans des eonditions pauvres et obseures, ils furent les fils
de leurs amvres dans toute l'aeeeption du terme. Né dans la
Pennsylvanie en 1752, Ritttenhouse apprit d'abol'd le métier
d'horloger, auquel il apporta des perfeetionnements ; sans assís-
tanee aueune, il s'assimila les Principia de Newton et s'oeeupa
du ealeul des Fluxions, dont il se erut pendant quelque temps
l'inventeur. 11 imagina nn instrument propre a l'observation des
planetes et fut ensuite, avee Ewing et le professeur Winthrop,
l'un de eeux qui, en 1761, épiereut en Amérique le passage
de V énus sur le disque solaire, qui mil les astronomes du
X"\Tme siecle sur la voie, pour le caleul de la distan ce du soleil a
la terre, de méthodes supérieures a ceBes qu'on avait em-
ployées depuis Aristarque, de Samos) jusqu'il Laeaille, en passant
par Kepler et Cassini. Quant a Nathaniel Bowditeh, qui naquit il
Salem le 26 mars 1773, c'était le fils d'un pauvre tonnelier, pe re
de six autres enfants. Comme il annon<¡ait de grandes dispositions
pour l'étude, on le mit a l'éeole; mais les moyens paternels ne per-
mettant plus de l'y maintehir, il fut plaeé eomme apprenti ehez un
eonstructeur de navires, dont il devint ensuite le commis. Ce fut
la -que, dans les moments qu'il pouvait dérober a son état, il
donna les premiers indices de son gout pour les mathématiques,
en eomposant seul un almanaeh nautique. Il avait vingt-sept
ans quand il publia son Nouveau Navigateur p1'ariq1/;e, qui est
resté, pendant quarante ans, le guide presque exe]usif des ma-
rins américains. Il entreprit ensuite la traduetion de la Mécanique
cUeste de Laplaee, dont le premier volume parut en 1815, et le
dernier était a peine achevé, en 1838, lorsqu'il mourut t.


t Le trait suivant prouve que chez Bowditch, il y avait un heureux et trop rare
accord du talent et du caractere. En 1806, il avait préparé un sllperbe plan du port
de Sale·m. Une personne de l'end"oit s'en procura une copie par des moyens clan-
destins et en annonea la mise en vente sous son nomo Bowdítch, indigné, alla le
voir et le mena ea de toute la rigueur des lois. Mais ayant appris que cet homme était
pauvre et paraissait n'avoir cédé, dans sa mauvaise action, qU'Aux conseils de la
misere, il revint chez lui le lendemain, et lui tint ce langage : « Je sais maintenant
« le~ motifs de votre conduitc, et je vous la pardonne. Mais ce vlan contíent des
({ el'reurs; je les rectifierai. Vous le publierez alors pour volre compte, el j'illscrirai
« mon norn en téte de la liste oes souscripteurs. »




· 554 LES ÉTATS-UNIS DE L' AM~~nIQUE SEPTENTRIONALE.
Benjamín Thompson, comte de Rumford, était né en 1753 Ü


W oburn, dans le Massachusetts ; il servait, cnmme capitaine de
cavalerie, dans les troupes royales, lorsque la révolution éclata.
Il n'en embrassa point la cause, la combattit meme les armes a
la majn, et s'expatria' quand elle eut trio~nphé. Il s'étalt fixé a
Munich, ou il devint conseiller d'Etat, et comme l'assÍstance pu-
blique rentrait dans ses attributions, ce fut en cherchant les
moyens les plus économiquf~s de nourrir et chauffer ses pauvres
qu'il vivt a diriger ses études sur la chimie et la physique. Il
donna des regles pratiques pour la constrr'uction des cheminées,
appliqua la vapenr d'eau aux appareils de ch:\1.1ffage et inventa
un systeme de lampe. Mais Rumford ne fut pas seulement un
ingénieux inventeur ; il avait profondément scruté la partie spé-
culative de la scíence, et il a esquissé cette théorie dynamique de
la chaleur, qui dans les mains de Séguín, de Joule, de Mayer, a
pris des contonrs arretés et fait maintenant partie du credo
scientifique l.


Déja cultivée avec succes par Redfield, qui constata la pério-
dicité des alisés et reconnut la direction constante, de droite a
gauche, que suiven't les ouragans dans toutes les régions situées
au nord de l'équateur, la météorologie a rendu célebre le llom
de M. Maury, ofticier de la marine fédérale. Les recher-
ches de M. Maury ont porté a la fois sur la circulation
aérienne et la circulation sous-maríne, et reposent sur deux prin-
cipes. Un courant se manifeste-t-ild'une maniere constante sur une
partie quelconque de l'Océan, iI doit s'établir sur un autre point
un courant équivalent et contraire, destiné a maintellir l' équilibre
des mers, te! est le premier. Le double circuit que décrit une
molécule d'air entrainée sans cesse d'un poi e a l'autre et passant
alternativement des régions élevées a la région inférieure de
notre atmosphere, voila le second.


i Rumford vin! a Paris en 1802, fut bien accueilli du Premier Consul el nommé
correspondant de notre Institut. Des lors, il ne quitta plus notre pays, ou il est mort,
a Auteuil, le 21 aout 1814. Ses Mémoires sur la chaleur ont été imprimés a Paris
en ltl06, et ses E~sais politiques, économiques, philosophiqtll's (traduits de I'An-
glais, 3 in-So), a Geneve de 179b a cette meme date. Ses autres travaux sont insé-
rés dans les Philosophical. transactions et les Jiérnoires de notre Académie des
sciences.




· .


QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 555
La nouvelle théorie rattache les lois générales de la circulation


aérienne a l'action que développent les forces électro-magné-
tiques, en s'appuyant sur les analogiesd'ensemble que présentent,
d"apres les expériences de Faraday, de M. Quetelet et du profes-
seur von Feilitzsch,l'ensemble des phénomenes électro-dyna-
miques et celui des phénomenes aériens. On sait que Faraday a
démontré les propriétés magnétiques de l'oxygene quand la tem-
pérature s'abaisse, et que M. Quetelet a constaté dans les régions
supérieures de l'atmosphere une véritable accumulation d'élec-
tricité positive dont la puissance se développe, comme celle des
vents, en raison inverse du degré de la température. Le pro fes-
seur von Feilitzsch a pCl'mis des conclusions plus positives, en
étudiant la marche des courants dans un circuit métallique de
construction semblablé a la spirale qui, selon la théorie de
M. Maury, serait décrite autour de la tene par les courants
magnétiques de l'oxygéne atmosphérique. A l'aide de l'appareil
d' Ampere, iL a reconnu que l'intl'oduction d'un courant électro-
dynamique dan s l'une de pes spirales métalliques produisait a son
entrée un póle-sud et déterminait au contraire un pók·nord il sa
sortie. 01' la spirale atmosphérique tourne aussi de gauche a
droite dans les environs du pole antarctique, et sa direction se
renverse en approchant du pole boréal, etde lill'inférence que les
póles magnétiques de la terre et les nreuds atmosphériques se trou-
vent les uns vis-a-vis des autres dans une relation ue cause a effet 1.


L'íllustre auteur du Cosmos a dépeint dans une page magni-
fique les horizons nouveaux que la découverte de l' Amérique
ouvrait a la science: une faune et une flore inconnues a dasseret
a décrire, une immense chalne de montagnes a explorer, chaine
dont les pentes rapides et les plateaux en gradins offraient a l'ob-
servateur les climats les plus divers et les productions les plus
variées. « Jamais, depuis l'établissement des sociétés, la sphere
« des idées relatives au monde extérieur n'avait été agrandie
« d'une maniere si prodigieuse. Jamais l'homme n'avait senti un
« besoin plus pressant d'observer la nature et de multiplier les


1 La double lhéorie de Maury a été, de la part de M. le lieutenant de vaisseau
J ulien. i'objet" d'un ex posé tres-biel) fuit et d'excellentes remarques dans la 'Revue
contemporaine, no' des 15 jllillet et 15 novemhre 1858.




556 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
« rnoyens de l'interroger avec su cee s 1. }) Cette irnmense étude ee
furent toul d'abord les Europé~ns qui l'entreprirent; mais au
xvmC siecle, ils ne l' avaient pas poussée bien loin lorsque Alexan-
del' Wilson vint s'établir en Amérique 2. En 1794, il débarquait a
New-Castle et, le fusil sur l'épaule, portant sur le dos tout son
léger bagage, il prenait le chemin de Philadelpbie. Un oiseau
rouge qu'il tua dans la foret de Delaware décida de sa vocation
de natura liste ; mais il reconnut alors l'inexactitude ou la fausseté
des notions sur la faune américaine qu'il avait puisées dans les
Iivres anglais. n en fit table rase et, sans autre guide que la
nature, se mit a parcourir les forets et a y recueillir toutes sortes
de spécimens. « J'ai vu en meme "temps réunis diez rnoi, » éeri-
vait-il a un ami, « des corbeaux vivants, des faueons, des
« chouettes, des opossums, des écureuils, des serpents, des lé-
( zards, de sor te que ma chambre me rappelait l'arcbe de Noé;
« mais Noé, dan:; un coi n de l'arche, avait une femrne, et en ceci
« differe notre histoire 3. »


Wilson était pauvre, et pour vivre il dut successivement exer-
cer le métier de tisserand, qu'il avait appris dans son enfance, et
celui de maitre d'école, qui lui paraissait plus honorable et cor-
respondait mieux ases gouts studieux. En Amérique, d'ailleurs,
les instituteurs des campagnes ne sont nommés que pour six mois
a terrn 4, et quand il en avait finiavec son école, il prenait son
fusil, avec la gibeciere et le havre-sac, pour se transformer en
naturaliste. On le vit ainsi, ayant moins d'un dollar en poche,
parcourir des quatre cents lieues de terrain, dan s un pays presque
toujours inbabité. Voila comment Wilson parvint a réunir les
éléments qui constituent les huit volumes de son Ornithologie
d' Arnérique, ouvrage ou tout est de lui, texte, dessins et peintures.
Il ne possédait pas seulement une vive intelligence et un talent
d'observation rigoureuse: il avait encore l'amc et les accents d'Ull


, Examen critique de l' Histoire de la géographie du nouvean continent, J, :368·
369.


2 Fils d'un pauvre distillateur; né en Ecosse en 1766.
3 Dela littérature, etc., aux Etats-Unis.
/, E. de Laveleye. De l'lnstruction du peuple, 351 (Paris, Hachettc .. 1875). Vaste


l'épertoire de faits et de données statistiques chez les peuples des deux" mondes avec
une lntroduction remar(luable.




QUATRIEME PAHTlE. - PUOGRES ET nÉVELOPPEMENTS. \557
vrai naturaliste. « La saison délicieuse approche,» écrivait-il en-
core ason ami. « Quandlesjardins, les bois, les champs déploieront
« de nouveau 1eurs feuillages et leurs fleurs, il faut journelle-
« ment s'attendre a voir des oiseaux étrangers venir du midi vers
« nous po~r faire. retentir nos bois de leur douce harmonie. Déja .
« le pinceau de la nature est a l'reuvre, et bientót des formes, des
« nuances, des gradations diverses de lumiere et d'ombres, qui
« défient toute descríption, seront bientót offertes a notre vue par
« ce maUre supreme, notre bienfaiteur et notre pere a tous.
« Jouissons avec bonheur des délices qu'il procure a nos sens.
« Contemplons ces milliers de voyageurs ailés, nés d'hier a la
« lumiere, quí viennent a nous comme autant d'heureux messa-
« gers, avec la charge de proclamer la puissance et la munifi-
« cence du Créateur. »


En suivant la voie que Wilson avait ouverte, JamesAuuubon I'a
beaucoup agrandie, et il n'est personne, soit dans sa patrie, soit en
Europe, qui luí dénie, pas plus qu'a Buffon et a Cuvier, le double
litre de grand écrivain etde grand naturaliste. Sa famille était d'ori-
gine fran'.;aise, et la persécution religieuse la poussa vers les ri-
vages du Nouveau-Monde. Lui-meme naquit dans la Louísiane,
en 1780 ou 1782, et se destina d'abord a la peinture. Le jeune
James vint a París pour l'étudier et entra dans l'atelier de David.
Mais trois ans plus tard, €In le retro uve en Amérique, et son pere
lui ayant fait don en Pennsylvanie d'une habitation magnifique,
ses instincts denaturaliste prirent tout a fait le dessus. Pendant
quinze années consécutives, Audubon parcourut tout le continent
américain des régions chaudes des Florides aux zones glacées du
Labrador, moissonnant a foison des dessins et des types d'oiseaux
et de quadrupedes. En 1826, son propre pays ne lui offrant pas
encore assez de ressources artistiques, il se rendit a Londres, afin
de faire imprimer sa Bibliotheque Ornithologique 1. Le premier vo-
lume de cette grande publication ne parut toulefois qu'en 1830,
et dans l'intervalle Audubon avait revu Paris et visité Cuvier,
ainsi qu' Alexandre de Humboldt, qui lui fil'ent un tres-bon


f Ornithologicallibrary, or Itn account of the birds of United States,5 vol. gr.
in-8u , finis en 1~3V.




558 LES ÉTATS-liNIS DE L'A!\1ÉRlQUE SEPTENTRlONALE.
accueil. L'impression de la Bibliolhcque n'était pas achevée que
commell(;ait ceBe des Oiseaux d' A.mérique 1. Le tour des quadrupe-
des vint ensuite, et deux grands ouvrages 2 qui lcur étaient con-
sacrés parurent presque simultanément. La publication du der-


• nier était achevée en 1850, et un an plus tard, James Auclubon
n'était plus 3.


Ni Wilson ou Audubon, ni Thomas Say 4 et le professeur
Harris, qu'ont oceupés l'entomologie et la conehyologie amérieai-
nes, ne quitterent le terrain de 1'0bservatioIl pureo Avec Morton 5,
Gliddon et le docteur Knox 6, les naturalistes américains sont
entrés sur le terrain beaueoup plus difficile et plus délicat des
questions d' origine et de filiation, d' especes et de variétés,· qui ont
attiré tour a tour l'attention et provoqué les dissentiments des
Cm'ier et des Lamark, des Darwin,' des Huxley, des Vogt et des
Quatrefages. Il s'est agi, en Amérique eomme en Europe, de
savoir si l'humanité entiere ne forme qu'une seule espece, ou
bien si ses variétés, ses races, constituent autant d'especes dis-
tinctes, et la-bas comme ici des considérations dogmatiques sont
venues compliquer la question, en la passionnant et en la déna-
turant. Chez nous, on s'est souvent rangp. parmi les polygénistes
ou les monogénistes, paree qu'on repoussait l'auiorité religieuse
de la Bible, ou bien, au contraire, paree qu'on la r'évérait. De
meme~ en Amérique, il a paru de tres-gros livres polygénistes dont
le but,véritable était d'appuyer l'esc1avage sur le texte biblique et
de le justifier ainsi, si e'était possible. En Franee, M. de Quatrefages
a replaeé la question sur son véritable terrain, qui est celui de Ja
scienee, et fort des plus grandes autorité~, Linné, Buffon, Blu-


t Birds of America, 4 vol. in-fo ; Londres, finis en 1839.
2 Quadrupeds of America, in·fu ; Philadelphie, 1846. - Biography of American


quadrupeds, 1846-1850.
3 11 est mort le 2 février 1851.
" Né en Pennsylvanie en 1787. A fait partie d'une expédition scientifique en Flo-


ride, et plus tard (1819 el 18"20) de l'expédition aux .Montagnes-Rocheuses.
;; Auteur du grand ouvrage des Crania Americana.
s Auteur des Types of Mankind. JI a pla"cé uu fl'ontispice de son line une gra-


vure qui représente, a cóté l'un de l'autre, un montagnard grcc et un monjik mos-
covite, avec ces mots au bas : « Voyez comrne ils se pessembleut ! )) Lc docteur
Knox professe la création sur place de tous les groupes humains.




QUATRIEME PAHTIE, -- PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 559
menbach, Cuvier, Muller, Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, Blain-
ville, Lyell, Huinboldt, fort d'une étude personnelle et appro-
fondie de la question, iI conclut nettement a l'unité originelle et
spécif1que de l'homme 1,


IX


INDUSTRIE,


L'industrie est lancée sur la voie d'un développement progres-
sif et, pour en activer )' eS80r, les Américains ont imaginé d'appli-
quer le systeme des grandes compagnies a la fondation de manu-
factures. Toutefois, elle n'a point encore franchi tout a fait la
période des frottements et des embarras qui accompagnent un
apprentissage. La division du travaiI, par exempIe, n'est pas aussi
grande qu'en Europe, et restera telle aussi longtemps qu'une
demande assez forte ne permettra point achaque sorte de fabrica-
tion de vivr~ dans l'isolement, Les brevets d'invention, ou patents,
ne sont assujettis qu'au droit tres-modéré de trente dollars, mais
leur systeme repose sur des bases peu rationnelles. On en déli vre,
en effet, pour des machines imparfaites, sous ]a condítio:Q que
l'auteur corrigera son invention, et presque pour des machines
éventuelles, puisqu'un inventeur qui craint d'etre devaneé dan s
une découverte qu'il n'a pas encore achevée est sur, en s'adres-
sant au Patent Office, que pendant toute une année il ne sera deli-
vré de brevet a personne pour une invention semblable a la sienne.


La liste de ces patents atteste que les Américalns sont allés au
plllS pressé et se sont appliqués surtout a la production des objets
de nécessité premiere. Ainsi les inventions qui concernel'lt l'agri-
culture, la métallurgie, les moyens de transport, le sciage des
bois de charpente y tiennenf le premier rang, et les industries de
luxe, de me me que les industries sci'entifiques n'y viennent qu'en


f Le docteur Pickering se sépare ici de ses compatriotes. Son livre The raees o[
men and lheir geographica¿ distributio~ forme le 7" volume de la splendide pu-
blication consacrée aux résultats de l'exploration scientifique des régions australes,
par le capitaine Wilkes, dont le docteur faisait parlie. Sous ectte forme, il colitait
3 guinées (75 franes). L' éditeur Henry Bobn, de Londres, a eu l'idée d'en faire ulle
édition a 5 sehellings (6 fr. 25), tres-soignée;, mais iI ne s'est pas trouvé d'éditeur
francais pour le faire tl'aduire.




560 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTF.NTfllONALE.
seconde ligne 1. Ce n'est pas que le monde ne leur doive la pre-
miere idée du télégraphe électrique et de l'anesthésie, c'est-a-dire
l'e~ploi du chloroforme et de l'éther dan s les opérations chirur-
gicales; mais leur vrai triomphe est dans la mécanique destinée a
remplacer le travail manuel. Leurs moissonneuses et lem:s fau-
cheuses ont battu toutes les autres dalls les concours qui ont snivi
les expositions universelles, et ils ont trouvé des machines ponr
niveler le sol, coudre, traire, comme pour fendre le bois et scier
la pierre. Leurs articles de mode sont privés d'originalité; leur
orfévrerie et leur bijouterie manquent d'un gout délicat; mais ils
excellent dan s la quincaillerie et la mercerie. Personne ne portant
de vieux habits aux États-Unis et les pauvres rougissant de por-
ter la défroque des riches, l'industrie des habits eonfectionnés est
devenue également tres-prospere.


Son centre est dans l'Ouest, a Louisville, dans le Kentucky, a
Saint-Louis du Missouri, a Cincinnati, dans l'Ohio. Vingt-quatre
Í~tats possedent des manufactures de laine, dont les principales
se trouvent dan s la Pennsylvanie, dans l'Ohio, d'ans la Virginie,
dans le Massachusetts, le Kentuckyet l'lndiana. Quoique l'éleve
de la brebis soit en progression croissante 2, une bonne partie
de la laine employée dans les manufactures des États-Unis pro-
vient encore de l' Angleterre, de l' Allemagne, de l' Australie pour
les qualités supérieures; de Buénos-Ayres, de la république Ar-
gentine pour les inférieures, et cette circonstance, jointe a un
manque d'habileté suffisante, explÍque le retard de cette industJ:ie.
e'est aussi a l'absence de cette patience méticuleuse qu'exige
l' éleve du ver a soie qu'il faut rapporter l' état languissant et
meme rétrograde des manufactures de soie, dans un pays dont le
sol est si propre a la culture des muriers. Les Américains se mon-
trent, au contraire, tres-habiles dans la fabrication des cuirs, OU
011 leur doit un faux maroquin nommé Leather Clolh (étoffe de
cuir), des lins, des chanvres et des fers. Ceux-ci sont fondus da ns
vingt et un États, travaillés dans dix-neuf, et c'est la Pennsyl-
vanie qui possede le plus d'établissements des deux sortes.


I l1nnuaire des Deux-61ondes, 18&5-1856.
:.! En 18G3, '22,700,000 kil. de laines importées; en 1865, 17 millions SeUll.!lllent,


I[uoique la maliere totale mise en reuvre flit d'un bon tiel's supérieure.




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 561
Nous arrivons au coton, la premiere des industries des États-


Unis et l'une des branches importantes de leur production agri-
col e 1. On croit que la premiere filature qui s'y établit remonte a
l'année 1790, et fut construite par M. Samuel Slater, a Pawtuc-
ket, dans le Rhode-Island. Qupi qu'il en soit, les progres de cette
industrie furent d'abords lents, entravés qu'ils étaient par l'im-
portation annuelle de grandes quantités de cotonnades d' An-
gleterre, ou l'invention du métier mécanique avait diminué
de beaucoup les frais de production. En 1813,. l'invention
d'un métier mécanique américain remédia en partie a ce mal, et
}'établissement d'un droit de 25 pour cent ad valorerrn sur les co-
tons étrangers fit surgir de toutes parts de nouveaux établisse-
ments. Aussi, en 1820, la statistique indiquait-elle déja 79? éta-
blissements, 250,000 broches usant environ 10 millions de, livres
de matiere, ce qui représentait pour une période de dix ans une


.. augmentation de 200 pour cent dans le nombre des broches et
,de 175 pour cent dans la consommation. En 1831, plus de
18,000 hommes, pres de 40,000 femmes et de 5,000 enfants
étaient employés dans les manufactures, et dix-neuf ans plus tard
le nombre des broches s'élevait- a 2,500,000, qui consommaient
540,000 balles de 480 livres l'une et fabriquaient pour 65 millions
de dollars. Enfin, en 1860, la valeur de la fabrication atteignait
115 millions, et si le nombre des établissements n'était que de
915, c'est que depuis dix aas, il y avait eu tendance tres-marquée
a concentrer cette industrie dans un nombre relativement res-
treint de riches usines.


La premie re année de la guerre diminua de deux cinquiemes la


.. Le mals est la principale denrée agricole des Etats-Unis; le froment vient en
seconde ligne; I'avoine, le seigle, le sarrasin, l'orge, en troisieme, suivant le rang
ou i1s sont énoncés,


La récolte du tabac avait donné 190 milJions de kilog. en 1859; cinq ans plus tard
elle était tombée a 90 miJIions.


En 1859, il yavait en Louisiane 1,291 plantations sucrieres, et 174 seulement au
commericement de 18()5.


La culture de la vigne américaine, variété distincte de la vitis vinifera d'Eu-
rope, s' est fort développée en CaJifornie et dans les Etats de l'Ouest. 00 a peine ce-
pendant a ne p:JS trouver exagéré le chiffl'e de 20 millioos de ceps donné pour la
('alifornie en 1863, qualld, en 1856, ce nombl'o n'élait quede 1,500,000 (Annuai-re
des Deux-jlondes, 18G4·18(5).


..


..




562 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
consommation en balles, qui avait été de 900,000 en 1860. Elle
tomba a 300,000 en 1862, pour ne se relever que de 30 mille en
1864. Des lors, la progression s'-est rapidement accrue : en 1865,
on consommait 550,000 balles et 950 trois ans plus tardo Enfin,'
un rapport de la National Associqtion of CoUon flfanu{actur'ers
and Planters, publié en juin 1869, établissait comme suít le bilan
de l'industrie cotonniere :


FiJatures
Broches.


Filatures
Broches.


ETATS DU NORD.


693 } . 6.452.974 Consommant 398.433.133 IIvres américaines I
~


ETATS DU SUD.


101 J
247.583


Consommant 35,860,750


De meme que la filature et le tíssage, l'impression avait fait
de rapides progres, d'autant que les Américains avaient pu s'assí-
miler d'emblée toutes les resources industrielles, toute l'expé-
rience de la France et de l' Angleterre. Malgré cela, la qualité n'est
pas ce qui distingue les impresions américaines, et sous ce rapport
elles restent bien inférieures aux notres. Elles visent au bon mar-
ché, et les indienneries des États-Unies y sont parvenues, grace a
une production énorme et a l'économie dans le dessin, la gra-
vure, les couleurs.


M. Engel, de Mulhouse, a qni nous emprllntons í ous ces dé-
tails 2, les a complétés par de curieuses indications sur la condi-
tion physique et morale des ouvriers américains. 1l est visible,
8elon lui, qu'ils sont rnieux nourris, mieux vetus, et en général
mieux logés que les üuvriers europécns; et leur supériorité, sous
le rapport de l'inst1'uction] est incontestable. Il loue leur tenue,
d'habitude décente, et a remarqué cbez les femmes une propreté
qui touche au luxe, meme a la coquetterie. L'honneur de ces cir-
constances revienten partieaux patrons eux-memes: les directeurs
du célebre. établissement de Lowell, sur le Merrimac; des Pacific
Mills et des Washington Mills, de Lawrence; de.Graniteville, c1ans


I Les Et3ts ou il n'y avait point de manufactures étaient. pour le Slld, la Loui-
siane, le Texas, la Floride; pour le Nord, le Michigan, l'IIIinoi<;, le Wisconsin, la
Californie, l'Iowa, le Nevada, le Nébraska, I'Orégon, le Minnesolll.


2 Industrie cotonniere aux Etats- Unis I 1870,




QUATRIEME PAltTiE. --- PROGHES ET DÉVELOPPEMENTS. 563
la Caroline du Sud; MM. Sprague, qui emploient 6,00(} per-
sonnes a Providence, lojn d'etre indifférents au sort de leurs
ouvriers, leur bat.issent des maisons, leur ouvrent des écoles, des
bibliotheques, des églises. Ils leur facilitent l' exercice de la pré-
voyance, et vont dans le Sud jusqu'a la rendre inutile, en pour-
voyant a l'avenir de l'ouvrier qui se conduit bien.


La durée du travail est en moyenne, dans le Nord, de 11 heures
par jour, soit de 64 heures par semaine pour les a(~ultes, paree
qu'il s'arrete le samerli a quatre heures du soir. Dans le Sud, il
est tantót de 11, tantót de 12 heures. Une 10i du Massachusetts,
rendu,e le 29 mai 1867, décide qu'aucun enfant ayant moins de
dix ans ne sera emplo'yé dans les manufactures. De dix a quinze
ans, Une peut y entrer qu'en justifiaI1t d'avoir, l'année précédant
cette entrée, 8uivi pendant troi8 moi8 une école de jour. Jusqu'il
q uinze ans, son 1ra vail ne peut excéder 60 !~eures par semaine.


Dans le Rhode-IsJand, aucune loí ne réglemente l'industrie;
mais la regle des Pacific et. des Washington l}Iills obligc leurs pl'O-
priétaires a euyoyerquatre mois a l'école les enfants de dix ans 1.


10. - Banques.


En 1869, o~ ~o,mptait 1870 établissements de banque, dont la
grande m,ajorité était placée sous le régime de la National-Banking-
Law, et dont le capital était évalué a 493 milHons de dollars.


L'acte qui a constitué les banques di tes nationales porte la date
du 25 février 1863. Il a été rapporté, jI est vrai, par un autre acte
rendu le 3 juin 1864; mais celui-ci n'a faít le plus souvent qu'é-
dicter a nouveau les dispositions contenues dan s l'acte de l'année
précédente, et les associations qui s'étaient soumises a ce dernier.
ont continué d'exister sous l'autre. Nous allons, en conférant
l'acte du 25 février et l'acte du 3 juin, présenter un résumé de la
législation qu'ils consacrent.


Aucune associ~tion banquie~e ne pel)t compter moins de cinq
membres ni leur capital etre inférieur a 50 m,iIle doIlars, ou a


f On remarquera que le Massachusetts renferme a lui s~ul le tier~ des broches en
activité aux Etats-Unis, quoit¡uc sa popu~ation nc soil que le trentieme de la po¡m·-
lation totaJe.




564 LES É'fATS-UNIS DE L' AMÉRlQUl!: SEP'fENTIUONALE.
1 OOJOOO dans les;cités d'unepopulation de 6,000 ames. Lainoitié de
ce capitai doit etre versée au début de l'entreprise ; le reste par
versements successifs d'au moins 10 pour 100 et par intervalles
de deux mois en deux mois au plus tardo


La durée de l'incorporation 1 est fixée a un maximum de vingt
années.


Les billets qu'émettent ces banques ne peuvent etre inférieurs
a 5 et supérieurs a 1,000 dollars. Ils sont re~us en paiement de
toutes sommes dues aux Etats-Unis ou par les Etats-Unis, a l'ex-
ception des droits d'importation. ~eur nombre total est limité a
une valeur représentative de 300 millions de dollars, a répartir
entre les divers États, moitié d'apres leur population, moitié d'a-
pres leurs ressources financieres et leurs besoins présumés de
monnaie fiduciaire.


Chaque association banquiere doit avoil' Ulle l'éserve métallique
égale au quart de ses billeís en circulation.


TOlJtes les banques d'émission non régies par le Banking Act
sont assujetties a la publication de rapports bisannuels. Si elles
cessent de rem bourser leurs billets, le contróleur général de la
circulation fiduciaire a le droit de disposer de leur encaisse mé-
tallique, cornme de toutes les ressources a leur disposition, pour
le remboursement de tous les détenteurs desdits billets. A cette
fin, le gouvernement fédéral se déc1are premier et principal
créancier hypothécaire desdites associations.


x.


COMMERCE ET NAVIGATION,


Les importations, évaluées en 01', représentaient en 1865, 234
millions de dollars; elles représentent en 1871 une valeur a peu
pres double (541 millions).


i L'incorporation remplit a peu pres, aux Etats-Unis, le meme but que la recon-
naissance d'utilité publique en France. Une compagnie financiere, une ·académie,
un collége, un établissement charitable, une églist' meme qui veut devenir per-
sonne civile doivent se faire incorporer (incorporate). Mais cette fOl'malité remplie,
ils l,ossedenl une liberté de gestion et d'administration que nos Iycées, nos colléges
et nos hos)Jices communaux, nos par8isses, 80nt loin de connaitre.




QUATRIEME PARTm. - PBOGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 565
Les exportations ont été aux memes époques de 565 et 562 mil-


lious, en comprenant dans ce dernier chiffre les métaux précieux,
dont l'exportation pour 1870 a été a peu pres de 44 millions.


Les principales marchandises importées ont été les suivantes:
laines, fils et tissus de laine; tissus de lin, cafés et suere; soie et
tissus de soie; fer brut et ouvré; ehanvre et jute bruts et manu-
facturés; plomb, peaux brutes, acier urut et ouvré; fruits et vins,
fourrures.


Les principales expol'tations ont consisté en tabaes bruts et
manufacturés, en huiles de pétrole crues et raffinées; en fromages
et graisses; en pores et bceufs salés, lards et jambons; en suif et
tourteaux; en bois bruts et ouvrés, en fer et acier bruts et manll-
facturés. Mais le plus important des articles exportés est assu-
rément le coton bruto En 1856, on en exportait 612 millions de
kilogrammes et 800 en 1860. L'année suivante, ce chiffre tompait
á 139, et en 1863 il était réduit á 3. En 1866, iI se relevait a 294,
et l'année suivante a 299 millions et demi de kilogrammes 1.


Avant la guerre de la Sócession, la flotte cOnlmerciale des
États -Unís dépassait meme eelle de l' AngletClTc et était la
plus considérable du monde entjer. Elle représentait, en 1861, un
tonnagé total de 5,539,000, dont 877,000 tonneaux appartenaient
aux navires a vapenr. En 1866, ce tonnage n'était plus que de
4,310.000, et en 1870, il avait encore un peu baissé (4,286,000,
dont 1,103,000 tonneaux en navires a vapeur 2).


Les grands lacs sont aussi le théAtre d'une navigation inté-
rieure qui est tres-active. En 1863, elle employait 1,761 navires de
toute sorte, dont 124 a vapeul'. Il y a la des ports nés d'hier et
qui comptent déjá parmi les places commerciales les plus im-
portantes, Chicago, qu'un incendie a récemment détruít, et
Miwaukie, également situé sur les bords du lac Michigan. Ce
dernier port avait été en 1863 le plus important du monde entier
pour l'exportation des céréales, et n'avait pas expédié moins
de 6,~06,000 hectolitres de fl'oment ou de farines sur les marchés


j Ces chiffres sont ronds et donnés par ¡'Annuaire de l'économie politique el ele
1((; statistique (1871 -187'.2). puhlié par la maisoll Guillaumin.


2 J)'npt C~ les JIontlil!! rej)l)tts !ln hnrcall de la statistiqnt'.




566 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTIUONALE.
d'Europe ou d' Amérique, ehiffre représentant environ les deux
eiquiemes des expéditions de menie nature faítes par tous les
ports du lae Miehigan 1.


XI.


MINES.


La produetion aurifere ou argentifere des Etats-Unís n'est pas
bornée a la Californie. Les territoires d'Idaho, de Montana,
d' Arizona, du Colorado, du Nouveau-Mexique ahondent en fHons
des précümx métaux; on n'évaluait pas a moins de 100 millions


I


de franes l'or recueilli en 1863 dans le Colorado, a163 la valeur
de l'argent extraít la memeannée des mines du Nevad a, et a 270,
dan s ee meme temps, cene de la produetion aurifere et argen-
tifere de la partie des Etats-Unis bordant le Pacifique.


La houille est répundue dans l'Ohio, la Virginie, le Kentucky,
l'Indiana, l'IllülOis, la Califoruie, et la Peunsylvanie ~urtout, a
l'est des montagnes Rocheuses. La production houillere n'est
guere que le cinquíeme de celle de la Grande-Bretagne; mais la
richesse miniere y est beaucoup plus considérable, et le seul
district houiller de Pittsburg, qui s' étend sur une superficie de
3,540,000 hectares, est supposé renfermer 53 milliards de
tonnes.


Autour du lac Supérieur et surtout dans la Pennsyhanie, on
trouve d'importants gisements de minerai de fer. Le district
d'Oil-Creek, dans ee dernier État, est le centre de l'exploitation
du pétrole. On évalue, en moyerme annuelle, a 350 millions la
valeur de celle-ci, a 250 ceHe du fer, a 500 eel1e d,e la houiUe
dans la Pennsylvallie.


XII.


VOIES DE COMMUNICA TION.


Sous le rapport hydrographique, le territoire américain peut
etrc partagé en quatre grandes régions: la val1ée dll Mississipi, la


t Annuaire des Deux-JIondes, HG2-18G:L




" ,


QUATRIEME PARTIE. - PROGRE s ET DÉVELOPPEMENTS. . 567
vallée du Saint-Laurent, avec les grands lacs, le versant de l'At-
lanti!}ue et celui dti Pacifique. Il a deux capitales commerciales,
New-York et la Nouvelle.Orléans, qu'on a tres-bien appelées les
poumons 'de ce grand corps, les poles gal vaniques de cet immense
systeme. Cette configuration du terrain trac;ait aux travaux pu-
blics la marche qu'ils avaient a suivre. n fallait re!ier le littoral
de l' Atlantique avec les pays situés aTouest des Alleghanies, c' est-
a-dire raHacher l'Hudson, le Potomac, la S~squehannah, la
riviere James, les baies de la Chesapeake et de Delaware soit
avee le MisSlssipi ou rOhio, soit avec le Saint-Laurent ou les
grands lacs; établir des communications entre le bassin du Mis-
sissipi et celui du Saint-Laurent, en unissant l'un des grands
affluenls du Mississipi, l'Ohio, l'Illinois ou la Wabash, avec le
lac Erié ou le lac M:ichigan, qui de tous les grands lacs sont ceux
qui s'avancent le plus vers le Sud. Il faHai.t aussi faire communi-
quer New-York et la Nouvelle-Orléans, ainsi que San-Francisco
et New-York. 11 s'agissait e11fi11 de faciliter l'acces des centres de
cousommation, d'ourrir des débouchés a certains centres de pro-
duction et de desservir certains bassins houillers.


En 1835, les canaux et les chemills de fer qui devaient réaliser
ce programme dans ses trois prernieres parties et dans sa del'-
niere, car il n' était question eucore ni de Sa11-Francisco ni de la
Californie, ces travaux étaient en cours d'exécution oa exécutés ..
Les canaux représentaient un parcours de 1,364 heue.s kilomé-
triques et les chemins de fer de 758, qui avaient cofrté les unes
438, les autres 207 millions de francs 1.


Une voie ferrée, longue de 2,734 kilometres, relia New-York et
Omaha, dans le :Missouri: la Californie annexée, on combla la
lacune entre Omaha et San-Francisco; elle était de 2,456 kilo-
metres, qu' on acheva en moillS de trois années. En moyenne,cela
donne deux kilometres et demi de chemin exécutés par jour,
mais en réalité la vitessfl du travail ne s'est pas égalemelü répar-
tie sur les trois années. Les seize mois de janvier 68 a mai 1869
Ol1t fourni environ 200 kilometres en plus que les vingt premiel's


1 Lettres sur l'Amér. du Nord, 11, note 15. Cette note et la lettre XXII, qui n'a
pas moins de 71 pages, contienllent les tlétails les plus complels, el 80nt donnés
avec une compétence toute spéciale sur cet ensemble de travaux.




568 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIO:'iALE.
mois. Dans les derniers temps surtout ,toutes les hardiesses de
l'esprit américain ont été dépassées: on a vu le terrain se cOJlvril'
en onze heures de travail de 17 kilometres de voie ferrée, depuis
le premier coup de pioche du terrassier jusqu'au rail posé et
fixé.


Ce dernierrail dugrand chemin de fer américain fut placé, avec
une solennité bien justifiée par l'immensité de l'entreprise et la
rapidité inouIe de son exécution, six mois presque jour pour jour
apres l'inauguration du canal de l'isthme de Suez, l'année meme
ou le cable transatlantique s'immergeait dans les abimes de 1'0-
céan. Un jour ou l'autre, on peut en etre sur, la locomotive ira
également d'Omalla a Denver et de Denver a la cité du lac ,Salé,
a travers les pl'airies du Colorado et du Kansas, a travers les dé-
filés de la Sierra-Madre. Des a présent, les Etals-Unis possedent
48,860 kilometres de voie ferrée, dont le capital est évalué
a 1,800,000,000 de dol1ars, et des fils télégraphiques publics sont
posés sur une longueur de 21 0,300 kilometres 1. Qu'on ne s'étonne
pas d'un pareil développement des moyens de communication et
de transport chez le plus lihre des peuples. La démocratie obéit,
en les multipliant, a sa nature et a ses besoins intimes. Il y a
longtemps déja qu'on I'a dit : am.éliorer les· communications,
c'est travailler a la liberté pratique; c'est faire participer tous
les membres de la famille humaine a la faculté de pal'courir et
d'exploiter le globe, leur commun patrimoine 2. Si les fleuves
sont, suivant l'expresslon de Pascal, de grandes routes qui
marchent, les voies ferrées sont a leur tour de puissants véhi-
cules pour les idées d'expansion, de liberté, de justice et de con-
corde, destinées a faire le líen, comme elles en sont la base, de la
société du XIXe siecle et des siecles avenir.


t Janvier 1870 (Almanach de Gotha, 187'2).
2 Lett. liur l'Amér. du Nord, 11, XXI.




LES DEUX RÉVOLUTIONS.


Deux grandes dates marquent la fin du dernier siecle : la ré-
volution arnéricaine et la révolution~ francaise. Entreprises t outes
les deux au norn de la liberté, elles sont 10íD d'avoir eu le meme
sort et la me me réussite. La liberté est fondée en Amérique sur
le granit, pour aínsi dire, des lois, des mamrs, des habitudes,
tandis que chez nous elle a ressemblé a la lumiere d'un phare,
qui brille et s' éclipse tour a tour. Ce contraste si tranché ne COD-
stitue pas évidemment un de ces faits accidentels ou fortuits qu'il
est permis de négliger, si tant est qu'il y ait du hasard dans la vie
des peuples. Il tient a des causes profondes, a I'histoire des deux
peuples, aux principes qui les ont guidés, aux éléments qu'ils ont
eus sous leur main, a un concours de circonstances diverses, a
une habileté ou a une modération moindre. On cherchera dan~ les
pages qui vont suivre a réunir quelques traits et quelques indica-
tions susceptibles de fournir une réponse a des questions aussi
intéressantes et aussi opportunes. Il est vrai qu'en France, le jour
présent n'est point un présage assuré du lendemain : toutefois,
nous assistons a un puissant réveil des idées libérales, apres une
prostration qui serait par trop honteuse, si elle iivait été entiere-
rnent volontaire, et nous devons garder l' espoir qu'il sera le point
de départ d'une ere de liberté calme et féconde. C' est pourquoi
il nous convient de chercher dans l'histoire des peuples quí, plus
heureux que nous, ont joui de ce bienfait san s intermittence, des
conseils sur les moyens de nous le procurer erifin a nous memes,
comme de le léguer a nos neveux et arriere-neveux, a titre d'in-
violable dépót.


L' Allernagne, avant de nous piller et de nous fouler aux pieds
de ses chevaux, avait dépravé notre sens moral. C'était directe-




570 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
ment de chez eHe et d'Hégel, son brutal interprete, que Cousin
avait tiré les effrontés aphorismes qu'il débitait en 1828, devant
une jeunesse prise au double piége de formules pompeuses et
d'une élocution magnifique. De 1'aut1'e coté du Rhin, le pere de
1'écletisme avait découvert qu'il faut toujours ( absoudre la vic-
« toire; que la gloire est toujours méritée et la puissance toujours
(. bienfaisante, pourvu qu/eHe soit longue et durable. » Il avai!
appris encore « qu'un peuple est tout entier dans ses grands
« hommes; que le signe de ceux-ci était le succes; qu'ils nais-
« saÍent et rnouraient a propos et n'étaient autre chose en sornrne
« que les instrurnents du uestin 1. »


Ces rnéchants sophismcs ne sont pas tombés par rnalheur
dans le vide et, recueillis par de trQP ildeles disciples, ils


'ont tour a tour enfanté la justification de la terreur et la glori-
fication du napoléonisrne, tandis qu'ap~liqués a l'histoire transat-
lantique, ils tendaient a personnitler la révolution amé1'icaine et
son succes dans Washington seul. Assurémcnt, 011 n'a point af-
faibli dans ces pages la part que ce grand hornme a prise dan s la
fondation de la liberté américaÍne; mais il y aurait erreur a pré-
tendre que son reuvre fut absolurnent personnelle, et injustice a
effacer les titres des Franklin, des Patrick Henry, des Jeffe1'son,
des Madison, des John Adams, des Hamilton et des Jay. Eux aussi
ont un droit a compter parrni les peres de l'Union, au nombre
desquels il faut ranger encore cette foule de citoyens, dont I'his-
toire n'a pas gardé les lIoms, mais qui prépare1'ent l'indépen-
dance dans leurs réunions publiques et dans leurs assemblées
municipales. Ces citoyens pratiquaient la liberté de "icille date,
quand ils en vinl'ent a se séparer de leur métropole, et il n'cut
pas été plus facile de la leur oter que raísormable d'en attend1'e la
croissance en deho1's d,e leur acquiescement et de leur concours.
Oublie-t-on les origines des coloníes américaines, et néglige-t-on
l'étude de 1eurs débuts: 011 renonce au l11foÍlleur, a l'unique


f V. IX· et Xe lecon des cours de 1829 et 1830. Ces lecons, Cousin lui-meme les
a ré~umées dans cette phrase: « J'ai défendll la vicloire; je viens de défelldre la
« puissance : il me re,te a défendre la gloire pour avoir' ¡¡!Jsoús J'humanité. » Oh!
métaphysique d'outre-Rhin, voila de tes cOllps 1 lis out ft'ap'pé Cousin, et Prolldhon
[llu~ tard, en plein cerveau.




QUATRtEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 571
moyen d'expliquer comment leur révolution se trouva si peu pé-
rilleuse; on se condamne a ignorer que ces colon s s'approprie-
rent, des leur installation meme, toute's les libertés civiles et
politiques, et on s' expose a trouver merveilleuse une chose pour-
tant bien paturelle, c'est-a-dire leur rapide et facile transforma-
tion de sujets libres d'une monarchie en citoyens plus libres d'une
république.


La liberté a grandi de l'autre cóté de l' Atlantique, a la fa<;on d'un
arbre déja vivace, mais qui reneontre plus d'air, plus de lumiere,
plus d' espace sur le sor OU il a été transplanté. L'kgalité y a été
eTl quelque sorte un fru it du terroir, et un faít tres caraetéristique
que M. Laboulaye a su expliquer et mettre en reliefavec sa saga-
cité ordinaire. En Amérique, dit-il, l'égalité n'a pas été le fruit,
comme en Franee, de doctrines philosophiques, qui ont passé du
domaine spéeuIatif dans les codes, et elle n'est pas ve'nue davan-
tage d'un partí pris, puisque les colons étaÍent imbus des idées
anglaises. Elle fut le résultat des circonstances qui,présiderent a
la premiere installation des émigrants, un choix auquella néees-
si té eut plus de part- que la sagesse. Les colon s trouverent devant
eux un pays sans industrie et sans comrnerce, une terre a peu
pres inoccupée, une fore! et un désert pour tout dire. n n'y avait
point la de population laboríeuse qui eut défriché et morcelé le
sol; une population a déposséder, comme les Normands firent a
l' égard des Anglo-Saxons ; des serfs prets a travailler a la place
du conquérant et a l'enrichir de leurs sueurs. Non, ledésert récla-
mait la charrue, la foret exigeait la cognée de l'émigrant lui-
meme. C'était de ses propres mains qu'il luí fallait abattre les
arbres qui, placés horizontalement les uns sur les autres et enche-
vetrés dans des poutres transversales, allaient former le corps de
su demeure, scier les planches de son toit, extraire la pi erre de
son aire; semer les grains et plantel' les racines nécessaires a sa
subsistance, appreter ses vetements, repousser les betes fauves et
les Peaux-Rouges. A ce métier, chacun en vaut un autre; l'acti-
vité personnelle et la force physique constituent des dons plus
précieux que le rang ou la richesse, et on comprendrait diffici1e-
ment qu'entre gens voués au meme Iabeui' manuel, on ait pu atta-
cher un grand prix aux distinctions artiticielles de la naissance.




572 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
De cette premiere appropriation du sol devaient résulter, en outre,
des effets favorables a l'égalité. D'abord, par un effet de la cul-
ture personnelle, il n'y eut point de fermiers : quand la propriété
est accessible a tous, qui done consentirait a travailler pour le
compte d'un autre? Aujourd'hui encore, les Etats-Unis.présentent
le spectacle d'un peuple de propriétaires cultivant de leurs propres
mains, d'un peuple chez qui le gentleman {armer de l' Angleterre,
ou le hobereau de nos campagnes ne trouve pas de place; d'un
peuple qui désigne du nom de fermier non le locataire du sol,
mais son propriétaire indépendant. Qu'on se figure, par exemple,
les conditions d'existence du pionnier du Far-West. Cet homme,
pendant de longues années, s'est suffi a lui-meme : il s'est nourri
du blé qu'il a semé, du gibier qu'il a tué, du poisson qu'il a
peché; ses habits sont faits de la peau de son bétail, ou de la laine
de ses brebis ; il boit le cidre de ses pommes ou l'eau-de-vie de
ses peches. Ce colon, évidemment semblable aux vieux Romains,
n'estimera au monde que la patience, l'économie, le travail, c'est-
it-dire les vertus qu'il a pratiquées; il sera tres-attaché a la terre
qu'il a fécondée et fort indépendant des hommes qu'il ne connait
guere et dont iI n'a pas un grand besoin. Que maintcnant ces
petits propriétaires se groupent en communautés et viennent a
former un peuple, ils ne comprendront rien a la noblesse héré-
ditaire, rien aux substitutions et au droit d'ainesse, rien aux pri-
viléges d'aucun genre. Ces institutions n'ont chez un tel peuple
aucune raison d'étre : elles seraient au plus haut point injustes et
oppressives, et convenons qu'en bonne équité elles ne méritent
nulle part des épithetes plus douces.


En résumé, les colonies possédaient dans leurs eh artes, déja
définitifs ou en germe, tous les éléments des liberté s qui s'étalent
dans les sept titres de leur constitution actuelle. PoinL de liberté
qu' elles ne connussent a part la liberté de conscience; encore
régnait-elle dalls le Maryland, a Rhode-Island, dans la Pennsyl-
vanie, et elles auraient été exemptes de toute iniquitA sociale ou
politique, n'eut été I'esclavage, qui n'était pas de leur invention,
d'ailleurs, et qu'aucun des peuples chrétiens ne se faisait alors un
scrupule de trouver légitime et naturel. Des bords du Ponobscot
aux rivages des Caroline~, on tenait pOUl' une vérité incontestable,




QUATRlEl\'IE PAnTIE. - PROGRES ET DEVELOPPEMENTS. 573
pour un axiome d'apphcation quotidienne, ce mot de William
Penn: « que la grande fin du gouvernement est de maintenir
« dans le peuple le respect du pouvoir et de garantir le peuple
« des abus de l'autorité, car la liberté sans obéissance n'était que
« confusion, et l' obéissance sans liberté n' était que servitude. »
Aussi les prétentions de George III et de ses ministres trouverent-
elles en Arnérique des adversaires disposés a les combattre, moins
au nom de la philosophie que du droit historique. On y parla
davantage d'une possession troublé~, comme dirait un juriscon-
sulte, que d'une prérogative vioIée. On y savait bien toutefois avoir
pour soi le droit rationneI aussi bien que le dl'oit écrit, les idées
aussi bien que les traditjons. A cette belle et heureuse alliance,
cornme dit M. Guizot, les peuples gagnent a la fois en énergie et
en prudence. « Quand des faits anciens et resp€ctés dirigent
« l'homme sans l' asservir, et le contiennent en le soutenant, iI
« peut s'élever sans courir le risque de se l:;:tisser emporter au vol
« téméraire de son esprit, pour aller se briser sur des écueils in-
« connus ou s' engourdir de lassitude '.)J Et e' est pourquoi, en défi-
nitive, la révolution américaine a fourni une carriere aussi courte
et trouvé un dénoument aussi heureux.


Ces faits, anciens et respectés, qui dirigent l'homme sans "1' as-
servir, et qui le contiennent en ]e soutenant, les hommes de 89
n'eurent par la bonne fortune de les rencontrer autour d'eux, et
le grand roi avait lui-meme creusé, de ses mains aussi égo'istes
qu'imprévoyantes, l'abime ou la monarchie et sa propre race de-
vaient s'engloutir. « J'avais des canards, )J dit gravement un jour
un original a l' Académie des sciences. « Je leur ai coupé la tete
« par curiosité, et ilsont continué a réunir leurs pattes eta chemi-
« ner sur l'eau sans avoir l'air des'en apercevoir: ceci m'explique
« comment vontbeaucoupde choses en France 2.» Cescanardssans
tete n'étaient pas une mauvaise image des institutions franc;ajses a
la fin du XVIII6 siecle. Il y avait encore des nobles, e' est-a.-dire
des privilégiés, mais il n'y avait plus d'aristocratie. Les franchises
provinciales et les fl'anchises municipales avaient également dis-


1 Washington, étude hislorique, IV.
2 Lallfrey. C/!,'glisc el les phi{osophes au XVJll C siüle.




574 LES ÉTATS-UNIS DE L 'AMÉB.lQUE SEPTENTRlONALE.
paru, et une centralisation a la fois raffinée et brutale, dont
Bonaparte n'eut qu'a recueillír le legs, paralysait déja les extré-
mités et causait une pléthore au camr du pays. Enfin entre l'Etat
et l'Eglise il s'était formé une ligue étroite, et cette ligue,je le dis
a regret, ne reconnaissait pas pour unique moteul' chez le clergé
la prétendue conformité des préceptes évangéliques et des doc-
trines de l'obéissance servile. En un mot, dans cette so cié té décré-
pite, la philosophie et la littérature seu les avaient de la jeunesse ;
elles tenaient seu les ce flambeau de la vie que les générations se
transmettent de l'une a l'autre :


Et quasi cursores vitre lampades trad unt,


et dans l' amvre de rénovation qui se préparait, ce fut a elles qn'é-
chut tout naturellement la direction des idécs et celle des événe-
ments en conséquence.


Mais la philosophie est un peu hautaine de sa l1ature; iI n'est
pas rare qu'elle dogmatise avant d'avoir observé, et volontiers
elle ne tient, dans ses assertions tranchantes comme le glaive 1,
qu'u,n médiocre compte des faíts et de la force acquise qu'ils
possedent. Les philosophes du dernier siecle ont pris au corps
p<;>ur l'étouffer le privilége royal, le privilége nobiliaíre, le p~ivi­
lége ecclésiastique; ils ont étreint le víeux fanatisme et l'ont
si bien terrassé que ce revenant,. quand des maills maladroites
essayent de l'exhumer, grimace et dégoúte, mais ne fait plus
peur. Quand il s'agit de reconstruire, ils se mirent a l'amvre,
ave e une générosité virile, mais sans expérienee, et ave e eette
circonstanee aggravante, que leur plan général reposait sur un
lourd sophisme. La doctrine du ContJ"at social, que Rousseau avait
empruntée a PIaton et dont il se constitua l'éloquent interprete,
a faít, on peut le di re san s métaphore, un grand chemin dans le
monde. Lors de son apparition, elle inspira le Code de la natL¿Te et
les diatribes de Brissot sur la propriété, ou ne manque aueun
des arguments de ~roudhon, pas nH~me son mot trop célebre.
Plus tard Robespierre et Saint-J ust la porterent a la tribune na-


, « Son siecle)) a dit M. Louis I3lane, parlant de Rousseau, « pritses apLol ismes pour
« des hardiesses liltéraires; mais ils devaient bieutót retentir dans les assernblées de
« la nation sous la forme de vérités dogmatiques et tranchantes eomlllC I'épée. »




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 575
tionale et l'inscrivirent dans la constitution de 1793. De nos jours,
elle s'appelle l'omnipotence de l'Etat, l' organisation du travail,
le droit a l'assistance, et gil au fond de tous les systemes eons-
eienfs ou inconscients qui tendent a mutiler la nature humaine,
en isolant la liberté de ]a propriété ; a compromettre la respon-
sabilité personnelle, en exagérant la responsabilité sociale ; a
produire la misere universelle sous couleur d'égaliser les biens
et les fortunes. Qui a écrit cet aphorisme : « Chacun de nous met
(e en eommun sa personne et toute sa puissance sous la supreme
({ direction de la volonté générale?» Rousseau. Qui a défini le lé-
gislateur, ({ l'homme en état, pour ainsi dire, de changer la na-
« ture humaine et de l'altérer pour la renforcer? ») Rousseau.
Qui a déclaré l'Etat maltre de tons les biens et de toutes les per-
sonnes? Encore Rousseau. Qui a loué Hobbes « de vouloir réunir
« les deux tetes de l'aigle el tout ramener a l'unité politique;
proclamé enfin « que les fruits sont a tous et la terre a per-
sonne? » Rousseau, toujours Rousseau.


Rousseau représente avec éclat le spiritualisme a une époque
ou il semblait menacé de perdre ses titres, et iI est un de nos plus
grands prosateurs. Jl a renouvelé l'inspiration littéraire qui s' é-
puisait en rarnenant a la source de la natUl'e et du creur la poésie
affadie et grima<;ante de son siecle; car Jean-4acques est avant
tout de la famille un peu inquiete, un peu fantasque des poetes.
Sa ml!se est proche parente des grandes muses eontemporaines :
Saint-Preux a pl'éeédé René et Childe-Harold.' Mais si ses livres,
ainsi que M. Louis-Blane l'affirme et que je n'ai pas de peine a
le eroire, se trouvaient sur la table des membres du Comité de
salut publie, était-ce bien a raison de leur poésie ou de leur beau
style ? Je pense plutót qu'iIs s'y trouvaient a cause de leurs para-
doxes et de l'admiration pour I'antiquité classique qu'ils respi-
rento Quand OIl n'a point lu certain pamphlei de Bastiat, dont le


, titre seul est profondément significatif, on a peine a comprendre,
combien eette admiration, ce culte, pour mieux dire, avait
infecté l'esprit de nos peres, et quelle eréanee ils aecordaient a la
liberté grecque et a la liberté romaine, aux vertus de Sparte et aux
vertus de Rome. On sait mieux aujourd'hui ee qu'il faut croire
d'une vertu qui s'accommodait assez bien de la promiscui~é et du




576 LES ÉTATS-UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTIUONALE.
brígandage ; d'une liberté qui reposait sur l' hérédité et l' esclavage.
On commence a secouer le joug exclusif des études appelées
classiques; on échappe enfin a l'atmosphere viciée du monde
antique, tandis que nos grands-peres et nos peres y demeuraient
plongés. Mais tant qu' on n'aura point porté une main hardie sur
le gothique édifice de notre enseignement public, on n'aura point
banni de nos esprits des illusions et des fadaises qui nous attar-
dentdans un faux idéal et nous empechent d'entendre les coups
que frappent a nos portes, d'une main précipitée, tant de pro-
blemes redoutables.


Un autre écueil de la philosophie politique, au dernier siecle,
s'est trouvé dans la vertu intrinseque et quasi-merveilleuse que
les meilleurs esprits attachaient aux textes législatifs et aux cons-
titutions écrites. Une vingtaine de ces constitutions se sont succédé
depuis 1789, et c'est a peine si nous commen\\ons a nous aper-
cevoir qu'apres tout il ne s'agit la que d'un mécauisme qui vaut
plus OH moins selon l'esprit de son moteur, et qu'une charte est
parfaitement incapable, de par son _ texte seul, d'engendrer la
liberté ou de la garantir. Ce sont la des vérités a peu pres élé-
mentaires, et leur méconnaissance étonnerait si elle n'apparais-
sait cornmc une ·conséquence étroite du systeme contractue1. Les
déclarations solennelles de principes tiennent une grande place
dans ce systeme, et l'on sait déja que le gouvernement y joue le
role d'une divinité terre~tre. Ce n'est point assez qu'il protége
l'indépendance nationale et assure la sécurité publique, qu'il
per\\oive les impots et administre le domaine de tous. De tels
devoirs sont assurément tres-graves j mais ils ont le tort d' etre
clairs, précis, a la portée d'une in telligence ordinaire, pour parler
avec Adam Smith, et les sectaires de l'EtatProvidence lui accor-
dent des attributs plus nobles et lui assignent une besogne moins
prosa"ique. Restaurer la religion, épurer les mCBurs, entretenir la
charité, stimuler l'industrie, faire naltre les arts, voila ce qu'on
lui demande, et quelque .autre chose encore. Si l'Etat possédait
le juste sentiment de ses moyens et connaissait l' exacte mesure
de ses forces, il s'effrayerait pour sur des responsabilités qui
accompagnent la décharge d'un pareil luxe de devoirs. Loin de
la, ille recherche quand il ne lui est pas ofIert, et c'est seulement




., ;,.


QUATRIEME PARTIE. PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. !)77
quand l'Etat et la société ont roulé cóte a cóte dans le meme
p1'écipice, qu'ils soupí,fonnent leur e1'reu1' commune et se repen-
tent peut-etre, l'une d'avoir trop accepté et l'autre d'avoir trop
oifert.


Impulsion a peu pres tmique de la philosophie, erreu1's écono-
miques, faux idéal politique, confi'ance collective et timidité
individuel1c, tout cela s'est réuni pour dévoyer la révolutioll
fran<;aise, des son début, et plus tard pour l'enrayer dans son
cours. La dése1'tion de la noblesse, l'hostilité de l'Église, l'égoi'sme
de la bourgeoisie, sa pusillanimité et son ignorance ont fait le
reste,. en livmnt au hasard la fortune et l'avenir me me du pays.
Ce que pensent et ce que revent nos émigrés a l'intériegr n'est
plus une conjecture depuis que le Roy légitime a pris la plume
et que ses !idilies et amis serviteurs ont parlé. A c~ parti,
et a ses chefs, il n'y a plus qu'a faire l'application du


,


fameux verset du psaume : A ures habent et non attdient, octtlos
habent et non videlJunt. Leurs yeux sont frappés de la pire
cécité, la cécité volontaire, et dan s ces cerveaux momitiés,
il n'y a point de coin assez solide pour ouvrir un jour sur
la société moderne, ses aspirations et ses perspectives. VÉglise
est moins libérale, en théologie et en politique, qu'elle ne l'était
:tu tom ps des Anselme et des Thomas d' Aquin; et l' on ~irait
qu'ellese propose de justifier les inimitiés dont elle est l'objet, Oü
les préventions dont elle se plaint, tant elle persiste dans des mn-
cunes inintelligentes et des prétentions suran-nées. Quant a la.
bourgeoisie, elle a m~nqué soit d'haleine, soit ~e perspicacité au
jour de son mémorable triomphe. Comprendre alo1's que le
dernier mot des principes de 89 était 'la République, aussi sure-
ment que la cenlralisation administrative el l' omnipotence royale
avaient été le dernier mot de l'ancien l'égime, eut été digne d'elle
et de sa premie1'e mission. Elle a préféré s'enrichir sous le roi de
son choix et achever de se corrompre sous l'empire. Maintenant,
elle ne sait ríen et ne veut rien apprendre, seloD le mot récent
d'un de ses flls les plus éminents; elle vit de l'egrets inutiles el
de peurs trop apparentes; elle se complait dans de petites intri-
gues et se repent du meilleur de son passé.


Les descendants des Bailly et des Barnave, des Duport et , r:·-"':"'"
37 <t\'O • (!.f:.:1 '"


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1--


57~ LES ÉTATS·UNIS DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
Chapelier se reHweront-ils de cet affaissement et de ces défail-
lances? C'est le souhait de tout mon camr ou, pour mieux dire.
c'est ma vive espérance et ma ferme attente. En attendant, l'abdi-
cation des classes qu'on .appelle supérieures a rendu la sdme'
vide, et un nou vel acteur y a fait son entrée. Cette acteur, c' est le
peuple, qui commence « tout malheureux que cela soit, » comme le
disait ironiquement un Américain illustre, (dl penser, il. chercher
« la raison de ce qu'il faH, de ce qu'il souffre, de ce .qu'il croit 1; »
mais qui court grand risque, s'il est livré a lui seul dans cette ana-
lyse, de commettre a son tour de terribles erreurs et de substituer
seulement des passions brutales a des passions raffinées. Quoique
pouvoir bien jeune et encore contesté, il a déja ses cOHrtisans et
ses flatteurs : les uns naiJs, qui na'ivement admirent tous ses gestes,
toujours prets a lui crier, pour peu qu'il ouvre la bouche: Well
Roared, Líon! Bien rugi, líon ! Les autres habiles et qui heibilement
caressent des faiblesses dont ils attendent quelque profit. Chan·
ning, que l'on citait tout a 1'11eure, était bien persuadé qu'en l'état
actuel du monde, le seul gage de la stabilité soeiale résiderait de
plus en plus dan s l'équilibre de l'esprit humain lui-meme, et s'il
en est ainsi,on ne sait trop que décider sur la tactique des faux
ami s du peuple : on hésite a dire si elle est plus basse que dange-
reuse. ou plus dangereuse que basse.


Le peuple possede l'ascendant du nombre et le sentiment
intime de sa force ; mais oserait-on prétendre qu'il possede
8.U meme degré la notion exacte de sa responsabité et de
ses devoirs ? Qu'il n'y a point dans son ereur de jalousie con-
tre les riches; pas de haine contre tous les gen res de supé-
riorité, meme la supériorité acquise par le' seul talent et
le seul caractere? Qu'il est nmni sur les rapports naturels du
capital et du travail, sur la porté e et les limites de l'association,
sur la liberté économique de ces idées justes et de ces connaís-
sanees exactes qui font tout a fait défaut au plus grand nombre
de nos bourgeois lettrés? Jusqu'ici on n'a guere tenu envers la
démocratie que deux conduites: on lui a montré les poings, ce qui
l'irrite, ou bien on lui a caressé réchine, ce quí l'assouplit, peut-


f Channing.




,.


QUATRlE,ME l'ARTlE. - PIWGRI~::i El' DÉVELOPPEMENT::i. 579
étre, mais la gáte ~n meme temps. Il serait temps de lui tenir un
langage a la fois amical et sévere, de lui signaler les lacunes de
son instruction et les vices de son caractel'e; de bien faire sentir
au peuple que les plus grands obstacles a son perfectionnement
se trouvent en lui-meme, dans son manque d'énergie et de
volonté! dans ses préjugés et ses appétits violents, dan s son pen-
chant a ne pas maintenir ses prétentions dans les bornes de
1')-lOnnete et du juste.


Les esprits les plus fermes ne se défendirent point d'un grand
trouble a la vue des barbares dans Rome et des débris de l'empire
jonchant le sol. ( Notre siecle est un siecle de larmes, )) s'écriait
le grand s()litaire de Bethléem, « et je pleure les funérailles de
« l'univers, Totius orbismortuos plango.») Mais le premier moment
oe stupellr passé, les éveques des n,e et ve siecles ne s'arreterent
point a des lamentations yaines : ils entrepl'irent une ffiuvre plus
méritoire, ceHe de plier a la civilisation les Cffiurs farouches de
leurs nouveaux maitres. Entre ces temps et les notres, il existe
une analogie: alors comme' aujourd'hui une société s'est écrou-
lée et une nouvelle force, une nouvelle puissance a surgi. Elle
s'appelait au lVe siecle l(~ christianisme, et au XIXe elle s'appelle
la démocratie. Qu'on s'inquiete de eet avénement ou bien qu'on
s'en irrite, cette inquiétude ou eette irritation ne fait rien a la


I chose elle-meme; cela ne peut ni la déplaeer, ni la détruire, et le
plus sage parti a prendre, tant bien que mal,estde s'en aceommo-
der. POUl' les hommes bien nés, riches, instruits, il y a quelque
ebose cerlainement de mieux a faire que de s'isoler dans son im-
puissance, de eéder a d~s répugnances de easte, de ~'attacher a
des regrets superflus et a des espoirs chimériques. e'est de se
meler a la démocratie, pour la guider, l'éelairer, la moraliser, ce
qui para!! désormais le seul moyen de la con ten ir.. Il faut laisser
les morts enterrer leurs morts, comme dit l'Evangile, et, vivant
soi-meme, vivre avec les vivants. Parmi les voix qui ont mené
de nos jours le deuil du moyen age, iI y en a eu d'éloquentes et
de sinceres. Mais épouser les coleres de Joseph de Maistre, du
vicomte de Bonald, de Balmes, et répéter leurs paradoxes, c'est
offenser la justice ; e'est bien mal servir la cause meme dont OIl
se d,it le champion et l'interprete, puisque la guerre faite a l,a so-




580 LES ÉTATS-UNIS DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRlONALE.
ciété moderne par la queue de cette écolen'a été bonne jusqu'ici
qu'a entretenir des inimitiés et a causer des scandales, tout a fait
sans compensation si ce n'est pour leurs auteurs.


Comme l'idéal de la politique n'est ni le rocher de Sisyphe,
ni le tonneau défoncé des Dana'ides, fasse le ciel que les fu-
turs législateurs de la patrie fran~aise procedent,' a leur
ffiuvre avec l'habileté qui faít le succes et la modération qui
le garantit 1 La vue de ce qui se passe en Amérique peut nous etre
doublement profitable ; il Y a la-bas de bons exemples a suivre et
des écueils a éviter. Le respect religieux de la loi ; la volonté bien
arretée de ne remettre a l'État aucune attribution qui ne dépasse
point la compétence de l'individu ou de la commun~'; u~ équi-
libre constitutionnel qui, dans son ensemble, réalise l'unilé dans
la variété et la variété dans l'unité, en d'autres termes, la liberté
meme: voila les bons exemples, voila les points d'imitation.
Quant aux écueils, M. Ezra Searnan, dans son Systeme du gouver-
nement américain, les a signalés avec une précision, j'allais dire
un courage qui étonne presque de sa part, ses compatriotes ne
parlant guere d'eux-memes et de leurs institutions qu'avec une
admiration gasconné, il faut le reconnaltre. M. Ezra Seaman com-
prend autrement les devoirs du patriotisme et les droits de la
vérité, et c'est d'une main toute viríle qu'il déchire le manteau_
dont le pharisa'isme américain, tres-proche parent du cant bri-
tannique, s'enveloppe yolontiers. '


, .


Ces institutions qu'il aime et dont il apprécie toute la grandeur
il n'en cache ni les plaies, ni les lacunes. L'application du sys-
teme électif a toutes les fonctions, et surtout aux fonctions de
l'ordre judiciaire, ne lui parait nullement une invention admi-
rable, et il craint que toute vertu civique, tout esprit public dis-
pal'aisse du so¡. américain si la corruption électorale continue de
s'y fortifier et de s'y étendre. En France, nous en avons vu sous
ledernier regne d'assezjolis spécimens; les banquets au veau par-


, ci, les rastels par-la, les soupieres en guise d'urnes, les distri-
butions de secours, d'emplois, de chemins vicinaux, etc., etc. En
Amérique, on a les caucus el les meetings, et les conventions de
cités ou de comtés. Les cauc'us sont des réunions a boire, et leur
róle qui a beaucoup gran di avec l'émigration all.emande, dont ils




QUATRIEME PARTIE. - PROGRES ET DÉVELOPPEMENTS. 581
ont re<;u leur nom meme, n'a pas b.esoin d'étre défini. Les mee-
tings primaires sont la base de l'organisation de parti : ce 'sont
eux qui nomment les officiers des villes et des quartiers, qui
envoiellt des délégués aux conventions locales, et comme ils ne
sont guere composés en général que de dix a cinquante per-
sonnes, il est facile a un polit'ician sans scrupules, en distribuant
l'argent a pleines mains et en mettant en campagne une foule
d'agents moins scrupuleux encore, d'introduire dans la conven-
tion assez de créatures pour assurer sa nomination au poste ou
aux fonctions qu'il convoite. Cela s'appelle emballer une conven-
tion; et c'est par leur emballage, par la distribution de fortes
sommes, par l'usage d'une fonle de cautions el de promesses que
les élections au COIIgreS sont elles-memes souvent emportées.
Il y a encore les clubs, les corporations industríelles, les sociétés
populaires, les journaux qui exercent sur les élections une action
pernicieuse. Les compagnies de chemins de fer notamment sont
passées maitresses dans l'art d'élever leurs ami s et créatures aux
postes législatifs ou judiciaires. Quant aux journaux, si la pein-
tu re que M. Ezra Seaman trace de leurs procédés est véridique,
elle est faite pour nous con soler quelque peu des turpitudes d'une
partie de notre propre presse. Il nous montre presque tous les
journaux américains sous la dépendance d'un partí, d'une secte,
d'une corporation, dont ils sont les esclaves bien plus que les
auxiliaires, dont ils servent tous les intérets ou épousent toutes les
querelles, sans le moindre souei de la 'vérité ou de la pudeur.


M. Ezra Seaman a donné un coup de sonde hardi dans les mi-
séres de la démocratie transatlantique, sans se préoccuper beau-
coup du plnisir qu'il allait causer, sans doute, aux cnnemis du
prógres, de la science et de la liberté. Mais il croit avec raison
que cacher un mal, ce n'esf pas le guérir, et doit étre per3uadé
que la Providence, comme le disait il y a trente-huit ans un de
nos grands historiens, a mis dans la liberté méme « une force cu-
rative et réparatrice) qui supplée les irrégularités apparentes et
tourne le~ défaillances passageres en un surcroit de vigueur. Il
suftU pour cela que les peuples ne s'endorment pas dans un dan-
gereux contentement d'eux-mémes, et sachent ne deman~r qu'a
la liberté la gtiérison des maux causés par la liberté. A cerlaines




582 LESÉTATs-urns DE L' AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE .
.


époques, que les saints -sirnoniens ont appelées critiques, le che-o
min qu'ils paTcourent leur parait incertain: il faut <110rs qu'ils se
souviennent d'un apologue raconté par Hérorlote. Un peuple
d'Asie ayant prornis la couronne a celui qui le premier verrait
poindre le jour, « tous regardaient vers le levant. Un seul, plus
« avisé, se tourna du cóté opposé; et en effet, pendant que 1'0-


• (e rient était encore enseveli dans l'ombl'e, il aperc;ut vers le cou-
(e chant les lueurs de l'aube q~1Í blanchissait déja le sornmet d'une
« tour I »


I Michelct. Discoun:; ll'oll"crtllre, pI'ononcé a la Sorhonlle le 9 janvier 1834.




\ .


ANNNEXE A.


Constitution des États .. Unís d' Amérique 1
Adoptée, le 17 septembre 1777, par la Convention de_ Philadelphie.


Nous, le peuple des États-Unis, pour former une plus parfaite union,
établir la justiee, assurer la tranquillité illtérieure, pourvoir a la défense
commune, aeeroitre le bien-etre général, et assurer les bienfaits de la
liberté a nous-memes et a notre postérité, déerétons et établi~sons eeHe
Constitution pour les Etats-Unis d' Amérique.


ARTlCLE PREJ\IIER.


Section 1. - Tous les póuvoirs législatifs délégués ei-dessolls seront
eonfiés a un Congres des États-Unis, qui se composera d'un Sénat.et d'une
Chambre des représentants.


Section 2. - La Chambre des représentants se composera de membres
choisis tous les deux ans par le peuple des d¡vers États. et, dans chaque
Etat, les électeurs devront avoir les qualifications requi:ies pour les électeurs
de la branche la plus nombreuse de la législa:ture de l'État.
. Nul ne pourra etre représentant, a moins d'avoir atteint l'ftge de vingt-
cinq ans, d'etre depuis sept ans citoyen des États-Unis, et d'habiter, au
moment de son élection, l'Élat dan s Jequel il aura été choisi.


Les représentants et les taxes directes seront répartis en~re 1418 divers
Etats qui pourront Ctre compris dans eeHe Uníon, d'apres leur population
respective, qui sera déterminée en ajoutant au nombre total des personnos
libres (y compris ceHes engagées a térme pour un ser vice, et excepté les
Indiens non taxés) les trois cinquiemes de toutes autres personnes. Le
recensement efTectif sera fait dans les trois ans qui suivront.la premiere
réunion du Congres des États-Unís; puis tous les dix ans, suivant tel mode
que le Congres réglera par une loi. Le nombre des représentants ne dépas-
sera point un par trente mille habitants, mais chaque Etat aura au moins
un représ4jntant; et, jusqu'a ce qu'un recensement ait été faií, l'Etat de


J, Nous empruntons, pour le corps de la COIlstitutioIl et les 12 pl'emiers amendements, la
tl'adurtion de M. Cornélis de Witt (Hist. de ¡rashington, 441 et sqq.).




"


584 CONSTITUTION DES ÉTATS-UNlS D' AMÉRIQUE.
New-Hampshire aura droit a en choisir trois; le Massachusetts, huit; le


. Rhode-lsland et les plantations de Providence, un; le Connecticut, cinq ; le
New-York, six; le New-Jersey, quatre; la. Pennsylvanie, huit; le Dela-
ware, un; le Maryland, six; la Virginie, dix; la Caroline septentrional e,
cinq; la Caroline méridionale, cinq; et la Géorgie, trois.


Quand des vacan ces se présenteront dans la représentation d'un Etat,
l'autorité exécutive de cet État convoquera les électeurs pour remplir ces
vacances.


La Chambre des représen~ants choisira son président et ses autres officiers,
et aura seule le droit de mettre en accusation les fonctionnaires publics.


Section 3. - Le Sénat des Etats-Unis sera composé de deux sémtéurs
pour chaque État, choisis pour six ans par la législature de cet Etat; et
chaque sénateur aura un vote.


Immédiatement apres qu'ils se seront réunis par suite de la premiere
élection, il en sera fait trois c1asses aussi égales que possible. Les siéges des
sénateurs de la premiere classe seront vacants 11 l' expiration de la seconde
année, de la seconde classe a l'expiration de la quatrieme année, et de
la troisieme classe a l'expiration de la sixieme année, de maniere a en'
réélire un tiers tous les dellx ans; et s'il se pré~ente des vacances, par suite


,


de démission ou autrement, pendant l'intervalle entre les sessions de la
législature d'un État, le pouvoir exécutif de cet État pourra faire des nomi-
nations provisoires, jusqu'a la plus prochaine réunion de la législature, qui
remplira alors les vacances.


Nul ne pourra etre sénateur, a moins d'avoir aUeint l'age de trente ans,
, d'avoir été neuf ans citoyen deí¡ États-Unis, et d'habitér, au moment de


son élection, l'État pour lequel il aura été élu.
Le vice-président des États-U nis présidera le SénatJ mais ne pourl'a voter


qu'en cas de partage.
Le Séñat choisira ses autres ofticiers, et allssi qn président pro temporp,


pour remplacer le 'vice-présidcnt en cas d'absence de celui-ci, ou quand il
sera appelé a remphr lea fonctions de président des États-Unis.


Le Sénnt seul aura le pouvoir de juger toutes personnes mises en accu-
5ation parla Chamhre des représentants. Quand il siégera com~e Cour de
justice, ses inembres seront soumis au serment ou a l'affirmation. Quand
le président des États-Unis sera en jugement, le Granel Juge présidera: et
nulle personne ne pourra etre déclarée coupable sans le concours des deux
tiers des membres présents.


Dans le cas de mise en accusation par la Chambre des représentants, la
peine oe pourra s'étendre au dela de la destitution et de l'incapacité de
remplir, sous le gouvernement des États-Unis, ancune fonction a laquelle




CON8TITUTIONDES Í~TATS-UNIS D ·A!'U~RIQUE. 585
:"ont aLtachés honneur, profit 011 confiance: mais la pmtie dédarée coupable
sera néanmoins exposée et sujette a la mise en accusation, a la procédure,
au jugement et aux peines ordinaires établies par la loi. •


Section4. - Les époques, líeux et mode d' élection des sénateurs et repré-
sentants, seront, dans chaque État, réglés par su législature; mais le Con-


, gres pouna, en tout temps, faire ou modifier ces reglements par ulle loi,
sauf en ce qui con cerne le lieu d'élection des sénateurs.


Le Congres se réunira au moins une fois tous les ans, et cette réunion
aura lieu le premier lundi de décembre, a moins que par une loi il n'ait fixé
un autre jour.


Section 5. - Chaque Chambre sera juge des élections, de leur régula-
rité et des capacités pour ses propres membres, et la simple majorité for-
mera un nombre suffisant pour l'expédition des affaires; mais un nombre
moindre que la majorité peut s'ajourner de jour en jour, et p'eut etl'e auto-
risé a forcel' les membres absents 11 venir siéger, de telle maniere et sous
te1\e pénalité que chaque Chambre pourra établir.


Chaque Chambre peut faire son reglement, punir ses membres pour
conduite inconvenante, et, a la majorité des deux tiers, prononcer l'expul-
sion d'un m,embre.


Chaque Chambre tiendra un journal de ses actes, et le publiera de temps
en temps, sauf les parties qui luí sen:tbleraient demander le secret; et les
votes par oui et par non des membres de l'une des deux Chambres sur
toutes les questions seront, sur la demande d'un cinquieme des membres
présents, consignés sur le journal.


Allcune des dellX Chambres, pendant la session du Cougres, ne pourra,
san s le consentement de l'autre, s'ajourner a plus de trois jours, ni clans un
autre lieu que celui ou siégeront les deux Chambres.


Section 6. - Les sénateurs et représentants recevront pour leurs services
une indemnité qui sera fixée par une loi, eL payée par le trésor des Etats-
Unis. lis ne pourront en aucun ca s, sauf ceux de trahison, de félonie et de
violation de la paix publiqu~, etre arretés tant qu'ils assister~nt a la session
de leurs Chambres respectives, ni pendant l'aller et le retour; et pour dis-
cours ou opinions prononcés dans 1'une ou l'autre Chambre, ils ne pourront
etre soumis nulle part ailleurs a un interrogatoire.


Nul sénateur ou représentant ne pourra, pendant tout le temps pour
lequel il a été élu, etre appelé, 80US l'autorité des Etats-Unis, a un emploi
de l'ordre civil, qui aura été créé, ou dont les émoluments auront été
augmentés pendant ce temps; et personne occupant un emploi sous l'auto-
rilé des États-Unis, ne pourra etre membre de l'une ou de l'autre Chambre,
tant qu'il conservera son emploi.




c·.
; .....


" ; <)"( ': •• v.r~ "
,;. ';"


CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS D' AMÉRIQUE.
. , .


Sectwn 7. - Tous bilis pour la levée d'un revenu devront prendre nais-
sanee dans lIi Chambre des représentants i mais le Sénat peut proposer des
amendements ou s'y rattachér eomme pour les autres bilIs.


.o'","


Tout bill adopté par la Chambre des représentant.s et le Sénat sera,
avant d'avoir force de loi, présenté au présídent des États-Unis; s'íl l'al?-
prouve,ille signera; sinon ille renverra avec ses objections a la Chambre dans
laquelle il aura pris naissance, et ladite Chambre consignera intégralement
les objections sur son journal, et passera a la reprise en considération. Si,
apres cette reprise en considération, le bill réunit en sa faveur les deux
tíers de ladite Chambre, il sera renvoyé, avec les objections, a l'autre
Chambre, qui le reprendra de meme en considératien, et s'íl est approuvé
par les deux tiers de cette Cham bre, il aura force de toi. Mais, dans tous
les cas de ce genre, les votes des deux CJ¡ambres seront recueillis, par ouí
et par non, et ¡es noms des membres votants pour ou contre le bill seront
consignés sur lejournal de leurs Chambres respectives-. Tout bill qui n'aura .
pas été renvoyé par le président dans les dix jours (les dimanches exceptés)
de la présentation quí luí en aura été faite, aura furce de loi, comme si le
président l'avait signé, a moins que le Con gres n'en empecbc le renvoi en
s'ajournant, auquel cas le bill n'aura point force de loi.


Toute ordonnance, résolution ou vote qui nécessitera le concours du
Sénat et de la Chambre des représentants (sauf en matiere d'ajournement)
sera présenté au président des États-Unis, et avant de prendre eITet, sera
approuvé par lui, ou en cas de désapprobation adopté de nouveau par les
deux tiers du Sénat et de la Chambre des représentants, d'apres les regles
et dans les limites qui ont été prescrites dans le cas d'un hill.


Section 8. - Le Congres aura le pouvoir :
D'établir et de percevoir les taxes, droits et impóls directs ou indirects,


. de payer les dettes et de pourvoir a la défense commulle et a la prospérité
générale des États-Unis; mais tous droits et impóts directs ou indirects se-
ront uniformes.dans toute l'étendue des États-Unis;


De faire des emprunts sur le crédit des État-Unis;
De faire les reglements de commerce dan s les rapports, soit aVí}c


les nations étrangeres, soit entre les di vers États, soit a vec les tribus
indiennes;


D'éliiblir une regle uniforme pour la naturalisation, et des lois uniformes
dans tous les États-Unis en matiel'e de banqueroule;


De battre monnaie, d'en fixer la valeur, ainsi que celles des monnaies
\


étrangeres, et de fixer l'étalon des poids et mesures;
De pourvoir a la punition des contrefacteurs du papier public et de la


monnaie courante des États-Unis;




1 .


CONgTITUTION DES ÉTATS-UNIS D' AMÉRIQUE. 587
/


D'établir des bureaux et des routes de poste;
D'eneourager les progres des sciences et des arts utiles, en dSSUrtlnt pour


un temps déterminé aux auteurs et inventeurs un droit exclusif sur leurs
écrits et leurs découvertes respective s ;


D'établir des tribunaux subordonnés a la Cour suprerne;
De définir et de punir la piraterie et les félonies commises sur la haute


mer, et les violations du droit des gens;
De déclarer la guerre, d'accorder des leUres ae marque et de représail-


les, et de faire des reglemcnts en matiere de prises sur terre et sur
mer; ,


De lever et entretenir des armées: mais nulle somme ne pourra etre
votée pour cet usage pour un terme de plus d'e deux ans;


De créer el d'entretenir une marine;
De faire des rpglements pour le gouvernement et l'administration des


rorces de terre et de mer;
De poúrvoir a la convocation de la milice, pour exécuter les lois de


I'Union, réprimer les insurrections et repousser les invasions;
De pourvoir a l' organisation, l'armement et la discipline de la mili ce, et


au gouvernement de telle partie d'entre elle qui sera employée au service
des États-Unis, réservant aux États respectifs la nomillation des officiers, et
le pOllvoir d'exercer la milice selon la discipline prescrite par le Con-
gres;


De rendre exclusivement, dans tous les cas quelconques, des loís appli-
cables a tel district (ne dépassant par dix milles carrés) qui pourra devenir,
par cession d'États particuliers et acceptation du Congres, la résidence du
gouvernement des États-Unis; et d'exercer pareille autorilé sur tous lieux
achetés du consentem~nt de la législature de l'État dans lequel i1s sont


. situés, pour construction de forts, magasins, arsenaux, chantiers de
constructions maritimes et autres établissements el'utilité publique;


Et de faire touies les loi8 que pourra nécessiter la mise a exécution des
pouvoirs ci-dessus énumérés, et de tous autres pouvoirs dont est investi,
par la présente Constitution, le gonvernement des États-Unh;, ou tout dépar~
tement et "officiers en elépendant.


Section 9. - La migration ou l'importation de telles personnes que
croira devoir admettre quelqu'un des États maintenant existants ne sera
par le Congres soumise a aucune pI"Ohibition avant l'année mil huit cent
huit; mais cette importation peuL et.re frappée d'une taxe ou d'un droit qui
ne pourra s'élever a plus de dix dollars par personne.


Le privilége el'Habeas corpus ne pourra etre suspendu que lorsque la
Sllreté puhliqlle I'exigera, en cus ~e rébellion ou d'invasion.




588 CONSTITUTION DES ÉTATS-UNlS D' AMÉRIQUE.
Il ne pourra etre passé de bill d' attainder ni de loí rétroactlve.
Il ne pourra etre établi de eapitation ou autre taxe direete qu' en pro-


portion du reeensement ou dénombrement eí-dessus ordonné.
Aueune taxe ou droits ne pourront etre établis sur les artieles exportés de


l'un quelconque des États.
Il ne sera accorde par aucun reglement commercial ou fiscal de préfé-


rence aux ports d'un État sur ceux d'un autre; et nlll vaisseau allant dans
un Etat OU en venant ne pourra etre forcé d'entrer, de sortir, ou de payer
des droits dans un autre.


Nulle somme ne sera tirée du Trésor que par suite d'une allocation spé-
ciale faite par une loi; et un compte rendu régulier des recettes et des dé-
penses publiques sera publié de temps en temps.


Nul titre de noblesse ne sera aecordé par les États-Unís; et nul remplis-
sant sous Ieur gouvernement des fonetions auxquelles sont attaehés profit
ou confiance, 11e pourra, sans le consentement du Congres, accepter aucun
présent, émolument, fonctions, ou titre de quelque nature qu'il soít, de la
part d'auculi roi, prince ou État étranger.


Section {O. - Aueun Etat ne pourra conclure de traité, allianee ou
Confédération; accorder de letfres de marque ou de représailles; buttre
monnaie; émettre des billets de erédit; rendre valable pour le payement
des deUes aucune valeur autre que l'or et l'argent; passer des bills d'at-
tainder, des lois rétroactives, III des lois portant atteinte aux obligations
nées de contrats; ou aceorder des titres de noblesse.


Nul État ne pourra, sans le consentement du Congres, établir d'impOts
ou de droits sur l'importation ou l' exportation que ceux absoIument .néees-
saires a l'exécution de ses lois d'inspection : et le produit net de tous droits
et impots établis par un État sur l'importation ou l'exportation, sera mis a
la disposition du Trésor des États-Unis; et toute loi de eette nature sera
soumise a la révision et au controle du Congreso


Ancuu État ne pourra, sans le consentement du Con gres, établir des
droits de tonnage, entretenir des troupes ou des vais,seaux de guerre en
temps de paix, traiter ou s'unir avee un autre État, ou avec une puissa~ee
étrangere, ou s'engager dans une gusrre, a moins d'invasion ou de danger
si imminent qu'il n'admette point de délai.


ART. n.


Section f. - Le pouvoir exéeutif sera dévolu a un PrésiJent des États-
Unís d' Amérique. La durée de ses fonction sera de quatre ans; le Vice-
Président remplira les siennes pendant le meme temps; et tous deux seront
élus de la maniere suivante :




\',


...


CONSTITUTlON DES ÉTATS-UNIS l)'AMÉRIQUE. 589
Chaque État nommera, suivaut le mode prescrit par sa législature, un


nombre d'électeurs égal au nombre total d~s séHateurs et des représen-
tants que rEtat a le droit d'envoyer au Congres: mais nul sénateur ou
représentant et nulle personne remplissant des fonctions auxquelles sont
attachés confiance ou profit, sous le gouvernement des États-Unis, ne sera
nommé électeur.


{Les électeurs se réuniront dan s 1eurs États ~espectifs, et voteront au /
scrutin pour deux personnes, dont l'une au moins 11e sera point habitant du
meme État que les électeurs. Et ils feront une liste de tous cellX qui au-
ront obten u des votes, et du nombre' des votes obtenus par chacun; ils
signeront, certifieront et transmettront cette liste cachetée au siége du gou-
l'ernement des États-Unis, et a l'adresse du Président du Sénat. Le Prési-
dent du Sénat fera, en présence du Sénat et de la Chambl'e des représen-
tants, l'ouverture de tous les certiticats, et le compte des votes. Sera
Président la personne ayant obtenu le plus grand nombre de vote-s, si ce
nombre forme la majorité du total des électeurs nommés; et si plusieurs
personnes ont obten u cette majol'ité et un nombre égal de votes, la Chambre
des représentants choisira irnmédiatement au scrutin l'une d' elles pour
P¡ésident; et si personne n'a la majorité, l¡¡dite Chambre choisira d~ la
meme maniere 'le Président sur une liste des cinq candidats qui auront
réuni le plus de suffrages. Mais, pour le choix du Président, les votes ::eront
comptés par État, la représentation de chaque État ayant un vote. Pour
pouvoiry procéder, la présence d'un ou plusieurs membres des deux tiers
au moins des États sera ltécessaÍíe, et le choix ne sera val¡lble' que s'iI a
été fait a la majorité de tous les États.· En tous cas, apres le choix du Pré-
sident, la personne ayant obtenu des électeurs le plus grand nombre de
votes sera Vice-Président. Mais s'il reste encore deux ou plusieurs per-
sonnes ayant réuni le me me nombre de votes, le Sénat choisira le Vice-
Président au scrutin, parmi eux] (f).


En cas de destitution, mort, démission ou incapacité du Président d'user
des pouvoirs et de s'acquitter des devoirs de ladite charge, iÍs seront
dévolus au Vice-Président, et le Congres peut pourvoir par une loi au cas
de destitution, mort, démission ou incapacité simultanée du Président et du
Vice-Président, en indiquant le fonctionnaire qui remplira alors les fonc-
tions de Président; et ce fonctionnaire agira en conséquence, jusqu'a ce
que l'incapacité ait ctlssé, ou qu'un Président ait été élu.


A des époques fixes, le Président recevra pour ses ser vices une indemnité
qui ne pourra etre ni augmentée ni diminuée pendant toute la période


~ La clause renferméf' entre crochets a été remplacée et annulée par le douzieme lJmen-
tlement.





! : ~,~::J~',
., ,' ... :~,~, '


590 CONSTITUTlO~ DES ÉTATS-liNIS D'AMÉRIQUE.
pour Iaquelle il aura été élu, et il ne pourra recevoir pendant cette
période aucun autre émQlument de la part des États-Unis ou de l'un
d'entre eux.


Avant d'entrer en charge, il pretera le serment ou l'affirmation qui suít :
« Je jure (ou j'aflirme) solennellementde remplir' fidelement les fonctions de
« Président des Etats-Unis, et de faire tout ce qui drpelldra de nlOi pour
( maintenir, proléger et défendre la Constitution des Etats-Unis. »


Section 2. - Le Président sera commandant en chef des armées de terre
et de mer des Etats-Unis, et de la milica des divers États) lorsqu'elle sera
dppelée au ser vice actif des États-Unis; il peut réclamer l'avis par écrit du
principal fonctionnaire de ehaeun des départements exécutifs sur tout objet
se référant aux devoirs de leurs charges respeclives, et il aura le droit de
commutation et de grace pour les offenses contre les Etats-Unis, saur en cas
de mise en accusation par la Chambre des représentants.


H aura le púu'·oir, de l'avis et du consentement du Sénat, de conclure
des traités, pourvu qu'ils soient approuvés par les deux tiers des sénateurs
présents; et il nommera el désignera, de l'avis et consentemeut du Sénat,
les ambassadeurs, les autres ministres publies el consuls, les juges de la
Cour supreme, et tom, les autres fonetionnaires des Étals·· Unis a ta nOlT!i-
nation desquels il u'aura point été iei autrement pOUl'VU, et dont les fonc.,
tions seront créées par une loi : mais le COIlgreS peut, par une loi, allri-
buer au Président seul,aux COüfS de justice, ou aux chefs de déparlements,
la nomination de tels foncLionniaires inférieurs quil lui pdfaltra convenable.


Le Président.aura le pouvoir de remplir toutes les vac:mces qui pourront
se pl'ésenter pendant l'intervalle entre les sessions flu Sénat, en donnant
des commissions qui expireront a la fin ele sa prochaine session.


Section 3. - II fera, ele temp:; en tf~m¡Js, au Congres un rapport SU!' l'état
de l'Union, et appellem son aUention sur telles mesures qui lui paraitront
nécessaires et con venables; il peut, dans les circonstances extraordinaires,
convoquer les deux Chambres 011 l'uue el'elles, el, en cas ele dissentiment
entre elles sur l'époque de l'ajournement, il peut le fixer au temps qu'il
croira convenable. II recevra les ambassadeurs et autres ministres publics;
il veillero a la lidEde exécutioll des lois, et déli vrera leurs commissions a tous
les fonctionnaires des Etats-Unis.


Section 4. - Le Président, le Vice-Président, et tous les fonctionnaires
civils des Etats-Unis seront deslitués, sur mise en accusation par la
Chambre des représentants et condamnalion, pom trahison, eoncussion, ou
autres crimes et délits graves.


ART. lll.


Section 1. - Le pouvoir judiciaire des ELats-Ullis sera dévolu a une




, ,


CONSTITUTlON DES ÉTATS' UNlS D'AMÉRIQUE. 591
Cour supreme, el a telle~ Cours inférieures que le Congre~ pourra, de temps
en temp s, décréter et élablir. Les juges de la Cour supreme et tIes Cours
inférieures seront inamovibles 1, et a des époqlles déterminées ils recevront
pour leurs services une indemllité quí ne pourra etre diminuée pendant tout
le temps qu'ils resteront en charge.


Section 2. - Le pouvoir judíciaire s' étendra a tous les cas de droit ou
d'équité 2 soulevés par cette Constitution, les lois de~ Élats- Unis el les
traités qui ont été ou quí ~eront faits sous leur autorilé, a tous les cas con-
cernant les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls; ü
tous les cas d'arnirauté et de juridiction maritime; aux diITérend~ dans
lesquels les États-Unis seront partie; a ceux entre deux ou plusieurs États;
entre un État et les citoyens d'un autre État; entre les citoyens de difTé-
rents États; entre les citoycn~ d'un meme Etat revendiquant des terres en
ver tu de concessions d'États difl'érents; entre un État, ou des citoyens y
appartenant, et les États étriU1gers, leurs dtoyens et leurs sujets.


Dans tous les cas concernant les ambassadeurs, les autres ministres pu-
blics et les consul:-:, et dans tous ceux ou un État sera partie, la Cour su-
preme jugera en premiere instance; dans tous les autres cas ci-dessus men-
tionnés, la Cour supreme jugera en appel tant en droit qu'en fait, avec
telles exceptions et sous tels reglements que le Congres pourra faire.


La procédure par jury sera appliquée a tous les crimes, saur en cas de
mise en accusation par la chambre des représentants, et laclite procédure
aura lieu dans l'État ou lesclits crimes auront été commis; s'ils ne l' ont été
dans aucun des États, le jugement se fera en tel lieu ou lieux que le Con-
gres pourra désigner par une loi.


Il n'y aura trahison contre les États-Unis qu'au cas de soulevement en
armes contre eux, ou d'adhésion donnée a leurs ennemis par voie d'aide ou
secours. Personne ne sera convaincu de trahison que sur le témoignage
de deux témoins déposant sur le meme fait, uu sur l'aveu en séance pu-


- blique de la Cour.
Le Congres aura le pouvoir de fixer la peine de trahison, maí:, au(;Une


condamnation pour trahísoIl ne pourra entralner la dégradation du sang, ni
la confiscation, si ce n'est la vie durant de la persollue condamnée.


ART. IV.


Section 1. - Pleine foi et créance seront données dans chaque État
aux actes et archives publics et aux procédures judiciail'es de tout autre
l~lat. Et le COllgres peut, par des lois générales, détermiller la forme pro~
hante de ces actes, archives et procédures, et leurs eITets.
;.. 1 Shall hold their Ojfices during good Behaviour.
~ In Law and Equity.




.\


592 CONSTITUTlON DES ÉTATS-UNIS D 'AMÉRIQUE.
Section 2. - Les citoyens de chaque État auront droit a tous les privip


léges et immunités de citoyens dans les divers Etats.
Toule persollne accllsée, dan s un État, de trahison, félonie ou autre


crime, qui se dérobera a la justice et sera trouvée dans un autre Etat, sera,
sur la demande de l'autorité exéeutjve de l'État d'ou elle se sera enfuie, re-,
mise a I'État ayant juridiction sur son crime.


Nulle personne~obligée a un service ou travail dans un État et d'apres
s~s lois ne pourra, en se réfugiant dan s un autre, et en conséquence d'au-
cun reglement ou loi qui y seraient établis, etre aflranchie de ce service
ou travail : mais elle sera livrée, sur la réclamation de la partie 11 qui ledit
service.ou tra raíl peut etre dúo


Section 3. - Le Congres pourra admeltre de nou veaux États dans eeHe
Union; mais il ne pourra etre formé ou érigé de nouvel État dans la juri-
diction d'aucun autre État, non plus que par la réunion de deux ou plu-
sieurs Étals, ou partí e d'États, sans le consentement des législaturesinté-
ressées, aussi bien tiue du Congreso


Le Congres aura le pouvoir de disposer du territoire et des autres pro-
priétés appartenant aux États-Unis! et de faire ~ur ce point tous reglements
nécessaires; et il ne pourra etre donné a celte Constitution d'interpré-
tation préjudiciable aux droits des États-Unis, ou de quelque État par-


I ticulier.
Section 3. - Les États-Unis garantiront a chacun des Etats de cette


Union la lorme du gouvernement républicain, el le protégerontconlrc toute
invasion, el aussi, sur la demaIlLle de La législature ou du pouvoir exécutif
(lorsque la eonvocation de la législature est impossible), contre toule vio-
lence intérieure.


ART. V.
,


Toutes les fois que les deüx tiers des deux Chambres le jugeront néces-
saire, le Congres proposera des amendements 11. eeUe Constitution, ou, sur
la demande des législatures des deux tiers des divers États, réunira une
Convention pour proposer des amendemenls qui, dans les deux cas, ~eront
valables 11. tous égards comme partie de cette Constitution, des qu'ils auront
été ratitiés par les législatures des trois quarts des divers Etats, Oll par les
trois quarts des Conventions forrnées dans chacun d'eux, selon que l'un ou
l'autre mode de ratification sera pro posé par le Con gres , pourvu qu'aucun
amendement fait avant l'année mil huit cent hllit n'arrecte en aucunc fa«¡on
la premiere 'et la quatrieme c1ause de la section neuf de l'article premier,
et qu'aucun État ne soit privó, saIlS son eonsentemeul, del'égalité de 'suf-
frages dans le Sénat.




· -o·


I


, CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 593
ART. VI.


Túutes dettes contractées et tous engagements pris, avant l'adoption de
eette constilution, seront aussi valables contre les États-Unis, sous l'empire
de eette Constitution, qu'ils l'étaient sous celui de la Confédération.


Cette Constitution, et les lois des États-Únis qui seront faite s en exécu-
tion de ladite Con~titution, et tous les traités qui ont été OH qui seront faits
sous l'autorité des États-Unis, seront la loi supreme du pays, et obligatoires
pour les juges de tous les États, malgré toute prescription conlraira de la
Constitution ou des lois de l'un de ces Etats.


Les sénaleurs et représentants ci-dessus mentionnés, el les membres des
législatures des divers États, et tous les fonctionnaires exéeutifs ou judi-
eiaires des Etats-Unis ou des Etats particuliers, s'engageront .. par sermen t
ou affirmation, a défendre cette constitution; mais nul Test religieux ne
Séra requis eomme condition d'aptitude a aneune fonction ou charge publi-
que sous l'autorité des États-Unis.


ART. VII.


La ratification des conventions de neuf Etats RUmra pour établir l'empire
de ceHe constitution sur les Etats qui l'auront ainsi ratifiée.


Fait en eonvention, du consentement unanime des États présents, le
dix-sept septembre de l'an de grilce dix-sept cent quatre-vingt-sept et de
l'índépendance des Etats-Unis le douzieme. En {oi de quoi nous avons
ci-dessous apposé nos noms.


John Langdon,


Nathaniel Gorham,


WiIliam-Samuel Johnson,


Alexander Hamilton.


William Livíngston,
William Paterson,


B. Franklin,


GEO. WASHINGTON,
président et député de la Virginie,


NEW-HAMPSHIRE.


Nicholas Gilman.
M ASSACHUSETTS.


Rufus King.
CONNECTICUT.


Roger Sherman.
NEW-YORK.


NEW-JERSEY.


David Brearley.
John Dayton.


PENNSYLVANIE.


Thomas Mfiflin.
38




< .


594 CONSTITUTlON DES ÉTATS-UNIS D' AMÉIUQUE.
Robt. Monis,
Tho. Fitzsimons,
James Wilson,


Geo. Read,
John Dickinson,
Jaco. Broom,


J ames M' Henry,
Daniel Carroll,


John Blair,


William Blount,
WiIliam Williamson,


L. Rutledge,
Charles Pinckney,


William Few,


Gco. Clymcr.
Jared Ingersoll,
Gouv. Morris.


DELAWARE.


Gunning Bedford, jun.
Richard Bas~est.


MARYLAND.


Dan. of St. Thos. Jenifer.


VIRGINIE.


James Madison, jun.
CAROLlNE DU NORD •


. Rich'rd Dobbs Spaight.


CAROLlNE DU SUD,


/


Charles Cotesworth Pinckney,
Pi"wce Butler.


GÉORGIE.


Ab. Baldwin.
William JACKSON, secrétaire.


Additions et Amendements a la Constitution des États-Unis
d' Amérique proposés par le Congres et ratifiés par les légis-
latures des divers États, conformément a Particle V de la
Constitution.


ARTlCLE PREMIER.


Le Con gres ne PQurra faire aucune loi pour établir une religion ou en
interdire le libre exercice ; restreindre la liberté de la parole et de la presse;
0\1 PQl'ter atteinte. au droit Qu'a le penp\e de s'assembler paislblement,
eL d'adresser au gouvel'llement des pétitions pour le redressement de ses
griefs.


ART. '2.
Une mílice bien réglée étant nécessaire a la sureté d'un Etat libre, il ne


pourra etre porté atteinte au droit qu'a le peuple de détenir et dp portpr
des arme~.




CONSTTTUTroN DES ÉTATS-mnS D'AMÉRTQUE. 595
ART. 3.


Nul soldat ne sera, en temps de paix, Iogé dans une maison, sans le con-
sentement du propriétaire, et, en temps de guerre, que de la maniere
réglée par la loi.


ART. 4.
Le droít des citoyells d'étre en leurs personnnes, domicile, papíers et


efTets, 11 l'abrí des recherche!' et saisies déraisonnables, ne pourra étre violé;
il ne pourra etre lancé de mandat que sur cause pl'Obable, appuyée de
serment ou d'affirmation, et le ~andat contiendra . description détaillée
du líeu ou doivent se faire les perquisitions et des personnes et objets
a saisir.


AI"T. 5.
Nul ne sera teuu de répondre a une accusation capitale ou infamante que


sur dénonciation ou mise en accusation par un grand jury, sauf lorsqu'il
sera employé dans les rorees de terre ou de mer, ou dans la miliee, lors-
qu'elIe est de service actif en temps de guerre ou de danger public., Nul
ne pourra étre exposé deux foís, pour le meme délít, a perdre la vie ou les
membres, ni forcé, dans une cause criminelle, a témoigner contre lui-
meme. Nul ne sera privé de la vie, de la liberté, ou de ses biens, que pnr
suite d'une proeédure légale. N uI ne sera exproprié pour cause d'utílité
publique sans recevoir une indemnité.


ART. 6.
Dans tous les cas de poursllites criminelles, I'aecusé jouíra du droít


d'étre jugé promptement et publiquement par un jury impartiai de
I'État et du district ou le crime aura été commis, district préalablement
délimité p:lr une loi; d'élre informé de la nature et du moUf de l'accusa-
líon; d'étre confronté avec les témoíns a charge; d'assígner des témoíns a
décharge, et de 'Se faire assister d'un conseil pour sa défense.


ART 7.
Dans les actions du droít commun dont la valeur exeédera vingt dol ..


lars, le jugement par jury sera maintenu, et aucun fait jugé par un jury
ne pourra etre soumis a l'examen d'une aulre Cour dans les Etats-Unis
que conformément au droit commun.


ART. 8.
Il ne pourra etre exigé de cautionnement exagéré, imposé d'amendes


excessivcs, ni infligé de peines cruelles et inaccoutumées.
ART. 9.


L'énumération daus la Constitution de certains droits, ne pourra etrc


\




596 CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS D'AMÉlUQUE.
interprétée de fa~on a en annuler ou restreindre d'autres retenus par le
neuple.


ART. iO.
Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux Etats-Unis par la Consti-


tution, ou refusés par elle aux Etats, sont réservés aux Etats respectifs, ou ,
au peuple. ~


ART. H.
On n'interprétera point les clauses de la Constitution relati ves au pou·


voir judiciaire des Etats-Unis de fal,;~ a l' étendre aux procédures entamées
contre un Etat par les citoyens d'un autre Etat, ou par les citoyens ou
sujets d'une puissance étrangere.


ART. f2.
Les électeurs se réuniront dans leurs Etats respectifs, et voteront, au


scrutin, pour la nomination du Président et du Vice-Président, dont l'un
au moins ne sera point habitant du meme Etat qu' eux; dans leurs bulletins,
ils nommeront la personne qu'ils portent a la présidence, el dan s des bulle-
tins distincts, celle qu'ils portent a la vice-présidence; ils releveront sur des
listes distinctes les noms de toutes les personnes portées pour la présidence,
de toutes celles portées pour la vice-présidence, et le nombre de votes
obtenus par chacune d'elles; signeront et certifieront ces listes, et les
transmettront, scellées, au siége du gouvernement, a 1'adresse du pré-
sident du Sénat. Tous les proces-verbaux seront, en présence des deux
Chambres, ouverts par le président du Sénat et les votes comptés ;'sera Pré-
sident celui qui aura obtenu le plus grand nombre de sufTrages pour
la présidence, si ce nombre forme la majorité de fous les électeurs réunis;
si nul n'a obten u cette majorité, parmi les trois candidats ayant réuni le
plus de voix pour la présidence, la Chambre des représentants choisira
immédiatement et par la voie du scrutiQ le Président. Dans ce choix du
Président, les votes seront comptés par Etat, la représenfation de chaque
Etat n'ayant qu'un vole ; la présence d'un membre ou des membres de
tleux liers des Etats, et la majorité de tous les Etats seront nécessaires pour
ce choix. Quand elle y sera appelée, si la Chambre des représentants ne
choisit pas le Président avant le quatrieme jour du mois de mars suivant,
le Vice-Président sera Président, comme en cas de mort ou d'incapacité
constitutionnelle du Président.


Celui qui réunira le plus de sufTrages pour la vice-présidence sera Vice-
Présidellt, si ce nombre forme la majorité de tous électeurs réunis; si HuI
n'a ceUe majorilé, le Sénat choisira le Vice-Président parmi les deux can-
didats ayant le plus de voix; la préseuce des deux tiers des sénaleurs, et la
majorité du nombre total, sont nécessaires pour ce choíx.




CONSTITUTION D~S ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 597
Toute personne constitutionnellement inéligiLle a la présidence des Etats-


Unís le sera également 11 la vice-présidence.
ART. 13.


Section i. - Ni l'escla vage, ni la servitude in volontaire, si ce n' est comme
punition de crimes légalement poursuivis et constatés, ne pourra exister
aux Etats-Unis, ou dan s aucun lieu soumis a leur juridiction.


Sectz"on 2. - Le Congres aura le pouvoir de prendre pour l'exécution de
cette disposition telles mesures que de droit 1 •




ART. 14.
Section 1. - Toutes personnes nées ou naturalisées aux Etats-Unis et su-


jettes a leur juridiction sont· citoyens des Etats-Unis et de l'Etat ou elles
résident. Aucun Etat ne rendra et ne laissera mettre en vigueur aucune
loi aUentatoire aux immunités et priviléges desdits citoyens. Aucun Etat ne
privera personne de sa vie, de ~a liberté, de sa propriété, sans procédure
légale (wilhout due process of law), ou ne luí refusera, dans l'étendue de sa
juridiction,l'égale protection des lois.


Section 2. - Les représentants seront répartis parmi les di vers Elats d'apres
leur population respective, celle-ci comprenant le nombre tota~des habi-
tants de chaque Etat, a part les Indiens non imposés. Dans le cas ou le vote
pour les élections du président ou du vice-président) pour les membres du
Congres, pour les officiers judiciaires, se trouverait refusé a des citoyens des
Etats-Unis agés de vingt et un ans, ou limité a leur égard, pour toute autre
cause que celle de rébellion,ou tout autre crime, la base de représentation
sera réduite dans la proportion de cette catégorie de citoyens a la masse
des citoyens de vingt et un ans.


Section 3. - Personne ne sera sénateur, ou membre de la Chambre des
représentants; personne ne sera électeur pour le président ou le vice-prési-
dent; personne ne remplira d'office civil ou militaire, soit au nom des
Etats-Unis, soit d'un Etat quekonque, qu'il n'ait auparavant, comme
membre du Congres ou d'une législature locale, comme officier judiciaire
ou exécutif, des Etats-Unis ou d'un Etat, preté serment de soutenir la
Constitution des Etats-Unis, ou bien encore, s'il a pris part a la rébellion
contre elle, ou apporté secours et soutien a ses ennemis. Toutefois, le Con-
gres se réserve, a l'égard de ceux qui ont encouru cette déchéance, de les
en relever inrlividuellement, par un vote aux deux tiers de ses voix.


Section 4. - On ne pourra contester la validité de la dette publique
des Etats-Unis, telle que les lois ront établie, Mais, ni les Etats-Unis, ni
aucun Etat n'assumeront ou solderont aucune deUe ou obligation encou-


l Proposé le ter f¿vl'icr 1865; ratifié par 27 États; proclamé le~ décembre t865.




,
I


598 CONSTlTUTION DKS ÉTATS-QNIS D'Al\IÉHIQUE.
rue par suite d'aide donnée a l'insurreetion ou a la rébellion ; n'admeltront
aueune revendieation préeuniaire en ee qui touehe la perte d'aneiens esela-
ves. Mais, toutes ces dettes, obligations et réelamations seront tenues pour
ilIégales et nuBes.


Section 5. - Le Con gres aura le pouvoir de prendre telles dispositíons
qu'il jugera eonvenable pour l'exéeution du présent amendement XIVe j.


ART. 15.


Section 1. - Le droit de vote des eitoyens des Etats-Unís ne sera ní
• dénié, ni entravé, ni modlfié par les Etats-Unis sous motif de raee, de


eouleur, ou d'ancienne eondition servile.
Section 2. - Le Congres aura le droit de rendre eette disposition etrec-


ti ve, par lelles mesures que de droít 'l.


1 Proposé le -16 jllin 1866; ratifié du 30 juin, meme aonee, au t3 jui\let -1868; proclamé
le 2t juillet meme année. On saisi t cette occasioll pour rectifiel' une erreur relative audit
amendement qui s'est glissée a la page 458, ligne t 3 : c'est le 2t janvier -1868 et non le
2 janvier -1865 qu'il faut lire. De meme, a la Iigne 24, au sujet de l'impeachmtnt
de M. Johnson, c'est le 24 février t868 qu'j] faut lire et non le 24 février t865.


2 Proposé le 27 févriel' t869; proclamé le -13 mars -1870.


,






ANNEXE B.


Principaux éTénements de l'histoire dJ Amérique.
"


A vril t 512. - Ponce de Léon aborde en Floride.
U¡38- 1M2. - Ferdinand de Soto explore la vallée du Mississippi.
Décembre t 606. - Newport et le capitaine Smith s'embarquent pour la


Virginie. .
11 décembre 1620. - (Vieux style). Les Pilgrim Fathers débarquenl au


cap Codo
1630-1631. - Commencements de Boston.
Juin 1632. - Lord Baltimore obtienl la concession du Maryland.
Juin 1636. - Roger Williams fonde Providence.
1638. - Davenport et Eaton fondent New-Haven.
1643. - Les colonies puritaines se conféderent.
1665. - Concession a Clarendon du territoire des deux Carolines.
1674. - Les Nouveaux-Pays.,.Bas passent sous la domination anglaise.
9 avril 1682. - Cavelier de La Salle prend possession du bassin du Missis-


SipI.
27 octobre 1682. - (Vieux style). William Penn débarque en Amérique.
i 68~. - La charte du Massachusetts est annulée.
18 septembre 1759. - Capitulation de Quebec.
6 février 1765. - Le Stamp Act est présenté aux communes.
5 mar s 17i0. - Massacre de' Boston.
f 6 décembre t 773. - Les caisses de thé du Darmouth sont jetées a la mer.
¡j septembre 1774. - Réunion du premier Congres continental.
i 9 avril 177;). - Evéncments de Lexington et de Concord.
4- juillet 1776. - DécIaration d'indépendance des treize colonies.
17 octobre 1777. - Burgoyne capitule a Saratoga.
6 février i 778. - Traités d'amitié et d'alliance entre la France et les


Etats·Unis.
18 octobre 1781. - Cornwallis capitule a York-Town.
1783. - Washington dépose ses pouvoirs au sein du Congreso
2i février 1787. - La Convention de Philadelphie s'assemble.
t7 septembre ti87. - Vote de la constitution des Etats"Ullis.
14 décembre DUO. - Mort de Washinglon.




. ,


600 CONSTITUTION DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE.
30 avril J 803. - La Louisiíine est incorporée aux Etats-Unis.
Aout 1807. - Apparition du premier bateau lA vapeur sur les eaux de


l'Hudson.
20 aout 1820. - Les Florides sont incorporées a I'Union.
1 R24. - Voyage triomphal de La Fayette aux Etats-Unls.
10 février t846. - Annexion du Texas.
6 juillet t848. - Cession aux Etats-Unis de la Californie.
12 avril186L - Les séparatistes attaquent le fort Sumter.
1 er janvier 1863. - Proclamation du président Lincoln qui dédare libres


les esclaves des Etats sécessionnistes.
31 janvier 1865. - La Chambre des représentants vote l'abolition de l'es-


clavage.
7 avril 1865. - Le général confédéré Lee prete l' oreiUe a des propositions


de reddition qui termineNt la guerre civile.
i 4 avril t 865. - Assassinat du présideut Liucoln.
1870. - Proclamation de l'amendement constltutionnel qui appelle les


noirs a la vie poli tique •




ANNEXE C.


Principaux livres a consult er pour l'bistoire et les institutions
des États-Unis.


1. - Histoire générale.


Grahame. - JIistory of the United Sta tes .
. Ptimcroft. - History o( the United Sta tes .. (traduite en fran(;ais~.
Hildreth. - History of the United States from the discovery of the con ti-


nent lo the sixteenth Congress.
George Tucker. - History of the United Stales from théir colonisation to


the tewenty sixth Congress.


11. - Période révolutionnaire.


Gordon. - History of the american Revolution.
Pitkin. - The political and civil history of the United States of


A merica (t 763 - f 797).
Ramsay. - History of the american Revolution.


Id. - Histoire de la révolution amériéaine par ropport a la Caroline
du Sud (éd. fran~aise).


Jared Sparks. - Correspondence of the american Revolution.
- The writings of Washington (avec la vie de Washington)
.- Diplomatic correspondence of the american Revolution.


l\fadison. - The Papers.
John Adams. - The life and Works.
Jefferson. - Complete Works, ou bien Memoirs and corresponden ce. Il


en a été fait une traduction franyaise abrégée sous le titre de Mélanges
politiques el philosophiques, par G. Conseil.


Franklin. - The Works (avec SOIJ autobiographie, continuée par Sparks).
111. - Histoire et droit constitutionnels.


John Adams. - Dé(ense des constitutions américaines (éd. fran.¡aise).
Kent. - Commentaries on american Lau'.






CONSTITUTlON DES ÉTATS-UNIS D'Al\lÉRIQUE. 602
Story. - Commentaries on the Constitution of the United States, traduit en
fran~ais sous le titre de Commentaire sur la constitution fedérale des
Etats-Unis, par Paul Odent.


Eare Seaman. - Le systeme du gouvernement américain (éd. fram;aise).
De Toequeville. - De la democratie en Amerique.
Laboulaye. - Histoire politique des Etats-Unis.
Curtís. - History of the american Constitution.


IV. - Biographie.


Marshall. - Pie de Washington (éd. fran~aise).
Dr A. Baneron. - The life of Washington.
Washington Irving. - Life of Washington.
Wirt. - Skekches of the lite ot Patrick Henry.
William Reed. - The lite and correspondence of Président Reed.
Jay. - Thc lite and writings of John Jay.
John Hamilton. - The lite of Alexander Hamilton.
George Tucker·. - Life of Jefferson.
Jamuel Smucker. - Life and times of Jefferson.
Randall. - Li{e of Jefferson .
.Tared Sparks. - Memorial de Gouverneur lIurtis (éJ. frallt;.).
Jared Sparks. - American Biugraphy.
BelJknap. - American Bt·ography ..


V. - Statistique.


Warden. - Description statistique, historique et po litique des Etals-Unis
de l'Amérique septentrionale ~i820).


Major Poussin. - De la puissance américaine (1843).
~lac Grégor. - British America (1832).


VI. - Divers.


Miehel Chevalier. - Lettres sur l'Amérique du Nord.
J.-J. Ampere. - Promenades en Amérique.
Anthony Trollope. - North America.
Hepworlh DixOll. - New America,




INDEX~


-


Abercrombie (le général). Batlu a Ca-
rillon,' 191.


Acadie. Prise par les An¡;rlais et reprise
parles Franf;ais, 129. Reste aux An-
glais, 133. Ses habitants transportés
en masse, 182-183.


Adams (John). Opinion sur I'esprit de
ses concitoyens, 256. Nommé prési-
denl, 391. Sur le point de rompre avec
la "Frallce. Sa morl, 410.


Adams (John Quincy). Sa présidence,
410-412.


Administration loca¿e, 492-494.
Aix-la-Chapelle (traité d'). Ses stipu-


lations, 178.
A labama (l'). Affaire de, 460-461 .
Allemands. Lenr présence a modifié le


caractere américain, 467-468.
A llen (Ethan). Prend Ticonderoge, 242.


Fait prisonnier sous Montréal, 249.
Amherst (général). Prend Louisbourg.


19L Sa lenteur et ses indécisions, 193.
Amydas (Philip). Explore les cotes de


la Caroline sept., 17.
André (major). S'abouche avec Arnold,


331-332. Son arrestatioll, 334. Son ju-
gement et son supplice, 336.


Arnold (Benedict). Echoue devant Que-
bec, 250-251. Débloque le fort Stall-
wix, 279-280. Sa trahison, 332-333. Sa
ruite, 334. Rava¡re la Virginie, 341.


Autorité judiciaire. Fédérale, 476· 477.
Locale, 477-478.



Bacon (Nathaniel). Son insurrection,86.
Baltimore (George, lord). Obtient la


concession du Marylaud, 34.
Baltimore (Cecit, lord). Son respect de


la liberté religieuse, 37. Son bean ca-
ractere, 88.


Banques. Lellr régime, 563-564,
Barré (Isaac, le colonel). Son apo1\troph,'


a Grcnville, 212-213.


Barlow (Arthur). Explore les cotes des
Carolines, 17.


Berkeley (sir WiUiam). Gouverneu~ de
la Virginie, consolide sa colonisatlOn,
:31. Son loyalisme, 32. Partisan de la
liber·té commerciale, 8'2. Ses exces d'au-
torité; 86.


Beaumarchais. Son zele dans la cause
des insurfrents, 298-300"


Blocus continentaL' Posilion qu'il faíl a
l' Amérí me, 398.


Bolingbroke (Henri, vicomte). Ses ta-
lents et son caractere, 133.


Bonvouloir. Sa mission en Amérique,
301-302.


Boscawen (amiral). Concourt au siége
, de Louisbourg, 192.


Boston. Fondation de -, 53. Massacre de
-,225-226. Ses habitants jettent le
thé a la mer, 229-230. Fermeture de
son port, 231.


Bmddock (géném~). Sa jactance, sa dé-
faite et sa mort, 180-181.


Brandywine (bataille de la). Perdue par
les Américains, 271-272.
B1'ook~yn (bat. de). Les Américains la


perdent, 263-'264.
Bunker lliU (combat de). Les Améri-


cains y sont battus. 245~246 ..
Bu,chanan. Président de la République,


439. Son cabinet, 442. Favorise les
esclavagistes, 443. Désorganise I'U-
nion, 445. Ses regrets tardifs, 446.


Burgoyne (le général). Son caractere,
'2.77. Envahit le New-York, 279. Livre
les combats de Bémis, 284-287.Capi-
tule, 'lb8.


Burr (Aaron, le colonel). Compétiteur
de Jefl'erson, 395. Tue Hamilton en
duel et tente un coup de main sur la
Nouvelle-Orléans, 398.


Calrert (Léonard). Conduit une pre-






604 INDEX.
. mi~re émigration au Maryland, 35-36.
Cartter (Jacques). Débarque él Montréal,


9.
CaroHnes (les). Lellrs origines 91-92.


Constitution que leur donne' Locke,
89-90. Les huguenots y arrivent 92.
Deviennent province royale. 150.'


Charles 11. Son caractere, 75-76.
Champlain (Samuel). Vrai fonuateur de


la Nouvelle- Franee, 120.
Chinois (les). Leur émigration aux Etats-


Unis, 473-475.
Cho.iseul (dnc de). S'étonne de ce que


Pltt tient tant 11 l'annexion du Canada
204. Envoie des émissaires secret~
en Amérique, 296.


Chouagouer- ((ort de). Pris par les
Francais, 166.


Clinton (général). Son échec au fort
Moultrie, 2.')5. Remplace Howe, 316.
Evacue Philadelphie, 317. Cherche a
sauver André, 337. Trop lenl él secou-
rir Yorktown, 346.


Coligny (ramiral). Ses projets d'établir
les hugllenots en Amériqlle, 9.


Commerce et navigation. Leur état, 545.
Concord. Evénements de - 220-221.
Confédération (articles de). 'Leur carac-


tere et lellrs inconvénients, 363-366.
Congreso Le premier con gres se réunit a


Albany, 179. Congres de 1765, 215-
216. Premier congres continental, 234.
~a réunion, son esprit, ses délibéra-
tlOns, 235-237. Deuxieme con"l'es con-
tinenta!, sa réunion et son esprit, 243.


Connecttcut (Etat de). Ses origines, 61.
Ses El'ue Laws, 62-65. Sa charte con-
firmée par Charles 11,78. Annulée par
Jacques lI. 189.


Constitution. Projets de - 367-369.
Son mécanisme el sa discu~sion, 3t:J9-
375. Son vote, 376. Sa ratification, 377-
378.


Convention de Philadelphie, 366-67.
Cornw.allis (lord). Son succes a la Bran-
~ywllle, 272, et a Gllildford, 340. Se
Jette dans York-Town, 342, et y capi-
tule, 345.


Cotton (John). Son fanatisme el ses idées
théocratiques, 54-55.


Cra;nmer. (~'archeveque). Ses idées poli-
tlco-rellglellses, 41.


Orom'I;De!l (Olivier). Modere le fanatisme
puntam, 39. N'a pas cherché a passer
en Amérique, 67. Protecteur de la
Nouvelle-Angleterre, 7I.


Dal.e (Thomas). Gouverneur de la Vir-
ginie, 25.


Darmouth (lord). Ministre des colonies
ses dispositions conciliantes, -ZZ7. '


Davenport (le pasteur). Fonde New-
Haven, 61.


Davis (Jefferson). Président de la confé-
dération du Sud, 447.


Deane"(Silas). Est envoyé a Paris, 304.
Ses enrólelflcnts, 305. ..


Delaware (lord). Gouverneur général de
la Vir¡:!Ínie, '23-24.


Dette fédérale. Sa formation, 381-382.
Dickinson. Contraire 11 la déclaration


d'indépendance, 258.
Dieskau (le baron). Sa mort, 182.
Dinwiddie. Gouverneur de la Virginie,


décide le gouvernement anglais á re-
vendiquer l'Qhio, 175.


Eaton (Théophilus). Fondateur de ~ew­
Haven, 61.


Eglise anglicane (l'). Sa fondation et
son caractere, 40-43. Introduite en
Virginie el au Maryland, 111. Dans
la Caroline du Sud. 113. l<~choue dans
celle du Nord, 113.


Elisabeth (la reine). Persécute les pu-
ritains, 1¡3. Revet la suprématie spiri-
tuelle. 41.


Endicot (John). S'étaLlil a Salem, 50.
Esclavage (l'). Etabli dans la Virginie,


les C~roline et la Géorgie. 156. Son
odieux caraclere, 157. Condamné par
le pape Alex.andre n, 160. Justifié par
les juristes anglais et l'Eglise anidicane,
161. Qllestion écartée par Washington,
383. Compromisdu Missouri, 407, Corn-
promis Clay, 433. The (ugitive slaves
Act, 43!1. Arret Dred Scott, 441. Sa
suppression, 454.


Esclaves émancipés. Leur état intellec-
tllel et moral, 475-476.


Estaing (cnmte d'), Conduit une escadre
en Amérique, 3 L 7. Combat l'amiral
Howe, 318. Se retire a Boston, 319.
Lance une proclamation aux Cana-
diens, 320.


Farragut (amiral). Force la baie de Mo-
bile, 45 L -452.


Far West. Pl'emieres explorations, 401.
Emigration, 468-469.


Fillmore. Sa présidence, 431.
Finances publiques. Mesures pOllr faire


face a la gllerre civile, 484-489. Liqui-
dation de la dette. 490.


Fleury (le cardinal). Ses inclinations pa-
cifiques, 168.


Florides (les). Premiers établissements
européens, 9-l1. Annexées a J'Union,
407.


FrankLin (Benjamín). Ses débuts, 167.
Suggere la conquete du Canada, 190.
Combat le Stamp Act, 212. fllter-
rogé par les commllnes, 219. SOll-




INDEX. 605
tient devantle conseil prIVe les do-
léances du Massachusetts, 230. Ar-
rive a Paris, 306. S'ahouche avec Ver-
gennes, 307. Reeu a Versailles, 31 t.
Conduite équivoque dans les négocia-
tions de 1782, 354.


Frobisher. Explore les mers arctiqlles,
13.


Frontenac (comte de). Gouvernellr de la
Nouvelle-France, 127.


Gage (général). Ordonne la saisie !les
armes coloniales, 239. Est rappelé,
247.


Galissonniere (amiral de La). Gouver-
neur du Canada, 17'2.


Gates (Horatio). Nommé adjudant rréné.
ral, '!45. Cummande l'armée du Nord,
281. Réception qu'i1 fait a Burgoyne,
288. Sa mauvaise conduite a Camden,
320.


Gates (T1lOmas). Premier gouverneur de
la Virginie, 'H. .


Genet. Ministre de France, son étrange
attitude, 389.


Georges IIl. iJésire le maintien du Stamp
Act. Cummentil ressentlaprise d'Yurk-
Town, 34/. Mol de Fox sur lui, 348.
Désire la paix, 349.


Ge.orgie (Etat de). Ses origines, 151.
El'igé en province, 15'2.


Germantown. Bataille de -, 275-'276.
Gilbert (sir Humphrey). Ses tentalives


de colonisation et son deslin tragique,
14-15.


Gorges(Ferdinand). S'établit aux aboros
de la baie de Casco, 68.


Gourgues (Dominique de). Tire ven-
geance dI! guet apens de Melendez, !l.


Grant (général). Vainquellr 11 Vicksbll:r:g,
451. Emporte Petersburg, 452. El11
pl'ésident, 458. Ses paroles, /159.
Appelle les noirs a la vie politique,
/159-460.


Grasse (comte de). Combat Graves, 343.
Est battu aux Saintes, 348.


Greene (général). Sa campagne dan s les
C3l'olines, :13!:!-340.


Grenvme (Charles). Premier ministre,
son caractere, '211. Ses pl~ns fiscaux,
'H2. Combat le rappel du Stamp Act,
'218.


Grimaldi (marquis de). Son entrevue
avec Arlhur Lee, 308.


GuiUaum,e IIl. Son libéralisme équivoque
et S3 conduite vis-n-vis des colonies,
110-\1'2.


Guerre de 1812. Son cours, 404405. Sa
fin, 406


Ilakluyt. Promoteur dcs entl'cprises co-
loniales, 19.


Hamilton (John). Recommande une
banque fédéralc, 339. Son idéal poli-
tique, 3G8. Ses démelés avec Jefferson,
380. Sa mort, 398.


Hampden (John). N'a pas cherché a pas-
ser en Amérique, 67.


Harrey. Gouvernellf de la Virginie, 30.
Harrisson (général). Elu président, 421.
Hawke (amiral). Ses instructions et la


faeon dont illes exécute, 183-184.
Hennepin (le P.). Historiographe de la


Louisiane, 1'24.
Henry (Patrick). Ses origines et ses dé-


buts, 214. Hostilea la constitution, 377.
Hooker (le ministre). S'établit a Hart-


ford,61.
H Otce (général). Evacue Boston, 254.


Occllpe Philadelphie, 276.
Howe (amiral). Sa mission concilia trice,


261-26'2. Elle échoue, 264-265.
Hutchinson. Gouverneuf du Massachu-


setts, son impopularité, 225. Ses rap-
ports f;!lIacieux, 23'2.


Indépendance (l'). Prédite par Hume
Turgot, Caroden, 236. Regardée comm~
la derniere ressource, '237-238. Pro-
elamée, '258-260.


lndiens. En lulte avec les colons du Ma s-
sachusetts, '28. Leurs atrocités, 127
128,131,13'2, LeuI's origines, langues'
religion eL coutumeg, 136-145. Guerr~
de Philip, 147. Les Cinq·Nations, 149.
Tr'ansférés a~ dela dll l\lississipi, 411-
41 '2. Leur sltuatlOII actllelle, 469-
473.


Industrie. Sa situation et ses dévelo'J-
vements, 559-560. Cotonniere 561-
563. '


Irlandais. Lenr émigration aux Etats-
Unis, 466-467.


Instruction publique. Primaire, 506-
508. Statistique, 510. Extellsion· SU.
Secondaire et supérieure, 511-51'2.
Des filies, 512-513.


Jackson (général). Défenseur de la Nou-
velle-Orléans, 405. Son caractere, 413.
Réprime l'esprit rebelle de la Caro-
li,ue, du Sud, 413. D.étruit la banque
federale, 416. CondUlte arrogante vis-
a-vis de la France, 417-118.


Jacques ler. Persécute Raleigh el le fait
mourir, 16.


Jacques 11. Son caractere et sa chute
108. Sa conduite envers les colonies'
108-109. '


Jay (John). Négociateur de la paix de
17t'l3, sa défiance envers la France
350. Sa mission en Angleterre, 387. '


JefTerson (Thomas). Rédige la déclaralion
d'indépendance, 259. Son idéal poli_




I


GOG IN DEX.
lique, 380., Ses Mmelés avec Hamilton, I Louis XV. Désireux de mainlenir la
381-383. Elu président, 395. Acquiert paix, 184.
la Louisiane, 396-397. Ses dit'ficultés Louis XV l. Flatteries anglaises a son
avec la France et I'Angleterre, 398- :ldresse, 294.· Ses doutes monarchiques,
401. Faits remarquables de sa prési- 311. Entrainé par Vergennes, 312.
dence, 401-402. Sa mort, 410. Ses bons offices financiers, 339.


Johnson (Andrew). Remplace le prési- Louisbourg. Les Anglais s'en emparent,
dent Lincoln, 450. Son caractere, /157. 171. Deuxieme siége et deuxieme
Ses luttes avec le Congres et son im- pri!;e, H)2.
peachment, 458. Louisiane. Incorporée arUnion,396-397.


K alm (Peter). Son opinion sur la sépa-
ration des colonies, 164.


Kansas. Menées des esclavagistes, 439,
443, 444. Refuse d'entrer dans l'Union
avec l'esclavage, 4-14.


La Fayette (marquis de). Blessé a la
Brand~ wine, 272. Son enlhousiasme
américain, 273. Arrive en Amérique,
274. Nommé major général, 275. Re-
passe en Europe, 3·~ 1 Revient en Amé-
rique, 3~6. Echappe a Cornwallis,
341. Son voyage triomphal aux Etats-
Unis, 409-410.


Las Casas (Barthélemy de). N'est pas
I'auteur de la traite des Iloil's, 158·15!J.


Lasalle (Robert Cavelier de). Explore le
bassin de IIlJinois, 123. Prend pos-
session de la Louisiane, 124. Sa fin
tragique, 126.


Laud(t'archeveque). Son esprit persécu-
teur, 67.


laudonniere. Rétablit le fort Caroline,
10.


Lee (Charles). Major général, 244. Sa
mauvaise conduite a Monmouth, 317.


Lee (le général confederé). Vainqueur a
Chancellorsville, 451. Sa reddition, 452.


Levis (chevalier ~e). Bat les Anglais. ~ur
les plailles d Abraham, 198. Asslege
Quebec {,t capitule a Montréal, 199.


Lexington (Événements de), 239-240.
Lincoln (géneral). Est. baltu a Black


Swamp, 32'2. Évacue Charleston, 325.
Lincoln (Abraham). Elu président, 447.


Sa po litique et son cabinet, 44~. Son
éner¡úe, 448-450. Proclame I'éman-
cipation des noirs, 454.. Est assas-
siné, 455. Son caractcre, 456.


Littérature. Théologie, 513. Histoire,
514· 5'20. Archéologie, 5'2J-5'21. juris-
prudence, 5'H-5'!O. Économie poli-
tique, 520·533. Roman 533-544. Poé·
sie 545547. Divers, 547-551.


Madíson. Ses Papiers, 368. Sa prési-
dence, 402. Ses diffi¡;ultés ave e la
France et I'Angleterre, 404.


Maine (État du): Ses oripines, 6~. In-
corporé au Massachusetts, 82. Erigé
en Etat.


Ma¿esherbes. Hostile al' intervention fran-
~aise, 303.


Manhattan (ile de). Lcs Hollandais s'y
établi~sent, 93. .


Marquette (¿e P.). Exploration du Mis-
sissipi, 121-122.


Maryland. Ses débuts, 35-56. Sa charte,
37. Sa liberté religieuse, 38


Massachusetts. Ses origines et ses insti-
tutions, 53-57. Sa lutte pour ses Ii-
bertés, 81·82. Promoteur de la résis-
tance des colonies, 213.


Maurcpas. Premier ministre, ~94. Ros-
tile a l'intervention francaise, 303.


Melende% (Pedro-A viles de). Massacre
la garnison du fort Caroline, 12.


Mexique (Guerre du). Ses causes, 4~9.
Sa marche, 430. Sa fin, 431.


Mines. Lenr exploitation, 567.
Monopole commercia¿ (le). La Virginie


essaie d'y résister, 48. St& aggrava-
tions succel\sives, 77, 114, 163.


Monro!!. Président, 406. Acquiert les
Florides, 407. Sa doctrine, 407-408.
Traite avec la Russie, 409.


Montcalm-Gozon (Louis-Joseph, mar-
quis de). Son origine et ses antécé-
dents, 185. Commandant militaire
du Canada, 185. ~'empare de Choua-
¡:mllen et bat les Anglais a Carillon,
184.-187. Battu Illi-meme sous Quebec
il meurt, 197·198.


DJontgomery. Général en chef de l'armée
du Nord, 248. Ses succes, 249. Sa
mort, '250.


.Moraves (les freres). S'établissent en
G~or'gie, 151.


Morris (Gouverneur). Son opinion sur
un Sénat, 372. Lape';. (1\'arcisso). Son COllp de mainsur


Cuba, 431-432.
Loudoun (comfe de). Sa campagne de Nal'igation (actes de). Lenr cal'actere,


1757. Sa mollesse et son incapacité, 33, 77.
185-188.· I Newcastle (duc de). Son caractcre, 144.


Lonis XIY. Son regne et son caraclere, I New-Ilampshire (E/at de). Ses com-
130. I mencements. 5U.




INDEX. 607
1Vew-Haven. Sa fOlldation, (ji. Sa réu-


nion al1 Connecticut, 7~.
New-Jersey (Etat de). Peuplé par les


Suédois, 95.
Newporl (le capitaine). Conduit la pre-


miére émigration en Virginie, 20.
New-York (Etat de). Ses commence-


ments, 95. Conquis par I'Angleterre,
97. Son importance commerciale et son
esprit, 206. Propose la réunion tÍ'un
congrés général, 233.


Noirs (traite des). Son origine et ses
développements, 159. L' Angleterre
s'en réserve le monopole, 160.


Nouvelle-Angleterre (la). Formée par
l'union des colonies puritaines, 68. Ca
ractere et effets de cett'.l union, ti9-70.
L'un des noyaux des Etats·Unis, 72-
73. Ce qu'elle était en 1703, 205-206.


North (lord). Provoque un rappel partiel
des actes de revenu, 2'26. l\'Iaintient
les droits sur le thé, 2'28. Les fait
rappeler, 291. Son mot sur ses géné-
raux, 316. Se démet, 347.


Oglethorpe (.lames). Fondateur de la
Géorgie, 153.


Oswald. Négociateur de la paix, 352.
Otis (WiUiam). S'éleve contre le Stamp


Act., 213. Propose un Con gres améri-
cain, 215. Bataille navale d'Ouessant,
313-314.


Oxenstiern (le chancelier) Ses essais de
colonisation dans le bassin de la Dela-
ware, 94.




Paix de 1783. Ses préliminaires, 352-
353. Sa signature, 354.


Peaux-Rouges. V. Indiens.
Penn (William). Son origine, 98. Son


earactere, 100. Se rend en Amé-
rique, tOO. Sa conduite vis-a-vis des
Indiens, 102. Jugement sur sa per-
sonne, 104.


Pennsylvanie. Ses origines, 100. Ses in-
stitutions premieres, 103.


Pitt (William), comte de Chatham.
Premier ministre, 129. Organise la
conquete dn Canada, 190. Appnie


. le rappel du Stamp Act, 217. Son plan
conciliatoire, 236. Son dernier dis-
cours et S3 mort, 313.


Pierce (Franklin, général). Président
de la Républiqne, 434. Sa poli tique
agrf'ssive : affaire Kossta, 435; bom-
bardement de Greytown, 435; Cuba et
la conférence d'Ostende, 436. Déme-
lés avec I'Angleterre, 437-438. Favo-
rable aux esclavagistes, 439.


Plymouth(New). Sa fondation,49. Sacon-
stitntion politique et réligieuse, 51-52.


Polk. Elu président, 485. Question de


I'ürégoll, 426-4'28. Invoque la doc-
trine l\'Ionroe, 4'27.


Ponce de Léon (Juan). Son caractere et
ses antécédents, 3-4. Déconvre la
Floride, 5.


Population. En 17'24 et en 1753, 165.
En 1760 et en 1775, 205. Actuelle.
466-467.


Protectionnisme. Ses premiers efforls 42~. ~al qu'il a fait e~l Amérique, 491:
Pun~a~ns. Leurs doc~rIlles politiques et


rehgleuses, 41. Emigrent en Hol-
lande, 45-46. Débarquent au cap Codo


Quakers. Persécutés au Massachusetts,
70·7t. Tolérés au Maryland, 87. Ca-
ractere- de leur secte, 9\J. S'établissent
en Pennsylvanie, 100.


Quebec. Les Anglaiíl I'attaquent, 129 et
133. I1s s'en emparent, 198. Effets de
sa capitulation en Amérique et en Eu-
rope, 203-204.


Raleigh (fValter). Encourage la colonisa-
tion virginienne, 14-15. Son génie,
son caractere et sa fin tragique, 16.


Randolph (Peyton). Son projet de con-
stitution, 36~.


Rasles (Sébastien le P.J Sa mort, 149.
Religion. Séparée de l'Etat, 502. Tolé-


rance réciproque. Sectes bizarres 504.
Revivals, 505.


Révolution de 1688. Les colons l'ac-
cueillent avec enthousiasme, 109 Ne
.mplit pas toute leur attente, 110-113 .


Rhode-Island (Etat de). Ses commence-
ments et sa llberté religieuse, 59-60.
Sa charte confirmée par la restaUl'a-
tion, 78.


Ribaut (.lean). B:Hit le fort Caroline, 10.
Robinson fle pasteur) Son discollrs aux


Pilgrim Fathers, 47.
Rochambeau (comte de). Arrive en


Amérique avec des trollpes, 327-328.
Marche sur York-Town, 342-343.


Rockingham (marquis de). Propose le
rappel du Stamp Act, 217-219. Pre-
mier ministre, 347.


Saratoga (capitulation de). Eludée,
289. Son effet en Angleterre, 290. En
France, 292-


Sartine (de). Soutien énergique de Ver-
gennes, 30:3.


Sovannah. Les alliés échouent sous ses
murs, 324.


Sciences. Physiciens américains, 552-555.
Naturalistes, 555 558. Anthropolo-
gistes, 558·559.


Scott (général). Entre a Mexico, 430.
Organise la défense du Nord, 449.




608 INDEX.
SchuyZer. Général en chef de l'armée du


Nord, '247 et 249.
Sécession (guerre de la). Son origine,


446-447. Ses phases, 450-451. Sa fin,
45'2.


Sewa'rd. Secrétaire d'Etat, manque d'étre
assassiné, 456. Ses dépeches sur le
Mexique, 461462.


Shaftesbury (Ashley, comte de). Son
caractere, 88, Légifere pour la Caro-
line, 89.


Smith (John). Sa vie et ses aventures,
'2 t. Pocahontas le sauve de la mort,
'no Sauveur de la Virginie, 23.


Sorcellerie (la). Pourquoi les puritains y
croyaient, 115. Singulieres scenes dans
la NonveIIe·An~leterre, 115-118.


Soto de Mayor (Ferdinand). Explore la
vallée du Mississipi, 5-8.


Stark. Vainquellr a Bennington, 281-'282.
Stormont (lord). Ses remontrances a


Vergennes, 306. Sa perspicacité, 310.
Strachey. Ses difficultés diplomatiques,


353-354.
Stuyvesant. Gouverneur de la Nouvelle-


Amsterdam, lutte conlre les libertés
poplllaires,96.


Systeme municipal. Le Township, 496·
499. Le comté, 500.


Taylor (Gen). Vainqueur a Buena·Vista,
4.30. Elu président, 431. Sa mort, 43 t.


Taxation. Systeme des taxes locales,
4.91-496.


Territoire. Son étenuue en li84, 465. Sa
superficie actuelle, 465-466.


Texas. Son annexion, 425.
Timbre (droits de). ProQosés a Walpole


qui les repousse, 16"2. Etablis, 211-
21:3. Rapportés, '219.


Townshend (Charles). Ses talents et son
caractére, '208. Ses plans de taxation,
208-209.


Turgot. Prédit les destins de I'Amérique,
204. Combat I'intervention fran¡;aise,
30'2. Son JIémoire, 303.


Troupes de Pennsylvanie Ues). Se
mlltinent, 338.


Utrecht (paix d'). Ses stipulations, 135.
Vane (Henry). Gouverneur du Massa-


chusetts, 59.
Valley Forge (camp de). Son aspect,


'276-277.
Va1Jdrellil (marquis de). Gouverneur ou


CanaJa, 180. Son incapacité et sa mau-
vaise adm;nistration, 198.


Vergennes (comte de). Son mot sur
Bunker Hill, ~46. Sur Germantown,


276. Son origine, 294. Sa prédiction
sur les suites de la perle du Canada,
2.a5. Ses vues sur le conflit anglo-
'américain 296. Son Mémoire au roi,
301-303. Secourt les insurgés som
main, 305 et 309. Conclut allianc(
avec l' Amérique, 309·311.


Virginie. Ses origines, 2.0-23. Ses pro-
gres, 2.5-'27. Tente de résister a 1:
République, 33. L'un des noyaux del
États-Unis, 72. Sa situation en 1763
'206. Son róle dans le mouvemellt di
l'indépendance, 233.


Voies de communication. Leur dévelop
pement, 568-569.


Walker (sir Hovenden). Sa mésaventur
devant Quebec, 134.


Walker (raventurier). Son coup de maí!
au Nicaragua, 437.
Wa~po~e(Robert), Partisan de la paix, 161
Washingtun (George). Ses débuts, 17~


Sa conduite avec Jnmonville, 176-17~
Memore uu Congres continental, '23~
Nommé généralissime, 24.3. Entre daIl
Boston, 254. Evacue Ney-York,26(
Sa position critique, 2G7. Son succes
Trenton rétablit ses affaires, 267-'26~
Sa conduite avec les Francais, 311
CornIJal l'expédition au Canada, 32(
Sa conduite dans l'affaire d' Andr,
337 -338. Repousse l'offre de la COI
ronne, 361. Calme I'armée et l'ésigl
ses pouvoirs, 362-363.Memhrede la eo
vention ue Philadelphie, 367. Elu prés
dent, 378. Entre a New-York, et s(
mot a cette occasion, 379. Son cabin
et sa politique, 380-381. Réélu pré
dent, 383. Réprime les troubles I
Penllsylvanie, 381. Insulté et calomni
385. Etablit de bons rapports av
J'Espa¡me et l' Angleterre, 385·38
Difficultés avec la France, 389-39
Renommé généralissime, 391. Sa m(]
et son caractere, 392 et 393.


Wenlock (Christison). Son proces comI
qllaker el sa défense, 71.


West-Poi'nt (V. Arnold).
White (Jo/m). Son établissement a l'


de Roanoke.
Wol{e (général). Ses antécédents, 1\


Stm caractere, 194.. Assiége Queb,
195. Défait Montcalm et meurt, 1!


Yeardley. Gouverneur de la Virgill
Son auministration bienfaisante, 26


r ork (duc d'). Ses sentimentsi illhéral
York-Town (siége de). 344-345. Parti


larités, 345-34G. Effets de sa capitu
tion, 347.




TABLE DES MATIERES.


AVANT,-PROPOS. I-Vlll.


PREMIE RE P ARTIE.


LIVRE PREMIER.


La Virginie et le Maryland.


LES PREMIERS ÉTABLlSSEI\IENTS EUROVÉENS : Ponce de Léon, Soto et la
Floride; Ribaut, Laudonniere, Mélendez, Dominique de Gourgues et la
Caroline. - PREMrEREs TENTATlVES DES ANGLAIS : Frobisher, Walter Ra-
leigh, Humphrey Gilbert, Amydas et Barlow. - LA VIRGINIE : Haklllyt,
Gosnold et Newport; Pocahontas et le capitaine Smith; premiere charte et
début ce la culonisation; lord Delaware, Dale" Yeardley; premiers progres
de la culture et de la vie civile; la colonie deYient province royate; Harvey,
Bel'keleyet leur administra/jon : protectorat de Cromwell ; premier acte de
navigation. - LE MARYLAND : Cecilius Calvert, lord Baltimore; institutions
eiviles; liberté religieuse; les puritains, les catholiques et Cromwell. 2-39.


LIVRE H.


La Nou'Welle-Angleterre.


L'ÉGLlSE ANGLlCAl\E : Henri VIII, Elisabeth, les puritains et les récu-
sants ; les brown~sles et leur émigration. - LES PILGRIM F ATHERS : leur ar-
rivée en Hollande; leur ernbarquement pour l'Amérique et leur débarque-
mentau cap Cod; lellr contrat civil; fondation de New-Plymouth. - LE
MASSACHUSETTS : Ses prellliers émigrants et sa premiere charte; Baston
rondé; institutions civiles de la colonie; liberté politique et intolérance
religieuse. - RHODE-IsLAND : Ruger Williams, banni du MassachusetLs
pour ses opinions religieuses, fonde Providence; la colonie devient le re-
ruge de tous les persécutés et développe ses institutions démocratiques. -


39




610 TABLE DES MATlEftES.
LE CONNECTICUT : Davenport., Eaton et New-Haven; les Blue Laws, leur
action et leur caractere. - LA NOUVELLE-ANGLETERRE : les colonies se con-
féderent; progres de la colonisation; persécutions religieuses. - La Virgi-
nie et la Nouvelle-Angleterre, noyau de l'Union actuelle. . 2-74


LIVRE III.


La Restauration et les Colonies; la eonqu~te de New-York
et la fondation des Carolines et de la PennsJhanie.


LA PRÉROGATlVE PARLEMEl'(TAIRE : les nouveaux actes de navigation ren-
forcent le systeme restrictif et rendent plus dur le pacte colonial; tentatives
de résistance de la Virginie. - LES CHARTES COLONIALES : ~inthrop obtient
la confirmation de la charte du Connectitut et Roger Williams la confirma-
!ion de celle d'e Rhode-Island; le Massachussetts perd la sienne. - LA
VIRGINIE: proteste contre les mesures restrictives du commerce; réaction
royaliste; restrictions a la liberté civile et 11 la liberté religieuse; Berkeley
et la révolte de 'Bacon. :- LE MARYLAND : persécution des Quakers. - LES
CAROLINES : constitution donnée par Locke et Shaftesbury, les colons la
repoussent; l'émigration des huguenots fran~ais. - NEW-YORK : L'ile de
ManhaHan peuplée p~r les Holla'ndais; luHe des colon s pour la liberté
civile; l' Angleterre dé pos sede la Hollande. - LA PENNSYLVANIE : William
Penn et les Quakers ; Penn vient en Amérique ; 101S qu'il donne a sa colo-
nie; sa condu1te envers les Indiens; jugement sur sa personne et son ca-
ractere • . 75-i 04


DEUXIE:\1E PARTIE.


LIVRE PREMIER.


La prérogathe parlementaire et I{'!s premieres luttes
a Tee la Franee.


LES DERNIERS ACTES DE LA RESTAURATION : les monnaies altérées en Vir-
ginie et les Iibertés municipalesldétruites ;~les réunions électorales suppri-
mées au Massachusetts; la charte de Rhode-Island et celle du Connecti-
cut confisquées. - LA RÉVOLUTION DE {688 : Guillaume d'Orange rend sa
charte, mais mutilée, au MassachuseUs; rétablissement des chartes du
Connecticut et de Rhode-Island; le Maryland devient province royale, ainsi
que les Carolines; I'Église établie en Virginie; nouvelles aggravations du '
pacte colonial. - LA SORCELLERIE DANS LA NOUVELLE-ANGLETERRE : Le dé-
mon a Newbury et a Portsmouth; les enfants Goodwin; frénésie des minis-
tres; exécutions a Salem. - LES PREMIÉRES LUTTES AVEC LA FRANCE : Coup




TABLE DES MATIERES. 611
d'reil sur la colonisation de la Nouvelle-France ; Champlain, Marquette, Jo-
liet, La Salle et la vallée du Mississipi; premieres hostilités; les Anglais
s'emparellt de l' Acadie et la perdent; ils échouent devant Quebec; le New-.
York ravagé; paix de Ryswick; seconde conquete de l' Acadie; nouvelle
expédition contre Quebec, elle avorte; paix d'Utrecht. . • • 107-135


LIVRE H.


Les PeaoI-Bouge8; l'EsclaTage et le monopole comBlerelal.


LES ORIGINES AMÉRICAINES : L' Atlantide; systemes de de Guignes et de
José Perez; divers; opinions de Humboldt et origines montgoles; les Az-
teques et la race incacique; les Mounds de rOhio et du Mississipi; l' Amé-
rique peuplée de divers cOtés et a diverses époques; langues, mreurs, cou-
turnes et religion des Indiens; empiétements sur leurs territoires. - L'ES-
CLAVAGE : Oglethorpe et la Géorgie; les émigrants de Saltzbourg et les Mo-
raves. - Le riz et l'esc1avage dans les Carolines; esclaves dans les autres
colonias. - LE MONOPOLE COMMERCIAL: l' Angleterre s'oppose a l'affran-
chissement des noir:; et s'attribue lemonopole de la traite; elle tend a la
destruction des manufacture.s américaines; irritation des colons; o~inion
d'un voyageur suédois. . • . 1 36~f 64


LIVRE IlI.


La Conqu@te du Canada.


ETAT MORAL ET MATÉRIEL DES COLONIES EN t 740 : population, instructíon
publique; les débuts de la presse et de Benjamin Franklin. - LA RUPTURE
DE LA PAIX : Walpole et Fleury également désireux de la maintenir; l'his-
toire du matelot Jenkins; prise de Louisbourg; échecs maritimes de la
France; paix d' Aix-la-Chapelle. - LES PRELUDES DE LA GUERRE DE SEPT ANS :
questions de territoire, Puysieux etLa Galissoni1iere; Dinwiddie, Jumon-
ville, George Washington et de Villiers; dé faite de Braddock a la Monon-
gahela et de Dieskau au fort Edward ; capitulation des Ga~pareaúx et trans-
portation en masse des Acadiens; attitude du cabinet anglais. -- LA tUERRE:
capture du Lys et de l' Alcide et saisie des batiment~ de comtnerce tran-
~ais avant déclaration de guerre; protestation dé Louis XV; Loudoun,
Abercrombie et Montcalm; victoire des Fran~ais a Chouagoueh; défaite
d' Abercrombie a Carillon; William Pitt aux affaires ; Amherst et Wolfe; pris
de Louisbourg; investissement de Quebec; bataille des plaines d' Abraham ;
mort de Wolfe et de Montcalm; chute du Canada. . 165-199


39.




>,


612 TABLE DES !.\lATIERES.


TROISIEME P ARTIE.
LIVRE PREMIER.


La politique anglaise et les prélude8 de llémancipation.


LA CAPITULATION DE QUEBEC: enthousiasme qu'elle produit en Améri-
que; ses suites appréciées par Choiseul, William Burke et Franklin; mot
de Turgot. - LES COLO:SIES EN {763 : population, richesses, esprit publico
- PLAN DE TAXATION POUR L' AMÉRIQVE: projets de Townshend; l'acte du
tímbre; Grenville} l' opposition et Franklin ; apostrophe de Barré; pamphlet
d'Oti,s; congres des dix colonies; Pitt, l'interrogatoire de Franklin et rap-
pel de l'acte. - PLAN DE TOWNSHEND: le sloop Liberty; le massacre de
Boston. - LORD NORTH,premier ministre: remontrances du Massachusetts;
le Dartmouth a Boston et ses caisses de thé jetées a la mer; Franklin et le
Massachusetts devant le conseil privé; fermeture du port de Boston et pré-
paratifs militaires dans cette ville. - LE PREMIER CONGRÉS CONTINENTAL:
son caractere et ses mesures. - REJET DES MESURES CONCILIATOIRES : il dé-
termine la résistance des Américains et les pousse a l'indépendance; vues
de Turgot, de Smith, de Hume; l'indépendance derniere ressource; non
désirée jusqu'au dernier moment par les Washington, les Hamilton. les
Adams, les Jefferson. . 203-238'


LIVRE n.


La déclaratlon d'indépendance et Saratoga.


LES PREMIERES HOSTILlTÉS : Concord, Lexington et Ticonderoga; l'armée
américaine; Washington général en chef; ses lieutenants et ses soldats;
affaire de Bunker-HilI. - L'INVASION DU CANADA : prise de Saint·Jean; I
reddition de Montréal; siége de Quebec; comhat des Trois-Rivieres et
retraite désastreuse des Américains. - SIÉGE DE BOSTON : Washington
s'empare des hauteurs de Dorchester; les Anglais évacuent Boston. - LA
DÉCLARATlON D'INDÉPENDANCE: état des esprits·; débats au seín du Con-
gres; Jefferson, rédacteur de la déclaratíon; accueil qu'elle trouve dans
l'armée et le pays; mission conciliatrice de lord Howe; Il est trop tardo -
CAMPAGNE DE i777 : bataille de Brooklyn; les Américains évacuellt New-
York; Washington passe l'Hudson; combats de Trenton et de Princeton;
bataille de la Brandywine; le marquis de La Fayette; les Anglais a Phila-
delphie; bataille de Germantown; camp de Valley-Forge. - CAMPAGNE DU
NORD : Burgoyne s' empare des forts Ticonderoga et. Edwards; combat de
Bennington; le fort Stanvix; les hauteurs de Bémis; Burgoyne a Sara-
toga; il capitule. ' 239-292




TABLE DES MATIERES. 61-3


LIVRE III.


L'allianee franc;ai8e et Vork-Town.


LA DIPLOMATIE FRANCAISE ET L' AMÉRIQUE : Vergennes, ministre des
affaire s étrangeres, sympathique tout d'abord a]a cause' américaine ; mis-
sions de Bonvouloir en Amérique et de Beaumarchais a Londres. -.:. L'IN-
DÉPENDANCE AMÉRICAINE DEVANT LES CONSEILS DE LoUIs XVI: rapport de
Bonvouloir; mémoire de Vergennes; mémoire de Turgot. - FRANKLlN
A PARIS : sa popularité, sa fines se ; appui latent du cabinet de Versail-
les. -.:.. LES TRAITÉS DU 6 FÉVRIER : La capitulation de Saratoga décide
Vergennes; traités d'amitié et de commerce avec les Etats-Unis;
ils sont l' ffiuvre de Franklin et de Vergennes; scrupules et ré8istances
de Louis XVI. - LA DÉCLARATION DE GUERRE : discours de Chatham;
la Belle-Poule; la bataille d'Ouessant. - CAMPAGNES DE f 778, 1779
ET t 780 : immcces des commissairesanglai8 chargés d'une mission con-
ciliatrice; évacuation de Philadelphie, combat de Monmouth et con-
centration des Anglais a New~ York; d'Estaing a Rhode-Island et ii
Boston; projet d'envahir le Canada et résistance de Washinglon ; la guerre
dans les Carolines : prise de Savannah et échec des alliés devant cette
ville; prise de Charles ton ; batailIe de Cambden : sévérités de lord Corn-
waIlis. - SITUATION DES ETATS-UNIS : arrivée des troupes fran9aises;
trahison d' Arnold; exécution du major André; révoItes de troupes; crise
financiere ; prets de la France et de la Hollande; banque fédérale; réfor-
mes financieres. - CAMPAGNE DE t 78t : les hostilités dans les Carolines;
Arnold -et La Fayette en Virginie; concentration des Fran'iais et des Amé-
ricains a WiIliamsburg; siége et capitulation d'York-Town. - LA PAIX :
elfets de la chute d'York-Town en Amérique et en Angleterre; bataille
des Saintes; préliminaires de paix; conduite des plénipotentiaires améri-
cains Jay, Franklin et Vergenñes. . 2l:J4-355


QUATRIEME PARTIE.
LIVRE PREMIER.


La Constltution et le8 deux présidenees de Washington.


ETAT DE L'AMÉRIQUE EN f783 : L'armée pousse Washington a prendre la
couronne; il repousse ces offres el rentre dans la vie privée. - LA CONVEN-
TION DE PHILADELPHIE : sa réunion; discussion et vote de la constitution;
son caractere et son mécanisme; sa ratification par les Etats. - PREMIERE
ET DEUXIEME PRÉSlDENCE DE WASHINGTON: son cabinet; Jefferson el Hamil-




6t4 TABLE DES MA TrERES.
ton; consolidation de la tleUe; répartition de la représentation nationale;
l'esclavage; troubles de la Pennsylvanie; déchainement de l'opinion et.de la
presse contre Washington; difficultés avec l'Angleterre; difficultés avec la
France; le citoyen Genet et le PetiC Démocrate. - PRÉSIDENCE DE JOHN
A DAMS: les difficultés avec la France s' aecroissent; préparatifs de dé-
fense; Washington général en chef; sa morl; deuil qu'elle cause en
Amérique; démonstrations en Angleterre et en France; Washington et
Bonaparte. • 359-393


LIVRE n.


L'histoire et la 'polltique de l'Union, de l'année 1800
jusqu'a nos jour •.


PRÉSlDENCE DE JEFFERSON : la France cede la Louisiane; équipée du
colonel Aaron Burr; le blocus continental et la situation qu'il crée a l' A-
mérique; premiere exploration du Far-west et le premier Steamboat sur
l'Hudson. - PRÉSlDENCE DE MADISON : fin des démélés avec la France;
mauvais procédés de l' Angleterre; guerre de 1812; les Anglais s'emparent
de Washington et I'incendient; ils échouent devant la Nouvelle-Orléans;
fin de la guerreo - PRÉSIDENCE DE MONROE : cession de la Floride; com-
promis du Missouri; la doctrine de Monroe; traité avec la Russie; visite
de La Fayette.-PRÉsIDENCE DE J.-Q. ADAMS : congres de Panama.- PRÉ-
SIDENCE DU GÉNÉRAL JACKSON : la banque fédérale; la nullifica tion ; attitude
du général vis-a-vis de la France. - PRÉSIDENCE DE M. VAN-BuREN:
Conflits territoriaux avec l' Angleterre; affaire Mac-Leod; questions de ta-
rif. - PRÉSlDENCE DEM. TYLER : affaire de la Crole; droit de visite;
traité Ashburton-Webster. - PRÉSlDENCE DE M. Polk : annexion du Texas;
guerre du Mexique; question de I'Orégon. - PRÉSIDENCE DU GÉNÉRAL
TAYLOR ET DE M. FILLMORE: compromis Clay; The Fugitive Slaves Act. -
PRÉSIDENCE DU GÉNÉRAL PIERCE : po:itique esclavagiste, con11it avec
l' Autriche; bombardement de Greylown; le Nicaragua et Walker; Lopez,
Cuba et la conférence d'Ostende; le traité Clayton Bulwer et les difficultés
auxquelles il donne lieu. - PRÉSIDENCE DE M. BUCHANAN : symptomes
sécessionnistes; arret Dred Scott; l'esc1avage et la guerre civile au Kansas;
entreprise de John Brown; élection de M. Abraham Lincoln; fureur des
séparatistes et connivence de M. Buchanan. - LA SÉCESSION : Les sépara-
tistes s'emparent du fort Sumter; M. Jefferson Davis et la Confédération du
Sud; la guerre civile; ses péripéties et ses phases; Mac Clellan,
Shermann, Grant, Beauregard et V~e; Hn de la guerre; assassinat de
M. Lincoln. - PRÉSlDENCE DE M. ANDREW JOHNSO~ : sa lutte avec le
Congres; abolition constitutionnell e de l'esclavage. - PRÉSlDENCE DU
GÉNÉRAL 'GRANT: accession des noirs a la vie politique; l'affaire de. l'A-
labama. . . 394-462




TAB LE DES l\IATIERES. 61S


LIVRE III.


Le territoire et la population des État8-Unis; leur organisation
publique; leurs forces morales et progressives.


1. TERRITOIRE : les Etats en f783 et en i872; superficie et dimensions.
- II. POPULATION : Statistique et émigration; Allemands et Irlandais; le.
Far-West; les Indiens, les Chinois et les Noirs. - 1II. ORGANISATION
PUBLIQUE: la justíce fédérale; la justice locale; le jury. - IV. ADMINIS-
TR!TION GÉNÉRALE : fonctionnaires fédéraux; armée et marine; finances;
la dette; l''tnterncfl revenue; les droits protecteurs. - V. ADMINISTRATION
LOCALE : le gouvernement; la législature; systeme fiscal; les travaux
publics et d'assistance. - VI. Le SYSTÉME COMMUNAL : Cities et Tou.mships;
cour des sessions; le comté du Sud. - VII. RELIGlON : le catholicisme
et son caractere aux États-U nis; l'Etat et l'Eglise: sectes extra'ordinaires;
les revivals; caractere du sentiment religieu:x. - VIII. INs~RucTION PUBp-
QUE: l' obligation, príncipe ancien mais non uni versel ; grands sacrifices
pour l'instruction primaire; instruction secondaire et supérieure. -
IX. LITTÉRATURE ET SCIENCES : théologiens, historiens, iographes, a~chéo­
logues; publicistes; juriscons~ltes; romanciers et poetes; essayists;
critiques;' bouristes et polygraphes; Franklin, RiWmhousse, Bowditch
et Rumford; naturalistes et anthropologistes. - X. INDUSTRIES DlVER-
SES: divisioIl du travail et systemes des patentes; le coton; statisti-
que et situation Rlorale de ses ouvriers; importations et exportations; navi-
gation; systemes des banques. - XI. LES MINES : Production aurifere,
argentifere, houilliere, et du minerai de fer. - XII. VOIES DE COMMUNICA-
TION : Canaux et chemins de fer; le railway du Pacifique; importance
qu'attache la démocratie a ces voie~. 463-568


Les deuI Ré~olutions.


Annexes A. La Constitution.


Index.


B. Principaux événements de l'his~oire de l'Amé-
rique ..


C. Principaux livres a consulter.


SAINT-DENIS.- UIPH.IMERIE CH. LA~lBERT.


569-1582


583-597


598-599
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