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HISTOIRE


OE LA


EN EUBOPE




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Imprimerie ERNEST MEYER, 3, rue de l'Abbaye, 1\ P:II'is.




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EN EUROPE
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PAn


(, .Te ll'ai pas le patriotisme etroit d'une frolltiere
ro1itiql1" , mais j'ai celui d'un Européen.>l


FlcQrEl.\w:'\l.


TOME QUATRIEME
n O YA U T É O lJ R É p r B L 1 Q U E t


PARIS: AMYOT, RVE DE LA PAIX


1855


.... ,.j




AVIS,
L'auleur et l'éditeur de cet ouvrage se réservent le droit de le tl'aduil'e


ou de le faire traduire en toutes langues. Toutes contrefa<;ons ou tra-
dnctions, faites au mépris de leurs droits, seront poursuivies en vertu de~
¡ois, décrets et traitrs internationaux.







HISTOIRE
DE LA


MONARCHL
EN EUROPE .


.


CHAPITR E XXVIII.


r}EUROPE MONARCHIQUE HUMILIÉE PAR LA
RÉPUBLICAINE .


. Sommaire.


Considérations générales sur la Révolution fran~aise. - Antago-
nisme absolu du parti du droit divin et du parti du droit humain.
- Origine de ccUe scission et quelIe doit etre sa fin. - Caracteres
distinctifs des deux partis. - L'un prétcnd constitucr chaque
société sous la forme d'une Monarchie, en créant une théocratie
générale des r~tats; l'autre prétend constituer c1w.gue société SOl1S


la forme d'une République, en.créant une fédération générale des
États. - Chacun d'eux exprime un principe de vérité , mais non
pas la vérité elle-meme. - lis cherchent a fonder leur domination
exclusive; et e'est ee qui fornJe le earactere sinistre de la Révolu-
tion. - L'antagonisme des deux partis est le résultat d'une erreur.
- La vérité seule peut les rapprocher, et e'est ee qui formera le
earactere providentiel de la Révolution fran~aise. - Cet jdéal in-
défini explique le zele que la Nation déploya pour elle, et non pour
les odieux événements qui ont été produits en son nomo - Si-
tuation de la Maison royale de France envers toutes les autres
Maisons royales de l'Europe, avant et pendant la Révolution.-
Les Monarchies européennes et la République fran~aise. - Pre-
miere Coalition. -Les Rois du Midi veulent relever le Trone de
sain! Louis; mais ceux du Nord veulent se partager la France. -
Guerre eivile et guerre étrangere. - Fautes de la Coalition. -At-
titude formidable prise par la Convention. - Les royalistes de
France repoussent les Rois de l'Europe. - Les Conventionnels se


IV. (3) 1




-2-
proscrivent réciproquement, pour que nuI d'entre eux ne puisse
usurper la dictature. - Le 9 thermidor. '- Les Conventionnels
songent a l'établir eux-memes la Royauté, avec Louis XVII. -
Les difficultés de cette restauratioh proviennent de leurs propres
crimes. - Le Comité de salut public traite contradictoirement
ave o Charette, avec le roi de Prusse et avec le roi d't!!spagne. -
Paix de BftJe. :...... Mort de Louis XVII~ - La Conventton, forte de
ses alliances en Europe, de ses conquetes et de ses principes, ne
veut plus rétablir la Monarchie. "..... Louis XVIII proclamé roi de
France a Belleville, quartier-général de la Vendée.-Pl'Oclamation
de Vérone.-Louis X VIII demande a l'Angleterre un vaisseau pour
se rendre en Vendée. - Le comte d'Artois sur les cOtes du Bas-
Poitou, ave e une fIotte. - L'amiral Bridport ne le laisse pas dé-
barquero - C'est ce qui sauve la Hépublique. - Pichegru veut
remplir le róle de Monck. - Constitution de I'an IU. - Massacre
uu 13 venuémiaire. - Le Directoire aux prises avec la Hévolution
el la contre-Hévolution. - Campagnes de Bonaparte en Italie. -
Ses vicloires et ses traités de paix.- Pichegru chef de la majorité
royaliste des Assemblées. - Barras se concerte avec Bonaparte
pour faire le coup d'État du 18 fructidor. - Traité de Campo-For-
mio. - Congres de Rastadt. - Expédition d'Égypte. - Deuxieme
Coalition. - Paul ler, empereur de Russie, et Fran~ois II, empe-
reur d'Autriche. - Revers de la France. - Explosion du Jacobi-
nisme. - Coups d'État successifs. - Bonaparte revient u'Égypte.
- Le 18 brumaire. - Toutes les Monarchies européennes sont
humiliées par la République fran~aise.


La Révolution fran~aise a été no XVIIl6 siecle, ou
mieux est encore aujourd'hui, relativelnent a cha-
que État, Monarchie particuliere, ce que la Réforme
luthérienne fut au XVIe siecle, et ce qu'elle est
encore aujourd'hui, relativelnent a. l'Église, Mo·
narchie universelle. Ces deu! événements, dont
l'un o'est que la conséquence de l'nutre, mar-
quent daos l'histoire deux époques parfaitement
distinctes. J .. a premiere exprime l'anlagonisme




-3-


relatif du parti du droit divin et du parti..dddroit
humain, ayant chacun une existence légale dan s
chaque société; la seconde expritne l'antagonisme
absolu de ces partis, qui, lnéconnaissant leura
destinées comlllunes et n'ayant pas conscience
de leur indestructibilité réciproque, veulent s'en ....
tre-détruire par des lnoyens aussi violents que
barbares, a la seuIe fin d'établir leur Souverai-
neté exclusive, spécialement en France et géné-
ralement dans toutes les Nations civilisées. De
80rte que l'hulnanité ne peut plus accomplir sa
création propre, confonnément a son but supreme
sur la terre, car le droit divin y anéantit le droit
hunlain; et qu'elle peut, uu contraire, accomplir
sa destruction propre, en renversant les desseins
de Dieu sur l'univers, cal' le droit humnin y
anéantit, a son tour, le droit divino


Tel est, ce nous semble, le caraétere sinistre
que la Révolution franc;aise manifeste dans tous
ses actes, faute d'un principe qui manifesterait
son caractere auguste, en neutralisant les efforts
des partis, pour favoriser le développetnellt des so-
ciétés. A I'exception de la Russie, providentielle-
filent placée en dehors du lnouvement révolution-
naire contemporain, tous les États se trouvent




-4-
exposés chaque jour aux coups des factions, paree
que, l'autorité et la liberté n'étant plus d'aeeord,
depuis prés d'un siecle, sur la forme ni sur le
fond Iueme du Gouvernement, il n'estdonné a per-
sonne de dOluiner les événemen ts et les idées qui
résultent de leur antagonisme. Aussi, frappée d'une
décadence indéfinissable et n'exprimant plus que
le trioluphe p rovisoire de tel ou tel parti sur les
sociétés, la Monarchie européenne sera-t-elle
luenacée dans sa propre existence par la Uépu-
blique universelle~ jusqu'a ee qu'elle puisse créer
un Pouvoir régénérateur ayant pour but d'ex-
primer le triomphe définitif des sociétés sur les
partis. Mais ce Pouvoir, COlument l'établir? si ce
n'est en vertu d'un principe supérieur aux deux
princi pes opposés qui divisent le monde, puis-
qu'il doit identifier en lui-Iueme, par lui-metue,
le droit divin et le droit humain, a l'effet de re-
constituer l'unité supreme au sein de la civili-
sation?


La découverte de ce principe est done le pro-
bléme fondatnental de la politique luoderne.


Pour bater, aotant que possible, la solution
d'un si forrnidable probleme, remontons a l'ori-
gine de eette scission néeessaire, mais devenue




-5-
fatale, et táchons de lui assigner une fin provi-
dentielle. Chose bien remarquable, quoique peu
remarquée! l'antagonislue des deux opinions ri-
vales et, par suite, des deux ordres de faits con-
tradictoires, qui elltretient une si cruelle incer-
titude parlni les peuples au sujet de leurs pro-
pres destinées, repose sur le principe meme de
la certitude. Sa premiere lnanifestation eut lieu
durant le moyen-age ou s'établit la distinction dé-
cisive des Nominalistes et des Réalistes (f), par la-
quelle on put pressentir d'une maniere vague,
sinon déterminer d'une lnaniere certaine, le róle
que la raison humaine devait relnplir, tot ou
tard, a coté de la foi di vine, pour l'établissement
de la vérité, au théatre de la civilisation. Mais
cette tendance, mal définie, provoqua le conflit
des faits et des opinions, lnalheureusement trop
bien défini. Car un groupe d'hoffilnes prétendit
et prétend encore que, la raison hUlnaine étant
bornée de sa nature, et conséquemment devant
rester sujette, elle ne saurait s'élever a la vérité
qu'au moyen de la révélation, ou mieox par l'u-
nique secours de la foi divine; tandis qu'un
autre groupe d'holnlnes, au contraire, prétendit


(1) Voy. tome IlI, chapo XIX, page 42.




-6-
et prétend encore que, la raison hun1aine étant
inftnie de sa nature et, conséquelnment, devant
etre Souveraine , eHe peut s'élever a la vérité sans
l'intervention de la foi divine, ou mieux par l'u-
nique effort de sa propre spontanéité créatrice.
Transportées du domaine des déterminations roo·
rales et spéculatives dans le domaine des déterlni-
nations positives et pratiques, depuis l'établis-
selnent du Protestantislne, ces deux doctrines in-
conciliables s'appliquerent bientot a tous les ob-
jets de l'intelligence et dominerent alors toutes les
considérations politiques, morales, religieuses et
scientifiques de l'homine dans chaque société.
COlnme les partisans de l'une et les partisans de
l'autre se tinrent toujours en échec, l'esprit hu-
main s'irnlnobilisa dans ce dualislne, au lieu de
marcher a la conquéte de l'unité, qui ne pouvait
plus s'opérer désormais sans l'intervention d'une
doctrine 8upérieure a laquelle les deux doctrines
inférieures seraient enftn subordonnées.


Rien ne favorisait donc le développement de la
vérité proprement dite ; lnais tout favorisait le dé-
veloppement de l'erreur. D'un cóté, 1'0n n'admit,
en théorie, que l'expérience ou l'induction empi-
rique, et, en pratique, la recherche de l'intéret




-7-


terrestre, devenu l'unique bien 11loral, c'est-a-dire
le seul triomphe de la volonté humaine ; de l'nutre
cóté, l'on n'admit, en théorie, que la révélation
ou l'induction tbéologique, et, en pratique. la re-
cherche de l'intérét céleste, devanu l'unique bien
lnoral, c'est-a-dire le seul triomphe de la "olonté
divine. Ces deux partis hétérogenes envahirent al ..
ternativelnent I'Église et l'État, pour y établir leur
domination supreme, en procédant a l'exclusiol1
l'un de l'autre. Des que le dogme du libre examen,
principe exclusif du Protestantisme, se fut posé,
dans l'Église et contre l'Églisé, en face du dogme
de la soulnission, principe exclusif du Catholi~
cisme, il dut arriver que le doglne républicain de
l'exclusive Souveraineté du Peuple, expritnant
l'individualisation de l'autorité souveraine dans.
chacun des membres de la société politique, se po ....
serait a son tour, dans I'État et contre l'État, en
face du dogme ulonarchique de la Souveraineté du
Roi f expritnant l'universalisation de l'autorité sou"
veraine dans un seul lnembre de la société po ..
litique.


L'ere protestante eut pour but de fonder l'éta ...
hlisselnent légal de ces deux grands partis; au
moyen lneme de leur opposition, deven oe inhé-




-8-
rente el la raison de l'homlne et, en quelque sorte,
l'élément vital des sociétés qu'elle livra souvent
aux Juttes les plus Jneurtrjeres. Effectjvement, J'un
de ces partis voulut d'abord constituer telle ou telle
sOclété, puis toutes les sociétés, sous la forme d'une
République, établir entre elles une fédération gé-
nérale des États dans Ieur complete indépendance
individuelle, et garantir les destinées de l'huma ..
nité, en donnant libre carriere a su perfectibilité
indéfinie, pour qu'elle put entierement satisfaire
ses intérets matériels, présentés comme son bien
SUprellle sur la terre; et l'autre parti voulut
constituer toutes les sociétés sous la forIne d'une
Monarchie, établir entre elles une théocratie des
États dans leur complete dépendance de la loi di-
vine et garantir les destinées de l'hulllanité, en lui
dOllnant le moyen d'expier sa chute originelle, afin
que, par la grace de Dieu, elle puisse entierement
satisfaire ses intérets moraux, ou mieux retrouver
l'imlllortalité, qui est son bien supreme dans le
ciel (1.). Quoique ces deux partis n'eussent, l'un
et l'autre, qu'une valeur intrinseque relative, en
tant qu'ils expriInaient, celui-ci le droit divin, ce-
lui-Ia le droit humain, c'est-a.-dire deux principes


(1) Hoené Wronski, voir tous ses ouvrages philosophiques.




-9-
de vérité, lnais non pas la vérité eIle-lneme, i1s
n'en agirent pas moins, au sein de chaque société,
conlme si chacun d'eux eut possédé seul une va ..
leur intrinseque absolue. Aussi, méconnaissant la
nécessité de leur double conco urs et de leur dou-
ble existen ce ,tendirent-ils bientOt a se détruire
I'un par l'autre, pour se créer une domination ex ..
clusive daos l'intéret melne de la civilisation gé-
nérale ; - i1s se l'imaginaient du lnoins, - et ne
parvinrent-ils qu'a réaliser le plus grand triom-
pbe de la barbarie.


Cette efIroyable catastropbe s'accomplit en
France, ou l'aotagonisme absolu des deux partis
inaugura la période révolutionnaire actuelle par
la sanglante exclusion légale de la Souveraineté
divine et par la sanglante introduction légale de
la Souveraineté humaine dans les États. Rien de
plus sinistre, assurément, qu'une pareille ten-
dance; car, si elle venait a prévaloir en Europe
sous une forme gouverneluentale queIconque, et
surtout si elle y devenait permanente, il serait
non-seulement inlpossible d'empecher la ruine de
tel ou tel peuple, mais de garantir le salut
des sociétés. Rempla<;ant désorlnais la réalité
par l'utopie, le vrai par le faux, la vertu par le




-10 -


crime, la rai~on par la démence, la création par
la destruction, Dieu par le Destin, l'esprit révolu-
tionnaire briserait, en effet, Tiares, Couronnes,
Diademes; tous les insignes de l'ordre, pour ré-
gner seul au milieu du chaos; et ses lois politi-
ques, négation des 10is In orales , eonsacreraient
l'établisselnent absolu de l'itnmoralité, pour etra-
eer les dernieres traces du Christianisl1le, qui
consaere l'établissement absolu de la Inoralité sur
la terreo


Mais ce caractere sinistre de la RéV'olution fran-
<¡aise ne saurait étre, RUX yeux de l'Europe oil elle
s'est fatalement étendue , comme aux yeux de la
France elle-mélue, qu'une abOlninable défigura-
tion de son caraetere providentiel, par quelques
bOlumes dont les résolutions perverses ont neu-
tralisé la sublime vocation de tout un peuple. Car,
ayant la sentiment de l'hnpuissance totale ou se
trouvaient les deux grands partis européens , en
tant que partis, de fixer par eux-mémes la science
réelle de l'État; et, de plus, ayant le pressenti-
ment du véritable esprit organisateur qui se ma-
nifestait de tous cótés, la Nation fran~aise avait
compris la nécessité d'établir elle-luéole une nou ..
velle forme de Gouvernement, de lui faire expri-




-1.1.-


mer un principe supérieur aux deux principes du
droit humain et du droit divin en guerre ouverte
depuis trois sH~cles, et d'effacer ainsi tout vestige
de dualisme, pour reconstituer l'unité supreme,
ou mienx pour opérer la régénération cOlnplete de
l'humanité. L'importance de cette révolution con-
sistait en ce que les partis, cOlnprenant enfin
l'impossihilité ou ils se trouvaient de fonder leur
propre Souveraineté, par cela seul qu'elle resterait
toujours relative, devaient abdiquer a jalnais leurs
prétentions exclusives, s'élever eUX-lnemeS au-
dessus de leurs tendances contradictoires, et agir
de concert a l'effet de fonder une Souveraineté
absolue. Mais, Ioin de se résigner a cette abdica-
tion nécessaire pour constituer un nOllvel ordre
public, ils poursuivirent, au contraire, leur lutte
sinistre; et l'un d'entre eux proflta de son triOln-
phe transitoire pour constituer un état d'anarchie
qu'il voulait rendre définitif. Ce fut l'reuvre des
sectes pbilosopbiques et matérialistes, qui, ayant
résoIu d'opérer la dissollltion générale des so ..
ciétés, en leur ótant la faculté du Bien, etn-
pruntérent aux civilisations paiennes une vieille
maxime de liberté politique, c'est-a-dire la faculté
du Mal, et, sous le nom de liberté révolutionnaire,




-12 -


la donnerent a la France comme l'expression sa-
cramentelle de la 111issioll qu'elle se proposait de
remplir parll1i les civilisations chrétiennes. Aussi la
Révolution fran<;aise eut-elle, des son origine, de
melne que la Réforme luthérienne, deux fins
bien différentes: un but sacré et un but sata-
nique (1). Le premier, celui qui n'a pas encore été
aUeint parmi nous, expritne la découverte par la
France du principe supérieur qu'elIe porte en elle-
melne; et le second, qui a été atteint sur-Ie-
champ, expritne la production par la France des
actes monstrueux en vertu desquels elle houle-
verse, depuis pres d'un sif~cle, toutes les condi-
tions métaphysiques et physiques des sociétés. Il
est vrai que notre héroique patrie s'imaginait, hé-
las r pouvoir accomplir la régénéralion positive de
tous les États, quoiqu'on eut accolupli déja sa pro-
pre destruction mora le.


Heureusement pour l' Europe et pour la Frunce
elle-~elne, que la Providence a réparti les hautes
charges de l'humanité entre les dívers peuples du
¡nonde, qui contribuent ainsi, chacun dans sa
sphere d'action particuliere, au prqgres universel.
A l'heure ou tout s'écroulait id, tout se reconsti-


(1) Voir tome HI, chapo XIX, page 44.




-13 -


tuait ailleurs. Pendant que la France, cherchant
le véritable P0uvoir politique, se perdait au mi-
lieu des plus sanglantes catastrophes, l' Alle-
magne trouvait le véritable savoir philosophique
pour le bonheul' du genre humain. • Aussi, dit
Hoené Wronski, par cette réforme de la philoso-
phie, telle qu'elle s'est accolnplie en Allemagne
durant la Révolution fran<;aise, toutes les hautes
vérités philosophiques et religieuses, a lnesure
qu'eIle disparaissaient en France, et que I'humanité
alIait ainsi s'abimer dans le néant de la philoso-
phie révolutionnaire de ce pays, reparaissaient en
Gertnanie, avec un nouvel éclat et sur des bases a
jamais immuables. La philosophie spéculative et
pratique, et, par conséquent, les sciences et la poé-
sie, le droit et l'État, la religion el l' Église (1), fu-
rent, en ce nlonlent si critique pour l'humanité,
établis en Allemagne sur des fondements. inébran-
lables et dans des directions salutaires et indéfi-
nies. Ce pays devint ainsi le fonduteur de la vruie
pbilosophie, cherchée en vain depuis si longtelups;
et il offrit enfin, lors de l'achevenlent de la Révo-
lulion fran<;aise par t'extinction de toute vérité
philosophique, un foyer lUlnineux et inextinguible


el) Voir tome 111, chapo XIX,lpage 49.




-14 -
pour éclairer l'humanité entiéreet pour la préserver
dorénavant contre toutes tentatives ou erreurs pa-
reilles qui viendraient lui ravir ce qu'elle a de
plus précieux et de plus sacré : LA VÉRITÉ (1). »


L' Allemagne remplit nobletuent sa vocation, en
développant le véritable Savoir qu'eUe a créé; tan-
dís que la Franca détruit, l'un apres l'autre, tous
ses Gouvernements, quels qu'ils soient d'aílleurs,
parce que, dans les dispositions intellectuelles
qu'elle munifeste depuis un síécle, elle ne peut
remplir sa vocation en constituant le véritable
Pouvoir qu'elle doit créer. Effectivement, la li-
berté révolutionnaire qu'on y préconise avec tant
d'eIllpbase, est compatible avec toutes les formes
du despotisme politique, civil ou !nilitaire; mais
incompatible avec tous les príncipes d'autorité.
Pour combIe de malheur, les bOlnlnes dont la so-
ciété fran<;aise accepte ou subit tour-A-tour la
lnalenconlreuse direction, sont des homlnes de
parti, au lieu d'étre des hOll1meS d'État. Rejetant
systéluatiquement les connaissances théoriques
sans lesquelles il ne saurait y avoir que routine,
aveuglemeot et fatalité daos la pratique, peuvent-
Hs cOlnprendre la nécessité d'une philosophie su-


(1.) Le Destin de la j<'rance, de l' Atlemagne et de la Russie.




-15 -


périeure qui leur perlnettrait de subordonner,
dans tous leurs actes, les deux principes du droit
divin et du droit humain a un principe politique su-
préme : ou mieux de résoudre le probléme social,
pour rallier les partis autour d'un POl1voir régé-
nérateur? ÉvidelUluent, non. Aussi ne savent-ils
proposer qu'un but chimérique a ce noble pays
dont ils ignorent le but positif, et qu'y perpétuer,
par conséquent, la nécessité des révolutions. En ef-
fet, la Nation, intimement persuadée qu'elle COll-
nnU lnieux que ses chefs toutes les questions
relatives a la constitution de l'État, se trouve
moraletnent obligée de réagir, d'une lnaniere
incessunte, soit contre un despotisme prétendu
conservateur qui se fonde sur la liberté ré-
volutionnaire; soit contre une Monarchie qui s'en-
toure d'institutions républicaines; soit contre une
République qui se couronne d'institutions lnonar-
chiques; soit enfin contre toute autre cOlubinaison
politique exprimant le trionlphe accidentel d'un
hOlllme ou d'un parti, ear, forme et fond, tout
est mensonge dans le Gouverneluent ou tout doit
étre vérité.


e'est pour trouver l'expression de eeUe vérité,
dont elle a le pressentiInent, mais qu'elle ne peut




-16 -


encore définir, que la France cherche, au milieu
de ses interminables révolutions, la forme supreme
du Pouvoir. Or, le véritable Pouvoir est inséparable
du véritable Savoir, l'un étant la conséquence de
l'autre. Et voila précisénlent ce qui constitue le
danger de la crise actuelle, puisque les gouvernants
craignent si peu de se trainer a la relnorque des
gouvernés, qu'ils invoquent eux-memes le suffrage
universel comIne un llloyen de création gouverne-
mentale, quoiqu'il~ne soit qu'un llloyen de destruc-
tion, par cela seul qu'il exprime l'assujettissement
de la science, toujours individuell(>, et la Souve-
raineté de l'ignorance, toujours collective.


Laissons parler un grand penseur: a Lorsque le
fait brutal, dit M. A. S. de Montferrier, vient dé-
montrer si cruellelnent a nos hOlnules d'État, l'in-
anité de leurs doctrines, par quelle singuliere
aberration d'esprit sont-ils arrivés a présenter,
COlnme la solution des diflicultés qui nous enser-
rent de toutes parts, un appet att peuple pour faire
résoudre, a la lnajorité des voix, la question:
MONARCHIE ou RÉPUBLIQUE? Mais quelle que soit la
réponse de la ulajorité, en vertu de quel principe
eette décision deviendra .. t-elle moralement obliga-
toire pour la minorité? La est le véritable pro-




- t7-


bIelne, car ce sont toujours les luinorités qui reo·
versent les Gouvernements. Établir, d'ailleurs, le
nombre des suffrages COL1lLne critérium de la vé-
rité politique, n'est-ce pas nier la réalité des prin-
cipes qui font la force des divers partis; n'est-ce
pas nier toute véri té? Voila done ou nous en som-
mes; voila la grande science du sH~cle des lumie-
res 1 - Pour distinguer le vrai du faux, le bien du
mal, le juste de I'inj llste, conlptons les voix! -
Comptons les voix, et si une majoríté ignorante et
corrompue répond COMMUNISME, a votre question :
Monarclde ou République? courbons la tete et sou-
mettons-nous ... Nous sOllmettre! Non, mille foís
non, car la majorité n'a d'autres droits que ceux
qui lui sont donnés par la raison. Elle ne détrllira
pas plus le principe républicain en redem~ndant
la Monarchie, qu'elle ne détruira le príncipe lllO-
narchique en consacrant la République (1.). »


Ces deux principes sont, en effet, absolument
indestructibles, par cela seul qu'ils expriment le
droit divin et le droit hunlain, ou lllieux l'auto-
rité et la liberté: bases conditionnelles des partís,
mais bases illcondi tionnelles des sociétés. ta per-


(1.) Moniteur parisien, 26 octobre 1.851.
IV. (3) ') ...




-18 -


monenee de l'état révolutionnaire; en Frunce, doit
résulter de la fausse direetion qu'on leur hnprhne,
puisque le dualislne des opinions, néeessaire au dé ..
veloppement n10ral et matériel du monde civilisé,
ne saurait etre par lui-meme la négation de l'unité.
Mais, si l'antagonisme sinistre do droit divin et du
droit humain est le résultut d'une erreur, il nous
suffira de découvrir la vérité pour opérer entre eux
un rapprochement salul,aire. Effof(;ons-nous d'ob-
tenir ce résultat éminellllnent civilisateur; et l'Eu-
rope ne yerra plus alors ni vainqueurs ni vaillcus
parmi les enfants de la grande Nation, a jamais ré-
conciliés sur le sein de leur propre mere. Nous ne
trainerons plus aux gémonies tels et tels hommes
que nous proclatnions naguere les sauveurs de la
société. Dieu ne dira plus de nous, dans sa juste
colere : lis ont régné, mais je ne tes ai pas envoyés ;
Us ont établi des Princes, mais je ne tes ai pas con-
nus! Et les Rois eux-melnes, qui ont dft combattre
ou neutraliser les tendances fatales de hi Révolution
fran<;aise, pour sauvegarder les suprelues intéréts
de leurs peuples, comprendront enfin qu'ilsdoivent
favoriser sa tendance providentieIle, paree que la
France aura révélé au monde l'existence du prin-
cipe su périeur qu'il porte en lui-lneloe, afin que




-19 -
l'homme et l'État puissent accomplir leur création
propre sur la terre, apres avoir voulu accomplir
en quelque sorte leur propre destructiOI1.


Telle sera dans l'histoire, gardons-nous d'en
douter, la signification lnorale et positive de la Ré-
volution fran<;aise, qui fut abominable, barbare,
sanglante a son origine, et dont la fin, plus ou 11101ns
prochaine, doit réconcilier notre patrie avec toute
I'humanité. On sait maintenant quels motifs se-
crets, ntais réels, animerent la France et lui firent
déployer autant de zele que d'énergie durant ses
cruelles vicissitudes. Une natian honorable COlnlne
elle,·- et personne assurément n'osera lui contes-
ter un pareil titre, - pénétrée de sa haute vocation,
quoiqu'elle ne sache pas la définir d'une Innniere
nette et précise, peut s'enthousiasmer souvent pour
de fausses idées, jamais pour des événements aussi
odieux que ceux dont nous aUons enfin poursuivre
le récit. Presque tous les hOlnInes supérieurs de
eeHe époque l'ont reconnu avec Mallet du Pan:
« Il s'est fait deux révolutions, disait-il: l'une mo-
rale, dans les esprits qu'ellc a pénétrés de vé-
rités et de demi-vérités dont le fOlldemen t res-
tera; l'autre, scélérate et barbare, sera la plus ftt-


" f; ;¿
;'~




- 20-


cHe a extirper, une fois la force tombée de ses
mains (1). »


I.jes divisions inlplaeables du parti eonservateur,
l'émigration de la noblesse et surtout l'aUitude
prise par les Rois de l' Europe vis-á-vis de la France
révolutionnaire avaient amené le tríOlnphe du parti
républieain sur la ruine de notre soeiété 1110narchi-
que. La Maisoo de Bourbon s'était trop élevée au-
dessus des autres Maisons souveraiof's, pour en elre
ailnée. L' Empereur d' Allemagne ne voyait qu'un
rival dans le Roi de Franee, paree qu'il favorisait
l' opposition du peu pie des Pays - Bas et ceHe
des Prinees de l' Empire envers son Gouverne-
l11ent. Le Roi de Prusse, protecteur du Stathou-
dérnt de la Maison d'Orange, ne voyait en Iui
qu'un adversaire, paree que Louis XVI était le pro-
tecteur du partí républieain de la Hollande. Et, son
antagoniste oaturel, le Roí d' Angleterre, vaincu
lui-lnemc sur ee terrain, eraignait de n'étre bien-
t6t plus victorieux sur les lllers, paree que le
traiLé des pavillons neutres, le Pacte de famille,
les efforts eombinés de la tuarine franc;aise, de la
lnarine espagnole et de la lnarine hollaodaise pou-


(1) Mél1wires el correspondances, publiés par M. A. Sayons,
tome Il, page 482.




- 21 -


vaient fixer la supériorité marititne de la Franee
dan s sa propre supériorité continentale. A ussi le
Roi de Franee n'était pas seulement le pondéra-
teur des Pouvoirs en Europe, lnais le eonservateur
des Nationülités dont il défendait l'indépendance,
nécessaire eontre l' Autriehe, la Prusse et la Rus-
sie, qui avaient hate d'aecomplir l'entiere destruc-
tion de la Pologne.


Plus la Monarchie francaise était forte a l'exté-
.


rieur, ou elle contenait le 1110UVell1ent du Nord,
en aecélérant le lnouvelnent do Midi, plus les Mo-
narcbies européennes devaient rechercher l'oeca-
sion de la rendre aussi faible que possible a l'in-
térieur, base de son action universelle. C'était au
commencement des troubles révolutionnaires, l'u-
nique but do Cabinet de Londres, dont les agents,
nombreux a Paris, fomentaient l'antagonislne de la
branche eadette des Bourbons contre la branche
ainée, dut-il détruire la Maison de France au
moyen d'une division dynastique, et l'antagonislne
républicain des Asselnblées eontre la Cour, dut-il
détruire la France de Louis XI V dans la personne
de Louis XVI au moyen d'un régiciele! Quels que
fussent les désastres qui en résulteraient pour le
nI0nele civilisé. l'histoire de France aurait son épi-




- 22-


sode abolninable et sanglant comIne l'histoire
d'Angleterre; et le Gouvernement anglais pren·
drait sur l'Europe un ascendant politique d'autant
plus considérable que la chute du Gouvernelllent
fran<;ais serait plus profonde. En effet, des que les
principes détllocratiques ont envahi l'armée fran-
<;uise, ou répée, symbole du commandeIuent, n'ap-
partient qu'il la noblesse, une grande partie des of-
ficiers élnigrent d'eux-melues ou sont chassés par
leurs propres soldats; et Ja France militaire est
dissoute en lneme telnps que la France lnonar-
chiqueo Ayant perdu sa force aristocratique sans
avoir encore trouvé sa force égalitaire, la Nation
manque sur-Ie-champ au monde comme elle man-
qua El elle-Il1eme. 11 en résulte que l'Autriche peut
opprimer itnpunétuent les Pays-Bas; que l'Angle-
terre et la Prusse rétablissent le Stathoudérat en
Hollande; et que la Russie, la Prusse et l' Autriche
préparent un second démelnbrement de la Polo-
gne, et sans doute le dernier, si les meurtriers de
ce Peuple veulent s'entendre ave e les meurtriers
du Roi de France.


Mais nul rapprochement ne senlble possible
entre les Souverains de l'Europe, qui auraient dti
mettre leur salul et Ieur gloire dans la conserva-




- 23-


tion de toutes les Nationalités, et les Convention-
neis de France, qui luettent leur salut et leur
gloire dans la dissolution de tous les États (1.).
Puisque la Révolution fran<;aise, au lieu de rester
locale, aspire a devenir universeUe ; puisqu'il s'a-
git de savoir si les Couronnes royales vont etre
changées en bonnets rouges; puisque la Convention
nationale se considere enfin, suivant les paroles de
Danton, comme le grand Comité d~insurrection du
gen re humaz·n, chaque Monarque a raison de se con-
sidérercolume étant nbsolument responsable de 1'a-
venir de l'huluanité, des a présent aux prises avec
la barbarie. A cette fédération d'hOlumes qui pré-
tend renverser tous les Trónes, apres avoir décapité
la Royauté, qui proclalue un droit public sauvage,
absurde, incolnpatible avec l'obéissance aux lois,
hase de tout ordre social, et qui déclare la guerre
a tous les Gouvernements, parce qu'il ne saurait
vivre en paix avec un seul, les Souverains de l'Eu-
rope doivent opposer une coalition générale des
peuples, et d'eux-Iuelues. J/Empereur d' Allemagne,
I'Empire, le Roi d' Angleterre, le Roi de Prusse, le
Roi ¿'Espagne, le Roi de Sardaigne, le Roi de Na-
pIes tt le Stathouuer de Hollande se levent, en ef-


(1) Mallet du Pan, Mémoires. Tome II, page 287.




- 24-
fet, pOUI' éteindre ce foyer d'anarchie qui peut


'<'


incendier tout le Continent; mais l'Impératrice de
Russie, le Roi de Danemark, le Roi de Suede, le
Roi de Portugal et la Suisse ne se préoccupent
nullement de cette lutte d'ou dépend le maintien
ou la ruine totale de la civilisation. Au surplus, les
Princes coalisés n'ayant pas les méllles principes,
ils ne sauraient agir daos un intérét commun. Ceux
du Midi, anciens alliés de Louis XVI, veulent rele-
ver le tróne de süint Louis, tandis que ceux du
Nord, anciens adversaires de la France, désirent
la faire tomber dans le piége ou ils ont pris la Po-
logne. Déjil les événen1ents militaires semblent
confirmer leurs sinistres espérances. La CODven-
tion nationale, obligée de réagir contre la guerre
civile et contre la guerre étrangere, ne peut re-
pousser les artllées de l'Europe qui franchissent en
méme temps le Rhin, les Alpes et les Pyrénées,
contenir l'hérolque Vendée ni subj uguer toutes
les villes du Midi, qui, a l'instar des campagnes
de l'Ouest, adoptent la Monarchie et proclament
Louis XVII, puisqu'elle ne sait pas méme encore
si elle doit adopter la République fédérative des
Girondins ou la République une et indivisilie des
Jacobins. DUlllouriez, le vainqueur de l' AIgone,




.. r


- 25-


lnais le vaincu de Nerwinde, espere trancher la
question gouvernelnentale avec son épée. Loin
de cOlnbattre le prince de Cobourg, il signe un
armistice qui lui permettra de diriger ses pro-
pres soldats sur Paris, ou il anéantira la Con-
vention, pour renlplacer la révolution républi-
caine par une révolution monarchique au profit de
la Maison d'Orléans, c'est-a-dire pour disperser les
Jacobins et pour ralli~r tous les partís autour
d'une Royauté sans parti. Ce plan chimérique de- ~. " .


./ ,."
vait échouer; car l'armée, démoralisée par de ré- l.: ,,,,,
centes défaites, ne pouvait jouer un role quelcon-
que dan s l'État, qu'apres avoir conquis l'opinion
a force de victoires.


La défection de DUIDouriez entraine la défaite
du parti girondin et le triomphe du parti jacobino
Une guerre civile républicaine éclate a coté de la
gllerre civile roya liste et en face de la guerre Ino-
narchique étrangere. Si celle-ci avait dooné la maio
a ceBe-la; si les Rois alliés avaient déclaré qu'ils
o'eo voulaient ni a rindépendance ni a liberté du
peuple fran<;ais; qu'ils désiraient seulement le sou-
straire a une tyrannie odieuse, et qu'ils traiteraient
de la paix quand il aurait établi lui-luéme sa propre
Monarchie, c'eo était fait de la République. Mais




- 26--


ils se montrerent bien plus ennelnis de la France,
qu'ennemis de la Convention (1). Au lieu de mar-
cher sur elle A grandes journées, pour arriver sous
les luurs de Paris avant que cette assetubléedivisée
put triompher de sa propre faiblesse, les Princes
coalisés, méconnaissant leurs véritables intérets,
lui laisserent le temps de se fortifier et d'abattre les
contre-révolutionnaires, c'est-a- dire la guerre
civile, apres qu'elle eut déclaré le Gouvernement
révolutionnaire jusqu' Ce la paix. Cet acte renver-
sait tous les príncipes de la Constitution qui éta-
blissaient le pUl' régime de la multitude (2) : luais
la Convention n'aurait jamais pu tenir téte a tant
d'ennemis, si elle ne se fut arrogé la dictature.
Abandonnant l'adlllinistration du pays au club des
Jacobins, afin qu'il imprilnat une seule direction a.


tootes les assemólées pop%ires, elle cenlralísfl
son action politique au sein de deux Comités :
celui de salut pubHc et celui de sureté générale; elle
ordonna l'arrestation imtuédiate de tous les sus-
pects; elle fit décapiter la reine Marie-Antoinette,
la princesse Élisabeth et le due d'Orléans, les pre-


(1) Voir les Mémoires et correspondances de MaUet du Pan
pour servir a l'histoire de la Révolution franraise. M. A. Sayons
les a recueillis et mis en ordre avec une rare sagacité d'historien.


(2) M. Mignet, Ilist. de la Révol. franr. Tome 11, page H.




-·27 -


tres, les Royalistes et les Girondins, OU luieux qui-
conque avait manifesté une opillion contraire a la
sienne, soit daos la forruation de la République,
soil dans la dissolution de la Monarchie, et pour-
suivit enfin son reuvre sanglante, horrible, épou-
vantable, mais gigantesque, en décrétant que tout
citoyen devait marcher a la victoire ou a l'écha-
faud 1


Les ennemis intérieurs de la Gonvention obéis-
sent moins au terroriSlue qu'au devoir. Avant
d'étre Royalistes ou Républicains, ils sont Fran-
c;ais, el ils pensent «que les Puissances n'ont
d'autre hut que de ruiner la France, de la
démembrer, d'en saccager les villes et les cam-
pagnes; que leur intérét pour les lnalheurs de
la Fmuille Royale n'est qu'hypocrisie, et que,
sans distinction de Monarchie et de Uépublique,
c'est a ]a France elle-melne, non a la France
anarchique, qu'elles font la guerre (i). » Ainsi,
les questions de parti s' effacent devant la ques-
tion de patriotislue. Il s'agit uu territoire, de la
Nation elle-meme, et non des principes qui sont
en contradiction dans la raison de l'homme. Tous
les partis courent aux frontiéres; mais nul Allié


(1) Mallet du Pan, Mémoires. Tome 11, page 27.




- 28-


n'ose plus rnareher sur Paris. Un grand change-
lnent s'est opéré dans les idées. Car la Con ven-
tion était destructible a la premiere campagne,
paree que les Rois de l'Europe pouvaient encore
faire eonsidérer leurs propres droits cornme id en-
tiques a ceux du Peuple de France; Inais elle est
indestructible a la seconde, paree qu'elle peut dé-
sonnais faire considérer les droits du Peuple de
France comIne incompatibles avec ceux des Rois
de l'Europe.


Un seuI hOmll1e, Carnot, membre du Comité de
salut public , dirige douze cent lnille haionnettes
contre la Coalition. Apres avoir étudié les pIans
de Condé, de Turenne, de Louvois, de Maillebois,
de Belle-Isle, des généraux les plus illustres de
l'ancienne France, il imprime a la France nOll-
velle un irrésistible élan et transfonue la guerre
lente, qui convient nux Princes, en une guerre hn-
pétueuse, qui convient a nos propres sol<.lats. La
Convention prétend sauver la République par le
hras des roya listes ; earIlot prétend la sauver par
le génie militaire de la Monarchie. Nos masses
nationales heurtent, divisent, anéantissent les ar-
mées ennemies. Toutes les victoires qu'elles rem-
portent sur l'Europe, font ouhlier a la France les in-




- 29-


nomhrables défaites matérieIles et morales qu'elle
suhit en elle-Iueme. Quand elle n'eut plus rien a
craindre des Souverains alliés, la Convention eut
tout a craindre de ses propres melnbres: So uve-
rains divisés ayant l'échafaud pour sceptre, et pour
ministre le hOllrreau. Leur dictature collective s'é-
tuit changée peu a peu en une dictature indivi-
duelle, que Robespierre avait usurpée. Quiconque
prenait un ascendant lnarqué sur l' Assemblée,
sur la ConlLllune ou sur le club des J acobins, étai t
a ses yeux un prétenuant rival et devait etre mis
hors la loí, c'est-a-dire guillotiné. Cette extermi-
nation systélnatique des compétiteurs a la dictature
dura jusqu'au 9 thermidor (27 juillet 179lJ.) : date
lnémorable! car elle exprinlela lllort de la Terreur
avec Rohespierre et la naissance de la Réaction
avec le par ti monarchique. Tant que Robespierre
disposa de l'existence des lnembres de la Con-
vention , i1 fut le lien de cette asselublée, courbée
sous le joug de la servitude commune, el son unité
foudroyante; mais, dés que la Couvention eut elle-
meme anéanti cet homlne farouche, pour recouvrer
sa propre indépendance, elle fut en proie ao 1110r-
cellement des opinions contradictoires, qui ren-
dirent sa dissolution inévitable. Alors, chaque Con-




- 30-


ventionnel se préoccupa d'autant plus de son passé,
qu'il eomptait moins sur l'avenir. Déjit. la presse et
la parole brisaient leurs ehaines, et, vengeresses
implacables, déuou<;.aleut les votes sang\ants, les
lois perverses; les exéeutions barbares au tribunal
de l'humanité. Pour ne pas étre englouti uu sein
de eette erise, le parti Therluidorien essaya de la
dominer. Les tribunaux terroristes furent fermés,
les prisons ouvertes, la guillotine brisée. Tontes
ces eoneessions, bien aceueillies par les modérés,
eleiterent la fureur des enragés; et la Convention
De put désarmer eette réaetion ultrtl-révolution-
naire, qu'apres avoir arlné la réaetion contre-révo-
lutionnaire, déja prépondérante, sinon dan s l'État,
du lnoins dans la société.


Cette situation nouvelle devenait favorable aux
anciens Girondins, qui, dégoutés de la Républi-
que et partisans secrets de la Monarehie, ne re-
prenaient Ieur place officielle dan s la Convention
que pour rétabJir la Royauté. ce En conséquence,
on s'avoua généraleluent la nécessité d'arriver a
une forme de Gouverneluent luoins terrible que
ceBe d'une Assenlblée ou la faction qui usurpe son
despotisIne peut, d'un jour a l'uutre, envoyer la
minorité n l'échafaud. Mais, craccord sur ce point,




- 31-


on ne l'est nullement sur les moyens de l'attein-
dre, ni sur la nature du régime qu'on voudrait
substituer a celui du lnoment (1). » Les Conven-
tionnels ne demandent pas mieux que d'abdi~
quer leur forrnidable autorité entre les mains de
Louis XVII, Roi rninel1r qu'ils retiennent en pri-
son, et de lui poser enx-lnélnes la Couronne sur le
front, pourvu qu'on leur garantisse la vie et la for-
tune sauves, par une de ces capitulations que
}'histoire enregistre, pour 1110ntrer de queIle ma-
niere les révolutions finissent et les restaurations
COffilnencent. Malheureuselnent, « les difficultés de
ce probleme rattachent, malgré eux, a la Républi-
que ceux des révolutionnaires quiseraient tentés de
l'abolir. Si leurs lnains insensées et criminelles el1S-
sent épargné la Reine et Madmne Élisabeth, l'une
de ces deux Princesses} avec lesquelles la Conven-
tion eut capitulé, auralt servi a teruliner les embar-
ras dala Régence ; lnuis on redoute de l'attribuer
aux Princes, freres de Louis XVI, et 1'0n ne sait
comment les rernpIacer. te nleme principe de
crainte et de haine contre les Princes élnigrés divi-
se encore les Répuhlicains chancelul1ts sur le


(1) Mallet du Pan, Mémoires. Tome Il, page 125. - Situalion
des partis et de l' esprit public en France depuis la chute de
Robespier1"e.




- 32-


choix d'un Roi. Les uns songent au jeune orphelin
qui languit dans la tour du Temple; d'autres au due
d'Orléans, retiré en Suisse, Prinee qui, san s par-
tager les vices et les erimes de son pere, a servi le
parti populaire jusqu'él la filort du Roi , et qui,
ayant affiehé la profession d'attuchement él la Con-
stitution de i 791, est beaucoup nloios redouté des
Républicains, qui se flatteot au cootraire d'en
avoir tout él espérer. Plusieurs enfin pensent él
ehanger la Dynastie et él donner le Tróne él un
étranger (1.). »


Pendant que les faetions traitent indireetelnent
avee leurs propres eandidats, le Comité de salut
publie traite direetement avee Charette, généra-
lissiLne de la Vendée nlilitaire, et le seul hOlnme
qui, apres avoir négocié la paix entre les Républi-
eains et les Royalistes, puisse négoeier la capitula-
tion des Conventionnels avee le due de Pro vence ,
auquel 00 reeonnait le titre de Régent (février
1. 795). Conformélnent a ce traité, Louis XVU sera
remis avee sa sreur, le 1.3 juin suivant, él une es-
corte de Vendéens qui les conduiront uu camp de
Charette; la religion catholique et la Monarchie


(1.) Mallet du Pan. Vid. SUpe Tome II, page 1.22.




- 33-


seront rétablies avant le 1 er juillet (1). eette pa-
cification intérieure fai t présager une pacification
extérieure; car lps Rois de l'Europe diront sans
doute allX Conventionnels, COll1me le général de la
Vendée : Guerre contre la République, paix avec
la Monarchie. Mais le Comité de salut public ,
peu confiant dans les disposition du Régent, con-
«ut, pour séduire le Roi de Prusse, t'idée d'un Stat-
houdérat du duc de Brunswick (2) en France, et de
l'indemnité prisc dans la sécularisation des biens
ecclésiastiques én Alleluagne. Frédéric-Guillaume
abanclonnc aussitót la cause de la Monarchie euro-
péenne et signe la paix de BAle (5 avril), recon-
naissant ainsi la RépubliqllC fran<;aise, telle qu'elIe
s'est définie clle-meme dans ses príncipes el dans
ses actes, qui sont en conlradiction avec les actes
de tous les Gouvernelnents, avec les principes de
tous les États; souscrivant donc au complet ren-
versement du oroit public et sanctionnant, en dé-
finitive, le sanglant anéantissement de la Souverai-
neté des Rois par la Souveraineté des Peuples,
c'est-a-dire sa propre déposition en tant que Mo-
narque! Ce fut d'un sinistre augure ponr l'Ellrope


(1) M. Crétineau-Joly, lJisl. de la Vendé e milito T. II, p. 320.
(2) M. Capefiguc, Monarcltie el politique des deu.v branches de


la M aison de Bourbon. Tome 1, page 351,
IV. (3) 3




- 34-


et pOUl' la Frunce, donl le sort était plus que ja-
mais cOlllprOlnis. La Convention régicide succonl-
hait nlalgré les victoires de ses arluées; un Monar-
que la releve sans y etre contrain t par ses défaites.
A la paix extériellre doit succéder une autre guerre
civile, parce que la luauvaise action du Cabinet de
Berlin, ayant pour but de consolider le Gouver-
nelnent républicain, ne saurait cll1pecher la réac-
tion de toute la société fran~aise, ayant pour but
de restaurer le Gouvernenlent monarchique. Mnis
l.ouis XVII meurt sur ces entrefaites (8 juin '1793);
et les Girondins, qui désiraient encore opérer
l'abolltion de la République, apres avoir obtenu
des garanties préalables, en se réservant une place
quelconque dans le conseil de Bégence, ne songent
plus a reconstituer la Monarchie, maintenant <lu'ils
ont introduit les faits accomplis et 1eurs principes
révolutionnaires dans le droit européen.


En signant la paix de Bale, Frédéric· Guillau-
me III empecha la ruine de la République fran-
~aise, tandisque Charles IV, petit-filsde LouisXIV,
en signant la mell1e pacification (22 juin), n'e¡n-
pecha point la ruine de la Monarchie espagnole.
l\lais, ayant fait cause comlnune avec les meurtriers
de Louis X VI, il osa déclarer la guerre ponr eux




- 35-


a la Grande-Bretagne, dans l'espoir de mettre un
Infant d'Espagne sur le Tróne de France. Godol,
nonuné Prince de la Paix, grand d' Espagne de pre-
miE~re classe et capitaine-général, fut placé au-
dessus du Cid en récolnpense d'une action qui al-
lait précipiter son pays dans l'extreme décadence.
La Convention triomphait seule de tous cótés.
Réunissant la Belgique a la France, donlptant la
Hollande, anéantissan t le Stathoudérat anglo-prus~
sien du Prince d'Orange, relevant la République
batave et reprenant les pIans diploma tiques de


... ...,....,


.1" ,~t·
¡/ ~, .. ,


,'o . .¿;"i
¡ ~ .•


la Maison de Bourbon, elle devenait, comme les ' "'
anciens Princes franc;ais, l'arbitre des Pouvoirs en
Europe. D'apres un bruil artificieuseluent répandu
a la Diete de Ratisbonne et dans I'Empire, on
croyail la paix générale d'aulant plus prochaine,
que la Convention laissait accolnplir sous ses yeux
la destruction de la Pologne, pour se faire pardon-
ner la destruction de la Royauté franc;aise; et 1'0n
s'attendait a ce que tous les Roís de la terre, sans
exception, reconnaitraient alors un Gouverneluent
qui ne reconnaissait pas lneme le Roi du Ciel !


I..;es Royalistes éluigrés, n'espérant plus rien des
Monarques battus, conspués, Itafs (1), espéraient


(1) Mallet du Pan, Mémoires. Tome U, page 280.




- 36-


tout de leur patrie, qui cherchait a se soustraire
aux malheurs de la République, en tentant la
fortune de la Monarchie. Or, quoique l'héritier
du Trone dans l'ordre Jégitilne eut été pl'O-
clalllé Roi de Frunce a Belleville, quartier-général
de la Vendée, sous le nOln de Louis XVIII (26
juin 1796), il n'était considéré, en France et en
Enrope, au nlilieu de ce grand désordre qui ren-
versait honlmes et choses, principes et institu-
tions, que comme un Prétendant dont les droits




ne pouvaient étre moralement détruits sans doute,
Luais avaient besoin d'étre reconnus positivement
et acceptés pour exister par eux-Inémes. A cet ef-
fet, Louis X VIII publia la Proclamation de V érone,
ou il promettait el une amnistie générale en faveur
» des prelniers révolu tionnaires,» sans s'expliquer,
ni sur l'ancien réginle qu'il était impossible de ré-
tahlir, ni sur le régime nouyeau qu'il était néces-
saire de définir. Ce fut doublement fllneste á sa
cause, paree qu'il semblait croire que les fon-
dateurs de la République, heureux d'avoir obtenu
·des suretés pour leur propre existence, revien-
draient d'euX-Inemes a la Monarchie, en rendant
le Tróne au frere du Roi qu'ils avaient guillotiné;
paree qll'il sernblait ignorer que la grande lua-




- 37 --


jorité des -Fran<;ais avait participé, non aux actes
sanglants de la Révolution, iIuputables seulelnen t
a quelques individus, lnnis au développement de
ses principes populaires, qu'eIle ne croyait pas
incompatibles nvec la forme du Gouvernement
royal. Aussi, le pardon qu'offrait le chef légitime de
la Monarchie, alors qu'il n'avnit Hucun llloyen de
la rétablir par lui-mellle, humiliait-il d'autant plus
notre fiere Nation , qu'elle se considérait COlume
seule pl'opre a relever la Roynuté. Louis XVIII, il
est vrai, aurait voulu reconquérir son Royaume a
la luaniere d'Henri IV, sachant fort bien que, « s'il
» restait en arriere, s'il n'~mployait sa tete et son
»bras, pour remonter sur le Tróne, il perdrait
11 toute considération personnelle.» Mais il avait
heau s'exprimer en ces termes, les dépeches confi-
dentielles qn'il adressait au duc d'Harcourt, son
ambassadeur a Londres, ne constataient que sa pro-
pre impuissance : ex Si l'on pouvait croire que c'est
de mon plein gré, ajoutait-il., que je n'ai pas jOill t
mes fideles sujets, mon regne serait plus l1lalheu-
reux que celui de Henri IlI. Que me reste-t-il done?
la Vendée! qui pellt rn'y conduire? le Roid'Angle-
terre! insistezde nouveau sur cet article. Dites aux
ministres, en mon non1, que je Ieur demande mon




- 38-


Tróne ou lnon tornheau : la Providence en dé-
cidera. »


L' Angleterre ne pouvait aecéder aux désirs el u
Monarque-Prétendant, sans le reconnaítre COlnme
Rol ele France: grave engagement qu'aucune Puis-
sanee n'osait prendre, dans un mOIDent aussi c1if-
ficile. On refusa un vaisseau a Louis XVIII, lnais
on offrit une flotte au COlnte d' Al'tois, « qui levait
» alors le drapea u de la Constitlltion, trop oublié
» quelques mois auparavant, dans la Proclamation
» de V érone (1). » Ce He expédition fut dirigée vers
les coles du Bas-Poitou par l'aniiral Bridport, a
qui le Gouvernell1ent britannique avait enjoint
d'empecher le débarquenlent du Prince franyais.
Au dire de Napoléon: (J la République étüit per-
» due, si les Anglais eussent laissé descendre sur le
»sol de la patrie le COlute d' Artois (2). » En effet,
la Nation tout enti{~re et une partie de rarnlée se
déclaraient ouvertement pour la Monarchie. Pi-
chegru, le plus populaire des généraux, depuis
qu'il avait conquis la Hollande, voulait remplir le
role de Monek, avant qu'un autre soldat put
remplir celui de Cromwell. Mais, comme il n'exis-


(1) M. Víllemain, Souvenirs contemporains d'histoire et de lit-
térature, page 81.


(2) Mémoires. Tome VI, pages 278 et suiv.




- 39-


tait aucun centre d'opinions ni de doctrines, les
Royalistes , s'annulant eux-memes par leurs divi-
sions, resterent a l'état de parti, au liell de passer a
l'état de société..


11 en résulta que les Conventionnels régicides
n'oserentniadresser leurcapitulation a I~ouis XVIII,
ni le reconnuitre comlne héritier légitime de la
Couronne, c'est-a-dire fixer le destin de la Monar-
chie, paree que le Monarque-Prétendant n'avait
pas fixé leur propre destinée. Aussi proclmnerent-
ils la Constitution de l'an 111, qui~ tout en prépa-
ranl une transition plus ou lnoins prochaine de la
Royauté lnultiple du Directoire a la Royuuté uni-
taire, leur permettait néannloins d'offrir le Tróne a
d'autres Princes assez puissants pour les protéger
contre la Illalveillance générale des honnetes gens,
ou lneme d'organiser la République, de lnaniere
a conquérir la bienveillance universelle. En con-
séquence, ils décréterent que les deux tiers de
la Convention deviendraient melnbres du Con-
seU des Cz'nq-Cents et du Consez't des Ancz'ens. Cet
acte étant illégal, puisqu'il renversait le principe
de la Souveraineté du Peuple : base fondamentale
de l'État, la résistance armée des sections de Paris
était légitime. La Convenlion allait etre foudroyée




- 40-


par l'esprit publie, quoiqu'elle eut opéré un rap-
prochement sinistre entre le Jacobinis111e et l'ar-
mée, quoique Barras eut tiré son glaive, sans l'in-
tervention d'un général, qui foudroya le Peuple
Souverain avee son artillerie. Bonaparte naquit
pour l'histoire au luBieu de eet horrible massacre.
Sa mitraille solennisa le 6 octobre 1 79~ (13 vendé-
• IDiaire an lII), la libre el unanitue eonséera ..
JI tion de la Constitution (1). » Cinq Directeurs
régicides prirent le pouvoir exéeutif, apres avoir
juré une haine éternelle a la Royauté; les Con-
ventionnels garderent le pouvoir législatiC; puis
la Convention déclara que sa mission était remplie~
paree qu'elle venait d'instituer une Cele comIné-
lnorative du 21 janvier, afin d'associer lTIoralement
toute la Nation fran<;aise a ses propres crimes~ et
paree qu'elle se perpétuait sous un autre nOlU
pour Iuettre son passé sanglant a l'abri des réac-
tions de l'avenir!


Ce fut la préoeeupation exclusive du Direetoire,
qui voulut se créer un parti, en exploitant les prin-
cipes et les intérets contradictoires de la société.
Mais, vaineInent essaya-t-il d'opposer les proprié-
taires des bien s nationaux et les classes enrichies


(1) Mallet du Pan, Mémoires. Tome II, page 420.




'- 41-


par la Révolution, aux propriétaires et aux classes
qu'elle avait appnuvris; fatigués de se considérer
comIne adversaires, les uns et les autres, bien loin
de s'attaquer Inutuellement, cherchaient au con-
traire a se défendre contre le parti Jacobin, qui
était Ieur ennemi comlllun. L'opposition resta gé-
nérale, tant que le Gouvernement s'appuya sur
cette faction cOlnmuniste et terroriste. 11 dut
frapper les complices de Babreuf, pour n'étre pas
frappé lui-meme. Les Royalistes, poursuivis dans
leur propre existen ce par des lois de proscription,
ne songeaient pourtant pas, en ce lnoment, a dé-
faire la République; mais toot le rnonde songeait a
refaire la Monarchie. Les Directeurs, qui selll-
blaient disposer des événements, ne pouvaient
changer le courant des idées contre-révolution-
naires. Car une horrible soif de plaisir, d'ordre et
de sécurité, succédait a l'horrible soif de sang, de
désordre et de terrreur. La Révolution étant con-
sidérée par tous les partis existants, comIne une
crise accidentelle et passagere dont il faIlaít préci-
piter le dénorllnent, il fallut que le Directoire,
Gouvernement banqueroutier, créat, pour se sau-
ver, le parti militaire qui dcvait le détruire. Mo-
reau, successeur de Pichegru, leva des contrihu-



'"




- 42-


tions de guerre sur les alliés et sur les ennelnis de
la République; Hoche fit tOJnber les annes des
luains de la Vendée. Cela devait etre. Depuis la
mort successive de Cathelineau, de Bonchamps, de
D'Elbée, de La Rochejaquelein, de Tallnont, de
Lescure , de Charette et de Stofllet : génies d'un
ordre tout-a-fait nouveau, les Vendéens ne coro-
hattaient plus que pour l'ancien régime. Et per-
sonne en France n'avait intéret a rétablir la Monar 4
chie des trois ordres, fondée sur les droíts privilégiés
du Clergé, de la N oblesse et des Parleluents; tan-
dis que la France entiere avait intéret a rétablir la
Monarchie de tous, fondée sur le droit COllllnun.
Si la Vendée fut vaincue et désarmée, c'est donc
qu'il était «aussi impossible de refaire l'ancien
"régime, que de batir Saint-Pierre de }tOllle avec
» la poussiere des chelnins (1.). »


Mais les destinées de la France et lneme de l'Eu-
rope se débattuient alors sur le sol de l'Italie, OU
Bonaparte brisait la Coalition en trois combats;
imposait une paix huuliliante au Roi de Sardaigne;
continuait la guerre avec l'Elnpereur d' Autriche ;
détruisait toutes ses armées; laissait vivre panlli


(1) Lettre de Mallet du Pan a l'abbé de Pradt (Mém. Tome ll,
page 1.42).




- 43-


les États le Saint-Siége, le Hoyaulne de Naples, la
République de Genes, le Duché de Partne et eelui
de ModEme qu'il pouvait anéantir d'un trait de
plume ou d'un coup d'épée; anéantissait la Ré-
publique de Venise qu'il aurait du, sans doute,
laisser vivre, en tant que Nationalité; fennait le
passé de l'Europe et s'ouvrait personnellelnent l'a-
venir, en parlant de l'armée, pour épouvanter le Di-
rectoire, de lneme que les prell1iers chefs de la
Révolution fran<;aise parlaient du Peuple, pour
épouvnnter le Roi. Tous les partis célébraient d'ail-
leurs la gloire de ce capitaine qui, « a vingt-six
ans, avait chassé d'Italie cinq artnées étrangeres,
conquis la paix sur la route de Vienne, négocié ha-
bilement, cornme iI avait vaincu, hUlllilié les Rois,
honoré le Pape, fondé une République au-dela des
lnonts, et iIlustré ceHe de France, libre OH non,
lnais cornblée de victoires (1). » Quand la Révolu-
tion fran<;aise lnontait au Capitole ave e Bonaparte,
Pichegru cherchait a la précipiter de la roche Tar-
péienne. Président du conseil des Cinq-Cents et
chef d'une imposante lllUjorité royaliste dan s Pa-
ris, il se croyait assez fort pour rétablir la Monar-


(:1) M. Villemain, Souvenirs contemporains d'histoire et de lit-
tératurc~ pages 86-87.




- 44-


ehie, quoique la faiblesse et les divisions de ses
partisans ne rendissent possible que la République.
Barras s'entendit aussitót avee Bonaparte, qui ne
devait pas désofll1ais laisser se produire un nouveau
Monek, paree qu'il espérait devenir un nouveau
Crolllwell. J.Je générul de l'armée d'Italie fit partir
Augereau, son lieutenant, avee eette adresse dietée
par lui-meme a ses propres soldats : « Trelublez!
»Royalistes! tremblez! vos iniquités sont eomp-
»tées, et le prix en est au bout de nos balonnet-
»tes. » Piehegru aecepte la lutte. « Puisqu'on veut
'que nousmontions a eheval, dit-il au Direetoire,
»nous y monterons. » Mais, n'ayant ni quelques mil-
lions a donner, ni un systéme d'idées propre a
rallier les diverses fraetions du parti monarehique,
il ne fut soutenu par personne. Les baionnettes
d'Augereau triompherent des opinions de Piche-
gru (t 8 fruetidor an v, -l!- septembre 1.797). On
déporta deux Directeurs, cinquante-trois ll1elll-
bres du conseil des Cinq-Cents ou du conseil des
Anciens, cent cinquante-trois écrivains, journalis-
tes et autres; on annula les élections de quarante-
huit départements: on décréta que tous les Roya-
listes seraient fusiIlés au Chümp-de-Mars, s'Us
parlaient encore d'une Royauté quelconque; et la




- 45-


dictature civile prépara les voies a la mctature
militaire.


Apres ce coup d'État, Fran((ois 11, qui avaitdéja
signé les prélhninaires de Léoben (1.8 avril1797),
dut entarner les dernieres négociations pacifiques.
La République fran((aise, arbitre de la guerre et
de la paix, allait enfin prendre place dans le con-
cert des Monarchies européennes. Son glorieux gé-
néral offrait a l'Elnpereur d' AlIemagne, Venise,
l'Istrie et la Dalmatie, pour en obtenir l' Adige,
Mantoue, Mayence et les :lles Ioniennes. Tous les
chemins de l'Italie restaient ouverts á l'Autriche;
luais la France, bon contente de s'enfermer dans
une limite naturelle, s'entourait de petiLes Répu-
bUques, subordonnées a III sienne propre et lui ser-
vant de garanties contre les Royautés. Malgré toutes
les concessions qu'on lui faisait, l'Empereur, chef
moral de l'Europe conserva trice en tant qu'il re·
présentait l'exclusion du droit humain par le droit
divin dans la Souveraineté, !le pouvait admettre
un systeme d'équilibre qui consacrerait la supé-
riorité de la Frunce révolutionnaire, exprimant
l'exclusion du droit divin par le droit humain dans
la Souveraineté. Aussi Cobentzel, plénipotentiaire
de Fran<;ois 1I, le repoussa-t-il viveluent, uu




- 46-


risque d'irriter l'orgueil du plénipotentiaire de la
Bévolution. « Général, dit-il, la France jugera un
négociateur assez téméraire pour sacrifier les in té-
're.t~ de. ~()\\ \,\\"'j~ a c.e.h.\.\. de. ~()\\ aU\D\\\()\\ \?~X~()\\-
nene. , Bonaparte prit un vase, le fit voler en
éclats, et puis répondit: a la guerre est déclarée.
Mais souvenez-vous qu'avant la fin de l'automne,
je briserai votre Monarchie, COll1me je brise cette
porcelaine. ¡ Il fallut céder : le traité de Campo-
FOflUio fut signé (17 octobre 1707). Qnoiqu'iI ne
réalisát nUllell1ent les vreux du Directoire, TalIey-
rand lni présenta Bonaparte, en disant :« VoiHl le
»vainqueur de ¡'Italie et le pacificateur du Conti-
• nent. » Cette paix ne devait etre qn'une treve; cal'
I'Elnpereur avait traité pour ses États héréditaires,
et non pour l'Empire, dont les destinées se débat-
taient au Congres de Bastadt (1). Le Directoire dé-
sirait y envoyer Bonaparte; lni.lis celui-ci pré-
féra quitter l'Occident, tombeau des petits
amours-propres, et passer en Orient, berceau des
grandes choses.


Le vainqueur des Monarchies européennes s'é-
loignait de la République fran-;aise, an llloment


(2) SChoeÜ, Manuel du Congr(?s de Bastadt. - Eggers, Briefe
über die Auflcesung des Rastadten Congress.




- 47-


ou la Grande .. Bretagne opérait un rapprochement
entre l' Autriehe et la Russie. On devait done pré-
voir une seconde Coalition, beaueoup plus fonui.
dable que la preln¡ere, paree qu'elle effacerait
toutes les divisions du Nord et du Midi réunis dans
un meme systeme politiqueo Les Rois coalisés au-
raient dOlniné la situation générale, s'ils eussent
subordonné leurs actes aux vrais principes con-
servateurs, qui Ieur permettaient eneore de diriger
la réaction des peuples de l'Europe contre la France
révolutionnairc. Mais les Princes confédérés ne
mena<;aient pas moins que nos propres Républi-
eains l'existence des Nationalités, puisque I'Empe-
renr d' A llemagne, en sa qualité de Roi d' Autriche,
le Roi d'Espagne, le Roi de Naples et le Directoire
convoitaient á la fois les possessions du Pape. Une
armée fran<;aise entra dans ROlne, renversa la Mo-
narchie pontificale et proclama la République ro-
maine, pendant que l'mnbassadeur de Sa Majesté
Cntholique insultait Pie VI, pour qu'il abandonnat
plus de la llloitié de ses Élats a la République
fran<;aise,qui promettaitd'ériger un petit Royaume
italien en l'honneur du due de Parme, et pour que,
ne vivant plus sous le rapport temporel, il se re·
connut trop heureux d'étre le dernicr Pap ~ 1110U-




- 48-


rant sur la chaire de saint Pierre. Malgré sa capitu-
lation , le Souverain-Pontife, déc1aré prisonnier,
fut enlevé de la capitale du monde catholique, et
transporté de ville en ville jusqu'il Valence.


La République rOlnaine se trúuva des lors en-
globée dans le systeme d'indépendance nominale
et de vasselage efTectif, dont la République cisal-
pine essaya vainelnent de sortir, dans lequel on
fit entrer aussi la République batave et la Répu-
blique helvétique. Ces divers événelnents prépa-
raient la rupture du Congres de Rastadt. Cal', mai-
tre de Rorne et de la Suisse, deux postes lnililaires
d'une grande importance, le Directoire ne désirait
plus la pnix (1) ; et l' Autriche, secreteluent liguée
avec l' Angleterre et la Russie, désirait plus que ja-
mais la guerreo A l' ouverture du Congrés, la France
exigeait seulelnent la rive gauche du Rhin;
lnaintenant elle exige, en outre, la rive droite
pour détruire le Corps gerulanique, de me me
qu'elle a détruit le Piémont, dont l'existence,
COlnme État intcrmédiaire entre la République
fran«;aise et la République cisalpine, excitait la


(1.) Voy. M. le eomte de Garden, Histoire générale des traités de
paix. Tome VI, chapo XXIII.- Ce volume renferme des révélations
extremement importantes.




- lJ9-
convoitise du Directoire. Cette destruction du
Royaulne de Sardaigne entraine instantaném~nt
eeHe dll Royaulue des Deux-Siciles. Charles-Em-
lnanuel IV se retire en Sardaigne, apres une
abdication hUll1iliünte, et la République est pro-
clmnée a Turin; Ferdinand IV se retire en Sieile,
apres avoir eOlubattu d'une luanierc honorable, et
la République parthénopéenne est proclmnée El
Naples. Mais le Congrés de Rastadt n'est fertné,
que lorsqu'il a dissout lui-ll1eme le Corps geflua-
llique, préparant ainsi l'anéantissement de son
ancienne Constitution, qui était le pivot de l'équi-
libre politique entre les divers États de l'Europe.
L'antagonisme de l' Autriche et de la Prusse a
été si persévérant cluns eette assemblée, que le
Cabinet de Vienne forme le projet d'enlever les
papiers de la légation fran-;aise, pour savoir jus-
qu'lt quel point le Cabinet de Berlin se trouve lié
avee le Direetoire. Des soldats autrichiensaUa-·
quent les plénipotentiaires fran-;ais, en blessen t
un, en tuent deux, et s'emparent de leurs bagages.
C'est le signal d'une guerre d'autant plus aehar-
née, que toutes les tenlatives de paix viennent se
résulner dans eette odieuse violation du Droit des
gens. Le Directoire a détruit la prelniere Coali ...


IV. (3) 4




- 50-


tion en Italie; Paul lcr, Empereur de Russie et
chef de la seconde Coalition, veut relever toutes
les Monarchies de l'Europe, en faisant tomber la
Répuhlique fran<;aise sur le sol oú elle obtint ses
plus grands triomphes.


L'Elnpereur d' Allemagne, l'Autriche, l'Empire,
l' Angleterre, le Roi des Deux-Sidles, le Roi de
Portugal el le Grand-Seigneur, qui espere venger
l'invasion de l'Égypte par l'invasion de la France,
llHlfchent a coté du Czar. La Révolution et la con-
tre-Révolution, le Nord et le rvlidi~ sont en pré-
seúee. Jouhert doit eontenir les Austro-Russes de
l'autre coté des Alpes; et Moreau, les Anglo-Russes
de l'autre coté du Bhin. Mais l'un et I'nutre sont
plutot eonsidérés commc c1cux épées de solution
intérieure que de soIution extérieure. Car, la dic-
tature civile, eréée en Franee par un coup d'État,
será détruite par un él utrc eou p d' Étélt qui étaLlira
la dicta ture lnilitaire. J oubert 111eurt a Novi ('l5
aoút 1799); ~loreau, vaincu en Hollal1de, sauvera
sans doute l'armée el' Italie. Partont nos soldats
battent en relraite; partout les Bois de la Coali-
tion poursuivent la Révolution jusque sur son
propre terriloire qu'ils vont entamer. Le péril est
si granel, (lUC le Louveau Dircctoire, engendré par




-·51 -


des élections jacobines, revient a la politique fa-
rouche de l'ancien· Conlité de saJut public. Ije
drapean de la République est couvert d'un crepe;
les Directeurs, COlnnlC autrefois les Convention-
neis, déclarent que la patrz"e est en danger! tandis
que les Conseils proclament la loi des ótages, éta-
blissent un emprunt forcé de cent nlilIions sur les
riches et décretent d'autres 111esures extrelues,
pour réagir, par un coup d'État, contre celui du
22 floréal, en substituant la République des égaux
ú la République des Directeurs, que le peuple ap-
pelle dérisoirenlent Rois de France et de Navarre.
Enfin, Urune bat l'ennemi a Berghem, et Masséna
le taille en pieces a Zurich. Les Rnsses, accusant
les Autrichiens de trahison, veulent s'en séparer :
111ais deux jOllrs de défaites n'effuceront pus cinq
mois de victoires, si le Cubinet de Saint-Péterbourg
et le Cnbinet de Vienne restent unis. Paul Ier dé-
sirait que lons les Rois, détronés par les anuées
républicaines, fussent remis en possession de leur
Souveraineté, iffi\.uédiatement apres la conquete;
et, quoique tous tes Étüts de l'Italie eussent été
repris a la Révolution, Fran<;ois II, qui se présen-
tait comme le vengeur et le restnurateur de la 1\10-
narchie, n'ayant pas rétabli un seul Monarque sur


: .... ., .~ . ., ~
. -~ ~




- 52-


son tróne, sembJait n'agir que pour son propre
compte. Aussi ne provoqua-t-il aucune de ces Ina-
nifestations nationales, qui peuvent assurer le
triOlnphe des interventions étrangeres. L'égolsme
de l'Empereur d'Allemagne, fatal aux Souverains
confédérés, ne sauvait point la France, puisque ce
noble pays n'échappait a l'invasion extérieure des
Rois, qu'en subissant l'invasion intérieure des
Jacobins. D'ailleurs, ses nombreuses tentatives
de restauration monarchique n'ayant abouti qu'lt
des réactions républicaines, il n'avait plus con-
fiance ni dans les purtis ni dans les hOllunes, de-
puis que Joubert n'existait plus, que Moreau était
éclipsé, que Pichegru était proscrit et que Bona ...
parte, retenu sans doute en Orient, paraissait
perdu pour l'Occident.


Or, cet homlne, qui fut tour a tour l'orgueil,
l'espoir,l'étonneinent, l'épouvante de l'humanité,
avait débarqué a Fréjus et s'acheminait vers Pa-
ris. Toutes les faetions viennent a sa rencontre;
paree que le lnetteur en scene du 18 fruetidor et
le lnitrailleur du t 3 vendémiaire, doit produire une
révolution dans la Révolution. l..es Royalistes seuls
ne lui font aueune avance, paree qu'i1s doivent
produire une restauration de l'autorité monar-




- 53-


chiqlle, non contrc la Révolution, ma~s au-dessus
de la Révolution. Ayant a compter avec tout le
lllonde, Bonaparte cache son atuhition person-
neBe. Ql10ique dans ce Sylla de la politique lllO-
derne on· puisse voir aujourd' hui plus d'un Ma-
rius, on voyait alors dans le général de la Répu-
blique un simple soldat-citoyen. Avant qu'on lui
laiss&t prendre le Pouvoir,il fallut qu'il donnat des
garanties aux théoriciens de la liberté politiqlle et
meme a l'armée, qui n'aurait pas détruit la tyran-
llie des Assemblées, pour créer la tyrannie de
n'iluporte quel homme. On pouvait toujours faire
monter nos soldats a l'assaut des villes et des capi-
tales; on n'aurait jütnais pu les faire descendre uu
triste róle de prétoriens. Car ils suvaient que, si
Bonaparte, chef militaire de la France libre, était
l'expression de leur propre gloire, apres avoir pris
la pourpre dans le sang du peuple, a la tuaniere
des Césars, H n'aurait plus été que l'expression
de leur propre déshonneur!


Lorsqu'il parut, entouré de balonneLtes,dans le
Conseil des Cinq-Cents, tous les députés s'écrie-
ren t: .A. has le Dictateur I ItOrs la loí le Tyran! Bo-
naparlc se retira, paree que les soldats ne vou-
laient pas agir cQnlrc l' Asseulbléc. Luden Bona ..




- 54-
parte, qui la présidait non sans peur, vint dire
üux grenadiers « qu'une 111inorité d'assassins üvait
» levé des poignanls sur leur général et oppri-
»mait la lnajorité. » Cette calomnie odieuse n' oh-
tint pas le lnoindre succes. Alors, tirant son
épée, « Lucien jure d'en percer le crenr de Bona-
"parte s'il trompait l'espoir des Républicains,si
»jamais il attentait a la liberté (1). » L'enthon-
siaslne, qui lllonte vite dans les tetes fraIH;aises,
gagne la troupe, et le Corps législütif est perdu.
La Constitution, « promulguée par les canons de
Bonaparte, dont le 111épris emporta la peine de
mort durant quatte années, tombe sons le sübrc
du nleme général, et peut-étre des InelneS soldats
qui l'avaient inculquée a coups de balles duns les
tetes luolles des hourgeois de Paris (2). » Le
Gouvernement consulaire succéde an Gouvel'ne-
ment directoria!. Soixante et un représentants sont
élitninés ou bunnis; luais on rappelle tous les
proscrits de fructidor, a l'exception de Pichegru et
de Willot; luais on délivre tous les ótages-pri-
sonniers; ll1ais la France, persuadée que Bona-
parte aurnit pu prendre sa Couronne, qu'il a préféré


(1) Gohier, MérnoiTcs. Tome 1, puge 210.
(2) Mallet du Pan, Mérnoires. Tome If, 420.




- 55-


la lui restituer arce éelu t et qu'il restera Souverain-
sujet d' un Peuple-roi, la l;'ranee accepte avec joie
une autorité violell1ment établie, sons prétexte de
garantir sa propre liberté, paree qu'on ne lui illl-
pose aucun renoncement á soi-Illeme.


COllllue le destin de l'Europe est désOfll1ais en
raison inverse du deslio de la France, l'avéne-
lnent de Bonaparte, sinon nu Trónc, du 1110ins a
la Toute-Puissance, exprime le trioluphe de la Ré-
publique franc;aise et la uéfaite des Royautés eu-
ropéenoes. Avec le Prelnier Consul, la Souverai-
neté absolue du Peuple, c'est-a-dire le droit hu-
main, exclusif et illimité, va trouver effectivclnent
son apothéose, tandis que la Souveraineté absolue
des Hois, c'est-ü-dire te droit divin, excIusif et il-
limité, va trollver son écIipse. Des que la Républi-
que offre une égale sécurité a tous les pnrtis,
alllis ou ennelnis de cette fonne de Gouverne-
Dlent, la Monarchie n'est plus qu'une idée fugi-
tive pOUl' toute la société. Aussi, les Princes, quí
n'ont pus compris le but de lenr propre existence
en tant que Souverains, puisque, loin de combat-
tre la Révolution dans ce qu'el1c avait de ültal, ou
núeux l\'inco\l\\)t\ühle Ü\'Q.C tes lois rnoratcs : base's
éterneHcti ues Étab, el üe la protéger uans ce




- 56-


qn'elle avait de providenLicJ, ou 111ieux de compa-
tible avec le regne de la justice : idéal snprelne de
l'humanité, ils 1'0nt, an contraire, combattue dans
ce qu'eIle avait de providentiel et protégée dans
ce qu'elle avait de fatal, les Princes, disons-nous,
se verront contraints de sanctionner successive-
ment toutes ses voies-de-fait et tous ses principes,
quoiqu'ils impliquent leur propre luort en tant
que Souverains. Car, n'ayant pas su la rendre
transitoire, en devenant médiateurs entre la Hace
royale de France et la société fran(jélise, pour ci-
menter leur llouvelle alliance qui aurait sauvé le
1110nde, ils I'ont reIJdue permanente, en devenant
ennenlis de I'une ainsi que de l'nutrc, sans peuser
que cet anlagonisme fonniduble de l'Europe el de
la France pouvnil perdre, non-seulenlent toutes
les Races royales, tnais toutes les sociétés, par cela
seul qu'elles s'excluaient d'une lllatliere absoluc.




CHAPITRE XXIX.


LA f'RANCE RÉPUBLlCAINE DICTE DES LOIS A
L'EUROPE MONARCHIQUE.


Sommaire.


Transforlllations successives de Bonaparte. - Organisation primitive
du Consulat. - Nouvelle Constitution ayant pour but de donner
une forme définitive au principe de la Souverainelé du Peuple. -
Conduite de Bonapal'le vís-a-vis des partís sociaux. - Mesures
réparalrices. - Le Premier Consul, ayant.réconcilié la France avec
elle-meme, veut la réconcilier ave e l'Europe. - Impossibilité
de ce He noble tentative. - Diplomatie adroite de Bonaparte au-
pres de I'Empereur de Hussic. - Nouvelle campagne d'ltalie . .-
l3aLailIe de Marengo. - L'Italie reconquise. - Premiers symptO-
mes de despotismc. _. Conspirations. -- Le Premier Consul mar-
che ver s la diclalure. - Brillante campagne de Moreau. -
Bataille de Hohenlillden. - Armistice. - TraiLé de Lunéville,
qui devient l'origine de tous nos malheurs el de toutes nos gloires.
- Ce traité confirme l'indépendance des Hépuhliques batave, hel-
vétique, cisalpine el ligurienne. - Le Roi de Naples est sauvé; mais
le Roi de Sardaigne est sacrifié, malgré l'intervention de I'Empereur
deHussieet la foijurée par le Premier Consul. - Coalitiondes États
neutres du Nord contre l'Angleterre. - Mort de Pauller, empe-
reur de Russie, el avéncment d'Alexandre ler. - Caracterc du
nouveI Empereur. - IJe Concordat. -Servitude générale de
l'Église et de l'État, OÜ Bonaparte n'introduit que le dogme de
l'obéissance passive. - Le Code civil. - BonaparLe n'en est pas
l'auteur, mais l'inspirateur. - Asservissement, par Bonaparte,
des quatre l1épubliques donl le lraité de Lunéville con sacre l'in-
dépendance. - Pajx d'Amiens. - Les ministres anglais sont
conspués. - Bonaparte devient Consul a vie. - Remaniement de
la Constitution au profit du nouveau Dictateur. - Sécul{\risatiou




- 58 --
des États ecclésiastique.s d'Allemagne. - Ronaparte aspire a la
domination universelle. - L'Angleterre et le Premier Consul. -
Guerre de plume et guerre de tribune.- Hupture de la paix
d'Amiens. - Camp de Boulogne. - Bonaparte solliche le tltre
d'Empereur aupres de tons les Souverains. - Admirable ré-
ponse de Louis XVIII et des Princes de la Maison de Bourbon. -
Tergiversations des divers Cabinels. - Happrochement des Roya-
listes et des Hépublicains. - Commissions mililaires. - Georges
Cadoudal et Pichegru a Paris. - Leur arresLation et celle de :\ro-
reau. - Enlevement et assassinat du duc d'Enghien. - Aspect si-
nistre de Paris et de rEmope. - l\lanreuvres de Bonaparte ¡J0U!'
préparer son avénClllent a l'Empire. - Sénutus-consultc du 1 H
mai i80LJ. - Hois de l'Europe qui donnent leur adhésion; Hois
qui la refusent. - Sacre de ~apoléon par le Pape. - Napoléon eL
Pitt. - Préludes d'une guerre générale.


Nous ne devons poiot parler muilllenanl de Bo-
naparte, COlnme nous parlerons plus tanl de NllpO~
léon. Car, dans ces deux nOln8, üppartenant au
meme personnage, il y a, non-seulelnent des per-
sonnalités politiques bien différentes : le Palnphlé-
taire jacobin, le Général de la ConvcntioD, le
Vainqueur de l'Italie, le Consul, l'Empereur, le
Dictateur de l'Europe, le Prisonnier de Sninte-Hé-
l(me et le COlllmeotateur de ses propres reuvres (1),


(1) Voir : M. Thiers, Ilistoire du COllsufat et de L'Empire. -
J\J. Armand Lefebvle, llistoiTe des Caúinels de I'Eul'ope pendanl
le Consulat el l'Empire. - r,apo1éon, Mdmoires. - Las Cases,
Ménw1'ial de Sainte-IléU'ne. - Dignon, llisloil'e de France depuis
le 18 brmnaire. - lIlóJloircs et co}'n:spoJldurlcc de Joscph.
- Bailleul, llistoire de Na}Joléon~ ¿llldes su)' les Clll/ses de S(ia
élévation et de sa chute. -1\1. Martin (de Gray), llisloiJ'e de 11(1-
poléon. - M. Kerl1loysan, Napoléon~ recueilpal' o1'llre clironolv-




- 59-


mais aussi je ne sais cOlnhien de révolutions di-
verses qui en font, U vrai dire, le Protée de l'his·
toire nloderne. Cet hOlnlue, ,tour a tour fatal et
providentiel de llleme que la Révoltition dont il
fut l'Hercule, non I'OEdipe, naquit a A.jaccio un an
apres que République de Genes eut cédé la Corse
a la Monarchie fran<;aise (15 aoú t 1769). Des son
bus age, il fit contre l'Europe, qui avait toléré ce
trafic d'un peupIe par un autre peuple, et contre
la France, qui en avait profité, le mellIe sernlent
qu' Annibal. On ne songeait pas encore a détróner
Louis XVI, que Bonapartc songeait a détróner tous
les Rois. S'il ne publia pas le livre ou il préten-
dait prouver, en 1788, que l'autorité dont les Mo-
narques jouissaient dans les douze Royaumes de
I'Europe était usurpée, au moins publia-t-il, en
1793, un pamphlet intitulé: Souper de Beaucaire~
ou il prétendait prouver que l'autorité dont Ro-
bespierre et les hOlnlnes de la 'ferreur jouissaient
dans la République fran<;aise était parfaiteluen t
légitilne. tes boulets du 13 vendémiaire futent,


{fique de ses lr:ttres-, p)'oclamations~ bulletins, discours sur les
1JIatii:rcs civiles el lJolitir¡lles ,etc. - Hudson Lowc, llistoire de
la caplivilé de Na}Joléon it Sainle-Illfü:ne. - 1\1. L. de Carné, le
C()nslllal~ l'Empire el lcul's historiens (Revlle des Deux-Mondes
üu 15 février, 1 el' et15 mars185lt).




- 60-


sous ce rapport, la derniere expression de ses pre-
mieres idées. Mais, devenu, a vingt-six ans, général
en ehef de l'année d'Italie, Bonaparte ne vouIut
plus etre l'instrulnent des faetions, paree qu'il en
reconnaissait déja I'insuffisanee et qu'il pouvait
d'ailleurs se suffire a soi-meme. Conlbinant alors,
dans le silence de I'étude ou le tunlulte des batail-
les, tous les éléments d'une grandeur indéfinissa-
ble, il cherehait a s'identifier lIvec la France, pour
que la Frnnce désirat s'identifier avec sa propre per-
sonne. te eommandement militaire n'était a ses
yeux qu'un noviciat au cOlnmandelnent poli tique.
Apres s'étre ainsi régénéré de telle sorte que
l'ho111111e ancien avait fait place a I'hOlllme nou-
veau, il put montrer en llli-lnéme, une inteIligence
capable de régénérer les sociétés.


Le coup d'État du ~ 8 brumaire vient de s'aeeom-
plir. Bonaparte, Siéyes et Roger-Ducos, nommés
ConsuIs, forment un Gouvernenlent provisoire; et
deux cOllllnissions législatives, oit figurent les
principaux membres des deux Conseils suspendus,
müis non dissous, apres la scene de Saint-Cloud,
sont chargés de rédiger les ternles de la Constitu-
tion qui servira de hase légale au Gouvernement
définitif. Les trois nouveaux ConsuIs vou t s'instal ..




- 61-


ler au palais du Luxembourg, siége officieI des an-
ciens Direeteurs. Quz· nous présidera? demande
Siéyes. -lVe voyez-vous pas~ répond Roger-Dueos,
que e' est le générat qui préside? Le lendemain,
Siéyés disait aux hOlnmes qu'il avait entrainés a la
suite du eoup d'État, et dont il n'eut rien obtenu,
s'il ne Ieur avait promis des garanties politiques :
Messieurs, nous avons un 111aitre; Bonaparte sait
tout, veut tout~ peut tout.


Cette assertion n'était pas eneore exaete; mais
elle allait bientót le devenir. Siéyes arrivait au
Consulat ave e un projet de Constitution trop ehi ..
lnérique, pour fixer la pensée toujours si positive
de Bonaparté. Ce projet fut renvoyé au Comité
constituant qui le remania de lnaniere a ee qu'il
réalisAt une habile pondération de tous les Po u-
voirs, sous la forme d'un Gouvernement représen-
tatir: idéal politique de la Nation. Les trois Con-
suIs rurent maintenus, paree quon n'osait pas eréer
un ehefunique ; ulais le Pouvoir exéeutif appartint
entierement nu premier, et les deux nutres n'eurent


qu'une voLr consultative. Les memhres da Sénat1
du Corps législntif, du Tribunat, du Département
et de la Commune, devaient étre choisis parmi
les candidats que l'universalité des citoyens inseri ..




- 62-


rait sur trois listes, comprenant les nolabilités
conllnunales, les notabilités départelnentales et
les notabilités nationales. On se réservait la faculté
d'y iusérer, pour dix aus, le nom de tous ceux
que le Peuple ou le Gouvernell1ent avait appelés
a des fonctions publiques, el dont les intérets se
trotivaient liés aux principes de la Révolution. Par
son double droit de veto et d'approbation, le Sénat,
dont le devoir était de veiller au 111aintien de la
Constitution el de protéger la liberté individuelle
contre les abus de l'autorité publique, devenait une
grande institution. Quant an Tribunat, il avait l'i-
nitiative et la discussion des lois; mais lenr sanc-
tion appartenait au Corps législatif. Cette Consti-
tution, qui semblait donner une fOl'll1e dél1ni tive
uu principe de la Souveraineté clu Peuple, organi-
sait, uu profit des homules créés par la Bévolution,
je ne sais quelle aristocratie viagere pour rendre a
jamais impossible la dictn.ture d'un individu ou
d'une asserublée. Mais, tont cet echafaudage de lois
et de libertés soulnis a la violente pression de Bo-
naparte, s'écronla presqu'aussitót sons lepoids de
son arbitraire et de son despotisme. Car il inau-
gura le Gouvernenient cousulaire en supprimant la
plupart des journaux et en condanuHu1Í Ú la 8ur-




- 63-


veillanee de la poliee les feuilles qu'il devait to-
lérer.


Ayant pris Catnhaeéres ponr seeond Consul et
Lebrui1 ponr troisieme Consul, Bonaparte don na le
ministere des relations extérieures a Talleyrand,
eelui de h poliee a Fouehé. Peu lui importait
qu'on fut royaliste ou régicide; ear il ne se ser-
vait des hOln1.UeS qui avaient marqué dans les évé-
nements antérieurs, qu'afin de 111ieux effaeer
1euI's idées. Quancl les anteurs du 18 brulllaire se
furent partügé les fonetions de l' État eOlllIne le
hutin de lenr victoire (1), le Premie!' Consul pré-
senta la Constitution de l'an VIII a la sanction du
peuplc, en disant : (¡ La Constitution est fondée
sur les vrais priucipes du Gouvernelnent représen-
tatif, sur les droits saerés de la propriété, de l'éga-
lité et de la liberté. La Révolution francaise est fixée




aux principes qui 1'ont eOlnluencée, elle est finie!)
Paree qu'il étuil.le Muitre de la Franee ; paree qu'il
substituait les faits aux idées; paree qu' il rétablis-
sait }'ordre Iégal düns les üffaires civiles et qu'il
j uxta-posait les hommes qui avaient appartenu
aux régimes et aux faetions les plus opposés, Bona-
parte s'imaginnit pouvoir traneher ce forrnidable


(1.) ~I. ~lignct, llistoire de la Bévo {l'anr;aise. Tomo ler., page 2850




- 64-


probleme de la Révolution que le lllonde n'a pll
encore résoudre : « Quel est le révolutionnnire,
s'écriait-il, qui n'aura pas confiance dan s un or-
dre de choses ou Fouché sera nlinistre? Quel
est le gentilhomme, s'H est resté Fran~uis, qui
n'espérera pas trouver a vivre dnns un pays ou UD
Périgord, l'ancien évéque d' Autun, est au Pouvoir?
l'un gardelna gauche,l'autre Ina droite ... J'entends
que mon Gouvernelnent réunisse tous les Fran<;ais.
e'est une grande route ou tous peuvent ahoutir.
La fin de la Révolution ne peutrésulter que du con-
cours de tous ; et ces divers pnrtis ne peuven t etre
contenus et devenir inoffensifs les uns UU! uutres
que par une cié de voute assez forte pour ne cé-
der 11 aucun effort. Je l'ni dit il Y a bien des an-
nées, avant 1. 793: la Révolution ne finira que par
un bras de fer, Dé dans la Révolution, nourri dans
les opinions du siecle et fort par l'assentiLnent na-
tional qu'il aura su deviner (1.). »


Profitant de I'abattement des partis, de la cor-
ruption des individllS et de la docilité d'un peuple
fa«onné au despotisme, tunt par la Convention que
par le Directoire, c'est-a-dire pur les deux Gon-
vernements qui s'étaient donué pOllr mission de


(1) Mém. et corresp. deJoseph. Tom. ¡U, pago 81.-82.




- 65-


garantir la liberté de tous les peuples, Bonaparte
s'achelnina des le prelnier jour vers le Tróne, en
raisant crojre üUX Royalistes qu'il voulait restaurer
la Monarchie, et en faisan t eroire aux Républieains
qu'il voulait 111aintenir la République. Dési-
rant annuler l'action social e de ces deux par-
tis, il agit personnellement sur toute la société.
Génie d'organisation plutót que d'institution, il
réunit deux caisses d'escompte ponr forrner la
Bnnque de Frunce, qestinée il raviver le travail
et le commerce par le crédit; il relnania l'admi-
nistration départementale avec les réminiscences
de l'ancien régime et les principes du nouveau;
il reconstitua l'ordre judicíaire sur les bases des
vieux parlell1ents; et tout changea d'esprit et de
forine au gré de sa puissante volonté, qui devenait
une raison d' État. En lneme telnps qu'il réconci-
lia-it la France avee elle-lneme, Bonaparte essayait
de la réconcilier avee l' Europe, quoique celle-ci
exprimAt l'exclusive Souvereineté du droit divin,
cellc·lil I'excIusive Souveraineté du droit humain ,
et qu'elles fussent n'.lomentanélnent inconciliables,
par le seul fait de l'antagonisme absolll de ces deux
principes. Jaloux de terminer la guerre, il offrit
la paix aux Prlnces coalisés pour ulieux plaire il
~ ~) i




, .


- 6~-
la Natioo. Mais, loio de se confornler üUX usages
re~us, et de suivre les voies diplomatiques, le
Premier Consul écrivit directement aux Mo-
narques.' Le Cabinet de Londres fit répondre
que le Roi o'avait aucunmotif de se départir
des formes usitées en Europe dans le COllllnerce
avec des États étrangers t- par une note offi-
cielle adressée a Talleyrand,. et dans laquelle 00
déc1arait : u qu'aussi longtenlps que prévaudrait
en France le systenle qui a p!ongé ce pays dans u.n
abime de maux, et étendu sa funeste influence sur
toute l'Europe, et méme sur les autres parties du
monde, JI était inlpossible que la paix fut rétablie ;
qu'oll ne pouvait pas prendre confiance en des
assurances vagues d'intentioDs pacifiques, qui
avaient été professées par tous ceux .qui, alternati-
vement,avaienl employéles ressourcesde la France
a la .destruction d~ l' Europe ; que le gage le plus sur
et le plus na.turel d'un changement de systeme sell
rait le rétablissenlent d'une Dynastie qui, depuis
tant de sif~clest avait conservé la. prospérHé inté-
rieure de la I?rance, et l'avait fait considérer au-de-
hors; que ce rétablissement assurerait a la France
la j9uissance tranql1ille de son ancien territoire, et
donne.ruit a loutes les nutres Nutions européennes




- 67-


eette séeurité qu'elles, étaient mainteoant forcées
de ehercher par d'autres moyeos; que cependant,
quelque désirüble que fut un pareil événelnent,
le Roi n'y aUachait pas exclusiyement la possibl-
lité d'une paix durable; qu'aussitót que le Mo-
narque. trouverait que la paix sera.it ~oml?atible
avec la ·sécurité de l' Angleterre, il concerterait
avec ses Alliés les moyeos de parvenir a une pa-
cification générale (1). D


Les ouvertures du Premier Consul furent aussi
nlal accueillies a Vienne qu'a Londres: cela devait
etre. Car, 8'H ne pouvait exister pour l' Angleterre
aucune garantie de paix, tant que .la France pos-
séderait la Belgique et disposerait de la Hollande;
(t SQll tour l' Autriche, qui avait relevé l'honneur
de son drapeau, ne pouvait, apres les victoires de
l'archiduc Charles, s'humilier elle·melne, en se r~n ..
fermunt daos le traité de Calnpo-Formio, que le gé-
néral BOllaparte lui. avait hnposé comme con sé-
quence de ses défaites. Maitresse de l' ltalie reCOD-
quise et disposant de toutes ses Royautés autrefois
indépendantes, de Ineme que la Francedisposaitdes
Républiques, l' Autriche prétendait lui dispu~er les


(1.) M. le cornte de Garden, Histoire générale des Traités de
Paix. Tome VI, pag. 21.6-21.7.




- 68-


provinces Rhénanes et Belgiqlles: dernier débris de
la Monarchie de Charles-Quint. Au surpllls, nlalgré
la divergence d'opinion qui régnait entre le Cabi-
net de Saint-Pétersbourg et le CabiÍlet de Vienne,
on espérait maintenir la conformité de leurs actes.
L'Empereur Fran<;ois 11 s'itnaginait que I'Empe-
rellr Paul Icr ne sortirait pas de la Coalition, quoi-
qu'il eut ordonné a ses soldats de relltrer dans
leurs foyers,parce qu'il s'effon;ait d'exciter la haine
du Czar contre la Révolution et d'apaiser, a
force de concessions, le juste' ressentilnent qu'il


,


lui témoignait pollr des offenses qui avaient irrité
son amour-propre. Mais l'adroite polilique du Pre-
lnier Consul fit échouer les pIans de la Cour de
Vienlle. L"union lnilitaire de l' Autriche et de la
Russie, qui pouvait livrer a la Coalition tOlltes les
destinées dumonde, ayant cessé ,d'exister, la
Prusse opéra_ presqu'aussitót, entre la France et
la Russie, un rapprochelneut d'autant plus déci-
sif qu'ilétait inattendu.


Aprés avoir ainsi ínultiplié les divisions de l' Eu-
rope monarchique et courhé la République fran-
~aise sous le joug de son inflexible unité, Bona ..
parte franchit les Alpes conllue Annibal, pour
anéantir l'Autl'iche en Italie. Une seu le vicloire




- 69-


gagnée dans les plaines de Marengo, fait perdre
au Gouvernement de Vienne le Piémont, la Lom-
hardie, la Ligurie, et tous les États de la Péninsule,
excepté Mantoue. La République ligurienne est a
peine reconstituée, aupres ~e la Monarchie ponti-
ficate, que le glorieux enfant de la Révolution ren-
tre dans Paris avec le titre de Pere de la Patrie.
Pensant alors que nul n'osera plus Jui contes-
ter son droit au cOlnmandelnent, et que tout le
monde regardera l'obéissance COlnme un devoir,
le Premier Consul, qui avait déja fixé sa résidence
dans le palais des Tuileries, fail prendre a sa suite
l'étiquette d'une Cour. Cette luaniere d'exprimer
la République était si étrange, que l'on crut tou ..
cher an rétablissement de l'ancienne Monarchie
ou bien a l'établissen~ent d'une Royauté nouvelle .




Mais l'homlne-révolution ne fut plus qu'un contre-
révolutionnaire aux yeux des Républicains, qui
résolurent de le tuero Une premiere tentative de
meurtre venait d'échouer; et le peuple disait que
Bonaparte avait été sauvé par une protection toute
céleste, lorsque la machine infernale éc1ata. Le Pre-
nlier Consul, sous prétexte de frapper les coupa-
hies, réclama le droit de déporter a son gré les per-
SQnne~, lneme innocentes, qui lui paraitraient su&~




_ 70-'


pectes, et de les SOlnnettre A des juges spéciaux
qu'il désignerait selon son hon plaisir. Une opposi.
lion tres-honorable s'éleva parlni les Tribunscontre
eeHe jurisprudence qui sanetionnait l'arbitraire;
mais les Sénateurs, tombés dans un servilisme dé-
gradant, autorisel"ent tout ce qu'on voulut. Et le
Prenlier Consul, expression de la j ustice tempo-
reHe, put, eomme les Empereurs de la Rome dé-
générée, se lnettre au-dessus des lois, pour eOlll-
pléter sa propre tyrannie au moyen d'un sitnple
Sénatus-Consulte; eár la presse, bAillonnée par la
police, n'avaH pas melne le droit de rappeler a
Bonaparte que Dieu, expression de la justice éter-
nelle, restait l'esclave de ses propres 10is, pour que
l'homme fut libre!


Plus on abaissait la France A l'intérieur, plus on
devait l'élever A l'extérieur. Depuis la bataille de
Marengo, le PrQmier Consul débaUait les eondi-
tions d'une paix future avec I'Empereur Fran-
c;ois 11. Le traité de Campo-Forlnio servirait de
base aux stipulations noilvelles; lDais "les in-
demnités seraient ptises en Allemagne, non en
Italie, 00 la Maison" de Habsbourg n'allait plus
exerc'er qu'une influence restreinte. 1/ Autriche fit
trainer les négociations en longueur, pOUl' avoir le




·"1
-..,1 --


femps de réparer ses désastres avee l'or de l' Angle-
terreo Les babiles diplomates de Fran<;ois 11 finirent
par jeter le masque, et Moreau, l'babite stratégiste,
re~ut l'ordre de reeommencer les opérations mili-
taires. On en vint aux maios dans la plaine de Ho-
henlinden. L'archiduc Jean 1 défait, recula 1 daos un
désordre inexprimable,aprés avoir perdu vingt mille
hOlnmes, .presque toute son artillerie et tous sesba-
~"


gages; tandis que Moreau, victorieux, s'avan<;a JUS-¡''', c.'t'J¿o. ",
I ...., .f!A


qu'a Liotz, d'ou il pouvait gagner Vienne. Les Prin-¡ ';; ~
., ~ .


ces de la Maison d' Autriche proposerent sur-le- " .
champ l'armistice qu'ils refusaient naguere; et le
vainqueur, magnanime envers les vaincus, suspen-
dit le cours de la guerre, aussitót que l'ennelui eut
consenti a traiter d'une paix séparée. Agissant
COllllne chef de l'Elnpire germanique et COlnme


chef de la Monarchie autTichienne, Francois II se


vit contraint de confinuer les propositions faites a
Rastadt par le Comité de salut public; relativenlent
aUI sécularisationsdes Principautés ecclésiastiques,
ayant pour hut d'indemniser les Prinees béréditai-
res que nos soldats avaient expulsés de leurs États,
et d'étendre les cessions a lui imposées par le traité
de,Calupo-li'onnio. D'un coté, l' Autriche ralifiait
l'abandon; tlUI rives de l' Escaut, des provinces bel-


~
j ••




- 72-
~iques~ sans ~()\.\v<.)"i~ l'~\1l"~ndn~ .. \\\ l"\v~ '6a\lc\\~ d\1
Rhin : ce qui pernlettait a la France d'oppritl1er
l'Empire sous prétexte d'affranchir le monde; et de
I'autre coté, elle cédait Mantoue, la Lombardie,
toute la vallée dll Pó, sans rien conserver au-delil
de l' Adige : ce qui perlnettait a la France d'affran-
chir les États de l'Halie, pour lnieux les tenir daos
sa propre dépendance, et d'opprhner ainsi le
lllonde par l'Italie.


Selon la profond,e observation de M. Armand te-
febvre, le traité de Lunéville doit étre considéré
« comme l'origine de tous nos mulheurs aussi bien


» que de toutes nos gloires. D Il con sacre l'existence
indépendante des Hépubliques cisalpine et ligu-
rienne, et ceHe du Royaume d'Étrurie, que le Pre-
lnier Consul a créé enl'honneur de l'Infant don
Louis, fils du Roi d'Espagne, pour le détruire
t6t ou tarde Muis ces trois Gouvernements pré-
tendus nationaux, recevant de Paris leurs con-
stitutions et leurs loís, leurs ministres el leurs gé-
néraux, n'existent, a l'inslar de la République ha-
tave, que par la France et pOllr la France, qui ab-
sorbe conséquemment toute I'Italie.CUF l'Empereur
d' Allemagne, ayant disposé de telles contrées et
Souverainet~s qui ne lui appartenaiept pas, et




- 73-


amoindri ses Étnts électifs ufin d'accroitre ses
États héditaires, n 'a rien stipulé en faveur du


. Pape, du Roí de Sardaigne, du Roí de Naples,
de tous les Monarques dont iI s'était déclaré le pro-
tecleur. Bonaparte reluit Pie VII , il est vrai, sur
le Tróne pontifical; mais il écrasa la Monarchie
piémontaise entre la République cisalpine et la
République ligurienne, et ne releva que le
Royaulne de Naples, quoique l'Elnpereur de Rus-
sie lui eut fait accepter cornme base de la paix
cinq articles préliminaires OU il était stipulé que:
« les Rois des Deux-Siciles el de Sardaigne se-
raient rétablis dans la possession enti{~re de leurs
États (1). "En outre, par le traité de Florence,
Bonaparte exigea la cession de Piombino et de
rile d' Elbe a la France; la clóture de tous les
ports des Deux-Siciles a l' Angleterre, et 1 'en-
tretien. de troupes fr:an<;uises qui devaient rester
daDs les Abruzzes et dans la terre d'Otrante aussi
10Qgtemps que la guerre a_vec la Grande-Breta.
gne et la Turquie durerait. Ainsi, la dOll1ination de
la France en ltalie s'étendait de la Savoie a la Cu-
labre; Bonuparle était l'arbitre du Continent;


• (1) M. le comte de Garden, Ilistoiregénérale des l'raités de
pai~. Tome YI, paso 397.




- 74-


la Révolution, qui se présentait naguere comlne
l'expression d'un nouveau droit public :et du véri-
table esprit de justice qu'elle sé proposait de réali-
ser sur la terre, en gárantissant l'indépendance
des peuples et la cotlservation des Nationalités',
sacrifiait elle-méme les peuples, détruisait les Na-
tionalités et se rendait complice de toutes les ini-
quités, en faisant revivre l'ancien droit public clans
les divers traités qu'elle contractait. Mais le Pre-
luier Consul agissait pIutót en son propre nOln,
qu'au nom de la Révolution fran<;aise, puisqu'il
a-néantissait les États et les Monnrques du second
ordre, pour se créer Monarque du premier ordre,
apres avoir ressuscité l' Elnpire d'Occident. Quoi-
que cette ambition, en quelque sorte illimitée, dut
ctre fatale -a tous les peuples dont il confisquerait
l'indépendance- et la liberté, a tous 1es Princes dont
il confisquerait le sceptre et l'autorité, l'Empe-
reur de Russie ne craignait pas de la favoriser.
Aussi disait-il a DUluouriez, agent du duc d'Orléans:


el II importe peu que ce soit LOUlS X VIII, BONA-
PARTn oti UN AUTRÉ qui soit Roi de France, Pes-
sebtiel ~st qu'il y en ait UN. »


Ce langage avait une portée politique d'autant
plus grande qu'interrogé par le Cabinet de· Ber-




- 75-


lid sur les nombreux armements qu'il faisait en
Lithuanie et en Wolhynie, Paul répondit: « Ces ar-




mées sont destinées a rétablir l'équilibre du Pou-
voir et l'ordre social en Europe, et a lnettre des
bornes a l'alnbition des Puissances belligéran-.
tes (1). D La Prusse, la Suede et le Danemark, cé-
dant aUI instigations de ce Pril1ce , forluerent la
Coalition du Nord contre l' Angleterre, pour lui fer-
mer les bouches de l'Elbe, de l'Ems et du Weser,
sous prétexte de venger certaines violations du
droit qui garantissait la liberté de la navigation et la
súreté du COlnmerce des États neutres. Cette guerre
maritime produisait une diversion tres-favorable
aUI vues de Bonaparte, quoique I'Empereur de
Russie, Monarque juste et lnagnanime,eut changé
de" sentiments a l'égard du PrelniarConsul, depuis
qu'il avait -conelu la paix continental e , sans tenir
ootnpte des articIes préliminaires par lesquels il s'é·
tait engagé a relnettre sur leurs Trónes le Rol des
Deux-Sicile3et le Roi deSardaigne, dont le Royaume
~tait adlninistré pour le compte de la France, Mais
l'horrible .catastrophe qui termina la viE:! du Czar
(25 mars t 801), fu t aussi fatule a la Coalition des


,(1) M. le comte de Garden, Histoire générale des Traités (le
paix. Tome VI, pago 352.




- 76-


États neutres, que la destruction de la flotte da~
noise et le bombardement de Copenhague (2 avril) .


• Le Grand-Duc Alexandre, saisi d'horreur a la nou-
velle du lueurtre de son pere, aurait refusé.la Cou-
ronne, si les ordres de sa lUere, l' Impératrice Marie
Féodorovna, et les instances des grands de l' E01-
pire, ne l'eussent contraint a l'accepter. Ce fut un
changement de regne et un changement de sys··
teme. Jaloux .de faire participer ses peuples aux
progres de la civilisation européenne, Alexan-
dre Ier supprima la confiscation des biens et la
censure pes écrits, diminua les impóts, auglnenta
l'industrie, réforma la justice, poursuivit les ma-
gistrats concussionnaires, exigea l'unanimité des
juges pour toute condanluation á lflort, détruisit
le tribunal secret qui connaissait exclusivelnent
des crimes politiques, fonda ou réorganisa sept
grandes universités, créa plus de deux lTIilIe écoles
prhnaires, abolit entiere'nlent la servitude persoo-
nelle en Esthonie , en l .. i vonie, en Courlande, et
commen<;a daos le reste de I'Ernpire l'extirpation
systématique et graduelle de ce reste de barbarie
que ses successeurs doivent achever.


Le caractere modéré du nouvel Ernpereur se
lnanifesta égaleOlent dans ses r~latiQns av~c les'au-




- 77-


tres Mooarques de l'Europe, dont il devait étre tour
lt tour l'allié, le protecteur et le vengellr. Paul ler
avait donné le signal de deux guerres ; Alexan-
dreler donna le signaI de deux pacifications. L'une,
dont les articIes furent arrétés au Con gres de
Saiot-Pétersbourg (t 7 juin 1.801), établit un nou-
veau code maritilne (1) ; l'nutre, qui fut signée a
Paris (lJ. octobre), réconcilia la R ussie avec la
France et ses alliés (2). L' Angleterre seuIe pour-
suivait ses hostilités contre Bonaparte et contre la
Monarchie espagnole, toujours vassale de la Répu-
blique fran~aise. Mais le peuple auglais, lualgré
toutes les victoires navales de Nelson , craignai t
de succOluber daos une défaile supréme; car Bo-
noparte, réunissant des troupes considérables uu
canlp de Boulogne, seluhlait projeter une invasion
de l' Angleterre, qu'il accoluplirait san s doute a la
maniere de Guillaume-le·Conquérant. Toutefois,
le Premier Consul aitnait mieux consolider son
propre Gouverneluent, que renverser celui du Roi
Georges 111 , pour ne pas dire celui de Willialn
Pitt, sachant tres-bien que la paix maritime de-
vait suivre t6t ou tard la paix continentale, et que


(1.) Martens, Recueil des principauóD Traités. Tome rx, pag. 478.
(2) lbid. Tome VU, pag. 337.




- 78-
eeUe réconciliation de la France républieaine
avec toute l'Europe monarchique, lui permettrait
d'opérer la réconeiliation de la République fran-
Qaise avee la Monarchie pontificale, d'un État par-
ticulier a vec l' Église uni verselle, des lois politi-
ques, relatives, conditionnelles, n'établissant dans
le monde qu'un ordre transitoire t paree qu'elIes
sont une création de I'hOlnme, avec les lois mo ..
rales, inconditionnelles, absolues,-établissant dans
le monde un ordre imlDuable, parce qu'elles sont
une création de Dieu.


Or f e la France était partagée entre deux cler~
gés, dont l'un, dit M. L. de Carné, disposait léga-
leInent de tout le lllUtérjel du culte, et dont l'autre
parlait a toutes les consciences. Les populations
étaient tiraillées du berceau jusqu'a la tombe entre
des évéques assermentés, assis sur tous les siéges,
et des évéques exilés,frappant chaque jour de nul ..
lité les actes despremiers. CeUe lutte violente, se
prolongeant devant l'indifférence railleuse et le
cyniSll1e lriomphant, aurait bientot amené une
démoraUsation populuire tellement profonde,
qu'aucune société n'aurait pu la supporter impu-
nélnent .• LeConcordat entre Pie VII et Bonaparte,
pour le rétablisselnent du culte catbolique, s'opé~a




- 79-


sur les bases du Concordat entre Fran~ois Ier et
Léon X (t). Les pretres constitutionnels rétraete~
rent Ieur serment; les pretres non assermentéa
donnerent leur démission, et toute traee d~ dualis~
me religieux s'évanouit au sein de l'unité apostoli.,.
que, Mais, d'un coté, la seule annonce du Concordat
tit réagir l'esprit révolutionnaire et anti-chrétien,
dans le Conseil d'État, dans le Tribunat, d~ns le
Corps législatif, dans tous les rangs de la société
oflicielle, oú uominaient en quelque sorte les évé-
ques lna.riés et les moines apostats; de l'autre
coté, un article du Concordat, qui transformait les
pretres en fonetionnaires de l'État, déplut au
clergé régulier, paree qu'il avilissait le sacerdoee,
en eonsaerant la servitude générale de l'Église. Bo-
naparte étouffa eette double oppositioo en élitni-
nant ou en déposant autant de tribuns que de lé-
gislateurs, et en déportant ou en incareérant un
plus grand DOlubre de prétres, afin de e leur prou-
D ver, disait-il, que, s'illnettait son bonnet de tra-
»vers, il faudrait qu'ils obéissent a la puissance
I civile (2). » Ainsi, le Preluier Consul ne rétablis-
sait I'Église dan s l'État que pour obtenir l'obéis-


(1) Voy. Tome In, chapo XIX, pago 31.
(2) Thibaudeau, Mémoire sur le cons'Ulat. Pago 158.




- 80-


sanee passive de toutes les classes de la société;
.


pour donner a cette luaxhne politique toute la va-
leur d'une maxitne religieuse; pour subordonner
les lois morales ou divines aux lois physiquesou'hu-
maines; pour faire concourir la religion elle-Iuélue,
considérée, dans son principe sauveur, comnle
l'affrancbisseluent de l'humanité, a un but détes-
table, fatal, itnpie : l'oppression de l'humanité.


Apres avoir mis l'anarchie hors de l'Église et
de l'État, Bonaparte volilut rétablir l'ordre dans la
falui 11 e , base de toute organisation sociale. En
conséquence, le Comité de législation, institué
dan s le Conseil-d'État, fut chargé de jeter les bases
d'un nouveau Code civil. La plupart des Rois de
France, l10tamment Charles VII, Louis XIII et
Louis XIV (1) avaient essayé de détruire les innom-
brables coutulues qui variaient la justice d'une
province él l'autre, pour créer l'unité législative
dans la Monarchie. Mais leurs nobles efforts
échouerent contre l'opposition persévérante des
pafleluents et du c1ergé, dont les priviléges par-
ticúliers excluaient le droit commUll. Ces ob-
stacles ayant été brisés par la Révolution, il
devint tres-facHe uu Prcluier Consul d'accoIU-


(:1) Tome 111, chap. XXV, pag. 37S.




-8-1 -


pUr_une réforme qui, avant 89, paraissait absolu-
lnent impraticable. Cambacéres, Portalis, Bigot,
MalfevílIe, Préameneu, jurisconsultes élninents,
tirent passer dans la législution civile toutes les
conquétes de la liberté et de l'égalité. Bonaparte y
fit passer aussi plusieurs conquétes de son propre
despotisme : notamment cette odieuse disposition
par laquelle un jeune hOlnme de dix ... huit nns peut
s'enróler contre le vreu de son pere. Il esl vrai
qu'elle favorisait les vues Iuilitaires du Prelnier
Consul; et c'est pour cela, sans doute, qu'il admit
un tel principe de révolte dans la familIe, lui qui,
dan s l'État, résumait tous les droi ls et tous les de-
v,oirs des hommes en ce seul IDot: OBÉlSSEZ! Quoi-
que des chapitres entiers du Code civil apparLins-
sent A Pothier ou A Domat, et malgré la valeur per-
sonneHe des véritables législateurs, Bonaparte
s'appropria leur ouvrage. Instituer un nou vel or~
dre civil et politique, ren~re les citoyens égaux de-
vant la loi et les enfants devant le pere de farnilIe,
achever la !ihération de la propriété terrienne, re-
connaitre enfin a chacun le droit de tester dans
les limites imposées par l'intéret public, certes, il
y avait lA de quoi tenter l'orgueil d'un Chef qui
désirait njouLer it lanL d'autres litres celui de


IV. (3) 6




- 82-


réformateur. «Au reste, lorsque furent discutés
dans le sein du Conseil d'État les différents pro~
j~ts du Code civil, Bonaparte, dit un de nos plus
dignes magistrats, fit preuve d'une supériorité
d'intelligence égale a celle qu'il avait déployée
sur les chpmps de bataille. Ses avis prévalurent
souvent comlne ceux de la logique. Mais, apres
avoir rendu a César ce qui est a César, reconnais-
son s que, si Napoléon peut etre considéré comme
un des glorieux auteurs du Code civil, OH en doit
la rédaction et la science épurée aux hommes d'é-
tude et de lnéditation -C i). »


Le traité . de Lunéville garantit « l'indépen-·
dance des Republiques batave, helvétique, cis-
alpine et ligurienne,' el la faculté aux peuples
d'adopter telle forme de Gouvernement qu'i1s ju-
geraient convenable (2). J Et cependant, uu ris-
que de rOlupre les negociations qui ont lieu en-
tre la France et l' A ngteterre, Bonaparte asservit
ces divers États en imposant de force une Consti-
tution a la Hollande; en donnant lui-melne -un


(1) M. HQrtensius de Saint-Albin, Dictionnaire politique!
(2) M. le cornte de Garden, Ilisloil'e générale des Traités de


Paix. Tome VI, pago 258.




- 83-


Gouvernement it la Suisse; en se faisant proclamar
A Lyon Président de la République cisalpine , deve-
nue la Bépublique italienne; en reconstituant la
Ligurie; en nomInant un Doge pour Génes, par un
simple décret, comme 8'H eut nOlDmé un préfet
pour Pontoise, et en se réservant le droit de lui
désigner tous les melDbres du Sénat. Bien que ces
actes lnultipliés violassent tous les principes des
traités conelus et des traités a conclure, l' Angle- /"'~; ,ti:'


/ .~$~ o
terra signa la paix d' Amiens, qui ne devait étre : JJ


. 1,'1


qu'une treve. William Pitt, l'adversaire implacabla . '.~
~ ':: iJ ~~--,~.


de la Révolutionet de Bonaparte, avuit quittéle lni.. . .... , .... _.-
nistere; mais il y avait laiasé son chapeau,disai t-on,
pour garder sa place. Les plénipotentiaires anglais
passerent sous silence toutes les dispositions prises
tant dans les Boyaumes de Sardaigne, de Naples
et d'Étrurie o; que dans les Républiques batave,
helvétique, italienne et ligurieone. lls signerent,
pour vaincre l'eot~tenlent de Jobo Bull, qui de-
ulandait l~ paix a tout prix, un traité si défavorahle
qu'iI redelnanda bientót la guerre. En effet, l' An-
gleterra, perdant le fruit de ses plus grandes vic-
toirei navales, restituait a la France presque toutes
ses colonies el celles de la Hollande, avee Pile de
Mulle; et la Frunce, luaIgré ses d.éfuites uavales,




- 84-


enlevait au commerce d' Angleterre presque toute
l'Italie,la Belgique et la Hollande. Un cri général
s'éleva aussitót, dans la Grande-Bretagne, contre
les ministres, qui se retirerent; en France, au con-
traire, l'enthousiasme fut général pour Bonaparte,
dont le Pouvoir se trouvait ainsi fondé sur ]a force
invincible des arnles et sur la force, plus invin-
cible encore, de l'opinion. Les Tribuns ayant émis
le vreu« de donner au Premier Consul un gnge
» éclatant de la reconnaissance nationale, » Ca m-
bacéres dit aux Sénateurs: « NOIUlnez-le Consul
»"a vie, et il sera content! ,. On ne voulut pro-
roger su magistrature que pour dix ans. 1 ndigné
d'un te! résultat, Bonapürte fit prendre an se-
cond el au troisielne ConsuIs un arreté d'apres le-
quel on devait interroger le peuple sur cette ques-
tion : « Napoléon Bonaparte serü-t-il Consul a
) vie? » Ce fut une derniere transaction entre
l'utopie républicaine el la réalité monarchiquc.
Bonaparte fut nOillnlé Consul viager; mais il se
nOlllllla lui-meme Consul perpétuel, s'ürrogea le
droit de désigner son successeur, et retouchn la
COllstitution de maniere a ce que le Sénat, le Tri-
bunat, le Corps législatif el le Conseil .d.'Étüt fus-
sent renlpIis d'üutomutes oont il tiendrait les fils.




- 85-


Tellement que la France, dont on proclamait la
SOllveraineté absolue, privée désormais de la tri-
bune politique, de la presse, de tout ce qui expri-
me l'existence officieIle du droit humain, ou mieux
la -faculté de reconnaitre, en vertu d'un libre exa-
men, la justice des actes de l'autori~é'; fut, par
suite de cette perversion des principes constitu-
tifs, la tres-burnble sujette d'un grand honllue!


Dans un pHreil état de choses, la gloire senle
pouvait indelnniser la France dépossédée d'elle-
meme; tandis que les Princes dépossédés en 1 talie
et sur la rive gaucbe du Rhin, par l'extension de
nos frontieres, aHaient étre indemnisés aux dépens
des Principautés ecclésiastiques sécularisées. En
tbese générale, c'étaitune iniquité maI;lifeste,
puisqu'on faisait payer a des tiers les frais de la
guerre, quoiqu'ils n'y eussent point participé; ll1ais,
en tbese particuliere, la France usait du droit de
conquéte envers les Cours d' Allemagne qui, de·
puis la paix de Westpbalie, avaient fait entrer dans
le droit public européen ce principe révolutionr.airc
d'ou la Constituante fit sortir, a son tour, l'expro·
priation lég'ale du clergé. Tous les États ecclésias-
tiques, comprenant le sixielue de l' Allclnagne,
furent détruits; quelques villes libres survécurent




- 86-


seules, par la volonté despotique de Bonaparte, a
l'anéantissement de la vieille Constitution de I'Em-
pire qui sauvegardait autrerois l'existenee indépen-
dante des divets Gouvernements européens. L'Em-
per~ur' de Russte essaya de contrehalancer l'in-
fluence du Premier Consul au sein de la Députation
impétiale,ayant pour but de répartir les indem-
nités. Mais Bonaparte sut eaptiver Alexandre ; et la
sécularisation de l' AlIemagne s'aceomplit selon ses
vreux. 1..n Prusse, qu'on (l.g'f8ndissait au détriment
de l'Autriehe, obtint, sur sa rivale, une supériorité
garantie par la Diete elle-méIne ~ puisque les pro-
testants y avaient deux fois plus de votes que les
catholiques. Toutefois, la Monarchie autrichienne
et la Monarchie prussienne devenaient vassales de
la République fran<;aise, qui ne faisait participer
l' Angleterre ni aux il1detnnités, ni a sa propre in-
fluel1ce sur le Continent, paree qu'elle voulait s'ar-
roger ]a domination universelle !


Tous les États craignaient et devaient craindre
pOltr Ieur propre indépendanee; tous les Monar-
ques pour Ieur propre Souveraineté, en voyant
le Premier Consul asservir I'Espagne et la Hol-
lande; détruire la Constitution germanique; incor-
porer le Montferrat, l'He d' Elbe el le Piélllont a la




- 87-


France; rayer le Duché de Parme de la carte de 1'1-
talie; envoyerdes troupes dans la République helvé-
tique, sous prétexte d'une médiation entre le parti
unitaire et le parti fédéraliste; faire des ,routes
gigantesques au travers des Alpes ¡ ouvrir ainsi 1'1-
talie et l' Allemagne a ses arluées.; s'elllparer du
Valais, afin de s'assurer·une largé base d'opéra-
lions dan~ ces deux contrées, et dire d'une voix al-
ti ere : 11 est reconnu par l'Europe que t1taUe etla
JIoltande sont a la disposition de la F trance ~aussi bien
que l'Helvétie. De pareils empiételnents pouvaient
etre tolérés par l'Autriche qu'il avait tí!nt appau-
vrie et par la Prusse qu'il aVüit tant enrichic,
lnüis non par }' Angleterrc, Puissance [orte" flere,
inexpugnable, qui se croyait défiéc. Puisque Bo-


, naparte, afin d'oppriIner l'Europe, détruit les
,


Elats dont le traité de Lunéville consacre l'exis-
tence, le Cabinct de Londres ne veut plus évacuer
Malte dont le traité d' AIDiens exige l'abandon,
pour en faire le centre d'une réaction de l'Eu·
rope contre Bonaparte., Les deux anciens adver-
saires se menneent réciproquell1ent autour de leur
traité de paix. Addington parle eette fois, comme
Pitt a tOlJjours agi. L' état du Continent avant la paix
d'~lmienstetrien que cet état, dit-il; --·letraitéd'A-




-- 88-


tlliens" el rien que ce traité, lui répond Talleyrand.
On s'irrite de part el d'autre. Bonaparte, qui
n'a 'plus le véritable sentiment de la,gloire,prend
la plume avant de reprendre l'épée. 11 rédige, dans
le Moniteur, une série d'arLicles déclalnatoires
ou le Gouvernement britanniqlle est Iivré a l'exé-
cration du genre humain au non1 méme du Gou-
vernement franc;ais; il déclare que l' Angleterre est
déchue du droil de parLiciper aux atTaires duo Con-
tinent, et présente les melnbres du Cabinet de
Londres comlne des monstres sanguinaires tour-
mentés par les Furies. Ces indécentes apostrophes
tombent au lllilieu d'un peuple prétendu Souve-
rain auquel OH ne reconnait plus d'autre droil que
le silence; luais la presse ünglaise les releve avec
tout I'elnportelll'ent qu'on peut attendre d'une Na-
tion libre, dont le devoir est de repousser les ou-
trages d'un Despot€.


eette guerre de pInole, entreprise par le Pre-
ulier Consul au Dl01nent lneme oil il exprimait u
lord Whitworth, ambassadeur d'Angleterre, son
désir de maintenir ·la paix, suscita bientot une
guerre de tribune. (! Faites aLtention a la France
et n l'mnbition de Bonapnrte I disait lord Grenville.
La cire sur laquclle vous üvez imprilné le seean




- 89 ~
britannique, lors du traité d' Amiens, était a peine
refroidie, que le Piémont était déja envahi. Parme
disparaissait du nombre des États; le Prioce
d'Orange o'a poiot obtenu une véritable indem.
nité pour la Hollaode, passée entiérement sous
la dOlnination de Booaparte; la Suisse n'a plus
de liberté; l'Autriche est tellemeot abaissée, que
je oe sais si elle pourra se releyere Nos luinistres
ont füit élvec les Fran<;ais, comme nos ancetres
quidonnaient de l'argent aux Saxons et aux Danois :~:.'
a la condit~on de s'éloigner de nos cótes; argent,·"
qui Ieur servait a acheter des vaisseaux et des
munitions pour subjuguer plus facHernent l' An-
gleterre. Les lninistres on t cédé la Martinique;
et ils étaient sur le point de céder Malte, quand
le génie de l' Angleterre s'est réveillé. • « On
disait, il n'y a pas longtenlps, s'écrie Shéridan,
qu'un vide apparaissait sur la carte d'Europe,
Hl ou avait été la France. Aujourd'hui, 00 voit
la France partout, rien que la France. L' 1 talie est
sa vassale; la Prusse obéi t a son moindre signe
de tete; le Portugal est prosterné a ses pieds,
la Hollande sous sa Juain, la Turquie dans ses
fUets. J Puis, ayant démontré que la guerre est
pour Bonaparte une llécessiLé fUlule, puree qu'il est




- 90-


une négation·vivante de la liberté, l'orateur pour-
suit en ces termes: • La situalion el l'organisation de
.son Pouvoir sont telles, qu'il doit entrer avec ses
sujets dans un terrible échange. Il faut qu'il pro-
mette de les rendre les lnaitres du monde, afin
qu'ils consentent a etre ses esclaves jet, si tel est
son but, contre quelle Puissance doit-il tourner
ses regards inquiets, si ce n'est contre la Grande-
Bretagne? »


Bonaparte justifie toutes les appréhensions de
l' Angleterre, en s'expritnant dans ses Notes, OOlllme
s'H n'y avait plus au lllonde polit.ique d'autre droit
que celui de son propre glaive. « Si 1'on renpuvelait
la guerre du Continent, écrit-il a son amoossadeur
.pres de la Cour de Windsor, ce serait l' Angleterre
qui nous "auratt obligés de conquérir l'Europe. Le
Premier Consul u'a que trente-trois ans; il n'a eu-
core détruit que des États de second orore! Qui
sait ce qu'illui faudrait de temps, s'H y était forcé,
pour changer de nouveau la face de l'Europe, et
ressusciter l' Empire d'Occident!»


La violen ce des actes devait suivre la violence
des paroles. Tous les traités sont couverts d'un crépe
noir. }) Anglelerre, sans déclaration de guerre
préalable , l11et l'embargo sur les batiluents




- 01-


fr8n~ais et bataves. CeUe odieuse ,iolation du
droit des gens provoque, sans la justifier; une vio-
lation plus odieuse des droits de l'hospita-


.


lité. Les Anglais . qui voyageaient en France, pro-
tégés par la foi publique, 80nt arrétés eu DOro de
la raison d'État. Lesescadres de NelsOD et de Sidney-
Smith étendent leurs destructions sur tout notre
littoral, sur tontes nos cOtes, sur celles de la Hol-
lande, sur les ports de l' 1 taHe, sur nos colonies
des Antilles et sur celles des Indes; tandis que les
armes de Bonaparte' envahissent presque simul-
tanément le Hano,vre, le Royaume de NapIes, la
Hollande, le Valais, Rome, la Toscane, sans res-
pecter ni leur nelltralité, ni leur indép€ndance.
Rien de comparable a ceUe futte acharnée de deux
patriotismes, de deux nationalités, dont I'une est
invincible sur terre, dont l'autre est invincible sur
mero Le Parlementbritannique vote, avec acclalna-
tion,une levée en lnasse dans les trois Royaulnes; et
Bonaparte réunit, au calnp de noulogne, deu! mille
trois cents navires ou chaloupes canonnieres pour
transporter, en six heures, cent cinquante mille
hOlnlnes, quinze a' vingt mille chevaux, trois mille
canons, des cotes de France aux cotes d'Angleterre.
La Tanlise est fermée par une chaine de frégates;




- 92-


lnais, viennent un épais hrouillard et un vent favo-
rabie; viennent surtout la fIoUe fran~aise, la fIoUe
espagnole et la fIoUe holIandaise qui sont atten-
dues, et la vilIe de I.¡ondres nous sera bientot ou-
verte! Rorne abattit Carthage, dit Bonaparte, qui
veut détruire la perfide Albion, pour se créer Em-
pereur d'Occident. Si l' Angleterre ne sauve pas sa
propre indépendance, rEurope, livrée a l'oppres-
sion, ne saurait éehapper au danger qu'elle s'est
efforcée de conjurer pendant trois sU~cIes ; et la ci-
vilisation générale sera perd'ue sans retour; ear il
n'y aura plus de Nations distinetes; ear le monde
tout entier sera des lors absorbé par un seul
homme!


L' Angleterre n'a pas hesoin de faire cOJuprendre
aux divers États l'universalité des intérets qui se
trouvent engagés dans eette lutte supreme; car
Bonaparte les initie lui-lneme a tous les secrets
de SR politique, en leur annon~ant les change.
ments qu'il se propose d'opérer dans les institu-
tions de la France, et conséqueInment dan s les
constitutions de l' Etlrope. Non content d'étre,
aux yeux de l'histoire, le destructeur moral des
plus vieilles Dynasties, le Premier Consul veut
etre le créateur pbysique d'une Dynastie nou-




- 93--


velle, pour se faire l'égal des Rois, que dis-je?
pour se faire le Roi des Rois! Certain de l'aveu
national, puisqu'il peut obtcnir le titre d'Empe-
reur a la tete de son anuée, par le droit de l'épée
et- de la force, lllalgré le Sénat; ou bien avee le
concours du Sénat, Cl la tete' du Peuple qui l'ac-
clamera par enthousiuslue et par intéret, sinon
par nécessité, Bonnparte sollicite la reconnais-
sanee étrangere, que tou's les Souverains des au-
tres États doivent lui refuser par nécessité, par
intérét el par méfiance. Le Roi de Prusse , Monar-
que de création r,écente, ne craint pas néan-
moins d'atlacher son nOD1 a une capitulatioÍl hon-
teuse et morteHe 'pour toutes les Maisons souvc-
raines. Aussi prolnet-il d'in troduil'e le nouvel
Empereur daos la famille 1110narchique euro-
péenne, pourvu qu'il lui nSSllre une plus
large part d'indemnités et d'influence dans la fa-
luille luonarchique a\lemande. En eITet, le Cabi-
oet de Berlin ouvrit des négociations actives,
non-seulement aupres de tous les Souvcl'ains
de I'Europe,muis aupres de Louis XVIII et de tous
les Princes fran<;ais. Cur, avant que les Monal'-
ques régnants puissent '!alider l'étnblissement
d'une Dynastie nouvelle, dont les droits ne sonl p1.1S




- 94-
encore créés, ilsdoivent obtenir l'abdicntion préala ..
ble de l'ancienne Dynastie, dont les droits sont in ..
destructibles •


• La réponse de Louis XVIII, selQn M, Ca ..
pefigue, est d'une dignité admirable, d'une lar-
geur de formes dont rien n'approche. En recon-
naissant le bien que le général Bonaparte avait
fait a la France, le Roi déclare qu'il subira sans
faiblesse les desseins de la Providence sur su race,
et comIne Fran<;ois I8f, il dira : Tout est perdu, fors
t'ltonneur (1) ! » Cette déclaration royale fut si-
gnée ou approuvée par tous les Princes de la Mai-
son de Bourbon, menle par le duc d'Orléans, qui
sut « renl0nter de degrés en degrés jusqu'au point
d'ou son pere était effroyablement déclíu, et ac-
complir, pour ainsi dire, sa restauration de Prince
dans sa propre falnille et dans celle des Rois avant
que le cours des événemcnts rendit possihle la
restauration de la Dynastie des Bourbons sur le
Tróne de France (2). » Quant aux Souverains de
l' Europe, invités a confirmer la déchéallce perpé-
tuelle des Bourbons, ils ne dounerent aucune


(1) Trois siecLes de fT1ist. de France. Monare/de et politique
des deux Maisons de la branche de Bou'rbon. Tome II, pago 31.


(2): M. Villernain,Souvenirs eontemporains d'llist. et de Littér.
pago 9, 70'-71.




- 95-


réponse positive, comIne s'ils pouvaient, en cer-
tains cas, signer }'arret de mortpolitique d'une
famille souveraine, qui résume toutes les autres,
ou mieux COlnmettre leur propre suicide en dé-
truisant l'jnviolabilité du droit public; COllune
si les principes fondamentaux de la Monarcbie
n'avaient rien de fixe;. COlnme si les prétendus
droits d'un individ~ quelconque devalent, parfois'-


.


étre opposés aux droits légitimes de toute la so-
ciété; comme si l'exclusion du droit bumaín par
le droit divin n'étáit pas obligatoire pour eux,
dans·l'intéret lneIne de leurs sujets, tant que l'on
procédera contre eUI it l'exclusion du droit di-
vio par le droit humain, et jusqu'a ce qu'ils aient,
par leur propre intervention, identifié ces deux
principes contradictoires au sein de la constitution
européenne~ en imprimant une direction unitaire
et supérieure a tout le monde politique, afin de
rétablir la solidarité réciproque des Peuples et deS
Rois!


Les projets dynastiques de Bonaparte alar-
merent, en Frunce, le parti roya liste et le partí
républicain ,c'est-a-dire I.e droit divin et le droit
.humain. Car, apres avoir été l'amrmation de
l'un, il était dc\'cnu la llégütion de tous les deux.




- 96-


Un rapprochement s'opéra aussitót entre ces nd-
versaires, qui entreprirent de réagir enselnble
contre leur ennemi commun. La police du Pre-
lnier Consul découvrit leurs trames; et des coro-
missions lnilitaires condalnnerent séverement
quelques individus. a l'effet d'effrayer toute la so·
ciété. Sur ces entrefaites, Georges Carlourlal, chef
des Chouans, qui avait préféré l'exil au pardon de
Bonaparte, et le général Pichegru, qui s'était enfui
deCayenne, s'étantrencontrés a ldondres, prenaient
la résolution de venir a París, « non pour frapper
en traitre, mais pour attaquer le Premier Consul et
la garde consulaíre avec un pareil nombre de ses
brav'es Cbouans, renouvelant ainsi q.uelque chose
qui ressemble nu COlnbat des trente Bretons conlre


.


les trente chevaliers aux blasons éLrangers qui dis-
putent la victoire (1). D lis arrivent. Bonaparte,
averti du complot, décrete la peine de mort eontre
quieonque leur donnera un asile, paree qu'il y va
de sa propre existenee. Cadoudnl, téte de bron-
ze, n'en reste pas rnoins a París; et; sans les tergi-
yersations d~ Pichegru, son coup de main aurait
probablement réussi. Quoí qu'il en soit, Ieur ar-
restation servit tous les desseins du Prelnier Con-


(1) M. Capefigue, vid. supo Tom. If, pag.- 30.




- 97-


sul, qui hnpliqua Moreau dans cette conspiration
roya liste , de peur que l'illustre général républi-
cain ne l'empéchAt de se faire Empereur!


Cette pensée dominait alors tous les actes de
Bonaparte. Monté naguére au pouvoir COllllne res-
taurateur de l'ordre social, illivrerait lnaintenant
le monde a l'anarchie pIutót que d'en redescendre.
Un jour qu'il se promenait dans les jardins d'Er-
menonville, avec Stanislas de Girardin, président
du Tribunat, le Premier Consul s'arréta devant
le tombeau de J.-J. Rousseau et laissa échapper
ces paro les mélllorables : e II aurüit mieu! valu
que cet hOlume n'eut pas existé. - Et pourquoi,
citoyen consul? - C'est lui qui a préparé la Révo-
lution fran«uise. - Je eroyais, citoyen consul,
que ce n'était pas a vous a vous plaindre de la Ré-
volution? - Eh bien! l'avenir apprendra s'H n'eut
pas IDieux valu, pour le repos de la terre, que
ni Rousseau ni moi n'eussions jalnais existé (l). »
Plein de ressentiment contre Louis XVIII et contre
les Princes fran~ais, qui n'avaient pas vouIu abdi-
quer en sa faveur, Bonaparte fit enlever le duc
d'Enghien au chAteau d'Ettenheim, situé dans l'É·


(1) Stanislas de Girardin, Discours et opinions, journal et sou-
venirse Tom. ler, pago 190.


IV. (3) 7




- 98-


lectorat de Baden, et conséquemluent dans l'Em~
pire germanique, violant ainsi tous les principes
du Droit des gens. Cambacéres, ancien membre
d'une asselnblée régicide, plaida vainelnent la
cause de l'auguste prisonnier. a Depuis quand, lui
»répondit Bonaparte, eles-vous devenu si avare du
»saDg des Bourbons (i)?» La femme du Prelnier
Consul et son frere Joseph implorerent lu grace du
Prince; mais son beau-frere, Murat, chargé de
nommer la commission miJitaire qui devait con ..
damner le duc d'Enghien, se contenta de dire a ses
amis, en montrant son uniforme: Bonaparte veut
le tacner de sang (2). 11 n'en trouva pas 1110ins des
soldats-hourreaux que l'on travestit enjuges, pour
assassiner le petit-fils du grand Condé!


En apprenant ce lneurtre juridique, la France et
l'Europe jeterent un long cri d'indignation, d'é-
pouvunle, d'horreur" « Tout prit dans Paris un
aspect sinistre, dit un membre du. Conseil d'État
impérial. Les barrieres furent ferlnées, eomme
aux jours de crise de la Révolution ; on ne put 80r-
tir de la ville, apres la chute du jour, qu'avee une


(1) Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, IV. - Thibaudeau;
Le Consulat et l' Empire. Tom. III, pago 541-


(2) M. Thiers, Hi.stoire du Consulat et de I'Empire. Tom. IV,
pago 600-601. - Mérnoires de Joseph. Tom. ler, pago 98-99.




- 99-


nutorisation du gouverneur de París. 1) La violation
du territoire badois et l'assassinat du duc d'En-
ghien furent un double outrnge pour chaque Sou-
verain. L' Ell1pereUr de Russie et le Roi d~ Snede
protesterent aussitót contre ces deux forfaits du
Premier Consul; luaís I'Eropereur d' Allerpagne et
le Roi de Prusse temporiserent; tous les Princes
gerluaniques díssimulerent; et telle était déjél )eur
condescendance pOUl' la volonté suprelue du
Maitre de la France, qu'ils firent en sorte« qu'on
»ne demandát point satisfaction d'un acte arhi-
» traire qui, avilissant l' Elupire germanique, lui
»présagoait su destinée (1). » Au reste, la tombe
d'un Bourbon allait servir de berceau a l' Eln-
pire fran<;ais. Car Bonaparte avait soulnis, aux
délibérations du Conseil d'État, les trois ques-
tions suivantes: « Le Gouvernelnent héréditaire
»est-il préférable au Gouvernement électif?-
»Est-il convenable d'établir l'hérédité dans le mo-_
• ment actuel? - ComInent l'hérédité devrait-elIe
»étre établie? l) Le Sénat et le Tribunat devuient
résoudre ce triple probleme, en l'absence du Corps
Législatif: ce qui indiquait suffisamlnent la pro-


(1) M. le comte de Garuen, Hist. des Traités de Paix. Tom. VIII
pag.277,




- 1.00 -


ehaiDe traDsition de la dictature eivile a la dicta-
ture lnilitaire. COlulue les grands fonctionnaires
agissaient trop lenLement au gré de llonaparte, il
leurfitdire en secret: «HAtez-vous de vous pronon-
cer, si vous De voulez pas étre devaneés par les trou-
pes; le PreIllier Consul va parcourir les camps dis-
séluinés depuis Brest jusque dans la Flandre. Nul
doute que les soldats ne le saluent Empereur, et
que les acclamations du peuple ne confirment le
vceu de l'arluée. Que pourront faire les grands
eorps de l'ÉLat, sinon de sanctiollller ee vceu? Il
serait done plus sage de leur part de le prévenir :
On veut bien aujourd' hui les consulter, demain
on se passera d'eux. C'est surtout aux hommes
de la Révolution qu'il convient de prendre l'initia-
tive, car qui est plus intéressé a consolider le pou-
voir du Premier Consul et a refIne!' tou Le chance de
retour aux Bourbons? 1.e litre de Conslll hérédi.
tuire ne saurait suffire au Prelllier Consul ; il lui en
{a1tt un qui ne sente paso la République : celui d' Em-
pereur est te seul digne de lui etde la Frallce (1).11 Au
méme instant, Call1bacéres, deuxiéme Consul, disait
a Lebrun t troisiéme Consul : u J'ai le pressentiment


(1) Pelet (de la Lozere), Opinions de Napoléon, pago 59. - Thi-
baudeau1 Le Consulat et t' EmpiJ'e. Tom. lV, pa~. H.




- 101 -


que ce qu'on édifie ne sera pas durable. Nous avons
fait la guerre a l'Europe pour lui donner des Ré-
publiques, filIes de la République frall(;aise; nous
la ferons luaintenant pour lui donner des Rois, fils
ou freres du nótre, et la France épuisée finira par
succomber a ces folles entreprises (1 J. J)


On réllnit en conseil privé les grands fonction-
naires publics; et chaclln traita pour soi dans celte
sorte d'encan de tout un peuple (2). Bonaparte
distribua les gros traiteluents, les hautes charges
et les brillants costumes a qui en voulllt; mais,
jaloux de garder l'autorité absolue, il porta la
main sur son épée, en s'écriatít: « Tant que
que celle-Ih pendra á luon cbté, vous n'aurez
aucune des liberté s apres lesquelles vous sou-
pirez (3) ..• On ne gouverne qu'avec la force et par
la force; voilh du Inoins Iua Inaniere de voir, et
elle est conforme u lnes actions (h). »En sortant de
cette réunion, Calubacéres entra au Sénat pour lui
cOlumuniquer le sénatus-consulte organique de
la Constitution impériule, faisant de la Frunce qui,


(1) M. Thiers, llistoire du Consulat et de l'Empit'e. Tom. V,
pago 73.


(2) Thibaudeau, Le Consulat et l'Empire. Tom. IV, pago 27.
(3). Beugnot, Mémoircs.
(4) Stanislas de Girardin, Vide supril. Tom. Ier, pago 236.




- 102.0-


sons nos anéiéns Rois, avait été l'iniUatrice de la lÍ-
berté dans le lllonde (t)_, non-seu\etnent i'iniUa-
trice de la dictature tnilitaire, mais encore k le pa-
trimoine de Í30Iiaparte et de sa race (2). J) Quel-
ques jours apres, le second Consu1 disait an Pre-
mier Consul: « Le Sénat a pensé qu'il devait sup-
plier Votre Majesté d'agréer qUé tes 'dispositions
organiques re«ussent imnlédiatement leurexécu-
tion. Pour la gloire, comme pour le honheur de
la République, il proclalne a l'instant métne Na-
poléon; Empereur des Frltn~ais. J) Et nonaparte,
'qui lisait Tadte, put s'écrier ave e Tib~re : O ko-
mines nd servitudinem para tos (18 m ai 180 lt.) •


L'établissement de l'Empire excita plus d'en-
thousiasme parmi les troupes que parlni le peu-
pIe, quoiqu'on lui laissAt, pour la forme, il est
vrai, le droit d'admettre ou de rejeter le titre im-
périal de Bonaparte; et qu'on le traitAt en Souve-
rain a l' heure lnénle ou on le dépouillait .de sa


.


propre Souveraineté. L'Empereur de Russie et le
Roi de Suéde refuserent sur-Ie-chalnp leur adhé-
sion; l'Empereur d' Allemag-ne ne la dotlna -qu'a-


(1) HisúJire de la Monarchie. Tom. JI, chapo XLV, pago 254.
(2) M. Martill (du Gray), Hist. de Napoléon. Tom. ler, pago 450.




- 103-


pN~s a\;oir pris Jui-méme, dans l'intérét du systeme
poli tique de l'Europe , le titre d'Empereur hérédi-
taire, par rapport a ses États indépendants. Le Roi
de Prusse, agent du Premier Consul aupres des
autres Monarques, devait le salner Empereur, avee
un empresselnent égal a eelui du Roi d'Espagne ou
du Roi de Nap'les. L'un étant son vassal et l'alltre
son prisonnier, pouvaient-Hs, bien qu'ils appar ..
tinssent a la Maison de Bourhon, ne pas reeOll- .


,1'


tlaitre celui qui prétendait la supplanter ? Le Roi\',,~\
d'Angleterre ne devait rien dire a Napoléon, puis. \<::~~;
qu'il agissait contre Bonaparte ; mais LouisXVIlI
devait parler a tout le tnonde. En efIet, les divers
Gabinets recurent uneProtestationcontre l'acte con-


o


stitlltif de l'Empire et une Déclm'ation, ou, posant
en principe l'impossibilité présente de fonder une
Dynastie nouvelle, meme avee le despotisme, et
la possihilité future d'une restauration de l'an-
cienne Dynastie , le chef de la Maison de Bourbon
promettait solennelletnent a la France de garantir
un jour les droits légitimes du Peuple, si elle ga-
rantissaít 'elle-mélne les droits légititnes du Roi.
La Protestatt'on fut insérée dans le Moniteur, paree
que le Prince y plaidait la cause de l'autorité; la
Déclaration ne fut dénoncée qu'i\ la police, paree




- \04 -


que le Prince y plaidait la cause de la liber-
té (1).


Napoléon s'était fait octroyer le titre d'Empe-
reur par un acte légal de la Nation; mais il com-


:.prenait fort bien qu'une pareille investiture du
"Pouvoir était moralement illégale, ou mieux n'é-
tait pas conforme aux lois lnorales qui sont créées
par Dieu, puisqu'eIle exprimait la négation du
droit divin par le droit humain, au lieu d'expri-
lller l'é:1ffinnation du droit humain par le droit di-
vine D'aHleurs, l'autorisation forlnelle du peuple
aurait·elle 'été munifestée d'une lnaniere lnorale-
lllent légale, qu'elle eut été positivelnent insuffi-
sante; car elle ne saurait, en aueun cas, rempla-
cer l'autorisation fOl'lllelIe de Dieu, qui se mani-
feste ou doit se nlanifester par la reconnaissance
spontanée de tous les Souverains des autres
Étáts, fOflnant ensemble le corps politique euro-
peen. Et cette reconnaissance unanilne était hau-


,telllent refusée a Bonaparle! Des ueux conditions
,essentielles et obligatoires qui, dans la situation
actuelle de l' Europe, sont imposées a tout fonda-
teur de Dynastie : l'avreu - non le suffrage - du


(1) Voir ces deux piMes a la fin du volume, notc.s A el B.




- i05-


peuple qu'il se propose de gouverner, el l'adhé-
sion de tous les Monarques avec lesquels il se pro-
pose ou doit évidemment se proposer d'etre en
relations, puisque l'action de toute autorité s'é-
tend ou doit s'étendre sur le 1110nde proprement
dit, Napoléon n'en relnplissait pas une seule! Il
avait heau dire a ses légionnaires, des hnuteurs
du Tróne, sous les drapenux de Boulogne: Ir Et
» vous, soldats, vous jurez de défendre, nu péril de
» votre vie, l'honneur du nOl11 fran<;ais, votre pa-
1) trie, votre Empereur! » tout ce qu'il faisait pour
créer une Dynastie sous le rupport politique ou
nlatériel, ne pouvait que le détruire lui-meme ,
en tant que Dynaste, sous le rupport spirituel
ou moral, a moins qu'il n'obtint, d'une maniere
quelconque, la consécration divine el hUlnaine
de sa propre autorité. Désirant s'élever a cette
hauteur majestueuse , Napoléon, Dictateur armé,
s'agenouille devant Pie VII, Pontife désarmé ,
comme s'il voulait abdiquer la Souveraineté de
la force pour prendre possession de la Souverai-
neté du droit; con~me si le Pape était devenu,aux
yeux des sociétés lalques, ce qu'il n' était pas
11leme jadis aux yeux des sociétés ecclésiastiques,
c'est-a-dire le dislribuLeur des Tranes, l'arbitre




-l06 -
stiprélne de tons les Monal'ques, et, par conse-
quent, le Souverain des Souverains (1)!


Certes, la Mbnarchie pontificale avait exercé
une dictatul'e absolue , tant qu'il s'était agi d'ac-
complir la répartition universel1e des devoirs
dans l'humanité; mais, des qu'il fut question
d'accomptir la répartition universe\le des droits
dans l'humanité, les Monarchies particuHeres se
présenterent pour relnplir ce róle splendide,
paree que le sort de tous les États ne pou-
vait plus dépendre d'lln seul homme, fut-ille Vi-
caire de Dieu sur la terreo D'ailleurs, obligé de
subordonner le droit a la force, Napoléon n'en-
tendait nulIelnent devenir la créature du Pape,
surtout devant le Peuple, son prétendu créa-
teur. Aussi fit-il prévaloir la dOlnination de l'épée
sur la domination de l'esprit, sous quelque forme
et en quelque Iieu qu'elle se manifestAt. Lorsque
le Saint-Pere voulut, en présence de Dieu et au
pied des autels, déposer la Couronne sur le front
de celui qu 'il appelait son fils, Bonaparte, qui
était encore a genoux, se leva brusquemeht pour
l'arracher de ses mains et pour nlontrer a tout
le lnonde qu'il n'acceptait le droit divin qu'aútant


(1) Voir flistoire de la Monarchie. Tom. T, ch. IX, p. 424.




- 107-


qu'il serait onnulé par le droit huinain : ne se dou-
tarit pas qu'agir de ia sorte, c'était nier la Papauté,
bu mieux la Souveraineté de tous les siec1es, sans
faire affirlner son propre Empire : Souveraineté
d'hier qui peut-etre 'n'existera pas demain t


A l'heure ou le chef des hérauts d'armes criait
dans Notre-Dame: « Le tres-glorieux et tres-au-
J guste Emperel1r Napoléon, Empereur des Fran-
J «ais, est couronné et intrónisé, » une voix ter-
rible retentissait dans le Parlement de Lon-
dres. Napoléon avait écrit au Roi d' Angleterre
de tnaniere a pouvoir dire au peuple de France :
fEmpire, c;est la paix! et Wiliimn PHt, l'hOlume
des Coalitions européennes, lui répondait : l'Em-
pire, c'est la guerre! DéjA ces deux grands adversai-
res se lnesurent, se reconnaissent et se compren-
nent (i). Le nouveau César cOlnpte sur sa grande
'armée; le vieil homlne d'État compte sur les
fioances de l' Angleterre et sur les armées de toute
I'Europe. Napoléon se rend a Boulogne , tandis que
Pitt va faire au Parlement l'histoire formidable du
régne qui COlumence el dont il ne yerra pas la
fin. - « La guerre! s'écrie-t-il, la guerre est son


(1) M. Philarete Chasles, William pitt. Voy. France et Europe.
Tom. pago 688.




- 108-


hesoin, son devoir, son avenir. Quoi qu'il dise, et
melne qnoi qu'i1 veuille, son Trone ne peut rester
debout, il ne pent granQir que par la guerreo La
fatalité de sa naissance, ceHe de son Pouvoir
l'enchainent a la victoire, qui est sa luere. Qu'il
la répudie ou l'oublie, et il tombe; qu'il soit
vaincu, une fois vaincu, et il tOlnbe. Son désir de
paix ne pourrait s'accomplir sans suicide, la guer-
re done, et penllettons-Iui de jouer cette l11ar-
tingale effroyable 1 Donnons-Iui la liberté d'une
ascension qui le fera éclater dans les airs, au
plus haut de sao course. Ne cédons pas a une treve
fausse et dangereuse pour nous. L'hostilité de nos
positions respectives détermine le choc inévitable
de nos deux Empires. Lui accorder le temps, c'est
préparer ses forces, augmenter ses moyens, acti-
ver ses ressources. Si jmnais sacrifice nous fut
hnposé par notre salut, c'est aujourd'hui; nous
ne pouvons nous arreter sans fléchir, faire halte
sans lomber. D




CHAPITRE XXX.


LES ROIS DE L'EUROPE DÉTRONÉS PAR NAPOLÉON,
EMPEREUR DES FRAN~AIS.


Sommaire.


Dictaturede Napoléon, Empereur des Fran~ais. -Caléchisme impé-
riaI. - Origine de toutes les guerres entl'e la France el l'Europe,
sons l'Empire. - Napoléon, ne pouvant etre l'égal des Rois, veut
devenir leur supériem. - Coalilion de l' Angleterre, de la Russie,
de l'Aulriche et de la SuMe contre la France napoléonienne. -
Bataille d'Austerlitz. - Traité de Presbomg entre la France el
l'Autriche. - Création du Royaume de Baviere et du Royaume
de Wurtemberg. - Napoléon ne reconnait plus ni la Constitu-
Hon, ni I'Empereur d'Allemagne. - Fran90is II, Empereur d'AI~
lernagne, devient Emperem d' A utriche, sous le nom de Fran-
90is ler. - Confédération du Hhin. - Napoléon en est le pro~
tecteur. - Projet d'une Monarchie universelle masqué sous le
nom de systeme fédéraLif de l'Europe. - Napoléon notifie a l'Eu-
rope que les Bourbons de Naples ont cessé de régnel'. - Il
nomme Joseph Bonaparte, Roi des Deux-Siciles; et Louis Bonaparte,
Roi de Hollande. -Ces deux Couronnes royales sont pour eux deux
comonnes d'épines._ - Théorie du Gouvernemenl écrite par Na-
poléon. -- Elle esl applicable a lous les peuples qu'i! a déja con-
quis ou qu'il se propose de cl;mquérir . .-1 Histoire héraldique du
Royaume des Deux-Siciles. - Napoléon veut délruire le Royaurne
de Prusse, pom créer d'aulres Étals. - Guerre de la France con-
tre la Prusse et la Russie. - Bataille d'léna. - Deslruclion de la
Monarchie prussienne que Napoléon divise en quatre départe-
ments. - Création du Royaume de Saxe. - Batailles d'Eylau et
de Friedland. - Trailés de Tilsitt. - L'Empereur Alexandre el
l'Empereur Napoléon se partagent le monde. - Création du
Royaume de Westphalie pour Jérome .Bonaparle. - ÉrecLion du




-110 -
Grand-Duché de Varsovie. - Napoléon rend au Roi de Prusse la
moitié de ses États, par égard pour l'Empereur de toutes les Rus-
sieso - La Reine Louise-Auguste aux pieds de Napoléon. - Blo·
cus continental. - Napoléon veut détróner la Maison de Bourbon
qui regne en Espagne,et la Maison de Bragancequi regne en Portugal.
-État de ces deux Hoyaumes.-Traité de Fontainebleau.- Inva-
sion de I'Espagne et du portugal. - La Cou!' de Lisbonne s'enfuit
au Brésil. - Napoléon veut s'emparer de la Cour de Madrid. -
Émeute d'Aranjuez. - Abdication de Charles IV. - Avénement
de Ferdinand VII. - Napoléon refuse de le reconnaitre. -
Guet-apens de Bayonne. '- Les Bourbons d'Espagne reJégués en
France. - Joseph passe du :I'l'one de Naples au Tróne d'Espagne.
- Murat devient Roi de Naples. - Le peuple d'Espagne déclare
la guerre a Napoléon. - Redoublement d'arbitraire en France.
- Cour pléniere de Rois et de Princes a Erfurth. - Conférences
d'Alexandre et de Napoléon. - Propositions de paix a l'Angle-
terre, qui sont rejetées. - Napoléon en Espagne. - L'Espagne sol-
licite le secours de toutes les Monarchies et de toutes les Répu-
bliques. - Sucees des armées francaises. - Siége et prise de
Saragosse. - ManiCeste de l'Espagne contre le Tyran de l'Eu-
rope. - Guerre contre l'Autriche. - Napoléon el le Prince Char-
les. - Balaille d'Eckmull. - Désaslre d'Essling. - Napoléon se
retire a l'ile de Lobau. - Bataille de Wagram. - Paix de Schceu-
brünn. - L'Aulriche n'est plus qu'un État secondaire. - Con-
testations entre Napoléon et Alexandre au sujet de la Pologne. -
Conflit religieux. - Les États de I'Église sont réunis a I'Empire.
- Captivité de Pie VII a Savone. - Napoléon fait sauter les mu-
railles de Vienne. - Il demande et obtient la main de I'Archidu-
chesse Marie-Louise. - Le divorce el le mariage. - Naissanee
du Roi de Rome. - De la possibilité d'une quatrieme Dynastie.


L'Empire a remplac;é le Consulat : derniere fic-
tion républicaine qui tOlnhe,avant que la réalité filO-
narchique soit en état de se releyere Dans le fait, il
n'y a rien qu'un shnple changement de nom, p~is­
que Bonaparte s'appelle Napoléon, sinon pour ('En-
rope, du moins pOHf la France; mais dans les prin-




- 1U.-


cipes, tout est bouleversé. Car, apres avoir subi
une sanglante substitution de la République a la
Monarchie traditionnelle, opérée par les sectes ré-
volutionnaires, sous prétexte qu'elle devait attein-
dre le but de son existence par soi"!!'méme dans le
Gouvernelnent, nu moyen du Gouvern~ment, la
Nation fraD«aise vient de subir la substitution d'une
espece de Monarchie militaire a une espece de
Républiql1e, opérée par un seul hOIDlne , sOus
prétexte qu'elle ne pouvait pas atteindre le hut de
sa propre existen ce par soi-lnelne. Aussi I'Élat se
trouve-t-il dirigé suivant le caprice d'un indivídu,
qui oppose les prétendus droits d'une personna-
lité gigantesque aux droits légitimes d'une grande
sóciété. Le président du Sénat ayant dit a Napoléon:
u Sire, la liberté, les lois, la paix, ces troís mots
de l'oracle, semblent avoir été réunis a dessein
pour composer votre devise;» Napoléon, ne dési-
rant la paix et les lois qu'autant qu'elles peuvent
servir au -développement de son despotisme, lui
fait répondre par le Sénat: f( Toute force doit élna-
ner du Pouvoir supreme; le Peuple franfaz's a re-
mis a I'Empereur le droit de VOULOIR pour lui! »
Tant il est rare que le tlroit humain puisse exister
la ou n'existe plus le droit divin !




-112 -


Napoléon, néanmoins, s'iotitule Empereur des'
Franfais pato la grace de Dieu el les Constitutions de
f Empz·re, COlllme si, ayant obtenu l'hérédité daos
sa faluille en vertu du fait de sil propre élection,
il eut identifié dans sa personne ces deux gl'ands
principes sociaux. Mais le Peuple n'uvait pu luidon-
ner que ce qu'il possédait réelletnent, eest-a-dire
la Souveraineté exclusive du droit hUlnain, et non
pas la Souveraineté du droit divin, appartenant
lnoralenlent et d'une maniere irréfragahle, a la
Maison de Bourbon, soit qu'elle "fÍlt dans l'État,
soit qu'elle fut hors de l'État. Il en résultait que,
sous peine d'enlever au Pouvoir dont il disposait
avec tant d'énergie, le caractere de légalité qui lui
est toujours nécessaire, l'Empereur se trouvait
obligé de fonder son Gouvernement sur la liberté
positive, puisqu'il ne possédait pos l'autorité 1110-
rale proprement dite. En fondant l'Empire sur le
despotisnle, Napoléon accolllplit done un acte d'u-
surpation. Tous les anciéns sans-culottes, qui étaient
revetus des plus hautes digoités; presque tous les
Conventionnels, qui avaient décapité le Roi,
ne s'humilierent pas 1110ins devant le Dictateur.
Et la Nation, incapable de rien faire par elle-
nH~me, laiss::t tout faire a Napoléon. Des qu'il peut




- B.S-


abuser de l'État, il veut également ahuser de l'É-
glise. Les éveqlles, au lieu de lui résister, se ren-
dent coupables de prévarJcation, en s'écriant : Le
doigt de Dieu est iei; e'est l'homme de la droite du
Seigneur!.. la soumission hu" est due, eomme domi-
nant sur tous; a ses ministres, eomme envoyés par lui,
paree que tel est l'ordre de la Providenee. " On
lnenace de la damnaUon éternelle (t ), quieonque
manquerait a famour qu'z'l est tenlt d'avoir pour
Napoléon et pour sa Dynastie. Le Peuple franvais,


(1) D. ~ Quels sont nos devoirs particuliers envers Napoléon re.,
notre Empereur?


R. - Nous devons en particulier a Napoléon le., notre Empereur,
l'amour, le respect, l'obéissance, la fidélité, le service militaire, les
tributs, etc.


D. - Pourquoi sommes-nous tenus de ces devoirs envers notre
Empereur?


R. - C'est paree que Dieu, en comblant notre Empereur de dons,
soit dan s la paix, soH dans la guerre, l'a établi notre Souverain, l'a
rendu le ministre de sa puissance et son image sur la terreo Ho-
norer et servir notre Empereur, est done honorer et servir Dieu
méme •••


D. - Que doit-on penser de ceux qui manqueraient a leur devoir
envers notre Empereur?


Ro - Selon l'apótre saint Paul, ils résisteraient a rordre établi
de Dieu mtmte, et se rendraient dignes de la damnation éter-
nelle.


D. - Les devoirs dont nous sommes tenus envers nofre Empe-
reur, nous lieront-ils également envers ses Sllccesseurs légitimes
dans l'ordre établi par les Constitutions de l'Empire ?


R. - Oui, sans doute; car nous lisons dans la Sainte-Écriture que
Dieu, Seigneur du ciel el de la terre, par une disposition de su vo-
lonté supréme, et par sa Providence, DONNE les EmpiJ'es non-seu le-
ment a une personne en particulier, mais aussi a sa famille.
(CATÉCHISi\lE a l'usayc de toutes les églisc.~ de l'Emp. franf.)


IV. (3) 8




r_ tt4 -


vieux lion qui porte sa museliere comme un chten
bien dressé, laisse accomplir cette perversion du
droit divin et du droit humain; mais tous les Rois
et tous les autres Peuples doivent réagir a l'effet
de maintenir la pureté de ces deux principes. Car
lIs se trouvent en présence d'un ennemi COlnmun
et déclaré, puisqu'ils sont, unis ou séparés, les
représentants du droit hUlnain et du droit divin
dont Bonaparte doít poursuivre la double destruc-
tion, pour opérer sa propre création dynastique.


Telle fut l'origine des grandes guerres qui ti-
rent de l'ere impériale un duel sans fin entre la
France et I'Europe, qui bouleverserent l'existence
des divers États du Continent, qui détruisirent
rancien monde sous les coups du despotisme, au
profit d'une civilisation meilleure, en attendant
que la paix créat, a son tour, le monde nouveau
avec ses liberté s toujours nécessaires, quoiqu'elles
puissent quelquefois devenir fatales.


Napoléon devait se placer au-dessus des lois
morales et au-dessus des lois politiques univer-
selles, puisque, non content d'étre le Dictateur de
la France, il aspirait a la domination du monde. Au
rebours de Charletuagne, qui laissait achaque :€tat
conquis ses lureurs, ses usages, ses habitudes, ses




- H5-


1018, sa Constitution propre, et n'en prenait que la
direction supérieure (i), pour que ces éléments
hétérogénes convergeassent vers un centre COlll-
Inun : l'unité morale, signe de vie et de progres,
Napoléon ne laissait aux diverses Nati.ons conquises
ni leUr Constitution propre, ni leurs 101s, ni leurs
habitudes, ni leurs Usages, ni leurs mmurs, et en
prensit lá directlon supréme pour faire converger
ceS éléments hétérogenes vers un centre commun $
l'unité politfque, ou mieux l'uniformité, signe de
décadence et de mort! Uó autreElnpire d'Occident,
fondé sur l' étrange eOlubinaison de la féodáUté
militaire et de l'égalité chile, aurait done trans-
fnrnié tons les peuples plus ou moins libres en au-
tant de troupeaux d'esclaves, tous leurs Souverains
en autant de sujets. C'en était falt de l'Europe, et,
par suite, de la c1vilisation elle-lnéme, si Dieu eut
permis il ce grand hOlnme de réaliser son réve.
Csr les Nations distinctes, eessant d'exister ou de-
venant passives, li'auraient pu de longtemps rede-
venir assez actives, pour qu'elles pussent concourir
aUx destinées générales de l'humanité.


Le plaglalre itnpérial se met a l'reuvre. Charle-
magne, Roi de France, a été fait Empereur en


(i) Voir tomo l,r, chapo V, pago 18i.


\.




- it6-


Italie, c'est-a-dire chef temporel de la chrétienté,
Napoléon, Empereur des Franc;ais, se fait Roi lui-
lnelne en Italie, afin de montrer aux divers Mo-
narques, Rois ou Empereurs, que, s'il n'est pas
encore leur égal, il sera bientót leur supérieur,
c'est-a-dire chef de l'ordre poli tique européen. Les
Souverains ne peuvent, sans avilir la Royauté daos
leur personne et sans opérer eux-melnes la des-
truction moral e de Ieurs propres États, accepter
cette sorte de suzeraineté que s'aUrihue un homme
dont ils refusent de reconnattre le caractere mo-
narchique, paree qu'il n'est, a leurs yeux , qu'un
heureux capitaine d'aventure (t). En conséquence,
Alexandre lcr, de Russie, Fran<;ois 11, d' Autriche,
Georges IlI, d' Angleterre, et Gustave IV, dé
Suede, se coalisent contre Napoléon, qui vien t
de réunir Génes, GuastaIla, Parlne et Plaisance a
l'Empire. apres avoir découpé, en Italie, plusieurs
petits Trónes a ses proches : détruisant et créant
ainsi des Princes et des Principautés par un acte
de sa volonté particuliére, sans attendre qu'il soit
créé Prince lni-meme par l'autorisation univer-
selle des Rois. L'Empereur accourt a Paris, espé-


(1) POZZO di Borgo disait, apres la balaille de Friedland: «( A la
'P""emiere mauvaise chance l' aventurier est perdu. "




- 117-


rant que sa présenee y exeitera l'enthousiasme po-
pulaire. Mais le peuple reste silencieux (1), paree
qu'on lui donne la guerre, quoiqu'on lui ait pro-
mis la paix. C'est alors que Fouehé dit a Napo-
léon : e Il vous faut un autre Marengo, et cela dans
.les premiers mois ; tout retard est mortel. »


L'armée d' Angleterre devient l'armée d' Alle-
magne. L'Éleeteur de Baviere, de Bade et de
Wurteluberg se jettent dans les hras de Napo-
léon, qui viole le territoire neutre de la Prusse
pour arriver au creur du territoire ennemi, avant
que les Russes aient établi leurs communieations
militaires avee les Autrichiens. Un formidable sys-
teme de stratégie, ou le courage, la tactique, la
diplomatie, les fausses nouvelles et les corruptions
fonctionnent a tour de role, paralyse l'armée au-
trichienne. On ohtient, sans coup férir, la eapitu-
lation du général Marek, qui, suivant les helles
expressions du eOlnte de Stadion, ce a soif de la
»honte, comme un nutre a soif de la gloire. »J./ar-
ehidue Charles, n'ayant pu se maintenir en ltalie,
essaie de barrer passage il douze colonnes vieto-
rieuses, avee un corps d'armée démoralisé par la
défaite. Les Autrichiens reculent; ulais les Russes


(1) M. Thiers,Hist. du co'lt$ulat et de l'Empire. Tom. VI,pag. 46.




- i~&-
s'avancent en toute hatee L#Empereur AJexandre,
venu a Berlin, falt entr~r le Roi de Prusse dans la
coalition, tandis que Napoléon entre dans Vienne.
C'est la qu'il apprend le désastre de Trafalgar,
hieIltót compensé avec le triomphe d' Austerlitz.
Fran<;ois II redoute enfin l'issue d'une guerre lnal-
heureuse, quitte Alexandre ler el va trouver Napo-
léon aux avant-postes de l'armée franc;aise, pour
obte:nir une paix telleluent humiliante que Talley-
rand s'écrie : tI Plus d'Empereur d' Allemagne ;
»trois Empereurs en Allemagne : France, Autriche
»et Prusse (1.)! •


Le traité de Presbourg ne fut pas un lien formé
entre l' Autriche et la France; lnais un joug'imposé
par la France a l' Autriche, puisqu'elle dut aban-
donner l'État de Venise, la Dahnatie etl'Albanie au
Royaume d'Italie, ou mieux a l'Empire fran<;ais;
et au Royaulne de Baviére, le Tyrol, la Prinei-
pauté d'Eiehstadt, l'évéché de Passau, la ville
d' Augsbourg et diverses possessions héréditaires
qu'elle partageait, soit avee le Royaume de Wur-
temberg, soit avec le Grand-Duché de Bade; puis-
qu'elle dut également reeonnaitre ces trois déno-


(1) M. le cornte de Garden, Hist. générale deJ Traités de paix.
Tom. IX, p~. 30, note.




- H.9-


minations nouvelles au Margraviat de Baden et aux
deux Électorats de Wurtemberg et de Baviere, en
récompense des services rendus a l'ennemi de leur
COlnmune patrie. « Or, Fran<;ois II avait fait la
guerre comme Empereur d'Autriche et non corolne
chef de l'Empire; il ne pouvait done faire la paix
qu'en vertu du premier de ces titres. L'Empire
n'ayant pas pris part aux hostilités, les stipulations
de la paix ne pouvaient que lui rester étrangeres.


,1" ~.


Le chef du Gouvernement fran<;ais n'était pas fondé ¡<:>
a lui delnander des concessions; car, quelque droH/ f
que la victoire put lui avoir donné sur l'Empereur
d' Autriche, il n'en avait point acquis sur l'Empire
germanique (1). 1) Napoléon y opéra néannloins des
changements aussi considérables dan s l'état des
personnes que dans l'état des choses, quoiqu'il
lnaintint et confirInat la Constitution de l'Em-
pire. Sous ce rapport, le titre de Roi accordé aux
Maisons de Baviere et de Wurtemberg, et celui de
Grand-Duc accordé a la Maison de Bacle, attri-
huaient sans doute de nouvelles prérogatives aux
Princes qui les avaient obtenus; lnais ils ne ces-
saient point pour cela de dépendre expresséluent


(1.) M. le cornte de Garden, llist. générale des Traitésde paix.
Tom. IX, pago 52.


< •


". ·;'-f·1 ~-~. ' ,
<-




- t20-


et de l'Empire et de l'Elnpereur, en tant que luenl-
bres du Corps germanique, dont la Maison de
Habsbourg-Lorrnine formait la tete. Malgré cet
engagement solennel, Napoléon résolut, six luois
apres, de détruire tous les anciens rapports établis
entre les Princes et leurs co-États, d'en créer de
nouveaux, sans crainte de- déroger aux droits de
toute Souveraineté garantis par les traités, et de
substituer au Corps germanique la Confédération
du Rhin, dont il serait le chef, sous le titre de
Protecteur. En effet , le Cabinet des Tuile-~
ries fit signifier a la Diete de Ratisbonne« que
»1'Empereur Napoléon ne reconnaissait plus ni
» Constitution, ni Elllpereur d' Allemagne; » et les
Princes, qu'il avait été facHe de gagner, paree
qu'ils craignaient de perdre les avantages obtenus
a Presbourg, déclarerent qu'ils se séparaient de
l'Empire, qu'ils fOflllaient une alliance offensive et
défensive avecla France, et qu'ils lui fourniraient
un contingent de soixante-trois lllille hommes a
toute réquisition. De sor te qu'un nutre partage de
la Pologne fut accompli par les lnembres d'un
melne corps politiqueo La suprématie de la Maison
d' Autriche disparut elevant le Protectoral de Na-
poléon, qui employa la lDenace contre le chef de




- 121-


I'Empire, Empereur d' Allemagne, sous le Dom de
FruIl<;ois 1I, pour lui faire quitter ce titre et ce
DOro, et lui faire prendre ceux de Frun<;ois Iez, Em-
pereur d'Autriche. Une Diéte, siégeant a Francfort,
devait servir d'organe politique a la Confédéra-
tion, instrulncnt de la Puissance fran<;aise; mais
il n'en fut jamais question; et la volonté du
Protecteur devint l'unique loi. Napoléon put dire
alors : e Sans risquer le sort des batailles, j'ai
réuni des provinces entieres it Ines États; je suis
monté sur le premier Tróne du monde, je fais ve-
nir au pied de ce Tróne vingt Souverains, afin de
m'asseoir au-dessus d'eux ~ : et l'arcbi-chancelier
de la Confédération, nOlllmé par lui, dut s'é-
crier: « Que l'Empire d'Occident renaisse en
1> l'Empereur Napoléon, tel qu'il était sous Char ...
J lelnagne, composé de la France, de l' Allemagne
• et de 1'1 talie. •


Avant de notifier a la Diete de Ratisbonne que
l'Empire d'Allemagne n'existait plus, Napoléon
avait notifié a l' Europe que la Maison de Bour-
bon cessait de régner dans les Deux-Siciles et
qu'il en destinait la couronne a son frere Joseph,
pour punir Ferdinand IV d'avoir fait cause COID-
tuune avec les Souverains coalisés. Étant aban-


4' .
'.,




- 122-
donné par les Anglais et par les Russes depuis la
hataille d' Austerlitz, ce Monarque ne put défendre
le Royaume de Naples; mais il put conserver la
Sicile. Napoléon ne s'écria .pas IDoins, dans le dé-
cret impérial qui instituait la Royauté de J oseph :
• Les Peuples de Naples et de Sicile sont tombés en
»notre Pouvoir par droit de conquete, et cOlnIne
»forluant partie du grand Empire (30lDars) (1) ••
Tandis qu'il imposait des Rois a certains Royau-
mes, il exigeait que des Républiques Iui demandas-
sent des Rois. La République hatave devint ainsi
la Monarchie de Hollande. Louis-Napoléon fut
Souverain de la méme fa<;on que Joseph-Napoléon.
Ces Princes représenterent fictivement deux États;
lnais Hs ne représentérent, en réalité, que l'Enlpe-
reur.


(:1) Fontanes, président du Corps Législatif, s'exprimait en ces
termes, pour célébrer l'avénement de Joseph Bonaparte :


« Le Tróne de Naples tombe, et du fond de ses ruines s'éleve un
cri contre ses alliés, qui se livrent, en fuyant, au juste courroux
d'un vainqueur qu'indigne la roi violée. Malheur a moi, si je foulais
aux pieds la grandeur abaUue 1 Plus j'aí de plaisir a contempler tous
ces rayons de gIoire qui descendent sur le berceau d'une Dynastie
nouvelle, moins je veux insulter aux derniers moments des Dynasties
mourantes. Je respecte la Majesté royale jusque dans ses humilia-
tions. L' histoire est pleine de ces grandes catastrophes ; partout
la force et l' habileté saisissent les sceptres que laissent tomber la
faiblesse et {,imprudence; et si les jeux de la fortune font couler
les larmes des Rois, celles des peuples seront au moins essuyées. )


On Yerra, plus loin, que cette révolution tit couler des torrents de
sango




- t2a-
Les doc~ments publiés naguere ne permettent


poiot le moindre doute a cet égard (1). Nous leur
feroos de nombreux emprunts, parce qu'ils don-
neot le dernier mot de la politique ilnpériale. On
sait que la Couronne de Naples fut une couron~e
d' épioes pour J oseph ,et que loin de rétablir la paix
daos ce ll,oyaume, il y perpétua la guerre pour dé-
truire une Dyoastie nationale et créer une Dynastie
étrangere. 11 faut entendre l'Elupereur des Fran-
~ais exposer ou lnieux imposer lui-lneme au Roi
de Naples, sa propre théorie gouvernementale.


a Faites fusiller impitoyablement les lazzaroni
qui donuent des coups de stylet; ce u'est que par
une salutaire terreur que vous en imposerez a la
popuJace italienne... QueJque eh ose que vous fas-
siez, sachez que vous aurez une insurrection •••
Vous ne me parlez pas des forts! s'H est nécessaire,
faites batir trois ou quatre batteries, COlnme fa-
vais fait au Caire, qui puissent jeter des bombes
daos les différents quartiers de NapIes (NapoIéou
a Joseph, 6 mars).


« Il faut établir dans le Royaulne de NapIes un
certain nombre de familles fran<;aises, qui seront


(1) Mémoires et correspondance politique et militaire de Jo-
seph, publiés, annotés et mis en ordre par A. du Casse, aide de camp
du prince JérOme. i85la.




- 124-


investies des fiefs, soit provenant de l'aliénation
qui serait faite de quelques domaines de la Cou-
ronne, soit de la dépossession de ceu! qui oot des
fiefs, soit des biens des moines, en diminnant le
nombre des couvents. Dans mon sentiment, votre
Couronne n'aurait aucune solidité, si vous n'aviez
autour de vous une centaine de généraux, de co-
lonels et autres, et des officiers attachés a votre
maison, possesseurs de gros fiefs dans les Royau-
lnes de NapIes et de Sicile. Je pense que Berna-
dotte, Masséna devraient étre fixés a Naples avec le
titre de Princes, et avec de gros revenus qui assu-
reraient la fortune de leur falnille. Ce moyen, je
le prends pour le Piémont, pour l' Italie, pour
Parme; il faut qu'entre ces pays et Naples, il res-
sorte la fortune de trois ou quatre cents officiers
fran~ais, ton s jouissant de domaines qui seraient
dévolus a leurs descendants, par droit de primo-
géniture. Dans pen d'années, cela se mariera dans
les principales maisons, et le Trone se trouvera con ..
solidé, de maniere a pouvoir se passer de la pré-
sence d'une arlnée fran<;aise, poiot auquel il faut
arriver (ibid. 8 lnars). »


o: J'ai créé six fiefs daos votre Royaume (ibid.
31 mars) ••




-125 -


« Je ne saurais trop vous recommander d'établir
le plus t6t possible des colonnes mobiles et des
comluissions lnili taires (ihid. 1.1. avril) •• :


eJe vois avec plaisir qu'on ait brolé un village
des insurgés. Des exelnples séveres sont né-
cessaires; j'imagine qu'on aura fait piller ce vil-
lage par les soldats. On doit ainsi traiter les villages
qui se révoltent; c'est le droil de la guerre, mais
e'est aussi un devoir que prescrit la poli tique (ihz·d.
~ 1. avril) .••


« Vous ~omparez l'aUachement des Fran~ais a
ma personne a celui des Napolitains pour vous,
cela paraitrnit une épigralnme. Quel alnour vou-
lez-vous qu'ait pour VOl1S un peuple pour qui vous
n'avez rien fait, chez Jequel vous étes par droit de
conquéte, avec quarante ou cinquante mille étran-
gers ? •• Si vous n'aviez pas d'armée fran~aise et
que l'ancien Boi de Naples n'eÍlt pas d'arnlée an-
glaise, qui serait le plus fort a N:aples? et certaine-
ment je n'ai pas besoin d'armée étrangere pour
me lnaintenir a Paris (z·hid. 3 juin) .•


« Lorsque vous serez maitre de la Sicile, insti.
tuez trois autres fiefs ..••• Dites-moi les titres que
vous voudriez donner aux Duchés qui sont daos
votre Boyaume. Ce ne sont que des litres; le prin-




- t~~-
clpal est le bien qu'on y attache. Il faudralt y atree ..
ter deux cent mille livres de rentes; j'ai exigé
aussi que les titulaires eussent une maison a. Paris,
parce que c'est la qu'est le centre de tout le syste-
lne; et je veux avoir a Paris cent fortunes, toutes
s'étant élevées avec le Treme, et restant seules con ..
sidérables, puisque ce sont des fidéi-commis, et que
ce qui ne sera pas elles, par l'efTet du Code civil, va
se disséluiner.


« Établissez le Code civil a NapIes; tout ce qui
ne vous est pas attaché va se détruire alora en pen
d'aI1nées, et ce que vous voudrez conserver se con-
Solidera. Voila le grand avantage du Code civil ..• Il
consolide votre puissance, puisque par lui tout ce
qui n'est pas fidéi-commis tombe, et qu'il ne reste
plus de grandes maisons que celles que vous érige-
rez en fiefs. C'est ce qui m'a fait précher un Code
civil et m'a porté a l'étahlir.


«Puisque la Calabre s'est révoltée, pourquot ne
prendriez-vous pas la moitié des propriétés pour
distrihuer a I'armée (z"bz·d. 30 juillet)? 11


« J'attends de savoir la quantité de hiens que
vous avez confisqués en CaIabre et le nOlnbre de
révoltés dont vous avez fait honne justice; faites
fusiller trois personnes par village des chefs de la




- t27-


révolte; n'ayez pas plus d'égards pour les prétres
que pour les autres (ibid. 6 aout). »


CE Je désirerais que la canaille de Naples se ré-
voltát. Tant que vous n'aurez pas fait un exelnple,
vous n'en serez pas luaitre ; a tout peuple conquis,
il faut une révolte; je regarderais une révolte de
Naples, comme le pere de famille voit la petite vé-
role a ses enfants (i) ••


Par ces arréts impitoyables, Napoléon s'imagine
garantir l'existence de sa falnille, sous le rapport
dynastique, avec l'assentituent des Rois qu'il dé ..
tróne, avec la reconnaissance des peuples qu'il
anéantit. Mais s'H obtient, en France, l'honneur d'é-
tre comparé a Charleluagne, le héros de l'humani.
té, il ne saurait obtenir en Europe que la triste
gloire d'étre mis au-dessous d' Attila (2), le fléau de
Dieu. Car le roi des Huns inclina jadis son épée
devant le Souverain-Pontife, et l'Elnpereur des
FraD(fais osera bientOt lever la lnain sur lui. Si un
Doble entbousiasme s'elupare du Fran<;ais, en
voyant són Elnpereur faire et défaire les Monar·


(1.) Toutes les citations qui précMent sont extraites du tome II
des Mémoires de Joseph, excepté la derniere que nous emprun-
tons a la page 1.36 du troisieme volume.


(2) e'est sous ce nom qu'il était dé signé par les Napolitains et sur-
tout par les Espagnols.




- t28-


chies, ponr nsservir leurs Nations; vaincre tous les
Souverains, pour les ravaler au rang de vassaux ou
de sitnples digoitaires de l'Empire; élever ses lieu-
tenants nn rang de Princes, pour les associer a sa
fortune mirnculeuse et A ses éclatantes destinées ;
enfin distribuer aux soldats toutes les dépouilles
l'Enrope, afio d'entrctenir l'esprit luilitaire daos
le pays; par contre, une ioclignation, assnrément
bien légitime, doit s'emparer de l' Autrichien, de
l' Allelnand, du Prnssien, de I'Espagnol, du
Napolitain et du Hollandais, en voyant ce con qué ..
rant menacer l'existence de tous les États pour
assurer son existence individuelle, en tant que Dy-
naste; fouler aux pieds les plus saintes notions du
droit, de la justice et de la paix publique; pour oh.
tenir des adjonctions territoriales el une supério-
rité de Pouvoir incommensurable dans la guerre,
dans l'injustice, dans l'illégalilé.; subordonner tous
les principes humains et divins a ses propres actes;
défier la Providence et livrer enfin le monde aux
plus terribles coups de la force et du hasard, pour
fonder son exaltation personnelle sur la chute mo-
rale et physique de l'hulllanité! En etret, le but
que Napoléon se proposait d'atteindre, au moyen
du glaive, était incOlupatible, non-seulelucnt avec




- 129-


celui de toutes les Dynasties, mais avec celui de
toutes les Nationalités, puisqu'il voulait détruire
leurs Monarchies particuliéres afin de se créer une
Monarchie universelle.


Bonaparte a été grand dans le possible; Nu-
poléon est gigantesque dans l'impossible. Par la
maniere dont il con«ut l'État, en sa qualité de Pre-
mier Consul, il semblait etre le protecteur ar,mé de
l'égalité civile et de la liberté poli tique ; par la lna-
niere dont iI con~oit l'État , en su qualité d' Em-
pereur, il devient, au contraire, le protecteur armé
d'une féodalité nouvelle qu'il désire manifeste-
ment rattacher a l'ancienne, sous prétexte de 111et·
tre d'accord, par le seul fait de son despotisme,
les principes contradictoires du passé et de l'a-
venir. Tout devait etre nouveau dans l'Empire et
dans les Royautés que Napoléon prétend instituer;
lnais tout y porte l'elnpreinte de l'ancienneté, ou
mieux de la vétusté. L'imitation historiqtie tient
lien de tradition (1.), el le 1110 U veluen t 111iJitaire


(1.) « A une révolntion ennemie jnrée de !'histoire, dit M. César
Cantu, succéda l'Empire, ou tont fnt imitation: pour le symbole,
l'aigle portant la foudre; dans le palais, les dignitaires militaires el
civHs, tels qu'on les trouve dans Hincmar; un grand-aumónier,
comme au temps des Capets, jetaient des poignées d'or au peuple,
etc. » (Hist de cent ans, tomo n, pago 1.99.) )) Lorsqu'il fut question
de donner des armes au nOl1veau fioyaume de Naples, Talleyrand


IV. (3) 9




- 130-


tit~nt lieu de progres social. Les grandes époqties
humaines se résumaient aupáravant dabs dn livre,
daos un systeme; dans uneidée ; Napoléon résUttle
la sienne dans ses batailles; c'est·it-dire dans ses
victoires : ouvrages merveille1Jt écrits pár üü seul
homltie avecle sang de tdot l~ ttloI1tle. Insatiabhhlé
domination et de conquétes, il ile dépdsefa tJoitlt I~s
afines, tant qu'un peuple restera. libte; tant qti'titl
Hoi se tiendra debout. Chaque paix plus bu tltoibs




rédigea le rapport suivant, qui peut étre considéré comme une
histoire héraldique 'des Deux-Siciles.


« S. M. le Roi de Naples a désiré connattre les irttehtions de S. M.
l'Empereur sur les armes qu'eUe doit donner au Royaume de Naples,
sur les couleurs de son pavillon, de kl cocarde napolitaihe, et de la
livrée de la Maison.


» l.'aigle impériale peut etre 'conservét> dartE! les artnoiries. EUe
1'appelle que Naples fail partie des États de l'Ernpire, et que la
Dynastie actuelle est une branche de la tige impériale de France;
maís les branehes des Maisons souveraines sont ordinairement dís-
tínguées de la tige principale par quelque addition en brisure dans
leurs ármoiries. eette dilTérence met plus d'ordre dans la généalo-
gie des dilTérentes Races régnantes; et si elle est moins essentielle allX
c:llnmencements d'une Dynastie et aux temps dont on est tétnoin,
paree qu'il n'y a pas encore eonfusion d'événements. elle deviendra
un jour nécessaire a l'histoire.


)) Le signe différentiel ne doit pas étte arbitrairement choisi : le
blason a ses regles, et je pense qu'il faut lui conserver ceHes que
l'usage lui a consacrées. Les {reres de Louis XV [avaient au centre
de leurs armoiries un bAton mis en abime; mais on ne peut em-
pIoyer ce signe dans l'éeusson actuel, dont l'aigle occupe le centre.
Les armes (\es fre.rés atnés des l\ois, ou des seconds tlls qui ne \eur
suecédaient pas, étaient plus anciennement surmontées d'un larnbel
a trois ppndants. De tous les genres de brisures, le lambe( d'or,
est le plus relevé. On peut en ajouter un pour S. ~f. le Hoi de Na-
ples, au chef de l'écusson impérial.




- iSi-
ptirtieuliére deviendra, par la fuaniere dorit II
voudra, soit l'interpréter, soit l'imposér:l ses pro-
pres rllliés eomme a ses enneInis, une eanse de
guerre plus ou moins générale. Ainsi, le tt1iité de
Presbourg érige detix Trones royaux d9ns l'Ernpire
gebnáhique, paree qu'il se propose de renverser
lui-irl.éme le Trórle impériíH; et la Confédérritiorl
dü 1\llih entoilte l' Autriehe et la Prusse de trou-
pes tran~aises ou de vassaux de la Franee, toujours
prets a inareher sous sá hanniere, paree qu'il se


)} Milis les armes de France ne constatent que l'origirie de iá
branche de Naples; il parait convenable d'y ajouter les armes de
l'~tai ou elle regné.


» Ñaples a plusleurs fois changé d'armoiries. Elle a en celIes des
Prihces normands, des Princes de la Maison de Souabe, de la branche
d'Anjou, de celle d'Aragon. Je propose de lui rendre les armes des
Princes normands qui fonderent ce Royaume apres leur conquéte.
Elles rappellerit tIlle époque glorieuse dans n"otre histoire, et établis-
sent, entre deux événemehts, que huit sH~cles séparent, un rappro-
chement remarquable.


» Les armes des Princes normands étaient de gueuLes, ti La 'tace
échiquetée el'argent et el'azur, elles occl1peront la seconde moitié
de l'écu et les armes de France occuperont la premiere.


) Autrefois, les armes de Naples étaient suppoftées de deux Sy-
renes. On poürrait conserver ces supports au nouvel écusson. lis
rappellent une de ces traditions fabuleuses, qui doivent avoir 1: n
intéret local pour Naples et pour la Sicile, dont on dit que les Sy-
renes habitaient les cótes. L'une d'elles soutiendrait la Couronne
qui doit étre fermée comme eeHe de tous les Souverains; l'autr~
tiendrait en main une banniere ornée des armes de Jérusálem


)) Les Rois de Naples ont toujours porté le titre de Rois de °iérl1_
salem depuis que Charles d'Anjou, fils de Louis IX, étant devenu
Roi de Naples, Marie, Princesse d'Antioche, lui fit la cession de tous
les droits qu'elle prétendait au Iloyaume de Jérusalemo
»~Les aÍ'mes que la branche d'Ahjou-Sicile a toujom's uníes ílUX




- t32-


propose d'anéantir ces États l'un aprés l'autre, ou
tous les deux a la fois.


En comtnuoiquant au Roi Frédéric-Guillaulne
cette révolution faite saos lui et conséquemment
contre lui, Napoléon avait dit: Ir Sa Majesté prus-
sienne peut réuoir sous une nouvelle loi fédérative
les. États qui appartienneot encore a l'Etnpire
gernlanique, et iotroduire la dignité impériale
dans la Maison de Brandebourg. Elle peut, si elle
le préfere, fonner une fédération des États du
siennes sont d'argent a la croix potencée d'01', cantonnée de qua-
tre croisettes simples du mbne.


)) J'ai cru devoir appuyer des explications précédentes la compo-
sition des armes de Naples que j'ai l'honneur de présenter a S. M.
Elles sont entourées du manteau de Grand-Électeur de France et du
collier de l'ordl'e du Croissant, que Réné d' Anjou, Roi de Sicile et
de Jérusalem, avait fondé au xve siecle.


)) S. M. le Roi de Naples pense que son pavillon pourrait etre le
meme que celui de France, en y substituant la couleur noire a la
couIeur bleue; mais cette dilférence est peut-étre trop peu remar-
quable. A une certaine distance, le noir et le bleu se confondent. Le
seul moyen de distinguer les deux pavillons serait de varier les
positions et les combinaisons des couleurs; mais il a déjil faHu varíel'
pour le pavillon batave, qui a les meme couleurs que la France, et
pour le pavillon d'ltalie, qui n'~n differe que par la substitution du
vert au bIeu.


)} J'ai l'honneur de proposer a s. M. de n'employer dans le pa-
villon de Naples que le blanc et le noir, et de donner a la cocarde
mililaire les mcmes couleurs.


» Le fond de l'uniforme des bataillons provinciaux pourrait etre
noir, ainsi que S. M. le Roi de Naples le désire, puisqu'on fabrique
dans toutes les parties de son Royaume beaucoup de draps de ceHe
couleur, et qu'elle entre déja dan s le coslume des montagnards de
Naples.


» S. M. le Roi de Naples désire conserver pour sa Maison le fond




- 133-


Nord de l' Allelnagne , qui se trouvent plus parti-
cliliérement placés dans sa sphére d'activité. »
Cette ligue devait cOlnprendre évidemment la
Saxe, l'É1ectorat de Hesse et les vilIes hanséatiques;
luais le Cabinet de Paris, qui convoitait la posses-
sion de ces villes, notifia uu Cabinet de Berlin
« qu'elles devaient rester indépendantes et isolées
t de teute Confédération. » En méme telnps,il ofl'rait /~~


. 1ti~
a la Grande,:, Bretagne de llli restituer le Ha- ( ;
nóvre, qU'lln traité garantissait a la Prusse COllllne \..o;"~


.... ~ .. ~ ~


indemnité pour la cession de trois provinces, et ' ...... : .•. ;~:~'.'
donnait au Grand-Dllché de Berg les trois abbayes
d'Elten, d'Essen et de Verden, que le rescrit de la
députation de l' Enlpire avait égalelnent adjugées a
la Prusse comme indemnité. Afin d'assurer le suc-
ces de tant d'llsurpations, Napoléon faisait vivre
une armée fran<;aise sur le territoire prllssien, ni
plus ni moins qu'en pays conquis ; et tout le ulonde
pensait 810rs qu'il voulait détruire les États de son




allié, parce que ses propres agents diplOlnatiques
se permettaient d'écrire en ces termes: « PotIr
» peu qu'on ne soit pas assllré de troís ans de paíx,


de la livrée de S. M. l'Empereur, en y metlant un galon différent.
Le droit de la livrée tient an droit des armoiries; ainsi elle pourrait
etre la meme, et, pour y méler quelque chose des armes de Naples,
le galon pourrait etre échiqueté d'argent et d'azur. »




- 134 --


»iI Caut ahattre la Prusse : ce {\oyaume n'a plus
»que quelques années d'apparenee. »


On poursuivait done a outrance Phumiliatioo ou
la ruine d'une Nationalité, qui, fiére de ses glQrieUI
souvenirs et &'ilul\ginallt é,tre encore la premiere
Puis:sance lllilitaire de l' Europe, devait se relever
daos son orgueil, siBon daos sa gloire, pour faire
réparation a la Gerluanie de sa longue et perfide
neutralité, pour essayer d'affranebir la patrie aIle-
lllande, PQur opposer enfio le. passé de F.fédéric a
l'avenir de Napoléoll. En effet, le Cabinet de Ber-
lin de~nanda au Cabinet des Tuileries, qu'il retirat
ses troupes d' Allemagne; lnais Napoléon répondit
sur-le-chmnp qu'il fallait imposer silence a. la
Prusse, «qui se permettait, apres a voir re«u tant
de bienfaits, de solliciter des explieations sur
di verses infractions faites au Droit des gens ...••
Je n'ai paiot provoqué les Prussiens, ajoutait-il
avee dédaiu ; ils lll'enjoignent de repasser le Rhin;




rai une téle de fer, et je ne cede pas aussi
facileluent. Fran~ais, vous seconderez voLre Em-
pereur pour briser la eolonne de Rosbaeh! » Quoi-
que la Prusse, créée depuis un siécle, put étre
détruite en une seul journée, les Prussiens voulu 4
rent eombattre avant l'arrivée des Russes. L'Eu-




- f35-


rope s1étonna moins de 'la victoire de Napoléon,
que de la dé faite de Frédéric-Guillaume. Une ter-
reur p'anique s'étant elnpnrée des Prussiens, apres
la bataille d'Iéna, toutes leurs provinces et toutes
leurs places fortes resterent a la discrétion des
Fran~ais, qui abattirent la Monarcbie du grand
Frédéric plus- vite qu'ils'n'avaient abattu l'Empire
de Marie-Thérese. Pendant que ses lieutenants
multipliaient les actions d'éclat d'une luaniere
vraiment héroique, Napoléon multipliait ses in-
sultes aUI vaincus, saos respecter ni le rang, ni le
saxe, ni la beauté, ni le courage, ni le malheur, ni
sa propre gloire. Car il traitait la Reine Louise-Au-
guste denouvelleArmide~ apres avoir traité la Reine
de NapIes, Marie-Caroline, de moderne AtltaUe, et
déclarnit« qu'avant dix ans sa falnille serait la plus


'1 aucienoe des Maisons régnantes de l:Europe. »
La Prusse ayant été divisée en quatre départe-


ments, Napoléon proscrit quiconque refuse de lui
préter serment de fidélité, pour garder sa fofjurée
uux Princes nationaux. La destruction de la Monar ..
chie prussienne parait d'autant plus irrévocable,
que le traité de Posnanie (1) sanctionne la création


(1) M. le comte de (;Urdcll, lli.sl. des Traités de paix. Tom. IX,
pago 230, tomo X, pago 179.




- 136-


de la 1\1 onarcbie saxonne. Frédéric-Auguste 111
entre dans la Confédération du Rhin el se console,
avec le titre royal, de n'étre plus qU'lln des feuda-
taires du grand Empire, l'homIne-lige du grand
Elnpereur, qui s'avance triomphalement jusqu'it
Varsovie. L'oppresseur de l'Europ~ se laisse consi·
dérer comIne le flltur libérateur de-la Pologne. Les
Magnats viennent luí demander un Roi choisi dans
sa propre famille. Or, Napoléon, qui a détruit tant
de Nationalités, ne ressu~citera pas un seul État.
Loin de donner un Souverain a la Pologne, il lui
prendra une ·armée dont il"a besoin, paree que 1'0-
piniAtreté des R usses contrebalance en quelque
sor te l'impétuosiLé des Fran~ais. La neige d'Eylau
s'est vainetuent rougie du sang de trente nlille
hOllInes; le combat d'Heilsberg n'a rien changé;
Inais la hataille de Friedland peut changer toutes
les destinées de. l'Europe. Car, la Maison royale de
l)ru-sse ne possédant plus que la ville de Mémel,
derniere place dll Royaume, et l'armée fran<;aise
lnena<;ant les premieres provinces de I'Empire
uloscovite, Alexandre deluande une entrevue a
Napoléon.


J.Jes deux Empereurs complotent enselnble le
partage du 11londe : l'Ull aura le Nora et l'Orient;




- fa7-


l'autre, l'Occident et le Midi (1). Alexandre ne re-
connaitra pas seuleluent Napoléon comme Empe-
reur des Fran<;aiset Roi d'ltalie, Joseph Bonaparte
comme Roi de Naples, Louis Bonaparte comme
Roi de Hollande, Maximilien-J oseph Ier comme Roi
de Baviére, Frédéric 11 conlme Roi de Wurtem-
herg, Frédéric-Auguste nI comme Roi de Saxe et
comIne Grand-Duc de Varsovie et Jéróme Bona- .
parte conune Roi de Westphalie, dont le Royaume
sera formé avec les débris de ]a Monarchie prus-
sienne, tout le Hanbvre €t l'Éleetorat de Hesse-
Cassel, nlais encore l'existenee de la Confédération
du Rhin.ll fera cause eomIuune avee Napoléon. II
approuvera l'abolition de l'autorité temporelle du
Pape, dont les États doivent étre annexés au
Royaume d'Italie, la déehéanee de la Dynastie des
Bourbons en Espagne, et eelle de la Maison de Bra-
ganee en Portugal, pour qu'un • Prince du sang
11 de la famille de Bonaparte soit investi de la Cou-
»ronne de ces Royaumes. » Il fermera la Russie a
la Grande:...Bretagne. Il prendra la Finlande au
Royaume de Suéde, laissera prendre la POlnéra-
nie, sous prétexte du bloeus continental, et de-


. (1) Voir les divel's traités de Tilsitt dans le gr:md ouvrage de M. le
comte de Gurden, tomo X.




- IS8-
viendra médiateur e~tre l' Angleterre el la France,
tandis que Napoléon deviendra médiateur entre
la Russie et la Porte. Si la Turquie n'accepte
pas les propqsitions de paJI, la I!rance et l~ Rqs-
sie lui feront la guerre en comlnun et s'enten-
dront « pour son partage. Qp satisfera l'amour-
1) propre de PAutriche plutót qqe son l\lllhitiQp, •
en lui donnant la Bosnie et la Servie; ql,ais l' Alba-
nie, l'Épire, le Pélopoqese, l' Attique, la Thessalie,
toutes les provinces luaritimes, seront dévolues a
la France; et la 14oldavie, Iq V&luchie, to~les les
provinces du Dan\lbe jusq~'~ux n.ª-\k~H1S s.~ropt dé':'
voIues a la Russie, qui, d'ailleUfs, u pourra ~\~ndre
D ses conquetes aussi' loin qu'ell~ le jugera ~ pro-
" pos, » ~n Asie, non en Europe. Cal' Napoléon ne
veut pas que Constantinople devienne la prepliere
ville de .l'Elnpir~ moscovite, quoiqu' Alexandre
veuille hien que ROlue devienne 1& seconde vUte de
l'Empire fran<;ais. Vaineluent le Czar" poursui ..
vant les desseins de Pierre-le-Grand et de la grande
Cutherine, lllultiplie ses condescendances, en Ji-
vrant l'Ebre et le Tage, poul' obtenir le Bosphore,
et en laiss.ant preodre ou donner je ne sais com-
bien de Royaumes, pour prendre lui-Iuélue Stam-
houl : « Je ne consentirai jamais, s'écrie NapoléoQ,




.~ IS9-


a laisser faire, mOl v~~mnt, la conquete la plua
.éblouiss&nte qui se pui$se im&giner. Byzance !
CQDstantinople! c'est l' Elnpire du monde! ~


Ainsi, comme il vOlllait s'emparer lui-melue de
presque tous les État~ du Continent, Né\ppléoll
q'ofl'rait au Czar que les provipces d~nubiennes,
ces deux yeux de la Turquie ~Uf f EU,(,Q:pe, et la
finlande qq'il f~Jlait ravirau cournge suédois, afin
que la Russie, tournée vers l'Orient, restat en de-
hors du mouvemef!t européen et ne se retournat
vers I'Occident, que pour en recevoir quelques
légeres impressions qui se répercuteraient par la
Suéde. eette proposition n'était pas de nature a
salisfaire les ardentes convoitises de la Cour d.e
Saiot-Pétersbourg. Mais, plus habile que Napa ..
léon, parce qu'il était plus circQnspect dans ses
actes et daos ses paroles, Alexandre se gard& bien
de heurter les idées chilTlériques d'Jl~ pareil ad-
versaire~ sachant tres~bien que la pa~" entre deux
Empereurs, q~i expritnaient l'antipathie invinci-
ble des peuples grecs et des peuples latins, c'est-
a-dire de deux croyances et de deux civilisations,
lle pouvait etre qu'une suspension d'anues. Aussi
ne se . subordonnait-il dan s le présent ql;le pour
mieJlx qOJ.lliner dans l'avenir. Peu lui importait




- HaO -
que la France élevAt le Royaume de Westpbalie
et le Grand-Duché de Varsovie, sur les débris de
la Monarehie prussienne, eOlume deux avant-pos-
tes du Midi dans le Nord; puisqu'elle n'accolll-
plissait pas une reeonstitution, IDais bien un nou-
veau partage de la Pologne. D'ailleurs, l'Empereur
des Fran<;ais déclare formelleluent, dans le préam-
hule du traité, qu'il rend au Roi de Prusse la
1110iLié de ses États, « par égard pour Sa Majesté
D l'Elupereur de toutes les Russies~ » Et l'odieux
d'un pareil outrage qu'il jette a la tete d'une Natio-
nalité, retolnhant sur sa propre tete, Alexandre
s'élévera bientot, aux yeux de toutes les autres
Nations, et conséquemlnent aux yeux des Peuples


'divers,comme un proteeteur plus ou moins désin-
téressé, luais assez puissant pour leur servir de
bouelier éontre Napoléon •


. Déja, par le traité de'Tilsitt, 111algré l'érection
du Grand-Duché de Varsovie, l'altier Conquérant
vient de renouer la triple alliance de la Russie, de
l' Autriche et de la Prusse, que son glaive avait bri-
sée d'une maniere si éclatante. Cette ligue reste
i:l l'état occulte , car elle ne saurait etre officielle.
L'antagonisme séeulaire de la Maison de Hahsbourg
et ue la Muison de Brandebourg s'est done eonverti




- t4t-
en une haine COlnlnune, m'dente, implacable, con-
tre la France. Elles sont tombées l'une aprés l'au-
tre, mais elles espérent bien se relever toutes les
deux a la fois. Les Prussiens, ruinés par des con-
tributions de guerre, privés de leurs forteresses
que les Franc;ais occupent depuis la pab, ne pou-
van! avoir plus d'un certain nombre de troupes,
jurent de venger la Reine I.Jouise-Auguste; qui,
malgré ses offenses personnelles, s'est jetée aux
pieds de Napoléon, l'a conjuré noblement de laisser
vivre la Monarchie du grand Frédéric, et vient de
lnourir elle-melne, dévorée par le chagrin de n'a-
voir pu empecher ni la ruine de son peuple, ni l'hu-
lniliation de sa Dynastie. On répéte parton t ces
paroles séveres du baron de Hardenberg contre le
Dictateur de I'Europe : « Il est implacable devant
D l'infortune; il ne saura pas supporter le malheur
»avec digniLé! " La société prussienne officielle
étünt lnorte, pour ainsi dire, avec la Reine, une so-
ciété prussienne secrete est créée sous le nOIn de
Tugend-Bund (Ligue de la Ver tu ) , a vec ses hornlnes
d'État, ses poetes, ses philosophes, ses orateurs, ses
généraux et ses soldats, impatients de secouer le
joug de la dOlnination étrangere et de recouvrer
l'indépendance nationale de toute l' Allemagne. Mais




..::. 162 ~
Napolébti, qui touche au point ctihninant de Id puis-
sanee impériale, se prébccupe benucoup plus de
l'obéissance poli tique des Dynasties faites ou a faire,
que de In tésistatice niorale des Natidilalités défai-
tes. La paix de Presbourg lui ávnft inspiré la pen-
sée de fonder tine Monarchie universelle sous le ti-
tre de Systeme fédératif de l'Enrope; la paix de
Tilsitt 1ui inspire un acte rJoÍl moiIis célebre sonS le
bom de Systelne continental, par lequel, de son
propre áveu, i1 ramene le monde, «apres tant
"d'átitiées de civilisation; 8UX prihcipes qui carab-
a iériseli! la barbarie des premiers éges des N á:..
D tions (i). ¡) Ne pouvant lbtter corps a corps avec
l' Anglelerre, il retourne contre cette Púissatlce
inabordable, te blocus fictif oa sur le papier dont
elle étreint la France, en décrétant le blocus
tontin'Cntat, au moyen duquel il anéantira la liberté
sur la terre, sons prétexte de revendiquer la liberté
des mers. Chaque État européen, depuis la Hol-
lande jusqu'aux Iles loniennes, contl'aint de prohi-
ber les lnarchandises et les produits angláis, devait
détruire lui-meme son propre cOlnmerce, pour
vivre en paix avec l'ennemi de toute indépen-
dance nationale. 11 en résulta que les lieuples tri-


(1) Message de Napoléon au Sénat.




- ,,"a-
butaires s'·insurgerent partont OU les Bois s'étaient
soumis. Aussi malgré l' odieux hOlnbardement de
Copenhague, l' Angleterre trouva-t-elle des auxi-
liaires, dans sa lutte implacable, partont o:u la
}i'rance avait tobjotirs eu des alliés.


Des que les négociations officielles de Tilsitt ed-
rent sanctionné sa dOOlination plus ou moins in-
directe sur l'Europe, Napoléon voulut établir sa
domination l'lus ou moins directe sur I'Espagne,
conformément aux négociations secretes. Or, deúx
partis divisaient la Maison régnante, la cour et la
ville de Madrid: celui du Roi, Charles IV, c'est-a-
dire celui du Prince de la Paix (Manuel Godoi); fa~
vori de la Reine Marie-Louisc, qui dlrigeait le
Goitvernement dans un but d'intérét personnel, et
eelui du Prince des Asturies, c'est-a-dire celui
du Duc de l'lnfantado, qui dirigeait l'opposition
daos un hut d'iotérét national. Ce dernier, aya.nt
obtenu du rutur hérHier de la Couronne un dé-
eret par ·lequel il le nornmait cOlnlnondant des
troupes de la NouveIle-Castille, en prévision de la
Olort de son pere, fit pUl'Dltre un mémoire pOUl' si-
gnaler les forfnitures du ministre, et supplier le
Roi de rejeter un hOlnme que toute la société re-
poussait. Mais Godoi, qui négociüit a10rs le pnrtftge




- 14&-


du Portugal avec Napoléon, non content de satis-
faire sa propre alnhition en se faisant assurer la
Principauté des AIgarves par le traité de Fontai-
nebleau, contentait également celle Charles IV,
en lui Caisant garantir l'intégrité de S8 Monarchie
d'Europe, et en lui Caisant prOlnettre le titre d'Eul-
pereur des deux Alnériques, bien qu'il dut, pour
cet effet, détróner son gendre, Jean VI (Régent du
Portugal, pendant la maladie si ·longue de Ma-
ria ¡re), contraindre son petit-fils, le Roi d'Étru-
rie, a devenir Roi de la Lusitanie septentrionale,
ou mieux a troquer le plus riche pays de l'ltalie
contre le plus pauvre pays du Portugal, et livrer
enfin l'Espagoe a Napoléon qui l'inonderait de ses
propres troupes, sous prétexte de renforcer l'ar-
mée du Tage. Godor trionlpha du Prince des As-
turies, qu'il accusait odieusement d'avoir voulu at-
tenter aux jours du Roi; mais l'Espagoe triompha
de ce ministre, coupable d'avoir ouvert sa patrie
aux étrangers qui lnarchaient sur Madrid. Car,
non content de déchirer le traité de Fontaine-
bleau, Napoléon voulait épouvanter la Cour d' Es-
pagne come il avait épouvallté la Cour de Lisbonne,
qui s'était retirée en Amérique, afio de pouvoir
s'écrier cnfio: CI la M aison de llourbon et la




--.. ,~
Maison de Bragance ont cessé de régner~ D Mais le
peuple, voyan!. des ennemis dans ses propres hótes,
s'arlue et se souleve, aux cris de : «Vi ve le prince
des Asturies! lllort a Godoi! » Celui-ci est sauvé
par eelui-lil qui devient Ferdinand VII, apres l'ab-
dieation libre et volontaire de Charles IV., Les tra-
mes de Napoléon allaient done uvorter, s'H n'eut
itnaginé, dit un iilustre éerivain , 11 de ne pas
reeonnaitre Ferdinand VII, dont la Royauté jeune,
désirée des Espagnols, serait difficile a détruire, et
de considérer Charles 1 V COllune étant toujours
Roi, paree que sa Royauté vieille, usée, odie use uux
Espagnols, serait facile a renverser (1) •• Ayant
-rendu hnpossible touteréconciliation entre le pere
et Ü~ tUs, il voulut s'arroger le róle de média-
teur avee la qualité de j uge, afin de mieux les
anéantir I'un par l'autre.


On annonc;a officiellement a Ferdinand }'entrée
de-Napoléon en Espagne; et l'on ajouta qu'il était


(1) M. Thiers, Hist. duConsulatetde I'Empire. Tom. VIlI.-L'his-
torien-hornme d'État a traité la question d'Espagne avec des docu-
mentsnouveaUx.I1 faut entendre aussi deux témoins occulaires: Pedro
CevallosetJuan Escoiquiz. L'un a publié une Exposition des moyens
employés par N apoléon pOU1' usw'per la Couronne d' Espagne (Ma-
drid, 1808) ; }'autre une Exposition des motits qui déterminerent
en 1808 Sa Majesté Catholique ti se rendre ti Bayonne (Paris
181.6). On doit lire également le bel ouvrage de Martinez de-la
Rosa, ayant pour titre: Espiritu del Siglo.


IV. (3) 10




- 146-


important d'aller a sn rencontre. Le peuple essaya
vainelnent de retenir son Roi qui se laissa conduire
jusqu'A Victoria, mais qui refus'a d'aHer plus loin.
Napoléonordonna qu'on entraínAt· Ferdinand
méme par force, jusqu'A Bayonne ou l'odieux
guet·A-pens devait s'accomplir. ,Des que le Roi d'Es-
pagne eut touché le territoire de Frnnce, un
simple général le SOlnma d'abdiquer au nom de
I'Elnpereur. Ferdinand VII refusa, meme en pré-
sence de Charles IV et de la Reine-Mere, qui con-
sentirent A vendre un des plus heaux Tremes du
mondeet leurs propres peuples, paree qu'ils les
considéraient comlne des troupeaux hUlnains (i).
Tout ce qu'on put obtenir du jeune Monnrque, ce
fut une renonciation conditionnelle ou relative de
la Couronne d' Espagne en faveur de son vieux pere;
et encore devait-on la soumettre A la snnction des
Cortes. Napoléon eut recours ir la violence pour
lui arracher une renonciation inconditionnelle ou
absolue. « Prince, lui dit l' EIupereur , il faut opter


(1) J}Empereur avait promis au vieux Roi le chAteau de Cham-
bord et une pension de sept millions cinquante mille .francs ; mais
il ne lui donna pas plus l'un que l'autre. « Cette circonstance ex-
plique, dit M. le comte. de Garden, pourquoi Napoléon fut mal venu
a se plaindre, en 181.4, de l'inexécution, par les Bourbons, des
c~uses du traité de Fontainebleau relatives aux sommes promises
(Hist. générale des tl'aités de paix, ,tomo IX, pago :187-188). )




- t47 '-
entre la cession on la mort. » Langage terriblemeIÍt
significatif, dans la bouche d'un homtne auquel- on
pouvait déjit reprocher les paroles suivantes :
el Quand je devrais sacrifier deux cen{milte homm:es,
je n'en parviendrai pas moins a lnes fins; et je suls
bien éloigné de croireque laconquéte d-Espagne
puisse COUTER autant (1) 1·» Le Roi Ferdinand VII
fut retenu captif dans le chAtean de Vincennes; la
Couronne des Deux-Siciles fut donnée a Murat, qui
soJlicitait la Couronned'Espagne; et le Tróne d'Es-
pagne devint rapanage de Joseph, qui désirait gar-
der le Tróne des Deux-Siciles.


ta Maison de Bragance ayant été détrónée
avant la Maison de Bourbon, une députation -de
Portugais se rendit·a Bayonne; et Napoléon, opres
avoirfrappé le Portugal d'une contribution de cent
millions, pour la ran~on du Royaume, osa Ieur par-
ler en ces terlnes : « J e ne sais pas ce que je ferai
de vous ; ~ela dépendra des événements. Etes-vous
dan s le cas de former un peuple? Avez-vous le vo-
lume nécessaire?» En prodiguant l'insulte a deux


(1) On sait que Napoléon ne put conquérir l'Espagne, et quE), le
guet-a-pens de Bayonne eDuta six cent mille hommes a l'humanlté.
« Du 2 mai 1808 jusqu'au 10 avril 1814, dit M. César Cantu, il y
eut six campag~~s en EspagQe.. 00 peut compter qu'i,l -rpérit cent
mille hommes par an (Hút. de cent ans, tomo 11, pago 26{)-i61). »




-148 -


Nationalités, cet hOlUme va soulever toutes les
Nations contre sa personne. Vainement Joseph, le


. prétendu Roi d'Espagne, lui écrit-il : «Sa Majesté
_Catholique n'a pas de Royaume (t) .•. Les honne-
. tes gens ne sont pas plus pour moi que les coquins.
Non, Sire, vous etes dans l'erreur: votre gloire
échouera en Espagne; roon tombeau signalera vo-
tre impuissance (2). » Napoléon, affectant de
lnépriser les peuples du Midi , répond a son frere :
• Les Rois du Nord vous ont re.connu.» Mais les
Espagnols, qui veulent étre libres, lui décIarent
la guerre au nom de Ferdinand VII, qui est
son prisonnier. Leurs' écrits sont acérés COlume
des glaives, leurs paroles sont tranchantes com-
me des couteaux: sombres prophéties inspirées
par le Dieu des arnlées contre l'hOlUIue des ar-
mées!


« Que Rome et Naples, s'écrient-ils, nous ser-
vent de témoins. Nous en appelons a l' Allelua-
gne et a la Prusse, a la Toscane et a toute l'Ha-
He, a la Suisse et a la Hollande, au Portugal et a
notre Espagne! ..• nos bras sont-i1s réservés a t'ai-
der dans l'exécution de ce projet que tu nourris


(1 Mémoires du Roi Joseph. Tom. V,pag. 54.
(2) Ibid. Tom. IV, pago 383.




- t49-


en secret, de détruire la Maison impériale d' Au-
triche, environnée de si€~cles de gloire? lui pré-
pares-tu déja des funérailles, comme a la Maison
des Bourbons? Tes traités ne sont que des trahi-
sons; \a soif de sang 9ui te dévore 'est insatiable;
tu es ce Roi des ténebres entollré de nuées de sau-
terelles infernales; c'est toi que l' Apocalyse a re-
connu'; tu t'appelles Apollyon,., c'est-a-dire le des-
1ructeur; tu es sorti des abimes de l'enfer pour ré- l' "';"; J.°I.l~
gner sur la terre ... Tu as appelé a Bayonne la Mail!"" ,.~:


1 I Jj
son de Bourbon afin d'enterrer sa grandeur. Tu 'e~ \ ~.


li"" ~ ....... ~ t.~
semblable au lllonstre épouvantable qui se leve 'o,.:.."':::;:;.'"
pour annoncer l'appr'oche épouvantable du dernier
jour. VoilA ce que l' Espagne croit; voici ce qu'elIe
espere.


«Sache qu'un chAtinlent éclatant peut tar-
.der, mais atteiot toujours les forfaits éclatants. Sa-
che que tes propres guerriers t'abandonneront un
jour et tourneront l'épée coÍltre toi. Sache que
d'autres Nations indignées se souleveront, tandis
que tu aiguises tes dents ,pour déchirer r Espagne.
Sache que le lion d'Esdras régnera deux fois cororoe


. Rol; que le fameu~ lion de Roncevaux couché de-
puis si longlemps, se réveillera et se redressera. Ce
lion est l' Espagne ; il se prépare pour COlllwencer




- 150-


un combatA l11ort, pour por ter en trio111phe la croix
en tropbée jusqu'aux confins du lllonde. Trelnble,
Napoléon! il s'approche le llloment ou tu cesseras
d'étre invincible (1) ! J)


- Napoléon, croyant savoir par expérience que les
pays ou t'l y a beaucoup de moines sont facites a sub-
juguer, écritaJosepb: « Les événenlents se pressent;
il faut que lues destinées s'accomplissent.» Cepen-
dant tout le peuple espagnol s'organise en guerril-
las, afio de vaiocre, s'H se peut, nos hérolques pha-
langes quiont vaincu tous les Rois de l'Europe. Ses
innolnbrables drapeaux n'ont qu'une seule inscrip-
tion : La libérté ou la mort 1 Les péres dévouent
leurs enfants a la patrie; les foréts s'urment COlume
les multitudes; les buissons eux-lnelnes, dit un
poete , deviennent ennemis; et chaque lllojne
distribuedes milliers de poignards qu'il a bénils. Ces
milices du cloiLre, qui assassinent pour une cause
sainte, feront bientot renaitre l'espérance dans
toutes les Cours.


Déja les deux capitulations de Baylen et de
Cintra, l'une glorieuse et rautre bumiliante,
apprennent a l' Europe que Napoléon est encore


(:1) Adresse a Napolfjon~ publiée a Valence. le 7 juiu :1808.




- 151-


invaincu, luais qu'il n'est plus invincible. Des
couscriptions anticipées épuisent la France, tan-
dís que les Juystérieux enrólements du Tugend-
Bund rendent quelque énergie a l' Allemagne ; et
le cri de Patrie, poussé par l'Espagne, va trouver
nlille échos fonuidables de l'un a l'autre bout du
monde. Pourcontenir l'Europe, Napoléon est obligé
d'appesantir son bras sur la tete de la France. Un
Code nouveau, par lequel il prodigue la mort, la
lnarque et l'odieuse confiscation, donnant pour but
a l'État l'iniquité an lieu et place de la justice, dé-
truit la sécurité du citoyen, sous prétexte de créer
ceBe de l'Empereur, qui s'écrie: « I~e peuple
m'a transInis ses pouvoirs; ]e peuple, c'est D10i,
et iI ne peut y avoir un intéret distinct; llle con-
tredire) c'est aUaquer en moi l'intéret public tout
entier.» Ainsi, l'arbitraire engendre le méconten-
teInent, et le luécontentement engendre un redou-
blement d'arbitraire.


Il ne suffisait pas d'étouffer les murmures de la
France, il fallait encore étouffer ceux de tous les
autres États. NapoIéon crut élnerveiller les peu-
pIes, en donnant des représentations théAtrales OU
Tahna jouerait devant un parterre de Rois. Cette




- t52-
réunion de . Souverains, qlli eut lieu U Et'furtb, ma-
nifesta la suzeraineté de la France impériale et le
vasselage de l'Europe monarchique. Le jeune Cé ..
satdisait aux vieilles Majestés,presque avec mépris :
Quand j'étaissous-tieutenant. 11 conduisait tous les
Monarques vaincus. sur le tbéAtre d.e ses victoires
et de leurs défaites, pour montrer u- cbacun qu'il
n'existait petit que par lui, au Iieu d'exister par
SOi-lneme. Il offrait des fetes a tout le lnonde, nlais
il n'accordait uudience (ju'a l'Elnpereur de Russie,
paree qu'il voulait renouveler I'allianee de Tilsitt.
Ce-dernier lui abandonna I'Espagne et le Portugal,
afin de conserver la Finlande, la Valachie et la Mol-
davie.« Nous venons de faire avaler un verre
d'opiuln a I'Empereur Alexandre,1l disaient les gé-


.


néraux fran<;ais;« pendant qn'il dormira, nous
irons nous oceuper ailleurs.» C'étuit effective-
ment le but de Napoléon, qui se luoquait d' A-
lexandre avec son entourage. « II le luéprisait,
parce qu'il le croyait sincere; ill'admiru quand il
le crut fourhe. C'est un Grec du Bas-Empire, (li-
sait-il, U faut s' en méfier. A Erfurth, Napoléon af-
fectait la fausseté effrontée d'un soldat victorieux;
Alexandre dissimulait conllne un Prince habile:
la ruse luttait contre l'audace; la politique de 1'0-




- 153-


dent et la politique de l'Occident gardaient leurs
caracteres (1) .•


Une lettre, datée d'Erfurth et signée par les
deux Empereurs, porte des propositions de paix
au Roi d' Angleterre. Napoléon veut 1110ntrer pu-
bliquemeni a l'Europe qu'il existe une entente
cordiale entte ".lui et Alexandre; lnáis le Czar fait
agir secretement aupres du Cabinet anglais, pour
le rassurer au sujet d'une telle alliance. Canning
rédige une note, ou' il déclare que Sa Majesté bri-
tannique ne peut répondre directelnent a la leUre
d'Erfurtb, purce qu'il se trouve dans l'impossihilité
de se servir de ceHe marque de respect envers
I'Empereur de Russie, « san s reconnaitre en menle
lemps"des titres que Sa Majesté n'a pas reconnus,'
c'est-a-dire les titres de Napoléon, Empereur des
Fran<;ais, qui n'est que Bonüparte, simple'géné-
ral, aux yeux du Roi d' Angl~terre. D'ailleurs, la
paix 111aritilne ne saurait s'effectuer, maintenant
que le Cúhinet de Londres peut prendre part a"la
guerre continentale dans.le Portugal, et qu'H offre
son concoul'S a l'Espagne, OU Napoléon \'a se rendre
avec deux cent cinquante lnille cOlnbattants.


(1) M. le cornte de Garden, Hist. générale des traités de paix.
Tom. X, pago 214, note.




- 154-


La Nation espagnole, privée d'une direction uni-
taire, alors qu'il s'agissait pour elle de reeonstituer
un Gouvernelnent et d'organiser la défense du
pays, se partageait entre deux partis: 1'un, celui du
peuple, qui ne songeait qu'il se battre; 1'autre,
celui des Cortes, qui, dégouté du passé national
par les souvenirs du despotisme, et eherchant un
nouvel avenir en se faisant le plagiaire des Jaco-
bins fran<;ais, De songeait qu'a fonner une Con-
vention nationale. Il en résulta que les armées,
dont elle espérait vietoires sur vietoires, aussi mal
organisées que Inal commandées, essnyeren t dé-
faites sur défaites. Le parti populaire avait refusé
d'abord le seeours des Anglais; n1ais il dut l'ae-
eepter aussitót que Napoléon se fu t ouvert la route
de Madrid, paree que eelle du sueee5 paraissait
fermée a son patriotisllle. Toutefois, loin de se dé·
courager,il institua unejuntesupreme de Gouverne-
ment qui se réunit a Séville , ordonna une levée en
masse, et sollieita, dans un nouveau Manifeste, le
coneours de toutes les N ations et Républiques de
t'Europe.


« Oui, s'éeriait·- elle, Prinees et Nations du
Continent, votre conservation est identifiée avee
la nótre. Ce grand systeme d'asservisselnent




- 155-


continental, dont les Fran<;ais parlent sans cesse,
comprend volre ruine dans leur agrandisse-
lnent. Ne vous le dissimulez pas: l'ambition


de Bonaparte a déjA trjOlllphé úe rftafíe, ,de fa
Hollande, de la SUlsse, et a fait des États de la
Confédération du Ubin autant de J?rovinees de son
Empire. Avec les forees de l'Espagne et du Portu·
gal ,.H se propose d'effectuer la destruction de
l' Autrichp-, et ensuite d'asselnbler les forces de
l'Europe ponr repousser l'infortuné Alexandre
dans les déserts de la Tartarie. Alors, lnais seule-
l11ent quand tout sera accompli, son alubition sera
peut-etre satisfaite. Les anciennes Dynasties dispa-
raUront; lui et sa famille régneront despolique-
111ent sur les Nations; un autre systeme féodal,
plus révoltant que l'ancien , sera établi, et les Iu ...
mieres aequises pendant trois si(~cles, l'industrie el
la civ-ilisation qui se sont perfectionnées penqant
ce long espace, retoluberont dans le chaos ou elles
étaient auparavant.


»Souverains de l'Enrope, qu'avez-vous done a
faire? Si vous voulez exister, saisissez vos anues
depuis les bords de la Sehield jusqu'au Tibre,


_ depuis la Newa jl1squ'au Guadalquivir..... Ne
vous y trOlnpez pas, les Fran<;ais ne sont ni




- 156-


invulnérables t ni invincibles. Les plaines de Va.
lenee et de Saragosse et les montagnes de Baylen
ont dévoilé au ciel et a la terre leur honte et leur
dégradation. O vous, Monarques et habitants du
Continent, iruitez no~re ferlueté et notre persévé-
ranee, et le luonde, .uenacé de destruction par·
la brutalité du Monstre que nous combattons,
recouvrera enfin le repos et l'indépendance. J


La Régence de Portugal s'éerie., a l'instar de la.
Junte de Séville : e Aux afines! Portugais! aux ar-
Ines, les dangers de la patrie exigent que la Na-
tion entU~re se leve en Inasse.... MontroDs-nous
dignes d'étre les descendants de ces braves Lu-


,


sitaniens qui battirent les arJnées rOll1aines! 80u-
venons-nous que nos ancétres ont chassé du
Royaulue les Arabes endurcis a la guerre, qu'ils
ont porté la terreur sur les eótes d'Afrique ·et
fondé en Orient un vaste elupire ! 1)


Le Portugal, plus heureux que l'Espagne, paree
qu'il avait accepté ·le secours de l' Angleterre et
qu'aueun mouvement particl.1lier n'y entravait le


. mouveluent national, put résister avee succes aux
troupes frall<;aises qui essayerent de l'enva.hir.
Mais si Napoléon avait soumis la capitale da
Royaluue d'Espagne, il n'avait pu SOUlueUre les




- i57-


capitales des provinces. La résistance héroique de
Saragosse éternisera parmi les hOlumes le n01U de
Palafox et le patriotisme des habitants qui se firent
tuer sur ses remparts ou devant leurs propres
maisons. Lannes ayant oifert une capitulation ho-
norable: a Venez, dit Palafox a son parlementaire,
• venez recevoir lna réponse dans l'église de Notre-
»Dame-deI-Pilar .• lis franchissent le seuil de la
hasilique ou retentit un glas funebre, et dont les
lnurs sont tendus de draperies noires que les bou-
lets ont déchirées. Peuple, soldats, hOffilnes, fem-
Iues et enfants sont proslernés aux pieds de la
mere du Christ; un vieux pretre seul , est debon t
devant I'autel, récitant la luesse des trépassés pour
les guerriers qui sont morts el pour ceux qui vont
lnourir. Joseph Palafox répond alors au parlemen-
taire: a Allez dire a votre chef que vous nous avez
"vus assister a nos funérailles. » Cette sublime pa-
role est le signal d'un cOUlbat suprenle. Saragosse
lneurt comlne Sagonte, el, COlnme elle, devient
imnlortelle.


Un journal espagnol ose respecter sa mémoire :
Napoléon en est indigné; car il ne distingue que
des brigands parmi les héros déternlinés a con-
duire la guer'l'ejusqu'au couteau! a Mon frere, écrit-


-~-;(.




-158 -


il A Joseph, j'ai lu un articIe de la Gazette de Ma-
drid, qui rend compte de la prise de Saragosse. On
y fait l'éloge de ceux qui ont défendu cette ville,
sans doute pour encourager ceux de Valence et de
Séville. Voila, en vérité, une singllliere politiqueo
Certainement, U n'y a pas un Franfais qui n'ait le
plus grand mépris pour ceux qui ont défendu Sara-
gosse (1).


Cependant le parti populaire et lTIonarchique
ayant neutralisé l'action du parti l'épublicain des
Cortés,ondéclara: • que le vreu général de la Nation
était de maintenir sa Dynastie et sa liberté. »
La Junte supréme de Gouvernen)ent du Royaume
d'Espagne publia, contre le Ty1~an de l' Europe (t 7
avril 1809), un autre lnanifeste (2) qui retentit
en Europe, lnais pal'ticllliereluent en Allemagne,
ou le Tugend-Bund préparait une immense levée
de boucliers. Pour conjllrer l'orage ([ui se formait
sur sa tete, l'EIIlpereur des Fran<;ais écrivit a
l'Empereur d'Autriche :« J'ai été le maUre de dé-
» membrer la Monarchie de Votre Majesté, ou du
;, luoins de la laisser lIloins ,puissante.; je ne l'ai
» point voulu. Ce qu'elle est, elle l'est de lUon


(1) Mémoires de Joseph. Tom. VI, pago 73-74.
(2) Vid. SUpe




- 159-


~ vreu; c'est la plus éviden te preuve que nos comp ..
• tes sont soldés et que je ne veux den d'elle (1). D
Une guerre ave e l' Autriche, sans avoir soumis
l'Espagne, aurait contrarié les projets de Napoléon;
par contre, une guerre avec la France pouvait fa-
voriser les desseins dll Cabinet de Vienne. Effecti-
vement, ses armées, réorganisées en silenee, dans
le :but de déchirer, un jour ou l'autre, l'hullliliant
lr&ité de Presbourg, étnient pretes au cOlnbat; et
la résurrection de l'esprit gennanique offrait a
l' Empereur d' Autriche le lnoyen de reprendre son
ancien rang parmi les grands Monarques, en se
posant comme le protecteur des Natjonalités. Les
patriotes d' Allemagne, jaloux de ressusciter l'unité
germanique sous la suprélnatie de l' Autriche, fai-
saient des vreux pour Fran<;ois Ier, paree que, di-
saient-ils, la liberté de l' Europe était réfugiée dans
Son campo 00 avait lieu de compter sur une prise
d'arll1es générale en Allemagoe et en Italie : luais
le Tyrol eut, seul, le courage de ses opioions libé-
r.ales;. car tous les autres États resterent dans l'in ..
actioD.« Changelnent étrange 1 dit M. César
Cantu; l'Autriche se trouva .ála téte des peupl~s,


.' (1) M. le comte de Garden, Hist. générale des traités de paix.
Tom. XII, pago 17.




- 160 -


saos alliance de Rois et comptant sur l'énergie des
luasses, tandis que Napoléon rnarchait entouré
d'un cortége de Rois ses alliés, mais ayant contre
lui l'esprit populaire, et accusant ses ennenlis d ~
recourir a l'insurrection (t). D


Rien de plus étonnant, dans )'histoire militaire,
que cette cmllpagne d' Autriche. Napoléon, tou-
jours extraordinaire dans la guerre offensive, avait
it lutter contre le prince Charles, toujours admi-
rable dans la guerre défensive. Il n'y eut pourtant
aueune de ces batailles rapides, foudroyantes, su-
prélnes, ou l'Empereur des Franc;ais prétendait
souvent justifier par la victoire tous ses desseins
sur les peuples ennelnis. Son génie de Conquérant
n'avait pas diminué , lnais le génie de l' Archiduc
s'était accru. Les premiers engagelnents n'eurent
qu'un résultat secondaire. Napoléon ne put rejeter
le prince Charles au-delit du Danube, qu'apres
avoir livré les cinq batailles consécutives d'Eck-
lnühl. En outre, l'archiduc Jean, qui s'était avancé
jusqu'au centre de l'Italie, ne reculait devant Eu-
gene, que pour inquiéter l'année principale; el
l'archiduc :Ferdinand triolnpbe en Pologne. La


(i) Hist. de cent ans. Tom. U, pago 256-257, trad. par M. Amé-
dée Rénée.




- 161-


capitulation de Vienne n'était elle-méme qu'un
événement sans portée, puisque le prince Char-
les pouvait contraindre Napoléon a se rendre avee
toutes ses troupes, surprises entre Essling et As-
pero, au passage du Danube. Une autre bataille
eOlDlnen<;a des le point du jour et ne finit qu'a la
nuit, par lassitude; mais Napoléon opéra sa re-
traite dans l'ile de Lobau. Sllavaz's été tarehidue,
dit Masséna, aucun Franc;ais n'aurait éehappé
« pour porter la nouvelle dll désastre. )
]~a France pousse un cri de douleur, et l' Alle-


magne un eri de joic, s'imaginant toutcs les deux
que N apoléoo sera prls dans la sO'llricz"ere de Lobau.
Les eorps d'Eugene et de Macdonald viennent le
délivrer. Pour relever le nloral de ses troupes,
I'Empereur Ieur distribue lui -luéme nn ordre
du jour ou il dit: « Soldats, eette armée autri-
ehienne d'ltalie qui, un moment, souilla lnes
provinces, anéantie, grAce a vous, sera un exem-
pie de la vérité de eeUe devise: Dio la mi diede,
guai a ehi la toeea. - Dieu me t a donnée, gare a
qul la touche ('1). 1) Ce lan'gage fait prévoir une ac-


(1) Quelque temps apres, Napoléon blAmait, en ces termes, un
ordre du jQur de Joseph : On y dit aux soldats qu'ils sont vain-
queurs; e'est perdre les troupes. (Mém. Josepll, VI, pago 375.)


IV. (3) 1 t


...,


'Iii'


\~~c"' ...
---...-'




- t62-


tion prochaine. Le combat de Raab n'est qu'une
petite-fille de Marengo; mais Napoléon pourra
franchir le Danube; et (/ le sort. de la Monarchie aH·
D trichienne sera décidé dans une seule affaire. J)
Wagram, immense hécatombe, ne lui donne pas
une victoire décisive; ear l'arehiduc Charles n'ayant
pas été mis en déroute, ce grand fait d'annes ho-
nore le vaincu presque autant que le vainqueur.
D'ailleurs, les Autriehiens se retirent en hon 01'-
dre vers la Bohéme, 00 les suit sans trop les pous-
ser, dit un général fran<;ais (le due de Rovigo) ; et
le Prince Charles dispute le terrain de position en
position jusqu'a Znaim. \


Espérant obtenir des eonditions d'autant moios
défavorables que les pertes d'hommes étaient a
peu pres égales de part et d'autre, I'Elnpereur
Fran<;ois fit proposer la paíx a I'Empereur Napo-
léon, qui fut assez prudent pour terminer la
guerreo En effet, les peuples subj ugués fré-
missaient, autour de ses üfInes victorieuses; le
Conquérant se voyait entouré de mille Vendées.
Enfin, les négociations d' Altenbourg préludérent
au traité de Sehoenbrünn. Pour eontraindre
l' Autriche a reconnaitre les nouveaux change-
nlents accomplis en Espagne, en Portugal et en




- 163-


Italie; a perdre ~es frontiores défeQsives et offeo-
sives : tout ce qui ~oustiLuait son importance pro-
prement dite; il n'étre plus qu'une Monarchie
du secoud ordre, Napoléon luencH;a l'Empereur
F1LlDt;()is ae séparer ses trois Couroono$, el
de placer, aux cótés du Royaume autrichien,
comrne elluenüs as~idus, deux petits Hoyaumes de
B9.péllle el de Hongl'ie sous le patronage de la
France (1). II en résulta que, confornlénlent & ses
propres vues, la Carniole fut réunie au Royaume
d'ltalie, une purtie de la Haute-Autriche a u Royau-
me de Baviere et toute la Galicie occidentale, plus
une partie de la Galicie orientale, au Royaurue de
Saxe, ou lnieux au Grand-Duché de Varsovie.


Ces divers changements semblaient exprimer
une révolutioo, lnoios daos les faits que dans les
idées politiques de Napoléoo, paree qu'il séparait
les races germaniques des races slaves, comIlle 5'H
eut voulu recoostituer Ieur Natiooalité distiocte.
00 pouvait lui attribuer ce projet, alors qu'il ne
craignait pas de dire, au risque de rOlnpre l'al-
liance russe : La P%gne va donner tieu a quetques
contestations; mazOs te monde est assez grand pour


(1) M. Villemain, Souvenirs contemporains d'Histoire de litté-
rature~ pago U8.




- 164-


que nous puz'ssions nous arranger. L'Empereur
Alexandre répondit sur-Ie-champ : « S'il s'agit du
rétablissement de la Pologne, l' Empereur Napo-
léon se trompe; dans ce cas-Iá, pour nous arran-
ger, le monde n'est pas assez grand, car luoi je ne
veux rien. D Et le MaUre de la France fit déclal'er
au MaUre de toutes les Russies,qu'il approuvait que
les noms de Pologne et de Polonais disparussent des
transactions politiques, méme de t histoire. Mais cette
déclaration renversa pour toujours la supréme es-
pérance d'un peuple, ·sans rétablir l'entente cor-
diale entre lesdeux Potentats, en supposant qu'elle
A· .'.,


eut Jamals eXIS te.
Maintenant qu'il croit avoir assel'vi la tel're,


Napoléon veut asservir le ciel. • Quelle est l'ioso-
lence des prétres, s'écrie enlphatiquelnent c~
grand confiscateur de la liberté humaine; ils se
réservent dam; le partage de l'aulorité l'action sur
l'intelligence, sur la Pllrtie la plus noble de l'honl-
me, et ils prétendent IDe réduil'e a n 'agir que sur
le ~orps. A eux l'ame, a moi le caduvre! D Pour
faire cesser un pareil état de choses,. il ne respecte
pas mélne le chef d'un État particulier daos le chef
de l'Église universelle. Car, bien que le Pape soit
le Vicaire de Dieu sur la terre, cel hOllune osera lui




- 165-


dire : « Vous eles Souverain, mais je suis Empe-
reur de ROlne . .11 Vainement lui a-t-on répondu :
(l Le Souverain-Pontife ne reconnait pa~ et n'a
. . ., . , Jamals recounu aucune pUIssance supeneure a
la sienne. 00 l'Empereur de ROlue n'exíste pointo »
Nápoléon déclare formelleluent que, si la Papauté
ne devait recollnailre aucun Pouvoir supérieur,
quand l'Europe. reconnaissait plusieurs MaUres,
elle doit reconnaltre le sien propre, aujourd'hui
que l'Europe ne reconnalt pas d'autre MaUre que
lui (1.)0


Tous les Rois se sont courbés devant sa fortune,
ou bien ils ont été anéantis; le Pape, qui reste en-
core debout, devra done s'hulnilier comine les au-
tres Monarques. En premier lieu, il prononceru le
divorce de Jérórue; car les Bonaparte, parvenus
eL devenus Princes, quiLteront 1eurs fCuHues plé-
héien~les pour prendre des prillces5es.; en second
licu, quoique chef d'une sociéLé morale, ou mieux
d'une religion de paix et d'aul0ur, il épousera toutes
les initnitiés de l'Empereur, chef d'un parti politi-
que, ou mieuI. d'un Élat fondé sur la guerreo Mais,
aprés avoir défendu, COl1tre Napoléon, la sainteté
du mariage, a l'instar de ses prédécesseurs. qui


(1) Voy. tomo IU, ·chap. V, pago 1.63-1.65, note.




..;..;. 166 -


I'ont soutenu contre tous les Rois el tous les Empe-
reurs, Pie VII déclare qu'étant le Pere conunun
des fidéles, il ne peut étre l'ennelni de personne.
A cette mansuétude évangélique du Souveraih-
Pon ti fe , l'Empereur oppose la force brutale. Les
États de l'Église, confisqués par un simple décret,
sont réunis a l'Empire; et la captivité du Pape
exprime l'abolition morale de la Papauté. Pie VII
bénit les soldats qui le torturent, paree qu'ils
obéissent a une volonté supérieure ; lnais il fou-
droie Napoléon , paree qu'il en leve au Vicaire du
ehrist le rang supérieul~ qui lui est nécessaire
pour l'accomplissement de ses destinées divines,
SOUg prétexte que Rome lui est nécessaire pour
l'accomplissement de ses destinéeshulnaines.


Aussitót, la France, I'ltalie, la Belgique, qui té-
moignaient naguere tant d'amour a cet homme,
lui témoignent la lnéme haine que l' Espagne et
que l' Allemagn'e. Les peuples catholiques et les
peuples protestants se levent a la 'fois contre cet
excommunié de l'Église, qui les excolnml1nie eux-
nlémes de leur propre État. L' Europe, victime
d'une oppression COlnmune, conspire la chute de
roppresseur COllHUUD. te dépositaire suptéme de
la force, trop 10ngtemp8 mailre, <les événeUlents,




- 167-


se fOit écrasé par un principe. 1\ Hélas! s'écrie-t-il,
Alexandre a pu ~e dire fils de Jupiter sans étre
contredit!... je trouve un pretre plus puissant
que moi, paree qu 'il regne sur les esprits, moi
seulelnent sur la matiere! J)


Napoléon n'osa pas détruire le successeur de
saint Pierre, en tant que Souverain-Pontife, apres
l'avoir fait son prisonnier; mais il osa détruire
les murailIes de Vienne, apres avoir fait la paix
avec l'Autriehe, quoiqu'il se proposAt d'épouser
une de ses archiduehesses. Il recherehait eette al- ~;;i~ /_",t§...,... ~
liance, paree qu'il s'itnaginait trouver dans la
Maison de Hapsbourg, un prineipe de stabilité qui
n'existait pas dans son Gouvernementc L'officialité
de Paris annula le premier mariage de l'Empe-
reur, malgré le Pape, qui n'autorisait point le se-
cond. Les Viennois se souleverent presque, en
voyant partir Marie-Louise. L'arehiduchesse n'an-
rait pas du, selon eux, donner su main uu con-
quéraot, paree qu'il avaitfait tOlnher les murailles
de Ieur ville et qu'il avait pris trop de provin-
ces a la Monarehie de Marie-Thérese. Comment
«pouvait-on croire, dit M. le comte de Garden,
qu'il s'établissait un lien d'afTeetion et de con-
fiance entre Napoléon et la cour de Vienne, lorsque


r.
"-;
... ~




- 168-


celle-ci semblait affecter une froideur qui n'était
point dans ses habitudes? Marie-.Louise, dont la
fUlllille était si nombreuse, venait seule en France;
ni un frere ni un oncle ne l'accompagnaient. En
fallait-il davantage pour constater que l'archi-
duchesse o était irnmolée a l'intéret poli tique (1)?


Considéré moeme au point de vue de l'intérét po-.
litique, ce Illariage ne changeait pas plus la situa ..
tion de Napoléon vis-a-vis des autres Souverains,
que la situation des Souverains vis-A-vis de Napo-
léon. Apres s'etre introduit fierement daos le col-
lége des Rois, non par le droit, lnais par la force,
pouvait-il, en oeffet,' régner autrement qu'en ex-
duant, d'une lnaniere directe ou indirecte, toutes
lesMaisons régoantes, pour hmrsubstituersa propre
personne ou sa propre Maison ; et devait-il régner
encore, aussitót que toutes- les autres Maisons ré-
gnantes seraient devenues assez puissantes pour
excl ure, a Ieor tour, et sa Maison o et sa personne?
Or, ce double probleme, posé devant l'Europe, n'é-
tait point résolu par cela seul que le cardinal Fesch
céIébr,aitle lnariage de Napoléon et de Marie-Louise
en présence de °Dieu, malgré la protestation du


(1) llist. générale des traités de paix. Tom. XII, pago 148.
. .




- 169-


Pape. A u reste, le luariage de cet homme rendit
tout le monde mécontent. D'un coté, les généraux,
qui mettaient a la disposition de l'Empereur un
ou plusieurs Trónes pur campagne, et qui s'indi-
gnaient d~ les voir distribués entre ses proches,
quoiqu'i1s fussent achetés de Ieur propre sang;
n'espéraient plus figurer dans auc.une proQl.otion
de Rois; et, de l'autre, les freres de Napoléon
tremblaient eux ·memes pour les Couronnes qu'il
Ieur nvait données lorsqu'il était sans enfants, et
qu'il Ieur reprendrait peut-étre, si Dieu lui don-
nait une postérité.


Déjil, le monde se pros terne devant l'héritier de
son Empire. Tous les futurs successeurs de Char-
leluagne s'appelaient jadis : Roz"s des Romaz"ns; le
futur Empereur des Fran<;ais s'appellera pour tous,
des a présent : Roz" de Rome : titre splendide, il est
vrai; mais n'exprimant positivement que deux
choses pr~b\élnatiques, savoir: la stabilité du Gou-
vernement napoléonien et la perpétuité de la Dy-
nastie napoléonienne!


Certes, Napoléon le cOlnprenait a .rnerveille,
puisqu'il disait, cOlnme Joseph de Maistre: « Il·
faut savoir ce que décidera le telnps, que j'appelle
le prenlier lninistre de la Divinité an départeInent.




-170 -


des Souverainetés (1). " Decres , demandait-il un
jour a son lninistre de la marine, croyez-vous que
mon filsregne? Un autre jour, s'adressant a sa mere,
il s' écriait: Ah! si j' étais mon petit - fils t A voir
mélé son sang plébéien au sang des plus vieilles
Races royales, et n'étre pas sur d'en créer une
nouvelle ~ tourment incommensurable ~ doute plus
affreux que la plus affreuse de toutes les cer-
titudes! Car, on a heau renverser plusieurs Dy-
nasties sous prétexte de fonder la sienne pro-
pre, on n'y parviendra jatnais si 1'on ne prend
pour principe et pour appui cette légitimité, dé-
truite souvent, toujours indestructible, qui sert
ou doit servir d'affirnlation au droit hUlnain et
au droit divin, dont I'Empereur était la négation
terrifiante!


Plus il contenait le présent, plus il sentait l'ave-
nir Iui échapper. Au COffilnencement de l'Empire,
il avait dit : « Pas un Bourbon ne doit res ter sur le
»Tróne. J) Tous les Bourbons, en effet, étaicnt dis-
persé~ dans ses prisonsou dans l'exil; et cependant
on s'écriait autour de lui : « Tout cela finira par un
Bourbon (Talleyrand). » Les Dynasties qu'il avait


(1) Lettres et Opuscules. Tom. ler, pago lila.




- 17i -


déplaeées ou relnplacées, n'étaient- done pas pros-
erites; ceHes qu'il avait renversées, pouvaient
done se relever, et eeHes qu'il prétendait faire
vivre de SR propre irnmortalité, ll'étaient done pas
immortelles. D'ailleurs, il ne suffit point d'avoir
des héritiers physiques, pour fonder une Maison
souveraine; il faut encore avoir, si ron peut ainsi
parler, des héritiers intellectuels ou ll10raux. Or,
comme pur Ja maniere dont il concevait le Pou-
voir, Nüpoléon ne devait régner qu'au Illoyen de
la guerre, e'est-a-dire au 1110yen de la destrlle-
tion, il ne pul pas 111elue aeeornplir sa eréation
propre, en tant qu"Empereur OU Dynaste, daos
lesens absolu du moto


Cet homme extraordinaire n'en poursuivit pas
lnoins son reve; et Dieu lui permit de se piacer
en dehors de toutes les réalités; de jeter diverses
générations daos un l11ou\e identique, OU 1'0n en-
trait citoyen et d'ou l'on sortait soldat-; de super ..
poser le rOlnan a l'histoire et I'hérOlSlTIe a la tyM
rannie; d'etre le type des conquérants; d'arran-
ger sa vie personnelle sur le cadavre des Nations;
d'opposer l'uniformité de ses desseins gigantes-
ques, lnais bornés, a l'infinie variété des aspi-
rations hUllHünes, et de lenter enfin l'impossible




- 1.7~ -
au point de le rendre possible, sinon pour lui-
meme, du Inoios contre lui-meme.


En effet, la coalition générale, que tous les
hommes d'Etat regardaient depuis vingt ans
COlnme une chimere, 6 cause des divisions persé-
vérantes qui existaient .entre-Ies Rois et les Peu-
pIes, devint une conséquence naturelle de Ieur
double et COlnmune oppressi~n. Quand les Sou-
verains eurent pris la liberté pour auxiliaire, leurs
sujels prirent aussitót l'autorité pour guide; et 1'00
ne confondit plus alors, ni ~'un cóté ni de l'autre,
le cOlnmandetuent avec le despotisme, la souluis-
sion avec la servitude. NapoIéon fut vaincu par le
fait, lui qu'aucun principe n'avaitpu vaincre! Et
l' Europe eotiere se rua, non sur la France, luais
sur sa persoone, parce que l'humanité, si petite a
cóte de ce graod homme, ne pouvait étre rendue a
ses destinées g~orieuses et provid~ntielles, tant
qu'il n'aurait pas lui-méme accompli son glorieux
et fatal destio.




CHAPITRE XXXI.


NAPOLEON DÉTRONÉ PAR LES PEUPLES ET PAR LES
ROIS.


Sommaire.


Situation générale de la France vis-A-vis de I'Europe. - Guerre de
Ja Russie contre la SuMe. - Révolntion suédoise. _- Abdication
de Gustave IV et avénement de Charles XIII. - Bernadotte de-
vient Prince royal de SuMe. -..:. Réunion dedivers États de l'Eu-
rope a l'Empire fran~ais. - Projets de Napoléon contre la Rus-
sie. - Discours de Napoléon au conseil général du commerce et
a l'ambassadeur de Russie, en 1811. - Toute la population de la
France est organisée militairement. -Avant de déclarer la guerre
a I'Empereur Alexandre, l'Empereur Napoléon complete le sys-
teme de ses alliances. - Situation des armées fran¡;aises et des
armées russes. - Napoléon a Wilna. - Son ultimatum est re-
jeté par Alexandre. - Passage du Niémen. - Napoléon promet
un Roi aux Polonais el n'ose pas tenir sa promesse. - Démarche
pacifique d'Alexandre aupres de Napoléon. -La Russie traite avec
la Porte et la SuMe. - Conférences d'Alexandre et de Bernadolte
a Abo. - Séjour de Napoléon a VitepsK. - Incertitude sur la
marche de l'expédition. - Bataille de Smolensk. - Marche sur
Moscou. -Bataille de Borodino. - Napoléon a Moscon. - Pro-
r.lamation d'Alexandre, qui prétend sauver les :Nationalités euro-
péennes, apres avoir sauvé ses propres États. - Découl'agement
de la grande armée - L'Emperenr Napoléon demande la paix a
I'Empereur Alexandre. - Arrnistice. - Reprise des hostilités. -
Signal de la re traite. - Conspiration du général- Mallet. - Lan-
gag e qu'il lient a ses propres juges. - Plaintes de Marie-Lonise
et de Napoléon. - Ce dernier veut combattl'e, quoiqu'i1 n'ait plus
d'armée. - Désastres de la retraite. - xXIXcbulletin de la grande
armée. - Napoléon a Paris. - Ses invectives contre les idéolo-




-174 -
gues. - Napoléon renforee son despotisme."- Louis XVIII ré-
pand en Franee une proclamation inspirée par le génie de la li-
berté. - Alexandre, sU!' les frontieres de son Empire, donne le
signal de la délivrance générale des Peuples et des Rois. - AI-
liance entre la nussie et la Prusse. - Commencement de la eam-
pagne de 1813. - BatailIes de tutzen, de Bautzen et de Wur-
tzchen. - Médiation de l'Autriche, qui veut rétablir l'équilibre
des Pouvoirs en Europe. -- Congres de Prague rompu avant méme
d'é!re ouvert. - Coalition générale eontre Napoléon. - Fa-
tales journées de Leipsick. - Nouveaux désastres. - Décla-
ration de Francfort. - Napoléon rend le Vatican a Pie VII et
l'Espagne a Ferdinand VII. - Conflit entre Napoléon et le
Corps Législatif. - Si la France exigeait une nouvelle Consti-
tution, s'écrie-t-il, je Lui dil'ais de CHERCHER UN AUTRE ROJ. -
Congres de Chiltillon. - Campagne de 181á. -Projet des Alliés;
contre-projet de Napoléon. - Traité de Chaumont. - Napoléon


• accepte l'ultimatum des Alliés; mais il est trop tardo - Les Alliés
sous les murs de Paris, - Instructions de NapoIéon a JérÓme Bo-
naparte, son lieutenant. - Capitulation de Paris. - Enlrée des
Rois de rEurope dans cette cap ita le. -Conseil lenu pour déJibé-
rer sur la formation d'un nouveau Gouvel'l1ement. -Paroles d!A-
lexandre. - I,a France demande le relour des Bourbons. - Dé-
c1aration des AllIés a cet égard. - Déchéance de NapoIéon el de
sa famille. Elle est prononcée par leSénat conservaleur, qui rend la
Couronne de France a Louis xvnL - Abdication de Napoléon. _
Le comte d'Artois signe a Paris la convention du 23 avril. - En-
lrée de Louis XVIII. - La Charte el le traité de Paris. - Consi-
dérations générales sur ces divers événements.


En sortant de l'époque la plus héroique de notre
histoire nationale, pour entrer dans l'époque la plus
déslIstreuse, nous éprouvons un serrement de cmur
inexpritnable, Apres avoir connu les supremes
joies de la victoire, fallait-il donc que nous con-
nussions aussi les supremes douleurs de la défai-
te! Nos aigJes ont plané sur toutes les capitales de




- 175-


rEurope; rnais les chevaux de l'Ukraine viendront
deux f015 s'abreuver dans les eaux de la Seine! Un
nouvel Empereur d'Occident, acclaIl1é par nos
llrmées républicaines, a porté les frontieres de la
patrie jusqu'au milien qe l'ancien Empire d'O-
rient; mais il sera eontrajnt de rendre Jlne por-
tion du territoire eonquis par les arlnées royales
de Louis XI V • ~.\::o~


';J' .XJ.,"
:~.' ~
~ ..


Bien 10in d'avoir agrandi la Franee, Napoléon '. ~ ,;
O I'aura diminuée!


Telle a été la destinée de eet hOllllUe, qui s'éleva
comme Charlemagne et qui tOlnba eonnne Char ....
les XII! Vainelnent la Providenee lui prodigua-t-
elle ses avertissements, afin de le ramener a elle,
quand il fut aux prises avee la Pata lité : Napo-
léon ne se p05séda plus llli-meule, des qu'il erut
posséder l'univers. Étant au SOffilnet des prospé-
rités, il s'iInaginait d'ailleurs etre inaccessible a
l'infortune. Aussi, lorsque le mouvenlent de l'es-
prit humain vers l'indépendance qui lui est néees-
saire, suscituit, en Espagne, les Custanós, les Pa-
lutox et les Guérillas; en Italie, le Carbonarisme;
en Allelnagne, le Tugend-Bund; partout enfin une
réaction favorable aux vieilles Dynasties, paree




- 176-


qu'elles s'engageaient A garantir efileacement ·Ies
droits de l'hOlnme dans chaque société, l'Empereur
ne lui opposa-t-il que le lnouvelDent de sa pensée,
ou mieux de son épée, au lDoyen de la quelle il
prétendait fonder de nouvelles Dynasties, pour
mettre tous les peuples au niveau de la servitude,
sans se douter qu'un abime de liberté appelle tou-
jours un abime d'autorité!


Lorsque ces deux tendances eontradietoires se
furent développées au point de dominer toute la
vie publique, un duel a nl0rt devait avoir lieu
entre l'Europe et Napoléon. L' Elnpereur, il est
vrai, n'avait rien a craindre de la guerre des Rois,
qu'il avait tant de fois vaincus; lDais il avait tout
a eraindre de la guerre des Nations qui sont in-
viucibles. Il erut eependant qu'il faseinerait par sa
gloire, ceHes qu'il ne comprimcrait point par la
force; et, sous ce rapport, la déchéunee de Gus-
tave IV, Roi de Suede, lui parut d'un heurcux au-
gure. Ce Monarque, molns prudent que magna-
nime, ayant refusé d'aceéder a la paix de Tilsit,
poursuivit la guerre, et eontre les Fran~ais, el con-
tre les Russes, déja maUres d'une partie de la
Suéde. Pour n'uvoir rien voulu accordcr, l1i [1 ses
propres sujels l'uinés et abutLus ni á ses ennenlis




- 177-


triomphants, Gustave perdit tout, puisqu'il fut
contra¡nt d'abdiquer. Au Jieu de laisser le Tróne
a son jeune fils, qui était Roi de droit, la Diete
préféra le confier a son vieil oncle, qui devint
Roi de fait, sous le nom de Charles XIII. Une
Monarchie constitutionnelle tres-limitée d'ahord
remplac;a la Monarchie absolue; puis Charles XIII
signa la paix aV,ec Alexandre et Napoléon. Le
premier prit la Finlande et les íles d' Aland a
la Suede, c'est-a-dire un tiers de son territoire
et de sa population; le second lui prit la Po-
méranie. Apres la l110rt du duc Christian d' Au-
gustenhourg, fils adoptif du Roi, la Diete résolut
de lui désigner un successeul'. Quelqurs membres
de cette assemblée con<;urent le projet de choisir le
Roi de Danelnark, pour renouveler I'ancienne
union de Calmar et former une seule Monarchie
avec les trois Royalunes scandinaves. Mais la Ina-
jorité porta ses snffrages sur Bernadot te : le seul
des maréchau~ de Napoléon qui elit su donner un
relief a sa propre individualité, en ce temps OU
toute distinction particuliere se perdait au lnilieu
de }'effacement général des caracteres. Un soldat
fran<;ais devient done Prince royal de Suede. I,(l
Maison de Wasa perd le TróDe pour n'avoir pas fait


IV. (3) 12




- 178-


la paix avec Napoléon ; et Bernadotte le conServera
pour lui avoir fait la guerree


Cependant l' Empereur, prétextant la nécessité
de développer le blocus continental, de vaincre la
mer par la terre et de rétablir l' ordre dans quel-
ques petits États , s'appropriait impunément une
grande partie de l'Europe. Déja le Royaume de
Hollande, détruit presque aussitot que créé, tous
les pays situés entre l'Elbe et le Weser, Hambourg,
toutes les villes anséatiques el le I...üwenbourg se
trouvaient incorporés a l' Em pire, quand il voulut
étendre ce systeme de réunion jusqu'au Duché
d'Oldenhourg, COlllme s'H eut cherché un sujet de
division entre la France et la Russie. En eITet, Na-
poléon, établi a Lubeck, annon<;a hauteluent l'in-
tention qu'il avnit d'y fonder un arsenallnaritilne,
au n10yen-duquel il dOlninerait les États du Nord,
apres avoir écrasé les États du Midi. C'était révéler
fort illlprudemrnent ses projets contre la Russie ,
qu'il enla<;ait daos les nreuds de ses alliances et
dans les replis de ses positions slratégiques avec
la secrete pensée de lui déclarer une guerre illl-
prévue, a l'efIet de détruire l'reuvre de Pierre-Ie-
Grand, de reléguer eette Puissance en Asie, et de
marcher lui-melue a Constantinople, sous prétexte




- 1.79 -


d'aller y chet'cher la pnix, en réalité potlr y creer
ulle Monarchie napoléonienne, qui fixerait sous sa
propre tl1ain toutes les destinées dll Monde!


CeHe gignntesque expédition une fois arrétée
dans sa pensée, l~s préparatifs d'attaque se tirent
mystétieusement, de I'un a I'autte boot de rEm~
pire. A\exandre, ayábt deviné le dessein de Napo-
léon, lit également d"hnmenses préparatifs de dé-
Censé.Au reste,ees deux Empereurs étant rivaux,ils
deVáieht fataletnent redeveriir adversaires. Comme
la Russie avait renoncé aU systeme continental,
apres Pincorporation du Duchéd'Otdenhourg a
l'Empire fran<;ais, Napoléon ne craignit pas de
s'exprimer en ces termes devant le conseil général
du commerce et des manufactures: a Si j'ai fait la
paix el Tilsit, c'est que I'Elnpereur Alelandre a
promis dé De plus cOlnnluniquer avec les An-
glais. Rien ne se serait opposé a ce que je fusse
aUé A Riga, a Moscou, a Saint-Pélershourg. Je
vous le dIs bien baut, messieurs les négDciants,
ceuÍ de vous qui ont des affaires a termiller, des
fonds u tetirer, doivent le faire le plus tot possi-
'ble. Le Continent restera reriné aux importütions
de r Angleterre. Je resterai arIné de pied en cap,
pour faire exécuter mes décrets daos la Baltique ..•




- 180 -


Si je n' étaís que Roi de France, je ferais comlue
Louis XIV et Louis XV. ,le suis fEmpereur du Con-
tinent. Il faut remonter a Charlemagne pour avoir
une idée de lna puissanee. » Alexandre, quoique
provoqué, se contenta de dire a l'ambassadeur de
Napoléon :« Il n'y a la rien d'amical pour 1110n
JI Empire.» L'allocution du 15 aout i 8\ t, a l'alu-
bassadeur de Russie, en présence du corps diplo-


/matique et de toute la Cour, fut d'autant plus si-
gnificative, que Napoléon, apres avoir rappelé
ses triompb~s militaires dan s la campagne de
Pruss,e, ajoutait : « soit bonheur, soit bravoure de
lnes troupes, soit paree que j'entends un peu le
métier, j 'ai toujours eu du succes a la ~uerre. J e
ne dis pas que je vous hattrai, mais nous nous hat-
trons. »C'est alors qu' Alexandre dit a l'alubassadeur
de France:« Votre :Maitre est incomparablement
au-dessus de tO\)t ce qui a cOlnlnandé des armées;
mais apres lui nous verrons. Je n'ai aucun général
a lui opposer; je ne serai jamais l'agresseur; mais
j'ai tout préparé pour une honneet longlle résistan-
ce. Je ne veux pas la guerre; mais je n'enverrai
personne a Paris pour y aller chercber la paix (f). »


(1.)- M. le ;comte de Garden, Hist. générale des traité de paix.
Tom. XIII, pago 305-306.




- 1St -


L'Europe, suspendue entre l'espérance et· la
la erainte, conteluple les apprets de eette lutte
supreme qui doit fixer son propre destino D'in-
nombrables levées d'homlnes s'accornplissent au
sein de chaque société. tes jeunes générations,
sources de la vie publique, ne suffisant plus a Nd-
poléon, il distrihue toute la population fran~aise
en trois classes de soldats, recrutés pour la mort.
tes réfractaires et les déserteurs sor.t traqués par
des colonnes mobiles; on établit des garnisaires
an domicile de leurs parents. Non content de
completer le systeme de ses artnées, l'Empereur
compléte le systelne de ses alliances. Presql1e tous
les Rois el tous les peuples s'étant rangés sous ses
propres drnpeaux, Napoléon prend congé de ses
ministres, en leur disant: «Je pars; je vais
dompter Alexandre. Deux vicloires, el je suis a
Moscou et a Pétersbourg. til je diclerai la paix.
Du zéle, beaucoup de zele I el dans trois mois, je
vous rapporte la paix! " 1I sort de Paris, se ren-
dant a Dresde, OU l'Empereur d' Autriche et les
Rois de Prusse, de Baviere, de Westphalie, de
Wurtemberg ooivent I'allendre; el l'Empereur de
Russie entre solennelletnenl a Wilna, ou il at-
tendra l'ultz'matum de l'Empereur des Fran<;uis.




- 182 -:-


Tout le mQnde, ébloui par le présent, croit au
sucees futur de Napoléon; mais quelques hOnlmes
d'État, ayant le pressentitnent de l'avenir, osent
lui prédire une défaite prochaine. Le ROl de West ..
phalie parle de l' Allemagne ou l' on se propose
l' exemple de l' Espagne. (1 Si la guerre vient a écla-
ter, dit-il, toutes les contrées situées entre le Rbiu
ell'Oder seront le foyer d'une vaste et active in ..
surrection. »~- « Je répete a Votre Majesté. pen-
dant qu'il en est temps encore, poursuit le Duc
de Vicence, que cette guerre oe peut avoir qu'un
résultat funeste pour le pays; que toutes les Puis-
sanees se leveront en 111aSSe contre une seule;
vous vous perdez, Sire, et la France, c'est vous. »
Mais-, se Ion la profontle observation d'un historien,
Napoléon « en était venu , a force de prospérités,
a ee genre de maladie oil l'homme oublie qu'i1 a
des semblables, s'i801e, s'enferme en lui-méme
et devient eomUle impénétrable a la lUlniere du
dehors (1). » Alexandre rejeta son ultimatum en
disant: (1 L' Empereur des Fran-;ais peut passer le
Niélnen, mais jalnais.je ne signerai une paiI. sur le
territoire de la Russie ..... Quand Uleme il serujt
maUre de Moscou,je ne me croirais point perdu.»


(1) M. L. Vitet, Revue Contemporaine. Liv. du 1 er féuier 1854.




- 183-


Et Napoléon de s'écrier avee joie : « Nous Vérrons
bien si eette eonstance tiendra contre l'épreuve
des événeluents (1). »


Sur son ordre, tous les eorps d'armée s'ébran-
lent a la fois. L'Elupereur s'avance lui-nléme pour
en prendre le commandement et leur dit: « Soldats,
la seconde calupagne de Pologne est cOlumencée!
la prewiere s'est terminée a Friedland et a Tilsit.
La Russie a juré éternelle alliance a la France et
guerre a l' Angleterre. Elle viole aujourd'hui ses
serments!. .. La Russie est entrainée par la fata-
lité! Ses destinées doivent s'accomplir... Passons
le Niémen, portons la guerre sur son territoire. »
Alexandre s'adresse égaleluent a l'al'nlée russe.
« Guerriers, dit-il, cel alubiLieux insa Liable a
répondu par la perfidie a notre loyauté. Sourd
aux propositions les plus modérées, il vient par
surprise dan s nos foyers... Le sang des 1 va-
leureux Slaves coule dans vos veines. Guerriers,
vpus défendez la religion, la patrie, l'indépen ..
dapee l· Je suis avee vous; Dieu est eontre l'agres-
seur 1 /J


Au moment OU l'armée expéditionnaire etree-


(1) M. Villemain, Souvenirs contemporains d'histoire et de
littérature, pago 188.




- 184-


tuait le passage du Niémen, une tempete forlnida-
ble confondit, en quelque sorte, le ciel et la terre,
comlne si Dieu voulait retenir, par ce présage,
l'homlne qui semblait entrainer apres tui toute
l'hunlanité. Mais Napoléon, dédaignant le choc
des élélnents qu'il ne cOlnlnande pas, s'engage
dans les défilés de Wilna, impatient qu'il est
d'ordonner le choc des aflnées. 11 aper<;oit déja la
capitale de la Pologne russe; et il n'a pas encore
vu l'ennemi. (J Polonais, dit-il aux I. .. ithuaniens,
je viens pour \'ous donner un Roi et pour étendre
vos frontieres. Votre Royaume sera plus considé-
rabIe qu'il ne l'était sous Stanislas. Le Grand-
Duc de W urtzbourg sera, votre Roi (1). » Ces
paro les retentissent jusqu'au sein de la Diete
qui délibere a Vars()vie et dont une députation
arrive aupres de Napoléon. «Sire! dites un lnot,
s' écrie - t - elle, dites que la Pologne existe, et
la Pologne existera! J) Ce lnot, l'Empereur des
Fran<;ais refuse de le prononeer, malgré sa pro-
rnesse fonnelle, paree qu'il craint de lnéeontenter
l'Empereur d' Autriche, et qu'il ne craint pas d'ir-
riter une Nationalité belliqlleusc, dont l'existenee


(1) M. le comte de Garden, Hist. générale des traités de paix.
Tom. XllI, pago 373.




-185 -


ou la non-existence est une question de vie ou de
lllort pour lui~nleme. Sur ces entrefaites, Alexan-
dre écrit la leUre suivante a Napoléon: «Si Votre
Majesté n'est pas intentionnée de verser le sang
des peuples pour un lualentendu, et qu'elle con-
sente ¿\ retirer ses force s du territoire russe, je
regarderai ce qui s'est passé COlnme non-avenu,
et un acconllnodement en tre nous est encore pos-
sihle. » NapoJéon ayant déchiré cette lettre d' A-
lexandre, le Czar ne s'adressa plus qu'il la Nation
tlloscovite: « Peuple russe ! dit-il, intrépide posté-
rité des Slaves Ice n'est pas la premiere fois que tu
as brisé les dents des tigres et des lions qui s'é-
lan~aient sur toi! Unissez-vous! portez la croix
dans vos creurs, le fer dans vos lnains, et nulle
force hUlnaine ne prévaudra contre vous 1 •


Une asselnblée générale de la noblesse est con-
voquée 11 Moscou. L' Empereur s'y rend lui-meme,
ordonne une levée en masse et ne 'quiue l'an-
cienne capitale de son Elnpire que pour prendre
la route d' Abo, ancienne capitale de la Finlande,
ou il doit avoir une conférence politique et diplo-
matique avec Bernadotte. Napoléon pouvait obtenir
le concours gratuit de la Porte et de la Suéde,
alors qu'elles soutenaient une guerre plus ou


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- t86-
Inoins beureuse contre la Russie; mais, apres le
traité de Bucharest entre la Russie et la Porte, et
le traité de Saint-Pétersbourg entre la Russieet l~
Suede, il importait de faire au moios des con ces-
sions, a rune de ces deux vieilles amies de la
France, et Ineme a toutes les deux, pour elnpe-
cher qu'elles ne fissen t cause COlumune avec l'en-
nemi. Or, Beroadotte deluandait la Norwége en
compensation de la Finlande; et Napoléoo, qui le
considérait encore COlUlue son propre lieutenant,
au lieu de le considérer comlne Prince royal de
Suede, luí répondit qu'il • n'acheterait pus un
»allié douteux aux dépens d'un alIié fidele,)) Fré-
déric VI, Roi de Danetuark. Plus habile que l'Em-
pereur des Fran<;ais, dont le coup·de luain en Po-
méranie avait exaspéré la Suéde, l' Empereur de
Russie, promit a Bernadotte les compensations ter-
ritoriales qu'il désirait; et l'entrevue d' A.bo Cut
résolue. Alexandre et Bernadotte se concerterent
sur les moyens de résister a Napoléon afin de sons-
traire l'Europe au joug qu'il faisait peser sur elle.
Conformément aux traités, la Russie devait four-
nir un corps d'anuée á la Suede; luais Ber-
nadotte fit rentrer ces troupes dans Ieur patrie.
« Prince, je ne dois pus l'accepter, dit AleJandre :




-187 -


comment auriez-vous la Suéde?.- Si vous étes
heureu:x, répondit Ch~rles-Jean, je l'aurai tou ...
jours, vous tiendrez vos promesses. Si vous suc ..
combez, Sire, l'Europe est asservie; les Couronnes·
80nt flétries; on ne les l)ortera que SOlla le bon
plaisir de Nupoléon~ Mieux vUQ.t labourer up champ,
que régner a cette condition. ¡)


Ainsi , pendant que l' Elnpereur de Russie mul-
tipliait ses années, recrutait des alliances et fai-
sait de l'indépendance de seS propres États un
nl0yen de résurrection pour la liberté de tous les
Étuts européens, l'Empereur des Franc;ai~ perdait
ses alliés, voyait dinlinuer ses troupes et doutait
de sa propre entreprise, ayant pour hut de complé-
ter l'asservissement ;du lnonde. Son séjour pro-
longé a. Wilna trahit, en eITet, de cruelles incerti ...
tudes, Le climat, la lnaladie et la fairo, ees troi8
eQuelnis que De sal.lrait vainere aucun bomnle, dé ..
couragent S~l valeureuse année plus terrihlement
qu'une défaite. Il n' est plus teulps de reculer, pl.lis-
que le Moscovite s'avance. Napoléoll luürche a sa
rencontre; et ses généraux, qui sont Rois, le préce-
dent ou le suivent duns la direction de Vitepsk.
Bientót les deux arUlées sont en pré8ence. A de-
main le soleil d' 4usterlitz! s'écrie I'Empereur,




- f88-


espérant enfin reCOlnmencer le grand jeu des ba-·
tailles. route la nuit se passe dans cette iIlusion.
Quand le jour parait, l'enneJni, son calnp et la
ville -elle-melne ont disparu COlnme des fantaInes.
eette solitude est effrayante. La grande armée
pouvant se perdre au milieu des déserts irnmen-
ses, Napoléon ne songe d'abord qu'a la sauver.
« Je reste ici, dit-il a son état-major; je veux m'y
reconnaitre, y rallier, y reposer mon arlnée, or-
ganiser la Pologne. La calnpagne de 1812 est finie;
ce He de 1813 nous donnera Moscou, et ceHe de
~814 Pétersbourg. La guerre de Russie est une
guerre de trois ans •.. nous ne ferOllS pus la folie
de Charles XII ..• plantons nos aigles ici! •


Mais Napoléon était trop habitué aux conquetes
rapides, pour persévérer dans ce systeme de guerre
lente. HOllllne du Midi par excellence, il ne pou-
vait se transformer en homme du Nord, nichanger,
en résolu tions fixes eL inébranlables, ses détermi-
nations toujours spontanées, souvent contra die ..
toires. A peine s'était-il arreté, qu'il fut impatient
de lllarcher. « L'épreuve est vaine, dit-il, nous
avons encore du heau telllps pour prés de trois
DIOis; il m'en a fallu .moin"s pour Austel'litz et Til-
sito Il faut une iuunense victoire, unebatailIe de-




- 189 -


vant Moscou, une prise de Moscou qui étonne le
lnonde .• Les ordres de départ sont transmis. L'ar-
mée franc,;aise, dirigée sur Slnolensk, aperc,;oit l'ar-
mée russe. Enfin je tes lZ"ensl s'écrie l'Elnpereur.
Vain espoir! le lendelnain il ne voyait plus rien
devant lui. Tous ses efforts se tournerent alors
contre Smolensk. La ville fut elnportée d'assaut;
mais les Russes ne l'évacuerent qu'apres en avoir
fait un vaste bucher. Selon les expressions de
Napoléon : • Au milieu d'une belle nuit d'aout,
Snlolensk offrait aux Fran~ais le spectacle qu'of-
fre aux habitants de Naples une éruption du Vé-
suve(1.). D


La grande armée franehit le Borysthene, pour
aller déloger les Russes des hauteurs de Walan-
tina. Cette forte position, prise et reprise quatre
fois dUBS la mérne butaille, reste entre les mains
des Pranc;ais. « Avec de pareilles troupes, dit l'Eln-
• pereur, on doit aller au bout du lnonde. » L'en-
thousiaslne de la victoire fait braver lu disette, les
fatigues, toutes les horreurs de la guerre, avec
d'autant plus de eourage qu'on se dirige sur Mos-
cou: la ville sainte, ou l'on espere trouver le repos,
l'abondance, la paix. Généraux et soldats s'avan-


(1) Treizieme bulletin de la grande armée.




- 190 ;o...


cetlt, les yéux brotés par la poussiere et pár le so-
leil d'aotit, sans rencontrer l'ennemi, au milleu
d'un pays dont les villages, les bourgs, les chAteaux
et les chaulnieres ont été incendiés, les récoltes
aneaoties, les pOIltS brisés, les rontes coupées.
Cette imtnense desttuctioo devient pour tous un
présage sinistre. On lnarche cepetldant, ntalgré la
soif, nUl]gré la faim, malgré la pluie, paree que
telle est la volonté du Maitre; paree qu'on espere
surtout éprouver; apres tant de douleurs, l'hor-
ribIe jole d'une bataille. Ces braves seront 8atis-
faits; cur les Russes eUX:"lnemes , fatlgués de fuir
sans cesse devant les envahisseurs de leuí' patrie,
veulent cOlIlbattre sous la direction de Koutousow,
qu'on a surnolnLné le Fabius de }'histoire mosco-
vite. Les deux armées sont en présence, A vingt-cinq
lieues de Moscou, el prés dli village de Borodino. Un
engagelnent particulier prépare l'actlon générale .
• Sire, dit Caulaincourt, les Russes sont inébran-
J lables; il faut les démolir. » - « Eh bien, réplique
1J Napoléon, derrJain, j'aurai lnes réserves et mes
J pares d'artilIerie, et nous les démolirons. » La
nuit se passe en constructions de redoules; puis,
avaot -l'aurore, 00 distribue les deux ordres du
jour: • Soldats , s'écrie l'Empereur, la voilA cette




- t9t-


»bataille que vous avez tant désirée. Désormais la
• victoire dépend de vous ... Soyez les soldats d' Ans-
I terlitz, de Friedland, de Vitepsk , de Smolensk,
• et que la postérité la plus reculée dise, en parlant
• de vous: II était a cette grande bataille sous les
• murs de Moscou! » - « Soldats t s'écrie Koutou-
.sow, remplissez votre devoir; songez A vos fem-
.lneS et a vos enfants, qui réclalnent votre pro-
• tection. Songez A votre Empereur qui vous con-
»temple, et avant que le soleil de detnain soit dis-
J paru, vous aurez écrit votre foi et votre fidélité
"dans les champs de votre patrie avec le sang de
» l'agresseur et de ses légions. »


De part et d'antre, cen! vingt mille hOlnmes
prennent leur position de combat; puis le carnage
cornrnence avec fureur. Douze cents pieces d'artil-
lerie sement la mort, depuis dix heures, sur l'es-
pace d'une denli-lieue. Enfin l'impétuosité fran.,..
<taise va triompher de l'inlmobilité russe. Le lnaré-
chal Ney, sur de la victoire et voulant déterJniner
la déroute de l'ennemi, demande a I'Empereur le
CODcours de tous les escadrons de la garde qui for-
ment le corps de réserve; lnais un autre maréchal
s'approche de Napoléon et lui dit: u Sire, votre
» Majesté est a huit cents Iieues de sa capitale. »-




-192 -


« Je le ferais pourtant, si j'étais Bourbon et Roi de
» France, "répond l'Empereur. I.Je champ de ba-
taille, jonché de quatre-vingt lnille morts ou bIes-
~sés, n'en reste pas moins au vainqueur; et le
vaincu, poursuivi par l'arlnée fran<;aise, hat en
retraite sur Moscou.


Les gigantesques tours de la cité sainte appa-
raissent dans le lointain. (( Moscou! Moscou! la
»terre pronlise ! » disent nos soldats. a La voila
»donc cette ville falneuse!» s'écrie Napoléon,
transporté de joie; lnais il ajoute presque avec
douleur : e C'était bien temps ! ») L'arriére - garde
russe n'était pas encore sortie de Moscou, lorsque
l'avant-garde fran<;aise y pénétra. Sur une popu-
latioo de deux cent mille habitants, il ne reste
que quelques milliers d'étrangers; et Napoléon est
obJigé d'avouer que 11 cette guerre ne ressemble a
»aucune autre. • De lugubres pensées ('agitent;
d'autres sentiments l'animent en présence du
Kremlin devenu son plus beau trophée. I.Je jour il
se repose, enivré de g..loire, sur le tróne de Pierre-
le-Grand; la nuit, il dort dans le lit des Czars; mais
l'ennemi veille et s'agite! Bientót une lueur sinistre
écIate, le sol tremble! Moscou brille! Moscou est
en cendres! l ... e Conquérant a perdu sa conquéte !




-193 -


"e'est une guerre d'extermination, s'éerie-t-il;
J e'est une.¡aetique atroee, qui n'a pas de préeédent
,dans les annales de la civilisation l .•. Ineendier
"leurs propres villes! ah 1 quels hommes que les
I Russes 1 Ce sont vraiment des Seythes! »


L'Elnpereur de Russie avait dit a l'ambassadeur
d' Angleterre, apres la bataille de Borodino: « Le
J sacrifice de Moseou en sera la eonséquence. »
Puis, il avait ajouté : « Non-seulement pour un ":~ti::\
JI selnblable désastre, mais méme pour vingt au-, ,,:,),,, <~fi. 'e


? • .,


"tres, je ne renoneerais pas a la lutte dans laquelle ':~ i
,..
~t . .f


.je suis engagé. Plutót que de plier, je préfererais " " T"~
» abandonner l' Europe et me retirer en Asie.» Des
que Napoléon fut a Moscou, les Russes s'écrierent:
«Il est pris! » un hOlume d'État dit au Czar:
(1 Sire, remerciez la Providence, la Russie est


J sauvée! D et Alexandre fit une proclamation, ou il
s'exprimait en ces tenues:


el L'ennemi est entré a Moscou; luais que le
grand peuple de Russie n'en sojt pas abattu •..
L'orgueilleux conquérant, en s'en rendant lnai-
tre, espérait le devenir de tout I'Empire russe et
lui prescrire telle paix qu'il lui plairait de nous
accorder. Mais ses espérances ont été trompées, et
non-seulemeot il De trouvera daos cette capitale


IV. (S) 13




- -194 .-


aucun moyen de nous dicter des lois, luais méme
aucun llloyen de subsister ... Ainsi t qL\.e personne
ne se livre done au découragement. Et, d'ail-
leurs, commellt s'y livrer, lorsquetous les or-
dres de l' État rivalisent de courage el de fer111e-
té; lorsque l'ennemi, avec les débris de ses arlllées
qui s'épuisent, se voit éloigné de son pays, isolé au
lnilieu d'une population -nombre use et entouré de
nos arfnées, dont l'une lni est opposée de frollt,
tandis que trois autres s'efforcent de lui couper la
retraite et d'empecher de nouvenux renforts d'ar-
river jusqu'a lui; lorsque l'Espagne, non ... seule-
IIlent a secoué son joug; mais nleme qu'elle menace
d'envahir son propre territoire; lorsque la plus
grande partie de l' Europe, dévastée et pillée par
lui, tout en - le servant forcélnelH, observe et at-
tend avee inlpatience le lnoment de se Soustraire
a une dOlllination tyrannique et insoutenable;
lorsque son propre pays ne voit pns de fina. l'ef-
fusion du sang qu'il a versé pour les intérets de
son alnbition.


» Dans cette sitnation lni~érahle de tout le gen-
re hllInain, quelle gloire pour la Nation, qui,
aprés avoir supporté tous les 111aux que In guerre
entraine, parviendra, a force de patience et de




- 195-


courage, non-seulelnent a reconquérir pour elle-
meme une paix stable et inaltérable, lnais a en
étendre les bienfaits aussi sur les autres Puissan-
ces, et lnelne sur celles qui, contre leur propre
gré, lui Jont la guerre. Il est doux et ~nvenuble
a une Nation vertueuse de rendre le bien pour le
mal. Dieu tout-puissant!... renforce de courage
et de patience ton peuple fidele, qui combat< pour
la justice; qu'a l'aide de ton secours il triomphe
de l'ennenli, qu'il le terrasse, et qu'en se sauvant
lui-melne, il sauve la l,iherté et l'indépendance des
Rois et des Royaulues. »


CeUe proclamation, dont le but politiqüe était A
la fois local et universel, puisque l'Empereur
Alexandre se posait COlnme le libérateur.de ses pro-
pres États, et conlme celui de toutes les Nationalités
européennes, exalta le courage des Russes en aug-
lnentant le découragelnent des Fran~ais, qui de-
luandaient la paix ou la retraite, alors lneme que
N apoléon auruit désiré porter la guerre j usque
sous les murs de Saint-Pétersbourg. Obligé de
lnodifier ses plans, l'altier Conquérant ouvrit aus-,
sitót des négociations pacifiques. Mais Koutousof
n'accepta qu'un armistice particulier, sous prétexte
qu'il n'ávait pas le pouvoir de clore les hostilités




- 196 -


générales. A Moscou, ron s'imaginait qu' Alexandre,
éprouvé par le revers, se courberait devant la for-
tune de Napoléon ; ce fut, au contraire, N~poléon
qui se courba devant Alexandre. Apres avoir
attendu beaucoup trop longtelnps, dans une fatale
sécurité, un mot favorable du Czar, l' Empereur
s'effraie enfin de son silence. Quoiqu'il n'espere
plus dicter les conditions de la paix, il ne veut
pas continuer la guerreo Aussi écrit-il de· rechef a
Saint-Pétersbourg, pour offrir lui-lneme a MOflCOU,
ce qu'il refusait naguere a Tilsitt et a Erfurth (1)~
« Je veux la paix, dit-il au général Lauriston,
»chargé de ce message; et je la veux absolunlent,
»sauvez seuleluent l'honneur. » Koutousof, qui
avait re<;u d'immenses renforts et qui voyait ap-
procher l' hi ver, cet auxiliaire formidable de la
Russie, arreta Láuriston aux ·avant-postes. Comme'
le général franc;ais déclarait que la campagne était
finie : (( Monsieur, répoodit le général russe, elle est
finie pOUl' vous, mais elle commence pour nous. »
En effet, Koutousof, ayant luis a l'ordíe du jour
un rescrit impérial daos lequel 00 le blamait d'a-
voir accordé une treve aux envahisseurs de sa paw


(1) M. le cornte de Garden, Rist. générale des 7'raités de paix.
Tom. XHI, pago 453.




- 197-


trie, attaqua les cantonnements de Murat et détrui·
sit une partie de notre cavalerie. Alors fut résolue
cette retraite désastreuse, confllse, lamentable,
qui dévora la plus belle armée des telnps moder-
nes, qui conduisit l'Europe a Paris et qui fera peser
éternellelnent, sur la mémoire d'un seul homme,
ranathelne de toute l'hulnanité!


Le jour oill'Empereur sortait de Moscou en don-
nant a la jeune garde l'ordre de faire sauter le pa-
Jais des anciens Czars, Malet sortait de prison,
entrainait deux généraux et nombre de soldats,
produisait un rnouvement révolutionnaire daBs
Paris en annon<;ant la mort de Napoléon, et fai-
sait proc1amer la déchéance de sa Dynastie par son
propre Sénat conservateur. Déja le commandant
de la place, le lninistre et le préfet de police
étaient arrétés, un Gouverneluent provisoire était
créé, et l'Empire allait etre détrllit d'une ma-
niere définitive, lorsque le général Hulio, chef de
l'état-major, ayant con<;u quelques doutes, ol'donna
qu'on s'emparat de cet autre général, dont l'affir-
lllation nlensongere avait suffi pour produire un
aussi grand bouleverseluent. Mnlet passa devant
une c0l111nission lnilitaire. « Quels sont vos corll-
~plices? lui delnanda-t-on, - Toute la France,




- 198-


»l'Europe et vous-luénles, répondit-il, si j'avnis
»-réussi. - Aceusé, je vous invite a vous défendre.
»- Un hOlume qui s'est levé pour défendre les
"droits de son pays n'a pas besoin de défense; il
) triomphe ou 111eurt.» - Le général eonspirateur
luourut, en effet; luais son idée lui snrvécut. On
peut dire que, sous ce rapport, Malet renversa
1110raleluent l'Empire et l' Elupereur. G C'est le
»C0l111Uencement de la fin, " 111UrUlurerent tout
bas les vieux hOrnll1eS d'État, auxquels sa mort po-


I


litique faisait espérer une nouvelle phase d'exis--
tence. Marie-Louise, qui s'était vue ahandonnée
par ses propre courtisans, disait tout haut : « lIs
ln'auraientdonc laissée retourner a Vienne! • et Na ..
poléon, recevant lui-llléme tous les détails de la con-
spiration au nlilieu de la route désolante qui le ra-
menait de Moscou a Smolensk, s'écria : G QuoU des
complots! des conspirations! voilc\ done a. quoi tient
luon Pouvoir! il est done bien aventuré, s'H suffit
d'un seul hOIDlne, d'un détenu, pour le cOluproluet ..
tre! Ma couronne est done bien peu affermie sur ma
tete, si, dans ma capitale meme, un coup de main
hardi de trois aventuriers peut la faire chanceler!
Apres douze ans de gouvernelnent, apres lnon ma-
riage et la naissanee de n10n fils, apres tant de sen-


o





- tOg-


timents, ma lnort peut devenir un llloyen de révo-
latioo! Et Napoléon 11, 00 n'y pensait done pas?»


Jaloux de réparer cette défaite morale par une
victoire positive, Napoléoo réunit ses vieux géné~
raux eo conseil de guerre, pour leur exposer un
nouveau plan de bataille. Tout le lnonde se tait ;
Ney seul, qui doit étre le héros de· ceUe affreuse
retraite. ose prononcer quelques paroles courageu-
ses: « Vous voulez combattre, dit·il á son Maitre,
»et vous n'avez plus d'arlnée. 7J Au lieu de repren- '
dre l'offensive, Napoléoo garde la défeosive et
supplie K.outousof de faire cesser les fureurs d'une
guerre populaire. J.,je général ennemi lui répond :
« L'ardeur que met un peuple a défeodre ses foyers


11 contre l'étranger ne sauraitaller trop loio. 11
Malo-Jaroslavetz est le théatre d'une action bril-
lante, lnais inutile. Koutousof recule pour rnieux
avancer; et Napoléon, qui s'est trop avancé des
eosaques, a la fois vainqueur et vaincu, recule
pour n'étre pas enlevé. Les soudaines attaques
des Russes portent le désordre jusqu'au milieu
de nos rangs, dont. la désorganisationet les
pertes. sont effroyables. Tous les divers corps
sont eoofondus et décimés dans ce pele-mele sinis-
tre. Le froid .devient chaque jour plus intense.


.


~ , ..




- 200-


L'hiver du Nord torture les hOlnlnes du Midi, en
meme temps que la disette. Une seule nuit fHit
descend,re la température de je ne sais combien de
degrés; et le. nOlnbre de soldats qui tombent du-
rant ceHe nuit funeste, s'éleve a je ne sais plus
combien de milliers. Quel présage pour l'armée
ent.iere 1 Quiconque résiste au froid, ne résistera
pas a la faim. Chaque bivouac offre l'aspect d'un
cimetiere! Ce n'est plus Smolensk, c'est Wilna
qu'il faut atteindre pourtant, a travers les neiges
qui gelent jusqu'aux pierres, a travers les glaces
qui brulentjusqu'aux arbres, a travers la Bérésina,
ou nous attend un dernier désastre! Et lorsque
ces étapes funebres auront été franchies sous un
ciel glacial, de cette armée innOlnbrable dont les
pas faisaient trelnbler la terre, il ne restera pas
melne de quoi fonner un régiment!


S'il n'a pu sauver la Grande-Arlnée, l'Elnpe-
reur essaiera du rnoins de sauver son grund Em-
pire. Avant que l' Autriche soit en état de pro-
fiter d'une pareille défaite, en effa~ant les anciens
souvenirs de Marengo, d' Allsterlitz et de Wa-
gram; avant que la Prllsse veuille se réhabiliter
comme Puissance militaire et politique, en répa-
rant le~ pertes morales d'Iéna et les perles maté ...




- 201-


rieHes de Tilsitt; avant que toute I'Europe se
leve enfin contre lui, pour reconquérir son inrlé ..
pendance, Napoléon sera de retour a Paris, et de
nouvelles armées sortiront du sol fran<;ais, 'comme
par mirac1e, afin de rétablir, l'ancien prestige de
son nOln et de sa fortune. Cependant, il est obligé
d'avouer lui-meme a toute la France, que ses
hulletins entretenaient hier encore de triomphes
vrais ou mensongers, la triste réalité d'une catas-
trophe sans égale. Rien de plus froidement inhu-
main que ce XXIXe bulletin, ou I'on ne trouve pas
un mot de regret pour tant de braves qui sont
morts; pas un seul mot de consolation pour tant
de méres qui les pleurent; pas un seul mot d'espé-
rance pour ceux qui Ieur survivent ; mais ou l'on
trouve eette phrase inqualifiable: « La santé de
»Sa Majesté ne fut jaluais lueilleure! » Les félicita- .
tions bruyantes des grands dignitaires de l'Empire
parIerent luoins haut, en eette occasion, que le
silenee du peuple; malheureuseluent, l' Empe-
reur ne pensait qu'A Iui-Inerne. Ayant réuni le
Conseil d'État pour lui faire entendre un long
rapport sur la eonspiration de Malet, Napoléon
l'apostrophe en ces tenues: « Quoi! meSSleurs,
BU prelnier lnot de ma mort, sur l'ordre d'un




- 202-


inconnu, des officiers menent leurs régiments'
forcer les prisons, se süisir des preluieres autori-
tés! Un concierge enferme des nlinistres sous ses
guichets! Un préfet de la cüpitule, a la voix de quel-
ques soldats, se preta. a faire arranger sa grande
salle -d'apparat, pour je ne sois quel factieux! Tan-
dis que l'Impératrice est la, le Roi de Rome, mes
ministres et tous les grands pouvoirs de l'État! Un
hOlume est-il donc tout ici ? Les institutions, les
serments, rien? D Et il continue, sur ce ton, en
invectivant les ",Odéologues, c'est-a-dire les hOlumes
qui se sont fait un nom plus ou moins grand dan s
la sciellce, par la génération de leurs propres idées,
comlne H s'est fait lui-melne un non1 immense
dans la politique, par la génération de ses propres
actes, paree que la plupart d'entre eux conser-
vent, 'au fond de leur conscience, l'aluour de la
liberté, saos manifester néaOlnoins aucune haine
contre l'autorité. C'est a « l'idéologie, dit-il, qu'il
faut attribuer tous 'les lualheurs de la France; car
elle sonde, pour les détruire, les fondelnents des
États; ce sont les ",Odéologues qui ont empeché sa
» Dynastie de prendre racine parn1i les lnelubres de
»80n Conseil, » en n'appliquant pas a son Empire,
né d'hier pour mourir deluain, cet éternel prin-




- 203-


cipe de la Monarchie : Le Roi est mort, vive te Roi!
Aussi, le Roi de Rome sera-t-il couronné; la Nation
prétera-t-elle serment a l'héritier du Tróne impé-
rial; et les journaux, a l'instar des corps constitués,
ne parleront-ils plus que du dogme de l'hérédité :
base de la religion monarchique! Tel est l'ordre de
Napoléon, qui accomplit ainsi lui-méme la restau-
ration morale des Bourbons, au mOluent OU
Louis XVIII prépare Ieur restauration positive,
en écrivant publiquelnent a l'Empereur Alexan-
dre pour lui recommunder tous les Fran<;ais qui
sont restés prisonniers en Russie, et en faisant dis-
tribuer, dan s toute la l<'rance, une proclaluation
par Iaquelle il prOlnet, comme Roi, d'abolir la con-
scription, c'est-a-dire l'impól du sang, et de sub-
slituer le Gouvernell1ent représentatif et libéral an
Gouverneluent despotique.


Alexandre se montre déjil sur la frontiére de
son Empire. Les Rois le considerent aussitót
comnle leur sauveur; et les peuples, comme Ieur
libérateur. Ceux-ci poussent des cris de vengeance
contre Napoléon; ceux-Ia hésitent dans le silence
de leurs conseils, n'osant pas encore se prononcer
contre l'ennenú de l'Europe. Toute l' Allemagne
est . debout: (1 Le Roi ,et la Patrie! la liberté ou la




- 204-


" mort! » s' écrie-t-on en Prusse, en Baviere, dans
la Saxe, dans le Wurtemberg et dans le Hanovre.
Les plus grands philosophes deviennent soldats,
pour combattre le plus grand des capitaines. Un
traité d'alliance offensive et défensive est signé a
BresIau, entre la Prusse el la Russie (24 février
i 8th). Alexandre s'engage envers Frédéric-Guil-
laUIue : « A ne pas poser les armes, taot que la
Prusse ne serait pas reconstituée daos des propor-
tioos statistiques, géographiques et fioanciéres
conformes a ce qu'elle était en 1.806. " Mais Napo-
léon, qui a ressuscité, en quelque sorte, ses vieil-
les armées, avec des cooscrits, foudroie successi-
vement l'eonemi a Lutzeo, a Bautzeneta Wurtzen.
00 croyait le géant terrassé pour jalnais : et voilA
qu'il se releve daos toute sa grandeur, toujours
heureux, eocore invincible'! Mais ce ne sont plus
les Gouvernements qu'il combat; ce sont les Na-
tionalités elles-lnemes! Comme la Prusse dirige le
lnouvement helliqueux de l' Allemagne, l' Autriche
doit diriger son mouvement prétendu pacifique,
et se faire prendre pour arbitre entre toutes les
Puissances belligérantes. En conséquence, Fran ..
~ois Ier signe, le 27 juin, avec Alexandl'e et Fré-
déric-Guillaume, un traité d'alliance éventuelle,




- 205 -


par lequel il invite la Russie et la Prusse a né-
gocier avec la France, et sous sa propre média-
tion, la paix dont il a lui-melne CI fixé les condi-
» tions qu'il croit nécessaires au rétablissement
»d'un état d'équilibre et de tranquillité durable en
»Europe ; » et par lequel • il s'engage a déclarer
.la guerre a Napoléon, si, au 20 juillet de cette
1 année, ces conditions ne sont pas acceptées. 11


Or, Franc;ois In exigeait : 1. 0 La dissolution du
duché de Varsovie et son partage entre l' Autri-
che, la Russie et la Prusse, sans aucune z"nterven-
tion du Gouvernement franfais; 2° la cession a la
Prusse de la ville de Dantzick, et l"évacuation par
les Franc;ais des forteresses prussiennes ; 3° la res-
titution des Provinces ilIyriennes a l' Autriche ;
4° le rétablissement des VilJes anséatiques, et un
arrangement particulier, mais éventuel, qui, lors
de la paix générale, consacrerait la restitution des
pays de l' Allemagne septentrionale, envahis par
Napoléon depuis la paix de Presbourg. L'Empe-
reur des Franc;ais ne saurait accepter la mé-
diation de rEmpereur d' Antriche, puisqu'elle a
pour but présent et avoué le rétablissementde
l' équilibre européen dans un traUé futur; et pour
conséquence immédtate, le renversenlent de la do ..




- 206-


mination napoléonienne. Mais l'auguste beau-llere
écrit a son gendre: e Il s'agit d'asseoir sur des


. bases inébranlables votre Dynastie, dont l'exis-
tence est confondue avec la mienne 1 JI et Na-
poléon adtnet aussitót le projet d'un Congres,
ou, durant un nrmistice, on doit traiter de la
paix générale ave e lui, pourvu qu'il consente a ré-
tablir la balance entre les forces d'agression de la
France et les forces de résistance des autres États;
OU, s'H s'y refuse, on doit préparer contre Ini une
grande coalition qui rendra la guerre générale.
eette alternative efIrayo.nte n'élneut point l' ame de
Napoléon, quoiqu'il prétende lnaintenir son sysoc
teme politique a rintérieur et a l'extérieur. Tout
ou rien; telle est su devise. Entre le lllonde et lui,
c'est doncune affaire d'exclusion. Pendant que les
Rois se concertent, s'allient et se garantissent ré-
ciproquelnent une nouvelle reconstitution de leurs
anciennes Royautés, les peuples se soulevent. pour
reconstituer leurs Nationalités distinctcs et passer
ainsi de l'état d'oppression a l'état d'indépendance.
Les opérations lnilitaires marchent de front avec
les transactions diplolnatiques. Si chaque Souve-
rain négocie l'un apres l'autre, tous leurs sujets
combattent a la fois. Cur, toutes les Nations réa-




...... 207-


gissent contre un seul homlne; il est vrai que cet
homme s'appelle Napoléon ! Athlete incomparable,
il maitrise encore la fortune et la destinée ql1i le
servent par habitude. Apres deux batailles consé-
cutives, Dresde est télnoin de l'un de se,s plUs
heaux triomphes. te Maig a qUQi hon? s'écrie M. L.
VHet (1). Cette gageure, cette partie désespérée, il
ne peut la gagner. Depuis Moscou elle est perdue,
irrévocahlement perdue. Il aura heau faire des pro-
diges, gagner des,colnbnts, des batailles, il ne retar ..
dera que d'une heure son inévitable destin. De la,
sur ces premiers succes de la canlpagne de 181.8, je
ne sais quelle empreinte de fatalité qui "VouS serre
le cceur. Il selnblerait qu'apres 1812, apres ces


. déchirants tableaux, rien ne dut nous émouvoir :
eh bien! il est un spectacle plus triste encore, 5'il
est possible~ e'est ce re tour troInpeur de la victoire,
ces lauriers inutiles, eette joie si courte de nos
pauvres conscrits,lntrépides enfants, dernier sang
d'une patrie qui s'épuise et qui va succomber SOllS
le poids irrésietible detous ses ennemis l'écrasant
a la fois. »


La défection de Rosbach se rehollvelle dans les
fatales journées de Leipsick ; et Napoléon prend le


. (1) Ret;ue contemporaine. Vid. supo




- 208-


chemin de la France, tandis que le Roi de Saxe,
son unique aIlié, reste prisonnier de l' Europe au
chAteau de Frédérichtald; que ses propres freres,
les Rois d'Espagne et de Westphalie, chassés de ces
États, cessent d'etre Joseph etJérÓlne pour rede-
.venir Bonaparte; que les Rois de Baviere et de Wur-
temberg, ses créatures, rompent en visiere avec
Ieur propre créateur; que tous les Princes de la
Confédératz"on du Bhin se déc1arent les adversaires
de leur prétendu Protecteur; que les villes ao-
séatiques se soulevent, et que toute la HoIlande ar-
hore son propre pavillon, sYlubole de sa Natio-
~alité distincte. Quoique la guerre et la peste
aienr anéanti nos armées, les Monarqües de l'Eu-
rope, a la tete d'années innolnbrables, n'osent pas
encore approcher des frontieres de cette France
magnanime, qu'ils ont pu vaincre hors d'elIe-meme,
dans un jour de lassitude, apres vingt-cinq ans
d'épuisement; et qu'ils considerent comme in-
vincible en elle-melne. Loin de vouloir la con qué-
rir, Hs veulent seulement la réduire a ses limites
naturelles : le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, tra-
cées par Louis XIV, pour assurer l'indépendance
des Nationscontinentales et des Nations lnaritimes.
Napoléon ne veut rien perdre, paree qu'il es-




- 209-


pere tout regagner. Vain espoir ! Avant de franchir
. - <


le Rhin, les Puissances nlliées déclarent SOllS forme·
d'ultz"matum : ce qu'elles ne font point la guerre a
la France, lnais a cette prépondérance hautement
annoncée que, pour le malheur de l'Europe et de
la France elle-lneme, l'Empereur Napoléon a t~p,..
longtemps exercée hors des limites de son Etnpire
(' 7 décembre1813). D


En séparan t la cause da pays de la cause de son
Chef,lesPrincescoaJisés suscitent leurantagonisme,
et font éclater entre eux une guerre lnorale n1ilIe
fois plus redoutable que la guerre ll1atérielle. Car
la France, Nation prétendue libre, s'étonne de voir,
d'un coLé, ces Rois, Monarques absolus, qu'eJIe con-
sidérait comme antant de despotes, se faire les mis-
sionnaires de la liberté générale; et de l'autre, Na-
poléon,qui, en sa qualité d'Empereur,exprime une
Souveraineté d'élection et conséquennnent une de-
lui-Souverainté, ou tnieux une Souveraineté rela-
tive, se faire le missionnaire du despotisme uni-
versel.Quant a lui, plus préoccupé de l' Europe que
de la France, il ferme J'oreilIe aux murtnures de
ses sujets, et rouvre l'Espagne a Ferdinand VII, le
Vatican il Pie VIl: espérant opposer ainsi le Roi
nux Cortes, les Espagnols aux Anglais, le Pape a


IV. (3) 14


,.. ' ..
~ .(:;




- 210-


Murat, qui s'imagine conserver la Conronne de Na ...
pies, paree qu'il trahit son propre beal1~frere et
qu'il fait cause commune avec les Monarques de
i'Europe « dont les intentions magnanÍlnes, dit-il,
J) sont de' rétablir partout la dignité des Trónes et
, l'indépendance des Nations. I


Depuis 1812, Napoléon avait levé un mUllon
d'hommes, doublé les iInpóts au moyen d'un sim-
ple décret, exigé de la France ¡es plus grands sa-
crifices , sans avoir me me convoqué -le Corps Lé-
gislatif. Cependant les circonstances étaient deve-
hues si graves, qu'il fallut se résigner enfin a
réunir cette assemblée, qui devait sanctionner une
levée de trois cent mille hornmes et entruiner toute
la Nation dan s un élan d'héroique patriotisme. Le
Sénat, organe de l'obéissance passive ou de la ser-
vilude, fit entendre néanmoins ces belles paroles :
« NOllS combattrons pour la patrie entre íes torn-
» beauxde nos peres et lesberceaux de nosenfáÍlt~;.
mais le Corps Législatif, organe de la soumissioh
volontaire ou de la liberté, exprinla tres-humble-
Inent «le vreu du peuple pour la paíx et l'espoir
• que son sang ne serait plus versé que pour défen-
»dre la patrie et des 10is protectrices. » Un pareil
langage irrita Napoléon qui, ayant dissous i'as-




- 211 -


setnhlée, aposfropha les députés en ces iértnes :
« J'ai supprimé votre adresse; elle était incendiaz"-
re ... est-ce dans le mOlnent Oil deux cent mille Co-
saques franchissent nos frontieres que ron doit~xi..;
ger de moi un changement dans la CoristitutÍon?
J7ousn'etes point les représentants de la Nation, tnais
les députés des départements. Moi seul , je suis lé
i représentant du Peuple ... je ne suis a la tete de'ln
J Nation que parce que la Constilution de l'État me
»convient. Si la France exigeait une autre Constitu-
"tion, je lui dirais DE CHERCHER UN AUTIlE ROl!!.. LA
D FnANCE A PLUS BESOIN DE MOl, QUE JE N' Al BESOIN DE LA


J)FnANCE! » Apres cette sortie violente, bruta]e,
indigne d'un Souverain quelconque, la Nation
rentra bien vite en elle-nlelne. On n'insuIte pa5
impuoélnent un peuple fier qui prend la gloire et
l'égalité pour blason, lorsqu'elle demande un peu
de liberté en retour de toute l'autorité qutelle a
láissé prendre. La rupture de Napoléon avec le
Corps Législatif se cOlllpJiqua done, par sa propre
faote, d'une rupture avec le pays. Cornme la
France avait cessé d'exister a ses yeux, en tant que
sujette, il devait lui-merue cesser d'exister en tant
que Souverain aux yeux de la France, qui, l'ayant
{nit Elnpereur, pouvait tres-bien le défaire.




- 21.2 -


Quoiqu'il ait perdu l'Europe en ne cédant rien
de toutes ses conquetes, Napoléon s'imagine COI1-
server la France, en ne cédant rien de to~'t son
Pouvoir. Joseph, Lieutenant-Général de l'Empire,
est chargé de contenir a Paris les ennelnis de la
Dynastie napoléonienne, s'ils s'insurgeaient contre
l' J mpératrice-Régente; et l'Empereur .repoussera
personnellement ses propres ennemis, c'est-a-
dire le monde tout en annes, portant la guerre
dans les hassins de l' Aube ,de la Seine et de la
Marne, pour conquérir la paix. Tous les Souveruins,
réunis uu quartier-général de la Coalition, et pres-
que tous les hommes d'État de l'Europe tendent
la main a Napoléon, désirant laisser a la Frunce une
juste prépondérance dans l'équilibre poli tique.
Seuls, les diplomates anglais elisent confidentielle-
nlent : «qu'ils n~ croient pas possible un- traité
sur cette hase avec Napoléon, et que l'idée la plus
simple, la plus naturelle, est ou doit étre : l'ancien
territoire avec l'ancienne Dynastz"e.» On confére so-
lennellelnent an Prince de Schwartzemberg, com-
Inandant l'arIl1ée autrichienne, le titre de géné-
ralissime, pour montrer que les vieux Monarques
n'en veulent pus a la nonvelle Dynastie. Mais les
principes politiques changeront au gré des évé-




- 2t8-


nemellts Dlilitaires. Chaque résolutionprise par
le Congres de ChatHlon sera plus ou moins favo-
rable a Napoléon, suivant qu'il sera lui-Iuelue
vainqueur ou vajneu. Jusqu'a présent l'admirable
stratégie de l' Empereur et le dévouement hérolque
des eonserits, tiennent en. échec les généraux et
les diplomates de l'Europe. Napoléon n'a jalnais
été plus grand, plus actif, plus extraordinaire.
Durant cette emupagne sinistre, il livra bataille
chaque jour sur un terrain différent, avec la
n}(~me poignée d'hoilllnes, contre des masses qui
battaient en retraite pour lnieux avancer, qui se
laissaient abattre pour mieux l'écraser. L'Elupe-
reur d' Autriche l'ayant fait supplier de signer l'ar-
luistice, l' Empereur des Fran<;ais dit a ses propres
généraux, en présence de l'agent diplomatique :
« Je suis plus pres de Vicnne, que mon beau·pere
ne l'est de Paris. »


Non content de rejeter le projet des Alliés,
Napoléon Ieur présenta un contre projet : sous
prétexte de réclauler les frontieres du Rhin
pro mises a Franefort, lnais refusées a ChAtillon,
et quelques indemnités pour ses freres, Souve-
rains dépossédés; en réalité, paree qu'il voulait
dissoudre la Coalition en faisant aux divers Mo-






- 2tft-


narques des offl'es séparées. C'est alors que, s'in-
terdisant tOllte autre convention particuliere, l' Au-
triche, l' Angleterre, la Prllsse et la Russie arre-
terent a Chaumont un traité d'alliance offensive
et défensive, qui devait durer vingt nns, s'H le faI-
lait, ou seulelllent jusqu'il la paix générale; et par
lequel les trois Puissances continentales, s'obli-
geaient a fournir· une armée de quatre cent cin-
quante mille honulles; la Puissance luaritime, un
subside de cinq millions sterling. Napoléon n'á-
vait plus le moyen de haUre monnaie, ni de lever
des armées; car, outre que le pays était ruiné
-par les impóts, il ne possédait plus que des en-
fants et des -vieillards, Aussi le patriotislue fléchit-il
hientót sous le poids du despotisme. 11 faut que la
France se leve, s'écrie un' général. - Eh! com-
ment vou,lez-vous que la France se leve? 1 ui dit l' Ern-
pereur ..... J' Al TUÉ LA LIBERTÉ (1)! Enfirr, tous ses
ministres lui écrivent : la paix ou la mort; et il ac-
cepte l'ultimatum de l'Europe, dans les termes sui-
vanls : 10 La France avec les limites de 1792;
2- abdication de tout titre en Hollünde, en Espa-
gne, en Halle, en Alleluagne et en Suisse; 311 retl1ise


(1) Général Foy, Hist. de la guerre de la Péninsule. Tom. 1,
pago 169.




!"""I ~~5 ~
immédiate de toutes les p!aces de guerre ~ituées
en dehors des limites fixées par le traité, avec tout
le lnatériel, par copséquent avec la fiotte d' Anvers;
4° dépót provisoire, en siguélnt l'qrmistice, des
place s de Besan<;on, Béfort et Hqningue, COlnlue
garantie des stipulations. C~ulincQJ..1rt apport~ aux
Rois cette acceptation de l'~mpereur; lnais la
grande arméedu Prince de Schwartzetnberg se
trouvant déja sous les lnurs de Paris , on lui
répond par ce mot suprelue de toutes les révolu-
tions : 1 t e8t trop tardl


Napoléon avait écrit 11 Josep4 : ~ Si l'_ennen}i
s'avance sur Paris avec des forces telles que toute
résistance devint hnpossible, faite~ partir dans la
direction de la Loire la Régente, lnon fils, l~s
grands dignitaires, les ministres, les officiers du
Sénat, les présiden ts du Conseil d'État, les grands
pfficiers de la Couronne, et .le Trésor. Ne quittez


. pos mon fils, et rappel~z- vous que je préférerais le
s&voir dans la Seine, que dans les lnains des enne-
mis de )a France (1).» Confonnéluent a. ces in-
structions, de~ )'arrivée du Prince de Schwartzeln-
berg sous les murs de Paris, Joseph ordonna
d'abord le départ de l'Irnpératrice et du Roi de


(t.) Mémoires de Joseph. Tom. x,pag. 33.




- 2t6-
Rome; puis, apres l'admirable résistance des fila-
réchaux Marmont et Mortier, qui, sans soldats
COlllme sans armes, défendirent hérolquelnent les
hauLeurs et les faubourgs de la capitale, en sa
qualité de lieutenant de l' EUlpereur des Franc;ais,
il autorisa le due de Raguse a capituler entre les
Iuains de l'Empereur de Russie. Joseph Bonaparte
était a peine sorLi de Paris, qu' Alexandre, Fré-
déric-Guillaume et le Prince de Schwartzeniberg
y entrerent. Le lendemain (13 mars), il se tint un
grand eonseil auquel assistérent l'Empereur de
Russie, le Roi de Prusse, le généralissitne des Mo-
narques alliés, luuni des pIeins pouvoirs de l'Em-
pereur d' Autriche, un nOlnbre considérable de nli·
nistres étrangers et les principaux hOlumes d'État
fran<;ais. On délibérd sur le GOllvernelnent qu'il
eOIlvellait d'établir dans une si Luation aussi grave,
pour opérerune réconciliation définitive de la
France avec l'Europe. Alexandre, parlant au non1
de tous les Souverains, fit entendre ces relnarqua ...
bIes paroles : (t Nous ne SOlnInes pas amenés par le
désir de la conquéte ou de la vengeance .•• nous
ne faisons pas la guerre a lu France; nous n'a-
vons que deux adversaires a combattre, Nupoléon
et tout ennelni de la liberté des Fran<;ais. Le peu ...




- 217-


pIe franc;ais élneltra son vreu avec une entif~re
liberté; el son vrell sera soutenu par les Alliés. JI
Cela dit, il ajouta que trois partis se présentaient:
10 la paix avec Napoléon, en prenant contre lui
les plus fortes suretés; 2° la Uégence; 3° la Restau-
ration d"es Bour-bons.


Pas un seul hOlnme d'État n'osa plaider la cause
de Napoléon, paree que l' Europe, craignant son des-


. potislue, son ambition et sa propre personne, aurait
exigé des garanties incompatibles avec l'honneur et
l'indépendance de la patrie. En outre, n'avait-il pas
déclaré lui-melne naguere, devantlesgrands digni-
taires de l' Empire, que « si la France exigeait une
D autre Constitution, illui dirait de chercher un autre
RoL »Or, la Nation, qui voyait l'origine de tous ses
malheurs dans l'établisseJllent du Pouvoir absolu
et qui désirait l'élablisselnent d'une Autorité rela-
tive, afin de concourir, avec liberté, au rétablisse-
Inent de sa fortune, devait choisirpour Chef suprelne
un Prince non responsable des événements pré-
sents, vivant souverainement de sa vie propre
comIne de ce He du pays, représentant ses vieilles
traditions, mais s'identifiant avec les sociétés nou-
velles de luaniere a subordonner son but person-
nel au bu~ de divers États pour lnieux sauvegarder




- ~U8 ~
'.


les destinées de I'Europe par la Franee elle-lnéme,
et réparer ainsi l'extreme désordre que Napoléon
apportait dans le lllonde, par cela seul qu'il subor-
donnait le hut universel des États a son provre but
persolluel. ÉvideuUllent, le Roi de ROllle, enfant
de deux ans, quoique fils d'un grand hOllllne, ne
pouvait aceomplir eette grande mission. II fallait
qu'un Souverain pacifique et législateur relupla<;at
instantanément un Souverain guerrier etdietateqr.
Aussi tous les Fran<;ais présents au Conseil, et bien~
t6t aprés le 'Sénat, le Corps Législatif, le Conseil
d'État, la Cour de Gassation, la CQur Qes Com,ptes,
la Cour lmpériale, l'Institut, l'Université et le
Clergé, formant enselllble le corps poli tique de la
Franee, ou lllieux la France elle-meme, rendi-
rent-ils le Tróne a la Maison royale de Bourbon,
dont les droits étaient indestructibles, puisqu'ils
émanaient du prineipe d'hérédité qui manifeste
le sentilneÍlt de pos destinées jmmortelles, apres
l'avoir repris a la faluille de Napoléon· dont les
droits étaient destructibles, puisqu'ils émanaient
du fait d'une élection qui manifeste le senthllent
de nos destinées périssables.


La restauration des Bourbons fut done l'reuvre
de la Nation,exprimant librement son vreu en pré-




- ~t9-
senee de l'étranger. Les Monarques adhérerent au
rétablissement u'une Dynastie, expression du droit
divin, selon le désir de tout un peuple : expression
du droit hunlain ,. avee d'autant plus d'empre.-sse-
lnent. que le regne de Louis XVIII, fondé sur le
dogme universel de la légitillüté, pouvait opérer,
COID\Ue conséquence de ce seul fait, l'éclatante
identificatioo des dellX principes contradictoires
dont l'antagonis~11e houleversait l' Europe depuis un
denli-siécle. Leur déclaration fut aiosi con<;ue: ./-" $~


" ,--," 1<0 "\
• Les Souverains alliés aecueilleut le vreu de la ,'.{ .
~


Nation frao<;aise. 118 déclarent que si les conditious ¡.~
~:.,


de la paix devaient renfermer de fortes garallties ,", ¡'"'\.\~
lorsqu'ils'agissait d'enehainer I'ambition de BQna-
parte, elles doivent étre plus favorables lorsque,
par un retour vers un Gouvernement ságe, .la
France elle-lnéme offrira l'üssurance de ce re pos.
Les .souverains alliés proclaUlent en conséquence
.qu'ils ne traiteront plus avee Napoléon Bonaparte,
ni avec aucun nlembre de sa fdlniHe ; qu'ild res-
-pectent l'intégrité de l'ancienne Franee, telle
qu'elle a existé sous ses Rois légitimes ; qu'ils pell ..
vent lneme faire plus, parce qu'ils professent tou-
jours le principe que, ponr le bonheur de I'Eu-
rope, il. faot que la France soit grande et forte";




- 220-


qu'ils reconnaitront et gnrantiront la Constitution
que la Nation fran~aise se donnera. lls invitent,
par conséquent, le Sénat a désigner sur-Ie-ehamp
un Gouvernement provisoire qui puisse pourvoir
aux besoins de l'administratio'n, et a préparer la
Constitution qui conviendra au peuple fran~ais. I


Le Sénat, convoqué par le Vice-Grand-Électcur
de l'Empire, - Talleyrand, - détruit le 2 avril
1814, ce qu'il a eréé le 18 mai 1804. Ayant con-
stitué un Gouverneluent provisoire, il déclare Na-
poléon Bonaparte et su fanlille déchus du Tróne,
délie le Peuple fran<;ais et l'armée du serment de
fidélité, approuve le projet d'une nouvelle Consti-
tution et rend la Couronne de France a Louis XVIII.
Il ne reste plus qu'a savoir si Napoléon essaiera de
reconquérir son Tróne, s'il l'abdiquera, ou bien
s'il se laissera déposer. La premiere résolution ,
quoique le sueces soit itnpossible, doit pluire a
l'Elnpereur cOlnIne aux soldats, qui, ayant été
presque tout sous une dictature nlilitaire, ne se·
ront, sans doute, presque rien sous une Monar-
chie 'proprmnent dite. Mais la seconde résolution
plait aux Maréehaux ; car ils comprennent que, la
France ayant 111anifesté le désir de se réconeilier
avee l'Europe, tirer luaintenant l'épée contre l'é-




- 221-


tranger, c'est, en quelque sorte et fataletuent,
tirer I'épée contre la patrie. Cette eonsidération
détermine l'abdication conditionoelle de Napoléon
(lJ. avril) : acte puéril, puisque le Sénat a proclamé
sa déchéaoce incondi tionnelle. Toutefois, les Sou-
verains de I'Europe interviennent en sa favcur,
parce qu'ils veulent traiter l'ex - Elnpereur des
Fran«ais comlue ils ont traité la France elle-melne.
Puisqu'ils oot reconnu le caractere souverain de.
la Nation, ils reeonnaitront encore le caractere
souverain de Napoléon, auquel on garantira la pos-
session viagére de l'ile d' Elbe, tous les droits et
tous les honneurs qui soot dus aux Princes, pourvu
qu'il e renonee pour lui et pour les siens, ainsi que
JI pour chaClln des rnelnbres de sa famille, a tont
J) droit de Souveraineté et de domination, tant sur
»l'Empire frao«ais et le Royaulne d'ltalie, que sur
»tout autre pays (11 avril). »


Cet acte suprelue est accompli. Napoléon sort
de France, presque seul et déguisé, pour éehap-
per A la fureur des populations de la province, aux
yeux desquelles iI représeote le despotislne et la
guerre, tandis que le comte d'Artois, lieutenant de
Louis XVIII, entre dans Paris, escorté par l'enthou-




- 222-


sinsme du peuple, aux yeux dUqüel il représerit~ la
paix et la liberté. Ce prince doit signer, au 110ln dú
Roi, la douloureuse eonvention du ~3 avril, oú l'dtt
résuln~ l'ultimiUum des Monarques alliés que ,té
due de Vieenee avait aceepté, an nom de l'Em- J
pereur. dans le Congres de C ha tillon (1). Mais 1
Louis XVIII paran enfin sur eeHe terre de Francé ~


- ~
dont sa Maison porte le nom et la fortune (2Al
avril). D'une lnain, il donne la Charle, et de I'au-
tre, il re~oit le traité de Paris, en yerta duquell~8 .
Rois de l'Europe, signant la paix avee le Roi dé
Franee, ajouterit aux -aneiennes frontiereS du
Royaume, -la petite République de Mulhouse, le
COllité de Monbéliaro, la Savoie et d'autres térri·
toires sur les frontieres de la Belgiqae et de lá
Prusse; interpretent la eonvention du 23 avril de
telIe sorte, qu'au lieu de prendre tous les má-
tériaux qui se trouvent dans les place s rétroeé-
dées, i1s en prendront seulement le tiers j resti-
tuent toutes les iles et tous les eomptoirs tombés
au pouvoir de l' Angleterre, depuis le traité d' A-


(i) Les historiens prétendus patriotes ont considéré cette stipu-
lation; dont nous avons donné l'analyse plus hau!, comme étant
l'ceuvre du lieutenant-général du Royaume, quoiqu'elle fút l'muvre
méine de Napoléon. Il est juste de rendre a César ce qui appartient
a César.


;




- !23-
miens, a l'exceptiol1 de J'lle-de-France; ét n'exÍ-
gent aueune indemnité de guerreo Qllelque impor ..
tant que soit le présent traité, il ne résout pas les
diverses questions di ploma tiques et territoriales
qui se rattachent au rétablissenú:mt dé l'équilibre
européen, paree qU'elles doivent étre préntablc-
lnent examinées dans un futur Congtes, pour as-
surer i'indépendance des États et l'existence des
Nationalités, en répartissant les destinées généta-
les de l'Europe entre les divers Gouvernen1etits,
par la substitution d'un principe 111oral, universel :
garantie supérieure du droit, au príncipe lnéca-
nique d'intérét particulier, qui, depuis le XVle si(~­
ele, n'a su prévenir al1cun abus de la force. Mais
cette réforme décisive sera moins l'ouvrage d~un
hOlnme et d'une Nation, que celui d'une époque
et de la transformation meme de la société hu-
lnaine.


Bornons·nous a constater les résultats déja ob-
tenus.


Napoléon étant tOlnhé, l'humanité se releve.
L'enthousiasme littéraire, purement moral, rem-
place l'enthousiasme gllerrier, purement phy-
sique. Le despotisme, principe d'inertie et d'im-
m.obilité, qui comprimait tout élan et toute inspi-




- 22h-


ration pour faire obstacle nu développelnent de la
pensée publique, sous prétexte de lui óler la fa-
culté du mal, a disparu; et la liberté, principe du
mouvement intellectuel et social, apparait pour
hater le développemen t de la spontanéité hu-
nlaine, en rendant aux peuples la faculté du bien.
Une brillante génération de poetes salue sa bien-
venue. J~es philosophes, les snvants et les artistes,
qui auraient été soldats sous l'Empire et seraient
morts, sans doute, sur quelque chnmp de bataille,
peuvent enfin, SQUS la Restauration, trouver l'iln-
lnortalité dans quelque chef-d'reuvre. Ce sera une
grande époque, sinon pour un homme, du moins
pour les hOlnmes; car le génie de la destrl1ction
est dominé par le génie de la création.




CHAPITRE XXXII.


LA FRANCE HUMILIÉE PAR L'EUROPE.


Sommaire.


Enthousiasme de la France lors de la rentrée des Bourbons. - Ré-
eonciliation provisoire des Rois et des peuples. - Formation du
Gouvernemen t fran~ais. - Diffieultés de toute Restauration. - Les
partis se reconstituent dan s la société. -Louis XVIII leur imprime
une direction négative, au líeu de leur imprimer une, direction
positive; - Le parti monarchique devient rétrograde et lé partí
libéral devient révolutionnaire. - Louis XVIII ne' peut déjA plus
neutraliser ni l'acUon de eelui-ci, ni la réactit>n de celui-IA. - Si-
tuation générale des Monarchies. - La restauration politique de
la Franee nécessite une restauration politique de l'Europe. - La
premiere ne peut se fonder que sur une nouvelle théorie gouver-
nementa]e, et ]a seconde, que sur une nouvelle théorie diplomati-
que. - Les Rois prétendent inaugurer une ere de conservation
entre les diverses Nationalités, par la destruction de plusieurs
États. - Attitude énergique de Louis XVIII. - Formation du
Royaume des Pays-Bas et du Royaume de Hanovre. - Débat entre
la France, l'Angleterre et l'Autriche, d"une part; entre la Russie
et la Prusse, d'autre part, relativement a la création du Royaume
de Pologne et a la destruction du Royaume de Saxe. - Le pIé ni-
potentiaire rran~ais ne sépare point la légitimité des Rois de ]a lé-
gitimité des peuples. '- Mémoire du Prince de Tal1eyrand adres-
sé au Prince de Metternich et A lord CastIereagh. - La. question
de Naples anneIée a ]a question de Saxe. - Préparatifs deguerre.
-Allianee défensive entre la France, l'Autriche et l' Ang]eterre.-
Napoléon d'acoord avec le parti révolutionnaire, quitte l'tled'Elbe
pour rentrer en France.-Déelaration du 13 mars.-Louís XVIII
convoque les Chambres.-Conduite du maréchal Ney. -L'armée
trahit ses serments au Roi.-Napoléon a Parls.-Acte additionnel.
-Napoléon s'hmnilie devallt la France et devant I'Eul'ope.-Dé-


IV. (3) 1.5




- 226-


claration col1ective de toutes les Puissances. - Derniers actes du
Congres de Vienne. - Murat déclare la guerre a }' Autriche. -
Rétablissement des Bourbons sur le Tróne de Naples. - Napoléon
et la Chambre des ~ep~'ésentan\sl-::..Ouverture 'des hostilités. --
Combat de Ligny. - Bátatlle de WdtHldO. - Napoléon est forcé
d'abdiquer. ~ Le véritable partí national et le partí soi-disant
patrio te. - Commission de Goüverliement préshlée par Fouché.
- Commission diplomatique présidée par Lafayette, qui de-
mande un GóUv~rI1el1ient lt ·l'~ti'ahget. -- Cortes pon dance des
patrio tes fran¡;ais avec les généraux anglais et prussiens. -
Convention de Paris. - Exclamation de Louis XVIII a ce sujet.
- Seconde Restauration. - Napoléon a Sainte-HéHme. ~ Con-
duite des Rois de l'Europe envers le Roí de France. - Proscrip-
tions exigées par les alliés et par la Chambre inlrouvable. - Gé-
nérosité de Louis XVIII a I'égard des proscrits. - Négociations
relatives aux traités de 18i5. - Le duc de lHchelieu, devenu mi-
nistre+ fait diminuer les charges que I'Europe voulait imposer a
la France. - Traité de la Sainte.;Alliance. - Nile Pape, ni le Roi
de Frilnce, ni les a~tres Rois constitutionnels ne sauraient l'ad-
meUre. -R~stauratiort du lUlyaume de Pologne.-Toutes·les Mo-
narchtes deviennent plus OÚ moins représei1tativ~.s, a l'exception
de la Monarchie espagnole. -- Oette rlouvelle forme de Gou-
vernement doit déterminer tM ou tartl mi riouvel orMe so-
cial. - Antagonisme entre le principe aristocratique et le prin-
cipe égalitaire. - Les Rois s'alienent I'esprit de leurs peuples,
paree qu'ils lie savent pas résoudre le probleme de cette contra-
diction. --- Les sociétés secretes, apres avoir sauvé les sociétés of-
ficlelles, ne potlrsuivent plus qua leur anéantissement. ~ Congres
d' Aix-Ja-Chapelle. - Entretién de l'Empereur Aletahdre avec le
duc de Hichelieu. ~ Libération de la :France. - Avenir problé-
matique de la Maison- de llourbon.


Bonaparte disait élveC raison en partant pour
l'ile d'Elbe: C! Ce n'est point la Conlition qui 111'a
détroné; ce son! les idées. libérales. D Monté sur 'le
Trone cOllime représentailt de la Révolution fran-


,


~aise, paree qu'il portüit héroiquernent son dra-




=- !t' ~
peáu, Napolétltl devltit eh tlescendre, p~tc~ ttti'étt
Sa qualité d' Empereúr, fl t1~ pouvait pluS stlbór-.
donner son but d'hOlume souveraln au but de Hl
Nation sotIveraine, qtli faisait exclute les Roí. par
les peuples; l'autorité par la liberte, le drtlit dt,t,.
par le dt'oit hutnain, afih d~ réaliaer te réte d1tibé


¡


Répúbliqtié universelle dont les destinées duraietUl
été garantiés t liU moyen de je he sáisqUelle
confédératioil génétéile des États, trtaintetitis dMt1S


..


leur indépendattce individuelle. En effet, deS ",-'~:-:':--
.... .. .... ,: "'4-/.~ (


qu'il eut subordortné le but national lt Son btit f //
personnel, Napt11éon, faisant de son, égoi:slh~ ut1~
~tiealiOIi d'humanité, voulot ~tcll1re lé dfoit
btttnain et le droit divin par lé glaive, la Hbert~ et
)'autorité par le despoti'sme, les Petlples et l~s ilbt~
par la conquéte, afin de réaliser le réve dt t1ne Mo-
narcbie universelle dorit les destinees setaiettt gtl-
ranties, au moyen dé je ne sais quel amalgame- de~
États, tnaintenus· sous S8 dépendance absolUe ilUssi
loqgtemps qu'il serait le plus fori. Mais si la Ftahté
républicaine avait sübjugué l'Europe 1110narchi-
que, en suscitunt partout l'atltagonisme des Sou""
verains et des sujets; Napoléon, au contralre, allait
etre terrassé par l'Europe tout entiére, p,uisqu'i1
suscitait la réconciliation des sujets et des Sou-




- 228-


verains. Or, cette réconciliation, purement acci-
dentelle ou fortuite, ne pouvait devenir complete
ou définiti ve entre les peu pIes et les Rois, que
lorsque la Maison royale de France aurait été rap-
pelée en France par la Franee elle-Inénle, d'ou
était parti le signal de leur antagonisme. C'est
pour cela que les Monarques alliés, s'élevant A la
bauteur du suprélne devoir, respeeterent avee
magnanimité les droits du Peuple fran<;ais, qui,
ramené sous l'Empire aux principes de la Monar-
chie, disposa librement de son prQpre sortpar
un acte d'autant plus mémoráble, qu'en rét~ ...
blissant les Bourbons sans aueune intervention
étrangere, non-seulelnent il sauvegardait l'indé-
pendance de la Nation dans ses rapports avec
les autres Nationalités, lllais encore il renlpor-
tait sur lui-mélue uJle vietoire morale dont l'éclat
dev.ait effacer toutes ses défaites lnatérielles.


La Restauratioo monarc~i.que s'accomplit. an
milieu de l'entbousiasme populaire (1). • Elle


(1.) Voir, M. A. de Lamartine, Histoire de la RestaU1'ation. _
M. capefigue, Histoire de la Restauration et des causes qui ont
amené la chute des Bourbons. - M. F. P. Lubis, Hisloil'e de La
Restauralion - M. Achille de Vaulabelle, Histoire des dell.v Rcs-
taurations. - M. L. de Carné, Essai sur l'Histoire de La llcstau-
ration.-M. L. de Carné, Études sur le GOllvernement repl'ésen-
tatif·




- 229-


était, dit· M. de Lalnartine dans l'exposition de
son grand ouvrage, elle était poétique comme le
passé, miraculeuse comIne une résurrection. Les
vieillards rajeunissaient, les femmes pleuraient,
les pretres priaient, les lyres chantaient, les en-
fants s'émerveillaient et espéraient. L'Empire
avait opprimé les Ames, le ressort de tout un
peuple se redressait au mot de liberté dix aIlS


• proscrito Les républicains, vengés par la chute du
destructeur de la République, embrassaient les
royalistes comme dans une réconciliation dont la
liberté constitutionnelle devait etre le gage. Ce
retour paraissait etre celui de la Monarchie corri-
gée par l'exU, de la liberté purifiée par l'expiation.
C'était une époque de la reconnaissance pacifique,
intellectuelle et libérale pour. la France. La poé-
sie, les lettres et les arls oubliés, asservis ou dis-
ciplinés ·sous la police de l' Elnpire, paraissaient
sortir du sol sous les pas des Bourbons. Il semblait
qu'on eut rendll l'air au monde aspbyxié dix aus
par la tyrannie. On respirait a la fois a pleine' poi-
trine pour le passé, pour le présent, pour l'avenir.
Jamais le siécle ne reverra une pareille époque.
Les soldats seuls de Napoléon baissaient la tete
en déposant leurs armes brisées, cal' ses cour-




- DIO-


tisans avaient déjA passé au parti vainqueur .•
La RestauratioQ des BoUrhons se fit ~vec une


extrélne facilité; mais la formation delenr Gou ..
vernement souleva des difficultés imlPenses. Il na
s'~gi8s8it pas s6ulement de renoner la chaine des
temps, que les' évépements avaient brisée d'nne
lnllniere si violente; il fallait encoré détet'miner
une tendance su périeure aux tendances contradic ..
tolres qui se ulanifestaient daos les partis, pour
réaliser, sans entraves, le grand objet d'un État
queleonque,: savoir: l'unité ¡aciale que Dnt légis ..
laleur De sauráit obtenir, a moios de, résumer.,
daos uneseule· considération politique, toutes
les vues diverses de la société. A vouons-Ie fran ..
ebement : e'est en cela surtout que consiste
la ditliculté d'une Bestauration. Lorsqu~une
fOfme gou'vernelnentale périt, dest qu'elle n'a
plus 88 raison dté\re; en d'autrestermes, e'est que
les principes qu'elle expriIne physiquelnent, sont
devenus moraleluent insuffisants pour le salul de
la société. Or, comme Dieu n~a pus donné- it
I'homme le pouvoir de faire des miracles, toote
Restlluration quine serait qu'une 'simple résur-
rection, devient absolument ilnpossible. Cela 'est
d'autantplus vra.i, que chaque regnc conserve soo.




= ISt-


caractere purticulier, ou lniéux sa vie particuliere
dans l'histoire générale; et que la mort de chaque
Monarque eSl, en quelque sorte, la lllort de tout
un ordre de clloses. Car son successeur esí morille-
merit obligé de créer un ordre nouveau, pour se
créer lui-méme en tant que Souverain.


Mais les événements avaient lllarcbé, en F"ance,
bien plus vite que les idées. Tont le lllonde pres-
sentait la néeessité d'une vaste réforme; et per-
sonne ne savait sous quelle forine poli tique on
devait réconcilier l'esprit de tradition ave e l'esprit
de progreso Ce~te considération politique,8upé~iéure


..


aux ,vuas 'des partis sociaux, n"ayant pasdominé
les actes de I..ouis XViiI, it lui fut impossible de
résmuer souverainement les tentlances de la 50-
ciété. Ce Monarque, suivi d'un groupe d'hommes
qui avaient cOlubattu la Révolution dans tous ses
faits et dans tous ses principes, uu nOlll de l'an-
clenne Prance, venait, 8.U nom de la France nou-
velle, régner sur un peuple qui avait soutenu la
Révolution dans toutes ses phases et sous toutes
ses fórmese Aussi le rétablissement de la Monarchie
n'était.i1, pour le purti royaliste, qu'une affaire de
sentiment; pour la société, qu' une affaire de rai-
son. Le Sénat, organe de la Souveraineté da




- 232 --


Peuple, appelait ao Tróne Louis XVIII, comme
frere du dernier Roi des Franfais, et lui conférait
la Royauté, sous l'expresse condition de jurer
l' Acle constitutionnet quand il aurait été sou-
IDls ~ la. sanctiQn nationale; car cette assem-
blée prétendait que l'autorité supreme doit etre
concédée par les lnembres de la société, ·en vertu
de tel ou tel pacte: seule et véritable base juridi-
que de la constitution des États, et que toute a,utre
prétention, établissant une violation morale des
droits de l'homme ou de la liberté individuelle
et générale, conduit positivement ao crime de
lese-humanité. Mais .le parti nl0narchique propre-
ment dit, organe de la Souveraineté du Prince,
appelait au Trone Louis XVIII, comme légitinle
successeur des anciens Rois de France, qui ,n'a-
va~ent dít jurer aucun pacte soumis a la sanction
nationale; car ce parti prétendait que l'autori-té
supreme est concédée par la grAce de Dieu: seule
et véritable base juridique' de la constitution des
États; et que toule nutre prétention, établissant
~e violation positive des lois morales, qui garantis-
sent elleS-1l1elneS les droits de l'honlme et les liber-
tés publiques el privées, conduisent fonnellement
ao crilue de lése-divinité. Ainsi pour les uns, tou-




- 233-


jourspréts a considérer lesfaits accomplis, sanstenir
compte des principes monarchiques, I..ouis XVIII
ne représentant aucun droit antérieur a celui
qui lui était attribué par la proclamation du Sé-
nat, il ne devenait Roi de France qu'en vertu' dé
cet acte. Pour les autres, toujours préts a considé-
rer les principes monareJiiques sans tenir eompte
<les faits aC'cOluplis, Louis XVIII représentant un
dro-it préexistant, H avait été Roi de France dans
l'exil ni plus ni nIoins qu'aux Tuileries, en vertu
de cette idée.


Posée de eette fa<;on , la question gouvernemen-
tale restait absolument insoluble. En effet,. d'un co-
té, 1'on s'imaginait que Louis XVIII ne pouvait da-
ter le eOlllllleneeluent de son régne de la fin méme
de LouisXVII, sans détruire, par cette fonnalité
juridique, les traités que l'Europe avait 'conelus
avee la France, durant la République et durant,
l'Empire, quoiqu'ils fussent les éléments indestruc-


-


tibIes du droit publie; et, de l'autre coté, 1'0n
s'imaginait que le Sénat ne pouvait faire j urer une
capitulation quelconque a Louis XVIII, sans dé-
truire, par cette formalité juridique, les droits de
la Maison de Bourbon, quoiqu'ils fussent le fon-
dement inde&truetible de la Monarehie. Done,




- 234-
apres s'éLre 4iffirmés réciproquelnent, inais d'une
mani~re indéterminée, le droit humain et le droit
divin, la Souvetaineté positive et la Souveraineté
mOf&le, s,e uiaient réciproqu61nent et d'une lna-
nier.~ détermiQée : 'situation d'autant plus grave
que I~ ~légation de run et de P.autre, entraine ton-
joufs l'exclusion de l'un par l'autre! Désirant pré-
venir un pareil déchirement, Louis XVIII essaya
de les neutraliser l'un autant que l'autre, et d'éta-
blir entre eux un sage équilibre au lnoyen de la
Charte : nouveau systeme de droit public ayant·
pOOl' hut de réprhner le développement absulu de
ce~ deux partis, dans laurs tendanoes exclusives el"
cQotradictolres qui mettaient en péril toute la so-
ciété. Mais ceUe Charte, reuvre d'une cOlnmission
de députéset de sénatellfs, fut ootroyée par le Roí,
et ~le fut pas soulnise a l'ilcceptation du peuple,
a~quel on reconnaissait néanmoin~ le droit de par-
ticiper a la confection de· ses propres lois. Bien
que le probleme de la Constitution se trouvAt ninsi
résolu daos le sens du Roi, les royalistes n'.en fu-
rent pas pI us satisfaits que les libéraux, qui l'éagi-
reot avee l'intention de le résoudre dans le seos
du peuple. Aulieu de jouer un róle actif, pOU'I' ré-
sumer toutes les vues des deux partis et consé-




~ 1-85 -
quemm.~llt de toute In société, dans une seule
considération politique, c'est-a-dire pour ilnprimer
une direclion affinnative & la liberté et a l'autorité,
en identifiant la Souveraineté morale ou divine et
1& Sou\'eraineté politique ou nationale, toutes deux
relatives, au sein de :la propre Souveraioeté, afin
de la rendre seuIe absolue, Louis XVIII ne joua
qu'un 1'61e passif, en leur imprhnant une direction
Dég~tive. Iocapable de les identifier ainsi daos une
théorie gOllvernementale supérieure a l'une el il
l'autre, il s'imagina qu'il pourrait les concilier dans
la pratique; bien qU"en cette situation des hommes
et des ahoses, elles fussent totalement inconcilia-
llles : systeme fatal, qui, transfonnant la politique
en unsimplejeu de bascule, faisait déclarer au Sou-
verain, ~onsidéré comIne législateur suproU,le par
ses propres sujets, que le monde, saos lois nxes et
déterminées, suivait l'impulsion du hasal'd; que le
droit divin n'existait pas plus, absolument parlant,
que le droit hUluain, puisqu'on ne leur reconnais-
sait RUCUO principe inconditionnel; et qu'il n'y
avait point de raison pour qu'iIs ne prévalussent
pas alternativemenl l'un apres l'autre, puisque
rhumanité se trouvait en dehors de toute direction
providentieHe. C'est ainsi que le Roi de France,




- 236-


loin d'opérer la création de la Monarchie, opéra
lui-Ineme sa destruction.


Et cependant, excepté quelques émigrés, hommes
anciens, qui, revenant de l'exil, méconnaissaient
les nouveaux besoins de Ieur patrie, tousles Fran;..
<;ais espéraient que Louis X. VIU allait fixer les
principes politiques, dont l'incertitude légitimait
encore l'existence des partis au sein de la société,
pour que l'État redevint ce qu'il devrait toujours
etre, savoir : la garantie perlnanente des relations
de ses propres IneInbres entre eux et avee les
membres des 'uutres États. Or, Louis XVIII ne
pouvait que fixer des forInes politiques, bien su-
périeures, il est vrai, a ceHes de I'Empire, qui
faisaient obstacle uu développement de la pensée
publique, puisqu'elles donnaient un grand élan a la
spontanéité humaine, sans toutefois lui donner une
direction quelconque. Il en résulta que le~ divisions
se multiplierent, au InOInent meme ou l'on s'effor ..
cait de rétablir l'unité. tes relations des libéraux


avec les royalistes ne parurent plus suffisamment
garanties par la Charte, des que ceux-ei purent
itnpunénlent réclamer contre ceux-Ia, mal·gré la
Charte, soit le retour des vieux priviléges, soit-la
restitution des biens nationaux illégalelnent ven-




- 237-


dus par la Révolution, mais légalement acquis
par quinze millions de propriétaires, c'est-a-dire
lellr· expropriation et l'anéantissement du droit
commun. Plus les roya listes faisaient de la réac-
tion dans lellrs écrits ou dans leurs paroles, moins
Louis X VIII en· faisait dans les choses. Désirant
inaugurer une ere de conciliation générale et de
liberté constitutionnelle, il tenait une balance
égale entre les deux partis et leur faisait rnélne
partager sa propre autorité, pour empecher qll'ils
ne dégénérassent en factions. Mais son actiQn,
quelque souveraine quelle fut, restait insuffi-
sante, paree qu'elle n'exprimait aucun principe
supérieur universellement adlnis: grande loi qui
n'étaitpas encore l'objet du savoir de l'hornme et
qui aurait senle pu lnettre d'accord toutes les con·
tradictiolls ¡florales et politiques de la société~
D'ailleurs, l'opposition populaire, méditant déja la
ruine de la Dynastie, en haine de l' opposition
royaliste, se proposait de détruire le Gouverne-
ment, avant que touis XVIII eut le temps de le
régénérer. e'est ainsi que les meilleures intentions
du Monarque vinrent échouer contre les mauvai-
ses intentions ,du par ti soi-disant patriote, qui
poussait la Fran?e a de nouveaux bouleversements




~ ~~8-
etf.l'ílf süit~;ft Ut1e guet"re nÓtlvelle, ~n ~e rtt()h1~ht
de Htlpf'éflie esp~ábce oÍl la stabtHt~ pdlittque dé
I'E1JPope setnblnltenflh eonquise ptlr ht paJx !
,'Cett@ paciflctHidn ibtét1eure et éxtérietiré des


États relltisait plutót sur les fdits aecomplis, que
Sur les principes encore indétertílinés. Mais vihgt-
eit}(l antlées de désótdre, de erises et de révo.;.
ltH16tls faisaient éprouvet, aUl SOllverains ét A
Jaurs sUjets, un égal hesoin de bien-etre, de
sécurité, de reposo Au surplus, si les Rois, aptes
avoir perdu leur Couronne, avaient pu lo recou-
vrer; ce n'était que par letirs propres peupl~5 ~ (jt
si les peuples; apr~s avoir perdu leut ihdepén-
dance, avaient pu la recotlvrer egaletnerH, ce n'était
que par leurs propres Rois. Il en résultait des con' ..
cessions réciproques entre l'nutorité et lél liberté
qui,tOt ou tatd, devaient ttansformer les Monar-
chies absolues eh Monarchies tottstitútiont1elles; él
présenter, selon le degré de ~ulture intellectuelle él
politique des divers pays, la rétltlion systématlque
du droit hUlnuin et du dtoit divin fondée sur Ieur
conciliation Jégale, cornme en Frunce; oÍlleur in""
conciliabilité légule n'était pas encore sUffisaln ...
l11ent délnontrée.


Mais avant de résoudre le probtéme du Pouvoir,




tél qU;tt devait étre consHtUe clubs ctiáque -Eiai, il
f(fllrtH i'ésoridre le probléine des ~oüvoirs, tél qu;n
de'MH étfe constitué entre les divers ÉÍ<its , pour
empéchet la prépondérance d'unGótiverneinéñi
qrlelconque sur tdus les autres Gouvernemeriís, él
retabtir áibsi lIn sage éqttilibre entre tes parHs
dñfi~ toute hi soétet~ générale, coirline on se pro-
pbsátt dé l'établir dans chaqtie BoCiété partlcuHere.


Tel ftit positivement le grand objet dú Congres
qui se réunit a Vienne, sous prétexte de coniptéter . ~,~"'t:\\~-.~~~_.
le traité de Paris (1); car, la Restauration poH- (:"'>-


r>.


tique de la France entrainait, paf Une conséquence
dI recte , la Restaurati6n politique de rEnfope.
Celte-ci ne soulevait pas tuoios de difficuItés qhe cel-
le-la, non -seuÍeluent a cause des ihtéréts 'ébgagés


(1.) Voir : -... Congres de Vienne, Recueil des pieces officieUes
relatives il cette assemblée, des déclarations qu'elle a publiées,
des' protocoles, de ses délibértiCions, et des prihcipaux rttethoires
quilui ont été présentés; le tout arrangé par ordre chl'onologi-
que, VI vól. Paris, i816etsuiv. -J. t. Klüber, Acten des Wiener
congresses, Erlangen Bde 19. 1815. VI vol., in-So. Bde 4, 5. 2e Aufi.
1833. Bde 9. oder supplément, Bde 1835. - J. L. Klüber Staats-
Archiv. del' Deutschen Bundes, Erlangen, HH.6. JI vol. -
J. L. Klüber, U ebersicht der diplomatischen Verhandlunge..n
des Wiener Congl'esses úberhanpt, und insonderheit úber
wichtige Angelegenheiten des Deutschen Bundes, Fl'ancfort, lS1~,
ni vol. - F. Buchholz, Geschichte del' eUl'opáischen Staaten seit
dem Frieden von Wien. Tom.V, Berlin, 1816.-De Pradt, Du Con-
gres de Vienne, Ii vol. Paris, 1.815. - Maximil-SamEOn-Fréd.
Schoell, Iiistoil'e des Traités de Paix. Tom. Xl, Paris, 18i8. -
Histoire du Congres de Vienne, pár I;áuteur de l'Histoil'e de id


'.yt
.'
.'
.~


.,;




- 2hO-


daos les stipulations antérieures, lnais a cause des
principes qu'il fallait fixer dans les stipulations
Cutures. Il s'agissait lnoins de renouer la chaine
du droit public que la force avait brisée d'une


.


tnnniere si violente, en établissant de nouvelles
-


pondérations, afin de remplacer les anciennes, que
de forlnuler une nouvelle théorie diplomatique
propre a garantir 1 'indépendance et la conserva·
tion des États, afin de remplacer l'ancienne théo-'
rie, qui n'av-ait empéché ni la destruction de la Po·
logne, ni l'asservissement de la plupart des États.
Au reste, le Congres de Vienne se trouvait, sous
ce rapport, dans une situation tellement providen-
tielle pour l'avenir du monde, qu'il allait établil'
une séparation insurmontable entre les événe-
ments qui l'avaient précédé, et les événements
qui devaient le suivre. tu diplolnatie proprement
dite étant lDorte sous l' Elnpire, puisque la discus ...
sion des intéréts européens, sur les bases d'un


diplomatie fran(:aise (de Flassan), III vol. Paris, 1829. - J. L. Klü-
ber, Quellen sammlung zu dem offentl Recht des Deutschen Bundes,
Erlangen, 1830, in-8°.-M. J. Crétineau Joly, Histoire des Traités
de 181.5 et de leur exécution, pubLiée sur les documents ofllcieLs
et inédits. Paris, 1842, in-8°.-M. Capefigue, LeCongres de Vienne
dans ses rapports avec la circonscription actuelle de ['Europe.
Paris, 1847. - M. Capefigue, llistoire authentique el secrete des
Traités de 1815, dans leurs rapports avec la Restauration et la
Révolution de Juillet. Paris, 1847.




- 241-


droit quelconque, et reJative aux destinées de telle
ou telle Nation, élait impossible alors qu'un seul
homme pouvait trancher toutes les destinées de
l'humanité avec son propre glaive, on ne songeait
pas a ressusciter l'ancienne formule diplomatique;
lnais on désirait créer un nouveau principe diplo-
matique, dont l'application , moralement obliga-
toire pour les divers Gouverneluents, subordonne-
tait enfin les intérets particuliers aux intérets
universels.


Quoique cette doctrine réparatrice fut professée
par tous les Souverains avec le plus noble elnpres-
sement, ils ne pouvaient néanlnoins sacrHier leurs
vues personnelles ou distinctes, sans mécontenter
leurs sujets respectifs, en. ayant l'air de sacrifier le
hut national au but européen. D'ailleurs, les gran-
des Puissances n'avaient pas attendu la réunion du
Congres pour prendre possession de vastes États,
dont la répartition, provisoirement accomplie par
des traités particuliers, devait s'accomplir, dJune
maniére définitive, par un traité général, ou leurs
c1auses principales seraient sanctionnées. De sor le
qu'on prétendait inaugurci' une ere de conser-
vation entre les diverses Nationalités, par la
destruction de plusieurs États. En effet, les


IV. (3) 16






- !1l2 -
armées russes occupaient la Pologne, les armées
prussiennes occupaient la Saxe, les armées autri ....
chiennes occupaient la Haute-Italie, et les Anglais
occQpaient Malte, Helgoland, le Cap. On avait pro-
lnis des illdelnnités a tout le monde, et chacun
vQulait conserver ses propres conque tes. L' Angle-
terre et la Russie, prépondérantes dans les nou-
veaux conseils de l'Europe, étnient trop intéressées
a maintenir lel1f supériorité gigantesque, pour se
départir de leurs llloindres prétentions. Heureuse-
~ent que la France, pésintéressée dans ces graves
matieres, mais jaloQse de reconquérir son ancienne
supériorité, sinon sur les chaUlps de batuille, du
moins sur le terraip diplomutique, protesta contre
la plupart des actes projetés en fonllulant ce prin ..
cipe, savoir : « Que ni la conquete ni la possession
»violente ne donnent aucun droit, si elles ue sont
» sanctionnées volontaireluent par une renonciu-
» tion ou par un traité. »


touis XVIII a rédigé lui-ulelue les instructions
données au prince de Talleyrand. Prévoyant sans
doute le systelne d'opposition que cet hl-lbile llégo-
ciateur vieot développer au Con gres, les hOlnmes
d'État irlVestis d'un plein pouvoir par les quatre
grilQdes Coqrs atliée~, ont ré~Qlu de ne l'admettre




- 2h3-


dans Jeurs conférences ce que lorsqu~un objet serait
»d'ahord entiérement ternliné. J) Mais Talleyrand
déclare d'abord qu'il ne peut ce reconnaitre la déno-
D mination d'alliés, tombée par le seul fait de la paix
11 et devenant melne injurieuse au Roi de France; •
puis il ajoute a que le consentetnent promis par la
France ne doit s'entendre que de faits positifs et
non d'événements éventuels, et qu'il se réserve
le droit de concourir a tout ce qui n'a pas été ré-
glé définitivement. » Au dire de Lalnartine, celte
attitude est ce la plus noble et la plus haute que ja-
»lnais représentant de Puissance vaincue aH eue
»dans l'assemblée des vainqueurs.» Elle était di-
gne de Louis X VIII, qui, a peine en possession de
sa Couronne, prenait le pas aux Tuileries sur
Alexandre ¡er, Fran<;ois lerel Frédéric-Guillaulne 11I,
paree qu'il lnarquait ainsi le rang de la Monarchie
fran<;aise entre toutes les Monarchies européenne3,
comlne celui de la Mllison de Bourhon entre tOU"l
tes les Maisons impériales ou royales, paree qn'il
représentait un Empire de quutorze sU~cles et une
Dynastie de plus de buit siecles, paree qu'il était
enfin le Roi de France !


Jamais, depuis la création de l'alupbictyonie eu-
ropéenne, jamais le monde politique n'avait otrert




- 24h-


un spectacle aussi imposant que celui du Congrés.
Toute l'Europe était littéralement a ViEmne. L'Em-
pereur de Russie, le Roi de Prusse, le Roi de Da-
nemark, le Roi de Baviere, le Roi de Wurtemberg
et je ne sais plus combien de Princes et de Prin-
cesses, étaient réunis autour de l' Empereur d' All-
triche; tandis que les plénipotentiaires de tous
les États chrétiens étaient réunis autour du Prince
Metternich. En sorte que, si les luinistres des
Souverains du Nord, ayant des prétentions d'au-
tant plus grandes qu'ils se considéraient comme
les sauveurs de I'Europe, ne pouvaient s'entendre
avec les nlinistres des Souverains du Midi, soit
relativeIuent aux répartitions territoriales, soit re-
lativelnent aux principes, un seul nl0t prononcé
par tel Empereur ou par tel Roi, pouvait traocher
toutes les questions daos le sens de la paix ou de
la guerreo On appela réunions européennes, celles
qui eurent lieu touj ours entre l' Autriche, la
France, la Grande-Bret~.lgne, la Prusse et la Rus-
sie, luais ou ron appelait quelquefois l'Espagne,
le Portugal el la SueJe ; et réunions allemandes, cel-
les qui eurent lieu entre r Autriche, la Prusse, la
Baviere, le W urtemberg et le Hanovre, érigé en
un nouveau Royaume, afin qu'il repril le rang




- 245-


qu'il occupait dans l'ancien Empire gerlnaoique.
Les prelujeres réunions étaieot consacrées aux af-
faires de l'Europe; les secondes, aux affaires de
l'AlIemagoe. Ces deux problémes n~étaient nul-
lelnent distincts, puisque l'équilibre de la Ger-
manie a toujours servi de base a l' équilibre de
l'Europe. Mais, cette fois, la question de Saxe se
compliquait de la question de Pologne. Si, en
thése générale et comme garantie d'ordre, on pou-
vait adluettre la réunion de la Norwege El la Suede, ," -~ ,,'.
qui avait perdu la Finlande, pour que, n'ayant plus ::i~
a craindre le redoutable voisinage de la Russie,
elle protégeAt la Baltique, el cont.re cette derniere
Puissance, et contre l'AngIeterre elIe-lnelne; la
réunion du I .. auenbourg an Danenlark pour lui don-
ner une position ituportante, quoiqu'on lui prit la
Norwége; la réunion de la Belgique a la Hollande,
pour qu'elle se tournat contre la France avec la
Prusse ou contre la Prusse avec la France, uu gré
de l' Angleterre; eL la réunion de Genes au Piémont,
pour qu'il défendit les Alpes, et contre la France,
et contre l' Autriche; on ne pouvait admettre
ni la réunion total e de la Pologne il la Russie, ni
la réunion totale de la Saxe a la Prusse, parce
que la Cour de Berlin aurait alors dominé toute


. ..,




- 246-


]' Allemagne; et la Cour de Saint-Pétersbourg, toute
l'Europe.


Or, d'un cóté, Frédéric-Guillaume déclarait
que, loio de vouloir incorporer sa conquéte au
Royaume de Prusse,il se proposait, au contraire,
de l'annexer a sa l\lonarchie, sous le titre de
Royaulue de Saxe, afin de maintenir son iódépen-
dance aussi bien que son autonOluie, et la Russie,
l' Angleterre, l' Autriche y consentaient; de l'autre,
Alexandre déclarait que, loin de vouloir incorpo-
rer les provinces polonaises a ses États, il se pro-
posait, au contraire, de restaurer l'ancienne Polo-
gne, qui serait indépendante de la Russie, afin de
réunir leurs deux Couronnes sur sa propre tete; et
la France, l' Autriche, l' Angleterre s'y opposaieot.
Toutefois, les deux dernieres Puissances n'au-
raient sans doute pu rien empécher, si la prelniere
n'eut protesté chaleureusetnent contre tonto La
France disait : ou I'ancienne République de Polo-
gne formera une nouvelle Monarchie entierelnent
dislincte de la Russie, ou bien le duché de Varso-
vie sera égalelnent partagé entre la Russie, la
PrUS8e et l' Autriche. Quant a la Saxe, Louis XVIII
pensa qu'il lui appartenait de la défendre ave e
d'autant d'ardeur, que l'Europe désirait la punir




- 247-


de sa fidélité envers Napoléon. En conséquence,
l'alnhassadeur fran<;ais remit au Con gres un lllé-
moire, ou il déchtrait : « Que la confiscation civile,
bannie du Code des Nations, ne pouvait, au XIXe


siecle, faire partie du Droit général de l'Europe, et
etre moios odieux quand il s'agit d'un Royaullle
que d'une simple chaulniére; qll'il y avuit a cI'ain-
dre que la Prusse ne s'appuyat sur la Russie, pour
obtenir en Alleluagne de nouvelles extensions, el
ne soutint a son tour la Russie dans ses entrepri-
ses sur l' Empil'e ottOlnan ; que l'union de l' Autri-
che et de la Prusse était nécessaire BU repos et a
la sureté de l'Allelnagne; luais que la disposition
qu'on prétendait faire de la Saxe serait la chose du
monde la plus propre a rallumer une rivalité qui
avait duré j llsqu'aux désastres de la Prusse, et
que ces désastres avaient suspendue mais non pas
éteinte; et, qu'ainsi, la justice et lapolitique par-
laient en faveur du Monarque saxon. D


Ce lnénloire venait de prodllire une grande hn-
pression a Vienne, lorsque le Prince de Tulleyrand
adressa deux noles séparées : l'une uu Prince- de
Metternich, et l'autre a lord Castlereagh. La pre-
miére se réslllllUit en ces termes: 11 La France ,
n'apportant au Con gres aucune vue d'alIlhition ou




- 248-


d'intérét personnel, désire que l'oouvre de restau-
ration s'accomplisse pour toute l'Europe COlume
pour elle; que partout et pour jamais l'esprit de
révolution cesse; que tout droit légitime soit rendu
sacré, et que toute ambition ou entreprise injuste
trouve et sa condamnation et un perpétuel obsta-
ele a une reconnaissance explicite dans une ga 4
rantie formelle de ces melnes principes dont la
révolution n'a été qu'un troplong et trop fnneste
oubli.» La seconde note développait cette argu-
lnentation concluante : « I.e grand et dernier but
auquel l' Europe doit tendre, et le seul que la
France se pro pose , est de flnir la Révolution et
d'·établir ainsi une véritable paix. La Révolution a
été une lutte entre deux principes opposés; flnir
la Révolution, c'est tenlliner cette Jutte, ce qui
ne peut se faire que par le trioUlphe cOluplet des
Principes pOUl' la défense desquels l'Europe s'est
arlnée. La lutte exista d'abord entre les principes
appelés républica,ons et les principes monarchiques.
L'invincible nature des choses ayant fait triompher
les derniers, la lutte s'établit entre les Dynasties
révolutionnaires et les Dynasties légitimes. Celles-
ci l'ont emporté, lllais non pas complételuent en-
coreo Les Dynasties révolutionnaires ont disparu,




- 249-


hormis une. tes Dynasties légitinles ont été réta-
blies; mais l'une d'elles est menacée; la Révolution
n'est donc pas finie? Que faut-il pour qu'elle
finisse? que le principe de la légitirnité triOlnphe
sans restriction ; que le Roi et le Royaume de Saxe
soient conservés, et que le Royaulne de Naples
soit rendu au légitime Souverain. Sans cela, la Ré-
volution subsisterait, la lutte ne serait pas termi-
née, le traiLé de Paris et les travaux du Congres
n'auraient fait que la sllspendre; il Y aurait treve,
lnais point de paix véritable. "


En rattachant la question de Naples a celle de
Saxe, Talleyrand posait la France comlne l'anta-
goniste de la Prusse et de la Russie. Alexandre dé-
fendit aux plénipotentiaires russes de paraitre dans
les salons des plénipotentiaires fran<;ais; et le
Grand-Duc Constantin adressait la proclalnation
suivante aux Polonais : CI L'Empereur, votre puis-
sant Protecteur, vous fait un appel. Réunissez-vous
autour de vos drapeaux; que votre bras s'arme
pour la défense de votre patrie et la conservation
de votre existence politiquee 1) On s'est asselublé
dans l'espoir de négocier une paix durable ent.re
les États européens; on va se séparer, sans doute,
avec l'intention de reCOlnmencer une guerre géné·




-- 250 --
raleo Divers lnouvelnents de troupes, qui s'eft'ec-
tuent ostensiblelnent sur le territoire de Pologne
et celui de Prusse, paraissent révéler l'existence
d'un mystérieux traité d'alliance offensive entre les
Cours de BerIln et de Saint-Pétersbourg. Aussi les
Cours de Londres, de Paris et de Vienne signent-
elles secretement un traité d'alliance défensive,
auquel adherent celles de Turin, de La Haye, de
Munich et de Hanovre. Bonaparte, ayant des intel-
ligences avec ses anciens généraux, a Paris., a
Vienne, a Naples et en Suisse, voit, duns cette di ..
vision des Monarques de l'Europe; une oceasion
favorable de tenter la fortune de l'Empire, au ris'"
que d'accol:llplir la ruine totale de la France. Il fait
organiser, de easerne a caserne, de régiment a
régiment, nombre d'affiliations, présidées par ses
émissaires, qui disent : • L'artnée ne peut hésÍter
»entre le drapeau hlane et le drapeau tricolore;
»entre Napoléon et les BourboDs. • Vainement
Louis XVIII, plein de bienveillance pour les soldats
eomme pour les partis civils, s'applique-t-il a ne
blesser ni l'atnour-propre des corps, ni les inté-
rets des individus; les conj urés l'emportent sur
lui par leur propre malveillanee. Pendant que les
Souverains du Nord se séparent de ceqx du Midi,




- 251. -


le~ chefs d'un parti civil se réunissent aux chefs du
parti luilitaire; et Napoléon dit ouvertement a
leurs agents secrets :Je partirai. En efl'et, il partit;
mais les divisions, qui avaient éclaté au sujet de
lu Pologne et de la Saxe, n'existaient déja plus.
Alexandre joignait le titre de Roi de Pologne a ce-
lui d'Empereur de toutes les Russies; Frédéric-
Guillaume incorporait tout le Duché de Posen et .
pres de la 1110itié du RoyaUll1e de Saxe a son
RoyaUlue de Prusse; et l' Europe) ayant retrouvé
son unité, pouvait rédiger la déclaration suivante,
d'apres le vreu du Prince de Metternich :


« Les Puissances qui ont signé le traité de
Paris, réunies en Congrés a Vienne, informées
de l'évasion de Napoléon Bonaparte et de Son en-
trée a main année en Frunce, déclarent qu'en
rompant la convention qui l'avait établi a l'ile
d'Elbe, Bonaparte a détruit le seul titre légal au-
quel son existence se trouvait attachée, qu'il s'est
placé lui-ll1elUe hors des relations civiles et socia-
les, et que, comme ennemi et perturbateur du
repos du monde, il s'est livré a la vindicte publi-
que. Elles déclarent en melne temps qu'elles sont
fernlelnent résolues de luaintenir intact le traité
de Paris du 30 lnai 1814, et les dispositions sanc-




- 252-


tionnées par ce traité, et celles qu'elles ont arretées
ou qu 'elles arreteront encore pour le compléter et
le consolider (t 3 mars). D


Louis XVIII avait convoqué les deux ebanlbres,
des le 6 mars, et fait entendre au pays ces nobles
paroles : « Je ne crains rien pour nl0i, mais je
» crains pour la France. )) Tous les députés et tous
les pairs crient spontanément : « Mourons pour te
» Roi! guerre a l'Usurpateur! • Les Princes de la
fanlille royale jurent d'étre fideles a la Charte, avant
de se lllettre a la tete des troupes. Le lnaréchal Ney
baise la main de Louis XVIII, en disant:« Sire,
• je ramenerai Bonaparte dans une cage de fer. D
Le Monarque s'éloigne de lui avec dégout, et s'é-
crie : « Quelles expressions! ellllllener un ancien
»caluarade, COlllllle une b~te fauve, dans une cage
J de fer! D Le lendemain, Ney avait déserté le dra-
peau de Louis XVIII. L'armée entiere trahit son
serment au Roi, c'est-a-dire a la Nation, pour un
bomlne qui, ayant abandonné son titre d'Empe-
reur, ne pouvait plus le reprendre qu'en violation
des lois divines et humaines. Napoléon le COlll-
prenait 'si bien, que ses proclalnations coromen-
cerent a Cannes par ce lnot : Cüoyens; a Greno-
ble, par ce IllOt : Fran~ais; et a. Lyon seulement,




- 253-


par ce lnot : Sujets. Il inaugure son nouvel
exercice de la Souveraineté, en rouvrant l'ere
des proscriptions qui n'est pas encore fermée.
touis XVIII, odieusement abandonné, sort de
France; Bonaparte rentre a Paris. Le soldat et le
has peuple, ou mieux la 111atierehumaine est pour
lui: mais le haut peuple, ou lnieux la pensée hu-
lnaine, est contre lui. Quoiqu'il n'ait trionlphé
que par la troupe, comme un despote, il ne peut


.1,,, ~; p"
.,: ' .. ~ .1.4,"/ - ~


gouverner qu'avec les chefs du partí lihéraI, parce /.-:.0 ··'f.
qu'il ne résume plus en sa personne toutes les ( ~ ~


I."(
considérations politiques de la société. Des qu'il '~í' ~.~-:.~:!;.


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a franchi les Tuileries, qui sont redevenues le siége
de son autorité., il ne retrouve pas seulelnent l'an-
cien cortége de I'Empire; il y retrouve aussi la Ii~
herté, que les Bourbons ont ramenée. ComIne il
prétend ressusciter je ne sais quelle Monarchie, on
prétend le contraindre a ressusciterje ne sais quelle
République. e Vous m'ótez mon passé,dit-il,je veux
le conserver; que faites-vous donc de lnes onze
années de régne? j'y ai quelques droits, je pense;
l' Europe le sait; il faut que la nouvelIe Constitution
se rattache a l'ancienne. J) Et sous prétexte de
concilier ses propres tendances despotiques avec
les tendances Iibérales de son parti, Napoléon ac-


,,"'~._ .... --,,'




- 254-
cepte l'ACIe additionnel, que I~(ln sauInet ao Peu-
pIe souverain pour la forlne, dont le fond nc con ...
tient aucune maxime tendLlnt il diminuer les alar-
mes qQi regnent dans la Natian. Aussi, puisqu'il
proclalne la ~puYeraineté exclusive du peuple, lui
opposera-t-an la Souveraineté exclusive des Rois,
par la guerre civile et par la guerre étrangere.


N'ayant le pouvoir de prévenir ni l'une ni l'au-
tre, Napoléon est obligé de s'humilier, et devant
le fays, et devant l'Europe, en s'enlour«lnt de fédé-
rés ~ Paris, en sollicitant la paiI, auprés de toutes·
les' Cours, OU ses agents disent, pour invalider la
d~clar.ation du 13 tnars, que, Souverain de l'ile
d'Elbe, il &vait le droit de faire la guerre an
ROl de France, el méme de le détróner. Mais on
Icur répond : « Que des événelnents mnenés par
d~~ in\elligences criminelles, par des conspirations
militaires e\ des trahisons révoltantes, n'Q,nt pu
créer aucun droit, et sOl1t absolument nula saus
le point de vue légal; que le copsentement réel ou
factice, explicite ou tacite de la Nation fran<;aise
&Q rétablissement du pouvoir de Bonaparte, n'a-
pU Qpérer, d~ns l~ position de celui-ci vis-a-
vls d~s Puissances étrangéres, un changement lé-
gal et fo.rOler up titre Qbligatoire pour les Puissan-




- 255-


ces, la liberté dont joui tune Nation de changer
de systeme de Gouvernement devant avoir de jus-
tes limites. En sorte que, si les Puissances étran-
geres n'ont pas le droit de lui prescrire 1'u-
sage qu'elle doit faire de eeUe liberté, elles
ont au nloins celui de protester contra l'abus
qu'elle peut en faire •.. que, dans l'état actuel,
les Souverains ont déelaré qu'ils ne traiteraient
janlais de la paix avee Bonaparte; que ceHe décla-
ration, hautement applaudie par la France et par
l' Europe, ayant mnené l'abdication de Bonaparte
et la convention du -11. avril , l'abdication devenue
la base de la négociation principale, a été expli-
citement artieulée dans le préambule du traité de
Paris ; que de la est résultée, pour la N~tion fran-
<taise, une condition fondamentale a laquelle elle
n'a pu se soustraire sans renverser le traité de
Paris et tous les rapports avec le sy5t(~lne euro-


,


p~en. 'Q


Confonnément a ceUe nouvelle déclaration ,
le Con gres de Vienne prit de nouveüux arrango-
luents, qui éleverent a pres de quinze eent mille
hornmes les divers corps d'arluée dirigés contre la
France, afin de renverser Napoléon. Tout dissenti-
luent partieulier cessa Qurant cette crise générale.




- 256-


On voulut terminer les opérations diplonlatiques,
avant de eomnlencer les opérations militaires.
L' Empereur d' Autriche, les Rois de DaneIuark, de
Baviere, de Saxe, de Hanovre, de Wurtemberg et
des Pays-Bas, les Princes souverains et les villes
souveraines d' Allemagne égaux en droits dan s la
Diete, sous la présidenee honorifique de la Maison
de Hapsbourg-Lorraine, libres dans leurs allian-
ees, formerent une confédération perpétuelle pour
leur sÍlreté intérieure et extérieure, Ieur indépen~
dance et leur inviolabilité réciproques. Le fait et
l'idée lneme du vieil Empire romaio furent rejetés
de la eonstitution nouvelle, par l' Autriehe eotnme
un fardeau, par la Prusse comme une menace. De
telle sorte que la suprématie positive sur l' Allemagne
restait a la Prusse, et que l' Au triche se con tentait de
la, suprématie morale, afin de reporter l'action de
son influenee, et sur les Slaves qu'elle désirait con-
tenir, et sur 1'1 taHe qu' elle désirait cnvelopper. C' est
alors que, sous prétexte de réparer des torts graves
envers Na poléon, lnais en réal ¡té pour lneUre su r son
front la Couronne de fer que cellli-ci avait laissée
tomber a ses pieds, Murat ouvre les hostilités sans
attendre ni le signal de la France, ni la dissollltion
du Con gres de Vienne. Apres quelques marches




- 257-


rapides et ofTensives, il fut contraint de s'établir
sur une ligne défensive. Vaincu a Tolentino et a
Macerata, I'Ílllpétueux Murat perdit le Royaume de
Naples, ou les Bourbons rentrerent avec une ar-
mée sicilienne; et l'armée autrichienne gagna, le
chemin de la France, avant que Napoléon put pren-
dre celui de la Belgique.


Cependant l'Empereur se présente aux Cham-
bres conlme un Roi constitutionnel. Au langage de
l'ancien Dictateur et a l'attitude silencieuse de I'As-
semblée, il est facile de prévoir qu'ils doivent s'ex-
dure récip~oquement; que le despotisme et la li-
berté se retrouvent en présence; que Napoléon
proscrirn les Représentants, s'il est vainqueur,
ou que les Repré::;entants le proscriront, s'H est
vaincu. L'Europe ne fait point la guerre a l'Empe-
reur avec l'intention de rétablir ie Roi de Frunce,
puisqu'elle déclare, en these générale, qu'elle
ne veul pas Cl imposer a la Frunce un Gouverne ...
»ment parti~ulier. )) La chambre des représentants,
élue en vertu de la Souveraineté positive du Peuple,
se croit appelée a dominer la Souveraineté probIé-
lnatique de n'importe quel Prince. Tont, au reste,
dépend de la volonté divine, rien de la voIonté
humaine : c'est une affaire entre Dieu et Napo-


IV. (3) 17




- ~58-
léori. te comba{ de Ligny h'est pfis nioihs r~th8r""
quable que toutes ses anCÍedhes Vict(jil'~s; itiais la
bataílle de Waterloo est ptus désasti'ebse que ton-
tes ses anciennes défaHes. Rentré dans Paris avant
que tes ennemis soient entrés en Fl'ance, I'Empe"
reur dit a ses ministres: • J'ai hesoin, pour sauver
.la Patrie, d'etre revetu d'uo grand Pouvoir, d'une
D Dictature temporaire .•. On lrii répond: (r Que la
»question est dan s les Chambres. e Elles devaient,
en effet, ou rétablir le despotisme impétial, afin de
repousser l'invasion étrangere avec l'épée de Na-
poléon, ou rétablit la liberté monarchi.que, afin de
prévenir l'occupalíon étrangéte, avec le principe
de Louis XVIII.


Le prelnier parti fut rejeté sur la proposition de
Lafayette, qui s'~cria : .. Nous avons assez faH pout
)) Napoléón ; rnaintenant notre uevoir est de sauvet
»la patrie. II Aussitót eles malédictions s'éleverent
contre l'Enlpereur; !)lusieurs députés voulurent
que la Chambre votAt sa déchéance ; tnais elle char.
gea une commission de lui enjoindre d'abdiql1er.
Le second parti restait a prendre. Aussi, les prin-
cipaux hOlnlnes d'État, ainsi que les principauI
chefs de l'armée, co[}(;urent-ils le dessein éminem-
Inent pattiotique de faire proclalner, par les Cham-




- 269-
4


bres, Louis XVIII, dont la médiation pouvait seule
arréter les alliés, qui refluaient déja sur toutes nos
frontieres. MM. Guizol et Mounier furent envoyés
a Gand pour dire a l'auguste ehef de la MaisoD de
Bourbon : CI En 1814, votre Gouvernement COlnl)lit
» des fautes; il o'a point satisfait complétement les
I intérets, les vanités, le principe d'égalité dévo-
J faote, Ame de la France nouvelle, el la vieille
J Fraoee aristoeratique s'est trop lllontrée. »
touis XVIII, dont l'esprit était si élevé, ne crut
pas s'bumilier aux yeux de la Franee en prenant
la responsabilitéqe ees fautes, plus imputables a su
Cour qu~a su propre personne. Mais les Représen-
tants soi-dis8nt patriotes, eraignant que les Bour-
hODS De désirüsseDt venger sur eux la grande tra-
bison des Cent-Jours, établirent une eOllltuission
exéeutive : espece de Directoire dontFouehé ob-
tint la présidence; opres avoir désigné une com-
nlissioo diplolnatique, présidée par Lafayette, qui


J


fut a chargée de se rendre au quartier-général des
• alliés afin de traiter avee eux sur les bases d'une
• paix solide, el exaluiner avee le Czar, l' E1upereur
J d' Autriche et le Boi de Prusse, quelle forme de
» Gouvernement teur conviendrait te mieuxdans teurs
)¡ rapports avec la France. » Pour bien constater aux




- 260-
.....


yeux de I'Europe que les anti-Bourboniens étaient
llnti-Fran<;ais, on osait demander un Roi quelcon.
que a l'ennelui, qui refusa d'ensevelir l'honneur de
la France dans cette honte !


Rien de plus afiligeant que la situation de Paris,
ouquelques Représentanls proclament l'a\'énement
de Napoléon JI au tróne impérial, tandis que d'au-
tres veulent proclamer la République. Fouché,
Quinette et Carnot, meulbres de la comnlission
exécutive, esperent obtenir un annistice en écri-
vant a Wellington: «Milord, vous venez d'agran-
• dir votre noro par de nouvelles victoires relU-
J portées sur les Fran<;ais. o Mais le général en
chef de l'armée anglaise leur répond : « Aucun
J artnistice ne peut se faire tant que Nélpoléon Bo·
JI naparte est él Paris et en liberté. » Le maréchal
Davoust, comlnandant en chef l'armée fran<;aise,
réitere la melne deulande; et Blücher, commandant
en chef l'arlnée prussienne, ajoute apres Wel1ing-
ton:« Nous poursuivrons nolre victoire ... Voyez ce
» que vous avcz a faire. Ji Durant la nuit du 2 au
3 juillet, les maréchaux et les généraux déclarent
que toute résistance est impossible. En sorte
qu'apres avoir voulu fermer la France aux Bour-
bons, ron est contra¡nt d'ouvrir les portes de Pa-




- 261-


ris aux étrangers ! Les faux patriotes se,dispersent,
tundis que les vrais patriotes se réunissent pour
aIler a la rencontre du RoL S'i1s ne peuvent pOillt
réparer tous les malheurs de la Nation, ils auront
du moins le supreme honheur de pouvoir dire avec
Louis XVIII: ú Ce n'est pas luoi qui ai livré la ca-
pjtale aux étrangers, mais la commission de Gou-
vernement, cOluposée de trois régicides : Carnot,
Qpinette et Fouché. »


Quoique la France entiere ait saIué la seconde
Restauration avec heaucoup plus d'enthousiasl~e
que la premiere, il e~t juste de dire qu'eUe expri-
ma beaucoup moinsd'aUraction pour les Bourbons,
que de répulsion pour Bonaparte. Ce fugitif de l'ile
d' Elhe, désormais captif de l'Europe, disparut de
la scene politique, ou il ne devait plus reparaitre.
L'ile de Sainte-Hélene, que les voyageurs fran<;uis
a.vuient saluée naguere comme le berceau de V é-
nus (1.), allait devenir le tombeau du grand
hOlnrne. Dieu lui permit de cOlllmenter, avant sa
illort, l'reuvre, ou luieux toutes les oouvres de su
vie. l .. 'usage qu'il fit de la parole écrite, nous Iuon-
tre jusqu'a quel point il éprouvait le besoin de jus-


(1) Voyage deM. Boryde Saint-Vincent. Paris, 1804. ., ::, .. !




- 262-


tifier l'iojustifiable usaga qu'il avait fait de l'épée.
Une pensée fixe -réSUlue toutes ses larges et multi-
pies considérations sur lui':'lnéme; et ee n'est pas
une pénsée d'amour ni d'humanité, e'est une pen-
sée de baine et de vengeance. Puisque les Rois et
les Peuples se sont réunis pour l'abattre, eb bien!
lui seul J debout sur un rocher. perdu au lnilieu des
111erS, ayant trouvé une idée Asa taille, il désunira
les Peuples d'avec les Rois, afin de bouleverser la
terre qu'il ne peut plus dOlniner. Puisqu'il a échoué
dan s la . eréation d'une Dynastie nouvelte, par
lui-lnélne, il anéantira les Dynasties antiques, sous
prétexte qu'elles n'exprilnent encore que la Sou-
veraineté divine' en regard et en opposition avee
la Souveraineté humnine. Pour mieux atteindre
ce' but révolutionnaire, il prophétise des catastro-
pbes, en se faisant l'organe de je ne sais quel
fatalisme inexorable, suivant lequel l'En-rope de-
viendrait, a jour fixe, ou cosaque OU républieaine~
Et de peur que ~es écrits ne soient considérés
comme une amende honorable de ses propres
aetes, le Conquérant qui voulait se constituer
une Monarchie universelle, par I'amalgarne des
États courbés soos son propre despotislne, pré-
tendra qu'il n~a jamais 'voulu constituer qu'une




'=' ~,a ~


sorte de République universelle, par )'indépen~
dance des Nations libres et distinctes! eette trans-
figuration rétrospective étonne les honlmes; et le
géant tombé se releve Dieu r Son nom,. devenu un
bélier entre les ruains de Révolution, ébranlera
tous les Trones pendant bien longtelups. C' es! ainsi
qu'il devait triompher ,ause.in de la dé faite et de
la mort! Osr il avait enlevé aUI Monarchies euro~
péennes le caractere humain que la Souveraineté
di vine doit toujours conserver; de melue qu'il avait
enlevé a la Monarchie fran«aise, durant les Cent- .. ' . ~ ,. "\1


. ,


JlJurs et.dans Sil propre patrie, le caractereémi- ,;
n.emm~nt natiQnal qu'elle avait toujours coos.ervé
jusque daos I'exil !


Avouons-Ie franchmuent : Quoique les Monar-
ques alliés se fussent abstenus de faire la luoindre
démarche, tendant a provoquer !e rétablissement


,


des. Bourbons, leurconduite justifia néanlnoins,
sous quelques rapports, ces tristes. représail-
les, puisqu'ils rendirent le Gouvernelnent de
1.0uis XVIII el la France elle-mélue, responsables
des malheursqu'ils ne devaient imputer qu'A Na-
poléon et aux Jacobins. Mais, voyant la Nation di-
visée en partis inconciliables, les Rois con«urent
le projet· de se la partager, afin, disaient-ils, de




- 264-


prendre des srlretés pour In tociété européenne. En~.
trés dans Paris COllune ualls une vilIe prise d'as-
saut, ils ne respeClerent, lnalgré la convention, ni
les lnonuments, ni les personves. touis XVIII
essaya vainement de sauvcr el les uns et les au-
tres. Quand on eut dépouillé oos musées : « II faut,
"lui répondit-on, frapper toutes les tétesde la con-
"spiration; autrement l'Europe n'en a point ponr
• une année. o La France elle-Iuélne luttait avec
furenr, par l'actiofl de ses députés, contre la clé-
mence du Roi, qui désirait rétablir l'ordre mo-
narchique, en opérant un rapprochement hono-
rable entre les deux grands partis sociaux dont
l'antagonisme incessant rendait le désordre révo-
lutionnaire absolulnent inextricable. Mais la Cham-
bre des Cent-Jours ayant proscrit la Monarchie
pour établir légalement la Souveraineté du Peu-
pIe, ou rnieux la Souveraineté hUluaine a l'exclu-
sion de la SOllveraineté divine, sans crainte de
placer ninsi la Nation franc;aise hors de toule loi
morale, la Charnbre introuvable voulut proscrire a
son tour et la République et l'Elnpire, pour établir
la Souveraineté du Roi, malgré le Boi, ou mieux
la Souveraineté divine, a l'exclusion de la Souve-
raineté nationale, sans crainte de placer ainsi la




- 265-


Nation franc;aise hors de toute loi hunlaine. Apres
avoir exigé la suspension de la liberté indí viduelle,
la créution des cours prévótales et des conseils de
guerre, le bannissement des chefs du parti révo-
lutionnaire et des plus iHustres généraux, le sup-
plice de quelques-uns d'entre eux, elle aurait peut-
etre ·sollicité la suppression de la ,Charte, si la
Maison de Bourbon ne l'e6t maintenue COlUlne
une garantie de paix pour l'Europe, comlne une
garantie de salut pour ses propres ennemis, dont
leparti conservateur poursuivait l'anéantissement.
Louis XVIII, sachant bien Dlieux le métier de
Roi, que celui de proscripteur, fit distribuer des
indemnités d'argellt cODsidérables et des passe-
ports a tous les proscri Ls. l.a mort de Lahédoyere
et du lnaréchal Ney, double grief de l'opposition
pendant quinze uns, ne saurait elle-lneme etre
reprochée au Gouvernement .des Bourbons, fatale-
ment baHotté entre la Chambre qui le déshonorait
par ses actes, et les Rois alliés qui l' humiliaient
par 1eurs traités !


Cependant Louis XVIlI défendit nobleluen t
I'honneur de sa Couronne. (¡ L'Europe doit traiter
.la France, disait-il, non en pays conquis, luais en
11 "pa~~ délivré. 11 laUe)'rand 81outait: 11 Le l\oi de




-- 266 -


France n'est point l'ennemi, lnais l'allié des Rois
de l'Europe; Hs se sont armés pour confirlner le
traité de Paris; on ne peut négocier sur des bases
différentes sans manquer a la parote donnée .• Les
AlIiés répondaient : « Quoique Napoléon soit tom-
» hé, il existe néaoluoins un état de guerre avec la
» Nation, puisqu'il a existé, dans les Cent-Jours, un
»Gouvernement de fait légalement établi; donc
»notre conquete est légilime et nous pOUVODt; gar-
"der les provinces occupées. I Talleyrand pouvait
répliquer et répliquait positivement : e Tout ·ce
qui s'est fait a París durant les Cefit-Jour8 est illé-


\


gal; le vrai Souverain était a Gand : done votra
conquete n'en est pas une. Vous avez fait une croi·
sade pour le rétablissement d'un principe ... resti-
tuez tout, car vous n'avez fien conquis •• La doc-
trine établissaht qu'il • y avait conquéte réelle sur
JI le Gouverne'ment de fait,.. n'en prévalut pas
moins contre le Gouvernement de droit. Comlne la
France était exclue des conseils de l'Europe, quoi.
qu'ils se tinssent a Par.is, il ne s'agissait plus que
d~effectuer son démembrelnent. Talleyrand, qui
n'espérait plus vaincre les rancunes d' Alexandre,
dont il avait combattu la politique dans le Congres
de Vienne, donna 58 démission de lninistre; et le




- 267 -=


due de Richelieu, ami purticulier de l'Empereur
de Russie, prit son portefeuille: lourd fardeau
pour tout le monde, paree que, mieux -que per-
sonne, il pouvuit faire alléger les charges sous
lesquelles l'Europe désirait accabler. la France!
L'indemnité de la guerre fut diminuéa de eent
millions et fixée a sept cents; mais la question
des limites se débattit entre deux systemes. Les
P-uissances inexorables voulaient réduire la France
a ce qu'elle était sous Henri IV; et la France vou-
lait rester telle qu'elIe se trouvait en 1792. Un sy~ ..
teme Inixte prévalut enfto sous l'iofluence de la
diplomatie russe, qui lnaintint la France daos ses
limites de 1790. Ce fut done une double victoire
que le due de Riehelieu reluporta sur l'Europe. Il
signa néanmoins, plus lnorl que vif, le traité du 20
novelnbre i815, paree que les Alli~s exigeaient 1'.oc-
eupation d' une grandeligne de places fortes:
condition humiliante qu'ils faisaient subir aux
Bourbons, sous prétexte que Napoléon l'avait ae-
ceptée eni8tlt; etla COlnluission exécutive,~urant
les Cent-Joursl Si la France fut occttpée lnilitaire-
luent, au moins ne fut-ellepas délnelnbrée:
le non1 seul de Richelieu .avait .sauvé notre pa-
trie!




- 268-


. La Nation fran<;aise devait considérer les traités
de 1.815 COlUlue une violation flagrante de la Dé-
claration du 13 Iuars, ou l'Europe affirmait haute-
ment qu'elle ne faisait la guerre que pour maiute-
nir la paix du 30 mai 18Ita.; et, par suite, comme
pla<;ant une s€rie d'iniquités sous l'égide du droit
publico Mais, tous les États, don1 la France avait
menacé l'existence, depuis vingt-cinq ans, eussent
volontiers signé son arret de luort. Cet esprit de
réaction implacable se manifesta dans les derniers
actes du Congres de Vienne et dans les conférences
diploluatiques de Paris. L'agrandissetnent des di-
verses Monarchies européennes s'opérait aux dé-
pens de la Monarchie fran<;aise, dont l'amoindris-
sement positif ne fit que mieux éc1ater la supério-
rité morale. Quand les répartitions eurent été dé-
tefluinées, personne n'en parut satisfait, quoiqu'on
se ftit proposé de contenter tout le monde. Cela
devait étre; car la Pologne catholique était soumise
a la Russie grecque; les anciens Électorats ecclé ..
siastiques d' Allemagne a la Prusse réformée, et
non a l' Autriche, Ieur protectrice naturelle, qui se
trouvait annulée de fait; la Belgique papiste a fa
Hollande calviniste; telles Républiql1es A teIs
RoyauDles; telles Nationalités, autrefois indépen-




- 269-


dantes, a tels et tels Princes étrangers. De sorte que
ces di verses distributions du territoire de l'Europe,
faites par les Rois, ne semblaient pas conforlnes,
dans l'opinion des peuples, aux distributions des
destinées du Monde, que Dieu répartit iui-méme
entre les divers États qui existent ou qui devraient
exister. Malgré tant d'actes diplomatiques, tou1
resta dans l'indécision, rien n'étant fixé par un
principe incontestable ou incontesté. On avouait
imp1icitell1ent, par l'établissement d'un pareil
désordre, en présence de toutes les sociétés stu-
péfaites et défaites comme a l'époque du tralté de
Westpbalie, qu'il n'y avait plus pour l'holnme, di
en religion, ni en politique, aucune garantie fon-
damentale, inconditionnelle, propre enfin a ser-
vir de base au complet rétablissement de l'ordre
publico


Pouvait-il en étre autrement, alors qu'on ne
tenait pas compte de la 'Papauté, c'est-a-dire de
l' Autorité 111 ora le , et que l' Autorité matérielle,
seule prépondérante soit a Paris, soH a Vienne, était
exercée, de fait,-trop souvent synonyme de droit,
- par l' Angleterre et par la Russie, qui reconsti-
tuaient l'éqllilibre r.ntre tous les États, de maniere
il pouvoir constituer, t6t ou tard, leur dOlllination




- 270-


exclusive: celle-ci sur tout le Continent; eelle-li
sur toutes les mers. Le 1110nde ne -s' étnit done levé
eontr-e la servitude napoléonienne, que pour re ..
tOlnher sous le coup de deux autres servitudes!
Alexandre s'effor~ait, il est vrai. de rnssurer les
autres grands Monarques, en pla~nnt le nouveau
systeme d'équilibre sous leur propre sauvegarde,
et en leur indiquant, au Con gres de Vienne, e les
• moyens de résister f s'ille fallait, a la force méme
»qui aurait le plus contribué a l'établir ;» et le Ca-
binetde Londress'effor~ait aussi de rassurer les peu-
pies, en réclalnant poureux. auprés de chaque Gou-
vernement,des insti tutionsreprésenta ti ves,afin que,
uniquetnent préoccupés de leur propre liberté in-
dividuelle, ils ne s'aper~ussent point qu'eIle déve-
loppait chaque jour davantage son systeme d'asser-
vissement universel. La Russie, n'ayant rien eu de
commun avee l'ancienne Europe, et pénétrée, plus
que toute autre Nation , des véritables sentiments
du devoir dans l'humanité, voulait, apres tant
d'actes de profonde immoralité, fonder l'avenir de
l' Europe nouvelle sur un principe moral, pour
ouvrir l'ere de la poli tique conserva trice et cIore
celle de la poli tique révolutionnaire. Quant a la
Grande-Bretagne, pénétrée, plus que toute autre,




- 27t -


des yéritables sentiments du droit dans I'huma-
nité, mais devant sa grandeur matérielle a l'esprit
meme de la Révolution, et subordonnant toujours,
dans ·ses relationsextérieures, les hautes idées de
justice aux intéréts de son industrie, elle ne vou-
lait s'engager •. d'une lnaniere définitiVe. ni daos
une voie, ni dans l'autre, afin de les sJlivre ou de
les abandonner tour a tour, selon les besoins suc-
cessifs de sa Nationalité tnaritime, en contradic-
tion avec les besoins permaoents de I'Europe con-
tineDtaJe.


Or, l'Empereur Alexandre comprenait tres-bien
que la constitution poli tique de l' Europe t telle,
qu'elle a-vait été fixée par les traités de Vienne et
de Paris, resterait insuffisante, si J'on ne tixait pas
en meme telnps la constitution morale du monde.
Aussi essaya-t-il da réconcilier toutés les Églises
dissidentes, pour mieux réconciller tous les États
dissidents, el de faire disparaitre les divisious
hmnaines. loujours si fatales, pour rétablir l'unité
providentielle dans la direction qu'il s'ügissait
d'imprimer aUI peuples, puisqu'on voulait garan-
tir leur propre saJut. Cette grande pensée, mal
définie , engendra I'acte de la Sainte-Alliance, qui
fut rédigé par l'Empereur de Russie, et qui fut


~, I J
'''~", ...... ~




- 272 --


contresigné par l'Elnpereur d' Autriche et par le
Bor de Prusse. Trois Monarques, chefs des Na-
tions gennaniques el sI aves , u lnanifestaient, a
la face de l'univers, leur déteflnination inébranla ..
ble de ne prendre pour regle de leur conduite,
soit dans l'admiDistration de leurs États respectifs,
soit dan s leurs relations politiques avec tout autre
Gouvernetnent , que les préceptes de la religion
chrétienne : préceptes de justice, de charité et de
paix, qui , loin d'étre uniquelnent applicables a la
vie privée, doivent, au contraire, influer directe-
lnent sur les résolutions des Princes, et gQider
toutes leurs démarches, comlne étant le seul
moyen de consolider les institutions humaines et
de remédier a leurs imperfections. a La plupart des
Souverains de l' Europe accéderent a ce traité, non
'pour leurs Nations, mais pour leurs personnes ;
seul, le Pape protesta pour son propre cODlpte et
pour l'Église contre cette convention, de lneme
qu'il avait déja protesté contre tous les actes du
Congres de Vienne. Assurément, le Roi de France
ne pouvait adll1ettre, comme tel, un principe di-
ploma tique dont le but fondamental, sinon spécial,
était d'empécher les réactions de la Frunce révo-
lutionnaire sur l'Europe conservatrice, tant qu'on




- 273-


n'aurail pas déterlniné ce que I'on devait con-
sidérer COlnlne révolutionoaire et cornme eon-
servateur, puisque, daos l'état présent des choses,
rien n'était plus facHe que d'assimiler la conser-
vation A l'immobilité, la Révolution nu prQgr~s,
el de tller ainsi, par ta résistanee, l'humanité" qui
ne vil que pal' le mouvement. Les autres Prinees
ne pouvaient pas l'admettre non plus, paree qu'ils
le trouvaient incompatible avee la liberté des peu-
pies, dont leur autorité devenait garante. Et le
Pape, Monarque universel, ne pouvait admettre


.


la Sainte-Alliance, conclue par trois Roisqui,' ap-
partenant chacun a l'une des trois grandes Égli.
'Ses chrétiennes, représentaient, dans Ieur li-
gue, la ChréLienté tout entii~re, sans déposer lui-
meme les trois Couronnes dont se compose la
Tiare, pour expritner la domination positive qu'il
exerce ou qu'il doit exercer sur les trois sociétés
distinctes qui concourent ou qui doivent concou-
rir, avec une égale ilnportance, Ala constÍtution
morale du lnonde (1). Car, en sa qualité de Pere
des Princes et des Rois, son autorité pootificale
participe plus ou moins manifestement a l'autorité


(1) Hoené Wronski, Réforme absolue du savoir humain. Torn. lI,
pago 503. - Lettre aux Souverains-Pontifes.


IV. (3) 18




- 274-


poHtique de toos les États; en sa qua lité de Vicaire
de Jésus-Cbrist, il ne peut pas affirmer l'existence
des Églises particulieres, puisque ce serait nier
I'existence de l'Église universelle dont i1 est le
chef supréme; et ea sa qualité de Directeur du
globe terrestre, il ne reconnait pas telle ou telle
fédéralité incidente, fortuite, ayant un but indé-
terminé, mais il reconnait ou' doit reconnoitre la
fédéralité générale ,pennanente, oyant pour but
}'union absolue des 'peuples entre eux, a la seule
fin' de déterminer la mission di vine de toutes les
sociétés 'humaines.


Ainsi, le traité de la S'ainte-Alliance prouve que
tout le monde sentait généralement le besoin
d'ordre, moral dans l'unité, et que personne ne
pouvait, au milieu de tant de divisions poli tiques,
sociales, religieuses, le définir d'une maniere
positive et 'rationnelle. On s'entendit néanmoins
sur la maniere de fi'xer la légitimité des Rois,
considérée COllllIje regle de sureté générale et
de stabilité universelle; mais on ne s'entendit pas
sur la maniere de fixer la légitiInité des peuples,
considérée comme principe du lnouvelnent propre
a choque État et du progres nécessaire a tous les
États. Ce n'est pas a dire pODrtant que les Souve-




- 2?5-


rains lnéconnussent les droits de leurs sujetsl la
Sainte-AUiance, bien loin d'étre la sanction du
despotislne, était, au contraire, l'auguste sanctioll
de la liberté. Mais chaque Roí voulut rester libre
de donner a son autorité la forme qu'il juge-o
rait nécessaire. Cepeodant, les Monarchies consti-
tutionnelles ou représentatives, remplacerent les
Monarchies absolues dans presque toute l' Eu-
rope. Alexandre, nouveau Roi de Pologne, rendait
l'existence A un ancien Royaume, en lui donnant
un Gouvernement distinct, une représentation ua ..
tionale, une administration n~tionale. une armée
nationale, une législation libéraleet nalionale,
sans lui rendre sa destinée. Fran<;ois Jer s'engageait
A rétahlir, en Autriche, en Bohéme, en Hongrie et
dan s le Royaume LOlubardo-V énitien, institué sous
la direction d'UD Vice-Roi; les États provinciaul,
ayant une valeur constitutionnelle, puisqu'ils
avaient pour base des lois; des couturnes et des
traités. Frédéric-Guillaume III e statllait qu'il
serait établi une représentation du peuple dans la


.


Monarchie prussienne; que l' Asse~llblée des repré-
sentants du pays serait choisie parrni les États pro-
vinciaul; et qu'une COlnmission, formée de fone-
tionDaires publics et d'habitants desProvinces




- 276-


dont le lnérite et la prudence ne laisseraient aUClln
doute, s'occuperait de l'organisation des États
pr-ovinciaux, de la représentation du pays, de la
rédaction de l'acte constitutionnel d'apres les prin-
cipes établis .• Des institutions nouvelles et plus ou
lnoins libérales, furent égalelnent octroyées par les
Rois de Wllrtemberg, de Saxe, de Baviere et de
Hanovre, et par les Princes des autres États ger-
muniques, rappelant, sous leurs fOflllCS parti-
culieres , les principes de ces Gouvernements re-
présentatifs qui, depuis les telnps les plus anciens,
expritnaient le droit comnlun en Alleluagne. Chaque
Souveraineté indépendante de l'ltalie suivit aussi,
mais de loin, ce mouvement de progression géné-
rale. Ferdinand IV lui-Illéll1e promit üUX Napolilains
une Constitution annlogue a ceHe de la Sicile;
Ferdinand VII, ennemi des idées lihérales qui
avaient sauvé la Monarchie espagnole et toutes les
Monarchies, se promit seul d'abolir la Constitution
des Cortes, au risque de perdre la Royauté par ses
acles desp'otiques.


Dans la plupart des États, les asselnhlées politi-
ques ne se réunissaient qu'a des époques plus ou
lnoins rapprochées el plus ou moins éloignées, ponr
un temps plus ou moins court et pour des ohjets




- 277-


plus ou moins déterminés; tandis que dans
le RoyaUlne des Pays-Bas elles se réunissaient,
comme les assemblées poli tiques de France et
d'Angleterre, a des époques. fixes et délibéraient
sur toute sorte de sujets. La Monarchie représen-
tative était un fait généraleluent acquis. Chaque
sujet pouvait de droit reconnaitre, en vertu d'un
libre examen, soit la justice, soit l'iniquité des ac-
tes du Souverain. Cette précieuse facullé, servant
de garantie a la dignité humaine, devrait étre tou-
jours honne; toutefois elle devient quelquefoi!) per-
nicieuse, parce que l'hornme préfere souvent les
maximesdu lual aux lnaxitnes dll bien. Cependant,
au sortir d' une crise q uLa vait bouleversé l' Europe
de fond en cOlnble, on éprouv¡tit partout le lnelne
besoin de calnle et de repose Mais, dans l'opinion
des Peuples, la nouvelle forme de Gouvernernent
était inséparable d'un nouvel ordre de société.
Quoique la France eÍll été vaincue par l'Europe,
l'égalité n'enlendait nullement abandonner ses
conquétes El la féodalité. Aussi longtemps que Na-
poléon poursuivit la destruction positiveou morale
des sociétés publiques dans un but de despotisme,
les Rois avaient poursuivi la création des sociétés
secrétes qui se recrutaient pour l'indépendance.




- 278-


Le lnonde occulte avait- déjA sa~vé le monde oftl-
ciel; mais il pouvalt néanmoins l'anéantir, si, par
une inconséquence déplorable ou par un aveugle-
ment funeste, 00 ne tenait aucnn cOlnpte des idées
nouvelles pour s'en tenir aux idées rétrogrades et
surannées : faute de savoir concilier l'antagonisme
des droits et du devoir, du principe de mouvement
et du principe de stabilité, les prérogatives de la
nohlesse et les doctrines de l'égalité hUlnaioe,
c'est-a-dire la contradiction,du passé et de l'avenir.


Malheureusement, les Princes, qui, au Con-
gres de Vienne, s'étaient efforcés de renverser le
droit féodal, s'efforcerent de le maintenir dans
chaque société. 11 en résulta que le droit publie
des divers États se trouva rondé en opposition
avee le droit publie de rEurope. Partout, des in-
stitutions défeetueuses, insuffisantes ou incOlDple-
tes s'éleverent entre les Peuples et les Rois. Ceux-
ci télDoignerent sans doute une affection véritable
envers eeux-la, en protégeant leurs intéréts avee
heaucoup de zele; Inais les sujets téIDoignerent
bientl)t une certaine répulsion envers les Souve-
rains, paree qu'its ne partageaient pas leurs prin-
tipes.' Il y eut des lors conflit entre les Cours plus
ou moins nristocratiques et les sociétés plus ou




- g'19 -


moins égalitaires. Ce conflit amena, d'une part,
la négation générale du droit bumain par le droit
divin; d'autre part, la négation générale du droit
divin par le droit humain. Et comme, de l'un a
l'autre bout de l'Europe, la Mooarchie était obli-
gée de réagir contre la République, au lieu d'une
recoustitution universelle, 00 o'obtint qu'une
décomposition universelIe. Les sociétés secretes
ayant proscrit les sociétés officielles, sous -pré-
texte qu'elIes tendaient a l'anarchie ,les socié-
tés officielles furen tproscrites, a leur tour, par
les sociétés secretes, sous prétexte qu 'elles fai-
saient obstacle aux progres de 1'humanité. Milla
Pouvoirs occultes déclarérent la guerre aux Pou-
voirs publics; et la Sainte-AIJiaoce des Peuples
tint en écbec la Sainte-Alliance des Rois. C'est
ainsi que les hornmes d'État o'ayant pas su résu-
mer toutes les vues de l' Europe daos une seule
considération politique, socia\e et religieuse:
d'une part les sociétés oflicielles prétendirent im ..
poser le devoir sans tenir compte du droit; et d'au-
tre part, les sociétés secretes préteodireot imposer
le droit san s tenir compte du devoir. Celles-cí,
étant exclues du monderéel, se développéreotdans
le lnonde imaginaire; et leor esprit, qui avait




- 280-


cOlnmencé par etre régénérateur,finit par devenir
destructeur de toute forme de Gouvernement et de
tou t ordre social.


Les Nations s'étaient réconciliées; lllais les par-
tis se trouvaient irréconciliables dans chaque so-
eiété, paree qu'ils ne peuvaient plus se lnettre
d'aeeord ni sur les personnes, ni sur les choses ;
ni sur l'autorité, ni sur la liberté. En France, les
ultra-royalistes de la Chambre introuvable, non
contents de déc1amer eontre fa Révolution et eon-
tre la démoeratie moderne, prétendaient détruire
la centralisation parisienne, l'individualisIne, l'a-
narchie lTIorale et nlatérielle, lnoins pour eréer
un nouvel ordre social que pour ressusciter I'an··
cien réghne féodal avec ses eorporations, son fédé-
ralisme provincial, son ari-stoeratie territoriale,
son clergé propriétaire el son principe monarehi-
que préseuté eOlnUle un doglne religieux ~ tandis
que les soi-disant patriotes, exilés a Bruxelles ou
rentrés dans lcur patrie, non -eontellts de déela-
roer contre les Bourbons et eontre la Monarehie,
prétendaient détruire, par leurs traines a l'inté-
rieur, par leurs intrigues a l'extérieur, l'ancienne
Dynastie el le nouvel ordre politique, moins pour
créer une Dynastie nOllvelle, quoiqu'ils lnissellt en




- 28t -


avant les noms du Prince d'Orange, du dllC d'Or-
léans et celui du duc de Reichstat, que pour res-
susciter l'ancien régime égalitaire de la Convention
avec ses lois agraires, ses expropriations et son
principe répllblicain, égaletllent présenté COlllllle
un dogme religieux. Louis XVIII, repoussanta la
foisetle parti qui poursuivait la destruction' fu-
ture de l'ordre présent, et le parti qui poursuivait
la rééditication d'un passé dont le relour était im-
possible, pronon~a la 'dissolution -de la Chambre
trop arisLocratique, atin de placer l'action de son
Pouvoir daos les classes bourgeoises, ou lllieux
daos la société proprement dite. Les lllesures
exceptionnelles tirent place au droit comlllun; el la
plupart des exiIés rentrerent daos leur patrie ou
de hautes charges politiques, adnlinistratives et
lllilitaires les attendaient. Cur la Royauté répu-
diant l'ancienne France lnorte pour ne plus re-
nailte sons les coups de la République et de
l'Empire, s'effor<;ait vaillamment de s'jdentifier
avec la France nouvelle, poilr la faire sortir de
ses voies fatales et la faire entrer dans les voies pro-
videntielles. Mais les partis n'ayant pas suivi cetLe
noble impulsion, il se trouva que la Royauté avait
anné contre elle-meme ses impruuents amis qui




...... 2~2 .......


voulaient comp\éter \eur propre victoire, au-risque
de comprolnettre les destinéesde l'État, sans avoir
désarmé ses itnplacables ennemis qui voulaient se
vengar de leur propre défaite, au risque de com-
promettre toutes les destinées du lllonde.


Cette double opposition, quelque sinistre
qu'elle fut, n'empécha point le Gouvern8ment
royal de rendre, sinoo l'unité, dUllloins laconfianc6
au pays. Les Rois de l'Europe avaient stipulé que la
France resterait occupée militairement pendant
CiDq ans; et que cetemps pourrait etreubrégé, si elle
payait une forte contribution de guerre, si elle ré-
fablissait en elle-uleme la paix et l'ordre, si elle
n'offrait plus aUI États voisins le lnauvais exemple
de ranarchie. Or, malgré les di verses tentatives
faites dans le but avoué de renverser la Dynas-
tie des Bourbons, ces Princes imprimerent un tel
élan a la prospérité nationale, que la Fra.nce put ac-
quitter, en 1818, le lnilliard d'indemnité réclamé
par I'Europe, et racheter son indépendance, COD-
formélnent aux traités. Uo Congrés s'ouvrit a
Aix-Ia-Chapelle,. sous les yeux du Roi de Prusse
et de l'Empereur de Russie. Lonis XVIII intervint
entre l'Europe et la France, A titre démédiateur; le
parti ultra-royaliste et le partí -soi-disant patriote,




-,- ~88 -


intervinrent avee des sentiments anti-patriotiques:
eelui-ci pour demander le renverseluent des Bour-
bons; eelui-Ilt pour enlpécber l'évacuation du ter-
ritoire fran«;ais. Les Alliés, enhardis par ces dé~
marches coupables, voulurent nous ravir les pro-
vinces du nord et de l'est. La carte fatole portait
déjil la triple- signature de l' Angleterre, de l' Autri-
che et de la Prusse; il n'y lnanquait plus que celle
de la Russie. Mais l'Empereur Alexandre, touché
des lnalbeurs de la France, inspiré surtout par les
véritables príncipes de justice, lnérita d'étre sur ...
nomIné le héros de l'-Europe en protestant contre
cet acte d'iniquité. Apres avoir hautement déclaré
que la fermentation de l'A ltemagne était lnoins hll-
putable aux gouvernés qu'aux gouvernanls, parce
que" les Rois de Prusse et l'Empereur d'Autriche
J n'avaient pointassez fail pour leurs Peuples,.l'Em-
pereurde Russie aeeorda plusieurs audiences auduc
de Riehelieu, remit entre ses lnaios la carte sur la-
quelle on avait tracé la ligne de partage afee
de l'enere rouge, et lui lint ce iangage: « Vo-
tre Nation est brave et loyale; elle a- supporté
ses infortunes avee une résignation hérolque.
Croyez-vous qu'elle soit lnure pour l'évacuation?
Pensel-vous le Gouverneluent sutllsamment affer-




- 284-


mi? Dites-moi toule la vérité; car, vous le savez,
je suis l'anli et l'admirateur de la France; je ne
veux que votre parole. " «Jamais, répondit le Duc,
jamais Nation ne fut plus digne ni mieux préparée
au grand acle qu'elle va devoir a la magnanimilé
de I'Empereur.» «Mon cher Richelieu, poursuivit
Alexandre, vous etes la loyauté melne; je ne crains
pas en France le développement des principes li-
béraux. Je suis libéral, 1110i, tres-libéral; lnais je
crains les Jacobins, je les hais ... L'Europe ne veut
plus de jacohinislne. » L' Empereur de Russie plaida
lui-lneme la cause de la France el sa libération fut
obtenue. e'est alors que Louis XV1l1, Ame vrai ..
ment royale, fit enlendre ces paroles vraiment na-
tionales : CI J'ai assez vécu, puisque j'ai vu la France
libre et le drapean fran<;ais flotter sur toutes les
villes fran<;aises .•. 11 n'y aura plus que des Fran<;ais
en France! "


Mais il ne suffisait pas que no(re pays fut rendu a
son destinparticulier, il fallait encore le rendre a sa
destinée universelle. Tout ce qui s'était fait en
Europe, depuis 181.5, avnit été fait sans la France,
malgré la France, contre la France! Aussi le duc
de Richelieu s'empressa-t-il de réclamer son ad-
lnission dans les grands cODseils diplolllatiques.




- 285-


00 ne refusa rien au petit-neveu dugrand Car-
dinal. Lorsqu'on luí eul tout accordé, I'Empe-
reur de Russie, accompagoé ou suivi de son
frere le grand.duc Constantin, vice-roi de Polo-
gne, et le Roi de Prusse, accolupagné de son
fils le prince Charles, vinrent en féliciter le
Roi de France, a Paris. Ils on t vu naguére la
France pauvre, triste et humiliée; ils la revoient
r.oaintenant riche, heureuse el flere! Tous les dé-
sastres, accunlulés par la catastrophe des Cent-
.Tours, se trouvent effacés par une prospérité mira- /
culeuse! Le présent lui promet un avenir entiere-
mentdi-gne de son passé. DéjA l'éloquence franc;&ise
monte a la tribune COlnlne la valeur francaise




montaít autrefois a l'assaut; luaís la parole de la
France émnncipe tous lesÉtats que son épée subju-
guait. Nation Souveraine entre toutes les Nations,
elle itupose a la foís et le respeet de son pavillon
et l'elupire de ses idées ! Bien ne fait plus obstacle
uu développement de sa puissance luorale, et si
quelque chose fait encore obstacle au dévoloppe-
menl de sa puissance mutérielle, soyez sur que
la Muison de R<?urbon, elubleme de la stabilité po-
litique el du progrés social, saura garantir le dé·
veloppeluenl de sa puissance absolue! Aussi la bar-


, .,


. .~ , .. ~ ......




- 286-


riere que les traités de ~ 815 ont élevée contre la
France, tombera-t-elle d'elle-lnéme. L'Europe ne
saurait d'ailleurs considérer comnle une constitu-
tion territoriale définitive, ce que la France con-
sidere comme une constitution provisoire. CeUe
contradiction salutaire, qui entretient un état de
guerre occulte au mUien de l'état de paix officiel,
peut étre fatale a la Restauration, si les factions
intérieures, toujours implacables et aveugles, ser-
vent d'instrument a l'Angleterre dont les vieilles
haines contre la France ne s~ront jamais assou\'ies.
Mais alors, tandis que dans l' opinion des petHs es-
prits, qui ne vO,ient de tous les événements que leur
surface, la Monarchie fran~aise aura sl1ccombé sous
les coups des partis sociaux ou anti-sociaux; dans
l'opinion des esprits élevés qui voient le fond de
tous les événements, la Monarchie fran~aise, re-
devenue la plus haute institution du lnonde, aura
succombé sous les coups de l'étranger et parce
ql1'elle agrandissait trop le pays.




CHAPITRE XXXIII.


DÉFAITE MORALE DE LA MONARCHIE •


• ommaire.


En taisant prévaloir eux-mémes la supériorité du droit divin sur le
droit humain, les Rois inspirent aux peuples le désir de faire pré-
valoir la supérioriLé du droit humain sur le droit divino - Anta-
gonisme universel de ces deux principes. - Opposition de la Mo-
narchie constitutionnelle el de la Monarchie absolue. -- Vices de
leur organisation respective. - La Presse devient un pouvoir diri-
geant. >- Les peuples se séparent des Rois. - Con gres d'Aix-Ia-
Chapelle. -Sagesse de Louis XVIII. - Le Gouvernement etl'Op-
position sous son regne. - Les sociétés secretes s'organisent dans
chaque État pour préparer un nouvel ordre social el une nouvelle
forme de Gouvernement. - L'Autriche veut se meUre a la tete du


. mouvement gouvernemental, afin d'organiser une résistance gé-
nérale. - Le Prince de MeUernich a Carlsbad. - circulaire adres-
sée au Cabinel des Tuileries par les Cours de Vienne el de Berlin.
- Louis XVIII modífie la loí éleclorale. - ExpIosion de l'esprit
révolulionnaire en France. - Assassinat du duc de Berry et nais-
sanee du duc de Bordeaux. - Révolution d'Espagne, du Portu-
gal, de Naples et du Piémont. - Congres de Troppau. - Les
Coura de Vienne, de Saint-Pétersbourg et de Berlin y proclament
le principe d'intervention, auquelle Cabinet anglais oppose le prin-
cipe de non-intervention. - Congres de Laybach. - L' Autriche
inlervient dan s le Royanme de NapIes et dans le Piémont. -
Restauration de ces deux Monarchies. - Congres de Vérone. -
La Franca inlervient en Espagne maIgré l'Angleterre. - Ganning
et le parti fran~ais, prétegdu libéral. - Campagne d'Espagne.-
Reslauration de Ferdinand VII. - Caractere de ce Prince. -L'An-
glelerre veut rompre la quadruple alliance de la France, de la
Russie, de la Prusse et de l' Autriche. - Question grecque. -- For-
mation des, hélairies. - L'Empereur Alexandre et les Nations
albanaises, grecques ou slaves. - Mort de Louis XVlII. - Po-
pularité de Charles X, lors de son avénement. - Mort d'Alexao-




-288 -
dre et avénement de Nicolas ler au Trone de toutes les Russies.
- La France, l' Angleterre et la Russie, veulent étre médiatrices
entre la Turquie et la Grece. - Refus de la Porle. - Traité de
Londres. - Armistice accepté par Ibrahim-Pacha. - Sa rupture.
- Bataille de Navarin. - Négociations secretes entre Charles X
et Nicolas ler. - Remaniement de la carte européellne. - Guerre
de la Russie contre la Turquie. - L'Angleterre et l'Autriche me-
nacent la France d'une révolution. - Attitude hostile des partis
vis-a-vis de Charles X. - Expédition en Morée. - Traité d'An-
drinople entre la Russie et la Turquie, obtenu par le triple concours
de la France, de l'Autriche et de l'Angleterre. - Expédition d'AI-'
ger. - L' Angleterre, ne pouvant plus s'enlendre avec le Gouver-
nement fran~ais, cherche a s'entendre avec l'Opposition, pour
opérer une révolution dynastique. -Journées de Juillet et d'aOÍlt
1830. - La chute de ]a Maison de Bourbon est la chute méme
de la France. - Louis-Philippe, proclamé Roi etreconnu, comme
te], par les autres Souverains, exprime la défaite morale de la
Monarchie.


00 sait pourquoi et COlnment les divers Monar-
ques de l'Europe, dont la plupart voulaient réta-
blir l'unité lnorale et politique, au sein de leurs so-
ciétés particuliéres, COl11lne au sein de la société
générale, par l'introduction progressive du régime
eonstitutionnel dans chaque État et par la forma-
tion d'une Sainte-Alliance entre les divers Ét~ts,
ne purent qu'établir, autour d'eux et parmi eux, le
dualisme redoutable du parti du droit humain etdu
parti du droit divin, qui, depnis lors, se disputent
le Gouvernelnent des peuples. Cela devait etre.
l .. orsque trois Souverains, eroyant représenter la
Chrétienté tout entii~re, paree qu'i1s appartiennent
a trois partis religieux constitués sous la forme de




- 289-


trois Églises ehrétienues différentes, se rappro-
ehaienten vertu de la Sainte-Allianee poureréerune
République-royaleuniverselle, sous prétexte de dé-
terminer la nouvelle direction morale ou religieu-
se qu'il s'agissait d'imprimer au XIX· siecle, ne
fallait-il pas s'attendre a ee que le Souverain-Pon-
tire revendiquerait ses propres droits, sous prétexte
de déterminer lui-méme cette direction lllorale de
l'huDlanité pour créer une Monarcbie - républi-
eaine universelle, paree que, en sa qualité de "Vi-
caire de Jésus - Christ, iI représente lnoralement,
ou Inieux en principe, 1,a Chrétienté tout entiere,
quoiqu'il ne représente positivelllent, ou luieux de
fait, qu'un parti religieux constitué sous la forme
de I'Église catholique? Et lorsque ehaque Roi,
eroyant représenter a lui seul une société tout en-
tiere, iotroduisait daos son propre Gouvernement,
au non1 de la supériorité du droit divin, expres-
sion d'un parti, le systélue eonstitutionnel propre.
lnent dit, qui exprime ou doit exprimer l'égalité
préétablie entre le partí du droit humain et le
parti'dú droil divin, ne falluit-il pas s'attendre a
ce que chaque peuple, eroyant également repré-
senter a lui seul une société tout entiére, voudrait
illtrodllire un autre sysL(~Llle ·constitutionnel daos


IV. (3) U~




- 290 -


son ,propre Gouverllelnent, pour faire prévaloir la
supériorité du droit hUluain, expression d'un autre
parti? L'unité n'ayant done pu étre rétablie ni


e


entre Souverains, ni entre sujets, il en résulta
nlille divisiollS qui établirent sous forme d'antago-
niSlue: d'un cóté, les Monarcbies constitutionnel-
les et les Monarchies absolues dont la dégénéres,:,
cence conduit a la tyrannie; de l'nutre cóté, les
sociétés officielles groupées autour des Royautés,
mais excluant le droit hUlnain par le droit divin,
et les sociétés secretes excluant le droit divin par
le droit hum~in, mais groupées autour de la Ré-
publique dont la dégénérescence conduit a l'a ...
narchie.


Tant que la France fut occupée ipilitairement,
le duc de Wellington commanda l'ürmée d'occu-
pation et fut, a vrni dire, le généralissime de l'Eu-
rope. L' Angleterre, üinsi liée nu systelne des Puis"
sanees continentales, ne put done adopter une
politique particuliére, bien qu'elle eut bAte d'ex-
ploiter, dan s l'interet d'un patriotislne a la fois
lnercan tile et révolutionnaire : d' une part, l'oppo...,
sitio n des Gouvernements constitutionnels et des
Gouvernements absolus, sous prétexte de régéné-
rer le principe d'autorité; de l'aulre, l'opposition




- 291 --


des R,oi~ et des Peuples, sous prétexte de régéoé~
. ,


rer le prin~ipe de liberté. Au reste, ce double
antagonisme était 1110ins une questipQ préseo te
qu'une question future, puisque de tOQtes parta 00
s'effor~ait encore de reconstituer l'unité des prin-
cipes dans la diversité des f9rmes p~litiques;


. . ..' .


p~isqu'a~cun Souverain, excepté le Roi d'Espagne,
n'osait c0!ltester a ses propres sujets ni _la faculté
de participer, d'une znaniére déter11:1inée, an per-
fectioQnement des lois, ni celle de lnanifester li~
brement leur pensée, sur les actes du Pouvoir, se-
Ion les maxioles adoptées dans le Congres de


. . ,


Vienne et fonuant les véritables droits de l'homlne
en société. Les principes généraux de GOllverne-
ment avaient éLé débattus et fixés par tOU8 les Mo-
narques réunis, mais il n'en était pas de lnelue
des formes particulieres de Gouverneluent qui de-
vaient etre débattues et fixées par chaque Mo-
narque isolé. 00 pouvait choisir ,entre la Consti-
tution fran~aise et la Constitution anglaise. Celle-
ci, que les publicistes les plus populaires préconi ..
saient depuis un long siécle, ne dépluisait pas eu-
tiérement aux R6is, paree qu'elle avait pour base
l'hérédité n'excluant pas l'élection, et 1)oe puis-
sante aristocratie excluant l'égalité; celle-la, qui




- 292-


datait a peine de quelques jours, plaisait beau-
coup lnieux aux peuples, paree qu'elle avait pour
base l'égalité et l'élection, excluant l'aristocratie
et l'hérédité. Quoique cette contradiclion ne
fut point eo elle-lneme un probleme insoluble,
elle pouvait néanlDoins le devenir t si ron attri-


, -


buait une valeur absolue a chacun de ces- deux
principes opposés, auxquels 00 ne devait attri-
buer qu'une valeur relative. Considéré a ce point
de vue, l'avenir de la Monarchie européenne,
obligée de chercher un point de fixité, par
conséquent une regle de sureté, entre le mouve-
ment descendant de l'aristocratie ou des hautes
c1asses et le mouvement ascendant de la bourgeoi-
sie ou des classes inférieures, dépenuai t entiere-
IDent de la solution de ce problélne, qui, seul,
pouvait el devait l'endre l'avenir de la République
impossible. Par l'introduction progressive el pres-
que générale des Constitutions dans leurs Gouver·
nelllenls, les Monarques ayant déterluiné les at-
tributions respectives du pouvoir législatif, du
pouvúir exécutif et du pouvoir judiciaire, ils se
flatLerent sans doute de réaliser l'unité dans cha-
que État en verlu de eette triple subdivision de
l'autorité propre a garantir les diverses relatioris




- 293 -


des hommes 'enlre eux; mais, n'en ayant pas
déterminé le véritable but, ils n'eurent pas le
llloyen d'y parvenir; car il aurait fallu pour cela
créer un quatriéme pouvoir propre a faire con-
courir toutes les relations humaines au but melue
de l'État.


Or, comme les peuples ont toujours besoin de
recevoir une direction quelconque, il advint que
ce pouvoir directellr, qui ne prenait point naissance
dans le Gouvernement, prit naissance a cóté du
Gouverneluent et servit beaucoup moins ses vues
que celles de l'Opposi tion. La presse quotidienne
devait relnplir catte fonction luagistrale; car
elle seule pou vait avoir pour nlission de décou-
vrir et de propager la vérité; lnalheureusement,
elle ne travailla qu'a la propagation du 111ensonge
et de l'err.~ur. Au lieu de chercher dans la science
propreluent dite un principe supérieur a l'autorité
el a la liberté pour les identifier, en vertu d'un
nouveau systéme de réalilés gouverneluentales ou
pratiques, elle jeta le bláme sur tous les actes de
l'ülltorité, quels qu'ils fllssent d'ailleurs, et devint
toute-puissante en raison luelue de sa propre
ignorance, paree qu'elle trouvait un élément de
séduction ou de fascination populaire dans le vieux


,




- 294-


syst~me d'utopies que la prétendue philosophie
du XVIne siécle avait restauré au nOID de la liberté.
C'est ainsi que des paradoxes individuels devin-
r€mt peu a peu des persuasions générales, et qu'on
favorisa, non les tendances -nl0narchiques des so-
ciétés, luais leurs tendances républicaines. Impos-
sible d'expliquer autreluent l'empire illiLuité que
la presse a exercé depuis 10rs en Europe , et sur-
tout en France, ou plus tard OH lui donna le nOID
de quatrieme pouvoir: expression mobile et défec-
tueuse d'une haute pensée, qu'il importe de fixer
sous quelque forme constitutive que ce soit. En
effet, l'institution qui a toujours besoih d'étre diri·
gée et survelllée, pour éviter ses écarts funestes, ne
serait jamais devenue surveillante et dirigeante au
gré des partis, si 1'0n n'avait laissé, dans la con-
stitutlon de l'Etat luoderne, une grande lacune que
l' on aurait du combIer an gré des sociétés. Les ro-
les étant intervertis de la sorte, l'anarchie se dé-
veloppa au détriment de l'ordre. Chaque Gouver-
nement ne put alors s'appuyer que sur la force
111atérielle, parce que la force morale était du coté
de l'Opposition. Aussi l'état de guerre dura-t-il en
temps de paix. L' Europe fut régie militairement,
au lieu d'étre régie civilement. Apres avoir pro-




- 295-


lnis de rétablir G l'indépendance des nations, en
lui donnant pour bases la justice, la modération
et les idécs libérales, trop longtenlps effacées par
le despotisme militaire du livre des droits civils et
poIitiques des peuples, » on était contraint de 111é·
connaitre toutes les obligations eontractées. Mais,
des que les Rois entreprirent de réagir contre la
liberté, paree qu'ils ne savaient pas définir Ieur
propre autorité, les peuples, s'armant d'un droit
formellement reconnu, entreprirent de réagir con-
tre l'autorité, quoiqu'ils ne sussent point définir
leur propre liberté.


Cette double réaction se rnanifesta dans toute
l' Allemagne apres le Con gres d' Aix-Ia-Chapelle OU
l'Empereur d' Autriche et le Roi de Prusse arre-
terent ensemble certaines mesures propres a ré-
primer les tendances révolutionnaires et destruc-
tives des sociétés secretes, sans arreter d'autres
mesures propres a diriger les tendances régénéra-
trices des sociétés officielles. Ces deux Sou verains
prétendaient tout comprimer dans un but de stabi-
lité, sans rien organiser dans un but de progreso
Une telle indifférence pour le bien faisant prévoir
des catastrophes, rElnpereur de Russie dit au Roi
de France que cela tournerait a mal. Louis XVIII,




- 296-


dont la poJitique n'était pas rétrograde COlume
c~lle de certains Princes, montrait a son peupl,e
la route qu'il aurait dCJ toujours suivre pour justi-
fier ces paroles de Shakspeare : « Souvent une
D chute n'esL qu'un llloyen de se relever plus fier
»et plus grand. J) Foulant aux pieds les résistances
de falnille, il voulut se mettre a la téte du mouve-
ment national. Quatre-vingt mille propriétaires
ou .sitnples patentés obtinrent le droit d'élection
dans chaque département; et Lainé, ministre ,de
l'intérieur, dit, en le leur faisant attribuer: (1 Si
In France abusait d'une loi qui consacre loyale-
ment l'alliance de la Royauté et de la Nation;
si, conduite au port par une lnain bienfaisante,
elle s'en éloignait volon~airement pour afi'ronter de
nouveaux orages, un tel peuple serait ingouverna-
ble, ce serait fait pour en désespérer. D Aprésavoir
eonsacré le droit électoral dans le pays, on consa-
era le droiL d'avancement dans l'armée : de sorte'
qu'iI n'y eut plus auenne existenee privilégiée ni
au scin de la société militnire, ni au sein de la so-
ciété civile : toutes les deux étant également foo-
décs sur le principe de l'égalité. Mais l'aneienne


,.


noblesse fran<;aise, qui avait autrefois le privilége
exc1usif de défendre et de servir le Trone, paree




- 297-


qu'elle représentait le droit divin, dut eéder le pas
flUX illustrations nouvelles de la Révolution et de
l'Empire, quoiqu'elles ne représentassent que le
droit exclusivement hunlain; quoique , Ieur édu-
eation politique ayant été faite au luilieu des évé-
nemcnts les plus subversifs et des intronisations
les plus étonnantes, eHes pussent trouver tout na-
turel de rompre, un jourou l'autre, avee le prin-
cipe monarehique, ne eroyant pas rompre avee la
Monarchie.


J..4es preln~eres élections mirent le Gouverne ..
ment royal aux prises avec l'oppositon aristocra-
tique et ultra-conserva trice ; les secondes, avec
l'opposition prétendue populaire et positiveluent
révolutionnaire, puisque le parti royaliste se vit
tout-a-coup en présence, d'un régicide : .l'abbé
Grégoire, et la Monarchie , en présence de la
République représentée par Lafayette, Manuel et
d' Argenson : chefs du parti des indépendants, qui
ne pOl1vait se rallier antour d'un Prince national,
apres avoir offert le Tróne de France a tous les
Princes étrangers. La nomination de ces quelques
hOllllnes était d'au,tant plus significative, qu'elle
révélait lnanifestelnent l'reuvre d'une propagande
subversive, accomplie dans la société officielle par




- 298-


les sociétés secretes. Aucun Monarque, pendant
les Cent-tTours, n'ayant voulu s'entendre avec eux,
paree qu'ils avaient usurpé le Pouvoir public pour
elnpecher la Restauration des Bourbons, Lafayette,
Manuel et d' Argenson cherchaient désormais 11
s'entendre avec les peuples, depuis qu'ils s'étaient
emparés du Pouvoir occulte. COlnlne la Branche
ainée de la Maison de Bourbon, par sa éonduite
énergique et libérale, tenait leurs conspirations
en échec, ils résolurent d'engager la lutte contre
les Dynasties d'Espagne el de Naples : Branches
cadettes de cette auguste Maison~ A cet etret, plu-
sieurs élnissaires furent envoyés dan s les Calabres,
ou ils étudierent la forUle et I'action du carbona-
risme, et dont ils revinrent avec la pensée d'appli-
quer son organisation a toutes les sociétés secretes
de l'Europe, auxquelles on ferait adopter cette triple
et fallacieuse devise: LIBERTÉ, ÉGALI'l'É, FRATERNITÉ.
La Sainte-Alliance des Peuples eut alors son sym-
hole, de lneme que la Sainte-Alliance des Rois. Les
révolutionnaires de France donncrent la tuain aux
carbonari d'Espagne, de Naples, du PieLnont et
de la I~ombardie, qui devaient frapper les pre·
llliers coups; aux chartistes d' Angleterre qui,
réunis par centaines de mine a Manchester, se




- 299-


disaient entre eux: sois pret; sois ferme; et aux
iIluminés de PAllemagne, qui, lnunis d'un poignard
et portant un crane avec cette inscription: U /tima
ratio populorum, s'écriaient: « Les révolutions
sont aussi nécessaires aux peuples que la respira-
tion l'est aux hOlnlnes. Au mOlllent de l'exécution,
quelqu'un d'entre nous se nlettra El notre tete, et,
COlllme un autre Ziska, il portera la 13ible dtune
main el le glaive de l'autre. Ce n'est qu'un bou-
leverselllent total qui peut nous sauver; renversons
les Trones d' Alexandre, de Fi'édéric-GuiUaÜlne
el' de Fran«ois. n faudra qu'a chaque arbre, le long
de la ro·ute de Berlin a Chariottenbourg, oh pende
un servitenr un Treme; et cela ne sera pas sufIi-
santo » Tandis que les Slaves 'réunis, distribués en
quatre Monarchies, s'agitaient pour ne plus forlner
qu'une seule Confédération ou République, avee
les huit Nations slavonnes, savoir: la Russie, la
Pologne, la Bohéme, la Hongrie, la Dalmatie, la
Moravie, la Servie, la Transylvanie, la Moldavie et
la. Valachie. De I'un a l'autre hout de l'Europe, il
y avait donc antagonislne entre les sociétés offi-
cielles· et les sociétés secrétes. Car si les premieres
voulaient réaliser, pour la con~er\Tation des États,
les institutiolls lllonarchiques en Ieur entiere




- 300-


pureté, qui consiste ú universaliser l' Autorité
souvcraine dans l'unique chef de chaque Dynas-
tie, les secondes voulaient réaliser égalelnent,
tnais contradictoirement, pour la trünsfonnation
des États, les institutiollS républicaines en leur
entÍere pureté, qui consi5te a indiviclualiser l' Au-
torité souveraine dans 10us les melnbres de
chaque société.


eette lutte du Droit divin et du Droit humain,
de la Souveraineté du Roi et de la Souvel'aineté du
Peuple, était d'autant plus formidable, qu'elIe al-
lait devenir permanente. Au lieu de s'aflirmer
réciproquelnent pour faire reconnaitr-B leur valeur
relative , ils se niaient réciproqueolent pour s'ex-
clure par tous les lnoyens possibles, meme les
plus criminels, qui leur paraissaient légitimes :
paree qu'ils croyaient posséder l'un et l'autre
une valeur absolue. De sorte que l'existence de
ces deux grands partis, cherchant toujours u s'en~
tre-détruire ici, la, partout, pouvait anlener l'a-
néantissement d'un seul ou celui de tous les
deux, c'est-a-dire la ruine totale du luonde civi-
lisé. En eiTet, a l'encontre des GouverOClnents pu-
blics Inal établis, puisqu'il leur était impossible
d'atteindre leur propre but,qui consiste dunsla sub-




- 301-


ordination des actions humaines aux lois lnorales
ou divines : unique lnoyen de garantir le triomphe


/


de la justice et d'accOlnplil' la régénération des
sociétés, on fondait je ne sais quels Gouvernelnents
occultes lnalheureuseruent trop bien établis,
puisqtl"il leur était possible d'atteindre Ieur
propre but., qui consistait dans la subordination
des loís morales OH divines aux loís humaines :
unique moyen d'accOlnplir la destruction des
États et d'assurer· le triomphe de I'iniquité. Ca-
chant leurs complots abominables sous le lnasque
d'un noble patriolislne, les chefs des associatiollS
secretes, vieux Jacobins, recruterent leurs pha-


.


langes insurrectionneIles parmi les jeunes gens,
chez qui le sentiment est toujours supérieur a la
raison; cal' le creur de l'hollHne se forrne plus vite
que la tete. Aussi la .duplicité des uns mit-elle en
relief toute la sil111?licité des autres, qui sollici-
taient l'unité germanique pour l' Allemagne; la
Nationalité pour l'Italie el les peuples slavons; la
liberté poli tique pOllr ]' Espagne; le suffrage uni-
versel pour l' Angleterre; et pour la France, la
dictature de l' Europe. Les Souverains, tuteurs des
sociétés oflicielles, devaient, réagissant contl'e
toutes les sociétés occultes et contrc lous leurs




- 302-


principes destructeurs, faire prévaloir les prin-
cipes conservateurs ainsi que leurs propres droits :
base juridique. des États. Mais, ignorunt san s
doute que les fléal1x n'éclatent dans ce lllonde que
lorsque Dieu, arbitre supréme des destinées du
monde, veut que l'hlllnan~té change positivetllent
de direction ou de but, ils ne snrenJ prendre qn'uñe
déternlination négative. l.'Empereur d' Autriche
désirait que les Rois de l' Enrope se réunissent
dans un nouveau Congres ~ il n'y eut qu'une réu-
nion de ministres, confonnément an vreu de I'Ern-
perenr de Russie. Chaqnc Puissance envoya des


. .


agents secrets a Carlsbad; les seules Cours d' Alle-
lnagne y envoyerent leurs plénipotentiaires offi-
deIs, et le Roi de Prusse vint se concerter avec
Sa Majesté Catholique. Ayant pris une résolution
cornmune, ces deux Monarques s'efforcerent de
retirer le, peu de concessio.ns faites a l'esprit de Ii-
.berté, en donnant a leurs Gouvernements telles
fonnes qu'ils jugeaient nécessaires pour la con-
servation pléniere de l' autorité.


La Monarchie autrichienne, reconstituée an
Congres de Vienne, était redevenue plus grande
qu'elle ne l'avaH jarnais été depuis Charles-Quint;
et la Monarchie prussienne était aussi redevenue




- 303-


beaueoup plus grande qu'au terops de Frédéric-Ie-.
Grand. Mais ees deux Royaullles, fonnés .par l'é-
pée et par la diplomatie, Join d'exprhner J'exis-
tence de deux pays particuliers, de deux peuples
distincts, de deux NationaJités proprement dites,
exprünaient au eontraire l'exi~tence de je De sais
combien de ~ati~nalités, de peuples et de pays di-
vers, qui, n'ayant ni la lneme langue, ni la meme
eroyance, ni le nlelne intéret, ni.Ia lnelne législa-


tion, ni le méme passé, ne ponvaient avoir . les. / .. ~,:.;~:
memes mreurs, les lnemes principes, les melues ¡ f 'l


\<? besoins, les lnemes lois, Je meUle avenir. Puisgue
. .


la situation générale des peuples révélait une de
ces époques transforma trices pendant lesquelles
aucune regle antérieure oe saurait etre appliquée,
paree qu'eIles different absolunlent de eeHes qui


, .


les ont précédées, l'Empereur Fran<;ois et le Roi
"


Frédérie - Guillaulne s'attacherenl a conteoirl'im ..
. pulsiop. nationale, pour assurer la p~ix intérieure
de leurs États;. a luaintenir le despotisllle admi-
nistratif que Napoléon avait fondé, pour y dévelop-
per une grande force de cohésion qui tiendrait lieu
d'unité politique, et a réagir, eux, Monarquoes du
preluier rang, non,.seulelnent eontre leurs.propres
sujets, ¡nais encore contre les Souverains du se-


. "


.~ l·'




i,
- 304-


cond rang, pour les empecher de suivre l'imp'ul-
sion de I'Europe constitutionnelle. Ayant fait'dé ..
clarer pttr le Congres de. Carlsbad que la Diete
~


seule interpréterait l'articledu traité de Vienne qui
"


promettait des institutions représentatives t\ cha-
que État, ces deuxMonarqties exigerentqueles Uni-
versités fusseut 50umises a une surveillance rigou-
~


reuse; que les troupes fédérales fussent dirigées
partout ou se lllanifesterait le lnoindre désordre;
que la liberté ge la presse fu t suppritl1ée, et que
chaque GouvernClnent fut responsable de ce qu'il
laisserait publier. Une cOlnmission perLuanente,
siégeanta Mayence, devait réprimerlesmouvements
et les traUleS démagogiques, partout ou ils se pro-
duiraient. l .. a noblesse, dont les sociétés secretes
lnenac;aient l'existence présente, se trouva satisfaite;
mais la bourgeoisie, dont la société officielle détrui-
sait i'avenir politique, en fut d'autant·plus blessée,
qu'elle pouvait accuser la Maison d' Autriche d'avoir
ouLlié sa vieille devise: Recta tueri! Les Gouverne-
ments représentatifs, qui étaient autrefois de droit
COLlllnun dan s toutc l' Alleulagne, devinrent aillsi
l'apanage de deux Royaurnes priviJégiés: la Baviére
el le Wurtemberg, dont la Monarchie lhnitée, impli-
quant la posibilité u'une conciliation entre le droit




- ~O&-
divin et le droit humain, entre l'autorité et la li-
berté, forma un étrange contraste avec les Monar-
cbies absolues, iInpliquant l'inlpossibilité d'une
coneiliation queleonque entre ces deux éléluents
primordiaux de l'univers.


A partir de cette époque, l'opposition luorale et
matérielle des hOffilnes qui définissaient la justiee
d'une lnaniere exclusive, dan s le sens du droit di-
vin ou dans le sens du droit bumain, préoeeupa si
fortelnent tous les Cabinets, qu'il ne fut plus
question paflni eux que de conférences, de négo-
ciations et de Congres, OU 1'on définit la justice
d'une m.uniere non moins exclusive. L'Empereur
de Russie ne voulut pas s'assoeier u ces fausses me-
sures, paree qu'il pressentait le véritable hut des
États : aussi déposa-t-il le sceptre de la Sainte-
Allianee entre les mains de I'Empereur d' Au-
triehe. Celui-ci, établissant en principe « le' luain·
»tien de ce qui existait, » non la création de
ce qui devait exister, s'efforc;a, par tons ses actes,
de prévenir une révolution qui pouvait tout dé-
truire. Et le prinee de Metternich, son luinistre-
dirigcant, essaya d'étendre ce Systelne sur le
Continent, pour organiser une force de résistance
gigantesque dans les sociétés OU se préparaient les


IV. (3) 20




- 306-


gigantesque's lnouvelnents des partis; pour oppo-
ser les progres plus ou moins bien ordonnés de
l'autorité, aux progrés désordonnés de la liberté;
pour justifier enfio ces paroles que I'Angleterre
lui attribue:« Je suis le grand prévót de l'Eu-
rope ('1) 1 »


Sur sa proposition, les Cours de Vienne et de
Berlin, considérant la France COlnme l'instigatrice
de tous les houleversements, adresserent la circu-
laire suivante au Cabinet des Tuileries: «Les
Puissances de l' Europe qui ont réuni leurs efforts
contre les principes de la Révolution franc;aise,
qui ont assis sur leurs antiques bases la propriété
et la Iégitimité, sont plus que jamais solidaires
pour tout ce qui tient a leur tranquillité intérieure.
Un pays ne peut etre aujourd'hui révolutionné, Oll
lnenacé de révolution, sans que les autres soient
ébranlés ou craignent de l'etrel Les ennemis de
l'ordre social, dans les différentes contrées de l'Eu-
rope, sont les lnemes, non-seulement par l'identité
des principes, luais encore par des comlllunications
intilnes. tes premiers amis et protecteurs de l'or-
dresocial, les Souverains, ne peuvent se flatter de


(1.) L'Autriche comme elle esto Austria as it is. London. Hurst,
1828. .




- 807-


combattre leurs enoeInis avee sucees, s'ils ne 80nt
unis dan s le lneme respeet pour les principes, daos
les vigoureuses mesures pour les défendre : ce n'est
pas pour eux, lnais pour les peuples ; ee u'est pas
par amour du Pouvoir, olais par aUaehemeot
pour la liberté, qu'ils doivent tout empIoyer pour
maintenir leur autorité tutélaire. lIs doivent done
applaudir a ee que l' AlIeulagne vient de faire et
mareher dan s le méme sens. »


I.Ja France ne répondit pas a cette circulaire de
l' Autriche et de la Prusse. Ayant un hut disLinct
entre toutes les Monarchies, elle devait prendre,
elle prit en effet, une direction qul lui fut propre.
Mais Louis XViII, voyant que ses récentes conlhi.
naisons poIitiques, loin de maintenir un ordre per-
lnanent dans I'État, y favorisaient au contraire le
développement du désordre, cOlnprit la nécessité
de certaines mesures propres a vainere le parti qui
voulait défaire la société. Une révision de la loi sur
la presse et de la loi sur les élections fut résolue.
II fallait empécher, a tont priX, que les journaux
opposassent le principe républicain de la· 80u-
veraineté du Peuple au principe monarchique
de la Souveraineté du Roi; et que les révolutioo-
naires, formant dans le pays une imperceptible




- 308-


minorité favorable a la République, ne se recru-
tassent en assez grandnolnbre pour former, dans la
Chambre élective, une lnajorité bostile a la Maison
de Bourholl, ou lnieux a la Monarchie. C'était le
devoir du Gouvernement; et il pouvait tres-bien
l'accomplir, sans toucher aux droits définis par la
Charte. D'ailJeurs, la liberté ne saurait étre illi-
lnitée, dans les États OU l'autorité s'ilnpose elle.
Dleme des limites, puisqu'il n'y aurait alors aucune
pondération entre les Pouvoirs qui dérivent soit
de rune, soit de l'autre. COlllme les ministres du
Roi se renfermaient dans une stricte légalité, l'op-
position anti-dynastique résolut d'en sortir. Une
association dite des Amis de la liberté de la presse,
fut créée a cel effet. On y rédiga toutes sor tes de
pétitions pour réclalner le maintien de la 10i élec-
torale. Ces pétitions, colportées en province, étaient
adressées él la Challlhre des députés, que Con
apostrophait de la maniere suivante : {\ Représen-
tants, une lnain puissante veut porter atteinte a
l'une de nos libertés les plus cberes, a la loi na-
tionale des élections! Quel scandale! Jusqu'a
quand souffrirez-vous cet abus outrageant d'uD
Pouvoir coupable? »


Non contents d'enregistrer ces appels a la ré.




- 309-


volte, les journaux ajoutent hautement: (J. qu'il
¡aul se debarrasser de la tyrannie; » et ils ne sont
pas poursuivis, ou bien ils sont acquittés au llom
d'un libéralisme hypocrite et nlenteur, qui pré-
tend défendre la Charte en attaquant la Dynüstie.
Plus le Gouvernelnent est modéré, plus l'Opposi-
tion devient violente. La presse, établie pour
former une école de régénération nlorale, de-
vient une école d'assassinat politiqueo Sand et
Carlisle sont comparés a Eru tus et a Cassius. te
poignard des Carbonari, passé entre les mains de
Louvel, frappe au creur le Duc de Berry, espérant
tarir a sa source le sung fécond de saint Louis. Mais
la lnort sublitne d'un Bourbon ne fait que précé-
der la naissance Hliraculeuse d'un autre Bourbon.
Puisque, suivant JefTerson, chaque homlne a deux
patries: la sienne et la France, Louis XVIII pourra
bientot dire aux peuples : «Le Duc de Bordeaux
nous est né a tous! » l .. es factions, qui n'osaient
pas se réjouir autour d'une tombe, restent silen-
cieuses en présence de la société européenne qui
se réjouit autour d'un berceau. Car cet enfant que
Dieu lui donne an ffiOluent luelne ou l'existence des
États se trouve compromise, d'une lnaniere abso-
lue, par l'exclusion réciproque des deux grands par-




- 310-


tis socianx, cet enfant, haptisé avec l'eau du Jour-
dain COlnlne le Sauveur du monde, semble destiné
a faire cesser, un jour ou l'autre, leur sanglant
dualisme par la supréme identification du droit
divin et du droit hUlnain, et a devenir ainsi, non-
seulmnent le Suuveur de- la .France, mais celui de
l'Europe!


Déja tous les peuples, ceux qui se trouvent
aux prises avec I'insurrection triolnphante, et ceux
qui redoutent la dé faite des divers Gouvernements,
paree qu'elle entrainerait peut-étre Ieur propre
mort dans la décadence générale, fondent, sur la
naissance du Duc de Bordeaux, l'espoir de Ieur
sureté présente, de leur stabilité future et, en quel-
que sorte, de Ieur propre hnrnortalité! On croit
pouvoir enfin éehapper au triste destio de l'Europe
méridionale, que le Carbonarisme vient de livrer
a la guerre eivile et a la révolution. Naples, la
Sicile, la Lombardie, le Piémont et le Portugal se
font les satellites de l'Espagne. Cette Nation, émi-
nernment monarehique depuis tant de sH~cles, est
deven ue en quelques jours démocratique ou répu-
blicaine, pur l'inlpéritie de Ferdinand VII, s'imu-
ginant étre aSBez fort pour vaincre un peuple qui
a triolnphé de Napoléon Illr, et pour ravir ses li-




- 3U-


bertés uu seul État qui ait su protester victorieuse-
ment contre l'asservisselnent du monde. Jamais
Prince ne reconquit le Treme en des circonstances
plus favorables a son Royaume et asa propre per-
sonne. S'il eut cOlupris les besoins et les vreux de
l'Espagne, Ferdinand aurait pu, méme en perdant
toute l' Amérique lnéridionale, replacer la Pénin-
sule ibérique au rang honorable qu'elle occupait
jadis entre les prelnieres Puissunces du Continent.
On le sait : apres l'odieux guet·apens de Bayonne,
quand le Gouvernement espagnol eut été dissous
et la falnille royale tratnée prisonniere en exil,
les Juntes populaires avaient chargé les Cortes
de reconstituer un autre Gouverneluent destiné a
préparer la délivrance du pays. Or les Cortes, réu-
nies a Cadix, prolIlulguerent, en 1.81.2, une Consti-
tution, ou les principes conservateurs de la Mo-
narchie espagnole se trouvaient sanctionnés en
melne temps que les principes révolutionnaires de
la République fran<;aise. Lorsque Ferdinand VII,
accompagné de son frere Don Carlos, rentra dans
ses États, ~n général vint le haranguer, a cheval
et a la téte des troupes, lui deruandant avec arro·
gance de jurel' cette Constitution. Don Carlos in-
terrompant l'orateur: u Mets pied aterre devant




- - 3i2 -


ton Souverain, lui dit-i1, et crie comnie lnoi:
Vz·ve le Roz·! 11 (2ft- mar s 1814). Il n'en fallut pas da-
vantage"pour entrainer toute l'armée de meme que
toute la Nation, qui, étrangére aux nouveautés poli-
tiques, désirait le rétablissement des anciennes lois.


Les Cortés n'en tinrent pas moins ce langage
a Ferdinand VII, le jour ou elles lui rendirent
une Couronne conquise pour lui, mais sans lui:
« N'oubliez pas que vous la devez a la générosité
de vos peuples. La Nation ne Inet d'autres limites
a votre autorité que cett~ Constitution adoptée
par ses représentants. Le jour ou vous la violerez,
le pacte solennel quí vous a fait Roí sera rompu. J)
Si Ferdinand, Roi par la grace de Dieu, eut raison
de ne pas subordonner le droit divin au droit hu-
rnain, il eut tort de subordonner le droit humain au
droit divin, en déclarant dans l'édit de Valence
(4luai 1.8'lú) : u que son inteotion royale était non-
seuleluent de ne pas jurer ou accepter cette Con-
stitution ni aueuo décret des Cortes générales et
extraordinaires, et des ordinaires acluellelnent
assClublées, et expresséluent les décrets qui a11a-
qllent les droits et prérogatives de sa Souveraineté
établis par la Constitution et les lois qlli avaient
gouverné la Nation pendant si longtemps, mais




- 313-


déclarer' cette Constitution et ses effets nuls et de
nul effet pour le présent et pour l'avenir; déclara
coupable de lese-luajesté, et COlnme tel pUllissable
de la peine de lllort, quiconque oserait, soit par le
fait, soit par écrit, soit par paroles, exciter ou en~
gager qui que ce soit a l'observation ou exécution
desdits décrets et Constitution; et ordonna aux
tribunaux, ainsi qu'aux adlninistrations diverses,
de continuer leurs fonctions jusqu'a l'époque ou,
aprés avoir entendu les Cortes qu'il devait convo-! :~":"v ¡~':~t; ,


: J'",,' oí
quer, le Gouvernement du Royaume serait établf ;" .
d'une maniere stable. »


Le Roi, d'apresce manifeste, semblait reconnaitre
lui-ln~me que la Monarchie absolue ou illiInitée,
c'est-a-dire la vieille Espagne, ne pouvait plusexister,
et qu'une Monarchie limitée ou relative était néces-
saire a l'Espagne nouvelle. Mais, 10iD de lnaintenir
un juste équilibre entre l' Autorité royale et la li-
berté nationale, il envoya aux prész·des quiconque
refusüit de servir d'instrulnent a sa tyrannie, ou
bien osait lui rappeler sa propre déclaration, sa-
voir : « Que les Rois n'avaient jall1ais été despotes
1) en Espagne, et que les lois ni la Constitution uu
JI Royallll1e n'avaient jarnais autorisé le despo-
1) tisme. » Les colonies d' Alnérique, déja lnÍlres pour




- 3t4-


I'indépendance, ayant protesté contre le rétablis-
sement de la servitude, il y envoya, durant plusieurs
années, des troupes qui, loin de les soumettre, lui
tirent perdre chaque jour une nouvelle Province, un
nouveau Royaume. « Le lnoment ou l' Espagne, dit
un contelnporain célebre, perdit cetle possession,
devint de fait une révolution plus grande que celle
que subissaient dans le luelne teIUpS d'autres États
européens. Les lois, l'administration, l'état lnili-
taire, la marine, l'industrie, le commerce, tout en
Espagne était lié étroitetnent an systeme colonial.
La destruction de ce systéme rendait done une ré-
forule de l'Espagne inévitable. Il fallait y faire une
véritable révolution administra ti ve et financiere ;
c'était une révolution d'organisation; il fallait, pour
la faire, des connaissances qui manquaient encore
a l'Espagne. Or, il arriva qu'an lien de faire une ré-
volution d'économie poli tique, des esprits peu pré-
parés an genre de travaux qu'elle eut exigés, firent
tont sitnplement une révolution politique, opéra-
tion pour laquelle tant d'homlnes se croient de la
capacité, paree qu'il ne s'agit, pour commencer,
que de détruire l'ordre de eh oses existant (1). II


(1) M. le comte de Ficquelmont, Lord Palmerston, I'Angleterre
et le Continent. Tom. II, page 267.




- 315-


Ce fut l'reuvre des sociétés secretes qui se re-
crutaient , dans l'Europe entiere, parlni les sol-
dats; car, dépourvues de force lllorale, elles
avaient besoin d'accaparer la force physique, pour
vaincre les sociétés officielles. En effet, l'esprit ré-
volutionnaire ne pouvait se frayer une voie que
par l'épée des généraux. Riégo, Quiroga et Mina,
chefs de l' armée natz·onale, se révolterent a Cadix,
proclatuerent la Constitution de 1812, c'est-a-dire la
Souveraineté du peuple, et déclarerent, dans leurs
lnanifestes, « que les Rois appartenaient aux Na-
» tions. » Don Joseph O'Donnell, chef de l'arluée
royale, marcha contre eux, pour faire triornpher
le principe de la Souveraineté 111onarchique, en
prétendant que les Nations appartenaient aux Rois.
Mais la Révolution entra dans les nlurs de Madrid,
aussitót que ce général en fut sorti. Le Roi Ferdi-
nand, obligé de céder a la violence, publia un
édit qui portait convocation immédiate des Cortes,
etannon<;ait que, « la volonté du peuple s'étal1t gé-
D néralement prononcée, il s'était décidé a jurer l~
» Constitution de 1812 (7 mars 1820). » Les Cortes
se réunirent a Madrid le 9 juillet, jour luémorable,
puisque le Monarque, entouré de la faluille royale,
debout, la nlain sur l'Évangile Ollvert devant luí,




- 316-


préta ce serment solennel: «Moi, Don Ferdl-
nand VII, par la grAce de Dieu et la Constitution
de la Monarchie espagnole, Roi des Espagnes, je
jure, par Dieu et par les Saints Évangiles, ... que
j'observerai et ferai observer la Constitution poli-
tique et les lois de la Monarchie espagnole, n'ayant
dans tout ce que je ferai d'autre fin que son bien
et son utilité; ... que par-dessus tout, je respec-
terai la liberté politique et la liberté individuelle;
et si j'agissais contre ce que j'ai juré en tout ou
partie, je désire n'étre .pas étre obéi, et que tout
ce qui serait ordonné en contravention soit regardé
COlnlne nul et non avenu. »


Malgré l'obligation nlorale imposée par un pa-
reil serment, le Boi se livra bientot a une fouIe
d'actes attentatoires aux principes qu'il cOl1sacrait.
Pendant que le véritabIe par ti constitutionnel réa-
gissait a la fois et contre les absolutistes et con-
tre les ultra-révolutionl1aires, pour donner a la
Constitutiol1 une tournure plus lnonarchique,
Ferdinand agissait de maniere a reconstituer, s'H
était possible, son ancienne autorité, pour détruire
de nouveau la liberté. Cette conduite indigna l'ar-
mée, au nOln de laquelle tout se faisait en Espa-
gne. Les partis s'étant alors coalisés contre la per-




- 317-


sonne royale, Riégo, qu'on avait destitué, paree
qu'il prenait lui·lueme les aIlures d'un Dictatenr,
put reprendre le cOllllllandement au chant grossier
de la Tragala., et aux applaudissements des Com-
muneros, des Exaltados., des Descamisados (sans
cbelDise) el des ZU$$ilJ(jis!().r : {lartJ88ll8 de la li-
berté illimitée, qui juraient de frapper quiconque
abuserait de l'autorité, fu.t-ce le Roi lui-méme.


Ce n'était pas en Espagne seulement. que l'armée,
généralement instituée pour garantir l'ordre, ga-
rantissait, au contraire, ranarchie; c'était aussi en
Portugal, a Naples, dans le Piémont et dans toute
l'Italie. La révolution de Lisbonne (ter octobre 1820)
prit un caractere anti-monarchique, des que les Cor-
tes eurent établi le suffrage universel, et que la Ré-
gence, gouvernant I'État durant l'absence de Jean
VI,qui portait en Atnérique le titre d'Elnpereur du
Brésil et en Europe le titre de Roi duPortugal, du
Brésil et des AIgarves, eut consentiala prolllulgation
de eette loi républicaine. Malgré le contact immé-
diat des Portugais ave e les Espagnols, l'insurrection
mililaire de Naples précéda ceBe de Lisbonne : il est
vrai que la propagande révolutionnaire était plus
active contre la Maison de Bourbon que contre la Maí-
son de Bragance. L'armée napolitaine tout entiere,




- 318-


gagnée par les sociétés secretes, mais perdue pour
la société officielle, se mit en pleine revolte, de-
mandant une Constitution que le Roi Ferdinand IV,
(il s'intitulait aussi Ferdinandler, ;parce qu'il était
premier Roi du Royaulne des Deux -Siciles), ne pou-
vait plus refuser. En conséquence, un Parlement
fut convoqué dans le but de subordonner la Souve-
raineté royale a la Souveraineté populaire. « COln-
lne I'Espagne aV'!it préféré, dit un historien italien,
la Constitution de 1812, a ce seul titre qu'elle avait
été reconnue par les Puissances, les Napolitains
aussi auraient fait sagement de s'en tenir a la Con-
stitution sicilienne, qui avait eu la sancUon de
l' Angleterre, et qui aurait prévenu tout désaccord
entre Naples et la Sicile. Mais les libéraux a la
fran<;aise avaient jeté les hauts cris contre la no-
blesse. On repoussa done le statut sicilien; el le
temps lnanquant pour en discuter une autre , 00
adopta la Constitution d'Espagne (1). Alors ce
furent des applaudisselnents et des fétes COlnme
pour une victoire. te général Guillaume Pépé
entra en triomphe dans la capitale, a la téte de
l'arluée constitutionnelle. Les habitants se pare-


(1.) Quand on voulut promtilguer cette Constitution, il fallut atten-
dre qu'on l'envoyat d'Espagne, parce qu'il n'y en avait pas un seul
exemplaire a Naples.




- 319 --


rent des couleurs de la Charbonnerie (ronge,
noir et bleu) , et Ferdinand jura solennellement
la Constitution, en appelant sur sa tete les fondres
célestes, s'illnanqunit a sa paro le (1). »


Toutes les sociétés secretes de rEurope frémis-
sent d'espérance, en voyant une des leurs passer a
rétat d'institution publique; et toutes les sociétés
officielles frémissent d'épouvante, en voyant l'anar-
chie des principes s'exprhner par la violen ce des
actes. Une séparation terrible s'opere entre Na pIes
et Palernle, entre la partie continentale du Royaume
et la portie insulaire. Mais la Sicile, qui se leve
pour conquérir son indépendance, va retomber
SOllS l'oppression du Gouvernelllent napolitain. Ce-
pendant, le nlouvelnent révolutionnnire, loin de se
horner Ul1X deux Péninsules ibérique et italienne,
seInble devoir s'étendre en plein Continente Des
Riégo et des Pépé surgissent partout avee fracas.
L'Europe entiere, agitée par rexplosion des idées
nouvelles, se croit prete pour de nouvelles desti-
nées. Les Monarques du Nord, effrayés de ce qui se
passe parmi les peuples du Midi, se réuniJsent a
Troppau, ou l'on oppose la dangereuse théorie


(1) M. César Cantu, llist. de cent ans. Tom. II, pago 445-46.




- 320-


des 'interventions aux théories fonuidables des ré.
volutions. Le prince de Metternich persuade a
I'Elnpereur Alexandre, qu'apres avoir sauvé l'Eu-
rope du despotislue, en défendant la liberté contre
Napoléon, il doit sauver· la civilisation, en défen-
dant l'ordre social contre l'anarchie, et puis les
trois Cours de Vienne, de Saint-Pétersbourg, de
Berlin, publient ce protocole préliminaire : "C< Les
Souverains exercent ~n droit incontestable en pre.
nant des mesures communes de sureté contre les
États que le renverSeInent de l' Autorité par la ré ...
volte met dans une attitude hostile contre tout
Gouvernement légitime .•. I .. e bouleversement de
l'ordre de choses en Espagne, en Portugal et a
Naples, a du nécessairement exciter les soins et
l'inquiétude des Puissances qui ont combattu la
Révollltion, et a du les convaincre de la nécessité de
mettre un frein aux nouvelles calalnités dont l'Eu-
rope est menacée. Les melnes principes qui ont
réuni les grandes Puissances du Continent pOllr
délivrer le nlonde du despotislne luilitaire d'un
~'ndiv~'du sorti de la Révolution, doivent agir con ...
tre la force révolutionnaire qui vient de se déve-
lopper. En c'onséquence, les Monarques assemblés
a Troppau se sont concertés sur les mesures exi-




- 3'.H. -


gées par les circonstances, et ont cOilllnuniqué aux
Cours de Londres et de Paris leur intention d'at-
teindre le hut désiré, soit par la médiation, soit par
la force. Dans cette vue, ils ont invité le Roi des
Deux-Siciles a se rendre a Lay bach pour y parai-
tre comme conciliateur entre son peuple mal di-
rigé et les États dont la tranquillité est compro-
11lise par cet état de choses, et attendu ql1'ils sont
résolus a ne reconnaitre alleune Autorité étahlie
par les séditieux, ee n'est qu'avec le Roi seul qu'ils
peuvent conférer. Ce systenle n'a pour hut que de
cimenter l'alliance des Souverains: il ne tend pas
a des conquetes, il ne porte pas atteinte a l'indé-
pendanee d'autres Pllissances ...•. Les Souverains
ne veulent que maintenir la tranql1illité, protéger
l'Europe contre le fléüu de révolutions nouvelles,
et les prévenir (\utant que possible. »


Le Cabinet des Tuileries, juloux de renouveler
l'ancien pacte de faluille des trois Maisons de Bour-
hon : ceHe de France, ceHe d' Espagne et eeHe de
Naples, pour prendre la direetion poli tique de
toute l'Europe luéridionule, avait promis sa mé-
diation, aupres des Gouvernetllents absolus, en
faveur de la révolution napolitaine, si elle voulait
substituer la Constitution fran<;aise, fondée sur le


IV. (3) 21




- 322-


principe monarchique, a la Constitution espa-
gnole, fondée sur le principe républicain. Bien
que le Parlelnent de Naples eut refusé de renla-
nier ses lois constitutives, la France accepta l'iu-
tervention avec tant de réserve, que les Cabinets
du Nord lui proposerent d'intervenir elle - méme
en Espagne. Mais l' Angleterre, qui avait approuvé
l'intervention armée des trois. Cours alliées dans
les alfaires de l' ltalie , et qui blamait celle de la
France en Espagne, protesta aussitót conLre le
principe d'intervention destiné a devenir la base
d'un nouveau systeme politique, sous prétexte
que les grands États s'attribuaient une sorte de
suprématie dictatoriale, dan s le but de détruire
l' jndépendance des petits États; en réalité, paree
qu'elle désirait établir, pour son usage personneI,
et il l'encontre de tout le monde, un príncipe. con-
tradictoire : celui de la non-intervention, dans le
but de séparer les peuples de leurs Gouverne-
luents, d'exploiter cette division fatale et de créer
son propre despotisme, en se falsant accepter, par
les adversaires de l' Autorlté, conlme l'apótre de la
liberté.


Ferdinand se rendit au Congres de I.ayhach
avee l'autorisation dn Pnrlement de Naples, auquel




- 323-


il devait trallSluettre les propositions de l'Europe.
Aussi, lui écrivit-il que les Monarques, se fon-
dant sur ce que « les changements nécessaires
»dans la législation ou l'adluinistration des États


J) ne devaient émaner que de la libre volonté de
» ceux que Dieu avai t faits dépositaires de la puis~
» sanee, D ne reconnaiLraient jamais une Codstitu-
tion itnposée aux Rois par les peuples ou en leur
non}; lHais qu'ils reconnaltraient toujours une
Constitution octroyée aux peuples par les Rois. En
conséquence, il avait résolu, disait-il, de subSLi ..
tue1' aux institutions existantes d'autres inslitu-
tions que les Deux-Siciles ne pouvaient tenir que
de lui seul. Le Parlelnent rejeta ces propositions
de paix, aimant mieux courir les chances de la
guerre, que de subordonner la Souveraineté du
droit humain a la Souveraineté du droit divino
L' Autriche, ayant obtenu la faculté d'intervel1ir
dans toutes les affuires de l'ltalie, s'attira la haine
de tous les ltaliens, d'autant plus purtisans de la
liberté qu'on les lnena<;ait du despotislue. I ... es so-
ciétés secretes, largement organisées de l'un a l'au-
tre bout de la Péninsule, fraterniserent, en divers
lieux, avec les sociétés ofllcielles, sous prétexte
qu'il s'agissait uniquement de délivrer la patrie de


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- 324-


la dOlllination des étrangers; et 1'0n attendit la
lnarche des Autrichiens sur Naples, pour se lever
contre eux, espérant les rejeter au-dela des Alpes,
conquérir l'indépendance nationale, et réaliser
enfin le reve-de l'unité italienne.


11 faut entendre un historien lnilanais résumer
toutes les espérances de I'Italie: « A coup sur, se
disait-on, les héros populaires tiendront long-
temps tete a l'ennemi; les monts sont les barrieres
de la liberté, et les brigands meme qui s'y retl'an-
chent, sont indomptables. L'insurrection, pendant
ce temps, s'étendra sans obstacIes dans le Piémont;
Milan la secondera; la Romagne et les petits États
De tarderontpasa suivre, et toutel'Italiesupérieure
se trouvera constituée avant que les Jlnpériaux
puissent revenir pour l'attaquer. La France elle ...
meme favorisera, sous main, le mouvelnent des
ltaliens. Car il est extremement important pour
elle que l' Autriche n'entre point a main armée
dans un pays aussi rapproché de sa frontiere. Mais
quelle Constitution adopter"? celle d'Espagne, de
France ou d' Angleterre i) Pourquoi ne sa vait-on
qu'imiter toujours, au lieu d'asseoir l'édifice sur
des bases historiques et nationales? pour décider
dll choix, 00 dépnta troi~ émissaires a la VENTE de




"- 325 -


Paris, ou se groupaient les libéraux d'Espagne,
les radicaux d' Angleterre, les carbonari d'Italie:
ce fut la Constitution espagnole qui obtint la pré-
férence (4). "


Les Autrichiens avaient déja luis en déroute
l'anuée napolitaine pres de Riati (7 luars 1.821),
lorsque l'arnlée piémontaise opéra su révolte aux
cris de Vive la Constitution ! mort aux A ltemands !
Le roi Victor-Euunanuel, sachant les résolutions
prises par l'Europe au Congres de Troppau, pré-
féra descendre du Tróne que de sanctionner une
révolution qui devait fournir aux étrangers un pré-


-texte d'envahir ses propres États. Le duc de Genes,
héritier de la Couronne, lui succéda sous le nOlU
de Charles-Félix. Pour tenir en échec les partisans
de la liberté constilutionnelle, il déclara coupable
de rebellion quiconque porlerait atteinte a la plé-
nitude absolue de l'autorilé royale. 11 y eut alors
deux camps et deux arlnée8 dans le Piémont: les
Royalistes réunis autour du Souverain et ennClnis
de toute Constitution ; les libéraux divisés en uni-
taires et en fédéralistes, en partisans de la Consti-
tution fran<;aise et en partisans de la Constitution


(1) 1\1. César Gantu, Hist. de cent ans. Tom. I1, pago 454-55,
trad. de l'italien par M. Rénée.




- 326-


espagflole. Ce dernier parti fOrIna une Junte de la
fédératz"on z"taUenne, qui fit aete de Gouvernelnent,
comme si elle représen tait la sociéte. Elle déeréta
d'abord que le Roi de Piélnont regnerait sur tout Je
sol italien ; puis elle déelara la guerre a l' Autriehe, et
inscrivit sur ses drapeaux: Royaume d'Italie. Mais
l'armée autrichienne, ayant déja vaineu la révolu~
tion de Naples, vint anéantir ceHe du Piémont
dans -les plaines de Novarre (8 avrH 182~). Et le
carbonarisme dut sortir de l'Italie, parce que
l' Autriche envahissait toute cette Péninsule. S'étant
réfugié en France, il Y ~ultiplin ses complots
contre la Maison de Bourbon. Toutefois, il ne fut
pas plus hellreux de ce coté des Alpes que de l'au-
tre coté. Aussi prit-il bientót le chemin de l'E,,-
pagne, ou les vaineus de toutes les insul'rections
européennes trouvaient du lnoins une révolution
triomphante.


Ferdinánd VII conservait encore le titre de Roi,
qnoiqu'on lui eut ravi non-seulement son autorité,
mais sa liberté, sous prétexte de garantir ceHe du
pays. tes exaltados, lllaltres de la situation politi-
que, pensaient e01nme nos anciens eonventionnels;
ils pouvaient done agir de lneme un jour ou l'autre.
On craignait que Ferdinand VII ne "'subit le sort




"- 327 -


de Louis XVI. Presque tous les Roís et les princi-
paux hOlulues d'État de rEurope se réunirent a


,


Vérone, pour juger les actes de la révolution d'Es-
pagne et lui appliquer, au besoin, le príncipe d'in-
tervention arInée- qui avait si bien servi contre la
révolution de Naples et contre ceHe du Piéluont.


I} Angleterre avait déclaré « qu'elle ne prendrait
»aucune part, quelque chose qu'il arrivat, a cette
»intervention qui lui paraissait répréltensióle et
» impraticaóle,» lorsque la France, jalouse d'assu-
rer sa prépondérance dans la Péninsule, an risque
d'exciter la colere de la Grande-Bretagne, posa
les trois questions suivantes: « Dans le cas oil elle
serait forcée de retirer ses lninistres d' Espagne, les
autres Puissances suivraient - elles son exemple?
Dans le cas oil elle serait entrainée dan s une
guerre contre l'Espagne, quelle attitude les Alliés
seraient-ils disposés a prendre? Dans le cas oil
elle réclaluerait l'assistance des Alliés, lui serait-
elle accordée? » La Russie, la Prusse et l' Autriche
répondirent d'une maniere nffirmative ; mais l' An-
gleterre, qui, an Congres de Laybach, s'était dé-
gagée de l'obligation de subsides promis par le
traité de Chaulnont en ~ 814, garda un silence
tres - significatif. Les quatre grandes Puissances




- 328-


continentales n'en SOlnmerent pas moins l'Espa-
gne de rendre la liberté au Roi, et « de chan-


. ger un GouveTt\.ement ~<)'-\t~u\~~ \\. ~~~ \1\~\l't~ ,
a la loyauté connue de ses ,habitants, a ses tra-
ditions tout-a-fait monarchiques, ») si elle vou-
lait COl1server des relations amicales avec les
États européens. eette ~om.mation impérieuse in-
spira aux Cortes une réponse tellement bostile que
les ambussadeurs de France, de R ussie, d' Autricbe
et de Prusse delnandérent sur-le-champ leurs pas-
seports (11. janvier 1822). Le lninistre anglais
resta seul a Madrid, sous prétexte de calmer l'irri-
tation, en réalité pour l'exploiter. Ainsi cOlnulen<;a
durant la paix, entre la Grande-Bretagne et le
Continent, un antagonislne qui dure encore et
qui forme la contre·partie du systéme, que cette
Nation suivit avec tant de pel'sévérance durant les
guerres de la Révolution frun'<;nise et de l'Em-
pire.


COlnme tout le Nord était dominé por la triple
alliance de la R ussie, de l' Autriche el de la Prusse;
COlnme tout ou presque tout le Midi allait subir
l'ascendant de la France, agissant lnaintenant de
concert avec l'Autriche, son ancienne riva]e, les
hOllllues d'État anglais cOlnprirent qn'ils n'exer-




- 329-


ceraient bientÓt plus qu'une influence extreme- .
lnent restreinte sur l' Europe continentale, s'ils ne
réagissaient contre les idées prétendues conserva-
trices ou les Monarchies übsolues, en raveur des
idées positivement révolutionnaires ou des Mo-
narchies constitutioonelles. Aussi l' Angleterre o'a-
t-elle cessé, depuis lor8, de, semer l'anarchie, d'une
maniere systématique, parmi les peuples du Con-
tinent, afin de lnaintenir son rang particulier dans
l' ordre généraI.


Quand I.ouis XVIII eut dit aux Chambres « que
cent luille Franc;ais étaient prets a marcher, en
invoquant le nOlll de saint Louis, pour con ser ver
le Trane d' Espagne au petit-fils de Henri IV, pour
préserver ce heau Royaume de sa ruine et le ré-
concilier avee l'Europe, » Canning, qui voulait
empeeher l'aceolnplissement de ce grand acte,
lnonta sur-Ie- chmnp a la tribune du Parlement
britannique, pour intimider la France, en évo-
quant le spectre des révolutions. Un député fran-
«ais, Manuel, ne crüignit pas de füire cause com-
lnune avee le ministre anglais : «Si vous croyez,
dit-il, qlle Ferdinand soit en péril, ne renouvelez
point les cir'constanees qui entrainerent a l'ée-ha4
fauu ceux qui vous inspirent un si vif intéret. C'est


~. ,


, ......


"




- 330-


paree que les étrangers intervinrent dans la Révo-
lution fran~aise, que Louis XVI fut précipité du
Trone. »Cette apostrophe, digne d'un convention ..
nel-régicide, indigna l' Assemblée lnonarchique;
et Manuel fut exclu de la Chmnbre par la Charo-
hre. Toute la lninorité du cóté gauche s'exclut
elle-meme, protestant ainsi contre la lnajorité,
pour donner aux sociétés secretes un prétexte
d'assaillir la société officielle. Mais le drapeau tri.:.
colore ne devait se déployer contre le drapeau
hlanc que sur les bords de la Bidassoa, ou un seul
coup de canon, tiré par le Duc d' Angoulélue, dis-
persa les tristes débris de toutes les révolutions eu-
ropéennes.


La calnpagne d'Espagne est une épreuve glo-
rieuse pour ce Prince et pour nos soldats. « Cette
expédition, dit M. de Salvandy, donne une aflnée
au Pouvoir royal et abat la Révolution devant lui ;


...


elle raffermit a la fois les trois Couronnes de la
Maison de Bourbon ; elle proluene le Drapeau fran-
~ais des Pyrénées a ce rocher de Cadix que Napo-
léon avait trouvé inaccessible a ses aigles ; elle fait
COlnpter la Monarchie fran<;aise en Europe pour le
double poids de son droit et de sa force, de ses
éléments de stabilité et de ses llloyens d'uscendant,




- 331 -


de ses souvenirs et de ses luaximes. Au point de
vue de la France, c'était de la poli tique grande-
ment con<;ue. C'est aussi de l'histoire grandement
faite. »


Apres avoir contenu les réactions du peuple
espagnol, par son ordonnance d' Andujar, le Duc
d' Angouleme espere qu"'il détertninera, par ses
conseils, le Hoi Ferdinand VII A régénérer I'auto-
rité royale, sans détruire les Jibertés nationales.
Mais toutes les nobles tentatíves d'un Prince con-
stitutionnel viennent échouer contre le mauvais
vouloir d'un Monarque absolu. « Le Roi d'Espagne,
écrit a M. de Villéle monseigneur le Duc d' Angou-
lelne, le Roi d'Espagne est faíble et faux. Il me
ferait cent promesses qu'iI ne les tiendrait pas le
jour que j'aurais tourné le dos ...•. Je travaille a
fonner une arlnée a l'Espagne ,. mais je crois la
chose impossible, paree que les élélnens lnan-
quent. Soyez certain qu'il n'y a rien de bona faire
ici; que ce pays-ci se déchirera bien des années
encore (3 aout 1823). J)


Si l'expédition est stérile pour l'Espagne, elle
est si féconde pour la France, que l' Angleterre
s'en alarme. Londres se voit doubletnent vaincue
a Cadix et a Lisbonne, ou l'esprit de la contre-ré




- 332-


volution a triOlnphé de l'esprit de la Révolution,
sans aucun secours étranger. Aussi, le Foreign-
Ol/ice, qui luena<;ait naguere le Cabinet des Tuile-
ries, lui prodigue-t-il ses flatteries, luaintenant qu'il
désire elnpecher l'application du principe d'inter-
vention aux colonies espagnoles, ou tant d'inté-
rets anglais se trouveraient comprOluis. D'ailleurs,
l' Angleterre .commence a c0111prendre que sa poli-
tique d'isolelnent finirait, un jour ou l'autre, par
lui faire perdre, sur le Continent, l'influence
qu'elle s'efforce de conserver per fas et nefas. De
sorte qu'elle cherehe une oceasion de rOlupre la
quadruple alliance, pour diviser les forees de l' Eu·
rope, tout en rachetaJlt ses propres faiblesses. Or,
eette occasion s'offrira bienlot d'elle-lueme; car la
révolte des petites Nations grecques, albanaises ou
slavonnes, contre les Pachas et les Beys qui les
opprimuient avee tant de cruauté, fait déja trelll-
bIer l'Orient; et, quoiqu'un principe religieux soit le
principal luobile de la lutte engagée depuis 1820,
elle détenninerr.l peut-etre des chocs terribles en-
tre tous les grands corps poli tiques de l'Occident.


On le sait : uu COlnmencement du siecle, tundis
que toutes les sociétés officielles s'inclinaient sous
le despotisnle de Napoléon, partout des sociétés se·




- 888-


cretes s'étaient levées pour conquérir la liberté de
l'Europe. Ce que les Peuples du Continent ont fait
alors contre un homme, les Hellenes le font lnain-
tenant eontre la Porte-OttOlnane, qui a du rester
en dehors du Congres de Vienne et de la Sainte-Al-
liance, dont le nom seul est hostile a I'Islalnisme.
En Greee, les associations secretes ont pris le noro
d' Hétéries duo mot Étaireia, signifiant société.
L' Empereur Alexandre protégeait les hétéristes,
paree qu'en préparant l'élnancipation de la Greee,
ils préparaient l'oppression de la Turquie par la
Russie, Pour hAter l'aceo111plissement de ce des-
sein, le Czar avait fait attribuer le protectorat ex-
clusif des 11es Ioniennes, situées le long des cótes
de l' A.lbanie el de la Grece, non pas a l' Autriehe,
qlli essayait d'étouffer tout germe d'indépendance,
mais a l' Angleterre, qui tenait boutique de Consti-
tutions et de libertés. En lllelne temps, Alexandre
s'éeriait : « Pauvres Grees! ils désirent toujours
une patrie, et ils l'auront certainell1ent. Je ne
nlourrai pas content, si je n'ai fait quelque ehose
pour lnes pauvres Grees. Je n'attends que le signal
du ciel! » COlnme Dieu ne donnuit pus ce signal,
l'Empereur de Russie le donna lui-menle, en mon-
trant a ees penples chrétiens le labarurn déchiré




- 334-


par le glaive des lnusuhnans, en retrouvant les
titres de la fraternité des Slaves et des Hellenes,
en Ieur rappelant ce qu'étaient les Grecs antiques,
afin de leur apprendre ce que les Grecs modernes
pouvaient devenir.


Quand l'insurrection eut éclaté, les Turcs com-
mirent tant de massacres, que les Russes durent
intervenir diploluatiquelIlent et nlenacer de pren-
dre par ti pour les insurgés. La Porte ne répondit
pas seulelnent qu'elle avait le droit de frapper des
sujets rebelles; mais elle demanda qu'on lui livrat
tous les hommes qui s'étaient réfugiés en Autriche
et en Russie; mais elle poussa l'audace jusqu'il
faire visiter tous les b&timents qui traversaient le
Bosphore ou les Dardanelles. Ainsi, la Turquie
semblait provoquer une guerre avec la Russie.
Alexandre, croyant avoir flui son propre apostolat
politique, allait prendre les armes et recommencer
l'apostolat religieux de la Maison de ROlnanow,
lorsque le prince de Metternich lui persuada que les
troubles du Péloponese portaient l'empreinte révo-
lutionnaire, et que ce n'était pas a lui de détruire,
par des. voies-de-fait qui deviendraient le principe
d'une division' ruine use pour tels ou tels États, la
Saillte-Alliance qu'il avait. cr(~(!e pOll1' le snlutde tOllS




- SS5-


les États. La question greeque, ajournéeparleCon-
gres de Vérone, fut néanlnoins remise a l'ordre du
jour ,apres la eampagne d' Espagne,parce que la Ré-
volution paraissait étre définitivelnent vaincue en
Europe. « N'est-il pas urgent, disait Alexandre , de
prendre un parti en faveur d'un peuple qui leve
l'étendard de la Croix eontre l'Islamisme! » Ce
n'était plus a ses yeux un probléme révolution-
naire; c'était un probléme purement moral. II
abandonna done les nouvelles idées de Metternich
et revint aux anciennes idées de Catherine. L' An-
gleterre se rapproeha aussitót de l' Autriehe pour
lui inspirer de la défianee; mais Alexandre dissipa
bien vite les üppréhensions de l' Europe, en sépa-
rant la question grecque de la question des Prin-
cipautés llloldo-valaques, et en soumettant : eelle-
ci aux délibérations du Cabinet de Londres et du
Cabinet de Vienne; eeHe-Ia aux délibérations de
tous les Cubinets.


Pendant que l'Europe allait subir eette double
épreuve, la Franee en subissait une autre égale-·
ment déeisive. l.ouis XVIII se trouvait a l'agonie;
et tout le lllonde eraignait que le parti révolution-
naire, a l'oecasion de la lllort du Roi, ne tentat un
de ees grands sOlll(~vements qui peuvent changer




- 836-


les conditions d'existence des sociétés. COlnme le
Gouvernelnent s'appuyait sur les roya listes purs,
l'opposition avait pris un caractere d'autant plus
formidable, qu'elle préparait les esprits a un pro-
chain renversement de la Dynastie, en écrivant,
soit l'histoire de la Révolution anglaise de i 688,
soit l'histoire de la Révolution francaise : l'une




considérée comIne la transition nécessaire de la
Monarchie du droit divin a la Monarchie du droit
humain ; l'autre comme la transition nécessuire de
la Royauté a la République. Les libéraux, que Na-
poléon avait foudroyés durant su vie, le divinisaient
depuis sa mort, quoiqu'il fut le type des despotes.
« Son nom, dit M. de Lanlartine, devint le contraste
que les enneluis de la Restaurution opposuient uux
norllS des ~rinces qui occupaient le Trone. I1s fi-
rent de l'un le synonyme de la jeunesse, de la
grandeur, de la gloire de la Nation; des autres le
symbole de la vétusté, de la décudence et de
l'asservissell1ent du pays a l'étranger. Injustice
odieuse! car la Maison de Bourbon n'avait apparu,
apres nos revers, que pour partuger et réparer nos
malheurs. o Les imluenses prospérités bourbo-
Diennes pouvaient seules effacer toutes les imlnen-
ses catastrophes napoléoniennes. Cel1es-ci furent




- 337-


dues au despotislne ; celles-IA furent dues A la li-
berté! Louis XVIII eut du luoins la joie supreme
d'en recueillir les fruits avant sa derniere heure.
« Je suis plus heureux que Henri IV, disait-il, puis-
que je lueurs dan s mon lit aux Tuileries. » Entre
tous les Chefs de la France, Rois ou Elupereurs,
qui se sont succédé depuis 1.789 jusqu'aux telupS
ou nous somiues, lui seul a fermé les yeux dans
nos palais. Et certes nul ne mérita mieux que
l'auteur de la Charte ce destin exceptionnel, puis-
qu'il ouvrit a notre patrie une ere nouvelle de
civilisation, en faisant de l'autorité sans défaire la
liberté, en pla<;ant la Tribune nationale vis-A-vis
du Trcme royal et en instituant une presse libre,
pour que le Tyran n'essayat pas de se substituer
au Monarque. Grace a lni, toute I'Europe a pu
croire, pendant bien longtemps, que l'oppres-
sion de la France était désornlais une chose im ..
possible!


Louis XVIII considérait la Charte COlume son
plus heau titre aux yeux de la génération contelU"
poraine et aux yeux de la postérité. A l'heure su-
preme, l'auguste vieillard se tit présenter le duc
de Bordeaux par su propre famille, et (lit au comte
d' Artois : que Charles X ménage la couronne de cet


IV. (3) 22




- 338-


enfant! Le peuple salua de ses acclamations l'avé-
nelnent du dernier frere de Louis XVI, paree qu'il
prolnettait de consolider, en sa qualité de So uve-
rain, la Charte qu'il avait pro mis de lnaintenir en
sa qualité de sujeto Tous les partis, lnenle ceux
qui étaient hostiles a la Maison de Bourbon, se
réconcilierent ffiOluentanélnent avec elle, ou
lnieux avec Charles X, assez populaire ce jour-Hl
pour reconquérir toute la Société. Sachant alIier la
politique de sentilnent a la politique de raison,
le Roí de France voyait dans l'élnancipation de
la Grece une occasion d' affranchir son propre
Royaume des traités de 1.815. Aussi aplanissait-il
les difficultés toujours pretes a s'élever entre la
France et l' Angleterre, qui pouvaient défendre
ensemble la cause hellénique par principe libéral,
a cóté de la Russie qui ne pouvait la défendre que
par principe religieux : base constante de son in-
fluence en Oriento


On le sait : Alexandre, parti pour la Crimée,
allait prendre une résolution digne du Souverain
auquel Dieu pertnettait, depuis douze ans, de
jouer le principal role, dans la paix COlnlne dans
la guerre, quand il mourut (décembre 1.825). Le
grand-duc Constantin ayant renoneé HU Trone,




- 339-


son successeur iLulnédi<lt fut le czaréwitch Nicolas.
Certains officiers de la garde, affiliés aux sociétés
secretes, dirent a leurs soldats que·Nicolas Icr usur-
pait la Couronne, et que, maintenant ses droits t
le Grand-Duc lnarchait sur Saint .. Pétersbourg avec
des forces imposantes. Un régiment fit acte de ré-
volte contre le Souverain, en croyant soutenir le
principe de la légitimité. CeUe insurrection écla-
tant contre lui, au nom d'un frere dont la renon-
ciation l'appelait a régner, conformément aux loÍs
de la Monarchie, fournit a l'Empereur l'occasion
de Inontrer toute l'énergie de son caraetere. Ayant
résolu d'affronter l'aveugle fureur des soldats mu-
tinés, le Czar court vers eux et leur dit avee une
présence d'esprit adnlirable : Retournez a vos rangs;
puis il ajoute d'une voix pleine d'autorité, en par·
courant le front du régünent : A genoux! tous les
soldats s'inclinent, mais tous les ofilciers con-
spirateurs restent debout. Il fallut reeourir a la
force. Quelques coups de canon suffirent néan-
moins pour rétablir l'ordre. L'Europe adtuira
l'attitude ferme du jeune Monarque, et la Russie
cOlnprit qu'elle avait un luaitre.


Les Russes considéraient la iuort d' Alexandre
COllllue un chatiment céleste, paree ql.l'il n'avait




- 3ltO -


pas assez faH pour assurer l'existence indépen-
dante des Hellenes. Reprenant les projets inces-
sants de Pierre-Ie-Grand et de Catherine-Ia-
Grande, Nicolas résolut d'en poursuivre l'accom-
plissement définitif, afin d'opérer la création d'un
nouvel Empire gree par la destruction du vieil
Elllpire turco L' Angleterre avait a redouter l'ave-
nir d'un peuple qui occ';lpe une aussi belle position
llHlritime et qui déployait en ce 1nOlllent la plus
grande habileté sur mer: aussi voulut-elle elll-
pecher qu'on ne eréAt un État assez considéra-
ble pour qu'il put rivaliser t6t ou tard avee elle, et
melne empecher qu'on ne détruisit la Turquie. En
conséquence, le Cabinet de Londres fit accepter au
Cabinet de Saint-Pétersbourg un traité d'alIiance
a l'effet de fonder l'émancipation grecqlle sur .Ies
bases arretées par l' Assemblée souveraine d'Hy-
dru (lJ. avril 1826). ta Frunce, amie désintéressée
de la Grece, ayunt accédé uu traité malgré I'An ...
triche el la Prusse, qui désiraient maintenir l'an ..
cienne Sainte-Alliance, paree qu'eIle favorisait le
développement de J'alltorité', iI en réslllta une
Sainte-Alliance nOllvelle, plus sylnpathique HUI
peuples, paree qu'elIe fnvorisait le développement
de la liberté.




- 341-
Quand les trois Puissances alliées solliciterent


l'adhésion de la 8ublitne-Porte au protocole relatif
it l'affrancbisslnent de la Grece, le Sultan, fort du
constant appui de l'Empereur d' Autriche, Ieur ré-
pondit avec hauteur, en déclarant que le droit des
gens n'admettait poiot de négociations entre 80u-
verain et sujets; que le peuple musulman s'était
toujours élevé contre l'intervention étrangere, et
qu'il ne descendrait jamais a n'étre plus que le Sei-
gneur suzerain des Grecs. La France, la Russie et
l' Angleterre stipulerent aussitót, dans le traité de
Londres,que, si la Porte n'aeceptait point IUlnédia-
tion proposée, elles interviendraient résolt1lnent
pour la con traindre a reeonnaftre l'indépendanee po-
litiquede la Grece (6 juillet 1827).lbrahinl-Paeha,
commandant la fIotte turque et la flotte égyptienne
dans la rade de Navarin, aecepta un arn1istice; lnais
il "'en poursuivitpas nl0ins ses hostilités; etquand
les amiraux des trois Puissances alliées le SOIU-
lnerent d'exécuter sa promesse, l'amiral ottoman
refusa lnelue d'ouvrir Ieur lettre. e'est alors que le
glorieux fait d'annes de Navarin eonsacra les prin-
cipes du traité de Londres (~8 oetobre \82.7). l.a
question d'Orient dOluinait déja. toutes les ques-
tions de l'Occident.




- 342-


Les ambassadeQrs de France, d' Angleterre et
de Russie avaient quitté Constantinople, commesi
le maintien de la paix n'était plus possible; et le
Sultan proclaluait lui-mélne la guerre sainte de
l'un a l'autre bout de ses États que l'Empereur Ni-
colas Ier se proposait d'envahir, apres s'étre assuré
le concours moral et la neutralité armée du Boi
Charles X. La France, qui cherchait a reconqué-
rir sa supréluatie poli tique , trouvait, dans son
alliance avec la Russie, l'occasion de lacérer les
humiliants traités de f815; car le conflit parti-
culier de deux peuples, sur les confins de l' Asie,
allait entrainer un reluaniement général de l'Eu-
rope. Quelques vaisseaux fran<;ais devaient se
lnontrer aux Dardanelles, pour protéger les armées
russes marchant sur Stamboul. Cette capitale de
l'Elnpire turc devait étre la capitale d'un Empire
grec; la R ussie et la Grece devaient former deux
États séparés; l'Empereur Nicolas devait régner a
Constantinople et l'un de ses fils a Saint-Péters-
bourg; la Pologne, déclarée indépendante, devait
acquérir la Gallicie et le duché de Posen; l' Autri-
che devait étre indeInnisée par la Bosnie et
la Servie; la Prusse, par le Royaume de Saxe,
dont le Roi porterait la Couronne de Pologne; le




- 3lt3 -


Danemark devait s'agrandir du cóté de l' Allema-
gne; la France devait rentrer en possession de ses
anciennes provinces rhénanes et de la Belgique; le
Roi des Pays-Bas devait trouver une indelDnité
dans le nord de l' Allemagne ; enfin, une armée de
cent cinquante mille Russes et Prussiens devait as-
surer la prise de possession, par la France, de la
rive gauche du Rhin. « C'était beau, n'est-ce pas?
s'écrie M. Capefigue. Nous serions sortis des traités -~ ..


. .T .....


de 1815 sans violence, sans guerre, sans agitation, /,;-;
par suite d'une prépondéranee naturelle, de la
force de notre Nation, de la IDoralité de notre Gou-
vernement; tant il est vrai que les plus grands
avantages résultent des bonnes situations pri-
ses (1). • I} équilihre continental, établi sur ces
bases, faisait espérer un prochain rétablissement
de I'équilibre maritime; car l'Angleterre, quipou-
vait encore défendre sa supériorité contre les lTIa-
rines fran<;aise et russe, aurait été bientót forcée
de reconnaitre sa propre infériorité devant ]'al-
liance des floUes fran<;aise, greeque et russe.


Tout coneourait au sucees de cette entreprise
gigantesque. Les négociations entre Paris et Saint-
Pétersbourg restaient secretes, quoi que nt d'ail-


(1) Ilist. authent. et secrete des Trait. de 1815, p. 222 -23.




- 344-


leurs le Cabinet anglais pour les découvrir; et la
R ussie franchissait les Balkans, tandis que la
France occupait l'ile de la Morée, afin de se créer
un protectorat poli tique dans la Méditerranée, en
regard des iles loniennes et du protectorat poli-
tique de l' Angleterre, sans cacher son dessein de
tenter une expédition bien plus considérable con-
tre la Régence d' Alger, afin de se créer une grande
colonie en Afrique. Mais le Cabinet de J .. ondres
ayant découvert, a prix d'or, les négociations
ouvertes entre le Cabinet de Paris et celui de Saínt-
Pétersbourg, Charles X fut obligé de les fenner
par prudence, tout en se prolnettant de delnander
a l'avenir ce que le présent ne pouvait plus lui ac-
corder. C'est dans ce but que le Roi de France
continua de préter a l'Empereur de Russie un ap-
pui énergique et loyal, qui lui donna les moyens
de braver le luécontentement de l' Autriche et 'la
jalousie de l'Angleterre. Bien que les intérets de
ces deu! États soient contradictoires : ceux de l' An-
gleterre étant sans cesse lllobiles et ceu! de l' Au-
triche étnnt toujours stables, ils s'unirent néan-
nl0ins pour produire en France un lnouvement
révolutionnaire, apres avoir soulevé l'Opposition
contre le Gouverneluent : l'une en divisant Ja Dy-




- 345-


nastie, atin de mieux diviser la société; l'autre,
en prétendant élever le duc de Reichstadt afin
d'humilier les princes de la Maison de Bourbon.


Aussitót les factions intérieures se réorgauise-
rent sous cette double influence extérieure. Le
grano acte de justice, qui accordait flUX émigrés
une indelunité soldée par I'État spoliateur a l'indi-
vidu spolié, fut présenté COlUlue un acte d'ini-
quité; les lois' relatives au rétablissement des ma-
jorats et du droit d'ainesse, qui découlaient de la
Charte elle-meme: base de la Monarchie con-
stitutionnelle par pairs et par députés, et eonsa-
erant une transaction entre le principe héréditaire
et le principe électif, le droit politique et le droit
civil, la classe aristocratique et la société semi-
égalitaire, l'autorité et la liberté, furent déclarées
incompatibles avec la Charte. Il s'en suivit un an-
tagonisme formidable entre la noblesse et la bour-
geoisie, entre les nouveaux propriétaires créés par
la Révolution et les aneiens propriétaires indem-
nisés par la RestauratioD. Ceux-ci étant rangés
parlni Jes défenseurs du Tróne, ceux-lil devinrebt
ses agresseurs. Le vieux projet d'usurpation en-
foui dans les archives révolutionnaires de 1792, de
179lJ. el de 1815, reparut sous une forme nou-




- 346-


velle. En invitant le chef de la Maison d'Orléans a
écltanger son blason ducal contre la couronne civi-
que, on s'écriait:« Courage, Prince! il reste
dons notre Monarchie un beau poste a prendre, le
poste que Lafayette occuperait dans une Répu-
blique : celui de prelnier citoyen de la France. »
Et ron substituait ainsi peu a peu les idées anglai-
ses de 1688 aux idées fran~aises, pour remplacer
un Roi qui considérait la Charte conlme sa propre
concession, par un autre Roi qui devrait considé-
rer le Trone et la Charte COlnme une concession
du Peuple ou de la Chambre élective.


Plus le Pouvoir de Charles X était glorieux et
respecté au dehors, plus il était outragé au de-
dans, parce que ce les factions en voulaient le
déplacement : les unes dan s l'intéret d'une Mai-
son dont elles servaient depuis longtemps raIn-
bition; les autres avec l'intention d'imposer
une loi nouvelle a un nouveau Pouvoir (1).»
La calomnie, arme terrible, fut dirigée contre
tous les actes et tous les principes de la Restaura-
tiOD. Vainement la diplomatie fran<;aise avait-elle
arre té les Russes aux portes de Constantinople;


(1) M. le eomle de Ficquelmont, Lord Palmel'ston, l'Angleterre
et le Continente Tom. ler, pago 276.




- 347-


empeché la destruction totale de la Turquie, avee
le double eoneours de la diplOlnatie anglaise et
autrichieone, par le traité d' Andrinople (1h. sep-
te1l1hre 1.829); contribué puissamment a la créa-
tiOD de la Monarehie grecque; enfio, garanti par-
tout la dignité souveraine et la grandeur da pays;
on insultait le Roi de France, on l'aecusait d'avoir
livré l'honneur de sa Couronne aux Alliés, et 1'00
insultait la France eIle-llléme en disant qu'elle sub ..
issait un Gouvernelnent imposé par les baion-
nettes étrangeres, sans penser qu'on l'entrainait
dans une voie OU elle serait contrainte de subir
plus tard un Gouvernelnent imposé par des ba-
ionnettes nationales. Ces manreuvres eoupables
préparaient le triomphe d'une vaste conspiration,
dont Charles X tenait daos sa main tOllS les fils et
qu'il aurait du briser par un coup hardi, pour
elnpécher la destruetion de la Monarchie, en opé-
rant son propre salute Malheureusement, il dé-
daigna de se défendre, a ce point qu'on put l'at ...
taquer, en quelque sorte, avee itnpunité.


• Les hostilités écIaterent, a la tribune ainsi que
\\a'tl"~ ~u "¡>"i'C'b'b'C, ~~\":<c ~~ ~~~~~-,:~"'Q..~{<[ ~Q,.~{(!'Qt4.Q­
taire et la Souveraineté royale, entre le Pouvoir
constituant et le Pouvoir eonstitué, au moment




- 348-


ou de nouvelles difficultés venaient de surgir en-
tre Paris et Londres relativement a l'expédition
d' Alger. 1.' Angleterre ayant désiré savoir ce quel
était le but définitif d'un si fort armenlent, » (J la
» France, ne prenant conseil que de son intéret et
» de sa dignité, répondit qu'elle n'avait de cOlnpte
»a rendre a personne (1). J) Cette réponse, pleine
de patriotislne, luet en fureur le Foreign-Office,
dont la vengeance ne se fit pas longtemps atten-
dre. Puisque l' Angleterre ne pouvait plus s'enten-
dre avec le GouverneIl1ent des Bourhons, elle vou-
lut s'entendre avec l'opposition anti·dynastique,
lui inspirer une audace implncable COIDlne sa
propre colere et lui donner mell1e, au besoin, les
llloyens d'accomplir une révolution qui serait
avantagéuse pour elle-nleme, par cela seul qu'elle
serait désastreuse pour la France. Car, perdant


. alors toutes ses conquetes morales et toutes ses
conquetes matérielles, 111ise an ban de l'Europe
véritablell1ent lDonarchique et emprisonnée en
quelque sorte daos les traités de 1.815, elle se
trouverait contrainte d'adopter l'alliance anglai-
se, afin de conserver ce qui lui resterait encore
d'indépendance nationale. Chose bien triste, mais


(1) Réponse du prince de Polignac a sir Charles stuart de Hothsay.




- 349-


digne de remarque! la Révolution de 1688 se fit
en Angleterre contre la France, et la Révolution
de 1.830 se fit en France pour l' Angleterre. Si le
parti libéral franc;ais, conspirant la perte de la
Restauration, n'approuva pas la glorieuse conquéte
d' Alger, qui ajoutait un Royaulue a notre Monar~
chie, c'est qu'e\le avait encouru la désapprobation
des AngIais; c'est que lui-meme ne pouvait réus-
sir, dans ses projets subversifs, sans qu'il subor-
donnat le hut de la France au hut de ]' Angleterre.,


Tant qu'il se crut seuI en cause, Charles X
n'essaya pas de réagir; luais il voulut réagir, des
que toute la société fut en péril. Les fameuses Or-
donnances lui parurent nécessaires, Dloins pour
sauver sa propre Couronne que pour sauver l'hon-
neur du pays. « Son coup d'État, dit M. de Salvan.
dy, était défensif, et non pas offensif. »Le conflit
s'engagea sur-Ie-cbamp entre un Gouvernement
occulte qui avalt tout préparé pour l'attaque, et un
Gouvernement public qui n'avait rien préparé pour
la résistance. Pendant que les sociétés secretes te-
naient en échec toute la société officielle, on vint
supplier le vieux Monarque d'abdiquer en faveur
du jeune duc de Bordeaux, quoiqu'on se promit
bien de le pousser hors de France avec son petit-'




- 350-


tUs, corome jadis on avait poussé Jacques JI et son
fils hors de l' Angleterre. Et Charles X, qui disait
quelques jours avant ces fatales journées: « Si je
"n'avais que cette alternative, j'aimerais encore
»lnieux etre un Roi exilé qu'un Roi avili, l) des-
cendit du Trone pour ne pas sacrifier- les éter-
neIs intérets des· sociétés aux intéréts transitoires
des partis, et les glorieuses destinées du peuple
continental, si l'on peut s'expritner ainsi, aux fins
suspectes du peuple insulaire!


Ce drame révolutionnaire mit l' Europe en deuil ;
mais les hommes qui n'avaient pas craint de jouer
un role déplorable dans ce qu'ils appela¡ent la co-
médie de quz"nze ans~ essayérent, par le récit de leurs
tristes complots, d'égayer notre pauvre :France,
afin qu'elle De s'aper«ut point, sans doute, qu'ils
venaient de la précipiter dans cette voie fatale ou
l'on passe des épreuves les plus cruelles aux plus
terribles expiations. Les Bourbons ne furent frap-
pés, comme les Stnarts, que dans leur branche
principale; et le duc d'Orléans, un lien d'étre UD
lnédiateur entre les partis armés, au líeu de se dé-
vouer pour le compte de la Société lnonarchique,
en prenant le titre de Régent qu'il aurait conservé
durant toute la luinorité du Roi de Frunce, Hen-




- 351 -


ri V,se laissadonner, par quelques Députés n'ayan\ .
pas luelue un caractere légal,Je titre de Louis-Phi-
lippe let, Roí des Franfais" qu'il ne devait point
conserver durant toute sa vie. Car, avant d'obte-
nir ce titre, obligé de preter serment a la Charte
luodifiée, dans la Chambre élective, de telle sorte
qu'elle exprimait désormais la négation du droit
divin ou de la Souveraineté du Roi et J'atfir~ation
du droit humain ou de la Souveraineté du peuple,
il \ui était impossible de rien fonder sousle rapport
monarchique, puisqu'il ne pouvait faire acte de
Royauté que sur le principe lnelne de la Républi-
que.


L'avénement de Louis-Philippe fut notifié au
peuple de France et él tous les Monarques de l'Eu-
rope, pour qll'ils reconnussent : d'une part, que
la possession du Pouvoir supreme n'était pas con-
traire aux lois lnorales; d'autre part, que l'origine
et la constitution de cePouvoir n'étaient la consé-
quence d'aucun acte d'immoralité. La France
avoua tacitement que le Gouverneluent de J uillet
se trouvait conforme aux lois morales ou divines,
quoiqu'il exprinlat l'exclusion du droit divin; mais
les Souverains, fOfi1lant ensemble le corps politi-
que de l'Enrope, n'oserent pas avouer authentt"que-




- 252 ~


ment que les événements de Paris étaient confor ..
mes a la pure moralité. Néanllloins, COIll!ne une
guerre avec la France pouvait compromettre la
destinée des divers États, surtout en ce llloment ou
le parti révolutionnaire paraissait d'autant plus
puissant et résolu que le parti véritablement con-
servateur paraissait irrésolu et impuissant, les
Rois se virent contraints de reconnaitre la meil-
lcure des Républiques, et de sanctionner ainsi le
renversement des principes qui servaiellt de base
a leurs propres Monarchies.


Louis-Philippe, Souverain de fait, reconnu par
tous les SouveraillS de droit, allait done exprimer
en Europe la défaite morale de la Royauté.




CHAPITRE XXXIV.


DÉFAITE POSITIVE DE LA. MONARCHIE.


Sommaire.


La Révolution de Juillet elevant l'Europe. - Louis-Philippe est re-
connu par l'Angleterre aree autant de facilité que s'il était l'héri-
tier légitime du Trone de France. - Mission de Talleyl'anel a Lon-


dres. - Déclal'ations hostiles de l'Emperem de nussie.- Coali-
tion des nois du Norc1. - L' ¡\ ngleterre et la Russie trouvent un
prétexte de s'immiscer dans toules les affaires de rEmope : l'une
en réprimant les révolutions, l'autre en les fomentant. ~ Politi-
que générale de Louis-Philippe. - La Révolution de Paris engen-
dre celle de Bruxelles. - La France veut faire prévaloir en Eu-
rope le principe diploma tique de non-intervention. - Protesta-
lion dl! pl'inee de Metternieh. - Le Roi des Pays-Bas demande
aux Emperellrs d'.\.lltl'iche eL de Hussie, aux Rois d'Angleterre et
de Prusse, un appui contre ses sujets révoltés. - L'Angleterre sa-
crifie la Maison de Nassau qu'cllc protégeait depuis plusieurs sU~­
eles. - Conférences de Londres. - Séparation de la Belgique el
de la l1011ande. - Le par ti modéré s'efface provisoirement en
France devant le parti exalté. - Provocations a la révolte univer-
selle. - Révolution de pologne. - Soulevements partiels de r AI-
lemagne et de l'Ilalie. - Le Prince de Metternich préfere un
ehamp de halaille a une révolutiOl~. - Interv.ention de rA~ltri:.he
en Halie. - L' Ang\eterre reconnalt, en c.ertams cas, le drOlt el m-
\ervenHon. - Suppl'ession UU l\oyaume de "po\ogne. - La \\évo\u-
!ion favorise plutót I'ambition eles Rois que celle des Peuples. -
La polilique des príncipes est suhordonnée 11. celle des intét'ets. -
Situation des partis en France. - Expédition d'Anvers et d'An-
cone. - Don rédro el don Miguel. - Ferdinand VI [ détruit la
]oi saliqlle en Espagne. - Isauelle et don Carlos. - L' .\nglctcrre
<¡:,~ \\~~\(\l~ ll~\W \ ... 'd\::'~\\~ ~\ {:~Yu\~~ i:\ou c.n:\:\'{)'i'>, \~~;Ú\\Icó:- \é-'b\\.\IT\1có uu
Trone d'Espagne,espérant ainsi le faire p.erdre 11. la,~al,son d~ BOU~­
bono _ Guerre civile ~n F.spagne. - AttItude de 1 Em ope \lS-a-V1S


(3\ 2.'~




- 354-
de la Franee. - Louis-Napoléon Bonaparte a strasbourg. - Dissolu-
tion de l'allianee des CoursduNord.-Mariage duducd'Orléans.-
Ministere de M. Thiers. - Question d'Orient. - M. Thiers veut pro-
voquer une ruptme entre l'Autriche et la Russie.-Déclaration du
prince de Metternich. -Louis-~apoléon Bonaparte a Boulogne. -
La France exclue des conseils de l'Europe.- M. Thiers veut faire
une guerre de propagande unÍverselle.- Chute de M. Thiers. - Mi-
nistere de M. Guizot. ~La France rentre dans le concert des Ca-
binets. - Le nouveau parti conservatetlt et les anciens partis anti-
dynastiques.-M. Guizot et M. Thiers.-M. Guizot, champion des
idées constitutionnelles en Europe. - La Greee quitte les rangs
des Monarchies absolues, pour entrer dans les rangs des Monar-
chies constitutionnelles. - Coletti et l\laurocordato. - Le Gou-
vernement et l'opposition en Autriche. - La vieille Europe aux
prises avec La jeune Europe. - Espérances de l' Italie. - 1\1. Gui-
zot et le prince de l\1eUernich. - Avénement de Pie IX. -
Popularité universelle du Souverain-Pontife. - Charles-Albert
est considéré comme l'épée de l'nalie. - 1\1. de Metternich ré-
clame l'appui des grandes Puissances, pour étouffer l'esprit révo-
lutionnaire de eette Péninsule. - M. Guizot et lord PaImerston.
- Le premier veut obtenir des réformes pour les peuples, le se-
cond suscite contre eux des révolutions. - Mariages espagnoIs.
- M. Guizot assure le Tróne d'Espagne a la Maison de Bourbon.
- C'est une victoire que la France remporte sur l'Angleterre. -
Lord Palmerston médite une vengeance de l'Angleterre contre la
Fi'ance.- Lord Normanby et I'Opposition iJ. Paris.-Campagne des
banquets.-Triomphe de M. Guizot en Italie.-Session de 18[18.-
Discours de la Couronne.- Révolution de Février.-Abolition de la
Royauté et fondation de la République fran¡;aise. - Tous les peu-
pIes, qui, la veille, se déelaraient pour la Monarchie constitution-
nelle ou représentative, semblent, le lende~ain, vouloir se dé-
cIarer pour la République.


Avant la Révolution de J uillet, les Monarchies,
soit absolues, soit constitutionnelles, quelle que
fÍlt d'ailleurs la différence de leurs fornles politi-
ques., reposaient tOlltes sur le meme principc :
celui de la légitimité des Rois, exprimant dans




- 355-


chaque État la double origine de la Souveraineté,
numaine et divine tout ensemble, ou mieu1. foudée
sur la gráce de Dieu et sur la loi de l'hérédité, et
garantissant ainsi l'inviolabilité de la succession
au Tróne, pour montrer que les droits des
Maisons royales sont moralement indestruc-
tibIes. Mais, apres la Révolution de J uillet, et
par le seul fait de cette Révolution, qui procla-
mait la déchéance de la Branche ainée des Bour-


. s'~


h 1 , d 1 h d /'",~."" G • .."",_ ons et 'avenement e eur Branc e ca ette, la />;.'~'- '(
France établissait un droit particulier enti(~re-
ment contraire au droit public de l'Europe; car
elle prétendait fonder je ne sais quelle Monarchie,
en donnant a la Souveraineté une origine pure-
ment humaine, c'est-a~dire en excluant l'influence
divine dans l'existence de laSouveraineté, par une
flagrante violation de la loi relative a la succes-
sion au Tróne, pour luontrer que les droits' des
Maisons royales sont positiveluent dest.ructibles.


Ainsi, le grand conflit de la France révolutiol1-
naire et de I'Europe conservatrice recommen~ait
d'une luaniere d'autant plus formidable, que les
Rois niaienl le droit humain sous prétexte de lnieux
affinner le droit divin, au risque de s'attirer la co-
Jere de tous les peuples; et que la Nation fran<;aise,




- 356-


ou Inieux ceux qui s'autorisaient de son nom magi-
que, niaient le droit divin sous prétexte de mieux
affirmer le droit hUlnain, en réalité pour s'attirer
la sympathie de tous les peuples, au risque de s'at-
tirer la colere de tous les Rois. Leur coalition était
déterminée par avance, il esl vrai, puisque le trai-
té de Chaumont cimentait encore une alliance in-
dissoluble entre la Russie, l' Autriche et la Prusse,
qui devaient chacune fournir un contingentde cent
cinquante nlilIe hOll1lneS contre la France. Mais
l' Angleterre, partie contractante, s'étant dégagée
a Troppau des spéculations de subsides qu'elle
avait promis, en 181ft, poursuivant d'ailleurs un but
séparé, tandis que les autres États ne poursuivaient
plus qu'un hul comUlun. avait salud, courrz'er par
courrt'er, la pensée de 1688, et reconnu, cornllle Roí
des Franfais, Louis-Philippe ¡er, avec la meme
facilité de principe et de· forme que s'H eut été
l'héritier légititne du Tróne, quoique tous les an-
dens Souverains de droit ne pussent voir qu'un
Usurpateur dans ce nouveau Souverain de fait.


L'bistorien diploluatique du dernier regne ob-
serve done a vec raison, que I u Royau té de 1. 830 n' eut
pus a choisir, eles ses prelniers débuts, entre plu ...




- 357-


sieurs sysU~nles de po\itique étrangere C' ). En etIet,
repoussée par les grandes Monarchies continenta-
les, elle ne pouvait .sillllier qu'avec la grande Nation
insulaire. «M. de Talleyrand, dit un ex-ministre
ti' Autriche, eut la singuliere destinée, apres avoir
fait épQuser la légitimité au Congres de Vienne, en
faveurde la Restauration, de marier a Londres, l'u-
surpation de '1830 a l' Angleterre. De luelne qu'un
pere se montre facHe sur les conditions du lnariage
d'une liBe 111al famée, M. de Talleyrand le fut éga ..
lement sur celles de la nouvelle union de la France
ave e l' Angleterre ..• c'était, de la partde la France,
une alliance a tout prix; il s'agissait alors pour
elle de rompre cette coalítion signée a Chaumont
pour vingt ans. Ce terIlle n'éLait pas encore écou-
lé; le telups ne l'avait pas encore dénoncée natu-
rellement: la rupture en fut violente; elle ne fut
pas ostensíblement celle des intérets, mais celle des
principes. L' Angleterre sortit alors des rangs paci-
fiques et conservateurs des Puissances, pour en-
trer dans ceuxde la Révolution. La voyant renaitre,
peut-etre encore plus ardente, fatiguée qu'elle avait


(1) M. O. d'Haussonville, Histoire de la poUtique e.1Jtérieure
du GOllvernement fran~ais, 1830-1848. 2 vol. Nous ferons des
emprunts nombreux a cet excellent ouvrage.




- 358-


été de la combattre, l' Angleterre, dans cette occa-
sion, la saisit au corps pour la serrer dans ses bras,
poor la conduire comIne elle ~ voudrait , pour en-
fin s"en servir comme d'une servan te a ses ordres,
qu'elle saurait employer partout ou elle le trouve-
rait -convenable A ses intérets. Le sacrifice des
principes fut fait au spectre de la guerre générale
dont }' Angleterre avait fait apparaitre rimage par
son alliance avec la France, et ce spectre, le mi-
nistre anglais (lord Palmerston) le montrait aussi
bien a l' Állg1eterre elle-méme cOlnIne justifica-
\ion, qu'au Contioont COlnme lnenace. C'était un
moye'n coercitif pour alnener les consciences a ca-
pitulation (1). J)


Le premier soin de la France avait été de placer
son nouveau principe de Gouvernement sous la
protection de deux millions de baionnettes. Elle
pouvait opposer, en effet, cinq cent lnille hOlnmes
de troupes réguliéres et quinze cent luille hOIDmes
de gardes-nationales aux Rois de l' Europe, s'ils eus-
sent porté atteinte a ses droits de Nation indépen-
dante, sous prétexte qu'il était de leur devoir d'é-


(1) M. le comte de Ficquelmont (Vid. supo Tom. If, pago 57-
6Q), que nous citons ici, pour montrer queUes étaient alors les di s-
positions de l'Europe envers la France.




- 359-


touffer les selnences de liberté révolutionnaire'
qu'elle jetait parmi les peuples. Au reste, les ar-
melllen (s deveu«ieat [1(7,(oat fornzidables. Deu.:r
camps se formaient. Le Nord et le Midi allaient'se
trouver enprésence, et les déclarations altieres de
l'Empereur Nicolas n'étaient pas de pature adissipei.'
la crainte d'un conflit. CI Eh bien, disait-il A M. Paul
de Bourgoing, premier secrétaire d'al11bassade de
France, qui remplissait A Saint-Pétersbourg les
fonctions de chargé d'affaires, eh bien 1 avez-vous
ret;u des nouvelles de votre Gouvernement, eest--:
A-dire de M. le Lieutenant .. Général? car vous savez
que je ne reconnais aucun ordre de eh oses que
celui-lA et que je le considere comme seul légal,
parce que seul il découle de l'autorité royale légi-
tilne ... Oui, telle est l11a fac;on de penser : le prin-
cipe de la légititnité, voilA ce qui me guidera en
toute circonstance; je ne m'en départirai jamais ...
jamais je ne pourrai approuver ce -qui vient de se
passer en Frunce. JI - « Mais, répondit M. de Bour-
going, Sa Mujesté Impériale veut donc mettre le
feu a l'Europe? Je sais qu'elle ne songe pas a pren-
dre les armes pour aller attaquer la France. Pen-
se-t-elle done qu'une Nation fiere comme la notre,
aussi remplie du sentÍlnent de sa dignité, se laisse




- 360-


r.a donner une lnarque quelconque d'improbation?
- Jatnais, reprit l'Empereur, je ne me départirai
de mes principes. 00 ne transige pas avec son
honneur. Je ne sais ce que nous terons; luais cer-
tainelnent je dirai mon opinion aux autres Souve-
rains de l'Europe ... Nous ne ferons point la guerre,
acceptez-en la certitude; luais si nous reconnais-
sons jatnais ce qui existe chez vous, ce ne sera,
soyez-en certain, qu'apres nous etre concertés ...
Je ferai ce que je pourrai ; le teulps, l'avis des au-
tres Cours, la touroure que les choses prendront
en France, voila ce qui pourra Ole déterluiner;
11lais, je vous le répete, jamais je ne transigerai
avec lnon honneur (1). » A dater de ce jouIo, la
Russie et l' Angleterre trouverent un prétexte éga-
lel11ent plausible de s'inuuiscer daBs toutes les af-
faires de l'Europe, et de développer ainsi leur poli-
tique particuliere au détrilnent de la poHtique gé-
nérale : celle-ci en fOlnentant les révolutions, celle-
la en les répriluant.


touis-Philippe, dont l'existence lllonarchique
pouvait etre cOlllpromise au lnenle degré, en
France et en Europe, soit par le partí du lnouve-
l11ent, soit par le parti de la résislance, essaya de


(1) Dépeches deM. de Bourgoing, 1.2 et 2ú aoÍlt 1830.




- 361. -'


les neutraliser l'un et l'nutre. Puisqu'il s'agissait
de résoudre, sous le rapport tempore], }'éternelle
question de Ja paix et de In guerre, de l'ordre et


du désordre, le Souverain de [ait cornprit que,
dans ses leUres autographes adressées aux So uve ..
rains de droit (1lJ. aout 1.830), il devait présenter
son avéneluent, non comIne une usurpation de fa-
lnille coul'onnée par le succes , lnais COlnlne une
conséquence fatale des événements; el proclmner
bien haut qu'il ne cédait qu'a la nécessité pour
süuver, sinon la Monarchie, du moins la Royauté,
pour éviter la République , pour opposer, enfio,
une digue infranchissable au torrent révolution-
naire. Ainsi, tout en sauvegardant la noble fierté
du pays, qu'on ne vit ,jamais reculer devant une
solution luilitaire des divers problemes qu'elle
pose daos le lnonde, Louis-Philippe invoquait une
solution pacifique, en promettan t de respecter les
traités existants, de faire oublier son origine fa-
tale par une fin providentiel1e, et d'étre un mé-
diateur sincere entre la délnocratie républicaine de
la France et l'aristocratie nlonarchique de l'Europe.
Alors parut ceHe brillante « école de diplomatie,
qui, sans rechercher aupres des diverses Cours
une sympathie impossible a obtcllir et dangereuse




- 362-


a rechercher, mais espérant une impartialité favo ..
rabIe, s'itnposait le devoir de prouver a l'Europe
que la France avait pu faire une Révolution saos
étre une perpétuelle men:lce pour les autres États,
et s'appliquait a démontrer que la clef de la paix
européenne es!" a Paris (1).») II en résulta que
Louis-Philippe tit accepter la Révolution de J uil-
let au dehors, alors meme qu'elle s'étendait en
Belgique, en Pologne, en Italie et en Allelnagne,
et qu'elle compromettait ses propres destinées au
dedans. Presque tous les Cabinets reprirent avec
celui des Tuileries leurs rapports habituels de lé-
gations; en sorte que l'alliance de la Russie, de la
Prusse et de l' Autriche, au lieu d'étre luilitante et
offensive, devint toute expectante et pureluent dé-
fensive.


Les deux partis qui s'étaient fait opposition l'un
a l'autre, durant les Cent-Jours: l'un pour rap-
peler la Maison de Bourbon, l'autre pour l'exclure,
se tirent l'un et l'autre gouvernmuent apres la Ré-
volution de Juillet. Celui qui avait appelé a:u Treme
Louis-Philippe, quoiqu'it ful Bourbon, dirigea les af-
faires intérieures; celui qui l'avait appeté au Treme,


t \.) M. \e comte de G arden, JI ist. géne/'. des Traites de Paix.
Tom. 1, IntrQd., pago LXXIV.




- 363-


paree qu'it était Bourbon, dirigea les affaires exté-
rieures. Il pouvait choisir entre deux principes
divisant l'Europe depuis le Congres de Troppau :
le principe d'intervention constalnment professé
par les Puissances coalisées, et le principe de non-
iatervention accidentelleluent professé par l'J.'iu-
gleterre. Or les Peuples tournaient leurs regards
vers la France, ayant résolu de se livrer eux-
melnesa tels ou tels actes, suivant I'opinion qu'elle
adopterait. Déja la Révolution de Paris avait en-
gendré ceHe de Bruxelles (26 aout 1.830), et
d'autres voies-de-fait particulieres faisaient craio-
dre a. tout le rnonde une dissolution générale des
États, lorsque M. le comte Molé, lníoistre des re-
lations étrangéres, proclama le principe de oon-
intervention. Les Rois et les Peuples s'en émurent
égalemeot, luaís eo seos diverso M. le prince de
Metternich protesta contre « la prétention étrange
du Gouvernelnent fran<;ais d'introduire, pour sa
convenance, un nouveau Droit des gens dont 00
n'avait jusque-lil jamais entendu parler, et qui
était purenlent et simplement le renversement de
toutes les regles qui avaient jusqu'alors présidé a
la politique des États européens. j}


eette protestation était d'autant l'lus grave, que le




- 364-


Roi Guillaulne,dont les troupes hollandaises u vaient
été obligées d'évacuer le territoire beige, s'adressait
a l' Autriche, a l' Angleterre, a la Prusse et a la.
Russie, non en leur qualité d'arhitres qu'elles ne
réclaluaient pas encore, mais « en leur qualité de
» signataires des traités de Paris et de Vienlle,
» qui avaient constitué le Royaullle des Pays-B&s, "
pour placer tous les droits de sa Couronne sons
la protection de leur COlUlnune garantie, et pour
leur denlander appui contre ses sujets révoItés.
En üttendant une détennination collective, le Roí
de Prusse, beau-frere du roi de Hollande, prit
une détermination individuelle et tit appuyer par
ses armées une tentative de Guillaume contre
Bruxelles. Aussitót M. Molé voulut luontrer a
l' Europe qu'il soutiendrait énergiquement, par des
actes de guerre, un principe sérieusetuent pro-
clamé dans l'intéret de la paix. Etnon-seuleluent la
Prusse éloigna ses troupes de la Hollande, mais,
COlUlne l' Angleterre consentait a détruire un
Royaume qu'elle avait créé, COlnlne elle sacrifiait
en un jour la Maison de Nassau qu'elle avait pro-
tégée pendant trois siecles, toutes les Puissances,
apres avoir conSOlumé la réunion de la BeJgique
catholique et de la Hollande protestante, uu Con- .




- 365-


gres de Vienne, s'entendirent, aux Conférences de
Londres, pour consonlmer leur séparation.


Quoique ce fut un trionlphe remporté par la
France révolutionnaire sur l' Europe conservatrice,
le par ti modéré, qui l'avait obtenu en si peu
de tetnps et malgré tant d'obstacles, dut céder
le Pouvoir au parti exalté. Le nouveau mi-
nistere prit l'engagement solennel de fonder a
l'intérieur un Tróne entouré d'institutions répu-
blicaines; de soutenir en tous lieux, a l'extérieur,
la liberté des peuples, et de venger la France des
honteux traités de 1.8'15 itnposés par la col ere des
Rois (1.3 novelubre 1830). Ce programme renfer-
luait une déclaration de guerre générale et une
provocation a la révolte universelle, COllune si I'on
eut voulu substituer, dans tous les États, le principe
exclusif de la Souveraineté populaire au prin-
cipe exclusif de la Souveraineté royale. Ainsi le
Gouvernement prenait lui-meLne le drapeau de
l'opposition, qui déjit conspirait le renversemen t
de la Royauté nouvelle, pour rétablir l'ancienne
République, en sonnant le tocsin des Peuples
contre les Rois. On sait a 'quoi ces déclamations
révolutionnaires aboutirent: la Pologne, con ..
fiaote daos les prOluesses de la France, opéra Sil


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- 366-


malheureuse illsurrection contre la Russie, en
ce moment formidable ou les arnlées russes al-
laient se réunir El celles de l' Autriche et de la
Prllsse, pour accepter, au nom de la Coalition, le
défi de guerre jeté par un ministre fran~ais ; l' AI-
lemagne et l'ltalie virent éclater des soulevements
partieIs, qui selnblaient présager une révolte gé-
nérale; et Paris devint le théAtre de tant d'é~
meutes, que toutes les créations poli tiques du
Nord, du Centre et du Midi de l'Europe semblaient
devoir s'abhner au sein d'ul1e me me destruction.


Le Cabinet des Tuileries hésitait alors devant les
faubourgs insurgés, mais il n'hésitait pas devant
les autres Cahinets. M. Laffitte ayant déclaré a la
tribune (1 qu'il ne pernlettrait pas que le principe
»'de non-intervention fut violé 1) (1 cr décelnbre
1.830), les révolutionnaires polonais, italiens et
üIlemands, applaudirent El ses paroles;· et le
prince de Metternich dut les réfuter, sous prétexte
que « les Gouvernements ne pouvaient souffrir,
en vertu d'un principe inapplicable, qu'on res-
treignit ainsi la sphere de leur action politiqueo
La vraie doctrine était, selon lui, que chacun
d'eux pouvait agir COllune hon lui semblerait. Il
déclarait que, pour étahlir le droit d'intervention




- 367-


des Gouvernements, i\ était llret a s' eX\1oser a \'in-
tervention des peuples, paree qu'alors la questioD,
neUement posée, devienc\rüit une questiou de
force; qu'il ailnait mieux périr par le fer que par
le poi son , ear, les anlles a la main, il avait du
moins une chanee que" le poison ne lui laisserait
pas; qu'en un mot, si l'intervention de l' Autriche
en ltalie devait amener la guerre, il était prét a l'ae-
eepter, ear, péril pour péril, il préférait un ehalnp
de batailIe á une Révolution (1). »


Conforrnélnent a eeHe déclaration, l' Autriehe
fit marcher ses troupes con tre les insurgés de la
ROluagne, ou Charles Bonaparte et Louis-Napo-
léon Bonaparte, enfants du despotislne, étaient
accourus au premier signal de la liberté révolu-
tionnaire. 00 sait que le luinistere Laffitte voulut
jeter une armée franc;aise dans le Piélnont, pOllr
bl'a ver le prinee de Metternich, ou mieux toute la
Coalition; luais Louis-Philippe ne vouIut point
précipiter la Franee dan s une guerre eontre l'Eu-
rope, ave e de prétendus hOlTIlTIeS d'État qui ne sa-
vaient pus lneme garantir l'ordre, en maintenant
la paix dans les rues de Paris. Cette résolution


(1) Dépeehes de l'ambassade de Franee a Vienne, janvier 1831.
Voir l'ouvrage de M. O. dlIaussonville. Tom. 1, page 35.




- 368-


était d'autant plus opportune, que les avant-postes
de l'Europe avaient déja pris position sur le Rhin
eOlume sur la Meuse, et que la France ne pouvait
pas lueme eOlllpter sur l'alliance de l' Angleterre,
paree que la Belgique offrait son Tróne au due
de Nemours. Effeetivement, lord Pahuerston
aVüit déja pris pour base de sa politique, devant
la Chalubre des COIDluunes (1.8 février 1.831),
les motifs qui donnaiellt aux Puissances le droit
d'intervention. CI Si ce qui se passe duns un pays
voisin, disait-il, est de nature á menacer la paix
générale de I'Europe, 00 comprendra qu'alors
et jusqu'a un certuio degré, I'intervention de-
vienne justifiable, et que, conformément u ce
principe, si la Belgique choisissait pour Souve ..
rain un Prince qui devrait nécessairement eLre
dangereux pour les États voisins, ces États au-
raient le droit de protester contre un tel choix. »
Louis-Philippe retira sur-Ie-chanlp, des luaios du
parti exalté, le Pouvoir qu'il devait laisser désor-
mais dans ceHes du parti modéré. Celui-ci rassura
I'Europe que celui-Ilt épouvantait. Des lors, il
y eut entre ces deux partis, qui s'étaient mis dl.sc-
corel ponr fonder l'établissement semi-monarchi-
que de 1830, un antagonisme insur!uontable; car




- 369-


l'un cherchait A détruire, par tous les moyens pos-
sibles, le principe gouvernemental qu'il avait créé ;
tandis que l'autre cherchait A perpétuer , par tous
les moyens possibles, la forme gouvernementale
qu'il avait improvisée. Mais la question beIge fit
renouer I'alliance anglo-franc;aise, trop vite rom-
pue. La France put exclure l~ duc de Leuchten-
berg, paree que l' Angleterre excluait le duc de Ne-
lnours; et, a tont en disant que la Belgique avait
le droit de ehoisir, il y eut un compromis de passé
entre ees deux pllissances, en vertu duquel l' An-
gleterre donna le Roi et la France donna la
Reine ('l). »


L'élection se fit pourtant dans les deux Cham-
bres. Le duc de Saxe-Cobourg, qui avait déja
refusé la Couronne de Grece, accepta eelle de
Belgiqlle et vint prendre possession du nouveau
Royaulne, sans attendre que son ancien Souve-
rain y eut renoneé. Les trois Puissances continen.
tales, quoique toujours hostiles aux mouvements
révolutionnaires, agirent néanmoins de concert
avec les deux Puissanees maritimes, qui les favori-
saient. Car il importait a tout le lllonde que la
question pürticuliere de la Belgique ne devint pns


(1) M. le comte de Ficquelmont, Vid. supo Tom. IJ, pago 59.
IV. (3) 24




- 370-


une cause de guerre générale. D'ailleurs, la Ré-
volution, quelque fatal e qu'elle fut dans ses prin-
cipes constitutifs, procurait a la Prusse une heu-
reuse occasion de développer son influence en
Allemagne; al' Autriche, celle d'étendre son action
sur toute l'Italie, et a la Russie, colosse asiatique,
ceBe de supprimer le Royaulue de Pologne pour
devenir elle-méme un colosse européen. Aussi, la
poli tique des prineipes était-elle subordonnée par-
tout a la politique des intéréts. Mais plus les
Monarehies se fortifiaient sous le rapport de .La
puissanee matérielle, plus elles s'affaiblissaient
sous le rapport de la puissanee luorale, puisque,
d'un eóté, les Souverains de droit irritaient et
désorganisaient eux-mémes le parti conservateur
dans loute I'Europe, en traitant avee un Souve-
rain de fait, qu'ils devaient eonsidérer cornme
l' un des ehefs du parti révolutionnaire; et de
l'nutre cóté, Louis-Philippe irritait le parti révo-
lutionnaire européen, en traitant avee les Souve-
rain s légitimes, chefs natuels du parti eonlre-ré-
volutionnaire.


Ces deux indignations produisirent en France
deux lTIOUvelnents eontradietoires. Les révolution.
naires, voyant Ieur confianee trahie par la Royauté




- 371 -


serili-républicaine, ftii déclarerent une gúerre a
mort pour faire triompher la RépubJ1que; et
les RoyaUstes, ne pouvant pardonner au duc
d'OrIéans d',avoir trahi la confiance de Charles X,
essayerent de renverser son Gouvernelnent pour
relever la Moharchie. Une pretniere insurrection
jacobine avait trouvé sa dé faite a Paris, lorsque
MadaI11e la duchesse de Berry vint chercher vic-
toire dans la Veúdée, ou le duc de Bordeaux, salué
Roi de France, est proclamé soLís le nom de
Henri V. M. Thiers, alors mínistre, combat l'hé-
rOlSlne de cette auguste mere en mettánt sa tete A
prix; et la guerre civile s'éteint dahs le sang,
apres l'arrestation de la noble Duchesse, vendue
par un traitre. La Monarchie retombe en Vendée ;
lnais la République se releve a Lyon, ou le Proléta-
riat victorieux triomphe un jour de la Bourgeoisie
stupéfaite, pourétre lui-melne défait le lendemain.
Tous les partis, anciens et nouveaux, étant écrasés
par le jeune Dlinistre, M. Thiers repla«;a la statue
de Napoléon uu faite de la colonne, COlnme s'il
voulait inaugurer le cuIte du despotisllle et dé
la force, dans un pays ou l'on prétendaiÍ con-
sacrer exclusiveluent le cuIte du droit et d'e la
liberté.




- 372-


Les souvenirs napoléoniens ne pouvaient étre
évoqués en France, contre I'Europe, sans provo-
quer certaines démonstrations militaires. Aussi
entreprit-on la double expéditioD d' Ancone et
d' Anvers,. moins pour COlnmencer une luUe avec
l' Autriche sur le territoire de l'ltalie, que pour
flnir sur les rives de l'Eseaut la question beIge, qui
devait se trancher a Londres. Une troisieme expédi-
tion fut dirigée vers les bords du Tage, ou don Pé·
dro, agissant au nom de sa filIe, disputait a son
frere don Miguel la Couronne de Portugal, avee l'é-
pée de la France et de l' Angleterre. Quoique
Jean VI eflt reeonnu l'indépendance du Brésil a l'é-
gard du Portugal,et l'élection de Pédro Ier, son fils
ainé, comIne Elupereur (1822), iI n'avait pas prévu
le cas OU ces. deux Royaumes pourraient étre gou-
vernés par le lnéme Prince. L'Elupereur du Brésil
prit done, a sa mort, le litre de Roi de Portugal.
('1826). Mais l'antagonisme de ces deux Nationali-
tés était si violent, qu'il dut renoncer spontanément
a 1'un de leurs deux Trones, afin de pouvoir
conserver l'autre. En conséquence, il céda la Cou-
ronne du Portugal a sa filIe dona Maria da Gloria,
lUit aupres d'elle son frere don Miguel avee le litre
de Régent, et reprit le cheluin du Brésil (27 no-




- 373 -


vembre 1827). Mais les Cortes portugaises ayant éte
convoquées sur ces entrefaites, elles déclarerent
don Pédro étranger, éIurent a Ieur tour don Mi-
guel Roi national, et voulurellt aussi faire sanction ..
ner l'indépendunce du Portugal á l'égard du Brésil
(juillet 1828). MaIgré l'appui de l' Angleterre, don
Pédro ne put contenir ce He réaction du pays; tou-
tefois une autre Révolution ayant éclaté dans le
Brésil, don Pédro Ier abdiqua bien vite en faveur de
son fils don Pédro II (1831) et vint détróner son
propre frere avec l'appui de la France et de PAn-
gleterre, pour rendre a sa fille la Couronne du
Portugal (i833).


Cet événeInent ne s'étuit pas encore accompli,
lorsque Ferdinand VII convoqua les Cortes (la.
avril 1833) qui devaient préter sennent de fi-
délité a l'Infante lsabelle, ou mieux sanctionner
son propre décret du 29 lnars 1.829, en vertu du-
quel il abolissait la loi salique au détriment de don
Carlos, c'est .. a-dire l'ordre de succession au Tróne
reconnu par l'Europe et garanti par les traités. Des
l'origine, le Roi de Naples, son beau-frere, et le
Roi de France, avaient protesté contre l'illégalité
de cette ordonnance, au non1 du droit public, en


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- 374-


me me temps qqe don Carlos, son successeur hn-
médiat, et le due d'Orléans, depuis Louis-Phi-
Iippe~ dont le fUs ainé pouvait devenir son succes-
s~ur médi&t, avaient protesté &u noro. de l~urs droits
éventuels. Mais la Révolution de 1830 ayant ehangé
la situation des hOlnnles et des choses, Louis-Phi-
lippe, d'aceord avec' l' Angleterrp-, se déclara COD-
tre don Carlos qui prétendait au titre de Roi, sous
le nom de Charles V, et pour I'Infante Isabelle qui
avait pris le titre de Reine. Tous les Cabinets du
Dord de l' Europe rappelerent leurs ambassadeurs,
témojgnant ainsi qu'ils reconnaissaient les droits
légititnes de don Carlos; lnais les Cabinets de Lon-
dres et de Paris laisserent leurs tninistres a Ma-
drid, témoignant ainsi qu'ils reconnaissaient,
eomme légitilnes, les droits de l'Infante, quoi-
qu'il fut évident «que la reconnaiss~nce de la
Reine Isabelle, par l' Augleterre, eut pour objet
principal d'enlever, au llloyen de son luariage
avee un Prince étranger, le Tróne d'Espagne a
la Maison de Bourhon. 1/ Angleterre n'avait ja-
mafs eessé, depuis le Pacte de fanlille, de trou-
ver que la réunion des deux Couronnes de France
et d'Espagne dan~ la luéme Maison, dOllnait a la
~'rance une trop grande pr~pondéraDce politi-




- 375 ___


que (1). , On sait que don Carlos, appuyant tour a
tour ses droits sur I'épée victorieuse de Zumala-
Carreguy et de Cabrera, put se maintenir en Espa-
gne pendant plusieurs années, malgré les force s
réunies de la Révolution espagnole, du Cabinet de
Londres et de celui de Paris, qui cr~ignaient telle-
ment l'issue définitive de cette sanglante lutte,
qu'ils provoquerent la trahison de Maroto, pour
forcer le Prétendant a se réfugier en France (1839).


Les événements de la Péninsule ibérique avaient
ramené Louis-Philippe a l'ancien systeme du Ré·
gept, fondé sur la quadruple aUiance de la France,
de l' Angleterre, de l'Espagne et du Portugal, qu'il
considérait comme assez puissante pour contre-
balancer l'aHiance de tous les États du Nord. Mais
les temps , les principes, les hOlumes et les inté-
rets avaient bien changé depuis un sH~cle. En
France, les attentats isolés contre la personne de
Louis-11hilippe succédaient aux insurrections ré-
publicaines; en Espague, les révoltes ulilitaires
succédnient a la guerre civile; en Portugal, des
han des d'étrangers ravageaient le pays, sous pré-
texte de servir S3 Nationalil:é : l' AngleJerre seule,
ayant échappé aux dangers du Chartisme, se m-


(1) M. le comte de Ficquelmont, Vid. supo Tom. 11, pago 237.


......




- 376-


blait gagner, sous le rapport de la stabilité poli-
tique, tout ce qu'elle faisait perdre aux autres
Puissances. L'Europe conservatrice exalnina sé-
rieusement eette situation de I'Europe révolution-
naire. Les Souverains du Nord se voyaient périodi-
quelnent a Kalisch, a Munchen-Graetz ou a Toop-
litz, depuis 1830 ; et leurs diplolnates avaient a ju-
ger, selon M. Capefigue, « s'H était préférable d'at-
taquer de front le principe de Juillet par la guerre,
ou de le laisser s'affaiblir lui-meme par la fntigue :
la guerre, en réveillant l'instinct belliqueux de la
France, demandait d'imluenses sacrifices et lnet-
tait tout en question; la paix permettait le déve-
loppelnent des idées et des systérnes de l'Europe ,
tandis que la France, affaiblie par ses petits déchi-
reInents, cessait d'étre un objet de Inenace et d'in-
quiétude. On pouvait tout finir sans efforts; si au-
cun des Souverains n'avait des sympathies person-
nelles pour I~ol1is-Philippe, on devait an moins lui
tenir compte de son courage pour le maintien de
l' ordre et de la paix. Les derniers attentats essayés
contre lui avaient jeté un mélancolique intéret sur
sa personne, nlerveilleusement protégée par une
invisible Providence. 11 fut done généralenlent dé-
cidé qu'on se tiendrait, a l'égard de la France,




- 377-


dans une situation d'exaluen et d'expectation (t) .•
Cependant les périls ne diminuent a l'extérieur


que pour augmenter a l'intérieur. Tandis que
Louis-Pbilippe s'efl'orce de vaincre la répugnance
des Rois légitimes a l'égard de sa quasi-légitimité,
en éloignant le llloindre prétexte de guerre, l'op-
position excite le peuple contre lui, en prétendant
qu'il sollicit~ la paix a tout prix; de sorte que le
Gouvernerncnt se voit assailli de toutes parts. Aux
derniéres conspirations civiles, il faut ajouter une
premiere conspiration militaire. Louis-Napoléon
Bonaparte, qui voulait autrefois renverser le
Trone pontifical, veut maintenant relever le Trone
impérial. Mais les idéesbourboniennes, qui ex-
primaient la véritable autorité engendrant la véri-
table liberté depuis 18t ll. jusqu'en 1830, et la
liberté révolutionnaire engendrant un Pouvoir
conservateur depuis 1830 jusqu'en 18á8, sont
beaucoup trop supérieures aux idées napoléonien-
nes, qui exprimaient le despotislue anéantissant
toute espece de liberté, pour que, dans le dOlllaine
des faits accomplis, la tentative de Strasbourg
soit autre chose qu'une échaufl'ourée (30 octo-


(1) Trois siecles de l'Hist. de France. Monarchie et politiquc
des deux brancltes de la Maison de Bourbon. Tom. 11, pago 326.




- 378-


hre 1.836). Néanmoins, l'agitation générale des
partis et le renouvelleInent fréquent des ministe-
req mpQ.~rent l'impuissance absolue OU se trouvent,
d'un coté, le Gouvernement, de l'autre, l'oppo ..
sition, qu~pd il s'agit de fonder un ordre quelcon ..
que sur le désordre produit par la Révolution (i).


Lorsqu'il fut bien constaté que la Royauté
quasi-Iégitiule ne pourrait pas se créer, les Monar-
chies ne songerent plus a la détruire. Du reste,
les Cours de Vienne et de Berlin prirent une atti-
tUQe concilian te , au fur et a luesure que les
factions intérieures devinrent hostiles. Par le ma-
riage de l'héritier présomptif du Trone de Juillet
avec la princesse Hélene de Mecklembourg (1 erlnai
i838), la Prusse tit tOlnber la barriere que la Ré-
volution de 1.830 avait élevée entre la faluille


I I ,


d'Orléans et les grandes Maisons sQlJveraines
de l' Europe. Mais la coalition des partis se


(1) C'est vers cette époque, je crois, que M. Thiers, ministre, dit
a M. Berryer, chef de l'opposition Iégitimiste : Pourquoi n'ües-vous·
pas avec nous? - Le grand orateur lui répondit : Pourquoi n'e-
tes-vous pas vous-mAme des nOtres? - Écoutez, reprit M. Thiers;
depuis :1.830, nous faisons une expérience gouvernementale qui
réussira ou qui ne réussira paso Si nous nous trompons~ je serai
le prender a l'econnaftre notre erreur, en passant de votre coté.
Je puis certifier, sinon l'exactitude des paroJes, du moins J'exactitude
des idées exprimées dans ce dialogue; car i1 m'a été transmis par l'un
de ces d~:u~ illustres interJocuteurs.




- 379-


forma contre le Gouvernelnent de Louis-Pbilippe,
al} sein de la société fran<;aise, des que la coalition
des États parut sur le point d'etre dissoute, en sa
faveur, an sein de la société européenne. Ce n'é-
tait qu'un leurre. L' Autriche et la Prusse dési-
raient seulelnent rompre a tout prix l'alliance an-
glo-fran<;aise; lier, s'H se pouvait, l' Angleterre ma-
rititne aux intérets du Continent, et exclure la
France des Conseils de l'Europe, afin del'isoler des
Rois, dont ellemena<;ait l'autorité, COlnme elle s'é-
tait elle-meme isolée des Peuples, dont elle ne pro-
tégeait plus la liberté!


L'alliance de la France et de l' Angleterre vint
échouer contre la question d'Orient, qui a le triste
priviIége d'exciter toutes les convoitises de l'Occi-
dento Chose relnarquable! l'Europe, apres avoir


,


été philhellene sous la Restauration, était devenue
turque, sous le régne de Louis-Philippe. Quoique
la lnaladie organique de l'Empire ottolnan semblat
incurable, tout le lnonde voulait néanmoins le
régénérer, faute de savoir par quoi le remplacer, si
quelqu'un venait a le détruire. La crainte de voir
s'élever un grand Empire grec, qui, par son al-
liance naturelle avec la Russie, deviendrait trop
prépondérant, fit réduire la grande révolution grec-




- 380-


que aux mesquines proportions d'un petit Royau-
lue, sur Jequel vint régner Othon Ier, fils du Roi de
Baviére. Aussi la Porte-Ottonlane étuit-elle soute-
nue par toutes les Puissances européennes,excepté
par la France; car Louis-Philippe soutenait le pa-
cha d'Égypte, demandant au Sultan l'hérédité de
son Pachalick et la possession de la Syrie, d' ou il
pourrait un jour faire prévaloir la domination de
la race arabe sur la race turque. Des que la révoIte
de Méhémet-Ali eut éclaté , Mahtuoud 11 implo-
ra l'intervention armée de rEmpereur Nicolas,
qui lui fit signer le fameux traité d'Unkiar-Ske-
lessi , par lequel le pere du Sultan actuel remit,
dit-on, «les clefs du Bosphore ao rutur dOlninateur
» de Constantinople (8 juillet '1833). » roJa paix de
Koutayeh ne fut qu'une suspellsion d'armes entre
Mahmoud et Méhéluet-Ali, dont les hostilités re-
comlnencerent en 1839 et fuillirent entrainer une
guerre générale. Désirant l'éviter, aulant que pos-
sible, la Russie vonlu t s'entendre avec l' Angle-
terre dans les conférences de Londres, pour agir
toutes les deux ensemble contre le Pacha, qui
mena<;ait, aux yeux de l'une, sa conquete future en
Europe, c'est-A-dire Constantinople, et, aux yeux
de l'autre,sesconquetesprésentesen Asie.JoJu Franee




- 381-


essaya vainement de réveiller l'ancienne rivalité
de la Maison de Habsbourg et de la Maison de Ro-
manow, désirant : eelle-ei les Dardanelles et eeHe-
la les bouches du Danube, afin de combiner avec
l' Autriehe une action comluune en faveur du Pa-
cha, dont. on aurait limité les prétentions. Mais le
prince de Metternich qui pouvait traneher le pro-
b\enle, rejeta cette solution, paree qu'il se erut
obligé de subordonner ce les affaires d'Orient aux uf-
faires d'Occident. J) Comme on niaitle péril des ré-
volutions, Cl il affinnait, lui, que la tranquilité dont
on jouissait n'était qu'une treve; il répétait que les
Puissances du Continent étaient toutes tenues en
échec par l'esprit d'anarehie, et, quoique solides
en apparence, a peu pres également, sourdement
m,inées. A ses yeux,laRussieseulerestaitintacte et
fernle. Seule, elle était destinée peut-étre a sauver
l' Allelnagne lnise aux abois; le mOll1ent n'était
point venu pour aueune Cour allemande, pour
l' Autriehe lnoins que toute autre, de rompre ave e
la Russie (1.). J


Plus on parlait de guerre uu prinee de Met-
ternieh, plus il agissait dans un but de lnédiation
et de paix. L' Autriehe tenait, iI est vrai, la clé


(1) Correspondance de l'ambassade de France a Vienne.




-- 382 -


du probleme oriental, mais elle désirait ajottrn~t
une solution que tout le monde redoutait, paree
que personne n'y était préparé. Au surplus, puis-
qu'elle ne s'éloignait pas de la Russie, elle devait
se rapprocher de l' Angleterre. C' est ce que M~ Thiers
eut le malheur de ne point cotnprendre durant
son ministere d' action, qui provoqua deux réac-
tions égaleloent déplorables : a l' extérieur, celle de
l'Europe contre la Frunce; a l'intérieur" celle des
idées itnpérialistes et jacobines contre les idées
plus ou moins royalistes. S'étant imaginé qu'il
épouvanterait les Gouvernements européetls, en
évoquant le spectre révolutionnaire et le fantóme
de Napoléon dont il faisait re.venir les cendres,
M. Thiers suscita contre son propre Gouvernelnent
l'attentat révolutionnaire de Boulogne, commis par
Louis-Napoléon Bonaparte (9 juin 1840), el l'acte
diplomatique de Londres, signé pur les grandes
Puissances, a l'exclusion de la France (1) (15 juil-


(f) M. le comte de Ficquelmont résume en ces termes les évolu-
tions qui ont eu lieu entre les Puissances depuis 1820 jusqu'en f8lto:
« 1.0 Toules les fois qu'il s'esl agi, dit-il, d'une déclaration positive
ou d'une manifestation collective de principes, I'Angleterre s'est sé-
parée des trois Puissances pour se rapprocher de la France; 20 toutes
les fois qu'il s'est agit d'intérets poliliques, séparés d'une question de
principes, I'Angleterre s'est éloignée de la France pour se rappro-
cher des trois Puissances. )) (Lord Palmerston, l'Angleterre et le
Continent. Tom. lI, pago 185.)




- 383-


let 1840), pour obtenir de force la soumission de
Méhémet-Ali, envers Abdul-Medjid. Cette coalition
générale de toutes les Monarchies de droit contre
une Royauté de faitsemble indissoluble, parce que
l' Ángleterre esl devenue l'exécutrice des volontés de
l'Europe contrela poli tique de la France. M. Thiers,
loin de s'effrayer du péril, affecte de s'y complaire.
Des haúteurs de la tribune et daos les journaux
luihistériels, il déclare une guerre te outrance aux
Rois coalisés ; il prétend organiser une propagande
révolutionnaire parmi tous les peuples. On vote
les fortifications de Paris avec entrainenlent; on
remplit les cadres de l'armée, comme si l'heure
des grandes batailles avait sonné pour tout le
IDonde; lnais cela n'empeche point M. Thiers de
rappeIer les vaisseaux fran<;ais a TonIon (8 octobre
1.840), quoique les vaisseaux angIais aient hom-
bardé Saint-Jean-d' Acre (iO septelnbre).


Enfin, le triinistere du 29 octobre vient de rem~
placer le lninistere du 1. er lDars. M. Guizot succede
a M. Thiers; le parti conservateur au parti révo-
lutionnaire, l'action morale a l'action physique.
Aussitót, les Cabinets de l' Europe qui se sont
éloignés du Cabinet de Paris, veulent s'en rap-
procher; maisl'hornme d'État éminent, qui dirige




- 384-


nos relations extérieures, leur déclare que toute la
question pendante, entre le Sultan et le I?aeha, tui
est et doit lui étre étrangere; qu'il ne peut ren-
trer daos les Cooseils de I'Europe, taot que eette
question dure eneore; et que eette situation, que
la Franee n'a pus ehoisie, ou elle n'entend pas
systénlutiquement demeurer, oe lui pese en aueune
luaniere (t). Eosuite, résumünt sa politique géné-
rale, M. Guizot adresse a ses agents une lettre par-
ticuliere, ainsi eonc;ue: u ROlupre toute coalition
apparente ou réelle en dehors de nous, prévenir en-
tre la Russie et l' Angleterre des habitudes d'une in-
timité un peu prolongée, rendre toutes les Puissan-
ces a Ieur situation indépendan te et a leurs intérets
naturels, et sortir nOUS-1l1emeS de la position d'iso-
lement pour prendre une position d'indépendance,
en honne intelligenee ave e tous et sans lien. étroit
avee personne (2). » Ces résultats importants fu-
rent obtenus par la Convention des Détroits, signée
a Londres (14 juillet 184'1). ou, les plénipotentiai-
res d' Angleterre. de Russie, d' Autriche, de Prusse
et de Turquie ayant déclaré nuIIe traité du mois


(l) Dépéche de M. Guizot a M. le baron de Bourqueney, fB no-
vembre f840.


(2) Ibid., 28 février f841.




- 385-


de juillet précédent. la France reprit tres-honora ...
bletnent sa place dans le concert des Cabinets.


La fa mine d'Orléans, assise sur son Trone d' é-
lection, paraissait n'avoir plus rien a redouter, ni
au-dehors, puisque toutes les Maisons souverai-
nes de l'Europe entretenaient avec elle des rela-
tions plus ou lnoios bienveillantes ; ni au-de-
dans, puisqu'elle avait triolnphé, sinon de la ré·
sistance morale, du luoins de la résistance pby ..
sique organisée par les véritables royalistes et par
les prétendlls républicains. L'objet principal du
parti conservateur, qui se maintenait a la tete du
Gouvernement, fut donc et devait étre la con-
solidation de la Dynastie nouvelle, au-dessus de
la société et en regard des anc~ennes Dynasties.
Presque tous les Monarques, représentant l'ex-
clusive Souveraineté du droit divin, avaient sus-
pendu leurs hostilités systélnatiques envers Louis-
Philippe, quoiqu'il représentAt l'exclusive Souve-
raineté du droit humain, non-seulement parce
qu'il s'était dévoué au nlaintién de la paix, ce en
dépit de tan1 d'occasions de guerre, qui se mul-
tiplierent plus en dix ans que dans tout le sU~cle
passé (1), o lnais aussi paree qu'il servait de bou-


(1) 1\1. César Cantu, Hist. de cent am. Tom. UI, pago 300.
IV. (3) 25




- 386-


clier a toutes les Monarchies contre la Républi-
que. Cependant, les légitiIuistes et les républi-
cains ne suspendirent leurs hostilités égaIelnent
systélnatiques, qu'apres la" Inort du duc d'Or-
léans, comptant alors sur la faiblesse d'ulle Ré-
gence pour renverser les espérances dynastiques
du regne le plus ferine. Aux yeux de ces deux par-
tis, qui exprimaient le prolétariat et la grande
propriété, un Pouvoir créé par une révolution,
devait etre détruit par une autre révolution. Puis-
que les deux classes extremes considéraient la
Royauté de 1.830 COlnme une institution purement
viagere, il fallut essayer de la rendre perpétuelle
en fondant le pays Mgal, c'est-a.-dire le Gouverne-
lnent de la France par les classes lnoyennes : et
M. Guizot développa cette doctrine, soit dans ses
écrits, soit dans ses actes, a la maniere des intelli-
gen ces véritablelnent supérieures qui savent forti-
fier l'autorité, sans affaiblir la liberté 1


Jusqu'a. présent, toute la politique fran~aise a
été alterna ti velnen t dirigée soit par M. Guizot,
soit par M. Thiers. Le prelnier, chef du parti con-
servateur, est plutót un homme de Gouvernelnent
qu'un bomme d'opposition ; et le second , chef du
tiers - parti, est pIutót un hOlTIlne d'opposition




- 387-


qu'un homme de GouverneInent. M. Thiers ap-
partenait a la Révolution de Juillet, puisqu'il pré-
tendait subordonner les principes non-accomplis
aux faits accolnplis, afin qu'on n'oubliAt poiot que
Louis-Philippe avait été luis sur le Tróne quoique
Bourbon , et par un acte exclusif de la Souverai-
neté du Peuple; l11ais la Révolution de Juillet
appartenait a M. Guizot, puisqu'il prétendait sub-
ordonner' les faits accolnplis aux principes non-
accomplis, afin qu'on n'oubliát point que Louis-
Philippe avait été lnis sur le Tróne, paree qu'il
était Bourbon, chef d'une branche de la Race
royale, et qu'a ce titre il ne pouvait exprimer , en
aucun cas , l'idée exclusive de la Souveraineté du
Peuple. Ces deux fa<;ons contradictoires d'envisa-
ger l'origine et la fin de la Royauté de 1830, firent
éclater, entre M. Guizot et M. Thiers , un anta-
gonisme d'autant plus ilnplacable, qu'ils suivaient
chacun une voie différente pour arriver tous les denx
au melne but: l'affermissement de la Dynastie oou-
velle. Et cependant M. Thiers cOlnpromettait sans
cesse l'existence lIlonarchique de Louis-Philippe,
en invoquant, soit a l'intérieur, soit a l'extérieur,
les souvenirs de la République et de l' Empire, ou
mieux ,le despotislne d'un seul hOffilne et crlui




- 388-


de la muItitude au nom meme de la liberté; en re-
nouvelant la lutte des peuples contre les Rois;
en voulant que la Révolution fran~aise devint eu-
ropéenne avec le secours de l'anarchie, comIne
si, maIgré ses iniquités, elle pouvait étre mise
hors du droit public t M. Guizot, bien au contraire,
sauvegardait l'existence monarchique de Louis-
Philippe, en invoquant, soit a l'intérieur, soit a
l'extérieur, la liberté contre le despotisme;
en se faisant accepter pour lnédiateur et par les
Souverains et par leurs propres sujets; en vou-
lant que la Révolution franc;aise devint européenne
avec le secours de l' ordre, COlnme si elle ne pou-
vait plus etre mise hors du droit public, ou lllieuI
comine si elle répandait le véritable esprit de
justice dans le monde!


On comprend tnaintenant pourquoi M. Guizot
l'elnporla sur M. Thiers, et comment il fit la for-
tune du regne, ayant fonné, au-dessus des partis
et des coteries, un nlinistere qui dura sept ans
dans un pays OU la stabz'Uté semble une calamz'té
publiq'tte (1). HOlnme de la résistance, puisqu'il
cOll1battit, pour l'autorité, contre les propaga-
teurs du désordre, tant en France qu'en Europe,


(1) M. César Cantl1, llist. de cent ans. Tom. IV, pago 3~4.




- 389-


il fut aussi homme du mouvement, puisqu'il com-
hattit pour la liberté, eontre le despotislue, de l'un
a l'autre bout du Continent, et spécialeUlent dans
les trois Péninsules luéridionales. C'est ainsi qu'il
favorisa la révolution salutaire de la Grece, qui
transforma une Monarchie absolue en Monarchie
eonstitutionn elle.


Coletti, l'un des héros de la guerre de l'indépen-
dance, devait etre le principal auteur de eette révo-
lution par laquelle il espérait fixer l'ordre , la paix
et la liberté dans son pays. On sait quel fut le prix
de ses travaux glorieux, du plus pur patriotislue !
En prenant la direetion du Pouvoir, ce grand ci-
toyen, dont le corps était aussi robuste que l'ame,
dut se résigner courageusement a soutenir contre
Maurocordato, chef de l'opposition, une lutte
qui IX n'était pas eelle de la Grece , tuais un sim-
ple épisode de la rivalité de la France et de l'An-
gleterre (t) .• S'il fut assez fort pour créer un nou-
veau Gouverneluent el le faire reconnaitre par
tous les vieux Gouvernements de l'Europe, il fut
trop faible pour résister aux persécutions inju-
rieuses et ignonlinieuses, dont sir Edward Lyons


(1) M. le comte de Ficquelmont, Lord Palmerston, l'Angleterre
et le Continente Tom. 1, pago 185.




- 390-


titait le plus actif instrumento Coletti mourut vic-
time des efforts inutiles qu't"/ fit dans le hut de sou-
straire, a la domination tyrannique de la Grande-
Bretagne, sa patrie, qu'il voulait placer sous la
protection libérale de la nótre (septembre 1844).
Plus on l'insulta pendant sa vie, plus il aété glorifié
depuis sa lnort. Tous les partis ont porté le deuil
de cet hOlnme iIlustre. La Grece en gardera une
éterneIle luéluoire, et la France ne l'a pas encore
oublié (1).


M. Guizot, champion des idées constitution-
nelles et, par conséquent , du progres, gagna la
cause de Coletti aupres de M. de Metternich, qui
ne voulait plus etre considéré COlnme le chatnpion
des idées absolutistes et de la résistance quand
llleme. Le chef' de la poli tique autrichienne
s'appliquait a démontrer, daos ses Mémoires adres-
sés au chef de la politique fran«aise: « que le ré-
gime gouvernelnental de S. M. I'Empereur d'Au-
triche n'était point stationnaire, mais progressif;


(1) Coletti, avant d'etre premier ministre de S. M. le Roi Othon,
fut plénipotentiaire a Paris (depuis 1836 jusqu'en 1848), ou il sut ac~
quérir l'estime univcrselle. Tous ceux qui 1'ont connll a eetle époque,
peuvent apprécier la largeur de ses vues poli tiques ; mais ceux qui
ont eté honorés, eomme nous, de sa bienveilIanee partieuliere, doi.
vent lui rendre en vénération publique, ce qu'il leur donnait en
amitié.




- 39t -


qu'il y avait chez lui plus de liberté que partout
ailleurs en Europe, la Bohelne et la Hongrie peut ..
etre exceptées, El cause du vieil esprit d'opposition
qui y regne (1.). »Sans doute, l'absolutislue- n'était
qu'un vain mot en Autriche, puisqu'elle était ré-
gie par d'autres lois que le hon plaisir du Souve-
rain. Mais, tandis que le prince de Metternich
vantait, a l'extérieur, les actes de son adminis-
tration patriarcale , a l'intérieur, des voix puis-
san tes blámaien t a vec énergie les lnaxilnes de son
propre Gouvernelnent. 00 s'indignait en pensant
qu'un grand État COlume l' Autriche, placé au cen-
tre de l'Europe, entouré d'autres États OÚ régnait
la publicité la plus illiInitée, n'eút pas lneme une
pubJicité restreinte et fut obligé de lire les jour-
naux étrangers, ainsi que cela se pratique en
France a l'heure qu'il est, pour savoir ce qui se
passait dans le pays (2). On n'oubliait pas la décla-
ration de lfran<;ois ler, au Con gres de Laybach :


(e Je veux des sujets fideles, non des savants : » pa-
roles déplorables, qui furent élevées a la hauteur
d'un principe! et 1'0n se rappelait que l'Autriche,


(1) M. O. d'Haussonville~ Ilist. de la polit. ext. du Gouv. fran(:.
Tom. 1, pago 272. Notes.
(~) La situation a bien changé depuis; les journaux d'Autriche


ont maintenant le droit d'avoir une opinion.


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-""392 -


tenant en écbec l'esprit régénérateur du XIXe siecle,
n'avait rien cbangé a ses vieilles institutions, sous
prétexte de conserver sa force, lnalgré des promes-
ses positives dont Dn avait pris acte, lualgré l'exem-
pie de la Prusse, qui avait transformé toutes ses lois
constitutives, sans éprouver encore un seul instant
de faiblesse. «Il ne s'agissait paR pourtant, s'écriait-
on, de tirer le rideau de l'ignorance sur notre pays
languissant! mais ce fut entre lui et ses gouver-
Dunts une guerre sourde qui, depuis trente ans, ne
s'est jamais ralentie; et, douloureux aveu Il'avan-
tage a été pour le Pouvoir, et cela, en grande par-
tie, par la fante de la Nation. Inutile de s'abuser :
les Autrichiens sont lnéprisés de tous , et, parias
de l'intelligence et du progrés, leurs compatriotes
les Allemands des autres États ne veulent pas fra-
terniser avec eux, et leur reprochent une indo-
lence coupable. Oui, si l'on eut abjuré cette feiote
douceur, si l'on ent porté arbitrairement la main
sur la propriété, si l'on eut violé le droit pubJic au
profit d'un despote, on aurait agi nl0ins cruelle-
111ent, cur ce que l'homme posséde de plus saint et
de plus précieux, c'est la ver tu et l'intelligence; et
celui qui cherche a le priver de ces biens attente
a la dignité de l'homlne et aux lois imllluables de




- 393-


son développement. Mais toute oppressión aluene
la révolte, et, apresCnne longue et pénible Iutte,
nous entrevoyons enfin le jour du salut (1.) o »


Ainsi, vainelnent la Monarchie autrichieone op-
pose-t-elle, a l'iovasion des idées nouvelles qui lui
viennent de l'étranger, la llluraille chinoise dont
elle s'entoure de tous cótés (2), une révolution
lllorale s'est accomplie daos son propre sein, et
les rneilleurs esprits considerent une révolution po·
sitive COlnnle infailIible, a nl0ins qu'on ne change
les vieilles formes de l'administration et qU'OIl
ne reconstitue les États provinciaux ou géné-
raux, afin de la rendre inutile. Cependant le
prince de Metternich gouverne avec une entiére
sécurité dans I'avenir, et sans changer de sys-
teme, quoique ces avertissements puissent lui
faire craindre un prochain démembrement de
I'Empire. Les différentes parties dont il se coro-


(1) De l' Autriche et de son avenir: ouvrage, qui fut écrit a
Vienne, qui obtint, des son apparilion, un retentissement européen,
et dont la premiere partie a paru en :1842; la seconde en :1847. Les
journaux de Hambourg I'ont attribué au cornte de Bucquoy, cham-
bellan de l'Empereur Fel'dinand ler; mais les publicistes italiens, no-
tamment A. Bianchi Giovani (L'Autriche en Italie. Torn. 1, § V,
pago 4), mieux informés sans doute, l'attribuent au baren Victor
Andrian.


(2) M. )e comteMailath, Hist. de la Monal'chie autrichienneo
(Geschichte des ostreichischen Kaiserstaates, Von Johann Grafen
Mailatho) Tomo V, pago 3690




- 394-


pose, en effet, n'étant pas unies, mais juxta-posées,
doivent opérer violemment leur sépnration, soit
pour conquérir leur propre indépendance, soit
pour se confondre avec d'autres peuples qui n'ont
rien de comlnun avec le despotisme, si l'on ne se
décide a faire les réformes indispensables, quel-
que dangereuses qu'elles paraissent, en ce Ino-
Inent surtout OU les sociétés occultes, poursui-
vant leur guerre farouche contre les sociétés offi-
cielles, veulent anéalltir le lllonde sous prétexte
de le régénérer. Fascinant l'inlagination de la jeu-
nesse avec les mots de Jeune France, de Jeune At-
lemagne, de J eune 1 talíe et de J eune Europe, elles
provoquent dans chaque État une lutte supréme
sous les drapeaux des vieux partis. L'enthousiasme
en faveur de la liberté dégénérera bientót en fu ..
reur contre l'autorité, ici, la, partont; car on
prétend déja que l' Allelnagne, malgré ses trans-
formations récenies, doit subir elle- mélne une
révolution aupres de laquelle celle de France ne
parattra plus qu'une z"dylte (M. Henri Heine). Aussi
le prince de Metternich, pIacé entre deux écueils
égaImnent redoutabIes pour l' Autriche, puisqu'il
y a de tous les cótés une question de vie ou
de lllort, loin de suivre un lllouvelnent qui n'a-




- 395-


boutira peut-etre ql1'A de nouvelle catastrophes,
persévere-t-il, en Allemagne et en Italie, dans son
vieux systeme de résistanee qui a plusieurs fois
sauvé l'Empire.


L'aetion des partis révolutionnaires s'opérait
mystérieusemellt dans les divers États du Conti-
nent, paree qu'elle avait pour but la dissolution
générale des sociétés; lnais elle s'opérait publi-
quement dans les divers États de la Péninsule ita-
Henne, paree qu'eIle avait eneore pour but la re-
eonstitution générale, soit d'un Royaulne d'Italie,
soit d'une République fédérative. Les nouveaux
partisans de la Monarchie italienne universelle
avaient exhUlné les vieilles hunnieres des Guelfes
et des Gihelins, afin que le vl1lgaire put mieux sai-
sir leurs tendanees eontradietoires. Car, s'ils s'en-
tendaient a lnerveille tant qu'il s'agissait de dé-
truire les Gouvernements existants, ils ne s'enten-
daient plus des qu'il s'agissait de eréer un Gou-
vernelnent queleonque. Les uns, eOlnme les Guel-
fes du lnoyen-age, auraient reeonnu I'Enlpereur
d' Autriehe pour leur Souverain, paree qu'ils ne
voulaient pus se détaeher de l'Elupire; les autres,
eOlUIDe les Gibelins , voulaient , au eontraire, se
détaeher de l'Empire et renouveler les anciennes




- 896-


luttesde I'Italie contre l' Allemagne , en segroupant
autour du Pape, Monarque national, a l'effet d'ex-
pulser l'Empereur, Monarque étranger. Ces deux
opinions se tenaient depuis quelque temps en échec,
lorsque l'abbé Gioberti, dansson livre intitulé: Del
Primato civile et morale d' 1 taUa, en produisit une
troisieme, ou, sans parler nullement de l' Autriche,
ni de l'Empereur, il considérait le Pape COlUlne le
chefluoral de l'Italie, et la Maison de Savoie comme
sa future libératrice et institutrice. Un tel ouvrage
ne s'adressant qu'aux intelligences d'élite, le
comte César de Balbo résolut de vulgariser ses
principes, en les exprituant sous une forme popu-
laire; et l'opuscu]e intitulé: DeUe Speranze d' 1 ta-
tia, devint un véritable lIlanifeste. CI te bu t su preme
de Balbo, dit l'historien milanais, c'est l'indépen-
dance; au point qu'il n'hésite pas a lui sacrifier la
liberté. 11 ne croit pas possible la formation d'un
Royaltme d' 1 tatie avec tant de variété d' opinions, de
projets, de provinces; mais bien une confédération
dont le Piéulont serait l'épée et Ronle le creur,
et dans laquelle 00 referait aux peuples de tel1es
concessions, que le DOluinateur étranger s'en
trouverait désanué, jusqu'a L'heure ou la Provi ..
dence le forcerait d'abandonner l'Italie, et lui of-




- 897-


frirait dan s la Turquie un dédomlnagelnent (1) ••
La France et l' Autriche, qui ont toujours riva-


lisé d'influence en ltalie, s'effrayerent de ce mon ..
vement d'opinion uu Inelue degré, quoique pour
des lnotifs différents. M. Guizot avait dit a l'ambas-
sadeur autrichien que M. de Metternich, par-
tisan de la résistancc absolne, ne devait pas croire
au succes des idées modérées; mais qu'il croyait,
lui, devoir seconder le luouvementde l'Italievers la
liberté, pour éviter les révolutions. Et le chef du
Cabinet de Vienne répondit confidentielIement
au chef du Cabinetde Paris: Cl qu'il croyait an triom-
phe des idées lnodérées dans les pays qui avaient,
comIne la France, traversé plusieurs révolutions;
c'est alors un compromis qui acquiert la valenf
d'un bienfait; il ne croyait pas au succes du juste-
¡uBien dans la phase ou se trouvaient les États
italiens. Ce n'était pas une révolution qui se fer-
lnait, c'était une révolution qui commen<;ait, car
les États sont en révolution qnand la puissance
passe des mains des Gouvernements constitués
dan s ceBes d'un autre Pouvoir, quel qn'il soit. Il
n'était pas vrai qu'il ftit partisan de la résistance
absolue; il n'y avait d'absolu que la vérité. I..a


(i) M. César Cantu, Hist. de cent ansa Tom. IV, pago 331.




- 398-


politique est une affaire de conduite qui ne sup-
porte pas l'absolu. En doctrine comme en fait,
il n'avait jamais essayé de l'absolu. Sa résistance
a l'esprit révolutionnaire avait été quelquefois ac-
tive, comme en 1820, quelquefois défensive, comIne
en 1831. Pour le InoInent, il observait. Ce qui se
passait en Italie tenait autant de la révolte que de
la révolution. Les révoltes sont plus saisissables
que les révolutions; elles ont un corps qu'on peut
appréhender. I ... es révolutions tiennent de la na-
ture des spectres. Il faut, pour régler sa conduite
a leur égard, attendre que les spectres se revétent
d'un corps (1). J


Pendant que les deux plus grands hOlnmes d'É-
tat de la France et de l' Autriche s'effor~aient, I'un
de propager le mouvement lihéral en Italie, l'autre
d'y organiser unerésistance formidable, Pie IX mon-
tait sur le Tróne de saint Pierre comIne Souverain
spirituel, et voulait , comme Souverain temporel,
que sa triple Couronne fut douce et légere sur le
front de ses sujels, dut-elle devenir une couronne
d'épines sur sa propre téte. Par un acte de noble
clélnence, il rouvrit les portes de la patrie a plus


(1.) M. O. d'Haussonville, llist. de la potit. ext. du Gouv. franf.
Tom. 1, pago 274-75. Notefi.




- 399-


de quinze cents exilés (16 juillet). Ce ne fut alors
et pendant tres-Iongtemps, au sein de la ville éter ..
nelle, que réjouissances, que sérénades, que
chants Iyriques, en l'honneur de Pie IX, réunis-
sant, disait-on, dans un seul et meme Pontife, la
piété de Pie IV, la fermeté de Sixte-Quint, le génie
politique de Jules 11. L'entbousiasme, qui régnait
dans ROlDe, gagna successivement la Romagne, le
reste de l'Italie, l' Europe et le lnonde entier, ou
1'0n exaltait d'autant plus le nom du Pape, que l'on
ravalait ainsi le nOIIl des Rois. Les partis religieux
et sociaux saluaient Pie IX de leurs acclamations
unanimes, espérant qu'il allait mettre d'accord
le principe d'autorité et le principe de liberté, en
fait de religion comIne en fait de politiqueo Le chef
lnoral de l'Italie, revé par l'abbé Gioberti et par le
comte César de Balbo, était done trouvé; maison en
cherchait encore le chef militaire, car Charles-Al-
bert' feignait de répudier l'ambition de la Maison
de Savoie, qui est de se nlettre a la tete des Natio-
nalités italiennes pour expulser l'étranger. Au
reste, on ne demandait encore, dans le PiélDont
et dans toute l'ltalie, que des réfonnes selDblables
a celles qui s'accomplissaient dans les États ro-
lnains, c'est-a-dire la liberté de la presse,! une




- 400-


garde civique et une représentation provinciale :
triple 1110yen d' opérer peu a peu la transition du
Gouvernement absolu au Gouvernement constitu-
tionnel, selon le but positif d'un grand parti. Mais,
lorsqu'au cri de : Vivent les reformes! on ajouta
celui de : Vz"ve l'indépendance üalienne! Charle5~
Albert ne dut plus hésiter, paree que ce cri avait
réveillé les espérances du Piéluont, providentielle.
ment destiné a reconstituer une grande N ationa-
lité: mission magnanime « qui est son honneur
dans le présent, qui fera 5a gloire peut-etre dans
l'avenir (1.). J) D'ailleurs, une grave mésintelligence
existait entre le Cabinet de Vienne et celui de Tu-
rin, au 5ujet du sel et des droits sur le vino Elle
pouvait entrainer une guerre iInlnédiate ; et cela
e sumt pour que Charles Albert grandit a tous les
yeux et apparut comme l'épée de l'Italie, tandis que
Pie IX en était l'Ame (2).»


Passant aussitót de la politique passive á la' po-
litique active, M. de Metternich s'adresse aux di-
verses Cours de rEurope (2 aout 1847). Il demande
non-seuleluent que 1'0n garantisse a l'Autriehe ses
possessions d'ltalie, mais qu'on lui prete assis-


(:1) M. O. d'Haussonville, Vid. supo Tom. 11, pago 229.
(2) M. César Cantu, Hist. de cent ans. Tom. IV, pago 336.




- 401 -


tan ce, au eas OU les soulevelnents partiels qu'H se .
propose d'étouffer en ce pays seraient suivis
d'une insurreetion générale. Tous les Cabinets lui
accordent le premier article et lui refusent le se-
cond, M. Guizot ayant déclaré que la Franee fe-
rait respeeter l'indépendanee des États, et en eon-
séquenee le droit de régler eux-memes leurs pro-
pres affaires, paree qu'il importait au bon effet des
réforJnes qu'elles se fissent d'aeeord entre les Prin-
ces et les Peuples réguliérement, progressivelnent
('Ii septembre). Ici le role de M. Guizot prend des
proportions véritablement héroiques. Athléte in-
fatigable, illutte en Angle~erre, en ltalie et en Au-
triche; ici pour apaiser, autant que possible, les
coleres du prince de Metternich, la pour ralnener
a la réalité presque tous les Gouvernements ita-
liens, qui courent apres des chiméres; plus loin,
pour protester contre la politique de lord Palnlers-
ton, qui pousse les peuples a la révolte, et surtout
conlre les nlanreuvres odieuses de lord Minto; ear
u on eut dit que le sol de l'Italie trelllblait ets'en-
flamnlait de lui-méme sous les pasde l'envoyé bri-
tannique (1).» LechefduCabinetdeVienneaccepte
la poli tique soutenue par le chef du Cabinet de Pa-


(1) M. 00 d'Haussonville, Vid. supo TOlD. Il, pago 249.
IV. (3) 26




- h02-


ris, afin da ne }las « exposer l'Europe aux plus
J grands dangers qu'elle ait courus depuis la chute
» du Trone de France, » et M. Gllizot peut adresser
A la Cour de Turio ces paroles modératrices : « Les
populations italiennes révent pour leur patrie des
changements qui ne pourraient s'aceomplir que
par le remanielnent territorial et le bouleverse-
lneot de l'ordre européen, c'est-a-dire par la
guerre et par les révolutions. Des hOlnmes, lneme
modérés, n'osent pas cOlnbattre ces idées, tout en
les regardant comIlle ilnpraticables, et peut-etre
les caressent eux-melnes au fond de leur coour
avec une cOlnplaisance 9ue leur raison désavoue,
muis ne suppritne paso Plus d'une fois déja l'Italie
a compromis ses plus importants intérets, lnelue
ses intérets de progres et de liberté, en pla<;ant
ainsi ses espérances dans une conflagration euro-
péenne ... Puisque nous ne saurions nous y asso-
cier, ne leur laissez du llloins aueun doute sur la
sincérité et l'activité de notre politique dans la
cause de l'indépendance des États italiens, et des ré ...
formes réguliéres qui doivent assurer leurs progres
i ntérieurs sans cOlupromettre leur séeurité (1) .•


(1) M. Guizot a M. de Bourgoing, chargé d'affaires a Turin,
18 septembre 1847.




- 403-


Mais l' Angleterre vouhtit 61npéchel' it tout prb
ce merveilleux. développement de la rorea lnorale
de la :France, ayant pour but de fondar le systeme
des Monarchies constitutionnelles dans le midi d~
l'Europe, afin de contrebalancer le systeule des
Monarchies absolues, établiesdans le Nord. Qunnd
M. Guizot faisait dire aux Princes d'Italie : ••. 11 HA~
tez-vous de donner des institutions a vos peuples,
sans provoquer l' Autriche ; si elle vient vous atta ...
quer chez vous, nous vous défendrons (1) ; » lord
Pahnerstan faisait dire aux peuples l « HAtez~vous
de vous révolter contre PAutriche, et vous vous
donnerez des institutions malgré vos Princes. Puis~
que la France, protectrice infidéle, vous abandonne,
l' Angleterre vous soutiendra. J) Le parti wight, alors
au Pouvoir, cherchait a réparer en Italie l'échec que
le paI'ti tor, avait subi en Espagne, COlnme con sé ...
quencedes lnariages sitnultanés de la Reine Isabelle
etde I'Infante,sa sreur.Aprésavoir renduimpossible
un rapprochetnent intime entre les deux branches
des Bourbons d'Espagne, l' Angleterre désira pen-
dant longtemps faire obtenir la luain de la Reine
Isabelle an jeune Prince deCobourg, frere du lnari
de la Reine de Portugal, et cousin du Prince AI-


(1) M. O. d'Haussonville. Tom. 11, pag.248.




- "Oh -


bert, lnari de la Reine Victoria, pour enlever a la
Maison de Bourbon l'une des deux Couronnes qui
donnaient a la France une trop grande supériorité
politique en Europe. Mais lord Aberdeen ayant
transigé, M. Guizot eut la gloire de faire échouer
cette combinaison par laquelle on aurait substi-
tué, de l'autre cóté des Pyrénées, une Dynastie
parente et amie de la falnille royale d' Angle-
terre, a une Dynastie anlie et parente de la famille
royale de France. Ainsi, les grandes traditions de
Louis XIV trionlphaient méme des révolutions,
puisque la Maison de Bourbon gardait ses deux
Couronnes, malgré l' A ngleterre qui désirait lui en
prendre au lnoins une. (j Ce qui n'avait pas pu se
faire en Espagne par voie de négociation, dit M. le
comte de Ficqueltnont, se fit plus tard en France
par la Révolution de ~ 8ls.S. La Maison de Bour-
hon ne perdit pas l' Espagne, mais elle perdit la
France ('1). "


Cette défaite nationale ne pouvait entrer dans
les calculs du Cnbinet des Tuileries, au moment
ou il en sortait une série de victoires européennes.
D'ailleurs, l'esprit révolutionnaire semblait mort


(1) Lord Palmerston~ L'Angleterre et le Continente Tom. JI,
pago 287.




- 405 -


antour 1ui, paree que son esprit conservateur avait
ressuscité, non pas l'ordre moral, chose itnpos-
sible, mais l'ordre matériel. Les énleutes, qui
grondaient autrefois dans les rues, s'étaient réfu-
giées dans l' opinion, ou le socialisme battait en
breche une société fondée sur l'individualislne.
On prétendait organiser le travail hUlnain et l'a-
telier, afin de luieux désorganiser l'Étut. Aussi, le
Gouvernelnent aborda-t-il toutes les questions re-
latives aux chemins de fer, espérant que rutopie
de l'opposition se noierait dans le courant des
choses réelles. Surcesentrefaites, lord P·almerston,
accolnpagné de lord Norluanby et de lord Minto,
parcourait la Suisse et l'Italie, contractait de tristes
relations, ici avec les chefs du carbonarislue, la
avec les ch~fs du radicalislue, qui devaient don-
ner enselnble le signal d'une insurrection générale
contre les Gouvernelnents établis, revenait a
Londres et reprenait sa place au Parlement, pour
diriger une opposition foudroyante contre lord
Aberdeen, l'accusant d'avoir sacrifié les intérets
de r Angleterre aux intérets de la France dans la
question relative a la succession du Tróne d'Es-
pagne.


Un ministere wight remplace bientót le Ini-




- 406-


nistere tory; lord Aberdeen tombe et lord
Palmerston se releve. C'est plus que l'avénelnent
d'un hOinlne; uux yeox de tous le5 Cabinets, c'est
l'avénement du systeme révolotionnair~, puisque
lord Minto reste en ltalie et qüe lord Normanby
vient a Paris avec le titte d'ambassadeur. Celui-t:i
ouvriru ses saldos aux principaox coryphées de
l'oppositioo dynastiqoe et de l'opposition anti-
dynastique 011 répuhlicaine; cal' lord Palmerston
veot a tout prix renverser M. Guizot comme iI a
renversé lord Aberdeen, devrait-il, pour cela, dé·
truire la Royattté de 1830 et faire proclatner la
République; celui.;..lil ouvrita, a Palenne, le club
du Casino, centre de l'opposition sicilienne, afin de
préparer une insurrection contre le Gouvernelnent
fiápolitain et de donner l'impulsion révolutionnaire
a toute la Péninsule; car lord Pahnerston ne sau-
rait y relever l'influence de l' Angleterre, saDS
abattr'e ceHe de la France et de l' Autriche.


Pendant que M. Guizot domine cette crise exté-
rieore en sollicitailt des réformes pout les sociétés
italiennes auprés de chaqne Prince, les partis, de-
venus, eotnme en 183-0, les aveugles instt"timents
de l' Angleterre, se coalisent contre lui et font éela-
ter la etise intérieute ttistement célebre soos le




- 401 .-


Dom de campagne des banquets, en sollicitant lá
réforme électorale, non aupres du Roi Louis-
Philippe, mais aupres du Peuple-Souverain. La
Royauté de fait réagit contre cette évocation IDO.;,
rale et ilnmorale du principe de la République.
Elle détionce a la lnajorité parlementaire les lua-
nifestations hostiles d'une minorité extra-parle-
mentaire, plus jalouse de satisfaire l'ambition de
quelques individus que ceHe de la société. En ré-
pouse au discours de la Couronne, l'opposition
organise un banquet supréme, ou elle réunira eerit
mille Parisiens, pour forcer le Roi a bhanger ses
ministres, paree qu'elle prétend devenir Gouver-
netnent. Or, Louis-Pbilippe ne saurait éloigner
M. Guizot, puisque M. Guizot i'a rapproehé des
autres Souverains, et qu'il transformerait ainsi
lui-lnelue son propre trioluphe, glorieux pour
la Ftance, en une dé faite certaine. D'ailleurs,
M. Guizot est le seul hOlulue qll'on puisse opposer
a lord Palmerston ; celui-ci étant désormais le véri-
table chef du parti révoliltionnaire européen; celui-
la, le véritable chefdu parti conservateur. Car si l'in..;
surrection de Palerme, 5' étendant au-dela du Phare,
est l' reu vre de lord PalnlerstoD, la ConstitutioD que
le Roi des Deux-Siciles donne a ses peuples, en méme




- 408-


temps que l'amnistie, est l'reuvre de M. Guizot,
qui procure les mémes institutions libérales au
Duché de Panne, au Granel-Duché de Toscane, au
Royaume du Piémont et aux États-Romains (jan-
vier et février 18lt.8). Les projets de lord Palmerston
sur l'ltalie ne se réaliseront donc pas, malgré l'ae-
tivité fiévreuse de lord Minto, pourvu que l'activité
révolutionnaire de lord Normanby soit tenue en
échee afin qu'il n'accomplisse point les projets
qu'il a sur la France. Quoique le comité réfor·
miste, exprhnant l'alliance monstrueuse de la
société officielle et des sociétés secretes, engage
le mouvement, El coup sur M. Guizot, victorieux
au-dehors, De sera pas vaincu au-dedans, s'H reste
chargé de la résistance. Déjit, le banquet de Paris
est interdit par le Gouvernement et contremandé
par l'opposition, qui réclame la mise en aceusation
des 11linistres, pour n'avoir pas l'air de reculer de-
vant les conséquences de ses propres actes. Quel-
ques voies-de-fuit insllrrectionnelles appuient, dans
la rue, toutes les déclamations qu'on ose produire
dans la Chanlbre. Plus le péril s'accroit, plus
M. Guizot redouble de prudence et d'intrépidité,
1l1oins pour sauver son portefeuille ou sa per-
sonne, que pour sauver la France et la Couronne.




- 409-


Force restera a la loi! s'écrie-t-il; mais la Royauté
l'abandonne et s'abandonne elle~lneme: acte de
faiblesse irréparable! La retraite de M. Guizot
est le suicide politique de Louis-Philippe. Ce
Prince espere, sans doute, désarmer 1& société
officielle qui delnande quelques vagues réformes,
alors qu'il se livre sans défense aux sociétés se-
cretes qui demandent positivement des révolu-
tions. Paris est couvert de barricades, et la popu-
lace nlarche a l'assaut des Tuileries. Louis-Phi-
lippe, suivant l'exemple de Charles X, abdique en
faveur de son petit-fils. Mais cette abdication,
destinée il perpétuer dans la Branche cadette des
Bourbons, la Souveraineté dll droit humain : base
lllobile de la Royauté, comme celle de Charles X
était destinée a perpétuer, dans la Branche ainée
des Bourbons, la Souveraineté du droit di vin : base
immuable de la Monarchie, cette abdication, di-
sons-nous, est déchirée aux cris de vive la Répu-
bUque! par une poignée d'insurgés qui ont envahi
la Chambre des Députés. Au reste, le principe de
l'hérédité monarchique ne pouvait etre invoqué,
en i8h8, par ceux-lil memes qui l'avaient détruit,
en 1830, pour accolnplir le fait d'une élection
royale. Quand la Souveraineté, donnée a la Maison




- 4tO-
d'Orléans au nom de la Bourgeoisie, lui ent été
reprise au DOro du Peuple, l'insurrection, mai-
tresse des Tuileries, alla brúler le Treme de Louis-
Philippe sur la place de Bastille, et un Gouverne-
ment provisoire alla s'installer dans l'Hótel-de-
Ville, ou il décréta l'abolition de la Royauté et
l'établissement de la République.


La Révolution de 1.848 fut donc une consé-
ql1ence logiql1e, naturelle, inévitable de la Révo-
lution de 1.830. Née d'une voie-de-fait, la Royauté
hourgeoise qúe l'on avait constituée en violation du
principe de l'hérédité royale, devait mourir d'une
autre voie-de-fait comlllise en faveur du principe
de l'élection démocratique et au nOlll de la fié·
publique populaire. Quelque déplorable que fut
son origine, il faut admirer néanllloins l'importan-
ce des résultats obtenl1s qui rendirent sa fin vrai~
ment désastreuse. Malgré les petitesses hors ligne
qu'on essaya de produire a cette époque, le Gou-
vernement de Louis-Philippe sera pOllr l'histoire
une expérience pleine de grandeur. Au risque
d'etre tué par la légalité, dans un pays qui avait
perdu toute notion du juste et de l'injuste, il
ne voulut vivre que par la légalité. Devenu Roi
pour représenter lu Souveraineté humaine dans




- 411 -


l'État, a l'exclusion de la Souveraineté divine, il
De régna qu'en garantissant les véritables droits
de l'homme sur la terreo Avec une autorité luora-
lernent contestable et positivelnent contestée,
Louis-Philippe sut développer, en France, une
liberté presque supérieure it ceHe de l' Angleterre,
Nation libre par excellence; avec une liberté po-
sitivement contestable et moralement contestée,
Louis-Philippe sut acquérír en Europe une
autorité supérieure a ceHe de certains autres
Monarques. M. Guizot fit opérer cette double évo-
lution a la Royauté issue de la Révolution de J uillet,
malgré la résistance de lord Palmerston. Premier
ministre d'un État ou les deux principes du droit
divin et du droit humain sont parvenus a se conci-
lier, sous une forme politique vraiment remarqua,.;..
ble, lord Palmerston s' e ffor<;ait de les rendre incon-
ciliables sous quelque forole que ce fut, dans tQUS
les autres États; M. Guizot, au contraire, premier
ministre d'un État ou ces deux principes n'é-
taient conciliables sous aucune forme politique,
s'effor<;ait de les concilier dans tous les États
sous une forme vraiment supérieure. Aussi réta-
blissaiL-il, sur un vaste théatre, l'heureux accord
qui devrait toujours régner entre les Souverains




- 412..-


et leurs sujets, entre l'autorité et la liberté, lors-
que la ealastrophe de février, interrompant sa
earriere gouverneluentale, fit prévaloir l'influen-
ee de son antagoniste, lequel put rétablir alors,
sur un théAtre non lnoins vaste, le fatal désae-
eord qui ne devrait jamais régner entre les sujets
et leurs Souverains, entre la liberté et l'autorité.
Il en résulta que l'Europe entiere ehangea de di-
reetion et de hut, a l'instar de la France. Car
tous les peuples, qui, la veille du '24 février, 501-
lieitaient la Monarchie constitutionnelle ou repré-
sentative qu'ils eonsidéraient eomme le dernier
terme de la grandeur hUluaine, paree que les Iois
politiques n'excluaient pas chez eux les lois lno-
rales, voulurent, des le lendemain, se donner la
République démocratique et sociale, quoiqu'eIle
exprhnAt le dernier terme de la décadence hu-
maine, paree que les lois morales se trouvaient alors
exclues par leurs propres lois politiques.




CHAPITRE XXXV.


MONARCHIE OU RÉPUBLIQUE.
Les e~igences de l'éditeur et de l'imprimeur m'ont forcé a. faire des


suppress!ons. Elles sont relatives a ~ertai.nes apPl'éciations politiques sur
la sItuatlOn de la France actuelle VIs-a-VIS de l'Europe et de l'Europe
vis-a-vis de la France. J'ai dl1 céder, tout en protestant au nom de l'io-
dépendance de l'histoire;, et j'ai indiqué par des poiots la place qu'occu-
paIent les passages suppnmés, afin que le lecteur puisse s'expliquer le
manque de suite qui existe dans ce chapitre.


NOTB DE L'AUTBUR.


Sommaire.


I.a Révolution de 1.848 considérée comme une conséquence de la Ré~
volution de 1.830. - Toute l'Europe en est ébranlée. - Révo-
lutions de Vienne et de Berlin. - Dissolution problématique de
l'Empire d'Autriche et reconstitution problématique de l'Empire
d' Allemagne. - Antagonisme des .États du Nord et des États du
Midi en Germanie. - Le Vor-Parlement a Francfort. -:- 11 de-
mande et obtient la convoeation d'une Constituante allemande.-
Hévolution de la Lombardie qui se sépare de l'Autriche. -L'Italie
veut reeonstituer son unité nationale en méme temps que l'Alle-
magne. - Pie IX et Charles-Albert, les Prinees et les Peuples, les
Sociétés et les partis dans la Péninsule italique. - Conduite
de la Franee républicaine a l'égard des Monarchies de l'Europe.
- Attitude. remarquable du Roi Léopold en Belgique. - Le 15
mai a Pltris, a Naples, a Berlin, a Vienne et a Cracovie. - Assem-
blée Constituante de France. - Journées de JUiD a Paris. - Le
général Cavaignac. - Assemblées Constituantes de Berlin et de
Vienne. - L'archi-duc Jean d'Autriche est nommé Vieaire-Géné-
ral de l'Empire par l'Assemblée Constituante de ¡"ranefort. -Tra-
vaux de cette Assemblée. - Question du Schleswig-Holstein.
_ Guerre entre le Roi de Danemark el le Roi de Prusse au sujet
de ces Duchés. - Intervention des grandes Puissances. - Insur-
reetion de Francfort. -·lnsurrection de Vienne. - Prise de
Vienne par les troupes impériales. -L 'Assemblée Constituante
de Vienne est transférée a Kremsier, et celle de Berlin a Brande-
bourg. - Le Roi de Prusse dissout cette derniere Assemblée par
la force. - Avénement de I'Empereur Fran~ois-Joseph le r, régé-
nérateur de l'Empil'e d'Autriche. - Travaux de I'Assemblée Con-




- 414-


stituante de Paris. -:- Élection présiqeplielle du lO décembre. -
Révolution de Rome. - Fuite du Pape. - Charles-Albert pendant
et apres la bataille de Novare. ,- Avénernent de Victor-Ernrna-
Duel II au Trone de Piélllont. - Deslruclion de la Hépublique
romaine par la RépublifIue fran9aise. - Efforts de l'Autriche pour
soumettre la Hongrie. - L'Empereur Fran~ois-Joseph implore le
secours de l'Empereur Nicolas. - Soumission de la Hongrie. -
Le Parlement de Francfort nomme le Roi de Prusse Empereur
d'Allemagne. - Frédéric-Guillaume refuse ce titre! - Dissolution
du Parlement de Francfort. - Les réfugiés de tous les Étate ol'ga-
nissent a Londres un prétendu Gouvernement de PEurope. - As-
semblée Législative de Paris, gui semble avoir été nommée pour
restaurer la Monarchie en France. - Louis-Napoléon Bonaparte
et cette Assemblée. - Fautes des hommes et fautes des partís en
France.- Voyages royalistes a Wisbaden et a Claremont. - Revue
impériale de Satory. - Situation exceptionnelle du général Chan-
garnier. - Son élévalion et Sil chute. -M. Berryer arbore fiere-
ment le drapeau de la Monarchie. - Manifeste de Venisa. - Le
Spectre Rouge. - DiacusBion relative a la révision de la Gonsti-
tution. - Craintes d'un coup d'État. - Proposition des
questeurs gui est rejetée. - L'Assemblée ne peut pl~s rien
contre Louís - Napoléon Bonaparte. - Coup d'État du 2 dé-
cembre. - Séance de I'Assemblée Législative a la l\1airie du xe
arrondissement. - Arrestation de tous les dépulés présents! -
Journées du 3 et du lt décembre. - Louis-Napoléon Bonaparte
nommé Président de la llépublique pour dix ans. - Sa Dicta-
ture. 1- Décret relatif aux biens de la famille d'Orléans. - L'Eu-
rope apres le coup d'État. - Négociations relatives au rétablis-
sement de l'Empire. - Notes échangées eñtre les Cabillets de
Berlin, de Vienne et de Saint-Pétersbourg a ce sujete - Louis-
Napoléon Bonaparte est élu Empereur. ~ Hostilité des journaux
anglaiscontre son nouveau Gouvernement.-Guerre d'Orient.--Mort
del'Empereur Nicolas Ier et avénement de l'Empereur Alexandre H.
- Situation générale des partis et des sociétés sans cesse mena~
cées d'une catastrophe universelle.-F.st-il possible de la conjurer?


A pres la révolution de t830 qui accomplit la de~­
truction morale de la Royauté frao,«aise, les I\ois
de I'Europe s'imaginerent qu'ils feraient durer




- 415-


leurs propres Monarchies, sans rester eux-mémes
Royalistes, puisqu'ils De s., opposaient pas a ce
que Louis-Pbilippe supplantat Henri V,ou mieux
puisqu'i1s accordaient une tacite adhésion aux ac·
tes par lesquels on opérait, en France, le ren-
versement des principes lnonarchiques.


Apres la Révolution de 18l1.8 qui accomplit la
destruction positive de la plupart des Royautés
européennes, les peuples s'imaginaient qu'ils pour-
raient fonder leurs Républiques respectives, sans de·
venireux-memes Républicains,puisqu'ils ne.s'oppo-
serent pas aceque la Constituan le fran<;aise anéantit
la Constituante romaine,ou mieux puisqu'ils accor-
dérent une tacite adhésion allX actes par lesquels
on opérait, avec l'épée de la France républicaine, le
renversement des príncipes démocratiques.


C'estque, poussée par l'implacable besoin de lnou-
vmnent qui la précipite depuis un si{~cle, tantót
dans une voie, tantót dans une autre, la France ne
peut pas laisser un seul instant de repos el l'Eu-
rope, et que l'Europe se laisse entrainer dan s
toutes les évolutions et dans toutes les révolutions
de la France, étant persuadée qu'elle doit fixer
le destin des divers États, quand elle aura fixé sa
propre destinée.




- 416-


hnpossible d'expliquer autrement les grandes
commotions qui ont bouleversé tant d' Empires, et
lnis en péril tant de sociétés. • Les annales de
l'Europe, dit M. le comte de Ficquehnont, n'au-
ront jamais eu a enregistrer des événements d'une
nature aussi générale, aussi violente et aussi ex-
traordinaire que 1'0nt été ceux de l'année 18b8. Il
Y avait uu pressentiment presque universelquedes
événements graves se préparaient. On voyait l'a-
gitation, on en connaissait les causes, les 11l0ye11s,
on en signalait le but; et cependant tout le lnonde
fut pris a l'improviste. Il n'y a pas eu d'ilnpré-
voyance, mais il y a eu irrésolution. 11 y a eu ce
manque d'appréciation du danger qui fait que,
sans le méconnaitre, on ne sait cependant pas se
préparer a le cOlnbattre (i). »


Chose bien relnarquable t ce fut le lninistre qui
s'était élevé le plus forteluent et le plus longuelnent
contre l'esprit révolutionnaire, que la Révolution
trouva le plus faible et fit tomber le plus vite : 011 a
nomIné le prince de Metternich. Cet homme, véri·
table Atlas, soutenait, depuis un demi-siecle, I'Em-
pire d' Autriche sur ses épaules. Désirant a tou t prix


(1) Lord Palmerston~ l'Angleterre et le Continente Tom. 1,
pago i.




- 4t7-


garantir les destinées de cette Monarchie forlnée
par l'agglomération de divers États, ayant chacun
des buts opposés, des ten dances contradictoires,
une capitale qui vit et une Nationalité qui veut
revivre, conséqueroment des sympathies qu'ij veut
toujours faire triompher et des antipathies qu'il
ne peut jamais vaincre, le prince de Metternich
avait souvent besoin de compritner. Aussi laissa-
t-il prendre dans son Gouvernement, tant de place
a l'autorité, qu'il n'y en eut plus pour la liberté :
ce qui finit par donner beau jeu a l'opposition. Tou-
tes ses mesures, bonnes en elles-memes, puisqu'el-
les avaient pour but d' etnpecher le développement
du désordre révolutionnaire, auraient du rester
provisoires; mais il les rendit définitives, c'est-a-
dire Inauvaises, puisqu'elles empecherent ainsi le
développetnent de l' ordre social. Ql1elques arobitions
de Cour et de Cabinet purent alors battre en breche
l'absolutisme au DOro du libéralisme, afin d'ex-
ploiter les aspirations légitimes du pays. Bientót
il n'yeut pas en Allemagne assez d'éloges pour le
Gouverneroent prussien, qui instituait la liberté de
la presse et la liberté de la tribune, tout en refusant
d'octroyer une Charte ou une Constitution écrite,
et qui consentait a l'éunir périodiql1ement les États


IV. (3) 27




- 418 -


historiques de la Monarchie ; ni assez d'invectives
contre le Gouvernelnent autrichien, qui, refusant
d'instituer la liberté de la presse et de rétablir les
États provinciaux, ne consentait pas lnéme a
suppl'imer les abns, an risque de compromettre
les destinées de la Monarchie, en provoquant une
de ces réactions Ino.rales que la force physique ne
eaurait jalnais contenir.


En effet, le prince·de Metternich, jüloux de garder
le Pouvoir absolu, pour créer l'unité de I'État au-
dessus des diverses Nationalités dont se composait
l'Empire d' Autriche, ne pouvait adlnettre, sans
détruire lui-Inéme l'État, une limitation quel-
conque de son autorité, qui aurait substitué,
it l'Empire d' Autriche proprelnent dit, une foule
de Nationalités presque indépendantes. Rien d'é ..
nergique dans l'histoire comlne la lutte de cet
bOffillle contre plusieurs peuples ! il triompha de
ses ennenlis, túnt qu'ils l'attaquerent dans le but
d'opérer la dislocation de la Monarchie autri-
chienne; Inais il échoua, des qu'ils l'attaquerent
dans le but de définir, Jnieu! que lni, le caractere
propre de la Monarchie autrichienne, qui est celui
d'un État fédératif. Ce fut l'reuvre du hongrois
Kossuth. Toutes les Nationalités gouvernées par




- n\9-


Metternich, au nom de l'Empereur Ferdinand }er;
vOhlurent, suivant les vreUI de K088uth, se gouver-
ner par elles-mémes et forroer une confédération.
la Cour de Yienne, ayant opposé des refus, le peu·
pIe de cette capitale, encore viergé pout la Ré-
volution, mais livré aux fnfluences multiples des
diverses races de l'Empire, assiégea le palais de la
Chnncellerie, en criant : Vive la CrJnstitution! Vive
la liberté dd la pressfJ! et enveloppa de ses masses
cotllpactes les troupes d'une faible garnison (1.3
luars 1848). Le lendemain, M. de Metternich sor-
tait de la vie publique ; tous les Princes de
la famUle hnpériale~ devehus itnpopulaires, ren-
tralent dans la vie privée; et I'Empereur, apres
avoir institué la liberté de la presse ainsi que la
garde nationale, convoquait des États dans les di-
verses provinces de la Monarchie ou mieux, accot'·
dait sana en prononctr le mot, une Constitution (1) ,
ayant pour objet de garantir, dans les Royaulues
alleluands, slaves et italiens, I'existence de la Sou-
veraineté du droit bumain par la Souveraineté
du droít divino


Jusqu'a présent, l' Autriche s'est soumise A


,


(i) M. le comte Mailath, Geschichte de$ ostreichischen Kaiser-
states. Tom. V, pago 404 et suiv.




- 420-


l'influence lnorale de l' Allemagne; lnaintenant
l' Allemagne se soumet a l'influence positive de l' Au-
triche. Munich se révolte pour chasser une cour-
tisane . qui déshonore les marches du Tróne (1. 7
mars). Louis ¡er remet la Couronne de Baviere
entre les mains du Prince royal, son fils (20
mars) ; et le Roi Maximilien II est. proclamé au
milieu de l'enthousiaslne du peuple, paree qu'il
convertit sa propre Souveraineté absolue en une
Souveraineté relative : élevant ainsi la Monarchie
constitutionnelle comtne un bouclier contre la
République.L'ordre se rétablit it Munich,tandis que
I'anarchie s'établit a Berlin (15 lnars). Frédéric-
Guillaulne qui espere néanmoins diriger ou seu le-
lnent contenir le lllouvement national allelnand ,
fait annoncer la convocation prochaine d'un Par-
lement représentatif de tous les États confédé-
rés, et destiné a les' transformer en un seul État
fédéré, ou mieux a transformer le Roide Prusse en
Roi d'Allemagne. Cette proclatnation excite l'en ..
thousiasme parmi le peuple roya liste ; lnais quel-
ques républicains attaquent les troupes sur un
point,et, selon l'usage révolutionnaire, crient par-
tout a la trahison (18). Durant cette lutte horri-
ble, Frédéric-Guillaume, obligé de cacher ses




- 421 -


propres soldats, est contraint de se montrer, pour
saluer d'abord les cadavres (1.9), puis les cercueils
des insurgés (22). Une Constituante seréunit enfin
A Berlin comme A Vienne, OU l' Empereur d' Autriche
et le Roi de Prusse reconnaissent, par le seul fait,
le principe de la Souveraineté populaire, quoiqu'il
doive exc1ure le principe de la Souveraineté mo-
narchique. lIs transigent l'un et l'autre avec la Ré-
volution afin de sauver leurs États respectifs : le
prelnier en évitant, 8'H est possihle, le choc des
Nationalités, qui, sous prétexte de garantir Ieur
liberté particuliere, accomplirait un'e dis8olution
générale de l' Empire d' Autriche; le second, en
organisant, s'H est possible, de son autorité privée,
entre les divers lnelnbres du corps genuanique, l'u-
nité nationale de maniere ace quetous les Étatscon-
fédérés, ne fOrInant plus qu'un seul État et n'ayant
plus qu'une seule Constitution, qu'un seul dra-
peau, qu'un seul Chef, élu par les trente-sept Prin-
ces de la Confédération, les descendants des Ho-
henzollern, puissent en fin subordonner et suppIan-
ter les descendants des Habsbourg, par cette re-
constitution nouvelledu vieil Empire d' Allelnagne.


La Prusse, Puissance plus essentiellelnent alle-
mande que l' Autriche, espérait profiter des calami-




- 622-


tés qui frappaient sa rivale et qui setnblaient épui~
ser a jamais ses ressources, avee d'autnnt plus de
honheur qu'elle exer~ait, depuis quelques années,
un influence toujours croissan te sur les petits
États de la Confédération gerlnanique dont elle
avait déja fait un tout homogéne, en constituant
l'union douaniere, comIne hase de sa propre su-
périorité. Peut-etre aurait-elle réussi daos ses
projets, si elle eut été plus généreuse et Inoins
égolste. Mais, nu Heu de rassurer tous les Prin-
ces allelnands, sur la crainte que son ambition
devait leur inspirer, le Roi de Prusse ne cher-
cha pas meme a calmer l'appréhension de tous les
peuples: de sorte que ses encouragements a l'unité
réveillerent le dualislne des États du Nord et des
États du Midi, de l' Allemagne catholique et de
r Allelllagne protestante, depuis longtemps endor-
mi.


Cinquante publicistes d'université, sans au-
cune espece de Dlandat, se réunirent a Francfort
sur ces entrefaites, et forlnerent le r or Parlement
pour préparer la régénération de .la patrie a11e-
Inande. Chacun disait :« 1'Empire d' Autriche ne
peut plus exister. 11 ne peut pas résister a la fois
au douhle principe de la Souveraineté du peuple




- 423-


et du droit de Nationalité. Done, il n'existe plus.
Ce n'est plus qu'une question de temps; l'holume .
d'État éclairé doitsavoir devaneer le temps. D Quel-
ques-uDs de ces publicistes voulurent nOffiluer un
Gouvernelnent provisoire et proelaluer la Répu-
blique; mais la grande majorité demanda seule-
ment la convoeation d'une Constituante alle-
mande et se présenta elle-Inenle pour en relnplir
les fonctions, ce si les Princes refusaient d'aceéder
J aux vreux de leurs peuples. » 00 ne pétitionnait
plus; on exigeait. Aussi, réduits al' obéissanee, parce
qu'ils ne pouvaient plus cOlnmander, les Souverains
suivirent-ils le mouvement de leurs propres su-
jets, avee l'espoir de le diriger plus tard, oa de lui
opposer une forte résistanee. II est vrai que les
eouleurs rouges, jauues et noires tlottaient par-
tout; et que la réapparition de l'antique drapeau,
symbole de l'unité allemande, provoquait le lnenle
enthousiaslue a Cologne comIne a Berlin, a Mu-
nich COlllme a Franefort.


Pendant que }' Allemagne opérait su révolte lno-
rule contre l' Autriehe, la IJombardie opéra sa ré-
volte positive, en arborant égalelnent les trois eou-
leurs nationules et en criant: Vive Pie IX! Mort
aux Allemands! lneertainde ce qui se passaitá




- 424-


Vienne, le maréchal Radetzky évacua Milan apres
un combat opiniatre (18 mars). Cóme, Brescia,
Bergalue et CrélTIOne triompherent de leurs pro..;
pres garnisons; Venise reconstitua son ancienne
République de Saint-Marc, et toutes les villes de la
terre ferme y adhérerent en se détach~nt de la Mo-
narchie autrichienne. L'insurrection lombarde fit
tressaillir le Piéluont, paree qü'elle ét$lit a ses
yeux un rnoyen infaillible d'atteindre le grand but
de l'unité italienne. Cqarles-Albert promit de mar·
cher, avec ses fils, au secours des freres lomlJards;
le duc de Parlne, I.léopold de Toscane, quoique
Grand-Duc d' Autriche, Ferdinand de Naples, enfin
tous les Princes, entrainés par les Peuples, agirent
COlrllne le Boi du Piéluont et dirent avec lui, daos
un 1110ment de confiance réciproque : l'[talíe {era
tout d'eUe-meme - l'Italia (ara da se. Mais cet ac-
cord des Souverains dura peu; car, lorsque le parti
monarchique eut deluandé la fusion immédiate
ave e le Piéluont, on entendit aussitót le parti ré-
publicain, qui avait promis de cacher son drapean
jusqu'apres la victoire, deluander l'établissement'
itnmédiat de la République. Ainsi les divisions
devinrent d'autant plus profondes que, de part et
d'autre, on se proposait de cOllquérir l'unité.




- 425-


Le Pape, chef moral de l'Italie, ne pouvait se-
conder l'ambition du Roi du Piémont, qui voulait
en devenir le chef politiqueo D'ailleurs, non-seu-
lernent on violentait son Pouvoir en lui itnposant
des ministres et des généraux, mais on violentait
sa conscience' en le contraignant d'expulser les
Jésuites, et de participer, lui, Pere comlnun des
fideles, a une guerre de nature a produire un grand
schisme dans l' AJIelllagne catholique. « Pie IX, dit
César Cantl1, avait héni d'une voix pleine d'auto-
rité et d'anlour les espérances de l'Italie; il envoya
le plus cher de ses cardinaux comme son repré-
sentant dans le camp italien; il avait ses propres
troupes sous le cOlllmandement de généraux pié ..
montais, leur prescrivant de marcher d'un parfait
accord avec Charles-Albert; il invita les Princes a
envoyer a ROllle des députés pour conclure une
ligue politique entre eux. Mais Charles-Albert, au
lieu de' cela, ne parlant que d'une ligue lllilitaire,
Pie IX vit bien que 1'on visait A réunir l'Italie dans
d'uutres vues, nussi déclara-t-il qu'il ne favorise-
rait point un Prince aux dépens des autres (1). »)


Non content de protester contre ceux qui ngis-


(i) Ilist. de cent ans. Tom. IV, pago 358-59.




- 426-


saient de maniere a constituer ·une Monarchie ita-
Henne, ayant le Roi du Piémont pour Souverain, il
protesta contre ceux qui parlaient d'une Républi-
que italienne, ayant le Pape pour président, et vou-
lut se faire médiateur de la pan entre l' Allemagne
et l' ltalie, afin de meUre un terme aux calamités
de la guerreo « Mais, ajoute l'bistorien milanais,
le délnon de la défiance avait aveuglé les esprits.
00 soupc;onna le Piéluont, qui sollicitait iropa-
tiemment la fusion, de vouloir abaisser la cause
italienne aux proportions d'un intérel particulier.
00 soupc;onna le Roi de Naples de chercher a
s'emparer d' Ancóne, et de viser a quelque agran-
disselnent territorial; on soupc;onna le Gouverne-
ment rOlnain de vouloir recouvrer la Polésine et
fairerevivre d'anciennes prétentions sur les pays
de Parme et de Modene; on se défia du prélat que
le Pape venait d'envoyer a l'Elupereur; on se défia
de la fIoUe que le Roi Ferdinand avait expédiée dans
l' Adriatique pour renforcer celle de Sardaigne, et
les Siciliens la canonnerent au passage du détroit;
011 se défia du ministere romain, quand il mit aux
mains de Charles-Albert tou tes les forces ponti-
ficales. Et quand l' Au triche en vint a offrir, sous la
luédiation de l' Angleterre, de constituer un État




- ú27-


ipdépendant sous le sceptre d'un Archiduc, qui
aurait Parme', Modéne et la Lomba.rdie jusqu'a
l' Adige, on ne voulut pas lnélne s'y arréter : 00
répondit que l' épée une fois tirée pou.' la cause
italienne, on ne pourrait plus s'arréler qu'A l'en,.
tiere délivrance. »


L'Italie espérait d'autant mieux vaincre l' Au-
tricbe, que la France républicaine, tout en prenant
l'engagement de ne troubler aucun Gouvernement
monarchique, a vait prolnis sa protection particu-
liére aux Nationalités opprimées, et qu'elle n'épar-
gnait fien pour susciter la lutíe généraIe des Peu~
pIes contre les R~is. Seulement, au Heu de pren-
dre la direction otIicielle d'un pareil bouIeverse-
luent, elle en prit la direction occulte. Ses premieres
vues se portérent sur la Belgique, ayant l'espoir de
l'absorber. Une poignée de démagogues essaya
d'envabir ce pays; mais le bon sens public fit jus-
tice d'une si folle tentative (24 luars). Le Roi
Léopold, fondateur de l'ordre et de la liberté
beIge, déclara qu'il était pret a déposer sa Cou-
ronne, si le Peuple désirait transforluer sa Monar-
chie en République, au risque d'encourir la boute
du despotisme apres les terribles angoisses de l'a-
uarchie. Tous les partis, éclairés par l'expérience




- 428-
de la société franc;aise que ron croyait aIors per-
due, se rallierent autour du Tróne; et la Belgique
fut sauvée.


L'expédition républicaine de Chalnbéry échoua
comme celle de RisquoDs-Tout (lJ. avril) : ce qui
n'elnpécha point le mouvement révolutionnaire
de s'étendre en Pologne et en Suede, OU il fut
comprimé; en Grece OU il faillit triolupher, et en
Espagne OU il rencontra la résistance insurmon-
table du général Narvaez, rafferlnissant l'autorité
de la Reine Isabelle sans trop porter atteinte aux
libertés nationales. Ces tentatives particuliéres
servaient de préludé a une révolte universelle, qui
devait éclater le mélue jour, dans toutes les capi-
tales de I'Europe. Mais les sociétés secretes n'en-
gagerent le combat avec les sociétés officielles,
le 1.5mai, qu'a Paris, a Vienne, a Berlin, A Cracovie
et a Napies. Elles furent vaincues partout, excepté
dans la capitale de la Monarchie autrichienne qui,
étant au pouvoir de l'insurrection, devint une vé-
ritable République.


En effet, les insllrgés ayant établi un Comité de
su reté générale,ou mieux un Gouvernement, l'Em-
pereur Ferdinand s'enfuit a Inspruck (1.7 111ui); et
l'Empire selnblait condalnné a tOlnber en débris,




- 429-


car chaque province, espérant recouvrer sa Na-
tionalité, voulut se déclarer indépendante. Sur
cesentrefaites, le Parlement de toute l' Allemagne
s'assemhlait A Francfort (1.8 lnai). Comme ses pro-
jets d'unité constitutive ne devaient point s'ac-
corder avec ceux de la Constituante prus-
sienne déjA convoquée, ni ave e ceux de la
Constituante autrichienne, qui allait étre eon-
voquée, les députés annuIerent par avance tout
ce que ces deux AsseInblées pourraient faire en op-
position a leurs propres décrets. Les Slaves, crai-
gnant aIors de perdre Ieur Nationalité si l' Autriche
était absorbée par l' Allelnagne, s'insurgerent (1. 2
juin); mais la Bohélne ne participa point au souIe-
vement de Prague que le Prince de Windisgraetz
s'empressa de comprimer. Ainsi, partout on par-
lait de Constitution, partout on agissait eJ;l vue
d'une dissolution générale; et pour savoir quelle
allait étre la destinée de l'Europe monarchique,
les hommes d'État avaient toujours leurs regards
anxieuselnent attachés sur la France républi-
caine!


Or, l'existence de la société franc;aise, chaque
jour aux prises avec le Socialisme,devenait de plus
en plus problématique. Les clubs et les journaux




- 430-


révolutionnaires, sources intarissables d'anar-
chie, rendaient impossible l'étabUsSement d'ttt1
ordre quelconque, depuis qué I'État faisait vivre, it
Paris, dans les ateliers nationanx, ceux <tui·le fai-
saient vivre autrefois lui-méme, en travaillant
dans les ateliers particuliers. Il n'était question
que de l' organisation du travait, parlni ces ouvriers
oisifs que le Communisme recrutait dan s un but
de désorgünisation sociale et d'expropriation uni-
verselle. Aussi chacun songeait-il a défendre son
chalnp, sa malson et sa liberté, ou lnieux sa pro-
priété matérielle et sa propriété morale, contte les
barbares de la civili~ation qui voulaient s'emparer
du Gouvernement, pour dicter des lois a tout le
monde; tandis que la Commission exécutive, éta ....
blie par l' Assetnblée Constituante, ne songeait pas
n1eme a défendre la capitale, ou 1'0n organisait
ouvertement la plus sanglante de toutes les insur-
rections. L'archeveque de Paris trouva le luartyre
sur une barricade en offran t la paix ala guerre civil e ,
et I'anuée perdit six généraux; luais la société rem-


, porta une victoire décisive sur le Socialisme, apres
quatre jours de co!nbat, durant lesquels on avait
substitué le pouvoir militaire au pouvoir civil. La
dictature du général Cavaignac donna quelques




- 431-


jours de reposA la France, et rendit a I'Europe
une tranquillité provisoire, qui permettait aux di-
vera États de poursuivre l'reuvre de leur régéné-
ration. Mais rien ne se fit nulle part f quoique tont
fut a refaire partout. La Constituante fran~aise
travaillait pourtant a fonder une République dé-
mocratique, en regard de la Constituante autrí ..
chienlle, qui travaillait a fonder une Monarchie
constitutionnelle (1.7 juillet). Les huts contradic-
toires de ces deux Assemblées exprimaient l'oppo-
sition générale de tous les intérets de l'humanité,
formant le.caractere distinctif de notre époque, du-
rant laquelLe aucun hOlnme ni aucun parti ne
peut pas plus résoudre le probleme des destinées
locales, que celui des destinées universelIes. A Pa-
ris, en effet, les Constituants étaient assez républi-
cains pour n'étre pas monarchiques, mais ils étaient
trop lnonarchiques cependant pour devenir répu-
blicains; a Vienne, les Constituants étaient et vou-
laient rester Galiciens, Croa tes, Bohélnes, Magyars,
Roulnans, elc., pour ne pas devenir Autrichiens :
de sorte que, de part et d'autre, 00 décompo-
sait l'État, au Heu de le régénérer.


'foutefois, des que la Diete viennoise fut consti-
tuée conlme expressioo de la liberté conquise, le




"
.;..


- 432-


Comité de salut public put étre dissous par le Ca-
binet impérial, agissant COlnme expression de l'au-
torité reconquise. D'un cóté, les Députés lnulti-
plierent leurs votes conservateurs ou révolution ...
naires; de l'autre, les ministres lnultiplierent leurs
actes afin d'empecher tout démembrement de la
Monarchie et de reprendre le Royaume Lom ...
bardo-V énitien. Toute la LOlnbardie retomba sous
la dépendance de l' Autriche , mais non pas Venise,
qui cherchait dans la révolution de l'ltalie une
occasion de retrouver son ancienne indépendance.
Le Roi du Piémont, chargé de conduire la guerre
insurrectionnelle, offrit un armistice au maréchal
COlnte Radetzky, apres avoir intrépidelnent com-
battu, avec ses fils, sur plusieurs cbamps de ha-
taille. Les Italiens l'accuserent de trabison , paree
qu'il était coupable d'héroisme. Ce n'est pas Char-
les-Albert, mais bien Mazzini; ce n'est pas le parti
monarchique, lnais bien le parti républicain qui
entrava le nlouvelnent de I'Italie et lneme eelui
de toute I'Europe.


En nOlnmant l'Archiduc Jean d' Autriebe Vieaire ..
Général de l'Elnpire (5 juillet), l' Assemhlée de
Francfort setnblait respeeter le droit historique.
Cela ne l'empecha pas de revendiquer, uu nOll1 de






- 433-


l' Allemagne, tous les pays qui parlent allelnund et
qui appartiennent a d'autres États. Aussi les Duchés
du S~hleswig el du Holstein, actuelletnentjoints au
Danemark et qui s'en étaientalors séparés(21 mars) ,
pour ne point subir I'éventualité d'une succession
royale qu'ils considéraient eomme incompatible
avee leurs priviléges nationaux, paree qu'elle aurait
opéré l'absorption de la race tudesque par la race
scandillave,furent-ils déclarés tous deux partie inté ..
grante de l' AlleLuagne, q uoique le Holstein seul
appartint a la Confédération gennanique. Et lors-
que le Roi de Danenlar~ voulut agir contre les Du-
ehés, le Roi de Prusse aecourut a Ieur secours sous
prétexte de faire exéeuter le décret de l' Asselublée
de Franefort; en réalité, paree qu'il voulait profi-
ter des innombrables divisions qui se manifestaient
en Europe , au seul effet de faire prévaloir sa pré-
tention déjil séeulaire de constituer l'unité alle-
mande.


Tandis que la question des Duchés se résolvait
en batailles, In question révolutionnaire propre-
ment dite se résolvait en émeules sanglantes a
Berlin (2l aout). Frédéric~Guillaume IV fit accep-
ter une sorte d'armistiee aux Prussiens révoltés ;
nwis il d ut aceepler un annistice lui-meme de


IV. (3) 26




- 434-


la part des Puissances européennes, qui prenaient
fait et cause pour Frédéric VII. La minorité de
l' Assemblée de Francfort, désirant que la Prusse
ne cédAt pas a l'Europe dans une affaire essentiel-
lmuent allemande, s'insurgea contre la majorité,
fit appel au peuple et s'empara de la ville (1.7 sep-
tembre). Il Y eut d'horribles conflits et des assas-


( sinats plus horribles encore. La paix ne fut réta-
blie que lorsqu'on eut parcourll toutes les phases
douloureuses des guerres civiles, qui finissaient
ici, pour recomluencer ailleurs.


Une armée se réunissait a Vienne dans le but de
réduire la Hongrie, violemtnent séparée de l' Au-
triche; nlais le peuple s'étant révolté pour empé-
cher cette expédition (6 octobre) , l' Empereur s'en-
fuit a Olmütz ; et la Diéte, restée seule dans la
capitale de l'Empire, y exerc;a toutes les préroga-
tives de la Souveraineté. A voir tant de calamités
frapper coup sur coup la Monarchie autrichienne,
on cut dit que le courage et le génie de ses hOIU-
mes d'État se trouvaient épuisés. Et cependant le
le parti libérnI croyait assurer sa propre fortune,
en proclamant telles et telles docLrines de nature
a provoquer la ruine de toute société poli tique.
« L'illusion dura aussi longtemps, dit M. le comte




- 43ei -


de Ficquelmont, que le mot de liberté seInblait de-
voir étre le lien qui devait unir tous ceux qui la de-
mandaientet tous ceux qui la désiraient. Mais,quand
il fut clair a tous les esprits que chacun voulait la
sienne aux dépens de ceHe des autres ; quand il fut
évident que l'Empire allait tomber en débris, l'ex-
ces du Inal produisit a10rs le relnede. Un vieil or-
gueil historique se réveilla. Le souvenir du passé
sauva l'avenir. Ce qui avait été calculé, COlnme de-
vant étre le signaI d'un délnelllbrement général,fut
le coup de canon d'alarme qui fit prendre lesarlnes
a tout ce qui voulait rester Autrichien. Personne
ne voulut d' une liberté qui commen«ait par exi-
ger le sacrifice de l'hooneur, pour détruire en-
suite une ancienne et glorieuse existence (1.). D


Les Bohemes, naguere insurgés contre l' Au-
triche, s'offrent lnain lenant a l'Empereur, jaloux
qu'ils sont de défendre sa cause, en combattant
l'insurrection des Viennois. Le Ban Jellachich et le
prince de Windischgraetz operent aussitót leur
jonction, lnarchent sur Viellne, s'en emparent; et
l'Empire est sauvé (31 octobre). Cette réaction
monarchique gagne du terrain en Autriche et s'é-


(1) Lord Palmerston, l'Angleten'e et le Continente Tom. ler,
pago 65.


' .
. . ~




- 436-


tend dans une .partie de l'Europe. Les deux Gou-
verneluents de Vienne et de Berlin se transfor-
ment en une Dictature lnilitaire, a l'instar du
Gouverneluent de Paris. Ces trois capitales res-
tent soumises aux rigueurs de l'état de siége.
La Constituante viellnoise est transférée a Krem-
sier; la Constituante berlinoise, a Brandebourg.
Mais, si la Diete autrichienne, dont la majorité
appartient a la Bourgeoisie, obéit, sans murmu-
rer, au décret de l'Empereur qu'elle considere
comme son alIié naturel contre la Noblesse, il n'en
est pas ainsi de la Diete prussienne, dont la majo-
rilé appartient au parti républicain, qui prétend
s'insurger contre le décret du Roi, ni plus ni moins
que si elle eut été réunie dans le but de consti-
tuer un droit public ünli-lnonarchique, ou mieux
de dissoudre la Monarchie, et qui agit de maniere
a se faire dissoudre elle-meme par la force ('lO oc-
tobre).


Les deux plus grands États de l' Alleluagne se
relevent simullanément. A l'exception de l'Italie
et de la Hongrie, plus pres des ennemis de l' Au-
triche que de l' Autriche, toutes les diverses pro-
vinces de l'Empire, suivant la haute direction qui
leur est itllpl'imée par le prlnce de Schwarlzenl..,




- 437-


berg, se réunissent pour atteindre un seul et
meme but, a l'effet d'élargir le eerc1e des libertés
locales, de resserrer les liens de l'autorité centrale
et de garantir le développenlent du nouvel ordre
social qu'on avait créé, pendant que 1'0n détrnisait
l'ancien ordre politiqueo L'homme et la terre se
trouvaient égalelnent affranchis, puisque les
paysans n'appartenaient plus aux seigneurs, puis-
que les hiens féodaux étaient soumis au lneme ré-
gime que les biens communaux. Pour compléter
cette régénération de la Monarchie autrichienne ,
le vieux Ferdinand ter abdiqua en faveur de son
neveu le jeune Franc;ois-Joseph Ier, déc1aré majeur
de la veille, et dont le pere, l'archiduc Franc;ois-
Charles, avait, le jour melne, renoneé au Tróne
(2 décembre). Se plac;ant au-dessus des partis,
I'Empereur proluit de rétablir la paix -dans la so-
ciété, quoique la guerre d'Italie ne fut pas finie et
que celle de Hongrie ne fut pas commencée.


Le nouveau regne devait inaugurer une ere
nouvelle. Aussi, des son avénement, Franc;ois-Jo-
seph fit-il entendre ces paroles mémorables : a Ap-
puyé sur les bases (l'une vraje liberté, sur le
principe de l'égalité des droits entre tous les peu-
pIes qui composent notre Etnpire, sur l'égalité




- 438 -


des citoyens devant la ]oi, sur le droit acquis
aux Représentants du peuple de s'associer a notre
Gouvernement, notre pays va retrouver son au-
cienne gloire. L'édifice nouveau que nous allons
reconstruire sera cOlnme une grande tente, OU,
sous le sceptre héréditaire de nos aleux, les di-
verses races de l'Elnpire s'abriteront plus libres
et plus unies que jamais. »


En voyant l'Empereur d' Autriche accepter fran-
chelnent toutes les conquetes de son temps,le Roide
~russe résolut aussitót d'octroyer une Constitution
et de favoriser ainsi toutes les conquétes de l'avenir,
pour n'etre pas dépassé, aux yeux des peuples alle ..
nlands, par son antagoniste naturel, sur la route du
progreso Mais cette Constitution, provisoireluent
accordéele 6 décembre 18lJ.8,ne futdéfinitivelnent
adoptée et jurée que le 6 février 1850. Quoi qu'il en
soit, la République avait essayé de s'établir en Alle ...
magne, et n'avait fait qu'y préparer la transition
de la Monarchie absolue a la Monarchie constitu-
tionnelle.


Au surplus, elle n'obtenait pas plus de succes
en France, ou le principe lllonarchique triOJn-
phait dans l'État sous la fOfine républicaine. Effec-
tivement, quand }' Assemblée Constituante eut




-- 439 -


décrété qu'un Président serait élu pour quatre an-
nées par le suffrage universel, et neserait rééligible
qu'apres un intervalle de quatre ans seulement, la
Nation pouvait choisir entre deux principaux can-
didats : le général Cavaignac eL Louis-Napoléon Bo-
naparte. Le premier ,qui avait sauvé la société quel-
ques mois auparavant, était le candidat du parti
républicain; le second, qui désavouait sa qualité de
Prince et ses anciennes prétentions a l'Empire,
pour devenir Président de la République en qua-
lité de simple citoyen, était celui du parti
légitiluiste et du parti orléaniste, s'effor<;ant
ensemble d' effacer les luoindres traces de leurs
divisions, avec l'espoir de reconstituer, t6t ou
tard, par leur propre fusion, l'unité dynustique.
L'élection du iD décembre fut donc une transac-
tion plus ou luoins rationnelle; entre le principe
de la République et les diverses fonnes de la
Royauté. Louis-Napoléon Bonaparte jura la Con-
stitution, quoiqu'elle mit en présence le Pouvoir
exécutif et le Pouvoir législatif, ayant tous les
deux la lnéme origine, mais n'ayant pas la lneme
fin; quoiqu'elle statuat que le Président ne
pourrait jamais dissoudre l'AsseJnblée des Re-
présentants, et que, l' As&emblée des Repré-




- lil¡O -


senlants pourrait toujours déposer le Prési-
dent, s'H l'empechait de remplir sou propre
mandat : ce qui devenait un crime de haute
trahison. Il est vrai que rien dans le présent
ne faisait encore prévoir les tri!)tes conflits qui de-
vaient se produire dans l'avenir. Car l'un el l'autre
Pouvoir,agissant avec une confiance réciproque, se
proposerent pour unique but le rétablissement de
l'ordre en France, j usqu'a l'expédition de Rorne,
au llloyen de laquelIe ils concoururent ensemble
au rétablissement de l'ordre en Europe.


La Révolution ,de l'ltalie, bénie par le Pape et
par tous les Princes de cette Péninsule, tant qu'elle
De cherchait qu'a recouvrer sa propre liberté na-
tionale, fut luaudite par le Pape et par tous
les Princes, des qu'elle ne chercha plus qu'A
reuverser leur autorité. L'assassinat de Pelegrino
Rossi (15 novembre), n1inistre de Pie IX, fit éc\a-
ter des réjouissauces pareilles A ceHes que faisait
éclater naguere l'avéneluent de ce POl1tife libé-
ral. Obligé désonnais de prendre un lninistere
panul h"ls homnles qui étaient lTIoins dévoués a la
Monurchie qu'a la République, assiégé daos son
palais comme dans son Gouvernement, témoin
affiigé, luuis impuissant, du nlassacre de ses plus




- 441-


fidéles serviteurs, le Saint-Pere comprit qu'il n'y
avait plus rien a faire pour lui dans Rome, OU des
groupes anarchiques tenü_ient le parti de }'ordre en
échec; et, abandonnant son peuple, il accepta la fi-
liale hospitalité d'un Roi Bourbon dans le Royaume
de Naples (24 novembre). Au mépris de ses protes-
tations souveraines, les ministres qu'il avait nom-
més lui' - nlélne, convoquerent une Asselllblée
Constituante (13 décembre), et le firent déposer,
afin de .substituer le droit humain au droit divino
Cette AsseInblée, réuniele 5 février suivant,préten-
dit effectiveluent détruire la Monarchie et créer la
République, en vertu d'une simple proclamalion
(9 février t849).


« La déchéance du Pape, dit M. César Cantu,
ne pouvait rester un fait isolé dans la Chré-
tienté. lndépendallllnent dn respect, de I'a-
mour des fideIes et des sympatbies que le lnonde
tout entier avait témoignés pour Pie IX, on
vit apparaitre, dans cette Répuhlique rOlllaine
(inaugurée par un assassinut que tous les partis
se jetaient mutuellement a la téte) , COlllnle le fan-
tÓUle d'un grand complot européen travaillant a
rellverser tout ordre quelconque, a miner toule




.",.. 442 -.-


idée de subordination (1). D Aussi, la France ré-
publicaine, par une contradiction flagrante avec
les principes de son propre Gouverneluent, voulut-
elle opérer la restauration luonarcbique de Pie
IX. Car il lui importait d'intervenir elle-méme,
pour empecher l'intervention de l'Espagne, de
Naples et \ surtout de l' Autriche, qui rétablissait,
peu a peu, sa supériorité en Italie, depuis la
bataille de Novare (27 lnars).


Charles-Albert, ayant reconnuencé la guerre a
l'expiration de l'anuistice, avait noblement ter-
miné sa carriere politique dans cette sunglante
journée. 00 a résumé tous ses actes avec tres-
peu de lll0ts : (e 11 s'est battu en héros , il a


-


»vécu en luoine et il est mort en lllartyr. »
Son tUs, Victor-ElllIllanuel tI, ouvrit aussitót
des négociations pour la pail, avee le pieux espoir
de fenuer, par nn regne prospere, les plaies de
son creur et celles de sa patrie. Sur ces entl'efaites,
le général Oudinot, victorieux, entrait dan s ROlue;
le Roi de Naples rentrait en possession de la Sicile; _
lDais le Pape ne devait reparaitre dans la chaire de
saint Pierre qu'au lllois d'avril 1850, alors 'que l'ae-


(1.) Hist. de cent ans. Tom. [V, pago 367.




- 443-


complissement de ses devoirs de Monarque parti ...
culier et temporel était redevenu, comIne con sé-
quence de l'occupation franc;aise, assez faeHe pour
ne pas le distraire de ses devoirs de Monarque
spirituel et universel.


L' Autriche avait triomphé de l'Italie; mais elle
eraignait de sueeolnber dans sa lutte eontre la Hon-
grie. Ses bommes d'État ne eraignirent pas d'im-
plorer le secours de la Russie, au lnoment ou eette
haute Puissance venait d'envahir les Principautés
du Bas-Danube, sous prétexte d'y réprimer eertai-
nes . tentatives révolutionnaires, bien que eet acte
dut leur inspirer les plus viv~s inquiétudes. Car, le
meIne fait ayant été renouvelé depuis, I'Empereur
Franc;ois-Joseph s'est cru obligé de prendre une at-
titude presque hostile a l'égard de l'Elnpereur Ni-
colas. Saint-Pétersbourg aceueillit les priéres de
Vienne avec une abnégation d'autant plus remar-
quable, qu'il sacrifiait son intéret particulier a l'in-
téret général. Si la Hongrie eut reeonquis son indé-
pendanee, l' Autriche,Puissaneeessentielleluent eu-
ropéenne,était perdue a jalnais peut-etre; et les po-
pulations slavonnes de eette contrée, tOlnbant l'une
apresl'autre sous la dépendance russe, auraient en-
trainé sur-Ie-champ, dans un lllouvement anaJogue,




- 444-


toute la race slave, qui considere toujours le Czar,
non COlllme son oppresseur, lua1's comme le libé-
rateur futur de sa propre Nationalité. Quand les
armées austro-russes eurent opéré leu~ jonction
(aout 1.849), les aristocrates hongrois, devenus
démagogues, perdirent I'espoir d'opérer leur sé-
paration d'avec les Autrichiens. Il en résulta que
l'Empire, si longtelnps ébranlé par le choc de
tant de peuples et de tant de races diverses, fut,
apres cette crise, heaucoup plus compacte qu'il ne
l'était auparavant.


o Ce ne fut pas seulement la lIongrie et l'Italie
que la secousse ébranla, dit un histoirien contem ..
porain; il fallut que l' Autriche bombardAt la plu-
part de ses capitales; presque partout l'état de siége
fut établi.


»Le salut de l' Autriche, ce fut de n'avoir pas
concentré toute l'autorité dans Vienne. Aussi est-
ce en cédant qu'elle résista; et quand l'Empereur
en fuite se jeta dans Olmütz, dans Inspruk, rien
encore n' était désespéré. l.a vie de l' Autric_he était
dans son arlnée , qui resta in ébranlable dans sa
discipline (1), »


(1) M. CésarCantu, Hist. de cent am. Tom. IV, pago 383.




- 445-


Ainsi, la résistance opiniAtre de la Hongrie
et de I'Italie ne lassa pas plus le courage de
ses soldats, que I'antagonislue opiniatre de la
Prusse, en Alletnagne, ne lassa le courage de ses
hOlUlnes d'État. Cette derniere Monarchie s'étant
incorporée tout entiere a la Confédération germa-
nique, l'Autriche réclalna le méme privilége ou le
lnéme droit, qui I'aurait rendue tout-a-fait mai-
tl'esse de l' Allenlagne. Car, en vertu d'une Consti-
tution octroyée le ú mars j 8ú9, c'est-a-dire le
jour méme OU fut dissoute la Constituante de
Kremsier, I'Empereur Franc;ois-Joseph avait créé
une Représentation centrale et unique pour les
diverses provillces de I'Elnpire, comIne s'il eÍlt
voulu détruire leurs Nationalités respectives. Mais
le Parlement de Francfort déclara qu'une Puis-
sance composée de différentes Nations, ne pouvait
faire partie de la Confédération germanique. Vai-
nelnent l' Autriche voulut-elle réagir con tre cette
Assemblée, qui prétendait fonder une Allemagne
impériale, représentutive et unitaire ; vainelnent la
plupart des Princes confédérés protesterent-ils
contre un Pouvoir central qui lnena<;ait l'existence
de tous les autres Pouvoirs, le Parlement ayant
voté l'hérédité de l'Empire, procéda sans délai a




- 446-


l'élection de I'Empereur (27 et 281nars 1849). Sur
cinq cent trente-huit lnembres présents, deu!
cent quarante-huit s'abstinrent, et deux cent qua-
tre-vingt-dix accorderent leurs suffrages au Roí de
Prusse, qui fut salué Empereur d' Allemagne.


Apres avoir si longtemps disputé a l'Empereur
d' Autriche l'hégémonie , ou lnieux la suprématie
en Allemagne, le Roi de Prusse l'obtenait enfin
avec un titre pompeux, mais en faisant tomber
son RoyaUll1e sous la dépendance du ParleInent
de Francfort, dont la Souveraineté populaire s'é ..
leverait au-dessus de su propre Souveraineté ím-
périale et royaIe. Cette révolution monurchique
servit de prétexte a d'autres révolutions républi-
caines. De nouveaux souleveluents, aussi formi-
dables que les anciells, éclaterent successivement


(


dans le Wurtemberg, dans le Duché de Bade, dans
la Saxe et dans la Baviere Rhénane. Comlue son
reve d'unité n'aboutissait réellement qu'aux plus
sanglantes divisions, la Prusse dut y renoncer.
Frédéric-GuillauIlle IV, ne voulant fien usurper


..


sur personne, refusa le titre d' Empereur d' AUema-
gneet se contenta d'étre l'un des Rois les plus puis-
sants de l'Europe. Aussitót les Députés prussiens
quitterent le Parlement de Francfort; ceux des an-




- 4~7-
tres Puissances gerlnaniques suivirent leur exem ..
pIe: et cette Assemblée se trouva dissoute par le fait.


Néélnmoins, le principe fédératif, base du sys·
teme allemand, ne fut pas abandonné, puisque
la Prusse devint le centre d'une fédération des
États les plus considérables de la Germanie. Fré ..
déric-Guillaume tit une concession importante a
Fran((ois-Joseph, en retirant de la Confédération
générale les États qu'il y avait incorporés, quoi-
qu'il pflt se prévaloir d'un fait accompli. Les 10n-
gues luttes de l' Autriche et de la Prusse parais-
saient done terminées; mais elles reconllnencerent
bientot apres au Bujet de l'Électeur de Hesse,
détróné par son peuple et que l'Empereur Fran-
<;ois-Joseph voulait rétablir dans l'exercice de
son autorité souveraine. Les Prussiens marche-
rent contre les Autrichiens, qui osaient s'appro-
cher de leurs frontieres ; et la guerre aurait éclaté
entre ces deux peuples, si l' Empereur de Russie,
auguste représentant du sysU~lne conservateur,
n' ent fait comprendre a I'Empereur d' Antriche et
au Roi de Prusse, que la paix était nécessaire a
toutes les Monarchies, en ce lnOlnent surtout OU
l'Europe se trouvnit ébranlée par des questions
bien plus graves que des rivalités politiques d'État




- 448-


a État, de Monarque a Monarque, puisque leur en-
nemi" commun se proposait el de détruire toute do-
"mination telnporelle et toute dominatioD spiri-
tuelle, » c'est-a.-dire l'ordre social, pour créer
une République universelle, c'est-a-dire, l'anar-
chie dans son expression absolue.


En effet t les hornmes prétendus républicains
et socialistes, que la faiblesse ou l'incapacité des
Rois el avaient laissés pénétrer, l'arlne au bras et
par effraction, dans le Gouvernenlent,» lnnis
qui étaient torobés, des hauteurs du triomphe
populaire, sous les coups d'une implacable réac-
tioD , se relevaient au loin avec l'espoir de houle.
verser chaque Société monarchique. 11. Tout ce qui
put échapper a la rigueur des Pouvoirs restau~
rés, dit un jeune écrivain politique, se réfugia en
Angleterre, en Belgique, en Suisse, en Turquie,
corome dans quatre asiles. Les chefs' retrouverent
leurs soldats; les soldats reconnurent leurs cbefs,
et, COlnme la Révolution n'abdique pas, les Comi-
tés s'organisérent, les forces furent comptées, les
moyens pris pour les accroitre. Le Gouvernement
de }'Europe fut constitué in partibus. Ce Gouver-
neluent eut sa centralisation, son budget, se Iivra
aux opérations financiéres les plus raffinées, émit




- Lll9 -


des actions, décréta des emprunts, et, chose sin-
guliére, trouva des préteurs. l.a facilité des com-
lllunications, les canaux multipliés du commerce,
les journaux, .la correspondan ce particuliere per-
lnirent de renouer les liens des sociétés secretes
et de reprendre en grand cette pratique de l' op-
position, plus facile que ceBe du Pouvoir (1.). »


Londres devint la capitale de cette Europe uto-
pique, inventée pour l'épouvante de l'Europe ofIi-
cielle. u II est possible , disaient les chefs des ré-
fugiés, il est possible que la grande révolution
dont nous approchons coutera deux miltions de
tetes. Mais l'existence de deux nlillions de miséra-
bIes peut-elle etre prise en considération, lorsqu'il
s'agit du bonheur de deux cents millions d'hom-
mes? Non, le telnps doit venir ou le peuple se-
couera ce falueux scrupule de conscience, OU il
portera le glaive exterminateur partout ou se ca-
cheront ses ennemis lnortels, et ou il célebrera )a
féte de la vengeance sur des montagnes de cada-
vres (2). D On ne craignait pas d'ünnoncer, en ces
terlnes, le triolnphe de la République démocra-


(1) De la Neutralité de l' Autriche dan s la guerre d'Orient,
par un Européen, pago 66-67.


(2) LehcJ'cn del' Revolulion. Doctrines de la Révolution (litre
d'un gazette ullemande de Londres), 16 novcmbre 1849.


IVI (3) 29




- 450-


tique, sociale et universelle, dans un délai déter ..
miné: le lJ. mai 1852, époque a laquelle expi-
raient les pouvoirs présidentiels de Louis-Napo-
léon Bonaparte, comme si la Répuhlique fran~aise,
changeant de direction en meme temps que de
Président, devait alors se donner pour but l'aboli-
tion de toutes les Monarchies particulieres, apres
avoir rétabli le tróne de Pie IX, expression mo-
rale de la Monarchie universelle.


Et cependant, la France républicaine s'effor-
~ait, au contraire , de redevenir elle-meme roya-
liste. Car l' Assemblée Législative, en succédant a
l' Assemblée Constituante qui avait fait la Républi-
que, semblait n'avoir d'autre mission que de refaire
la Monarchie. En effet, une tres-compacte lnajorité
qualifiait la nouvelle révolution de surprise, de
catastropbe, de coup de luain; et les hOlnmes,
qu'on voyait autrefois a la tete de l'opposition po-
pulaire, se repentaient, en pleine tribune, d'avoir
sapé toutes les bases du Gouvernement royal, dont
la restauration paraissait plus ou luoins prochaine,
quoique les deux partis du droit divin et du droit
bumain, applicables a la Royauté, conservassent
encore leurs prétentions exclusives. Aussi advint-il,
qn'nynnt n réagir ensemble contre 1'anarchie, ces




- 451-


partls s'enteodirent tres-bien pour maintenir un
ordre provisolre; mais qu'ils ne s'entendirent nul-
lement pour fonder un ordre définitif.


Les divisions de l' Assemblée favorisaient les des..
seins de Louis-Napoléon Bonaparte, qui, en sa qua",
lité de Président de la République, jouissait d'une
autorité, sous certains rapports tres-restreinte, et,
sous d'autres rapports, beaucollp plus étendue que
celle d'un Roi constitutionnel. Responsable et
vis-A-vis du pays et vis-A-vis du Pouvoir législatif,
il devait prétendre au Gouvernement personnel ,
malgré ses ministres, hommes iInportants de
l'ancien régime qui refusaient d'inaugurer un ré-
gime nouveau. Le ministere fut changé (31 octo-
bre 1.849) ; mais, COffi'me le nouveau Cabinet avait
été formé a l'exclusion des notabilités parlemen-
taires, il en résultü que l' Asselnblée se sépara du
Président.


Cette séparation s'effectua trop tót 00 trop tard:
trop tót, paree qu'il faUait prolonger une siLuation,
qui obligeait les partis A se tendre la maio récipro-
quement, pour résister aux ennemis de toote so ..
ciété, qui lenr faisait déja un devoir de se conduire
avec sugesse, et qui, saos doute, leur ferait com-
prendre , apres tant de folles prétentions, qu'ils




- 452-


n'avaient d'autres droits que eeux donnés par la
raison; trop tard , paree que LouÍs-Napoléon Bo-
naparte avait eu le temps de transforlner sa ma-
gistl~ature présidentielle en une sorte de généralat;
et que le eonflit du Pouvoir exéeutif et du Po u-
voir législatif, du jour OU il éelaterait d'une ma-
niere violente, devait prendre les proportions d'un
conflit entre l'ordre civil et l'ordre lnilitaire : der-
. ,


expression de l'anarehie. nIere o o


• • • o


• • • • o o· o


• • o o • • o • o •


Aux fautes des Pouvoirs vinrent se joindre les
fautes des partís. 11 s'était forIné un groupe d'hom-
lues supérieurs, appartenant jadis aux opinÍons les
plus diverses, mais oubliant leurs aneiel1l1es que-
relles, poursuivant ensemble un grand but d'ave-
nÍr national, et désirant trouver la solution de
tous les problélues posés elevant la société 1110-
derlle, dans une restauration de la Monarehie tra-
ditionnelle, sous prétexte que pal'tout OU triomphe
eette forme de gouverneluent, elle exprilne le Pou-
voir le mieux autorisé; qu'elle u'exclut point des
jnstitutions libérales et progressives, et qu'elle est
destinée a rétablir la solidarlté morale et posiLive




- 453-


de la génération présente avec les générations pas-
sées, de telle ou telle Nation avec toules les au-
tres Nations, de telle ou telle Dynastie avec toutes
lesautres Dynasties. Malheureusement, l'iofluence
de ces éluinents esprits, qui aurait dft étre souve-
raine pour luettre fin a l'anarchie, fut tenue en
échec par les brigues des poUtiques et des habites,
toujours opposés au rétablissement de l'ordre pu-
blic, par cela seul qu'ils cherchent un fait, ou
lnieux l'intérét matériel, au lieu de chercher"
COlllme leurs antagonistes, l'intérét rnoral, ou
lllieux un principe. Cur, fier de lllaintenir les pré-
tentions exclusives de la R.évolution en les faisant
tourner a son profit et contre elle-nlélue, puisqu'il
ne veut pas plus de la Monarchie proprement dite
que de la République, ce purti révait une Ré-
'gence, en faveur du COlnte de Paris, 'c'est-a-dire
l'établissement d'un Pouvoir fictif, a l'abri duquel
il exercerait lui-méme un Pouvoir réel; tandis
que l'autre parti, heureux de neutraliser les pré-
tentions exclusives el les tendances fatales de la
Révolution, ne favorisait que ses tendances provi-
dentielles, ponr sauvegarder les intérets suprélnes
de la société.


Il s'ensuivit, selon M. poooso Cortés, que e la




- 454-


,. ou le salut social dépendait de In dissolution de
• tous les partis anciens et de la formation d'un
'8eul parti monarchique, les partis resterent ee
»qu'ils étaient, les Bonapartistes penserent a Bo-
"naparte, les Orléanistes au Comte de Paris, les
»Légitimistes a Henri V (1. ). » De sorte que le grand
parti de l'ordre, naguere si compacte, se trouva
subdi visé en une foule de coteries; et que ses chefs
eurent une situation identique a celle des géné-
raux qui sont abandonnés par leurs artnées. •
• • • • • • • • • • •


• • • • • • • • • • •


. . . . ,. . . . . • • • • •


Les voyages a Wieshaden et a Claremont COl n-
cidérent avee la revue de Satory. On eut dit que
la possession défioitive du Pouvoir en France devait
etre le prix d'une simple course au clocher. Les
soldats sous les annes, avaient crié: Vive t'Em-
pereur! M. Berryer arbora, sur les hauteurs de la
tribune, avee tonte la magnificence de son propre
langage, le drapeau de la Légitimité ..... Aussitót
Monseigneur le COlute de Chambord, lui adressa
l'adlnirable Dlanifestede Venise, qui se résuluait en


(1.) Voir la belle étude de M. le comte de Montalembert sur M. le
marquis de Valdegamas. - Correspondant, aout 1853.




- 455 -


deux mots nffirnlatifs : Autorité et Liberté. On lui
opposa, dans le Spectre Rouge, un autre manifeste,
qui se résumait en deux lnots problélnatiques:
Jaequerie ou Dietature. Aueun Monck n'était pos-
sible, depuis la destitution de M. le général Chan-
garnier; mais un Cromwell pouvait désormais es-
sayer de se produire. Chaque question, posée de-
vant l'intelligence du pays, entrainait au lnoins
une révolution poli tique. Afin de prévenir eette ea-
tastrophe, le tiers-parti demanda la révision légale
de la Constitution. Apres une diseussion lnélnora-
ble ou la République était éloql1emment défendue
par M. Michel de Bourges, et la Monarchie, par
MM. Berryer et de Falloux, eette proposition fut
.rejetée. Lorsque tous l€s partis sociaux eurent
ainsi donné une égale preuve de leur impuissanee,
les Représentants se séparerent, sans etre certains
de pouvoir se réunir. Car on croyait que Louis-
Napoléon Bonaparte ferait, pendant les vacances,
le coup d'État qu'il fit le 2 décelnbre suivant.


En apprenant, le Inatin de ce jour, SIue les
généraux Changarnier, Bedeau, Lallloriciere, Ca-
vaignac, Leflo et une foule d'autres Représentants,
avaient été arretés pendant la nuit, et que Louis-


.


Napoléon Bonaparte prétendait dissoudre le Pou-




- 456-


voir législatif, l'immense lnajorité des Législa-
teurs ne songerent plus qn'á défendre le droit
qu'ils exer<;aient au nom du pays. Quoique le Pa-
lais·Bourborr fút entouré de troupes, une cinquan-
taine d'entre eux se réunirent, a dix heures, dans la
salle des séances, d'ou M. Espinasse, colonel du
42e de ligne, vint les expulse)'. •• •


• • • •


• • •


D'autres tentatives de résistance furent faites
dans l'intérieur méme du palais, chez M. Berryer,
chez M. Odilon Barrot, chez M. Daru, l'un des
vice-présidents, et enfin dan s la Mairie du dixieme
arrondissement, ou le drame parlementaire allait
se dénouer. La, trois cents Représentants, réunis
sous la présidence de MM. Benoit d' Azy et Vitet,
les deux seuls vice-présidents qui fussent encore
en liberté, rendirent, sur la proposition de
M. Berryer, un prelnier décret ainsi con<;u :


« Aux termes de 1'artic1e 68 de la Constitution,
altendu qu'il est mis obstac1e a l'exécution de son
Inandat, l' Asselnblée Nationale décrete que Louis-
Napoléon Bonaparte est déchu de ses fonctions.
En conséquence, les citoyens sont tenus de lni re-
fuser obéissance; le Pouvoir exécutif passe de plein




- 457 -


droit al' Asselublée Nationale; les juges' de la Han-
te-Cour doivent, sous peine de forfaiture, se réunir
immédiatement, a l'efret de procéder ati jugement
du Présiden t de la République et de ses compli-
ces. 11


Un second décret portait réquisition a tous les
officiers el comluandants de la force publique de
ne plus obéir qu'a l' Assetnblée, seul Pouvoir exis-
tant en vertu de la Constitution; un troisieme
nomlnaiL le général Oudinot cOlnmandant de tou-
tes les forces chargées de veiller a la sureté de
l' Assemblée; un quatrieme enjoignait a tous les
directeurs et gardiens des prisons et forteresses de
mettre en liberté les Représen tants indCuuent in-
carcérés.


Ce dernier décret venait d'étre rendu, lorsqu'un
grand nombre de soldats, commandés par M. le
général Forey, cernerent la Mairie .• • •


• • • • • • • • •


• • • •


• o • • • • • •


Trois cOlnmissaires de police sOlnmerent les
Représentants d'évacuer la salle. Mais l' Assemblée
répondit qu'elle n'uvait a tenil' compte d'aucune
somluatioll. U 11 aide-de-cmnp de M. le général




- 458-


Magnan parut alors, déclarant qu'il lui était or-
donné de conduire ala prison de Mazas quiconque
résisterait. De toutes parts on s'écria: Tous a
Maza,! Les chasseurs de Vincennes entrerent
alors dans la salle, pour en faire sortir les Repré-
sentants. L'un des vice-présidents, M. Vitet, ayant
forrnellelllent refusé de faire un pas s'il n'y était
contraint, fut appréhendé uu collet de son babit
par un sergent de ville, et entrainé ainsi dans la
rue; puis les Représentants, suivant Ieur président
tenu au collet, luarcherent silencieusement dans
la direction de la caserne du quai d'Orsay.


« Partout, sur leur passage, dit un historien an-
glais, témoin afiligé de nos propres discordes, la
population, étonnée a la vue de ce cortége, pou-
vant a peine croire a ce qu'elle voyait, lnanifestait
en faveur de l' Assemblée les plus vifs sentiments
de regret et de respecto l.'attitude de ces Repré-
sentants entre ueux baies de soldats était si calme
et si digne, la fonte setllblait si sYlnpathique, que
quelques personnes purent, au premicr abord, se
faire illusion et croire que l' Asselnblée était re-
conduite a son palais pour en reprendre posses-
sion. » Les grilles de la caserne du quai d'Orsay,
qui se refermerent sur elle vers le milieu uu jour,




- 459-


ve se rouvrirent que vers le milieu de la nuit.
Une quantité de voitures ceIlulaires venaient pren-
dre les Représentants qui furent transférés a la
prison de Mazas, au chAteau de Vincennes et au
fort du Mont-Valérien.


Pendant que l' Assemblée Législative délibérait
a la Mairie du dixieme arrondisseLuent, la Haute-
Cour, réunie au Palais de J ustice, déclarait Louis-
Napoléon Bonaparte prévenu du crime de haute
trahison, et « convoquait le Haut-Jury nationa1
» pour procéder sans délai au jugement (t) •• Les
lnelnbres de la Cour furent dispersés par la force.
Toute résistance morate étant désormais impossi-
ble, il fallut prévoir la possibilité d'une insurrec-
tion. Certains Heprésentants lnontagnards tirent
placarder plusieurs appels aux armes. Les Pa-
risiens, ne prenant au sérieux ni le parti jaco-
hin, ni le coup d'État, réagissaient contre l'un
et l'autre par l'ironie. CeUe situation changea
pourtant le troisielne jour, qui fut une sanglante
journée (2). Mais le coup d'Élat, dont le sueces


(1) Ce sont les termes de l'arrM. Voir I'Histoire d'un coup d'É-
tat, par M. P. Belonino. Introduction et conclusion par M. Amédée
de Cesena, pago 134.


(2) On lisait, le 3 aout 1852, en tMe de la partie non officielle du
Moniteur:


«( Le Times, convaincu de dénigrement prémédité, ne se défend




- 460-


était douteux, réussit. • • • • •
• • • • •


• • • • • • • •


• • • • • • •


Louis-Napoléon Bonaparte, devenu dictateur,
ohtint, du suffrage universel, le titre de Président
de la République pour dix ans, et le pouvoir de
donner a son Gouvernement telle forme et tels prin-
cipes qu'il lui conviendrait. La Nation fran«aise
passa ainsi, du régime d'une liberté plus ou moins
limitée, au régitne d'une autorité illiInitée. Un sim-
ple décret fixa les attributions nouvelles des divers
corps politiques, qui redevinrent ce qu'ils avaient
été déja an conlll1encement du siécle. On releva le
sénat, le corps législatif, le conseil d'État, et toutes
les institutions tOlnbées avec l'El11pire. La presse,
désormais soulnise aux avertissements, ne put con1-
mettre certains écarts, sans encouriro les rigueurs


que par de nouvelIes calomnies. Dans son numéro du 28 aout, il
prétend qu'apres le 2 décembre, 1,200 personnes inoffensives, et
sans armes, ont été assassinées par des soldats ivres dans les rues
de Paris.


» La réfutation d'une semblable calomnie se trouve dans son exa-
gération méme. _


» Tout le monde le saH : le relevé officiel porte le nombre des
personnes tuées pendant l'insurrection a 380; c'est déja trop san s
cloute. Quant aux personnes blessées accidentellement, par bonheur
le nombre s'en éleve a peine a 8 ou 10.




- 461 -


de la suppression. Enfin, les biens apanagés de la
famille d'Orléans furent absorhés dans le dOluaine
de l' État, et les biens, forIuant depuis un demi ..
sii:!cle son dOLuaine privé, durent étre vendus par
elle a un jour déterluiné (t).


Le coup d'État du 2 décembre avait dissipé toutes
les craintes plus ou moins fondées, que les éventua-
lités de 1852 inspiraient a la France républicaine et


(1.) Voici une lettre que Louis-Philippe adressait a M. Casimir
Périer~ pour s'opposer a la vente des biens de la branche al-
née de la Maison de Bourbon.
(1 Je préviens M. le président du Conseil des ministres que ma


)) conviction et mon serment ne me permettent pas de sanctionner
)) aucune mesure contraire a la Charte. Je regarderais comme syn-
)) onyme de la confiscation, qu'elle a proscrite impérativement,
) tout séquestre et toute obligation de vendre des biens possédés
» en France, quel que fUt le délai alloué pour faire les ventes; cal',
)) selon ma conscience, toute obligation de vendre est uneconfis.
) cation.


1) Le mercredi, 23 mars 1.831..


) 'LOUIS-PUILIPPE. »


Un an apres, sur l'initiative de la Chambre des Députés, la
vente forcée fut votée, et les exigences du Gouvernement constitu-
tionnel ne permirent pas au Monarque de s'opposer a la promulga-
lion de la loi, que. dans toutes ses conversations il appelait la loi
spoliatrice, mais il en empécha l'exécution autant qu'il dépendait
de lui, et en réalité non-seulement la famille royale ne fut pas con-
trainte a vendre dans le délai fixé par la loi, mais en outre ses do-
maines sont encore aujourd'hui entre ses mains.


Dans l'exil, Louis-Philippe rappelant son respect constant pour la
légalité, disait: (1 J'ai toujours scrupuleusement faH exéculer les
)) lois, une seule exceptée, celle qui concernait les biens de la braQ-
1) che alnée de ma famUle, ))




- 462-


aux di verses Monarchies européennes. Mais la cause
des Gouvernements libres semblait perdue; celle
des Gouvernemen ts despotiques, gagnée. DéjA le
Roi des Deux~Sieiles, cédant aux vreux des Napoli-
tains,avait suspendu la Constitution pourun teInps
indéfini; l'Empereur d' Autriehe avait -provisoire-
ment repris l'exercice du Pouvoir absolu, en se
réservant le droit de faire exalniner la Charte du 4.
nlars par une COlnmission, a l'effet de savoir si elle
seraitmaintenueoll suppriInée. On s'imaginait que
le Roi de Prusse abolirait le régime représentatif
el diminuerait aU8si les libertés publiques pour ae ..
croitre sa propre autorité; on craignait enfin que
les Monarques d'Espagne, du Piérnont, de Belgi-
que, des Pays-Bas, de Suéde et Norwége, de Dane ..
lnark, de Wurtemberg, de Hanovre, de Saxe et de
Baviere ne transfonnassent leurs institutions libé-
rales en institutions tyranniques. Néanmoins, tous
les Souverains de l'Europe, BU lieu d'aeeepter aveu ..
glément la réaction despotique, lnaintinrent leul'S
Assemblées libres, expression du droit humain t
8utour de leur Tróne, expression du droit divin.
Et l'Empéreur Fran~ois - Joseph s'empressa lui-
melne de rassurer ses peuples en posant, dans U_D
décret, les bases de la Constitution de l'Empire




- 463-


d' Autriehe, OU des Conseils provinciaux devaient
étre généralelnent établis.


Si les guerres civiles du droit divin et du droit
humuin étaient généralement suspendues, les
guerres internationales pouvaient recorntnencer
de tous eótés 8U sujet des memes principes. Une
sourde agitation régnait a cet égard dans le Pié-
Inont, en Suisse el en Belgique, États limitrophes
de la France, oill'établissement d'un Pouvoir, pIu-
tót militaire que civil, devait réveiller l'esprit de
conquétes endormi pendant quarante années de
paix. Aussi les divers Gouvernements n'accorde-
renl-ils au nouvenu Gouvernelnent fran~ais qu'une
approbation pIeine d'inquiétude; tandis que l' An-
gleterre, seuIe, fiére de se poser devant le Con ti.
nent comlue la proteetrice arlnée du réghne parle ...
lnentaire et de la légalité, ne lui épargnait Bueun
signe de lnéfianee.


En melne tenlps qu'il s'effor<;ait de rassurer I'Eu-
rope. l.ouis-Napoléon Bonaparte s'effor~ait de con-
tenir la l?rance. A l'ouverlure du Sénat et du Corps
législatif, il fit entendre ce langage remarquable,
sinon remarqué: • La Constitution de l'an VIII a
servi de lnodéle a celle de 1852 • .,.... Je n'accepterais
de modificntion a I'état présent des choses, que si




- 464-


j'y étais contraint par une nécessité évidente. D'ou
peut-elle naitre? uniquenlent de la conduite des par.
tis. S'ils se résignent, rien ne sera changé; mais si,
par l.eurs sourdes menées, ils cherchaient asaper les
has~s de mon Gouvernement; si, dans leur aveu-
glement, ils niaient la légitimité du résultat de
rélection populaire ..• alors, nlais seulernent alors,
il pourrait etre raisonnable de deluander au peu-
pIe, au n0111 du repos de la France, un nouveau
titre qui fixAt irrévocablement sur Iua tete le Pou-
voir dont il m'a revetu. Mais ne nous préoccupons
pas de difficultés qui n'oot saDS doute rien de pro-
bable; gardons la République (19 mars 1852). )


Malgré ces paroles solennelles, et quoique les
partis ne voulussent nullement disputer au Prési-
dent de la République le suprelne ascendant qu'il
exer<;ait sur la so cié té , persoone au monde ne
doutait de son tres-prochain avénement a l'Eln-
pire. Cette transformation, purelnent nOlninale
pour la ¡<'rance, pouvait provoqucr une grande
erise en Europe. Dans la prévisioo d'événements
plus ou moins contraires aux príncipes fondamen-
taux du droit public, les divers Monarques s'em-
presserent d'aplanir toutes les difficultés partieu-
liefeS qui s'élevaiellt entre cux, ComUlC uu sein




- 465-


de leurs propres Monarehies; et spécialement les
contestations relatives a la double sueeession au
Trone de Danemark et de Greee, qui furent ré-
glées par les traités de Londres, ave e l'assenti-
ment de ces deux Éta ts. • • • • •


-



• • • • • • • • • • • • •


• • • • • o • • • • • • • •


• • • • • •


Avant de solliciter le suffrage universel du Peu-
pIe fran«;ais pour obtenir le titre d'Empereur héré-
ditaire, Louis-Napoléon Bonaparte sollieita le suf-
frage universel des Rois. • • • • • • •


• • • • • • •


• • • • • • • • • • • • • •


Cependant, les résolutions de l'Europe, quelles
qu' elles fussent, ne devaient point changer S3 dé-
termination personnelle. Aussi vouIut-il etre élevé
a la dignité impériale, en vertu d'un fait positif
éluané de la Nation, se proluettant de vainere, s'il
le fallait, toutes les résistanees lnorales du tllonde .


• • • • • • • • • •


• • • • • • •


• • • • • • • • • • • •


Monseigneur le cOlute de Chambord, en su qua-
lité de chef de In Maison de Bourbon, protesta contre


IV. (3) 30




- 466-


l'établissement de l' Elnpire. Mais les Souverains de
I'Europe, sans exprimer aucune opinion sur les
principes énlis dans le plébiscite, devenu désormais
loi en Frunce, ni accepter les conséquences qui
pouvaient etre déduites de cet acte de législation
intérieure, se bornerent a réclamer du nOllveau Sou-
verain une reconnaissance fOl'll1elle de la législation
extérieure, constituant le droit public européen •


• • • • • • • •


• • • • • • •


• • • • • • • • • •


L' Angleterre, qui laisse Daitre ou mourir tous
les Gouvernements, quels qu'ils soient d'ailleurs,
avec une égale indifférence, accueillit d'emblée Na-
poléon 11I, parce qu'il s'écrinit : I'Empire, e'est la
paix I,mais prévoyant une guerre prochaine, elle
n'en fortifia pas lnoins ses cotes maritimes; el les
journaux de Londres prodiguerent des insultes
grossieres a notre fiere patrie, comme pour donner
eux-melnes le signal des hostilités entre les deux
Puissances occidentales.


Au lieu d'envoyer une escadre dan s les eaux de
la Tanlise, touis-Napoléon envoya une Ulllbassade a
Constantinople f afin d' obtenir, s'H était possible, des
sen avénement an T1'on(', le titre de Pro!fcleur des




- ~6'-
Lieux-Saints, et de subordonner ainsi, a sa propre
personne, I'Empereur d' Autriehe et I'Empereur de
Russie, tousdeux rivalisant d'influenee aupres de la
Porte, ou nlieux, aupres des populations ehré-
tiennes qui subissent le joug de l'Islamisme. Les
eoneessions faltes par le Divan a M. de Lavalette,
ayant inquiété le Cabinet de Vienne, entrainerent
d'autres eoneessions faites a. M. de Leiningen, dont
la parole eomminatoire devait avoir de terribles
eonséquenees. Car la Russie, usantde tous les genres
de droits qu'eIle a su aequérir par tant de traités,
erut devoir étre eneore plus lnena<;ante que
l' Autriehe.


En sa qualité de Proteeteur arIné de l'Église grec ..
que, l'Empereur Nicolas fit partir pour Constanti-
nople M. le prinee Mentsehikoff, chargé d'une lnls-
sioo extraordinaire. Toutes les difficultés relatives
aux Lieux-Sai.nts furent applanies eependant par le
rétablissement de l'équilibre entre les Grees et les
Latios; luais d'autres diffieultés surgirent, plus in-
tenses, paree qu'elles étaient générales, nullelueot
insunnontables, quoique ta question d'Orient put,
si elle se résolvait sans coneert préalable, détruire
l'équilibl'e des Pouvolrs entre les divers États de
l'Ocddent. Ln guerre seule pouvnit livrer l'Europe




- 468-


a cette éventualité redoutable. Et cependallt l' An-
gleterre, qui feignait de se croire 111enacée par la
France, espérant produire une diversion favo-
rable au développelnent de son propre égolslne,
ne recula point devant une pareille extrémité, au
risque de rendre toutes choses problématiques
dans le monde civilisé.


Le conflit , transporté successivelnent a Jérusa-
lem, a Constantinople, dans les Principautés du
Danube, a Vienne et a Sébastopol, s'aggrave en se
dépla<;ant. Les conférences diplOlnatiques ne sont
plus dans la pensée des Gouvernem~nts, qu'un
llloyen d'opérer la transition graduelle de l'état de
paix a l'état de guerreo La France, ennemie natu-
relle de l' Angleterre, est devenue son alliée, tandís
que la Russie, alliée naturelle de la France, est de-
venue son ennelnie. Les deux grandes Puissances
occidentales prechent une croisade européenne
contre l'Empereur Nice)as, sons prétexte qu'uu
Elnpire grec ne doit pas s'élever en Orient avec les
rlébris de l'Elnpire oHoman qui va tomber.


C'est surtout a l' Allelnagne qu'on s'adressa,
parce qu'elle ne croyait pas que «ce Prince, qui
depuis trente années gouvernait avec tunt de sa-
gesse et d'habileté ses vustes États, allait, uu dé-




- 469-


clin de sa carriere et par un oubU soudain de sa
renommée, déluentir tout son passé, se faire, dans
un intérét douteux, le perturbateur de l'Europe
aprés en avoir été le soutien, et choisir pour cela
le moment le luoins ?pportun.


J) Quand la Révolution affaiblissait naguere les
États aux dépens desquels la Russie pourrait s'a-
grandir, OH l'avait vu n'user de sa force que pour
restaurer les pouyoirs compro mis, prével1ir les
ruptures, aplal1ir les difrérends. Tout-a-l'heure
encore, il venait, avec un désintéressement bien
rare dans l'histoire des Maisons régnal1tes, il ve-
nait de renoncer a. ses droits éventuels a la cou-
ronne de Dan€lnark, et, pour rappeler un petit fuit
qui avait alors son importance, d'abandonner une
quarantaine qui senlblait sur le Danube un poste
avancé de la Russie.


, En Allemagne, il avait exercé cette influence
légititue que donnent l;age, les titres et les liens
du sango Partout il avait otrert le heau spectacle
d'une grande modération servie par une grande
puissance (t). »


Quoique les diverses Cours allemandes aient


(1) M. E. Crampon, De la politique médiatrice de l'Allemagne,
pago 30-31.




- 470-


adopté jusqu'A présent une politique luédiatrice,
iI est itnpossible de prévoir ce qu'elles feront dans
l'avenir. Déja les vieilles alliances ont été dis-
soutes; et de nouvelles eontractées. Ici 1'0n ou-
blie tous les services rendus; on ne se souvient
plus la des agressions eommises. Quelques-uns, se
formant une opinion ehimérique, veulent eonsidé ..
rer la Russie eomOle le despote futur du Continent;.
et nul n'est rmnené aux faits positifs, aux événe-
luents aceolnplis, qui doivent nous faire considérer
r Angleterre eomme le despote des mers.


Ces lnalentendus généraux donnent a la erise
actuelle un caractere tellement particulier, que
la mort de l'Empereur Nicolas, a qui l'on ilnputait
en eertains lieux toute la responsabili té de la
guerre aetuelle, n'a fait naltre nulle part aucun
lnotif sérieux d'espérer le proehain rétablissement
de la paix européenne. En effet, I'Empereur
Alexandre II s'est empressé de déc1arer, le jour
méme de son avénement, qu'il redoublerait d'ef-
forts « pour aeeolnplir les désirs et les projets de
, Pierre ler, de Catherine 1I, d' Alexandre Ier et
»de son anguste pere, » dont le nom tiendra une
si grande place dans l'histoire du XIXO siecle. Cette
déclaration belliqueuse De l'a pas empéehé, il est




- 471-


vrai, de cGnfirmer les concessions pacifiques pré-
cédemment accordées par Nicolas Ier, c'est-a-dire
les quatre conditions qui se trouvaient posées dans
les conférences de Vienne, avec l'interprétation
que les Puissances continentales prétendaient leur
donner. Mais, par elles-Iuémes, ces conditions, for-
mant les bases d'une discussion;- ne pouvaient
alllener une pacification générale.


Ainsi, le Nord et le Midi, l'Orient et l'Occident
se heurtent l'un contre l'autre, tant sur le ter-
rain des batailles que sur le terrain des influen-
ces diplolllatiques. Partout l'impétuosité de I'at-
taque est contrebalancée par la solidité de la
résistance. Déjil, un grand revireluent d'opinion
se lnnnifeste, daos 1'un des granc1s États belligé-
rants et dans plusieurs États neutres,ou 1'0n prend
en sérieuse considération l'importance des conces-
sions faites par la Russie; et cependant, personne
en Europe n'ose croire a une solution ilnmédiate
et conséquemluent a une paix quelconque, paree
que la guerre, probleme forlnidable, résulte de
l'opposition univérselle qui regne dans tous les
intéréts de l'hulnanité 1


Résulllons-nous :
Une moitié du lllonde politique tíent en échec




- 472 -


l'autre moitié. Situation fillule! car pendant que
l'Angleterre combat pour s'ouvrir la Baltique et
la mer Noire en fermant la Méditerranée a la
Russie, pour détruire la marine russe et pour
empecber qu'une marine grecque ne se crée en
lnelne tmllps qu'un nouvel Empire grec, la France 1
combattant aupres d'elle et pour elle avec au-
tant de gloire que de désintéressement, ne sau-
rait remplir sa baute vocation, qui est de découvrir
et de fixer le but supreme des États pour consti-
tuer le véritable Pouvoir; et la Russie, obligée de
supporter le choc de la France, de l' Angleterre et
d'autres États chrétiens ou luahométans, ne sau-
rait non plus remplir sa haute vocation, qui est de
délivrer I'Europe du fanatislue re1igieux engendré
par I'Islamisme, et du fanatisme anti-religieux en-
gendré par le J acobinisme, pour conserver les pro-
gres de l'humanité qu'elle a besoin de s'approprier.


11 en résulte que de grandes transfonuations peu-
vent s'opérer dans la législation intérieure des Mo ...
narchiesnon encore belligérantes, notammentdans
l' Empire d' Autricbe et dans le Royaume de Prusse,
ou des institutions nouvelles, libérales, progre s-
sives donnent achaque Gouvernelnent la faculté
de diriger l'action des partis sans cesse nécessaire




- 473-


an développelDcnt des sociétés, etque rien de SCln-
blable ne s'opére en France OU le Gouvernement,
ayant ressuscité les institutions anciennes, illibé-
rales, régressives qui étaient rnortes depuis le
comlnencelllent du siécle, c'est-a-dire qui avaient
fait leur telnps, semble avoir mis la société en pé-
nitence,afin de mieux neutraliser l'action des par-
tis qu'il ne peut pas diriger.


Cette infériorité relative de la France a l'égard
de I'Europe, est d'autant plus [atale, sous le rap-
port des destinées humaines, que la mission pro-
videntielle de notre patrie est de faire prévaloir
sur le monde sa supériorité absolue, paree qu'elle
doit etre le Moniteur poli tique de tous les États!
Mais ce róle admirable et si bien relnpli par elle,
dans le moyen-age, au profit de l'autorité, daos
les telDpS luodernes, an profit de la liberté, com-
IDent pourruit-elle le relnplir en ce temps révolu-
tionnaire, puisqu'on y exclut tour a tour l'auto-
rité par la liberté et la liberté par l'autorité?


Ce n'est pas tout: l'opposition politique de la
France et de l'Europe se cOlllplique eocore d'uoe
opposition dynastique. Effectivement, tons les Mo-
narques regnent en vertu du droit (livin, excepté
Louis-Napoléon, qui gouverne" au n0111 du droit




- 474 -


humain; el ce désaccord exprime l'antagonisme
actuel des Monarchistes de fOrille et des Monar-
chistes de principe, analogue a celui que 1'0n si-
gnalait naguére en tre les Républicains de forme
et les Républicains de principe, et qui rendit im-
possible l'établissenlent de la République.


Apres avoir constaté l'impuissance du parti ré-
volutionnaire ou républicain, et l'impuissance du
parti conservateur ou Inonarchique, faut-il con-
dure a l'impossibilité d'un Gouvernement quel-
conque?


Tel est pourtant le redoutable probleme que les
hOlnmes d'État doivent. se poser dans ce moment
ou, la société générale et chaque société par-
ticuliére étant divisées en deux camps enne-
luis, la guerre internationale peut engendrer plu-
sieurs guerres civiles et une catastrophe univer-
selle.




CHAPITRE XXXVI.


RÉGÉNÉRATION NÉCESSAIRE DE LA MONARCHIE.


CONCLUSION.


Apres avoir généralelnent établi, dans nos trois
premiers volUlnes, que le Savoir était, en tous lieux
et en tout telnps, la véritable base du Pouvoir,
nous avons particulierement essayé de prouver,
dan s ce quatriéme et dernier volume, que main-
tenant le Pouvoir est partout contesté, paree qu'il
n'y a presque nulle part de Savoir incontes-
table.


Si nos démonstrations, quoique bien rapides,
paraissaient néanmoins suffisantes, on reconnai-
trait avec nous que, ne trouvant aucune regle pé-
remptoire, aucun point d'appui fixe, aucune vé-
rité fondalnentale, aucun principe de certitude
absolue dans les, sciences politiques et morales,
telles qu' elles sont enseignées depuis un long sie-
ele, l'esprit de l'homme se perd, irrésolu, au lnÍ-




- 476-


lieu de l'inextricable chaos des idées fausses ou sur-
années et des faits toujours nouveaux qui se heur-
tent, se melent, S'alllOncelent incessaIDlnent de
l'un a l'autre hout du nlonde civilisé. Car illui est
impossible de prendre une détermination tant soit
peu rationnelle, sans etre certain de la voir sur-Ie-
champ comhattue, neutralisée OH annihilée par
une déterrnination contradictoire et rationnelle au
meme degré. C'est ponr cela qu'il devient de plus
en plus difficile, non-seulement de coordonner
une si grande lnultiplicité de faits et d'idées, mais
surtout de les elnbrasser par des lois, puisque ces
lois présupposeraient une détennination incontes-
tée, incontestable, universelle, et, conséqueln-
ment, la solution du prohléme qui, a lui seul, ré-
sume et doit résulner tous les autres, savoir : Quel
est le hut de l'huluanité sur la terre?


En effet, jusqu'a ce qu'on ait résolu ce problelne
de luaniere a présenter provic1entielleluent toutes
les vues de l'holun1e dan s une considération uni-
que, supérieure et absolue, il faut s'attendre a
ce que les partis social1x, organisés depuis que la
société hnn1aine proprement dite a été dissoute,
feront prévaloir fatalement leurs vues contradic-
toires, présentées dans plusieurs considérations op-




- 477-


posées, inférieures et relatives. Celui qui prétend
s'élever a la vérité par le seul effort de la raison,
sans l'intermédiaire de la foi, prendra toujours
l'expérience pour moyen et pour but l'intéret ter-
restre, afin de constituer les divers États sous la
fornle d'une République, d'établir leur indépen ..
dance individuelle au sein d'une fédération géné-
rale, et de garantir les destinées de l'humanité en
donnant libre cours a sa perfectibilité indéfinie,
pour qu'elle puisse entiérement satisfaire ses in ..
térets matériels, considérés COlluue son bien su-
prenle sur la terre ; et celui qui prétend s'élever a
la vérité par l'unique secours de la foi, sans l'in-
tenuédiaire de la raison, prendra tOlljours la ré-
vélation pour Illoyen et pour but l'intéret céleste,
afin de constituer les divers États sous la forme
d'une Monarchie, de rétablir leur complete dépen-
dance de la loi divine au sein d'une théocratie gé·
nérale, et de garantir les destinées de l'huluanité
en lu1 donnant la faculté d'expier sa chute origi-
neHe, pour que, par la grace de Bieu, elle puisse
elltiérement satisfaire ses intérets luoraux et ac-
quérir uinsi l'itumortalité, qui est son bien su·
prénle dans le cielo


Müis COlll me le preluier parti, prétendu pro-




- 4'18 -
gressiste, se fonde sur l'affirmation du droit hu-
main et sur la négation du droit divin, iI s'ef-
foreera d'imposer au XIXe siE~cle l'idéal heureu-
sement irréalisable de 1.'j93; tandis que le seeond
parti, prétendu eonservateur, s'efforeera de lui im-
poser l'idéal non moins irréalisable du tlloyen-
Age, paree qu'il se fonde sur l'affirmation du droit
divin et sur la négation du droit humain. De sorte
que, lnalgré leurs ten dances eontradietoires et en
vertu de ces tendanees elles-memes, ils compro-
mettraient également les destinées du monde, si,
par exemple, au lien de triolnpher provisoirelnent
l'un de l'autre, dans tel ou tel pays, run et l'autre
gardaient indéfinitnent le Pouvoir: eelui-ci dans
dans les États du Nord de l'Europe, eelui-Ilt dans
dans les États du Midi, au llloyen de leur propre
opposition; et s'H n'en résultait pour tous les
deux, vainqueurs et vaineus a tour de rOle, une
identité d'impuissance qui se trouve suffisam-
1l1ent démontrée par je ne sais cOlubien de révo-
lutions.


Or, en these générale, toute révolution, quelle
que soit d'ailleurs la perturbatioo qu'elle produise
daos les di verses relations des hoollnes, « toute
»révolution, dit Bonald, o'est qu'un elfort que fait




- h79-


»la société pour revenir a l'ordre (:1).1) Aussi
voyons-nous la France, ou l'antagonislne des opi-
nions rend l'anarchie permanente, au point de vue
11loral comme au point de vue lnatériel, depuis la
fin du XVllle sH~cle, marcher sans cesse de révolu-
tions en révolutions. Et cependant ,toutes ceBes
dont elle se pronlettait le plus grand bien n'on t
abouti qu'a des catastrophes! Cela devait étre, il
est vrai, puisque, dans ces circonstances fornlida-
bIes, elle a constalllluent pris le faux pour le vrai,
le llloyen pour le but, s'inlaginant, héIas! qu'illui
suffisait de détruire le Pouvoir, alors qu'il s' agis-
sait de le régénérer en vertu de son propre Savoir.
Car les révolutions politiques étant el ne pouvunt
etre que la conséquence d'une évolution intellec-
t uelle préalablmnent accoluplie, elles ne sauraient
inaugurer une ere nuuvelle et providentielle qu'au-
tanl qu'elles donnent lieu a une création lllorale,
et non a une destruction physique.


Cette grande loi générale ayant été llléconnue,
de mélue que toutes les autres lois particulieres, il
en est résulté que les divers mouvements révolu-
tionnaires de la France oot échoué, par rapport


(1) l.JégisLation. pl'imitive, disco pl'éLirn., p. 6, édit. 1847.




- h80-


a eIle-lneme et par rapporl aux autres États, qui
leur ont opposé une résistance invincible.


Est-ce a dire pOUI' cela que la Frunce, toujours
en quete de révolutious, et jumais en possession
d'un ordre stable, ne veuille plus agir qu'a la seule
fin d'anéantir tous les Gouvernements du monde?
Loin de nous une sembable pensée: autant vau-
drait dire qu'elle prend la mort universelle pour
principe el pour butde sa propre existence! Assuré-
ment, s'H en était ainsi, notre grande, belle et gé-
néreuse patrie, lllise depuis longtemps an han des
nations civilisées, ne eompterait plus que purmi
les États harbares; tandis que e'est elle qui mar-
che encore et sans eesse a la tete de l'huma-
nité.


Mais, ayant conscience de la haute mission
qu'elle doit remplir ici-bas, et surtout ayant le
pressentiment de la vérité qu'illui est impossible
de fixer sous une fonne gouvernementale quelcon-
que, elle se croit moralement obligée de protester,
par tous ses actes, contre }'erreur des hommes ou
des partis qu'il lui est égalelllent impossible de
définir, puisqu'il faudrait, ponr le faire, des con-
naissances ou mieux eles principes qlli lui mrtn-
quent. Et de lú vient, comme nOllS nous l'avons




- 481-


déjA énoncé (1.), que la France détruit, l'un apres
l'autre, tous ses Gouvernelnents,quels qu'ils soient,
parce qu'ils expriInent le triomphe provisoire de
tel et tel hOlnnle, de tel et tel parti, sur la socié-
té, quoique, dans les dispositions intellectueUes
qu'elle manifeste depuis un sit~cle, elle ne puisse
créer, selon sa vocation spéciale, un Gouverne-
lnent régénérateur, qui exprimerait le triomphe
définitif de la société sur les partis.


eette haute détenuination pratique, ayant ef-
fectiveluent pour but de constituer le véritable Pou-
voir ,ue saurait étre que la conséquence d'une haute
détermipation spéculative ayant pour hut de con-
stituer le véritable Savoir. 01', l' Allemagne, livrée
toute entiere a son travail de créati~n lnorale,
trouvait positivetnent celui-ci, pendant que la
France , livrée toute entiere a son travail de des-
truction physique, chel'chait vilinement celui-Ia.
Mais les philosophes et les homnles d'État franc;ais,
dont les opinions n'avaient et n'ont encore qu'une
valeur intrinseque relalive, ont luis leur salutet
leur gloire dans la répulsion qu'ils manifestent
sans cesse contre les opinions des philosophes et


(1.) Voy. ci-dessus, tomo LV, chapo XXVIII, p. ffr.
¡v. (3) 31




- 48~-
des hommes d'État .1lemaQds, ayant IJQe v~leur
in~rinseq"e. pllsoluEl, dut~il n'ell r~~ulter que
leur propre honte et leur propre ruine. Car la
tbé,orie el l~ pf&!ique ou l'expérienc~ ét¡¡nt les
d(ilq~ sellls pripsipe,s d'apres lesq"els Ol} puisa~
gouV~rner QJl peupl~, Don~seulelnent ils se rcn~
daiellt ~oupables ~n n1pcceptant pas la tbéorie of~
ferte par la sciepce , puisql.l'elle Ieur ~HJraH permis
de donner a leur aut()rité un but plus élevé qll~ ce. ..
lql qQi ~lnaQa.it uniquelllent de I'expérience 9U de
!~ pr~tiqoo. Illal~ eQc()r~ Us se privaieQt de l'uni-
«Í"~ w.oyen d'hllprim~r a la France \lDe direction
g\ºr~ellse et ~aIuté\ir~, en répupiant eux-Inémes
r~r~E1ur" source (le, tonte catastrophe, pour se li-
vr~~ ~.la reGQercpe <le la vérité, source d~ tout pro-
{(fe§.,


Etcepen(\ant,fidelea sa vocation spéculative, l' A~­
lel1~agQe essaya toujours de ramener la France a
sa vocation pratique. « 11 est vrai, s'écriait-elle
quelque te~ps avant la révolution de Février, il
est vrai, et personne ne saurait le nier, qu'il se
prépare ~n France un Tlouvel ordre social et une
nouvelle forme de gouvernelnent. Mais il n'est pas
moins vrai qu'aucun des organes qui s'y pretent
OH qui ~'y dévouent, ancnn ~bsoluQlent ne posséde




- 483-


rien de plus qu'une valeur p~rtielle, tres-relative,
et tout-a-fait incertaine. La vraie science socia/e,
COllune l'appellellt les Fran<;ais, est encore a venir
parmi eux ... Assurélnent, si les hommes supérieurs
quecomptelü France,coluprenaientbien leufmis-
sion, et s'ils avaient, de Ieur patrie et de l'avenir,
une nleilleure opinion qu'ils n' en ont d' eux-méllles,
ils ne chercheraient pas constamment a faire sur le
corps du peuple et de I'État, leurs interminables et
indéfinies expériences avantqu'ilsfussent parveq.us
a en reconnaitre la vérité par une SC~eE}nce rigou"'t
reuse, en les raluenant a des principes absolus; et
en déduisant didactiquement, de ces principes irré ...
fragables, toutes leurs actions et influences systé-
luatiqucs. Le malheur de eeUe noble Nation, aussi
énergiqueque généreuse,est et a été de10ut temps,
que les idées conlme les orages du printelups, ne
lui viennent qu'avec l'action et apres les événe-
ments. Quelle autre Nation aurait pu,dans le court
intervalle d'un detui-siécle., éprollver et défaire
tontes les formes du despotisme et toútes les ré-
formes de la liberté, et demeurer néüolDoins daos
toute la plénitude de sonexistenee (1) ! »


(1) Gazette d'Aug.ybourg, n° 169. H juin 1842.




- 484-


On le voit : si les hOlnmes supérieurs de la France
eussent voulu suivre les inspirations des homInes
supérieurs de l' Allelnagne, ils auraient fait dé-
couler d'abord tous leurs actes de tels ou tels
principes absolus, puis abordant fermement tous
les grands problemes qui divisent l'esprit public et
qui légitiment l'existence des partis contemporains,


. ils seraient parvenus a les résoudre, tant sous le
"rapport du Savoir que sous le rapport du Pouvoir,
en fixant eux-memes la destination positive des 80-
ciétés. Et grace a Ieur détermination hérolque, le
parti du droit humain reconnaitrait déja qu'il a
raison de considérer l'expérience comIne principe
indéfini de vérité, mais qu'il a tort de le considérer
comme principe exclusif de vérité; pendant que le
parti du droit divin reconnaitrait également qu'il a
raison de considérer la révélation comlne principe
indéfinj de vérité, muis qu'il a tort uussi de la eon-
sidérer COlllme prineipe exclusif de vérité. Ils sau-"
raient done tous les deux, ave e le meme degré de
certitude, quelle est la cause réelle de Ieur prop re
impuissance, qui se nlanifeste par des révolutions
fatales, et qui est néanl'lloins un fait providentiel.
Car il n'uppartient pas aUI partis, ainsi constitués,
de CODserver la directioD des sociétés, soh dans




- 485-


l'intéret de la Monarchie, soit dans l'intérét de la
République, puisqu'illeur est absolument impos-
sible de s'élever au véritable Savoir et au véritable
Pouvoir.


Parvenus a ce point de développement intellec-
tuel, ils comprendraient assurélnent que l'impos-
sibilité oú ils se trouvent de concevoir la vérité po-
litique,est le résultat de l'erreur sur laquelle ils
se fondent l'un et l'autre. Abdiquant aussitót leurs
prétentions exclusives qui exprilnent la marche ré-
gressive de l'humanité du bien vers le lnal, c'est-a-
dire la barbarie, tous les deux agiraient de con-
cert, á la seulefin de se fixer réciproquelnent un
but COlUUlun , qut exprimerait la lnarche progres-
sive de l'hulnanité du bien vers le mieux, c'est ...
a-dire la civilisation elle-lnell1e, ou luieux la
découverte graduelle de la vérité sur la terreo
Et alors, nlais nlors seulelnent, ils réaliseraient,
sans entraves, d'une lllaniére définitive, le grand
objet de toute associatio,n humaine, savoir: l'u-
nité de la société se résumant dans une seule
considération politique et religieuse, c' est-a-dire
dan s la formation d'un Gouvernelnent universel ;
el, par conséquent, l'État et l'Église proprement
dits.




- 486-


Or,I'État ayant pour objet le développetnent de
\a justice dans ses effets matériels par la réalisation
temporelle de la morale, et l'Église ayant pour
objet le développement de la justice dans ses prin-
cipes intellectuels par la cODsécration de la pureté
des maximes lnorales, ils De pourront atteindre run
et l'autre leurs fins augustes ni revetir leur forme
suprelne, que lorsque l'harmonie sera rétablie entre
le droit hUlnain et le droit divin fondés sur leur
identité primitive, Dieu ayant créé l'hornllle a son
image, et en vue de leur identité finale qu'il s'agit
absolulnent de déterminer , pour fixer d'une ma-
niere pérelnptoire toutes nos destinées, terrestres
et célestes !


Cette évolution lnorale et intellectuelle, que la
France accomplira sans aucun doute, ne détermi-
nera pas une révolution poli tique particuliere a la
France, lnais bien une révolution politique géné-
rale et profitable a tous les États de l'Europe. Car,
des que le parti du droit hUlnain saura que l'auto-
rité des Rois doit nécessairelnent etre garantie par
le droit divin, exprhnant la volonté divine dans l'é-
tablissernent de la Souveraineté, le parti du droit
divin ne pourra plus ignorer que la liberté des
peuples doit nécessaireIuent etre garantie par le




- 487 --


droit hUlnaintexprirrJant l'application hUlnaine de
cette méme SOl1veraineté.


Ainsi ralneilée a des pritttJpes imniuables, ab-
solus, incontestables el malheureuselnent cott-
testés au XIXe siécle, la sclence politique éta-
blira certainement des lois générales, également
imtnuables, abSolues, incontestables et providen-
tiellement incontestées. Alors, tout en répri-
mant les écarts des partis inconciliables et exclu-
sifs, elle consacrera ou devra consacrer, dans
sa constitution systélnatique, l'égalité de leurs
droits fontlés sur une commune raison, dont le
triomphe, plus ou moiDs prochain; plus ou moiIis
éloigDé, mais iné,itable, fera retrouver eDfin l'u-
nité que la civilisation ne doit pas chercher et
chercherait vainenlE~Dt dans les voies lnémes ou
elle s'est perdue. Néanmoins, ces partis conserve-
ront toujours leurs caracteres distinctifs, puisque
l'unité De doit jamais étre l'uniformité.


e'est précisément dans l'exacte détermination
de leurs deu! directions' opposées : l'une ré·.
gressive, l'autre progtessive, et ayant pour objets
spéciaux et respectifs : celle·ci la découverte ou la
création du vrai ; ceBe-la la découverte ou la créu 04


tion du bieu; que se tI'ouvent fixés tous les grands


- ")




.- 488 -


problemes de l'hulnanité (t). Voilil ce qui consli-
tue, lnalgré tant de lnoyens violeuts el funestes
qu'ils out mis en reuvre, leur hut éminemrnent
providentiel. Mais chacun de ces deux partis
exercera des 10r8 une influence réciproque l'un
dans l'autre, paree qu'ils seront sorlis de leur
phase négative, pour entrer dans leur phase affir-
lnative. De sorte qu'ils preteront un égal concours
il l'organisation définitive des sociétés, en assurant le
glorieux avenir de toute l'especc hurnaine , par son
libre exercice de ]a faculté du bien, c'est-a-dire par
la liberté proprement dile, et par son libre exercice
de la faculté du vrai, c'est-a-dire par l'üutorité pro-
preluent dite. Car, il sera généralement reconuu
que, non-seulernent ces deux termes en appa-
rence contraires: auloritéet liberté, sont identiques
au fond, puisqu'ils ne peuvenl exister I'un sans
l'autre et qu'ils se servent de correctif I'un a 1'au--
tre, 111ais encore que ces deux tenues, contraires
en apparence : foi et raison, au fond sont également
identiques, el que, religion et science, la chos.e
pritnitiveluent donnée par Dieu et la chose finaJe-
ment acquise par l'homme, loin de se nier réci-


(1) Hoené Wronski. Voir tous ses otlvrages philosophiques.




- 489-


proquement, s'affirment ou doivent s'affirmer res-
pectivement, paree qu'elles constituent, dans leurs
donulines séparés,en tant qu'elles expriment,d'une
part la révélation divine, et d'autre part l'expé-
rience hUluaine, les deux élélucnts inconditionnels
de la vérité u ni verselle.


ÉvidE!mlUent, cette vérité universelle ne saurait
devenir la base ilumuable du Pouvoir hluuain, en
réalis8nt l'uníon définitive de l'autorité et de la
liberté, qu'autant qu'elle sera devenue la base ilu-
muable du Savoir humain, OLl luieux qu'elle. aura
préalablelllent réalisé l'union définitive de la raison
et de la foi, de la philosopbie et de la religion :
celle-ci ayant pour hut de poser, avec la parole
lnenle de Dieu, tous les probl(Hl1es que l'humanité
doit résoudre au luoyen de ceHe-la. Or, l' un de ces
deux grands résultats, e~ le plus grand, a été déja
obtenu. Car, non-seulenlent depuis l'établisseluent
de la philosophie transcendantale par l' Allenlagne,
cette imluense question de la certitude incondition-
neHe ou absolue a été étudiée sous ses faces les plus
diverses, mais encore l' Absolu lui-meme, nom pro-
fane que la philosophie donne a l'Etre supreme au-
quella religion donne le nOlU sacré de Verbe, prin-
cipe preluier et dernier, A lpha et Oméga de l'uni-




- 490-


vers, qui porte en lui-nléme la raison de sa propre
existen ce et qui existe ainsi par soi-lnéme, a été re-
conDU et étubli, d'une maniere définitive, sinoD
par la France, du moins en France, OU le génie d'un
hotnme est parvenu a le fixer dans la conscieDce
transcendante de l'hulnanité (1).


Puisqu'elle se fonde sur le principe incotldition-
nel de toute réalité, eette doctrine, conforme aux
opinioDs sacrées naturellementet surnaturellement
admises ou révélées des l'antiquité la plus haute,
et courOlltlant aVec tant de majesté l'reuvre collec-
tive de tous les siE~c1es, aura. pOlir objet de coíi-
stituer péremptoirement la vérité sur la terre et
de réaliser la philosophie absolue vainement cher-
chée en Allelnagne, depuis la grande réfornie
d'Elnmanuel Kant, par Fichte, par Hegel et sur ..
tout, antérieurement a Hegel, par l'irtimottel
Schelling, mais trouvée en France par Hoeué
Wronski. Elle doit conséquemlnent accOlnplir lá
Religion, réforlner toutes les sciences, quelles


(1) Nous vouI()ns parIer ici de la doctrine transcendanle de Hoené
Wronski, l'iIlustre auteur de la Ré{orme absolue du savoir hu-
main, qui réalise l'union finale de la religion et de la philosophie,
en élablissant comme dogme fondamental que le but de l'hornrne sur
la terre es! sa création propre, ou rnieux sa régénération intellec-
tuelle, conforrnérnent a ces paroles du Christ: Oportet vos nasci
denuo.




- 491-


qu'elles soient d'ailleurs, expliquer l'histoire, dé-
couvrir les buts respectifs des États, et fixer les
fins absolues de l'hoilllue créé dans sa création pro-
pre sur la terre, de telle sorte qu'il puisse acquérir
l'ilnmortalité dan s le ciel, c'est-dire l'existence
par soi-meme, A l'image de son propre Créateur!


Aucune puissance humaine ou physiquene peut
désormais empécher la détermination de ce nou-
vel ordre llloral ou divino Car la France et l' AI-
lemagne, ces deux grandes Nations diversement
dirigées, mais également privilégiées par le des-
tin, doivent y trouver l'accomplissement de leurs
11lissions distinctes. En effet, l' Allemagne ne pour-
rait remplir autrement sa mission spéeulative~
destinée a fixer un dogme nouveau et supreme
pour l' Église; ni la France, sa mission pratique,
destinée a fixer un hut nouveau et suprelne pour
1'État. S'inspirant alors du véritable Savoir, no-
tre patrie ne se dévouera plus a la propagation
de ranarchie, morale et de l'anarchie politique,
fondées sur la rebellion eontre toute Souverai ...
neté, mais bien a la propagation de l'ordre ju-
ridique et de l' ordre religieux, fondés sur la sou-
mission a toute Souveraineté, paree qu'elle aura
eonstitué en elle-méme le véritable Pouvoir. 11 oe




- 492-


saurait etre question de substituer la République
universelle aux Monarchies particulieres ou distinc-
tes, des qu'une large répartition des droits et des
devoirs sera définitivelnent opérée dansl'humanité.
Aussi hnporte-t-il d'établir une législation positive
pour consacrer ce principe salutaire, savoir : que
les droits réels des Maisons royales au Tróne ser-
vent de fondeluen t a tous les Éta ts européens, et
que ces droits ne peuvent périr qu'avec les États
eux-memes, en regard d'une législation lllorale qui
consacrera égalelnent cet autre principe non moins
salutaire, savoir : que les droits problématiques de
l'holllme servent de fondement a toutes les sociétés,
et que ces droits ne peuvent périr qu'avec les socié-
tés elles-memes (1). C'est ainsi que les devo~rs des
Souverains envers leurs sujets et les devoirs d'esPeu-
pIes envers leurs Rois, se trouveront identifiés dans
leurpropredualitérespective: expressionde l'unité.


Mais cette unité, particuliere et universelle tout
ensemble, puisqu'elle doit se réaliser dans chaque
État et entre les divers États, sans en excepter l'É-
glise, fait social qui sert de garantie aux principes
divins, cette unité ne peut etre, sinon produite ou


(1) Voir tome ler, introduction, p. LVII.




- 493-


créée, du Inoins établie ou Inaintenue entre les
diverses Nations et dans chaqueNation, si 1'0n n'in-
stitue, au sein de chaque Gouvernelnent et entre
les divers Gouvernements, un Pouvoir directeur,
n'existant auj ourd'hui nulle part, bien qu'il soit
partoot nécessaire. Cette nécessité résulte do be-
soin de direction qui se fait sentir au XIXe siecle,
non-seulenlent pour conduire chaque peuple vers
l'accomplissement progressif de ses destinées rela-
tives et particuliéres, mais encore pour conduire
tous les peuples vers l'accomplisselnent final de
leurs destinées universelles et absolues.


lmpossible de combler cette grande lacune au ..
trement que par l'établisseInent d'uoe nouvelle asso-
ciation nlorale des hOlurnes, fondée sur le principe
de leur union indissoluble, dont la Sainte-Alliance
exprima le vague pressentitnent. En efTet, la Diplo-
matie, association fondée sur le principe mécanique
ou purement luatériel de la conservation des États
et dans le but d'opérer la répartition de leurs des-
tinées particllliéres, ne saurait remplir en aucuo
cas le noblebut de ce Pouvoir, puisqu'iJ aurait
pour objet de déterminer tuagistralenlent la direc-
tion générale qu'il faut impritner aux peuples, afin
qu'ils puissellt marcher saos entraves dans les




- 494-


voies augustes et encore tnystérieuses ou les des ..
tinées finales de l'humanité doivent s'accomplir.
Car, l'Église ayant dominé l'État alors. qu'il s'a.
gissait d'opérer la répartition universelle des de-
voirs, et l'État ayant dominé l'Église alors qu'il
s'agissait d'opérer la répartition universelle des
droits, une institution nouvelle, émanant de l'un
et de l'autre, et les dominant tous les deux a la
fois, doit s'élever tuaintenant qu'il s'agit d'opérer,
non-seulelnent l'union absolue des droits et des
devoirs de l'Église et de l'État, mais encore de
déterminerleur concours final, pour que l'holnme,
dont le salut temporel et le salut éternel oot été
compromis par tant de révolutions destructives,
trouve enfin son salut supreme daos sa propre
régénération.


De tont ce qui précéde, il résulte que les coo-
ditions pratiques de l'autorité déconlent toujours
et nécessairement de ses conclitioos spéculatives.
En etTet, le probléme se réduit, pour les divers
États comme pour chaque État, a fixer, sous une
forme définitive, la constitlltion morale et poJiti-
que du monde.




- 495-


Au moyen~Age, I'autorité religieuse et l'autorité
poUtique étaient égalenlent fondées sur le droit
humain et sur le droit divino Aussi prirent-elles,
rune et l'autre, la foque de la Monarchie repré-
sentative, ces d~ux principes exerc;ant l'un daus
l'nutre une influ~nce partielIe ou relative~ au seio
dt\ l'Église eOlume au sein de l'État"


Apres la RéfoI'me. t qui d~vait produire tant de
révolutions, les abus sllccessifs de ees luémes prin'!'
cipes amenerent d'abord l'établissement de l& Mo-
narchie absolua par le drQit divin, eXQh~sif et HU",
roité t ensuite l'étab}isseroent de la République
fran<;aise ,nspirant a devenir universelle, par le
droit bumain, exc1usif et illimité.


Maintenant les hommes vérita.ble.ment supérieurs
de tous les pays semblent avoir enfin cQmpris que
l'aba~lu\tsm~, eJ:pression d'une erreur particu-
liere , peu t trlompher, sous un nOlU ou sous un
autre, en vertu d'un principe ou en vertu de l'au ...
tre pr~~~Qlpe, avec Louis XIV ou avec Nnpoléon;
lu&is que ce n'est pas une raison pour que les peu-
pIea &rriyent plus vite ~ l' Absolu, principe de la
YérHé ll~herselle. Il est cep~ndant indispensab.le
qliel'onaccoUlP!isse, dans l'État, p~~ l'Étal,l'uniQn
finale du droit hu.nain et du droH diviu, dont l'u-




- 496-


nion pritnitive fut autrefois accomplie dans l' Église,
par l'Église. Tel est, précisément, le nOllveau but


supréme que la France doit s'assigner a e11e-
méme, avant de l'assigner aux autres Nations,
aprés avoir établi, en son propre sein, le Pouvoir
régénérateur qui exprimera, dans l'univers ré-
fornlé, la sublime identification de toutes les for-
Ines contradictoires et de tous les principes con-
traires.


Certes, l'auguste au teur de la Charte (Louis XVIII)
eut, Inieux quepersonne, le pressentiment de cette
vocation providentielle de notre patrie, lorsqu'il
institua le Gouvernement constitutionnel, premier
essai de ce Pouvoir régénérateur. Car la Monar-
chie ainsi définie avait pour objet de garantir, au
mélne degré, le droit divin par la Chambre des
pairs, etle droit humain par la Chalnbre des dépu-
tés. C'est pour cela, sans doute, qu'elle a pu résis-
ter, depuis 181l1. j usqu'en 18lt8; aux attaques sans
cesse réitérées, soit des partisans de la Royauté ab-
solue, soit des partisans de la République. « Et' ces
trente-quatre années, dit M. le comte de Monta-
lembert, il ne faut pas se lasser de le répéter en
présence des injures et des mensonges qu'on en-
tasse chaque jour, ces trente-quatre années ont




- 497-


été, tout bien cOlupensé, sinon les plus éclatantes,
du moins les plus libres, les plus heureuses, les
plus tranquilles de notre histoire (1). »


D'ailleurs, hAtons-nous de le dire, si la Monar ...
chie constitutionnelle, instituée par un Boi de
France et considérée, des son origine, cornme le
dernier terme de la grandeur ou du progres social
par tous les peuples, a suecombé de nos jours sous
les coups d'une Répuhlique ineonstitutionnelle, qui
a fait triompher le despo~isme la ou la liberté seln-
blait a jamais triOlnphante, ce n'est point qu'eIle ait
accompli ses destinées; c'est, au contraire, que son
organisation était restée incompléte. La Charte de
18t lt et la Charte de 1830 établissaient une Cham-
bre des pairs nOlnmée par le Roi, pour étre l'ex-
pression de )'autorité proprement dite. paree
qu'elle était ou devait étre l'organe du droit divin,
et une Chmnbre des députés, non pas souveraine-
ment désignée au peuple, ce qui eut étéune vérita-
ble dérision de la Jiherté proprementdite qu'elle de-
vaitexprimer, mais positivement nOlnmée par le peu-
pIe et pour le peuple, paree qu'elle était l'organe dl1
droit humain. Mais ces deux Chalnbres n'avaient


(1) De,\¡ Intér~t$ (fJtholiques, p. 122. 1853.
1ft (3) 32




. .;.. li98 -


at1-dessus d'elles aÚCutI Corps dirigeaht qui aurait
complété la machine gouvernementale, en garan-
tissant l'égalité de leur double concours dans l'im-
pulsion royale et nationale qu'iI s'agit toujours de
donner a l'État monarchique.


Aussi devaiv-il arriver que ces deox Chambres,
fondées sur l'espérance illusoire d'une conciliatión
possihle entre les deux grands partis sociaux,n'en re-
raient que mieux éclater,un jour ou l'autre,l'incon-
eiliabilité, paree qu'eIle est nécessaire, tant qu'ils
n'auront pas obtenu leur entier développelnent. Et
ee développement lui-luélue ne sauruitétre atteint,
sans l'intervention d'un Pouvoir direeteur et,
par conséquent, supérieur, ayant pour objet de
réprhner leurs écarts respeclifs, afin qu'ils ne
COluproluettent plus désormais l'ordre téléologique
du monde.


Voila bien, ce nous semble, la véritable théorie
des trois Pouvoirs, non pas ceBe qui est nlorte
dans le passé, lnais celle qui doit naitre dans 1'0-
venir, pour sauvegarder la coexistenee permanente
de l'autorité et de la liberté,au sein de chaque État
eOlnlne entre tous les États. II appartenait a la
Frunce de la détenniner; cnr Dieu sembJe lui




_. h99-


réserver l'honneur insigne d'opérer cette éclatante
régénération dé8 Monarchies, dont elle poursuivait
naguere la destruction pour le compte de la Répu-
bUque. Ce ne sera done pus en vain que la Maison de
Bourbon lui inspira au XIXe siecle, en restaurant
sa propre autorité, l'énergique atnour de la liber-
té« dont la destin~e semble plus que jamais iden-
tifiée avec celle de cette auguste Race (t). D


Puisque le véritable Savoir a été donné a la
France, c'est que la Frunce doit acquérir elIe-méme
le véritable Pouvoir. Et ceUe réforn1é pratique,
accOlnplissant la réforme théorique, deviendra,
sans contredit, la plus grande, la plus belle, la
plus merveilleuse de toutes ses révolutions.


Nous ne verrons plus alors, ain5i que cela se
pratique depuis trop longtemps, la science mé-
connue, l'ignorance exaltée, la vertu hale, la ty-
rannie aCclall1ée, la liberté proscrite, la raison
hafouée, la foi conspuée, tous les principes anéan-
tis, paree que la France régénérée se le vera dans
toute so puissance de transfonnation, pour rendre
aux principes une vie nouvelle; n la foi, son domai-
ne itnmuable; a la raison,sa virtualité créatriee; a


(1) M. le comte de Montalembert, Des IntértJts cotholiques,
p. 66. 1853.




- 500-


la liberté, son earaelere divin et humain tont en ..
semble; a la civilisation, les lois quf doivent ga-
rantir ses incessants progres; et enfin, a l'huma-
nité, la seule voie ou elle puisse opérer son salut,
en accolnplissant elle-meme ses destinées imlnor-
telles. Mais il faut, pour cela, que eeux qui tiennent
ou qui s'iInaginent tenir les événements, laissent
agir, dan s leur indépendanee etdans leur dévoue-
ment, eeux qui tiennent ou qui s'imaginent tenir
les idées.


Aussi dirons-nous avee Tacite: Le plus heau
iour du despotisme, e' est le dernier.


FIN.




NOTES.


NOTE A.


PROTESTATION DE LOUIS XVIII CONTRE L'EMPIRE.
,.


En prenant le titre d'Empereur, en voulant le rendre héréditaire
dans sa famille, Bonaparte vient de mettre le seeau a son usurpation.
Ce nouvel aete d'une révolution ou tout, des l'origine, a élé nul, ne
peut done infirmer mes droits; mais comptable de ma conduite a
tous les Souverains, dont les droits ne sont pas moins lésés que les
miens, et dont les Tr(mes son! ébranlés par les príncipes dangereux
que le sénat de Paris a osé mettre en avant, comptable a la France,
ama famille, a mon propre honneur, je croirais trahir la Cause com-
mune en gardant le silence en eette oceasion. Je déelare done, en
présenee de tous les Souverains, que loin de reconnattre le titre irn-
périal que Bonaparte vient de- se faire déférer par un corps qui n'a
pas meme d'existence légale, je proteste et contre ce titre et contre
tous les actes.. subséquents auxquels i1 pourrait donner lieu.


NOTE B.


DÉCLARATION DE LOUIS XVIII AU PEUPLE FRAN~AIS (1).
«( Les événements qui viennent de se passer a Paris sont trop im-


portants pareux-mémes, et trop a(arman(s dan s leurseffets prochains,
et trop incalculables daDs leurs derniers résultats, pour que le Roi


(:1) Cette Déclaration Cut rédigée, a la demande de Louis XVIII, par
Frédéric de Gentz, célebre publiciste allemand, qui venait d'écrire un Mé-




- 502-


puisse se borner a en etl'e un spectateur passif. 11 doit a ses droits
indestructibles, a l'intéret de son auguste maison, a celuÍ de tous les
souverains légitimes; il doit aux principes d'ordre public et de morale
publique, a la consolation de ceux qui, fideles a ces principes éter-
neIs, ne se soumettent qu'en gémissant a la force qui leur en impose
le sacrifice, a l'aflliction profonde avec laquelle il déplore les erreurs
des autres, a l'instruction et a la satisfaction de la postérité, une
explication franche et positive sur la maniere dont il a envisagé et
dont il ne cessera d'envisager des démarches qui ont étonné, con-
sterné et confondu tout ce qu'il y a d'esprits sages et de creurs justes
parmi ses contemporains.


« L'histoire sanglante de la Révolution, le caractere et la conduite
de ceux qui en ont successivement saisi la direction, les variations
innombrables par lesquelles elle a passé, sa marche tantót progres-
sive et tantót rétrograde, ses mouvements déréglés, ses contradic-
tions, ses convulsions et ses crimes sont si universellement connus,
et déja si bien jugés dan s l'époque a laquelle nous sommes arrivés,
qu'il serait parfaitement inutile de prouver que eeHe Révolutioll a
été, sous toutes ses formes et dans toutes les époques de sa funeste
durée, l'inten'egne le plus absolu que l'ordre social et les institutions
sociales aient jamais éprouvé parmi les nalions civilisées de la terreo
Les événements majeurs des quinze dernieres années ayant constam-
ment eu leur origine uans l'infraction de toutes les lois, san s excep-
Hon de eelles que la Révolution avait prétendu établir elle-méme,
dans l'usurpation la plus manifeste, dans la violen~ l~ moina dis&i-
mulée, dans les attentats les plus épouvantables, il est évident qu'ils
n'ont jamais pu conférer a qui que ce soit des droits réels ou des
litres légitimes quelconques pour disposer du gouvernement de la
France.


« La destruction arbitraire de l'autorité royale, les traitements
cruels dont on abreuva un monarque infortuné, qui n'eut d'autre


moire sur la JlecessitC de ne pas reconnaitre le litre impél'ial de Bonapm'te.
On sait que ce Memoire,adressé au comte de Cobentze, chancelier d'État,
ministre dirigeant le département des affail'cs étrangercs a Vienno, et pré-
senté le 6 juin 180ft, produisit une pl'ofonde sonsation clans toutes les
COUl's. Nous l'aurions reproduit, malgré sa longueur, si M. le comte de
Garden ne l'avait inséré, in extenso, dans son grand OUVl'age. (Voil'
l'Histoire générale des traites de paix, tom.VUI, pago 227-260.)




- 5Q3-
tort que celui de l'insuffisance de ses vertus contre la réunion ~e
tous les crimes, l'horrible catastrophe qui termina ses longues' souf-
frances, les meurtres judiciaires et extrajudiciaires d'uneinfinité de
personnes innocentes, une persécution inouie contre tout ce qúi était
anden, respectable el sacré, ce Curent la les bases du pouvoir de
celte prétendue Convention nationale qui, pendant tlois mortelles
années, rivalisa avec les tyrans les plus fameux de l'histoire, et p~r­
vint a les éclipser tO\1,s.


J( Le gouvernement qui lui succéda en 1.795 ayant été créé par
elle, la nullité de ses droits devait nécessairement frapper tous les
yeux. Ce gouvernement,odieux et méprisé des sa naissance, se traina
pendant quatre ans au milieu des proscriptions, du pilIage, de l'im-
moralité la plus révoltante, de la mise re la plus profonde et la plus
générale; incapable de résister plus longtemps aux projets formés
contre lui par des compétiteurs plus hardis el plus populüires, il
expira enfin sous les coups de ses propres agents. .


« Le Directoire ne put vas conférer au gouvernement consulaire,
qui le remplac;a, des droits dont il avait toujours été absolument
dépourvu lui-méme; et s'il avait jamais pu en avoir, l'événement
qui termina sa carriere l'aurait mis dan s l'impossibilité de les trans-
mettre légalement a ses successeurs. Ce fut done la force ouverte
qui, au jour connu sous la dénomination de Dix-huit Brumaire,
changea la face des choses et concentra tous les pouvoirs entre les
maips du général Bonaparte.


(1 11 est a peine nécessaire de dire que les mesures que I'on prit
pour faire sanctionner apres coup ceUe nouvelle phase de la Révolu-
!ion par le prétendu consentement du peuple, étaient nulles et de
toute nullité j qU'elles l'étaient méme dans le sen s de la Révolution,
et que, bien loin de s'y méprendre, toute la France fut unanimement
co~vaincue que le nouveau chef du gouvernement ne dut son éléva-
tion et son pouvoir qu'aux voies de fait auxquelles son esprit entre~
prenant et une réputation acquise par de grands exploits militaires
l'avaient porté. Mais si, dans les circonstances impérieuses qui met·
taient la France dans la nécessité d'approuver ces voies de fait, un
vreu libre et légal eut été une chose possible, ce vam aurait demandé
tout au plus ce que I'opinion publique, pour autant qu'elle jouissait
Cll{'ore 4'un reste de liberté, exprima tres-clairemenUtcettc époque,
savoir une ~sp~ce de qictature ~~~ez pqissante pour terminer l'anar-




- 504-
chie qui avait si longtemps tourmenté et désolé le pays, pour enchai-
ner la rage des faetions, pour rame,ner le peuple a l'obéissanee, pour
reeonstruire les fondements bouleversés de l'ordre politique et moral.
Personoe ne songea a eonsidérer le Consulat comme un réghne stable
et permanent, beaueoup moins comme un régime perpétuel; per-
sonne ne erut sérieusement que la Révolution pourrait étre finie par
celte institutioo évidemment provisoire; 00 la regarda assez géné-
ralement comme le dernier acte de eetle Hévolution, comme celui
qui- précéderait immédiatement le rétablissement de l'autorité lé-
gitime.


« Ce fut lit aussi le point de vue sous lequelle Roi envisagea con-
stamment ce dernier gouvernement révolutionnaire. Persuadée de


, l'exlreme diffieuIté de passer tout-a-coup de l'exees de l'anarchie et
du désordre a l'exercice réglé d'un pouvoir légaletpaternel; frappée
des embarras sans nombre dans lesquels un changement aussi su bit
aurait infailliblement jeté le premier dépositaire de ce pouvoir, et
bornant tous ses désirs et subordonnant tous ses intéréts au salul et
a la prospérité de la France, Sa Majesté, loin de protester ou de
se prononeer seulement contre l'autorité aUribuée au Consul, ap-
prouva plutOt son pouvoir dictatorial et le seeonda seeretement de
ses vceux. plus tranquille que jamais sur l'avenir, elle attendit san s
crainle et sans impatience le moment ou il plairait a la Providence
de la rappeler au trone de ses ancétres; elle ne s'occupa dans sa re-
traite que de méditer les moyens les plus efficaees pour employer ce
moment, quelque rapproché ou quelque éloigné qu'il fM, au bon-
heur du peuple fran~ais.


« Le Roi ne s'est pas écarté de cette conduite pendant toute la
durée du gouvernement consulaire; il n'a jamais entravé la marche
de ce gouvernement; il n'a pris part a aucune des tentatives pour
le subvertir, qu'un zele prématuré, quoique parfaitement excusable,
a pu dicter de temps en lemps a des personnes parliculierement at-
tachées a sa cause. Malgré tout ce qui se passa dans les années de
1802 et 1.803, malgré les mesures arbitraires par lesquelles le chef
de ce gouvernement renversa les faiblesbarrieres dont la prétendue
Constitution de 1.799 avait voulu circonscrire son pouvoir, maIgré
l'abus aflligeant qu'il en fit dans plusieurs occasions, malgré les dé-
marches positives par lesquelles il visait clairement a perpétuel' ce
pouvoir dans ses mains, le Roi ne crut pas devoil' renoucer II toute




- 505-
espérance. Et lorsqu'on fit formellement proposer a Sa Majesté de
résigner ses droits a la couronne et ceux de son auguste maison,
lorsque, apres cet essai mémorable oi! les titres sacrés du Roi furent
pleinementreconnus parceux meme qui se flaUaient de les anéantir,
il ne resta plus aUClln doute sur les intentions présentes et futures de
celui qui avait pu désirer une aussi étrange renonciation, alors méme
Sa Majesté, fideIe au systeme qu'elle avait embrassé, ne cessa de
repousser tout projet, toute mesure quelconque qui aurait pu ajou-
ter le moindre arLicIe a la liste déja si Jongue et si cruelle des cala-
mités de la France, et s'en remit a Dieu pour le dénoument final de
tous ces malheurs.


(e Mais, apres ce qui vient d'arl'iver, il n'est plus permis au Roi de
persister dans son silence. Le Consulal a disparu; tout ce qui don-
nait a ce gouvernement le caractere d'un régime provisoire a disparu
avec lui. Quelques fragments d'Assemblées législatives, condamnés
jusqu'ici a la plus complete nullité, presque aussi étrangers a la
France qu'ils le sont au reste de l'Europe,ont subitement élevé leurs
voix; et de ce gouffre profond ou la Révolution avait enseveli tous
les droits avec tous les principes, est sorti tout-a-coup, comme si
c'élait de l'ablme du néant, un nouveau pouvoir supreme, s'inves·
tissant lui-meme d'un titre majestueux-, se déc1arant héréditaire
dans une famille inconnue, proscrivant a perpétuité les descendants
des souverains de la France, et s'opposant a jamais au retour de
l'ordre légitime. Tandis que cet acte arbitraire ressembJe a ceux qui
ont marqué les époques antérieures de la Révolution en autant que
totalement dénué de tout prétexte quelconque de légalité, il ne
s'annonce, il ne s'exécute que par la force, il differe essentiellement
de tous les autres en ce qu'il tend a embrasser l'avenir, a consolider
et a pel'pétuer l'usurpation, et a en trans.mettre les fruits empoi-
sonnés aux siecles et aux générations futurs.


(e Le Roí ne peut plus, dans celte occasion, s'abandonner a ses
sentiments personnels, a son extreme répugnance pour tout ce qui
peut augmenter l'agitation, le tl'ouble et les inquiétudes, a son dé sir
constant de chercher les remedes contre les maux qui amigent l'hu·
manité dans l'opération paisible du temps, de la réflexion, du triom·
phe final de la vérité et de la justice. II doit consulter les devoirs
aUachés a la place que la Próvidence lui a assignée ici-bas, la charge
sacrée de défendre les droits de sa maison, l'obligation morale de




- 506-


réclamer contre une entreprise qui, en mettant le seeau a la l\évolu·
tion et présageant la chute de toutes les anciennes institutions, at-
taque directement les bases de la société civile j enfin le salut de la
France, cOlldamnée, si ceUe entreprise s'accomplit, a des malheurs
sans terme et sans.ressources, a l'alternative cruelle entre le despo-
tisme militaire le plus dur et I'anarchie la plus effrayante. La Révo-
lution, en nivelant tous les états, en écrasant toutes les distinctions,
en effa~ant absolument ce qui aurait pu autrefois balancer, teIPpérer
ou adoucir l'abus du pouvoir, parait avoir travailléexpres pourétablir
la tyrannie parfaite; et, quel que soH l'aveuglement des Fran~ais sur
le triste avenir qu'on leur prépare, ou pIutót leur impuissaJlce dé-
plorable de manifester leurs opinions et de faire entendre le cri de
leur conscience, il est évident que, tant que subsistera ce prétendu
treme impérial, il ne se soutieu'dra que par les moyens qui ont pré-
cédé et présidé a. sa uaissance, et que, Iorsque, en dépit de ces
moyens, il viendra a s'écrouler a son tour, la France doit retomber
aussitót dan s le chaos des factions el de la guerre civile.


(1 Des considératioQs aussi puissantes, des motifs aussi sacr~~
appelIent Sa Majesté a protester, et elle proteste par cette déclara-
tion de la maniere la plus solennelle contre le prétendu établisse-
ment d'un nouveau pouvoir souverain, et d'une nouvelle dynastie en
France, annon~ant que tout ce qui a été fait, et tout ce qui pourrait
se faire encore pour organiser et consolider ce prétendu pouvoir
souverain, sera toujours regardé par elle comme nul et de nul effet,
et se réservant a perpétuité a elle-méme et aux princes de sa mai-
son, dans l'ordre ancien et légitime de la succession au tr(m6, tou~e
la plénitude de ses droits et titres imprescriptibles.


(1 Le Roi ne veut point, en faisant ceUe déc1aration, allumer oQ.
provoquer la guerre civile. Fidele aux principes pacifiques, au carac-
tere de modération et de douceur qu'il a soutenu au milieu de tous
ses malheurs, il conlinuera a s'en remettre a l'arbitl'e supréme des
affaire s humaines, dont les clécrets éternels indiqueront le moment
ou le droi t doit succéder a la force, ou le pouvoir légitime remplacera
finalement l'interregne et les usurpations. Mais Sa Majesté n'a pas
voulu sanctionner par le silence un acte qui, en légitimant et en
couronnant tous les attentats de la Révolution, en serail le combIe
éternel. Il en appelle a la justice et a la sagesse de tous les souve-
rains, directement inléressés a l'objet de ceUe protestation; il en




507 -
appelle aux hommes justes et purs qui ont sauvé les principes COn-
servateurs au milieu d'un naufrage OU tant de biens précieux ont
péri; il en appelle aux sentiments, El la religion, et a la conscience
de tous les Fran9ais.


" Le Roi ne s'abaissera pas a relever les calomnies et les injQres
auxqueIles l'embarras de leur position, et la faibles~e absolue de
leur cause ont réduit la plupart des personneil qui ont 6Q llJ. tache
pénible de justifler ce dernier attentat. Mais, parmi les spphism~s
malheureux qu'i1s ont mis en avant pour fournir leur triste carriere,
il en est un auquel Sa Majesté ne dédaignera point de répondre. Ils
ont dit que la restauration de la monarchie entrainerait l'anéantisse~
ment de tout re qui a été faH depuis le mois de mai 1.789, l'expro-
priation des acquéreurs des biens qu'on appelle .nationaux, la pro-
scription el le supplice de tous ceux qui ont coopéré a la Révolution,
des vengeances crueIles, des JJoulevel'sements interminables. Ils ne
cessent de peindl'e cette restauration comme une véritable révolu-
tion nouvelle, accompagnée de tous les fléaux dont la France a été
ravagée pendant la suspension du gouvernement légitime. Le Roi se
contentera d'opposer a ces pertides représentations une déclaration
simple des principes qui l'auraient invariablement guidé et qui le
guideront toujours dans un événement pareil.


( Les malheurs de la Révolution ont été si universels, ses erreurs
et ses fauLes ont été partagées par tant de personnes, et ses résultats
sont telIement confondus avec toutes les relations civiles et sociales,
que vouloir aujourd'hui rechercher et punir des actes quelconques
tenant a ceUe Révolutiori, ou effacer la totalité de ses effets, serait le
projet le plus insensé qui put jamais etre con~u par un homme. Un
voile éternel serait tiré sur le passé; et quant au déplacement des
biens, un nombre tres-considérable de ceux qui en ont été dépouil-
lés, étant déja rentrés dan s le pays, et s'étant arrangés a l'amiable
avec les nouveaux possesseurs, le probleme de fixer définitivement
l'état des propriétés serait exclusivement résolu par des moyens
pacifiques et équitables. Il n'y aurait donc ni proscription, ni puni-
tion, ni expropriation forcée, ni bouleversement quelconque. La
justice, la prospérilé génél'ale et la paix: voila les instruments de
vengeance qui entoureraient le gouvernement. Conserver soigneuse-
ment tout le bien que la Providence aura fait germer au milieu
meme des décombres de la Révolution, raffermir la religion et les




- 588-
mceurs, ranimer el protéger l'industrie, faire renaltre le commerce
de ses cendres, détruire tout ce qu'il y a d'onéreux dans le régime
des impositions, changer ou abolir le systeme de la conscription
militaire, remplacer enfln, sans toucher aux lauriers qui couvrent le
front du soldat, le délire de l'ambition eL les réves funestes d'une
domination universelle par une politique également honorable et
sage, qui mettrait un terme aux agitations et aux craintes de l'Eu-
rope, qui rendrait l'indépendance a nos voisins, qui rassurerait
toutes les puissances, qui nous rendrait la conflance de l'univers, et
qui nous ferait jouir d'une paix assez longue et assez profonde pour
cicatriser toutes les plaies de la France : voila la contre-révolution
telle que le Roi l'a con~ue, et telle qu'avec l'aide de Dieu elle sera
consommée tot ou tardo Car, s'il n'était plus réservé a Sa Majesté de
voir flnir ces jours de deuil et d'infortune, ceux qui lui succéderont
se conformeront a ses volontés. Héritiers de ses principes comme de
ses droits, ilsauront a regarder unjour les maximes consignéesdans
ceUe déclaration comme les conditions fondamentales de leur pou-
voir, comme un engagement formel et sacré qui les líe d'avance ti
tout ce qu'exigera le bien public, comme l'acte d'amnistie le plus
efficace et le plus définitif, comme le dédommagement de toutes
leurs peines passées, comme le gage le plus certain de leur bonheur
et de leur gloire future, comme la garantie la plus puissante de leurs
droits, et comme la base la plus solide de leur trone. ))


FIN.




TABLE DES M.A. TI:E:RES.


Pages.


CHAPITRE XXVIII. - L'EUROPE MONARCHIQUE HUMILItE
PAR LA FRANCE RtpUBLICAINE. • 1


Considérations générales sur ]a Révo]ution fran~aise. - Antago-
nisme abso]u du parti du droit divin et du parti du droit humain.
- Origine de cette scission et quelle doit etre sa fin. - Caracteres
distinctifs des deux partis. - L'un prétend constituer chaque
société sous la forme d'une Monarchie, en créant une théocratie
générale des États; l'autre prétend constituer chaque société sous
la forme d'une République, en créant une fédération générale des
États. - Chacun d'eux exprime un principe de vérité , mais non
pas la vérité el1e-méme. - lIs cherchent a fondel' leur domination
exclusive; et c'est ce qui forme le caractere sinistre de la Révolu-
tion. - L'antagonisme des deux partis est le résultat d'une erreur.
- La vérité seule peut les rapprocher, et e'est ce qui formera le
caractere providentiel de la Révolution fran~aise. - Cet idéal in-
défini explique le zeIe que la Nation déploya pour elle., et non pour
les odieux événements qui ont été pl'oduits en son nomo - Si-
tuation de la Maison royale de France envers toutes les autres
Maisons royales de l'Europe, avant et pendant la Révolution.-
Les Monarchies européennes et ]a République fran~aise. - Pre-
miere Coalition. - Les Rois du Midi veu]ent relever ]e Treme de
saint l.ouis; mais ceux du Nord veulent se partager ]a France. -
Guerre eivile et guerre étrangere. - Fautes de la Coalition. -At-
titude formidable prise par la Convention. - Les royalistes de
Franee repoussent les Rois de l'Europe. - Les Conventionnels se
proscrivent réciproquement, poul' que nu] d'entre eux ne puisse
usurper la dictature. - Le 9 thermidor. '- Les Conventionne]s
songent a rétablir eux-mémes]a Royauté, avee Louis XVII. -
Les difficultés de cette restauration proviennent de leurs propres
erimes. -,. "le Comité de salut public traite contradictoirement




- 510-


avec Charette, avec le Roi de Prusse et avec le Roi d'Espagne. -
Paix de Bale. - Mort de Louis XVII. - La Convention, forte de
ses alliances en Europe, de ses conquétes et de ses principes, ne
veut plus rétablir la l\1onarchie. - Louis XVIII proclamé roi de
France a Belleville, quartier-général de la Vendée.-Pl'oclamation
de Vérone.-Louis XVIH demande a l'Angleterre un vaisseau pour
se rendre en Vendée. --- Le comte d'Al'tois sur les cotes du Bas-
Poitou, ave e une fiotte. - L'amiral Bridport ne le laisse pas dé-
barquero - C'est ce qui sauve la République. - Pichegru veut
remplir le role de Monck. - Constitutlon de l'an III. - Massacre
du 13 vendémiaire. - Le Directoire aux prises avec la Hévolution
et la contre-Révolution. - Campagnes de Bonaparte en Italie. -
Ses victoires et ses traités de paix.- Pichegru chef de la majorité
royaliste des Assemblées. - Barras se concerte avec Bonaparte
pour faire le coup d'État du 18 fructidor. - Traité de Campo-For-
mio. - Congres de Hastadt. - Expédition d'Égypte. - Deuxieme
Coalition. - Paul lel, Emperem de Hussie, et Fl'ancois II, Empe-
reur d'Autriche. - Revers de la France. - Explosion du Jacobi-
nisme. - Coups d'Élat successifs. - Bonaparte revient d'Égypte.
- Le 18 brumaire. - Toutes les Monarchies européennes sont
humiliées par la Républiql1e francaise.


CHAPITRE XXIX. - LA FRANCE nf;PUBLICAINE DICTE
DES LOIS A L'EUROPE MONARCHIQUE. 57


Transformations successives de Bonaparte. - Organisation primitive
du Consulat. - Nouvelle Constitution ayant pour but de donner
une forme définitive au principe de la Souveraineté du Peuple. -
Conduite de Bonaparte vis-a-vis des partis sociaux.- Mesures
réparatrices. - Le Premier Consul, ayant réconcilié la Franee ave e
elle-meme, veut la réconcilier avec l'Europe. - Impossibilité
de cette noble tentative. - Diplomatie adroite de Bonapal'te au-
pres de l'Empereur de Hussie. - Nouvelle campagne d'ltalie. -
Bataille de Marengo. - L'rtalie reconquise. - Premiers sympto~
mes de despotisme. - Conspirations. --- Le Premier Consul mar-
che vers la dictatme. - Brillante campagne de Moreau. -
Bataille de Hohenlinden. - Armistice. - Trailé de Lunéville,
qui devient l'origine de tous nos malheurs et de toutes nos gloires.
-Ce lraité confirme l'indépcndance des Hépuhliques batave, hel~
vétique, cisalpine et liguriennc. - Le Roi de Naples est sallvé; mais
le Boi de Sardaigne est saerifié, malgl'é l'intel'vention de l' Empereur




- 5H-
de RUssie et la foi jurée par le Premier Consul. - Coalition des ~tats
neutres du Notd contre l'Angleterre. - Mort de Paul ler, Empe-
reur de Russie, et avénement d'Alexandre ler. - Caractere du
nouvel Empereur. - Le Concordat. - Servitude gértérale de
l'Église et de l'État, ou Bonaparte n'introduit que le dogme de
l'obéissance passive. - Le Code civil. - Bonaparte n'en est pas
l'auteur, mais l'inspirateut. - Assetvissement, par Bonaparte,
des quatre Républiques dont le traité de LunévilIe consacre l'in-
dé pendan ce. - Paix d' Amiens. - Les ministres anglais sont
coilspués. - Bortaparte devient Consul a vie. - Remaniement de
la ConstitUtion au profit du nouveau Dictateur. - Sécularisation
des États ecclésiastiques d'Allemagne. - Bonaparte' aspire a la
domination universelle. - VAngleterre et le Premier Consul. -
Guei're de plume et guerre de tribune. - Rupture de la paix
d' Amiens. - Camp de Boulogne. - Bonaparte sollicite le titre
d'Empereur aupres de tous les Souverains. - Admirable ré-
ponse de Louis XVIII et des Princes de la Maison de Bourbon. -
Tergiversatiol1s des divers Cabinets. - Rapprochement des Roya-
listes et des Hépublicains. - Commissions militaires. - Georges
Cadoudal et Pichegru a Paris. - Leur arrestation et ceBe de Mo-
reau. - Enlevement et assassinat du cIuc d'Enghien. - Aspect si-
nistre de Paris et de l'Europe. - Manamvres de Bonaparte pour
préparer son avénement a l'Empire. - Sénatus-consulte du 1.8
mai :180ft. - Roís de l'Europe qui donnent leur adhésion; flois
qui la refusent. - Sacre de Napoléon par le Pape. -- Napoléon et
Pitt. - Préludes d'une guerre générale.


CHAPITRE XXx.. - LES. ROIS DE L'EUROPE DtTRONts
PAR NAPOLtON EMPEREUR DES FRANGAIS. . 109


Dictaturede Napoléon, Empereur des Fran~ais. -Catéchisme impé-
rial. - Origine de toutes les guerres entre la France et l'Europe,
sOllS l'Empire. - Napoléon, ne pouvant etl'e l'égal des Ilois, veut
devenir leur supérieur. - Coalition de l'Angleterre, de la Russie,
de l'Autriche el de la SuMe contre la France napoléonienne. -
Bataille d'Austerlitz. - Trailé de Presbourg entre la France et
l' Autriche. - Création du Royaume de Baviere et du Royaume
de Wurtemberg. - Napoléon ne reconnatt plus ni la Constitu-
tion, ni l'Empereur d'Allemagne. - Fran~ois II, Empereur d'AI-
lemagne, devient Empereur d' Autriche, sous le llom de Fran-
\,ois ler. - Confédération du Rhin. - Napoléon en est le pro-


)




- 512-


tecteur. - Projet d'une Monarchie universelle masqué sous le
nom de systeme fédératif de l'Europe. - Napoléon nolifie a l'Eu-
rope que les Bourbons de Naples ont cessé de régner. - Il
nomme Joseph Bonaparte, Roi des Deux-Siciles; et Louis Bonaparte,
Roi de Hollande. -Ces deux Couronnes royales sont pour eux deux
couronnes d'épines .. - Théorie du Gouvernement écrile par Na-
poléon. - Elle est applicable a tous les peuples qu'il a déja con-
quis ou qu'il se propose de conquérir. - Histoire héraldique du
Royaume des Deux-Siciles. - Napoléon veut délruire le Royaume
de Prusse, pour créer d'autres États. - Guerre de la France con-
tre la Prusse el la Russie. - Balaille d'Iéna. - Destruction de la
Monarchie prussienne que Napoléon divise en qualre déparle-
menls. - Création du Royaume de Saxe. - Balailles d'Eylau el
de Friedland. - Traités de Tilsitt. - L'Empereur Alexandre el
l'Empereur Napoléon se" partagenl le monde. - Créalion du
Royaume de Westphalie pour Jérome Bonaparte. - Érection (lu
Grand-Duché de Varsovie. - Napoléon rend au Roi de Prusse la
moilié de ses États, par égard pour l'Empereur de toutes les Rus-
sieso - La Reine Louise-Auguste aux pieds de Napoléon. - Blo-
cus continental. - Napoléon veut détroner la Maison de Bombon
qui regne en Espagne,et la 1\1 aison de Bragancequi regne en Portugal.
-Étal de ces deux Boyaumes.-Traité de Fontainebleau.-Inva-
sion de I'Espagne el du Portugal. - La Cour de Lisbonne s'enfuit
au Brésil. - Napoléon veut s'emparer de la Cour de Madrid. -
Émeute d'Aranjuez. - Abdication de Charles IV. - Avénement
de Ferdinand VII. - Napoléon refuse de le reconnaitre. -
Guet-apens de Bayonne. - Les Bourbons d'Espagne reJégués en
France. - Joseph passe du Treme de Naples au Treme d'Espagne.
- Murat devient Boi de Naples. - Le peuple d'Espagne décIare
la guerre a Napoléon. - Redoublement d'arbitraire en France.
- Cour pléniere de Rois et de Princes a Erfurth. - Gonférences
d' Alexandre et de Napoléon. - Propositions de paix a l'Angle-
lerre, qui sont rejetées.-Napoléon en Espagne. -L'Espagne sol-
licite le secours de loutes les l\lollarchies et de toutes les Répu-
bUques. - Succes des armées fran~aises. - Siége el prise de
Saragosse. - Manifeste de l'Espagne contre le Tyran de I'Eu-
rope. - Guerre contre l'Autriche. "- ~apoléon et le Prince Char-
les. - Bataille d'Eckmull. - Désastre d'Essling. - Napoléon se
retire a l'ile de Lobau. - Bataille de "\'Yagram. - Paix de Scham-
brünn. - L'Autriche n'est plus qu'un ]~tat secondaire. - Con-
testations entre Napoléon et Alexandre au sujet de la Pologrie. -
Conflit religieux. '- Les États de l'Église sont réullis a I'Empire.
- CaptivHé de Pie vn a SaVOl1e. ~ i\apoléoll t'ail san ter les Hlll-




- 513-


railles de Vienne. - Il demande et ohtient la main de l'Archidu·
chesse Marie-l,ouise. - Le divorce et le mariage. - Naissance
du Roi de Rome. - De la possibilité d'une quatrieme Dynastie.


CHAPITRE XXXI. - NAPOLtON ntTRONÉ PAR LES
PEUPLES ET PAR LES ROIS •• • 173


Situation générale de la l·'rance vis-a·vis de l'Europe. - Guerre de
]a Russie contre la SuMe. - Révolution suédoise. - Abdication
de Gustave IV et avénement de Charles XIII. - BernadoUe de-
vient Prince roya] de SuMe. - Réunion de divers Etats de l'Eu-
rope a l'Empire fran9ais. - Proj~ts de Napoléon contre la Rus-
sie. - Discours de Napoléon au conseil général du commerce et
a l'ambassadeur de Russie, en 1.81.1. - Toute la population de la
France est organisée militairement. -Avant de déclarer la guerre
a l'Empereur Alexandre, l'Empereur Napoléon complete le sys-
teme de ses alliances. - Situation des armées fran(;aises et des
armées russes. - Napoléon ti. ·Wilna. - Son ultimatwn est re-
jeté par Alexandre. - Passage du Niémen. - Napoléon promet
un Roi aux Polonais et n'ose pas tenir sa promesse. - Démarche
pacifique d'Alexandre aupres de Napoléún. -La Russie traite avec
la Porte et la Suede. - Conférences d'Alexandre et de Bernadotte
a Abo. - SéjoUl' de Napoléon Á Vitepsk. - Incertitude sur la
marche de l'expédition. - Bataille de Smolensk. - Marche sur
Moscou. - Bataille de Borodino. - Napoléon a Moscou. - Pro-
damation d'Alexandre, qui prétend sauver les Nationalités euro-
péennes, apres avoir sauvé ses propres États. - Découragement
de la grande armée - VEmpereur Napoléon demande la paix a
l'Empereur Alexandre. - Armistice. - Reprise des hostilités. -
Signal de la retraite. -. Conspiration du général Mallet. - Lan-
gag e qu'il tient a ses propres juges. - Plainles de Marie-Louise
et de Napoléon. - Ce dernier veut combattre, quoiqu'il n'ait plus
d'armée. - Désastres de la retraite .. - XXIXe bulletin de la grande
armée. - Napoléon a Paris. - Ses invectives contre les idéolo-
gues. - Napoléon renforce son despotisme. - Louis XVIII ré-
pand en France une proclamation inspirée par le génie de la li-
berté. - Alexandre, sur les frontieres de son Empire, donne le
signal de la délivrance générale des Peuples el des Rois. - Al·
liance entre la Russie et la Prusse. - Commencement de la cam-
pagne de 1.81.3. - Batailles de Lutzen, de Bauizen et de Wur-
lzchen. - Médiation de l' A utriche , qui vent rétablir I'équilibre


IV. (3,' 33




- 5tlt


des Pouvoil's en Europe. - Congl'es de Prague rompu avant méme
d'étre ouvert. - Coalition générale contre Napoléon. - Fa-
tales journées de Leipsick. - Nouveaux désastres. .- Décla-
ration de Francfort. - Napoléou renel le Vatican a Pie VII et
l'Espagne a Ferelinand VII. - Conflit entre Napoléon et le
Corps Législatif. - Si la France e:1:igeait une nouvelle Consti-
tlltion, s'écrie-t-il, je lui dirais de CIIERCIIER UN AUTRE Ror. -
Congres de Chatillon. - Campagne de 1.814. - Projet des Alliés;
contre-projet de Napoléon. - Traité de Cháumont. - Napoléon
accepte l'ultimatum des Alliés; rnais i1 est trop tardo -Les Alliés
sous les murs de Paris. - Instructions de Napoléon a Jéróme Bo-


. naparle, son lieutenant. - Capitulation de Paris. - Entrée des
Uois de rEurope dans eette capitale. - Conseil tenu ponr délibé-
rer sur la formation d.'un nouveau Gouvernement. - Paroles d'A-
lexandre. - La France demande le retour des Bouruons. - Dé-
clarntioll des Alliés a cet égard. - Déchéance de Napoléon et de sa
famille. -Elle est prononcée par leSénat conseJ'vateuJ', qui rend la
Couronne de France á Louis X HIC. - Abdication de l\apoléon. -
Le cornte d'Artois signe a Paris la convention du 23 avl'il. - j<~n­
trée de Louis XVIII. - La Charte et le traité de Paris. - Con si-
déraLions générales sur ces divers événements.


CHAPITRE XXXII. - LA FRANCE HumLIÉE PAR
L'funOPE. • 225


Entbousiasme de la France lors de la ren lrée des Bourbolls. - Hé-
conciliation provisoire des Rois et des peuples. - Formation du
Gouvernement franyais. --Difficultés de toute RestauraLion. -Les
partís se reconstituent dan s lasociété. -Louis XVIII leu!' imprime
une direclion négative, au líeu de leur imprimer une direction
positive. - Le parli monarchique devient rétrograde et le par ti
libéral devient révolulionnaire. - Louis XVIH ne peut déja plus
neutraliser ni l'action de celui-ci, ni la réaclion de celui-Ia. - Si-
tuation générale des i\1onarchies. - La restaurationpolitique de
la France nécessite une reslauralion politique de l'Emope. - La
premie re ne peut se foncler que sur une nouvelie théorie gouver-
ncmentale, et la seconde, que sur une nouvelle théorie diplomati-
que. - Les Hois prétendent inaugurer une ere de conservation
entre les diverses l'iationaliLés, par la destruction de plusieurs
Etats. - Attitude énergique de Louis XVIJJ. - Formation du
Hoyaume des Pays-Bas et dn Hoyaume de Hanovre. - Débatentre
la France, l' Angleterre el l' Aulriche, d'une part; entre la Russie




- M5-


el la Prusse, d'autre part, relativement a la création du Royaume
de Pologne et a la destrllction du Royaume de Saxe. - Le pIé ni-
potentiaire fran~ais ne sépare point la légitimité des Rois de la lé·
gitimité des peuples. - Mémoire du prince de Talleyrand adres-
sé au prince de Metternich et a lord Castlereagh. - La question
de Naples annexée a la question de Saxe. - Préparatifs de guerreo
-AIJiance défensive entre la France, I'Autriche et I'Angleterre.-
Napoléon d'accord avec le parti révolulionnaire, quitte l'ile d'Elbe
pour rentrer en France.-Déclaration du i3 mars.-Louis XVII{
convoque les Chambres. -Conduite du maréchal Ney. - L'armée
trahit ses sermenls au Roi.-Napoléon a Paris.-Acte additionneL.
-Napoléon s'humilie devant la France et devant I'Europe.-Dé-
c1aration collective de toutes les Puissances. - Derniers actes du
Congres de Vienne. - Murat déclare la guerre a l'Autriche. -
Hétablissement des Bourbons sur le Tróne de Naples. - Napoléon
et la Chambre des représenlants. - Ouverture des hostilités. -
Combat de Liguy. - Balaille de ·Waterloo. - NaJ>oléon est forcé
d'abdiquel'. - Le véritable parti national et le parti soi-disant
patriote. - Commission de Gouvernement présidée par Fouché.
- Commission díplomatique présidée par Lafayette, qui de-
mande un Gouvernement a l'étranger. - Correspondance des
patrio tes francais avec les généraux anglais et prussiens. -
Convention de Paris. - Exclamation de Louis XVIII a ce sujeto
- Seconde Restauration. - Napoléon a Sainle-I1éUme. - Con-
duite des Rois de l'Europe envers le Roí de France. - Proscrip-
tions exigées par les alliés et par la Chambre introuvable. - Gé-
nérosité de Louis XVIII a l'égard des proscrits. - Négociations
relatives aux traités de 181.5. - Le duc de Richelieu, devenu mi-
nistre, fait diminuer les charges que l'Europe voulait imposer a
la France. - Traité de la Sainte-Alliance. - Ni le Pape, ni le Roi
de France, ni les autres Rois constitutionnels ne sauraient l'ad-
mettre. -Restauration du Royaume de Pologne. - Toutes les Mo-
narchies deviennent plus ou moins représentatives, a l'exception
de la Monarchie espagnole. - Cette nouveIle· forme de Gou-
vernement doit déterminer tM ou tard un nouvel ordre so-
cial. - Antagonisme entre le principe aristocratique et le prín-
cipe égalitaire. - Les Rois s'alienent l'esprit de leu1's peuptes;
paree qu'ils ne savent pas résoudre le probleme de cette contra-
diction. - Les sociétés secretes, apres avoir sauvé les sociétés of-
ficielles, ne poursuivent plus qu~ leur anéantissemcnt. - Congres
d'Aix-Ia-Chapelle. - Entretien de l'Empereur Alexandre avec le
due de l\iehelieu. - Libéralion de la France. - Avenir problé-
matique de la Maison de Hourbon.




- 516-


CHAPITRE XXXIII. - DÉ FAITE l\lORALE DE LA
MONARCHIE. • • 287


En Caisant prévaloir eux-mémes la supériorité du droit divin sur le
droit humain, les Rois inspirent aux peuples le désir de faire pré-
valoir la supériorité du droit humain sur le droit divino - Anta-
gonisme universel de ces deux principes. - Opposition de la Mo-
narchie constitutionnelle et de la Monarchie absolue. - Vices de
Jeur organisation respective. - La Presse devient un pouvoir diri-
geant. - Les peuples se séparent des Rois. - Congres d'Aix-la-
Chapelle. - Sagesse de Louis X VIII. - Le Gouvernemen t et I'Op-
position sous son regne. - Les sociétés secretes s'organisent dans
chaque État pour préparer un nouvel ordre social et une nouvelle
forme de Gouvernement. - L'Autriche veut se mettre a la téte du
mouvement gouvernemental, afin d'organiser une résistance gé-
nérale. - Le prince de MeUernich a Carlsbad. - Circulaire adres-
sée au Cabinet des Tuilerics par les Cours de Vienne et de Berlin.
- Louis XVIII modifie la loi électorale. - Explosion de I'esprit
révolutionnaire en France. - Assassinat du duc de Berry et nais-
sance du duc de Bordeaux. - Révolution d'Espagne, du Portu-
gal., de Naples et du Piémont. - Congr~s de Troppau. - Les
Cours de Vienne, de Saint-Pétersbourg et de Berlin y proclament
le principe d'intervention, auquel le Cabinet anglais oppose le prin-
cipe de non-intervention. - Congres de Laybach. - L'Autriche
intervient dans le Royaume de Naples et dans le Piémont. -
Hestauration de ces deux Monarchies. - Congres de Vérone. -
La France intervient en Espagne malgré l'Angleterre. - Canning
et le parti fran~ais, préte\.1du libéral. - Campagne d'Espagne.-
l\estauration de Ferdinand VII. -Caractere dece'Prince.-L'An-
gleterre veut rompre la quadruple alliance de la France, de la
Hussie, de la Prusse et de I'Autriche. -Question grecque:-1!'or-
mation des hétéries. - L'Empereur Alexandre et les Nations
albanaises, grecques ou slaves. - Mort de Louis xvnr. - Po-
pularité de Charles X, lors de son avénement. - Mort d'Alexan-
dre et avénement ,de Nicolas ler au Tróne de toutes les Russies.
- La France, I'Angleterre et la Ilussie, veulent étre médiatrices
entre la Turquie et la Grece. - Ilefus de la Porle. - Traité de
Londres. - Armistice accepté par lbrahim-Pacha. - Sa rupture.
- Bataille de Navarin. - Négociations secretes entre Charles X
el Nicolas ler. - Remaniement de lacarte européellne. - Guerre
de la Russie contre la Turquie. - L'Angleterre et l'Autl'iche me-
nacent la France d'une révolution. - AUitude hostile des partís
vis-a-vis de Charles X. - Expédition en Morée. - Traité d'An-
dl'inople entre la Russie et la Turquie, obtenu par le triple concours




- 517-
de la France, de l' Autriche et de l' Angleterre. - Expédition d' At-
ger. - L' Angleterre, ne pouvant plus s'entendre avec le Gouver-
nement fran~ais, eherehe a s'entendre ave e l'Opposition, pour .Ic..r-
opérer une révolution dynastique. -Journées de Juillet et d'aout
1830. - La chute de la Maison de Bourbon est la chute méme
de la France. - Louis-Philippe, proclamé Roi et reconnu, eomme
tel, par les autres Souverains, exprime la défaite morale de la
Monarchie.


CHAPITRE XXXIV. - DÉ FAITE POSITlVE DE LA
MONARCHIE. 353


La Révolution de Juillet devant I'Europe. - Louis-Philippe est re-
eonnu par l'Angleterre a\-ec autant de facilité que s'íl était l'héri-
tier légitime du Tróne de France. - Mission de Talleyrand a Lon-
dres. - Déclarations hostiles de l'Empel'eur de Russie. - Coali-
tion des Rois du Nord. - L'Angleterre et la Russie trouvent un
prétexte de s'immiscer dans toutes les affaire s de l'Europe : l'une
en réprimant les révolutions, l'autre en les fomentant. o- Politi-
que générale de Louis-Philippe. - La Révolution de Paris engen-
dre celle de Bruxelles. - La France veut faire prévaloir en Eu-
ro pe le principe diplomatique de non-intervention. - Protesta-
tion du prince de Metlernich. - Le Roi des Pays-Bas demande
aux Empereurs d'Autriche et de Russie, aux Rois d'Angleterre et
de Prusse, un appui contre ses sujets l'évoItés. - L'Angleterre sa-
crifie la Maison de Nassau qu'elle protégeaít depuis plusieurs sie-
cIes. - Conférences de Londres. - Séparation de la Belgique el
de la Hollande. -- Le parti modéré s'efl'ace provisoirement en
France devant le parti exalté. - Provocations a la révolte univer-
selle. - Révolution de Pologne. - Soulevements partiels de l' AI-
lemagne et de l'Italie. - Le prince de Metlernich préfere un
ehamp de bataille a une révolution. - Intervention de I'Autriche
en Italie. - L'Angleterre reconnait, en certains cas, le droit d'in-
tervention. - Suppression du Royaume de Pologne. - La Révolu-
tion favorise pIutó! l'ambition des Rois que celle des Peuples. -
La politique des principes est subordonnée a celle des intérets. -
Situation des partís en France. - Expéditíon d'Anvers et d'An-
eóne. - Don Pédro et don Miguel. - Ferdinand VlI détruit la
loi salique en Espagne. -- Isabelle et don Carlos. - I:Angleterre
se déclare pour Isabelle et contre don Carlos, héritier légitime du
Tróne d'Espagne,espérant ainsi le faire perdre a la Maison de Bour-
bono - Guerre civile en Espagne. - Attitude de I'Europe vis-A-vis
de la France. - Louis-Napoléon Bonaparte a Strasbourg. - Dissolu-
tion de l'allianee des Coul'sduNord.-Mariage duducd'Orléans.-




- 518-
Ministere de M. Thiers. - Question d'Orient. - M. Thiers veut pro-
voquer une rupture entre l'Autriche et la Russie.-Déclaration du
prince de Metternich. - Louis-Napoléon Bonaparte 11 Boulogne. -
La France exclue des conseils de l'Europe.- M. Thiers veut faire
une guerre de propagan de universelle.- Chu te de M. Thiers. - Mi-
nistere de M. Guizot. - La France rentl'e dans le concert des Ca-
binets. - Le nouveau parti conservateur et les anciens partis anti-
dynastiques.-M. Guizot et M. Thiers.-M. Guizot, champion des
idées conslitutionnelles en Europe. - La Grece quille les rangs
des Monarchies absolues, pour entrel' dans les rangs des Monar-
ehies constitutionnelles. - Coletti et l\Iaurocordato. - Le Gou-
vernement et l'opposition en Autriche. - La vieille Europe aux
prisesavec la jeune Europe. - Espérances de l'Italie. - M. Gui-
zot et le prince de ::\letternich. - Avénement de Pie IX. -
Popularité universelle du Souverain-Pontife. - Charles-Albert
est considéré comme l'épée ele l'ltalie. - M. de Metternich ré-
clame l'appui des grandes Puissances, pour étouffer l'esprit révo-
lutiotmaire de cette Péninsule. - M. Guizot et lord Palmerston.
- Le premier v.eut obienir des réformes pour les peuples, le se-
cond suscite contre eux des révolutions. - Mariages espagnols.
- M. Guizot assure le Trone d' Espagne 11 la Maison de Bourbon.
- C'est une victoire que la ~rance remporte sur l'Angleterre. -
Lord Palmerston médite une vengeance de l'Angleterre contre la
France. - Lord Normanby et l'Opposition a Paris.-Campagne des
hanquets.-Triomphe de M. Guizot en Italie.-Session de 18la8.-
Disconrs de la Couronne.'- Révolution de Février.- Abolition de la
Royauté et fondation de la République fran~aise. - Tous les peu-


. pIes, qul, la veille, se décIaraien t ¡Jour la Monarchie constilution-
nelle ou repl'ésentative, semblent, le lendemain, vouloir se dé-
clarer pour la République.


CHAPITRE XXXV. - MONARCHIE OU RÉPUBLlQUE. 413
La Hévolution de 18la.8 considérée comme une conséquencc de la Ré-


volution de 1830. - Toute l'F.urope en est ébranlée. - Révo-
lutions de Vienne et de Berlin. ~ Dissolution problématique de
l'Empil'e d'Autriche et reconstitution problématique de l'Empire
d'Allemagne. - Antagonisme des États du Nord et des États du
3'lidi en Germanie. - Le Vor-Parlement 11 .Francfort. - n de-
mande et obtient la convocation d'une Conslituante allemande.-
Hévolution de la Lombardie qui se sépare de l'Autriche. -I}Jtalie
veut reconstituer son unHé nationale en meme temps que l' Alle-
magne. - Pie IX et Charles-Albert, les Princes et les Peuples, les
Sociétés el les partis dans la Péninsule italique. - Condo~




- 519-
de la France républicaine a I'égard des Monarchies de ¡tHÜf'OPe.
- Attitude remarquable du Rei Léopold en Belgique. -"" té 15
lDai a Püris, li Naples, a Berlin, a Vienne et a Cracovie. --- Assem-
blée Constituante de France. - Journées de Juin a paris. - Le
général Cavaignae. - Assemblées Constituantes de Berlin et de
Vienne. - L'arehiduc Jean d'Autl'iclle est nommé Vicaire-Géné-
ral de I'Empire par l' Assemblée Constituante de Francfort. - Tra-
vaux de ceUe Assemblée. - Question du Schleswig-Holstein.
- Guerre entre le Roi de Danemarket le Roi de Prusse an sujet
de ees Duchés. - Intervention des grandes Puissances. - Insur-
rection de Francfort. - Insurrection de Vienne. - Prise de
Vienne par les troupes impériales. -L 'Assemblée Constitnante
de Vienne esl transférée a Kremsier, et celIe de Berlin a Brande-
hourg. - Le Roi de Prusse dissout eeHe derniere Assemblée par
la force. - AvfÍnement de I'Empereur Frangois-Joseph le .. , régé-
uéraleur de l'Empil'e d'Autriehe. - Travaux de I'Assemblée Con-
stituante de Paris.- Élection pl'ésidentieHe du 10 décembre. -
RévoJution de nome. - Fuite dll Pape. -J:::harles,.Albert pendant
et apres la bataille de Novare. '- Avénement de Victor-Emma-
nuel 1I au Trcme de Piémont. - Destruction de la Hépublique
romaine par la République fran9aise. - Efforts de I'Autriche pour
soumettre la Hongrie. - L'Empereur Frangois-Joseph implore le
secours de l'Empereur Nicolas. - Soumission de la Hongl'ie. -
Le Parlemenl de Francfort nomme le Boi de Prusse Empereur
d'Allemagne. - Frédéric-Guillaume refuse ce titre. - Dissolution
du Parlement de Francfort. - Les réfugiés de tous les États ol'ga-
llisent a Londres un prétendu Gouvernement de l'Europe. - As-
semblée Législative de Paris, qui semble avoÍl' été nommée pour
restaurer la Monarchie en France. - IJouis-Napoléon Bonaparte
et ceUe Assemblée. -Fautes des hommes et fautes des partis en
France.- Voyages royalistes a VVisbaden et h Claremont. - fievue
impériale de Satol'y. - Situation exceptionnelle du général Chan-
garniel'. - Son élévation et ,Sl! chute. - M. Berryer arbore fiere-
ment le drapeau de la Monarchie. - Manifeste de Venise. - Le
Spect11 e Rouge. - Discussion relative a la révision de la Consli-
tulion. - Craintes d'un coup d'État. - Proposition des
questeurs qui est rejetée. - L'AssembJée ne peut plus ríen
contre Lonis - Napoléon Bonaparte. - Conp d'État du 2 dé-
cembre. - Séance de I'Assemblée Législative a la J\lail'ie du X e
arrondissement. - Arrestation de tous les députés présents. -
Journées du 3 et du lt décembre. - Louís-Napoléon Bonaparte
nommé Président de la Hépublique pOUl' dix ans. - Sa Dicta-
ture. !"- Décret relatif aux biens de la famille d'Orléans. - L'Eu-
rope apl'eS le coup d'Élat. - Négociations relatives au rétablis-




- 520-
,. sement de I'Empire. - Notes échan~ées entre les Cabinets de


Berlin. de Vienne et de Saint-:-Pétersbourg a ce sujeto - Louis-
Napoléon Bonaparte est élu Empereur. - Hostilité des journaux
anglaiscontre son nOUVf'au Gouvernement.-Guerre d'Orient.--Mort
del'Empereur Nicolas ler et avénement de I'Empereur Alexandre n.
- Situation générale des partis et des sociétés san s cesse mena-
cées d'une catastrophe universelle.-Est-il possiblede la conjurer?


CHAPITREXXXVI. - RÉGÉNÉRATION NÉCESSAIRE DE
MONARCHIE. - CONCLUSION.


NOTES.


FIN DE LA TABLE.


ERRATA.


Page 22, ligne 15, qua a elle-méme, lise; : que it elle-méme •
.::.... 25, ligne 24, étaqp, lisez : rétabli.
- 36, ligne 24, Mais ayant, lisez : Ayant.
- 92, ligne 17, cal', lisez: puisq ue.
- 115, ligne 23, supprimez les mots : qu'elles pussent.
- 11.8, ligne 1., s'avaneent, lisez: avancent.
- 152, ligne 8, supprimez le mot : petit.
- 1.60, ligne 23, triomphe, lisez : triomphait.


• 475
• 501


- 177, ligues 6 et 7, d'abord rempla¡;a, lisez: rempla¡;a d'abord.
- 246, ligne 25, d'autant d'ardeur, lisez: d'autant plus d'ardenr.
- 2lt9, ligne 17, adressait, lisez: adressa.
- 263, ligne 5, de Révolution, lisez : de la Révolution.


281., ligne 2, Reiehstat, lisez: Reichstadt.
- 299, ligne 15, Tandis que, lisez : Enfill.
- 302, ligne lt, dans ce monde, lisez : ici-bas.
- 310, ligne 25, Napoléon Ier, lisez: Napoléon.
- 313, ligne 2, déelara, lisez : en déclarant .


. .. . . . . , ligne 7, ordonna, lisez : en ordonnant.
- 320, ligne 6, l'anarehie, et lisez : l'anarchie; ct.
- 3la!J, ligne 25, l'une, lisez: l'un
- 348, ligne 8, met, lisez : mito
- 368, ligne 7, avait déjil pris, lisez : acceptait.
- 370, ligne 21, natuel~, lisez : naturcls.
- 390, ligne 22, 18lt8, lisez : 18[¡3.
_ 39[¡, ligne 15, des vieux partis, lisez : de l'ancien parti jacobino
- hlJ..{¡, ligne 5, pour la, lisez : de toute.
- !J37, ligne 17, promit de, lisez : promit sur-Ie-::hamp de •


• • ••. . . , ligne 20, devait inaugurer, Usez : devait done in~ugurel'.
- 80, Iigne 25, nous nous~ lisez : nom;.
dA~~!I~ij' "'ne 1, la liberté, son caraetere, lisez : la liberté, son but mo-


a, .<:' s\1 ARJ.,¡ a l'autorité, son caraetere. ..•. '\. FIN. ,:.' f g /~ . . O lommiers. - Imprimcrie de A. MOUSSIN.
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