L'ESPAGNE. SOUVENIRS DE 1823 ET DE 1833. DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET, RUE DE...
}

L'ESPAGNE.
SOUVENIRS


DE 1823 ET DE 1833.




DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
RUE DE VAUGIRARD, NO 9.


1 )




SOUVENIRS


DE 1823 E T DE 1 855.


PAR 1\1. ADOLPHE DE BOURGOING.
re""'" ",<"~".¡,,.,o>"""'" ··'·.,'.1·.···",.\-,


_


_


~<:v.:':)I~!;~~F~'~"'·':"'-'. N<.', •.. ,~':."
,,' .....


Nos que 'Valemos tanto como 'Vos~ os nace-
mos nuestro rey y se~01' con tal que guardeis
nue!lros fueros:r libertades; SINO, NO.


Nous qui valons autant que vous, nous vou
s


proclamons uotre roi ct seigneur, a condition


que vous conservere1. nos priviléges et nO
s


libertés; SINON, NON.
( Pmclamation des Aragonais. )


PARIS.
P. DUFART, LIBRAIRE, ~ DELAUNAY, LIBRAIRE,


I\UE DU IIAC, N" 93. ~ AU rALAIS-I\OYAL.
1. 854.






I}ESPAGNE.
SOUVENIRS


DE 4823 ET DE ,)855.


CHAPITRE PREMIER.


('(!fs:pagnt.


C'EST un heau, c'est un rich
e pays que I'Es-


pagne! e' est un pays favorisé
de la nature! A


voir ses rivages bordés par l'O
cean et la Médi-


terranée, ses ports nombreux, s
i vastes, si s11.r8,


on doit penser que ses vaisseaux
devraient domi-


ner sur les mees comme ses sol
dats ont dominé


1




,


2 L ESPAGNE.


sur la lerre. Le savant, l' arliste, "observatc'lr,
qui voudront considerer l'interieur de ses pro-
vinces separees par des chaines de montagnes si
brusquement tranchées et si rudes a gravir, ses
plaipes si fertiles ou si nues, ses tlemes si rapides
qui bondissent dans lenl" lit sur des édats de
rocher lisses e.t polis par les eaux, puiseronl
des impressi·ons profondes, se prépj\!'erout des
souvenirs utiles a leurs travaux.


L'Espagne, ave e ses forets de sapins si som-
bres; ses bois d'oliviers d'tln vert glauque SI
mélancolique; ses palmiers gui se dressent, SI
pittoresques, dans les plaines de Valen ce et de
GrenadeJ ses ron tes blanches et poudrenscs {Jlti
se perdent daus les plaines nnies, san!? arbrcs,
sans verdure, de l~ Castille ou de la Manche, on
qui serpentent dans le fond d'nne vallée sombre
et fraiche, le long d'un torrent, eomme dans la
Navarre et I'Alava; l'Espagne, avec ton tes ses
villes et Jeurs rues si étroites qn'elles ne laissent
point péneLrer le soleil; 3vee leurs murailles
clorees, crenelées, comme du temps des Maures;




3


ses antiques mosquées si hardies, si svelles; ses
cathédrales si belles el si imposantes; ses ruines
qui marquent encore le passage d' Annibal; oh!
I'Espagne! e' est un heau, e' est un eurieux pays!


Mais 10Í'squ'on sent un soleil arde"nt qui brille
et qui calcine, et un froid piquant qui saisit,
rigoureux el inattendll, on devine'que la nature
n'a dil placer en Espagnc qll'un peuple robuste
et courageux, dur a la fatigue, d'une ame for-
tement trempét~.


Et e' est vrai !
Le peuple espagnol est un beau, un vaillant,


un noble peuple. Prencz-le dan s tous les agcs de
sa vie, vOus le trouvere:z¡ toujours le me me ,
animé de patriotisme, et dominé par des idées
grandes el suhlimes. La religion et la liberté,
voila les puissans mobiles quil'ont toujours
guidé, conduit.. Suivez-le avec Pélage oú le ~id
chassant l('s Maures, ave~Gonzalve le grand
capi taine en Italic, ou bien encore avcc Cortez
et Pizarrc en Amériquc, avec Mi na et Palafox ,
et tant d'au1:itM héros combattant les phalanges




4
de Napoléon; e' est toujours le me me peuple,
fiel' et ferme, sérieux et vaillant, soJJre et pa-
tiento De nos jours, Saragosse répond :l Sagonte.


Et ce beau royaume a des provinees dont les
moours, les usagcs, les eoutumes, sont tranehés
eomme s'iJs faisaieut partie d'une natíon éloi-
gnée et san s rapports. Les Biseayells et les peu-
pIes d'Alava sont toujonrs les belliqneux et in-
domptables Cantabres ; les Catalans sont mobiles
dans leurs affeetions, ,ífs et cnjoués, autant llue
les Castillaus sont graves, froids et positifs : et
les Andaloux, gais et ehalltans, alertes el braws,
<¡ui eonservent le souvenir du mal eomme eclui
du bien, haineux et vindicatif.., eorome iIs soul
reeollnaissans; et les Asturiens, dont rien lIe
ehange la résolution lorsqn'une fois elle est
arretée; tous ont des meen!'s variées eomme
leurs eostumes, des eostumes variés eomme la
température de leurs pl'ovinces.


J'ignore si, d' apres les désirs de quelques llO-
vateurs, il serait avantageux de ,oir tous les
royaumes gouvernés par UlJe meme charte, régis




5


par une meme loí; mais, comme voyageur, je l'e~
gretterais, je l' avoue, qu'apres avoil' porté déj~t
une atteinte si grave aux constitutions antiques


des nations, cette uniformité s'étendit encore sur


les usages et les costumes des peuples qui cOlnpo-


sent la grande famille européenne. Oú serait le


charme d'un voyage? ou scrait le stimulant de la


curiosité, si, a trois eents lieues de ses foyers, on


retrouvait une nature uniforme, s'il cxistait par-


tout la meme teinte dans le ciel, la meme végé-


tation, la meme forme de maisons, si le meme


langage et les me mes moours se retrouvaieut


encore? Mais I'Espagne, il chaque limite de pro-


vince, offre des contrastes varies comme les


pages d'un album élégant.


Vous quí ttcz les routes larges de .Franee , les


longnes avenucs gui aLoutissent ¿l ces routes; la


Bidassoa passée, vous trouvez des chemins


étroits, un cost~me étranger, des maísons a


arcades; plus de ch:Heaux ni de maisons de cam-


pagne , des églises richement ornées, des convois


d.e mulcts marchallt ¿t pas égaux et cadencés au




6 L':ESPAGNE.


son monotone d'une énormc cioche portée par
le deroier animal du convoi; des voitures a deux
breufs, petites, avec des roues pleines, eriardes;
vous rcspirez un air balsamique saturé de par-
fums bie~1faisans; vous voyez une nature toute
différente, un peuple tout autí'c. Voilá l'intéret
qui eommence pour le voyageur qui veut ,oir,
observer, raeonter; tout ditlere de la France.
L'Espagne a des bcautes, inconnues ~l notre pays,
eomme elle a aussi un genre de tristesse plus
mélancolique que tout ce que nous pouvons voir
en Franee.


-Je n'ai point la prétention de raconter l'his-
toire du peuple espagnol, ni de sa l'évolution;
ce n' est point non plus une étude approfondie
de ses mreurs, ni l'histoire de la eampagne de
1823; e' est une esquisse eonsciencieusement
tracée de quelques souvenirs de l'armée qui
franehi t les Pyrénées, et de quelques tableaux
pris sur les lieux.


Le baron de Bourgoing, dernier ministre du
roi Louis XVI a la como de M.adrid, a éerit en




,
L ESP,\C1\E. 7


1788 un ouvrage remal'quable, le premier qui
aÍt rait connaitre l'Espagne ; a Madrid, le Ta-
bleau de I'Espagne moderne se nomme le guide
des Espagnols, lant l' ouvrage de cet homme
de bien, qui a laissé un 110m "énéré dans la
diplomatie, est écrit avec conscience.


M. de Laborde est également l'auteu!" d'un
ouvrage estimé sur l'Espagne.


Le gcnéral Foy a écrit l'histoire de la guerre
de la Péninsule sous Napoléon; la mort est
venue interrompre cct ouvl'age inachcvé; le
second volume, qui contient la situatioil de
I'Espagne jusqu'a la révolution de France, est
remarquahle par la vérité des tableaux ella
prof~ndeur des vues dll célebre orateur. l' y a un langage, 'tUl argot populaire, au
mOyC'll duque! 011 souleve les mas ses contre el)
qu'il ya de plus saint et de plus sacré au monde;
rien n'était plus injllste que la guerre de Na-
poléon contre les Espagnols; rien de plus légi-
Lime que la défel1se du pays contre l'invasion
étrangere. Eh bien! ces hommes coul'ageux,




8
,


L ESPAGNE.


qui ahandonnaient les professions l,es plus tran-
quilles de cultivateurs, d' étudians, pour faire
le rude métier de soldats, ces hommes que
l'histoire appelle héros, ils furent nommés d'a-
bord insurgés, puis flétris ensuite du noro de
brigands!


Mais l'auteur de la guerre de la Péninsule,
avec une ame élevée comme la sienne, ne parle
point le langage des masses ignorantes, ne pense
point corome un peuple aveuglé par la passion;
il estime un ennemi courageux, et sait ce que
vaut un vrai patriotisme.


Si le général Foy eut vécu au moment de la
révolution de juillet, peut-etre eut-il contenu
dans de justes bornes le mouvement populhire;
peut-etre aussi son beau talent parlemen.ire
se fut-il usé sur la meule révolutionnaire. Mieux
vaut pour sa mémoire une mort prématurée.
Un poete a dit:


Ceux que favorise le ciel
Terminent jeunes leur carricre.




CHAPITRE 11.


€'21rmtt b'C!fSl'agnf.


LOUIS XVUI avait dit dans le discours d' ou-
verturc des Chambres de la session de 1823 :
« Cent mille hommes, commandés par un fils
« de France, vont franchir les Pyrénées»; et
peu de temps apres commen~a la campagne
d'Espaghe, qui était prévue depuis long-temps.


Cette guerre était utile. Louis XVIII ne pou-
vait laisscr Ferdinand VII, son parent, son




10
, , ,


L ARJ\1EE n ES})ACNll.


allié, prisonnier des Cortes: cettc guerre étaiL
conséquente avec le principe de légitimité, en
vertu duquel régnait la branche aluée des
Bourbons.


C'était une détermination hardie, que de faire
ma'rcher du meme pas sous le canon, tous ces
hornmes d'opinions diverses lJui composaient
l'armée de la restauration, et de rassembler
cent mille hommes sons le drapeau blanc, pon!'
les faire combattre contre le drapeau tricolorc
qui flottait de l'autre coté des Pyrénées, en-
seigne déployée par les constitutiollllels pour
ten ter la fidélité de l'armée fran~aise, qui comp-
tait dans ses rangs et les vétérans de la répu-
blique et ceux de l' empire, quelques soldats
de la Vendée, et ces jeunes gens qui, nés
trop tard pour' partager la gloire des guerres
de Napoléon, ne servaient que depuis neuf
années.


Chez les uns se trouvaient la prudence et l' ex:-
périence nécessaires pour commander dans des
grades supérieurs, chez les autrcs l' audace el




1,' ARl\lÉE D'ESPAGNE. 1 1


l' énergie de la jeunesse, sans lesquelles on ne
fait rien de hardi a la guerreo Avec quelque
opinion que ron cnvisage cette expédition,
toujours est-il 'Vrai que l'embarras du roi fut
grand pour choisir parmi toutes les célébrités
militaires, les généraux qui désiraient faire
partie de cetle armee, cal' les demandes arrI-
vaient de toutes parts. Les officiers en activité
de serviee, eomme eeux qui etaient en demi-
solde, sollieitaient uyee instanee l'honneur de
faire cette campagne. On vit aussi une foule
de ces jeunes gens de Paris, nes d'illustres mai-
sons ou de riches f:'lmilles, tourbillonnant
dans les salons de la capitale, user de toutes
leurs protections pour trouver des places dans
les rallgs de l'armee. Les demandes comme sim-
ples volontaires ne furent point aeeueillies :
les plus heureux virent leurs désirs satisfaits ;
beaueoup ne purent réussir, et e' était le plus
grand nombre.


Les veterans etaient jaloux de montrer aux
jeunes gens que hnil années de paix ne les




12
, , ,


L ARJUEE O ESPAGNE.


avaient point rouillés dans le métier des armes .
. Les jeunes voulaient prouver aux anciens qu'ils
étaient dignes des grades que leur avait facile-
ment accordés la restauration, qui avait hesoin
de s'entourer d'hommes jeunes et dévoues.


La poli tique et I(>s opinions n'étaient pour
rien dan s l'ardeur des jeunés qui allaient com-
battre pour remettre un Bourbon sur le trone.
L' expérience a montré que la poli tique est indif-
férente aux masses armées lors<{u' elles sont en
pays étranger. La guerre! peu importe pour
qui, peu importe quelles institutions elle doi!
relever ou détruire. La guerre! voila le hut au-
quel aspire tout homrne revetu de l'uniforme. En
campagne, disparaissent les ~nnuis de la garni-
son, auxquels va succéder la vie agitée mais
plus libre des camps. Une premiere campagne
pour un jeune homme, c'est l'avenir brillant,
ce sont des reyeS de gloire, des souvenirs pour
le vieil age, un pays nouvcau a explorer, un
bapteme de feu qui vous met l' égal des anciens;
c'est la croix, qui, large, brille éclatante, noyée




L'AR1\fÉE n'ESPAGNE.


dans un ruban rougc sur une jeune poi trine !
Pour le vétéran, c'est sonvent la derniere mar-
che a franchir pour arriver au bane du repos ,
ponr s'asseoir sons le dome doré, et, tranquille
et calme, parler de guenc jusqu'au dcrnier
battement de son ereur. Dans une campagne
s' cffaeent les lluallces d' opinion et s' interrom-
pent les discussions politiques. Chaeun ¡Jense a
soi, aux hommes qui lui sont confiés; l'esprit
est tcndu, la tete montée, le corps est fatigué;
et devant le fen du bivouac, le récit des événc-
·mens de la journée, les eonjeetures sur la mar-
che du lel1demain, l' éloge on le blame de telle
opération, le besoin de repos, se perdent les
petites haines et les animosités trop fréquentes
dan s la vie oisive des militaires en temps de
pUIX.


La campagne qui ~'ouYl'ait présentait j,les ha-
sards il eourir, des dallgers a braver; e' était done
plus que suflisaut ponr que ehaeun tenUlt de
faire ectte guerrt~. Les aneiens de l'armée, ceux
qui anient eombau'n dans la Péninsulc sous




L'ARMÉE n'ESPAGNE.


l'empire, l'imagination plcine encore des désa's-
tres de cette guerre d' extermination , bhlmaient
l' entrée en Espagne, et disaient hautement que
l'on ne savait point ce que c'était qd'une guerre
contre les Espagnols. Les autres, avee l'insou-
siance de la jeunesse, ne soupiraient qu'apres le
moment ou l' on passerait la frontic\re, et crai-
gnaient que quelque combinaiso~' diplomatique
ne s' opposat ala guerreo S'i1 faut le dire, la dé-
fiance était chez les vieux , l'al'deur du coté des
]eunes.


Beaucoup de bruits sinistrcs s'élevaient de
plusieurs bouches, avant I'entréc des Fran9ais en
Espagne. L'al'mée, disaient quelques uns, était
trop peu nombre use pour resister a toute la
population, qui devait se leve]' en masse contre
ceux qui tcntcraient de l'enverser la constitu-
tíon; c'était envoyer a une mort certainc les
cent mille hommes qui ,'oulaicnt ramener Fcr-
dinand a Madrid. Ces bruits decoul'ageans
étaient semés par ceux qui ue vouIaicnt pas <fue
Louis XVllI portal sccours a f'erdinand. Plus




L' AHMÉE D'J~SPAGNE. 15
tard, 101'S de l' expédition d' AIger, on vit re-
commencer la meme tactique. Mais des l' ouver-
ture de la campagne on sentit combien étaient
exagérées les crailltes sur les résultats de cette
guerre : dans le nord, elepuis Irun jusqu'a
la Junquiera, les populations montrerent un
granel ellthousiasme a la vue des troupes fran-
<;alses.


Moins de neuf mois suffircl1t pour occuper
l'Espagllc enticl'c ~n ee nos divisions, victo-
l'ieuses toujours ou elles trouvcrent de la resi-
stance. L'armée eut des marches rapieles a faire,
d(~s [.1 tigues ¿t éprouver, soi L lorsqu' elle traver-
sait les sierras glaeées de Penamarcla dans les
Asturies ~ ou plusieurs soldats eurent les maius
et les pieds geles, soit lorsqv'elle haletait sous le


L ....


cid embl'as(' de fAlldalousie ; partout eHe fut
admirable par sa discipline. La solJicitude de
l'autorit(' supérieure pour les besoins c/u soldat
fut constaute; les clistrilmtions de vivres se firent
COIll111e aans la vie réglée de la garnison. Aussi
.pas une seule plainLc u'eut lieu, et les Espaguols




, , ,
L ARMEE D ESP AGNE.


etaient dans l'admiratiol1 de la belle tel1ue et
de la discipline de l'armee. Les soldats furent
ee qu'ils sont et seront toujours sous tous les
drapeaux, braves sans fanfaronnade, gais dans
la fatigue, humains et genereux apres la vic-
toire.


Les troupes constitutionnelles ne {irent pres-
que nulle part de resistance série~se : aussi ilñ'y
eut guere que des combats, point de bata~lles
rangees; le decouragement s'empara d'elles,
lorsqu' elles virent qu' elles n' etaient point soute-
nues par les populations, et les chefs eux-memes,
craignant des le commencement le resultat de la
campagne, voulurent se mettre dans la position
de pouvoir traiter avec quelque avantage en cas
de défaite. e' est ce que 1'0n serait tente de croire;
car, en Catalogne, le general Mina, apres quel-
ques marches et cont~'e-marches, quelques com-
bats d' avant-poste, rentra dans Barcelonne, OU
il resta enfermé, laissant a ses lieutenans le soin
de tenir la campagne. L'illtention de ce genéral
était de fatiguer les troupes qui le poursuivaient,




L'ARMÉE n'ESPAGNE.


car, harcelé sans cesse, jamais il ne hasarda une
bataille, hien qu'il eut des troupes plus nom-
hreuses que toutes celles du quatrieme ¿orps, qui
comptait au plus dix-huit mille hommes, et qui
était ohligé de hloquer toutes les places fortes
dont la Catalogue est hérissée .


..




CHAPITRE 111.


{'entde en Q!:amllagne.


LE 6 avril, toutes les troupes réunies sous
les murs de Bayonne ou dans les eantonnemens
aux environs de eette ville, tirent un mouvement
pour se rapproeher de l'extreme frontiere. La
veille, quelques soldats s'étaient déja jetés en
Espagnc a la poursuite des émigrés, qui étaient
venus plantel' le drapeau tricolore en face de
eette armée, dout ils tcntaient en vain d'é-




branlel' la fidélilé. Des illjures grossi(~res furent
prof«()'pes contl'e les Bourholls, et un coup de
canon 1l mitraille, qni mit hors de combat
treize d' entre eux, dispersa cette troupe; eHe
ne l'eparut plns elevant le corps d'armée qni
marcha sur Madrid.


Nons eÚmes plnsienrs fois ~l combattre des
hataillolls composés de réfngiés de tontes les
nations, Fran<;ais, Piémontais, Napolitains, re-
yctus de J'uniforme de la garde impériale, ayant
sur leurs schakos l'aigle snrmonté de la cocarde
tricolore; les débris de ces bataillons tenterent
de se faire tner en héros désespérés an com-
bat de Llers en Catalogne, mais nous les com-
hattions en les plaignant : on' ne vit point nos
soIdats insulter au malheur de lem's compa-
triotes. Tous, nous éprouvames un serrement
de creur inexprimahle, en entendant les gé-
missemells occasionnés par de cruelles hlesslU'es,
s'exhaler de ces poi trines fran~aiscs; et ce fut
un grand soulagement, lorsque l' OH apprit que
le plus grand Hombre de ceux qni portaient -




, ,
L ENTREE EN CAMPAGNE.


les armes contre nous n'étaient point nés en
France.


Un régiment espagnol, l'Impérial Alexandre,
avait paru sur les hauteurs qui dominent la
Bidassoa; il fit un mouvement rétrograde a
l'approchc de quelques voltigeurs.


Dans la nuit du 6 au 7' qui fut froide et
pluvieuse, on jeta un pout de bateaux sur cette
petite riviere qui sépare les deux royaumes. Les
feux du bivouac, parfois éteints par la pluie,
d'autres fois rallumés par un vent violent, lais-
saient dans une obscurité profonde ou dessi-
naient subitemcnt la position des rpgimcns échc-
IOl1nés a droite et a' gauche de la route qui
desccnd large et droite vcrs le village de Bého-
bie, dout les dernieres maisol1s touchent a la
Bidassoa.


A trois heures du matin, la diane bat de toutes
parts, l'infanterie prend ses armes humides de
la pluic de la nuit; le révcil sonne, et avec lui
de joyeuses fanfares rctentissent au loin, éc1a-
tantes, répétées par les pchos des montagnes.




L 'ENTRÉE EN CAl'IIPAGNE.
.21


La cavalerie est 11 cheval, les voltigeurs s'élan-
cent sur le pont; quelques compagnies passent
dallS des barques; un régiment de hussards
traverse le fleuve a la nage; les régimens de
la Garde descendent et se massent sur la eol-
line a gauehe qui domine la Bidassoa. Le so-
leil eommen~ait a paraitre, et réfléchissait
ses premiers rayons rougeatres dans les pla-
ques de cuivrc des bonnels d' OUI'S de ces vieux
soldats, dont plusieurs abordaient ponr la troi-
sieme fois la terre d'Espagne. Avec nos divi-
sions, marchaient ces généraux dont les noms .
redits dans les bnlletins de l' empire annon~aient
des succes tt nos armes; la confiance sans~ bor-
nes que leur témoignait le Prince généralissime
était un bcl élogc pour la 10Jauté de tous.


Placés sur une pile détruite de l'ancien pont,
pour voir passer les premiers régimens, entourés
et demi-voilés par les !apeurs humides de la
riviere et de l'aubc naissante, ees chefs ressem-
hlaient aux guerriers d'Ossian. Le passé, rempli
de souvenirs pour eux, présageait que l'avenil'




22
, ,


L ENrnJ<:.E EN CAl\IPAGNE.


ne serait point salls gloire : et puis une armee
de cent mille hommes, commandée par HIl
Bourbon, le drapeau blanc flottant en Espagne
pour secourir le captif royal, petit - fils de
Louis XIV; une guene désintéressée, loyale;
c'était noble, e'était grand!


Au bout de quelques jours , les différens corps
d'armée etaient entrés par plusieurs points en
Espagne, et s' étendaient sur la Péuinsule comme
un lac qui se diyise en mille ruisseaux.


I1 n' entre point dans le cadre de cet ouYrage
de faire l'histoire de la campagne de 1825.
Des plumes plus habites pourront parler des
opérations militaires; de l'utilité de ceUe guene,
des avantages que l' on a pu en retirer. lei,
e' est une promeuade dout 011 a essayé de trace1'
le som-euir, en s'arretant aux étapes qui ont
semblé presenter le plus d'intén~t. Un séjouJ' (I!:
trois années dan s la téninsule a mis ~l mcme
de faire C[uclques ohservations sur ee pays, que
peu de monde counait et conlrc lcqueJ existenl
des prc.ju3cs, ellraeillcs;\ le! POilll qne les dé-




L'ENTRÉE }~.N CAIUPAGNE.


tracteurs du peuple espagnol, de ses usages, de
ses mreurs, ne se donnent meme pas la peine
d'approfondir la fausseté de leurs opinions. On
peut aUribucr ce systeme de dénigrement pour
tout ce qui a rapport a l'Espagne , aux principes
de ce peuple essentiellement monarchique. Sa
foi poli tique eL religieuse a irrité la philo50-
phie moderne, qui en a fait le but de ses traits
les plus envenimés.




CHAPITRE IV.


EN général les populations du littoraI étaient
moins hien disposées pour la cause de F erdinand
que celles des provinces de I'intérieur : mais
un fait certain, e' est que le peuple est pour le
gouvernement monarchique et religieux; e' est
que les populations entieres nous accueillaient
aux cris de : Viva el rey absoluto! Si les masses
nQUs avaient été contraires, cent mille hommes
n'eussent point suffi pour occuper l'Espagnc.




LE CLERCJi.


L'influence du clergé est immense sur le peu-
pIe, et la cause de Ferdinand étant ceUe de la
religion, c'était la cause populaire que défel1-
dait l'armée fran~aise.


Comment parler du clergé dans le siecle OU
nous "i"ons, et comment prendre la défense
du clergé espagl101 sans passer pour un fana-
tique, pou!' un homme ennemi du progres des
lumieres?


n y a tant de geus qui ajoutent foi a la ca-
lomnie; il est si commode de ne rien appro-
fondir, d'avoir d'aYance úne opinion toute faite;
on est si sur du succes quand on fait de lourdes
plaisanteries sur l'hypocrisie et l'inutilité des
pretres el sur l' embonpoint des moines! Malgré
les prével1tions existantes , il est facile de prou-
ver peut-etre, (fue les pretres seuls ont et doi-
vent avoir de l'inflnence en Espagne, et que
cette influence ils la méritent.


Le penple de tons les pays est ingrat et mo-
hile dans ses affections. On pent pendant quel-
(lue temps cap ter son suffrage, ctre porté par




26 LE CLERGlÍ.
,


luí en triomphe, étre son idoJe, e' est ehose
possihle; mais si le succes populaire est durable,
s'il subsiste pendant des siecles, si le peuple
s'identifie a un corps, a une institutiol1, an
point qu'il se regarde comme blessé dans ses af-
fections, dans ses droits, dans ses intérets, si
ee eorps, si cette il1stitution est attaquée, s'il
fait cause commune avec elle au point de tout
sacrifier pOUl' la conserver, on peut jurel' alors,
san s crail1te d'etre démenti, qu'il y a quc1que
ehose de puissant dans ce dévouement du peu-
pIe, de cet etre si changeant, et que ee dévoue-
ment est méríté.


Je considérerais I'Espaglle sous deux points
de vue : I'Espagne poétique, I'Espagne d'ar-
tiste, belle par ses sitcs pi ttoresques, ses tor-
rens, son beau eid, ses ehalnes de montanges ,
ses eostumes piquans, la belle physionomie de
ses habitans. Poetes et artistes, prenez votre
Iyre et YOs pineeaux, ehantez Grenade et l'Al-
hambra, dtssiuez ici uIIe mer (Lui se brise écu-
manle conLre des rochers dominés par l'are des




LE CLERGlÍ. 2.'"' ¡


ScipiollS; la un Grelladin el1veloppédal1s sonmau-
teau, sonpirant les ail~s de la molle Al1dalousie sous
les fenctrcs d'une monja, d'ul1e monja beBe et
vietime de la barbarie d'ul1 tuteur jaloux. Oh!
chantez et peignez cette Espague, et vos s'trophcs


et vos tableallx serontrecherchés et admirés. Mais


penétrons clallS d'autresprminees, et voyons l'Es-


pague positive, dépouillée de cette poétique don t


je vous par1ais tout a l'heure, et c¡ui m' entholl-
siasmait tant, moi jeune homme, amoureux ne
la patrie de Cortez et de Gonzalve.


,


Vous trouverez dan s les deux Castilles et la


Navarre, dans les Asturies et la pril1cipauté ele


Léon , dan s la Galice et la Manche, des plailles


eutrecoupees de chalnes de montagnes pelé es et


sans végétation, des torren s dévastateurs dalls


la saisqn des pluies ou apres un orage, sans can


pendant dix mois de l'allnée, point de bois pOlll'


se chaufrer el se garantir el'un froid aussi piquant


cl aussi rigoureux (lue les chalcurs d'été sont
terJ'ibles el dévoralltes, des venls desséehans el


froids (lui vous sllJ'prCllllcnt au milieu d'une




LE CLERGÉ.


journée embrasée. Oit sont done les douceurs de
la vie dans la Péninsule? Elles se trouvent seu-
lement dans les provinces baignées par la Médi-
terranée et l'Océan. Aussi vous ne voyez aucun
chateau, aucune maison de cámpagne dans
ces pIaines stériles, dans ces montagnes m-
cuItes.


QueI homme riche voudrait aller troquer le
hien-etre des villes contre les privatiolls de ces
tristes campagncs ?


Les pretres seuls ont affronté les ellllulsd'uu
séjOUl: constant dans ces lieux ingrats. Ils y out
vécu; iJs s'y sout succédé; ils out eu soin du
peuple, qui a vu en eux ses proteeteurs naturels.
Les pretres out répandu ehez Iui l'instruction ;
cal' e' est encore en France une erreur de croire
que rien n' est plus ignorant que le peupIe espa-
gnol.


Il n' est pas un hameau oú le curé ne se eharge
de l'éducation de quelques enfal1s, et ne leur
donne une instruetion solide et utile. Aussi, il
u'est pOillt d'alcade flui Be sache lire et écrire,




et, sous c~rapport , l'instruction est plus éten-
• due parmi cette classe de magistrats qu' elle ne


l' est en général parmi les maires de campagne en
France.


Loin d' ctre intolérant, le clergé espagnol se
mele aux plaisirs et aux divertissemens du peu-
pIe. Dans les provinces du nord, on voit le di-
manche descendre des montagnes, des jeunes
gens des deux sexes chantant leurs chansons
nationalcs, en agitant les SOJlnettes de leurs tam-
bours de basqueo lls v~ellnent danser sur la
place de l'église dans l'intervalle de la messe aux
vepres. Les pretres se promenent au milieu de
cette foule dansante, et leur présence ne gene


. en ríen les plaisirs de ce peuple, qui, habitué
), yin'c ayee les ministres de la religion, voit


1 eux des amis et non des juges séveres.
Comment, apres une telle conduite, le clergé


n'aurait-il pas un immense ascendant sur le peu-
pIe espagnol ?


II u'y a point d'aristocratie en Espagne. Il y
a des grands d'Espagne, mais qui, vivant a la




3u LE c'LEP.Gf:.


cour ou dal1s les grandes villes, lIe i;uvcnt et
ne doivcnt avoir aucune influencc sur les c1asses
illférieures. Philippe II fit des grands d'Espagne
ce que Louis XIV ftt de la noblesse fran~aise :
il les attira el les parqua a sa cour pour di mi-
nuer leur puissance et se mettre a l' abri de lellrs
clltrcprises. Le seul moycn de constituer une
aristocratie prépondérante est de la contraindre
a vivre avec les classes inférieures des campa-
gnes! II faut exister au milieu du peuple, COll-
l1altre ses besoins , le soulager, le seeourir; VOiUl
ce que fait depuis des siecles le clergé espagnol.


Que, si on l' accuse de quelques abus, nous
répondrons qu'a coté des' meilleures institu-
tions, l'homme paie son tribut a. l'humanité en
se laissant aIler a trop de force ou a trap de fai-
blesse; mais aussi ne s'est-il point' absous, ce
clergé espagnol si calomnié, dalls toutes les cir-
constances graves ou il s' est agi de I'inclépen-
dance de la patrie. La guerr(J de Napoléon était
injuste. Le sentiment d'inclépendance nationalc
exalta tous les cceurs espagnols. Qui a com~




LE CLERGÉ. 3r


menee la légitime insnrreetion? qni a réehauffé
et entretenu le patriotisme dans tons les espri ts'/
qui plus qn' aticnnc c1asse de l' éLat a payé de ses
trésors, de ses lumicres , de son sang? Le clergé !
Partont on a vu les areheveques et le hant clergé
parler an nom de la patrie, de la liberté; cal' la
l'eligion est ennemie de l' esclavage, et la religion
e' est la liberté.


Si 1'011 admet les immenses serviees rendus
par le c1ergé espagnol, niera-t-on que son in-
fluencc ne soit jnstem~nt acquise?


11 fant anx nations des institntions fortes. Les
pcuples ne font de grandes choses que lorsqu'ils
se scntent animés de cette ficvre arden te qni
transforme les hommes en héros, et rend les
penples invincibles. Le clergé espagnol a excité
an dernier degré rélan de la nation, qnÍ a dé-
ployé, inspírée par luí, une constance hérorqne
en combattant pour l'indépendance du pays. Le
clergé s' est fai t peuple; il est national, et son
inflnence sur les masscs il la conservera long-
t.emps.




CHAPITRE V.


2tbministration prouincialt.


LA premiere petite ville q!le 1'on rencontre
en entrant en Espagne, est Irun. Deux choses
doivent frapper celui qui sait voir, des les pre-
miers pas que l' on fait dans la Péninsule, et eette
obsenation est générale pour la· plus grande
partie de ses provinccs : e' est l'il1dépendance et
la sagesse des administrations provinciales.


n n'existe point un village qui n'ait une belJe
église, une vaste place, une belle fontaine pu-
hlique, et presque toujours un hotel-de-"ille qui




AD~nNISTRATION PHOVINCIALE. 33


serait remarqué dans la plupart de nos villes de
France de troisieme ordre. Toutes les villcs et
h3f1caux de la Biscaye ont, en outrr, un empla-
cement destiné a servir de jeu de paume aux ha-
bitans de cette province, qui se livrent avec pas-
sion a ce divertissement. Dans aucun pays, il
n' existe une administration plus éclairée, plus
indépepdante, plus paternclle et plus soigneuse


. .


des intérets quí lui sont confiés.
A mesure que les cOllquctes, les acquisitions ,


les héritages, Je¡¡ traités, les "lliances, eurent
réuni des provinces ou des royal~mes au domaille
primitif, ehacune de ces provinces a gardé ses
droits et ses franchises ; le niveau n'a pas encore
passé, pou!' courber ces peuples de mamrs et
d'OI'igines différentes, pour • fa~onner a une
honteuse centralisation. On peut. di re que le roí
d'Espagne , regardé, par le plus grand nombre,
comme roi absolu, est pIutot le protecteur que
le maitre des difTérentes parties de son royaume.
Ce souverain absolu n'oserait point toucher a
certaincs prérogatívcs; il se trouve plus géné


3




34 AD1HINISTRATION PIWVINCJA.LE.
pou!' ]ever des impots, et pou!' créer de llouvelles
charges a son pcuple, que ces rois de I'Europe
qui, par le mécanisme trompeur d'un gouvlr-
nement représentatif, écrasent leurs natiol1s
sous des budgets onéreux.


De cctte indépendancc des provinces , de eeHe
force et de cettc confiance en dlcs-memes, il a
surgí des résult'l,ts inespérés, impossibles il réa-
liser daus Ull pays organisé comme la Fra~ce. En
Espagne, la capitale IÚ'st filIe la prcmihe ville
du royaumc, le centre des administrations, mais
non point la ville dcspote qui pIie tOllt sous son
joug au gré de son caprice; les Pl'm inees ne sont
point cngagécs, par une basse habitude, ;. une
obéissance passive : aussi, dans la guerre de l'in-
dépendance, Ma*id pris, n'a été qu'ulle grande
v ille eutre les mains dll cOllfluérant. Il n'a point
sufli d'un ordre émallé de la capitaJe du royaume
pour que les provinces s'cmpressflsscut de COU1'-
ber la tete sous l'aigle impériak, et de saIue .. le
·vainqueul'. Non, la noble nation espagnole se
ralIia a ellc-mcmc. Vem e de ses sonverains, sans




ADlIIINISTRATION PHOVINCIALE. 35


capitale, sans trésors, sans armée, elle voulut
etre libre, et Joseph fut roi des murs de Madrid
et non des Castillans.


Ces résolutions héro'iques qui sauvent les na-
tions, les Espagnols les puiserent d'abord dans
leur fierté originelle qui a horreur du joug de
l' étranger, puis dans l'indépcndance de leur or-
ganisation provinciale et dans la puissance de
lcurs municipalites. Dcs courriers furent envoyés
dalJs toutes les pro\'inccs; le derge precha une
légitime, une saintc insurrection contre le tyran.
Il fut ecoute : il reYt~tait la liberte des couleurs
de la religion; lui pcuplc, il parlait an peuple.
La gnerre s' organisa tcrrible , le peuple espaguol
redevint libre; e,t ce q~e ne purent faire les ar-
mees orgaIlisees des souverains du Nord, les
bandes popnlail'cs de J'Espagne, les guérillas, ne
le tentereut paint en vain ; elJes empécherent
l'étabJisselnent d'une nouvdle dynast.ie sur cette
terre émil~emment monarehi({ue, et dévouée a
ses souverains légitimes.




CHAPITRE VI.


<!Etapes.


lRUN, situé a pcu de distance de la mer, lt
une lieue de .Fontarabie, est b:Hi, eomme toutes
les villes de la Biseaye, duns une heureuse posi-
tion: ]a commencent les moours et les costumes
espagnols. Les manteaux bruns et les eigarres,
les lol1gues tresses des femmes et les mantilles
noires, un lallgage qui 11' est point encore cette
langue eastillane noble el haJ'IDonieuse, mais le




.ETAPES.


ton crianl des habitans du Guipuzcoa. Des
110mmes ~l cheval, portant en travers de leurs
montures de longues carabines, des convois de
mulets , animent une route parfaitement tracée
dans un pays hérissé de montagnes et eoupé de
torrellS. Les routes royales d'Espagve sont mo-
numen tales , parfaitement entretenues, et bor-
dées, poul' la plupart, de dalles de granit pour
les piétons. Elles sont constarnlnent plus belles
que nos routes de Frauce, paree que d'abord,
étant plus étroites, elles demand~llt moins d'ell-
tretien, et que, moins fréqucntées, sous un
climat ou les pluies sont rares , elles sont moins
sujettes a se dégrader. On reconnait partout la
bonne administration des communes, et leur
soIlicitnde a veilIer aux besoins des habitan·s et
a préserver les voyageurs d'accidens. ,Il n'est
point d' endroits sur ces routes, qni montent en
serpcntant sur des moutagnes élevées, qui ne
soicnt garllis de hautes bornes pour empecher
les voitures de culhuter dans les préeipiccs, pOlU'
pen qu'il y ait apparence de danger.




38 ÉTAPES.
La Biscaye est une des pro-vinces les mieux enl-


tivées et les plus industrieuses de I'Espagne. Ses
habitans sont laborieux, agiles, lestes, et por-
tent sur leur physionomie l'image de la santé
et du bonheul', cal' presqne tons ont de l'aisance.
Les maison,s sont de jolie apparenee, blanchies
tous les ans : ce serait a tort que I'on aecuserait
de malpropreté les habitans de ce pays.


La végétation est admirable dans les -vaIlées;
les montagnes, plantées de ch<1.taigniers, soní cnl-
tivées partout ·oü. la terre peut payer le travail
de l'homrne. De nornhreux vilIages se dessinent
sur les coteaux: on ne fait point un quart d'heure
de marche sans rencontrer quelque harneau, et
ron passe par les villages d' Astigarraga, Ernani,
Andoain, avant d'al'rivcr a Tolosa, jolie petite
vilIe, riche et cornmer~antc, qui offre a la curio-
sité du voyageur des points de vue délicieux,
de helles églises , et de jolies promenades le long
de la 1'i riere qui serpente dans une prairic
étroite, dominée par des (;oIJines couronuées
oc forels.




Les Lrois pl'ovinces qui composcllt le señorío
de Biseaye, de Guipuzeoa, la Viseaya et I'Alava,
ont des privileges, des droits et des franehises,
auxque1s le gouvernement n'oserait point tou-
cher. Elles défendent leur liberté avec énergie.
Ponr elles, le som·erain se dépollille fin titre de



roi pour pl'cudre eelui de señor, et, tous les ans,
les tléputés de toutes les communes des trois~pro­
\ inces se l'éUllisseut en assemblée géuérale pour
discuter les intérHs publics.


A Tolosa aboutit la l'onte de Na val','e qui con-
duit a Pampelnne. Rieul1'est plus frais que cette
joEe \allée, rien de plus joli que les villages qui
meublent eette partie de la Biseaye. Betelu, cé-
lehre dans le pays par ses eaux minerales, attire
heaucoup d'étl'angers. Deux roehers nus, escar-
pes, elevent pcrpelldiculaires lcurs en\tes cachees
dans les nuages , asiles des aigles et des vautours,
qui descendent en 'ournoyallt dans l'ahime d'un
torrent qui horde la route; ces deux rochers,
nommes les Deux-Smurs, marquenL la separa-
tioll du Guipnzcoa et du l'oyaume de Navarre.




ÉTAP:ES.


La, cesscnt aussi les paysages verdoyans; une
plaine seche et sans verdure forme un contraste
frappant ave,c le pays boisé que vient de quitter
le voyageur.


En reprenant a Tolosa la route ~e Madrid,
on peut remarquer le luxe d'architecture que les



Espagnols deploient dans les ponts nombreux
jetés sur les rivieres que traverse la route. Villa-
franca, VilIareal, Bergara, Mondragon, meri-
tent d' etre remarques, a cause de leur position
et de leurs sites agréables. Les cMfilés de Salinas,
dangereux, si, en temps de gueáe , une colonne
s'y cngageait sans etre éclairée et fortement sou-
tenue, ont exercé le pinceau d'un peintre habile,
qui, dans un combat sanglant, y fIgura comme
aeteur. Legénéral L~jeune a peint l'attaque d'un
convoi dans la guerre de l'indépendance, et ce
tableau attira tous les regards comme tout ce
qui rappelle les hauts faits .des armées de l'em-
pire. On voit a droite et a gauche des défilés de
Salinas, des maisons crénelées et autrefois en-
tourées de palissades, qui servaient de refuge a




ÉTAPf~S.


quelques compagnies d'infanterie destinées a
protéger ces terribles passages, faciles a défendre
avec peu de monde contre une armée nom-
breuse.


On monte encore apres avoir dépassé le bourg
de Salinas; puis les montaglles s'abaissent insen-
siblement, et l' on aper<;oit la capitale de l' Alava,
Vittoria, batie au milieu d'une plaine fertile et
hien cultivée. Cette viIle a quelques beaux mo-
numen s , entre autres une place réguliere entou-
rée d'arcades, sous lesquelles se l'éfugient les
promeneurs dans le mauvais temps : cette place
sert.aussi aux combats de taureaux. Un jardin
public que l' on nomme la Florida, parfaitement
dessiné, orné de vases et de statues, est le ren-
dez-vous de la honne compagiüeet des jolies
femmes de Vittoria.


Courhons nos fronts en traversant ces plaines,
ou nos armes re<;urent un échec terrible, dans
cette sanglante hataille livrée par les Espagnols
réunis aux Anglais. Les ossemens dé nos soldats
blanchissent dans les champs de Gamarra l coté




IÍTAPES.


de eeux de leurs enuemis, et sur les coleaux qui
dominent la vallée a l' ouest, on trouve eueorc
des armes rouillées, des boulets et des débris de
fusils. Ce fut le dernier effort de l'armée fran-
~aise en Espagne : cHe passa ensuite rapide-
ment la frontiere, et le midi de ]a france fut
envahi.


A cinq lieues de Vittoria, l'Ebre partage Mi-
randa, la premiere ville a l'entrée de la Castille,
I'Ebre, fleuve célebre, qui scnait de limite it
l' empire de Charlemagne; mais a Miranda ce
fleuve· est eneore peu large , cal' il est pres de sa
so urce , qui sort des montagnes des Asturies.


Dans la Biscaye les routes sont assez fréquen-
tées, paree que eette province a une population
nombreuse, que les villes et les villages SOllt
rapprochés les uns des autres; mais en entrant
dans la Vieille-Castille, on trouve rarement que1-
ques voitures de roulier : les transports se font a
dos d' anes el de mulets. Ces plaines Hues, désel'tes
d'habitations, sans arbres aillcurs qn'aux ellvi-
rons des v illa.aes, c'Joigués les lIns des autres de • 0 l




43
eil1q et six lieues, impriment une tristesse indi-
eible. La Vieille-Castille, e' est I'Espagne dépour-
vue de toute seduetion, eomme le royaume de
Valenee et l' Andalousie representent I'Espagne
avee ses eh armes , ses souvenirs brillan s , toute
sa poesie.


Apres Miranda, on s' enfonee dans les défiles
de Paneorbo, dont les rochers s'élevent en pre-
sentant les formes les plus bizarres; la route,
quí catoie un petit torrent, s'ouvre passage
entre ees masses gigantesques, qui souvent ne
presentent point d'issue et vous cnveloppent
san s que l' on puisse deviner la maniere d' en
so1'tir. Ces défilés inexpugnab1es, 01'1', comme
ceux des Thermopyles, trois cents hommes
sufliraient pour arretcl' une armee, couvrent
merveilleusement, ainsi que ceux de Salinas
et de Somo - Sierra, la ville de Madrid, et
permettent el' en défendre au loin les app1'o-
ches.


A six licues au-clela de Miranda, sur la droi te
ele la route, se présente Búviesca, entouree de




44 ¡¡TAPES.
quelques vergers la finissellt les arhres, et
l'ceil du voyageur ne trouve plus pendant une
route de sept lieues gui conduit a Burgos, :l
travers le pays le plus triste peut-etre de I'Eu-
rope, d' autre vegetation que celle des bruyeres
et des genets qui croissent clair~semés et rahou-
gris dans cette plaine mónotone.


Burgos, capitale de la Vieille-Castille, jadis
riche et cómmer~ante, off re l'aspeet de la décn-
dence. De jolies promenadesbordeub l' Arlan~on,
sur lequel sont jetes trois ponts batis avec soli-
dité, comme le sont tous les om:rages des Es-
pagnols. Une magnifique cathédrale, dans Ia-
queIIe on admire une grande richesse d' ornemens
et quelques tableaux de Michel-Ange, contraste
avec les maisons qui tombent en ruines.


Llerma, sur l' Arlan~a , a gauche de la route,
sur un mamelon, étale d'une maniere pittoresque
ses tours earrées, ses nom.breuses arcades el
ses murailles crénelées; mais que l' on se garde
de pénétrer dans l'intél'ieur de la ville : la saleté
et la misere y présentent un tablean hideux.




IlTAPliS. 45
Au milieu de la plaine la plus stérile du monde


s' eleve Aranda, partagee en deux par le Duero,
qui Goule jaune et vaseux entre des rochers in-
eultes; Aranda, dont les murailles tomhent
démantelées, présente l'aspeet de la pauvreté,
comme ses paJes habitans présentent celui de
la faihlesse. Cette ville eut une journée de triste
eéléhrité, a une époque OU brillait de l' éclat le
plus v ifla gloire castillane. Lorsque Charles-Quin t
débarqua a VilIaviciosa pOUl' venir s'as~eoir sur
le trone d'Espagne, le puissant génie qni avait
fait proclamer a Madrid Charles, roi de Castille,
qui étendit la prérogative royale, arrcta les
entreprises des grands, et forma une al'mee .in-
dépendante des barons ponr contre-balaneer leur
pouvoir, ({ui résista seul a la nohlesse alarmée
de ses entreprises, qni rempEt les tresors dn
roi, et sontint deux guerres étrangeres pendant
une régellce de vi'ngt mois, le cardinal Ximenes,
épuise d'austél'ités et de travaux, mais dont
l'ame avait conserve tonte sa vIgneur, se fit
transporter ~l ArauJa ponr alIer an-dennt de




46 ÉTAPES.
son souveralll. Mais lesseigneurs flamands,
venus avec Charles-Quint en Espagne, jalollx
de ce grand homme, craignant son influence,
dicterent aujeune et ingrat monarque U~le froide
lettre de remercimens, dans laquelle le cardinal
était invité a se retirer dans son diocese de
ToICde. Les expressions quí lui annon<;aient que
ses 'services étaient méconnus produisirent sur
cette ame si fortcment trempee, un plus funeste
eífet que les vicissiLudes d'une vic politique si
agitée. Ximenes expira de douleur, deux heures
apres la réception de cette lettre, monnment
d'ingratitnde d'un roi qui lui dcvait Ja cou-
ronne, et le commencement d'nne puissance


.


qni a en tant d'inflnence sur les destinees des
deux mondes.


Puis, Somo-Sierra, misérable hameau com-
pose de quarante maisons, situé sur le hant
d'une montagne longue, roide, sonvent cou-
verte de neige et d'un abord diflicile; Somo-
Sierra, célehre par le combat liue sous les yenx
de Napoleon , le 29 novcmhre 1808, aux Espa-




I\TAPlcS.


gnols, qui défendirent avee intrépidité ee démé
famcux. Irrité de la eapitulation de Baylen,
Napoléoll aceourait d'Erfurt, ou il avait re~u
de l' empereul" de Russie des assuranees de paix,
pour prelldre, lui-meme, le commandement de
l'armée d'Espagne, renforece du corps du maré-
chal Lefebvre, et donner une impulsion nouvelle
aux opérations d'une guerre qui trainait en lon-
gueur, et qui s'annon<;ait· sous de facheux au-
spiees. Napoléoll avait dit ; « Murat et Godol
« m' ont trompé: la nation espagnole montre
( une éuergie ~l laquelle j' étais loin de m' at-
( tendre. Si la lutte continue eomme elle a
« eommenee, a v ee des prédications, des croix
« et des hal1nieres, les pretres et les moines
( leront marcher contre mon armee jusqu'au
(( clernier Espagllol. »


La route qui mene a Madrid est bordée ~l
gauche par U11 ra,'in profond, au has duquel
roule un torren t rapiele , et domillee des deux
eotés par des montagnes pelees, al'ides, déchi-
rces par de profoJl(les crevasses. Les Espagnols




48 ÉTAPES.
avaient placé sur ces hauteurs une nombreuse
artillerie et garni les défilés de tirailleurs ran-
gés sur les rochers qui dominent la route.
Leurs meilleures troupes, par un feu terrible,
défendaient la chaussée enfilée par leur artille-
rie; la position paraissait inexpugnable. Les
premiers régimens du maréchal Victor s'avan-
'{aient sous le feu sans fitire de progres rapides,
lorsque N apoléoll donna l' ordre a l' escadrpn de
lanciers polonais de service aupres de luí de
charger la batterie ennemie. Cette cavalerie fut
d' abord ramenée; mais ralliée par ses ehefs,
suivie par le régiment entier, elle gravit la mOll-
tagne, eulbute l' ennemi, s' empare des canons
et enleve en un instant la redoutable position.
Cette eharge de eavalerie, la plus brillante dont
fasscut mentÍon les annales de gloire des troupes
impériales, aequit pour jamais aux Polonais cette
réputation qui survéeut aux désastres de l' em-
pire, et les naturalisa Fran~ais. Huit offieiers
furcnt tués ou blessés grievement. A ce eombat
fut bIes sé le eomte }lhilippe de Ségur, auteur de




49
la campagne de Russie, quí, dans un style
entrainant, a donné a ce drame l'intéret d'un
romano


Buitrago, Lozoyuela, Cabanillas, San-Augus-
tin, Alcohendas, sont l~s seuls points qui,
semés dans ces plaines nues , sans verdure, des-
séchées par le soleill'été, glaciales pendant l'hi-
ver, attrist~nt le voyageur par l'air misérable et
sale de leurs hahitans, dont les vetemens déchirés
laissent entrevoir des corps amaigris et débiles.
On dirait que Madrid est un centre OU aboutis-
sent la misere et la panvreté, et qu'a mesure
que les rayons s'éloignent de la capital e dans les
autres provinces, on retrouve activité, force,
vigueur et richesse.


Mais voici Madrid, qui 'se présente bati sur un
plateau immense, point le plus élevé de l'Espa-
gne, plaine aride, i,nfertilé, sans entoul's, sans
un seul arhre, ni village, ni fauhourg, qui an-
non ce l'approche d'une grande ville; Madrid,
que l' on surprend a l'improviste comme si l' on
arrivait sur un corps d'armée qui, négligeant de


4 "




50 f:TA PES.
se garder, ll'aurait autour de tui ni vedette, ni
a"ant - poste, ni grand' garde; Madrid, place
comme une tente, oasis au milieu d'Ull desert;
Madrid qui dresse dans les airs les fleches de ses
nombreux clochers et arrondit les arcades de ses
couvens et les domes de ses églises.




CHAPITRE VII.


Jlta'bri'b.


LORS de Carrivée a Madrid des lroupes fran-
~ises, dans les premiers mOmens de desordre
et d'inquiétude inseparables de l'occupation
d'une grande ville par une arrnee étrangere, on
laissa la plupart des officiers dans les quartiers
occupes par les differentes tl'oupes. Peu de temps
apres, lorsque le service fut regularise, des billets'
de logement furent distribues, et chacull se fai-




.l\IADHID.


sait, a"Vcc joie ou chagrín, part de son bonhcul"
ou de son désappointement, seIon que le hasard
luí avait donné des hates aimabIes ou enlluyeux.


MaurÍcede Trans était capitaine dans un de
ces beaux régimens de ca,alerie de la garde
royale, modeles de discipline et de bravoure,
aussi imposans par leur belle tenue qu'admira-


. ,


bIes par leur fidélité. C'était un de ces jeunes
gens qui , nés d'illustres maisons , servaient pour
l'honneur de servir le 1'01; prodigue de son sang,
insouclant de sa vie, Iorsqu'il s'agissait de prou-
ver son amour a la France, cal' il confondait
dans ses scntimens et le roi et la France. Jcune,
riche, espoir d'une famille dont il était l' idole ,
Maurice était remarqué dans les salGns de Paris
par ses manieres éIégantes, son caractere aima-
ble, son esprit orné, autant que dans sa caserne
il était aimé de ses soldats, a cause de sa tournure
martiaIc, de sa franchise > de sa connaissance du
service militairc, de sa justice et de sa sévérité.


Lorsqu'il eut re~u son billct de Iogement, iI
se di~igea calle de HortoIeza, wrs une maison




MADRID. 53
de belle apparence, pres de la porte de Fuen-
carral, a pcu de rlistance du quartier occupé par
son régiment. Un domestique vint lui ouvrir la
porte, et le mena dans un bel appartement qui
lui était destine.


Maurice était logé chez le marquis de Casa-
mayor, député de la viHe d' Alcala-Ja-Real en
AndaIousie, ou iI avait de grandes propriétés,
a l'assemblée des Cortes. Ji ava laissé la com-
tesse Blanca, sa filIe, a sa srenr la comtesse de
Salzedo an moment OU Ferdinand était emmené
a Cadix. La vie dn marquis de Casamayor avait
été orageuse. Irrité de la faveur insultante de
Godol, il gemissait des abus introduits dans le
gonvérnement, revait la régéneration du peu-
pIe espagnol, avait cru la voir dans la nouvelJe
dynastie que Napoléon voulait élever sur le trane
de la Péninsule; et apres le départ de Charles IV
et de Ferdinand il avait été attaché a ]a cour de
Joscph. Le marqnis de Casamayor, au retour de
Ferdinand, avait vouIu laisser s'écouler quelque
temps :want de revenir en Espagne , et il avait




54 MADl\ID.
fixé son séjour a floren ce , ou il passa huit an-
nées occupé de l' éducation de sa chere Blanca,
sur laquelle iI avait concentre toutes ses affec-
tions.


Au moment de la révoIution Casamayorfit
partie de cette assemblée qui, a l'exemple d'une
assemblée trop célebre en France, voulait juger
son rOl.


L'arrivée d'.officier de la garde fran9aise
dans cette maison jeta quelquc troubIe, et
causa quelque embarras. Maís l'armee s'occupait
peu de politique, et elle ne seconda aucun es-
prit de partí; elle combattit lesconstitutionnels,
mais ne servit jamais les vengeances particulieres.
Loin de la, ce fut en quelque sorte une sauve-
garde contrelespassions exaspérees, d'avoir chez
soiun officier fran~ais. L'armee resta toujours
étrangere aux réactions qui purent avoir lieu
apres la contre-revolution.


Maurice, apres avoir pris possession de son
nouveau logement, demanda s'il pouvait se pré-
senter devant les dames de la maison. Il fut in- -




MADRII). 55
troduit dans un de ces vastes appartemens comUle
011 en \ oit dans les hotels ou principales maisons
de Madrid, eleves, larges, immenses i plus agréa-
bIes a habiter l'été que dan s la saison d'hiver,
cal' toutes les précautions ont été prises contre
la chaleu!' insupportable de ce climat, et au-
cune contre le froid plus insupportable encore.
Au fond de l'appartement était une table ronde,
sur laqueIle se tronvaient des ~um de musi-
'que, de ;dessins et des livres italiens. La com-
tesse de Salzedo etait assise sllr un canape, eta
coté d' elle était Blanca.


Blanca, la plus helle des filles nées sous le ciel
d' Andalousie, sous ce ciel brillant qui imprime
aux femmcs de eeUe contrée un genTe- de beauté
si poétique, qui colore d'une teinte brune des
joues pajes sur lesquelles s'abaissent des cils noirs
et reeourbés <¡ui voilent un regard si tendre 100's-
(fue leurs yeux réfletent quelque douce impres-
sion de leur cceur, et qui ajoutent tant de fierté
a leur regard lorsque leur ame si vive est animée


• d'llU selltiment d'amour ou de jalousie. La filIe




56 MADRID.
du marquis de Casamayor étaÍt remarquablement
belle; elle ressemhlait a une de ces divines créa-
tions de Murillo, qui prenait ,pour peindre les
etres angéliques dont il a peuplé le eiel, ses mo- .
deles dans la provinee qui avai t donné le jour ~l
Blanca.


Bien que Mauriee eut assisté a toutes les fe tes
brillantes de Paris, ou est eonvié tout ce que la
capitale offre • femmes jeunes et séduisantes;
bien qu'il elit vécu au milien des cercles les plus'
distingués, néanmoins le caractere partieulier
de beauté de Blanca, son air de noblesse et de
gravité, la dignité répandue sur toute sa per-
sonne lorsqu' elle se leva a son approehe, pro-
duisit une impressi~n qui le troubla; et iI eút
été diffieile de reconnaltre a sa timidité le mili-
tairc fran9ais, embarrassé devant une femme, et
l'hommc de salon, qui trouva a ~ine quelques
mots a balbuticr pour exprimer a ses hotesses le
déplaisir qu'il éprouvait de leur causer )'ennui
d'avoir a 10ger UII officicl' étranger.


Un heureux incidcnt ,int it son aide. Mauricc •




MADRID.


voulut s'exprimer en espag.t1ol; mals il parlait
assez mal cette langue, et, des les premiers mots,
confondant quelques cxp~cssions qui changeaient
tout-a-fait le sens de ses phrases, iI tenta de se
reprendre, et s' embarrassa encore davantage.
Blanca sourit, et lui répondit en fran~ais. Des
ce moment, MalU'ice était sur son terrain : n'é-
tant plus. ohligé de tourner toujours dans le
meme cercle des phrases et des mots qu' il con-
l1aissait, i1 fut ce qu'il était, d'une politesse
exquise, spirituel sans prétention, et sa pre-
miere visite put laisser a la comtesse de Casa-
mayor et a madame de Salzedo l'opinion que
loin d'avoir un hote incommode, le hasard les
avait servies a merveille, en leur envoyant un
officicr aussi distingué par ses manieres que par
l'élévation de ses sentimel1s.


Maurice, de retour aupres de ses camarades,
fut interrogé avec.empressement sur son billct
de logemeJlt; mais il s'exprima avec beaucoup
~e reserve sur le compte de' ses hotesses, et ne




58 \IADRILI.


dit nen tJui pul dOllner a penser que, sous
le meme toit que lui, vivait la plus beBe per-
sonne qui cut jamais imprimé ses pieds andalous
sur la poussiere du Prado, ou pressé de ses ge-
noux les nattes d' espart qui tapissent l' église de
San-Luis.


L'éducation des femmes espagnoles est,' en
geueral, négligée : imparfaites musiciennes,
peu versees dans 13 litterature et les langues
étrangeres, ne s' occupant point de ces ouvrages
dans Jesquels excellent les femmes fran~aiscs,
elles ajoutent peu d'agremens ~l ceux qu'elles
re~oivent de la nature. En revanche , elles nais-
sentpresque tOl~jours belles, spirituelles et re-
marquables par leur tournure sracieuse; si elles
seduisent par la mohilite el J'exprcssion de leul'
physionomie, elles connaisscnt aussi, au supreme
dcgré, I'art de plaire. Douees d'une extreme vi-
vacite, causant avec gra.ce et facilite, ll'excluant
meme point une certaine familiarité dans 13 con-
versation, leur eoquetterie est sans apprct, paree
({U' elle est innee eH elles; mais lOl'sqll':, tant de




MADRID. 59
charmes elles joignent ceux d'un esprit cultivé,
lorsque quelques défauts du caractere national
sont corrigés par. une éducation soignée, alors
il est difficile de rien imaginer de plus séduisant
qu'une Espagnole.




CHAPITRE VIII.


tlJÚtnca.


UN mois apres son arrivée a Madrid, Maurice
était éperdument amoureux de Blanca. Il la
voyait tous les jours, autant qu'ille pouvait; il
se reprochait parfois d'etre indiscret dans ses
visites assidues; mais il ne laissait néanmoins
jamais échapper une occasion de la voir. Il avait
lu dans cette ame atdente, mais pure; il s' eni-


. vrait chaque jour de ces conversations dans les-
quelles Blanca déployait tant de charme et d' es-
prit : ils parlaient ensemble de I'Italie, de Rome,
de Florence, de cette ville, patrie des arts , sé-




jour enchallteur, OU Blanca avait passé huit an-
nées. Le comte de ***, oncIe de Maurice,
ministre a Florence, avait recu souvent a l'am-


.


bassade M. de Casamayor : c'était un point de
contact entre eux, sur lequel tombait souvent
la conversation.


Une intimité extreme s'établit entre les trois
habitans de la calle Hortoleza. II avait été décidé
que le régiment de Maurice tiendrait garnison ~l
Madrid jusqn'a la fin de la campagne. Madame
de Salzedo trouvait plaisir dans les fréquentes
visites de Maurice, et le regardait comme un
appui dans ces temps de troubles, ou aucune
question n'était encore résolue pour aucun partí.
Blanca n'assistait point aux fetes qui furent don-
nees a Madrid: elle s'abstenait meme de paraitre
dans les lieux publics; mais, plusieurs fois, ces
deux dames consentirent a servir de guides a
Maurice, pour lui montrer ce que Madrid offi'e
de remarquable; et c'est avec eux qlÍe nous
parcourrons la capitale du royaume d'Espagne.




CHAPITRE IX.


<!EL palacio-RtaL. - .f'21rmtria;


« Vous qui parlez aveé enthousiasme de ma


-beBe province, dit. un jour Blanca a Maurice,
vous qui auriez désiré faire partie du corps d'ar-


mée qui marche sur Grenade, vous devez étre


curieux de voir le lieu OU sont conservées les


armures des vainqueurs et des vaincus, des Cas-


tillans et des Maures. L' Armeria vous fournira


des souvenirs 'ou vous pourrez lire l'histoire




F.L ]'ALH:ro-ILEAL. - I:.4.lllUERIA. G3
tl'Espagnc écritc en 1l0hles caracteres. Chaque
siec1e y cst la vivant, éclatant de la gloire de
ses grands hommes, resplelldissant encore dans
ces m'mures sous lesquelles ont palpité de grands
cceurs. ))


Madame de Salzedo, Blauca et Maurice se
dirigerent au chateau royal, désert a cette épo-
que, cal' Ferdinand était encore a Cadix. L' Ar-
meria est un immense h:Himent, formant un
coté de la ,aste COlU' située en avant de ce palais,
qui, bati par Philippe V, rappelle, quoique
inachevé, le chúteau de Versailles. Ce roi avait
hérité du gout de Louis XIV pou)' le grandiose.
Situé au nord-ouest de Madrid, le palais do-
rnme une partie de la ville et toute la vallée
du Man<;anarez, que l'on voit eouler, souvent
épuisé d' eaux, au has des jardins projetés par
Philippe V, n'offi'ant a présent encore qu'un
terraill incnlte. A u nord, I'horizon est horné
par tes montagl~es du Guadarrama , pl'esque tou-
jOUl'S couvertes de neige, qui imprégnent d'un
froid glacial ces vents si redoutés <.fui viennent




64 EL PALACIO-REAL. - L' ARl\IERIA.
surprendre l'habitant de Madrid au milieu des
journées les plus ehaudes de l'été'.


Le palais, dépeuplé de gardes, sembla triste
a Maurice : privée de son roi, bien qu'animée
par une nombre use garnison et par un mouve-
ment de guerre inaccoutumé, eette capitale se
ressentait de l'absence du souver::tÍn. Le drapeau
espagnol avec ¡,es coulel.lrs vives, emblemes des
sentimens de cette nation arden te , ne flottait
point sur le vaste édifice, qui semhlait porter
le deuil de son maitre : tel un guerrier, dans des
jours funebres, se dépouille d'un éc1atant pa-
nache. Pour les monarchies, l'absence ou les
malheurs des souverains légitimes rejaillissent
sur les peuples en longs reflets lugubres.


Ces réflexions, Maurice se gardait de les faire
devant Bla~ca; la position de son ph'e les lui
interdisait : aussi, aprcs avoir admiré le site
magnifique qui se déploie devant les yeux, de la
cour intérieure du pabis, ils entrcrent dans les
salles ou sont suspendues des armes de tous les
ages; vaste arsenal OU brillent les efforts de l'es-




EL PALACIO-REAL. - L'AIL1I.ERI¡\. 65
prit humain pour attaquer et se défendre, OU
un siecle accuse d'ignorance eelui qui l'a pré-
cédé, OU la sciellee et les arts Ollt embelli, rendu
plus eommodes et plus meurtriers les instrumens
de la mort. De tant de rivaux de gloire qui por-
taient fierement la téte couvcrte de casques étin-
eelans, qui défendaient de nobles causes derriere
les éclairs de leurs glaives, a peine si quelques
noms arrivcnt a la postérité! mais ceux-Ia sont
redi ts avec en thousiasme; les poctes les chan-
tent, les peintres les font passer aux siec1es a
venir, et les soldats s'inclinent et se découvrent,
émus et respectueux, devant les dépouilles de
ces héros.


r( Arretons-nous, dit Blanca, devant cette
« armoire de glaces, dans laquelle sont suspen-
« dues les épées du Cid, de Roland, de Gonzalve
« le grand capitaine, de Pizarre, d'IsabeIle, de
(o( Cortez : l' épée de IIernand Cortez, Maurice,
c( c' est toute la vie de ce grand homme, e' est
« tout un siecle; c' est le monde aneien inondé
«( des richesses du llouveau; e' est le nouveau


.5




66 EL PALACIO-REAL. - L'ARl\'TERIA.
« monde envahi par la eorruptiOll de la vieille
« Enrope; e'est 1'01' Cfui réeompense et qui cor-
« rompt; e' est une révolution dans les esprits,
( un progres dans les lumieres, le eulte du vrai
f( Dieu rempla~ant les saerifices humains, un
~( peuple de sauvages massacré par des Enropéens
« cnpides, une histoire fabuleuse que cette con-
« Cfuete faite par d' audacieux Espagnols, déei-
« més par un climat insalubre, par des fatigues
( inou'ies, et guidés, dominés par un homme
« qui eut a lutter eomme Annibal, eontre l'in-
« gratitude de sa patrie, qu'il venait d'enriehir
« de trésors inépuisables.


« eomme eette épée si simple, sans orne-
« ment, hattait sur le flan e de son généreux
(( coursier, lorsCfue le héros, a la tete de ses
«( quatorze eavaliers, s'eIalll;;ait, monstre iu-
« eonnu, centalU'e d'Europe, sur ces peuplades
( auxquelles il apparaissait eOÍnme un dieu ven-
« genr, annoucé par les prophéties qui prédi-
{( saient la chute' de Montézuma! eomme sa
« bonne lame de Tolede, si brillante encore,




FT, P,\.LACIO-nEAL. - L' AR1HERfA. 67


« étillcelait a sa main, lorsqu'il guidait ses hardis
( compagnons sur les phalanges si nombreuses
«( des Mexicains ! Cortez arriva a Madrid, mandé
(( par les courtisans de Charles-Quint, pour venir
(( y rcndre compte de sa conduite; Cortez, in-
« quiété pa'r des intrigues de cour, inconnu
(( dan s ces salons du Buen-Retiro, au milieu de
(( ces seigneurs flamands venus a la suite du
«( nouveau roí, lui COl'tez , vice-roí du Mexíque,
(( don! l'épée seule est une des gloircs de l'Es-
« pagne, dédaigné, méprisé par ces hommes qui
« n'anraient pn le suivre an milieu des dangers
« surhumains qui augmentaient le prix d~ sa
« conquete !


( Un jour Cortez, humilié, traversait silen-
( cieusement la Plaza-Mayor; une foule nom-
« breuse se pressait devant une voiture : e'était
(( ceHe d'un illustre prisonnier . .Fran~ois JeT ar~
c( rivait a Madrid pour etre enfermé a l'Alcazar.
«( Ces deux grands hommes étaient dans Ja capi:--
« tale de I'Espagne a la meme époque.- L'un,
« dit Maurice, plus humilié d'une défaite a la




68 EL PALACIO-REAL. - L'AR~r:ERIA.
« cour que l'autre des disgraces de la guerreo
ee Ces deux héros pouvaient se comprendre :
( si Fran<,:ois Ier eut été le souverain de Cortez,
e( le ~ainqucur de Montézuma ne fút point mort
(e de chagrin, délaissé, méprisé par le froid et
(e égolstc Charles-Quinto »


L'armure de Cortcz est la, complete, avec
sa selle et l' équipcment dc son eheval. Hernand
avait une grande amedans un petit corps; sa
cuirasse en 10is, bardée de cuivre ciselé, est
ccHe d'un homme au - dessous d'une taille
moyenne.


lci, l' épée de Pizarre, soldat de fortune, dont
la grossiereté faisait contraste avec les manieres
élégantes de Cortez : Pizarre, homme brave,
qui tcrnit sa gloire par une cruauté inoulc en-
vers le peuple pacifique du Pérou et la racc
débonnaire des Incas.


« CeHe du grand capitaine, dont la mémoire
(e est si chere aux Espagnols, Gonzalve, chanté
« dans nos romances nationales. l) L'épée du
grand capitaine est comme ceHe de tous ces vail-




EL PAI,ACJO-REAL. - L'ARIUERIA. 69
lans hommes : on u'y voit ni ciselures, ni pierre~
ríes. La nacre n'y joue point a'/ec ses mille reflets
d' opalc au milicu des trophées gravés sur l' 01' ;
la garde est recouverte en cuír noír, et l' on y
aperc;oit les traces d'une main vigoureuse qui
maniait le fer avec force ct adresse : c'est que
dans ces temps OÚ l'artillerie était peu connue,
l'homme dc gucrre unissait a la valeur de l'ame,
la force du corps.


(( Remarquez, Maurice, cette armure com-
(( plete, modele de goat ct d'un tl'avail exquis,
(( avec des brassards) une tunique de velours
(( cramoisi, un heaume surmonté de plumes,
( un casque léger, poli, brillant; cette armure
« couvrait le corps délicat d'Isabelle. Cette épée
«( courte me semble hien pesante pour la main
« d'une femme.


«( Voici les armes d' AIphonse VIII, d' AI-
(( phollse IX, d' AIphonse XI; ceHes de saint
«( l'crdinand, qui enIeva aux Maures SéviUe,
«( Cordouc, toutc l' Andalousie; celles de Charles-
(( Quint, damasc¡uinées, étincelantes, magnifi-




70 EL PALACIO-REAL. - L'ARMERIA.


(( ques ..... - Oui, reprit Maurice; mais on n'y
(( trouve point, comme sur ceHes de son ri"tal ,
(( des coups d' arquehuse et d' estocade; cal' ce
(( souverain ne se lan<;ait point, comme Fran-
C( <;ois ler, au milieu de la melée.»


lIs admírerent encore les éclatans équipemens
de guerrc des Maures, de ces ennemis galans ,
hra~es, fastueux, contre lesquels les Espagnols
ont lutté pendant sept cent quatre-vingts ans:
leurs armes, leurs cimeterres courbes ,. terriJJles
instrumens de la mort, leurs haches de com-
ha!, leurs cymhales aux sons éclatans qui,
s'unissant aux chants de guerre, dominaient
les cris des blessés et le rale des mourans; des
housses richement brodées, quí couvraient leurs
rapides coursiers d' Arahie. (( Eh lJien, Maurice,
(( animez ces restes d'armures qui ont traversé
« des siecles, tandís que les corps qui les por-
(( taient, desséchés depuis long-temps, ne sont
(( plus que poussiere ;. transportez-vous ~ Tolede
(( ou a Grenade, et di tes ce qu'il y a de plus
(( étol1nallt de la résistauce des Maures ou d/:




,
EL PALACIO-REAL. - L ARl\IERIA. 71


/( la constance de neuf siecles des Espagnols ! »
A la voute de l' Armeria, flottent des drapeaux


conquis a la bataille de Lépante. Cervantes y figura
comme un brave soldat, et y perdit la main
gauche. Ecoutez Miguel de Cervantes Saavedra,
qui dit : «Perdio, en la batalla naval dc Lepanto,
« la mano isquierda de un arcabuzazo, herida que
(e aunque parece fea, ella tiene por hermosa, por
(e haberla conrado en lo mas memorable y alta
«( occasion que vieron los pasados siglos ni es-
(e peran verlos venideros, militando debajo de las
(( vencedoras banderas del hijo del rayo de la
«( guerra, Carlos V, de felice memoria. 1 - Il
« eut été beau, Blanca, de suspendre a coté de
(e ces trophée& de victoire le sabre de Cervantes.


I Il perdit, a la~Lalaille navale de Lépante, la main gauchc
d'un coup d'al'quebuse, blessure qui, bien que diffOl'me, ne
lui parait pas moins belle, poul' l'avoir reC;ue dans l'action la
plus glol'ieuse et la plus mémorable que virent les siecles
passés, et que puissent jamais espérel' voir les siecles a venir,
en combattant sous les bannihcs victorieuses du fils du foudre
de la guelTe, Charles-Quint, de glol'il'use mémoire.




, 7~ EL PALACIO-REAL - r, AR~~ERIA.


(( L'Espagne, qui fut si ingratc envers le poete,
(( aurait pu rendre cet hommage au soldat.


-(e Maurice, l'immortel auteu!' de Don QUl"-
( jote est vengé de l'ingratitude de ses con-
(( temporains, reprit vivement Blanca; sa mé-
( moire sera éternel1e parmi les Espagnols. »


Mauricc n'eut point la douleur de voir a I'Ar-
, .


meria de Madrid l'épée conquise a Pavie: l'épée
de }t'ralll;ois le" fut reprise dans la guerre de
l'indépendancc par Murat, qui la rapporta a
Paris. Ce fut tout ce qui resta a la France des
conque tes de Napoléon; ce fut le prix du sang
répalldu a flots dalls l'illjuste agression de la
Péninsule.


Le 4 avril 1808, Ferdinand VII remit l'épée
du Valois déposée depuis 1525 dans le garde-
meuble de la couronne, au grand-duc de Berg,
lieutenant-général du royaume d'Espagne pou!'
]' empereur Napoléon. ( Note I.)




CHAPITRE X.


Ce Jllusit.


I


ÉLEVÉE en llalie , Blanca y avait puisé le gout
des beaux-arts; elle avait inné le sentiment du
beau. La musique et la peinture l'aidaient a pas-
ser les instans de sa vie, si tristes depuis que
son perc avait recommencé sa carriere poli tique.


Traversant un jour le Prado, Maurice lui pro-
posa de visite'!' le musée, le plus riche du monde
pcut-etre.




LE lUUSÉE.


Ils entrerent dans ces vastes salons qUl ren-
ferment les chefs-d'reuvre des écoles nationales,
cal' on dit l' école de Séville, l' école de Cordoue,
l' école de Valence, l' école de Madrid. La, hril-
lent les magnifiques tableaux de Velasquez;·
peintre d'histoire et de batailles. Blanca admi-
rait avecl'intéret qui s'attache aux ch'oses passées,
les glorieuses époques de l'histoire de sa patrie,
représentées par ce peintrc qui faisait revivre les
héros du duc el' Alhe, alors que les Espagnols
dominaient l'Europe. « Velasquez, disait-elle a
« Maurice, dans ses tableaux, oú tons les per-
« sonnages sont ressemhlans, oú les costumes
« sont exacts, OU les faits s'entassent sons son
« pinceau, palpitant de gloire, d'intéret, de
( souvenirs; Velasquez, dans un seul tableau,
« vaut un volume de pénihles recherches sur
« I'histoire. »


Ils s' al'retaient devant les chefs - d' reuvre de
Zurharan, de Zéréro, de l'Espagnolct, de Mengs,
de JOl'dan, del Al'agones; mais ils ne pon-vaient
détacher lcurs yeux des compositions célestes du




LE lUUSÉE.


divin Murillo, peintre fécond, suave et austere,
gracieux dan s certains sujets autant qu'il est sé-
vere dans d'autres. Maurice partageait l'enthon-
siasme de Blanca ponr ce grand peintre, qui était
son héros, qu' elle élevait au-dessus de tous ceux
dont s'honore I'Espagne.


«' Admirons ensemhle, Maurice, ces deux
« tahleaux : ici sainte Anne donnant des le~ons
«( de lectlU'e a la sainte Vierge encore enfant. La
«( jeune Marie indique du doigt une lettre; elle
«( hésite a la nommer, cal' elle regarde en rougis-
«( sant la sainte, sa maitresse. Quelle nalveté dans
« ce tahleau! quelle grace dans la jeune Marie!
« Elle est déja désignée par la main de Dieu ponr
«( accomplir le grand mystcre qui doit sauver
(( le moude.


« Vl, la vierge Marie monte aux cieux. La
« Mere de Dieu ne pouvait etre plus belle; elle
« va retronver son fils. Elle traverse les airs; di-
« vinité aérienne, puissante par la puissance de
c( son fiJs, pnre par sa virginité .... Quel chré-
« tien ne sentirait sa foi rcdouhlcr ct sa confiance




LE lUUSJÍE.


(( accroitre en priant devant ce tablean qui re-
(( présente la Mere de Dieu! »


Murillo est le peintre des douces emotiolls.
S'initier ¿l. scs secretes pensées, c'est découvrir
en soi des sentimens inconnus, c' est ouvrir son
ame a de divines croyances.


Blanca s'exprimait avec enthousiasme sur les
sujets sacres, peints par cet homme célehre. Sa
religion ardente s' exaltait encore devant ces
tableaux divins, ct les pompes de la rc1igion
chretienne, necessaires au peuple espagnol, agis-
saient sur cette ftme douée d'une extreme sensi-
bilité, et qui ll'avaít encore aímé que Dicu.


L'école moderne offi'it peu de tableaux dignes
d'etre remarques. Quelques peintres d'histoire
ont essayé de reproduire quelques uns des épi-
sodes qui rendent ectte uatíon a jamais célebre
dans la guerre de l'indépendance. Leurs tableaux
ne sont point dignes des grandes actions qu'ils
avaient a traiter. Les peintres et les historiens
manquent a cette natioll. Comment les beaux-
arts fleuriraient - ils au milieu des convulsions




LE l\IusÉJ'. 77
et des tempetes qui déchircl1t la Pél1illsule de-
puis un demi-siecle. A la guerre de l'illdépel1-
dance ont succédé quelques années de calme;
pnis la guerre civile, l'invasion étrangere, sont
vcnucs mettre obstaclc ~l tous progres dans les
arts qui ont bcsoin de la paix.


La littérature cspagnole est, en général, peu
eonllue. L'iglloranee OÚ l'on est des productions
des auteurs de c~tte nation tient peut-etre a ce
que len!'s ounages O]]t été peu traduits, cal' les
historiens, les poetes, ne manquent point a
l'Espagne, qur peut citer avec orgueil Mendoza ,
Morales, Herrera Saavedra, Quevedo, Garcilaso,
Calderon, Lope de Vega, Villegas, Mariana,
Sepulveda, Solis. Moliere eut suffi pour ¡Ilus-
trer la Jittératul'e fran~aise. Miguel Cervantes,
dont les ouvrages, qui datent du temps de l' A-
rioste, du Tasse, de Shakspeal'e, seront lus dans
plusieurs siecles avee le meme plaisir qu'aujour-
d'hni, suflirait a lui seul pour jeter un reHet
brillant sur la littérature espagnole, s'il ne se
préselltait entouré d'un cortége d'auteurs juste-
ment estimés de leurs compatriotes.




LE 1IIUSÉE.


Aujourd'hui quelques hommes instruits tra-
vaillent a des ouvrages scientifiques qui rcste-
ront appréciés des Espagnols, mais inconnus
aux autres nations européennes. Les lettres et
les sciences sont peu encouragées. Quelle protec-
tion peuvent accorder aux lettrcs et aux sciellces
un souverain qui n' est occupé que du soin de
conserver sa couronne, et des ministres tiraillés
par les exigen ces de tous les partís qui se sUCct:-
dent dans des révolutions continuelles!




CHAPITRE XI.


fe Xíauf-Qt.onb"uit.


I


DANS les comm.encemens de son séjour chez
Blanca, Maurice, qui connaissait la position
dan s laquelle se trouvait le marquis de Casa-
mayor, évitait toute conversation politique;
mais au hout de quelque temps iI devint impos-
sible de ne point parler de¡.,événemens qui se
pressaient chaque jOlU' davantage. L'armée fran-
~aise faisait de rapides progres : elle était déja en
Andalousie, et se rapprochait tous les jours de
Cadix. Un seul point offi~ait une résistance plus




80 LE SAUF-CONDUIT.
opiniatre : c'était la Catalogne, oú se livraient.
de fréquens combats. Mais ce n'était pas le lieu
oú devait se décider la question, et il était pro-
bable qu'une fois Ferdinand délivre des mains
des Cortes, toutes les provinces qui se défen-
daie~t encore, reconnaitr~nt l'autorité sou-
veraIlle.


Un jour, Blanca parla avec franchisea Maurice
de toutes ses inquiétudes sur le sort de son pere.
« La lutte ne saurait etre douteuse, dit-eIIc; elle
« peut se prolonger quelque temps encore, mais
«( le dénouement est certain : l'armée fran~aise a
« plus fait pour la cause qu' clle est venue défen-
( dre, par sa discipline sévere et par\on respect
«pour les usages reli.gieux du pays, que par la
« force des armes. Cadix nc sa11rait resister, el
« mon pere, monsieur de Trans, que devien-
(( dra-t-il dans cette lutte terrible? »)


Et Blanca pleurait.
( D'apres ce que vous m'avez dit du cara.ctere


( du marquis de Casamayor, reprit NIaurice, il
«( esta croire qu'il fait partie dans les Cortez, de




Uo: SAliF-CONDl!IT. 8r


C( ces llOrnrnes rnodérés quí craindront d'attírer
(( sur eux de terribles représailles. Si son in-
«( fluence n' est point vaine, peut-etre est-ce a
{( lui -que l'Espagne devra la fin de cette lntte quí
«( l'epuise; trompé, surpris, votre pere, Blanca,
(( croit défcndre une noble cause; mais il est
H certain que ce n' est point la cause nationale,
(( et son esprit est trop éclairé pour ne point s' en
(( apcrcc'Voir. Espérons, Blanca, qu'une partie de
(r l'assemblée se retirera devant le projet dange-
(( reux quí sera pcut-ctre proposé par quelques
(( hornrnes ardens, et que le mar'quis de Casa-
l( mayor sera un des premíers a quítter Cadix
«( s'il en est temps encore. »


c( Mon ph'e reculera devant un crime! s' é-
(( cria Blanca avec chaleur. L'Espagne est restée
(( pure des exces auxg:uels se sont livrées l' Angle-
«( terreO et la Fl{ance': la cause que défend mon
« pere ne sera point souillée de sang royal. »


Les prévisions de Manrice ne tarderent point
a se réaliser. Un jonr Blanca rellut une lettre
de son pere : il lui envoyait un domestique
fidele, quí , exposé a mille périls, tr;rversa I'ar-


6




u: s.\lTr-CONDUIT.


mee frnu<;aise, el penetra dans J\ladrid. Le mar-
quis de Casamayor mandait a. manea, qu' eili'ayc
des résolutions auxquelles voulaient se porter
plusieurs membres de l'assemhlée dont il faisait
partie, eonvaincu gu'il ne pouvait plus rien pour
la cause qu'il avait embrassee, voulaut la quitter
avant de la voir ternie par d' odieux exces, H était
sorti de Cadix, avait erré dans la Sierra de R.onda,
et qu' épuisé de fatigues, de soueis, jI était tombé
malade dans une maison de paysall, aux cnvirous
d' Antequerra, a peu de distance d' Aleala-Ia-R.eal.


Vivement emue á eette nouvelle, Blanea fit
prier Maurice de deseendre sur-le-ehamp au sa-
Ion, ou elle se tenait ordinairement. Elle avait
foi dans ses genereux sentimens et dans sOl]- ame
élevée. (( Monsieur de Trans, lísez, lisez eette
( IeUre, que je viens de reeevoir de roon pere.
(( A queIs dangers n' est-il point· exposé! S' il est
«( pris par les bandes royalistes, e' en est fait de
(( lui; dans ce moment d' exaltatiol1, elles ne
(( feraient point d'atteution a sa conduite. Un
(( membre des Cort(\s! yoilá seulemen t ee qu' elles
(( eonsidére!'aient. D'un autre eoté, s'il tombe




LE SAUF-COl'íJ)(ílT. 83
« entre les mains des constitutionnels, on ne lui
( pardonncra point d'avoir quitté Cadix. Je ne
( vois que dangers pour lui.


- « Je voudrais, Blanca, .s'écria Maurice,
«( au prix de tout mon sang, pouvoir calmer les
( agitations de votre úme, justement a]arméc
« pcut-etre, et vous etre utile. »)


Il réfléchit un momento
« Blanca, reprit-il, je suis intimement lié avee


« l'nide-dc-camp c/u prince généralissime, qui se
« trouve, d'apres les nouvelJes rc<.;ues hiel', a
( Sévil1e. Je cours chez le gouverneur militaire
« de Madrid demander une sau ve-garde pour le
« fldele Pédro, l' envoyé du marquis de Casa-
( mayor; qu' iI reparte sur-le-champ porteur de
« ma Jettre. Le princc daigne m'honorer de ses
« bontés: ennemi de toute réaction, j' ai la ferme
( persuasion qu'il ne refusera point des passe-
(( ports a votre perc, ponr qu'il revienne en
« sllreté a Madrid: Pédro les lui reportera. Espé-
« rons, Blanca; avant peu, vous serrerez votre
« pere dans vos bras. »


Blanca était vivement émue.




84 LE SAllF-CONDUlT.
« Monsieur de Tr:ms, dit-elle a Maurice en lni


« tendant la main, commcnt jamais reconnaitre
( tant de générosité? Je vous devrai phís que
« la vie, puisque vous sauvez eelle de mon pere.
« Comment m'aequitteravec"Vous, Maurice?»


Maurice porta, en s'inclinant avec respect,
la main de Blanca a scs levres.


( Vous parlez de reconnaissance, Blanca'! Eh
« bien! daignez abaisser sur moi un de vos re-
( gards, que j'y puisse concevoir l' esperance que
( mes soins et mes respccts seront acceptes par
( "Vous; qu'au jour de l'arú"ée de yotre pcre,
« je puisse dire dennt lui, a la comtesse de
( Casamayor, ce que je ne puis que laisser de"Vi-
« ner a Blanca. »


Il serra doucement la main de Blanca, dont
le teint, ordinairement paIe, devint pourpre


¡


comme la flcur du grenadier, et crut sentir une
légere pression qui répondait a la sien ne.


Le soir Pédro partit pour SéúI1e, an'c un
sauf-conduit.




CHAPITRE XII.


ira JFitsla.


PAR Notre-Dame d'Atocha, e'est une magni-
fique rue que la rue d' Alcala! e' est une des plus
bellcs rues d'Europe. Cornme elle s'élargit depuis
la Plaza del Sol jusqu'au Prado! comme elle est
spacieuse, jusqu'a la porte en marbre blane qui
dQnne entrée a la porte d' Aleala, ville d'univer-
si té et d'étudians ! Mais aujourd'hui, la Plaza del
Sol est déserte : plus de groupes stationnaires
qui eausent, discutent, et pass~nt une partie de




86 LA FIES1'A.
la journée a l' angle de la caBe Montera, ou SUl'
les trottoirs de la casa de Correos; "plus de
causeurs enveloppés dans leurs longs manteaux,
savourant avec délices cette vaporeuse fumée de
cigares de la Havane, qu'ils laissent éehapper par
houffées, entre une eonclusion poli tique et un
long silenee.


Aujourd'hui, les groupes out disparu; mais la
foule se préeipite comme si elle était poursuivie.
Une idée seule la domine; elle se Mte encore.
Comme les voitures se croisent dans tous les
sens! D'ahord les lourds carrosses du temps de
Charles IlI, massifs, rouges et dorés, condui ls
par quatre mules; puis les coupés plus moderues,
l)eaux dans la jeunesse des vieux rois; et ces voi-
tures qui étaient si jolies, si neuves, sirecher-
chées du temps de Manuel Godo! ; et les calésillCs
qui passent eomme l' éclair, ehargées de trois,
quatre, jolies filIes riant aux éclats, pemant au
plaisir qu' elles vont avoir; et le calesero ayec lc
sombrcro andaloux sllr l' orcille ct sa résilIe,
perché del'l'iel'(~ sa \ oi llln~ , alliman t dn fouet sa




LA FIESTA. 87


mule dWl'gée de sonnettes, et cachéc par tles
harnais couverts de clous de cui vre brillans; et
les élégantes voitures des ambassadeurs, que 1'01l
reconnait a leurs heaux ehevaux, a leurs riehes
livrées, au vernis brillant de leurs armoiries.
Ul, se cabrent en hennissant de magnifiques
chevaux de Cordoue, avee la eriniere et la queue
tressées en galons rouges. lei, e' est un contre-
bandier passant au galop, portant en eroupe sa
beIle mait'csse, quí, hardirncnt cramponnéc sur
la selle de son amoureux , défie toutes ses eompa-
gnes. Comme ce peuple, si grave naturellcment,
est animé aujourd'hui ! Comme toutes les phy-
sionomies portent l'aspeet du bonheur!


C' est qu' aujourd'hui, il Y a une fete magn i-
fique: on a annoneé le plus heau eombat de tau-
reaux qui ait eu lieu dcpuis deux ans. Il est arriv~
;1 Madrid eent vingt taureaux indomptables, mé-
ehans , furi~ux: , tous ués dans la Sierra-Morena.
Ces féroees animaux se sont jetés sur les tau-
reaux apprivoisés qui les eoúduisaient, et en ont
é\entré ciml'




88 LA F'IJlSTA.
Et puis, c'est Pépé Tudelo, le pll9S célebre


matador de toutes les Espagnes, qui va eom-
battre aujourd'hui. Tudelo de Trasiera, pres de
Cordoue, éleve de Romero, qui jamais n'a man-
qué son coup, qui enfonee son glaive jusqu'a la
garde, le retire rouge et fumant, et saIue, avec
une grace qne lui seul posscde, leurs majestés'
lorsqn' elles assistent au spectacle.


Enfin, ~l ce combat annoncé depuis si long-
temps" a "cette fete tant désirée , ton.Madrid y
sera. Tout Madl'id, meme Blanca, qui ne dissi--
mulait point SOl] goút ponr ce genre de speetacle,
s'était enveloppée dans sa mantiIIe, et s'y était
rendne, aecompagnée de madame de Salzedo et
de Maurice. Qu'elle étaitbelle, Blanca, avec son
costume simple et un peu sévcre d'Andalousc!
Sa rohe noire, bordée et garnie de jais bleu-de-
cicI, dessine sa helle taille; et cette mantille,
drapée sur ce peigne si élevé, lui donne, aux yeux
de Maurice, un air d'étrangeté qui ajoute enCOre
a ses charmes. PaIe sons ses beanx cheveux noirs,
c'était letypede la beautédes femmcsdeGrenade.




LA FU:STA. 89
Voila, a gauche de la porte d'Alcala, la Plaza


de los Toros; voila ce Cirquc ou I'on arrÍ"ve ha-
letant, ou l' on craint de ne pouvoir trouver de
place : comme la foule monte rapidement les
escaliers qui menent a 1'amphithe:Hre! Que de
monde! que la fete sera belle! La musique des
régimen s fraIH;ais exeeute des symphonies bril-
lantes. Tous les officie1's et soldats de l'armee
sont déja en pleine connaissanee avee les habitans
de Mndrid. 11 en est hien peu qui n'aient point
donné le b1'as a len1's hotesscs ponr venir an com-
bato C' est une beBe citase que 1'nniforme fran~ais
en pays etl'nnger.
- "Mais les fanfares recommeneent : 00 assure
que celle-ei sera la derniere; qu'aussitot apres
le gouverneurva donner le signal, et t[ue la fete
va eommencer.


C'était uai.
Les picadores a che,-al, emboites dans des


selles mauresques, hardés jusqll'a la moitie des
cuisses dc guetres de bume rembou~Tées, revetus
d~ vestes de soi(~ ornées de hl'oderies nuancees ,





90
les picadores, avec leur large chapean gris, la
résil1e noire, s'avaneent dan s l'arene : iIs ticu-
neDt de longues lances qu'ils appuient sur le
hout de leur pied.


Puis les chulos, avec la culotte et le J3as de
soie hrodés, portant, d'une main, de longurs
draperies rouges qui flottent anton!' d' eux, et, de
l'autre, des banderillas armécs de fers piqnans,
couverts de papiers de couleur et dorés.


Puis le matador : Pépé Tude10 seul.
Le cortége, sur lequel s'arretcnt complaisam~


ment tous les regareIs, cst précédé de l'alguazil-
mayor en manteau de velours noir, chalne dorée
au con, large chapeau orné de plnmes noires.
Les picadores levent leurs lances de la hauteul'
de leur hras, et les inclinent devant la loge
de monseigncur le gouverneur et de l'ayunta-
miento de Madrid.


Aprcs avoir fait le tour de l' ai'cne, le mata-
dor se retira; les picadores et les chulos l'CS-
terent seuls sur le champ de combat. Le Laurean
s'élan~a, hnm, trapu, fU'il Slll\age : en deux




bonds il atteint uu picador, qui l'attendit de
pied ferme et qui le détoill'na du fel' eourt,
mais aeéré de sa lance. Oh! c'était un bon tau-
reau! Il s'était précipité sur le picador sal1S
s'arrcter, sans hésitation; il promettait un bean
eombat : tout le monde s'intéressa a lui.


n attaqua l'autre picador; mais, au momel1t
ou celui - ci tui faisait sentir la poil1tc de sa
lance, l' animal se retourna brusquement, et
d'un coup de corne i1 évcntra le eheval. Tout
le monde cria : Bravo! bravo, toro! Le sang
coule du Hanc du coursier, l~ picador est rell-
versé, le taureau s' élance sur le cavalier embar-
rassé sous sa selle: des lors l'enthousiasme fut ~l
son comble; les femmes criaient : Bravo! bravo!
et baltaient des mains; plusieurs officiers de
l'armée étaicnt violemmentémus; Mau1'icepálit,
et regarda Blanca, qui, partageant l' éIan géllé-
1'al, agit~it son mouchoir. Deux chulos présell-
taient vainement lcurs drapeaux rouges : le tau-
reau, acharné sur le picador, cherchait a le
percer de ses corlles; il le saisit. par sa ceínture




LA FIESTA,


e t le souJeva en l'ail'. Deux autl'es picadores s'é-
lancereut sur le taureau et l'attaquerent. Har-
celé de toutes parts, le courageux animallkha
sa proie, et combattit ses deux nouveaux adycr-
saires. Il tua trois chevaux ; l'un était blanc; il
re~ut dans le poitrail un coup de co~'ne quí
fit jaillir le sang, dont furent empourprées les
jambes du généreux andaloux ; il fit quelques
pas foulant ses entrailJes, flageola, et tomba
roide mort.


C'était un bon Laurean que ce taureau né
dans la Sierra-Morena!


L'air retentissait de nouveaux cris de bravo!
Les picadores se retirerent, et laisserent la place
aux chulos.


Ceux-ci courentau-dc,ant du taureau, lui
lancent sur le cou des banderillas, qni s' enfon-
cent dans sa chair et n'en peuvent plus sortir:
remplies d'artifice, elles éclateiü et déchirent
son con nerveux et plissé; il secoue la tete, et
s' élance sur ces banderilleros: ceux-ci, lestes,
se dérobent a sa fureur par la fuite, ou hon-




T. A FJf:1>T A.


dissent de coté avec une incroyabJe légcreté.
L'1l11 d'eux :f:'lit mce au laureau, enfonce le trait
aigu qui irrite l'animal, et au moment OU .'on
eroit qu'il va etre perce de ses cornes redouta-
bIes, il pose le pied sur sa tete, et échappe a
son ennemi en sautant legerement par-dessus
lui : tout cst émotion dans ce spectacle, inconnu
ailleurs que dans le royaume d'Espagne.


Mais voici le dr;¡me qui se precipite; ,'oiei
le déuouemcllt. Les chulos s' élancent par-dessus
les barrieres qui separent les spectateurs du lieu
du combato Le taureau resta ¡¡eul un instant.


Voici veuir le matador, Pepe Tudelo de Tra-
siera, éleve de Romero, plus célebre que Cos-
tillares, plus adroit que Vitoriano, plus beau,
plus gracieux qu' Anton~ de l'Estramadure.


Tudelo est ,¿tu magnifiqucment : iI porte
.me ,·este de soie ecarlate Lrodée en or, étin-
ceIante de paillettes; sa eulotte bbnche et 01',
étroitement serrec, dessiue des formes hercu-
léennes: c'est le plus arrogar:te mozo des quatre
provinces qui forment le royaumc el' Andalousie;




I,A FIESTA.


uuI mieux que lui ne manic le chuchillo; iI le
lance ~l trente pas, et l'instrumeut arrive , en
simant, droita son hut, comme un coup de poi-
guard donllé a hout portant.


Lorsqu'il para!t dans l' enceinte, parmi les
nombreux spectateurs circule ce mudnure si
encouragcant pour les acteurs chéris du publico
Le peuple de Madrid est sWÜr qu'il va ap-
plaudir Pépé! Le héros de la fete sourit avec
grace, et s'avance au-devant du taureau, qui
bondissait, étonné de n' etre plus harcelé, tour-
menté, cherchaIlt un ellncmi h combattre ; i1


,


raper~oit, et va droit a lui; il s'arrete:l quatre
pas, et médite son attaque; quel tableau! Tudelo
Ímmobile, tenant de la main gauche une dra-
perie, de 1'1. droite un glaive large et tranchant;
le taureau grattant de son pied la terre, qui fuit
en poussiere , la tete baissée, son regard oblique
fixé sur Pépé.


Les spectateurs restent immobilcs, muets,
retenant leur haleine, saisis par l'intéret puis-
sant du drame.




T.'\ FIESTA. 95
Le Laurean ~l la {lu s' élance sur le maLador;


ee1ni-ci I'évite avec une hardiessc et une aisance
qui surprennent. Plusieurs fois Tudelo laisse
les témoins de son adrcsse et de son sang-froid
incertains entre le taureau et lui; il se joue
de leurs cmotio'ns. Enfin, Tudelo applaudi,
salue en promenant complaisamment ses re-
gards sur les loges remplies'de femmes qui agi-
tent leurs mouchoirs et hattent des mains. Tout
a coup 11 se troulJle, i1 est moins adroit, moins
lm,di dans les voltes; il regarde ene ore le pu-
blie et ptllit ..... lui Tudelo !" ..


Un moment le taureau reprend son avantage :
si Tudelo· ne le frappe pas, il est mort.


Mais Tudelo hésite; il porte un coup mal
assuré au moment OU le taureau haissant la tete
s' élance sur lu~ le glaive reste engage vers
l'épaule ..... Tudelo est desarmé, et le taureau
emport~ le fer meurtrier, qui s'enfonce achaque
bond.


Tudelo n' est plus qu'un boucher maladroit !
adieu sa gloire! il est poursuivi par les huees,




LA FIESTA.


les imprécations de tout Madrid, les cris de :
(( A paLos y pieara ~ infame ~ ladrone .... el eho~
(( eolate (l este dgnor, el totos los diabolos
(( Pépé! » dominent toutes les malédietions ....
L'autorité a peine a le soustraire a la fureur du
peuple, qui Yeut l' ég-orger .... Le matador tant
vanté, manquer un si bra\e laureau, qui va
mourir eomme dans l'étal d'un boueher; cal' le
malheureux animal chancell;, se,'eleve encore,
s'appuie contrc l'eneeinte, se roule et expire
en vomissant des torrens de sang! C'était done
le courage (luí :1'1 ait manqué a Tude1o? on pou-
vait done dire de lui : iI fut brave un tel jour"/
Non! ee serait une afli'euse injure; mais au
moment Oll Tudelo promenait si eomplaisam-
ment ses regards sur les loges, il aper~oit
Juanita!


Juauita de Grenade, son amoureuse, qu'il avait
amenée a Madrid avee luí; Juanita, (lui eausait
avec un Franc;;ais a'"ee un plaisi¡: te!, qu' elle
ne s'aper/fut point que Tudclo allait frapper
le coup qui allait déeider de sa gloirc rlevant




LA l'fESTA. 97
l'armée étr:mgerc. Ce Fran~ais éfait assis sur un
gradin supéricur ~l celui de Juanita, qui tournait
la tete pour mieux entendre .... quoi? ... peut-
t~tre l'éloge de la belle mine du matador.


Tudelo avait été si violemment trouhlé, cet
Andaloux a passiol1s vives avait éprouvé dal1s ce
moment un tel acct~s de jalousie, lIu'il ouhlia
que vingt mille spectateurs le regardaient. Vous
savez ce quí lui arriva.


Lorsque la colere du puhlic fut un peu cal-
mée, le gouverneur fit appeler Tudelo, et le
réprimanda séverement ,: celui-ci s'excusa, et
jura par sail1te MOl1ique, patrol1l1e de Valen ce,
qu'ifue manquerait plus un seul taureau. Il en
parut douze dans cette fete. Tudelo tint parole:
jamais OH ne vit matador plus hardi, plus adroit,
plus gracíeux; le peuple l'applaudit ave e rage.


C'est qu'aprcs le premier moment, Tudelo
avait pris son partí.


Pendant l'incident qui interrompit le spec-
tacle, deux solda ts de poli ce villrent se placer
a la porte d'une des loges occupées par le peu-


7




98 LA FIESTA.
pIe : une femme tressaillit et paJit a leur aspecto
LorsqueTudelo rentra dans l'arene, cette fcmmc,
dont on avait pu remarquer les transports
bruyans jusqu~a l'arrivée des deux soldats, garda
le silence eomme fascinée par les regards de
l'un d'eux. Enfin qualld, par un coup brillant,
le matador eut excité les applaudissemens des
spectateurs, elle oublia le sujet de sa préoccu-
pation, et exprima une joie extraordinaire qui


411
tenait du délire. La foule commencait a s'écou-


.


ler.; elle seule s' obstinait a rester dans cette
loge, affectant un air d'iJ,;ldifférence; mais les
deux soldats s'approcherent d'elle, la saisirent
et la menerent en prison. Cette malheureuse
était une servante qui, n'ayant point d'argent
pour payer sa place, avait commis chez son
maitre un vol, afin de se procurer un billet
d'entrée au corilbat de taureaux, tant est grande
chez les Espagnols la passion de ces fetes !


Les fetes durerent six jours; on immola
quatre-vingts taureaux.


Juanita ne reparut plus aux combats. Tudelo




99
quitta Madrid dans la nuit qui sui.vit la derniere
fete, emmenant avec lui Juanita.


Le lendemain des comhats, Thierry, le plus
heau sous-officier de la garde royale frans:aise,
fut trauvé mort, percé d'un seul coup de chu-
chillo .... c'était lui qui causait avec Juanita.


La soirée 6e passa a parler du spectacle qui
avait si vivement ému le peuple de Madrid.
Maurice ét.ait d'un étonnement extreme de
l'ivresse que causaient aux spectateurs ces scenes
d' émotion; iI comparait cette crainte des dangers


• auxquels s' exposaient les acteurs de ce drame, ce
sangqui inondait l'arene, cet intéret puissant qu.
attachait a ce courageux animal qui, pour tout


-r.rix d'une belle défense, recevait la mort aux cris
de joie de tout un peuple, a ces spectac1es OU les
Romains s'enivraient a voir couler le sango (( Les
(e émotions que j'ai éprouvées en assistant a ce
( premier combat de taureaux, Blanca, je les ai
( consignées sur les lieux memes, sur un carnet
( qui me servait a prendre des notes; ilest chaud




JOO LA FIESTA,


« de souvCl1Irs. - Donnez, diL Blanca. - Je
« n'oserai jamais. Eh hien! au moment ou le
« généreux animal attaquait le picador renversé
« sous son cheval; lorsque vous, vous, si douce,
f( agítíez votre mciuchoír en suhíssant cette im-
« pression commune, j'ai écrit .... mais, d'hon-
« neur, je ne puis achever .... J'ai écrit, ajouta-
« t-il en ríant, Férocité de la comtesse!


- « Et sí vous remportiez en France ce pré-
« cieux souvenir, voila toutes les dames espa-
« gnoles comprises dans ce rigoureux anatheme,
«( a moins que vous n'ayez fait pour moi une flat-
( teuse exception .... Ecoutez notre justification.


« La nation espagnole aime tout qui est cou-
« rage et témérité. Cet amour des choses har-
( dies s'.est conservé dans les descendans de Pé-
t( lage et du Cid. Plus répandues autrefois, ces
« luttes avaient pour but de former au mépris
« des dangers, de donner la grace, l' adresse et
(( l' audace : c' est une pass ion chez les Espagnols,
« que leur ont transmie leurs peres. Que vous
« dirai-je encore? née en Andalousie, accoutn-




LA FIESTA. 101


t( mée des lllon jeune age a voir des combats,
(( ce speetacle me plait singulierement. L'habi-
(( tude est un puissant maitre; et je erois que si
( les dames fran~aises assistaient plusieurs jours
(( de suite a ces fetes, eomme nous, elles en
(( prendraient le gout, et bientot ce plaisir au-
(( rait pour elles un vifattrait. »


Blanca avait raison; nous avons vu de ces jo-
lies Parisiennes, amhrées, fluettes, nerveuses,
ornemens des salons de la capitale, assister
d'abord avec répugnance á ce spectacle, puis
y prendre un gout aussi décidé que les Espa-
gnoles elles-memes.




CHAPITRE XIII.


fes <!buirilla5.


Fira! vira nuestro rey Fernando!
Honor de la patria, viva su valor! !


Que las banderas d'un pueblo libro
Sin vencidas ..... es impossihle!
Tragala, tragata, traga la , tl'agala! !


LA Sierra Morena, dont]a longuc chalne s'ap-
puie aux frontieres de }Jortugal, traversc l'Es-
tramadure et le pays de Cordoue, sert de limite




LES GUÉRJLLAS. 103


a la Manche, et se perd dans les plaines de la
Nouvelle Castille et du royaume de Murcie, a de
tout temps servi d'asile a de nombreux et hardis
contrebandiers. Quelque active qu'ait été la sur-
veillancc du gouvernement espagnol, il n' a jamais
pu empecher que ces montagl1es inaccessibles ne
servissel1t de repaire a des bandes armécs, l'ef-
froi des voyageurs. Leurs l10mbreux défilés fa-
vorisent singulicrcment les audacieuscs entre-
prises des chefs de partisans, qui rarement se
laissent surprendre, et échappent prcsque tou-
jours a la police du gouvcrnement.


Si, dans les temps de paix et de tranquillité ,
ces sierras red~lent des hotes si dangereux, on
peut juger si, au moment on la guerre civile
était déc1arée, et lorsque les diverses opiniol1s
avaient les armes a la main, ces lieux si favora-
bles a une guerre de partisans étaient vides de ces
hornmes déterminés.


Au mois de janvier 1823 , plusieurs handes de
guérillas comba ttal1 t, les unes poul' F erdinand ,
les autres pour la constitution, y avaient établi




LES GUÉRILLAS.


leul' quartier-général , d' OU eHes se répandaieuí
dans tous les environs. La route de Madrid ~l Sé-
vil1e par Cordoue ofihit peu de sureté, et il eút
été imprudent de s'y risquer en faibles détache-
mens. La nat~re du pays favorise ees coups de
mains hardis, dans lesquels exeellentles guérilJas ,
et qui furent si souvent funestes aux solclats fran-
~ais dans la guerre de l'indépendance.


Il est clans la riche AndaJousie un nom que les
Fran45ais ne prononeent qu'avec douleur, cal' iI
l'uppel1e des souvenirs pénibles. Ceux d'entre
notre jeune armée gui out traversé la CaroIillc
et Baylen peuvcnt dire de quelle impressioll ils
furent affectés, en se rappelant que ces défilés
avaient été les fourches caudine.s des armées
fran45aises jusque -la victorieuses. Raylen! nom
plus funesteque celui qui rappelleraitunedéfaite
sanglante, cal' le sang versé cfface la houte d'UllC
batai lle pcrdue; maÍs capi tuler , mais déposcr ICt>
armes aux picds d'un ennemi insolent, c'ét.ait


. , ] , " . 1 '1' 't ., piS (IU un ([('sastre, e ('talt ulle tae 1e a e 01 e
f[ui jnsrplc-lit hl'illait ~;i cOllsLammcut "ive ct




LES GUÉRILLAS. 105
ébIouissante. RayIen retel1tit dans 1'Europe en-
ti ere , eL de meme que les Mexicains, qui, jusqu'a
ce qu'ils eussel1t vu morts un soldat et un chevaI
cspagnols, croyaient avoir affaire a des dieux
immortels, la capitulation de Raylen détruisit
le prfstige des armes de Napoléon , et de ce jour
les roís ses ennemis purent concevoir l' espérance
de lutter corps a c~rps avec le geant et de le ter-
rasser. Quinze annces l1'avaient point effacé ces
tristes souvenirs, et nous cherchions a les com~
baure ennoús rappetant Somo~Sierra, Tálavera,
Medina de Rio-Seeco et tant de glorieux champs
~ bataille dans la Péninsule.


Sur un plateau dominé par ces rochers qui
perdent dans les nues leurs pies élev~s, une troupe


• de guerillas établissait son bivouac. De~ armes
étaient jetées négligemment sur la bruyerc, des
mulets déchargés de leurs fardeaux paissaiellL
entre des chenes-vcrts ; queIques hommes je-
taient par- terre des outres remplies des vins ge-
uéreux de Val-de-Peltas. Cctte troupe, compo-
sce d'environ ccut CilH{ltallLC hommcs, était il'-




106 LES GUÉRILI,AS.
r~gulierement armée de longues carahines, de
pistolets. de sahres, mais tous portaient ces re-
doutahles cuchillos de campaña qui se fabri-
quent a Albaeete. Deux hommes, qu'aucunc
déeoration partieuliere ne distinguait; parais-
saient les ehefs de ces soldats de temps de trou-
hle, qu'il devait etre impossible de plier a une
discipline exacte, cal' il était facile de juger que
leurs yeux hardis n'avaient jamais dli s'abaisser
devant le regard d'un supérieur; et si la physio-
nomie réflete les seerets sentimens de l'ame,
leurs traits durs, leur expression insolente e ..
décidée, annon~aient des caracteres d'hommes
sauvages et indomptables. Il fallait done pour
acquérir et conserver de l'ascendant sur une
telle troupe plus que le prestigc d'une bro-
derie et d'unc épaulette; il fallait eette force
d'ame devant laquelle tout plie, et eeHe audace
qui fait, selon les eirconstances ou les préjugés,
des héros ou des hrigands.


Sur l' ordre de l'un des deux chefs un guérilla
lj'avan~a, et pla~a des vedettes sur la pointe des




LES GUÉRILLAS.


rochers avec une intelligence admirable de 1'art
de la guerreo Un geste, un signe imperceptible,
étaient compris de ces hommes, et valaieut
toutes les explications qu'aurait pu donner un
vétéran hahile des meilleures troupes d'avant-
garde de France. Pendant ce temps les autres
guérillas avaient ensemble des conversations
animées. PI~s d'une fois on vit la lame d'un poi-
gnard sortir a demi de son fourreau, luire un
moment et rentrer ensuite.


Lorsque les troupes fran9aises entrerent en
~spagne, l' espoir de voir leur cause réussir fit
reprendre les armes a beaucoup de royalistes :.
plusieurs d' entre eux se mi.rent sous les ordres
de chefs connus , et formeren t des troupes régu-
lieres sous le nom d'armée de la Foi. Quelqucs
handes se réunirent, combattant, il est vrai,
avec les couleurs royales, mais faisant la guerre
pour leur propre compte, et désirant dan s le
fond voir cette lutte se prolonger, ce temps de
désordre senant merveilleuscment leurs inté-
rets; cal', sous le prétexte de punir des rehelles,




108 LES GUJÍIULLAS.
ils commettaient mille vexations, levnient des
impots pour leur compte, et rendaient odienx le
nom du roi dan s certaines provinces ou les Fran-
~ais n'avaient pas encore pénétré et établi une
justice impartiale et sévcre pou!' ton tes les opi-
nions. D'un autre coté, beaucoup de constitu-
tionnels avaient encore les armes a la main ;
plusienrs bandes indépendantes s' étaient levées ,
et se composaient de désertenrs des corps régn-
liers qui ne ponvaient s'astreindre a aucune dis-
cipline. Ces petits corps détachés étaient le fléau
des provinces ou ils s' étaient établis : ils étaien~
autant redoutés de leurs amis que de leurs enne-
mis: des premiers, a cause de leur insolente fa-
miliarité; des autres, par les terribles représailles
qu'ils exerc;aient. Dans le nord de I'Andalousie ,
deux handes, commandées par deux chefs re-
doutahles, se faisaient une guerre continuelle ,
et qui n'était point sans danger pour toutes les
deux. Thomas commandait les cOllstitutionnels,
Antollioies royalistes. Long-temps Antonio eut
le dessous; mais l_orsquc la llouvclle de l'arrivée


,. ,




I,ES GUÉH IU,,\S. 109
des Frall~ais ú Madrid fut offieielle, lorsqu'ull
corps d'armée marcha sur I'Andalousie, Thomas
yit ses espérances diminuer autant queJa eon-·
Ganee d' Antonio augmenta, et apres avoir guer-
royé quelque temps, Thomas proposa sa sou-
mission ~l Antonio, en lui faisant entrevoir
qu'unis ensemble pendant tout le temps que du-
rerait la guerre, leurs intérets communs y ga-
gneraient, puisque dans le fond ils n'avaient
qu'un but, le pillage.


Des lors, les guérillas de Thomas furent plus
ehauds partisans de Ferdinand que ceux d'An-
tonio; et ceux qui n'avaient point quitté la co-
carde rouge pendant tout le temps des succes des
constitutionnels , passcre?t, aux yeux des nou-
veau~: eonvertis, pour des communeros.


C'était le so ir meme de la réunion de ees deux
troupes' sous les ordres d'Antonio, que cette
scene avait lieu. Plusieurs constitutionllels, qui
voulurent faire les récaIcitrans, furent menaeés
du poignard; on leu!' montra ee qu'ils avaient
a gagner a cette nOllvelle conversion : on con-




1 [O LES GUÉRIU,AS.


vint que le lendemain on marcherait dans la di-
rection de Madrid, dans quelques provinces quí
n' étaient point occupées par les Fralll;ais, espé-
rant que la il y aurait quelques le-;ons a donne!'
a de riches constitutionnels : de cop~euses liba-
tions de vin de Val~de-Peñas calmerent quelques
scrupules de conscience; on mit a bas les cou-
Ieurs de la révolution; les chants royalistes fu-
rent entonnés en chreu!, et une partie de la
troupe commen~a a s' endormir, en balbutiant
le refrain de l'air connu :


VilJa.' vú'a nuestro rey Fernando!
Honor de la patria, vira su valor.'
Vira, viva, nuestro rey Fernando!
Honor de la patria, y la religion!


Pendant ce temps-Ia, deux hommes , évitant
les chemins frayés , s'étaient enfoncés dan s les
gorges de la Sierra-Morena. L'un d'eux, jeune,
alerte; l'autre, vieux, sombre, préoccupé, et
marchant avec peine dan s ces montagnes escar-
pées et raboteuses.La troupe d'Antonio, cachéc
dans une foret de chenes-verts et de liéges, n'é-




LES GUÉRILLAS. 1 I 1


tait aper~ue de personne; les vedettes, accrou-
pies dans de hautes hruyeres, voyaient sans étre
vues; et les deux voyageurs avaient déja dépassé
la ligne des guérillas emhusqués pour veiller a la
sureté de leurs compagnons, qu'ils ne se dou-
taient point etre entrés dans un camp aussi re-
doutable. A peine a,-aient-ils fait quelques pas,
qu'ils furent saisis pardeux soldats, qui les mene-
rent a Antonio, san s écouter la moindre récla-
mation. Le jeune homme seulement, qui fit
quelques difficultés pour marcher, re~ut dans les
reins de violens coups de crosse, qui eurent
hientót vaincu sa détermination.


Amenés a Antonio, ce chefles interrogea :
« Qui etes-vous? .


D ' , - es voyageurs egares.
- Oil allez-vous ?
-A Madrid.
- Nous ferons route ensemble. Etes -vous


J'oyalistes ou constitutionnels?
- Étrangers a la politique, une affaire de


l'ommerce nous mene a la capitale.




112 U:S GUlirlIT,I,AS.


- ( Étrangers ~l la poli tique ! VOUS ne seriez
(( point Espagl1ols. Aujourd'hui, i1 faut ctre
(( po ID' le roi et notre sainte religion, ou pour
( la eonstitutiol1. Vos papiers? Vous me parais-
( sez suspects. )J


A un signe d' Antonio on fouilla les deux voya-
geurs, et l' on trouva sur eux une sauvc-garde
donnée par le chef de l'armée fran~aise. En li-
sant ce papier, Antonio s',éeria : ( Vous etes done
royalistes? ») Puis eontinual1t, illut le nom de mar-
quis de Casamayor, aneien député aux Cortes.


« Casamayor! s'écria avec fureur Antonio,
(( Casamayor, député aux Cortes d' Alcala-Ia~
«( Real, un négro qui a emmené F erdinand de
« Madrid, qui a juré la constitution, qui a voulu
«( que les bandes royalistes fussent désarmées,
( mises hors la loi! Santa Virgen! nous avons
« un compte a régler ensemble! Et toi, Tho-
( mas, arrive; viens juger aussi Casamayor.


- ( Qui? Casamayor! le traitre qui vient
( de quitter Cadix! Carrajo! ! sans son cxemple,
(( peut-etre que la pi erre de la eonstitution serait




J~ES GVÉRILLAS. 113


{, encore debout a Cordoue, a Grenade, a Sé--
f( ville .... C'est toi qui as quitté les constitu-
(( tionnels le premier, qui as déserté la cause po-
(( pulaire, qui as abandonné Quiroga! Je savais
«( bien qu'un soldat pouvait déserter! il est sous
( le drapeau souvent malgré lui; mais. un dé-
( puté du peuple qui tter son poste! infamie ! ...
«( N'as-tu pas juré fidélité a la constitution?
«( Muera!


- ( N'as-tu pas juré fidélité a ton seigneur
(( et maitre Ferdinand, notre roí, que Dieu
(( conserve milIe années? s'écrie Antonio.


- (( II a trahi la cause du peuple! !
- « II a trahi le roi! Sans lui Ferdinand se-


«( rait a Madridtout p~issant; et aujourd'hui ,
f( jour de Saint-Jaeques, iI entendrait la messe
C( de l'archeveque de ToICde!


- (( Sans lui, quarante membres des Cortes
(( seraient encore a Cadix, et la constitution
(( triompherait! Carrajo!! Casamayor, député
«( d' Alcala-Ia-Real, nous nous chargeons de t~)l1
c( affaire! Tragala! Marquesito!


8




!.T:S CUÉRILLAS.


- « II devrait etre pendu sur la place de la
« Cevada a Madrid!


- « Il devrait Ctre fusillé sur l' Alaméda de
« Valence, cornme Ellio! »


Pendant ces vives interpella~ions, les guérillas
s'étaient approchés autour du marquis de Casa-
mayor, qui se vit, en une minute, cerné par des
ennemis acharnés : il ne comprenait pas com-
roent il excitait l'animosité de ces hommes, qui
lui paraissaient les uns d'ardens royalistes, les
autres de ehauds constitutionnels. Les .cris de
muera! muera! se faisaien t entendrc; les cuchillos
sortaicnt de leurs ceintures. Deux rohustes soldats
de la Foi le saisirent par le bras, et appuyerent
le hout de leurs pistolets sur sa poitrine. Le
malheureúx Casamayor, paIe, défait, demi-mort,
crut toucher au dernier instant de sa vie. Poussé
par un instinct naturel, iI tenta un dernier effort,
repoussa violemment ces deux hommes qui le
tenaient, et voulut adresser quelques paroles a
Antonio.


c( Antonio, chef de royalistes, lui dit-jI, tu




LES GPÉRILLAS. 115
( el1COUI'S une grande respol1sabilité en versant
« le sal1g d'un homme porteur d'une sauve-garde
« sigl1ee du pril1ee qui eommande l'armée des
( Fran9ais : tu manques plus a Ferdinand, en
(( meconnaissant la signature de son royal eou-
( sin, que moi, que tu traites de matador de
« roi; cal' si je suis tombé aujourd'hui entre tes
(( mains, Antonio, e' est pour avoir quitté Cadix ,
(( ouje n'ai point voulujoindre ma voix a toutes
« cclles qui dcmandaient la déchéance du fils de
« Charles IV, ton seignew' et ma'ltre. J'ai voulu
( sauver le roi des mains de ses ennemis, et ma
(( voix a eu du rctentissement dans l'assemblee
l( des Cortes, cal' j'affirme sur l'honneur que
(( c'est a moi que Ferdinand devra de ne pas etre
(( jugé. ..


- (( En voulant sauver le roi, tu as done
«( trahi la eonstitutiol1? lui dit Thomas; tu as
(( donc ahandonné la cause du peuple, que tu
({ avais juré de défendre? Traltre a F erdinand !
(( traitre au peuple espagnol ! ... a genoux! De-
« mande pardon a Dieu, cal' tu vas recevoir la




LES GUÉRILLAS.


« récompense de ta double h1cheté ! )) En meme
temps, Thomas saisit le pistolet qu'il portait a
sa ceinture, et ajusta Casamayor. Mais Antonió
lui donna sous le hras un violent coup, qui fit
partir en l'ail' l'arme chargée it double balle.


- « Antonio de demonio! ce prisonnicl' m'ap-
« partient comme a toi! et si tu as detourné la
(( halle de mon pistolet, attends, je vais luí por-
« ter.un coup plus sÜr, ca~' je serai plus prcs de
« lui.») Il tira en memc temps la lame de son
poignard; mais Antonio lui dit : « Si tu touches
« a celui qui porte sur son passeport les trois
« fleurs de lis de Franee, tu es mort, Thomas! ...
« Allons, silenee!... Tu m'as juré ohéissance, et
« songe que tu n'es pas le plus fort ieí. C'est
« moi qui n:re eharge du marquis de Casa mayor,
« et malheur 11 eelui qui se melera de mes af-
« faires! Je suis U~J hon royaliste, et je sais ce
« que je dois faire pour :Ferdinand (i1 Ota son
({ chapean) et notre saiute religion. Défense de
( toncher aux denx priso'nlliers! »)


Les guérillas s' éloigncreut; mais les royalistes




LES GUÉRILLAS.


fredollll<:rent encore aux oreilles de Casamayor
le cflaut du midi :


De los bigotes de Riego,
De la cabesa de Quiroga,


Haremos cepillo
Per limpiar ca,,;;llo


Del cura Merino.
Viva Fernando y la religion!
Mueran los negros y la constitution! 1


Thomas luÍ-mcme s'éloigna en grondant
comme un chien menacé qui voudrait mordre,


. .,
malS qUl n ose.


, Avec fes moustaches de Riego et le crane de Quiroga nous
ferons une brosse pour pan ser le cheval du curé Mérino.


Vive Ferdinand et la religion !
Mort aux négl'os et it la constitution !




CHAPITRE XIV.


UN jour, Maurice assista a un service funebrc
qui avait lieu dans une petite église située dalls
la calle Montera~Rt~.l. Agauche, sous le portaiJ ,
on lit cette inscription : «( A la mémoire des
Espagnols morts dans la j ournée du 2 mai 1808.»


En sortant de l' église , un Espagnol raconta a
Maurice l'histoire de la premiere résistance de
sa nation contrc les Francais.


>




DAOiz l'T VELARDE.


Lorsclue Napoléon obtiut le passage de ses
troupes sur le territoire espagnol ponr aIler lt
Lisbonne, le faible Charles IV vi t ou feigni t de
voil? eu luí llll fidcle alIié, soit aveuglemellt de
ce souverain, soit veritable' confiance daus les
conseils de Manuel GodoY, acheté par Napoléon
par la promesse d'un trone que l' on aurait formé
pour lui d'uue pl'ovince démembrée du Portu-
gal (note 2), soit (lU'il sentit son impuissance
de resiste!' á celui de)allt lequel avaient lléchi
les puissans monarques du NOÍ·d. Des 101'5, rien
ne fut épargllé de SOillS et d'attentions pour que
les Espagnols traitassent en amis ces soldats qui
devaient, peu de temps apres, leur imposer un
joug si dur et si humiliant. II faudrait des vo-
Iumes pour raconter les motifs de la juste alli-
mosité des Espagnols contre le favori, les cil'-
constances qui déciderent Charles IV a alldiquer
en faveur de }'erdinand VII, la révocatioll de
cette abdica tion, les pieges tendus au j eUlle roí,
l'arrivée du vieux roi ;l 13ayonne , les sccnes dé-
plorables {lui désullircllt la ünuille royale; et




120 DAOIZ JlT V:ELARDE.


peut-etre, apres de pénibles recherches, n'arrí-
verait-on pas a savoir la vérité, ear elle fut con-
stammellt environnée d'un voile si épais, qu'elle
est encore illconnue a heaucoup d'Espagnols quí
n' ont jamais aband~nné le parti de Ferdinand.


Le peupJe, dont l'instinet est admirable, ne
se trompa point, paree que son attention, con-
stamrnent portée vers un seul but, ne lui perrnet-
tait pas' de se distraire sur d'autres objets, ou
que les masses se sentent douécs de ecHe seconde
vue dQnt sont privés si souvent eeux qui les gou-
vernent. Au départ de Ferdinand de Madrid, le
peuple espagnol gémit en se 'Voyant orphelin de
son nouveau souverain , qu'il ven~it de recevoir
dans la capitale avec d'étonnantes démonstra-
tions de joie; il flt entendre de lamentables cris
lorsqu'il sut que les dernicres personnes de la


• farnille royal e , don Antonio, oncle de Ferdi-
nand, et don Francisco, frere du jeune monar-
que, se préparaient a quitter la capitale, aban-
donnant les renes du gouvernement a une junte
composée de personnages distingués par leur




12r


capacité, mais qui se trouverent elltrainés par
les événemens san s pouvoir les maitriser.


Le grand-duc dtfee1'g, Joaehim Murat, lcbrave
entre les braves, le plus vaillant sold~t de l'a1'-
mée, eomme en meme temps l'homme le moins
propre a :t;nene1' une afThire poli tique, comman-
dait en chef les troupes qui venaient d' envahir
la Péninsule. Son quartier-général était établi a
Aranda, lorsqu'irapprit l'abdication de Char-
les IV en favem' de :Ferdinand VII. Il annon«;ja
son arrivée a Madrid, et la cour lui envoya un
ofiieier aussi distingué par l' élégance de ses ma-
nieres que par sa haute capacité et son dévoue-
mcnt a son pays, Velarde, capitaine au corps
royal d'arti.llerie, qui devait.le féliciter, l'accom-
pagner part?ut, et veiller a ce que rlen ne mau-
quat au grand-duc dans ce pays ou 11 était re«;ju
en allié.


Velarde avait pour ami Daolz,' ofiicier dans le
meme corps. Liés. d'une amitié qui ne dcvait
finir qu'a la mort, ces deux jeunes Espagnols
s'étaien't commulliqué leurs craintes sur les




122 DAOiz ET VELARDE.


événemens qui mena9aient Ja Péninsule. lis ge-
missaient sur l'aveuglement du souverain qui se
laissait dépoU:iller de ses rcAes ", et ils avaient
versé ensemble des larmes de rage en voyallt les
plus helles troupes d'Espagne passer la fron-
tiere, et cheminer par étapes sous les ordres du
hrave La Romana, pour aller hivouaquer sur les
hords glacés de la Baltique, si 10in de leur patrie,
a laquelle elles devenaient inutiles.-


Velarde accepta avecempressemenl la mission
de joindre le grand-duc, et promit a Dao'iz que
la, il verrait si Ieurs pressentimens n'étaient
point trompeurs, qu'il ohserverait la conduite
des Fran<;ais, et qu'il ferait sés efforts ponr de-
vinerl'arriere-penséeduheau-freredel'empereur.


Le grand-duc, instruit des événemens d' Aran-
juez, arriva en quatre jours ~'Aranda a Madrid,
ou il fit son entrée le 25 marso Daolz vit sur-Ie-
champ Velardé, dont la figure portait l' empreinte
d'une profonde tristesse.


t( Eh hien! qu'as - tu o})servé? Les Fraw;ais ,
(( daus. quelles disposi tiOllS 5011 t-ils ?




DAOIZ ET VELARDE.


- (( Exigeans par l'habitude de la victoire!
«( Ils HOUS traitent déja en ennemis conquis.


- « Et le lieutenant de l'empereur~ le gtand-
« duc ~ as-tu pénétré ses intentions '!


- «( Sur-Ie-champ, Daoiz! Murat n'est qu'un
(e soldat, sans idées poli tiques; il se laisse facile-
(e ment devine!', Il ne comprend point la natioll


JI


c( espagnole; iI nous prend pour des ltaliens.
(e Déja une partie de la Castille est exaspérée de
(( l'insolence des soldals fran9ais. J'ai vuque sous
« les manteaux déchirés des Castillans il bat des
(e creurs généreux. La· moindre étincelle pro-
« duira un immense incendie. A vant-hier, eu
c( traversant Buitrago, un malheureux genait le
{( grand - duc sur lOtl passage. Murat le frappa
c( d'un coup de cravache : le Castillan voulut ri-
ce poster; mais j'intervins heureusement, et, le
ce conduisant a l' écart ,je lui glissai dans l' oreille
ce ces mots, qui produisirent sur lui un eiret ma-
( gique. e( Dors, ami, jusqu'au moment du ré-
( veil! » II me comprit, cal' il me serra convul-
( sivcment la maíu. Daolz ~ si J'Espagnc sort de




DAOIZ El' VJ:LARDE.


!( sa Iethargic, HOUS trouverons de dignes des-
(( cendaus de Pélage! Nous n'avons jamais été
(( conquÍs, nous ne le serons jamais.


- «( Comment pa·rle-t-il de nos pretres ?
- cc A vee dérisÍon.
- (( 11 est perdu s'il ne respecte poillt IIOS


c( croyances! Mais qui se mettl'a a la tete de la
( nation'! Godol I'a eorrompue. L'insouciance
« du vieux roi a laissé dissiper nos trésors, nos
c( Hottes, nos armées. :Fcrdinalld nous cst cn-
c( levé! ... Plus de chefs! ... Qui dirigera le mou-
c( vemellt?


- c( Ami, dans la erise qui se prépare, il Y au~
c( rait folie a voulóir tout prévoir. L'Espagnc va
c( etre le théatre d' événemell. qui surprendront
c( les nations. Le mouvement eommeneera par le
c( peuple. Eh bien! le peupl~ nommera ses ehefs.
« Chacun sera classé selon son dévouement ~l la
« patrie, son éncrgie, sa capacité. Dahs la révo-
C( lution qui va avoir lieu, les ordres de l'état se-
cc ront confondus. Si les gl'ands noms ambitioll-
( nent des commandemens, qa' ils les méritent;




HAOIZ 1"r VEI,,~RDE.


« SI un homme du peuple obtient la confiance
« des masses, qu'il les dirige : il n'y aura
« d'exclusion que pour les faibles et les timides.


- « V elarde, je pense comme toi; llOUS tou-
« ChOllS a un moment decisif. Si le peuple espa-
« gnol suppbrte ayec patiellce les premieres hu-
« miliatiolls qu'il receyra des l'ranc;?ais, c' en est
« fait de lui. Mais fa! lu .aussi dans les ames de
« nos brayes concitoyens : j'ai "vu des cccurs ul-
« cérés! Demaiu se releveront des fronts qui se
« courbent aujountllUi. Un reste d'indécision,
« une habitude de respeeter les ordres du sou-
« veraill, ellchaillent encare de puissantes YO-
« lontés; mais le bandeau tombé, lorsque l'on
« sera convaincu de tant de faiblesse, lorsque
« 1'on yerra flue la eomplaisance pour Napoléon
« mene a un llOuteux escla"Vage, al?rs la nation
« puisera de la force en elle-memc; son réveil
« sera celui du EOll. »


Les deux amis se séparerent, sonderent les
esprits, et preparerent les habitans de la capitale
a saisir la premiere occasion de montrer qu'ils




DAOIZ nI' VEI,AlIDF,


ne supporteraiellt point volontiers la pesanteur
flu sceptre impérial.


Cependant les divisions échelonnées sur la
route de Madrid se concentraient dans la capi-
tale; les troupes frall~aises étaiellt passées en re-
vue sur le Prado. C'étaient ces memes soldats qui
avaient promellé leurs aigles victor.icuses en lta-
lie, en Allemagne, en Prusse, en Hollande. 011
l'emarquait cette infanterie de la garde impé-
riale, troupe d'élite, contre laquel1e ont lutté
en vain les effOl;ts des me~leures troupes de
I'Europe; et ces mamelucks, dont le costume,
qui était celui des éternels ennemis des Espa-
gnols, rappelait dans leurs coours des idées de
haine et de vengeance; et ces enfans de la Vis-
tule, ces lanciers polonais, qui jeterent une im-
pression de .terreur qui Q-C fit qu'augmenter
lorsque l'on sut apprécier l'arme terrible qu'ils
maniaient avec tant de succes. Mura,t cherchait
a éblouir les habitans de Madrid par de brillantes
parades, mais il n'excitait point IClli' sympathie.
Ce gélléral , en se déclaraut l'ami , le protecteur




IJAOIZ El' VELc\.lIOE. l'.q
lle Godol, exécré de la lIatioll, amassait sur sa
tete toute la haine que l' on porLait au favori;
son faste ne paraissait que ridicule, et souvent
sur son passage éclataient des murmures, ou se
fitisaient el1tel1dre d'ironiques sarcasmes. .


Un jour;le peuple se précipite a la puerta del
Sol, vers l'hotel des postes, espérant voir arri-
ver des eourriers qui :fpporterol1t des nouvelles
de lem bien aimé souverain Ferdinal1d, parti
pour alIer au-devant de l'empereur. On dit qu'au
chateau Murat veut éloigl1er de Madrid don An-
tonio et le jeuue infant don Francisco de Panla.
On assnre qne le jenne prinee verse des larmes ,
que Murat a ¡ait employer la force, mais que
l'il1fant s'obstine a ne point quitter Madrid. La
mere de Velarde, la soour de Daoiz, généreuses
Espagnoles, ames spartiates dans un siecle de
mollesse, se melent dans les groupes, gémissant
et pleurant sur le sort du jeune ¡nfant. c( Lui
«( partí, qui done nous restera de nos bien aimés
c( souverail1s1 qui 110US dit qu'en ce momentFer~
C( dinand ll'est point prisonnier? Qui sait? Murat
« veut peut-etre 110US imposer pour roi son ami,




DAOlZ El' VELARD1'.


(( l'amant de Pepa Tudo, l'exécrahle Manuel! ... ))
Et le peuple frémissait, et sur ces figures si graves
on lisait l' exprcss ion d'une fureur concentrée.
L' explosion sera terrible.


Au. meme instant un aidc-de~camp du grand-
duc, que J' OH recol1l1ait a son uniforme écla-
tant, passe an galopo (( Le voilit, crie le peuple,
« l' officier qui ya donller l' ordre de saisir l'infant,
( de le lier dans sa yoiture pour l' emmener si le
« pauvre enfant vcut résister r ... )) Le peupIe s'é-
lance au-devan t de l' aide-de-camp pour lui barrer
le passage. L' officier persiste 11. avancer; il frappe,
iI est frappé. Il allait périr lorsqu'ulle patrouille
s' avance , croise la balonnette et l~ déliyre.


Quel est donc cet inexplicable sentiment qui
suhitemfnt enflamme le peuple_ de Madrid? L'é-
lcctricité est moins prompte, la foudre moins


.-


rapide dans ses effets. Le peuple agit comme un
seul homme, semblahle a ces machines ~'emuées
par une force invisible, et dont tous les mou-
yemens sont imposans par leur incroyable ra-
pidité: chacun s'arme a la h:He, saisit une vieille
épée, un fusil, un sabre; les Fran~ais qlll




DAOIZ ET YELARln:. 1 ')9
pass1~1l t dans les rues Ísolés on en petits détachf~­
mens sont massacrcs; les femmes jettent par les
fenetrcs, sur les ennemis de l'Bspagnc (car
d'aujourd'hui les Fran~ais sont regardés eomme
les assassins des Espagnols ) , des pierres, de
l'hllile bouillante, des meubles, ponr les écraser.
Deux mamelueks so.pt aper~us dans les rues


\


d' Alcala : poul'suivis, 11s se réfugient dalls le
Gouycnt des Cannes; les religieux se barrica-
dent.; les mamclucks se rappellent le cruel usage
anquel est destiné leur sabre eourhe; ils tran-
ehent la tete des moincs, les laneent pal'-dessus
la seeonde grille: sanglantes et défigurées, elles
marquent d'un jet de saug lenr passage eu l'ail',
tournoient, tomberit et bondissent sur le pavé,
cal' eeUe fonle si serrée s' éearte par un senti-
ment d'horreur impossible a décrire! Des lors
la fureur du peuple est a son eomble; plus de
quartier pour de si cruels cnnemis, qni outra-
gent la religion, massaCI'ent les ministres de
Dieu, el l'enomellent la haine a peine éteinte
des ehrétiens espagnols contre les musulmans.


9




130 DAOIZ El' Vl'f,ARDE.


Cependant, au premier indice de ce mouve-
ment populaire, si national, si prompt, Daolz
et Velarde avaient cquru a leur c~serne. Leur
quartier, situe a la porte de l'uencarral, con te-
nait vingt-six pieces d'artillerie et dix mille
fusils enfermes dans des caisses. Depuis quelques
jours ces deux officiers avaient prepare les
soldats de leurs eorps a un evenement qu'ils
prevoyaient. Accourant a la háte, ils s' écrient
que leurs [reres sont assiéges dans leurs caser-
nes; que les l'raw;ais massacrent les Espagnols,
égorgellt leurs femmes et leurs pretres. Ils ju-
rent a leurs canOlllliers de mourir pour la" dé-
fense de Madrid, ponr leul' souveraill, pOUI'
leur religion. Les artilleurs s'atteIent eux-memes
aux pieces, les mettent enmouvemellt, les
chargellt, et dirigent leurs &ux dans les calles


..


San-Bernardo et Ancha San-Bernardo.Les caisses
I


d'armes sont défoncees, les fusils donnés aux
défenseurs de la patrie. On s'arme, on s'exalte;
ce jour doit amener la destructioll des Fran~ais
el la délivrallce de l'Espa~lle. (( Ami, dit Velaroe




DAOIZ ET VELARDE"


a Daolz, ou HOUS sa~verons l'Espagne, ou nous
mourrons ici! Que notre sang retombc sur nos
ennemis! Vive Ferdinand! Mort aux Fran<;ais! ))


Mais leurs intrépides ennemis n'étaient point
restes oisifs. La générale bat dans les rues de
Madrid; les détachcmen& se massent, les troupes
sortent de leurs quartlers; l' artillerie enfermée
an Retiro, les régimens qui occupent la posi-
tion de San-Vicente et de San-Bernardino, qui
domine la ,¡He clu coté du palais, prennent
les armes, et entrent dans les rues en colonnes
serré"es. Les greuadiers ~t cheyal de la garde
impériale, cavalcrie pesante si rcdoutable, les
lanciers polonais, les mamelucks, exécutent plu-
sieurs charges, refoulent et dispersent ce p~uple
armé ¡t la h;lte, qni combattait de sa propre
impulsioll, sans chefs, sans plan déterminé.
Plusieurs pieces de canon sortent du Retiro,
débouchcnt par la porte d' Alcala, vomissent la
mitraille dans cette rue si large, et dissipent
la foule.


Mais le canon espagnol se faisait entendre a




la porte de :Fllellearral : et~ poillt oUbit' plus
de résista llce, cal' la cornmandaient deux chefs
militail'es, hommes d'exécutioll et allimes du
feu sacré. Une forte colonue de grenadiers
frall~ais arrive an pas de eharge par la place du
due de Lyria et de Berwiek, travt'rs(' la place
des Gardes-du-Corps, la place des Commalldeurs
de San-Jago , et arrive en fa ce de la porte de
Fuencarral, ou plusie1ll's dceharges a mitraille
,jettent dans ses rallgs la mOl't, sallS y repandrc
l'effroí. Sans tirer un eoup de fusil, les grclla~
diers s'avancellt au pas de eharge, et emploiellt
la balollnette, eeUe arme si terrible entre les
maitls des Fran<,--ais. Les callOnniers espagnols
. .


se fóut tllcr sur leurs picccs; Dao'jz rt V c1anle
expirellt perces de miUe conps, lllttant a, cc un
courage digne d'Ull mei1leur sor! contre ulle
troupe dix fois plus llombreuse que ccHe qn'ils
commalldaient : aiusi pCl'ireut, premiers mar-
tyrs de la liberté, cps deux jeUlws Espagnols
dont le 110m fut deYCllll t'pl(\hre dalls la guerre
de l'indépe1J(lance.




n,\OIZ ET VELARDE. 133


L'illsurrection commelH;a ~l dix heures du
matill : a cillq heUl'es, e( l'ordre régnait dans
(( il1adrid. »


Pendant trois jours des executions sanglantes
curcnt líen par ]' ordr(~ du graud-duc de Berg.
Coupables ou 11011 d'avoíf' prís part a l'insur-
rectiou, un gralld n~bre d'Esp!gnols furent
arretes, condamues, fusillés, sans qu' on accor-
dat ~l lenrs insta Iltes prieres les secours de la
reIigioll, salls receyoir allCUlle consolation d'un
prétre; cux, Espaguols, traites ainsi ! quel
críme! quellp ülUte ! Aussi la jourllee du 2 mai
1808 dOllna uaissauce a cette haine que les Es-
pagllols porterent aux FralH;ais, et qu'ils assou-
virent par des Véii.geauces terribles. Napoléon
y pcrdit ses plus braves troupes. Telle était ce-
pendant la presomptueuse confiance de Murat,
qu'íl s'éeria : el Cette jourllee dOl1ne l'Espagne
e( a l' empereul'! - Dites plulot qu' elle la lui
e( enleve pour tOl~jours )), lui repolldit le ministre
de la guerre O'Farril.




CHAPITRE xv.


SI, al'age de vingt ans, vous eussiez fait par ti e
de cette belle armée qui, apres des marches
pénibles, arriva a Madrid dalls l'été de 1825,
belle de discipline et de tenue, comme si elle
fut sortie d'une cas;rne·pour aller a une pa-
rade, vous eussiez été fiel' de vous promenel'
dans les rues de la capitale de l'Espagne avec cet
élégant uniforme fran<;ais qni n'a ni les formes




MENECHlLDA. 135


amples et saus gou t des peuples du Midi, ni la
roideur de ceux dn Nord; vous eussiez vu nos
jeunes militaires inondant, dans les momens
de repos, les vastes allées du Prado, remplies de
promeneurs, ou eeHes plus silencieuses du Re-
tiro; vous eussiez vu nos élégans officiers de
cavalerie parader~ autour des lourds carrosses
dorés qui portaient lentement ces jolies habi-
tantes des palais situés dan s les rues d'Alcala ou
de San-Berllardo, talldis que, assis sur des ehai-
ses adossées aux antiques sycomorcs, d'autres
trouvaient un charme iuexprimable dans des
conversations a demi-voix avec les nouvelles
connalssances qu'ils avaient faites depuis quel-
ques jours. Chacun, au bout de quelques se-
maines, SelOll son l'ang, son gl'aae et ses gouts,
s'était créé une IlouveUe famille, Ol! iI rendait
SOIl1S pour SOil1S, OU il recevait attention pOUl'
attention.


Au coÍn de la Cal1e-Mayor et de la petíte
me qui mime a la place de Guadalajara, SOLlS
ces arcades ou se vendcnt ces belles oranges de




136 Ji EN J(CHILDA.


Portugal, ces cédras, ces limolls de Mayorque,
ces dattes si jaunes et ces gl'enades mOllstrueuscs
d' Alldalousie, on voyait des groupes llombn:ux
composes des militaircs de la garnisoll de Ma-
drid; OIl se pressait vers UBe porte étroile qui
dOlluait entréc a Ull magasin de tabaco Adoptant
sur-Ie-champ les usages du 1I0uvean pays OU iIs
etaient destines a "i"re quelque temps, les
Fran<;ais fumaient tous comme les Espagnols,
et s' enivraient des donces bouírées de cette fu-
mee exquise sortie des feuilles de la Havane;
mais ce qui attirait dalls eett:' boutitflle obseurc
une partie de la garnison ,e' étai t moins la qua-
lité de la marchalldise qui s'y débitait, que les
heaux yeux de Menechilda, la plus jolie fiHe
de Madrid, qui, le leudemaiu de l'arri,ée des
troupes fralH;aises, avait déja ulle cour llom-
hreusc. Pour découvrir de joJies femmes dalls
leurs rctraites les plus cachées, 1105 milit.·lÍres
out un iustinct particuIier.


Au hout de trois semaines, MCllcchilda avait
fixé son ehoix; et s'jI v('uajt ('1H'0l'1' quel<[ues




l\[ENJ<:CHILDA.


chalauds, e'était ponr admirer la piqnallte tour-
Hure, les heaux yeux, les graces elljouées de la
jolic marchaude de la Calle-Mayor, mais salls
espoir de voir leurs soins récompcnsés autremellt
que par un sOlu'ire; cal', je vous Je répete, Me-
Ilcehilda a,'ait fixé SOl! ehoix, et I'Alldalouse
ayant vololltail'emelltdonné son ereu)', ne s'ima-
ginait pas qu'il y eút possibilité de rcccvoir
d'hommages ([ue de celui qu' elle avait distingué
parmi tousl('s autre,;.


C'était dOlle }'rauck, sOlls-oJ1ieier dans uu de
ces régimells de cavalpl'ie légere oú, jeune
homme, vous cussicz youlu porter le dolman
serré, la pclissc tombaute sur l' épaulc, la sabre-
tache flottallt cadellcée et brillante, et le sabrc
rctcntissallt snr Ull payé illégal; c'était Franck
l' Alsacien , avee les dH'veu x hlollds des ellfans
des horos dll Rhjn , ses yeux blens, sa moustache
dl'oite et cirée, qui avait mis de coté les llom-
breux adorateurs de :\;[cllcchilda; f'rallck, gentil
hussard, qui avait juré qu'il lJ'aimerait jamais
f[U(' la h.,lle A IIrta IOllse, l'I. (fui le lToyait; e' était




~I L-V:ECHI LDA.


Franck qui avait re~~u les premiers soupirs, les
premicres amours, et toutes les pensées de
Menechilda.


Lorsque Franck traversait la Calle-Mayor, il
s'arretait chez Menechilda; Alkirk, son cheval ,
restait attaché aUx allneallX des arcos de ]a rue de
Guadalajara. La jeu11c fiHe reconduisait Fra11ck
sous les arcos, apportait toujours au coursier des
gateaux el des azucarillos, flattail !-Ion con llcr-
veux, passait dans les flots de sa Crilliere ses
doigts eHiles; et l' 011 eut dit aux hen lliSSemells
d' Alkirk , ~l ses trepigllcmeJls, ¿l la maniere donL
il fron~ait ses levI~es en moi'dant son mors, qu'il
voulait témoigner sa reconnaissance a la helle
amoureuse de son maitre. }'ranck accompagnait
partout Menechilda, el dans les aUées de chenes-
verts du Retiro el sur les bords du Ma1l9anares,
sous ces platanes élevés (lui dom~nt un ombrage
si épais et si recherehé , depuis la porte de San-
Vicente jusyu'au pOllt de Ségovie, et aux messes
basses 'de Nuestra Seliora d'Atocha, el anx céré-
monies si majestueuses de l' eglise de Sall~Isiclro ,




lIENECHJLDA.


oú l' orgue gemit en tongs soupirs, ou gronde en
tonnant s.ous les voutes de cette église, la plus
riche et la plus clorée de Madrid. Lorsque, age-
nouillée sur les nattes qui tapissent les saints
parvis, Menechilda s'inclinait en frappant sa
poi trine , que derríere elle se clessinait l'ranck,
debout, irnmobile, la tete nue, appuye sur son
sabre, fixant les voutes du temple, on eut dit
un de ces groupes symboliques représentant la
Force et la Religion, ou l' Ange de ]a Guerre pro-
tégeant la Faiblesse. Menechilda priait Dicu ponr
Franck. L'Espagnole confondait dans son am(~
Dieu et son amaut, et ses'prieres s'élevaient ar-
dentes au clel, cal' elle croyait sincerement se
racheter par de frequentes stations devant la
chásse de Santa - Barbara. Mélange inoul de
croyances religieuses et de faiblesse humaine,
quí révele une confiance secrete dans la bonte de
Dicu.


Un jour, Franck passait au galop devant Me-
ncchilda. Son cheval glisse sur le pavé brillant
ct plombé, s'abat J et roule dans la poussicre.




MEN.ECHILDA.


Franck se frappe violemment la tete, el re5te
immobile, pale, sans connaissance. Tral1spOrl~
chez Menechilda , il rec;ut les soins les plus teu-
ctres. Au hOllt de quelques heures il revicllt de


. son évanouissemellt , et se réveille entre les bra8
de sa maltresse. L'effi·oi (Ju'éprouva lajeune fiU~
révéla chez elle un scntiment profoud d'amollr
dont elle iguorait encore la force. «( Je lie savais
{( pas vous aimer alltallt, dit-rllc a :Frauck; si
(( vous m'éticz infid¿:le, je monrrais; si yons me
{( quittiez ,je perdrais la raison. Conservez-moi
(( tOl~ours votre foi, et lIe me quittrz jamais. ))
:Franck jura sur l'hollueur du lluméro de son
régimen! qu'ill'aimerait toujours, et qu'il ne la
qllitterait jamais.


Quatre mois s'étaient écoulés depuis l'entrée
des troupes fraJ1faises ~t Madrid : deja le hruit
circulait qu'une division allait faire un mouve-
mentrétrograde, et reprendre la route de :France.
Le régiment de Frallck devait rentrer un des pre·~
miers. Cette nouveUe fut accueillie avec indiffé-
reJ1(:e de la part de l' Alsaci('Il; et'pPlldant, iI




NIENECHILIlA.


s'imagina qn'elle pourrait faire de la peine a
Mellechilda : iI prit alors un partí scnsé, raison-
IJable, naturel, mais (lui paraitra incollcevahle
de barbarie a cenx ([ui auront pu penser que
l'Espagllole était éprise d'uue violente passion
pour lui.


Un détachemellt de hussardsdevait partir quel-
ques jours a l' avance, et précéder la division.
Frallrk en faisait partir. Il résolut de cacher son
départ a Mellechilda. C'était uu homme vérita-
hlemellt rempli de procédés et de délicatesse que
Frallck l' AIsacien, sous-officier de hussal'ds.


Il partit : la veiHe, il avait quitté Mcnechilda
eotume a l' ordillairc.


Le lendemain elle ne le vit poiW : elle attribua
S011 absellce á drs devoirs, a un service militaire.
Deux jonrs se passerellt dans une attrnte pénihle,
daus des angoi,<;ses inexprimables.


Elle apprit ellfill l'affrC'usc Ilonwlle .... le dé-
part de }'ranek pou!' sa patrie! 11 ne devait plus
jamais revellir a Madrid. Elle nf' dC\3it plus le


'. . I "lT '11 1 ') revol1' )amals.... l' ons croyez qu e e p eura.




1/12. ~IENFCHILD A.


nOll .... pas une larme ne vint mouiHer sa pau-
piere; mais ses levres palirent et tremblerent,
son front devint brulant. Mille idées se croi-
serent dans sa tete: une seule les domina toutes;
elle voulait revoir :Franck et moui'ir.


Elle part, traverse Madrid, gagne la porte de
}'uencarral, et marche long-temps, long-temps
sur eette route blanche et poudreuse qui eoupe
cette plaí!le si triste, si uniforme, si brulante,
ou ron ne trouve point un seul arhl'e pour
s' abriter de la chaleur, pas un village pour se
reposer. Le soleil dardait ses rayons aplomb
sur eette tete dans laquelle s' operait un affreux
désordre, une désorganisa tion complete d' idées ....
Meneehilda pe~ait la raison.


De ce momcnt elle fut infatigallle. La jeune
filIe délicate qui élait harassée lorsqu' elle reve-
nait du Retiro a la Calle-Mayor, marcha toute
la journée saus prendrc de nourriture, sans s'ar-
reter. La premiere lluit, elle la passa a Buitrago
sous le portail d'une église. Le lenclemain elle
atteignit l'arriere-garcle de la divisioll, et mar-




UEJliECIIILD.~ •


<:ha long-tcmps confolJ(lue pele-meIe avec les
valets et les traillards de l' armée, et, faut-il le
dire, en butte a.leurs propos grossiers, a leurs
hrutales plaisanteries.


A.n hout de que!(lurs jours ses pieds étaient
BUS, meurtris, cllsauglantés; ses chevcux en
désordre tomhaient, souillés de pOllssiere, sur
son cou amaigl'i et roidi par la douleur; son teint
était flélri par un soleil ardent. Mellechilda, la
jolie .i\'1cllechilda, 011 He la connaissait plus que
sous le 110m de la folle de i}[ad"id. Les soldats
criaicut : Olté y la folle? elle les regardait fixe-
meut, haissait la tete, et marchait toujours,
toujours ! ... Hélas, si elle avait pu pleurer!


Elle arriva un soir a Tolosa, et alia passer la
uuit sous les eolollues eannelées qui soutiennent
le porticlue de San - Allton. Elle avait froid la'
pauvre folle de Madrid. La luue était claire, le
temps serein ; mais la uuit était humide el gla-
ciale autant que la journée avait été bru]ante.
Sans nourriture depuis deux jours, Menechilda,
accroupie contre uu des pilastres intérieurs de




la yonte dn portail, étt,it absorbée, sans forces,


sans pensées; courbéc !iOUS le malheur, mais ne


pouvant plus rassembler une idce, et ayant ou-


blié et les plaisirs et les donleurs du passé;


Franck (\tait meme emlC(> de son son,euir.
Elle' commen«;ait a dormir de e(' sommeil


lourd, fatigant, elltreconpé d'agitation, 10rs-


que la grosse cloche de Sall-AlltOlI S01ma milluit.


Une cIoche plus petite, cl'UlI SOIl plus cIair, tinta


quelques minutes; e'ctait l'lwure de la pl'ihe des


freres du COU\'f'llt. Ce bruit la tira de son assou-


pissement. Elle S(' }(''':1 hrUSlllI('l1Wllt et se dil'i-
gea dans la rue des Arquillos , ,is.-a-,is de l' église


ou elle ayuit passé la nuit. Apres plusieurs dé-


tours elle arriva sur le pont qui joillt Tolosa a
Lmtrc riye, en faee de la I'outc de Na,alTc.


La Déba roulait ses eaux limpides a,'ec fracas,


irritéc de tromer son cours obstrué par des


quartiers de rochers détachés des hautes monta-


gues au bas dcslluel1es elle sel'pcute cn f.·.\Ísaut
mille detours, Dehordant (lnd(lllefoís dalls lIue
plaine basse, et laissallt entrc~oil' eomme a tra-




JfE:VRCHILD ,L


vers un cristal des herbes verte s qm se dé-
ployaient en rubans d'émeraude; d'autres fOÍs,
immobile, profonde et noire comme les rochers
qu'elle réfléchissait, elle semblait ralentir son
cours, la capricieuse, pour bondir, vaporeuse ,
éclatallte de blanchenr, et retomber en pluie au
pied des aunes et des chenes-verts qui bordaient
la prairie étroit~ et encaissée entre la route de
Madrid et la chaine de montagnes qui s' étend
depuis les sources de l'Araquil jusqu'a l'embou-
chure de I'Orrio.


Au moment Ol! la pauvre fille arrivait sur le
pont, deux soldats ivres regagnaient 1eurs 10ge-
mellS; ils crierellt : « e'est la folle de Madrid )J,
et voulurent la pOllrsllivre. L'lln d' eux la saisit,
lui pencha violemmcnt la tete et l'embrassa.


Elle s' échappe de ]eurs mains, monte sur 1 ..
parapet du pont, et s' élance dans la riviere ....
Les soldats épouvantés s'enfuirent.


*,-La pauvrc fi]]e tomba sur un qual'tier de 1'0-
~h\r, et se brisa la tete.


La chute fut terrible. Ce COUl't instant de
10




1IIENECHILDA.


douleur si vive lui rendit un éclair de raison, et
lui rappela quatre mois de joies, de bonheur et
de fautes.


L'eau qui tourbíllonnait rapide sous le pont
mena9ait de l' engloutir. Elle voulut ressaisir
l'existence qui lui échappait, et se raccrocher 11
la vico Elle tenta de se cramponner au rocher;
mais il était usé par les eaux de la Deba, poli,
couvert de mousses glissantes, d'algues vis-
quetises.


Entrainée, elle leva la main droite pour faire
le signe de la croix. Elle se repentit devant Dieu;
ses levres ·murmurerent : ( Ave iJ,faria puris-
sima! » Personne ne lui rendit le salut de son
pays; personne ne répondit: ( Sin Peccado
concebida! »


Sa pensée intime, Dieu seulla connut. Ce fut
un secret entre le Createur et sa faible creature,
'entre le maltre et la servan te , entre ceHe
avaÍt péché et celui qui [ait miséricorde.


Elle disparut.


qUl




CHAPITRE XVI.


....
Ct prabD •


QUl n'a entendu parler du Prado, de ses vieux
sycomores et de ses ormes antiques? Qui ne
connait cette promenade, délices de Madrid, si
célebre dans les romans espagnols, théatre de
scenes d'amour et de galallterie? Ses longues et
vastes allées ornées de fontaines, d' OU jailli t
une eau limpide qui rafraichit l'atmosphcre sou-
vent embrasée, ou obscurcie par une poussiere
épaisse, sont, pendant l'hiver, remplies de
monde a l'heure ou]e soleil vient réehauffer de




LE PRADO.


ses rayons cette partie de la vil1e abritée des
vents par le palais du Retiro, demeure royalc
dontles jardinsarriventen pent.ejusqu'au Pradd.
Pendant l' été, e' est. au moment OU le soleiI dis-
parait et semble s'éteindre dans les cimes dente-
Mes des sierras, qu'il dessille enflammées sur un
eiel pur ~t bleu, que les habitans de Madrid s'y
rassemhlent en foule pour y respirer l'air fi'ais
du soir jusque fort avant dans la nuit.


Graves et sérieuses en apparenee, mais avee
des passions vives qu' elles sont foreées de dissi-
muler, e' est souvent au Prado que Ie~ femmes
eastillanes perdent eet air de sévérité capable
d'effrayer l'étranger qui ne connaitrait point les
moours du pays. Leurs oreilles ne s'efKw.'ouchent
plus de doux propos, et cette promenade est
encore, comme au temps de Cervantes, le licu
OU le soir on se rencontre par hasard, et OÚ l' on
se trouve avec plaisir.


Quelques voyageurs reprochent aux femmes
espagnoles l'uniformité de leurs costumes. Le
Prado, disent-ils, semble etre le théatre de la




LE PRADO.


gravité eastiI1ane. Les longs voiles y. dérobent a
demi leurs figures; les mantill~s, les robes
noires, y dominent, ~t l' on ne voit pas comme
aux Tuileries cette variété 'qui plait et rejouit.
Ces observations ne sont point dépourvues de
justesse. Mais aussi (fuel cachet national ne porte
point cette mise espagnole? N'y distingue-t-on
pas egale¡nent et les Castillanes a leur air grave,
a leur maintien compasse, et les Valen~aises a
lenr tOUl'llUre souple et cambree, et les Anda-
louses a leurs pieds effiles et mignons. Chaque
province revét la mode uniforme de la capitale,
mais y conserve l'empreinte qui la fait reeon-
naltre aux yeux me me les moins exercés; elle
y est représentee vivan te , colorée de son teint ,
animée de sa démarche, gracieuse de ses airs de
tete et de ses mouvemens on:aulés que les Espa-
gnols designent sous le nom de 111eneo. Du reste;
les modes francaises commeneent a s'introduire ,
clans eette promenade. Les élégans chapeaux, les
robes et les étoffes nouvelles, sortis des ateliers
cl'Herbaut, de Dclisle, portes avec gont par les




],E PRADO.


ambassadrices et quelques femmes étrangeres,
finiront par itre désirés par les Espagnolcs, et
enHhir le Prado. Tant pis! que chaque pays se
conserve avec sa natifmalité. Il serait aussi re-
grettable de voir les dames de Madrid se dépouil-
ler de la mantille, de leurs peignes élevés et
s'habiller a ]a fran<,;aise, que de voir les Turcs
quitter le costume oriental, jeter le l<lrge pan-
talon et l~ turban ponr revetir l'habit roide et
étroit des Russes.


En face du Prado plusieurs allées conduisent
aux jardins du palais du Buen-Jletiro, vaste réu-
nion de hatimens et de cours sans gout, long-
temps demeure des rois de la maison de Bourbon.


Philippe V, Charles llI, Charles IV, Y fixc-
rent a peu pres leut' séjour. Ses promellades sont
immenses, mais tristes, et se lient an Jardin bo-
tanique, remarquable par la variété et le nom-
bre des arbres et des plantes exotiques qu'il
renferme. Quelle nation mieux que les Espa-
gnols, maitres des Amériques, pouvait créer ave e
plus de succes un établissement de ce genre. Aussi




LE PRADO.


ce jardin et le cabiuet d'histoire naturelle sont-
¡ls les plus complets el les plus riches que pos-
sede aucune capitale de l'Europe. Dans l'im-
mense enelos du Retiro paissent des chameaux
et des dromadaires qui y semblent naturalisés.
L' horizon au loín est désert, quclques oliviers
y croissent sans vigueur. Une plaíne uniforme,
sal1S aucun arhre, s' étel1d a perte de vue; l' as-
pect de Madrid de ce coté est d'une aITre'use tris-
tesse. Qudqnes vOJagcurs prétenclent que cette
partie de la capitale om'e 'beaucoup de ressem-
blance avec les cm irons de Jérusalem.


Par une helle jourllée, madamc de Salzec.lo,
Blanca et ~laurice se promenaient au Prado :
Maurice plus éprisque jamais de sa beUe hotesse;
Blanca triste: elle étaít depuis long-temps sans
nouvelles de son perc. L' eX<lspération contre
les constitutiollnels augmentaít en rais011 de
leurs défaites et des sUcct~s de l'armée franpise,
accueiUie a,'cc cnthousiasme par les popnlations
des campagnes, victorieuse partout OU elle ren-
co \lirai tren llemi, ha ttan t les iro upes qui dé-




LE PRADO.


fendaient enCore les bases degradees.d'une con-
stitution mort-nee, imposée par ]a force.


Un orage avait rafraichi l'atmqsphere, l'air
était pUl' et frais; aussi les promel1eurs étaiel1t-
ils nombreux. Chacun nc paraissait occupé que
d'ohjets frivoles, lorsque par un mouvemcnt de
curiosité soudain, sans en conllaitre encore la
raison, mais pour essayer de voir ,chacun suit
l'impulsiol1 de ceux qui l' entourent, moute sur
les chaiscs, se dressc sur ses picds, cherche ¿l
se grandir et a dominer ceux qui d~ja se pré-
eipitent vers les aUées qui arrivent :l la pro-
menade des Délices, du coté de la porte de
Valence. De loin, on aper<;oit hriller quelques
armes : oú distingue une troupe irréguliere et
peu nomhreuse; quelques hommes portent des
mouehoirs noues négligcmment autour de la
tete, les aub~es des eoiffures militaires ornées
de cocardes rouges d'une grandeur démesuree;
ceux - ei dc longs fusils, ceux - Ikl de courtes
carahines.


De la foule des eurieux serrés autour de cette




troupe, s' échappe un long murmure qui grossit
a mesure qu' elle approche; les cris de muera!
sortent de quelques bouehes, répétés eomme
un écho par eeux qui sont. les plus éloignés :
des rires se font entendre, des s:reasmes amers,
des paroles offensantes, des injules grqssieres,
enfin d'affreuses menaces. La foule arrivait agi-
tée et tumultueuse pres du groupe formé par
Blanca, madame de Salzedo et Mauriee. Les
physiollomics prennent un air sinisfre. De tous
les points du Prado, des mes qui aboutissent
a eette promenade, se préeipite une population
irritée qui s'arme de batons, de pierrcs, de
couteaux; ear elle sait déja que ee sont des pri-
sonniers eonstitutionnels que ramene a Madrid
une guérilIa royaliste; elle sait aussi, ·on lui a
dit, elle ne peut en douter, que I'un d'eux a
tué des moines, craehé sur la croix, frappé
Ferdinand dans sa prison : elle veut se ven-
ger elle-meme d~s blasphématcurs, mettre a
mort ceux <{ui out porté une main impie sur
leUl's pretres, sur leul' mOllarque bien aimé.




Blanca, montée sur une chaíse, n'aper~~oit rien
encore : la bande armée et les prisonuiers s'ap-
prochent; elle va voir! mais déjtl' on jette sur
eux de la poussiere, quelques pierres lancées en
l'air doivent les"blesser en retombant. Les guer-
rillas se serrellt autour des captifs, qu'ils essaÍent
de défcndre ; ils disent qu'i! faut qu'ils remet-
tent ces deux homru.es entre les maillS des auto-
rités, qu'ils ont droit a une' récompense; que
e' est lenr fairc tort a eux, royalistes', de lcs mas-
sacrer ici; (Ju'ils les conduisent au gouverneur;
que, dans son palais, on les tuera sil' on veut, mais
que l' on doit encore attel1dre. Le peuple, avide
d'émotions, vindieatif , ne saurait se rendre a
de pareilles r<\isons; c'est du sang qu'illui faut,
du sang sur l'heure : il erie muera! et se préci-
pite furieux, égaré. Ln homme s'éerie : C'est
un cortes! Blanca reeonnait son pere. e' est le
marquis de Casamayor! s'écrie-t-on d~ toutes
parts : muera! muera!


Blanca serre le bras de Maurice, l'entraine,
lui crie : Mauricc , e' est rnon piTC! De Trans




Ll<: PItA OO.


yoit le danger imminent, il s' élauce; une Fra.n-
~aise des Tuileries se fut évanouie : l' Andalouse
marche, bondit, écarte la foule, l'ffiil ardent,
paJe, sublime de col ere , d' amour filial, de cou-
rage. Une pi erre atteint au front Casamayor et
l' inonde de sang; un homme le saisit au cou,
brandit un couteau; iI va frapper, lorsque
MaUl:iee lui arrache l'arme meurtriere, prend
S011S le bras Casamayor, l'adosse a un arbre, se
place dennt lui, lui fait un rempart de son
corps, et du fourreau de son sabre frappe et con~
tient les plus ardens. « A moi, la Garde! J) crie-t-il
a quelques soldats fram;ais qui passaient : ( A
nous, la ligne !) s'éerient a leur tour ces braves
:1 d'autrcs promeneurs. En un clin d'ffiil, Mau~
rice est el1touré des siens. Casamayor croit rever,
il est samé de la mort : manca étanchc le sang
(Jui coule dans ses yeux; Maurice le prend so~s
un bras, un cuirassier sous l'autre, Pédro se
serre~'lutour d' eux ; la petite escorte met le sabre
fl la main, passe victorieuse et fit're a travers la
{oule qui murmure, menace et exhale son mé-




LE PHADO.


contentement en propos injul'ieux. A quelques
pas, se trouve un corps-de-garde, dans lequel
Maurice pousse plutot qu'il n'y fait entrer Casa-
mayor: la garde sort, de nombreuses patronillcs
arrivent, dissipent le tumultuenx rassemble-
ment, et menent chcz le gouverneur fran~ais le
malheureux marquis de Casamayor. Maurice l'y
accompagne, explique que l'ancien député aux
cortes doit etre portenr d'une sauve-garde du
prince; il n'a plus ríen a craÍndre ~ il est cutre
les mains et sons la protection des Fran~~ais.


Le marquis de Casamayor raconta que la
bande d'Alltonio se grossit considérablement en
raison des succes de notre armée ; elle se divisa
en deux troupes, pour faire un coup de main
sur une petite ville qui avait gardé la pierre de
la constitution. Thomas, ;t qui avaient été con-
fiés les deux prisonniers, s' étai't séparé de son
chef; Thomas len!' avait fait faire des marches
pénibles dans les montagnes, en évita.nt soÍ-
gneusement de rencontrcr des détachemens fran-
~ais, voulant arriver le premier a Madrid pou!'




Lr. J'IlADO.


aVOlr sao g'í'itce, en remettant aux maíns du
gouve1'neur espagnol rancien membre des eor-
tes. L' ordonnanee rendue a Andujar par le prinee
n'était point eonnue de ces chefs de bandeo
L'armée entiere, secondant de généreuses inten-
tions, s'opposa 11 des réaetions sanglantes; les
passions se calmerent un peu, les Fran~ais ar-
reterent les représailles; car, dans leurs guerres
eiviles, l' esprit de vengeanee est terrible chez
les EspagnoIs, et le souvenir du mal qu'ils ont
souffert reste gravé profondément dans leur
esprit.


Echappé a une mort eertaine par le courage
de Maurice, le marquis de Casamayor apprit
que e' était a lai qu'il devait le sauf-conduit ob-
tenu du prince. Il ne savait comment lui en
témoigner sa reconnaissance.


Apres quelques jours de repos a Madrid, i1
résolut de quitter encore une fois l'Espagne,
d'emmener avec lui sa soou1' et Blanca a París,
et de ehercher en Franee un asile, pour oublier
les ehagrins amers et les eruelles déceptions de




158 I.E PRADO.


la politiqueo Avant son départ, Mauf'ice supplia
madame de Salzedo de faire au marquis la de-
mande de la main de sa fille.


Les i'eliltions qu'avait eues 11 Florence ave!'
l' oncle de Maurice le marquis de Casamayor,
sa familllj, qui lui était connue, le rang qu'ellf'
occupait dans le monde, sa fortune, son édu-
cation, les immenses services qu'illui avait ren··
dus, tout concourait a rendre facile une pareille
négociation. Maurice, ivrc de joie', Blanca, an
combIe du bonheur, appl'irent du marquis de
Casamayor que rien ne s' opposait a leur union.


Une action d' éclat qui amena la déIivrance
de Ferdinand termina la guerre : la garde royal e
r~<;ut l'ordre de rentrer en "France; et avant le
départ de Mauricc, les deux aman s furent unís
dans cette église de San-Luis, oú Blanca allait.
si souvent déposer an pied des autels le secret
de son coour, et les vooux qu' elle formait pou\,
le bonheur de Maurice.




LA CATALOGNE.




..
,.




CHAPITRE XVII.


Ca (![ata!trgnr.


LE qllatrieme eorps d' armée, eommandé par
le doyen des maréchaux de Franee, le vieux
Moncey, devait agir en Catalogne. Les régimens
qui depuis IOllg~temps formaient le cordon salli-
taire établi entre la France et l'Espagne, compo-
saieut ce corps d' arméc, fort de trois divisions,
comptant dix-huit milIc hommes. Les soldats
étaient depuis quillze mois aecoutumés a une vie


1 1




1.A CATA LOGNE.


active, et fac;:onnés déja au rude métier de la
guerre, puisqri' ils occupaient une ligne de postes
dan s les montagnes des Pyrénées, et que plu-
sieurs fois il y avait eu échf\ngc de coups de
fusil avec les postes avancés aes constitutionneJs
espagnols.


Le quatrieme corps comptait un grand nom-
bre d' officiers , la gloire de l' ancienue armée. Le
maréchal Moncey avait fait la premiere guerre
de Catalogne : il avait laissé une réputatíon de
loyauté et d'intégrité qui le précédait dans
cette province. Deux divisions étaient comman-
Mes par les généraux Donnadieu et de Damas.
La cinquieme division était commandée par le
général Curial, qui fit ses premieres campagnes
en Égypte. Blessé de trois coups de feu au siége
de Saint-Jean-d' Acre, iI prit tous ses grades sur
le champ de bataille, et commandait en Russie
les chasseurs a pied de la vieille garde, dQnt le
nom seul prononcé rappelle tous les hauts faits
d' it d l' . El' A' l' , armes e empll'e. neve trop tot a armee
et a ses nombreux amis, le géuéral Curial a laissé




LA CAT<\LOGNE. 163
de profollds souvenirs dans le ereur de ses an-
ciells compagllons et de ceux qui ont approché
cet homme loyal, que tout le monde aimait a
cause d~ ses vertus militaires et de ses rares qua-
lités privées.


Sous ses ordres, les brigades étaient comman-
dées par les généraux : Vasserot, hommede tete,
d'exécution, connu dans l'ancienne armée pour
son sang-froid et son illtrépidité; de Vence, co-
Ionel sons l' empire, qui semblait avoir voulu
prouver, comme les COiglly, les Mortemart, les
Larochejaquelein, les Chabannes, que l'ancienne
noblesse devait se trouver partout ou elle pou-
voit rajeunir sa gloire; Peccadeuc, émigré quí
se battit sous l'empire, comme sous l'ancienne
dynastie, avec hravoure et loyauté. Avec ces gé-
néraux marchaient les colonels: Tholosé, bouil-
tant, actif, chef d' état-major lorsqu'il tra~it la
marche d'une hrigade, soldat d'avaut-garde un
jour d' affaire; Achard, criblé de dix-huit ble~
sures; Cadoudal le Breton, qui, toujours en
avallt des tirailleurs, criait, comme dans les




champs de la Vemlée, ¡l ses voltigeurs, Bl'etolls
comme lui : « Égaillez-vous, mes gars! )) Hun:l,
compagnon d'armes du général Curial, gui avait
doublé l'étape a force d'actións d'éclat et de com-
bats, cal' il fut colouel de honne hem'e. Dans la
cavalerie, les co]onels : Nicolas, intrépide soldat,
quí tous les matins faisait manc.euVl'er ses pelotons


. sous les houlets de la place de Barcelonne, pon!'
habituc]', disait-il, ses chevam: aH fen; de Beau-
mont, bravc el fidde, adoré de ses chasseurs el
de ses offieiers. Lorsgue dans nos marchcs, ou au
[en dn bivouac: ils nous racontaient, CllX, soldals
flui avaient hIanehi leurs fournimens dans le Nil,
et dont les étoiles de leurs épaulettes d'or avaiellt
réflété les feux de Moscou, 10rsqu'iJs nons 1'acon-
taient, a nous, trop jeunes pOUI' avoir partagé
Jeurs tranux, l' histoire de leurs v iciHes guerres
et les reeits fahuleux de lenrs combats de géans,
non s les écoutioIlS a,-ee la mcme attention que ces
j~unes Athéniens auxquels Xéuopholl racontait
les merveilles de J'immortelle retraite des dix
milIe. Nous aurions voulu des gnel'l'es sans fin




LA CATALOGNF.


pon!' les suin'c, t'ccommcncel' leUt' \ ie, et vicil-
Jir, comme eux, l' cxemple des jcltues soldats.
Des troupes conflées ~l de tels hommes étaiellL
conlluandées par des ehefs habiles, et éprouvés
dalls l'art de la guerreo


On n'a jamais remarqué que ces braves·ofIi-
eiers, sillonnés d'honorables cicatrices, aicnt té-
moigné la moilldre hésitation a marcher sous lc
drapean blane, commc qnelques hommes de la
¡'évolutioll Ollt vouln le faire eroire, en procla-
mallt (Ille le drapeau des Bourbons était vu avec
répugnallce p:l)" la plupart de ccnx qui avaient
servi sous l' empire. Si leurs opinions étaicnt
contraires ~l la eause qu'ils allaient défentlre et
fin orablcs ~ eelle qu'ils eomhattaient, la foi
jlll'Ce !CUI' avaiL imposé l'obligation de ne point
les laisser soup~~onllel', ear llOUS les avons tons
\u hellrter rudement des colounes ennemies au-
dcssns desqncHes planait l'aigle et flottait le dra-
peau aux trois coulcurs.


La divisioll Curial arriva le 14 auil au matin
~lla fl'outihe, p;'" la route (/lÚ mene de rcrpi-




166 LA. CATALOGNE.
gnan a Barcelonne. Le temps était superbe; que
les Pyrénées étaient belles! Leurs pies se per-
daient dans les nuages pour reparaitre encore,
se dessinant violets sur un fond d'azur : l'reil
plongeait dims des ravins profonds, ou 1'on avait
peine a apercevoir un torrent qui roulait écu-
meux dans un lit embarrassé de quartiers de ro-
chers, et qui se trahissait plutot par le bruit de
ses cascades que par la couleur de s~s eaux, car
la brume était épaisse dans la vallée. L'air était
embaumé de ces fleurs et de ces arbustes odo-
1'ans qui croissent en ahondance dans ces mon-
tagnes.


La longue colonne de cette division, formee
des sixieme léger, septieme, dix-huitieme, vingt-
sixieme, trente-deuxieme de ligne, dix-huitieme


/


et vingt-troisieme régimcns .de chasseurs a che-
val, d'une hatterie d'artillerie a pied, d'une hat-
terie a cheval, d'une compagnie de génie, se
déployait comme un long ruhan de mille cou-
leurs sur cette route poudreuse qui rampe
comme Un serpent sur le Hanc de ces montagnes.




LA CATALOGNE.


A gauche se dessinait la mer, hleue comme le
ciel, avec lequel elle se confondait; a droite le
Canigou, dominant de sa masse glacée les:monts
qui s'entassent a ses pieds; le Calligou, muet té-
moin du passage de tant de troupes, dont les
échos avaient répété les cris de guerre des sol~
dats d' Annibal , gui marchaient a la conque te de
Rome par l'lbérie et le~ Saules; ceux des Maures
et des Sarrasins, ceux des soldats de Philippe V,
~us tard ceux de la république et de Napoléou,
et ceux enfin du roi Louis X VIII. Les hommes
passent, et avec eux leurs projets, qui laissent
a peine quelques traces dan s la mémoire des
hommes; mais les ouvrages de la nature restent
immenses, indestructibles, comme en sortant
des mains du Créateur.


Une barriere composée de trois chevrons


marquait la séparation des deux royaumes. Quel-
ques Espagnols s'avancerent. Les renseignemens
apprirent que les troupes constitutionnelles s'é-
taient retirées sous Figueres. Sur l'or~re du lieu~
tenant-général, dcux sapcurs abattirent a coups




168 LA CATALOGN.E.


de hache ce faible obstacle. Deux compagmes
de voltigeurs furent lancées dans les montagnes,
poul' les fouiller et éclairer la route: la musique
se fit entendre, les tambours résonnerent, les
cris de Vive le Roí! les gais propos retentirent ....
Nous étions en Espagne .... La campagne com-
men~ait,pour nous.


La division du baron de Damas procéda a l'in-
vestissement de Figueres; elle occupa la ville
suns résistance : cette division resta a pcu pr'
oisive jusqu'au moment OU le général Mina, vou-
lant jeter des troupes fraiches dans Figucres,
envoya de Barcelonne le général Fernandez avec
l~s bataillons étrangers. /


Nous séjourlll\mes quelques jours dans les
plaines du Lampoul'dall, pays riche, parfaite-
ment cultivé, semé de jolis villages, et 1ui res-
semble heaucoup ~l la plaine de Tarhes, adossée
au versant ouest des Pyrénées.


La division espagnole commandée par le ba-
1'011 d'Éroles fut mise sous les ordres du général
Curial; ellecomptait apeu pres dix mille hommes




169
en entrant en campagne. Le baron d'Éroles avait
une immense influence en Catalogne. C'était un
hoinme petit, louche, basané, s'exprimant avec
dimculté; mais une volonté ferme, une bravoure
a toute épreuve, une grande foi dans la bonté
de sa cause, dominaiellt ces désavantages physi-
queso 11 était l'idole de ces soldats volontaires ,
partageait leurs privations, leurs fatigues, cou-
chait constamment an milieu d' eux au bivouac,
maugeait leur pain uoir, et, quoique sévere.
avait avec eux une grande familiarité. Cette pe-
tite armée était h peine vétue, mal équipée, peu
instruite, cependant assez disciplinée. Quelques
compagnies d' élite étaient commandées pal' des
officiers fraw;ais a demi-solde. Les Espagnols ,
guidés par ces officiers, se battirent yaillamment,
quand l'oecasi.on s'en présenta; les autres abor-
daient difficilemcnt l'ennemi. A mesure que I'on
avanp en Catalogne, cettc armée se fondit,
chacun l'etrouvant ses foyers : a la fin de la eam-
pagne, elle comptaita peine deux mille"hommes.


L'armée de 1a }'oi était. vue avec Jéfaveur par




. 17° 1.A Ci~TALOGNK


l'armée fran~aise, fIui comhattait pou!' elle el
avec .elle. Elle avait toujours les plus mauvais
cantonnemens., et était traitéeavec peu de con-
sidération. Les méfiances et les dédains fIui ac-
cueillaient les servicesdes étrangers et des Fran-
y.is combattant avec les constitutionnels espa-
gnols, furent également le partage de l'armée
du haron d'ÉroH~s : exemple sévere pour ceux
qui melent leurs faisceaux aux aryn.es étrangeres
pour rentrer dans leur patrie! Il faUn! a cet
officier - général une grande constance et une
grande fermeté de caractere pour conserver di-
gnement son rang, se trouvant continuellement
en, contact avec les officiers-généraux du qua-
. trieme corps.




CHAPITRE XVIII.


fa Jllf99f au camp bcs €atalana.


LE dimanche 27 avril, a la pointe du jour ,
nous aUames visiter nos avant~postes, et pousser
une reconnaissance aux environs de Besalu, OU
Mina, réuni a" Milans, ~vait rassemblé sept a
huit mille hommes. En revenant, nous co-
toyames les bords de la Fluvia I petite riviere
capricieuse dan s son cours, qui tantot coule
dans une plaine de peu d' étendue, maÍs bien
cultivée, tantot entre des rochcrs stériles qui
s'élevent a une hauteu!' prodigicusc. Nous gra-




'72 I.A iUESSj·: Alf CIUIP IlI,S C:\TAL.\NS.


vimes plllsieurs montagnes claus des ehemin"
escarpés, et nous arrivames, non sans diflicllltés,
apres une demi - heure de marche, sur un pla-
teau accidenté OU avaient bivouaqué les troupes
du baron d'Éroles. Tous les soldats étaient sous'
les armes, et un nombre considérable de fem-
mes, d' ellfans, de vieillards, qui suivaient leurs
maris, leurs peres on leurs fils, étaient réunis
aupres. de quelques feux, auto\tr desquels ils
avaient passé la nuit. Dans nos marches av ce
l'~rmée royaliste espagnole, eette suite d'infor-
tunés qui couraient recollquérir une patrie dé-
soIée, devait ressembler heaucoup aux armé es
royales de la Vendée, et rappelait tous les mal-
heurs de cette terre arrosée de tant de sango


Lorsque le baron, informé de notre arrivéc,
vint au-devant de nous, les Catalans saluerent,
selon leur coutume, par trois acclamations,
l'homme qui leur avait inspiré assez de confiance
pour aIler avec lui sur une terre étrangt\re chcl'-
che\' un abri contre la persécutioll, et des armes
pou!' marcher contre leurs opprcsscurs. Le camp




L,\ MESS/: AL C,\}IP DES CATU,ANS. 173


prescntait IIn t;oup-d'~il hizarre, HU assemblage
singulier : on voyait <;a et la des chevaux et des
muletsattachés a des chenes-verts et a des oli-
viers sauvages; des feux a demi éteints, des


4 cavaliers endormis sur quclques hrins d'herbe
seche que leu!' arrachaient leurs chevaux échap-
pes, qui venaient rechauffer leurs naseaux hu-
mides de la rosée de la nuit autour des feux,
complétaient ce tableau.


Peu de temps apres 110tre arrivee, le general
espagnol nous el1gagea a assister a la célebration
de la messe. Nous primes place en avant des
soldats. Le pretre s'avallfia , tenant le calice dans
ses mains. Que la religion ebrétienne est admi-
rable clans 5a s~hlime simplicité.! Sur un hloc
de granit qui semblait taiJ1é en forme d'autel,
et qu'un éhoulemen t avait détaché d'une masse
de rochers, le pretre célébra le saint sacrifice.
Un vieilIard au front chame, enveloppe dam.
sa couverture catalane, servait la messe; illevait
an ciel des y.enx remplis d'expression, et rap-
pelait ces vieillards qui, dalls les premiers ages,




'74 L.~ lUESSE AU CAlHP DES CATALANS.
avaient le don de percer dans l'avellir. Des fem-
mes, des enfans, étaient groupés sur des rochers
dan s des massifs de liéges peu élevés; devant
nous se faisait entendre une musique militaire,
et derricre s'élevait la fumée des feux de la nuit: ~
l'aspect sauvage de ce líeu et le contraste des
cérémonies de la religion avec le désordre d'un
bivouac, formaient un coup- d'ooil piquant.
Mais si l'on venait a observer le silence et l'im-
mohili té des Espagnols, si l' on venai t a penser
que le Dieu des armées était imploré pour le
triomphe de son culte, en L"lCe des fcux enne-
mis qui se dessinaient sur l'horizon, que ríen
n'interceptait la pricre ni le regard vers le
treme de l'Éternel, alors il se passait dans l'ame
,des choses telles, qu'il est impossible de les
décrire. Jamais aucune fete religieuse ne pro-
duisit dans nos églises une émotion plus vive,
sur nous tous, que cette messe célébrée au camp
:des Catalans. '




CHAPITRE XIX.


fes JlliqutLtts.


LE lendemain, les deux divisions fran~aise
et espagnole partirent de Perelada pour mar-
chef sur Besalu. Les tetes de colonne de la divi-
siou fran~aise arrivereut a deux heures apres
midi sur un plateau d'ou l'on découvrait la
ligue des feux de Mina, appuyé sur Besafu et
la Fluvia, . guéable sur tous les points. Des re-
connaissances furent envoyées irnrnédiatement:




176 LES MIQUELETS.


pendant ce temps, les régimens arrivaielll el
se formaient sur la hauteur. Une légere pluie
commen~a, qui finít par tomber par torrens.
La Fluvia augmenta dans la nuít: le passage
devint impraticable; les sapeurs tenterent de
jeter un pont de chevalets; les ouvragcs furent
emportés par les eaux, qui grossissaioot : l'at-
taque projetée fut remise. Les troupes bivoua-
querent pendant huit jours, au milieu d'un hois
de chenes-verts, avec un temps horrible, t1'a-
versées par des torrens d' eau qui tombaient sans
discolltinuer; le pain mis sous les sacs d'infall-
terie pour etre conservé, .était atteint par la
pluie et sedélayait en pite molle: les chevaux,
sellés, attachés dans la foret, s'irritaient, frap-
paient du pied, courbaient le dos eL se bles-
saient; les canons et les caissons s' enfons:aient
dans la boue; il fallait les changer souvent de
place. Les nuits étaient froides; nos jeunes sol-
dats" supportaient ce temps affreux avee eourage
et gaité; les uns a\'aient fait des baraques en
fcuillage, faible abri eontre la pluie qui les




LJcS l\JIQIJJlLETS.


inolldait; les autres cherchaient un refuge dans
les crcvasses des rochers qui étaient semés sur
ces hauteurs. Trois grcnadiers du 7° de ligne
s' étaient réfugiés sous un quartier de rocher :
soit que cettc masse eút perdu de sa solidité
par l' cxcavatiou qu'a\aient faite ces trois hom-
mes, soit une autre raison, le rocher roula sur
ces trois soldats : deux furent broyés, et le
troisicme; se trouyant au milieu sous une clé-
pressioll, ~ i L passt'l' sur S011 corps, sans en
éprouver le moindl'e mal, l'énorme masse, qni
bondit jusqu'au bas c/u J'a\ in. On peut juger de
la frayeur de ce malheul'eux ; on eut tontes les
peines clu monde ~llui prouver qu'il n'était point
mort.


Au bout de ]lUit jours, qui semblcrent bien
10ngs, un rayon de soleil parut; on parla d'at-
taque, tout fut oublié; le maréehal Moneey
"iu/', el se mil en marche avec la division. Ce
maréchal étaiL snperhe : f"ec. ses soixante-scizc
ans, sa bdle íigure ct sa poudre, S3 taille droite,
son habit de maréehal mee sa forme antiquc,


12




LES J\f1QUELETS.


sa grace et son habileté a maniel' des chevaux
fougueux, ses beaux équipemens, il rappcIait
par ses services toute la gloire des guerres de
I'Empire, et par sa tenue les maréchaux de
Louis XIV. n deploya pendant cette pénible
campagne une activité infatigable.


Le géneral Mina quitta la position de Besalu
a l'arrivée de nos éclaireurs. Apres six scmaines
de marches, de coutre-marches, de St~jOUl'S
plus ou moins ellnuyeux dans les villages ou
petites villes de la Catalogne,' tcIs que Castel-
Folli~, Vique, Granollers, Olot, Massanas, nous
primes position au col de Parpes, monlagne
élevée qui domine le littoral de la Méditerranée.


Partout l'armée fran<;aise était aeeueillie avec
une véritable joie; dans quelqucs cfHlroits cette
joie tenait du délire : ceux qui avaient fait la
guerre sous Napoléon ne revellaient point de
leur etonnemeut, de voir les populations en-
tieres se precipiter au-de,'ant des :Fi'an~ais , eux
qlli, dans la guerre qe l'indépendance, étaient
assassinés s'ils marchaient isolés ou en corps peu




LES MIQUELETS.


nombreux. La pi erre de la cOl1stitution était
partout renversee et insultee; l'irritation contre
les constitutionnels était extreme dans certaines
localités. L'armee usa souvent d'une utile in-
tervention entre la fureur du parti vainqueur
et la faiblesse des vaincus, qui avaient si peu
ménagé les interets de ce peuple religieux lors-
qu'ils etaient au pouvoir. Nous trouvions des
couvcns abandonnés et pilIés, l'image des saints,
protecteurs du paJs, renversec et mutilée. Des
moines a""aient été victimes de la haine des
cOl1stitutionnels ; un chasseur levant la pierre
d'un puits ~ans la cour d'un couvent, vit qucl-
que rhose qui flottait sur une eau fétide; il
cnfon .. sa ]an~e, et ramena la tete d'un moine "
dont le corps tombait en putréfaction : c'etait
un franciscain qui avait été jeté dans la citerne.
Tout faisait croire que d'horrib!es exces avaicnt
été commis dan s ces lieux eonsaeres a la re-
traite. TeIs sont les hommes : insoueians de
l' avenir, ils s' étourdissent des vertiges du pou-
voir, ils en usent sans modération, sans songer




J 80 U:S l\HQUELETS.
au momellt du réveiJ, qui sonnera terrihle pour
eux s'ils amassent sur leur tete la haine des masses
qu'ils méprisent lorsqu'ils les dominent.


A peine entrés dans la petite viHe d'Olot, une
garde fut placée au logement du général. Tout
a eoup des,cris se font entendre; la rue se rem-
plit de monde : les grenadiers se précipitent,
mais trop tard, un crime venait d'etre eommis,
sallS qu' il eut été possihle de l',empecher, e:¡r
il ayait été imprévu. Un malhcw'eux fut déeou-
vert, qui peut-étre avait abusé de sa puissance,
qui peut-etre était vietimc d'unc lwine person-
nelle; e' était un eOllstitutionnel, assassiné par
un de ses compatriotes. L'assassin foulait aux
pieds son cadavre palpitant, en levant ~ l'air
un eouteau teint de sang : l'expression de sa
figurc était atroee; c'était eeHe d'UllC joie sata-
nique répanduc. sur sa physionomie. II fut arreté,
et remis entre les mains des autorités espa-
gnoles. Ce fut du rcste le seul événement de
ce gen re dont nons fumes témoins : horrihle
exemple dc représailles dans les gucrres civiles!




Ll'S :~IIQUELETS.


Le caractere du soldat fran~ais est bient()t
apprécié en pays étranger comme ii mérite de
,'étre. Le lendemain de son séjour chez son
hote, ii est de la maison, paree qu'il s'y rend
utile; il est de la famille, paree qu'il amuse
les enfam, et qu'il est attentif pourJe~ femmes.
Au col de Parpes, ou une partie de la division
bivouaqua pendant trois semaines, le camp fut
etabli dans uñ hois de sapins : de jolies baraques,
des caf('s, s'éleYl~l'cnt par ellchantement. II fut
annoncé dans les yillages avoisinaus ({u'il y au-
rail de la musi<'1l1e ponr [aire danser, et tous
les soirs les jolies Catalanes qui ~\7enaient appro-
visionner le camp dansaient ayec les soldats la
catalalle vive el animee, ou les farandoles pro-
vellc.;ales. La meillcurc harmonie régnait entre
les ha,pitalls el nous.


Une compagnie de miquc1ets, hommes fideJes
el couragcux, choisis par le .baroll J'Éroks)
avait eté donnée :m lieulenant-géllél'al comme
guides; il u'('lail pas un selltíel' en Catalogue
qu'ils He COllnUSSClIl J et ils étaient forl utilcs




L.ES JIJQUEL.ETS.


pour llccompagner les officicrs d'état-major dans
leurs courses de jOlli' et de nuit. Cette guerre
de montagnes obligeait a morceler les brigades
et les régimens., et pour établir les rapports
entre ces fractions de corps isolés, les aides-de-
camp étaient obligés de faire des courses fré-
quentes, fatigantes et parfois périlleuses. Les
mignons, e' est ainsi qu' on appelait les guides
catalans, marchaient d'une maniere extraordi-
naire. Nerveux, lestes, infatigables, ils sui- •
vaient .pendant plusieurs lieues le trot d'un che-
val. Dans les belles nuits d' été, ces courses so-
litaires n'étaiellt point san s charmes, et ne se
faisaielltpoint sans émotion. Cotoyant tantot
le bord d'U,ll tOrrent, respirant cet air balsa-
Illique saturé de l' odeur des gencts ... des roma-
rins, des lauriers; tantot descendant dalls des


" ravins profol1ds, ou gravissallt des mOlltagnes
escarpées, n'ayant pour chemin que le .lit des
eallX, tournant le camp euuemi, dont les {eux
i:qdiqpaient la positiolJ, escorté de deux guides
inconnqs dOllt la "ie avait été fort aventureuse




LES MIQUELETS. 183


(presque tous avaient été de hardis contreban-
diers), lorsque l'absence se prolongeait, il était
permis de eraindre qu'une aventure tragique
n' opposat un retard au retou!'.


Le ehef de ces miquelets, Miguel, hait remar-
quable : e' était un homme d'une taille élevée,
d'une physionomiedure et expressive. Lorsqu'on
1 . l' d'·· . e voyalt sur esearpement un raVIll, grayls-
sant a travei's les halliers, avee la rapidité d'un
chamois, les flanes d'un roeher aride, eoiffé d'un
bonnet incarnat qui tlottait sur ses larges épaules
ou qu'il relevait sur son front ~l la phrygienne,
MjgueJ, ¡¡YCC :son con nCl'Y~\lX J déc~)Uv~rt J s~
ceinture rouge caehant a demi le manche d'un
poignard d' Alhad~te, ses culottes de velours ou-
·H~l·te" V\W~ le g('X\OU, "es. tiuet~es. de "pe,au "er-
rées sur une jambe rnusculeusc, ses pieds préser-
vés du contad des eailloux par une espadrille
lacée de cordons bleus; Miguel, portant sur l' é-
panle la eouvcrture rayée de Catalogue, et de la
main t1l'Oile sa eourte eal'abine, fOl'mait a lui
seulull épisodc pillo'T~(llH' daus uu lahleall de




LES MIQUELETS.


ce pays si riehe en heaux paysages. Miguel fai~ait
quelquefois des expéditions hardies : il enleva,
avee deux de ses eompagnons, un ealonel espa-
gnal, dans un village oceupé par les eonstitu-
tionnels. Il avait trouré / e' était son expression,
une bourse remplie de quadruples, et parut re-
veLu d'un uniforme de hussarcl riche , mais ricli-
eule.-:rlus tarcl, ayant eneore trou(Jé un cheva!,
illl~ marcha plus a pied avec se~ guides. De (X'
jou!', il avait pcrdu ce <-{ni faisait 8011 principal
mérite : sa bOlllW mine et son air martial. A
ehaque partie du\ etemcnt national gn'il rem-
plapit par des uniformes ¿l la fl'ans;aise, il se
dépouillait de ses graees sauvages; ce n'était plus
l' enfant libre des montagnes, le fiel' Catalan, le
deseenclant des Céretaniens indomptaiJ!es; ce
n'était plus qu'un sole/aL maladroit l't g(~né dans
son uniform'e eomme Ulle reerne.


Le peuple catalan est admirable par sa force
et la heauté de ses formes. Les fcmmes sonl en
général élaneécs , grandes et joJics; cHes se met-
tent avee beaueoup de lux!' el dc gOÚI : elles 50]][




LES lHIQUELETS.


toujours nu-tete, eL se coiffent avec de longues
aiguiI1es d'argent qui retiennent leurs cheveux
relevés en nattes; elles portent d' énormes bou-
des d' oreille d' améth yste et d' 01', du prix so u-
vent de plusieurs onces. Un corsage de velours
galonné en argent dorme passage a deux manches
de chemise d'une toile fine et blanche , retenues
au - dessus du coude par un velours noir et une
large boucle d'argent. Un jnpon rouge avec un
velours noir, ou hlcl] av,'c un velours rouge, el,
des espadrilles, completent ce costumc, qui a
quelque analogie avec celui des femmes d' Alsace.


La Catalogne ést un pays riche, parfaitemellt
cultivé: on y récolte -en abondancc des vins exceI-
lens, des oEves, du lin , des citrons, des oranges
et des caroubcs, espcces de feves qui vicnnent
sur le carouhicr, et qui servent á la nou}'riture
des chevaux.


Dans ce pays de montagnes,la température de
l'atmosphere est variable. Sou:ent hrulé par
l'ardeur du soJeil en gravissallt un rocher, un aÍr
glacial" ous saisi t dc J'atlt/'(~ (·()/'é. Les jOlll'nées




LES l\IIIQIJF:LETS.


sont chaudes, et les nuits si fi'oides et si humides,
que, malgré les feux de bivouac, les vetemens
étaient transpercés oomme s'ils eussent été trem-
pés dan s l' eau.


Apres trois semaines de séjour au col de Parpes,
une partie de la division marcha sur Mataro, une
des plus jolies villes du littoralde eette province.
Nous y entrames sans résistance, mais l'accueil
fut glacial. Les maisons étaiellt fermées; les au-
torités, seules, vinrent au-dcvant de HOUS. eeUe
réception inusitée ne dOllna aUCUll soup~on, et
cependant il était facile de s'aperccvoir que les
,Fran~ais y étaient mal vus, les villes des bords de
la mer étant, en général, mÍeux disposées que les
autres ponr la cause de la constitution. 'Mataro
avait fourni un bataiHon de miliciens volo11taires
({ui étaient sous les ordres de Mina, retiré ~t
Barcelolllle.


On pla<;a des grand'-gaJ'des comme ~I 1'01'<li-
naire: des reconnaissances fUJ'ent poussées sur
la route de Rarcelonne, mais S<lUS redouhlcr de
précautions. Ce qui empechait aussi tille les postes




UiS lUIQUELJiTS.


fussent multipliés, c' était la difJiculté de faire du
feu : a1'exception de quelques forets de pins et
de cllt~~es-verts, qui sont encore assez rares, le
hois manque totalement en Espagne. II eut fallu
pour se chauffer employer des arbres précieux ,
comme l' olivier, le caroubier, l' oranger,' et c' eut
été détruire les richesses de ce pays, OU 1l0US en-
trions comme amis, et dans lequel l' armée se
comportait én alliée loyale. Ce que le soldat
fran9ais aime le moins a faire, c' est de veiller a
se garder. Les précautioIls utiles, en temps de
guerre, lui paraissellt tenir du défaut de cou-
rage, et il mépr~se ce genre de service, san s le-
quel .iI n' est point de sureté pour une armée;
d'ailleurs, il ne se considérait point en pays en-
nemi. Partout les populatiol1s l'avaient accueilli
comme un libérateur : l' ennemi, dOllt 011 le
mel1a~ait, il ne le trouvait nuBe parto Aussi,
maIgré des ordres séveres el multipliés, OH ne
pouvait J'astreindre mcme a gardcr ses armes,
et le fa))l.assin se promellai t dans la campague,




188 LES MIQUELETS.


loin de son cantonnement, avec la simple
baguette blanche, comme dans les gai'nisons
de France.


Tout le monde avait besoin d'nne le<;;o11' : OIl la
recut .
.





• CHAPITRE xx.


ir C!tombat b.e Jllataro.


DEPUIS huit jours nous occupions Mataro. Le
sel'vice continuait a se faire avec un peu de né-
gligence, lorsque le 24 mai , au moment oú tout
sommeille, it deux heures dans la nuit, deseoups
de fusil retentissent dans les fauhourgs de la
viJIe. On s' éveille en sursaut; chacun saisit ses
armes pour gagner le lieu indiqué comme ren-


"-


dez-vous eu cas d'alcrte sur une des places de la
"¡He; mais les portes des logemens se trouvent




190 LE COMB.\.T In: :llATAHO.


fermées et harricadées, et les soldats, appelés par
la générale qui hat dan s tous les quartiers , sont
obligés de sauter. par les fenetres. Les grand'-
gardes de cavalerie rentrent en dés~)r(lre; une
seule compagnie de voltigeurs, placé'e sur la
route de Barcelonne, s'embusque dans une mai-
son, et commence un feu soutenu .... Les aides-
de-camp montent a cheval et s'élancent du c6té
ou se font cntendre les coups de fusil. Le général
réunit a la hate quelques compagnies, et déJJou··
che sur la grand'route. C'était une attaque 01'-
donnée par le général .Mina, et ex~cutée par ses
lieutenans Milans et Llobera.


Un úfficier d'état - major s'avance au galop,
frahchit l' espace d'un quart de lieue , et se trouve
arre té dan s sa course par une cavalerie en dés-
ordre qu'il prend pour des chasseurs fran«;ais.


Il remet son cheval au pas, traverse la route,
et s'arrete vers un groupe qui entourait un offi-
cier supérieur : telles furent du moins ses pre-
mieres idées. Il allait parler et demander des
nouvelles sur cette attaque, lorsque, ses yeux




LE COMI1,\1' DE ~IATAn(). 191


se faisant a l'obseuJ'ite de la nuit, iI crut décou-
vl'ir des sehakos d'une forme basse et écrasée,
tandÍs que les chasseurs fl'an~ais portaÍel1t des
coÍffures élevées. Des soup~ons s'élevent dans son
esprit; iI s'approche, se penche vers l'officier
supérieur, et lui crie a voix basse a l'oreille:
Qui vive? SurprÍs de ces paroles fran~~aises,
l'Espagnol porte le corps en aniere en faisant
entendre le juron habitud, Garrajo! el lance
uu coup de sabre a celui qui se trouvait engagé
au milieu de l' ennemi ; mais le Fl'alll?aÍs l'avait
prévenu, et l'~spagnol fut blessé et jeté abas
de son cheva1. Son arme tombe mol1ement sur
la main de l'officier, qui fit demi-tour, et revint
annoncer la position des Espagnols. Poursuivi
par plusieurs lallciers, il retrouve promptement


'" la colonne,.qui débouchaÍt de Mataro. Elle avait
a sa tete le lieutenant-général, qui donna l' ordre
a une cor~pagnie :de voltigeurs d'approcher en
silence de l'ennemÍ. Les voltigeurs suivirent pa ....
rallCIement la route en se glissant derriere une
haie d'aloes qui hordait. la mero Cachés, embus-




192 LE COMBAT DE J-1A'l'A.1tO.


qués derriere ce rempart, ils arrÍvellt a demi-
porté e de fusil. En se baissant on voyait se des-
siner sur l'horizon un escadron qui avait pris
position dans U!! champ a droite de la l'oute. Un
feu vif et bien dirigé porte dans leurs rangs un
désordre tel, qu'ils se replient en fúyant sur la
tete de leurs colonnes d'infanterie, qui, pour-
suivie par un escadron de chasseurs, se jeta dans
la montagne en se débarra¡;sant des fusils et des
giberncs, que l' on trouva en granel nomhre sur·
la route.


Le jour comme}}(;ait ú para:itre .. Le lieatcnant-
genéral, jugeant que c'était une attaque combi-
née, porta rapidement un bataillon au nord-est
de la ville pour oeeuper le couvent des Capucins.
Ses prévisions étaient justes. U Be ]ongue 00-
lonne descendait des mOlltagnes, et prit uñe
position supcrieure ¿l ceHe d'un bataillon du 7c


de ligne et de quatre compagnies du 26e • C'était
le general Milans, qui avait en téte de ¡;a colonne
un bataillon d' émigrés rcvetus de l'uniforme de
]a garde imperiale. lis firent entenclre les cl'is de




LE COJUBAT DE MATARO. J 93


Vire Napoléon 11. Avant de leur donner le
temps de se former, le brave commandant Dar-


. naúd, officier de guerre et de vieille expérience,
courut sur eux au pas de course, les enleva de
leur position, et les poursuivit dans les monta-
gnes, d' OU ils continuerent un feu assez vif. Cette
action valut a M. Darnaud le grade de lieute-
uant-colonel.


L'attaque commen~a a trois heures du matin.
Jllsqu'a cinq heures du soir on pou,rsuivit les
trollpes constitutionnelles, qui chercherent un
refuge dalls les montagnes, et regagnerent Bar-
celonne. Agauche, deux batimens de guerre se-
conderent les t1'oupes de terreo lls s'approcherent
de la cote, et lacherent plusieurs bordées sur la
colonne commandée par Milans, qui suivait le
hord de la mer.


Six centsfusils, t1'ois cents hommes, tomberent
en notre pouvoir. Nous rentrames a Mataro, les
soldats fiers de leur premiere victoire, la musi-
que jouant des airs chers aux Fran~ais , fanfares
joyeuses, proscrites depuis et condamnées.


13




194 LE COl\IBAT DE MATA RO.
Les habitans, montés sur les terrasses des


maisons, suivaient avec anxiété les mouvemellS
des combattalls. Un bataillon de miliciens vo-
lontaires, dans lequel ils comptaient leurs amis,
leurs compatriotes, leurs freres, avait com-
meneé l'attaque. Aussi, qua ud les voitures de
hlessés rentrerent avee nous dans la ville, plu-
sieurs seenes lamentables eurent líeu lorsque les
hahitans reeonnurent quelques uns des lcurs.
On vit avee un douloureux intéret une jeune filIe
promise a un de ces jeunes soIdats se jeter sUl'
son amant pale et sanglant, le suivye a l'hopital,
et demande!' eorome faveu!' de ne point le quit-
ter, et de lui donner ses soins. Par ordre du gé-
néral, le Catalan fut soigné au domieile de sa
maitresse, lorsqu'il eut donné sa paro le de se
eonstituer prisonnier de guerre quand iI serait
rétahli. Il est a eroire qu'il prolongea un peu sa
convaleseenee; mais il tint ses engagemens en
loyal Espagnol.


Pendant ce temps une seene avaÍt líeu, d'a-
hord passahlement ridieule, et qui finÍt par jeter




LE CO\IBAT DE MATAHO. ]95
le trouble et l'inquiétude dan s l'esprit du maré-
chal Moncey, qui oceupait Girone, et parmi les
troupes qu'il avait avec lui sur ce point.


Aux premiers coups de fusil, un jeune homme,
adjoint au payeur de la division, fjuitta épou-
vanté la ville de Mataro, et s'enfuít a Girone.
Déguisé en Catalan, il arriva auprcs du maréehal
en lui annonc;ant que la division Curial était je-
tée a la mer, et qu'il n'existait plus que lui, qui
devait a mille stratagcmes, d'avoir pu éviter le
sort de ses infortunés carnarades. Au cornmen-
cernent de l'ac~ion un aide-de-eamp du maréchal
arrivait a Mataro. Cet officier voulut rester au
cornbat, et ne put repartir que vingt - quatre
heures apres son arrivée. Ce retard inusité aug-
menta les inquiétudes du maréehal, et donnait
une espece de vraisemblance aux rapports du
trésorier. Tourmenté, illquiet, le maréchal se
met a la tete de quelques régirnens, et marche
en toute hate sur Mataro. La distance qui sépare
ces deux points est de dix-huit lieues. A mesure
que ron approchait, les tristes pressentimens du





196 I,E COllIEAl' DE MATARO.
marechal prenaient de la consistance, cal' il ne
rencontraÍt ni fuyards, ni personne qUÍ eut pu
lui donner de nos nouvelles. Il etait done evi-
dent que pas un homme n'avait echappe au mas-
sacre. Aussi l' etonnement fut grand, lorsque
ceux qui venaÍent a notre secours trouverent la
division parfaitement tranquille, et qu'au lien
des details d'unc defaite, c'etaient ceux d'ulle
victoire que ron auit 11 raconter.


Cette aUaque Ímprevue rendit plus prudent.
On se crut en campagne a dater de ce moment,
et 1'0n prit plus de précautions qu':nant. Mataro
pouvant, dans toutcs les circonstances etre con-
sideré comme point de communication impor-
tant sur le bord de la mer pour se lier ~l Girone
et aux garnisons du nord, on fit quclques ou-
·vrages au couvent des Capucins, qui fut cre-
nelé, et l' on en~oura le cimetierc de palissades.
Les sapeurs du génie, ces hommes d' élite si
remarquables par leur tenue, leur discipline et
leur instruction, furent charges de ces travaux.


L'usage des Espagnols ll'est point de confier




LE CO::lIllAT DI, MATABO. 197


les morts ;t des fosses ereusées dans la tcrrc :
autour des murs des ehamps cOllsacrés ir la sé-
pultut'e, reguent des caveaux extérieurs remplis
de cases, dans IC6quelles on place dcs ccrcueils
que ron scelle avec de la ma~onnerie. Les sa-
penrs avaient a démolir Ull cimetiere, et chaque
coup de pioche mettait a jour des ccrcueils ri-
chement ornés, le luxe' des Espagnols étant
de recouvrir de vclours noir et de riches étoffes
le del'uÍer vetement des morts. Une fosse large
et profoude avait été creusée pour y déposcr ces
restes; un pre.tre était la pOll!' les hénir, cal' le
pretre, qui re~:oit le chrétien a l' entrée de la vie,
a la mission d'accompagner l'homme aux portes
de la mort et d'assister au déplacement de sa
cendre, Iorsqu'elle est remuée dans son dernier
asile. Aucun hahitant de la vil1e n'était présent
a cette lugubre cérémonie : la mémoire dn
cren!' de l'homme est si fragile, les morts sont
si tot oubliés! Un vieillard seul et une jeune .
femme étaÍerít assis tristes et silencicux sur un
trone de sapi ti f;H;Orlllt~ déj~l eH palissade. l .. ors-




J98 LJc COltlllAT DE lUA.TABO.


que les soldats du génie approch-erent d'un en·
droit connu sans doute des deux Espagnols,
le vieiUard supplia les sapeurs de démolil' douce-
ment une case funéraire qu'll le1,lr indiqua:
chaque coup de hache faisait battre ce ereur ,
dont les glaces de l'úge n'avaient point encore
éteint le sentiment; enfin il découvre l' objet de
ses reeherches! e' était le eereueil d'un enfant.
Le vieillard le mit sons son manteau, serra la
main de la jeune femme, et sortit emportant
son précieux fardeau.


n est au bas de Mataro un val1011 úais et dé-
lieieux; une souree d'ean vive et pure arrose
un bosquet d' orangers et de eitrouniers eOll-
stamment en fleurs, preserves des brises de mer
qni soufllent parfois avee vio1enee, par une
eolline plantee de caroubiers. An fond du vallon
s'éleve une mai?on blanche, située au milieu
d'un euelos entoure de haies de greuadiers dont
les fleurs de pourpre palissent le lilas telldre
des fleurs d'agnus- castus, avee lesquelIes elles
se marient et s' entrelaccllt. Le soir du JOUl' OÜ




LE COMDAT DE lVIATARO. 199
ron avait commencé a fortifier le couvent des
Capucins, on vit au bord du ruisseau du vallon,
an pied de deux palmiers qui s'élevent droits et
immohiles dans les airs, une pierre tumulairc ,
de la terre fraichemcnt remuée : on vit s'ache-
miner le vieillard, la jeune femme et le pretre
du cimetiere. I1s avaient confié a la terre, la,
pres d' enx, sous lem's yeux, le cercueil de leur
pauvre enfant. Le pretre consacrait -par des
prieres, et bénissait avcc un rameau de huís,
cet asile du choix du vieux pere ! Puisse la guerre
ne plus troubler les cendres de cet cnfant!
puissent ces pieux Espagnols veiller sur luí long~
temps, et prier en paix sur s.,0n tomheau!




CHAPITRE XXI.


1ft 1IllDint irt JltDngat ..


..


APRES le cornhat de Mataro, les généraux
Milans et Llobera se replierent en désordre sur
Badalona, et occuperent la position redoutable
de Mongat. QueI,ques jours apres, nous mar-
chames sur trois colonnes parties de Granollers,
du col de Parpes et de Mataro, sur les Espa-
gnols, qui se retirerent a notre approche. J'avais
beaucoup entendu parlerde la grande Chartreu.se




LE JlOINE DE l\fONGAT. 201


de Mongat, batie a l' entrée de la plaine de Bar-
celonne, et pendant que nos troupes prenaient
un moment de repos, nécessaire apres une
marche pénible dans des chemins difficiles, je
descendis par 'un sentier escarpé, au couvent qui
se trouve adossé a la montagne, et dont l' en-
trée principale est du coté de Barcelonne. Une
allée de cypres me mena a la porte du monas-
tere, que je trouvai eutr'ouverte : j'entrai dans
une cour immense entourée d'arcades, sous les-
quelles se promenait un religieux qui vint au-
devant de moi. Je lui demandai si ron pouvait
visiter le couvent. « Les portes en sont ouvertes
« a tout le monde, depuis que la révolution en a
« franchi le seuil ) , me répondit le cénobite. Un
coup d'ooi! jeté sur le moine me fit juger qu'il
n'avait pas toujours porté la robe de chartreux
et la sandale : un air sévere, un regard impo-
sant, une cicatrice profonde sur le front, indi~
quaient que dans un temps iI avait couru les
hasards de la guerre, et une tristesse profonde
empreinte sur tous ses traits me 6t penser que




202 LE MOINE DE l\IONGAT.


de grandes doulenrs l'avaient conduit dan s une
retraite religieuse, sous les lois d'un ordre aussi
sévere. (( Monsieur, me dit-il, vous visitez notre
couvent dan s un moment ou, proscrits et fugi-
tifs, nos freres attendent le retour de l'ordre
dans notre patrie. Hélas! qui oserait sonder les
décrets de Dieu! Il Y a moins de quinze ans,
lorsque l'usurpat.eur du tronede vos rois inondait
l'Espagne de ses Jégions, ·les Espagnols se leve-
rent en masse pou!' conserver leu!' indépendance,
leurs princes et leur religion; ils étaient dociles
alors a la voix de leurs pre tres; alors les eouvens
étaient comme des ports assurés, o~, fatigués
du monde, des homníes éprouvés par de grands
chagrins trouvaient un asile pour vivre et 1111
tomheau ponr mourir : on vit ces memes hom-
mes sortir de leurs relrai tes, et mener les Es-
pagnols ~t des ~ombats justes et légitimes; je
m'al'mai ponr la cause commune. Dans eetle
lutte terrible d'unc nation ({ui combatt;:¡it avec
fureur contre ulle armée invincible qui avait
affrollté des dangers inouls, j(' fus témoin de




LF l\IOINE DE 1U0NGAT. 203


scenes de ferocité qui ont troublé long-temps
mon imagination : blessé et fait prisonnier dans
un comhat, je fus cmmené en France. Je re-'
doutais, je l'avoue, cette captivité, ne pouvant
croire qu'il existat des sentimens généreux chez
une nation dont les enfans armés commettaient
tant d'actes d'injustice. Mon erreur était grande!
Partout uous re~umes des marques touchantes
d'·humanité ; des femmes, des enfaus, nous don-
lIaient des vétemens et une nourriture saine,
cal' nos alimens nous étaient souvent' ravis par'
des geoliers harhares; on eut dit qu'il existait
deux especes de Fran9ais; les uns s'effor9aient
de faire oublier les actes tyranniques des autres.
Je ne me rappellerai jamais sans émotiou- que ,
traversant une viIle de Bourgogne, nous fumes
atteints d'une maladie dangereuse et pestilen-
tielle : des femmes que leor age elItéur rang
dans le monde auraicnt du éloigncl~ d'un séjour
de doulcur et de désolation, s'cmpresserent de
110US prodiguer les soills les plus touchans;
phrsieurs furent viclimes de leur dévouement.




LE ~lOJNE DE MONGAT.


Angéliques créatures que le ciel appcla 11 lui,
et auxquelles il voulut donner promptement une
.céleste récompense !


(( Depuis, rentré en Espagne, ne retrouvant
que des ruin~s et ~s monceaux de cendres, l~l
ou j'avais eu des fermes et des habitations,
ayant perdu dans la guerre et mesparens les
plus proches et mes amis les plus chers, je
compris qu'il fallait oublier le monde pour
m'attacher }l. celui qui ne trompe jamais. J'en~
·trai dan s r ordre des Chartreux; mais l' orage ré-
yolutionnaire qui gronde encore sur I'Espagne
HOUS a dispersés, comme nous avons vu les flottes
des conquérans dispersées par lesvents. Vous
voyez, Monsieur, comme notre habitation a
changé d'aspect!» Et le moine de lVIongat,
apres avoir promené ses regards autour de lui,
laissa re,*-,er sa tete sur sa poitrine.


En effet, les constitutionnels ont transformé
en place forte et cn caserne un séjour de paix
et de tranquillité : les fenetres et les terrasses
d' oú ces pieux céuobi tcs allajen t encore jeler




LE MOINE DE MONGAT. 205


un coup d'ceil sur le monde, sont crénelées
et disposées a envoyer la mort ; des phr~es de
la constitution sont substituées aux sentencesdes
saintes Écritures, des paroles obscenes, des ehan-
sons impures, remplaccnt sur les murs l'image
a derni effacée des saints révérés en Espagne
et les versets de leurs hymnes : les juremens et
le bruitdes armes ontretenti dans ces corridors,
qui n'ont été foulésque par la sandale silcn-
cieuse, el; dont les éehos n'ont jamais murmuré
que de pieux soupirs. '.


Et déja le clairon qUl retentissait dans la
montagne annol1C:ait que nos troupes légeres
d'avallt-garde s'étaient remises en marche .....
(( Adieu, mon pere, lui diswje; nous rétablirons
et les autels et le trone ébranlé de Ferdinand,
nous qui avons tiré le glaive ponr la plus saillte
et la plus royale des causes! !


- (( Avec l'aide de Dieu, jeune homme! )! me
dit d'une voix sévere le religieux, qui avait




206 I,E lUOINE DE MONGAT,


conservé sa pause irnmobile, comme ahsorbé
dans quelque douloureux souvenir.


Et je quittai avec un sentiment d' effroi ce
séjour abandonné et le moine de Mongat, dont
le creur, desséché par le malheur, paraissait inac~
cessible désormais a tout espoir comme a toute
crainte.




CHAPITRE XXII.


Jlloliníl-1td-Re~.


LE 28 juillet, la division se porta sur Moneada
et Santa-Coloma: le soir le temps s'assombrit; un
orage violent éclata et grossit les ruisseaux, qui,
en quelques heures, devinrent des torren s fu-
rieux et inguéables. A minuit, le maréchal Mon-
cey arriva au quartier-général, établi dans une
misérable maison a demi brulée dans la guerre
de l'indépendance. Peu de temps apres, rordre




~w8 MOLINS-D};l,-REY.


fut donné de se mettre en marche. A trois heures
la di"ision était réunie a San-Andreu.


n est rare que ron ait habité les camps sans
avoir a raCOl1ter .au moins une histoire sur ces
femmes de soldat, mariées ou non, qui s'atta-
h ' . t d" e ent aux reglmens e aux corps armee, ven-


dent l'eau-de-vie, s'exposent aux fatigues de la
guerre, affroutent avec sang-froid le danger,
usent, meme avec les officiers-géuéraux, de cette
familiarité qui va jusqu'au tutoiement; héros en
jupous, qui n' out de leur sexe que le nom, tou-
jours utiles, et que 1'0n est forcé d'admirer, a
cause de leur hon cceur et de leur intrépide hu-
manité. e'est parmi ces femmes que l'on voit
un admirable désintéressement, une générosité
étonnante vis-a-vis le soldat, dont eH es devien-
nent le protecteur quand il est faible, la garde
lorsqu'il est malade, comme elles en sont aussi
l'amie joyeuse lorsqu'il a de l'argent pour s'amu-
ser; cal' elles ne comprennent point l'argellt,
comme l' avarc, pour le garder et se faire une
fortune. Sans soucis poul' l' avenir, elles ne dési-




AfOLINS-DEL-REY. 2.°9
rent l'argent que pour le dépenser, se procurer
une carte d' entree pour un bal, faire un bm1
dlner, baire de la liqueur fine, se donner un
jupan eclatant ou un chapean orne de panaches.
Leurambition est de pouvoir acheter un ane ou
un muleto Une vivandiere qui possede un mulet,
avec des tonneaux, et une ~antine qui contient
des saucissons et des viandes épicées, est reine
dans sa dívision : elle fait le commerce en grand,
et obtient la considération qui s'attache aux
hautes fortunes. Elle peut avoir un cheval pour
elle et earaeoler en tete du premier régiment de
marche, toujOllr.s attachée au quartier-généraL
Ces damesont pour mari , ou comme attaché, un
vaguemestre ou un tambour-major; et c' est un
sapeur galant, qu'elles ont obtenu de la complai-
sance du colonel, qui, dans les chemins diffi-
ciles, conduí t par la hride, l' animal qui porte le
précieux dépot de rogomme, ou chacun vient,
aux haltes, puiser, selon sa bourse ou le hesoin
qu'il éprouve de se rafraiehir.


Les regimells étaient établis au hivouac : quel-
1 [1




2.10 l\WLINS-DEL-REY.


ques che"aux~ appartenant au général et a l'état-
major, avaient trouve refuge dans une masw'e
qui avait le merite d'etre couverte, et de pré-
senter un abri contre la pluie qui tombait par
torrens. Un officier d'état-major était dehout
devant la porte, veillant aux soins de l'écu-
rie, lorsqu'un tambour-major s'approcha de lui,
et demanda un asile pour sa femme, pou!' Rose
la vivandiere. L'écurie était encombrée, iln'y
avait de place pour personne : la galanterie fran-
~aise fut en défaut vis-a-vis le sexe, et un refus
sortit de la bouche de l'oflicier, qui allégua ponr
raison que si une pareille faveu"r était accordée,
il n'y aurait pas de motif pour que tout le monde
ne vint réclamer une place clans un endroit si


,
resserre.


(( Licutenant, dit le tambour-major, je vous
observe que c' est pour ma femme , pou!' Rose, et
qu'elle aura bientot faít : je vous jure que dans
une bonne heure, ce sera Lini.


- Je ue vous compl'cnds pas, repond I'of-
fleier.




~IOLINS-DEL-REY • 2. 1 1


- Mais, lieutenant, je VOUS observe que ma
remme, que Rose est en mal d' enfant. »)


Rose alors s'avanca : on sortit deux chevaux
"


pour laisser libre un coin de l' écurie. Sur deux
lances croisées, on jeta un manteau; et, derriere
cette cloison improvisée, Rose, la courageuse
Rose, donna naissance a un beau poupon, en
chantant une challson connue :


Si e'est un petit garl¿on, iI sera militaire,
Il mangera du eheval cornme son pauvre pcre;
Vraiment, la pauvre enfant, etc. ,


pendant que le tambour-major siffiotait l'air des
fantassins :


Pauvrc tourlourou,
Tu n'es ras I'Pérou, etc.


Il était huit heures du soir; a trois heures
du matin la division était en marche; Rose, a
son poste, a cheYaI, et son poupon enveloppé
dans une capote de soldat, attaché sur le devant
de la selle avec deux colfrroies 1 recevait le sCin




2[2 lIOLIIYS-DF.L-REY.


de sa mere, les soins dn major, les caresscs du
sapeur et les bonjours de tont le régiment.


Les généraux Milans et Llohera avaient con-
centré leurs forces a Molins~del-Rey. Le gélléral
Donnadieu devait tourner eette position par Mar-
torell : le génél'al Lal'oche-Ayrnon avait l'ordre
de détourner l'attention de l'enllemi par quel-
ques préparatifs d' attaque, pour donner le temps
a la division Curial d'al'river, de le eomhattre,
et de le rejeter sur le général Donnadieu. Mais
dans cette campagne, l'ardeur des soldats, vierges
ponl' la plupal't de comlJats; la noble amhition
des généraux, qui voulaient a tout prix, par des
affaires, légitimer de jeunes réputations, ouagran-
dir de vieilles renommées, contrarierent plus
d'une fois des résolntiolls muries dans le silence ,
et firent échouer des plans sagement comhinés.


Instruits de la gloirc a laquelle ils étaient appe-
lés de combattre Íes Espagnols plus nombrenx
qu' eux et dans une position redoutable, nos sol-
dats marchcrent avec une ardeur extreme. La
division suivit la crete €les moutagncs qni domi-




i\HJLINS-DEL-REY. 213


nent la plaille de Barcelonne, el tour na ainsi la
citadellc, la place et le fort Mont-Jouich. Nous
présentions le flanc d'une longue colonne flot-
tante et peu serrée, cal' le cheminétait escarpé,
étroit et coupé de ravins. Les Espagnols éche-.
lonnerent quelques troupes dans la plaine, et
firent quelqucs démonstrations mena~antes.
Nous pass ames par les villages de Gracia, Sarria,
Pedralbas, San-Pedro, et notre tete de colonne
arrÍva a Espulgas a midi et demi. La, nous ap-
primes par les hahitans du pays que 1'0n se hat-.
tait a Molins-del-Rey depuis huit heurcs du
matin. L'infantcrie était harassée; mais le hruit
de quelques coups de canon vint jusqu'a elle, et
l'ardeur des soldats se ranima. La division fut
partagée en deux colonnes : l'une suivit la grande
route; l'autre le chemin des montagnes. Un aide-
de-camp fut envoyé, avec quelques chasseurs
d'escorte, pour annoncer aux combattans l'ar-
rivée de la division. Voila ce gui s'était passé :


Le général Laroche - A ymon avai t en face de
lui les EspagnoIs, massés sur les hauteurs quí




MOLINS-DEL-REY.


dominent Molins-del-Rey : iI était séparé d'eux
par le magnifique pont jeté sur le Llobrégat,
guéabIe en ce moment sur tous les points. Ce
général devait se borner a faire quelques dispo-
sitions d'attaq~e pour occuper l'ennenti, bien
supérieur en nombre; mais comment s' en ten ir
a prendre position, a de simples démonstrations,
en face d'un ennemi que ron rencontrait nom-
breux pour la premiere fois, et apres lequel
on avait couru pendant plusieurs mois sans
pouvoir le rejoindre ? Les soldats étaient pIeins
d'ardeur, les officiers brulaient de combattre. Le
général Laroche - Aymon donne le signa) de
l'attaque. Le 5e de ligne s'avance au pas de
charge, l'arme au bras. Une fusillade terrible
renverse les premiers grenadiers. Le brave colo-
nel .Fantin s' élance en avant; Laroche-Aymon
met au bout de son épée son chapeau bordé, et
chante gaiment : « En arant~ Fanfan la Tulipe:
en arant ~ Fanfan~ en arant. j) A la maniere dont
cet officier-général, quí n'avait jamais servi qu'a
J' étranger, mene uos soldats au feu, on eut dit




l\lOLlNS-VEL-REY.


que toute sa vie il avait commandé a des Fran-
~ais. Le premier rang de la compagnie de grena-
diers tomhe sous les halles : trois officiers roulent
sur le ponto Les grenadiers s' élancent au pas de
course, mais ils ne peuvcnt atteindre l'ennemi,
qui s'enfuit de toutes parts et gagne de hautes
montagnes presque inaccessibles. ~n vain nos
soldats les poursuivent, les Espagnols leur échap-
pent par une course rapide ; quelques prisonniers
seulement furent le résultat de cette journée, qui
avait été préparée de longue main par le maré~hal
Moncey, et qui nous emita du monde.


Le vieux maréchal arriva sur le pont au mo-
ment ou le capitaine de grenadiers, qui venait de
receyoir une halle au front, était renversé sur le
parapet, pantclant, et se débattant contre cette
mort douloureuse qui vous fait tordre et mordre
la terre, contre cette mort cruelle, si, sovvent
te partage du solcp t. II s' arre te , ote son chapeau,
et s' adressant au malheureux agonisant : c( Capi-
taine, vous mourez au champ d' honneur, de la
mort des hraves; qu'une consolation adoucisse




~IOI,JNS-DEL-REY.


vos derniers momens! le roí et la France pren-
dront soín de votre femme el de vos enfans.
Messieurs, un dernier salut au brave : soldats,
portez vos armes! » Immobiles, la maín au
schako, les officiers saluerent; les soldats se mi-
rent au port d'armes. Le vieux Moncey, la tete
uue, passa dt:vant lui. Une derniere convulsion ,
un hond terrible, annon~ la fin des douleurs.
Le vieux brave avaít vécu .... VoiU. une mort
glorieuse et digne d' envie ! .. .


Dans cette journée, on remar qua l'inquiétude
visihle d'un chef de corps qui, dans le courant
de la campagne, avait demandé sa retraite, et
qui paraissait craindre que son régiment ne prit
part a cet engagement. Cet 'officier comptait les
services les plus hrillans dans les corps les, plus
valeureux de l'ancienne arméc. Nous disions
tous ~n épiant son alr préoccupé et son sourire
forcé, lorsqu'il paraissait préíj1mable que son
régim~nt alIait commencer l'attaque, « Quoi !
c' est Ul un víeux de la garde ! ... C' est qu' on ne
peut pas etre et avoir été ! C' est qu'arrivé a la fin




MOLINS-DEL-REY.


de sa carricre militaire, resté quelque·s années
de plus au service pour obtenir une meilleure re-
trai te, privé du puissant mobile de l' espoir de l' a-
vancement, cet homme n' avait plus d' espérance,
et ne se souciait plus de se risquer gratis ~ arrivé
au moment pénibIement acheté du reposo Pour
bien faire la gm.re, il faut etre jeune, ambi-
tieux , et avoir une carriere ouverte devant soi o


Ce jour, le génér~l Saarffield, a qui Mina vou-
Jait confierun commandement, quitta Barce-
lonne, et, conduit par un guide fideIe, rejoignit
notre division au moment OU elle approchait de
Molins-del-Reyo Il séjourna quelque temps au
quartier-général d.u comte Curial. Il exprimait
hautement les sentimens les plus monarchiques,
et rejoignit le baron d'ÉroIes, avec Jequel iI
combattit les constitutionneIso


Une partie de la division fit un mouvement
rétrograde, et revint coucher á San-Feliuo


Le so ir, entre six et sept heures, deux ep-
lonnes ennemies, sorties, l'une du Mont-Jouich,
l' aut.re de la place de Barcelonne, précédées d' une




218 ]\lOLINS-DEL-REY.


nuée de tirailleurs, attaquerent la hrigade Vas-
serot a Espulgas. Repoussé vivement, l'ennemi
fut forcé de se replier dans le plus grand dés-
OIure.


n chercha vainement a se rallier a la faveur
de la protection que lui offrait la nature du ter-
rain, qui, dans cet endroi,. est couvert de
vignes et entrecoupé de ravins profonds; nos
soldats le poursuivirent avec la plus grande in-
trépiditéjusqu'a Sans et au pieddu Mont-Jouich.
Plusieurs de nos hraves voltigeurs furent hles~
sés par le feu de la mousqueterje des remparts.




CHAPITRE XXIII.


1['lnvtstissttntnt bt fllarcdonnt.


LE lendemain, on commen~ l'investissement
de la place de Barcelonne. Cette ville, située au
bord de la Méditerranée, a sa droite appuyée
sur une citadelle dont les feux rasan s battent la
plaine, et sa gauche sur le Mont - Jouich, vaste
forteresse batie sur un roeher immense, eoupé
a pie du coté de la mer, mais dont.Ia pente s'a-
doucit sensiblement du coté de la terreo En




220 'L'INVESTISSE1\IENT DE BAnCELONNE.


avant de Barcelonne, se développe, duns une éten-
due de plusieurs lieues de long sur une lieue de
large, une plaine adossée a de hautes montagnes,
commencement du vaste chainon qui rejoint le
Montserrat, traverse la Catalogne, et "ient se
réunir a la grande ligne des Pyrénées vers Baga
et Puycerda. Souvent desséchés, souvent tor-
rens dévastateurs, qui entrainent dans leur
cours des rochers et des sables qui tendent a
combier le port, qui n' est ni vaste ni sur, le Be-
sos et le Llobregat se jettent dans la mer, l'un
au nord, l' autre au sud de la ville.


Deux grandes routes, celle de France et ceHe
de Madrid par Valence et Saragosse, traversent
cette plaine, qui offre un coup d' mil admirable.
Cultivée par un peuple intelligent et laborieux ,
elle produit t6ut ce qui est nécessaire a la vie,
du hlé, des vins e~quis , des lCgumes succulens.
L'olivier, le caroubier, le figuier, y devienncnt
monstrueux; les orangers, les citronniers et les
grenadiel~s embellissent de leurs fruits ce pay-
sage délicienx, tandis que lcurs tIcues répandent




L'INVESTISSEMENT DE TI IlRCELONNE. 221


au loin une ocleu!' douce et suave qui porte a la
reverie. Quelques palmiers élevent da~-Ies airs
leur tigc roide et droite, qui soutient une cime
d'ou retomhent des feuilles longues et toujours
vertes. L'aloes y dresse sa hampe couverte de
fleurs jaunes, et disposées comme autour d'un
élégant candélabre. La température, sans etre
brldante, favorise une végétation vigoureuse.
De nombreux villages, une multitude de jolies
maisons de campagne, haties et décorées a I'ita-
lienne, donnent un aspect riant et animé a ce
pays, ¡mage de la richesse et de l'ahondance.


La division arriva a Gracia, joli village situé
sous le canon et en fa ce de la place. Elle s'éten-
dit tous les jours, pour former la ligne d'inves-
tissement, qui commen~a depuis Badalona, par
San-André de Palomar, San-Marti, Gracia, San-
Gerbasio, Sarria, Espulgas, jusqu'a l'Hospitalet.
Un demi - cercle fut done traeé depuis le Besos
jusqu'au Llobregat. La marine, seeondant le
blocus, dcvait empecher l' entrée de tout hati-
ment dans le port et croiser devant Barcelonne.




22:1 L'INVESTISSEMENT DE nARCELONNE.


Toutes les roaisons isolées qui commandaient
les cheIft.~s quí, coupent la plaíne de Barcelonne
furent crénelées, et occupées par une, deux ou
trois compagnies d'infanterie, liées entre elles
par de petits postes. Dans quelques unes des
nombre uses hahitations placées a mi -cote, 011
remua de la terre, on tit des ouvrages pour
placer quelques pieces de gros calibre. Chaque
village re<,:ut un ou deuJ( batailIons de réserve,
prets a se porter sur le point qui serait menacé.
La plaine, sillonnée par de profonds ravins.
traversée en tous sen s par des murai11es qui sou-
tiellnent les terres, et par des haies d'aloes ou
de cactus qui séparent les diverses propriétés,
présentait un terrain accidenté, meneilleuse-
roent disposé pour faire agir des . tirailleurs ;
mais la cavalerie ne pouvait etre que d'une fui-
ble ressow'ce : des rampes furent pratiquées
pour faciliter le passage de l'artillerie; et en
avant de la premiere ligue furent placées de
nomhreuses vedeUes.


Le blocus dura trois mois. La n'était point




L'INVESTISSEMENT DF. BARCELONNE. 223


la question; elle se décidait devant Cad ix : la red-
dition de Barcelonne n'eut point fini la guene,
tandis qu' elle eÜt été terminee du moment OU
Ferdinand aurait recouvre sa liberté. Pendant ce
temps, le maréchal Moncey opérait en Cata-
logne, livrait de fréquens comhats, protégeait
et couvrait le hlocus.


La division Curial fut renforcee d'une bri-
gade, tirée de la division Donnadieu. Nous au-
rions eté évidemment trop faíhles, si nous
eussions eu affaire 11 un ennemi déterminé.
Presque tous les jours les Espaguols faisaient
des sql'~ies, attaquaiellt moHement nos ligues,
cherehaient .. a nout> attirer sons le feu de la
place: plusieurs fois les soldats, pleillS d'ardeur,
les poursuivaieut avec un emportement qui de-
venait funeste, car nous perdions illutilement
du monde. Dans les cornmencemens, rien ue
pouvait les determiner 11 profiter d'uu pli de
terrain, d'une maison isolée, d'uu arbre, d'une
haie, pour tirer avec plus d'avantage sans se
eompromettre. TOUjOUl's debopt, ils se présen-




~24 I:JNVESTISSEl\IENT DE BARCELONNE.


taient a découvert, et sc seraicnt crus déshonorés
s'ils avaient use de quelque ruse de guerreo
:pans la suite, ils devinrent plus prudens, et
acquirent un sang-froid admirable par l'habitude
qu'ils avaient d'aller au feu. Les Espagnols
faisaient une prodigieuse consommation de pou-
dre et souvent sans motif; la citadelle, la place,
le Mont-Jouich, le Fort-Pio, place a quelque dis-
tance de la mer en avant de la citadelle, faisaient
un feu nourri, et criblaient de bombes et d'obus
les maisons occupees par nos troupes.


Le géneral Mina avait confié le commande-
ment de BarceIonne au général suisse Roten,


. .


qui devint la terreur des habitans. Cet etranger
se montra cupide et cruel: des exactions inoules,
des executions sanglantes, furent ordonnees par
lui. Le general Mina, véritablement malade ou
qui feignit de l' etre, n' ordonna jamais rien qui
put laisser aucun souvenir odieux. Chose rare;
ce chef, dont les pouvoirs étaient immenses,
se comporta ave e assez de modération poul' qu'a
sa chute on n'ait point essayé de se venger par




L'INVESTISSEnIENT DE BARCELONNE. 225


de cruelles représailles : aueune réaetion ne fut
tentée eontre luí, lorsque nous entrames dan s
Bareelonne.


Nous étions informés par des espions de ee
qui se passait dans la ville. Privés de toute
communieation avec la campagne, quelques
,habitans de Barcelonne ohtenaient pad'ois des
Jaissez-passer pour venir visiter leurs hahita-
tions, Ils s'attendaient a les trouver pillées, abi-
mées. Quelle fut leur surprise, lorsqu'ils n'aper-
~urent aueune trace de désordre, lorsqu'ils
virent qu'aueun fruit n'était dérobé, que les
oranges, les citrons, les grenades, restaient sus-
pendus aux arbres. Leur étonnement était ex-
treme, et ils ne pouvaient s'imaginer comment
on pouvait obtenir cette discipline, au moyen
de laquelle les propriétés étaient respeetées a
ce point, de conserver intaets des fruits ra-
fraichissans sous un climat brulant. Le secret
était dan s la sollieitude constante de l'autorité
supérieure, dans I' exeellente administration des
intendans militaires, o3m la bonne harmonie


15




:)26 L' INVESTISSElUENT DE nARCET~ONNE.
qui régnait entre eux et les o11ieiers-généraux 1
et, poul' notre división, dans l'aetivité infatigable
et ingénieuse a trouver des ressourees du sous-
intendant militaire haron Sermet.


La solde, les distrihutions abondantes de vi-
vres et de vin faites aussi régulierement que
dans la garnison, otaient au soldat toul prétexte
de s'emparer de ce qui ne lui appartenait pas ,
el eette discipline s' 01tint naturellement, sans
efforts, san s qu'i! fut nécessaire d'employer
aueune punition sévere. Le soldat est juste par
uature. Il est reconnaissant des soins qu'on a
pour lui. S'il voit qu'il est diffieile de ppurvoir
a ses hesoins, s'il en reconnait l'impo~sihilité,
il ne demandera ni argent, ni vivres; il n' exigera
que de voir ses ehefs part.ager sa misere et s' oc-
cuper de pourvoir a un meilleur avenir. Un mot
d'intéret luí fera ou1lier une mauvaise position,
et prendre galment son mal en patienee.


Quelque ehose que ron puisse dire, OH n'ar-
rivera jamais a louer assez la discipline et la
loyauté de eette armée. Depuis les offieiers-gé-




L'INVESTlSSKUENT VE EARCELONNE. 227


néraux qui commandaient de Iongues lignes,
jusqu'aux sergens, ({ui, détachés et pouvant
échapper a la surveillance, commandaient des
postes de huit hommes, tous furent inaccessi-
hIes a des propositiollS qui, faites secretement,


,auraient pu les enrichir. Des négocians firent
des offres considétables el' argent pour laisser in-
troduire des marchandíses ou des vivres dans la
place, qui commen~aitaressentjr des hesoins. lIs
éprouri;j'ent partout des refus. Si la proJ}ité
n'est qu'un devoir, il n'en est pas moins vrai
qu'iI est rare eucore de trouver beaucoup d'hom~
mes qui fassent leur devoir, dan s un siccle OU
tout semble sacrifié a l' argento On peut dire que
si l' armée entra en Espagne sans peur, elle en
sortit aussi sans reproche.




CHAPITRE XXIV.


€,(lfrftution.


UN jour, au lever du soleil, un hataillon de
chaque régiment prit les armes, mais ce jour-Ia
c'était avec tristesse. Le canon des relI}-parts de
Barcelonne se taisait; l'reil ne distinguait pas au
lo in ces rayons soudains qui, venant a se hriser
dan s le canon poli d'un fusil ou sur la garde
étincelante d'un sahre, revelent malgré eux des
tirailleurs en marche. Ríen n'annoncait une


.




, ,
L J.:XECUTION.


sortie de reuuemi; tout était sílencieux. Les
compagnies déhouchaient par les chemins creux,
et l' on n' entendait aucun propos joyeux, aucun
lazzi de soldat; rien que le bruit monotone d'une
marche cadencée.


Arrivés a la place d'armes, les divers détache-
mens formerent une troupe nombreuse. Alors la
musique, les tambours, retentirent au loin, et la
colonne se mit en marche avec la ponipe mili-
taire accoutumée. Elle prit un chemin en ar-
riere de nos ligues, aráva dans une plaine bor-
née par une montagne stériJe, et se forma en
hataille. Tous ces soldats étaient amenés par
leurs chefs, ponr étre témoins d'une exécution.
Un malheureux tambour-maitre denit etre fu-
siIlé. 11 était convaincu de désertion a l'ennemi.
La loi est positive; la mort devait expíer son
CrIme.


Dans ce lieu funeste, dans ce champde mort ,
une fosse était préparée. Le malheureux parut
escorté d'un détachement de son régiment. n
s'avan<;a ferme a la mort; rien ne trahissait son




L'EXÉCUTfON.


émotion. Ce pauvre lVIartin, disait-oll, mourir
si jeune! Et si vous saviez pourquoi il avait
voulu déserter !


Ce n' était, je vous jure, ni par amour pOUl'
les constitutionnels, ni par haine pour la couleur
de son drapeau. Aucun chef injuste n'avait non
plus hlessé son amour-propre de soldat. Il étaÍt
aimé et estimé de tous. Explique qui pourra
eette fataJe destinée qui le poussa a risquer sa
vie, a mourir fusillé pour avoir voulu·passer h
I'ennemi.


Martín étaít un des meiI1eurs tamhours de
l'armée. Tous les soirs, lorsque le vent apporta.it
a son oreille le roulement des tambours de la
place de Varcelonne, il souriait de pitié, haussait
les épaules et s' écriai t : (( Quelles hatteries! )) Peu
de temps apres on le vit triste, soucieux; mille
idées vinrent le tourmenter et fermenterent dans
sa tete. De hauls politÍques revent la régénéra-
tion d'une natÍon : luí reva une réforme dans les
marches espagnoles. n se yit entrant dallS Bar-
celonne tlla tete de ses tamhours, suivi, admiré,




J:EXÉCUTION. ~3r
chef d' école en/in! Il engage quc1Cfues uns de ses
camarades a passer avec lui a l'ennemi.


Trahi par l'un d'eux, arrcté entre nos vedettes
et les vedettes espagnoles, il fut traduit par-
devant le conseil de guerre, qui ne fit qu'appli-
quer la loi.


Le matin dujour ou il allait mourir, plusienrs
de ses camarades le visiterent dans sa prison, eL
l' engagerent a hoire. (( Pourquoi cela? dit - il ,
ponr m' étourdir? J' allais tous les jours au fen a
jeun; je puis hien y aller encore cette fois! »)
Un anmonier vint luí donner les dcrnieres con-
solations, qu'il accueiIlit avec respecto On vint
l' avertir que le moment était venu : il marcha d'un
pas assuré. Arrivé a l'endroit fatal, il distrihua
a ses amis quelqnes effets a l'usage des soldats,
son conteau, une épinglette, une patience, et
dit a l'un d'eux, né dal1s le meme village que
lui : (( Tu reverras ma vieilIe mere, et tu lui
diras que je suis mort fusillé, mais sam etre dés-
honoré; je n'avais rien fail pour cela. Tu luí
diras que je suis mort comme un brave soldat,




, ,
L EXECUTION.


digne du numéro de mon régiment; n' est - ce
pas, mon colonell ... » Tout le monde était vio-
lemment ému. On admirait cette doueeur, cette
résignation dan s ce jeune homme, qui s' en allait
a la mort comme en congé, quittant la vie
comme il aurait quitté son régiment s'il eut fini
son temps.


On lui présenta un mouchoir pour se hander
les yeux. Il le refusa, demanda pour derniere
grace de commander le feu; on la lui accorda.
Le peloton s'avan~a; d'une voix sonore il pro-
non~a les paroles de mort. Au mot feu ! douze
baIles lui traverscrent le corps. Les différens dé-
tachemens défilerent devant son cadavre palpi-
tanto Deux sapeurs le pousshent dans la fosse
creusée a l'avance, le recouvrirent de terre et
tout fut fini.




CHAPITRE XXV.


1[111'9.


PARLER longuement des travaux de l'investis-
sement, ce serait faire le récit de comhats d'a-
vant-postes et de tirailleurs, ou ceux qui étaient
engagés firent constamment preuve de valeur et
d'illtelligence; mais ces attaques réitérées de
part et d'autre n'amenerent aucun résultat dé-
cisif. Plusieurs sorties eurent lieu : une seule
fois nos lignes furent forcées; le général Curial




LLERS.


se mit a la tete d'un bataillon , prit l' ennemi en
Hane, et peu d'instans suffirent pour reprendre
notre position.


Cependant un eombat merite d'étre rapporte,
paree qu'il fut le prélude d' evenemens importalls
pour le quatrieme eorps. Depuis quelques nuits,
les Espagnols lanc;aient autour de la place des
pots-a-feu, qui, eclairant une partie de ]eur
ligne et les remparts, attiraient sur ee point
toute notre attention. Nous apprimes que le
bruit se repalldait dan s la ville que nous devions
ten ter une esea]ade de nuit, et nous pCl1samcs
qu'ils redouhlaient de préeaution pour parer ¡t
une attaque.


Le 10 oetobre, a la pointe dujour, on aperc;ut
de nomllreuses eolo'nnes déboueher par les portes
de la eitadelle et de la ville, desecndre du Mont-
Jouich, et s'avancer, protegées par un feu des
plus y ifs de toutes leurs batteries, sur San-
Marti, San-André, le Clot, Gracia, Sans et
I'Hospitalet. En un instant, les bataillons de
reserve se réunissent sur les différentes plaees




LLERS.


d'armes, l'artillerie est attelée, la cavalerie est
~t cheval; on se prépare a une vigoureuse défense.
Les homhes, les ohus, les houlets, déchirent l'air,
silIonnent la plaine, brisent les oliviers a l'abri
desquels se mettent les tirailleurs, démolissent les
maisons ou logeait l'infanterie. Depuis trois mois
que nous étions en présenee des Espagnols, nous
n'avions jamais eu une attaque si générale, si
vive, une marche aussi déterminée. Leur prin-
cipal eilort se porte sur la gauche, défendue par
le général de Vence, hrave et calme dans le dan-
gel'. Il contient l'ennemi, que ses troupes pcu
nombreuses, disséminées sur une longue ligne,
suffisent a peine pour repousser. Ses rapports lui
apprennent qu'un débarquement a eu lieu hors
de la ligne d'investissement, et que trois mille
hommes ont quittéEarcelonIle dans la nuít pour
prendre terre sur notre extreme gauche; une
flotille eomposée de batimens légers longeait la
cote, et rentrait paisiblement dans le port.


L'attaque qui continuait a ctre vive, l'ineerti-
tude ou l' on était sur la direction de leur marche,




I,LERS.


ne permettaient point de dégarnir notre ligne
pour envoyer sur-Ie-champ des troupes a leur
poursuite. La colonne ennemie devait-elle nous
tourner et nous prendre entre deux feux , ou
marchait-elle au secours des places fortes du
nord qu'elle voulait tenter de ravitailler? eette
conjecture était la plus probable, cal' une lettre
du gouverneur de Figueres, adressée au général
Mina, étant tombée entre nos mains, nous fit
connaitre l'état de détresse dan s leque! se trou-
vait la garnison de cette place. Une reconnais-
sanee fut envoyée pour avoir des rapports plus
circonstanciés : au hout de quelques heures , on
sut que cette colonne , commandée par le géné-
ral Fernandez, avait pris le chemin des monta-
gnes, et se portait sur Hostalrich et Figueres pour
déhloquer ces deux places, ou leur donner du
secours. Le hataiIlon d'émigrés, qui comptait
trois cents Franc;:ais, faisait partie de cette
expédition.


La position du général de Damas devenait cri-
tique. Cet officicr-général, resté dcvant figneres




LLllRS.


avec peu de troupes, devait etrc attaqué par des
forces si supérieures, qu'illui eut été difficile de
ne point opérer un mouvement rétrograde. Un
officier fut immédiatement envoyé pour le pré-
venIr.


Nous combattimes tont le jour pour conserver
nos positions; l'attaque ne se ralentit qu'au com-
mencement de la nuit : aussitot, trois hataillons
et deuxcents chevaux partirent, sous les ordres
du général Nicolas,. a la poursuite du général
Fernandez. C'était hardi a cegénéral de traverser
quarante lieues de ce pays occupé par les Fran-
c;ais , et dont les populations étaient hostiles aux
constitutionnels. Le baron de Damas ne pouvait
disposer que de peu de monde: par un honheur
inoul, six cents jeunes soldats, appartenant a
différens régímens, arrivaient de France, et pas-
saíent sous les murs de Figueres. II s' en empara
aussitót. Instruít que l' ennemi était a Besalu avec
des forces supérieures, il envoya une reconnais-
sanee de cinq cents hommes, avec ordre d'évíter
tout combato Mais un capitaine d'état-major,




LLERS.


homme ardent et entreprenant, commandait
ccttc troupe, et l' el1gagea avec la colonne du
général Fernandez. Le capitaine d'état-major fut
tué : la reconnaissance culbutée se rejeta sur le
général Damas, qui fut obligé de la soutenir avec
beaucoup de monde. Ce ne fut qu'apres plusieurs
charges brillantes de cavalerie que l' ennemi s'ar~
reta. A une atfaque aussi impétueuse, a une vi-
gueur a laquelle les Espagnols n'avaient point
habitué leurs ennemis, on devina que lenr tete
de colonne était composée de Fran~ais. Enfans
de la meme patrie, suivant chacun un drapeau
différent, e' était une affi'euse extrémité que ceHe
de combattre les uns contre les autres; mais du
moins la lutte cut lieu sur une tene étrangere.


La nuit mit fin au combat, et le baron de
Damas fit occuper le chemin de Canavellas qui
conduit a Figucres. Le lendemain au point du
jour, l' ennemi déboucha avec impétuosité, for~a
le passage, et, malgré un feu des plus vifs, s'a-
van~ait avec audace, lorsque le général Marin-
goné s'empara du plateau de Llers, ou se livra




LLERS.


Hll combat acharué. Les émigrés Fran~ais se
hattaient en héros, avec le couragc du désespoir.
Plusieurs charges ~ la balonnette eurent líeu,
sanglantes, et la victoire demeurait indécisc,
lorsque le général Fernandez aper~ut la tete de
colonne du baron Nicolás, qui accourait en bmte
hate avec sa cavalerie et ses voltigeurs. Il comprit
que toute résistance devenait inutile, et demanda
a capitule1' : les Fran~ais demandaient a mourir.
Un homme de camr, un brave comme eux"
un homme fidele a sa foi aujou1'd'hui, comme
eux ~lleurs croyances, M. de Chievres , aide-de-
eamp du ba1'on de Damas, le meme qui figurait
il y a quelque temps sur le banc des accusés
vendéens, les pressa d' aeeepter une honorable
capitulation. Sur la parole du baron de Damas,
homme de conscience, sur les instances de M. de
Chievres, ils consentirent a se rendre; e' était
assez de sang versé. Ce dut etre un beau jour
pour ceux de nous qui, la cocarde blanche au
frout, vainqueurs, mais généreux apres une lutte
aeharnée, furent assez heureux pour convaincre




LLERS.


des Fr:m~ais combattant sous un autl'edl'apeau,
d'accepter la vie, et de la garder pour la patrie.
(Note 5.)


Dans les guerres civiles, ceux qui croisent bra-
vement leur épée sont toujours sftrs de se co~­
prendre, car il est rare que dans un soldat il
n' existe pas des sentimens généreux. Mais dans
les révolutions, les haines et les ressentimens
sont toujours plus violens chez ceux dont la main
n'a jamais manié le fer, et dont la poitrine ne
s' est jamais présentée aux halles. Ceux-Ia suivent
a la piste les soIdats, pour profiter de leur vic-
toire. lIs ressemblent au chacal, cet animal
d' Mrique, qui, trop faible, trop timide ponr
tuer, suit le lion pour lécher les restes d'un sang
qu'il n'aurait su verser.




CHAPITRE XXVI.


CEPENDANT les événemens se pressaient dans la
Péninsule : hattus sur tous les points, ne trou-
vant aueune sympathie dans les populations des
eampagnes, le déeouragement s' empara des eon-
stitutionnels. lIs ne purent, dans aueune pro-
vinee du royaume, organiser des guérillas pour
défendre la cause de la constitution.Aueontraire,


16




LA CAPITULATlON.


en Catalogue, les terribles Somatenes descen-
daient des montagnes, et prenaient les armes
pour Ferdinand.


Comme iI y avait impossibilité <\opérer rien
de décisif avec de l' artillerie de campagne sur une
place comme Barcelollne, on fit quelques prépa-
ralÍfs pour commencer le siége. On débarqua a
Mataro de grosse artillerie; mais Pampelune étant
tombée sous les canons du maréchal Lauriston ,
ce maréchal se mit en route pour arriver devant
Barcelonl1e avec tout son matéricl de siége. Il tra-
versait la Navarre et l'Aragon , eL déjiJ il était a
Lerida, lorsque nous re9umes la nouvelle offi-
cielle de la délivrance de Ferdinand. Des salves
d'artillerie furent tirées sur toute la ligne en
signe de réjouissal1cc : c'était ~l l'entrée de la
nuit; Barcelonne en trcssaillit. Les constitution-
neIs penscrent qu'Ul1 grand événement avait dñ
arriver; et le lendemain, un parlementaire se
présel1ta a nos avant-postes : il apprit que Fer-
dinand était libre. La nouvellc en fut portée au
général Mina, qui proposa Jui-mcme sa soumis-




LA CAPITlJLATION.


s10n. Saria, quartier-général du maréehal Mon-
eey, fut le lieu ou se débattirent quelques ques-
tions importantes. Les généraux Curial et Berge
traiterent de la capitulation avec les envoyés des
consti tutionnels.


Le :5 novembre les articles furent signés; et I@
lendemain , a quatre heures du matin , toutes les
troupes qui formaient le blocus se réunirent sous
les murs de la place, pour faire leur entrée dans
Barcelonne.


Ce jour~la Barcelonne, l'antique Barcino, la
capitale du pays des Lacétaniens, ou s'étaient re-
posés Anpibal et Scipion, sur les tours de la-
quelle avaient flotté des enseignes si diverses dans
les temps anciens, dans les temps modernes et
de nos jours, Barcelonne était helle a voir. Ani-
mée par une nomhreuse population qui inondait
la Rambla, vaste boulevard qui la sépare en deux
parties, Barcelonne capitulée avait pourtant un
air de fete. Ses habitans voyaient sans eIfroi des
troupes étrangcres, cal' la conduitc de l'armée
avait conquis l' estime de toutcs les opinions.


Privés de toute communication avec la cam-




:d¡4 LA CAPTTULATION.
pagne depuis l'investissement, les habitans de
la ville sortaient joyeux, et quittaient avec
iuesse les murs OU ils avaient été prisonniers si
10ng-temps. Sur ]a physionomie expressive dl"s
Catalans, on lisait qu'ils étaient heureux d'etre
délivrés du joug de Roten. Le peuple voyait sans
déplaisir le re tour du gouvernement ahsolu, que
devait probablement rétablir Ferdinand; chez
les femmes, la curiosité l'emportait sur toute
autre idée. Nos régimens si beaux, nos soldats
qui n'avaient en rien l'aÍr de farouches vain-
queurs, attiraicnt leurs regards; aussi lcs co-
lonnes étaient serrées, encadrées par la foule.
Lorsqu'elles débouchaient sur la muraille de
mer, qu' elles se rangeaient en bataille, depuis
l' Arsenal jusqu'an palais du Roi, suivies de eette
immense population, que les aÍrs si gals de
France retentissaient an loin y tandís que les
plus jolies femmes de la ville se pressaient aux
fenetl'es des nombreux palais qui bordent la
Méditerranée, nos troupes avaient l'air de pre-
ter l. une fete le luxe de 11"Ilrs hrillans uniformes
et de leurs couleurs si diversement variées.




LA C.\PITULATION.


Vrai! cejour-l¿" la ville de BarcelOlme elait
belle a voir 1


Dans son port, OU se balan<¡aiellt quelllues
vieux vaisseaux captifs depuis trois mois, en-
traient a pleines voiles les b;Uimens de l' esca-
drille fran<¡aise, pavoisés comme aux grands
jours, franchissant la barre en bondissant sur la
vague; tandís que la Marie-Thérese~ la plus
belle frégate de la marine, se tenant au loin,
avait l'aÍr de ralIier au port les bricks et les
goClettes, comme un alcJon qui veille sur ses
petits. Ce jour-Ia vous eussiez vu tous les canols
de pecheurs s' élancer a la mer comme une tl'oupe
de jeunes cygnes; leurs voiles hlanches disparais-
saient en tre deux lames, pour reparaitre ensui le ,
et leur 10ngue ligne formée en croissant entou-
rait le port, d'ou ils n'avaient pu sortir depuis
long-temps.


Les privations que I'on avait éprouvées pen-
dant le blocus firent apprecier davantage encore
les charmes d'une grande ,iHe qui ofli'ait mille
ressourccs de plaisir. Dejolis logemens, d'excel-




LA CAPIT(JLATIO"\'.


lentes auherges; un hon spectacIe, firent promp-
tement ouhlier les fatigues de ]a carnpagne.


Le théatre était fort suivi. Le thétttre italien
comptait quelques talens de premier ordre.


D'assez bonnes traduetions de tragédies, de
drames, de eomédies fral1l;;aises, rempla'taient
les anciennes eomédies espagnoles; ce qui ehar-
mait par-dessus tout, c'était eette danse espa-
gnole si justement vantée. Tous les soirs nous
voyions avee un nouveau plaisir le Bolero et le
Fandango. ( Fandango! Fandango por los rea-
listas! Fandango por los offi'cialesfranceses! ' »)
criait le parterre, fiel' de nous montrer cette
danse nationale si renommée', et qui plait autant
aux Espagnols que leurs comhats de taureaux.


Au lever du tideau se dessinent irnmohiles el
gracietlx le Bolero et la Bolera, Rafael et la
Pepita. Rafael porte une chupa (veste) de satín
orange parsemée de paillettes; ses poches bro-


- dées, sa rézille, rappellent l'habit de Figaro sur


• Le Falldallgo ! le Fandango pOU!' les royalistt's! le Fan-
dango pOU!' les officiers fran,:ais !




LA CA.PITULA.TION.


nos thé:itres. La main gauche sur la hanche, le
hras droit en l'air, iI attend quelques mesures
de l'orchestre pour voler au-devant de la Bolera.
Pepita a la meme attitude que lui : on dirait
deux jolies statues qui posent pour un peintre.
lIs s' élancent tous les deux, voltigent, s'éloi-
gnent, se rapprochent; Rafael poursuit Pepita,
mais en vain; la Bolera lui échappe au moment
ou il va la saisir. Rafael semble lui demander
gdce, cal' il met un genou en terre et suit
de la tete tous ses mouvemens, tantot lents,
tantot précipités. Pepita, légere, insaisissable,
tourne et bondit autour de lui. Comme sa bas-
quine est éhlouissante! comme son avantal, semé
d' étoiles d' 01', sui t les mouvemens ondulés de
son corps souple et gracieux! Dans ses mains et
dans ceHes de Rafael, lcs castagnettes retentissent
san s cesse, se melant a l'ail' vif et cadencé du
Fandango. Mais la Bolera ralentit ses pas; Rafael
se releve, la poursuit encore; Pepita semble
vaincue, un bond la fait disparaitre, et Rafad
s'élance encore apres Pepita.




LA CAPITULATION.


Des fetes brillantes, données par les Espa-
gnols et rendues par les Fran~ais, prouvaient
assez la bonne harmonie qui régnait entre I'ar-
mée et les habitans de Ba.reelonne.


La délivranee de Ferdinand amena done la
reddition de Bareelonne, et ainsi fut terminée
la campague de Catalogue. Le quatrieme corps
eat de fréquens engagemens avec les troupes
constitutionnelles. Le maréchal Moneey, avec
peu de monde, tint hloquées les places de Fi-
guieres, de la Seu, d'Hostalrich, de Barcelonne,
de Tarragone, harcela constamment les lieute-
nans du général Mina. Le'but de ses opérations
fut de les empecher de se jeter SlU' les derrieres
du général Molitor, qui s'avan-;a hardiment en
Andalousie par une marche rapide, et, par un
combat décisif, amena d'importans résultats
pour la campagne dans le midi de I'Espagne.




CHAPITRE. XXVII.


.r'2\.rnút b' occupation.


LA campagne de 1825 terminée, les points
les plus importal1s furent eonfiés a des divisiollS
fran<;aises, qui resterent trois al1nées en Cata-
logne, en Navarre, dans la Biscaye, la Castille
et l' Andalousie. Barcelonnc, Pampelune, Saint-
Sébastien, Vittoria, Burgos, Manrid et Cadix ,




250 L'AHMÉE D'OCCUPATION.


f t ' t L"'t uren occnpes par nos roupes. armee, e 1'an-
gere a tout esprit de parti, intervint entre les
royalistes et les constitutionnels , et fut souvent
utile ponr contenir l' exaspération des différentes
opinions. Bien que la discipline la plus sévere
continuat (t etre rigoureusement observée; que
rien ne put choquer ni les mmurs, ni les usages ,
ni les croyances des Espagnols; que notre séjour
répandit de l'argent dans les provinces OU nous
tenions garnison, il était cependant facile de
s'apercevoir que nous commencions a etre vus
avec défaveur. Impatiens du joug étranger, quel-
que doux qu'il puisse etre, et certes rien ne
décelait le vainqueur exigeant, mais bien l'allié
loyal et fidele, les Espagnols n'en dési1'aient pas
moins nous voir quitter leur territoi1'e. Leur
esprit national et leur fierté ne les ahaudoune-
reut jamais, et ils le témoignaient daus les moin-
dres circonstances.


Nous fumes convaincus que les opinions SOllt
trop tranchées pour que l' on puisse créer un
parti mixte qui marche entre les deux seuls qui




domillent en Espagne. Ces deux partis sont : les
absolutistes ou apostoliques , partisans de la mo-
narchie absolue, qui veulent le roi absolu, el
rey absoluto~· les constitutionnels, qui veulent
la constitution proclamée dans la guerre de I'In-
dépendance.


A la premiere opinion appartient le clergé,
qui domine de toute sa puissance et sans partage
d'autorité les populations des eampagnes et des
villes de la plus grande partie des provinees d'Es-
pagne, a l' exception de quelques villes du littoral
de I'Océan et de la Médi terranée. C' est l' immense
majorité de la nation.


Les constitutionnels ont pour eux une partie
du haut commerce des villes mari times , et quel-
ques f:1milles riches et anciennes. Ces grands
d'Espagne qui suivellt la ligne révolutionnaire
ressemblent a ces familles de France dont l'illus-
tration, qui remonte aux temps les plus anciens
de la monarchie, rend leu!' conduite inexpli-
cable. Ficrs de leurs blasons, cOUl'bés sous le
poids des faveurli de la cour, l'cvetus de l'her-




, . ,
L ARIUllE D OCCUPATION.


mine du législateur, on a vu (Iue]ques UllS de ces
illustres rejetons, transfuges au camp du peuple,
dans les temps d'adversité de nos rois. A chacun
son role. Leur condition est d' etre monarchi-
ques, de défendre et non de démolir la royauté.
Classés dan s l' ordre social par leur naissance,
leurs idées premieres , leurs gouts , leur orgueil ,
ils mentent a leur origine lorsqu'i1s veulent con~
quérir une popularité douteuse qui les fait renier
de tous.


En rentrant en France, nous présagiolls des
jours sinistres 11 l'Espagne; nous pensions que
des réactions auraient lieu, car trois années
n'avaient point effacé totalement les souve-
nirs de haine contre la conduite des constitu-
tionnels. Il parait que rien de sérieux n' éclata.
Le gouvernement comprima, mais n'étouffa
point les ressentimens qui fermentaient au fond
des cceurs. C' est de I'Espagnol que l' on peut
dire:


Manct a/ld /l/cnte npo.\tlllll.'




r:ARMÉE D'OCCUPATION. 253


Il n'ouhlic jamais. Le temps seul pouvait di-
minuer des haines profondes. Malheureusement
des événemens se préparaient, qui allumerent les
flambeaux de la guerre civile dans ce royaume,
dont le peuple ne sommeille jamais que les armes
a la main.






-1833.






" 835.


CHAPITRE XXVIII.


Garctlonnt.


DANS les premiers jours de 1833, j'allai a Ma-
drid par Barcelonne et Valen ce, curieux d' obser-
ver les changemens que dix années de paix avaient
dfi amener dans ce heau royaume, qui serait si
riche et si puissant, s'il ne subissait les consé-
quenees des temps de troubles dans Iesquels nous


17




DARCELONNE.


vivons; si, dégagés d'inquiétudes, de soucis, un
l'oi ferme et des ministres hahiles, occupés des
améJiorations a introduire dans les diverscs
hranches d'économie politique, pouvaient por-
ter une attention constante au bien - etre du
pays.


La paix avait produit déja d'immenses résul-
Lats. La tranquillité régnait dans toutes les pro-
vinces. Les deniers rentraient dans le trésOl'
public san s difficulté; les rcvcnusde l'État étaient
peu considéraJ)les, mais suffisaient aux dépenses,
et le peuple n'était point foulé pal' l'impot. Le
commerce avec la France ~vait repris une nou-
velle vigueur. Une armée peu nombreuse, mais
fort belle, s'était formée, et suffisait poul' occu-
per toutes les places fortes et maintenir en temps
ordinaire les populations belliqueuses et iu-
quietes du nord de I'Espagne. Le gouvernement
encourageait l'industrie; il Y avait progres et
amélioration sensibles.


Plusieurs usines s'étaienl créées dans la valléc
de Beselu, sur le chemin qui mene de Tolosa a




PampeIune. La manufacture d'armes d'lbarr~
dans le Guipuzcoa avait repris une activité inac-
coutumée, Les mines de cuivre de la Navarre,
cenes de fer si riches du pays d' AIava, étaicnt
exploitées par des compagnies pourvues de nom-
breux capitaux. Le gouvernement favorisait les
progres de l'industrie. Un immense couvent des
environs de Madrid fut concédé a M. DoIfus de
MuIhausen, pour y fabriquer des toiles peintes.
On accorda a cet honorable industriel l' entrée
sans droits de quarante mille pieces de coton.
Des ouvriers espagnols travailIant avec les AIsa-
ciens apprenaient un art jusque-Ia inconnu dans
la Péninsule, et étaient destinés a le répandre
dans les provinces. Malgré la guerre de la con-
stitution et l'occupation, l'Espagne cicatrisait
des pIaies profondes.


Quelques villes s'étaient singulierement em-
bellies. Vittoria avait vu s'élever des maisons de
la plus jolie apparence, autour d'une place nou-
vellement bátie. Un quartier neuf se terminait.
La Florida s'était encore agrandie. Burgos avait




BARCELONNE.


ajouté du développement aux promcnades qUl
bordent les rives de l' Arlan~on~


Une amélioration qui doit produire de grands
résultats pour le commerce, faciliter les com-
munieations d'une province a une autre, etablir
des rclations fréquentes avec la France, c' est la
création d' exceIlentes diligences servies avec la
rapidité de nos malles-postes, et qui parcourent
toutes les grandes routes d'Espagne. Deux fois
par semaine, des voitures partent de Madrid
pour Valence et Barcelonne, Saragosse, SéviIle,
Cadix , Valladolid, Burgos, Bayonne, Badajoz,
Guadalajara, Aranjuez, Tolede et les habitations
royales. Dans toutes les a?berges sont affichés
les tarifs du prix et de la composition des repas
qui doivent etre servis aux voyageurs. L'autorité
sUl'veille avec un so in particulier l' exéeution du
traité fait, dans l'intéret du publie, ave e les
maitres des posadas qui se sont engagés a etre
toujours prets a recevoir les voyageurs.


Sur eette route étroite et d'une blancheur qui
fatigue la vue, s' éleve un nuage d'une poussiere




BAItCELONI\E.


épaisse qui laisse une longue trace derriere lui.
Des bruits de sonnettes se font entendre, des
eris per9ans dominent un bruit sourd, et qui se
rapproehe rapidement; e' est la diligenee de Ma-
drid, trainée ou plutot emportée par huit mules
au galop, ehargées de cloehettes et eouvertes de
pompons de laine jaune et rouge. Éeoutez les
eris de eet homme qui, un long fouet a la main,


t ' l • , . l' l' l eour a eurs cotes, exeltant une, appe ant
de son nom, c'est la capitana; l'autre en la
mena~ant, e'est la marquesa~' eelle-ci en alloll-
geant un coup éc1atant sur ses flanes amaigris ,
e' est la duquesa; celle-Ia de la voix : Anda!
anda! la morena! Cet homme si vif, si alerte,
qui fait au pas de course six ou sept lieues d'Es-
pagne, c'est le zagal. Il ne se repose qu'aux
montagnes eH sautant Iégerement a coté du
mayoral ~ qui tient les deux renes des mules du
timon. Voyez le postillOlil avec sa veste brune et
ses manches étroites an poignet, bariolécs jus-
qu' au conde de couIeurs bIen de ciel, jaune,
I'ouge, el ce dessin it palmes en soie nnancécs,




BARCELONNE.


brodées au milieu du dos; c' est la veste courte,
le dolman des anciens Maures conservé dans sa
coupe primitive. Des ttomblons, des carabines ,
suspendus a l'impériale, battent le long des pan-
neaux : ce sont les armes des escopeteros) qui,
assis sur la voiturc, l' escortent, et font en cas '
de besoin le coup de fusil contre les voleurs
qui attaqueraient la diligence. Les escopeteros
sont presc.fUe tous d'anciens chefs de bandes qui,
fatigués du métier et craignant les suites de cette
vie périlleuse, passcnt marché avec l'adminis-
tration des diligences royales, ponl' que désor-
mais leurs anciens compagnons, sUr lesquels ils
conservent de l'ascendant, n'attaquent jamais la
voiture avec laquelle ils ont traité. C' est une
espece d'abonnement, d'assurance, contre le vol
,. ,
a mam armee.


On raconte l'histoire suivante sur un des es-
copetel'os de la diligence de Madrid a Da yonne.
Juan était chef d'une hande embusquée ordinai-
rement dans les défilés de Somo-Sierra ; son
audace et son adresse l'avaient rcndu redoutable;




BARCELONNli.


la police avait mis sa tete a prix. Juan, du reste,
n'avait jamais versé de sang: il allait, avcc son
fils, demander l'aumone poliment, chapeau has,
le fusil a la main, a la portiere des voitures. Fa-
tigué de eette vie de dangers, Juan se rendít un
jour sur la route déserte de I'Eseurial, par la-
quelle devait passer M. Calomarde, ministre de
grace et de justice. II arreta sa voiture, et se
llomma. Le ministre tressaillit a ce nom re-
douté; mais Juan lui ohserve que, hien que sa
vie soit entre ses maíns, iI n'usera pas de vio-
lence. lllui promct de renoneer a son métier de
voleur, s'il peut obtenir sa graee : M. Calomarde
la luí prometo A un jour convenu, la grace de
Juan et des papiers en regle sont déposés dans un
lieu indiclué; mais Juan, rentrant dans· la vie
privée, avait perdu son état. II retourne chez
M. Calomarde, a qui il prouve logiquement
qu'illui faut une place, puisqu'il avait volontai-
remeut abandonné eeHe qui luí proeurait des
moyens d'existence. Le ministre, vaineu par la




BARC'¡;;LONNE.


candeur de Juan et ses excellentes raisons, le
pla«;a eomme escopetero a l'administration des
diligences royales. Juan a justifié les bontés de
son protecteur. Rarement, la voiture qu'il est
chargé de défendre et d' escorter est attaquée.
Dans un voyage a Madrid, le mayoral aper~ut
deux hommes a cheval, sur la route inhabitée
d'Alameda a Buytrago. Juan et son compagnon
s'élanccrent, le fusil armé, sur ces deux person-
nages dont la mine était fort suspecte, et les for-
cereut a s'eloigner. Juan est poli et prévenant
pour les voyageurs, mais on nc peut s'empecher
d'un sentiment d'effroi, lorsque l'on connait ses
antécédens, et que l'on se trouve sous la protec-
tion de Juan, a qui sa tournure martiale, d' épais
sourcils, d' enormes favoris et un regard louche
donnent un aspect vraiment redoutable.


Cette facilité que trouvent les etrangers pOlU'
voyager en Espagne u' est pas eucore assez con-
nue. Les resultats devieudront importans pOlU'
la Péninsule. Beaucoup de préjugés disparaitront




BAnCELONNE. 265


de part et d'autre. Les villes de l'Océan et de la
Méditerranée, qui présentent tant de charmes
par leur position et la douceur de leur climat,
seront plus souvent visitées. Les hahitans du
Nord quitteront un ciel hrumeux pour le soleil
d' Andalousie. On recherchera avec empresse-
ment les antiquités roma in es et les monumens
qui m.arquent d'une maniere si pittoresque le
séjour des Arahes. Les parvis de l' Alhamhra se-
ront, comme ceux d'HercuIa:num, foulés par de
nomhreuses caravancs; l' argent importé par les
étrangers servÍra a leur procurer le bien-ctre et
le confortahle qui manquent encore. L'Espagne
enfin, pays presque inconnu, sera le but des
voyages des gens riches et des artistes, comme
l'ltalie l'est aujourd'hui.


Une diligence parcourt en peu de temps la
distance de Perpignall' a Barcelonne. eette route
offre des sites curieux : on s'arrcte a Figueres, a
Gironc, dont le siége, qui dura neuf mois, cmita
tantd'efforts, en 1809, aux troupes de Napoléon.
Mariano Alvarez de Sotomayor, par la défense




llARCELONNE.


héróique de la place qui lui élait confiée, a laisse
un nom cher aux Espagnols.


Au nombre des jolis villages que traverse la
route de Girone a Barcelonne, il est difficile de ne
point remarquer Calellas, renommé par ses eaux
minérales, placé sur le bord de la mer, adossé a
un rocher élevé; joli hameau, entouré de citron-
niers, orné de maisons a l'italienne, délicieux
point de vue qui ressemble a ces décorations de
théatre ou, sur une toile étroite, le peintre a
entassé d'heureux accidens recueillis dans de
nombreux souvenirs .
• La Catalogue avait pour capitaine-général un
homme qui , comme tous les hommes énergiques
et attachés a leurs devoirs, a été en butte a d'a-
troces calomnies. Le comte d'Espagné adminis-
trait cette province avec impartialité, et travail-
lait avec ardeur a tout ce qui pouvait développer
les progres de l'industrie, du commerce el de
l'agriculture. Il prévoyait unchangementfuneste
dans la marche du gouycrnement, el tach::tit, par
ses conseils, d'arreter les progrrs rapidcs d'ul1e




BARCELONNE.


révolution. Il faisait de vains efforts pour ouvrir
les yeux de son souverain sur les dangers qui roe-
na<;aient l'Espagne ; pour prix de ses sages eon-
seils, il fut tout 'a eoup exilé. Le eorote d'Espagne
travaillait a l' embellissement de la ville de Barce-
]onne. Un jardin botanique en faee de la Bourse ,
une place régulicre, au milieu de laquelle on re-
marque unefort belle statue de Ferdinand, élevée
de ses propres deniers, témoignent assez de sa
sol1ieitude envers une ville dont le eommande-
ment et l'administration luí étaient eonfiés. Ce
qui prouve en faveur du eomte d'Espagne, e'est
qu'il était aimé du peuple catalan, dont il est dif-
ficile de conquérir l'affection, car il est ombra-
geux et mobile dan s ses sentimens.


Bareelonne possede un théatre italien excellent,
supérieur a eelui de Madrid, rendez - vous de
toute la société. L'hiver, de fort belles fetes ont
lieu dans les salons de la Bourse.


L' hiver aussi, le clergé donne des fetes reli-
gieuses qui attirent beaucoup de monde. On a11-
nonce qu'un ¡imeion doit avoir lieu dan s une




BARCELONNE.


égliseindiquée. Chaque paroisse prepare a son tour
une pareille solennité. L'église est magnifique-
ment décorée, illuminée avec un gout et un luxe
inouls. La fete commence par un sermon preché
par un pretre ou un moine connu par son ta-
lento Une musique religieuse, des chants graves,
un orchestre composé d' exccllens musiciens, for-
ment un concert ravissant. Ces pieuses harmo-
nies produisent beaucoup d' eITet sur les Espa-
gnols, qui assistent régulierement a ces fétes.


De Barcelonne, la route s' enfonce dan s l'inté-
rÍeur des terres, gagne Villafranca, Arbos et
Vendrell. On admire partout une nature vigou-
reuse, une belle culture, un peuple robuste. A
Torredembarra, on serapproche de la merpour
ne plus la quitter jusqu'a Valence. C' est la route
que suivit Annibal, qui partit de Carthagene
pour marcher sur Rome. On passe sous l'Areo
di Barca y monument élevé, dit-on, par un des
lieutenans de ce grand capitaine.


Tarragone, sur un rocher stérile qui domine
la mer, ofli'e le point de ,ue le plus remarquahle




BARCELONNJ·:.


de t011 l ce Ji LLora!. L' aneienne Tarraco y eolonie
des Scipions, siége de l' empire romain en Espa-
gne, qui donna son nom a l'Espagne citéricure
ou tarraconaise, voit se briser a ses pieds une
mer quelquefois fUl'ieuse, d'autres fois douce et
calme, bleuc comme l'azur d'un ciel pUl', ou
noire comme les nuages chargés de tempetes,
qu' elle réflete fidelement dan s ses flots. A vant
d'arriver a Tarragone, les antiquaires remar-
quent un monuroent parfaitement conservé, la
Tour des Scipions : les pien'es, posées sans ci-
roent, ont conservé leurs aretes vives, et sont
dorées pa.r un soleil brulant et par un ciel con-
servateur.


Des remparts de Tarragone, l' ooil plane sur
"une immense étendue de cotes, et découvre
~
comme sur une carte gigantesquc les caps, les
golfes, les anses, les baies, les profondes den-
telures, de la cote de Catalogne : a gauche le eap
Gros; a droite le eap Salon, qui s'avance corome
une longue jetée, pour protéger Cambrils, dont
les maisons bJanches s' enfoncent dans la baie, et




270 llARCELONNE.


hordent la mer, qui vient caresscl' de ses flots
expirans sur une plage sablonneuse, les nom-
breux canots de ses pecheurs.


Avallt d'arriver a PereHo, sur une montagne
escarpée, se dessine l'ermitage de Nuestra-Se-
ñora de la Aurora, célebre par ses pélerinages.
On laisse a droite Tortose, l'ancienne Dertosa ~.
connue par ses carrieres de jaspe.


A BUljasenia; on passe I'Ebre dans une bar-
que : vaseux et sale, ce fleuve se perd dans un
terrain immense que l' on nomme les Alfaques,
quí, défriché et assaini, deviendrait précieux
pOUl' I'agriculture.


Amposta, derniere ville de la province de Ca-
talogne, a l' embouchure de I'Ebre, est située dans
le voisinage d'un étang renommé par la quantiti",
de poisson que I'on y peche. Les marais qui l'en-
tourent occasionnent quelquefois des m~vres
pestilentielles fOl't dangereuses.


De Barcelonne a Amposta, les voiturcs voya-
gent sans escorte. A Amposta, elles sont accom-
pagnées d'escopeteros. C'est un sl~jet inépuisé de




BARCELONN¡'~.


plaisanteries entre les Catalans et les Valen~ais-,
que cette précaution qui commence a l' entrée
du royaume de Valence. Le pays désert que ron -
parcourt, plus que le caractere des habitans,
¡mpose la nécessité de voyager armé.


La Cénia sépare la Catalogne du royaume de
Valence. Ces deux provinces dépendcnt de la
couronl1e d'Aragon.




CHAPITRE XXIX.


tlalcnct.


LA route cotoie constamment le hord de la
mer; le pays est triste et inhahité. Les monta-
gnes, incultes, ne produisent que des paImiers
nains, des lauriers et des hruycres. Le voyageur
n' est distrait que lorsque, apres avoir atteint la
croupe d'une montagne, iI découvre au loin la
mer, et derriere lui la route qu'il vient de par-
courir qui se déroule, serpente, et se perd der-




\'~LENCF..


riere l' escarpemcnt d'un rocher, pOUl' reparaitre
encore, animee par une caravane de muletiers.


Le costume des Valen\tais differe de celui des
Catalans. Le long bonnet inearnat est remplacé
par mi mouchoir raye, noue autour du front,
et qui laisse a decouverl. les cheveux sur le som-
met de la tete. lIs portent un jupon de toile
blanche attaché· par une eeinture, une guetre
écossaise q~i serre le mollet et laisse a nu le
pied chaussé d'une espadrille; sur leu!' épaule
flotte une couverture blanehe rayée de carreaux
bleus. Les femmes SOllt nu-tete, et retiennellt
leurs cheveux avec de longues aiguilles d'argent.
Elles sont grandes, bien faites, et se livrent aux
travaux des champs avec les hommes, dont elles
pal'tagent la fatigue. Il n' est pas en Europe de
peuple plus lahorieux el plus intelligent que les
Valen\tais. La culture a, dans cette province,
atteint un degré de perfectionnement qui laisse
bien loin derriere elle les cultures de Flandre
el de Belgique . Si les Valeu\tais son t favorisés
par le climat, il est juste de dire aussi qu'ils font


18




\'ALENCE.


tout ce fluí est nécessaire pour seconder, par un
travail assidu, la fertilité du sol. Leur systeme
d'irrigatíon, le meme que celui des Maures, est
admirahle. Chaque propriétaire rec;oit a defjours
et a des heures fixes l' eau, quí séjourne sur son
terrain et couIe cnsuite fertiliser les champs
VOlsms.


Les petites villes de Vinaroz; Bénicarlo, 01'-
née de jolies promenades, célebre par ses vins,
dont elle fait un grand commercc; Alcala de
Chishert, TorrebIanca, Oropesa, Nules, n' of-
frent rien de remarquahle. On traverse les vil-
Iages d' Almenara et de Llorsa, et l' on arrive a
Murviédro, hatie sur les ruines de l'ancienne
Sagonte. (Note 4.)


En quittant Murviédro, et a mesure que ron
se rapproche de Valen ce , les villages se multi-
pIient. lIs apparaissent de tous les catés, bIancs
ou dorés, comme les villa d'Italie, dans la pIaine
qui s'éIargit, dans les vallées fralches et om-
breuses, sur les montagnes qui, défrichées, dé-
pouillées de plantes et d' arhustes inutiIes, culti-




vées juslJu'au sommet, sont couvertes d'oliviers
el de figuiers, Les ter res sont soutenues par des
murailles: on dirait des jardins aériens protégés
par des terrasses san s nombre. Les villages de
Tarnals, Masamagrell, de l'Emperador , d' Alba-
lat, de Tabernas, tous riches, populeux , batis
avec luxe, traversés par une route admirable,
vous menent jusqu'au Guadalav~ar, sur leque1
sont jetés cinq ponts qui donnent entrée a Va-
Jence.


Si vous aviez vécu dans la Huerta de Valencia,
pays le plus fertile de l'Espagne, le plus déli-
cieux de l'Europe; si vous aviez respiré cet air
si pur , si suave; si vos yeux avaient été accoutu-
més a cette ,'erdure fraiche et de teintes variées;
si vous aviez été habitué a voir le luxe de végéta-
tion de ces plaines continuellement arrosées
par une ean pure et jaillissante, dérobée au Xu-
cal' et au Guadalaviar; si vous aviez vu ces hou-
quets de palmiers couverts de dattes dorées, a11
milieu de ces champs qui produisent toute I'an-
née des melons monstrueux et des légumes ex-




qUls; SI le soil' vous vous étiez euivl'é de cet alI'
embaumé des cit:ronniers et des orangers toujours
eouverts de fleurs et de fruits, alors vous eus-
siez voulu naitre dans la Huerta, y vivre et ll'en
jamais sortir.


C' est au milieu de la Huerta que s' éliwe Va-
lence, la ville aux rues étroites au-dessus des-
quelles flotten~ des draperies tendues; la vil1e
aux terrasses ombragées d' orangers qui dessinent
leurs pommes d' 01' sur des murs peints a fresque;
Valcnce au peuplc remuant, vindicatif, pas-
sionné, qui, dans une fete, vous mena ce du
poignard apres vous avoir accueilli par un sou-
rire. Dans ses rues, vous voyez circuler de jeunes
et jolies filies, aux yeux noirs, aux sourcils ar-
qués, au teint paJe, aux pieds effilés, envelop-
pées dans leurs mantilles, suivies de majos dra-
pés de manteauxbruns, le sombrero sur l' oreille;
des religieux vetus de noir, de gris, de brun ,
de blanc, de hleu; des Franciscains et des :Freres
de la Merci7 des Augustins déchaussés et .des Tri.
nitaires, des Hiéronymites et des Capucins, des




VALENCE.


Carmes et des Minimes ; des f<'l'(~1"es de l' Agonie ,
de l' ordre de saint Philippe de Néri, de saint
Sébastien, de saint Paul, de saint Antoine; et le
dimanehe, lorsque les cloches de ses seize parois-
ses, de ses trente-quatl'e eouvens, appellent ses
soixante-cinq milIe habitans aux offiees, que le
soir la foule se précipite en habits de fete a la
place des Taureaux, qui s'éleve en amphithéatre
vers l' Alaméda , alors Valellce se présente a vous
comme le portrait fidCle d'une ville d'Espagne,
animée a la fois de son esprit l'eligieux et de son
gOllt passionué pOUl' ces fetes que Con ne voit
qu'au-deUl des Pyrénées.


L' Alaméda et la Glorieta, délicieuses prome-
nades, sont ombragées par des arbres rares en
nos climats. Des allées de citronniers et d' oran-
gers constarnment ehargés de fleurs el de fruits,
des haies de myrte qui entourent un jardin
plan té de palmiers, d' yuecas, de cédras, de
parnplemousses, de grenadiers, courbant leurs
rarneaux sous le poids de fruits rnonstrueux,
forrnent un eoup d'ooil raYissallt.




VALENCE.


En face de l' Alaméda, une route superbe
mene au Grao ou port de Valence, petit et peu
sur. La distance de Valence au Grao se parcourt
dans de jolies voitures qui stationnent a la porte
de l' Alaméda. Depuis quelques années, des tra-
vaux considérahles s'exécutent dans'le port afin
de le rendre meilleur, et de faciliter le mouil-
lage de hatimens plus considérahles que ceux
qui y arrivent aujourd'hui.


Hors de la ville, sur 'une petite place, s'élevait
un monument consacré ¿l la mémoire du géné-
ral ElIio, qui, victime de sa fidélité á Ferdinand,
mourut fusillé par les constitutionnels. Ce mo-
nument reste inachevé. 'Sans doute on aura
craint de fatiguer les yeux de eeux qui firent
tomber Ellio sous leurs halles. Son fils a recu


>


du roi un titre qui vant mieux que celui d'une
principauté ; il se nomme el marques de la
Lealtad) le marquis de la Loyauté. Heurense la
nation chez laquelle un souvellir glorienx rem-
place une récompense pécuniaire.


La cathédrale est ,ast.e, ornéc de <[uelques




VALENCE.


monumens et de chapelles décorees avee plus de
richesse que de gout. Du haut de sa tour, ap-
pelee el Miguelete:J on embrasse un eoup d' reil
ravissant, un des plus beaux points de vue d'Es-
pagne; au loin, la mer, la Huerta dans toute son
étendue et ses incomparables beautés, les mon-
tagnes du royaume de Valenee, d'abord collines
fertiles qui s' abaissent jusque dans la plaine,
puis montagnes arides et nues qui grandissent et
ferment l' entrée de cette province en la séparant
de Murcie et de la province de Cuen~a. A droite
se dessinent, encadrés par le Guadalaviar et le
Xucar, les marais irnmenses d' Albuféra, affermés
par la couronne. C'était l'apanage d'un de nos
plus célebres marechaux, Suchet, dont le nom
est redit avec respect et reconnaissance par les
habitan s de Valence, a cause de l'intégrité de
son administration. Loin de la France, on est
fier d'entendre vanter les hautes vertus de ceux
qui 1'0nt illustrée. (Note 5.)


En quittant Valence pour prendre la route
de Madrid, les villages de Massanassa, Catarr~ja,




VALENCE.


AIginete, Alcudia, Montartal, sontsi rapprochés
.tes uns des autres, qu'ils semblent faire partie
des fauhourgs de Valence , ajoutant encore a la
beauté de ce pays, dont la description ne pour-
rait jamais assez faire soup~onner les merveilles.
Un ambassadeur étranger s'écriait, en traver-
sant la Huerta: ( Dans ce pays fortuné on ou-
( blietout: on n'aplus de patrie, plusd'aft'lires;
« on n' est plus ni mari, ni pere, ni ami; on n' est
« plus qu'un etre isolé de ses semblables , s' eni-
( vrant des beautés de la nature, savourant le
«( bonheur de l'existenee. JJ


On pass e le Xucar dans une harque eutre AI-
berique et Carcajente : les montagnes commen-
eent, la fraleheur de la Huerta diminue; mais
Sellent et Montessa sont encore dans le climat
doux et tempéré du royaume de Valen ce. On
foule encore eette terre dont il est dit: lYerra
de Dios,. o:rer trigo -' y hoy arroz. Terre de
Dieu; hier du blé, a~ourd'hui du rizo


En se l'approchant des hautes montagnes qui
séparent le royaume de Valence de la province




V \LI'''iCE.


de Murcie, le terrain dcvicnt plus sec, les a1'-
bres plus rares et moins vigoureux. On arrive
au Puerto ou défilé d' Almanza. On gravit péni-
bIement la montagne; et sur l'immense plateau
qui domine le royaurne de Valence, la tempéra-
ture change suhitement : l'air est vif, souvent
froíd; soit que les vents quí courent dans ces
plaines uues et san s arbres arrivent avec toute
leur force sans ctre brisés; soit que, passant sur
les neiges de la Sierra-Morena, ils fondent a
l'ímprovíste, piquans et glacés. Suivons l' exemple
des hahitans du pays, enveIoppons-nous de nos
manteaux, le proverbe nous y invite. 1Jlurciano,
toma la ropa. Habitant de Murcie, prends ton
manteau.


Le Puerto est un de ces lieux destinés par la
nature et marqués par la main des hommes ~l
servir de point de retraite et de défense aux a1'-
mées, quí y trouvent des posítíons stratégiques
en temps de guerreo Le 2 juin 1808, le maré-
chal Moncey ,,'étahlit au has du Puerto, apres
une attaqut' infrllctueuse sur Valence.




\'ALENCE.


Si le Puerto d' Almanza présente des positions
importantes, il est aussi un lieu de refuge pour
les voleurs et les contrebandiers. Il est rare qu'il
se passe quelque temps sans que la banae qui a
le privilége d'exploiter ce défilé ne ran~onne
les voyageurs et les voitures publiques. A deux
lieues du Puerto, au milieu d'une plaine assez
fertile, a quelque distance de la petite ville
d' Almanza, s' éleve une colonne qui rappelle la
célebre bataille d' Almanza gagnée par Philippe V
contre les Anglais, les Autrichiens et les Por-
tugais, le 25 avril 1707'


Traversons rapidement le nord de la pro-
vince de Murcie, OU l'<:eil fatigué ne trouve pour
se reposer qu'un sol rougeatre et san s végéta-
tion. El Bonete, el Villar, villages misérables,
n'offrent rien de remarquahle. Arrivons a Alba-
ce te , céle}Jre par ses marchés, ou se réunissent
les négocians de Valen ce , de Murcie, de Jacn,
de Grenadc, de Cordoue, de l'Estramadure;
Alhacete, ville espagnole, aux rues sinueuses,
aux maisons élevées, aux eouvens grillés.




VALENCF.


Cette ville vient de s' embellir d'une magnifique
place de Taureaux; ses habitans fabriquent ces
poignards si vantés, larges et tranchans, et ces
coutcauxfinem~nt trempés, dont un ressort
pousse en avant une lame longue et effilée, qui
a peine a se referrner sous une main inhabituée
a manier le cuchillo di campaña : on dirait la
langue d'un tigre, qui, sortant de sa gueule,
ne voudrait y rentrer qu'apres avoir talé du
sango


Minaya, premier village que l' on trouve dans
la Manche, el }>rovencio, Pedroneras, el Pe-
dernoso, nous conduisent sur les lieux célebres
par les aventures de don Quijot~. Voici, a droite,
les moulins enchantés dans lesq~els le héros de
Cervantes croyait combatLre les géans. Ici ¡le
petit bois d'yeuses OU il attendait, les yeux au
ciel, la lance a la main, le résultat de l' entrevue
qu'il avait fait demander a Dulcinée par son fidele
éeuyer. Plus 10i11, l'hótellerie OU il fut armé
ehevalier. Et la-bas, ce harneau ¡solé dans la
plaine ne fixe-t-il pas plus que ne le ferai!' la




plus beBe ,ilIe, I'attention du yoyageur l Ce
docher, c'est celui du Toboso.


Dis, Cervantes, pourquoi avoir 'pris pour
théátre des exploits de ton héros', le pays le plus
triste du monde'! Ton génie devinait done la
eélébrité que tu attaeherais ~l eette provinee oú,
sans toi ,jamais le voyageur n'eut souri'! Tu as
done voulu jeter sur son passage la joie et la gaité
la ou il n'eut trouvéqu'ennui et tristesse ?Merci,
hon Miguel! Tu devais etrc, Miguel, un aima-
ble eompagnon dans les camps; toi, poete in-
génieux; toi, si ,aillant soldat, qui nons ra-
con tes que, prisonnier cinq ans et demi, tu as
appris a souffrir patiemment l'adversité! Pue


. soldado much~s afios y y cinco y medio calltivoy
donde aprendio ti tener paciencia en la.\' adver-
sidades! Et lorsque ta harhe el tes moustaehcs
d' 01' blanchirent avce l'age, las barhas de plata)
que no ha veinte aft...os que fueron de oro, tu
appelas a ton seeours eette philosophie que tu
avais puisée dans tes jours qc détresse; cal' tu fus
toujours malheureux , . paU\TC CCl'Vantt-s! Con-




y A LENCE.


sole-toi, Miguel de Cervantes, la mémoire vi-
vra aussi long-temps que les cavernes des sier-
ras ou Cardenio, par ses plaintes amoureuses ,
arra che encore des larmes a ton lecteur !


Les petites villes de Quintanar de la Ordert,
Corral de Almaguer, Villa tobas , appartienncnt
a la Castille nouvelle, et dépendent de la pro-
vince de Tolede. La ville d'Ocaña, célebre par
la bataille sanglante livrée en 18°9, possede, au
bas de la coIline sur laquelle elle est hatie, des
bains romains parfaitement conservés.


Ce ll' est pas une des eh oses les moins remar-
quables de l'Espagne que cette brusque transi-
tion d'une température douce et chaude a une
atmosphere glaciale, d'un sol stérile a un ter-
rain riche et fertilc; c'est ce qu'il est impossibJe
dc ne point remarquer, lorsqu'apres avoir quitté
Ocaña et ses champs arides, on descend dal1s la
,'allée du Tage, ou l'on trouve Aranjuez, habita-
tion royale embellie par les travaux des rois
d'Espagnc; vallon cnchanteur, rafraichi par les
eaux limpidcs du Tage, dont les bords SOl1t om-




bragés d'arbres séculaires d'une hauteur prodi-
gieuse. Un gout parfait a présidé aux travaux
({ui ont fait des jardins d' Al'anjuez les plus agréa-
bIes promenades du monde .


.,; Le ·palais commencé par Charles-Quint a été
continué par Ferdinand VI et Charles llI. Les
terrasses sont baignées par le fleuve, qui entre-
tient dans cette vallée une fraicheur inconnue
dans toute. autre contrée de l'Espagne. Aranjuez
est une des plus belles résidences royales qUl
existent en Europe.


Six lieues séparent Aranjuez de Madrid. On
passe le Jan'ama, on traverse Valdemoro, et
l' on arrive a Madrid par le magnifique pont de
Tolede et la porte d' Atocha.




CHAPITRE xxx .


.Hlabrib. - -ffrbinanb VII.


LA capitale du royaume d'Espagne avait aussi
participé aux hienfaits d'une paix de dix années.
Madrid voyait des constructions nouvelles em-
hellir ses places et ses rues. Un magnifique théa-
tre s'élevait en face du palais du roi. Les idées
de sévérité qui proscrivaient jadis a la cour les
spectacles, avaient disparu. Le roi, la reine, les
infans, étaient vus souvent au théatre italien et




288 ~fADRID. - FEBDINANO VII.


a la comédie espagnolc. Des fetes se donllaient au
palais, et le luxe qui y était déployé vivifiait le
commerce de la capitale. Les infans assistaient a
tous les bals, a tous les concerts, plaisirs incon-
nus autrefois a ces princes, dont la vie monotone
et sévere se passai t dans les maisons royales OU
régnait l' ennui.


Sur les deux théatres de Madrid, celui del
Principe et celui de la Crux, se joucnt alterna-
tivement les opéras italiens et les comédies espa-
guoles. Les vaudevilles de M. Scribe ,d'nt assezde
sueces, bien que ces pieces soient dépouillées de
ce qui faÍl leur charme principal, les couplets et
la musique. Les saynetes, copies chargées de la
vie privée, excitent parmi les spectateurs une
gaité qui gagne meme les étrangers ; cal' les ac-
teurs possedent a un haut degré le talent de I'i-
mitation des scenes populaires. La gravité castil-
lane ue tient point devant ces prologues, qui ne
sont que des sccnes décousues , des tableaux sans
action, mais qui trouvent de ]a sympathie dans
tous les rangs el, rlans tous les úges. Une comédie




1\IADIIID. - Fl':BDJN,\ND VII. 289


fort remarquaLlc, ¡}Iarcella, laissc hien lc;>in der-
riere ellc les anciennes comédies espagnoles.
L'accueil f:1it ~l cet omrage, destiné a produire
une hcureuse révolution dans le théatre espa-
gnol, présagc des sucd~s a ce gen re , jusque~nl
peu connu, copie fidclc des mceurs dujour.


Pour ceux qui avaient vu en 1825 l'armée
réguliere espagnole, et qui la revoyaient dix ans
plus tard, i1 y avait une différenee telle, qu' elle
para1t difficiIe 11 croire. Les soldats espagl1ols, qui
se présentaient aux offieiers fran~ais sous un as-
peet si défavorable, sales, mal équipés, mal
habillés, sont aujourd'hui aussi bien tenus que
les soldats de nos régimens. L'infanterie de la
garde royale porte a peu prcs le meme uniforme
que celui de l'aneienl1e garde royale fran~aise.
Les homlncs.qui eomposent ce corps d'élitc sont
grands , et forment de beaux soldats. Plusieurs
régimens d'infanterie de ligne sont aussi beaux
de tenue et de propreté que les plus belles com-
pagnies de nos régimens. L'Espagne doit renon-
eer a avoir des corps de grosse eavalerie : les che~


19




290 IUADlUD. - FERDINAND VII.


vaux qm convÍennent a cette arme sont rares.
La cavalerie légere trouve plus facilement 11 se
remonter. Le génie et l'artÍllerie ont toujours
été deux armes distinguées; aujourd'huÍ, leur
bonne tenue en fait des corps qUÍ ne laissent ríen
adésirer. L'arméc compte au plus quarante-deux
mille hommes. En 1852, vingt-deux régimens
de milice venaient d' etre licenciés : l' argent man-
quait pour les payer. Ferdinand, n'ayant point
de chambres a sa disposition, ne pouvait, malgré
sa dénomination de roi absolu, créer de nouvelles
charges, et augmenter l'impot. ectte impuis-
sanee du roi absolu est une amere critique de
ces gouvernemens populaires qui, sous le balan-


• cíer de chambres complaisantes, frappent a vo-
lonté monnaie sur les contribuables.


Ce serait une étrange erreur de eroire que la
COnr de Madrid, qui suit encore les erremens de
Philippe V pour ce qui concerne le cérémonial
et l'étiquet~e, soit d'un acces difficile. Le chateau
est entouré de nombreuses vedettes; des postes
de la garde veillent a toutes les issues; mais les




MADHID. - .FEltDINAND VII. 291


factionnaires laissent le passage libre a tout le
monde. Ces cuirassiers, ces grenadiers a pied,
ces gardes-du-corps, ces hallebardiers, 80nt plu-·
tat institués pour la splendeur du trone, que
dalls le but d'une odieuse défiance contre le peu-
pIe de Madrid. Dans cette conr fastueuse, ou des
haise - mains, des réceptions, des céremonies
imposantes, out lieu souvent; sur ces escaliers 00.
se pressent les ambassadeurs, les prélats du
royaume, les grands d'Espagne, les généraux,
les chambellans, vous rencontrez, échelonnés
jusqu'aux portes des appartemclls du roi, des pan~
vres couverts de haillons , qui exposen t des plaies
~


dégoiltanies, et allongent des mains décharnées
ponr recevoir uhe aumone des mains blanches et
délicates des princesses du sang royal. La reine
a ses pauvres; le roi donne a ceux qu'il trouve
sur son passage. C' est l' enseignement d'une haute
philosophie que de voir tous ces malheureux r~
fugiés sous les riches portiques, appuyés contre
les colon nades de jaspe du palais, attendant un
denier de la main de leur seigneur et maitre.




29 2 1\IADRID. - FImDINAND VJT.


'reUe est la maison de nourhon , qui se rappelIe
que, parmi ses glorieux ancetres., l'un d' eux
pansait les blessés et secourait les infirmes de ses
mains saintes et royales.


Il y a un sentiment mOllarchique profondé-
ment gravé clans les m~urs des Espagnols. Il
leur faut un roi dont ¡ls puissent parler avec res-
pect. Il y a sympathie du peuple au roi. Lorsque,
dans les rues, un écuycr ou un détachement de
gardes annoncent le passage de la voiture royale,
les promeneurs s' arretcnt, se découvrent, et il
est facile de lire sur leurs physionomies qu'il y
a chez eux plaisir a voir le roi, et nuHe contrainte
a rendre a leur souverain un témoigna'ge de res-
peet et d'amour. Achaque instant, des carrosses
antiques, remplis de jeuncs infans, traversent les
rues; le respect du peuple est le meme malgré
leur jeune age : c' est clu sang royal! il suffit, cha-
peau has! eomme iI dit aussi, Iorsque dans les
rues une clochettc annOncc que le Viatique est
porté a un malade, voiIa le Bon-Dieu! ¿l genoux!
Et le peuple s'agcnouille et s'inclinc respectueux,




lI'IADltlD. - F}:UDINAND VIL 293
en se signant. Quand le pretre, porteur de Ja
sainte hostie, passe devant un poste, la garde
prend les armes; deux soldats l'accompagnent an
port d'armes, tete nue, tenant d'une main leur
fusil, de l'autre leul' bonnet d'ours, jusqu'au
poste voisin, quí lui rend les me mes honneurs.
Dans ce pays le culte est solennel, ardent. Celui
qui porte l'épée et la moustache fréquente les
églises, ne craint point d'user de ses genoux les
marbres des temples ~ et de frapper, avec humi-
lité, une poitrine sur laquelle brillent des insi-
gnes militaÍres.


Ferdinand régnait encore; mais les derniers
instans de sa vie devaient etre funestes a la tran-
qllillité de l'Espagne. On con~oit que la chute
d'un colosse ébranle un empire. Il est dans la
destinée des héros que le monde tremble a leu!'
avénement et au moment OÚ ils disparaissent;
mais :Ferdinand tomber avec fracas, et porte!' un
si rude coup a son royaume et peut-etre a la
tranquillité de l'Europe! tclu' eút point du etre
le destin de ce priIlcc, qui ne dena sa célébrité




294 MADRID. - FERDINANO VIl.
qu'au temps OU il a paru, et aucun éclat aux
vertus que I'on est en droit d'exiger d'un souve-
rain. :Ferdinand donna constamment des preuves
de faiblesse. !dole du peuple espagnol au mo-
ment de l'invasion de Napoléon, s'il eut eu l'é-
nergie de se mettre a la tete de ses généreux su-
jets, il se fut fait un nom. Il se laissa charger de
fers et emmener captif a Valen~ay, quand les
Espagnols défendaient sa couronne en versant
des flots de sango Plus tard, on lui arracha une
constitution : il se la laissa imposer, la jura de
mauvaise foi, puis, libre, exija ceux entre les
mains desquels il avait fait le royal serment.


F erdinand, mort dans la force de l' age, étai t
d'une taille ordinaire. D'épais sourcils ombra-
geaient des yeux qui ne mallquaiellt pas d' ex-
pression; son nez caractérisait la race dont il
était issu; sa bouclw enfoncée lui donnait un
air sardonique. Il était aimé dans son intérielU',
et avait pour la reine Marie-Christine un amour
dont elle profita pour le dominer avec I'abso-
lutisme d'uue femme italielllw.




CHAPITRE XXXI.


Jltaric - (![~riSttllt'.


LORSQU' EN 1828 Marie-Christine, filIe de Fran-
c;ois 1 er, roí des Dcux - Siciles, et de Marie-Isa-
belle, infante d'Espagne, traversa la Franee
pour aller épouser Ferdinand VII, eette prin-
eesse re~ut dans les provin(;es méridionalcs l'ae-
eueil dO. a son rango Accompagnée de sa sreur
madame la duchesse de Berry, elle charmait par
ses graces tous ceux qui la voyaient. Arrivée a




MAIlIE-CIIIUSTl NE.


la frontiere, elle jeta un regard de regret et d' en-
vie sur le beau pays de Franee, et fut rc<,;ue en
Catalogne par le eapitaine-général de eette pro-
vinee. De Bareelonne a Madrid, les fetes les plus
brillantes lui furent prodiguées. Jeune flHe, elle
quittait joyeuse et insoueiante le peuple bruyant
et anime de son pays, les Napolitains et les Si-
ciliens, pour aller regner sur les froids et sil en-
cieux Castillans. La eouronne lui semblait un
brillan t joyau de corbeille que 1 ui offrait un roi;
elle devait paraitre légerc a ses mains. Son front
jeune etserein n'avait pas encore été pressépar le
diademe; elle ne connaissait de la royauté ni les
soucis amers, ni les ehagrins dévorans.


Le peuple de Madrid la re<,;ut ave e ivresse. La
reine a laquelle elle succédait, Mal'ie-Amélie de
Saxe, poussait la dévotion II l' extreme, et ne
prenait jamais part aux fetes publiques. Mal'ie-
Christine s'y mela de honne grace, et en jouit
avec plaisir. Le peuple attendit, ponl' la juger,
qu'elle assistat a un eomhat ?e Laureaux. La
jcune reine y parut, eL soulint conragensement




:'IrAIUE-CHIUSTLNE.


cette épreuve terrible pour une femme qui n'cst
poinL Espagnole. Elle ne palit point en voyallt
eouler le sang; au contraire, elle donna des mar~
ques non équivoques de satisfaction, agita son
mouchoir, et partagea l'ivresse générale lorsque
le matador mérita des applaudissemens. Le peu-
pIe de "Madrid la compara a la Sajona (la Saxonne),
qui jamais n'avait assisté sans se troubler a un
pareil spectacle, et le peuple cria : Viva la
reyna!


Plusieurs fois elle se promena au Prado, ve-
tue du costume simple et élégant des Andalouscs.
Voyons, dit le peuple, comme elle porte la
malltille et la basquine '! Au bras du roi, Marie-
Christine parut la plus jolie femme du Prado et
du Paseo de las Delicias, et le peuple dit : La
reine est la plus gracieuse et la plus jolie de
toutes les femmes du royaume d'Espagne! Et
le peuple aYait raison, cal' Maric - Christinc ,
bien que d'ulle taille ordinaire, a une tournure
remarquablcmenL distingnée, la tete bien atta-
chée , des }CUX lloirs rempl is el' express ion , un




i\fARIE-CHHISTINIl.


nez parfaitement fait, une bouche constamment
gracieuse, et des cheveux noirs comme le jais.


Un jour, un soldat de la garde avait commis
un crime qui encourait la peine de mort. Quel-
ques antécédens intéressaient en faveul' de cet
homme. Le corps d' officiers adressa une l'equete
au ministre de la guerre, le marquis de Zam-
brano, qui fut inexorable. La sentence aIlait
etre exécutée; le malheureux devait etre fusillé
dans la matinée, et déja les soldats de son régi-
ment parcouraieut les rues, une sonnette a la
main, demandant de porte en porte une légerc
aumone, afin de faire dire des mes ses poul' le
repos de l'ame du condamné, lorsque les offi-
ciers refnsés par le ministre s' adresserent a la
reine. La grace fut immédiatcment accordée, et
le pauvre soldat délivré de la peine de mort par
l'intercession puissante de Marie-Christine. La
nouvelle s' en répandit dans Madrid, et le peu-
pIe s'écria que la reine était aussi bonne qu' elle
était belle! Marie-Christine devint populaire; des
acclamations unanimes l'accllciJlirent lorsqu'elle




MA/lJE-CHmsTINE.


parut en pWJlie. Aprt:s avoir conquisle peuple,
elle s'empara du ereur de Ferdinand.


On raeonte les aneedotes suivantes, qui font
eonnaitre les moyens a l'aide desquels Marie-
Christine parvint a dominer l'esprit du roi.


Naturellement défiant, Ferdinancl eraignait
que la reine ne voulut s'immiseer dans les af-
faires de I'État. La jeune prineesse n' eut garde
de témoigner le désir de s' oceuper de politiqueo
Napolitaine et adroite, elle habitua par de ten-
dres soins et de constantes caresses le roi a ne
pouvoir se passer d' elle. Au moment OU se réu-
nissaient les ministres, elle s' éloignait, affectant
une grande réserve et une parfaite indifférenee
pour les affaires. L'appartement de la reine at-
tenait a la salle du eonseil. Dans les commence-
mens, elle laissa le roi seul; elle se plaignit de
l'ennui qu'elle éprouvait d'étre séparée si long-
temps de lui. Ensuite elle entra dans la salle,· et
vint dire quelques mots de tendliesse au monar-
que, fatigué de graves el péniblcs diseussions;-
puis elle laissa ouverle la porte de son apparte-




300 1\lARI E-CURISTINE.


ment; éloignée, salls etre ahsente, elle partici-
pait déjit aux délibérations; enfin elle vint s'as-
seoir au conseil pour ne plus jamais quitter le
rojo Par la suite ene prjt aux délihérations une
part active, et flnit par les diriger, ou au moins
sa VOIX fut tOt~ours in fluente el sonvent déci-
slve.


:Ferdinand était jaloux. Comment ehasser tout
soup9on de son esprit? On dit qu'un officier de
la garde royalc devint éperduement amoureux
de la reine. Revai t~il, sous un monarquc aff.'lihli
par les maIadies, la destinéc dcs I,cicester ct des
Orloff, ou l'infortuné se laissa-t-il entralner par
un seritiment irrésistible, sans calculer qu'amour
de reine peut donner la mort? Avait-il cru lire
qucIque sentiment de bienveillance dans les yeux
de sa souveraine? c; est ce que tout le monde
ignore. Mais il présenta ~l la reine un houquet
emhlématique composé dc couleurs rouge et
verte, Iangage symbolique connu des Espagllols,
qui signifie amour et espérance. Marie-Christine
le re9llt, pllis, s' élan~allt chez le roi, pille et




~fARIE-CHHISTINE. 30t


émue, elle jeta sur la tahle le fatal houquet en
disant : ce Voici ce que m'a donné don G .... ))
L'officier fut exilé a Ceüta, ou il expie sous le
t;;iel dévorant d' Afrique la hardiesse et l'impru-
denee d'avoir déclaré son secreto


Ces rus es de femme qui passent inaperttues
dans les conditions ordinaires, acquierent de
l'importanee sur le trone, puisque les moindres
circonstances influent sur la vie des rois, et
pescnt de tont lcur poids sur la destinée des
peuples.


Maric-Christine dcvint mere, et donna le jour
a doña Isabella, princesse des Asturies, a laquelle
Ferdinand légua sa couronne. La reine devint
grosse une seconde fois : I'Espagne, l'Europe
entiere, on peut le dire, eÜt désiré que la naÍs'"
sanee d'un prince vint oter tout prétexte de
troubler l' ordre de successÍon, et que la cou-
ronl1e, transmisede m.He en mal e, fút remise sur
la tete d'un prince héritier direcl el légitime du
trone d'Espagl1c, depuis qu'a son avénement
Philippe V institua la loi salique, ccUe loi a la-




l\I,~ Hilé-en 1\ 'STI NE.


quelle l'Espagne doit sa force, puisqu'elle lui
doit la réunion de ses divers royaumes, et qu' elle
exclut les étrangersdu trone. Avec quelleanxiété
le peuple de Madrid attendait dan s les premiers
jours de l'année 1832 que le drapeau rouge fut
hissé sur la partie la plus élevée du palais, télé-
graphe flottant, qui etlt instruit sur-Ic-champ
toute la capitale qu'un prince était né. Les ave-
nues, les rues, les places qui menent a la de-
meure royale étaient rcmplies d'une foule em-
pressée et respectucuse qui paJpitait d'attente.
La Providencc en décida autrement : une filIe
fut le dcrnier rejeton que donna Ferdinand.


La santé du roi s'affaiblit de jour en jour. La
reine, dominée san s doute par le sentiment le
plus impérieux que la nature ait mis dans le comr
d'une femme, par ramour materncl, voulut
fixer sur la tete de sa filIe une couronnc que son
front ne ceindra peut-etre jamais. Entourée
d'hommes ambitieux qui espéraient posséder
le pouvoir pendallt une longue régence, elle fut
facile a tromper, et jamais on ne lui lit connaitre




MA 1\ I E-CHIlISTI NE. 30:1


les dallgers auxquels elle exposait sa filIe, les
suites sanglantes d'une collision entre le frere
du roi, don Carlos, heritier legitime, les mal-
heurs auxquels elle allait livrer la nation qui
l'avait adoptee, I'Espagne, qui, sans les der-
nieres volontes de Ferdinand, ignorerait au-
jourd'hui les horreurs d'une guerre civile longue
et sanglante.


Marie-Christine s' est erue appelee a faire luire
sur ce royaume des jours glorieux, pendant les
longues annees de sa regence. L' orgueil de la
jeune femme, l'amour aveugle de la mere, son
inexperience, l'ignorance ou. elle est des mreurs
de la nation espagnole, qu'elle n'a vue qu'au
théatre et au Prado, ont ete exploites par des
hommes ambitieux. Elle a ete entourée de sé-
ductions. La faute, le crime, en sont a ceux qui
l' ont trompée, qui ont voulu faire de cette jeune
reine un instrument entre leurs mains, profiter
de son énergie, de la force de son caractere, pour
lui faire oser des cllOses injustes, qui ont exalté
ses sentimens, fausse ses idees. lIs out dit a fa




304 iU 4.R rE-CHR ISTINE.
jeune femme : l.le peuple est fiel' de vous; le lion
de Castille sera guidé par la main douce de la
reine. Nouvelle Isahelle, vous commanderez
l'amour de vos sujets. La t.'\che est facile; vous
donnerez votre nom an siecle qui marchera bril-
lant de yotre éclat.


lIs ont dit kl la jcune mere: Pourquoi laisser
Isabelle princesse du sáng, lorsque vous pouvcz
l'asseoir sur le trane? La régence ne sera point
orageuse. Jeune, énergi(Iue, Marie - Christine
fa«;onnera la main de sa filIe a porter le sceptre.
Maric-Christinc connalt son siecIe : l'Espagne
marchera entralnée ~t une régénératioll qui lui
fera reprendre son ancien rango Cette détermi-
hation, la poli tique la conseille a la régente;
le sentiment maternell' ordonne a la mere.


Et Marie - Christine s' engagea dans une voie
périlleuse; et aujourd'hni elle connait les soucis
de la royauté, ses cruelles insomnies. Son eoour
de femme est déchiré par mille sentimens gui
lui seraient inconnus si elle se fut contentée des
vctemens d.e deuil de 1a veme de Ferdinand?




:;IARIF.-CHRISTINE. 305
sans vouloir disputer un trone dont les marches
sont déja sanglantes. Elle a cru dominer, reine
puissante! Faihle femme, elle est déja loin du
hut, entrainée, foulée par des exigences' insa-
tiables, hrisée peut-etre avec ceux ~ont lancé
sur cette terre semée de précipices le char sur
lequel elle n'eilt jamais dil montero


. "





,


CHAPITRE XXXII.


€'lnfantt .€uisa-~arloUa. - .iDon Srandsco
bt llaula. - mon <lbabrid •


.. >,


AUTOUR de la reine se sroupent pour l'ap-
pu yer de leurs conseils et partager ses dangers si
elle succombe et sa gloire si e1le est heul'euse,
cal' le jugement que portera la postérité de sa
conduite actuelle dépendra de ses succes ou de
ses revers, plusieurs personnages qui ont plus




L'INFANTE LUIS,\-CARLOTTA. 307


ou moins d'empire sur elle. En premiere ligne,
l'infante Luisa-Carlotta, sa sreur ainée, épouse
de l'infant don Francisco de Paula. Cette prin-
cessc doit avoir une grande influence sur l'esprit
de Marie.Christine, qui peut sentir le hesoÍn de
s'appuyer sur la popularité dont jouissent ces
deux infans.


L'infante Luisa - Carlotta est helle, quoique
avec un peu trop d'emhonpoint peut-étre; de
heaux cheveux hlonds omhragent un front ma-
jestueux et tomhent en anlleaux d'or sur un
con tour de visage parfait; une peau d'une 11an-
cheur éclatante, de hea}l.X yeux hleus, une phy-
sionomie expressive, douce ou sévere, suivant
les émotions de son ame, fon t de l' infante Luisa
une femme qui serait partout admirée, meme si
elle n' était point entourée des prestiges du trone.
Elle est de sang royal par sa tournure impo-
sante; mais elle sait se dépouiller de son air de
majesté, cal' elle est parfaitement honne et ado-
réc de tous ceux qui l'entourent. Cette princesse
est douée d'ulle volonté fer~e, d'une grande




308 L'INFAN1'E urrSA-CAHI.OTTA.


force de caractere. De nos jours, les femmes se
sont faites hommes; elles se precipitent a tra-
vers le danger, jouent hardiment avec le peril.
On dirait que les filles du roi Frau<{ois Ier des
Deux-Siciles out épuise sous le ciel brúlant d'Ita-
lie et aspire a elles seules toute l'énergie qui de-
vrait se trouver daus les rois de l'Europe. Elles
possCdent l'audace qui ne refleehit pas, le creur
qui con~oit de grandes entreprises, le courage
qui les execute. Pour de saintes causes ou poul'
de funestes ambit.ions, n'importe! Ces vert.us
rares, elles fermentent dans le ereu!' des fcmmes
issues des Bourbons de Naples.


Don Francisco de Paula, second frere de Fer-
dinand, est separe du trone par don Carlos et
sa nombreuse familIe. En pretant le serment a
la jeune princesse Isabelle, ce prince n' en a pas
moins donne a la volonte du roi , son seigneur
et maUre, un de ces exemples de soumission
aveugle que l' on trouve dans la famille des Bour-
bons, dont tous les membres se regardent comme
les premiers sujets de celui ({ui tient le sceptre.




r:INFANTE LVISA-CARLOTTA. 309


II a abdiqué ses droits, ceux de ses enfans et
l'éventualité de la couronne pour sa postérité.
Ces principes d' obéissance aveugle, les infans
d'Espagne les puisent dans leur éducation. L'es-
prit de Philippe V s'est transmis dans sa famille.
Étrangers totalement aux affaires de l'État, les
infans ne sont investis d' emplois ou de comman-
demens que dans les momens de crise, ou le sou-
verain éprouve le besoin d' éehelonner sur les
marches du treme les princes de son sang, qui
donnent l'exemple rare d'une soumi¿sion qui
s'interdit toutc réHexioll, et de les placer comme
boucliers ~e"ant sa royale persollne.


Don Francisco ne connalt point les ennUlS
des affaires publiques; iI mene une vie .toute de
plaisirs. L'infante Luisa et luí forment un con-
traste frappant avec lerestede la cour .lls fréquen-
tent habituellement les promenades, les théa-
tres, les bah publics et de souscription quí se
donnent l'hiver a Madrid. Don Francisco se fail
remarquer par ses dépenses, son luxe, ses b;'il-
lans éqnipages ,sa bon holllie et son désir d' etre




310 L'INFANTE LUISA-CA.l\LOTTA.


utile. Bon, excellent, familier, rejetant bien
loin l'étiquette sévere du palais, il encourage
les artistes, parle a tout le monde, re~oit tous
les placets ,accueille toutes les demandes, rend
tous les services possibles, et se fait adorer a
Madrid, OU on le voit passer san s cesse, saIuant
de la main et nommant chacun par son nomo
Don Francisco jouit d'une véritable popula-
rité.


L'infant don Gabriel- Sébastien, tres jeune
ho~me , amateur des beaux~arts, épousa, iI Y a
deux a11S, Marie-Antoinette de Naples, sreur de
l'infante Luisa et de Marie-Christine; enfant qui
vint, a l'age de dix~sept ans, grossir le parti napo-
litain c~)l1tre le parti portugais. Il est nécessaire
d'expliquer ici que les fréquentes alliances des
infans et infantes d'Espagne avec les cours de
Naples et de Lisbonne, ont toujours amené des
rivali~és entre les princesses de ces deux cours;
que l'infante Luisa et la reine éprouvaient peu
de sympathie pour les princesses Marie - Fran-
<fOlse d' Assises de l:ortugal el. la princesse de




L'INFANTE LUISA-CARLOTTA. 311


Beíra, mere de l'infant Gabriel. Le mariage de
ce jeune infant eut lieu en quelque sorte a l' insu
de sa mere. Cette princesse eut a ce sujet avec le
roi des scenes fort vives, a la suite desquelle6
elle se retira dans un couvent.





CHAPITRE XXXIII.


JDon <!fados.


DON CARLOS, héritier légitime et direct du
trone d'Espagne, roi par ses droits aujourd'hui,
est un prince entouré de l' amour et du respect
des uns, et en butte a la haine profonde des au-
tres. D'une tatUe ordinaire, d'une physionomie
calme et difficile a impressionner; froid, grave,
silencieux, digne dans son maintien et ses gestes,
av are de paroles inutiles, le caractere de ce




DON CARLOS.


prmce doit plaire aux Castillans et aux Espa-
gnols. Ses ennemis ne I'ont point épargné, et
les calomnies l'ont assailli sans le déconsidérer.
On a tenté de faire passer son silence pour de
l'orgueil, son calme pOUI' de l'hypocrisie, et sa
piété pOUl' du fanatisme; tactique qui eut pu
réussir dans un autre pays, mais I'Espagnol ne
donne qu'a coup sur sa haine ou son amour, et
son esprit juste l' empeche de se livrer sans ré-
flexion a de subites préventions ou a un enthou-
siasme qui n'au~ait point de motifs. Quelques
personnes ont voulu comparer le caractere- de
ce prince a celui du sombre PhiJippe 11; mais
déja le jugement que l'on porterait de lui, .d'a-
pres cette ressemblance, serait complétement
faux : don Carlos oppose a cette étrange simili-
tude toutes les vertus de la vie privée. Don
Carlos est le modele des peres de famille :vivant
au milieu de ses enfans, chéri de ceux qui l' ap-
prochent, don Carlos a une piété qui ne doit
eHiayer personne, cal' elle est pour lui seul. Il
a touj!lurs témoigné la plus grande indifIerence




DON CAHLOS.


pour ce qui touchait aux questions politiques,
jusqu'au moment ou, attaf[ué dans ses intérels
par le caprice de F erdinand, dépouiHé de ses
droits dans sa personne et celle de ses enfans, il
a protesté avec le respect dit a son souverain et
la fermeté que donne la conviction et la foi d'une
honne cause. Il s' est éloigné sans causer le moin-
dre éhranlement dans I'État, sans provoquer
personne en sa faveur. Mais lorsque Ferdinand
eut fermé les yeux, il parut armé de son droit.
S'il monte sur le treme, ce sera sans intervention
et san s secours étrangers.


Lorsque la famille royale sortit de Cadix, au
milieu d'une baie de ha'íonnettes fran~aises, la
joie d'échapper a une captivité qui eut pu avoir
des suites plus dangereuses encore que la prison,
était hien naturelle chez Ferdinand et chez les
infans : ces princes la témoignaient hautement
a tous les Franc;;ais; lui seu!, don Carlos, avait
une réserve qui fut remarquée et appréciée des
Espagnols. Il cessait d'étre captif, mais jI sem-
blait regretter de devoir a des étral1ger~ eette




DON CARLOS.


liberté qu'il eut voulu tenir des Espagnols. Son
front était voilé d'une profonde tristesse; sa
main ne toucha point ceHe de ses lihérateurs:
tout enlui décelait de douloureuses impressions.


Quelle que soit la destinée de ce prince, il est a
croire qu'il n'appellera jamais a son secours que
les vrais Espagnols quí ne veulent devoir leur
salut qu'a eux seuls. Époux de Marie-Fran~oise
d' Assises, infante de !>ortugal, princesse d'un
haut courage, sreur de ces deux freres qui lut-
tent avec acharnement l'un contre l'autre, don
Carlos trouvc dans le caractere et les vertus de
l'infante de justes dédommagemens aux cha-
grins qui déchirent son creur depuis qu'il a été
5éparé, par l'exil, desa famiHe, qui a élevé entre
elle et luí la barriere de l'injustice et des lll-
térets.




CHAPITRE XXXIV.


}lJolitiqut' .


FERDIN AND viola la loi fondamentale établie
en Espagne depuis 1715, sous Philippe V, 10rs-
(Iue ce prince changea l' ordre de succession.
Cette ldi fut décrétée dans l'assembléc de toutes
les Cortcz du royaume, qui n'avaie'nt pas été
réllnies depuis long-temps.


Jusqll'alors, en vertu d'une loi qui se perd
dans la nuit des temps, comme IlOlre loi saliqllc,.




POLITIQrrE .
• les femmes parvenaicnt au treme de Castille 101'8-


qu'cHes y étaient appelees paÍ> la proximité du
sango Cette loi se nommait castillane ou cogna-
tt'qlle~ en opposition a ceHe nommee agnatique ~
qui a prononee leur exclusion absolue. Si l'on
compare la position des deux monarques qui
ont, a deux epoques differentes, change l' ordre
de suecession, on yerra que l'un, puissant paree
{{u'il venait de conquerir son royaume apres
douze ans de combats et de travaux, n'a point
ose, sans l'assentiment de la nation, représentee
{jdclemcnt par toutes les Cortez de la monar-
chie, assemblée~ selon les anciennes coutumes,
donner a l'Espagne une loi d'hérédité qui res-
semblait a ceHe de la Franee. Le nouvel ordre
de succession appela au trane les heritiers males,
et n'y admit les femmes que dans l'absence to-
tale des males de la maison regnante. Depuis
cent vingt ans la succession avait líeu de male
en male, sans qu'a l'avenement d'un nouveau
souveram la moindre secousse s' operat dans
l'État.




318 POLITIQUE .
. Ferdinand, de 5a propre volo~té, sans s'ap-


puyer sur la nation, a renversé la loi d'hérédité
qui gouverne l'Espagne depuis plus d'un siecle!'
Les trones peuvent ctre menacés par l'érup-
tion démocrati(Iue, déracinés par l'orage popu-
laire; mais qu'ils soient ébranlés dans leUl's Jon-
demens par ceux me mes qui ont re~u la mission
de veilIel' a leur conservation, c'est ce qui ne
peut s'expliquer que par l'esprit de vertige qui
s'est emparé de Ferdinand, lorsque dans son tes-.
tament il a légué a l'Espagne des troubles sans
fin.


Si l'attachemellt a l'ancien ordre de succession
vivait dans quelques esprits, s'il s' était conservé
religieusement chez quelques Castillans, si la
nation eut été divisée au st~et de l'hérédité, il
eut fallu en appeler a ]a nation elle-meme, et
des-Iors rassembler tous les grands, tous les ti-
tulos de Castille, tous les prélats et les députés
de toutes..les villes qui ont droit d' envoyer a
l'assemblée des Cortez. Le clergé, la noblesse, et
les échevins, qui représentent le tiers état, eus-




POLITIQUE.


sent discuté, approfondi et décidé la question
en litige. Mais, au lieu des vrais représentans de
la nation espagnole, quelques prélats, quelques
nobles, ret;urent l' ordre de venir preter serment
de fidélité a doña lsabelle. Presque tous étaient
fonctionnaires publics : Ferdinand .mit ces per-
sonnages entre lem's intérets etleurs consciences;
les intéret.s l'emporterent.


Quelle ressemblance avait cette réunion, de
laquelle était exclue toute indépendance, avec
les anciennes COl'tez OU se discutaient librement,
avec le sens droit et la fierté des Espagnols, les
intérets poli tiques ? Quelle ressemblance avec
c·es assemblées OU toutes les classes de I'État
étaient représentées 7 U. i1 n'y eut pas meme
réunion; aueune discussion n' eut lien : ces soi-
disant députés se présenterent "pour remplir une
vaine formalité de foi et hommage. lIs exéeu-
taient un ordre, jurerent sur les saints évan-
giles, et se retirerent! Parodie dérisoire des dis-
cussions orageuses des assemblées libres de la
vieille Espagne. Le serment fut demandé a tout




POLlTJQVJé.


ce qui était en place. Militaires, administrateurs 1
de tous, on exigea le sermeilt. Un peuple con-
sciencieux re~ut la dangereuse aUeinte de la
corruption. On mit sa vertu sévere a la rude
épreuve d'avoir a opter entre des emplois, des
places, de l'argent, et un serment éventuel; car
la reine eut pu avoir un fils, et des-lors ce ser-
ment prété par la peur, cette prétendue sanc-
tion arrachée par la crainte a des fonctionnaires
quío pouvaient ctre dépouillés de leurs places,
devenait ¿t rien. On a faussé les consciences, et
pourtant on a cru nécessairc d'appuyer d'un
semblant de vérité eette décision enlevée par
l'ambition a un monarque faible et malade.


Lorsque le décret absolu d'une volonté qui
jusque-Ia avait été si maléable fut connu; 101'5-
qu'ensuite, devant Dieu, des hommes séduits
ou menacés eurent revetu d'une espece de sanc-
tion l'acte le plus illégal et le plus monstrueux,
l'Espagnc resta muette de stupeur. Frappée d'é-
tonnement, eHe ne trouva rien a balhutier pour
défendre ses anciens droits. SiJencieuse, elle at-




PUUTfQUE.


temlit etseprépara au combat Jentement. L'heure
a sonné; elle a saisi ses armes.


Que de haiues· vont se réveiller! que de sang
va couler! De l'autre coté des Pyrénées s'établit
la guerre civile avec toutc la fureur méridionale.
Elle sera longue, cal' elle précipite la nation dans
cette vie aventureuse el toute de dangers qui
semble etre son élément. Elle combattra avec
constance : pendant huit cents ans elle n'a point
rompu ses faisceaux; elle u'a pris de repos que
couchéc a coté de ses lances. Les imprudens qui
n'out point tremblé h l'idée de luí voir secouer
la poussicre de ses armes, ne se rappellent done
pasqu'il ya vingt aus elle a recommeucé de rudes
combats, et n'a déposé le fer qu'apres avoir
"amen.


Dans nos tristes anuales de dissentions civiles,
nons savons qu'aprcs le combat s'oublie la cause
de la guerre : les :Fran~ais ne peuvent hall' long-
temps. L'attaque est impétneuse, le choc san-
glant; mais, apres l'exaspération dn momcnt, les
tetes se calmcnt, le creur redevient froid : le


21




POI.ITIQlJE •


vainqueur et le vaincu se uonnent la main , se
portent secours, et se racontent, avee orgueil el
eonfianee, leurs aetions éclatantes, leurs ehances
de sueees, leurs craintes, leurs espérances. S'jI y
a apparenee de retour au eombat, ils se séparent
sans haine personnelle, en se disant : « Au re-
voir sous les baIles. » Il est impossible d'établir
en Franee une guerre eivile, e' est-~t-dire une
lutte opiniatre et prolongée : soit paree que nous
avons perdu notre virilité; soit que nous soyons
blasés sur le présent et insoueians sur l'avenir;
soit plut.üt. que nous ayons la eonvietion que le
sang ne cimente aueune institution, et que cha-
que parti espere que la raison amen era pour ses
opinions un triomphe certain et durable.


Mais I'Espagnol, eornme une médaille qui a
conservé la pureté primitive de ses traits, ses
reliefs et toute son empreinte, apparait eneore
parmi les nations modernes avee ses antiques
vertus, son énergie, sa ruelesse el son impertur-
hable sang-froid an milieu elu granel mouvement
enropéen. Sous PéJagc, il cmporta elans les ca-




POUTIQUK


vernes des Asturies les images révérées des chré-
tiens ; iI aiguisa son glaive sur le fer de la croix,
et combattit les Infideles. Plus tard, il opposa
son ardent catholicisme aux invasions de la
réforme. Sous Charles IV, il ressaisit les han-
ni eres de ses saints, invoque monseigneur saint
Jacques, et se déhat sous les serres de l'aigle im-
périal jusqu'a ce qu'il 1'ait chassé au-dela des
Pyrénées. Dix ans plus tard, on porte atteinte a
la religion de ses peres, on rit de ses vieilles
croyances; il rétahlit ses pretres et leur autorité.
Allcz voir, suspendues aux voutes de J'église de
Nuestl'a Señora d' Atocha, les hannieres pou-
dreuses de l' armée de la F oi, et vous lirez la
confession de toutes les provinces d'Espagne sur
ces drapeaux écartelés de croix de toutes cou-
leurs, sur les armes de Navarre, de CastilJe,
d'Aragon, d'Andalousie.


Aujollrd'hui, la guerre civile recommence : le
pellple, les masses s'effi'aient de la résurrection
d'un partí quí menaee ses vieil1es 1nstitution8 et
sa religion; la llation se di vise en deux camps.




POL1TTQUE.


La victoire peut resler indécise; mais elle appar-
tiendra 1l celui qui jettera dans la halance, avee
son bon droit et les cartouches de ses gnérillas ,
la croix d'Espagne qui a vaincu l'islamisme.


Appuyé sur le clergé, dont la puissance est in-
finie, l'influence justement acquise , paree que
le clerge est le seu] des ordres de l'État qui vive
avee le peuple, s' occupe de lui , étudie et con-
naisse ses besoins, Charles V arraehera a l'usur-
pation un seeptre qu'elle tient d'une main mal
assurée. Roi d'Espagne, Charles V n'a qu'a fouil-
ler dans les archives du royaume : il y trouvera
les conseils que Louis XIV dounait a son petit-
fils; il Y trouvel'a des regles certaines a suivre
poul' ce qui concerne les intérets monarchiques
et ceux du peuple espagnol. Ces conseils, donnés,
il y a cent vingt ans, par celui qui connaissait son
métier de roi , sont applicables encore aujour-
d'hui a la position de Charles V, et peuvent le
guider dans sa maniere de gouverner un peuple
dont les mreurs et les usages ont peu changé.


On lit dans le Mémoire remis par Louis Xl V




POLITIQUE.


¡. son petit-liIs le duc d' Anjou, dc"ellu roi d'Es-
pagne sous le nom de Philippe V, partant pOUl'
Madrid, le 3 décembre 1700 :


l. «( Ne manquez a aueun de vos devoirs, sur~
tou.t envers Dicu.


3. «( Faites honorer Dieu partout ou vous au-
rez du ponvoil'; procurez sa gloire, donnez-en
I'exemple: e'est un des plusgrands hiens que les
mis puissent faire.


4. «( Déclarez-vous, en toute oceasion , pour
la vertu el contre le vice.


7. ( Aimcz les Espagnols, et tous vos sujets
attaehés a vos couronnes et a votre personne. Ne
préférez pas ceux qui vous flatteront le plus. Esti-
mez eeux qui, pour le bien, hasarderont de vous
déplaire : ce sont la vos véritahles amis.


33. (( Je finis par un des plus importans avis
(lue je puisse vous donncr : Ne vous Iaissez pas
gouverner; soyez le maltre; n' ayez jamais de fa-
vori ni de premier ministre; écoutez, consultez
votre conseil, mais décidez. Dieu, {{ui vous a
lait roi , von ... d011l1cl'a les lumieres quí vous sont




POLITIQUE.


nécessaires, tant que vous aurez de bonnes in-
tentions. »


Plus tard, Louis XIV écrivait encore, fin de
décembre 1701 :


• • •• « Votre patience était nécessaire. II fal-
lait faire voir, a des peuples naturellement in-
quiets et jaloux de leurs priviléges, que vous
n' aviez pas dessein de les supprimer. Cette con-
fiance leur inspirera plus de zele pour le service
de Votre Majesté, et il n' est que trop vrai qu' elle
a beso in de l'assistance de tous ses sujets. »


Le 28juillet 170:'.:
({ ... Je suis persuadé que vos sujets vous en


aitneront davanta~e, et vous en seront encore
'"'


plus fidcIes, Iorsqu'iIs verront que vous répon-
dez a leut' attente, et que, loin d'imiter la mollesse
de vos prédécesscurs, vous exposez votre per-
sonne pour défendrc les États les plus considéra-
bIes de votre tnonarchie. »


Le 1 o septembre :
({ .... II faut, pOUl' volrc gloire, travailler


au rétabIissement de vos afl?il'cs, et vous n'y




JJOLITlQUJo:.


parviendrez que par beaucoup de soins eL par une
extreme application. Vous ne voyez que trop ou
elles sont par la paresse des rois vos prédéces-
seurs. Leur exemple vous apprendra a réparer,
par une conduite opposée, le préjudice qu'ils ont
causé ~l la monarchie d'Espagne. ))


Le 4 février 1704 :
II •••• Ne vous renfermez point daRs la mol-


lesse honteuse de votre palais. Montrez-vous a
vos sujets, écoutez leurs demandes, faites-Ieur
justice, donnez orare a la su reté de votre
l'oyaume; acqui Hez-vous eufin des devoirs OU
Dieu vous appelle en vous pla~ant sur le troneo ))


Le 20 aout 1704 :
(1 •• o . Faites voir qu'il y a un roí en Espagne,


et que vous y commandez. ))
Le 16 novemhre 1705 :
(1 •••• Lo"RsQu'IL s' AGIT DE DÉFENDRE UNE


COURONNE, IL FAUT, PLUTih QUE DE L'ABANDON-


NER, PERDRE LA VJE. ))


Le 5 aot'tt 1706 :
« o o . o Vos ~lUlcrnlS He do. 'cnl plus espél'cr




POLITIQUE.


de réussir, puisque leurs progres n'ont servi qu'a
faire paraitre le courage et la fidélité d'une na-
tion toujours également brave et constamment
attachée a ses maitres. Vos peuples ne se distin-
guent point des troupes réglées, et je comprends
aisément que tant de preuves de leur amóur pour
vous augmentent la tendresse particuliere que
vous avez toujours eue pour eux; elle leur cst
due, et je vous exhorte a leur en donner de fré-
quens témoignages , si je ne savais que vos senti-
mens a ce sujet sont entierementconformes aux
111lens. J)


Au milieu du mouvemcnt européen qui, de-
puis quarante ans, s' opere sous nos yeux, dans
cette lutte de l' ordre et du désordre, de la démo-
cratie contre l'aristocratie, des priviléges des rois


.


et de ceux des peuples; lorsque, déchiré par les
idées qui cherchent ~t se f.'lire jour, le siecle finira
par enfanter, et pour les peuples une sage liberté
qni ue sera point la licence, et pOUl' les rois une
a utorité non contcstéc q lli ne sera point le despo-




}JOLITIQUE.


tisme, l'Espagne ne peut etre long-temps sans
suivre l'impulsion donnée d'un bout du monde
a l'autre. Sans aucun doute quelques abus appel-
lent une reforme, mais elle doit s' opérer lente-
mento Il faut la revetir des formes qui doivent
plaíre au peuple en faveur duquel elle doit etre
faite. Que Charles V assemble les Cortez; que la
natíon parle au roi; que des mains d'une légiti-
mité ferme et confiante dans ses forces retrem-
pées dans l'assémblée de toutes les COl 'tez du
royaume, découlent pour la nation espagnole
les libertés qu'el1e a connues dans les plus beaux
temps de sa gloire. Que Charles V rompe avec cc
systcme b:itard, cette politique peureuse qui fait
crier merci a tous les rois de J'Europe; que l'Es-
pagne fasse mentir ses ennemis, qui s'obstinent
~lla représellter courbée sous un joug honteux : iI
y a plus d' élémens de liberté dans une seule pro-
vince d'Espagne, que dans toute l' Angleterre.
L'espritnational de I'Espagnol n'est point abruti
par la cupidité. Il n'est ni commer~'ant, ni no-
rnade : e' est ~t ceux quí le gouverneut a dirige/'




330 POLITIQUE.
cette énergie qui reste concentrée en lui-meme.
Avec I'Espagnol on peut toutoser enlui parlant
religion et liherté.


La royauté a été vue par les peuples, nue, dé-
pouillée de ses prestiges , avee ses miseres et ses
faihlesses. Dans un temps OU le peuple présente
aux halles sa large poitrine pour conquérir, les
rois seuls craignent de mourir pour conservero
lIs se voilent la tete pour ne point voir, et se
croient a l' ahri du danger. Le siec1e di t : « Arriere
les rois timides!' ) Le siecle monarehique veut
que les rois soient les plus braves et les plus in-
struits, qu' ils JU-archent en avant et non a la re-
morque, qu'ils dominent et qu'ils ne suivent pas,
qq'ils entrainent la génération au lieu d'ctre
précipités par elle. La génération, avide de sage&
lihertés, leur crie la proclamation des Arago-
flais ~ « Nos que valemos tanto como vos, os ha-
« cemos nuestro rey y señor, con lal que gual'-
« deis nuestros fueros y lihertades : SINO, NO. »




NOTES.






NOTES.


NOTE 1 , PAGE 72.


Cérémonial observé lors de la I'emise aux Franrais de l'épéc


de Franfois ¡", publié dans la Gazette de Madn'd du
5 arril 1808.


S. A. 1. le grand-due de Berg et de Cleves avait mani-


festé a S. Exc. don Pedl'O de Cévallos, premier ministre


d'État, le désir qu'aurait S. M. l'Empereur des FraIll.:ais ,
roi d'Italie, de posséder l'épée que Franljois ler, roi de
Franee, rendit it l'empereur Charles V, apres la bataille


tle Pavie. CeUe épéc étaíl gardée, depuis l'allnée 1525,


dans l'arscnal royal.




334 NOTES.
Su Majesté Calholir{t1C informée du désir ue I'Empereur,


et voulant profiter de toutes les oce~sions de prouver a son
intime alIié la haute estime qu'elle a pour son auguste per-


sonne, et son admiration pour ses faits hérorques, résolut


que lauite épée serait immédiatement remise a Sa Majesté
impériale el royale , et jugeant que le grand-due de Berg ,
formé a son école , et illllstre par ses talens militaires , était
plus digne que personIle de se charger d'un dépot si pré-


eieux, Sa Majesté ordonna que son grand-écuyer, lemarquis
d' Astorga , conduisit l'épée a l'hOtel de S. A. 1. le grand-
duc de Berg, de la maniere suivante :


L'épéc, placée dan s un bassin d'argenl, couvert d'un drap


de soie, orné de galons et de franges d'or, fut déposée au
fond d'un earrossc du Roi; sur le devant se placcrcnt le sur-
intendant de l' Arsenal, don Carlos Montargis, et son aide
don Manuel, trésorier. J~e earrosse , escorté par six valets
de pied du Roi, en grande livrée ,fut traIné par un attelage
de six mules magnifiquemellt enharnaehées.


Dans une seeonde voitllre ayant le mcme attelage et


une semblable es corte , étaient Son Exc. le grand-éeuyer,


accompagné !lu due de Parque, lieutenant - général des
armées, et eapitaine des gardcs-du-corps : a la gauche de la


voiture , préeédé par un piqueur du Roi , était le grand-'
éeuyer honoraire, J\II. Gonzalcs. Un détaehementde g:lrdcs-
uu-corps, composé (l'un sous-hl'ig'adiel', "'1111 eadet, et de




NOTES. 335
Villgt gardes , aCHnnpag'llait les deux cal'rosses : quatre


g'ardes ouvraient In marche, et les :nItres suivaicllt tlerricre
la voiture OU était l'épée.


Le 31 a midi, le cortége sortit de la maison du marquis


d' Astorga , et se dirigea au palais du grand-duc de Berg. Des
qu'il fut arrivé, M. de Montar.gis prit le bassin ou ét;it
l'épée, el ,suivi de LL. EE. le grand-écuyer et le eapitaine
des gardes-du-corps, il se rendít dans le salo n ou attendait
le graud-due.


J.Je marquis d'Astorga prit alors l'épée, la remit a Son
Altcsse impériale, avec une leUre du Roi , et lui adressa un
discours analoglle a la eirconstance auquel Son Altesse
impériale répondít de la maniere la plus f1atteuse en prenant


I'épée, el en se ehnrgcant de l'envoyer ú Sa Mnjesté im-
périale.


La cérémollie achevée , le eortége , 'dans le meme ordre ,


repril le ehemín du pabis de Sa Majesté , pOllr luí rendre
comple de l'exécution de ses ordres.


(Histoire de la Cuerre d'Espagne contre Napoléon
Buonaparte, par une CommÍ5sioll d' Officiers de
tolltes armes établie a Madrid a1lpr;'s de S. Exc.
le Ministre de la ({/lerre, )




33G NOTES.


NOTE 2, PAGE 119.


Traité de Foiltainebleau, conclu cntre le maréchal
Duroc , au nom de Napoléon, et le conseiller Izquierdo,
au nom du roi d'Espagne, le 27 octobre 1807 .


• AUT. ter. La province de l' Alen tejo et le royaume des
AIgarves seront donnés , en tunte propriété el sOllvel'<lineté ,
au prince de la Paix, qlli prendra le titre de pr¡Jl(~e des
Algarves.


AUTo 5. La prineipauté des Alg'<lrves sera possédée par
les deseendans du princc de la Paix héréditairemenl et
suivant les lois de suecession qui sont en usage dans la
famille régnante de S. M. le roi d'Espagnc.


M. Carrel faisail partie de l'expédition du général


Fernandez. Je copie iei le rapport de la séance de la cour
d'assises d'Eure-et-Loir. (Affaire de M. de Chievres.)


M. Carrel est introduil, et s'exprime ainsi; " Je ne sais
rien qui se rattache direclement a l'affaire qui oecnpe la
cunr. Ce que j'ai a dire peut servir seulernent ;\ faire eOIl-
naltre M. de Chievres comme homme de parli, I,a guerre


de grande route, appelée cllOuannerie, suppose, chez ceux
qui s'y livrent, des haines de parti violentes et du fana-


tisme religienx ou politiqueo .T'~li ('11 personncllcmenll'occa-




NOTES.


sion d'¿pronver que M. de Chievres n'a point ce fanatisme ,


et qne e'est an eontraire un homme de partí loyal, humain ,
gén¿reux. Il s'agit d'un fait a¿jil. vieux de dix ans.


" Vons savez, messieurs les jurés, que le drapeau trieo-
lore a eu aussi son émigration, et les émigrations ne sont
pas heureuses. En 1823, l'armée royale qui allaít en
Espagne renverser la Constitntion des Cortez eut affaire,


t
sur la Bidassoa, a une poignée de Fran<;ais qui s'étaient


serrés autonr du drapeau tricolore, et , en Catalogne, a


plnsieurs eentaines de réfugiés qui avaient pris la cocarde
aux trois couleurs et l'uniforme des aneiennes armées na-
tionales. Un de ces corps , dont je faisais partie, essaya,
dans le mois de septembre 1823, de pénétrer dans la for-
teresse de Figllh'cs, ÍlH'cst;c par In", division aux ordres


------ -----


un général Damas. Apres deux jours de comh:rls tres san-
glans , dans lesqnels les deux tiers de mes camarades furent
tués on Llessés , et dans lesquels aussi les régimen s qui nons


étaient opposés perdirent malhenrensement beancoup de


monde, nous 110ns trouvames dans une situation a etre


obligés ue 110US rendrc ou de nous faire tuer jusqn'an dernier.
« J\'I. ue Chievres , alors aide-de-eamp du général Damas,


n'éeoutant que son désir de faire oesser l'effnsion uu sang
frum;ais, pénétra jnsqn'il. nons. 11 se souvint que son pcre
avait échappé I1 la fnueste jonrnée de Quiberon, et vint
nons sllpplier de nOlls l'C'ndre. Je me lronvai a porté e de lni


22




338 NOTES.
repondre au nom de mes amio. Je Iui représentai que les


Iois qui nous attendaient, nous élaicnt connues, et que
nous ne pouvions pas nous rendre san s conditions. M. de
Chievres s'entremit avec la plus grande chaleur pour nous
faire obtenir une capitulation, quoique de semblables
conventions n'aient jamais lieu en rase campagne. J'ai su
depuis ¡.,de la bouche meme du général Damas, que nous


el'
devions beaucoup aux intercessions de M. de Chievres.


" Les pénibles négociations dont M. de Chievres s'était
chargé, avec un empressement si généreux , durerent long-
temps. M. de Chievres aBa et revint pIusieurs fois du
quartieI'-général a la position que nos débris occupaient.
Enfin, nous le vlmes reparaitre suivi d'un grand nombre
d'officiers, qui nons annoncurcnt avec ]a joie]a plus vive
que nos cond.itions étaient acceptées, et ces conditions
étaient d'avoir la vie sauve, de conserver nos épées, les
insignes qui distinguaient notre uniforme, et d' obtenir des
passeports pour nous rendre a la destination que nous
choisirions.


" Le gouvernement franqais ne crut pas devoir ratifier la
capitulation , bien que le général Damas eut eu plein pou-
voir de l'accorder. Moi-meme, a mon retour en France, je
fus arreté et condamné a mort.par deux conseils de guerre;
mais ces condamnations ayant été cassées ponr vice de
formes, .ie fus acquitté a Toulouse par un troisieme comeil




VOTES. 339
de guerre, sur b simple preuvc de l'existenee de eeHe


capitulation fflJe lH. de Chievres avait tant (~ontribué a nous
faire ohlenir.


" Je suis bien loin de prétendre que personne doive iei
de la reeonnaissance a M. de Chievres pour le serviee per-


sonnel qu'il m'a rendu dans eette circonstance, mais je
pourrais citer une douzaine d'offieiers de tout grade, depuis
eelui de sous-lieutenant jusqu'a eelui de chef de bataillon ,
qui ont prolité eomme moi de la eapitulation de Figucres,


el qui , depuis la révolution , ont repris du serviee. I"es uns


servent á Alger, les autres devant Anvers ou dans la
Vendée, et out pu eontribuer mt~me a y étouífer l'in-
slIrreetion.
~~as plus sur le compte de l\L de


Chievres. 11 était de mon devoir d'attesterlcique je l'ai
connu modéré, humain, généreux, quand son parti avait
la force, et que le drapeau tricolore était traité en rebeHe.


"M. de Chievres ne me saura pas , j'espete, mauvais gré
de dire qu'il était fort dévoué au gouvernement de ce
tcmps-lit, qu'il était du parti du gouvernement. Ses sen-


timens politiques furent trop honorés a mes yenx par sa


eonduite dans la eireonstance dont j'ai parlé, pour que je
n'estime pas aujourd'hui sa persévérance dans les memes
sentimens. Mais je répete que des opinions qui s'alliaient
alors ú une générosité si fn\llf;aise , n'ont pas pu conduire




340 NOTES.
nux acles yiulells qU'OIl impute aujOlmI'hni il NI. ue
Chievres.»


Un officier dans l'auditoil'c : Bravo!


:Me lIennequin. - Quel homme d'honneur! (On en-
tend partout a voix basse: bravo! bravo!) Le respect dii
a la justicc a pcine a contenir la satisfaction que cause ceUe
déclaration. NOllS pouvons dire que l'impression générale


qu'elle cause est aussi honorable pom M. Carrel que pour


l'aecusé.


M. de Chievres avec émotion': "Je prie M. Carrel de


me permettre de lui témoigner iei toute ma reeonnaissanee. »
(Cour d'Assises d'Eure-et-Loir, 24 décembre 1832.)


Je n'ai l'honneur de connaltre ni M. de Chievres, ni
:1\1:. Carrel , mais le tablt'dll de crs deux hommí!.S génércux ,
dont l'un, aníiné encore par toute la ehaleur d'un combat de


deux .ioms, oulllie des ennemis acharnés ponr ne voir en


cux que des Frant;ais , qu'il presse, qn'il conjure d'accepter
la vie , el l'autre, qui, apres dix ans, apres une révolution


qui a ressuscité des coulcms qui Iui sont cheres, vient


tendre la main a son adversaire poli tique , pom l'aicler a


franehir les marches de sa prison ; ce tableau , beau comme


l'alltique, ne saurait passer inaperl,¡u. Quelques csprits
inquiets désesperent de l'avcnir de la France! La France
est .élayée sur de hautes verLtls, sur de nobles caracteres:
elle n'est pas prete á pél'ir ~




NOTES. 34 r


NOTE 4, PAGL 274.


II parait que Sagonte ne s'élevait que jusqu'<, mi~cote,
et s'étcndait surtout dans la plaine vers la mer, bien


au~dela de l'enceinte actuellc de Murviédro, puisque Tite~
I:ivc dit qu'elle n'en était qu'a mille pas, et qu'il y a une
grande licue de la mer a ,Murviédro; aussi n'a-t~n trouvé
des traces du séjour des Carthaginois et des Romains , qu'it
commencer au pied de la montagne ou sont les forteresses


maures.


Murviédro est ellcore semé de pierres qui portent des


inscriptions phéniciennes Oll latines; celles-ci surtout y
ahondenl : on les trouve enchassées dans quelques unes des
mUlaiHe, .. le ~e$ lUes. €inq Sl\rtout trés Lien conscrvées, le
sont dans eeHes d'une église. Si l'on en rencontre quclques


unes sur le penchant de la montagne ou mcme plus hant>


il parait qu'elles y ont été transportécs par les Maures,
comme toute autre pierrc a batir. C'est ainsi que d.ms une
des mnrailles de leurs ancicJlnes fortcresses, on trouve une


sLatue antique de marbre blanc, a laquelle il manque la.
tete, el quel(IUCS pierres chargécs d'inscriptions mais posé es.
;1 l'envers.


Les monumens dont Murviédro conserve encore le"


débris, datenl de !'{pn(lue nú les Rnmains, apres la va-o




NOTES.


leureuse défcnse des Sagontillo el la destl'Uclion de leur
ville, la rebiltirent ct en firent une de leurs municipia,


une des villes les plus brillantes qu'íls cussent hors d'Italieo


Elle avait , entre autres, un temple de Baechus dont on


apersoit quelques restes 11 gauehe, pres de l'entrée de


Murviédro. Son pavé, en mosaOique, que l'incurie laissait


dépérir sur le lieu meJlle, a été ree lleilli et transporté dans


la bibliothéque de l'areheveque. On déeouvre enrore les
fondemens de l'aneien Ci.que de Sagonte, sur lesquels


posent présentement les murs qui servent d'eneeinte it une


longne suite de vergers. Ce Cirque , eomme iI est f.1cile de


s'en apereevoir, allait abontir 1\ une petite riviere dont illle


reste plus que le lit, et flui servail de eorde a l' are formé par


le Cirque. Saus donte lorsqne les Sagontins donnaienl ces
speetacles eonllns sons le nom de Naumachie, ce lit
était rempli aux dépens des eanaux voisins qui existent
encore.


Mais de tout cc qui resle de l'ancienne Sagonte, rien


n'est si bicn conservé que son théi'ttreo On y retrouve tres
distinctement les divers gradins qu'occupaient tous les


spectateurs, chaeun suivant son ét.'It; d'abord au degré le


plus Las, it la place qu'occupe l'orchestre dalls IIOS théiltres,
viennent les gradins des magoistrats, puis eeux de l'odre


éqnestre, pnis cenx du peupleo 011 voit encore les ueux
porte, par lesr¡uell¡·" enlrai('nt les lIIagislrab ; dcux antr('~




NOTES.


qui élaient exclusiremcllt réservées 11 1'0rdre équesl.re, et


presrlu'it la sommité de cet amphithéatre, qui continue sans
iuterruption du has en l¡aut, on reconnalt encore les deux


galeries par lesquelles s' écoulaient les flots du peuple, et


que les anciens , pOUl' cette raison , nommaient Vomitoria.
Enfin, 011 l'etrouve en leur entier ces gradins les plus


élevés (PÚ étaient destinés pOUl' les lieteurs et les COUl'ti-
sanes. La cntte , semi-cireulaire de tout l' édifiee , cst aussi
parfaitelllcnt conservée; on retro uve meme en dehors les


pierres saillantes ou étaient enfoncés les pieux sur lesquels


portait la toile horizoutale qu' on déployait pour mettre
toute l'asselllblée 11 l'abri du soleil ou de la pluie; car les


aneiens, dans leurs spectacles , prévoyaient tout, pour-


voyaient :1 tonto Tont le monrle y était assis et pouvait y
etre ;\ l'abri uesinjlircslle l'air. Toutes les .!neS~lres étaient
prises ponr Ilrévcnir le désordrc. Dans un endroit,· qu'on
reconnnit eucore, ,(tait la place rles jugcs .


...... An-delA de l'amphithéiltrc, don!. plusicurs gradins


vers le centre étaient scnsihlelllent détériorés , on retrouvait


11 peine des vestigcs dn lien qu'oeeupaient les acteUl's. Il
n'olfrait plus que quelques arbre5 et des masures : le bord
de l'aneiellne setme avait été converti en une allée de


muriers, ou des cordiers avaient établi leur atclier amhn-


lant. On ne prenait auenn soin pou!' conserver ce monument


précieux. U 11 concir\'g~' y a vait son hahita lion, qu'il ételldait




ou changeait au gré de ses convenallces. Quelql1es familles
de pauvres artisans y construisaient des masures auxquelles
les Romains avaient préparé , il Y avait pres de, vingt
siecles, des murs et un plafond; jamais le temps n'avait
été mieux secondé, devancé dans ses ravages. Caylus et
Winkelmaun eussent versé des larmes a l'aspeet de ces
sacrilégcs.


(Tableau de l' Espagnc moderne, tome III. )


NOTE 5, PAGE 279.
Le premier de nos poetes s'exprime aiusi sur cet illustre


lIlaréchal. ~I. de I.amartine a dit :


Et celni qni sontient de son bras triompbant
Les pas tremblans eucor de ce royal enfanl,
Et qui a'un (l~il de pcre, en regardant ~on maitre,
Semble dire en son creur : C'est moi qui l'ai vu uailre;
Quel est-il?


I,E ROL


Un soldat : le nom d' Albuféra
IlIuslre encol' celu; que l'Espague pleura,
Quand brisant daus Madrid le joug de la victoire,
Pour unique dépouille il rapporla sa gloire!
Sauveur do beao pays qu'il avait combattn,
Il a ravi SOll nom ..... mais c'est par 53 vertn!


(LAMA RTINE, chane da Sacre.)


FIN DES NOTES.




TABLE


DES CHAPITRES. •


CHAPITRE ler. L'Espagnc .................. Page 1


CHAPo n. L'Arméc d'Espagne......... .. . . . .•••. 9


CHAPo 111. L'Entrée en Campagne. • • • • • • • •• • . . • • 18


CHAPo IV. Le Clergé ..•..••.••••••.••••.•• , • . • 24


CHAPo V. Admillistratioll provillciale..... . ....... 32


CH~P. V'I. Étapes............................ 36
CHAPo VII . .Madrid ..•.•..•...••......•.••. :.. 51




346 TAllLE DTcS CIfAPJTI\ES.
CHAPo VIII. Blanca •.....•.....•...•..... Page 60


CHAPo IX. El Palacio-Real. - L' Armeria. . . . . . • • • 62


CHAPo X. Le Musée ................ o . o .. o . o o .. 73


CHAPo XI. Le Sauf-Conduit o o . o . . . . • • . . • . . . . . • • 79


CHAPo XII. La Fiesta. o ... o .. o .•. o o o o o . . . . . . .. 85


CHAPo XIII. I,es Guérillas. o o o .•. o o .. o o .. o .. o,, 102


CHAPo XIV. Dao'iz et Velarde ..• o o" o ........ " o 118


CHAPo XV. Menechildao o ..••.••........... o o .. 134


eAP. XVI. Le Prado ..... o ..... o .. o ...... o o . o 147


CUAP. XVII. La Catalogne .... o ..... o ....... o " 161


CHAPo XVIII. La Messe:11l Camp des I.atalans ..... 171


CHAPo XIX. Les Miquelets .............. o •....• 175


CHAPo XX. Le Combat de Mataro ... o ..•..•••• o .. 189


CUAP. XXI. Le Moine de Mongal. .•.......•• o .• 200


CHAPo XXII. Molins-del-Rey ......••.. o .. o ..... 207


CHAPo XXIII. L'Investissement de Barcelonneo .. o. 219


CHAPo XXIV. L'Exéeution ..........•.•. ' ....•. 228


CHAPo XXV. Llers ••.. o . o ...•... o .... o o o ... o. 233


CHAPo XXVI. La Capitulation ..... o ..• o .. o . o . .. 241


CHAPo X?CVIl. L'Armée d'oCCllpalion .••....•.... 249




TABLE DES CHAPITRESo


CHAPo XXVIII. 1833. Barcelonneo o o . o .. o . o o Page 257


CHAPo XXIX. Yalenceo .• o. o o . '. o o . o . o .. o o .•.• 272


CHAPo ::tXX. Madrid. - Ferdinand VII. o o . o .... o 287


CHAPo XXXI. Marie-Christine ......•••.. o .••... 295


CHAPo XXXII. L'Infante Luisa-Carlotta. - Don Fran-


cisco de Paula. - Don Gabriel. ....... o • . . • .. 306


CHAPo XXXIII. Don Carlos. o •• o ••••••••• o .•• o o 312


CHAPo XXXIV. Politique ... o ••• o •••• o ••••• o o o. 31 {j


NOTES • ... ~ , • , • , ...... , , ••• , , , , , • , , • , , , , , ,. • , 1" 331


- ¡




FIN.


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