l ' () 2.,' · "..., HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANGAISE, I)AR M. A. THIERS,...
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l
' () 2.,' · "..., HISTOIRE


DE


LA RÉVOLUTION
FRANGAISE,


I)AR M. A. THIERS,
MINrSTRE n\iTAT ET DÉPUTÉ.


TOME DEUXÜ:ME.


'iroi9üntt <lEbitiOlt.


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LlBRAIR1<;, l'I,ACE DE LA BOURSE.


)1 DCCC XXXU.






HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRAN~AISE.


CHAPITRE L


-=s=


Jllgement Sllr l'assemblée constituantc. - Ouverture d~
la seconde assemblée nationaJe, dite assemblée légúla-
tilJe; sa composition. - État des clubs; les mcmbres
influents. - Pétion, maire .de París. - Politique des
puissances. - Émigration; décrets contre les érnigrés
et contre les pretres non asserrnentés. - Modifications
dans le ministere. - Préparatifs de guerre; état des ar-
mées.


L'ASSEMBLÉE constituante venait de terminel'
sa longue et laborieuse earriere; et, malgré
son noble eourage, sa parfaite équité? ses im-
menses travallX, elle était haje eomme révoIu-


JI.




nÉVOLUT/ON FRAN<;AISE.


tionnaire a Coblentz, et eomme aristoerate a
Paris. Pour bien juger eette mémorable assem-
blée, ou la réunion des lumieres fut si grande
et si varié e , les résolutions si hardies et si
persévéralltes, et 011, pour la premiere fois
peut-etre, OH vit tous les hommes éclairés
d'une nalíon, réunis avec la volonté et le pou-
voir de réaliser les vreux de la philosophie, il
faut considérer l'état dan s lequel elle avait
trouvé la France, et eelui dans lequel elle Ja
laissait. .


En 1789, la nation fran<¡;aise sentait el con-
naissait lous ses maux, mais elle ne eoneevait
pas la possibilité de les guérir. Tout-a-coup,
sur la demande imprévue des parlements, les
états-généraux sont convoqués; l'assemblée
~onstitua~te se forme, el arrive en présence
du trone, enorgueilli de son aneienne puis-
sanee, et disposé tout au plus a souffrir quel-
ques doléanees. Alors elle se pénetre de ses
droits, se dit qu'elle est la nation, et ose le
déclarer au gouvernemellt étonné. Menacée
par l'aristoeratie, par la cour et par une armée,
ne prévoyant pas encore les soulevements po-
pulaires, elle se déelare inviolable, et défend
an pouvoir de toucher a elle; eonvaineue de
ses droits, elle s'adressait a des ennemis ql1i
n'étaient pas eonvaincus des leurs, et eHe




ASSEMBL.Ú: LlíGISLATIVE (1791 J. 3
I'emporte, par une simple expression de sa vo-
lonté, sur une puissance de plusieurs siecles
et sur une armée de trente mille hommes.
C'est la toute la révolulÍon; c'en est le premier
acte et le plus noble; il est juste, il est hé-
rOlque, cal' jamais une nation n'a agi avec
plus de droit et de danger.


Lé pouvoir vaincu, iI {allait le reconstituer
d'une maniere juste et cOlJvenable. Mais a
raspect de eette écheJle social e au sommet de
laquelle tont surabonde, puissance, honneurs,
fortulle, tandis qu'au has tout manque jusqu'au
pain indispensable a la vie, l'assemhlée con s-
tituante éprouve dalls ses pensées une réaction
violente, et veut tont niveler. Elle décide done
que la masse des citoyens eomplétement éga-
lisée exprimera ses volontés, et que le roi de-
meurera chargé seulement de Ieur exécution.


Son erreur id n'est point d'avoir rédnit la
royauté a une simple magistrature; cal' le roi
avait encore assez d'autorité pour maintenir
les 10Ís, et plus que n'en ont les magistrats dans
les républiques; mais c'est d'avoir cru qu'un
roi, avec le souvenir de ce qu'il avait été , pút
se résigner; et ql1'nn peuple qui se réveillait
a peine, et ql1i venait de recouvrer une partie
de la puissance publique, ne voulút pas la
cOllquérir tont entiere. L'histoire prouve en


1.




4 RÉVOLUTION FRAN<,;:AISE.
erfet qu'il fallt diviser infiniment les magistra-
tures, ou que, si on établit un chef unique , iI
faut le doter si bien qu'il n'ait pas envíe d'u-
surper.


Quand les nations, presque exclusivement oc-
cupées de leurs intérets privés, sentent le be-
soin de se décharger sur un chef des soins
du gouvernement, elles font bien de s'en
donner un; mais il faut alors que ce chef,
égal des rois anglais, pouvant cOllvoquer et
dissoudre les assemblées nationales, n'ayant
point a recevoir leul's volontés, ne les sanc-
tionnant que lorsqu'elles lui conviennent, et
empeché seulement de trop mal faire, ait réel-
lement la plus grande partie de la souveraineté.
La dignité de l'homme peut encore se conser-
ver sous un gouvernement pareil, lorsque
la loi est rigoureusement observée, lorsque
chaque citoyen sent tout ce qu'il vaut, et sait
que ces pouvoirs si grands, laissés au prince, ne
luí ont été abandonnés que comme une con-
cession a la faiblesse humaine.


Mais ce n'est pas a l'instant ou une natíon
vient tout-a-coup de se rappeler ses droits,
qu'elle peut consentir a se donner un role se-
condaire, et a remettre volontaírement la
toute-puissance a un chef, pour que l'envíe ne
lui vienne pas de l'llsurper. L'assemblée cons-




ASSEMBLÉE LÉGISLATlVE (1791). 5
tituante n'était pas plus capable que la natíon
elle-meme de faire une pareille abdicatíon. Elle
réduisit done la royauté a une simple magis-
trature héréditaire, espérant que le roí se con-
tenterait de eette magistrature, toute brillante
encore d'honneurs, de richesses et de puis-
sance; et que le peuple la lui laisserait?


Mais que l'assemblée l'espérat OH non, pou-
vait-eIle, dans ce doute, trallcher la question?
pouvait-elle supprimer le roi, ou bien lui don-
ner toute la puissance que l'Angleterre accorde
a ses monarques.


D'abord,ellenepouvaitpasdéposerLouisXVI;
car, s'il est toujours permis de mettre la jus-
tice dans un gouvernement, iI ne l'est pas
d'en changer la forme, quand la justice s'y
trouve , et de convertir tout-a-coup une mo-
narchie en république. D'ailleurs la posses-
sion est respectable; et si l'assemblée eut dé-
pouillé la dynastie, que n'eussent pas dit ses
ennemís, qui l'aecusaient de violer la pro-
priété paree qu'elle attaquaít les droits féodaux?


D'un autre coté, elle ne pouvait accorder au
roi le veto absolu, la nomination des juges,
et autres prérogatives semblables, paree que
l'opinion publique s'y opposait, et que cette
opinion faisant sa seule force, elle' était obli-
gée de s'y soumettre.




6 llÉVOLUTION FRAN~AISJ:.
Quant al' établissement d'une seule ehambre,


son erreur a été plus réelle peut-etre, mais
tOl1t aussi inévitable. S'il était dangereux de
ne Jaisser que ]e souvenir du pouvoir a un roi
qui l'avait eu tont entier, et en présence d'un
peuple qui voulait en envahir jusqu'au der-
llier reste, il était bieu plus faux en príncipe
de ne pas reconnaitre les inégalités et les gra-
dations sociales, lorsque les républiques elles-
memes les admettent, et que ehez toutes on
trouve un sénat, ou héréditaire, ou éleetif.
Mais iI ne faut exiger des hommes et des es-
prits que ce qu'ils penvent achaque époque.
Comment, au milien d'une révalte contre l'in-
justice des rangs, reconnaitre leur nécessité?
eomment constituer l'aristoeratie au mament
de la guerre contre l'aristocratie? Constituer la
royauté eut été plus faeHe, paree que, plaeée
loin du peuple, elle avait été moins oppressive,
et paree que d'ailleurs elle remplit des fonc-
tions qui semblent plus nécessaires.


Mais, je le répete, ces erreurs n'eussent-elles
pas dominé dans l'assemblée, elles étaient
dans la nation, et la suite des événements
prouvera que si on avait laissé au roi et a 1'a-
ristoeratie tous les pouvoirs qu'on leur ota, la
révolutiori n'en aurait pas moins eu lienjusque
dan s ses derniers exd~s.




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (179 1). 7
IJ faut, pour s' en convaincre, distiuguer les


I'évolutions qui éclatent chez les peuples long-
temps soumis, de ceHes qui arrivent chez les
peuples libres, c'est-a-dir,e en possession d'une
certaine activité politiqueo A Romt'; a Athimes
et ailleurs, on voit les nations et leurs chefs
se disputer le plus 011 le moins d'autorité. Chez
les peuples modernes entierement dépouillés,
la marche est dífférente. Complétement asser-
vis, ils dorment long-temps. Le réveil a líeu
d'abord dan s les classes les plus éclairées, qui
se soulevent et reeouvrent une partie du pou-
voir. Le réveil est suceessif, l'ambition l'est
aussi, et gagne jusqu'aux dernieres classes, et
]a masse entiere se trouve ainsi en mouve-
mento Bientot, satisfaites de ce qu'elles ont
obteriu, les classes éclairées veulent s'arreter,
mais elles ne le peuvent plús, et sont incessam-
ment foulées par ceHes qui les suivellt. CeHes
qui s'arretent, fussellt-elles les avant-dernieres,
sont pour les dernieres une aristocratie, et,
dans cette lutte des classes se roulant les unes
sur les autres, le simple bourgeois flnit par
etre appelé aristocrate par le manouvrier, et
poursuivi eomme te!.


L'assemblée constituante nous présente cette
génération qni s'éclaire et réclame la premiere
contre le pouvoir encore tout-puissant : assez




8 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
sage pour voir ce que l' on doit a ceux qui avaient
tout et a ceux qui n'avaient ríen, elle veut lais-
ser aux premiers une partie de ce qu'ils pos-
sedent, paree qu'ils 1'ont toujours possédé, et
proeurer surtout aux seconds les lumieres et
les droits qu' on acquiert par elles. Mais le re-
gret est ehez les uns, l'ambition chez les autres;
le regret veut tout recouvrer, l'ambition tout
conquérir, et une guerre d'extermination s'en-
gage. Les constituants sont done ces premiers
hommes de bien, qui, seeouant l'esclavage,
tentent un ordre juste, l'essaient sans effroí,
aeeomplissent meme eette immense tache, mais
succombent en voulant engager les uns a cé-
der quelque chose, leS autres a ne pas tout
désirer.


L'assemblée constituante, dans sa réparti-
tion équitable, avait ménagé les anciens pos-
sesseurs. Louis XVI, avec le titre de roí des
Fran~ais, trente millions de revenus, le com-
mandement des armées, et le droit de sus-
pendre les volontés nationales, avait encore
d'assez beBes prérogatives. Le souvenir seul
<lu pouvoir absolu peut l'excuser de ne pas
s'etre résigné a ce resle si brillant de puissanee.


Le clergé, dépouillé des biens immenses qu'il
avait re~us jadis, a condition de seeourir les
pauvres qu'il ne secourait pas, d'entretenir le




ASSUIBLÉE LÉGISLATIVE (1 79 l ). 9
culte dont il laissait le soin a des curés indi-
gents, le clergé n'était plus un ordre politique;
mais ses dignités ecclésiastiques étaient con-
servées, sesdogmes respectés, ses richesses
scandalenses changées en un revenn snffisaut,
et ou pent meme dire abondant, car il per-
mettait eucore un assez grand luxe épiscopal.
La noblesse u' était plus un ordre, elle n' avait
plus les droits exclusifs de chasse, et autres
pareils; elle ll'étaít plus exempte d'impóts;
rnais ponvait-elle faire de ces choses l'objet
d'un l'egret raisonuable? Ses immeuses pro-
priétés lui étaieut laissées. Au lieu de la faveur
de la cour, elle avait la certitude des succes
aecordés au rnérite. Elle avait la faculté d'etre
élue par le peuple, et de le représenter dans
l'état, pour pen qu'elle voulut se montrer
bienveilIante et résiguée. La robe et l'épée
étaieut assurées a ses talents; pourquoi uue
généreuse émulation ue venait-elle pas l'ani-
mer tout-a-eoup? Quel ave u d'ineapacité ne
faisait-elIe point en regrettant les faveurs d'au-
trefois?


On avait ménagé les aneiens pensionuaires,
dédornmagé les eeclésiastiques, traité chacun
avec égard; le sort que l'assernblée eonstituante
avait fait a tous, était-il dOllC si insupportable?


La cOllstitution étant aehevée, aueune espé-




10 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
ranee ne restait au roi de reeouvrer, par des
délibérations, les prérogatives qu'il regrettait.
Il n'avait plus qu'une chose a faire, c'était de
se résigner, et d' observer la constitution, a
moins qu'il ne complat sur les puissances
étrangeres; mais il espérait tres-peu de leur
zele, et se dé6ait de l'émigration. Il se décida
done pOllr le premier parti, et ce qui prouve
sa sineéríté, e'est qu'íl vouJait franchement
exprímer a l'assembJée les défauts qu'il trou-
vait a la eonstitution. Mais 00 l'en détouroa,
et il se résolut a attendre du temps les resti-
tutions de pouvoir qu'il croyait lui etre dlles.
La reine n'était pas moins résignée. « Courage,
dit-elle au ministre Bertrand, qui se présenta a
eHe, tout n'est pas encore perdu. Le roi veut
s'eo tenir a la constitution, ce systeme est
certainement ]e meilleur. » Et il est permis de
croire que, si elle avait eu d'autres pensées a
exprimer, elle n'eut pas hésité en présence de
Bertrand de Molleville "'.


L'ancienne assemblée venait de se séparer;
ses membres étaient retournés au sein de leurs
familles,ou s'étaient répandus dans Paris. Quel-
ques-uns des plus marquants, 'tels que Lameth,
Duport, Barnave, communiquaient ave e la


* Voyez la note 1 a la fin du voll1me.




ASSEMBLÉE LÉGlSLATIVE (1791). J 1
cour, et lui donnaient leurs conseils. Mais le
roí, tout décidé qu'il était a observer la cons-
titution, ne pouvait se résigner a suivre les
avis qu'il recevait, car on ne luí recommall-
dait pas seulement de ne pas violer cette cons-
titution , mais de faire croire par tous ses actes
qu'il y était sincerement attaché. Ces membres
de l'ancienne assemblée, réunis a Lafayette de-
puis ]a révision, étaient les chefs de cette gé-
nération révolutiounaire, qui avait donné les
premieres regles de liberté, et voulait qu'on
s'y tint. Ils étaient soutenus par la garde na-
tionale, que de longs servit:es, sons Lafayette,
avaieHt elltierement attachée a ce général el a
ses príncipes. Les constitnants eurent alors un
tort. celni de dédaigner la nouvelle assemblée,
et de l'irriter souvent par leur mépris. Une
espece de vanité aristocratique s'était déja em-
paré e de ces premiers législateurs, et il sem-
blait que toute science législative avait disparu
apres eux.


La nouvelle assemblée était composée de di-
verses classes d'hommes. On y comptait des
partisans éclairés de la premiere révolution,
Ramond, Girardin , Vaublanc, Dumas et autres,
qui se nommerent les constitutionnels, et oc-
cuperent le coté droit, ou ne se trouvait plus
un seu\ des anciens privilégiés. Ainsi, par la




12 RÉVOLUTION FRA.N~A.ISE.
marche naturelle et progressive de la révolu-
tion, le coté gauehe de la premiere assemblée
devait devenir le coté droit de la seconde.
Apres les constitutionnels, on y trouvait beau-
coup d'hommes distingués, dont la révolution
avait enflammé la tt~te et exagéré les désirs.
Témoins des travaux de la constituante, et
impatients eomme ceux qui regardent faire,
ils avaient trouvé qu'on n'avait pas encore as-
sez fait; ils ll'osaient pas s'avollcr républicains,
paree que, de toute part, on se recomman-
dait d'etre fideIe a la constitution; mais l'es-
sai de république qu'on avait fait pendant le
voyage de Louis XVI, les intentions suspectes
de la cour, ramenaient sans eesse leurs csprits
a eette idée; et l'état d'hostilité eontinuclle
dans lequel ils se trouvaient vis-a-vis du gou-
vernement, devait les y attaeher chaque jour
davantage.


Dans eette nOllvelle génération de talents,
on rcmarqllait prineipalement les députés de
la Gironde, d'ou le parti entier, quoiqne for-
mé par des hommes de tons les départements,
se nomma Girondin. Condoreet, éerivain con-
nu par une grande étcndllc d'idées, par une
extreme rigueur d'esprit et de caractere, en
était l'éerivain; et Vergniaud, improvisateur
pur et entrainant, en était l'orateur. Ce partí,




ASSEMBLÉJ<: LÉGISI.ATIVE (1791). J 3
grossi sans cesse de tout ce qui désespérait de
la cour, ne voulait pas la république qui lui
échut eu 1793; ¡tIa revait avec tous ses pres-
tiges, avec ses vertus et ses mreurs séveres.
Venthousiasme et la véhémence devaíent etre
ses principaux caracteres.


Il devait aussi avoir ses extremes; c'étaient
Bazire, Chabot, Merlin de Thionville et autres;
inférieurs par le talent, ils surpassaient les
autres Girondins par l'audace; ils devinrent le
parti de la Montagne, lorsque apres le renver-
sement du treme, ils se séparerent de la Gironde.
Cette seconde assemblée avait enfln, eomme
la prerniere, une masse moyenne, quí, san s
engagement pris, votait tantót avec les uns,
tantót avec les autres. Sous la constituante,
lorsqu'une liberté réelle régnait encore, cette
masse était restée indépendante; mais comme
elle ne l'était point par énergie , mais par indif-
férence, dans les assemblées postérieures ou
régna la violenee, elle devint lache et mépri-
sable, et rec;;nt le nom trivial et honteux de
ventre.


Les clubs aequirent a eette époque une plns
g¡'ande importanee. Agitateurs sons la consti-
tllallte, ils devinrent domillateurs sons la légis-
lative. L'assemblée nationale ne pouvallt eon-
tenir toutes les ambitions, elles se réfugiaient




14 nÉVOWTlON FRAN~AISE.
dans les clubs, ou elles trouvaient une tribune
et des orages. C'était la que se rendait tout ce
qui voulait parler, s'agiter, s'émouvoir, c'est-
a-dire la nation presque entiere. Le peuple
courait a ce spectacle nouveau; il occupait les
trihunes de toutes les assemblées, et y troll-
vait, des ce temps meme, un emploi lucratíf,
car on comment;ait a payer les applaudisse-
ments. Le ministre Bertrand avone les avoir
payés lui-meme.


Le plus anden des clubs, celui des Jacobins,
avait déja une influence extraordinaire. Une
église suffisait a peine a la foule de ses mem-
bres et de ses auditeurs. Un immense amphi-
théatre s'élevait en forme de cirque, el OCCU-
paittoute la grande nef de l'église des Jacobins.
Un bureau se trouvait au centre; un président
et des secrétaires l'occupaient. On y recueilIait
les voix; on y eonstatait les déJibérations sur
Ull registre. Une correspondan ce active entre-
tenait le zele des sociétés répandues sur la
surfaee entiere de la Franee; on les nommait
soeiétés affiliées. Ce club, par son ancienneté
et une violence soutenue, l'avait eonstamment
emporté sur tous ceux qni avaient voulu se
montrer plus modérés ou meme plus véhé-
ments. Les Lameth, avec tont ce qu'il rell-
fermait d'hommes distingués, l'avaient ahan-




ASSEMBLltE LÉGISLA.TIVE (1791). 15
donné apresle voyage de Varennes, et s'étaient
transportés aux Feuillants. C'était dans ce der-
nier que se trouvaient confondus tous les
essais de clubs modérés, essais qui n'avaient
jamais réussi paree qu'ils allaient contre le
besoin meme qui faisait courir aux clubs,
celui de l'agitation. C'est aux Feoillants que
se réunissaient alors les constitutionnels, ou
partisans de ]a premiere révolntion. Anssi le
norn de Feuillant devint-il un titre de pros-
cription, Jorsque celui de modéré en fut un.


Un autre club, celui des Cordeliers, avait
voulu rivaliser de violen ce avec les·Jacohins.
CarnilJe Desmoulins en était l'écrivain, et Dan-
ton le chef. Ce dernier n'ayant pas réussi au
barreau, s'était faít adorer de la multitude
qu'il touchait vivement par ses formes athlé-
tiques, sa voix son ore , et ses passions toutes
populaires .. Les Cordeliers n'avaient pu, meme
avec de l'exagération, l'emporter sur leurs ri-
vaux, chez lesquels l'habitude entretenait une
irnmense affluence; mais ils étaient en meme
temps presque tous du club jacobin, et, lors-
qu'il le fallait, ils s'y rendaient a la suite de
Danton pour déterminer la majorité en sa fa-
veur.


Robespíerre, qu'on a vu pendant l'assemblée
constituante se distillguer par le rigorisme de




16 RÉVOLUTION :¡"RANYAISF..
ses príncipes, était exclu de l'assemblée légís-
lative par le décret de non-rééleetion qu'iI avait
lui-meme eontríbué a faire rendre. Il s'était
retranehé aux Jacobins, ou iI dominait sans
partage, par le dogmatisme de ses opinions.
et par une réputation d'intégrité qui lui avait
val u le nom d'incorruptible. Saisi d'effroi,
eomme on l'a vu, au moment de la révision,
il s' étai t rassuré depuis, et il continuait l' reuvre
de sa popularité. Robespierre avait trouvé
deux rivaux qu'il commen~ait a hair, c'étaient
Brissot et Louvet. Brissot, melé a tous les
hommes de la premiere assemblée, ami de
Mirabeau et de Lafayette, connu pour répu-
blicain, et I'un des membres les plus distingués
de la législative, était léger de caractere, mais
remarquable par certaines qualités d'esprit.
Louvet, avec une ame chaude, beaueoup d'es-
prit et une grande audace, était du nombre
de ceux qui, ayant dépassé la constituante ,
revaient la république : iI se trouvait par la
naturellement jeté vers les Girondins. Bientot
ses luttes avec Robespierre le Ieur attaeherent
davantage. Ce partí de la Gironde, formé peu
a peu, sans jntention, par des hommes qui
avaient trop de mérite pour s'allier a la popu-
lace, assez d'éclat pour etre enviés par elle et
par ses chefs, et qui étaient plutot unis par




ASSE1I'IBLÉE LÉGISLA TlVE (179 J). ) 7
leur situation que par un eoneert, ce parti
dut etre brillant mais faible, et périr devant
les factions plus réelles qui s'élevaÍent autour
de luí.


Tel était done l' état de la Franee : les anciens
privilégiés étaient retirés au-delil du Rhin; les
partisans de la eonstÍtution occupaíent la dl'oite
de l'assernhlée, la garde nationale , et le club
des Ftuillants; les Girondins avaient la majorité
dans l'assemblée, mais non dans les clubs, ou
la basse violenee l'emportait; en fin les exagérés
de cette nouvelle époque, placés sur les banes
les plus élevés de l'assemblée, et a eause de
cela nommés la lJfontagne, étaient tout-puis-
sants dans les clubs et sur la populaee.


Lafayette ayant déposé tout grade militaire,
a'Vait été' aecompagné dans ses terres par les
hornmages et les regt'ets de ses compagnons
d'armes. Le commandement n'avait pas été dé-
légué a un lIouveau général, mais six chefs de
légions commandaient alternativement la gardc
nationale toute entÍere. Bailly, le fideIe allié
de Lafayette pendant ces trois années si péni-
bIes, quitta aussi ]a mairie. Les voix des élec-
teurs se partagerent entre Lafayette et Pétion;
mais la eour, quí ne voulait a aUCun prix de
Lafayette, dont eependaut les dispositíons lui
étaient favorables, préféra Pétion, quoiqu'il


rr 2




18 RÉVOLUTION FRANCAISE • .
fut républicain. Elle espéra davantage d'une
espece de froideur qu' elle prenait pour de la .
stupidité, mais qui n'en était pas, et elle dé-
pensa beaucoup pour lui assurer ]a majorité.
Il l'obtint en effet, et fut nommé maire *.
Pétion, avec un esprit éclairé, une convíction
froide mais solide, avec assez d'adresse, servit
constamment les républicains contre la cour,
et se trouva lié a la Gironde par ]a cOIlformité
des vues, et par l'envie que sa nouvelle dignité
excita chez les Jacobins.


Cependant si, malgré ces dispositions des
partis, on avait pu compter sur le roí, il est
possible que les méfiances des Girondins se
fussent calmé es , et que, le prétexte des trou-
bIes n'existant plus, les agitateurs n'eussent
trouvé désormais aucun moyen d'ameuter la
populaee.


Les intentions du roí étaient formées; mais,
grace a sa faiblesse ,elles n'étaient jamais irré-
vocables. 11 fallait qu'il les prouvat avant qu'on
y crut; et, en attendant la preuve, iI était
exposé a plus d'un outrage. Son caractere,
quoique bon, n'étaít pas san s une certaine clis-
position a l'humeur; ses résolutions devaiellt
done etre facílement ébranlées par les pre-


* 17 novembre.




ASSEMBLÉE U:GISLATIVE (179 (). 19
mieres fautes de l'assemblée. Elle se forma
elle-meme, et preta serment avec pompe sur
le livre de la constitution. Son premier décret,
relatif au cérémonial, abolit les titres de sire
et de maiesté donnés ordinairement au roi.
Elle ordonna de plus qu'en paraissant dans
l'assemblée, il serait assis sur un fauteuil ab-
soluínent semblable a celui du président .v..
C'étaient la les premiers effets de l'esprit répu-
blicain ; et la fierté de Louis XVI en fut cruel-
lement blessée. Pour se soustraire a ce qu'it
regardait comme unehumiliation, il résolut
de ne pas se montrer a l'assemblée et d'envoyer
ses ministres ouvrir la session législative. L'as-
semblée, se repentant de cette premiere hos-
titité, révoqua son décret le lendemain, et
donna aillsi un rare exemple de retour. Le roi
s'y rendit alors et fut parfaitement accueilli.
Malheureusement on .avait décrété que les
députés, si le roi restait assis, pourraient éga.
Jement s'asseoir; c' est ce qu'ils firent, et
Louis XVI y vit une nouvelle insulte. Les ap-
plaudissements dont il fut couvert ne purent
guérir sa hlessure. Il rentra pale et les traits
altérés. A peine fut-il seul avec la reine, qu'iL
se jeta sur un siége en sanglotant. « Ah!


• Décret un 5 oetobre.
2..




20 RÉVOUJTION F11 ANstAlSE.


madame , s'écria-t-il, VOUS avez été témoin de
cette humiliation! Quoi! venir en France pour
voir .... » La reine s' effor<;a de le consoler, mais
son c~ur était profondément blessé, et ses
bonnes intentions durent en etre ébranlées ".


Cependant si des"]ors il ne songea plus qu'a
recourir aux étrangers, les dispositions des
puissances dnrent lui dOIluer peu d'espoir. La
déclaration de Pilnitz était demeurée sans effet,
Boit par défaut de úle de la part des souverains,
soit aussi a cause du danger que Louis XVI au-
raít conru, étant depuis le retour de Varennes
prisonnier de l'assemblée constituante. L'ac-
ceptation de la constitution était un nouveau
motif d'attendre les résultats de l'expérience,
avant d'agir. C'était l'avis de Léopold et uu
ministre Kaunitz. Aussi lorsque Louis XVI eut
notifié a toutes les cours qu'il acceptait la
constitution, et que ~on intention était de
l'observer fideIemellt, I'Autriche donna une
réponse tres-pacifique; la Prusse et l'Angle-
terre firent de meme, et protesterent de leui's
intentions amicales. II est a observer que les
puissances voisines agissaient avec plus de ré-
serve que les puissances éloignées, telles que
la Suede et la Russie, paree qu'elIes étaient


• Voyez Mm. Campan, tome 11 , page 129.




ASSEll'IBLÉE LÉGISLATIVE (1791). 21
plus immédiatement eompromises dans la
guerreo Gustave, qui revait une entreprise
brillante sur la Franee, répondit a la notifi-
cation qu'il ne regardait pas le roi eomme
libre. La Russie différa de s'expliquer. La Hol-
lande, les prineipautés italiennes, mais surtout
la Suisse, firent des réponses satisfaisantes. Les
électeurs de Treves et de Mayenee, dans les
territoires desquels se trouvaient les émigrés ,
employerent des expressions évasives. L'Espa-
gne, assiégée par les émissaires de Coblentz,
ne se pronon<,¡a pas davantage, et prétendit
qu' elle désirait du temps pour s'assurer de la
liberté du roí; mais elle assma néanmoins
qu'elle n'entendaít pas troubler la ú'anqllillité
du royaume.


De telles réponses, dont aUCUlle, n'était
hostile, la neutralité assurée de l' Angleterre ~
l'ineertitllde de Frédérie-GuilJaume, les dispo-
sitíons pacifiques el bien connues de Léopold,
tOllt faisail prévoir la paix. Il est difficile de
savoir ce qlli se passait dans rame vacillante de
Louis XVI, mais son intéret évident, et les
craintes memes que ]a gllerre lui inspira plus
tard, doivent porter a croíre qu'il désirait
aussi la conservation de la paix.Au milieude ce
eoneert général, les émigrés seuls s'obstinerent
a vouloir la guerre et a la préparer.




22 RÉVOLUTION .FRANgAISE.
lIs se relldaient toujours en foule a Coblentz;


ils y armaient avec activité, préparaient des
magasills, passaient des marchés pour les four-
nitures, formaient des cadres qui a la vérité
ne se remplissaient pas, car aucun d'eux ne
voulait se faire soldat; i15 instítuaient des
grades, qui se vendaient; et, s'ils ne tentaient
ríen de véritablement dangereux, ils faisaient
néanmoins de grands préparatifs, qu'eux-
memes croyaient redoutables, et dont rima-
gination populaire devait s'effrayer.


La grande question était desavoirsi Louis XVI
les favorisait ou non; et il était diffici1e de croire
qu'il ne fút pas tres-bien disposé en faveur de
parents et de serviteurs qui s'armaient pour
luí rendre ses anciens pouvoírs. Il pe fallait pas
moins qUe la plus grande sincérité et de con-
tinuelles démonstrations pour persuader le
contraire. Les lettres du roi aux émigrés por-
taient l'invitation et meme l'ordre de rentrer;
mais il avait, dit-on *, une correspondan ce se-
crete qui démentait sa correspondance publi-
que et en détruisait l' effet. On ne peut sans doute
contester les communications secretes avec
Coblentz, mais je ne erois pas que Louis XVI
s'en soit servi pour cOlltredire les injonctions


• Voyez la note :& a la fin du volume.




ASSE1IUlLÉE LÉGISLATIVE (1791)' 23
qu'il avait publiquement adressées aux émi-
gl'és. Son intéret le plus évident voulait qu'ils
rentrassent. Leur présenee a Coblentz ne pou-
vaít etre utile qu'alltant qu'ils avaient le pro-
jet de combattre; or Louis XVI redoutait la
guerre eivile par-dessus tout. Ne vouIant done
pas employer Ieur épée sur le Rhin, iI vaIait
mieux qu'il les eUt aupres de lui, afin de s'en
servir au hesoin, et de rénnir leurs efforts a
ceux des constítutionnels pour protéger sa
personne et son treme. En outre, lenr présenee
a CobIentz provoqllait des lois sével'es qu'il ne
voulait pas sanetionner; son refus de sanetioll
le compromettait avee l'assemblée, et on yerra
que e'est l'usage qu'il fit du veto, qui le dépo-
pularisa complétement en le faisant regarder
comme compliee des émigrés. n serait étrange
qu'il n'eut pas aperc;;u la justesse de ces raisons,
que tous les ministres avaient sentie. Ceux-ci
pensaient unanimement que les émigrés de-
vaient retourner aupres de la personne du roi
pour la défendre, 'pour faire cesser les alarmes
et oter tout prétexte aux agitateurs. C'était
meme l'opinion de Bertrand de Molleville,
dont les principes n'étaíent rien moins que
eonstitutionnels. « Il fallait, dit-il, employer
,e tqus les moyens possibles d'augmenter la po-
« pularité du reí. Le plus efficace et le plus




RtVOLUTION FR,\.NCAlSE.
.


« utile de tous, dans ce moment, était de rap-
« peler les émigrés. Leur retour généralement
« désiré aurait fait revivre en France le parti
(c royaliste que l'émigration avajt entierement


r( désorganisé. Ce' partí fortifié par le discrédit
c( de l'assemblée, et recruté par les nombreux
« déserteurs du parti constitutionnel, et par
« tous les mécontents, serait bientot devenu
« assez puissant pour rendre décisive en faveur
« du roi l'explosion plus OH moins prochaine a
« laquelle iI rallait s'attendre.» (Tome 6, p. 42).


Louis XVI, se conformant a cet avis des mi-
nistres, adressa des exhortatíons aux princi-
paux chefs de l'armée et aux officiers de marine
pour Ieur rappeler leur devoir, et les relenir
a Jeur poste. Cependant ses exhortations furellt
inutiles; et la désertion continua sans interrup-
tion. Le ministre de la guerre vint annoncer
que dix-neuf cents officiers avaient déserté.
L'assemblée ne put se modérer ~ et résolut de
prendre des mesures vigoureuses. La consti-
tuante s'était bornée, en dernier lieu, a pro ..
noncer la destitution des fonctioonaires publics
qui étaíent hors du royaume, et a frapper les
biens des émigrés d'uoe triple contribution,
pour dédommager l'état des services dont ils
le privaient par leur absellce. L'assemblée nou-
vdle proposa des peines plus séveres,




ASSENIBLÉE LÉOISLATIVJ<; (J 79')' 25
Divers projets furent présentés. Brissot dis~


tingua trois c1asses d'émigrés : les chefs de la
désertion, les fonctionnaires publics qui aban-
donnaientleurs fonctions, et enfin, ceux qui
par crainte avaient fui le sol de leur patrie. Il
fallait, disait-il, sévir contre les premiers, mé-
priser et plaindre les autres.


Il est certaill que la liberté de l'homme ne per-
met pas qu'on l'enchaine au sol; mais, lorsque
la certÍtude est acquise par une foule de cir-
constances, que les citoyens qui abandonnent
leur patrie vont se réunir au dehors pOllr luí
déclarer la guerre, il est permis de prendre
des précautions contre des projets aussi dan-
gereux.


La disCllssioll fut longue et opiniatre. Les
coustitutiolln~Js s'opposaient a totItes les me-
sures proposées, et sontenaient qu'il fallait
mépriser d'inutiles telltatives, eomme avaient
toujours fait leurs prédécesseurs. Cependant
le parti opposé l'emporta, et un premier dé-
cret fut rendu, qui enjoignit a Monsieur, frere
du roi, de rentrer sous deux mois, faute de
quoi il perdrait son droit éventuel a la régenoe.
Un second déeret plus sévere fut portécontre
les émigrés en général; iI déclarait que les
Fraru;ais rassemblés au-dela des frontieres du
royaume étaient suspeets de eonjuration.contre.




RÉVOLUTION FRANgAISE.


la France; que, sí au premier .ianvier prochain
ils étaient encore en état de rassemblement,
iJs seraient déclarés· coupables de conjuration,
poursuivis comme tels, et punís de mort; et
que les revenus des contumaces seraient pen-
dant leur vie perc;;us au profit de la natíon ,
sans préjudiee des droits des femmes, enfants
et créanciers légitimes -v..


L'action d'émigrer n'étant pas répréhensible
en elle-meme, il est difficile de caractériser le
eas ou elle le devient. Ce que pouvait faire la
loi, e'était d'avertir d'avanee qu'on a11ait deve-
nir eoupable a telle eondition; et tous ceux
qui ne voulaient pas l'etre n'avaienl qu'a obéir.
Cenx qui, avertis du terme auquel l'absence
du royaume devenait un crime, ne rentraient
pas, cQJlsentaient par cela rnemc,a passer pour
criminels. Ceux qui, saos motifs de guerre ou
de politique, étaient hors du royaume, devaient
se ha ter de revenir; e' est en effet un sacrifi<:e
assez léger a la sureté d'ull état, que d'abréger
un voyage de plaisir ou d'intér.et.


Louis XVI, afin de satisfaire l'assemblée et
l'opinion publique, consentít au déeret quí
ordonnai't a Monsieur de rentrer, sous peine
de perdre son droit a la régence, mais il ap-


* Décr.ets du 2:8 octobre et dll !J lIovcmbrc.




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1791). 27
posa son veto sur la loi coutre les émigrés. Les
ministres furent chargés de se rendre tous en-
semble a l'assemblée, ponr y annoncer les vo-
lontés du roi "'. Ils lurent d'abord divers dé-
crets auxquels lasanction était donnée. Quand
arriva celui des émigrés, un silence profond se
tit dans l'assemblée; et lorsque le garde des
sceaux pronon~a la formule officielle, le roí
examinera, un grand mécontentemellt se ma-
nifesta de tous catés. Il voulnt développer les
formes du veto; mais une fnule de voix s'éle-
verent, et dirent au ministre que la constitu-
tío n accordait au roi le droit de f.·úre opposi-
tion, mais non celui de la moti ver. Le ministre
fut done o bligé de se retirer en laissant apres
luí une profonde irritation. Cette premiere ré-
sistance du roi a l'assemblée fut une rtlpture
définitive; et quoiqn'il eut sanctronné le décret
qui privait son frere de la régence, on ne put
s'empecher de voir dans son refus au second
décret une marque d'affection ponr les insur-
gés de Coblentz. On se rappela qu'il était leur
parent, leur ami, et en quelque sorte lenr
co-intéressé; et on en conclut qu'il lui était
impossible de ne pas faire cause commnne
,avec ellX contre la nation.


Des le lendemain , Louis XVI 6t publier une
• Séaucc UlI 12 novelllbre.




llÉVOLUTION FRAN9AISll.


proclamation aux émigrés, et deux lettres par.
ticlllieres a chacun de ses freres. Les raisons
qu'il ]eur présentait aux uns et aux autres
étaient excellentes, et paraissaient données de
bonne foi. Il les engageait a faire cesser, par
leur retour, les méfiances que les malveillants
se plaisaient a répandre ; il les priait de ne pas
le réduire a employer contre eux des mesures
séveres; et quant a son défaut de liberté, sur
lequel on s'appuyait pour ne pas lui obéir, iI
leur donnait pour preuve du contraire, le veto
qu'il venait d'apposer en leur faveur 'f.. Quoi
qu'il en soit, ces raisons ne produisirent ni a
Coblentz ni a París l'effet qa'elles ,étaient ou
paraissaient destinées a produire. I~es émigrés
ne rentrerent pas; et daos !'assemb]ée on trou·
va le ton de la proclamation trop doux ; on con-
testa merile au pouvoir exécutif le droit d'en
faire une. On était en effet trop irrité pour
se contenter d'une procIamation, et surtout
pour souffrir que le roi substituat une mesure
inutile aux mesures vigoureuses qu' 00 venait
de prendre.


Une autre épreuve du meme gen re était an
meme instant imposée a Louis XVI, et ame-
nait un résultat aussi rnalheureux. Les premiers


.. Voyez la note '3 11 la fin nll volurne.




ASSE1HJlLÉE LÉGJSLAT/VE (1791). 2.9
troubles religiellx avaient éclaté dans l'Ouest;
l'assemblée constituante y avait envoyé deux
commissaires, dont l'un était Gensonné, si cé-
lebre plus tard dan s le parti de la Gironde.
Leur rapport avait été fait a l'assemblée légis-
lative, et, quoique tres-modéré, ce rapport
I'avait remplie d'indignation. On se souvient
que l'assemblée constituante, en privant de
leurs fonctions les pretres qui refusaient de
preter le serment, leur avait cependant laissé
une pension et la liberté d'exercer leur eulte
a parto lIs n'avaient cessé depuis lors d'exeiter
le peuple contre leurs confreres assermentés,
de les luí montrer eomme des impies dont le
ministere était nul et dangerellx. Ils trainaient
les paysans a leur suite a de longlles distanees
pour leur dire la messe. Ceux-ci s'irritaient de
voir leur église occupée par un cnlte qu'ils
croyaient mauvais, et d'etre obligés d 'aller cher-
cher si lo in eelui qu'ils eroyaient hon. Souvent
ils s'en prenaient aux pretres asseFmentés et a
leurs partisans. La guerre civile était immi-
nente -1'. De nouveaux renseignements furent
fournis par l'assemblée, et lui montrerent le
danger encore plus grand. Elle voulut alors
prendre eontre ces nouveaux ennemis de la


~ Voyez la note 4 á la fin du voll1me.




30 RÉVOLUTION FRAN<;AIS1<:.
constitution des mesures semblables a ceHes
qu'elle avait prises contre les cnnemis armés
d'outre-Rhin, et faire un nouvel essai des clis-
positions du roi.


L'assemblée constituante avait ordonné a
tous les pretres le serment civique. Ceux qui
refusaient de le preter, en perdant la qualíté
de ministres du culte public et payé par r état,
cOIlservaient leurs pensions de simples ecclé-
siastiques, et la liberté d'exercer privément leur
ministere. Rien n'était plus doux et plus mo-
déré qu'une répression pareille. L'assemblée
législative exigea de nouveau le serment, et
priva ceux qui le refuseraient de tout traite-
mento Comme ils abusaient de leur liberté en
excitantla gnerre civile, elle ordonna que, se-
Ion letN' conduite, ils seraient transportés d'un
lieu clans un autre, et meme condamnés a une
détention s'ils refusaient d'obéir. Enfin eHe leur
défendit le libre exercice de leur culte particu-
lier, et voulut que les corps administratifs lui
fissent parvenir une liste avec des notes sur le


comple de chacun d'eux "'.
Cette mesure, ainsi que ceHe qui venait (l'i~tre


prise contre les émigrés, tenait a la crainte qui
s'empare des gouvernements menacés, et qui


~ Décret du 29 novemhy'p,




ASSEMBLÉE LÉGISI.A TJVE (J 79' ). 3 J
les porte a s'entourer de précautions excessi-
ves. Ce n'est plus le fait réalisé qu'ils punís-
sent, e'est l'attaque présumée qu'ils poursui-
vent; et leurs mesures deviennent souvent
arbitraires et eruelIes eomme le soup<;on.


Les éveques et les pretres qui étaient de-
meurés a París et avaÍent conservé des rela-
tions avee le roi, lui adresserent aussitot un
mémoire contre le déeret. Déj:'t plein de scrn-
pules, le roi qni s' était reproché toujours d'a-
voir sanetionné le décret de la eonstituante,
n'avait pas beso in rl'encouragement pour re fu-
ser sa sanetion. « Ponr eelui.-ci , dit·il en parlant
du nouveau projet, on m'otera plutot la vie
que de m 'obliger a le sanctionner.» Les mi-
nistres partageaient a peu pres cet avis. Bar-
nave et Lameth, que le roi eonsultait quel-
qnefois, luí cOllseillerent de refuser sa sauctiou;
mais a ce conseil ils en ajoutaieut d'autres que
le roi ne pouvait se décider a suivre : e'était,
en s'opposaut all déeret, de ne laísser allelln
doute sur ses dispositions, et, pOllr cela, d'é-
loigner de sa personne tous les pretres quí
refusaient le serment, et de ue composer
sa chapelle que d'ecclésiastiques constítution-
neis. Mais, de tous les avis qu'on lui donnait,
le roi u'adoptait que la partie qni eoncordait
avec sa faiblesse ou sa dévotion. Duport-Dn-




RÉVOLUTION FRAN~AISE.
tertre, garde des seeaux et organe des consti ..
tutionnels dalls le ministere, y fit approuver
leur avis; et lorsque le eonseil eut délibéré, a
la grande satisfaetion de Louis XVI, que le
veto serait apposé, il ajouta eomme avis, qu'il
serait eonvenable d'entourer la personne du
roi de pretres non suspects. A eette proposi-
tíon, Louis XVI, ordinairement si flexible,
montra une invineible opiniatreté, et dit que la
liberté des eultes, décrétée pour tout le monde,
devait l'etre pour lui eomme pour ses sujets,
et qu'il devait avoir la liberté de s'entourer
des pretres qui lui convenaient. On n'insista
pas; et, sans en donner eonnaissance encore
a l'assemblée , le veto fut décídé.


Le partí constitutionnel, auquelle roí sem-
blait se livrer en ce moment, lui preta un nou-
veau secours ; ce fut celui du directoire du dé-
partemeni. Ce directoire élait composé des
membres les plus considérés de l'assemblée
constitllante; on y trouvait le cInc de Laro-
chefoucault, l'éveqne d'Autun, Baumetz, Des-
meunÍers, Ansons, etc. Il fit une pétition au
roí, non commecorps administratjf, mais
comme réuuion de pétitionnaires , et provoqua
l'apposition du veto an décret contre les pretres.


Ir. L'assemblée nationale, disait la pétition, a
certainement voulu le hien; nOU5 aimons a la




AssE~lnLÚ: JJÉGISI,ATIVE (1791). 33
venger ici de ses coupables détracteurs; mais
un si louable dessein l'a poussée vers des me-
sures que la constitution, que la justice, que
la prudence, ne sauraient admettre ..... Elle
faít dépendre, pour tous les ecclésiastiques
non fonctionnaires, le paiement de leurs pen-
sions de la prestation <Iu serment civique, tan-
dis que la constitution a mis expressément et
littéralemellt ces pensions au rang des dettes na-
tionales. Or, le refus de preter un serment quel-
conque peut.iI détruire le titre d'une créance
reconnue? L'assembIée constituante a faÍt ce
qu'elIe pouvait faire a l'égard des pretres non
assermentés; iIs ont refusé le serment pres-
crit, et elle les a privés de leurs fonctions; en
les dépossédant, elle les a réduits a une pen-
sion ..... L'assemblée législative veut que les
ecclésiastiques qui n'ont point preté le ser-
ment, ou qui l' ont rétracté, puissent, dans les
troubles religieux, etre éloignés provisoire-
ment, et emprisonnés s'ils n'obéissent a 1'0rdre
qui leur sera intimé. N'est-ce pas renouveler le
systeme des ordres arbitraires, puisqu'il serait
permis de punir de l' exiI, et bientot apres de
la prison, celui qui ne serait pas encore con-
vaincu d'etre réfractaire a ancnne loi? ... L'as-
semblée nationale refuse a' tous cellX qui ne
preteraient pas le serment civique la libre pro-


D. 3




34 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
fession de leur culte ..... Or, cette liberté ne
peut etre ravie a personne; elle est consacrée
a jamais dans la déclaration des droits ..... »


Ces raÍsons étaient san s doute excellentes,
mais on n'apaise avec des raisonnements ni les
ressentíments ni les craintes des partís. eom-
ment persuader a une assemblée qu'on devait
permettre a des pretres obstinés d'exciter le
trouble et la guerre civile? le directoÍre fut in-
jurié, et sa pétition au roi fut combattue par
une foule d'autres adressées an corps législa-
tifo Camille Desmoulins en présenta une tres-
hardie a la tete d'une section. On pouvait y
remarquer déja la violence croissante du lan-
gage, et l'abjuration de toutes les convenan-
ces observées jusque-Ia envers les autorités et
le roi. Desmoulins disait a l'assemblée qu'il
fallait un grand exemple .... ; que le directoire
devait etre mis en état d'accusation .... ; que
c'étaient les chefs qu'il falIait poursuivre .... ;
qu'on devait frapper a la tete, et se servir de
la foudre contre les conspirateurs .... ; que la
puissance du veto l'oyal avait un terme; et
qll'on n'empechait pas avec un veto la prise de
la Bastille .....


Louis XVI, décidé a refuser sa sanction, dif·
férait cependant de l'annoncer a l'assemblée.
Il voulait d'abord par quelques actes se con-




ASSEMBL"ÉE I.ÉGISLATIVE (1791). 35
cilier l'opinion. Il prit ses ministres dans le partí
constitutionnel. Montmorin, fatigué de sa la-
borieuse carriere sous la constituante, et de
ses pénibles négociations avec tous les partis,
n'avait pas voulu braver les orages d'une nou-
velle législature, et s'était retiré malgré les
instances du roi. Le ministere des affaires étran-
geres, refusé par divers personnages, fut ac-
cepté par Delessart, qui quitta celui de i'inté-
rienr. Delessart, integre et écJairé, était sons
l'influence des constitutionnels ou feuillants;
mais iI était trop faible pou!' fixer ]a volonté
du roi, pour imposer aux pnissances étrange-
res et aux factions intérieures. Cahier de Ger-
ville, patriote prononcé, mais plus roide qu'en-
trainant, fut placé a l'intérieur pour satisfaire
encore l'opinion publique. Narbonne, jeune
homme plein d'activité el d'ardeur, constitu-
tionnel zélé, et habile a se populariser, fut
porté a l'administration de la guerre par le
parti qui composait alors le mÍnistere. Il au-
rait pu avoir une influcIIce utile sur le con-
seil, et rattacher l'assemblée au roi s'il n'avait
en pour adversaire Bertrandde Molleville, mi-
nistre contre-révolutionnaire, et préféré par la
cour a tous les autres. Bertrand de Molleville,
détestant la constitution, s'enveloppait avec
art dans le texte pour en attaqner l'espl'it, et


'. :).




36 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
voulait franehement que le roi essayat de l'exé-
euter, « mais afin , disait-il, qu' elle fut démon-
trée inexéeutable. » Le roi ne ponvait pas se
résoudre a le renvoyer, et e' est ave e ce minis-
tere melé qu'il essaya de poursuivre sa roufe.
Apres avoir tenté de plaire a l'opinion par ses
choix, il essaya d'autres moyens ponr se 1'at-
tacher encore davantage, et iI parat se preter
a toutes les mesures diploma tiques et militaires
proposées eontre les rassemblements formés
sur le Rhin.


Les dernieres lois répressives avaient été em-
peehées par le veto, et cependant tous les jours
de nouvelles dénoneiations apprenaient a l'as-
semblée les préparatifs et les menaces des émi-
grés. Les proces-verbB.llx des munieipalités et'
des départements voisins de la frontiere, les
rapports des eommerc;antsvenant d'0I1tre-Rhin,
attestaient que le vicomte de Mirabeau, [rere
uu célebre constituant, était a la tete de six
cents hommes dans l'éveché de Strasbourg;
que, uans le territoire de l'électeur de Mayellce
et pres de Worms, se trouvaient des eorps
nombreux de transfuges, sous les ordres du
prince.ue Condé; qu'il en était de meme a Co-
blentz et dans tout l'éleetorat de Treves; que
des exees et des violences avaient été eommis
sur des FralJ(;ais, et qu'enfin la proposition




ASSEMBLÉE LEGISLATIVE II 79 1)' 37
avait été faite au général Wimpfen de livrer
Neuf-Brisach. Ges rapports, ajoutés a tout ce
qu'on savait déja par la notoriété publique,
pousserent l' asselonblée au dernier degré d'irri-
tation. Un projet de décret fut aussitot pro posé,
pour exiger des électeurs le désarmement des
émigrés. On renvoya la décision a deux jours
pour qu'elle ne parut pas trop préeipitée. Ce
délai expiré, la délibération fut ouverte.


Le député Isnard prit le premier la parole :
iI nt sentir la néeessité d'assurer la tranquillité
du royaume, non pas d'unc maniere passagere,
mais durable; d'en imposer par des mesures
promptes el vigoureuses, qui attestassent a l'Eu-
rope entiere les résolutions patriotiques de la
Franee. (( N e craignez pas, disait-il, de provo-
quer contre vous la guerre des grandes puis-
sanees; l'intéret a déja decidé de leurs in ten-
tions., vos mesures ne les changeront pas, mais
les obligeront a s'expliquer .... Il faut que la
conduite du Fran<;ais réponde a sa nouvelle
destinée. Esc1ave sous Louis XIV, iI fut néan-
moins intrépide et grand; aujourd'hui libre,
serait-il faible et timide? On se trompe, dit
Montesquieu , si l'on crait qn'un peuple en
révolutian est disposé a etre cOllquis; il est
pret au cOlltraire a conquérir les autres. ( Ap-
plaudissemenls. )




38 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
« On vous propose des capitulations 1 On


veut augmenter la prérogative royale, augmen-
ter le pouvoir du roi, d'un homme dont la
volonté peut paralyser celle de toute la nation,
d'un hornme qui ret;oit trente rnillions, tandis
que des milliers de citoyens meurent dans la
détresse 1 (Nou~eaux applaudissements.) On


'veut ramener la noblesse! Dussent tous les no-
bles de la terrc nous assaillir, les Franc;ais te-
nant d'une maÍn leur or, et de l'autre leur fer,
combattront cette' race orgueilleuse, et la for-
ceront d'endurer le suppliee de l'égalité.


«( Parlez aux ministres, au roí et a l'Europe,
le langage qui convient aux représcntants de
la Franee. Dites aux ministres que jusqll'ici
vous n' etes pas tres-satisfaits de leur conduite,
et que par la responsabilité vous entendez la
mort. (Applaudissements prolongés.) Dites a
l'Europe que vous respecterez les cOllstitutions
de tous les empires, mais que, si on suscite
une guerre des rois eontre la Franee, vous
suseiterez une guerre des peuples cOlltre les
rois!) Les applaudissements se renouvelant
encore, ( Respectez, s'écrie l'orateur, respec-
tez mon enthousiasme, c'est celui de la liberté.
Dites, ajoute-t-il, que les eombats que se li-
vrent les peuples par ordre des des potes , res-
semblent aux coups que deux amis, excités




ASSEJUDLÉE LÉGISLATIVJ-; (J 79 1 ). 39
par un instigateur perfide, se portent dans
l' obscurité! Si le jour vient a paraitre, ils s' em-
brassent et se vengent de celui qui les trom-
pait. De m"eme si, au moment que les armées
ennemies lutteront avec les notres, la philo-
sophie frappe leurs yeux, les peuples s'em-
brasseront a la face des tyrans détronés, de
la terre consolée, et du ciel satisfait ! *»


L'enthousiasme excité par ces paroles fut
tel gu'on se pressait autour de l'orateur ponr
l'embrasser. Le décret qu'il appuyait fut adopté
sur-Ie-champ. M. de Vanblanc fut chargé de
le porter au roi, a la tete d'une députation de
vingt-quatre membres. Par ce décret l'assem-
blée déclarait qu'elle regardait comme indis-
pen&able de requél'ir les électeurs de Treves,
Mayence ,. et autres princes de l'empire, de
mettre fin aux rassemblements fOJ'més sur la
{rontiere. Elle suppliait en illeme temps le roi
de hatel' les négociations entamées pour les
indemnités dues aux princes possessionnés en
AIsace.


M. de Vaublanc accompagna ce décret d'un
diseours ferme et respectueux, fort applaudi
par l'assemblée. « Sire, disait-il , si les Frallc;¡ais
chassés de leur patrie par la révocation de


* Séance du 29 novcmbre"




40 RlÍVOLUTION FRAN~AJSE.
l'édit de Nantes s'étaient rassemblés en armes
sur les frontiel'eS, s'ils avaient été protégés
par des princes d' Allemagne, sire, HOUS vous
le demandons, quelle eut été la conduite de
Louis XIV? Eut-il souffert ces rassemblements?
Ce qu'il eut faÍt pom son au torité , que Votre
Majesté le fasse pour le maintien de la cons-
titution ! »


Louis XVI, décidé, comme nous l'avons dit,
a corriger l' effet du veto par des actes qui
plussent a l'opinion, résolut de se rendre a
l'assemblée, et de répondre lui-nH~me a Son
message par un discours capable de la satis-
faire.


Le 14 décembre, au soir, le roi s'y rendj t
apres s't~tre annoncé le malÍn par un simple
billet. II fut re<;u dans un profond.silence. Il
dit que le message de l'assemblée méritait une
grande considération, et que, dan s une cir-
constance Otl était eompf'omis I'honncur fran-
c;ais, il eroyait devoir se présenter lui-meme;
que, partageant les intentions de l'assemblée,
mais redoutant le fléau de la guerrc, il avait
essayé de ramener des Fran<;ais égarés; que
Íes insinuations amicales ayant été jnutiles, iI
avait prévellu le message des représentants, et
avait signifié aux éleeteurs que, si avant le
,5 janvier, tont attroupement n'avait pas cessé,




ASSElUBLÉE LÉGISLATIVE el 79 J). 41
ils seraient eonsidérés eomme ennemis de.la
.Franee; qu'il avait éerit a l'empereur pour ré-
clamer son interventióil en qualité de chef de
l'empire, et que dans le eas ou satisfaetion ne
serait pas obt'enue ,il proposerait la gllérre: Il
finissait en disant qu'on chercherait vainement
a environner de dégouts l'exercice de son au-
torité, qll'il garderait fidelement le dépot de
la constitution, et qu'il sentait profondément
combien e'était beau d'etre roi d'un peuple
libre.


Les applandissements succéderent au si-
lence? et dédornmagerent le roi de l'accueil
qu'il avait rec;u en entrant. L'assemblée ayant
déerété le rnatin qu'il lui serait répondu par
un message, ne put lui exprimer sur-le-champ
sa satisfaction, mais elle déeida Hue son dis-
cours serait envoyé aux quatre-vingt-trois dé-
partements. Narbonne entra anssitot apres,
ponl' faire connaltre les moyens qui avaient
été pris ponr assurel' I'effet des injonctions
adressées a l'empire. Cent cinquante rnille
hommes devaient etre réunis sur le Rhin, el
ce n'était pas impossible, ajoutait-il. Trois gé-
néraux étaient nommés ponr les commander,
Luckner, Rochambean et Lafayette. Les ap-
plaudissements couvrirent le derniel' llom.
Nal'bonne ajoutait qu'íl a11ait partir pour visi-




R:f;VOLUTJON FRAN<,tAISE.


ter les frontieres, s'assurer de l'état des places
fortes, et donner la plus grande activité aux
travaux de défense; que sans doute l'assem-
blée accorderait les fonds nécessaires, et ne
march:mderait pas la liberté. Non, non, s'é~
cria-t-on de toutes parts. Enfin il demanda si
l'assemblée, malgré que le nombre légal des
maréchaux fut complet, ne permettrait pas au
roi de conférer ce grade aux deux généraux
Luckner et Rochambeau, chargés de sau ver la
liberté. Des acclamations témoignerent le con-
sentement de l'assemblée, et la satisfaction
que lui causait l'activité du jeune ministre.
e'est par une conduite pareille que Louis XVI
serait parvenu a se populariser, et a se conci-
lier les· républicains, qui ne voulaient de 1a
république que paree qu'ils croyaient un roí
incapable d'aimer et de. défendre la liberté.


On profita de la satisfaction produite par
ces mesures, pour signifier le veto apposé sur
le décret contre les pretres. Le matin on eut
soin de publier dans les journaux la destitu-
tion des anciens agents diplomatiqU{~s accllsés
d'aristocratie, et la nomination des nouveaux.
Grace a ces précautions le message fut accueilli
sans murmure. Déja l'assemblée s'y attendait,
et la sensation ne fut pas aussi facheuse qu'on
aurait pu le craindre. On voit quels ménage-




ASSE1I'fBLÉE LÉGISLATIVE (1791). q3
ments infiuís le roi était obligé de garder pour
{aire usage de sa prérogative, et quel danger
il y avait pour lui a l'employer. Quand meme
l'assemblée constituante, qu'pn a accusée de
l'avoir perdu en le dépouillant, lui eut ac-
cordé le veto absolu, en eut-il été plus puis-
sant pour cela? Le veto suspensif ne faisait-il
pas ici tout I'effet dll veto absolu? Était-ce la
puissance légaJe qui manquait an roi ou la
puissance d'opinion? On le voit par le résultat
memej ce n'est pas le défaut de prérogatives
suffisantes qui a perdu Louis XVI, mais l'u-
sage inconsidéré de eelIes qui lui restaient ...


L'activité promise a l'assemblée ne se ra-
lentit pas; les propositions pour les dépenses
de guerre, pour la nomination des deux maré-
chaux' Luckner et Rochambeau, se succéde-
rent sans interruptioq.. Lafayette ,arraché a ]a
retraite Ol! il était alIé se délasser de trois an-·
nées de fatigues, se présenta a l'assemblée ou
il fut parfaitement accueilli. Des bataiIlons de
la garde nationale l'aeeompagnerent a sa sortie
de Paris; et tout lui prouva que le Clom de
Lafayette n'était pas oublié, et qu'on le regar-
dait encore comme un des fondateurs de la
liberté.


CependantLéopoId,naturellementpaeifique,
ne voulait pas la guerre, ear iI savait qu' elle nf'




44 RÉVOLUTJON FRA.N9AISE.
convenait pas a ses intérets, mais il désirait un
congres soutenu d'une force imposante pour
amener un accommodement et quelques 1110-
dificatíons dans 1 ... constitution. Les émigrés ne
voulaient pas la modifier, mais la détruire; plus
sage et mieux instruit, l'empereur savait qu'il
fallait accorder beaucoup aux opinions nou-
yeneS, et que ce qu'on pouvait désirer c'était
tout au plus de rendre au roí quelques préro-
gatives, et de revenir sur la composition du
corps législatif, en établissant deux. chambres
au líeu d'une .... C'est surtout ce dernier projet
qu'on redoutait le plus et qu'on reprochait
souvent au parti feuilIant et constitutionnel. Il
est certain que, si ce partí avait, dans les pre-
miers temps de la constituante, repoussé la
chambre haute, paree qu'il craignait avec rai-
son de voir la noblesse s'y retrancher, ses
craintes aujourd'hui n' étaient plus les memes;
il avait au contraire la juste espérance de la
remplir presqu'a lui seul. Beaucoup de consti-
tuants, replongés dan s une nullité complete,
y auraient trouvé une occasion de rentrer sur
la scene poli tique. Si done cette chambre haute
n' était pas dans leurs vues, elle était du moins
dan s Ieurs intérets. Il est certain que les jour-


~ Voyez la note 5 a la fin dll vol lime.




ASSEMBLÉE LÉGJSLA-TIVE (1791). 45
naux en parlaient souvent, et que ce bruit
circulait partollt. Combien avait été rapide la
marche de la révolution ! Le coté droit aujour-
d'hui, était composé des membres de l'ancien
cOté gauche; et l'attentat redouté et reproché
n'était plus le retour a l'ancien régime, mais l'é-
tablisscment d'llne chambre haute. Quelle dif-
férence avec 89! et combien une folle résistanee
n'avait-eIle pas préeipité les événements!


Léopold ne voyait done pour Louis X VI que
eette amélioration possible. En attendant, son
hut était de trailler les négociations enlongueur,
et, sans rompre ave e la France, de luí imposer
par de la fermeté. Mais iI manqua son hut par
sa réponse. Cette réponse consistait a notifiel'
les conclusions de la diete de Ratisbonne, qui
refusait d'accepter aucune indemnité pour les
prinees possessionnés en Alsace.Rien n'était
plus ridicule qu'une décision pareille, car tout le
territoire compris sous une meme domination
doit relever des memes lois : si des princes de
l'empire avaient des terres en Franee, ils de-
vaient subir l'abolition des droits féodaux, et
l'assemblée constituante avait déja beaucoup
faít en leur accordant des indemnités. Plusieurs
d'entre eux ayant déja traité a cet égard, la diete
annulait Ieurs conventions, et leu!' défendait
d'accepter aucun arrangement. L'empire pré-




46 nÉVOLUTION FRAN«;AISIl.
tendaitainsi ne pas reconnaitre la révolution en
ce qui le concernait. Qllant a ce qui regardait
les rassemblements d'émigrés, Léopold, sans
s'expliquer sur leur dispersion, répondait a
I.ouis XVI que l'électeur de Treves, pouvant,
d'apres les injonctions dn gouvernement fran-
~ais, essuyer de prochaines hostilités, il avai t
été ordonné au général Bender de lui porter de
prompts secours.


Cette réponse ne pouvait pas etre plus mal
calculée; elle obligeait Louis XVI, pour ne pas
se compromettre, de prendre des mesures vi-
goureuses, et de proposer la guerreo Delessart
fut aussitot envoyé a l'assemblée pOtIr faire part
de eette réponse, et témoigner "étonnement
que eausait an roi la conduite de Léopold. Le
ministre assura que probablement on avait
trompé l'empereur, et qu'on lui avait fausse-
ment persuadé que l'électeur avait satisfait a
tous les devairs du ban voisinage. Delessart
communiqua en outre la réplique faite a Léo-
pold. On lui avait signifié que nonobstant sa
réponse et Jes ordres dannés au maréchal Ben-
der, si les éleeteurs n' avaient pas au terme pres-
crit, e' est-a-dire an 15 janvier, satisfait a la
demande de la France, on emploierait eontre
eux la voie des armes. « Si eette déclaration,
disait Louis XVI dans sa lettre du 3. déecmbre




ASSEMBLÉE ¡,ÉGISLA TIV E (1792.)· 47
a I'assemblée, ne produit pas l'effet que je dois
en espérer, si la destinée de la France est d'a-
voir a combattre ses enfants et ses alliés,je ferai
connaitre a l'Europe la justice de notre cause;
le peuple fran.-;ais la soutiendra par son cou-
rage, et la nation yerra que je n'ai pas d'autre
intéret que les siens, et que je regarderai tou-
jours le maintien de sa dignité et de sa sure-
té, comme le plus essentiel de mes devoirs. »


Ces paroles, ou le roí semblait dan s le com-
mun danger s'unir a la natÍon, furent vivement
applaudies. Les pieces furent livrées au comité
díplomatique, pour en faire un prompt rapport
a l'assemblée.


La reine fut encore applaudie une fois a 1'0-
péra comme dans les jours de son éclat et de
sa puissance, et elle revint toute joyeuse díre
a son époux qu'on l'avait accueillie commeau-
trefois. Mais c'étaient les derniers témoignages
qu'elle receyait de ce peuple jadis idolatre de
ses gr:kes royales. Ce sentÍment d'égalité, qui
demeure si long-temps étouffé chez !es hom-
mes, et qui est si fougueux lorsqu'il se ré-
yeille, se manifestait déja de toute parto On
était a la fin de l'année 179 J ; l'assemblée abo-
lit l'antique cérémonial <lu premier de l'an, et
décida que les hommages portés au roi, dans
ce jour solennel, ne le seraient plus a l'avenir.




48 RÉVOLUTION FRANyAISE.
A peu pres a la meme époque, une députation
se plaignit de ce qu'on ne lui avait pas Ollvert la
porte du conseil a deux battants. La discussion
fut scanclaleuse, et l'assemblée, en écrivant a
LOllis XVI, supprima les titres de sire et de
majesté. Un autre jour, un député entra chez
le rOÍ, le chapean sur la tete et dans un cos-
turne peu convenable. Cette conduite était 50U-
vent provoquée par le mauvais accueil que les
gens de la cour faisaient aux députés, et dans
ces représailles, l'orgueil des uns et des autres
ne voulait jamais rester en arriere.


Narbonne poursuivait sa tournée avec une
rare activité. Trois armées furent établies sur la
frontiere menacée. Rochambeau, vieux général
qui avait autrefois bien conduít la guerre, mais
qui était aujourd'hui maladif, chagrin et mé-
content, commalldait l'armée placéeen Flandre
et dite du Nord. Lafayette avait l'arméc du
centre et campait vers Metz. LucImer, vieux
guerrier, médiocre général, hrave soldat, et
tres-popularisé dans les camps par ses mceurs
toutes militaires, commandait le corps qui oc-
cupait I'AIsace. C'était la tout ce qu'une longuc
paix et une désertion générale 1l0US avaient
laissé de généraux.


Rochambeau, mécontent du nouveau régime,
irrité de l'indiscipline qui régnait dans l'arméc,




ASSlíMJlLJÜ: LÉGlSLATIVE (1792 ). {19
se plaignait sans cesse et ne donllait aucune
espérance au ministere. Lafayette, jeune, actif,
jaloux de se distinguer bientot en défendant
la patrie, rétablissait la discipline dans ses
troupes, et surmontait toutes les difficultés
suscitées par la mauvaise volonté des officiers,
qui étaient les aristocrates de l'armée. Il les
avait réllnis, etleur parlant le langage de l'hon-
neur, il leur avait dit qu'ils devaient quitter le
eamp s'ils ne voulaient pas servir loyalement;
que s'il en était qui voulussent se retirer, il se
chargeait de leur procurer a tous ou des re-
traites en Franee, 011 des passe-ports pour l'é-
tranger; mais que s'ils persistaient a servir, iI
attendait de leur part zele et fidélité. Il était
ainsi parvenu a établir dans son armée un ordre
meilleur que celui qui régnait dans tontes les
autres. Quant a Luckner, dépourvu d'opinion
poli tique et par conséquent facile pour tous
les régímes, il promettait heaucoup a l'assem-
blée, et avait réussi en effet a s'attacher ses
soldats.


Narbonne voyagea avec la plus grande célé-
rité, et viIlt, le 1 1 janvier, rendre compte a
l'asiemblée de sa rapide expédition., Il annonc,;a
que la réparation des places fortes était déj:\
tres-avancée, que l'armée , depuis Dunkerque
jusqu'a Besam;on, présentait une masse de


n. 4




50
rleux cent quarante bataillons et cent soixante
escadrons, ave e l' artillerie nécessaire pour deux
cent mille hommes, et des approvisionnements
pour si" mois. II donnales plus grands éloges
au patriotisme des gardes nationales volontai-
res, et assura que sous pen leur éqnípement
allait etre completo Le jeune ministre cédait
sans donte aux il1usions dn úle, mais ses inten-
tions étaient si nobles, ses travaux si prompts,
que l'assemblée·le ·couvrit d'applaudissements,
offrit son rapport a la reconnaissance publi-
que, et l' envoya a tons les départements; ma-
niere ol"dinaire de témoigner son estime a tout
ce dont elle était satisfaite.


__ QQg -iFF




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). 51


CHAPITRE 11.


ííilli'¡¡r


Division des pal'tis sur la question de la guerreo - Róle
du due d'Orléans et de son partí. - Les princes émi-·
grés sont déerétés d'aeellsatíon. - Formation d'un mi-
nistere girondin. - Dumouriez. son caractere, son
génie et ses projets; détails sur les nouveaux ministres.
- Entretien de Dumouriez avee la reine. - Déclara-


. tion de guerre au roi de Hongrie et de Boheme. -
Premi~res opérations militaires. Déroutes de Quiévrain
et'de Tourhay. Metirtre dú général Dillon. .


Au comrnencement de l'année 1792, la guerre
était devenue la grande question du moment;
c'était pour la révolution eeHe de l'existencc
meroe. Ses ennemis étant mainlenant trans-
pOl'tés au dehors, c'était la qu'il fallait les cher-
cher el les vaincl'e. Le rOl, chef des armées,
agirait-il'de boune foi contre ses parents et ses
anciens courtisans? Tel était le doute sur leq uel
il iroportait de rassurer la nation. eette ques-
tion de la guerre s'agitait aux Jacobins, qui





52 nÉvoLuTION F~N~AISE.
n'en laissaient passer auenne sans ]a déeider
souverainement. Ce qui paraitra singulier, e'est
que les jaeobins excessifs et Robespierre Ieur
ehef étaiellt portés pour la paix, et les jacobins
modérés, ou les girondins, pour la guerreo
Ceux-ci avaient a leur tete Brissot et Louvet.
Brissot soutenait ]a guerre de son talent et de
son influence. Il pensait avee Louvet et tons les
girondins, qu'elle convenait a la nation paree
qu'elIe terminerait une dangereuse incertitude,
et dévoileraitles véritables intentions du roi.
Ces hommes, jugeant du résultat d'apres leur .
enthousiasme, ne pouvaient pas croire que la
nation fut vaincue; et ils pensaient que si , par
la fimtedu roi, elle épronvait quelque échee
passager, elle serait allssitot éclairée, et dépo-
serait un chef infidele. Comment se fáisait: - il
que Robespierre et les autres jaeobins ~e vou-
Iussent pas d'une détermination qui devait
amener un dénoument si prompt et si déci-
sif? C'est ee qu'on ne peut expliq\ler. que par
des conjectures. Le timide Robespie~re. s'ef-
frayait-ilde la guerre? ou bien ne la eombat-
tait-i1 que paree que Brissot, son rival aux
Jaeobins, la soutenait, ,et parce que le jeune
Louvet l'avait défendue avec talent? Quoi qu'il
en soit, il eombattit pour la paix avec une
extreme opiniatreté. Ceux des cOl'deliers, qui




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 53
étaient en me me temps jacobins, se rendirent
a la délibération et soutinrent Robespierre. Ils
semblaient craindre surtout que la guerre ne
donnat trop d'avantages a Lafayette, et ne lui
procurat bientot ]a dictature militaire; e'était
la la crainte eOlltinuelle de Camille Desmou-
lins, qui ne cessait de se le figllrer a la tete
d'une armée vietoriellse, écrasant , eornme au
Champ-de-Mars , jaeobins et cordeliers. Louvet
et les girondins supposaient un autre motif aux
cordeliers, et eroyaient qu'ils ne poursuivaient
dan s Lafayette que l'ennerili du duc d'Orléalls,
auquel on les disait secretement unis.


Ce dllC d'Orléans, qu'on voit reparaitre en-
core dans les soupc;ons de ses ennemis, bien
plus que dans la révolution, était alors pres-
qY'e édípsé. Onavait pu au commcncement
se;,sfiltvir. de son nOnl, et lui - me me avait pu
fonde:r quelques espérances sur ceux auxquels
il 'le~ pretaít; mais tout était bien challgé de-
puis.; Sentant; lui - meme combien il était dé-
placédalls le parti populaire, il avait essayé
d'obtenir le 'pardon de la cour pendant les
derniers' temps' de la constituante, et iI avaít
été repoiIssé. Sous la législative, on le conserva
au ral1g des 'amiraux, et iI fit 'de nouvelles ten-
tatives aupres du roi. Cette fois il fut admis
aupres de lui,eut' un entretien assez long, et




54 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ne fut pas mal accueilli. Il devaít retourner au
chatea u ; ji s'y rendit. Le couvert de la reine
était mis, et tous les courtisans s'y trouvaient
en granel nombre. A peine l'eut".on· aper~u,
que les mots les plus outrageants Curent pro-
férés. Preooz garde aux. plats, s'écriait-on de
toutes parts, comme si on avait redout~ qu'il
y jetat du poison. On le póussait, on lui mar-
chait sur les pieds, et on l'obligea (fe se retirer.
En descendant l'escalier, iI re(j!ut de nouveaux
outrages, et ~ortitindigné, cro~ant que le roí
et la reine lui avaient préparé cettesterte hu-
miliante. Cependant le roi el ]a teine ·furent
désespérés de cette imprudenee des couttisans,
qu'ils ignoraient eomplétement "'. Ce prince dut
etre plus irrité que jamais, mais·il n'en devint
~I'Wnem~nt ni plus actif,Q.j pl~s habile chef
de parti qu'auparavlmt. Ceux de -ses amis, qui
occupaient les Jaeobins et l'assemblée, durent
faire' sans doute un peu plus de bruit; de la,
on erut voir .reparaitre sa faetion, et on pensa
que ses prétentions et ses es.pérances renais-
saient av:ec les danger1\¡du treme.· ,
" Lesgirondins erurent que les.oordeliers et


les jacobirls exagérés ne soutenaient la paix
que pour pl'iver. Lafayette; rival du duc d'Or-


.;¡
lO Voyez la note 6.a la fin du volulllc. ; ¡ ."




A.SSEMBLÉ~; LÉGISLAnH (1792). 55
Jéaus, des succes que la gllerre püuvaiellt luí
vaJoír. Quoi qu'il en soit, la guerre, repoussée
par les jaeobins, mais süutenue par les girün-
dins, dut l'empürter dans l'assemblée ou eeux~í
dominaient. L'assemb.lée commen~a par metll'e
d'abürd en aceusation, d~s le.premier janvier,
Münsieur, frere du rüí, le eümte d'Artoís, le
prince de Condé, Calünne, Mirabeau jeune et
Laqueuille, cümme prévenul' d'hüstilités eün-
tre la Franee. Un déeret d'aeeusatiüll n'étant
point süumis ala sanetiün, üH n'avait pas cette
füis a redouter le veto. Le séquestre des biens
des émigrés et la pereeptiün de leurs revenus
au profit de l' état, ürdünnés par le déeret nün
sanctiollllé, furen! prescrits de.no.uveau par un
autre;décret auquelle roi ne mit aueUDe üp-
pOSitiüll. L'assemblée s'ernparait dt:s r,evenus
a titre d'indemnités Ideguer,e~,;M~n$iéur fut
prí vé de la régence. en. ve~tu de la décisiüfl
pré(Jéd~mme~1t rendue.


Le. rappc;:¡rt sur le dernier· üffiee de 1,'empe;...
reuL' fllt enfin présenté, le .4 janvier,a l'as-
semblée pa~ Gensonné. IJ fit remarquer. :que la.
France avalt tüujoursprüdigué ·ses. trés~)J:s !t:t
ses süldats a l' Autriehe , sans, jamais en ,übt'enir
de retour; que le traité d'alliance eünclu .en
1756 ¡t.'vait· été violé par la déclaratiündePil.,.
llitz.et le& suivantes, dont l'übj.ct; était de sus-




56 Rl;VOLUTION FR AN<;AISE.
citer une coalition armée des souverains; qu'il
l'avait été encore par l'armement des émigrés,
souffert et se~ondé meme par les princes de
l'empire. Gensonné soutint de phlS que, qnoi-
que des- OIures eussent été récemment donnés
pour III dispersion des rassemblements, ces
ordres apparents n'avaient pas été exécutés;
que la cocarde blanche Il'avait pas cessé d'etre
portée au-deHt du Rhin, la cocarde Ilationale
outragée, et les voyageurs fralH,;ais maltraités;
qu'en copséquence, il fallait demander a J'em-
pereur une derniere explication sur le traité
de J 756. L'impression et l'ajournement de ce
rapport furent ordonnés.


Le meme jour, Guadet monte a la trihune.
(( De tous les faits, dit-il , communiqués a l'as-
semblée ,eelui qni fa le plus;frappé, e'est le
plan d'un ic'Óng.res dtmt l' objet serait· d' obtenir
la modification de la constitution fran<;aise,
plan soup¡;;onné depnis long - temps, et enfin
dénoIl(~é comme possibJe par les comités et les
ministres. S'jl est vrai, ajollte Guadet, que
ceUe .intrigue estconduite par des hommes qui
croient y voir le moye\1 de sortir de la nnUité
poli tique dans laquelle ils viennent de descen-
dre; s'il est vrai que quelques-uns des· agents
do pouvoir exécutif secondent de toute la puis-
sanee de leurs rclations cet abominable COffi-




ASSEMELÉE LÉGISLATIVJ<: (1792 j. 57
plot; s'il est vrai qu'on veuille nous amener par
les longueurs et le découragement a accepter
eeUe honteuse médiation, l'assemblée natio-
nale doit-elle fermer les yeux sur de pareils
dangers? J urons, s' écrie l' orateur, de mourir
tous ici, plutot .... »-On ne le laisse pas achever;
toute l'assembh~e se leve en criant : Oui, oui,
nous le jurons; et d'enthousiasme, on décláre
infame et traitre a la patrie tout Fran.-;ais qui
pourrait prendre part a un congres dont l'objet
serait de modifier la constitution. C'était
contre les anciens constituants et le minis-
tre Delessart que ce décret était dirigé. C'est
surtout ce dernier qu'on accusait de trainer les
négociations en longueur. Le 17, la discussion
sur le rapport de Gensonné fut reprise, et il
fut décrété que le roi ne traiterait plus qu'au
llom de ]a nation fran~aise, etqu'il requerrah
l'empereur de s' expliquer définitivement avant
le I er mars prochain. Le roi répondit que de-
puis plus de quinze jours il avait demandé des
explications positives a Léopold.


Dans cet intervalle, on apprit que l'électeur
de Treves, effrayé de l'insistance da cabinet
fran<,;ais, avait donné de nouveaux ordres pour
la, dispersion des rassemblements, pour la
vente des magasins formés dans ses états, pOUI'
Japrohibitioll des recrutements et des exer-




58 RÉVOLUTION ,FRAN~AISE.
cices militaires, et que ees ordres étaient en
effet mis a exécution. Dans les disposítions OU
ron était, une pareillenouvelle fut'froidement
accueillie. On ne voulut y voir que de vaines
démonstrations sans résultat; et on persista
a demander la réponse définitive de Léo-
pold.


,Des divisions e.xistaÍent dans le minister-e,
entre Bertrand de Molleville et Narbonne. Ber-
trand était jaloux de la popularité du ministre
de la'guerre, et blamait ses condescendances
pour l'assemblée. Narbonne se plaignait de la
cOllduite de Bertrand de Molleville, de ses dis-
positions inconstitutionnelles, et voulait que le
roi le 6t sortir du minístere. Cahíer de Gerville
tenait la balance entre eux, mais sans sueces.
On pi:étendit que. le . parti constitutionnel vou-
laitp0l'ter Narbonne, a ,la dignité. de premier
ministre; il parait nH~me que le roí fut trompé,
qu'on l'effraya de la popularité et de l'ambition
de Narbonne, qu'on lui mo~tra. en ;luí, un
jeune présomptueux :qui voulait gouverner le
cabinat. Les journaux fur.ent instruits.de ces
divisions; Brissot et la Gironde défendirent ar-
demment le ministre menacéde disgrace, et
aJtaquerent vivemant ses collegues etle roi.
Une lcttre écrite par les trois généraux du nord
a Narbonne, et dans laquelle ils luí expri-




ASSEMBJ"ÉE ~ÉGJSLATIVE (179 2 ). 59
maient leurs craintes sur sa destitution qti'on
disait imminente; fut publiée. Le roi le des-
titua aussitot; hlai&; pour combaUre l'effet de
cette,destitutión¡,. iÚit annoncer'celle de Ber-
tl'and de 'MolleviUe. Cep.endant l'effet de la pre-
rniere';ll'~n fut pas moins grand; une agitntioil
6XltrabrdiNaire éclata aussitot, et 1'assemblée
voulut déclarer, d'apres la formule employée
autr€fois pour Necker, que Naroonne cmpor-
tait la confiance de la nation, et que le minis-
tc~re entier l'avait perdue. Onvoulait eepenoont
excepter dé cette condamnatiotl,Cahier·' ,de
Gerville, qui avait toujourscombattn Be'rtrand
de ¡Molleville, et qui venaitmeme d'avoir avec
lui une ,dispute violente. Apres bien des agita~
tions; Brissot demanda a prouvér que Delessa.rt
aIValt 1I1'ahi la confian€e tde,la nat;en. ~Ceminis­
tre avait confié au éomité idipldmatiqne Sil coi'-
respondance avec Kaunitz; elle était san s di",
gnitté, elle donnait meme a Kaunitz uneidée
peu-favorable de l'état de la France , et semblait
avoir antorisé la conduite et le langagede LéQ-
pold. Il faut savoir que Delessart, et son .coHe-
gne Dupoct.Dutertre,~étaiént lesdeux minis-
tres qui :appal'tenaient plus particulietemel1t
an'XI feuilhmts ,et auxqueJs on en voulait le
plus, paree qu'ori .les accusait defavoriseitle
projet d'im: ,congres.,· , ·~Ii/¡




60 RÉVOLUTlON FRANc,;:AISE.
Dans une des séances les plus orageuses de


l'assemblée, l'infortuné Delessart fut accusé
pa'r Brissot d'avoir compromis la dignité de la
nation, de n'avoir pas averti l'assemblée du
concert des puissances et de la déclaration de
Pilnitz; d'avoir professé dans ses· notes des
doctrines incollstitutionnelles, d'avoir donné
a Kaunitz une fausse idée de l' état de la France,
d'avoil' trainé la négociation en longueur el de
l'avoir conduite d'nne maniere contraire aux
intérets de la patrie. Vergniaud se joignit a
Brissot, et ajouta de nouveaux griefs a ceux qui
étaient imputés a Delessart. n lui reprocha
d'avoir, 10rsqu'il était ministre de l'íntérieur,
gardé trop long-temps en portefeuille le décret
qui réunissait le Comtat a la FI'ance, et d'etre
ainsí la cause des massacres d'Avignon. Puis
Vergniaud ajonta ~ le De cett"e tribune ou je vous
parle, on aper«oit le palais 011 des conseillers
pervers égarent et trompent le roi que la cons-
titution HOUS a donué; je vois les fenetres du
palais ou l'on trame la contre-révolution, ou
ron combine les moyens de nons replonger
dans l'esclavage .... La terreur est souvent sortíe,
dans les temps autiques, et au uom du des-
potisme, de ce palais fameux ; qu'elle j' rentre
aujourd'hui, au nom de la loi; qu'elley pénetre
tous les creurs; que tous ceux qui l'habitel1í




ASSEMRLIÍE LEGJSLATIVE (( 792). 6 J
sachent que notre constítu~on n'accorde l'in-
violabílité qu'au roi.))


Le décret d'accusation fut aU5sitot mis aux
voixet adopté"'; Delessart fut envoyé a ]a haute
COllr nationale, établie a Or]éans,et chargée,
d'apres la constitution, de juger les crimes
d'état. Le roi le vit partir avec la plus grande
peine. Illui avait donné sa confiance et l'aimait
beaucoup a cause de ses vues modérées et
pacifiques. Duport-Dutertre, ministre du parti
constitutionnel, fut aussi menacé d'une accusa-
tion, maÍs il la prévint, demanda a se justi6.er,
fnt absous par 1'ordre du jour, et immédia-
tement apres don na sa démission. Cahier de
Gerville la donna aussÍ, et de cette maniere
le roi se trouva privé dn seul de ses ministres
qui eut aupres de I'assemblée une réputation
de patriotisme.


Séparé des ministres qUé les feuillants Iui
avaient donnés, et ne sachant sur qui s'appuyer
an mili en de cet orage, Louis XVI, qui avait
renvoyé Narbonne paree qu'il était trop popu-
laire, songea a se líer a la Gironde, qui était
républicaine. Il est vrai qu'elle ne l'était que
par dé6.ance du roi, qui pouvait, en se li-
vrant a elle, réussir a se l'attacher; mais il


• Séance du 10 marso




62 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
fallait qu'il se Iivratsinoel'oment, et cette éter-
nelle question de la bonne foi s' élevait encore
ieí eomme daos tontes les occasions. Sans doute
Louís XVlétait: sincere quánd il. se confiaít a
un pal'ti ,mais.:ce rt'était pas sans humeur et
saos regrets~ Aussi, des 'que ce partí lui ¡mpo-
sait ·u1.1e condition difficile mais nécessaire, il
la l'epoussait; ladéfiance naissait aussitot; Taí-
grenr s'ensuivait, el bientot UIle rupture était
la' suite de ces- alliance's malheureuses entre
descreursque des intérets trop opposés oeeu-
paientexclllsivement. C' est ainsi que Lonis XVI,


. apres avoir admis aupres de lui l~ parti feuil-
lant, avait repoussé par humeur N arbonne,
qui en était le chef le plus prononeé, et se
tr'Ouvait réduit, 'pour apaiser l'orage; a s'a-
bandonner'a la·Girónde. Uexemple de l'AQ.-
gleterre, ou le roi preod sonvent ses minis'-
tres daos l'oppositi<;>n, fut un des motiEs de
Loui~ X VI. La COur con({ut alors une espérance,
car on s'en fait toujours une ·meme dans les
Flus tristes. (jonjonctures ; eHe se flatta que
LdUis 'XVI ien' ;prenant des démagogues inca-
pables el ridicules, perorait de réputation le
partí daos lequel il les aurait choisis. Cepen-
dant il n'en fut point ainsi, et le nouveau
ministere ne fut pas tel que l'aurait désiré la
méchanceté des courtisans.




ASSEMBLÉI<: LÉGISLA TIVF. (J 792). 63
Depuis plus d' un mf,lis, Delessal't et N arbonne


avaient appelé un homme dont ¡Is avaient crn
les talents précieux, et, l'avaiellt placé aupres
d'eux pour s'en servir: c'était Dumouriez, quí
tour a tour commandant en Normandie, et dans
la Vendé e ,avait montré partout une fermett·
et une intelligence rares. Il s'était offert tantOt
a la cour, tantot a l'assemblée constituallú~,
paree que tout parti luiétait indifférent, pourvll
qu'iJ put exereer son aetivité et ses talent¡;
extraordinaires. Dumouriez, rapetissé par lp
siecle, avait passé une partie de sá vie dans les
intrigues diplomatiqnes. Avec sa bravoure, son
génie militaireet politique, et ses einquantf'
ans, il n'était encore , a l'ouverturede la ré-
volutioD, qu'ullbrillant aventurier. Cependall't
iI. avait conservé le feu et la; hardiesse·de ta I •
jeunesse. Des qu'u~e gnerre du une r~volutioÍl
s'ouvrait, il faisait des plans, les adressait a
tous les partís, pret a agir pour tous, pourvu
qll'il put agÍl'. Il s'était ainsi habitué a ne faire
auclln cas de la nature d'une cause; mais quoi-
que trop dépourvn de conviction, il était gé-
néreux I sensible I el capable d'attachement,
sinon pour les príncipes, du moins poUt les
personnes. Cependant avec son esprit si gra-
cieux, si prompt, si vas te , son courage tour
a tour calme OH impétueux, il était admirable




64 UÉVOLUTION FRAN~AISE.
pour servir, mais incapahle de dominer. n
n'avait ni la dignité d'une conviction profonde,
ni la fierté d'une volonté despolique, el il ne
pouvait commander qu'a des soldats. Si avec
son génie il avait eu les passions de Mirabeau ,
la volonté d'un Cromwell, ou seulement le
dogmatisme d'un Robespierre, il eut dominé
la révolution et la Franee.


Dumouriez, en arrivant pres de Narbonne,
forma tout de suite un vaste plan militaite. Il
voulait a la foís la guerre offensive et défen-
sive. Partout ou la Franee· s'étendait jusqu'a
ses limites naturelles, le Rhin , les. Alpes, les
Pyrénées el la mer, il voulait qu'on se bomat
a la défensive. Mais dans les Pays-Bas, ou notre
territoire n'allait pas jusqu'au Rhin, dallS la
Savoie, ou il n 'allait pas jusqu'aux Alpes, il
voulait qu' on attaquat sur-l.e-champ, et qu'ar-
rivé aux limites naturelles on reprit la défell-
sive. C'était eoneilier a la foÍs nos intérets et les
principes; c'était profIter d'une guerre qu'on
n'avait pas provoquée, pour en revenir, en
fait de limites, aux vérítables loís de la nalurc.
Il proposa en outre la formation d'une qua-
triim~e armée, destinée a oceuper le Mídí, et
en demanda le eommandement qui luí fut
promis.


Dumouriez s'était concilié Gensonné, l'un




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (I792)' 65
des commissaires civils envoyés dans la Ven-
dée par l'assemblée constituante, député de-
puis a la législative, et l'un des membres les
plus influents de ]a Gironde. Ayant remarqué
aussi que les jacobins étaient la puissance do-


'minatrice, il s'était présenté dan s Ieur club,
y avait lu divers mémoires fort appJaudis, et
n'en avait pas moins continué sa vieilJe amitié
avec DeJaporte, intendant de ]a liste civile, et
ami dévoué de Louis XVI. Tenant ainsi aux
diverses puissances qui allaient s'allier, Du-
mouriez ne pouvait manquer de l'emporter et
d'etre appelé au ministere. Louis XVI lui fit
offrir le portefeuille el es affaires étr:mgeres ~
rendu vacant par le décret d'accusatiou contre
Delessart; mais encore attaché au ministre ac-
cusé, le roi ne l'offrit que par intérim. Du-
monriez se sentant fortement appuyé, et ue
voulant pas paraltre garder la place pour un
ministre feuillant, refusa le portefenilIe ave e
cette condition, et l' obtint sans intérim. Il ne
trouva au ministere que Cahier de Gerville et
Degraves. Cahier de Gerville, quoique ayant
donné sa démission, n'avait pas encore quitté
les affaires. Degraves avait remplacé Narhonne;
iI était jeune, faciJe, et inexpérimen té; Du-
monriez sut s' en emparer, et il eut ainsi daus
sa main les relations extérieures et l'adminis-


rr 5




66 RÉvar.UTJON FRANQAISE.
tration militaire, c'est-a-dire les canses et
l' organisation de la guerreo Il ne fallait pas
moins a ce génie si entr~prenant. A peine ar-
rivé au ministere, Dumouriez se coiffa chez les
jacobins du bonnet rouge, parure nouvelle
empruntée aux Phrygiens, et devenue l'em-
bIeme de la liberté. Il leur promit de gouver-
ner pour eux et par eux. Présenté a Louis XVI,
iI le rassura sur sa conduite aux Jacobins; il
détruísit les préventions que cette conduite
lui avait inspirées; il eut l'art de le toucher
par des témoignages de dévouement, et de
dissiper sa sombre tristesse a force d'esprit. n
lui persuada qu'il ne recherchait la popula-
rité qu'au profit du tróne, et pour son raffer-
missement. Cependant, malgré toute sa défé-
rence, il eut soin de faire sentir au prince
que la constitution était inévitable, et tacha
de le con soler en cherchant a lui prouver
qu'un roí pouvait encare etre tres-puissant
avec elle. Ses premieres dé peches aux puis-
san ces , pleines de raison et de fermeté, chan-
gerent la nature des négociations, donnerent
a la France une attitude toute nouvelle, mais
rendirent la guerre imminente. Il était naturel
que Dumouriez désirat la guerre, puisqu'il en
avait le génie, et qu'il avait médité trente-six
ans sur ce grand art; mais il faut convenir




ASSElIIBLEE LÉGISLATIVE ([ 792). 67
aussi que la conduite du cabinet de Vienne,
et l'irritation de l'assemblée, l'avaient rendue
inévitahle.


Dumouriez, par sa conduite aux Jacobins,
par ses allianees connues avec la Gironde, de-
vait, meme san s haine contre les feuillants,
se brouiller avec eux; d'ailleurs il les dépla-
-;ait. Aussí fut-il dans une constante opposítion
avec tous les chefs de ce parti. Bravant du
reste les railleries et les dédains qu'ils diri-
geaient contre les jacobins et l'assemblée, iI
se déeida a ponrsuivre sa carriere avec son
assurance aeeoutumée.


Il fallait compléter le cabinet. Pétion, Gen-
sonné et Brissot étaient consultés sur le choix
a·faire. On ne pouvait, d'apres la Joi, prendre
les ministres dans l'assemblée actuelle, ni dans
la précédénte; les choix se trouvaient done ex-
tremement bornés. Dumouriez proposa, pour
la marine, un aneien employé de ce ministere,
Laeoste, travailleur expérimenté, patriote opi-
niatre, qui cependant s'attaeha au roí, en fut
aimé, et resta aupres de lui plus long-temps
que tous les autres. On voulait donner le mi-
nistere de la justiee a ce jeune Louvet, qui
s'était récemment dístingué aux Jacobins, et
quí avait obtenu la faveur de la Gironde de-
puis qu'il avait si bien soutenu l'opinion de


b.




66 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Brissot en faveur de la guerre; l'envieux
Robespierre le fit dénoncer aussitot. Louvet se
justífia avec succes, mais on ne voulut pas
d'un homme dont la popularité était contes-
tée, et on fit venir Duranthon, avocat de Bor-
deaux , homme éclairé, droit, mais trop faíble.
Il restait a donner le ministere des finances
et de l'intérieur. La Gironde proposa encore
Claviere, connu par des écrits estimés sur les
finances. ClavÍere avait beaucoup d'idées, toute
l'opiuiatreté de la méditation, et une grande
ardeur au travail. Le ministre placé a l'inté-
rieur fut Roland, autrefois inspecteur des ma-
nufactures, connu par de bons écrits sur l'in-
dustrie et les arts mécaniques. Cet homme,
avec des mreurs austeres, des doctrines in-
flexibles, et un aspect froid et dur, cédait,
sans s'en douter, a l'ascendant supérieur de sa
femme. Madame Roland était jeune et beIle.
Nourrie, au fond de la retraite, d'idées philoso-
phiques et républicaines, elle avait con<,;u des
pensées supérieures a son sexe, et s'étaít faít,
des principes qui régnaient alors, une religion
sévere. Vivant dans une amitié intime avec
son époux, elle lui pretait sa plume, lui com-
muniquait une partíe de sa vivacité, etsoufflait
son enthousiasme non-seulement a son mari,
mais a tous les girondins, qui, passionnés




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 69
pour la liberté et la philosophie, adoraient en
eHe Ja beauté, l'esprit et leurs propres opi-
nions.


Le nouveau ministere réunissait d'assez
grandes qualités pour prospérer; mais il fallait
qu'il ne déplut pas trop a Louis XVI, et qu'il
maintint son alliance avec la Gironde. Il pou-
vait alors suffire a sa tache; mais il était a
craindre que tout ne fut perdu le jour, OU a
l'íncompatibilité naturelle des parties vien-
draient se joindre quelques fautes des hom-
mes, et e'est ce qui ne pouvait manquer d'ar-
river bientot. Louis XVI frappé de l'activité
de ses ministres, de leurs bonnes in tentions ,
et de leur talent pour les affarres, fut eharmé
un instant; leurs réformes éeonomiques sur-
tont lui plaisaient, car iI avait toujours aimé
ce genre de bien, qui n' exigeait aucun sacrifice
de pouvoir ni de principes. S'il avait pu etre
rassuré toujours comme ílle fut d'abord, et se
séparerdes gens de cour, il eut supporté faei-
lernent la constitution. Il le répéta avec sincé-
rité aux ministres, et parvint a convaincre les
deux plus difficiles, Roland et Claviere. La
persuasion fut entiere de part et d'autre. La
Gironcle, <;luí n'était républicaine que par
méfiance du roí, cessa de l'etre alors, et
Vergniaud, Gensonné, Guaclet, entrerent en




70 RÉVOLUTION FRAN«;;:AISE.
correspondance avec Louis XVI, ce qui plus
tard fut contre eux un chef d'accusation. J":in-
flexible épouse de Roland était seule en doute,
et retenait ses amis trop rnciles, suivant elle,
a se livrer. La raison de ses déflances est natu-
relle : elle ne voyait pas le roi. Les ministres
3U contraire l'entretenaient tous les jours, el
d'honnetes gens qui se rapprochent sont bien-
tot rassurés; mais cette confiance ne pouvait
durer, parce que des questions illévitables al-
laient faire ressortir toute la différence de leurs
opinions.


La cour cherchait a répandre du riclicule sur
]a simplicité un peu républicaine du nOllvean
ministc~re, et sur la rudesse sauvage de Roland,
qui se présentait au chateau san s boucles aux
sotiliers. Dumouriez rendait les sarcasmes, et
melant la gaité au travaille plus assidu, plaisait
au roi, le charmait par son esprit, et peut-etre
aussi lui convenait mieux que les autres par la
flexibilité de ses opinioIls. La reine, s'aperce-
vant que, de tons ses collegues, il était le plus
puissant sur l'esprit du monarque, voulut le
voir. Il nous a conservé clans ses mémoires cet
entretien singulier qui peínt les agitations de
cette princesse, infortunée, digne d'un autre re-
gne, d'autres amis, et d'un autre sort.


«( Introduit, dit-il, dans la chambre de la




ASSEIUBLtE LÉGISLATlVE (1792.)· 71
(( reine, il la trouva seule, tres-rouge, se pro-
(( menant a grands pas, avec une agitation qui
(e présageait une explication tres-vive. Il alla se
( poster au coín de la cheminée, doulouren-
(( sement affecté du sort de cette princesse, et
( des sensations terribles qu'elle éprouvait. Elle
(e vint a lui d'un air ma jestueux el irrité, et luí
( dit: Monsieur, vous étes tout paissant en ce
« moment, mais c'est par la fayeur dlt peuple
«( quí brise bien vi'te ses ¡do les. Volre exÍJtence
«( dépend de votre conduite. On dil que 'vous
re al'ez beaucoup de lalents. P ous deyez juger
« q lle ni le roí ni moi, ne pouyons sozif.!rir toutes
c( ces llouveautés ní la constitutíon. le vous le
( déclarefranchement; prenez votre partí.


(( Illui répondit : Madame, je suis désoló de
(e la pénible confidence que vient de me faire
« volre majesté. le ne la trahirai pas: mais je
re SUls entre le roí el la nation, etj'apparliens ti
(e ma patrie. Permeltez-mol de vous représenter
« que le salat da roí, le vótre, celUl de vos au-
« gustes enfants, est attaché ti la conslitution,
«( ainsi que le rétablúsemenl de son autorité U-
(( gitime. le vous serIJlrais mal et lui aussi, si
«je vous parlais différemment, Poas étes lous
( les deux entourés d'ennemÍJ qui vous sacl'i-
(flent a leul' propre intérét. La constitution,
«( si une ¡ois elle est en vigueur, bien loin de




7':1 RÉVOLUTJON FRANQAISE.
( faire le malheur du roi, flra sa ./élicité el sa
(( gloire; il faul qu'il concoure ti ce qu'elle
«( s' établisse solidement et promptement.-L'in-
t( fortunée reine,choquée de ce que Dumouriez
c( heurtait: ses idées, lui dit en haussant la voix,
ce avec colere : Cela ne durera pas; prenez
( garde ti vous.


« Dumouriez répondit avec une fermeté mo-
{( deste : Jfadame, j' ai plus de cinquante ans;
" ma vie a été tra"er~ée de bien des périls, et
« en prenant le ministere, j'ai bien rijléchi que
« la responsabilité n'est pas le plus grand de
ce mes dangers. - II ne manquait plus, s'écria-
(( t-elle avee douleur, que de me calornnier.
ce Vous semblez croire que je SUls capable de
( vousfaire assassiner: et des larmes coulerent
t( de ses yeux.


« Agité autant qu'elle-meme : Dieu me pré-
(e serve, dit-il, de vous faire une aussi cruelle
( injure! Le caractere de votremajestéestgrand
(e el noble; elle en a donné des preuves héroi"ques
« fjlle j' ai admirées, el qui m' ont attaché ti elle.
«' Dans le moment elle fut calmée , et s'appro-
« cha de lui. Il continua: Croyez-moi,madame,
«je n'ai aucun intérét ti vous tromper, j'ab-
« horre autant que vous l' anarchie et les crimes.
« Croyez-moi ,j' ai de f expérience. le suis mieux
« placé que votre majesté pour juger des événe-




ASSEJUBLÉE LÉGISLATIVE (J 79 2 ). 73
{{ ments. Ceci n'est pas un moupement popu/aire
({ momentané, comme vous semblez le croire.
(e Cest l'insurrection presque unanime d'une
({ grande nation contre des abus invétérés. De
({ grandes factions attisenl cet incendie; il Y a
« dans toutes des scélérats et des fous. le n' en-
{( visage dans la répolution que le roi el la TlQ-
({ ñon enlÜJre; tout ce qui tend ti les .réparer
ce conduit ti leul' ruine mutuelle; je trapaille au-
({ tant que je peux ti les réunir, e' est ti vous ti
« m'aider. Sije suis un obstacle ti vos desseins,
(e si vous y persistez, dites-le-moi; je porte sur-
({ le-champ ma démission au roí, et je vais gé-
({ mir dans un coin sur le sort de ma patrie el
I( sur le vótre.


({ La fin de eette conversation établit cntie-
{( rement la confiance de la reine. Ils parcou-
( rurcmt ensemble les diverses factions; il lui
« cita des fautes et des crimes de toutes; illuí
{( prouva qu'eIle était trahie dans son intérieur;
« illui cita des propos tellus dans sa confidence
({ la plus intime; cette princesse lui parut a la
c( fin entierement convaincue, et elle le congé-
« dia avec un air serein et affable. Elle était de
{( bonne foi, mais ses entours et les horribles
« exces des feuilles de Marat et des Jacobins la
r( replongerent bientot dans ses fnnestes réso-
ce lutions.




REVOLUTION FRAN«;¡AISE.


e( Un autre jour elle lui dit devant le roí:
« Vous me voyez désolée ; je n' ose pas me mettre
« a la fenétre da eóté du jardin. Hiel' au soir,
« poar prendre l'air, je me suis montrée a la
« ftnetre de la cour: un eanonnier de garde m 'a
« apostrophée d'une injure grossiere, en ajou-
« tant : Que j'aurais de plaisil' a voir ta tete au
« bout de ma baionnette! Dans cel affreux
«jardin, d'un eóté on voit un homme monté
« sur une chaise, lisant a haute voix des hor-
« reurs eontre nous; d'un autre, e'est un mili-
« taire ou un abbé qu' on traine dans un bassin,
(e en l'aceablant d'injures el de coups; pendant
« ce temps-la , d' autres jouent au ballon, oa se
« promenent tranquilLement. Quel s~jour! quel
(cpeuple!» (Mém. de Dumouriez; livre In,
chapitre VI. * )


Ainsi, par une espece de fatalité, les inten-
tionS supposées du chatean excitaient la dé-
fiance et la fureur dn peuple, et les hurlements
du peuple augmentaient les donleurs et les
imprudences du ch.heau. Ainsi le désespoir
régnait au dehors et au dedans. Mais pour-
quoi, se demande-toon, une franche explication
ne terminait-elle pas tant de maux? Pourquoi
le chatean ne .comprenait-il pas les craintes OU


• Voycz la note 7 ,t la fin du volumc.




ASSEMBLÉE LÉGISLAT1VE (1792 ). 75
peuple? Pourquoi le peuple ne comprenait-il
pas les dou]eurs du chateau? mais pourquoi les
hommes sont-ils hommes? ... a cette derniere
question, il fant s'arreter, se soumettre, se
résigner a la nature humaine et poursuivre ces
tristes técits.


l,éopold JI était mort; les dispositions paci-
fiques de ce prince étaient a regretter pour la
tranquillité de rEurope, et on ne ponvait pas
espérer la meme modération de son successeur
et neven, le roi de Boheme et de Hongrie. Gus-
tave, le roi de Suede, venait d'etre assassiné au
milieu d'une tete. Les ennemis des Jaeobins leur
attribuaient cet assassinat; mais iI était bien
prouvé qu'il fut le crime de la noblesse hu-
miliée par Gustave, dans la derniere révolutión
de Suede. Ainsi la noblesse, qui accusait en
Franee les fureurs révolutionnaires du peuple,
donnait dans le Nord un exemple de ce qu'elle
avait jadis été eIle-meme, et de ce qu'elle était
encore dans les pays ou la civilisation était
moins avancée. Quel exemple pour Louis XVI,
et quelle le~on, si dans le moment il avait pu
]a comprendre! La mort de Gustave fit échouer
l'entreprise qu'il avait méditée contre]a Franee,
entreprise a laquelle Catherine devait foul'llir
des soldats, et I'Espagne des subsides. Il est
douteux cependant que la perfide Catherine


./
'~--:.~ ~ ,:----






"


76 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
cut faít ce qu'elle avait promis, et la mort de
Gustave, dont on s' exagéra les conséquences,
fut en réalité un événement peu important *.


Delessart avait été mis en accusation pour la
faiblesse de ses dépeches; iI n'était ni dans les
gOllts ni dans les intérets de Dumouriez de trai·
ter faiblement avec les puissances. Les dernieres
dépeches avaient paru satisfaire Louis XVI, par
leurconvenance etleurfermeté. M. de Noailles,
ambassadeur a Vienne, et serviteur peu sin-
cere, envoya sa démission a Dnmouriez, en di-
sant qu'il n'espérait pas faire écouter au chef
de l'empire le langage qu'on venait de lui dicter.
Dumouriez se hata d'en prévenir l'assemblée,
qui, indignée de cette démission, mit aussitót
M. de Noailles en accusation. Un autre ambas-
sadeur futellvoyé sur-Ie-champ a1Yec de I.lOU-
velles dé peches. Deux jours apres, Noailles
revint sur sa démission, et envoya ]a réponse
catégorique qu'il avait exigée de la cour de
Vienne. Cette note de M. de Cobentzel est,
entre toutes les fautes des puissances, une des
plus impolitiques qu'elles aient commises. M. de
Cobentze] exigeait, au nom de sa cour, le ré-
tablissement de la mOllarchie franc,;aise, sur les
bases fixées par la déclaration royale du 23 juin


• Voyez la note 8 a la fin du volllme.




ASSEJ\fBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 77
1789' C'était imposer le rétablissement des trois
ordres, la restitution des biens du cIergé, et
celle du Comtat-Venaissin au pape. Le ministre
autrichien demandait en outre la restitution
aux prinees de l'empire des terres d'Alsace,
avec tous leurs droits féodaux. n fallait ne
connaitre la France que par les passions de Co-
blentz, pour proposer des conditions pareilles.
C'était exiger 11 la fois la destruction d'une con s-
titution jurée par le roi et la nation, la révo-
cation d'une grande détermination a l'égard
d'Avignon; et enfin la ballqueroute par la l'es.
titution des biens du clergé déja vendus. D'ail-
leurs de quel droit réclamer une pareille sou-
mission? De quel droit intervenir daos nos
affaires? Quelle plainte avait-on a élever pour
les princes d' Alsaee , puisque leurs terres étaient
enclavées dans la souveraineté franc;aise, et de-
vaient en subir la loi?


Le premier mouvement du roi et de Dumou-
riez fut de eourir a l'assemblée pour l'íllformer
de eeUe note. L'assemblée fut indignée el de-
vait l'etre; i1 y eut un cri de guerre général.
Ce que Dumouriez ne dit pas a l'assemblée,
e' est que l' Autriche, qu'il avait meoaeée d'une
nouvelle révolution a Liége, avait eovoyé un
agent pour traiter de cet objet avec luí; que le
laogage de cet agent était tout différent de ce-




78 RÉVOLUTION FRANf¡}tUSE.
lui du ministere autriehien, et que bien évi-
demment la derniere note était l'effet d'une
résolution soudaine et suggérée. L'assemblée
leva le déeret d'aeeusation porté eontre N oailles,
et exigea un prompt rapport. Le roi ne pouvait
plus reeuler; eette guerre fa taJe allait etre enfin
déclarée, et dans aueun eas, elle ne favorisait
ses intérets. Vainqueurs, les Fran<;ais en deve-
naient plus exigeants et plus inexorables sur
}'observatíon de la loi nouvelle; vaineus, ils
allaient s'en prendre au gouvernement, et l'ac-
euser d'avoir mal soutenu la guerreo Louis XVI
sentait parfaitement ce. double péril, et eette
résolution fut une de eeHes qui lui eouterent
le plus "'. Dumouriez rédigea son rapport avec
sa célérité ordinaire, et le porta au roi qui le
garda trois jours. Il s'agiss:üt de savoir si le
roi, réduit a prenare l'initiative aupres de l'as-
semblée, l'engagerait a déclarer la guerre, ou
bien s'il se eontenterait de la eonsulter a eet
égard, en lui annon<;ant que, d'apres les in-
jonctions faítes, la Franee se trolwait en état
de guerreo 1Je5 ministres Roland et Claviere
opinaient pour le premier avis. Les orateurs
de la Gironde le soutenaient également, et vou-
laient dicter le diseours du trone. Il répugnait


* Voyez la note 9 a la fin du volume.




ASSEMBLÉE LÉGISI,ATIVE (1792 )' 79
a J ... ouis XVI de déclarer la guerre, et ii aimait
mieux déclarer l'état de Buerre. La différence
était peu importante, cependant elle était pré-
férable a son coour. On pouvait avoir une telle
condescendance pour sa situation. Dumouriez,
plus facHe, n'écouta aucun des ministres; et,
soutenu par Degraves, Lacoste et Duranthon,
fit adopter l'avis du roí. Ce fut la son premier
difféi'end avec la Gironde. Le roí composa lui-
meme son discours et se rendít en personne a
l'assemblée, le 20 avril, suivi de tous ses minis-
tres. Une ailluence considérable de spectateurs
ajontait a l'effet de cette séance qui allait dé-
cider du sort de la France et de l'Europe. Les
traits du roi étaient altérés, et annon({aient
une préoccupatíon profonde. Dumouríez lut
un rapport détaillé des négociations de la
Franee avec I'empire; iI démontra que le traité
de 1756 était rompn par le faÍt, et que, d'apres
le derníer ultimatum, la :Frallce se trourait en
état de guerreo II ajouta que le roí, pour con-
sulter l'assemblée, n'ayant d'autre moyen légal
que la proposition formelle de guerre, iI se ré·
signait a la consulter par eette voie. Louis XVI
alors prít la parole avec dignité, mais avee une
voix altérée. - « Messieurs, dit-il, vous venez
d'entendre le résultat des négocíations que j'ai
suivíes avec la cour de Víenne. Les conclusions




80 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
du l'apport ont éLé l'avis unanime de mon
conseil : je les ai adoptées moi-merne. Elles
sont conformes au vreu que m'a manifesté
plusieurs foís l'assemblée nationale, et aux
sentirnents que m'ont témoignés un grand
nombre de citoyens des différentes parties du
royaume; tous préferent la guerre a voir plus
long-temps la dignité du peuple franc,;ais outra-
gée et la sureté nationaIe menacée.


(e J'avais du préalablement épuiser tous les
moyens de maintenir la paix. Je viens aujour-
d'hni, aux termes de la constitution, proposer
a l'assemblée nationale la 'guerre contre le roi
de Hongrie et de Boheme. »


Le meilleur accueil fut fait a cette proposi-
tion; des cris de vive le roí retentirent de toutes
parts. L'assemblée répondít a Louis XVI qu'elle
allait délibérer, et qu'il serait instruit par un
message du l'ésultat de sa délibération. La dis-
cussion la plus orageuse commeIH;a alors et se
prolongea bien avant dans la nuit. Les raisons
déja données pour el contre furent répétées
ici; en fin le décret fut rendu, et la guerre ré-
soIue a une grande majorité.


(e Considérant, disait l'assembIée, que la
cour de Vienne, au mépris des traités, n'a
cessé d'accorder une protection ouverte aux
Franc,;ais rebelles; qu'elle a provoqué et formé




ASSF:lUllLÉE LÉGfSLATIVE (1792). 81
un concert avec plusieurs puissances de l'Eu-
rape, contre l'indépendance et la sureté de la
nation fi'alH;aise;


« Que Fran<,;oís Ier, roí de Hongrie et de Bo-
heme *, a , par ses notes des T 8 mars et 7 avril
derniers, refusé de renoncer a ce concert;


« Que, malgré la proposition qni lui a été
faite par la note UU 11 mars ) 792, de réduire
de part et d'antre a l' état de paix les troupes
sur les frontieres, iI a continué et augmenté
ses préparatifs hostiles;


« Qu'il a formellement attenté a la souve-
raineté de la nation fran<,;aise, en déclarant
vouloir soutenir les prétentions des prillces
aIlemands possessionnés en FraIlee, auxquels
la nation fran<,;aise n'.a cessé d'offrír des in-
demnités;


« Qu'il a cherché a diviser les citoyens fran-
<,;ais, et a les armer les uns contre les atltres,
en ofErant aux mécontents un appui dans le
concert des puissances ;


« Considérant enfin que le refus de répondre
aux dernieres dépeches dn roi des Fran<,;ais ne
laisse plus d'espoir d'obtenir, par la voie
d'une négociation amicale, le redressement de
ces différents griefs, et équivaut a une uécla-


• Fran~ois le" n'était pas encore élu cmpereur.
rr 6




RÉVOLUTION FRANqAISE.


ration de guerre, etc., l'assemblée déclare qu'il
y a urgen ce. »


Il faut en convenir, cette guerre cruelle , qui
a si long-temps déchiré l'Europe, n'a pas été
provoquée par la France , mais par les puis-
sances étrangeres. La France, en la déclarant,
n'a faít que reconnaitre par un déeret l'état
ou on l'avait placée. Condorcct fut chargé de
faire un exposé des motifs de la nation. L'his-
toire doit recueillir ce morceau, précieux mo-
dae de raison et de mesure *.


La nonvelle de guerre causa une joie géné-
raleo Les patriotes y voyaient la fin des craintes
que leur causaient l'émigration et la conduite
incertaine du roí; les modérés, effra yés sur-
tont du danger des divisions, espéraient que
le péril commun y mettrait fin, et que les
champs de bataille absorberaient tous ces hom-
mes turbulents enfantés par la révolution.
Qnelques feuillants seulement, tres-disposés
a trouver des torts a l'assemblée , lni re pro-
chaient d'avoir violé la constitntion, . d'apres
laquelle la Franee ne devait jamais etre en état
d'agression. Mais iI est trop évident ici que la
France n'attaquait pas. Ainsi, a part le roi et
quelqnes mécontents, la guerre était le vreu
général.


* Voyez la note lO a la fin JII volumc.




AssmunLlÍE LÉGISLATIVE (r 792). 83
l.Jafayette se prépara a servir bravement son


pays, dan s eette earriere nouvelle. C'était luí
qui se trouvait particulieremen t ehargé de
l'exécutioll du plan eOlH;U par Dumouriez, et
ordonné en apparence par Degraves. Dumou-
riez 5' était flatté avee raison, et avait fait espé-
rer a tous les patriotes, que l'invasion de la
Belgique serait tres-facile. Ce pays , réeemment
agité par une révolntion que l'Autriehe avait
eomprimée, devait etre disposé a se sOlllever
a la premiere apparition des FrarH;ais; et alors
devait se réaliser ee mot de l'assemblée aux
souverains: Si vous nous erwoyez la guerre,
nolts vous renverrons la liberté. C'était d'ail-
leurs l'exécution dll plan eonc;u par Dumou-
riez, qui eonsistait a s'étendre jusqu'aux fron-
tieres naturelles. Roehambeau commandait
l'armée le plus a porté e d'agir, mais iI De pou-
vait ctre chargé de cette opération, a cause
de ses dispositions ehagrines et maladives,
et surtout paree qu'il était moins capable que
Lafayette d'llne invasion moitié miJitaire,
moitié populaire. On aurai t voulu que Lafayette
eut le commandement général, mais Dumou-
riez s'y refusa, sans doute par maIveillanee.
Il allégua pour raison qu'on ne pouvait, en la
présence d'un maréchal, donncr le cornman-
dement en chef de eette expédition a un simp'le


6.




84 nÉVOLUTION :FRAN«;:AISF..
général. Il dit en Olltre, et cette raison était
moins mauvaise, que Lafayette était sllspect
aux jacobins et a l'assemblée. 11 est certain que
jeune, actif, et le seul de tous les géuéraux
qui fút aimé par SOI1 armée , Lafayette effrayait
les imaginations exaltées, et donnait líeu par
son infIllence aux calomnies des maIveillants.
Qlloi qu'il en soit, iI s'offrit de bonne gr:ke
pOllr exécllter le plan du ministre cliplomate
et militaire a la foís; il demanda ciuquante
mille hommes avec lesquels íl proposa de se
porter par N amur et la Meuse jusqu'a Liége,
d'ou íI devait etre maitre des Pays-Bas. Ce plan
fort bien entendu fut approuvé par Dumou-
riez; la guerre en efIet n'étant déc1arée que


" depuis quelques jours, l' Autriche n'avait pas
eu le temps de couvrir ses possessions de la
Belgique, et le succes semblait assuré. En
conséquence Lafayette eut l'ordre de se porter
d'abord avec díx mille hommes de Givet sur
Namur, et de Namur sur Liége ou Bruxelles ;
iI devait etre immédiatement suivi de toute
son armée. Tandis qu'il exécutait ce mouve-
ment, le lieutenant-général Biron devait par-
tir pour Valenciennes, avec dix mille hommes ,
et se diriger sur Mons. Vn autre officier avait
ordre de marcher sur Tournay et de l'occuper
soudainement. Ces mouvements, opérés par




ASSElIfBLJÍE LÉGISLATJVE (1792). 85
des officiers de Rochambeau, n'avaient d'autre
hut que de soutenir et masquer la véritable
attaque confiée a Lafayette.


L'exécution du plan fut fixée du 20 avril au
2. mai. BiroIl se mit en marche, sortit de Va-
lenciennes, s'empara de Quiévrain, et trouva
quelques détachements ennemis pres de Mons.
Tout-a-coup deux régiments de dragons, sans
meme avoir l'ennemi en tete, s'écrient: Nous
sommes trahis! ils prennent la fuite, et en-
traIllcnt tOllte l'armée apres eux. En vain les
officiers veulent les arrcter ; ils menacent de
les fusiller et continuellt dc fuir. Le camp est
livré, et tous les cffets militaires sont enlevés
par les Impériaux. Tandis que cet événement
se passait a Mons, Théobald Dillun, d'apres
le plan convenu , sort de Lille avec deux mille
hommes d'infanterie et miile chevaux. A l'heure
meme 011 le désastre de Biron avait lieu, la
cavalerie, a raspeet de quelques troupes antri-
chiennes, se replie en criant qu'elle est trahie;
elle entraine l'infanterie, et tOllt le bagage
est encore abandonné aux ennemis. Théobald
DiIlon, un officier du génie nommé Berthois,
sont massacrés par les soldats et par le peuple
de Lille, qui les accusent de trahison. Pendant
ce temps Lafayette, averti trop tanl, était
parvenu de Metz a Givet apres des peines




86 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
inouies, et par des chemins presque ímprati-
cables. Il ne devait qu'a l'ardeur de ses troupes
d'avoir franchi en si peu de temps l'espace
considérable qu'il avait a parcourir. Apprenallt
la le désastre des officiers de Rochambeau, iI
crut devoir s'arreter. Ces facheux événements
eurentlieu dans les derniers jours d'avril 1792.




ASSEMllLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 87


CHAPITRE 111.


DivisiollS dans le ministere girondin. - Le prétendu co-
mité autrichien. --:- Décret pour la formation d'un camp
de 20,000 hommes, prcs París. - Lettre de Roland au
roi. - Rellvoi des ministres girondins; démission de
Dumouriez. Formation d'un millistere fenillant. -
Projets <in parti cOllstitu tionncl; leUre de Lafayette a
l'assembléc. - Situation du partí populaire et de ses
chefs; plans des députés méridionaux; role de Pétion
dan s les événements dejuin.-Joumée du 20 juin 1792;
insurrection des faubourgs; scenes dans les apparte-
ments des TlIileries.


La nouvellc de la malheureuse issue des
combats de Quiévrain et de Tournay, et du
massacre du général Dillon , causa une agita-
tion générale. 1l était naturel de supposer que
ces deux événemcnts avaient été concertés, a
en jugCl' par lf'ur concours et lcur simnlta-
néité. Tous les partis s'accuserent. Les jacobins
et les patriotes exaltés soutinrent qu'on avait
voulu trahir la cause de la liberté. Dumouriez,




88 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
n'accusant pas Lafayette, mais stlspectant les
feuillants, crut qu'on avait voulu faire échouer
son plan ponr le dépopularíser. Lafayette se
plaignit, mais moins amerement que son partí,
de ce qu'on l'avait averti fort tard de se mettre
en marche, et de ce qu'on ne lui avait pas
fourni tous les moyens nécessaires ponr arri-
ver. Les feuilbnts répandirent en outre, que
Dumouriez avait voulu perdre Rochambeau et
Lafayette, en leur tra~anl un plan sans leur
donner les moyens de l'exécllter. Une inten-
lion pareille n'était pas supposable, car Du-
mouriez, en faisant ainsi des plans de campagne,
et en s'écartant a ce point de son role de
ministre des relations extérieures, s' exposait
gravement s'il ne réussissait pas. D'ailleurs le
projet de donner la Belgique a la France et a
la liberté, faisait partie d'un plan qu'il Illédi-
tait depuís long-temps: comment supposer qu'il
voulút en ütire manquer fe Sllcces? 11 était évi-
dent que lIi les généraux, ni les ministres,
n'avaient pu mettre id de la mauvaise vo]onté,
parce qu'ils étaient tous intéressés a réussír.
Mais les partís mettent toujours les hommes a
la place des circonstances, afin de pOllvoir s'en
prendre a quelqu'un, des maux qui leur ar-
rivent.


Degraves, effrayé du tumulte excité par ces




ASSE1UDLÉE LÉGISLATlVE (J 792). 89
derniers événements militaires, voulut se dé-
mettre d'UllC charge qui lui pesait depuis long-
temps, et Dumouriez eut le tort de ne vouloir
pas la subir. Louis XVI, toujours SOtlS l'empire
de la Gironde, donna ce ministere a Servan,
ancien militaire , connu par ses opinions pa-
triotiques. Ce choix donna de nouveIles force s
a la Gironde, qui se trciuva presque en majo-
rité dans le conseil, ayant Servan, Claviere
et Roland a sa disposition. Des cet instant, la
désunion commenc,:a d'éclater entre les minis-
tres. La Gironde deveilait de jour en jour
plus méfiallte, et par cOllséquent plus exi-
geante en témoignages de bonne foi de la part
de Louis XVI. Dumouriez, que les opinions
asservissaient peu, el que la cOllfiance de
Louis XVI avait touché , se rangeait toujours
de .son coté; el Laeoste, qui s'était fortement
attaehé au prjnce, faisait de meme. Duranthon
restait neutre, et n'avaít de préférence mar-
quée que pOllr les partís les plus faíbles. Servan,.
CJaviere et Roland étaíent inflexibles; tont
plcins des craintes de lcurs amis , ils se mOIl-
traient tous tes jours plus difficiles et plus
inexorables an consei!. Une derniel'e eircons-
tance acheva de brolliller Dumonriez ave e
les principaux membres de la Gironde. Il avait
demandé, en entrant :m ministere des affaires




90 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
étraugeres, six millions pour dépenses secretes,
et dont il ne serait pas tenu de rendre compte.
Les feuillants s'y étaient opposés, mais la Gi-
ronde avait fait triompher sa demande, et les
six miI1ions furent accordés. Pétion ayant de-
mandé des fonds pour la police de París,
Dumouriez luí avait alloué trente mille franes
par mois; mais , cessant d' etre girondin, iI ne
consentit a lcs payer qn'unc fois. D'autre part,
on apprit on on soupc;onna qu'il venait de
consacrer cent mille franes a ses plaisirs. Ro-
land, chcz lequel se reunissait la Gironde, en
fut iudigné avee tons les siens. Les ministres
dinaient alternativement les UDS chez les au-
tres, pour s'entretenir desaffaires publiques.
Lorsqu'ils se réunissaient ehez Rolalld, c'était
en présence de sa femme et de tOl1S ses amis ;
et on peut dire que le conseil était alors
tenu par la Gironde eJle - meme. Ce [ut dan s
une de ees réunions qu'on fit des remontranees
a Dumouriez sur la nature de ses dépenses
secretes. D'abord i1 répondit avec esprit et
légcreté, prit de l'humenr ensuite, et se
brouilla déeidément avcc Roland et les Giron-
dins. Il ne reparut plus aux réuuions accoutu-
mées, el iI en dOllna ponl' motif qu'il ne
voulait traiter des affaíres publiques, ni devant
une femme, ni devant les amis de Roland.




ASSEMllLÉE LÉGISLATIVE (J7~)2). 9 1
Cependant il retom:na quelqllefois encore chez
celui-ci, mais san s s'entretenir d'affaires , ou
du moins tres-peno Une autre discnssion acheva
de le détacher des Girondins. Gnadet, le plus
pétulant de son partí, fit lecture d'une lettre
par laquelle iI voulait que les ministres enga-
geassent le roi a prelldre pour directeur un
pretre assermenté. Dumouriez soutint que les
ministres ne pouvaient intervenir dans les
pratiques religieuses du roi. Il fut approuvé ,
il est vrai ,par Vergniaud et Gensonné; rnais
la querelle n'en fut pas rnoins vive, et la rup-
ture devint définitive.


Lesjonrnaux cornmencerent l'attaque contre
Dumouriez. Les feuillants, qlli déja étaient
conjurés contre lui , se virent alOI's aidés par
les jacohins et les girondins. Dumouriez, at-
taqué de toutes parts, tint ferme contre l'orage,
et 6t sévir contre quelques journalistes.


DéjA OH avait lancé un décret c!'accusatioll
contrc Marat, autClIr de l'Ami da peuple,
ouvrage effrayant oú il demandait ouverte-
ment le meurtre, et couvrait des plus auda-
cieuses injures la famille royale et tous les
hommes qui étaient suspects a son imaginatioIl
délirante. Pour balancer l'effet de cctte mesU/'e,
on mit en accusation Royou, r(~dacteur de
l'Ami du mi, et qui ponrsllivait les républi-




RÉVOLUTION FRANyAJSf:.
cains avec la meme violence que Mal'at dé·
ployait contre les royalistes.


Depuis long-ternps il était partout question
d'un comité autrichien ; les patriotes en par-
Iaient a la ville, comme a la cour on parlait
de la faction d'Orléans. On attribuait a ce
comité une influence secrete et désastreuse ,
qui s'exerc;ait par l'intermédiaire de la reine.
Si durant la constÍtuanle il avait existé queJ-
que chose qni ressemblait a un comité autrí-
chien, ríen de pareil ne se passaít S011S la
légisJative. Alors un grano personnage placé
dans les Pays-Bas cornmuniquait a la reine, et
an nom de sa famille, des avis assez sages,
auxquels l'intermédiaire fralH;:ais ajoutait en-
core de la prudence par ses cornmentaires.
Mais sous la législative ces communications
particuJieres n'existaient plus; la famille de
la reine avait continué sa correspondance avec
elle, mais on ne cessait de lui conseiller 13
patience et la résiguation. Seulement, Ber-
trand de Molleville et JVIontmorin se rendaient
encore au ch:lteau depuis lenr sortie du minis-
tere. C'est sur eux que se dirigeaient tous les
sonp<,;ons , et ils étaient en effet les agents de
foutes les commissions secretes. lis furent pu-
bliquement accusés par le jonrnaliste Carra.
Résolus de le poursuivrc comme calonmiateuf,




AssnIBLÉr:: LÉGISLATIVE (J 792 ). 93
ils le sommerent de produire les pieces a l'ap-
pui de sa dénonciation. Le journaliste se replía
sur trois députés, et nomma Chabot, Merlín
et Bazire, comme autcurs des renseignements
qu'il avait publiés. Le juge de paix La .. iviere,
qui, se dévouant a la cause du roi, poursuivait
celte affaire avec beaucoup de courage, eut
la hardíesse de lancer un mandat d'amener
contre les trois députés désignés. L'assemblée,
offensée qu'on osat porter atteinle a l'inviola-
bilité de ses membres, répondit au juge de
paix par un décret d'accusation, et envoya
l'infortuné Lariviere a Orléans.


Cette tentative malheureuse ne fit qu'aug-
menter l'agitation générale, et la haine qui
régnait contre la cour. La Gironde ne se regar-
dait plus comme maltresse de Louis XVI depnis
que Dumouriez s' en était emparé, et elle était
revenue a son role de violente opposition.


La nOl1velle garde constítutionnelle du roí
avait été récemment formée. On aurait dli,
d'apres la loi, composer allssi la maison ci-
vile; mais la noblesse n'y voulait pas entrer,
ponr ne pas reconnaitre la constitution, en
occllpant des emplois créés par elle. On ne
vOlllait pas d'autre part la composer d'hornmes
nouveaux , et 011 y renon<;a. « eomment VOll-
t( lez-vous, madame, écrivaitBarnave a lareine,




94 RÉVOLUTION FRAN~AIS}<:.
(e parvenir a donner le moindre doute a ceS
« gens-ci sur vos sentiments? Lorsqu'ils vous
« décretent une maison militaire et une maison
(e civile , semblabIe au jeune Achille parmi les
ce filIes de Lycomede , vous saisissez avec em-
e( pressement le sabre pour dédaigner de sim-
« pIes ornements "'.» Les ministres et Bertrand
lui - meme, insistereut de leur coté dans le
meme sens que Barnave, mais ils ne purent
réussir; et la composition de la maison civil e
fut abandonnée.


La maison militaire, formée sur un plan pro-
posé par DeJessart, avait été composée el'un
tiers de troupes de ]igne, et de deux tiers de
jeunes citoyens, choisis dans les gardes natio-
nales. Cette composition devait paraitre rassu-
rante. Mais les officiers et les soldats de ligne
avaient été choisis de maniere a alarmer les pa-
triotes. Coalisés contre les jeunes gens pris
dan s les gardcs nationaJes, ils les abreuvaient
de dégouts, et nH~me les for¡;aient a se retirer
pour la plupart. Les démissionnaires étaient
bientot remplacés par des hommes surs. Enfin
le nombre de ces gardes avait été singuliere-
ment augmenté, car au líeu de dix·huit cents
hommes fixés par la loi, ii s'élevait, dit-on, a


• Mémoirl:s de MUle Campan, lome 1I, page 154.




ASSEMBLEE LEcrSLATIVE (J 792). 95
pres de six mille. Dumouriez en avait averti le
roí, qui répondait sans cesse que le vieux due
de Brissac, chef de cette troupe, ne pouvait
pas etre regardé eomme un eonspirateur. Ce-
pendant la conduite de la nouvelle garde était
telle au chateau et ailleurs, que les soup<;ons
éclaterent de toutes parts, et que les clubs
s'en oecuperent. A la meme époque, douze
Suisses arborerent la cocarde blanche a N euilly;
des dépots eonsidérables de papier furent bni-
lés a Sevres"', et firent naItre de graves soup-
c;ons. L'alarme devint alors générale; l'assem-
blée se déclara en permanence, comme si elle
s'était trouvée aux jours ou trente mille hom-
mes menac;aient Paris. n est vrai cependant
que les troubles étaient universels; que les
pretres insermentés excitaient le peuple dans
les provinees méridionales, et abusaient du
secret de la eonfession pour réveiller le fana-
tisme; que le concert des puissances était ma-
nifeste; que la Prusse allait se joindre a l' Au-
triche; que les armées étrallgeres devenaient
rnena~antes; et que les derniers désastres de
Lille et de Mons remplissaient tous les esprits.
Il est encore vrai que la puissance du peuple
excite peu de confiance, qu'on n'y eroit jamais


* Voyez la note 11 a la fin du volnme.




~6 RÉVOLUTION FRANQAISE.
avant qu'il l'ait exercée, et que la lllultitude
irréguliere, si nombreuse qu'elJe soit, ne sau-
rait contrebalancer la force de six mille hom-
mes armés et enrégimentés. L'assemblée se
hata done de se déclarer en permanence ", et
elle lit faire un rapport exact sur la compo-
sition de la maÍson militaire du roí, sur le
nombre, le choix et la concluite de ceux qui
la composaient. Apres avoir constaté que la
constitution se trouvait violée, elle rendít un
décret de licenciement contre la garde, un au-
tre d'accusation contre le duc de Brissac, et
envoya ces deux décrets a la ~anction. Le roi
vOlllait d'abord apposer son veto. Dumouriez
lui rappela le renvoi de ses gardes-du-corps,
bien plus anciens a son service que sa non-
velle lllaison militaire, et l'engagea a renouve-
ler un saerifiee bien moios diffieile. II lui fit
voir d'aillenrs les véritables torts de sa garde,
et obtint l'exécution du décret. Mais aussitót
iI insista pOlIr sa prompte recomposition, et le
roi, soit qn'il revint a sa premiere politique
de paraitre opprimé,· soit qu'il comptat sur
eette garde licenciée, a laquelle iI conserva en
secret ses appointements, refusa de la rem-
placer, et se trolIva ainsi livré sans protection
aux fureurs populaircs.


,. Séance du 28 mai.




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 97
La Gironde, désespérant de ses dispositions,


poursuivit son attaque avee persévérance. Déja
elle avait rendu un nouveau déeret eontre les
pretres, 'fl0ur suppléer a eelui que le roí avait
refusé de sanctionner. Les rapports se suecé-
dant sans interruption sur leur conduite fac-
tieuse, elle venait de les frapper de la dépor-
tation. La désignation des eoupables étant
diffieile, et eette mesure, comme toutes ceHes
de sureté, reposant sur la suspicion, c'était en
quelque sorte d'apres la notoriété que les pre-
tres étaient atteints et déportés. Sur la dénon-
dation de vingt citoyens aetifs, et sur l'appro-
bation du direetoire de district, le directoire
de département pronon<,;ait la déportation : le
pretre condamné devait sortir du canton en
vingt-quatre heures, dll département en trois
jours, et du royanme dans un mois. S'il était
indigent, trois livres par jour lui étaient ae-
eordées jusqu'a la froutiere. eette loi sévere
donnait la.mesure de l'irritation eroissante de
l'assemblée .... Un autre décret suivit immédia-
tement celui-Ia. Le ministre Servan, sans en
avoir re<,;u l'ordre dll roí, et sans avoir con-
sulté ses collegues, proposa, a l'oceasion de la


• Ce décret est dll 27 mai; le décret suivant, relatif au
carnp de 20,000 hornrnes, est du 8 jllin.


n 7




~ llEVOLUTION FRAN~AlSE.
prochaine fédérabon du 14 juillet, de forroer
uncamp de ~ingt rniUe fédérés, qui serait
destiné a pl'otéger l'assemblée et la capitale. Il
est facile deconcevoir avec quel e'mpresse-
ment ce projet Cut accueilli par la majorité de
l'assemhlée, corroposée de girondins. Hans le
momenil: ]a puissance de ceux-ci était au com-
Me. Ils gouvernaient l'assemblée, ou les cons-
titutionnels et les républicains étaient en mi-
norité, et ou lesprétendusimpal'tiaux n'étaient,
OOlnme de tout temps, que des indifférents,
toujours plus sou.mis a mesure que la majorité
devenait plus puissante. De plus, ils disposaient
de París par le maire Pétion quí leur apparte-
nait enti.etement. Leur projet, par le moyen
du. camp proposé, était, 'sans ambition person-
neUe, mais par ambition de partí et .d'-opinion ,
de se rendre mattres du Toi, et <le se prému-
nir contre ses intentlons suspectes.


A peine la proposition de Servan fut con-
nne, que Dumouriez luí demanda., en plein
cc:1nseil et avec 'la plus gratule force, aquel ti-
treil avait fait une proposition pa-reiHe. Il ré-
ponoit que c'é\:ait a titre d'individu. -(e En ce
cas, lui r-épliqua Dumouriez , il ne fallait ras
mettre a coté du nom de Servan le litre de
ministre de la guerreo » La dispute fut si vive
que, sans la présencf' ·dn roi, le sang :lnrail pu




ASSEMBLÚ LÉGISLATJVE (J 792 ). 99
couJer dans le eonseil. Servan offrit de retirt:r
S3 motion; mais c'eut été inutile, ear l'assem-
hlée s'en était emparée, et le roi n'y aurait
gagné que de paraitre exercer une violence 501'
son ministre. Dumouriez s'y opposa donc; la
motion resta, et fut eomhattue par une péti-
tion signée de huit mille garues nationaux~ qui
s'offensaient de ce qu'on semblait croire leur
serviee Ínsuffisant pour protéger l'assemblée.
Néanmoins elle fut décrétée et portée au roi.
n y avait ainsi deux déerels importants a sanc-
tionner, et déja on se dontait que le roi refll-
serait son adhésion. On l'attendait la pour
rendre eonIre lui un arret définitif.


Dumouriez soutint en pIeio conseil que eette
mesure serait fatale au treme, mais surtont aux
girondins, paree que la Ilouvelle armée serait
formée sons l'influence des. jacohiuSt les plus
violents. n ajouta néanmoinsqu'elle devait etre
adoptée par le roí, paree que, s'iJ l'efusait de
convoquer vingt milJe hommcs régulierement
choisis, quarante mille se leveraient sponta-
nément et envahiraient la capitale. Dumouriez
assura d'ailleurs qu'il avait un moyen d'annu-
ler cette mesure, et qu'ille ferait eonnaltre en
temps eonvenable. Il süutÍnt aussi que le dé-
eret sur la déportation des pretres devait etre
sanetionné, parce qu'ils étaient cüupahles, et





100 RÉVOLUTION FRANgAJSE.


que d'ailleurs la déportation les soustrairait aux
furellrs de leurs adversaires. LOllis XVI hésitait
encore, et répolldit qu'il y réfléchirait mieux.
Dans le meme cOllseil, Roland voulut lire, a
la fa ce OU roi, une leUre qu'il lui avait déja
adressée, et dont par conséqucnt 11 était inutile
de faire une lecture directe, puisque le roi la
connaissait déja. Cette lettre avait été résolue
a l'instigation de Mme Roland, et rédígée par
elle. On a vu qu'il avait été question o'en écrire
une au nom de tous les ministres. Ceux-ci ayant
refusé, Mme Roland avait insisté aupres de son
mari , et ce dernier s'était décidé a faire la dé-
marche en son nomo Vainement Dllranthon,
qui était faible, mais sage, lui objeeta-t-il avee
raison, que le ton de sa lettre, loin de persua-
der le roí, l'aigrirait contre des ministres qui
jouissaient de la confiance publique, et qll'il
en résulterait une ruptllre funeste entre le
trone et le partí populaire. Roland s'opiniatra
d'apres l'avis de sa femme et de ses amis. La
Gironde en effet voulait une explication, et
préférait une rupture a l'ineertitude.


Roland lut done eette leUre au roí, et lui
fit essuyer en plein eonseil les plus dures re-
montrances.


Voici eette leUre fameuse :
(( Sire, l'état actnel ele la Frallce ne peut




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1 79'..l.). 10 [
« subsister long-temps; c'est un état de crise
cc dont la violen ce atteint le plus hant degré;
« il faut qu'il se termine par un éclat qui doit
IC intéresser votre majesté autant qu'il importe
« a tout l'empire.


« Honoré de votre confiance, et pIaeé d~IlS
e< un poste OU je vous dois la vérité, j'oserai la
« dire tont entiere; c'est une obligation qui
« m'est imposée par vous-meme.


« Les Fran~ais se sont donné une cOIlstitu-
« tion; elle a faít des méeontents et des re-
ce beBes: la majorité de la natioll la vent main-
1< tenir; elle a ju~é de la défendre an prix de
ce son sang, et elle a vu avec joie la guerre,
« quHui offrait un grand moyen de l'assurer.
« Cependant la minorité., soutenue par des es-
e( péranees, 'a réuni tous ses efforts pour ern-
« porter l'avantage. De la, cette lutte intestine
le eontre les loís, eette anarchie dont gémissent
« les boos eitoyens, et dont les malveillants
« ont bien süin de se prévaloir pour ealomnier
« le notlveau régime : de la cette division par-
e< tout répandue et partout excitée, car nulle
« part il n' existe d'indifférence; on vent 011 le
(e triomphe OH le ehangement de la constitn-
e( tion; on agitpour la soutenir ou pour l'al-
ce térer. Je m'abstiendrai d'examiner ce qu'elle
« est par elle-meme pour cons.idérer seule-




102 RÉVOLUTION FRAN~A.IS":'
« ment ee que les eirconstances exigent; et,
(c me rendant étranger a la ehose autant qu'il
« est possible, je ehercherai ee que ron peut
« attendre et ee qu'íl convient de favoriser.


« Votre majesté jouissait de grandes préroga-
« tives, qu' elle croyait appartenir a la royauté;
ce élevée dans l'idée de les conserver, elle n'a
« pu se les voir enlever avec plaisir : le dési.'
« de les faire l'endl'e était aussi. naturel que le
ce regret de les voir anéantir. Ces sentiments,
« qui tiennent a la nature du creur humain,
« ont du entrer dans le calenl des ennemis de
« la révolution; ils ont done compté sur une
« faveur secrete jusqu'a ce que les cireonstan-
ce ces permissent une protection décIarée. Ces
« dispositions ne pouvaient échapper a la na-
« tion clle-meme , et elles ont dñ la tenir en
« défianee.


(( Votre majesté a done été constamment
« dans l'alternative de céder a ses premieres
'( habitudes, a ses affections partieulieres, ou
« de faire des sacrifices dietés par la philoso-
({ phie, exigés par la nécessité; par conséquent
« d'enhardir les rebelles en ínquiétant la na-
« tian, ou d'apaiser ceHe-ei en vous unissant
« a elle. Tout a son temps, et'eelui de l'incer-
« titude est enfin arrívé.


« Votre majesté peut-elle aujourd'hui s'allier




• ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792).. 103
« ouvertement avec ceux qui prételldent ré-
« f(¡rmer la constitution, ou. doit-elle géné-
I( reusement se dévouel' sans réserve a la faire


(e triompher? Telle est la véritable question
(e dont l'état actuel des choses rend la solution


« inévita.ble : quant a ceHe, tres-inétaphysique,
I( d.e savQir si les Fran<;ais sont mUrs pour la
(1 liberté, 5a discussion ne fait ríen iei, Cal' iI
I( ne s'a5it point de juger ce que nous serQns
« de"enus dans un siecle, lllais de voir ce dont
« est capable la génération présente.


« Au milieu des agitations dans lesqllelles
(1 HOUS vivons depuis quatre ans, qu'est-il ar-
« rivé? Des priviléges olléreux pour le peuple
« ont été abolis; les idées de justice et d'éga-
« lité se sont universeIlement répandues; elles
« ont pénétré partout; l'opinion des droi~~ du
« peuple a justifié le sentimentde ses droits;
«( la reconnaissance de ceux,.ci, faite solennel-
te lement, est devenue une doctrine sacrée; la
« haíne de la Iloblesse, inspirée depuis long-
(( temps par la féodalité, s' est exaspérée par
« l'opposition manifeste de la plupart de~ no-
« bIes a la constitution, qui la détrllit.


« Durant la premiere année de la révolution,
« le peuple voyajt dans ces ilObles des hommes
« odieux par les priviléges oppresseurs dont
e( ils avaient joui, mais qu'il aurait .cessé de




RÉVOLUTION FRANCAISE • .
({ hair apres la destruction de ces. priviléges, si
« la conduite de la noblesse depuis cette épo-
« que n'avait fortifié toutes les raisons possi-
({ bIes de la redouter et de la combattre eomme
le une irréconciliable ennemie.


« L'attaehement pour la constitution s'est
" aceru dans la meme proportion; non-seule-
« ment le peuple lui devait des bienfaits sen-
e! sibles, mais iI a jugé qu'elle lui en préparait
« de plus grands, puisque ceux qui étaient ha-
« bitués a lui faire porter toutes les charges
« ehercheraient si puissamment a la détruire
« ou a la modifier.


« La décIaration des droits est devenue un
{( évangile politique, et la constitution fran-
e< -;aise une religion pour laquelle le peuple
« est pret a périr.


« Aussi le zele a - t - iI été déja quelquefois
ce jllsqu'a suppléer a la loi, et lorsque celle-ci
« n'était pas assez réprimante pour contenir
l( les pertubateurs, les citoyens se sont permis
ce de les punir eux-memes.


« C'est ainsi que des propriétés d'émigrés
« ont été exposées aux ravages qu'inspiraít
« la vengeanee; e'est pourquoi tant de dépar-
« tements se sont crus foreés de sévir contre
« les pr&tres que l'opinion avait proserits, et
,( dont elle aurait fait des victimes.




ASSElI'IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 105
«( Dans ce choc des 'intérets, tous les seuti-


«( m"ents out pris l'accent de la passion. La pa-
« trie n'est point un mot que l'imagination se
C( soit complue d'embeIlir; c'est un etre auquel
f( on a fait des sacrifices, a qui l'on s'attache
« chaque jour davantage par les sollicitudes
« qu'il cause, qu'on a créé par de grands ef-
« forts, qui s'éleve au mílieu des inquiétudes,
« et qu'on aime par tout ce qll'il cOlIte autant
« que par ce qU'OIl en espere; toutes les attein-
( tes qu'on lui porte sont des moyens d'enflam-
« mer l'enthousiasme pour elle. Aquel point
(( cet enthousiasme va-t-il monter, a l'instant
«( 00. les forces ennemies réunies au dehors
1< se concertent avec les intrigues intérieures
( pour porter les coups les plys fuuestes! La
« fermentatiou est extreme clans toutes les
« parties de l'empire; elle éclatera d'uue ma-
« niere terrible, a moins qu'une cOllfiance rai-
« sonIlée dans les intentions de votre majesté
« ne puisse enfin la calmer : mais cette con-
« fiance ne s'établira pas sur des protestations;
( elle ne saurait plus avoir pour base que des
r( faits.


« Il est évident pour la nation franc;aise que
« sa constitutioll pent marcher, que le gon-
«( vernement aura toute la force qui lui est
c( nécessaire du moment 00. votre majesté,




'06 RÉVOLUTION FUAN(,(AISE.
c( voulant absolument le triomphe de cette
« constitution, soutiendra le corps législatif de
« toute la puissance de l'exécution, otera tout
« prétexte aux inquiétudes du peuple, et tont
« espoir aux mécontents.


(e Par exemple, deux décrets importants ont
« été rendus; tons deux intéressent essentiel-
« lement la tranquillité publique et le salut de
c( l' état : le retard de leur sallctioIl inspire des
« défiances; s'iI est prolongé, iI causera du
(c mécontentement, et, je dois le <lire, dans
« l'effervescence actuelle des esprits, les mé-
c( contentements peuvent mener a toul.


« Il n'est plus temps de recu]er; il n'y a
« meme plus de moyen de temporiser : la ré-
(( volution est faite dans les esprits; elle s'a-
« chevera au prix du sallg, et sera cimentée
c( par lui, si la sagesse ne prévient pas les mal·
« heurs qu'il est eueore possible d'éviter.


« Je sais qu'on peut imaginer tout opérer et
« tout coutenir par des mesures extremes;
« mais quand on aurait déployé la force pour
« contraindre l'assemblée, quand on aurait
« répandu l' effroi dans París, la divisiou et la
« stupeur dans ses envirous, toute la France
« se leverait avec indignation, et, se déchirant
IC elle-meme dans les horreurs d'une guerre
« civile, développerait cette sombre énergie,




ASSElIfELÉf: LÉGISLATIVE (1792). ) 07
e( mere des vertus et des crimes, tOUjOUTS fu-
ce neste a ceux qui 1'ont provoquée.


(( Le salut de l'état et le bonheur de votre
ce majesté sont intimement liés; aueune puis-
« sanee n' est capable de les séparer: de cruelles
ce angoisses et des rnalheurs certains enviro n-
c( neront votre trone , s'il n' est appuyé par vous-
« meme sur les bases de la eonstitution, et
« affermi dans la paix que son maintien doit
c( enfin nous procurer. Ainsi la disposition des
ie esprits, le cours des choses, les raisons de Ja
ce politique, l'intél'(~t de votre majesté, rendent
({ indispensable 1'obligatioll de s'unir au corps
f( législatif et de répondre au vceu de la nation ;
« iIs font une nécessité de ce que les príncipes
c( présentent comme devoir. Mais la sensibilité
(e naturelle a ce peuple affectueux est prete a
« y trouver un motif de reconnaissance. 00
« vous a cruellement trompé, sire, quand on
,( vous a inspiré de l'éloignement ou de la mé·
« fiance pour ce peuple facile a toucher. C'est
« en vous inquiétant perrétuellement qu'on
(( vous a porté a une conduite propre a I'alar-
« mer lui-meme : qu'il vOle que vous etes ré-
I( soiu a fuire marcher cette cOllstitution, a
« laquelle il a attaehé sa félicité, et bieutot
(( vous deviendrez le sujet de ses actions de
,( graces!




) 08 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
(( La conduite des pretres en beaucoup d'en-


« droits, les prétextes que fournissait le fana-
I( tlsme aux mécontents, ont fait porter une loi
(e sage contre les perturbateurs: que votre ma-
« jesté luí donne sa sanction; la tranquillité
(e publique la réclame, et le salut des pretres
« la sollicite. Si cette loi n'est mise en vigueur,
« les départements seront forcés de lui subs-
{e tituer, comme ils font de toute part, des
« mesures violentes, et le peuple irrité y sup-
« pléera par des exceso


« Les tentatives de nos ennemis, les agita-
« tions qui se sont manifestées dans la capitale,
« l'extreme inquiétude qu'avait excitée la COll-
« duite de votre garde, et qu'entretiennent
« encore les témoígnages de satisfaction qu'on


qe( lui a faít donner par votre majesté , par une
« proclamation vraiment impolitiqlle dans les
« circonstances; la situation de París, sa proxi-
« mité des frontieres, ont fait sentir le besoin
« d'un camp dans son voisinage : cette mesure,
(e dont la sagesse et l'urgence ont frappé tous
({ les bons esprits, n' attend encore que la sanc-
« tion de votre majesté; pourquoi faut-il que
(C des retards lui donnent l'aír du regret, Jors-
({ que la céléríté luí mériterait la reconnaíssance?


{( Déja les tentatives de I'état - major de la
« garde nationale parisienne contre cette mc-




ASSE1IIBLÉE LÉGISLATIVE (1792 ). 109
« sure, ont faít soupc;onner qu'il agissait par
« une inspíration supérieure; déja les décla-
« mations de quelques démagogistes outrés ré-
« veillent les soupc;ons de lenrs rapports avec
« les íntéressés au renversement de la eonstitu-
« tion; déja l'opinion publique eompromet les
el intentions de votre majesté: encore quelque
«délai, et le peuple contristé eroira apereevoir
« dans son roi l'ami et le compliee des eonspi-
« rateurs.


( Juste cjel! auriez-vous frappé d'aveugle-
« ment les pujssances de la terre, et n'au-
« ront- elles jamaís que des conseils quí les
« entraineront a lenr ruine!


« Je sais que le langage austere de la vérité
« est rarement aeeueilli pres dll treme; je sais
(( aussí que e'est paree qu'il ne s'y fait presque
« jamais entendre, que les révolutions devien-
{( nent nécessair€s; je sais surtout que je dois
« le tenir a votre majesté, non selllement
« eomme citoyen soumis aux loís, mais cornrne
« ministre honoré de sa eonfiance, ou revetu
({ de fonetions qui la supposent; et je ne con-
({ nais rien qui puisse m'empecher de remplir
« un devoir dont j'aí la conscience.


« C'est dans le meme esprit que je réitérerai
« mes représentations a votre majesté sur l'obli-
« gation et l'utilité d'exécuter la 10i qui pres-




I 10 RÉVOLUTION FRANyAISE.


«( crit d'avoir un secrétaire au conseil. La seule
«( exístence de la loi parle si puissamment, que


( l'exécution semblerait devoir suÍvre saos re-
« tardement; mais ii importe d'employer tons
e( les moyens de cooserver aux délibérations,
( la gravité, la sagesse, la maturité nécessaires;
( et ponr les ministres responsables, il faut un
« moyen de consta ter leurs opinions: si celui-la
« eut existé, je ne m'adresserais pas par écrit
« en ce moment a votre majesté.


« l .. a vie n'est rien ponr l'homme qui estime
« ses devoirs au-dessus de tout; mais, apres
ce le bonheur de les avoir remplis, le seui bien
« auquel il soit encore sensible est celui de
« penser qll'ill'a fait avec fidélité, et cela meme
«( est une obligation ponr l'homme puhlic.


« París, 10 jllin '792, l'an 4 de la liberté.
lf Signé ROLAND. »


Le roi écouta cette lectnre avec une patience
extreme, et sortít en disant qu'il ferait con-
naitre ses intentions.


Dumouriez fut appelé au chateau. Le roí et
le reine étaient réunis. « Devons-nous, dirent-
ils, supporter plus long-temps l'insoJence de
ces trois ministres? - Non, répondit Dumou-
riez.-Vous chargez-vous de nous en délivrer?
reprit le roi, - Oui, sire, ajouta encore le
hardi ministre; mais jI faut pour y réussir que




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (J 792). 11 [
votre majesté COllsente a une condition. Je
suis dépopnlarisé, je vais l' etre davantage en
renvoyant trois collegues, chefs d'lln parti
puissant. Il n'y a qu'un moyen de persuader
au publie qu'ils ne sont pas renvoyés a cause
de leur patriotisme. - Lequel? demanda le roi.
-C'est, répondit Dumouriez, de sanctionner
les deux décrets;» et iI répéta les raisons qu'il
avait déj:'t données en plein conseil. La reine
s'écria que la condition était trop dure; mais
Dumouríez s'effor~a de lui faire entendre que
les vingt mille hommes n'étaient pas a re-
dOllter; que le déeret ne désignaít pas le líeu
ou l'on devait les faire camper; qu'on pourrait,
par exemple, tes envoyer a SoÍssons : que la,
on les occuperait a des exercices militaires , et
qu'on les acherninerait ensuite peu a peu aux
armées, lorsque le besoin s'en feraít sentir.
« Mais alors, dit le roi, il faut que vous soycz
ministre de la guerreo - Malgré la responsa-
bilité, j'y consens, répolldit Dumouriez; mais
iI faut que yotre majesté sanctionne le décret
contre les pretres; je ne puis la servir qu'a ce
prix. Ce décr~t, loin de nuire aux ecclésías-
tiques, les ~oustrail'a aux hlreurs populaires;
iI fallait que votre majesté s'opposat au pre-
miel' décret de l'assemblée constituantc, qui
ordonnait le serment; maintenant elle ne




I T 2 R~VOLUTION FRANQAISE.
peut plus reculer. - J'eus tort alors, s'écria
Lonis XVI; je ne dois pas avoir tort encore
une fois.)J La reine, qui ne partageait pas les
scrupules religieux de son époux, s'unit a Du-
mouriez, et, pour un instant, le roí parut
donner son adhésion.


Dumouriez lui indiqua les nonveaux minis-
tres a nommer a la place de Servan, Claviere
et Roland. C'étaient Mourgues pour l'intérieur,
Beaulieu pour les finances. La guerre était
cOl1fiée a Dumouriez, qui, pour le moment,
réunissait deux ministeres, en attcndant que
celui des affaires étrangeres Hit occupé. L'or-
donnance fut aussitót rendue, et, le 13 juin ,
Roland, Claviúe et Servan rec;urent lenr dé-
missíon officielle. Roland, qui avait toute la
force nécessaire pour exécuter ce que l'esprit
hardi de sa femme pouvait concevoir, se ren-
dít aussitót a I'assemblée, et fit lecture de la
lettre qu'il avait écrite au roi, et pour Iaquelle
il était renvoyé. Cette démarche était certai-
l1ement permise, une foís les hostilités décla-
rées; mais apres la promcsse faite au roi de
tenir la lettre secrete, il était peu généreux de
la lire publiquement.


L'assemblée accueillit avec les plus grands
applaudissements la lecture de Roland, or-
dorina que sa leUre fút imprimée et envoyée




ASSEMBLÉE LEGISLA TlVE (1792). J 13
aux quatre-vingt-trois départements; elle dé-
clara de plus que les trois ministres disgraciés
emportaient la confiance de la natíon. C'est
dans ce moment meme que Dumouriez, san s
s'intimider, osa paraitre a la tribune, avec son
nouveau titre de ministre de la guerreo Il avait
préparé en toute hate un rapport circonstan-
cié sur l'état de )'armée , sur les fautes ele l'ad-
ministratiol1 et de l'assemblée. Ilu'épargna pas
la sévérité a ceux qu'il savait disposés a lui [aire
le plus mauvais accueil. A peine parut-il, que
les huées lui furent prodiguées par les jaco-
bins; les feuillants observerent le plus profond
silence. I1 rendít compte d'abord d'un léger
avantage remporté par La fayett e , et de la mort
de Gouvion qui, officier, député, et homme
de bien désespéré des malheurs de la patrie,
avait volontairement cherché la mort. L'assem-
blée donna des regrets a la perte de ce géné-
reux citoyen; elle écouta froidement cellX de
Dumouriez, et surtOl1t le désir qu'il exprima
d'échapper aux memes calamités par le meme
sort. Mais quand il allnOllf;a son rapport comme
ministre de la guerre, le refus d'éconter fut
manifesté de toutes parts. II réclama froide-
mentla parole, et finit par obtenir le silence.
Ses .remontrances irriterent quelques députés:
L' entendez-vous? s'écria Guadet, i I HOllS dorme


D. ~




] ] 4 llÉVOLUTION t'RANt,~AfS.E.
Jes le<{ons. - Et pourquoi pas~ répliqua tran-
quillement l'intrépide Dumouriez. - Le calme
se rétah lit; il acheva sa lecture, et fu t tour-a-tOlu'
hué el applalldi. A peine eut·jI fini, qu'il repIia
son mémoire poor l'emporter. -11 fuit! s'écria-
t-on. - Non! reprit-il, et il remít hardimeut
son mémoire sur le hureau, le signa avec assu-
ranee, et traversa l'assemhlée avec un calme
imperturbable. Comme on se pressaít sur son
passage, des dépntés lui dirent : Vous allez etre
envoyé a Orléans. - Tant mieux, répondit-i};
j'yprendrai des haios et du petit laít, dont j'ai
besoio , et je me reposeraí.


Sa fermeté rassura le roí, qui luí en témoigna
sa satisfaetioo; mais le malhem'eux prince était
déja éhranlé, et tourmenté de scrupules. As-
siégé par de faux amis, il étai\ déji:t I'evenu sur
ses déterminations, et oe voulait plus sane-
tionner les deux décrets.


Les quatre ministres réunis en conseil sup-
pliereot le roi de donner 5a double sanction,
comme iI semhlait l'avoir promis. Le roi ré-
pondit sechement qu'il oe pouvait consentir
qu'au décret des vingt miHe hommes; que
quant a celui des pretres, iI étaít décidé a s'y
opposer; que son partí était pris, et que les
menaces ne pourraient l'cffrayer. Il lnt la let-
tre par laquelle il aunOlH:;ait sa cléterminatioll




ASS};MBI,JÜ; LÉGISI,ATJVE (1 79~)' 1 J 5
au président de l'assemblée. L'un de vous, dit-
il a ses ministres, la contre-signera; et il pro-
non<;a ces paroles d'un ton qu'on ne lui avait
pmals connu.


Dumouriez alors lui écri vit pour lui deman-
del' sa démission. - Cet homme, s' écria le roi ,
m'a fait renvoyer trois ministres paree qu'ils
vonlaient rn' obliger a adopter les décrets, et il
veut mailltenant que je les sanctionne! Ce re-
proche était injuste, car ce n' était qu'a la condi-
tion de la double sanction que Dumonriez avait
consenti a survivre a ses coUegues. Louis XVI
le vit, lui demanda s'il persistait. DumOllriez
fut inébranlable. - En ce cas, lui eht le roi,
j'accepte votre démission. Tous les ministres
l'avaient donnée aussi. Cependant le roí retÍnt
Lacoste et Duranthon, et les contraignit de
rester. MM. Lajard, Chambonas et TerrÍer de
Mont-Ciel, pris parmi les feuillants,occuperent
les ministercs vacants.


t( Le roi, dit Mm. Campan, tomba a cette
« époque dans un découragement qui allait
t( jusqu'a l'abattement physique. II fut dix jours
« de suite sans articuler un mot, meme au
« seÍn de sa famille, si ce n'est qu'a une partíe
« de trictrac qu'il faisait avec madame Élisabeth
(J apres son diner, ir était obligé de prononcer
« les mots indispensables a ce .icn. La reine le


8.




116 RJÍVOLUTlON FR ANyAISF..


« tira de eette positioo, si fuoeste daos un état
« de erise ou ehaque minute amenait la néees-
({ sité d'agir, en se jetant a ses pieds, en em-
c( ployant tantot des images faites pour l'ef-
« frayer, tantot les expressions de sa tendresse
« pour lui. Elle réclamait aussi eeHe qu'il de-
({ vaít a sa famille , et alla jusqu'a luí dire que,
« s'il falIait périr, ce devait etre ave e honneur,
« et sans attendre qu'on vint les étouffer l'un
« et l'autre sur le parquet de leur apparte-
( ment ... ))


Il est faeile de présumer quelles durent etre
les dispositions d'esprit de Louís XVI en reve-
nant a lui-meme et au soín des affaires. Apres
avoir abandollné une fois le partí des feuillants
pour se jeter vers eelni des girondins, íl nf'
pouvait revenir aux premiers avee beaueoup
de gout et d'espoir. n avait fait la double ex-
périenee de son incompatjbilité avee les uns
et les mltres, et, ce qui était pI lIS facheux, ji
la leur avait fait faire a tous. Des lors il dut
plus que jamais songer a l'étranger, et y mettre
toutes ses espéranees. Cette pensée devillt évÍ-
dente pour tout le monde, et alarma ceux qui
voyaient dans l'envahissement de la Francc la
chute de la liberté, le supplice de ses défen-
seurs, et peut-etre le partage ou le dt'>membre-


* Voyez Mme Campan, tome 11, page :w5.




ASSElIfIlLÉF. LÉGISLATIVE (179 2 ). 117
ment dll royaume.Louis XVI n'y voyait pas cela,
caron se dissimule toujours l'inconvénient de ce
qu'on désire. Épouvanté du tumulte produit par
la déroute de Monsetde Tournai,il avaitenvoyé
Mallet-dll-Pan en AJlemagne avec des instruc-
tions écrites de sa main. 11 yrecommandait aux
souverains de s'avancer avec précaution, d'ob-
server les plus grands ménagements envers les
habitants des provinccs qu'ils traverseraient, et
de se faire précéder par un manifeste dans le-
quel ils attesteraient leurs intentions pacifiques
et concilia trices *. Quelqne modéré que fUt
ce projet, cependant ee n'en était pas moins
l'invitation de s'avancer dans le pays; et d'ail-
leurs, si tel était le vceu <lu roi, celui des
princes étrangers et rivaux de la Franee, celui
des émigrés eourroucés, était-il le meme?
Louis XVI était-il assuré de n'etre pas entrainé
au dela de ses intentions? Les ministres de
Prusse et d'AlItriche témoigllerent eux-memes
a Mallet-du-Pan les méfiances que leur inspi-
rait l'emportement de l'émigratioll, et il parait
q u'il eut qllelque peine a les. rassurer a cet
egard ** . La reine s'en défiait tout autant; elle
redoutaitsurtout Calarme comme le plus dau-


* Voyez la note ¡:¡ a la, fin du volllme .
.. Vo:-,ez la note J3 11 la fin du volume.




t I ~ HÉVOLUTlON FRA.N~A.ISE.
gereux de ses ennemis"'; maís elle n'en con-
jurait pas moíns sa famille d'agir avec la plus
grande célérité pour sa délivrance. Des cet ins-
tant, le parti populaire dut regarder la cour
comme un ennemi d'autant plus a craindre
qu'il disposait de foutes les force s de l' état; et
le combat qui s'engageait devint un combat
a mort. Le roi, en composant son nouveau
ministere, ne choisit aucun homme prononeé.
Dans l'attente de sa proehaille délivranee, il
ne songeaít qu'a passer quelques jours encore,
et il lui suffisait pour cela dn ministere le plus
insignifiant.


Les feuillants ehereherent a profiter de l' occa-
sion pour se rattacher a la cour, moins, iI faut
le dire, par ambition personnelle de partí, que
par intéret pour le roí. Ils ne comptaient nuUe-
ment sur l'invasion; ils y voyaient pour la plu-
part un attentat, et de plus un périJ aussi grand
pour la cour que pour la nation. LIs prévoyaient
avec raison que le roi aurait suecombé avant
que les secours pussellt arri ver; et, apres l'ín-
vasion, ils redQutaient des vengeances atroces,
peut-etre le démembrement du territoire, et
certainement l'abolition de toute liberté.


Lally-Tolendal, qu'on a vn qnitter la France


• Note 14 a la fin dn vollllllc.




ASSE~II:LÉE I.ÉCISLATlVt: ('79~). 119
des que les deux chambres fureüt devenues
impossibles; Malouet, qui les avait encore es-
sayées lors de la révision; Duport, Lameth,
Lafayette et autres, qui vonlaient conserver ce
qui était, se réunirent pour ten ter un dernier
effort. Ce parti, eomme tous les partís, n'était
pas tres-d'aecord avec lui-meme, mais il se réu-
nissait dans une seu le Vlle, eeHe de sauver le
roí de ses fantes, et de sauver la constitution
avee lui. Tout parti obligé d'agir dans l'ombre
est réduit a des démarches qu'on appelle in-
trigues, quand elles ne sont pas heureuses. En
ce sellS les feuillants intriguerent. Des qu'ils
"irent le renvoi de Servan, Claviere et Roland,
opéré par Dumouriez, íls se rapprocherent de
celui-ci, et lui proposerent leur alliance, a con-
dition qu'il signerait le veto contre le décret
sur les pretres. Dumouriez, peut-etre par hu-
menr, peut-etre par dMant de confianee dans
leurs moyens, et sans doute aussi par l'enga-
gemellt qu'il avait pris de faire sanctíonner le
déeret, refusa eette aHiallce , et se rendít a rar-
mée, avee le désir, écrivait-il a l'assemblée,
qu'ull coup de canon réunit toutes les opiniolls
sur son compte.


11 restait aux feuillants Lafayette, qui, sans
prelldre part a leurs secretes menées, avait
l'artagé leurs mauvaises dispositions eontre Du-




1:1.0 RÉYOI,UTJON FRAN~AlSJ::.


mouriez, et voulait surtout sauver le roi, saus
altérer la constitution. Leurs moyens étaient
faibles. D'abord ]a cour, qu'ils cherchaient a
sauver, ne voulait pas l'etre par eux. La reine,
qui se confiait volontiers en Barnave, avait
tOlljours employé les plus grandes précautions
pour le voir, et ne l'avait jamais re~u qu'en
secret. Les émigrés et la cour ne lui eussent
pas pardonné de voír les constitutionnels. On
luí recommandait en effet de ne point traiter
avec eux, et de leut' préférer plutot les jaco-
bins, paree que, disaít-on, iI faudrait transiger
avec les premiers, et qu' on ne serait ten u a
rien envers les seconds ". Qu'on ajoute a ces
conseils ~ souvent répétés, la haine personnelle
de la reine pour Lafayette, et on ,comprendra
combien la cqur était peu disposée a se laisser
servir par les constitutionnels ou les feuil-
Jants. Outre ces répugnances de la cour a leur
égard, il faut considérer encore la faibIesse des
moyens qu'ils pouvaient employer contre le
partí populaire. Latayette, il est vrai, était
adoré de ses soldats, et devait compter sur son
armée; mais il avait l' ennemi en tete, et it ne
pouvait découvrir la frontiere pour se porter
vers l'intérieur. Le vieux Luc1mer, sur lequel


.. Voyez la note 15 a la fin du vol lime.




ASSFlI'IELÉE LIÍGISLATJVE (1792). 121
il s'appuyait, était faible, mobile, et facile a
intimider, quoique fott brave sur les champs
de bataille. Maís en comptant meme sur ]enrs
moyens militaires, les constitutionnels n'avaient
aucuns moyens cívils. La majorité de l'assem-
blée était a ]a Gironde. La garde nationale Ieur
était dévouée en partie, mais elle étai t désunie
et presque désorganisée. Les constitutionnels
étaient donc réduits, pour l.lser de leurs forces
militaires, a marcher de la frontiere sur París,
c'est-a-dire a ten ter une insurrection contre
l'assemblée; et les insurrections, excellentes
pour un parti violent qui prend l' offensive,
sont funestes et inconvenantes pour un partí
modéré qui résiste en s'appuyant Sllr les lois.


Cependant on entoura Lafayette et on con-
certa avec luí le projet d'une lettrea l'assemblée.
Cette lettre, écríte en son Hom ,devait exprimer
ses scntiments envers le roi et la constitution ,
et sa désapprobation contre tout ce quí tendait
a attaquer l'un ou l'autre. Ses amis étaient l)ar-
tagés; les UDS excitaient, les autres retenaient
son úle. Mais, ne songeant qu'a ce qui pou-
vait servir le roi auquel ji avait juré fidélité, iI
écrivit la lcttre, et brava tous les dangers qui
aHaient menacer sa tete. Le roí et la reine,
quoique résolus a ne ras se servir de lui, le
laisserent écril'e, paree qu'ils ne voyaient dans




, 22 R~\'OLUTION }'RAN<,:AISF.
t:eUe démarche qu'un échange de reproches
entre fes amis de la liberté. La lettre arriva
a l'assemblée le 18 .luin. Lafayette, apres avoir,
en débutant, blamé la conduite du dernier mi-
nistre, qu'il voulait, disait - il, dénoncer au
moment ou il avait appris son renvoi, con ti-
nuait en ces termes:


« Ce n' est pas assez que cette branche .dn
(e gouvernement soit délivrée d'une funeste in-
« flucnce; la chose publique est en péril, le
,i sort de la France repose principalement sur
re ses représentants; la nation attend d'eux son
« salut ; mais, en se donnant une constitution,
« elle leur a prescrit l'unique roule par laquelJe
« ils doivellt la sauver. »


Protestant ensuite de son inviolable attache-
meut pour la.loi jurée, iI exposait l'état de la
France, qu'il voyait placée eutre deux especes
d'ennemis, ceux du dehors et ceux du dedaus.


{( Il faut détruire les UlIS et les autres; mais
« vous n'en aurez la puissance qu'autallt que
« vous serez constitntionnels et justes ... Regar-
( oez autour de vous .. , pouvez-vous vous dissi·
( muler qu'une faction, et, pour éviter toute
« dénomination vague, que la faction jacobite
« a causé tous les Ilésorol'es ? C'est elle que j'eo
« accuse hautement! Organisée comme un em-
« pire il part, dans sa métl'opole et {lans se!">




ASSKIHJlLJiE LÉGISLATIVE (1792). 123
« affiliations, a"euglément dirigée par quelques
« chefs ambitieux , eette secte forme une corpo-
« ration distincte au milieu du peuple fraw;ais,
« dont elle usurpe les pouvoirs en subjuguant
« ses représentants et ses mandataires.


« C'est la que, dans les séances publiques,
" l'amour des lois se nomme aristoeratie, et
l( Ieur infraclion patriotisme; la, les assassins
« de Desilles re«;;oi vent des triomphes; les crimes
« de Jourdan trouvent des panégyristes; la, le
« réeit de l'assassinat qui a souillé la ville d.e
l( Metz vient encore d'exciter d'infernales ac-
« c1amations 1


r( Croira - t- on échapper a ces reproches en
( se targuant d'un manifeste autriehien, on
« ces sectaires sont nornmés? Sont-ils devenus
«( sacrés parce que Léopold a prononeé ]eur
( nom? et paree que nous devons combattre
( les étrangers qui s'immiseent dans nos que-
« relles, sommes - HonS dispensés de délivrer
« notre patrie d'une tyrannie domestique? »


Rappelant ensuite ses anciens services pour
la liberté, énumérant les garanties qu'il avait
données a la patrie, le général répondait de
lui et de son armée, et déclarait que la nation
franc;aise, si elle n 'était ras la plus vile de
I'univers, pouvaít et devait résister :'t ]a con-
j IIration des rois q ui s' étaien t coalisés contre




124 RtvOLTJTIOlV }·RAN~,;,\.IS:l-:.
elle! « Mais, ajoutait-il, pour que lIOUS, sol ~
« dats de la liberté, combattions avec efficacité
ce et mourions avec fruit pour elle, iI faut que
« le nombre des défenseurs de la patrie soit
(( promptement proportionné a celui de ses
«( ad versaires, que les approvisionnements de
c( tout genre se multiplient et facilitent nos
« monvements; que le bien-etre des troupes,
«( teurs fournitures, leurs paiements, les soins
« relatifs a leur santé, ne soient plus soumis a
" de fatales lenteurs ... etc. » Suivaient d'autres
conseils dont voici le principal et le dernier :
( Que le regT-Je des clubs, anéanti par vous,
«( fasse place au regne de la loi, Ieurs usurpa-
« tions a l'exercice ferme et indépendant des
« autorités constituées, leurs inaximes désor-
« ganisatrices aux vrais principes de la liberté,
C( lenr fureur délirante au courage calme et
« constant d'une nalÍon qui conna!t ses dmits
«( et les défend, enfin Ieurs combinaisons sec-
II taires aui véritables intérets de la patrie,
( qui, dans ce moment de danger, doit réunir
( lous ceux pour qui son asservissement et sa
« ruine ne sont pas les objets d'nne atroce
(( jouissance et d'une infame spécuIation! »


C'était dire aux passions irritées, arretez-
vous; aux partis eux-memes, immolez-volls íle
plein gré; a un torrent enfin, ne coulez pas J




ASSE:MBLÉE LÉGISI.ATIVE (1792). 12:;
Mais, quoique le cOllseil fut inutile, ce ú'en
était pas moins un devoir de le donner. La
leure fut fort applaudie par le coté droit. Le
coté gauche se tut. A peine la lecture en était-
elle achevée, qu'il était déja question de l'im-
pression el de l'envoi aux départements.


Vergniaud demanda la parole el l'obtint.
Selon lui, il importait a la liberté qlle M. de
Lafayette avait jusque-Ia si bien défendue,
qu'on fit une dictinction entre les pélitions.
des simples citoyens qui donnaient un avis ou
réclamaient un acte de justÍce, et les le<;ons
d'un général armé. Celni-ci ne devait s'expri-
mer que par l'organe du ministere, sans quoi
la liberté était perdue.ll fallait en conséqnence
passer a l'ordre elu jour. Thevenot répondit
que l'assemblée elevait recevoir de la bouche
de M. ele Lafayette les vérités qu'elle n'avait
pas osé se dire a elle·meme. Cette derlliere
observation excita un granel tumulte. Qut'l-
ques membres nierent l'anthenticité de la
lettre. (( Quand elle oe serait pas sigllée, s'é-
cria M. Coubé, il n'y a que M. de Laf~lyette
qui ail pu l'écrire.)) Guaelet demanda la paroJe
pOUI' un fait, et soutÍnt que la lettre ne pou-
vait pas etre de M. de Lafayette, paree qu'il
parlait de la démissioll de Dumonriez, qu j
n'avait eu líen que Je J6, et qu'elle était datt:~e




126 RlÍvOLUTJON FRANyAISE.


du 16 meme. ,(e Il serait done impossibJe, ajoute.
« t·il, que le signataire parlat d'nn fait qui ne
( devait pas lui etre connu. Ou la signature
« n'est pas de lui, ou elle était ieí en blanc,
« a la c;lisposition d'une faetion qui devait el)
« disposer a son gré.» n se fit nne grande
rumeur a ees mots. Guadet eontinuant, ajouta
que M. de Lafayette était ineapable, d'apres
ses selltiments eonnus, d'avoir écrit une lettre
pareille. - Il dOlt savoir, dit·il, que lorsque
Cromwell ... - Le député Dumas, ne pouvant
plus se contenir a ce dernier mot, demande
la parole; une longue agitation éc1ate dans
l'assemblée. Néanmoins Guadet se ressaisit de
la tribune, et reprend: Je disais ... On l'inter·
rompt de nouveau.-Vous en étiez, lui dit-on,
a Cromwell ... - (( J'y reviendrai, réplique-t-il...
Je disais que M. de Lafayette doil savoir que
lorsque Cromwell tenait un langage pareil,
la liberté étaÍt perdue en Angleterre. n faut


, 'lA L 't d ou s assurer qu un acne s es eouvert u nom
de M. de Lafayette, ou bien prouver par un
grand exemple au peuple fran~ais, que vous
n'avcz pas faít un vain serment, en jurant de
maintenir la constitution.»)


Une foule de membres attestent qu'ils re-
eonnaissent la signature de M. de Lafayette,
et, malgré cela, sa leure est renvoyée au co-




.\SSUI'lBLÉE I.ÉGrSLATIvE (1792 ). 127
mité des douze) pour en eonstater l'authen-
ticité. Elle est aiosi privée de l'impression et
de l'envoi aux départements.


eette généreuse démarehe fut done tout-a-
fart inutile, et devait l'etre daos l'état des es-
prits. Des cet instant le général fut presque
aussi dépopularisé que la cour; el si les chefs
de la Gironde, plus éc1airés que le peuple,
ne eroyaient pas Lafayette capable de trahir
son pays, paree qu'il avait attaqué les J;ICO-
bins, la masse le croyait cependant, a force
de l'entendrc répéter dans les clubs, les jour-
Ilaux et les lieux publics.


Ainsi, aux alarmes que la cour avait inspi-
rées au parti populaire, se joignirent celles
que Lafayette provoqua par ses propres dé-
marches. Alors ce partí désespéra tout-a-fait,et
résolut de frapper la eour, avant qll' elleput met-
tre a exécntion les complots dont on l'aeeusait.


On a déja vu eornment le partí poplllain'
était composé. En se pronon«:;ant davantage,
il se caractérisait mieux, et de nouveaux per-
sOllllages s'y faisaient remarquer. Robespíerre
s'est déji:t faít eoonaitre aux Jaeobins, et Dan-
ton aux Cordeliers. Les clubs, la municipalité
et les sections renfermaient beaucoup d'hom·
mes qui, par l'ardeur de leur caractere et de
Jeurs opinions, étaient prets á tont entreprell-




128 nÉvoLuTION FRANQA ISJ'.
dre. De ce nombre étaiellt Sergent et PanÍs, qui
plus tard attacherent leur llom a un événe-
ment formidable. Dans les faubourgs OH re-
marquait plusieurs chefs de bataillon qui s'é-
talent rendus redoutables; le principal d'entre
ellX était un brasseur de biere nommé San-
terreo Par sa stature, sa voix, et une certaine
facilité de langage, il plaisait au peuple, et
avait acquis lIue espece de domínation dans
le faubourg Saint-Antoine, dont il commandait
le batailloll. Santerre s'était déja distingué a
l'aUaque de Vincennes, repoussée par Lafayette
en février J 791; et, comme tous les hommes
trop faciles, il pouvait devenir tres-dangereux
selon les inspirations du momento Il assistait
a 10us les conciliabules qui se tenaient dan s
les faubourgs éloignés.La, se réunissaient avec
luí le journalíste Carra, ponrsuivi pour avoir
attaqué Bertrand de MoIleville et Montmorin;
un nommé Alexandre, commandant du fau-
bourg Saint-Marceau; un indívidu tres-connu
sous le nom de Fournier I'Américain; le bOIl-
cher Legelldre, qui fut depuis député a la Con-
vention; un compagnon orfevre appelé Ros-
signol; et plusienrs autres qui, par leurs
relations ave e la populace, remuaient tous les
fallbourgs. Par les plus relevés d'entre eux.
ils eommuniquaieut avec les chefs du parti




ASSEMBLÉJ.; LÉGrSLATJVE (r 792). 129
populaire, et pouvaienl ainsi soumettre leurs
mOllvements a une direction supérieure.


On ne peut pas désigner d'une maniere pré-
cise eeux des députés qui eontribuaient a eette
direetion. Les plus distingués d' entre eux étaient
étrangers a Paris, et n'y avaient d'autre in-
fluence que eeHe de leur éloquenee. Guadet,
Isnard, Vergniaud , tous provinciaux, commu-
niquaient plus avee Ieurs départements qu'a-
vec París meme. D'ailleurs, tres-ardents a la
tribune, ils agissaient peu hors de l'assemblée,
et n'étaient point eapables de reml1er la mul-
titude. Condorcet, Brissot, députés de Paris,
n'avaient pas plus d'aetivité que les préeédents,
et par leur eonformité d'opinion avee les dé-
putés de l'Ouest el du Midi, ils étaient devenus
Girondins. Roland, depuis le renvoi du minis-
túe patriote, était rentré dans la vie privée;
jI habitait une demeure modeste el obseure
daos la rue Saint-Jaeques. Persuadé que la
eour avait le projet de livrer ]a Franee et la
liberté aux étrangers, iI déplorait les malheurs
de son pays avec quelques-uns de ses amis,
députés a l'assemblée. Cependant iI ne parah
pas que l'on travaillat dans 5a société a atta-
quer la cour. Il favorisait seulement l'impres-
sion d'un journal-affiche, intitulé la Sentinelle,
que Louvet, déja connu aux Jacobills par sa


n. y




130 RÉVOLlJTION FRAN(,;A.ISE.


controverse avec Robespierre, rédigeaít dans
un sellS tout patriotique. Roland, pendant son
ministere, avait alloué des fonds pour éclairer
l'opinion publique par des écrits, et c'est avec
un reste de ces fonds qu' on imprimait la Sen-
tinelle.


Ver s cette époque, il Y avai t a Paris un jeune
Marseillaís plein d'ardeur, de courage et d'illu- .
sions républicaines, et qu'on nommait l'Anti-
IlOÜS, tant il était beau; il avait été député par
sa commune a l'assemblée législative, pour ré-
clamer contre le directoire de son départe-
ment; cal' ces divisions entre les autorités in-
férieures et supérieures, entre les municipalités
et les directoires de département, étaieut géné-
raIes dans toute la France. Ce jeune Marseil-
lais se nommait Barbaroux. Ayant. de l'inteUi-
genee, beaucoup d'activité, il pouvait devenir
utile a la cause populaire. Il vit Roland, el dé-
plora avee luí les catastrophes dont les patriotes
étaient menacés. lIs convinrent que le péril
devenant tous les jours plus grand dans le Nord
de la Franee, il faudrait, si on était réduit a la
derniere extrémité, se retirer dans le Midi, et y
fonder une république, qu'on pourrait étendre
un jour, eomme Charles VII avait autrefois
étendu son royaume de Bourges. Ils examinaient
la carte avee l'ex-ministre Servan, et se disaient




ASSEMBLÉE LEGISLATIVE (1792). ,31
que, baUue sur le Rhinet au-dela, la liberté
devait se retirer derriere tes Vosges et la Loire;
que, repoussée dans ces retranehements. ¡llui
restait encore a l'Est, le Doubs, l'Ain, le RhÓ"oe;
a rOuest la Vienne, la Dordogne; aU centre,'
les rochers et les rivieres du LimOti~in.· ({plus
« lojn encore, ajoutc Barbaroux lui - rltenle,
« nOtlS avio'l'ls l' Auvergne, sesbuttes escarpées,
« ses ravins, ses vieilles forets, et les montagnes
« dn V day , jadis embrasées par le feu, main-
« tenant COllvertes de sapins; lieux sam"ages ou
« les hommes labollrent la neige, mais OU ils
« vivent indépendants. Les Cévennes nous of-
l( fraient encare un asile trap célebre püur
« n'etre pas redoutable a la tyrallnie; et a l'ex-
« trémité du Midi, nous trouvions pour har-
« rieres l'Isere, la Durance, le Rhone depuis
l( l..yon jusqu"a la mer, les Alpes el les remparts
« de TouIoo. EnSo, si tous ces points avaient
« été forcés, iI nous restait la Corse, la Corse
« ou les Génois et les Fran<,¡ais n'ont pu natura-
« lÍ:ser la tyrannie; qlli n'attend que des bras
« pon!' erre fertile, et des philosophes pour }' é-
« clairer *. »


Il était naturel que les habitants du Midi son-
geassent a se réfügier dans leurs provinces, si


.. Mhnoires de Barbarol1x, pages 38 et 39'


9-




132 RÉVOLUTJON FRANC;:AISE.
le Nord était envahi. I1s ne négligeaient cepen-
dant pas le Nord, car ils convinrent d'écrire
dans leurs départements, pour qu'on format
spontanément le camp de vingt mille hommes,
bien que le décret retatif a ce camp n'eut pas
été sanctionné. lis comptaientbeaucoup sur
Marseille, ville riche, considérablement peu-
plée, et singulierement démocratique. Elleavait
envoyé Mirabeau aux états-généraux, et depuis
elleavaitrépandu,dans toutleMidi l'esprit dont
elle était animée. Le maire de eette ville était
ami de Barbarol1x et partageait ses opinions.
Barbaroux luí écrivit de s'approvisionner de
grains, d'envoyer des hommes' surs dans les
départements voisins, ainsi qu'aux armées des
Alpes, de l'ItaJie et des Pyrénées, afin d'y pré-
parer l'opinion publique; de faire sonder Mon-
tesquiou, général de l'armée des Alpes, et d'u-
tiliser son ambition an profit de la liberté;
en fin de se concerter avec Paoli et les Corses,
de maniere a se préparer un dernier secours
et un dernier asile. On recommanda en outre
a ce meme maire de retenir le produit des ¡m-
pats ponr en priver le pouvoir exécutif, et an
besoin, pour en user contre lui. Ce que Barba-
roux faisait pour Marseille, d'autres le faisaient
pour teur département, et songeaient a s'assu-
rer un refuge. Ainsi la méfiance changée en




ASSElUBLÉE LÉGISLATIVE (1792). ] 33
désespoir, préparait l'insurrection générale, et
dans ces préparatifs de l'ínsurrection, une dif-
ference s'établissait déja entre París et les dé-
partements.


Le maire Pétion, lié avec tous les Girondins,
et plus tanl, rangé et proscrit avec eux, se
trouvait, a <;ause de ses fonctions, plus en rap-
port avec les agitateurs de Paris. Il avait beau-
coup de calme, une apparence de froideur que
ses ennemis prirent pour de la stupidité, et une
probité qui fut exaltée par ses partisans, et
que ses détracteurs n'out jamais attaquée. Le
peuple, qui donne des surnoms a tous ceux
dont il s'occupe, l'appelait la Verta Pétion. Nous
avons déjit parlé de llli a l'occasion du voyage
de. Varennes, et de la préférence que la cour
luí donna snr Lafayette, ponr la mairie de Pa-
riso I.J3 cour désira de le corrompre , et des es-
croes promirent d'y réussir. Ils demallderent
uue somme et la garderent ponr enx, sans
avoir meme fait aupres de Pétion des ouver-
tures, que son caractere connn rendait impos-
sibles. La joie qu'éprouva la cour de se donner
un soutien, et de corrompre un magistrat po-
pulail'e, fut de courte durée; elle reconnnt
hient6t qu'on l'avait trompée, et que les ver-
tus de ses adversaires n'étaient pas aussi vé-
uales qn'elle l'avait imaginé.




134 nÉVOLUTJON FRAN9AISE.
Pétion avait été oes premiers a penser que


.les penchants d'un roi, né absolu, ne se modi-
fient jamais. n était républicain avant meme
que personllc songeat a la république; el dans
la constitua!lte, il fut par conviction ce que
Robespierre était par l'acreté de son hurueur.
Sous la 1 égislativ e , iI se convainquit davantage
encore de l'incorrigibilité de la cour; il se per-
suada qu'elle appelait l'étranger, et ayant été
d'abord républicain par systeme, il le devint
alors par l'aison de sureté. Des cet instant, iI
songea, dit-il, a favoJ'iser une nouvelIe révo-
lution. Il arretait Iesmouvements mal dirigés,
favorisait au contraire ceux qui l'étaient bien,
et taehait surtout de les concilier avec la loi,
dont ,1 était rigide observateur, el qu'il ne vou-
lait violer qu'a l'extrémité.


Sans bien connaltre la participation de Pétion
aux mouvements qui.se préparaient, sans savoü·
s'il consulta ses amis de la Gironde pour les fa-
voriser, OIl peut dire, d'apres sa conduite, qu'il
ne fit ríen pour y mettre obstacle. On prétend
que vers la fin de juin, il se rendit chez San-
tene avec Robespierre, Mauuel, procureur syn-
die de la commune, Sylleri, ex-constituant, et
Chabot, ex-capucin et député; que celui-ci ha-
rangua la section des Quinze-Vingts, et lui dit
que l'assemblée l'attendait. Quoi qu'il ell soit




ASSE!UDLÉE LÉGISLATIVE (1792). 135
de ces faits, il est certain qu'il fut tenudes
conciJiabules; et il n' est pas croyable, d'apres
lellr opinion connue et lcur conduite ultérieure,
que les personnages qu'on vient de nommer
se.fi.ssent un scrnpule d'y assister'l'. Des cet ins-
tant, on parla dans les faubourgs d'une fete
pour le 20 juin, anniversaire du serment du
jeu de paume. Il s'agissait, disait-on, de plan-
ter un arbre de la liberté sur la terrasse des
fenillants, et d'adresser une pétitiOll a l'assem-
blée, ainsi qu'au roi. eette pétition devait etre
présentée en armes. On voit assez par la, que
l'intention véritable de ce projet était d'effrayer
le chatean par ]a vue de quarante mille piques.


Le 16 juin, une demande formeHe fut adres-
sée au conseil général de la commune, pour
autoriser les citoyens du faubourg Saint-An-
toine a se réunir le 2.0 en armes, et a faire une
pétitioll a l'assemblée et au roi. Le conseil gé-
néral de la commune passa a l'ordre du jour,
et ordonna que son arreté serait communiqué
au directoire et au corps municipal. Les péti-
tionnaires ne se tinrent pas pour comlamnés,
et dirent hautement qu'ils ne s'en réuniraient
pas moins. Le maire Pétion ne fit que le 18 les
cümmunications ordonnóes]e 16; de plus, jI ne


• Voyt:z la HOle 16 a la fin dll volulllC.




136 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
les fit qu'au département et point au corps mú-
nicipal.


Le 19, le directoire du département, qu' on
a vu se signaler dan s toutes les occasions COlJ-
tre les agitateurs, prit un arreté qui défendait
les attroupements armés, et qui enjoignait au
commandant général et au maire d'employer
les mesures nécessaires pour les dissiper. Cet
arrcté fut signifié a l'assemblée par le ministre
de l'intérieur, et on y agita aussitót la question
de savoir si lecture en serait faite.


Vergniaud s'opposait a ce qu'on l'entendIt;
cependant il ne réussit point; la lecture fut
faite, et immédiatement suivie de l'ordre du
Jour.


Deux événements assez importants venaient
de se passer a l'assembJée. Le roi avaít signifié
son opposition aux deux décrets, dont l'un
était relatif aux pretres insermentés, et l'autre
a l'établissement d'un camp de vingt mille
hommes. CeHe communication avait été écou-
tée avec un profond silellce. En meme temps
des Marseillais s'étaient ptésentés a la barre
pour y Jire une pétition. On vient de voir
quelles relations Barbaroux entretenait avec
eux. Excités par ses conseils, ils avaient écrit
a Pétion pOllr lui ofIrir toutes leurs forces, et
joint a eette offf'e une pétitioll deslÍnée a l'as-




ASS}<~MnLÉE LÉGISLATIVE (J 79'1). .137
semblée. lis y disaient entre autres choses:


r( La liberté franc:aise est en danger, mais le
«( patriotisme du Midi sauvera la Franee .... .
( Le jour de la col ere du peuple est arrivé .... .
« Législateurs! la force du peuple est en vos
r( mains; faítes-en usage; le patriotisme fran-
( c,;ais vous demande a marcher avec des [orces
« plus imposantes vers la capitale et les fron-
« tieres ..... Vous ne refuserez pas l'autorisa-
« tion de la 10i a ceux qui veulent périr pour
(( la défendre. »


Cette lectnre avait excité de longs débats
dans l'assemblée. Les membres du coté droit
soutenaient qu'envoyer cctte pétition anx dé-
partements, c'était les inviter a l'illsurrcction.
Néanmoins, l'envoi fut décrété, malgré ces ré-
flexiolls fort justes sallS doute, mais inutiles
depuis qu'on s'était persuadé qu'une révolution
nouvelle pouvait seule sauver la France et la
liberté.


Tels furent les événements pendant la jour-
née du 19, Les mouvements continuaient ce-
pelldant dans les "faubourgs, et Santerre, a ce
qu'on prétend, disait a ses affidés un peu in-
timidés par l'arreté du directoire: Que crai-
gnez-vous? La garde nationale fl' aura pas 01'-
dre de tira, et M. Pétion sera la.


A milluit le maire, soil: qu'il erút le mou-




I 38· RÉVOLUTION FRAN9AISE.
vemellt irrésistible, soit qu'il crut devoir le
favorisel', comme iI tit plus tard au JO aoilt,
écrivit au directoire, et lui demanda de légiti-
mer l'attroupement, en permettant a la garde
nationale de reeevoir les citoyens des faubourgs
dans ses rangs. Ce moyen remplíssait parfaite-
ment les vues de eeux qui, sans désirer aUCUll
désordre, voulaient cependant imposer au roí;
et tout prouve que c'étaient en effet les viles et
de Pétion et des chefs populaires. Le direc-
toire répondit a cinq heures du matin, 20 juin ,
qu'il persistait dan s ses arre tés précédents. Pé-
tion alors ordonna au commandant général de
service de tenil' les postes an complet, et de
donbler la garde des Tuileries; mais il ne tit
rien de plus; et ne voulant ni renouveler ]a
seene du Champ-de-Mars, ni dissiper l'attrou-
pement, il attendit jusqu'a neuf heures du ma-
tin la réunion du corps municipal. Dans cette
réunion, il laissa prendre une décision con ..
traire a eeHe du directoire, et il fut enjoint a
la garde nat~onale d'ouvrir ses rangs aux péti-
tionnaires armés. Pétion, en ue s'opposant pas
a un arreté qui violait la hiérarchie adminis-
tratíve, se mit par la dan s une espece de con-
travention , qui luí fnt plus tard I'eprochée.
Mais, quel que fUt le caractere de cet arrelt-,
ses dispositions deviul'eut inutiles , cal' la gard(~




ASSHIBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 139
nationaIe n'eut pas le temps de se former, et
I'attroupement devint bientot si consídérabIe
qu'iI ne fut plus possible d'en changer ni la
forme ni la direction.


11 était onze heures du matin. L'assembIée
venait de se réunir dans l'attente d'un grand
événement. Les membres du département se
rendent dans son sein pour lui faire connaltre
l'inutiIité de leurs efforts. Le procureur syndic
Rrederer obtient la paro le ; iI expose q U'llIl ras-
semblement extraordinaire de citoyens s'est
formé malgré la ¡oi, et malgré diverses injonc-
tions des autorités; que ce rassemblemellt pa-
ratt avoir pour objet de célébrer l'anniversaire
du 20 juin, et de porter un nouveau tribut
d'hommages a l'assemblée; mais que si tel est
le but du plus grand nombre, ii est a craindre
que des malintentio:nnés veuillent profiter de
cette multitllde pOllr appuyer une adresse au
roi. qui ne doÍt en recevoir que SOtlS la forme
paisible de simple pétition. Rappclallt ensuite
les arretés <lu directoire et du conseil général
de la commllne, les loís décrétées contre les
attroupements armés, et ceHes qlli fixent a
vingt le nombre des citoyens pouvant présen-
ter une pétitioll, iI exhorte l'assemblée a les
faire exécuter; «( cal', ajoutc-t-iI, aujourcl'hui
(( des pétiliounaires armés se portent ici par un




140 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
« mouvement civique, mais demain il peut se
« réuuir une foule de malveillants, et alors je
« vous le demande, messieurs, qu'aurions-nous
« a leur di re ? ... »


Au milieu des applaudissements de la droite
et des murmures de la gaudul, qui, en improu-
vant les alarmes et la prévoyance du départe-
ment, approuvait évidemment l'insurrection,
Vergniaud monte a la tribune , et fait observer
que l'abus dont le procureur syndic s'effraie
ponr l'avenir, est déja établi; que plusieurs
fois on a rec;u des pétitíonnail'es armés, qu'on
leur a permis de défiler dan s la salle; qu' on a
eu tort peut-etre, mais que les pétitionnaires
d'aujourd'hui auraient raison de se plaindre si
on les traitait différemment des autres; que si,
comme on le disait, ils voulaient présenter une
adresse au roi, sans doute ils lui enverraient
des pétítionnaires sans armes; et qu'au reste,
si on redoutait quelque danger pour le roi, on
n'avait qu'a l'entourer et lui envoyer une dé-
pntation de soixante membres.


Dumolard admet tout ce qu'a sontellu Ver-
gniaud, avone l'abus établi, mais soutient qu'i!
fant le faire cesser, dan s cette occasion sur-
tout, si l'on ne vent pas que l'assemblée et le
roi paraissent, aux yeux de l'Europe, les es-
claves d'une faction dévastatl'ice. Il demande,




ASSE!\IBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 141
eomme Vergniaud, l'envoi d'une députation,
mais il exige de plus que la municipalité et le
département répondentdesmesures prises pour
le maintien des lois. Le tumulte s'aeeroit de
plus en plus. On annonce une lettre de San-
terre; elle est lue au milieu des applaudisse-
ments des tribunes.-Les habitants du faubourg
Saint-Antoine, portait ceUe ¡eUre, célebrent
le 20 juin; on les a ealomniés, et ils deman-
dent a etre admis a la barre de l'assemblée,
pour confondre leurs détracteurs, et prouver
qu'ils sont toujours les hommes du 14 juil-
let.


Vergnialld répond ensuite a Dumolard que
si la loi a été violée, l'exemple n'est pas nou-
veau ; que vouloir s'y opposer ectte fois, ee
serait renouveler la seene sanglante du Champ-
de-Mars; et qu'apres tout, les sentiments des
pétitionnaires n'ont rien de répréhensible. Jus-
tement inquiets de l'avenir, ajoute Vergniaud,
ils veulent prouver que, malgré toutes les in-
trigues ourdies cl)ntre la liberté, ils sont tou-
jours prets a la défendre. - leí, eomme on le
voit, la pensée véritable du jour se déeouvrait,
par un effet ordinaire de la discussion. Le tu-
multe eontinue. Ramond demande la parole,
et .il faut un décret pour la lui obtenir. Dans
ce moment OH annonce que les pétitionnaires




142 RÉVOLUTION FRANyAIS};.


sont au nombre de huit mille. - ICs sont huit
mille, dit Calvet, et IlOUS ne sommes que sept
cent quarante-cinq, retirons-nous. - A I'or-
dre! a l'ordre! s'écrie-t-on de toutes parts. Cal-
vet est rappelé a l'ordre, et OH presse Ramortd
de parler, paree que huit mille citoyens atten-
dento -Si huit mille citoyens attcndent, dit-il,
vingt-quatre millions de Fran<;;ais ne m'atten-
dent pas moins. 11 renouveHe alors les raÍsons
données par ses amis du coté droit. Tout-a-
coup les pétitionnaires se jettent dan s la salle.
L'assemblée indignée se leve, le président se
couvre, et les pétitionnaires se retirent avec
docilité. Vassemblée satisfaite consent alors a
les recevoir.


eette pétition, dont le ton était des plus
audacieux, exprimait l'idée de toutes les pé-
titions de cette époqne: « Le peuple est pret;
« il n'aUend que vous; i} est disposé a se ser-
« vir de grands moyens pOUI' exécuter l'arti-
« ele 2 de la déclaration des droits, résiStance
« ti l'oppression .... Que le~ plus petit nombre
« d'entre vous qui ne s'unit pas a vos senti-
(! ments et aux natres, purge la terre de la li-
«berté, et s'en ail1e a Coblentz .... Cherchez
«( la cause des maux quí nOlls menacent; si
« eHe dérive du ponvoir exécutif, qu'il soit
(1 anéanti! ... »)




ASSEMBLÉE LÉGJSLA TIVE ([ 792.). 143
I,e présiden t, apres une réponse 0.1 iI pro-


met aux pétitionnaires la vigilance des repré-
sentants du peuple, et Ieur recommande 1'0-
béissance aux lois, Ieur accorde au nom de
l'assemblée la permission de défiler devant
elle. Les portes s'ouvrent alors, et le cortége,
qui était dans le moment de trente mille per-
sonnes an moins, traverse la salle. On se figure
facilement tout ce que peut produire 1'imagi-
nation du peuple livrée a elle-meme. D'énor-
mes tables portant ]a déclaration des droits
précédaient la marche; des femmes, des en-
fants dansaient autour de ces tables en agitant
des branches d'olivier et des piques, c'est-a-
<lire ]a paix ou la guerre, au choix de l'en-
nemi; ils répétaient en chceur le fameux fa ira.
Venaient ensuite les forts des halles, les ou-
vriers de toutes les classes, avec de mauvais
fusils, des sabres et des fers tranchants placés
au hout de gros batons. Santerre, et le mar-
quis de Saint-Hurugues déja signalé dans les
jOllrnées des 5 et 6 octobre, marchaient le sa-
bre nu a Ieur tete. Des bataillons de la garde
nationaIe suivaient en bon ordre, pour COIl-
tenir le tumulte par leur présence. Apres, ve-
ua¡ent encore des femmes, suivies d'autres
hommes armés. Des banderoles flottantes por-
taient ces lllots : La cOflstitutioll ou la mort.




144 RÉVOLUTION FRANQAISE
Des culottes déchirées étaient élevées en l'air ,
allx cris de vil'ent les sans-culottes! Enfin un
signe atroce vint ajouter la férocité a la Lizar-
rerie du spectacle. Aa bout d'une pique était
porté un creur de vean avec cette inscriptioIl :
Cmur d'ar¡slocrate. La douleur et l'indigna-
tion éclaterent a cette vue : sur-le-champ l' em-
bleme affreux disparut, mai:; pour reparaitre
encore aux portes des Tuileries. Les applau-
dissements des tribnnes, les cris du peuple
qui traversait la salle, les chants civiques, les
rnmeurs confllses, le siJence plein d'anxiété
de l'assemblée, composaient une sccne étrange,
et affligeante pour les députés meme qui
voyaient un auxiliaire dans la multitude. Hé-
las! pourquoi fallt-iI q'ue clans ces temps de
discordes, la raison ne suffise pas! pourquoi
ceux qui appelaient les barbares disciplinés du
Nord, obligeaient-ils leurs adversaires a appe-
ler ces mItres barbares indisciplinés, tour-a-
tour gais ou féroces, qui pullulent au sein des
villes, et croupissent au-dessous de la civilisa-
tion la plus brillante!


Cette scene dura trois heures. Enfin Santerre,
reparaissant de llouveau ponr faire a l'assem-
blée les remerciments du peuple, lui offrit un
drapeau en signe de reconnaissance et de dé-
vouement.




ASSElIIBLÉE LÉGISLAT1VE (1 7~)2 J. J 45
La multitllrle en ce moment voulait' entrer


dans le jardin des Tnilcries ,dont les grilles
étaient fermées. De nombreux détachements
de la garrle nationale elltouraient le chateau,
et, s'étendant en ligne depuis les feuillants
jusqu'a la riviere, présentaient un front impo-
santo Un ordre dn roi fit ouvrir la porte dn
jardin. Le peuple s'y précipitant aussitot, dI'>:""
fila SOtlS les fenetres du palais ,et devant ,les
rangs de la garde nationale, sans aucune dé-
monstration hostil e , mais en criant : d bas Ú'
veto~ VifJellt les sans-culottes ! Cependa'nt que}:.:,
ques inrlividus ajoutaient en parlant du roí';
-Pourquoi ne se montre-t-il pas? .. Nous: ne;
voulous lui faire aUClln mal.-Cet aneien mot,:
on le trompe, se faisait entendre quelquefois
encore, mais rarement. Le peuple, .prompt a
recevoir l' opinion de ses chefs, avaítdésespéré
comme cux.


La multitude sortit par la porte du jardín
qui donne sur le Pont-Royal, remonta le quai,
et vint, en traversant les gllichets du Louvre,
occuper la place du Carrousel. Cette place,
aujourd'hui si vaste, était alors coupée par une
foule de tues , qui formaient des especes de
chemins couvel'ts. Au lieu de cette cour ¡m-
mense qui s'étend entre le chateau et la grille,
etdept¡js une aile jusqu'a l'autre, se trouvaient


JI. 10




,46 RÉVOLlJTIO~ Fl\ANc,;:AISE.
de pe tites cours séparées par des mura et des
habitations; d'antiques guichets leur donnaient
ouvertUl'e sur le Carrousel. Lepeuple inonda
tous les alentours, et se présenta a la porte
royale. L'enti'ée lui en fut défendue : des of-
ficieJrs muriicipaux le haranguerent, et paru-
Feat le. .dédder a se retirer. On prétend que,
dans cet instant, Sallterre, sortant de l'assem-
blée, ou il était demeul'é le dernier pour offrir
un drapeau, ranima les dispositions du peuple
déjit, I'alcnlies, el fit placer le canon devant la
porte. Il étart pres de quatre heures : deux
officiers municipaux leverent tout-a-coup la
con$igne; alors les forces qui étaient assez
GQosidérables sur ce point, et qui consistaient
ea oot¡üIJops de la garde nationale et en plu-
slcn __ s .dé~achem't}J¡lts de. . .gendarmeríe, furent
patalysées. Le peuple se précipita pele-mele
dans la cour, et de la dans le vestibule du
ch~te~u. Santerre, menacé, dit-on, par deux
támoins, d'etre accnsé de ceUe violation de 1 ..
demeure royale, s'écria, en s'adressant au:&.
a,ssaillants : Soyez témoins que je rifuse de
marcher dans les apparlements du rOl. Cette
iutel'pellation n'arreta pas la multitude, qui


. t. To.us les témoins cntendus oot été o'aceord 5Ul' ce
fait, et l'I~onLvarté que sur le nom des officiers munlcipallx.




ASSElIIBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 147
avait pris l'élan; elle se répandit dallS toutes
les parties du ch:heau, l'envahit par tous les
escaliers, et transporta, a force de bras, une
piece de canon jusqu'au premier étage. Au
meme instant les assaillants se mirent a atta-
quer, a coups de sabre et de hache, les portes
qui s'étaient fermées sur eux.


Louis XVI, dans ce moment, avait renvoyé
un grand nombre de ses dangereux amis, qui,
sans pouvoir le sauver, l'avaient compromis
tant de fois. lIs étaient accourus, mais il les fit
sortir des Tuileries, ou leur présence ne pou-
"ait qu'irriter le peuple sans le contenir. Il
était resté avec le vieux maréchal de Mouchy,
le chef de bataillon Acloque, quelques servi-
teurs de sa maison, et plusieurs officiers dé-
voués de la garde nationale. C'est alor5 qu'on
entendít les cris du peuple et le bruit des
COllpS de hache. Aussit6t les ofticiers de la
garde nationale l'entourent, le supplicllt de se
montrer, en luí promettant de mourir a ses
catés. Il n'hésite pas, et ordollne d'ollvrir. Au
meme instant le panneau de la porte vicnt
tomber a ses pieds sons un coup violento On
ouvre enfin, et OH apen;oit une fon':t de pi-
queset de Lalonnettes.-Me voici, ditLouisXVI
en se mOlltrant a la foule déchalnée. Ceux qui
l' entourent se presseut autour ele lui _, et lui


10.




T 48 nÉVOLUTION f'H.ANljAISf:.
lont UlI rempartde Icur corps.-Respectez votI'<!
roí, s'écrient-ils; et la multituJe, qui lI'avait
cerlainement aueun but, et a laquelle on n'en
avaLt indiqué d'autre qu'une invasion mena-
<;ante, ralentit son irruption. Plusieurs voix
annoneent une pétition, el demandent qu' elle
soit éeoutée. Ceux qui entourent le rOL l'en-
gagent alors a passer daus une salle plus vaste,
afin de pouvoil' entendl'e eette leeture. Le peu-
pIe, satisfait de se voir obéi, suit le prince,
qu'on a .l'heureuse idée de placer dans l'em-
brasure d'une fenetre. 011 le fait montel' sur
une banquette; OH en dispose plusieurs de-
vant luí; on y ajoute une table; tous ceux qui
l'aecompagnent se rangent autour. Des grena-
diers de la garde, des offieiers de la maison,
viennent allgmenter le nombre de ses défen-
seurs, et composent un rempart derriere le-
quel il peut éeouter avee moins de danger ce
terrible plébiscite. Au milieu du tumulte et
des cris, on entend ces mots souvent répétés :
Poinl de veto! point de prétres! poitlt d'a-
rislocrales! le camp sous Paris! Le boucher
Legendre s'approche, et demande en un la n-
gage populaire la sanction du décret. - Ce
n'est ni le Jieu ni le moment, répond le roi
avec fermeté; je ferai tout ce qu'exigera la
constitutioll. - Cette résistancc produit son




,\SSE1URU:E LtGISLATIVI~ (1 ';~)2 ).149
{.,ffet, Fz've la nation! vive la nation! s'écrient
les assaillants. - Oui, reprend Lonis XVI, vive
la natiofl ! je suis son meilleur ami. - Eh bien!
faites-Ie voir, lui dit un de ces hommes, en
lui présentant un bonnet rouge an bout d'une
pique. Un refus était dangerenx, et certes la
dignité ponr le roí ne consistait pas a se faire
égorger en repoussant \In vaín signe, mais,
comme íl le 6t, a soutenir avec fermeté J'as-
saut de la multitude. Il met le bonnet sur sa
{he, et l'approba.tion est générale. Comme
il étouffait par l'effet :,de la saison et ele la
fouJe, l'un de ces hommes a moitié ivre,
qui tenait un verre et une bOl1teille, lui offre
a boire. Le roi craignait depuis long-temps
d't~tre empoisonné : cependant il boít sans hé-
siter, et il est vivement applaudi.


Pendant ce temps , madame Elisaueth, qui
aÍmait tendrement son frere, et qui seule de·
la famille avait pu arriver jllsqu'a lui, le slIi-
vaít de fenetre en fenetre, pour partager ses
dangers. Le peuple en la voyant la prit ponr
la reine. Les cris vaila I'Autrichienne, reten-
tirent d'une maniere effrayante. Les grenadiers
nationaux qui avaíent entouré la princesse
voulaient détromper le peuple.-Laissez-Ie, dit
cette sreur généreuse, Jaissez -le dans son er-
reur, et sauvez la reine!




T 50 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
La reine, entourée de ses enfants, n'avait


pu joinclre son royal époux. Elle avait fui des
appartements inférieurs, était accourue dans
la salle du conseil, et ne pouvait parvenir
jusqu'au roí, a cause de la foule qui obstruait
tout le chatean. Elle vouIait se réullir a lui,
et demandait avec instance a etre conduite
dans la salle ou il se trouvait. On était par-
ven u a l'en dissuader, el, rangée derriere la
table du eonseil ave e quelques grenadiers,
elle voyait défiler le peuple, le creur plein
d'effroi, et les yeux humides des larmes qu'elle
retenait. A ses cOtés sa filIe versait des pleurs ;
son jeune fils, effrayé d'abord, s'était rassuré
bieniot, et sonriait avec l'heureuse ignorance
de son age. On lui avait présenté un bonnet
rouge, que la reine avait mis sur sa tete.
Santerre , pIacé de ce coté, recommandait le
respect au peuple, et rassurait la princesse :
il lui répétait le mot accoutllmé et malhellreu-
sement inutile , Madame, on vous trompe, on
vous trompe. Pllis, voyant le jeune prince qui
était aecablé sons le bonnet rouge, cet enfant
étouffe, dit-il ; et iIle déIivra de eette ridieule
coiffure.


En apprenant les dangers du chatean, des
tléputés étaient accourus aupres du. roi, et
parlaient an peuple pour l'inviter an respecto




ASSElIfBLÉE LÉGJSLATIVE (1792). 15 J
D'autres s'étaient rendus a l'assemblée pour
l'instruire de ce qui se passait; et l'agitatioll
s'y était augmentée de l'indignation du coté
droit, et des effol'ts du coté gauche poul' excu-
ser eette irruption dans le palais du nlonarque.
Une députation avait été décrétée sans con tes-
tation , et vingt-qualre membres étaient partís
pour entourer le roi. La députation devait etre
renouveIée de demi - heure en demi - heure ,
puur tenir l'assemblée toujours instruite des
événements. Les dépntés envoyés parlerent
lour-a-tour, en se faisant élever sur les épaules
des grenadiers. Pétion parut ensuite, et fut
i:wcusé d'etre arrivé trop tardo Il assura n'avoir
été averti qu'a quatre heures et demie de l'in-
vasion opérée a quatre ; d'avoir mis une demi-
heufe flOur arriver auchateau, et d'avoir en
ensuite tant d'obstacles a vaincre, qu'il n'avait
pu etre rendu aupres du roi avant cinq heures
et demie. Il s'approcha du prince: - Ne crai-
gnez ríen, lui dit - iI, vous eles au mílieu du
peuple. Louis XVI, prenant alors la main d'un
grenadier, la posa sur son cceur en disant:
« Voyez s'il hat plus vite qu'a l'ordinaire.» eette
noble réponse fut fort applaudie. Pétion monta
ennn sur un fauteuil, et, s'adressant a la foule,
lui dit qu'apres avoir fait ses représentations
au rói~ il ne lui I'estait qu'a se retil'er sans




J 52 n:ÉvoLuTION FRAN~AISE.
tumulte, et de maniere a ne pas souiJler eette
journée. Quelques témoins prétendent que
Pétion dit, sesjustes représentations. Ces mots
ne prouveraient au surplus que le besoin de
ne pas blesser la multitude. Santerre joignit
son illfluellce a la sienne, et le chateau fut
bientot évacué. La fonle se retira paisiblement
et. avec ordre. I1 était environ sept heures
du soir.


A ussitot le roí, la reine, sa sU!ur , ses enfants
se réllnirent en versant un torrent de larmes.
Le roi, étourdi de eette seene, avait encore
le bonnet rouge sur sa hhe ; íl s'en aper<¿ut
pour la premiere fois depuis plusieurs heures,
el il le rejeta avee indignatioll~ Dans ce mo-
ment, {le nouveaux députés arriverent pour
s'informer de l'état du chateau. La reine, le
parcourant avec eux , leur montrait les portes
enfoncées, les meubles brisés, et s'exprimait
avee douJeur sur tant d'outrages. Merlin de
Thionville, l'lln des plus ardents républicaills,
était du nombre des députés présents; la rein'e
aperc;utdes larmes dans ses yeux. «Vous pleurez,
« lui dit-elle, de voir le roi et sa [amille trai-
« tés si cruellement par un peuple qll'il a tou-
c( jOllrs voulu rendre heurellx. - Il est vrai,
(( mauame, répondit Merlin, je pleure sur les
rí malheurs d'une femme beBe, sensible et




AS5EMDLÉE LÉGISLATJVE (1 7~)2). 153
« mere de famiHe; mais, ne v()us y méprellez
(( poillt, iI n'y a pas une de mes larmes pour
r( le roi ni pour la reine: je hais les rois et les
«( reines .... * »


• Voyez Mme Campan, tome 11, page :lI5.






ASSElUBLÉE LÉGISLA TIVE (1792). 155


CHAPITRE IV.


Suites de la journée du 20 juin. - Arrivée de Lafayette
a Pat'is; ses pla¡ntes a I'assemblée. - Bruits de guerre;
invasion prochaine des Prussiens; diseours de Vér-
gniand. -Réconciliation de tous les par ti s dans le sein
de l'assemblée, le 7 juillet. - La patrie est dédarée en
danger. - Le département suspend le maire Pétion de
ses fonctions.-Adresses mena~antes r.ontre la royauté.
- Lafayette propose au roi un projet de fui te. -
3' aniJiversaire du 14 juillet; description de la f~te. -
Préludes d'une nouvel1e révúlutlon, -Comité insur-
rectionneJ. - Détails sur les plus célebres révolution-
naires a ccUe époque; Cam. Desmoulins, Marat, Ro-
bespierre, Danton. - Projets des amis du roi pour le
sauver. - Démarches des députés girondins pour éviter
une insurrection.


LE lendemain de eette journée ínsurrectioll-
nelle dn 2.0, dont nous venons de retracer les
principales circonstances, París avait encore
un aspect mena~ant, et les divers partis s'agi,.
terent avec plus de violence. L'indignation dut




156 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
etre générale chez les partisans de la cour, qui
la regardaient comme outragée, et chez les
constitutionnels, qui eonsidéraient eette inva-
sion eomme un attentat aux Iois et a la tran-
qllillité publique. Le désordre avait été grand,
mais on l'exagérait encore: on supposait qu'il
y avait eu le projet d'assassiner le roi, et que
le complot n'avait manqué que par un heu-
reux hasard. Ainsi, par une réactiou naturelle,
la faveur du jour était toute pour la famille
royale, cxposée la .veille a tant de dangers et
d'outrages, et une extreme défaveur régnait
contre les auteurs supposés de l'insllrreetion.


Les visages étaient mornes dans l'assembléc ;
quelques déplltés s'éleverent avee force eontre
les événemellts de la veiUe. M. Bigot proposa
une loi contre les pétitions armées, et contre
l'usage de faire défiler des bandes dan s la salle.
Quoiqu'il existat déja des loís a cet égard , on
les renollvela par un décret. l\I. Daveirhoult
vou]ait qu' on inform:h contre les perturba-
teurs.- Informer, luí dit-on, contre quarante
mille hommes! - Eh bien, reprit-il, si on ne
peut distingller entre quarante mille hommes,
punissez la garde , qui ne s'est pas défendue;
mais agissez de qllelque maniere. - Les minis-
tres vinrent ensuite faire un rapport sur ce
qui s'était passé , et une discussion s'éleva sur




ASSEMnI.EE LÉGISLATIVE (1792). 157
la nature des faits. Un membre de la droite ,
sur le motif que Vergniaud n'était pas sllspect,
et qu'il avait été témoin de la scene, voulut
qu'il parlat sur ce qu'il avait vu. Mais Ver-
goiaud ue se leva point a cet appel, et garua
le silence. Cependant les plus hardis du coté
gauche secouerent cette contrainte , et repri-
rent courage vers la fin de la séance. Ils ose-
reot meme proposer qu'on examinat si, dan s
les décrets de circonstance , le veto était né-
cessaire. Mais cette proposition fut repoussée
par une forte majorité.


Vers le soir, on craiguit une nouvelle scene
semblable a eelIe de la veille. Le peuple se
retirant avait dit qll'il reviendrait, et on crut
qu'iL voulait tenir promesse. Mais, soit que ce
fut un reste de l'émotion de la veille, soit
que, pour le moment, cette nouvelle tentative
fut désapprouvée par les chefs du partj pOpll-
laíre, 011 l'arreta tres-facilement; et Pétion
courut rapidement au chateau prévenir le roi
que l'ordre étaít rétabli, et que le peuple,
apres lui avoir fait ses représentations, était
calme et satisfait. - Cela n'est pas vrai, luí
dit le roi. - Sire .... - Taisez-vous. - Le ma-
gistrat du peuple n'a pas a se taíre, quand
il fait son devoir, et qu'il dit la vérité. - La
tranquillité de París repose sur votre tete. -




158 RÉVOI.UTION FRANC;;AISE.
Je connais mes devoirs ; je saurai les obser-
ver. - C'est assez : allez les remplir, retirez-
vous.


Lé roi, malgré une extreme bonté, était
susceptible de mouvements d'humeur , que les
courtisans appelaient coups de boutoir. La vue
de Pétion, qu'on accusaít d'avoir favorisé les
'Brenes de la veille, I'irrita, et produisit la con-
versatíon que nous venons de rapporter. Tou.
París la connut bientot. Deux proclamations
furent inímédiatement répandues, l'une du
roí et l'autre de la municipalité; et il sembla
'que ces deux autorités entraient en Intte.


La municipalité disait aux citoyens de dl:'-
metlrer calmes, de respecter le roi, de respec-
ter et de faire respecter l'assemblée nationale;
~le ne pas'se réunir en armes, paree que les
tois le défendaient, et surtout de se défier des
malintentionués qui tachaient de les mettre
de nouveau en mouvement.


On répandait en effet que la cour cherchait
a soulever le peuple une seconde fois, pour
avoir l' occasion de le mitrailler. Ainsi le cha-
teau supposait le projet d'un assassinat, les
faobourgs supposaient celui d'lln massacre.


Le toi disait : (( Les FralH;ais n'auront pas
(( appris' sans douleur qu'une multitude égarée
l( par quelques factiellx, est venue a main ar-




ASSEMRU:E I,ÉGISLATIVE (r792 ). 159
« mée dans I'habitation du roí .... Le roi n'a
fe opposé aux menaces et aux insultes des fac-
« tieux que sa conscience et son amour pour
(, le bien publico


( Il ignore quel sera le terme ou ils vou-
« dront s'arréter, mais, a quelque exces qu'ils
« se portent, ils ne lui arracheront jamais un
« consentement a tout ce qu'il croira contraíre
« a l'intéret public , etc ...


ce Si ceux qui veulent renverser la monarchie
(l ont besoin d'un críme de plus, íls peuvent le
f( commettre ...


« Le roí ordonne a lous les corps adminis-
« tratifs et municipalítés, de veiller a la sureté
«( des personnes et des propriétés. »


Ces langages opposés répondaíent aux deux
opinions qui se formalent alor6. Tous ceux que
la conduite de lá cour avait (lésespérés, n'en
furent que plus irrités contre elle, et plus dé-
cidés a déjouel" ses projets par tons les moyens
possibles. Les sociétés populaires, les munici-
palités, les horn mes a piques, une portion de la
garde nationale, le coté gauche de l'assemblée,
comprirent la proclamation du maire de Paris,
et se promirent de n'etre prudents qu'autant
qü'ille faudrai.t pour ne pas se faire mitrailJer,
sans résultat décisif. Incertains encore sur les
moyens a etlployer, ils attendaient, pIeins de




160 RÉVOLUTION FRANyAlSE.


la meme méfiance et de la meme aversion.
Leur premier soin fut d'obliger les ministres a
comparaitre devant l'assemblée, pour relldre
compte des précautions qu'ils avaient prises
sur deux points essentiels :


10 Sur les troubles religieux, excités par les
pretres;


2 0 Sur la sureté de la capitale ; que le camp
de vingt mille hommes, refusé par le roi, était
destiné a couvrir.


Ceux qu' on appelait aristocrates, les consti-
tutionnels sinceres, une partie des gardes na-
tionales, plusieurs provinces, et surtout les
directoires de département, se prononcercnt
dans cette occasion, et d'une maniere énergi-
que. Les loís ayant été violées, ils avaient tout
l'avantage de la paro le , et ils en us~rent hau-
tement. Une foule d'adresses arriverent au roi.
A Rouen, a París, on prépara une pétitioll qui
fut cou verte de vingt miIle signatures, et qui
fut associée dans la haine du peuple a ce He
déja signée par huit mille Parisiens, contre le
camp sous Paris. Enfin une iuformatÍon fut 01'-
donnée par le département, contre le maire
Pétion et le procureur de la commune Manuel,
accllsés tous deux d'avoir favorisé, par leur
inertie, l'irruption du 20 juin. On parlait, dans
ce moment, avec admiratioD de l;:onduite du


f ,
.,




ASSEnIBLÉE L:ÉGISLATIVE (I 7~J2). 16 f
roi pendant cette fatale journée; il Y avait un
retour général de l'opinion sur son caractere,
qu'on se reprochait d'avoir soup~onné de fai-
blesse. Mais on vit bientot que ce courage passif
qui résiste, n' est pas cet autre courage actif,
entreprenant, qui prévient les dangers, au lien
de les attendre avec résignation.


Le parti constitutioIlllel s'agita aussi avec la
plus extreme activité. 1'OI1S ceux qui avaient
entouré Lafayette pour concerter avec luí Ja
leUre du 16 juin, se réunirent encore, afin de
ten ter une grande démarche. Lafayette avait
été indigné en apprenant ce qui s'était passé
au chateau; et on le trouva parfaitement dis-
posé. On lui fit arriver plusieurs adres ses de
ses régíments, qui témoignaient la meme indi-
gnation. Que ces adres ses fussent suggérées 011
spontanées, iI les interrompit par un ordre du
jour, en promettant d'exprimer luí - meme et
en personne les sentiments de toute l'armée. Il
résolut done de venir répéter au corps législa-
tif ce qu'il lui avait écrit le 16 juin. Il s'en-
tendit avec Luckner, faciJe el conduire eomme
un vieux gnerrier, qni n'était jamais sorti de
son campo Il lui fit écrire une lettre destinée
au roí, et exprimant les memes sentiments qu'il
allait fai¡'e connaitre de vive voix, el la barre
dn corps législatif. n prít ensuite toutes les


n. J J




16~ 11 ÉVOLUTION FRANVAISE.
mesures nécessaires pour que son absence ne
put nuire aux opérations militaíres, et il s'ar-
racha a l'amollr de ses soldats, pour se rendre
a París au milieu des plus grands dauge¡·s.


Lafayette comptait sur sa fidele garde natio-
nale, et sur un nouvel élan de sa parto 11 comp-
taitaussi sur la cour, dont iI ne pouvait craindre
l'inimitié, puísqu'il veuait se sacrifier pour elle.
Apres avoir prouvé son amour chevaleresque
pour la liberté, iI voulait prouver son attache-
ment sincere au roi, et dans son exaltation
héroique, il est probable que son creur n'était
pas insensible a la gloire de ce dOllble dévoue-
mento Il arriva le 28 jllin au matin; le bruit
s' t'n répandit rapidement, et partout OH se di-
sait av~c étonnement et curiosité, que le gé-
néral Lafayettc étai t a Paris.


Avant qu'ilarrivat, l'assemblée avait été agitée
par un grand nombre de pétitions contraires.
CeHes de Rouen, du Havre, de rAin, de Seine-
et-Oise~ duPas-de-Calais, de l'Aislle, s'élevaient
contre les exces du 20 juin; celles d'Arras , de
l'Hérault, semblaient presque les approuver.
On avait lu, d'uDe part, la lcttre de Luckner
pour le roi, et de l'autre des placards épollvan-
tables contre lui. Ces di verses Iectures avaient
excité le trollbIe, pendant pIusieurs jours.


Le 28, une foule considérable s'était porl{~c




ASSElI'IBLÉE LÉGISLA TIVE (1792). J 63
a I'assemblée, espérallt que Lafayette, dont on
ignorait encore les projets, pourrait y paraitre.
En effet, on annonce vers uue heure et demie
qu'il demande a etrc admis a la barre. 11 y est
accueilli par les a pplaudissements du coté droi t •
et par le· silence des tríbunes et du cOté. gau-
che.


« Messieurs, dit-íl, je dois d'abord vous as-
( surer que, d'apres les dispositions concertées
{( entre le maréchal Luckner et moi, ma pré-
( sence ici ne compromet aucunement ni le
« succes de nos armes, ni la sureté de I'armée
« que j'aí I'honneur de commander. II


Le général annonce ensuite les motifs qui
l'amenent. On a soutellu que sa lettre n'était
pas de lui ; il vient l'avouer, et il sort pour faiIle
cet aveu da míliea de son camp, OU l'entoure
l'amour de ses soldats. Une raison plus puis-
sante 1'a porté a eeHe démarehe: le 20 juina
excité l'indignatioll de son armée, quí lui a
présenté une multitude d'adresses. Il les a in~
terdites, et a pris I'engagement de se faire
l'organe de ses troupes aupres de l'assemblée
nationale. Déja, ajoute-t-il, les soldats se de-
mandent si c'est vraiment la cause de la liberté
et de la constitution qu'ils défendent.


Il supplie l' assemblée nationale,
ID De poursuivre les instigateurs du 20 juin ;


JI.




164 nÉvoLUTlON FRAN9AJSE.
2° De détruire une seete qui envahit la sou-


veraineté nationale, et dont les débats puhlicf>
ne laissent aueun doute sur l'atroeité de ses
projets;


3° Enfin de faire respecter les autorités. et
de donner aux armées l'assurance que la COIlS-
titution ne recevra aueune atteinte au dedans,
tandis qu'elles prodiguent leur sang pour la
défendre au dehors.


Le président lui répond que l'assemhlée ser'a
fidele a la loi jurée, et qu' elle examinera sa pé-
tition. Il est invité aux honneurs de la s(~anc('.


Le général va s'asseoir sur les banes de la
droite. Le député Kersaint observe que c'est
au hane des pétitionnaires qu'il doit se placer.
Ouí 1 non! s'écrie-t-onde toutes parts. Le gé-
néral se leve modestement, et va se remIre
au hane des pétitionnaires. Des applaudisse-
ments nomhr(~ux l'accompagnent a cette place
nouvelle. Gnadet prend le premier la parole,
et, usant d'un détour adroit, il se demande si
les ennemÍs sont vaincus, si la patrie est di--
livrée, 'puisque M. de Lafayette est a París.
Non, répond-il, la patrie n'est pas délivrée ~
notre situatlOli n'a pas changé, et cependant
le général de l'une de nos armées est a París!
- Il n'examinera pas, continue-t-il, si M. de
Lafayette, qui ne voit dans le peupie fraw;:ais




ASSEMBLÉl'; ÚG1SLATI VIo; (179:¿)' 165
que des f;\ctieux entollrant el mena<¡ant les au-
torítés, n' est pas luí - meme entollré d'un état-
major qui le circonvient; mais il fera observer
a M. de Lafayette qu'iI manque a la cOllstitu-
tion en se faisant l'organe d'une armée léga-
lement incapabIe de délibérer, et que proba-
blement aussi, il a manqué a la hiérarchie des
pouvoirs militaires, en venant a Paris san s
l'autorisation dll ministre de la guerreo


.En conséquellce, Guadet demande que le
ministre déclare s'il a donné un congé a M. de
Lafayette, et que, de plus, la cornmíssion ex-
tl'aordinail'e fasse un rappol't sur la question
de savoír si un général pourra entrctenir l'as-
sernblée d'objets purernent politiques.


Rarnond se présente pour répondre a Gua-
deL Il cornmence par une observatíon bien
llaturelle et bien souvent applicable, c'est que
suiv::tllt les circollstanC€s, on varie fort sur
l'illterprétation des 10is. (( Jamais, dit - il, on
n'avait été si scrupuleux sur l'existence e1u
droit de pétition. Lorsque récernment encore
une foule armé e se présenta, on ne lui de-
manda point quelle était sa miss ion ; on ne lui
reprocha point d'auenter, par l'appareil des
armes, a l'indépendance de l'assemblée; el
10rsque M. de Lafayettc, qui, par sa vie en-,
tiere, est pOllr l'Amérique et pour l'Europe,




j 66 RÉVOLUT[ON FRAN«;:AJSE.
l' étendard de]a liberté, lorsqu'il se présente,
les soupc;;ons s'éveillent! ... S'il y a deux poids
et deux mesures, s'il y a deux manieres de
considérer les choses, qu'il soit permis de faire
quelque acception de personne, en faveur du
fils ainé de la liberté!... »


Ramond vote ensuite pour le renvol de la
pétition a la commission extraordinaire, afin
d'examiner, non la conduite de Lafayette, mais
sa pétition elle-meme. Apres un grand tu multe,
apres un double appel, la motion de Ramond
est décrétée. Lafayette sort de l'assemb]ée en-
touré d'un cortége nombreux de députés et de
soldats de la garde nationale, tous ses parti-
sans et ses al1ciens compagnons d'armes.


C'était le moment décisif pour luí, pour la
cour et pour le partí populaire; iI se rend au
chateau. Les propos les plus injurieux circu-
lent autour de lui, dans les groupes des cour-
tisaas. Le roi et la reine accueillent avec
froideur celui quí venait se dévouer pour eux.
Lafayette quitte le chateau, affligé, non pour
lui - meme, mais pour la famille royale, des
dispositions qu'on vient de lui montrer. A sa
sortie des Tuileries, une foule nombreuse le
rec;;oit, l'accompagne jusqu'a sa demellre aux
cris de viIJe Lafayette, et vient meme planter
un mai devant sa porte. Ces témoignages d'nn




ASSJij~Ij¡U:E L}:;GISLATIVE (1792). 167
ancieu dévouemellt touchaient le général, et
intimidaieut les jacobins. Mais il fallait profiter
de ces restes de dévouement, et les exciter
davantage , pour les rendre efficaces. Quelques
chefs de la garde nationale particulierement
dévoués a la famille royal e s'adresserent a la
cour pour savoir ce qu'il fallait faire. Le roi
et la reine furent tons deux d'avis qu'on ne
devait pas seeonder M. de Lafayette"'. 11 se
trouva done abandonné par la seule portion de
la garde llationale sur laquelle on put encore
s'appuyer. Néanmoins, voulant servir le roí
maIgré lui-meme, il s'entendit avec ses amis.
Mais ceux-ci ll'étaient pas mieux cJ'accord. Les
uns, et particulierement Lally-Tolendal, dési-
raient qu'il agit promptement contre les jaco-
bins, et qu'il les attaquat de vive force dans
leur club. Les autres, tous membres du dépar-
temeut et de J'assemblée, s'appuyant saos cesse
sur la loÍ, o'ayant de ressollrces qu'en elle,
n'en voulaient pas conseiller la violatioIl, et
s'opposaient a toute attaque ouverte. Néan-
moios Lafayette préféra le plus hacdi de ees
deux conseíls : il assigna un rendez-vous a ses
partisaos pour aller avec eux ehasser les jaco-


• Voyez Mme Campan, tome 11, p. 224, une letlre de
M. de Lally au roí ue Prus~e, et tOllS les historíens.




t68 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
bins de leur salle, et en mnrer les portes. Maís,
qnoique le lien de la réunion fUt fixé ; peu s'y
rendirent, et Lafayette fut dans l'ímpossibilité
d'agir. Cependant, tandis qu'il était désespéré
de se voir si mal secondé, les jacobins, qui
ignoraient la défection des siens, furent saisís
d·une terreur panique, et abandonnaient leur
club. lis coururent chez Dumouriez, qni n'é-
tait pas encore partí pour l'armée; ils le pres-
serent de se mettre a leur tete et de marcher
contre Lafayette; mais Ieur offre ne fut point
acceptée. Lafayette resta encore un jour a
París au milíeu des dénonciations, des mena-
ces et des projets d'assassinat, et partít enfln
désespéré de son inutile dévouement, et du
funeste enh~temellt de la conr. Et e' est ce meme
homme, si complétement abandonné lorsqu'il
venait s' exposer anx poignards pour sauver le
roí, qu'on a accusé d'avoir trahi Louis XVI!
Les écrivaíns de la cou!' out prétendu que ses
moyens étaient mal combinés : sans donte iI
était plus facile et plus sur, du moins en ap-
parence, de se servir de quatre -vingt milJe
PrusS'Íens; mais a Paris, et avec le projet de
ne pas appeler l' étranger, que pouvait-on de
plus, que de se mettre a la tete de la garde
nationale, et ¡mposer allX jacobil1s en les dis-
persant?




ASSEMBLÉE LÉGTSLATIV E ([ 792). ] 69
Lafayette partít avec l'intention de servir en-


cure le roi, et de lui ménager, s'il était possible,
les moyens dequitter París. Il écrivit a l'assem-
blée une lettre ou il répéta avec plus d'énergie
encore tout ce qu'il avait dit lui-meme contre
ce qu'il appelait les factieux.


A peine le parti populaire fut-il délivré des
craintes que lui avaient c,:!.Usées la présence et
les projets du général, qu'il continua ses atta-
ques contre la cour, et persista a demander un
compte rigoureux des moyens qu'elle prenait
pour préserver le territoire. On savait déja,
quoique le pouvoir exécutif n'en eut ríen IlO-
tiné a l'assemblée, que les Prussiens avaient
rompu la neutralité, et qu'ils s'avaIl(;;aient par
Coblentz au nombre de quatre - vingt mille
hommes, tous vieux soldats du grand Frédéric,
et commalldés par le duc de Brunswick, géné-
1'al célebre. Luckner, ayant trop peu de troupes
et ne comptant pas assez sur les Belges, avait
été obligé de se retirer sur Lille et Valen-
ciennes. Un officier avait brillé, en se retirant
de Courtray, les faubourgs de la ville, et on
avait cru que le but de cette mesure cruelle
était d'aliéner les Belges. Le gonvernement ne
faisait ríen ponr augmenter la force de nos
armées, qui n' était tont au plus, sur les trois
fmutieres, qu~ de deux cellt trente mille hom-




170 RÉVOLUTION FnAN~AIsE.
mes. n ne prenait aucun de ces moyens puis~
sauts qui réveillent le úle et l' enthollsiasme
d'une nation. L'ennemi enfin pouvait etre dans
six semaines a Paris.


La reine y comptait, et en faisait la confidence
a une de ses dames. Elle avait l'itinéraire des
émigrés et du roi de Prusse. Elle savait que tel
jour ils pouvaient etre a Verdun, tel autre a
{,ilIe, et qn'on devait faire le siége de cette
derniere place. Cette malheureuse princesse es-
pérait, disait-elle , etre délivrée dans un mois *.
Hélas! que n'en croyait-elle plutOt les sinceres
amis qui lui représentaient les illconvénients
des secours étrangers et inutiles ; qu'ils arrive-
raient assez tot pour la compromettre, mais
trop tard pOllr la sauver! Que n'en croyait-
elle ses propres craintes a cet égard, et les
sinistres pressentiments qui l'assiégeaient quel-
quefois!


On a vu que le moyen auquel le parti na-
tional tenait le plus, c'était une réserve de
vingt mille fédérés sous Paris. Le roi, comme
on l'a dit, s'était oppo~é a ce projet. Il fut
sommé, dans la personne de ses ministres, de
s'expliquer sur les précautions qu'il avait pri-
ses, pour su ppléer aux mesures ordonnées par


• VOyP,'L, MIDe Campan, lome 11, page 230.




ASSE~TBLÚE LÉGISLATIVE (1792 ). J7l
le décret non sanctionné. Jl répondit en pro-
posant un projet nouveau, qui consistait a
diriger sur Soissons une réserve de quarante-
deux bataillons de volontaires nationaux, pour
remplacer l'ancienne réserve, qu'on venait d'é-
puiser en complétant les deux principales ar-
mées. C'était en quelque sorte le premier décret,
a une différence pres, que les patriotes regar-
daient comme tres -importante, c'est que le
camp de réserve serait formé entre Paris et la
frontiere, et non pres de Paris meme. Ce plan
avait été accueilli par des murmures et renvoyé
au comité militaire.


Depuis, plnsieurs départements et munici-
palités, excités par leur correspondance avec
París, avaient résolu d'exécuter le décret du
camp de vingt mille hommes, quoiqu'il ne flit
pas sanctionné. Les départements des Bonches-
du-Rhone, de la Gironde, de I'Hérault, dOll-
nerent le premier exemple, et furent bientot
imités par d'autres. Tel fut le commencement
de l'insurrectiou.


Des qne ces levé es spontanées furent con-
nnes, l'assemblée , moditiant le projet des qua-
rante-deux nonveaux bataillons, proposé par
le roi, décréta que les bataillons qni, dans lenr
úle, s'étaient déja mis en marche avant d'avoir
ét(~ Jégalement appelés, passeraient par Paris,




t 7'). RÉVOLUTION FRAN()AISE.
pour s'y {aire inscrire a la municipalité de
eette ville; qu'ils seraient ensuite dirigés sur
Soissons, pour y camper; enfin que ceux qui
pourraíent se trouver a París avant le 14 j uillet,
jour de la fédération, assisteraient a cette 50-
lennité nationale. Cette fete n'avait pas eu lieu
en 91 a cause de la fuite a Varennes, et on
voulait la célébrer en 92 avec éclat. L'assem-
blée ajouta qu'immédiatcment apres la célé-
bration, les fédérés s'achemineraient vers le
heu de leur destínation.


C'était la tout a la foís autoriser I'insurrec-
tion, et renouveler, a pen de chose pres, le
décret non sanctionné. La seule différence, c'est
que les fédérés ne faisaient que passer a París.
Maisl'ímportant était de les y amener; et, une
fois arrivés, mille circonstances pouvaient les
y retenir. Le décret fnt immédiatement envoyé
au roí, et sanctionné le lendemain.


A cette mesure importante, on en joignit
une autre : on se défiait d'une partie des gar-
des nationales, et surtont des états - majors ,
qui, a l'exemple des directoíres de départe-
ment, en se rapprochant de la haute autorité
par leurs grades, penchaient davantage en sa
faveur. C'était surtont ce]ui de la garde natio-
nale de Paris qu'on voulait atteindre; mais ne
ponvant pas le faire directement, OH décréta




ASSlclUBLÉIl LÉGISLATIVll (J792). 173
que tOIlS les états - majors, dans les villes de
plus de einquante mille ames, seraient dissous
et réélus *. L'état d'agítation ou se trouvait la
Franee, assurant aux hommes les plus ardents
une influence toujours croissante, eette réélec-
tion devait amener des sujets dévoués au parti
populaíre et répllblicain.


C'étaient la de grandes mesures emportées
de vive force sur le coté droit et la cour. Ce-
peudant rien de toul cela ne paraissait assez
rassurant aux palriotes eontre les dangers im-
minents dont ils se croyaient menacés. Qua-
rante mille Prussiens, tout autant d'Autrichiells
et de Sardes, s'avan<;ant sur nos frontíeres; une
cour probablement d'accord avec l'enuemi,
n'employant aucun moyen pour multiplier les
armées el excíter la natíon , usanl au contraire
du veto pour déjouer les mesures du corps lé-
gislatif, et de la liste civile pour se procurer
des partisans a l'intérieur; un général q ll'on
ne supposait pas capable de s'unir a l'émigra-
tíon pour livrer la France, mais qu'on voyait
disposé a soutenir la cour contre le peuple;
toutes ces círeonstances effrayaient les esprits,
et les agitaient profondément. La patrie est en
danger, était le cri général. Mais comment pré-


~ Décret du 2. juillet.




[74 RÉVOLUTlON F'RAN~AJSJ\.
venir ce danger? telle étai tia difficulté. On n' é-
tait pas meme d'accord sur les causes. Les
constitutionnels et les partisans de la cour,
aussi terrifiés que les patriotes eux -memes,
n'imputaient les dangers qu'aux factieux, ils
ne tremblaient que pour la royauté, et ne
voyaient de péril que dans la désunion. Les
patriotes, au contraire, ne trouvaient le péril
que dans l'invasjon, et n'en accusaíent que la
cour, ses refus, ses lenteurs, ses secretes me-
nées. Les pétitions se croisaient : les unes attri-
buaient tout auxjacobins, les autres a la cour,
désignée tour-a-tour sous les noms du cllá-
teau, dupoulloirexécutif, du veto. L'assemhlée
écoutait et renvoyait tout a la commission
extraordinaire des douze, chargée depuis long-
temps de chercher et de proposer des moyens
de salut. Son plan était désil'é avec impatience.
En attendant, partout des placards menac;ants
couvraient les murs; les feuilles publiques,
aussi hardies que les affiches, ne parlaient que
d'abdicatiou forcée et de déchéance. C'était
l' objet de lous les entretiens, et on semblait
ne garder quelque mesure que dans l'assem-
blée. La, les attaques contre la royauté n'étaient
encore qu'indirectes. OIl avait proposé, par
exemple, de supprimer le veto pour les dé-
crets de circonstance; plusieurs fois il avait óté




ASSElIIBLÉE T,JiGJSLATIVE (1792). '7fJ
qllestioJ1 de la liste civile, de son emploi COIl-
pable, et OH avait parlé, ou de la réduire, Oll
de l'assujétir a des comptes publics.


La cour n'avait jamais refusé de cérler aux
instances de l'assemblée, et d'augmenter ma-
tériellement les moyens de défense. Elle ne
l'aurait pas pu, sans se compromettre trop Oll-
v~rtement; et d'ailleurs elle devait peu redoll-
te'rl'allgmentation nllmériqlle d'armées qu'elle
croyait complétement désorganisées. Le parti
poplllaire voulait, au contraire, de ces moyens
extraordinaires qui annoncent une grande ré-
solution, et qui souvent font triompher la cause
la plus désespérée. Ce sont ces moyens que la
commission des douze imagina enfin apres un
long travail, et proposa a l'assemblée. Elle s'é-
tait arretée au projet suivant :


Lorsque le péril deviendrait extreme, le
corps législatif devait le déclarer lui-meme,
par eette formule solennelle : La patrie est
en danger.


A eette déclaration, toutes les autorités loca-
les, les eonseils des eommunes, eeux des districts
et des départements, l'assemblée elle-meme,
eomme la premiere des autorités, devaient etre
en permanence, el siéger sallS interruption.
Tous les eitoyeus, SOllS les peines les plus gra-
ves, seraient tcuus de remettre aux autorités




176 RÉVOLUTrON FRANQAlSE.
les armes qu'i]s possédaient, pour qu'il en fút
faít ]a distrihution coovenahle. Tous les hom-
mes, vieux et jeunes, en état de servir, de-
vaient etre enrólés dans les gardes nationa]es.
Les uos étaient mohilisés, et transportés au
siége des diverses autorités de district et de
département; les autres pourraient etre en-
voyés partout ou le Lesoin de la patrie l'exige-
raít, soit au declans, soit au dehors. L'unifor-
me n'était pas exigé de ceux qui oe pourraieut
en faire les frais. Tous les gardes nationaux
transportés hors de leur domicile recevraient
la solde des volontaires. Les autorités étaient
chargées de se pourvoir de munitions. Un si-
gne de réhellion, arhoré ave e intention, était
puni de mort. Toute cocarde, tont drapean
étaient réputés séditieux, excepté la cocarde
et le drapean tricolores.


D'apres ce projet, toute la nation était en
éveil et en armes; elle avait le moyen de déli-
hérer, de se haure partont, et a tous les ins-
tants; elle pouvait se passer d u gouvernemen t,
et suppléer a son inactioll. Cette agítation sans
hut des masses populaires, était régularisée et
dirigée. Si ennn, apres cet appel, les Fran<;ais
ne répondaient pas, on ne devait plus rien 11.
une nation qui ue faisait rien pour elle-meme.
Une discussion des plus vives ne tarda pas,




ASS.ElunLÉE LÉGISLATIVE. (179 2 ). 177
comme on le pense bien, a s'cngager sur ce
projet.


J-"e député Pastoret fit le rapport prélimi-
naire le 30 juin.


11 ne satisfit personne, en donnant a tout
le monde des torts, en les compensant les uns
par les autres, et en ne fixant point, d'une
maniere positive, les moyens de parer aux d~n­
gers publics. Apres lUÍ, le député Jean de Bry
motiva nettement et avec modération le projet
de ]a commission. La discllssion, une fois OU-
verle, ne fut bientot qu'un échange de repro-
ches. Elle douna essor aux imagiuations bouil-
lantes et précoces, qui vont droit aux moyens
extremes. La grande loi du salut public, c'est-
a.;.dire la dictature, c'est-a-dire le moyen de tout
faire, avec la chance d' en user cruellement;
mais puissamment, eette loi, qui ne devait etre
décrétée que dans la convention, fut cependant
proposéc dans la Iégislative.


M. Delaunay d'AlIgers proposa a l'assemblée
de déclarer que, jusqu'apres l'éloignement du
danger, elle ne (O/lSulterait que la loi z'mpé-
rieuse el supréme du salut publico


C'était, avec ulle formule abstraite et mys-
térieuse, supprirrer évidemment la royauté;
et déclarer l'assernblée souveraine absollle. M.
DeJaunay disait que ]a révolution n'étaÍt pas


n.




.178 RÉVOLUTION FRAN~AIS":o
achevée, qu'oh se trompait si on le croyáit,
et qu'il fallait garder les loís fixes pour la ré-
vollltion sauvée, et non ¡lour la révolution a
sauver; il disait en un mot tout ce qu'on dit
ordinairement en favenr de la dictature, dont
l'idée se présente toujonrs dan s les momehts
de dangero La répollse des députés dü coté
droit était naturelle : Oü violait, suivant eut,
les serments pretés a la constitution, en créant
une autorité qui absorbait les pouvoirs réglés
et établis. Leurs adversaires répliquaient , en
alléguant que l'exemple de la violation était
donné, qu'il ne fallait pas se laisser prévenir
et surprendre sans défense. - Mais prouvez
done, réprenaient les partisans ,de la cou!',
que cet exetrlpleest donné, et qu\m a trahi
la coristitution. A ce défi 011 répondait par de
nouvelles accusations contre la cour, et ces
accusations ét:t'ient .oepoussées a leur tour par
des r'eproches aux agitatenrs. - Vous etes des
factieux. - Vous etes des traitres. - Tel était
le reproche réciproque et éternel) telle était
la question a résondre.


M. de Jaucourt vo'ulait renvoyer la proposi-
tion aux Jacohiús, tant ii la trouvait violente.
M. Isnard, a l'ardenr duque! elle convenait, de-
mandaitqu'elle fút prise eH considération, et
que le diséours de M. Delaunay fút envoyé aux




ASSEIUBLÉE LÉGfSLATIVE (1792). • J 79
départements pour _ etre opposé a celui de lVI.
Pastaret, qui n'était qu'une dose d'opium don-
née ti un agonisant.


M. de Vaublanc réussit a se faire écouter,
en disant que la constitution pouvait se sau-
ver par la constitution; que le projet de lVI.
Jean de Bry en était la preuve, et qu'i1 fallait
imprimer le discours de M. Delaunay, si ron
voulait, mais au moins ne pas l'envoyer aux
départements, et revenir a la proposition ue
la commission. La discussion fut en effet re-
mise au 3 juillet.


Un député n'avait pas encore parlé, c'était
Vergniaud. Membre de la Gironde, et son plns
grand oratenr, il en était néanmoins indépen-
dant. Soit insouciance, soit véritahle élévation,
il semblait au-dessus des passions de ses ámis;
et en partageant leur ardeur patriotique, il ne
partageait pas toujours leur préoccupation et
leur emportement. Quand il se décidait dans
une question, il entrainait par son éloquence
et par une certaine impartialité reconnlle, ceUe
partí e flottante de l'assemblée, que lVIirabeau
maitrísait autrefais par sa díalectique et 5a vé-
hémence. Partout les masses incertaines ap-
partiennent au talent et a la raíson " .


• e'est lII1e jllstiee que I'cnrlait ;) VergIlialld le JOllrizal
r 2.




J 80 nÚVOLUTJON FflAN<;:ArSE.
On avait annoncé qu'il parlerait le 3 juillet;


une fonle immense était accourue pour en ten ..
dre ce grand orateur, sur une question qu'on
regardait comme décisive.


11 prend en effet la parole * 1 el jette un pre-
mier coup-d' reil sur la France. « Si on ne croyait,
dit-il, a I'amour impérissable du pellple pour
la liberté, on douterait si la révolution rétro-
grade ou si elle arrive a son terme. Nos armées
du Nord avanc,;aient en Belgique, et tout-a-coup
elles se replient; le théatre de la guerre est re-
porté sur notre territoire, et il ne restera de
nous chez les malheureux Bdges, que le sou-
venir des incendies qui auront éclairé notre re-
traite! Dans le meme temps, une formidable
armée de Prussiens menace le Rhin, quoi-
qu'on IlOtlS eút fait espérer que leur marche
ne serait pas si prompte.


« Comment se fait-il qu'on ait choisi ce mo-
ment ponr renvoyer les ministres poplllaires,
ponr rompre la chalne de lenrs travaux, livrer


de París, alors si conllu par son opposition a la rnajorité
de I'assemblee. et par les grands talents qui présidaient it
sa rédaction, notarnment le rnalheurellx et immortel
Ándré Chénie¡' (r()yez la fe/o-me du 4 juillet 1792).


* Il n'est pas nécessaire O';¡vcl'tir que j'analyse id,
el que je ne donne pas lextucllcment le discolll's 0('
y crgniancl.




ASSEM.HLliE LJÍGISLA"f'IVJl (1792). IS.
l'empire a des mains inexpérimentées, el re-
pousser les mesures utiles que nous avons eru
devoir proposer? .... Serait-il vrai que l'un re-
doute nos triomphes? .... Est-ce du sang de
Coblentz , ou du votre, dont on est avare? ....
Veut-on régner sur des villes abandonnées, sur
des champs dévastés? ... Ou sommes-nol1s en-
fin? .... Et VOUS, messieurs, qu'allez-vous eu-
treprendre de grand pour la chose publique ? ..


( Vous, qu'on se flatte d'avoÍl' intimidés;
vous dont on se flatte d'alarmer les conscien-
ces en qualiflant votre patriotisme d'esprit de
faetion, eomme si on Il'avait pas appelé fac-
tieux eeux qui preterent le serment d II jeu de
paume; vous qu'on a tant ealomniés, paree
que vous etes étrangers a une easte orgueil-
teuse que la eonstitution a renversée dans la
poussiere¡ vous a qui on suppose des intell-
tiOI1S eoupables, eomme si, investis d'une au-
tre puissance que eeHe de la luí, vous aviez
une liste cjvile; vous que, par úne hypocrite
modération, on voudrait refroidir sur les dan-
gers du peuple; vous que l'on a su diviser,
mais qlli, dalls ce moment de danger, dépose-
rez vos haines, vos misérables dissensions, el
ne trouverez pas si doux de vous hair, que
vous préfériez eette infernale jOllissance au S3-
lut de la patrie; vous, enfin , éeolltez-moi ;




182 RÉVOLUTION FltANgAJSl<:.


quelles sont vos ressourees? que vous eom-
man,de la nécessité? que vous permet la cons-
titution? D


Pendant ee début, de nombreux applaudis-
sements ont eouvert la voix de l'orateur. Il
eontinue, et déeouvre deux genres de daugers,
les uns intérieurs, les autres extérieurs ..


« Pour prévenir les premiers, l'assemblée a
proposé un décl'et eontre les pretres, et" soit
que le génie de Médicis erre encore sous les
voutes des Tuileries, soit qu'un Lachaise ou
un Letellier trouble encore le erenr du prince,
le déeret a été refusé par le trone. Il n'est pas
permjs de croire, sans faire injure au roí,
qu'il veuille les troubles religieux. U se croit
pone assez puissant, il a done assez des an-
ciennes loís PQur assurer latranquillité publi-
que. Que ses ministres en réponclent done sur
leur tete, puisqu'ils out les moyens de ras-
surer!


{( Pour prévenir les daugers extérieurs, l'as-
semblée avait imagin~ uu camp de réserve :
le roi l'a repoussé. Ce serait lui faire injure
que de eroire qu'il veut livrer la :France; i!
doit done avoir des forees suffisantes pour la
protéger; ses ministres doivent dOlle {lOUS ré-
pondre, sur leur tete, du salut de la, patrie.))


Jusqu'ieil'orateurs'en tient, COIlllne ollvoiL,




ASSF:MBLÉF: LÉGJSLATIVE (1792). 183
a la responsabilité mini~térielle, et $,e borne a
la rendre plus memu;ante. « Mais, ajoute-t-il,
ce n'est pas tout de jeter les m\uistr'es dans
I'abime que leur méchanceté OH leur impnis-
sanee aurait creusé ..... Qll'Úll m'écoqte :::tvec
calm(!, qq' on ne se hate pas de me deviner ..... »
~ c;es ,nots l'attention redouble; un silence


profond regne daos l'assemblée. « C'est :::tu nom
da roi, dit-iJ, que les princ~s f.rant;ais ont tenté
de sonlever l'Enrope; c'est pour venger la di-
gnité dlt roi que s'est concl1,l l~ traité de pil-
nitz; c'est pour venir aa secoars du roi que
le souverain de Boheme et de Hongrie nous
fait la guerre, que la Prusse marche vers nOS
fro,ntieres. 01', je lis daos la copstitution : « Si
« le roí se met a 1;:¡ ~te d'une armée et en dí-
« rige les forces cOlltre la nation" ,o~ ~',il pe
« s'oppose pas, par un acte fQI"n.el, a une telle
(e entreprise qui s'exécuterait en son nom, il
« ser:a censé avoir al;>diqué ~a royauté. »


« Qu'esi-ce qll'un acte foqnel d'opposition?
Sí cent ~ille Autrichiens marchaient vers la
Flandre, cent mille Prussiens vers l' AIsace, et
que le roi leur opposat dix ou vingt mdle
hommes, aurait-il fait un acle formel d'oppo-
sit,ion?


« Si le roi, chargé de notifier les ho.5tilités
imminentes, instr"it des mouvements de l'ar-




184 RÉVOLUTION .FllAN(,aIsE.
mée prussienne, n'endonnait aucune connais-
sanee a l'assembléenationale; si un camp de
réserve, nécessaire pour arreter les progres de
l'ennemi dans l'inté:rieur, était proposé, et que
le roi y substitufü un plan incertain et tres-
long a exécuter; si le roi laissaitle comman-
dement d'une armée a un général intrigant,
et suspect a la nation; si un autre général,
nourri loin de ]a corruption des eours et fa-
miJier avec la victoire, dernandait un renfort,
et que par un refus le roi lni dit : je tr; difends
de vaincre; pourrait-on dire que le roi a fajt
un acte fqrmel d'opposition ?


« rai exagéré plusieurs faits, reprend Ver-
gniaud, pour oter tout prétexte a des applica-
lions purernent hypothétiques. Mais si, tandis
que la Franee nagerajt dans le sang, le roi
vous disait : Il es!: vrai que les ennemis pré-
tendent agir pour moi, pour ma dignité, poar
mes droits, mais j'ai prouvé que je n'étais pas
leur complíce : j'ai mis des armées en eampa-
gne; ces armées étaient trop faíbles, mais la
constitutioll ne fixe pas le degré de leurs for-
ces: je les ai rassernblées trop tard, mais la
constitution ne fixe pas le temps de lellr réu-
nion : j'aí arreté un général qui aIlait vaincre,
mais la constitlltion n' ordonne pas les victoi-
res: j'aien des ministres qui trompaient l'a5-




ASSEJUllLJÍE LÉGISLAl'IVE (1792.). 185
semblée et désorganísaient le gouveruement,
mais leur nomination m'appartenait : l'assem-
blée a rendll des décrets utíles que je n'ai pas
sanctionnés, mais j'en avais le droit: j'ai fait
tont ce que la constitution m'a preserit; il n'est
done pas possible de douter de ma fidélité
pour elle. »


De vifs applaudissements éclatcnt de toutes
parts. ce Si done, reprend Vergniaud , le roí vous
tenaitee langagc, ne seriez-vous pas en droit
de luí répondre : O roi! qui, comme le tyran
Lysandre, avez cm que la vérité ne valait pas
mieux que le mensonge, qllí avez feint de n'aí-
mer les lois que pour conserver la puissance
quí vous servirait a les braver, étaít·ee nous
défendre que d'opposer aux soldats étrangers
des forees dont l'infériorité ne laissait pas meme
d'ineertitude sur leu,r défaite? Était-ce nous
défendre q.ue d'écarter les projets tendant a
fortifier l'intérieur? Était-ce nons défendre que
de ne pas réprimer un général qui vioJait la
constitution, et d'enehalller le eourage de eeux
qui la servaíent? . La constitution vous laissa-
t-elle le ehoix des ministres pour notre bonheur
ou 1I0lre ruine? Vous fit-elle chef de l'armée
pour notre gloire 011 notre honte? Vous dOllna-
t-elle enfin le droit de sanetion, une Jiste ci-
víle et tant de prérogatives pour perdre cons-




) 86 RÉVOLUTION FRANQAlSE.
titutionneIlement la cOllstitution et l'empire?
Non [ non [ homme que la générosité des Fran-
t;ais n'a pu r;:.enore sensible, que le seul amOllr
du oespotisme a pu toucher ..... vous n'etes
plus ríen pour ceHe cons.titution que vous avez
si indignement violé e , pour ce peuple que
vous avez si lachement trahi! ...


(( Mais non, reprend l'orateur, si nos armées
ne sont point complf~tes, le roi n'en est sans
doute pas coupable; sans doute il prendra les
mesures nécessaires pour nous sauver, sans
ooute la marche des Prussiens ne sera pas
aussi triomphallte qu'i1s I'esperent; mais iI fal-
lait tout prévoir et tout dire, car la franchise
peut seule nOl)S sauver. »


V ergniaud fluit en proposant un message a
Louis XVI, ferme, mais respectueux·, qui l'o-
hlige a opter entre la France et l'étranger, et
lui apprenne que les Fran({ais sont résolus a
périr ou a triompher avec la constitution. Il
veut en outre qu'on déclare la patrie en dan-
g.er ,pourréveiller dans les creurs ces grandes
affections qui ont animé les grands peupIes, et
qui san s dOl1te se retronveront oans les Fran-
<,;ais; car ce ne sera pas, dit-il, dans les Fran-
~ais régénérés de 89 que la nature se mon-
trera dégradée. Il vent enfin qu'on mette un
terme a des dissensions dont le caractere ~lc-




AS5t:1UllLÉE LÉGISLATIVE (1792). 187
vient sinistre, et qu'on réunisse ceux qui sont
dalls Rome et sur le mont Aventin.


En pronoll«;ant ces derniers mots, la voix
de l'oratenr était altérée, l'émotion générale.
I,es tribunes, le cOté g!luche, le coté droit,
tout le monde applandissait. Vergniaud quitte
la tribune, et il est entouré par uile fonle em-
pressée de le féliciter. SeuI jusqu'alors il avait
osé parler a l'assemblée de la déchéance dont
tout le monde s'entretenait dans le public,
mais il ne l'avait présentée que d'une maniere
hypotbétique, et ave e des formes encare res-
pectueuses, qlland on les compare au langage
inspiré par les passions dn temps.


Dnmas veut répondre. Il essaie d'improviser
apr~s Verguiaud, et devant des auditeurs en-
care tout pleins de ce qu'ils venaient d'éprou-
ver. Il réclame plusiel.lrs fois le ~ileuce et une
attention qui u'était plus pOlIr luí. Il s'appe-
santit sur les reproches falts an pouvoir exécu-
tifo « La retraite de Luckner est due , dit-iI, au
sort des batailles, qu'on ne peut régler du
fond des cabinets. Sans doute vous avez con-
fiance en Luckner? - Oui! ouí! s'écrie-t-on;
et Kersamt demande un Mcret qui déclare que
Luckller a conservé la cOllflance nationale. Le
décret ~:;t rendu ~ et Dumas coutiuue. Il ,dit
altt.,~ faisonque si on a confiance en ~e gé.né-




188 RÉVOLUTION FRANljAISJ<:.
raI , on ne peut regarder fintention de 5a re-
traite comme coupable ou suspecte; que quant
au défaut de forces dont on se plaint , le ma-
réchal sait lui-meme qu'on a réuni pour cette
entreprise toutes les troupes alors disponibles;
que d'ailleurs tout devait etre déja préparé par
l'anCÍen ministere girondill, auteur de la guerre
offensive, et que s'il n'y avait pas de moyen
suffisant, la faute en était a ce ministere seul;
que les nouveaux ministres n'avaient pas pu
tont répal'er avec quelques courriers, et qu'en-
fin ils avaient dOllné carte blanche a Luc1mer,
et lui avaient laissé le pouvoir d'agir suivant
les circonstances et le terrain.
~( On a refusé le camp de vingt mille hommes ,


ajoute Dumas, mais d'abord les ministres ne
sont pas responsables du veto, et ensnite le
projet qu'ils y ont substitué valait mieux que
ce1ui proposé par l'assemblée, paree qu'il ne
paralysait pas les moyens de recrutement. On
a refnsé le décret contre les pretres, mais iI
n'y a pas besoin de ¡ois nOllvclles pour assu-
rer la tranquillité publique; iI ne faut que du
calme, de la sureté, du respect pour la liberté
individuelle et la liberté des cultes. Partont
OlIces libertés ont été respecté es , les pretres
n'ont pas été séditieux. » Dumas justifie enfiu
le roí en objectaut qu'il ll'avait pas voulu la




ASSEJURLJtJ, LÉGISLATJVE (J 792). 189
guerre, et Lafayette en rappelant qu'il avait
toujollrs aimé la liberté.


Le décret pro posé par la commission des
dOllze, pour régler les formes d'apres lesquelles
on déclarerait la patrie en danger, fut rendu au >
milieu des plus vifs applaudissements. Mais on
ajourna la déclaration du danger, parce qu'on
ne crut pas devoir le proclamer eueore. Le roi,
sans doute exeité par tout ce qui avait été dit,
notifia a l'assemblée les hostilités imminentes de
la Prusse, qu'il fonda sur la convention de
Pilnitz, sur I'acclleil faít aux rebelles, sur les
violen ces exercées envers les commerc;ants fran-
c;ais, sur le renvoi de notre ministre, elle dé-
part de Paris de l'ambassadeur prllssien j en-
fin, sur la marche des troupes prussiennes au
nombre de cinquante-deux mille hommes.«Tout
me prouve, ajoutait le message cJu roi, une
al/iance entre Vienne et Berlín. ( On rit a ces
mots. ) Aux termes de la eOQstitlltioll, j'en
donne avis au corps législatif.» - Ollí, répli-
quent plusieurs voix, quand les Prussiens sont
a Coblentz. - Le message fut renvoyé a la
commission des douze.


La discussion sur les formes de la déclaration
du danger de la patrie fut contiuuée. On dé-
créta que cette déclaration semit considérée
cornme une simple proclamatíon, et que par




'90 nÉVOLUTJON FnAN~AIsE.
conséquent elle ne serait pas soumise a la sanc-
tion royale; ce qui n'était pas tres-juste, puis-
qu'elle renfermait des dispositions législatives.
Mais déja, sans avoir voulu la proclamer, 011


. suivait la loí du salut publico
Les disputes devenaient tous les jours plus


envenimées. Le vreu de Vergniaud, de réutiir
ceux qui étaient dans Rome et sur le mont
Aventin, ne se réalisait ras; les craintes qu'on
s'inspirait réciproquement se changeaient en
une haine irréconeiliable.


n y avait dans l'assembIée un député nommé
Lamourette, éveque cOIístitutionneI de I,yon,
qui n'avait jamais vu dans la liberté que le re-
tour a la fraternité primitive, et qui s'affligeait
autant qu'il s'étonnait des divisions de ses col-
legues. n ne croyait a aucune haine véritahle
des nns a l'égard des nutres, et ne lenr suppo-
sait a lons que des méfiances injustes. Le 7 juil-
let, :m moment ou 011 al/ait continuer]a dis-
cussion sur le danger de la patrie, iI demande
la parole pour une motíon d'ordre, et, s'adres-
sant a ses eollegues avec le ton le plus persuasif
et la figure la plus noble, iI Ieur dit que tous
les jours on leur pro pose des mesures terribles
pour faire cesser le danger de la patrie; que,
pour lui, il eroit a des moyens plus doux et
plus efficaces. C'est la division des représen-




ASSHfBLÉE I.ÉGISLATIVE (1792). 191
tants qui cause tous les maux, et c'est a ceHe
désunion qu'il faut apporter remede. « Oh! s'é-
crie le digne pasteur, celui qui réussirait a vous
réunir, celui-Ia serait le véritable vainqueur
de l' Autriehe et de Coblentz. On dit tous les
jours que votre réunion est impossible au point


, 1 h h'" f'" . ou sont es e oses ..... a . J en remls ..... maIS
e'est la une injure ; iI n'y a d'irréconciliables
que le crime et la vertu. Les gens de bien dis-
putent vivement, paree qu'ils ont la eonvic-
tíon sincere de leurs opinions, mais ils ne san-
raient se halr! Messieurs, le salut publie est
dans vos mains, que tardez-vous de l'opérer? ..


« Que se reprochent les deux parties de l'as-
semblée? L'uue aecuse l'autre de vouloir mo-
difier la constitution par la main des étrangers,
et celle-ci acctIse la premiere de vouloir ren-
verser la monarchie pour établir la république.
Eh bien, Messieurs, foudroyez d'un meme ana-
theme el la république et les deux chambres;
vouez-les a l'exécration commune par un der-
nier et irrévocable serment! jurons de n'avoir
qu'un seuI esprit, qu'un seul sentiment;jurons-
nous fr'aternité éternelle! Que l'ennemi sache
que ce que nOlls voulons, HOUS le voulons tous,
et la patrie est sauvée! »


L'orateur avait a peine achevé ces derniers
mots, que les deux cotés de l'assemblée étaient




19~ REVOLUTION }'RANr,:AfSE.
debout, applaudissant a ses généreux senti-
mellts, et pressés de décharger le poids de leurs
animosités réciproques. Au milieu d'une accla-
mation universelle, on voue a l'exécration pu-
blique tout projet d'altérer la constitution par
les deux chambres ou par la république, et on
se précipite des bancs opposés ponr s'embras-
ser. Ceux qui avaient attaqué el ceux qui avaient,
défelldu Lafayette, le . veto , la liste civile, les


factieux et les trattres sont dans les bras les
uns des autres; toutes les dístinctions sont con-
fondlles, el l'on voit s'embrass311t MM. Pastoret
et Condorcet, qui la veille s'étaient réciproque-
ment maltraités daos les feuilles publiques. JI
n'y a plus de coté droit ni de coté gauche, et
tous les députés sont indístinctement assis les
uns 3Uprt!S des autres. Dnmas est aupres de Ba-
sire, J aucourt aupres de Merlin, et Ramond
aupres de Chabot.


On décide aussitot qu'on informera les pro-
vinces, l'armée et le roí, de cet heureux évé-
nement; une députation, conduite par Lamon-
rette, se rend au chateau. Lamourette retourne;
annon«;ant l'arrivée dn roi qui vient, comme
au 4 février 1790, témoigner sa satisfaction a
l'assemblée, et lui dire qu'il était faché d'at-
tendre une députation, car il lui tardait bien
d'accourir au milieu d'el1f'.




ASSEMDLÉE Ll1GISLATIVE (J 792.). 193
L'enthousiasme est porté au comble par ces


paroles, et, a en croire le cri unanime, la pa-
trie est sauvée. Y avait-illa un roi et huit cents
députés hypocrites qui, formant a l'improviste
le projet de se tromper, feignaient l'oubli des
injul'es pour se trahir ensuite avec plus de su-
reté? Non, sans doute; un tel projet ne se
forme pas chez un sí grand nombre d'hommes,
subitement, sans préméditation antérieure.
Mais la haine pese; íl est si doux d'en déchar-
gel' le poíds 1 et d'ailleurs, a la vue des événe-
menls les plus mena<¿ants, quel était le parti
qui, dans l'incel'titude de la victoire, n'eút con-
sentí volontiers a garder le présent tel qu'il
était, pourvu qu'il fut assuré? Ce faÍt prouve,
comme tant d'autres, que la méfiance et la
crainte produisaient toules les haines, qu'u,n
moment de confiance les faisait disparaitre, el
que le parti qu'on appelait républicain ne son-
geait pas a la l'épublique par systeme, mais
par désespoir. Pourquoi, rentré dans son pa-
lais, le roi n'écrivait-il pas sur-Ie-champ a la
Prusse et a l' Autriche? Pourquoi ne joigllait-il
pas a ces mesures secretes quelque mesure
publique et grall(le? Pourquoi ne disait-il pas
comme son aieul Louis XIV, a l'approche de
I'ennemi : Nous irOllS tous!


Mais le soir 011 annon(fa a l'assemblée le ré~
n. 11




T94 nÉVOLUTION FnAN~AISF,.
sultat de la procédure instruite par le dépar-
tement contre Pétion et Manuel; et ce résultat
était la suspension de ces deux magistrats. D'a-
pres ce qu'on a su depuis, de la bouche de Pétion
lui-meme, il est probable qu'il aurait pu em-
pecher le mouvement du 20 juin, puisque plus
tard il en empecha d'autres. A la vérité, on l'i-
gnorait alors, mais on présumait fortement sa
connivence avec les agitateurs, et de plus, on
avait a lui reprocher quelques infractions aux
loi8, comme, par exemple, d'avoir mis la plus
grande lenteur dans ses communications aux
diverses autorités, et d'avoir souffert que le
conseil de la commune prit un arreté contraire
a eelui du département, en décidant que les
pétitionnaires seraient re<;us dans les rangs de
la garde nationale. La suspension prononeée
par le département était done légale et eoura-
geuse, mais impolitique. Apres la réeoneilia-
tion du matin, n'y avait-il pas en effet la plus
grande imprudenee a signifier, le so ir meme,
la suspension de deux magistrats jouissant de
la plus grande popularité? A la vérité, le roi
s'en référait a l'assemblée; mais elle ne dissi-
mula pas son mécontentement, et elle lui ren-
voya la décision pour qu'il se pronon~at lui-
meme. Les tribunes recommencerent leurs cris
accoutnmés; une fonJe de pétitions vinrent de-




ASSElIfllLÉ" LÉGISLATIVE (1792). 19b
mander Pétion ou la mort; et le député Gran-
gelleuve, dont la personne avait été insultée,
exigea le rapport contre l'auteur de l'outrage:
ainsi la réeonciliation était déja oubliée. Brissot,
dont le tour était venu de parler sur la ques-
tion dn danger publie, demandait du temps
pour modifier les expressions de son discours,
a cause de la réconciIiation qui était snrvenue
depuis; il ne put néanmoins s'empecher de
rappeler tous les faits de négligenee et de len-
teur reprochés a la cour; et, malgré la pré-
tendue réconciliation, iI finit par demander
qu'on traitat solennellement ]a question de la
déchéance, qu' on accusat les ministres pour
avoir notifié si tard les hostilités de la Prusse,
que l'on créat une commission secrete rompo-
sée de sept membres , et chargée deveiller au
salut publie, qll'on vendh les hiens des émi-
grés, qu'on accélérat l'organisation des gardes
nationales, et qu'enfin Ol} déclacit san s délai
la patrie en danger.


On apprit en meme temps la conspiratioll
de Dussaillant, ancien noble, qui, á la rete de
quelques illSurgés, s'était emparé du fort de
Bannes, dans le département de I'Ardeehe, et
qui mena«;:ait de la toute la contrée environ-
nante. Les dispositions des puissauces furent
aussi exposées a I'assemblée par le ministere.


d.




196 RJÍVOLUTION FRANQAISE.
La maison d'Autriche, entrainant la Prllsse,
l'avait décidée a marcher contre la France;
cependant les disciples de Frédéric murmll-
raient contre cette allianee impolitique. Les
électorats étaient tous nos ennemis ouverts ou
cachés. La Russie s'était déclarée la premiere
contre la révolution, elle avait accédé an traité
de Pilnitz, elle avait flatté les projets de Gus-
tave, et secondé les émigrés; tont cela, pour
tromper la Prusse et I'Autriche, et les porter
toutes denx sur la France, tandis qu'elle agis-
sait contre la Pologne. Dans le moment, elle
traitait ave e MM. de Nassau et d'Esterhazy,
chefs des émigrés; cependant, malgré ses fas-
tueuses promesses, elle leur avait selllement
accordé une frégate, pour se délivrer de leur
présenee a Pétersbourg. La Suede était immo-
hile depuis la mort de Gustave, et recevait
nos vaisseaux. Le Danemarck promettait une
stricte nentralité. On pouvait se regarder
eomme en guerre avec la cour de Turin. Le
pape préparait ses foudres. Veuisc était nen-
tre, mais semblait vouloir protéger Trieste de
ses fIottes. L'Espagne, san s entrer ouvertement
dans la coalition, ne semblait cependant pas
disposée a exécuter le pacte de farnille, et a
rendre a la France les secours qu'elle en avait
rec;us. L' Angletel'I'e s'engageait a la neutralité,




.. \.SS1<:MBLÉE LÉGISLATlVE (179 2 ). I~n
et en donnait de nouvelles assurances. Les
États-Unis auraient voulu nous aider de tous
leurs moyens, mais ces moyens étaient nuls,
a cause de leur éloignement et de la faiblesse
de leur population.


A ce tableau, l'assemblée voulait déclarer de
suite la patrie en danger; cependant la décla-
ration fut renvoyée a un nouveau rapport de
tous les comités .réunis. Le JI juillet, apres
ces rapports entendus, au milien d'uu silence
profoud, le président prononc;;a la formule 50-
Ieullelle: CJTOYENS! LA PATRIE EST .EN DANGER!


Des cet iustant, les séances fureut déclarées
permanentes; des coups de canon tirés de mo-
menten moment, annoncerent cette grande
erise; toutes les municipalités, tous les con-
seils de district et de . département siégerent
sans interru ption; toutes les gardes nationales
se mirent en mouvement. Des amphithéatres
étaiellt élevés au mili en des plaees publiques,
et des officiers mUllieipaux y reeevaient sur
une table, portée par des tambours, le nom
de eeux qui venaient s'enróler volontairement:
lesenrolements s'élevercntjusqu'aquinze mille
dans un jour.


La réeoueiliation du 7 juillet et le serment
qui l'avait suivie, n'avaient, comme on vient
de voir, calmé aucullc méfiallee. On songeait




198 Ri;vOLUTION FRAN~AISE.
toujours a se prémunir coutre les projets <In
chateau, et l'idée de déclarer le roí déchu ou
de le forcer a abdiquer, se présentait a tous
les esprits, comme le seul remede possible
aux maux qui mena(jaient la France. Vergniaud
n'avait faitqu'indiquer cette idée, et sous une
forme hypothétique; d'autres, et surtaut le
député Torné, voulaient que l'on considérat
eomme une proposition positive la suppo~ition
de Vergniaud. Des pétitions de toutes les par-
tíes de la Franee vinrent preter le secours de
l'opinion publique a ee pl'ojet désespéré des
députés patriotes.


Déja la ville de Marseille avait faít une pé-
tition mena<;ante, lue a l'assemblée le 19 juin,
etrapportée plus haut. Au moment ou la pa-
trie fut déclarée en danger, íl en arriva plu-
sieurs autres encore. L'une proposait d'accuser
Lafayette, de supprimer le veto dans certains
cas, de réduire la liste civile, et de réintégrer
Manuel et Pétion dans leurs fonctions muni-
cipales. Une autre demandait, avec la suppres-
sion du veto, la publicité des conseils. Mais la
ville de Marseille, qui avait donué le premier
exemple de ces actes de hardiesse, les porta
bientot au dernier exces; elle lit une adresse
par laquelle elle engageait l'assemblée a abolir
la royauté dan s la branchc régnante, et a ue




ASSEMBLÉE L:ÉGISLA.TIVE (1792 ). ) 99
luí substituer qu'une royauté élective et sans
veto, c'est-a-clire une véritable magistrature
exécutive, cornme dan s les républiques. La stu-
peur produite par cette lecture fut bientot
suivje des applaudissements des tribunes, et
de la proposition d'imprimer faite par un
membre de l'assemblée. Cependant l'adresse
fut renvoyée a la commission des douze, pour
recevoir l'application de la loi qui déclaraÍt
infime tont projet d'altérer la constitution.


La consternation régnait a la cour; elle ré-
gllait aussi dans le partí patriote, que des
pétitions hardies étaient loin de rassnrer. Le
roi croyait qn'on en voulait a sa personne; ii
s'imaginait que le 20 juin était un projet d'as-
sassiuat manqué; et c'était certainement une
errenr, car rien n'eut été plus facile que l'exé-
cution de ce crime) s'il eut été projeté. Craí-
gnant un empoisonnement, lui et sa familIe
prenaient leurs I'epas chez une dame de con-
fiance de la reine, ou ils mangeaíent d'autres
aliments que ceux qui étaient préparés dans
les offices du chateau ". Comme le jour de la
fédération approchait, la reine avait faít pré-
parer pour le roí un plastron composé de
plusieurs doublures d' étoffe, et capable de ré-


• Voyez la noLe 17 á la fin Ju volumc.




:lOO ILÉVOLUTION FRAN9AJSE.
sister a un premier coup de poignard. Ce-
pendant, a mesure que le temps s'écoulait,
et que l'audace populaíre augmentait, sans
qu'aucune tentative d'assassinat eut lieu, le
roí commenc;ait a mieux comprendre la na-
ture de ses dangers; il entrevoyait cléja que
ce n'était plus un coup de poignard, mais
une condamnation juridique qu'il avait a re-
clouter; et le sort de Charles rer obsédait con-
tinuellement son imagination souffrante.


Quoique rebuté par la conr, Lafayette n'en
était pas moins résolu de sauver le roi; il lui
fit done offrir uu projet de fuite tres-hardiment
combiné. 11 s'était d'abord emparé de Luckner,
et avait arraché a la facilité du vieux maréchal
jusqu'it la promesse de marcher sur Paris. En
conséquence, Lafayette voulait que le roi nt
mander luí et Luckner, sons prétexte de les
faire assistcr a la fédération. La présence de
deux généraux lui semblait devoir imposer
au peuple et prévenir tous les dangers qu'on
redontait pour ce jour-Ia. Le lendemain de la
cérémonie, Lafayette voulait que Louis XVI
sortit publíquement de París, sous prétexte
d'aller a Compiegne faire preuve de sa liberté
aux yeux de l'Europe. En cas de résistance, il
ne demandait que cinquante cavalíers dévoués
pour I'arracher de Paris. De Compiegne, des




ASSE1UBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 20l
escadrons préparés devaient le conduire· au
milieu des armées franc,;aises, ou Lafayette s'en
remettait a sa probité, pour la conservation
desinstitutions nouvelles. Enfin, dans le cas
Ol! aucun de ces moyens n'aurait réussi, le
général étaít décidé a marcher sur París avec
toutes ses troupes "'.


Soit que ce projet exigeat une trop grande
hardiesse de la part de Louis XVI, soit aussi
que la répugnance de la reine pour Lafayette
l'empechat d'accepter ses secours, le roi les
refusa de nouveau , et luí fit faire une réponse
assez froide, el pell digne du úle que le gé-
nérallui témoignait. {( Le meilleur conseil, por-
« tait cette réponse, a donner a M. de Lafayette,
(( est de servir toujours d'épouvantail aux fac-
« tieux, en remplissant bien son métier de gé-
«( néral"'*.»


Le jour de la fédération approchait; le
peuple et l'assemblée ne voulaient pas que
Pétioll manquat a la solennité du 14. Déja le
roi avait voulu se décharger sur l'assemblée
du süin d'approuver OH d'improuver l'arret du
département, mais l'assemblée, comme on I'a
vu, I'avait contraint a s' expliquer lui-meme;


• Voyez la note 18 a la fin du volume.
** Voy~z la note 19 a la fin dll vulume.




202. RÉVOLUTION FRAN~AISE.
elle le p ressait tous les jours de faire connai-
tre sa décision, pour que cette question put
etre terminée avant le J 4. Le 12, le roi con-
firma la suspension. Cette nouvelle augmenta
le mécontentement. L'assemblée se hata de
prendre un parti a son tour, et il est facile de
deviner lequel. Le lendemain, c'est-a-dire le
J 3, elle réintégra Pétion. Mais, par un reste
de ménagement, elle ajourna sa décision re-
lativement a Manuel, qu'on avait vu se pro-
mener en écharpe au milieu du tumulte du 20
juin, sans faire ancun usage de son autorité.


Enfin le 14 juillet 1792. arriva : combien les
temps étaient changés depuis le 14 juillet 1790!
Ce n'était plus ni cet autel magnifique desservi
par trois cents pretres, ni ce vaste champ eou-
vert de soixante mille gardes nationaux, ri-
chement vetus el réguliel'ement organisés; ni
ces gradins latéraux chargés d'une foule ¡m-
mense, ivre de joie et de plaisir; ni enlin ce
balcon on les ministres, la famille royale et
l'assemblée assistaient a la premiere fédéra-
tion! Tout était changé : on se ha'issait comme
apres une fausse réconciliation, et tous les em-
hlemes annon~aient la guerreo Quatre-vingt-
trois ten tes figuraient les quatre-vingt-trois
départements. A coté de chacune était un peu-
plier, au sommet duquel flottaient des ban-




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 203
deroles aux trois couleurs. Une grande tente
était destinée a l'assemblée et au roi, une au-
tre aux corps administratifs de Paris. Ainsi
toute la France semblait camper en présence
de l'ennemi. L'alltei de la patrie n'était plus
qu'une colonne tronquée, placée an sommet
de ces gradins qui existaient· enCore dans le
Champ-de-Mars, depuis la premiere cérémo-
nie. D'un coté on voyait un mOllument pour
cenx qui étaient morts on qui allaient mourir
a la frontiere; de l'autre un arbre immense
appelé l'arbre de la féodalité. 11 s'élevait au mi·
líeu d'nn vaste bucher, et portait sur ses bran-
ches des couronnes, des cordons bleus, des
tiares, des chapeaux de cardinaux, des clefs
de Saint·Pierre, des manleaux d'hermine, des
bonnets de docteurs, des sacs de proces, des
titres de noblesse, des écussons, des armoi-
ries, etc. Le roi devait etre invité a y mettre
le Eeu.


Le serment devait etre prthé a midi. IJe roi
s'était rendu dans les appartements de l'École-
Militaire; ii Y attendait le cortége national,
qui était allé poser la premiere pierre d'une
colonue qu'on voulait placer sur les ruines de
l'ancienne BastilIe. Le roi avait une dignité
calme, la reine s'effor-;ait de surmonter une
douleur trop visible. Sa sceur, ses enfants l'en-




~o4 IllÍVOLUTlON FRANc,,;AISE.
touraient. On s'émut dans les appartements
par quelques expressions touchantes; les lar-
mes mouillerent les yeux de plus d'un assis-
tant; enfin le cortége arriva. Jusque-Ia le
Champ-de-Mars avait été presque vide; tout-
a-coup la multitude fit irruption. Sous le bal-
con ou était placé le roi, on vlt dMiler pele-
mcle des femmes, des enfants, des hommes
ivres , criant vive PétiOll! Pétion ou la mort!
et portant sur leurs chapeaux les mots
qu'ils· avaient a la bouche; des fédérés se te-
nant sous le bras les uns les autres, et trans-
portant un relief de la Rastille, avec une presse
qu'on arretait de temps en temps, pour im-
primer et répandre des chansons patriotiques.
A pres, venaient les légions de la garde natio-
nale, les régiments de troupes de ligne, con-
servant avec peine la régularité de leurs rangs
au milieu de cette populace flottante; enfin les
autorités ellcs-memes et l'assemblée. Le roí
descendít alors, et, placé au milieu d'un carré
de troupes, il s'achemina, avec le cortége,
vers rautel de la patrie. La fonle était immense
au mílieu du Champ-de-Mars, et ne permettait
d'avancer que lentement. Apres beaucoup d'eE-
forts de la part des régimenis, le roi parvint
jusqu'aux marches de l'auteL La reine, placée
sur le balcon qu'elle n'avait pas quitté, ob-




ASSEMBLl~E LÉGISLATIVE (1792). ?05
servait cette sdme avec une lunette. La con-
fusíon sembla s'augmenter un instant autour
de /'autel, et le roi descendre d'une mar.che;
a eette vue la reine poussa un cri et jeta l'ef-
froí autour d'elle. Gependant la cérémonie s'a-
eheva san s accidento A peine le serment était
preté, qu'on s'empressa de courir a l'arbre de
la féodalité. On voulait y entrainer le roi pour
qu'il y mit le feu; mais il s'en dispensa en ré-
pondant avec a-propos qu'il n'y avait plus de
féodalité. n reprit alors sa marche vers l'Éeole-
Militaire. Les troupes, joyeuses de l'avoir sauvé,
pousserent des eris réitérés de vive le roi! La
multitude, qui éprouve toujours le besoin de
sympathiser, répéta ees cris, et fut aussi
prompte a le feter, qu'elle l'avait été a l'insul-
ter quelques instants auparavant. L'infortuné
Louis XVI parut aimé quelques heures encore :
]e peuple et lui-meme le erurent un moment;
mais les ilIusions meme n'étaient plus faeiles,
et on commen<;ait déja a nc pouvoir plus se
trompero Le roí rentra au palaís, satisfait d'a-
voir échappé a des périls qu'il croyait grands,
mais tres-alarmé encore de ceux qu'il entre-
voyait dans l'avenir.


Les nOllvelJes qui arrivaient chaque jour de
la frontiere augmentaient les alarmes et l'agí-
tation. La déclaration de la patrie en danger




206 nÉvoLuTlON E'RAN~AISE.
avait mis toute la France en mouvement, et
avait provoqué le départ d'une foule de fédé-
rés. Ils n'étalent que deux mine a.'Paris le jour
de la fédération; mais ils y arrivaien t incessam-
ment, et Ieur maniere de s'y conduire justifiait
a -la· fois les craintes et les espéranees qu' on
avait con<;ues de leur présence dans la capi-
tale. Tous volontairement enrolés, ils eompo-
saient ce qu'il y avait de plus exalté dans les
clubs de Franee. L'assemblée leur fit allouer
trente sous par jour, et Ieur réserva exclusi-
vement les tribunes. Bientot ils lui firent la
loi a elle-meme par leurs cris el leurs appIau-
dissements. Liés avec les jacobins, réunis dans
un club qui, en quelques jours, surpassa la
violellce de tous-les autres, ils étaient pre\s a
s'insurger au premier signa\. Ils le déclarerent
meme a l'assemblée par une adresse. Ils ne
partiraient pas, disaient-ils, que les ennemis
de l'intérieur ne fussent terrassés. Ainsi le pro-
jet de réunir a París UIle force insurrection-
neBe était, malgré l'opposition de la cour,
eotierement réalisé.


A ce moyen 00 en joignit d'autres. Les an-
ciens soldats des gardes-fran<;aises étaient distri-
bués dans les régiments; l'assemblée ordonna
qu'ils seraient réunis en corps de gendarmerie.
Leurs dispositions ne pouvaient etre douteu-




ASSEMDLÉE LÉGISLATIVE (1792). 207
ses, puisqu'ils avaiellt commencé la révolution.
On objecta vainement que ces soldats , presque
tous sous-officiers dansl'armée, en composaient
la principale force. L'assemblée n'écouta rien,
redoutant l'ennemi du dedans beaucoup plus
que l'ennemi du dehors. Apres s'etre composé
des forees , il fallait décomposer ceHes de la
cour; a cet effet, l'assemblée ordonna l'éloigne-
ment de tous les régiments. Jusque-Ia elle était
dans les termes de la constitution; mais ne se
contentant pas de les écarter, elle leur enjoignit
de se rendre a la frontiere, et en cela elle
usurpa la dispositiou de la force publique ap-
partenant au roi.


Le but de cette mesure était surtout d'éloi-
gner les Suisses, dont la fidélité ne pouvait
etre douteuse. Pour parer ce coup , le ministere
6t agir M. d' Affry, leur cornmandant. Celui-ci
s'appuya sur ses capitulations pour refuser de
quitter París. On parut prendre en considé-
ration les raisons qu'il présentait, mais on
ordonna provisoirement le départ de deux
bataillons suisst's.


Le roi, il est vrai, avait son veto pour résis-
ter a ces mesures, mais il avait perdu toute
influence et ne pouvait plus user de sa préro-
gative. L'assemblée elle-meme ne pouvait pas
toujoUl's résister aux propositioIlS faÍtes par




:208 HÉVOLUTION FRAN~AISE.
certains de ses membres, et constamment ap-
puyées par les applaudissements des tribunes.
Jamais elle ne manquait de se prononcer pour
la modération quanel c'était possible; et tandis
qu'elle consentait d'une part allX mesures les
plus insurrectionnelles, on la voyait de l'autre
approuver et accueillir les pétitions les plus
modérées.


Les mesures prises , les pétitions, le langage
qu'on tenait elans toutes les conversations, an-
non~aient une révolution prochaine. Les giron-
dins la prévoyaient et la désiraient, mais ils
n'en distinguaient pas clairement les moyens,
et ils en reeloutaiellt l'issue. Au-dessolls d'ellx
on se plaignait de Ieur inertie; on les accusait
de molIesse et d'incapacité. Tous les chefs de
clubs et de sections, fatigués el'une éloquence
sans résultat, demandaient a grallds cris une
elirection active et uniqlle, pour que les efforts
populaires ne fussent pas infructueux. JI y
avait aux Jacobins une salle pour le travail des
correspondan ces. On y avait établi un comité
central des fédérés pour se concerter et s'en-
tenelre. Afin que les résoluti~ns fussent plus
secretes et plus énergiques, on réduisü ce co-
mité a cinq membres, et iI re~ut entre eux le
110m de comité insllrrectionnel. Ces cinq mem-
hres étaient les nommés Vaugeois, grand-




ASSF.1rnL Ó'~ Ll::GrSLA TI VI, (179':>.)· 209
-vicaire; Debessé de la Drome; Guillaume,
professcur a Caerr; Simon, jourllaliste a Stras-
hourg; Galissot de Langres. Bientot on y joignit
Carra, Gorsas, Fournier l'Américain, Wes-
termallll, Kienlin de Strasbourg, Santerre;
Alexandre, commalldant dn fanbourg Sainl-
Marcean; un Polonais, nommé Lazonski, capi-
taine des canonniers dans le bataillon de Saint-
Marcean; un ex-constituant, Antoine de Metz;
deux électe~rs, Lagrey et Garin. Manuel, Ca-
mille Desmoulins, Danton s'y réunirent bien-
tM, et yexcrcerent la plus grande influence".
On s'entendit avec Barbaroux, qui promit la
coopération de ses Marseillais, dont l'arrivée
était impatiemment attendue. On se mit en
communication avec le maire Pétion, et on
obtint de lui la promesse de ne pas empecher
l'insurrection. On lui promit en re tour de faire
garder sa demeure, et de l'y consigner, pour
justifier son inactioll par une apparence de
contrainte, si l'entreprise ne réussissait paso Le
projet définitivement arreté fut de se rendre
en armes au chftteau, et de déposer le roí.
Mais iI fallait mettre le peuple en mouvement,
et une circonstance extraordinaire était indis-
pensable pour y réussir. On cherchait a la pro-


* Vovez la note 2.0 ;1 la fin <111 V01UIlW,
H.




.~ JO nÉ.VOLUTION .FRANqArSE.
duire, et on s'en entretenait aux Jacobins. Le
député Chabot s'étendait avec l'ardeur de son
tempérament sur la nécessité d'une grande ré-
solution, et disait que pour la déterminer il
serait :\ désirer que la cour attentat aux jours
d'un député. Grangeneuve, député lui-meme,
écoutait ce discours: c'était un hornme d'un
esprit médiocre, mais d'un caractere dévoué.
Il prend Chabot a parto - Vous avez raison,
luí dit-il; il fallt qu'un député périsse, mais h
COllr est trop habile pour nous fOllrnir une oc-
casion aussi belle. Il faut y suppléer, et me tuer
au plus tot aux environs du chateau. Gardez
le secret et préparez les moyens. - Chabot,
saisi d'enthousiasme, lui offre de partager son
sort. Grangeneuve accepte en lui disant que
deux morts feront plus d'effet qu'une. lIs con-
viennent du jour, de l'heure, des moyens pour
se tuer et ne ras s'estropier, disent-ils; et i1s se
fiéparerent, l'ésolus de s'immoler pour le succes
de la cause commune. Grangeneuve, décidé :\
tenir paroJe, met ordre a ses affaire s domes-
tiques, et a dix heures et demie du so ir , s'a-
chemine au líen du rendez-vous. Chabot n'y
était paso Il attend. Chabot ne venant pas , il
imagine que sa résolution est changée, maÍs iI
espere que du moios l'exécution aura lieu ponr
lui-mérne. Il va et vient plusieu!'s fois, atten-




ASSF'\TnLJ1F, LlÍCTSLATIVE (r792). 211
dant le COllp mortel; mais il est obligé de re-
toumer saín et sanf, sans avoir pu s'immoler
pour une calomnie.


On attendait done impatiemment l'occasion
qui ne se présentait pas, et on s'accusait réci-
proqnement de manqner de force, d'habileté
et d'ensemble. Les députés girondins , le maire
Pétion, enfin tous les hommes en évidence, qni,
soit a la tribune, soit dans leurs fonctions,
étaient obligés de parler le langage de la loi ,
se mettaient toujours plus a l'écart, et condam-
najent ces agitations continuelles qui les com-
promettaient sans amener un résultat. Ils re-
prochai~nt anx agitateurs subalternes d'épuiser
leurs forces dans des mouvements partiels et
inutiles, qui exposaient le peuple sans produire
un événement décisif. Ceux-ci, an contraire,
qui faisaient dans leurs cercles ce qu'ils pou-
vaient , reprochaient aux députés et an maire
Pétion leurs discours publics, et .les aceusaient
de retenir l' énergie du peuple. Ainsi les députés
blamaient la masse de n'etre pas organisée, et
celle·ei se plaignait a eux de ne pas l'etre. On
sentait surtont le besoin d'avoir un chef. Il
faut un homme, était le cri général; mais le-
quel? 00 n'en voyait aucun parmi les députés.
Ils étaient tous plutot orateurs que conspira-
teurs; et d'aillel1rs leur élévation et leur genre


J 4.




:.>. I 2. REVOLllTIUN }'tiAN\;AISF..


de vie les éloignaient trop de la multitude;
sur Iaquelle il fallait agir. Il en était de meme
de Roland, de Servan, de tous ces hornmes
dont le courage n'était pas douleux, rnais que
leur rang pla~ait trop au-dessus du peuple. Pé-
tion, par ses fonctions, aurait pu communiquer
facilement avec la multituoe; rnais Pétion était
froid, impassible, et plus capable de rnourir
que d'agir. Il avait pour systerne d'arreter les
petites agitations au profit d'une insurrection
décisive; mais en le suivant a la rigueur, iI
contrariait les mouvements de chaque jour, et
il pe,rdait toute faveur aupres des agitateurs
qu'il paralysait sans les dominer. n leur fallait
un chef qui, n'étant pas sorti encore du sein
de la multitude, n'eut pas perdu tout pouvoir
sur elle, et qui ('út re~1l de la nature le génie
de l'entra~nement.


Un vasle champ s'était ouvert dans les clubs,
les sectiolls et les joumaux révolutionuaircs.
Beaucoup d'hommes s'y étaient {ait remarquer,
mais aucun n'avait encore acquis une supério-
rité marquée. CamilIe Desmoulins s'était dis-
tiugué par sa verve, son cynisme , son audace ,
et par sa promptitude a attaquer t0l18 les hom-
mes qui semblaiellt se ralentir dan8 la carriere
révolntiolluaire. JI était connu des dernieres
classes ; mais il n'avait ni les poumons d'un




ASSElIIEÚE LÉGlSLATIVE (r 792). 213
oratenr populaire , ni l'activité el la force en-
trainante d'un chef de parti.


Un autre journalistc avait acquis une ef:..
frayante célébrité : e' était Marat, connu sous
le nom de l'Ami du peuple, et devenu, pal' ses
provocations an meurtre, un objet d'horrenr
ponr tous les hommes qni eonservaient eucore
qnelque modération. Né a Neuchatel, et livré
a l'étude des seienees physíques et médicales,
íI avait attaqué avee audace les systemcs les
mieux établis, et avait prouvé une activité d'es-
prit ponr ainsi dire convulsive. 11 était médecin
dans les écuries du comte ti' Artoís, lorsque la
révolution commen<;a. Il se précipita sans hési-
ter dans eette nouvelle carriere, et se 6t bientot
remarquer dans sa section. Sá taille était médio-
ere, sa tete volumineuse, ses traits prononeés,
son teínt livide, son reíl ardent, sa personne
négligée. JI n'eut paru que ridicule ou hideux,
maÍs tout-a-coup on entendít sortir de ee corps
étrange des maximes bizarres et atroces, pro-
férées avec un accent dur et une insolente
familiarité. Il fallait abattre, disait-il , plusieurs
mille tetes, et détruire tous les aristocrates,
qui rendaient la liberté impossible. L'horreur
et le mépris s'amoncelerent autonr de lui. 011
le heurtait, on lui marchait sur les pieds , 011
se jouait de sa misérable personne; mais, ha ..




214 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


}Jilué aux luttes scientifiques et aux assertions
les plus étranges, il avait appris a mépriser
ceux qui le méprisaient, et illes plaignait comme
incapables de le comprendre. Il étala des-Iors
d:ms ses feuilles l'affreuse doctrine dont il était
I'empli. La vie sonter~aine a laquelle il était
eondamné ponr échapper a la justice, avait
exalté son tempérament, et les témoignages de
l'horrenr publique l'enflammaient encore da-
vantage. Nos mreurs polies n'étaient a ses yeux
que des vices qui s'opposaient a l'égalité répu-
blicaine; et, dans sa haine ardente ponr les
obstacles, iI ne voyait qu'un moyen de salut,
l'extermination. Ses études et ses expériences
sur l'hornme physique avaieftt du l'hahituer a
vainere l'aspeet de la douleur; et sa pensée
~lrdente, ne se tronvant arretée par aucnn ins-
tinet de sensibilité, allait directernent a son
but par des voies de sango Cette idée memc
~pérer par la destrllction s'était peu a pell


systématisée dans sa tete. Il voulait un dicta-
tenr, non pour lui procurer le plaisir de la
tOllte-puissanee, mais pour lui imposer la charge
terrible d'épurer la société. Ce dictateur devait
avoir un honlet aux pieds pour etre toujollrs
sous la main du peuple; il ne fallait lui laissel'
qu'une senle faculté, eclle d'indiquer les victi-
mes, et d'ordouuel' pULIr lIlJiq uc chatimeut la




ASSE~IELÉE J"ÉGISLATIVE (1792). 215
mort. Marat ne connaissait que cette peine,
paree qu'il ne punissait pas, mais supprimait
l'obstacle.


Voyant partout des aristocrates conspirant
contre la liberté, íl recueillait ~a et la tous les
faits qui satisfaisaient sa passion; il dénom;ait
avec fureur, et avec une légereté qui venait
de sa fnreur meme, tons les noms qn'on lui
désignait, et qui souvent n'existaient pas. Illes
dénon<:;ait sans haine personnelle, san s crainte
et meme sans danger ponr lui-meme, paree
qu'il était hors de tous les rapports humains,
et que ceux de l'outragé a l'outrageant n'exis-
taient plus entre lui et ses semblabIes.


Décrété récemment avecRoyou l'ami du roi,
il s' était caché chez un avocat ohscur et misé-
rabIe qui lui avait .donné asil~. Barbaroux fut
appelé aupres de lui. Barbaroux s'était livré
a l' étude des sciences physiques, et avait autre-
fois connn Marat. Il ne put se dispenser de se
rendre a S3 demande, et crut, en l'écoutant, que
sa tete était dérangée. Les Franc;ais, a entendre
cet homme effrayant, n'étaient que de mes-
quins révolutionnaires. « Donnez-moi, disait.il,
deux eents Napolitains, armés de poignards et
portant a leur bras gauche un manchon en
guise de bouclier; avec ellX je parcourrai la
France, et je ferai la révoJution. » Il voulait,




~ ,6 RÉVOLUTION FRANyAJSI':.
pour signaler les aristocrates, que l'assemblée
leur ordonwlt de porter un ruban hJanc au
hras, et qu'elle permit de les tuer, quand ils
seraient trois réunis. Sous le nom d'aristocrates,
il comprenait les royalistes, les feuillants, les
girondins; et quand, par hasard, on lui parlait
de la difficulté de les reconnaitre, - il n'y
avait pas, disait-il, a s'y tromper; iI faIlait
tomber sur ceux qui avaient des voitures, des
valets, des habits de soie, et qui sortaient des
spectacles: c'étaient surement des aristo-
erates.


Barbaroux sortít épollvanté. Marat, obsédé
de son atroce systeme, s'inquiétait pell des
moyens d'insurreetioll, et il était d'ailleurs in-
capable de les préparer. Dans ses reyeS meur-
triers, il se eomplaisait d~ns l'idée de se re-
tirer a Marseille. L'enthousiasme républieain
de cette viHe lui faisait espérer d'y etre mieux
compris et mieux accueilli. Il songea done a s'y
réfugier, et voulait que Barbaroux J'y envoyat
sous sa recommandation ; mais eeluí-ei ne vou-
lait pas t~lÍre un pareil présent el sa ville natale,
et il laissa la cet insensé dont iI ne prévoyait
pas alors l'apothéose.


Le systématique et sanguinaire Marat n'était
done pas le chef actif qui aurait pu réunir ces
masses éparses et fermentant cOllfusément,




ASSElUBLÉE L~GISLATIVE (1792). 217
Robespierre en aurait été plus capable, paree
qu'il s'était fait aux Jacobins une clientele
d'auditeurs, ordinairement plus active qu'nne
clientele de lecteurs; mais il n'avait pas non
plus toutes les qualités nécessaires. Robes-
pi erre , médiocre avocat d' Arras, fut député
par cette ville aux états-généraux. La, il s'était
lié avec Pétion et Buzot, et soutenait avec
apreté les opinions que ceux-ci défendaient
avec une conviction profonde et calme. Il parut
d'abord ridicule par la pesanteur de son débit
et la pauvreté de son éloquence ; mais son opi-
niatreté lui attira quelque attention, surtont a
l'époque de la révision. Lorsque apres la scene
du Champ-de.Mars, on répandit le bruit que le
proces allait etre fait aux signataires de la pé-
tition des jacobins, sa terreur et sa ,i4unesse
illspirerent de l'intéret a Buzo! et a Roland;
et on lui offrit un asile. Mais il se rassura bien·
tot; et I'assemblée s'étant séparée, iI se re-
trancha chez les Jacobins, ou il continua ses
harallgues dogmatiques et ampoulées. Élu ac-
cusateur public, il refusa ces nouveUes fonc-
tions, et il ne songea qu'a se donner]a double
réputation de patriote incorruptible et d'ora-
tenr éloquent.


Ses premiers amis, Pétion, Buzot, Brissot,
Roland, le recevaient chez enx, et voyaient




218 RÉVOLUTION FRANQAISJ<:.


avec peine son orgueil souffrant qUÍ se re ve-
lait dans ses regards et dan s tous ses motlve-
ments. On s'intéressait a luí. et on regrettait
que, songeant si fort a la eh ose publique, il
songeat aussi tant a lui-meme. Cependant iI
étaÍt trop peu important pour qu'on lui en
vouhit de son orgueil, el on lui pardonnait en
faveur de sa médiocrité et de son úle. On re-
marquait surtont que, silencieux dans toutes
les réunions, et dOllnant rarement son avis, iI
était le premier le Iendemain a produire a la
tribnne les idées qu'il avait recueiUies chez les
autres. On lui en fit l'observation, sans luí
adresser de reproches; et bientot iI détesta
cette réunion d'hommes supérieurs cornme il
avait détesté ceHe des constituants. AIors il se
retira tvut-a-fait aux Jacobins, ou, comme on
l'a vu, iI différa d'avis avec Brissot et Louvet,
sur la question de la guerre, et les appela,
peut - etre meme les crut mauvais citoyens,
paree qu'iIs pensaient autrement que lui, et
soutenaient leur avis avec éloquence. Était-il
de bonne foi lorsqu'il sou p<;onnait sur- le-
champ ceux qui l'avaíent blessé, ou bien les
caIomniait-il seiemment? Ce sont la les mys-
teres des ames. Mais avec une raison étroíte et
commune, avcc une extreme suseeptibilité, il
était tres-disposé a s'irriter, et difficile a édai-




ASSEMBLÉE LÉGISI,ATIVE (1792). 219
rer; et il n'est pas impossible qu'une haine
d'orgueil ne se changeat chez lui en une haine
de principes, et qu'il crut méchants tous ceux
qui l'avaient offensé.


Quoi qu'il en soit, dan s le cercle inférieur
ou il s'était placé, il excita l'enthousiasme par
son dogmatisme et par sa réputation d'incor-
ruptibilité. Il fondait ainsi sa popularité sur
les passions avengles et les esprits médiocres.
L'austérité, le dogmatisme froid, captivent les
caracteres ardents, souvent meme les intelli-
gences supérieures. JI y avait en effet des hom·
mes disposés a preter a Robespierre une véri-
table énergie, et des talents supérieurs aux
siens. Camille Desmoulins l'appelait son Aris-·
tide, et le trouvait éloquent.


D'autres sans talents, mais subjugués par
son péclalltisme, allaient répétant que c'était
l'homme qu'il fallait mettre a la h~te de la ré-
volution, et que sans ce dictateur, elle ne
pourrait marcher. Pour lui, permettant a ses
partisans tous ces pro pos , il ne se montrait
jamais dans les conciliabules des conjurés. JI
se plaignit meme d'etre compromis, parce que
l'un d'eux, habitant dans la meme maison que
lui, y avait réuni quelquefois le comité insurrec-
tionnel. Il se tenait donc en arriere, laissant agir
ses prollellrs Pallis, Sergcut, Osselin, et autrcs




220 llÉVOLUTlON t'ltAN(.:AISI<:.


membres dessectionsetdesconsei's munici paux.
Marat, qui cherchait un dictateur, voulut


s'assurer si Robespierre pouvait l'etre. La per-
sonne négligée et cynique de Marat contras-
tait avec ceHe de Robespierre, qui était plein
de réserve et de soins pour lui-meme. Retiré
dans un cabinet élégant, ou son image était
reproduite de toutes les manieres, en pein-
tu re , en gravure , en sculpture , iI s'y livrait a
un travaiI opiniatre, et relisait saos cesse
Rousseau, pour y eomposer ses discours.
Marat le vit, ne trouva en lui que de petites
haines personnelles, point de grand systeme,
point de eette audace sanguinaire qu'il puisait
dan s sa monstrueuse conviction, point de gé-
nie enfin; il sortit pIein de mépris pour ce
petit homme, le déclara incapable de sauver
l'état, et se persuada d'autant plus qu'il pos-
sédait seul le grand systeme social.


Les partisans de Robespierre entourerent
Barbaroux, et voulurent le conduire ehez lui ,
disant qu'il fallait un homme, et que Robes-
pierre seul pouvait l'etre. Ce laogage déplllt a
Bal'baroux, dont la fierté se pliait peu a l'idée
de la dictatllre, et dont l'imagination ardente
était déja séduite par la vertu de Roland et
les talents de ses amis. Il aIla cependant chez
Robespierre. Il fut question dans l'entreticn,




ASSI:MI1LÚ; LÉG.lSr.,t'l'IVE Il'it)2). 221
, "


(le Pétion, dont la popularité offusquait Hobes-
pierre, et qui, disait - on, était incapable de
servir la révolution. Barbaroux répondit avec
humeur aux reproches qu'on adressait a Pétion,
et défendit vivement un caractere qu'il admi-
rait. Robespierre parla de la révolution, et ré-
péta, suivant son usage, qu'il en avait accé-
léré la marche. Il finit, comme tOllt le monde,
par dire qu'il fallait un homme. Barbaroux
répondit qu'il ne voulait ni dictateur ni roi.
FrérOll répliqua que Brissot voulait l'etre. On
se rejeta ainsi le reproche, et on ne s'enten-
dit paso Quand on se quitta, Panis, voulant
corriger le mauvais effet de cette entrevue, dit
a Barbaroux qu'il avait mal saisi la chose,
qu'il ne s'agissait que d'une autorité momen-
tanée, et que Robespierre était le seul homme
auquel on put la donner. Ce sont ces' propos
vagues, ces petites rivalités, qui persuaderent
faussement aux girondins que Robespierre
voulait usurper. Une ardente jalousíe fut prise
en lui pour de l'ambition; mais c'était une de
ces erreurs que le regard troublé des partís
commet toujonrs. Robespierre, capable tout
au plus de halr le mérite, n'avait ni la force
ni le géllie de l'ambition, et ses partisans
avaient ponr lui des prétentions qn'il n'amait
pas osé concevoir lui-méme.




222 RI:;VOLUTJON FllAN0AISE.


Dallton était plus capable qu'aucun autre
d'etre ce chef que toutes les imaginations dé-
siraient, pour mettre de I'ensemble dans les
mouvements révolutionnaires. Il s'était jadis
essayé au barreau, et n'y avait pas réussi.
Pauvre et dévoré de passions, il s'était jeté
dans les troubles politiques avec ardeur, et
probablement avec des espérances. Il était
ignorant, mais doué d'une illtelligence supé-
rieure et d'une imagination vaste. Ses formes
athlétiques, ses traits écrasés et un peu afri-
cains, sa voix tonnante, ses images bizarres,
mais grandes, captivaient l'auditoire des cor-
deliers et des sections. Son visage exprimait
tour-a-tour les passions brutales, la jovialité,
et me me la bienveillance. Danton ne haissait
et n'enviait personne, mais son audace était
extraordinaire; et, dans certains moments
d'entralnement, il était capable d'exécuter tout
ce que l'atroce intelligence de Marat était ca-
pable de concevoir.


Une révolution dont l'effet imprévu, mais
inévitahle, avait été de souIever les basses
classes de la société contre les classes élevées,
devait réveiller l'envie, faire naltre des sys-
temes, et déchalner des passions brutales.
Robespierre fut l'envieux; Marat, le systéma-
tique; et Danton fnt l'homme passionné, vio-




ASSEMRLÉE T,liGTSUTIVR (1792). 223
lent, mobile, et tour-a-tour cruel ou géné-
reux. Si les deux premiers, obsédés, l'un par
une envie dévorante, l'autre par de sinistres
systemes , durent avoir peu de ces besoins qui
rendent les hommes accessibles a la corrup-
tion, Danton, au contraire, plein de passions,
avide de jouir, ne dut ctre rien moins qu'in-
corruptible. Sous prétexte de lui rembourser
une ancienne charge d'avocat au conseil, ]a
conr lui donna des sommes assez considéra-
hles; mais elle réussit a le payer et non a le
gagner. TI n'en continua pas moins a haran-
guer el a exciter contre elle la multitud e des
clubs. Quand on lui reprochaít de ne pas
exÍ!cuter son marché, iI répondait que ponr
se conserver le moyen de servir la cour, il
devait en apparence la traiter en ennemie.


Danton était done le plus redoutable chef
de ces bandes qu'on gagnait et conduisait par
la paro/e. Mais audacieux , entralnant au mo-
ment décisif, íl n'était pas propre a ces soins
assidus qu'exige l'envie de dominer; et quoique
tres-influent sur les conjurés, il ne les gouver-
nait pas encore. Il était capable seulement,
dans un moment d'hésitation , de les ranimer
el de les porter an but par une ¡mpulsiüIl dé-
cisive.


Les divers membres du comité insurrec-




224 JU;VOLUTlON FRAN~AJSE.
tionnel n'avaient pas encore pu s'elltendre. La
cour, instruite de leurs moindres mouvements,
prenait de son coté quelques mesures pour se
mettre a l'abri d'une attaque soudaine, et se
donner le temps d'aUendre en sureté l'arrivée
des puissances coalisées. Elle avait formé et
établi pres dll chatean un club, appelé le club
franc;ais, qui se composait d'ouvriers et de sol-
dats de la garde nationale. lIs avaient tous leurs
armes cachées dans le local meme de leurs
séances; et pouvaient, dans un cas pressant,
courir au secours de la familIe royale. Cette
seule réunion coútait a la liste civil e 10,000
francs par jour. Un Marseillais, nommé Lieu-
taud, entretenait en outre une troupe qui oc-
cupait alternativement les tribunes, les places
publiques, les cafés et les cabarets, pour y
parler en faveur du roi, et pour résister aux
continuelles émeutes des patriotes *. Partout
en effet on se disputait, et presque toujours
des paro les on en venait aux coups; mais mal-
gré tous les efforts de la cour, ses partisans
étaient clair - semés, et la partie de la garde
llatiouale qui lui était dévouée, se trouvait ré-
duite au plus grand découragement.


Un grand nombre de serviteurs fideles, éloi-


• Voyez Berh'and el(' Mollev!lle, tomes VIII el IX,




ASSEMBLÉE LÉGISLA.TIVE (1792). 225
gnés jusque-la du trone, accouraient pour dé-
fendre le roi, et lui faire un rempart de leurs
corps. Leurs réunions étaient fréquentes et
nombreuses au chatean, et elles augmentaient
la méfiance publique. On les appelait cheva-
liers du poignard, depuis la scene de février
179 J. On avait donné des ordres pour réunir
secretement la garde constitutionnelle, qui,
quoiqlle licenciée, avait toujollrs ref{u ses ap-
pointements. Pendant ce temps, les conseils
se croisaient autour du roi, et produisaient
dans son ame faible et naturellement incer-
taíne, les perplexités les plus douloureuses.
Des amis sages, et entre autres Malesherbes "',
lui conseillaient d'abdiquer; d'autres, et c'était
le plus grand nombre, vOlllaient qu'il prit la
fuite; du reste, ils n'étaient d'accord ni sur
les moyens, ni sur le líeu, ni sur le résultat
de J'évasion. Pour mettre quelqlle ensemble
dans ces divers plans, le roí voulut que Ber-
trand de Molleville s'entendit avec Duport le
constitllant. Le roí avait beaucoup de confiallce
en ce derníer, et íl fut obligé de donner un
ol'dre positif a Bertrand, qui prétendait ne
vouloir entretenir aucune relation avec un
constitutionnel tel que Duport. Dans ce co-


* Voyez Bertrand de MolIevilJe.
n.




226 RÉVOLUTION FRAN<jAISJ.:.


mité se trouvaient encore Lally - ToJendal ,
Malouet, Clermont-Tonnerre, Gouvernet et
autres, tous dévoués a Louis XVI, mais, hors
ce point, dífférant assez d'opinion sur la part
qu'il faudrait faire a la royauté, si on parvenait
a la sauver. On y résolut la fuite du roi, et sa
retraite au chatean de Gaillon, en Normandie.
Le duc de Lianeourt, ami de Lonis XVI, et
jouissant de toute sa confianee, eommanclait
cette province; ji répondait de ses troupes et
des habitants de Rouen, qni s'étaient pronon-
cés par une adresse énergique eontre le 20
juin. Il offrait de reeevoir la familJe royaJe, et
de la conduire a Gaillon, on de la remettre a
I..afayette, qui la trallsporterait au mílieu de
son armée. 11 donnait en outre toute sa fortune
pour seeonder l'exécutiou de ce projet, et ne


. demandait a réserver a ses enfants que eent
louis de rente. Ce plan convenaÍt aux rnembres
constitutionnels du comité, paree qu'au lieu
de mettre le roi dans les mains de l'émigration,
ii le pla1,lait aupres du due de Liancourt et de
Lafayette. Par le meme motif, il répugnait aux
autres, et risquait de déplaire a la reine et au
roi. Le chatean de Gaillon avait le grand avan-
tage de n'etre qu'a trente-six lieues de la mer,
et d'offrir, par la Normandie, provinee bien
disposée, une fni te facile en Angleterre. JI en




ASSEMBLJÜ: LÉGISLATIVE (1792). 227
avait encore un autre, e'était de n'etre qu'a
vingt lieues de Paris. Le roi pouvait done f;'y
rendre sans manquer a la loi constitutionnelle,
et e' était beaucoup pOUI' lui, car il te~ait sin-
gulierement a ne pas se mettre en é:t~t de
eontravention ouverte.


M. de Narbonne et la filie de Neeker, ma-
dame Stael, imaginerent aussi un projet de
fuite. L'émigratioll, de son coté, proposa le
sien: c'était de transporter le roi a Compiegne,
et de la sur les bords du Rhin par la foret des
Al'dennes. Chacun vent conseilIer un roi fai-
ble, paree que ehaeun aspire a lui donner
une volonté qu'il n'a paso Tant d'inspiratious
eontraires ajoutaient a l'indécisioll naturelle de
Louis XVI; et ce prince malbeureux, assiégé
de conseils, frappé de la raison des uns, en-
trainé par la passion des autres, tourmenté de
craintes sur le sort de sa famille, agité par les
scrupules de sa conseienee, hésitait entre mille
projets, et voyait arriver le fIot populaire sans
oser ni le braver, ni le fuir.


Les dépUlés girondius, qui avaient si har-
diment abordé la question de la déchéance,
demeuraient cependant incertains a la veiUe
d'une insurrection; quoique la cour fut pres-
que désarmée, et que la toute - pnissance se
trouvat du coté du peuple, néanmoins l'appro-


,5.




228 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


che des Prussiens, et la crainte qu'inspire tou-
jours un ancien pouvoir, meme apres qu'íl a
été privé de ses forces, leur persuaderent qu'il
vaudrait encore mieux transiger ave e la cour,
que da s'exposer aux chances d'une attaque.
Dans le cas meme ou cette attaque serait
heureuse, ils craignaicnt que l'arrivée tres-
prochaine des étrangers ne détruisit tous les
résultats d'une victoire sur le chatean, et ne 6t
succéder de terribles vengeances a un succes
d'un momento Cependant, malgré cette dispo-
sition a traiter, ils n'ouvrirent point de négo-
ciations a ce sujet, et n'oserent pas prendre
l'initiative; mais ils écouterent un nommé
Boze, peintredu roi, et tres-lié avec Thierry,
valet de chambre de I .. ouis XVI. Le peintre
Boze, effrayé des dangers de la chose publique,
les engagea a écrire ce qu'ils croiraient propre,
dans cette extrémité, a sauver le roi et la li-
berté. 11s firent done une lettre qui fut signée
par Guadet, Gensonné, Vergniaud, et qui eom-
men~ai t par ees mots; Vous nous demandez,
mansieur, quelle est natre opinion sur la situa-
lion actuelle de la France ... Ce début prouve
assez que l'explication avait été provoquée. Il
n'était plus temps pour le rOÍ, disaient a Boze
les trois députés, de se ríen dissimuler, et iI
s'abuserait étrangement s'il ne voyait pas que




ASSEMBLÉE LÉGISI.ATIVE (179:1). 2:19
sa conduite était Ja cause de l'agitation géné-
raJe, et de cette violence des clubs dont il se
plaignait sans cesse; de nouvelles protestations
de sa part seraient inutiIes et paraitraient dé-
risoires; au point ou se trouvaient les choses,
iI ne fallait pas moins que des démarches dé-
cisives pour rassurer le peuple: tout le monde,
par exemple, croyait fermement qu'il était au
pouvoir du roi d'écarter les armé es étrangeres;
il fallait done qu'il commen(,;at par ordonner
cet éloignement; il devait ensuite ehoisir un
ministere patriote, eongédier Lafayette qui,
dans J'état des ehoses, ne pouvait plus servir
utilement, relldre une loi pour l'éducation
eonstitutionnelle du jeune dauphin, soumet-
tre la liste civile a une eomptabilité publique,
et déclarer solennellement qn'il n'aeeepterait
pour lui-meme d'augmentation de pouvoir,
que du consentement libre de la nation. A ces
conditiolls, ajoutaient les Girondins, il était él
espérer que J'irritation se calmerait, et qu'avec
du temps et de la persévérance dans ce sys-
teme, le roí reeouvrerait la confiance qu'il
avait aujourd'hui tout-a-fait perdue.


Certes, les Girolldins se trouvaíent alol's
bien pres d'atteindre Ieur but, si véritablement
iIs avaient conspiré jusq u'a cet instant et depuis
IOllg-temps pour la réalisation d'nne républi-




.. 30 nJtVOLUTION FnAN~AISE.
que; et I'on voudrait qu'ils se fussent arretés
tout-a-ctmp au moment de réussir, pOllr faire
donner le ministere a trois de leurs amis!
Voila cequine peut etre; et il devient évident
que la république ne fut désirée qu'en déses-
poir de la monarchie, que jamais elle De fut
·un véritable projet, et que meme, a la veille
de l'obtenir, ceux qU'Oll accuse de l'avoil' lon-
gúement préparée, ne voulaient pas sacrifier
la chose publique au triomphe de ce systeme,
et consentaient a garder la monarchie consti-
tutionnelle, pourvu qn'elle fut entourée d'assez
de sécnrité. Les Girondins, en demandant l'é-
loignement des troupes, prouvaiellt assez que
le dangeJ' actuel seu 1 les occupait; l'attention
qu'ils donna.ient a l'éducation du dauphin,
prouve 'suffisamment encore, que la monarchie
n' était pas pour eux un avenir insupportable.


On a prétendu que Brissot, de son coté,
avait fait des propositions pour empecher la
déchéance, et qu'il y avait mis Ja condition
d'une sommett'es-forte. Cette assertion est de
Bertrand de MolleviHe, qui a toujours calomnié
par deux I'aisons: méchanceté de cceur et
fausseté d'esprit. Mais il n'en dorme aucune
preuve; et la pauvreté connne de Brissot, sa
conviction exaltée, doivent répondre ponr lni.
n ne serait pas impossible sans doute qlle la




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 231
eour eut donné de l'argept a l'adresse de Bris-
80t, mais cela ne prouverait pas que l'argent
eut été ou demandé ou re~u par lui. Le fait
déja rapporté plus haut sur la corruption de
Pétion, promise a la cour par des eS(,Xocs, ce
fait etbeaucoup d'aut!'es du meme genre m(}n-
treut assez quelle confiance il faut ajouter a ces
accusations de vénalité, si souvent et si faciJe-
rnent hasardées, D'ailleurs, quoi qu'il en puisse
etre de Bl'issot, les trois députés Gensonné,
Guadet, Vergniaud, n'ont pas meme été ac-
cusés, et ils furent les seuls signataires de la
leUre I'emise él Boze.


Le crenr ulcéré du roi était rnoins capable
que jamais d'écouter leurs sages avis. Thierry
lui présenta la leUre, mais iI la repoussa dure-
ment, et fitses deux réponses accoutumées,
que ce n'était pas lui, mais le mil;listere pa-
triote, qui avait provoqué la guerre; el que,
quant a la constitution, il l'observait fidele-
ment, tandis que d'autres mettaient tous leurs
soins a la détruire *. Ces raisons n'étaient pas
tres-justes; car, pien qll'il n'eut pas provoqué
la gnerre, ce n'en était pas moins un devoir
pour luí de la bien soutenir; et, quant él sa
fidélité serupuleuse a la lettre de la loi, c'était


• Voyez la note 21 a lil fin du volume.




232 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
peu que }'observation du texte, il falIait en-
core ne pas c.0mpromettre la chose meme, en
appelant l'étranger.


Il faut sans doute attribuer a l'espérance
qu'avaient les girondins de voir leurs avis
écoutés, les ménagements qu'ils garderent,
lorsqu'on voulut soulever dans l'assemblée la
question de la déchéance tous les jours agitée
dan s les clubs, dans les groupes et les péti-
tions. Chaque foís qu'ils venaient au llom de
la commission des douze, parler du danger-de
la patrie et des moyens d'y remédier, remontez
a la cause du danger, Ieur disait-on; a la cause,
répétaient les tribunes. Vergniaud, Brissot et
les girondins répondaient que la commission
avait les yeux sur la cause, et que lorsqu'il
en serait temps on la dévoilerait; mais que
pour le moment il fallait ne pas jeter encore
un nouveau levain de discorde.


Mais il était décidé que tons les moyens et
les projets de transaction échoueraient; et la
catastrophe, prévue et redoutée, arriva bien-
tot, comme nous le verrons ci-apres.




ASSElUBLÉE LÉGISLATIVE (1'792). 233


Arrivée des Marseillais a Paris; diner et sdmes sanglantes
aux Champs-~:Iysée~. - :rl'lanifeste du duc de Bruns-
wick. - Les sections de Paris demandent la déchéance
du roi. - Le roi refuse de fuir. - L'assemblée rejette
la proposition d'accuser Lafayeuf'. - Préparatifs de
l'insurrection; moyens de défense .dll chateau. - In-
surrection du 10 aout; \es faubourgs s'emparent des
Tuileries apres un combat sanglant; le roi se retire a
l'assemblée ; suspension du pouvoir royal; convocation
d'une convention nationale.


A la suite d'une fe te donllée aux fédérés, le
comité insurrectíonnel décida qu'on partirait
le matin, 26 juillet, sur trois colonnes, pour
se rendre au chateau, et qu'on marcherait avec
le drapeau rouge, et avec cette inscription:
ceux qui tireront sur les colonnes du peuple,
seront mis ti mort sur-Ie-champ. Le résultat
clevait etre de constituer le roi prisonnier, et
de l'enfermer á Vincennes. On avait engagé la




234 REVOLUTJON FRAN(,arsE.
garde nationale de Versailles a secouder ce
mouvement; mais on l'avait avertie si tard, et
on était si peu d'accord avec elle, que ses of-
ficiers vinrent a la mairie de Paris, le matin
meme, pour savoir ce qu'il fallait faire. Le se-
cret d'ailleurs fut si mal gardé, que la cour
était déja avertie, toute la famille royale debout,
et le chateau plein de monde. Pétioll, voyant
que les mesures avaient été mal prises, crai-
gnaut quelque trahison, et considérant surtout
que les Marseillais n'étaient point encore arri-
vés, se rendit en toute hate an faubourg, pOllr
arreter un monvement quí devait perch'e le
parti populaíre, s'il ne réussissait paso


Le tumulle était affl'eux dans les fauhourgs;
on y avait sonné le tOCflin toute la nuit. POur
excíter le peuple, oh avait répandu le bruit
qu'il existait au chateau un amas d'armes qu'il
fallait aller chercher. Pétion parvint avec beau-
coup de peine a ramener l'ordre; le garde-des-
sceaux Champion de Cicé, qui s'y était rendu
de son coté, yre<;ut des coups de sabre; enfin
le peuple consentit a se retirer, et l'insurrec-
tion fut ajournée.


Les querelles, les contestations de détail par
Jesquelles on prélude d'ordinaire a une rnp-
ture définitive, continuerent sans interruption.
Le roí avait fait fermer le jardín des Tuíleric!>




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE tI 792). 235
depuis le 20 juin. La terrasse des feuillants,
aboutissant a l'assemblée , était seule ouverte,
et des sentinel1es avaient la consigne de ne
Jaisser passer personne, de cette terrasse dans
le jardín. Despréménil y fut rencontré s'entre-
tenant vivement avec un député. Il fut hué,
ponrsnivi dans le jardin, et porté jusqu'au
palais-Royal, ou il re<,;ut plusieurs hlessures.
Les consignes qui empechaient de pénétrer
daos le jardín ayant été violées, il fut ques-
líon d'y suppléer par un décret. Cependant le
décret oe fut pas rendu; on propósa seu le-
ment d'y mettre un écriteau p~rtant ces mots:
Difense de passer sur le territoire étranger.
L'écriteau fut placé, et suffit pour empecher
le peupled'y mettre les pieds, quoique le roi
eut fai·t lever les consignes. Ainsi les procédés
n'étaient déja plus ménagés. Une lettre de
Nancy, par exemple, annon<;ait plusieurs traits
civiques qui avaient eu lieu dans cette ville;
sur-Ie-champ I'assemblée en envoya copie au
rói.


Enfin le 30, les Marseillais arrivercnt. lis
étaient cinq cents, et comptaient dans leurs
rangs tout ce que le Midi renfermait de plus
exalté, et tont ce que le commerce amenait de
plus turbulent dans le port de Marseille.Bar-
barou'X se rendit all-devant d'eux a Charenton.




236 RÉVOLUTION FRAN(?AISE.
A cette oeeasion, un nouveau pl'ojet fut con-
certé avee Santerre. Sous prétexte d'aller au-
devant des Marseillais, on voulait réunir les
faubourgs, se rendre cnsuite en bon ordre au
Carrousel, et y camper sans tumulte, jusqu'a
ee que l'assemblée eút suspendu le roí, ou qu'il
eút volontairement abdiqué. Ce projet plaisait
aux philantropes du parti, qui auraient voulu
terminer cette révolution sans effusion de sango
Cependant il manqua, paree que Santerre ne
réussit pas a réunir le faubourg, et ne put
amener qu'un petit nombre d'hommes au-de-
vant des Marseillais. Santerre leur offrit tout
de suite un repas qui fut serví aux Champs-
Élysées. Le meme jour, et au meme moment,
une réunion de gardes nationaux du bataillon
des Fílles-Saínt-Thomas, et d'autres individus,
écrivains ou militaires, tous dévoués a la COllr,
faisaient un repas aupres du líeu ou étaient
fetés les Marseillais. Certainement ce repas n'a-
vait pu etre préparé a dessein pour troubler
celui des Marseillais, puisque l'offre faite a ces
derniers avaít été inopinée, cal' au lieu d'un
festin on avait médité une insurrection. Cepen-
dant iI était impossible que des voisins si op-
posés d'opinion aehevassent paisiblement leur
repaso La populaee insulta les royalistes, qui
voulurent se défendl't:'; les patriotes, appelés




ASSEMBLÉE LÉGJSLA.TIVE (1792). 237
au secours de la populace, accoururent avec
ardeur, et le combat s'engagea. n ne fut pas
long,; les Marseillais, fondant sur leurs adver-
saires, les mirent en fuite, en tuerent un et
en blesserent plusieurs. Dans un moment, le
trouble se répandit dans Paris. I.es fédérés par-
couraient les rues, et arrachaient les cocardes
de ruban, prétendant qu'il les fallait én laine.


Quelques - uns des fugitifs arriverent tout
sanglants aux Tuileries, ou ils furent accueillis
avec empressement, et traités avec des soins
bien naturels, Pllisqu'on voyait en eux des
amis victimes de leur dévouement. Les gardes
nationaux qui étaient de service au chateau
rapporterent ces détails, y ajouterent pellt-etre,
et ce fut l'occasion de nouveaux bruits, de
nouvelles haines contre la famille royale et les
dames de la cour, qui avaient, disait-on, essuyé
avec ]eurs mouchoirs la sueur et le sang des
hlessés. On en conclut meme que la scene avait
été préparée , et ce fut le motif d'une nouvelle
accusation contre les Tuileries.


La garde nationale de París demanda aussi-
tot l'éloignement des Marseillais; mais elle fut
huée par ,les tribunes, et sa pétition n'obtint
aucun succes.


C'est au milieu de ces circonstances que fut
répandu un écrit attribué au prince de Bruns-




238 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
wick, et bientot reconnu authentique. Nous
avons déja parlé de la mission de Mallet·du·Pan.
Il avait donllé an nom du roi l'idée et le mo-
dele d'un manifeste; mais cette idée fut bien-
tot dénaturée. Un autre manifeste, inspiré par
les passions de Coblentz, et revetu du nom de
Brunswick, fut pub lié au-devant de l'armée
prussienne. Cette piece était cOIH;ue en ces
termes:


(( Leurs majestés l'empereur et le roi de
« Prusse m'ayant confié le commandement des
{( armées combinées qu'ils ont fait rassembler
(( sur les fronticres de FI'ance, fai voulu an-
« noncer aux habitants de ce royaume les mo-
t( tifs qui ont déterminé les mesures des deux.
« souverains, et les intentions qui les gui-
« dento


« Apres avoir supprimé arbitrairemeut les
(( droits et possessions des princes allemands
c( en AIsace et en Lorraine, lroublé ct ren versé,
« dans l'illtérieur, le bon ordre et le gouver-
c( nement légitime; ex.ercé contre la personne
E( sacrée du roi et contre son auguste famille
« des attentats et des violences qui sont encore
({ perpétués et renouvelés de jour en jour, ceux
« qui out usurpé les renes de l'administration
« ont enfin comblé la meSUl'e en faisant dé-
« clarer une guerre injuste a sa majesté l'em-




ASS1<:MBl,ÉE LÉGISL,uIVE (1 7!-¡~). 239
« pereur, et en attaquant ses provinces situées
« en Pays-Bas; quelques-unes des possessions
« de l'empire germanique ont été enveloppées
« dans cette oppression, el plusieurs autres
(C n'ont échappé au meme danger qu'en cédant
« aux menaces impérieuses du parti dominant
« et de ses émissaires.


« Sa majeslé le roi de Prusse, uní avec sa
« majesté impéríale par les liens d'une alliallce
« étroite et défensive, et membre prépondé-
« rant lui·meme d1l corps germanique, n'a done
« pu se dispenser de marcher au secours de
« son allié et de ses co-états; et c'est SOllS ee
« double rapport qu'il prend la défense de ee
« monarque et de l'Allemagne.


« A ees grands intérets se joint eneore un
l( but également important, et qui tíent a creur
t( aux deux souverains, e'est de faire eesser l'a-
« narchie dans l'intérieur de la Franee, d'arre-
« ter les attaql1es portées au trane et a l'autel,
« de rétablír le pouvoír IégaI, de rendre au roí
« la sureté et la liberté dont iI est privé, et de
« le mettreen étatd'exercer l'autorité légitime
IC qui lui est due.


« Convaincus que la partie saine de la natÍon
« franc,;aise abhoÍTe les exces d'une faetion qui
« la subjugue, et que le plus grand nombre des
« habitants attend avee impatience le moment




2!JO RÉVOLUTION FRAN<;;A.ISE.
(( du secours pour se déclarer ollvertement
(( contre les entreprises odieuses de leurs op-
c( presseurs, sa majesté l'empereur et sa majesté
« le roi de Prusse les appellent et les invitent
ce a l'etourner sans délai aux voies de la raison
e( et de la justice, de l'ordre et de la paix.
(e C' est dans ces vues que moi, soussigné, gé-
ce néral commandant en chef les deux armées,
e( déclare :


e( l° Qn'entralnées dans la guerre présente
ce par des circoIlstances irrésistibles, les deux
ce cours aIliées ne se proposent d'autre but que
« le bonheur de la France , sans prétendre s'en-
(( richir par des conquetes;


« 2° Qu'elles n'entendent point s'immiscer
e( dans le gouvernement intérieur de la France,
« mais qu'elles veulent uniquement délivrer le
ce roi, la reine et la famille royale de leur capti-
« vité , et procul'er a sa majesté tres-chrétienne
«( la sureté nécessaire pOllr qu' elle puisse {aire
« san s dan gel' , sans obstacle, les convocations
«( qu'elle jugera a propos, et travailler a assu-
(e rer le bonheur de ses sujets, suivant ses pro-
« messes et antant qu'il dépendra d'elle;


«( 3° Que les armées combinées protégeront
(( les villes, bourgs et villages, et les personnes
ce et les biens de tous ceux ql1i se SOl1mettront
e( au roi, et qu'elles concol1rront au rétablis-




ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE (J792). 241
({ sement instantané de l'ordre et de la police
« dans toute la France;


« 4° Que les gardes nationales sont sommées
«( de veiller provisoirement a la tranquillité
c( des villes et des campagnes, a la sureté des
«( personnes et des biens de tous les Franc;;ais


. (( jusqu'a l'arrivée des troupes de leurs majestés
«impériale etroyale, oujusqu'accqu'il en soiL
« autrement ordonné, son s peine d' en etre per-
(c sonnellement responsables; qu'au contraire ,
« ceux des gardes nationaux quí auront com-
«( battu contre les troupes des deux cours al-
« liées, et qui seront pris les armes a la main,
« seront traités en ennemis, et punis comme
«( rehelles. a leur roi et comme perturbateurs
«( du repos publíc;


«( 5° Que les généraux, officiers, bas-officiers
(( et soldats des troupes de ligne franc;aises sont
(( également sommés de revenir a leur ancierme
(( fidélité, et de se soumettre slll'-le-champ au
« roí, leur légitime souveraín;


« 6° Que les membres des départements, des
" districts et des municipalités, seront égale-
" ment responsables, sur leurs tetes et sur lellrs
« biens, de tons les délits, incendies, assassí·
« nats, pillages et voies de faít qu'ils laisserout
(( commet.tre ou qu'ils ne se sont ras uotoire-
«( ment efforcés d'empecher dans leur territoire;


n. 16




242 RÉVOLUTION FRAN9AISJ,.
ce qu'ils seront également tenus de continuer
(( provisoirement leurs fonctions jusqu'a ce que
« sa tnajesté tres-chrétienne , remise en pleine
« liberté, y ait pourvu ultérieurement, ou qu'il
« en ait été autrement ordonné en son nom
(( dans l'intervalle;


« 7° Que les habitants des villes, bourgs et
«( villages, qlli oseraient se défendre contre les
«( troupes de leurs majestés impériale et royal e ,
(e et tirer sur elles, soit en rase campagl1e, soit
« par les fel1etres, portes et ouvertures de leurs
« maisons, seront punís stir-Ie-champ suivant
ce la rigueur du aroit de la gllerre, et leurs
e( maisons démolies ou brUlées. Tous les habi-
(( tants, au contraire, desditesvilles, cbourgs et
« villages, qui s'empresseront de se soumettre a
« leur roi, en ouvrant leurs portes aux troupes
(( de leurs majestés, seront a l'ínstant SOl1S leur
( sauvegarde immédíate; leurs personnes, ]ellrs
( biens, ]eurs effets, seront sous la protectíon
l( des loís; et il sera pourvu a la súreté géné-
c( rale de tous et chacnn d'eux;


« 8° La ville de París et tous ses habitants.
ce sans distinction, seront tenus de se SOl/mettre
(e sur-Ie-champ et sans délai au roi, de mettre
( ce prince en pleine et entiere liberté, et de
« lui assurer, ainsi qu':'t toutes les personnes
e( royales, l'inviolabilité et le respect auxquels




¡\SS¡'~]UBLÉE LÉGISLATIVE (1792). 243
« le droit de la nature et des gens oblige les
ce sujets envers les souverains; leurs majestés
« impériale et royal e rendant personnellement
« responsables de tons les événements, sur Ieur
« tt~te, pour etre jugés militairement , sans es-
( poil' de pardo n , toilS les membrcs de l'assem-
{( blée nationale, dil département, du distritt;
« de la municipalÍté et de la garde nationalede
(c París, les juges de paix et tous autres qtt'i 1
« appartiendra; déclarant eh Qutre leursdites
c( majes1és, sur leur foÍ et parole d'etrlperélir et
« roí, que si le chatea u des Tuileries est forcé
r( ou insulté, que s'il est faÍt la moindre vio-
« lence, le moindre outrage a Ieurs majestés le
r( roi, la reine et la famille royale, s'il n'est pas
{( poutvu immédiatement a Ieur sureté, a leur
( conservation et a leur liberté, elles eritireront
l( une vengeance exemplaire el a jamais memo-
« rabIe, en livrant la ville de París a une exécti-
« tion militaire et a une subversion totale, et
« les révoltés coupables d'attentats, aux sup-
« plices qu'ils auront mérités. Leurs majestés
(1 impériale et royale promettent au contraire
( aux habitants de la ville de Paris d'employer
«( leurs bons offices aupres de sa majesté tres-
« chrétienne pour obtellir le pardon de Jeurs
c( torts et de leurs erreurs, et de prendre les
r( mesures les plus vigoureusf's pour assurer


16.




244 nÉVOLUTlON FRAN<,?AfSF..
« leurs personnes et leurs hiens, s'ils ohéissent
« promptement et exactement a l'injonction
« cÍ-dessus,


« Enfin leurs majestés ne pouvant l'eeon-
« naitre pour lois en Franee que ceHes qUl
« émaneront duroi, jouissant d'nne liberté par-
« faite, protestent d'avance eontre l'authenti-
« cité de toutes les déclarations qui pourraient
« etre faites au nom de sa majesté tres-chré-
« tienne, tant que sa personne sacrée. celle de
« la reine et de toute la famille royal e ne seront
« pas réellement en sureté; él l'effet dequoi
« lellrs majestés impériale et royale invitent et
« sollieitent sa majesté tres-chrétienne de dési-
« gner la, ville de son royaume la plus voisine
« de ;ses frontieres dans laquelle elle j ugera a
« propos de se retirer avee la reine et sa famille,
« SOllS une honne et sure es corte qni lui sera
ce envoyée pour cet effet, afin que 5a maje5té
« tres-ehrétienne puisse en toute sureté appeler
(( aupres d'elle les ministres et les conseillers
.« qu'il lui plaira de désigner, faire telles eon-
c( vocations qui luí paraitront convenables,
~( pourvoir au rétablissement du bon ordre, et
« régler l'administration de son royaume.


« Enfin, je déc1are et m'engage eneore, en
~(,monpropre et privé llom , et en ma qualité
g, susclite, de fair'e obscrver partout aux troupes




A.SSEMDLÉE LÉGISLATIVE (J 79~)' 245
(l coufiées a mon commandement ulle bOllne et
« exacte discipline, promettant de traiter avec
« douceur et modération les sujets bien inten-
(e tionnés qui se montreront paisibles et soumjs,
« et de n'employer la force qu'envers ceux qui
« se rendront eoupables de résistance ou de
« mauvaise volonté.


« C'est par ces raisons que je requiers et
« exhorte tous les habitants du royaume, de la
« maniere la plus forte et la plus instante, de
« ne pas s'opposer a la marche et aux opéra-
« tjons des troupes que je commande, roais de
C( leur accorder plutót partout une libre entrée
« et toute bonne volonté, aide et assistance que
« les eirconstallces pourronl exiger.


« Donné au quartier-général de Coblentz, le
« ~5 juillet 1792.


« Signé CHARLES-GUILLAUME-FERlHNAND,
duc de Bruflswick-Lunebourg. »


Ce qui parut surtout étonnant dans eeUe
déclaration, e'est que, datée du 25 de Coblentz,
elle se trollva le 28 a Paris, et fut imprimée
dans tous les jOllrnaux royalistes. Elle produisit
un effet extraordinaire. Cet eHet fut eelui des
passions sur les passions. On se promit de
loute part de résister a un ennemi uont le lan-
gage était si hautain et les mcnaces si terribles.
Dans l' état des csprits, il était llaturel q lle le




246 nÉVOLUTION FRAN(jA[S~¡';.
roí et la cour fussent accusés de cette nouvelle
faute. Louis XVI s'empressa de désavouer le
manífeste par Un message, etille pouvait sans
doute de tres-bonne foi, puisque cette piece
était si différente du modele qu'il avait pro-
posé; mais il devait déja voir par cet exemple
combien sa volonté serait outrepassée par son
parti, si ce par ti était jamais vainqueur. Ni son
désaveu, ni les expressions dont iI l'accompa-
gua, ne purentramener l'assemblée. En parlant
de ce peuple dont le bonheur lui avait toujours
été cher, il ajoutait : « Que de chagrins pour-
« raient etre effacés par la plus légere marque
« de son retour! >l


Ces paroles touchantes n'excitCrent plus l'en-
thousiasme qu' elles avaient le don de produire
autrefois; on n'y vit qu'une perfidie de langage,
etbeaucoup de députés appuyerent l'impression
pour rendre public, dirent-ils, le contraste qui
existait entre les paroles et la conduite du roi.
Des ce moment, l'agitation ne cessa pas de
croitre, et les circonstances de s'aggraver. On
eut connaissance d'un arrt!té par lequel le dé-
partement des Bouches-du-Rhóne retenait les
impots pour payer les tronpes qu'il avait en-
voyées contre les Savoisiens , et accusait d'in-
suffisance les mesures prises par l'assemblée.
C'était un acte du aux inspirations de Barba-




ASSF.MBLÉE LÉGrSLATlvE (1792). 247
roux. L'arreté fut cassé par l'assemblée, sans
qut! l'exéclltion en put etre emptkhée. On répan-
dit en meme temps que les Sardes, qui s'avan-
<{aient, étaieut au nombre de cinquante mille.
Il [aUut que le ministre des relatioIls extérieures
vint assurer lui-meme a rass~mblée que les ras-
semblements n' étaient tout au plus que de onze
a douze mille hommes. A ce bruit en succéda
un autre : on prétendit que le petit nombre des
fédérés actuellement rendus a Soissons, avaient
été cmpoisonnés avec du verre melé dans leur
rain. On assurait meme qu'il y avait déja cent
soixante morts et huit cents malades_ On alla
aux informations, et on apprit que les farines
se trouvant dans une église , des vitres avaient
été cassées, et que quelques mQrceaux de verre
s'étaient trüuvés dans le pain. II n'y avait ce-
pendant ni morts , ni malades.


Le 25 juillet, un décret avaitrendu toutes les
sections de Paris permanentes. Elles s'étaient
réunies, et avaient chargé Pétion de proposer
en leur nom la déchéance de Louis XVI. Le
3 aout au matin, le maire de Paris, enhardi
par ce vreu, se présenta a l'assembJée pour faire
une pétition au nom des quarante-huit sections
de París. Il exposa la conduite de Louis XVI
depuis l'ouverture de la révolution; il retra<;a,
dans le langage du temps, les bienfaits 'de la




'lqH RÉVOLUTlON FRANC)ArS}~.
JlatÍon envers le roí, et l'ingratitude du mo-
narque. n dépeignit les dangers dont toutes
les imaginations étaient frappées, l'arrivée de
l'étrang'er, la nullité des moyem de défense, la
révolte d'un général contre l'assemblée, l'op-
position d'lIne foule de directoires de dépar-
tement, et les menaces terribles et absurdes
faites au nom de Brunswick; en conséquence
il conclut a la déchéance du roi, et demanda
a l'assemblée de mettre cette importante ques-
tíon a l'ordre du jour.


Cette grande proposition, qui n'avait encore
été faite que par des clubs, des fédérés, des
communes, venait d'acquérir un autre carac-
tere en étant présentée au nom de París et par
son maire. ElIe fut accueillie plutot avec éton-
nement qu'avec faveur dans la séance du matin.
Mais le so ir la discussion s'ouvrit, et l'ardeur
d'une partie oe l'assemblée se déploya sans re-
tenue. Les uns voulaientqu'on discutatla ques-
tion sur-Ie-champ, les autres qu'on l'ajournat.
On finit par la remettre au jeudi, 9 aout, et
on continua a recevoir el a lire des pétitions
exprimant, avec plus d'énergie encore que
eeHe du maire, le meme vreu et les memes
sentiments.


La section de Mauconseil, allallt plus loin
que les autres, ne se borna pas a demander la




ASSFMllLÉE LÉGfSI,ATIVE (1792). 249
déchéance, mais la pronon<;a de sa pleine au-
torité. Elle déelara qu'elle ne reconnaissait plus
Louis XVI pour roí des Fran<;ais, et qu'elIe
¡raít bientot demander au corps législatif s'jl
voulait enfIn sauver la France; de plus, elle
invita toutes les sections de l'empire (qu'elle
n'appelait déja plus le royaume), a imiter son
exemple.


Comme on l'a déja vu, l'assemblée ne suivait
pas le mouvement insurrectionnel aussi vite
que les autorités inférieures, parce que, char-
gée de veiller sur les loís, elle était obligée de
les respecter davantage. Elle se trouvait ainsi
fréquemment devancée par les corps populai-
res, et voyait le pouvoir s'éehapper de ses
mai.ns. Elle eassa done l'arreté de la section
de Mauconseil ; Vergniaud et Cambon employe-
rent les expressions les plus séveres contre eet
acte, qu'ils appelerent une usurpation de la
souveraineté du peuple. Il parait eependant
que dans cet acte, ils condamnaient moins la
violation des principes, que la précipitatíon
des pétitionnaires, et surtout l'inconvenance de
leur langage a l'égard de l'assemblée nationale.


Le terme de toutes les incertitudes appro-
chait; le meme jour on se réunissait en meme
temps dans le comité insurrectionnel des fé-
dérés, et chez les amis dn roi, qni préparaient




? 50 RÉVOLUTION 1:'HANC:;;AlS}:.
sa fuite. Le comité remit l'insurrection au jour
ou l'on discuterait la déchéance, e'est-a-dire
au 9 aout au soir, pour le 10 au matin. De leur
coté, les amis du roí délibéraient sur sa fui te,
dans le jardin de M. de Montmorin. MM. de
Lianeourt et de Lafayette y renol1velaient leurs
offres. Tout était disposé pour le départ. Ce-
pendant on manquait d'argent; Bertrand de
Molleville avait iuutílemellt épuisé la liste ei-
vilc pour payer des clubs royalistes, des ora-
teurs de tribunes, des orateurs de groupes,
de prétendus sédllcteurs qui ne sédui3aient
personne, et gardaient pour eux les fonds de
la COllr. On suppléa au défaut d'argent par des
prets que des sujets généreux s'empresserent
de faire au roi. Les offres de M. Lianeourt ont
déja été rapportées; il donna tout l'or qu'íl
aVait pu se procurer. D'autres personnes four-
nirent eelni qu' elles possédaient. Des amis dé-
voués se préparerent a suivre la voiture qui
transporterait la famille royale, et, s'ille fal-
laít. a périr a ses cotés. Tout étant disposé,
les eonseillers réunis ehez Montmorin réso]u-
rent le départ, apres un eoneiliabule qui dura
toute une soirée. Le roí, qui les vit immédia-
tement apres, donna son eonsentement a eette
résolution, et ordonna qu'on s'entendit avec
MM. de NJontciel et de Sainte·Croix. Quelles




ASSElUBLÉ¡; L.ÉGISLATIVE (1792). 251
que fussent les opinions des hommes qui s'é-
taient réunis pour eette entreprise, e'était une
grande joie pour eux de croire un moment a
la prochaine délivrance du monarque *.


Mais le lendemain tout était ehangé; le .roi
fit répondre qu'il ne partirait point, paree qu'il
ne voulait pas eommeneer la guerre civile.
TOllS ceux qui, avec des sentiments tres-dif-
férents, s'intéressaient également a lní, furent
consternés. lIs apprirent qlle le motif réel n'é-
tait pas celui qn'avait donné le roi. Le véritable
était d'abord l'arrivée de Brunswiek, annoncée
eomme tres-prochaine; ensuite l'ajournement
de l'insurreetion, et surtout le refus de la reine
de se confier aux eonstitutionnels. Elle avait
énergiquement exprimé sa répugnanee, en di-
sant qu'il valait mieux périr que de se mettre
dans les mains de gens qui leur avaient faít
tant de mal n.


Ainsi, tous les efforts des constitlltionnels et
tous leurs dangers furent inutiles. Lafayette
s'était gravement compromiso On savait qu'il
a vait déeidé Luekner a marcher au besoin sur
la eapitale. CeJui-ei, appelé aupres de I'assem-


* Voyez la note :l2 a la fin du volume .
•• Voyez "tes Mémoires de Mm- Campan, tome II, page


125.




252 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.


blée, avait tont avoné an comité cxtraordí-
naire des donze. Le vieux Luckner était faíble
et mobile. Qnand des mains d'un parti il passait
dans ceHes d'un autre , jI se laissait arracher
raven de tout ce qu'il avait entendu ou dit
la veille, s'excusait ensnite de ses aveux en
disant qu'il ne savait pas la langlle fran~aise,
pleurait et se plaignait de n'etre entouré que
de factieux. Guadet eut l'adresse de lui faire
confesser les propositions de Lafayette; et
Bur{"-3u de Puzy, accusé d'ell avoir été l'inter-
médiaire, fut mandé a la barre. C'était un des
amis et des officiers de Lafayette; il nía tout
avec assurance, et avec un ton qui persuada
que les négociations de son générallui étaient
inconnues. La question de savoir si on mettrait
Lafayette en accusation fut encore ajournée.


On approchait du jour fixé pour la discussioIl
de la déchéance; le plan de l'insurrectioll était
arreté et connu. Les Marseillais, quittant leur
caserne trop éloignée, s'étaient transportés a
la section des corde1iers, ou se tenait le club
du meme nomo Ils ~e trouvaient aínsi au cen-
tre de París, et tri>s-pres du líen de l'action.
Deux officiers mllnicipaux avaient été assez
hardis ponr faire disll'ibuei' des cartouches
aux conjurés; tout cllfin était préparé pou!'
le 10.




ASSEMBLÉF. U:GJSLATIVE (r 792). 253
Le 8 OH délibéra sur le sort de Lafayette.


Une {orte majorité le mit hors d'accusation.
Quelques députés, irrités de l'acquittement, de-
mandent l'appel nominal; et, a cette seconoe
épreuve, quatre cent quarante-six voix ont le
courage de se prononcer pour le général, con-
tre deux cent vingt-quatre. Le peuple, sonlevé
a cette nouvelle, se réunit a la porte de la
salle, insulte les députés qui sortent, et mal-
traite particnlierement ceux qui étaient connus
ponr appartenir an coté droit de l'assemblée,
tels que Vaublanc, Girardin, Dumas, etc. De
tous catés on s'indigne contre la représentation
nationale, et OH répete a haute voix qu'il n'y
a plus de salut avec une assemblée qui vient
d'absoudre le traílre Lafayette.


Le lendemain 9 aout, une agitation extraor-
dinaire regne parmi les députés. Ceux qui
avaient été illsultés la veille se plaignellt en
personne ou par ¡ettres. Lorsqll'on rapporte
que M. Beaucaron allait etre livré a la eorde,
un rire barbare éclate dans les tribunes. Quand
on ajoute que M. de Girardin a été frappé,
ceux meme qui le savaient le mieux lui de-
mandent ave e ironie, ou et eomment. - Eh!
ne sait-on pas, reprend noblement lVL de Gi-
rardin, que les la eh es ne {rappent jamais que
parderriere!-Enfin, un membre réclamel'or-




254 RÉVOI,UTlON l'RAN9AJSE.
dre du jour. Cependant l'assetnblée décide que
le procureur-syndic de la cotnmune, RredereJ',
sera mandé a la barre pour etre chargé de garan-
tir, sons sa responsabilité personnelle, la sureté
et l'inviolabilité des membres de l'assemblée.


On propose d'interpeller le maire de París,
et de l' obliger a déclarer par oui ou par 'non ,
s'il peut assnrer la tranquillité publique. Gua-
det réplique a cette proposition par ceHe d'in-
terpellel' aussi le roi, et de l' obliger a son
tour a déclarer par oui ou par non, s'il peut
répondre de la sureté et de l'inviolabilité dll
territoire.


Cependant, au milieu de ces propositions
contraires, il était facile d'apercevoir que l'as-
semblée redoutaít le moment décisif, et que
les girondíns eux-memes auraient mieux aimé
obtenir la déchéance par une déJibération,
que de recourir a une attaque douteuse et
meurtriere. Rrederer arrive sur ces entrefai ..
tes, et annonce qu'une section a décidé de
sonner le tocsin, et de marcher sur l'assem-
blée et sur les Tuileries, si la déchéance n'est
pas prononcée. Pétion entre a son tour; iI ne
s'explique pas d'une maniere positive, mais íI
avoue des projets sinistres; iI énumere les
précautions prises pour prévenir les monve-
ments dont on est menacé, et promet de se




ASSElIfBLJÍE LÉGISLATIVE (1792). 255
concerter avec le département pour adopter
ses mesures, si elles lui paraissaient meilleu-
res que ceHes de la municipalité.


Pétion, ainsi que tous ses ami s girondins,
préférait la déchéance prononcée par l'assem-
blée, a un combat incertain contre le cbatean.
La majorité pour la déchéance étant presque
assurée, il aurait voulu arreter les projets du
comité insurrectionnel. Il se présenta done an
comité de surveillance des Jacobins, et enga-
gea Chabot a sllspendre l'insurrection, en luí
disant que les girondins avaient résolu la dé
chéance, et la convocation immédiate d'une
convention uationale; qu'ils étaient surs de la
majorité, et qu'il ne fallait pas s'exposer a uüe
attaque dont le résultat serait douteux. Chabot
répondit qu'il n'y avait rien a espérer d'une as-
semblée quí avait absous le scélérat Lafayeite;
que lui, Pétion , se laissait abuser par ses amis ;
que le peuple avait enfin pris la résolution de
se sauver lui-meme, et que le tocsin sonnerait
le soir meme dans les faubourgs.


ce Vous aurez donc toujours maul'aise téte,
reprit Pétion. Malheur a nous, si on s'insurge!
Je coonais . votre influence, mais j'ai aussi la
mienne, et je l'emploierai contre vous. - Vous
serez arreté, répliqua Chabot, et 00 vous em
pechera d'agir.»




256 REVOLUTION FRANyAISE.
Les esprits étaient en effet trop excités pour


qae les craintes de Pétion pnssent etre eom-
prises, et que son infJuence pút s'exereer. Une
agitation générale régnait dans París; le tam-
bour battait le rappel dans tous les quartiers;
les bataillons de la garde nationale se réunis-
saient et se renclaient a leurs postes, avec des
dispositions tres-diverses. Les sections se rem-
plissaient, non pas du plus grand lIombre de
eitoyens, mais des plus ardents. Le comité in-
snrrectionnel s'était formé sur trois points.
Fournier et quelques autres étaient au fall-
bourg Saint-Marceau; Santerre et Westermanll
occupaient le faubourg Saint-Antoine; Dantoll,
enfin, CarnilJe Desrnoulins, Carra, étaient aux
Cordeliers avec le bataillon de Marseille. Bar-
barollx, apres avoir pIacé des éclaireurs a 1'as-
semblée et au chateau, avait disposé des cour-
riers prets a prendre la ronte du Midi. II s'était
pourvu en outl'e d'une dose de poison, taut
OH était incertain du sueces, et iI attendait
aux Cordeliel's le résuJtat de l'ínsurrection. On
ne sait ou était Robespierre; Danton avait ca-
ché Marat dans une cave de la section, et s'é-
tait ensuite emparé de la tribunc des Corde-
liers. Chacun hésitait, comme a la veille d'mH'
grande résolution; mais Danton, proportion-
llant l'andace a la gravité de l'événement, faj-




ASSFlI1BLEE LEGISLATIVE (1792 ). 257
sait retentir sa voix tOllnante; il éuumérait' Ct'
qu'il appeIait les crimes de la cour; i1 rappe-
lait la baine de celle-ci pourlacollstitution,
ses paroles trompellses ,ses promésseshypo-
crites, toujours démenties par sa conduite, et
enfin ses machinations évidentes pOLIr amener
l'étranger. « Le peuple, disait-il, ne peut plús
recourir qu'a lui-meme, ear la constitution est
insuffisante, et l'assemblée a absous Lafayeüe;
iI ne reste done plus que vous pour vous sauver
vous-memes. Hatez-vous done, ear eeHe' nuÍt
meme, des sateIlites eachés daos le chatean doi-
vent faire une sOl'tie sur le peuple, et l'égorger
avant de quitter París ponr rejoindre Coblentz.
Sauvez-vous done; aux armes! aux armes!»


Dans ce moment; un coup :de fusIl est 'tiré
dans la cour dti Commerce; le cri aux armes
devieutbientót général, el l'insorrection est
procIamée. Il était alors onze heures et demie.
Les Marseillais se forment a la porte des Corde-
liers, s'emparent des canons, et se grossissent
d'une foule nombreuse qui se rangea leurs
cótés. Camille Desmoulins et d'autres' se pré-
cipitent ponr aIler faire SOllller le tocsin; mais
ils ne trouvent pas la meme ardeu!' dan s les
différentes sections. lis s'efforeent de réveiller
lenr zele ;bientót elles se réunissent .et nom-
ment des commissairps, qui doivent aller;'\


rr 17




') 5S R~VOLUTION FH A N(,:AISt:.
l'Hótel-de-Ville déphlcer l'ancienlle municipa-
lité, et s'emparel' oe tous les pouvoirs. Enfin
on courtaux cIoches , on s'en empare de vive
force, et le tocsin commence a sonner. Ce
bruit lugubre Tetelltit dans l'immense étendue
de la capitale ; il se propage de rues en rues
~\ d' édifices en édifices; il appelle les députés,
les magistrats. les citoyens a leurs postes; tI
arrive ellfin an chateau, et vient y annoncer
que la nuit fatalf appl'oc~e, nuit terrible, uuit
d'íl;gitation et de sang, qui devait etre po.ur le
mO.Jlarque la derniere passée dans le palais de


, I
ses peres.


Pes émissaires de la cour venaient de lui
apprel;tQre qu'on. tou~h~i~ au moment de la
(;atfl!'!trophe; ils avaient rapporté le mot du
pr~sident des Cordelief5, qui avait dit a ses
gens qn'il ne s'agissait plus., comroe au ~w juin,
d'tme simple pfomenade civique; c'est-a-dire
que sí le 20 juin avait élé la menace, le 10 aout
devait etre le coup. décisif. On n'en doutait
plJ}.s e,O ~ffet. Le roí, la reine, icurs deux en-
fquts, leur soour madame Élisaheth, ne s'{;-
taient pas COllchés, et apres le souper avaienl
passé dans la salle du conseil ~ oú se trou vaient
tous les ministres et un grand nomhre el' offi-
ci~rs supérieurs. On y délibérait? daos le trou-
ble, sur les moyens de sauver la famille royale.




ASSEMnÉE LÉGISLATIVE (1792). 259
Les moyens de résistance étaient faibles,
ayant été presque anéantis ~ soit par les dé-
crets de }'assemblée, solt par les fansses me-
sures de la cour elle-meme.


La garde constitutionnelle, dissoute par un
décret de I'assemblée, n'avait pas été rempla-
cée par le roi. qui avait mieux aimé lui con ti·
nuer ses appointements que d'en [ormer une
nouvelle : c'étaient dix-hnit cents hommes de
moins au chateau.


Les régiments dont les dispositions avaient
paru favorables :m roí, pendant la derniere
fédération, avaient été éloignés de Paris, par
le moyen accoutumé des décrets.


Les Suisses n'avaient pu etre éloigoés, grace
a leurs capitulations; mais on les avait privés
de leur artillerie; et la cour, lorsqu'elle fut un
moment décidée a fuir dans la Normandie, y
avait envoyé l'un de ces fideles bataiUons,
son s le prétexte de veiller a l'arrivage des
grains. Ce bataiJIon n'avait pas encore été rap-
pelé. Quelques Suisses seulement, casernés a
Courbevoie, étaient rentrés par l'autorrsation
de Pétion, et tous. ensemble De s' élevaient pas
a plus de huit ou neuf cents hommf>-s.


La gendarmerie veDait d'etre composée des
aD.ciens soldats des gardes franvlÍses, afllteun
du 14 juillet.




::160 RliVOLUTlUN }'H ,\N(,:A JSE.


Enfin la garde nationale n'avait lIi les nH~mes
ehefs, ni la meme organisation, ni le meme
dévouement qu'au 6 octobre ) 789' L'état-
major, ainsi qu' on l'a vu, en avaít été reCOllS-
titué. Une fonle de citoyens s'étaient dégoutés
ou service, et ceux quí n'avaient pas déserté
leul' poste étaient intimidés par la fureul' de la
populace. La garde nationale se trouvait done,
eomme tous les corps de l'état, composée
d'une nouvelle génération révolutionnaire,
Elle se partageait, comme la Franee entiere,
en constitutionnels et républicains. Tont le ba-
taillon des FilIes-Saín t-Tbomas, et une partie
de celui des Petits-Peres, etaient dévoués au
roí; les autres étaient indifférents ou ennemis.
Les canonniers surtout, qui composaient la
principale force, étaient républicains décidés.
Les fatigues qu'imposait l'arme de. ees derniers
en avaient éloigné la riche bourgeoisie; des ser'·
ruriers, des forgerons se 1ronvaient ainsi mal-
tres des canons, et ils partageaient les sen ti-
ments du peuple, puisqu'ils en faisaient partie.


Ainsi íl restaít au roí huit ou neuf cents
Suisses, et un pen plus d'un bataillon dI' la
garde nationale.


On se souvient que depuis la retraite de
Lafayette, le cornmandement de la garde natio-
nale passait alternativement aux six chef., de




ASSF.1UDLÉE LÉGISLATlVJl: (1792). :16 [
légiol!. H ét~t échu ce jour-Ia au commandant
Mandat, an~ien militaire, mal vu a la cour
a cause de ses opinions constitutionnelles,
mais lui inspirant une entiere confiance, par
sa fermeté, ses tumieres et son attachement
a ses devoirs. Mandat, général en chef pendant
ceHe nuit fatale, avait fail a la hate les seu les
dispositions possibles.


Déja le plancher de la grande galerie qui
jOillt le Louvre allX Tllileries, avait été cOllpé
dan s Hne certaille étendue, pour interdire le
passage aux assaiJIauls. Mandat ne songea donc
pas a protéger eette aile du palais, et porta
tous ses soins du coté des eours et da jardin.
Malgré le rappel, peu de gardes llationaux s'é-
taient réunis. Les bataillons ne s'étaient pas
complétés, et les plus zélés se rendaient indio
vidllellement au chatean, ou Mandat les avait
emégimentés et distribués conjointement avec
les Suisses, dans les eours, le jardin et les ap-
partements. Il avait placé une piece de canon
dans la cour des Suisses, trois· daus ceHe du
milieu, et trois dans ceHe des Princes.


Ces pieces étaient malheureusement confiées
aux canonniers de la garde nationale, el l'en-
nemi se tronvait ainsi dalls la place. Mais les
Suisses, pleins d'ardeur et de fidélité, les ob-
servaÍcnt oe l'reil, prets, au premier mouve-




262 RÉVOLUTION FRAN«¿AISE.


ment, a s'emparer des canons, et a jeter les
canonniers eux-memes hors de l'enceinte du
chatean.


Mandat avait placé en outre quelques postes
avancés de gendarmerie a la colonnatle du
Louvre et a l'Hótel-de-Ville. Mais cette gen-
darmerie, comme nous venons de le di re ,
était composée des anciens gardes fran<;ai-
ses.


A ces défenseurs du chftteau iI faut joindre
une foule de vieux serviteurs, que Ieur age ou
leur modération avait empechés d'émigrer, et
qui, au moment du danger, étaicnt acconrus,
les uns pour s'absoudre de n'etre poinl allés
a Coblentz, les autres pour mourir généreuse.
ment a coté de leur prince. IIs s'étaient pour-
vus a la tdite de toutes les armes qll'ils avaicnt
pu se procurer uu chatean; ils portaíent de
vieux sabres, des pistolets attachés a lcur cein-
ture avec des monchoirs; quelques-uns meme
avaicnt pris les pelles et les pincettes des che-
minées : ainsi les plaisanteries ne furent pas
oubliées dans ce sinistre moment, ou la cour
aurait dn etre sérieuse au moins une fois. Cette
affluence de personnes inutiles, loin de pou-
voir servir, offusquait la garde nationale, qui
s'en défiait, et ne faisait qu'ajoutel' a la confu-
sion, déj:\ trop grande.




ASSEMBLIÍJJ: LÉGlSLATln: (17~P). ~63
Tous les membres du directoire de départe-


ment s'étaient rendlls aü chateau. Le vertuell:K.
duc de Larochefoucauld s'y trouvaít; Rcederer,
leprocureur-syndic, yébitaussi; onavait mandé.
Pétion, qni y arriva avec deux officiers munici-
paux. On obligea Pétion a signer l'ordre de re-
pOllsser la force par la force, et il le signa pour
ne pas paraltre le complice des insurgés. 011
s'était réjoui de le posséder au chateau, et de
tenir en sa personne un otage cher au peuple.
L'assemblée, avertie ele ce dessein, l'appela a la
barre par un décret; le roi, auquel on con-
seillait de le retenir, ne le voulut pas, et il sortit
ainsi des Tuilerie~ sans aucun obstacle.


L' ordre de repousser la force par la force
une fois obte11 11 , divers avis furent ouverts sur
la maniere d'en user. Dans cet état d'exaltation,
plus d'un projet insensé dut s'offrir aux esprits.
11 en était un assez hardi, et qui proba-blement
auraít pu réussir; c'était de prévenir l'attaque
eH dissipant les inslll'gés qui u'étaient pas en-
core tres-nombreux, et qui, avéc les Marseil-
lais, formaient tout HU plus une mas se de quel-
ques mille hommes. Dans ce moment, en effet,
la faubourg Saillt-Marceau n'était pas encore
réuni; Santetre hésitait au fauboul'g Saint-An·
toine; Danton seul el les Marseillais avaienl osé
se rassembler aux Cordeliérs j et ilf; atténdaient




264 nÉVOLUl'/ON ];'11 A N<,:A 1 SJ.:.
avec impatience, au pont Saint-Michel, I'arrí-
vée des ,autresassaillants.


Une sortie vigoureuse aurait pu les dissiper;
et, dans ce moment d'hésitation, un mouve-
ment de terreur aurait infailliblement empeché
l'insurrection. Mandat donna un antre plan plus
sur ~t plus légal, c'était d'attendre la marche
des faubourgs, mais de les attaquer sur deux
points décisifs des qu'ils seraient en mouve-
mento Il voulait d'abord que lorsque les uns
déboucheraient sur la place de I'Hotel-de-Ville,
par l'arcade Saint-Jean , on les chargeat a I'im-
proviste, et qu'on 6t de meme au Louvre con-
tre ceux qui viendraient par le Pont-Neuf, le
long du qllai des Tuileries. Il avait a cet effet
ordonné a ]a gendarmerie, placée a ]a colon-
nade, de laisser défiler les insurgés, et de les
charger ensuite en queue, quand la gendarme-
rie, placée au Carrousel, fondrait sur eux par
les guichets du Louvre, et les attaquerait en
tete. Le suCct~s de pareils moyens étaít pres-
que certain. Déjil les commandants des divers
postes, et notamment celui de l'Hotel-de-Ville,
avaient rel{lI de Mandat les ordres nécessaires.


On a déj:'t vu qu'une nouvelle Illllllicipalité
venait d'etre formée a I'HóteI-de-VilIe. Danton
el Manuel avaient été les seuls membres con-
servés.L'ordre de Mandat est montré a cette




ASSElHRLIÍE LÉGISLAT1v}~ (1792). 265
municipalité insurrectionnelle. SUI'-le-champ
elle somme le commandant de comparaitre a
I'Hótel-de-Ville. La sommation est portée au
chateau, on ron ignorait la composition de la
nouvelle commune. Mandat hésite; mais ceux
qui l'entourent, et les membres eux-memes du
département, ne sachant pas ce qui s'était pas-
sé, et pensant qu'i! ne faIlait pas encore en-
freindr'e la loi par un refus de comparaitre,
l'engagent a obéir. Mandat se décide; ii re-
met a son fils qui était avec lui au chateau,
l'ordre de l'epousser la force par la force, signé
de PétÍon, et il se rend a la sornrnation de la
municipalité. Il étaít environ quatre heures
dll matin. A peine est-il arrivé a l'Hotel-de-
Ville, qu'il est surpris d'y trouver une autorité
nouvelle. Aussitot on l' entoure, on l'interroge
sur l'ordre qu'j} avait donné, on le renvoie en·
suite, et en le rellvoyant le président fait un
geste sinistre qui devient un arret de rnort. En
effet, le rnalheureux commandant est a peine
sorti, qu'on s'empare de lui, et qu'il est ren-
versé d'un coup de pistolet. 011 le dépouille de
ses vetements, sans y trouver l'ordre remis a
son fils, et son corps est jeté a la riviere,
on tant d'autres cadavres alIaient bientot le
SUlvre.


Cet acte sallglallt paralysa lOlls les moyens




~f)6 RÉVOLtJTJON FRANplIlE.
de défense du chatean, détruisit toute unité, et
empecha l'exécution du plan de défense. Ce-
pendant tout n'était pas perdu encore, et 1'in-
stlrrection n'était pas entierement formée. Les
Marseillais , apres avoir attendu impatiemment
le faubourg Saint·Antoine, qui n'arrivait pas,
avaient eru un instant la journée rnanqu~e. Mais
Westerrnann portant l'épée sur la poi trine de
Santerre, I'avait obligé a marcher. Les fau-
boul'gs étaient alors successivernent arrivés,
les uns par la rue Saint-Honoré, les autres par
le Pont-Neuf, le Pont-Royal et les guichets du
Louvre. Les Marseillais marchaient en tete des
colonnes, avec les fédér'és bretolls, et ils avaient
pointé leurs pieces sur le chateau. Au grand
nombre des insurgés, qui grossissait achaque
instant, s'était jointe une rnllltitude de curiellx;
et l'ennemi paraissait eucare plus considérable
qll'iL ne I'était réellement. Tandis qu'on se por-
tait au chateau, Santerre était aCCOllru a l'Hótel-
de-Ville pout se faire nommet commandant en
chef de la garde nationale; et Westermann était
resté sur le champ de batailLe pour ditiger les
assaillants. Il y avait donc partout une confu-
sion extraordinaire , a tel point que Pétion ql1i,
d'apres le plan arreté, aurait dli etre gardé chez
lui par une force insurrectionnelle, attelldait
ellcore la gartle qui devait mettre sa responsa-




ASSEMBLÉE LÉGlSLATfVE (, 792). 2.67
bilité a couvert, par une contrainte apparente.
11 en vaya lui·meme a l'Hotel-de-ViIle, el on
pla¡;a enfin quelques cents hommes a sa porte,
pour qu'il parut en état d'arrestation.


Le chatean était en ce moment tout-a-fait
assiégé. Les assaillants étaient sur la place; et
a la faveur dn jour naissant, on les voyait el
travers les vieilles portes des cours, on les aper-
cevait des fenetres, on découvrait leur artil-
lerie pointée sur le chatean; on entendaÍt leurs
cris confus et leurs chants mena~ants. On avait
voulu revenir au projet de les prévenir; mais
quand on eut appris la mort de Mandat, les
ministres el le département furent d'avis d'at-
telldre l'attaque pour se laisser forcer dans les
limites de la loi.


Rrederer vcnaít de parcourir les rangs de
cette garnison, et de faire aux Suisses et aux
gardes nationaux la proclamation légale, qui
leur défendait d'attaquer, mais qui leur enjoi-
gnait de repousser la force par la force. Ou
engagea le roí a faire lui - meme la revue des.
serviteurs qui se préparaient a le défendre. Ce
malheureux prince avait passé la lluit a écouter
les avis divers qui se croisaient autour de lui;
et dan s les rares moments de relache, il avait
prié le ciel pour sa royale épouse, pour ses.
enfauts et sa sreur, objets de toutes ses crain~




')68 nÉVOLUTION FRAN«;:AISE.
tes.- Sire, luí dit la reine avee énergie, e'est le
moment de vous rnontrer. -On assure rneme,
qu'arrachant un pistolet a la ceinture du vieux
d'Affry, elle le présenta vivement au roi. Les
yeux de la prineesse étaient rouges de larmes,
mais son front semblait relevé, sa narine était
gonflée par la eolere et la fierté. Quaut au roi,
jI ne craignait rien pour sa personne, il mon-
tl'ait meme un granel sang-froid dans ce péril
,extreme; mais il était alarmé pour sa famille,
d la douleur de la voir si ex posé e avait altéré
ses traits. II se présenta néanmoins avec fer-
meté. 1I avait un habit violet, iI portait une
épée, et sa coiffure, qui n'avait pas été réparée
depuis la veille, était a moitié en désordre. En
paraissant au balcon, il aper~,\lt, sans etre ému,
une artillerie formidable pointée sur le chá-
teau .. Sa préscllce excita encore quelques restes
d'enthollsiasme; le~ bonnets des grenadiers
furent tout -3 - coup élevés sur la pointe des
sabres et des balonnettes; l'antique cri de Vive
le rOl, retentit une derniere fois sons les voutes
du chateau paternel. Un dernier reste de cou-
rage se ranima, les creurs abattus se réchauf-
ferent : on eut encore un moment de confianee
et d'espoir. C'est dans cet instant qu'arriverent
quelqnes llouveaux bataillons de la garde na-
tionalf~, formés plus tard que les alltres, el qui




\~.SEMRL¡';I·: r.lÍGISL\l'IVJ<: (I79~¡· 269
se tcndaient a l'ordre précédemment dOllUé
par Mandat. lis entrerent a l'instant oú les cris
de l/ive le roí retentissaient fians la cour. Les
lIns se joignirent a ceux qui saluaient ainsi la
présence du monarque; les autres, qui n' é-
taient pas du meme sentiment, se crurent en
danger, et se rappelant toutes les fables popn-
laires qu'on avait débitées, s'imaginerent qn'ils
allaient etre livrés aux chevaliers du poignard.
lis s'écrierent aussitot que' le scélérat de Man-
dat les avait trahis, et ils exciterent une espece
de tumlllte. Les canonniers, imitant cet exem-
pie, tournerent leurs pieces contre la fa({aoe
du chateau. Une dispute s'engagea allssitot avec
les bataillons dévoués; les canonniers furent
désarmés et remis a un détachement; OH di-
rigea vers les jardins les nonveatix arrivants.


Le roi, daos cet instant, apres s'etre montré
au baleon, descendait l'escalier ponr faire la
revne dans les cours. On annonce son arrivée :
chacun reprend ses rangs; il les traverse ave e
une contenance tranquille, et en promenant
sur tout le monde des regards exp'I'essifs qui
pénétraient les ccetll'S. S'adressant aux soldats,
il lenr dit ~ avec une voix assnl'ee, qu'il était
touché de leur dévouement, qu'il serait a lenrs
cotés, et qn'en le défendant lui-meme ? ils dé-
fendaienl lenrs femmes et leurs enfants. Il




270 nlivoLuTION FRAN~AJSf:.
passe ensuite sous le vestíbule pour se rendre
daos le jardín; maís au meme instant, iI entenc1
le cri ti bas le veto, poussé par un des batail-
lons qni venaient d'entrer. DellX officiers,
placés a coté de lui, veulent alors l'empecher
de faire la revue dan s le jardin, d'autres ren-
gagent a aller visiter le poste du Pont-Tour-
nant; il Y consent avec courage. Mais ji est
obligé de passer le long de la terrasse des Feuil-
fallts, chargée de peuple. Pendant ce trajet, iI
n'est séparé de la foule íurieuse que par un
Tuhan tricolore; iI s'avance cependant, et
re~ojt toutes sortes d'insllltes et d'outrages; il
voit meme les bataillons défiler devant lui,
pareourir le jardin , et en sortir sons ses yeux,
pour aller se rénuir aux assaillanls sur la place
du Carrousel.


Cette désertion, eeHe des canonniers, les
CMS ti bas le veto, avaient oté toute espérance
an roi. Dans ce meme moment, les gendarmes
l'éllnis a la eolonnade du Louvre et ailleurs,
s'étaient 00 dispersés ou rénnis au peuple.
De son cOté, la garde nationale qui occllpait
les appartements, et sur laqueUe on croyait
pouvoir compter, était mécontente de se trou-
ver avec les gentilshommes, et paraíssait se
défier d'eux. La reine la rassura. « Grenadiers,
« s'écría-t-eUe en monlrant ces gentilshommes,




ASSEMllI,J~E LÉGrSL~TIVE (1792.)· '.>..7J
" ce sont vos compagnons, ils viennent mourí!"
I( a vos cotés. » Cependant, malgré ce courage
apparent, le désespoir était dans son ame. Cette.
reme avait tont pel'du, et elle se plaignait que
le roi n'eut montré aucune énergie. Il fallt le
répéter, ce malheureux prince ne eraignait
rien pour lui-meme ; il avait en effet refusé de
se revetir d'un plastron, comme au 14 juillet,
disant qu'en un jour de combat, il devait etre
décQuvert qOlDme le dernie~ de ses serviteurs.
Le co\~rage ne lui manquait done pas, et de-
puis il en montra un assez noble, assez élevé;
mais ji luí manquait l'audace de l'offensive;
illui manquait d'etre plus conséquent, et, par
exemple, de ne pas craindre l'effusion du sang,
lorsqu'il cOIlsentait a 1'Ilrrivée de l'étranger en
Fra~)(:e. II est certain, comUle on 1'a souvent
dit, que s'iJ' fut monté a cheval, et qu'il eút
chargé a la tete des siens, l'insurrection aurait
été dissipée.


Dans ce moment, les membres du départe-
ment voyant le désordre général du chateau,
et désespérant du 5ucces de la résistal~ce, se
présenterellt au roi, et lui eonseillerent de se
retirer au sein de l'assemblée. Ce conseil, tant
de {oís calomnié, eomme tous ceux qu'on
doune aux rois, et q ui ne I"éussissent pas, était
le seu1 eonvenable dans le momento Par eette




27'1. RI;VOLUTION FRAN<;AISE.


retraite, toute effusion de sang était prévenut',
et la famille royale échappait a une mort pres-


. que certaine, si le palais était pris d'assaut.
Dans l'état ou se trouvaient les choses, le SllC-
ces de cet assaut n'était pas douteux, et l'etlt-il
été, le doute suffisait ponr qu'on évitat de s'y
exposer.


La reine s'opposa vivement a ce projet. -
Madame, lui dit Rcederer, vous exposez la vie
de votre époux et ceHe de vos enfants : songez
a la responsabilité dont vous vous chargez.
- L'altercation fut assez vive; enfin le roi se
décida a se retirer dans l'assemblée; et d'un air
résigné : Parton s, di t-il a sa famille et a ceux
qui l'entouraient. - Monsieur, dit la reine a
Rcederer, vous répóndez de la vie du roí et de
mes enfants.-Madame, répliqua le procureur-
syndic, je réponds de mourir a leurs catés,
mais je ne promets ri.en de plus.


On se mit alors en marche pour se remire
a l'assemblée, par le jardín, la terrasse des
Feuillants et la cour dll Manége. Tous les
gentilshommes et les serviteurs du chatean se
précípitaient pour suivre le roí, et ils pouvaient,
le compromettre en irritant le peuple et en in-
disposant l'assemblée par leur présence. Rce-
derer faisait de vaíns efforts pour les arreter.
et lenr répétait de tOlltes ses forces, qu'ils




ASSEMBLÉE I,1~GrSI,ATIVE (1792)' 273
allaient faire égorger la famille royaIe. n par-
vint ellfin a en éearter un grand nombre, et
on partit. Un détachement de Suisses et de
gardes nationaux accompagnerent la familIe
royale. Une députation de l'assemblée vint ]a
recevoir pour la eonduire dans son sein. Dans ce
moment, l'affluence fut si grande, que la foule
était impénétrable. Un grenadier d'une haute
taille se saisit du dauphin, et, l'élevant dan s
ses bras, traverse la multitude en le portant
au - dessus de sa tete. La reine, a eette vue,
croit qu'on lui en]eve son fils, et pousse un cri ;
mais on la rassure; le grenadier entre, et vient
déposer le royal enfant sur le bureau de l'as-
semblée.


Le roi et sa famille pénetrent alors , suivis de
deux ministres. - Je viens, dit Louis XVI,
pour éviter un grand crime, et je pense, mes-
sieurs, que je ne saurais etre plus en sureté
qu'au milieu de vous.


Vergniaud présidait; il répond au monar-
que, qu'il peut compter sur la fermeté de
l'assemblée nationale, et que ses membres ont
juré de mourir en défendant les autorités con s-
tituées.


Le roí s'assied a coié du président; mais SUl'
l'observatian de Chabot, que sa présence peut
nuire a la liberté des délibérations, on le place


IL 18




'A7!~ RÉVOLUTION FRAN(,:AISt..
dans la loge du journaliste chargé de recueillir
les séances. On en détruit la grille de fer, pOllr
que si la loge était envahie, il put, avec sa
famille, se précipiter sans obstacle dans l'as-
semblée. Le prince aide de ses mains a ce tra-
vail; la grille est renversée, et les outrages, les
menaces peuvent arriver plus librement dans
le dernier asile du monarque détroné.


Rrederer fait alors le récit de ce qui s'est
passé; il dépeint la fureur de la multitude, et
les dangers auxquels est ex posé le chateau,
dont les cours ont déja été envahies. L'assem~
blée ordonne que vingt de ses commissaires
iront calmer le peuple. Les commissaires par-
tent. Tout-a-coup on entend une décharge de
callons. La consternatíon se répand dans la
salle.-le vous avertis, dit le roi, que je viens de
défendre aux Suisses de tirer. - Mais les coups
de canon sont entendus de nouveau; le bruit
de la mousqlleterie s'y joint; le trouble est a
son comble. Bientot on annonce qne les com-
missaires députés par J'assemblée ont été dis-
persés. Au meme instant la porte de la salle
est attaquéc, et retentit de coups effrayants;
des citoyens armés se montrent a l'une des en-
trées.- Nous sommes forcés, s'écrie un officier
municipal. Le président se convre; une foule
(le déplltés se précipitent de leur siége pon!'




ASSEiUBLlÍE LliGTSLATIVE (1792 ). 27:)
écarter les assailIants; ellfin le tumulte s'apaise,
et au bruit non interrompu de la mousqueteric
et du canon, les députés crient vive la nation,
la liberté, l'égalité!


Le combat le plus meurtrier s'était engagé
au chateau. Le roi l'ayant quitté, Oll avait cm
naturellement que le peuple ne s'acharnerait
plus contre une demeure abandonnée; d'ail-
leurs, le trouble ou l'on était empechait de s'en
occllper, et on n'avait donné aucun ordre pOUI'
le faire évacuer. SeuIement on fit rentrer dans
],intériellr du palais toutes les troupes qui oc-
eupaient les eOllrs, et elles se trouverent con-
fllsément répandues dans les appartements,
avec les domestiques, les gentilshommes et les
officiers. La foule était immense au chatean,
et on pOllvait a peine s'y mouvoir, malgré sa
vaste étendue.


Le peupIe, qlli peut-etre ignorait le départ
du roí, apres avoir attendll assez long-temps
elevant le guichet principal, attaqlle enfin la
porte, l'enfonce a coups de hache, et se préci-
pite dans la cour RopIe. Il se forme alors en
colonne, et tourne contre le chateau les pieces
de canon imprudemment laissées dans la COlll'
apres la retraite des troupes. Cependant les as-
saillants ll'attaquent pas encore. Ils font des dé-
monstrations amicales aux soldats qui étaicllt


18.




276 nÉvoLuTlON FRANYAIst.
aux felH~tres :-Livrez-nous le chateall, s'écrient-
ils, et nous sommes amis. Les Suisscs témoi-
gncnt des intentions pacifiques, et jettent des
cartouches par les fenetres. Quelques assié-
geants, plus hardis, se détachent des colonnes
et s'avancent jusqlle sous le vestibule du cha-
teau. Au pied du grand escalier on avait placé
une piece de bois en forme de barricade, der-
riere laquelle étaient retranchés, pele-meIe,
des Suisses et des gardes nationaux. Ceux qui,
du debors, étaient parvenus jusque-Ia, vou-
laient pénétrer plus loin et enlever la barriere.
Apres une cootestation assez longue, qui ce-
pendant n'amene pas encore de combat, la
barriere est enlevée. Alors les assaillants s'in-
troduisent dans l'escalier, en répétant qu'il fant
que le chatean Ieur soit livré. On assure que
dans ce moment des hommes a piques, restés
llans la cour, s'emparent avec des crochets des
sentinelles suisses placées en dehors, et les
égorgent; on ajoute qu'un coup de fusil est
tiré contre les fenetres, et que les Suisses, in-
dignés, répondent en faisant feu. Aussitot, en
cffet, une décbarge terrible retentit dans le
chateau, et ceux· qui y avaient pénétré, fuient
en criant qu'ils soot trahis. Il est difficile de
bien savoir, an milien de cette confusion, de
qnel coté sont partis les premiers coups. Les




ASSE~lllLEll Ü:CISl,AT1VE (J 792 ). 277
assaillants ont prétcmlll s'etre avancés amicale-
ment, et unc foís engagés dans le chatea u ,
avoir été surprís et fusillés par trahison; c'est
pCIl vraisemblable, car les Suisses n' étaient
pas dan s une situation a provoquer le combato
N'ayant plus aUCllll devoir de se battre, depuis
le départ du roí, íls ne devaient songer qu'a
se sauver, et une trahison n' en était pas le
moyen. D'ailleurs, quand meme l'agression
pourrait changer qnelque chose an caracterc
moral de ces événernents, il faudrait convenir
que la premiere et réelle agression, c'est-a-dire
l'attaque du dli'tteau, venait des insurgés. Le
reste n'étaít plus qu'un accident inévitable, et
imputable an hasal'd seul. Quoi qu'il en soit,
ce.ux qui s'étaient introduits dans le vestibule
et dans le granel escalier, entendent tout-a-coup
la décharge, et tandis qu'ils fuient, ils rel(oivent
dans l'escaIier meme une grele de baIles. Les
Suisses descendent alors en bon ordre; et, ar-
rivés aux oernieres marches, ils débouchent par
le vestibule dans la cour Royale. La, ils s'empa-
rent d'une des pieces de canon qui étaient dan s
]a cour; et, rnalgré un feu terrible, ils la tour-
nent et la déchargent sur les MarseiI1ais, dont
iIs renversent un grand nombre. Les Marseillais
se replient alors, et, le feu continuant, iIs aban-
donnent la cour. La terreur se répalld aussitOt




278 UÉVOLUTIO.N I'HAc'\(,alsJ:.
parmi le peuple, qui fuit de tout coté, et l'e-
gagne les faubourgs. Si, daos ce moment , les
Suisses avaient poursuivi leurs avantages, si les
gendarmes placés an Lonvre, au líeu de déserter
lenr poste, avaient chargé les assiégeants re-
ponssés, c'en était fait, et la victoire restait an
chatean.


Mais dans ce moment arriva l'ordre du roi,
confié a M. d'Hervilly, et portant défense de
faire feu. M. d'HerviUy parvíent sous le vestibule
au moment ou les Sllisses venaient de repousser
les assiégeants. 1Iles arrete 1 et leur enjoint de
la part du roí, de le suí vre á l'assemblée. Les
Suisses alors, en assez grand nombre, suivent
M. d'Hervilly aux Feuillants, au milieu des
décharges les plus meurtrieres. Le chateau se
trouve aiusi privé de la majeure partie de ses
défensenrs. Il reste cependant encore, soit clans
l' escalier, soit dans les appartements, un assez
grund nombre de malheurellx Sllisses, allxquels
1'ordre n'est point parvenu, et qui bientot vont
etre exposés, sans moyeus de résistance, aux
plus terribles dangers.


Pendant ce temps, les assiégeants s'étaient
ralliés. Les l\larseillais, unis aux Bretons, s'in-
dignaient d'avoir cédé; ils se raniment et re-
vienuent a la charge, pleins de furenr. Wester-
mann, qlli depuis mOlltl'a des talents véritables,




ASSEMIlLÉE Ü&JSLATlVJi (179 2 ). 27~t
dirige leurs efforts avec intelligence; ils se pré·
cipitent avec ardeur, tombent en gralld nombre,
mais arrivent enfin sous le vestibule, franchis-
sent l'escalier, et se rendent maitres du cha-
teau. La populace a piques s'y précipite a leur
suite, et le reste de cette sceile n'est bientot
plus qu'un massacre. Les malheureux Suisses
implorent en vain leur grace en jetant kmrs
armes; ils sont impítoyablement égorgés. Le
feu est mis au chateau; les serviteurs qui le
remplissent sont poursuivis; les uns fuient,
les autres sont immoléb. Dans le lIombre, il y a
des vainqueurs généreux : -- « Grace aux fem-
« mes! s'écrie l'un d'entre eux; ne déshonorez
« pas la natíon 1 )¡ et il sau ve des dames de la
reine, qui étaiellt a genoux, en présence des
sabres levés sur leur lete. Il y eut des victiines
courageuses; il yen eut d'ingénieuses a se sau-
ver, qU3ml il n'y avaít plus de courage a se dé-
felldl'e; íl Y eut meme, chez c€s vainqueurs fu-
rieux, des mouvements de probité; et 1'01' trouvé
au chateau, soít vanité populaire, soít le désin-
téressement quí nait de l'exaltatioD, fut rap-
porté a l'assemblée.


L'assemblée était de~urée dans l'anxiété, at-
tendant l'issue du combato Enfin a onze heures,
on entend les crís de victoiJ'e mille foís répétés.
Les portes cedent SOtlS l'effort d'une multítude




280 RÉVOLUTJON FRAN0AISE.
ivre de joie et de fureur. La salle est remplie des
débris qu'on y apporte, des Suisses qu'on a
faits prisonniers, et auxquels on accorde la vic,
pour faire hommage a l'assemblée de-eette clé-
menee populaire. Pendant ce temps, le roí et
sa famille, retirés dans l' étroite loge d'un jour-
naliste, assistaient a la ruine de leur trane et a
la joie de Jeurs vainqueurs. Vergniaud avait
quitté un instant la présidenee pour rédiger le
décret de la déehéanee; il rentre, et l'assemblée
rend ce décret célebre, d' apres Jequel,


Louis XVI est provisoirement suspendu de
la royauté;


Un plan d'édueation est ordonné pour le
prinee royal;


Une convention nationale est eonvoquée.
Était-ce done un projet longuement arreté


que eellli de ruiner la monarehie, puisqu'on ne
faisait que suspendre le roi, et qu'on prépá-
raít l' édueatíon du prince? A vec quelle crainte,
au contraire, ne touchait-on pas a cet antique
pouvoir? Avee quelle espeee d'hésitation n'ap-
proehait-on pas de ce vieux trone , sous lequeJ
les générations fran~aises avaient été tour-a-
tour heureuses OH malheureuses, mais sous le-
quel enfill elles avaient vécu ?


Cependant l'imagination publique est promp-
te; peu de temps luí devait suffire pour dépouil-




ASSEMEL:ÉE LÉGISLATIVE (J792). 28.
ler les restes d'un antique respect; et la monar-
chie suspendue allait etre bientot la mOllarchie
détruite. Elle allait périr, non dans la personne
tI'un Louis XI, d'un Charles IX, d'llll Louis XIV,
mais dan s ceBe de Louis XVI, l'un des rois les
plus homH~tes qui se soient assis sur le trone.


:FIN DU TOME SECOND.







NOrrES
ET


PIECES JUSTIFICA TI VES


DU TOME SECOND .


. NOTE 1, PAGE 10.


Le ministre Bertranu de Molleville a rait connaitre les dis-
positions du roi el de la reine, au commencement de la pre-
miere hígislature, d'nne maniere qni lai5se peu de doutes sur
lenr sincérité. Voici eomment il raeonte 5a premiere entrevue
avec ces augustes pel'sonnages :


• Apl'es avoir répondu a quelques observations générales
que j'avais raites SUl' la diftieulté des circonstances, et sur les
[antes salls nombre que je ponrrais commeUre dans un dé-
partement que jc ne connaissais point, le roi me dit : « Eh
• bien! vous reste-t-i1 encore quelque objectj()fJ? - Non,
• sÍl'e; le désit, d' obéir et de plaire a votre majesté est le seul
• sl'ntiment qne j'éprouve; mais ponr savoir St je' peux me
« flalter de la servir utilement, il serait néeessaire qll'elle
« eut la honté de me fatre eonnaitre qne} est son plan relati-
" vemey,t a la constitution, quelle est la conduite qll'elle
" désil'c que tiennent ses ministres. - Cest jusle , répondil




NOTES


« le roi : je ne regarde pas eeHe eonstitution comrne un da'f-
• d'muvre, a heaucoup pres; je erois qu'il ya de trcs-gl'ands
« déf:wts, et que si j'avais eu la liherté d'adresser des obset'-
" vatioos a l'assemblée, il en serait résulté des réfOl'mes tt'cs-
• avantageuses; mais aujourd'hui i\ n'est plus temps; et jc
• I'ai aeeeptée telle qu' elle est ; j'ai juré de la faire exécuter,
• je dois etre strictemeot fidele a mon serment, d'autaot
« plus que je erois que I'exéeution la plus exacte de la eonsti-
«tution est le moyeo le plus sill' de la faire eonnaitre a la
« nation, et de lui faire apercevoir les changements qu'il
" convient d'y faire. Je n'ai ni ne puis avoÍl' d'autre plan que
« celui-Ia; je ne m'en écarterai certainemeut pas, et je
"désire que les ministres s'y eonformcnt. - Ce plan me
«paralt infiniment s~ge. sire; je me sens en état de le
« suivre, et j'en prends l'engagement. Je n'ai pas assez
« étudié la nouvelle constitution dans son ensemble, ni daos
«ses détails, pour en avoir une opioion arretée, et je
• m'abstiendrai d'en adopter une, quelle qu'elle soit, avant
«que son exécutioll ait mis la nation a portée de I'appré-
«ciel' par ses effets. Mais me sel'3it-i1 perrnis de demanuel'
"a votre majesté si l'opinion de la reine, sur ce point,
" est conforme 11 celle du roí? Dlli, absolumeut, elle
«vous le dira elle-meme.»


Je descendis chez la reine, qui, apres m'avoir témoigné
avec une extreme honté combien elle partageait l'obligation
que le roi m'avait d'accepter le ministere daos des circons-
tances aussi critiques, ajouta ces mots : « Le mi vous a fait
• connallre ses iutentions l'eJativement a la constitulion; nc
" pensez-vous pas que le ~eul plan qu'i! ail a suivre, est d'ell'c
• ¡idele a son sennent? - Oui, ccrtaillcment, madalllc. -'"-




ET PIlÚ:ES JUSTIFIC,\TIVES.


" Eh hien! soyez slir qu'on ne nous fet'a pas changer. AI-
" lons, M. Rertrand, du eourage; j'espere qu'avec de la
" patience , de la fermeté el. de la suite, tout n'est pas encore
«perdn. »


(Bertrand de Molleville, tomo pI, page 22.)


Au témoignage de Bertrand de Molleville se joint celui de
madame Campan, qui, quoique suspect quelquefois, a dans
eeUe occasion un grand air de vérité .


• La constitution avait été, comme j'ai dit, présentée an
!'Oi le 3 septembre; je reviens sur celte présentation, paree
qu'elle offrait un sujet de délibération bien important. Tous
les ministres, excepté M. de Montmorin, insisterent sur la
nécessité d'accepter I'acte eonstitutionnel dans son entier. Ce
fut aussi l'avis du prince de Kaunitz. Malouet désirait que le
roi s'expliquat avec sineérité sur les vices et les dangers qu'il
remarquait dans la eonstitution. Mais Duport et Barnave,
alarmés de l'esprit qui régnait dans la société des Jacobins,
et meme dans l'assemblée 00. Robespi~rre les avait déja
dénoncés eomme traitres a la patrie, et craignant de grands
malhenrs, unirent leul's avis a ceux de la majorité des mi-
nistres et de M. de Kaunitz. Cellx qui voulaient franche-
ment maintcnir la eonslitulion, eonseillaient de ne point
l'accepter purement et simplement; de ce nombre étaient,
comme je I'ai dit, MM. Montmorin et Malouet. Le roi pa-
raissait gonter ¡eut' avis; et e' est une des plus grandes preuves
de I~ sincérité de l'infortuné monarque. ),


( Mémoire5 de madame Campan, tome JI>
page 161.)




:>lOTES


------------_ .... -"""' ... "' ....... ,-_ ... _ ..


NOTE 2, PAGE 22.


C'est madame Campan qui s'est chargée de nQUs apprendre
que le roi avait une correspondance secrete avec Coblentz.


« Pendant que des courriers portaient les leUres confiden-
lielles du roi aux princes ses freres et aux princes étt'angers,
I'assemblée fit inviter le roi a écrire aux princes, pour les
engager a reotrer en France. Le roi chargea I'abbé de Mon-
tesquiou de lui faire la lettre qu'i1 voulait envoyer. Cetle
leure, parfaitement éCl'ite, d'un style touchant et simple, ana-
lague au caractere de Lauis XVI, el remplie d'arguments
h'es-forts sur l'avantage de se raUier aux principes de la
cUDstitutioD, me fut confiée par le roi, qui me chargea de
lui en faire une copie .


• A ceUe époque, M.Mor .... , un des intendants de la maisoll
de MOllsieur, obtint de I'assemblée un passe-port pOUI' se
rendre pl'es du prince, a raison d'un lravail indispl'nsable
sur sa maison. La reine le choisit pOUI' porter celle lelh'e;
elle voulut la lui remettl'e elle-meme, el lui en fit connaitre le
motif. Le choix de ce courrier m'étonnait: la reine m'assllra
qll'il étail parfait, qu'elle comptait meme sur son índiscl'é-
tion • et qu'il était seulement essentiel que I'on eut connais-
sanee de la lettre du roi a ses freres. Les prinGes étaient
,wns doute prévenus par la correspollllance particulú}rc.
l\Ionsieul' montra c<'pendant qllcl'lue surprisc; el le messa~!'I'




F.T l'rECES JUSTIFIC,\ TrVES.


I'evinl plus afl1igé que satisfait d'une gemblable marque de
eonfianee qui rensa lui couter la vie pendant les années de
terreu!' ...


( Mémoire.r de madame Campan, torne 11,
page 172.)




NOTES


NOTE 3, PAGE 28.


&1$_


Leltre du roi a Louis· Stanislas-Xavier, princefranr¡ais,
frere du roí.


Pari., le II novembre 1791.


" J e vous ai écrit, mon frere , le 16 oetobre dernier, el
vous avez diI ne pas douter de mes véritables sentiments. Je
suis étonné que ma letlre n'ait pas produit reffet que je
devais en attendre. Pour vous rappeler a vos devoirs, j'ai
employé tous les motifs qui doivent le plus vous toucher.
Votre absenee est un prétexte pour tous les malveillants, une
sorte d'excuse pour tous les Fran<,¡ais trompés, qui eroient
me servir en tenant la France entiere daus une inquiétude et
uue agitation qui font le tourment de ma vie. La révolution
est linie, la constitution est aehevée, la Frauce la veut, je
la maintiendrai : c'est de son affel'missement que dépend
aujourd'huí le salut de la monarehie. I_a conslítution vous a
douné des droíts; elle y a mis une condition que vous devez
vous hatel' de remplir. Croyez-moi, mon frere, repoussez les
doules qu'on voudrait vous donner sur ma Iibel'té. Je vais
prou\"er, palo un aele bien solennel, et dans une cil'constance
quí vous intéresse , que je puís agír libl'ement. Prouvez-moi
que vous eles mon frere et Fran~ais, eu cédant a mes ins-
tances. Votre vél'itahle place est aupres de moí; votre intéret




ET PUÚ;ES JUSTIFICATIVES. :189
vos senliments vous conseillent égalcment de venir la re-
prendre; je vous y invite, et s'ille fau! je vous \'ordonne.


« Signé LOUIS. "


Réponse de Monsieur au roi.


Coblentr" le 3 décembre 1791.


« SIRl'., mon rrere et seigneur,


« Le eomte de Vergennes m'a remis, de la part de votre
majesté, une 'eUI'e don! I'adresse, malgré mes noms de bap-
teme qui s'y trouvent, est si peu la mienne, que j'ai pensé la
lui rendre sans l'ouvrir. Cependant, sur son asset'!ion pOditive
qu'elle était pour moi, je l'ai ouverte, et le nom de frere que
j'y ai trouvé ne m'ayant plus laissé de donte, je l'ai lue avec
le respect que je dois a I'écriture et au seing de' votre majesté.
L'ordre qu'elle contient de me rendre allpt·es de la personne
de mtre majeslé, n'est pas l'expression libre de sa volon-
té, el mon honneur, mon devoir, ma telldresse meme,
me défendent égalemellt d'y obéir. Si volre majesté veut
connaitre lous ces molifs pI us en délail, je la supplie de se
rappeler ma leUre du 10 septemore dernier .. Je la supplie
aussi de recevoir ave e honté I'hommage des sentiments, aussi
tendres que respectueux, avec lesquels je suis, sire, etc.,
etc" ele. "


11.




NOTES


Lettre du rui a Charles-Philippe, prince fral/(;ais, frerc
du roi.


Paris, le II novembre 1791.


" Vous avez surement connaissanee du décret que I'assem-
hlée nationale a rendu relativement aux FraDl¡ais éloignés de
leur patrie; je ne erois pas devoir y donner mon eonsenle-
ment, aimant a me persuader que les moyens de douceur
rempliront plus efficaeement le bul qu'on se propose, el que
réclame I'intérel de l'état. Les diverses démarches que j'ai
faites aupres de vous ne peuvent vous Iaisser aueun doute
sur mes intentions ni sur mes vreux. La tranquillité publique
et mon repos personnel sont intéresses 11 volre retour. Vous
ne pourriez prolonger une eonduite qui inquiete la France
et qui m'amige, sans manquer a vos devoirs les plus essen-
liels. Épargoez-moi le regret de reeourir a des mesures
séveres eontre VOUS; consuhez volre véritable intéret; laissez-
vous guider par I'attaehement que vous devez 11 volre pays ,
et eédez enfin au vreu des Frano;¡ais, et a eelui de volre roL
eette démarehe, de votre part, sera une preuve de vos senti-
ments pour moi, el vous assurera la continuation de ceux que
j'ai toujours eus pour vous.


« Signé LOUIS. »


Réponse de M. le comte d'Artois au roí.


Coblentz, le 3 déccmbre 1791.


« SIRE, moo frere et seigneur,


« Le eomte de Vergennes m'a remis hier une leUre qu'il




llT PLECES JUSTIFICATIVES.


m'a assul'é m'avoir été adressée par votl'C majesté. La sus-
cription .qui me donne un titre que je ne puis admettre, m'a
fait croire que ceHe lettl'e ne m'était pas deslinée; cepcn-
dant ayant rcconnu le cachet de votre majesté, je l'ai ou-
verte, fai respecté l'écriture et la signature de mon roi;
mais I'omission total e du nom de frere, et, [plns que tout,
les décisions rappelées dans cctte ¡eUre, m' ont donné une
nouvelle preuve de la captivité morale et physique ou nos
ennemis osent retenir votre majesté. D'apres cet exposé,
votre majesté trouvera simple que, fideIe a mon devoir et
aux lois de l'honneur, je n'obéisse pas a des ordres évidem-
ment arrachés palo la violen ce.


" Au surplus, la lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire a
votre majes té , conjointement avec Monsieur, le 10 septemhre
dernier, contient les selltiments, les principes el les résolu-
tions dont je ne m'écarterai jamais; je m'y réfere donc abso-
lnment; elle sera la base de ma conduite, el j'en renouvelle
ici le serment. Je supplie votre majesté de recevoir l'hornmage
des sentiments, 3ussi tendres que respeclueux , avec lesquels
je suis, sire , etc., etc., etc.»


'9,




:VOTES


....... "'--,...-_ .. --_ .. _-----------_.


NOTE 4, PAGE 29.


Le Tappol't de MM. Gallois el Gensonné est sans con-
treditle meilleur historiqlle du commencement des troubles
dans la Venal;e, L'origine de ces troubles en esl la par ti e la
plus intéressante, paree qu'elle en rait connaitre les causes.
J'ai done cru nécessaire de citer ce rapport. 11 me semhle
qu'il éclaircit ¡'une des partics les plus curicuses de celte fu-
neste histoíre.


Rapport de MM. Gallois el Gensonlle, commissaires dfJil.l
enl'oyes dans les deparlements de ¡a Yendee el des Deux-
Sel'res, en verlu des décrels de l' assemblée constituante,
fail a l'assemblée législative le 6 octobre 179I.
« Messieurs, l'assemblée nationale a décrété le 16 jllillet


dernier, sur le rapport de son comité des reeherches, que des
commissaires civils seraient envoyés dans le déparlemellt de
la Vendée pour y prendre lous les éclaircissements qu'ils
pourraient se procurer sllr les causes des derniers troubles
de ce pays, et concourir avec les corps administratifs au ré-
lablissement de la tranquillité publique.


« Le 23 juilJet nous avons élé chal'gés de eeHe missiOll, et
nous somrnes partís deux jOllTS apres pour IlOUS rendre a
Fontenay-le-Cornle, chef-lieu de ce départernent.


« Apres avo¡r conféré pendant quelques jours avec les ad-
ministrateurs du directoire sur la situatiofl des choses el la




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


disposition des esprits; apres avoir arreté avec les trois corps
administratifs quelques mesures préJiminaires POUl" le main-
tien de I'ordre public. nous nOU8 sommes déterminés a nous
transporter dan s les différeuts distl'icts (lui composent ce dé-
partement, afin d'examiner ce qu'iI y avait de vrai ou de
faux, de réel ou d'exagéré dans les plaintes qui nous étaient
déja paI"Venues, afin de constate.· en un mol avec le plus
d'exactitude possible la situation de ce département.


« Nous I'avons pareouru presque dans toute son étendue,
tantot pf)ur y premlre d~s renseignements qui nous étaient
nécessaires, tantot pour y maintenir la paix, prévenir les
troubles publics, ou ponr empecher les violences dont quel-
ques citoyens se croyaient menacés.


" Nous avons enreDd u dans plnsieurs dil'ectoires de dis-
tricts toutes les municipalités dont cLacun d'eux est com-
posé; nous avons écouté avec la plus grande attention tous
les dtoyens qui avaient soit des faits a uous communiquer,
soit des vues a nous proposer; nous avons recneilli avec soin,
en les comparant, tons les détails qui sont parvenus a notre
connaissance; mais cornme nos infol'mations ont été plus
nomoreuses que variéps, comme partout les faits, les plaintes,
les observatiolls ont élé scmblahles, nOllS aIlons vous pl'ti-
sen ter sons un point de Vlle général et d'une maniere ahrégée,
mais exacte, le résultat de celte fonle de faits parliculiers.


" Nous croyons iuutile de mettre sous vos yeux les détails
que n01l5 nous élions procurés concernant des trollbles anté-
rieurs; ils ne nous ont pas paru avoir une influenee bien
directe sur la siluatioll actuelle de ce dépal'tement; ¡\'ailleurs
la loi de l'amnistie ayant arnlté les progrcs de" di fféren tes
procédures auxquelles ces trouhles avaient donué lieu, nous




NOTES


ne pourrions vous pl'ésenter SUl' ces objets que des conjec-
tures vagues el des résullats incertains,


" L'époque de la prestation du serment ecclésiastique a
été ponr le département de la Vendée la premiere époque
de ses troubles; jusqn'alol's le penple y avait joni de la plus
grande tranquillité. Éloigné du eeutre commun de tont.es les
aetíons et de tontes les résistances, disposé par son earactere
naturel a l'amour de la paix, au sentiment de l'ordre, au res-
pect de la loí, iI re('ueillait les bíenfaits de la révolution saos
en éprouvel' les orages.


" Dans les campagnes, la difficullé des commnnications,
la simplicité d' une vie purement agricole, les lelious de l' en-
fanee et des emblemes religieux destinés a fixel' sans cesse
nos regal'ds, ont ouvert son ame a une foule d'impressiolls su-
perstitieuses que dallS I'état actuel des choses nulle espece de
lumiel'e ne peut ni détruire ni modérer.


« Sa religion, c'est-a-dite, la religioD telle qu'illa com¡oít,
esl devenue pour lui la plus forte el pour aínsi dire I'unique
habitude morale de sa vie; I'objet le plus essentiel qu'elle lui
présente eslle eulte des images, et le ministre de ce eulte, ee-
luí que les habilants des eampagnes regardenl comme le dis-
pensat€ur des graces célestes, qui peut, par la ferveur de ses
prieres, adoucir I'intempérie des saisons, el quí dispose du
bonheur d'une vie fnture, a bientot réuni en sa faveur les
plus douees eomme les plus vives affections de leurs ames.


« La ¿onstance du peuple de ce département dans l'espeee
de ses actions religilmses, et la confiance iIIimitée donl y
jouissent les pretres auxquels il est habitué, sont un des prin-
cipaux éléihenls des t .. oubles flui I'ont agité, et qui peuveut
l'agiler eneore,




E'f PIE CES JUS'fIFICA'f1VE~.
« 11 est aisé de concevoir avec quelle aclivité des pretres


ou égarés ou faclieux ont pu mettre a profit ces dispositions
du peuple a. leur égard : on n'a rien négligé pour échauffer le
úle, alarmer les consciences, fortifier les caracteres faibles,
soulenir les caracteres décidés; on a donné aux uns des in-
quiétudes el des remOl'ds; 011 a donné aux auh'es des espé-
rances de honheur et de salut; on a essayé sur presque tous,
avee succes, l'illfluence de la sédllction et de la crainte.


« Plusieurs d'entre ces ecdésiastiques sont de bonne foi;
¡ls paraissent fortement péllétrés et des ídées qu'ils répan-
dent et des sentiments qu'ils inspirent : d'autres SOllt accu-
sés de couvrir du úle de la religion des intérels plus ehers
a leurs creurs; ceux-ci Ollt une activité polilique qui s'acerolt
ou se modere selon les circonstances.


« Une coalition puissante s'est formée entre l'ancien éve-
que de LUI¡on el une partie de l'ancien clergé de son diocese;
on a arreté un plan d'opposition 11 l'exécution des décl'ets qui
devaient se réaliser dan s toutes les par~isses ; des mandements,
des écrils incendiaires envoyés de Paris ont été adressés a
tous les curés pUlir les fortifier dans leur résolution, ou les
engager dan s une confédération qll'on supposait générale :
une lettl'e cil'culaíre de M, Beauregard, grand-vicaire de M. de
Merci, ci-devant éveque de LU\ion, déposée au greffe du tri-
bunal de t'ontenay, et que cet ccclésiastique a reCOllnlle lors de
son intelTogatoire, fixera votre o.pinion, messieurs, d'lIne ma-
niere exacte, et sur le secret de cette coalilion, et sU!' la marche
tres-habilement cumbinée de ceux qui l'ont formée. La voici :
Lettre daMe de Luqon, du 31 mal 1791, 50US enveloppe,


a l'adresse du curé de la Réortlze.
« Un décret de I'assemblée nationale, Monsieur, en date




"lOTES


du 7 mai, accorde aux ecc\ésiasliques qu'elle a prétendu d~s­
tituer pour refus dll serment, l'usage des églises paroissiales
pour y dire la messe seulement; le meme décret autol'ise les
catholiques romains. ainsi que tous les noo~conformistes, a
s'assemblel' pour l'exereice de leut' culte religieux dans le lieu
qu'ils aurant choisi a cet pIret, a la charge que daos les ins-
tructions publiques i\ De sera ríen dit conlre la conslitution
civile dl1 clergé.


" La liberté accordée aux pasleurs légitimes par le premie.'
al,ticle de ce décret doit etre regardée comme un piége d'au-
tant plus dangereux que les fidelcs ne trol1vel'aient dan s les
églises dont les intrus se son! emparés, d'autrcs inslruclions
quP celles de leurs faux pasleurs; qu'ils ne pournient y rece-
"oir des sacremenls qne de lcurs mains, et qu'ainsi ¡Is auraient
avec ces pasteurs schismatiques une communieation que les
10is de I'Église ínlerdisent. Pour éviter un aussi grand mal,
messieurs les curés sentiront la nécessité de s'assurer au plus
tot d'un lien ou i1s pui,sent, en "erlu du second arlicle de ce
décret, exercer leurs fonclions et réllllir lellrs fideles parois-
siens, des que leur prélendu sllccesseur se sua emparé de leur
église; sans eetle pl'écalltion, les catholiqlles, daos la crainte
d'etl'c privés de la messe el des offices divins, appelés parla
voix des fallx pasteurs, seraient bienlot ellgagés 1. communi-
quer a\'ec eux, et exposés aux risques d'une séductioll pres-
que inévilable.


" Dans les paroísses ou iI y a peu de propriétaires aisés ,
il sera sans doute difficile de trouver un local convenable, de
se procurer des "ases sacrés et des ornements; alors une sim-
ple grange, un aUlel portatif, IIne chasllble d'indienne 011 de
quelque autrc étoffe communc, des vases d'étain, suffiront,




1:1' PlllcES JUS1Tl'ICATlVES.


dans ce cas de nécessité, pour célébrer les saints mystel'es et
l'office divino


" ectte simplicité, cette pauvreté. en DOUS rappelant les
pl'emiers sieclcs de l'Église et le herceau de notre sainte re-
ligio n , peut etre un puissant moyen pour exciter le úle des
ministres et la ferveul' des fideles: les premiers chrétiens
n'avaient d'autres temples 'que leurs maisons; e'est la que se
réuDissaient les pastcurs el le troupeau pour y célébrcl' les
saints mysteres , entendre la parole ele Dieu, et chanter les
louanges uu Seigneul'. Dans les persécutions dont l' Église fut
amigée, forcés d'abandonnel' leurs basiliques, on en vit se
retirer dans les ca,'ernes, et j usque dans les tombeaux; et ces
temps u'épreuvps furen! pour les vrais lid eles l'époque ele la
plus grande fel'veur. II est bien peu de paroisses Ol! messieurs
les curés ne puissellt se procurer un local et des orncmenls
tels que je viens ele les dépeindre, et, en altendant qu'ils
se soient pourvus des choses nécessaires, ceux de leurs voi-
sins qui ne seront pas déplacés pourront les aider de ce
qui sera dans leur église a leur dispositiOll. Nous pourrons
inceSSRmmf'nt fournir des pierres sacrées a eeux 'lui en auronl
besoin, et des a présellt nous pouvons faire consacrer les ea-
lices ou les vases qui en tienelront lieu.


n M. I'éveque de Lll~on, dans des avis particuliers 'l1l'i1
nous a transmis pour servir de supplémellt 11 l'instruction de
M. I'éveque de Langl'es, el 'lui seJ'ont égalemellt communi-
qués elans les différents dioceses, pro pose a messiellrs les
curés :


.10 De tcnir un double registre ou seront inscrits les actes
de bapteme, mariage et sépllItul'e des catholiques de la pa-
roisse : un ele ces registres l'estera entre leurs mains; l'autre




NOTES


sera par eux déposé tous les ans entre les mains d'uDe per-
sonne de confiance •


• 2 0 Indépendamment de ce registl·c, messieurs les Clués
en tiendront un autre, aussi double, ou seront inscrits les
ac!es des dispenses, concernant les rnariages, qu'ils auront
aecordées en vertu des pouvoirs qui leur seront donnés par
l'al'ticle 18 de l'instruclion: ces acles seront signés de deux
térnoins surs et fideles, et, pOUl' leur donner plus d'authen-
ti cité , les registres destinés a les inscril'e seront approuvés,
cotés et paraféspal' M. l'éveque, ou, en son absence, par un
de ses vicaires généraux; un double de ce registre sera re-
mis. eornme iI est dit ci-de5sus, a une personne de confiance.


« 30 Messieurs les eurés attendront, s'H esl possible, pour
se retirer de leur églisc el de leul' preshytere, que lenr pré-
tendu successeur leur ait nolifié I'aete de sa uomination et
inslitution, et qu'ils protestent contl'e tout ce qui serait Cait
en conséquence •


• /,0 lis dresseront en secret un proces-verbal de l'installa-
tion du prétendu curé, et de I'invasion par lui faite de I'église
paroissiale et du presbylere : dans ce proces-verbal, dont je
joins ici le rnodide, ils protesleronl. formellemenl contre tous
les actes de la juridiction qu'il voudl'ait exercer eomme curé
de la paroisse; et pOllr donner a cet acte toute I'authenticité
possible, il sera signé pal' le Cll ré, son vicaire, s'iI y en a
un, et un pretre voisin, et merne par deux ou trois laies
pieux et discrets, en prenant néanmoins loutes les précau-
tions pour ne pas compromettre le seeret,


« 50 Ceux de messieurs les curés dont les paroisses seraient
déclarées supprirnées sans I'intervention de I'éveque légitime.
lIseront des memes moyens; ils se regarderont toujours comme




ET PIECE~ ,TUSTIFICATIVES.
seuls légitimes pasteurs de leurs paroisses; et s'il leur était
absolument impossible d'y demeurer, ils tacheront de se pro-
curer un logement dans le voisinage et a la portée de pour-
voir aux besoins spirituels de leurs paroissiens, et ils aUl'ont
grana soin de les prévenir et de les iustruire de leu1's devoirs
a cet égarrl.


« 6° Si la puissunce civile 5' oppose a ce que les fidilles ca-
lholiques aÍent un cimetiere commun, ou si les parents des
défunts monll'ellt une tl'Op grande 1'épugnance a ce qu'i1s
soient enterrés dan s un lieu particulier, quoÍque béni spécia-
lement, comme il est dit article 19 de l'inslruclion, apres
que le pasteur légitime ou l'un de ses représentants aura fait
a la maison les pri~res prescrites par le rituel, et aura dressé
I'acte tnol'tuaire, qui sera ,signé par les parents, on pourra
porter le corps dll défunt a la porte de l'église, et les parents
pourront I'ac,compagner j mais ils seront Rvertis de se retirer
au moment ou le curé et les vicaires intrus viendraient faire
la levée du corps, pour ne pas participer aux cérémonies et
prieres de ces pr(~tres schismatiques .


• 7° Dans les actes, lorsque l'on contestera aux curés rem-
placés leur litre de curé, ils signeront ces actes de leul' nom
de bapteme et de famille, sans perdre aucune qua lité.


« Je vous prie , l\'Ionsieur, et ceux de messieurs vos ('o n-
freres a qui vous croirez devoÍl' communiquer ma leUre, de
vouloir. bien nous informer du moment de votre remplace-
ment, s'iI y a lieu, de l'installation de votre prétendll suc-
cesseur, et de ses circonstanccs les plus remarqllables, des
dispositions de vos paroissiens a cet égal'll, des moyens que
vous croirez devoil' pl'endre pOllr le sel'vice de votre paroisse
ct de votre demeUl'e, si vous eles absolument forcé eI'en




300 NOTES


sorlir. VOUS ne doutez surement pas que lous ces détails ne
nous inléressellt bien vivement; vos peines sont les nótres,
et noll'c vreu le plus ardent serait de pouvoir, en les par-
tageant, en adoucir I'amertulllc,


« J'ai l'honneur d'eh'e, avec un respectueux et inviolable
attachement, votre tres-humille et tres-obéissant serviteur. "


« Ces manamvres ont été puissamment seeondées par des
missionnaires établis dan s le bourg de Saiut-Laurent, dis-
triet de Montaigu; e'est meme a l'aelÍvité de leur úle, a
leurs sourdes menées, a leurs infatigables et secretes prédi-
cations, que nous el'oyons devoir principalement allribuer la
disposition d'nne tres-grande partie dll peuple dans la presque
totalité du dépal'tement de la Vendée, el dans le district de
Chatillon, déparl.ement des Deux-Sevres: iI importe essen-
tiellement de fixer J'atlentiol1 de I'assemblée nationale sur la
conduite de ces missionnaires et l' esprit de leur inslÍtutioD.


« Cet établissement fut fondé, iJ Y a environ soixante ans,
pour une société de pretres séculiers vivant d'aumones, et
destinés, en qualité de missionnaires, a la prédieation. Ces
missionnaires, qui ont ac(\uis la confiance du peuple en dis-
tribuant avec art des chapelets, des médailles et des indul-
gences, et en pla<,;ant sur les chemins de tonte ceHe partie de
la France des calvaires de toules les formes; ces mission-
naires sont devenus depuis assez nomLreux pour former de
nouveaux établissements dans d'autres parties lIu royaume.
On les trouve dans les ci-devant provinees de Poilon, d'An-
jon, de Bretagne et d'Aunis, voués a,'ec la meme activité au
sucees, et en qnelque sorle a l'éternelle durée de cetle cspece
de pratiques religieuses, devenue, par leurs soins assidus,
I'unique religion du peuple. Le honrg de Saint-Laurent est




El' PIECES JUSTIFICATIVES. 301


leur chef-lien; ils y ont bati récemment nne vaste et belle
maison conventuelle, el y ont acquis, dit-on, d'autres pro-
priétés territoriales.


" CeHe congrégation est liée, par la nature et J'esprit de
son institution, a un élahlissement de sreurs grises, fondé
dans le meme lieu, et connu sous le uom de filies de la sa-
gesse. Consacrées dans ce département et dans pln&ienrs antres
au sel'vice des panVl'es, et particnlierement de, hopitaux,
elles sont pour ces missionnail'es un moyen tl'es-actif de cor-
respondance générale dans .le royaume : la maison de Saint-
Laurent est devenue le lieu de leur retraile, lorsque la fervcur
intolérante de leur úle' on d'alltres eirconstances out forcé
les administralenrs des hopitaux qu'elles desservaient, a se
passer de Icm's secollrs.


"Pour détermiuel' votre opinion sur la condllite de ces
ardents missionnaires, el sur la morale religieuse qu'ils pro-
fessent, iI suffira, messieurs, de vous présenter un abrégé
sommaire des maximes contenues dans différents manus-
crits saisis chez eux par les gardes llationales d'An¡¡;ers el
de Cholet.


« Ces manuscrits, rédigés en forme d'instructioll pour le
peuple des campagnes, établissent en these qu'on ne peut
s'adresser aux pretres cOllstitlltionnels, qualifiés d'iutl'us,
pour l'administration des sacrements; que tous ceux qui y
participent, meme par leur seule pl'ésence, sont coupables de
péché mortel, et qu'i! n'y a 4ue l'ignOl'ance ou le défaut d'es-
prit qui puissent les excuse!'; que ceux qui auront I'audace
de se faire marier par les intrus, ne seront pas mariés, et
qu'ils attireront la malédiction divine sm' eux et sur leuFs
enfants; que les dIoses s'arrangel'ont de maniere que la vali-




:VOTES


dité des mariages faits par les anciens cUI'és ne sera pas
coutestée; rnais qu'en atteudant il faul se résoUllrc a tout;
que si les enfants ne passenl point pOllf légilimes, ils le
semnl néanmoins; qu'au contraire les enfants de ceux qui
auront élé mariés devant les intrus, seront vraiment bdtards,
paree que Dieu n'aura point ratifié leur union, et qu'il vaut
mieux qu'un mariage soit nul devant les hommes que s'j)
I'était uevant Dieu; qu'il ne faut point s'adresscr aux IlOU-
veaux curés pOUI' les enterrements, et que si l'ancien curé
ne peut pas les fail'e sans exposer sa vie et sa liberté, il faut
que les parents 011 amis du défunt les fassent eux-memes se-
eretement.


(( On y observe que I'ancien curé aUl'a soin de tenir un
registre exaet pOUl' y enregistrer ces dilTércuts aetes; qu'a
la vérité il est impossible que les !J'ibunaux civils u'y aient
aucun égard, mais que e'est un malheur auquel il faut se
résoudre; que l'enregistrement civil est un avantage précieux
dont il faudra cependant se passer, paree qu'il vaut mieux en
etre privé que d'apostasier en s'adl'essant a un intruso


« Enlin on y exhorte lous les lid eles it n'avoir aucul1e com-
mUl1ication avec I'intrus, aucul1e part it son intru~íol1; on y
déclare que les officíers mnnicipaux qui I'installeront, serol1t
apostats comme Iui, et qu'it )'ín,tant meme les sacristains,
chantres et sonl1eUl'S de cloches, doivent abdiquel' leurs
emplois.


" Telle est, messieurs, la doctrine absurde et sédítieuse
que renferment ces manuserits, el dont la voix publique
accuse les missionl1aires de Saint-Laurent de s'etre rendus les
plus ardenls propagatcurs.


" lis furent dénol1cés dal1s le temps au comité des recher-




ET PIlleES JUSTIFICATIVES. 303
ches de l'assemblée nationale, et le sileDce qu'on a gardé a
leur égard n'a fait qu'ajouter a I'activité de leul's efforts et
augmenter leur fUDeste influence.


« Nous aVODS cru indispensable de mettre SOllS vos yeux
I'allalyse abrégée des principes contenus dans ces écrits, telle
qu'elle est exposée dans un arrelé du département de Maine-
et-Loire, du 5 juin 1791, paree qu'il suffit de ies comparer
3vec la lettre circulaire du grand-vicaire du ci·devant évpque
de Lu<¡on, pour se convaincre qu'ils tiennent a un systeme
d'opposition général contre les déerets slll'l'ol'ganisatiou civile
du c1ergé; el l'étal aCluel de la majorité des paroisses de ce
département ne présente que b développement de ce systeme
et les principes de cette doctrine mis presque partoul en
aetion,


" Le remplacement trop tardif des curés a heaucoup con-
trihué au succes de cette coalition: ce retal'd a été nécessité
d'abord par le refus de M. Sel'v<!-nt, qui, <!-pres <!-voir été
nommé a l' éveché du dép<!-rtement, et avoir aecepté cette place,
a déciaré, le 10 avril, qu'il retirait son acceplalion. M. Ro-
drigue, éveque aCluel du département, que sa modération
el sa fermeté souliennent presque seules sur Uf) siége envi-
ronné d'orages el d'inquiétudes, M. Rodrigue n'a pu etre
nommé que dan s les premiers jours du mois de mai. A ceHe
époque, les actes de résistance avaient été calculés el déter-
minés sur un plan uniforme; l'opposition était ouverte et en
pleine aclivité; les grands-vicaires et les curés s'étaient rap-
prochés et se tenaient fortement unis par le meme lien; les
jalousies, les rivalités, les querelles de l'anciennc hiérarchie
ecclésiastique avaient en le temps de disparaitre, et t()Us le&
¡ntérets étaient venus se réunir dans un iotéret commun.




304 NOTES
"Le remplacement n'a pu s'effectuel' qu'en pat'tie; la


tres-grande majorilé des anciens fonelionnaires publies eeclé-
siastiques existe encore dans les paroisse¡¡, revetue de ses an-
eiennes fonelions; les dernieres nominalions n'ont eu presque
aucun sueces; et les sujets nouvellemenl élns, effrayés par
la perspective des conlradictions el des désagrémen!s sans
nombre que leur nomination leur prépare, n'y répondent
que par des refus,


« CeHe division des prelres assermentés et non assermentés
a établi une véritable scission dans le peuple de leurs pa-
roisses; les familles y sont divisées; on a vn, el !'on voit
ebaquejour des femmes se séparer de leul's maris, desenfants
ahandonner leurs percs : I'état des ciloyens n'es! le plus sou-
vent constaté que sur des fcuilles volantes, el le particulic¡'
qui les re<¡oit, n'étant revetu d'auculI caractere puhlie, ne
peut donner a ce genre de preuve une autbenticité légale,


" Les municipalités se sont désorganisées , et le plus grand
nombre d'entre elles pour ne pas concourir au déplaeement
des curés non assel'men tés,


« Une grande partie des citoyens a renoneé au service de
la garde nationale, et celle qui reste ne pourrail etre employée
sans dangers dans lous les mouvemeni. qui aUl'aient pour
prineipe ou pour objet des actes concernant la religion , paree
que le peuple vcrrait alors daos les gardes nationales, non les
instruments impassibles de la loi, mais le& agents d'un partí
contraire au sien,


Dans plusiellrs parties du département , un administmteur,
un juge, un membre du eorps élecloral, sont vus avee aver-
sio" par le peuple, paree qu'ils concourent a I'exérulion de
la loi relative au,. fonctionnaircs ecclésiastiques,




1<:T Ptl,CES .JUSTIFICATIVES.


tt Cette disposition des esprits est d'autant plus déplorable,
que les moyens d'instruction deviennent chaquc jou!' plus
difficiles. Le peuple, qui confond les lois générales de I'état
et les réglements parliculiers pour I'organisation civile da
c1ergé, en rait la lecture el en rend la publication inlltile.


« Les méconlents, les hommes ql1i n'aimen!. pas le nouveau
régime, et ceux qui dans le uouveau régime n'aimen! pas les
lois relatives au c.Iergé, entreliel1O('nt avec soin cette aversion
du peuple, fortifient par tons les moyens flui sont en leur
pouvoir le crédit des pretres non assermentés, et affaiblissent
le crédit des autres; I'indigent n'obtient de secours, l'artisan
ne peut espérer I'emploi de ses talents et de son indush'ie,
qu'autant qu'il s'engage a ne pas allel' a la messe du pretre
assermenté, et e'est par ce concolll's de confiance dans If'S
auciens pretres d'une part, el de menaces eL de séduction de
I'autre, qu'en ce moment les églises desservil's par les [lreh'es
assermentés sonl désertes, et que I'on coUt'! en foule dans
ceUes 00, par défaul tle sujets, les I'cmplacements n'ont pu
s'effectuer encore.


" Rien n'est plus cOlllmun que oe VOII' dans les paroisses
de cinq a six cenls personnt's, dix on douzc seulemeot allel'
a la messe du rretre assermenté; la propor!ion es! la meme
daos lous les lieux du dépaJ'temenl; les jour, de dimanche
et dI' fete, on voit des villages el des bOllrgs elltiers dont les
babitants désertent leurs foyers pou!' aller a une el quelque-
fois deux lieues, enteodl'e la messe (\'un pretre non aaser-
mente. Ces déplaeements babiluc\s HOUS on! pal'u la cause la
plus puissante de la fel'meIltation, tantot sourdc, tantot ou-
verte, qui existe dHIIs la presquc lotalilé des puroisses desser-
vies par les pretres assel'melllés : on "on,;oil aisément qu'une


IJ. 20




NOTES


multitude d'individus qui se croient obligés pal'leu.' conscience
d'aller au loin chereher les secours spirituels qui leUl' convien·
nent, doivent voir avec aversion, 10rsqu'i1s rentrent chez eux
excédés de fatigue, les cinq ou six personnes qui trouv!'nt ¡,
leur portée le pretre de leur choix : i1s consiJerent avec envie
et traitent avec dureté, souvent meme avec violeuce, des
hommes qui leur paraissent avoir un privilége exc1llsif en ma·
tiere de religion. La comparaison qu'ils font entre la facilité
qu'ils avaient autrefois de trouver ¡, cOté d'eux des prelres
qui avaient leur confiance, el l'embarras, la fatigue el la perte
du terups qu'occasioflnent ces cOllrses répétées, diminuent
beaucoup lem' attachement pour la constitlltion, a qui ils
attrihuent tons ces désagréments de leur situatiun nOllveUe.


" C'est a cette cause généralc, plus active peut.ell'e en ce
moment que la provoc.ation secrete des prctt'es non asscl'·
mentés, que nous croyons devoir aUribuer surtout l' élat de
discorde inté,'ieure 011 nous a\'on5 trouvé la plus grande partie
des paroisses de départemeul desservies par les pretres agsel'·
mentés .


• Plusieurs d'entre elles nous out présenté, ainsi qu'aux
corps administl'alifs, des pétitions tendant a eh'e 81110risé"s
¡, louel' des édifiees particuliers pour I'usage de Icur cult ..
religiellx; mais comme ces pétilions, que nous savions etre
provoquées avec le plus d'activité pal' des personnes qlli ne
les signaient pas, nOlls paraissaient tenir il un systcme plus
géuéral el plus secret, nous n'avoIls pascru devoir staluer SUI'
une séparation rcligieuse que nous croyiolls a ceHe époque.
et vu la situation de ce département, renfermer tous les ca--
raCleres d'une seission civilc entre le. ciloyens. NOllS avoIls
pensé et dil publiquement que c'élait a vous, ml'ssieurs, ¡,




E'I' PlECES JUSTI.FtCATIVES,


détCl'miner, d'une maniere précise, comment et par quel
concours d'influences morales, de lois eLde moyens d'exécu-
tion, I'exercice de la liberté d'opinions religieuses doit, SUI'
cet objet dans les ciJ'('onstances aetuelles, s'allier au maintien
de la tranquillité publique,


.. 00 sera sl1rpri~ sans doute que Ips pretres nmi asser-
mentés qui demcUt'so! dans leursancienncs paroisses, ne pro-
fitent pas de la liberté que leur donne la loi d'aller dire la
rnesse dans I'église desservie par le nouveau curé, el n~
s'empressent pas, en usant de ceUe faculté, d'épargner a leUl's
anciens paroissiens, a des hommes qui leur sont restés atta-
chés, la perte de temps et les embart'as de ces courses nom-
hreuses et forcées, Pour expliquer celte conduite en apparenee
si extraol'dinaÍl'e, il importe de se rappeler qu'une des oh oses
qui ont été le plus fortemant l'ecommandées aux prelres non
assermentés par les hommes hahiles qui ont dil'igé cetle
grande entreprise d~ religion , est de s'abstenir de lonte COffi-
muoicatiof\ avec les prelres qu'ils aprelleot ilÍtrus et usur-
paleul's, de peur que le penple, qui n'est fl'appé que des signes
sensibles, ne s'habitm1t enfin a oe voir aucune différence
entre des pretre5 qui feraient <lans la meme église I'exerdce
du meme culte.


«Malheurf'lIsemeot ceUe divisioo religieuse 8 produit une
siÍparalioo politique entre les citoyens, et celte séparation se
forrifie encore par la déoomination atlribuée a chacun des
deux pat,tis : le tl'es-petit nombl'e de pel'sonnes qui voot dans
l'église des pretres assermentés, s'appellent el SOllt appelés
patriotes; ceux qui vont da!lB I'église des pretl'es non aSier-
mentés sont appelés et s'appellent ariSlocrates. Ai!lsi, ponr
ces pauvres habil80t~ des campagnes, I'amour ou la hailte de


20,




:\'OTF.S


leur patrie consiste aujourd'hui non point a obéil' aux Icis, a
respecter les autorités légitimes, mais a allel' ou l1e pas aller
a la messe du prelre assermenté; la séduetion, l'ignorance et
le préjugé onl jeté a cet égard de si pl'Ofondes racil1es, que
nous avons eu beaucoup de peine a leur faire entendrc que
la eonstitution polilique de I'élat n'élait poi ni la conslitution
civile du clergé; que la loi ne tyrannisait point les cOIl~ciences;
que chacun était le maitre d'aller a la messe qui lui conve-
nait davantage, el vers le pretre qlli avait le plus sa conliance;
qu'ils étaienl lous égallx aux yeux de la loi, el '1u'elle ue leUl'
imposait a cel égard d'ault'e obligation que de vivre en paix
pI de SuppOl'ter mUluellement la différence de leurs opinions
religieuses. Nous n'avons rien négligé pour effaeer de I'esprit
et faire dispal'aitre des L1isconrs du peup/e des c"mpagne~
celte ahsurde L1énomination, el 110US 1I0US en somm~s occupé"
avec d'aurant plus d'activité, qu'il nous était aisé de calculer
a cetteépoque toutes les eonséquences d'uDe telle démal'cation,
dans un départernent OU ces prétendus flrútocratt's forment
plus des deux tiers de la population .


• Tel est , messieurs, le résultat des faits qni sont panelllls
a nolre connaissance dans le département de la Vendée, et
des réflexions auxquelles ces fairs ont clonllé lieu.


" Nous avons pris sur cet oojet loules les mesures qui
Maient en nolre POUVOil', soit pour maintenir la tranquillité
générale, soit ponr prévenir ou ponr réprimer les attenlals
conlre l'ordl'e publie; ol'galles de la loi , nous avous fait par-
tout entendre son langage. En meme temps que nOU5 éta-
hlissions des moyens d' orill'e et de sureté, nous nous OCCl,l-
pions 11 expliquer on éclair .. ir devant les corps administratifs,
les lI'¡bunaux ou les pal'licllliel's, les difficulrés qui naissent




Fl' PlEfa:s JUSl'IFIL.\ TIVES. 309
soit daus I'intelligence des décrets, soit daus leur made
d'exéclItion; naus avons invité les COt'pS administratifs el les
tribllnaux a redoubler de vigilance et de zele dalls I'exécu-
tia n des lois qtÍi protégent la súreté des personnes et la pro-
priété des biens, a user en un mot, avec la fermeté qui est
un de ICllrs premicrs devairs, de l'autorité que la loi leur a
c.onférée; nous avons distribué uue partie de la force publi-
que qui élait a notre réqllisition dans les Iieux on ron nOU3
annonc¡ail des périls plus graves ou plus émiucnts; nous naus
sommes tl'3l1sportés dans tous les lieux aux prf'mieres an-
nonees de trauble; 1I0US avons constaté l'état des choses avec
plus de calme et de réJlexion, et apres avoir, soit par des
paroles de paix et de consolation, soit pal' la f'et'me el juste
exp"ess;otl de la loi, calmé ce désonlre momentané des vo-
Ion tés particulieres, t10US avons cru que la senle présence
de la force publique suffirait. Cest a vous, messieurs, et a
vous seulement, qu'il appartient de prendre des mesures vé-
rilablement efficaces sur un objet qui, par les rapports on
on I'a mis avec la constitution de I'état, exerce en ce mo-
ment sur cette conslitutioll une inJluence· beaucoup plus
grande que ne ponrraient le faire eroi"e les premieres et
plus simples notions de la ,'aison, sépal'ée de I'expérience
des fails.


"Dans ton tes nos opérations relatives a la distribution de
la force publique, nous avons été secondés d~ la maniere la
plus active par un officier-général hien cOllnu par son pa-
triotisme el ses lumieres. A peine instruit de nolre arrivée
dans le département, M. DUmOllrif'z est vellll s'associer a nos
travaux et concourir a"ec nous 1\U mainlien de la paix pu-
blique: nom; al/ion s elre totalement dépoul'Vus de tl'oupes




310 NOTES
Je ligue dans un moment 00 nous avions lieu de croire
qu'elles nous étaient plus que jamais nécessaires; e'est an
zele, e'est R I'aetivité de M. Dumourier; que nous avons dli
sllr-le-ebamp un secours qni, vu le retard d'organisalion de
la gendarmel'Íe nationale, était en quelque sorte l'unique ga-
l'ant de la tranquillité du pays.


« Nous venions, messieurs, de terminel' notre missioo
dan s ce département de la Vendée, lorsque le déeret de
I'assemblée nationale du 8 aout, qui, sur la demande des
administrateurs du département des Deux Sevres, oous au-
torisait a nous transporter dans le district de Cbalillon, nous
est parvenu , ainsi qu'au direetoÍl'e de ce département.


« On nous avait annoncé, a notre arrivée a Fontenay-le-
c.omte, que ce distriet était dans le meme état de trouble
religieux que le dépal'tement de la Vendée. Quelques jOllrs
avant la réception de notre décret de eommission, plusieurs
citoyens, électeun et fonctionnaires publics de ce district,
"inrent faire an directoire du dépal'tement des Deux-Slwres
une dénonciation par écrit sur les troubles qu'ils disaient
existe\' en différeIltes paroisses; i1s anIloIleereIlt qu'une in-
surre~tion était pl'C5 d'éclatel' : le moyen qui leur pal'aissait
le plus sur et le plus prompt, el qu'ils proposerent avec
beaucoup de force, était de faire sortir du district, dana
trois jours, tÓ1l8 les eurés non assermentés et rem placés, et
tous les vicaires non assel'lllentés. Le direetoire, apres avoir
lon~-temps répugné a adopter une mesure qui lui paraissait
contraire aux principes de I'exaete justice, erut enliu que le
earactere publie des dénonciateurs suffisait pour constater et
la réalité du mal el la pressante néeessité du remede, Un ar-
reté fut pris en conséquence le 5 septembre, el le direeloire,




en ordonnant a lous les eeclésiastiques de sOI'lí .. du distric,t


dans trois jours , les invita a se l'endre dans le meme délai a
Niort, chef-lieu du département, leur assurant qu'ih y trou-


('eraien! taltCe protection et sureté pour leur.< personnes,
• L'arreté était déja imprimé etallait etre mis a exécution ,


IOI'sque le directoire relSu! une expédition dll décret de com-


mission qu'i1 avait solJicité; a l'instant il prit un nouvel ar-


reté par lecjuel iI suspendait I'exécution du pl'emiel', et aban-
donnait it notre prudence le soin de le confirmer, modifiet,


ou supprimer.
« Deux administrateurs du directoi!"e furenl, par le meme


arl'elé, 110mmés commissaires pour DOUS faire part de lout


{'e qui s'élait passé, se transportl'r a Chatillon, et y prend.'e,
de corten! avec nous, toules les mesures que nous croirions


nécessaires,
«Arrivés a Chatillon , nous rimes rassemhler les cinquante-


six Olunicipalités dont ce dislrÍct est composé; elles furent
successivement appelées dans la salle du directoire, Nous


consultames eh acune' d'elles sur I'état de sa paroisse : toutes


les municipalités énon~aient le meme VOlU; celles dont les


curés avaient été remplacés nous demandaient le retour de


ces prelres; "elles dont les curés non asscrmen\.és élaient en-


core en fonclions, nous demandaient de les conservero Il esl


encore un autre point sur lequel lous ces habitants des cam-


pagnes se réunissaiellt : c'es! la liberlé des opinions reli-


gieuses, ql1'on leur avait, disaient-i1s, accordée, et dont ¡Is


désiraienl jouir, Le meme jour et le jour suivant. les campa.
gnes voisines nous envoyerent de nombreuses députations de


leurs habitants ponr nous réitérer la meme priere. " Nous ne


« sollicilons d'autre grace, nOU5 disaient·i1s unanimement,




')
dI2 NOTES


" que d'avoir des p.,elres eo qui nous ayoos conliam·e. >l Pln-
sieurs d'entre eox auachaient meme un si grand prix a cette
faveur, qu'ils oous assuraicot qu'ils paieraieot volootiers,
pon!' l'obtenir, le double de leur imposition.


" La tres-grande lI1ajorité des fonetio~oaires publics eecJé-
siastiques de ce dislI'ict o'a pas pl'elé serment; et tandis que
leurs églises suffisent a peine a l'affluence des citoyens, les
églises des pn~lt'es assermeolés soot presque déserles. A cet
égal'd, I 'élat de ce district oous a paru le meme que celni
du déparlemeot de la Vendée: la, comme ailleul's, oous
"VOUS trouvé la dénomiuatioo de patriote et d'aristocrate
complélement élablie parmi 11' peuple, daos le meme sens,
et peul-ett'e d'lIne maniere plus générale. La disposition des
esprits eu faveul' des pnlll'cs non assermentés nous a paru en·
core plus prononcée dans le département de la Vendée; I'at-
tachement qll'on a pour eux, la confiance qu'on leur a vouée,
oot tous les caracteres du senliment le plus vil' et le plus pro-
fond; daos quelques-unes de ces paroisses, des pretl'es assel'-
menlú ou des ciloyens attachés a ces prelres avaient élé ex-
posés a des menaces el a des insultes, el quoiqne la comme
ailleurs ces ,-iolences nous aient par u quelquefois exagérées,
HOll;, nOllS sommes assurés (et le simple exposé de la dis-
posilion des esprits suffit pour en convaincre) que la pI u-
part des plaioles étaient fondées sur des droits bieo cons-
t:tols.


" En meme temps que nous I'ecommandions aux juges el
aux administl'aleurs la plus grande vigilance sur cel objet,
no liS ne négligions rien de ce qui pouvait inspirer:tu pellple
des idées et des sentimeols plus conformes au respect de la
'oi el :tu droit de la liberté individuell!'_




El' l'I.EC:E,'; JI STIFJCATIV:ES, 3d
" Nous devons vous dire, messieurs, que ces memes hom-


mes, ql1'on 1I0US avait peints comme des furieux, sourds a
loute espece de raison; nous ont quittés l'ame remplie de
paix el de bonheur, lor.que nous leur avons fait entendre
qu'il était dans les principes de la constitution nouvelle de
¡'especter la liberté des consciences; ils étaient pénétrés de re-
penlir et d'aflliction ponr les fautes que quelqucs-uns d'entre
eux avaient pu commetlrc; ils nOIlS ont promis, avec atlen-
drissement, de suivre les conseils que nous leur donnions, de
vivre en paix, malgré la différence de leurs opinions reli-
gieuses, et de respecter le fonctionnail'e puhlic établi pa¡' la
Joi. On les entendait, en s' en allant, se féliciter de nous avoir
vus, se I'épéter les uns aux Rutl'eS tout ce que nous leur
¡¡vions dit, el se fOl'tifiel' mutuellement dans leurs résolutions
de paix et de honne intelligcnce.


« Le meme jour on vint nous annonce¡' que plusieul's de
ces habitants de campagne, de retomo chez eux , avaient am-
ché des placal'ds, par lesquels i1s déclaraient que chacun
d'eux s'engageait a dénoncer et a faire arrete¡' la premiere
personne qui nuirait a une autre, et surtout aux pretres as-
,crmenlés.


,( NOlls devons vous faire remarque\' que dans ce mellle
tlistrict, trouhlé depuis long-temps par la différence des opi-
nions religieuses, les impositions arriérées de 1789 el de
1790, montant a 700,000 livres, ont été presque enliere-
ment payées; nous en avons acquis la preuve au direetoíre
ti u distri el.


" Apres avoir observé avee soin l'état des esprits et la si-
tuation des choses, nous pensames que I'arreté du directoire
Jlf' elevait pas etre mis a exéclItion, el les commissaires dll




NOTES


,!épartement, ainsi que les administrateurs du directoire de
Chatillon, furent du meme avis,


"Mettant 11 I'écart tous les motifs de détermination que
1Ions pouvions tirel' et des choses et des personnes. nnlls
'l\'ions examiné si la mesure adoptée par le directoire étail
(I'abord juste dans sa na!ul'e, ensui!e si elle serait effiesee
dans I'exéeution,


" Nous crumes que des pretres qui Ollt été remplacés ne
pellvent pas Ctre eonsidérés eomme en état de révolte contre
la loi, parce qu'ils eontinuent 11 demeurer dans un lieu de
lem', aneiennes fonctions, sur!out lorsque parmi ces pretres
il en est qui, de notoriété publique, se bornent 11 \'ivrc en
hommes charitables el paisibles, loin de tOllte disclIssion pu-
bli'luc et privée; nous crumes qu'aux yeux de la loi on nI'
pellt etre en état de révolte qu'en s'y mettant sui-meme par
des faits précis, certains et constates; nous crumes eTlfin que
les actes de pl'ovoeation eontre les lois relatives au c1ergé el
contre !outes les lois dlll'oyaume, doivent, ainsi que tous les
autres délits, etre punis par les formes légales.


" Examinant ensuite I'efficacité de cette mesure, nOlls vlmes
que si les fideles n'ont pas de eonfiance dans les pretres assel'-
mentés, ce n'est pas un moyen de leut' en inspirer dav31ltage
que d'éloigner de eette maniel'e les pretres de lelll'ehoix j nous
vimps que dans les distriels ou la tres-grllnde majorité des
pretres non assermentés continuent I'exel'ciee de leurs fonc-
tiOIlS, d'apres la permis3ion de la loi, jusqu'a I'époque du
remplacement, ce ne serait pas certainemcnt dans un tel sys-
teme de répl'ession , diminller le mal que d' éloigner un si petit
nombre d'individus, 100'squ'on est obligé d'cn laisser dans les
memes liclIX Iln Ires-grand nombre dont les npinions sont les
memes,




l,T I'IitCES .Jlr~TlFIC.<\.TIVES • 315
• Voilil, messieurs, quelques-unes des i·jées qui ont dirigé


nolre conduite dans cette eirconstance, indépendamment de
toutes les raisons de loeatité qui sen les auraient pu nous obli-
ger 11 suivre ecHe marche: lelle élait en effet la disposition
des espri ts, que l' exéculion de cet arl'llté fUt infailliblement
devenue dan s ces Iieux le signal d'une guerre eivile.


« Le directoire du département des Deux-Sevres, instruit
d'abord par ses commissaires, ensuile par nous, de tout ee
que nous avions fail a cet égard, a bien voulu nous offril'
I'expression de sa reconnaissance, par un arreté du 19 du mois
llernie\'.


« Naus ajouterons, quant a ceHe mesure d'éloignement des
pretres assermentés qui ont été remplacés, qu'elle nous a été
constammenl proposée par la pl'esque unanimilé des citoyens
du département de la Vendée, qui sont attachés aux prétres
assermentés, citoyens qui forment eux-memes, comme vous
I'avez déja vu, la plus petite pOI'tion des habitanls : en vous
trausmettanl ce vreu, nous ne faisons que nous acquitter d'un
dépot qui nous a été confié.


« Nous ne vous laisserons pas ignorer non plus que quel-
(Jues-uns des prett'es assermenlés que nous avons vus, ont été
,rnn avis contrairc; I'uu d'eux, dans une lettre qu'il nous a
adressée le I:t septembre, en nous indiquant les memes causes,
des troubles, en nous parlant des désagréll1ents auxquels jl cst
chaque jour ex posé , nous fait observer que le seul moyen de
remédier a tous ces maux est ( ce sont ses expressions ) • de
" ménager I'opinion du peuple, dont il faut guérir les préjugés.
" avec le remede de la lenteur el de la prudence; CUI', ajoute-
" I-il, il faut prévenir toute guerre a I'occasion de la religion,
" ,Iont les plaies saignent encore ... II est a cl'aindre que les me-




316 NOTES
" sures rigolll'eUSeli , nécessaires dans les cil'colJstances conlre
" les pertul'bateurs du repos public, ne paraissent plutot une
" persécution qu'un chatiment infligé par \a loi .. : Quelle pru-
" dence ne faut-iI pas emplllyer! La donceur, l'instruction,
" sont les armes de la vérité! »


" Tel est, messieurs, le résultat général des détails que nous
avons recueillis, et des observations que nous avons failes dans
le cOUJ-s de la mission qui nous a élé eonfiée. La plus dauce
I'écompense de nos travaux serail de vous avoir facilité les
moyens d'établir sur des bases solides la tranquillité de ces
d~)al'te1J)~.DJ¿;1' I'J ¡;J¿¡}'¿:>j''/'4ruwdu (/<Fr ¿Kd¡"-¡(e' de a(J(re ze'c'e


11 la confiance dont nous avons élé honorés. »




El' pa:CES J US'J'H'ICATIVES.


NOTE 5, PAGE 44.


J'ai déja eu l'oeeasiou de revenir plusieurs fois sur les dis-
positions de Léopold, de Louis XVI, et des émigrés; je vais
ciler plusieurs extrails qui les feront eonnaitre de la maniere
la plus cerlaine. Bouillé, qui étail a l'étranger, et que sa
réputation et ses talenls avaient fait I'echercher par les souve-
rains, a pu miellx que personne connaitre les sentiments des
diverses cours, el il ne peut elre sllspeel dans son témoignage.
Voicj la maniel'e don! il s'exprime en divl'l's endroits de 3('S
mémoires :


« On pourra juger, pal' eeUe leltre, que le roi de Suede
était lres-incertain slIr les véritables projels de l'empereur el
de ses eo-alljés, qni devaient elre alors de ne plus se meler des
affaires de France. Saos donte l'impératrÍ<'e en était instrnite,
mais elle ne les lui avait pas eommuniqu.és. Je savais que
dans ce moment elle employajt toute son influenee sur l'em-
pereur el le I'oi de Prusse, 110ur les engager a déclarer la
guerre a la Frailee. Elle avait meme écrit une leure tI'cs-forle
au premiel' de ees souverains, oú elle lui représentait que le
roi de Prusse, pour une simple impolitesse qu'on avait faile
asa sreur, avait fail entrer une m'mee en Hollande, lall,lis
que lui-meme souffrail les insultes el le5 affmnts flu'on pl'O-
diguail a la rEine de Franee, la dégradation de SOl! rang el de
SR dignité, <!l l'anéanlissement du trolle tI'un roi, son hf'au-
f.,ere el son allié, L'impératrice agissait avec la meme force




NOTES


vis-a-vis de I'Espagne qui avait adopté des principes paeí-
fiques. Cependant I'empereur, apres I'acceptation de la cons-
titulion par le roi, avait refSu de nouveau I'ambassadeul' de
France, auquel il av!!it défendu précédemment de paraltre it
5a cour. 11 fut me me le premier a admetLre dans ses ports h·
pavillon national. Les cours de Madrid, de Pétersbourg et de


" Stockholm, furent les sen les , a celte époque, qui retirerelll
leurs ambassadeurs de Paris. Tontes ces circonstanccs servent
~onc a prouver que les vues de Léopold étaient dirigées vera
la paix, et qu'elles étaient le fruit de l'inHuenee de Louis XV[
el de la reine. "


( Mémoires de Bouillé, page 314.)


AilIeurs Bouillé dit encore ;
" Cependant il s"écoula plllsieul's mois sans que j'aper9usse


aueune suite aux projets que l'empereur avait eus d'assembler
des armées sur la frontiere, tic former UD con gres , el d'enta-
mer une négociation avee le gouvernement fralll,¡ais, Je présu-
mai que le roi avait espéré que son aeccptation de la nouvelle
constitution lui rcndrait sa liberté personnelle, et rétablirait
le calme ·dans la nation, qu'une négociarion armée aurait pu
troubler, et qu'il avait conséquemment engagé rempereul' et
les autres souverains ses alliés a ne faire aucune démarche qui
put produiJ'e des hostilités qu'il avait constamment cherché a
éviter. Je fus eonfil'mé dans ceUe opinion par la réticence de
la COUl' d'Espagne, sur la proposition de fournir au roi de
Suede les quinze millions de livl'cs tournois qu'elJe s'était en-
gagée a lui donnel' pour aider aux frais de son expédition, Ce
prince m'avait engagé a en écrire de sa part au ministre espa-
gnol, dont je De relius que des I'éponses vagues. J e conseillai




F.T PIlleES J USTiF!CATIVES.
')
.)1 !J


alors au roi de Suetle d'ouvrir un emprunt en HollaUlle, ou
dans les vil/es libres maritimes du Nord, sons la gamnlie de
l'Espagne, dont eependant les dispositions me parurent ehan-
gées a I'égard de la Franee.


« J' appris que l' anarchie augmentait ehaque jour en Franee,
('e qui n'étaitque trop prouvé par la fOllle d'émigrants de tous
les étals qui se réfugiaient sur les frontieres étrangeres. On
les armait, onles enrégimentait sur les bords du Rhin, el ron
en formait une petite armée qlli mena«¡ait les provinees d'Al-
sace et de Lorraine. Ces mesures réveillaient la fureur du
peuple, et servaient les projets destructeurs des Jacobins el
des anarchistes. Les émigrés avaient meme voulu faire uue
tentative sur Strasbourg, ou ils croyaient avoir des intelli-
gen ces assurées el des partisans 'lui leur en auraient livré les
porles. Le roi, 'lui en fut instruil, employa les ordres el meme
les prieres pour les ane!er et pour les empécher d'exereer
aucun acle d'hostilité. 11 envoya, 11 cet effet, aux princes SI"';
fl'eres, M. le baron de Vioménil et le chevalier de Cogny, qui
leur ~émoignerent, de sa part, sa désappl'obation sur l'arme-
menl de la noblesse frBll(;aise, Buquel I'empereur mil tous les
obstacles possibles, mais qui continua d'BvoÍl' lieu.»


( Ibld., page 309' )
Enfin Bouillé raconte, d'apres Léopold lui-meme, son


pl'ojet de congl'es :
• Enlin, le 12 septembre, I'empereur Léopold me lit pré-


venir de passer chez lui, el de lui portel' le plan des disposi-
lions 'IU'il m'avait demandé précédemment. 11 me lit entrer
dan s son cabinet, el me dit qu'i1 n'avait pas pu me parle,'
plus tot de I'objet pour leqm'l il m'avait I¡¡it ,"enir, paree
'lu'il attendait des réponsps de Russie, d'F.spagnp, d'Angle-




SOTES


terre, el. des principaux souverains de l'Italie; qu'i1 les avait
rel5ues, qu'ellcs étaicnt conrormes a ses intentions et a ses
projets, qu'i1 élait assuré de lem' assistan1:e dans I'exécutioll,
el de leur réunion, a I'exception cependant du cabinet de
Saint-James, qui avail déclaré vouloir gal'der la neutralité la
plus scrupuleuse. 11 avait pris la résolution d'assembler un
con gres pour traitel' avec le gouvernemel1t fran"ais, non-seu-
lement sur le redressement des griefs du corps germanique,
dont les droits en Alsace el dans d'autres parties rles provinces
frontieres avaient été violés, mais en memc temps 5111' les
moyens de I'établir I'ordre dans le royal1me de Frallce, don!
l'anarchie trouhlait la tranquillité de l'Europc entiere. 11 m'a-
jouta que cette négociation serait appuyée par des armées
formidables, dont la France serait euvil'onnée; qu'il espél'ait
que ce moyen réussirait el pl'éviendrait une guel're sanglanle,
derniere rcssource 'Iu'il voulait employer . .Te pris la liberté
de demander a I'empereur s'iI était instruit des véritables ill-
tentions du roí. II les connaissait; il savail que ce pl'ince ré-
pugnait a l'emploi des moyens violents. 11 me dit qu'il était
d'ailleul's informé que la charle de la nouvelle constitulion de-
vait lui elre présentée sous péU de jours, et qu'il jllgeait que
le roi ne pouvait se dispenser de I'aecepter salls auenne res-
triction, pat' les risques qu'i! eourait pour ses jOlll'S et eeux
de sa famíllc, s'jl laisait la moindre difficulté, et s'il se pel'-
mettait la plus légere ob,ervation; mais que sa sanction, for-
cée dans la cireollslallce, n'était d'allcune importauee, étant
possible de revenir sur tout ce qu'oll aurait lait, et de donnel'
a la Franee 1111 hon gouvernemellt (lui satisflt les pellples, et
qui laissat a I'autorité ro)'ale IIne latituJe de pouvoil's sum-
sants pOllr maintenÍl' la lranquillilé au dedans, el pOli!' assu-




ET PIEC.ES JUSTIFICATIVE~. J:u
ret· la paix au dehors. 11 me demanda le plan de disposition
des armées, en m'assurant qu'ill'examinerait a loisir. 11 m'a-
joufa que je pouvais m'en retourner a Mayence, on le comte
de Brown, qui devait commander ses trollpes, et qlli était
alors dalls les Pays-Bas, me ferait avertir, ainsi que le prince
de Hohenlohe, qui allait en Franconie, pour conférer en-
semble, <¡lland il en serait temps.


" Je jugeai que l'empereur ne s'était arreté a ce plan pa-
cifique et extr~mement raisonnable, depuis la conférence de
Pilnitz, qu'apres avoir consulté Louis XVI, dont le vreu
avait été constamment pour un auangement et pour ern-
ployer la voie des uégociations plutót que le moyen violent
des armes .. »


( ¡bid., page 299-)


n. 21




NOTES


-----------,-'''' .... _--.. --_ ..... -


NOTE 6, PAGE 54.


Voici comment ce fait est rapponé par Bertrand (le 1\101-
leville:


".Te rendis compte le meme jour au ('onseil dé la visite
que le due d'Orléans m'avait faite, et de nolre conversation.
Le roi se détei'mina 11 le recevoir, el eut avec lui le lende-
main un entretien de plus d'une demi-heure, rlont. Sa 1\Ia-
jesté nous parut avoir été tres-contente. ".Te erois, comme
« vous, me dit le roí, qu'il revienl de tn~s-honne foi, et qu'il
« fera tout ce qui d¿pendra de lui pour réparer le mal qu'iI
« a fait, et auquel il est possible qu'il. n'ait pas eu autan! de
« part que nous I'avons cru ...


« Le dimanche suivant il vint all lever du roi, ou il rec;ut
l'accueille plus humiliant des courtisans, qui ignoraient ce
qui s'élait passé, el des royalistes, qui avaient I'habitude de
se rendre en foule au chateau ce jour-la, pOUl' faire leul'
cour 11 la famille royalc. On se pressa autoUl' de lui, on af-
fecla de lui marcher sur les pieds et de le pousser vers la
porte, de maniere a l'empechel' de rentrer. Il descendit chpz
la reine, ou le couvert élait déjll mis; aussitol qu'il y parut,
on s'écria de toutes parts : Messieurs, prenez garde all:L"
plats! comme si on eut été assllré qu'il avait les poches plei-
nes de poisol1.


« Les murmures insultanls qll' excitait partollt sa pl'ésence
le fOl'cerent a se retil'!''' ,an' ;(\0; .. "11 la famille royal!', On le




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


pourchassa jusqu'a I'escalier de la reine; et en descendant,
il rec,¡ut un crachat sur la tele et quelques autres sur son
habito On voyait la rage .etle dépit peinlll sur sa figure; il
sortit du chaleau, convaincu que les instigateurs des ou-
tl'ages qu'il avait rec,¡lls élaiellt le roi et la reine, qui ne s'en
doutaient pas, et qui en furent meme Ires-fachés. Il leor
jura une haine implacable, et il ne s'est montré que trop
fidele a cet horrible serment. J' élais ao chaleao ce jour-la,
el je flls témoin detousles faits que je viens de rapporter."


(Bel'trand de Mollel'ille, tomo 6, Pt'l,lf. 209.)


21.




NOTES


NOTE 7, PAGE 74.


Madame Campan l'appOl'te autrement I'entretien de Du-
mouriez:


"Tous les partis s'agitaien!, dit-elle, soit pOlll'perdre le
1'Oi, soil pou!' le sauver, Un jour je trouvai la reine (~X!reme­
men! trouhlée; elle me dit qu'elle ne savait. plus ou elle en
étai!; que les chefs des jacobins se faisaient offrir a elle par
l'Ol'gane de Dumoul'iez, Oll que DlImouriez, ahandonnant le
parti des jacobins, était venll s'off,'il' a elle; qll'elle lui av .. it
donné une autlience; que seul avec elle, il s'élait jeté a ses
pieds, et lui avait dit qu'il avait enfoncé le bonnel l'Ouge
jusque sur ses Ol'eilles, mais qu'il n'élail ni ne pouvait etre
jacobin; gu'on avail laissé !'oule .. la révolu!ion jusqu'a eeHe
eanaille de désorganisateul's qui, n'aspirant qll'apres le pil-
Illge, étaient capa bies de tout, et pourraienl donller a I'as-
semblée ulle armée formidable, prete a saper les restes d'un
tr(me déjá trop ébranlé. En parlanr. avee une chalenr ex-
treme, iI s'était jeté sur la main de la reine, el la haisait
avee t1'ansport, lui criant : lais.l't'z-vous sauc'el'. La I'eine me
dit que ¡'ou ne pouyait cl'Oil'e aux protestations tI'un lraitre;
t¡ue toute sa conduile était si bien connue, que le plus sage
était sans t:ontredit de ne point s'y fiel'; (lile d'ailleurs les
princ('s l'ecommanclaient ('ssentiellemenl de n'avoir l'onfiance
a aueune )ll'Oposition dI' l'int~'l'ienr ..... etc. ),


\ FOIllr: JI, ¡!a{if' :lO::!. :




ET prECES .TUSTIFICATIVES.


Le n;cit de cet entl'etien est ici, cornme un le voit, diffé-
rent a quelques égards, eependant le fond est le rnerne. Seu-
lernent, en passant a travers la bouche de la reine et eeHe
de madame Campan, iI a dli prendre une eouleur peu favo-
rable a Dumouriez. Celui de DumoUl'iez peint d'une ma-
niere plus Vl'aisemblable les agitations de l'infortunée Marie-
Antoinetre ; et eomme il n'a ¡'ien d'offensant pour eelle
prineesse, ni rien qui ne s'accorde avee son earaetere, je l'aí
préféré. JI est possible néanmoins que la présomption de Du-
mouríez l'aít porté a recueillir de préférence les détails le5
plus flatteurs pour luí.




NOTES


--... -----------------...-.._----


NOTE 8, PAGE 76.


Bouillé, dont j' ai déja cité les mémoires, et qui était placé
de maniere a bien juger les intentions réelles des puissan-
ces, ne croyait pas du tout au zele et a la sincérité de Ca-
therine. Voici la maniere dont il s'exprime a cet égard ;


" On voit que ce prince (Gustave) comptait beaucoup sur
les dispositions de l'impératrice de Russie, et sur la part ac-
tive qu'elle prendrait dans la confédération, et qui s'est bOI'-
née a des démonstrations, Le roi de Suede était dan s l'erreur,
et je doute que Catherine lui eut jamais confié les dix-huit
mille Russes qu'elle lui aVllit promis. Je suis persuadé, d'ail-
leurs, que l'empereur et le roi de Prusse ne lui avaient com-
muniqué ni Ieurs vues, ni leurs projets. lis avaient l'un et
l'autre personnellement, plus que de l'éloignement pour lui,
el ils désiraient qu'il nI' pl'it aUCUDe part active dans les af-
faÍl'es de France, »


(.Bouillé, pago 319,)




ET PIÉCES JUSTI.FICATIVES.


_, __ ...-_ .... _ ... ___ ... __ ~_ .... _'L ____ '" __


NOTI\'. 9, PAGE 78.


M~4~me ,::a~ran no~s apprend , cjans un memepassage,
la !:o,n~m)(;tion 4~ l'anlloire de fer, et l'existence d'une pro-
te5ta~¡~n ~f!j)rete faite par le, r\Ji contre la déclaration qe
gu~rre. Ce~te apwé~e/l,sion ~u ro, pour la guel'l'e était ex-
traordipaire.. el ji chefchait 4e loutes le~ manieres a la rejeter
s~r .Ie p'arli populaire.


" Le roi avait une quantité pl'odigieuse de papiers, el
avai! eu malheureusement I'idée de faire cOllstruire tres-secre-
tement, par un ~errul'ier qui travaillait pres de lui depuis
Rlu~ qe. d¡x :'¡Q~, une ,cachette dan¡; un~orridol' ¡ptél'ieur ~e
son apPl!rteW~l\t.Cet~e c\ldle~te, SllH~ la d~noncia,tiop ~e <;f-t
homme, eút été long-,temps ignorée, Le mur, ~ans I'endr,?it
ou elle étai,t pl~f:ée, était p'ein~ el? lat:g~.s pie.f;res, ~t l' ouver-
ture se trouvait parfaitemen~ dissimu,lée ~ans les r~,nures
brunes qui formaient la partie ombré,e de ces pien'es pein-
tes.1Hais avant que ce serrurier cut dénoncé a J'assemblée ce
que 1'00 a depuis appelé J'armoire de fer, la I'eioe avait su
qu'iI en avait parlé a quelqut's gens de ses amis; el que cel
homme, auquel le roi, par habitude, accordait une trop
grande contiance, était un jacobino Elle en avertit le roi, et
le décida a remplir un tres-graod portefeuille de tous les pa-
piers qu'iI avait le plus d'intét'el a conserver, el a me le con-
fiel', Elle l'invita en ma présencc a ue rien laisser dans cette
armoire; et le roi, pour la tranquilliser, lui répondit qu'il




NOTES


n'y avait rien laissé. J e voulus prendre le portefeuille el l' em-
porter dans mon appartement ; il était trop loul'd pour que je
pusse le soulever. Le roi me dit qu'il allait le porter lui-
meme; je le précédai pour lui ouvrir les portes. Quand il
eut déposé ce portefeuille dan s mon cabinet intérieur, iI me
dit seulement : !( La reine vous dira ce que cela conlient.»
Rentrée chez la reine, je le lui demandai, jugeant ,par les
paroles du roi, qu'i1 était nécessaire que j' en fusse instroite.
« Ce sont, me répondit la reine, des pieces qui seraÍent des
« plus funesles pour te roi, si on allait jusqu'a lui faire son
!( proceso Mais ce qu'il veut surement que je vous dise , c'est
• qu'il y a dans ce portefeuille le proces-vcrbal d'un conseil-
.. d'état, dans Jequel le roi a donné son avis contre la guerreo
!( 1I1'a fait signer partous les ministres, el, dan 5 le cas meme
• de ce }lroces, ir compte que ce He piece serait tres-utile. II
Je demandai 11 qui la reine croyait qne je devais confier ce
por.tefeuille. !( A qui vous' voudrez, me répondit.elle; 'vous
« en etes seate rnponsable : ne vous éloignez pas du palais,
!( meme dans vos mois de repos; il y a des circonstances ou
« iI nous serait tres-utile de le trouvel' a rinstant meme. D


(Madame Campan, tomo II,pag. 222.)




liT I'JI.:CES .JUSTIFICATIVES.


~O'fE 10, PAGE 82.


Exposition des motif.\· qui ont determiné !'assemblée natio-
nale a declarer, sur la proposüion jormelle da roi, gn'U
y a líen de déclarer la guerre aa roi de Bohéme el de
Hongrie, par M. Condorcet. (Séance dit 20 m'Tl'1 1792)


a Forcée de consentir a la guel're par la plus impérieuse
nécf"ssité:, I'assemblée nationale n'ignort> pas qu'on I'accusera
de I'avoir volontail'cment accélérée on provoquée.


a Elle sait que la marche insidieuse de la cour de Vienne
n'a en d'autre objet que de donner une ombre de naisem-
blance a cette imputation, dont les puissances étrangert>s
ont besoin pour cacher a leurs peuples les motifs réels de
l'attaque injuste prépal'ée contre la :France; elle sait que ce
reproche sera }'épélé par les ennemis intérieurs de notre
constitution el de nos lois, dans I'espérallce criminelle de
ravir la bienveillance publique aux repl'ésentants de la
nalion.


" Une exposition simple de lenl' conduite est leul' unique
réponse, et ils l'adressent avec une eonfianee égale aux étran-
gers el aux Fran~ais, puisque la natnre a. mis an fond du
ereur de tous les hommes les sentiments de la meme justice.


" Chaque nation a seule le pouvoil' de se donller des loi!;,
el le droit inaliénable de les changel·. Ce droit n'apparlÍent
a allcune, OH leur appartien! a ¡,oules avec UIle enliere é15a-




330 NOTES
lité : l' atlaquer dan5 une seule, e' esl déclal'er q u' on ne le
reconnait dans aucune aulre; vouloir le l'avil' par la force a
un peuple étranger, c'est annoncel' qu'on ne le respecte pas
dans celui dont on est le citoyen ou le chef; c'est trahír sa
patrie; c'est se proclamer l'ennemi du genre humain! La
nation fl'am¡aise devait croire que des vérités si simples
seraient senties par tous les princes, el que, dans le dix-
huitieme siecle, personne n'oserait leur opposer les vieilles
maximes de la tyrannie : son espérance a élé tl'ompée; une
ligue a été formée contl'e son indépendance, el elle n'a eu
que le choix d'éclairer ses ennemis sur la justice de sa cause,
ou de leur opposel' la force des al'mes,


" Instl'Uite de ceHe ligue meuac;ante, mais jalouse de con-
server la paix, I'assemhlée natíonale a d'abord demandé que!
étaít I'objet de ee coneert entre les puíssances si long-temps
rivales, et on lui a répondu q.u'i1 avait pour motif le maintien
de la I.ranqllillité générale, la sure1é el l'honneur des cou-
l'onnes, la craínte de voir se renouveler les événements qu'ont
prése~lés quelques époques de la révolution fran~aise.
." Mais comment la France menacerOlit-eJle la tranquilJité
génér¡tle, I)uisqu'elle a pl'isla résolution solennellp de n'en-
treprendre aucune conquete, de n'attaquPl' la liberté d'alJcun
pellple ; puisqu'all milieu de ecHc lutte longue et sanglante
qui s'est élevée dans les Pays-Bas el dans les états de Liége,
entre les gouvernements el les citoyens , elle a gardé la neu-
.I.ralité la plus rigoureuse?


" Síllls doute la nation fl'anjiaise a prononeé haulement
que la souveraineté n'appartient qu'au peuple, qlli, borné
daJ.Is l'exercice de sa volonté suprcme par les uroils de la
posterité, ne peut déléguer de pouvoir Ít ... évocablc; san8




ET l'IECES JUSTJFICATIVES. 33r
doute elle a haulement reconnu qu'aueul1 usage, aueuue loi
expresse, aucun conscntement, aueune convention, ne peu-
vent soumettre une société d'hommes a une autol'Íté qu'ils
n'auraient pas le droit de reprendre : mais quelle idée les
princes se feraient-ils done de la légitimité de leur pouvoir,
ou de la justiee avec laquelle its l'exercent, s'ils re~ardaient
l'énoneiation de ees maximes comme une entreprise contre
la tranquillité de leurs états?


" Dironl-ils qne ceHe Iranqnillité pourrait etre troublée
par les ouvrages, par les discoUJ's de quelques Frano;;ais? ce
serait encore exiger a main aJ'mée une loi contre la liberté
de la presse, ce serait déclarer la guerre aux progres de la
raison; et quand on sait que partout la nation frauo;;aise a
élé impunément oUlragée; que les presses des pays voisins
n'ont cessé d'inonder nos déparlemenls d'ouvrages destinés a
sollieiter la trahison, a conseiUer la révolte; quand on se
rappelle les marques de protection <lU d'intéret prodiguées a
leurs auteurs, cl·oira-t.-on qu'un amour sineere de la paix,
et non la haine de la liberté, ait dicté ces hypoerites re-
proches?


,,011 a parlé de telltatives faites par les Frallo;;ais pour
exciter les peuples voisillS a bl'iser leurs fers, a réclamer
leul'lldroils ... '. Mais les ministre~ qui ont répété ces impu-
tatioos ,ians oser citer un seul fait qui les appuyat, savaient
combien elles étaient chimériques ; el, ces tentatives eussent-
elles été réelIes, les puissances qui ont souffert les rassem-
blements de DOS émigrés, qui leur ont donné des secours,
qui ont I'eo;;u leurs ambassadeurs, qui les ont publiquement
admis dans leul's conférences, qui ne rougissent point
d'appeler tesFran~ais a la guelTe ()ivile, n'auraient pas con-




J\OTES


5crvé le droit de se plaindl'e; ou bien il faud.-ait dire qu'íl
est permis d'étendre la servitude, et cl'iminel de propager
la liberté, que tout est Jégitime contre les peuplcs , que les
rois seula ont de véritables droils. Jamais l'orgueil dll trone
n'aurait insulté avec plus d'audace a la majest.! des nations!


« Le pellple frano;:ais, ¡ibl'e de fixel' la forme de sa consti-
tution , n'a pu blesser, en usant de ce pouvoir, ni la sureté
ni l'honneur des couronnes étrangeres. Les ehefs des aull'cs
pays meltraient-ils donc au nombre de leurs prérogalive3 le
dl'Oit d'obliger la natíon fralll,¡aise a donner au chef de son
gouvernement un pouvoir égal a celui qu'eux-memes exer-
cent dan s leurs étals? VOlldraient-ils, paree qu'ils ont des
sujets, empechcr qu'il existat ailleul's des hommes libres?
Et comment n'apercevraient-ils pas qll'en pel'mcHan! tont
pour ce qu'ils appellent la Bureté des com'onnes, ils déclarent
Jégilime toul ce qu'une nation pourrait entreprendre en
Caveur de la Iibel'lé des peuples?


« Si des violences, si des crimes ont accompagné quel-
qoes époques de la révolution ft'ano;:aise, c'était aux seols
dépositaires de la yolonté nationale qll'appartenait le pouvoir
de les pnnir 00 de les ensevelir dans I'oubli : tout citoyen,
tout magistrat, quel que ~oit son titre, ne doÍl demander
jllstice qu'aux lois de son pays, oe peut I'altendre que d'elles.
Les. puissances étrangeres, tant que leurs sujets n'ont pas
souffert de ces événements, ne peuvent avoÍl' un juste motif
ni de s'en plaindre , ni de prendre des mesures hostiles pou!'
en empecber le retour. La parenté, I'allianee personnelle
entre les rois, Ile sont rieu pOOl' 1es nations; esclaves ou
libres, des intérets cOlllllluns les unissent : la natun~ aplacé
lcul' honheur dans la paix, dans les seconl'S ml1tuels d'nne




liT rÚ:CES JUSTlFICATIVES. 333
douce I'l'aternité; elle s'indignerait qu'on osat mettre dan~
une mcmc balance le sort tle vingt mili ion s d'hommes, et
les affections ou l'ol'gueil de quelques indi,·idus. Somanes-
1I011S tlonc condamnés a voir encore la servitude volontaire
des peuples entourer de victimes bumaines les autels des
faux dieux de la tene?


" Ainsi ces prétendus motifs d'une ligue contre la France,
n'étaienl lous qu'un J;louvel outrage a son indépendance. Elle
avait tlroit d'exiger une renonciation a des préparatifs inju-
I'ieux, et tI'en regal'der le refus comme une hostilité : tels
on! été les principes qui ()nt dirigé les démarches de l'assem-
blee nationale. Elle a continué de vouloir la paix, mais elle
devait préférer la guerre a une patience dangcreuse pour
la liberté; elle !le pouvait se djssimnl~r que des changemenls
dalls la constitution, que des violations de l'égalité, qni en
est la base, étaient I'unique hut des ennemis de la France;
qu'ils voulaient la punir d'avoir reconnu dans lonte leur
étendue les droits communs a tous les hommes; et e'est
alors qu'elle a fail ce serment, répété par tous les Francsais,
de pél'ir plutot que de souffrir la moindre atteinte ni a la
liberté des citoyens, ni a la souveraineté uu peuple, ni
surfout il cette égalité sans laquelle iI n'existe pOllr les
sociétés ni jllstice ni bonhellr.


tt Reprocherait-on aux Francsais de n'avoir pas asse7. res-
pecté les droits des autres peuples, en n'offrant que des
indemnités pécuniaires, soit aux prínces allemanus posses-
sionnés en Alsace, soit au pape?


(( Les tl'aités avaient reconllU la souveraincté de la France
SUl' l'Alsace, et elle y était paisiblement exercée depuis plus
a'IJTl siec\p. Les uroits quC' ('es tl'aités 3vaii'nt réservés n'étaien(




NOTES


que des pl'iviléges; le sens de celte résel've était done que les
possesseurs des fiefs d' Alsaee les eonsCl'Vel'aient a vee les an-
ciennes pl'érogatives, tant qnc les lois génél'ales de la France
soum'il'aient les diffél'entes formes de la féodalité.; eeHe
réserve sigoi6ait encore que si les prérogatives féodales
étaient eo\'eloppées dans une ruine commune, la nation
devrait nn dédommagemenl aux possesseurs, pour les avan-
tages réels qui en étaicnt la suite; ear e'est la tout ce que
lleut exiger le droit de propl'iété, quand il se trouveen op-
position avec la loi, en contt'adietion avec I'intéret public,
Les eitoyens de l' Alsaee sont Fran«¡ais, et la nation ne peut
sans ·honte et sans injustiee souffl'ir qu'ils soient privés de la
moindre partie des droils cornmuns a tous eeux que ce nom
doit égalernent protéger. Dira-t-on qu'on peut, 110Ul' dédom-
rnager ees pl'inces, leut' abandonnel' une portion du tenitoil'e?
Non; une nation généreuse et libre ne vend point des hom-
mes ; elle ne condamne point a I'esclavage , 'elle He livrepoint
a des maltl'es, ceHX qu'elle a une fois admis au parlage de
sa liberté,


• Les eitoyens des comtats étaient les maitres de se dOllllel'
lllle cOllstitution ; ¡Is pouvaient se déelarer illdépendanls : ils
ont pt'éféré etre Fran/;ais ,et la Franee ne les abandonncl'3
point apres les avoir adoptés. Eút-elle refusé d'accéder a leut'
désil', leut' pays est enclavé daos son territoÍl'e, et elle n'al1-
rait pu permettre a leurs oppresseut's de lraverser la tel'l'f'
de la liberté POUl' alle!' punir des hommes d'avoir osé se reo-
dre indépendallls el reprendre leu,rs droits, Ce que le pa pe
possédail dans ee pays était le salaire des fonctions du gou-
vernement: le pcuple, en Ini otant ses fonctions, a fail
llsage d'un pOl1voir qu'nnf' longue servitude avait suspcnrlll,




ET PIE CES JUSTIFICATIVJ.:S. 335
mais n'avait pu lui ravir; et l'indemnilé proposée par la
France n'élait pas meme exigée par la juslice.


« Ainsi, ce sont encore des violations du droit naturel
qu'on ose demander au nom du pape et des possessionnés
d'Alsace! e'est encore pour les prélentions de quelques
hommes qn'on veut fail"e couler le sang des nations! Et si
les ministres de la maison d'Autt"Íche avaient voulu déclarel"
la guel're a la raison au t'tom des préjugés, aux peuples au
nomdes rois , ils n'aumient pu tenir un autre langage !


« On a fait elitendre que le vmu du peuple fran<;ais, pour
le mailltien de son égll.lilé el de son indépendance, était celui
d'une faetion .... Mais lanatíon fran~aise a une eonslítution;
cette constitution a été reconnúe, adoptée par la généralité
des eiloyens; elle ne peut e!t"e changée que par le vmn du
peuple, et snivant des formes qu'elle-meme a preserites:
tant qu'elle subsiste, les pOllvoirs éiablis par elle ont seuls le
droít detnanifester la 'l'olotllé nOlionale;et e'élft p!ir eux que
'eeHe volonté a été déclarée aux puíssances étrangeres.·C'est
le roi quí, SUl' I'invitation de l'assemblée nationale, pt en
I"emplissant les fonctions que la constitution Ini atlribue,
s'est plaint de la protection aeeordée aux émígrés, a de-
mandé inulill"ment qu'elle leur fUt rerirée; e'est Ini qui a
sollicilé des explications SUI' la ligue formée eontre la France;
e'est lui qui a exigé que eette ligue flit dissoute ; el I'on
doit s'étónner sans doule d'entendre annoocer éomme le cri
de quelques factieux le voou solennel du peuple, publique-
ment exprimé par ses représentants légitimes. Quelritre aU5si
respectable pourraient done invoquer ces mis quí forcent
des nations égarées a eombattre eontre les intérets de leUl"
propre liberté, et a s'armer contre des dmit.a qui sont :\ussi




336 XOTES
les leurs, a élouftet' sous les débris de la constitulion fran-
<,:aise les germes de lelU' lll'opre félieité, el les eommunes
espérances du gCllre humaill!


"El d'ailleurs qu'est -ce qu'une faetion qu'oll aeeusel'ait
d'avoir conspiré la liberté ulliverselle du genre huma in ?
Cest done l'hllmallité tout entiere que des ministres esc\aves
osent fléu'ir de ee nom odieux!


" lHaís, dísellt-ils, le roi des Frant:aís n'est pas libre, 'h Eh !
n'est-ce done ('as etre libre que de dépendre des lois de son
pays? la liberté de les contrarier, de s'y soustmit'e, d'y oppose¡'
une force étrallgere, ne serait pas un droit, mais un erime !


« AíllSi, en rejetant toutes ces propositiolls illsidieuses, en
méprisant ces imlécentes déclamations, l'assemblée nationale
s'étail montrée, dans toutes les rclatiollS extél'ieures, aussi
amie de la paix que jalo use de la libcl,té du peuple; aiusi,
la continuation d'une tolél'ance hostile poul' les émigrés,
la violation ouvel'te des pl'omesses d'en disperser les l'assern-
blements, le refus de J'enoncer Ít une ligue é,'idemment
offensive, les molifs injurienx de ces l'efus, qui annon~aienl
le désir de détruire la constitution fran~aise, suffisaient pOllr
autOl'iser des hostilités qui n'auraient jamais été que des
actes d'une défen5e légitime; cal' ce n'est pas attaqnel' que
de ne pas donnet' a notre enllemi le temps d'épuiser nos t'es-
sources en longs préparatifs, de tendre tous ses piéges, de
rassemblet' toutes ses forces, de resserrer ses premieres al-
liances, d'en chercher de nouvelles, de pt'atiquer encore
des inlelligences au miliell de nons, de multiplier dans nos
pl'ovinces les cOlljurations et les complots, Mérite- 1- on le
nom d'agresseul' 10l'sque, menacé, provoqué par un ennemi
injuste el perfide, on luí enleve l'avanlage de porter les pre-




ET PIECF.S JUSTIFICATIVES.


miers coups? Aiosi, loiu d'appeler la guelTe, l'assemblée
natiooale a tout fait {lour la prévenir. En demandant des ex-
plicatious uouvelles sur des ¡nlentions qui ne pouvaient etre
doutcu~es, elle a montré qu:elle renou"ait avec dOlllellr a
I'espoir d'lIn retour vers la justice, et que si I'orgueil des mis
est prodigue du saog de leurs sujets, I'humaoité des représcn-
lanls d'uDe nation libre est av are meme du sang deses ennemis.
Insensible a loutes les provocations, a loutes les injures, au
mépris des aocicns engagements , aux violations des nOllVf'lIes
promesses I a la dissimulation honleuse des trames ourdics
coolre la France. a cette condescendance per6de sous laqm'lle
on cachait les spcours , les encouragements prodigués aux
Franc,¡ais qui ont trahi leur patrie, eile aurait cncore accepté
la paix, si eelle qu'on lui o{frait avait été compatible avec le
maintien de la eonstitution , avec l'indépendance de la ~ou­
veraineté natiQuale,.avec la sureté,de I'élat,


« Mais le voile qui cachait les iQlentioll~ de .notre ennemi
est en6n déchiré! Citoyem! qlli de vous e~ effet poul'l'ait
50uscrire a ces honteuses propositions? La servitude féodale
et une humiliante inégalité, la banqueronte et des impci,~
que vous paieriez sellls, les dimes et I'inqllisition, vos prn-
priétés achetées sur la foi puhlique rendues a lellrs anci,>ns
usurpateurs, les hetes fauves rétablies dalls le clroit de raV3-
gel' V05 campagnes, votre sang prodigué pOUI' les projels alll-
['itiellx d'une maison enncmie, telles sont les conditions du
trairé entre le roi de Hongrie et des Fran<;ais perfides!


• Telle est la paix qui vous est offerte! Non, vous ne I'ac-
cepterez jamais ! Les luches sont a CobJentz, el la France ne
renferme plus dans son sein que des hommes dignes de la
liberté!


JI.




338 NOTES
" Il annonce en son llOro, au nom de ses alliés, le projet


d'exiger de la nation fraUl¡aise un abandon de ses' droits; iI
fait entendre qu'il lni commandera des sacrifices que la
crainte seule de sa destruction pourrait lui arracher ... Eh
bien! elle ne s'y soumettra jamais! Cet iusultant orgueil, ¡oin
de l'intimider, ne peut qu'exciter son courage. Il faut du
temps pour discipliner les esclaves du despotisme ; mais tout
homme est soldat quand iI combat la tyrannie ; I'oi sortira de
ses obscures retraites au nom de la patrie en danger; ces
hommes ambitieux et vils, ces esclaves de la corruption et de
l'intrigue, ces laches calomniateurs du peuple , dont nos en-
nemis osaient se promettre de honteux secours, perdront
l'appui des citoyens aveuglés ou pusillanimes qu'ils avaient
trompés par leurs hypocrites déclamations; et l'empire fran-
<¡ais, dans 53 vaste étendue, n'offrira plus a nos ennemis
qu'une volonté unique, ceHe de vaincre ou de périr tout entiel'
avec la constitution et les lois! "




ET PIE CES JUSTIFrCATIVES.


NOTE 11, PAGE 95.


Madame Campan explique comme il sui! le secret des pa-
piers brulés a Sevres:
~ Au commencement de 1792, un pretre fort estimable me


fit demander nn entretien particulier. n avait eonnaissance
dll manuscrit d'un nouveau Iibelle de madame Lamotte. II
me dit qu'il n'avait remarqué, dans les gens qui venaient de
Londres pour le faire imprimer a Paris, que le seul appat
du gain, el qu'ils é!aien! prets a Ini livrer ce manuscrit pour
mille louís, s'íl pouvait U'ouvel' quelque amíe de la reine dís-
posée a faire ce sacrifiee asa tranquillité; qu'íl avait pensé a
moi, el que si Sa Majesté voulait lui donuer leS vingt-quatre
mille franes, iI me remettrait le manuscri! en les tOlichanl.


• Je communiquai cette proposition a la reine, qui la re-
fusa, et m'ordonna de répondre que, dans les temps ouil
cut été possible de punir les colporteul's de ces Jibelles, elle
les avai! jngés si atroces et si jnvraisemblables, qu'elle avait
dédaigné les moyens d'en arreter le cours; que, si elle avai!
I'ímprudence et la faiblesse d'en aeheler uu senl, l'actif es-
pionnage des jacobins pIJurmit le découvrir; que ce libelle
achettÍ n'en sel'áit ras moins imprimé, et deviendrait bien
plus dallgel'eux qualld ils appl'endl'aient au puhlic le moyen
qu'elle avait employé pIJul' lui en oter la cOllnaissallce,


"Le barcn d'Aubiel', gentilhomme ol'dinail'e du roi et
lllon ami parlíeuli!'l', avait Ulle méllloil'e faeile et une ma-


22,




340 NOTES
niere pl'écise el nelle de me transmettl'e le sens des délibé-
rations, des débats, des décrets de I'asscmblée nationale.
J'entrais chaque jour chez la reine, pour en rendl'e comple
au roi, qui disait en me voyant : "Ah! voila le postillon par
" Calais.»


« Un jonr M. d' Aubier vint me dire : " L'assemblée a été
" tres-occupée d'une dénonciation faite par les ouvriers de
« la manufacture de Sevres. lis ont apporté sur le bureau du
« présidenl, une liasse de brochures qu'ils ont dit etre la vie
« de Marie-Antoinette. Le direcleur de la manufacture a été
~ mandé a la harre, el il a déclaré avoir reliu I'ordre de br«-
« ler ces iruprimés dans les fours qui servent a la cuisson de~
ce pates de ses porcelaine •. »


«Pendant que je rendais ce comple a la reine, le roi )'ou-
gil el baissa la tete sur son assietle. La reine lui dit : ee Mon-
ee sienr, avez-vous connaissance de cela?» Le roi ne répon-
dit rien. Madame Élisabeth lui demanda de \tú expliquer ce
que cela signifiait; meme silence. Je me relirai promptemenl.
Peu d'instants apres , la reine vint chez moi et m'apprit que
c'était le roi qui, par intéret pour elle, avait fail achetcr la
totalité de l'éditiol1 imprimée d'apres le mal1uscril que j~
lui avais proposé, el que M. de Laporte n'avail pas lrouvé
de maniere plus mystérieuse d'anéanlir la lotalité de I'ou-
nage, qu'en le faisant bl'liler a Sevres parmi deux cel1ts 011-
vrie~s , dont cent quatre-vingts devaient etre jacobins. Elle
me dit qu'elle avait caché sa douleUl' au roi; qu'il était cons-
terné, et qu'elle n'avait rien a dire quand sa tendresse et Sil
honne volonté pour elle élaient cause de cet accident. "


(Madame Campan, tomo 11, pago 196.)




ET Plilt:ES JUSTIFICATIVES,


NOTE 12., PAGE 117,


La mission donnée par le roi a Mallet-du-Pan est un des
faits les plus importants a constater, et i\ ne peut etre révo-
qué en doute, d'apres les mémoires de Bertrand·de-Molleville,
Ministre a celle époque, Bertrand-de-Molleville devait étre
par&itement instruit; et, ministre contre-révolutionnaire, il
aurait plutot caché qu'avoué un fait pareil, Cette mission
prouve la modération de Louis XVI, mais aussi ses commu-
nications avec l'étran¡:;er,


• Loín de parlagel' ceUe sécurité patriotique, le roi voyait
avec la plus profoude douleur, la Frallce ellgagée dalls une
guerre injuste et sanglante, que la désorgallisation de ses
armé es semblait la meUre dans l'impossibilité tle soutenir, et
qui exposait plus que jamais nos provillces frontieres a étre
envahies. Sa Majesté redoutait par-des sus tout la guerre ci-
vile, et ne doutait pas qu'elle n'éclatat a la nouvelle du pre-
miel' avantage remporté sur les (roupes fram¡aises pal' les
corps d'émigrés 'luí faisaient partie de I'armée autrichienne,
11 n' était que tl'Op a craindre, en efft;(, que les jacobins el le
peuple en fureur n'exel'«¡,assent les plus san¡;lantes représailles
con tre les pretres. el les nobles restés en n'ance, Ces inq uié.
tudes , que le roi me témoígna dans la correspondance· jour-
naW~re que j'avaís avec Sa Majesté, me Jéterminerent a lui
proposer de charger une personne de c:onfiam:e de se rendre
aupres de l'empereur.et du roi de Prusse, pOUl' tacherd'en
nhtenil' que leurs majestés n'agissent offclIsivement. qu~a l.




NOTES


derniere extrémité, et qu'elles fisseo! précéder l'entrée de
leUl's armées daos le royaurne d'un manifeste bien rédigé,
dans lequel il serait déclaré, • que l'empereur et le roi de
« Pl'l1sse, foreés de prendre les armes par l'agression injuste
" qui leur avait été faite, n'attribuaient ni au roi ni a la
" nation, mais 8. la factíon crimillelle quí les oppr.imait I'uo
« et l'autre ,la déclamtion de guerre qui leur avait été no-
• tifiée; qn'en conséquenee, loin de sedépartirdes sentiments
« d'amitié qui les unissaient au roi et a la France, leurs ma-
(( jestés ne combattraient que pour les délivrer du joug de la
• tyránnie la 'plus alroce qni eüt jamais existé, et ponr les
" aider' a rétablir l'autorité légitime violemment usurpée,
« I'ordre el la tranquillité, le tout sans entendre s'immiscer
« en aueune maniere dans la forme du gouvernement, mais
" pour assurer a la nation la liberté de choisir celui qui lui
" conviendrait le mienx; q~ tOll1e· idée de oonqu~t& .était
« bien loio de la p¡;tisée de ,limrs majes tés ; que les .propriétés
« partieulieres ne seraicnt pas moios respectées que les pro-
« priétés nationales; qlle·leurs majestés prenaient sous leur
« sallvegarde spéciale tous les citoyens paisibles et fideles;
" que leurs senil! ennemis, cornrne eeux de la France, étaient
(( les factieux el leurs adhére.nts, el que leurs majes tés ne
« voulaient connaitre et combattre qu'eux, etc., etc .. » Mallet-
du-Pan, dont le roi estimait les talents el l'hooneteté, fut
(~hal'gé de cette mission. 11 y était d'autant plus propre qu'on
ne ravait jamais vu au chateau; Epl'i1n'avait aucune liaison
a"eé des personnes attachées a la conr, et qu'en prenant la
raute de Geneve, ou on élait aecoutumé a lui voir,faire de
fréqoentll voyages, son départ De pouvait faire naitre aueun
50upl,ion. ».




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 343
Le roi donna a Mallet-du-Pan des instt'uctions rédigées


de sa main, el rapporlées par Bertrand-de-Molleville.
" 1° Le roi joint ses prieres a ses exhortations, pour en-


" gager les princes el les Fran~ais émigrés a ne point faire
" prendre a la guerre actuelle, par un concours hostile et
" offensif de lenr part, lecaractere de guelTe étrangere faite
" de puissauce a puissance;


« 2° Il leur recommande expressément de s'en remetlrq 11
" lui et aux cours intervenanles de la discussion el de la 8Ú-
". reté de leurs intén!ts, lorsque le moment d'en traiter sera


« 3° Il faul qu'j!s paraissent seulement partíes et non
« al·bitres dan s le différend , cel arbitrage devant etre réservé
re asa majesté, 10l'sque la liberté lui sera rcndue, et aux puis-
" sanees q ui l' exigeront;


« 4° Toute autre conduite produirait une guerre civile
" daus \'intérieur,. m,ettrait en dan gel' l\l5jolln du roi el. de
• S3 famille, rellverserait le trone , ferail égorger les royalistes,
" rallierait aux jacobins tous les révolutionnaires qui s'en sont
" détachés et qui s'en détachent chaque jour, raI,limerait une
" exaltation qui tend a s'éteindre, el rendrait plus opiniatre
re une résistance qui tléchira devant les premicrs succes, lors-
" que le sort de la révolution ne paraitra pas exc\usivemenl
" remis a ceux conll'e qui elle a été dirigée, et qui en ont ét';
" les victimes;


" 5° Représenter aux cours. de VienI1e ,el .le Berlin l'uti-
" lité d'un Olanifesw .qui leur serait commun ovec les Dutres
• états qui ont forme le concert; I'importance de rédi¡;er ce
« manifeste, de maniere a sépal'er les jacobins du reste de la
,< nation, 11 rassurer tous ceux qui sont susceptibles de revenir




344 Nu'l'ES
« de leUl' égarelIlent, ou qui, sans vonlo;r la constitution ac-
" luelle, désirent la suppression des abus el le I'egne de la
" liberté mi:Jdérée, sous un monarque a l'autorité duquel la
" loi melle des limiles ;


" 6~ :Faire entrer dans ceHe rédaction la vérité fondamen-
« tale, qtí'on fait laguerre a une faction antisociale, el non
« pas a la nation frallf;iaise; que I'on prend la défense des gou-
<, vernements légilimes el des peuples conlre une anarchie fu-
" rieose qui nrise parmi les hum mes lous les liens de la socia-
" bilité, toutes les conventions a I'abri desquelles reposent la
" líhel,té, la paix, la sureté publique au-dedans et au-debors;
" rabsurer conlre {oute crainte de démembrcllJent, ne point
« 'imposel' des lois, mais déclarer énergiquement a l'as5em-
« blée, allx corps administralifs, aux municipalités, aux ml-
" nisll'es, 'lU'OIl les I'endra personuellement et individuelle-
« men l respollsablcs, dans leurs corps el hiells, de tous al-
« teIltatScoínmis conlre la personne s'acrée du roi, contre celle
" de la reine el de la famille, cunlre les pel'sonnes ou les pro-
« priétés de 10US citoyens qllelconques;


" 7° Exprimer le vreu du roi, qu' en entrant dans le royaume
" les puissunces déclal'ent qu'elles sont PI'eles a donner la paix.
" mais qu'elles ne traiterolll ni ne peuvent traiter qu'nvec le
" roi; qu'en conséquence elles requierenl que la plus entiere
" liberté ¡ui soit rendue, el qu'ensuite on assemble un con-
" gres on les di ver; intérets serunt disculés sur les bases déja
" arretées, ou les émigrés sel'ont admis comme parties plaignan-
« tes, el OU le plan général de réclamations sera négocié' sous
« les auspices et sous la garantie des puissances. »


( Bertrand de Moltel,jlle, tOfll. 17111, pag, 39,')




ET prEcEs JUSTIFICA'l'IV ES.


NOTE 13, PAGE 117.


Bertrand de Molleville, auquel j'ai emprunté les faits relatifi;
a Mallet-du-Pan, s'exprime ainsi sur l'accueil qui lui fut fait ,
et sur les dispositions qu'i[ rencontra :


« Mallet-du-Pan avait eu, les 15 et 16 juillet, de longues
conférences avec le comte de Cohentzel, le comte de Haougwitz
et M. Heyman, ministres de ['emperenr el du roi de Prusse.
Apres avoit' examiné le titre de sa mission el écouté avec une
atlention extn~me la ¡edure de ses instructions et de son mé-
moire, ces ministres avaient reconnu que les vues qu'i! propo-
sait s'accordaienl parfailement avec ceJles que le roi avait an-
lérieurement manifestées aux cours de Vienne /'ot de Berlin ,
qui les avaient respectivement adoptées. IIs lui avaient lémoi-
gné en conséquence une confiance entiere, et avaient approuvé,
en tout point, le projet de manifeste qu'illellr avait proposé.
IIs lui avaient déclaré, daos les termes les plus positifs, qll'all-
cune vue d'ambition, d'intéret personnel ou de démembre-
ment, n'enlrait Jans le plan de la guerre, et que les puissances
n'avaient d'autre vue ni d'intérel que eelui du rétablissementde
l'ordre en France,parce qu'aucunepaix ne pouvait exister entre
ell-e el ses voisins, tant qu'elle serait livrée id'anarchie qui y ré-
gnait, el qui les obligeait a entretenir des eordons detroupes
sudonles les fronlieres, el a des précautions extraorclinaires de
sLlI'eté Ires-dispendieuses; mais que loín de prétendre impo-
ser aux Fl'an<;ais aueune forme quelconque de gouvernement,




346 NOTES
on laisserait le roi ahsolument le maitre de se eoncerter a eet
':gard avec la nation. On lui avait demandé les éclaircissements
les plus détaillés sur les dispositions de l'intérieur, sur l'opi-
nion publique relativement a l'ancien l·égime, aux parlcments,
a la noblesse , etc., etc. On lui avait confié qu'on destinait les
émigrés a former une armée a donner au roi lorsqu'il serait
mis en liberté. On lui avait parlé avec humeur et prévention
des princes fran~ais, auxquels on supposait des intentions en-
tierement opposées a celIes du roi, et notamment eeHes d'agir
indépendants el de créer un régent. (Mallet-du-Pan COIn-
bauit fortement cette supposition. et observa qu'on ne de-
fJait pas juger des intentions des princes par les propos
légers ou exaltés de quelques-unes des personnes qui les
entouraient.) Enfin, apres avoir discuté a fond les différen-
tes demandes el propositions sur lesquelles Mallet-du-Pan était
chargé d'iDsister, les trois ministres en avaient unanimement
reconnu la sagesse et la jnstiee ,. en avaient demandé chacun
une note ou résumé, et avaient donné les assurances les plus
formeHes que les vues du roi, étant parfaitement concordantes
avec eeHes des puissances , seraient exactement suivies. »


(Bertrand de Mollel'ille, tomo YIll, pag_ 3:1.oJ




ET PIECES .JUSTIPICAT.!VES.


NOTE 14, IlAGE 118.


« Le parti des princes, dit madame Campan, ayant été
instruít du rapprochement des déhris du parti constitutionnel
avec la reine, eu fut tres-alarmé. De son coté, la reine redou-
tait tOUjOUTs le parti des princes, et les prétentions des Fran<¡:ais
qui le formaient. Elle rendait justice au comte d' Artois , et di-
sait souvent que son parti agirait dans un sens opposé a ses
propres sentiments pour le roí son frere el pour elle, mais
qu'il serait entrainé par dcs gens sur lesquels Calonne avait
le plus funesle ascendant. Elle reprochait au comte d'Esterhazy,
qu' ene avait' fait combler de graces, de s' etre rangé du parti
de Calonne, au point qu'elle pouvait meme le regarder comme
un ennemi. l)


(Mémoires de madame Campan, t.lI,p. 193.)




NOTES


,,------_ ........ ~ .... _---------


NOTÉ 15, PAGE 120.


«Cependant les émigrés faisaient entrevoir une grande
erainte sur tout ce qui pouvait se faire daos I'intérieur, par
le rapproehf:ment avce les constitutionnels qu'i1s peignaienl
eomme n'existant plus qu'en idée, et eomme nuls dan s les
moyens deréparer leurs fautes. Les jacobins leur étaient
préférés, paree que, disait-on, il n'y aurait a traiter avec
personne au momenlou 1'on retiremit le roi et sa famille de
l'ablmc ou ils étaient plongés. »


( itIémoires de madame Campan, t. II, p. J 94.)




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


_ ... _ ... -----_ .......... _-------~ .... _--


NOTE 16, PAGE 135.


Au nombre des dépositions que renferme la proeédurc
iostruite contre les auteurs du 20 juin , il s'en trouve une
extremement eurieuse par les détails, e'esl celle du témoin
Lareynie. Elle eontient a elle seule presque tout ce que n',-
petent les autres , el e'esl pourquoi oous la citoos de préf,'-
reoce. Cette proeédure a été imprimée in-4°.


" Par-devant nous •. ". est comparu sieur Jean-Baptiste-
Marie-Louis Lareynie, soldat volontaire du bataillou de
rIle Saint-Louis, décoré de la ero ix militaire , demeuranl it
Paris , quai Bourbon, nO 1;


,( Lequel, profondément arfligé des désordres qui viennent
d'avoir lieu dans la capitale, et croyant qu'il est du devoi,'
d'un bon citoyen de donner a la justice les lumieres don!
elle peut avoir besoin dans ces circonstanees ,pour punit"
les fauteurs et les instigateurs de t~utes manrnnvres contl'e
la tranquillité publique el l'intégrité de la constilution fran-
I)aise, a dé ciaré que depuis environ buit jours il savait, par
les correspondan ces qu'il a dans le faubourg Saint-Anloine,
que les citoyens de ce faubourg étaient lravaillés par le sieu\"
Sanlerre, commandarit du bala ilion des Enfants-Trollvés,
et par d'aUl,"es personllages au nombre desquels étaienl le
sieur FOllrnier, se disant Américaiu et électenr de 1791 dll
département de Paris; le sielll' Rotondo, se disant Italiell ;
I~ sieu .. Legendre, boucber, demelll"ant rue des BOlle be-




350 NOTES
!'ies, fauhourg Saint-Germain; le sieur Cuirette Verrieres,
demeurant an-dessus du café dn Rendez-Vous, me du
Thé:itre-Fran'Sais, lesquels tenaient nuitamment des conci-
liabules chez le sieur Santerre, et quelquefois dan s la salle
uu comité de la section des Enfants-Trouvés; que la on déli-
bérait en présence d'un tres-petit nombre d'affidés du fau-
bourg, tels que le sieur Rossignol, ci-devant compagnon
orfevre; le sieur Nicolas, sapeur du susdit bataillon des
Enfants-Trouvés; le sieur Brierre, marchand 'de vin; le
sieur Gonor, se disant vainqueUl' de la Rastille, et autres
qu'il pourra citer; qu'on y al'retait les motions qui devaient
etre agitées dans les groupes des Tuileries, du Palais-Royal ,
de la place de Greve, et surlout de la porte Saint-Antoine ,
place de la Bastille; qu'on y rédigeait les placards ineen-
diait'es affichés par intervalle dans les faubourgs, les pétitions
destinées a etre porté es par des députations dans les sociétés
patriotiques de Paris; et enfin que c'est la que s'est forgée
la fameuse pétition, et tramé le complot de la journée du
20 de ce mois, Que la veille de cette journée, il se tint un
comité secrct chez le' sieur Sanlerre, qui commen¡¡a vers
minllit, allquel des témoins, qu'il pourra fail'e entendre
10rsqu'i1s seront revenus de la mission a eux clonntle par le
sieur Santerre pour les campagnes voisines, assurent a\loir
\lU assistel' MM .. Pétion, maire de Paris; Robespiel"l'e;
Manuel, procureur de la commune; Alexandre, comman-
dant du bataillon de Saint-Michel; el Sillel'Y, cx-dépUlé de
I'assemblée nationale. Que lors de la jOlll'llée du 20,.le
sieur Santerre, voyant que plusieurs des sicns, el surlout
les chefs de son pal·ti, effrayés par I'arreté du dirrctoire du
département, refusaient de descendre armés, SOll5 prétexte




ET l'IECES JUSTIFIf:ATIVES. 351
qu'on tirerait sur eux, les assura qu'ils n'avaient I·ien a
craindre, que la garde nationale n'aurait pas ¿'ordre, el
que M. Pétion serait la. Que sur les onze heul·es du matin
dudit jour, le rassemblement De s' élevait pas au-dessus de
quinze cents personnes, y compris les curieux, et que ce ne
fut que lorsque le sieur Santerre se fut mis a la hite d'un dé-
tachement d'invalides, sortant de chez lui , et avec lequel il est
arrivé sur la place, et qu'il eut excité dans sa marche les spec-
tateurs a se joindre a lui, que la multitude s'est grossie con-
sidérablement j usqu'a son arrivée au passage des Feuillants,
que la, n'ayant point osé forcer le poste, il se relégua dans la
cour des Capucins, ou il 6t planter le mai qu'jJ avait destiné
pour le chateau des Tuileries; qu'alors lui. déclarant, de-
manda a plusieurs des gens de la suite dudit sieur Santerre,
pourquoi le mai n'était pas planté sur la terrasse du chateau,
aiusi que c,ela avait été arreté, et que ces gens lui répondirent
qu'ils s'en garderaient bien, que c'était la le piége d'ans le-
quel voulaient les faire tomber les feldllantim, paree qu'il
y avait da canon braqué dans le jardín, mais qu'ils ne don-
naient pas dans le panneau. Le déclarant observe que dans
ce IDoment I'attroupement était presque entihement dissipé,
et que ce ne fut que lorsqlle les tambours et la mllsique se
firent entendre dans l'enceinte de I'assembke nationale, que
les attroupés, alors épars ~a el la, se fallierent, se réunirent
aux aulres spectateurs, et défilerent avec décencc sur tmis de
hauteur devant le corps législatif; que lui, déclal'ant, remar-
qua que ces gens-la, en passant dans les TuilE'ries, ne se per-
mirent rien de scandaleux, et ne tenterent point d'entrer daus
le chateau; que rassemblés meme sur la place du Carrousel,
ou ils élaient parvenlls en faisant le tour par le quai du LOll-




NOTES


vre, ils ne inanifesterent aueune intention de pénétrer dans les
cours ,jusqu'a l'arrivée du sieur Santerre, qui était a I'assem-
blée oationale, el qui n'en sortit qu'a la Icvée de la séanceo
Qu'alors le sieurSanlerre, accompagné de plusieurs personnes,
parmi lesquelles lui, déclarant, a remarqué le sieur de Saint-
Hurugue. s'adressa a sa troupe, pour lors tres-traoquille, et
leur demanda pourquoi ils ll'étaient pas emrés dans le chd-
teau; qu'ilfallait y aller, el qn'ils n'étaient descendus que
pour celao Qu'aussitót il commanda aUl{ canonniers de son
bataillon de le suivre avec une piece de canon, el dit que si
00 lui refusait la porte, il fallait la bris('r a coups de bonl('!;
qu'ensuit(' iI s'est présenté dan s cet appareil a la porte du dla-
tean, ou iI a éprouvé une faible résistance de la part de la
gendarmerie a cheval, mais une ferme opposition de la pillot
de la garde nationale; que cela ;¡ occ~sioné heauconp de brllit
et d'agitation , et qu'on allait peUl-etre en venir a des voies de
fait, lorsque deux hommes en échurpe aux couleurs natio-
nales, dont lui, déclarunt, en reconnait un ponr elre le sienr
Bouche .... René. et I'autre qui a été nommé par les speclateurs
pour etre le sieur Sergent, sont arrivés par les cours, ('( Ollt
ordonné, il fant le dire, d'un ton tres-impérieux, pour ne pas
dire insolent, en prostituant le uom sacré de la loi, dOou,',.¡,.
lt:s portes, ajontant, que perl'Onne n' apa;t le droit de les
fermer, el que lorll eiloyen avait er:lui d'entrer; que les
portes ont élé ('ffec!ivement ouvertes par la ganle nationale, pI
qu'alors Santerre et s,a Iroupe se sont précipités en désO\'d"e
dans les cours; que le sieur Santcn'e, qlli faisait traille,' dll
canon pOul° briser les portes de I'appartement d" roi, s'jl les
trouvait fermées, et tirer sur la garde nationale qlli s'oppos¡>-
rail a son incllrsion , a été arTclé dans sa mal'Che dans une del'-




1:'1' 1'I1~CES JU3TU') C.,. TH'.J.:S.


niere cour it gauche au has de I'escalier dll pavilloll, par un
groupe de citoyclls qui luí ont tenu les diseours les plus rai-
sonnahles pour apaiser sa fllreUl', I'onl menacé de le rcmh-c
responsable ¿·2 tout ce quí arriverait de mal dans cette fatale
journée, paree que, luí onl-ils dit, vons he,r seull' auteur de
ce rassemblcment il/COflstitutionnel, vous at'ez ,\'Pld égaré
ccs braves gel/s, et vous seul parmi eua: étes un S'célérat.
Que leton 3'vec Jequel ces houneles citoyens parlaient au sieur
Saliterre le fit palir; mais qu'eneouragé par un coup d'ceil du
sieur Legendre, bOllcher ci-dessus nommé, iI eut recours a un
subterfuge hypocrite, en s'adressanl a sa troupe, et lui di-
sant: Messieur.r, dressez jJl'OcCs-vcl'bal da rejas 'luejejaú
de mal'ch-er a votre te'tc dans les appa rtements c/u roi; que
pour touterépunse,!a foule, accoutumée it deviner le sieut'San-
terre, culbuta le groupe des honnetcs citoyens, entt:a avec son
canon et !Ion commanclant, le sieur Sanlerre, el pénétra dans
les apparlemenls par tOlltes les issucs, apres en avoír hrisp
les portf's et Il's ff.n~lres. "


11.




NOTES


--~-_ .... __ ... _, ... ,,---,,-------_ .. -


~OTE 17, P¡\GE 199.


-----ao:~--


Voici ce que raconte madame Campllu sur les ('fai~les de
la famille royale :


« La police de M. de Laporle, inlendant de la lisIe civilr,
le til prévenir, des la fin de 1791, qu'un homme des officiers
du roi, qui s'était élabli patissier au Palais-Royal, allait ren-
tre!, dans les fonetioos de sa charge q\le lui rendait la mOl't
d'un survivlIncier; que c'était U11 jacobio si effréné, qn'il
3\'ait osé dire qne I'on ferait UII grand bien it la France en
abrégeant les joUl's du roi. Ses fooctioos se bOl'Daiellt aux
sruls détails de la patisserie; i\ était tres-observé par les chefs
de la bouche, gens dévoués a sa majes té; mais un poi son
sublil peul (!t\'e si aisément introduil dans les mets, qu'il fut
décidé que le mi el la reiue ne mangel'aieot plus que du rOti;
que leul' pain serait apporté par M. Thierry de Ville-d'Avl'ay,
inlendant des pelits appartements, el qu'il se chal'serait de
meme de fournir le vino Le roi aimai! les patisseries; j'eus
ordre tI'en commander, comme pour moi, tantot chez un
patissier, tantot chez un autre, Le sucre rapé était de meme
dans ma chambre. Le roi, la reine, madame Élisabeth man-
geaient ensemble, et il ne restait personoe du service, lis
avaient chacun une servan te d'acajoll et une sonñette ponr
faire entrer quand ils le désil'aieol. M. Thierry venait lui-
meme m'apporter le pain el le vin de lenrs majestés, et je
serrais lous ces objets dalls lllle armoirc parliculiere dll ca-




ET PrECES .TUSTIFICATIVES. 355
hillet du roi, au rez-de-chaussée. Aussitot qlle le mi élait a
table, j'apportais la patisserie et le pain. TOllt se eaehait 50115
la table, dans la l:mHlte.quel'ou eut beSOtQ de faire enlrer lp
servjce. Le roi pensait qu'il était aussi dangerellx qu'affligeant
de monlrel' eeUe crainte d'attentats contre sa personne, el
ceUe défiance dn service de sa boucbe. Comme il nI' bllvait
jamats une houteille de VHI entiere a ses repas ( fes princesses
ne huvaient que de l'eau), il remplissait eelle 00171 il avait hu
a pen pres la moitié, avec la bouteilte servie par les officiers
de son gobelel. Je I'emportais alwCs Le dIuer. Quoiqn'on ne
mllngeat d'autro patisserie que celle que j'avai.~ apportée, on
obsel'vait de meme de paraitl'c avoir mangé de celle qu.i élatt
servie 5111' la taLle. 1,a dame qui me remplat;a trouva ce sonice
secret organisé, el I'exécuta de meme; jamai5 011 nc sut dans
le public ces détails, ni les erainles qui y avaient donné lieu.
An bout de trtllS ou qllatre mois, les avis de la meme police
fment "fue' fon fl~a"ai~ plus ia redollteJ' \le genre.~, complot
contra h!!¡'jours du I'oi; qut!.le plan était eutieremenl cbalJ~é,;.
que les coups' que 1'00 vOtllail porter selllienl aUrtant dirigés
cOlltre le tl'Oll1l' que contre la per!!lOnne' dt;t 80u'\'el',,19.»·


(Mémoires dc madame de Campan, 10m. lI,pag. 18S.)


')
'). ).




NOTES


NOTE 18; PA.GE 2.01.


Lorsque M. de Lafayette fut enfermé 11 Olmutz, M. de Lally-
Tolendal écrivit en sa faveUl' une lellre h'es-éloquente au roi
de Prusse. Il y énumérait lout ce que le général avait fait
pom' sallver Louis XVI, et en donnait les preuves a l'appui.
Dans le nombre de ces pieces se trouvent les leures suivantes,
qui font connaitre les projels et les efforts des conslitutionnels
a cette époque.


Cnpie d' tille lettn: de M. de Lally- To/endal au roi.


Paris, lllndi 9 luillet '79'"


" Je suis chargé par M. de Lafayette de faire p.·oposer di-
rectement a S. M., pour le 15 de ce mois, le meme projet
qu'il avail proposé pour le 12., et qui ne peul plus s'exéClller
a celle époque, depuis I'engagement pris par S. M de se
tronv('1' a la cérémnnie du 14.


" S. M. a du voit, le plan du projel envoyé pat' M. de La-
fayette, cal' M. Duport a dti le porter a M. Montciel, pOUI'
qu'i11e montl'll.t aS. M.


" M. de Lafayette vellt ett'e ici le 15; iI Y sera avec le vieux
général Luckner. Tous deux viennent de se voir, lons deux
se le sont promis, lous deux ont un memc,sentiment el un
meme projet.


" lis proposent que S. M. sorle publiquemcnt de la ville,
entre eux deux, en l'écrivant a I'assemblée nalionale, en lui




ET PIECE~ .JU~TIFICATIVES. 357
annon(;ant qu'elle ne dépassera pas la ligne conslitlltiollnelle,
et qu'elle se rend it Compiegne.


" S. M. et toute la famille \'Oyale seront dans une seule
voiture. 11 est aisé de trot.ivel' eent bons cavaliers qui l' escor-
teront, Les Suisses, an besoin, et une partie de la garde na-
tionale, protégeront le départ. Les deux généraux resteron!
pres de S. M. - Arl'ivée a Compiegne, elle aura ponr garde
un dé'achement de I'endroit, qui est tres-hon, un de la eapi-
tale, qui sera choisi, el un de I'armée.


" M. de Lafayette, toUles ses plaees garnie., ainsi que son
camp de retraite, a de disponible po nI' eel objet, dans son
armée, dix escadrons el l'artillerie it che val. Deux marches
forcées peuvent amener toute eetle division it Compiegne.


"Si, conlre loule vraisemblance, S. M.ne pouvaitsortirde
la villc, les loís étant bien évidemmenl violées, les cleux ge-
néraux mareheraient SUI' la capital e avec utle armée.


" Les suites de ce projet se montrent d'clles-memes :
" La paix avec tOllte l'Eurape, par la médiation du roi;
• Le roi rétahli dans tout son pouvoir légal;
• Une large el nécessaire extension de ses prérogatives


sacrées;
" Une vérilahle monarchie, un véritable monarque, une


véritahle liberté;
" Une vél'itable representation nationale, dont le 1'01 sera


chef et partie intégrante;
" Un véri table pouvoir executif;
• U!le veritable représentatio!l natioDale, choisie parmi les


propriétaires ;
" La cODstitntion l'evisée, abolie en partie , en partíe amé-


lioréc et rétablie sur une meilleure base;




358 NOTES
« Le uouvea.u oorps dégislatit' temmt Stl!l séances IleUlement


trois mois par an;
« L'aDcienne IIOhlesse rétablie dwts ses aociells priviléges,


non pas pltlitique>, mais ci,'¡ls, dépetldanls de ('opio ion ,
comme ti tf'es ,annes, ~i vrées, etc.


« Je t-elllJlfis ma commission sans oser me permeltre ni un
consei4, ni une réflexi(>fl. 1'ai I'imagination h'op frappée de
la rage <¡ui va s'emparer de toutes ces teles perdues al .. pre-
miere ville qui va nous elre prise ,pour De pas me recuser
moí-meme; j'en sois allpomt que celte scime de samedi, qui
paralt tranquilliser beaucoup de gens, a doublé mon inquíé-
tude. Tous ces batsers m'onl roppelé celui de Judas.


« Jedemandeseulement a etre un des quatre-vingts 011 cent
cII.valiers qui escOf:teronl S. M., si elle agrée le projet; el je
me Hatte que je n'ai pas besoin de I'assurer qn'on u'arl'Íverait
pas a elle, ni a ftueQD meabre de 58 ro)'ale famille, 'qu'l.p¡-es
avoir pIIssé SUf' mon oeatlane.


"J'ajouterai un mot: j'aiété rami de M. de Lafayette
avant la révolution. ¡'avais ,"ompu tout oommerce avec lui
depuís le 22 mar,; de m seconde année: 11 eeHe époqlJe, je
voulais qu'i1 fut ce qu'il est aujourd'hui; je lui écrivis que
son devoir, son nonnellr, son intéra, tont Ini presc¡"ivait
cette comluite; je lui tra.,;ais longuemellt le plan le! que roa
cOl1sctence me le suggé¡·ait. II me promit; je ne vis point
'¡'effet 11 sa promesse. Je n'examinerai pas si c'était ilnpuis-
sanee ou mauvaise volonté; ,je lui devins étrange¡·; je le lui
déclarai, et pe¡'sonue lIe lui avait encore fail enl.endre des
vérités plus sévereó que moi et mes amis, qui élaient aussi
les siena. Aujourd'hui ces memes amis ont rouve¡"t ma cones-
pondance avec lui. S. M. sait quel a été le bul el le genre de




El' l'IliCES JUSTIFICA'l'IVES. 359
calle tOI'I'\!spondance J'aÍ vu ses leH.'es; j'ai eu deux heu-
res de confél'ence avec lui dan~ la nuit du jour ou ¡¡ esL
P<l.'ti. 11 reconnait ses erreur5; il est pret a se dévouer pour
la liberté, mai!! en lhelhe temps poul' la mODarchie; iI s'im-
molera, s'n le faut, pOlIr son pays et poUl' son roi, qu'¡¡ ne
sépare plus; il est enfin dans les principes que j'ai exposés
dans cette Dote; il Y est tout entier, avec candenr, conviction,
sensibilité, fidélité an ¡'ol, abandon de lui-mema: j'en réponds
sur ma probité.


« J'oubliais de dire qu'il demande qu'on ne tmite ríen de
ceci avec ceux des officiers qui peuvent etre dans la capitale
en ce momento Tous peDvent SOUPlionDer qu'il y a quelques
pl'Ojets; mais ancun n'est instruit de celui qu'il ya. 11 suffira
qu'ils le sachent le matin pour agir; iI craint I'indiscrétion, si
on leur en padait d'avance, et aucun d'eux n'est excepté de
celte observation. "


« P. S. Oserai-je dire que ceUe IIOle me p'árail dcvoit etl'é
méditée par celui-Ia seul qui, daos une joiunée a jamáis mé-
morahle, a vaincu par son coul'3ge héroiqlle ube atmée en-
liere d'assassins; par celui-lit qlli, le lendemain de ce triOn'lphe
sans exemple, a dicté lui-meme Une procIamaüon aussi su-
blime que ses aclions I'avaient été la veille, et Iton par les
cónseils qüi ont minuté la leUre écríte en SO'n noril alt corps
législatif, pour annoncér qu'il ~e U'ouverait ¡¡ la cérémonie
du 14; non par les couseils qui ont fait santtionner le décret
des droits féodaux, déCl'et équi'l'altnt !t un vol fait daos la
poche et sur les grands chemins.


« ~I. de Lafayette n'admet pas I'idée que le roí , u~ fúis
sorti dc la capitale, alt d'autre dil'ectioll it suivre que celle




36q NOTES
de sa cOllst'ienee el de 5a libl'c volollté. 11 eroil que la pre-
mie/'e opéralion de S. M. devait etre de se créer une garde;
il Cl'oit aussi que son pl'Ojet peul se modifier de vingt diffé-
rentes manieres; il préfere la retraile dans le Nord a eelle
du Midi" comme étant plus a porlée de secourir de ce cóté,
et redoutant la faction ~éridionale. En un mot, la liberté du
roi et la destruction des fac(ieux > voila son hut dan s toute
11:\ sin.cél'ité de son creur. Ce qui doit suivre suivra .•


('opie d'ulle lettre de M. de Lafayette.


Le BjuiIJet I7!J2.
"J'avais disposé mon année de maniere que les meilleurs


escadrons de grenadiers, l'artillerie a cheva\, étaient sous les
ordres de M •...•• a la quatdeme divisioll; et si ma proposition
eut été acceptée, j' emmenais en deux jours a Compiegne
quillze escadrons el huit pilkes de canon, le reste de I'armée
élant placé en échelons, a une marche d'intervalle; el te! ré-
l>iment qui n'elil pas fait le premiel' pas serait venu a mon
secours, si mes camamdcs el moi avions été engagés.


" J'avais conquis Luckner au point de me faire prometlre
de marcher sur la capitale avec moi, si la surelé du roi I'exi,-
geait, et qu'il en donnat I'ordre; el j'a,Í cinq es.cadrons de
cette armée, dont je dispose absolumel)t, Languedoc el ..... ;
le commandant de l'arlillerie a cheval est aussi exclusívement
a moi. Je eomptaís que ceux-lil marcheraient aussí a Com-
pieglle,




E'1' PJEC.ES JUS'l'JFICA'l'JVES. 36i
" Le roí a pris l'engagemenl de se rendre a la fe te fédé-


raleo Je regrette que mon plan n'ait pas élé adoplé; mais il
faut tirer partí de celuí qu'ón a préféré.


" I,es démarches que j'ai faites, I'adhésion de beauconp
de départements et de communes, ceHe de M. Luckner. mon
crédit sur mon armée et meme sur les aulres troupes, ma
l)opularité dans le royaume, qui est plutol augmentée que
diminuée, quoique fort reslreinte dans la capilale; toutes ces
circonslances, jointes a plusíeurs autres, ont donné a penser
aux factieux, en donnant I'é"eil aux honnetes gens; el j'es-
pere que les dangers physiques du 14 juillet sont fort dimi-
nués. Je pense meme qu'ils sonl nuls, si le roi est accompa-
gné de Luckner el de moi, el entoul'é des bataillons choisis
que je lui fais prépaJ'el'.


" Mais si le roi et 5a fiuuílle reslent dans la capitale, nc
sonl-ils pas toujours dans les maíns des factieux? Noua per-
drons la premíere hataille; il est impossihle d'en douler. Le
contre-coup s'en fera ressentir dans la capítale. Je dia plus,
il suffira d'une supposition de cOl'l'espondance entre la reine
el les ennemis ponr occasíoner les plus grantls exd~s. Du
moins voudra-t-on eromener le roí dans le midi, et ceUe
idée, quí révolte aujourd'hui , paraitra simple lorsque les
rois ligués approcheront. Je vois done, immédiatement apres
le 11., commencel' une suite de dangers.


" Je le répete encore, il faut que le roi sor te de París,
Je saia que, s'il n'était pas de bonne foi, il Y aurait des in-
convénients; mais quand il s'agit de se cOllller au roi, 'lui
est un honnete homme, peut-on balancer un inslanl? J e suis
pressé du besoin de \"oír le roi 11 Compiegne.


" Voici done les deux ohjels sur les.quels porle mon projet




36¡¡ NOTES
aetuel: 10 Si le roi n'a pas encore mandé Luckner et nlOi,
H faut qu'il le fasile sur-le-ehamp. NOlIs avons Lltcl.-ncr! 11
faut l'engager de plus ~n l>lus. U dira que nous sommes en-
semble; je dir'ai le resle. Luekner peut venir me pI'endre,
de maniere que noll.S soyons le 12 au soir daos la capitale.
Le 13 et le 14 penvent foul'l1ir des eh9nces offensi"es j du
moins la défenshe sera assurée par votre présence; el qui
6~it ee que pent faire la mienne sur la garde nationale?


" Nous accompagnerons le roi a. I'autel de la patrie. Les
deux génél'aux, l·cprésentant.deux armées qu'on. sait leul' etre
t1-es-attachées, eml>echeront les atteiutt's qu'on voudrait por-
ter a la dignité du roi. Quan! a moi, je puis retrouver l'ha-
hitude que les uns ont eue long-temps d'obéir a ma voix; la
terrenr que j'ai loujours jnspirée aux nutres des qu'i/s sont
aevenus faetiellx, et peut-etre qllelques moyens personnels
de tirer pal'ti d'une el'ise, peuvent me rendre ulile I du moins
pOllr éloigner les dangers_ Mil demande etlt d'autant plus dé~
sintéressée que ma situRtion sera dés~réable par comparai-
80n avee la gmnde fédération ¡ mais je regarde eomme Uh
devoir saCl'é d'étre aupres du roi dans eette eirconstance, el
ma I!~te est lellement monlée a cet égard, que j'exige absolu-
menl du mínistere de la guerrt! qu'il me mande, et que celte
pn~miere partie de ma pmpositiúfl soil adoplée, el je vous
prie de le fail'e savoir par des amia communs BU roi j a. sa
falnille el a son conseil.


" 2° Quant a ma seconde pcupositioll, je la crois égale-
ment indispensable, el voiéi comme je I'entends: le serment
du roi, le nutre, Ruront ll'anquillisé les gens (Iui ne SOllt que
faibles, et pal' conséqucnt, leo eO'luins sel'Onl pendant que/-
tJues jour!; privés de ce! uppui. Je voullrais <¡ue le roi écrivit




ET PIlleES JUSTIFICATIVES. 363
sOtlS le SCC¡'et a M. Luckner el a moi, Une Icttl'e eornmune a
nous deux, et qui nous tl'Ouverait en roule dans la s<tírée du
11 ou dans la joumée du l!l. Le roiy dira: "Qu'apres a\'oir
• preté nolre 'serment, il faUait S'OCM'per de prouver aux
" étrangers sa sineérité; que le meilleur moyen serait 'Iu'ii
• passat quelques jours it Compiegne; qn'il nous charge d'y
(, faire trouver quelques escadrons pour joindre ,a la gnde
(, nationale du líeu, et a un délachement de la cllpitale; que
" nous I'aeeompagnerons jusqu'it Compif:gne, d'ou nous re-
" joindrons chaeun nolre a¡'mée; qu'il désire que nous pre-
'« nions des escadrons dont tes ehefs soient connus par leur
" at1aehernent a la constilution, et un oflicier-général qfti ne
« PUiSS1l taisser auenn doute a eel égard, •


" D'ap"es cette lettre, Luckner et moi chal"gerons M ..... de
t-'elte expédition; il pl"endra. avee lui quau'e pieees d'arlillel'ie
a cheval ; huit, ,si l'on veut ; milis il ne faut pas que le roi en
parle, 'Parce que l'odreux do. ellDon dolt tomber sur nous.
- Le 15, a dix heures do matiu, le roi irait a l'assemblée,
aeoompagoé de Luckner et de moí; el, soit que n<lUS eussions
un bata ilion , soít que non s eussions cinqullnte hommes a
cheval de gens dé'l'oués au roi, ou de mes 3mis, nous yer-
rions si le roi, la famille ¡'oyale, Lucknel' et moi seriolls
arrétés.


"le Stlppose que nous le fussions; Luclme¡' el moí ren-
trerions a l'assemblée poul' nous plaind¡'e et la rnellacer de
nos armées. Lol'sque le roí serait rentl'é , sa position ne serait
pas la plus mauvaise, cal' il ne serait pas sorli de la cons-
lilulion; iI n'aU¡'ait contre lui que les ennemis de celle eons-
litution, el Luckner et moi am~merions facilement des déla-
chemenls de Cumpicgne. Rema¡'que;t. que ccci ne comp¡'omt:l




364 NOTES
pas autalltle mi qu'i.1 le sera nécessait'cmeul pa¡- les évéue-
ments qui se préparenl.


« On a lellelllent gaspillé, daus des niaiseries arislocl'aliques,
les fonds dont le roi peul disposer, qu'il doi! lui rester pen
de disponible. 11 n'y a pas de doule qu'il ne faille elllpl"Un-
ter, s'jl est nécessaire, pour s'emparer des trois jours de la
fédération.


"Il Y a encOl'e ulle chose a prévoir, eelle oa l'assembléc
décréterait que les généraux ne doivenl pas venir dans la ca-
pitale. Il sumt que le roi y refuse illlmédiatement sa sanclion.


"Si, par une falalité inconcevable, le l'oi avait déja donné sa
sanction, qu'il nous donne rendez-vous a Compiegne, dút-il
elre arre té en partan!. Nous lui o.uvrirons les moyens d'y
venit, libre et triomphant. Il esl inutile d'observer 'Iue dans
tous les eas, arrivé :'t COlllpiegne, il Y établil'il sa garde per-
BonneHe, lelle que la lui donne la. constitut!on .


• En vérité, quand je me vois entouré d'habitanls de la
campagne qui viennent de dix lieues el plus pom' me voir el
pOllr me jurer qu'ils n'ont confianee qu'en moi, que mes
amis el mes ennemis sont les leurs; quand je lI1e vois ehéri de
1I10n armée, sur laquelle les efforts des jacobins n'ont au-
cune influence; quand je vois de toules les parties du royaume
3niver des témoignages d'adhésion a mes opinions, je ne
puis croire que tonl esl perdu, el que je n'ai aucun ínoyen
ti' etre utile, »




In PIJ';CF.5 JUSTIFH:ATIVES. 365


NOTE 19, PAGE 201.


La réponsc suivante est extl'aite du me me I'eclll'il de
pieres, eité dans la note précédente.


Rlponse de la main dlt rOl,


«11 fallt lui répondre que je suis iufiniment sensihle it
l'attachemellt pour moi qui le porterait a se mettre aussi en
avant; mais que la maniere me parail impI'aticable, Ce n'est
poin! pal' cminte personnelle, mais tout semit mis en jeu a la
fois, et, quoi qu'i! en dise, ce projet manqué feraít retomber
tout pire que jamais, et de plus en plus, sous la férule des
faclíeux, Fontainebleau n'est qu'un cul-de-sac, ce serait une
mauvaise retraite, el du colé du mi di : du coté du nOl'd , cela
aurait ¡'air u'alter au-devant des Autricbiens. On lui répond
sur son mandé, aiosi je n'ai rien a díre icí. La }lrésence des
généraux a la fédération pOllrrait etre utile; elle pourrait
d'ailteurs avoi!" pour motif de voir le nouveau ministre, el de
convenir avee lui des besoins dc I'al'mée. Le meilleur conseil a
donnei" a M. de Lafayette est de servir toujours d'épollvantail
al\X facticllx. en remplissant bien son métier de général. Pat'
lil, il s'assurcm de (l'llls en plus la confiance de son a!"mét"
et pOlll'ra s'eu servir coml11c il vOlldra au besoill. "




366 NOTES


NOTE :)(), PAGE 209.


Détails des éfJénements du 10 aoúl.


(lIs sont tirés d'un écrit signé Carra, et intitulé: Précis
historique el lres·exact sur l'origine et les véritables auteurs
de la célebre insurrection du 10 aoüt, qui a sauvé la répu-
blique. L'auteur assure que le maire n'eut pas la moindre
par't au sueees, mais qu'il ¡'est [rO/lIJé en place, dans cette
oeeasion, comme une véritable Pro",aence pOllr les pa-
triotes. Ce moreeau est tiré des Almales po/itiques du 30
nQveQ1b~e dernier. )


« Les hommes, dit Jé,'ome Pétion , dans son exeellent dis-
« cours sur I'aeeusation inlentée cOlltl'e Maximilien Robes-
« pierre, qui se sont attrihué la gloire de eeUe journée, sont
" les hommes a qui elle appal'tient le moins. Elle est due a
« eeux qui l'ont prép'lI'ée, elle est due a la nature impérieuse
« des choses ; elle est due aux braves fédérés , et a lellr dirl'c-
ce taire secre! qll¿ coneertait depuís IOllg-temps le plan de
(( l'insurrection; elle est dile enfin aD génie tutélaire qui
« préside constamment aux destins de la Fran('e, df'puis la
« premierc assemblée de ses représentants. "


u C'est de ce directoire secret, dont parle .Térome Pétion,
que je vais pade\' a mOI1 tour, et eomme membre ,le ce (tire .. -
toire, el eomme actcUI' dans toUles S('S' opérations. Ce dircp-
toirc se!'r!'1 fllt fOl'mé par le ('omi,é centr'al des fédérp5, ,>'ahli




ET PIl1CES JUSTIFICATIVES. 367
dans la salle de cOl'l'csponuance aux JacoLins Saint-Honoré,
Ce fut U\'!S qual'allte-tl'Ois membl'es qui s'assemLlaient jOUl'Del-
lement depuia le commeo,cement de juillet dans cNte salle,
qu'ol1 en tira cil1q pOUl' le dil'ectoire d'insul'I'ection. Ces cinq
membresétaientVaugeois, gt'and.vicairede I'éveque de Blois;
Debessé, du département de la Dt'ome j Guillaume, profes-
seur a Caen j Siman, jllnrnaliste de StrasbouFg j et Gatissot ,
de Langres. Je fus udjoint a oes cinq membres, a rinstant
~mo do la fOFm;ttion el" direclOirej et ql1elques jours apres
on y invita FouI'nier l'Américainj Westermann j KienJin, de
Strasboul'gj Sanlerl'e¡ Alexandre, oommandanl du faubourg
Saint-Mat'ceau; Lallouski, capitalne des canouniers de Saint-
Marceau; Anlaine, de Me!l'!, I'ex-constituant; Lagrey; et
Gal'in, électeur de 1789'


" La premiere séance de ce dit'Cctoire se tint dans un pe-
tit cabaret, au Soleil-d'Or, Fue Sainl-At\toine, pres la Bastille,
dans la nuit du jeudi au "endredi 26 juillet, apres la tete
civique donnée aux fédérés, sur l'emplacement de la Bastille.
Le patriote GOl'sas paml dans le cabaret, d'ou nous sOl'times
a deux heul'es du matln, pOUI' nous porter pres de la co-
lonne de la liberté, sU!' I'emplacement de la Bastille, et y
monr;r 5';1 fallait pout· la patrie. Ce fut dans ce cabat'Ct du
Soleil-d'Or, que Fournier "Amédcain nous apporta le dra-
peau rouge, dont j'avais proposé I'invention, el sur lequel
j'avais fait él~rire ces mots : Loi martiale du peuple soupe-
rain, contra la rébellion du pOlll'oir ea:écutif. Ce fUl aussi
dalls ce meme cabaret que j'appol'tai ciuq cents exemplaires
d'uDe affiche ou -átaient ces mots : Ccua: qfti tireront sar les
colonnes da pcuple, seront mis (, mort sur-le-champ. Cette
affiche, imprimée ('hez le libraire BlIisson, avait été appOI'lée




chez SantelTe , ou j'allai la ehel'chel' a minllit. Nofre projl't
manqua cette fois par la Pl'mlence du maire, qlli sentit vrai'
semblablement que non s n'étions pas assez en mesure dans
ce moment; et la seconde séance active tlu directoire fut
renvoyée au 4 ao'Ó.t suivant.


« Les memes personnes a-peu-pres se trou\'crent daos
eeHe séanee, et en outre Camille Desmoulins: elle se tint au
Cadran-Blcu, sur le boulevart; et sUI'les huil heures du soir,
elle se transporta dans la ehambre d'Antoine, l'ex-constituant,
rue Saint-HonOl'é, vis-a-vis I'Assomption, juste dans la mai-
son Otl demeure Robespil'rre. L'hotesse de Rohespierre fut
te\lement effrayée de ce eoneilíabule, qu'elle villt, sur les
ollze heures du soir, demandel' a Antoine s'il voulait faire
égorger Robespierre : Si quelqu' un dotl e'Í:re egorge, di!
Antoine, ce sera IIDUS safls doute; il ne s'agit pas de
Robespierre, il ll'a qu'n. se cacher,


« Ce fut dans ceUe seconde séance active que j'éCl'ivis de'
ma main tout le plan de ['insurreclioll, la marche des co-
lonnes et l'atlaque du chateau. Simon fit une copie de ce
plan, el nous I'envoyames a Santerre et a Alexandl'e, vers
minnit; mais une seconde fois notre projet manqua, parep
qu'Alexandre et Santerre n'étaient pas eneOl'e aS,'e7. en me-
sure, et plusieurs vOlllaiellt attendre la cliscussion renvoyé!'
au 10 aoM, sur la suspensiOIl du mi.


"Enfin la lroisicme séance active de ce directoire se tint
dans la nnít dn 9 au 10 aOlh dernier, an moment Olt le 10('-
sin sonna , et dan. ~rois endroils différent, en mem!' tcmps;
.avoir: Fournier l'Américain avec qUf'lques alltres, an fall-
hOllrg Saint-Marceall; \Vestermann, Salltcl'l'c et denx au-
fres, au fanhouq; Sainl-AnloinC'; Garill. jOllmalis!!' (11' StI'a,-




IlT PIECES JUSTIFICATIVIlS. 36 9
hourg, et moi, dans ma caserne des MarseilIais l et dans la
chambre me me du commandant, ou nous avons élé vus par
tout le batailloo ....


«Daos ce précis, qui est de la plus exacte véríté, et que
je défie qui que ce soit de révoquer en doute dans ses moín-
dres détails, on voit qu'il ne s'agit ni de Marat, ni de Robes-
pierre, Iii de tant d'autres qui veulenl passer pou¡' acteud
daos cette affaire; el que ceux-Ia qui peuveut s'attribuer di-
rectement la gloire de la fameuse journée du 10, sont ceux
que je viens de nommer, et qui out formé le directoire se-
cret des fédérés; "


n.




37° NOTES


-----_ .. _-,,-------.--.................... _--


NOTE 21, PAGE 231.


Copie de la leUre écrite au átoyen Boze, par ,Guadet ,
rergniaud el GensQnné.


" Vous nous dem~'ndez ,'rtlorisie'ur, quélle est notre opi-
nion sur la situadon- actuelle de la France, et le choix des
mesures qui pourraient garantir la chose publique des dan-
gers pressants dont elle est menacée; c'est la le sujet des in-
quiétudes des bons citoyens, et I'objet de leurs plus pro-
fondes méditations.


" LOl'sque vous nous interroge7. sur d'aussi grands intél'ets,
nous ne balancerons pas a nous expliquer avec franchise.


" On ne doit pas le dissimuler, la conduite du pouvoir
exécntif est la cause immédiate de tous les manx qui affli-
gent la F,'ance et des dangers qui environneut le trone. On
trompe le roi, si on cherche a lui persuader que des opinions
exagérées, l'effervescence des elubs, les manreuvres de queJ-
ques agilateurs et des factions puissantc5 ont faíl naitre et
entret.iennent ces mouvements désordonnés dont chaque jour
peut accroltre la violence, et dont peut-etre on ne pourra
plus calculer le~ suites; c'est placer la cause du mal dans ses
symptomes.


'( Si le peuple était tranquille sur le sllcces d'une révolu-
lion si cnerement acbetée, si la liberté publique n'élait plus
en danger, si la conduite du roi n' excitait aucune méfiance,
le ni~eau des opinions s'établirait de lui-meme; la grande




ET Pu'lCES JUSTlFICATIVES.


masse des eitoyens ne songerait qu'a jouir des bienfaits que
la constitution lui assure; et si, dans cet état de choses, il exis-
tait encore des factions, elles cesseraient d' etre dangereuses ,
elleS' n'auraíent plus ni prétexte ni objeto


.Mais tout autant que la liberté publique sera en péril, tout
autant que les alarmes des citoyens seront entretenues par la
conduite du pouvoir exécutíf, et que les conspirations qui se
trament dan s l'intérieur et a rextérieur du royaume paraitront
plus ou moins ouvertement favorisées par le roi, eet état de
eh oses appeIle nécessairement les troubles, le désordre et les
factions. Dans les états \-es mieux coostitués, et constilués de-
puis des siecles, les révolutions u'ont pas d'autre príncipe, et
\'effet en doit etre pour nous d'autant plus prompt, qu'il n'y
a poin! eu d'intervalle entre les mouvements qui ont entrainé
la premiere et ceux qui semblent aujoUl'd'hui nOU3 annoneer
une seconde révohrtion.


" 11 n'est done que trop évídent que l'état aetuel des eh oses
doit amener une crise dont presque loules les chances seront
eontre la royaulé. En effet, on sépare les iDtérels du roi de
ceux de la nation; on fait du premier fonctionnaire publie
d'une nation libre un chef de parti, et, par cette affreuse po-
litique,on fait rejailJir sur lui I'odieux de tous les maux donl.
la Franee est affligée.


« Eh! quel peut ctre le succes des puissances étrangeres,
quand bien meme 00 parvieodrait, par leur interventioD, a
augmcnter l'autorilé du roi et a donner au gouvernement une
forme nouvclle? N'esl-il pas évident que les hommes qui ont
eu l'idee de ce congres ont sacrifié a leurs préjugés, a leur ¡n-
leret personnel, l'inléret meme du monal'que; que le sueces
de ees manreuvres donnerait un caractet-e d'usurpation a des




NOTES


pouvoirs que la nation seute tlélegue, el que sa seule eonliarH~e
pent soutenir? Comment n'a-l-oo pas vu que la [oree qui en-
tl'ainerait ce ehangement serait long-lemps nécessaire a la con-
servalion, et qu'on scmerait par la dans le seio du royaurrre un
gCl'me de divisions et de discordes que le laps de plusieurs
siecles aurait peine a étouffer?


" Aussi sinceremoot qu'invariahlement altachés aux intérets
de la uation, dont nous ne séparerons jamais eeux du roi
qu'autaot qu'il les séparera lui-meme, nous pensons que le
seul moyen de pl'évenir les maux dont I'empire est menacé, et
de rétablir le calme, serait que le roi, par sa conduite, fit ces-
ser tous les sujets de méfianee, se prononqat par le fait de la
maniere la plus [ranche el la moins équivoque, et s'entourat
enlin de la confianee du peuplc, qui seule fait sa force el peut
faire son bonheur.


,< Ce n'est pas aujourd'hui par des protestations nouvelles
qu'íl peut y pal'venir; elles seraient dérisoires, et, dans les
circonstanees aetuelles, elles prendraient un caractel'e cl'iro-
nie q'ü, bien loin de dissiper les alarmes, ne ferait qu'en ae-
croitre le danger.


" Il n'en est 'lu'une dont on pUL attendre qllelque effet; ce
serait la déclaration la plus solennelle qu'en aueun cas le roi
n'aceeptcrait une augmentation de pouvoir qui ne lui fUt vo-
lontairement accordée par les Fran\?ais, sans le concours et
l'iotervention d'aucune puissance étrangere, et librement dé-
libél'ée daos les formes constitutionnelles.


« On obsel've meme a cet égard que plllsieurs membres de
I'assembléc nationale savent qlle cette déclaration a été pro-
posée au roi, lorsqu'illit la proposition de la guerre au roi dI'
Hongrie, et qu'il ne jugea pas a propos de la faire.




ET l'IECES JUSTIFICATIVES •


• Mais ce 'lui suffirait peut-etre pOUf rétahlir 53 confiance,
ce serait que le roi parvint a faire reconnaitre aux plli5sances
coalisées l' indépelldance de la nation fralll¡aise, a faire cesser
toutes hostilités, et retirer les cordons de troupes qui menacent
nos fronlieres.


" II est impossible qu'une tres-grande parlie de la nation
ne soit convaincue que le roi ~e soit le maltre de faire CeSSf'I'
ceUe coalition; el tan! qu'elle mettra la liberté publique en
péril, on ne doit pas se flattel' que la confiance renaisse.


" Si les efforts du roi pour cel objet étaient impuissants, 311
moins devrait-il aider la nation, par tous les·moyens 'lui son!
en son pouvoir, a repousser I'atlaque extérieure, et ne rien
négliger pour éloignel' de lui le soup~on de la favoriser .


• Dans celte supposilion, il ('sI ai5é de concevoir que les
soup«;ons el la méfiance tiennent a des circonstances malheu-
reuses qu 'ji estimpossible de changer_


" En faire un crime lorsque le danger est réel et ne peul
etre méconnu, e'esl le plns sur moyen d'augmenter les soup-
,"ons : se plaindre de I'exagération, attaqner les clubs, suppo-
ser des agitateurs lorsque I'effervescence el I'agitation sont
l'effet natm'el des circonstances, c'est leur donner une force
nouvelle,e'est accroilre le mouvement du peuplepal' les moyens
memes qu'on emploie poul' les calmer.


u Tant qu'il y aura contre la liberté une action 5ubsistanle
et connue, la réaclioIl est inévitable, el le développement de
l'une et de I'autre aura les memes progreso


« Dans une situation aussi pénihle, le· calme ne pent se
rétablir que par I'ahsen')e de tous les dangers ; el jusqu'it ce
'Iue cetle henreuse époque soil arrivée, ee qui importe le
pllls a la natioll et au roi, e'eSI que (;es circonstanecs mal-




NOTES


heureuses ne soient pas continuellement envenimées par une
eonduite, au moios équivoque, dela part des ageots du ponvoir.


" l° Pourquoi le roi ne choisit-il pas ses ministres parmi
les hommes les plus prononcés pOUl'la révolution? Pourquoi,
dans les moments les plus cl'itiques, n'est-i1 entouré que
d'hommes inconllus ou suspects? S'il pouvait etre utile au
roi d'augmenter la méflance et d'exeiter le peuple a des mou-
vements, s'y prendrait-on autl'ement pour les fomenter?


« Le choix du ministere a été dans tous les temps I'une
des fonctions les plus importantes du pouvoir dont le roi est
revetu : e'es! le thermometre d'apres lequell'opinion publi-
que a toujours jugé les dispositions de la eour : et 00 con~oit
quel peUl etre aujourd'hui l'effet de ces choix, qui, dans tout
autre temps, auraient excité les plus vioJents murmures.


« Un ministere bien patriote serait donc un des grands
moyens que le roi peut employer pOUl' rappeler la confiance,
Mais ce serait étrangement s'abuser que de croire que, par
une seule démarche de ce geure , elle puisse etre facilement
regagnée, Ce n'est que par du temps et par des efforts con-
tinus qu'on peut se flauer d'effacer des inipressions trop
p¡'ofondément gravées pour en dissiper a I'instan! jusqu'au
moindre vestige.


« 'A 0 Dans un moment Ol! lous les 1Il0yens de défense
doivent eh'e employés, ou la Frailee ne peut pas armer tous
ses défenseurs, pourquoi le roi n'a-l-iI pas offert les fusils
et les ehevaux de sa garde?


« 3° Pourquoi le roi ue sollicite-t-il pas lui-meme une loi
qui assujettisse la liste civile a une forme de eomptabilité qui
puisse garantir a la nation qu'elle n'est pas délournée de
son légilime emploi , el divertie a d'aulres usages?




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


« 4° Un des grands moyens de tranquilliser le peuple sur
les dispositions personnelles du roi, serait q u'íi sóllicitat
lui-meme la loi sur l'éducation du princc royal, et qu'i1
accélérat ainsi l'instant on la' garde' de é~ jeune prinee
sera remise a un gouvemeurrevetu de lá confiance de la
nation.


'. 5~ 00 se plaint eneore de ce que ce déeretsnr un Ji-
cenciement de I'état-major de la gárde nationale n'est pas
sanetionné. Ces refus multipliés de sanetion sur des disposi-
tions législatives que l'opinion publiqne réclarne avec instanee,
et dont l'urgence ne pent etre méconnue, provoquent l'exa-
men de: la question constÍtutionnelle' slir' Yapplieation du
veto aux lois de circonstanee, et ne sont pas de nature a
dissiper les alarmes et le mécontentement.


" 6 0 JI serait bien important que le roi retirat des mains
de M. de Lafayette le commandement de l'armée. Il est au
moins évident qu'il ne peut plus y servir utilement la cbose
publique.


" Nous terminerons ce simple aperc;¡u par une observation
générale : e'est que tout ee qui peut éloigner les soupc;¡ons
el ranimer la eonfiance, ne peut ni ne doit etre négligé .. La
eonstitution es! sauvée si le roí prend eeUe résolU<l.ion avec
courage , el s'íl y persiste a vec fermeté.


" Nous sommes, etc .•


Copie de la leliTe écrite a Boze, par Thierry.


" Je viens d'etre querellé pour la seconde fois d'avoir
rec;¡u la leUre que, par ~zele, je me suis déterminé 11 re-
lIIettre.




NO'l'ES


« Cependant le mi m~1l permis de répondre :
<el- Qu'il n'avait gaJ;'de de négliger le choix des mi-


nistres;
"20 Qu'on ne devait la djÍclaration de guerre qu'a des


mini.stres soi-disant patriotes;
3° Qu'j\ avait mis tout eu reuvre dans le temps pour em~
p~cher la coalitipn des puissances • e~ qu'aujourd'hui ,pour
~lojgner les al'mées de nos frontieres,' il n'y avait que les.
moyens généraux.


« 4° Que, depuis son acceptalion, il avait tres.scrupu~
leusement o\>~.en'é. les lois de la .coostitution, mais que
beaucoup d'autres gens Ira\'aillaienl maiotenant en sens
9lDtraire. "




ET prECES .JUSTIFICATIVES.


--_ .... -...... _--~---------


NOTE 22, PAGE 251.


La piece suivante est du nombre de ceHes citées par
M. de LalIy-Tolendal dans sa lettre au roi de Prusse.


Copie de la minute d'une séance tenue le. 4 aout 1792,
écrite de la main de Lally-Tolendal.


Le 4 aout.


M. de Montmorin, ancien ministre des affaire s étran-
geres. - M. Bertraud, ancien ministre de la marine.-
M. d~ Clermonl-Tonnerre. - M •. de :LaUy,.:Tolendal.-
M. Malouet. - M. de Gouvernet.:--M. de Gilliers.


« Traís heures de délibération dans un endroit retiré du
jardin de M. Montmorin .. Chacun rendit compte de ee qu'il
avait déeouverl. J'a,'ais rel,iu une lettre anouyme dans la-
queHe on me dénonl,iait une conversation chez Santerl'e, an-
non~ant le projet de marchel' sur les Tuileries, de tuer le
roi daDs la melée, el de s'emparer du prince royal, pOUI' en
faire ce que les circonstanees exigeraient; ou' si le roi n'étail
pas tué, de faire toute la famille royale prisonniere. Nous
résolumes tous qu'íl fallait que le roi sortít de Paris, a
quelque prix que ee ftit, escorIé par les Suisses, par nOlls
cl par nos amis, qui étaienl en bon nombre. Nous comptions
sur M. de Liancourt, qui avait offert de venir de Rouen au-
devanl dll roi , el ensuite sur ¡\'J. de Lafayelle. Comme nous




378 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES.
finissions de délibérer, arriva M. de Malesherbes, qui vint
presser madame de Monlmorin el madame de Beaumont sa
filie, de se retirer, en disant que la erise approehait, et
que Paris n'était plus la place des femmes. Sur ce que nous
dit de nouveau M. de Malesherhes, nous arretiimes que M. de
Montmorin allait sur-le-ehamp partir pour le ehiiteau, pour
informer le roi de ce que nous avions su et résolu. Le roi
parut consentir le soir, et dit a M. de Montmorin de causer
avec M. de Sainte-Croix , qui, avee M. de Montciel, s'oceu-
pait aussi d'u~ proje); de sortie du roi. Nous. alliimes le len-
demain au chiiteau; je causai longuement avec le duc de
Choiseul, qui était enticrement de notre avis, ct vonlait
que le roi partit, a quelque prix que ce fut, qu'il aimait
rnieux s'exposer a tous les dangers que de cornrncncer la
{Juerre cidle.' On annono;;ait que la déchéanee serait pro-
noncée le jeudi" suivant. J e -'lle connu!! pllIS d'autres res-
sources que l'ármée de Lafayette. Je fis partir le 8 un projet
de letlre que je lui conseillais d'écrirc au duc de Bruns-
wick, aussitót qu'il aurait la premicre nouvelle de la dé-
chéance, etc. l)


.FIN Dt:S NOTES UD TO.l\m SECOND.




DES CHAPITRES


CONTENUS DANS LE TOME SECOND.


CHAPITRE l.
Jugement sur I'asscmbl(\e constituante. - Ouverture d'c!


la seconde assemblée nationale, dite assemblée législa-
tipe ; sa composition. - État des clubs; leurs memLres
intluents. - Pétion, maire de Pans. _ Politique des
puissances. - Émigration; décretd contre les émigrés
et contre les pretres non assermentés. - Modifications
dans le ministere. - Préparatifs de gucrre; état des aro.
mées ......... < •••••••••••••••••••••••••••


CHAPITRE 11.
Division des partis sur la question de la guerreo - Róle


du duc d'Orléans et de son parti. - Les princes émi-
grés sont décrétés d'accusation. - Formation d'un mi-
nistere girond,in. - Dumouriez, son cl\ractere, son
génie et ses projets; détails sur les nouveaux ministres.
- Entretien de Dumouriez avec la reine. - nét:;)ara-
fion de guerre au roi de Hongrie er de Bohihne.-
Premiéres opérations militaircs. Déroutes de Quiévraiu
et de Tournay. Meurtre du général Dillon...... 51




380 TABLE DES CJIAPITRES.


CHAPITRE 111.


Divisions dans le ministere girondin. - Le prétendu co-
mité autrichien. - Décret pour la formation d'un camp
de 20,000 hommes, pres Paris. - Lettre de Roland au
roL - Renvoi des ministres girondins; démission de
Dumouriez. Formation d'un ministere feuillant. - .
Projets du parti constitutionnel; lettre de I.afayette a
l'assemblée. - Situation du parti populaire et de ses
chefs; plans des députés méridionallx; rOle de Pétiou
dans les événements dejuin.- Jouruée du 20jllin 1792;
illsurrection des faubonrgs; scellcs dans les apparte-
ments des Tuileries .................•..... " 87


CHAPITRE IV.


Suites de la journée du 20 juin. - Arrivée de Lafayette
a Paris; ses plaintes a l'assemblée. - Bl"Uits de guelTe;
invasion prochaine des Pru!>siens; discours de Ver-
gniaud.-Réconciliation de tons les partis dans le sein
de l'assemblée, le 7 juillet. - La patrie est tléclarée ell
danger. - Le département suspend le maire Pétion de
ses fonctions.-Adresses mena¡¡;antes ~ontre la royan té.
- Lafayette propose au roi nn projetde fuite. ~
3e annivcrsaire du I/f jllillet; description tlc la f(~te. -
Préludes d'lIne nouvelle révo!utiono - Comité insllr-
rectionnel. - Détails sur les plus célébres révolntion-
naires a eette époque; Cam. Desmolllins, Marat, Ro-
bespierre, Danton. - Projets des amis du roi pour le
sauver. - Démarches des députes girondins pour éviter
une insurrection ............ , ......•..•... 155




TABLE DES CHANTRES.


CHAPITRE' V.
Arrivée des MarseiUais a Paris; diner et sdmes sanglantes


allx Champs-Élysée~. - Manifp,ste du duc de Bruns-
wick. - Les scctions de Paris demandent la déchéance
du roi. - Le roi reCuse de fuir. - L'assemblée rejette
la proposition d'accuser Lafayette. - Préparatifs de
l'insurrection; moyens de déCense du chateau. - In-
surrection du 10 aout; les faubourgs s'emparent des
Tuileries apres un combat sanglant; le roí se retire a
l'assemblée ; suspension du pouvoir royal; convocation
d'une convention nationale .•...•........... " 233


FIN DE I •. ~ TA DI.E.