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f'aris. - lmpriIllerie de PILLET tHs ainé, rue des Gra[]d.!:i .. .Au~;u8tins, ;:...




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I{É\TOL lTTIC)N
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L'ElVIPIRE
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LE VICOMTE DE MEAUX


PAIU~
LIBAAIRIE ACADÉMIQUE


lilllI1:[, El' Ce, LI1:R.\IllES-}:DlTEUR~


11 éserve ¡Jp tOU.:3 I,ruit"






AVANT-PROPOS


Oepuis longlelll[ls l'histoire inttTieure ue la
I~rance peut tout entiel'e sc resumer cn deux
termes: difiiculté de fonder des institutions re-
prcsentatives, impossibilité de s'en passer. Tan-
tot le gout d'etre libres nous éleve et nous em-
porte: heureux si 11 ce gOút généreux et pUl'
n'Mait pas venu se meler la passion de tout
challger, et par conséquent le danger de tout dé-
truire. Tantól le poids de nos exces et de nos
mécomptes nous abat et nous accable. ~lécon­
tents de nos propres labeurs, nous renol10011S a
traiter nous-memes nos alTaires, et HOUS n'aspi-


11




II


rons plus qu' au 1'CpOS sous un maitre. Mais tut
011 tanl ensuite l'instlflisance d'une volonte soli-
taire apparalt, 1l0US voyons ceHe volonte s' égarer
et défaillir, et les intérets memes auxquels nous
aviolls sacrifié la lilJerle ont besoin d' 0tre défen-
dus librement.


La France lraversait une periodc de silence et
de sOllllneil quand la générutioll Ú laquello j' ap-
partiens est al'riVt"B Ú In jeunesse. Cest uu milil:L!
<le cAlle gell(~ration, condmllnée Ú lansuir sallS
lutte el suns cssor, que j'ai médite sur la destin("e
de 1ll01l pays. J(~ suis remonté dll foud de nutre
engourdissement vers le berceau agité de la
France nouvelle; je l'ai vuc cette France, il. son
premier pas dans une carricre 110n fray(~n, s('
precipiter d'une revollltion sans frein SOtlS uné
iluloritú suns limites: deux extremités que de-
¡mis lors elle ne devait plus dépasscr 1Ii Illelll('
alleindre, mais en tre lesq lIelles elle n' a cesse
d'osciller, et j'ai pensé que l'étude ¡}p la pre-
miere Révolulion eL du premier Empire me
livrcrait le secret de ses penchants contradic-
toires . .J' ni demandé, de plus, a ces deux épo-




lIf


'jues la mesure de su force ell face de \' Europe.
,~e nous ont-elles pas montre suecessivement,
ell dfet, ave e UIl éclat sans pareil, toute l'Eu-
rope irupllissante il sllbjuguer notre nation, el
noire natíon, á son tour, impuissante ú sUbjll-
guer J'Europe!


Pour Lien comp1'endre des vieíssitudes ú la fois
~í extraordinaircs el si instructiycs, j'ai, avaol
lout, interrogó les hOlllmes que nolre siócle a pro-
clames dans le domaine de l'hísloire contempo-
raino ses instituteurs et ses maltres: sur la Revolu-
lion, )1. de Tocqllcville; sur l'Empire, M. Thiers~
.Te pense, en e1ret, qu'en histoire comme ailleurs,
le vrai moyen, pour une generaLion, de décollvrir
et d'avanccr, n'cst pas de s'ecarler systómaLique-
ment des voies ouvertes par ses devanciers, mais,
au contraire, de mell1'e ú proJit leurs t1'avaux, de
les suivrc jllSqU'OÚ jls son1 allós, el d'alle1' de la
plus loin s'il se peut. C'est par ce procedé que la
grande é tude des lois de la llature se perfec-
lionne el s'etend, et que chaque jour le plus
humble (lisciple des La Place el des Cuvier pellt
ajouter quclque ehose á ¡cu1's découvertes; j' au-




1\ \Y\:\T··I'IlIII'()~


rais vouln appliquer le meme procede ;'¡ l' elude
des lois qui regissent natre destince natiol1ale.


J' ai done cherch6 d' abord ú determiner á que!
point ele vue s'étaienl places nos maltres eL qupls
moyens d'investigation ils avaicnt employes, aGn
de déduire de 1;\ quel aspect de clloses il leur
avait été donné d'explorer et d'éclaÍrcir. J'ai pu
ensuite dégagef les conclusions irrcfragaLles, les
resultats dófillitifs q lli ressol'lcnt de leurs ou-
vrages, et si des lacunes et des vides s'y renCOIl-
trent, j'ai essayé de les combler. Par ce travail
de critique, de recherdle el de réllexioll, je me
suis proposé de reclleillir, d fai I'ecllcilli, ayec
jOle, quelqllefois avec orgueil, les espérance:, de
la France nouvelJe, avee tristcsse ses mecomptes,
avec remords les coupables foutes quí ont changé
les espórances en mécomptes, ayer une invin-
cible confianee enfin le~ ressources cachees tOll-
jolll's au plus profond de IlOS malheur:,.


En poursuivant tour a tour avec un incompa-
rable clan an dedans la liberté, au dehors la
grandeur, HOUS "avons cornmis des exces, nous
avons subí des echecs. }lais ni ces exces ni ces




\ \ .\ 'i I l' j: (1 r n ~. \


éehecs ne uoivenl détouruer Ii! France d'aspirer
ú des biens faits ponr elle. Ils luí apprennent seu-
lemcl1l ú ne plus les chercher hors des voies d p
la justice; jls l'inslruisent ú n"prouver toute yio-
lation du droit COttllllC un dOIllllll1gC pt un póril
pour sa lleslitH"e nutionale. ilnolls ('st !lOIlG pPJ'~
mis d\~ ne pil'\ s{~parer h~ enlte de la j usticf' de
l'alHour de la patrie, el j'aí la cOllfiallce qll'nll
rulnHlH'ra parLolll (lallS ces I\agesla trace de cet
impérissitble amour, qui m'a eOflJmandó de res-
f)(~d('r 1(' pas~;(~ malgré Sll. ruinr el de eompter SIJI'
LHPllir 11I;dgl'(~ srs téni'hn~s.






LIVRE PREMIER




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GIlA PITHE P RE:\llER


De l'étude de la Révolution.


Des que la Hévullltion fl'a!l<;ai~e euL 6clató, elle !le
laissa perwIIIIc indiffél'ent. Elle par!agea llon-seule-
ment la FraIlee qlli l'acc()mplís~ait, mais I'EllC'ope qlli
la regarclait, entre l'cnthollsiasme et l'épomante,
l'aclmilaLion et l'IJUl'reur. A son aspec!, les hommes
lll! furen! d'accorcl fjlIe pour s'étonnel'.


La seule ]lation que sa projlre expériencc rréparitt
a la juger, l'Angll'lerre, entendit UCllX gl'ancles yoix
libres, l'une la glorifil r, l'adre la Dlauclire al! Ilom de
la 1 ihf:rt{>.




LInlE l' H Ull 1':[1"


« La nomelle constitlltion de la France, dit Fax au
parlement bl'itallIlique est le plus prodigieux et le
plus glurieux munl1m~n t de liberté qu'ait jamais \ll
construirc aUCUll sieclc et LlUClll1 1,aF. )}


Et Bllrl\e se leya iwssitot pum r0pliqller : « De la
canstitution ffLl[l~aise il ne prlll sortir (Iue tyrannie,
uIElI'l'hie, ojJpl'eSSiUll el esclinagc ..... Fuycllu cumti-
tmian frangaíse I !))


Ce disscntlment séparu pour jamais dellx hommes
étroitement unisjusqu'alors: il ne s'cs! pas éteinta\"cc
eux, il Ülll'e encore.


Deux \"ictim('~ de la HI)\ollltiul1, 1'11. de ::\laistrc et
JI. de Bonald, cntreprirent les premicrs de l'expliquer
du hilllt de lewfoi religieuse. Aux ycux de cU. de Jlai~­
tl"C, le~ J¡¡JIIl:lles qlLi l'e.\écllLaienL llisparufent; il 1Il'
restu que SJtan qui I'accornplissait par amoL!t' de h
destl'Llr.:LiuIl, eL Dieu flUi la permrtlo.it pour le ehi't.-
timent de la sueiété allcienne. JI. ele llollalü l'cnvisa¡.{ca
CUlillne une surte de péché origillcl iIlfcclant it Sil ra-
cine la SOCiÓtí5 numelle.


De I'autre coté, le3 m~ de ecUe ¿oeidé s'aUac]¡crent
ü la Il.óyulutioll eéillJ:llC Ü leur bereeall i po.rce qu'clle
,nait ere usé rntre cm (~t le passó un aoülle, ils sr
crurcnL iSSLlS d'elle ~eule, et c'esL ainsi qU'llIlC rl:\"o-
11ltiuIl qui ~'était proposé J'abolir toute traditioIl ¡¡ PI¡




L.\ HEVOLLJTIOl\'.


inspirer COlntne UIl étrange sentiment de piété filiale.
La piété filinle, par exemple, tout le monde le sait,


dicta les considérations célebres de madame de Slae!
et détermina, personne n'en est surp'ris, la plupart de
ses répugnances, aussi bien que ses préfél'ences. }lais
il n'était pas n{>crssaire d'etre femme pour porter sur
la Révolution un regard passionné, ni d'avoir 1\1. Nrc-
ker pour pere, pour se chercher et se sentir des an-
cNres en quatre-vingt-nellf.


Quoi qu'il en soit, qu'on exaltat la Révollltion ou
qll'on la réprouvat) qu'on vit en elle un principe de
vie ou un principe de mort, on s'accordait a la mettre
a part du reste de l'histoire, comme un événemcnt
uniqlle et pour ainsi dire surnaturel, sans relation, sans
proportion avec les événements qui l'avaient précédé,
la fin Ol] le commencement de toutes c1lOses en ElI-
rope~


Cet événcment extl'aordinaire était-il pourtant inex-
plicable? Dans toutes les sociétés hllmaines, les fruits
dll passé sont les germes de l'avenir. Cette loi géné-
rale a-t-elle cessé tout ü coup de s'appliquer a la
France en 178g, Oll hien an contl'aire la Révolntion
frangilise a-t-elle son origine dans l'ancien régime, et
comment en esl-elle sortie? Cümment la soriété con-
temporaine á son tour est-elle sortie de la Hévollltion?
S'il est un moyen de comprendre les aspects OppOSé8)
les caracteres cnntradictoires de la Révolution, c'est de




remonter allX cause::; diverses qui l'ollt amenée; de
meme que pour démelor les inclinations confuses de
la France 11 notre époque, ses périls, ses devoirs et ses
ressources, sa vocatioll et sa destinée, pour pressentir.
en un mot, ou elle doit allel', il importe avant tout de
savoir d'ou elle vient.


Une telle recherche n'intéresse pas moins le patrio-
tisme que la philosophie de l'histoire. Mais pour la
rendre praticable, il a fallu par mi nous soixante
années de vicissitudes; pOllr l'entreprendre, il a fallll
l\I. de Tocqueville.


Je n'ai pas en ce moment a retracer ces vicissitudes
qui reportent sans cesse nos regards vers le chaos d'ou
nous sommes issus.1l suffit de remarquer que dans ¡eut
succession elles ont réduit toutes les générations et tous
les partis a se demande!' com pte de leurs e:;pémnces
trompées; que dans leur ensemble elles présentent des
alternati ves pel'pétllelles pour la liberté, un progres
constant pour l'égalité. La liberté tour 11 tour monte
et descend et toujours chancelle, tandís que l'éga-
lité crolt et s'avance. e'est ainsi qll'on en cst venu
parmi nous a douter si les deux huts que la France, a
partir de la Révolution, avait semblé poursuivre, ne
sont point contradictoires.


Longtem ps les instit.utions libres avaient été regar-
dées comme le signe de noblesse des peuples démocra-
tique:,:" la sauvegarde de leuI' honneur, « la source fé-




LA IlLVOLCTJlL\.


coude des vertus mates et dos actions grandes ¡. )) On
leur avait attribué une ver tu capable de suftlre a toutes
choses, de guérir lellr.~ propres maux, de conj urer leurs
propres périls, et c'est pourquoi le plus illustre publi-
ciste que notre nation eut produit depuis ",lontesquieu,
avait présenté a la. France et a rEurope, en travail de
nivellement, les États-Unis d'Amérique comme le type
accompli des sociétés nivelées. Mais voilil. qu'en France,
ue ré\olution en révolution, la liberté n'a pas su pOllr-
,oir U. sa propre durée, et l'auteur de la Démocratie
en Amérique a été condamné ü voir un jour la délllO-
cratie fran9aise se laisser traiter comme incapable
d'indépendance. Ce jour-lil. une patriotique 'tristesse
remplit son ame; dans son propre pays il se sentit
exilé.


Cependant, 11 qllelles pensées s'arréter? Reconnaitre
d'ulle part l'uvénement de la démocratie comme iné-
vitable, et proclamer d'autre part la démocraLie vouée
nécessairement a la servitude, ce serait condamner les
sociétés humaines a un abllissement irr.Jmédiable; ce
serait blasphémer la Providence. Quand meme il
n'existerait point sur la terre de démocratie libre,
quand meme la patrie de \Vashington et de Lincolll
nous serait inconlllle ou deviendrait méconnaissable,


1. COi"i"c.\}!owlruu:e d~ JI. de 1'ncr¡uevi{{e, Lettl'e á mndame b\\"ctcbine,
¡am'iel' !R:jli, t. 11, 1'. 307.




LI VHE Pln~mEH.


un pareil sentiment ne saurait s'établir dam; un esprit
et un cceur bien placés.


Maig si les échecs de la liberté parmi nous ne résul-
tent pas de la nature des choses, ils viennent flonc de
la faute des hommes. Sous l'empire de sa gónóreuse
douleur, M. de Tocqueville rósolut d'en demander
compte aux générations diverses qui ont préparé notre
sort. 11 remonta d'abord aux hommes de l'ancien ré-
gime; il devait et voulait arriver ensuite aux hommes
de la Révolution.


Appartenant par ses tradit.ions domestiques ti la
France qui semble fin ir, et par le cours de ses études
et de sa vie a la France qui semble commencer en
quatre-vingt-neuf, petit-fils de Malesherbes et disciple
de Washington, il était né pour comparer les deux
sociétés que la Révo1ution sépare. Ses recherches et
son talent, ses travaux de publiciste eL son expérience
d'homme public, tont le préparait a cette entreprise. Il
venait de l'inaugurer avec éclat. Il ne l'achevera pas;
sur le seuil de la Révolution la mort est venu l'arreter
prématurément.


Avant M. de Tocqueville, plus d'uI1 homme d'État
s'était proposé de terminer la Révolution ; lui se pro-
posait seulemellt de 1'expliquer. La Révolution n'est
encore ni expliqué-e ni terminóe.


Ce que M. de Tocqucville et les écrivains qui 1'ont
précédé n'ont pas fait, j'ignore qui le saura faire; el




LA IIEYULLTION.


pourtant on ne peut s'avaneel' d'un pas dans l'histoire
ou dans la politique contemporaine si 1'0n ne s'est
orienté d'abord a tra vers la Révolution. Sur eette mer
orageuse et profllnde, S:lllS prétendre tOllt. sonder et
tout éclaireil',je voudrais chercher seulement quelques
points de repere qui marquent le droit ehemin entre
les écueils. Je voudrais, par l'examen de quelques
événements décisifs, diseerner le bien du mal.




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CHAPITRE II


De rancien régime : puissance royale et priviléges.


Le pl'emier observateul' qui s'est avisé de cumparer
avec méthode et sans parti pris l'ancien régime et les
institutions modernes a été saisi par Ull spectacle sin-
gulier. II a rencontró entre les dcux époques la Hévo-
lution, c'est-a-dire le plus grand effo1't qll'ait fait allClln
peuple pour (( couper en deux sa destinée)) et so renure
(1 méconnaissable l. )) Et pourtant, a mesure qll'il (~,o­
qllait de son tombeau la France qui n'est plus, il re-
trouvait chez elle les traits les plus earaetéristiques de
la Franee que nüllS voyons. Les dellx soeiétés sont sé-


j. ¡:aI/CIÓ¡ I'égill/~ ~t la Réo(j{¡¡liol!. Ayant-pI'OpO',




Ji Ll\HE PHE~IIEll.


parées par un abime, muis elles se l'es~emblent; l'une
a renié l'autre, mais elle est sa fille.


Au centre du royaull1e, un grand conseil qui régle-
mente toute l'aclministrlltion intérieurc, un controleur
général qui la dirige; dans chaque province, un inten-
dant qui l'cxerce ; enfin, des tribunallx exceptioIlnels
qui jugent les causes OU l'adrninistl'atioll est intéres-
sée, et couvrent ses agents: entre l'individu lt l'État
point de corps intermécliaire, Oll dll moins aucun qui
soit capable de se mouvoir de lui-meme, rntre le
pcuple et le roi point de puissance secondaire ; tel est,
dan s la prati'!L1e et lH. r,"alité des cllOses, rancien ré-
gime; et n'est-ce pas aussi la centralisation que nous
connaissons? Pour compléter la ressernblance, ajoutez
la ::,ubstance des affaires, le maniemcnt dll pou I'oir
rernis déjil. par la roynutó aux hommes nouveallx, et
Pal'is devenll par la nature dll gouvernement l'unique
motelll' de la France entiere, l'arbitre de ses opinions
et de son sort 1,


Iln'y Q qll'une sculc institution Jc rancien régime
quí manque d{>cidéll1ent a la France moderne : c'est
une noblesse et un clergé privilégiés,


.1 e parl,~ iei des pri viléges politiqlles et ci vils du
clergé et nullement de son autorité spiritneIle. Ce n'est
point ce genrc J'uutorité qu'on a pu lui ravir. Au con-


L L'AI/ciellnigime el/a Rél'o1uti0ll, Jiy. "., chal'. VIl.




LA RErOLUTlON. 13


traire, en perdant ses prérogatives dans l'État, il a
repris son ascendant SUl' les ames. La Révolution n'a
partout atteint el définitivement ruiné que le privilége.


On peut se demander pourqlloi cette guerre aL!
privilé30 a éclaté en France plutót qu'ailleurs, u cette
époque de préf',;rl'nce a tOllt alltre.


Serait-ce a. causo de l'indignité personnelle des pri-
vilégiés? On 1'a dit tallt qu'a duré la lutte ou le res-
sentirnent amor qu'elle laissait apres elle. Mais le
temps ost venll de remIre enfin jllstice allx vainclls, et
l'OIl rcconnalt aujollrd'hui qu'en dépouillant le clergé
on a privé la nation d'une garantie d'indépendanee, et
qu'en extirpant la noblesse on 1'a énervée 1,


Serait-ce paree que b puissance des privilégilSs était
écrasatlte? 115 n'en avaient plus. Quand la Révolution
éclata, les ordres de l'~~tat ne formait~nt plus corps, la
l'oyauté avait aboli et remplacé sur toute la faco du
l'oyaume les dernicrs restes de l'autorité féodale; le
seigneur n'était gU8re plus dan s chaque paroisse
« qu'un premier habilant 2. ))


La vél'ité e,t qu'en cessant d'étrc une institution
pülitiquc, la féüdalité était resté e une institution civile,
et c'est précisément paree que ses prérogatives n'é-
taient plus 1(' signe Lle la puissancc, ql1'elles ont. sem-


í. L'AflClt.!ll ¡'/;(j¿'/IJ(' el /" U¡;/'U!"//O!l. li\. 11. ('11:'1 JI. 11.
e!. "'ir!" lir. 11. "l'''i'' l.




1 ,~ LIVRE PREMIEn.


blé odieuses. Nulle part en Europe les nobles ne gou-
vernaient plus l'État; mais partout ailleurs qu'en
France ils administraient le pays. Chez nous seule-
ment ils n'avaient plus, si cen'est a l'armée, aucun em-
ploi, et néanmoins ils contin uaient il demeurer exempts
des charges communes, il recevoir des honneurs pu-
blics, a toncher meme a leur profit certains impots.
Tout ce qui dans le régime féodal pouvait protéger et
scrvir avait disparu ; tout c,e qui pouvait irriter et nuire
subsistait. Des privilégrs sans fonctions parurent ill-
slI(JpOltables, et se trouverent désarmés.


Ainsi, les prérogatiws ele la nobJesse, HU ¡iel! de la
placer ü la tete de nation, l'en séparai1mt. La bour-
geoisie a SO[[ tour s'éloigllait du peuple. Les rois
arant pri~ l'habitude d'imposcr et de grevel' Icms Sl1-
,iets san:; leur aveu ni leur controle, IIul ne s'cfforgait
plus d'all¡\grr le~ charges publiques, mais chacun tra-
vaillait it :ien affranchir. Au bas de l'échelle, les
pay6ilfls supporlaicnt presque seuIs tout le faix des
ahus, non que Ilcrsonr:e voulut les opprimer, mais
parce qu'ils étaient délaissés par tout le monue. SOllS
un maitre de qui tout dépendait, les classes diverses
ne trouvaient pas l'occasion et ne sentaient plus le
besoin de se concC'rter et de s'unir. En SI' niyclant,
elles s'isolaient 1.
"----~----~- "-----




L.\ n I~V OL U TIO N. 13


Ce n'est pas tout. La vie politique étant éteinte,
gouvernants et gouvernés avaient également perdu
l'expérience des mouvements et des sentiments popu-
laires; et voila comment « les Frangais ont pu tomber
« dans une révolution terrible sans la voir, les plus
«( menacés par elle marchant les premiers et se char-
( geant d'ouvrir et d'élargir le chemin qui y condui-
c( sait j. »


Révée par des hornmes de lettres et non préparée
par des corps politiquea, cette Révolution a prétendu
fonder sur la thóorie pure une société nouvelle, elle a
été radical e .


Soulevée contre l'autorité religieuse en meme temps
que contre l'autorité poli tique, elle a été sans frein.


Éclatant dans un État centraIisé, elle a ete irrésis-
tibIe et soudaine.


Enfin, accomplie par le peuple le plus étonnant de
l'univers, elle a (·té prodigicusc.


Les précédents de la Hévolution expliquent done
son caractere. Ne font-iIs pas comprendre aussi ses
résultats? Si vous n'envisagcz que quatre-vingt-neuf a
son aurore, l'amour de la liberté ne vous semble pas
chez les Frangais moins ardent ni moins sincere que
celui de l'égalité~ Remontez plus haut, et vous recon-
naissez que l'égalité était pour eux une passion cons-




16 LIVRE PHEMIER.


tante et profondément eoracioée, uo fruit mftri par
les siecles: la liberté, au contraire, longtemps oubliée,
apparut comme un besoio nOllveau, un idéal généreux
mais éphémere. Faut-il s'étooner si l'égalité s'est dé-
veloppée, si la liberté ne s'est pas fondée? Entre le
pouvoir absolu et l'anarchie populaire, entre l'anar-
chie populairc etle despotisme, il Il'y H pas eu de poiot
d'arret.




CHAPITRE 111


Comment la royauté frangaise est devenue absolue.


Si l'on s'en tenait a cette premiere vue de l'ancien
régime, la monarchie serait seule responsable de la
Révolution et de ses conséquence~. Il faudrait croire
que c'ost uniquement paree qu'elle avait óté aux pri-
viléges lem mison d'ütre que la Révolution les a dé-
truits; parco qll'elle no nous avait pas préparés ~l la
li hArté que la Hévolution ne nOllS a pas rendus libres en
achevant de nou~ l'onure ('gaux. A I'ancienne monar-
chio .~eraient imputables a la [ois la ruine de l'anCiClJllO
société el, les illfil'mité¿ de la société nouvelle,


Tello est la placo immcnsp. q lle 11 royauté tiont dans
2




IR LIVIIR PIlEMIER.


notre histoire. Comme on ne peut louet' le passó sans
la célébrer, on ne peut le blamer non plus sans l'accu-
ser. Elle a compasó l'unité nationale et elle a institué
la centralisation administrative. Elle a formó la F,rance
moderne el elle a préparé la ltévolution. Elle a fait,
soit en bien, soít en mal, la destinóe de la patrie.


Mais comment elle-memo était-elle parvenue a une
destinée si grande? Comment avait-elle pu croltre
jusqu'á s'épuiser et [lérir? A quelle cause légitimc ou
non attribuer l'extraordinaire puissance de nos rois?
POUi' le savoi!', il faut remonter loin dan;; notre histoire;
et pourtant cet examen me parait indispensable, afin
de j I1ger une róvolution qui, sans extirper du monde
le pouvoir absolu, a 1'enverSfí l'antique clynastie.


JJ placera, J'aillcurs, sous nos yeux deux grandes
lois saIlS lesquelles cette 1'óvolntion serait irll;xplicable :
l'une, que les peuples sont re:ipoIlSubles de leurs gOli-
vernements; l'al1t1'o, que l'ana1'ebie a ponr rÁsllltat. na-
turel et ponr terme un maltre.


n serait diffieile d'indiquel' pl'écisément a qncl mo-
mcnt le pouvoi1' absolu cornmeng3 d'étre exerclÍ en
France. l\Iais si 1'0n veut fixer a paL'ti r do quelle épo-
que il fut définitivement établi, il faut s'arreter á
l'époque de notro histoire qui fut, avaat cclJe qui nous
occupe, la plus orageuse, au XVI C ¿jede.


Si l'on recherche quel óvónement dótermina son
établi~sement, on rloit signaler lr premier tri(,mphe




LA lIÉ\'OJ.UTlO'i. 19


de l'esprit révoJutionnaire en EurOlle : je protestl1n-
tisme.


Considérez, je vous prie, au début dn XVI" siecle, le
propres des institutions et de l'esprit public en Eu-
rope: vous verrez les nations chrétiennes tendre vers
des gouvernements réglés et tempérés. Regardez en-
suite a la fin du siede, apres que laRéforme a livré Sil
bataille et marqué sa place: partout les gouvernements
sont ou deviennent absolus. Partout l'institution qui
est demeurée la plus 1'orte, aristocratie, démocratie,
royallté, éearte les freins qui la contenaient, et" ici
pour imposer, la pour repoLlsser la foi nouvelle, la li-
berté demeure étouffée.


En Franee, e'était mallifestement 11 la monarchie
qu'il appal'tenait de prévaloil'. Depuis les premiers
jours de nol.l'e hi5toire, la royauté et la nation avaient
graneli dB concert, et la prépondéruncc de la roputé
avait été définitivement consacrée le jour OlI la nation
avait été pou!' jarnais sauvée de l'étraIlger. Apri's les
déchirements OU IlOUS avions failli pé/'ir, au sortir de
la 1l10rtellc étreinte des Anglai,:, la maison de France
était apparue au sommet ele l'État comme le gage vi-
vant de l'indépendünce, de l'unité et de la perpétuitll
de la paLrie. Elle domina des lot's sur les elunjons eles
seigneur~ et sur les 1efl'rois des cités, tete rl'un ¡¡cuple
qui ne clevait plus former qu'un seul corps.


}Jais ce corps serait-iI inCl'te ou libre? Les hommes




f.I V 1\ E r In: \11 E 11


du XVI" siecle avalent cette question ü résoudre. De la
nobles58, des commllnes, de tontes les puissances
éparses, de toutes les franchises 100:ales dont la vieille
terre de Franee était hél'issée, jI pomait sOl'ti1' une
liberté réguliere et générale. Si l'inclépenclance féodalo
et l'ind¡'pendance municipale, donnünt naissance a des
institlltions représentatives, avaient Sil contenir, en la
respectant, l'auto!'ité someraine, la France n'aurait
cessé d'~tre un État mMcr!f'· que pour devenir une
rnonarchir, tempérée.


A yoir les États-G(:néral1x, les Asscmblécs des nota-
bles, les États des provinces se réunir autour du prince
ou tL son appel, a entendre leur langage a la fois naIf
et hardi, t'cspcctueux et fier, il ótait permis de l'espé-
rer. La guerre que Fran<;ois le1' engagc et que Henri II
sOlltient contre la maisoll d'Autriche ajourne cet espoir.
DaD:'; ectte longue et terrible 1ntte OÜ sc déLattait nOIl
plus l'existence de la Franco, m"is sa place et son rang
en Europ8, le chef arm{í de h n:ltion rassemhle dans
Sil main toutes les ressuurces de ectte n:ltioIJ, scule de-
boul cDntl'e un Empirc ~ans bornes. Par ses YLlstes et
continllolles üx[!('cliticns, il occupe sa nohlesse et la re-
tient a ses catés, dans une g(;nén~Llse mais étroite (1{,-
pendance. Au moyen de son coru.;ordLlt LlVCC Léoll X,
il nornme a tous les bénéfices, dispose du patrimoinp
de 1 'Église et s'a~slJjettit le clergé. Enfill, pom sulnpnir
a ses grrlllrlp,; glHTrrs, il Ptnhlit ~nll~ J(~ 1;1¡I1Spntemellt




:!l


des États des impats nomeaux sur le peuple, chan~
geant ainsi en habitude de gOllvernement quelques
actes arbitraires de ses prédécesseurs et méconnaissant
les \Taies traditions de la mouarchie; car dans toutes
les nations chrétienIle:;, l'octroi de l'irupat par qui le
paye avait été J'egarelé C0111 me la conséquence et la
sanction du uroit ele propriété. JI n' est en la puissance
de prínce du monde, disait-on, de mettre imput d son
plaisiJ' sur le JJcuple) non plus que de Jll'endre le bien
d'autl'ui l •


Ce n'est pas que cet octrúi de l'impót eut encore
habitué les pcuples a participer a toutes les résolutions
du prince. Le gouvernement représentatif pouvait
sortir de ce principe; il n'en était pas encore sorti
quand Franyois ler le méconnut. En effet, les taxes
une fois accordées étaient réputées perpétuelles, et
d'ailleurs, la royauté féodale tirait ses principales res-
sourccs de son proprc domaine; c'était surtout a titre
de redevance seigneurialo qll'elle obtenait de l'argent
et des soldats. Une taxe nouvcllc était un cxpédient
extraordinaire, allquel « di/e (aul venir, écrit Ull pu-
blicistc du XVIC sieclc, Bodin, si tous les autres moyens
ne dé(aillent 2. )) Tel était ce qu'on pourrait appeler le


l. RepllMir¡llc, par J. Bo,lín, liv. 1, chapo VTlI, rt liv. VI, chapo fI.
~. ¡h¡ji., liy. YI, "hap. 11. - Voyez ,ur Bodin, IR pl1lllici,te Ir, plus


r:on,irléml¡]e ,In xn e Sil\dl', UI! liHe intl;ressilnt [luhlil\ par ~J. Bandrillart
en 18":3 : J. Bodi" r:t SVII tClIlpS; tableau des Ihéol'ies pulitiqueo el des




22 LIVHE PHElIlJEH.


systeme financier du moyen agc .. Mais, au moment
meme ou parlait Borlill, le progres de la civilisation et
de l'unité nationale, le changemen t des institutions
militaires, la substitution croissante des armées per~
manentes au service féodal, tout augmentait h la fois
l'óclat, l'activité et les besoins du gouvernement. En
me me temps la dépréciation de la monnaie résultant
de la découverte de l' Amérique atténuait singuliere-
ment la valeur réelle des anciens impots. Pour suffire
a l'adrninistratioll aussi bien qu'a la défense GU
royaurne, des taxes nouvelles étaient donc in0vitables,
et le trésol' royal dcvait devenir de plus en plus le tré-
sor publico


Si ces taxes étaient uemallLlées al! pcuplc, il partici-
perait tout alltrement qu'il ne l'avait fait jusqu'alors
a la direction des affaire s ; si elles ne lui étaient pas
demandées, le roi s'arrogerait un droit qu'il n'avait
jamais possédé. En uu mot, les ressources ue l'Etat
devant s'accroltre, il fallait que le prince devint plus
puissant ou le peuple plus libre. Ce ne fllt pilS la liberté
qlli l'emporta sous FranQois leT; elle avait commencé it
(jtre mise a l'écart avant qu'eut paru la Róforme.


Elle vivait pourtant encore, sllspendue plutot que


idees éCOJlOln"ÚjUC8 au XSTC sü?(.'lp.. OU\Tago cuul'unllé par l'Acauémle
frall~'i1i;..:e. C'~sl (lilll~ le;-; 11'U\Te~ (le eIJ41iu, HU m¡"nw d(lll~ rall~d:-~t, !jll\:'ll a
dUlln,:'e .il. J)illlllrillarl, 'i1l·"l1l"llt le; mic'ux "li,ir h tr:'ll,ilir<ill'l1ll"<· Le Ihr"r-
rie de la mUIlilrehie temp,ln,,, el la tLeuri" ue la lllonarchie absolue.




L.\ R IhoLPT/O:'ll,


supprimée: les publicistes attestaíent unanimernent le
droit de la nation a ne point étrc imposée sans son
aveu, les citoyens y croynient toujours, et le prince, en
le laissant dormir, n'avait point prescrit contre lui.
Elle vivait la libertl', surtont au fond des ames. Elle
per~ait dans le m{l.le lüngagc, dan s les fieres al1Ul'es
des magistrats el des gentilshommes, et, quelle qu'ait
été l'isslle des agitations qui éeJa/erent sous les der-
niers Valois, elle" prouvcrent LIu moins que ni le gout
ni le courage de l'indépc,ndance n'étaient alors éteints
parmi les Fran.¡ais.


Le protestantismc était survenu : soulevé contre le
plus légitime des pouvoirs, jl avait appelé sous son
drapean quiconqlle était avide d'affranchissement.
A ce besoin d'affranchissement il avait paru donner
d'aboru une vigueur llouvellc, une portée plus haute.
En l'éalité, dans l'ordre politique aussi hien que dans
l'ordre religieux, iI poussait les hommes a détruire l'au-
torité au lieu de la contenir, il sllbstituait a la ré-
forme la réyolntion. Pounit-i] en ótre autrement?
L'Église tonait une place trop grande clam, les tradi-
tions et dans lc~ institlltions des Ittats chrétiens ponr
Llue ceux qui s'uttaquaient 11 l'Église ne tendissent pas,
füt-co meme 11 leur insu ot contre lour gl'é, 11 houle-
verser l'État. D'aillellrs, on rompant l'unité catho-
lique, la secte nouvelle travaillait partout 11 se con5ti-
tuer sous forme d'église nationalo; dans chaquo pays,




24 LIYHE PIlEmELl.


elle se cherchait un centre la OU elle voyait le centre de
la nation; elle aspirait a dominer le peuple au moyen de
la puissance civile. Des lors il fallait, al! sein des mo-
narchies, ou qll'ellfl s'emparat de la royauté et s'en fit
un instrument, 011 qll'ellc la brisAt; dans les deux cas,
qu'elle accomplit une révolution.


Telle était la natlll'8 propre du protestallti~me. En
France, il a poussé ü la révolte ce qui restait parmi
nous d'indépendance féodale et municipale; des tré-
sore, de hardiesse et de dóvouement, d'habileté et
d'ónergie, des trósors qui auraient dli nous acquérir
la liberté politique, se consumcrent ainsi dan s les
guerres de religion. Au milieu de ces déchirements,
un instant la royauté, ~ans vigueur et sans honneur,
s'atfaisse, et la France se croit perdlle. Un effort libre
ot spontané du peuple, séparé de son chef naturel, em-
peche l'hérésie de prévaloit·; mais la Ligue ne parvient
pas a se gOllverner elle-meme, et tout demeure en
suspenso La royaut.é se releve avec Henri IV, et la
France est sauvée. Seul, le r()i aSSllre dófinitivement
dans l'ordre et dan s la paix l'accomplissement de la
volonté nationale: la suprématie dll catbolicisme; et cn
meme temps il inaugure entre tOlltns les libertés
la plus nécessaire : la 1ibertl\ religieuse. Des 101'5 le
pCllple, fatigué, achiólVe de cunsidérer la puissance royale
cumme son bien commlln et met en elle son unique
e51'olr.




L.\ H EYU LUT 10 \.


Aussi, des que eette puissance, tombant en des
mains plus faibles, fléchit et s'éclipse, qllelle inquié-
tude I Quels VCBllX pour qll'elle se releve et se déploie
tout entiere I La derniere fois que la nation assembléo
ait fait entendre sa voix avant 1789, aux États de f614,
qu'a-t-elle demandó par l'organe de ses mandataires
librement élus? Qu'a demandé surtout et en propres
termes le tiers-état? Que «( l'autorité du I'oi soit et
demeure absolue sur tous ses slljets i. » Pourquoi?
L'oratellr du tiers-état va nOlls le dire : apres avoir
exposé avcc autunt de vigueur que d'indépendance, et
dans un langage qui assurément ne sent pas le cour-
tisan, les tristes résultats des ¡ongues discordes, les
abus r¡'~pandLls partont) les viees et les malhenrs de
toutes les classes, il s'écrie: «( Qui pourvoira dOllc il
ces désordres, Siro? Il faudra (lile ce 50it vous; e' est un
coup de rnajesté. ))


Ainsi parlait, au nom de son ordre, le président de
la chambre uu tiers, le dépllté de la viHe de Paris,
Miron, prévót des marchancls. On peut parcourir d'nll
bout a l'autre le~ cahiers, les proccs-verbaux, les dis-


1 . .Te lI'j~TlOrc p'" quc e,'t ,"'li(;lo. <111 rahier elll tier,-¡':Iot Moit Rpériale-
mrnt r1irip:Á r.nlltl'p le ('lp1'8'(" et eontre la plli:-:s,1nr.n que le pape !lvait pre-
lpwlll, di:..;ait-oll, S';¡¡TOg'('1' dllr;lllt la Lip;ll~ :::111' la ('.~lIl'nnnr de Francr.
~Iai;, enrl¡"lillitiw, Ir, lierH\tat 1l\"(,1it P"' moillR jalollx (les libertés de ]il
uoble"c ql(C: ,le, libnV\, di) rE~·li,,'; illlf' rleman,lait p01l1' llli-meme all-
eUlle libel'té, d ('.',,"t biell de l>mIOl'if,J absflfue rlu 1'0/; sU!' laus ses
'ujd~ qll·il altrmrJait j'abaisscmelll ,le toul ce qni, a tor! Ol) ¡, raisoll, lui
portai! olllbrap-e,




L 1 V R ¡;; l' l\ 1-; M 1 E Ii_


cours de :16i4 ; UII y trouve la réforme des finances
longuement réclamée, librement débattue. Mais du
droit de la natio!l de se taxer elle-meme et de n 'elre
point imposée san s son aveu, pas un moto Ce uroit
que ses mandataires avaient auparavant toujours re-
vendiqué, ils semblent alors ne plus soupl)0nner meme
qu'elle l'a perdu. Ils ne tai~ent au roi aUClln de leur~
griefs contre son gouvernement: ils Il'en attendent
que du roi seulle redressement t.


Vous voycz la le terme d'une ere de désordrc et le
point de départ de Richelieu et de Louis XIV. La liberté
exige l'effort, et les peuples se lassent prumptement des
efforts stériles. Pour que la liberté vive et dure, il
importe qu'clle soit visiLlerIleut féconde. Est-ce a dJre
qll'un gouvernement tempéró fül alors fatalement
impossible? Non, ce qui est excessif n'e:3t jamais né-
ccssaire : seulement il faut reconnaitre que si le gou-
vernement royal n'a pas été tempéré, la faute n'en doit
pas retomber sur la royaL~té seute, et de plus, il ne se-
rait pas juste d'ollblier que dans le memo temps ou le
roi de France devenait le pI liS absolu des sOllverai IlS,
il rendait sa nativn la premicre ele l'Europe. Il ,erait
étrange que l'époque ou la France a gran(]j davantage,
non-seulcmcnt par ses armes, mais par son génic,


1. Ynycl. lfl ne!(ff/nJi rle\' láu/\' de lti1'i, par rlorilllolld HalJilH', qui ('Ji
lai,;ait parLi'é.




LA H~V(}LUTJ(lN,


l'époque ou elle a cunltU et donné d'elle-memo au monde
l'opinion la plus haute, fUt une époque on elle se sentit
opprimée. Il n'en est rien : l'assentirnent nationul Dt
d'abord la forco du pouvoir absolu, comme la gloire
nationale son éclat.


Au fond) pour devenir absolue, l'autoritó royal e
n'avait pas eu a détruire parmi nous la grande liberté
politique; car nous ne l'avions jamais possédée. Ce qui
a dépéri sous son poid:;, ce sont los libortés provin-
ciales ot lllllnicipulcs somées partout par lo moyen age,
Non qu'elle ait entrepris systématiquement de les abo-
lir. Quand ello tomba, apros cont cinquante ans de
régime absolu, des assemblées provinciales adminis-
traient encore le tiers de la France j, et les villes éli-
saient leurs magistrats llartout on elles avaient racheté
le droit de les (;Ure. La funeste et coupable mesure
qui, vers la fin du XVII' siecle, avait substitué la vénalité


l. J" di, lu tic,', '¡'''l,,'i', ~I. Rall,lo! (fa FNiII~e (¡/'(Iill la /{écolulion).
~I. d" Trw(lu,'yill" dit ,,,uhn,'ut 1" fIuilrt; mais il Olllet Llu uOllll'tur la
Provelle':, JI ",t Yl'ai 'lu'en tI¡(i(i 1,,, Etals d,; Pr,)yencc aVili"nl ,"lé ,uppri-
me~; lIlai~ pOlL!' Nrc l'CIllplrU:l'S {)dI' l'A:-'.st'llllJh~e dl':-' conln1lm(luL!~'~) c'e:-:l-
¡HJire qm' ¡'imp"lt fut ll,\,ormili, \ oV, ct répartí par le, rqll'léSt'ntanb de
eeux qui le jlapil'llt. Jl n\ ,'nI plu, d'orrlre, ,,"pan\, ¡[an, le, Assemblées
de Prov(:nrp, JI p~t a~~!:'z sing'nlil_'r dl' yoi!' LOlli~ XI V I~t:-tblir dan:;: cette
province pr('ci,émcnt r,o C[nc, le ti8I'S-l'!a! a rcr.!amó un ,i;'ele plus tarel
poue toute la Frilnm. '\[irabeall a cit" cnmme un miJllde la cUllstitution
proyenr;ale, ~I. 1'1)l'tali, il [ll',\scntc COllllllC le Illeillem de (OllS le mude
d'iml'<!t étai>li dan, ce pit" (De l'l/sr(yc ct de l'aúus de l'esl))'it !Jhiloso-
phique, t, 1/, chal', XXXII), De lIO, jOlll" enfln, la constitlltion !,l'iJwn,illc
a ét,j tn\,-hien Merite par .\1. Ch, de Rihbe : Pas~(¡h~ d la Constitutioil
provenfale.




28 LIVHE PREMIER.


a l'élection n'était pas résulté d'un caleul poli tique : ce
fut un expédient purement fiscal.


11 semble, en eifet, que le roi pouvait gouverner S011-
verainement l'État et laisser au-dessous de lui les jJro-
vinces et les villes s'administrer librement elles-memes.
Plusieurs publicistes et probablement quelques princes
de l'ancien régime avaient eu cette pensée. La vieille
royauté, d'ailleurs, séculaire et incontestée, n'était ni
violente ni précipitée par natUlre, et jusque dans l'exces
de sa force un secret instinct l'avertissait quand il
s'agissait de détruire. LaRévolution a partout aboli en
un jour des franchises qui avaient survécu a un siecle
et demi de pouvoir absolu.


Mais tout se tient dans les soeiétés humaines. Quand
la liberté ne s'étend pas, elle se resserre. Quand elle
ne monte pas au sommet de l'État, elle en abandonne
peu a peu toutes les régions. Quand le gouvernernent
est absolu, l'administration tcml u le devenir, et c'est
ainsi gu'a partir de lUchelieu s'évanouissent sans bruit
et sans lutte la plupart des états proviuciaux. Ainsi
tombent en ruine les CÜIlstitutiüIlS municipales. Celles
memes de ces antiques institutions qni subsistent
encore languissent ; au lieu de se réformer, ellcs dégé-
nerent; le CCllUr du peuple leur échappe et tend vers
les princes 1.




1..\ H EVI'LllTIO~.


Lorsque les rois voyaient tOllt s'incliner Oll s'efl'acer
devant eux, il leur aurait f311u pour rcstreindre leur
puissanee plus d'énergie pcut-etrc qu'ils n'en déploye-
fcnt pour l'étendre au l'cxereer. Ce qui eonduít a le
penser, e'est que eclui d'entre eux qui a commis le
plus d'aetes arhitraires cst précisément de tous le plus
indolent ct le plus mou : e'est Louis XV.




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CHAPITRE IV


La société franyaise sous la royauté absolue.


Étant remonté a l'origine du pouvoir absolu, nous
pourrons mieux juger ¡'llsage qu'en ont fait les rois e
les résnltats qu'il a produits. Nous saurons enfin com-
ment il IlOUS a conduits a la Révulution.


Mais iei encore une eontradictioIl singuliere semble
sortir du fond meme des choses et de la vérité de
l'histoire.


Prenez les aetes des rois absolus, vous les trouvez
occupés a eombler la distance qui sépare les classes
diverses de la nation. Regardez ensuite la soeiété
sortíe de leurs maios; vous y voyez toutes les classes
irrémédiablement désunies.




I.I\'HE PBEM[EII.


Je voudrais montrer au lecteur, tel qu'il m'apparait,
cet étonnant contraste, et si je parvenais ensuite a
l'expliquer, nous aurions, je pense, a moitié compris
la Révolution.


La noblesse frant¡aise n'avait jamais été, quoi qu'on
en ait dit, a proprement parler, une caste. Durant
l'ere féodale, la possession d'une terre noble avait été
le signe in contesté de la noblesse, et les roturiers, al!
moins a partir des croisades, purent acquérir des terres
nobles i • Mais eette aceessioll a la noblesse était singu-
lierement difficile el rare. Le premier usage que les
rois firent Jo lour prépondérance fut l'institution de
l'anoblissemellt par lettres patentes et par titres d'oi'-
fiees. Des 101'5 la noblesse devint J 'objet et le terme des
efforts de toutes les familles 2. Toutes l'atteignirent des
qu'aITranchies do l'obligation de travailler pour elles-
méme, elles se consacrel'ent a servir l'État. Vers la fin
de la monarchie, les anoblissements se multiplierellt
meme a l'exces. Au temps do 1\1. Necker 3, quatl'e mille
----_ .. _-- ------------------------- --- -------


l.. Voyez f:lU' ~e point l'A0I'égl! chrollolor¡ique des érlils, etc., Sil,' lo
noólesse, p"r Ch(~rin, 1788; Di>cilul'~ preJilllilJai"", ji. 2U; A1Jl'("~I". JI. :j;
el les Onlonnanccs des rOl:S de la f,'oisi(~IIl(: ),(UX~J IJllJdi('~tj:-, p;¡!' Lallrit"n'.,
t. J, p. 2n, d RurllJllt Ja préfac'H rln YO]Ul1IU "" Ill,jl F/'UI/c-jie/'. Lallll-
bli,sement par Jetlres patentes ét"ít prati,[u'; r1"[Juis ¡'¡USi,'ur, si¡\ch's, 1,,),-
qu'en LijO Ilenri llJ déclam ¡lefinitiyc,Hl!-ul 1[111' l'af"¡I¡j,iliIlU rl'lIlle \<'¡TI'
noble !le confererait pJus Ja uo])l""". Ctt elJit fut rClul" ,111' le, n'clallla-
ti0n:o; de la noblesse; n':,iten!t'~ Ú plusicUI":3 fl'j)J'i;-;e:-:, lluLUll11Il:lIt ¡tll\' dat~
de t560 (A0régé de Chrrin, p. 65).


2. M. de Bonald, L¡':;islafiolt primitive, Intro¡)lIr:tillll.
:l. Cite par 1\J. do Tocqueville, Jiy. ll, chapo lX.




LA nÉVOLUTION. 33


offices anoblissaient. Aussi l'ordre de la noblcsse,
au moment OU il uUait disparaitre, sortait-il presque
tout entier du tiers-état; 11 peine un vingtitllne, écri-
vait en 1788 le généalogiste Chérin, pouvait-il pré-
tendre 11 la nobles se immémoriale et d'ancienne mce i.
Et sur qui s 'étaient accumulés les dignités, les titres
el les seigneuries? Souvent, on le sail, sur les familles
d'origine récente. Louis XIV avuit placé des fils du
tiers-état non-seulement dans les ministeres, comme
ses ancetres, mais jusqlle dans les charges de cour 2 et
el a la tete des unnées :l.


Le meme esprit, il est vrai, l1'in5pira pas tüujours
ses successeurs. La monarchie absolue dans sa déca-
denco parut tenir plus do compte de la naissance
qu'elle no l'avait fait dans su vigucur l. 1\lais le mou-
vement qui portait en huut la bourgooisie était douné,
il ne dépeudait plus du vent qui soufflait ü la cour de
l'arrCter.


1. AIJI'égé r:/u'onnlorrir¡ue de Cbt'l'iu, di~coul'~ pI'élirninail'L-; in liNc.
2. Par l'\rmple, Potiel', dile d,' Ternw, l'I de Gc,nes, capitaiuc rleo


ga¡'r!es pt ]lr~mipr ¡::entilhornmr: de l:t chamhrA dn rr,i, i"tI '¡'nne f;¡mille
parlemr~lltaire; Colhert, 111anlui:-: de Sciguclay, rnaitre (le Lt garde-r0!Jp
du roi, ctc. (Yoycz ll! C!ics//l1!¡e de,' BOl/S.)


3. Fallert, Catinat, DlIqllt"lII', DlIg'Uily-Trnnill, etc.
4. Cela "illt fI'aiJ(j),d tI"lll]P réactioll ron(l''' Loni, XI \", rcaction dont O!l
troun~ la ,-¡";e ü;¡r,e dan::; le:-: ~ltml()il'ei-' dr Srtint-SinlOu, et le pré~ag;e
jusque dan, lt" órrib tic Feneloll. Cp!:t ,'int ensnite de lit failllesse .In gou-
vernemcllt en face ,les illflllcuccs .le ':our, llout jc signalcrai tout it ["heure
le funeste cal'actere. Les ~ljgnilós el:clét)ia~liqlle;-; ll'echapperent pa,-; Ú ecUe
tfl1flauce, el la fLllnell~i~ onlOlllliUlt'l' du llFlrprho1l de Sp,P:llt' :'-llt' lp:o: grarlp:-.
militall'e:::. f->!1 fut la dBl'lIi¡,I'f' P:\pi'f'",~i()ll.




LIVRE PREMIEI\.


De plus, les rois a vaient ádmis les familles de h
bourgeoisie a participer aux priviléges de la noblessc,
meme avant qu'elles pénótrassent dan s son sein. Des
armoi1'i8s et d'autres distinctions honorifiques!, des illl-
lllllnités d'impots 2, quelquefois la Iloblesse personnelle
ct non transrnissible 3: voíla cc fIll'ils ayaient serné ga
et la, assez capricieuSclllellt sans doute, mais en défi-
nitive, a pen pres a tra\ers tous les rangs du tiers-état.


TUlltefois, si les priviléges en s'étendant ne s'Maient
pas a1l6gés, ils al/raient chaqlle jOlll' écrasG daYólntnge
la classe qui n'en nvait point: le peuple. 11 n'en fut
pas ainsi. L'adrninistratiull lllonarchique, en devenant
plus active, rnultiplia, iI est vnti, les charges LtLlssi bien
que les services rutlics, et jJLlnni ces charges llouvelles
qlleIques-unes peserent spécialement sur le pellple des
cJmpagnes. CelIes dont le poids lui sembla le plus
lomd étaient la corvée royale, c'est-a-dil:e une conéc
im:.lginée et imposée par les intendant:3 pour l'exécutioll
el, ]'í~lltl'etien des chcmins et autres travaux d'un intérCt


1. YO,~ez rJ,'tluJ/'iu! rll\,':"::":G dall:-i t'Jlltc:-' los pl'l)\'illC('~ dl' Fl'lllW¡~ -n'r~ h
tin ~11l XYIle :..:i¡"cllJ el. (,:¡ll:-:('l'n~ lllaiutcll:Lllt h la Biblil)f~l('qll(' illllll"rialc: 1('..:
1~{Jnrf!'l'l)i:, ii).!'l1l't'lll ell ldll~ 1-!'l'i"ulIlnui.u!HT ll"¡¡(-ttre (JIU' k:..: !lOlJJI':-\, I! ,\
;1 (k:~ quí Ollt 1111 1~I:ll;';~llll.
~. BCClllCdllp ,rjmm:Jl!it,~·, (1" la t:l;]]" el (1,1 (1r,,;l ,[,> fl·'!lI.>lj·f ""a;ent


ele acrllli:-.~:' Vlr r(~l't;lilh':' Yilll~~, td! ':": (jIte L:\ Uil, Pil)'i~: d '1'1)11:1111:-:1;; CE'r-
hin';.: prUfl'C'i:..:ioil:-!) tdl,':-: qlU' 11:""':' I't d:m . ..; p:l!:,i '111':-- ;ll'Il\ illJ'l':-' d·' L¡illl'
1'¡"l'l]I', lv1k:-~ tJlw le ¡"L¡j.'tll ('\;·I!ljJl..:, pilU' le, ...
¡';"11' ¡¡,)L,le, (Il\'il,
~L TI']!I' ("init la }J¡'éro{-!'atiYL', alladl~l' ¡\ Illl ¡"':'l'¡llllllll~mllJl'(' de ('harg'e:-; (k


itlil!:'j·,tt',ltnl"'. L:t ll.¡]¡]P:-:;-:(' np. df'\','!jilit tl"111:-:JJli::~'.i!di' qll',\ 1<1 S"('olldu Clll
troi:.:.ii'lnf' S,'·Ilf~T;lti(nl.




L.\ nEVOLU no:",


général, et la milice, c'est-a-dire l'enrólemc;nt forcé de
yingt-deux mille soldats pris uniquement chaque an·
née parmi les paysans les plus pauvres, cal' il suffisait
d'avoir quelque aisance ou meme d'etre attaché au ser-
vice d'un homme aisé pour etre exempt sans payer,
inégali té tres-propre assurément a faire paraitre insup-
portable un l'ecrutement si peu nombreux. Mais, sans
méeonnaitre ni j ustifier ces exigences du pouvoir ab-
50Iu, iI faut remarquer qu'en meme temps que s'intro-
duisait la corvée royale, l'üncienne corvée féodale,
bien autrement 100mle, était rédllite a peu pres ~l rien
par la j ustice dll roi 1. Il ne faut pas oublier non plus
que la mili ce était une des institutions ql1i rempla-
guient le service féodal, et qu'ayant d'étre conduits
malgré eux, dans la proportion d'UIl sur quinze 2, aux
armées dll roi, les paysans avaient été tenus de suivre
tous, all besoin, leur seigneur a la guerre. Leur con-
llition n'était done pas ernpirée.


11 est Hai encore que les besoins croissaIlts du gOll-
vernement üV3.ient fait croltre tous les impóts, que la


}JarlerrWl1ts 1ixail'ut ,'l d()IIZC tout all ]1111:":; dillb epJ'ta!lw:, prrrdll(,(,s) ln
lIombre dl':-' l·()rn':c·~. Le:; 'll'(t~t;..: IJOll""".'lll nU~'llle la II i'i~Y(f: ~tl1('.l~ jll~qu '¡\ dé-
fenrln· ¡lit :'.f1lglwllr d'{'\i~~'r }lll1:'. <1(, troi:-; C'll'Y~t':-: dall:~ le nl~nll~ moi:-l" plus
d'ullf' t!all:-: la YIlI'.lllt· :'I'luaille. (TI'fld¡j des dj'()ifs sf?igJ/{JI(}'Ü{/U~ r:f dC8 JJI(f-
fih'N: l,Jud(ll"s', piU' w¡J)ll' Fl':tll\~ni:, de B01!till'ic, pI'Ofl':'~Pllr df~ drnil fl'itll-
,oí, :l I'Il11iy,'r,itt' ti" TOIllnll"', \ullwll .. ~¡]itioll, '1 lili, 1" :l'JO ('t :HJl.)


.2. J'ili jJui:-:u ce:-:. l't'll:-'l'i¡.!'UI'ltH'llb :-;lll' la Illilice Ú UW' ;-;oU1'L'U tjlli llt' pcnt
l-tre SUS]ll'ctl', Ir, di,Uilll'S di' :\I. J)arll, rll'all'nr ,¡ti [ribunal, S\ll' I'OalJlisse-
ruent de la cnn",ription, Séüllce du :l8 lloreal all X.




3G LIVRE PREMIEH.


taille, le vieil impat foncier dont les privilégiés ótaient
affranchis, s'était élevée san s que sa perception ni sa
répartition devinssent meilleul'es, qu'elles avaient au
contraire óté rendues chaque jour, parLout ailleurs que
dan s les pays d'états, plus vexatoires el plus al'hitraires
a cause de l'ahandon OU étaient laissées les campagnes;
et c'est aiosi que l'inégalitó devant l'im poi a uu devenir
de plus en plus sensible aL! peuple. l\Iais en r0alité cette
inégalitó n'avait pas augmenté. En effet, i.t mesure que
le gouvernement royal avait cessé de redouler la no~
hlesse, il n'avait pu se proposer d'autre but dans
l'administl'atioll des finan ces que d'atteindre par-
tout OU elle se rencontrait la richesse. Les immunités
de la nobles se avaient done été entamées quand avait
cessé sa puissance. Des taxes spéciales et plus ou moins
volontaires, frappant les privilégiós ou ceux qui 'OLl-
laient le devenir, avaient été inventées I ; les taxes in-
directos s'ótaicnt multiplióes 2, et meme ueux taxes
directes 6tab1ic5 ;i la fin du regne de Louis XIV, la
capitatioll et les vingti6mc:o> avaiellt étó l'cmluC's com-
mUlles a toulé" les e!us"e,. N()~¡s aVllns les dorniel"


1. Par !'\(~lllpll', k:-. L~l\t':-: poal' 1\~('nllllili~;-:;1I1Ci~ ik llllb]c;..:;..:(', 1(\ d¡¡tI gril-
luit dll l'l'-'l'r'(~; le . ...; fi])ill](·t~ pa;-t"e:-: p(IUr l"arha! ¡J(l"..: litl'f ' ;-: d u!1in':~.


2. Tllt'g'ot;l 1{111' 11':-: 1ll'iJllllib df'~ Yí,~ll(','~ d d,';": ld';¡iri(·:-, (J]]¡ i:·t('·
piuticuli,:-n:lllellt 1;i-I1' ('\~ g'elll\_~ (le tax(" pill'l~(l qll'il:-:. (",tai¡'llt pl\b tillE'
le:::; pruduiL:-i Ilt:.:. lluLn_';.: bi(~IJ;": dall:-; k:-; luaillS dl':-' 1¡l'iyilé'!2,.'i,'·:-:. (.llr'¡jlflÚ'(' tIIt
,'o'i .... '/{I' I't;!r,fJli"\'{'II/IJI/I t!tJ\'/luu,/('i/Jff/¡'f¡;", nEll\TP-" I'olllpldt, .... di' TIII',!..!'(lt.
t. \' 11, 1' .• :2 •.




L.\ H ÉVOL UT lll:'i.


comptes de l'ancien régime : plus de la moitié des taxes
directes qui y figurent sont imposées 11 tout le monde,
et, sur un total de recettes de cinC{ cents millions,
l'exemption d'impot ne porte que sur cent millions ;
encore les nobles payent-ils souvent par les mHins de
leurs fermiers la taille C{u'ils ne payent pas eux-memes '.
Voilit il quoi se réduisaient, en 1789, leurs priviléges
pécuniaires.


Au ,"urpl11s, quelles qu'aient été les lois et la poli-
tique royales, le progrcs constant' dOs classes i nfé-
rieures sous la monarchie est manifeste.


En ce qui concerne la bourgeoisie, il n'est contesté
par personne. La bourgeoisie s'enrichit tandis que
s'appauvrit la noblesse; elle achete les terres des
gentilshommes quand elle ne leu r donne pas ses filIes
pour lES sauver de la ruine. Vers le XVIIIe siecle,


1. Ces citlrnl, t"",lllt"lIt des c"mrtes tire",", lJill' ~1. '(pl'hl' PH 17HI) pt
citE'~~ par ~l. Baw1nt dan~ son rlll'ieux r,t intéressant OHVrrtg'u : La F,'fUUX'
fn'fln! ¡r¡ 1l,!,;olatúlII, ]l. :jO et :j1. 1I {'S[ ,liflicik, ,!'ailknr;, ,!'éYélIU8t' awc
pré('i~inll rr q1l0 yalait l'inllllllllitL~ (k~ pri\·ilét.áé~; car, ¡I'une part, ii e:-:;L
certaill qne lm~llle, }(';-: imprA::. C<'J!lUllllll:-:' t{ i,uults le:-:. rla~~e~., teb que la
eapitati!lll d ]¡,~ \ ill~ti("r1l(,:--, ll'élaient }lJ.S: p"'\,'lrt{)n1Pllt propúrtiound:-" eL
qu'ú {'all~(~ dp:-- Yi('~~:-: de: le1.ll' rpl'aJ'tition, ll"':-i priyill-g'ié~ lJayaitnt nl0ins
ql1lil:-: n';ml':iipllt dI']; rI";mtrp ll<lt't, Ií)r~q1i"ib afftrluaicllL l(lllr:-, lJitIl:-:, lpurs
fermiet', jlól!-"ipnt J:¡ taille, d la I,ayaiellt óvillellllllent Ú lem, Mprn,. 11,
lle p¡mynient 1'(li1'l' .\Xr'l11I1tf'1' 1]]]"l1l1e s('llle fel'llll~ di', den:\: ou quatl'e c]¡ar-
l'lle:-\-, St'!(lH k~ 111'()yiIl(~t;:'-. Aill:-:i, Ú lW':-:lln' 11111:' ItJ ;'. kill\ ~. f¡'¡,me se nlul-
ti¡diaiellL l"illlltlUllil(~ ~t j"('SlITig'n;lit. Cpt illW['(o:1J sllffit, er, semblc, pon!"
inftl'lll"l' rassnliIJn 1t",;(t',],"" qllP :\1. de Tocr[ncville a 1111'1'\e á taHt ,le \lIes
jll:,le:-: l't IIJ'nflll](I('~: ;'t sa"\IJir (Ju";¡ partir dll xve sil~"'clE' Ir, pri',-ilégu de
l'pwl1lption ,]'imjJl\t ll'aYait i'~l; (,(,:iS~ ,le cmitre. (Li;-. 11, chapo IX.)




LI Y H F PI1 f,~II r:H,


l'óducation, les lumicres, le langage des deux classes
sont deven us pareils; le ton seul et les manieres dif-
f8rent encore i.


Parmi le pellple, parmi le penple des campflgnes
sLlrtout, le meme progres n'est pas ullssi visible. Il est
beaLlcoup plus lent, souvent contral';,; et melé de
grandesmiseres. POlll'tant il est certilin.


Ce qlli le prouve, e'est un grand rait mis en 111-
miere par M. de Toequeville : l'avénement des paysans
a la propriété fonciere 2. Sans doute, l'aequisition d'un
eoin de terro n'auglllcnte pas tOLljour~ l'aisance du
cultivatelll' qui y ensevelit ses épargnes; mais elle
exige déjil et elle atteste chez lui un commencement
d'aisance,


Ce qui le proLlve encoro, c'est la participation des
paysans aux assemhlóes primaires de 1789. Dans les
précédents États g0n6ro lIX, les déplltés du ticr5 \ítaient
presqlle exclusivement.les UI';putós des villos: les carn-
pagnes no se trollYaient rq)l'ésentées que par lem sei-
gnem. En 1789, au contraire, ouvrez les proces-ver-
baux clu tiers-état: sur tous les [loillb un territoire, de
simples labonreurs sont envoy8s par les lahour(~lIrs
leurs voisins au chef-lieu du bailliag-r; chaque pan'isse
fournit un élccteur par (:inquallte feux, l't ces élee-


1. el'. Tocr!llc\ iHe, ¡¡I'. Il, dial'. VII.
2. Li., 11, Chilp. J.




1..\ nf:VOLliTIOl'i. :lD


teur:;; non-seulemcn t sont convoqués, mais iIs vicnnent
presqne tous; ils arrivent de vingt Ol! trente licues, ils
interrompent pendant plllsieurs semaines leurs tl'a-
vaux onlillllires pour participer a ces grandes opéra-
tions politiques. Leurs nom5, authentiquement con-
signés sur les registres du ticrs avec leur qllalité de
labourellr~, se re trollVfmt perpétués encare aujoLlld'hui
dans la plllpart des villages qu'ils ont représentés, et
~i 1cm:,; dcscenclunts pOllvaient les lire, ils salJl',üent
que les paysans franGais n'ont pas attendu la Róvolll-
tion ponr Ctre et se montrer citoyens ¡.


Il est tcmps maintenant d'envisager l'autre cóté du
tableau. Cctte France on, snus la main el'un maUre,
le pellple s'l,]eve et tous les rangs se rapprochent, de~
hailles sourdes la rongent et la Révolntion va la dó-
vorer.


Cnnsirlél'~e dans les ólóm('nts constitutifs de sa hi6-
ral'chie, la vieille sucióté fran~,aise nous est ullparuc
comme une chalne dont les nombreux anneaux s'en-
trelacent, comme une ponte continue sur laquello se
sllivent et 1ll01ltCllt tout(,5 les 1'amille5. Ma:s q llanu
nnllS ramennns nos regards de la condition deshommes


1: (~Il :'di1 q1J(~ ('1':-' prIH" ;-:-n'rlJ:lll\ "IJllL c()Il,,('rYI~:-: illl\ ~\J'elli\(':-: dí> 1'C111-
pil"'. C'I':"t ell ](\;-; p;ll'l'lllil'(lil~ qW\ 11' L¡iL qlU' ji; ,;igll:L:t· lll"(l rl'npj1t!. Jili
I[ll'll](~ pri:-: ~llili dt\ !'t·lc\ ¡'I' ¡¡¡¡[It' ¡Hit pl'll\ ¡llCC', Ir' FOj'(J:', J;. llOIll dt\ LflU:-: 1(·;-:
(':kctrul':-> du li;T~-(~l¡Ll; ¡ t j',ti [lit tl t'CCUlloaitn! d yél'itkr de llt'i'·;-: CI~ qlll~
j ',tYLLllCt',




40 LIVIIE PHI<:MIEH.


sur leurs sentiments, alors, au tenue de l'ancien ré-
gime, nous n'apercevons plus entre eux du haut en b1S
de l'échelle qll'un échange de jalousie et de mépris.


L'ordre de la noblesse souhaite rabaisser l'ordrc
ecclésiastique I ; le tiers-état est enviAux de la magis-
trature, et la magistrature n'aspire qu'i'l se séparer du
tiers-état dont elle sort 2 ; meme antagonisme aveugle
et vivaee entre la noblesse de robe et la noblesse d'épée,
entre la noblesse de conr et la noblesse de province.
Chacun est cncore fier de son rang, mais nnl ne res-
pecte le rang ni de ses supérieurs ni de ses inférieurs.
Les gentilshommes voudraient s'égaler aux ducs et
pairs, les bourgeois aux gentilshommes; et en meme
temps, aux yeux d'un duc et pai!', tout ce qui n'est
pas dnc et pair est simple peuple; aux yellx d'nn gen-
tilhomme, tout ce qui n'est pas gentilhomme est 1'0-
turier; aux yeux d'un bOllrgeois, les paysans ne
comptent pas comme citoyens 3•


1, Vorez le,; CaMel" de lit ilol;le,se en 1 iS9, el ranah,e qu'en dOl1ne
:\1. de Tocqu8yille dan" les nole,; de :'UlI Jiue. \;")"" a"",i les Ca!tias dc
1788, par Léon de Poncin,;, passim, el spé,·ialenll'ut ]l. 188 PI :,,,¡v.


2. Ce~ deux ~elltilneIlt:; contrail'c~ e:\pli(flH'ui to1.1te rhi~tnirü ¡]l':-; paJ'l~>
ments durant Ir.,; auuées '1ni l'récc'deutl:t. [,<':volutioll. ,\Iais ji' tr"un: tia", 1"
COl'l'e"!)I)II¡{IUlee adminisirative de Louis sn', publié., 1':'" ~l. Depjlitw,
un exemple plu:; aneien el [(Jrt curienx de el) <le<lai" de la I'"be I"Hlr le ticr,;
t~tat. La cour (le:', (liJes de ~lul1tpdlier se C/'llt. rl~~hnJlI)/'("e, eH 171/1, parc\~
ql1'un rlp se:o: rllprnhres ayait acceplé Ulle Ch;¡q2,'f' mmtir'ipale pOUl' f'ntrer
dans: la ehalnJn'e du ti{~r? aúx etr'üs du LaLg'[H'rln(". (Corre.\pfJildaw:e, t. L
]l, :H 7 et oniy,)


3. M, JI' Tocqucyille a cité de nombreux exeIllple:; de el' dé,laiu ele,
lJourg-eoi" pour le:; pay8an8.




LA RÉVOLUTION.


A ues Francais si rapprochés et si scmblables, qu'a-
t-il eependant manqué pour s'unir, sinon d'avoir be-
soin les uns des autres? Que 1eur aurait-il fallll? N e
pas tout attendre du roí seu1. Mais la vanité rle se dis-
tinguer dll eommun des hommes a remplacé partout
l'ambition de les conduire: tout ce qUÍ grandit est
seu!.


La noblesse devient ehaque jour plus aeeessible, et
chaque jour elle est plus jalousée. Pourquoi done,
sinon parce que les anob1issements semb1ent arbi-
traires?


Les priviléges sont rendus moins lourds, et le peu-
pIe les porte plus impatiemment. Pourquoi, sinon
paree que les privilégiés ont cessé de le protéger et de
le défendre, paree que depuis le jour Oll la guerre n'est
plus le premier devoir ou1e premier intérCt des nations
ehr(~tiennes la'noblesse n'a pas trouvé dans la vie civile
un labeur qlli consacre son élévation, parce que des
institutions libres ne l'ont pas vOllée au service de ses
inférieurs?


,T'ose Jire qu'en rendant meilleure justiee a l'acti0l1
de la royalltó j'ai mieux mesuré le vide qu'il ne lui a
pas été donnó de combler: le vide de liberté politiqueo


Qlli ne serait en effet saisi d'effroi devant cette fin
de la monarchie? Le pOllvoir absolu ayait tiré son ori-
gine du V<:BU de la nation ; la royauté en aYait fait long-
temps un populaire et patriotiquc usuge, et pourtant




LI v [\ E prnnll En.
cet exces de puis"ance 1'3 perdne. Approfondissons de
plus pros une si terrible legon.


Meme avant sa chute, la royallté a-t-elle heaucoup
gagné a s'élever 311-dessus de tOllt obstade? En réalité,
a-t-elle joui longtemps de la faculté de tout yonloir et
de tout faire? Non: pour toute autre autorité que Dieu,
l'omnipotence est une chimere. Aprcs Richelieu, apres
la Fronde et l\lazarin, le gouvernement royal n'est
plus anOté par les résistances de la noblcssc; il n'est
guere eontenu par les remontranres des parlemcnts;
mais il est. gené par les manéges et les rivalitrs de eour.
Le roi ne demande plus l'imrat aux citoyens qlli le
payent, müis il eom pose avee les tl'üitants qui l'affer-
ment. L'autorité sOllveraine ne s'exeree done pas sans
contre-poids; seulement ces contre-poids irrégllliers
n'empechent gucre que le bien. Dans le cours du
xvm" siecle, qlland llne réfllrme (1\'orto, qWll1d un han
ministre tombe, ehel'.3hez comment: VlllS trouverez en
avant une cabale de eourtisans, et derriere llIle spécn-
lation de traitants.


Je tOLlche id au vice pl'Opre, Ü la plai(~ :;:aignante du
régimc übsolu: l'entourage parasite (Ill prínce . .re vions
de dire eomment ce régime [(vait défarmó les aUclens
ordres de l'État et corrom¡m leurs {ln\rnga1ives.ll avait
fait pis encare en donmnt nais~ance ÜdCllX choses que
les temps pltlS rt:clllé3 n'avairllt gllere eonTluc':;: : la
tina nee et la eour.




L.\ n l~\'OLlJT¡O:-r. '0 ,,,


Si les Vleux pl'i vilég(ls des premi,Ts orelres de l'État
rendaient certuiw impóts mal répartis, les priviléges
occultes et nOLlyrUm des financiers gl'Ossissaient tous
les ímpots, et l'aYÍdité croissante des courtí5ans SUl'~
renait en::;uitc pour les dévorer 1. Le:; finamiers étaient
eles bourgeois et leur fortune irritait surtout la bour-
geoisie, les courtisuns des gentilshornmes et leul' faveur
révoltait particulicrement la noblesse: les cahiers des
deux ordres en tómoignent, eL ce n'est pas sansjustice.
Ríen de plus malsain dans l'ancien r¡\gime (lue cette
sorte d'aristocratie d'argent enrichio par les abus et
los dósonlres d'uTIO fisealitó ténébreuse, intéressée it


1.. Sd"ll 1\1. ,le Bonillé, ""pect, il ,A vmi, ,le 'lnel'lUe partialit>c Goutre
t"ut ce 'lui pOlte le 1101l! (le Cltoi;eul, c·e,t au lllilli'¡,'¡'I' du ,luc de
Choi~elll qw~ l'cmolttl' ~ilrtout l'aJIll:-; des pen:--:ions p:trmi ]1-':< r()UI·ti~all:-=.
SI"¡' le mini,Íl're dn car,linal de: Flellry rElal payait tr(Ji, ltüllion; ,h"
]H'llSioll? ¡l des militailT:-:; í'lll'~ llloutt'rtllt á ~cizc Inillioll~ ~fltl:-: .. \I. do
Clrnis¡,ul. 1.01', de !':\,selllhlee llc-, Ilotable" en 1 ,Si, la trtt;dit,'· ,j", pe u-
,ions fut eYitluee II ~S,OIl(),OOO, llout ll" lI";lll'c ,'i11IJili;,,,,,; ,;[;¡i",,[ I'l'!';1I1I11I;
dall~ L-LJ'lllec', c\':-'t-¡\-clil'e aL'I:rtpal'l;~~ par l(l~ (:I!llrti:-;au~ tUl ~nlllllH-'t dI; la
lri,",rarchie mililairu el. iud,"jlPllllautes d11 tr;titcment de ('lla']lll' eIll¡tloi, cal'
on :-;,tit aS:'I_'1. qllB I:t llIJIJle~:-:ü de llF)Yült'e !lC :-;'clIl'ichi,..,;-:;.tit }It!:-; au :";l'nlrl'.
l'\Iól/oil'rs du iI/(/Njlás !le lI/){lill<;, d",p. 1). Ou a meme '·',utCIlU ,¡ru' le
('hit!'!'l' de 28,OOO,Ono, iwliqlllc par'\1. l\1·"ktT en 178ft, et pa!' \1. de Ca-
¡",nne pn 1 ,8i, u'Ctait 1"" e,aet. :)1·1011 ,\1. C;m111" les pell,ioll' ,'r'-levaieut,
l'lI J j89, il ;) 1 ,000,000 de ¡ines. De jllll;, ,le-, g"!'atilicalinlls (,('tulles
étaieIll dOIllH>:-: ~(¡tlY('llt ~all:-: aunw eoulnile d d(!glli;.;(:·c:-: :.:nn:-: b fonne
d"ocquits aa c0mpt(wf, :-,ig'llÚ;-: dll l'oi :-:¿lll:, illLlicatLon de la n:ltnre d~. la
rlepel\;p, ee qui l'elldait t(JUII' ""ril1ratioJl impo"iLle. O" ~ait 'lll" la publi-
ratioll fll( li\Tp. rOllgl', :-;\11' ll'rItwl llgul'ail'llt. !p:-; ~Olllnl(::-; dl)ll11Ú~:-; dqmi:-=
1,ltlgtl'UlpS ele l'l'lte fal/IB it tllub':, ~ol'lt':-:' de pen:mll1c'~) ¿l toute l'SpL~e üe
courli':lll', ful un de' COll!,' le, plus e¡'ud, porV" ,ou, la Coustiluaulc
all 8'OH\-cl:llt'mellt t'o;.al. (Yo,\CI. E/of r!e tí! FI'{lIIf:e, 11:l1" P;utl Hoitt'lUl,
chal'. xv.)





44 LIVII" PIIE~W:lI.


les perpétuer, dépouillée quelquefois a vee arbitraire,
mais jamais contenue ni réprimée avec justice, et ne
s'élevant enfin a cov~ de l'aristocratie de naissance que
p01.:r la corromprl' par lél contagion de ses profits équi-
voques et de son fastueux égoi'sme J


Quant a la cour, composée d'un potit nombre de mai-
son s antiques et illustres entre toutes et d 'lIn plus grand
nombre de familles rapidement élevées par la faveur
royale, elle envil'Oona d'abord le treme d'lIn incompara-
ble éclat. Versailles, sons Louis XIV, réunit vraiment
autour du roi l'élite de laFra nce qlli aV3.itgrandi ailleurs.
l\1ais de cette srlendeur et de cette gloire, bientot, [lile
re5ta-t-il? Une sor'te d'oligarchie sans indépendance,
au sein de laquelle se renferma tOllt le mOllvement de
la politique et des affaires, et OU l'ambitioIl ne connut
d'autre 1'e550rt que l'intrigIlP. SOUR l'ancienne monar-
ehie, les emplois et les digIlités devenaient facilement,
et comme pal' une pente naturelle, héréditaires. Quand
les millistl'es rI'glórcnt tout dan s l'Jttat, les mini~tcrcs
se pcrpéLuel'enL J'rúluemment dans les mAmes fa-
milles: ainsi s'étaient perpétués auparavant les grandes
charges de la couronne et les gouvernements de pro-
vince, dont le pouvoir ministériel était précisément
"enu briser l'alltorité. Seulement, cette espece de féo-
dalité prÁcaírt~, élevée sur lrs ruines de l'ancienne, et
con tenue tout entiere dan s Versailles, se troma clis-
pensée de luttes éc1atantes et généreuses, eL l'OIl put




L.\ llÉVO L L:TlO:'l'. 45


voir, par exemple, lIne seule fa m ill e , les Phelippeaux',
occuper presque sans interruption, durant plus d'un
siecle, les plus importants ministeres, "ans donner a
la France un seul ministre digne dernémoire. Au-
dela de son palais le roi ne COllnllt personne, et dans
son palais il ne se forma point d'hornmes. De la vint
que, longtemps avant d'étrc combattu, le gollVCI'-
nement royal se trollva paralysé 2. Il l'était quanli
LOLlis XVI monta sur le trorle, et cet cxcellent roi avait
tristement éprouv6 lo peu que valaient, pom le bien de
l'État, ses entours, lorsque,ilbout de reSSOllrces et d'ex-
pédients, il cut enfin recours a la nation entiere et se
j ela sOLHhi n dans ses bras.


En résllmó, la confiance sallS horIles lle la nation
avait rendu la royauté totlte-puissante: la toute-puis-
sanee royale avait énervé la nati¡¡ll; cel allangllisse-
ment de la nation avait,par un contre-ullIp inévitable,
óté au pOLí\oil' royal Sil vlgueur sans diminuer ses


.. _-------_ .. _----


L Ph"lil'I'l'il'l\ de Plllllcharlrill, PlldipIJ':;lll\ Ik la Yrilli0l't~, Phelip-
peal!\ Ile ~/;llll'l'I"", Phl'lipl"'ClU\ de Sailll-Flllt'('lltin.


2, Qudqw', jiJllI'" ,,,allt 11' 'i0 an¡'¡¡, ¡,. y,',u<''I'al,],: .\Ialc,lterhe, >igllalait
(',~ yil'P' de l'allril'll n"!:l:illll' : « ]'1':'1)('.1'1' (l"illljJIJ;-::-:,ilJilité 011 se trouyc le rnj 11e
« raIn: \lU }Jl.lll ellOl\. Sall~ llll).\·¡~ll pOli!' :,'(l:,SUI'CI' ,le...:. titl(\lllS, d(! la célpaéit~
« ,le, l'rúlellllallt" il faut ql['jj ,'ell rapjlllrtl' it ('('U, II'(i rf'lltourelll, Tel
(( qll'Oll llti 1'l'COJtl1l1illldc pOllr SOll lliLbilptl~ :'ll!H~'l'i!~'ure Il'c~t fait que pOli!'
({ l"lulrig'uc et U'aUl'il dI.' rW~lritu IjllL' cf'llti r!1',": p'-'lJ:.:iflll:' d dp;-; P.l',l(',,~ don!' ii
({ l'rnllhle 11::'s faHII'i:--) la f'CnlIIlC' ('lll'J't:'di f_ ;\ la ('(Illf) la maltn..':.:.:.:.e d'll11 princ p
( oll d'¡ín i-tIlÜ'l' llÜlli:'tl·I~. L'n :'('llddaldl\ u"est pa:-: lOllg; llllli:-:, lP:-:.
( llnmmes ({ni sllr.l~i'(l{,llt_: chrd,·:i;" 1.1 nH~nw 111;mi(Tc, fOIlL ral'E'IUellt miell\.
(( ¡:L funt :,ourent 11]1l:-; lll:d. )) U-~()llrer:-::ttioll r"r-tp!tr1rh'·¡· P;ll" Hprtl'alld de
\[,,jl,'yill,'. lf/;/II"/I'",',I, Ilr. 1'11(11', \\XI,)




, 41; LIVRE PRE~IJER.


chürges, et s'il est vrai que vers la fin du XVIIIe slecle,
so ix ante ans apres la mart de Louis XIV, la naLian
éLait fatiguée de se sentir étrangere a ses atfaires, il est
vrai aussi que la rayuuté uvait besoin de se retremper
dan s le concaurs de la nation et d'y puisel: une séve
nouvelle. Peuple et roi devaient se régénérer ensem-
ble.




CHAPITRE V


L'ancien régime était pret a se réformer en 1789.


n n'en fut pas aími : une révolution violente ren-
versa ün rÁgime u~é . .Te comprendrais cette violen ce
si l'aucien régime, en meme temps qu'il était faible,
s'ét:lit montré opiniatre. ~his all ctlntrail'e, si le roi et
les privilégié~ ¡¡'ont pas cherché a soutenir les abus
qui doyait,nt dispantitre, s'i],.; n'ont opposé d'obs-
tado ni au progres de l'égalité ni a l'avónrment Je la
liberté, alors ii faudra bien trouver aux cxces révolu-
tionnaires un Hutre mntif qlJe la haine des abu",
un alltre principe (PlC ]'umouf de l'égn.lité et de la
liberté. Le~illfil'lllitt':s de l'ancien régime expliqueront




L1VRE PREMIER.


pourquoi il a été si faiblemcnt défendu, elles ne suffi.-
ront plus it expliquer pourquoi il a été si furieuse-
ment attaqué.


J'ai dit plus haut ce gu'était devenue SOllS le long
effort VU pOLI voir absolu 1(1 vieille société franQaise;
il me reste a montrer ce que, dans le déclin de ce pou-
voir ot travaillée par un esprit nOllvoau, elle était
prete a deveniJ' quand la Révolutiun la détl'uisit.


Quelque; années avantl789, en effet, elle pamt
changer d'aspect, tOLlS les contempoJ'ains l'ont attesté;
les uns, apres les pllls dures éprclIves, aimaient a se re-
porter vers cette époque comille vers une sorte' d'ftge
d'oe, placé au bOl'd du chaos entre deux sicc!c:,: opposés i
les autres faisaient ave e amerlllme remonter vers cette
période intermédiail'e la Hévolution et son CBuvre de
mine. 'fous eonviennent que la Franee se transfor-
mait quand elle fut bouleversée.


Les vestiges de cette transformation paisible ne sont
pas entierement effacés; on les a retrouvés sous la
lave du volean qui est vellu les l'ecouVJ'iJ'.


A aueune époque de notrc histoirc, a dit M. de Toc-
queville t, la eondition de...; classes infóricmcs ne s'est
plus rapidement améliorée que sous le regne de
Louis XVI. Et ce qu'a ¿nanCl\ M. de Toequeville,


1. J.iv. l]f, c[",p. l\'.




LA nEVOLüTION. 49


M. de Lavergne, dan s les belles études OU il éclaire
l'histoire par l'économié politique et la science agri-
cole, 1\1. de Lavergne l'a démontré t. Population 2, sa-
laires 3, produits du sol ct des manufactures 4, tout erois-


1. Economie rumle de la Franee depuis 1789. Introuuction. Les
AssemMées ji/·Ucir/l.'I"alr:.,· SO/(O\' Loui, XVI.


2. «( Dans sun g-rawl ouvrag¡~ :-:u1' l'admiIli,~tration des iinan('('~) pllbEé
en i784, Neüer altriLue le nombre annud eles nai"ancl's it 1,000,000 et
celui des cléci's it 818,000, soit Ull excl\daat de 182,000 e,i;tl'ncus nOllwllps
par an, Cf; qun nO\l:; srJnlIlle:-r tl'L~-loin d't'g'aler aujnUl'd'lmi.)) 1'./~cu?tuolie
rura{c de la Fl'llw:c, Intrc,rluetion.


3. c( Artllur YOlIBg- t'~valup lt (hJ'-ilr:lll8n¡~' le 11l'i\: nioy(;l) dí' bj')UrWJ8
de travail 'lui doit etre aujounj"jl1li (IStiO) 1\'1111 /imi'; cliU¡I/(lide cclttimes.
En teuant comple de l'iLccroisSClllcut du 1l0111JJl'C des jOl1rnÓt:s, le gain
allnu(,l de l'olIvrier rural doit aroir doulJU·. Ce g'C'llI'l~ (k prÜ1:!;r0s IlLarcllait
au:,si vite avant liS!), cal' ArLlwl" YL1lm~' !lit qw: \in,!t-ciwl.:tn~ seul(~nl(;nt
ayant ~on Yüyagc le sc11a.ir(~ 111r!y\'1l ll\~t(1it (PiD d(~ ;,,·ci:.e soIs par JOI1!' et
qu'il a'lail, par CUI1~éqUCIlt) UljJuté lk ,iuj.!t pour CtlIlt dans cd inter-
valle. )1 Lavcrgnu) /0('. cit.


4. D'al,r! 5 LaHli,iu', et I'n rcrtiti(lnt rl"rlq1l1 S-1IllS de ~eg rhiffreg, la
sommt: trital" dI'; 11I'lil]¡.ib nl¡\¡-nll, 1,(lr l"(lgricl,ltnre fU 1789 "t"it de rleux
millianls ;ix cénts lIIilli,n". f)';¡pri'5 Chaptal (r/e l' Trulusfric !1'al1~'rú.\'p,
ouvriLg-e ¡n¡]Jlié tU 181H), ct en rarucll.:lnt ses dtiffres aux lnemeS bl1sCS
que c~m: de Layoisil'r, OH troll\"e [lour le pruc1uit tolal inlIl1Id ,le l'agri-
culture it la fla de l"lcml'ire un pl'U plus ¡JI' tnlis lIIillianls; I,r()~Té5 en
~:i ¡llle : !iOO lLlilliollS. (Juanl ~ l"inrlu,Ll"il', 1l"i'lJ!'C" .\1. de TuluSiIll, "l,.r,
illsjll"I'teur ;,:óllóral Ilu CUlIIlllérCI', le jlrudlIÍl ll.lal en l'I1 1 ,~n, 11"
!I:]U IIlilli"IlS; 1'1\ IHU, ¡J'allri:'; le miui,tl"" ¡J" ]'iUtl'''';''1ll',.\1. ;\Iolltali"cl,
(le t:3~:j rnillioll:-' !J{¡lll' ll.~ territoirud(; rallcipllll(~ Fran(~(~: IJl'(¡g-l'!'~-, .HIO mil-
lion~. (JUClnt aH (~U!lltlli'rl'e e\tI'~riclll', la g'lll'rre mal'itime l'ayait faít clirni-
IlUt:r. L" tI.tal ¡Je, illljlnrtiltir'll' I·t "xportati(¡ll" .¡ni Ctait t'n 1180 ¡J'\l1\
miiliarll, dait tJ}IlllJ~ ú ,:.iOO ulillif}lls l'll liHJ et ll'atleigllail que (J~~ ruÍlli(JIlS
i, ];¡ l'hute Ik l"cJIIl'ire. ILill"ergl\e, t'Jé'. (:il,)


11 eall"l: "IlIS donte lllW ¡Jart IJarlJilraire el '¡'incertitUlI" ¡[ans plnsicurs
ue Cl:~ calcuL.:, lja:-i aSSL'Z CL'[lL'lllLmt pour ialinller ll_'~ cOll~équellC(~:-I f!'(~­
nórilll:s 1j1l'llll en elIJ,luit. J'ai cou,ullé rEtal ¡le la Frailee en 178U, l'ar
~l. Paul BoiLt'il.u, rr.:c·ueil cUriell\ de rell;.:(,ig-lH!lllt!llt~ :-;tati:-::tiqnü:-:; mai::; ,je
n'y ai rien lr!luyó, chal'. l, X\"IU el XXI, '1ui illlil"llIút les chitl"res lit.: .\1. de
LavcrgIE', bil.;ll que J'auku]', lIui ,qlplIrti('llt ;\ r("colC' rl~\·ollltiontlain', so
~nit pr()pn:-:ó tlr cmnIJ,'dtl'(' :-:1':-: (·onf'in:-:illlls. En f,V'I' (li' eette C(llllpill'ais(lll


4




50 Ll V H E P R E :\11 E 11.


sait avec une promptitude qu'auparavallt on n'avait
pas connue, que depuis on a' rarement égalée, jamais
dépassée. Le commerce, l'industrie, l'agriculturc s'af.
franchissaient 1, la corvée disparaissait, la taille se
levait avec plus d'équité, !'instruction se répandait
parmi le peuple, et, chose étrange, c'est précisément la
uu ces progres se faisaient le mieux voir, que la Hévo-
lution a d'abord éclaté : c'est dans les contrées les plus
riches et les plus prosperes qu'elle a eu son foyer prin-
cipal 2•


En faee des classes au nom de guí la Révolution
s'est faite, envisageons eelles qll'elle a frappées.


Il n'est ni contestable ni contesté qu'a la fin du
XVIII" siecle le signa! de tout.es les nOllveautés, bonnes
on mauvaises, est parti d'cn hant. Je dirai plus loin
comment les classes privilégiées ont amenó le désordre;


aycc les temps poslúrieur., il faudrait ell pla,:er lme ,1lltre alce les tcmps
antericurs. ~lois I'abscncc de documentE statisti'llHos la rcwl I'rcs([up im-
possiLle si 1'on YC!llt afl'iye(' h (lc~ chiffl'ef: :'t la foi:-; pn~C'i~ el f-.'\acts. el'
qu'il faul comtatcr ",ulemcnt., aw(' M. ele T(Jccjl1c:,ill,·, ,;"est Cju'" la till,lu
ri'gnr.? de LOllis Xl \C la Franr(~ s'1':'t Crlll' r¡¡ilU;(~ et l[lH~ rllIrallt tOllte 1.1 pre-
mil're llloitié dll XVIJJ" ~ii"rk ,,11<; l1e s'es! pas rétablil·. \'llyez les rapjl"rls
des jntendnnt~ C'l l'dl'l'.:t~·a[lte :4ati::.:tiIJllU dre~s/'c p;u' \'~Ild};lll. SClf¡ll 11. Pilltl
Roiteau (p. :i07), le 1'rix ,le la jOlll"ll';'~ de t"ill"ail ("¡'lit di" I:j il tG ",¡, an
XYTTC siE·de. C'est le Pl·j-..;: que 111i ll:-::-:ip.:w' Al'llllll' yijlln~' ~·.'ni:\.alltl' ans
plus tc-trd, yingt-cinq illH :lnlllt 1'78D, t·t il CI Jll:-:t n I 1'; llon:, \1 'll 011;::' (1(', li' \oir.
que dans ce:te dcruiel\'; périodc de yingt-cinlj all, elle ayait llwllte de
20 pour 100. .


L Edits sur le COlurnerce rli:;',~ gTain~ el lle:-! \iu:-:, al)Qlitlon de~ ma1tl'j~e~
el ,les jllranrles, elc. Opération ,les Assembl¡"es prolin,'ialr'-.


2. TocqllBvillr., chapitre clt\jit "it?




LA R~; \'I)L U T ION. iSl


18 voudrais marquer ici dans quelle mesure elles ont
préparé ce qui devait etre l'ordre nouveau : l'égalité et
la liberté.


Tout n'était pas désintéressemcni dans la tendance
de la noblesse frangaise vers l'égalité. J'ai déja remar-
quó, d'une part, que les gTands scigneul's et les cour-
tisans trouvaient fort bOll gu'a leurs pieds tout füt con-
fondu; d'autre part, que la masse de la noblesse
supportait fort impatiemrncnt au-dessus de sa tete la
hiérarchie de la naissance et des titres. De la, dans
l'intórieur de cet ordre, des divisiollS croissantes aussi
longtemps que sou~ la main du pou voir absolu chacull
de ses membres uemeura bolé; rnais de la aussi un
douhle etfort de nivcllemeut le jour ou Je rang en rang
tous [urent appelés a se n\unir,de lit la dispo::>ition de
quelques-uns de cellx qui marchaient les premiers a
refouler alors tous les autres au seia du peuple 1, et la


1. Plll:-:tellf;-; t!'ralld~ ~Cit!'lwllr:-: ótllil~llt jJal'li~llll;-; de la r~ullion rJc:s nrdre:::
el dl~ l'illsLiLutiul1 ¡['lllW l'll<llU]J1'C rl!~ i1ilir:-: (lÚ jj", cUlllptai!_'nt llien pntrrr.
:\lai:-: ulle frJi:-, la l'l'Ulli1lll d¡>" ordl'i'~ !lI'('U1Jlpli~', la m~ljl.lritc de la nublesse
41IJi l',l\'(lít rl'jlllll:-::-:l,,' I'I'prli', . ..;;l illt;:-:i j ill:-:títul.iIJll d'llIlt~ l'IUIlJ1[ll'e h(llltt~. l)'ou
"illt !'dte euutl',ldidirm <tJlpal'l'lltl~"! ti' lllill'qni:-! de Ferri0re" lluU:'-; en a dUlllH'·
¡.: ~I'cj'et. C"l';-:l 11l1,~ la lrlll}Jetrl dt'~ 1lLjLde~ lh: Yuulureut pas, dans la l"lliuc
de le'ur prupre j'i"l:rogatiH', t'1J!1"':C'lllir ;\ r~·léY(lliljrt d~ Ijlldql[l_'~ r;unilles de
("1111'. lH,s \oi_\ dt~ l:t llid)ll: ... ~e ~"dilil.'lJt prulwlH";(:'l':~ cUlltrc~ la n;uninu de~
Il]'¡]r¡'.'"- 1,· G luai 1'"78:1, L· q llll\ 1'1111 1)'(') h 1)("-ll'I)~itiulJ ¡k, di\-i:,-pt' le ('l.II'PS
lt':,!2.:i:,:];¡tif en ¡J('1I\ l·l¡:llIilJl',':' ¡¡ '{¡!ll illL (11l!~ 8~1 -roí\" ¡tU ~eiIl de;, on11'8::' 1'(~ul1is.
II (;:'t yr;li ({ni' l)lll~il'lll':' 1l1',~Ill¡Jt'(';-: ti:: la llí.J1Jlc:':H~ ityaient alurs lluitté l'as-
:::ullblée; lllai::i il c;-I-L \T,Ú ,t1I:-:-:i tIlle [lIIlSil'lll':-l llll:mbres da tiers-ótat tigu-
railllt 4...hw:, edto~ lltilWl'it~ d(; .su ,"4Jix.. 11 t¿lUt dUllC bi'.:ll admcllre i.l\ec
r"rri,~rc, que la !ll:\iJrit0 de la !l01,1:,," a rejet!' I"s deux chamLres.
(JldrllOú'Cs de Far'ib'es, t. 1, li \'. 1 el 1 ll.;




r.lVRI<: PREMIE<:R.


volonté formelle uu granu nombre ue réduirc a sa hau-
teur tout ee qui le dépassait. Aussi a-t-on pu dire
qu'il n'avait manqué aux nobles pour faire eux-memes
la Révolution que d'ütre roturiers l.


Touterois, si la vanité et la jalousie avaient seuIes
inspiré la noblesse franQaise, elle se serait peu souciée de
la condition des classes inférieures. Elle montra alors
d'autres sentiments. Au moycn age, ehréticIlnc et bar-
bare, féodale et ehevaleresque, la noblesse a vait gou-
verné et défendu, et tour 11 tour servi et asservi le
peuple. Sous la royauté absolue, elle 1'avait délaissé.
Asa derniere heure, elle se retou1'n1 "e1's lui, non
plus 11 la voix de la religion, mais 11 la voix de la phi-
losophie. La philosophie du xvme siecle, en répudiant
les dogmes ehrétiens, avait recueilli quelques-unes des
conséquenees qui en décaulent pour l'honneu1' et le
bien de 1'humanité, et, eomme il a1'rive de toute vérité
qu'on erait décauvrir et qu'on mutile, clle avait exa-
góró ce qu'elle s'app1'opriait sans le 1'appo1'ter a 5a
sauree. Aux yellx de eette philosophie, le mal
n'existait pas dans la nature, et par eons6quent
le malheur ne devait pas durel' dans la soeiété
humaine. Elle avait revé pou1' les hommes la eom-
munauté de la pel'fection et de la félicité; ee reve


1. TocqueviJIe, notes de l'Ancien I'égime pi la R,soolution. Analysc
des cahiers de la l1oblesse.




LA RÉVOLUTION. 53


généreux conduisit du moins les heuI'cm: du siecle
11. s'étonner du sort des miserables. Quand cet étonne-
ment eut pénétré sur les sommets de la société fran-
Qaise, il engendra bientót une sollicitude inquiete et
ardcnte, une passion de réforme, de progres et d'affran-
chissement populairc; passion souvent puérile, aveu-
gle et vaine chez des esprits légers, mais souvent
aussi magnanime en des tunes restees fieres, et ca-
pable enfin de sacrifice : nous en aurons bientot la
preuve.


L'autre victime de la Révolution, le clergé, semblait
encore mieux préparé que la noblesse 11. conduire la
France vcrs des lois égales et des institutions libres.
Par sa composition, il appartenait a toutes les classes;
par son rang, il touchait aux plus éJevées; par son mi-
nistere, il approchait les plus basse::i et les pluspauvres;
par ses propriútés territoriales, il participait i.t tous les
íntéreis, ti. tOU5 les besoins, a toutes les affaires de la
nation.Enfin, par ses institutions,il était demeuré libre.
Dans son sein, l'autorité ecclésiastique no s'exefl;ait
ni sans garantí es ni sans limites, elle n'était pas arbi-
traire : dans l' État il avait seul gardé ses franchises par-
ticulieres; il coutinuait de s'a::isembler périodiquement,
il se taxait lui-m6me, et si quelque;; provinces avaient
(la et la rctcnu des débris de leurs antiqucs franchiscs,
il prcnait grande part 11 ['administration indépendante
des pays d'états. Pour bien servir le peuple et répudier




LIVHE PI\EMIEI\.


le despotisme, l'ancien clergé de France n'avait done
qu'lt rester fidele a ses traditions ot a ses habitudes, je
ne dis pas seulement religieuseE', mais politiqucs t.


Nous ne sommes pas réduits aux conjectul'cs sur
les dispositions des classes privilégiécs en 1789 : elles
en ont donné des gages irrécusables dans les assem-
blées provinciales; elles en ont laissé le témoignüge
authentique dans leurs cahiers.


Les assemblées provitlciales 2 réunies d'abord en f 778
et 1779 en Berri et dans la haute Guienne, et en 1787
et 1788 dans les autres provincos qui n'avaient pas
d'états, furent un trop tardif et trop court apprentissage
de vie publique avant les États généraux. Elles ne du-
rerent pas assez pour faire beaucoup de bien. Mais, ti-
rées aujourd'hui d'un long oubli, elles nous montrent
ce qu'on aurait pu attenrIre de l'union de toutes les
classes ,si la Révolution n' était pas venlle les di viser 3. Tel


L el'. Tocqueville, liv. I1, chapo XI.
2. V('lez J'e,rdl"nt li\Te ele -'1. Leonce ele LaYergnD: teS Assrm/¡{,jes


provinciales SO!!.\' 1,0Ili.)' ,\ 17.
3. !\l. de, J.~"ergne a cite la reCfJllllllilndatioIl ele Napol(~"n de rcpresenter
1c~ A~~8mbléei-i rH'oyillCialc'~ Cf)!ll}IlC lllt ('/io(),')'. L'cHljlen:nr ¿lyait ~,~~ rai-
::;on5 pour c::~a; il füllll.it fair\~ crnire fllll> la F!'auu' lI'il',ait I'esjlt""r! lf'W :-:nus
rEmplre (Col'j'es])_ de ~\~OI)"I¡;(JIt ft'r, t. XYf) ji. ;;'7'71" :\lai:; lllltOlll' dc~ Jui
tout le monde" au fond (le [':\me, ne rellsait 1"" dn lll,"nll'. Je trn1lye dan; nn
livre compose ayantl'Emvirc, dan, l'e,il, par 1In fulur mini,trp ,le l'ellllwre111',
~l. Portalis, et pu1li6 aprt'S ~a l11urt 80U5 ltt Ikstauratiou, un t/rnoignRA'e
inté,'es,;mt e,n fayeur du ri'glll' ue LOUlS XVI el des ASSclllbl"es I'ro\illciall's.
(( En FraIlee, satis le rl'gne LicnfaisHul de S()llj~ XVI, tou~ les gen re;;; rle bien
(11 'yiur:..'ul po~sibles, .. L('~ grl1n(:(~:: YIlt':' ({¡ti úlail-'nt j()llElplh:mrmt proclt=llnecs
óur tous les objets du bonhenr ¡::-fln,\ral tirent naitre les adlllinistl'atiolls pro-




L\ nt\'OL!'TlO\'


esl. en elfet le cametere rare, et peut-etre unique depuis
des siecles, de ees assemblées : le libre eoncollJ'S des
c1asses di verses a une CBuvre commune.


La bourgeoisie en compose la majorité, la noblesse
Oll le clergé les dirige, le biell du peuple est leur but,
et leurs membres « ne connaissent de rivalité que celle
de l'application et du zele f. )) e'est du miliell des pri-
vilégiés, c'est de ceux qui devienclront bientót les plus
signalés advel'saires de la Révolution ou ses premieres
victimes, que part l'initiative des réformes libérales et
populaires; ils préparent, pour parler encore leur Jan-
gage, (( le partage fraternel des charge~ publiques 2, ))
suppriment les immllnités dans les taxes locales qu'ils
établissent, les restreignent dans les taxes générales


vinci;l!t'? ... j,rf' artiOll:-l. ~r; j¡)i~'IÜrr\nl aux rnaxirncs et les faits a la thénrie.
~.; sllJlpn'~si('1l des ('orvcl'~) .(~Ili ü\ilit fjC~OUf~ li)~~(IUl;) ('ll 17iJ, elle ,u'a,vait
/~te pFIJpO~t'c qw' d'Ullü liliUlu're Yague et (lí'nlJpc de tnut mnyen tl r~xecu­
tiun, fllt l'(JllSOlll1ll1~l~ ~tlll:-: r0~;i..:;tallc~ ct ~all:-\ diniclllf!~. On Olrrrit de:-- can.1ux,
l(\~ ,'...',Tande:-:. rOl!tí':-! fur(:nt r:on:;;trllit~;~ et t'utrdcnups. On attj,U'nit k:'. r1ns
gr;wrl, Crlllllll" lr', pil!o lwtitó iutrSn\t, rlr;, l,eI!Jlle,. Sou, Yüyuns par les
lJl'.)('("s-y,'}'llaIE (1(·~ As¡.:;eltlLlé('·~ ¡1l'OYill('icd8;;; Ilu BC'rr,\- d (k~ la lIaule-
(~!l:CllW"' ¡¡!le qlli.lIld lc~ {'oulrihllti(fll:' klrl'¡"{::'. ponr 1._':' Oll\TlIge~ pllhlics ne
sn!'1i:-=aif_'lll [Iil'; OH nhtclFliL d,\;-- 1',1JltJ'il)lJtinll~ Y()lllllLtíl"--:'.~; tanl i1 est vraí que
plus U/l II¡til /".'1 !t(¡)/llJle ... , (l/(I: lJ(!.'lOlJ/\· (Ir: l'Etat,plu~ ot[ les di.~pose (l
eIJ//I'o/IJ'i,' !J(/}' /elll'8 ¡¡'(n'mu' el !'tU' leurs ,Y(ll/'J'llicc,..,~ ((l( bien de lcur
l¡all'ir:, OH lc:-; Clll}Ilallllll: ;\ Mn\ lll,lllyaí:-: citOY(Jll:-' ('t a He '-(Iir que lCllr
iut1.~n"l llriVI~ qlllllld 011 lp:-, I;ü~p.{'. ~allp. l\lppnrtp. lI\TC la chOfoe llUblique.»
(De l'amge 1'1 ,le l'rd)!,s de l'esprit philnsf)p/¡újlle, par:\1. Port~lis, t. n,
chapo xxxv].)


1. Les :I,\'seíllMúcs ¡¡¡'()/Jineialcs, p, 132; par>,les du dne (j'Havré, pré-
sident de l'A"r:mhlt~p provillci,1le rll' Picardie.


2. ¡,es _Ls,'",Ud'!s !i/'uui¡¡clales, p. :19; parajes de raLLé ,le Séguiran
á l'As,cmblóe provinciale r1n Berr,-.




L[VB E PBEMIEII.


qu 'ils répartissent ot les compcnsent par des eontribu-
tions volontaires dan s les travaux d'intéret commun
qu'ils entreprennent i .lls réelamcut hautcment pour les
assemblées dont ils font partie la pllblieitó et l'ólection,
et s'ils méritent quelqlles reproches, e'est de ne point
mónager assez dans leurs doléances et 1eurs exigen ces
l'autorité quiles eonvoquc.L'attitude des ecclésiastiques
ne differe nullement, d'ailleurs, dans ces réunions, de
celles des gentilshommes, si ce n'est qu'ils y portent
peut-etro plus d'instruction et de lumieres; mais les
uns et les autres, tranquilles encore sur leur sort, n'ont
d'autre ambition que de se montrer (c'est un éveque
du nom de Montmorency ql1i emploie ces termes)
vrais citoyens et zélés patriotes 2.


L'impatience de quelqlles assemblées provinciales
--- - ---_.- _ .. - _._---- -_._---------------------


1. On ne sGUl"ait trop in~ister sur eette !enclm1C(' des Assemblées pro-
vincitLle:-:, pn::-;idées et l\~ plus SOlfrcnt dirig-ées par des priyilt:'p;ie~, á
fl':-:trcindl'r lc~ I}riyill\~T~ péCUlli;¡irc:;. Nou:; tlVUllS ilHUl1uO pIu:;; hallt
que ces priyilt~ll'Cs s~exer~aicllt eIlcun~ en su duglli~allt dall~ la n~l\(H­
tition !1(,S ilnp,:.ts COllllllUllS ;UI:\. lr01B onlrc:-;, ct Illle la Ho}¡lc:-:se et le
clArgé) taxl's par les illlt:Ild.:ml:::) 110 payaicnt pa"- lIJU! flarL fll'U[Jnl'lj(\n-
nrlh, ,lan, la capitation el k, \ing-ii0mes. Il en fll! Qutremcnt q!liLlld
la répartitioIl rlut r~tJ'e Cllllfil\' illl\ ~\:-:-I~mL)ll"I';-; p¡'qyinrialt's . .AJlr¡'~ une
:::~ilIlC8 de l'A~~~'nlbh~l> Ib,~ llnt~tldl'~ qni ;¡yait Ikm"trld¡" fine el' llOIlYI',UJ
gr'IlJ'(', d'admilli~1I'ntirlIl fút ('~t(-'lld!l it iI)lltl'. h F¡',l!lrr': ({ S:IYI'Y-Y<lII~,
« :\lon,if'ur, (lit le (lue (l"C¡r!l-illlS :1lI llla]"(f'Ii, ¡j,. 1l'"llill,'·, '1')1" ,,,tt,: l.Iai-
« :-:anteril', file Güútt'ra (lU lll(¡ill:, tl'lli~ (:('lll Jlli]J¡; li\I'I'~ ¡le J'pnt(', A\'('c
« k:.: iuV'lHlallls JI! Ill'arraIlgl; d jL~ \1(\,\(" ¡t 11I'1l lll'l:-' el l Illlt' .JI~ \'!.:U\, f'llp:-:
«( admini:;:traLi'llls prorinciah'f: ,ni rnlltrail'c nw f('mat }I.ly('r á 1.1 l'i~·llrllr.»
(JI':II/oi,·,',· rI/I lIIol"r¡uis rle BOllith', ehi'1'. 111.)


2. l~(ls Assr:rr¡}Jl/es P¡'{¡/,'¡"¡tc,,'oles, p. 2!11; parolrs de ~1. Ih:.Mf,ntmorenry-
Layal: gT:md :Wlllr\lliL'1' de FraIlee, {r'\l~'l{tl(' c}¡; 1If'tI.) fl'l' re du w¿¡l'I:,('hal Juc
de Laval, [J!"l\,.ideul ,le Lh,ullLlúe [Jl·O\ incialc lk, trui, é\·ecl,é,.




LA RÉVOLUTIO;-¡r. 57


contribua a précipiter la convocation des États géné-
raux. A ux réunions ou tous les ordres siégcaient et dé-
libéraient ensemble succéderent, sur toute la face du
territoire, des réunions et des délibérations séparées,
et l'on sait trop que la séparation engendra bientót
l'hostilité.


Mais, tundis que les démarcations tranchées avaient
reparu entre les ordres, dans l'intérieur de chaque
ordre l'égalité prévalait, on ne l'a pas assez remarqué.
J'ai déjil dit qu'en 1789 les paysans firent lcur entrée
dans les assemblées du tiers, recrLltées jusqu'alors
uniquement dans la bonrgeoisie. Un changement ana-
logue doit etre signaló parmi les privilégiés. Les as-
semblées de la noblcsse et du clergé, prócódemment
formées des senls possesseurs de fiefs et de bénéfices,
furent OU'icrtes pom la premiore fois [\ tous les ecc!ó-
siastiques et a tous les nobles sans exception.


Ainsi composées, les asscmblées électol'ales de la no-
blcsse mirent un soin jaloux a abattre dalls le sein de
lellr ordre toute supériorité, toute hiérarchie 1, et les


1. Hé,IllTI'\ i!<',n(rnl d,·, r"hi"I'S, 'mI' PlwlhornnH', t.. 11, sed, U pt i3,
(( !,ti nflllll'~~(' lU' n'(,Olll};üt¡'ajamni:'t'Il FI','tllr'f' (In'nn ?f'ul orrll'p rlc Iloblrsse
jr¡lli,sallt d,'s llll'rm-, droits, )) JI. :Hl1. " 1,,1 n()blt~"e fl'anC;ti'l: ('st 1111 cnrps
essc'utiellelll('ut üuliú:"ihk, )) }l. ;W:L rr Le c()rp:-:. ,le la nohle~se 1"11ppliera
h_~ l'oi du pn'n,lt'p ('11 rOIHirlj~'l'illi(lll la (liffc\f('w'C qui :-:l'lllJJ1r s'Ptrl-.! ?t.1hlir:
clan..:, ]('. tt'llljl:' lll(¡d,'rnr' ('llll'(J 1([ n,llil{,:-:-:(, de CoUI' el cdlu du reste du
!',J}.1l1me, J) ilÚr!. {( L.·:-; artir!,'s (1,· ['(¡nlOllll.111Ce lllilitairl' qlli ~é)l¡lrCnL la
llo!Jk,<l' I'n ¡]itlél'cnt<:s classcs el bornent J'a\"ancoment seront supprim~s,,,
p. :Ji2.




58 LIVHE PUE.'IIIEI1.


assemblées électorales du clergé l'éclamerent au profit
des simples curés une répartition plus égale du patri-
moine de l'Église 1. Cette tendance des deux ordrcs
privilégiés a. se niveler eux-memes n'a rien d'extraor-
dinaire. Ce qu'il importe davantage d'observer duns
leurs cahiers, ce sont leurs dispositions a. l'égard du
troisieme ordre : c'est allssi leur zole pour la liberté
générale.


Pour l'abolition du scrvage, la suppression ou le ra-
chat des droits féodaux, l'uniformité de l'a loi et de l'im-
pót, l'émancipation du travail,l'admissibilité de tous les
citoycns a tous les emplois; en un mot, en ce qui tou-
che l'égalité civile, les vamx dn clergé ne difIerent
pas de ceux du tiel's-état. En ce qui touche l'ég-alité
politique, c'est-a-dire sur la question du vote par ordre
ou par téte, il hésite, il flotte entre le Liers et la noblesse,
et semble destiné an róle de médiateur, que ses ropré-
sentants essayeront bientót vainement de remplir. En
ce qui touche la liberté politiq uo, il parle aussi forme
que qui que ce Boit. Le privilége qll'il avait gardé de
se taxer lui-meme n'était, dit-il, qu'un vestige de l'an-
cien et imprescriptiLle droit uc la natíon entierc. Contrc
le fise, il a dú. le défendre, mais íl abandonne le pl'i-
vílége des que la nation recouvrc le droit. C'cst en ces
termes qu'il sacrifie ses immunités. En ce qui touche


1. H"'lllllé des cahier, par Prurlhommc, t. 1, ,8Ct. 2, 4, fj el 2¡;.




l'éducation populaire el la bienfaisance publique, ses
cahiers surpassent tous les antres!. Sur deux points
seulement, sur la liberté de cOIlscience et la libertó
de la presse, ils paraissent s'écarter des VCBUX com-
mnns de la nation; mais en y regardant de pres, on
reconnalt que le clergé n'entend plus proscrire les hé-
rétiques ni leur refuser l'état de citoyen; il veut seu-
lement, sans violenter leur foi, garantir contre eux
l'intégrité de ses lois canoniqucs, mélées alors aux lois
civiles, et sauvegarder ce que person ne ne contestait
officiellement cncore, la suprématie du culte catho-
lique 2 • En matiere deprcsse, enfin, cen'est pas l'arbi-
trairc qu'il invoque; ce qu'il redoute c'est l'impunité,
ce qu'il réclamc c'ebt la responsabilité légale 3. Qui-
conque parcourra sans parti pris ces cahiers, qu'on
peut nommer son testament politique, rCCOIlna!tra
donc que I'Elll'Ope ne vit jamais un clergé plus since-
rem()nt patriote et plus véritablement libéral que le
clergó de France au moment OU la Révolution l'a
frappé 4.


Quant a b noblesse, on peut I'Ó,iLlmer ainsi les dis-


1. '~(f.\-r/' Jl(J~ll' r(tk rq1rll\"ci:¡lil)l1 di':-' r,'lhir>r;-; dll ('l('r~(/·: /{(;su,nuJ lL'tr
l'rl1dhl)l1llllf', t. 1; //',\' ('O Id,')',,' (/(' Hq un les '!'rrús ]lf'ÚtCllJCS liljl}raux,
par L,,(¡Jl ,ji' l'illlCillS; CI"",in, (;';,úe de 111 R"L'IJI/{!i')iI, t. 11; CJlUJl Túcque-
ville,liy; ll, chal'./f.


2. R¿"wne des caluó's, par l'rudhornmc, t. 1, liy.l. Les CoMers de 89,
par L. de Poncio,) clnp. \".


3, I.r\on de Poncins, ':1Ji".
4. eL Tocqueville, liv. ll, chapo XI.




LIVRE PHEMIEH.


positions supremes qu'elle manifeste daos ses cahiers:
Elle désire que le reste de la nation s'éleve et gran-
disse a ses cótés, et elle désire en meme temps garder
une place distincte. Elle abandonne sans hésitation ni
regret ses immunités pécllniaires, elle fait assez bon
marché de ses droits utiles;' mais elle retient, elle
vondrait multiplier ses distinctions honorifiques; illui
faudrait, au sein de l'égalité ch'ile, des priviléges poli-
tiques. Ces priviléges, on peut pensor qu'elle s'y pre-
nait trop tard pour les revendiquer, que sa longue ah-
dication de toute vie publique lui avait fait perdre le
moyen de les j llstifier, 1'art de les 11ccommoder au temps
et la force de les soutcnir. Non-seulement ils lui ont
été ravis pour jamais, elle a de plus payé c!'uellement
che!' la prétention de les conserver Oll de les reprenrlre.
Mais sa maladresse et ses malheurs n'autorisent point
a méconmltre pour quel usage elle les réclamait. Elle
entendait les consacrer a la défense de la liberté. II ne
lui convenait pas que le niveau fUt un joug.


M. de Tocqueville 11 j ustement remarqué que la no-
blesse, en pliant SOLlS le prince, avait toujours oMi
moins a la contraintc llu'ill'amour, et qu'ainsi, malgré
ses longnes habitudes de sujétiol1, elle n'ayait pas pl'is
l'ilme servile. En se dévouant a l'émancipation des
Frangai~, on plutut des !lummrs qlleb qn'ils fussl'nt
(cal' c'était pOllr l'humanité q u'on se passionnait alor6),
la noblcs~c porta dans ses opinions nouvelles beancoup




1 A HÉVOLUTION. 61


d'inexpérience et d'aveuglement sans doute, mais
aussi quelques-unes des qualités propres aux aristo-
craties : la magnanimité, la hardiosse, l'indépen-
dance. Ses cahiors réclümollt tres-haut non-seulo-
mont presqu6 toutes les garanties contre les abus de
pouyoir que nous avons possédéos durant tronto-sopt
ans de gouvernement représentatif, mais encore beall-
coup de fmnchises que depuis 1789 nous n'avons ja-
milis connlles: par exemple, l'administration électiyo et
libre de la eom!11une et de la province, et la publicill'!
de ]'instruetioll criminelle 1; et jamais aussi la nution
entiere n'a autant voulu, jamais autünt aimé la libertr\
qu'a l'heure ou elle avait encore en son sein des 01'-
dtes privilégiés pour la vouloir, l'aimer ayec elle et
commllniquer a leurs adversaires memes qnelque choBe
de leurs fieres allures .•


De la noblesse et du clcrgé, pas~ons a la rlerniere
grande institlltion, a la senle alltorité vivante de I'an-
cien régime, la royallté. Uue voulait-ello ot qu'a-t-elle
fait a la veille de la Uévolution ?


La politique royal e sous Louis XVI n'a pas été
constante. Pour réparcr l'ódificc en ruine que lui
l~issait Louis XV, lejellne roi changea plusieurs fois
de plans ct de conseils. Durant quinze ans il quitta,


1. Uuvragcs déjit cité,: lie~umé, par Prudhomme, t. I1. Les Cahiers.
par Uon de l'onóus, j!llssilil. Tocyucville, li\". I1, rhap. XI 8\ no\ps.




LJVH E PREMJEH.


reprit et rr,pudia tour a tour les procédés du pouvoir
absolu. Néanmoins ces contradictions, qui furent tres-
facheuses, ne sont pas inexplicables. Quand Louis XVI,
malgré son désintóressement et sa timidité, tente un
déploiement de puissance, e'est rour protéger et rele-
ver le peuple : il est poussé par le gout de l'ógalité.
Quand il slIspend des réformcs, c'est devant l'indépen-
dance encore vivante de la v¡eille société frallgaisc qu'il
s'al'rete : il est reten u par le respect de la liberté. A
son avénement, il bat en breche avcc Turgot tous les
priviIéges, et il laisse tombel' Tllrgot sous la clameur
publique, sous l'opposition des parlements 1. Au ÍI.")rl11f'
de son regne, ayant ponr ministres de purs courti-
sans, Calonne et Brienne, illutte contre les parlements
pour établir l'uniformité de l'il11pót et des j uridictions
civiles et cril11inelles; ce qu'il ordonne alors (( de sa
pIeine puissance et autorité royale, » c'est l'égalité
devant la loi 2; et, chose digne de remarque, e'est ele-
vant cet ol'dl'c quc la nation s'il'J'ite et (JlIe le pellple
commence U se sonleyer. L'i1\'ersion du púuvoir aL"olu
l'cmportu cn ce tcmps-lü sur la hainc dos privjlógc;s,


Cl'pendant le besoi n do rM'urrne et le hesoin d'indé-
prlldance !lC devaient pas se contrader toujollr~,.
Louis XVI les satisfit ensemble en promettant les


1, I.'J//i,· .\ i"I 1'1 TUI'(j'd, par ,\1. dI' Larcy.
2. I'l'opusitiuns d,' .\1. ,]1' Cal"IllI" ;1 i"As;I'llli>i,··,· dI'; llil!al,!P" EJil,


du ~ lllai 1788.




LA REVOLUTIO'l.


États généraux; et pour préparer cette assemblée qui
devait tout rógler, il engagea tous ses sujets a tout
débattre t. Le droit de manifester leurs opinions et
le droit de choisir leurs législateurs furent donnés en
meme temps aux FranQais, et leur furent donnés san s
róserve. Le roi conviait la France a se régénérer elle-
meme.


Au moment ou il adressa cet appe! a la !lation,
personne ne s'avisa de contester, personne ne sembla
tentó de méconnaltre une si ¡ibérale initiative. En
dópit du trop long rognc do Louis XV, nos peros se
sOllvenaient que les rois, de siecle en siecle, aVRient
toujours donné a la Franco les biens que la France
avaient sOllhaités, et lorsqll'un dernier progres devait
couronner tous les autres, ils ne s'étonnaient pas de
voir le roi d'accord avec eux ponr les émanciper.Aussi,
en ces jrlllrs oü la natlcill 1 intenogée sur ses hesoins pt
sos VIJlU:I. avec loyauté, put répondre de toutes parts
ayer franchisl', les Fralll¡ais ne séparel'ent pas lem
amOllr de la libertn de Icm attuchcment a la monar-
chic, et s'il,; se trom[lcnmt SUI' lc" moyens dJétablir
¡'nne et de consener l'illltre, !In mojns iis fllrent Ilna-
nimcs ü le,,; vlluloir ensemble. lls élisaient l'ü.ssemblée
qui dcvait rllinrl' tOllS les fondements du treme, et en
rn()tlle temps ils rendaient 11 Louis XVI un témoignage,




61, LlVRE PltEMIER.


a sa dynastie un hommage qui n'arréta pas, hélas!
leurs mandataires, mais qui devant l'histoire les dé-
ment et les accuse l.


Le cahier du tiers-état de la ville de Paris se termine
par ces paroles :


« Que sur le sol de la Bastille détruite et rasée on
« établisse une place publique au milieu tie laquelle
« s'éleVf~ une colonne d'une arcbitecture noble et
« simple, avec cette inscription: A Louis XV /) res-
«( tallrateur de la liberté publique. ))


« Signé: Tanjet, président élu librement; Camus,
« second président élu librem6nt; Bailly, secrétaire
« élu librement ; Guillotin, second secrótaire élu
« librement.))


La Bastille a été renversée par l'émeute; l'image de
LOllis X VI n'a pas été élevée sur ses ruines.


La Révolution n'a pas souffert qu'un roi devint le
restaurateur de la liberté.


l\Iais la liberté a-t·elle été restaurée?
L'hisloire de la Révolution doit peut-etre se rÓSll-


mer tout entiere en deux paroJes : les rois ne sont pas
impunément tout-puiS5ants; les peuples ne 50nt ras
impunément ingrats.


lo Voyez loas les cahicrs.




CHAPITRE VI


De l'esprit révolutionnaire;
sas origines a travers l'ancienne société.


Ainsi, la nobles~e marchait a grands pas ver:; l'éga-
lité: la royauté donnait la liberté. Si les hommes de
1.789 ne voulaient rien autre chose que des lois égales
et des institutions libres, la Róvolution, qui a tout dó-
truit, devient incompréhensible.


Mais ils voulaient autre chose. Ils voulaient, 1\1. de
Tocqueville l'a dit: « couper en deux la destinée » de
leur patrie et « ne rien emporter du passé daus leur
condition nouvellc !. ))


1. CAneien régime et Ir¡ RévolutiOJl, ayant-prop'''-
5




LIVRE PHEMIEH.


Avaicnt-ils raison de vouloir cela? Est-iI permis
h un peuple de ne recollIwltl'e d'autre loi que sa
volonté d'un jour? Renverser de fond en combIe,
au nom de la raison individuelle, les institutions
établies, renier et rompre tout lien avec les ftges
écoulés et les gónérations disparues, n 'est-ce pas mé-
prise!' a la fois la mémoire des ancetres el la p!'ovidence
de Dieu? Et si cette CDuvre de ruine n'était ni néces-
saire ni lógitime, si les besoins de la nation ne suffisent
pas a l' expliquer, ni ses droits a la j mtifier, qucl mobile
entraina done alurs les hommes? Ce mobile, ce fut
rcsprit révolutionnaire, que Bossuet, l'étudiant dahs la
révolution d'Angleterre, él dépeint d'un seul trait:
« le dégout secret de tout ce qui a de l'autul'itó, et la
dérnangeaison d'innover sans fin; )) (pIe )1. de ~1ui~t['e,
le ,"oyant 11 l'muvre dans la rÉJvolutiun f¡',IlJ\:uise:a (JlW-
lifié de satanique, eL que 1\1. Guizot, eniin, él d¡;1ini:
« le gout et le péehó de la destructiun, pum se donncJ'
l'orgueilleux plaisir de la crúltion. ))


l\é de l'infinie vanité de 1'homme, cet esprit vit d~lllS
tom31cs tcmps, mais ne próvaut pas toujOLl!'s. Ce r111i
luí pese dans l'obC:issance, e'est moins la contrainle
que le resfJect. Aussi, la pl'ell1iol'c autorité qu'il attu-
que, c'est l'autot'íté qui commande aux úmes: l'allto-
rité rdigieuse. Mais qllallllles loi:; étcmdles SOllt mé-
pris6e3, q uel crédit gardent les lois anciennes? Ql1and
I'homlJle ,,'pst, ri df' Dipll, ¡[lle peut-i] encore respeet!']'?




LA RÉVOLUTION. 67
La révolution frangaise, révolution politiqlle, s'est


comportée a la maniere des révolutions religieuses, on
l'a remarqué plus d'une fois, ot il n'est pas difficilo de
comparer sa marche et ses allures a celles de la Réfor-
me. Leur plus intime ressemblance consiste en ceci:
c'est que l'une et I'autre ont exalté dans l'homme jus-
qu'u l'enthousiasme la passion d'anéantír ce qu'il n'a
pas rait. LcUl' c1pitale différence, c'est que le protes-
tantisme an XV]" siecle fut infiniment moins vaste en
ses négations que le philosophisme au xvrrrO • Il dimi-
nuait la religioll, il ne la supprimait pas; il ne fermait
pas aux homrnes les perspectives d'un antre monde et
d'uIle autre vie, et, par conséquent, ne les lais~ait pas
icí-bas saIlS lien et SHIlS freiIl. Il n'a pu naitre sans
troubler l'Europe; mais eles sociétés, des nations pro-
testantes sont parvenues it se consolider. Le philoso-
phisme, au contraire, en interdisant aux hommcs de
regarder au-ddü de la tcrre, dc"ait COIlcentrer sur la
terre senle leufs espérances et lems désirs infinis, et
c'est ai[Jsi qu'il les a conduits ti tOllt bOllleverser de
fond en comble.


A la négation de l'Égllse avait done succédó, par le
progrc~ natnrcl de l'incroyaIlcl~, la négation du chris-
tianisme, eL caLte núgation, la plus gúnérala qll'ells-
sent encore connue les tcmps modernes, avait éclató,
terrible coYncidcllce, chez le peuple le plus généralisa-
tour, le pI Uf; pnnrrni des tempéraments pI. (lp~ incon-




68 .LIVRE PHEMIEH.


séquences, et, quelles que soient enfin les idées qui le
possédent, le plus capable de les réaliser sÜ.ns mesure
ot sans peur.


Elle avait éclaté dans un siécle manifestement
appelé a élever l'bomme, a rendre plus inviolable
la dignité et meilleure la eondition, non do tel peu-
pIe ou do telle elasse, mais de la nature hllmaine :
le sentiment, tant6t eonfus et tant6t exalté, do eette
belle voeation éclate partout dans son langage ¡. Mais,
en prétendant élever l'bomme, ee siecle méeonnait
Diou. Ceux qui pens8nt el parlent on son nom no
veulent Dieu ni dans leur philosophio, ni clans leurs
seienees, ni meme clans leul's vertlls, a plus farte rai-
son clan s leurs institutions et lours lois; et de toutes
parts une vasto eonj uration se forme pour le bannir
loin de l'hllmanité. Qu'arlviendra-t-il done de ectte eO)1-
juration? Elle réussira. Dieu se retirera d'une génrra-
tion qui le repoussc, ot, durallt quelque temps) on verra
ce que deviennent sans lui la nature et la société hu-
maincs.


1. L·un des "ig-uc;; les plus llleuúk,tc, de cct¡.. ¡ji.'l>ll,itiull dll X\"lJl" ,iiele
ce sont :-;es Yll'UX et ~e:-i teutati \ '~'", d(l ra~)t'lllCS el! lllati("l"l; du rlt'"it eril1lillpl.
Un ~'e~t alor~ beaucrJUp lnté['t':-::;-:(~ ¡\ tll':-: h()lllllll':~ <1111 ll'il\;¡jl'llt lI'an11'1':-.
litres '-I1l" lenr qllalitc~ (l"h0l1llDI:s.En p,·inciI'Ié) J,., I'ublici,tl' d" :\\"111" ,i,' c:J¡.
out 1116cOllllU Ol! Illal.i'Htifié le (lmil ele l"¡ni,· ¡je"l, 1., "",id,',. ~L,i, '·11
j',,-tit, ib out llt'Oyoquú daus eLltc' plll'tie (L., h II:gi:·:latl(J!l tll',~ Clllr II1C;:-:':,I'-
meuts l'Cdanles par la jllt'tice et l'lwnlcwilé, l't lllaJt!.'l'I'; le' (TUl'! d\"nwllti
qn:.:~ la T('lT(~llr dl"yait illlli~>(j¡' it leu[':-. e:-'l)l'rall('I_'~, iI (':.:t ¡'.(lHital¡[¡~ de: 1';til'l'
rl'lUoutcr ell pltl'tie jn:-qu'il. ('n'\ l(~ l'1':':jll'd Idu~ ~,t';llJd dllltt i;1 ',¡I' h1l11l;I!W'
p:-:.I. (,lltnllrú~ panui II011:-'.




L.\ HÉVOLUTION. 1)9


Si l'on n'emisag-c pas sous ce double aspect le


XVIII" sieclr, on ne s'expliquera guere la Révolution


lJui le termine. Regardez a la brillante aurore de


leur courte carriere, dans le premier et vif éclat de


leur gloire soudaine, les représentants de la France


en i789; ne voycz-vous pas, empreintes sur leurs


fronts, les deux dispositions contradictoires du temps


dont ils sont iSSllS, l'amour des hommes, l'oubli de


Dien? Rien de plus magnanillle que les espérances


qui les animent; rien de plus présomptueusement vain


que les expéricnces auxquelles ils s'abandonnent. Les


hommes alors ont sincerement voulu le bien de l'hu-


manité, ce sera leur immortel honneur; mais pour


l'accomplir, il n'ont cru qu'en eLlx-memes et compté


(Ille sur eux seuls, et cet orgucil les a perdus. A ce
premier el rapide période de la Révolution, nons


verrons le biün et le mal, le néccssaire et l'impossible


se meler ensemble et se confondre en un sen! courant,


qui emporle la société ver s un avenir inconnu. Mais


bientOl, et POUl' qllelgues moments, le génie du mal


prévauclra seul; le siede de la philanthropie aura pour


terme la Terrenr.
Il y a dans la Révollltion frangaise un gout de des-


truction qui nc peut 6tre imputó qll'au fanatisme de


l'impiété; il Y a une puissance de destruction qui ne


peut 6tre expligu6e gu'a titre de cMtiment providen-


tie!.




70 LlVUE PHEMIEH.


Il fau! donc rechercher cornment se forma ce fitua-
tismo et pourquoi fut encouru ce chatiment. Apres les
infirmités politiques de l'ancien régimc, il resto oncore
a signaler les infirmités morales de l'ancienne société.


On a souvent répété que c'était moins comme doc-
trine religieuse que comme institution poli tique que le
christianisme avait, au xvmC sleele, soulevó une haine
furieuse. Ce qu'on poursllhait, a-t-on dit) dans l'Église,
c'était la féodalité. N'est-ce pas oublier que la haine
de la foi chrétienne s'est d'abord rópandue et long-
temps concentrée parmi les privilégiés? Rien n'égalait
le dédain de Voltaire pour la populace ou la cana/Re,
comme iI disait tour a tour. Longtemps il désespéra
d'étre entendu par elle et ne s'on soucia gnere; sa
correspondance en fait foi, Qu'est-ce qui pouvait ce-
pendant rendre odieuse aux héritiers des promieres
familles franQaises la roi de lours peros? Ses privilégos
temporels? lis étaient loin d'en souffrir. Son autoritó
spirituelle? Voila le joug gui no put manquer de dc\e-
nir insupportablo aux passions, a mesnre gll'elles gran-
dissaient en s'assouvissant. Si la puissance et les ri-
ches ses de l'Église avaient été le principal objet des
haines du xvmC sicele, les premiers coups contre le
christianisme seraient partis do la classo la plus basse
et la plus pauvre;· si, au contraire, l'horreur du froin
moral a, plus quo tout le reste, dé taché les ames de la
foi, il est naturel quo la révolte soit venue de la elasse




LA IlÉVOLUTIOl\". 71


la plus ojJulente eL la plus déréglée. Entre les orgies
de la Régence et les systemes du seIlsualisme, qui ne
voit la plus étroite affinité? et qui pourrait ::;'étonner de
la liai::;on do Voltaire avoe lo maréehal de Riehelieu '?


¡\insi, 1'irréligion est descendue des ::;ommets de la
soeiété frangaise, et eette irréligion est née du liber-
tinago. ~his d'ou est ven u le libertinage? De heau-
eGur ele causes assurément, mais surtout de l'oisiveté.
Noos tOllchollS iei au malle plus profond qu'ait fait u
rancien régime l'oxtinction de tOl1te vie publique.
Quand memc des institutions représentatives ne se-
raient pas ntiles an bon gonvernement de I'État, elles
auraien t encore un mérite; elles imposent un labeur
aux classes élcvées. Elles provoquent a travailler pour
le publie quiconque ne travaille plus pour soi~meme
ou pour Sil famille, et le travail perpétué parmi tout
ce qui grandit sert de eontrc-poids aux sédllctions d~
\a. prospérit6. Lorsqu'au cOlltraire iln'y a plus IlU som-
mot d'une llation d'autre activité que l'intrigue et le
plaisir, alors ce ne sont pas seulcmcnt les alfaires qui
Llrl3uisscnt, ce ~Ullt les IllCBur" qu'i se dl'pravent l , et
ce (llli lo prouv(~ c'est que, parmi les premiers rangs de
la sociétLi fran~aisc, la cla~se qui résista la derniere ü


--------_.------------


J. Yo~-nz :'111' ('C, poilll lllJ lin't' trl~·~~illh'·r'e:::.",'lllt ct tl'l~·i'-collclllant. en :':Cl
!nic~:y¡~b" : ¡JI . ...:.w·¡'¡;L¡: lí·{///~·fli . ..,'{J el lo Sr)ci,;t" IIllglrá'l'c flU X VIl1 e sirle le) pi-l r
~l. CllrtH:ll, ,le \Yitt. P"ri, !S1i L iIliclwl U\"y, \~tlitenr,




LIVRE PREMIEH.


la contagio n générale ce fut celIe qui la derniereaussi
garda des fonctions laboriellses: la magistrature.


Voltaire mit longtemps la grand'chambt'e du par-
tement de París sur la meme ligne que la populate et
les assemblées da clergé, qu'il ne se flattait pas de ren-
dre raisonnables i. Assllrément, nOlls nc prétendons
pas justifier durant le cours du XVIIIe siede toute la
conduite religieuse et politique des parlements : catho-
liques, ils guerroient contre l'Église ; issus du tiers-
état, ils défendent les derniers les priviléges les plus
surannés de la noblcsse, ils exasperent la bourgcoisie
et ne la dirigent pas; gardiens des traditions monar-
chiques, ils donnent, sans le vouloir et sans le savoir,
le signal de la Révolution. l\1ais enfin, malgré leurs
erreurs et leurs funestes fautes, nous admirons jusqu'a
la fin dans ces grands corps l'incompréhensible sérieux
de la vie chrétienne 2 , inséparablement uni a la fiere
dignité de la vie publique. Tandi .. que les grands sei-
gneurs se montraient courtisans et se disaient philo-
sophes, les magistrats restaient citoyens et chré-
tiens.


1. Voyez les extraits ele sa corresl'ondance cites pal' I'abbó Darruel:
lIfémoires S1l1' le Jacobinisme, t. 1, chapo XIV et suivanls, nolammen! la
leltre a d'Alember! du 13 décembl'c 176:,. Le temoig-nage que l'abM Dar-
ruel rend aux mag'istrals n'cst pas suspcct, cal' jI csl loja de les aimel'.
Majs il reconnait que, meme en eombattant le elerge, le plus graad nom-
bre restajent chrétiens.


2. Expression de Bossuet.




LA RÉVOLUTION. 73
Malheureusement, ces grands seigneurs, qui ne


comptaient plus dans I'Jttat comme puissance poli-
tique, avaient encore dans le domain.c dcs lettres
el dr la pensée une influence prépondérante.


De toutes les prérogatives d'une aristocratie, c'était
la seule que la haute noblesso frangaise avait su rete-
nir: elle donnait le ton 11 l'esprit public, et ses opi-
nions, ses gouts, ses enthousiasmes devenaient promp~
tement les op~nions, les gouts, les enthousiasmes de la
nation entiere. Longtemps cette inspiration d'une
classe généreuse et polie avait servi 11 élever, 11 épurer
le génie fmngais. 3Jais le jour OU les fils des croisés
devinrent les disciplos de Voltaire, Yoltairo seul et son
école purent parler et se faire entendre. Et tandis que
les courtisans cherchaient dans la négation du chris-
tianismo l'affranchissement de leur conscience, les écri-
vains y trouvaicnt l'affranchissement de lcur pensée.
lis goütaient l'enivrant plaisil' de ne croire qu'en eux-
memes ot cJ'Otre crus par tous. lIs voyaient, étonnés ot
ravis, l'empirc absolu de lcm parole éphémere se sub-
stituer au regne de la parole éternelle. Ainsi se con-
somma la triomphante alliance des libres penseurs et
des libres viveurs. Les mots pel'dircnt lcur vrai sen s :
le matérialisme s'appola l'affranchissement de la rai-
son, le doute fut nommé lumiere. II sembla qu'on ne
pouvait plus penser saos penser avec les nouveaux doc-
teurs; tous les désirs et les desseins C0119US pour l'ave-




74 LlVI\¡'; I'l\EMIEl\.


nir SO grefforcnt sur cette philosophio stérile et mor-
telle; ce gui ost éterncl parut surcmné, et des systemes
nés de la corruption des mrnurs fment acceptés
comme des principes de progres social.


CepeIlllant, tandis que l'oisiveté poussait ainsi la
noblesse al! libertinage, le pOllvoir absolu accroissait
l'éclat des désordres des roiso L'adultero devenait lIne
institution dynastique, et la majesté de la monarchie
était prostitllée a des biLtards ot a ues courtisanes. Quanu
le princo s'était ainsi pllbliquomont aft'ranchi de la loi
chrétienne, que pouvait-il encore, soit ponr protéger,
soit ponr 1'égir, comme il y prétenrlait par intervalle,
la foi chrétienne '7 Vainement ses 1'iglleurs melées
d'engourrlissement ]1onrsni raient-elles tant6t les ]11'0-
testants, tantót les jansénistes, tantOt les j(\~uites. De
quelque cóté qll'elles se tOlll'nassent, c'était le ul'oit du
plus fort qui pal'uissait s'e;.,.crcer, et rien ele plus. Un
arhitrai1'e somn01ent révoltait les ¡mIes sans les conte-
uir, et l'impiété suivait son cours, ayant en réalité la
nobIcsso pour disciplo, la royauté pour complice.


Une seuIe digne aurait pu l'aneter: le clergó. 11 n'y
réussit paso Avee quel I:elo et quelle vortu l'ossap-t-il?
Il est temps de l'apprécior.


Nous vcnOIlS u'observor l'ancien cler¡:;'é de France
horE du sanctuairo, dans la ,je civile et politique, et
111 !lOUS l'avons admiré sans réset've.


La propriété foneiere rendait l~s Im~trcs mcillcur;;




L.\ H~; V OL U T ION. 73


citoyens, a dit M. de Tocqlleville Oui, mais les
laissait-elle toujonrs aussi bons pretres ? Il nous force
lui-meme d'en douter quand il écrit ces lignes :
( L'Église de France..... devint muette; on put
«( croil'e un instant que, pourvu qu'on lui conservat ses
«( richesses et son rang, elle était prote a passer COIl-
« damnation sur sa croyance 2. » Su pposition calom-
nieuse assurément, et que l'évónement démentit avec
éclat. Mais n'était-ce pas déjiJ. trop que cette calomnie
vint a s'établir?


- _ ... -.------


1. 1 [ {'ól t'em'''''[u,tlJ}'', 'liJe ':" .'i;ntilllcnt de ~I., <le Tnr,!";Yille ;n,L' les
,1\"iullaS'I':-; d.' la propl'lde f1lUC1CrC pOlll' le dCr'f!u n tul pa~ t'te ll;-lrta8'~ pal'
deó cóprit, 'lu8 pri'ocrul",it illilnt t.,nt la missinll ópiritllelle du óacf't',loce.
(( .T.; lW_~ (li)lItrti~ I,il'll, j'_' Ll\OlH', ¡',('['it 31. de '!'o('l!lll-_'vilh-:>, Ú ~ILU<. S\YdC"híne,
{( Iflle cu qlW jl~ di:-, :-:lll' ll~ el(:r8'(~ tk, l'allcien r,"g:imo eL ~ur L:\Yantap:e
l( q'l'il ~. (¡viLit ;\ 11' raUar:her lXU' rlc~ jnlérNs terl'e~tl'C:-3 Ú ll11e patrie u'a.u-
\{ l';!it II:H \C\Lru a:-:sclltimeut. )) (Cf)l'f'e'''~jJo!lrlaJlce rl'A. de ]'(,cljuct'iI/é'J
t. fl, p. :1:10.)


SOi,,,"tl" :lll, illl[J,u'aYiULt, M. d(, "\I:\i,ül' e1ió"il: l( OlL lLI' ,.111l'ait lIiel'
« que 1\: ~aC'I'J'd(Je" eH Fl"illlCe ll'l~út lw:-\oin d'Mre ré~·eW~'l'l' ...• 11 {~t(lit P05-
~( ~ilJle :,OlIYt'nt d{~ lrnnvI'l', Sdll~ lr.' c;llllail, Ull dwvalitr ;llt lil'll Cl'l1ll dPIH¡'c,
i\ Le~ lJi(~ll;-; /111 (·lt'I'~/~ ,:'L!lll di:-:~ipl~:-:, allcnll m,)tif ln':'IJri:,,-dJll' ll(' ]ICIlt. <In
t( l(Jn!::'telJlp~ Jlli ilt'lllllf>)' d,~ JI()II\(~;1I1X JtlcllllJ!'(~~; pll :-:nrte ({111; t<:mt eUlle(Jnrt
(( it r(~lcy,'~r I~() ('fJqIS. ',) (('fJ/!sirf¡l"flhIJl/s S/U' In F)'(,,}t'(~.)


L(j cardinal P¡ICI.'rL (''\prilllrlil, en 18'~~~, ll-'s r(}l\nu~~ P(::11~ .. }C':' :,111' rEt-:'li~{l
d'Alll:lrwgllu, égaklw'lll d¡"lJ()lI¡II(~l" Ú b ~llite rll_' la r/~Y(dlltiml frill1~~(Li;o:.('.
et rlout, :1 la yei!Jf' ,L~ n\tk réyollltílJll) il :t\\lll C1)111l11J llul'ant :<(t llOIlCii{-
lw'(! it C-J1c'~'IH\) it la fui:-: la pru:.;p~"ri:¡') lllrj(¡''l'i(ll1l\ d la dl~('adl\lle(, :-'flíl'itudle.
,:ili-cúur, ~1lI' rI,rat adlll'l el le, ,["óti1lé(', flltllrc,; de ],E~'li,{~ cotholi,]uc;
OI~ln'j'('s da crn'rJill(¡( Pru:cu,. Ir'l(ltlitc:-:. ('H fl'anl..,'ai;-.;, par Qllcyra:::, t. Ir.
Voyez illl:':-.i j lllelw~ ynlllll!(') le:, ..:JI(;¡jIOÚ'(','.' S"I' Ir¡ /lf)I/('/fI!ll/'(' de Co!n.r;ne,)
Ki ~1. 11" )I:tiólre, ui le c:lrdillal I';¡.;ca 1I·cJJtcmbi'.'lIt a,'<lIp\¡lLC'JJt jl!~lifiel'
lc:-:- SPUIi;-:¡fíll(l':' l'l ll_'~ bUllrr(;(tux; Illai:-. dall:-: b rllinc d(\ b lllti:::~tlllCe pnli-
tique ele n~:.;lis" il, lIióCl'rru¡ieJJl l'ilill1lnrlalil,' .]:' ó,'l ji1¡ióóiHIf'C ,piriluelle,
~~t ils JH.~Ili.-;;-:ai{'llt la PnJ\irh.:llce ({ni I/'e/roce (¡Uf! jJ{J!u' ¡;('/'i/'(!.


2, Li\'. 11, chal" 11.




7ti LI"H E P 1\ EmEI\.
I


La vérité est que, en face des conqlletes sans arret
de l'incrédulit6 triomphnntc, l'énergie de la défense
n'a pas égalé la vigucur et la furcur de l'attaque.
Voltaire regne, et dans la patrie de Bossuet et de
Fénelon, dc Pascal et de Bourdaloue, du cardinal de
Bérulle, de saint Vincent de Paul et de .M. Ollier,
l'Église n'enfante plus ni oratcur, ni écrivain, ni doc-
teur, ni réformateur.


Deux cause~ contribuercnt a cettc infériorité du
clergé de Franee devant ses adversaircs. D'abord le
jansénisme.


Le jansénisme rétrécissait la rcligion, élevait une
barriere infranchissable entre elle et le commun des
hommes, et tendait a placer les chrétiens, au lllilieu
des générations OU Dieu les appelait a vivre, dans
un isoIement plus hautain que charitable. Rnl-
liant a l ui de préférence les ames énergiques et
austeres, faisant pénétrcr quclquc chose de sa morale
jusque parmi cem. qui combattaicnt sa révolte, il a
paralysé l'action du christianisme sur la société fran-
<;aise. Son exces de sévérité a protesté contre l'exces
du déréglement et ne 1'a pas contenu. De plus, il a
occupé a des luttes intcstines, n6ccssail'es sans doute
puisqu'iI s'agissait de l'intégrité de l'orthodoxie, mais
étroites el subtiles, les meilleurs athletes de la foi. A
travers la guerre civile, l'ennemi du dehors s'e~t avancé.


La seconde cause qui affaiblit l'Église de France, ce




LA fiEVOLUTIO:\'. 77


fut, il faut bien enfin la signaler, sa richessc ot son
rang dans l'État. Le patrimoine de l'Église avait été en
partie détourné de sa destination véritable, et quand
on voit les bónéficcs, séparés des chargcs pour lesquelles
ils avaienf. été institués, devenir la dot des cadets de
famille, il est difficile de ne pas faire remonter plus
haut que l'Assemblée constituante la confiscation réelIe
des biens ecclésiastiques. Les décrets spoliateurs de
cette assembléc apparaissont alors a la fois la consom-
matioll coupablc ot le chfLtiment mérité des détourne-
ments antéricurs 1.


Mais ce n'étaient pas seulement les biens de


l. En j iSD il Co aYail "!lS "I,b")",,, el 11,0110 pr¡cnrc, (rllOnlll1r,s en
cOlnmawl(~, c'c:-:t-;\-dir!; po:,~("d(',.~ p:ll' dr:-; 1)(~Il~licier:-, qlli j()lli~~(1it~l1t d'll11
ticr~ de:-: l'c\'t111ls un JH'~ll,':lkp sau:-! (\trc nwille:..: lIi a:"::-:lljd ti:..: ú (Ull~HllC oblit!'a-
tioll rnouo1; .. :tiIjIIC; 111l tite:, (1e:-; 1'(!rl~llU6 t'·tait clr'~tiIH~ ;\ l'ultreti('Tl dl'~ re]j-
gitl!.x; r{ lf~ dl'I'llil_'I' ti,·]':;; t1l1\ l'ól';¡rtttinll~ d l'hflrp-ps <111 priplll't': -011 rlr.
l'ali!JaY". 'l:li.~ 1;1, l,llll¡;ll'l dec) In()Jla~li_'I'C~ t()llll/~~ f~ll COnlnlalld(~ ur~ cnlllp-
tai~'llt pn':'iIllt' plu~ de l'(llig'icll\ I'Í, ~(m\-Pllt il:-, ('~tait'ut fort nwl l'utrctI'IlU:-:.
E~lligD, ¡lnc 1'ar,tit 1'a, ,/1I'¡1 y <'I\t en Fraile" 1'lus ,le 25,000 rcl¡~'iem:
(Etf¡f de lo ¡·'rol/ce f'l/ 17S!I, 1""° 1'",,] ¡¡"ilcall, ]l. liG el !in). San,
püdt;,f de l'ordl'l: (k:-:: .I{:-:llib'~, a])(¡li í~ll Fralll't'. ~ll 1 jf)3, HU certain
nombre Ill~ lllOll<t:--ll_'t'(·;-) ilyair'11t ~tl~ :-:lIll11l'iHH~:-: pitr le gou\'(:rJwment I1Y<lnt
\iDa. En 1I1JG, J',,,:,cntl,!,"e ,111 ¡oJ"r~", a\:lil ,"mi, le ""11 i1°11ll(' rl,form',
dans les orr!rc, rd¡~jcII\ i111llt "llu a,ait Clill;taü' h ,1i'radmcu el Ic reL,-
clH:mpnt. ~Iai:3 r,\_'Uc, I'l',furnlc [,[!" ];1 dc'mrwdilit aH pap~. Le rui fOrnlll. unn
ciJlllmis:;:inn ('nllI}JI.'~\"¡' d\'~Yt"qll(,:-: d d\~ lllil~i:.:tr;tt:.; 1l,)llr /t'l1 (H'I'Uprl'; la
lettre UIl elergl) ;lIIIJap" lH~ flll p,l:-:: ('IlYdY/'C; ella CI1ntllli:-::-:ion) dont f.oméllil'
de Bril:llUf': elrtit LltHt') lt':(yailla maniI'E::-:lcmcllt 11/)11 h ],1 n:'f()J'IlU') Inais a 1:1
disr::ltrition (h:~ I)rdn':-: n,lir'it~\lL\, !'t'(J\()!flli.llll dI' tOllh'~ l'nrt:-: d :-:ali:.:.fai~allt
autallt i[u'elle 1" l'I)([\°:lit 1", ,lellt:lll,I", d,' ""clll:II'¡,,,tl,Jll. L°:t"cltlbléc llu
r.1erge réclama ;'1 ¡dl¡ ... j('lll'': l'('pl'i:'l'~" llUli:.:. Yrlill('llH:llt: cUlllre le:.:. <tde:.:. de'
crttc comnlf:-::.:.ioll. r)l'!/JI/}¡"'I>,~' 11ow' ~'(JI'I'it' (1I'lIi')'fo¡','f; e(,,~'[(j.\'t'f/\'tÜjW; jJl!n-
dmd te XYITle sihJe, lJ,u' .:\1. Pi('()t) ;~e t~'llil ion ('(Jll~id(~rablcllll'lJl illl¡.!'lllellV'I';,
t.IY, 1".213) d t. Yl 1 p. ~nl. ,1Ir;JJ/nir{>.\'S/f¡·!f' '/IlNJ1¡t'II¡'Si/W,parBaITuPl.
t. 1, chapo 1"1.)




7R Llvn E pnIDIIEH.


l'ltglise qui tendaient a se séculariser; c'était la
porsonno ot l'esprit memo des occlésiastiques. Long-
temps leur intervention dan s les affaires humaines
a\'ait été néeessaire pOUl' renure ehrétiennos la légis-
lation et la politique de l'Europe; désormaiselle ne
servait plus qu'a donner un aspect profane a l'Église
memo. Faut-il (ionc s'étonner que DieL! ait p1'i5 soin
de ramener le saeerdoce dans le sanctuaire?


Je ne connai::; rien qui ju,:tifie mieux, s'il est permis
de parler ainsi, eette résolntion de la Providenee, qu'un
récit pen connu de la jeunesse de Turgot.


« Tu as tort, » lui disaient ses camarades de la Sor-
bonne, eomme il se préparait ti quitter la carriere ee-
clésiastique aprcs s'y etre ql1elr¡ne temps destinó. « Tu
«( os un cadet de Nonnandie, et par conséquent tu es
« pauvre ... Tos parents ont du crédito Tu e~ assuré
«( d'a,oir d'excellentos abbayes et d'etl'e éveqne un
« j\1111'. 11 sera ['aciJe a ta famille de to procurer un
« óvóché en Bretagno, en Provence Ol[ en Languedoe.
« Alors tu po unas réalisor tes heaux reves d'adminis-
«( tration, et SétllS ces ser d'etre l10mmc d'Église tu
« seras hOll1me d'État á ton luisil'. .. 11 ne tient qu'a
« toi de to rendre tres-utilc it tun p:1}'s, d'acquérir
({ une haute réputatioll el pellt-Nr(' (le te [rayer le
u chcmin au ministcl'e.


- «( Mcs ChCl'S \1mis, répondit Turgot, Jll'cnez paU!'
«( vous Ir eon~Ail, ¡misquc vous {lflllVCZ Ir sllivre; pOlll'




LA nl~VOLUTION,


«( moí, il m'est ímpossible de me résigncr toute ma vie
«( a porter un masque sur le visage. )) Et il quitta la
Sorbonne 1. L'Ull de ceS futllrs prélats, résignés, solon
Turgot leur ami, ~l porter le masquc, dcvait Otre le
trop fameux cardinal de Rohan. Un aútre devint en
effet ministre: ce [ut le cardinal Loménie de Brienllf~,
dont Louls XVI disait, assure-t-on : « llne croit pas en
Dieu 2. )) Personne ne contribua plus que ce mamais
pretl'6 a condllire la monarchie jusqu'a sa perte, et
personne ensuite ne fut plus lache devant la R(:volution
triomphantc.


Dieu IlOUS garde, assurément, de juger le clcrgó de


1. j'i,! dI' '1'/11'1/01, ]'al' llllj'iJl¡( di' ;\;l'HlUlll", eH lck di' >e" (j'1!\Te"
!-,ubliéc:: ('u1HII, t.l; p . .:2~. ()ll P"lltilll:,:,i clJn~¡¡ltl']') ~ilJ' t'elll-~ -':IJci(~lu(ks
éVld ¡;mt:-:- de; la SUrlJÜlllli', lLs Jlr!lIlrÚ¡'I;V de [o¿l,(J Jlo}'('I/r:/; t. 1.:' chapo '1 er.
OH {tlluür,', dan.: ('1' ('1lI'i'~11S l'l'l'lt; 'Ju,Jl( ~ l'¡'~:-:'JLll't:C:-: offrait a l'(:tucln cct
¡':Lt!):;:';-:'I~lUPlit dl¡ llt(jy~'1l (l~'I~ p:ll'cil :UL'\ FdlrJI,-'\!uj),,,,' de C:uul1rid(.2'(-l, OH
,1"( ';d"'l'd: 1 t (~lllll(\HI(~ t!'lUp:-: uIl {'I)tl:-:t,lte l'iJlllIJl(:ll rc,,,;,pl'~t de foi clui l'aY<lit
IIJUgtl:HlpS allilill" ~'C'll ("tait l'l'til\!. Le tib d\w \lill1f:til'l' d<: L~u[)) an;l,' .111
11ll~rik el le t-'-"juL di' :,'iu:,trllil'e) :-;'y truu\'ait le Cl(lll~II'([d!' d ~'ikYCIlllit l'tL1lli
r[(::, jC'1lI11':-: ~i'll:-: ]l0rt:li(,¡Jt k~ p!lI~ ~~'I',,)1Hl:-; 1!1)11I:..:. d,~ Fr.l11I'I', C'c',f:¡it llll
f¡':-ÜI! d¡~ b \ 1':~-:t1it(~~ chr.;til'lltll" tI:lll:' l'Eg'li:'I " .'[:ti .... CH 1I¡¡"llli,~ t'.'tl11J:'
li11 pr¡'.tn: l"J1J\ait rl'lIl'(llllrl~'l' ('flllrti:-'Olll el r1,~ \'Illtilil'\; t't di'
DidfTUt. (':'("I:lit \1)] d¡¡ LI'IIl!I~. Et, dlo:'l' lllll:-'- ct l'll IllI ~r'll:,
pllls cirl'a~'llllk t'lh'Ol'!'" ('('1, ;d¡]JI~~ ~Iol'l'!Id, prl'~I"i' ;-:;Ltl:-; t'llj ... r¡lll He pélrdUll1llt
j;tlllai:-;;t 1.l B.':Yi.\llltiIIH d'n\','Jir' l-illlJj:'IjU~~ ~(':-: hl~'JH~'lil~I.':-:) (~I.'lit ILlitlf':llr~ Hn
ltIJUlH~lt' hUlllllle d Ull lliJtllllll' d,' ('1) :11'. 11 lJl,jJ¡[1'il IIL'<llWnlll' (:1:; ('nlll'ilg'(~
:-1)11;-: ~a T\;~T"iLI'; !ill]Jli,1 ;-11 I~!)~ JI) ('/,/ t!1'.~' F',N¡I/I!,\', lllliffj 1.1 ('rru.w'des


J'I"d:lIl1illioll;"; {1,l(:\I.~('!, ('11 1';\\'('111' d,':-, iil~ (,t d,.';-: IH"l'c:, dt'~
I't d":-i yict;lLl":-i dll lriLllill:d rC\lllllli'llll1(lil"l, ~I:ti:-: jl 1U; (T~:-:a


d'l'Lru lllJilo;-:oplw it la 1':[1:1'11 dl[ X\'11Jl~ :-:il>dl',~ (,t, 1111':-:11111:, :\1. de,
itl'tI:!-!'llr:l );1 l'1\11,'li';-:;W4'í! j',·ligll'll:-l\..' de ll(ltl'C' 1~Ji'Jljlll.' par ~l}ll


liYl't': le (;I,!;¡/r' (/1( l'¡II'i.~'(Ú{II('."!ltr', (",' flll c-.'t. :tI)IJ':~ q\l'il l'I'lll'llulrl'l l¡oJlIl"
,\Ihl'l':-::lir~; '\:c fllt ('1 t :tI,IH'; qlli Illi (Jlli) 1:-::1 1111 ¡"clllJ 1)(' 1:1 l';lilli\]'jl', de
YI,llairv.


2. ,11';"/11/1'1" r/r' U/'FlI'/INrI rI" ,i1¡,j/r'l'.l/j,', f l. r'll:III, 11.




80 LIVRE PREMIER.


France sur de pareils exemples! Le bien, en son sein,
l'emportait incontestablement sur le mal; plus on l'ob-
servera de pres et tout entier, plus on en demeurera
persuadé 1, Pretez seulement l'oreille, durant le cours
du XVIIIe siecle) a la voix de ses assemblécs 2 : réunie,


1. « J'ai commence rétude de l'ancienne société plein de préjnges contre
« lui (le clergé du XVIIIe siecle), je 1 'ai terminee pll'in de rcspect.» Tuc-
que\'ille, liv, lJ, chapo Xl.


2, Ces asselllblóc:; du dergé nI' \alaient pas les concile:;. GOIlVoquees
autour du rui et :t 80n appel, onJillairCIllclIt pour voler le don gTatuit,
elles avaient pour premier objet ,les intérNs temporfls; (:lles étaient une
illstitution plus l'0liti'lu'" que reli~'iellSe. n ('''pendant il snflisait que le
clerg'é se trouy,,1 n\llni Il'importe it quel litre I'0nr 'lu'aussitlit les (J¡mgers
qni mena<;aient la religion, les ahlls qlli la cUllll'romrttaicnt fnssent sigualé;;
ayec une fp,rn1c in!lPjwwlallr.r. (Y(¡ir lrs rompte~ rewlus dl's asst..:lllblet:5
UU dergé rl~no les "lIéliloil'€s }Jow' se/'ni,' ti l'Il/slai,'!! I!l!l!lr!siasti'lue,
nou,--elle é,lition, 1. ) ¡'t Y, jJossún). Les ¡]ol':,1llr."s d les ]'(\damatiolls ,le
ces assclllblúc;s peuveut etre cUll~iclLTé~'s UHunw les jugelllcub les lJlus súr;-;
it consulter sur l'état "t les hesoius rcligicux de lil sueidé frall\'aisc, Mais,
dépourvue~ de c;¡rarV~re rallnlli(llH~ d s';.uJl'l'~S¿tllt ;"mrtIJut aH roi) ell(>~
dénollí:aicnt le Illal el ue le s'uórissaient paso


Qu¡mt il la composiliou ,lu ellr!,s él'iselJpal, il cs! juste d" l'eelJllllititrc
que lét feuille eles j)(\lléfiecs a le plus ;;uulen! óté e'Juliée it ,[,.s l1lJ1ll1l1l.'
¡;.;iuct'rement religiellx et lJui YCJulaieut COl1"scir;llCll!USl'lTll'lIt 1:tiJ'c de JJ011.";
choi'C. C'cst ce 'lui "'l,liquc que, malgTé tau! ele causes ,lu eol'l'llptioll,
J'épi:::copat :-;nit eH df~fillitiyc l"p.:-'te ~i b(JIl pt, plli~:::.c~ IJ1"0~tlltpr ;'l LulmiriltiuIl
de la postérité ,Ir's hnmnH's t"ls ({(l(' BelwlIce, '~ye'lll" ,le ~Iarscille) La
l\1otte, óYeqll(~ d'Allli()ll~, et Chri~tnJ!l[1' ,k 13(~aumollt, le g"r"'l1Hl et :-:aint
arehevclluc ,le Pari". ~Iai, il suilisait (rllU seul hOlllruO illdigne I!'llll si
reeloutalJlc mini,ti,re l'"ur tirer 'juehlues l'lúats dúU'slal,le, du oC in erUll
clerg"é qui, nlallwun'll;-;~111l.mt, (liJIl11llit nliLti¡'l"í~ Ú d~ 11lllt1\ai:; choix. Cd
houune se rcncontm 'U\" Lonis X\'i ce fut",1. de Jal','nh', éyé'juC IrOl'-
léan:;, prélat ld\I' que lllolllhin, I/lIi "iI'c,~da dans la \touill,' des 1""lJ("licf's
:tu c:ll'Ilinrtl de Flpul'y et 1, Buyel', '\\"(\'1'(" dI' ~)il'l'l)ui,. 11 fut disgraei"
ayec le ,Iue Ile Choisl'ul. ~)ais il avail eu k telll)" do ¡",mmer é\t"IIl"
LlJlllónie ele Brielllle. ~1. de .Jan:llto ell! 1\'¡t1Jord I"Jllr crJ,liljnt"ur el tll-
:-:uile pour ~uccec:.:;ellr, :-:Ul" le :-;i~c:e d"Ol'h"iLUC-:, :-:011 lleYl~lI, ,pli pre,ta :-:~nll('llt
.:omme Brieune il l",cullstitution ('i,ile el se lllaria (JIó" , Sil!' !'Jiistoi,.,'
rcclésiastiyuc, 1.1\', [l. 414, el l. Yl, 1'.499), L!i vOllln "aYI!Íl' ilu,si Ijlli
avait pro]l(¡SI~ \\1. di' Ta llenanll )"'111' 11)) ,\x,\ch¡". C','sl Illl l,,"\)nt ,].o ('rn,,'.




LA HEvOU:TION. SI


I'Église de France est, dans son Jangage et ses démar-
ches, toujours digno de respect, qllelquefois d'admira-
tion. Mais se disperse·t-elle, alors, au-desslIs des vertus
cachées dll g rand nombre, ce qui se déploie pre's de la
cour, ce qui attire an loin les regards) ce 50nt les vices
éclatants de quelques-uns. Dix justes auraient sauvé
les villes mauditAs; dix prévaricateurs n'ont-ils pas
suffi pour attirer sur la phalange sacrée la foudre qui,
loin d'anéantir, devait purifier en frappant?


Mettez donc les grandes victimes de la Révolulion,
Clergé, Royallté, Noblesse, en face de lems persécu-
teurs : la plnpart des accllsations qui les assaillent vous
paraltront <.les calomnies ingrates; les coups qui les ac-
cablent, des ceimes inutiles. ~1ais élevez-vous au-desslIs
de la terre, jusque vers le juge invisible et sl1preme, el.
de lit vous décoLlvrirez ce qui a dñ elre expié; vous
adorerez la Providence en détestan t les bourreaux.


M. d" jl:ll'bl>nf, 'fIÜ l¡nl eL"'el lOll~'l"ItlJl' la f"uillc de>, bCllélh-(r, COll1ll1f'
t~'{\qllP. ¡J'AntulI d tran:-:Illit, (lH 'li8t:L :-:1)/1 ;:-:l{~'(~ ,\ ~I. ¡J(, Tall(~,\TnlH] PIl
pa:-::-::mt Ú l'al'l:llp.Yt~'cll/~ ¡JI'. L,\OII.






CHAPITRE VII


Débuts de la Révolution.
Nécessaire et unanimement consenti d'abord,


le mouvement devient violent et désordonné.


1. Les Fran,ais, eu [789, pOllYaiellt-ib S8 contente!' ,Jég'alite sans libe!'t~?
- Il. n"ulJi"n ,]"s tenis on]rt'~. -lJI. L'A"emhlée rOllstit<lJmte et ,e,;
chef,.


Lorsque nous franchissons le seuil de la Révolution
de 1789, si préparés que nous soyons 11 la considércr,
elle nous étonne et nous confond. Les hornrnes devant
qui elle a éclaté ne l'ont ni prévue ni cornprise; et
nous-memes, a la distan ce qui nous en sépare, naus
ne trouyons dans l'histoire aucun événernent a lui
comparer.


Trois caracteres, dont la réunion serait inexplicable
si nous n'en avions d'avance et de loin recherché l'ori-




1. 1 \' H E l' H E ~l r 1<: H


gine, trois traits distinctifs eoneourent ensemble a
composer ccUe physionomie san s pareille de la Révo-
lution fran9aise. Jamais ehangement social et poli ti-
que ne parut aussi nécessaire, aussi unanímement
consentí, et jamais aueun no devint aussi violent et
désordonné.


Un changement, le changement gui devait rendre
les Frangais plus égaux et plus libres, était néeessairc :
d'abord paree que les ressorts ele l'ancien régime étaient
usés, les priviléges discrédités, legouvernement absolll
épllisé; mais aussi paree que les États et les pcuples
ne sont pas destinés a un immobile repos, et que ne
pas avaneer pour eux c'est mourir; paree qu'une amé-
lioration dans la condition générale eles hommes, UlI
progres dans le droit eomrnun de l'humanitó était
alors la voeation rnanifeste de la socióté frangaise, vo-
catíon imposée au XVIII" siecle par le Dieu qll'il mé-
connaissait.


Le leeteur qlli a bien vOlllu nOlls suivre jusqu'il
présent doit tirer eette eonclusion des pages qui
préceclent. Peut-elre seulement se elemande-t-il en-
eore si le gOllvcrnement n 'avait pas des celte époque




LA l\l~VOLUTIll:'l. S5


un moyen de sevrer les Frangais de la liberté: c'était
de leur donner l'égalité. Évidemment il n'en avait pas
d'autre. Le despotisme ótait désormais irnpossible avec
les priviléges; rnais il ne devait pas rester toujours
incompatible avec la démocratic, une irrécusable ex-
péricnce a par u le démontrer parmi nous. Un maltre
énergique et habile qui aurait achevé l'ceuvre de Ri-
chelieu et de Louis XIV, abattu les derniers débris du
régime féodal, aboli toute hiérarchie de naissance,
toute diversité dA province, de classe ou de corpora-
tion, et banni le privilége de toutes les institutions
civilc3, sallS reconnaltre a pel'sonne des droits politi-
qlles; un granel niveleur, en Ull mot, aurait-il en ce
temps-Ia suffisamment contenté la nation pour la con-
tenir'? Aurait-il samé le pouvoir absolu?


Quclques ministres, dans le eours du XVIII" sieele, et
beaucoup d'éeonamistes, ont cntrevu plm ou moins con-
fusément eette politiqueo Un en trame la trace j usque
dans les projets de Turgot, et a la derniere heure, si
Culonne, Brienne et Lamoignon ayaient un plan de
conuuitc, ce qui est fort douteux, c'était celuí-la.
Dans tous les cas, ils n'en essayerent l'exécution que
cl'une main faible, indéeise et maladroite. Cette politi-
que ne comenait d'ailleurs ni a l'esprit, ni a l'ame, ni
au cametere de Louis XVI, el il est diffieile d'admettre
qll'elle convint davantagc alors a la nation. Du moins,
quand celle-ci la vit percer dans les édits des ministres




LIVHE PIIEMIER.


que nous venons de nommer, ello la repoussa par un
mouvement de répugnance LLnanime.


De ce que la passion de I'égalité était chez les Fran-
Qais plus ancienne et plus olll'acinóo qllO l'amour dela
libertó, il no rósulte pólS que cet amüur ne fut n; vrai
ni vivace b. l'aurore de 1189. Notre élan le plus sou-
dain est quelquefois lo plll~ irrésistiblo; et si I'on mot
en doute que la liberté fUt en ce temps-Ib. dans le CCBur
de la France comme elle était sur ses levres, jo ne sais
plus a quelle parole hllrnaine, b. qllelle manifestation
nationale devra se fier thistoire. II n'est pas permis
non plus de tirer cctto cOlldusion de l'expérience des
t.emps postérieurs. Comment confonelt'c UIl peuple u~ó
par dix années de révolution (dix années plus fécondes
en ruines que boaucoup de siecles) avec ce memo
peuple alors qu'il se sentait jeune encore sous un
régime vieilli 1


Enfin cette politique, eut-elle réussi, n'ótait pas ca-
pa.ble de guérir la France, mais tout au plus de sub-
stituer a une Cl'i3C violente une malaelie do langueur.
Nulle part, en e[et, la libortó n'est pellt-etre plus dif-
ficile qu':lU sein des sociétés démocratiqlles, mais nulle
part certainement elle n'est plus indispensable: cal'
seule elle pellt combattre le vice spécial et dominant
de ces sociétés, l'égoYsme; seule elle peut agrandir et
fortifier les caracteres. Niyeler les hommes sans les
affranchir, c'est abaisser ce qui est en haut, ce n'ost




LA nÉVOLUTIO;\l. 87


pas relever ce qui est en baso Abattre des priviléges
sans instituer des droits, e'est souvent accroltre le
bien-etre d'un peuple, mais e'est toujours diminuer
sa dignité et sa virilité politiques. No reprochons donc
pas a la France, en 1789, d'avoir eu d'autres visées, et,
a travers ses égarements, ses illusions et ses reyes,
saehons-lui gré de nous avoir donné dan s notre histoire
du moins un jour, une heure, OU les institutions libres
ont été eonsidérées comme le complément nécessaire
des institutions démoeratiques. Quant a la vieille
royanté, si nous portons respeet a sa gloirc, gardons-
nons aussi de déplorer que son dernier jour et sa dar-
niere pensée n'aient pas été consacrés a inaugurer parmi
TIOUS le despotisme dómoeratique. Il n'a été donné ni
a Louis XVI, ni a son pcuple, d'accomplir ce qu'ils
souhaitaient ensemble, mais ce qu'ils souhaitaient était
plus noble et meillenr.


II


Je parle des VffillX commllns de Louis XVI et de son
peuple, et j'enteIlds par lit le peuple entier, saIlS dis-
tinction d'ordre et de c1asse; car, a allCUIle époque, au-
cune nation n'a paru plus unanime que la France au




LIVRE PBEMIEH.


début de la Révolution qui devait la déchirer. Et si
nous dégageons maintenant du milieu des ruines et des
chimeres de ceUe Révolution les principes de vie que
la société moderne a conservés, et qu'elle invoque en
les nommant a tort ou a raison les principes de quatre-
vingt-neuf, nous découvrirons promptement que ces
principes n'ont pas étó conguis, mais qu'ils ont été
consentis.


Quels sont-ils en effet?
La liberté individuelle. - Louis XV[, en convoquant


les États généraux, les a conviés a la garantir et leur a
remis le soin de prononcer sur les lettres de cachet j.


La liberté de conscience. - L'édit du 24 novembrc
1787 ü restitué (lUX protestants leurs droits de citoyens,
et un protestant devenait presque en meme temps prt)-
miel' ministre.


La liberté de la presse. -- L'al'rüt du Conseil du
;j juillct 1788 a convié tous les Fran9ais 11 donner leu!'
avis sur l'organisation politique de la France. lIs out
des lors usé sans contrainte, et l'on pcut dire sans rnc- .
sure, de cette libel'té 2; et lorsque les États généraux


1. ]),'dGrilli<lll ronlk a la "Jite ,]U C(\llo~il dn 2i ¡](,cPllllm, iI8~.
2. Elle fut CUSjJCI;ÜUU un irbtalll pat· un arrel <itt C'ltlo('il dn 11. ie\Tier


i'iR9. ~Ia1~ qlil.:,lqu/;::; Sl'fflailles apn":s 11';-: halút'lIlt:, de P<lri:s ubtiul'l'ul Llll-
torisatinn di.~ puIJlit'l' túut e,: q\l"ils \"(,lfldr:tjl'IJL Ú [lt"I\PIJ:-: de:-: l,lt:eti'JlI::i. ()II
sait (lll'UIIr flJis le:, Et:ü" gé~lf~r(lll\ rélllli~:, la rCILilk~ Jlllbli,',:~ par :\lil'alJ~au
SOUO le lilr" de J(¡w'wd des E/lds yenél'oll,r tUl ~lIj1prillle" par am't uu
COI"cil du 6 ll1ai 1 780. :\lai,:\l ira IW:(}J jlul l'I'IIl'end re illun{"lial"llll'llt sa l'ulJli-
catillll ,,)U~ fünllc ,le ll'ltreo El ses eon1l11ptlanb el ,uus le litre de Coulná




LA HÉVOLUTIO:\',


s'assemblcrent, il s'agissait moins de la fonder que de
l'affermir en lui assignant des limites.


La liberté politiqueo - Jamais assemblée ne fut
aussi libremont élue que ceUe de quatre-vingt-neuf j.
Jamais assemblóo ne fut convióe par un monarque a
régler aussi librement les destinées d'llne nation.


L'égalité civile. - Les princes du sang, les pairs
de France, et a leur suite le clergé el la noblesse de
París et dll royaume entier, ont renoncó a lour" im-
munités en matiere d'impot avant la réunion des États
génóraux 2. Quant aux droits féodaux, est-il besoin de
rappeler la nllit du 4 aout et l'émulution do sacrifico
volontaire qui l'a rendu fameuse? Sans eloute l'efferves-
cence melée d'enthousiasme et d'effroi qui s'empara
alors de l'Assolllblée nationale ne laissa plus aux 1'e-
présentants ele la noblesse et du clergé la faculté de


tic [J}'()1'f 1tU;(J. C('t arrel dll G ln~ti 1 '7R!i c:-:t JI' dC'l'uicl' d vilill dl'nrL ¡k rallcien
1'\~~'iIllf' f:IJlll!'t' la liIH»)'t/· .11' la pn':-:..;(!, C'~'"l Ú la e('n:,1U'(~ dL':-: club..: tlu'elle
;dlait arlJi!' atf'.tll'l' (In plllt,'Jt I·jll' ¡Ilt ,,1)1111Ii:-:(' d',.¡fI(JI,¡j Ú la ccn:-:urc
dl~l ia C!lJ111ll1l111' di' I'nl'i:-:; fllTf 1ff!; d,\;-: 11' 2-+ jllil1d 1 jR\l) que tOll:-' les
c¡d]lIJI't!'llI'" ·)11 ili . .:LJ'il/llll'llt':-- d'("4'l'i1:-: :-;,111:-' HI)1I1 Irilll]lril1ll'lll' ~1~rótipIltr'nn­
,lnit:-:. ell pri;-:nll el !J1!(' Ic;-; in1lH'ililf llt';-; IJlÜ dIJlHJf'l':tÍl'Ilt Cqllr~ t't Ih~s ecritEi
ti;lIt,~:'crull\: I'U ;-;1'riLil~'llt !'1'lIdu:-, !,,';-;po!l:':'~liJb':-,. (BlLdll..-'L el HUll:\) 1. 11) IJ. 1.HO.)
CI't (llTI~LI" dij~ Mi,t'll'll!''' fltt n'Jl!'l1\-I,I¡', 11' :l ,'unH par 11'" rqll'4},.::pntallb dlj~
dl:-:lrid:-,) qlli C\ i;':'('.I'I~Jlt }lr¡ll1' 14' 4'1)1p'Jl·t:I~'(' dr:-: 4~('rib mi \ i:-':I ¡](' 11'u!' r(lllüté
d,.' l'di,'c, (Iúid,. [" 2H,) Aulr,' arn'.t,', e,·m),la],],. PI! ,j,'"',,mbrc i 789.
(¡/,id, t.IY, p, 40,)


\. Sil]' (;(jttl~ Jil'I't'lL\ dl':-' ("I"ctiIJlI;-;, YO\"I'/. :-,lH"I'iaklllcllL h::-: enrien\: el
i;JV'n',';':-'\lllt~ rlMaiJ:-: IlilllIl(":-:' par ~J. dI- PI'¡l~ill:':': le," f"ltzó'S de S!I, chapo l.
~, BuelIez d J\"u~) Ilis!lJire jJa,.['.'IIU,',ilairc de ta R,:['Utuliul/, l. 1, p. ~GU


el J01. Bcaulicu, Essai,. ltis/üri'lucs SW' Ir) 1l1,:,'ulI11i0r1 ¡f(' Fr({w"., t. 1,
1', G2,




90 L1VRE PHEMIER.


mesurer ce qu 'ils abandonnaient. l\1ais s'ils dépasse-
rent a quelques égards les intentions réfléchies de leurs
ordres respectifs, ce n'ei"t pas lorsqu'ils proclamerent
ton te servitude personnelle abolie sans indemníté, et
tout autro droit féodall'achetable. Le roi, dans ses ob-
servations tres-sages sur les arretés du 4 aout, accept.a
ces deux réformes j, et. nous ne voyons pas qu'elles aient
été nulle part, cnsuite, sérieusement contestées. Le
clergé alla plus loin, il con sen tit authentiquement a la
suppression de la dime sans indemnité 2. Il est \Tai quc
plus tard la Révolution a détruit toutcs les redevanees
féodaJes et. n'en a racheté aucune. Mais sans examiner
ici si eette abolition gratuite était juste, qui peut clire
qu'en définitivo elle n'a pas couté plus cher au peuple
frangais qu'une transaction réciprolluement acceptée?


11 n'est pas jusqu'au déficit financier pour lequel on
a en recours allX biens dll clergé, que le clergé lJ'ait
offert de combler. Les besoins du trésol' auxquels l'im-
pot ne pouvait. suffire avaient été évalués a quatre cents
millions. Le elergé a demandé it fournir eelte somme
par un emprunt qu'il souserirait et payerait lui-meme
ave e ses seules ressources 3. Si ron eut aceepté, les
finances de l'État étaien t sauvées et son erédit 6ta-


. {. lS ,pl,tnmbre liH0. Bllrlll'l. ,·t Hlnl', t. 11, 1', ·\:l~).
~. 11 aoúl t Ib!l. lH'c!dratiull de l';u'('lH·yt-411l'-~ dI.: P¡¡!'i~:.
:l. lJi,c'Jllrs ¡j" rilrrhry,'qllc ,rAí\. S,"illl>':" ,J'I :)0 oc(ulm.' I,sr) d ,Iu


j 2 aHíl i ,00.




LA RJ1\'OLUTlO~. 01


bli. ~lais le cIergó demenrait propriétaire, et voili.t pré-
cisément ce que ne voulait pas la Róvolution. Elle a
préfér8 confisquer. Lo patrimoine de l'Église a été dé-
voré t~lUt ontier, dóvoré en pure perte, et de eette opé-
ralion spoliatrice sont sortis les assignats et la banque-
l'Oute.


Jo n'apel'ºois an début de 1789 qu'un seul objet de
conflit: l'égalitó politique; qu'un seul privilógo que
les pl'ivilógiós n'aient pas ahanclonné de bonne graee :
la distinetion et le yote séparé des trois ordres; dissel1-
timent considéruble, assurémenL, et sur lequel il con-
vient de s'al'rMer, pnÍsqne.de Iá sont sortÍes toutes les
discordes.


Jo ne vcnx [las examinet' ieí comrnent la bourgeoisie
yictoriellse a respecté ceLte égalitó politique si fiere-
ment. revendiqllée par olle contre la noblesse. Sans
dOllte il sorait cllrienx de roche1'cher si elle n'a pas re-
le\ó le privilége a son pl'Ofit; si aL! premier avónernent
d'un régirne libre, vingt-cinq ans apres la réunion
des ordres, les électeurs censitaires fment plus nom-
breux que ne l'avaient été pour les derniers États gé-
néraux les 61ecteurs ecclésiastiques et nobles, qui du
moins ne laissaient pas san s repr6scntants et SüIlS 01'-
ganes tout le reste de la nation. l1ais j'écarte pOU!' le
moment ces comparaisons. Je me reporte a l'heure
fatalE' ou s'éle\"u au sein d'un pellple qui semblait una-
nime la querelle qui le déchira, et je me borne ü de-




LIVRt<: PREMIEH.


mander pourquoi le premier différend, prélude et pré-
texte de tous les autres, n'a été ni écarté ni concilió.
Est-ce paree qu'il était absolument inconciliable?
Est-ce parce que les concessions nécessaires n'ónt pas
óté offertes, ou bien parce qu'elles ont été repoussées?


La premiere faute fut commise par le gOllvernement
dll roi. 11 convoqlla les États généraux san s détermi-
ner comment il~ dólibéreraient. L'initiative rOTale
fit défaut sur ce point ü la France; ce fut assez pour
que la France se divisaL Tout était changé, et par
conséquent tout était devenu incertain et obscur, de-
¡mis que le roi avait cessé de r(~Ul1ir les États généraux.
DlIns sa composition meme, la nomelle assemblée na-
tionale ne ressemblttit gucl'e aux anciennes. D'une
part, le tiers était doublé, et cet hommage rentlu a
1 'importance croissante de la bOllrgeoisie la jlrovoqu:lit
évidemment a demander le vote par t61e, la préparait
a se r,roire fru:itrée si elle ne l'obtenait paso D'aulre
part, une modificatioll llloins remarqwíe, mais nOll
1110ins grave peut-etre, eC ([lle nous (JY0I1S dlja pris min
de signaler, avait rt(1 acr,ord('e allX VCBUX des ordres pri-
vilégiés : le droit d'élire et d'Ctre élll dans lellr sein, ré-
servé jllsqu'alors 3UX sellls pos:iesscUl's de ficfs et de bé-
nófices, VCIluitd'Gtl'c cunféré pour la premiere fois il LOlls
les ecclósi3stiqües et a tons les nobles sans cxceptio[l.
En devenant plu,; étendu, le privil¡;ge ele la noblessc et
du clel'gé perdait ainsi sa nü~oIl d'(ltre : la proprióLé




LA nEVOLUTION.


fonciere t. 11 eut été plus conforme au véritable esprit
des ínstitutions anciennes, iI eú.t été surtout plus poli-
tique, d'attacher le priviIége a la terre et non a la per-
sonne; et, comme beaucoup de bourgeois avaient
acquis des fiefs, de convoquer ensemble· tous les pos-
sesseur:; de üe[s, c'est-a-dire tous les grands proprié-
taires de France, sans tenir compte de 1eUl' qualité,
d'éviter par la les lnttes de caste, et de cherchor onfin
dans la richesse territoriale un appui solide contro le
déboruemcnt ue la démoct'atie. 'furgot et ses amis, it
travers des théories trop abstraites et des combinai-
sons trop systématiql1es, avaient imaginé quelqlle chose
d'unulogue; mUls on n 'y songea pus ü l'heure décisive~.
Chaque ordre isolément se satisfit a ~Oll gré ; pllis lons
les ordres furent mis en présence, sans que le gouvel'-


1. el' chanp'emCIll~ ~i~'llal~ uuLaIUlllf'ullJtU' 11. llaudot (la Franrf? avo.nt
la !l,je/Jiu/ir))¿, JI, .'1:;), uOa\(liLJ1:t:-; ~dLil[lpé alllnal'CIlli:-, de BOllillt', {[ni <lyait
f:tit I'artie ,1" Lb','ntl,lé,' ,l,', llnlal,lc', ni! il fut yute. "TOIl' les ),uru:tu"
dit-il olan:-: ~l'~ rn¡:~m,)i!'~::-:., fl¡]llpU'n~lIt la 1'OI'I1li' déHlO~raliqm' dl~ rn.~":'l'lniJll~l'
l1nLiOll,111' f'Tl tlnllU:I!lt la f:Il'UItí-:1 <'1 tr)1l;-, les hOHllllC:-: san;-, état r:{ ~all~ pru-
prit"V' (11~ chaclltl dc:-, ll'()i:-) ol'rlre:-, d'Nt'(\ i~ll'clt'llrs et nll'mlH'i'S d(\ rdtr
:¡:::;-.(·ml,l(';r ••• I.,l~ Ji(f]tllJlT dc~ Jll'(jpri(~l'lir,:;.: ,lll\ Et;¡t:-; ~'lJ:n~~rallx IE~ IllOntait
IJü:-: ,\ 1 :¡O. )) (JJrhll(li,'()\' r/u íllW'(¡lás r/,) j¡(HU'I/(:, cllapo Ir.)


Dan:-; !L's f'lIllj¡';ITllrl':-, CJltl'(J les (,(J1l1mi:-"",'\il'i'~ ilH tiCfS ({ les commissaire:.:
df~ la ll(!bll's:=:n ~llr 1(' rIJt,~ par 01'(11'(' (JI] p,'u' t(~'tl', les ('l)rrl1Iti~silirl':-: du tit'r:-.
ni: m<l.lh[Ut.'n~Ht pas d-{)j,~f'¡'Vt·1' qll(~ «:-:i la llulJll's,-:c ~'U) lenait n},.-:tinéwl'nt
;111:\ aIlciL:lb USllg't.S, il fallait ('U rerulil' it n'aJlllettrc .:tU:\" Etal:=: cfue les
nc'¡,les pos~úbllt iicfs et cxdur~ ccux q\li Il'C'Jl llyaient p,1~ OH Ct'l]X qlli
avaient étlj IlI)I1llll"'.~ par tll'S ('lcdeur::; sans fief:-,; ce qui e\:clurait tOllS los
dc¡,ul'\, ll,)bb. (Jh'¡¡l'Jires de IJII1II!), publiés par :\1:\1. Ber,illt: et Barriere,
¡8~!) t. r, V 1:;.;


2. ,llamoire mi roi sur {es mwúcipalilés. OEllvn;s (Ir: 'l'llrg-ot, t. vrr.
Voir au"i Ir., Memo"/,!!s ¡{'/In rwIÍ de TW','1nt, l'ahbé Morellet, t. 1.
chal', XVTlT.




94


nement qui les convoquait eut prévu comment ils agi-
raient ensemble.


Ainsi abandonnées sans direction, chacune sur sa
propre pente, les classes rivales devaient aller s'exci-
tant réciproquement l'une contre l'autre.


Elles n'y manquerent paso Prenez les proces-verbaux
des assemblées primaires et les cahiers de la noblesse
et du tiers-ótat: a travel'S beaucoup J'ógards et de
ménagements mutuels, vous y trouverez le dissenti-
ment quí rlevait les faire entrer en lutte, netternent
accusé sans doute, mais beaucoup moins irréconcilia-
ble qu'il n'éclata dans le sein des États. La noblesse
surtout s'y montre plus disposée a transiger que la
majorité de ses représcntants ne voulut. le déclarer a
Versailles i. Séduits par les caresses des cOlll'tisans et
des princes, aigris parl'orgueil du tier,,;-état, échallffé;;
par l'esprit de corps, les députés nobles mesurerent
malleur force et la place qu'ils tenaient encore dans la
société frangaise ; ils oublierent q llC la noblesse, depuis
Hii4, n'avait jamais montré le moindre sOllci des
États gónórallx, et que, s'étant ainsi par su faute laissé
ravir a elle-meme comme a toute la natian le droit
de délibérer d'aucune maniere, elle avait mauvaise
grace a revendiquer cornme inviolable le droit de dé-


'l. e:; poiut a été tres-hien rni~ PlI 11Imi,"!,I' prtr ~1. Lt'nll de POl1C!Il~:
["'1' Ca/del'.\' dI! 8!1, "hap, r 1'( 1lI,




LA HÉVOLUTION. 9.3
libérer séparément. lIs ne ehereherent pus si, en saeri-
fiant de plein gré une prétention diffieile a soutenir,
ils ne pourraient poser des eonditions, stipuler pour
l'avenir quelque autre eontre-poids a la toute-puissance
d'une assemblée uniquc, et gurder encare eux-memes
une infIuenee eonsidérable au sein des trois ordres
pour la premiere [ois réunis. Il y avait, en effet, pour
la nobles se une prérogative aussi préeieuse que le droit
de délibérer par ordre: e'était le droit d'élire, e'étaient
les mandatairo::i distincts qu'on no luí contestait pas
eneore; et quand meme eette forme d'élection aurait
du plus tard etre modifiée, comme il est probable, en
attendant, quel eródit pouvaient se mónager les trois
cenls mombres do lu noblesse au milieu des autres
députós I L'expérienee récente des assemblées provin-
ciales indiquait queHe::; alliancos pré"orvatrices ils au-
raient nouées, s'ib n'avaient pas d'abord tourné cootre
eux comme un seu] homme lA tiers-état tout entier.
Des dissentiments au sein d'une assemblée libre, ap-
pelée a dócidcr du sort de la Franee, ótaient inévita-
bies sans doute, et pouvaient n'etre pas funestes. Le
premier malheur de la RévolutioIl, malheur qui n'est
pas encore róparé parmi nous, e'est qu'elle s'est ou-
verte en mettant aux prises des classes plutót que des
partis.


Il eut dépenuLI de l'initiative dLl guuvernement
royal de prévenil' un sí lamentable conflit, son indé-




9G L1VIllc: PHE~llEn.


cision le provoqua; de la générosité de la noblesse de
le conjurer, son inexpérience politique l'engagea.


Mai::; eniln, ce qui le rendit irréconcilíable, ce fut
l'emportement du tiers-état; ce fut sa soif jalouse de
domination exclusive. Nous ¡¡'avons pas dissimulé
les fautes des vaíncus ; il est temps de ne pas voiler les
to1'ts des victorieux.


Impatient des rnoindres obstacles, exigeant comme
s'i1 se sentaít déja le plus fort, ombrageux et déflant
c:Jmme s'il se c1'oyaít encore le plus faible, le tiers-état nc
se contente pas de se 1'aidil' contre la noblesse; blessl'
par la maladresse eL la dédaigneuse légereté desccurti-
san::;, il met sa fierté el sun courage á braye1' la 1'oyauté.
Vainement lui a-t-elle dé favorable jusqu 'a la réunion
des États: peu luí importe do la rejeter du coté de ses
adversaires; et lorsqu'elle commence á le redouter et 11
prendre en meme temps quelques précalltions cootre
les désordres populaires, aussitót il se trouve bIessé, il
se croit monaeé; iI se voit déjá llissous. Le vieux scn-
timent de l'honneur, l'amour réveillé de l'indépen-
dance et l'instinct naissant de la révolte se mélent en-
semble el s'exaltent l'un par l'autre en son sein: le
serment du Jeu de Paume est pretó. Sur les six cents
membres du tiers, un seul le refuse, un seul, tant Ir
mouvement est irré~istible, et, le dirai-je? indélibéré.


Qllelque j llgcment que l'on porte sur le serment du
.Teu de Paume, je m'étonne que tous ceux qlli con-




LA HÉ\'OLUTIO~, 97
naissent la redoutable puissance dcs enlralnements
parlementaires et des entrainements populaires ne se
soient pas accordés pour signaler au respect de la
postérité cet obscur honnete homme,·l\Iartin d'Auch,
député de Castelnaudary, ,'oulant que le registre OU ses
collcgues signent tous leur dóclaration unanime porte
ajamais la trace de sa protestation solitaire, et ré-
pondant avec simplicité a leurs tumultueux re-
proches : «( Je ne crois pas pouvoir jurer d'cxó-
« cuter des délibérations qui ne sont pas sanctionnées
(( par le roi i. )) La longue sórie de nos révolutions nous
offre-t-elle beallcollp d'actes pareils d'indépendance
envers la fonle? Je ne sais, et pourtant, parmi les con-
temporains dc Martin rl'Auch, je n'en connais qu'un
seul qui ait ella comr de luí remire un public hommage;
c'est le promotcur meme dll sermentdll Jeudc Paumc,
~lounier. Il a fait plus: dans ses Reclterches su]' les
causes qui ont empaché les F1'I111fais de devenir libres,
livre ócrit dans l'exil en 1792, il a donnó raison contre
lui-meme et contre tous iJ. cet unique opposant.


Mounier jugcait alol's d'apres l'événement; il était
cruellcmcnt irritó contre ses pl'opres espérances. J\fais


1.. La r0p"1l,e ([1'" l"i flt Ilailh d"it Uro nnlée : ".Ir lui ai rr~)l"lldn,
(( ¡lit-il, fjllf' l'~\:-::-:(\ll]ldi:'l' ¡"l(lit d(ll1~ C'(':-. 111'ill('ip('~, qll'(:lle recolluaitrait
l( tOlljnlll'? 1:1, 1l1'~("p~~itt'" dl' 1:1 "-<llll:tiClIl !lu roi . .fe llli l'cIllontl'ai yIH' 1es
" r!-,()luti,)ns in!i',!'iL'lll'l" ,¡" L\,,¡:mlJlée ,,[ (','1k ,1u sprl1lcut acl"d n'él"iunt
" pa, ,usccl'tiLI0, ¡](' 'ancti('n. 11 IJer,;da. n !ll,!I,wiI'CS de Bail(lj, t. J,
IJ·ll)2,




98 LIVRE PIl.EMIEH.


quand on se reporte 11 l'époque OU fut preté le serment
dl! Jeu do Paume, on doit reconnaitre que cet acte
hardi ne décidait pas tout, qu'il pouvait conduire éga-
lement la France, soit 11 la révolution, soit ill'émanci-
pation. Désormais il était certain que le tiers-état 115-
semblé forcerait tout le mondo u le respecter; il restaít
douteux qu'il sut respecter a. bun tour aut1'o chose que
lui-memo. Ce fut le 23 juin 1789 que ¡;;a condllite 1'é-
pondít décidément 11 cette dernicro question.


Le roi étaít enfin venu terminer pClr son arhitmge
le conflit qu'il Clurait du prévenir. 11 apportait dClns ce
but a l' Assemblée nationale des déclClt'Cltions considfí-
rabIes. Ces déclaralions méritClient sans doute plus
d'uno critique; elles venaiellt trop turd 1; elles Clvaient
été rédigées par des mains malhabiles, elles était:nt
présentées au milieu d'Ull fáchellx appareil: Lout cela
est vrai, mai" enfln, que contenaient-elles ? Toutos les
réfonnes qne nOLlS avons énumérées déju. La liberté
individuelle, la liberté de lü presse, l'égalité de tous les
citoyens et de toute" les propriótés elevant les charges
publiques, conservées et g'Clranties ; le vote de l'impót,
la propositioIl des lois, lü fixatioll dc~ dépellses naLio-
nales attribuée aux représentants de la nation, l'ad-
ministrütion de chaque pl'ovince remise aux reprósen-


1. e'est ~I' ljlli ",\t,', tri's-I,i,'u l'i',,,lllUll par le; plD' [,allí le d(JPUSf'll,. ,11'
la lnonarcltic, lü lnarqui:-:- dI; lkllüllé. Jllélll()i/'{!s, dl:tjl. l\".




LA nÉVOLUTIO:--r. 99
tants de la province; et de plus, sur les questions
débattues, sur les points OU Louis XVI avait a ce mo-
ment résolu de paraitre sóvere, que pronon9ait-il? Il
continuait d'appcler le3 membres dll tiers en nombre
double des ecclésiastiques et des nobles dans toute:;
les assemblées provinGÍales ou nationales; illes con-
viait a la délibération commune, toujours dans les
États provinciaux, ordinairement dans les États gé-
néraux. Enfin, il laissait la porte ouverte a tous les
progres, et loin de circonscrire l'initiative des dóputós,
¡Iles invitait a lui présentel' leurs yceux sans réserve.
e'est la ce qu'a voulu Louis XVI, ce qll'il a prétendu
donnera la France la derniere fois qu'il ait parló en
souverain, ce qu'it sa voix ont accepté la noblesse eL le
clel'gé, ce qu'a l'cfusé le tiers-état.
Lai~sarlt le roi s'éloigner, les ordres privilégiés se


ranger seul::; a la ~uite clu roi, il est demeuré ¡mmo-
bile, i ncertain, pret a subir la domination d'un tribun,
et l\Iirabeau s'cst levé: « Ce que vous venez d'en-
« tendre, s'est ócrió clans son premier éclat ectte voix
« tonDante, pOllt'rait Gtre le salut de la patrie, si les
« présents du despotisme n'étaient pas toujollrs dange-
( reux. )) Et, al! nom de la souveraineté du peuple, 1'01'-
gano du tiel's-ótat a l'cfusé des maias du roi le salllt
üe la patrie. Le despotisme! Louis X VI ne sut et ne
voulut jamais l'cxercel'. lHnis, eD COIlsentant a devoir
ü l'initiatiyc royale la liberLé publique, la France élU-




100 LIVRE PHEMIER.


rait marché vers l'avenir sans rompre avec son passé.
La Révolution nous réservait un autre 50rt, et moins
de dcux ans apres qu'il en eut fait gronder les pre-
mi eros fouures, le meme Mirabeau mourait, déclarant
sa patrie perdne si la royauté n'y reprenait quelquc
empire.


Des observateul's clairvoyants et désintéressés n'a-
vaient pas attenuu si taru pour apercovoir le~ périls qui,
sur son lit de morí, devaient épouvanter l\lil'abeall. Un
fCl'mier anglais et llll politiqlHl américain visitaicnt
alors la France, et tous deux, atnis de la démocratie,
mais cxereés a eonquérir ou it prutiqucl' la liberté, Ar-
thur Young et Jefferson, ont blftmé «( les patriotes ))
d'avoir déchiré la déclaration royal e ,


« Si les eommunes rcfusent obstinément ce qlli lour
«( ost PI'oposé, éerit le 24 juin Arthur Young, elles
«( exposent d'immenses bienfaits assurés aux hasards
« de la fortune, qui peut-Ctre les fera maudire par la
«( postérité!lll lieu de fail'8 bénir leur mémoire comme
(( eelle des vrais patriotes qui n'avaient en Vlle que le
« bonheur de leur patde 1. ))


« J'étais fort alarmé, raeonte trente ans plus tard
«( Jefferson dans ses mémoirC5. J'étais lié avec les prin-
« cipaux patriotas de l'assemblée. J'appartenais a un
«( paj's qui avait passé par Ulle semblable réforme; ils




LA I1EVOLUTION. 101


« étaient disposés a me rechercher, et ils avaient quel-
« que confiance en moi. Je les pressais avec instance
« d'avoir immérliatement recours a un compromis,
« d'assurer ce que le gOl! vernement était disposé a
« accorder, et de se reposer sur l'avenir du soin de
« faire naltre l'occasion de compléter ce qui pourrait
« manquer .... Ils en ont.i llgé autrement, et les faits
« ont prouvé leur lamentable errclll' 1. ))


En un mot, l' Anglais et l' Américain témoignent que
l'Assemblóe nationale de France put choisir un jour
entre la Róvolution et la libertó, et qu'elle choisit la
Hévolution.


fU


Cependant la COUl'onne cede, les trois ordres se
réunissent, et des lors, du cótó de l'ancien régime, je
n'apergois plus de rósistance, a moins qu'on ne veuille
décorer de ce nom le triste et dórisoire essai de dúfense
tenté par quelques invaliLles avant de rendre la Bastille.


1. Cit<'· 1'<11' :'tI. <i" \Vil!. Thomas .lrftel'scm, rhap. n.




102


Jamais un grand changemont social ot politique n'avait
pam si facUe, etjamais aUClln ne devinl aussi violent et
désordonné. (( Vous nous avez démontró, disait Rllr!W
aux meneues de la Constituante, que la difficulté est
bonne pour l'homme l. )) En offot, la Révolution s'est
avancée non comme un flellve qlli de ses flots accu-
mulés rompt avec efl'ort des digues trop étroites, mais
commo un torront lancé sur une ponto Ol! rion no I'ar-
rete, et dont la fureUl' s'accrolt. par la rapidité seule de
son cours. Ce qui a détel'miné ses exces, ce ne sont
pas les obstacles i elle en a trop pon rencontré, si 10 in
qu'elle soíl allée : c'est l'absence de toul ['rein; et des
son début, hélas! des 17RH, elle n'¡m a point connu.


Ce défaut de frein est lo dorniel' sigue caractéristi-
que de la Révolutíon fran<¿aise. Les hommes alors ne
lrouvent rien qui les coutionno, soit hors d'eux, mit
en eux-memes. ='lulle institution ne reste deboul dans
l'État, et HuI príncipe dans les ames, qui soient prop1'es
a prévenir Ol! a róprimer le désordl'c,


Les observateurs de la Révolution fran<;aise n'ont
pas assez remarqué cette désorganisation du goU\ er-
nement, cet anéantissomont de tonte autoríté, IlOIl-
selllemenl politiq lIe, mais ae1 ministrati ve et .i lIdicíairc,
qui signale les premiers mois de 17R9 et préceue les
décrets de l' Assombléc constituaIlte.




LA RÉVOLrTIO:\". 103


Il n'ótait ras, dans l'ancien régime, une institution
bonne OH mauvaise destinée a maintonir la paix ru-
bliqUf~, qlli ne chancelút do vétusté ou fIlle n'eussent
ébranlée déjil les réformes de Louis XVI. Aussi tom-
bent-elles toutes en pous~icre, je ne dis pas au pre-
miel' choc, mais au premier souffle de la Révolu-
tion.


París, des que les assemblées primaires so forment,
est livré aux assemblées primaires. Ces assemblées en-
voient des électenrs a I'Hótel-de-ViIle, et devant ces
électeurs tout autre pouvoir administratif ou munici-
pal abdique ot s'elface. Leur tücho accomplie par la
nomi nation des rlt\pul!\s ot la rédaction dos cahiers,
l'assembll"e do l'Hótel-de-Ville domeure nóanmoins
reunie 1 ; et lorsque la journée du 14 juillet a constató
l'impuissanee définitlve de la conr et du gouvernement
royal, eette assemhl(;e reste seule dehout, seule vi-
vante, senle maitresse dans la capital e 2; OU plutót, elle
IJ'est pas seule, elle a derriere elle les assemblées pri-
malres qui se perpétnent ir son exemple, ontretiennent
c1ans chaqno quartier une agitation pormanonto, l'ex-
cítent et la pOllssent rruand elle ge fa.lentit, la. eal-
butent et la remplacen! quand elle veut s'arreler 3, Et


1. Jl';""I1"'~s rle ¡¡milll., t. " JI. ·¡·;i ,·t ~J'j.
2. l/,irl., ]'. :¡IG.
:1. IMd., t. 11, ji. lGi, ¡l. 317 el :J7G el ,nite ,](, ce, m{moi"e" t. "',


ji. 208 el 2~!).




10', LIVRE Pl{l<:~IIEH.


ce sont ces assemblées de la commune et des dis-
tricts, ou le premier agitatcur ven u entl'o a son gré,
trouve place et grandit, ce sont elles C{lli, sans regle,
sans responsabilité, sans contróle) mais ayer une acti-
vité incessante ot fébrile, font la policc) sllrveillont la
presse, pourvoient aux suhsistances, distribuent des
armes et des munitions, arretent et relilchent les ci-
toyens, recherchent ot dénoncent les complots f.


Péril plus grand encore: en meme temps quo la police
ot l 'administration de Paris se désorganisent, la justice
est sllspendue; ce fait étl'ango o~t attesté par Bailly et
confirmé par les docuIl1onts officiels. Rien no répu-
gnait davantage et a plus juste titre anx hommes de
quatre-vingt-neuf que la lógislation criminelle de l'an-
cien régime ; mais encore n'aurait-il faIlu l'abolir qu'a-
pres l'avoir remplacée. Au contraire, lorsque M. de
Lafayette, devenu commandant de la garde nationaIo,
cut a répondre de la tranquillité de Paris, iI refusa de
preter main-forte aux jugcments rendus selon les for-
mes anciennes, et fiL partager son scrupule a la com-
mune. 11 faUut que, sm la demande de la commune,
l' Assemblée constituante décrétat une procédure nou-
velle, qui devait etro suivic meme ilvuut l'éfaLlisscJl1cnt
des nOllveallX tribunaux, et ordonnilt l'élection de quel-


l. Buchez él Houx, l. 11, p. 8:?, 90, [~2, 18:) el HiO, ~*:J, :!G>, 416,419;
t. IlI, pnges 170 it 1i4, 190 it 1!J3, 221, 22.\, 289,301,32\, :330, Ha,
"28; t. IV, p. 17,27,10,\'), 'i:i, R'J, [2[.




L.\ HÉrOLUTIO:'i, 10~


qucs notables destinés, en attendant l'institution du
jury, a assistct' les anciens juges. Jusqu'a l'accomplis-
scment ele cette élection ct la mise en vigucur des au-
tres réformes, c'est-ü-dirc pcndant deux ou trois moi~,
(e nous fUmes san s justice, )) écrit tristement Bailly;
(e I'impunité cut l'air de s'établir en proportion de la
«( licence : de lit la hardiesse des scólérats et le découra-
(e gement des honnetes gens j. )) Ce temps que Paris
passa sans jllstice était un temps elo famine et de
révolution indllstl'iellc, en meme tcmps que de révo-
rution politiquo ; car los anciell::; corps de métiers, déja
ébranlés par les ódits de Louis XVI, achevaient ele se
dissoudre depuis les arrNés du 4 aout. L'autorité du
patron ne contenait plus l'ouvrier; la sllrveillallce de
I'État ne s'exer¡;ait sur personnc. Qu'on s'étonne cn-
suite des exces de la populace !


Ce que nous disons do Paris s'applique a la France
enticro.


On a reprochó a l'Assemblóe cflnstituante d'avoir,
elan~ son organisation aelministrative, décrété l'anar-
chio, d'avoil' daus <.:haquc dópal'tcmcnt, dans chllque
commune, institué un petit gOllVcrnement répllblicain;
tandis qu'(\ll sommot de l'édificc, la royauté, imestie
du pOllVoil' exécutif, étai t laissée sans aucun instrll-
mcnt de son alltorité.


1. -1léIll0/"I}< de Iim'{{!I, t, 11, 1', :lfi2; Ilnd\cz d Hnll\, t, 111, ji. 14~,




LIVHE PlIEMIETI.


Le reproche est juste, mais en meme temps il faut
reconnaltre que cet état de choses a précéL1é les loís
qui semblent l'établir; qu'il est sorti, sans l'interven-
tion d'aucun législateur, de la décadrncr des institl!o
tions anciennes et du premier 61an populaire, et qu'en
matiere d'administratíon et de políce, la constituante a
seulement consacré ce qu'elle avait sons les yeux.


Des le 14 jllillet, partaut, en provillce romme tl
París, a la place de l'ancien échevinage depllis long-
temps annlllé, et tout a coup t'vanolli, des municipa-
lités poplllaires s'improvisent au hasard, des r¡¡ssem o
blements arm()s se fonnent entre les citoyens t. Partout
le cours de la justice est arretó. i\'onosenlrment la juso
tice seigneuriale, qui maintenait l'orrIre dans les ram-
pagnes, a pell pros comme l'orgLtnisatio[] de:,; corps de
métiers cantribuait a le maintenir dans les villes, la
jllstice seigneuriale, objet de toules les colores, es!
paralysée OLl abolie; mais encore, el'un hont a l'autre
du territoire, la jllstic8 du roi, exercée par des juridico
tions ::iuspecte::i et di~cr6ditées, ccsse WIl office memc
uvant les décl'ets qui la sl1spendent~.


1. HlIelle!. el nlll", t. IT, ¡l. J:n.
~. (( L(~ lW1ll'lc lH' l"l':-:)lcd4\ !la:.: llj(\j11{' le:-- rlt"Jits :-::tCI'l";-i ¡Ji' Id


!I';-, a~S;t:-:~ill;lt:' se nmlti¡dit>lll; dl':-! ;l1tl'í\llj! '1 I 1i'1lt:-. ¡j'II()llll11i':-; el!
rUllJnW~ <()PP()~(,llt ([Jl ('nrnllll_'I'Cf' d ,'1 b eirl'¡!I;di(11l d(\~ p,l';liu:-, . . 1)1) ;¡rn"ti\
les "\IJitm'¡':-, lJilr tr'l'l'l' d k~ !¡:Jt(';lll\ Sil!' 1:1 Loil'(~ el¡;lrg¡'"..; (k f,!TailJ";; oll
1'~YI'lttl'(j les :-:'¡ll~:-:, IJJlllll't ¡L };¡ dClln~e k {Jri\: qll'Olt YC'ut d illl u"u]¡:,Cl'\t'
,'¡ll('¡lll" 1'1"U'!I~ ¡bll:' le lt1l':':IIl'a,!.!,'I'. La 1l1(1l'~l'1l;lll:-::-:I':I' ;l f¿Lit illf'HI'llJ('j' di' ('1':-
f;lit~. ~bi:-: eillqualltu it ;-'IJi\;Ulh' h~IlII\;Tl:-: 1'11tl'wlll"- daw .. ll'llr:-: dl'l'n;-:lli'llI:'




L,\ H EVOLU TION. 107


Aillsi s'expliquenl les prerniers exces révolution-
naires, le déwrdre, le pillage el le meurtre iuaugurés
dans les mes de Paris le jour de la prise de la Bastille;
el le rneme jour da ns les campagnes, dans les pro-
vinces, des bruits sinistres répandus soudain; la ter-
reur des hri!..!ands semée partout u la fois, d'un bout a
I'autre du royaume j; l'émigration provoqué e ou pró-
eipitée par des incendies mclós d'assassinats 2. Ces dé-
sordres, des aveux (lll'On ne récllsera pas les attestent
ida tribunc !neme de 1 'Assemhlée constituante. Sur les
troubles de Paris, c'est l\lirabeau qui témoigne, le
24 juillet, que leur premiere et principale cause est
« qu'aucune autut'ité t'CC011I1ue n'existe dans la capi-
tale 3. )) Rnr les trollbles des provinces, un comité de
I'Assemhlée vient cl{iclill'cr, le 3 aout, par l'organc de
son rapportem, que « les propriótés, de quelque na-
ture 1J1I'ellcs soient, sont la proie du plus coupable hri-
gandage; que (le tous les catés les chúteaux sont brulés,
les CULlYcnts détrl1it~, les fennes liyrées au pillage. ))


'Ldtl'(~ fin lil'llh'II;lllt ;.!'l"ll('I'al dl! }Inilli(t~'[' di' F(IJ'('!: .\1. ~k \ll_'rIlIX) au
~'II"III' de·..: :--1'I'al1\~ 2i 1ll;1!'~ 17t\~), .\1,\,11. 111' l'E1IlJlil'I>. B. 1II ((Ji), JI, -í;J3.
YII:--,'Z ~IL,,·i CII;\~:-:in, (;/;111,> de la n';I'ul/lI/IJ/I, t. 1. ¡¡y. 11, ('luq'. r.)


1. ,\1,;"1'1'1'1" l/e 111I1//!/, t. 11; 1', Uj1. 11';"1.1//1 /)/I/¡'(!/Iis tll) i"r'i'I'¡"'re.\',
¡ly. lIl, .1I1'1¡/f)¡'I'f'C:: (/I¡ ('{¡n/tl' /le/t.r!lIof, L. '" C'1¡;lJl. 1\. B1II'11I'1. d It(jll\, t. 11,
p. 1:1.1,: l:n [ll :-:lliv.


2, Jll;/lI'lll'l's dI' 1"1'1'1'/;""1"', Ji,'. JlI; HuelE'!. el n"I"', t, 11, p, ¡:HJ,
l:;S, t. 111, 1'. ~:¡S, ~:j1, :;oí, :I\~; l.1 V, 1', 11;2, 171, :1[0, :W5, ~HI, ;¡¡:;,
:¡;;~.


:1. Ilncllf'z !:l H""" t. 11, 1'.I:iO,




lOS LlVRE PUE}!UII.


Et iI ujoute : ( Les impóts, les redevances selgneu-
riales, tout est détruit; les lois sont sans force, les
magistrats sans uutorité, la justice n'cst plus qu'un
fantóme qll'on chorehe inlltilcmcnt dans les· tribll-
naux'. )l


On a eoutumc d'opposer 89 a !)~j, et l'on imagine
avee ces deux dates tracer une ligne de séparation
entre les élans généreux et les eoupables fureurs. II im-
porte beuucoup, en etret, de ne pas eonfondrc, an ber-
ceau de la Franee nOllvelle, deux ehoses aussi rappro-
ehées quoiqlle allssi dissemblable~; il ost hon de
gurder dans la langue politique des termes qui les dis-
tinguent nettement. ::\lai:;; l'histoire, étudiée de pres,
s'accommode mal d'ordinaire a ces dómurcations tran-
ehées; et si l:on tient eompte ici de l'exactitude et de
la succession des faits, il faudra bien confesser que
l'année 17 89 renferme des journées qui n 'auraient pas
été déplacóes eIl 1793, Oll pllltót~ le mal en 89 c'est
l'anarchie qui aboutit en 93 a la tyrannie des scélé-
rats.


Il y a pour une nation une unurchie plus funoste
que l'anurchio oxtéricnrc et matérielle, c'est eelle qui a.
son siége UUllS les esprits et les consciences. Il ya púur
UIle révolution un symptóme pire que lo crime, e'est
la tolérallee que lui aceordent les honnetes gens. Apres


J. Buchel el TIom, t. tr, p. 209,




LA HEVOLUTION. 109


tOllt, 011 a Vll quelquefois un peuple laissé tOllt 11
coup san s frein se contenir soi-meme. Les patriotes
de 1789 qui s'éle\ erent soudain et de toutes parts sur les
ruines des anciens pouvoirs anéantis, dés"iraient sauver
la paix publiqlle. Ils y seraient panenus, san s doute,
s'ils avaient trouv6 au [ond d'eux-memes des principes
et des regles capa bIes de suppléer u la défaillance des
lois. Mais ceUe ressource supreme leur a manqué:
I'Assemblée cOllstituante a queh.J.uel'ois con,;;taté et d6-
ploré le désordre, nous venons de l'indiquer; elle ne
l'a jamais répronvé ni réprimé, nons allons etre obligés
de le reconnaltre et d'examiner ce qui lui a manqué
pour cela.


QW.lIld je vois cette grande assemblée, l'enf~nt,
I'image et l'orgueil de la France, en devenir soudain
I'llnique et souveraine maltresse; qltand l'ordre social
et poli tique en suspens attenu tOllt entier d'elle seulo
sa regle, je regarde d'abord si elle est carable de se
régler elle-meme. Je lui demande avant tout la force
d'ilme. Assul'é de rcncontrer en elle l'ím[J(~tlloSÜlí qui
s'élance et entralne, j'y cherche la fcrmeté qui résiste
el préserve ; je la cherche partout en son sein et ne la
trollve nulle part, pas plus dans le parti que l(~ mouve-
rnent heurte et ble~sc, el llLli devrait le rJleulir, que
dans le parti qui s'y li \Te et uevl'uit le uiriger.


Cette incapucitr\ de ré~ister est le trait distinctif du
cóté droit a l'Assemblée lonstituante. Si ron réfléchit




110 LIVIIE PHEMIEII.


que le elergé et la noblesse ensemble eomptaient dan s
eette assemblée six eents membres; que partagés en
deux eamps, iI est vrai, sur la question du yote par or-
dre, ces six eents membres devaient, une fois les ordrcs
réunis, se retrouver d'aecord entre eux dans la plupart
des débats et pouvaient dans leur8 rangs réparer les
défeetions, eombler les vides par des allianees au sein
du tie1's état; OIl s'étonne qu'une opposition si eonsidé-
rabIe n'ait rien prévenu, rien amorti.


Le elergé, le premier, se trouva frappé d'impuissance.
Apres qu'il eut timidement et vainerneut essayé de se
porter méJialeur entre les deux autres Ol'dres, les
haines qui l'cnvironnaient et qui, malgré la comlllll-
nauté des intérets, étaient plus vivc~ pcut-étre sur les
banes de la noblesse qu'ailleurs, les hostilit6s qui 1'ü5-
saillaient de toutcs parts le conduisirent pl'Olllptcment
11 penser que le temps d'intervenir dans les affaires
humaines était passé pOIl1' lni. Les mesures proposées
d'abord 80ntre ses bieIls, ensuite contrc son existence
meme, le réduisirent bient6t a comparaltre en accllsl\.
Il le fit chrétiennement eL nohlement, sans espoir
d'échapper i.t l'injustice, mai~ aH~C la résolution de
mériter le respeet; et le jour oi'I, sommó de preter un
serment attentatoire aux droits de l'Église, il se re-
tira de la dernicrc assemLléo OÜ iJ ait dú entrer en
corps, le 4 janvior 17!:11, il mit fin 11 l'histoire poli-
tiquc uu sacerdoce en France par une pago mémorable




LA HÉVOLUTION.


ajoutée a l'histoire de la foi et a l'histoire de l'hon-
neur.


Un seul de ses membres avait voulu etre et avait été
orateur politique : l'abbé Maury, pretre intrépide alors,
mais d¡:ja ambitieux et mondain, qui, en soutenant avec
éclal la cause des vaincus, semble moins accornplir un
religienx devoir que remplir un noble róle. Son rare
talent de pamle vient de l'esprit et de la mémoire plus
que dc l'ame; son brillant courage est soutenu par le
hesoin de la renommée plutót que par l'ardenr du zele.
Sa croyance est sincere et pure, mais ses allures sont
profaIles. Cet eIlnemi de la Hévolutioll a respiré l'ail'
du XVlll" siecle, ct, tandis qu'il défend l'I~glise, on se
demande quel(ll1ofois ponrquoi il est protre. Aussi ne
faudrait-il pas citor l'abhé Jlaury pour prouver que la
vic ecclésiastiquc n'étuit pus, des lor~, incompatihle a vec
la vie politiqlle : son cxemple bien étudió montrerait
plutót le contraire.


Cependant, si Ull cóté droit de l'Assemblée consti-
tuante le cler¡:;-é se taisait et se rccucillait, il C11 était
tout autremcnt des memhl'es de la noblesse assis sur
les memes bancs. Ils fonnaiellt, au contrail'e, la partic
dc l'assernbléc la plus hrllyante, la plus indisciplinée,
la plus orageuse, rnais ti vrai dirc au~si la plus iIlJCtiVC.
Leur premier échcc, la l'éunion eles trois ol'lll'es, les
avaiL l'cjetés sans l'ctOLll' elans le clécouragement, l'in-
souciance frivole et la col~re; et, tl partir de ce moment,




112 LIVRE PREMIEH.


ils raillent et maudissent le mOll"Vement qui les froisse,
mais ne tentent rien pour l'enrayer; i1s le précipitent
meme en ¡'irritant; ils provoquent et protestent tou-
jours, ils ne discutent jamais j.


II s'était pourtant élevé parmi eux un orateur : au
milieu de l'inexpérience universelle des gramls débals
publics, un jeune et obscur officier de cavalerie, Ca-
zales, avait tiré de son ame de soldat des accents élo-
quents, et, montant a la tribune comme a l'assaut, il
partageait avec l\lirabeau le privilége de faire passer
dans 5a parole soudaine une émotion qui parfois la
colore et l"óchaufle encore aujourd'hui. Heurellx le
coté droit s'jl avait marché sur les traces de ¡'homme
qui dófendait sa cause sans diriger sa conduite! Tros-
opposé a la r('union des trois ordres, mais capable,
apres une défaite, de se relever pour combattre encore,
Cazalos apprenait de la ¡ut1e meme a bien cl10isir ses
armes. A mesure que ses adversaires avangaient, son
courage ne fléchissait pas, mais son esprit s'assou-
plissait en s'ótendant. S'il avait pubó ses sentiments
royalistes a la SOllrce des vieilles traditions, il emprlln-'


1. C'~,t ce fluí r,~,ultc de rélwl" de, l"'íllcil'alc, d0lihóralinns de I'A,-
selllhlée cou~titlli.lllte et sllrlollt (111 ('lliirt'(~ d\\~ \"oV'~ sllr le:- plll~ p'rlindr~:l
(¡uc,tion,) ce qui csl dóploró el r1'~jJeillt jlat· un ti", nt"lllbl'e, de lillllaj'll'it i,
dA la nobll':-::se, Ferriere~, (ltms tuut le Cul\t's de :-:.es .M(~llloir~:-:, el par lt'Colllte
rle Gouwrnet, fils rllllllinislrc ,le ht [(lterre, ecrivant au ll1iu'qnis de BUllill,;
apres le rrtour (]e ra['ennes. (JJellloil'(!' ,Ir' lImálü', d1'1]). XI!.;




LA n É VOL UTIOl\. 1.13
tait ses idées a l\1ontesquieu; e'est au nom du VCllU
national qu'il défendait la royauté; e 'e5t pour la liberté
qu'il déplorait sa ruine; e'est enfin runion de toutes
les classes qu'il invoquait a la derniere heure pour con-
jurel' la Hévolution !. (( lis veulent, disait-il~ des adver-
« saires de la monarchie, ils veulent établir un état de
(( choses ou, si YOUS n'etes pas le plus libre, vous serez
«( le plus escla ve des peuples; ils velllent établir un
(( pouvoir arbitraire plus despotique que celui d'Orient
(( dont les fureurs se brisent encore contre le respect
ü des peuples pour la religion et pour ses ministres, ..
(( JI ne s'agit ici ni d'intérets particuliers, ni de classes
( différentes; e'est l'intérét commun, e'est l'autorite
(( royal e qu'il fallt défendre ... Lit OU le pOllvoir exécutif
{( est dépendant, le peuple est esclave. ))


Sollicitude pour la liberté aussi sincere qu'elle était
alors éclairée, et qlli, 10in de dépendre des cireons-
tanees, devait ehez CazaJes sllI'vivre a tous les mé-
comptes; car, jllsque dans l'émigration ou il se réfugia
tres-túrd, le plus vailIant champion oc la monarchie
garda pOllr la Franee le gout et l'e5poir du gOllverne-
ment représentatif. On rapporte meme qu'on lui en


1. Yoy'ez, notammelll, ,e, ¡leux Lliscours sur l'institlltiou des juge"
séaur.e des J el'j mai 17nO; ,mi t1iscours sur le lb'oit de paix el ue ¡('uene,
,¿;mce <1n 21 lllai 1790; ;111' le rellyoi dps milli"tres, ,eplembre -1190,
ellfill sur J'iuyiol"bililé royale, séall\'¡' tln 28 mar,1791,




114 LIVRE PREMIER.


sut mauvais gré, et que ceux dont il avait défendu les
intérets et les droits furent peu satisfaits de le trouver
affranchi de leurs préjugés 1,


Quoi qu'il en soit, il est certain qu'au sein meme de
l' Assemblée constituante la lutte contre les novateurs
fut soutenue par quelques hommes isolés, et non par
un parti; que le coté droit non-seulement ne sut pas,
mais ne voulut pas disputer le terrain a ses adver-
saires, refusa d'accueillir et d'appuyer ceux d'entre
eux qui essayaient de s'arreter, les rejeta lui-meme
dan s le courant qui emportait tout, et préféra atlendre
son triomphe, ou plutot sa vengeanceJ de l'exces seul
du mal. Le mal ne devait que trop répondre a cet
appel du désespoir.


Cependant, a défaut de contradicteurs qui la con-
tiennent, cette assemblée ne tt'ouvera-t-elle pas dans
son sein des conseils quí la temperent? A ce role de
modérateurs sem~laient appelés des hommes associés
avec éclat aux premieres démarches des vainqueurs,
échauffés par leurs belles espérances, mais étrangers
a leurs passions mauvaises; empressés d'applaudir
d'abord a la ruine des vieux abus, prompts a s'alarmer
ensuite du déchainement populaire : groupe peu nom-
breux, brillant, et d'abord admiré, applaudi entre tous,


1. Voyez la notice publiéc ~ur Cazal~s par un contcmporain bien in-
formé, Beaulieu, dans la lliographie l\1ichaud.




LA RÉVOLUTION. 115
lesl\founier, lesClermont-Tonnerre, les LalIy-Tolendal.
l\'Iais eux non plus nesurent point surmonter un reverso
Ils s'étaient, a tort ou a raison, attachés a la constitution
anglaise, comme auparavant la majorité de la nobles se
a la séparation des ordres; et le jour ou ils virent 11
leur tour leur plan repoussé, ils estimerent aussi tout
perdu. Clermont-Tonnerre s'effaga et ne reparut guere
que pour mourir courageusement, au 1.0 aout. Moins
heureux, LalIy-Tolendal et l\founier, apres le 6 oc-
tobre, quitterent l'Assemblée et la Franee; ils aban-
donnerent le ehamp de bataille. Leur caraetere n'était
pas trempé pour la lutte.


Un seul d'entre eux, un seul membre, a vrai dire,
dan s toute l'Assemblée, resta debout entre l'ancien ré-
gime et la Révolution, inébranlable jusqll'a la fin dan s
une modération toujours active: ce fut lVIalouet. L'ho-
nomble singularité de cette attitude mériterait seule
qu'on s'arretat devant lui; mais de plus, s'il ne s'est pas
trompé, si eonstamment les votes de ses collegues ont
donné tort et les événements raison u ses conseils,nous
apprendrons, en l'éeoutant aujourd'hui, que les cata-
strophes ou fmení précijJités nos peres n'étaient pas
inévitables; nous serons préservés du f8.talisme. Prétez
done l'oreille a la voix de cet honnete homme, plus clair-
voyant qu'éloquent, et vous l'entendrez, vis-u-vis de la
noblesse, travailler sincerement a la réunion des trois
ordres, en détournant vainement le tiers-état de




116 LIVRE PREMIER.


l'imposer j; \'is-a-vis du c1ergé, chereher dan s ses
biens une ressource pour payer la dette publique
san s nier la légitimité de sa possession 2; vous l'en-
tendrez, quand s'ouvrent les débats sur la constitu-
tion, réprouver la déclaration des droits de l'homme
et réclamer sans délai des institutions libres 3; tandis
qu'ils se poursuivent au milieu des orages, proposer
tantót qu'on prévienne le désordre en donnant du
travail au peuple affamé et désCBuvré 4, tantót qu'on le
réprime en assurant au roi une autorité réglée par
la loi ¡¡, ne souffrir jamais qu'on lui cede 6; et, lorsque
enfin cette constitution inapplicable s'acheve, vous
le verrez, entre le cóté droit qui refuse de délibérer
et le cóté gauche qui n'ose pas se rétracter, se lever
seul pour en signaler les vices et en réclamer la ré-
forme 7. Pourquoi donc fut-il laissé seul? Luí qui
le premier, et quand il en était temps encore, ayait
songé 11 l'approcher Mirabeau du gouvernement;;,


1. Seilllces llu 7 mili, du 12 et du [,; juin.
2. 13 octabre 1i89.
:3. 1 cr aout 1789.
L :1 aoút 17SB, "éance du sair.
J. 20 fé,-rier 17~JO.
(j. TélllOill "es ¡úlamations ap";', le G octobre, 9 el, 10 octobre 1780.
7. ~'l el 30 llOut 1791. La cOlllluite dn cóté droil, du eoté g'auehe et de


)Ialouet en celte cirCOll"li\llCe est tres-biel! ('xpliqué,~ llans lit lcllrc di(
c,omte de GouYel'llet au marqllis de BOllillé. Méltloil'es de BouiUt', chapi-
trI' XIII.


8. ".le!lp cOllnai"a¡'s M. de ~Iirabea\l que par sa réputatioll, r¡ui m'a-
yait iIl:-:pil'é un gl'and e]oi tmen11:?llt P¡JlIl' lui ... ~I. du BOYL'1'3i me tt'~moig'Lla
d,' sa part le ]JIu, ~Tan(1 d,~,ir ¡J" confe'I"'" aHC !lIoi ... J'acceplai 1l1l1'éUUeZ-




LA RÉVOLUTIO;-'¡. 117
avait combattll Robespierre il ses début¡;; et dénoncé
Marat déjil mena({ant; lui dont Louis XVI devait plus
tard estimer la droiturc, Napoléon van ter le courage
d'esprit, employer la capacité, mais redoutcr ensuite
et frapper d'ostracisme l'indépendance, et qui vécut
assez pour voir enfin s'établir, en 1814, précisément


vous ... C'éfait dans les dernlel"~ jaurs dn mals de mai nRO ... «J·ai dé,in\,
« me dit-il, uue explicatioll ayec youo, paree qu'au traver, de volre modera-
« tion jo YOUS reconnai, ami de la libertlo, etje ,uio pcul-6trc plus et]'ral'é
({ que vouo de la fermentation que je yoi, rlam les esprib el des malheurs
« qui pellvellt en róouller. Je ne suis poiul hommc a me renure lilchement
« al! de'poliome. Jc wux un" comtitulioll libre mais monarchi4ue ... Je
« m'adressc done it "otre prohité : vous é.t.es lié awc M. I\ecker et ~I. de
« Montmorin, ,-ous dew1. sayoir ce qu'ils veulenl et ,'il, ont un plan; si ce
« plan es! raisonnable jo le rlet"endrai, » Celte declaration me fit gTctnde im-
pre~::;ion; elle était a3~ez r[li~onnab1(~ pour (JllBjA la Cl'llf':"e sinci:1'8; cal' :Mi-
rabean ayai! ['esprit jnste el ne youlail [las le mal jlour le lllal.. .. Ie lui ¡jis
fl'anchement 4ue je pensili, cornnw lui ... Illilis (jue j'ig]lOrais, (jue jr dou-
tais rneme 4ue les ministl'''s eussenl aucun plan arre.te; qne ce quej'ayai,
appris de leUl' hésit:lfion m'avail clfrayé auümt que I'exallation de plusieUl's
Je Illes colloCgues. "Eh bien, me dit-il, youI81.-\'011, le111' prol'0ser de lIle
" yoir et Ile c0nférer avee moi?».T'v consentis ... Je tl'ouyai it l'L1ll el it l'antre
(~l. ~ecker el :\'1. de l\lolltllloril;) Ulle repugnance extreme it entrer en
COIT8sponoance avec Miraueau ... Jc eOlllhattis toutc:i ces objectiom ... II
fui COllvenn que M. Necker le recevrait le lcmknwill, el i<t conferl'llce cut
liell. ~his MirauNn vOlltait 'fu'onlui padltt, el OH s'étililselllemenl résif!;nú
a l'eeouter; il,'altcwlait:\ la cOl11l11ulliciltion rl'ull plan, et tri's-prohable-
nmll il n'y en aYail pnint rl'ilrreté. La e011f,\rcnce fut <.Irme s['che et rOIll'te;
il sartít méconlent, el mp, dit en entranl dans la salle: .fe Ji'!) rel.'ienrlI'01:
pllls, mIlis i!.1' I/Uro"t de r/((;s ¡"'/I/;eU"s. Lú finil'l'nl nos I'elations, el j'ai été
rlCllX 1m, sano lui parlar; mais peu de temps avanl sa mor!. .. il nw. rap-
pela edte allccllute el me moulra ,Jes sentiments dont il [audl'llit pOlivoir
"iler les preuyes el l.', témoig-nag-cs ponr elre efU. 1) (:"lote de Malauot,
cilee par Beaulien. Essais histIJri'lucs S/I,' les cal/ses el les effcls de la
récoluúrm de Fronrp, t. 1, p. 'H:2.) Cl'~ ¡H'l'llYCS t't ce;.: ténlOignag·es out
jlal'U dan, la rorrespond:mc,r de l\limbmu aYec le cnmlp de La Jiark. Il
e,t l'el1llll"1ua1,le, (Llilkllrs, '111" "'Iirabean traita toujours bien l\Ialonet.
Voyez J'arlicle <In ÜWI'''Ú'¡' d~ Pi'ON!lu:e rendanl compte rl'une séallcll
Olr Malouet avait élt personnellement aceusé. (Cité par Beaulieu, t. 11,
p.261.)




lI8 LIVRE PRE~UER.


le méme régime qu'il avait souhaité en ! 789 {; pour-
quoi ce sage respecté par les partis les plus divers
et destiné, semblait-il, a servir entre eux de média-
teur, se vit-il isolé, abandonné?Ne serait-ce point pré-
cisément parce qu'il réprouvait a la fois l'arbitraire et
l'anarchie, et que, par des motifs différents, pour des
buts contraires, l'arbitraire et l'anarchie étaient entrés
dan s les combinaisons de tous les partís, dans les
chances qu'illeur plaisait de se ménagcr?


Nous avons dit ce qui a manqué, dans l'Assemblée
constituante, aux adversaires de la Révolution pour
l'arréter, a ses modérateurs pour la tempérer. Il nous
reste a voir ce qui a manqué a ses meneurs pour la
diriger. Le frein que le parti dominant ne rencontra
ni en face ni a coté de lui, pourquoi ne l'a-t-il pas
trouvé en lui-méme? Sa gloire était a ce prix. Ayant
remporté la victoire, il était tenu de la garder pure; de-
venu maltre de la France, il en devenait responsable.


« Vous voulez etre libres, lui dit un jour une voix
sortie de son sein, et vous ne savez pas etre justes. »
Cette parole, échappée comme le cri involontaire de la
conscience a la bouche qui la prononga, peint et juge
la majorité de la Constituante. En morale, beaucollp
d'instincts généreux, de beaux désirs et de nobles


L Voyer. la notice publiée ~ur lui par M. de Gérando, dans la Biographie
Michaud.




LA RÉVOLUTION. f]9


penchants, mais une confiance indéfinie dans tous
les instincts, les rlésirs et les penchants de 1'homme,
et nul discernement dair et ferme du bien et du
mal; en poli tique, une foi exaltée non-·seulement en
la souveraineté, maÍs en 1'infaillibilité et, si je 1'ose
dire, en l'impeccabilité du peuple; une disposítion
nalve a tenir les exces populaires pour impossibles
avant qu'i1s n'éclatent, et lorsqu'ils sont commis, a les
juger inévitables ou meme a ne les imputer qu'aux
victimes; par conséquent, l'incapacité de les empécher
ou de les punir; beaucoup de hardiesse et d'audace
contre l'absolutismo quí crou1e; point de promptitude
ni de résolution contre la démagogie qui déborde : voila
le caractere propre a la majorité de la Constituante;
le voila tel qu'il ressort de ses principaux actes, tel
qu'il se révele dans l'attitude de ses principaux chefs.


11 est vrai que ceux-ci, en portant les premiers
coups au vieil absolutisme, pensaient s'exposer bien
plus que nous ne 1'imaginons aujourd'hui. On ne
savait pas encore combien un güuvernement qui
depuis deux siecles disposait de la Franee sans obs-
tade était peu solide; et de loin les hautes murailles de
la vieille citadelle paraissaient redoutables aux assail-
lants qu'elles ne devaient guere arréter. I1s déployerent
done en cette attaque plus de vrai courage qu'ils nc
coururent de vrais périls. Mais aussi, ayant tourné
tous leurs efforts d'un seul coté, ils ne garderent au-




120 LlvnE PREMIEn.


cune force pour contenir qui les poussait, et lorsque
enfin ils voulurent eux-mémes s'arréter, ils furent
eulbutés aussitót. lIs se perdirent sans rien sauver.
Ainsi s'avaneerent, ainsi tomuerent tous les favoris et
les guides de l'Assemblée eonstitwlllte : Bail1y, qui la
présida le premier; Lafayette, son champion et son
héros ; Mirabeau, son dominatcur; Barnave, son der-
nier organe. Leur élévation, leur halte, leur chute,
marquent lcs phases successives de la Révolution j leur
earactere nous révele celui de leur génération tout
entiere.


Lorsque Louis XVI apprit que la ville de Paris
avait ehoisi Bailly pour député : « J'en suis bien aise,
dit-il; e'est un honnéte homme 1. )} Le roi ne se trom-
pait pas. Exempt jusqu'alors d'ambition poli tique ,
mais habitué dan s sa carriere académique a. se faire
applaudir, en scrvant avec bonne foi l'opinion domi-
nunte; longtemps heureux, paisible et respecté, BaiIly
abordait les affaires avec un caractere integre, des
mceurs pures, la candeur que laisse souvent l'étude, et
le penchant aux illusions que dévcloppent quelquefois
les sciences exactes. Sa "ertu toute philosophiquc !le
se proposait g'llere d'alltre récompense que l'estime des
hommes, et son c:3prit éta.it peu propre a pénétrer
lcurs intrigucs; Son amour sincerc de I'humanité se


1. i'íotice sur B~illYl en tete ,Ir' ,es ll1élllOires.




LA Rb:VOLIlTION. 121


melait 11 un gout vanitcux de la popularité, et e'est
ainsi qu'il fut trop facile de le mettre en avant, de le
poussor, et derriére lui, quelquefob a son insu, de
marcher et d'agir. Ainsi pul-il voir la Révolution
faire beaucoup de mal suns cesser de l'adrnirer et de la
servir, oublier les assassinats du 14 juillet en embras-
sant les vainqueurs de la Bastille i, oublier les assassi-
nats du 6 oelobre en applaudissant au retour du roi
dans Paris, et appeler cette journée, marqué e par le
triomphe du crime, « un bean jour. ))


Le eharmc qui aveuglait Bailly sur les exces popu-
laires devait cependant s'óvanouir. Il vit a son tour la
populace se soulever contre luí; il fut eondamné a faire
tirer le canon eonlre l'ómeule. Mais il était trop tard :
il la réprima pour un jour et se perdit pour jamais.
Du moins, la fin de sa vie devait montrer, a travers
la fragilité de ses espéranccs, la droiture et l'intrépidité
de son ame. Appelé eomme témoin devant le t.ribunal
révolutionnaire, il s'inclina respeetueusement devant
la reine acellsée. Aeeusé lui-meme bientót apres, iI
déclara qu'il 11vait élé royaliste constitutionnel, saehant


1. naill)" a l"ilcOlllé ll1i-lll~me romrn"llt, en entrant dan, Parj" ajlri·, 1"
14 jnillel, it la lN" ,l" 11 1lJ; Ml'lltatioll 11e I'A"elllhl6p ll:t(iullale, il avait
rencontre un gardf'-frall~lli::;e IJ{)rll~ l'll ll'iOlUplll'. le La yoiture al'l'eta, OH
« nou~ le flt connaltl'e; non" llLt~,l¡'lInp:-; no:-: applaudi:.::.:ml1pnt:-: ¡'¡ ceux de la
« foull'. Je croi, que ee g'"rde-fr:t11~"'", él"il edlli <¡ui avail arreté ,\1. de
« Lal1uay él. it <¡ni 011 l.1i,," a 101" la eroix arrachée it ce gOll\"CrtWl1r. IJ (MI!-
IIwiresrleJJoilfy,t.lI, p, 19.)




122 LIVRE PREMIER.


bien que le titre de royaliste menait alors a l'éehafaud;
et lorsqu'il y monta, sa mort fut entre toutes atroce et
héroYque t.


Veut-on savoir le seeret de la faiblesse poli tique de
BailIy, malgré son courage pt~rsonnel? Peut-etre le
trouvera-t-on dans ce passage de ses mémoires : « Je
« ne me souviens plus de ma raison quand la raison
« générale s'est expliquée. La premiere loi a eté la vo-
« lonté de la nation : des qu)eIle a été assemblée, je n'ai
« plus connu que eette volon té souveraine. Il en est ré-
« sulté une eonstitution qui, malgré ses dMauts, est un
« superbe ouvrage 2. )) e'est de la eonstitlltion de i 791
que BailIy parlait ainsi 11 la veille du 10 aout 17!J2.
Nul souverain, quel qu'il soit, n'a droit i:t obtenir de
ses sujets le sacrifiee de leur raison) ni surtout celui de
leur eonseienee. Un pareil culte devient inévitablement
superstitieux, et les adorateurs de la nation devaient
etre eonduits a. ne pas la distinguer de la foule, que
ectte nation étonnée, inerte, désorganisée,laissait agir et
parler 11 sa place.


En combattant l'autorlté monarehiqlle, l'académi-
cien Bailly, élevé loin de la cour, avait toujours porté
11 la personne du roi Louis XVI un affectueux respect;
de meme nous verrons bientot le triblln l\1irabeau et


l. N0tire déjiJ. citée.
2. T. 1) p. 53.




LA RÉVOLUTION. 123


l'avocat Barnave s'attendrir en approchant la reine. Il
n 'en fut jarnais ainsi du marqllis de La Fayette. La
royauté n'avait gardé aUClln prestige pour cet habitué
de Versailles, qui étai tallé chercher la gloire en
Amériqlle, et Marie-Antoinette ne se trompait guere
lorsqu'elle disait avec amertume : (( II n'est insensible
que pour les rois. II Il était resté aussi capable qu'au-
cun de ses par'eils du dévouornent du chevalier et de la
docilité du courtisan : mais c'ótait du peuple, et non des
princes, que ce gentilhommo dovait se faire le chova-
lier et le courtisan a la fois ; courtisan trop noble, sans
dnute, pOllr s'associer aux derniers exces populaires,
mais trop fasciné pour les prévenir, et trop complaisant
pOllr les combattro it propos. La République aux
États-Unis, régime nOllveau d'un peuple neuf, avait
obtenu ses premier" SOI'vicos ot charmó ses premiers
regards, et comme ses sentiments politiqlles étaient
profonds et ses idríes superHcielles, la République
resta á ses youx lo modelo unirrue et le type exdusif
de tout gouvernement civilisó. Avec une tollo inclina-
tion, il ne se proposa pas cependant de supprimer en
France la royanté : il crut plus sensé de la conserver
sans la respecter, de la maintenit' en la gardant captive.
C'est bien complétement captive, en effet, et captive
de la populace> qll'il consentit le 6 octubre á la rame-
ner de Versailles á Paris, et lorsque, apres le re tour de
Varennes, il resta chargé de veiller sur elle, il fut son




124 LIVHE PHE~IIElt


geólier plutót que son gardien. Aussi que restait-il du
pouvoil' royal quand, par un point d'honneur tardif,
six semaines avant le dix aoUt, La Fayette accourut
du miliell de son armée pour réc1amer controla dé-
ehéance? Ríen, en vérité, et eette démarche intrépido
et généreuse qlli, plus que tout autre acte de sa vie,
honore La Fayette, ne devait sauver ni la eouronne,
cal' déja les utopistes l'avaient brisée, ni la tete de
Louis XVI, car les favoris de la multilude avaient
laissé les scélérats devenir maltres. L'homme qui
avait vu toute la France en armes et debollt se ranger
un jour derriere lui, fut rédllit, seul, avec tlellx aidrs
de camp, a quitter furtivement ses troupes et sa patrie,
pour ne pas servir les terroriste5 et lell rs précurseurs
immédiats. Illeur préféra les cachots de l'Autriche, il
se sépara d'eux en se sacrifiant; mais íl n'avaít ríen
fait, ql1and il le pomai!, il ne put ríen, quand ille
voulut pour les éearter et les vainere.
~Iais ou se manífeste avec plus d'éc1at encore cette


impuissanee de ríen eontenir, e' est dans le géant de la
Révolutíon, dans le dominateur de la Constituante,
Mirabeau : domínateur que ccUo assemblée subissait
avec plus d'étonnement que de confiance; illa subju-
guait, elle ne se personnifiait pas en lui.


Mirabeau ne ressemblait gucre, en effet, aux autres
personnages de 89. Il en Jifférait par ses vices: il n'avait
pas leur candeur, leurs belles illusions sur la bonté na-




LA REVOLUTIO;\'. 125


tive de l'humanité; les intrigues, les orages, les sOllil-
lures de sa vie l'en avaient tristement dépollillé. Il diffé-
rait des memes hommes par ses lumieres : dédaigneux
de leurs théories abstraites,illes sllrpas~ait par la variété
etl'étendue de son instruction poli tique, ayant toujours,
a travers ses voyages et ses trop célebres aventures,
tourné ,e1's cette étude l'activit6 d'un esprit sans repos
et sans emploi. Enfin et surtout, :ieul entre tous, a
l'éloquence dll tribun il joignait le génie de l'homme
d'État: le génie, mais non le caractere, cal' il ne sauit
ni se gouverne1' ni se respecter lui-meme, et, si sa
fiel'té native avait survécu au mépris pllblic, elle IHl
l'avait pas empeché de l'encourir. Il arl'ivait ainsi sur
le thMtre ou de¡:ait se jouer le sort de la France, 11 la
fois prédestiné au premier róle et indigne de le rem-
plir; monarchique par raison, et révolutionnaire par
ambition; aristocrate par instinct, et démocrate par
dépit; impatient de ten ter de grandes choses, mais
plus docile a ses passions qu'a ses idées; irrité contre
tout le monde et contre lui-meme, prét a embraser
son pays dll feu qui dévorait son ame, effréné et irré-
sistible. C'est á remerser ce qui cl'oule qu'il cssaye
d'abol'd sa forr.e; il grandit a travers les boulevel'-
sements ct les ruine~; sa paraje supcl'be et fougueuse
est la seull' pllissance qui yiye et qlli cUlllmalHlc; et
alors il s'arl't~te) 5\~ l'(,cl1eill~ et se demande ayec etfroi
s'il ne sera que l'artisan d'une \laste démolition. Une




LIVRE PREMIER.


ambition plus haute s'empare de lui : il voudrait res-
taurer sur un plan meilleur l'édifice abattu; mais en
meme temps ses habitudes et ses penchants corrompus
le rabaissent. JI voit la reine, elle lui parle, et la
flamme du dévouement se réveille en son calUr; iI
veut se donner, mais ses besoins dérégIés l'asservissent
et il est réduit a se vendre. Il avait tonné contre le
despotisme, et le despote était Louis XVI! contre
l'anarchie iI louvoie. Deux ou trois fois seulement il
la combat de front, et son éloquence aIors se surpasse
elle-meme; mais le lendemain, par une sorte de lais-
ser-aner machinal, il retombe dans ses emportements
accoutumés.


Les lumieres ne sont pas ce qui lui manque; iI
discerne cIairement le but il atteindre, et, quand iI
s'est donné a la COUl', il ne cesse de l'indiqller en
secret avec une sincérité sagace. Au débol'dement de
la Révolution il ne pl'étend pas opposel' une résurrec-
tion de l'ancien régime, il en a connu la faiblesse en
le combattant; mais il pressent les ressources que peut
offl'Ír au pouvoir la constitution de la so cié té nouvelle;
son regard est tourné vers l'avenir, il cherche la stabi-
lité dans l'établissement du gouvernement représen-
tatif, et pour étouffer le désordre, il ne renie pas la
liberté. Sa clairvoyance n'est pas moindre pour décou-
vrir le mal et le péril; iI désespere de cette liberté qui
plaH a sa fierté comme a son génie, si d'abord le roi




LA RÉVOLUTION. 127
n'est pas libre; il croit tout perdu, si Louis XVI ne
s'affranchit pas de la domination d'une assemblée
asservie elle·meme; il vent qu'il s'éloigne de Paris,
mais sans se rapprocher de la fronticre, et soit pl'et
a affronter la guerre civile, sans provoquer la guerre
étrangere.


Telles étaient ses vues; mais, pour les réaliser, que
proposait-il? queIs moyens d'agir avait-il imaginés?
Des combinaisons compliquées et subtiles, des ma-
nceuvres astucieuses et souterraines; nulle démarche
décisive et franche, nulle résollltion capable d'imposer
aux hommes et da commander aux événements j.


D'ou vient done tant de timidité chez un homme
si impéricllx et si emporté? Avant tout, saIlS doute,
de l'incurable défiance qu'il impire, mais aussi de
l'impuissance d'un caractere désordollné a combattre
le désordre, et du besoin qu'il garde d'etre applaudi
p,mr se dédommager du maIheur de n'étre pas estimé.
Il ne véeut pas assez pour etre, comme Barnave et
Bailly, égorgé, ou comme La FayeLte, proscrit par la
RóvolutioIl. Qlland iI maurut, il rógnait encare, et
cette fin, htttée par ses exces, lui ravit l'hanneur,sinan


1. Je n'ai ras I""oin d'indiqucr que ccLlc appréciatiou des "ues et des
plans de Mirabeau d',lllte de l'éturle de tout" '" c()rrcspuudaucc awc le
cnmtr. dI:' la .Marck. PUllI' ~I.~ f(~ndre conlplr; jle:-: denx Ci.U"llcterl':-3 {)Ppo;::~~
que je siguale, il t'aut lil'e ;lll'tO\lt "Oll gTallll mémoil'e, n c note pour la
Conr, t. 11,




128 L1VRE PREmER.


de sauver la monurchie, du moins de périr dans sa
chute. Tandis qu'aux yeux de tous les politiques con-
temporains la France perdait en lui sa douteuse mais
suprcme espérance, une personne mal initiée aux
complicatiol1s des affairps humaines, mais éclairée
d'une lumiere meilleure, madame Élisabeth, écrivait a
une amie pieuse comme elle: « Je ne crois pus que ce
Boít par des gens san s príncipes et sans mceurs que
Dien veuille nous saliVe!'; je garde cette opinion poU!'
moi parec qu'elle n'est pas politiqllC i.)) Cette eonfidenec
na'ive d'unc LIme austere et pure restera peut-etre sur
:Mirabeau le dernier mot de l'histoiN. DlI moins est-íl
vrai que, dUllS toute l'histoire, il ne se rencontre pas
d'homme célebre a qui, pom devenir un grand homme,
il n'aii aus~i visiblement manqué que d'étre un
honnete homme; lui-memo le sGntait amerement:
« Ah! que l'immoralité de ma jeunesse, s'est-il écrié
plus d'lIne fois, fait de tort a la chose publique! )) ta
s,)ciété au milien de laquelle fut jeté l\lirabeau paya
cher, en effet, les débordements et les seandnles de sa
vie; et ce ne fut pas sans justice: n'en étuit-elle pas en
partie responsable?


Quand :.\lirabeall voulut arreter la Révolution, un


1, Cité par M. de n':1\ucourt, ¡Jans une llolire sur la C0rt""ponuancc
antlwntifjllp, publiée ou illl\litl', ,le ma,laml' Eli,,'¡wlh. CeHe noliee tr'C s·
e:¡aetp el prfri,'¡(, la puhlicati')]l d,' ~l. Fellilll't di' COllch".




LA RÉVOLUTlON. 129


jeune homme impétueux, capable d'éloquence, égale-
ment impatient de servir le peuple et de s'élever lui-
méme, et lancé par ce double motif a l'assaut de l'an-
cien régime, Barnave, s'était complu a dépasser
Mirabeau. Quand Mirabeau futmort, Barnaveprétendit
11 son tour contenir le torren t et lui marquer une
limite. Son ambition était satisfaite, son orgueil tris-
tement désarmé : le roi avait été remis dans ses mains,
il avait dti le ramener de Varennes. Mais en meme
temps aussi, son Cffiur était touché. Il avait attaqué la
royauté tandis qu'elle lui apparaissait de loin fastueuse
et redoutablfl; il fut gagné par elle qlland il la vit de
pros, abattue, sans ressource, et san s autre prestige
que ['inf'Jrtllne eL la vertll. Dans ce rapprochement
imprévu entre le tribun vainqueur et le roi prisonnicr)
bien des préventions opposées se dissiperent : l'un
commenga 11 se dévouer, l'autre a se confier; et si les
acclamations populaires avaient trop longtemps enivré
Barnave, il sut briguer a la fin un plus noble sueces :
la faveur de ~Jarie-Antoinette malheureusc. C'était se
dévouer de loin a l'échafaud. Se souvint-il, en y mon-
tant, que su courageuse mais stérile compassion pour
les victimes avait été tardive, et qu'a eCL1X qui réela-
maient contre le premier sang versé il avait répondu :
« Ce sang était-il done si pur? » Parole qui devait
étre répétée e0111111e l'apologie de tous les forfaits, et
qui aceuse d'autant plus l'époque et l'assemblée d'ou


9




130 LIVRE PREmER.


elle s'échappa que l'homme qui la pronon/.{a était na-
turellement sensible et généreux.


La derniorc fois que Barnave ait élevé la voix devant
l'Assemblée constituante, le 15 juillet 1791, il disait :
« L'inviolabilité du pouvoir exécutif est essentielle
c( a la liberté de la France ... A la place de la monar-
« chie cOllstitutionnelle que vous auriez détrllite, le
« peuple établirait la plus te~rible tyrannie ... On nOllS
« fait un grand mal quand on perpétue le mouvement
{( révolutionnaire. Il a détruit tout ce qui était a dé-
c( trllire; il doit cesser par le rapprochement de tout ce
{( qui pcut composer a ['avenir la nation fraIlQaise. »


C'était précisément le meme cl'i d'alarme et de
salut qu'un an allparavant, et du haut de la meme
tribune, avait poussé Cazales. Mais guand Dümave le
répéta, Cazales n'était plus la pour y faire écho; dé-
sespprant a son tour de la monarchie, il venait de se
réfugiel' a l'étranger; et t:1l1t que ces deux jeunes
hommes, porté5 ensemble par un soudain effort de
talent ü la tete ¡'un de la bourgeoisie, l'autrc de la
noblesse, s'étaient trouvés en présence, ils s'étaient
combattus i.


!. On sait '¡u"il, ,,~ S"l11I1l~ll1e battus en ducl au pistület et lIUo' Cazales
r,ut le c":\uc eflleuré par )¡~ colu!, (le narnayc. lleaulicu rappoJ'te dam sa
llOlice ~III' C,{z.:tle~ qur~ 'celui-ei, uaus :ia retraite, airnait surtollt a yanter
['ldocfUeul'c de Bal'w-tye. Le !neHH~ Bcaulü:ll raconte cn qui :"illit sur le:,
dr~rllicr;-:.jIJlH':' de B.1l'lliL\é: (( .rai \et.:u HYCC Barna\e dan~ le~ pri:-:olls Je la
C:ollcir,r~eri .. ~ de Pari, ¡rembllL le lUoi, 'Iui ~ llrécéclé' Ja lllolrL ,le cdetonnant




LA REVOLUrION. 131


Tristes et funestes discordes I Nous trompons-nous
cependant, lorsque nous croyons apercevoir entre la
pbysionomie de ces deux adversaires, commo entre
Ieur age et 1eur destinée, que1que ressemblancc?
L'a~e du soldat n'était pas moins libre que ceI1e de
l'avocat, et l'avocat, comme le soldat, était capable
d'un éIan chevaIeresque. Dieu les appelait a se com-
pIé ter l'un par l'autre; l'aveugle jeu des révolutions
les a tournés l'un contrc l'autro pour les dévorer tous
deux.


Ainsi en fut-il, a vrai dire, de tous les hommes
considérablcs assis de dive!'s cótés a l'Assemblóe cons-
tituante. Tous ont, a des moment différents, ou


jelll1r hnmmc. n.11I" les COllycrsatiollS qne j'ai enes ayer, lui, il m'a ass1ll'é
fIne S011 opinion sn,' la sanctioll royale était une de celles qu'il regrettait
le pi"" d'"yoir l:mi,p,;. llepnis sa I'ptraite de I'Assemblee nalionale et ,(]r-
t(¡"t pe!l<laul ,on allnée de detention a Grenoble, íl ayail prodigienscment
<'tUlli,',., Il ,m'¡t examine le, principales l!Jis de tous les gou\'cl'Ilcmenl,
rl" l'Eur"I"', et, (l'apr':, les di'l'osiliuns <tclnclles de" homme,;, il étaitarriyé
:, eelte conclu,ion que l'llnilé monarchique vif'oureusemenl conslituée
,"taille se,,1 moyen de leul' a"llrer la paix el un p'''! de liberté. Arriye anx
porte, de la morl, il sOlltint le systéme qlli scryit dc prótexlc a sa comlalll-
uatin)]; il le soulinl hilutement ... "Je SUls ,,!ir gu'ii, ron! II/(' fuel',
me llisait-il, mrd, fe ue ¡n'en dé(erldrai /las moin:i ... Je me déjimdl'al
I/lm j)f)/U' 1JU} I'Ü:, Ji{ois jJn/ll' lila y!oú'c.» Effect lYement; Sil défellse deyalll
!t; lri)JlluaJ róvolutiunnai"e e,t P8ut-t,tre le discours le plus parfait qu',1
ailja!llai, prnnu!lc,é.lI frappaju,,!u'h ceUe l\Julu de salariés ... qui venaielll
applaw!ir pOlJl' 40 :'011:-' par' j.mr :\II",{ a~sílssillats jUl'itliqlles qui se COlll-
1TIf-'ttaif-'llt alol's. e'es! ¿úJn d1jf}¡¡)u![Je, dil'ellt-íls COllllne nlalgl'e eux, de
j'úrc pérú' VII iell"!! /WIIlIllC r¡ui a lunt de talert!. 13arnarw l'euteJl(lit, el,
en ,,,,:tal!t (lu trihuual, ilme racollta cc~lc parlicnlarilé. 1( MOll cher 13 .. , mu
,lil-il, si YOUS sorLcz d'iei, u'ouLlicz pas cell8 anl'e,lote.n C'éldit me Lli[cde
h pn!Jlier; je le promi; el lni lien; parule. (Essai, 1dsturi'lues, l. JI,
p. 14U.)




132 LIVHE PHEMIEfI.


souhaité ou redouté les memes choses, et jamais ils
n'ont su agil' ensemble. Presque tous, a des dogré;;
ínégaux,on! favorisé la névolution : tous ont vOlllu
tour a tour l'arréter, auclIn n'a réussi meme a la
ralentir.


Le cours de leurs destinées IlOUS a entniÍné ilu-dolit
du terme de l'Assemblée que nOll" nous éLioIlS proposé
de fai re connaitre en les uépeignan t. Si nous retournons
maintenant vers cette assemblée, si nous l'envisageons
uans son ensemble, et si, remontallt a notre point de
délJart, nous demandons eufin commont un mouve-
mcnt sucinl ot politiquc, Iléccs~aire dan~ son principe,
uuanimement consentí El son origine, commcncé sans
obstacle, a dégénéré en révolution violente et désor-
donnéo, IlOUS aurous a répondre en deux nlOt5 : c'est
parce que l'Assemblée constituante n'a su ni prévoir
ni vOllloir. Le pomoir ubsolu n'avait pas préparé les
Fraw;ais a la prévoyance; l'esprit révolutionnaire a
perverti OL! paralysé lem volonté. Avec de tels défauts,
clus a de telles causes, l'Assembl(;e constituanto, mal-
gré de beallx talents et de nohles désirs, devait com-
mettre de grandes fauto:>; olle les él cOl1l11lises en efl'et,
et il est trop facile aujourd'hui de les préciser en le:>
résumant.


La premiel'f~ se manifeste dans le nom meme fJ.u'elle
adopta : ee fut la prétention dA constitller a nellf la
société franQaise. Dalls cotte oIltl'eprise elle ren-




U REVOLLJTIUi\'.


comra devant elle, presque seules debout et vivantes,
deux grandes institutions, lit Royauté el l'Église. Ne
voulant pas ceprndant en dépolliller la patrie, elle
imagina de les créer a son gl'é, apres res avoir provisoi-
rement démolies de fond en comble. C'est pourquoi
elle commenga par slIpprimcr l'autorité du roi, dan;;
le but de la régler; 58 passa de sa sanction, malgré
qu'elle eut reconnu la néccssité de la sanction royale,
et se figura qu'el1e rendrait le monarquc inviolable
apres l'avoir constamment violenté. Plus téméruire en-
care fut sa conduite cnvers l'Eglise. ;\fon contente de
lui prendre ses biens, elle voulut institller sans mission
des alltorités gui ne commandent gu'a la conscience,
~outint par orgueil une rnuvre commeneée san s foi, et
se trouva entrainée eomme a son insll de l'indifférenee
11 la persécution.


La se conde faute de l'Assemblée constituante con-
sista a accepter le désordre comme moyen de progre s
social. C'est ainsi qu'elle fut amenéc, le i4 juillet, a
glorifier l'insurrection des soldats ; le 6 aout, a donner
raison a l'insurrection des paysans, choisissant pour
abolir les droits féodaux, le moment OU on luí annon-
¡¡ait l'incendie des chAteilux el, le pillage des propriétés
seigneuriales 1; et le () octobre, enfin, ü livrer le 1'01,


J. Le Comité de, I'élrrnd, "Hit rlénnnré ;, L-\s,emiJlec le pi]]a,.:p H
!"incpurlir d,', rli:\t"élll\. h "inl;¡Iinn rj,", pl'npl'irtrs '\rtn, 1,,, IJl"jyillC"', d




134 ILIVRE PHEMIER,


et a so livror elle-meme a l'insurreotion de la popu-
laoe.


L'éoole ou s'étaient formés les patriotes de 89
explique leurs défauts; leurs défauts expliquent leurs
fautes, leurs fautes expliquent lours mécomptes et nos
malheurs. Tout est naturel et logique en ce long en-
chainement; mais jusqu'au dernier terme rien ne fut
ínévitable et nécessaire. La responsabilité de la Révo-
lution doit etre partagée entre beaucoup d'hommes,
remonter meme a plusieurs générations; mais enfin
les hommes en sont responsables; elle est la juste
conséquence de leurs actes libres, et non le résultat
d'une aveugle fatalité.


ayail r1emanilé le~ moyen~ de reprimer ces rleso)'(]¡'e" C'",l dan, la ,liscns-
.ion O1lverle ~ur cette matiere que le vicomte de Xoaille" ]¡; len¡)emain
" aoút, au soir, proposa ue calmer le peuplc en proclamant les ,lroits f(,o-
,Iaux rachctables, la coryóc el la mainmorlc abolics sans radlat, el l¡U'Un
dépulé de la llasse-llretaglw, 1\1, le Guen ,le T\creng'al, montant en h;¡hit
de pGy~~Ul El la tribune, prollougü ce~ parales. : (( Vou~ l'n~~iez pré\enu
l'incendie des chdteaux si vnn, eu"iez él,j plu, ]ll'llmpl á déclarer que les
,u'm,'s tel'l'ihles qu'ils conlenaient el qui tonrmentai,'nt le 11I'uple depui,
des ,ieeles allaicnt "tre anéantie~ pal' le rachal forc" '111" \'Oll~ ayez onlolllle.
Le pClIplc, impatient t!'obtellil' jll,tice el. las de l'oppre"iou, ,'emlwe"e de
rletmire lOes titr"s,., nitrs-Iui ql1e YO 11,· rccOllllili"cz l'iujustice (ltJ ce,
droits aC'lllis dans des sil'eles d'ignorallcc el de IClli·))rc, .. , .J" freruiscais
hiel' c!'imlig'natiou de yoir atlop!cr de ",ug'-fruid 1" nwtioll qui lellllait ¡'¡
puuir les n1alYer~ation~ cornnlisf-_':3 dan:-; h's ch;HPitllX. )) C'c:-:t apn~s ce
discolll', illcendiaire que le régime. féOllal fu! aboli .. Je sais fIlie les uubles,
eu pro\'oc¡uanl sa ruine, obeissaielll it 11'111', nai, sentiments, f't qne les ,10-
sordres déllOllCé, le 3 el le 1, aQut furenl l'occasioll plutó! 'lile le motif de
l'alJandoll anqlJl:I il, cOIÍ,elllir8nl. lIlai, Oll ('ollvi('mll'll Ijll8 l'o¡,co,ioll (·tait
bien lllal choi,ip, C"tte remarque n'" l"'i' échapl'e i, I\L de Tocque\'ille,
~:Yotp, sur la RéL'obdion, OEuHe, j1o,thump s, t, YI1I ,le "es O,'I1I'('e, l'am-
phte,,)




LA RÉVOLUTIOl\.


Si nous avons insisté principalement sur le mal fait
ou permis par l' Assemblée constituante, c'est que
nons avons dú. considérer avant tout sa marche poli-
tique. Dans l'ordre civil, économique et judiciaire, ses
I'éformes furent plus mesuré es et sont restées plus
fécondes. Nous serons micux placé pour en apprécier
l'importance, lorsque nous considérerons la société
frangaise et ses ressources au sortir de la Révolution.
Nous ne sommes pas encore arrivés la.




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GHAPITRE VIII


Des résistances opposées a la Révolution
et de leur impuissance.


r, La Vendee et Lyon, - 11. Louis XVI el Mi\rie-Antoinetl~.
111. - L'émigration. - IV, La coalition,


En devenaot désOl'donnée, la Révolution est demeu-
r6e irrésistible. Laissée saos freio, elle ne s'est bri8~
contre aucun obstacle. Elle a tout attaqué et tout sur-
montéa la fois. Il ya daos son histoire quelque chose
d'aussi extraordinaire que ses exces : c'cst l'impnissance
de ses ennemis.


Cette impuissance dans l'intérieur de la France doit
Nre imputée principalement au vice le plus grave de
l'ancien régime, a la désunion des classes. La mcme




138 LIVHE PRE~lIER.


cause qui a empeché les chefs de la société frangaise de
diriger la Révolution les a rendus ineapables de la
vainere. Un point d'appui lem a manqué. Ou l'au-
raient-ils troLlvé? A diverses époques et dans divers
pays, on a vu le peuple des campagnes avec ses habi-
tudes stables, l'armée a vec sa discipline, apposer la
digue la plus solide aux débordements révolutionnait'cs i
c'est le spectacle qu'(l présenté la Franee en 1848. Elle
avait présenté un spectacle contraire en 1789. En ce
temps-lil, les paysans et les soldats n'ont pas donné,
sans daute, le signal du bouleversemf'nt, mais ils en
ont óté les compliccs les plus prompt:,; et les plus réso-
lus, les auxiliaires les plus effieaees.


Entre les signes caractéristiques de la Révolution
fralll¡aise, je n'en eonnais pas de plus etrrayRnt : entre
es résultats de l'aneien régime, j e n'en apergois ras


ite plus accusateur. 11 a fallu que le peuple, ayant été
non pas opprimé, mais délaissé par les classes supé-
rieures, se cn1t dósintéressé de l'ordre social, n'aper-
Qut rien de eommun entre lui et ceux qui scmblaient
seuls avoir quelque ehose a perclre, et sentit dans les
institutions aneiennes uniquement ce qui le genait,
tandis que tout ce qui pouvait le soulager et le servir
était placó lain de ses rcgards. Voyant done devant lui
l'ineonnu s'ouvrir, il s'y est précipité tete baissée; il
s'y est précipité jusque du fond des villages, ayee ses
bons et ses mauvais instincts, avec ses COIl\'oitisc~ sour-




LA HE\'OLUTlO:\f. 139


dement cnflammées et sa fierté longtemps refoulée,
avec son aveuglement et son énergie, avec sa dureté et
sa constance; en sorte qu'il a pu fournir en meme
temps ti la Révolution, ti l'intériellr, eles séldes farou-
ches, a la frontiere, d'intrépieles eléfenscurs.


Dans l'ancienne armée, l'offieier était eleven u pres-
que aussi séparé clu solelat, que elans les campagnes le
seigneur elu paysan. Le solelat, d'ailleurs, se sentait
peuple, et la promptitude communicative du caractere
frangais cffaga souelain et comme par une traínée ele
flammc toute elifférence entre l'esprit militaire et 1'es-
prit populaire. Ainsi, ce qui arrivait sur toute la face
du territoire se répéta au sein des régiments : les
chefs de 1'ancienne so cié té se trouverent partout comme
un corps cl'officiers sur lequel les troupes feraient
feu.


Une seuIe instilution, entre toutes celles que la Révo-
Intion assaillait, scmblait toueher également a toutes les
classes : l'Ég1ise. Une sellle cause cut été capahle de
soulever le pellple contreles démolissellrs : la religion.
Partollt, il donna quelques signes de mécontentement
et ele l'egret le jour OU son culte et ses prCtres lui furent
ra\i5; nuíle part auparavant. Mais la foi chrMienne a10rs
était tellement hannie eles hauteurs ele la société fran-
¡;aise, qu'on en était venu la a ne plus sonpgonner sa
puissuncc ailleurs : de tous les sentiments populaires, le
sentiment religieux rítait celui que l'aristocratie igno-




LlvnE PHEMIEH


rait le plus; et c'est pourquoi la résistance a la Révoln-
tíon n'a pas trouvé de chcfs sur le seul terrain oi] ces
chefs auraient trouvé des soldats. Entre les divers con-
seillers avoués ou secrets dll roi, pas un n'a assez connll
les hornrnes, pas un n'a assez respecté Díeu pour 1'en-
courager et l'afferrnir dans un refus qu'il avait au fond
du cffiur, et quí, sorti de sa bouche, amait éveillé un
écho dans la nation : le refus de la constitlltion sehis-
matique dll clergé. Les malheureux I lls ont próparé a
Louís XVI son unique remords, et ils lui ont óté son
plus redoutable cl'i de rallicmcnt. l\1eilleurs ehrétiens,
ils auraient été moins mauvais politiques.


Ce qui prouve (lile nOLlS ne nous trompons pilS sm
les causes qui ont paralysé la résistance, c'est qu'elle a
éclaté la seulement oi] ces causes He se sont pas ren-
contrées. Cherchez, sur un territoire que la Révolution
couvre et déchire tout entier, quelqlles points oi] ¡'on
combattr : vous y trouverez plusieurs classes uníes
ensemble. Considérez pour qlli l'on combat le míeu!:
avant tout pour la rcligion.




L.\ HÉ V OL U TlON. 141


La condition du paysan ne semblait pas meilleure
dans la Bretagne et la Vendée que dans le reste de la
France. Les elmits féouaux y étaient restós plus lourels
et les earnpagnes plus pauvres que dans toute autl'e
province . .Mais les gentilshornrne.:; üvaient continué
d'y vivre üll rnilieu eles pay::'lIns. Un iiltendünt, SOtlS
Louis XIV, se plaigmit que la noblesse ele Puitou
n'airnait pus il aller rendre ses devoirs au roi !, et
combien d'intendants avaiollt incriminé et poursuivi
la fiero inelocilité üe colle Je BreLagno! Ce fut pourtant
u ces habitudes de stabilité dall:'; l'illllépendance que
les gentilshommos de ce;; eleux proYinces durent 1'hon-
nellf de rester seuls debout on Franco, et d'y eléfendre
j1l8qu'il la mort Dien et le roi.


La foi eles Bretons avait étó déjil. sauvée par ellX au
prix de leur sang, á tra vers les guerres eí viles du XVI' sie-
ele : eolIe des Veneléens lem avait été rendue au siecle
snivant pllr les missions, q\l'en éClIrtant les dragon-
nades, avait dirigécs FéllelUll 2. Des ueux cutés de la
LfJirc ceLte foi ('lait libre eL fortc.


Quand dIe fut tlireetemellt attaquéc, quand les pre-
tre~ fidCles futellt Chll~~és, les prctres inttlls imposés,
et bientót les alltels abattus et le culte proscrit, alors
les Il'.ly~an:;, jusquc-lil. incrtes on apparellce, se leverent


~. L]A!lCÚ~1l n;(JiI,u) d lu /{¡;,'u!u(irl/l, li\ t't.! 11) r:hal'. XIl .
.:!. Ihc:.:Ir¡Ú'f) d,) l";/t"/O}I, p:LI' J¡. c,lt'dillíll d4·, BFlll:-;:'(~t.lLv. l.




142 LIVRE PREMIER.


les premiers et allerent chercher au fond des cMteaux
les gentilshommes dont les peros n'avaient pas délaissé
leurs peres ; ils les mirent a leur tete pele-mele avec
les plus bravos d'entre eux, et comme la Róvolution
s'avangait pour détruire ce qui leur tenait le plus au
cceur, ils jurerent de soutenir tout ce que la Hévolu-
tion attaquait. Abandonnés de loin par ceux qui au-
raient dli diriger et mettre a profit cet eITort; réduits
a leurs seuJes ressources, et dans leur propre sein se
divisant non par classe, mais par canton (car dan s l'an-
cienne France l'indépendance semblait tendre fatale-
ment dequeJque maniere a l'isoJement), la Bretagne
et la Vendée n'ont pas vaincu la Convention; mais du
fond de leur défaite et de leur ruine, elles ne se sont
point laissé ravir, elles ont gardé en dépot pour la
France entiere ce qui pour elles était le premier objet
et le prix supreme du combat : leur culte et leur foi.


AillSi ces guerrcs Ollt échoué, mais elles n'ont pas été
stériles : elles ont échoué comme les croisades, en oppo-
sant a la harbarie une barriere qui a préservé l'avenir;
elles ont échoué, mais en nous léguant une glo~re pure
a meUre en balanco avec los plus grandes horrouJ's de
110tre histoire. Si aUCllno l'évolution no presente rion
qui dépasse la Terreur, jamais guerre saiIlte n'a SUl'-
passé non plus, par la grandeur morale eL la simplicité
du d¿vollement, les raysans et les gontilshommes de
Vendée, a genoux sous le fen llU picd de leul's grands




LA HÉVOLUTION. 143


crucifix, se précipitant ensuitc avec leurs batons sur les
soldats qu'ils désarment et les canons qu'ils prennent,
les paysans derriere les gentilshommes qu'ils se sont
donnés pour cupitaines, les gentilshommes derriere le
paysan Catelineau, qu'ils ont choisi pour généra-
lissimc, ct tous ensemble, dan s le premier et candide
élan de la guerre civile, faisant gr&ce, ce qui ne s'était
jamais yu peut-etre, lt leuJ':; cnncrnis, iJ. leurs bour-
reaux. Il ne fallait pas que la France alors fUt incom-
parable seulelllcnt dans le crime; et de me me que pen-
dant de longs siecles encare, partout OU s'élevera une
trrannie démagogiquc, sa plus grande flétrissure sera
<1' etro nornmée uno TerrouI'; de meme aussi partout
OlI un peuple mourra en combattant pOUl' ses autels et
pou!' ses foyers, sa plus grande gloil'e sera d'etre ap-
[Jelé une Venaée.


Les autres essais de résistance illtérieure contre la
Hévolutlon n'eurent pas pour lhéiltre lcs campognos
et pour appui lcs paysans; ils se l'(~nfermerent dans
quclqucs ral'es cités. A Lyon seulcmcnt cctte résis-
tance fut imposante et opinii1tre.


Lyon avait gardé dcs cnutllmes de libcrté mllnici-
pale. La bomgeoisie, enrichie Ijar le commerec,
n'y aperccvait pas de gentilshonllne~ iill-dcsSlIS de sa
tete: le peu de nobles~e qui s'y l'cIlcontrait sortait
ehuque année de l'échevinage, et tout entiel'e eeUe
bourgeoisie jO!lissait des pri Bcipo ux pri viléges de la no-




144 LIVRG PI\EMIGH.


blesse. Le peuple, enfin, trollvait dans les corporations
d'ouvrier::; des garanties et des traditions d'indépen-
dance. N'ayant guere senti le joug saus l'ancien
régime, Lyon n'Átait pas pret El. le supporter sous la
démagogie. La petito noblessc du Forez, sortie paroil-
lement presque tout entiere de la bourgeoisie par les
charges de j udicature, et la touchant encore de tres-
pres, fit alliance ave e la bourgeoisic lyonnaist', sa pa-
rente et sa voisine, qui trollva d'autre part un appui
au-dessous d'elle, parmi les ouvriers dont elle était
issue. Ainsi se forma dan s la seconde ,'ille de France
une résistance capable d'inquiéter la Convention.


Pour la fairc éclater, ni la chute de la royauté, ni
meme, comme en Vendéo, la proscril'tiondu culte ca-
tholique no suffirent : il fallut le plein av6nement de b
Terreur. On discute encore El. quel parti politique appar-
tOlwicnt le::; défenseurs de Lyon. La vérit6 ost que les
chef::; militaires qu'ils avaient mis a leur tete eL les Fo-
rézien~ VCIlUS a leu!' secours étaient royalistes, et la plu-
parL des Lyonnais républieains. Lyonnais et Foréziens
étaient de brayes gens qui se donnaient la main pour
repousser la Terreur. Toutcfois eette ineertitude sur
leur cause n'a pas seni a leur sucees, et elle a nui 11
leut' renommée. Pelldant que l'armée de Lyon se bat-
tait contre l'armée de la Convention , les administra-
teurs civils de Lyon insnrgé, s'enveloppant dans les
plis dl! drapeau tricolore, pr()tc~taient de leur rcspect




LA RÉVOLUTION. 145
pour la Convention. Mais qlland les derniers défen-
seurs de la cité mitraillée, des Foréziens, n'eurent plus
gu'a mourir, ils découvrirent Ieurs poitrines: des eo-
cardes blanches étaient demcurées sur: leurs cceurs; les
dernieres baIles les déchirerent!. Il Y eut quelque vertu,
san s doute, dans ce soulevemcnt, désintéressé meme de
tout esprit de parti, contre un monstrueux régime,
dans cet onbE de tout dissentiment au sein d'une in-
dignation eommune. Toutefois la guerre civile en
Vendée s'était engagée pour des motifs plus élevés,
elle avait arboré de plus franches couleurs, elle se sou-
tint plus longtemps : c'est pourquoi, malgré des traits
d'hérolsme qlli n'ont été surpassés nulle part, la
gloire de Lyon est restée moindre.


II


Lyon et la Vendée montrent comment on aurait pll
tenir tete a la Révolution. Partout ailleurs elle n'a pas
été entra\'ée, elle a pllltót élé sel'vie par les forces qui


1. Ilisloil'C du peuple de LYOil, par Baleydier, t. 11, Affaire UU 2n sep-
tembre,


10




14(, LIVRE PlIEMIEH.


devaient ou voulaient la combattre, et d'abord par la
royauté.


Des que Louis XVI cessait de diriger le mouvement
qu'il avait inauguré, son devoir, autant que son intéret,
consistait i.t l'arreter. Mirabeau comme llurke et tous
les politiques quí se SOllt occupós de la Ró"olution lui
ont tour a tour, un peu plus tót ou un peu plus tard,
assignó ce role. 'fous les publicistes qui la jugent,
~I. de Tocqueville comme M. de Bonald, s'étonnent
aujourd'hui que jusqu'a la fin il n'ait pas essayé de le
remplir. Les UIlS en accusent la faibJesse du roi, les
autres la faiblesse de la l1lonarchie; les uns et les
autres OIlt raison : l'impuissance de Louis XVI vient
a la fois du caractere qui lui est propre et de la situa-
tion dont il hél'íte. Seulement il est juste d'ajouter que
Sil. situation a préparé son caractere, que les défaillances
de sa v010nté tiennent aux lacunes de son óducation,
et. que la premiere conséquence des exces qu'i! n'a pas
cummis, c'esL précisément son insuffisance malgré Sil.
,'ertu. L'ancien régime avait énervé le roi en meme
temp~ qu'il désarmait la royauté, et Louis XVI était
déja victime avallt d'ctre frappé. Comment étaient
élevés, en effet, les dernicrs hÓl'itiers des anciennes mo-
narchies? A la fois dansla pensée qu'ils pouvaient tout
et daI1s l'habitudc de ne rien vouloir. Aucun obstade
ne lcur apparaissait pour borner leur autorité; aucune
éprellve ne venait fortifier leur énergie. Tenll~ tl'Op




LA REVOLUTION. 1.47


loín du reste des hommes pOlll' avoir apprís a les con-
naItre avant de les gouverner, voyaient-ils done le
pOllvoir sonverain s'approcher d'eux? S'ils étaient
égolsles, comme Louis XV, la dísposition quí les dú-
minait, c'était l'insouciance; s'ils étaient dévoués
comme le duc de Bourgogne, c'était l'effroi. L'ancien
régime a son décIin ne donnait 11 ses princes que les
qualités Ol! les défauts des monarques constitlltionnels,
etilleur imposait encorc les obligations des monarqnes
absolus : je me trompe, le meilleur et le plus infortuné
el'entre eux avait a remplir une tAche bien autrement
rare et difficile que l'exercice du pouvoir absolu : iI
avait a cOllduire son peuple dc l'absolutisme a la li-
berté. IIlui aUJ'ait faUu l'habiletfÍ de Helll'i IV avcc la
vertu de saint Louis; mais Ilelll'i IV ne pouvait
grandir a Versailles, et Louis XVI n 'avilit hérité que
de la vertu de saint Louis. l\Iieux il a compris sa mi,,-
sion ,plus iI s'est dMié de son génie.


La contradiction qui se remarque dans le caractere
du roi pcut elro également ob~ervée dan s son esprit.
L'Ame de LOllis XVI est oll\'(>rte a tous les désirs gé-
néreux de son siecle ; elle est fermée 11 t011tes ses ('or-
ruptions. Vous proposeZ-VOLlS de discerner ce qui fut
légitime et pUl' dans les espéi'ances de 89? Cherchez,
je ne puis dire, hélas! ce qu'a voulu, mais ce qu'a
pensé Louis XVI, et YOUS Ile vous tromperez paso Mais
ce progresJ cette ¡"galité, eette liberté meme qu'il




LlVRE PIlEMIEfl.


appelle autant que personne, le roi doit-il les donner
a la nation, ou bien la nation ne peut-elle les tenir que
d'elle seule? e'est ici le point obscur et mal éclail'ci de
sa conscience politiqueo Tantót il croit a l'infaillibilité
royale, comme ses ancetres; tantót a l'infaillibilité po-
pulaire comme ses contemporains. Entre ces deux ex-
trémités il oseille, et comme il a toujours vu l'autorité
sans contróle et sans contre poids, des qu'il ne peut
tout preserire, il ne sait que tout subir. La est le vrai
secret de ses tergiversations, de ses perplexités les plus
poignantes, de ses contradietions, et enfin de son
inertie. S'il ne s'est pas défendu, ce n'est pas seule-
ment paree qu'au fond de lui-meme il a douté de sa
force, e'est aussi paree qu'il a douté de son droit.


La reine Marie-Antoinette semblait faite pour ap-
porter a Louis XVI ce qui lui manquait. Elle n'avait
été habituée ni a réfléehir, ni a se eontraindre; mais
iSSlle d'une mere virile, élevée dans une eour am
mceurs simples et pures, au sein d'une grandeur a la
fois antique et renaissante, héréditaire et eonquise;
elle avait gardé l'élan d'une ame jeune et la fierté
d'une ame royale. Elle aimait le plaisir et l'aimait
innocemment, grande nouveauté a Versailles, singu-
larité que ne pardonnerent ni les eourtisans liber-
tins, ni les eourtisans dévots; elle n'avait d'ailleurs
aLlcun gout pour les affaires et ne travailla pas sé-
rieusement a les connaltre tant que la monarehie




L.\ nÉVOLUTION. 149


parut prospere. Quand le malheur et le péril l'oblige-
rent a s'y appliquer, quand elle vit devant elle l'ab1me
ouvert et qu'elle eut mesuré mieux que perwnne l'in-
suffisance du roi, alors elle porta dan s la poli tique des
pressentiments et des résolutions soudaines, un cou-
rage également capable d'affronter la lutte et d'accep-
ter le sacrifice; et sur son front majestueux et char-
mant, la royauté garda jusqu'a la fin son prestige,
paree que la reine ne cessa pas d'y croire. Mais, sur-
prise tout a coup par l'orage, elle était dépourvlle de
la connaissance des temps, des hommes et des chases:
elle le sentait, et ne rencontrait pres d'elle persanne
a qui se confier; elle cherehait done péniblement de
divers cótés de bons avis pour les transmettre al!
roí. Des lumieres n'étaient pas ce qui faisait défaut a
Louis XVI; ce qu'illui aurait falJu, c'était précisé-
ment ce que la reine n'avait besoin de demander a
personne, ce qu'elle portait en elle, mais ce qui ne se
communique pas : la volonté, la fOl en soi-meme et
dan s sa cause. La force d'ame de Marie-Antoinette ne
put suppléer a 12. faiblesse de Louis X VI; cetle force
fevut alors un autre emploi, elle fut consacrée a sou-
tenir chez la reine une incomparable abnégation. Ne
pouvant sauver le roi, la filIe de Marie-Thérese mit
son honneur a demeurer associée, non-seulement asa
destinée, mais a toutes ses dé marches ; et ce n'est pas
a l'échafaud qu'il a du lui couter le plus de le suivre.




150 LlVRE PREMIEn.


Elle avait l'Ame d'une héro'ine, elle eut le sort d'une
victime i les don s que le Ciellui avait prodigués serví-
rent seulement a rendre plus illuiitre et plus rare l'im-
mulation.


Ce n'est pas au dehors, ce u'ciit pus meme uans le
cceur quí lui était le plus proche que Louis X VI pou-
vait puiser la fermeté, et pourtant cette vertu ne lui
fit pas toujours défaut. Elle sortit enfin pour lui du
fond de sa conscience religieuse. II avait accepté la
Constitution civile du clergé J mais il s'en était re-
penti et ce repentir le rendit inébranlable. II vit clai-
rement des lors un point sur lequel il ne uevait pas
céder; sa constance sut. aquel objet s'attacher : ce
fut assez pour qu'ellc ne fléchit paso Au milieu de ses
derníers conseillers terrifiés, en face de la populace
déchainée, il refusa de consentir i.t la proscription
des pretres fideles, résolution qui vint trop tard pour
sauvor sa couronne, assez tót POUl' consacrcr sa
mort. La journée du 20 juin le truuva i.t Id fois dé-
sarmé et inflexible. Ses ennemis s'étonUfll'ent de ne
l'avuir paint dompté : il s'était relevé roi pOLlr tamber
martyr f •


1. « Louis XVI se refusa it aueUlle cOllcessiuu deYaut les piques. lA
« multiturle ne put lui ap'acher une seule parole de soumission ...... I:!maís
« Louis XYl ne. fui plus roi que ce jrmr-I't. (Jui fu! ell réaliie le Ydill-
t( ,{ueur"? Cclui gui refusa .le c.·,.ler ..... Ou il !oujllurs dí! que le plus hei\1l
« spectacle esi cdui .rUlle úme 'lui r.~sistc ¡\ la ,iolcllcc ¡j'llll IllOurle.
« Qui a dOllue ce ~jlcctaele, si ce u'est Lonis XY¡ >cul, SilUs autre abrí




LA RÉVOLUTION. 151
Quand cette carriere du martyre reste définitive-


ment sculc ouvertc dcvant lni, iI paran sonlag8 comme
un homme qui découvre enfin le secret de sa voca-
tion et le rnystere de sa destin!\c. Il scmble plus a
l'aise au Temple qu'a Versailles. Il s'avance vers le
sacrifice sans résister et sans défaillir : s'il se laisse j u-
ger par la Convention, c'est ponr accomplir ce sacri-
fice dans son intégrité; s'il consent a se défendre, sans
ilIusion comme sans col ere , c'est paree qn'il ne vent
pas avoir pu éviter un crime a la France et ne l'avoir
pas tenté; et l'on rapporte, cnfin, que sur l'échafaud
sa voix prit tout a coup un accent d'autorité qu'on ne
lui avaitjamais connu.


Ne demandez done pas a Louis XVI de se défendre:
holocauste prédesti né pOU\' ses peres et ponr son
peuple 1 il n'a de force que pour marcher au supplice.


" que quatre g-ren"diers dan" l'embrasure ,['une fcnetre, temnt tete il
" Illl [lc,uple 8ulier ]lrN ;\ l'<leraseJ'? Ou ce que nous avons repelé toute
" uotre vic de lit IlIA,icsté de ritme allX p,'ises avee le plus forl n'est ({U'llll
« mol, ou il fauf ,..,eonnaitre 'lne Louis XVI fnt ce jour-lit plus gTalHl
« que ce mon!ln dechaine, eOlltré lui el qui ne put lui arracher uu de-
" Rayen. lJIl'cst-c ... ¡IJi lui dOllua la force ele l'ésister "insi á la violence de
" lout un l'clll'lc"? Sa croyancc. » ELlg'arrl Quinet, 10 Ré/Jo{ulion, t. [,
li,', x, Voyez ~nssi les JIél,wú'es de Dllmoltl'ie=, li\'. IV, chal', IX, el le
ré,'il de lo jonrH"e du 20 juin par 1\1. !\lortirner Ternaux, Hisluire df;
In Terl'cur, t, l.




L1VHE PHEMIEH.


IU


La royauté ne se défendant pas, le premier cnnemi
de la Révolution devait etre la noblesse. La noblesse a
en effet pris les armes, loin du roi, hors de France,
dans l'émigration : mais avec quel succes!


On serait bien sévere pour les émigrés si on les ju-
geait, jene dis pas d'apres les diatribes révolution-
naires, mais d'apres les reproches et les plaintes du roi
et de la reine. NuBe part leurs démarches a l'étranger
n'ont été condamnées plus rigoureusement que dans
la correspondance de Louis X VI et de Marie-Antoi-
nette, et condamnées au nom des principes monarchi-
ques en méme temps qu'elles l'étaient ailleurs au nom
des intérCts et des droits populaires. Triste et fatale
désunion des hommes destinés a soutenir les causes
qui succombent 1 Ils se divisent paree que tous ils sont
faibles, et leurs divisions accroissent leur faiblcssc.


n cst pourtant une justice a rendre aux émigrés,
c'est que, tandis que tout pliait sous le joug révolution-
naire, presque seuls ils ont lutté. e'est quelque chose,
et si la France a le souci de son honneur, elle doit les




L.\ REVOLUTION. 151


préfércr aux honnctes gens inertes qui no l'ont pas dis-
putée a Robespierre; elle o.oit préférer les hommes de
camr qui se battaicnt alors quclque part, et de quelque
maniere que ce mt, anx gardes nationaux qui ont vu
l'arme au bras passcr Louis XVI conduit a l'échafaud,
et apres lui tous les tombereaux des victimes.


Les émigrés ont combattu, voilil leur mérite; mais
i1s ont tres-mal choisi le terrain et les allxiliaires du
combat, voila leur malheur et leur faute.


Je dis d'abord : leur malhenr, car, ainsi que 1'a écrit
parmi ses notes inachevées M. de Tocqueville, (( cette
mesure si nouvelle et si extraordinaire dans l'histoire,
I'émigration en masse, s'explique par la circonstance
aussi nouvelle et aussi extl'aordinaire d'un corps de
noblesse qui, planté depuis mille ans, se trouve tout a
coup si privé de racines qu'il ne voit aucun moyen de
rester debont a sa place 1. » Ce n' est pas a ux émi-
grés eux-memes, c'est 11 leurs anectres, c'est allssi aux
ancctres de Louis X VI qu'il con vicnt d'imputer l'isole-
mcnt dans leqnel la Hévolution a saisi la noblesse fran-
vaise, premiere cause de 1'isolement OU elle meme a
laissé l'infortllnó roL


Pour combIe de malheur, cet isolement au milieu
de la nation, qui désarmait la noblesse, l'avait ave u-


L OEuvre, complele>, t. VIII. Mélanr¡e8, (m.'lments hi8/fJrir¡ne\',
p. ¡Sü.




1:;4 LIVHE PHEMIER.


glée. Déshabitllée de conduire les nutres, elle ne
savaít plu:! se eonduíre elle-meme; trop longtemps
díspensée de réfléehir, elle en av:lit perdu la faculté,
et les memes vieissitlldes qui l'aVilíent privée de ses
meilleures forces la réduisaient d'avanee a ne pas
diseerner eeHes qui lui restaíent encore. N e lui en res-
tait-il point en effet? Il est rafe qu'llne sitllation soit
assez désesrér~e pour n'offrir aueune ressonrce a qui
sait eomprendre son devoir; I'histoire ne doit admeUre
qu'avee une extreme répugnanee eette excuse de la
fatalité. A défaut des eampagnes, trop délaissées par
leurs peres ou par eux, les gentilshommes occupaient
tous les postes de l'armée. Je n'ignore pas la ligne de
démareation qui séparait alors les officiers des soldats,
et j'ai déja signa.lé l'attrait qui enLralna ces derniers
vers le rnouvement populaire. Il était sans doute díffi-
eile a leurs ehefs de les eontenir. Mais enfin, était-ee
impossible? Non) car un seul général, hors de París, a
sériellsement roulu reste1' malt1'e de ses trollpes, un
seul, M. de Bouillé, et il a d'abord réllssi. Il a trollvé
des bras et des armes pour réprimer it l\ancy une
imurrection redolltable; qne dis-je, pow la chatier
avee rigueur quand elle triomphait déjil. Enrironné,
menacé, débordé de toutes parts, jusqu'au voyage de
Varennes, il aété obéi. Que serait-il done arrivé si
tOllte la noblesse militaire de Franee avait fait effort
ponr gardcr l'armée dans sa main?




LA H~;\'OLCTJ()N. 155


Réduits meme a ne compter sur personne, a !le di~­
poser que de leur seule épée, quels exces allraient [lU
prévenir tant de gentilshommes serrés et debout au-
tour du roi I La cl6honnaire paticnce de Louis X VI, il
est vrai, n'était guere propre a exciter ou soutenir a ses
cótés ce hardi dévollement; mais le regard de .Marie-
Antoinette aurait dó l'enflammer, et ce n'est pas la
moindre faute de l'ómigration que son aveuglement
envers cette princesse. Jamais femme, jamais reine,
jamais victime parut-elle miellx faite pour susciter
alltour d'elle des hól'os et dos vengeurs, et jamais au-
cune se trollva-t-elle plus abandonnée? C'est d'elle
principalement que les menellrs de l'ómigration, éga-
rés par des préventions indignes et par de coupables
intl'igues, e'est d'elle qu'ib avaient a cmur de s'éloi-
gner; rien ne prollve mieux la décadollce des senti-
ments chevaleresques chez eellX qui prétendaient on
perpétuel' la tradition.


D'ailleurs, ee n'est pas seulement parre quo LouisX VI
était faible que les ómigrés se 50nt éloignó:; de lui;
e'est. aussi parce qu'il était raisonnable, parce que,
menaeé autant qu'ellx tous et plus mécoIlllu que pas
UIl tl'eux, il refllsait cependant de s'associcr, soit II
leurs rancunes, soit a leurs ehimercs. L'í\lan générellx
de la noblesse fran9ui~c uvait été unanime en 1789;
mais le jOllr oü, mal réeompensée de ses sacrifices,
une portiull de eclle 1I0blessc eOllJ'lIl it l'rtrangcr, les




15G LIVRE PJ\E~lIEB.


hommes qui prétendirent la diriger se montrerent
plus touchés des coleres et des griefs de leur ordre
que des intentions, des périls et des intérBts du roL
Le dévouement héréditaire qu'ils professaient pour lui
aurait exigé alors une abnégation plus difficile et plus
méritoire que jamais : le sacrifice ne leurs propres pré-
tentions et de leurs vengeances était nécessaire au
salut de la monarchie. En abandonnant la patrie, ce
fut la royauté qu'ils livrerent.


La plupart, sans doute, ne cümprirent pas la faute
qu'ils commettaient envers le roL 'fOlls auraient re-
culé s'ils avaient prévll le tort qu'ils devaient lui faire,
mais ils marcherent a l'avcnture et rien ne les arrcta.


Les premiers émigrós quittent la France sans but ar-
reté, sans dessein formé; une fois dehors, I'impatience
d'agir et l'incapacité de discerner ce qu'il faut faire
déterminent leurs démarches. D'autres les suivent en
foule par étourderie, par mode, par point d'honneur, et
avec un singulier mélange de pl'ésomption et de trou-
hle, de courage et d'effroi. Ils fujent de leurs chateaux
qui bruJent et courent OU 1'0n va se baUro. L'impoli-
tique et chevaleresque comte d' Artois provoque J'émi-
gration; il en partage les illusions et n 'en démele pas
les intrigues. Le comte de Provence s'y trouve jeté
malgré lui ; iI entreprend de la dirigcr sans avoir avec
elle rien de commun, ni défauts, ni qualités, mais
uniquement paree que, jusque dans l'exil et 11 la tete




LA RÉVOLUTlON. 1~7
d'un parti qu'il n'aime pas, il a le gout d'etro roi.
L'image de la monarchie en deuil ne s'apeq~:oit plus
nlllle part ailleurs. Le dévouement y pousse ou retient
ceux que d'autres motifs n'auraient {las entrainés;
eofin la Terreur contraint de s'y réfugier ceux qui
l'avaient d'abord bl&mée davantage. Il ne restait plus
de moyen de défense a l'intérieur : volontaire et irré-
fléchie a ~es débuts, l'émigration était devenue inévi-
table' et put paraitre obligatoire.


Le cMtiment ne se' fit pas aUendre; il pesa sur tous,
tandis qu'un petit nombre seulement était cOllpable.
Ce chatiment de I'émigration, ce ne furent pas les lois
injustes d'abord et bientót atroces portées contre elle,
les honnCtes gens restés en France n'étaient pas mieux
traités : ce furent les attentats horribles auxquels elle
servit de prétexte et qu'elle vit de loin sans rien pou-
voir pour les prévenir ou les venger i ce fut sa longue
el définitive impuissance. Incapable de grandes en-
treprises, elle se consuma en intrigues mesquines.
Éloignée d'abord du roi et séparée de la nation, elle se
divisa en coteries de plus en plus étroites. Réduite a
tout attendre des gouvernements étrangers, sans avoir
rien a leur oJIri t'; leur demandunt a la fois de dompter
la Frunce, ce qui était au-dessus de lenrs forces, et de
la respecter dans l'intégrité de son territoire, ce qui
était au-dessus de leut' politique; trop foible pour leur
rendre la victoi re fucile et pourtant trop fiere pour la




LIVHE PREMIEH,


lCllr pl'omettl'e profitahle 1, c]ie devait etre délaissée
par enx. Elle le fut promptement et rudement, et
tandis qu'au dehors elle n'éprollvait que rehuts et. roé·
comptes 2, 11 l'intérieur ce recours a l'étranger associa
parmi le peuple le sentiment natioIlül au sentiment ré-


1, « Il e,t juste, ~allg ,Ioute, que la lllonarehie frau~aise retablic dau,
son aneien état Boit tenue. de dé,dommag'er, par yoie ,le subsiJe llU autre
g'enl'c (le payement, leE; pllis~rmc~R qui ¡'aunJllt :-;erOUl'lle df:':: .:lyance:<. et
fraí, d'armPlllents f]n'elles 8eront dans le lOas de l'epl\ll'r, !\lais rl", dé"
lllembrelllents f]ui resserreraieut le~ limites du l'oyaume el clcl'ilug'craieut
l'equilibrc ,le l'Euro~e nI'. doivcnt pas Clre le [lrix de l'assistancc géné-
J'ell~e qui a été pronlj~e aux prince~, frerc~ du roi, agi~A,-ult en son nom
et pOUl' la r1éfense de la rOUl'onne, On ne lem en demande aUCllll, et íl
JI 'tm est aUCllll('nlpnt questioll dans le~ neg;ocirttions nxee les ·r.out'~ ci-
,le"us meutionllées, ~Iais l'exemple de Catheriue 11 "t le poirls de SOIl
iulluellce sCl'Yiraieul it "cartel' tons le, doutcs que la natioll pOllrrait Cilll-
ce\oir a cet eg'ard. » Jlú"wir(-!s des jJI'ÚlCC."'· /í'(lII~;(ÚS Ü l'úJlpérol,'¡cf:
Crdheriúe JI, 31 juillel 1791. Tiré ,les ArdlÍ\TS hÜ[loriales de Moscüu.
Feuillet de Conches, t, JI, p. 20-1.


2, (( Le cartel d'e,chang'e :entre Dnlllollriez el le duc elp, Brl111s\\'ick, ler,
de la retraite des Prussiens) ayait été sig'ué le 2', (sel'tembr'e 1792), 11 ue
cunee"llait (flle les troupes prussieull!.:s) ~llItridúelllles et hessoi~e~ ..... ) le..:
?!lIig'l'és n'y (~taient pas cOlnpri~. DUl1lOUricz Ilvait refuse pel'ernploire-
tlh>]lt d"admettre ceu~-ci au hénéfice du cartel. .... ~lam~teiIl n'illsisla pa:"
d, [lar ll11e prétérition calcul(\8, le roí (le I'ru"e consentít ir abandonner
á lcur lualheureux sort ceux des elnigTe::l qui tomberaiellt entre les lllaiu:-,
des clJrps de partisano laner, (101m toutes les dircetir¡ns sur les [lcules ~t
les ,1"l'I'iél'es de l'o1nllée cIlYahissante ..... Le roi de Prusse, autorisanl SOIl
ul'lieil'r de cOlll1ltllCe a lllcttl'e son 110111 au ba:-1 de ce carlel, :-;enll,lait ;-;e
Yi'ug"'" láchAment de la décOllYCIlIIC que les illusiollS et les hrava,les de,
"'llIigrés lui Ryaíelll faít subil', )) (l\1ortimer Teruanx, Hisloil'e de tu Tr¡'-
""/!I', t, ¡Y, p, HjG), Yoil:, eomment les émíg'l"'s étaíent aelaisses par le
I'oi tic PruSSl'. Yoici conUllent ils étaíent ,1"clleíllis par l'empereur d'Allc-
mtlt!:llP, Frélll~oi~ JI: « Dá'!{I)'olioll (1(, S, JI. l'eJlljw)'('IU' ('t roi I,'{)JU:'C)'-
flant tes énágJ'és l;'an~'((ú; rlu 2:3 odobre '1792.


Art. l er• - Le~ énligT!~S CIllployés OH atlfH~hés Ú l'annee des prince;-:,
rra,,~aí5 ne pOllrl'Ont se tellil' ailleurs 'Iue da liS les líellx de, calltunuc-
ments de eette al'lll~e"",


,\rt. 2"' - Les autres érnig-res t'r',olll'aís, de '1uelque état ou qualité qrúb
l'"í"ent ~tt'e, ecelesiastílj"'" (lU l:úr¡ues, (¡ui ue liennent [las en loua~'e




L.\ B ÉVOL U T J Oi\'.


volutionnaire; ce sen timen t de conservation et ce sen-
timent de destruction se melerent ensemble dan s une
confusion presque inextricable al! fond de beaucoup
d'ames honnetes, et, longtemps apres que l'émigration
se fut dissipée, son souvenir devait engendrer entre les
classes diverses de la nation des défiances et des om-
brages trop capables d'énerver en la déchirant la
société fran~aise.


IY


La royauté étant sacl'ifiée, l'émigration écrasée, la
Franee subjuguée; la Révolution triomphante voyait
encore se dresser devant elle l'Europe.


n est diffieile de sOlltenir qu'au moment OU la guerre
s'engagea entre l'Europe et la Révolution frangaise,
l'Enrope n'avait pas été provoquée. l\on-seulement les


ulle lllai'OIl ou Ull 'ju.1rtier, den'out ~ol'tir du pa)'s dans le tel'liw df huit
jours, a partil' ,le, lit publicatinll (les présrntrs, ;\ peine ,c!'étt'c traités
COlllme g'ells ~allS ave\!.


Ar!. :)0, - , , , • , .


ceH' lIui ..... ", pel'li1f'ltront ole l'0rler it Jeurs chapeanx des cocClrrle,; ou
(les plllme~ blnIlClw~, f!pyrollt ("g',:den1l'nt quitter (~e pr~ys :;:'011S llJ menw
peine. » (Hisloil'P de la Te¡'l'plI!', t. JI', p, .';:12.)




160 L1VHE PHEM1EH.


atteinles portées aux droits des princes allemands pos-
sessionnés en Alsace et la réunion du Comtat Venaissin
11 la France donnaient ouverturc ti des réclamations
fondées sur les traités; mais surtout la Révolution
fran<;aise était née cosmopolite; 11 cette Révolution
l' Assemblée constituante avait vainement interdit les
conquetes. Des son début, sa propagan de , qu'clle le
voulut ou non, débordait de toutes parts, et lor:;qu'elle
renversait l'ancien régime au nom des droits de
l'homme, il était trop aisé de connaitre que sa doctrine
ne la renfermai t pas dans nos frontieres. Comme elle
se montrait d'ailleurs aussi effrénée dans sesallures
que radicale en ses principes, les souverains étaient
alltorisés 11 la j uger impuissante a se conteni1' e1le-
meme, incapable de les 1'e::ipecte1' quand elle ne rrs·
pectait rien en France. II n'est done pas étonnant
qu'ils l'aient envisagée et traitée en ennemie. Ce ql1i
est étrange, au contrail'e, c'est qu'ils en aient attenc1u
le tl'iomphe a l'intérieur ponr en pressentir le péril
au dehors. Si, abjurant leurs rivalités mesquines, ils
s'étaient levés sans autre but que de préserver l'Eu-
rope, san s autre ambition que d'óteindre l'incendie, le
patriote déplore1'ait encare amerement lour intenen-
tion, I'historien équitable aurait peine ti la condamner.


Mais ce r61e de défenseur de l'ordre social impose
aux pubsances qui l'embrassent beaucoup de droitu1'e
et de désintéressement. Ricn dans l'histai1'e ne paralt




LA RÉVOLDTIO:\'. 161
plus séveremen,t chtttié pal' la Providence, nen ne
laisse dans la mémoire des hommes des ressenti-
ments plus profonds que les ambitions égolstes et ja-
louses qui se couvrent d'un masque de dévouement 11
cette grande cause, pOllrsuivent sous ce déguisement
leurs calculs particllliers et comprometten t enfin ce
qu'elles prétendent servir. Ainsi avait-on \u, en face
de la Révolution religieuse du XVi" siecle, la Il~aison
d'Autriche, affectant de confondre Ea cause avec la
cause meme du catholicisme, prétendre a ce titre a une
domination universelle, par la soulever contre elle et,
malheureusement, aussi quclquefois contre l'Église le
sentiment de l'indépendallce nationale, et apres de
longs et gigantesques efforts dernelll'cr enfin, au
milieu de ses voisins, amoindrie, épuisée, sans amis.


L'attitude de l'Europe en face de la Révollltion fran-
((aise fut moins grande, moins franche et moins forte
que celle de la maison d' A utriche en face de la Ró-
forme; elle ne fut ni plus désintéressée ni plus lJell-
reuse.


Au début des agitations de la France, et tandis que
les peuples se passionnaient déjil pour ce spectacle
extraordinaire, les cabinets n'y virent d'abord autre
chose que l'affaiblissernent de notre pays. « La France
vient de tomber, et je doute qu'elle se releve,» avait
dit Joseph 11 des la premiere réunion des notilbles.
Telle était aIors l'opinion unanime des hornmes d'État


11




J62 LIVR E P H E~IIEH.


européens, frappés de la langueur inattendue et de la
timidité soudaine de notre diplomatie au milieu de nos
embarras intérieurs. Leurs prévisions n'allerent pas
plus loin. L'Angleterre et la Prusse se réjouircnt de
cet effacement présumé de la France; nous faisions
alors obstacle aux combinaisons de leur politiqueo
L'Autriche, au contraire, qui comptait sur notre appui,
s'en effraya et ne songea qu'a prendrc ses précautions
pour n'en pas souffrir. La Russie, également notre
alliée, 8'en affligea d'abord et s'alTangca bientot pour
en profiter 1.


Au fond, ce ne pouvaü etre que pour le malheur
et la hOllte de l'Europc quc les puissances allaient
se croire un insiant elispensées ele compLet' avec la
France. Depuis la fin du regne de Louis XIV,
la prépondérance franQaiso no menaQait plus la li-
berté des nations. C'est an contraire de Ilotre abat-
tement et de notre faiblesse que l'EUt'ope avait souf-
fert sons Louis XV. C'est parce que nous avions
cessé d'y ten ir notre place que des guerres injustes et
stériles l'avaient ensanglantéc, que le premier [lar-
tage de la Pologne l'avait sOllillée. Relevée et redres-
séo par les mains vigilantes et pures de Louis XVI,
la politique franQaise avait, il ost "rai, elurant les


1. Hisloirc ri1:]Jlmnati'lue de l'Eul'Ope pendant ln Réoolulion fran-
rrú,p, par ~L <le BOllrg'oiuii, chapo l.




LA RÉVOLUTIOl''':'


quinze premieres années d'un regnequi devait avoir
une fin si lugubre, accompli de grandes cllOses : rr-
vendiqué la liberté des mers et rendu le pavillon fl'an-
¡;ais capable de la défendre, affranchí les États-Unis,
contenu la Prusse et la Russie sans allumer la guerre
en Ellrope, protégé pacifiquement la Hollande contre
Joseph II sans sacrifier l'alliance de l' Autl'iche, et ré-
taLli gloriellsement l'équilibre entre notre nation et
l'Angleterre. l\iais autant notre influence était deve-
nue respectable, autant elle semblait loin d'étre op-
pressive. Nous étions un frein pom tous les potentat5
plutót qu'une mcnace contl'e pel'sonne, capables de
prévenir les abus de la force et non de les commettre,
et pour souhaiter alol's l'abaissement de la France ou
pOllr prétcndl'e en tirel' profit, il fallait, en vérité, avoir
quelqlle mauvais coup a ten ter en Europe i •


Cctte jalousie fut pourtant le plus vivace, le plus du-
rable sentimcnt des puissanccs en face de la Révolu- ,
tion fran¡;aise, et, tandis que cette Hévolution s'ayan-
¡;ait pour tout détruire, la poli tique de ses adversail'es
ne sut etre ni complétcmcnt ni constamment consena-
trice. Faut-il s'en étonner? Ce qll'attaquait par-de~5us
tout l'esprit l'évolutionnaire, c'était le christianisme;
l'institution qu'il s'attachait de pl'éférence ti I'uiner,


1. llislliire rlljJ/nmrdir¡l!e de /'EI.I)'(¡pe, par ~l. de BOll['goillg', ehap. [,
Y,))"e! all,oi (;"h'/ru;e fU, par .\1. Gelfl'ni.




11)4 LIVRE PREMII;;R.


e 'était l'Église. Or, cette haine d'une alltorité supé-
rieure a l'homme, les souverains de l'Europe étaient
mal préparés a la combattre; cal' ils la partageaient,
ils l'avaient ressentie meme avant les peuples. C'est
an sein des cours, e'est sur le trone ou tout a coté que
Voltaire, a Vienne comIlle a Pétersbourg ("t a Berlin,
a Madrid comme i.t Naples, avait compté ses premiers
disciples. Instruits a cette école a considérer comme
surannée la plus sacrée des institlltions anciennes, ces
viellx gOllVernements avaient été eonduits tl méprbct,
toule tradition, et soít que le goUt des réformes vint a
les posséder, soít seulement qu'ils ne se souciassent
pas d'etrc genés dans l'exercice du pouvoir absoln, ils
professaient volontíers cotte maxime que la premiel'f~
condition de progres pour les 50ciétés h11ll1aines c'est
de rompre avec le passé. Joseph Il n'avait pas plus res-
pecté les antiques franchises de ses États divers, no-


. tammenl de la Belgiqlle et de la Hongríe, que Pierre 1"
et Catherine 11 les coutuIlles hórédi taires de la Russie,
et Frédérie le GraIlllle droit lJublic de l'Allemagnc el
de l'Europe. POU!' elre de parfaits révolutionnaires,
en un mot, il n'avait manqué a la plllpart des sou vc-
rains du XVIIle siecle que de ne pas porter couronne.


A quoi se réduisait done l'instincl eonsenateur qui
les armait eontre.la Révolution frangaise? A un vul-
gaire égolsme : au souci de leur propre et seuIe SéCll-
rité. Le vrai amour de l'ordre et le culte du droít leur




L,\ R I~ VOL ¡; T J ON,


étaient étrangers. On congoit des 101'5 que l'envie de
prendre se fit jaur en leur cceur a coté de la lJeur de
perdre; c'étaient chez cm deux sentiments de meme
nature, entre lesquels flotta 1cur politiqueo Ainsi par-
tagée, elle devait etre ct elle fut faible et louche, 11 la
fois sans scrupule et sans hardiesse, sans élan et sans
constance, auss! prompte a se défier ou a se séparer
d'un allié que lente U. attaqucr I'ennemi.


Tandis que la coalition se noue, tandis que son prin-
cipal instigatcllr, Catherine II, semble Hxer ses propres
regards et veL,t diriger llniqucment ceux de ses voisins
sur la France, elle étend sourdement sa main rapace
sur la Pologne mutilée. Cependant les armées coalisées
se mettent en marche, elles menaeent nos frontieres,
et bientOt apres elles se retirent presque sans coup
férir et se disper6ent. Pourquoi done cette retraite si
prompte? C'est que la tzarine a fondu sur sa proie,
et ehacun court en saisir quelques lambeaux t. Ce fut
pour anéantir une nation que ces défenscurs dA I'or-
dre européen se détournerent de combattre une révo-
lution. Foreément ramenés ensuite du coté OU bouil-
lonnait ectte révolution, est-il surprenant qu'cn effet
¡ls aient moins travaillé pOlll' y mettre un terme que
pOllr démembrer notre pays? L'instinct de la Franee


1. \'o,-ez ,m ce ]IfJiut les J],JIlIf¡Ú'I', d'/ln /¡nmme d'État, de :1792
(/ 1S10, lú.lig'ós d'ilprl's les jlilpiers du baron, r1epuis prince, de Har'·
dembcl'g', pn~micr ministro h nel'lin, t, I et II.




loG LIVHE PREMIEI\.


no s'est pas mépris sllr la nature et la portée de lems
desseins t.


Il Y eut pom les entreprises des puissanr,es conti-
nentales une autre cause d'insucces que cetto incerti-
tude entre des craintes et des ambition-i diversos, c'est
que nu1 esprit public ne les soutint. Les peuples ne se
dévouent que pour de grandes choses : des traditions,
ues libertés, quelquefois ot pom un peu de temps pour
la gloire, ou du moins pour l'apparence et l'image de
ces grandes chosos. Quand une fois on a trouvé lo
moyen do prondre la multitude par l'appat de la li-
berté, a dit Bossuet, elle suit en avouglo pourvu qu'elle
en entende seulement le nomo lUais encoro faut-iI sa-
voir faire retentir a son oreille qllelqu'un de ces noms
magiques ot grandio~o~, et ce fut la supériorité de la
Révolution frangaise sur ses ennemis. Tandis quo le::;
cabinets du continont, an miliell des combinaisons
étroites et tortueuses de lem di ploma ti o , ne ponvaient
invoquer ni les traditions qu'ils ayaient reniées, ni la
liberté qu'ils 1'edoutaient, ni la gloi1'e q u'ils étaient
incapables d'acquérir 2, la Héyolution, en égaran t les
peuples, les exaltait, et jllsqll'en les win3.nt les char-
mait encore. Le patriotisme meme en délire devait
triompher d'lInepolitiqlle sans ame comme san s génie.


1. Memcs .\I,lmoires, t. I,]J. ::\2; t. 11, 1'. 1111.
2. Voyez eneOl'e M. de Ilourg-oing', chapo llJ et l\".




LA RÉVOLUTION. 167


Un seuI État se tint debout sans plier jamais en
faee de la Róvollltion franQaise : ce fut l'AngIeterre,
précisément paree que l'appui cJ'un puissant et vivace
esprit public, composó a la fois de tr!:lclition et de li-
berté, ne fit pas dMaut a ses hommes d'État. Son
grand ministre Pitt, cléjlt vieilli au pouvoir a vingt-
lmit ans, attendit, pour engager dans la guerre cette
nation qui le soutenait a sa tete, qu'el1e-meme l'y
poussllt. II aitenclit qu'llne voix éloquente et populaire,
sortie des l'angs de l'opposition, eut signalé la révolu-
tion franQaise comme antipathiqlle au génie de la cons-
titution britannique, et l'eut condamnée au nom des
principes et des croyances encore plus qu'au nom des
intérets dll peuple anglais. Des lors le scntirncnt natio-
nal s'était prononcé et, contredit jusquc dans le sein
du parlement et par les plus illustres orateurs, selon la
eoutume de nos voisins, constamment contredit, ce
sentiment national ne clevait plus varier. Descendue la
derniere dans l'arene, I'Angleterre y resta longtemps
seule et ne s'en retira point. La poli tique étrangere
de ses hommes d'l~tat n'est jamais généreuse; trop
souvent, nOlls ne saurions l'oublier, leur patriotisme,
dans ectte terrible lutte, se montra maehiavólique et
haineux. Mais s'i1s abllserent de la force dont i11eur
[ut donné de disposer, ce n'est pas une raison pour
méconnaitre d'ou leur venait cette force et ce qu'elle
valait. Cette force, qui tour a tour put armer l'Europe




168 Ll VHE l'fH~}llEH.


et ne pas fléchir quand l'Europe désarmait, ne se
manqua pas un jour a elle meme, tandis que tont lui.
manquait a la fois au dedans eomme an dehors; bnna
le souUwement des llottes ct l'insurrecti.on de l'lrlanclc
dan s le meme temps que les rllptures d'allianee, sur-
vécut a la mort désespérée de Pitt, sUlltint j llsqn'a
l'henre du triomphe ses médiocres successeurs, suscita
Wellington, l'homme de [er, et le maintint inébran-
lable de Torres-Vedras a Waíerloo; cette force, c'était
l'ame d'un grand peuple excité e par la parole libre.


L'Angleterre, grace a Dieu, n'est pas parvcnue,
malgré nos fautes et nos revers, a se sllbordonner
notre patrie; elle n'a pas non plus arreté dans son
cours la Révolution fran!;aisc. Mais elle n'a pas été
vaincue par elle, elle n'a pas mema un jour subi sa
Ioi, et aillsi elle a fait voir a la vieille Europe ehanee-
lante et si promptement abattue que la liberté fondée
sur la tradition était seuIo eapable de tenir tete an
géllie révolutionnaire.


Cependant cette révoIution qui triomphe de tout, ex-
cepté de l'Angleterre, regne en France. Elle est sans
frein, elle est sans obstaele. Jusqu'a que] exccs s'est-
elle précipitée?




CHAPITRE IX


La Terreur.


Jc ne connais dans l'histoire que deux gouverne-
ments qui portent dans Ieur nom seullellf flétrisSllre :
le Bas-Empire et la Tcrreur. Quant au gouvernement
de 1793, c'est lui qui l'a voulu; il s'est lui-meme
donoé le oom qu'il gardera a jamais : la Terreur t.


1. ({ Legislatellr~, pbeez la Terrrllr a rordl'f:', dn jOlJr. » J)i~eollr::: rl'unc
rleputatioll de jacoLills it la COllvclltion. Seance (lu ,) octohre t ifl:l. Hnchez
et Ronx, t. XXIX, p. 41.


« Le gouverncment provisoirc sera révolntiollnail'c jllsqu'it la paix, »
Décret de la COllventioll, remlll sur le rapp0l'l de Saint-Just, 10 oclo-
bre 1793. lbid., p. 1i2.


« Si le rA"ort <in gonvel'nement populail'e dan s la. paix esl la verln, le
re~sorl (lu gouwrnemen! pOPlllaire en l'évollltioll es! la wrtn et la tel'reur :




170 LIVH~; PHEMn:R.


Les terroristes n'ont jamais aspiré a une autre
gloire qu'a devenir pour leurs contemporains et pOllr
la posté1'ité un objet d'(\potlvante. lis ont prétendu seu-
lement que cctte épouvante était nécessaire etqu'ellc
avait sauvé la patrie, et il s'est rencontré des apolo-
giste s de leur mémoire pour le répéter apres eux.


Soutenir que les Franºais avaient besoin de t1'em-
bler a leurs foyers pour courir saIlS peur ü b frontiere,
alIéguer que pour arracher la France a l'ennemi il a
faUn la livrer an bOllrreau, n'est-ce pas olltrager la
conscience et la raison publiques?


11 importait d'écIaircir eette confusion entre le pa-
triotisme et le terrorisme. Un honnete homme, '1.1\1or-
timer Ternaux, s'est appliqllé h faire tum!wr tous les
masques et tOll~ les voiles de la Teneur, et maintenallt
il est non-seulement eertain, mais pl'ollvé, que, luin de
conjurer, elle a fait naltre Oll aggrayé tous nos périls.


la \Trtu, ,aus la'luelll' la terrcllI' esl funeste; la leITU(lI', san s IW.lllelle la wrlll
est iInpuis:-;autc. La lel'renr ll'est autre ehu~e tJUA 1;¡ j1l:-:tir.n prompte, StJ-
y('re, inlloxiblP : elle esl (lone une emaJlHtion d" la ycrtu : die esl mOlus
un prillcipe }Iarticlllier ql1\llln (,oll:-'t~rl11I'Il('{~ dll prillcipc g'éw~ral (le la dt~-
1l1Ocratie apl'1itIJl(~, anx plu:-l pl't~~Silllt~ bcsf)iu~ di,' la palric'.


({ 00 a dilo rpie la terrear Ijloait ll' re:-:..::ort 11'1111 gtlU\PfW'IHI'J1t dc;;;.polique.
L8 ,-[jtre re:-:,sclllble-t-jl au (11::-:,p0ti~ltle-? (llli, C0111nH) le g'laiy!~ qlli IH'illf'.
da",; les metlnS (lu hél'oS de la Illwrt,'. l'p,sel<lIJi" ,il'"I"l (l<Jllt les sat"lld,'s ti"
la t,Yrannit.' ~ont (}I·rn,i~. nOlllpte.z par la tPl'I'¡'lIl' ll'~ t'lllH'mi:-; (k lCl lihpl't{~,
f'l YüU, amez )'~ison comme ftlltrlateurs ,le la lleIJllbll(luc. Le g·'JlIYCl'lI'_'lIlcnl
de la né\ol"ti()ll p,( 18 fle"pollsme de la llberte ("mll'e la tyralwl". )) Hap-
pnrt !Ir. RO!lPspicrre au WJlll da Cllluite de ~idlll llllLdiL', :--UJ' k:,>' ¡J/'ÚlCl}JUS
,1" moro/" qui (lnirclIL g:llidel' la Cnnyelltinn da1\:-' 11' g-n1]Vel'IlPmcllt illU'-
)'ieul' de la Hepubll'luc. :i Ihriel' 179L IMd., l. XXXI, 1'. ~ID.




L,\ 1:\ E VOLU nON. 171


Ce sont les l'évolutionllilires dl! 20 juin et dl! 10 aout
qui ont soulevé et coalisé contre HOUS le continent. lis
ont obligé les souverains a redouter les exccs de la
France encore pll1s que ses forces, el. cette frayenr
cornrnune a lJ1! duminer pour un jour leurs tergiver-
sations el leurs dissentirnents t. C'est a la suite du 21
jauvier que Pitt, jugcant la France incapable d'avoir
des alliés, a introuuit dan~ la c011ition I'Augleterre.


Les memes hommes qui amassaient contre nous
tilut d'ennemi~ nous ménageaient-ils du moins des
défensellrs? Parmi les généraux qui cOLlvrirent les
premiers nos frontieres menacées et dont plusieurs
leur avaient pourtant donné de tristes gages, un seul,
Kellermann, le vainqueur de Valmy, a échappé a lem
IJaine. Nul autre n'a été épargné : ni La Fayette, ils
l'onl réduit a quitter l'armée; ni Dumouriez, ils ront
amen0 ti la trahir; ni Montesquiou, le premier conqu(:-
rant de la Savoie, ils l'ont proscl'it; ni A nselme, qlli
avait pris Nice, ils l'ont emprisonné; ni Custine, qui
nou~ avait mené" jusqu'au Rhin; ni Ilotlchard, qui
avait jeté dans la mer les Anglais débal'qllés a Dun-
kerque; ni Beauharnais, ni Dillon, ni Biron, ni Bru-
l1et, ni le vieux Lulmel' : ils les ont eIlYoyés a l'écha-
faud.


\. Ifi,'/"i¡'r' r/¡j¡fOlllll!i'jJU' r1~ l'HJU'IJ!iI' jll'Jlrlllrtl la !lrj/,r¡{¡dio!l /i'lIIi-
~'fÚ,'(', par Fl'íllU:iJi:-: de BUlll'g"uillg, t. r, chapo TI I el 1 \".




172 Llva l' [' TlI::~IIEB.


Il est vrai qu'a la nouvelle de la patrie en danger,
l'année décapitée se garnit de soldats héroYques. l'IIais
en meme temps, a l'aspeet de eette patrie désorganisée,
les seélérats se levent et ils massacrent les Frangais.
Non, les braves gens qui s'en allerent en septembre
1792, résolus a périr, aux Thermopyles de la France, et,
inébranlables dans les défilés de l'Argonne, arreterent
l'étranger, n'étaient ras les memes hommes que ceux
qui dans ce meme mois de septembre resterent a Paris
ou se répandirent a Meaux, a Ileims, a Charleville, 11
Caen, a Couches, a Lyon, a Versailles, pour assassinrr
des prisonniers sans dófense, et ce SOl1t ceux-lil, prets
a tuerplus qu'a mourir, qui ont tenu le glaive de la
Terreur. Voila les soldats de Marat, de Danton et de
Robespierre; ils n'en ont pas reeruté d'autres. Le Tri-
bunal révolutionnaire est sorti tout armé des massacres
de Septembre; Danton l'a mis en mouvement pour les
contin uer avec plus de méthode; et le Tribunal róvo-
lutionnaire est resté jusqu'a la fin le seul moyen de
gouvernernent des terroristes l.


A lnsl, a mesure que la Franee avangait dans la ear-
riAre de la révolution, le bien etle mal, le dévouement
et la haine, mclés ensemble uu début de ce mouve-
ment irnrnense, eontinuaient de se déploycr avec éclat.


1. [lis/aiJ'e de (r¡ l'er¡'eui', llar ~l. M'Jl'llll1el' Ternaux, lo 11.




LA 1l~;VOLIITIO~. IH


Seulement, ces deux courants, difficiles a discerner au
point de départ, s'étaient écartés pour rouler chacun
sur une pente différente. En 1789, régénération et
destruction, espérances généreuses el désirs penen,
vie et mort, tont marche ensemble, nous l'avons vu,
tout se manifcste a la fois et souvent sur le front et
dans la bouche des memes hommes, tout se concentre,
dans un rffor! qui semble irrésistible, au dedans du
royaume, personne ne regarde aux frontieres. En 1.793,
le partage entre les bons et les mauvais instinct5 de la
France nouvelle s'est accompli. Les patriotes com-
battent l'ennemi, les terroristes gouvernent la patrie:
d'une part, les hommes de CCBur détournent leurs re-
garus de l'intérieur pour ne voir que l'étranger;
d'autre part, le foyer de la résistancc contre la révolu-
tion ayant été transporté au dehors, les hommes de
sang restent seuls dehout et vivants U. l'intériellr. On
pout sans doute et l'on doit blamer ces hommes de
CCBur de s'etro laissé gouverner de loiu par cc:; hOlumes
de sango Avec une indifférence qui serait étrange ::;i
1'011 no savait combien il est difficile a !'homme d'avoir
deux courages f¡ la fois, il::; leur ont permis de souiller
la terro et la cause qu'ils défendaient, et a cet impur
contart lcm gloire a perdu quelque chosc. Ces soldats
intrépides n'ont pas été c]'assez fiers citoyens. En com-
battan!. la coalition, ils ont sllbi la TerroUl', c'est trop
san s doute; rnais ils ne I'ont pas pl'ovoquée; encore




171. LIVHE I'REMIElt


moins ont-ils étó suscitl;'; par elle: Ietlr mémoire ne
mérite pas eette ioj ure.


L'exeuse du salut pub1ic étant ainsi arrachée a la
Tecreu r, comment expliquer son regne? 11 faut bien
le eonfesser : Marat, Danton, Robespierre únt pu do-
miner la France par la peur. 'fOllt le monde, petits et
grands, pauvres et riches, hommes anciens et homll1C:s
nouveaux, tout le monde était menacé par eux; nulio
tete n'était placée ni assez haut ni assez Las pour lour
échapper, et chacun, sous leur joug, s'est senti seu!'
Leurs victimes n'oot pas tenté de s'unir pour résister.
Pour en finir avee eux, il a fallu que leurs complices
voulussent s'en défaire. Quelquefois un homme seuI et
furieux, tenaIlt une arme a la main, épouvante une
foule désarmée qui l'environne. Tels pal'aissent al! mi-
lieu de la Franco los terroristes. QueHe était done leur
arme, et pourquoi devant eux la France s'est-elle erue
désarmée?


Jc n'ai nul gout et je ne trouve nul profit 11 observer
curieusement les nuances du caraetcrc ou les diffé-
rences du tempérament ehez les divers ehefs de la
Terreur. Deux traits dominants leur_sollt communs a
tous et suffisent [l les signalcr. Lcur promior principe,
c'est que la fin justifie les moyens. A leurs yeux, l'en-
nemi, « le méehant, l'homme immoral, )) eomme disait
Robespicrre, n'a point de droits. Pour le vainere, tout
est légitime, que dis-je! tUllt cst obligatoire ot sané.




175


Cette maxime est la seule qu'a travers un langage 01'-
dinairement vague et louche on trouve nettement pro-
fes~ée par les orateurs du Comité de salut publico Ainsi
le mépris de la justice el de I'humanité a-t-il pu deve-
nir le signe d'une vertu plus haute, et le crime s'appeler
devoir.


Mais ce but a atteindre contre tout droit et toute
chance, ce but qui s'appelle tour a tour vertu, frater-
nit8, démocratie, salut publie, en réalité quel €:st-il?
Je le cherche, et plus je regarde al] fond de l'ame des
terroristes, moins j'y décollvre un autre idéal qu'une
vaste destruetion.


Ils n'ont pas seulement, comme d'autres tyrans, la
pass ion de tuer; iIs OIlt de plus, a un clegré OD. per-
sonne ne la poussa avant eux, la pass ion de détruire.


On a reeherché l'écemment si les terroristes s'étaient
formé quelque théürie d'organisation sociale qu'ils
n'aicnt pas eu le temps d'essayer, el l'on s'est étonné
de ne trollver a cel égarc1 sous Ieur plume et clan s leur
bouclle, parll1i lem:; discours publies et Ieurs confi-
dences inti mes, que des phrases banales, des mots sans
idées 1. La vérité ost que l'immense goul de destruction
qui les possede a envahi leur ame enllero, n'y laisse
place a aucune antre pensée, a üucun autre sentiment,
et dirige toutes leurs démarches.


1. M. (¿\Jill!'t, 111 ¡ili¡Jullllir!ll, t. 11, lív. Xl\" el. "uí\".




17[, LIVRE PllEMIEH,


lls mettent leur ambition a abattre, eomme d'autres
a fooder, et, depuis 'la riehesse jusqu'au talent, depuis
les lois jusqu'aux lllCBurs, depuis le langage jusqu'aux
croyances, depuis le nom des hommes j usqu'aux oom5
des mois et des jours, depuis le temple de Dieu jus-
qll'aux tombeaux des morts, tant que quelque chose
s'éleve, subsiste et dure, ils ne soot pas satisfaits.
QU'OIl se représente dooc des hommes qui écrasent et
brisent tout pour triompher, et qui ne poursuiyeot
d'autre triomphe que d'avoir tOllt anéanti, coofondant
ensemble le but qu'ils se [Iroposent et les moyens
qu'ils emlJloient, eL poussant. ainsi j usqu'all délire la
passion du néant; qll'autour d'eux et dans leur pl'opre
ame le sen s moral soit obscUl'ci au point de ne plus
apercevoir aUCUIle regle disti ncte oc ccttc passion
meme et, tandis qu'ils la slIivent, d'écarter de leurs
démarches la pudeUl'J de leur conscicnce peut-etre le
remords; enfin, qu'a eette lJassion dominante et sans
frein 00 ajoute les passions subalternes qu'clle traine
a son scrvicc, la soif de dominer, l'ivresse du sang
versé, la jalousie, la cupidité, la vengeanee, la peur,
cal' ceux qui font trembler tn'mblent eux-mcmes : et
peut-étre comprendra-t-on les exces des terroristes.


A ces eXC8::i il fut donné de s'étaler et de prévaloir.
Si leur triomphe est devenu possible, il est.temps enfin
de le reconoaitre et de l'avouer, c'est lJarce qu'ils n'ont
été que le dernier terme el. comme le paroxysme de




LA RÉVOLUTION. 177
certaines errel1rs, de certains égarements fomentés
par le xvme siecle tout entier, et trop caressés a l'au-
rore de la Révolution.


Ce ne sont pas les tribuns de la Convention qui les
premiers ont poussé le pellple a violer la loi morale, a
mépriser les lois sociales: nOllS l'avons constaté, ce
sont les tribuns de la Constituante. Seulement, au dé-
but, c'est pour parvenir a la liberté qu'on s'abandonne
au désordre; e'est poUt' crérr qu'on "eut détruire.
Mais bientot les beaux désirs et les grandes espérances
s'affaissent et tombont, la vaine et Eonore éloquence
des Girondins en fait reientir le derniel' et trompeur
écho; déja, pendant qn 'ils parlent, le gouvernement
intérieur de la France n'a plus d'clUtre 1'eS50rt que le
crime, d'autre but que la destrllction : on est arrivé a
la Terreur. Et tünllis que los tcrrol'istes ne respectent
rien, des hommes quí ne savent pas ce qu'ils dOÍ\ent
respecter, tandis que les terro1'istes ne conservent rien,
des hommes qui ne savent pas ce qu'ils veulent con-
server, deviennent des victimes, ils ne sont pas des
obstacles.


A cette défaillance du sen s moral amenée par les
doctrines du XVIII" siccle, ajfJUtez certüines infirmités
sociales produites par l'ancien régime : tout foyer
d'indépendance et de résistance locelle éteint, le bas
peuple, comme 011 disait alors avec un funeste et eou-
püble (lédain, le has jlPu plp dC\CIlll impénétl'ublc en
I~




liS LIVllE PllE~IlEn.


son isolement, se nourrissant en silence de ses préj u-
gés, de ses jalousies et de ses haines, race inculte et
endurcie d'ou sont sor ti s des bras impitoyables; enfin
les procédés rudes et somrnaires de la vieille j us.tice
criminelle dont la Révulution s'empara en y joignant,
selon la remarque de JI. de Tocqueville, (( l'atrocité
de sun génie 1)) : telle est 1'ame et tel est le rnécanisme
de la Terreur, telle est sa dOllble force, ou plutót la
double faiblesse de ses victimes.


Son triomphe n'a pas duré, Car il mettait aux prises
ceux qui l'avaient faite: n'ayant plus rien a dévurcr,
ils se sont dévorés entre eux. i\his les instincts qui l'ont
enfantée ont dó se perpétuer. CeHe passion d'anéantir
ce qu'il n'a pas créé, l'homme ne la porte-t-il pas au
fond meme de sa nature déchue? II la lllanifü~te a tout
age, illa déploie dans le domaine ue la religioll, de la
philosophie et de 1'a1't aussi bien que dan s celui de la
poli tique et des lois. Partout elle est capable de l'éga-
rer et de le pervertir.


Quant Ü 1'autre principe des terroristes, la souve-
raineté du but, ainsi qu'on l'a maintenant nommé,
c'est-a-dire le sacrifice de tout deyoir au succes et le
refus Je tout droit a l'ennemi, (;e prétemlu príncipe
n'est-il pas aussi dans tous les siecles professé par des




LA RÉVOLUTlON. 179


fanatiques, pratiqué par des ambitieux et trop souvent
admiré par le vulgaire?


Contemplez-vous done les aetes des terroristes? lIs
vous paraissent des monstres a peu pres uniques dans
l'histoire. Sondez-vous lcurs penchants? Vous en 1'0-
trouvez le germe aL! plLls profond du cceur humain, et
la trace a toutes les époques.






'.


CHAPITRE X


La France apres la Terreur,


Quand on envisage le gouvernement de la France
apres la Terreur, on croit voir un homme épuisé par
des exces violents et a qui il ne reste plus assez de vi-
gueur ni pour les continuer, ni pour rentrer dan s
l'ordre. La Convention apres thermidor, et le Direc-
toire tant qu'il duro, oscillent entre eeUe double im-
puissance. Dans leur sein la fievre révolutionnaire
éclate encore par aeees a travers la fatigue et l'inertie.
Ils sesoulevent de 1eur défaillance par quelques eoups
d'État accomplis san s passion ot sans conscience, puis
y retombent, et ce qui se déploie san s i ntermitt.encc




.'
lR2 LIYHE PHEMII<:H.


dans les régiolls olricielles, ce sont les vicps propres aux
vieillesses prématurées.


Mais en dehors de ces régions troublées et sonillées
sur lesquelles le regard ne s'arrCte qu'avec dégout, il
ya la nation. Qu'est-elle devenlle a travers la Révolu-
tíon? Comment s'est perpétuée, comment s'est trans-
formée sa vie ?


Des qu'elle commence i.t respirer et se reconnaltre
elle-meme apres la tempete, denx points fixes domi-
nent en son ame la confusion de ses sentiments et de
ses pensées : d'une part, l'horreur des forfaits r6volu-
tionnaíre; d'antro part, la résoll1tion de ne pas revenir a
l'ancien régime. Son premier besúin politique est le
ropos, et le spectre de la Terreur I'empeche de se re-
poser dans le régime établi, la républiqne. Sa consti-
t.lItion natllrelle est la monarchie, et le sOllvenir des in,,-
titutions ou des abus abolis en meme temps que la
royanté paraly~e son élan ve1's la ro}'auté. C'est ainsi
qu'incapable de se donner elle-meme, elle attend qui
voudra et sallra la prendre.


Les formes politiques qlli conviennent a la société
nouvelle sont encoro et resterontlongtemps incertailles,
ot pOllrtant oeUo société mcme, i.t peino sortio du ehaos,
a déjil des traits fixes et distinets. Elle ebangera SOll-
vent de vetements, elle ne changera lJlus de visage.


Des le lendemain de la Teneur, voyons donc ce que
lui a valu et ce que lui a couté la Héyollltion.




LA f{~=VOLUTION.


Malgré les débris qlli jonchent le territoire, malgró
la ruine de tout crédit publie, la masse de la natioo
tend a s'enrichir. L'abolition des droits féodallx, l'uni-
formit6 de la loi et de l'impót, en un mot,l'affranchisse-
ment de la propriété fonciere, aecroissent d¡'ja l'aisance
g6nérale. Il n'est pas jllsqll'a l'institution et a l'a\ilis-
sement du papier-monnaie qlli, en ruinant les grands
propriétaires et les rentiers, n'ait libéré la ml1ltitude
des débitCllfS pauvrcs et r6duit á ricn les chargrs des
fcrmiers. A jOlltez les bien s nationaux distribués pres-
que gratuitemcnt parmi les cultivateurs, et 'ous com-
prcndrcz comment le prix dont la Révolution avait été
payée sembla n'appallvrir que le petit nombre, tandis
que ses conqlletes, légitimes OH non, profitaient a
tous.


Les memes biensauraient pu, sans doute, etre acquis
sans les memes sacrifices; mais, une fois obtenllS,
ils n'en paraissaient pas moins précieux, et les hommcs
qlli déplornicnt le plus I'ere de crimcs inntilcs que la
France venait de traverscr n 'étaient pas disposés ti re-
tourncr en arriere. Il est vrai allssi que le désorclre rú-
volutionnaire emppchait chacun de jOllir des ehoses que


L Cela a t':tc'· r('('(¡llIHl dllréUlt In, H("volutinn, nH~n1P par ~I_':-: a(hcl's.airt'~
inlellip:f'nb : In mar'llli, lit' Ilonilh':, r¡ni 1'a dit A CnlJlmtz itussilr\l "1m", le
v(ryrq~'e dn Vat'l'nllf~S (JIr!mJJircs) chapo XII); 11' marqlLis de Ferrij',T'f's ~.l1fL
')ll0Ú'f:S, t.1T, tiy, \~~ ~r. de .\lUllt!o~i(\r,tlatl;-: IllL' j)}',lchlll'c puhb',c r1l1/!lG
,Jan, l'i-migralioll et "it0e pite TOClfllC',ille. Gl". Toclfue\"ille, FraynwIIls,
OEUVI'C.I" el COl'rc.I"jiol/dances illáldes, t. 1, p. 2:;7.




LI V II E: l' 1\ l:: ~1Il:: tI.


la Révolution lui avait livrérs; c'était un motif pour
consolider de quelque maniere le nouvel état social, ce
n'en était pas un pour restaurer rancien.


Ce nouvel état social, d'aillenrs, procurait aux Fran-
vais d'autres satisfactions que la seule richesse. La
condition des personnes, comme celle des terres, était
changée. La France, depuis la Révolution, ne parait pas
devenue plus féconde en hommes; mais chaque
hommc apergoit plus a sa portéc l'objet, quel qu'il
soit, de son ambition. Les barrieres destinées par
l'ancien régime 11 fixer chaquc Frangais dans une
existence bornée, ces barrieres, sans ctre infranchis-
sables, semblaicnt ponrtant asscz hautes pom dé-
courager ou pour irriter. Aussi le jour on pom la
premiere fois elles tomberent, 11 travers toutes les car-
rieres quell'apide et llombreux essor! quelle prompti-
tude" tl monter partout au premier rang I Dans les as-
semblées) dans les armées, quelle foule pressée de l'e-
Ilornrnées soudaincs I Depllis on n'a jamais vu pareil
flut se précipiter a la fois. L'égalité des conditions, en
se perpétuant, a dü nous donner un autl'e spectacle :
chaque Frangais, dans 53 profession librement choisie,
él pu dé~ormais marcher a son pas et a son heure, et
ceux memes qui ne vont [las plus loin qu'ils ne seraient
allés sous l'ancien régime Il 'apen;;oivent plus, du moins,
de muraille qlli borne leur horizoll. De la, daIls toutcs
les branches de la société, IIne activité trop SOllvent




LA llÉVOLUTIO:í. 185


mal réglée, mais générale et constante; peu d'hommes
qui dépass.ent les autres par un génie capable de Wl'-
monter tous les obstac1es ou par une fortllne qlli les
ignore, mais un grand nombre qui s'avancent et s'éle-
vent par un mouvement continu, et a tous les degrés
de l'échelle, enfin, un plus facile emploi de t01.1tes les
faculté s hllmaines. Ces résllltats dócoulent des change-
ments proposés on commencés par Louis XVI, accom-
plis par l'Assembléc constitllante. Ils ont val n de loin
a cette assemblóe la meilleure part de sa renommée.
lIs sont dus a l'esprit de réforme qlli inspira rluelque
temps avant les États gónóraux le pouvoil' absolu, et SLll'-
vécut d'abord en maLiere économique et civile au dúchal-
nement de l'esprit de désordre en matiere politiqueo


V oila donc ce que la Fram:e a gagné en se trans-
furmant; mais voici ce quelle a perdu a se transfurmer
par Ime révolution.


'[uutc révolutioll est pmpre il pervertir la généra-
Lion qlli l'accomplit, Ces bl'usques reyirements lle [o!'-
tune, ces ólévations [:t ces r¡lines inopin(\es, ce ren-
VCl',,:ement des eOlltUlnes et des regles établic::i, troublellt
les mmurs, dtSracinent le respect, cxeitcnt les conyíJi-
tises, et dósorientent enfin les consciences. C'est pOll1'-
qlloi, cornmencpcs dans l'enthousiasme et la passion,
les révolutioIls se tcrmiucnt d'onlinairo dans le cv-
nisme et l'immoralité. La Róvolutioll fl'all9'lÍse a
étendu plus loin qu'ancllne autre ce ravage des




IRti


ames, non-seulement parce qu'elle a attaqllé plus
de lois, rompn plus de Hens et plus de freins, mais
aussi parce qu'elle a associé un plus grand nombre
d'hommes soit a ses mon vements, soit a ses résultats.


La contagion s'est répandu8 "mtout avec le produit
des confiscations révolutionnaires. En accroissant, ainsi
que nous l'a vons constaté, l'aisance des cultivateurs,
les ventes de hiens nationaux ont gravement altéré
lenr probité. Elles ont multiplié, selon la juste observa-
tion de JI. de Tocqucville, « comme cela ne s'était
« jamais Vll dans les discordes intérieurrs d'aUClln
« peuple, ce nombre de propri6tés douteuses que la
« loi garanti!, mais dont la conscicllcC s'inquietc. Ceux
I( qui vendaient les biens confisqll6s n'é/aient pas tres-
( surs d'avoir le droit de les aliéncr; ccux qui les
«( achetaient, celuí de les acquérir ... Cela mit l('s ames
c( tlc plusicurs millions d'hommcs dans une mauvaise
« assiette j. » Ce nc i'urent ¡Junc pas, comme aillcnrs,
quelques hommes politiflues seulemcnt quc des pro-
lits óquivoques attüchcrcnt ü la RóvolLl tion; ce fnrent
les paysans, le pcuple entier : obstacle drcisif saus
doute au rétablissement de l'ancien régimc, mais
I"rand obstade llussi tl la fondiltion du nOUYCall. Car,
ainsi qn'on l'avait dit an ddmt mürne de 17Sa el. pré-


1. Tocqncville, OEuvrf.'s '" ('Oi'J'f?sjJn;¡r!rUlCe,' i)¡(;dite.y" t. 1, FJ'(f:IJl/e"t~,
p.269.




LA RÉVULUTlON. 187


cisément U propos des premieres confiscations, com-
ment les Frangais voulaient-ils {;tre libres quand ils ne
savaient pas etre justes?


Dix ans plus tard jls ne savaient guere mieux eLre
justes, mai:> ils ne voulaient plus l~tre libres. De tous
les biens pour lesquels ils avaient entrepris la Révolu-
tion, la liberté était le seul dunt ils eussent cessé de se
soucier. N'ayant éprouvé d'elle que la gene, les périls
eL les exees, ou pllltót n'ayant connu, tandis qu'ils la
poursllivaient, qu'une servitude agitée 1, ils ne l'envi-
sageaient plus que comme une chimere et une chimere
fUlleste j ils en tlétournaien t avec effroi Ieurs regards.
D'autre part, la HévolutioIl, comme !'avait pressenti
Mimbcau, en créant une surface égale, avait facilité
l'exercice dll pOllvoi r 2, et par cunséqucIlt les FranQ'lis,
comme l'avait pl'éc1it Cazales, couraient risque, s'ils
n'{taient pas le plus libre de tuus les peuples, de de-
venir le plus esclave 3.


Ils touchaient enfin an mumcnt qu'nvait annoncé
de loin 1111 autre rnembre de la Constituantc, sueces-
sivcment promotelll', acher::;airc et victime de la Ró-
volution. « Eacorc un pas, )) avait dit a ectte usscm-
semblée, sur le point de se sópllrcr, Adriell Duport,


l. Expressioll d'lln (~(,nlí'l1lp()l'aill.
2. I111itii~'m" mi,' ,]ll ",)\\)L(' ,], :\Iil'"J¡";Lli j,,,tI, ¡,. COll!', ;) ,iuillet 1790.


CO/'l·esp., L~ [l, p~ ,:5.
3. Voi!' plu< h;llIt, p, ll:l.




IRK LI"BE PIH:MIEB.


« et le gouvernement ne pellt plus eXIster ou se con-
« centre totalement dans le pouvoir cxécutif seul; car
« .le vois dans l'éloignement le despotisme sourire 11.
« nos petits moyens, 11. nos petitos vues, a nospetites
« passions, et y placer sourdement le fondement de ses
« esp6rances. Ce que l'on appelle la Hévolution esi
« fait; les hommes ne veulent plus obéir aux anciens
« despotes; mais si l'on n 'y prend garde, ils sont rrel~
« tl s'en faire de nouveaux, dont la puissance, plus
« récente et plus populaire, serait mille fois plus dan-
« gereuse f. ))


Cette prédiction a été faite le 17 mui 1791.
A défant de liberté, l'esprit public allait-il done re-


venir a l'amour de l'alltorité et se nourrir uc cet
amour qu'avait porté si hant l'ancien régime? Loin de
la, c'est a cet égard que le caractere des Fran<;ais
semblait le plus irrémédiablement défonné. Lem sou-
mission avait cessó d'ütre fondée sur le respecl et elle
se mesllrait sur la pem. Le temps était a jamais pas~6
oü l'obéissance décOlllait de l'honneur, ou le sOlrvcrain
inspirait a ses slljets la tendresse qu'on a pom un I¡(~re
eL qnelque chose du culte CJu'on ne doit qu'a Diell, nu;
en exéclltant ses commandemcnts les plus arbitraires,
ils cédaient moins a la cootrainte qu'au l1!\vouement,




LA l\8\ULUTIO;-;. 189


pouvant ainsi, jusque dans une extreme dépcl1l1ance,
gurder une ame tres-fiere 1. Désormais l'indifl'érence
envers le pouvoir, son origine, sa durée, ses titres,
allait etre tenue pour sagtSSP par lo gTanll nombre;
masse inerte du seinlle laquelle llOlIS avons Vll s'élever
une race nouvelle qui se courbe devant le hasard et la
force plus volontiers qu'clle no s'incline devant la vraie
graIldeur~ sort a tout et a tous san s s'atlacher a rien,
rampe SOLlS Hobespierre et Barras allres s 'EMe soulevée
contre Louis XVI, et dunne flUX maltres les plus mé-
pris:tblcs lo droit tIe la ll1ópriscr. Cctte race insolente
et servile, l'ancien rógime ne l'avait pas connue; elle
esi le produit de la Hévolution, la conséquence et la
cause de notro instabilité politiqueo


S'il s'était rcncontró quclquc part en Europe, au
dernier jour du XVII( "leele, un observateur clair-
voyant et désintél'f~ssé de la France nOllvelle, il aurait
donc apen;u a sa surraco : d\m cóté les rossourcos du
pouplc accruos ct Sil cOlldition amélíorée, mais de
l'auire son tune rapetissée, sa conscience obscurcie, et
ce spoctacle, a tout prendre, l'auraitattristé sur nous. Il
aurait VII l'illtét'et attachel' le plus grand nombre des
Franvais aux résultats tic la R,,\vulution et les détacher
ele ses désordres; mais mllle part, si ce n'est au sein de




190 LIVHE PREMIEH.


l'armée défendant l'indépendanee nationale, il n'allrait
découvert un sentiment désintéressé; et si cet observa-
teUt' avait ensuite reporté ses reganls de la natian sur
ses chefs, il ne se serait point étonné Cju'une société sans
noblesse enl'antat et subit un gouvernement ignoble.
11 nous aurait cru voués pour .iamais i1 des r6gimcs teb
que le Directoire.


11 se serait trompé pourtant; sous l'épaisse boue qui
couvrait tout, il se cachait des germes de vie que la
main de Dieu próservait pour l'avenir et que son mil
seul peut-etre était capable de discemer encare.


n y avait d'abord le sang des victimes, et quelles
víctimes! les premieres, justes comme Louis XVI,
magnanimes camme Marie-Antoinette, angéliques
comme leur smur, innaeentes C0l11lYle lcut fils; 1Gs
autres tantót sallS tache et tan1ót purifióes, iantOt illlls-
tres, tantót obscures et tonjours sereines devant la mort.
Si la royauté, si la cJOblesse, sí l'ancicnne Ft'ance
n'avaient pas su se défcnure, du moins elle.,; avaient su
bien mourir. Isoléos au joUt' de la lutte, elles ne l'avaient
pas été au jour du supplice. La Terreur avait pris soin
de tout meler et de tout confundre dans une égalité
fatale; l'cxcmple du mépris de la vie que les privilégiés
avaient été appclós a donner, tous les rangs, toutos 11'5
classes avaicnt dli le sllivre et l'avaient suivi en fonle.
Un pcuple si fécond en mart}Ts n'était ¡las un peupk
rléchll, et dans les halames nu 1.1 jllstirr divil1(~ pesl\it la




LA nÉVaLt:T10N. I~I


Franee, la générosité de ces ma1'ty1'5 devaitl'emporte1',
il cst penni:,; dc le crairc, sur l'atrocité de leurs bour-
reaux.


Les vietimes, tel est done ti mon sens, dans la Hévo-
lutiun, le premiér gage uu salut de la France. ~i
toutes les institution::i atteintes de la fOlldre n'ont [las
éLé rachetées au pl'ix des plus sanglants holocaustes,
si pou1' quelques-unes les ar1'ets de la Providence de-
meurent ou irrémissibles ou impénétrables, il en est
une, du rnoins, et la plus nécessaire comrne la plus
grande, qu'a visiblement 6auvée le coup qui la frappa :
e'est l'Église.
~ous avons indiqué les causes qui paralyserent


l'Église de France ilU xvm' siecle : d'abord les vices
éclatants de quelques-uIls de ses membres rejetant diJns
l'ornbre les vertus du grand nombre; ensuitc sa pr06-
périté matérielle la partageant entre le monde et Diel!.
(ju'a fait la persécution? Elle a replacé les hons pre-
tres dans une incomparable lumiere, et tous, amis et
ennemis, se sont étonnés de tl'OU ver leurs rangs aussi
pressés. Elle a Lút plu.,; : elle a rencIu bons ceux qui
n'étaicllt prrs irr{imédiablement mauvais. « Je sais ti
«( n'en pOllvoiL' douter, écl'it un contemp)rain digne
( de foi, que le nombl'e des rnoines qlli immédiate-
« mentavant la H{ivolution demandaient iJ. etre sécu-
«( larisés a été au rnoillb le tri ple de ceux qui ont preté
« le Sel'rnelltcU!lstitlltic,mwl. Le rnnment de l'apostasie




192 LIVRE PREMIEH.


«( les a effrayés l. )) Plus haut dans la hiérarehie, on ne
peut douter non plus que l'honnenr n'ait mngé plu-
sieurs éveques au devoir, qui ne commen¡;a, a leurs
yeux, a otre inviolable qu'en devenant périlleux.Assez
malade pour avoir besoin de la persécutioIl, l'ÉéJise de
Franee se trouva assez saine pour la supporter et lni
surVlvre.


Ce résultat d'une déeisive épreuve est plus rare qu 'on
ne serait d'abord tenté de le eroire, et il serait dif-
fieile d'cn trouver beaueoup d'excmples dans l'histoire
de l'Europe devenue ehrétienne. Voyez au xvr"siecle
tous les pays envahis par le protestantisllle victorieux.
Voyez en particulier la libre Angleterre : 10rsqu\1l1
tyran, Henri VIII, a voulu la détaeher du saint-siége,
l'épiseopat tout entier a plié 2; quand la Hévolution
triomphante a tenté parmi nous la meme entreprise,
l'épiseopat tout entier a résisté 3_ Que notre rivale se
vantc done en faee de nous d'avoir gardé ses franehiscs
politiqlles, elle a raison, et nous sommes a eet égard
réduits a l'envier; mais elle s'est laissé ravir et confis-
quer sa foi, €t e'est par la que la Franee la surpasse.
e'est pour la liberté de nos ames au sein de la vérité,
qu'au XVI" eomme au XVIII" siccle, sur les ehamps de
bataille et sur les échafauds, nos peres ont su rósi:itcr


1. il1émuires ,mI" iejacobini,',nc, ¡Jal' Bal'rIH'I, t. 1, ellnl'. 11.
2. Sitllf llll ,I:ul é\['I1'IC, Fi,lrer, b\CI¡U\\ (le Il\)e]¡e~te]'.
:L A l"",ceplioll de 'luall'f"' 1"I\~II'IC' "11 1'\:111 tl'I·Iltt--ciIHj.




LA RÉVOLt:TION, 193


et mourir. Le sang catholique répandu en combattant
le protestantisme nons a valu la grande renaissance
religieuse du xvne siecle; le sang catholique versé par
la Révolution a mérité parrni nous une nouvelle renais-
sance de la foi.


Cette rcnaissance se prépal'a des le lendemain de la
Terreur et dovanga l'avénement du XIX' siecle. A peine
l'Église eut-elle dispam de la face du territoire,
qu'elle recommenga a pénétrer au rond des ames. Elle
était non-seulement dépouillée, mais décimée pt déca-
pitée; elle n'avait plus de temples, plus d'éveques,
pre:,que plus de prétres, et pourtant que fallut-il pour
que, sortant encore une fois des catacombes, elle repa-
rut de toutos parts? La liberté? Non, pas meme la
tolél'ance; mais seulement quelque intermittence dans
la pel'sécut.ion. Cal' le Directoire ne lui a pas accordé
davantage j, et les documents contemporains consta-


L On a prclenllll qudquefois que la Franee, sous le I'égime elu Dil'ec-
((,il'e, de rHn 1Il it Lm VIII, (lI'ai! jülli de la liberté rdi~'ie\ls", e'esl une
~illguli0re illu~ion 1'11 ce ql1i COllc('rnc' le catholici:-ilTIe, et pOlll' la Jissip!'j'
il ;;ufti! ,k cilel' Jlrii'vemelll les acles legislatil's, administrati!'s tt jlldi-
ci"il"" de cettl' t-pnr!llf',


ll':riJonl, le Uil'l'doil'G lui-mullle n'a jamais Yal'ió dan s son hostilitc contrc
I·Égli=-t~. lks ~f)ll aYéW'llll:I1L, t\n17Do) il prc~cl'i\'Hil a :;l'~ Ci)lIlllli~si.lin:s Jau:-;
('lla;IIH~ dt~pal'LeIW-'Ill 111~ PÜIH':-,uiYI'fJ le:., pn':lJ'e~ réfractaire~) c'e~t-it-dire ceu\
qui Lt\¿dl'llt rl'fll:-,e le s(~rrnellt ;'¡ la ronstitlltioll ci\-ile dn clt;rg'(~) pt iI t!cl'i-
\ait: {JrJsolc3 (CIli' pulicm;e (J[rmilclU', 18, 10,20 frimail'(, Rll 1 V), [] ",i-
g-l'ai l qUi~ le'::,; [Ili:, r~r()lll t ilmnai t'C~ f(}~:'-{~llt appliqn('p;-; dan:, toute leur rig'llelll'
üll,{ pl't'.tl'P;-; cuutlaIlllu\; a la dl![lorlaliIJIl et ü la rédu:-:ioll ({ni l'ssayaieut d¡-;
I\'ntl'er danR 1,,111' ]la)"" ("c,t-il-rliJ'>' lju'ils fu"cut mis it mur! (Bu!letin des
Irn"s, 2e ~l"t'ip, nO 20), d) Ptl \ertll dI:' ce;.: injollctiull~, plwúc:urf; ecdé:-::ia-:li-
(IUf:s ('·,taicuL l'OWlamlle~ et l'\J~rHté:-, (JJ¡J'lluú'es pOlO' servir ii t'lástuil'e


13




LlVHE PREJIIEll.


tent qU'll n an apres la chute du Directoirc le culte était


ecclésiastil.fllC, pat' Picat, t. VIl, p, (j et ,uil',), 11 pst \Tai (¡ue I'opinion
publique se pronollGait conLl'c lit lyranni4! l'l:'vnllltionnaire, ({lIC" les a~'rllt:-l
memes du gOIl\'el'llement a,-aient ce"" (I'<'tl'e it la roi, all"i c!ociles et illl"i
implacables lJue SOtlS la COll\Tnlioll, d 'lile le pal'ti de la moMratiml
c!(,yenait de joUl' en joU!' plu, j'"rt au ,('in de, ""embl,',;, L1,~libéran[('s.
Les }ois de ]n Tl'!TeUl' flll'!'11t alll'o¡.r{~():, par le r.ml:'l·il tlE~:-l Anciens et lle~
Cinq-cents, et si Ivs lmltres en prison ne furent ]las tU¡'.1us it la libertó,
du llliJillS de lloul'cllcs ri~'llcurs f'ureul iut¡'nlitc-s (:lG auút 1 iUfi). L'¡lIl-
nee suilalll" (13 juillel el ~4 ([oilt \¡Di), le cC!l"eil .. les Cinc¡-ceut, vo-
tait, sur le rappol't (le Camille Jordau, !'l. le ciJu.s"il de, Aueiens ilp-
prouvait l111e lni qlli rOll'iTait E'llfln la Ft',lllce ílnx pn"tt'l.~:-l ill:,wl'nH'llü~s d
consacrait la \Taie liberté des cultes. :llai, cclte ¡oi el i,p~rai"ai t ]ll'C,'lUU
aus,itút dans le coup (n~lat d" 18 l'rudirlor (', sq1tcllllJl'u 17\)7). LrJi ,lll
'18 frllctirior, ürticle 2:3. Le Direcloin: ~e f(li~ait (llJtlnel' le ll0!lyuir 11j~
« dé'pOl'tet·, pal' eles arret"s indiyiduels motin\s, le, prt'tl'ts fjlli trc"¡[JI,'-
mipnt dan, l'interienr la tJ'anquillité IIll]¡li'lnp. )) (~li\IílP loi, :trtirk 2\.)
11 exigeait ,le tou~ lp:; l)('etl'e~ qlli yondr;lit'ut restel' :-:'lll' le tl~rr¡toir~ frall-
\,llis un scnncut tle haiue á b rl)yautl~, ({lli dcyait n~puguel' h la eOll:-:cil2llce
du plu;-; granel IlOIllJJf¡~, et eofiu il pi'UllOlll.:'lil la peine de (l~ux tUl:-> de i\!r~
contl'i' t'Jllt jrig'e 011 fOllctiollllairc q1li ll'I'\.I~'cuk,rait pa:-: ponctudli:l1wTlL de
telles rlispositions. ("'le me loi, al'til'les 23 el. 2G.) .\ l:t snite ,le Cf,Ue 1(li,
plu~ieurs prctlw, plus ele yingt ,Jans ks premiers m"i" de 1 ¡OS, dit .'>1. l'i-
col, qui avaient quitt~ la Francu sou:", la Tel'l'cur, fllr'~'l1t t/'ilit(.., COInmu
émigré:-; l'entrés et nÜi3 il n1ol'l f;ur la seule c(Jllstatatii)ll de IeHI' i(klltité.
(JI'!lIIn/¡'cs pOli)' ser¡,iI' (1 l'histnú'e ecciésillsliq/ll',t. VII, ]1. '118 r:t ;uiy.)
un heaucoup plus granll numbre furent ,léportes. Le 1 ~ mars 1 ¡H~, c .. nt
~tli:\luüe-nt-:uf fnn'llt ernLarqHé~ sur la frégat-· la e hr/J'ente pOIH' la G ll~ (tll!'.
CetL'( qu'Oll n,~ pouyait cmlJarqlll'l' ilIlllH~üiaterllellt étaiellt l'lllasses ¡tu\. ih';o'
de Réet d'Ol,''l'Ulll'(Jur atl,:udl'" ladé]1urtatiou. Quawll,' llil'i:cLoirc t"mha,
il ~. ;¡y;¡it, a"ltI'e-t-on; ir rile de Hé, Ili'uf ('"tll C¡l];ltl'e-yiu~t-'¡lliJl7.f' ']¡~pOt'­
te:-:, dunt t~IlYit'OIl (;ill(Il1allt!~ l.tj(IILP~, el ,'t rd(~ (rUl('~!,l}n) (~('llt Yi1l2t-;-:!'pt,
¡]Ullt ljuatre Ol! cinq l:'¡'11](:S. i/Mrt., p. 1:18 i:ll J¡ L; i':l\lill 1" W<\IWrtll'1ttCllt
l'rt'Lli.lit le~ IlleSurCK les plus ·YHXtlloircs VOUl' fur(~el' les tidl'lf':-; llon-seule-
nwnt ;\ ch!)nl(~r h· d,"Ga,li, Illllis ¿l 11(' {lll;-; l'111)11ll'1' le di!llcllh;hl', Les mal'
chands qui iermaient lem lJoutiqllie le climamlte étaiellt ]"Jur>uil'is del'allt
le:, tt'illllllaUY de jlulice. (l6/d., p. 191.)


Te! etait le l',i~'illt~ al1'lltel mit jill la chllt" ,111 llil'i,rtnil'e el que I'Clll-
pla~a d~1iuitiYernellt le Clm~()rdilt. (Juilwl l"Eg'U:-:e ;u;cepta avee l'ccullll .. li;-;-
~allce la lnain l'éparatric:c que lui lCllclait le prelllie!' eOllsltl) ce n'e:::.t done
l,as ;\ la lil"!I'ló qll'ellu l'Ü!lull¡,,,iL, c'('sl ú l'"rbiLraire l'l e, la l"'l's"cnti,,"
qu'ell" ,\cltappait. 11 ne faút ]'", üllblier cela pum j u~·,er awe ,~rlnit(, J'atti-
lude de la ('0111' de Hollte clan:, Le lH';;Ol:iati"n ,lu CUll('ol'llat et cello.: ,In del'~c
de FrJ.uc:e aprl'~ ;-;a pronlldgrttiou.




LA RÉVOLUTIO:'\. 195


rétabli dans quarante mille rommunes do Franco f.
C'est done an mornent OU eeux qlli, considérant


l'état extérieur de l'ltglise de Franee, la croyaient
morte, qu'elIo reprenüit sa vigueur Íntorne. C'est
du tombcüu OU elle était descendlle avec l'ancien ré-
gime qn'elle est ressuscitée senle pour entreprendro la
eonqnete de hi société nouvelle.


l\1ais eetto sociótó s'ollvrira-t-el1e 11 cette conqnete?
Porte-t-elle en elle-memo q llolquos gerrnes de vertL!?
Nous avons dit ce qu'elle a et ce qui lui manque,
ce qu'elle est, en un mot, imm~diatemel1t apres la
Róvollltiol1. ~lais que se1'a-t-011o n l'ü,enir? La vie
l/n'elle va mener la destine-t-elle a se pllrifier et
s'élever?


,1. C'cst le c)lill'n' indi'lu,', 1"'1' l\1. ,l'IlallS'Ollyillo cl'aplü le, statisti'ine,
"fliciclll", (CL':;/isc ¡'O/ltIÚlle et (es iI":;neirllloll< di!, COl/col'dal, BCL'III!
,les Del/e JIlJltl/n', le,- nwi 181)3, 1'. :2:l:l, d 1:; sppt"l1llll'l' 18GG, 1', 317,
en 1(,11',) 11 esl Hai 'fU" (l" ellitl'I'c ,~faI'P0l'tl' Ú j"'I"¡(IIH' r¡ui prt-ci'¡]e ;"lllIÓ-
diaV·H1f·nt k C,)ll(,ul',ht, pt 1[111' rlr'plli ... ll:' 1~ lJl'Ultl,-Úl'ü (llIJYClu}¡l'e 1 'jHfJ) lLUi'
[OIi"I'lm"" dI; Jilit I"lait lu'("ml"u 1111 ,'"Itl' c:ilholil¡lle, II ¡!'¡PllIlit ¡[oue lJl'au-
con}), cl'rl(lillL'lIlL~llt; cntre la Hu de ¡-;!)!J ~t k lllili{~l1 de l'altllt:'lj 1801, épu-
'1111: de Irl,. ('{lnc!lI:-,iull dll CIJ[]('urdal. l\Lti:-; 11'~ ;..:lati~ti(IlH~S dl'l'sSt':(,:-, ['out' Cl;
1l111111('11l dl'\",[ll'llt . :(; J'/.fl'~rct' iL HJl d,lt ele L:hlJ~l':-; uu pea i.llllérieul'. J(~ ne
I\lli;-; dune p;.I:-:' 1Il'CI';(l'tUt' (k Lt y("rift'¡ f.'H n'p


'
ll'Íilllt le düffre dUllrH'~ }!tu'
~l. Ir J1;1l1:-:'1 '11 \-j i le· ,'l llIU ~ lllllll"I~ ;lpl'l ;..: LJ e llllh_: d 11 Di rectoin', clclI l'OUcluallt
dI: lit 1]1](', 1l11:'llll' :'1111:-: 11' 1Jin:d'Jire, Iv cnltt' ([-rait dl1 n''¡I;II':~itJ'(') ('i filie d0;-z
(~(·tt(; (~P()(IllE 11: (·l(·]'~·t': :-;r ll'Jlilit I'n~t di' t(llltC~ p:ll't:::. Pon!' 8>;.pliqlll:,r) {l'ail-
JI'II1':', 11' l'dOlll' du CllltC el! trmt de lieH\~ il filllt:-:e ~(\lrn:llil' ¡PIe lit Francc
l'lait .du!'o' JJI'alll'ulljl 1'111., !,,(,'"ldo '1"'1.11" !lO l'a cle 1'111, tlm!. ElI" alhit
jU'lju'all [(hill cLjl."'1"'IlIIX ..1..11.'(',,11 """t ]1""">{, 1l1,,;i l]1I(' ronne tcnait ji"'
CIJllllJle :-:l!ull!1tll'ut clc¡~ l'UJllltlllllC;-: pl\(¡rYUe:, d'llll rur~ et d'lltli' ~gJi~e, llwi~
I,tl: l(¡\ll;\~~ j',elle..: nil, dillJ:-: !r' pl!l:-' !tlI)dl':':le or:,tni]'('" la filP,..:::::e üait. t¡ue1que-
fl)l~ cdl,h('i~e.




191; LIVRE PREMIE R.


Il est permis de l'espérer et voici pourquoi : c'est
que cette vie consiste dans le travail. Si le progres de
la démocratie n'avait apporté au plus grand nombre
des Fran<¡ais que des jouissanccs, memc l!~gitimes, il
est probable que, melé ill'immoralité révolutionuaire,
il les aurait inóvitablement eorrompus. l\Iais en aeerois-
sant leur bien-etre, cn satisfaisan t leur . orgllcil, il les
vouait au travail, et telle est, pour le dire en passant, la
différence eapitale de la dórnocratie moderne avec les
dérnocratics de l'antiqllitó.


En haut, le travail était devenu le 50111 moyen de
monte1' ou de ne pas descendre. La prépondérancc de
la bourgeoisie dans le gOllvernement n'a pas en rl'autre
cause. Renfermée dans le soin assidu de ses intérets
privés et mal p1'éparée u la vic publique, pourquoi la
bourgeoisie prit-elle des le débllt de la Constituünte, et
aux dépens de la noblesse, un ascendant que delmis
101'5 elle a gardé tonjolll's? Paree qll'elle était labo-
rieuse, paree que la perpótuité du labelll' l'avait en
partie pl'óservÉ:e de la cOl'ru[JLiun d'un siecIc impie,
et que ses mceurs, enfin, étaient mieux 1'églées que ses
idóes.


Mais si dans la société nOllvelIe le pOllvoir est le
prix dn travail, cela cst bien plus vrai encore de la
fortLllle. Tou:-3 les üvantages matériels elunt les Fran-
<;ais ont joui ti partir de Ll RóyulutioIl et dunt !lons
avons p1'is soin de constater l'impol'tanee, se réLlui-




LA RE\'OLUTION. 197


sent a t:eci c'est que le travail a été rendu puur tous
plus profitable; et toutes les pertes matérieIlcs que
cette révolution a causées ont abouti 11 CI') résultat,
e'est que le travail a été rendu pour tous plus inévi-
tablc 1"


Admirez ici cet enchainement imprévu d'exces, de
catLtstl'ophes amenées par les exces et de ressources
caehées au fond des catastrophes. Sur les sommets de
la "icilIe socióté franQaise, le libertinage né de l'oisi-


L 11 mn ,Hait fac:il,· .1" d"yelnpl'er cette demii:re assertion et eren
nlllltil'li"r k, I're,"," .. k 11<: \<'IlX !'tire (p¡'une ,eule remarqlle au ,ujet des
blllilles .]('pollill"l" ,].o, .],'oil, f'é'o¡laux. Ce,; ,lroit,; .waicnt [Jollr elle, un
grilud illl·(Jtl\{~lljl'Tlt. CUIL,,:.tit:H:'l'-.! ll[)lIf L1 plllp:!I't en ye¡'ü, rle ~l(~n1E'rnLrc­
tlh'l1t ... 1'("el:-: ¡k pJ")pl'i(·~h'·, il:-: hí.;,..;;¡il\nt aux lll~ritiel';-; de:-: plll~ impnrtélnte::
Ü'l'I\':' (le Frallf;C l'appal'enc,:,; d, dalls Ulle cürtaine lUC~llrC, les avant()ge~
dl~ !;¡ gran.li' IIJ',lpr'il~·tI~ fOllCl¡"l't'; t'll leul' en 6tant le:-. f;oins et lCí-! ;.;ollici-
tnrlcs. La yall'ur \Taie ele e" rerleyance, diminuait ehaqlle jour, memo
"lIalld kili' \:dl'lll' llomillale n",\lait l'as atlpinte, Je ne donte pas q1ll' celte
~(I1\n~p, dn r(~Yt'U11, in41ép(:ndant4) dA tontA rtlnf:1inl'lltinn dl1 so], n'[lit eté el)
détinitiyl' l'unr la Ilohk"e J'r:IIJl:iliél' une caUéü ,J¡, ruine. Elle 1'., habitue" ¡,
llt' ll;¡~ s'ocruJH'r !k :-:c:-; afritir('~, ir (l!;meurel' l:trang4:'re a1l"X prngrt':-; rt rlln
n/c('ssit(~:-: de la cnitlll'p. Ellf~ 1'" lJol'U'e ¿\ ~(~ ¡](~{lli!'(! ill:-:C'll",iLllemenl díJ :-:1.''':
j)j('l1:-:' al! lic'lL di' 1(':-! ;llw':li()l'cr. )"I'1':,-]n fin de' j',1I1rir'n J't',~'inlC' OH HE' ('ump-
lait ,C!'W':.1'1! ]r> n'YI~Hll di':: gT;Wr!I,':-: U'lT{'~ de Frullce flllP par Vl, quotitó df':,
drlJih t't'~(J'\.llI\. C(\:-: droit;-:, qlli dr'\;lil,¡lt ¡:'tn\ r~l~heb~\:-:., llyant etl~ fort iujll:--:-
lPII1f']lt ::uI,'priIrl("fI. :,tltt::; J'ilrhat, JI':-, llf"ritier:, de:, anciens :;'í.'igl1elll'~ dUIlt le:::
ter!'!':, lIU~ltlC':-: n'ol1t }l.1:"i t',t¡'~ YPIlrl1lP~ r~\Yol1Jti(Jlln,1ir('mpnt_, ont rlú ~e rewlre
l'OIrlplr' dr' Ja 'ctlt.~¡Il· d(~ ri' qui J~1\I' re:-:tait, ét par lIne meillellrc i-lll111ini:;-
li'ltlje>n tin'l' lí'III'~ I'P:-:S(\llrCe~ dc:-: pro~lllits chaquc jOllr ('rois~allts dll sDI
mii'l1\: rllltiYl:. 11:-:. 11\ 11111 P;¡:-:' !lenlll, d il e:-:L, je Cl'I-¡j:-:, penllis tIc s'.lIltcllir
![ll'en (1t,hol':; dC':-i }lf,tl:-:iolJ:-: r'L !lp", chal'f:e~ de r:ol1r, la plupal't de~ falllillC':-,
dt~pnI1111!:,t':-: 4k:-: ¡J]'oits f'l'ofL111\ ni' :,rlnt prt~ aujolll'd'lmi, dan:-.le pl'OgT~:-: de
]';-ti~ilfl(\¡' g'1'\n¡'\l"nJ¡-" pll1:-: p,~llIYI'('S 1]11 'p1k~ llA l'étaif'llt llyant 11t Ré"y(Jllltion ,;
;::1.11 cOlltraire. POlll'q110i rela, :-:inon p.1rr:e qll't=>lle:-: (¡nt rte, forcée~ de ~e sou-
('jl'J' d;IYi¡nL-lg'p df' IPlll"~ o1f1':lirr·:-:'? Pi-ln~p qne la l'irlws,:,;p llP ]PlIr e~t ]1111:;
"rpal'llc arti1iciellen1i'lll ,pl'atú, ,le, ,'ause', 'Iui la prorluiscnt.




veté et l'impiété 110e du libertinage ont attiré la Révo-
lution, et le triomphe de la Révollltion a livré toute la
France 11 l'empire de l'impiété et a la contagion de
l'immoralité. e'est le terme des égarements du
XVIII" siecle. Cest le mal a expier et a guérir. l\Iais si
la société nouvelle nalt san s foi, l'Église renait en son
sein pnrifiée, secoms divin propre a la régénérer. Si
elle débute sans regle mora1e, elle est vouée au travail,
disposition naturelle a étre régénéJ'ée. C'est l'cspé-
rance de l'avenir.


Il y avait encore une antre S()lJ[ce d'espérance, wais
aussi d'inquiétude ot de tl'ouLles : c'était le génie sin-
gulio!' de notl'e nation sunivant a ses vicissitudes,
génie prompt a se déplacer, enclin 11 s'égarer, mai~
incapable d'un long repos; variable, mais toujours
impatient et vaste en ses désirs; éteint al0r8 11 l'in-
térieur, enflammé dan s les camps. Dans les camps,
nous l'avons dit, une autrc passioIl que le souci des
biens vulgaires possédait eneore les FranQais. L'a-
mour de l'indépendance d'abord, ensuite l'amonr de
la gloire, avaient remplacé pUm' eux l'arnour de la li-
berté, et ce nouvel amonr étai t assez fort pour les en-
trainer au bout du monde. Si plus tard il venait i:t
s'épuiser a son tour, qu'arriverait-il? Le génie de la
Franee succomberait-il alors SOllS le poids d'une in-
surmontable fatigue, ou bien se ranimel'ait-il en chan-
geant encore de earrierr? Tnmspurtcrait-il une fois




L.\ 1I~:VOLl'TIO:\'.


de plus de la guerrc dans la vie civile sa fOllgue et sa
séve? A voir avec quelle ardeul' les Franvais, accaj¡lé~
ct abaissés all dedaus, s'étaient élancés a la frontiere,
011 pouvait prévoir que longtcmps eilCore il serait plus
facile d 'abuser des ressources natives de la Franco que
de les tarir.




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LlVRE SECOND


L'EMPIRE






CHAPITRE PREMIER


De l'Histoire de l'Empire.


(Juand on sort de la Révolution puur entrer dans
l'Empire, le spectacle change tout a coup. Un ~eul
homme romplit la sc?me auparavant oceupée par une
génération cntiere, et il la prétention de transformer
le monde en vertu d'une idée sueeede celle de le do-
miner et de le changer par la force. Si l'empereur
~apúléoll traitait les homrnos de 1789 d'id~ologlles et
leurs visées d'utopies, ce n'ost pas que lui-meme duns
sa politique ne eherchAt le merveilleux, mais ille POlll"-
suivait par des rnoycns et dan s des résultats matériels.


Des théories spéculatives, tel est done le premier




i04 L¡VHE ';ECONli.


objet qui se préscllte a !'observateur de la Révolution :
ce que valent et peuvent ces thóories pour le sort des
sociétés humaines, l'histoire de cette révolution doit
l'enseigner. La plus vaste machine de gouverncment et
de guerre qu'aient jamais fait mouvoir un génie et une
volonté uniques, tel est l'Empire. Que vaut et que peut
ce mécanisme, et que ne peut-il pas? Les succes et
les revers de Kapoléon sont destinés a nous en ins-
truire.


La premicre de ces deux ópoques appelle avant tout
les méditations d'un publiciste philosophe : la seconde,
les explications d'un homme d'État rompu aux affaires.
La postérité interrogera sur la Révolution nI. de Túc-
queville; la France et l'Europe ont app1'i5 de JI. Thiers
a connaltre !'Empire.
~L Thiers a été proclamé, par l'hóritier de Napoleon,


un historien national, eL Napo!éon lui-meme, s'ill'eút
connu, n'auJ'üit pas manqllé' de le choisir. Qu'aurait
en effet voulu t!'Ouver chcz son historien le nOllVCllll
César? A eoup sur, ce ll'eút ét{~ ni la cHn(lwr cl'lIéro-
dote ou de Joimille, ni la pompe de Tite-Live, ni la
consciencieuse indignütion de Tacite,. lli la reJigicllse
élévation de Bossurt. Pom p(inétrer a tra\'ers tom les
ressorts qu'avait c1'éés ct ([lle dirigeait sa fo1'tc main,
et ponr en saisir le jeu savant et gigantesque, ce qu'il
cut exigé e'est l'intelligenre, l'intelligence pratique de3
hommes et des ehoses, l'intelligenC'c qui éclaircit tout ce




L'EMI'IRE. 205


qu'rllc touche, anime tout ce qu'elle éclaircit, que la réa-
litéattire, que l'habiletó sétluit, que le génie subjugue,
et c'est pl'écisément cette faculté que .M. Thiers regarde
comme la plus essentielle, comme la seu!e nécessaire
a ¡'historien. llle tléclare Ilan" une préface destinéc ü
posel' les regles du genre historique et OU il faut voir,
sans doute, rnoins une tbéorie qu'une confidem:e l.


Qu'a cettl? lumierfl de l'intellig'ence se joigne une
ame patriotir¡lIe et l'expérienee des affaires, que l'his-
torien ait grantli l:Oil1l11e Thucydide, cotllme Salluste
Ull comme G"uicharrlin au plus épais de:; agitations
pl)litiqlle~, que la seuIe partie du gouvernement a ¡a-
(lucHe iI parút étrLlllgcr, la gllerre, soit devenue pum
cet esprit positif, échaufIé par une imagination féconde,
l'objet ¡j'ul1e cl\l'iosiLI; ,.agace et passionnée, d'études
pníférées et persúvl~rantes; que sur chaque événement
iI ::lente cotlll11e le peu pIe et raisonne en connaisseur;
[mis, quand 1'01l\Tier bt ainsi préparé pour son CBuvre,
fll¡'il en trollve sous sa main les matériaux accumulrls
avee une incomparable abontlallce, qu'aucLlIl régimc
Il'ait Iais~é des archives atb3i riches que cette donlÍna-
tiun inllnetlSe et concentl'ée, minutieuse el foudroyante
d'nn milltrc qui, cl'ul1 boutue l'Eul'opcül'autre, voulait
t{illt sayoi!', tout pl'cscl'irc, tout contró!er, et que (lmant
aucn n úeri \ai n 111111 plus les archives d'État nc se soien t ja-




206 LIVRE SECO:\D.


mais oLlvertesüussi complétement que devant M. Tbiersj
mais qu'engagé dans ce dédale de pieces innombrables,
habile a s'y reconnaitre, et satisfait de tout Ce qu'il y
découvre, l'intolligont investigatoLlt' Il'épruuve pas le
besoin de regardee et de chercllar aillellrs, qu'íl s'y
renferme et n'en soete pas : de ces informatíons et de
ces procédés historiques, de cetto aptitudo ot rle ces di,:;-
positions de l'historien, que duit-il réslllt(~r'?


Une histoire achevée du gOLlvernement imp6rial ot
de ses moyens d'actioll : histoil'e administrative, bis-
toire financiere, histoire rliplomatique, histoirc mili-
tairc : rlans chaquo partie vous croyez entendre un
homme du métier, et pal'tollt \OLlS reconllaissez
l'hornme d'État et ¡'oratenr. Bien n'est omis, pas
meme peut-etre ce flui pouvait impun6ment s'oublier,
et a mesure que vous lisez cctto histoirc, vous compre-
nez merveilleusement « comment a une des éllor¡lIes
les plus agitée~ de l'humanité Oll s'y prenait ¡JÜur re-
muer tant d'hommes, d'arg"nt et do lY~atieres 1 j )) in-
trcdllit dan:> lo:; seel'ots rlu génie q ui uonna le branlo a
ce mouvement, VOlh Yuyez toujOUI'S, pour son élévatioIl
Ol! pou!' Sil ruine, l'\apoléoll agir seul : vuus etes suc-
cessivement ébloui par ses prudigcs, inqui8t (18 ses
exces, dr.'abusé par ses rever".


:\lais apres avoit' assist6 ü cet ébranlemrnL miMrifd




L'EMPIHE. ~07


des hommos et des dlOses, au débordement irrésistible
de la France sur I'Europe, a l'inévitable reflux de l'Eu-
rope sur la France, l'esprit étonné et fatigué se recueille
et se demanrle : l'Empereur, avec la puissance de son.
génie, avec l'égarcmeut de sa volonté, l'Empereur est-il
done tout, meme dans l'histoire de l'Empire, et serait-il
vrai qu'a certains llloll1enb la destinée des pwples dé-
pend uniqucllleIlt rl'impulsions mécaniques? Les so-
ciétés humai nes ont-elles seulement un corps rlont il
faillo mesurer les forces et próvonir l'épuisemellt?
N'ont-elles pas aus8i une ame, et celte ame, qui les fait
yivre, de quoi vit-elle?


Elle vit de traditions et de libertés. Quand ces deux
principes animent ensemble un État j l'État grandit et
dure. Quand ils s'exc1uent au lieu de se compléter,
quand le culte seul de la tradition ou le seul amour de
la liberté subsist.e en son sein, l'État, languissant
ou agité, respire encore; mais si l'un et l'autre se re·
tirent a la fois, quel sourtle reste-t-il ?


Que la force milniéc par le génie ce8se donc de nous
fasciner. Napoléon, il est tomps enfin de le recon-
nnitro, NapoléoIl, daas l'ivresse de la victoire, a pró-
tendll ronder son étab1issement européen a l'encontrc
de l'o~prit ele trarlition et de l'esprit de liberté tout en-
semble; ses débuts l'exposaient a cette faute : ses
triomphes l'y ont précipit6.
~()l'ti el'ulIe ile COJlI[llisfl, ayant cIó, pour devenir




208 LIVRE SECOND.


franQais, refouler en lui les premiers instinets du pa-
triotisme, égalemellt étrangcr aux souvenirs de l'an-
eienne monarehie et 11 l'élan de 1789, il ne eherehe
d'abord, dans la Révollltion, i:t diseerner qll'une chose :
de quel cóté est la force; et e'est pourquoi, au débuí de
sa carriere, il préfere les )lontagnards aux Girondins j.
A peine a-t-il une armé e dans la main, que les eoups
qu'il frappe étonnent le monde. Un systeme nouveau
de guerre, multipliant les masses d'hommes et aeerois-
sant la viguellr de leur choc par la vitesse de lems
mOllvements, systeme le mieux approprié aux qllalités
militaires de la démoeratie franQaise, est inverité, et
eomme, pour le jeune général, attaquer e'est vainere,
et vainere e'est eonquérir, il est appelé presque aussi-
tót a gouverner qu'a eombattre. Né pour commandel',
il n'a d'abord 11 faire qu'a des populations qu'il mé-
prise : aux Italiens 2, aux Égyptiens. Il trouve chcz lcs
uns et chez les autres une religíon vívace, s'aperQoit
dc l'empire de la foi sur les sociétés humaincs, es-
saye de s'en servir sans s'y soumcttrc, ménage et ca-


L Voyer. ses brochures de celtc époque : Le Soupel' de Beauwú'c,
Leltre ü Jlultaj'uol;o. Yoyez au"i ;ur ces debub de la carri,'.re <iu flltur
eIllpcreur b tres-intére"ant" Hil'ioire de Silj!o/éoll I", 1'~1' M. Lanfrey,
Revue rtatiollalc, 10 lllJYéIllbrü lHG'í.


2. «( Peuple 111iJU, pallt;tluu, sllperstitipllx et lárhe ..... Je ll'ai pas ¡'¡ I1HJli
armee un seu1 Itflli~-n, hOl'mi ... 1,;)00 j)ulis,s'lus rauléissé,:; 11<111:-:: les rue;:.. (k;-:
villes d'ltalie, qui pilJeut d ue sun! bUllo ir rien. » e'e,l eH ce, lernw, que
le g-enéral Donaparte ~e jll:,tifip allIJt'l~ du Dil'l!clnirl~ de :<lcrifit')' feni..;p.
(Lettrc: au rnillistre tk~ afl'aires t~trallgt~'J'es, i6 yendémi:lil'e flll VI. Con'es-
¡)undarw! de XapútéuIl ler, t. 111, p. 188. Je cite lrr gTéllllle éditioll.)




L'EMi'IIlE.


res se le catholicisme en Halie exactemenL COillille
l'islamisme en Égypte t. A mesure qu'il monte, son
coup d'ceil s'étend : aucune partie du gouvernement
ne lui est étrangere. Un pareil génie ne ya pas sans
l'amour qe l'ordre, et en effet, Napoléon aime l'ordre
dans la société, comille la discipline dan s l'armée. Mais
cet amour, tres-puissant et tres-fécond chez lui, est, si
j'ose ainsi parler, plutót géométrique que moral. Le
grand capitaine eonstruira merveilleusement la ma-
chine de l'État; mais s'il veut tirer parti des croyances
et des sentiments des peuples, ce sera sans les parLa-
gcr, bientót sans les respecter : iI fera de ces senti-
ments et de ces croyanccs des moyens d'agir et non
la regle de ses actions, et comme, apres tout, la guerro
est son premier métier et le théiltre de ses plus faeiles
et plus éblouissants triomphes, il s'en remettra chaque
joU!' davantage a la force du soin de trancher les diffi-


'1. u Le~ r(,llpll'~ .1W~c. 1,:¡.:.qllpl~ nnll~ <1l1nn:". Yi\Te ¡;:OIlt lllal}(Jll](~tallS •••••
A,zi~:.:r.z ayec eux: GorrUllA YOU:-, avez a¡..;i <tve e les Italíclls; il~·ez des t'p'¿tnl:-:
p01IL' leur 111upbtib l'llclIr.-:. iUl:Lll::' COlllfHf; ll(11!~ ~n aynn~ el! pOli l' ]r~ .... rabllin;-:
"t les eve'luc~, A,c7. paur les "éremoni('s que ['re"Tit rAkor:tll, [lOIll' les
mosquée~, b 111lmlC tnll~l'o1nCe ~Iue YOll~ FLvez t~118 pour les couyents, les syna-
~wg!le8) pUlIr la ndigínn d(-,\ ~[n"i:~e d, de ,I~~ll~-Christ. Lf-:s légirjfl:-: rOlflainl's
protég'eaip-Ill toute:-: le:; rrli¡;ri(¡Il~. )) (ProdarnatioI1 a l'anuée ~l'Eg:ypte avant
,le d,"bar'l'lPr, m~"id"r an VI, ,juin n~18. ('ol'l'e'pom[al/cc, t, IV, [l, ,201.)
Voilil eommrnt Bomparte parlait it SPS soluats; ruais vis-ú-Y'is ,les Egyp-
tif'IlS il allait plus loill: ( .r\ous aus:·j llnu~ ¡;:onllues (le \Tais lnu:-;ulrnans.
~'cst-ce !las nous 'lui aV'"l, tl,'truitle pape c¡ui disait qu'il f"llait fai,',' la
gucrf!~ tllIX I1111:-illlmans? N't:~t-cc }fas non s qlli (-lvon~ ddrllit les cheVrdiers.
,le Malte, pal'ce ljue ces insc'n,és croyaif'nt 1]11\' Uieu youlait qu'ils tissent
la g'ucr.'i' :\11, mllsulmaIls. " Il'rof'lalllati'"l du :1 jllillet 1'~8.)


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~11l r,IVRE SECOND.


cultés que son insatiable ambition souleve. La se trouve,
a travers la prépondérance de ses armes, le vice radical et
l'incurable faiblesse de sa poli tique; la est le point de dé-
part qu'il importe de condamner chez lui beaucoup pI us
que les entrainement5 de eaructere qui 1'0nt empeehé
de s'urreter a telle OH telle étape de S3 course sans frein.
e'est ainsi que, méconnaissant égalcment les droits de
la foi chrétienne et l'indépendanee de la raison hu-
maine, tenant le pape en prison et les philo50phes uans
le silence, fermant au mídi les monasteres, an nord
les univcrsit~s, renversant les princes sans affranchir
les peuples, ébran1ant tout pom tout eomprimcr et
bOllleversant le monde pour l'asservir, il u tari tontes
les sources de l'esprit publie en Franee, il en a tourné
contl'e lui tous les courants en Europe. C'est l'esprit de
tradition qui se dresse en Espagne devunt sa tOllte-
puiss:mce; c'est 1'esprit de liberté qui se soulevc en
Allemagne; c'est l'esprit ue trauitioll indissolublcmcnt
uui á l'esprit de liberté qui ticnt debout l'Angleterre.


Le génie de l\apoléon aux pri2e5 avec l'esprit de tra-
dition et avec 1'esprit de liberté, telle est done la vraie
guerre, et si j'ose le dire, le vrai urame de l'Empire.


Au-uessLls de cet étonnant eonflit, la j ustiee de Dicu
plane souveraine et prépare le dénouement. Ah! sans
Joute, ce sont les folies de" eonquérants qui mettellt
un termc a leur fortune, et Dieu les rena eux-memes
les autcurs ue leur ruine eomme ils ont été les urtisans




/:E}IPI R E. 211


de leur grandeur. l\lais c'est pour avoir méconnu ce
fluí était juste qu'ils sont condamnés 11 ne plus discer-
ner ce fl1li est possible. lls sont punis, en perdant le
sens, d'avoir violé le droit, et, dans les conseils divins,
leurs iniquités triomphantes sont assllrément la canse
premicre de leurs égarements et de lem chute.


Sur le géni, de Napoléon, sur les ressources qu'il
en a tirées, je ne vois plus dósormais ríen a díre. J'aime
mieux rechercher ce que devenaient, en face de Kapo-
láon ou sous sa main, la vie morale de la France et de
l'Eurüpe, la libertó civile, la foi religieuse, le patrio-
tisme, les droit5 (les hommes et les droits de Diell.
Dans cette investigation, si je rencontre des faits que
n'aient pas conscrvés les archives officicUes, des symp-
tomes qu'aient dódaignés les h0111111es d'État, je pren-
draí Iln soin particulier de les recueillir.




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CHAPlTRE II


L'Empire et la liberté civile.


I. Étenrlue du pouvoir impérial. - II. Ses eftorls pour fonder la liberté
ci,ilc. Co,]c civil: ol'p:aniKalion administrative. -1lI. Qne devient ROU~
lui la liberte íntellectuclle? - IV. Qne devient la liberté índividuelle?


Au terme du XV!e siecle, de ses guerrcs civiles, de
ses sanglants désordres, un publiciste savant et sin-
cere, Bodin, résumait ain~i les vceux de la bourgeoisie
franc¡aise : « Lavraie liberté ne git en autre chose,
« sinon a jouir de ses biens en sureté et ne craindre
« qu'on fasse tort a l'honneur ni a la vie de soj, de sa
« femme et de sa famille 1, »


l. Bodín, De Ir¡ Répuhlir{ue, lív. IV, chal'. VI.




21'1 LlVRE SECaNO.


Bodin et ses contemporains étaient prets a sacrificr
la poOl'suite de la liberté poli tique a la posscssion de la
liberté civiIe, la libre intervention du citoyen dans les
affaires publiques a la libre jouissance des biens de la
vie privée.


Tels et bien plus vifs encore étaient les sentiments
des Franyais deux siecles plus tard, apres leur Révolu-
tion. lls l'avaient entreprise, cette Révolution, pour
s'emparer en commun du gouvernement de l'lttat, et,
par le meme effort, pour secouer ccrtaines genes qu'un
arbitraire doux et surtout des restes d'inégalités Sll-
rannées apportaient a leur activité domestique. Et
voila qu'en poursuivant ce but, ¡ls 3vaient abouti a 011-
vrir la place publique a des factiolls sanglantes en
meme temps que leur foyer a des ennemis implaca-
bles; leurs biens, leOl' vie, leur culte, devenus l'enjeu
des luttes politiques, avaient été la proie de quelques
scélérats.


Des lors, découragés par une si lamentable cxpé-
ricnce, ils n'aspiraient plus qu'a soustl'aire le gouver-
nement aux compétitions des partis, afin de soustraire
leur propre existence a la pire des servitudes. lb cher-
chaient un maltre pom échapper a des persécllteurs.


Lajournée du 18 brumaire leur donna ce maltre.
Cette jaurnée meme ne m'inspire, je l'avoue, ni ill-


dignation, ni admil'ation.
Le coup d'État qui, avec la complicité de plLlsieur~




L'E.\IPIHE. 21:\


directeurs, renversa le Directoirc, ne différa des coups
d'État successifs qui l'avaient élevé ou maintenu qu'en
un seul point : c'est qu'il n'amena point de proscrip-
tion a sa suite i.


Depuis sü naissance, le gouvernement institutÍ par
la constitution de l'an JII, ne virait qu'en la violant.
Que serait-ce sí nous remantions tl travers les annülcs
de la Convention jusqu'a l'cnfantement de la llépu-
blique, proclümée au nom de la someraineté dll peuple
et réduite a ne pas durer un jaU!' sans la méconnaitre
et la braver.


La vérité est qu'apres le 10 aout, apres le 31 mai,
apres le 13 vcndémiaire, apres le 18 frurtidar, la
France pouvait etre considérée comme dépouillée de
tau te constitutian, jetée 110rs de tout droit monar-
chique ou républicain. Sur quí done usurpa celui quí
balüya ce régime?


Mais si son triomphe sur le Directoire ll() fut pas un
crime, encore moins fut-il un prodige. Toul général
heureux pouvait en concevoir le dessein; on l'avait
formé pour Moreau, pour Joubert. Bonaparte l'avait
nourri longtemps : lorsqu'il consentit 11 preter i1 la
Convention le secoUl'S de son bras le f3 vendémiaire,
au Directoirc l'applli de son nom le 18 fructidor, quel


1. L\,\il 1'11 ( !lI'fHIOIleé, imJlll~diate11lpnj .1prf\:,- 1 .. rouIl d·l~lat, CI)fltl'P.
qllelq110s adyp,r:-:ain's dll gd¡¡Yl'nl(~!ll(Jllt I1nllyeall; l1lni:-: cl'ttt~ TI¡P~llr¡; ful
(~oI1lmll(~'e pl'c:-:que au;-:;-;itl'lt tl llltinc;men, l\!tir~c" pell Je ltm}'s aprb.




LLVRE SECOXLJ.


était ou son instinct ou son calcnl, sinon de ne laisser
a sa patrie impatiente du jong révolutionnail'e d'autre
issue que lui seul? Pour un pareil projet, il n 'avait be-
soin ni de tonte sa gloire ni de tout son génie. Dans
l'exécution iI déploya plus de ruse que d'audace, et
meme au moment décisif il chancela. Chose étrange,
deux fois, au début et au tenue de sa puissance, le
i8 brumaire et le lendemain de Watel'loo, le grand
capitaine a vu se dres¡:er devant lui un fantóme d'as-
semblée délibérante, et deux fois devant ce fantóme
il a pam déconcerté.


Mais au 18 brumail'e iI pouvait commettre encore
impunément des fautes : il n'avait pas abusé de Sil. for-
tune, et prendre d'assaut le gOl1vernement de la
France c'était alors entrer dans une place ouverte el
vide.


Ce qui fut étonnant et rare, ce ne fut done pas la
"ictoire, ce fut l'usage qu'en fit le lendcmain le vain-
qlleur.


Il saisit toute la puissance que la Franee alurs était




L'EMl'II\E, i17


disposée 11 laisser prendre, et en retour il don na a la
France fous les biens qu'elIe était avidc de rccevoir :
puissance immense et dont le génie seul de Napoléon
était capable d'embrasser et d'occuper soudain toute
l'étenuue. Il laissa un inventeur qui depuis 89 atten-
dait l'heure propice 11 ses systemes, le présomptueux et
timide abbé Sieyes, combiner toutes les formes de
gouvernement en les paralysant, et réunir ingénieuse-
ment ensemble dans le texte de la constitution de
l'an VIII, une aristocra1Íe sans tradition, une démo-
cratie sans élection, une monarchie san s hérédité; der-
nier et dérisoire produit de l'idéologl:e du XYIIIe siecle,
refroidie mais non éclairée par l'expérience de la Ré-
\olution. Puis, au milieu de ces institutions inertes, le
jeune général s'installa, ramenant a sa personne toute
la vie politique, et donnant seul le branle ü tous les
ressorts d'un État qu'il s'agissait non pas seulement de
gouverner, mais de reconstruirc.


Oil étaient en effet les contre-poids de son pouvoir?
Un sénat prcsque cntierement composé par lui élisait
un tribunat destiné 11 débattre, el un corps législatif
appeJé 11 voter les irn pOts et les lois préparés et pré-
sentés par des conscillers de sou choix {. La nation


!. II e>t Hai Ijue le rlroil d'électie,n r111 S,':llnt était Cil'COllScrit, ,011, 1"
COllsulat¡ pi:lrmi r1(:~ notable:.: rl~:',:-;ignAs pHi' une SOl'te de suffrap-e llnh·('r.~('l ~
'<111S n:mpire, parmi de, cnnrlirlah ]1,'csenté, par un sllffrap-f re,traint, Mili,
le, liste, de llotilbilité, lJla~'incc, par I'ahhé Sieyé" étaient trop nombreu,"s




218 LIVllE SECOl'íD.


abandonnait sans réserve au pouvoir le soin de choisir
qui devait le controler. Et paree que ces instrumellts
de controle étaient créés par lui seu!, il ne se cI'oyait
pas ten u de les respecter. OIl le vit done d'abordj saIlS
étonnement, et avec le COllcours toujours docile du
Sénat, épurer le Tribunat et le Corps législatif 11 la
premiere contradiction des 1802 1, ensuite attribuer
a ce meme Sénat le vote des cOlltingents militaires 11
partir de 1805 2, supprimer le Tribunat en 1807 \ Oll-
blier en i812 de convoquer le Corps législatif et ar1'C-
ter devantlui, en 1813 seulement, le budget de l'année
précédente 4. Du reste, ce vote du buelget importait
peu. Cal' si les ressources ne suffisaicnt pas aux dé-
penses, l'empereur laissait s'ouYl'ir et chaquc année
se grossir obscurément un arr¡l~ré qui ne dcvait Cire
éclairci et liquidé que par la Hestauration C;.


['01lr c,dllré rHl prollloU\"oir en r0"lit6 1""'''JlllI',', 1'1 le, cillIdi,lilllJl'('" 'luí
lenr ,uccédereut Iai',erenl tOlljour,', lanl qlle dlll'i1 n;lIIl'il'l', la 11"lil)11 COlll-
ldétellll'lIt inrlifl'L'f"Cnte.


i. Bllchc!. It llllll\', t. \X\VIII, p. 4~J; Jli,f'lil'l' ,!I, ('{!I/,'"IIII 1'1 ,le
I'ElI1jJil'l', t. 111, liy. XliI.
~. Bnchcl. vt HIJU\, t. XXXIX,!,. i!)[J; ¡lisio/re ,lll ('011,\'I11(({ 1'1 di,


i'EIIl}!il'c, t. \'1, !il, ""n.
:i. 1ienatus-clJllSultc dI) iD iloút iH07: Buchez ct Hnux, t. XXXIX, p. 2J:i,


el ni,'!"i!'1' dI( (.'ol/.I'/Ilo[ e/ dI' tElIIll1Ú" 1. 1'111, Jiv. XX\'IlI .
.¡. Buche!. ct Houx, l. XXXIX, ji. :Jí7, el J)ncllnlenl, CIJDlI'JélUenlairl~s,


1'. ;i31-
5 . .\1. Thicrs, "prl', avoi!' di,enl" I'l r,'dllit les l-valuatiolls d" hal'on


Lonis, fixc ce dcllGit, it l'av!'nemi,nl ,1<: ];, jll"Cllli¿,l'e. Ilcstaurati"JI, it 700 Illil-
liulIs (1. XYllI, p. ~8U), ;\1. .'íCtlClUCllt (flislo>'!'!! de la /(es/fllIl'alir)!l, 1.1.
11. ,188; 1'01',\'1' i\ 750, el .\L ¡JI' Yiel-Castd ( lfisloi!'1' di' 111 {("l'llfíl)',dill!l,
t. 11, l'h<1l" \ 11) le port" ,\ fiJO milli,,"s. OJl I'oil 'lile L'pi'I'I',,'iatioll ¡JI'




L'E~II'IRE, 119


Quant a lui, pour n'en etro pas gené, íl mait a sa
disposition deux expédients : d'abord, donnant l'arbi-
traire pour contre-poids a l'agiotago, il faisait de temps
en temps rendrc gorge aux fournisscurs de l'État, et
apurait lours comptes en les mettant en prison 1;
ensuite, il s'(\tait formé avcc le butin et les contribll-
tions des pays conquis un trésor dont lui seul dans
tout l'empiro connuissait la richesse et dont il tiraita
son gré, sans fi.lire connaitro a personno duns quelle
mesure, les sommes que l'impót no fournissait pas 2.
Ainsi, des déficits qu'on ne déterminait pas, des dcttes
qu'on no payait pas, des profits qu'on ll'évaluait :pas,
rendaient manifestement les blldgets impériallx ilIll-
soires. Les financos du maitre n'ótaiont pas plus sé-
rieusement contrólé(~s quo sa politiqueo


Étant tOLlt duns l'État, lo souverain dovait suffiro a


~l. Tili,~r;..;) (;g'aknlunt a\lt(lri~I"'(\ par :'(1 C(J1l11H':t"1l('(' d ~r:> r(:('hcl'rhc:,; ticnl
le jllotc llIiliclI.


1. ('o!,),l',\'j)uNdr!iIf;(', t. XII, p. ~,); Jlu}¡ll/nJS du tI/tC de n(¡J'i.:)u, t. 11,
,:llóI[', XI:\, el.\1. Tlli,'re, 1. \'1, liy, x:\J\', p, :3iiJ el ;Ji7. '
~, ((J)'I'('IJ" t. \,11,1', :;1ff, "ti. XI,p. :;9íi, lj[jO; t. XII, 1'. GII,:JIIl,


:Wíj, ·í~):¡; t. X \'J) )l. :j~, :;~, :50,1 d 2()L ~l. Thü'l';, !'·y;dll(,) rn jilJlril'l' 181:3,
1(, tn~:'I)l' p;u'lil'ldi,'1' de: .?'\;qlO;¡"(Jll, n'~sldt;\llt (1(~ ;-:('c' ¡~t'ullOmir'~, iL i:j:j l11i1-
li(\~l:-':, (joJlL 100 núllinlls rllJ1 ..... c:l'\{!~ dllll:-i 1(':-- {'a\'I\~ dvs Tuill'rips. A J:¡ 1llf\lllt~
"'pr)l¡lll:, il p:--iill\(~ Ip, rdi<jllaf do tn:'~(Jt' e"dl'MI!'dill;¡jrl~ formé dl's c(l~ltrilJ1lti()l1::
d hulill ¡l('s p;ly~ ('llllq1lis, ct. ~111' lC1Ind ni le CC\l'll;-: 10f!i-~lalif Ili nH~me Ir
Jllilli~Ll'(' (k ... jill;II11:I'~ ll'C'\('I'I":aicnf ;llJI'llll t'Olltr¡"Jk', Ú J:.~:) l1lillíOllS) d(¡lIt.
:-:oj\;lnl(~'di::,pqlli\¡ks. Ce irtslw, qlli íly,'¡it ~i'n'i;¡ de)il"!' 11'::: :-:pcritcurs dr,
l'Ellí[1it'(·, ú',t.lit (:leye it I:t j'"io jlJ"¡Il'il :lHI milliolle, :T. X\', Ji\, :\LYIJ,
~i:! t"t :-.:uiY.) JI 1"(;:-':I1]t ll Ü"1t1l l'C"ll'YI~ dn :jl ¡[(':cl:mbrr 18JO IIll"h cdtl'
i:jL~:;7 ,1 '7.'J.. fr,llll';-O; y t'·t,úult :-':IlC('I~!:-.:iYC'HI(:Ht ('¡ltd,:,. (Bllrll~'!. l:t 11011\,


f)íjí 1 (II11cr;ts C()INI)Ú'"U',d;ú,'e,," s/n' (HllljJ/""t.') t. XX~\IX, 'p. ,~i:lO.) ,




i20 LlVRE SEI:OND.


tonto Ce n'ótait pas assez que sa yolonté no reneon-
trat nulle part aucun obstaclc, il fallait que partout et
pour toutes choses eHe se créat des agents. L'Empire
couvrit du réseau de ses fonctionnaires le terrain uni-
forme que lui avait préparé la Constituante.


eette assemblée, en clfagant la distinction des pro-
vinces comme celIe des corporations et des ordres, pour
partager le territoire nivelé en départements nOll-
veaux et pareil~, ayait instaUé dans chaqlle départc-
ment, dans chaque commune, un corps électif, chargé
non-seulement de délibérer, mais d'agir collectivement,
et qlli devait, en memc temps qu'il gérait les intérets
locaux, assurer l'action du pouvoir central sans relever
ni dépendre de lui. C'était pnl'alyser ce pouvoir. Napo-
léon, unissant au génie du commandement le sens
pratique des alfaires, chargea dans chaque circonscrip-
tion un seul homme d'agir, plusieurs de délibérer, et
cet homme chargé d'agir dans le département, jusque
dans la commune, fut délégué par lui. Il alla plus
loin : il nomma ou fit nommer par ses agents les
conseils appelés a représenter les départements et les
communes. Ainsi, nul corps délibérant, grand ou
petit, n'émana plus de l'élection; porsonne ne put se
di re le mandataire de ses concitoyens. L'empereur
seul apparaissait encore au sommet de la hiórarchie
comme l'élll de tous les Frangnls, et du hallt en bas de
l'échelle, quiconqne n'était pas élu par lui n'était rien.




L'EMPlHE. ti!


En revanchc, les dépositaires de son autorité, ,les
préfels, n 'ayant autour d'eux comme lui-meme que des
conseils de ¡eur choix, tenant dans leurs mains tous les
services publics et leur transmettant l'irrésistible et
uniforme impulsion qu'ils recevaicnt du centre de
l'État, les préfets dominaient chaque départemellt
comme de petits empereurs, dont la puissance pal'llt
quclquefois exorbitante au grand empereur j.


Dans ceUe ruine de toute institution représentative,
l'opinion publique garda-t-elle du moins de libres or-
ganes? SOllS l'ancienne mona rchie, on avait vu cette
opinion inspirer ou censurer et dominer enfin le pou-
voir absolu, Au sein des classes peu nombrcuses appe-
lées seules aIoes iL connaltre el ü maniel' les affaires,
les conversations, les correspondances privées ou les
écrits clandestins suffisaient ü Jt¡ former et a la faire en-
tendre, et, toujours insaisissable, elle dcyenait queIque-
fois irrésistible.


Mais lorsque la Révolution mela le peuple entier aux
agitations ue la poli tique, iI faHui parler plus haut pOUI'
elre éeouté : an murmure frondeur du viei] espnt fran-


i. COl'I'e"p, « L'alllorite lb; l'réfds est tr,-,I' cOllsi,lerable: il y a a crain-
" dre l'"bu" piut(J[ (¡Ile le rch'~dwlllellt. 1) (26 aout 1800, il ~1. Champag-ny,
t. X.)


(( Jo BO sais si un proc1l!'üur zt-lé n'aurait pa;s dú poul·:-:.uivre le~ préft)t:-1
({ CUITW1e ayallt éta!J!i de~ t.1xation~ arhitl'aire:-; ..•.. C'e~t une grande Cfl'elll'
(( que cellc (¡ui [;tit ~nn,id~rer le, l,réfe[s coml11P, de peti', llliui,trc". »
:G m,ti 18U7, il~!. 1-'0(1['\"\, t, XI L)




LIVHE SECO;-¡IJ.


9:lis succéda le tumulte confus et retentissant des
journaux. L'opinion publique désapprit tout autre
moyen de se connaltre elle-meme et de se manifester,
et quand ce moyen lui manqua,. pour la premiare fois
la France parut mueLte et sourde. Or cette presse pé-
riodique, seule capable de faire parler une société
démocratique et d'ütre entendue par elle; n'uvait pas
acquis droit de cité parmi nous, au moment OU parut
le prcmier consul.


Suscités eL balayés tou r a tour par les orages révo-
lutionnaires, laiSSíJS sans loi sous la Constituante, ins-
trurnents ou victimes de la Terreur sous la Convention,
proscripteurs ou proscrits sous le Directoire, les jour-
naux n'avaient jamais régulierelllent vécu, et les raees
esprits qui se sonciaient encore de la liberté d'écrire
ne réclamaient de garantie que pOU!' les ¡ivres, muvres
réfléchies et individuelles. La poli ce fut chargée de
surveiller la presse périodique, tl peu pres comme
elle suneillc le bruit de la rue. Le premier consul
n'eut donc aucune peine ~l mettre la main sU!' les jour-
natlX.


Trap habile capitaine pour bl'iser les armes dont il
s'emparait, il l'ésolut non de les faire tail'c, mais de les
faire parler a son gré. Aussi ne se contenta-t-il pas de
fondel' unjournal officiel 1, dont il no dédaignait point de




J,E~I P 1 l\ E.


~e füire parfois le rédacteur anonyme, engngeant, sous
lln voile tramparent, de vives polémiques ave e des pu-
blicistes 8t des gouvernement::l étrangers. Ayant réduit
le nombre des autres journallx, afin de les gouverner
plus aisément 1, il se garda bien d'abord de soumettre ti
la censure ceux qu'illaissait subsister 2. 11 les fit seule-
ment avertir h plusieurs reprises, que s'ils contrariaicnt,
si m6mc ils ne ~cl'vaicnt pas aruemmcnt ct efficaccmcnt
sa politirlue, ils disparaltraien t 3. VouL:tit-il done en-


t't (pli dnraJlt ~Oll CI)(IJ'S ~(~ ri.wgu:t tÜlljnur:-: dll colé du plus fort, I~lajt :-:P(~­
('i,,!cme.llt de:-:Ullc'; á rewlre ¡:dl1lpte dl'~ dl,t!,d-:: des (J:,~elll!Jl(~l':-:. l\I. ~tl)]'­
tilJler Temallx a lll<JIltr!, cOlllbipll iI altór~it 'I[l(·l'lupfui, la ytrite au 11l·"t1t
¡]ll parti dlJllliuéLlll. ~l:li;-; it Il'a (;U'~ aV¡)Ill; el fulldé Cvnllue juufllal onkid
,/ll','t LllúlClllellt tlu COllól\lat. (!J:,' JIJ/II'IUUlX SUli)' ¡'l ll¡;cO(UtiOll, pa['
11o!l:'l'ib'llaL)


1. A['['"lelh r,I'Il"li, <in ~7 lIiYI'''' an "Uf. (I3IlChC7., XXXVIII, ;¡;¡I.)
2. CVj')'(.'.'p. 1[ .k. YOlldl'ai:-; llW; '1rgallisati!Jll san::; censure, car je ue yeux


« pa, elnó resprm"tlJle de tout ce <Ju'ils (le, jUllrnallx) pellvcnt dire. JI (A
FIJuclll!, i~ prail'ial iW XlII, p. JiH.) « LLl ceW3Llre détrnit le:; jOllrnallx;
(( il f;Lllt tl,jclarcr que le g'ullverncllIenl llO peut d:pnnure (lp.s sottiSl'~
({ qn'ib l'ellvellt elire, IIlilÍS r¡ue lc~ jnl1rnali~te:; en re.pow]cut pel'~()Illld­
« ]"11\1'1\1. .... II Y (\ dan, le yag'ue (le la libertó de la presse I[UellpW cho;!;
« rlunl ['.11 l'r:ut jlroliter ..... Il üwt <[u'il, (lr.s j'J1Irnaux) [luissellt lllcttr,'
« (jt",I'I"" arlide v<r;!lIe contre telle ou tdle pUiSSélllCC, el '1u'on l't1i",'
¡( r('pl)lHlrt~ ¡tlJ\: amJLl:-::-)Lldt:lll'~: Ftlilc~ nnC! plaintc; un pOlll'Sllivra dl~VllIlL
({ !f':S lt'iLIl1l:111X) 011 l"1Il ;:::'cu fera rendre CUIllpte. ) (AH pl'ilH~e El1¡;I~'lIl::',
L! jllill lt-JO;'j, X, ü:j4 .• )


;¡. CIII'I'I:)'1'" \1, 211; X, liG. « llile, aUI" ","ladctll·, 'jue ,'iL, "outi-
(e B\ICltl :-:ur ce {Ull, jtl ;-;\ddel'ai jJient0t le\ll' compte ..•.. Je Ile leR jugel'.1i
(e pnillt ::\11' lj~ ltlal (¡l\'il:-i \lUl'out (lit, l1l;lis sur lc I'CUUC bic:n qu'ib ll'aurouL
" 1"" ,Iil. Qllallll ils rejltúCnü,rollt la FraIlee ,acil1élule el sur le poillt
{i d'('lre LLttaqw~l:, j'l:ll jng(;rai qu'il:-i nu ;-:uul pa~ Fran~iJ.i,,, ni dig-nC'~ ü'l~cl'ire
«( ~(!1I;-; nlL'll rc'gIH:. Ils ítlll'lJut lleau dil'c qll'ils ne donnent tille lell!'f-i bulle-
« li"" "u leilr (\ dit <jucb ét:tielll ces iJult.,tins, et I'uisrju'ils ,loiyent dire
« ,Ii'. fanss"s JlOlttwl1ps, rjlw !le les rli,cnl-il" pas a l'avantage uu crédit d
« de la lratl<luillité Jlubli,{tl<,·? Oi,,,aux ¡Ji: mauvais augure, pourljuoi Ill'
11 jllúagcut-ils ,{tle ,les ora;!", éloi¡m0s? )) (A ~l. Fouché, 4 lloreal all XII1
~\ :l\ril 180." X, \2ti ('[41,1,)




LIVllE SECO'<D.


dormir sur certaines questions l'opinion publique? la
police défendait aux journaux de s'en occuper t , L'ex-
citer pour d'autres objets? la police leur inspirait ou
leur fabriquait des articles qui se eonfondaient sans
peine avec leur rédaction habituelle, toujours anonyme
et inévitablement docile 2 • Cette rédaction n 'avait d 'or-
dinairc qu'un seul défaut, impatiernment signa1é par le
maitre mécontent; c'est que tout ce qu'on imprimait
semblait rédigé (( eomme si l'allteur pensait lui-meme
que tout ce qu'il écrivait n'était pas vrai 3. )) M. Thiers
a remarqué que Napoléon, le plus grand eapitaine et
le plus habile administrateur de son empire, en était
aussi le plus éloquent journaliste. II l'cut été rnemc
avec moins de génie; cal' seul il exprimait qucl-
quefois ce qu'il avait lui-meme pensé ou sentí. A ussi
ce qu'il n'écrivait pas ne parvenait jamais a le satis-
faire, et dans cette disposition, une ligne, un mot suffi-
saient a l'irriter. Un malencontreux rédacteur avait-il
donné prise asa mauvaise humeur? la poliee aussitót
le réprímandait '. Les diatribes de certaines reuilles
contre les ennernis de l'Empire n'étaient-elles pas
assez violentes, leurs no melles de l'armée fran9aise
assez brillantes? leur patriorisme était réchauffé par


lo COJ'resp., YII, 272; X, 401.
2. [úiti., X, 42G; XI, :l\8.
:l. nid., el M. Fouché, n lIlai ·¡SO,.
4. /lJÚI., X, 401 el Hi; XII, 8f10.




f/¡';MPlR¡';.


ues menaces de suppression !. Les menaces ne róus"is-
saient-elles pas a guérir la tiédeur? le rédaeteur im-
propre au serviee était révoqué et la poliee en imposait
un autre a sa plaee 2 • Le journalentier continuait-il
néanmoins a mal servir? on cherehait des remedes plus
déeisifs. En 1805, le Joumal des Débats 1'eeevait un
eenseur qu'il était obligé de payel' 3. En 1807, pour
IIne phra:ie de M. de Chateaubriand sur Néroll et
'facite, le ¡'iereure était supprimé 4. Mais par la le gOll-
vemement n'obtenait que des l'ésultats négatifs. Kapo-
léon s'avisa enfin ll'un expédient plus ingénieux que
de censurer Ol! de supprirner les feuillos qui lui pol'taient
ombrage: ce fut de les confisquer. En 1810, iI ehangea
leurs propriétaires, comme il était déjiJ. habitué a chan-
gel' lcurs rédacteul's, et, distribuant ül'bitrairement a
titre de gt'atifieatiot1" les pl'ofits qu'elles pl'ocuraient,
iIles livra définitivement a ses seules eréatures".


1. (i.fP ~le;-;il'(' ~:l\+oil' ~i l('~ fl';'l't'~ B'-'rtill) rrni ont l'te ron~tarrl11j['nt pny\~~
(( par lf':-: .. :\ugllti~, Ullt l'('lltl'('l'ri~e dl':-< Ddlft!S (·t (111 .1!"J'r·i}'c. "\"e IcUl' c(t-
(( cllE'Z ra~ fIlll~ c\;;-;l la dCflli¡"l't' fl)j:-: q1l4; ,jI' Il~lIl' rab; (,Ollll:litre !l\Oll Illl'-
({ (:l.Illt(:lltrnwlll, {,t qlt¡~ :,°il~ :-:iliy,'lll edte, tlircdiuu, dl~ clu:re1u:f aJanw-r
« b ll~lt¡ou el d't~tr,~ l'L'dli) 41,_':-:i i~ltL'i¡:rul'" au¿dili~e:-:i, ¡l~ nO¿lpprellrll'Ollt 11.'
{( ltU"I~l)lllf~lll(~lW'Ut (lit g'01\\"I~I'Ili"nwIlt q;¡r! pllr l:t. ~llppr¡,:::,-j{)ll de b"lll'
(( f!-'lIill{~. H (C()j')'I'.~jJ.) au (:itI)YPll H(~r'nier, grantljllge, ~\j décenllJl'e 1HO~,
t. X.) y"ir ;lIl~~i t. XII, 1811.
~. CfJí'¡·('\'¡J.) YJ, 207; YI!l, ;¡;l\; xn., ijH.
::. ;lO 11"d'al an XIII, ~O lllai 1~II:j. (C'I/'I·e'p.) X, :i;12.)
1 •. y (1)('1. cd artick .!'llH It,~ OEuHe,; de ~l. de Cllat:'aubrialHl. Yowz


an"i l,,~ J/,i/¡/(Jl!'I'S de M. Glliz"t) t. 1, chal'. 1. •
5. e'll·reS!'., lB lhrrmÍdnr l\ll XlII) 7 aoM 1803, XI, 83. Décret~ dll
~ ,lyrÍli81 11, ,Iu 1 K f,':ITÍpr IRll, dll 17 ,ept,.,mbrr' 1813. Duchez et. Hill1\:,
1~




LlvnE SECO:'lD.


Des lors iI fut assuré de ne plus entendre dans toute
la France d'autre bruit que l'éeho de sa voix. Cher-
ehait-i1 done a eonnaltre l'opinion publique? il était
réduit a éeouter ce qui se disait tout bas : il interro-
geait sa police. Dans l'abolition de tout yote libre el le
silenee de toute voix libre, la poliee uevint le seul or-
gane par OU put monter jusqu'au chef de ¡'État la pen-
súe de la nation.


Ainsi le meme homrne qui seul agissait, seul
aussi. parlait en Franee. N'était-il pas, eornme nous
l'avons déji.t remarqué, et comme il avait soin llli-
meme de s'en van ter quelquefois, l'unique repré-
~entant du pellple entier i? Et le peuple n'était-i.l
pas uevenu, i.t travers la ruine de toute institution et
l'oubli de toute trudition ancicnne, l'uuique sourrc
de l'autorité? Issu de la souveraineté p0l'lllaire, le
pouvoir impérial s'étendit sans limite. e'est par la
meme voie (lue s'était introduite dans Rome la toute-
puissance des Césars. Celle de l\'apoléoIl n'était pas
moins absoluc dans son principe, elle était in11ni-
ment plus cfficace dans SOll action. Cal' si les Cósars
mallquaient de frein, ils mam] uiüent aussi de moyells
d'agir; ils n'avaient pas sous la main un m(;canisme
-------------- - --- ----------------------


XXXIX, 324. YOyl'1. au,,¡ 'Ji! li,tr· ,k <[ud¡u,'" « ~-"I1" 11<: IdllT" " ;[11\'[111'1,
<Ill Ll:"lil d,·, ]"'ll,iull' ,le :.'000, -iODO, (ifJOO r"'Lll", ,ur le, jlJUrllilll\.
(''11'1'1'\1'., 1. XX, 1" 113-1:23 el :ilil.


1. Yo:·t~1. lJutanuucnt h Jllltf~ dl[ ilTf)lúll'!{)') L; :;('pt¡~ndH'e tSfJ,~.




L'E)IPITIE. 227


adll1inistratif capable de tout attirer et de tout attein-
ure. L'Empire de Napoléon aurait done réduit les
hommes iJ. une sujétion plus étruite et plus irrémé-
diable que l'Empire romain, si, en dehors de cet Em-
pire et de ses institutions, il ne s'était rencontré deux
puissances qui n'cxistaicnt pas quand parurent les
Césars et qui ont grantli sur leur ruine: l'Églisc et
l'Europe; l'1tglise, dont le seul avénement dans le
monde a rendu certains exces de domination a jamais
i rnpossibles ou éphémeres, et dont la seule présence
alTranchit inévitablemcnt des úmes; l'Europe, irrévo-
cablement rebeIle h une mona1'chie uní \'e1'selIe et dont
le partage en nations distinctes assure toujours quel-
que ai'ile iJ. la ciyilisation cont1'e la scrvitude.


Devant ces UCUX pclissances qui. ne relevaient ni de
lui ni de son peuple, Napoléon ne s'est pas contenu,
mais il s'est bl'isé; nons verrons bient6t de queIle
maniere, et nous reconnaltrons que le gouyernement
impérial n'a échappé au frein que puur se précipiter
dans l'ablll1e. Ce qu'il nou~ importe de consti.lte!' en
ce moment, c'est que l'empereur rassembla dans Sil
seuIe personne tous les droits po]itiqucs des FraIlgüis;
c'esl que son autorité, s'é!ev,mt au-desslls de 1rms dis-
cordes comme lcm unique et universelle sauvegarde,
ne lem donna nulle garanLie contrc elle-meme et, con-
sacróe par le suffrage d,~ tous, s'eXe1'yLl sur tous Silns
tempórament ni rontr6le.




LIVRE SECOND.


II


En retour de eeUe abdication de la liberté poli t.ique,
qu'attendaient-ils? ~ous l'avons déjll Jit : la jOllis-
sance de la liberté ci vile.


A la fonder, Napoléon appliqua son génie, et uans
ce travüil il tl'ouva sa meilleure gloire.


Son premier soin consistJ a sllbstitucr, uans le ma-
niement de la. chose publirlue, l'esprit d'ol'dre a l'es-
prit de parti. Jusqll'a lui, la. Révolution avait cmploy6
et usé sa fOl'ce a proscrire : d'abord ses adversaires,
pui~ ses proprcs fauteurs, di visés entre eux et ne trio m-
phant les Hns des autres que pOllr s'anéantir tour 11
tour. Enfant et maltre de cette Itévolution, mais ayant
grulllli loin Jc ses déchirements, Napoléon, le prcmier,
rassembla sous lui les hornmes trcs-divcrs qu'elle avait
succes~ivement élevés et rej otés, et, en vironné par eux,
il ne se rangea pas du coté de l'anciennc France,
mais il cessa de la persécuter. Il rappela les pretres et
le~ érnigrés en garantissant définitivetmmt contrc leul's
rcvenllicat.ions les acqllérellrs de biens nationélux, pa-
citia la Vendée en la <lLsarmant, abolit la Républiqllf'




L' E.\j PI R E,


san s rétablir l'ancien régime, donna pour base 11 son
trone l'égalité civile; et si, plus tard, sur les degrés de
ce trone il entreprit de placer une aristocratie, jI la
voulut nouvelle comme sa dynastie meme : ce fut
assez pour que les hommes nouveaux ne l'estimassent
pas contraire a l'égalité. Les différents partis qui s'é-
taient disputé la France trouverent donc dans le pou-
voir de Napoléon une contradiction 11 leurs principes,
une satisfaction pour leurs intórCts; iI procura aux
révolutionnaires fatigués, a défaut d'émancipation, la
jouissance paisible des profits que la Révollltion leur
avait valus; aux royalistes découragés, a "défaut de la
royauté légitime, le droit de vine; a la musse de la
nation détachée des partis qui l'avaient troublée, le
repos au süin de la gloire. Dans son gouvcrnement
cnfin, comme il se chargeait seul de penser et de vou-
loir, il put employer ensemble des hommes qui jusqu'a
lui avaicnt pensé et voulllles ehoses les plus contraires :
quiconqlle était pret et propre a bien servir y troma
place; les scélérats memos n'en furent pas exc1us,
mais on s'était habitué 11 leur puissance, et les hon-
netes gens y furent attirés, ce qlli parut a tout le
monde nüuveau, hardi ot admirable.


Tello était, en effet, la singuliere fortune de Napo-
léon a ses débuts. En rendant a son pays les premiers
biens que toute natíon ci vilisée posseue, non-seule-
ille contentaít, mais ill'étonnait. Un gouvernement




230 LIVRE SECOND.


flui ne massacrait pas, ne proscrivait pas, ne eonfis-
quait pas et ne faisait pas banqueroute, semblait a eette
époque aussi merveillellx qu'il ótait indispensable, et i1
ee double titre exeitait l'enthomiasme en meme temp~
que la eonfiance.


Toutefois, le nouveau chef de la France ne se con-
tenta pas de ce mérite relatif et précaire; il édifia pour
abriter la génération présente et les générations a
venir trois monuments durables: le Concordat, le Code
ci vil, l' Administration frangaise.


Le Concordat garantít solcnnellemont aux Frangais
la plus essentielle des libortés : eollo d'adorer Dieu. Il
rétablit au sein d'un monde nouveau une Église el
un culte immuables : a queIles conditions, nous le
dirons bientót. Les rapports de l'Église et de l'Em-
pire exigent un chapitre spécial, le tableau de leul's
vicissitudes ne doit pas etre scindé.


Le Code civil institua dans les familles 1'ordro an
süin de l'ég:ilil.é. Il assura a tous les Frangais la libre
jouissance Et le libre acces de la propriété fonciere.


Dans cette législation pratique et 5imple, qui ne
prétendit pas créer le droit privé de la France, mais
seulement le formuler, et de l'amas confu,; des bis
el des coutumes anciennes tombées en ruinrs tira
les regles applieables ü la 50ciétó llOlivelle d:: ns; eette
illllvre de bon sens prép<ll'ée par l'expér>uce et qne
l'expórience a consacrée, il est permis sans dout de




L'DI PJI\E, i31


signale!' plus d'une imperfection. Ainsi, lo Code civil
n'a pas achevé de restaurer la famillo, puisqu'il n'a
pas rendu l'union conj ugale inviolable; de plus, quel-
qlles bons e3prits commencent a penser qu'il n'a pas
relevé assez haut l'alltorité p;¡terncllc, qu'il a trop
étmitement resserré le droit du pere a disposer de son
patrimoine et, en favorisant ainsi la division indlflnie
des terres, a compromis l'avenir de la petite propriété
meme, qu'il travaillait a multiplicr. Enfin, lorsqu'on
l'examine a un point do vuo puroment économique, il
est difficilo do n'etre pas anjourd'hui fl'appé du pcu de
compto qu'il (l,tenu de la richesse mobiliere. l\lais SUl'
ce dernier point, il conviont de remarquer que eeUe
sartc de richesso no s'était pas cncoro dévcloppéo quand
il parut; et sur les deux autres points qui tanchent
a l'organisation de la famillo, cornment méconnaitre
qu'il a, du moins, au sortir de la législation révolu-
tionnaire, rouvert la voie clan s laquelle on lui reproche
de ne s'étre pas assez avancé'? S'il n'a pas supprimé le
divorce, il l'a rendu plus difficilc; s'il n'a pas suffi-
S'lmment étendu la liberté de tester, e'est lui qui l'a
retahlie.


La société frangaise puurra donc réformel' le Code
ei\il, mais elle eontinnera de le respectel>; mC~me en
chan~cant qllclqnes-unrs de ses rlispositions, elle n'é-
hranlcr(t ]las les principes qu'il a relevés OU posós;
a quelques critiques, cnfin, qn'il soit exposé maintc-




LIVRE SECOND.


nant, apres avoir été durant plus d'un demi-sicele
l'objet d'un culte presque superstiticux, illui restera
toujours un mérite incontestable, celui d'avoir, en ma-
tlere privée, éclairci et fixé le droit. Appliqué, ín-
terprété, développé par une magistrature née de la
meme inspiration que lui et fidéle á son esprit, il a
marqu6 plus nettement, plus visiblemcnt qu'allcllne
législation ne l'avait encore fait nulle part, la limite
oe ce quí appartient á chacun; il a rendu tous les
Frangais, a lcur foyer, dans lem domaine, indépell-
dants et tranquilles en face de leurs voisins : précision
lumineuse qui a signalé notre géníe national, prócision
bienfaisante qui a affermi notre état social.


Le Code civil établissait la paix Gntre les intérCts
pri vós ; iI reslait encore á la donner aux in tóret" pri vés
dal1s Ieurs rapports avec la puissanee publique, et eda
llon-seulement par des résolutions trallsitoires, mais
par des institutions permanentes. Napoléon y pourvut,
nous de\'ons dire dans quelle mesure, par son organi-
sation administrative.


Nous avons observé plus hau! l'obéissance que l'ad-
ministration fml1gaise assure au pouvoir cAntl'al. CeUe
administration mél'ite qu'on l'envisage a un é\utre
point de vue : il faut constaLer la sécllrité qu'elle pro-
cure aux particuliers. Sans doute, elle ne les garantit
pas contre les exccs ou les erreurs de l'autorité supé-
rieure dont elle émane et dépenc1, elle ne fut pas ins-




L'EMPIRE. 233


tituée pour mettre des bornes aux exigences de la rai-
son d'J~tat; mais elle a soustrait les Fl'an\{ais, autant
que le permet J'imperfection des hommes et des choses
humaines, aux rivalités, aux vengeances, aux exac-
tions subalternes et individuelles. Les volontés géné-
rales du pomoir, quel qu'il soit, sont parvenues anx
citoycns, et les ressources des citoyens ont remonté
.i lIsqu'au pouvoir par des canaux purs et surs; tant
~a[loléon avait ingénieusement combiné et fortement
organisé, 11 travers les branches nombreuses d'un si
vaste n;seau, la discipline, la hiérarchie, la surveil-
lance.


Ce mécanisme toutefois n'aurait suffi 11 rien et n'au-
rait rien valu si, pour le vi"iiler, il ne s'était répandu
dans los plus humbles rangs de l'administration fran-
\{ai~e un souffle d'honneur et de probité, un singulier
amour de la regle ot du dovoir. Dans le gouvornel1lent
comme i.t la guerre, Napoléon savait merveillcll~ement
saisir et mettre 11 profit les meilleures dispositions de
notre caractere nationül. La force de notre armée rrside
avant touí dan s l'esprit qui anime les simples soldats ;
l'excelIence de notre administration consiste principa-
lement dans l'esprit de corps qui s'empare de ses plus
modestes Dgents, les ennoblit a lellrs propres yeux, et
les élEweau-dessus d'eux-mümcs. Grace 11 cette intro-
duction d'un bon esprit a trayers un habile mécanisme,
l'administration fran!;aise a pu sut'vivre intacte a nos




LIVI1E SECONU"


róvo1utions, adoucir 1ellrs contre-coups sur les intérCts
privés, maintcnir l'ordre dans le détail des affaires,
meme quand il avait disparu des sommets du gomer-
nement, subsister longtcmps il l'abri de toute autre
censure que eelle de ses pl'opres chefs, et subir impu-
nément ensuite la censure d'une pre8se libre et soup-
Qonneusc. La publicité, snns doutc, a révé1ó et corrig6
ou prévenu plus d'un abus partiel; mais sous cette
lumiere le corps entier est dcmeuré sain, vigourcux,
admiré, et l'on peut avancer snns paradoxc que le plus
grave inconvénient de l'administration frangaise dé-
coule de sa perfection meme : elle nons a rendus con-
tents de ne pas fairc nous-memes nos affaires l.


En résumé, tout ce qui esi possible pout' donncr
aux hommes la liberté civile san s liberil~ ¡:olitique,
Napuléon 1'a congu et voulu. Si en effet la liberté ci-
vile s'est maintenue sous son Empire, les peuples
apprendront par cet exemple i:t quel prix quelquefoi,:;
elle s'achete et par queIs procédés elle se fondeo Mnis
si, au contraire, elle a 6t6 grayement ntteinte el \'ioIóe,


l . . raí it rwil\(:~ lJP~(¡¡n ele f:lil'f~ ['('111;11'(11]('1' qlll' ()l'tt~, ffq::Uli~oüiIJll ;t11mi-
ui~tratiYl;, a cté t'ta]Jlic Ú llllP, t~l)Olfll(, I'Ü tllllte 111tk di' parti t';t:tit ¡'·t¡·illtt' 0)'1
éLouIl'l~l\, oit iI ll'L'.\i~l;tit llllllu Iqrt, ailll"i ([nl\ l\(J\l~ l'í1\"011;': (j1);.:r~l'\'I", 11llf'UlH'
('ol1lpétition ólet:iurall'. ~L-t~::: ('1_''''; NJllilgl~,"';; ('lllldJiw~;-; {JOllt' b IJllllllC vt illl-
partirtlr-; ('\p{-ditinll ~l\-':,- alT'itiJ'(':--) d !fl,i l'llll)I';I:<:--I'llt t('lIt, ljlli iltt"i.~'\lfllt
tOllt, Sl1rp()~eZ fJ\I'nllI,':-:, PlIlplni¡, ;'1 di':' 111.l11IJ 11\1'(\:' ("II'CV'l'í¡]I':<:
l\irr'~lCUlUllt le 111éL,ltllislllC cst fau;.::.:( jw~rit,d)h'lllCtll il tloit ~" ,
(-'t 1'11 rn~llw tCIllp~, COIlll.1{' 1(\ di:.:ait ~I. H()yl~l'-ü)lJl\]'(l~ le gt'JHYI'l'lI"itlll!t
repn\,entatif n"e;( p~s ,tUlclfll:lll ]ll:n ,,,"ti, il (';[ SU01"'I"Ii.




L'EMPJ[lE.


l'expérience sera décisive : il en faudra conclure
qu'une certaine mesure de liberté politique est indis-
pensable pour la défendre et la perpétuer; il sera avéré
qu'une nation qui, par amour du repos, .abündonne a
un seu1 homme le soin de la chose publique, ~e mé-
prend, s'égare et livre inévitablement a l'arbitraire
les biens memes dont elle entend se contenter.


[Jl


VOyOllS done, en fait, quels droits demcurerent aux
Frangais duns la ruine de tout droit politiqueo Suivons
les sujets de I'Empire Jans les occupations ou ¡ls con-
sentaient a renfermer leur indépendance, et franchis-
SOJlS le seuil de leur vie privée. Resteront-ils, a ron di-
tion de ne pas s'occnper du gOllvernement, maitres de
leurs pensées et, en se soumettant allX lois, maitres de
leur person nl'?


Quand tout le monde se tait sur les affaires d'État,
chacHn prétend encore penser comme il lui plait, et
purler comme il peuse sur tout le reste; quclqucfois
méme, en devcnunt exclllsif, ce besoin de liberl é in-
tellectuelle devient plus ardcnt et plus déréglé. Quand




::l31, LIVrlE SECOND.


un citoyen se résigne a ne rien vOllloir POlll' son pay~)
e'est avee l'espoir de disposer en sureté de lui-méme,
de régler a son gré son propre sort : il ticnt a sa li-
berté individllelle. Sans liberté intellectllelle et saTIS
liberté individuelle point de liberté civile.


Je trouve dan s le texte méme des Constitutions illJ-
p~ riales I l'aveu de ces dcux libcrt6s n6cessaires, l'aveu
mais non la garantie. En chargeant le Sénat dll soin
de les sauvegarder l'une et l'antre, le gouvernement
reconnaissait en principe qu'i1lcs devait aux citoyens,
et se ménageait en fait le moyen de les confisquer.
Que deviendraient-elles, en efIet, si le Sénat les délais-
sait? Tout autre reeours était ferm6.


Or jamais, tant qu'u duré l'Empire) la commissioIl
sénatoriale de la liberté de la presse et la commission
5énatoriale de la liberté indivieluelIe n'ont l)Jevé une
scule rédamation. Est-ce parce qu'en réalité il n'y a
pas eu lieu de réclamer? N ous allons le voi r.


Heconnaissons d'abord que la commission sénato-
1'iale ele la liberté de la prcsse n'avait pas El s'occuper
des journaux, qui elépendaient absolllment, nons
l'avoIls déjil dit, de la police; que duns les livres, la
liberté de la presse avait pOllr bornes (les sénatns-colI-
sultes le eléclarair,nt en propres termes) l'intéret de


1. Sénatus-collSllltc arganique UlI ~R tloréal ¡1lI XII, IR mJi ISO}, arti-
dc~ 60 a G8.




L'EMPIRE. 237


l'État; et quc le gouvernement, qui nc professait en
définitive aucune doctrine, semblait sincerement dis-
posé a n'en imposer aucune en matiere religieuse,
philosophique ou litt6raire.


Napoléon s'indignait de trcs-bonne foi si sa poUco
prétendait sllpprimer un jOllrnal coupable seulement
d'avoir manqué de respect a l'Institut l. Il voulait qu'on
pul soutenir en toute liberté que le soleil tourne, et il
ne sOllffrait pas que le ministre Fouché empecMt le
cl'itiquc Geo[roy de commenter le poete Hacine 2.


l\1ais ou commengail, ou s'arrctait aux yeux du
maUre l'inlérN de l'État?


L'intéret dc l'État exigeait quelqucfois qu'Ul1 SLlvant
cdebre no se déclarilt pas ouvertement athée, et, pom
avoir commi:i cetto inconvenance, Lalande était me-
nacé d'ülre chassé de l'Institut et condamné a une ré-
primando officielle et publique 3.
~éanmoins, s'il ne fa11ait pas manquer de respect


au hon Dieu, il ne fallait pas davantagc en manquer
en"ers la philosophie du xvm" siecle qlli avait tallt
attaqué le hon Dieu, non plus qu'envers la ll('vo-
llltion ft'angaisc qlli avait cntrcpris de le détróner.
Ainsi le vOlllait l'impartialité rl'uIl POUVOil' llé pour


• CrJi'i'PSp., 'i jnin 1800, 1. n, [l. 4:32.
· I""d., 7 juinlROR, 1. XVII, p. ;)22.
· !/¡ir/ .• XL :ii i.




23S L¡VRE SECO:\'D.


éteindre l'esprit de parti i. Un autre membre de J'lns-
titllt s'étant done avisó de maltraitcr la Révollltion,
encourut la meme réprobation et les memes menaces
qne Lalande 2. Le poeme de la Pitié, de l'abbé Delillo,
fut signalé comme un livre dangereux 3, et M. de CIHl-
teaubriand, élu a l' Académie fran9aise a la place de
~larie-Joseph Chénier, n'y put [aire entendre une
paroJe de rúprobation contre le rúgicide!. L'investiga-
tion historique remontait-eUe plus loin dans le passó?
« L'intérl\t de l'État )) l'y poursllivait encoro. Les
Mémoil'es de Louis XIV 5 n'étaient pas moins suspects
que la Conesjiondance de Louis XV 1 6 ; il était dé-
fendu de fiatter nos ancicns rois \ et malhcur a l'écri-
vain assez servile pOUt' attaquer (( les libcrtós de l'É-
glise gallicane,» la police l'arretait et saisissait ses
papiers H.


Enfin, le maUre de la France en vint a pensel'
qu'au moins depuis Henri IV 1'histoire de France tout
entiere lui appartcnait en propre, II vO,ulut choisir et
payel' les autenrs qui la raconteraient 11 la jellnesse,


1. COI'I'!'Sp., X, ~D; XY, :2:l.
2. ¡/,id., YIII, :)71,470.
:l. l!,id" \'111, \91.
1. Voil' ~e discolll's d~n, les OEll\TfS de CbaleaIlIJl·iéllld. VoyCZ au"i 1I


liHe ,le .\1. Yillcl1lain "11l' CI¡;t!e;l1Il'l'iélllll. '
:;. C'IJI'I'C,p., XII; 1 ti,
(j. Jlúd., YIlI, HI ¡ .
7. ll¡fr/., xrJ, 'in.
8. [/;;';1., X\-, :ii~.




L' E~lP II\ E. :.l:39


et ehargea sa poliec du soin de « découragel' )) ceux
qui tenteraient, sans son avcu, pareille entreprise.
Il fallt, écrivait-il, peindre l'ancien régime et « ses
bigarrures)) ele telle sOl'te qu'en arrivant a ]'unifor-
mité elu régime impérial « on respire, )) 11 faut que
« la faiblcs5c constante du gomernement SOllS
Louis Xl V meme, SOllS Louis XV et sous Louis X Vl,
inspire le besoin de sOlltenir l'omrage nouvellement
accompli. ))


:\apoléon avait raison : I'cxócution d'un tel pro-
gramme ne devait pas etl'C abanelonnée ({ it l'inelllstrie
particuliere ¡. »


La pulicc a vait un muycn faciJc de (( llécOlll'ager ))
les écri \ ains. Elle cmpechait 1ems ouvrages de pénal-
tre, Te! avait été, par exemplc, en 1806, le sort el'un
obSCllr abrégó historiqlle que I'empereur avait jugé
contenir « UIle infinité de choses absureles et contraires
it la gloire de nos armes 2. ))


Des lors, qu'avaient a faire les éeliteurs? Hecomir
au Sónat IJOlll' faire lcver la saisie dc la pulice? !ls n 'y
songeaient paso lIs savaient bien que « l'intéret de
1'1:;tat )) ne pennettrait pas au Sénat de les entendre.
11 valait lllieux pour eux prévenir cettc saisie capable
de les ruiner : ils consllltaient done la poliee uvunt de


'l. ~"l" 1"'111' 1,· lllilli,ln' ,1,· I'illicrilllr. l3"rdeilm, 12 a\TiIIHOH. (l"""
I'/'S;J., ".\\'1) :j7:j.~


:2. j ;ll,li IS(Hi. (f'(II'¡'{'SJI •• XII~ '¡.:r¡./




240 LI\'RE SECO:\'D.


rien imprimer; ils allaient eux-memes au-devant de la
censure. Aussi, lorsque en 1810 cette censure, dont
l\apoléon ne voulait pas pour les journaux, fut officiel-
lement rétablie et régulierement organisée pour les
livres, rien ne parut changé : elle s'exerºait longtemps
avant d'etre instituée par décrct. On ne prit meme
pas garde que ce décret relevait au profit de ]'arbitraire
auministratif un monopole industriel : un nombre
fixe d'imprimeurs assermentés, brevetés et dcstitua-
bIes au gré du gOllvemement qui les nommait, purent
seuls exercel' leul' profession : esclavcs privilégiés de
la censure, ils devinrent ainsi de plus en plus, vis-a-
vis des écrivains, ses premicrs et inévitables agents 1.


Comment s'exerºait ccpendant cette cemmc ainsi
rétablie? L'intéret de l'ÉtaL laissait-ilplus de place 11 la
liberté en littél'ature qu'en hi~toire? Non : l'in1l~ret de
l'État exigeait que nul livre ne fut muet sur la gloil'c
de ~on chef, et la plu part des écri vains, avant de laisser
partir lems manuscrits pour les bureaux de la policc,
cousaient bien ou mal quelque flatterie i.t leurs vers Ol!
illeur prose, a peu pros commc les Uomaíns de l'Em-
pire prenaient soin de nommer César daos lem testa-
ment, pour éviter qu'il fUt cassé. "laís ce qui impor-
tait plus encore que de louer César, c'était de ne pas


1. Décrel du 5 fénier ¡SI (1 "111' la lih!"liril'. llllC!JPZ pt !lOllX, XXXIX.
310.




L'EMf'IHE,


louer ce qu 'il estimait lui etre contraire. La destinée
du livre de madame de Stüol sur l'Allemügne en est
un immortel exemplo, un exemple qui suffit seul a
l'histoire du régime préventif et du régime répressif
appliqués simultanément allX lettros sous l'Empire.
Apres que les censeurs ont passé a leur crible toutes
les phrases de cet éloquent ouvrüge, apres qu'ils ont
entre autres e[acé celle-ci : « Paris est la ville du
« monde OU l'on pellt le pllls facilement se passer de
« bonheur, )) attendll qu'il r/est pas permis de suppo-
Ser' qu'á París l'on ne soit pas heureux)·le manllscrit,
expurgé de la sorte, est imprimé; mais aussitót im-
primé, le livre est saisi, tous les exemplaires en sont
confisqués. La censure, en corrigeant tOllt, n'avait
rien garanti. Chaqne ligne était devenue ¡nnocente :
l'ensemble dll livre était resté o[ensant et perni-
cieux. C'est qu'il était consacré all génie littéraire d'un
peuple en gucrre avec la France; c'cst qu'il vantait
l'originalité féconde d'une littératme libre de touto
entrave. Le ministre de la poliee écrivit a l'auteur :
« Votre ollvrage n' est pas frangais j. ))


Dans le meme temps OU madame de Stael ne pou-
vait célébrer la liberté de penser de l'Allemügne, le
premier orateur s~lcré de l'époque, M. Frayssinous,


1.. Yúyez ce liHe tel 'lu'il i'al'llt ;1\1 ,omnWllcunt:nt de la Hestauratioll,
ayee le;-; lllar{[l1\:':-:' .·t }{::: <Llllll)::tfinll:-, de la f'!'ll.;nrr iUl}fl:'ri;df: et la kul'l'
jIu dne dI' nO\j~'lI iu:-:.r"n"I' ¡[;in, l:t 111'¡"f;u'l •


11>




LI V n E S E e () s D.
était condamné a interrompre son apologie du chris-
tianisme pour avoir refusé d'y meler l'apologie de la
cünscription. Cela non plus n'était pas frangais ¡.


Ainsi, en religíon comme en philosophie, en litté-
rature comme en histoire, le pouvoir impérial n'em-
brassait ni ne respectait aucune doctrine. Élevé lui-
meme en contradiction avec les príncipes divers qui
s'étaient disputé l'esprit de la France, tirant son ori-
gine de la nécessité et son éclat de la force, il genait
arbitrairement tontes les croyances, il amortissait i111-
partialement tout essor des ames.


Quels devaient etre les résultats d'lln tel régime?
Sous cette discipline sans conviction, qnelle vie restait
aux lettres? Napoléon lui-meme va nous l'apprendre,
lenr stérilité l'i1'1'itait. « Si l'armée, écrivait-il, tache
d'honorer la nation autant qu'elle peut, il fallt avouer
que les gens de lettres font tout pour la déshonorer 2.»
l\Iais apres avoie constaté le mal, il n'y rernédiait pas,
lorsqu'il ajont1Ít : « On se plaint que nous n'avons pas
de littérature : c'est la f'aute dLl ministre de I'inté-
riellr~. )) Il enjoignait, en conséqllence, a ce ministre


1. Les conférellces de 1\1. Frayssinous ne fllrent ras onspclldlleo innll"-
diatelllent apri" (pl'il eut rcl'us.', de I'"in; r.\loge el" la cOllscrijltiuu; llwis
ú partir de ce HlOlllerlt la poli('l.~ 1'lIt }'q'il ~lJ!' IlJi., d ~,lll:: 1I1)1]\('i.Ul ~:ripj'
1letteluent arlieulé, Illai:-; d'alJr~':-: l'rln1n: de r!:111jlel'l'lll', ,dun; h Sd[lJ_'ll])]'l111~
la polic'" le, Ílllerrlit an lIlUlUl'ul "i, il' li,''I'" fut del!"'""l", el! 180a. (Bio-
graphie FeUe!", arlidc FI'(l./¡'\\\/IUJUS, ('UI'I'CSP" t. XIX, p. :¡:jO et :i'lL)
~. ('oi'J'e,'!", ~J llOyem],l'I' ¡Silf). XIII. (iS~l.
:~. lMd., Xl\', R~.




L'EMPIIlE. 243


de donner aux belles-lettres « une secousse 1. )) Il ins-
tituait des prix décennaux. l\1ais cette « secousse, )}
en quelque sorte mécanique, ne ranimait rien : la lit-
térature officielle restait inerte, et sous un gouverne-
ment qui ne rencontrait en ]crance allcune résistance,
pour trouver qllelqlle part le gónie frangais, il fallait
le chercher u l'ócart et persécllté.


En passant en revue les victimes de la censure im-
périale, nous avons évoquÁ tontes les puissances in-
tellectuelles de cette époque 2 : le Journal des Débats,
restaurateur judicieux des traditions littél'aires dll
XVII" siecle; madame de Stael, généreuse héritiere des
espóraIlccs sociales du XVIII'; J\I. ele Chatcaubriand,
éelatant interprete eles regreb mélancoliques et des dé-
sirs confus de notre age u ses débuts; M. Frayssinous
enfin, persuasif apatre de la foi de tous les ages. Voila
ce qui ne pouvait plus parler, plus écrire, plus respi-
rer sous l'Empire : l'esprit, l'imagination et l'ame, la
pensée libre et la foi étouffaicnt quand il cmula.


1. ('IJI'I'()\'jJ_) SIY) o:;.
2. pl'{'JaCt~ ;¡jIJlIL,';Ü par JT. (illiznt iL ~;(jll CW'/¡fJ/{/P, 8tlldp lítt\~r~lil'e lJ1l]Jlié4->


t·n 1 g l;} el ]'\~edj tt~e eu U,;j2.




LIVIl.E SECOND.


La libertó individuelle était-elle cependant plus res-
pectlSe que la liberté de la presse? Les constitutions de
l'Empire ayant. mis ces deux libertlís sur le meme
rang et leuI' ayant donné la meme garantie, avaient
aus~i fixé a l'une et a l'autre la meme limite: l'intérN
de l'J~tat.


Un citoyen, comme un livre, pouvait 8tre saisi arbi-
trairell1ent, d0tenu indéfiniment el. pri vé de .i uges si
!'intéret de l'État l'exigeait; pour comrir légalement
11e pareils actes, il suffisait du silence du SÓllat, qui ne
parla jamais '.


Au fond, pom quiconque était l'éputé ennemi du
gOllvernemcnt il n'cxistait ni droit ni loi. Entre na-
tiOllS civi!ist'es) la guerre, perpétuée ele siecle en siec1e,
a re~u des regles quelquefois ,iolóes mais toujours
présentes a la conscience du genre humain en armes.
Il n'en était pas de meme des luttes intérieures au sein
------ - .. _. __ .... ._._- -----_._~----


1. CIJll..:tltllt!llll dll ~2 fl'illlail'P ;IB YJlf 1 ltl'liclp ,j(J, I~I ~':¡"Il;ltlF-con:;:111tp
dlt 2t-: Jllln'·,t1 ;JI~ XII. ;Ir!il'l(~ 1;0. f'OI1lLljlll'·:-: i'Jl~:'llllllp.




L' E Ir! PI R E.


d'une nation divisée. L'ancien régime n'avait pn con-
naltre et la Révolution n'avait pas fondé le droit des
gens des partis. L'Empire n'était pas destiné non plus
a l'étahlir; et si ce gouvernement rendit a tous la sou-
mission plus facile et plus honorable que ne l'avaient
fait les gouvernements révollltionnaires, il n'épargna
pas plus qu'eux les rares hommes qui ne se soumet-
taiont paso


Ordinairement Napoléon aimait mieux désrrrmer
bes adversaires que les persécuter; mais il aimait miellx
les persécuter arbitrairement que leul' donner des
iuges. Cette politiqlle résuIta d'abord, iI faut l'avoner,
des circonstances memes de son avénement. Qlland iI
parvint au Comulat, il trouva parmi les mallX a gué-
ril' en France un tL'iste reste de guerre civile. La oil.
l'amnistie ne fut pas accoptéo, il fallut fairo mareher
des soldats. Et quels ennemis trouvaient devant eux
ces soldats? L'ilgo héroYqlle de h Vendée M.ait passé.
SOllS le costumc et parmi les débris des vieillcs bandes,
iI s'dait gIissé do VI'ais brigands, éeume des temps de
révolutions, n'appilItenant a aucun parti, ne cher-
chant dans la gucrrc que le désordre, dans le dPsordr(j
que le crirnc et le pillage, et somcnt meme soudoyés
en sccrct par le Directoire pour déshonorer la cuuse
royaliste 1. Les coIonnos mobiles du premier consu1


1. Plllsiellrs dOClllllcnts ofJiciel, a!testent ce fait : 1° une leltre du p;t':-




Ll\'IlE SECOND.


s' cmparaient-elles done de pareils rebelles? on ne les
traitait ni eomme des prisonniers de guerre ni eomme
des eitoyens a livrer a la j llstice ; les commissions mi-
litaires les faisaient exécllter uYant meme qu'eIles fus-
sent, par une loi spéciale, autorísres a les juger 1,


Se rcncontrait-il cependant, encore debout et refu-
sant de désarmer, quelque vrai royaliste, pur, jeune el
fler? le premier consul ordonnait de le saisir a tout
prix mort ou vif, défendait de lui faire auclln quar-
tier 2, et pour obéir a de tels ordres) un gónóral fran-
gais attirait JI. de Frottó dans un gllet-apens, le Jivrait
muni d'un si.lllf-conduit a une cornmission militaire,
ct le faisait immédiatement fusiller 3. Son sang fut la


néralRo"ignol a la date ,1u 23 germillo1 en \1 (', "\Til lifl\); ]0 Ull r1,,-
crd .le. la COl\ycntioll ,1n " ,epkmhm 1Ifl;¡; :)0 une leUro dI[ f.\·"'llél'ill
Krieg au repl'",ent,nt Bollet. (Alfr",1 'iettemellt, M. ThipI'8 d!l/fhé CO/JI)I/e
/¡¿'sl¡)}'ir-m, Rr:vllf: t;())¡fem1H)),{/¡"(u:) :a ;toút 1():)í.)


1. ;\I. Thier" t. \\, Jiy. rlrl, p. :307. Jludlez el Hom, l. XXXYlIl,
p. JG:l.
2~ ( Pl'enez lflOl'L 011 yif l'P C(Hllliu !le Gcorg-(~:-\. Si Y(.l1~ l(~ trllPZ 11l1f',


« t(Jis, faitc~-lu fusiller villgt-r¡llillrc hUHI'l.';; apr('~;, ecllll1Ue ayant (':u': 1':11
( AIl/:-!,letcrre ¿lprl',S la «apitllbti')Il. ~ilJl(dl~nll. )) :i prail'i:ll an YTII, ·1 juin
1800. (Co!'}'es])., l. 1'1, 1'. \~l.) Ces 01'111'''." ant"'ri,'"r, i,l'nj¡[o>ioll lk la
rn.:lchine infel'llal(~) ne <,lpp1illllR1f'nf p~.:-:m :-,ell! C:LilcoIld;¡[.- ((Tildll'" ¡Junl'
í( [le pl'ellllre de:'. meSllJ'e~, pom' filire ;ll'l't'~t('l' ('1 '. 1l¡¡:,{1';¡]¡](' Ilydc.)) ~1 nH':~­
,,;, lO!' an X\I (1 ~ jnillr.t \ SO:)). ((·IJí"'~'l)., t. \"1\\,1'. liO L, PI"o t:lr,1, ~L II,'¡"
de L\cllyille) ayallt Uó (lrrcU~, lW fllt lliL:-' fü:ziil~, tllili:-:. {1\jll"di(~ ('!I AIlH")'l'lw',
«")!')'",!!., t. Xl, p. 302.)
~L .JI. de FroUó "inl Ú IUl(' '?nl~'e\ lF~ ,'IVl'¡' lc~ g{n~"r';t11\ fr;ln~:;li:, 11111111


d'nn f\nUf-condllit. Il ]l'a\"{lit 1';I~ l'IlUIt'(' I'nll>['llti ;'1 j;¡ ll:¡j\) pi r'('~t ;tlllt'''-:
¡p¡'i1 dOllt1;lit h ~p~ lientenflllt:-' l"ll'dl'[' dí' II¡-_' lJ~b d;':';li'III1~I·. 11 fl1t ;]1'1'/\11"
d<-tu:-:. ed,t(~ Antrp,yue, allll(\tW¡~r pOlI' lllH' 1I1)~1' dll JJfull·frt1j' (lo j'(\·riC'l' 1ROn"
el} ·yerta t1e~ instl'lldlOll:< q1li d("I'('lHI(li(~llt) :-;¡ (lit ll' :·qi:-:i~;Fílit, di' ll1i f:tin'
d!l(~UU q\lartier. Un l"aer.nsa de f)l)l'tidie ú eanSe de ['nl'drr. dl~ 11e p;L~ dúsal'-




L'E3IPIIlE. 247


seule tache qui souilla la pacification de la Bretagne et
de la Vendée; il fut le premier sang généreux versé
en Franee au nom de Napoléon.


A la guerre ei vile éteinte sueeedcnt les complots et
les attentats. Contre ce nouveau péril, le gouverne-
ment reste armé en guerreo Georges Cadouoal a péné-
tré dan s Paris, la police no peut l'y découvril' : une
loi féroce menace de mort quicollque 1 ui donne asile l.
La machine infernale éciate; qui est le coupable? On
l'ignore d'abord, mais on croit savoir qui est capable
d'un si exécrable forfait. Les terroristes n'ont-ils pas
habitué París a leur imputer tous les crimes qui
l'épouvantent? Que les terroristes soient donc fI'üppés
au hasard eomme un régiment qu'on décime, sallS
délai, sans défense et sans preuve! Leur ancien com-
plice devcnu ministro de la police nie que le coup soit
parti de 1ems rangs, et dresse néanllloins contre eux
une liste arbitrairo de proscription. Lorsque cetle
proscription s'exécllte, le gouvernelllent tout antier et


Hiel'., donnú prtl" lui ilY;Utl (11:' tl'aitcl'.: el non apl'!~';-:' ay(lir traité. LOlli~ BOll11-
lIarle, .1.1(¡r~ tolc,neI ll\lll n'\!J'ünl~'lll en gal'lli~'Jll a YCl'llenil, llommA pO\11'
pn;~idHJ· Je con~eil .Ir Fl¡r;l"l',', n,fw:a. ilI. de Frolté n\'ll f(lt pa:-:. lllOillS C{1n-
damllf', pt e\(~clltó il1lnl¡~~ditltcmcqlt. La ~2.:r,lC(, dnnt lJarle )1. Thiel':-'-, el qllf'
llC fai:-:aiellt pa~ prl~'Ynir k:-; in:-'tr'11c1ion~ anll'J'j(',lIJ'c's (lu premié]' cOllsul:
.lrriYlI fl'OP t(lrrl. Oll a dH'rdH'; h (jlt(~r!'r el' fi-lit; 11lrli:.: CP q118 nnu~ ,n',lllI71111:-,
il'i d:>ulte 111" pi"C"c nflicil'i1I". ("\lfrCll ~I'ttl:m(,llt, JI. TMei'S M,'hll'/('/I,
Re/'llr' t(jjd l :III!j()j'(f/:J/f> , :W:lt¡J'¡! 1.'-1:; ¡. Cl'úilH';m-Jol,\", ¡fistoi!'r' de la rren _
/trie IIIIÜ!¡¡i¡'e, t. IY, chap. TI,)


l. Buchez el Houx, t. XXXIX, p. 78.




L[VR~: SECOND.


son chef meme ne doutent plus qlle les nOllveallX pros-
crits ne soient ótrangers a 1'attentat qui a prov0qué
cctte rigueur; n'importe, le gouvernement ne doit
pas avoir tort, et qui pomrait s'intéresser cette fois aux
hommes qn'il aUeint? Qu'ils disparaissent donc.lnno-
cents d'un demier crime, ¡ls en ont assez d'autres a
expier ¡.


Ainsi 1'aisonnaient <1101'5 11 la fois les serviteurs com-
plaisants du nouveall pouvoir et les victimes de la R6-
vulntion. Ni les uns ni les autres ne prévoyaient que
la p1'osc1'iption des septomb1'iseurs allait avoir pour
contre-poids et pour contre-coup le mourtre uu dnc
d'Enghien.


Voila pourtant OU conduít l'arbitrairo! Cest paree
qu'il eL frappé a faux sur les 1'évolutionnaires que
Napolóon nourrit en son cceur le dósir ele por ter un
coup pareil, plus éclatant et plus terrible, dn coté des
royalistes. Un Bonrbon rloit venir d'Angleterre l'atta-
quer en France : ilIle pent le saisir a travers la mer;
maís il a sous la main un autre Bourhon, en Allemilgnc;
a la place du comte d'Artois ou de sos fils, an mépris
du droít des gens, le dne cl'Enghien est enlevó; et, pour
l'éternelle confusion des gOllvernements qui se fient
a la police, le pl'emier COIlSlll n'allcgu'2 d'autrc pré-


1. Bllchez el Rom, l. XXXYIII, ji. :jü,j el olliYollteo; 1\[, Tlliers, t. 11,
Jiv. \ TTJ.




L'!':MPIHE. 249


texte qu'un nom mal prononcé, le rapport d'un gen-
darme envoyé en espion, qui croit avoir entendu nom-
mer parmi les entours du prince Dum.ouriez. A peine
le prince est-il arreté que le prétendll Dumouriez 1'e-
devient un émigré, le marquis de Thumery. Tout
indice de complot formé par l'héritier des Condé dis-
parait t. N'importe : une fois encore le gouvernement ,
ne doit pas avoir eu tort. Paree que le prince a été saisi,
il fallt qu'il soit condamné : des soldats ignorants et
grossiers sont chargés de lui appliquer une loi de !)3.
Paree qn'il est cond~lmné, il faut qu'il soit exécuté :
toute loi est violée pour cotte consommation ele l'at-
tentat 2• L'ordre de l'exécution étllit donné d'avancr;


1. :\1. Tltier>, t. Ir, Jil. ~\llI. Pi''.ces jLLsliíicatil'C' ¡\ lct :"lile ¡\'LLllü
IIl'ol'hul'e pnbliúc ponr rapl)ll)~·ie de .JI. Caulainrnurt, dtw (k· Yin'l1c~.
!.cttre rlu pl'emiel' COll"tl au mini,tre ¡]" L, glll-ITe (pii'ce l!" ~7). I ):'tll'"
1111 nliui:4tl'e (le la gllel'l'(-: a.l! F{~ll('~ral ()1'(L~ll('t' (no .2S)) ('(, !':ll'lJul't de rot'ti-
l'it:r de gellllal'lllpl'in qlli it Pllle\-{~ In dlll' (rFll~llipn (no 2~),:.
~. E,FjJ!icUt/o/ls o/p'/'les (l/{,l; /¡OIlUIU')' itn/HI/'túlI!J', ~'1. lp f'OIlltc HlI-


lin I:qui il.í'ilil pl'{-:jdt'~ h \Tilli..'l"lllt::' la C(llllllli~:;-:.ioll « "\1'-':-'1'0111' Fne:.;
« d lllCJi IIIJII" /'til'I1.": ('ilfi("I'erJlI'llt l~rr;lIl~ét'., it ];l CUllLl:li~;-:.,CttH'(' dt';-: 10i:-:. .....
« 11 rall;:it, <lit-tlll. ll101i:, <1"'1,1,,,,,,,, ]'''"1' il "út faEIl 'J"e
( h: IW),n~Jl ('I'tí, 4'·t(~ prt'llllJ;:I:'. :\OHS
(4 lIlJtre (,(JlJljll'·h'III'i'. ':"lllidail n" .. ;.ultl'l' dl¡ :;'¡:ld
(1 i'!IJll:; Cil'dulluai! di' (Jlli, jl.l lt..' j¡il'l~ (lIt lL!Jlll rllJ [11:1:-: lUt':-: Gol1\--
« ¡.nli~,"! c(;ll·~ !le ['Ilt. P¡l¡IIt illlt'lri::t:,c [Jar ltrJlI:~; lwtl'e ,jugcrneut
(( 1)( H't;) it fIll'il j'U ~(,¡"ti ti' 11Y(I~'I'~ 1l1l1_~ 1'\ ¡ H',di tiOll .•.•• :1 LL ;':l-w"ral en die±',
« ;":'11llY(:'1'11('ltl" d,_' Pal'j~. L:ul'dl'u d'('\I"I:llll'l' l}fJ jlfJlL\diL I"tr~ l'\\~'ldi¡ re1llent
« dIJllll('~ 11'1(¡ 1':11' I'n (kl'llici'; ]¡':; l'OlJil':' Il'¡"tail'il: puillL í.llll'(U'e e:q,r~di¡:T~ ...••
«( et tout ¡\ ('()UP HU lu'uit iltT'l'f~lI\ yiellt ll(j\¡:< 1'1:'\ {',Iel' qlW 1(' Ill'illC'l', l.l"e.\isle
({ plll~. )) VI))-ez Wls;-;i PÚ~('(J\' jl((hr:iOiJ'{'" el Itislf¡)'i(!'{,;\< ¡'('({dice,' (fa 111'0-
r»s du rlllf; rl'El/y/n'I'JI, lL\l't': Iv .Jullrll;d dí\ ce, pl'illi;Ü del)lli:-; l'installt dl~
::'011 rtrr(~:-:.tation., l'!'I~d~df:'l\S dI.) la JJiSl;ussifjll de:'; m.;!e,)' di! la c())ltmis.'.'i'!I?
mili/Ml'e, par ]';llltel!1' de la Liúl'e déjense dus aCC1lsés (:\1. Dupia alne;.






250 LIVHE SECOND.


et plus tard, lorsque, sur le rocher de Sainte-IIélene,
Napoléon passe en revue sa carriere, sans donner it
l'attentat d'autres motifs que ceux mernes que nous
venons d'indiquer, tantót ill'avoue encore et refuse de
s'en repentirl , tantót il témoigne quelques rcgrets de
n'avoir pas el! le temps d'épargner sa victime; mai~
e'est en la calomniant par un mensonge. Il raeonte
que, sous les verroux, le dernier des Condé lui a dc-
mandé rlu service. Voilit done a qllelle condition il
1 'aurait peut-Ctrc jugé digne de vivre 2! En deux bonds,
il avait touché aux eleux points extremes OU l'arbitraire
d'un gouvernement peut atteinell'e. S'étant essay¡"
d'abord a la violcnce sur quelques obscul's misérables,
il avait aussitót apres retourné la meme arme contre
a race la plus illustre de France.


Lcs hornmes qui n'étaicnt placés ni si bas ni si buut
ne devaient pas non plus rester toujollrs a l'abrí; non
content ele dicter a eles tribunaux d'exccption eles sen-
tences cxtraordinaires, il fOlllait aux picds le~ juge-
ments qu'il n'avait pas dictés. C'cst ainsi qu'il chan-
gea en exil perpétllclles deux ans de prison infligés al!
général Jloreau, défcndit dc rd{¡¡;her les aCell~Ó:i puli-
tiqucs quc la .iustice s'avisait d'acquitter, et ¡11LlsicLl!',;


-----_. __ .----_ .. __ ._---


l. Par e\':emple, üan:-: :':'011 te:-;lalllt'ltl, arlic]¡: :).
2. R(;('/leil r!p fJÚ~Cf?S (wtlU'lIfi(!u{~\' >:/I/' 11' (·({/dt/, {Ir: So.illtl?-lld·;l/e,


t. 11, p. H:I, Letlre, dll dOl'telll' \\-'U·déll, el t. X, p. ;HiO .. '1'''!Jol':')1I
rllll'''' l'e.I'il, par le docteur O'Meara.




251


fois en pareil cas, a Brest et a Anvers, par cxemple,
poursuivit et frappa les défenseurs, les j urés, les juges
lnemes!.


Ayant employé l'arbit1'ai1'e contre quiconque lni
résistait, il en vint a traiter de memo en ennemi qui-
conqne lui déplaisait.


Au débllt du Consulat, des classes entieros de ei-
toyens se trouvaient ho1's la lai. La poliee pOllvait dis-
poser d'eux, et en général elle le faisait sans rigueur 2.
-'Iais on s'hahitna ainsi 11 la voir disposer de tOllt le
monde : et eomme en définiti ve elle était maitn'sse
d'arreter qui elle voulait 3, on ne s'étonna pas qn'elle
exilat hol's de leul's foyers, qu'elle relf>gutJ.t loin de
Paris et tint sons sa surveillanee, tantót « une cin-
quantalne d'individus accolltumés a vivre de mouve-
ments révolutionnaires 4, )) tantót des Vendéens, des
émigrés, des parcnts u'émigrés 5, des habitants uu fau-
bourg Saint-Gel'main, parce qu'au faubourg SainL-
Germain on tenait de mauvais propos o; tantot tel f!IJ-


-----_._------


1. (""'1'1'.1'/1.) t. \'1,1" ¡:il\; t. YII, [l. ;,,00; l. IX, ]l. :n, t. XIII,
p. 1:20, \'[1~llZ ni: :,.¡ l'aIT¡',tI'· di'" (,ou~ld~ du ~:1 ¡¡yril JRO:!, et JI', d'uatn:-;-
t",,,,,tlü' ]llI1II' ""'''.'1' j" dé .. i,illll ¡JI! jllt': d'"'I1\f'1", juillpt l~¡;¡. 31. Thil~r~,
l. XYI, [iy. XLIX,
~. M. TI,i,'r,) l. 1, ji\'. Ir; l. lI, lil. VI, el t. 111, liI. XII'.
::. CIH1i--titlltinll dt· ]";Ill \TIII. (tl'lil'lf' !j.ji, (~oIllIJill(\ :rrer le :-:éllatn~-l'oll-


"tile de 1'"" XII, ;II,ti,~I" f111. . .
,. COI·"'!"!I.,:¡ ,,,ril lROO, l. \'1, JI. 2(j7.
:i, ¡/,fd .• t. \'1, p. íj!l~; t. LX, ji. :il,~, t. XliI, ". 81.
,¡o J.lIellwt:I''--'.~· da dw: (1(, UlJn/,r¡(j, t. 1\'-, chapo xxx.




2:;2 L1VH«; SECOi'iD.


néral parco qu'il avait été l'ami de Moreau!, tel autre
paree qu'il pouvait « étre mécontent 2; » tantót un vieux
magistrat devenu écrivain public, paree qu 'i! était « mal
intentionné 3. ))


Les femmes n'étaient pas plus épargnées que les
hommes. Si madame de Stael s'était contentée d'écrire,
il aurait suffi de proscrire ses livres; mais elle cau-
sait, il fallut proscrire sa personne. Aucune affaire
no parait avoir plus occupé Napoléon que sa guerre
contre la filIe de l\L Necke1' 1. La belle et inoffen-
sive madame Récamie1' fut exilée, aussi bien que le "e1'-
tueux l\lathieu de Jlontmo1'ency, pour etre alié e voír
madame de StaOl dans Sll re traite 5; la spirituelle ma-
dame de Chevreuse, pum a"oir refusé une place de dame
d'honneur on, comme elle le dit elle-meme, de geo-
liere aupros des princesses d'Espagne a ValencaylJ;


1. (·nI'N"p.,t.XI;p.ll~"¡ ;!;II.
~. ni,/., t .• X\', 11. nI.
:i. [IJirl., t. \1 \, ]'. (j~r;.
L II (-'·~t Yl':\illlCllt l'lE'l(\!l:" Ik l'flk·\t,l' dilll~ la (~(H'I'(':-'l'0lld;lllC¡'~ de X;lPll-
l(~Oll ler I'omhi¡'!l de I'lli" i! e·,t CJ1te~til'll ti!' rnadarnn de Stai'>l pÚUf l't>Ill-


Ik. l'ari', 1. \"111, 11. 2:j~; 1.1.\:, p. 1/." ¡;;¡J'ri\l:r:
rril11m e· ('c,lk~ d'lllI "i:-:eau de m;lIly;¡i:::. !lll¡.2:l1re: (t tJrI¡jnlli'~


« Mó le ~i~n;¡l 11" 11"\'11[11" t,·",1I)11.'. " :1 nr:toIJl'" lSI]:), t. XI r, IJ. (ji 1.
« Elh .. , s·e.;t l'appr{Jc1H"!~ du Pari;.: lll;I!:~'i'/' me:: ('l'dl'e:~. C'l':-:t llll/j H!ritahle
« 1'1,:"'1(, ..... ,h~ me Y\'lTai f"t'I:l\ .11' l:t f;lir(J \'llkH'l' par la ¡_'TlldaJ'meJ'il'.
«( Ayt'z r\cil ~lll' lklljilllliu C(JII~;[;Ull. .•.•• It~ lll' YL'Il\ l'iL'll ~(llllrril' df-' cette
« dilIUC', .ie ue \C,,\ !,c,iul I¡u'jb j'il~".'llt de prr.rsl"hte" el 'Iu'ib lIl'expo-
« ocul il fra]ljlel' de 1,IJn,' "itrlY"Il:'. )) T. XI', p. ~:;~ ..t 2i;~.


:i. f)i,J~ wlw!es d'e.!;,}, 01lyrap'(', P(!~tll11111e de madamc la uarOllue de
Stai']) pllll~i(~ 11ill' :,-ull ti!:"') ::('(~¡Jl\I1c Cllil{l. IY.


r.. J["I/wil'es da Ju'; de ¡¡oci.'}o, l. . ..lwp. l.




L' E~ll' 1I1 lO.


madame de Balbi pour ayoirrcgu un érnigré \ la belle-
mere du générall\Ioreau a cause de son gendre 2, des
femmcs obscures pour avoir ({ col porté de mauvais
bruits 3. » Muis l'exil meme était une grace. La corres-
pondance de Napoléon contient constamment des 01'-
dres d'arrestution sans mise en jug(~ment \ et ce fut
pour détenir ceux de ses sujets qu'il n'était ({ convc-
nable ni de traduire devant les tribuu:lux, ni de metlre
en liberté, » que l'empereur et roi institua en 18fO
six prisons d' Étut 5. Ce décl'et, rellllu la memo al1Ilée
que celui qui établit la censure, ne produisit pas plus
d'émotion : l'un comme l'autre ne faisaienL que con-
sacrer un état de cboses antérieur.


On pouvait di re memc que le décret sur les prisons
d'État régularisait les détentions arbitraires et m6na-
geait aux prisonniers quelqlles garanties, non pas
contre la raisoIl d'État, muis contre les persécutions et
les vengeanccs privécs des fonctionnaires. D'ailleurs,
cet emprisonnement meme n'!':Lait-il pas encore une
grace? Le::; hommes qll'il dérobait a la justice ('taient
rcprésentés C011lt110 ayant mérité la mort 6.


1. CO¡'N"li., t. XIII, ]1.87.
2. !I)/lI., l. JX, ]J. (iJL
:L nid., t. IX, p."4~J; t. XIII, p. 87, el t. X\', or,lre uu ~ juin 1801.
1,. [/¡id., t. \"1, p. ¡:jO; L. \"\1, \l. 1:1, "'!(¡" :¡n\>; t. \"\\1, p. \\ll, t,\j:j,


:;:Uj lo IX, ]l. ill:i, Hit; t. X, JI. (J; l. X!, p. lJ~; t. XILJ, p. (iI,O.
:i. f)r'crel dlt :l Ill<ll'" 1~1(1.
'i. TI~\ll' ,[(':-:" r'(fll:~idl"J':\llt~ dl¡ d('~cret.




LIVHE ::lECOND.


En l'éalité, qu'étaient-ils et qu'avaient-ils fait? S'il
faut en croírc les apologías dictócs 11 Sainte-Hélene t,
c'étaient d'abord quelques brigands couverts de cri-
mes, que les jurés effrayés avaient acquittés pour
échapper a la vengeance de leur" bandes : puis, a cóté
d'eux, soumis a un traitement pareil, quclques émi-
grés, des chouans, accusé::; a tort ou a raison de con5-
piration tardi ve; c'étaient aussi des Espagnols, des
Italicns, des Allcmands, coupables de n'avoil' pas ac-
cepté che¿ cux la domínation étrangere, ou seulcment
d'avoir refusé de la servir. Le canlinal Pacca trouva
a Fenestrelles un noble Romain dont le crime consis-
tait i.L n'avoir pas envoyé son fils duns un lycée fran-
¡¡ais ~. C'étaient enfin et surtout des ecclésiastiques:J.
Vers 1802, OIl avait arreté les pretrc::i rebelles au Con-


L iIJhl1nli'P,? d~ ;'"¡¡pol,jan, t. 1, ecril pür le général comte ue Mon,
tholon, ~0tes eL 111?Lmges. Si,;it~'me note :-'Ul' l'ouVfil!2;e intit\llé. les quatre
C'J/tcl))'{lllfs. Yovez élu;oi ,lallo lE' tome YIU Ul" OEuvI'e6 de :\1. <le T",,-
<.jueYille, éditi011 o ]lOotllllll1ll et compliete, ,a cOllver,qtioll awc Ull anciell
cuu6ei!lcr d'Etat sur les pri,ouo ,rEtat.


2. JIéIllO¿"f.'8 r/I( I,'{fN!iiifll Pncclf, troisi"ll1o p.1rtie, chapo IV. JI faut
comuller toute cetle portion di" Memnir,'s dn cardiual PaCCR ¡JOur CUll-
uüitre le régillle ,les prisons d'État ,IIlIS rEmpirc el le g'cure de pcr;ollnc,
<.jui y ólaielll cllfermees.


3. L'abbé de Pr,,,,]t estiuJe a liOO le nombre Jc.' I'r0trcs a!Tetés . .:\ü-
polt'lon affirme qu'il n\ en a eu l{Ue J:j retr~llIlS ¡JiU' :-:uile de:-:: tli:-:sen~ioll"
aVt~C ROlnf:'. (Jlétlloz>cs de _Vapu{(iull, lIJe. cit.) Le canlilllll Paecil) depui:-:
le mois d'aoút lR09 jn>flu'au moi, de jamicl' lSl:l, a cunuu b d,"tenliOlI
a Fenestrelle~) oü iI ~tll.it eUfCrIllG lui-nl(~ltH~, de Villg't-ciwl cl~dl~~ia~til!lle:-:.
11 l'emal'qu(~ qu)¡'i. 81)n arl'iyú::: i1 .Y eH ay:tit an ln:':-:.-pdit llult!lJrc, el que
phi' tanl ib formaient la moiti,; des I'ri'Ollllier,. íJ'lélUd il "JI,tit d,' la
flll'kl'l':-:~I-'. dix-llP-llf Pl'(~tl'¡':-' ~. f"lnipllt ('¡¡eo!'!' . .fJf¡illloi/,ps. Inl'. ('it.)




¡:~;~IPIRE.


cordat!. A partir de 1809, on enferma ceux quí étaient
sOllpgonnés de correspondre avec le pape 2. Ln pl'J-
dicateur, dont le sermon avait déplu, fut meme, sur
l'ordre expres de ~apoléon, jeté dans une maisoll Je
fous : le cardinal Fcsch eut quclquc peine a l'en tirer 3.


En définitive il n'était pus de cla~c'e, il u'était pas de
condition assez haute ou assez humble pour échapper
aux nouvellcs lettres de cachet. Seulemellt, l'elIlpercur
tombé et son dernier ministre de la police ont soutenu
qu'en fait le nomhre des personnes ainsi détenues a
divel's titre~ était peu considérable. 11 y en avait envi-
ron cinq ou six cen!'s, ont-ils dit, dans toute rélendue
Je l' cm pire 4. II n 'y a gllere moyen de vérifier cette allé-
gation. i\his il est vrai que le~ mesures de ce genre
peuvent effraye¡' et menacor tout le monde en n'attei-
gnant tia et la que quelques individus.


Ce qui frappa inévitablement et sans exception toutes
les familles, ce fut la conscril)tiuu. Il me semble diffi-
ciIe de contester que l'usage faít par l\'apol(:un de la
con~cl'iptiuu ait déiruít dan:; son Empire tuute liberté
civile, c'est-ll-dire toutc faculté pour les citoyens de dis-


l. 1'0/'/';'\'1"'1,. "I]J, p. UJi, I,¡;:); t. IX, p .. ¡O:j, 4(j1.
:2. Jl/!/fu,¡""t!\' dI{ /111" de j{1)/;ifJo, t. Y, chapo \·ll.-jlJ(!lnrJiJ'(~s da ClU'-


,I//{a! }JO('I:(1; {IV:. cit.- ,Ti,..' {lit i"(/.j>dilutl r!',fsf)'{),', pHI' l{~ Pi'n~ Cal1R~;,ettp,
IlI'cmi,' r", Jietrti,', XI, XII, XIII.


:l. p" pi,:]'s dn cardiml FC"cJl.
}. il1JrllUil'f!s de lVaputéon,! l. J, Si\lCIllC note SIll' l'oU\Ta¡;C de~ Quat]"'('


('rl/v;o)'(lo!.,,', - Jft;,jJfJi)'('s di! rlU{' dr: l{ovi;¡o, t. IV, chapo xxxr.




2J(j LlVllE SECu;,; O.


poser de lem pl'Opre personne et de régler eux-memes
lenr sort. Nous examineroIls plus loin quel parti Napo-
160n a tiré de sa force militairc contre l'Europe. Nous
avons a rechercher maintenant quelIe eharge l'entre-
tien de cette force écrasante a fail peser sur la popula-
tion frangaise.


Au temps de l'ancien régime, le recrutement an-
nuel de l'armée de terre était de qllarante mille
hommes, sur lesquels l'enrólnment volontaire donnait
dix-huit mille et l'enrólement forcé vingt-deux mille
soldats. Ni l'uIl ni l'autre n'étaient exempts d'abus.
D'un cóté l'embauchage et les raccoleurs, de l'autre
des exemptions et des inégalités choquantes, les avaient
discrédités tous deux qllünd la Révolution éclatet .. \laís
enfin, sur quinze hommes en état de servir un seul
allait alors au régiment, sur vingt-cinq sournis au ti-
rage un seul était forcé de partir 1.


A l'ancienne armée désorganisée la Révolution
substitua, pour la défense du territoire envahi, des
levées en mas ses destinées a comprendre tous les Fran-
Qais capables de porter les armes. Apres le premier
éJan des volontaires en 1792, la Convention requit en
fi!)7 tous les citoyüns non mariés de dix-huit a vingt-


1. Jlisronrs pronond p"r J);¡l'1l, orilleu!' dI! Triblln;¡t, oey;¡nt le Corp;
le[!;i~latif. S~illlce dn ::8 110,',"al ;111 X. B1H'ill'!. H n'ill\, t. XXXVII!.
p. UG.




L'EMPIRE,


cinq ans. La loi n'admettait aucune exception ; mais le
désordre admillistratif de cette époque laissa échapper
environ la moitié des hommes sDumis a la réquisition.
Toutefois en huit [lns, de 1792 a 1800, de la déclara-
tion de Pilnitz a la paix de Lunéville, il avait passé
sous les drapeaux, pour couvrir nos frontieres, un mil-
lion d'hommes l.


La conscription de l'Empire, slIccédant aux réquisi-
tions de la Convention, soumit également au serviee
tDUS lcs citoyens qui atteignaient vingt ans; mai~ elle
nc les appela pas tDUS a la fois. Un tirage al! sort, avec
faculté de remplaeement, détermina ehaque année ccux
qlli partiraient les premiers, 80,000 ordinairement sur
200,000 2• Seulement, ceux qui ne partaient pas n'é-
taient point libérés; ils pouvaicnt el re repris plus
tard; et, tant que l'Empire dura, il y eut sur les cons-
eriptions antérieures de ces relOllrs dont les homme~
mariés senls se préserverent. De plus, et des le début
de l'Empile, l'emperCllI', HOH content de retourner
en arriare, devan0a les appels, s'empara des J80~
oe la conseription de 1806, comme il devait en 1808
le ver eeHe de 1810, en 1812 devanen ecHe de 181:1,


1. ¡Md., 1'. !,~, it 1,800 t> tli,COllJ'> /,;1 IIll Imilé c(lml'l~t ti" la '111/"'-
tion~ .rell ili tift~ lH l'll\~ g'¡';IlHlí~ )I;-util' df~ l'PIl~pi¡!llel1lPllf~ qne ,ir r1nllw-~
if',¡ ~u!' l{~ I'PCl'uteIlleut, t't, ~\ f'IJl11' ~úr., 1'IliH"~ it crtte :,out'ce il~. ue sout pa,,;:
:-:ll~}lef't~.
~o J)'H'llllll'lIl, "ollll'j¡"rnl'ulairl',' " l1Iistl)¡'¡'(! 1'Ill'lelilelltail'eo Étill de,


"oll"'ril'tinw 1"\,/",, '''1'' n:mpirr" lJ"dllcl. /·t I1UU,\, lo XXXIX, p. ,)200
1,




LIVRE SECO;'llD.


en 1813 reeourir a eelle de 1814 l. Ainsi, soit a,'ant,
soit apres vingt ans, nul homme n'était a l'abri de la
eonseri ption : elle ne eessait do monacer ceux· qu'elle
ne saisissait pas, et comme d'ailleurs l'impót du sang
n'était plus voté par les représentants de la natíon, et
que le gouvernoment se faisait donner par le Sénat tO!!';
les contingents qu'il lui plaisait d'exiger\ il n'était
personne arrivant alors 11 la jeu nesse q ni put ombras-
ser avec sécurité aucune profession, pOUl'suivre all-
cune calTiere civilo, porsonno qui ne fút ausolumcut
sous la main du maitre pom servir d'instrument a ses
plus lointaines et plus gratuitos conquetes.


Cependant des exigences sans regle n'étaicnt pas
faites pour J"encontrer uno obéi~sLlllce rrguliere. POLlr
y échapper, tout moyen scmblait bono La conscription
ne rendait pas ce qu'elle devait donner. Des 1804, sur
82,000 conscrits appelés, 64,000 seuloment arrivaiellt
a l'armée, ot sur ces 64,000, 14,000 dóserlaient 3 • En
1807, sur 160,000 appelés, 52,000 étaient en retard".
Cette charge de la conscriptioll n'élait pas sculcment
excessive, elle était ínégale et arbitrairel1lent répal'tie.
Tantót ccrtains départements étaieut mr\nagés, parcf'


1. BllChez et HOll', t. XXXIX, 1'. ;;2li, el :\1. Tl¡jl~r" 1. YI, liv. XX[j:
t. IX, liy. XXXiI; t. XV, Jiy. -'LI[[.


2. :\1. Thiers, t. \el, ¡¡Y. -'-'1I. Burllf"z "1 nl>1I\, !. XXXIX, p. la!).
3. CUI "!"e.ljJ., t. X, ]l. :10.
4. l/o·'¡.,!. XV. ~l "YI"ill~lJl.




L'EMPIRE. 259


qu'on les redoutait i; eertains autres épUlses, paree
qu'on attendait davantage de leur élan ou plutót de
leur doeilité 2 ; tantót le gomernement sévissait. Des
eolonnes mobiles {~taient laneées a la ehasse des réfr3.e-
taires, des garnisaires établis ehez leurs parents a. En
18B, eette poursuite dirigée en tout sens et sur toute
la face de la France fournit 60,000 soldats i •


Il semble qu'ainsi appliquée, la loi de la conserip-
tion devait etre a la fois assez dastique et assez effieace
pour suffire a Napoléon. Il n'en fut rien. 11 inventa
encore d'autres moyens de saisir des homme~. En
1809, il avait \oulu profiter d'une descente des An-
glais pour faire marcher aux frontieres la garde na-
tionale tenue en réserve pOllr la dérense du territoire;
mais les Anglais s'étaicat trop promptement rembar-
qués". Ce fut seulement en 18i2 que 100,000 gardes
natíonaux, 100,000 jeunes gens de vingt a vingt-six
ans qui venaient d'échapper a la conscription, forme-
rent des cohortes, et en J 813 passerent la frontierr
aussi bien que les régimcnis ¡;.


1. Clon,,]!., t. XI, p. 1,36 et .\:Ji.
2. Aoút el octolJre 181:3. Docllmenls cOll1plémclltaircs a l'HidoÍl'I' /,fl/'-
lr:lIl1~lItail'e. Duehcz el Huux, t. XXXIX, p. 32i et 528.


:l. Decrets dll :; avril1811 II dll 22 Lléceml.,rA 1812.
1,. Ilis/oire da COI/sula/ el d" l'E,u)!i)'", t. XLII, p. 1!J:l.
;j. lbid., t. XI, liv. XXXVI.
Ii. Seualu,-eunslIlle <lu 1:3 mal', 1812 l'l ,Iu tl ,janyier 1813. Hi.,.tulI'"


/illrle¡¡¡eillllú"', t. XXXIX, p. :3:jl, et J)ocuments COJIlplelllCnlaire" Ji. ~:n,
('l l/is/ui!'" ;/" [,,,,,,,/,,1 pi di' /'EIII¡Ji¡'I'. t. XV, liy. XL\"1[.




LIYRE SECO~D.


Cependant quelques fils de familles riches s'étaient-
ils, a force d'argent, rache tés de la conscl iptioll et des
cohortes? étaient-ils méme capables de s'r súustl'ail'e
quand ils auraient vingt ans? toute exemption tourmen-
tait Napoléon comme un vol fait ü sa puissance. lm-
patient de reprendre son birn partout, el! 1809, il
alla recruter dan s cette catégorie pell llomureuse ses
écoles militaires, et des adolcscents fureut til'és des ly-
cées oil ils achevaientleurs Mudes, desjeunes gens furent
appelés des ch&teaux oil ib yivaieIlt ü l'écart, puur rece-
voir malgré eux quelque chose des priviléges de l'an-
cien régime; on leur imposa de force l'épaulette. «( Si
« l'on fait quelque ubjectiun, arait écrit Kapuléull en
« donnal1t cel ordre, il n'r a pa~ ¡]'autre réponse
« a faire, sinon que cela est mon bon plaisir l. J)


En 1813 enfin, il enrola toute ceite jcunesse dans
le~ gardes d'honaeur. Elle luí fournit 10,000 ,0\-
dats ~.


En résumé, l'Empire, en huit années, de 180!) it
1813, a appelé UllX armes plus de 2 millions d'homIlles;¡.
Si done l'on examine la sél'ie (le llJeSlll'es pl'i~('s dUl'ant


!loll-;.
~. nllCllmE'lll~~ dl'j,'t l·i~~;-:. :¡ íI\rj] ¡SI:). lIi·,(r,/", ((11 C(¡l!."ldol 1,1 ti,·


I'Hllljliri!., l. XY, Ji\. XL\JI.
::. TtJtlll df':, hOlllllll':, llli~ it la rli:-:IHJ:--itillll dll gOllYt'J'lWlllt'llL ¡¡,ti' le St'--


nat rlp.pui:,- 1t~ moi:, di~ ;-;epfp,ln]J/,¡' L"W:i .iil~qll·nil l.'; 1I11\1'I!lJH"~ 1.')1:: :
~.' t03,001l, I )"I'Uill"Jlt, '¡;,¡il ,'itl""




/,'''-'IPIHE. 261


celte période pour reeruter l'armée, OIl n'imagine
gllere eomment un homme, ayant eu vingt ans rlans eet
intervalIe, allrait pu y échapper; et si, d'autre part,
on tient eompte du chiffre total des appel:; sllccessifs, on
reconnalt, en cffet, que la génération pürvenant a cette
époqlle a la jeunesse a Áté tout entiere et sans partage
réclamée pour servir. Si l'on se souvient, de plus, que
eet enrólement ulliversel était néanmoins arbitraire et
caprieiellx; qu'employé a des eonquetes san s motif et
sans bornes, et non ala défense légitime d'un territoire
limité, il vOllait les hornmes ou a la mort OH a la
gllerre sans tprme; si I'on ~e l'eprésente, enfin, en
¡Ilrine r,ivili~ation, tout trav:Jil, depuis la culture de la
terre jusqu'aux professions libérales, impitoyablement
sacrifió au déyorant entretien OH a l'insatiable accrois-
sement de la seulo f'Jrce rnilitaire, et tous les Frangais,
a mesure qu'ib devicnnent rles hornrnes, ehangés en
soldats; je pensé qu'on cessera de rechercher quelle li-
bertó civile a subsistó sous le premier Empíre.




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I
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CHAPITRE ID


L'Empire et l'Église.


1. Le Concordato -11. Le ,acre. -1II. Demelé, avec le pape; Pie VII
a Savollc. - IV. Dúnelé. avcc le clergé; le COllcile de 1811,
- V. Pie VII it FOlltaillebleau.


La plus haute puissanee morale qui soit au monde,
1'1~glise eatholique, a été pom Napoléon un objet
d'abord de respeet, bientót de défianee, ellfin de jalousie
tyr;lI1nique. Tandis qu'il oubliait beaucoup de eh oses
qui ne sont pas sans actioll pourtant sur le eClmr des
peuples, il s'est eonstamment oceupé d'eIle, tantót
pour s'en servir, tantót pour l'asservir.


Les affaires religieuses tiennent done une place eon-
sidérable dans les archives de l'Empire. Mais elles y




LIVHE SECOND.


::;ont plus que d'autres travesties et tronquées. En ces-
sant d'etre juste envers l'Église, Kapoléon, en effet,
cessa d'etre sincere, et dan s un conflit que la force
ne suffisait pas a trancher, il tourna, nous le constate- '
rons bientOt, tonte sa pui"same, il employa toutes
ses ressources a se tromper lui-meme l: Ü tromper les
autres.


Ponr connaltre dans leur intégrité les rapports de
l'Église et de l'État sons l'Empire, il ne suffit donc pas
cl'interroger les papiers d'État de l'Empire, il fallt con-
tróler les informations impériales par les témoignages
et Jes documenls ecclpsiastiqlles, et faire jaillir soit ne
la conformité, soit de la contradiction de ces sources
diverses, la vérité complete. Le momen! me parait venll
de l'essayer t •


J. Ll selnble, eH (lffet, tIlle cp;;:. ~úurce5 divel'SC8 ;-;üut nlaill~ellant ji notl'f'
,li'po,iti<lll. Par .\1. Thier" 11011, crm11ai"on, le, pal'ier, ,rEtat ,le lTllI-
pire, et ll1elne UllC !Jarti(', lllai;-; ulle partie :-euJt.nlPllt, de~ duclIlneul:-, l:cck--
-.ia~tillllr:, : l~rtt' la ('Ol'l'(-,iP()wl{lllCI~ 11(, nl(¡n~ip'Ij()1' Spin:¡ ( .. t fin r'¡¡l'rlillal Ca-
lJI'ara [-rn~l: le canlinal Cousalyi (~t ll~ PilPIl, {l~t. I't'~lt~p dl'I)(J:-:ljr~ daus llIJ:-:
;¡I'(:hin's;ut lllOlilt'ltt dt-' la ruptuJ'{' dI..' ::\"HIHdl"111l ayp(' Pico YII. i'I. ThiI'J':~,
t. IU, p. 2:31.) Mallleml'll,emf'Ilt, I!;Ul, la ,nite ,111 IÚ'il, ep;dormnent,
r'eclt:sia:-;liq1U~~ unt fait d?Jaut h 1'1li~bJl'il:1l ele l'Empil'e. 11 a cllllttlllle iI iTl-
Ipl'l'og'pr nuiqn"l1Lent 1(·~ pilpipI':' ¡J"Eta1 im!l('riaux, et l('~ l'f·ll~pi!..nlPmellt:-:
'In'il en a tire, yiennent Irell't' f'UYl1l']"'l,';' el C"IlUrtn", l"u'la ('OiTe.\'ji''''-
dll,,¡;c dI' Xaj,olJO¡i ler, IJtlblió" actllelknll'ut jn,,]n',," :1I jnillet I~JO.


\-oíd lllailltplltlllt le:-; ~Oll1'ce~ oh 11011;-; \lYou:--:. [lll ¡mi:,!'I' 1111 dJlf~ de rl~>
!-!,li~(~ d fill f'a.illt-:,.i{'~!!·P. Ce :-:Ollt, J o les }1(',rtll)Ín:s de .... den\: min¡~tl'~':-:' ¡jr
Pi" \'11, le ('al',linal COll;ahi el le ,'¡""lin,,1 Pal'f'ili 1" IIl'Pllli<'l', '111; a <lirigi·
t,¡lilte:-: les llé,~!:O('ÍíltiOllS jnsl]u'it la l'lIptnl'P ~ le ~('t'nlld, I¡ui a a:-:~i:-:.V, 1(' palJf'
r!1~,}Jui~~ la ruptlll'C' ju:-:qll'ú lil captiyit? :!o \f)I1~ ;-¡YOllS ¡Jú ;'1 la ("J1l11:tJWI:'
di- ~I. l~archeypqne d'Albi) ;-lUtellr ¡J'IllJe hi~t()il'e da cardinal Fp:-:t'h, cnIrL··
lIL\lIlicatioll lk,< papiel':-: illprlib de f't-' (,ill'diual. qlli fllt IlIilli:-:tn' ,¡ .... Fl'ilIlCt'




1,' E ~II' lit ~:,


L'histuil'e mililaire et l'hisloirc: auministrative de
l'Ell1l'ire SOllt faites; ]'bistui, e politiqlle doit etrc com-
plétóc a cerlains égal'ds, ¡mis ne sera pas refaite ;'l'his-
¡oire religicLlse scule es! peut-ptre en cure ü faire, Jc
í'ollClrais ]' {>ballchcr,


(1 llome dI' 180:1 ;', J BOG, "1 rl',la 11' ,ú'ítilbll' r]",rf'~ '¡'affaíl'e,; I]~ J'É~lí'l'
dI' Franl'c illlpri', ,J" l'~m[lljrellr, et l'amba,;,adellr dI' l'emperelll' "11]11'1'.,
de ]' E~'lí,e ;', IJell jlri, Lllll l¡tll; ,lma l'Empíre, l:ne corrp,ponrla,llee rft.
""pO],'-'"1 el dll ,'ardilla] F",,'b, Ile t80~ a 1810, a ete publiee pal' ,1. ])11
{:ll:-:;-:P-, en tt\ll~ dE> ;':ilIl llis{ü"ú'c des tlégociafiults rli¡jtomatüjlu's )'cfrlfú:cs
OifY tl'oitlis (le JIOI,/iJidrtÚiP, rlP Lllllf.lcille f'1 rrJmif!'I.\'; l1lai" cctte conrtt ..
j'ljlTe~(lll(ldall(:I.~ t':-.l loill dp n'liLJdaC'pt' l(~:-: Y(ilumiIlf'll"X eL précicll~ papi(']':-,
q¡¡r' IHH1;-: :1\'O1}-- j'iltl:-:lIltt::-', d 111111:-: llP :-:;lllrioll~ ll'nwig'Ilt'l' tl'np de grati-
!tl¡Jf~ ;11l pn:'[:!t qni IlI)U~ :1 !1c/'mi:-: (ren fain' lIS;¡,!.!Y. :30 ~J. le ('(lIn1e IllIau:-;-
:-'4111\ iIle d¡"!J(llIille l:ll ce lllf.illl\'H1, aY('¡~ autallt de :-,ag:](~it{~ (pIe d'ex:tcti-
tnlle. les papiel's 1111 cardilla] Capl'iLJ'il, ll'gat. du :-:aiut-sip¡!f'. ;\ Paris apr(':;:
11' C()III~(IJ'dill. Il ll!ll¡:-:. eH ,1 ¡}("jú liyré le:-:. ~ecrl't:-:. depui~ le COIlcordat jns-
qll';lll =,,1el'p, !'t a llli~ :-:'UI'fOllt (~ll !llmi¡'..r(' ll'~ prnllrlp~ difficultós que süu-
Ini'l'ellt, IlU\ItlI' "[Iris ¡,. COllcordat, J¡, dlablisH:nwnt dll eu]te et la no-
lIlillatioIl de:>! JtOllY(>.1.U \ f"n~(lll!::--. UV~/)/U) r/ps Deu,j' Jlolule'~'J 1 ~r it'iTil et
1"" mai 18(;:;,1 ,'r ~"]llml'¡J1'e pI 1 er tlfceml,,'e 18ü6, el 15 janvier 1 Rüi ,)
TOllt ami tll' l:t yél'itt', Itisulríqull tloil sCJuhaitel' ,¡ue :\1. rl'I-!an"omillc ponr-
:-'Ili\"e lJI'oHll'lpHlellt :-'1)11 (:lIricll'{ ('t 11lstl'llCtif r(~eit, ([ni, prohrtblenwut, ~'f~ll­
'¡"bil'il 1111 pell I'hb l"iu de, p"IJiel" ,le l'e\'l\¡lIe de Gallll, M, de Brog'lie,
,I\llIl le COr/'P''PlJilr!fllll a ¡fl\jit ¡fIlHlI? qlldljlle ellIN' (dI' f'Inl'/itl/tinn des
f'/·I~'{¡tU!.r;;, mOl!':>! 18(ji). 'fO .rai í'llr()/'(' í'()lI:-:11¡tl~ h.l~ J¡io~Ta[Jhies pllbli?e~ ~1l1'
~f·'; Pl'illl'ipílll\ IWl'.;rllltl:q.!I':~ (\¡;c1/::,i:l:-:tiIJIH'~ di> ('dtp lti:'tnil'e : a\'dllt t011t, ]i)
IT/I' d,' j)¡'¡' ~'¡f, 1);11' 11' ('l!pyalil'J' .\I'Lilld dI' :\'outOl', :,prl'¿tilire rl'aIllLa"sade


,'1 BI)IIU' :-1)11:-:. .'1. C;¡('dlllt 1'1 ](.1 ['í{nlillid F(':-,ch) ullyr;l;.!p f,'lihlenwIll úTil,
)Jlíli:-:. J'!'IllJlli df' d(wUIIll'lIl:-:. pn"¡~iCll\; d pl¡¡:o:.i('lI1';-; lt()tice~ dn nleme ltlllcllJ
dall:-: Id Uiu,r¡¡'f!jJhie "tl/clw/lrI, :':lll' le;.: ('(jl'diuallx CUllsalvi; di Pid.l'o) pk.;
!a l';" dI' JI. h'I)lI""j, 1"11' lIU 1'1',\1 "" d,~ S'I ¡11f -Sllll'ic.p; l' Jfist/¡¡','c d/l cn)'-
¡fin"t F/'('sll el I'lIi"loi,.,' dI.' ,llg r J)aui(J/I, l,al';\1. l'ablle LyllllllPI (alor,
!.!I,ítlld ,,¡('¡lin·:'1 L~'Hn, ;1l1jolll'll'Illli :lI'c1l1>\-':'lllw ¡j"';-\J[,j); la J'ic da ('ardillol
,/',1,11'1/-',1'''1' 1,. Pi,l'(' C"ll,,,'tlr:; 1" ¡'¡'p dI! c"nfillol Mm(l'.'), par lI. POll-
jOlllat; (,Illill j(\..:, J[('¡)U'/I'f"i ¡,Olll' .\'1),'/'1·" fl f'11/~·to/J'e f'tclé.viostir¡ue (p,1r
,1. P¡(>oL). pi lt,~ Jf¡:tJlo/)'{'S hisffJ!'ü¡ues SIl!' le.", rr!pn:,,('\· ecclésinstiquf?s de
FI'Ullce ¡d!/ldfnd /I'\' IJJ,'eIJÚ//'('S tl/ulé/'.)' dN XlXe SÜ~G{f? (l'rtl' 1\1. .Jauffl'í-'L
:lllditl~ur ,111 r('III:-:.(,il rI'Et~ü. ;dlilI'lU! all Illini:-;t('l'{-, dps l~nltp.;-:. et frl're d'1Il1
!lT<-tllrl yil'ail'(, di' la ~'I':Hl;I(~ ;llll1H'llIPl'i(~, ([ni dp'i'int f'Il~Hih' ~YeqllP d(·
~[('lz).




:2li¡; L1V1H~ ~ECOl'ill.


Le 20 juin i80i, la COlll' qui cummengait a se t'unlJct
autour du premier consul venait d'assister a une
grande parade militaire, lorsqll'elle vit tout a CUllp le
ministre des affaire s étrangeres, 1\1. de Talleyrand)
introdllire un cardinal aupres du vaillq llellr de }larengo.
Dans cette France OU JéslIs-Christ venait d'étre renié,
ÜU Pie VI était mort deux années auparavant prison-
nier; ou l'épiscopat et le clergé, décimés, proscrits,
dépouillés, avaient disparu; ou les vieilles Églises
baties par les générations fideles en l'honncur de
Dieu, de la Vierge et des Saints, étaient dédiées a la
Jellnesse, a la Vieillesse, a l'AboIldance, aux Jardins
et allX autres divinités inventées par la Convelltion,
l'arrivée soudaine et solennelle d'lln représentant du
saint-siége n'était pas une des moindres surprises
ménagées par le premier consul a la nation qu'il VOll-
lait alors éblouir, guérir et subjuguer. Et de son cótó,
ce cardinal en face de la fUlllc durée des hommes nou-
veaLlX, sénateurs, tribul1s, généraux, issus de la fiévo-
lution, parmi les envoyés de la "ieille Europe qui COlll-




/,'EMPIRE. 267


meIlt;laient a vec un mélange de curiosité, de crainte et
d'admiration, a rovenir aux Tuileries, ce cardinal pou-
vait, a meilleur droit sans daute que le doge de Génes
devant Louis XIV, s'écriel': ({ Ce qui m'étonne le plus
iei, e'est de m'y voirl»


Son étonnemcnt, en effet, était extreme et touchait
a l'effroi. Accouru a la hate pour renouer une négo-
eiation rompue aRome, il avait écrit au moment de se
mettre en rout!') I : « Le bien de la religion vout uno
( victime, je vais voir le premier consul, je marche au
« martyre; la volonll~ de Dieu soit aeeomplie.» Une
indiscrétion diplomatique avait fait connaitre cctte
Jett1'o au premier consul, qui, sans ütre alors tenté de
faire des martyrs, s'était promis sans doute de profiter
de la peur qu'on avait de lui. A peine avait-il su le re-
présentant de Pie VII arrivé, qu'il avait voulu le
recevoir an milieu de tous les corps de I'État, et pour
le frapper davantage encore de l'éclat soudain de sa
naissante puissance, il avait ¡¡rescrit qn'on l'amenat
.iu~qu'illlli sans l'avol'tir do l'appareil théfitral de cette
premiere audience. Henrellsement il avait affaire a un
homme facile peut·etrc a émouvoir et a effrayer, mais
capable de domine!' son trouble et d'affronter, sans
perdre la tete, les périls memes et les obstacles qu'il
s'exagérait. « Je sais le motif de votre voyage en


t. VÚ; de pie VII, par le ehevalicr .~J'talld, t. T, Ch¿ip. 1\.




L1VHE SECONli,


« France, » llli dit Ronapartr d'un ton bref et Sélm
autre préambulc; « je VCllX que ]'on ouvre immédiate-
« ment les conférences, Je vou,; Iaisse cinq jours et je
« vous préviens que si, á I'expiration du cinquieme
{( jotIr, les négociations ne son t pas terminées, vous
« devrez retourner aRome, attendu que, quant tI moi,
« mon parti est pris dans une telle hypothese, ))


II s'agissait on rétablissement du clIlte catholiquc
en France! La conr de Rome et ses "lgents n'Átaient
pas habitués a cetle faljon de traiter. Consalvi ne se
déconcerta pas cependant; iI répondit qll'E:n effe!. il
espérait conclure le Concordat dans l'espace de temps
quedésirait le gouvernement fra!1ljais, Celte premiere
réponse disposa fa\orahlement lcjeune Yainqlleur, qui
voulait atteindre son but partont tllls"i rapidemE'Tlt qu!'
sur le champ de bataille; et nussitót, sur les dimcultés
de la réconciliation de la Fral\cA avec le saint-siógr,
un premier entretirn s'établit, engagé par ['homme de
~'llerre « avec une véhémence et une abonuaIlce i[]ex~
pri mables, sans colere toutefois, ni aureté r1an~ le lan-
gas'e, )) soutenu par l'homme d'Égli5e avec une résene
insinllante qui n'était pas sans fermctlJl.


La négnciation dura non pas cinq, mais vingt-cinq
jours, mena('lÍe chaquc jour apres le premier délai de


1, J/"lIíoiJ'e-\' rlrt Cfll',li,l(l[ CO"'''!I''', tradilit, pt )llliJlies par ~l. Cr;'[Í-
ne.111-.Jnly: lIJ()¡)2oire,,,' \j'/(}' Ir: Cott('(n'dfll, t. l.




L'E)IPIHE.


se rompre si elle ne s'aeheva:t pas imrnédiatement 1, et
le Concordat fut sigiló. 11 caUSil d'ahord une surprise
lllliversellc, il souleva ml~mc d'assez vifs murmure~
tout pres uu premie!' consul, pal'mi ses soldats, ses ló-
gistes, ses puhlicistes 2. Mais celui-ci les fit taire et la
reconmissance publique parla seulc. Elle vit dans I'au-
teur du Concordat le restaurateur de la religion meme,
et nc songea pas a se demander si eette religioll aurait
pu etre l'estaurée par d'aulres moyens et sur d'aulres
bases. Anjuurd'hui nous savons bcaucollp mieux que
les cOlltcmporains a travers qllellcs difficultés, au prix
de qllels efforts et de quels sacl'ífices fut cOlldue la paix
soudaine de la Franee I10llvelle avec l'Égli:;e; le secret
des négociations nous a été li\Té; nous connaissoIls
ilussi, par une expériencc déjü languc et singuliere-
mont Htriée, l'état de choses qui en est sorti; llOUS
pouvnl1S apprécier les motifs, le::; conuitions, les réSll 1-
tab du traité.


Tandis que cette cOIlvcntiull inaugurait 11 Paris le·
gOllrcrnement du premier cOllsul, elle ínallgllrait it
Rome lo pontificat Lle Pie VII. Ces deux hOIIlIl10S, •


l. Cardinal C()ll~alyi, i1h~/J/(¡¡I'(JS 'J'/l/' le C012c(¡J'dll/.
i. ~H. de Prc'~:-:\'Il:-:(j a J'.l~:-'(·lIIl)I\', QIIP1qll(':-, ff'\nJ(lig'Il(-jr:'e~ pt fllH-'l(ple:-; lll-


di l:C:' dI; ('1~'lill'l'(Jllt(~ld(,tll('llt qlJi ¡"cInta:tU C(ji'l'.":' ](")..!'L.:Lltif (·t au Tl'ilJullat t'l
f'1l Pl'O\oqlla p,'}Jlu'ulio/l (tA~,r¡lisf' ti lo Ut!1'ol/lfirJl/ t)'((n~u¿se, liy, IV.
l'!lap. u;. YlI,)t'Z all~~i CUI'J'L' ..... ·jJIIJU!l1ltCf' (Ir; ,V({}Jf){(!I)// f(Or, f. 1'11., p. :tj~.
fJt -'1. d·Hrtll~:-:i)ll\-illH. Hf'tI/P de .... ' .n'}II,1 llfulldf'S, 1 t'r d\:'cl'wIJl"e 18üll~ p. :¡:¡:,?
1:'1 ~Ili\.




LIVRE SECOl'lO,


sortis l'un du cloitre, l'antre des camps, semblaient
etre montés en méme temps all sommet de l'Église.et
de l'État pour traiter ensemble de l'avenir dn XIX" siecle
a son berceau. Bonaparte avait renversé le Directoire
le 9 novembre 1799; Pie VII avait été élll a la chaire
de Süinl-Pierre le 14 mars 1800, et le Coneordat fut
signé le 1!'i juillet 1801. Enfin le négociateur qui le si-
gna était l'homme meme qlli avait rait ,ílire Pie VIL


Ces cOlncidences saisissantes ont conduit les histu-
riens il penser que le sou venir d'unc prcmierc ren-
eontre cntre le cardinal Chiaramunti, éveql1e d'!mola,
et le génóral Bonaparte, illa tete de l'armóe d'ltalic,
n'avait pas ;>té étranger aLL choix dll nOllveau pape;
qll'on croyait des 101'5 ces deux hommcs disposés it
traiter elB~mble, et que l'espórance d'unc réconcilia-
tion entre Rome et la Franee avait déterminé le saerr
eollége 1.


e'est attribller aux hommes des vues qui n'ap-
partenaieut encore qu'a Oiell seu!. Si Consalvi, alors
,;imple secrétaire du conclave, rallia les suffragcs
SLlI' le nom encol'e obscur de Chiaramonti" ses mé4
nl0ires ne Iaissent pas sOllpgonner une pareille pré-
visiono Ce n'e~t pus dans cc but qu'il a pll Sl~ eUIl-
eeL'tel' avec le cardinal :\IaLlí'y, aussi pl'onollC'é cluns


,1. :\n(¡UlllllClll'\l, Artaud, 1"/1' dI' l'ie lB, l. L r:lrap. \', '>11,' \"[',i'ur
,',1 "diJplt'c par ~J. Thier" t. ]JI, li\" XJJ. ]1. 2~q.




L'EMPIRE. ~71


ce temps-lil contre toute transaction avec le nOll-
vea u gonvernement de la France, qu'il se montra plus
tard doci le it toutes ses exigences, et ce fut pourtant
_\Iaury qui le premier porta Pie VII. Les cardinaux
enfin ne regardaient pas am:si loin. Chassés de Rome
et dépOllillés par les révolutions, réunis dans une
He étroite it l'entrée des lagunes vénitiennes, sons la
r]omination de l'Autriche et la protection d'une fiotte
russe, ces vieux princes de l'Église, tranguillos dans
leur roi, immobiles dans lou1's habitudes, ne sem-
hlaient pas s'arercevoir qu'auLour d'eux tout était
changó; avec un singllliel' mélange de calme müjes-
tueux et d'insouciance sénile, ils perpétuaient, comme
si le navire sans pilote n'eút pas été baltu par la tem-
pete, les lenteurs, les rivalitós et les manrnuvres t1'a-
ditionnelIes des conclaves. Tant que durerent les di vi-
sions dll sacré collége, personne ne porta Chiaramonti.
Le jon1' ou les célrdinaux, mettant enfin lell1's devoirs
au-dessus de leurs préférences, résolurent do s'accOl'-
del' ensem1le, il fut accepté par tous; il fut aecepté
paree qu'il n'était hostile ¡¡ personne et que ses vertus
promettaient un pape exemplaire. Son élection n'eut
pas d'autre motif 1.


Élevé et longtemps cach(\ it l'ombre d'un cloitre,
renferrné e!1slIite dans son diocese d'Imola, il était
--- -- ~--- - - - ---- -- ~-------'-----




LlVRE SECO:-;LJ,


parvonu a l'age de ~oixante LllIS, étranger au monde
et aux affaires, peu connu dans Rome, ot sous h
pourpre humble, 5imple, ilTéprochablc. Son \isage,
a la foís angéliq ue et mortifié, p01'tai t le reflet de son
ame: ame candide et faeile ü émollvoir, r¡¡üllrellemcnl
moins forte que tcndre, mais détachéc et soutenuc par
une conscience austere. Sa santé meme l'cs50mblait it
:3011 carartcro : ['rompta a s'ébn;nlcr, ello devait rési~­
tor a dos SOCOLlsses eontinllelles.


Une senle foís íl s'étaít occupé de politíqlle : il a\ait
détourné ~rs díueésaílls do ';0 révolter contre le gou-
vernemont rópllblicllin établi ChCl OUX par la F!'aIlce~
11 la mito du traít:, de Tolenlino, el, dans l'instructioll
qll'il avait publiée a Cl" sujet, iI ost vrai que, dépassant
le but a attoindre, il avait manifl',.¡ló l'espoir al! moin~
prématuré alo1's que la démoeratie is~ue de hl H6volll-
tio" se rapprceherait de l'Évangile 1, Mais cet écrit, q ui
plus tard lui fut reprocbp, IIP l'aralt. pas ¡¡yoi" attiré
l'attentioIl du conclave.


La puissallce dont ses mcmoros croyaient aJors avoir
tout a attendre et beaucoup ü craindrc, eeHe quí a\ait
prétendu pescr su!' eux cl envers ql!i s'était éplliH'~e ¡eu!'
eondeseenddllee, ce [l'était pa5 la Franee, c'ótait l'All-
trieho, maitrl'~SC ¡'t ce motrlent de Vcnisc et de l'Italie,
En matiere plJlitiqlle, ib tlemantlrricnt clone 11l1ir¡llr~




L'EMPIRE. 273


ment au nouveau pape de nc pas dépendre de l'empe-
reur d' AlIemagne et de ne pas lui déplaire, et s'ils
cherchaient quelque part un Constantin, un Théodose,
un Charlemagne, c'était a Vienne. Du moins, en écri-
vant officielIement au bon empereur Frangois, ils ne
craignaient pas de l'accabler sous le poids de ce:,; grands
noms, et en meme temps ils recommandaiellt l'Église
romaine au czar dont les vaisseaux assuraient la sé-
curité de lems délibérations. Quant a la France, c'est
a un proscrit, au frere de Louis X VI, que s'adressaient
leurs lettres. Elles lui exprimaient l'espoir que l'Église
et sa maison, abattues par les memes mains, se releve-
raient ensemble. Les vceux et les hommages du
5acré collége ne semblaient pas encore pOLI voir se
tourner ailleurs 1.


n fallut le coup do foudre de l\larengo pour eh anger
la face do la Péninsule et pcut-ctre pour révéler au
plushabile politique de la cour romainc, dcvcnu
ministre du pape qu'il avait fait élire, a Consalvi, do
quel coté sc trouvait la force et pCIlchait la fortune.
Mais il n'avait pas étó nécessaire d'attcndrc que les
.Autrichiens fussent chassés d'ltaIie pour ne plus
chercher parmi eux Charlrmagne et ses desseins. On
les avait vus, le lendemain de l'élection du nouveau
pape, lui refuser les Légations un instant reprises sur




274 L1VRE SECO:'ill.


les F1'an(;ais, et 1'ivalisel' d'intrigues avec la cour de
Naples pour s'étendre a travers le territoi1'e pontifical.
Leur défaite seu le avait délivré le saint-siége de leurs
obsessions. Ainsi, le pienx Pie VII et lo clairvoyant
Consalviavaient appris qu'en ce siede plus que .iamais
l'Église doit pass el' a traver,; les puissances de la
terre jeunes ou vieilles, étrangcre et errante; pour-
sui-vre seule, entre le monde ancien et le monde nou-
veau, ses destinées immortellos, et se tonir' prote ü
tendre la maín il tOllS sans compler beaucoup sur
personllo.


01', dans le meme mOllleut OU ces rJivers03 pensóes
s'élevaient dans l'&me du sOl1verClin ponti fe et de son
ministre, Napoléon I3omparte, ayant entrepris de
terminer la révolution en Fnillce "pI'CS l'avoir servie
d'abord en Italie par ses victoires, av:üt recollnu, dans
le secret de son génie, que la religion catholique ne
pouvait etre parmi nOllS ni rempbcée ni détruite, el,
aL! sOl'ti1' dll clmnp de bataille de i\lal'cngo, iI avait
fait parvenil' uu saint-siége uno premíól'e ouverture de
récollciliatíon. L'empressemcnt ilY8C le(Illel fut é\Ccneil-
líe eette ouvortnre attesta la compassion singuliere et
plcine d'amour de la papauté pOlll' Ilotre nation, eH
meme temps que l'indestl'llctible espérance qu'elle
mettait en díe. Romo cut alors le prcssolltimcnt qu'il
suffil'3.it au eatbolicismc d'etre libro et publiquement
rcconnll on FrancA pout' s'y relev81' et grandir, qu'il




L'EMPIRE.


lui suffirait de grandir en France pour se dilater et
reIleu!'ir en Europc. C'est pourquoi les concessions de
la cour romaine s'étendirent aussi loin que lui parut
s'étendre l'autorité du saint-siége, moins loin en-
core cependanL que ne l'exigeait 1'6tat nouveau de
la société frangaise, s'il fallait en croire le maUre
qui parlait en son nomo « Je veux bien, disait alors
Pie VII dans son zele a nous tirer <le l'ablme, je
veux bien aIler jusqu'aux portes de rcnfer, mais pas
au dela. ))


Cependant la négociation n'avan~ait paso Vaine-
ment J'abbé Bemier, chargé par le prcmie!' consul de
pl'éparer la pa.ix avec l'Église, comme il venait de
préparer la. paix avec la. Vendée, s'épuisait 11 donner
la fOl'lUe la plus canonique possihle aux volontés de
son nonveau maUre. Le prélat Spina, envoyé 11 Paris
pour écouter le premier consul, le diplomatc Cacault,
arrivé aRome pour sonder le pape, ne parvenaient a
rien concIlI~e. Enfin, un derniel' projet, rédigé a Paris
en maniere d'ultirnatmn, cst lIlodifié aRome, Devant
ces insurmontables sCl'upulcs, l::t patience de I'homme
de gucrre s'épuisc. Accoutumé déjil a ne signer que
les traités qu'il dicte, il veut rompl'e tt ordonne 11 son
ministre de qllitter Rome. :\f. Cacault obéit, il part;
mais, allssi fermement dévoll'! a sa patrie qu'au saint-
siége, et ne se résignant pas a les laisser désunis, cet
excellent hOlllme, qlli sr dMinissait lui-meme « un




276 LIVRE SECOND.


révolutionnaire corrigé, » emmene avec lui Consalvi,
et le pousse a París. Cette démarche décida tout.
L'arrivée seule du cardinal seerétairo d'État ot su pré-
sence aux Tuileries churmeront, et par la eommen-
cerent a désarmer l'orgueil du premier consul; la
bonté de sa cause, la modération de ses vues et la
fermeté de sa conduite firent le reste. Avant de quilLer
Rome, il avait fait rédiger par les meillellrs théolo-
giens du sacré collége et approllvcr par tous les cardí-
naux des instructions qui fixaicnt la limite OU lcs
concessions devaient s'arreter 1. Son courage consista
a tout braver plutót que d'aller plus loin ; son hahileté,
a amener jusque-la le gOllverncment franguis, ce qui
faisait dire plus tard a Napol¡\on: « Si Consalvi ignore
la théologie, ce que je supposc, il sait hien la poli-
tique 2 • »


En effet, le cardinal secrétaire d'État était un de
ces hommes que Rome élcvait lIOIl pom dt'meurer a
l'ombre du sanctuairc, mais pout' défenclre au milieu
du monde les intérets de l'Églisc. Les dignités ecclé-
siastiques dont il était revetu ~l ne l'empcchaiollt pas
d'etre avant tout un homme u'Étut; mllis c'était un
homme d'État chrétien, qui avait l'Église ponr patrie.


l. Cnns.aJyj) ille¡¡wz'res su,' le (\)I((·ol'(/ul.
2. ¡bid., ~lénwires SUI' (hvel'scs (JjJU({U(!,' de tilO l'Ú'.
J. ()U SJit I[He Cunsalyi, dabord 1,r(la( d ul,uik ('ardina.!, llÚ¡út I'a'


pretfe, 11 Ir devint seubnent il b jiu de .-a vip.




¡"EMPIRE, 277


S'i1 ne se monlrait pas entierement détaché des choses
humaines, du moins il mettait l'honneur au-dessus
de tout le reste, et c'est parla qu'il se trouva digne non-
seulement de travailIer, mais de souffrir pour la reli-
gion et d'ajouter quelque chose a la gloire de la pa-
pauté. Nourri dans les principes et les traditions de
l'ancien régime, il ne croyait pas inutile de connaltre
son siecle, ni défendu d'en mettre 11 profit les vicissi-
tudes. Un raro mélange de finesse et de candeur, de
fierté et de modestie, de souplesse dans les démarches
el de constance dans les résolutions ; une droiture qui
no se laissait pas tromper, I'art de résister sans rom-
pro et de condescendl'c Silns s'abüisser, le rendaient
propre a roprésenter, en face d'un soldat victorjoux,
au milieu de ¡'Europe en armes, une autorité qui ne
s'impose qu'en persuadant. Enfin, sa merveilIeuse
bonne grtlco, reflet, un peu mondain mais tres-
noble, de la charité pontificale, s'exer{{ait envers tous,
ot personne, en aUCllt1 temp5, ne devait l'approcher
sans on subir l'irrésistible attrait.


Pou!' apprécier ce que Rome a persisté a exiger et
ce que l'interventioll directo de Consalvi a réussi a
obtenir, il comient de comparer avec le texte du Con-
cordat et de la bulle qui le promulgua le dernier pro-
jet envoyé de Paris aRome: je dis, le texte du Concor-
dat et de la bulle; cal' les termes de la bulle furent
concertés comme les articles de la convention, et,




278 LIVRE SECOND.


comme la convention meme, le gouvernement fran-
vais prétendit d'abord les dicter 1.


Une nouvelle circonscription ecclésiastiqlle, soixante
dioceses au lieu de cent cinqmwtc-huit; la nomina-
tion des éveques attribuée au gouverncment [raIlgais
et leur institut.ion réservée au saint-si(\.,'; la rcstitu-
tion des édifices religieux aux éveques institués par le
pape; l'abandon entre les mains de leurs pm:sesseurs
des propriétés ecclésiastiques confisquécs et vcnuues
par les pouvoirs révolntionnaires; et, pour subvenir
a l'entretien des pastcurs, la substitution de traitc-
ments payés par l']~tat aux anciens revenllS territo-
riaux : voilil les arrangements que la cour de Home
accepta, avec un mélange ue douleur et de joie,
mais san s hésitation. De son coté, le gOllvernement
admit, sur la demande de Consalvi et sans trop de
diffieulté, J'établissement d'un chapitre et d'un sémi-
nail'e dalls chaque dioccse, sans s'ohliger 11 le,; (loter;
le serment do fidélité an gouvernemcnt dabli tel que
les éveques le prütaient au roi sous l'ancien régimc,
au lieu de !1 promcssc générale de soumission unx
lois, attendll que (luelques-u nes uo ces lois blcssaient
encore les c:ll1sciences catholiques; enfin la suppres-
flion de l'article qui réconciliait avec l'Église et SÓClI-


'J. ~'ous <tYOllS trOllY¡-", 1(' p~'o.it-·t <ill(' 1lI111:-: ;lll;d~·~llll:-: Íci r1all:-: [(-':-: pap¡('!".~
,111 rHI·dinal Fe,cl!.




L'E~IPIHE.


larisait les pretres mariós durant la Róvolution. Le
Pape, en considération du malheur des temps, vou-
¡ait bien accorder it la plllpart cl'entre eux ccttc gr.ice
extraordinaire, mais iI ne vonlait pas qu'elle fUt sti-
pulée dans un traité par ]'auLorité civile 1.


Deux concessions couterent au saint-siége et
cepenclant furent admises : ce fut d'abord la renoncia-
tion aux biens d'Église confisqués mais non vendus.
En consentant a ne pas revenir sur les aliénations
accomplics, l:J. cour de Rome aurait souhaité conserver
au clerg(~ de France les débris de son patrimoine i en
acceptant ponr lni 1m salaire a titre d'indemnité, elle
répugnait a le priver de toutc participation a la pro-
priétó fonciere, coIlsiclórée jusqll'alors par les sociétés
chrótiennes comme une garautle nécessaire de l'indé-
pendance et de la stabilité du corps ccclésiastique,
Mais un clergé propriétairc était précisément ce qui


l •. ff' dis ¡', l;t jJlu{ldJ'1 : el} (-n'd" L'I ('I'lll], Il(~ nnnl/; u"a jamai . - :llnnisti(~ 1I
Y;l~id('·) pa~, ldl¡':' ;tI! t\¡I!lI1.~·ld rl1i Crl!li'IJI";;ll ijll'('I] ;¡lH'~Jll .11¡[rp ti'llIII:', 1t·
111;lriil~.t(J ¡J'¡IJL Ill(Jjll(~ IJi ¡j'¡HI ¡'1\¡"lJ!/(I, En 1"]';1111'1'" (·f'tte p(~('(lndr rp:;:.tl'idion;
qlJ~' 111' J'rilJw!jit J1.1 . ...: h d¡"ml'tH'~' jlolltitkiLlp,1 ll',ltteí;..:llrlit alnr~ f(n'lllll' :-:cllle
IH~],'~I.'Illll'. ,'Lli.' I'{'(te j,,_'r:'111I1:1' I:'[;l:! "Jf. (11) T;¡ !l('Yl';!I 11 1.1 rl1illi:'trc de~ afi'aires
('·t"(ll1;2.¡'n':~: iI tllll. tire; 1'1, il f'llt tl.'litl', ;1"1'(' tf¡(,ill:-. r1'iH¡]ul~'(\l\('(~ qlle ,l"ob-


11 aYilit n"di.!.!!': ;[\"1'(' f!.r;lllrl ~oitl Sil dt'll1é-tIHk do ~¡:'f'l]­
; 1 ¡tI', ¡'I rilppui) ¡JaJl."': 1IJ](' llill(~ IJlW ll(Jll~ nrr¡ll~ Iw:,., {rrit.r tOllt


('11L¡;]'t' rlr' ;:;1 Illilill, di\I'J'c; 1;.\I·llqtl¡·:-; jlt"Jiildl']W:llt n'c1l1~ill¡~ it ft\!Yrrs 1'11i . .:-
tlti!'I') I'ltll'f '. illlln':.:. t'1,llli dp C/'''::Il' n()r.~'ia; filit f'llíin 1'l\I'fJmm,111l1rt' t'ettp,
d('1ll.1!-],1t: [J.1l' Illli' If'ttn· de. ~:IJlI'¡,'·I-,n. 1,;1 ('(,111' di' nOn1(' r{'polldit tOlljnlll'~
'111\' !I'.": 1'(ln_'e' IJl'¡"I·I'·rlCllt:-:. 1[1I'il ,"1,lil pil~ . .;illlc d'inr,j'flF'r l~tajGlll inlll'pliC'a-
\>].,':-': 'IlIrlll[ ;II! m;ll'i;lf.!l·, ('¡ I!ll ¡"\t\qIlL') f't CI.' fllt :-'l'lllrnu:ut ;rH'(', cl'lte n~'­
'"n,·, ,¡ni lilldi'I""" ,illftltli:·rclllCnl, Ijue ~l. '¡p Tallc;Taud pul etre ,f~-
1'1l1:Hi:-:.(~.




280 LI V Il E iiECON D.


eIfarouchait le plus a la fois l'esprit démocratique du
siecle et les instincts despotiques du premier consul :
il fut inflexible, et s'il s'engagea a permettre aux fidcles
des fondations pieuses, ce fut a la condition qu'il en
déterminerait la forme et avec la l'ésolution de ne pas
les autoriser autrement qu'en rentes SlL' : 'État l. Ainsi
s'accomplit l'abandon des propriétés ecclósiastiques en
France. Le sacré collége, assuré que le rótablissement
de la religion était 11 ce prix, fut unanime a le rati-
fiel' l.


n fallut aller plus loin encore : apres les hiens
d'Église confisqués par la Révolution, il fallut sacrifier
les éveques frappés et proscrits par cette Révolution
pour leur fidélllé au saint-siége, promellre que 10m
démission serait obtenue ou leur destitution pronon-
cée. Le premier consul tenait tl faire table rase avaut
de réédifier 1'Église de France ; iI vouIait un clergé en
communioIl a YOC le saint-sil\ge, mais sans aucun lien
avec l'ancien régime. Aucuneexigenco ne fut allssi
amere a Pie VII; son ministro tenta les domiers
eIforts pour l' écarter. Il alla j LlSqll'a invoquer les
maximes gallicunos que Napoléütl se vantait de pl'ü-


l. Cette illllication Ilxe!usiyc tic,; rente,; mi' l'Élal ,;~ li'omail mell1C
,laIl'; le ]li'ojet fran<;ai¡; 'el, ,i elle fut eJfac~c daa,; li; le~le délinilif dQ
traité, le sainl-:::iege fnt avel'ti d'HYe'lIH't; i{1\'elle l'eIJ;lr;¡itrait dilll~ le:') I·;'~·le·­
mellt:-: que le ¡..!'OU\C1'llCUH':llt :-:~~tait 1'{~:-'(~l'Y('; dl~ prOl1l1J!,'..2':J('r,


2, ComalYi, .lIerrwú'es ,W' le COl/curdo/.




L'E~ll'lnE. 281


fesseI'. Elles rccevl'llienL InI' lit, disaiL-il, eL c'élaiL vI'ai,
un óehee sans exemple 1. Celle objection, méritoire
assuI'émcnt daIls la bouche d'un rep1'ésentant du
~aint-siége, n'ébranla pas Napoléon. 1lrépétait alo1's :
« Si le 1\\pe n ',nait 11as cxisté, il cut fallu le crée1'
pour cette oceasion, comrne les consuls rornains fai-
saient un diclateu!' dans les circonstances difficiles 2. ))
Le pape, en efl'et, considé!'ant que des évequcs qui
préféreraient leu!' tit1'e au rétablissement de la 1'eligion
se rendraient, par cet acte seul, indignes de le conser-
ver, se I'é~igna malgré lui il exercer la dictature.
llien ne fut plus !ouchan! que l'invitation pleine de
douleur 8t d'alltorité qu'il adressa, a travers toute
l'Europe, it tant de pontifes exilés et dépouillós pour la
foi : rien, si ce ll'est la soumission qu'elle obtint de la
plupart d'entre eux. L'ancien épiscopat frangais s'im-
mola et ntglise de France fut rétablie.


Voil1.t done tout ce que eéda le saint-siége. Voyons
maintenant ce qu'il exigea. Ce furent d'abord, dans les
,tipulations m(~mes sur le~sqllel1es on s'était accordó,
des changemonts de rédactioll, changements que ni
l'une ni l'autre des parties contractantes ne considérait
comme inditJérents ot sans gravité. Cilr, d'Uil coté, le


1. CrJrlsahi, J!l('lI/o,,'rs S/O' Lr: COilC0l'rlot, t. 1, p. ~¡M).
2. jI,'moin's de ,V(I}Joldoil, XrJ!es el llld(Ju[jc\, t. J, ecrit par lo ~'énéral


comte ue )IonlllOlou, JI. IIG.




LlVHE SECOl'iD.


pape, en transigeant Sllr les intér(~ts de l'Église, ne
devait pas en abandonner les droits; de l'autre, le
premier conslll, en effagant la trace des exces róvolu-
tionnaires, prétendait ne ras conclamner ni· meme
laisser condamner les principes réyolutionnaires, et
dans ce conflit ce fut le pape qui l'emporta. En se
réconciliant, il ne se démentit point 1.


Enfin et surtout, ce qui fut ajollté au projet frangais,
parut en changer la physionomic et clétermina Rome
a l'adopter, ce fut le préambule et l'article premier clll
Concordato


Rome avait souhaité et persista longLcmps a deJl1iln-
der, nous le verrons plus tard, qne le catholici~me fUt


1. Il importe üe CI)Dlperer l¡udl]Il"" tnt,>: .
Dan:"' le projel frlln~'cú:~) l'ill'liele ~llr k:-: llic'u:, ¡j·E,!.l.li~~~' ~"Iilit ~Iill·~j ('(1111,11 :


(( LI' srdnf-\'i¡'qc ,'('CfJItJU,Jt les nlif'!lr!ll'/I//S des hif.'IIS (>,·,.,!t','¡osf¡'ljJl/)\'!'trdI J ,
('1/ I'crfu des (ni8 de lo 1{')¡Jll1,/il!'U?)) \)(Ul~ k COlwurdal, jlu·(·:--! plll:' (lu(':,-
tilln d,.~ jni~ ,j,. I:t !l"·jlfl]¡li'jlJl", el iI c,t .lit: " S. S., 1""'1' k J,i':lI dc h
llili\ d r!H\Un'lL\ n"(;ILli:--:':-:Cl11f1ut de };¡ 1'{\lip.i(Jll c,llllldiqll('_, dl\('L\lT (Ilie lIi
d1e ni SI';; ~llCC¡:¡>f'lll'C-: W: lnJlddel'ont ll':~ :[I'l[lll"r(,l!l'~~ dl'¡ lJi(·tl~: t~iTl(:,.,ia:-:­
tiqlle~ ali,"né:,,) t'tc. ))


J)nlli le pl'ldd i'n-tll\;;\j,,) l"al'til'lf' l't'lcttil' nll\ ¡'.YI'qll<>;, .. ¡ ':1 l¡'ll!" d"'llli;-::-:ir,\;,
¡'.t;¡it. a¡n~i ¡'Oll\,'l] : « '0("'" tifll{f{il'f'~' (ld'lel,', ¡, fjI1f'!ri/!!: hiJ'f' 1/lfO ('1' ."{Id,
r!r:s (;¡.'f"rJ/I!S f),(!!I~'(¡i\', se)'(¡nl inl'7:téx po)' S. S. /, sr' d';/f/(Jff}'¡'; » ¡'í'. 111t:
mettilit. ~:lll' lit IW;l.U(' ligue h;s allciC'll.~ ¡;\l'q1!I':: CatliJlli'í1lt'1l1I'Lll ill:--:.!illd":-: ('t
}(':-' (~Yl\¡LleB cOll:~litlltj(}llllt'l¡. C'I~l;til ulJJi;..!'(·]' 11' Piljl(' ,', rC'l'olllll;¡itr,' ;'t n',~
tlel'llirl'~, en l¡~llr rlem:lwlllul dt' :--(~ d:·mí'ttl'1'. 1111 lit.t'I~ 1'111Il:'!: kl¡l)c'] il
,'ty;¡it t()l1jl)llI·.~ pr()t.p~t<',. üall:: JI" Clill('ol'l!.'tt il [,:-,t di! : (( S. S. dl"e!fll'fT;J
:Ul'\" tit111nil'f~ dp:-, ."n\-:llt'·:, 1]11\']1(' ilttf'llil d'I'i¡\ :1\"I'l~ ¡¡ll(~ j'('~'l(l\
(~lJn¡¡;tlwe: pljlll' le lJiell de h el ¡k tUlltr' f' :]); l',: ¡jI' "':I<Tilk(\.:,
Ud'llU; la l'é",ig,tllltioll de ¡cur·: :-:il:',!.2.(_\;~; )) 1'(' 110111;-. la IHIIII·III' dil 1';q!I';
!le j)(\I!\aiL :-:'elltendre' que df;;- titlll;til'('~ ,\ ¡'ll\ ~í'!ll:-:.~ (',1 (.ji'l,r, l(_~
1':lJtf' di:1I1,<lll,I~1 1p11I' d,~mi~:,ic,n. ])f'~, ;Ildr('~ il rt'TliI1I1,[ ;,e1l1i'ltl~'llt ·'I!llllli.;-
.... jllll :~I ::¡'¡ d(f'crt't:;. C'E':-'t r'e 'Ill'(·\ldi1fllt' !'1'l'lIwllf'IlIPllt 1.'1 lnd]¡' 'í1[! jJ;ll-
ll11l1¡r1l:1 jr' ConrOrr1.1t.




L'EMI'Ill.C.


proclamó en France religion dominante. Lc gouvcrne-
ment frangais se l'f'fusa tou.iOLJr:5 u ectte expression.
Mais iI avait consenti u le rrconnaltre comme religion
de la grande majoritó des Franºais. Le pape voulut
ajouter qn'il 6tait profes~ó par les ehc('s c1u gomerne-
ment, et iI rattacha son eon"entement au Concordat a
eeUe déclaration si étroitement que, pal' un arLicle
r:omplémentaire, il se réserva de modifier les clames dn
traitó al! ras 011 nn suecesseur du premier consul ne
serait pas catholique. Au lem1emain d'lln siecle qui
avait ri de Jésus-Christ, au sortir d'une révolution
qui n'avait rien épargné pour abolir son rcgne, ectte
profl·ssion de foi faite au nom drs citoyens frangais et
[lar les r:hcfs qu'i]s s'étaieIlt choisis, 6tait assurément
pOllr l'Églis8 un étonnant triomphe. Sous un régime
qui avait pour ba~e la souveraineté du pellple, elle
sl1msait pOllr rétablir le catholieiflme a titre non plus
de religion d'État, mais de religion nationalc.


A la sllite du ]m;amhlllc, le premier ürticle ajoutó
et pIGC(\ par le liégociateur pOIltifical a la tete du traité,
pom en dominer toutes les conditions et les eouvrir
d'ulle inviolable (\gide, le premier article con sacra la
liberté et Iil publicité uu culte catholique; la liberté
:ial1S restrietion, la puhlicité partout ou la tranqllillité
génÚ'üle . ne serait pa~ compromise. Le cardinal
Consalvi ne dissitllule pas qll'all scin el'un pays qui
aurait professó et pratiqué ce (lu'il appcllc (e le toI6r<1l1-




iR4 LIVIlE SECOND.


« tisme de tout culte, du eulte eatho1ique eomme des
(( uutrcs, » il aurait été superflu peut-etre de stipuler
ces conditions dans nn pacte entre les deux puissances.
« Nous partioIls plutó!, )) djt-il avec une clairvoyante
bOIlne foi, « de l'état d'oll ron venait que de celui vers
«( lequcl OIl marchait. » Mais s'il Ile méconllait pa~ ce
que pourrait etre le droit commUll sincerement entendll
son s un réoime de séparatioIl entre l'Éulise et l'État o o,
il ajoute anssitót, au nom d'une expérience qui depui!'
101's a trop SOllVent et trop amerement été confirmée,
iI ajoute que dans la pratique (( eette tolérallce tant
(( vantée favorise toute,;; les sectes exeepté la véritahle
(( f~glise; j) et c'est pourquoi, selon lui, memc clalls
eette hypotMse, Rome (n:~lit raison de poser expressé-
ment ses conditiol1i j.


Au reste, le premier eOllsul était encare plus doigné
que la COtH' ele Itome (1'lll18 séparation t~ntre rf~glisc
et l'É tat. Deux IllOtifs l' uvaient pou~sé ti se réeoneilier
avee l'Église : il voulait satisfaire la roi de la France ;
iI voulait se préparer a lui-rncme un instrument de
regne. Il y uurait uno ingrate inj ustice ti méeonnaltl'e
dans sa rEÍsolution la grandeul' et la ~inc(;rité du pre-
miel' motif; il Y aurait UIle cUllIplaisaTlec iiyeugle a no
pas démeler le second, des eette EÍpoque, tl travcrs sos
Varoles ct sa eOIllluite; et ce (lui prouve eombil'll la


l. JIónoil'cs 8'U' 1r! ('O!1co/'dr¡(, t. 1, 1'. 2,;).




L'EMPIRE. 28"


décIaration de la liberlé et de la publicitó du culte
catholique était nécessaire a obtenir de lui, c'est la
répugnance singuliere qu 'íl a montróe 11 les accorder,
répugnance qui ne recula [loint non-seulement devant
la menace, mais devant la ruse : le cardinal Consalvi
nous l'apprend par des détails étrangement caracté-
ristiques.


Le 13 juillet ! 80!, le Concordat semblait conclu, le
succes ele la négociation, annoncóla veillc au ilJoniteur,
devait erre célébróle lendemain dans nn grana banquet
aux Tuileries. II no restait plus 11 échanger que les
signatures eles plén¡potentiaircs. lIs étaicnt róunis
chez Joseph Bonaparte" a qui son frere réservait
vulontiers alor5 l'honneul' de signer Jes traités própa-
rés par d'aulres agents. Le cardinal Consalvi tenait la
plume pour apposer son nom au bas ele la copie offi-
cielle que venait d'apporter 1'abbé Bernier, lorsqn'en
y jetant les yeuxilnc recounalt plus le texte convenu.
Toutes les clauses qu'il a vait réclamées el ohtenues
étaient supprimées, celles que le pape avait l'cjetées
étaient rótablies. Int!'rpellé sur cc procéel(;, qui doit


• (\(,re sans exemple en diplomatie et qu'entre particllliers
il serait diffieile de ne pas appeler une tentative de
faux, l'abM Bernier confesse en balbutiant les ordres
qu'il are({llS Ull prcmier consul. Consalvi rejette le
texte mensongcl'. Joseph, qui ignorait tout, s'(puisc
k·m ü tour élupres dn mi[li~tre dn pape et aupres de




LlVRE SECO\li.


son Irere en vains efforts d'accommodement. Apres
des débats pleins d'angoisses, qui avaient duré vingt-
quatre hemes, les plénipotentiaires se sépareut cons-
ternés, tout paralt rompu.


Quelques moments plus tarel, Consalvi deyait affron-
ter l'abord du premier coI1su!. Cet ahol'd du lion
surpris et démasqué 80115 la peal! <Ill renarel ne pomait
manquer d'etre terriLle. EIl cffl't, au miliell eles
convives réunis pour le banqllet du quatorze juillet,
.:\apoléon, des qll'il aper90it le ministre dll pape,
essaye de I'étuurdir eL ue ¡'actabler llcu' Llne de ces
coleres á la fois spon tL\nées el calculées dom il com-
meil9ait des lors á s'armor com111e ue la fouure : lC Eh
«( bien, monsieur le cnrclinaJ, vuus avez voulu l'ompre:
« s(Jit. Je n'ai pns bosoin do Homo. J'agirai uo moi-
« 111 e 111 e , je n'ai ras besoin dll pape. Honri VIl! a su
«( cbanger la religioll de son ¡Ja)',,; je sllis Villgt fois
« plus puissant que Henrí Vlll, moí 1 En changcant
« la religiul1 en FraIlee, jc la changemi Jan~ ¡m2sqllc
« tUlItr.: l'Elll'ope. H0111~ plcurera ses pertos, RotlH'
« ver;;era de~ lanne::i de silng, milis il sera tr~p turu.
« Vous pOllvez partir, c'est ce que YOUS ayez ele micux
« a ['üire, pui"cllle \OllS avez \oulu i'ompre. l)uLlnd
«( partez-vous uonc? - A]ll'l~S dincr, général 1. ))
~apoléon fit llIl souhl'esüut. 11 \enait de rellconlrer




J,'EMPIHft 287


ce qui manqua trop, hélas ! a sa forLllne et a Sil gloire,
une conscience eapable de lui résister. Apres le dlnel',
illaissa l'un de;; convives obtenir Je lui que les plélli-
potentiaires se réuniraient eneore une roi;; le lende-
main. Dans eette supreme conférence, tout le débat
porta su!' la puhlicité du culte catholique. Le culte
catholique sera pllblic, avait écrit Consalvi.- «En se
conformant aux reglements de poliee, )) venait d'ajou-
ter le gouvernement frangais. -C'est comacre!' la SCI'-
viLude Üe l'Église, objectait Cnnsalvi. - Non) rt)pOll-
daient Irs plt\nipotentiaires fl'all~ais; dan s un pars
divisé et troublé COll1me le uotre, c'est seulement sau-
vcgarder la tranquillitó publique, dont la pllis,ance
civile est n6CC::i3üiremcut rcsponsable, c'est épargner
üu CUltA catholique lui-meme dos insultes qu'en beau-
cuup dc licux il n'óvitcrait pus 8'il sortait du SUIlC-
tllaire, et prévonir dans la rIle elrs rixes entre les
citoycns. - Eh bien, reprenait Consalvi, si mus dovez,
en c[eL, bomel' vus réglemenLs al! mainLien de la
tranquillité publique, si YOllS n'avez (]'autre but que
cl'assurel' Jall::; la me l'ul'elre matériel, dites-le; cal'
llllLlS [luLlvons admettre jusque-lit, mais nOllS ne sau-
riuDs COílSaCrC¡' plus loin votl'C puissancc. NOlIS la
subirons pellt-etrc; nOLIS n(~ la reconnaltl'Ons jamais.
Il fallut tcnir compte ele cot invincible scrupule, eL
c'esl puurCJLloi ]'articlc dcmcufi.l enun rédigé en ces
termrs : {( Lc~ clllte ca t holiqllo sera pllblic, en se con-




288 L1VRE SECO:-lO.


{( formant aux reglements que le gouvernementjugera
{( n6cossaires pour la tranquillité publique 1, »


Ainsi moJifié, il no fut pas ratifió do part et d'uutre
sans quelque difficulté. Tancfis que plusieurs cardi-
naux devaient redouter l'application arbitraire qu'en
feeait le pOLlvoir civil, Napoléon ne l'accepta qu'en
grondant et se fAehant 2, Était-co done son amour-
propre soulomont qui souffrait de céder sur un mot
quand il avai t été satisfait sur le fond des choses?
Non: son mnbitioIl aussi se sentait aftrinte. «l.a palicr
{( des cultl's déférée i:t I'autorilé civil e 3)) u'étüit pas la
partie de son plJn qu'il üvait lo moins u cD:ur, et c'était
précisément celle qu'avait lo moins sanctionnée le
saint-siégc. 11 n'y rononga [HlS.


Parmi les hommes qui l'entouraiont, la plupart,
rl;volutionnaire3 fütigués dont l'ind'~rendanco ne
s'excrguit plus qu'onvors Diou, ne compronaient pas
([u'il tendit h main a l'Églbc; presqueaucurlIl'admet-
tait qu'il s'co souciAt autrement flue pOllr l'curégi-
monter i:t son s8nico. 1I n'a vait qu'il les laissor faire
pour prcndre aux dépens de l'Église do Frunce tille
l'emnche sur la fermeté pontificale. A peine l'épiscnpat
était-il rétabli quo le ministro uo la poliee, FOUctl¡",


1. Consalli, JIÓ/l/)¡'¡'PS S/iI' tu Cú/lcl¡/'rlrd, l. 1, 1'. JU:;.
2. ¡bid.
:1. .~l. Thiers dél1niL aiusi l'uu di'.' (,jlje!s '1uP ;'\al'(.[¡"oll ~c !l)'('jI(,.S,1it ,J.¡¡,.


I p C(lllC0I'¡]at, t. TIl, p. ~1:l.




L'EMP1RE. 289


voulant entrer en relations officielles avec ¡ui, avait
l'audace ou la na'iveté d'écl'ire 11 tous les éveques : « 11
y a plus d'un mpport, monsieul' , entre mes fonctions
el les vulres!. )) Le religieux et timide, Portalis, préposé
par le premier consul aux affaires des cultes, et chargé
d'expliquer le Concordat au conseil d'État et de le
présenter au Corp~ législatif, ne tenait pas sans doute
le mcme langage que le renégat Fouché. l\Iais croyant
lui-meme, ji parlait a des corps poliliques plus incré-
dules que la natioll. Obligó de moti ver le rétablisse-
ment de la religion uniqllement sur son utilité sociale,
et fuisUllt dépendrc le sulut de la sociétó fraIl<;aise de
la seule puissance de son uouvr.all maitre, il mettait ~l
contribution toutes ses doctrines gallicanes, tous ses
souvenirs parlemenlaires, pour organiser et surtout
pour justifier la subordinatiol1 de l'Église a l'État.
Voila sous qllelle inspiratiol1 furent rédigés les com-
mentaires officiel" el les articks organiq Ué" dL! Con-
Gordat.


;\"OLlS avons VLl que le premier consul avait \'onlll
connaitre d'avaIll:e la bulle par laquclle le saint-sióge
donnerait au COl1Gordat furce de loi dans I'Église. 11 se
parda bien de cornmuniquer au pape les <ll'ticlc:; des-
tin2S a lui dunner force de loi dans l'État. Ces articles
reno,uvelaient et aggravaient. toutes les précautions


19




LIVUE SECO~D.


prises par 1'ancienne monarchie contre la préponué-
rance cléricale, a une époque OU le clergé était le plus
gTand propriétaire et le premier corps politique ue b.
nation. Ils tendaient a soumettro <lll bOll plaisir de
l'uutorité chile : u'abord les commllnicalions de~
éveques soit entre eux, soit ;lyeC leur chef; onsuite
¡eur enseignement depuís les éClllc::3 de théologie jus-
qu 'aux catéchismes; enfin la discipline de l'Église tout
entiere, depuís la célébration des muriages jusqll'a la
liturgie, depuis la collatiun J()~ ol'lll'es saCft)s.i usqu 'ül!
costume des ecclésiastiques.


On a souvent confundu les al'ticles organiques ayer
le Concordat, tantOt pour soutenir les al'tídes orga-
niques et leur preter uno surtc (l'auturité religiellse,
tantót pour attaqucl' lo Concoruat meme ct le repré-
senter comme Ull code de servitude. CeLte confusion
est mal fondée : le pape protesta cont1'e les articles 01'-
2aniquG6 des qu'ils pamrenL 1; llULb alluns bientót 1'8n-
leDure cn l'édall1er la révocalion, et s'al'Puyer pou!'
robtenir sur le texto méme du CUllcuruat. L'expérienee
.J'ailleul':' dément ceLte prétenJue intli\isibilité Ull
traité du 1;'; juillet 1801 el de la loi du 18 gcrminal
aa X. Tandi~ qll'Ü tl'J\er,; des l'egilIles diveJ's, SOLlS des
rlynasties uifIél'cntes, le COl1c()[(lat n"a jamais cl)~sé de
rég\cl' la condition de ]']~gli~e dc France au XIXe sii~-




L'E)!P1RE, 291
ele, de prósidel' il ses progres, de survivre a ses.épreu-
ves, parmi les artieles organiques, au eontraire,
quelques-ulls ont été frappés de désllétude des leuf
apparition, par le réveil memc de laconseience eatho-
lique; la plupart perdent leur viguellr dans la mesure
ou la liberté rcligicuse se dévcloppe eomme une bran-
che de la liberté générale. Nous a\'ons conllll une
épofllle ou ils devenaient elltierement hors d'usage 1,
Qu'on cessc done de les représcntcr comrnc ¡'accom-
pagnement légitime ou la conséquenrc inévitable uu
Concordat,


Ce grand pacte doit etre apprécié dan s ses dispo-
sition;; propres, Lel qu'il est sorti du libre accord des
deux puissances. Il a r('glé le régimfl intérieur de
I'Église de France; il a détermillé ses rapport::i a\Ce
l'f~tat. C'est a ce double point de vue qu'il conviellt
no l'examine!'.


A l'intéricur ue I'Ét!lisc de France, il a llgrandi
l'autllritt': spirituclle : l'autorité uu pape d'abord, ap-
pelé a constituer ectte Égli~e IJar un acte d'0ll111iIJo-
tenee; l'autoritú de5 ÚYequcs ensuite, r¿tablic seul\'
';lll' les ruines ucs anciells pl'iii]¡'~ge3 canoniques et
11üminunt sans pal'tage un clel'gé nivelé, L'accrois6c-
lllCllt de puissanec du papc el Jes évequcs cst le Il'-
,;ultat [¡S~Url~mel¡t le ]JIu;; inattendu, mais le plus in-




LIVRE SECO:\'D.


contestable de la révolution frauguise. II entl'ait san s
doule dans les desseins mystérieux de la Providcuce
qu'au débllt du XIX" siecle, l'Église de Frallce, appelée
a devenir plus militante que jamais, se tromat gOll-
vernée comme une ville assiégée Oll ~omme une aJ'-
mée conquérante en pays ennemi.


A l'égard de l'État, le Conconlat ne s'est pas con-
tenté de mettre un terme a ses hostilités contre I'É-
glise i il a inauguré II ne alliance, et c'est lit ce que
qllelques ami s de la liberté lui reprochent \. Selon
ellx, I'État, sOllveraincrncnt incolllpétent ('n maticre
religieuse, ne doit a la religion qu'un respect uégatif.
Laisser tous les cultes sans contrainte (>t ne se liel'
avec aucun, e5t, a leurs yellx, la selde ]lülitique qui ne
dépasse pas les droits de l'autorité ci\iJe et rúponde a
ses obligations, qui soit capable de Silustraire I'État it
!'intolérance et l'Église ü la sujútion.


Jc ne sais si ¡'avenir en EurJpe apparliendra a cette
séparatioll ele l'Église et llc I'État, prcssentie par le
cardinal Consahi el pratillL\l~e, ¡¡un "an~ gloire pOUl'
]0 cJtholicislt1e, aux l~tats-Unis. "bis qllanel meme
nOlls on nos neveux nons seriolls de::ítillé~ ti voir l'in-
ditfórence ele l'I~tal assurer panui nOlls la liberté qui
sllffit EL l'Église, et eette libül'tú religieuse, s'épa-


1. Cette th,'.,'e e,t expo~ee awe t,,[,,"l I'l cUllyir,li,," in"~ .\1. ,1" P"P.'-
,":(~lIs? dall'"- .;rpI liyl'1-' : r l~~(f/¡,"'-'f~ r;{ /11 R¡;"fI!II//OII /i'f1I'~·fI¿'~'P.




L'I<:~IPJ fl E.


llollissant au sein el'une grande liberté civile, entl'ete-
nit clans les ages futurs l'impérissable vigueur el la
jeunesse immol'telle de notre foi; qllélnd meme le
xrx" siécIe dcvrait [¡nir eu appelan t le christia-
ni5me Ü ecHo (~pl'cuve et á cette gloirc, je ne penso
pas que l'histoire reproche jam::tis a la papauté ele
1 'avoir inauguré par l'allianee que le Concordat con-
sacro. D'abord, en [ait, et comme l'a démontré
1\1. Thiers, les conseils que donnaient des lors au pre-
mior eon5111 le général Lafayette et quelques admi-
rateurs des institutians amérieainos n'étaient pas pra-
ticahlcs. L'Assemblóo constituilnte avait mis la main
de l'l~t:lt trap avant dans les affaires religieuses pour
pormettre au gou"crnoment llouvcau do la retirer
tou(, a coup. Ne 1illlait-il pas se prononcer entre le
clel'gé constitutionne1 et le c1ergé insermenté qui se
Jisputaient les églises? soutenir le premier contre le
sentiment de la natioll, on rappeler le second mülgré
les Jois l'rSvolutionnaires, et pour cela traiter avec le
jJape?


Un üccornmodemellt tnmsitoire ótait dOllC indispen-
s1¡ble; mais, de plus, une alliance durable n'était [oint
illégitimc. Il est diftlcilo d'adrnettrc l[u'une sociétr
n'ait emors Dicu aucun dc\oir pcrmüncnt ct puLlic,
et qu'il ne llli eonvienne pas de professer de quelque
manierc une foi llütionale. Pourquoi cette profes-
sion de roi génerait-elle néeessairoment la liberté re-





LlVRE Sl':C.O:\U.


ligiellse des citoyens? Un gouvernement ne pcut-iI
elfO chrétien comme l'est un honnete bomme, san s
prrtendre forcer les consciences; se SOllmettre dans
ses actes pnbIics aux lois de l'Église, san s les imposer
aux particuliers; laisser Die u et ses ministres agito
seuIs sur les ames, pat' respect pour Dic,: ¡~t pour les
ámes et non par iIlllifférence, et s'incliner enfin devant
l'arche sans étendre le bras ponr la soutenir? La Ré-
vollltion frallgaise avait donné au monde le spectacle
de l'athéisme perséclltellr; la vocation du XIXe siccle
pOllvait elre de montrer la liberté religiellse assurée
par des gOllvernemellts chrétiens, et quand le pape
clemandait aux: gouvernements de se Júclarer chré·
tieus, il est en vérité difficile de lui donner tort.


On allegue, il est vrai, qu'il a acheté cette déclara-
tion en plagant l'Église dans la dépendance un pouvoir
civil. :\lais est-il donc permis de croire que si Napoléon
n'avait pas traité avec Pie VII l'Églbe de France
aurait été plus libre SOllS l'Empire? Les cultes protes-
tant et jllif n'ont été l'objet d'aucun c:JllCOrdLlt : il:::
ont moins encore que le culte cLltholiquc échappé aux
reglements impériaux (. Si le premier consul n'avait


1. Yoyez le~ oll'licle::i drganiques dt!~ (~ulte:-:. pt'ote~t:'n1t::, ;\ la :--nitr: dns
:Htic18~ orgallir{lle:; dn cuIte c(!.tlwlíqlH~-, {hll~ la lljj 4k W~l'nlin::l.l aH x.
Yosez anssi les pr"cés-verb~ll\ ,le L',"Clllillé,~ klll¡r~ "11 180fi, ",US la (11"\-
::.i(lence de pll1~ielll':> cOll~eillet'~ d'Etrtt) pUlir orgillli~l~r le !'ltlte jliil', et la
('ol'l'r;")JlJwltlllce rI~ :ViI¡;r¡!¡Jon [n SIlr I'rtl" ""'elllblél~. I\"otes il ~1. <1"
Cbaml'a~'Il)', n aotlt, 3 septembre et ~8 llOl-ellllJ{'f; lSOG, l. XIII, 1'. 12:"





L' I~ ~I PI R E, :295


pas aecordé atl elergé un salaire a titre d'indemnité,
pense-t-on qll 'i! eut permis aux fideles de s'associel',
de se cotiser et de posséder en corps quelque propriété
pou!' I'entretien de lem culte'1 Aúcune association,
aUl:une fondation commune n'était permise alors, au-
cune meme ne l'esí aujourd'hlli. S'il n'avait pas ob-
tenu du pape le droit de dósigncr les chefs du clergó,
aurait-il laissé ce clergé lui-meme les choisir libre-
ment? Aucune classe de citoyens n'était, en ce temps,
appelée a (\Iire ses mandataircs. L'Église ne saurait en
nos jours exercer dAS lihertés que la nation ne connan
pas, et il ost injuste de reprocher aux négociateurs du
Concordat des stipulations que le régime impóri al ren-
dait inévitahles.


D'un autre coté, l'Itglise ne pouvait attendre pour
rentrer en rapport avec les ames que la liberté civile
füt rentrée dans l'État; ou devait-elle done ehereher
alor;; une garantie, un reeours, un appui eontre le
pOllvoir absol11 dll prince, sinon dans 11n pouvoir
placó en dehon; de l'État? L'autorité de Rome inter-
vint comme la sallvegarde inviolable des eonsciencc:;
catholiques. En traitant avec elle, Napoléon se recon-
nllt incapable de régler Eeul et sOllverainement les
affaires rcligieuses; en ~e róservant l'institution eano-


¡SR el j Ui.) L'cllIperelll' dicte lb '1I1Coli01l8 iI poser a ecUe ~,sernblée
de .i"if" d el! m6111<: 11:11I]lS il diete ,,'avance lee répollses, el V811t ,¡lI'av,m!
de rellllir les uepnl¡\.s él! ,'asoure de leu!' opinion. .




LIVRE SECOND.


nique, cette autorité se ménagea un controle perma-
nent sur la eondllite du prinel! en eette matiere. Tel
est vraiment le mérite propre et le r8sultat direct du
Concordato Loin de nous avoil' asservis, il s"est élevé au
début. de notre age comme un asile ouvert au milíeu
de l'asservissement universel a la liber:/ de nos ames,
et e'est dans cet asile que eette liberlé supreme a pu
attendre, non sans souffrir, mais sam; prril', lA retonr
des autres libertés, se retrouver vivan te et debout pOl1l'
faire un jour allianee avee elles, et les appeler a son
airle sans dépendre absolument de lcurs viei~situdes.
Au reste, ~apoléon lui-meme a {Iris soin d'apprendrc
a l'I~glise ce que vaut pour elle cet. important traité.
Qlland il a VOUlll la réduire en esclavagA, tous se~
efforts, nous le verrons bientot, n'ont trndu qu'a le
déehirer.


Ir


Tel est le jugerncnt qu'a llistan('t~ iI IIUllS seftlbIe
permis de porter Sllr le Coneorl]at et ses conséquenees.
Comment l'entendaient cepenc1ant, le lendeftlain de sa
signature, les deux parties qui l'avaient cUllclu? Quel




L'EMI'IIlE. :2Uí


fruit prótrmcJaient-elles ell retirer? A quelles demandes
mutuclles donnait-il omertllre? Cne 110uyelle négo-
ciation entre Pie VII et l\apolóon va nous l'apprendre,
négociation que nous n'aurons pas lieó de bénir et de
sdoriBer comme la pl'emiere, mais gll'il importe éga-
lement d'éturlier; cal' elle en fut la suite, sinon néces-
saire, du moins immódiafe, et peut sur plusieurs points
lui servi r (l'¡;claircissement.


1..0 Concordat n'était pas encore signé, que le gélléral
Lafayette, tromant le premier consul décidé it le con-
clllre, et cnmmen\,¡mt d'ailleurs il ne plus espérer que
le 18 brumaire cut donné un Wa~hillgton a la France,
le général Lafayette dit au Cutur empereur: «( Vous
(1 aycz envie oe vous faire casser la petite finle sur la
«( tete j. » ~apoléon sOllrlt SüllS l'épondre; mais déja il
en était venu it vouloir retirer pour lui-meme un profit
direct et personnel de tout le bien qu'il faisait encore
it sa patrie; et a peine, en effet, lui eut-il rendu son
culte qll'il prétendit se faire sacrer par le pape. Ce
rótablissement rlu rulie, meme apres la conclusion du
Concordat, ne s'était pas opéré sans difficultés ni tirail-
lemcnts péuibles entre les deux puissances. Non-scule-
ment la publicalion des articles organiques avait nffligé
I't dótil! la COlll' de Rome; le gomernement fran¡;,ais
ilvait, de plus, impo:3é au légat du saint-siége, moitié




LIVltE ~ECOi'iIJ.


par m(.'11aCeS, moitié par rllSo, l'institution de quelquef'
éveques choisis dan s le elergé constitutionnel, et ron
n'était pas encore consoll'l au Vatican de ces nomina-
tions peu o1'1hodoxc5, qlland le cardinal Fesch y fut
envoyó pour faire prl\valojl' l'impéricux dé¡;:ir UU I10U-
veau monarque.


Cette demande jeta le pape dan" une perplexité
cruelle. Pouvait-il s'y soustraire? Devait-il y cOlldes-
cendre?


La premicrc eonsidóration qlli frappa Pie VII et
:5on ministre, ce fut la difficulté de refuscr quelquc
chose a Napoléon. La France, S'\lillilr et sIlbjllgu6e
par son génie, venait de lc proclamer; l'Ellrope con-
tinentale, dominée par 8a fortune, le rrconnaiS8Rit
empereur. L'Église, fIui commrnr;ait d(jit it seIltir Sil
volontÁ dominatri(,8, le hélJis~ait jlwll-tant ellcor(~
commc Llll IlOllYl'all Cunstantin, et ce 1I'6t:lit pas ~an~
justice. Kapol,\on, SRl1S dOllte, [las pllLi ({tlC Consttlll-
tin, n'avait fait mItl'e ou reViVl'8 le catholieisltle al!
sein de son empire. Le catlwlicisme a t5té sall\'I', ehez
nos peres, comme il a (,té fondé partout, par le Stlll¡'!'
des martyrs et les périlleux labeurs de l'a['ostolat.
:\Iais apres que la perséclltion s'l\tait éptli~ée contre
les chrétiens, l'Iapuléon ,enait de leur rendre, non
la foi l mais la· paix dalls l'nrdre et l'honneur, l'in-
t6grité de leur hiérarrhie spirituelle et la splrndclIl'
de lcur culte ~ortant une fois encore du f(lml des




L' ~:,\ll) 111 E. i!/!!


calacumbcs, UII pl'ince, en mat.iel'c I'elig iell~e, ne
pcut gucrc aspirer it plus de gloirt~. L'éclat de cette
gloire cOllvrait toule la négociation du Concordat, et de
loin en effagait les taches ct les ombres.


Les jugcs les plllS c1air\'oyants eux-metnl'S deva:ent,
avant tout, admirer quelle viglleur de sens el de volonté
il avait fallll a ce jeune fondaleur d'empire, pour se
dégager des prójugés épais et bruyants qui l'envi-
ronn:JÍent, pénétrer j usqu'a l'ame silencieu~e de la
Franee, y découvrir le Dicu \i\ant mais caché qu'elle
adorait encore; et peut-etre n'était-il pas alors inter-
dit de penser qll'a t8n1. de lumieres un rayo n de foi
s'était melé. Quoi qu'il en suit, Pie VII, malgré quel-
ques mécomptes, voyait surtollt le bien que Napo-
léon avait fait, le bien qll'il pouvait faire encore a
l'Église. Consalvi, qui l'avait approché de plus pres,
entrevoyait également le mal dont il était capable; il
se demandait OU s'arreterait le ressentiment de ce do-
minateul' de l'Europc, s'il était frustré de l'éclat qu'il
avait résolu de jcter sur le bercean de su dynastie, et
le ministre dont le Concordat était l'ouvrage devuit
rcdouter pllls que personne de yoir les fruits dc cctte
réconciliation étollffés avant que le temps de murir leur
cut été laissé. La reconnaissance et la crainte étaien t
(Ionc dcux motif~ égalemcnt puiss1lnts pour ne rien
l'efuser a Napuléon de ce qui {loll\'uit etrc accol'dé, et
Pie VII et son conspillel' convenaient ensemble que




;lUO L\Yl\E :SECO:\U.


jamais homme n'avait paru dans le monde i:t qui il im-
portat autant de ne pas rléplaire.


:'Ilais d'un antre rotó, qnel que fut cet homme, fal-
lail-il abaisser devant Ini la papauté? Les concessions
extraordinaires cUIlsenties dans le Coneordat avaient
eu pour objet de satisfaire aux besoins spiritucls d'un
peuple; elles attestaient la eharité pontificale. La com-
plaisance maintenant attenduc liu saint-siégc, devait
servir Ol! plutot décorer seulemont d'une plus grande
pompe l'ambitioIl politique d'un fOIluateur de dynastia;
elle tStait done au-dessolls de la dignité pontifieale.
Vainement en aurait-on chorché des exotnples. Les
papes avaient toujollrs aUendu l(~s empereurs ; jamais
ils n'avaient couru vers cux pOllr les S;lCrcr. Et cet
empereur pour lequel il í'al1ait faire plus qu'il n'avait
été rait pOllr Charlcmagne, ceL emperenr, ClI s'asseyant
sur le trono, était-il done Si111S repmehe? Lo meurLre
du dile d'Enghien venait uo fairo répandl'o a Pic YII
d'abondantes larmes. On rapporlo q u 'jI avait dit a celui
qui lui apportait de la part de Napoléün, et'non bans em-
barras, la funesto nouvelle : « Je pleure ~ur l'autcur de
l'attentat non moins que sur la vielimo t;)) 01. quclqucs
mois apres on lni demanr]ait. de \('¡,sor l'olletion sainte
sur les mains qu'un sang si pUl' avait taché es ! Tant de
condescendance Ilon-sculcmont pouvait indisposcr les


1. .lfrJ/iwil'c.\' dll (,{II'r1il/o! CUI/I'I/;"¡, t. JI, ]l. 387, eu lIole,




L'EMP1HE, :¡o¡


puissances rtrangeres, mais SLll'tout devait désoler le
pP.ll d'an,les fieres qui restaient encore en Eurorc.


Le pape s'y 1'6solllt pourtant, non salls répugnallce
et sans alarmes, Il avait essayé d'abord quelques
l'I;ponses rlilatoires; mais ce n'est pas aínsi qu'on
óchappait il :\'ap(jléon, Toute hésitation avec lui se
changeait vite en acquicscement, et rarement pcut-
etre, dsns sa carricfp si trarcrséc, Pie VII pamt a
tom C8UX qlli l'cntoll1'aient :llltant a plaindre que re
jOllf oü, disant adieu a :"on cher Consahi (-t lui COI1-
fiant Sil ,ilIe de ROlDe, il qllitta le tombeau des
Ap6trcs POll1' COlll ir \81'S le palais d'lln maítre du
monde. Je dis h plaintlre pll¡tot qu'a blftmer : on IIr
saurait se rnépl'endre, ell e(fet, SU!' ll'~ rai~ons et le~
eunseils (lui le df:!rrmioerenL Ohligé de peser dans la
balance dll silnctuail'e, (]'un coté les incunvénients de
~O[} acceptation, de l'auLre les clwllces d'nne rllptllre,
jI recllla devrtl1t ]rt respllnsahilitt': ¡le ecite rllpture, et,
l!l't:t ü résister a Xapoléon jllsqu'au martyre (;(\5 que
l'É,;;li~c el le saint-,:;it;ge s(!r:1jcnt (lin:ctcment et gm-
tl¡itement attaqllé~, il :3'intndit de le contral'ier autre-
mellt que pum (h:~ motil's purement í't ~trictcment
religiclIx 1,


tcartilllt dunc [oute Llutl'e cOl1sidération, il se boma
it examiuer ~i la déman:he qU'LlI1 atlendait de luí nr




L1VHE SECO\O.


porterait pas pr(judice aux droits de l'Église romaine
el si elle profiterait aux intl;l'ets de l'Église de France.
Ce fut a raSSllrer sur ces deux points sa conscience el
celle dll sacré collége que se borna tou te la négociation.


Sur les droits de l'Église, troi" difficllltps touchaient
Pie VII. D'l1bord, le serment que dpvait preter l'em-
l'el'eUl' cont.enait l'engagemcnt de (( re8pecter et de
faire respecter la liberté des cultes.» Le pape pOllYélit-
i 1 pl1r sa pl'ésence et se~ bénédictions autoriser pareil
serment.? Le gOlln~rnement franlfais expliqua qu'il l1r
s'agis~aiL fIlie de la tO~('l'al1l:e civile, et que le~ éveque~
garclcraient cJ'ailleurs la fétCL¡]té d'infliger aux apustab
les peines canoniql1cs. Cel. éclaircisseJl1ent, Jont la
SUCil'!I! lllorlcl'llC ne pomait s'alarmer, satistlt le pape;
il en prit actr~ t, el les deux sermenls de jll'oté~pr


l. Su/' lltl ]ltJl11t. ltll~~i illl!HJl"lalll l't (lu~si dl'lil'at, je tlens ú citt,!' k
le\[" 1tl,'lllC ,k 1" note r,ffki,'I!,' ,111 (',,{',tinal C:oll;"hi "11 r:u'dinal Fe,cl!.
rllilli',l[',,~ de Fralll'e) ell d:ite dI] :10 ,JUI'Ü 180L J\ntl' ql1i tt'rlllillP l(~:-- c\¡lli.
l"di(,Il:-: !~I·lla!1,!.2.t"t:..;. C'lItl't' l~:~ ¡[PII\: ('oU!',' :


(( 11 :S. P,¡!/rt' hil O:-:,':l'I'Yatn le lipl!:-:te rIle :-l dalllJO ¡l'all' E. \'. illltll'U,
1.!21¡ ;Il'ticoli ['lit, ri:-:,7'lldl'rI.U]f) : lo h Jij¡prt:'t r!f'¡ ('Illti di cni ~i parla llf'i
"':"ll11','1l11Cllt l l l'l'nJll):,,:iLil ¡(iÜ ;:;l'llatll:-:-cOll:-:lIlttJ tI S . .\1. 1. . . . . . .


l)llitllt(1 al UI'[11111 di t;lli arti~uli, ([udl,) eiIJ'\ clH.~ ri:-:;.!'llflnla h liIJeI'L'( d,'¡
"alti, le.~·;!l'llrln il S. Padre 1lI'1i" rli \", E. ('!Je il ~'illralllclllu di )'i'I",It:u'"
I't far ri:-:pl'tt.t.J't:-' 1:1 lilwl'UI df'i i'1¡J¡i t!OIl. l'::j,riltw ('be h lr,JIc'l'iU1/,a f'i\ i;1
p la r,,!:arlLlIí:ia de;..:f illdividlli t' (')JI' l' in (lll,-'~tn :-:ell:-,u che dt,\p illtl'wlt-'J':--i
];, l'ipp:4a di)1. dl~ T;¡]]C~Till1d, p in.litrE' ,.JI!' il g'lly!.'t'tlO., non 1!1'lll1lpttl'Hd1i
dlP li-l. toj)l'rlU1Zi~ riyilp t'rl e~~elldi) tl'a1troll'¡p ~empl'e di:.:.pu:-:tlJ il 1\I'I,le,~­
'.!,'el'l' t.utti i diritti drll:t Chic:--:l~ 11011 lIldtt'j'(, ;..:'iilllllll;li 11,.:ti\(''']O :dJ:t 1111]]1-
¡,illllP dp~'1i itl'0:,tali, 'JIPI' 1I11::'ZI.LI d{'IJi ¡¡PUL' (';lIHnlidIP t']u; i \t'~I'I)í-i Ililllllf l
il ,]jl'itfll .¡:illflL.,ql"¡>rt\; SlIr-t ~inllit':! :,i tI'OY;1 :--(,¡j¡)i,,,f;dl:l dl'i d,olfi ""f'),i:ll'j'l-
!lll'uli. ))




L'EMI'IHE, :l03


I'Église et de respecter la liberté des cultes furent
",uccc~sivernent pl'eté,-i devant llli sur les Évangiles.


La ~eco[JJ,~ Jifficulté qui al'rCtait Pie VII, c'étaient
les éveques constitutiuIlnels encore insoumis, bien qu 'ji"
l,ussent pris possession de quelques-uns des siéges
l'établis par le Concordat. Le gOLl\ernement avait im-
pO:ié leut' institution au cardinal Iégat sans lui per-
mettl'e d'en référer a Rome. Toutefoj~, avant de les
instituer en dépit de ses propres l'épugnances el de
eelles lle sa cour, Caprara avait exigé d'eux lIne rdrélC-
tation; l'abhé Berniel' el Ull autre ecclésiastique s'élairnt
chargiÍs de ]'obtenii' et avaient osé s'en porter gat'allts.
jIais, ~l peine installés, les ¡] llcicns constitutionnels
inaienl rlémcnti l'abbé Rernic¡', protestant que pal' leut'
adhésionau Concordat iIs n'avaient pasentend u condam-
ner lem conduile antérieuJ'e!. C'était tout ce qu'il [aIlaít
pour que le prEmier COI1S1.Ü trouval bon de les m;linte-
ni!'. Sa [Julitique ne c,oJlsistíJit-clle pas a meler cmemble
,LJU~ sa l11ai!l des homrne~; de tous les parti,,) sans ¡eu!'
demande!' C()mptf~ de ¡euro' antécrdents? ~bis b l'eli-
::!.iOll él J'autres exigeIlces que la raison d'État. Pie VII
.1 rClít dlclaré q u 'aussí lungtemp::- que ce~ évéq ue"
ll'aCCell!CraiellL pas les jugemenls uu ~aiJlt-sil'gc ren-


J. rrJ~¡e7. ~Ilr ('~ p()int COllsahi.1 Mélfloil'c,) sur Ir1 Cnncordaf ct Mp-
""Ji/'e,' Sil!, mOll JIIilii,'II~/'f!, et :<nrliJul ~l. u'HaussoIlville el les extraits
,j" h enr]'(;'¡10!I,hnce dl' Caprara ml'I'IIP di',,' DI'Il:I' MUlides, 15 scptCIlI-
:¡rp r!l In 11¡"(',PllJ!q'(' t.~(;I)).




:\04 LIVI1E SECOND.


clus contl'e leurs el'reurs, il ne les aumettrüit point a sa
communion. 11 clevait pourtant les rencontrel' al!
milieu de I'épiscopat fran9ais, et, püm l'üttirer, le
gouvernement lui avait a leur (~gard, et en termes
généraux, promis i:iütisfaction. eette süLÍsfadioll, ce ne
fut pas du gouvcrnement qu'il l'oLtinl. l\'ulle rétrac-
tation véritable ne fut imposée ü ces uerniers clébris du
schisme constitutionnel par le pOLlvoir qui seul le~
soutenait. Mais Pie VII les vit et leu!' parla: l'auto!'ité
en me me temps q L/e la charité pontifieale pénélra j 113-
qu'il. leur Ú:11C, et ib se :,oumirent. Ce fut une \'ictoire
tout apI)::;loliquc. Le pape l1pl'UlIVü une 1'ois de plus
qu'Jl ne de\ait gLlCl'e compter sur le Dl'üS séculicl',
memc dans les alLires üu illlvait rlrJit ü son COnCOllI'S,
mais aussi qu'il pOllvait s'en pa,sel",


1. Lt' rardilla] Consahi, qlli í~íTivaiL ;-;(~S. l\{¡"l)loirp~ \(~iJI de~ Plll¡it_'l':-'
,l'Etat, aflil'IlH' tl'lI' 14' t-!(t!lYI~I'IIt'11lL'llt il\ilÍt pn11lli:, f()rnl!'ll¡;rnrnt la n;-
tl'(lf'tuliOtt df'~; 1"Yl\qll(,"'; ('llil:--ÜtlltiolUWh •• 1e- u'aL tl'UllY¡" diLll~ le~ (h~lll~dlP:'
.[1; jI. dc, T,alJe~Titlld et dill,l~ ,ks llf)k" tI,u ('~ll'flin:tl FC;,:'¡'~l 1111(' d4;"; ~l;-:;-:!l-
1'.'11](',_':-: ~'l:'llP)'alp:-:, qllt' le..; I'r¡~'qllt" el)ll:::lllIJtIUJllll.'l~~ :-:eral{'lll rilppele,~ ;l!l
re:::pI'I't qu'il:-: df~Ynil'llt ;111 CrJllijlll'd,lt (('(> qlli II'illll'lil/ll;lit pfL::' it leor:--
pl'()jJl'e~ ~(~ll.\ Llt'I'l'}Jtatiun d(~~ S(;llklll'P:-:' ;lllh~~l'i(,lll'{,:~ I'('U!llIP:-:' p;-tl' Pil~ \el j <
d 1I11C rl'tle atbil'c' Sl: tf'r1uilll'l';tit (1 la sofisj'orf¡'oll r/e S. S. (;1' ~(HIi ('1''''
dl'ruii'I'c''-: P;lfUll'..; Iple h en!II' d4' Hume ]ll'it }l11!lr 1:1 }JI'HllH':-::-:I' iill'llwll¡J.
,JIII1I' l"~ll"lI'lillillll, n~'tr:tl'tilti"ll '111" .\1. l'"rt:t1i:. d,~,il';¡it ('n elf-"¡. '1111' 1,·
r:,udill:-tl Fe";l'lt l'lll:'>,l'l~l1il it iUtltJl(;/" la;li:~ qlH' }¡~ ~·llllYel'lH·lllellt ll'4'\i~'I';¡ P;¡~:
jJOlll' lai:;":I'1' I'I~:, 1:\ PiIII(,,~ Pll pn:,,:,-:C':,,--:i('1\ di' ]I"!!/''-: ~:il..,~'I~S. 1)'1111 ;lIlt1'l; ('I'¡t{: ¡jiJ
lí:-:ltnt -'1. Thil~r~, fin d()it l'ruin.>, (!tu; ('elle d'lraelilti'JII d'lll1 ;;I;lli~ltlP 11':1
jrtlllai~ (,tó ()I)tellll1~ par b ('1¡!l1' ¡fe Hlimi'. Lor:'I¡II'il I'Pltd (~(I!flI,tL' dI-' I'ill:-Z-
lltlltir)ll de;.:. (YI~IIl1('~.l·()II:-:.titlltíOllll('l:, 4'1l 1~02, d /lit ~ ( T()I~¡{,I',,\, {J,'I_I/'
quP lu ni/melal"')/I dC/IIII),d,le //1' (úf ¡)IIS Ifll'l,'. )) 'T. 111, JI. ,,:jO.; Pi",
1.11'11, ](lI':,IJ!I'il pal'le dll Y()~'a~'¡1 dlt P.1.IH~ Ú P;tri~ ('H 1::::0~, iJ ;¡f'lil'lllf~ !lll'jl
,;1"]1 « I'e/)';I fl /'pmjJPI'(JIU' "11 \'(0'/1 r!e !f'I'/Ji/'lIf'/' {'('lo' 11',',,/1,,' r/¡'I,'/lldps, (JI




L'EMPIRE.


Enfin les derni~res difficultés soulevées par la COl~r
de Rome port~rent sur le cérémonial du sacre. Al!
moyen age, les papes, en bénissant les empereurs, pla-
caient eux-memes la couronne sur leur tete; on
n'ignorait pas al! Vatican que depuis 101'5 la face du
monde étaiL dl'1ngée; 00 prétendait toutefois conser-
ver ce rite, afin que la majestti du vicaire de Jésus-
Christ demeurat intacte dans la ruine de sa 'prépondé-
rance politiqueo NapoIéon, de son cóté, ne tenait
pas moins aux apparences gu'a la réalité dans l'inau-
guration de son indépenc1ante et souveraine aute-
rité. De la une dissidence qui pouvait plus Oll moins
longtemps se dissimulor, mais dovait inévitablement
éclatcr. Pie VII ne voulut pas sacrer Napoléon ~ans
le couronnor. Napoléon promit au pape qu'en efIet le
couronnement no serait pas séparé du sacre, mais
en memo temps iI se promit 11 lui· méme que ce ne


monlm un vz'SIl(JC ':(J,dcment doux el paternel fl loue; les mem/;res du
clergé (I'allrai,.)) (l. V, p, 201), el c'esL encore l'emperenr qu'i! repré-
sente se chargcant, <tU moment m~me ela dópart elu saint-pére, de rame-
ner les (lveques « ,i une paix voton/aire ou forcée, dans laqu~lle Napo-
l¡jan était i'Ji'Olzl rl (¡lire viure le clergé tout en/ie/')) (t. V, p. 313).01', a
ce momenl, il es! ccrtain que les eveques avaient tous ,igné une rétrac-
talion ain,j cCJ09ue : « Je déclare en présencc de Dieu que je professe
adhésion et soumission aux jugements du saint-siége et de I'Eg-lise catho-
Jique, apostoliqlle et romaine, sur les aifail'es eeclésiastiqlles de Franee. ))
Le pape s'en est felicite puLliqllement (Jans son allocntion anx cardinaux
a son rdolll' ele France, et les Memoires elu cardinal COllsalvi, d'aceord
avec les éllllrcs témoignages contemporains, attesterit comment fut abte-
nue eeUe rétractation, que ne clémentil'ent pas eeUe fois eeux qui l'avaient
Bign{'e.


20




306 LIVHE SECO\J).


serait pas la main du pape qui le couronnerait. Il
trancha sur place la difficulté : au moment OU le sou-
verain pontifc allait prendre la couronne sur l'aut~l,
lui-meme la saisit et, debout, la posa de ses propre;;
mains sur so. tOte. Celte manccuvre inattenduc dé-
concerta les prévisions et choqua vivement les suscep-
tibilités romaines. I1 ellt été pourtant i.t sonhaiter que
le saint-pere n'éprouvat pas a Paris d'antres mé-
comptes.


De grands avantages religieux, une o.mólioration
considérable dan s les rapports de. l'Eglise de France
avec l'Etat, étaient le prix que Pie VII, avant de quit-
ter Romo, avait mis a so. condoscendance. A ce prix
il tenait par honnour comme par zele; car si son
voyage restait inutile, ne devenait-il pas inexcusable?
Le gouvernement fran¡;ais, sans rien précíscr, l'auto-
risait a beaucoup espérer, l'encourageait i.t tout de-
mander, et nOU5 devons a sa sollicitude pastorale ce
témoignage qu'en effet iI n'oublia aucun des besoins
spirituels de notro patrio.


Signalons d'abord sur quelques points importants,
mais secondaires, les engagements dostinés a satis-
faire Pie VII durant son séjour aux Tuileries. Le
gouvcrnement lui promit la restitution de l'église
Sainte-Genevieve au culte catholiquc, l'introduction en
France do quelques congrégatíons relígieuses, la ré-
forme des écolcs et des colléges et Ilml' survei11ance




L'fíMPIHE. 307


par les év~ques et les curés, l'augmentation progres-
sive des sommes allouées HU eIergó, la révision des
lois de la conscription de maniere a ne pas ent1'ave1'
le recrutcment du sace1'doce; il se' montra disposé a
donne1' des aumóniers aux troupes et aux hópitaux.
Enfin, comme Pie VII avait róeIamé en faveur dll
repos du dimanche et demandé que cette loi chrétíenne
fút déclarée 10i de I'État, le gouvernement refusa,
non sans raison, de l'imposer aux particuliers, mais
s'engagca dans toutes les administrations publiques a
donner l'exemple l. Tellcs étaient les espérances que
le pape pOL1vait emporter encare en rotournant a
Rome. P1'osque anCUDe ne devait se réaliscr.


Mais ce qll'á Paris mijme il ne lui fut plus permis
d'cspérer, ce fut lm\cisément ce qui lui tenait le plus
au cceur: l'accroisscmont do la liborté do l'Église, l'ab-
rogatioIl des entra ves forgées contre elle dans les
Arti~les organiques. L'Empire était faít, ot ce n'était
pas u rcndre les ames plus libres qu'était destiné
¡'Empíre. Dans ses rcpréscntatioDs a cet égard, ce-
pendant, le saint-pere n'invoquait auel/n antre titro
que le texte meme du Concordat, et l'on va voir si le
Concordat ne lni donnait pas, en effet, manifestement
ralSOll.
------


l. Corrpsp., t. X, p. 30'] el "ni,. 1'"-\1,, C!" la répOll,fj de l'empcrcul'
'11.1\ ¡j"Il,,'\nrlo;; rll! pap'". .




308 LIVRE SECOND.


La religion catholique sera librement exercée en
France; tel est, disait-il, le premier article de notre
traitó. Et cette liberté est stipulée absolu8, sans ré-
serve. La publicité seule du culte, et non sa liberté,
se trouve subordonnée aux exigences de la tranquilJité
publique. 01', aux termes des Articles organiques, la
religion catholique n'est libre ni dans sa doctrine ni
dans Sil législa tion. Elle n' est pas libre dan s Sil doc-
trine, quand l'Église de France ne peut recevoir les
décisions de son chef, ni me me des conciles, que sous
le controle du pouvoir civil; quand l'cnscignemellt
des séminaires est enchainé a la déc1aration de 1682.
Elle n'est pas libre dans sa législation, car llon-seule-
ment certaincs lois fral1i¡aises ne sont pas conformcs
aux lois de l'Église, mais de plus, et surtout, la loi du
divorce et, dans quelques cas, meme la loí du ma-
riagc civil, pcuvent mettre la conscicnce du chrétien
en contradictioÍ1 avec les obligations imposées au ci·
toyen.


Que répondre a cos griefs? Le gouvornement opposa
aux uns l'ancien régime et ses traditions gallicanos,
aux autres la Róvolution fran\{aise et ses résulLats
inévitables, a tous la raison d'État, et par-dessus tout,
cufiu, la rósolution formelle de ne rien concóder, ró-
solution si impérieuse que, pour obtenir les satisfélc·
tions secondaircs que nous avons mentionnées plus
haut, le pape fut contraint de retirer d'abord le pre-




L'E:\lPLHE. 309


mier mémoire OU iI avait présenté ces réclamations
capitales.


JI est vrai qu'il ne s'était pas borné dans ce mé-
moire a revendiquer ce qu'il avait stipulé : la liberté
de la religion catholit[ue; il avait demandé de nouveau
qlle cette religion fUt déclarée dominante \, A ce vccu,
qui ne s'appuyait pas sur ses promessf's, le gouverne-
ment n'eut point de peine a répolldl'e, qu'en fait la
profession de foi émise par le chef de l'État au nom
de la majorité des citoyens consacrait la prépondé-
rance du catholicisme, que ces mots l'eligion domi-
nante seraient interpretés en France religion oppres-
sive, qu'ils révolteraient la nation et que le catholi-
cisme meme aurait infiniment plus a perdre qu'a ga-
gner a une dEiclaration semblable.


Cette réponse éta1t conforme an sentiment public,
et de plus, capable au fond de satisfaire Pie VII; car,
en réclamant pour la foi dont il était le gardiell la
primauté, il n'entendait nullement pousser le gouver-
nement fran9ais vers l'intolérance : l'en accuser serait
souverainement injuste. Ne s'en était-il pas formelle-
l:1ent expliqué an slljet du serment qlle devant lui de-


1. Il est ap~í~Z Sillg'uliel' que l:ette demande rln pape ~(Jit confnrme au
cahier du tiers-élat uc la yille de Paris eu 1 ~8D :


« Tout citnyen doil jouir de h liberté l'articnliere de sa conscience;
« l'OJ'r1N Pllblic ne soufli'c qn'I!I1O? ;'eligion dominante. La re1i,q¡'on Cfl-
« tholiqlle e<¡ dominonte en France. »




:\10 LIVHE ~~:CON[I.


vait preter l'empereur? Et meme, pour faire attribuer
a la religion véritable le titre de religion dominaute,
sur quel précédent s'appuyait-il? Quel modele pro-
posait-il au nOllveau maltre de la France? L'autelll'
¡Je l'Étlit de Nantes. Le premier "mémoire remis par
Pie VII entre les maias de Napoléún a pour conclu-
sion ces paroles remarquables et trop peu connues :
« La profession solennelle que IIcnri IV, le chef de
« la dynastie déchue des derniers rois ele France, fit
(( du catholicisme, qu'il soutint commc rcligion domi-
« nante (sans pour cela cesser de garantir, ainú que
« l'exigeaient les circonstances, le libre exercice et
« les prérogatives politiqucs de la secte calviniste),
« non-seulement n'Ota rien, mais encore ajouta a I'é-
« clat de sa renommée et aux transports de la nation
« pour lui. Il fit les délices de la France, en fut nornmó
« le Titus et en obtint le nom ele Granel l. ))


Le fondateur de la liberté de consciencc signalé par
le pape entre tous les souverains comme le protecteur
du clltholicisme, le protestant converti qui pacifia la
France dóchiróe par le protestantismo, o ll'e rt en
cxemple a l'enfant de la Révolutioll qui devait tirer la


1. .\ ma eonnaiRSance, ces rarnle,', 'l"i lrrmillp.nt le plll,; illll,()rlaat ~l\·>·
mfllre adressé par Pie VIl a ~\apolf~on, u'ay,Üellt (~t{~ Ill¡J)~i(r,!_:~ (I1H~ Ihll,":' lp,
JiH" de ~[. Cll. de Lacombe : lle,u'i n' el .,'I{ /iO¿'Ür/UC. ,,\:\al 'J''': j,' JI','
}Jublia~se moi-nlóme dan; le COJTcsp1mdnnt. TOllt ent expos(~ des W'¡ .. !JI-
cíation, qui accompag'llerent le 8:1I:re es! tiré de~ pilpier~ du t:anliu;t!
Fesl'h.




L'E)I!' 11\ I~,


France du désordre révolutionnaire, le chef des Bo-
Imparte, enDo, convié a servir l'Église et sa patrie
comme les avait servies le chef des Bourbons, quel rap-
prochement, quelle instruction et quel contraste I


Deux caracteres a vaicnt marqué la politique reli-
gieuse de Henri IV, et lui avaient mérité des papes
de son temps le témoignage que deux siecles plus
tard leur successeur rendait encore a cette grande
mémoire. A l'intérieur, iI avait pl'Ofessé la foi catho-
lique sans rien s'attribuer de ce qui touchait a l'É-
glise 1; au dehors, il a\ait protégé eL respecté la sou-
veraineté pontificale 2•


Ce n'est pas il de parcils signes que devait se recon-
naitre la politique du nouvel empereur. Qu'avait gagné
Pie VII a venir le sacrer? ~loins t!'un an apres son re-
tour 11 Rome, il était réduit a déclarer qu'a partir de
cette époque il n'avait plus éprollvé de lui « qu'amer-


j. Agnovimll3 pel'spectam pietatem et prurlentiam carissimi in Christo
ti!ii nostri Henrici, Francorum rep,'is christianissimi, qui nl'hil Sa)l' (le }'c-
!¡'r¡iollc G,Slw¡cn, el ¡JOlam ¡J/'O¡i!8SUS nihil se Ú, Ni, da&italiolli, ha-
t,;!¡'e, cte. (Bref du pape ClGlllenL \'lll it l'évéqllC d'Evreux, Duperron,
~pr~, "él r~onjerence ave,c dll I'lcssi~ ~Iornay.) , _ '
~. Yowz dans le livre de Al. Ch. de Lacombc : lIenr¡ JI' el sa po/¡-


/ir/Uf, d'~il nous a'lons tiré la eitation pn~códcllte, le, eha.p. lIT, Ji\'. 1l1,
Henri fl e el la s01!verrdllcté 1111 suilli-siér;e. II faut el adlellrs ]¡rc cel Oll-
vra:;'; toul entier rour bien ~aisir le cara.ctere catholiquc de b poliliqne
frall<;ai,'e sono Ilcnri J V. ~[ai; arres ray(,ir Iu, on ne reU! plus mécoll-
mitre clup le chef de h maison rle Bombon a étr', comme roi, l'ull des
lll,.illeurs appui, liu'ail jamais eus rEglI,'e. La confiancc et la gratJtude
que lui témoig'llerent les papes de son temps expliquent le sauvenir hdelc.
qn" la caur ramaine avait g-anlé de 1m. el que PIe '1] ne cralgnatl pas
d'cxprimer á t\apüléon.




312 LIVHE ::;ECO~D.


tu me et-déplaisir '. » Quatre ans plm; tard iI était son
prisonnier. A Paris meme, nous venons de le voir, la
plupart des demandes pontificales avaient été repolls-
sées, et nous devons ajouter que la bonne grace et les
égards extérieurs n'avaient pas toujours voilé la ri-
gueur de tant de refus. Apres avoir beaucoup désiré
le saint-pere, Napoléon laissa trop souvent percer
dans son accueil la brusquerie d'un parvenu qui
craint de montrer trap de déférence, ou le respect
humain d'un soldat entouré d'esprits farts. La nation
senle, et non le souverain, environna le successeur des
apótres d'hommages qu'il devuit recevoir plus signifi-
catifs et plus sinceres encare aux jours de su captivité.
Pie VII trouva la France plus filiale qu'il ne l'espé-
rait, et la France, de son coté, en voyant de prcs un
pape si g6néreux et si compatissant envers elle, le re-
connut mieux pour son pere : unique, mais providen-
tiel dédommagement de ses déboires et de ses sacri-
fices, mérité par la droiture et l'abnégation du saint
pontife. Mais du cóté du gouvernement, qu'iI s'était
propasé de satisfaire, la condescendance de Pie VII
n'obtint rien, ni n'empecha rien, el le cardinal Con-
salvi, qui avait conseillé cette démarehe, nc trouve
qu'une seulc raison pOUl' la justifier, c'esL qn'elle óta


\. 13 novembre {SOJ. Leltre de Pie YJI a ~apoléon! publiée par M. Ar-
tand : Vie de Pie Vll, t. 11, chapo XXVI.




L'E~I!'IHE.


tout prétexte pour rendre le saint-siége responsable
des maux dont il allait devenir victime. JI était peut-
étre bon, en effet, que l'expérience fut faite une fois;
mais elle sumt a nous instruire. Rome sait désormais
qu'en ce siecle, comme en tO\1t autre, l'intéret de
l'Église est inséparabIe de sa dignité, et que les ambi~
tions humaines qui réclament son concours savent mal
respecter son indépendance.


111


La liberté de l'Église avait ótó l'objet du premier
débat de Pie VII avec 1\'apo160n. Ce débat nA se ren-
ferma pas dan s les fronticres de France, il embrllssa
bientot le royal/me d'Italie, pour leque! un concordat
á peu pres pareil an concordat franoais élait égale-
ment gaté par UIle imitation des Articles organiques.
D'autres différends encore étaient destinés a éclater
au deHl des Alpes. A pres les premiers conflits pure-
ment religieux, la ::iollveraineté temporelle du 5aint-
siége devint le motif ou l'occasion de la rupture;
l'assel'Vis~ement de la papauté devait, dans la pensée
irnpériale, en etre la conséqucnce.




314 1,1 \ I\E :'I<:I:I)\I!


Quoique la cour de Rome éut toujours gardé l'es-
poir de recouvrcr les Légations perdues depuis le traité
de Tolentino, Pie VII n'avaitjamais voulu stipuler leur
restitution comme condition du Concordat ou du cou-
ronnement; de peur qu'on ne l'accusat ue vendre pom
un avantage temporel les bénédictions pontificales, il
avait meme, aussi longtemps que durcrent les pour-
parlers relatifs an yoyage du sacre, interdit a son
gouvernement de recevoir aucune Ollverture a cet
égard. Apres que le couronnement fut accompli, an
moment de quitter la France, il se preta enfin a rede-
mander a ~apoléon les torritoil'e5 que Charlemagne
avai! donnés. Napoléon, uevcnu roi d'Italie en meme
temps qu'empereur desF]'anºai~, Tle les rendit paso
Mais pour consoler l~ souverain ponti[e, iI prescl'ivit au
cardinal Fesch de lui remettre une note (fU il prenait
l'engagement formel, « pour le bien de la rel1gion, ))
de le respecte!' « comme souverain indépendant, de ga·-
rantir ses Étll.ts et de lui procurer, ualls lcs guel'l'es qui
pourraient di\iser les États chrétiens, une tranquillitó
cnticre et assuréc. )) II manifestait memo 1'e5poi/' de
trouver un jou/' quelque occasion non-sculcment de
consolider, mais d'étendrc le domaine pontiilcal l ,


En effet, lcs remaniements de territoire entraient
facilement dans les projets do Napoléon, et iI se [aisait


\. ¡'ie de Pie J'JI, par -'tI. Arkmd, t. 11, chapo .xn.




un Jell dt' les accomplir a son gré. Mais a ce jeu, ce
n'était pas le domaine rlu saint-siége qui dcvait g.1gner
quelquo chose.


Resserré au nOl'el par )(] royaume eFItalie ot par les
duchés que I'emperenr eles Frangais, roi d'Italie, avait
distribués a titre de fiefs parmi ses proches, cerné
ensuite au midi par la conquete de Naples et l'établis-
sement de la rayautó \"a~sale de Joseph Bonaparle, iI
deven::tit une enclave, allaít etre consilléré comme une
dépendance de I'empire d'Occident, et dans cette situa-
tion devait etre d'abord violé, ensuite confisquó.


A peine la Li'Oisicme coalition, formée par l'allianre
de l'Autriche et de la Russie ave e l'Angleterre, eut-
elle éclaté, que l\'apoléon se servit du territoire ponti-
fical comme d'Ull passage constamment ouvert a ses
troupes entre le nord et le midi de la Péninsule. Ce
n'était guere en ménagcr la ncutralitó. Le pape,
obligéde défrnyer ces hótes incommodes et nombreux,
aurait assllréll1ent pu se plaindrc, et achaque ins-
lilnt, au contmir8, c'était le gOl1wrnemenL frangais
qui se plaignilit. Déjü mécontenL que le saint-pere,
sourd ü tonte autre yoix qu'!.t ce He ele sa cOI1science,
eut refnsl\ ele Cilsser le rnariagc de son frere Jérome
avec une Américaine protestante, l'empcreur s'irrita
ele quelqucs l'etarlls apportés a la reconnaissance de
wn frere Joseph comme roi ele Kaples, finit par consi-
dérel' I'État I'omain COlllllle le repaire de ses cI1nemis,




L1VRE ~ECllNIJ.


et s'en prit a la eour de Rome des mauvais sen ti-
ments que son ambition eommeOliait [¡ inspirer a
toute l'Europe. Le cardinal Fesch, son représentant a
Rome, entretenait en lui, sans manvaise intention,
ces préventions fun8stes. C'était un ambassadeur droit
et religieux, mais roide et taquin, sOllp90nneux et
emporté. On l'avait pourvu d'une poliee, et, mal habi-
tué a ce genre d'instruments, il était enelin a voir
partout autour de lui des piéges et des complots \.
Ce ne fut pas lui cependant qui détermina la rupture j
des qn'il aperQut, au contraire, chez son redontable
neven, le dessein d'envahir le territoire pontifical, il le
combattit; sa correspondan ce en fait foi. Il le com-
battit par des motifs que pouvaif. gOllter Napoléon.
Nos troupes, disait-il, travel'sent et parcourent libre-
ment les États du pape; que gagneraient-elles a les
occuper malgré lui ? ~Iais déja le lion était insatiable;
il se plaint que le port el' Ancone ne soit pas a l'abrí
des Anglais ou des Russ€s, et pour parer a ce prétendu
péril, il s'empare d'Ancone. 11 aurait pu le faire ou-


i. Vo)'ez Consalvi, Mémoires sur tílon m.inislel'c, t. JI. J'ai pu véri-
fier les allégatioIls elu secrét.,ire d'Etat ele Pie YII, llon-sculement a
l'aide de, elocuments contenns nans la Yie de ce pape par ;\1. Artaud,
mai, aussi it l'aide eles papiers eliplomati'lllos du cardinal Fesrh, ayer
qui Consal,.i ful precque COllstalHIll~llt en discussioIl el se brouilla cnfin
complétement. La corre,pondance ele l'ambassaeleur m'a ]li\ru pl"ine de
sOUPí'OIlS chimeriques et c1'omhrages gratuits, m'aiA depourvlle d'allég-a-
tions préci,cs et fondees sur la pretendlle complaisance du ¡:;o'l\'emp,men(
pontical puur le~ ennemi~ de la Frallce~ et en piirtic1l1ier pnur les urig'and~
napolilains.




L'EMPIRE. 317


vertement et sans coup férir; le saint-siége n'aurait
certainement pas :iongé a mesurer ses armes contra
celles de la France. Chose étrange 1 ses lieutenants
eurent recours a la fraude.


Vers la fin dll mois d'octobre 1800, tout a coup,
sans que le saint-siége etit été prévenu, et a la grande
surprise dll cardinal Fesch, une division qui revenait
de Naples et que commandait Gouvion Saint-Cyr
occupa le port, la ville et la citaelelle d'Ancone. Huit
jOlll'S apres, le gónéral Saint-Cyr prétendait encore ne
s'y trom-er qu'en passant, et protestait ll'avoir jamais
déclaré que ses troupes devaient y stationner, ajou-
tant: « Ce qu'on a écrlt de contrail'e est (aux, calom-
1( nieux el d'une peJ'j¿die sans exemple; » et le
cardinal Fesch, en transmettant le 2 novembre cette
dépeche au cardilli.ll Consalvi, annonl)ait de tres-bonne
foi ce qu'il s'était empressé de réclamer, la prochaine
évacuation de la place. Le fO novembre, le malheu-
reux ambassadeur était réduit a écrire au méme secré-
taire d'État : «( Le soussigné est désolé d'annoncer a
«( Son Excellence que le général Saint-Cyr lui donne
«( communication qu'il a re9u ordro <le l'empereur de
« laisscr une garnison a Ancone et de l'occuper mili·
t( tairement i. II


1. Tire des registres du cardinal Fesch, conlerlilnl la copie de ses dé-
pCC)108 dip)(IInatiq/l8S, 2 et 1 D novem/JJ'{i 18M.




LlVUE SECO:'/Il.


A ce coup, le saint-siégc comprit que c'cn était fait
de son indépendance temporelle, et il jugea le moment
venu d'attester l'independancc morale, quc nul COD-
quérant n'était maUre de lui ra,ir. A aucun prix il
ne voulait paraitre complice des opérations milítaires
dirigées par l'\apoléon contrc tous les peuples. Pie vn
declara done a l'empereur, dans une Jcttre quí ne
de"ait etre connue que de lui seul, (IUC si Ancune
n'était pas óvacué, iI se verrait forcó d'interrompre les
relations diplornatiques avec un gouvernement qui
tendait a le separer du reste de la ehrétienté 1,


Cette pl'emicrc 1'6siEtance d'une autori~ qu'il voyait
matéri,ellement si faíble et qu'il pressento.it morale-
ment si forte, mit No.poléon en fllrcnr. Le pape lui
refu~ait Ancóne; il reclama la fermetllre de tOU:i les
ports et l'interdiction de tout le territoire pontifical a
ses ennemis les Sardes, les Anglais, les Husscs. Ses
ennemis, disait-il, devaient 6tre ceux dll saint-si(\ge.
« L'ltalie entiere serait soumise a sa loi; si le papp
était le souverain de nome, il en ótait l'emperelll' ; ))
et par un cynismc, ou plutót par un delire uont ses
lettres offrent alor" plus d'un excmple, ti ces injonc-
tion5, a ces éclats de colere, il mdait encore eette
phrase : «( Je ne LOllcherai en l~icll a l'ind¡\pelldance
(( du saint-siég~, » Cela voulait dire que le pape pour-




L'E~IP1HE, :1l9


rait garder encore son damaine temporel a la condition
de se reconnaltrc devant l'Europe feudataire de l'Em-
pire frangais {.Le pape n'en voulut point a eette con-
dition. Ce domaine, répondi t-il, no lui avait pas été
transmis lige el servile, et il n 'avait do prix i:t ses
yeux que s'illui permettait de rester en paix avec tous
les peuples, san s dictinction ue catholiques ou d'héré-
tiques, de voisins ou d'éloignés. Ainsi Pie VII, n'at-
tendant de l'Europe aucun appui, se sacrifiait pom ne
lui donner aucun grief, et, complótomcnt désarmé, iI
aimait micllx afIronter I'h08ti1ité qu'accepter la suze-
rainetó do l\apoléon 2,


Cette résolution magnanime n'était pas propre au
pape seul : elle appartenait u tout le sacré coIlége.


Avant de faire a Napolóon une róponse d'ou pouvait
d¿pendre le sort de I'Église, Pie VII avait voulu le
consulter, et sur trente cardinaux réunis autour de lui,
vingt-neuf, reconnaissant pourtant que tout était a
craindre, avaient óté d'avis de ne pas céder. Consalvi
ne pensait pas autrement quo ses colIegues. Il termina
en s'associant au reflls de Pie VII le ministere qu 'iI
avait inauguré par le Concorrlat : sa retraite fut une
derniero satisfactioll offortc pUl' le pape iL l\"apoléon, qui
se montrait alor5 d'alltant pllls irrité contre ce cardinal


1. eONeS!J. L"[;I"".1\1 pCI]lC, 1:. f'ovricr ISOI;, t. \"11,]J • .n. An cardinal
F",ch, m"omc ,Iatto, t. Xi 1, ]'. 10.


2. 1''-1' ti"Pil' I'II, l. 11. ,'h"p. ~\Y1 ;'¡ X\\.




:120 LlvrrIL Sf:CO:'\D.


qll'il en avait espéré davantage l • .i\Iais en se séparant
de son conseiller de prédilection, Pie VII ne se prépara
pas a fléchir : il se proposa, au contraire, de
manifester plus clairement sa constan ce person-
neUe.


Cependant l'autorité spirituelle dn saint-siége n'était
gU81'e plus respectée que sa souveraineté tcmporellc.
Tantot Napoléon entreprenait u'organiser a son gré
l'Église d'Italif: et ntglise d'Allemilgne, supprimnit
des siéges épiscopaux, fermait des coments, disposait
des biens ecclésiastiques, et s'étonnait que ses volon-
tés ne reQussent pas imméJiatcmcn t la sanetion pon-
tificale 2. Tantót il exigeait dn pape la rcconnaissance
des libertés gallicanes. Tantót enfin il prétendait
changer aux dépens de Rome la composítion du sacré
collége, y proportionner l'influence de la France h
l'étendue Jc son territoire agrandi, et porter au tiers
du nombre total des cardinaux le nombre des cardi~
naux franltais.


Mais ce qu'il revenait a exiger toujours et par-des-
sus tout, c'était le lien fédératif destiné a associer Ir:
saint-siége a toutes ses querelles avcc l'Europe 3. II ne'


1. Consalyi, Mémoires 8ur ilion mini,¡,:rc; rim'i;.I'!)" t, XI, p. 043.
2. COl'reSp" t. XII, p. 4(j2, 483, fJ23; t. XV, p. U2.
3. JIémoires du cardinal Pacca, t. I, 1 re partie. Voyp-z notamment


le projet de traité présenté par le minHrc Champai'ny an raint-si,j;;e,
~ers la. fia de HW7, p. ti1. (OEuJ))'e8 cO'!l}Jlal!.~' l/U cfij'{hlw1 ¡IO(;('O, tra-
duites par M. Qlle\Tas, t84ií.)




L>¡':~[PlnE.


suffisait pas, soit a ses desseins, soit a son orgueil,
d'occuper militairernent les ports de l'État romain,
Civita-Vecchia eomme Ancóne, et d'assllrcr ainsi nt
comme aillenrs le bloCLlS continental : il lui fall:tit
encare le concours moral du saint-pcrc contre ses en-
nemis. Le jOllr ou, ayant épuisé les injonctions et les
menaces, il vit clairement qu'il n'abtiendrait pas ce
concours, la ruine de la sou veraineté temporelle fut
arre té e dan s ses rósolutions 1. A ]'occupation des ports
succéda l'occllpatioll des :iUarches, et plus tard lcur
réunion pal' décret au l'oyaul1le d'ltalie, ]'attribution
des principautós de Bénévcnt et de Ponte-Corvo a
Talleyrand et il Bemadotte, el, enfln l'occupation de
Home, qui s'accomplit, comme celle d'Ancóne, sans
t'ranchise. Ce fut en annour;ant qu'il devait seulement
y passer que le général Miollis cut ordre de s'v fta-
blir 2.


En face de ccUe gal'llison étrangel'e, le pape, qu'on


!. ( _\lIj I IUl'Irlllli; ll}iu Ik ,::(' cruiJ'(, r¡h~~aU\ de j'!'lflpin' l il~ Of'S Ilajw:-:;,
( UP Yt:lIklll p,'t:-: 1I11"[llP f'Il l'iLirl.' piLrLif'. 11:-: pl'ptf'lUk'nl ;-:',dlipL' ;LYl'C lt·~
j( pl'ntest'llJt:-=. et lt':-, {'nllPmi~ de la l~hr~tientt ... 1.1-' IlUliwlrp illl'íln\'t~­
«( oií'nt de sem!J!.t!¡]¡>:-: di~jlu~itirm:-: c':-:t dí' ,pil' I!~:-, p;¡pe:-: eut/'Pf PU lll"-
{( g'Ot'Últif1tl ayel'. k·:-: pl'lA(':-;t:IIlt:~., ]nr:-:rplf'.' d'aprrs 1(·:-: ],)i;-: tl(~ l'Ep,li:-:p) i1:-:
« dC'\Tait:nL s ·(:·Joi~lIl_'t' d'(·u\: 1"1 ir.:". t~\I'I)mllllllÜer (iI ~. a une pripl'{~ p,lll!'
({ cela qlli ~e I'/'('ite ú Hume). » :.:\{Jtf· didú~ p:11' ;";-iLjJ(I!("un h Sl'1lff'lllJl'unn
IMUI' jll,tif1r:r [~ ,UPPI'C",jOll du pI!I1YO;1' tr'll11'0l'cl, t J [1Ia; 1800, COl'resp.,
t. XIX, p. IH.¡
~. A-JéJJUJlJ'cs du ('fl}'(h'I/Ot Pncca. {re }Jartie) L 1, p. ;i2. Yoyez atl~~i


Ir" jn,lrtll'l;,,¡[, ¡[',lllli",,, Il ~[;lllli" COI'/·I>''!I., t. XYI, (l. 278, el celle,
'[oBlll'e> it l'illnlla,sadeur .\11(11;1>}, <111 ntl"lH"lIt dI', l'l;nll'l'c de '\[iolli3,
t. XYI, JI. :lH).


21




32:¿ LIVI\E SECO;';!),


n'avait pas encore déclaré dóchu du treme, se considéra
comme prisonnier. Il refusa de sortir de son palais.


Prisonnier, ill'était bien en réalité quand les agel1ts
de l'empereur lui débauchaient ses soldats, désar-
maient .i llsque dan s sa demeure le peu qui restaient
fideles 1, arr8taient ses cOllrt'iers, chassaient de Home
les cardinaux napolitains, et s'íl protestait contre ces
yiJlences, enlevaient de force les ministres appelrs
succe3sivement aupres de lui 8t saisissaient leurs pa-
piers 2. Pour garder le dernier qu 'il se don na , le car-
dinal Pacca, íl avait dü, un jour, le disputer enper-
sonne a la police frangaise. Averti que les envahisseurs
étaient venus se saisir de lui, il ótait accouru tout á
coup, et, le prenaut pal' la main, pour l'cmmener
dans ses propres appartements, il nn ~'en ¡;tait plu~
séparé 3.


Dans la voíe OU l'\apolóoll s'était J;mcé, il ne devait
pas s'arl'eter a mi-chemin.


Le décret qui sllpprimait la sonveraineté temporelle
et réllnissait a l'empire les États du saint-siége fut
rendu a Sehcenbrunn, le 17 muí 4, et pnblié tt llome
le H juin1809.


l. Ce dé,arrnelllcnt cut lien en "c/'tu <I'llll uran' 'I'ú;icd el fO/'Ille!
3.dre:~~¡~ IJ,'u' .:\ajJuleoIl au prillce Eu~¡,lt{', ~t¡ lllars 1 SOS. :Cu}')'(J.\'p., lo X Vf,
p, 5~I,)


.:2. JleuuJiI'I J ,;; dll Cfli'rIiNrd j)flCCO" l]'l' pilrli.-., in /iJ/l';:2 e p;lrLil~, chapo l.
3, [bid., ;!e partie, "bap, 11. Y"!"l ~\ls"i ¡(ido/,'e ¡fl/ ('UIlI',,11I1 pi ,1"


I'HllljJi/'e, l. XI, Ji\', XXX\"[l, p, :lOO el slIi\'.
4. y"vez h uo!,' dict('c p"r "ctj'O]'\Oll pOIl/' son minisfrp ¡JI'S :dfltires




I.'E~IPIHE. 323


Le pape, qui l'attendait, y répondit par une excom~
munication que « des rnuins couragemes et fldéles 1 )l
afJichérent le lendemain a Saint-Pierre et sur la porte
des principales églises de ~ome. eeUe bulle, préparée
depuis longtemps, retragait toutes les violen ces du
gOLlvernement frangais, et faisait peser les foudres de
l'Église sur les spoliateurs uu saint-siége 2.


Ainsi le pape désarmé ne résistait pus au con qué-
rant, mais, inflexible, ille bravait. Pouvait-on le lais-
ser aRome? Tout poussait le général frangais a. l'en
arracher. Le pellple, qui ne séparait pas alors sa cause
de la cause de la papauté, ótait tranquille, mais irrité
et sourdement menagant 0. Le cardinal Pacca, homme
intrépide avec calme et tout d'une piéce, plus capable
d'une religieuse constancc que de ménagements poli-
tiques, aussi digne enfin d'assister le souveruin pontife
dan s ses épreuves que Consalvi l'avait été de servir
d'instl'umcut iJ. ses :iUCCC';; Pucca, dovonu l'objet de
toutes les runcunes et de toutes les déflances impé-
riales, restait a coté de Pie VII et ne pouvait etre anGtó
qu'avec luj. Enlin Llcs lettres de Napoléon a Mllrat


i:lran:;¡,re~, indi(jllant ú ce mini,tre les bases el la Vóneur du m]J]Jol'l Üc,-
tiné it motiwr le dé.:ret. Yo)""Z emuite 1" texte mt'me dn decreto (Cor-
,.esll., t. XIX, [>. I:j el lH.)


l. ~I. Tllil'r,', t • .\1, jil". E:\VII.
:2. JJ/!}II')Ú'I~S ti/{ ('oJ'dúwl fint('([, :!I' 11:tt"lif) clJap. v.
:3. ,1,/11 .. chal" 11'.




LIVHE SECuNDo


ülltorisaient éventuellement, mais formellement, eeUe
arreslation 1.


Elle eut lieu le 6 juillet 1809, quinze jours apres
I'abolition dll rOl1yoir tempore!. Le Quirinal satls dé-
fense fut escalarlé la nuit comme une forteresse: aYant
brisé les portes a coups de hache, les folllats et les gen-
darmes s'ayaneerent, non suns quclque effroi, al! milien
des ténebres, 11 tra vers les grandes salles silencieuses
et vides, jllsflll'en prt\~encc Lll! chef de l'Église. A son
aspcct, le eomm:lIldant de ccHc triste cxpédition, un
omeier de gendarmcrie, s'arrela un instant interdit, et
plus tarel, cet !Jomme grossier il conl'cssé lju'iJ. ce mo-
ment le sóuvenir de sa prcmiere communion s'était
élevé tout ¡l coup dans son amc et l'avait tl'oublúc 2.


Cependant Pie VII fut jetó avec son ministre dans
unc vuiture étl'oitcmcnt fcrmée, et tandis que le pcuple
romain lis:lit ayec attendrissement des adieux préparés
en pré"ision de cet éVt~nCmeIlt, et afficbés commr
I'avait dé la bulle d'cxcornmunication, l'augusLc
viei/lal'll (:tait entrai!H~ IlJin l1e la Vi!le (~ternelle, SCll1S
q tIC cem qui l' cnle":licnt ai nsi S1I5scnt eux -m¡\mcs oü
ils devaient le conl1uire 3.


1. CO/,/,i}Sp., i1 el 19 jUiIl j son, t. XIX, JI. 1'>ii et j(i l.
2. J'te dI' Pie )7J, par ~!. Arlauu. Yo)"ez a\l"i le n'·,'it dt: J'aITes!a,


tiOll P;I)' lp gl~1l1~I'a1 Hadet Jui-nu\me. Jlémoú'es {!u C({I'{!iIlU! PaCf'fI, :.F pnr-
tit>, d()('llmellt:: hi:;tlll'i1Ille,-,.


:J. Al';rlloi)'!'s dll cardinn{ Paeen. :¡,. I,,,rlip, criar. J, r,t Ik!a/iof! rll1
/,"!lag", ]l81' l\;,,1~t.




L'EMl'IIIE.


PerSOlllle, en cffet, ne se s0uciait de gardel' un tel
prisOnllicl'.


La salIlr de Napoléon, qui régnait cn Toscane, le
dirigea sur le Pi(~mont; le beau-frere de ~aIJoléon,
qui gouvernait le Piémont, l'expédia en France.
Enfin, de Grenoble il fllt rilmcné a Sll\'o!1e, dans la
riviere de Genes. Kapoléon, en apprenant en AlIe-
magne cet enlevement, qn'il avait pOUf'tant pl'évu et
éventuellement autorisé, s'en montra mécontent i.
BientOt il s'en consola en formant le Jl]'(ljet de trans-
porter 11 Pari,; la papa lité Eubjugu('e. En attendant
il sépara le pape des cardina.ux, fit enfermer son
derniel' ministre Paeea dclllS la forteressc de Fenes-
trelle ¡, et preserivit d'environner d'lIne sllrYcillance
étroite, cacMe SOllS de grands égards, le pontife pri-
sonIlier.


La lntt.e av(~c le sOLlverain tempo1'cl des États 1'0-
mains avait été tranchéc par la force, le cUlIflit avec le
chef spiritllPI de rÉglise cummen<J;¡it h peine. i\"apo-
lóon, qui arait déclaré en i80(j qu'il I~tait ee lItile al!
Lien de la I'cligioIl que le sOl!verain-pontife de Romc


\, cO)')''''li., t. XIX, 1'. 31;!, :l2G, :lIi:!.
2. « QlIant all cardinal Pacea, jc :-:1ipjln:-:~~ qU!? \-Oll~ l'alll'üz P.1l\"oyó f¡


«( FCllc,;lrelks l:t que Y()ll~; a Yf;!. d¡~felld!l (l'l'il cnmm lI11i(ll1P íl\'PC [JPr"ollnc ...
(( Ln par)l' e~~t 1111 I1nIrlltle ¡)(ill) mai::: i,!.!.'nrn'ant (,t t'an8.tisl'" Le cardinal
« PJ.l,(,~l cst 11Il hOIl1Tlll_' ill~lrliiL f'L Hit f'()(IlIin plllll'mí de la Frailee qll¡ 1]1'
(( !ll¡'~l'ile iUH'Il!l IW"llil.! . '.'r'mpnl. )J (Lett!'(~ de \apolt"OIl au f'OIllte FOlll'h,'"
lnini.<ll"p. de la J1olil'p, G ~Ol"¡( [800. CO)·I'e,p., l. XIX, p. :)¡;.~ ;




:326 LlVl\E sECOND.


ftit. respecté comme sOllverain i ndépendant, )) aboli~­
sait en 1809 cette souvcrainel.é pour remIre tout entier,
disait-il, le successeur des apótres a sa mission spiri-
tuelle, et aussitót apres il le privait de sa liberté. De
plus, il défendait dans les anciens ltl.ats pontificaux de
consacrer allcun pretre saos sa permission, abolissait
les ordres religieux et supprimait les siéges ues éve-
ques, les paroisses des curés qui refusaient de lui pré-
ter serment 1. N e se chargeait-il pas ainsi lui-rncme de
donner promptement et pleinement raison a ses décla-
rations de 1806 contre son elécret ele 18091


On allegue, il est vrai, qu'a ses rigueurs contre
Pie VII Napoléon fut provoqué, et, dans la lutte mé-
morable de la plus haute autorité morale avec ~ plus
grande force matérielle que le monele ait jamais con-
nue, il se rencontre .encore ele prétendus ami s ele la
liberté qui prcnnent parti pour le conquérant contre le
pontife, pour la vioJence contre la conscience. J)'autres
homrnes, trop éclairés el. trop généreux pour tromer
mauvaise la cause elu pape, blament pourtant sa con-
duite, et chercbent dans les dé marches de la victime
une excuse aux entreprises de l'oppresseur.


Serait-il vrai, en e[ct, que la résistance de la pa-
pauté désarmée n'ait pas alol's été il'réprochüble 1 Si
le plus beau spectade que 1 'hi~toire puisse présenter


• J. C'JI·¡·CSp., 7 d !J lllili et 1J juill I HlIl, t. xx, p. :lR2. ::DI el O::.




L'¡';.\lI'JHE, 127


aux hommes est celui de la YCl'tu sOllffrant pour la
justice,je ne connais rien dan s les anuales de l'Empire
qu'il soit plus important d'éclaircil',


La résistance de Pie VII se résume en deux actes
tres-fueiles a définir.


Au dócret qui le dépouilluit de la \'ille éternelIe, il
avait réponuu par la bulle d'excommunicution.


Aux mesures qui le privaient de sa liberté il opposa
le refns d'adresser au gOllvcrncmen t oppresseur les
bulles d'institution d'aueun éveque.


L'excommullication, dans la pens{'e dll pieux [Jon-
tife, n'était ni une menace ni un chátinwnt tempo!'els.
Pie VII suvait uussi bien que pC!'30nne qu'on n'était
plus an temps OU les papes dépos::tient les empereut's,
et meme, dans le texte de la bulle OU par un dernier
ménagement Napoléon n'était pas nommé; il avait
pris 50in de !'éprouver d'avance toute illterprétation
aussi erronée do ses CCIlSU ros j. L' excommuIlicatioIl
tello qu'elle fd alo!';; fOl'llllllt'e était une peine pure-
ment. religiellse, proIloIlcée pur une a Lltorité religiomo
pour pUlIir 1lT1 üttentat COlltn~ la reli3ion. Les concilcs
l'avaiellt 6dictée contre les spoliateurs de l'Église 2, et le


l. (( \011.0: I'II,jni¡":'[loll'" pi l\J'llnul1rm:-:: (·11 \['1'11] dt' 1Ft f:ainte ohei~:-.tl.ne(', a
(( IlO,i :--Iljet:-:. el ~ tllll~ If~:: }lr'llple:- "hn;tipll=--, ele ne r.au~er, a l'orc,gRioll de~
{( 1l!'l~Rentps ]pttI'P:-' (ill :-:1)11" tr.lut autre prrtexte, ancnn dOlnmage, fUlcun
rr pr4jlldif"P' (¡ (,"11\: !j1ll' l'eg-dl'c:lent ce:;\ rensnre¡;:., snit flanfo! lenr:;: hien~" ~0it
(( dan;;, lrllr~ drl,its el prérogatiyc:::.. })
~. \o(alllment le concile de TfI'llt", \'I!SS. XXII, UI)l. Xl.




LIVIH; SECu~[).


pontife spolié ne faisait, en l'appliquant, appel qu'it
Dieu seul. Napoléon voulait l'entendre autrement : il
affectait d'y voir un appel El la guerre el it la révolte,
et rayant ainsi travestie, tant6t il s'en indignait, tant6t
il s'en moquait \. En réalité il s'inquiétait de l'écho
que l'anatheme solennel du pontife per~écutr\ dcvait
trouver non-seulement au fonu des ames pieuses, mais
dans la conscience du genre humain tont entier.


Aussi n'épargna-t-il ni précautions, ni rigueurs
pour le tenir caché. Puis lorsque Pie vn cuptif lui cut
rcfusé d 'j nstituer des évequos, ill'acclIsa de ~o déro-
ber aux obligations de son ministere et (( d'interrompre
autant qu'il était en luí l'exorcice du cuIte en France,
ce qui pouvait tourncr contre le culte lui-meme, et
dans tous les cas n'était pas tres-pieux 2. ))


C'était confondre gratuitcment des choses fort diffé-
rentes. La vacance prolongée de plusicurs siúgrs épis-
copaux, si regl'ettable fIll'elle soif, n'interrompt ras le
culte, et, dans tous les l1ctrs qni !le del1lill1rlaient pas un
accord omciel ayec le gOllVernemellt fmnr;ais, Pie \'11
captifne l1rgligeait rien, au cont1'aire, pou!' mffire il SOIl
mil1istere. Lorsquc dix-nenf prélats fral1ºai~, par
cxemple, llli demandcrellt dalls la meme lettre d'accol'-


l. ( La 111l11e ~r8Xeqlll.lllnlli\'atiqll (~;.;t tillO JI¡iTI' :-.i l'i¡Jil'lllc r¡ll't'lh: nc
(( ml:'rite pa;; qu'un ~. f:t:-::-:tj atkutirJll. ,) tLdtn' rlt' :\ "pol¡"oH (tI! Illilli:-Irf'
de, ~Idle" ¡:j jllillet lB1I8) Cn!'/'I""!,.) t. \.1.\, po 2~~0! IlJl lerra ¡du.' ¡"in
,i, el! dIet, \"ajlr.Mon l/o!! ¡á/s(lit l/oS (diel/huN.


20 Hisloi/"c dI( Conslllit! 1'1 dI' /'F/I/¡,il'l', to \.11, po li~o




L'EMPlfiE. á29


der a l'empereur les bulles d'institution des nouveaux
évéques I et a eux-memes des pouvoirs extraordinaires
pour distribller dispenses en cas de mariage, il re-
fllsa les bulles et accorda les pouvoirs. Telle est la
vérité ~.


Pouvait-on oublier, d 'ailleurs, qu'il avait délégllé a
quelquos cardinaux une autorité suffisante pour pour-
voir aux besnins les plus pressants de l'Église, et que
le gouvernement i'mpérial considéra comme un Oll-
trage cette dólégation apostoliqlle, gui en elfet accLlsait
tacitement sos violences 3 ? Si les carrlinaux ainsi dési-
gnés mOllraient sans qu 'OH en laissat parvenir j lIsqu'a
luí la nouvelle \ ou devenaient captifs a leU!' touro,


--- -~-----~~~-~~~


1. ectte d,':to.1rehe leur <Lvait ('té ,ug'gérée par le lIlilli~tre de, culte~
(i':tpri-, l'ordrf', de rempCl·clll'. ~C(I/'I·esJl.) t. XIX, p. ~88.)


2. Le, (\'!''lueR demandilient des pouyoirs illilllit,',. Le Jlape, qlli \'011-
bit lJien faeiliter leur adnüuÍ;-;lr,itiuIl, mai;-; nun pa;-; lt:'~ E'\l'lllptel' d'a\"oir
re(:our:; a lui) acc:orda 14~~ lH)!J\"oir:-; pOli!' ('l'llt 1'.'1:-: II~II' dicH'(":'I::'. "-r. Thier:-:
af'tinlle ponrt'lnt IIue Pío \ 11 IJe vUlllait IJ;is ('f}/lfiltuP), Cfl'toll¡p)' dis-
¡I('I/S('." aU.r f!C(J'(jUf'S, Jlu/al/u/u'l" jJ0l(,' le . ..,' ilwi'ÚlgcS • . \l:lis 11011:' aYOll~ \'11
IlrJU~-llll\I1IP l'll1'I1l! dilll:-: 110;-' lllain~ k leste de la d{,lllitwli' de:-=- é\'f:'IJlH~:-: el
de ht n"jHm",e du palH.~. C'e:--l Jlllllrqlloi non:.: JlOllS pcnllcttnlls Ulle as",er-
tion conforme, d'~illellr", 11U, JiJllwil'es dI< cm'dil/al Pacca, t. J[, p. :1:1


~L :\le3~ap:e de 1'{~mpp,rE'lll' al! rOllcile .
. '1. Le: cilt'diulll El'skiuc. La eUlTespondancü des ('~\'¡'.r¡llPS eI1Yoyf~~ a Sa-


",une cUlIslatc 'I1W le pape apprit d(~ II'11r !)()Ild¡u la lliOr1 110:-\ I'al'din:tux
Yil'f..mti d. Er",tinc, arri\l~f~ dqlllis ilSs('.Z InllgteIllJ!~.


:j. Le ,'¡II'dinal di Pielro enferme' ;\ \'i IlC'clllH". Pace", t. 11, p. :n.
Vo:."z enc:ore t'ctte letire : « Pat'i" IR j:tllYirr ISIO. ;\[. le cIJ!llle fliw,t
de Pd'ameneu. dOllnpí'. ol'dre aH !.2.·I~·II(!l'ill ?\liolli:; (l'ellYO\-er <t Paris :\lgr (i1'e-
gori, el, ¡.n:w~l:~dclllP.Ilt t()ll~ l'e1J~ (pli IUOIltn'ut de~ r;IJuYoir~ ponr le:.; af:'"
faire, 'I'iritlldil', 'Jui lit: doiyellt pi!; ,e traiter ¡\ Hume. - NUIJnleoll. )J
ICII/·N'''!/., t. XX, 1'. I íH.)




~30


est-ce sur le pl'isonnier de Savone que doit en retom-
ber la responsabilité? Ah! sans doute, il ne pouvait
du fond de son isolement eL de son exil satísfaire a
Lous les besoins, répondre it tonte,; les demandes du
monde eatholíque : ces demandes me mes ne luí par-
venaient pas. Mais comment reprochel' a Pie YIl
l'impuissance ou le réduisait Napol!~on !


Nous avons, sur ce séjour du pape á Savone, un té-
moignage authentique et évidell1mellt désintéressé.
Apres que le marillge de Napoléon avec Jlarie-Louise
cut resserré, pour un temps,l'alliance de l'Autriche
et de la France, l'empereur Frllngois obtint la per-
missioIl d'emoyer au pape l'ancien ambassadeur
d' Autriche aRome, et de terminer, par cet intermé-
diail'e, quelques affaires religieuses demeurées en
suspenso Jusqu'a :\1. de Lebzeltcrn, aucun person-
nage étranger a l'arlministration impériale n'avait li-
brement approché le pontife détróné. Dans queHe si-
tuation ce diplomate le trouva·t-il? l'\on-seulcment
sans conseil, mais sans nouvelle, sans correspondance
libre, et «( tellement seul, qu'il avait dú ériger en se-
crétaire un domestique dont le caractere était lisible!.»
Telles étaient les facilités laissées a Pie VII pour com-
mUllIquer avec les catholiques rcmuants ou PalSl-


l. Deppehe ,,¡tép j1"" jI. A,.land .Ip ,["ni",., rfe (/r' pir' nI, t. Ir.
p.2Ii2.




L'E11f'IHE. J31


bIes; vailil ce qu'il faut penser de son inertie r-alculée.
Cette inertie eependant ne parut plus bientót assez


complete a NapoJ6on; le ~ai nt-pcl'Cl ayant Cls~ayc\ <le
rappeler a quelques chapitres leurs devoirs envers le


siége apostoliqnc, l'ernpereur fit saisir tous ses livres,
taus ses papicrs, et dófense lui fut signifiée de « com-
muniquer avec allCHne église de l'empire, ni allcun
sujet de l'empereur, sons peine de désohéissance de sa
part et de la leur l. »


Quant al! refus persévtírant dll pape d'institller les
évéques a la demande de Napoll'on ou de ses mi-
nistres, il est incontestable; mai8 quel en 6tait le
motif? S'il s'agissait de tout antre que Pie VII, iI se-
rait permis de chercher dans la conduite du souve-
rain devenu prisonnier quelques traces d'impatience
et d'emportement. l\1a.is ce serait mal connaltre le
caraetere du plus doux d.es pontifcs. Des le début
de son regne, il avait éprouvé je ne sais quel attrait
pour le génér;:tl Bonaparte; la réconciliation de la
Fl'ance et de l'Église avait consacré cet attrait mysté-
rielE et providentiel 2, et, dans ce calllr qui savait
ailller et ne savait pas haIr, il survivait a tout et tou-
jonrs. A travers les diseours du pape, a Savone, le
dipIomatc autrichien reconnaissait en lni les memes


1. Jlhnnll'(',\' rlJI ('ordinal Pf/(';:fJ, t. 11. Pifrp~ jllstifiratiYp,,-, nO :i.
~. el'. llis/Ull'!' ,hl Cn!lw!,d f'1 rll, t'!íllljJiJ"l', t. lIT, p, 228.




;\32 1,1 "He :;J<:cu:"ill.


sentiments qu'il avait oh servé s á Rome : « la plus
grande partialité pour rempereur personnellcment. ))
II a fallu, ajoutait M. de Lebzeltern, « toutes les amcr-
turnes dont le pape a été abrcuv6 pour I'obliger n
adopter un systeme qui, an fond, rtipllgnait évidem-
ment I.t son cmur!. )) Ce n'est done pas par rancune ou
par vaine colere que le p1'isonnie1' de Sayone refusai t
au gOllvernement frangais les bulles d'institulion des
éveques. 11 ne méconnaissait pas non plus le triste
abandon des dioceses privés de leurs prcmiers pas-
teurs; mais il pensait qu'llne institlltion conféréc
sans apparencc de liberté serait un remede plus fu-
neste encare que le mal.


Le choix des éveqlles, a dit Rossuet, n'est pas natll-
reHement de I'offiee dll prince 2; l'alltorit66piscopalc,
pou1' tous ceux qui font p1'ofession d'y c1'oire, esl. el'o-
rigine puremellt spirituelle¡ Sans dante le saint-siége
s'est engügé, dans la plllpürt. des pays crrtholiques, ti
déférer a la désignation dll sOllverrrin; mais eet ar-
rangement suppose le bon accord des deux pllissances;
il en est le gag e et le prix, il doit cesser quand est
rompu cet. heureux aecord. Au prince qui perséeute le
chef de l'Église llniverselle, comment rec()nnaltre Ull
droit de patronage sur les églises uc ses États? Pie VH


l. Déjl(''''lt' Mjit Lit,'·".
2. Pnliti'lue, lh. \' 11, .11't. :i.




j,'EM Pl 111':, ~33
désirait vivcment pOlll'voir aux siég'es vacunts de l'em-
pil'e, mais il voulait donner les bulles de son propre
mom'ement ou snr la demande des éveques, non sur
la demande de l'emperelll' ou de ses ministres j. II
acceptait meme, 8n fait, les noms pré,.;entés par le
guuvernement implÍl'ia\; il cessait seulement de lui
reconnaitrc, en droit, une prérogative dont ses alten-
tats spiritllels le renelaient évidemment indigne; et,
comme les bulles donnlÍe:; dans cette forme, Napoléon
les rcpollssait, i\ s'lÍcriait enfin : « Qu'on me renele
mes conseils et ma lilH'rté, et no'us troLlVel'OnS quelque
cxplÍdient pom SLltisfaire l'empereul' 2. » Au eontraire,
prmr le pLlnir~ SLl eaptivitf\ fut resserrée. Si les dio-
cc~cs rC:itaient vacants, si I'exercice dc'l'autorité pon-
l.ificale ne se faisait plu,.; sentir au sein de l'Église, sur
qui done, sur qui seul doit en retomber la responsa-


l. \";qlol¡"Ílll, PI! 1'~~l'lJll~::;allt lit C):\lI;-:(' 1)I'o/JI'io UlO/U., avail. CUllSt'ldi il
l'l' qlP' snIl /lIJHl ¡If' fl'lt. 11;¡~ }l/'(lllOJlCI!, d;lll'~ If'~ IHdlt'~. :\lai . ..: le j13.}Jt' r~pnJl­
dl1it iL cl'ttl' prnUIJ.",itiIlIJ., ql¡l~ lui a':tit I¡';m;-;mi;-;f' JI" r[lnlillal Ca}Jl'rtJ'i1 :
(( \-'II¡~ .lit(,:: qUf' lllf';-" bulle;.; '-;('l'lJut aCI'ol'df"C:-:, 11Ull Ú lui, luais;\ l'in~t.111rl·
(( di] I;(¡ll:-;pil d11 lllLllistl'l:, di':; enltes ... el' cOll~cil~ {'I; milli~trl', He sont-il"
(1 p.1:' 1\-'IIlperelll' lui-II1(1l\!~"! }) (Lettre di: Pie r[1 <tu canlillal Capral'a,
~G {1()út J tWn, JJ/JliUJlI'()S iá,'¡I)/'l!¡/ws ,',/IJ' tes atfoil'AS pcdésÚlsliqu.ps (!tJ
F"fU/('í', l.. lll, Pi(~,('I:-'~ jll:>;tilir'1tin's, nO 8.) L\~lll}H:'rf'l1r llli-lllf~meJ a Sainte-
Iln'''lII: J a :t\"U\I+:: (lIH~ l't-~ttp 1"-1I11·(·::::iIJll, r'stillHI~e sllfii"antp par ~I. Thil~l':'
't, XII, JI, G:i), et:til en ,..',:dill" illusnirn, el lle l'ollYait :mJir c1'autl'e r~sllltat
'1"" d'"b"i,,,'[' 1" di~'nitl' 1"llllili,'ale. (:'\0[', ",r k lillT dl'B QIW/I'" ('1/1/-
I'I)/·t!uls, J..U(;'lloil'es (h"Vl citl'·:-:'.)


e, Ldl,..' al( ",,,'ditla] Cap rara 1'1 rl,',l'¡""\¡p d" ~l. dp LelJzdtern, ¡],:jit
('itt~(·. C(lLT,~,:,pl)lld(l1I1'P dt':-' ¡'.y(\qtIP:-:' f'!IYiJ~t'·:-: il ;-;iaYillll'. tin"e dp~ p;¡piel'~ du
";jl'diu:tl F't'SI')I.




33'. LIVRI~ SI:CI)"IJ.


bilité, et jusqu'iL présent, eomment ne pas admirer la
modération de Pie VII, autant que sa fermeté?


Telle n'est pas eependant la maniere de voir que les
papiers d'État de l'empire attribuont au elergó
fraugais. L'hístorien qui nous li vre leur témoignago
en a conclu que dans le clcrgé presque entier la bulle
d'exeommunication ne reneontrait que des improba-
teurs, qu'elle embarrassait tout le monde, excepté les
pal'tisans déeidós du gouvernement, et quo porsonne
alor5, jusque parmi s~s plus fougueux cnnemis, per-
sonne ne prenait souci du principe de l'institution
canonique, paree qu'on était exclusivement frappé de
l'abus qu'un pape, meme exeellent, pouvait en
faire {.


C'ost ici qu'il faut se donner le spectaclo de tour ce
que pent un despote. Quand il ne parvient pas a éga-
rer iL son gré l'opinion publique, iI ne la voit plus, et
ne la laisse plus voir telle qu'elle est. n pcut tromper
son siecle, il peut se tromper lui-memo, il pourrait
tromper l'histoire. Comment, en elfet, sous un gOIl-
vernement qui parle seul ou no laisse parler que ceux
qui pal'lent comme lui, comment saisir ce qui se passe
au fond des ames'? II faut alors entenrlre ce quí ne se
dit pas, il faut, jusqu'au jour OU les conseienecs écla-
tent enfin SOU5. la maín qlli croyait en les comprimunt


1. T. XIf pt XIII, h. \\\1'111 pI \11.




!.'E}IPIRF.


les avoir fa~on.nées, attribuer au moindrc indice de
contradiction plus de valeur qu 'a mille témoignages
d 'assentiment.


Ces indices de contradiction, en face des violences
injustes exercées wt' Pie VII, n'ont pas manqué,
grtJce a Dieu, dans les rangs de 1'1~gIise de France, iIs
ont éclattJ jusqu'a cóté de l'empereur : il n'a pas pu
les i¡¡norer, et si, étourdi IJar le fracas menteur et
~ervil-e des hommages et des aeefamatíons omCÍe[{e~,
i\ n'en a point tenu compte, il importe au10\.1l'u'\nú,
ponr l'honneur de eette Église, de les relevf'r et de les
remettre en lumiere.


Au début de ses démelés avoc le ~aint-siége su]' les
questions rcligieuses, Napoléon avait eu soin de se
cllOisir un conseil ecclésiastique destiné a l'éclaüer de
se3 lumieres ot a l'aider de son eoncours. e'est dans
le sein de cette commission que nous pénétrerons d'a-
hord pour savolr ce que pensait le clergé de France,
soit de l'excommunication, soít du refus de l'institu-
tion !:anoniqlle.


Assurémen f, elle n'était pas composée d'homllJes
fanatiques : présidée par l'oncle de l'emperellr, le car-
(linal Fesch, elle était peuplée des prélats les plus ti-
mides ou les plus complaisants de l'empire. Mais un
prétre s'y rencontrait, un pretre dont les catholiques
vénúraient les vertus, dont Napolúon estimait les lu-
mieres et qui pensait. de ~()n d'>tt; que le róle de I'É-




LIVI\I~ SECO:\D.


glise était de ménager César, l'aLLé Émery, notoire-
ment gallican, et chef adoré d'une eongrégation qui
;tyait fourni des prélats 11 presque toute la France.
Comme on était appelé 11 délihérer sur eette question :
Quel parti pl'endre sur la bulle d'excomrnunicatioll,
voici commcnt ee pretre opina. Qu'on nous permette
de citer les termes memes du proces-verbal :


• Dans les différents dires des yotants, on semblait
sllpposer la llullité de la bulle sans l'énoncer clairement '.


, ,\1. Érnery, interpellé, a déclaré que,pour rl'ponclrc
clairement a la qllestiun proposée, il fallait en venir ;'1
celle-ci : Cette bulle est-elle nulle ou ne rest-eHepas '1


" Et, pressé de vire son sentiment, il a continué ainsi :
• Je ne pourrais me décider a déclarer la nullité de la
• bulle, et voila pourquoi j'ai demandó si souvent qu'on
, ('cartat cetle question, et que, sans l'approfondir, on
• cherchal a satisfaire S. 1\1. l' Empereur. ,


• Son Altesse 2 venait de faire part au conseil des me-
naces que l' Empereur a vait faites la veille, déc1arant que,
si Oll ne lui donnait pas UIle garanlie sllffisante cuntre le
pape, il aLaudonnerait le clergó.


" .M. Érnery a obseryé que e' était un grand motif (lac-
torder a I'Empereur tout ce qu'on pouvait accorder. Et,
reprcnant son avis: " Si cette bulle rtait nullc, ce surait
" par défaut de pouvoir, ou paree que le pape en aurait


L :\ou~ llYüll~ dl'jit dit q\le nOll:, ne eitioll:: allell11 dorunu'llt iw\lit :-:.1[j;-:
a,·oir :-:ous le~ yen:\: !a l¡it>ce illJlhclltiqlle. La prcllli¡:'re paf.!'¡~ de,,,: Pl"(¡('¡'J"'-
vt'rhélll\: de rettp ('()mllli:':-<.inn eon:-:.La[l' qnc :-:p,,; HlclIllH'es :-:'¡"liliellt jll'(l¡nj"
t~ntr0 t?'H\': un ri~ourell\ :-;('('ret ~1J1' ]P1U':-: dMih¡r'r[llinns jlll/'l'jP1JI'f',":'


2. Le rardinal Fp,rh.




L'EMPIRE. 337


« évidemment abusé en exeoll1IIluniant pour des raisons
• fausses el insuffisantes Sa Majesté.


« On ne peut dire que e'est par défaut de pouvoir, tout
, le monde en eonvienl. JI faudrait done soutenir que les
« raisons qui ont déterminé le pape sont des aIlégations
• fausses ou des causes insuffisanles. Sa prineipale rai-
" son es! l'inyasioll du patrimoine de saint Pierre; mais
" cette invasion est un fait incontestable. De plus, ce pa-
« lrimoine est un bien ecclésiastique, el eelui de tous les
• hiens eeclósiastiques le plus néeessaire a l'~~glise. 01',
" d'apres le langage de tous les docteurs, et meme des
" eoneiles généraux, I'invasion d'un bien eccIésiastiqup
, est une cause suffif'ante (l"ex<.:oll1muniealion.


" Si l'on décide elairernent le contraire, il faudra ¡jirc
, que les conciles et tOllt(~ l' Église ¡úmt rien entendu
" dans eeUe rnaticre. De plus, Rossuet, clans les passages
" que je vous ai cités dans la dernicre confórence, porte
, le memc jugelllellt, el comment irions-nous contrr le
" sentiment si prollOnd' de llossuet 1 '? »


M. Émery écartait eIlSuitc toutcs les oLjcctions,


l. LI ',"; ]la:-;:-,a¡';'j'''': (h~ Jhj~;-:lIet i!lH)qll~;-: po1l' ~\I. En1c,'y deyaicnt (~tl'E' ('f~tlX­
l'i : « \'"t'flue l'ropt(~l'e;¡ l:!Jl'i:-:tiall,llll fldf'm l'rot'p~:-():, ipSOS(f1H~ ptiam I'egl~:<:
({ al, tLllebJl'lLale ecdcsiw iltltILllLH .. 'S relillllf'l'iut. Tameti"Í enilll llet' tt~1ll1'd­
(( r:tliJJUs, IlfH~ ll'rn:llu 1'1~!-!'W\; ¡tl cu'k:::tilHlS pt ,,~tel'110 fég'110 uwlctllut..,
ce ~alW ClUB L'\COlllllllllLi(,illll romani jHJlltifiees, stat yaletque yi su:t lldyer-
« ~.It:' cOlltllln;¡rl'~ P\t(Hllllll!lli('atio) D"lJ liE'aule in tll.'lis qlla~ diyiuitlls
« tl';¡dita pott';-:t;lt(! in tenis lig·,tta ~lltlt. J) (DejCJisiu dl!c!{/)'o!iuuis Clel'!'
:/lIllirYlltl, lil" 1, ~l'd. IJ, c,qJ. \\1.) C'p:'t E'IlCut'E' d;u¡:, \~t't Otl\Ta)-!'{l (JlH:
Bus:-,ud dl~clal'e qu'(1l1 lle IJl~llt: ;";,'lllS '~'(fI'I'ilp[je) enyahir 11:' . ..: lJossessinns l~f~-
1,]t:':.;ia:-ticjllPS. (Lib. 1, 6('Ct. \, ('al'. \"1.) (llj(Jil{Il'Oll llt-' plli:<:,(~ pa;..; illlPllÍf'l'
:t la 1l1~lllUire de BIJ:';S\li't loutf',": le,,,: opil1i()11:-' cOllteuue:-: dans ullli\l'f o qu'jJ
U';I ,jitllWl~ \¡}ltlU pU!Jlipl' de :-fJIl \i\illll) jI C'st a~~url~lw;nt perrui:.; ¡Jea tin'J'
1f':' pll:-::-ia.!!t·;-; fa\(Jr¡dd,'~ U.II :-;jliut :'¡f'J~fl, tl'autallt plu:-i tj\l(! CP 1i, re ttait t~crit
pl)l\l' r'('~tl't ... illdn' la ~\lpd'nt:tlifl /'(IIll,tilll ....




L1VIlE SECOND.


soit de fonu, ~oii de forme, et, rappebnt la situ3tion
malheureu~e uu suint-pere, il s'éc.riait en tel"millClllt :


" Tandis que quic.onl[uc oserait ócrire un seul mol en 53
faveur sprait sé\"l~rmlllmt pUlli, cowbiell il serait aITn~ll"
que les óvéques, consultés eux-J1lcl1les, fussent un IllOyCll
de plus contre lui. "


La discussion fut vive, eonfuse, et se prolonge3 du-
rant plus d'ulle séanec. Ce ne fut (Jll'tlpres plllsieurs
essais inutiles de transaetion pOli!' !'amenet' « 1'1l1lLL-
nimité, » qn'enfin « le grand nombre deman(la qn'on
déclarat nettement la nldlité de la bulle, 01/ du moins
se nmgea ti ce sentiment. » Si une telle cOlnmi~sioll
meme n'était pas llnanime en fa,cut' de Cé~al·, qur
devait-il augurer eles scntiments de toute ]'];;gli~f~ de
Frunc.e? Commellt DA pas \oir dans l'abbé l~lllery
l'organe sinc.ere de toules les c.nnsciAnces indl·'pen-
dantcs ct comprimécs?


Sil!' I'imtitlllion c.annnique, il ótait. plus rlifiicilo
Cllcoro al1 ~wll\"eI"l1elIlellt impérial de se faire illusio1l.
fllt'UlIVilit, en clfet, 1111 l1vcrt.is~Otn(,llt dam 11' langll¡';c,
]lO[) pil:-; d'llll ennemi I'OUgllOUX, ílon l'u~ llJl1nW ¡]'llll
mombre isoll' dé) son clln..;cil ccclé,iaslif!lIP, mili" de
ce c.on,;cil llli-rrtemc PI. .':1 ll1a.iorit(~ aS';l1rt':ment trt:,:-
modérl~e.


:\. la qllcstioll aillsi p()~éc : Le pa/,e flcut-i! ¡·c/use)"
(/ dútntlreíllcnt l' ¿ns titut iOIl ({ /{'L" éu1r¡ ues 1/O})I1I/(:~?
r.·.~,ttc ('ilrnmis..;ion avait r6jvmdll cn di"cllfnnt les rno-




L'EMPIRE.


tifs allf;gw!s par le saint-pel'e; elle en avait écarté
quelques-ulIs : lmis, arrivé i:lLl plus important, son
isolement absolu, l'éJoignement de ses conseils, la
perte de sa liberté, elle ¡¡yait conclll en ces terme", :


" /1. ccs dernieres plaintps du papc, nous n'avons d'au-
tre réponse ti faire que de les metlre nOlls-meme SOllS le~
~ eux de Sa i\Iajesté, qui en sentira toule la force Al toute
la justice, "


I1élas! non : ~apliléoll en llléconnut la justice et la
force. POIll' tirc!' dc sa rnmmission ecclpsiastique dc~
indicatiolls confurmes ü ~es yolontés, il en moditla la
cOlllpositiun, el, ce fn! a eette commissiun ailHÍ 1'ema-
niée et de 1l01l\eaU irnpérieusement interrogr1c qu'il
armella eu(jn les cléclarcltiolls qui allt trompé Sl\l' lcs
Vl'ais scntilllcllb (1(1 clcl'grí (le Fl'1l11CC l'historien de
J'Empire 1•


L Yo,'ez le.' <j111"liull' I)"'<"ll' it l'e l''illlil~ de" C\I\1111'" C(¡I'I,,,.\ji., t. XX,
p. L!!), el p. 1 }~,~ II~ n'·:-:Illll"· dI', l!'llr;-; n"llnll":!''':) q¡¡i 111: ;-;(lIi;.:firvtJl l'lltit\l't:-
llli'nl Ili 1'¡'llIpl"l'l'lIl', lIi II!;': ¡'OlJ:,:"illt')';; d'I':t:tl, l'ha!';.!'~;.: par Jlli dt~ Jt.s e_\alUi-
II!'I'. C'i:Llil'lll plJlIItallt ll~~ l't"jH)Il:,jJ:, tll' Ll c(JtlIml=,~illll l/fli(/í!j¡;" {,t iJllIJt-
rit~(bt'1l1eJlt 11lll'rrugét J l:UlIllW' lIiJtI:-:' I'.l\,¡-;Il=' dit. I UP llutl~ de la l~j)l'l'I'~P(¡lI­
Ihlli'(l uffkil'lle cOlhlale 1I11~'IlH~ Ijw' (( ra!Jbi~' Funtana, ~llpi~riellr dp~; B,lJ'lIa-
¡)[ti-'=" t't l'aldH'; EllH'ry; ~llJH"J'it'lll' ¡k ~aillt-SltlLJice, flll'ent ;¡djuillt:-: :111
\"ll!uill', 1l1ai:-:. Qll'ilLl IH:" tl'Oll\t~ pa:-: h:ll!' ;.:ig'lI:ttllre au JJ:I~ du lld'llluin-' pl'é-
'-('HU', p;¡r k':-:, (\'i"111¡¡~;': :'t l"l'llljWn'IIl'. ))




:l!U L1VHE SECOXII.


Cepcndant le moment arrivait oil ce clergé serait
mis en demeure d'attester ses sentiments par ses
actes.


L'indépendance de l'Église devait étre attaquée non-
seulcment uans ~Oll chef, mais dans ses lflcmbres, et
tous les rangs de la hiérarchie ecclt"siastilllle allaient
se tt'ouver directement aux prises a\ec L\"apoléol1.
L'illsatillblc conqllérant, en cffet, u'ab:lndol1nait gllere
ses projets d'cnvahissement; m:lÍs il changeait !'aci-
lcment ses pbn,.; de campagne. Des qll'il cut tournl~
son ambition dll cóté de l'1:;glise, son but resta tou-
.i(Jllr~ pl. Thicrs le dit furl bien eL llli-mt~me l'a
avollú plus tanl), sans la re[]ver,.;cr ni se sépaI'ct'
d'cllr, de la plarer dans la d{'['cndancc de l'empil'c l.


1. lIú/"lre da CUI/,'¡dl¡{ 1'1 (fe tt:llijJ/I'f', t. XIII, JI. J \:;. ,11':1111>/1'1'"
di' ~T({pf)f(;on) L 1, t~(,l'it...:. ]),t1" le {!I~'lJ{~'l':t1 \'IJllltl; dI' '\]illllllOluiI, ~\T/Jtes (-,f
lIu;!ullges, il' linte ~Ill' ll' li\n' de~ (jIiO!I'(, e(JlICI)I't/(I!. ..... ({ L'MalJlí:!:'I-'I1lf'lIl
dp la r.OUl' df' HIJltH' ;\ PaJ'i:-: itul'ail ,"l/.. l/'I'IIIH! 1_'11 rTarlfl:-: l'/j~lllt(rt:' p(di-
tir¡llf'~ ... rillt\¡l(~llC~' Ii'H~ le I:IJt't' di' la \'111'1',til,tlt¡', ;i\";lít :-:1I1' I~,:~ lid¡",h·:-; ,,¡'raíl
de\"l'llIlU l'I]!~l'it{tg'e de la l~'l'allce. Cpja :-:dtl f':qJli¡jlU' 1(~ di:<c(jI1I':-; qll'<.l\"ai[ 1'1'-
tl~llLt Itwi:-; lll' ¡JdU\iliL ~'tjxpliqllel' l'~\I\ql!C d¡~ '\,lllk.":' : !I 0(; p:ljJl'; 1/"'N!'fI
jallull."" flU[fl,iI (1" jJfJ1(I'1Il1' t¡/te IIlfl ¡)/J/dit¡l(í' lile IJ()I'!(' ti. fui l'lt r/fj~"ij'('I' ...
~apUll;IJll ilim':lil ~a n'li~'inn., la YOlllait fitil'P l'ro~p{~l'ljl', 1'11/1110/'1'1'. lJl;!i:-: I'il




L'EMI'Ifl.E, !jll


Mais pOUI' atteindre ce but, qui ne variait pas, il t'ssaya
alternativement de peser sur le pape en l'isolant de
I'J:;gli:::e, et de pesel' sur I'Itglise en l'isolant du pape.
La premiere manccuvre avait commencé ü S'lvonc ou
plutót ü Rome méme, et fLlt reprise plus tard it Fon-
tainebleau; la seconde embrassait tous les dioceses,
s'attaqllait jusqu'aux plus humhles pl'etres, et, pour
en appl'éciel' le pl'ogres et le succes, il faut observer
l'attitude et les démarches, non plus dll pape seul,
mais du col'ps ecclésiastique tout entier, depuis ses
cardinauxjusqu'allx simples chanoines.


eelte attitude et cr~s démarches ne fllrent point uni-
formes. Un seul homme peut fléchir; un corps, a la
fois nombreux et dispersé, presque inévitablement se
di\ise.


Les défeetions flagrantes, comme eelles du cardinal
Maury et de quelques évéqlles obscul's, les Raillon, les
RQusseau, furent rares dans les l'angs du c1ergé; elles
nc nous al'l'eteront guere, cal' personne n'essaye de
les j llstifier l. Mais a des exigences incontestablemcnt
tyranniques, d'alltres prélats l'épondil'ent par une


llit:llIe telll]l:-: ::-:'PIl :~e!'\-il' comnw 1111 1I11J.)ell :-:.ocial PQlll' l't'primel' Llllarchie,
t:Oll~i}lirlel' :',1 domillfltion e11 Elll'npp. »


1. rent-1Jll ';L\rJil', an :'llrpl11';, COllllll'éltl Kap,.Jeoll traitilit le, prélab
[Hlreplf'ut (,ul!L'li~all:"! CJll'Ull li:-:c ('ctte tll'ci:o:ioll ecrite cn nlargc d'Ull COlll-
plil1lent Ir~:-,-plat <¡Hl' lui i\\lIit :¡d,'p:-:",ó :-;1Il' :-:(lll :3l' ('Olltl IJl;¡l'ia~'e 1111 pl'élat
<¡ni rOl'lailllll tri's-g'J'ilIlrl nom:" Pal'is, l:J féITiel' 1810. Le dile rle Friout
({ li_'ra pa,yel' tlOllz(' mille fl'illll'~ aH pI'8mit:'l' illlIllúllier :'111' la cai~:~.r~ de:,
(( tlll~~Hre:-,. - :\/{jlol("(Jllo )) ~Cfll'J'P,·\'I)" t. XX, p. 2:){;.)




LIVHE SECO~D.


sél'io de ménagements et de transactions; d'alltres
cllfin opposerent de simplcs et fermes refus. Les pro-
rniers, en tete desquob so rnontraient I'éveqllo do
Nantes, 1\1. DlIvoisin, l'archeleqllc ele Tours, JI. de
RIlTal, l'évpque de Treves, JI. ¡\!annay, so próvalaicnt
de l'esprit doux et patient de l'Églisc; i;~ étaicnt ac-
cueillis a vec bcaucoup d'égards et UIW sorte de confiance
par Napoléon, et lem attiturle est encorc représentée
dans lhistoire de l'Ernpiro cornrno la plus propro ti
éviter un schisme et tt sallvor cn Fr~lDce sinonla gloirc,
du moins la vie d II caLholicisme. Les demiers, teb
que l'archeveque de BortIeaux, )1, c1'..A,viau, I'évcque
de Troyes, M. de Boulogne, I'éveqlle de Gaml, M. de
Broglic, invoquaient le elevuir el l'honnour apo~toli­
que, mais bien que b IJIllpart oussent donné des gages
a l'Empire et reliu d'aborel ses faveurs, ils étaicnt trai-
tés on ennemis de l'Empire, et le monde officiel attri-
buait lem rósistance tantat aL! fanatisrn8 et a son
avellglement, tantat an royalisme et h ses rancunos,
tantOt ü la Hévolution et 11 son esprit Lle désordl'e,
tantat a l'amoul' de la popularit6 ot il ses faihlesses, a
tous les motifs ellfln, excepté ti la religion 1. Lo elerg6
ele France, al! contraire, a tOlljOurS prns() que des 1110-
tifs hurnain:-: ll'auraient j;ullais rlé('id\'~ ses pastclIr;; ir


l. YOYPZ .'(';0: impnt!itioll:"- CIJJllr.:.ulid.,j]'I':' r!;ut:, l'1/i.,·foi/'f' {fJl ('(",.\'1//1/1
r:I de l'h'lllpil"', t. XllI, li\,. XL[.




L'E)IPIRE. ·\1·)


tenir tete ü .:\'a[loléoll, eL il a considéré ceux d'entre
em: qlli Oll! eu ce cournge comme les gardiens fidcle~
eles droits imprescriptibles de sa cOIlscience et de Sil
fui. POllr a[lpr6cinr en connaissallce·de callse cette ré-
sistance, pour jllger ~i elle fllt non-seulement lrígi-
time, milis opportune et n(.cessaire, il faut savoir en
quelles conjonctures elle éclata.


Ce fut d'abnrd au II1ilriago do Napoléon ayec Marie-
Luuise, parmi les cardinaux; ensuite cJans la (]llestion
des vicaires capitulaires, parmi les chanoines; enfin
clan s le cOIlcile ele 1811, parmi les éveques.


En séllarant. les ci.lrdinaux du pape, Napolélln les
avait tri.lnsportés ü Paris, destilJé daJls sa peIlsér it de-
venir la eapitalc l'eligieuse et politique de l'Occident.
11 aVilit voulll que les princes de l'Église, dllraut la
captivité de leuf chef, fissent partie de Sil cour. Snr
vingt-hllit d'enLre ellX, condamnés a vivre au miliell
dessplendeurs impÁriales, treize n'a"si~terent pas á la
drémonie reli~icllse (IU [lIt bénite l'unioIl de l'emjlc-
r!Cut' avec Marie-Louise. l\apoléon viL clans leur ab-
~ence (( une implicite accusation el'adultere lancl'e
cOlltre un mariage d'oü dcynit lIaltl'C l'hériticrde l'em-
pire,)) el, transportó de furelll', il ordonna au tlJillistre
de la police d'urrder ces treize c:.trdinaux rt de les dé-
[Il1uiller de la pOllrpre, «( ll'oU ils furellt désignés de-
Jluís SOllS le 110m de cal'llinaux Iloirs, de les disperser
daus différentcs [l1'U\'inces, de les y garder a vue, et de




L/V 11 E SECON D.


séquestrer non-seulement lours revonus ecclésiastiques,
mais loms biens personnels t. ))


Ce fnt leu1' apparition dan s plusieu1's de nos villes
qui commenºa a révélcr aux fidcles a la fois étonnés,
effrayés et touch(~s, que des pretres devnient quelq lIe-
fois et pouvaient résister a N apoléon, l'Llllrquoi ces
cardinaux s'étaicnl-ils aussi surement exposés a son
redoutable courroux? Napoléon aurait vouIu faife croiro
et se persuader a lui-meme qu'llne minorité ardenl.e
du clergé qui avait repoussé le Concordat et parta-
geait les haines des anciens royalistes, était la secrCle
instigatrice des cardinaux noil's 2, ~lais il l,tait dif-
ficile de l'admettre, qlland le plus considérable d'entre
eux n'était autre que le cardinal Consülvi, qui avait
conclu le Concordat. et décidé Pie VII al! voyage
du saere. Des raisons canoniques avaient pu seules les
déterminer tous, en quelque sorte malgré eux, et peu-
vent seuIes cX¡lliquer Ieur condllite. Sans doute, ils
n'ignoraient pas que devant l'f:,~lise N"a[loléon avait
prétendu, non pa~ divorcer, mais faire annlller son
mariage avec Joséphine; selllement ils ayaicnt des
doutes sur l'ünnulation dl! premier mariagE', eL par con-
séqucnt sur la mEdité du sccond 3. Ce:; duutc:-i étaient-


1. ¡¡isluir/.' d{l CUI/.\'I!lal el de [[úlI}Jil'e, t. Xli, 1'. (il.
=!. ¡birl.
:1. C(¡n~ldyi: J{¡;lIuJiJ'{}.\' Sil,' Ir· tfUII'Ú'.f!f! (le ... Vo/Jr¡!(;(/II In r.:I (/e t'lfI'f'hidll-


,'¡"'S8f: .¡I'Aufl'ic/¡p.




L'EMPI HE.


ils mal rondés, quanrl.\Tapoléon, devant desjuges ecclé-
~iastiques institllés et choisis tout expres 11 Paris, était
l'éduit it alléguer tantót que son eonsentement n'avait
pas ótó librf~, fantót qu'il avait volontairement omisles
formalités IlI~ce55aires, ¡¡fin de se ménager une nllllité,
et que ce défant de forme n'avait pu Otre couvert par la
dispense memo du PaIJe 1 ?


Que devaient surtont penserdes cardinaux qui avaient
vu Pie VII traiter constümment Joséphine en épouse
légitime et en impératrice '? .\T'étaient-ils pas autorisés
a se souveni!' que d'apres tous les usagcs de la juris-
prudence canoniqlLe, le Pape se111 est compétent, paree
que seul il est assez indépendünt, non {Jour autorisel'
le rlivorc8 des sOLLverains, mais pour prolloncer sur la
"ülidité de lems unions? .Tam~lis l'application de cette
regle trarlitionnelle avait-elle dú. paraltre plus néces-
süire? Que l'on invoque la sentence des tribunallx ec-
clésiastiques de Pa ris pOllr excuser les c1nlinaux rou-
ges, nIJIIS le con~prenons 2; mais que ]'on méconnais~e
les répugna nces E()lllf,Yf;e~ par le nou veau mariage au
fond des conscicnces religieu,cs et sinceres, ql1e I'on
condamne des hOll1mps qui bravaient tous les périls


l. PrrH'¡'~-Yel'b;-d dI' lit enfl\llli~,,,ioll f'('dp~i':1:-:ti(IIlf' tl)ll~l11tPP :-'111' r:ctte
·Lll'ail'f'. l'a!Jiel" dn 'Jill'rlina! F",<'h.


:!. ,\I)l!~ de\I}Il:-:' rccotlnaitre qll"il ré:--llltL' ck la c')l'J'e"}l(]UdilllCL' de
jI. E llll' 1',\, tl'illl \ f~(\ !liLll~ h·", pill1il'l':' dn ['el t'dill .. "d Ft~:.¡' h) qllt ('(' llret re Yl~­
JH\l'id¡]e lit Id,llllait IlUllemellt la ('olu!uitt> r!p:-, ('.1 rd ill1-IIlX l'nlli-!:C:-'.




Llnn: t'ECO:'íLl.


plutót que de COll~acrcr par leur prósence l'ouhli d'lIn~
loi de l'Église et la violation de la fui cunjugale, nous
ne saurions le concevoir.


Ce fllt aussi le respect d'une loi de I'Église qlli attira
sur q uelq lles chapitre5 les persécutiolls de ~ tlpoléoll.
Ne pouvant obtenir clll pape l'institution des óvcque:-:
désignés par lui, il résoJ ut de les placer néanmoi ns ti
la tete des diocc~es qu'il leur destinait, en les faisant
élire vicaircs capitlllaires par les chapitrcs charg(;s ele
pourvoir a l'adlllinistratioIl dcs sil'gr's Yucants. Plusiclll';;
chapitres, et notamment celui cle París, s'r rcfuserellt
cl'ahord. l~tait-cc á tort? L'cxródient Sllggi',!',\ ill\'apo-
léon et déJa pratiqué durant les dérnr'\Jés de Louis Xl V
ayec le saint-siége, n'avait d'aull'e IJllt ¡¡U r) cl'élllder le
refus du saint-pere et par la d'annuler un r1roit sans
Jequel (( 1'IInité catholique est en p,\ril l .)} Allssi les ca-
nons déelarent-ils formellement que tout ecclósiastiquc
nOIHmé pOli!' rcmpJir un siége est i[]('apablc uc l'ildLlli-
nistrel' avant la confil'mation (lu pallt'. Il csl Hai que
ces canons, pllls d'lIne foís lI1(\conl1us en Frallce,
y étaient enfin tombrís dans l'oubli. Lu loi était dow;
ignorée du plus gl'and numlHe; nlllis en clle-Itlórnc elle
ne laissait nulle place au dOllte, et les ecclésiastiquesa(llli
lc pape captifl'avait formellement rappclóc par se~ brcfs,


l. \1. Thier,; t. XIII, 1'. 111h.




L'E}II' 111 E.


l1e pOII\aicllt plus la tnÓCllllnaltrlJ Silll:,; próvariquer l.
A Paris, i! ~. avait pncore r]'autres raisons pom ex-


cImp de l'arlministratitln dll dioccf'e le prélat notnlllé
par l'empercur. Ce prólat était le cardinal J\Iaury, in-
(irlele a Sil callse et Ü Sil g-Ioirc, en poli tique d'abord et
bientót arres en religion. Il avait étó nommé par le
pape éveque ele Montefiascone et de Corneta, et, eut-il
eu le c1roit de se saisir d'un nomeau siége, iI ne devait
[las abaIllloIlner l'ancien S:1115 la pCl'mission dLL saint-
pere. C'e,t par dl's motifspal'(~ils que le cardinal Fesch,
rlocile au pape el tilleIe lt SOIl église de Lyon, avait re-
fu~ó le po-te ellsllite ilccepté par Maury. Aussi I'abbé
d'Astrns, nommé vicaire capitulaire a la mort de ['ar-
che\t~(llle de París, et a sa suite les chanoines qui
¡'avaient nommé, respecuiient dans le cardinal Maury
le cal'actere épisc()pal, mais rcfusaient de reCO!l[]ultrc
su jlll'ídictilllL soit. comme titllhire, soit comme admi-
nistrateur de 1em c1iocese. Il,;tait difficile de voir dans
l'ahbé d'A,t.r()~ un enncmi pa~~iollné PI. fanatiqu8 do
l'EIllI,ire; car M. Portalis, qlli était son uncle, l'avait
em!Jlo:ó comme ~e~rétilirc a11 mini~tere des cllltes arres
le CUIlcurdat. Cependant il fut jetó El. Yincennes pOll"'


1. Cf'_pflinl e~t ¡\;l,lil'{'i (';¡ll",~oril[lu~lI1('IlL dllll:-' la rie da (;(J)'r/iltfll rf_1,'-
I,.tl". 11;11' le P. C;ul:-::-:dlc; :'t l"did(· de':- tu{IlHlirh .. I'OllIJI();-:f~\:-: c't pllldi¡":-, :'111'
'cttl' i¡ILP:",liCJIl pllr.Jt. IL.\:-:tl"L":) lrot':'IIll'~l ('llt H :"-IJlltl'llil', ('(¡Ill11P' gT;llHi yi-
';,in' " P;¡ri" J¡" dr"i!- d~ l"f\,eJi«' ",,"tr,' Ir- ""rrlillnI JIilllry; (re T'ilrtie,
·Iwjl. X d ,\1\-. \'(),\"f~7. ;¡1J:-:~i Id J"/e dI/, Cf!rd/ltf¡/ J/OII)'.'/, par .\1. Pnll,itlldnt.




L1VHE ~ECOi'\Il.


avoir regu secretcmcnt les instructions dtl pape eL le~
avoir respectées. Efl'rayé par cet exemple, le cbapitrc,
dont il avaitjusqu'alors inspil'é les résolutions, se SOll-
mit avec un empressement misérable, et ronfla absolll-
ment a l\Jaury l'administration du siége de Paris. Dan~
d 'autres dioeeses, pareilles rigueurs obtinrent pareiI
succesj dans d'autres, enfin, la police parvint a cacher
les prescriptioIlS pontificales. C'est ain~i que les ccclé-
siastiques qui n'uyaient d'autres titres que le dlOix rle
Napoléon furent imposés a l'ignorance un a la faiblesf'.e,
et quant aux pretres plus instruits et plus fcrmes, le
ministre dc la police en J'cmplit sans bruit les prisolJ~
d'État.


Quoi qu'il en soit, :\fapoléon le srntait : les vicaire~
capitulaires installés de la sorte étaient un expédieflt.,
mais non une solution. La difficulté de suppléer a l'ins-
titution canonique ~ubsistait toujoul's. Pour lalever, il
aurait suffi de rendrc au pape Sil libertr;, L'empereur
aima mieux réunir un concile national « dont iI se flattait
d'Otre le maUre et dont il espérait se servir, soit POUl'
amener le pape a céder, soit pom se passcr de lui 1, »


Mais a ce projet que de difficultés nOllvelles! Un COIl-
cile pouvait-il se former sans la volontr: rlll pape? POll-
vait-il changer, malgré le pape, la rliscipline de ]'Égli~e?
Le ronseil ecclésiastiquc rcmüllié et impél'iellsement




L'EMPIRE. 349


interrogé a plusieurs reprises par Napoléon avait bien
¡¡ului donner les réponses qu'il souhailait; mais ces
r{)ponses feraient-elles loi dans l' Église? ce qu'ellcs
rléclaruicnt acccptablc ~crait-il acceptó par les fideles?
Napoléun n'cn était pas assuré; soil pour s'en éc1air-
cir, soit que, déjil. résolu, il voullit sculement prévenir
les dissidenccs, il convoqua sulennellemenl devant lui,
au mois d'avril 1811, ce conseil ecclésiastique, et le
re<;ut entomé du Conseil d'État et des grands dignitai-
res de I'Empirc. Apl'cS une sortie tC1Tiblc contre le
pape, laissant de cóté les cardinaux d Ir~ ¡m;lats si-
lellcicllx, il interrog'ea dil'ectemen t le selll abb¡\ tnwl'y.
L'abbé Émery, nous l'avolls déjá dit, Iil'u[e~sait les
opinions gallicanes de l'ancien clergé de France. Bos-
~Llet était ~on orJc1e) el, Culllme N apoléon se pie¡ lIai t
aussi (1'ulle grande déft)rence pour Bossuet el el'un
zele siugulicr pOUl' scs doctrines, ce ful en cilant Bus-
sllet eten invoqnant les l[l1atl'c ürlicles que lc viel1x
pn~tre f'ilPIH:'la en ['ace it l'l'mpereur les droits yiol¡;s du
bilint-perc et le caracti.\l'C sacré dc son principat tem-
lHleel, luí dL\nClll~.a la l1ullité de tout concile separé du
papc, el l'a\cl'tit ellfin que lJi le pape ni l'Églisc n'a-
balldol1lll:rail~l\t jdlllais libremrnt le rlroit aplInrtellant
au saillt-sié¡.;e de conférer seul el á l'excll1sioll de toute
illltl'O :illt()rit¡~ l'ill litlitilll1 GJl1olli'lue l.


l. J/';UI/J/n's (!U o!rr/úw! ¡Jo/TrI" 1(' )J.lj'~ip.\ ('llap. TU, d J -¡e ,Ir.: Jr.l!.'''WI'Y,
]I:li' 1111 pn"tr',' d~' Sili¡¡[~Slllpi('(', t. 11.




LlVRE SECO:'>IJ.


Quelques jours apres avoir ainsi rendu témoignage
U la vGrité, en meme temps qu'it la mémoire de l'ün-
cien clergé de France, le pl'etre octogéll[lire, qui avait
su rester debau! elevant 1\'apoléon c:et11me devant la
RévolutilJJl fra!l~::li~e, mouwit. QUilut ü l'ernpcreuJ',
cctte parule libre et sincere l'ürait frappé suns ril'r;ler';
mais revenant bientót it ses d!~sseins, il en conclut
seulement qu'il ne gagllerait rien u agir sur le clergé
de France s'il n'agissait en meme tcmps sur le pape,
et, tiludis qLL'il préparait son cnncile, il chercha á obtc-
nir direc:cment du silint-[lcrc le sacrifico de ses plus
importantes prérogati\es.


Ce sacrifice fut respcctucllscrncnt ~ollicité du captif
de Savone par trente 6V8(II[e,-;, plus touchés des em-
barras de l'Église de Frallce et de ses périls, sous le
poids de la colere impériale, que sUllcieux de l'ind(~­
pClldance et de -la dignité du saint-siIJge.lls sllppliaicllt
le papc d'antorisrr á sun cIArant les métropolitainó dc
c1wq ue p['uvince u illsti tuel' lclll's ~llfrragallt~. Trujo
tI' cntrc cux llilrti ren t i10ur Sa \ une porleurs de cell ¡.
rC(luCte, en 1l1(~mr tcrnps que ml[IÚS dps instt'llcliollS
tIe l'empel'eur.L'instilutiulI cHnunique ll'était pas le
~eul objet de lel1r missiol1. lis (levaient, de plus, [Il'l:sell-
ter et fail'e accepter u Pie VII le:3 YllCS de Napoléun Slll'
l'établissementde la papauté, it sa\lIir : tI SU[lLJl'cssiun
du pOLlvoir temporel et la réunion de Home ü l'Empirc,
Ip trans[lort rlll saint-siége rn Fl'ilIll'(', h Parj~ (jll ;'1




L'EMPIHE. 351


AvignoIl) cl Cl] échangc de la sOllve1'1lineté renversée,
des palais et des richesses. En réalité, 125 prcmieres
pro[Jositions tendaient a i~olel' cltlloniquemellt la pa-
pauté tle J'l~glisc; les sccundes, a la placer politiquc-
ment ::;OllS l'ilutorité de l'empcrcllr des FranQais,
( cornme I'église l'U::;SI; t'OllS l'cwLurité dC3 czars, Ol!
]'isIamisrne sous l'alltorité du sultan 1, » Comment
demander á un pape, quel qu'il fut, pareille abdication ?
Cormnent l'obtcnir d'un puntil'e (( rpsté digne cncore
des beatlX j(mes de I'L~glise romaitle» ? Ancnn arran-
gcment nI' fut pris wr I'établi::;setnent futur de lu ¡¡a-
flauté ; mais les é\ eq ues rcven LIS de Sa vOlle rapporLe-
J'ent a lcllt's collegncs qui se rénnissaient i:t Pari~ que
lc pape avait accepté lc::> jlt'O]lositiuns de I'c'lIlpereur
~ur I'institution clIloniqlle. Que s'était-il done passé
tlaIl~ cctte négociation my~tl:t'icusc?


Lr.s éveque,,; ü\üiCn1 tt'OLlvé ll~ saint-pere f¿¡ihIc,
~ouffrrrnt, óplIis¡;, et slIrtllllt, O!l nI' saurait trop lc rc-
di!'e, dilns IIU isolement cott1[llet ct de[lllis longtemps
jll'uluJI!i, «( S;Uh ¡¡apie!', ~~lIb plul1lc, S'1I1S encre,
~;l:h srcrdai!'f' d t.lJujoll!':i ~lll>Ycilli" par un officier de
gctl(larmerie. )) Dll dehol's, il ne panenait jusqll'a
lui <¡lIe (¡es LÍll1bóairc:5 dI! gOllVCrtlCment im[lúriaI,
Dans son jtltériem, un n'avait lais:5¿, pour a\oir part
ir Sil (Jonlhnrc, qu'tlll lall[lIe ~(,CI'8lcment gagl1i\ pour




352 LIVRE SECONn,


l'espionner et le tromper!. Pas u ne voi~ libre aupre~
du vieillard pl'isonnier. Dans cette situation, seul, il
résista durant sept jours a tmItes les obsessions. Les
éveques étaient a Savone depuis le U mai; lel 7, ils
allaient se retirer sans avoir réllssi. Enfin, le 18 al!
soir, le pape consentit a laisser ócrire sons ses yeux
les dóclarations surprises i¡ Sil las:;;itnde, déclarations
qu'il s'abstiendrait de signer pour qu'elles n'ellssent
pas le caractere d'un traité, mais qui seniraient a
constater, sinon ses volontés pontificales, qu'il ne
ponvait eX;ll'imer qu'entouré de:; cardinallx, cll! moins
ses dispositions per:;ollnclles, lle maniere qll'on ne
put rien y ajouter ni rien en refranchrr 2.


A peine la note étuit-elle entre les muins lles éve-
ques, que le pape, pOl!r me servir des expressions d 1I
cardinal Pacca, rentrant en lui-meme, pleura amere-
mento Il voulut lu rétracter, mais les éveqlles étaienl
déjil partis :¡ ; et ils allaient présenter a Paris cette note
ainsi arruchée commc l'expression des v6ritaLle:- el



définitives inte!ltion~ Ju :iaillt-~iúge.


Toutefois, une piece éeriLe loin des C:ll'Ilinaux f't
demeurée sans siguatllJ'c !le slIf'íisait pas il rllnder I1ne
diseipline nouvdlc. l{endll it la libertó, le pCi[JC POll-


1. .Ir p:u'll' t()Uj01U':; d'apl"~'~ ltl C(JIT(':-:¡)I)lld:llll:(~ d~,:-- t~·\t'!JlIf':-: t-'t dI! pl'éli.,t
dp ~lunt\'llott(~, lJUt ... f.'!i (~\le ;-;1)11:-' l!':, ~·I'I¡\.
~. [{[,(oi/'c du CO/il'/!{¡d el de /'8"1I/1,il'e, l. XIII, p, I:lij,
:L Jll!J1luil'fw ti/{ "{f)'dhm! J>fI('(·fJ~. j.(' pal'lil" (~h.tU' IIJ.




L'EMPIRE. 353


vait retirer ses concessions. Mais pout' le moment,
Xilpoléun avait obteull ce gu'il désirait : la condesceu-
dance dll pape allait désarmer l'opposition des éYéqlles,
ensllite la condescendance des éVeqllBS désarmerai t les
dernieres résistances du pape; la premiere manCBuvre
avait réussi, le seconde pouvait cornmencer.


Le concile national de l' empire franºais et du
royaume d'ltalie fut réllni. Ce concile n'en était évi-
dernment pas un, au moins pour l'Italic. Car la partic
de la Péninsule formant le royallmc ll'ltalie compl'c-
nait cent cinquante-dcm.: siéges 8piscupuux, elle n'y
comptait que quarantc-deu.\ úvellues l. En France
mt)me, lIn 8\CqUC, celui de Séez, avait rCliU défense
d'y vcnir. El! rcvanchc, llcux la"iques, les ministres
des cultes de France et rl'Italie, y siégeaient en granll
appareil, et le gOllvcrnement y avait introdllit les ec-
clésiastiques nommés par lui aux évechés Yacants.
Mais comme ces derniers n'avaient pu recevoir encore
ni caractere ni j uridictioll épiscopale, le concile ne les
admit pas a délibérer. i\lnlgré cette exclllsion, iI sem-


l. (ln tic,t, p,", ¡[',\I;e"e¡[ "tI" 1" nOltll"',, (l'é\"ech,'" que po"édait ,!Ior,
I'ltalje. Sd(¡)t 1\1. .Ianflret, dat" le, Memoil"es que nou, ilYOn, d"ji± cilt',
~t. 11, J(j t't :ji), trelltl' t:t Ull f_~Y~qltt·" ilali(~ll~ étaiellt pre:-:pnts-, tl'entp-
troj, ab,cnl,. L,,; chill'rc, que nUI(, ,1otlltlJll; jei ,onl c"ux ,]e M. Pico!
(.lI';II/Oil'es, l. 111, 1', :itilj; tlUl!' le, adopllJn; ¡JI) prérérellee, paree 'Iue
nOllS 'lwn:-,()n~ qlW .:\1. .laIlU't't't ,1 1 ri::-:-hipll p11 lle pa~ ll'Iür COlupte de:"'! :-.iég:cs
'"I'l'rinll:' I'"r i'íal'"lI",n, 1";'Ille!; ceI"~ndanl exi;taient lOl\jour" ¿lIIX FU!
di' l'E~'li,,'. (juoi fJu'iJ "H ;oit, iI ]'(,;Ito ('oll;lanl qUl: la majorité ,le l"épi,,-
""p"t it<di,'" "',<,,i,t,tit IJi" ,lit (;o!lcile de HH1.


23




354 LIVRE SECOND.


ble qu'une telle assemblée ne devait guere inquiéter
l'Empire.


La France actuelle s'y trouvait représentée par
quürante-neuf évcques, dont le tiers enviroll avait
donné des gages de dépendance au pouvoir civil en
acceptant le schisme de 1781. Les autres avaient été
promus, avant tont, parce que le gouvernement les ju-
geait « pacifiques 1. )) D'ltalie et d'Allemagne on n'avait
convoqué ou laissé arriver que les prélats dociles 2• Et
pourtant, tandís que devant Napoléon le monde se
taisait, que tous les partis avaient désarmé, que les
royalistes sans espoir se résignaient, et qu'attirées par
la venue d'une archiduchesse le~ anciennes familles
se pressaient plus nombrellses aux Tuileries; que les
républicains fatigués se reposaient, et qu 'au Sénüt les
débl'Ís de la Hóvolutiun, an Corps législatif une fonle
obscllI'e et inerte, ne contredisaient a rien, atterl!lant
pour éclater :\loscou et 'Vaterloo; dans Ct~ silencc II ni-
versel tl'llne slljétion illimitée, unc réllniou de vieux
prelrc:i, faibles, tremblallts, ~al1S aUClln de~scin poli-
tiqllc, fu t la sculc a3scmbltJe, tlc[llIi s 1 H04 et il van t1814,
ou l\'apolénn, Ancore invincibli',rcncontra 1I11 ~OlIff1fl


1. Jlémlúi'P~ da d!te de lIonillll, t. V, ciJa". X11.
2. Sil!' b C'ompo:-;iLiun Ju cOllcik d(· 1811, C(Jll~l1¡tL'r :,p/lci:t1C'mt~llt


:\1. Fui.3set, Cm')'esjJ()1t(lrod, llolln-·lll' :'("l'Íí:. t. 11,1), ·'t:m d ~lllY" I't Ufi-
talllIw'ut p. l /J-H pt ~\liY.




L'EMPIHE.


d'indépendance. D'ou venait done cet esprit de Vle,
sinon d'une région supérieure aux institutions et aux
révolutions humaines, et qu'Mait-il autre chose que le
souffle faible encore et con ten u, mais immortel, de la
liberté apostolique?


En se plagant a ce point de vue pUrf'ment et stric-
t€ment religieux, la conrluite des éveques se comprend
et sc justifie sans peine toutcs les fois qu'ils résistenl;
elle est moin,; explicable quand ib cedent el tran-
sigent. Quels furl>llt, en effet, dans cette assemhlée,
les actes qui offe[]~c'ent i\'apoléon?


Apres un discollrs (l'ollvertllre OU l\I. de Blllllognr,
,\veqllc de TroF~, avait cherché a tenir la balance
égale entre le pape et l'empereur, mais OU I'opinion
publique, habituée aux flatteries dll langage officiel,
ne relcva que les passages favorables au pape, tous
les éveques, le cardinal FC'lch en tete, jurerent obéis-
sanee al! saint-sirge, et sans (;oute il était bean
et peut-étre hardi dc preter ~erment au pontife pri-
sonnicr, 11 dellx pus du palais de l'emperellr qui le
tenait en captivité. jlais omettre ce sermcut prcs-
cl'it par les contilcs, c'cut étl: se déclal'er schisrna-
tirlnc.


Les évequcs cnsuite se tllontrerent douloureLlse-
ment émus de la captivitó dl! saint-pel'c. )his s'il faLlt
s'étonner, c'est que ce sentiment n'ait pas été plus
irrésistihlr, c'est qu'il nA les hit pas précipités, comme




:\:jf: L1VRE SECO'lIl.


le demandait l'évequc de ChamMry, :\1. Dessole.3 j,
allx pieds de Napoléon ponr en obtenil' la liberté de
leur chef et de leur pero. I1s penserent sans doute
qu'une dé marche Llussi éclatante redoublerait, au lieu
de l'apai~cI', la colere impériale 2. Ce motif seul IJeut
excuser leur réserve, et c'est j¡'ur résene a cet égarcl
qui a besoin d'etrc excusée.


Ils nommercnt une commission pour récliger leut'
réponse all message Ol! Kapoléon leur avait dénollcé
ses griefs contre Pie VlI et pOllr préparet' leurs dé-
crets, et ecUe eommi8sion, choisie avec indl'pendance,
déclara d'abord le concile incompétent pOLlr lllodifier
sans le pape les regles de l'institlltioll canollifllle.
Abolir sans le pape un cOllcol'clat couclu avec le pape,
changer malgl'é lui et contre lui la discipline ¡Je I'É-
glise, n 'était-ce pas encore aller au schisme? Ensuite,
mise en présence de la note de Savone, la commission
la considéra comme UIl document sans caraclere,
surpris pellt-étre a la relic~ion dl! ~aint-pere, a l'I'achl'
peut-etre ü sa captiyité, et, ilpre~ tnllt, un commeucc-
ment d'arrangement, ¡¡OIl llIl at'rangerncllt próci~ pI
définitif. Se trulllpait-elle? Enfin, le~ óvequcs a'vaictlt
refll:é de c1éclal'er nulle (lan~ Icm arlre,,~e it J'elupi_'relll'


----------- -----------------------


1. Frl'I": d'!lll ~.!}w~ral de: l"ElIqJÍrt·.
~. "\a¡)(d¡\Cftl ,\ Saintl'-IU·lew; 1"111' :1 I','!l]'(¡rlll; dr: JlI' r:l';rJir 11". J':litl'.
Jh;!l/IJ¡"I'f>,~', t.!. ' .. [' llOk ~1\l'I('liY!',' di\;-: (Jlloll'(1 ("Ji/f'lij'f!(I!S,',




L'E\I PIHE. 357


la bullu d'l'Xuull1municalion) et le jou!' oü, malgré leu1'
COmmll!l dllsir d'éviter tOllt débat sur un sujet aussi
JJf'lllant, l'nn d'cntre eux S'ayiSíl de reprocher cette
blllle a Pie VII, un vit le "ieíl arehevéque de Bor-
deallx \ se levant toul. a eOll[l, jete!' sur la table le livl'c
des décl'ets du eoneile de Trente, ouvert a l'article de
l'excommuni cation des lJrinees, et s 'éerior: « Vous
prétendez qu'on ne peut excommunier les souverains;
condamnoz done l'Églisc, qui l'a ainsi décidé, .. )) A
ces mots, a ce 20::;te, qui semblaient rellouveler l'ana-
thcme ü la [ace de Napuléon, sous sa main redoutable,
per:,onne !le ['ppondit : le eal'llinül Fesch Il'eut d'autrc


1. ~l. TI,i,'I" I'l'pl'l""'IlI,' 1'<ll'"lirY'~illll' ,]1' RUI',]eaux, M, ¡j'Aviall, '-tui fuI
ill','I,,'y,'.,I'''' ¡jf' \,i(,11111' <In l!101111'nl de la Hévulution, iIYll1lé,]iilleIYlpnt "pri',
\1. L!'!"'<lIII' d" POYllpi¡rlllm, i'onfe"a alol'; la foi, reyillt i, pie'] rl'llülie le
1~_'ndl.~lltailJ d(~ la Terrpul' pi)ur éYi-llq;t':liscr ~nll tliod'se: el nwna Ja rie trllll
ilp<'JlI'D ,jll"ill',l!l COlle'"'llül; :\1, Tlúl:l's, (lis-jI', 1"'[11'0"'1111' l'.1rc.hrn\lu" de
B¡;l'llpílllX ('OlHllIf) nll \ il'ilL1I'd Olf:-:tiw':') :ttll'Íllt rltO :-'llJ'llit( el ilH'ap'i.bll' ('nfill
di' ripll t'nklldri' el. di' ril'¡¡ rl,ltll"'I'lldl'f'. \1. Thi¡,t's ,1 ("ti) trnmpé llar IIll
I ;ljlp11rl dI' pulic,'. ClllllllH' rf·Jlllll·t'('llt' WJ1llilit fililT lnT~ler \1. (1'A \-j,1ll élYt'C
jI . ...: j I'{Ji:-: :II,! rí','; jll'¡"litl:-: fllli Lty;¡if\ul iL'l'itt; (laY:Hltagc~ ~r. Héal, pn~fd de
p1di('('-, fut cllilrS't\ 11:1.1" le dLU~ ¡JI; Hu\ ig-u de tl('ll1illllll'l' dE':-: l'en:-:('it-:'llClllt·¡lts"
d lp:-: d¡'lll;IIHla it. l'alJl)l' LauJ't']ll J íllr)!'$ rlqmtlH'~ it l'f\edd~ dI' ~[dl.. (>-
lni-r'Í n\p())HJil) pu;r¡' srIlU")}' /'o/'c!tf>/'rIr¡IO' de Rnl'rl('{lu,l', qllC I:'efail un
i!.!'lllll'lI.lll, I1I.n 1\!1 f:ldil'lI\. (.1/rjfl(f)iJ"'s hi\·tor/,/,u's, 11,1l' Jallfl'l't't, t. flI}
JI. \:j~, f'lI lI(¡t".; 1';1, "n dl'o:t, "'1. ,Lhian lH' fnt 1"" ardU,. 'Iai, c'esl 8Hr
¡'í' tf"llll)i.u:Jl<t1-!¡~ llf'll (~(\llClll;lllt 1[1[(' ~l. Tj¡icr~~ (11 riwliqn:' lui-mPlne) l'rt
.I((.~"" ('1', XIII, 1'. ti:;') Lel "il"'lltii,]'!' dl':'I[' ¡J'Al'iau 1'( k )'I'SIIl'l't ,[,Ji ClI-
ril'qrtw; :-:<1 lld'llllJin' pJ',\lp~ll'ld ('otllru 1:" jugenH'lll. Yoyez l'lli:-;loire de
\L ,I",hi;¡((, par \1. LY"!l!!"t, d Ii! 1'!""!;1ll1alioll "dressé" i, M, Thif'r" lui-
llli"ltW P!!I' lItl :-11['1'(':':'1'111' dr) .\1. rL\ \ ¡nll, ]¡, cilrdinal I)fllluet. (UEul:re .... ,
1, 111.) 1-:11 g'éU":l-;¡L il pst pl:l'lllis ,j¡, reg-rdter que riilustre historien ait
:dtat'ltt', trl)p (]¡o ('n~dif:¡ di':' t'.ljl[)()l·t~ dc' poliee, ~!lrtOllt dan~ ::,-e~ appl'écia-
ti!I\}:' :,ur I:,prtailt:' pej':-;()llIJa.!"!"('~ t·cclé:-:i~lsliqlle~.




. 158 L1Vl\E SECÜ:'ill •


ressource que de leyer la séance et de renvoyer le
débat au lcndcmain.


Le lendemain, le concile, qui n'avait porté encore
aucun décret, était dissous, et I rois de ses membre5
allaient en prison.


Voilil, jusqu'il cette premiare di~soIL,LioIl, tout ce
qu'avait fait le concile de J8U. Avait-il dépassé, je
ne dis pas ses droits les plus légitimes, mais ses de-
voirs les plus rigoureux?


Pourquoi ne pouvons-nous arreter la nos récits!
Mais il faut dire comment l'épiscopat fut amené a
fléchir.


Tout était a craindre alors. Napoléon ne voulait pus
le schísme; l'emportement san:; frein de son génie
dominateur pouvait l'y précipiter. Il en mena9ait
souvent. II disait, par exemple, il son oncle le cardi-
Ilal Fesc.:h, le 6 juillet t8i i : « Que la commission que
« luí empereur avait assemblée, chez le grand j uge,
« du ministre des cultes et autres, y a vaít établi que
« l'empercur nommerait il chaque vacance de siége,
« que le procureur général de la cour impériale du
« ressort de l'évéché vacant requerrait le métropolitain
« de donner l'institution, qu'il son refus le procurcul'
«( impéri:.ll constaterait la vacance du siége, le chapitre
(1 nommerait les grands vicairp.s, le prfÍfet nommcmit
K aux cures; on fermerait les sérninaires, en envoyant
« les séminaristes dans un autre diocese; on suppri-




L'JOII'IRE_


(( mcrait les petits ;,:éminaircs, on confisqucrait les
«( biens de l'éveché et des séminaires (. ))


Ces paroles ne devaient pas toutes rester vaines.
Bientót la congrégation de Saint-Sulpice aIlait étre
dissoute \ les petits séminuil'es fermés sur toute la face
de l'empire a, et les éleves du grand séminaire de Gand,
pour n'avoir pas voulu reconnaltre un intrus, jetés de
force dans un régiment 4. Déja le Code pénal avait pro-
noncé la peine de la prison ou du bannissement, selon
la gravité des cas, contrc tout eccJésiastique qui cen-
surerait publir¡ncment un acte de l'autorité civile ou
corre~pondrait sur des maticres religieuses ayec une
cour étrangore, c'est-a-dire, dans la pensé e des rérlac-
tems de la loi, ayec RfJlllC 5; toutcs les missiollS étaient
intcnlites fl et les éveques n'étaientplus libres de choi-
sir des prédicateurs en dehors de lenr diocese 7. De-
van! de lelles menaces et de te15 actes, il était permis
ami l'véques de trembler, non pas seulement pour ellX-
memcs, mais pOLlr Lncnil' de la religion dans l'im-
mense étendlle de l'empire fraIlgais. Sépal'és les uns
des autrés par l'acte de dissolution, ils se trouvaicnt


1. ,le ('jI<: te,tll'''¡''l1leut 111]1' uutl: ,"nitl' de ll! mitin d\l eilnliual Fe,ch_
:!.lOudllhI'8JRJ!.
J_ l:i ulln'lllbl-e IRI!. :\01. 1.\"{llllld, 1-;1' dI( cardinal Fese!l, t. JI,


d,ar', XI'IJI. •
L llis/u!,.,.' ti" ('o/l.ml,d ui de tElllpi/'(', t. XliI, [l. 1,1-113.
J_ Cl),]" pénal, ¡u-liele ~OI it ~08_
10_ Lpl!,'f' au <,ardilla! F",eh,8 "elc>l,re] H()~, (ClJl'l'CSp., l. XIX, p. 655.)
j_ COI'I'f'.,'Ji_, t. XX, 1'_ I'í.




360 L¡VHE S~:CO:-¡[).


livrés ti lcur timidité individllelle. Prenez-Ies un a un,
avait dit le cardinal Maury, et vous en viendrez plus
facilement a bout : « C'est un cxccllcnt vin, mais ql1i
« sera meillellr en bOllteilles qll'en tonneaux ¡. ))


On avait profité de l'avis: les éveques furent circon-
venus isolément, puis appelés chrz : e ministre des
cultes pour adhércr aux résolutiou,; proposées par le
gOl1vernement impérial. Les éveqlles italiens se SOLl-
mirent les premiers i la plupart des éveques fran~ais
suivirent lcur exemple. Vingt prólats cepcndant de-
meurerent inébranlables. Parmi eux, il est permis de
compter le président du concile, le cardinal Fesch. Ce
personnage qui avait oublié qu'il était pretre dmantla
Révolution, mais qui, appelé itla 511ite du Concorrla! a
l'épiscopat et a la pompre, avait repris avec une force
de volonté rare et méritoil'e l'esprit et les rnmurs de
son état i ce cardinal, rnauvais ambassanenr 11 nome et
tres-bon areheveque a Lyon, paree qu'il savait admi-
nistrer et ne savait pas négocier; cet oncle de Napoléon,
qni semblait le lien vivant df' l'Empil'e avec I'Église,
oseilla longtemps en faes de son terrible neveu, entre
la complaisance et I'indépendance. Mais 11 mesure que
les entreprises de ceIui-ci devinrent pIlls redoutablcs
ct plus graves, il pencha davantage vers l'indépell-


L. JI(!(/1oil'f'S hi .. dfIJ'újW!X 8/1j' Ir,s o/f'rd"{l" IJ(·(·!¡i,,'i({I://ljlU?X (11' Frfll/f'f J ~
J' parlie, dlitJl. xxx el X:\::\:IV.




L'l<:.\II'II\Ii,


dance, d ~a qualil() dn ¡¡rince de ],J~glise l'emporta
enfin dans son CCBur sur Sil qualité de prince de
I'Empire. Il en ótait la lorsqll'il H.vait été appelé a
prósider le concile de l8il, et durant la premiere ses-
sion de cette asscmblée il s'était associé, non sans
tergiversations, sans trouble et sans alarmes, aux ré-
sollltions qlli a vaient blessé Napolóon, Lorsquc crtte
assemblée dut etre réunie une secon(le fois, avec la
mcme brusqueric qu'oll avait mise ü la dissoudre, le
cardinal Feseh pensa que la !lwnicre dont OH própa-
rait une r1isciplinc nOlivelle .;tait aussi contraire aux
lois qlle pl'éjudiciablc aux intérets de I'Église, et il cut
le comage de rléclal'er ü Napoléon que l'honneur comme
la eonseience lui défendaient d'y donner son suffrage l.
~lai5 toujours timide devant l'autorité impérialí', il ne
ilt rien ¡Jour entralner aUCll n de ses con freres a sa sui te.
1l consenl.it m(~llle a présider' la séance, qu'illlvait d'a-
vanee réprollvée et ¡J.;clarée nllllp,. Elle se tint apres
quc lo gOll"ct'llcm.ont se fut as~uró d'uIlc majorité eOIl-
sidérahlo; personne !lO demanda pourqlloi tl'ois des
mcmbros du concile, au li(,u d'y siéger, étaienl tt Yill-


l. r,,; ""p;" tI 1,'Un' '1"" .i'''llilly,(' ;,,; ,111" "11" lll;IlIl(" ''.c,.;li, de lit mitiu
du [',u'din;:tl FI-':-:ch, Pi. jt' [J';¡i [la":);'1 YI'éli di!'!'" la ¡¡n'lIrl' f()[,l1lelle tIlle (~etle
ld!r.:, ;~il I\t{'~ !'{',ll1i:,,(~ i, ]\allol.""u. Trmt,-I'lJi:", ~~Jlu :-:'at('(Jl'dt' tl'()P IIjell aH'C
1,,111,' 1" "'Jlld,,;(11 ,lil ""nliu;t!, el elle "'1<1;,/,,[' tl""I' 11;,tUl"eUf'lllellt 1" d;,-
~i'rl"tj, 'jll'il l'IWOlll'llt. Vl1ll" qll'()lI IJf: dui\l' pil":' le :-:uPI11J . .:cr. Elk I'Outiellt
,¡ ;;;li""I', ,!jI" le d'-I"u;',,, ;\llt" <1" ,'I\uc;I" d,' 18/1 '"lj\l~"IlWlll t,.0l' ,h'('i,jf
lJuur qu'ji lll' ~lljt Jlas illIl'urlant d'en tl'uil' llOV'.




LIVI\E SECUNDo


cennes, et les décreb fllrent votés non au scrutin se-
cret conformément aux usages eeclésiastiques, mais
par assis et levé, tels qu'ils avaient été préparés au mi-
nistere des cuItes.


Le premier de ces déerets déclarait le concile eom-
pétent pour statuer sur l'institution canoniqlle en cas
de nécessité : le second, reproduisant presque textuel-
lement la note de Savone, donnait au métropolitain le
pouvoir d'instituer ses suffragants, si le pape s'y rufll-
sait. Jlais le dernier article portait: « Le préseot dé-
cret sera sOllmis a l'approbation du saint-perc. )) Que
devait-il done arriver si le pape n'aecol'dait pas eeUe
approbation? A s'en tenir au texte des décrets, au
proces-verbal de la sÁance, il la lettrc adressée par le
concile a Pie VII, les éveqlles alll'aient alors examiné
s'i! y avait nécessité d'agir sans le pape, et ectto néces-
sité, dont ils l'estaicnt juges et qlli n'avait d'alltre
cause que la volont!\ arbitrairc de Napoléoll, cctte né-
ces si té, il demeure dOllteux qll'ils eusscllt consenti a la
reconnaitre.


L'empercllr, sansdollte, affeetait de n'on pas douter,
et il a communiqué cette conviction a son historien 1,
En était-il pourtant bien súr? Il est diffieilo de le croire
quand on le voit inquiet de ces \110t5 : en cas de Iléces-
sité) insérés dans le premier décret, consultant, pou!'


J. Hi.\"II}/¡·c dI! COllsulrd pi '¡p l' 1.'111/';/'1', t. XIII, )'. 17:;.




L' ¡';MI'J H E.


le~ faire rli"IJaraltre, ses conseillers d'État, el, apres
trois projets Sllccessifs débattus dcvant eux, renongant
enfin a publicr les décisions du concile avant les ré-
pon ses atlendues de Sa vone l. Que concluro de ces
pcrplexités d'un homme si ]'é~olu, sinon qll'il n'avait
pas regll, commo OIl le prétend, prol1lesse des évcques
d'agil' salls le pape? Il pou vait se servir d'eux pour
le flécbir; il ne les avait pas amenés 11 se séparer
de lui.


L'alTangement proposé ü Pie VII était as"urémont
lflauvais: yainell1enl alléguait-oll pou!' le justifier les
sOllYcnil's de l'ancienne discipline. S'il était vrai qu'a-
vant le cOllcordat de Frallgois le< l'institution était
rlonnée par lo mótropolitaill, il t'allait se souvenir que
la !lomination venait alors non du prince, maís du
dorgó. Le nOllveall droit callonique impérial suppri-
mait done dans le Concordat la part faite a l'Église en
cOIlservant la rart faite al! pouvoil' civil~ annlllait la
confil'matioIl pontifical e sallS rétablir l'élection ecclé-
siastique, el, par ce m(~lange, toute intorvcntion Jo
l'Église dans le chuix de ses pastcurs rlisparais~ait.


\. M';II)lIi!,l'.\' /¡i,IOI·"jIW.\·, 1"'1' ~1. Jaufl'n;l, t. JI, ehal'. X.XXI\". ,,(,lile!·
(1 q\W:-:-Ull-¿ ~olll illl",braIlL.tble:-:.; le" ilulr~;..:, ¡lit lHJIlll;re de quatn~-Yillg-t;-:)


(f effrilyé:, ,11':-' ¡lí~ril~ que l'Olll't la rdi;.úlJu, eL ilt''I,ti'llifs r/'fliI/cllr.\' (l/U!
11 .Yollo!dfU/ '·011 .... "111 fl ("! (/m' ir' (/,;r:I'r:t S(út .\'IJlllIÚS ir f'flJ!l,roIJflfi()j{ do
f( ~'(/i/lt-súj[Je, ne f(jllt 11<-1:-:' diflkllluf, d'y (jdld'n'l'. J) C't~::t PII ce;-, tt-~l'nw~ qUl'
.:\1. J;¡lIfl'ret, "tlach¡'~ ;~1l l1lil1i:-:.t(~n' dp:-; c1\lle;.;, ra(~()lltc C(~ qui ¡;.'e::'t pa:-:.~é"lI
JJli!li~tI,J'f\ dl\~ cult¡·;-:, Autlitcllr ;-tll {'un:-::eil ¡J'Etat, il¡1 dú cqllllai tn' (}t!.alp·
11IPl1t j,., déiJal, 'I"i Ollt 1'\1 Ji~lI 1111 ,;oJbeil ,1'Elat.




L1VUE :-;ECONll.


En présentant une parrille disciplinett l'appfohatiolL
du saint-siége, les éveqlLes commettaient, sans allcun
doute, un acte de faihlesse ; mais en l'étahlis,:anl sans
son approhation, ils auraient commis un acte de ró-
volte, et c'est lü ce qu'ils n'ont jamais promis de Yaire.
Sous une pression violente et dans une délibératiun
irrégllliere, ¡ls ont pu se tromper et fléchir; ils n'otlt.
pas un seul jour consenti au schisme.


Ainsi finit le concile de :1811. On estime pOli ceUe
assemhlée quünd OH la juge; davantage, quand O!1 la
compare. Lorsqu'on regarde fl'lltl c6t0, lr,s représen-
tants de la société ciyile SOllS l'Empire avec!cm seni-
lité san s limite et sans remords, et de l'aut.re l'épisco-
pat avec ses sCfnpules d'indépendance, ses essais de
résistance, sa mesure jUSfjUe dans les cotlcessions et
l'inéhranlable fermeté de qur.lqucs-llns (le ses mem-
bres; lorsqn'on se souvient enfi.n que le premier signe
de réprobation cnntre l'exccs rlu 11es[loLisme triom-
phant es! parti d'lml~ assemlJl(e d'óv¡\Qu8s, eomment
!le pas admire!' daJl~ l'1~g¡ise le ¡]cflliel' asile de la CIlI1-
seience et le derniel' sanetuai re de la libertó? Toutcfui~
les rnemhres de eette diviLle l::glisc ~UTlt 185 hommes
de leur siécle et ele leul' pa~ s; le vent (Illi s()uf!1e autou!'
d'eux les fait plie!' sans le~ déraciner, et meme en s'é-
levant au-dessus de leu r.' contempol'nins il8 re~tent
¡meore au-dessous de lem mission. 31dtez la eundllite
des óveques en faee non plus des lllCBurs de ¡eul' ópu-




L'E~lPlI{E.


que, mais des purs principes et des irl1l1lortelles tradi-
tions d'jmlépendance de l'J~gli~e: il falldra l'avoner,
l'/¡abitude de tout espérer, de tuut craindre, de tont
attendre d'un seul homme, avait rendules caracteres,
meme les meilleurs, inhaLilcs a la résislanee meme la
plus néeessaire. Un despotisme habile et fort peut de-
venir pour la religion plus dang-ereux qu'une révolu-
tion violente et grossiere. Il lui fait moins de martyrs
et lui clésarme plus de soldals. On YOl¡]ait alors ¡¡ccor-
del' au pOllvoir tout ce qll'il était pCl'mb <J'accordel',
et, comlllo il exigeait tUlljOlll'S davantage, l'on ne savait
pllls Ol! les conce~~ions devaient finir. Ain~i l'oppres-
"ion ne reneontrait ni l'oppositioll qui l'anete ü ses
tW)ub, ni l'adhésion qui la consaere dans ses exceso
~lais dans ces alternativb la till1idité des éveqlles ve-
nait d(· leul' tel11p~, lem force venait de leur te)j.


Napuléon avait tirtÍ tout ce qu'il pOllvait de l'épiscopat
effrayé. II se relollrna alors ve1'S le pape prisonnier,
attl:nrlant de lui lt: compl(~ment de ~un tl'iol1lphc. Il
(',fait pen probahle, en c[el, qll'apl'es avoir aecordé




LIVHE SECaNDo
une premiel'e foís aux in..itances indíviduelles de quel-
ques éveques l'aba!ldon de Sil prérogative, Pie VII
refusal de confirmer cet abandon sur la demande fo1'-
melle de l'épiscopat rassemblé. Le premier pas en
arriere l'entrninait presque falalement au secando Une
seule influence aurait pu le retenir en I'éclairant : les
conseils des cardinaux. Mais le gouvernement avait
pris vis-a-vis des cardinaux la précaution qui vcnait de
luí réussir trop bien avec les éveques. Le ministre des
cultes, apres avoir circonvenu les membres du con-
cile, avait circonvenu individuellernent lrs cOI15eillers
nés du pape, el n'avait laissé p3f\"enir allpres de lui que
ceux qui s'ótaient engagés d'avance it sui \Te les instruc-
tions impériales !. Ainsi assiégó, trompé et tr'ahi, Pie
VII signa un bref conforme au d¡;cret du concite, c'est-
a-díre enlevant au saint-siégc le drflit cxclllsif de con-
fó\,pr l'institution canoniqlle.


Un moment le conflit spiritllcl des UCllX puissances


,l. La pl'PIIYf' ('n il éte trollYel' dau, 1i'; papie!'; rle ]'1111 de; célroliurtllX qlli
"lV,rellt it SaY0IlP, 1" ":ll'<liu,q1 HOYl'I'ell". e'!',! IIl1e I"III'\, dll llIilli,tl'p d.>"
t:ultcs ¡'t ce l;(lnlillal) 10 WII'tt lki'l. ( ~lull:-,il',ILJ' 11: ('anliwtl, YOU~ aVeZ dp-
( mawle Ú Sil ~Iiljei"'lé la pen¡li~;-:ioll de y(f\l~ n'lldre Ú S;tV(lllIJ. Ha JL:tje:".tr',
« m'a O!'tlonn? de YOU,-- CilIllllllllliif1ter Ic:-: in~lruetioll~ ilOll11l'e~ aux é\,:que:-:;
« et ~le vous fail'(~ rmtpnt!l'i' qll/~ :-:.i \(¡u;-; t'lt':' d',r\'i::. (Illt~ 11' P':I114' ¡]()it tl!:-
({ eOlllITlOUel' le~ afl'ail'es) p]lr:, YOU:-' tllltori~l' h Plltrt'pf(~lIdl'(: Ir' YCJ'yiI,!¿'t', d
(( HJlIS pou\ez partil' SUl'-lt:-chanlp . .I(~ \-CJIl:-: ai f'ait t'ptte ('nrnmnnic,'ttioll, I't
« YOU>' m'ayel. proteste 'I"e yotre sf'lltilOf'lIt .'st 'I"U le P"IJl' ,]"it ":' I,rtt,,!,
( ponr le hien dI' I'EJ::di~E', el l/lll' YUI[:-; fen'z al1!JI"f\~ de Stt Sajlltd(~ trJltt ("
(( Llui Jélwndra JI.:: YuU:-l pOlll' I'~· d{Jtl·I·llliw~r. 1) ( .. lf';)J(uir(',· d" f'(/f'tI/I¡oj
PtlC('f(, '!-f' j1ilrtip, l'llap. JTJ.~




L' EMPIRE. ;l67


parut terminé: 1 'Église était llacifiée suivant les uns,
a,,;scl'vie sllivant les autres. Mais a la grande sllrllrise
de tous et surtout des prélats qui avaient arraché un
¡Jureil acte á Pie VII, il fut refusé par Napoléon. Ce
rl'fus est Jifficile a expliquer. Napoléon et son histo-
rien en ont rlonné p()Ur motif que le bref pontifical
contenait Jes doctrines ultramonlaines, et flll'en re-
prodllisant le décret dll concile national il ne reCOIl-
naissait pas sa compétence l. 1\Jai." ce zcle pOllr les
conciles, cet exces de sllsceptibilité ::;allicane, L:taient
Ul! !l1oin" bien récents cbez le sollverain qui, ¡:u mo-
nlellt du Concunlat, s'était servi de l'oll1nipotence dll
saillt-si6gc pour reconstruire sur des bases nOll\ellcs
I'Églisc de France, el qui plus tard, au milieu méme
ue ses dél11elés avec ROl11e, aspírant a suborclllIlncr ti
~C3 desseins la suprématie pontíficale et a la transfor-
mer en íustrul11ent de regne, répét;:¡it encore : « Ja-
lllais le pape n'aura autant de pouvoir que 111<l poli ti-
([ue me pOl'te il Ini en dlÍsirer. » Nalloléon 11'0 jamais
I;tl~ di'jlOSi'i it contester la puissance du clli'f de l'l~glise,
f[lliJnd le chef' ¡Je' l't,~li:;e s'est rait I'cxéclllcU!' de ses
tle~~eills.


Pillll'rlllOi UO!lC ne se mOl! tra-t-il pas satisfait du
href de Savone? {;'e:'t plntót paree qu'il ne lui suffi~ait


1. JIJlIll,ii'f's d,' Sa/¡fJléolt, t. 1, Ill!ll' d¡"jit (;ilt~,,; llisl'-lil'fJ r/u Cf)í}-
,1111// p/ ,/¡, 1'/(111-/,1/,", t. XIII, p. ;!~;:.




LIVRE SI'CO:\'D.


pas que le pape renonl)ut a l'institutioll canonique : il
fallait encore qu 'il abdiqUilt son principat temporel.
Devenir possesseur in contesté, possesseur légitime de
la Ville éternelle, telle était l'ambition qui tourmentait,
dans ses reyes d'empire d'Occident, le cunquél'aut de
l'Italie, le vainqueur de l'Europe. A Savone, il n'avait
donc pas obten u tOllt ce qui lui tenait au cceLlr. Des
lors, comment aurait-il consenti a leve¡' le siríge, a si-
gner la paix? ~e fallait-il pas aL! contraire pOLlsser
jusqu'au bout les obsessions qui commenl)aiel1t a
réllssir? DLlllS un premier succes sur la patiente r,;-
sistance de son prisonnier, il ne vit que I'illdice et le
gage de la victoirc qlli lui I'cstait ü gagnel' cncore.
C'est pOUl'qlloi, san s duute, il il1lagina de rejeter comme
trop ultramontain un actc oil l'autorité püntifjc~tlc :3C
dépouillait elle-meme.


Quoi qu'il en soit des motifs de ~apoléon, il est CCI'-
tain que les concessions du saint-siége ne furent pas
alors acceptées, que la réconciliation des deux pllis-
san ces ne s'accomplit pas et que la captivité de Pic V 11
se prolongeu.


Au mois de juin 18[2, iI fut transi'éré de Savone a
Fontainebleau. Napoléon, craignant que la flotte an-
glaisc nc lui ravit son prisonnier pemlant qu'il ema-
hirait la fiussie, avait vouIl! Ir rapproclter clll centrr,
de l'empire. Peut-etre allssi dan~ ce nouveau stijollr
espérait-il micux le circonvenir et Jp vaincrc.




L'EMPInE. 3(j9


Mais en meme temps il s'effrayait, sur la route que
Pio VII avait á parcourir, de donner i.t son pellple le
spectaclc d'un pape captir. Allssi la policc franQaisc le
fit-elle voyager, quoique malade, « avec ltt rapidité
d'un trait l. )l Au ~Jont-Cenis, l'auguste vieillard
(( tomba malade i.t cffl'ayer tout ce qui l'accompa-
gnait 2. )) Les ecclésiastiques emmenés avec lui lui
donnerent le Viatique, et pourtant les officicrs qui le
gardaient n'obtinrent pas la permission do' s'arreter.
Durant qllatre jours et quatre nuits, celui qui, na-
guere} avait suivi la meme raute pou1' sacre1' Bcma-
parte, fut trainé au fond d'lIne voiture d'dl il ne lui
était pas permis de desccmlrc un seul instant. QuaIlll
il devait prendre qllelque 110urriture, 011 la lui appor-
tait dans cette ótroite prison qll'on arretait an sein des
villes les moíl1s penplées et qu'on cnfermait sous clef
dan s la remise des relais de poste. M. Thiers parle
quelque part du « traitement physique et moral»
imaginé par Napoléon pour 1'óduil'e Pie VIL Les dé-
tails que nous empruntons au cardinal Pacea montl'ent
commcnt des subalternes pouvaient entendre ce (( t rai-
tcmcnt)) et en comrnencer l'application 3,


Pie VII alTiva a FontaineLleau cot1sumt'Í par une


,1. C'est rexpr4\~si(J1l da lllilli;;lr!~ di' b ]li,lirf', k (luc de Uo\i!:!"¡\ dans
'l', .\I'\UlOit"t", t . .\ V, d",l" ~~ 1.


;l. :Jh;"!,,ú'('\' (/u cw,t/·úwl PUf'ca, .).\' partip) cl18p. J rt llI.
:3. jl,i,l.


24




:\í0 LlVRE: SECO:-lD.


fillVl'e continue, et tandis que le ministre de la poli ce
osait le taxer «( d'indolence Jl :et le rrprésentait comme
paisiblement enuonni dans sa captivité, il Mait cn
réüJité épuisé et pre~qlle anéanti sous le poids de ses
épreuves', Il est Yl'ai que, dans un pcilais impérial, cette
cap ti vité matériellement était douce; mais en meme
temps combien n'était-elle pas étroite 1


On avait envoyé au pape une partie de la maison de
l'emperclIr : on avait meme « en l'attention de reve-
tir d'un habit de chambellan l'omcier de genuarmerie
d'élite chargé de le garder 2 , Jl -'Iais on avait éloigné
ses ancíens serviteurs, si ce n'est ceux «( dont on était
sur, Jl et le gouvernement, disposant de ton tes les is-
sues, ne laissait arriver a la cOIlnaissance du pontife
que les faits impossibles tt cacher, expliqués de la ma-
niere la moins fachellse pour nos armes 3,


Celte situation durait depuis sept mois, lorsqu'it
peine revenll de la Bérésina a París, Napoléon jugea
qu'i! était temps d'en finir, et tout a coup le monde
catholique apprit qu'entre les deux puissanccs un
concordat non vean était conelu, Bientót l'arrange-
ment fut publié; cependant il ne revut pas d'exécu-


1. Il e,t I'egl'ettable que dan, cettc porti()n ele S!J11 I'écit M. 'flliet'; se
slJil insl,il'" d,,, :\II'tnoire, it. \'I, dlap. YIJJ n 'I!I plutót Ui"olJablenwnt des
l"appol'(' ,1" ,lur, Ile Hóyigo, Hisloil'l' r/II ("}/II"/i/O/ fi'¡~ tempI'!'!', t. XV,
li,. XLIII, ]l. 290 et 29l.


2. nid., t. XV, ]l. 2RfJ.
:1. nid •. p. ~fJl.




L'IO/PIRE, 371


tion, et Pie VII resta prisonnier. Que s'était-il donc
passé dans cette négociation de Fontainebleau? Quel
pacte en était sorti et comment ce pacte est-il demcuré
vain?


« Pour parvenir 11 un accord, dit 1\1. Thiers, Na-
poléon avait consenti 11 des conccssions presque ines-
pérées 1. )) Une telle assertion étonne quand 011 COI1-
nalt le textc du Concordat de Fontainebleau. POllr
la comprendre il fallt se reporter all délJUt de cette
négociation mystéricuse, il faut remontcr aux p1'e-
mié1'es propositions que le complaisant éveque de
Nantes, M. Duvoisin, cut le triste courage d'apporLer
11 Fontainebleau. Elles aHaient jusqu'a enlever au
saint-siége la nomination du tie1's des membres du
sacré colIége, 11 exiger du pape et de ses successcurs
un serment en faveur de la déclaration de 1682, 11 lui
imposer un blame public et solennel des cardinaux les
plus fidNes h l'autorité pontiflcale, enfin 11 tCllil' a ja-
mais éloignós de sa pel'sonnc deux conseillers qui
avaient partagé ses épreuves et expiaient encore lcut'
dévouemcnt par une rigoureuse captivité 2 • Ouvrir les
pourparlers par de teHes offres, c'était non-selllemrnt
rep1'oduire toutes les exigences antérienres, mais 1'c-
nouvele1' cn les aggl'avunt tontes les insultes. C'était


1. lIis!IJi"e Ilu COllmltil 1'1 de l'ElIlplá, t. XV, p. :!!JI.
2. Jl,;muú'ps dI! (,(t¡'diJ/fll j-JflCf'(I, /l-e partie, 4'!Llp. J.




LlVHE SECOJ.\D.


compter sans róserve et sans mesure sur l'accable-
ment du malheureux Pie VII. II était encore ca-
pable de quelque résistunce. L'ayant reconnu, Na-
poléon renonGa au superilu de ses exigences. Mai::; ce
qu'il n'abandonna pas, ce qu'encore sous le coup de
son désastre de Russie il voulut plus que jamais con-
qllérir et ce qu'un moment il crut avoir enfin sai5i, ce
fut ce qu'il estimait dermis longtemps nécessaire 11 la
sujétion de l' Église : d'une part l'assurance de teuir
toujoul'S le pape sous su main, et d'autl'e part, si
néanmoins, placó sous sa main, le pape résistait, le
moyen de faire sans lui des éveques.


A quoise réduisait en effet le Concordat de Fontaine-
bleau? A l'arrangement aecepté, nous avons Vll com-
l1lent, pour l'institution canonique; Ü l'arrangernent
tOlljours refusé pOUl' l'établissement du saint-siége en
France. On soutient que Napoléon n'a pas eu besoin de
violenter Pie VII, soit paree que celui-ei avait déjil ueux
1'ois aceepté a Savone ce qu'il aecepta i:t Fonlainebleall,
~oit parce qll'il devait croire alors a jamais perdu le
pouvoir temporel en échange duquel il rece"ait une do-
Latíon et des paIais. La l'éponse est facile. D'une part, les
eoneessions de Savone, comme celles de Fontainebleau,
n'étaient pas libres, et de plus, l'oppl'esseur ne les
ilvait ras agréées; le prisonníer s'en était repenti; elles
l:taicnt donc non avenues. D'autl'e part, le pape, meme
captif, avai t toujours opiniatrémeut refllsé la « posi-




J:lOII'IHE.


tion d'un patriarche de Constantinople en Occident,
avec quelqlles richesses et quelques apparenees SOllve-
raines de plus. » 11 pouvait ignorer I'avenir réservé a
la papauté au milieu des puissances humainos; mais
sa foi lui suffisait pour ne point la eroire fatalement
condamnée a un si mortel abaissement.


Tel était pourtant le Concordat de Fontainebleau.
Dans cet acte, le souverain acceptait sa déchéance, le
pontife semblait abdiquer sa suprématie : sa teneur
ne suffit-elle pas pum attaster l'abu:,; de la force, el
allfionsno1l5 besoin de connaitre dans ql1elles circollS-
tan ces il fut eonclu pOllr présumer sa nulli té radicale?


Mais ces cireonstanees, nous ne le,; ignorons paso
L'imagination populaire, il est vrai, les a gros si ere-
ment travestics. Exeitéo Ijar II~ mystere qui environna
cette derniüre bataille gagnée par Napoléon sur Pio VII,
et ne voyant de lotn qu'une chose : d'un coté, ¡lIle
victime, et de l'autre, un oppresseur, elle a repré-
sentfÍ l'opp1'esseur frappant la victime et la t!'alnant
par terre. Recueillie el pel'p6tuéc jusqu'ü nOllS dans
une inveetivo immortelle l , eette ealomnie a indigné
l'historien de l'Empiro, ot c'cst sans doute pour la 1'e-
pousser qu'il a écrit : (( Le pape ll"ait signé le Concor-
dat de Fontainebleall librement 2• )) S'il entend par la


J. f)e ]J'/(lfIl1jJfIl·/e el di'", 1i001j'/)IJ/lS, par ~J. d8 Chateallhriand.
2. lfis/oin: dI( Cl)l/sul,,1 el rle /,bll¡,ire, t. XV 1'. :lR7.




37/,


quü Piü VII n'avait été l'objet d'allcune violellce ma-
térielle, il a raison. Mais d'ailleurs il a lui-mcme pris
,.;oin de nous apprenrlre ce que valait la prétendue li-
berté du prisonnier : autour de lui nul conseil in dé-
pendant, nulle information véridique; apres plusieurs
mois, plusieurs années de cette retraite forcée, le plus
redoutable des potentats vient lui li vrer en personne
un supreme assaut, l'eifrayer, non sur son propre
sort, dont il se souciait peu, mais sur celui de l'Église,
et en meme temps l'éblouir, le séduire, le tromper,
enfin lui prendre presque la main pour l'obliger 11 si-
gner : en vérité, que faut-il de plus pour que Pie VII,
moralement, n'ait pas été librc?


C'était pourtant pour l'avenir de l'Église et pour
l'honneur de l'humanité une triste chose que cette
chute de la liberté pontificale. La puissance avait done
enfin vaincu la conscience I Grace a Dieu, une si la-
mentable victoire n'a duré qu'un jom. Nous n'uyons
pas di~simulé la faiblesse qui amena un instant
Pie VII captif et san s appui a capituler; il ne faut pas
non plus que l'histoire méconnaisse et calomnie, il ne
faut pas laisser clans l'ombre le magnanime remorcls
qui releva et COUl'onna sa résistance.


A peine Napoléon cst-il parti, emportant la signa-
ture de son prisünnicr, que celui-ci s'inquiete et s'af-
flige; et aussitót que des cardinaux fidCles, longtemps
sépurés de lui et captifs cornme lui, unt pu I'approcher,




L'EM 1'1 H E.


il mesul'c avcc CLlX les redoutables cotlséquences d'une
faute que tous doivent plaindre, que personne n'oserait
blamer. Il empIoie a se condamner Iui-méme des
expressions d'une incomparable huniilité, d'une intra-
duisible énergie 1. On le voit s'éloigner de l'autel ; du-
rant plusieurs jours il n' ose plus y paraitre. Il ne laisse
pas ignorer aux eardinaux, aux éveques fran9ais qui
le visitent, la pénitence qu'il s'impose. Ses regrets
sont visibles pour tous. Napoléon en est instruit, et
e'est alors qu'il publie pOUl' la premiere fois des ar-
tieles destinés i.l rester secrets jusqu'a ce que le pape,
assisté de ses conseils, les eut ratifiés libremcnt. Cette
publication redonble les remords du pontife et ses
sombres appréheIlsions des épreuves réservées a I'É-
glise sous un chef asservi. Cependant, sur l'assllrance
que le mal peut étre ráparé et réparé par lui seul, il
se calme; la pensée d'un devoir et d'une expiation le
raniine; la résolution de retirer [¡ tout prix los conces-
sions arrachées a 5a faiblesse est arretée. l\Iais eom-
mont manifester, comment faire prévaloir sa rétracta-
Lion? Il veut que les cardinaux, presque tons
maintenant réllni~ a Fontainebleau sans distinetion
de l'ouqes et de noil's, le conseillent. Les cardinaux,
surveillés de pres pur la poliee impériale, délibCrent


l. ({ Mil ci ;'Lialno in fine spnl'cifk-ati ... Ql1ei cat'dinali lni ~trar;-;cinélrollo
({ al l<lvnJi1l0 et mi ff~c(~I'(¡ sqttoscriyerp. )) (Jf(;mni,>('s du r:nrdiu(J! POCf'{f,
.'I'-' I)tu,tif~, ellap. 1.)




37(; LIVf\E SECONU,


dans un secret religieusement gardé. Les plus ti mides
voudraient dissimuler, reprendre les négociations et
modifier le concordat sans le désavouer; mais ceux a
qui leur courage a déja valu l'cxil ou la prison opinent
pour une rétractation formelle, adressée directement a
I'empereur par le chef de I'Église, communiquée en-
suite aux membres du sacré collége r.t pub lié e par
eux autant qu'ils le pourraient l . A leurs yeux, le si-
lence, meme durant la captivité, ne suffisait pas pour
rétablir l'honneur du saint-siége, sallvegarder ses
droits a l'avenir et rester vis-u-vis de Napoléonpurs
de toute déloyauté. Ainsi conspiraient pour la liberté
de l'Église quelques vieux prétrcs 2 • L'avis de la fran-
ehise et du conrage l'emporto, et le politique le plus
habile du sacré collége, le consciller le plus agréable it
Pie VII, le cardinal Consalvi, se charge de lui propo-
ser ce dernier sacrifice. 11 l'qccepte avec joie, iI 1'ac-
cepte comme une délivrance. Entre les cardintlux


l. «( CrHnrucnt Hiel' ()ll rey()qll(~r une :-:igllatlln~ Ú }l(,jlJ() d(l1lJH:e -? (Jní f:út
(( OSA le c(Ju~:cilll'r? Pl'l'~OIIl)(" llil:-:' llH~'lW~ l(·~ l':il'cliuallx qni Yf'¡wiclJt,
« gt'i-'tce au flel'llit,l' clllll'urdal. dI'. l'ee(Jll\Tl~r lelll" lilll'l't/,. 11:-: C!!lrai~~rll
« ~raillt do \(Jir:-:E' rnl'c'I'IlH'l' Sll;' t'1I\ k'e-: Pl)rll'~. dl'~ l¡]'i~n!l:-' rl'Étrtt. )) r¡¡i!it
ce que dit M, Thirr, (1.. XI', ]'. ;1O:¡ el 301i), E"(llll',," mainl"nanl le (",1'-
diJlA.1 P;l\-:(',(\) {{lli sortait;:i, CI~ 11l011l\'llt dll fnrt d~\ FCllc:-:trelll':' : « Ll':-' illll]'{'~
« ca1'dillaux demanrlaieul llilUÜ'lllellt I111C rr"I1'adctlil\ll I'lei1l8 el elllil'1'e.
« C\~tait la ¡non opiuioIl) el ,je la lU\tuifc:.:t:li liIJI'l'luellt h mnll ;lI'riY(~[' a
f( Fontaillcbleau. )) (4E' pJrti~:) dwp. 1I1.) lin p:J'alld lllll!lhrc de cill'diIlJ.1l\
íwir.'} opinaient pOUf l.a l'évucatilHl du ConcoJ'dat) elltre :-lut l'l'S 1r; cilrJiual
Consahi, '(Ihid., p. 32(;.)


:!, J/é/1/iJil'f!s 1//1 clll'dúwl i'W(,iI, t. /, le partie, "h"I', [JI, 1'. 2/8
it :12"




L'E}[I'IHE.


fide]es toutes les nuances de caractere et d'opinion
disparaissent au sein d'un égal et commun dévolle-
mento Le négociateu r dn Concordat et du voyage dn
sacre eí le ministre qui avait conseillé la bulle
d'excommunication, le conciliant Consalvi et l'inflexi-
ble Pacca, préparent ensemble la lettre douce et forte,
intrépide et humble, que Pie VII doit écrire a 1\"apo-
léon j. Pie VII la transcrit tOllt enticre de sa main,
cal' il ne veut pas que l'écriture d'un de ses pieux con-
fidents expose une victime de plus au courroux impé-
pórial. i'IIais a travers quelIes rlifficnltés se poursuit ce
trarail! Le pape avait a peine la force d'ócrire, Et,
quand il avait tracé qllelques lignes, un cardinal em-
portait sous sa robe hors dn palais la copie commen-
cée. Elle nc pouvait y rester, car la police fouillait
chaque jour tous les meubles du saint-pere. Le len-
demain, un autre cardinal rapportait les papiers en-
levés la veille, et Pie VII, retiré loín de tous les 1'e-
gards, daIls un cabínet froid et sombre, continuait la
page interromplle 2.


Enfin, malg1'é la surveillance qui l'environne, mal-
gré la fievre qui le consume, il acheve cette lettre.
Des 10r5 il ne cache plus rien. Sans retard, il envoie
son gal'dien, le capitaine Lagorse 3, la porter a Napo-


l. )"ir: de Pie !"/J, p'''' .\1. .\rt,llIrl ,J,; :\lo'Ilor.
:!. ¡Mil.
:J . .J.l. Thier;: dOllllC h l"oflirii'r tlt· ~ .. ::end'll·IIH~rip, chrtr~{J df' tr;udpl' b~ pape




léon; illa communique aux cardinaux, et, dans lIIIe
allocution qu'il fait Jire successin'ment a chaeull
d'eux,car il ne peut les réunil', il déclare de nOllveau
nuIs et sans valeur le bref de S:lVone et le traité de
Fontainebleau. Cette ré1Jaratioll aecomplie, il respire
et semble revivre; son visage s'épanollit, sa clollce
gaieté reparaH 8t 011 l'entrnd s"t\crirr : (( .T8 me sr.n~
soulagé du poids éIlorme qni m'oppressait jour et
nuit. » Jamais illl'avait été plus exposé aux terrihles
explosions d'une col ere d'autant plus redoutable, alors,
que déja les revers avaient irrité le conqllérant, sans
le désarmer encore.


Que dut-il se passer, en efJet, dalls l'ame de Napoléon
lorsque, apres avoir lule cl0b lit d'n ne rétl'.:lctation Ol! le
pape s'accusait sans se plaindre, iI arriva a ces
lignes :


, C" est en présencc de Dieu, auquel nous serons bient6t
obligé de rendre compte de rusage de la puissancc a nOLLS
conflée comme vicaire de Jésus-Christ pour le gOLlverne-
ment de l'Église, que nous déclarons, dans toute la sincé-
rité apostolique, que notre conscience s'oppose invinci-
bJernent a l'exécution de divers article,¡ ('ontellIlS dans
l'acte du :2:1 janvier. NOlls reconnaissons avec douleur et
confusion que ce ne serait pas pour édifier, mais pour dé-
truire, que nous ferions usage de notre autorilé si nous


le gTade de (~apitainp, le eil('dillal 1':,,"'" edil; d:' (·"I·lllel. .\Iais tOIlS deux
le d(~:-ignellt sous le nleme llODl et enffime 1111 (Iftkicl' df~ ,!..!.l'lldarrnerit.




avions Iu lllalhuLll' ü'cxécuter el' que IlUUS avons impru-
dcrnrnrnt proJtlis, non par aucune mauvaise intention,
comme Vicu nous en ('st témoin, mais par pure faiblesse
et comme ccndre ct poussiere. '


Le pape discutait ensuite lcs clauses principales du
traité et démontrait les dommages que leu)' exécution
eut apportés al'1tglise; enfin, toujours pret a se récon-
cilier autant que résolu 11 ne plus fléchir, il conjurait
Napoléon ( de con soler son ecem, )) de rouvrir la né-
gociation et de mériter encore, par un accommodement
acceptahle pour l'Église, les br)nédictions célcstes j.


A ce religieux et touchant appel, Napoléon n'ét1it
nullement disposé il réponc1re, et pOllrtant il n'éclata
paso II prit le parti plus habile de taire la rétractation
qu'il venait de recevoir, et n'cn tint compte que pom
prescrire, le lendemain, l'exécution du concordat ré-
voqué. Ce nOllveau décret provoqua de la part du pape
une protestation nouvellc, déposéc entre les mains
des cardinaux qui pOllvaient etre d'un moment il
l'autre dispersés 10in de sa personne. Déja le cardi-
nal di Pictro venait d'etre enlevé. Un autre malheur
encore pouvait fondre sur l'Église. Pie VII mourrait
pcut-etre, eomme Pie VI, avant l'heme de la dé1i-
Uf!nc'l. Les cardinanx préparent une bulle pOUl' faci-
liter J'élection du futur pontife, et la maintenir indépen-




380 L1VUE :oiEC():"lli,


dante et libre, libre eomme au fond des eatacombes l.
Cela fait, tout est pl'évu : dans une captivitó plus
resserróe chaque jaur, Pie VII ne perdra plus sa tou-
chante sérénité 2. Il ignore le sort qui l'attend; il sait
qu'un sehisme est imminent pellt-etre; mais il a
faít son deyoir et il remet a Dieu le soin de samer
l'Église.


De son coté, Kapoléon se flattait d'avoir anéanti ce
qll'il feignait d'ignorer. La leUre dll pape anit re-
pendant été eomlDuniquée, non-seulement aux earcli-
naux, mais aux rafes óveC¡lles frangais admis a Fontai-
nebleau. L'empercur lui-meme, laissant unjollI' échap-
per son secret, en avait parlú [l l'un ele ses mal'échallx
avec une ironie voltairienne, pen capable de dissimu-
ler son dépit. Toutefois, si l'Empirc cut duré, on se
demande ayee effroi eomment la rótraetation du Con-
cordat de Fontainehlean eut été connue des fideles,
et par eonséqllent s'ils auraienl pu parvenir it diseer-
nel' leurs légitimes pasteurs. La icttl'c dll pape, on
effet, n'a pas laissé de traces dans les documents
d'État; elle est demeuréc, a tra\ers toutes les r6gion~
du monde impérial, emeloppf\e d'un tel mystere que
l'histOl'ien de I'Empire, le croirait-on? u pu l'ignorer,
ct, \'Oyant bien néanmoill8 que Pie VIl ne se pretait


l. l11éilwi}'f',\' rln ('r1..J'di}'lrl! ]1(1(:(;0, .te }H\rtifl, dlilp. IJi.
2. fiJid.




L'E.\II'I11E. :>81


pas a exécuter le nauveau eoneorclat, iI accuse le pan-
tife prisonniet' de dissimubtion dan s le moment
meme oü celuí-cí se sacrifie pour se rétraeter f • Le
siIc[Jcc imposé par un clespote a son empire entier sc-
rait done capable de rcmIrc douteux jusqu'au devoíl'!
Ah! tlll moins, ne sOllfI'rons pas qu'il égare l'histoil'e:
ne nallS laissons pas fa vil' la cOllsolatioll d'admirer la
grandeur morale chez les opprimés et les faíbles, et
sachons reconnaltre que dans la lutte imrnortelle de
la conscience cOl1t1'e la forcc, il nc sc rCl1cont1'c pas
d'heure plus helle que ceHe (¡ü le successeur de saint
Pierre, « Illl illstant pIié par l'orage, se releve de
toute la hautcu1' de Sil foi 2. )) e'est du sein meme de


L "oye,]" t(,~(I' dI', diYeI','" allo('uti"ll, 'Ille le pope il fait 1i1'8 'ucce-·
,,;;,iY('llICllt h duu:ulI des (:anlill,lllX., ue pnnrrwt lAS n~l1nir :llItolll'.de ¡ní.
« ~IJlIS reganlou..:. le I.ref dc" ~aYOlW pt le tl'ait(; dn 2;) jallyiel' COnll1¡p
( 11111:-; t't ~<lll:-; Yalcllr. )) (i\lloclIti(lll dn .2 { nl:U'S ,1 ~1 :3.) {( 011 ue IJ~lulTait
H lll-Ill~ 0PP)SI;l' que [wll'!! n"\lw,lli(11l el ll'Jlre tléclal'llllUll llwuquent (LllI-
« thentlcitl", l'u;''IlI(' 1" klt!'c adn'",:'u it Sa .\raje,l" le 2, !lIar;, el le,
a t~\"('·nrm?llb ~;l!J:'/~I{lWllt:"" ~1l!lt :l(~ llutol',i(:~lj! l'ul,Jil!IH;" {\Oll~ ,l\on~ el~ :-:0111
(r 11l11!-;-IlJI'lile d ell diJlllWl' CI)llll;ll;-(~alll'e <L tnll:-' le~ eYCllllt-::-:' et <lrcheyt'(lllt'~
( qu'j] 1I1l1l:-: <t t!l¡\ j-lL'/'llli . ..; de yuil' avitlll que llotre pri;-:,ull tlevlnt p!ll~ I'j
« ~'illl!'ell"', JJ !.I lIu,:uüull dll H mai 1S1:3. - J/"/J/I¡ÍI'I's da cu.l'dinal Pllecll,
f" 1':"'1.;(', eh,,]). [[J.) •


'\;¡}l¡'l]l"nll n I;¡i:-:~(~ ,':chapIWl', en causlluL aH:'C'. un de :::e.-; nlar~dlilll\,
l\dknUilUll, l'ilyell Q1['il éty,lit J'4'(:U cclte n~lt'ad;,tion, et CI-,t aveu) H~:'éii­
:--1,11[1(" de pl:ti:-:,ult(;J'ic" YiJ!Lliripllnl':-:, a (:'h~' l'cl'1lt'il1i par llll pr?t'et dn pabi;-;,
.\1. ,1" Ball,sl'l, (M"I!I'Jil'!!'--, t. 11, ],.1:;8.), M. ,le C\"r!JIllllle oPll1hll' 'l\oir
,'''Illlll '111"1'1111' c1J1ise de la Il'lt!'e di! I'~I":, 'lll:illtl il '¡1ll111ait it C\~po]el)l1
tk':o: l'illl:.:(~il;-; all)r;..: lr(\[l Pl'll t'~~\iJllu"S, et IJl1i :illjUlll'(l'lllll, ;-;011:-:' la pllll1W de
~l. Yillentaill; Ilfl\l;-; p:lrai:-:,:cllt :-:i (~lo(ll!!'llt;.; et :.:i .iu;-:les, (Suurcllirs ('UIl-
11'11I/l0¡'oillS, t. 1) l'lwp, XX el :\XJL) Elllln, 1., dlU; d(~ Ho\ig0, alun~ llli-
ni:-:.ln" de la p()li(:e, ;¡ ~lll..;~i ellllllll relll~ lt:,Llre. (Jlé,Jw¿"es, t. YJ, cha-
1';(1'1'\'[[[.)
~" ..\1. ViIJI'IUaiIJ J .',{jlU'!,!I¡'r ... ('(J);!fJlIlj)l)/',,¡'ns. t, 1, ¡'lirlJl. ,_'O ..




:182 !'lVRE SECO:\D"


sa captivité qu'il lui a été donné de reconquérir la
vraic liberté apostolique, la liberté de I'abnégation et
du martyre, et cctte liberté, confirmée par le repentir,
ne lui sera plus ravie. Que Dieu maintenant accom-
plisse ses impénétrables et terribles justices : que la
puissance de Napoléoll s'écroule, Pie VlI n'a pas at-
tendu ce moment pOUl' la surmonter. Le pontife, par
Sil patience, a vaincu le guerrier ilvant que l'Europe
en triomphút pUl' ses armes: Leo rictus est sO}l'lelldo :
agnus vidt patiendo l •


La vicfoire extérieure du saint-pere suivit de pres
la victoire qu'il remporta d'abord sur sa propre fai-
blesse et sur les obsessions de son oppresseur.


Rome avait fité ravie an saint-sit:ge a cause du res-
pect de Pie VII po nI' l'indópendance de l'Europe, el
Rome avait été a peu pres la derniere proie que l'in-
grate Europe avait consenti a laisser sous la domination
de Napoléon déja vaincu 2. Mais ce fut aus5Í la premiere
que lacha spontanément Napoléon. Ne pouvant retcni]'
dans ses mains la Ville éternelle, il aima mieux y ren-
vayer le pilpe que de lo.isscr quelque autre s'y établir.
Il était trop tardo Déj2L tout échilPPilit au conquérant :
il signa bientót apres son abdication dans le pülais
meme ou iI avait exigé celle du pape; iI la signa au


1. Saint Angustin, Enal'raliú in Pm!m1li1l CXLIX,
2. His/ni!'!' dI{ COlIsl!(r¡{ el de 1'11'111/0"1'(', 1. xr, 1" :a:¡, pI 1. XVI,


[J. ;i.




/,' EJIl'IlW


moment ou le pontife repl'enait en paJX, au milieu
([ d'UIl peuple a genoux, » possession de son trone j.
L'Europe cnfin, s'avisant tarllivement ll'eLre juste
quelque part, s'inclina llevan! Pie VII en meme temps
que son peuple, rcconnut unanimement le plus faihle
des sou verai ns comme le premier de tous, et, seul
entre les États curopécns, l'État pontifical en ltalie
sortit de la Révolution tel qu'il existait auparavant,
san s elre ni agrandi ni diminué.


Une dcrnicre gloire attendait encore Pie Vil. A prcs
avoir triomphó, iI lui rostait iJ. se venger comme se
Ycngent quelquefois les grandes Ames, et toujours le::.;
Ames saintes.


Chassé de Home pour n'avoir pas voulu y refuser
asile aux onllemis de l'Empereu1', il y rentra pour
donner asile a la famille de l'Empereur proscrite de
toute l'Europe; et, tandis que le conqué1'ant mourait
sur le Toche1' de Sainte-IIélcne, on 1'apporte que, seul
panni les souverains, son aneien prisonnier déplorait
la rigueur de cette eaptivité lointaine, intcrcédait pour
l'adoucir) et dans l'opinion qu'il gardait de luí oubliait
Savone et Fontainebleau pOUL' ne se souvenir que du
Concordat et du culte rétabli 2.


L Ili"¡'Jl!'P dn COIw¡[rd el dI! l' "'/I/jJil'e, t. X VJI!, jl, 400.
:!. Vuyez I,·s leUr,,'s jlubliécs dan. J'inlroductiou aux JlIémoiTes du car-


dinal CUilsalvi. Les selltirrwllts qu'elles mallifestelll el les démarchcs
'Iu·,·II," allrilJllcnt en faycur de la famille Bonarart" "U ~ouvernemeIlt
IAlIllitic:l1 a\,,¡,'ul,ét,\ '¡,~.iil intliqllée, 1'~1' .'\l. AI't.aud. (¡-¡A dI' Pi/' rIl.;




38~ LIVRE SECO:'iD.


S'il était permis de jllger leb hommcs sur les résul-
tats plutót que sur les motifs de leurs actions, l'histoil'e
pourrait, en parlant de la polilique religieuse de ~a­
poléon, s'inspirer de la rnansu8tude de Pie VII : cal'
le bien que Dieu a fait par cet hOlllme extraordinaire
11 l'Église a óté durable, et le mal qu'ensuite le meme
homme a voulu lui faiee, éphémere.


Le culte restauró par le Concordat a survécu, gran-
dissant toujours, aux vicissitudcs de notre patrie. Non
que l'Église suit sortie des ruines révolutionnaires
comme un édifice achevé en un iour; illui a manqué,
a cette prcmiere période de sa rcnaissance, a l'inté-
rieur, des instiLutiuns; au debors, en f'ar,e de l'auturité
civile, des garanties. Ces insti tlltions, telles que les
ordres religieux, les corporations enscignantes, les
assemblées ecclésiastiques, il est vrai que le pouvoir
impérial les repoussait 1; mais il est vrai aussi que


l. Bien n'e:it mi~l1x c(~nst.1tt'~ dau:". la l:IJl'l'C~P(Jlld~ln('lj dI), '\;q)IJh:otl 111lí~
~a n"pllg'uíluce pOUl' le~ onlre:-l et k:-:. l~I)"l)(}l'iltiull:-:' I'digiensl':-:, IIltllle dt'
fCIllI1ltS, el ~a n~:iulutioll du He pa:-:.les IH:l'JuI'lLI\', :-:.i ce lI'c;-;t puur (flHJ1tlue . .:.
1!'ll\l'l'S de elw.rjl!~) dt~ Ie:-, Jlrn:scrin~ irn\ot'ilhleulf'llt p\Hlt' rCll~ci,~.Ul(':lflellt
et l':tp,"tolat. (CO}'}·("\'jJ.) t. X, p. 18.) « ",IUll lJUt prineil'ill a (',¡!. d'('lllj"',-
({ elle!' lp,~ j¡i:-:.uite:-:. dE :-:.'t~ta}¡lil' t~1l Fl'allt¡>. 11:-: p/'l'lluenl lOIIlL':-: :SDJ'lc:-: di'
« Jlgul'e:-:.. Je He YGU.\ ••• ril'IJ qlli 1'(';':;:;1'111])1(' ,'t l'ul'g(lni:'~tti()ll d'Il11(~ lllili(~I~ l'\"-
« lig;iellse, et ~on~ auel1ll Fl'l~lexl(' je ll't..:l1lcllrl:-, •.• aY(lir d'~llltl'l''-; !'(:clt~~ia:-­
« tiqup.:, (luP. des prHre~ ~(~r'l!lil'r:-,. ~\lull illll...'lltiull (\;..;t (~'alL'lll('llt de 111' Jlnlllt
« youlúir de eouvents tle relifjiens('s. lJ :7 (Ji:lol,,',! 1804. - ¡/;id., t. XXI.
]l. 120, 1:l1, 'IGS.) JljJülll'Slliv¡tit el Slljl]!;'illl;¡it 1", m"iul" jllSque' ,bu, le;
pay:! elrilllg;ers; parloul Ult iI pUll\ilit Ic':-:, :dleiwln' : P!1 E::;pagllP~ Jn~lllt"
¡nant que j'Espas'uc fútlilrl"" ¡{ J"'"ph I/birl.) t. X, 1'. ~1;; it Flor!'n!'t·
r¡!,id,); it Pannr (ibúl., t. XII, p. 1i2J); i, ;'\al,]"s (iI,id., 1. .\Y, 1'. 9~;;




L'I~MPIHE. 385


l'heure de leur restauration n'était pas encore venue :
elles avaient besoin dll temps pour germer et refleu-
rir; si l'arbre coupé par la hache r6volutionnaire n'a
pas recollvré en une saison ses vastes rameaux, du
moins le trone a repoussé, vivac e et sain; si le temple
n'est pas parvenu soudain 11 son faite, les assises se
son t relevées solides et pmifiées.


Quant aux garanties de l'ind6pendance ecclésiasti-
que au milieu lles prétentions et des ambitions hu-
maines, I'ltglise de France ne devait plus désormais les
tirer du privilége, et elle avait a traverser eneore, ainsi
que la France elle-meme, plus d'une épreuve avant
d'apprendre a les chercher et de prtrvenir a les trollvor
dan s le droit commun. j)1ais, dmant ce pénible passage
entre deux conditions si différentes, un recours im-
mortellui resta ouvert et elle apprit a l'estimér davan-
tage : ce fut l'aulol'ité du saint-siége. Le Concordat
uvai:t faít du pape le créateur de cette Église et l'arbitre
sllpreme de son existence; la persécution le lui signala
comme l'unique sauvegarde de son indépendance, et
c'est a partir de ceUe 6poque que le clcrgú fran¡;ais,
abandonnant quelqlles-llnes de ses opinions anté-


enlin en AI"'lIl;¡g'ne 1'1 l'll l'''[Il"ne (ilúd., t. XYII, p. 2;)1,), Mais cette
atteilíte port(;(~ a la lllwl'V: de la rdi1:óon l;atlwli(IlW llC 1Jlessa pus, eu
FraIlee Ju moins, h·s ('l)lI~Cil'lH'I;S rdi.u·ii'llsl,~;-:. aUlilllt qu'r~Il un aútre teulpsJ
pitrCe qU'OIl surlail tll~ la H¡"volldioll d q!l'Oll f.:ongt'ail n1nins á ihnuel' ou j..¡
rH'up1el' di:':=:' COllyrnt¡;; q\l'h ¡'(·l'·vf'I' 11' (:l1ltf-' dall~ lr~:-, lJ':H·nis~e:;::.




:l8G LlVHE SECOND.


rieures, a cornrnencé a ne plus séparer le souci de su
propre liberté du culte de la suprématie pontificale.


Les entreprises de l\apoléon contre la cour de Rome
n'ont pas eu d'autre résultat. Il a eu le temps, avant
de tomber, de détacher de lui et de sa fortune 1'Église
dont il se vantait d'etre le restaurateur; il n'a eu ni le
temps, ni la force de la ruiner et de la perdre. Son
bras en s'étendant sur elle l'a reJevée, et en la frappant
1'a affermic; sa chute enfin 1'a délivrée; en sorte que,
partagé entre des spectacles si inattendus et si divers,
un esprit religiellx hésite : il se demande ou se ma-
nifeste avcc le plus d'éclat dans la carriere de l'Iapoléün
la protection de Dieu sur l'Église. Est-ce quand il
l'éleve? est-ce quand ille brise? est-ce quand íl se sert
de son génie? est-ce quand il se joue de son orgueil?
Ce qui seul apparalt constant a travers ces vicissitudes
de la plus étonnante des destinées et ces contradictions
de la plus forte des volontés humaines, c'est le des-
sein prüvidentiel qui ram ene la re ligion catholique
dans la France dll XIXe siecle i c'est aussi la legon pro-
videntielle donnée aux dépositaires de cette religion
parmi nons. L'Église ne doit plus ni se fiel' a la faveur,
ni s'épouvanter de l'hostilité d'allcun potentati des
ses pl'emiers pas a travers notre ilge, elle tl [¡üt l'une et
l'autre expérience avec le plus puissant des hommcs.




CHAPITRE IV


L'Empire et l'Europe.


En arrivant au pouvoir, le bien que Napoléon ap-
porta d'abord a la France, ce fut la paix : non-seule-
ment la paix ávec elle-meme, par le rétablissement de
l'ordre intérieur, la paix avec l'Église, par la conclu-


" sion du Concordat, mais la paix avec l'Europe, la
paix dans la gloire. Ce don de la paix fut le premier
titre du jeune vainqueur de l'Égypte et de l' Italie a la
reconnaissance publique, le premier gage et le pre-
mier emploi de sa force en face de 1'Europe, qui jus-
que-la. n'avait pu ni écraser notre nation, ni traiter
avec notre Révolution, le plus beau fruit enfin des
víctoires de Hohelllinden el de Marengo, el la con-




388 LIVRE SECO'.' D.


quéte qui rehaussa le plus parmi le peuple la gloire mi-
litaire du nouveau consul.


Jamais les merveiIleux exploits de l'Empire n'ont
excité des applaudissements aussi unanimes, et surtont
aussi sinceres, que n'en souleverent les traités de Luné-
ville et d'Amiens, et lorsque, trop promptement apres,
la guerre se ralluma sur le continent, les témoignages
contemporains constatent que, si dépourvue d'organes,
si engourdie ot si fascinéo tout ensemble que flit a
cette époque l'opinion publique, un grand mécompto
so manifesta dans la natíon l. En se donnant u un
hornme de guerre, elle n'avait pas prévu qu'elle se
vouait a la guerreo e'est aussi a cette époque qll'il con-
vient de faire remonter les premieres défiances du gou-
vernement irnpérial envers le pays qui l'avait élevé,
et ses expédients arbitraires pour en tirer u son gl'é
de l'argent et des hornrnes. Des 101'5 se rOll vre l'arriéré
financier fermé par le Consulat, et pour y faire face
on a déja recours a des spéculatours sans scrupulo a
qui des bénéficos Sllspects seront bientot arrachés par
la vio1ence. Des 10rs aussi les contingents militaircs
cornmencent a étre levés par anticipation, ot lo vote de
la conscription est demandé au Sénat.


La politique impériale dévie a l'intérieur en meme


1. J[J,)lIJ;¡'es Ja caml!' .lrio! ,1,' Me1ito, t. 11, ,-11,11'. 1\; .. 1'. .\1. Tbiel".,
t. \"1, .. lIap. XX¡¡,




¡"IOII'IHE,


temps qu'elle excede al! dehors. Les traités de Luneville
et d'Amiens n'avaient-ils pas, en effet, marqué le poin t
ou la France devait s'arreter satisfaite? Ils consacraient
I'intégrité de ses frontieres agrandies et l'immortelle
perpétuité de sa puissance européenne. Vainement
I'Angleterre et le continent s'étaient ligués beaucoup
moins pour étollffer sa révolution que pour la mutiler et
l'anéantir elle-meme i : elle devait vivre, et les égo'istes
et aveugles desseins de ses ennemis l'avaient eonduite
11 compléter son territoire en s'étendant du Rhin aux
Alpes. Cet agrandissement obtenu par les guerres de
la Révollltion, la paix générale concIue par le Consulat
le garantissait; et de plus, au dela des limites, dernier
terme de son ambition séculaire, la Franee, ayant
porté ses armes victorieuses an sei n de tous les États,
si ce n'est en Russie, était appelée a remanier a son
gré une va::ite portion de l'Europe.


Elle dominait done sans eontre-poids sur le eonti-
nent. Satisiaction superbe, mais en meme temps piége


1, M, llaru, dan" le ¡[isC'JUr~ Iju'il )lJ'{!Iwnca élU nOIll du Tribllllil[ sur
la 1'1IptUI'1' (le llt Plli~ d'.\miens, a (,¡Il·ilClél'.i'(~ la condnite tlt':-; étl'allgers
,Iurilllt la U,',y,,]¡,[ii)j) P:Il' ,les [';]roles t,'¡'s'jn,'ü" el Cjn'i\ impn,'k rilO mn-
;'1'1'\('1' : ( :'\()ll:-: lr~:-: Y¡mp~ ~B dÍ'i-i~e[', talHli:: qne nous llOlIS r/'lInissi011S,
(( eouqllél'ir S,111S ~aY(lit· Ct~ (!I1'ils rleynient faire de lf'urs cOllquete:-:, pi'O-
« I':rlel' lfl fllmiUe i'o!jolr el /il' I)(IS lui pCi'mettl'e d'fljJjJl'ochel' de ses
« j;tats IjU'OIl c,wahissail en SON rt()i!l, fom"Nlel' la l'évoltc el nI.' foul'-
« ni" au},; "","allás que de, armes /JOu)' nw>e el non des secou)'s pour
(( r()ussir, fm;il/lr;J' (l. r!P,' ]i'¡"nnr;ais egnrés: une inv()sio){ r!ons: lr/{}' l¡n-
" fl'ie d les i!1"i/lr!onnc)' dans 11'111' t/¡Jfilile. )) (Seance du ~ prairial
an Xl.)




:lVO LlVIIE ~E¡;U;\II.


redoutable pOli r notre orgueill En effet, la prépondé-
rance absolue, qui n'était plus disputéo sur terre El la
France, 6tait reconnue sur mer a l'Angleterre. Te11e
n'était pas la situation respective des deux puissances
la veille de la Révolution. D'une part, alors notre
ascendant, apres avoir fléchi sous L011is XV, ne s'é-
tait pas relevé sans contre-poids au milieu de nos voi-
sins du continenti mais d'autro part, la marine fran-
Qaise, restaurée par Louis XVI et dovenuo tout a coup
plus considérable et plus forte qu'e11e n'avait été meme
sous Louis XIV, disputait l'Océan au pavillon britan-
nique, revendiquait la liberté des mors an profit des
neutres et des [aibles, et, loin de nous surpasser sur
son élément favori, la Grande-Bretagne 6tl1it réduito
a se demander si elle y re5terait longtomps notro
égale l. Cet éqllilibre de forces, qlli ne permettait a
aucune puissance de tout oser ni. sur mer ni sur terre,
fu~ changé par la Róvolutioll. La Róvolution anéantit
d'abord notre marine 2: ensuite le vain effort de la
coalition brisa los forces militaires du continent, en
sorte que le jour OU la premiere lutte de la France


1. « Le pacifique Loui, XVI aqit jlurlc la lllClrille fran9i1i,p. it \1111;
({ g-rauf1eur et une pni~sance qu"el1e n'a\aLl.ii.Unais atteillte:-:, et p1u::: íJUlW
« fi.üs iI :::embla doutcux:.;i l'allcÍellllP- ¡':Tlllldelll' n:ryale df~ l"..\llpletfll'['p Uf:
ce sel'ait IJa~ éclip~ée par Pa~tre dp,s llollrbons qlli <éleTait.. » (Fli",'!of'Y
ol Eu,'ope by Arch. AlisrJ!i, t. VlI, p. 13;'i.)


2. J ""ien de la G "aviere, Gue/Tes 1}wriliiW'S de la [{/'pnútiq//'e el de
i' Empú'e, l. 1, chapo I el IV.




~91


nouvelIe et de la vieille Europe se termina, maltresse
des mers, l'Anglctcrre rrgut tout ce qu'elle convoitait
au delit des mers, les Indes, sans que nous parvins-
sions a y rien garder nous-memes·, ni nos anciennes
colonies, la Louisiane et Saint-Dominguc, ni notre
récente conquete, l'Égypte I ; víctorieuse sur terre, la
France vit l'Espagne et la Hollande lui demeurer su-
bordonnées, l'Italie subir sa loi, les États scandinaves
se rattacher a sa poli tique, l'Allemagne enfin attendre
d'elle son organisation future .. La Russie seule, en-
care trop loín do nous, restait a l'éca1't, intacte et pré-
servée, mais sans aseendant.


Que devait-il Jone arriver si, selon l'habitude de
toute force qui n'ost pus contenue, la force contincn-
tale de la Franee et la force mari time de l'Angleterre
deyenaient, chacune, oppressives? Et si, laissées toutes
deux san s frein sur un élément distinct, elles venaient
a se mesurer l'une contre l'autre, se disputant le
monde, qlle deYÍendrait en ce conflit gigéllítesque
l'inrlépendance des nations? Que ueviendraiont les
puissances dominatrices elles-memes?


La g-ucrre ne tarda pas a éclüter de nOllVea1.l : guerre


1. :;apnl,~ol1 ,',eriyait au llirrrtoirr' I.~ balaille (L\bou!'ir : (( Les
(1 df'~lin:-:. IJllt YOUlll, dan:-: Ct-,tte rnlllll18 dans tant d'autl'e:;,
« p1'0UVel' qlle. :.;'ils nous (I~('(Jrdl'tlt. Ulle grawle prépol1tlérance f:.11l' 18 con-
({ tincnt, il:, O:lt UOTlIlÓ 1'(~Jlt¡)i['e rle:-:. l11('r . ..;, hnos l'iYrtl1\:. » 11 trollY~lil
co~rn()\k ¡J'atlribuer ('et ;'la( de rhoee, au\ deslius. (Curre.\]!" t. IV,
p. ~U3·i




de prépondérallce entre la France et l'Angleterre,
guerre de conquete de la France sur le continent; et,
s'il convient de ne pas dissimuler tOLlt ce qu'avaient
de précaire les traités glorieux conclus sous le COIlSU-
lat, il est juste de constater aussi qu'au moment meme
oi) ils venaient d'étre signés, au moment oil, re con-
naissanto de la paix ot n'en domandant que le main-
tien, la France inaugurait l'Empire, l'Empire ne fit
rien, soit pour écarter, soit pour ajourner, soit pom
limiter un conflit destiHé a ne flnir qu'avec lui.


Dans la ruine de toute institution représcntativeen
meme temps que de tOllte tradition inviolable, est-ce
done l'irrésistible emportement de son belliquellx gé-
nie qui précipita le nouvel empereur sans arrét et
sans terme sur la voie des conquetes? Est-ce aussi,
comme lui-meme le disait, sa condition de fondateul'
de dynüstie, le bcsoin d'éblouir pour se consolider, de
tl'iompher toujours pOlll' ne pas tomber I? Quoi qu'il


1. COllH'r:::atiun du prenlitT cOll:'1I1 HyeC 1111 f:nu-:¡;illcr J'!.::Lllt 111'1Id~u,t
la eourtc clurúl' de la Paix d'Amipll:-' :


LE 1'llEJIlEll CU.'SCL. I'ell,,"z-\<I", 'lll'llllC pilix de l'illlj au, et piu,
t:orrdnt lUl"\: circ(Jll:'trIllCC:' et 2t la fUl'lIlC tI(, ¡llltre p'('l!renli'IJII'lll-?


LE COX"ElLLElt • .le i,(,u,e '1"1' ce I'f["i> enll' i,'udrilil Inri el la Frauee
apl'l~':-:; dix: an:: dfl g'11I'lTt'.


LE JJI~E'IIEit c.o:\":-'["1.. YUle'; Jl(' llle Cf)~lpr(;llez. 1M;': .• h! 1lf~ Illcl:-:' 11l1S, en
111l1'sti"li ::i UlH' paix: fl'lLIlChp et :--olide ll'I';.;l jlil"'; uu hil'llf";¡il pUlir UIl Etilt
LJi('ll a::;.;,is, mai:::. je tkIllltllde :-.i le nótrc' l'e . .:t a~~e¿ IH)UJ' n"ilyoil' l'a:-: 1:':11-
I:(II'U 111;:':"lin de yiebJire:-:.. SIIIlg-ez hiell f11l'1l11 IJrrmier 1;1}Il~lll l~C re:-:,sl,ntLle
llas il ce"- l'Ul~ pa]' la g:r;lC(~ (]¡> Dieu qlti J'ri1:tnknt l('ur,., Etilt;:; l'01llHlt
ltl! i!,~rilag". Lellr IllJUyoir a pour an,iiiaire Ir, vú·ill,J, ltabitude" Clrez
IlOllS, au c\llltrairf l ce:-: yieillcs hi.luituck:-: :-:0111, de:..: ubslacles. Le .~·oll,er-




393


en soit, instinct ou calcul, il veut la guerre, ot, tant
qu'il rcgne, sa volonté sans controle engendre une
gllerre sans terme l.


On peut, il est vrai, rojotor sur l'Angloterre, ou du
moins on doit partager entre son gouvernement et le
notre la responsabilité de la rupture de la paix mari-
time. Si d'une part, en effet, l\'apoléon exorgait san s
ménagement la prépondérance que l' Angleterre avait
été réduite a lui roconnaltrc sur le continent, s'il ré-
pondait aux libros récl'imiuatioIls do la presse anglaise
par deE provocations prosque officielles dans le Moni-
teu!', s'il se faisait rendre compte publiquement des
lllOyOIlS de roprondro l'Égypto abandoIlnéo par le
traité d'Amiens, enfin si, a l'heure des explications
décisivos, iI no craignait pas d'offenser mortellement


llcmenL fran~aii; d'all,iuuJ'd'hni ll(' 1'1':3sem!¡]c h ríen de ce qui l'entoul'c.
Hai de sC':' vnisins, ol)lig'¡'~ de c(IIlLplIir dalls l'illtérieul' pln:-,irul':<' clFlf.f.r~
de llLah"eillallts, p(jlJI' illlp(!~('r ~ tallt d'e1l1H~nli:-: il a IH':-;oin d'i-IdirtllS
d'(:'('I~ll, tt par cnJl:--éqlleut (le la. ,U'llene ••••. ru g'uuverllenH'nt llOllyr,all
ennlltlC le wJtr('. jr' le l'l"IJl>lc-, a bt.':3uill, pour 61' G1m;-:olider, Il'ólJlulIil' ct
r1',"t<Jlllle!' .... , 11 fillLt '!,l'il "uit le premie'!' di' 1011, uu <¡1L'il ","colllbe.
(.\lcnuJú'I" SIII' fe Crmsu!o!, l'a!' un allcien l'ollseillcJ' Il'Elat, p. 389 el
SniY'llltc~;;:.;,


.¡, Ap!';~~ la brtlailh, (L\\l,terlitl., le p!'in('c ,JI>Sf'ph, lai"é, pit!' \:apolcon
á Paris, a la tet~' ~lu gnU\"C'nlclnellt, Clyait enl d(~Yoil' allllOlIcer ;;oleuuelk-
JI1Cllt l'ouY\'¡"lure eles lH~goci¡llions et fah'p, til'Pl' lr f:i-111011 fll :-,ig'lle de ré-
jOlJi~2-ün~c puur la paix. r\;q)l)lE~Oll le rt~lJrilll;¡!lcla : ( C'est un hon nlO,\"pll
({ rl'('lHlol'lnir l'e~pl'il Il¡-Üil)lllLl vi de dUllllcr au:\ étrallgers une faussf' idfP
« de notrp, sitllation intériellre ..... L:t paix f-::;-:t un l1H,t ,,-ide de sens; e'e~t
( lIlW pili\ gIOI'il'll:-'l' fIu"jl nOIl;': fétul. .... Il ('~t lllalheureux 4{U'I)11 ait dUIlUé
([ ;J l'csprit publiG ulle fal).-,e dil·eetioll. )) (Col'I·esp., t. XI, ('. 57!, el
:'j7:;.)




:-HI1 Ll V Il E SI" L l' \ 11.


l'ol'gueil britanuique par cette rlóclaration hautaine
que, seule, l'Angleterre ne saura.it lutte!' contre la
France; le ministere anglais, de son cotó, non eontent
de posséder rlans la i\léditerranée Gibraltar, manqllait
a ses engagements les plus formels en refusant d'éva-
euer Malte, et e'est par ce rcfus lJu'aeheva de se I'Ot1l-
pre la paix 011 pIutOt la treve conclue entre les deux
nations qui avaient un instant cessé de se battre san s
se réeoneilier.


Que la franee aeeuse done l'ambitioIl el la jalousie
de sa l'ivale de la reprise de b gllPrre marítime : cette
aeeusation ne sera pas dómen tic par l'histoire 1. Mais
la rllpture de la paix eontinentale, n qui l'imputer?


Napoléon a"ait pu, tandi,; flll'elle dllrai.t, intenenir
souverainement en Suisse, dispuser au \Jrofit de ses
protégés d'une vaste portion des territoires allemamls,
garcler le Piómont pour la France, placer sur su pro-
pre tete la couronne d'Italie; l'Ellrope résignr'e s'alar-
mait, mais ne s'ébranlait paso Pour nous sllSi!iter des


J. C)e~t aprL'S ayoir :"-cl'upuleu:-:CltltIlL COlll]J¿lré Il':-- iLlIl,t!'ílfir,u:-: de nofre
hi:,:tori¡:>ll l1fltional, ~l. Tilir-'l',-;, d ('dlc'::, de j'lli·;lnril'll ;11l~d:ti:-: Ali~ult) qne
j';li (Tll llOllyoir lU'dl'n\tcl' h ,'dtl' 't¡,],n~l'i;ltiqll. JI faul l'Oll~l1!t~)' ;¡ll:-::-:i,~
(\"uue part, les IlcJ¡at, ,JuJlilr¡"llwllt'1l1~'lili,: d'alllre parl, J,. r;I]lf'orl 'HJiI
cité plus hallt :sur ll's pil'Ct'S rd':lti'i (', ... <:11 tril ill! ~L\l1Li(,lI~ I't ;'¡ Sll l'llptlll'i')
rapporl fait au Tl'ilJul1íll pnr 11. Danl, IJl'p';UW d'Ullt, r'nmn1i",siiJll spú'jal,'.
Cct eípOS(:' des démr!lés d[~~ dt~u\ lJlliss;U1C(':-:' ullr;lÍl úli Yl'iLimcnl di,!!l1e
rl'nne liss,.~mJJléf libl'e. La qll€stioll I'~l l'()llqJl~kmr:llt rlé'J>illtue; tIJuI ce
'11li pell! etre dit en fayenr ,le la Frailee ("1 dit ,]'1111(' fil(;l.<l1 e'illI·l"a"I".
Lf:'~ ~ll~lTeS sl1iYante~ de l'Erupire IH~ IIIJIlIÚ-'rcItL i';l~ ¡ien il rle pal'cjl:, ex.-
posés ue me!if,. (:-eallcc du 3 jlrairial au XI.)




1.'1':.\1 1'1 IlE 395


ennemis et pl'éparer a l'Angletcnc des alliés Slll' le
continent, il fallut deux actes injustifiables uu gouver-
nement frangais : l'exécution du duc d'Enghien 1 et la
réunion de Genes au territoire de l'empire par un sim-
ple décret 2. Par 1f1 premier de ces actes, le nou-
veal! gouvernement de la France redevenait révolu-
tionnaire; par l'autre, iI restait conquérant jusque
dans la paix. Des lors, qnels liens former avec lui '?
Les cabinets étrangers avaient depuis longtemps
perdu la faculté de s'indigner; mais ils étaient
toujollrs prets a s'inquiéter de nos exceso Cette
inquiétude recommenga a balancer dan s leurs résolu-
tions le rcspect que lem avaient inspiré nos exploits.
Jls redouterent égalemont de nous combattre et de ne
pa,; nous résister. Dans cette alternative, la puissancc
la plus hardie, paree qu'elle était la plus €loignée de
nos COllpS, la Russie, et cello qui en avait le plus souf-
fert et restait la plus monacée, l'Autriche, se réunirent
toutes dellx contre nOllS a l'Angleterre; la plus mé-
nagée par notro politique, la Prusse, atteIlllit sans SE'
déclarer. Nuus pOllvions avoir panni nos voisins des
ennemis ou des vassaux; nous n'avions plus d'alliés.


1. {( L',jfd pl'Oduit pilr la "ilnglantr. ratastl'O)ihe de Yilleelllles fut rl'aud
san, cloule eIl Frailee: il fut plus g-ranel encol'e en Ellr"pe. ;'\OI1S ne [lüUS
tl'al'lt'l'ons pas ,le la "trité I'i;,<:ollreuse "11 ,lisan! que celte ealaslrophe de-
\ ini la pl'inripale cause d'tllle troi:-:i~lme g'llerre generale. )} (11i8loil'(' du
Cr,/ls/¡(rt! el de l'Empi,'c, l. V, li\. XIX, p, ~.)


2. IlJid., lh·. XXX!, p. 402.




LIVHE :'ECUNIi,


Ces hostilités du continent, en détournant ]'attaque
péniblement préparée contre la Grande-Bretagne,
donnerent lieu, il est vrai, a nos pI us brillantes vic-
toires, et lorsque l'historien de l'Empire voit nos 501-
dats, retenus quelque temps en face des cotes britan-
niques, et impuissünts a franchir le détroit, se rePlier
tout a eoup du eamp de Boulogne vers les murailles
d'Ulm et les plaines d'Austerlitz, il est tenté de s'ap-
plaudir qu'u la place d'un ennemi insüisissable notre
fortune nous en ait offert d'autres a étreindre et a
éeraser 1•


La bataille de Trafalgar et la bataille d'Austerlitz, li-
vrées en meme temps, ne laissercnt debout, en eITe!,
sur rOeéan que l'Angleterre, sur le continrmt que la
France : plus de fiotte en face de la fiotte anglaise 2,
plus d'armée en face de l'armée fran<;aise. Des lor5,
vainere la terre par la mer, vaincre la mor par la terre,
blo<luer l'ennemi sur l'élément oi'! il triomphe, !'y
étouffer, oter non-seulement a ses armes, mais 11 son
eommerce, toutc issue sur l'élóment opposé, telle fut
l'ambition des deux adversaires, L'Angleterre interdit


1. Ilis/nil'e di! ('(¡lisldol el de /'EllljJil'e, t. VI, Ji\', ~Xll,
2, « :\'oll-scule1ll8lll le, pl'Opl'CS tl0ttes de Franrc fllrent détl'l1ites, mili,


({ trl11tes les Illarines tll~ l'Eurnpc f'Ul'Cllt :-:i Crl1UplUtVIlll:llt pill\1.1y:-ice:-: que
({ 11' pavillüll tUltdais seul app¿u"ut ~ur l'OccLlu, el le rnonarque tjui :-:e raL-
« s:úl ulJ,\ir de Gibl'alt~J' all I:ap aunl el ,le, lIj('llL; (l'lJ"¡] Ú ]'1Jr:r":rn atl.lll~
( tique ue pOl1Yi-lit ~'aYt'lltul'er Ú f'OlnIJ;·tttl'l' Jc.:-; :-:loop:-! 'llli, rlJ,!IJlH' jOlll',
« in,ultaielll ses port" )) (Hi,'/o}'!! nI' J.'Ui'OJ!C 1)// Al'ch, Alisoil, t. nI,
p, 133.)




LE~IPln E. :\97


la mer a quiconque ne reconnait pas sa suprématie I :
Napoléon ne sonffre sur le continent que des ennemis
de I'Angleterre. La liberté des mers et I'indépendance
tei'ritoriale de l'Europe disparaissent ensemble 2.


Quelque temps, entre ces deux dominations contrai-
res, les peuples effrayés hésitent; mais tandis que la
maitresse de I'Ücéan exploite et tourmente les pays
qui subissent son ascendant, le vainqueur de rEn-
rape renverse et perd les États que subjuguent ses
armes. SOllS la suprématie de l'une, on ne peut pros-
pérer : SOtlS l'étreinte de l'aulre, on ne peut respire1'
el vivre. Ainsi les peuples, en ce terrible conflit, 50nt
inclinés comme malgré eux "ers l' Angleterre et en
viennent, a mesure que nous gagnons du terrain, a


1. Le p"inre 1'0 ya I ,le l)"nemark w,primait la repllgn,1ncc de~ marines
ser,on,laire,.; l'nlll' le,.; prélention,.; ,le,p"ti'jue, de l'Ang'leterrp, lor~f(lIe,
apre,.; le combat ,le CopenhilfnlP, en 1 RO 1, ,ommé et IIbh!':,) de conclure
un annil'ftiee) il un delJattilit cllcorc) dans ¡.la capitule Iw;uilGée, les ci)ndi-
tíons ayer; le Yail)([Il~~lll'. ( SOllffl'ir (I1W no;-; btttiml:.'nts de g'llerre soir.nl
« ¿¡rrd,',.;, di,.;ait-il ;\ :<c];üu, y"ir uue flottc danoisc iutcrceptée par le
(( pJlI~ rnf\·h:lllt I'llr:::ail'c) ce ('nr:-:,lirc yi:::;iter df~:-: bátilllenb l'un aprl's
« l'cJ.lltn~ d ('Il!t:y('J', :-\lliyant ~(jll ¡)(JIl p!ai:-:ir, (:Cl1X qlli 11li p.ll';1it!'ont :'lIspec.ts,
{( \(Jil" e'e 'lile le f)allolflilrl, ne oillil';tit a,lmdtrc. » Jl eót int,;n'"ant de
lrr¡UYf,'r dall:-' I.t COITC,,;p0iJ(l<lllCU Hleme de :\ul:-:on, et ;..;j lJien articlllés,
lt'~ gTief" ¡ir> I'EUt'11IH; cOlltre l'AIl,!.,det('ITC. (Gucrres rnf?rilinu!s S()Us la
Rf!puMi'Jul? el L'E/ilpú'e, par .Jurien ,Je h (;"aY""'e, t. JI, c'hal" IV.) Qui
!le regretterait (lue la. Frao,·" n'ait pa,; tiré parti de sAntiments pareils
el ait proYoljllé d'alltre, r:lIlCIl''')'; eapalillOs de lb ctoufl'er'?


2. Les Illotifs, les rondition,.;, le,; r"ip;f)nrCS dI! bloeu,; continental sont
atlmirahlcrucnt e'posés ,lans "'W longnr, JiCltre de NapoJéon a son frere
Louis, r,;i de Hollando, en date ,lu ;¡ a\Ti! 1HOS. De cette me me lettrc
ressortent les rlif11culló, ineYitaJ,les et les crllelle,.; riguelll's de ce sys-
teme. II faul la lirR tout {'¡¡(ii'fe pnllf le juger. (Con·esp., t. XY],
p. 'i":l.)




:398 LIVIlE SECO~D.


considérel' les tl'ésors et les fIottes britanniques comme
leur derniel' espoir de salut.


C'est pourquoi, malgré le merveilleux éclat de nos
grandes journées militaires, nous ne saurions partager
la satisfaction de l'historien de l'Empire, lorsque la
guerre maritime se change en guerre continentalc.
Par l'abus patent de la force, nOLlS avons provoqué
le continent; cette provocation était injuste : M. Thiers
en convient comme nous; mais il ajoute que cettc in-
justice ne nOllS a pas été fllnestc, eL voila ce que non:::
ne saurions admettre 1. Sur mer, en ef1'et, si nou:,;
étions moins assurés de vaincre, nous avioIlS a dé-
fendre une cause qui a toujours porté bonheur 11 la
France; nOllS aurions lutté pour émanciper l'Europe :
sur terre, au contraire, nOllS ne pouvions com-
battre que pour l'asservir, et des lors nos victoires
memes devaient nous porter malheur. A quoi nous
entrainaient-cllcs en effet, sinon a poursuivre sans
repos des agrandissements sans limites? La Provi-
dence, apres avoir laissé la France se chaticr de seE
propres mains, luí donnait carriere pOllr chaticr l'Eu··
rope. Pendant dix années le génie du plus grand ca-
pitaine et le courage du peuple le plus bclliqlleux deo
temps modemes n'ont pas d'autre emploi. Cependant


!. IJístoil'e du C0ll8v111! et (le t'Eillpil'l', l. V d VI. Ji,.. XIX, :".1:1
et X.l:I1.




L'E~[P[HE, 399


Napoléon s'enivre de ses triomphes, ot paree que Dieu
lui permct pour un moment de frapper a eoups re-
doublés sur une généraLion énervée et sur des gou-
vel'llements eorrompus, il s'imagine' qu'il effacera
ponr jamais toute diversité de raee, de climat ot de
langue, et fera tout pIier sous un joug uniforme.


Du Niémell au Zuyderzée, du détroit de Gibraltar a
la Baltique, de Madrid a Berlin, d'Amsterdam a Ham-
hourg, aueune nation, qu'elle soit vieille ou jeune, pe-
tite ou grande, helliqueuse ou pacifique, aucune na-
tion ne pelltsubsister dev:mt lui. Au débnt et au terme
de sa carricl'c, il on a rencontré deux qui semblaient
l'attendre, l'une, pour naltre, l'autre, pour revivre :
l'Italie et la Pologne. Qu'cn a-t-il fait? Il a chassé tou-
tes les puissances qui so partageaient l'Italie; il1'a dé-
pouillée de ses plus illustres souvenirs en détruisant
les Républiques de Venise et de Genes, de sa seule
grandeur vivante en enlevant le pape; et tout cela,
non pour unir les Italiens ensemble au sein d'une
conféllóratioIl libre el vivaee, mais pour morcaler a
son tour la Péninsule, prendre Genes, Turin et Rome
pour la Fl'ance) livrer un instant Venise a l'Autriche,
et distribller le reste d'un si beau territoire en fiefs el
en apanages il son frere, 11 sa sffiur, a son beau-frere,
a son be:m-fils!. n a appelé la Pologno aux armes, il


i. \'"ir; ronllnellt N"J'lnlt'·on op0J'ait el motivail ses annexions en Italie :




400 L1\'ItE SECO;ilJ.


a semé de Polonais ses champs de bataille, et le seul
jour ou il ait paru hésiter, redouter les obstacles et ne
plus cl'oire sa volonté toute-puissant.c, c'est quand il
s'est agi de proclamer en face de la Hussic la résurrec-
tion d'une nation détruite 1 : tant sont alors incompa-


« An prince Cambaceres, archichilllcelicr. BayollIlc, 1 i mili j 80S. You,
«( irouverez ei-joillt 111L ~eIlalll~-G()n~lLlLu jluur la réuuinn de Parmp, Plai~
u :-:~lllce l't la Tus<.:anc il la FraIlee. Vous le pré::.:enlc'rez all couscil pri\",:-'
{( el IOl'fl({Il"iJ aura ü!~ daibél'f\ ,"ons le Il'lrlerpz {lit Séuat. Le,\' Ol'ft!eurs
(( rlú'onl I/ue Pal'lne el Plaisauce sOld l'lhllrlS /, I'clilpi}'f' ¡uu'ce Ijll'ils
« lorrnt:::nt le CO¡Ilp!r.nuenl rfn ftu'l,itoire de (~'(?Iles) (¡ue la I'I!ulliun de
({ lu Toscane est nljr~·es\Bire pOli)' ((II[jllu'nfel' llUS I:(!te,..,·) r:t ¡jiU' 1.'0118(;-
« qucld te nom/,re ¡fe 'i/O,\' ))/rdr1ots, pi miss/' ¡¡()Itl' /'Plldre ~e!¡fi'lll tI'
« jJo}'l de la SjJe:i({J oit j'Ai ()I'd()nllt'~ Illl \',t;¡!Jli~sf:llJf~llt militaire Cllmml'
« celui ,le Touloll; que ce, di'fl"sitiOlb sout dime un n\"ull"l di' la n<"-
« ccssíté ou nons placeut lW;-; Clllll'llli s) de 11011:; l1ldtre BH mc:-:1 Il'P, plJtll'
« arriverall rétaLlissClllcnl lk la lilJerl" de, 1I1er3. - ~ill'0lt\Oll, » ((;UI'-
resp., t. XVII, [J. 101.)


L Cette lté:útaLiull ¿l l'égard de la Polllp'lIc .-;i~ tralJit tlt\'.; :-:a pl'CllLi¡~re
campague en ce pays, enl~OG el1801. llllll" le :lf)e Hnlll'liu ,11' la grande
Ill'mée, daté de Posen, le, decembl'e 180(;, il cerit : « 11 ("t rlifl",il" ¡je
« peinflre l'entllOusiasIllc des l'olünllis. Notre cntree Ilans celle fjrande
« ville (Varsu\ie) élai! un triomphe ..... Le sClltilllcnl nalinnal.esl nOJl-
( ~culcI1lenL eOllSE'J'Ye en ellti(~r dllll:' lp, ('n'UI' dll pl'llplu) nl,'li:-: j l a l't{~ l'L'-
( trclupe par le InalhcuI'. Sa }lrt~nlilll'e pa:,~i(¡ll, ~Oll prt-\llli¡\r d\~~il' c~t d(~
(( l'ellerenir wltioll ....• Le tl'one de POIOg'Ili' :-\e n':t:lhlil'a-t-il: et tl'ltp
« ¡.tl'.'lnde lI:ÜiOll l'(:pl'lmrll'a-t-elle son e\i:-itE'llc¡~ et ~ull illd{~pel!(llLllél' '! .....
{( Dien seu1. .... P,:'t l'arllitre dI-:: ce gr.1wI Pl'ohll'nw pIJ~itique. » Ce lmlldiiJ
étl1il :-,inecrc; c;tr nll m¡\nlP- ll10ment ~:ll)()l(~na (~(,l'iYait il'hommp, ;lYf't; tJili
il <Lrail le IllOius l'lwhilllfle ¡le di:-,:;;imnl\>,r. it CarnL(leúr~s : «( Le~ Puluuai:-:
« sonl !lllirn¡'>s (le la nH'illell1'e w,l()tlt,~ .... : La l'olog-IJC tout etlliere preurl
« le:.:: al'lnes. Lr's Polonai;, l;~Yellt de:-:. r¡'>g'illluuts ¡\ foJree : les Idu:'> chawb
« sont les plus ricl1l'~. Pretre~, llulll\:s, pa~·sau,~, lous sont UllllllirrH~:-'. ))
(Corl'es/J.) 29 lloyembr,' I't 1"" Ill\cemlrrr' 1801>,1. XIII, p. 713, "t t. XIY.
p. 2.) nJais presqlle all:,:ütót il St~ I'efl'oidit p0111' la Pologne) ~oit r¡Il'illle
trollv.\t pas partont k~~ 111emes di:-,pn:--itiIJll:-' I{u'h PCl~An, :::oit qne :,n poli-
tique pdt uu aull'e e,uurs. ])l::-=' le 2 th':C(~luhr\: il fa~:-:;tit gqllrm(ln(l(~r par
~Illl'at le~ gentil~honllncs de la PI,](jg'Ul: 1'11:':-\(', qlli dr'm[IJ}(lait'nt ( de.;; fl':t-
r¡lllties aVH.Ilt de se Lléclarl:-'J') ) le:'> traitait ( d'(';g'ú'btes que l'ül1lour de l~
patrip Il'entl~mme ]las, )) pt lui 'I"i illlprrs'lil r.k, princp, r11~ sa fallli!le ir




L'E}IPIRE. 401


tibIes, a travers toute l'Europe, l'esprit national et le
génie impériall


L'esprit national, eet esprit qui vit de traditions et
de liberté, résistera-t-il done au génie impérial et a
la puissance mécanique dont il dispose? Un instant on
put en douter, eette puissance mécanique sembla irré-
sistible. Elle était, en effet, sans pareille dan s les an-
nales du monde, et, avant qu'une lutte décisive s'en-
gage contre elle, il est néeessaire de me:;urer ce qu'elle
valait.


Dermis l'invasion de:; Barbares et la formation de


des pe.uples qui les rcpoussaient, il rc!'u,ait d'cn accorder un au, \'(1'11'(
des P()10Ilais. QllehplB V~mps llpri·s, il ne ~c nlOlltl'aiL pílS mieux dispo:::'t'~
cuvers V, Polop:nn pm"i"nue, il laquelle il aHit rendu pOllrlant si 1,(\tI
téIILoi¡::wap:-e) qll)ellver~ 1.1 P"log-nc rllsse) el le ,1:1 janyíer 1807) e:';~iJ.~ant
d" lraiter ayec Ir, roi de I'ru"8, illui faisait dire par le p:euéral HCI·tralHl :
« Quant a la Polng'ne, depuis que l'emp2reur la connait, il n'y iltl:¡dw
« plus aueun pl·ix." (Corrcsp., 1. Xl V, p. 31li.) La PrusRe n'ayallt l'as
traité, a la ,eille de la Lataille de Ft'ierlland et de la paix de Tilsitt il c!UIl-
nait ~neore pour Illl rxpo,,', ofli,ci,'l de ,a politiquc celle indicatioll :
« 1\e pa, Pélr!('t' de; l'iIl<l"lwndant;c de la Polop:ne et supP,'imer tOllt C'~
« qui tpllrl it montt'cr I'rmprrrur camme le liv,'raleur, attrndu <]u'il ne
({ s'e,l pas e'p]i'luóa r,c sujet. ,,(Corrrsp., i8 mai 1807,1. XV, p. 308.)
De ce, incertitude, sartit LICrt'atiulI ¡]1I f('r~lIltl-duché de \-ilrso,ie, donllc
au l'oi de Sax.I~, el cllsuiLe ulle nt'g'ociatiull as:~ez sillg'uli~l'e ¡JurLlut l'al-
liance de la Hussie el ,le l'EIIlpire fran,ai,. L, Hu;;ie, 'l"i avail gardé
tllule :,a part de la Poll)p:ne, demandait il la Franee de dédart~r cette
Mtion il jamais u',truite. La FrallCe repundit 'lu·clle ctait pr01e it s'en-
gag"r a nc rien !aire 1'0111' la rétal,l;r au tlelit ues lilllites du granel-uuche!
reconnil par la Hllssi,', La HlIs"ic ne y"ulul 1':\8 se CfJIltcIltcr ,le eeUe de-
claration) I-;t la w~g-o('iatinll échoul-l. Cela rlilt CiHlll'iLuer au rcfroidi.ssCllwnl
'Iui auolltit cnfin it 1" ¡(uerre eu iSll. (Corrcsp., l. XX, p. ni el suiy.)
Ccite f('uelTC ayanl échté, :\apoléun n'c,cconla á la diCte de Val'soyic, flui
.1\".1:t YlJtú le rétablis~elllenl de la Pulngne, qne la I'eponse ¡unlligw', dn
2:j jllillet l~U, que loul le Illonde ('onmit. 1I persistait a Y!luloir qUe'
la Polop'ne SI; cnlllprornit [lVL'C tui san:; ~'p.ng-ag'~r ayer ~1¡'~.


20




402 J.\\'HE SECO:\ll.


l'Europe moderne, jamais armé e n'avait été composée
de tout un peuple; l'état militaire était resté dans
tous les pays, il restait encore partout ailleurs qu'en
France la profession spécíale d'un nombre limité de
citoyens, une carriere honorée et ordinairement héré-
diLaire pour les officiers, un métíer vulgaire pour les
soldats. II avait fallu la Révolution fran«;aise pour met-
tre sur pied une nation. Napoléon, trouvant eette na-
tíon sous les armes, 1'y maintiut en la disciplinant,
et put ainsi entralner de nos 1'rontieres a l'extrémité
de l'Europe une armée, aguerrie comme les troupes
qui n'ont d'auLre métier que la guerre, immense et
quelque tel11ps inépuisable comme un peuple entie!'.
A ces soldats, exercés et endurcis comme des merce-
naires, impétueux et ardents commo des volontaires,
il demanda des efforts illimités; mais il eut soin de
laisser ouverte devant chacun d'eux la perspective d'un
avancement sans limite; et enfin, pour que rien ne
manguat a ses triomphes de conquérant, jamais capi-
taine n'avait par u aussi capable d'étendre au loin ses
plans de campagne, de ramasser dans Sil main de
gr:mdes forces, et de 1'rappet' des coups mortels. Contre
cette stratégie, contre cette organisation et cet esprit
militaires, que pouvaient des armées et des généraux
d'anciell régime? Il fallait que de vraies nations se
lemsscnt a lcur tour. Les gouvernemcnts ne le com-
prrnairllt ras; longtemps ils sr ('flllrbcrent en facr dr





L' r. M P 1 H ~:.


;'\apoléon, prets il. traitel' camme objets de t1'afic peu-
pIes et territoi1'es, süns plus se soucier que le conqué-
rant lui-meme de tout ce qui compose l'ame invisible
et vivante des sociétés hurnaines. A pareil jeu, celui
qui était le plus habile et le plus fo1't ne devait-il pas
gagner toujours'? En elfet, chaque tmité qu'il signait
apres qllelque bataille prodigieuse lui livrait une proie
nouvelle. Les nations fOlllées allx pieds semblaient
dormir.


Le premier réveil de l'esprit national en Europe se
manifesta uans le CCBur d'une femme, la reine Louise
de Prusse. La patriotique colere de cette brillante et
généreuse princesse contre l'envahisseur de l'Allema-
gne, son indignation contre tout pacte avec lui, pm-
voquerent l'élan de b noblesse et de la jeunesse, mais
dérangerent les combinaisons du cabinet prussien. De
ce premier désaccord entre l'ttme tout a coup enflam-
mée d'un peuple et l'e~prit froid et to1'tueux de ses
hommes d'État, entre ses instincts et IcuI's calculs,
sOl'tit une poli tique incohérente, une guerre mal pré-
parée, une défaite désastreuse. La reine alors poussa
l'abnégation patriatique j usqu'a implorer le vainqueur
qui venait de l'insulter l • Vaincue avec elle, l'Allema-


l. {( On a remarqué eOll1me ulIe sillg'lll:trité ,¡m: l'empereur ;;'apoléoll c,l
arriyó á Pol:-:tliUIl et cst jk:-:cendu dan:-; lt, mt~me apparfernent, le meIIlt'
j:Jur, et .;'¡ la r~1Arn~ ¡lenre, qne ~'Clnp~re.ul~ de Hll~sie, JOI'.8 du ,:~yage qllP
lIt C(~ prlIlce I ,'U 111 l'P. pa~i'!'l'. q1il a (~t .. :-:1 luuE'f:te il Ji! Pt'll:-';-3t;. e: c:-: t de· ~'.(:




LIVRE SECOi'iD.


gne suppliait par sa bouche. Elle demandait comme
gage de respect pour son malheur, comme relique
dernierea sauver de sa ruine, une seule ville, l\Iagde-
bourg : Napoléon fut inflexible. La reine se tut, l'AI-
lemugne rentra dans le silence : toutes deux étaient
ble5sées au eceur, mais de eette blessure, la reine de-
vuit mourir et l'Allemagne renaitre.


Apres la reine de Prusse, les premiers hommes qui
ne se résignerent pas a la conquete, ce furent les
paysrlnS du Tyrol. La Franee n'avait pas duigné ac-
quérir pour elle-memc eettc po. uvre et lointaine pro-
vince : elle l'avait cédéc a une vieille maison alle-


momenl quc la reine a quitle le sain de ses affolire, inU'rÍcures el le"
graves o~eupati')ns de sa toilette pom "e mble'· des a¡faires J'Elat, ÍUJlIICU-
ccr le roi el susciter partout le feu dont elle elail poss6Uee. • • . •
• . . . . . . . . . . . . . . . . . • Ou m ..... une
gravnre qll'on voit d:lI1s tnutes 1"8 hOllti'lII\·' et 'lui ncite le rire eles paO'-
sanso OIl y yoil le Del empereur ue Hussie, jlr0, de luí la reine, el de
l'autrc cóle le roi, 'lui Ihe b maia sU!" le luml",au du ¡.!"rand Fn\dóric; la
reine ellc-lllclllc, Jrél[J,~e el'an chále it jlen pri:s COlllme Ir, ¡.!",·al"urei' de
Lorulre::: repl'é~ellLLtIlL lady IIantiltuu, appuie la rnflin ~Ilr f.Oll cu'ur I:t a
Ltir dl~ reg'ilrder l'empl~rtur Ik~ Russie. )) (i je Bulll'tin de la g'l'andc annee,
25 octal,,·" 1806, apri" lit balélilk el'lella. Con'esp., t. Xiii, p. 1%.)
« Cornm¡:; tou::: lp~ Prlls:,ien~, jl::;: accu;-;ent h~ YOyQ.pJ~ de l'c1l1pereuf Alexill1-
dl'E' dp:; malhenfi; dr~ la Prw:.se. Le ch[lng(~lnnnt lJui s'est uPs 10rs operé
dans l"csprit de la reine ..... " (~t,·: une n',vulntioll suGit" .. » (i He Bulletiu,
26 oclobre 1806. Con·esp., t. XIII, p. 517.) « Tout le monde éll"OIlC ljU~
la reine ('st l'allL~ur des Inan\: que souffrr; la nalion pru:-i8icunc. On en-
ten,l dire pa,·tolll : Ellp. ~l"il si bonIllO, si dOUl,e il y él un <In! :\Iai, eh,.
[Jni, Cl'Ue fatale entrevue al"ce remperenr Alex.1IHlre, cOlllhiell elle .1
chan)..'"l< nI! a truuye dans l'appartclllcIJt 'lu'occupait la reine it l'otsdaIll
le portrait el" l'empc,·cur de IItL;si", rl,'I!t ce prillcc Illi ayait fait pré,pIlt. ))
(IV e Bulll"lill, 27 octoDre 180G. rurrcsjJ., t. XIII, p. 52~.) lnulile d\1jOU·
tAl' qw' I'r:~ iIl:-:illlliltioll:-; ~.~Tossif'n'~ ?,t;tif~nt ;-:,'111'" rllndpllWTlt.




L'L\ll'lHI\. 405


mande qui, soit pour vivre, soit pour grandir, s'était
faite sa créature : la máison de B:niere. Imestie par
nous des droits du plus fort, la Ba viere en usa plus
lourdement que nous-memes. Librés jusqu'alors sous
le sceptre paternel de l' Autriche, et maintenant olfen-
sés chaque jour dans leur vicillc foi et uans Icurs vieil-
les mmurs, dépouillés meme de leur nom de Tyrolien"
les simples et braves montagnards n'accepterent point
ccltc oppression subalterne. Ils étaient prets a la se-
couer avant que l'Autrichc Icur tendit la main : ils ré-
sisterent encore apres qu'elle avait plié. Seuls et san s
a ppui sur leurs apres et fiers sommets, ils chasserent
les Bavarois, désarmerent deux régiments, arretercnt
quelque temps le prince Eugene, et pour réduire en-
fin au milieu de son abandon ceUe Vendée de l' Au-
tl'iche, des soldats franQais durent traquer un nouveau
Cathelineau, André Hofer, s'emparer de lui par tra-
hison, le livrer aux ignobles insultes de nos clients les
Bavarois, et, sur I'ol'dre expres de Napoléon implaca-
ble, le fusiller '. Le patriotisme avait :ocs martyrs avant
d'avoir ses vengeurs.


Cependallt, étouffé au pieJ des Alpes, ce souline-
ment du patriotisme outragé avait éclatr) plus terrible
et plus vaste au pied des Pyrénées. C'était la enfin, a
l'extrémité de I'Europe, entre I'Océan et la ~léditerra.


!. Ifistory n( Europe Ó!J Alison, t. IX, Ji,-. XLVj[j.




née, loin du contact des autres peuples, au milieu des
ruines d'une antiquos plondeur, sur une terre épuisée
oil la religion seule semblait encore vivante et debollt,
c'était la que devait se déployer dan s toute sa gran-
deur et dan s toute son horreur la I'ésistance de I'es-
prit national a l'esprit de conquete. e'est la qu'il fallt
s'arreter pour contempler eette résistance et en me-
SUfer la force. Qlli n'en serait étonné?


Aucun État ne semblait plus déchu que l'Espagne,
aucun gouvernement n'était tombé si bas que la mo-
nal'chie de Philippe V, lorsqll'elle vint s'offrir e1le-
meme au piégo tendu par Napoléon. Mais ulIssitót que
ce piége cut róussi, la perfidic (]u spoliutour fit ollblier
l'avilissement des victimes, et ti! ndis que le con qué-
rant avait cru ne fouler aux pieds q~'une dynnstio dI;'
crópite que son sang plus jeune remplacerait suus
peine, il avait offollsé un peuple endorrni qui se ró-
vcilla SOllS l'inslllte. A la plaes d'ull allié impuissant
mais sOlllnis 1, il s'ótait donné un ennemi héro'ique ot


1. Il c~t \TJi qu'.:Ln 1l10lucnl de b ci.llnlla~ne dl~ Prll:::,e i:l de Polnp:DC;
ell 1800, le p'OUY~l'llClllelll r:::p::,!.:-11,¡L ~rlnJ¡J.:1 di:;:.po~(~ ¡\ :-;l_'('n1Wr le jOllg
d'llIF' alliallce Oll(~l'Pll:,r'; ct, a l'ill~lig;:Jti(}1l :-::(~Cl'pte de i'.\ll,~l('tel'rc, n"lIl1it
UJle llnnl."e qui ne ;-;e ~crait ras tOllrrd~r.. dll eoté de l'Errq,('!'cur ~¡ 1"1-:111-
percH!' :-i--¡.-ait r.té lHlflu. ~rai::, ecHe t,'utative 011 d)afrralldli;-;~cmcIlI. r)H
d·il1[jlh~lite, prOlnpt('n}(~nt i.lper~ue par ).;aJl(j¡(~:on, fut IH'umpteltlE'llt cd)illl-
rllJflIl~C e.t expil~e par le (_';lbilld ('~:paglwl? 1j1li liyra ~t lOl Fl'all''l' IlIl {'()rp:~
;ulxiliain:- de trente milJe ~(Jlditt:-: l'\pédi?~ du foud dI: Ii! PI~'llil;:-:ull' al.\.
"')I'd (h ¡'Elll'Ope, "Clp0].""n n"l\:tit ri"IIC 1'1n, :" ~o p1ailldrt, (¡I::lIld ii "11-
\"ahit l"E::prq!lH'.




407


furieux, unanime et impitoyable, sans hommes d'É-
tat, sans généraux, sans argent, sans munitions, sans
troupes réglées, soulevé de tous cótés et conduit en
beaucoup d'endroits par des moines, inhabile 11 tenir
contre nous en bataille rangée; mais présent par-
tout, meme quand il devient invisible, offrant a la so-
lide et pesante armée anglaisc une terre OU pos el' le
pied sur le continent, prompt lui-meme 11 surprendre
nos troupes dans un défilé comme a Eayleri, inébran-
lable rlerriere des murailles quí brulent et croulent
comme a Saragosse, incapable enfin, pcut-etre, de
remporter la victoire, mais indomptable dans la dé-
faite. Si les plus habiles généraux frangais, Masséna,
Soult, Ney, Victor, Augereau, Jourdan, Saint-Cyr, ne
sont pas heurellx en Espagne comme ailleurs, l'hisl.o-
rien de l'Empire, qui ne leur pardonne pas de eesser
de vainere, a raison, sans doute, d'imputer )'incerti-
tude et l'ineohérenee de leurs opérations militaires
allX rivalités qui éelatcnt entre eux loin de lelll' mai-
tre; instruit par le méeontentement sévere et quelque-
fois ingrat de l'empereur, il excrlle a relever leurs
fautes stratégiques j. Mais ne convient-il pas aussi de
leu!' tenir compte uu terrain sur lequel ils manceu-
vraient? n'est-il pas juste d'observer que, pour la pre-


t. /lisloil'!! da (:'JllSulal el ,le t'EIIIl'ú'e, t. IX, IlV. XXX]; t. XI,
IlL XXXV]; t. XII, ¡LV. XXXII et XL, el t. XIII, ¡ly. XLIJ.




408 L1VHI:: SECUNDo


micre fois depuis qu'ils faisaient la guerre, le pays en-
nemi ne fournissait a ces vaillants hommes ni guide,
ni espion, ni renseignement, ni ressourees d'aueune
sorte, et, par justiee pour eux autant que pOllr le peu-
pIe espagnol, de montrer ehacua de leurs pas environné
d'obscurité et d'alarmes I? Des lors, eomment ne se
seraient-ils pas égarés? Et le maUre enfin, pourquoi
done reste-t-il loin de ses lieutenants qui se divisent
et se lassent? Pourquoi, fatigué de ses sueces memes
sur cette terre funeste, la quitte-t-il a la hale, apres
avoir ouvert ponr un instant Madrid a son frere, et
en détourne-t-il désormais son bras et jusqu'il. son re-
gard 2? N'est-ce pas paree que l'Espagne 1'a non-seu-
lement dé<;u, mais humilié, paree qu'il y vuit, non un
ennemi il. vainere, mais un peuple 11. tue1', et qu'il
aime mieux cha1'ge1' son fl'Gre de eeUe triste tache el,
de loin, s'irriter si eelui-ei s'y prete mal, que l'aeeom-
plir de ses mains victorieusos?
~J. Thiers, qui blftme, comme il conviont, Napolóoll


d'avoir commencé la guerre d'Espagne, le blftme éga-
lemont de n'avoi1' pas voulu la terminer en por50nne.
11 eondamne eeUe elltreprise commo une iniquitú; rnais
ii pense que, soutenue avec plus de persóv.1rance, l'ini-


1. Ménwircs el Corr;sjJondanc,o dll mi .Josel'h. ,Jo,eph á :'íapoléoD,
! 1 juilli't et 14 aout 1808.


2. Flisioil'e di, Cl/!/wlr'¡ 1'1 de tt,'lllj,it"', t. VIII, Ji". XXX, (" l. IX,
liv. XXXI et :UXlll.




L' t<;~II'J H E, 40!J


quité aurait réllssi et meme que le succes serait par-
venu a la légitimer. N'était-il pas plus faeile en etret,
se rlemande-t-il, de jeter a la mer l'armée du duc de
Wellington que d'atteindre l'empire russe 11 six cents
licues de distanee derriere son rempart de neige, et, les
Anglais une fois balayés de leur dernier poste sur le
eontinent, comrnent l'Espagne restée sellle n 'aurait-
elle pas fléchi saus le poids ele la tOllte-puissance im-
périale? D'abord fatiguée, bientót rajellnie, elle aurait
oublié des princes manifcstement indignes de régner,
l'0nr épouser la monarchie nouvelle. A pres tout, il
était dan s la destinée de eette nation d' etre relevée par
des dynasties étrangere~, et Napolóon venait suhstituer
son SD.ng' a la race dégénérée de Louis XI V, comme
Louio XIV, un siecle auparavant, avait remplacé par sa
de~celldance la race épuisée de Charles-Quinto Puisque
les Bourbons avaient pu s'enraciner dans la Pénin-
sule, pourquoi les Bonaparle ne s'y seraient-ils pas
implantt\~? A insi raisonne .\1. Thiers, pou r j usLifier
ses rcgrcts que Kapoléon n'ait point concentré toutes
ses forees en Espugne 1.


NOLlS nc saurions, quant a nOllS, nous associer a de
tels regrcts. L'injusticc de la guerre d'Espa¡:;ne nous
indigne, beaucoup plus encore que son insucees ne


¡. Hil'tol/'" ,1/, C"!il'/I!'¡{ 1'( de I'E/I,/Jil'e, l. IX, Ji\'. XXXJlI: t. XII,
li\', XL, el t. XIII, jiv. XLII.




+111 LIVHI~ ~LCu.\V.


nous afflige. Les conjectures formées apres coup sur
la réconciliation qui aurait pu la suivre nous paraís-
sent tout au moins gratuites et hasardées, 'et le souve-
nir que l'historien invoque, pour étayer ces conjec-
tures, doit a nos yeux tourner contre elles.


Lorsque, au terme de notre longue rivalitó avec la
maison d'Autriche, le duc d'Anjou vint occuper le
trone vide de Philippe JI, il Y fut appelé spunlané-
ment par les citoyens les plus considérables et les pllls
éclairés, par les plus sinceres patriotes de l'Espagne;
II Y monta pour sauver l'indépendance et l'intégrité
de la monarchie catholique; il Y fut confirmé et sou-
tenu par l'assentiment de la nation; enfin, et comme
Joseph meme le rappelait a son frore, il n'eut a com-
battre que l'étranger l • l\'apoléon ne se contenta pas
d'imposer Joseph a l'Ebpagne soulevée: il voulut la
démembrer 2 • Que ron compare les instructiollS des
deux souverains! Le grand-pere de Phílirre V pres-
crivaít a son petit-fils de devenir, avant tOllt, espagnol,
et de se souvenir seulement ensuite gu 'i! était nr
franQais: « Je vous recommande, ajoutaít-il, d'aimer
(( vos pcuples et de vous attirer leur amour par la
« douceur de "otre gouvernement 3. )) Le chef des


l. J[¡J¡¡¡OÍ/'Cv el Corresp'JI!rlallces dll I'(ji Josl']dl . .T'-'~eph il l\'"pr,lé.on,
IlIillel el aoút 180g ..
~. Jlistúú'" da C"'l,,,lrrt ,,/ rll" (Elr/jrir!', t. XIII, li\". XLII; Mémuirl',,·


l/e Jfiut de .lfetilo, t. Ill, ch~p. 1\ el \l.
:l. In,tructiong de LOllis XIV it Philippe Y.




I:E~II' llll':. !d 1


Bonapartc exigeait de ses freros couronnés de ne mé-
nager que ses soldats, d'agir en tout par la France et
pour la France, c'est-a-dire de se faire les instru-
ments de toutes les ambitions impériille:;, et de ré-
gner par la terreur l. Philippe V était deyenu roi au
grand honneur, sans doute, ot pout-etre au grand
profit de la France, mais ayant tout par l'Espagne et
pour l'Espagne; Joseph, malgré l'Espagne et contre
l'Espagne. Le premier était un gage d'alliance, le se-
conel un signe de sujétion. Comment deux politiques
si contraires a leur point de départ et dans leur:;
trloyens d'action, auraient-elles dü aboutir (t des ré-
sultats pareils? Les Bourbons ayaient pu devenir, et
ils étaient doyenus, pom la Péninsule, une dynastie
vraiment espagnole; dynastie tres-mal représentée,
sans doute, u l'époquc Ol!. Napolóon voulut la briser;
mais qu'importait El ce peuple héro'ique le caractere de
ses princcs? JI se dévouait pour un principe. Il voyait
dans sa monarchie traditionnelle le symbolo vivant de
SOIl indépendance et, si j'ose ainsi parler, de sa per-
sonnalité nationale. 11 ne comparait pas Charles IV
ou Ferdinand VII il Joseph; il préftÍrait le droit a la
I'orce, la légitimité a la conqnete. Ln tel sentimcnt
n'était-il pas inseparable de son patriotisme? Pomait-


l . .If(;moirc.~ el ('oJ're"'),o¡¡dowes da ro" ./I)sel'''' passim; Curresp. de
S"/JOféol/ le" lo XIII, p. 21 el suiv., '74 el 90; HUoirc '/11 ConS1lf,,1 el
r/f! /'Elllpil'c, t. XII, p, 83, l. XIlI, p. 2:i1.




L1VHE ~ECU"j).


il s'en dépouiller san s cesser de respirer el de vivre?
Joseph ne le pensait pas, lorsque, a peine entré dans
son nouveau royaume, en 1808, il écrivait avec déses-
poir a son frere : « Il faut deux cent mille Francais
« pum comprimer l'Espagne, et cent mille échafauds
« pom maintonir le prince qui sera condamné 11. ré-
«( gner sur elle i. )) Et si plus trrrd, ayant néanmoins
essayé de régner, il se flatta quelquefois d'y réussir
par des moyens plus doux, des généraux francais
chargés de le soutenir persistaient 11 annoncer que
pour soumettre ce vasto pays il fallait anéantir la
moitié de la poplllation 2. Un d'entre eux, apres une
occupation de troi8 ans, parut momo ne plus reculol'
devant l'atroce nécessité de cet anéantissement systé-
matigue : une proclamation du maréc:hal Dessiere",
en {8i t, porte que « les peres, meres, (reres, en(ants
et neveux des habitants rOllpables [j'avoir abandonné
leurs villages a l'approche des FranQais, répondront
sur leurs bien::; et sur leurs tetes de toute;,; les violen-
ces des insurgés 3.)) Quelles représailles I Rien ne peut
les justifier, sans doute; mais comment les expliquer
si nos süldats n'avaient pus affaire a un cnnemi aussi
opiniatre qu'il ét.ait crllel? Et quaud la guerre en ar':'


1. Mémoires el Correspondan ces dlJ roi JOSP)lh, aollt 1 ROS.
2. Dépeche du général Keller'malln, cité2 par :\1. Thiers, t. XII, p. 227.
:3. Hisiory o/" Ellrope by Are". Alison, t. X, p. 131.




L'EMPIRE. 413


rive a de telles extrémités, sur quel indice supposer
qu'elIe n'est pas irréconciliable?
~his, suns se réconcilieravecJoseph, l'Espagne po u-


vait etre domptée par la France; voila tout ce qu'il est
permis de conclure de la comparaison des ressources
espagnoles avec la puissance impériale. L'Europe, en
e[et, a été condamnée en pleine eivilisation chré-
tienne au triste spectacle de nations écrasées par la
force. Depuis bientot un siecle, elle voit la Pologne
demeurer asservie, sans que rien puisse ni l'apaisar ni
l'a[ranchir. 11 se peut done que nos armes eussent été
capables de nous valoir un pareil sucees dans la Pé-
ninsule. Admettons ce succes comme vraisemblable :
quel FranQais regretterait qu'il nous ait échappé? A
quelques désilstres que nous ayons été entrainés, quel
FranQais déplorerait que noU3 n 'ayolls pas réussi a
attacher a notre fIane, remords éternel pour notre
conseiénee nationale, embarras permanent pour no-
tre politique, une autre Pologne? l\1ieux vaut mille fois
pour un peuple, pour sa destinée comme pour son
honneur, mieux vant la ruine immédiate et sanglante
des entreprises iniques qu'il tente ou laisse tenter en
son nom que le long ch&timent qui doit sortir illévita~
blement de lem triomphe!


Ainsi l'Espagne, en face de Napoléon, semblait d'a-
bord également éloignée d'accepter et de secouer le
joug. l/esprit national résistait, mais ne l'emportait




\14 L1VIIE 5ECO~li.


pas. Longtemps on avait été réduit a douter si cet
e~prit se réveillerait quclque part; on pouvait douter
encore s'il triompherait. Il était beau san s doute
qu'apres que tous les cabinets avaient plié, une
femme, des paysans, des moines fussent restés de-
bout : ils avaient étonné, mais ils n'avaient pas brisé
Napoléon. Qu'allait devenir le continent? Il Y eut un
instant ou la France et la Russie pUl'llrent se le partager
tout entier. AH malt¡'e de la France,l'Occident et le ,
Midi; au maitre de la Russie, I'Orient et le Nord. En-
tre ces deux potentats, Constantinople seulc apparait
uu loin comme un objet de contestation futuro, parce
qu'á Cunstantinopla il s'agit, non de l'indépendiJIlce
d'un peuple, mais de la prépondérance sur le monde.
:\1ais jusque-Ia ils se sunt accordés pour prendre, clm-
cun de leur coté, ce qui leur plairait, et pour le mo-
ment tous deux ont leur proie a dévorer : Alexandre,
la Finlande; Napoléon, l'Espagne. Empereur des
Frangais, roi d'!talie, protecteur de la Confédération
du Rhin, ayant disposé pour sa famillc des trones de
Naples, d'Espagne, de Hollande et de W cstphalie, et
pour lui-meme de la main d'une archiduchesse, Xa-
poléon ne devait plus connaitre de I'Océan au Niémen,
de la l\1éditel'ranée a la Baltique, que des sujets, des
vassaux ou des victimcs.


Au-delit de ce cercle immense, il ne rcstait que la
mer, dominée par l'Angleterre, lit Tllrquie tOllte asia·




L'E~IPIRE. 415


tique et la Russie a peine européenne. Tel était 1'état
officiel de l'Europe en i8iO. Jamais l'empire romain
n'avait embrassé sur la face de notre continent plus de
tel'ritoires, autant de pcuplcs, et jamais surtont il ne
les avait embrassés en des liens aussi étroits que l'em-
pire de NapoIéon.


Quel avenir attendait le monde civilisé?
(Juand deux puissances restent en face l'une de


l'autre, senIes, sans frein et san s contre-poids, elles
:'iont destinées a se heurter t6t ou tardo Quand un
¡JOmme n'a jamais su s'arreter, il court un jour a sa
perte. Ce jour était venu pour Napoléon : il n'avait
pas touché aux extrémités de rEurope, que déja sa
pensée s'élan9ait vers l'Asie et y méditait des con-
quetes!. A force de monter toujours, il était pris de
vertige, I'ab¡me l'attirait. 11 précipite done, ~ous les
plus vains prétextes, il précipite le choc fatal. Le par-
tage de domination entre l'Orient et l'Occident COI1-
"cnu a Tilsitt ne dure guere plus longtemps que le
partage de prépondérance arrOté jadis a Amiens entre
la terre et la mer. Au nou vel Alexandre l'Empire d'Oc-
cident ne peut sllffire, meme durant trois années. 11 se
jette sur la Russie, et, réduite tl résister au lieu de
s'étendre, la Russie, du fond de ses nciges inaccessi-
bIes, devient, comme I'Angleterre du milieu de son


l. CmTé'SjJ.) t. XV, p. 2GI, pt t. :\\'1, 1'. :)~(¡.




41 ¡¡ LIHl E ~ECO \D.


Océan, un point d'appui pour l'affranchissement de
l'Europe. C'était l'heure OU eet affranchissement se
eomplotait de toutes parts. En voulunt ra,-ir aux
hommes leur patrie, Napoléon leur avait rendu le pa-
triotisme. Vainement done enróle-t-il a son service et
traine-t-il a sa suite, dcrnier gage de la sujétion dcs
cabinets, les armées qu 'il a vaineues ; elles sont pretes
a se tourncr contre lui, le premier jour OU il sera
vaincu lui-meme, et, tandis qll'il croit encore marcher
sur des lhats sans vie, partout, derriere lni, sous ses
pas, de vraies nations se relevent, des nations OU le
droit du peuplc et le droit du souverain égalcment ou-
tragés ne se stSparent plus, 011 prinees et citoyens,
bourgeois et soldats, paysans et gentilshomrncs,
hommes d'État et homl1les UU pUlIple, rappl'Ochés par
la communauté des humiliations et des souffranccs,
n'ont plus qu'une canse et qu'une ame.


L'Espagnc n'est plus seulc u donner ce spectacle :
le Nord comme le .!\Iidi va l'offrir. La reine de Prussc
s'est éteinte désolée; mais la PI'USSC a acqllis, au prix
de son armée détruite, de son territoire ruiné et mu-
tilé, ce que ne lui avait pas doané en la créant le gé-
nie guerrier d'un roi sceptique: un esprit publico Le
Tyrol a été malgré lui séparé de l'Autriche, mais l'Au-
triche s'est fortifiée par ses défaites, et, tandis
qu'en 1793 elle n'engageait la lutte contre la Révolu-
tion franQJise que pour reculer prcsque saos combat,




l.'EMPInE:, 417


sur le Rhin comme sur l'Adige, en J.809 elle livre
encore deux batailles rangées en vue de sa capitale en~
vahie t, et en J.814 elle se trouve prete a conduire la
coalition de Leipsick a Paris. L'Aliemagne entiere,
divisée, s'est ouverte a nous; mais en pesant sur elle,
nous rendons aux difIérents peuples qui la composent
une solidarité de sentiments et de destinées que de-
puis des siecles ils ne se connaissaient 'plus; contents
jusqu'alors d'etre peu gouvernés, indifférents a leurs
propres afIaires, ils avaient mis leur indépendance a
penser sans agir; sous nos coups, cette libre pensée
de la Germanie prend corps et devient arme de guerre,
et, répudi.at\t l'ini.\uence longtemps dominante de la
langue et du goút franQais en meme temps que le joug
des armes franQaises, dissertant avec Schlegel, chan-
tant avec Kürner, conspirant et se rél'ormant avec
Stein, se batíant avec Blücher, l'Allemagne ravive
dans un acces de rolere jalouse et d'inspiration fé-
conde l'originalité de son génie et le culte oublié de
ses tradi tions nationales 2.


L « L'armé" .1l1trirhienne cOllpée de la Hon¡.rrie se retire en 13ohéme.
« Je sui~ ,i :-,a punr::lIib';, ~k~ avaut-I)();-;tes suut a XikubLurg et snr
{( Zn;úm. I)endant tout lE' InCJis qll(; llIJ!lS ll\OllS ete en pré:-.ence, oú j'étéli~
« rnaitre d(-' Viellue el ('\l:\: Ú nülle toj;:;e:-:.. ::::lIr rautre rive, nOll-seulpl11ent
( ils n8 m'ont fait tt1lr.UllC illsinwüifJil ¡.le (la1\, lIlal:::;: lnt~me je ll'ai eu á
(( I'ecueillir LIue des télnoif..pl;¡g·e~ d 'aigrE'.ul" !jL ¿l nle cOllyaincre de leur folle
« présumpliun. Cl'LL I1C pcut se cunrcyoir) mais cela est ex.acta -- Napo-
« ]¡\Oll. )) (Letlre il l'ellll'ereur ¡\]¡.\(tll<lre, 9 juillet 1809. COI'I'esp., 1. XIX,
p. ;2J3.)
~. Sans r0eoll1,j¡, am: ,""ril, ,'.1 "lil documento allemands, on peut preu-


27




41R LlVHE SECOND.


Enfin, il n'est pas jusqu'a notre vieille alliée, la
SuElde, qui ne soit emportée contre nous dans ce mou-
vement unanime. Vainement, par admiration pour
nos exploits, avait-elle choisi pour son prince l'un des
généraux de nos grandes guerres; tandis que tous les
tremes qu'a cru fonder Napoléon croulent sous le dou-
ble fardeau des exigences impériales et des répugnan-
ces populaires, le vieux soldat de la République con-
serve seul et consolide le sien; mais aquel funeste
prix? En teignant de sang ffanoais son épée fran9aise 1
Ainsi, a travers les défections coupables, les perfides
incertitudes, les laches mensonges des gouvernements
faibles, éclate la vengeance des nations. La haine de la
puissancefrun~aise est devenue l'ame et la vie de l'Eu-
rope.


rIre une id,se vive et jnste de ce rheil de l'Allemai\'ne dans lu livre POi-
tbume du coloue! Charras: la Calilpagne de 181~.




CHAPITRE V


Chute de l'Empire.


Les peuples sont aussi disposés a s'aveuglersur 1eurs
malheurs qu'iJ. s'éblouir de leurs prospérités. A la chute
de l\apoléon, il s'était formé parmi nous une école de
fanatisme historique qui n'avait voulu voir dans le
soulevement de l'Europe contre le premier Empire
qu'une cntreprisc salls lIlotif et san s justicc, dans la
coalition que la supf\riorité matérielle du nombre,
dan s la défaite de nos armées que la défection de quel-
qucs généraux ingrats et perfides; comme si réduire iJ.
des proportions aussi mesquines de si considérables
événements ce n'était pas eorrompre la conscienee pu-




420 LIVRE SECONO.


blique el rendre stérile pour l'instruction de la France
la plus écIatante et la plus terrible levon I


Ces frivoles et fatales illusions du patriotisme égaré
sont maintenant dissipées. Elles le sont a la lumiere
des documents officiels. Aussi longtemps que les 1'es-
sentiments populaires couvaient étouffés, les hommes
d'État avaient pu ne pas en tenir compte, ot les pa-
piers d'Étilt ne pas en garfIer trace. Mais a 1'heure OU
ces ressentiments envahissent en fin la politique des
eabinets et poussent sur nous les armé es de l'Eul'Ope,
les serviteurs de I'Empire eessent de méconnaltre
les forces qui nous menacent, et ¡'historien de l'Em-
pire n'a pas b050in de ehercher ses informations
ai1leurs qu'aux Bourees OU iI a eoulume de puiser.
Kos archives, trop longtemps muettes sur nos pé-
1'ils, lui rÁveIent le secret de nos désastres et, gr&ce a
sa sincérité courageuse, les Frangais qu'ont fasciné s
de loin les prodiges du grand empire ne sont pas
abusés du moi ns sur ses résultats.


Désormais il n'est plus permis de eontester que Na-
)Joléon seul ait été l'iniltrument de sa propre ruine.
lIais iI importe encore d'examiner de pros comment
il l'est devenu et par quels liens étroits ses revers se
rattachent a ses triomphes. Durant quinze années, un
hornme, doué d'un génie sans rival pour le gouverne-
ment comme pomla guerre, a pu sur la France et sur
l'Europe tout ce qu'il a vOLllu. Qu'a produit sa toute-




L'E:\JI'IHE.


puíssance? A quelIes extrémítés a-t-elIe poussé l'Eu-
rape? A quelIe détresse a-t-elle réduit la France?
Qu'on juge 1'arbre a ses fruits.


Au moment ou s'engage, san s retour, la lutte su-
preme entre l'Europe et la France, quelle est done
la force de 1 'Europe et quelle est la nótre?


La force de l'Europe réside avant tout dans son ac-
cord, dan s l'accord de toutes les clas·ses au seín de
chaque nation, dans l'accord de toutes les nations en-
tre elles. Une haine commune a etraeé les dissenti-
ments séculaires des États rivaux.


Ainsi liées ensemble, les puissances pcuvent oppo-
ser huit cent mili e hommes a six cent mille. Mai::: plus
d'une foís Napoléon avait triomphé malgré des inéga-
lité s pareilles. La force de la coalition se trouve encare
ailleurs. Il faut la chercher dans le sentiment moral,
dans la passion vengeresse qui anime ses bataillons eL
I( les porte a se roidi,. contre la défaite, tandís que nos
«( soldats, hérolgues sans doute, mais se battant par
«( honnenr, étaient conduits par des généraux dont la
(( confiance était ébranlée et qui eommengaient ir, sen-
(( tir qu'on avait tort contre l'Europe, contre la Franee,
(( contre le bon sens. Inféríorité morale funeste, bien
(( plus redoutable que l'infériorité matérielle du no m-
(( bre 11 Jl


l. lIislo/rp. da ('[llIsulal 1'1 rle l'l!:¡rlpil'c, t. XVI. p. 2~9 el 3Ja.




4:!::2 Ll\'HE :)ECO:-lU.


Les memes causes qui fortifiaient l'Europe affaiblis-
saient la Franco. Dos le début de la luUe décisive,
elle était détachée de son gouvernement. Ayant cessé
de se sentir associée a ses actes, elle avait cessé de se
croire solidaire de sa destinéo. Kapoléon l'apprit trop
tard; mais ce qui lui fut dit a lui-meme ne permet pas
aujourd'hui de le contester.1l avait fait taire toute voix
libre, il avait voulu ne connaitre l'opinion publique
que par les rapports de sa police. 01', apres qn'il eut
commencé a chanceler, ce furent les homlDos de po-
lice, Fouché, Savary, qui lui parlerent au nom de la
France « sacrifiée aussi bien qne l'Europe ti son sys-
teme personnel, » et lui montrerent partout autour de
lui « l'affection évanouie, la haine faisant taire l'admi-
ratio n l. » Étranges et impuissants interpretes, irrrcu-
sables témoins du sentiment unanime !


Il faudrait s'étonner si l'armée n'avait pas ressenti le
découragement de la nation et si elle n'avait pas souffert
de son épuisemont. L'histoiro HOUS montre, au con-
traire, les recmes les plus nOllvelles courant toujours
au feu, mais so débandant en foulo ot jetant leurs armes
le lendemain elu comb[lt:1; l'indiscipline montant jus-
qu'anx sommets ele la biérarchie, les marécham. prets
a monrir en soldats, mais clécouragés ele cornmander


1. fli,toire da ronsulllt PI de I'EII1)Jl're, t. X\'I, p. IG7, 1G8 etl(i4.
2. Ióid., p. 377, 378 et 451.




L'EMPIHE. 423


a des lieutenanls découragés d'obéir t; la défaillance
générale résumée dans cette plainte du conquérant a
l'un de ses premiers compagnons d'armes : (( Vous
« n'Ctes plus l'Augereau de Castiglione, » et dans cette
réponsc du vieux guerrier : ( Je serai encore l'Au-
« gel'eau de Castiglione si vous me rendez les soldats
« d'Italie 2; » la vigueur physique manquant a nos
troupes en meme temps que la confiance, et Napoléon
réduit a s'écrier : ( Je ne puis pas défendre la France
« avec des cnfants 3 ; » enfin le territoire dégarni
d'al'mes et de remparts en meme temps qll'épllisé
d'hommes, les fusils vainement attendus par les bras
qlli pouvaient encore les porter!, le Rhin découvert,
les place;; frontieres délaissées, les arsenaux franoais
vidés pour approvisionner nos plus lointaines con-
quetes et, pour rendre imprenables Hambourg et Tor-
gau, Landau, Strasbourg et Matz oubliés 5; voilil la
France a la veille de l'invasion. « Pour conquérir l'Eu-
rope elle était restée sans défense. ))


Mais apres que sa fronticre mal protégée est enfin
franchie, <ruunu il s'agit non plns eles lointaines con-
quetes ele Napoléon, mais dn sol me me de la patrie, le
pCll pIe alor3, le peuple s'ébranle-t-il? Les ressources


1. fli.\'foirr ,lu COdwlat el de t'Empire, t. XVI, p. 43~ el 43(1.
~. [I,úl., p. ;;:¡:J.
:3. ¡Md., p. (¡:¡:J,
L ¡1¡irI., 1. X\,[I, 1'. 119.
G. nid., t. XYI, ]l. U;'j3.




424 Ll\'HE SECO:'\D.


de la guerre réguliere semblent épuisées; reste-t-illa
ressource supremo du patriotisme au désespoir? Dans
les moments ou Napoléon él besoin de se forger a lui-
meme et de fournir aux autros des illusions, il parle
bien des paysans de Bourgogne et de Champagne prets
a massacrer l'étranger; rnais ces bandes de paysans,
l'étranger ne les rencontre gucre et nuIle part n'esi
arreté par elles. Au fond, Napoléon ne compte pas sur
un élan nationaI, il sait pourquoi iI ne peut pas y
compter, et Iorsque dans un entretien familier, sur le
terrain, au milieu du feu, un de ses généraux lui de-
mande: « Comment Votre Majesté ne songe-t-elIe pas
«( a soulever la nation? - Chimcres, réplique-t-il,
«( chimcres empruntées au souvenir de I'Espagne et
« de la Révolution franQaise. Soulever la nation dans
« un pays ou la Révolution a détruit les nobles et les
« pretres, et ou j 'ai moi-meme détruit la Révolu-
(( tion! ! » Étonnant aveu que sous sa main la France
était moralement brisée 2! L'étranger ne devait que
trop en etre térnoin.


La pire hurniliation que nous a valu le premier Em-
pire, ce n'est pas une défaite magnifiquement com-
pensée d'avance par l'éclat de nos victoires, ce n'est
pas meme la présence de l'étranger sur le sol de la


l. HistoÍl'e du Consulat et de I'Ernpit·{!, t. XYII, ]J. !J01.
2. /bid.) p. 2J.




L IDIPIHE.


Franee, e'est la défaillanee du patriotisme en son
emur. J'ai OUI conter qu'au moment de s'embarquer
pour 1'l1e d'Elbe, Napoléon avait répondu a un homme
qui plaignait respeetueusement sa chute: « Ce n'est
« pas ma chute qui m'afflige, MOl1sieur, e'est d'avoir
« entendll erier sur ma route : Vivent les alliés I »


I1 avait raison, ear ce erí le eondamnait. Dans un
siccle qui a vu parmi nous tous les gouvernements
tomber, l'histoire est amenée a leur elemaneler compte
non-seulement eles causes ele leur ruine, mais de l'é-
tat elu pays ql1and il leur échappe, et si l'on apprécie
a ce point de vue le premier Empirc, je ne cOI1¡¿ois
rien cOl1tre lui de plus aeellsateur qlle l'indifférence
nationale en faee ele l'invasiou. L'inelifférence I Plut
au Ciel eucore que les armées ennemics et 1eurs chefs
n'ellssent rencontré sur notre territoire allcun autre
sentiment I La France a bientót rOllgi de l'accueil
Ilu'ils re<¡urent, et, impatiente de secouer cet impor-
tun sOl/venir, elle l'a rejeté sur quelques víctimcs im-
puissantes ele ses révolutions. Elle s'est fait contre eux
un grief de sa propre attituele, elle a changé ses re-
mords en colere. Mais les témoignages, les aveux, les
discours, les écrits contemporains subsistent, et tant
qu'ils n'auront pas disparu il fauelra reconnaitre elans
la population civile, sans distinction ele cla~se, avant
le réveil d'aucllIl partí, en elehors de tout regret, de
toute espérance, de tout calcul politique, il faudra




426 L1VHE SECOND.


reeonnaitre et eonfesser une disposition a se erOlre
délivré dans le moment meme 0\1 Oil se VO)'&1t can-
quiso


Qu'avions-nous done souffert et qu'avions-nous
fait pour tomber jusque-lil? Nous nous 6tions livrés
saTIS róserve a un homme. Nous nous ét10ns déchar-
gés sur lui du soin de notre destinée nationale, et,
laneés par sa volonté san s con trole en des guerres
sansju\\tice, d'abord étonnés et inquiets, mais bientOt
éblouis par la victoire, nous avions pris plaisir a la
ruine de nos voisins; opprirnés nous-mcmes, nous
avians mis notre orgueil a fouler aux pieds tous les
peuples; cette licenee de l'épée qui ravissait les peu-
pIes pa'iens nous avait eonsolós de natre scrvitude in-
térieure i. Pllis nos conquetes, nous contant toujours
plus cher et s'accumulant toujours, nous étaient de-
venues lo urdes ; nous nous étions lassés de suivre 1'in-
fatigable vainqueur, mais nous avions d'avanee aban-
donné tout moyen de le rotenir. IIors de nous, devait


l. « e'est nnp fante 'In8 de ,e conlier en lit diclature; e'c~t tIlW faHle
(r fIlie d'ainler inC()ll:,id(~rement la g'loirc ntilitaire el eetle !i('ence de l'?pé f;
« qui t'ü,i"ait les jlcuplcs paicIl'; e'e,lune faute que, de jouil' ayer: tt'op
« d'ol'f!'ueil de l'abais~eIllellL de :-:es YlJi~iTl~, que d¡\ dpY!~uir alli~?'i insell-
" úlJle ¡\ la perle de lit libcrU, ¡j'ilulrlli IJU'OIl re,t :. la pnte de la ,ienne;
1( (,'e,! une fanle enfin IJue ,le \¡ú,;;el' ,'e!f;\eel' Ile ,,011 '''prit, mpme par
1( ]'éIJJouis,ement Je la g]oire, Je, noli')lB dll just.e el de l'injuste, el 'Iue
(( (I'rHlorer la force jusqu'au jOlll' 01\ yaineue par lille force plus !1T¿mde,
« elle relombe sur YOUS et YOllS rcrase. » (Pn)yost-Paradol, sur le
XYIl" yolume de J'Hi,toil'p. de l' Hmpú'e, COUl'i'I'er r1u /Jillww:!te, S avril
1800.)




L'IDIPIRE.


se dresser en face de lui l'ohstacle capable de l'arrAter;
en renonQant a faire nous-memes notre sort, nous
nous étions condamnés a le subir d'ou qu'il nOU:i vint,
et, habitués a adorer la force dans la main de notre
maUre, nous étions mal préparés a la braver dans
lt's mains de nos ennemis. Ce que nous avons dit de
notre sang et de nos armes peut se clire avec une égale
vérité de notre patriotisme : prodigué mal a propos,
épuisé pour la conquete du monde, il faisait défaut a la
défense de la patrie,


La faute de la France, en un mot, consiste dans mn
aveugle dépendance; de sa dépendance vient sa fai-
blcsse, et de Sü dépendance aussi sortira son ch&ti-
mento


Spectacle consolant et triste, qui nous révele notre
pt'estige jusque dans nos désastres! Meme vaincue,
meme exténuée, la France impose a I'Europe conju-
rée; achaque rms l'étrünger s'arréte, et pom qu'il
vienne jusque ehez 1I0US, il faut qu'il y soit forcé. Qui
done l'y force? L'adver:óairc qui ne s'arréta jamais
¡ui-meme, l'hommc qui n'ayant pas su posel' de bor-
nes a sa gründeur, ne sait pas non plus mettre un
terme a ses reverso Kapoléon, atteint déjil. par le re tour
de la fortune, dispose seul encore de sa destinée et de
la notre. Frappé sans etre terrassé, il peut sauver
memo sa puissanee. Cornment se perd-il? Est-ee son
génie qm s'obseurcit? Jamais, selon son historien,




LIVHE SECOND.


ce génie ne fut plus prompt et plus vaste. "Mais ce qu'il
lui faudrait, dans une situation nouvelle pour lui, c'est
une force que le génie seul ne donne pas, la force de
s'avouer ses fautes et d'en supporter les conséquences.
La trouvera-t-il dans son caractere? Nous allons le
voir.


Nous connaissons la prostration de ·la France, l'é-
lan de l'Europe; il nous reste a considérer, au sein de
la France affaissée, seul debout contre l'Europe con-
jurée, Napoléon.


Dans la lugubre retraite de Russie, a travers les
villes que le feu dévore, les corps d'armée que le
froid consume, sous ce ciel sans soleil, sur ces neiges
sanglantes, je ne sais s'jl se rencontrait un spec-
tacle plus lamentable que l'aspect de Napoléon l1lCme.
11 ne voyait rien de la retraite et n'en voulait rien
voir, et tandis que l'arriere-garde mourait de faim,
de froid et de désespoir, lui a ne quittait pas la tete
de l'armée et, tantót a cheval, tantót a pied, plus
souvent en voiture, entre Berthier consterné, )Jurat
éteint, passait des heures entieres SClns proférer une
parole, plongé dans un ablme de réflexions désolantes,
dont il ne sortait que pour se plaindre de ses lieute-
nants, comme s'il avait pu faire illusion a quelqu'un
en blamant d'autres que lui l. » Incapable de soute-


1. Ilistoire du COllsulat et de I'ElIlpil'c, l. XIY, IJ. ~lO.




L'EMPIRE. 429


nir le cruel spectacle d'une catastrophe qui l'accuse, a
peine la Bérésina est-elIe franchie, qu'il veut partir et
retourner seul a Paris. L'armée est perdue s'il la
quitte, lui déclare le comte Daru \ .. La France est
tranquille el. n'a pas besoin de su présence, lui assure
le duc de Bassano 2• N'importe 1 en attendant davan-
tage, il s'exposerait, non pas a etre tué, danger que
savait braver sans doute un aussi bon soldat que Na-
poléon, mais a elre enveloppé et pris par les AlIe-
mands, impatients de se soulever sur ses derrieres. Il
quitte les troupes, entralnées par lui dans un dé sastre 3,
traverse !'Allemagne en fugitif, rentre de nuit aux
'fuileries, et vient annoncer en personne 11 son peuple,
quijusque-Ht devait tout ignorer, 11 la fois la ruine de
l' armóe et la bonne santé de l' empere ur 4. Il part, et
la sinistre pt'édiction du comte Daru ne tarde pas 11
s'accomplir. Au moment de son départ, le !) déceni-
bre, a Wilna, iI aurait pu réunir encore sous sa main
cent mille hornmes, et, avcc cctte force égaIe a celIe
des Russes, frapper un coup qui eut raiL trembler
l'Europe". Quand il a disparu, tout se débande : neuf
jOllrs apres, le 12 décembre, ti Kowno, le rapport de


!. His!oi,'e ,In Con",/a! Id de I'Empire, 1. XIV, [l. íjl2.
:2. IMd.
:l. 11,,,/.) p. Gt,8.
\. Bulle/in ''0 29 .
. 5. l/isto")'1! da CUl/sU/llt el '/e l' IÚII/,/"e, t. XIV, p. Mlj.




LIVRE SECO:'íD.


tous les chefs fut « qu'il n'y avait plus de soldats dans
aucun corps l. » Ainsi avait achevé de se dissoudre la
grande armée. Sur les cinq cent trente-trois mille
combattants qui avaient passé le Niémen, il restait
quelques troupes alliées, dispersées a d'assez grandes
distances, et pretes pour la plupart a se tourner contre
nous; il restait une foule de soldats épars, errants loin
du drapeau, qU'UIl grand nombre ne devait jamaisl re-
joindre; les Husses gal'daient cent mille prisonniers;
troi5 cent mille hommes, les deux tiers Frangais, les
autres alliés de la France, étaient morts 2.


Rentré en France, cependant, l\apoléon se réveille
et se releve. e'est que la il ne s'agit plus de supporter
san s distraction la vue du mal dont iI est l'auteur. 11 y
a place encore pour les grandes conceptions, les gran-
des espérances, les grandes illusions aussi, et il s'y
plonge tout entier. Par queIs prodiges d'activité, d'é-
nergie, de génie militaire, fait-il en dellx mois sortir
de terre une armée llollvelle, anime-t-il ces jeunes con5-
cr1ts du 5011ffle héroYque de nos vieilles handes pour
les pous5er sur l'ennemi qui se trouble, et, mains de
six mois apres la re traite de Russie, dans les ehamps
de Lützen et de Bautzen, ravit-il deux fois coup sur
coup la victoire étonnée de lui etre encare fidele? On


\. Bis/oire du COrl.m1ot r't rll! ¡'HIII/lir'I', t. XI\", p. liM.
~. [hid" p. Gil.




L·E~lP1RE.


ne saurait trop l'admirer. Mais en meme temps, par
quel exees J'implaeable orgueil, avant et apres cet ef-
fort supreme de nos armes, refuse-t-illa paix qui lui
est offerte? Comment l'expliquer? Comment le justi-
flcr?


Nous devons a 1\1. Thiers la connaissance précise et
sure de ces négociations dóeisives OU l'empereur d'Au-
tri che, transformé en médiateur, apres avoir été notre
allié et avant de devenir notre adversaire, tenait entre
l'Europe et nous le poids qui devait faire peneher la
balance, et cherchait, par sa partialité en notre faveur,
soÍt a éviter, soit a j ustifier d'avance sa réunion aux
ennemis de son gendre. Les Mémoires inédits du
prince de Metternieh ont révélé 11 l'histol'ien les offres
de l'Autrichc et les dispositions des puissanees. A tra-
vers les dépeehes eonservécs dans nos archives, il a pé-
nétré les intentions de Napoléon. Tous les nuages sont
éeartés; la France peut enfin eonnaitre ce que le mai-
tre 11 qui elle s'était livrée a rcfusé pour elle et en son
nomo


Que demande done l'Europe, et que laisse-t-elle 11
Napoléon? On lui demande la dissolution du grand-
duché de Varsovie pour en répartir le territoire entre
la llussie, la Prusse et l'Autriehe, l'affranchissement
de Hambourg et de LubeckJ la reconstruction de la
Prusseavee une frontiere tenable sur l'Elbe, la renon-
ciation au titre de proteeteur de la Confédération du




1,32 I.IVHE SEcaNDo


Rhin, enfin la cession des Provinces illyriennes 11.1' Au-
triehe. Voila aquel prix peut otre aehetée la paix con-
tinentale. La paix maritime, la paix avec l'Angleterre,
il suffirait pour l'obtenir d'abandonner l'Espngne.
Et la Franee garde non-seulement les Alpes et le
Rhin pour frontieres, mais la Westphalie, la Lombar~
die et Naples comme royaumes vassaux, le PiúIlwnt, la
Toscane, l'État romain comme départements fl'anQais l.


Qui ne reconnaitrait que c'était accorder a la France
ce plus qll'elle ne devait désirer, plus qu'elle no POll-
vait posséder \ » et laisser a Napoléon une puissance
a la fagon de Charlemagne, san s raison d'ótre au
dix-neuvieme siécIe 3 • Eh bien, ces propositions, insi-
Iluées, présentées, rélJétées sous toutes les formes, il
tous les moments, par le poli tique le plus habile de
l'Europe, Napoléon tantót les repousse comrne un
outrage, tantót feint de les écouter sans vouloir
les entendre, uniquement pOllr gagner du temps;
enfin il laisse passer tou;.; les dólais sans traiter \.
A quoi prétend-il done? Que répugne~t-il a céder'?
L'Espagne? Il en est dógouté par une série de mé~
comptes et d'óchecs. Le duché de Varsovie? Depuis la


1. llistoÍJ'e du COl/salal el de {'Jú"pú'e, t. X Y, 1'. :1>;;, el t. XV 1.
p. '. el 218.


2. 1Md., t. XVI, p. ·158.
:J. l&id., p. HiO el 1U1.
'. 1&,,1., t. XV, p. 5tH, el t. XV!, p. J, ~}J 1\1\ :ell note) el 2~;;.




L'E~IPJRE. 43,3


campagne de Russie, il a renoncé a refail'e la Pologne.
L'Illyrie? Ill'a déjiL olferte a l' Autrichc. Sur tous ces
poínts son parti est pris. Mais ce qui lui coute, c'est
de récompenser la Prusse de sa défection en l'agran-
dissant, comme sí, en face de l'Autriche et de la
Russic dcvcnues menacantes, nous avions avantage a
la faihIesse de la Prussc; ce qui lui coUte plus encore,
e'est de renoncer a un « vain titre, odieux aux Alle-
« mands et capable seulement de nous attirer lcur
t{ haine, )) au protectorat de la confédérat.ion du Rhin;
c'est enfin d'abandonner les ,'illes hanséat.iques, pos-
session superflue autant qu 'impossible a conserver 1,
Pourquoi? Paree qu'en cédant ce qu'i! n'a nuI intéret
a garder, mais ce qu 'iI n'a pas olfert, il paraitra vaincu
aux yeux du monde. VOml eequ'il nepeut supporter 2•
Vainement le fideIc Caulaincourt adresse a son maUre
les plus généreuses, les plus pressantes supplications;
vainement lui écrit-il a la derniere heure: « Siro,
« cette paix coutem pcut-etrc quclque chose a votre
« amour-propre, mais rien a votre gloire ..• Accordez,
«je vous en conjure, ceUe paix a la France, a ses
« soulfrances, a son noble dévouement pour vous 3. »
Un si patrio tique langage ne deyait pas etrc cntendu.


L lfisluiT'c da COl/sl/fal el de CEm¡iÍl'e, t. XV) p. 31!I, el '. XY,
p. Hi7.


2. /bid.) t. XV, p. 5i9, eL t. XVI, p. 5.
3. ¡bid.) t. XVI, p. 219.




4~l4 L!YHE SECO:'íI',


Si les hommes qui ::;ervaient Napoléoll avaitnl connu
les conditions affertes, quels eussent été leurs sen ti-
ments? 'Ious jugeaient la paix nécessaire, tous en
étaient affamés, tous la demandaient sans savoir i:t
quel prix clle pOHvait Ctre achetée. Si on ICllr avait ap-
pris que la France gardait en sa possession OH sous Sil
suzeraineté l\layencc, Cologne, Anvers, Flcssinguc,
Amsterdarn, le 'Iexel, Cassel, Turiu, l\1ilun, Florencc,
Rome et Naples, qu'auraient-ils pensé, qu'auraiellt-
ils dit? Mais non, il fallait que l'arméc qui allait mOll-
rir, la nation dont se jouait l'existence, ignorassent
tout; 11 ses plus intimes confiu.ents memes, l'cmpereue
n'osait pas aVOller ce qu'il refusait; iI parIait vague-
ment de conditions contraires a l'honneur, iI se décla-
rait pret a conclure une paix honorable, et e 'est pOtlr
rester maUre de Lubeck et de Hambourg, et protec-
teur de la Confédération du Rhin, qn'il allail demander
1< la France son dernier hornrne et son derniel' ¿cu j.


Étrange et funeste opinilltl'cté I En la condamnant
ccpenddllt, il serait inj uste de l'attribller tout wtiere
Ú l'égarernent d'un cal'actere indomptable. 1l serait
injuste de ne pas tenir compte tl cclui qui dcvait en
Ure victime des exigences d'une position uniquc au
monde et des entralncrnent'3 d'une carriere san"
ext:rnple 2. Des 1806, un homme d'État autrichien, ell-


l.. 1!IS[Ú/?'e da CU'dwtid d de {'ElIlpil'l', l. X \'1, [', G el ""iv.
i:. Ce ~lo::ll de \'lW ¡; ,:'le (¡"\,-nC\le!Uelll imlique pilr ~1. Cuyilliul'-Fku' y




L'EMPIRE.


llemi passionné ll1ais clairvoyant de l'empire fran9ais¡'
avait écrit : « La pllissance de Bonaparte tient tl l'é-
« tonnernent qn'il inspire. Ce n'e5t point le souverain
« qu'on voit en lui, ce n'est pas rneme le génél'al hu-
t( bile, e'est quelqlle chose de merveillcux qui dompte
« la volonté, e'est l'enfant du destin, c'est le bonheur
« en personne, le bonheur ul1ique objet aujourd'hui
« de l'admiratiol1 des hornrnes. Bonapal>te battn cst
« une idole qui tombe 1, » Et voila pl'écisérnent ce que
lui-meme se disait neuf ans plus tard pour justifier
son intraitable orgueil.


On raconte qu'en 1814, pressé par le duc de Bas-
sano de códel' a la nécessité, pour toute réponse illui
montra quelqucs lignes qu'il venait.lde lire 2, C'était
le passage de la Grandeul' et la Décadence des Ro·
mains ou Montesqnieu loue Louis XIV d'avoir voulu
« s'ensevelir plutót SOIlS les dóbris dl! trone que d'ac·
« -cepter des propositions qu 'un roi ne doit pas enlen-
« dres. » La citat!on était éloquente, mais I'cxemplc


(E'ludes ,'¡i<ffJi'/que.\ ef liltpraircs : JlI. l'hier.\ hidorien de I'EmpiJ'I',
2,; octob¡'c 1857). Il excuóe les uernié'res réwlutioIlS de ::-;apoléon, en ac-
cusant tout le systemc du gouvernement imperial: « La cause !le sa chute
« n'est pas ,jans les fautes plus 011 moins contestables de ROn dédin, mais
(f dans rexe!"~ lnénle (le Ra pnÍ:;sance. »


1. l-1. de Stadioll, l'a/;{erw ¡JOlitique de I'Europe pendant l'alIllée 180(;
et -¡es six premiers mois de 180G, cité par :\1. :"ícttemcut U¡lIlS ses Elllde.
~Ul' jI. l'hü:rs historien.
~. Jlido)'!! o{ Ew:o}Jc by Al'ch, Alison, t. XIJ, p. 563.
:1, GrandC/lr el Décadence de.~ Romo.ins, chal" Yo




LIYRE SECOND.


historiqlle mal choiili. Assez sur de sa grandellr pour
rEconnaitre ses fautes, pour supporter ses revers, et
préférant a tont le salut d€ l'Etat, Louis XIV, vaincu,
avait demandé la paix. Rebuté par ses ennemis con-
jllré8, il s'était confié sans réserve a ses peuples; il
avait pu leur exposer franchement les conditions pé-
nibles allxquelles il s 'était résigné, les insolentes luis
qu'on prétendait lui f::tire, et justifier ainsi le dernier
eifort qu'il attendait d'ellx; et, la bat:lille de Denain
ayant arreté I'invasion, il avait signé la paix d'Utl'ccht.
Évidemment, ce n'est pas l'exemple de Louis XIV que
pomait i nvoquer Napoléoll.


II était mieux inspiré lorsque, dans un elltretien
célebre et longtemps mal connL!, il disait u M. de
Metternich : ( Vos souverains nés sU!' le trone ne
« peuvent comprendre les sentlments qui m'animent.
« Ils rentrent battus dans leur capitale, et pour ellX iI
« n'en est ni plus ni moins. Moi, je slIis un soldat,
«j'ai besoin d'honneur, de gloire, je ne puis pas re-
( paraítre amoindri aux yeux' de mon pellple. 11 faut
« que je reste grand, glorieux, admiré. »


Mais alors ,,1. de Metternich n'avait que trop raison
de lui répondre : t( Quand done finira cet état de
l( choses, si les ~léfaites comma les victoires sont un
« égal motif de continuer ces guerres désolantes? ...
« Victorieux, vous voulez tirer les conséquences de
(r vos victoires; vaincu, vc'us voulez vous rcIcnT.




L·E~IDIRE. 4117


«( Sire, nons serons done t0ujours les armes a la main,
«( dépendant éternellement, vous comme nous, du
« hasard des batailIes? » Oil l'on s'arreterait, hélas 1
Napoléon, dans un transport de· colere, venait de le
pródire: n'admettant pas qu'il put rien códer san s tout
perdre, il avait répliqué au ministre aulrichien qui lui
demandait alors, au nom de l'Europe, de reculer senIe-
ment jusqu'il l'Elbe : «( Préparez-voLls ti lever des mil-
« lions d'hommes, a verser le sang de plusieurs géné-
« rations el a venir traiter au pied des hauteurs de
« Montmartre l. ») Les millions d'hommes élaient de-
bout, le sang des générations coulait a flots depuis
vingt ans : une année encare ne s'achevera pas, et
les hauteurs de l\1ontmartre auront "U l'étranger.


La bataille des nations fut livrée a Leipsick. Elle
dura trols jonrs : cent vingt mille hommes y périrent.
Napoléon la perdit ponr avoir étendu ses forces sur un
trop vaste espace, pour n'avoir pas vouIu resserrer ses
opérations militaires plus qu'il n'avait restreint ses
prétentions poli tiques. La premiere défaite du conqué-
rallt fut déterminée par cette faute, et cette premiere
défaite ouvrit la France a l'invasion.


Cependant, au moment de passer le Rhin, l'étran-
ger vainqueur une dernicre fois s'arreta. Nos armóes


L l/islúir·e du Consulal el de I'E1Ilpil'e, l. XVI, p. G7 el 68.




LlVRE SECO:'íD.


avaient suceombé; notre territoire lui semhlait P11-
ea re inviolable. n offrit de nous le laisser avec le Rhin
et les Alpes pour frontiercs. Napolóon ne sut pa~
accepter a temps, et l'¡masion s'accomplit.


Apres que fut ainsi pel'due la derniere chanee d'épar-
gner ida terre frangaisc la sOLlÍllure des pas de l'cnnemi,
lorsque du grandflr.uve, objet et terme séclllaire de notre
ambition nationalc, du Rhin devcnu infranchissable
depuis 1795, les armées de I'Allemagne, de la Russie,
de l' Angletcrre, se rurent cléployées sans obstaclc j us-
qu'il la Seine et la Loire, restées inaccessib~es depuis
Jeanno (l'Arc; quand la vieille France comme la
France nouyelle, le territoire sauYé a Bouvines et a
Rocroy commo le territoire gagné a Jemmapes et a
Fleurus, eurent été submergés a la fois par le flot ven-
geur de l'Europe en armes, dan s cette extrémité que
nous resta-t-il ü attendre? Gule triomphe de Kapoléon
dan s une lutte désespérée au cceur meme de la patrie,
ou la puix subie par Napoléon vaincu, ou la puix con-
clue par les BOUl'bons restaurés. Entre ces trois alter-
natives allait se balance!' notre destinée.


La lutte désespérée fut soutcnue, non par la nation,
mai5 par l'empereur et l'armée. Elle nous a valu les
pages les plus sombres, mais les plus belles peut-etre
de notre histoire militaire. Quclques poignées de :301-
dats, les uns vétérans de 1& grande ar111ée, hommes de
fel' que n'avait pas dévorés la conquete de l'Europe, les




J.'EMPIHE. 439


autres, jcunes conserits en qui l'honneur militaire, L1
religion du drapean rallumait tout a coup, a laur entcée
dans les rangs, h flammc du patriotisme éteinte autour
d'eux, quclqlles poignées de solciats défendant seuls
contre tOllte l'Elll'Ope la France inerte et sans vie; leur
chef, l'in \'enteur des mOLnements et des batailles gi-
gantesques, aeculé avee ce débris d'arméc sur un étroit
telTain et retrouvant lti, au tenue de sa earriere, des
inspirations pareilles a eelles qui ayaient marqué son
premier élan; la campagne de France égalant par la
bcaufé des manCBuvres la campagne d'Italie et la sur-
passant par la constan ce dans l'intrépidité, cinquante
mille Frangais tenant téte trois mois a plus de dellx
cent mille ennemis et, six fois au moins, a Brienne, a
Champaubert, a i\Iontmirail, a Ch&teau-Thierry, a
Vauebamp, a~Iontereau, le5 faisant reculer: voila quels
efforts ont réduit l'Europe a douter d'un triomphe
qn'elle croyait déja remporté; et si l'honneur consiste
11 ne pas flécbil' aprcs que tout est perdu, si l'honneur
d'un peuple aux mauvai::; jours pcut Ctrc sau vé par
l'hérojsrngde quelques hommes, VOil1:l quel:; prodiges
ont sauvó notre honneur.


La vicloire de l'étrangel' a done été retardé e par
le courage de nos dernicrs soldats; mais pouvüit-elle
etre empéehée? Il faut bien enfin, loin du fen de l'ac-
tion, dans le calme de l'histoire, nous poser eeUe ques-
tion décbive. La réponse est-elle douteuse? Battus




440 L1VRE SECOXD.


ving~ fois malgré l'ótrange iIlégalité de nos forces, vingt
fois nos adversaires se sont remis de leurs échecs;
hattus une fois de plus, une fois de plus ils auraient
reformó leurs rangs pour avancer. D'un bout a l'autre
de la campagne il a manqué a la merveillcuse résis-
tance du grand capitaine un point d'appui : un point
d'appui matériel ou moral. Il n'a pu ni défendre sa
capitale ouverte et dégarriie, ni la perdre sans eLre ren-
versé. Ayant done attiré les étrangers sur notre lerri-
toire, il a ~u ajouter a sa gloire et a la notre en les
combattant; mais il s'est tromé fal1lement incapable
de les chasser.


Vaincu en France, pouV1it-il traiter avec eux? II ne
le pouvait pas sans humilier la Franee avee lui. Sous
un tel maltre, il faUait que la France flit cM.tiée pOllr
que l'Europe se Unt pom satisfaite; il faHait surtout
qu'elle demeurat annulée pour que l'Europe se sentlt
rassllrée. Les seules conditions auxquelles Napoléon
ait pu négocier depuis l'entrée de l'ennemi sur notre
territoire, non-seulement nous dópouillaient de toutes
nos conquetes et, an milieu de nos voisins tous agrandis
de leurs lambeaux, nOllS réduisaient ¡t nos anciennes
frontieres, mais, de plus, nous exc1uaient des conseils
de l'Ellrope et nous condamnaient a demeurer étran-
gers a son remaniement. lVl. Thiers sait gré a Napoléon
d'avoir rejeté ces eonditions} ille loue d'avoir mieux
aimé laisser la France aux Bourbons que s'y sou-




L'EMPIRF. 4H


mettre l. Prévit-il clairement en effet que son refus
rendait sa perte inévitable, et faut-iI voir dans cette
r6solution supreme l'acceptation magnanime de sa
chute et le sacrifice réfléchi de son trone il son hon-
neur, Ol! bien l'espoir sans bornes que le joueur déja
ruiné place encore sur un dernier coup de dés? Je ne
sais; cal' rien n'était allssi difficile a Napol6on que
de ~e croire sans ressourc€s : un seul jour il le pensa,
et ce jour-Ia il donna carte blanche a son mandataire,
M. de Caulaincourt 2. II ne fut pas long, sans doute, a
retirer cette autorisation de traiter il tout prix; maís
pourquoi? Parce qu 'ji fut tres-prompt a s'attribuer
ues chances nouvelles. Quelques rencontres heureuses
avaient suffi pOllr lui rendre avec l'espérancc la fer-
meté, et il revait encore de refaire d'un seul coup sa
grandeur, il se disait plus pres de Munich que les
alliés ne l'étaient de París, quand déjit il n'avaít plus
d'armée, quand Paris venait de proclamer les Rour-
bons. Alors tout fut perdu : il n'eut rien a sacrifierj
au lieu de la France a vec ses limites anciennes, il
re9ut pour lui-meme I'He d'Elbe, pour sa femme et
son fils un petit domaine en Italie.


Les destinées de notre pays avaient cessé de re-
poser sur la tete de l'Empereur; il lui restait a por-


L /hYioil'e ¡fu COl/sulol el de l'Eml'il'e, t. XYII, p. 2GV ct 881.
2. ¡bit/., p, 270.




442 LI V li E SECO;'!D.


ter le poids de sa gloire eL de son ll1aiheur. Ce~t
assez pour attirer vers le palais vide et dé solé qu'il
habite encore les regards de l'histoire et peut-eb~e les
hommages de la postérité. Que Napoléon ac:cepte le
jugement de Dieu sans abattement ni vaine róyolte, et,
téll10in vivant de ses propres fllnérailles, iI peut parultre
11 Fontaillebleau plus irnposant et plus fier que .U:tllS
l'óclat de ses vietoires. I1élas! ce beau spectacle, il ne
l'a pas donné. Le respec:t de la loi morale, le gout de
la grandeur morale, manquaient 11 son ame, et, dans
le cours de ses épreures eomrne au sein de Ees pros-
pérités, l'idéc d'un cornpte 11 rendre quelque par! et
sur qllelqlle cho;;e que ce soit ne parut jamais éclairer
sa conscience.


Il est vrai que peu de temps avanL sa chute il sembla
se décider librement 11 deux restitutions : il voulut qne
ROll1e recouvrút le pape, et l'Espc:gne, les lloul'büns.
On aimerait [1 voir dans eette douhle résollltion du
conquérant, instruit déjit par de terribles revers, un
tardif mais sincere hommage a la justiee trahie, a la
bonne foi violée. L'histoire ne le permct pus: en uéli~
vrant ses dcux victimes, Napoléon n'a pas d'autre
pensée que de faire éehec a l\lurat ql1i le trahit au deHt
des Alpes, aux A nglais qui le pressent au dcla des
Pyrénées l. Et plus tarel, en effet, quand, réduit a ne


J. llis!oire da Con'ula! el de t' E/I/pi/'e, t. X VI) p. SO e -;uiv, eL p. 2i:2,




L'EMPIRE.


plus agir sur le monde, il se replie sur lui-meme eL
jctte sur son étonnante carriere un regard qu'il croit
etre le dernier, a quoi se réduisent ses avcux supremes
recueillis par ses plus fideles serviteurs? A convenir
qu'il s'es! trompé dans ses calculs; a mesurer tout ce
que sa ruine peut coute1' a la France. l\lais ni ses re-
grets ne s'élevent a la dignité dll rC'pcntir, ni sa fer-
metó jusqu'au courage de la résignation. 11 a appris a
lntter contre la mallvaise fortune, jI ne sait pas encore
s'y soumettre. Quanu il cst ut'jil perdu, Eon tinergie,
pour se soutenir et se prolonger, nOU5 venons de le
voir, a besoin d'illusions; son génie s'épuise a en
créer, et quand enfin les illusions mcme,3 sont dcve-
nues impossibles, quand il ne reste plus qu'il souffrir,
immobile et uebout, la solitude et l'abandon, alors il ne
se sent plus d'abord la force de vivre. Lui qui jadis,
daIls un ordre du jour célebre, avait Ilétri le suicide
et plus tard, a Sainte-Héltme, devait le réprouver en-
core, il essaye de se suicide)"


Lorsque Socrate condamné bu \'ait la ciglle, lorsque
Caton vaincu se déchirait les entrailles, c'était en pen-
sant ill'imrnortalité; et, si ces illustres anciens se trom-
paient sur les moyens d'atteind re une vie plus haute,
<In moins ils gardaient le désir et l'espúir d'y montero
So LIS la Iumiere dll christianisme, ce n'est pas avec de
telles pensées qu'on pellt se donner la mort; a ceux
flu'elles dominent, d'autres voies sont ouvertes. Mai::;




LIVRE SECO~D.


l'homme qui n'aspira jamais qu'a posséder la terrf',
veut s'anéantir quand la terre lui échappe : Napoléon
s'empoisonne. Ses amis demeurent autouf de son lit,
san s rien tenter pour conjurer le trépas qui s'avance,
ils attendent, immobiles et muels, le moment oil. le
grand homme ne sera plus a leurs yeux qu'un ca-
davre; son médecin l'abandonne, s'enfuit et ne repa-
rait plus; le hasard de son tempérament l'empeche
seuI de périr, et quand iI revient a la vie, c'est pOl\t'
signer le traité, « tout personnrl et pour ainsi dire pé-
cuniaire 1, » que lui ont accordé ses vainqueurs. Bien
plus, iI a le singulier courage d'en discuter en détail
les conditions et d'envoyer a son beau-pere, qui vient
de le détróner, sa femme et son fils en solliciteurs.
Qu'ont-ils done a demander? Des avantages pour la
France? - Non: un meilleur établissement pour eux-
memes 2 •


Ah! nous 80mme5 loin des coleres de 1814. L'éc1a-
tante invective de 1\1. de Chateaubri,lIld ne r€tentit
plus a nos oreilles; la plainte indignée de madame de
Stael ne rencontre plus d'échos. Mais qu'en face do
l'apothéose populaire du grand Empereur un cceur
délicat et fier se reoueille et dise : « Chez lui l'amo
n'était pas a la hauteur du génie; la véritable élé-


1. Hi.,'loil'c du Con;ulal el di' l'Elllpil'i', t. XVIl, p. 802.
2. ¡!,id., p. 808 el 823.




L'EMPIRE. 41,5


vation ql1i vient de l'dme lui a toujours manqué J : »
ce n'est plus lu passion, e'est la justíee et la vérité qui
parlent.


Ce défaut d'élévation morale, visible chez Napoléon 11
travcrs sa mauvaise fortune, l'est bien davantage, hors
des eamps, dans la gérreration que sa forte rnain a fa00n-
née pOllr le servir. TOllt ee que la raee fran0aise porte en
elle de virilité, de eonstance et d'hon neur, se dépense
alors sur les champs de bataille; hors de la, pour les
épreuves de la ,'ie civile, iI n'en reste rien. Tandis qu'au
fond mcme des sclitudes glaeées de la ~ussie les soldats
prisonniers ne laisiient pas échapper un seuI murmure
contre leur emperéur ~, 11 Paris, dans son palais, dans
ses conseils, ce sont ses eréatures qui précipitent ou
proclament sa ruine. Cette constance du cou rage mili-
taire, cette défaillanee du courage civil, éclatent en-
semble chcz les memes hommes. Les maréchaux, tou-
jours pret5 11 prodiguer leur sang, n'ont pas su aver-
tir NapoIéon quand iI s'égarait, ils nc savent pas le
respecter quarrd iI tombe. Plus on monte dans la
hiérarchie des fonctionnaires, plus la bassesse gran-
dit; plus on approche du maUre, plus l'habitude de la
serviIité a préparé d'éclatantes apostasies. Entre les


1. T"te. d~ Ro{¡al Emllwl.
2. Dile de Fezensar, SOIlt'pnp's militaú'f!s de 180\ a 1HH, el, Ho];crt


\V¡J>OJl, 'YIIi'l'alil'C nI' erel/Is dlll'illfl fhe invasiofl ul' Rus.,·ia /,.'/ SU/IO-
INII/ lIIal tite I'I'f''Nlit n! Ihe FI'~IIr:" ilrmfl.




LIYnE SECOND.


deux fantómes d'assemblées délibérantes que l'Empire
avait laissés a la France, l'un composé d'hommes
obscurs et sans crédit, longtemps docile, inerte et
muet comme la foule, le Corps législatir, attend pour
réclamer la paix eL la liberté que Napoléon soit vaincu,
vaincu mais non terrassé, et cet effort d'indépendanec,
trop tardif pour etre généeeux, ne semble dépour\'u
pourtant ni de sincérité ni de quelque courage. L'auLre
assembléc, an contraire, composéc de l'aristocratie de
la Hévolution, le Sénat, insLrllment privilégié de la
tOllte-puissance impériale, ¡¡ide jusqu'a la fin Napoléon
a se perdre, en lui complaisant tOlljOurS, et proclame sa
déchéance quand l'étranger est maUre de Paris. Qn'on
relise uujollrd'hui cet arrCt de déchéanee rendu pOli)'
donner raison a la fortune, et qll'on en pese les motifs
dans les balances de l'histoire : la guene engagée sans
l'assentiment de la nation et pOllrsuivie eontre son
intéret, les impóts arbitrairement átablis, la liberté
individuelle violée, la liberté de la presse anéantic,
enfin l'impitoyable abus du sang, de l'argent, de la
confiance de la Franee; il n'y a daos eeUe longue et
violente énumération de griefs presque aUClln acte dont
Napoléon ne soit vraiment coupabIe, et il n'cn cst
aucun 011 iI n'ait eu pour complice le Sónat qui le con-
damne. NapoIéon humiliait done jllstemcnt ses eour-
tisans, changésen accusateurs et en jllges, mais iI ne
8e relevait pas lui-memr, Iorsqu'en réponsc a l'ael,c du




~·EMPIRE. 447


,:'énat il Écrivait : «( Si l'empereur avait méprisé les
hommcs comme OH lo lui a reproché, alors le monde
reconnaHrait uujourd'bui qu'il avait raison. » Cal' ces
hommes qu'il avait raison de mépriser étaicnt son
ouvrage; aussi ajoutait-il, en s'épanchant ayec 1\1. de
Caulaincourt: « Je rougis de voir tomber si bas ccux
que j'ai placés si haut l. » Tel est, en erfet, le fruit et
le stigmate du despotisme : il détruit chez ceux qui le
servent le sentiment de la responsabilité i en les cm-
pIayant comme des outils, illes empéche de se croire
des personnes, les conduit 11 se dispenser de toute con-
formité entre ce qu'ils font et ce qu 'ils pensent, et, le
jour ou le despote chancelle et tombe, le lache aban-
don de cellX qui l'entonrent n'est pas la conséquence la
moins rigoUI'CllSC ni la moins mél'itée de Sil mauvuisc
fortune.


Ainsi croula le premier Empereur. Les prodiges de
son génie militaire ne suffirent pas 11 sOlltenir les cxccs
de sa politiqueo Le courage de ses soldats ne suffit pas
a compenser, autour de lui, l'abaissement des carac-
teres, dans toute la nation, l'épuisement du patrio-
tisme.




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CHAPITRE VI


La France apres l'Empire.


l. Premii:re Restauralion : retollr eles Ilourbons, avéllemellt du gouver-
Ilemeut représelltatit'. - II. Les Cent-J ours. - II/. La France arre,
les Cellt-Jonrs.


Aussi longtemps qu'a duré I'Empire, un seul homme
peut-etre, en France, s'est constamment souvenu des
Bombons : c'est l'Empereur. Tandis que la nation
avait oublié ces princes dépouilIés et prosCl'its, Na-
poléon ne cessait pas de pressentir en eux et de re-
douter secretement la seule puissance capable de suc-
céder a la sienlle.


2íl




LI"HE SECO~D,


Ce SOlle! remontait an débnt de sa carricre. Loin
de croire ~lors que la France ne put tomber en d'au-
tres m3ins que les siennes, il pensait an contraire que
pom rétablir l'ancienne royauté, il cUt suffi avant
le :l8 brumaire' d'envoyer un prince aux Vendéens t.
Apres cctte journée, estiman! « la place bien occllpée,»
il avait répondll a Louis XVIII qui, par une méprise
singnliere, le conviait a devenir l'instrument d'une
restauration : « Vous ne de vez pas souhaiter "otre re-
tour en France, il vous faudrait marcher sur cinq cent
mille cada\Tes. Jl A son tour et par une méprise non
moins étrange, avant de fonder IIne nouvclle dynastie,
il avait cherché a obtenir de la solitllde cl du dénu-
ment do ce roi sallS cúuronne l'ahandon de ses droits
désarmés. Le roi avait répliql1é : «( Fils de saint Louis,
«( je saurai a son exemple me res'pecter jusqu6 dans les
«( fers; successeur de Franvois ler, je veux du moins
«( pouvoir dire comme lui : « Tout est peJ'du, 101'5 l'hon-
« neur. » En sallvant son honneur, l'hérilier de Fran-
vois Ier et de saint LOllis avait sallvegardé le príncipe
ou la France devait dix ans plus tard che1'che1' et trou-
ver son salllt.


Bientót le meurtre du duc d'Enghieo avait mis du
sang entre Bonaparte et les BourboIl5. QlIelques an-


1. ~Jémoi)'es de }'ÚljiO!t:OU-, ccrit~ ~1_11!:- ~a djet0e }lil1' l,~ gf~lIéJ'al eUlJtt!~
lÍe .\Ionthnloll, t. YI, 1'. 297 el sui\",




L·E~IPIl\E.


núes plus tard le continent asscrvi ou cIfrayé ne leur
offrait plus d'asile, ils avaient été successivement exilés
de tous leurs cxils; l'Anglcterrc restait leur seul re-
fuge.


C€l n'était pas asscz pour Napoléon de les proscrire
de toute l'Eul'Ope \. Ce qui lui importait surtout, c'est
que leur nom ne füt plus jannis prononcé, ni en
France, ni meme ailIeurs. L n almanach OU ils figu.
raient, un article de journal qui faisait nllusion 11 lcue
existcncc, quelques porteaits de Louis XVI, de Marie-
Antoinette et de madame Itlis::tbeth, vendus au coi n
d'une ruc, suffisaicnt pour alarmer on irriter le maitre
de la Fl'ance. 11 aurait voulu faire dispal'ültl'c les
Bourbons de l'histoire 2.


J. Cnl'l'f?sponda!l(,('. A.:\I. ,ID Tallcyralld. « ;>,[ayrllco, 10 w,nd,lmiaire
« al! XII! (2 ul't"hre lHOi). M. 1" romte d,] Lin" abuse (le l'hospitalite que
« lni ac('onl(~ Ip !'ni de rJ'll;-:~" pOUL' fabriqlll'L" lnntei'! ;:ortC:'::; J'illtricue~ et
« p~ofiter de son Yoi~i])a¡re ele la Fl'ílncc pour ~erondpl' toute l'aninlosile
« de~ Anp:lai, cont¡·p, la Franee . .l''lttellds de l';ullitié <In ¡'oi de Prusse que
(( Ir r.omte de Lille lIe soil pas sOllffel't it \' 'll'soyie ...... Ie préf,'r" qll'il 'lill"
« en l\llssie 011 "ll Su!·,le. - ~"l!oléoll. » (T. X, p. :i.) Louis .'\\'111 se
t'éfugia) Pll dfpf., rl'al~nrrl t)l\ Sll1'.dp) plli~, en fiu:::sie; Inai .... il ¡lllt en ~ortil'
"[lres la pui, de Tilsitl, pI il 1Ie tinl. [las non plll; it '1itpnléon (fu'iI ne pút
restO!' en .\nglt'tel'rp. COITPsll. : An rni de Pl'll"P, 19 l1nr,\,,1 all XIII (9 mai
180:j). « TOIl!e jliti\: aYl'e L\.llgletcl'l'c, p'JUI' erre súre, doit porter la
(f c1ansl: de (,CS~PL' di) dÜllUel' a~ile :tux Bourbon~. - ~apoleon. » (T. X,
p. 48:i.)


2. COI'¡'!}\jJ. A:\1. FOIlChé, G I'rurtid"r al! XII (2:\ allút ¡SO,;' « Quall!
«" au pl'éfd de ln Xi~I'TC, il paretlt r[tu; ~'est HU hOllllne l("ger. 11 s'irn<l.gilJlJ
« faire une (!'!'s-hellc eho," en tmitan! ulle gT,lnde pa!,tie ,les habitants
« de son (1p.partpI1l0nt cln liOO! fle hOllrbot1llipllS; ces tel'lne~ ne yalcllt
« rien, e'est faire un trl's-p:ralld hOllllCll1' aux Bourbous ..... Ne permettez
" [la" qu'on se sen e tiu nom ele boul'houuieus. II ue faucll'ait ,¡llO quel-
" ques hommes lége!'" comme le préf'et de la ~ie\Te, pOUl' recreer a res




452 LIVIl.E SECO:'ln,


11 fut pourtant un des premiers en 1814 11 laisser
échapper ce nom que si longtemps il avait réussi a
bannir de tautes les bouches et meme de toutes le3
mémoires. Ayant reQu des alliés déjil campés sur no-
tre territoire des propositions de paix qu'il jugeait hu-
miliuntes : Mieux vaudrait les Bourbons, écrivit-il l •
Peu de temps avant, eomme les membres de son
corps légisiatif élevaient quelques plaintes tardives et
discre1es encare contre le despotisme et la guerre, son
ministre de la poli ce leur avait dit : « Vos paroles sont
bien imprudentes, surtaut lorsqu'il y a un Bourbon il
cheval 2 • )}


« nli~él'ahle8 llLJurh(JIl:-: tille imlt1Pll:-::e e\i:-:.tence en Elll'ope. » (T. J'X,
p, 607,) - Au memp, 30 aoM ¡ROr., « JI est assc7. ridiculo que le Jou/'-
« nal de l'Empire nous pade san" cessc de lleuri IV el des llourbolls .....
« Défendez que ni (lans les 1l1l110nCes de lines, ni dans 1lueun arlide de
« journal, Ol! cheL'che 11 occuper le puhlic de chose,; auxquelles il ne ponoe
(( plus,» (T. XIlJ, p, i42.)-Au memo, Hi octohL'e 1807. (( Je vois awc
(( sUI'prise que le P"blicúle parle du comte ,le Lille sans le nommer.
(( Faitrs connaitre au rérlacteur de ce joumal que la premii're f,Jis '1u'il
(( parlera ,le cet illllividu je lui Ot,'rai la Jirectioll tlu jouruaI, '1ue je dé-
« siL'e fIu'il soil pOlté la plus grande attcnlion sur cet ohjet. » (T, XYI,
p. 11.) -Á M, de Champag-ny, minislm rles.relations ext'JrieUL'e" 20 0(:-
tobre 1801. « Le deL'LLier almanarh ¡J" Gotha est mal fait. ])'abord il v
« esl queslion du comte de Lille ..... Faites venir le minislre de Gotha c't
« failes-lui cOllJ[JreLlllrc ,¡U'UU jJroc:hain almanach t(¡nt cela soil chaugó.»
(T. XVI, p. 12i): - Al! grand-llllc de Bcrg-, ú ~Ia(lrid, G avriI 1808,
({ L'épee de Fl'an~ois ler lIe valait pus la peine qu'on l'l! flt de Pédal
(( clans eette circonstance. FI'm¡~,ois Je r ril!Jil mi de F/,wu,e, mai.,' il él/lil
(( Boltr/¡oll.)) (T. XVI, p. G6:1.) - Au due d'Olraule, 11 mar, IS10.
(( On vem! des g-ravures du roi, ,le la rcinc, ,le la )Jrincesse Elisabelh aH
({ coin ue, mes; tont le monue s'étunne 4ue la police ne l'eml"'che pa" ))
(T. XX, p, 30~,)


1. lIisloil'c du COl/sul;'1 el de l'Empú'c, t. XVII, p. 369.
2. cr. Ilisloil'c de la Restauratiun, par 1II. de Viel-Caslel, t. 1, p. 93.


Le duc de novigo, rlans ~es IIlémúires, t. YI, chapo XXIV, allrilme i,




L'EMPIRE. 453


Ce qui était imprudent c'était le langage du duc de
Rovigo a un moment OU personne encore ne savait
qll'~1tl BourDon san s soldats errait vers la frontiere.
La vél'ité est que l'Empereur et ses entours se débat-
taient en vain contre le dénouement qu'ils voyaient
veni¡', que personne ne hatait, et que tout le monde
allait bientotjuger inévitable.


Ce dénouementce ne fut pas l'étranger qui I'imposa.
JlIsqu'a la fin il rerusa de ~e déclarer pour les Bour-
bons. Le prince de Schwartzemberg et l\f. de :\letter-
nich, qui voyaient une archiduchesse sur le trone im-
périal, le duc de Wellington et lord Castelreagh, qui
ne voulaient ni ne pouvaient compromettre la nation
anglaise dans une guerre dynastique, l'empereur
Alexandre enfin, qlli avait qllelqlles engagements avec
Bernadotte et heaucoup de préventions contre
Louis XVIII et sa famillo, répudierent le long de lem
marche toute solidarité entre lem triomphe et la
cause royale'. 115 refuserent meme de protéger contre
la vengeance de Napoléon la vie des royalistes qui
sur lems pas criaient : « Vi ve le roi 21 » et enfin apres


NapoJénn Jlli-me,me ces p3"oles snr les 13uUrlJOIlS, dans son alloclltion au
Corps législatif le 1 er jallvier 1814.


L Iliotu!'!} o( ElIrope /,!} .1rf;!t. Alisoll, t. XII, p. 551, 558; t. XIII,
!f. 3:i .. t 36. Histoire du COl/sulal d de L'Empú'e, t. XVII, p. 321,384,
520, (j', l. Histoire de la Res/aumtioll, par 1\1. <le Viel-Castel, t. 1, chapo IJ.
His/aire de la Restaura/ioll, par 1\1. Netternent, t. 1, liv. r.


2. H¡:'¡ol'!} uf l!.'w'ope b!} Are". Alison, t. XIII, p. 54 el 86. Histoire
du Cullsu!a[ el de 1'I!:IIIpú'e, t. XVII, p. ·i07.




454 LI V RE SECON 1).


que, sur l'invitation forme1le des souverains, París se
fut pronol1l'é, ceux-ci se montrerent encore disposés a
reconnaitre la régence de .l\laríe-Louise l •


La Restamation ne fut pas due davantage aux ma~
namvres d'un parti. Tant que Napoléon resta debout,
personne ne travailla pour elle. Napoléon tombé, on
ne délibéra guere, il sembla qu'il n'y avait plus á
choisir : les politiqlles les moins suspects de sllpersti-
tion ruyaliste, des hommes engagés jusqu'alors dans
la Révolution ou dans l'Empire, reconnurent les pre-
miers que (( le génie, le hasard des révülutions peu-
wnt un moment élevel' un homme, mais qu'on ne
crée pas al'tificiellemcnt les cünditiolls qui reildent
une famille capable de régner Q, )) et lorsquc M, de
Talleyrand dit a l'heme décish e : (( La Ilépublique
est une impossibilité; la l'égcnce, llcrnadotte, sont une
intrigue; les Büurbons seuls 50nt un principe 3,)) ii
eut le mérite d'exprimcr ü prupos ce que tout le
monde pensa presque a la fois.


Cette yue d'hornme d'État fut d'abord confirrnée
par l'élan populaire. Tous les contemporains attestent
qu'a l'entrée du comte d'Artois dans Puri6, la société
nouvclle, qui ne connubsuit plus l'ancienne maison de


l. JIisloil'u da Cvnsulai el de I'Empil'c, t. XYJl; p. 690 el, 739.
2. Júúl., p. 6.2.
;¡. ¡óid., ]'. GH.




L'E~PIRE.


Franee, sentit túut i.t coup qu'elle retrouvait des an-


cetres l. Je no i'üis queI somd et pllissant instinct de


piété filiale se réveilla dans les tLInes 2; chucun saIun le
passé donné en gage a l'avenir 3•


La légitimité prévalllt done comme une nécessitó


nationale unanimement aeeeptée. Elle nOllS rendit dans


nos grands désastres de grandes espérances, et malgré


les malentendus el les mécomptes qui devaient bien-


t6t survenir, iI est facile de définir encore aujourd'hui
en quoi consistaient ces espérances. La France atten-


dit des Bombons la paix et la libertó.
Subie par Napoléon terrassé, la paix devait etre iné-


vitablement hllmiliante; conclue par les Bourbons


restaurLÍs, elle pouv:.tit devenir honorable. A la difIé-
rence dll conquéran t, notre "ieille rae e royal e n'avait


pas besoin de paraltre menügante ponr imposer le


respect, et avec elle nOllS échappions du moins, dans


notre défaite, a la honte de yivre sons un gOllvernement


humilió et chátié. De plus, grace :lUX garanties que


son rétablissement donn:1it ü l'Emope, grúce ü I'Ím-


1. «( H ¡.;prnhlait que la Hestauration pt l'anCiel111e l'oyanté s ',Hhessasseut
ces p,u'ul(~s : «( :\U\lS ~l\"ollS chcrdll~ 1\, lJuuhl'ul' les lHlS SilLb le;-; aulles;
(( JWUS .1"0:1'" Hl:tl't'ht'· ú tr¿rn'l':-!- le s:nl~ etle:-\ ruines. nl~conrilion~-nolls et
« RO:yOIlS hl'I¡r"'~L1X en ll.)ll;-; fai:':ilnt des eUllce::;siun:; rór.:iproqlles.. » ¡{¡'sild,'·'
r[u ('01/\'111,,1 1'1 df' {'gll/j!i!'I', t. ;';Y11, p. 820.
, 2" « La np,laUl'¡llio!l )"elenit le ,')dle da l,a,sé, cAtte piélé tiliale de;;


« lJatiOll'. ]) O'oCUlU" de d,c('l'tioll ,le ~!. le ,llle de Bl'og"lie " I '"\ca,ltlmie
fl'[llIj;,'li~A.


3. « La ll'gitilllilt';) c'e:~t le pa;-:~ú üOllllé eu g'agB h l'ilVellil'. )) Pla.idoyt.!r
,le '1[, !len)"e,. pc>];," le 1J]"iw:,; L0ni,-'.'apf)l'~l,n iI la COIll" (le.; pilirs.




Ll VflE SECO;'ll D.


périssable ascendant d'une grandeul' historique el d'nn
droit incontesté, nons pomions traiter a des conditions
moins mauvaises, et, réduits a ne plus eléfenelre les
armes a la main nos conquetes, nous avions chance,
elans les négociations, d'en consener quelque chosc.
Ellfin nous rentrions ele plein elroit ave e nos princes
dans les conseils ele l'Europe.


A l'intérieur, M. de Talleyrand, qui excellait a dire
avec une aisance incomparable les paroles les moins
conformes a ses anlécéelenls et les mieux appropriées
aux circonstances, avait défi[Ji d'un seu! mot ce que
devait etre la Restauration : « Nous a"ons assez de
«( gloire, l\Jonseigneur, avail-il écritau comle d'Artois
«( pou!' l'engager a I'entrer a París i mais venez, VCllez
« nous rendre l'honneur l. ))


Elle portait en effet l'honneur avec elle, eette race
au sang vaillant et doux, la plus vieille de l'Emope,
la plus franyaise de la France, battue el renversée,
mais purifiée par la tempete, tige de héros conronnée
par un marlyr. Sous une aulOl'ité qu'un homme n'a-
vait pas cünquise, que les siecles avaient ftll'mée, cha-
eun pouvait s'inc1inel' san s descendre. Le respect in-
spiré par un principe rendait }'obóissance a la fois
moins pesante el plus noble que la crainte on meme
l'admiration impos6es par un maUre) el lorsque les


l. l!idol',-C de la lle.'/f/llndioll, 1Jal' ,\1. i\l'tt~lnelll, t. 1; p. 2:;3.




L'EMPIRE.


maréchaux de Napoléon, habitués au commandement
bruFquc, inégal et dur d'lIn parvenu de génie, con-
fessaient qll'en approchant le descendant de Louis XIV
il" avaient connu ponr la premiere fois la Majesté t ,
leur flatterie ne pal'aissait point un mensonge. Si la
ruine de l'Empire chAtiait cruellement en nous 1'01'-
gueil de la force, l'avénement de la Restallration POll-
v¡¡it relever la fierté du C1ract01'e.


La digni té dll pouvoir ne suffit pas cepenflant a la
dignité de ceux qui obéissent : puur accomplir le vam
de M. de Taileyrand, un nouveau régime n'était pas
moins lltile que l'anciellne dynastie. Dans les socié-
tés aristoc1'atiques l'honneur s'appllie sur l'indépen-
dance personnelle; dans les sociétés démocratiqllcs,
l'bonneur a pour sauvegarde la liberté publique. Si
la publicité ne s'étend pas avec l'égalité, si le con-
trole de tous ne remplace pas a l'égard du prince et
de ses agents les résistances individuelles; si per-
sonne dans l'État ne pout plus valoir et eompter sans
dépendre d'un pomoir uniqlle; si les institutions re-
présentatives ne viennent pas tirer du sein du peuple
les hommes capables de marcher 11 sa tete et rempla-
cer par des influences librement acceptées les hiérar-
chie3 détruites i en un mot, si la démocratie nivelle les
homilles sans les affrancbir, elle ne peut les conduire


l. Ih"!uil'cdu (.'(ul-l'?iÜd el dl;I'ElIlpir'e, t. XVIII, [l.1'JG.




458 LIVRE SECO~D.


qn'il l'uniformité ne l'anóantissomont. RodoutaLlo al-
ternativo qui se drosse en coro nevant nous, et qu'il ap-
partenait anx descendants de saint Lonis et de
Henri IV de tmncher dans le sons de l'honneur!


A ce bosoin d'ennoblil' la Fl'ance moderne vonait.
se joindre la nécessité de rassurcr sos intércts, d'ou-
Hir une carriere nouvelle a son génie, d'occuper dans
la paix les imaginutions excitées et fatiguées par les
guerres de l'Empire. Par ces divers motifs, chacuIl at-
tendit des BOllrbons un gouvernement repré~eIltatif.
On ne s'entendait pas, sans doute, sur les baseset les
formes a donner a ce r('gime. i\his tout lo monde, les
sénatours impérianx commo les émigrés royalistos, les
débris de la géllération de f{uatre-vingl-nellf comme
la rare jeunosse grandio dans la vie civile a truvors la
conscri ption el la guerre, les généraux frangais comme
les sOllverains étrangers, tuut le momIo était las du
despotisme, et dans les discussions obscuros et qllcl-
ql1efois pénibles qui précé¡Jcrent suit la dt~claratiun de
Saint-Ouen, soit la pl'omnlgiltíon do la Chal'te, on
n'osa gucrc contester que la Franco duL désorma-is
etre libre: on débattit seulemcnt ¡Jo qllelles milins elle
tiendrait S3 liberté. Le régime repré~cntatif comme la
ma.ison de Bourbon pal'lll'ent unanirnement acceptés.


Malgré cctte unanimité llpparente, le premier essai
de ce régime rencontl'ait les plus graves obstacles.
Le principal c'est que rien n'y al'ait prépurü un pays




L'EMPlilE.


qui cepenuant ne pouvait plus s'tm rasser) el nous
connD1trions mal les résultat:3 do la Révolution et de
l'Empire si, apres avoir montré les besoins que devait
satisfuire la monarehie représentativ'e, nous n'indi-
quions ras les difficultés qll'elle n'a pu surmonter.


J'J ne sai" si Lou!s XIV a jamais dit: « L'Élat
« c'est moi, » Mais il a écrit : « La nation ne fait pas
corps en France, elle réside tout entiere dans la per-
sonne du roi, » Cet état de choses que le grand roi
con~tatait avec orgueil ayait amené la Hévolution.
Mais la Ré\olutioIl n'y avait pas porté remede, et
~apoléon ayait plI rlóclarcr avec plus de "érité cncore
que Louis XIV, que le seul représentant de la nation
c'était !'empcrcllr, L'empel'cllr tomlJé, un chercha
vainement quelque part un organe de la France, Le
Sénat, débris de l'Empire formé des débris de la Révo-
lution, se présenta seul : le Sénat en qui le défaut de
mandat nationul et de litre légitime n'était pas COll-
vert eomme iI 1'avait été jadis au 5ein des purlemcnts
par la graIldeur des caracteres et la magna nimi té des
résolutions.l\Iuette complice de tous les exces de 1X üpo-
léon, eette üssemblée ne venait-elle pas de couronner
sa servilité par' son ingratitude, et dans le moment
meme ou elle proIlon<;ait la déchéancc de son maitre
tet'rassé, ne l'avait-on pas vue décIarer inviolables les
dotations qu'elle en avait regues?


'foutefois il était impossiblc que la société nouvelle




4DO LIVRE SECOND.


et la vieine royauté, séparées par un trop long divorce,
se réunissent sans déterminer sommairement a quel-
les condition!i. Ni le roi ne devait renoncer aux tradi-
tions qui consacraieut !ion droit; ni le peuple né pou-
vait effacer les changements qui avaient renouvelé sa
vie. Louis XVIII eut donc raison quand il ne vouInt
pas étre élu roi; il aurait en raison cncorc en dé- '
niant au Sénat conservateur de l'Empire le dl'oit de
stiplller pom la France, s'il avait pu a la fiction snhsti-
tucr la vérité, interroger la France meme et se con-
certer directement avec elle; cal', une constltution
nouvelle devant etre inévitablement établie, il n'ap-
pal'tenait pas au monarque de constitller le pellple par
sa volonté seulc. J\Iais il ne Sllt OÚ sai",ir cc pClI pIe; il
ne l'apergut nulle part représenté, vivant, pret a parler
et a vouloil', et dan s ce péle-mele inerte d'lIne nation
sCtns organes les prétentions du Sénat subsislerent
comme (( l'cxpression fausse d'une nécessité "raie '. )}
Aussi, apres avoir refusé d'accepter la constitution
sénutoriale, le roi la copia. Les révolutionnaires que
Napoléon avait changés en fonctionnaires, se trou-
verent transformés en pl'cmiers défensellrs de nos
droits civiqlles. Ils ne méritaient pas cet honneur, et
sous lem inspiration le libéralisme franQais se com-
posa trop sOllvent de préjugés avcuglcs, haincllx, de


l. ~I. Xdt"-ll1ent, Hislo¡"e dé la l/edalll'llliulI, t. 1, )l. 277.




L'EMPIRE. 461


tout autre chose enfín que de l'amour de la liberté:
premier malhelll' de la Restauration 11 ses débuts.


De plus, nos institutions représentatives se ressen-
tirent d'une trop étroite origine. Elles furent concen-
trées et elles concentrerent toute 'vie publique au som-
met de l'État, au risque d'y déterminer une explo-
sion. Elles ne furent pas répandues a travers le corps
entier de la nation pour y porter partout une vie pai-
sible et féconde. Enfin, quand ces institutions durent
Ctre mises en mouvement, on ne sut pas a qui confé-
rer la qualité d'électeur. On avait devant soi des in-
dividus isolés et non des groupes de citoyens; il fal-
lut dans ceUe foule confuse choisir arbitrairement, et
l'on choisit avec des vues trop exclusives ceux qui de-
vaien t voter an nom de tous.


Cependant ~e n'était pas sculement de lointains pé-
rils qui menagaient les Bourbons; la nation telle qu'ils
la retrouvaicnt n'était pas plus facile 11 pacifier dans le
présent qu'a organiser pour l'avenir, a administrel'
qu'a constituer.


Sortis de la Révolution profondément divisés, les
l~ran9ais avaicnt été par l'Empire uniformément com~
primés. 01' le despotisme n'apaise pas les dissenti-
ments qu'il étol1ffe, il ne réunit pas ce qu'il rap-
proche, el NapoléoIl au terme de son regne était
contraint de l'avouer : « Les blancs 80nt restés blancs,
disait-il, et les bleus sont restés bleus. » La main de




LlVRE SECO~D.


fer qui contenait « les blancs et les blells » étant écar-
tée, ils se retrouverellt donc en face les uns des au-
tres, apl'cs qllinze années d'immobilité silenciellse,
précisémcnt tels qu'ils étaient le lendemain de la Ter-
reur, ou du moins ils ne s'aperfjurent pas réciproque-
ment qu'ils avaient ehangé, et ils se crurent les plus
irréconciliables motifs de ~c hall' et de se craindre. Des
émigrés a la fois inexpérimentés et surannés, rétro-
grades et chimériques; des révolutionuaircs apaisés ou
rcpus, mais encore susceptibles comme s'ils n'avaient
pas oublié lcurs fautcs; une bourgeoisie ombrageuse
comme si elle ne connaissait pas sa force; des fonétion-
naires élevés par l'Empire et qui, leur maUre tombé,
ne voulaient pas descendre; de vieux servitelll's, enfin,
l¡;nis a Ee résigner, et des sujets Ilouvcaux prompts 1t
s'aIarmer : tels étaient les hommes que la royallté de-
vait a la fois eontenir, satisfaire, employer. Enfre dellx
Frances qui se maudissaientsans se connaitre, il fallait
qu'elle intervint comme ungrand j uge de paix. Elle avait
it refaire au sein de la liberté l'llnité morale al! pays, et
pour accroitre la diffir,ulté de cette muv!'e, c'est SOllS
le coup des plus crueIs revers qu'elle ucvait6trc accom-
plíe. Une armée vainclle, un trésor "ide, un territoire
en"ahi, voilil. les ressources que l'Empire laissait a la
Hestauration. Le poids des désastres qu'avait amenés
Bonapal'te pesaittristement su!' les Bourbons.


Sous un fardean si lourd la monarchie renaissante




L' EM PIIl E. 463


chancelle, les hommes investis du pou voir se mon-
trent tous inégallx ti. leur lache. Leur politique manque
d'initiative el d 'unité, el la modération de cette poli-
tique parait résulter de tiraillements en sens contraires
pIutót que d'une résolu lion forte el réfléchie. Étran-
gere jusqu'aIors aux agitations d'un pays libre, habi-
tuée a la main vigourellse de j\apoléon, la France ne
se sent plus gOllvernée.


Et pourtant, incom parablc verlu d'lln príncipe juste
et d'institutions in completes encore mais généremes
et sincerement pratiquées! a travers les emharras~ les
maladresses et les mécontentements qui s'accumulent,
le bien s'opere en quelque sorte tout seu!.


A l'intériellr, la Restallration s'oblige a payer ce
ílu'ont dépensé la Révolution et l'Empirc, et pour prix
d'nne probité sans exemple encore dans le maniement
des finances, soudain le crédit public est fondé : res-
SOllrce dont plus tal'(l on abusera peut-etre, mais dont
l'origine est purc, cal' elle repose sur le respect des
engagements, et dont la valeur paralt déja merveilleuse,
car en rnoins de trois années elle allait eITacer les traces
de vingt-cinq <lns de guerre, si les Cent-Jours n'étaient
venus tout interrompre el tout empirer. En meme
temps l'inviolabilité de la propriél') est consacrée et sa
sécurité garantie par l'article de la Charle qui abolit
la confiscation, par celui qui déclare irrévocables les
ventes révolutionnaires, enfin par l'indemnité que cette




LlVRE SECOND.


meme CharLe aurait dó fOl'mdlement promettre anx
émigrés, mais que les débats des chambres, suppléant
a son silence, commencent a préparer l. Le travnil na~
Lional ~c ranime : Sllr un territoire entierement évaeué
par l'étranger, les bras de tl'ois cent mille soldats sont
rendus a l'agrieulture 2, et l'industrie, passant du r6-
gime du bloeus continental au régime de la liberté des
mers, est proLégée par un systeme de tarifs qui lui mé-
nage un nouvel essor 3. Enfin la liberté de la presse
commence a naitre : elle esi immédíatement donnée
aux livres; elle esi revenrliqulÍe, annoncée et tcmporai-
rement suspendue pour les journaux 4. A eette période
confuse et troublée de la premiere Restauration remonte
done l'origine de nos mCillellr:5 progreso


A 1'8xtérieur, apre3 les désastres de b guerre, 1('s
négociations de la paix nous réservaicnt tIe nOtlve:lIlX
mécomptes : les espérances que nOllS avions eu d mi t


J. Cette indemllité pOlll' le~ ém!gl'é,~ était dallS la l)ell~t~e dl~~ réJ'H~­
tellfS de la Chal·te el deyait, it lenfs yenx, réoultel' soit de I'article <jui
anolit la confiseatioll, soit de celui <¡ui ,tipula un dédommag-'"lllellt en eas
d'expl'opl'iatioll pOlll' cause t.!'utilit,; publique. (JléIJl0it·c da CIJ/IIle Be/{-
glíot, t. 11, ch.1p, X\'lIf.) Elle fllt rédam',e par le 1Il'"-l"'hal Macdollald
en meme tcmps Cjue le l·,\.tabli"spmellt pal·ti"l de la d"Lltioll des membres
de la Lég'ioll d'llünncur, dans la s,Jalll:e de la chambre <les Pail'S dll 18 J~­
cernbt'e 1811. Le Joyal lllitrechal ,"onlait, par U1W JW~",llI'l' COllHuune flUI
émigres et aux lél..!;iollnaire~ rllillé~) pt'epal'l':r l'ollhli fleR yi('lIX rps~ellti­
ments. Les Cellt-Jours yilll"cnt tout illtcrrümpre et tout sl"l,endre.


2. Voyez le Bapport pr¿senté am eltamlJres sur h ,ilualiulI elu royaume,
12 ,juillet 1814.


3. Lois Je dVllanp, ilOut 1814.
4. CI". 1\1. Thiers, t. XYIlI, p. 28~. \'<»)""7. la lui SIH' la )'re"", aout


1811, el les IMbats Cjlli préc,~tlerellt le yole lle celle loi.




L'[';MPIfiE. 4G5


de concevoi¡' en restaurant les Bourbons avaient été
en partie déQues; le traité de Paris nous avait réduits,
seuls an milien de nos rivallx agrandis et malgré leurs
déclarations [J ntérieures, a nos frontieres anciennes;
le tl'aité de Vienne nous avait donné la Prusse pOllr
voisine en deQa du Rhin : deux atteintes graves et du ~
rabIes portées a notre puissance matérielle, on ne san-
rait le dissimnler. l\1ais en meme temps i1 faut 1'econ-
naitre que notre ascendant moral commenQa des lors
a se relever. Ce fut en s'appnyant sur le principe de la
légitimité que le représentant du roi de France sut pa-
raitre 11. Vienne en face des vainquell1'S autrement qu'en
vaineu, et si de notre place séeulaire ainsi revendiquée
notre diplomatie ne fit pas toujours alors l'usage le
plus conforme 11. nos intérets, si quelguefois peut-etre
elle se trompa dan s ses préférenees, du moins elle ne
voulut rien qui ne fut honnete et ce qu'elle vonlut s'ac-
compIit. Partont ou elle éleva la voix elle revendiqua
le dmit: lo droit des princes a Naples, le droit des pen-
pIes en Pologne, le droit d'un prince et d'un peuple
en Saxe. Au début du Congres, on s'était préplré 11. tout
régler sans elle; au termo du Congres, entre les préten-
tions opposées son choix avait prévalu. Un an ne s'était
pas écoulé depuis le triomphe de la Coalition, et déj1l. le;;
États faibles l'ecommenQaient a se placer sous notre
patronage; l'Allemagne, si longtemps effrayée de nos
conquetes, se hasardait a invoquer notre intervention;


30




466 LIVRE SECOND.


l'union de l'Europe contre nous était brisée; la guerre
enfin ne sévissait plus, les peuples épuisés respiraient,
quand pour le malheur de la France et du monde
Napoléon s'élanc¡a de l'ne d'Elbe.


II


(( Vos Bourbons ne savent pas régner. - Et ponr;
tant il faut qu'ils regnent i. » Ces paroles, échangées
entre l'empereur Alexandre et M. de TaIleyrand a la
nouvelle du retour de Napoléon, exprimaicnt d'avance
ce qu'allaient montrer les Cent-Jours. Les Bourbons
pamrcnt alors en efTet faciles a renverser, impossibles
a romplae~r.


Ils tomberent sans lutte. J'ai dit qu'en Franee, apres
l'ancien régime, apres la Révolution ot l'Empire, rien
ne formait corps, rien si ce n'est l'armée. Par malheur,
eette partie de la nation, seule orgúnisée et restée fiere-
ment uebout sous le poius des revors, était précisément
la plus éloignée des Bourbons; non gu 'il fUt difficile i1


·1, SO/lec/ti/'s CO¡¡tPiIlj!f)i'rún." par :\1, Yilkm<tin, t, 11.




L'EMPIRE.


ces princes de se rapprocher d'ellc; au contraire, ce
qu'ils avaient le moins de peine a aimer dans la France
nouvelle, c'était assurément sa gloire militail'e . .Mais
l'armée meme se tenait a l'écart, mécontente et sombre.
Elle avait vu l'avénement desBoul'bons suivre sa propre
d~faite, et, dans ses patriotiques mais aveugles coleres,
eHe imputait aux descendants de Louis XIV les mal-
heurs qu'ils venaient réparer. Au contraire son géné-
ral, son empereur lui apparaissait de loin doublement
consacré par ses victoires et par ses défaites. Ainsi dis-
posée, pouvait-elle se retrouver tout a coup en face de
lui sans se précipiter a sa suite? En se présentant, avec
une hardiesse profondément calculée, seul, a ses anciens
soldats, Napoléon a fait sortil' fatalement d'un senti-
ment généreux un acte coupable ; il a arraché a des
hommes j usqu'alors sans reproches le sacrifice de leurs
sel'ments a leurs souvenirs, de leur devoir a une idole,
el c'est ainsi qu'entre une nation inerte el une armée
fanatique il est parvenu sans obstacle üux Tuilel'ies .


.Mais pourquoi y venait-il et qu'y pouvait-il faire?
Qu'on parcoure toutes les proclamations adressées par
lui depuis Grenoble jusqu'a Paris, soit au peuple, soit
aux troupes ; que rcproche-t-il aux Bourbons? D'avoir
été rétablis par l'étranger et de vouloir rétablir la féo-
dalité et le servage, deux mensonges. C'était avec des
griefs plus sérieux que le meme homme, travcrsant
seize années auparavant la memo me,-, était venu de·




LIVR SECONIl.


mander compte au Directoire de la ruine de la patrie.
Au fond, le vóritable, l'unique motif de cette derniere
entreprise qui va remettre la France et l'Europe en
feu, C'05t qu'a l'ile d'Elbe Napoléon s'ennuie; son
ambition a cessó de ~e eonfondre avee quelque granel
dessein national : le fondatenr d'empire renversé, le
conquérant vaineu se releve aventllrier.


Comme ses aceusations ses pl'omesses étaient vaines.
11 était condamné a olTrir a la Franee préeisément les
deux biens que la France avait attendus et qu'elle avait
regus des BOllrbons: la paix et la liberté. Était-il capable
de les conserver? II présentait son retour comme une
revanche contre l'étranger, en meme temps qn'il se
déclarait pret a accepter le traité imposó a ses succes-
seurs par l'ótranger victorieux 1, S'il rallumait la guerre,
il attirait inévitablement sur nous un second désastre;
s'il ne la rallumait pas, il nous vOllait a un irrémé-
diable abaissement. Sous lui l'impuissance déünitive
lle la France pouvait seule rassurer l'Europe, ou plutót
rien ne pomait la rassurer, el tandís qu'íl faisait croire
meme a ses ministres qu'il revcnait d'accord avec quel-
que grand État, du moins avee l'Autriehe 2, l'aréopage
cllropéen réuni dans la capi tale de l'Autriehe l'avait


L n"d~\r,\ti"ll (Iu cOll:,,,il ir Üat. ,l[O"i!f!W' dI! 1~ avrill81 G,
2 • .\1. :\ettelllcnt, lfi.,./úi,'e de /11 ¡¡f?8Ialll'alif )ff, t. 11, 1', (j(j, Hii, :2S'I,


290.




L' EMPIRE. 469


dt'jü llnanimernent proclamé t( ennemi et perturbateur
du ropos du monde l. »)


Était-il plus sincere dan s ses protestations libérales?
Sans doute, les défenseurs des institutions représenta-
tivcs en France ont raison de faire valoir l'hommage
rendu ü ces institutions par le premier empereur au
terme de sa carriere. Apres que J\'apoléon lec a dli
renoncer authentiquement au pouvoir absolu, qui
pourrait y prétendre? l\lais, réduit 11 promulguer une
constitlltion libre, était-il pret ü la pratiquer? n e~t
permis d'en doute!'; cal' la réalité des choses contre-
disait alors constamment ses paroles. n a\'ouait que
l'esprit public en France avait changé depuis sa chute.
n s'étonnait de rencontrer jusqlle parmi ses plus inti-
mes affidés un besoin d'indépendance, une haine de
l'arbitraire qu'auparavant il n'avait jamais connus 2,
eL lui, de la meme main qui signait en frémissant une
copie de la Charte, l'Acte additionnel, il proscrivait et
confisqllait 3,


La vél'ité est qu'ayant déployé pou!' revenir de l'exil
au trone un prodigieux exces d'audace, parvenu aH
tenue de cette dernicre COlll'Se) il s'affaisse; il no sait


,1. J)f:dal'atioll 1111 13 ¡I1,U':-; 1810.
;~. illdmoil'cs da bW'Oll FlcII"}j de ChIl00ulo!l; Sr/in,'(JIllt'8 conle¡-,,;)r)-


mili" 1"'" .\I. Yillelllilin, t.ll; Ili,,!oll'c de la Rcs!oll/'a/¡'I)Ii, I'i'" 3I. ~,,¡t('­
lilent, t. 11.


:l. f)¡:"'l'd:-:- de I.,rnll. AcL(~ al1dilie,unel, Cl)rrc:-'l'(llid~!llC'~ avcc C:lt'llUl,
Jtli!1i :,tj'l~ di; l'illtVl'ielll'.




470 LIVRE SECOND.


plus ce qu'il veut, il ne veut plus ce qu'il fait. II n 'es!
plus le chef et le maUre, il est devenu le courtisan de
la Révolution, le jouet des hommes que jadis iI 11
domptés. Carnot s'impose a lui, Fouché le dupe et le
brave, Lafayette l'intimide et l'enchaine, Benjamin
Constant lui donne des lC00ns, Talleyrand dédaigne
ses avances, la popuIace exige ses caresses, et lni-memo,
ne se rcconnaissant plus, s'écrie : « Je n'aurais jamais
guitté 1'11e d'Elbe si j'avais prévu aquel point, pom me
maintenir, jo sentis obligé de complaire au parti dé-
mocratique !. ))


11 se trompait en pensant ainsi se maintenir : en réa-
lité, il n'!Stait pas mieux préparé a afIronter les cham-
bres cOl1\oquées par lui que l'ótmngcr attirt~ sur TI1l!S
par son seu! rctour. A tous ces signes on reconnalt
l'a;onie de l'Empire aIors exhumé pour mourir i non
n'annonce la naissance d'un régime libre.




L'EMPIRE, 471


111


Les Cent-Jours ont eu pour terme \Yaterloo, pour
resultat les traités de 181l'i.


Que Napoléon ait perdu la bataillc de WaterIoo par
sa faute ou par eeHe de ses lieutenants; que son coup
d'reilet sa résolution militaires soient ou non demcl1l'és
intaets au milieu de son égarement et de son impuis-
~,mce politique, iI importe peu ü qui ne ehel'che dans
ectte hjstoire que le seeret de notre destinée nationale;
cal' si le granel eapitaine était restó maltl'e du ehamp
de bataille de \Vaterloo, il aurait élé le lendemain dé-
fait aillenrs. Avec une armée qui ne pouvait ni rem-
portor de longues victoires ni supporter un seul royers,
l'issue ele eette étrange aventure 6tait anssi inévitable
qne ses eons6quences devaient etre funestes.


Notre territoire non-seulement envahi, mais oc cupé
tout entier par toute l'Europe; notre armée non-senle-
ment vaincue, mais eondamnée par les vainqueurs ü se
licencier avant qn'un seul pouee de la terre qu'elle ne
pent plus el6fendre soit dólivré elu million de soIdats
ennemis qui la foulent el l'épuisent; les, iei11es fron-




472 LlVfiE SECOXD.


tieres, récemment samées de notre premiere défaite,
maintenant entamées; nos armées dépollillées des der-
niers trophées de nos victoiros; uno rall(,'on de sopt
cents millions exigée d'lIu trésor ,ide; eufin la force ot
l'étendue de tous les États réglées sans nOllS, combinées
contre nons : VOiHl de quel prix l'Europe nous a flit
payer les Cent-Jours.


En rondant cette sentenco, les hommes d'État de la
Coalilion la croyaient modérée peut-etre, ils la compa-
raient aux lraités que Napoléon leur avait infligés 1;
eux-memcs, et s'ils ne prétendaient en effet rien de
plus que d'exercer des représailles, on peut tromer qlle
ces repl'ésaillcs n'étaient pas oxcossives. On peut nous
dóniel' lo droit de' nous en plaindre. jlai~ s'ils se pro-
posaient au contraire de rétablir l'ordre en Europe, on
doit 5'étonnor qu'ils aiont imaginé apaiser la Franco
en l'onchalnant sans la détruire, et dompter parmi nous
l'esprit révolutionnail'e en offensant le patriotismo.
D'aillours, ce n'est pas seuloment 11 notre égard qu'ils
se 50nt inspirés des exemples de Napoléon. Instruits
par lui a consirlé1'er les peuplcs comme un butin, ils
ont, 5an5 autre but qlle,de !lOUS affaiblir ou de forti-
fiel' nos 1'i vaux, arbitrairement découpé l' Allemagne,
accouplé la Bclgique 11 la. IIollande, dépouillé le Dalle-
1113rk, lai35é la Pologne en lamboaux, livl'é les iles
Ioniennes cnmme Gibraltar et Malte 11 l'Anglcterre,
Genes au Piémont, rétabli l'Autriche an cceur de l'lla-




L'E'¡PIHE,


lie, et préparé par la) dan s l'acte meme quí mettaít fin
aux grandes guerres, le malaise chroniquc ct les ~bran~
Jements futurs de l'Europe.


Enfin, les Cent~Jours nOlls ont cotite it nous-memes,
el par contre-coup a. l'Emope, bien plus que des dom-
mages matériels; notre grandellr monde en est 501'-
tie diminUt~e. Cettc nouvelle querelle avec le monde
civilisé nous a rendu ses haines et nous a ravi son
l'espect. En épuisant nos forces, elle a irrité contre nOlls
toutcs les défiances. Elle a donné prétexte parmi nos
voisins it une poliLique ínternatíonale égoYste el tímide,
ombrageuse et l'outiniere, et, pour .s'ctrc engagée dan s
une aventure sans motif et sans issue, la France a Hl
plus tard son 1)11lS légitime cssor et ses plus nobles
élans cmironnés d'entraves : entraves qu'ellu a plus
ll'une fois surmontées sans doute, mais dont elle a
longtemps et cl'ucllernent senti le poids.


A l'intéríeul' comllle au clehors, les Cellt-Jours, sans
nous avoir apporté une seulo espérance, ont aggl'avé
tous les maux du premier Empire. De eette courtc et
triste épremc tous les partís sont sOl'Lis mécontents
d'oL1x-\11c\11es et, par conséquent, írrítés eontre autrui.
Parmi les royalist.es quí aVüient compromis la royauté
t't n'avaient pas su la cléfendre, les méfiances et les
raneunes se wnt ravivées. Parmí les libéraux quí
avaient abusé de la libe-rté et n'avaient pas su l'aITer-
mÍl', les prl'jugés eL les haines nívolutionnaires se sont




~74 LIVRE SECO:'\O.


ranimées, et, sans les rattacher efficacement a lui, 1\'a-
poléon les a détachés des Dourbons. Partout enfin et
dans tous les rangs les palinodies qu'ami'ment toujours
les révolutions ont éclaté alors avec une promptitude
plus choquante que jamais : la conscience publique
s'est altérée; l'idée OU devoir en mntiere politique
s'est effacée ou obscurcie. Les FranQais ont cessó dc
compter sur des g'ouvernements stables.


Une cause nouvelle d'instabilité était ajoutéc d'ail-
leurs a toutes les atltres : l'imagination de la Franct>
resta hantée par le fantóme dn granel Empire. Les
peuples, plus encore que les hommes, sentent vivement
etilsoublient promptement leurs souffrances, puis
de loin ils s'aUachent vololltiel's [t cellX avec qlli et
pour qui ils ont SUUffCI't. Les peuples généreux, en
otItre, aimcntlagloirc, fut-elle stórile; ils savent gré 11
quiconque donne a leur nature l'oeeasion de se dé-
ployer dans son énel'gie et uans sa grandeur. Qll'h
cette passion de la gloire une nation joigne le gout de
la force et l'amoUl' du merveilleux; qlle ses instincts
d'égalíté trouvent une satisfaction jalome a contem-
pIel' les élévations soudaines eL les ruines illustres;
enfin que les sucees et les malheurs éclatants soient
égalcment des titres 11 son culte : il a falJu le concours
de tant de sentiments contl'aires pour composer 11
Napol6on un retour de fortune posthumc plus éton-
nant peut-Nre que sa prodigieusc carriere. (Juand il




L'E~[PlnE. 475


a guitté la France pour alIer mourir a Sainte-Hélene,
il est parti couvert d'humiliations et de malédictions,
el néanmoins son souvenir est dem.euré redolltable;
je le rópete, ce souvenir a rendl! terne et fade le spec-
tacIe d'un gouvernement tempéré.


Qu'était alor5 cependant et gue faisait en face de tant
de désastres, a. travers tant d'obstacles, malgré les em-
porterncnts funestos des partis extremes, ce gouvcrne-
ment tempéré? Une se conde fois la légitimité sauvait la
France et la liberté la ranimait. Meme apres les Cent-
.Ioms nOllS avons pu reprendre notre rang en Europe.
La guerre d'Espagne et l'affranchissement de la Grece
ont attesté que ni les princes, ni les peuples n'invo-
gmient en vain notre appui. :Nos finances se sont ré-
taLlies, la fortunc publiquc s'est aCCl'llC avec une rapi-
ditú sans exemple. Excité par les débats parlementai-
res en meme temps qu'a[l'anchi d'entl'ayes, le génie
frangais s'e"t prt~cipité avec une impétuosité féconde a
travers tous les domaines de la pensée. Nous avons
recommcncó a connaitre et II aimer d'autrcs conque-
t.;s et d'autres gloires que les conquétes et les gloires
de I'épólJ) et les pcuples étrangcrs, échappés au joug
de llOS armes, se sont étonnés de subir l'ascendant de
notre parole,


En un mot, les embarras el les malheurs aCCllmu-
lés sur les débuts de la monarchie représentative n'ont
pas cmpeché sous cette monarchie notre pays de re-




~7G LIVRE SECO.'ill,


fleurir, mais ils l'ont empechée elle-meme de s'affer-
miro Elle a pu satisfaire les intércts sans apaiser les
passions, remettre l'ordre dans les affaires sans le
faire ren trer dans les esprits, et parmi les entreprises
qu'elle a tentées, il s'est trouvé que la plus difficile 11
accomplir était précisément celIe d'ou dépendait S1
durée : la réconciliation des traditions anciennes avec
les idées nomelles.


NOllS ne sommes point parvenus au terme des vi-
cissitlldes de la France modemei mais nous les avons
assez longtemps suivies pom discerller peut-Ctre en-
tre quels écueils sa destinée se débat. NOLlS avons
montré les désordres et les ablls de l'ancien régime
la eonduisant aux désordres et aux erimes révolu-
tionnaires, l'anarchie la préeipita nt 50US le despo-
tisme, et les eonquetes impériales la livrant 11 l'inva-
sion étrangere. Chaque exees l'expose done a l'exees
contraire, et cependant, 11. travers eelto succession de
fautes et de ruines, la natío n meme \it et dure; elle
reparait au lendemain de loutes les catasti'ophcs, per-
pétuée, renouvelée et toujours Ínachevéc. Il fuut
meme rcconnaitre que tout dans ses épreuves n'est
pas perdu et que, san s se fixer nullc part, dIe emporte




L'UIPIl\E.


et retient qllelque chose des diffél'entes régions qu'elle
traverse. e'est ainsi qu'au sein de la puissante et re-
doutable unité formée par la vieilIe monarchie, la Ré·
volution a définitivement aboli le privilége et rendL!
la liberté nécessaire, mais sans la fondel'. L'Empire a
construit la charpente et le mécanisme de la société
nouvelle, mai:,; san s y répandre le souffle de vie. Dans
ce grand corps la maíson de BOlll'bon a faít rentrer
l'ame, elle a introdllit ce qui compose et nourrit l'es-
prit des sociétés comme des hommcs, la tradition et
l'indépendancc, la mémoire et le libre arbitre. Mais
eHe n'est pas panenue a mettre promptement en har-
monie ces deux principes de vie ralllenés ensemble et
soudain parmi nous. De leur conflit sont issus et ses
revers, et notre long ébranlement; de leur accord, au-
jourd'hui comme híer, dépend notre avenir.


Fli\.






TABLE DES ~lATlERES


.\\',L\T-PIlOPOo .. " ,


LIYRE PRE)lIER
LA RÉVOLUTlO;{


CHAP1THE I'HE:\.lIEII. - DE L'I~T1:T!E TJE r, \ H(WIT,CTlüS ....


CIIAP[THE JI. - [)E L'\:\i.lE:\ IdJ:IlIl:: I'I'IS,,\ScE ROL\LE 1:1'
I·HI\lLí:GE'; ... oo., ....... 'oo .................. oo. .. 11


ClL\I'JTHE [11. - CO.\UID1' L\ HOY.\U·I:; FIU"'.:,\!Sl: E:'T DE-
\ESl'E .\JJ,;nl.U:." .. ,., .... " ................ , .. ,. 17


CIL\P1THE lY. - L.\ "uur':r(; Ffl.\.\i,,\ISE ,;nr, L \ HOYAI r(:
,\U';OLl' l': , , , , . , , . , ...••...••.. , , , • , ' . , ' , ...••.•.•• , :1 J


CIIAPJTHE Y. - 1."\'\1:11';' n(<;1111: I:T,\lT ¡'nl:T .\ "1-: U(;FOR-
)[EH E:\ lJ~8 .. ", ... , ... , ...... , ... ,.,. , ..... , . . . . n


C1L\P1THE Yl. - DE LI':01'1\],], l\r':\'OU'TIO"S.llI\E; ';ES 1J1U'.[-
SE:' \ TRA\'E1\< L'\SC¡¡':.\SE "()(:ICr{:., .... ,." .. "", r;:;


CII,\I'[,(,I\E \ [1. - 1)(I:I"'r,; 11E 1..\ 11 ('(I¡XTlo:\. \"¡:o:FS,lIHE I':T
"\.\:\DlI:\II-::\'I' '":\"1-:"'11 1,',\¡;Onli, Ll: )[I)],I'I-:1IE:\'f 1II:-
\'lE\T \IOU:ST 1'1' n(:,:O!\!IO\\(:""""""."",.,. 8:)


1. Le:, FI'~llH~ai:" eJl lif:l!l; II¡"lI"Ydient-il-; -'\_' ~·"llt(·tlll'l' ¡]'(j;¿'a]ltf~,
:-:;tll~ Jille!'!!;? . . . . . . . . . . . 8·1:


11. [l""lIlir,n di'; (.oi, ()l',II·e,;., " ,',' "", ,
111. CA"';JlIIJlcc cUIl;{j{uallte el '''s "1181<,,, ...... , ..


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1111




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PARIS. - Imprimerie de PlLLET fil~ aiu{', rue des Grands-Allgustius, ~; .